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HIR 1'* .
HISTOIRE
LITTÉRAIRE
DE LA FRANCE.
DE L'IMPRIMERIE DE FIRMIN DIDOT, PERE ET FILS,
IMPRIMEURS DE L'INSTITUT.
HISTOIRE
LITTÉRAIRE
DE LA FRANCE.
OUVRAGE
COMMENCÉ PAR DES RELIGIEUX RÉNÉDICTINS
DE LA CONGRÉGATION DE SAINT-MAUR,
ET COWTINOi
Par des Membres de l'Académie Royale des Inscriptions
et Belles -Lettres.
TOME XV.
SUITE DU DOUZIÈME SIECLE.
A PARIS,
FIRMIN DIDOT, père et fils, Imprimeurs-Libraires , rue Jacob, n° 24.
*""** TREUTTEL et WURTZ, Libraires, rue de Bourbon, n° 175
Et dans la même Maison de commerce,
A Strasbourg , rue des Serruriers , n° 3o ;
A Lo.'«sa£S , n° 3o , Soho Square.
M. DGCC. XX.
7.
Xtl SIECLE
SERLON,
CHANOINE DE BAYEUX,
POÈTE LATIN.
Il a été rendu compte , dans notre Histoire littéraire , des
écrits de plusieurs auteurs nommés Serlon , qui ont vécu
et qui sont morts dans le XH^ siècle. Tels sont i° Serlon, Hisi. Littér.
abbé de Glocester en Angleterre , qui, quoi qu'en dirent les '• ^^' P' *'''
bibliographes anglais, était né en Normandie. Il fut d'abord
chanoine d'Avranches, puis religieux bénédictin au mont
Saint-Michel avant de passer en Angleterre, où il fut pourvu
de l'abbaye de Glocester, et mourut l'an i io4. Tous ces faits
sont consignés dans le Monasticwii Anglicanum , tome P'',
pages I lo et m.
a" Un autre Serlon, qui a eu son article dans notre histoire, ilid. t. X,
est l'évêque de Seez de ce nom, qui fut d'abord abbé de P- 34i-
Saint-Evroult, décédé l'an 1122.
3° Plus tard il est parlé d'un troisième Serlon, qui fut abbé ihid. t. xil,
de Savigni en Normandie, et mourut à Clairvaux l'an ii58, P" ^*'"
après avoir réuni la congrégation dont il était le chef à
l'ordre de Cîteaux.
Au commencement du même siècle, vivait un autre Ser-
lon, chanoine de Bayeux, poète latin peu connu, dont nous
avons découvert trois manuscrits contenant un très -grand
nombre de pièces de sa composition. Le premier de ces
manuscrits est conservé à Londres parmi les manuscrits du
chevalier Cotton ( Vitcllius A. XII) faisant partie du musée
britannique. Le second appartient à la bibliothèque royale ^
de Paris, sous le n» 8718. Le troisième se trouve à Rome au
Vatican , parmi les manuscrits de la reine Christine de
Suède, sous le n° 344 ^ oWra. iSgg; et ces trois manuscrits,
à quelques exceptions près, contiennent des pièces toutes
différentes.
Les premiers auteurs de notre Histoire littéraire , n'étant
pas à portée de consulter ces manuscrits , n'ont rien dit du
poète Serlon. C'est pour réparer cette omission que nous
Tome XV. a
XII SIECLE.
ij SERLON, POÈTE LATIN.
plaçons ici à la tête du volume qui complète l'Histoire lit-
téraire du XII'' siècle , et comme nors-d'œuvre , son article,
qui aurait dû trouver sa place au commencement du même
siècle.
Serlon était chanoine de Bayeux; c'est ce qui résulte de
toute la contexture du poëme dans lequel il fait la descrip-
tion du siège de cette ville par Henri l", roi d'Angleterre,
lorsqu'il fit, l'an no6, la conquête de la Normandie sur le
duc Robert, son frère. A la tête d'une autre de ses poésies,
il est surnommé Parisiacensis. Que faut- il entendre par ce
surnom .î' Etait-ce son nom de famille, comme celui de Ma-
thieu Paris .'^ ou bien était-il né à Paris ou dans le Parisis 7
Ce dernier sentiment nous paraît assez probable. Nous sa-
vons d'ailleurs que Odon, évêque de Bayeux, frère utérin de
Guillaume-le-Conquérant, preiat fort remuant, aimant l'os-
tentation et tout ce qui pouvait favoriser son ambition ,
auquel notre auteur adresse une de ses pièces, avait attiré dans
son diocèse des gens de lettres de tous les pays. C'est tout
ce que nous savons sur sa personne. Nous allons nous oc-
cuper de ses écrits par l'analyse de ces trois manuscrits.
Analyse du manuscrit de Ix>ndres.
Ce manuscrit nous a e'té indiqué d'abord par M. l'abbé
Larue , correspondant de l'académie des Inscriptions et
Belles- Lettres ; et nous en avons reçu des extraits par
M. l'abbé Bétencourt , associé libre de la même académie ,
et par M. Henri Pétrie, garde des manuscrits de la tour de
Londres. Voici ce qu'il contient:
1". Le plus considérable de ces poëmes est celui qui a
jîour titi'e : Versus Serlonis de capta Bajocensium civitate.
C'est une pièce de trois cent quarante vers léonins, hexa-
mètres, dont la fin rime toujours avec l'hémistiche. Dans
ce poëme, commençant par ces mots , Corde fero tristi, quod
capta fuisti, urbs Bajocensis , l'auteur se plaint amèrement
du peu de résistance que la garnison avait opposée au vain-
queur, et accuse aussi les habitans de lâcheté pour ne s'être
pas défendus eux-mêmes. Entrant dans un plus grand détail ,
il fait la description des accidcns déplorables qui accompa-
gnent un siège, de l'incendie de la ville, et des pertes que
lui-même avait éprouvées, réduit à n'avoir plus ni gîte ni
vêtemens, manquant des choses les plus nécessaires à la
XII SIECLE.
SERLON, POÈTE LATIN. iij
vie : d'où il prend occasion de taxer d'insensibilité les gens
du pays, et de censurer avec esprit les mœurs publiques.
Ce poëme aurait dû trouver place dans la nouvelle col-
lection des historiens de France; mais il est arrivé trop tard
pour être inséré dans celle qui lui convenait. Pour n'en pas
priver le public, nous l'avons fait imprimer dans le tome XI
des notices et extraits des manuscrits de la bibliothèque
royale et autres bibliothèques particulières ; collection dont
la continuation est confiée à 1 académie des Inscriptions et
Belles-Lettres. Le manuscrit du chevalier Cotton a été un
peu endommagé par le feu dans la partie supérieure, lors
de l'incendie de cette riche bibliothèque l'an 1737.
a** On trouve dans le même manuscrit, Versus Seiionis
Parisiacensis ad muriel sanctimonialem. C'est un poëme de
deux cent soixante-seize vers hexamètres, cadences comme
les précédens. Ces vers sont adressés à une sœur utérine
de Guillaume -le -Conquérant, appelée Muriel, peu connue
dans l'histoire sous ce nom. Guillaume de Jumiége, ou plu- i-ib. viii,
tôt son continuateur, qui lui donne pour premier mari le "^' ''
xnalheureux Waldef, comte de Huntington , condamné à
mort par le roi , son beau-1'rère , et pour second mari Eudes ^*"'- ^^P- '•
de Champagne, comte d'Auttiale, ne la nomme pas. L'au-
teur de l'Art de vérifier les dates, la nomme Adélaïde, on
ne sait sur quel fondement. Quoi qu'il en soit , Muriel , étant
devenue veuve, se fit religieuse vraisemblablement à l'ab-
baye de la Trinité de Caen, nouvellement fondée par le
roi son frère et la reine Mathilde. Ce poëme est tout moral ,
et roule sur l'excellence de la vie religieuse, don on relève
les avantages au-dessus des jouissances du siècle. Il com-
mence par ces mots : Dum nostrum poscis carmen , quod
inutile nosti.
3" La troisième pièce a pour titre : De Reee JVillelmo.
Elle a été composée pour féliciter le duc Guillaume sur la
conquête de l'Angleterre. Comme elle n'est pas longue, et
qu'elle ne manque pas d'élégance, nous la transcrirons ici.
Plus tibifama dédit , quàn posset musa Maronis,
Nec tamen ad meritum pervertit usque tuum.
Si bene proscquitur qui de te singula quœrit ,
Viribus , ingénia , Cœsare major cris.
Hune opibus largis , hune milite Roma juvabat ,
Roma potens opibus, ^uœ caput orbis erat;
XII SIECLE.
iv SERLON, POÈTE LATIN.
At virtus aniini , non ampla potentia rerum ,
Tevocat in regnum, tefacit esse Ducent.
Clinique tibilate cedat geminata potestas ,
Et varias gentes arguât una manus,
Utiliter leges et publica jura tueris ,
JustUiamque frequens cumpietate colis.
His gradibus faciles aditus ad summa parasti ,
Hoc opus, lioc studium, sceptra dedere tibi.
Ergo consul eris et rex , et magnus ut roque,
Serviet imperiis utraque terra tuis.
Tu mare, tu terras, tu littus utrumque coerces
Viribus , et médias pax tua signât aquas.
AEmulapars taceat; Cœsar redit ^ hoste subacto ;
Ampla trophœa refert Cœsar ab hoste suo.
Festaqiie nunc tandem lœto sonet Anglia plausu.
4** Dans la quatrième pièce, qui a pour titre De Regind
Mathilde, le poète célèbre le mariage de Mathilde, fille de
Malcolm, roi d'Ecosse, avec Henri F"", roi d'Angleterre. C'est
un ëpithalame dans lequel le poète n'épargne pas les hyper-
boles. Nous n'en citerons que les premiers vers :
Septem majores numeramus in œlhere stellas ,
Siderei numerus ordinis i/npar erit j
Addimus octavam , nec partes inferiores
Hœc tenet; in summo prœminet orbe poli, etc.
5° Guillaume-le-Conque'rant, qui avait comble de biens
et d'honneurs son frère Odon , ëvêque de Bayeux , à qui il
avait donné le comté de Kaiit et confié une grande portion
de son autorité dans le royaume, mécontent de lui, le fit
mettre en prison, et ne consentit à le relâcher que quatre
ans après, au moment qu'il allait expirer. C'est cet événe-
ment que le poète célèbre dans une pièce de vers ad Odo-
nem Bajocensem , dans laquelle il fait du prélat un éloge
pompeux, tandis que sa conduite est assez généralement dé-
criée chez les auteurs contemporains. Voici cette ^ièce :
Sidereos cives, nunc et per omnia dives,
Post vitœ metas , prœsul honeste , pctas !
Sohere colla venis , gracibus depressa catenis ,
Paslor, et exlegi demcre vincla g régi.
Genspia cumjlerét , quia sol sub nube lateret ,
SERLON, POÈTE LATIN. y
Ât tujocundo sua reddens lumina mundo ,
Mœroris nubes omnis abesse jubés,
Solnovus illuxity vêtus horror ab aerejluxit;
Nox nigra discedit , luxque sereria redit.
Nostra redit virtus , raptor jam sœviat hirtus ,
Quantum vult acer^ nil timet ordo sacer.
Hoc genus morbi nostro Deus abstidit orbi,
Postquam lux celebris prodiit a tenebris.
Transiit aura gravis, gaudetjam rémige navis ,
Ridet ovans mater , te veniente , pater.
Te veniente, pater ,fugit hostis et angélus ater ,
Cedunt ista duo puisa vigore tua.
Te sentit postem Dvmini domus, hostis et hostemj
Hanc pietatefovcns , hune feritate movens.
Exsultent montes, silvœ quoque ,Jlumina , fontes;
Tanto pastori concinat ordo chori l
Vox resonet vatum , patrem celebrando beatum ,
Huncque canens mira personet arte Ijra !
Joseph namque modo nobis est reddilus Odo ,
Joseph dira t ruais clauserat ira Ducis ;
Postea non segni tractans ope commoda regni ,
Nunc pensons meritum , reppulit interituni.
Tu quoque, gemma patrum , post tempus carceris atrum
Lux patriœjies , ecclcsiœque dies,
6*». Si le poète Serlon excellait dans la louange , il n'était
pas moins véhément dans la satire, témoins les vers acérés
qu'il lança contre l'abbé de Saint-Etienne de Caen , nommé
Gislebert, dont le titre est Invectio ejusdem Serlonis in GiS'
lebertum abbatem Cadomi, commençant par ces mots , Se-
cretis mensis. L'auteur le représente comme un vrai Sarda-
napale, adonné à tous les plaisirs des sens, sur- tout à la
bonne chère, tandis qu'il laissait mourir de faim ses reli-
gieux. L'invective est si peu mesurée, qu'une main officieuse
a tracé sur chaque vers une large tranche de rouge fort
épais, et même raturé plusieurs mots; ce qui n'empêche pas
qu'on ne puisse^lire encore, en tout ou en partie, presque
tous les vers.
7° Dans le même manuscrit, qui contient aussi des pièces
de vers d'Hildebert et de Marbode, on trouve deux autres
morceaux ayant pour titre, l'un u4d amicum absentem ,
XII SIECLE.
yn SIECLE.
vj SERLON, POÈTE LATIN.
l'autre Ad mordacem Cyneduni , qu'on peut attribuer à
Serlon. Mais nous n'en connaissons que le titre.
Analyse du manuscrit de la bibliothèque royale.
Le manuscrit SyiS de la bibliothèque royale de Paris con-
tient aussi plusieurs pièces de notre versificateur, autres que
celles que nous venons d'indiquer sous ce titre presque
effacé : Incipiunt versus magistri Serlonis de diversis modis
'versificandi , utiles 'valde cuique versificatori.
C'est une espèce de poétique à l'usage des versificateurs
latins du XP siècle , laquelle consiste moins en préceptes
qu'en exemples* ou modèles. C'est pour cela que toutes ces
pièces, quoique la plupart historiques, n'ont ni titre ni sus-
cription ; il ne paraît pas même qu'on ait voulu leur en don-
ner après coup ; car il n'existe pas, entre les différentes
Fièces , le moindre espace pour les recevoir de la main de
enlumineur. Ces pièces sont au nombre de seize. Nous tâ-
cherons d'en donner une idée le plus brièvement possible.
1° La première, composée de seize vers élégiaques, est
adressée a un prélat qui n'est pas nommé. Elle commence
ainsi :
Clerus ,/ama , valor , te magnum , magnifie andum ^
Dignum, testatur, nuntiat , essefacit.
ces vers ne sont rimes ni au milieu ni à la fin , comme la
plupart des autres du recueil, qu'on appelle léonins. L'agré-
ment qu'on y trouvait consiste dans une espèce de corres-
pondance dans l'arrangement des mots du premier et du
second vers. Ainsi, dans cet exemple, pour saisir la pensée
de l'auteur, il faut, pour ainsi dire, faire l'anatomie des
mots, et lire : Clerus testatur te magnum , fama nuntiat
magnificandum , valor esse facit dignum. lien est de même
des autres distiques.
2° La deuxième pièce est l'éloge ou l'épitaphe d'un abbé
nommé Robert, en yingt-six vers élégiaques non rimes. Ils
peuvent servir de modèle de l'abus des antithèses et des jeux
de mots. Nous n'en citerons que ces deux vers :
Pax intus, tutelaforis : pater lue, ibi quœstor;
Plus plus, imo férus ; plus férus.) iino piuf.
SERLON, POETE LATIN. vij
3" La troisi^e pièce, de dix vers, a cela de particulier,
que tous les mots de chaque vers commencent par la même
lettre. Ils sont hexamètres , et rime's au milieu et à la fin. Eu
Yoici un échantillon :
Pulcher pube Paris, Pyrrhus probitate probaris ,
Actibus Alcides , armis animosus Atrides.
4° La quatrième, en dix vers éle'giaques, rime's au milieu
et à la fin, est adressée à un ami qu'on ne nomme pas,
homme de plaisir et de boime chère , dont on regrette l'ab-
sence. L'auteur a mis son nom Paiisius à la tête, parce qu'il
fait partie du vers.
Paiisius Paridi. Félix tua secula vidi,
Infelix careo nunc Ganymede meo.
5° La cinquième est un chant funèbre de vingt-huit vers
éiégiaques, rimes comme les précédens, à la louange d'un
comte nommé Simon. Tout nous porte à croire que ce comte
n'est autre que Simon, comte de Crépi en Valois, tant cé-
lébré dans le XP siècle, dont le nom figure même dans le
catalogue des saints. Nous n'en citerons que ces deux vers
du milieu :
Flos Comitum, superis par nobUitate , severis
Justitiâ, teneris puce, mucronejeris.
6** La sixième fournit un exemple de vers hexamètres,
rimes trois fois, au commencement, au milieu et à la fin,
liés deux à deux avec les mêmes rimes dans la forme sui-
vante :
• Voce brevi, sermone Uvi, tibi paucuîa s. . . .
XII SIECLE.
. Çui neque W, nec jure brevi, sed amore qui. . . .
n^ La septième , de huit vers hexamètres , rimes au milieu
et a la fin , paraît être adressée à un souverain pontife pour
demander sa protection contre des détracteurs.
Roma , caput superûm tibi dixit , pondéra rerum ,
Officium mundi , ducis accipe jura secundi.
8" La huitième, en douze vers hexamètres, rimes comme
dans la précédente , paraît être l'épitaphe du comte Simon
de Crêpi , dont il est parlé plus haut.
XII SIECLE.
viij SERLON, POETE LATIN.
Hères primatum, comitu/n Jlos , vas probitatum ,
Quo ruât clatus , Simon docet hic tumulatus ;
Illiiis eclipsis dolor est virtutibus ipsis,
9° La neuvième est 1 epitaphe d'un abbe' qui n'est pas
nommé, consistant en vingt vers élégiaques, dont les rimes
se correspondent au milieu et à la fin de chaque distique ,
dans cette forme :
Fine patris veri flnem rnihi constat hab .
Lumina lœta teri , semina mœsta s. .
en
lo" Dans la dixième, en dix-huit vers hexamètres, rime'»
au miUeu et à la tin, l'auteur re'pond à une consultation
au sujet d'un cadet de famille, dont l'aînè refusait de par-
tager avec lui la modique fortune du père. Son avis est qu'il
fera bien de se livrer a l'étude des arts.
Patribus orbatuni régit artis semita natum ,
Artibus imbutum reddunt sua dogmata tutum.
1 1° La onzième est une épître en dix-huit vers élégiaques
à un poète nommé Pierre. Ces vers sont non - seulement
rimes, mais presque toujours le même mot, pris en diffé-
rens sens, forme la rime au milieu et à la fan.
Exue , musa , metum , Pétri visura rosetum ;
Huic mea vota nota , quem, notât ampla nota.
Fer, rogo, versifico versus., etfœdus amico:
Kersus non cornes non légat ille cornes •
Non comes , irnb nitens , ad laudis culmina nitens.
12° La douzième est encore une épître à Roger de Caen,
moine du, Bec, mort l'an 1090, célèbre versificateur de son
temps, qui a eu son article dans notre histoire littéraire,
tome VIlI , page 4^0 , avec lequel Serlon désire lier connais-
sance. Cette pièce , de vingt-deux vers , partie hexamètres,
partie élégiaques , n'est pas rimée. C'est une des meilleures
du recueil, qui mérite d'être connue.
Serlo Rogerio. Tu par, vel nullus , Homero ;
Tu , vel nenio , Paris animo sapis , ore probaris.
De veterum numéro quotiens similcm tibi quœro ,
Quemque licet memorem, notât in te quisque priorem.
Quod laudis meritum , quœ famœ causa tuœque ,
Quœ vitœ virtus , musa sonare sitit.
SERLON, POÈTE LATIN. ix
jfctus^ sermo, manus ^ populum populiqae favorem ^
Atque favoris opus , aîlicit , auget , liabet.
Fama tui prœco , sed laus prceconis alumna
Hoc sitit , illa magis pullulât atque viget.
Pacificits nequam sat amicum , satque lebellem
Sentit, conqueritur te sibi mente, manu.
Quod sibi successor dignus dignaris baberi ,
Grates multiplicant Plato , Maro , Cicero.
Finetn sortitijam , te régnante , resurgunt ,
Te suus , hosque tuus , ducunt adesse valor.
Quid geminat genius de te mihi, collige; miror
Uni tôt dotes inseruisse vira.
Ista tibi scribo tuus , ut meus. Ergo verende,
Quœso -verba velis hœc mea respicere.
Verba notant nostri tibi dent., nota fœderis usum.
Musa vicem domini suppléât. Ergo vale.
i3° La treizième est adressée à un roi qui n'est pas nommé.
C'était vraisemblablement un roi d'Angleterre, nouvellement
monté sur le trône , dont l'auteur fait l'horoscope par la
bouche de la parque Clotho. Cela peut convenir à Guillaume-
le-Roux,lorsqu'en 1095 il acquit fie son frère, le duc Robert,
la Normandie à titre d'engagement; ou à Henri I", leur frère,
oui s'empara, l'an 1 100, du royaume et de la Normandie en
1 absence du duc Robert. Il n'y a pas d'apparence que l'au-
teur ait eu en vue Louis-le-Gros , qui ne monta sur le trône
de France que l'an 1 108, et ne fut jamais maître de la Nor-
mandie, où nous avons vu que Serlon faisait sa résidence.
Quoi qu'il en soit, l'auteur ne prodigue au roi ses louanges
que pour en venir aux plaintes qu'il forme contre les chan-
celiers des églises cathédrales , qui ne permettaient d'ouvrir
ou de tenir des écoles que moyennant finance ; conduite
qu'il taxe de simonie, d'après les anciens canons. La pièce,
composée de trente-six vers élégiaques, rimes au milieu et
a la fin, est trop longue pour être insérée ici en entier.
Nous n'en donnerons que le dispositif de la plainte :
Rex homo plus Iiomine , studii succurre ruitiœ;
Rex homo plus rege., Palladis arma rege.
Hoc celo quod in his , Simon, tua régnât Herinis (f. Erinnis),
Nec loquor istud ego; do, scholasquc rego.
Tractaniur misère, date cogimur , atque tacere:
Tome Xr. b
xn STECLK.
Xn SIECLE.
» SERLON, POETE LATIN.
Hoc ego lege lego, doque, darique aego.
Ast in decretis legitar : Quicumque docetis ,
Verum dicatis ; hoc date , sitque satis.
Ergo tibi manda ^ rex. stutime, palant, quia clam do ,
Sed décréta vêtant ; hoc peto ne qua pétant.
Simonis hceredem , Jovis hœres , comprime ne deni ;
Me rege , qui régis nomina cuncta régis.
i4*> La quatorzième pièce est adressée à un nommé Ro-
bert , à qui l'auteur fait honneur d'un travail sur les formules
de Marculfe et de commentaires sur les livres de Salomon ^
mais qu'il persifle et tourne en ridicule , pour s'être avisé
de faire des vers avec le style de Marculfe. Voici ce qu'il
en dit :
Dum spéculer versnm , dum carmen tam bene versum ,
Illic perversum nihil invenio, nisi versiun.
Fas tester juris ac cœtera numina rurisy
Spem de venturis prœsentant illa lituris.
Quod ■i'ersu quœris, iiersu placuisse mereris,
Sic Maro semper eris , si nunqiiam versificeris.
de
Ce Robert pourrait bien être le moine Roliert de l'abbaye
Lyre , auteur d'un commentaire sur l'évangile de saint
Jean, dont parle D. Rivet, tome VIII de l'Histoire littéraire,
page 352. Ce qui nous porterait à le croire , c'est qu'il vi-
vait au Xr siècle , et en Normandie , comme Serlon , et qu'il
faisait des commentaires. S'ils n'étaient pas mieux écrits
que ses Vers, il n'est pas étonnant qu'il ne reste de tous
ses ouvrages que son commentaire sur saint Jean, que D.
Rivet dit n'avoir pu se procurer, mais qui existe dans la
bibliothèque royale, n° GgS. Si D. Rivet, qui ne dit presque
rien de l'auteur du commentaire sur l'évangile de saint Jean,
eût connu cette pièce de Serlon , il aurait pu en parler plus
pertinemment; car nous ne voyons pas, dans le XI* siècle,
d'autre Robert ,à qui l'épigramme de Serlon puisse être ap-
pliquée. , . ,
1 5° La quinzième pièce, de soixante vers hexamètres , rimes
au milieu et à la fin , serait fort curieuse , si l'auteur n'avait
pas jugé à propos de l'envelopper de nuages et de réticences ,
pour n'être entendu que de celui à qui il écrivait. 11 paraît
qu'il s'était fait des affaires avec le roi d'Angleterre, et
SERLON, POÈTE LATIN. x]
qu'oblige de s'expatrier, il s'était réfugié dans les états du
duc de Savoie. C'était vraisemblablement à l'époque oi^
son patron, l'évêque de Bayeux , Odon , encourut la dis-
grâce de Guillaume -le -Conquérant, son frère, dans la-
quelle on peut supposer que notre poète fut enveloppé.
Quelqu'un sans doute voulut le rappeler dans sa patrie, et
à cette occasion il fait la description du lieu qui lui servait
de retraite. Ce lieu était au milieu des Alpes , dont il peint
les horreurs, non loin de l'endroit où Annibal s'était frayé
un chemin pour entrer en Italie ; mais il ne veut pas le nom-
mer. Il était dans une vallée agréable et fertile, avec un port
sur la mer.
Est in valle brevi brevis urbs, sed non brevis œvi,
Huic mare cum porta , cui sol objectas ab ortu ;
Huic montes mille, non mille, sed anus, et il le
Mille nitens castris,juga mille propinqua dat astris.
Hac iter Hannibali, regnoque metum Latiali,
Riipe dédit fractâ , ida plana per invia facto.
Hic ■vallis latitat , qaam plene copia ditat ,
Arva Ceres , vîtes Bacchus , Mars ipse qairifes ,
Fruge replet y donat genimis , post arma coronaf.
Refora, spe portas, ove pascna , firactibus hortus
Ditantttr. Quce dat locus iste , quis omnia credat ?
Ne serait-ce pas Antibes.** Quoi qu'il en soit , voici ce qu'il
dit des habitans, de la noblesse et du clergé, dont il loue la
candeur et la probité.
Urbs hic tuta bono munimine, cive , patrono;
Urbs urbana , fero fera milite, claraque clero,
Florida pontificum ^ sub Jlore receptat amieam ,
Hoste -vacat , jurât in crimina, juraque curât.
Vient ensuite l'éloge du duc souverain du pays.
Gensfaustegenita, quam dextra ., pectore , vitâ,
Dante pio , placiià Dux instruit israelàa.
Hoc Duce y Jlore ducum,priîis ardua, nuda, cadacum
Fraus jacet , armatur probitas ,Jus stare probatur.
XII SIECLE.
XII SIECLE.
xil SERLON, POÈTE LATIN.
D'après toutes ces considérations , il refuse nettement Je
retourner sous la domination du roi d'Angleterre :
Huic ego suppono mecum meafata patrono ;
Hoc Duce ductus ego ,fausto satis omine dego;
Principe, gente, solo, delector. Die fuge ; nolo.
Namque locum nactus dulcem , discedo conclus;
Fors me nolentein pellet , res nulla volentem :
NuUis exceptis , locus omnis ineptus ineptis.
Enfin il compare ce lieu avec l'Angleterre, et il trouve que.
tout l'avantage est du côté du premier. 11 regrette pourtant
que les muses y soient moins cultivées.
Non hte si nusquam, probus hic ero , si pr obus usquam;
Nam gens angligcna et locus hic est Angliapene.
Hoc tamen excipio quod non -viget hic ita Clio ,
Exclusœ musœ non sunt his partibus usœ,
Phœbus ait Marti: Locus iste tuœ placet arti;
Trax, Geta, Sauromata , gens liœc tibi, non mihi grata ,
Meque , meumque melos , procul hinc habeat irua Delos.
La 16" et dernière pièce est un long poëme de sept
cent cinquante vers élegiaques non rimes, ayant pour titre :
Incipiunt versus de Patricidâ. C'est une nouvelle, un conte
dans lequel l'auteur suppose que deux époux, favorisés
de tous les dons de la fortune, s'estimaient malheureux,
parce qu'il manquait à leur bonheur d'avoir des enfans.
Le lieu de la scène est à Rome. Dans son impatience, la
femme consulta un astrologue , qui , par les secrets de son
art, lui promit qu'elle aurait un fils accompli, mais qui mal-
heureusement tuerait son père. L'accomplissement de la pre-
mière partie de cette prédiction , qui eut lieu, faisait craindre
que la seconde ne fût que trop vraie. C'est là le nœud de
1 intrigue et le canevas sur lequel le poète s'est exercé. Il y
décrit en assez beaux vers les combats qu'éprouve la femme
entre les affections conjugales et l'amour maternel , em-
ployant pour conserver deux objets qui lui sont également
chers, toutes les ressources que le génie de son sexe peut
lui suggérer. Nous n'en citerons que les deux premiers versi
Scinper ut ex aliquâ felices parte querantur ,
Humanœ leges conditionis habent.
SERLON, POÈTE LATIN. xiij
yfnalyse du manuscrit du Vatican.
La notice de ce manuscrit, qui jadis fut envoye'e aux col-
laborateurs de l'Histoire littéraire par le cardinal Passionei ,
bibliothécaire du Vatican, fut trouvée si superficielle, qu'ils
ne jugèrent pas à propos d'en faire usage. En effet, elle ne
donne que le titre et le premier mot de chaque pièce , sans
autre indication et sans articuler le nombre des vers qui la
composent. Telle qu'elle est, nous croyons pouvoir la donner
ici , pour compléter, autant que possible , le dénombrement
des ouvrages de notre poète.
Ce manuscrit en contient cinquante-six; mais il y en a quel-
ques-uns que nous connaissons déjà par les autres manu-
scrits que nous possédons. D'autres ne sont pas de Serlon ,
auoiqu on les trouve à la suite de ses véritables ouvrages,
'est ce que nous tacherons de démêler.
24. Incipiunt versus magistri Seri.onis : Dactile, quid
latitas? etc.
La même pièce nous a été indiquée comme existante
parmi les manuscrits du roi d'Angleterre au musée britan-
nique {x'b.A.IV)^ dans laquelle le poète Serlon se nomme.
En voici une citation plus étendue, d'où l'on peut conclure
que ce manuscrit est conforme à celui du Vatican :
Dactile , quid latitas? exi : quid publica vit as?
Quis vetat audiri, quœ fas, nec inutile., sciri?
Non alios cura , nisi qui curant tua jura^
Et quœ versifico , die cuivis quœ tibi dico.
XII SIECLE.
In me Serlorem non respice^ sed rationem.
De quoi s'agit-il dans ces vers? C'est ce que nous igno-
rons, n'ayant pas la pièce entière sous nos yeux. Revenons
au manuscrit du Vatican.
25. Planctus trojanae destructionis. Incipit : Pergama
fiere voîo , etc.
a6. HisTORiA trojana. Incipit:
Divitiis , or tu, specie, -virtute , triumphis,
Rex Priamus clarâ clarus in urbefuit, etc.
27. De fuga AEneae. Inc. Ignibus AEneas cedens, etc
XII SIECLE.
xiv SERLON, POÈTE LATIN.
28. De mercatore. Inc. Institor intentas augendis rébus, etc.
29. De quatuor evangelistis. Inc. Tange kamcna stilum,
phaleraios exue cultus.
29. De thure et de auro et de myrrha. Inc. Quid thus
designet , quid obumbrat myrrha,, quid aurum, etc.
29. De Daniele, de Job et de Noe. Inc. Très recipit
cœlum, etc.
29. Descriptio paradisi. Inc. Dirige Clio stilum.
30. Versus de papa. Inc. Orbis ad exemplum papœ pro-
cedit, etc.
3o. Versus de Caesare. Inc. Fulgurat in bello constantia
Cœsaris, etc.
3o. Descriptio juvenilis sapientiae. Inc. Purpurat elo-
quium, sensés festival IJlixem, etc.
3o. De tribus cellulis capitis. Inc. Non cellœ capitis', etc.
3o. DtT'juvENE ET MONiALi. Inc. Te mihi , mcque tibi, etc.
3o. Hos versus fecit quidam monachus dormiendo. Inc.
Humani generis casum , subitamque ruinam
Àfferet huic orbi perniciosa lues.
3i,. Rythmus EPiscopi GuLii. Inc. AEstuans intrinseciis ira
vehementi.
Le bibliogmphe anglais Baie, et après lui Pitz et Tanner
attribuent cette pièce à Gautier Map, qui, sous un nom
emprunté, répandait des facéties contre le clergé et les
moines. Cette pièce, dans les manuscrits d'Angleterre, a
pour titre Confessio Goliœ episcopi. Gérald surnommé Cam-
brcnsis ou le Gallois, contemporain du Map , parlant du
poëte Gautier, dans un ouvrage inédit, intitule Spéculum
ecclesiœ, cité par J. Baie, s'exprime ainsi {lib. 3, cap. let i4 )
Gualterus cognomento Mapus , vir celebri famâ conspicuus,
et tam literarum copia quam curialium verborum facetiis
prœclarus , Oxoniensis archidiaconus , facetias plures in
Cistercienses monachos evomchat. Mais, par ménagement
pour l'archidiacre d'Oxford, il attribue la plupart de ses
facéties à un bouffon, prétendu évêque , nommé Golias ,
qui divertissait le monde aux dépens de ceux qu'il déchi-
rait, et le dépeint ainsi {lib. 4, cap. 16) -.Parasitas quidam
Golias, nostris diebus gulositate pariter et dicacitate famo-
sissimus, qui GuLwa mclias , quia galœ et crapulœ deditus,
dici potuit : literatus tamen offatim , sed nec bene morige-
SERLON, POETE LATIN. xv
ratus nec disciplinis informa tus , m papam et curiam Ro-
manam carmina famosa pluries et plurima , tain metrica
quiirn rythmica, non minus imprudenter quam inipruden-
ter evomuit. C'est cet homme qui est appelé ici Gulius.
3r. ExcoMMUNicATio EjusDEM EPiscopi. Inc. Rapor mei
pilei morte nioriatur.
I^es mêmes bibliographes attribuent cette pièce à Gautier
Map , sous le titre Anathema pro pileo.
3r. Altercatio Ganimedis et Helenae. Inc. Taiirum sol
introierat, etc.
Sa. Hic iNCiPiT Ai'ocALYPSis. Inc. A Tauro iorrida lam-
pofle Cinthii.
La même pièce attribue'e à Map a pour titre Apoca-
Ijpsis Goliœ Pontifiais super vita et moribus ecclesiasti-
corum (i).
33. RïTHMUs de mercatore. Inc. Quidam vir officia vivons
mercatoris.
34. Hic ostenditur qualiter Jupiter decepit Danaem
IN SPECIE AORi. Inc. Prîmo veris tempore , vere renascente.
34. Altercatio Phillidis et Fi.orae. Inc. Anni parte
floridd, etc.
36. De cestis Herculxs. Inc. Olim sudor Herculis.
36. De amica cujusdam clerici. Inc. Sœvit aurœ spiritus
36. Hic MONET CONTEMNERE DIVITIAS. Inc. Dii'itiœ , etc.
36. De virginis ivapta virginitate. Inc. Dum priusjoca
colerem.
36. De quodam priore defuncto. Inc. Absque statu, etc.
3^. De Wilhelmo rege Scotorum. Inc. Militât ad titulos
ff^ilhelnd gloria.
37. De Edmundo rege Akguae. Inc. Edmundi mundus
miratur gesta.
(i) Il paraît que la licence plus que poétique du pnhendu Goiias, ap-
pelé aussi Boniolochus , avait trouvé des imitateurs, dans le clei"é et
formé une secte qui s'était rendue odieuse. L'an laSi, il fut tenu à
Rouen un concile provincial, dans lequel on lit l'article 8 qui les con-
cerne : Statuiinus qiiod clerici riùaudi , maxime qui dicuntur de famUiâ
Goliœ ^per episcopos, archidiacoiios , officiâtes et decanos christianitatis ,
tondeii prœcipiantur vel etiam radi , îta quod eis tonsura non rémanent
clericalis ; ita quod sine scandalo et periculo ista fiant. Concilia Norman-
ni» parsl, p. i36. Le même canon se retrouve dans celui de Château-
Gonthier de la môme année (Labbe,t. XI, p. 489) et dans un autre de
la province de Sens , que le P. Labbe( t. IX , p. 1677) place au X" siècle?
mais qu'il faut rapporter au même temps.
XII SIECÏ.K.
XII SIECLE.
xvj SERLON, POÈTE LATIN.
87. De mundo. Inc. Mandas, abit , res nota salis.
37. Versus de melros. Inc. Vix solet esse gravis res , etc.
87. Ordo siGNORUM. Inc. EstAries, Tauras, Gemini, etc.
37. Oppositio SIGNORUM. Inc. Est Libra, Aries, Scorpius.
37. Domicilia. Inc. Est tibi, Saturne, domas , etc.
37. De tribus sociis. Inc. Lex fuerat sociis, etc.
37. De clericis et de rustico. Inc. Cotocii, etc.
38. De HiiGONE CANCELLARio. Inc. Excitare somno, Masa.
38. De quodam juvene. Inc. Sargens Uranius.
38. Descriptio senilis nequitiae. Inc. Scurra, vagus, etc.
39. Fabula de Hacteone. Inc. Canota rotat casus.
39. De Salomone et Micoll. Inc. Nemo potens est , etc.
40. De Hermaphrodito. Inc. Dam mea me mater gravido
gestaret in alvo.
4i. Incipiunt problemata. Inc. Corda puellarum , etc.
4ï- Incipiunt versus magistri Serlonis de diversis modis
versificandi, utiles valde cuique versificatori. Inc. Cle-
rus , forma, valor, etc.
Nous avons rendu compte de cette pièce , Cfui , dans le
manuscrit du roi, en contient seize, et qui n'est comptée
ici que pour une.
42. De amore et de fortuna. Inc. Nalli fidus amor.
43. De parricida. Inc. Semper ut ex aliquâ felices parte
querantar.
Nous avons parlé plus haut de ce long poëme, qui existe
aussi dans le manuscrit du roi. Les pièces suivantes ne
paraissent pas être du même auteur :
47. De virgimtate S. Mariae. Inc. Nectareani rorem , etc.
47. RïTHMUs DE s. Thoma. Inc. Martyr, prœsul, mo-
nachus.
5o. Discordia inter socerum et generum. Inc. Peritoram
cogit concilium rex JViUelmas.
5o. Versus varias sententias complectentes , sine titulo.
5i. De Achille et Ulixe. Inc. Certat ubi ■victus.
54. ViTA SusANNAE. luc. Hactenfis arrisit Susannœ.
56. QuAEDAM FABULA. Inc. Postquam Pamphilas.
56. De sancta Agnete. Inc. Agnes sacra sui pennam
scriptoris inauret.
Cette pièce a été imprimée plusieurs fois. On la trouve
parmi les poésies d'Hildebert, évoque du Mans, col. 1249
de l'édition de Beaugendre. B.
TABLE
DES CITATIONS.
JylÉMOiRBS de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Paris,
1701 — 1809, 5o vol. in- 4".
OEgidii parisiensis Carolinus, seu de Carolo Magno libri 5. Le livre 5
est imprimé dans le t. XVII du Recueil des historiens de France.
Alberici monachi Trium-fontium Chronicon , inter accessiones hïstor.
Godof. Guill. Leibnitiii. Hannoverae, 1698, in-4".
Blichaëlis Alford. Annales ecclesiasiici Bi-itannorum , Saxonum et Anglo-
rum. Leodii, Hovius, i663 , 4 vol. in-fol.
L'art de vérifier les d;ites des laits historiques, des chartes, des chroniques,
et autres anciens monuments, par des religieux bénédictins. Paris,
Jombert, 1783 — 1973, 3 vol. in-fol.
Ludovici Donii d'Aitichy, Flores historiae cardinalium. Parisiis, Cramoisy,
1660, 3 vol. in-fol.
B.
I
Acad.desinscr,
iEgid. Carot'.
Alberici Chr.
Alford.
Art de vérif.
Attichy , Flor.
Card.
Vies des Saints, par Adrien Baillet. Paris, 1701, etc., 17 vol. rn-8°, ou Baiil.v.desSS.
10 vol. in-4° 1 ou 4 vol. in-iol.
Scriptorum illustrium majoris firitanniœ Catalogus digcsttis a Joanne 'R»^- Scr. angl.
BaliBo. Basileae , Oporin , i557, in-fol.
Miscellanea édita a Stephano Baluzio. Parisiis, 1678 — lyiS , 7 vol. in-8° Balaie.
Lucae, 1761 , 4 vol. in-fol.
Csesaris Baronii Annales ecclesiastici , cum criticâ Ant. Pagi, etc. Lucae, Baronin».
1740 — 1737, 3g vol. in-fol.
Les grandes annales de France par Belleforest etc. Paris, Buon, 1579, Belleforest.
3 voL in-fol. — 1621, 2 vol. in-fol.
Ritus ecclesiae Laudunénsis, studio Antonii Belotte. Parisiis , Sa vieux , Bellote.
iG6a, in-fol.
S. Bernard! abLiatis Clac, opéra, cura Joannis Mabillon. Parisiis, 1690, Bemaidi (9»
2 vol. in-fol.
Bibliotheca masima Patrum , cura Phil. Despoat. Lugduni , Anisson , Bitl. pp.
1677 > 3o vol. in-fol. <•
Tome XF. c
Bolland.
BouaT. Op.
Bongars, Gest.
Bord. Rech.
BoMuel.
Boalainv.
Boolliard.
Bouq. HUt. Fr.
Bromton.
Broawer.
Buzelin.
xviij TABLE
Acta saiictorum omnium, cura Joannis BoUandi et aliorum. Antuerpi»,
1643— 1794, 53 vol. in-fol.
S. Bonaventurae opéra. Roms, typis vaticanis. i588 — iSpô, 7 tom.
in-fol.
Gesta Dei per Francos sive de orientatibus expeditionibus et de rœno
Francorum hierosolymitano scriptorcs varii , collecti a Jac. Bongarsio.
Hanoviae , 161 1 , 2 lom. in-fol.
Trésor des recherches et antiquités gauloises et françaises, réduites en
ordre alphabétique par Pierre Borel. Paris, i655, in-4".
Histoire des Variations, par Bossuet. Paris, 1770, 5 vol. in-12; et
tome III des oeuvres de Bossuet. Paris, i743; in-4°.
Histoire de la pairie de France et du parlement de Paris, par M. D. B.
(de Bouiainvilliers). Londres, 1744 1 2 vol in-12.
Histoire de l'abbaye de Saint-Germain des Prés, par Dom Boulliard.
Paris, 1724, in-fol.
Rerum gallicaruni et franc, scriptores. Recueil des historiens de France,
par D. Bouquet et autres bénédictins. Depuis le t. XIV inclusivement,
par M. Brial, de l'institut. Paris, 1738 — i8i4, 17 vol. in-fol.
Joannis Bromton Chronicon , dans le recueil intitulé : Historùe anglica/ug
Scriptores X.
Antiquitatum et Annalium Trevirensium libri aS, a C. Brouvrero et Jac.
Masenio. Leodii Hovius, 1670. 2 vol. in-fol.
Gallo-Flandria sacra et profana. Leod. 1625, in-fol.
Calmet, H. de
Lorr.
Camasat.
Cat. Angl.
Cat. Bibl. Cott.
Cat. Bibl. Reg.
Caul.
Cent. Magd.
Chappeaaville.
Fr. Chifllel, S.
BtrA.
Histoire ecclésia.st. et civile de la Lorraine, par D. Aug. Calmet. Nancy ,
1728, 3 vol. in-fol. — Ibid. 1745 — 1757, 7 vol. in-fol.
Promptuarium sacrarum antiquitatum Tricassinœ diœcesis, auctore Nie.
Camusat. Augustae Trecarum , 1610, 1618, in-8".
Catalogus libr. mss. Anglia; et Hiberniae. Oxon. Sheldon, 1697, ^ ^°'-
in-fol .
Catalogus librorum mss. Bibliothecae Cottonian», 1696, in-fol.
Catalogus codicum mss. Bibliothecœ regiae (studio Aniceti Mellot). Pari-
siis , typis regiis , 1739 — 1744) 4 ^ol. in-fol.
Mém. de l'Hist. du Langued. par Guill. Catel. Tolose, Bosc, i633, in-fol.
Historias ecclesiastica; centuria; i3 congestœ per Magdeburgenses , Flac-
cum lUyricum, Wigandura , etc. Basileœ , iSSa — 1554, i3 tom.
8 vol. in-fol.
Historia ecclesiœ Leodiensis, studio Joannis Chappeanville , 1612 et 1618,
3 vol in-4''.
Sancti Bernardi genus illustre assertum , à P. Fr. Chifflet. Divione , Cha-
vance , 1660, in-4".
DES CITATIONS. xvix
Manuale solitariorum è cartusianorum cellis depromptum ; à FrChiffletio.
Divione, Chavance , 1637, in-8".
Histoire générale du Dauphiné , par Nie. Chorier. Grenoble, 1661, et
Lyon, 1672, 2 vol in-fol.
Chronicon Cisterciense. — Chronicon Prsemonstratense. V. Mirœus.
Ciironicon Hirsaugiense. V. Trithem.
Elucidariiim ecclesiasticum , studio Jodoci Clictovœi. Paris, i658 , in-ibl.
Œuvres de H. Cochin. Paris. 1751, 6 vol. in-4°'^.
Cujacii opéra omnia. Paris, i658, 10 vol. in-fol.
Histoire littéraire de Lyon par le P. de Coloaia. Lyon , 1728 , 2 vol.
in-4°.
L'istoria délia volgar poesia da Giov. Maria Grescimbeni. Venezia, 1730
ei73i, 7 vol in-4°.
Fr. Chifll.Maa.
Solit
Chorier.
Chr. Cist.
Cbr. Hirsang.
ClictOT.
Cochin.
Cajas.
Colonia.
Crescimbtni.
t)e observandis in missae celebratione...
Bibliotheca scriptorum ordinis Cisterciensis , autore Carolo de Visch. Co-
loniae Agrippinae, i656, in-4''
Pétri Dorlandi chronicon Carthusiense cum notis Theodori Petraei. Colo-
niae, x668 , in-8°.
Histoire de la ville de Soissons et de ses rois. Soissons, i663, in-4''.
Histoire de l'abbaye de Saint-Denys , par Doublet. Paris, Buon , 162 5,
2 tom. in-4°.
Gerardi Dubois historia ecclesiae Parisiensis. Parisiis, Muguet, 1690 —
17 10, 2 vol. in-fol.
Historia universitatis Parisiensis, autore Caesare Egassio Bulaeo (Duboulay).
Parisiis, i665- 1673, 6 vol. in-fol.
Théâtre des antiquités de Paris, par Jacques Dubreul , bénédictin. Paris ,
1612, in-4*'; Paris, 1739, in-4''.
Garoli Dufresne Ducange, glossarium mediae et infîmse latinitatis (cum
indice autoru m). Parisiis, Osmont, 1733—1736, 6 vol. in-fôl.
Historiœ Francorum autores, collecti ab Andréa Duchesne. Parisiis, i636,
5 vol. in-fol.
Historise Normaunorum scriptores, collecti ab Andréa Duchesne. Parisiis,
1629, in-fol.
Histoire de tous les cardia, franc, par Fr. Duchesne. Paris, 1660, in-fol.
Histoire de l'église de Meaux. Paris, 1731, in-4".
Recueil des rois de France , leur couronne et maison , par Jean Dutillet.
Paris, 161 8, in-4°.
Bibliothèque française, par la Croix du Maine et Duverdicr. Paris, 1772 —
1773, 6 vol. in-4''.
Demochari*.
De Visch.
Dorland.
Dormans.
Doublet.
Dahois.
Unboalay.
Dnbrenl,
Ducange, Glos.
A. Duch. H. Fr.
A. Dach. Hist.
I^orm.
F.Duch.H.d.C.
Du Plessis. ^
Dutillet.
Daverdier.
c a
.cA4É!ii)
Kcbard.
Escceavres.
l'M.'litl .-1' '
^,.
TABLE
E.
Scriptores ordinis prasdicatorum , opus inchoatum à Jac. Quetif , absolu-
turii à Jac, Ecliard. Parisiis, 1719 et 1721, 2 vol. in-foL
Le pourlraît du vrai pasteur, ou Histoire mémorable de Saint Albert,
évêque de Liège, par G. D. R. S' d'Escœuvres. Paris, Huby, i6i3,.
in-8".
Fibric. Med. Joannis Alb. Fabricii Bibliotheea mediae et infimae latinitatis. Haqiburgi ,
1734» 6 vol. in-S". — Cum notis Dominici Mansi. Patavii , Manfre^
1754, 6 vol. in-4°.
Fanchet. Origine de la langue et de la poésie française, par Claude Fauchet. Paris,
Pâtisson , i58i , in-S".
rélibjeu. Histoire de l'abbaye de Saint-Denis, par don Michel Félibien. Paris,
,, : .. (1.) 1 , 1 706 , in-fol.
Flenry. Histoire ecclésiastique, par Fleury. Paris, 1691 — 1737, 36 vol. in-4° ou
in-i2.
Eoppent. Bibliotheea Belgica, sive Belgici scriptores à Valerio Andréa, Auberto-
Mireeo, Fr. Swertio recensiti: cura Francisci Foppens. Bruxellis, 1739,.
a vol. in-4"..
G.
Sali. Chritf. n. Gallia Christiana (nova) operâ DSonysii Sammarthani et aliorum. Parisiis,.
1715 — 1783, i3 vol in-fol.
Gariel.
Gerr. Oorol),
Gesta Pont. L.
Gilles d'Oival.
Girald. Cambr.
Goase.
Srtncolas.
GretsCT-.
ftuill. Nenbr.
Séries Pra?sulum Magalonensium et Monspellensiura, aiilore P. Gariel.
Tolosae, lôSa , in-fol. Ibid. i655, in-fol.
Gervasii Dorobornensis monachi Chronicon , inter Anglicae historiae
scriptores 10. Londini, i652, in-fol. — Ejusdem liber de pontificibus
Cantuariensibus. Ibid. ..p. i63o — 1683.
Gesta Pontificum Leodiensium , in Historiâ ecclesiie Leodiensis , studio
Joannis Chappeauville.
Gilles d'Orval dans le recueil de Chappeauville , t. IL
Giraldi Cambrensis Hibernia expugnata, dans la collection des écrivain»
anglais et normands par Guill. Cambden , Francfort, in-fol. p. 755.
Histoire de l'abbaye d'Arouaise; par Gosse. Lille, 1786, in-4°.
Critique des auteurs ecclésiastiques, par Jean Grancolas, 2 vol. in-S".
Tractatus contra Waldenses , coUecti et editi à Gretsero. Ingolstadii, 1614,
in-4''.
Guillelmi Neubrigensis chronica rerum Anglicarum, cum notis J. Picard.
Paris 1610 in-8°; et Oxfoid par Th. Hearne, 1779, vol. in-8°.
DES CITATIONS. xxj
Guillelmi Tyrii archiepiscopi historiœ rerum in partibus maritimis gesta-
rum libri 23. Dans le recueil de Bongars, intitulé, Gesta Dei per
Francos.
Histoire de l'église et de la ville d'Orléans, par Symph. Guyon. Orléans,
1647 , in-fot.
Antiquités, Chroniques et Annales de Haynaut. Paris, i53i,
H.
Historia ecclesiastica Anglicanaà Nie. Harpsfeldio. Duaci,Wyon, rôaa,
in-fol.
Csesarii Hei&terbacensis libri la miraculorum et historiarum memorabi-
lium sui teniporis. Antuerpise, Nutius, i6o4, in-S", et 1. 1 Bihliothecce
PP. CUtcrc. — Dialogi , ibid. t. II, p. 170.
Menologiuni Cisteiciense , notationibus illustratum , cum constitiitlonibus
et privilegiis ejusdem erdinis, cura Chi-ysostoini Henriquez. Antuer-
piae, Morct, i63o, in-fol.
Histoire littéraire de la France , par des religieux bénédictins. ( Dom
Rivet, etc.) Paris, 1/33, etc., i5 vol in-4°.
Supplementuni bibliothecse Patrum , editum à Jacobo Hommcy. Parisiis ,
1684, iii-8».
P. D. Hueiii tractatus de optimo génère interpretandi et de claiis iiHer-
pretibus. Parisiis , i66i , in-4».
Caroli Ludovici IIu«:onis monumenta sacra; antiquitatis. Stigavii , lyao,
2 vol. in-fol. — Ejusdem Annales Prœmonstratenses. Nancei, Cusson ,
1734 et 1736, 2 vok in-fol.
The History of england from the invasion of Julius Caîsar, to the révo-
lution in 1688 by Dav. Hume. London , 1770, 8 vol. in-4°.
Gnill. TyC.
Guyou.
Harpsfeld.
Cos. Ueùterb.'
lltnriq. Menol.
HJst. litt. de 1»
r.
Hommey. Snp.
Hael. Interpr,
Car. Lad. Hug^
Hanif.
Fr.
Histoire de Tournus, par P. Juénin. Dijon, Depuy, i633, in-4''.
Journal des Savans. Paris, 1665—1793, 1796, 1816— 1819, in 4".
Jaénin, H. lU
Tonrnaa.
J.deeSïv.
Nova Biblioiheca manuscriptorum codicnm cura Philippi Labbe. Pari- Labbe,Bib.m«.
siis, 1657, 2 vol. in-fol.
Sacro-sancta concilia, collecta et édita à Philippe Labbe et Gabriele Cos- Ubbe, Conc.
sart. Parisiis, 1671 , 17 tont. 18 vol. in-fol.
Histoire de la musique ancienne et moderne (par J. Benj. de la Borde). La Borde.
Pans, Pierres, 1780, 4 vol. in-4".— Mémoires historiques sur Raoul
de Coucy, par J. Benj. de la Borde. Paris, 1701 in-8".
BibUothèque française, parla Croix du Maine. Paris, i584, in-fol.— Avec ùcr. da»r.
xxij TABLE
Duverdier, édition de Rigoley de Juvigny. Paris, 177a et 1778, 6 vol.
in.4''.
Histoire des Archevêques de Rouen, par un bénédictin (Fr. de la Pom-
meraye). Paris, Maurry, 1667, in-fol.
Dissertations sur l'histoire ecclésiastique et civile du Diocèse de Paris ,
suivies de plusieurs éclalrcissemens sur l'histoire de France, par Le-
beuf. Paris, Lambert, 1739 et suiv. 3. vol. in-ia.
Histoire de la ville et de tout le diocèse de Paris, par Lebeuf. Paris,
Prault, 1754, i5 vol. in-ia.
Bibliothèque historique de la France, par Jacq. Leiong, de l'Oratoire,
nouv. édit. augmentée par Fevret de Fontette. Paris, Hérissant, 1768 —
1778, 5 vol. in-fol.
Histoire ecclésisastique et civile du Diocèse de Laon par D. Nicolas le
Long. Chàlons , 1783 , in-4°.
Essai de l'histoire de l'ordre de Citeaux , par D. Pierre le Nain. Paris ,
1696 — 1697 , 3 vol. in-i2.
Joannis le Paige, Bibliotheca ordinis Praemonstratensis. Parisiis, i633,
in-fol.
Lettres historiques sur les fonctions essentielles du Parlement , sur les
droits des pairs et sur les luis fondamentales du royaume. Amsterdam,
1753 et 1754, 2 vol. in-ia.
Annales de l'église cathédrale de Noyon , avec une description de la ville,
par le Vasseur. Paris , i633 , 2 vol. in-4°.
La Bibliothèque chartraine , ou Traité des auteurs et hommes illustres du
diocèse de Chartres, par Dom Liron. Paris, 1778, in-4''.
Histoire de Bretagne , composée sur les actes et les auteurs originaux ,
par Dom Lobineau. Paris, Muguet, 1707, 2 vol. in-fol. fig. — L'His-
toire des Saints de Bretagne, par le même. Rennes, 1724, in-fol.
M-
Mabill. Anal. Vetera Analecta collecta à J. Mabillon. Parisiis, Montalant, 1723, in-fol.
Mabill. Annal. Annales ordinis S. Benedicti , à J. Mabillon (et Renato Massuet). Parisiis,
Robustel, 1703 — 1739, 6 vol. in-fol.
Malingre. Antiquités de la ville de Paris, par Claude Malingre. Paris, Rocolet, i64o,
in-fol.
Manriqiie. Cisterciensium Annalium tomi 4, autore Angelo Maurique. Lugduni (Anis-
son), 1642 — 1653, 4 vol. in-fol.
Marchand, FI. Jacobi Marchant, commentariorum de Flandriâ hbri 4- Antuerpiae, Plan-
tin , 1596 , in-8''.
Marlot. Metropolis Remensis historia, studio Guillelmi Marlot. Insulis, de Rache,
1666, 2 vol. in-fol.
M»rt, Anecd. Thesaurus novus anecdotorum complectens epistolas, diplomata, etc. stu-
La Pommeraye.
Iicbtnf, Diss.
Lebeaf, Paris.
Leiong , Bibl.
de Fr.
N. Le Long.
Le Nain.
Le Paige, B.Pr.
l«tt. Histor.
LaVaiaenr.
Liron, Bib. Cb.
Lobineau, Hist.
it Bret.
DES CITATIONS. xxiij
dio Edmundi Martène et Ursini Durand. Parisiis, Delaulne, 1717 ,
5 Tol. in-fol.
Veteium scriptorum et monumentorum collectio aniplissima , studio Ed- M»rièn«, Coll.
mundi Martène et Ursini Durand. Parisiis, Montalant, 1724 — 1733, '°^'
g vol. iu-fol.
Edmundi Martène de ritibus Ecclesiae libri 4' AnluerpiaB ( Mediolani , Martène, Rit.
cura Muratorii), 1736 — 1738, 4 vol. in-fol.
Voyages littéraires de deux Bénédictins (Martène et Durand). Paris, 1717 Mart.Voy.Litt.
et 17^4, 2 vol. in-4".
Histoire de la poésie française par Massien. Paris, I739,in-ia. Massieo.
Papirii Masson elogia. Paris, i638, a vol. in-8°. Pap. Masson.
Histoire de Sablé, par Gilles Ménage. Paris, i683; in-fol. MénageH.deS.
Jiacobi Meyer commeutarii, sive Annales rerum âandricarum. Antuerpiae, Meyer.
i56i , in-fol. Francof. i58o, in-fol.
Histoire littéraire des Troubadours, par Millot (snr les mémoires de Millot.
Sainte-Palaye). Paris, Durand, 17741 3 vol in-12.
Auberti Miraei (Le Mire) auctarium de scriptoribus ecclesiasticis. In Bi- Mir. Anct.
bliothecâ ecclesiaiticâ Fabricii.
Chronicon Cisterciense, studio Auberti Miraei. Colonise, i6i4, in-fol. Mir. Qr. Ci»t.
Chronicon ordinis Pi'aemonstratensis, studio Auberti Miraei. Coloniae Agrip- Mir. Chr. Pr.
pinae, \-ji'i, in-8".
Origines Cœnobiorum ordinis S. Benedicli, in Belgio , studio Auberti Mir. Orig. Ben.
Miraei. Antuerpiae, 1606, in-8°.
Monasticon Anglicannm, aive Pandectae Cœnobiorum, etc. à primordiis Monast. Angl.
eorum usque ad dissolutionem cura Rogerii. Dodswrorth etGuili. Du"-
dale. Londini , i655 — 1661 — 1673, 3 vol. in-fol. fig.
Bibliotheca bibliothccarum mss. nova; studio Bernardi de Montfaucon. Montf. B. ms».
Parisiis, Briasson, i73y, 2 vol. in-fol.
Histoire de Bretagne, par Dom Morice et D. Taillandier. Paris, 1750 et Morice.
1756, 5 vol. in-fol.
J. Morini commentarius historiens de Disciplina in administratione .sacra- MorinPœnit.
menti pœnitentiaî. Parisiis, i65i , in-fol. — Antuerpiae, 1682, in-fol.
Theatrum sacri ordiuis Carthusiani, à Carolo Jos. Morotio. Taurini, i68i, Morot.Th.Cart.
in-fol.
N.
Vies des anciens poètes provençaux, par Jean Nostradamus. Lyon, 1575,
in .8°.
Notices et extraits des maimscrits de la Bibliothèque du Roi et autres
bibliothèques de Paris, publiées par l'Académie des Inscriptions et
Belles-Lettres, etc. Paris, 1787— 181 3, 9 vol. in-4°.
J.Kostradamns.
Not. des mss.
X«IV
TABLE
O.
Oraonnance». Ordonnances des Rois de France, recueillies par de Eaurières, Je Bré-
quigny, etc. continuées par M. Pastoret. Paris, Impr. Roy. 1728 — iSi4,
16 vol. in-fol.
Ondeghenit. Chroniques et Annales de Flandre. Anvers, i5yi, in-4''.
Oadin. Casiniiri Oudini commentaiius de scriptoribus Ecilesiaî anliqiiis, cum
nuiltis dissertationibus. Francofurti et Lipsiae, Weidman , 172a, 3 vol.
in-fol.
P.
Pagi. Antonii Pagi crilica historico-chronologica in universos Annales Baronii.
Antuerpiœ (Genevae), 1705, 4 vol. in-fol. — Et avec !es Annales de
Bai'onius, édit. de 1740, in-fol.
tïncirol. G- Pancirolli, Tractatus de claris juris interpretibus. Francof. 1721 , in-4*'.
On. PauT. Onuphrii Panvinii Chronicon ecclesiasticuin. Coloni.-e i568, in-fol. Lo-
vanii, iByi, in-fol. — Ejiisdcm liber de episcopatibus, titulis et dia-
coniis cardinalium. Venetiis, 1667, in-4''. Parisiis, 1609, in-4*'.
Pasqnier. Recherches de la France, par Etienne Pasquier dans ses œuvres. Amst.
1723, 2 vol. in-fol.
Petr. Blés. Pétri Blesensis opéra, édita à Petro de Gussanville. Parisiis, 1667, infol.
Peir. Cant. Pctri Cantoris verbum abbreviatum , cum notis Georg. Galopin. Monti-
bus, 1637, in-4".
Petr. OIL Pctri abbalis Cellensis opéra omnia, studio Reinerii Ambrosii Janvier.
Parisiis, Billaine, 1661 , in-4".
p„, D. Bernardi Pexii Thésaurus anecdotorum novissimus. Augustae Vindeli-
corum, 1721, 7 tom. 6 vol. in-fol.
paiet. Histoire de Gerberoi. Rouen, 1679. in-4".
Piti, Joannes Pitseus de scriptoribus Angliae illustribus. Parisiis, 1619, in-4''.
FlacentiB. Summa inslitutionum imperalium, libri très; ejusdem de varietate actio-
nuni libri 9. Liigduni, i536, in-S", in codiceni Justiniani, Mogunt, r536,
in-fol.
Planchtr. Histoire générale et particulière de Bourgogne, avec des notes, disserta-
tions et preuves, par un bénédictin (Urbain Plancher). Dijon, de Fay,
1789 — 17485 3 vol. in-fol.
R.
RU. de Diceto. Radulplii de Diceto imagines historiarum inter AngUcanœ hîstoriœ serip-
tores 10.
Ralise. a. Eelg. Ad natales sanctorum Belgii auctuarium , autore Arnoldo de Baisse. Duaci ,
Auroy, 1626, in-8°. — Hierogaiophilacium , sive thésaurus sacraram
reliquiarum Belgii. Duaci, 1628, in-ia.
DES CITATIONS. xxv
Histoire d'Angleterre , par Rapin de Thoyras, avec les remarques de RapinThoyias.
Tyndall. La Haye, 1726 — 1736, i5 vol in-4°. — Nouv. édit. donnée
par Lefebvre de Saint-Marc. La Haye (Paris), 1749, »6 ▼ol» in-4°.
Reineri monachi opéra j t. IV Thesauri anecdot. Bernardi Pez. Reiner,
Rigord, de gestis Philippi Augusti. t. XVII, scriptorum rerum gallica- Rigord.
rum , in-fol.
Roberti de Monte, abbatis S. Michaelis, Chronica, sive appendix ad Si- Rob.de Monte,
gebertum, ab anno iioo usque ad 1184. — Ad calcem operum Guiberti
de Novigento. Parisiis, i65i, in-fol. pag. 743 — 810.
Glossaire de la langue romane, par J. B. de Roquefort. Paris, Warée. Roqnefort.
1808 , 2 vol. in-8''.
Rogerii de Hoveden Annales ab anno ySa ad annum 1201. P. 4oï— 4^9 Roj. deHoT«d.
Collectionis Savilianœ : Scriptores rerum anglicarum post Bcdam prœci-
pui.
S.
Bibliotheca Belgica manuscr. , sive Elenchus universalis codicum manuscr. Sander.
in celebrioribus Belgii bibliothecis , digestus ab Antonio Sandero. In-
sulis, 1641 , in-4''.
Elogia cardinalium sanctitate , doctrinâ et armis illustrium , autore An- Sander. Card.
tonio Sandero. Lovanii, iSaS, in-4°.
Cbristophori Sandii notas et animadversiones in Vossium de historicis la- Sandius in Vo»«.
tinis. Amstel. 1677, •'>'''*•
Anglicarum rerum scriptores pOst Bedam praecipui, collecti ab Henrico Savil. Script.
Savilio. Londini, 1696, in-fol.; Francofurti , i6n , in-foK «r. angl.
Origines de Clermont, par Jean Savgron, 1607, in-8°. Paris, Muguet, Savaron.aerm.
i66a, in-fol.
Car. Saussaii Annales ecclesis Aurelianensis. Paris, i6i5, in-4°. sauss. Anr.
Scriptores Historiée Anglicae 10. Francof. i6oi, in-fol.; Lond. 1682, in-fol. Scr.H.Angl.io.
Scriptores Historiae Britannicae, Saxonic», Anglo-saxonicse 20. par Th. Scr. H. Anglo-
Galle Oxonii, Sheldon, 1691 , 2 vol. in-fol. *"•
Scriptores Historiae Normannorum, collecti ab Andréa Duchesne. Pari- Scr.Hist.Norm.
siis, 1629, in-fol.
Scriptores Historiae Francorum , collecti ab Andréa Duchesne. Parisiis , SCT.Hi»t.Franc.
i636, 5 vol. in-fol.
Scriptores Historiae Francorum. Parisiis, 1734—1814, 17 vol. in-fol. Scr.H.Fr.CoH.H.
Bibliothèque critique par de Saint-Jore (Richard Simon). Amsterd. 1708, R. Simon. Bibl.
4 vol. in-i2. cri*.
Nouvelle Bibliothèque histor. et critique des auteurs de droit civil et »• Simon.
canonique, par Denis Simon. Paris, 1692 — lôgS , 2 vol. in-i2.
ExtraitsdespoésiesdesXir,XIIi''etXIV' siècles, publiésparSinner; in-i2. Sinner. Poi..
Sixti Senensis Bibliotheca sancta. Lugduni, 1676, in-fol.; Parisiis, 1610, Six». s«n. Bibl
in-fol.; Neapoli, 174a, 2 vol. in-fol.
Tome Xf^ d
1.
«feTJ TABLE DES CITATIONS.
fcoofiet.. Vita S. Bernardi primi abbatis monasterii de Tiionio, édita a J. B. Sou-
ob«to; Parisiis, Diliaine, t64g.
Spicileg. Spicilegrum , sivo Collectk) veterum aliquot «criptorum, curt Liicse Da-
' chery. Piirisiis, i;655 — 1677, '4 voL iii-4". Parisiis, Montalant, lyaS,
.biif.i -e-iyal. in-fol.
Stepb. Tornac. Stephaiii Tomacensis epistoUe, notis illuatratae à Claudio duMolinet. Pari-
siis, 1679, rn-8".
Sanai. Lauri'Srurii VitJE seu Acta sanctorum. Colonise, 1618, j vol. in-fol.
TaisanJ. Vies dçs fjus célèbres jurisconsultes, par P. Taisand. Paris, 1737, in4*.
Tbom.Qintaar. ThoiDce (Becket) Cantuai'iensis Episcopi(nec non I|.udov. VII, Henr. II
regù Angliae et aliorum) epistolae, editae à Christ. Lupo. Bruxellis,
1682, a vol. in-4°. — Historia quadripartita , sive tractatus de vitâ et
passione B. Tliomae archiepiscopi Cantuariensis in fronte epistolarum
ejusdem.
Tillemonf. Mémoires pour servir à l'Histoire ecclésiastique, par le Nain de Tille-
mont. Paris, 1693^, 16 vol. in-4".
Taiasettr. Histoire générale de la province de Languedoc , avec les pièces justifica-
tives, par (Claude de Vie et) Vaisselle. Parfs , Vincent, 1730 — 1745,
5 vol. iiirfol.
Tignier. Bibliothèque hisloriale, par NicoIas Vignier. Kiris, i588, in-fol.
Vinc. BelloT. Vincentii Bellovacensis spéculum hisloriale, in speculo ejusdem quadru-
plici. Duaci , 4 ^o\. in-fol.
Tos». Hiitor. Gçrardi Joannis Vossii , de Historicis latinis libri 3. Lugduni Batav.
i65i , in-4''. — Et tom. I de la collection des œuvres de Vossius. Anast. ,
Blaeu, 1995 — 1701 , 6 vol. in-fbl.
Wa'iitng. Afina]es Minorum , seu Historia trtum ordinitw S. Franotsct, autore Luoà-
Waddingo. Romae, 1731 et seqq. , 17 vol. in-fol.
Waith.AnglS. Angli^, sacra,, sive GoUectio historiarum de archiepiscopis et episcopis
Aoigli», cura Heuriei Warthon. Londirù, 1691, 169a, a vol. in^folj —
Idem Warthon de Episcopis et Decanis Londinensibus. Londini, 169$
in-S-*?.
Wood. Hisloria et Aptiquitatea universitatis Oxoniensis, autore Antonio à Wood^
' Oxonii, Sheldon, 1674 et 167S, a vol. in-fol.— Atheaœ OxonictiMSv
laondoo, 1721, a^ vol. in-ifol.
TABLE
UES ARTICLES CONTENUS DANS DB VOLUME.
Oerlon, chanoine de Bt^eux, poète latin, mort après 1106. pafge. i
Table des Citations xij
Taille des Articles contenus dans ce -voliime xxTii
Philippe (l'Alsace , comte de Flandre et de Vermandois , mort en
Ï191 •-. I
Guigues II, prieur de la Grande-Chartreuse, mort vers 1189 ïi
Thibaud , comte de Blois , sénéchal de France, mort en iigi 14
Haoul de Zeringen , évèque de Liège, mort en 1191 i6
Anonymes, auteui-s de généalogies des comtes de Flandre i^
Pons de Capdueil , poète provençal , mort vers 1191 , aa
PI I fT - .. * , «fUDlil , M
leire de la Vernegue, poète provençal, mort vers 1190. ... .^ aS
Placeutin , jurisconsulte , mort vers 1192 . . . , aj
Bernard, abbé de Fojit-Caulde , mort en 115a 4 et Ermengaud, abbé
de Saint-Gilles , *nort vers 1195 , . . , . . , 35
Adam , chanoine régulier de Saint-Victor de Paris , mort vers 119a . ^o
Gautier, abbé d'Arronaise, mort en irgi. . ^5
Pierre Mirmet, abbé d'Andernes, mort en 1193 ^8'
Guarin , abbé de Sainte-Geneviève, pais de S. Victor de Paris,
mort vers 1194- • • • 5o
'Guillaume, ablié de la Prée, puis de Cîteàiit, mort en 1194 55
Guy de Lusignan , roi de Jérusalem et de Chypre, mort en 1194. • • Sjr
Baymond V, comte de Toulouse, mort en 1194 59'
Geofroi, soi»- prieur de Sainte-Barbe, ou Godefroi, chanoine régu-
. lier de Saint- Victor de Paris, mort vers 1194 68
Lambeit, surnommé le Petit, moine de Saint-Jacques de Liège,
mort en 1194 , et autres chroniqueurs liégeois 85
André Sylvius, prieur de l'abbaye de Marchiennes, mort en 1194,
et autres écrivains du même monastère 87
Lambert et Guiman, frères, religieux de S. Vast d'Arras. Guiman
mourut l'an 1193, et Lambert un peu pliis tard 9a
•Guy de Basainville , précepteur ou maître particulier de l'ofdre des
Templiers 9»
da
xxviij TABLE
Gautier de Lille ou de Châtillon , poète latin loo
Lambert II cors et Alexandre de Paris, poètes français >. . . . iip
L'article d'Alexandre de Paris se trouve plus étendu à la page i6o
Blondel ou Blondiaus de Nesle , chansonnier français i ay
Gilbert ou Gislebert de Mons, chancelier de Baudoin V, comte de
Hainaut, vivant encore l'an 1221, mais ayant cessé d'écrire l'an
Ï196 : Ï29
Baudouin V, comte de Hainaut de Flandre, mort en 11 95 iSa
Mathieu , abbé de Ninove , mort en iigS 1 34
Écrivains de l'ordre de Grandmont : Etienne de Liciac , mort en 1161;
Pierre Bernardi ou de Bré, mort après iigS ; Guillaume de Tra-
hinac, mort après 1188 j Gérald Ithier, mort après 1197; Guil-
laume Dandina ou de Saint-Savin, mort après 1188 i35
Raoul de Serres, doyen de l'église de Reims, mort en 1196 i46
Maurice de Sully, évèque de Paris , mort en 1196 1 49
Alphonse II, roi d'Aragon et comte de Provence , mort en 1196. . . i58
Alexandre de Bernai ou de Paris, poète français 160
Chrétien de Troyes , poète français 1 63
Thomas , moine de Froimont, mort vers 1196 264
Guillaume de Long-Champ, évèque d'Ély, mort en 1197 267
Hugues Foucaut, abbé de Saint-Denis en France, mort en 1197... 274
Guiter ou Guitier, abbé de S. Loup à Troyes, mort en 1197 282
Pierre le Chantre de* l'église de Paris , mort en 1197 283
Haimon , religieux de Saint- Denis, mort vers 1200 3o3
Eudes de Vaudemont, évèque de Toul, mort en 1197 ou 1198 3o6
Hugue de Nouant, évèque de Coventri , mort en 1198 3io
Anonyme, auteur du traité sur la manière de rendre la justice, vers
1198. 3i4
Melior ou Melchior , cardinal de l'église romaine, mort vers 1198. . Ih.
Richard , roi d'Angleterre , mort en 1199 Sao
Michel de Corbeil, archevêque de Sens, mort en 1199 ^ 324
Roger, doyen de l'église de Rouen, mort vers 1200 Say
Thomas le Cistercien, Th. de Perseigne, Th. de Vaucelles, mort
vers 1200 ^*"
Les actes du procès entre les églises de Tours et de Dol , recueillis
vers laoo , touchant le droit de métropole sur la province de Bre-
tagne ■ 3^4
Bertère ou Bertier, clerc de l'église d'Orléans, mort vers 'i 200 337
Pérégrin , abbé de Fontaines-les-Blanches, mort après i 200 34o
Pierre de Blois, archidiacre de Bath, puis de Londres, mort vers
1 200. 34 1
DES AUTEURS. xxix
Guillaume de Blois, frère du précédent 4^3
Pierre de Blois, chancelier de l'église de Chartres 4i5
Aynard de Moirenc, archevêque de Vienne, mort vers 1200 417
Mathieu de Vendôme, poète latin, mort vers laoo 4ao
Vital de Blois , poète latin , mort vers laoo 428
Arnaud Daniel , poète provençal 4^4
Arnaud de Marveil , poète provençal. ..." 44 ï
Berenger de Palasol , poète provençal 44^
Bertrand de Lamanon , l'ancien , poète provençal 443
Pierre de Botignac , poète provençal 444
Giraud de Salagnac, poète provençal 16.
Gavaudan le vieux , poète provençal 44^
La comtesse de Die , poète provençal 44^
Guillaume de Balaun , et Pierre de Barjac , poètes provençaux 44?
Guillaume, de Saint-Didier , poète provençal 449
Peyrob d'Auvergne , poète provençal 4^4
Pierre Raimond , poète provençal 4^7
Pierre Rogiers , poète provençal 4^9
Pons de la Garda , poète provençal ^ 4^0
Raimond de Durfort, et Truc Malec, poètes provençaux 4^^
Albert Cailla , poète provençal ..... 4^3
Guérin ou Garin le Brun , poète provençal Ib.
Raimond Jordan, vicomte de Saint-Antoni , poète provençal 4^4
Bail de Scola , poète provençal 466
Guillaume Mite, poète provençal •• Il>.
Bernard de Venfadour, poète provençal ou limousin 467
Pierre Vidal , poète provençal 470
Anonyme , auteur d'une vie en vers provençaux ou languedociens
de S. Amant , évêque de Rhodez 477
Anonyme , poète moral 479
Autres auteurs anonymes, en prose et en vers. . . » 483
Aymé de Varannes ou de Châtillon , poète français 487
Jehan Priorat, poète français 491
Luces du Gast,^Gasse le Blond, — Gautier Map, — Robert de Bor-
ron, — Helis de Borron, — Rusticien de Pise, auteurs, ou plutôt
translateurs de» anciens romans de la table ronde 494
Simon de Boulogne , traducteur de Solin , et autres traducteurs fran-
çais 5oo
Jean de Lyon et Arnold, de la secte des Vaudois.. 5o3
Guillaume de Champagne, cardinal, archevêque de Reims, mort
en i2oa > 524
ïxx TABLE
Etienne, abbé de Sainte-Geneviève à Paris, puis évéque cîe Tournai,
mort en i2o3 5^4
Anonymes , auteurs de chroniques d'Anjou , 687
Anonymes , auteprs de chroniques de Picardie 690
Anonymes, auteurs de chroniques de Bourgogne 594
Anonymes, auteurs de chroniques de Reims et du pays rémois. . . . Sgô
Anonymes, auteurs de chroniques de Lorraine et des trois évêchés. 601
Anonymes , historiens ou chroniqueurs du Berri 6o4
Anonymes, auteurs de morceaux historiques coïK^raant la Provence,
le Languedoc , et la marche d'Espagne 606
Lettres, sermons et opuscules, par des auteurs morts ve»s la 6n du
Xir siècle 608
I. Jean, abbé de Vaucelles , mort l'an 1190, Il>.
a. Jean, abbé de Gemblou, mort en 1195 609
3. Gérard Hector , évèque de Caho»%» mort eo 1199 Ib.
4. Alexandre , abbé de Jumiége. , 61Q
5. Jean , religieux d'Ourcamp i*.
6. Jean d'Alich , prédicateur à Liég«. 611
7. Evrard ou Ervard, religieux du Val-des-Ecoliers là.
8- Gui de Noyers, archevêque de Sens, mort en itgS /*.
9. Gauxier, archevêque de Palerme, m<»ct en 1191 /^.
10. Guillaume Raymond , évêque de Maguelone , en H95 613
11. Arnulfe ou Arnoul, doyen de l'église de Bruges 6i3i
II. Genard, auteur d'un Algorismus , ou traité da compitt. IL
i3. Albéric de Vitij , in psalmos et de computo lurue là.
14. Hugues de Limo'^es , de prœcepto Dd et dc-alUs li.
i5. Bertrand de Poitiers, religieux de Beaulieu en Limousin. . . Ib.
16. Gislemar, religieux de S. Germain-des-Préa. Ib^
17. Hugues, évêque de Lincoln , mort en laoO 6i4
Légendaires du XII" siècle 6i5
1- Jean, moine de Sithien, ou S. Bertin à Saint-Omer /&.
a. Guillaume , abbé d'Orbais , au diocèse de Soissons Ib,
3. Jean de Béthune, évêque de Cambrai, mort vers 1197 Ib.
4. Chrétien, moine de la Sauve, au diocèse de Bordeaux 616
5. Bernard de S. Romain , abbé de Tournus Ib.
6. Joswin, moine de BouUencourt, au diocèse dje Trc^es. ... Ib.
Anonymes auteurs de Vie» de Sainu , composées vers la fin. du XU'
•iècle.
I. Vie de saint Huges , abbé de Bonnevaux, en Dauphiné... . . 618
2- Vie de saint Albert de Louvain , évèque de Liège, mort en
119a .....,..• • • ,. Ib.
DES AUTEURS. xxxj
3. Vie de Sainte Aime, vierge et martyre 620
4. Vie et translation de S. Austremoine Ib,
5. Légende de Sainte-Vérone 621
6. Deux Légendes de S. Chrysole ou Chryseuil 6aa
7. Vie de saint Guidon , confesseur Ib.
8. Vie de S. Manvieu, évêque de Bayeux 6a3
9. Vie de sainte Rolande Ib.
10. Vie de S. Firmin, le confesseur, évêque d'Amiens Ib.
11. Actes de S. Clair, évêque et martyr 6a4
\i. Actes de S. Hilaire du Maine Ib,
i3. Légende de S. Cérat , évêque d'Auch Ib,
14. Légende de S. Léger, prêtre du diocèse de Chàlons-sur-
Marne Ib.
i5. Vie de saint Blier Ib.
16. Vie de saint Mégèce , évêque de Besançon 6a5
17. Traité sur la profession des liioines Ib.
18. Règlement monastique 626
19. Statuts du monastère de Froidmont. Ib,
ao. Lettre dç S. de Namur à H. de Villiers ôay
a I . Spéculum eccUsiœ Ib,
aa. Tractatus de duobus presbyteris , etc. Ib.
• a3. Vie de S. Magnobode ou Mainbœuf, évêque d'Angers. .... 6a8
24. Vie de sainte Lutrude Ib,
a5. Relation de miracles opérés par l'intercession de S. Georgens
à Roye , en Picardie gan
TaTile des auteurs et des matières 63i
Addition* 640
Table générale des auteurs du XII* siècle, contenus dans les tomes
IX, X, XI, XII, XIII, XIV, XV 645
HISTOIRE LITTÉRAIRE
DE LA FRANCE.
SUITE DU DOUZIÈME SIÈCLE.
PHILIPPE D'ALSACE,
COMTE DE FLANDRE ET DE VERMANDOIS.
1 HiLiPPE d'Alsace , comte de Flandre , était fils de Thierry ^" siècle.
d'Alsace, dont nous avons parlé dans le volume précédent, p. Sgôetsuiv.
et de Sibylle, fille de Foulques d'Anjou, roi de Jérusalem.
Nous avons dit, en parlant de Thierry, qu'avant de partir
pour son troisième voyage de la Terre -Sainte, il associa
Philippe à la souveraineté de ses états. Philippe n'avait Lemire , an
guères que quinze ans, et néanmoins il était déjà devenu ii68,p.2i3.-
comte d'Amiens et de Vermandois , par son mariage avec ^'**' *^^ ^^' *'
l'orne XV.
A
XIII, p. 276,
a PHILIPPE D'ALSACE.
XII SIECLE. Elisabeth, sœur et héritière de Raoul , dit le Lépreux. Il unis-
8i et !
279, 3o8, 414 sait toujours effectivement ce titre à celui de comte de
*M'£", or Flandres, ainsi qu'on le voit dans le spicile'ffe de Dacherv,
l.XI,p.55i. . , 1 I l'/Y" ' Tx 1
P. 3 ctsuiv. ^^ sur-tout dans les dulerens actes rapportes par Duchesne,
aux preuves de l'histoire de la maison de Bëthune. Philippe
Lemire, ans Augustc lui disputa dans la suite, à la mort d'Elisabeth, les
Marf.*^A'n'rcd!T P^^* ^l^^ ^^* ^^' donnaient, et, après ime assez longue guerre,
111,11.390,391 u" arrangement peu favorable au comte Philippe ne lui
et 669. laissa que Péronne et Saint-Quentin.
Philippe avait consacré à l'étude des lettres , non sans
succès , sa première jeunesse. Il avait même, sous ce rapport,
des connaissances assez étendues, si nous nous en rappor-
tons à une épître intéressante à consulter, de Philippe de
Le». 16, p. Havinge , d'abord prieur et ensuite abbé de Bonne-Espé-
rance, dans le diocèse de Cambray.
Un des premiers actes qu'il lit, comme prince, est le traité
relatif aux différends qu'avaient excités les gênes et les rétri-
butions auxquelles les Hollandais voulaient soumettre le com-
merce des Flamands.
L'empereur Frédéric F"" avait accordé à Florent III, comte
de Hollande, un péage à Geervliet : l'acte en est dans le pre-
P. 651. — mier volume du Trésor des anecdotes de Martène. Philippe,
Meyer.aniiSy. q^• gouvernait la Flandre au nom de son père absent, sen-
sible aux plaintes que les commerçans lui adressaient, en
Meyer , ibid. réclama l'abolition, mais il ne put l'obtenir. Les Hollandais
76 ^"^3^' "^ firent même d'autres actes dont les Flamands s'irritèrent. La
Mey.anii65 victoire prononça contre Florent. Vaincu, emprisonné, dé-
etii67.— chr. claré félou par un jugement qui ordonna la confiscation de
VolsiusTnvn' *°"^ ^^* ^'^^^ 9"'^^ *^"'»^'^ ^" ^^^^^ f'^ Flandre, il ne put
p. 77. ' ' recouvrer sa liberté et ses domaines perdus, qu'en signaiit
un traité dont le comte de Boulogne , frère de Philippe , les
comtes de Gueldres et de Clèves, et aussi les évêques de Co-
logne et de Liège, furent les médiateurs. Dom Martène et
dom Durand ont encore imprimé cet acte dans le premier
P. io35 et volume de leur Trésor des anecdotes. La date de 11 47 est
If?^' ~ y°"^ évidemment une erreur ; Philippe d'Alsace n'eut part au
Meyer, p. 49. • ' 1' *^ ' ^ C
gouvernement , comme associe de son père , qu en 1 1 07 , pour
Hist. Litiér. la première fois : il ne devint seul prince souverain qu'au
,p. 3yt). jjjQjg jg janvier 11 68, ou, Si l'on veut 11 67, dans la manière
Art de yérif. dc Compter alors adoptée: d'un autre côté, Florent III n'était
iTaoo*^*''^"' ^^venu comte dç Hollande qu'à la mort de Théodoric .son
père, arrivée le 5 août 1 167. J observerai encore que Thierry
PHILIPPE D'ALSACE. 3
d'Alsace était mort quand le traite fut conclu, quoique les ^" stECLh.
auteurs de l'Art de vérifier les dates semblent dire le con- t. Iil,p. aoi.
traire. II vivait bien encore au moment de la victoire de Phi-
lippe et au commencement des négociations , mais il ne vi-
vait plus au moment de la paix. Le traite est du 27 février
1 168. L'observation est plus frappante encore, si on le sup-
pose du mois de mars, comme le font les mêmes auteurs a T. m, p. 10.
l'article des comtes de Flandre, quoiqu'ils lui donnent d'ail- t. iu,p. aoi.
leurs cette date même du 27 février, à l'article des comtes
de Hollande. •
Nous citerons quelques dispositions de ce traité, celles
que l'on peut considérer comme des lois , ou qui appartien-
nent davantage à l'administration intérieure de l'éttit.
Les revenus des pays situés entre l'Escaut et Heydene-Zée, An. 3 et 4 du
doivent être également partagés entre les comtes de Flandre *''''"''-■•
et ceux de Hollande , ainsi que les terres et domaines qui
seraient confisqués pour crime. Les liabitans de ces pays ne y. l'art, a du
peuvent demander que dans la ville de Bruges, un champ ""'"*''■
pour le duel , c'est-à-dire pour se justifier par le combat a
défaut de preuvçs, d'une accusation intentée. Si un Flamand Art. 6, 7 et 8.
est dépouillé dans un lieu dépendant du comte de Hollande,
le dommage sera réparé par les habitans, et, en cas de refus,
par le comte lui-même : le coupable sera banni de l'endroit
où il aura commis son crime; ceux qui lui donneraient asyle
dans leur maison ou sur leur territoire , seront responsables
de tous les nouveaux délits qu'il pourrait commettre. Si l'ac-
cusé nie le vol , ajoute l'article suivant, 1* deux comtes pro- Art. loet u.
nonceront; s'ils ne peuvent s'accorder, ils nommeront cha-
cun six prud'hommes qui jugeront en leur nom; s'il y a par-
tage encore entre ceux-ci, on décidera en faveur du comte
plaignant , et l'autre souverain ne pourra mettre obstacle à
ce que le dommage soit réparé.
Quant aux droits mis sur les négocians de Flandre par
les comtes de Hollande, ceux-ci promettent de les ôter,de
n'en exiger aucuns à l'avenir ; ils se soumettent à restituer
tout ce qu'ils peuvent avoir perçu jusqu'au jour de traité , à
titre de péage, de taxe, de contribution, de quelque ma-
nière que ce soit. Un Flamand qui, en traversant la Hol- Art. li.
lande , serait attaqué par un de ses créanciers , pourra se
libérer par serment , et si le créancier persiste , c'est au lieu
du domicile de son débiteur qu'il devra le poursuivre.
Les comtes de Hollande ne pourront ériger de nouveaux Art. 12, 14,
XI! SIECLE.
4 PHILIPPE D'ALSACE.
fiefs dans les pays situes entre Heydene-Zée et l'Escaut. Ils
perdront ceux qui sont mouvans des comtes de Flandre,
s'ils contreviennent à un des articles du traité et qu'ils per-
sistent dans leur infraction : la confiscation même pourra
être alors prononcée ; les vassaux du comte de Hollande
seront libres envers lui de leui's obligations et de leur ser-
ment; ils n'auront plus de devoirs qu'envers le comte de
Flandre.
Meyer , an Philippe gouvernait encore au nom de son père, quand il
«"i'i^ri^ ~~ donna, en i iGA. des privilèges et des lois à la ville de Nieu-
deFian(ir.c.77, port , dout OU la regarde comme le véritable lonclateur par
p- 33. tes constructions et les établissemens qu'il y forma. Sa Charte
est signée de Mathieu, comte de Boulogne, son frère, et de
quelques autres. Plusieurs écrivains la rappellent , et l'histo-
p. 125, et aux rien de la maison de Béthune en particulier. On y remarque
Pr. p. 33. encore , dans le comté de Flandre , l'usage de fépreuve du
fer chaud : Si guis vulnus in nocte acceptum alii imputaverit,
dit la loi, si scabinis (aux échevins) dignwn vicletur , ferro
candente se excusahit accusatus; si aiifugerit manum perdet,
et ailleurs: Si fur Docatus accusatus fuerit , ferro candente
se excusahit; si culpabilis pemianserit , suspendetur; et si
accusans in antejuramento defecerit^ accusatus liber erit.
Un fait particulier de la vie de PhiHppe nous rappelle
quelques châtimens mis en usage par lui, sans doute usités de
son temps en Flandre, et toujours les épreuves imposées ou
offertes pour la iu|tification des accuses : Benoît de Péter-
Hist. de Fr. boroug et Raoul deUiceto nous l'ont conservé. Philippe soup-
pt io8.'^ ' çonnait d'un commerce criminel, Elisabeth sa femme et un
jeune homme appelé Gauthier des Fontaines ; il les épie et
les trouve enfermés ensemble. On arrête Gauthier, qui nie
le crime et offre de se purger de l'accusation par toutes les
épreuves connues. Philippe n'y consent pas ; i[ ordonne de
punir sur-le-champ le coupable. On dépouille Gauthier de
ses vêtemens; on le frappe de verges, de bâtons, de massues,
et on le suspend ensuite, à demi-mort, par les pieds, à une
fourche , où il termine sa vie dans la douleur et l'opprobre.
P. 35ietsuiv. D. Dachery a publié, dans le onzième tome du Spicilége,
sur un manuscrit que M. de Rebecque lui avait communi-
qué , d'autres lettres de Philippe , postérieures de près de
vingt-cinq années à celles pour la ville de Nieuport , qui
confirment les lois et coutumes accordées aux habitans
d'Aire par le comte Robert, dit le Jérosolymitain , et la com-
PHILIPPE D'ALSACE. 5
tesse Clémence de Bourgogne sa femme ; par le comte xii siècle.
Charles F"", dit le Bon; par Guillaume Cliton, dit le Nor-
mand , son successeur ; et enfin , par Thierri d'Alsace. Quoi-
?[u'il nous reste peu de ces lettres , tout porte à croire qu'elles
urent assez nombreuses , et que beaucoup de villes de cette
contrée obtinrent la même faveur de Philippe , ou l'avaient
dëja obtenue de ses préde'cesseurs. Jean d Ypres même lui
attribue presque toutes les lois données en Flandre. II ôta
cependant à quelques villes de ses états , mais à des villes Mart. Anecd.
qui s'étaient révoltées, les droits dont elles avaient joui jus- t-iii,p. 666.
qu'alors, comme on le retrouve dans l'Art de vérifier les T. m, p. 12.
aates et dans la nouvelle collection des historiens de France. T.xiii,p. 423.
On peut voir les Annales de Meyer, en 1178, sur les lois p. Sa.
données à la ville de Gand.
L'acte dont Aire est l'objet, se compose de dix-sept arti-
cles. Le préambule annonce que, prêt a partir pour la Terre-
Sainte , où le fils de Dieu nous a rachetés par son sang de
la puissance du démon, le prince a cru devoir* assurer de
nouveau la liberté et les immunités dont jouissent ses sujets :
il a donc accueilli de bon cœur la demande que les habitans
d'Aire lui ont faite de les leur confirmer, et voici en consé-
quence ce qu'il ordonne :
Douze personnes choisies seront les juges de la commune.
Remarquons , dès ces premiers mots, qu'il exprime com-
mune par amicida : in amicitid sunt auodecini selecti ju-
dices. Quelques villes avaient déjà formé de ces confédéra-
tions indiquées par l'expression dont le comte PhiHppe fait
usage, et la fin du même article en annonce l'objet et la
forme : Omnes autern ad ainicitiam pertinentes villœ per
fidem et sacramentum Jirmaverunt , quod unus subveniet
alteri tanquam fratri siio in ulili et honesto. Ce passage est
un de ceux qui peuvent servir à prouver l'ancienne exis-
tence de ces associations faites entre les habitans d'un même
lieu , avec promesse et serment de se défendre dans tout ce
qui est honnête et utile, pour me servir des termes sous
lesciuels se cache la véritable pensée des contractans , c'est-
à-dire plus particulièrement, du moins contre les vexations
des seigneurs ; vexations toujours plus étendues , plus mul-
tipliées et plus oppressives. Aussi voit-on toujours de sem-
blables amitiés protégées par les rois ; protection qui était
une suite nécessaire de la volonté plus générale de l'affran-
chissement des communes. Le serment par lequel on les
Xn SIECLE.
6 PHILIPPE D'ALSACE.
cimentait fit plus souvent encore de'signer l'association par
jurata , communia jiirata ; quelquefois aussi nous lisons
conjuratio , mot qui ne suppose pas nécessairement, comme
on l'a cru, une insurrection, une révolte, mais qui peut
très-bien indiquer seulement cette action du serment mutuel
3ui achevait et affermissait l'union : ainsi , pour ne pas sortir
u siècle dont nous retraçons l'histoire littéraire , et du pays
V. Dùcange, même que Philippe gouvernait, une charte de Thierri a'Al-
t.ll,p.<)69,au gace, son père, et de l'an ii47i porte - Concesserim, homi-
nibus o. liertini ad ropanngenem. pertmentibus ejusdem
pacis securitate per omnia gaudere, quâ Fumenses fniuntur,
quam, conjuraverunt , in qud et confinnati sunt. Une charte
Ann.deTiè- Jq même sièclc , et postérieure seulement de quelques an-
p!8oi!^ '^°^"^' liées, elle est de i i6i , et donnée par l'empereur Frédérrc F"",
se sert également de conjuratio pour désigner la commune
de Trêves.
L'article premier des lettres du comte de Flandre ne déter-
mine pas iniquement le nombre des juges ; il veut que
ceux-ci promettent et jurent de ne faire aucune acception,
dans leurs jugemens , du pauvre et du riche , du noble et
de celui qui ne l'est pas, du voisin ou de l'étranger, jcroo^ww
0)61 extranei.
Art. 3,4,6, Les articles suivans règlent ce qui doit être fait dans le
7, 8 et 12. çgg ^j{j m^ (jçg habitans se permettrait envers un autre
quelque offense, quelque injure, lui occasionnerait un dom-
mage , un tort , quel qu'il pût être ; la poursuite qui doit
avoir lieu , les personnes à qui la plainte doit être adressée ,
celles à qui le jugement en doit appartenir, les peines qui
doivent être prononcées. L'accusé peut, dans certains cas,
et s'il est convaincu, être chassé de la confédération, de
l'association communale , ah amicitia communi ejici. On voit
dans ces articles et dans les suivans encore, qu'on donnait
- au chef de cette association de la ville , le titre de Prœfectus
amicitice.
Les peines étaient ordinairement pécuniaires pour l'of-
fense ou le dommage, elles l'étaient même pour la mort
donnée à un des membres de la commune , conjurato , c'est
V. l'art. 5, p. le terme employé par la loi. On donnait quarante jours au
353 du Spicil. coupable pour réparer son crime , et satisfaire aux parens de
la personne assassinée, suivant la décision porté» à cet égard
par les douze juges : les parens et les amis du mort ne pou-
vaient, sans s exposer eujK-mêmes à des peines, se refuser
XII SIECLE.
PHILIPPE D'ALSACE. 7
à accepter la réparation que ces juges avaient prescrite.
L'article 6 porte que si quelqu'un de l'association a perdu
des effets qui lui appartenaient, ou par vol ou par rapinç,
et qu'il trouve quelques vestiges des objets perdus, il adres-
sera sa plainte au préfet de l'union , lequel ayant rassemble'
les associés, ira avec eux pendant uji jour entier à la décou-
verte de ces objets ; l'associé qui s'y refuserait payera , dans
la semaine , une amende de cinq sols à l'association.
Si un homme étranger à la confédération a volé un homme Art. 7 , Ma.
3ui en fait partie, le préfet, la plainte et les témoins enten-
us , mandera le coupable , et si ce dernier ne compose pas
avec celui qui aura été volé^on lui défendra de venir aux
marchés de la commune. La«même interdiction est appli-
quée , avec quelques autres peines , à quelques autres délits
rappelés dans les huitième et neuvième articles. Le dixième
condamne à cinq sols envers la commune, payables égale-
ment dans les huit jours , tout membre de 1 association qui
ne se réunirait pas aux autres pour appaiser des troubles
survenus. Le onzième concerne un nomme étranger à
l'union , qui ayant blessé , même tué un homme qui en fait ^
partie ,* et d'abord fugitif, est pris enfin , après une, deux
ou plusieurs années. Le douzième assure immunité et ga-
rantie aux marchands venant aux foires ou marchés de la
commune , quelques cas exceptés. Le treizième règle ce que
doivent faire les ecclésiastiques. Le quatorzième établit que
chaque associé contribuera d'un écu à soulager le malheur
d'un membre de l'association , dont la maison aurait été
brîilée. Le quinzième réserve les droits du comte de Flandre,
et le seizième les réserve de nouveau, en confirmant d'ail-
leurs d'une manière générale les articles que nous venons
d'analyser. Le dix-septième renouvelle et confirme aussi un
don plus ancien de Robert le Jérosolymitain, et de Clémence
de Bourgogne , sa femme.
Nous avons déjà dit que cet acte est de 1 188 , et que Phi-
lippe y annonce qu'il est prêt à partir pour la Terre-Sainte,
peregrinaturi in terrant sanctam dignuni duximus , etc. Il
partit en effet cette année même. Ainsi on retarde trop
son voyage, quand on ne le place qu'en 1190, comme le
fait, par exemple, Aubert Lemire. C'était au l'êste la seconde Rer. Ueigic.
fois que Philippe se croisait. Il était déjà allé dans l'orient CLronic.p.244.
en II 77, et en était revenu l'année suivante. Guillaume de ihid. p. 227
Newbridge et plusieurs autres écrivains ont célébré ses hauts *' ^^°-
Liv. IIIjC. II.
8 PHILIPPE D'ALSACE.
XII SIECLE, fgjjg d'armes^ en Orient. Baudoin IV, roi de Jérusalem,
accablé d'infirmités, avait voulu lui confier la régence de
Guiii.deTyr. son royaume ; mais le comte de Flandre s'y refusa. Il accepta
— Mevei i.vi ^^^^^ ^^ France peu de temps après son retour en Europe;
p. 5i,anii77! Louis-lc-Jcune la lui avait. donnée par son testament. Ce fut
Meyer,iiv.vi, avcc Philippe- Aufifuste qu'il entreprit son second voyage à
p.5.,ani,79- i^ Terre-Sainte. , .
Il n'y était arrivé que depuis quelques mois quand il y
mourut de la peste , au siège de Saint-Jean-d'Acre ou Ptolé-
Liv. Vl,p. 57. maïs, avant que cette ville fût prise, disent Meyer dans ses
L.xvm,c.56. Annales de Flandre, Jacques de Guise dans ses Annales de
Duchesne, Halnaut, et Rigord dans la Vi« de Philippe-Auguste. Meyer,
' ^' ■ dans l'ouvrage que nous ven«ns de citer , Hiigo , dans les
T. I,p. xSg, Annales de l'ordre de Prémontré, Marlot, dans son Histoire
^^u\ 426. ^^ 1^ métropole de Reims, les auteurs de l'Art de vérifier les
T. iiî.p. i3. dates, et la plupart des autres écrivains, placent la mort de
Philippe au premier juin de l'année irf)i ; Jean d'Ypres,
Chron. de S. l'auteur de la généalogie des comtes de Flandre , et Jean
^ntcd.deliîvu ^^uzclin , dans SOU Histoire sacrée et profane de la Flandre
• p. 676. - française , la placent au premier juillet seulement.
Mart.ibid.f. U mourut sans laisser d'enfans des deux mariages qu'il
Art de vérif ^'^^^^ Contractés , le premier avec Isabelle , sœur de Raoul le
les dates, t. iir, Lépreux , comte de Vermandois, et le second avec Mathilde,
p. 12. — Mart. fille d'Alphonse, roi de Portugal. Il fut d'abord inhumé dans
et Hugo, dict. jg cimetière Saint-Nicolas, hors des murs de la ville de
jocis. — Lemire, ^ • t u » ' • t-> 1
aniigi.— Mar- ï>aint-Jean-d Acrc , transporte ensuite en rrance par les
chant, Descript. soius de Mathildc , et enterré à Clairvaux.
^e'^er'iiv vi ^^ avait, en 1180, marié à Philippe- Auguste Isabelle de
p. 52 et 53. — Hainaut , fille de la comtesse Marguerite , sa sœur , et de
Lemir.aniigî. Baudoiu V, et lui avait donné pour dot Saint-Omer, Aire,
Tni*'^' 38 — ^^''^^1 Bapaume, les comtés de Lens et d'Hesdin, les terri-
Hist.'de Fr. t. toires de Boulogne, de Saint-Pol, de Guines, de Lillers, etc.,
Xill , \i. 58o, ce qui a formé le comté d'Artois. Un pareil démembrement
et 7J0. j^g f^^. pgg seulement nuisible par l'extrême diminution des
états que les comtes de Flandre gouvernaient , il le fut en-
core par les guerres qu'il occasionna entre ces souverains et
P. 201. les rois de France. Quelques auteurs flamands. Marchant, par
Fiandr. 111. t. exemple, et d'après lui Sander, l'auteur aussi de la généalogie
'^' des comtes de Flandre, imprimée au tome III du Trésor des
P. 388. Anecdotes de Martène , retrouvent dans cette dispersion
d'une partie du patrimoine de Philippe, l'accomplissement
d'une exclamation qu'ils supposent avoir été proférée par ce
PHILIPPE D'ALSACE. 9
,, , . ., . j . ir ^ * •!.• XII SIECLE,
prince, des le troisième jour de sa naissance : nvaciiate mihi
domum. Sander , qui copie si souvent , dans sa Flandre
illustrée , la description de Jacques Marchant , n'a pas osé
du moins répéter cette exclamation prophétique.
Le comte Pliilippe a obtenu beaucoup d'éloges des auteurs
contemporains, et de ceux qui leur ont succédé. Quetn jus-
titia , fortitiido et liberaUtas , omnibus bonis laudabilemfecit
etamabilem, dit Baudoin de Ninove, dans sa Chronique. Un AmiSSdan»
écrivain du XIl*" siècle, après avoir rappelé avec ciuel suc- Hugo,Sacr8ean-
ces ce prince gouverna pendant vingt-quatre années, dit n^p. ,,3.
qu'aucun comte de Flandre ne l'emporta sur lui en gloire,
en richesses ,_ en prudence, en autorité, en amour de la
justice, en courage et en humanité à la tète des armées; il le Hugo, Ann.
compare aux. Macchabées , et ajoute ces mots qui peuvent l^^^^r""" J'^p!'
c • A. \ Il p • 11 ' . . '■ ' . .. 1. '• A» aux rr.
taire reconnaître a quelle profession 1 écrivain appartenait : p. 140.
Cleiicos honorabat , monachos complcctebatur , pauperes
defendebat , causas religiosoniin , etiam contra suos quando-
que barones et milites, tuebatur. Il parle ensuite de .toute la
aouleur que sa mort causa aux Flamands, au clergé sur-tout
et au peuple, et de la division des états de Philippe en trois
parties.
Ces éloges, mérités à beaucoup d'égards, sont dus aussi
en partie aux libéralités extrêmes de ce prince envers les
églises et les monastères, et à son édifiante piété. Les mo-
numens de plusieurs de ces libéralités ont été conservés par
Duchesne dans les preuves de son Histoire de la maison de p. 34,35 4»
Béthune. Il y a une de ces chartes au tome III de la France et «uiv.
chrétienne; une autre, de l'année 1169, est un don fait à- Preuv. p. lao.
la-fois par Philippe et par Elisabeth, qu'il y appelle Nostrœ Duch. p. 36.
dignltatis et legitimi tnori socia. Il augmenta sur -tout les Lemire, an
revenus de l'église de Saint-Basile de Bruges, oii Théodoric, 1187.— v.d'au-
son père, avait fait déposer la fiole du sang de Jésus-Christ, riq! f. n^nfîts
qu'on lui avait donnée en Asie. Sa piété l'avait lié avec Tho-
mas de Cantorbéry , et l'avait ensuite conduit en Angleterre
Sour honorer son tombeau. Il est parlé aussi avec beaucoup
'éloge du comte de Flandre, dans les épîtres de ce prélat p. 77,85,310,
ou à ce prélat. Nous avons une assez longue lettre d'Eudes 623. — v. le t.
-ou Odon, prieur de l'église de Cantorbéry, dont le seul ÏJÏ/p. S9 i
objet est de rendre compte à Philippe de toutes les guéri- 168, 279, 41a
sons miraculeuses d'aveugles et dé sourds, d'hydropiques et *' ^74-
de lépreux , de boiteux , de perclus , d'insensés , de muets , etc. , c<^.Ti, p 'ssa
opérées par l'intercession de saint Thomas sur les malades et »uir. '
Tome XF. B
lo PHILIPPE D'ALSAGEÏ
XII SIECLL. ^ venaient l'implorer. Nous en avons une plus ancienne âe
Philippe lui-même, écrite en 1170 au pape Alexandre III en
faveur de l'archevêque de Cantorbéry; elle est pareillement
Liv. III, ep. imprimée dans le recncil des épîtres du prélat. Alexandre
96, p. 623. jg ]jjj avait recommandé avec le plus vif intérêt par une
Liv^ii'^'sio ^**^® publiée dans la même collection. Par une autre, il
charge Thomas de demander au prince une subvention
pieuse pour venir au secours de l'église. Nous trouvons ce-
s-fart. Ampl. pendant quelques lettres d'Alexandre moins favorables, moins
cdlL t. II, T- confiantes pour ce souverain : deux sont écrites à l'arche-
— Hist. de Fr. veque de neims, et Philippe y est accuse cl avoir enlevé vio-
t. XV, p. 861, lemment les reliques du monastère de Saint-Wast. Le pape
864 et 932. déclare, dans la troisième, ne lui avoir accordé aucune imt
muuité contraire aux droits et à la dignité de cet archevêque^
L'abbaye de Clairvaux est une de celles qui reçurent te
plus de témoignages de la pieuse générosité de Philippe. Dom
P. 632et639. Màrtènc a placé dans le premier tome de ses Anecclotes |)lu-
sicurs actes dont elle est l'objet. Par le premier, qui est de
1188, il lui donne duas lestas alecium , deux lests (charges)
de harengs, payables, chaque année, à la fête de Saint-
André. Par la seconde, il lui fait présent d'une chapelle qu'il
avait portée avec lui en Orient, et de tous les ornemens,
vases, etc. qui servaient à cette chapelle. Par la troisîènie, il
approuve le don d'une chai>fc'lle encore, que la comtesse
Mathilde, sa femme , avait fait à la même abbaye de Clair-
vaux. ^•■'» "<*»*" ^
Jiait. Àmpl. Par une charte de Tan 1 17^), Adam, abbé des'ï't-émontrés
coll.t.i,p.gi4. ^g Saint-André, de Gâteau -Cambrésis, cède à Philippe les
forêts de son abbaye , em récompense de l'appui et de^ ses
cours qu'elle en avait reçus dans le temps de son oppression.
Cette charte est une nouvelle preuve de la piété du comte
de Flandre et de sa protection, active pour les établissemens
et les personnes consacrés à la religion.
Il n'accorda pas une protection moins active au commerce.
Nous avons rappelé, au commencement de cet article, les
guerres qu'il eut à soutenir et les succès qu'il obtint contre
An 1176, p. 52. les Hollandais. Meyer rappelle aussi, dans le sixième livre
de ses Annales, une convention faite en 1 178, avec l'arche-
vêque de Cologne, qui fut d'une grande utilité aux négocians
de Flandre. P.
»t
XII SIECLE.
GUIGUES II,
PRIEUR DE LA GRANDE CHARTREUSE.
vjuiGUES fut e'ia prieur de la g^rande Chartreuse après la
mort de Basile, arrivée le i4 juin i lyS. Un anonyme, qui a Mart. Ampl.
composé, vers le milieu du XV'= siècle, une petite histoire Coiiect. t. vr,
des chartreux, l'appelle Hugues, et cette erreur es-t cause •^°'- ''^'
S le dans aucun des historieas de l'ordi'e il nVst parlé de
uigues II. Il est pourtant vrai que c'est à Guignes, prieur,
de la Chartreuse , qu'est adressée une bulle (i) du pape
Alexandre iri, donnée à Anagni, le 2 septembre 1 176, et ce
Guignes ne peut être le prieur du même nom qui mourut
l'an 1 1 3y. Ce qu'on dit que Hugues , après deux ans de pré-
latiire, se démit de sa charge, doit s'eiitendre de Guigues;
mais au lieu de deux ans de pi^latwe, la bulle du pape
Alexandre III nous autorise à lui en accorder trois ou même
quatre ; et, comme l'on ajoute qu'il vécut encore douze ans
après sa déposition, il doit être mort l'an 1188 ou 1189.
C était un homme entièrement livré à la contemplation des
choses du ciel et peu propre à gouverner les affaires de la
terre : ce qui fait qu'on le regardait non comme un homme,
mais comme un ange. C'est aussi l'idée qu'on pourrait pren-
dre de son esprit, s'il était vrai qu'il fût l'auteur de quelques
ouvrages qu'oii lui attribue.
1° Le premier est un traité qu'on trouve dans toutes les Append.i.i,
éditions de saint Augustin et de saint fiernardi, intitulé dans P- >S3.
les premières, Scala paradisi, et dans les dernières, Scala Bern. op. t,
claustralium , sive tractatus de modo orandi.ljGS éditeurs de H, col. 3ii.
saint Augustin et D. Mabillon s'accordent à dire que ce traité
n'est ni de saint Augustin ni de saint Bernard. Mais, comme
dans un manuscrit de la diartreuse de Cologne, ce traité a
pour titre : Epistola domni Gidgonis Cartusiensis ad fintrem
Getvasium de mtd contemplât im , il faut qu'il .ait été composé
par Guigues I ou par Guigues II, qui nous occupe. D. IMabillon
• n'a pas décidé la question ; mais les auteurs de l'histoire lit- Hist. Littér.
,(i) Cette huile est imprimée à la suite des statuts de l'ordre des char-
tJ!eux,iédit de i3ao.
t. XI, p. 655.
Ba
12 GUIGUES II.
XII SIECLE, j^paire, à l'article de Guides I, n'ont pas hésité à le donner
au second. En adoptant leur opinion, nous ajouterons aux
raisons qu'ils ont alléguées , que le moine Gervais, auquel
cet ouvrage est adressé, est vraisemblablement ce Gervais
3ui devint prieur de la chartreuse du Mont -Dieu, dans le
iocèse de Reims, vers l'an ii5i. Or, comme la chartreuse
du Mont-Dieu n'a été fondée que l'an 1 136, ce traité ne peut
avoir été composé par Guigues I, mort, comme nous l'avons
dit, l'an 1 187; et attendu que Guigues ne prend pas la qua-
lité de prieur, et qu'il ne la donne pas non plus à Gervais,
il faut que ce traité ait été compose avant l'an 1 1 5o. Ce rai-
sonnement est appuyé sur ce que dit l'auteur, qu'il dédie
à Gervais les j)remiers fruits de son travail : Hœc nostri la-
boris initia tihi primittis offero , ut novelke plantationis pri-
Ttiitii'os fnictus colligas ; langage qui ne peut convenir à
Guigues I, s'il est vrai que l'écrit soit adressé à Gervais
du Mont-Dieu.
Ce traité , comme nous l'avons dit, a été imprimé plusieurs
fois , soit parmi les œuvres de saint Augustin , soit parmi
celles de saint Bernard. Il est fort court, et ne contient que
treize chapitres. Cette échelle, quoiqu'elle aboutisse au ciel,
et qu'elle mène en paradis, n'a que quatre échelons; on y
monte par la lecture, la méditation, l'oraison, et la contem-
plation ; car l'auteur distingue ces trois dernières choses.
Bibl. Patr. t. 2° Le P. Fran. Chifflet a publié un ouvrage plus consi-
XXIV, p. i463 dérable ayant pour titre : De quadripartito exercitio cellœ,
**'^' qu'il attribue à Guigues II, quoique l'écrit soit anonyme
dans les deux manuscrits dont il s'est servi. II est certain que
cet écrit a beaucoup d'analogie avec le précédent; et si nous
sommes fondés à donner à Guigues le premier, il y aurait
quelque raison de ne pas lui refuser celui-ci. Le savant jé-
suite a mis à la tête de l'ouvrage une dissertation dans la-
quelle il prouve que l'auteur était certainement un chartreux,
et que ce ne peut être Guigues I ou l'ancien ; mais il nous
semble qu'il ne prouve pas aussi-bien que l'ouvrage ait été
composé par Guigues II. Examinons ses raisons : la prin-
cipale est tirée du prologue ou épître dédicatoire adressée au
prieur des chartreux de Wittenam en Angleterre, dont le
nom n'est désigné que par la lettre B. Le P. Chififlet nous
paraît assez fondé à croire que la lettre B désigne le prieur
Bovon, mentionné dans une vie de saint Hugues , évoque de
Lincoln, dont Bovon fut le successeur dans le prieuré de
XII SIECLE.
GUIGUE§ II. i3
Witteham, l'an 1186. Mais il n'a pas repondu à toutes les
difficultés que présente contre son opinion cette épître dé-
dicatoire. A celle qui résulte de la qualité que l'auteur se
donne spiritualis uteri vestn films , on répond qu'apparem-
ment Bovon était le directeur spirituel de Guignes, lorsqu'ils
vivaient ensemble à la grande Chartreuse, et l'on cite à l'appui
de cette conjecture une charte de l'an 11 85, dans laquelle Gui-
gnes et Bovon comparaissent comme témoins. Mais que ré-
pondre à ce que dit l'auteur dans sou épître, qu'il ne con-
naissait guère les avantages de la cellule que par ouï-dire ;
au'il n'en avait que très -peu ou point au tout goûté les
ouceurs.'' Et ego quid loqui digne possem de dulcedine cellœ,
quem constat ( sicut negare non valeo nec volo) aliquid de
eâ vel tenuiter audisse , quce 'vero , jqualis , quantave sit, vel
nihil omnino , vel modicurn certè aliquando expertum fuisse ?
Ce langage est -il applicable à un vieillard consommé dans
les exercices du cloître, (lu'on nous représente comme im
homme tout absorbé en Dieu, qui, pour goûter les dou-
ceurs de la solitude , abdiqua , après un gouvernement de
de trois ou quatre ans , la première place de l'ordre } Con-
cluons, pour ne faire aucune violence au texte, que l'ouvrage
de Guigues Scala claustrensium a pu servir de type à celui-
ci ; qu'il a été retravaillé et amplifié sous un autre titre par
quelque chartreux de Witteham, qui reconnaissait Bovon
pour son supérieur ou son père spirituel , comme ayant été
engendré par lui à la religion ; et comme cet ouvrage , qiiel-
qu'en soit l'auteur, appartient à l'époque où nous sommes
parvenus, voici en quoi il consiste.
Il est composé de trente-six chapitres, et roule sur la ma- ^
nière d'employer utilement et saintement la retraite et la
solitude à laquelle sont dévoués les chartreux. Les moyens
sont la lecture, la méditation, la prière et le travail des mains.
L'auteur de l'échelle n'avait pas parlé du travail des mains ;
celui-ci insiste beaucoup sur cet article, et recommande sur-
tout la transcription des livres : Hoc autem esse débet spe- Cap. 36.
cialiter opus tiium, ut libns scrihendis operam diligenter
impendas. Hoc siquidem spéciale esse débet opus cartu-
siensium inclusonim. Et il le prouve par les statuts du bien-
heureux Guigues, qu'il rappoite.
Cet ouvrage fut imprimé d'abord à Dijon l'an 1667 par le
P. Chifflet, dans un volume in-S», auquel il a donné pour
titre : Manuale solitariorum , è veterum p0rum cartusien-
Xn SiECLE.
i4 THIBAUD, COMTE DE BLOIS.
sium cellis depromptum. II a passe ensttite dans la grande
Bibliothèque des pères, tom. XXJV, pag. i463-i5oo.
B.
THIBAUD,
COMTE DE BLOIS, SÉNÉCHAL DE FRANCE.
i HiBA UD, surnommé le Bon, eut en partage daos la suc-
^cessjon de scmpère, Thibaud-le-Grand cm. le Saint, les comtes
de Chartres et de Blois, à la charge de l'hommage envers
son frère aîné Henri-le-Libe'ral , comte de Champagne. Thi-
Joan.Saresb. baud était, au jugement de Jean de Sarisbéry, l'hora'me de
ep. 89, p. 178. gQjj tenips Je ^ns versé dans la connaissance du droit fran-
çais. Illustris Blesensium cornes Theobcddus , dit-il , princeps
quideni justitiœ amator et juris citramontani peritissinuts.
Cette profonde connaissance des lois de son pays convenait
parfaitement au grand sénéchal de France, chef du conseil
du roi, et organe de ses décisions ; charge (jue Thibaud
fcxerça depuis l'année 1 154 jusqu'à sa mort, arrivée au siège
d'Acre, en Syrie, l'an 1191. C'est à ce titre que nous avons
eru devoir lui consacrer un article dans notre histoire. Son
ïiom paraît dans toutes les décisions émanées du conseil du
roi pendant cet espace de temps, sous les rois Louis-le-Jeune
>m^ -et Philippe-Auguste : ce ne fut qu'après sa mort que la charge
de sénécnal fut supprimée. Cependant ce n'est pas des actes
<le cette nature que nous voulons nous occuper; nous nous
l)ornerons à donner la notice de quelques-unes de ses let-
tres échappées aux ravages du temps.
Duchesne, 1° Lettre au roi Louis-le-Jeune, touchant l'élection de son
t.iv, p. 70&.— frère Guillaume à l'évêché de Chartres, l'an n64. 11 expose
^"loi ' ^^^' ®^ ^°^ ^"*^ ^ pendant l'absence et à l'insu du doyen, le prévôt
•Geofroi s'était fait élire par quelques-uns des membres
du chapitre avant même que l'evêque défunt eât été Hiis en
terre : en quoi, dit -il, on a roeconnu les droits de la cou-
Tcmne, parce que le chapitre aurait dû demander au roi la
permission d'élire avant que de procéder à une élection, il
énonce ensuil|^ue , de son côte, le doyen, de concert avec
XII SIECLE.
THIBAUD, COMTE DE BLOIS. i5
d'autres membres qui n'avaient pas concouru à l'e'lection du
prévôt , avaient donne' leurs suffrages à son frère Guillaume.
C'est pourquoi il supplie le roi de surseoir à la confirmation
du prévôt jusqu'à ce que lui-même ait rendu compte verba-
lement de cette affaire à sa majesté. En terminant sa lettre,
il instruit le roi de la déclaration qu'avait faite le comte
Henri, son frère, qu'il n'assisterait pas aux noces de Thi-
baud avec une fille du roi. Cela pourrait paraître extraor-
dinaire, si Robert du Mont ne nous apprenait qu'à cette
époque Henri , qui avait épousé la fille aînée du roi , était
brouillé avec sa femme. Quant à l'élection (hi prince Guil- Duchesn* ,
laume , elle fut soumise à la décision du pape , qui , par g "^' i|' f "^^v"
lettres datées de Sens le 9 octobre 1 164, ordonna qu il serait p.^Sal! ' '
procédé à une nouvelle élection, et cette élection retomba
sur le prince Guillaume.
q9 Le comte Thibaud, qui, avec son frère, devenu arche- inter epist.
vêque de Sens, avait contribué plus que personne à la rccon- ^- Thomae, Hb.
ciliation de saint Thomas de Cantorbéry avec le roi d'An- 860.* — *Bouq.
gleterre, fut un des premiers, à la nouvelle du meurtre du t. xvi,p. 468.
saint prélat , à dénoTïcer cet attentat au pape , comme ayant
été commandé par le roi d'Angleterre, partageant contre le
monarque anglais les sentimens qui animaient la cour de
France.
3° Dans une lettre au cardinal Pierre de Saint -Chryso- Mart.Anecd,
gone, légat en France, Thibaud demande le concours de ti, col. 600.
son autorité, pour empêcher l'abbé de Châteaudun d'intro-
duire de nouveaux usages dans l'hôpital des pauvres de cette
ville, attendu qu'il n'y avait rien à réformer dans l'admi-
nistration de cette maison, à laquelle son père avait pourvu
par des réglemens sages qui étaient en pleine vigueur.
Nous nous abstenons de faire le dénombrement des chartes
de ce prince , qui toutes avaient pour objet le soulagement
du peuplfe et des malheureux , et lui méritèrent le surnom
de Bon. La ville de Blois en particulier lui en témoigna sa
reconnaissance dans une inscription lapidaire gravée à la
porte de Saint-Fiacre du Pont, et figurée dans l'histoire de
Blois, par Bernier, p. 3or. B.
«^^«^ «^«^«.«/«/k '
XII SIECLE.
RAOUL,
ÉVÊQUE DE LIÈGE.
Gaii. Christ. Haoul, qu'on trouvc aussi appelé Rodulphe, et même
I 'P- 7 • Rudolfe, appartenait à une famille des plus illustres. Il
Leod. Histor. avait DOUF iVere Berthold , duc de Thuringe , selon les uns ,
sacr. et pro .^ j^^ ^^ Zeringen , suivant les autres. Mais l'opinion de ces
Albéric,Chron. derniers n'est pas seulement préférable ; elle est la seule qu'il
an. 1168. soit possible d'admettre, puisque, à cette époque, aucun
prince thuringeois ne porta le nom de Berthold , que plu-
sieurs, au contraire, portèrent ce nom parmi les ducs de
Zeringen. Raoul était fils de Conrad, fils lui-même de Ber-
thold II, et frère de Berthold III; Conrad eut pour succes-
seur Berthold IV, l'ahié de ses fils ; Raoul était le second ;
Albert, tige des ducs de Teck, était le troisième; et deux de
ses sœurs, Clémence et Germaine, épousèrent, l'une un duc
de Saxe et de Bavière, l'autre un comte de Savoie. Dode-
chin, continuateur de la chronique de Marianus Scotus, dit,
sur l'an 11 27, qu'après la mort de Guillaume de Bourgogne,
que ses sujets assassinèrent, Conrad fut élevé' à cette princi-
pauté dans la ville de Spire , en présence de plusieurs sei-
gneurs bourguignons. Ce Guillaume , troisième du nom , et
surnommé l'Enfant, avait péri en 1 127.
Raoul avait d'abord été élu archevêque de Mayence , par
le peuple et le clergé de cette ville, en 11 60, immédiatement
après l'assassinat d'Arnold de Selehoven , qui occupait ce
siège depuis ii53. Cette élection faite dans des momens de
trouble et de crime, sans avoir consulté l'empereur, sous la
domination de qui était alors Mayence, et par suite d'une
insurrection qu'il ne laissa pas impunie, ne pouvait sub-
sister. Frédéric nomma ou fit nommer , pour occuper ce
siège, Conrad, fils et frère des comtes de Wittelsbach, dans
une lettre écrite à Louis VII par un frère de Raoul , et con-
T. I, p. 3io. servée dans le Bes Germanicœ de Freher. Le refus de l'em-
pereur est attribué à sa haine pour leur maison. L'auteur
de cette lettre, dont le nom n'est indiqué que par la lettre B,
y prend le titre de duc de Bourgogne. Mais le duc de Bour-
T. v,p. /,74. gogne était alors Eudes second. Les auteurs de la France
chrétienne croient ou qu'il y a eu erreur dans le lettre ini-
RAOUL, ÉVÊQUE DE LIÈGE. 17
tiale , ou qu'Eudes avait deux noms. Mais le B indique peut- _1
être Berthold , frère de Raoul , fils et successeur de Conrad ,
devenu à la mort de son père, comme celui-ci l'avait été',
recteur ou goiiverneur de Bourgogne, et qui prenait quel-
quefois , comme son père aussi , le titre de duc de ce pays ;
il est appelé dux Bursundiœ dans des actes même faits avec
I' 11' •.. V l'Art Af
empereur, ou auxquels 1 empereur avait concouru. . :;, r"
T •' J ? T> 1 •* V ' 'I 1 vcnf. les dates,
La manière dont Raoul avait ete élu par un peuple en t. ni, p. 340.
fureur et un clergé forte d'obéir à la volonté de ce peuple ,
n'avait pas été, suivant un moine d'Orval, Gilles ou AEgi-
dius, qui a écrit ou du moins continué l'histoire de Liège, Gall. Christ.
la seule cause de la destitution de Raoul ; il l'attribue même, ^"^i^' Jit la
assez exclusivement, à un acte d'autorité, dont Frédéric fut môme ch. dan»
et devait être indigné. L'échanson de ce prince ayant été tué «^ chron.— v.
par des Juifs, l'empereur avait ordonné, pour les en punir, t"in''p.*474.
qu'une statue d'or de cet échanson serait élevée à Mayence,
aux frais des Juifs: Raoul, devenu archevêque, avait fait
briser la statue, et s'en était adjugé le métal, ou pour lui-
même ou pour ses parens. D'autres assurent que ce fut au
moment tle l'élection même , que Raoul , espérant assurer
par-là une confirmation dont il avait besoin , arracha le bras Gail. Christ.
d'une croix d'or, et dilapida le trésor de l'église. Trithême, J;J"^ P' '''' '
dans sa chronique d'Hirsauge, parle de cette croix, donnée "°t. I, p. 44».
à l'église de Mayence par la libéralité d'un de ses anciens
archevêques , et du crime commis par Raoul. Aurea crux
erat pretiosissuna , dit-il , cujus patibulum erat cypressinum
laminis aureis , et pretiosis lapidibus desuper opertum et
circumductum. Imago autem crucifixi magna erat, de auro
purissimo. Il ajoute qu'un archevêque avait déjà, dans une
autre occasion, enlevé un des pieds du crucifix, pour le
donner à un pape auquel il voulait complaire, et qu'il en
obtint effectivement, par ce moyen, beaucoup de faveur; et
qu'un autre archevêque encore avait pris et vendu l'autre
■ pied, pour avoir de quoi lever des soldats. Raoul s'empara
de tout le reste ; il l'offrit à l'empereur , pour l'appaiser :
mais l'empereur ayant refusé ses offres avec mépris , le prélat
garda pour lui-même ce que Frédéric ne voulait pas.
On croit sans peine toutes ces actions de Raoul, quand
on lit les autres traits de sa conduite , pendant son épiscopat
de Liège; car il avait été nommé evêque de cette ville,
quelques années après le refus fait par l'empereur de consen-
tir à son élection comme archevêque de Mayence. Les auteurs
Tome Xy. G
• {
i8 RAOUL, ÉVÊQUE DE LIÈGE.
^' de la France chre'tienne nous disent, par exemple, d'après
T. III, 1..876. des écrivains plus anciens, comment on obtenait alors, dans
son diocèse , les bénéfices ecclésiastiques. Ils se vendaient à
l'enchère , publiquement , sur la place du marché ; et le
ministre de cette avarice sacrilège se glorifiait avec complai-
sance d'avoir ainsi porté plus haut les revenus de l'épiscopat.
La cathédrale de Liège et d'autres églises ayant été consumées
f>ar les flammes en ii83 , l'évêque lit appoi'ter à Liège toutes
es reliques du diocèse, pour que les offrandes d'un peuple
Lcod. Hist. pieux pussent servir à reconstruire ces églises.
1^9. jj gçjj^j^jg q^g Raoul éprouva enfin quelque repentir; car^
vers l'an 1190, il crut clevoir faire le voyage de la Terre-
Sainte; il y suivit l'empereur Frédéric. Son séjour n'y fut
pas long; il revint en France, en 1191, et mourut à peine
arrivé. Lemire, dans sa chronique, place sa mort au mois
Leod. Hist. d'août de cette année. Gilles d'Orval dit qu'il mourut em-
p. 133. poisonne.
t m" ^*"^'**' ^" l'y^i d'autres disent en 11 79, voulant repousser par
noie'hî ' ^' ^^ fo^^*' '^s excès commis par Gérard , comte de Los, envers
des habitans de son diocèse , Raoul avait porté aussi sur les
terres de ce seigneur la dévastation et l'incendie. Je le
remarque sur-tout, parce que les principaux ouvrages qui
nous restent de ce prélat sont des statuts contre les incen-
diaires ; on a aussi Je lui des statuts contre les déprédateurs
des biens de l'église. D. Martène les a conservés dans le pre-
p. r,Q7. et sniv. mier tome de son Trésor des anecdotes.
T. I et t. V. Il a conservé pareillement , mais dans son Amplissime
collection , quelques chartes de Raoul. L'une est relative au
monastère Saint-Laurent de Liège. Le prédécesseur de ce
])rélat avait uni à ce monastère 1 église collégiale de Saint-
Sévère , que les guerres avaient ruinée , pour la restituer à la
vie religieuse, qu'elle avait anciennement pratiquée ; elle avait
Gaii. Christ, été anciennement une maison de bénédictins. Raoul sanc-
*■ ''''P- 9^7- tionne et confirme l'union par des lettres qui n'ont d'ailleurs
Mart. Ampi. rien de remarquable. Il faut en dire autant de celles ( 1 171 )
««"'Jtc^' ^' %^^ concernent l'abbaye de Saint-Tron, Sanctus-Trudo ,
dans le même diocèse , sur lesquelles on peut encore consul-
T. i,p. 557. ter le Trésor des anecdotes de Martène; de celles (1173)
Mart.'Ampi. pour le monastère de Vasor, Valciodorum ou Vallis décora;
Coll. t. I, p. gj jg pgHçg / j j^ N en faveur de la collégiale de Saint-Jean-
911, etc. / '1- ^ ^ « T • ' D
ibid. p. 984 1 Evangeliste , a Liège. i^-
«■t suiv.
»x»/*^V^^^%'
.•.*-%^***"**»*»***'
**'»-*'**.'*/^*****.^*,'^'«'\^-V\
XII SIECLE.
ANONYMES,
AUTEURS DE GÉNÉALOGIES DES COMTES DE FLANDRE.
JNous avons sur les comtes de Flandre plusieurs auteurs
qui, dans le Xir siècle, ont trace des tableaux généalo-
giques des souverains de cette portion de la France.
1° Les continuateurs du Recueil des historiens de France
ont publie, sur un manuscrit de la bibliothèque royale, qui Bouquet, t.
n'est qu'une copie de la main d'André Duchesne , une généa- ^ï^» V- S»»-
logie des comtes de Flandre , commençant à l'année 792 ,
et finissant à l'an iiao. Cette généalogie est fort succincte
jusqu'à Robert le Frison ; mais a cette époque l'auteur entre,
dans un plus grand détail. Il est presque le seul des histo-
riens connus qui parle d'un différend que ce prince eut avec
les ecclésiastiques de ses états, dont, à leur mort, il s'appro-
{>riait la dépouille , sans qu'il leur fût permis de disposer de
eurs biens par testament Cet usage était assez général en
France à l'égard des évêques et autres prélats du royaume;
mais il paraît qu'en Flandre ce droit du prince s'éten-
dait sur tous les be'nëfîeiers. Ceux-ci s'étaient d'abord /tjV/. p. 74.
adressés au pape Urbain II , qui fit sur cela au comte des
représentations pour qu'ils pussent au moins disposer de
leur patrimoine; mais ce fut inutilement : le comte, bien '
loin de céder aux instances du pape, devint encore plus
exigeant à l'égard des ecclésiastiques, et fit mettre le séquestre
sur tous leurs biens. Alors ils portèrent leurs plaintes au
concile de la province, qui, l'an 109a, était assemblé à Reims.
Les pères du concile redoublèrent leurs instances auprès du
comte, qui céda enfin aux menaces de l'excommunication, et
renonça à un droit vexatoire qu'il avait trouvé établi par un
long usage. Son exemple eut des imitateurs ; et l'on voit ,
vers le même temps , les rois de France et les grands sei-
gneurs du royaume renoncer à l'envi au droit qu'ils avaient
de s'emparer du mobilier des évêques , à leur décès.
Ce fragment avait été publié parle P. Labbe sur une copie Labbe, Conc-.
du P. Sirmond, qui, ne voulant donner que les actes du tX, col. 478.
concile de Reims, avait négligé le reste de la généalogie. Les
nouveaux éditeurs ont donné l'ouvrage tout entier; mais,
comme ils avaient déjà imprimé dans le même volume les
Ga
20 ANONYMES, AUTEURS DE GENEALOGIES
" actes du concile de Reims d'après le P. Labbe, ils renvoyèrent
pour ce morceau à l'endroit du volume où ils sont placés.
2° Une autre généalogie des comtes de Flandre, bie» plus
étendue, est celle qui a été mise au jour, i° en i643, par
Georges Galopin , moine de Saint-Gliilain, près de Mons,
Mari. Anocd. SOUS le titre de Flandria generosa ; oP en 1 727 , sur un ma-
t. m, col. 385- nuscrit de Clairmarais, par D. Martène, avec deux continua-
tions qui s'étendent depuis l'année 1 166 jusqu'à i33o; 3° Jean
Noël Paquot, qui a donné une histoire littéraire de la Bel-
gique, a réimprimé, l'an 1781 , la Flandre généreuse de Ga-
lopin , à laquelle il a ajouté de savantes notes , avec une
continuation de sa façon jusqu'à l'année 1482. M. Paquot
aurait mieux fait de réimprimer, à la suite de son auteur, les
continuations bien plus importantes, publiées par D. Mar-
•tène , en y ajoutant les éclaircissemens qu'il était très en état
de leur donner. Ce travail eût été bien plus satisfaisant pour
les personnes qui aiment à étudier l'histoire dalis les sources.
Mais il ignorait apparemment que ces continuations exis-
tassent. Comme elles appartiennent à des auteurs qui vivaient
aux XIIP et XIV* siècles , nous n'en parlerons pas dans cet
article : nous nous bornerons à rendre compte de l'écrit
auquel on a donné pour titre Flandria generosa, qui est le
même dans les trois éditions, avec cette différence que le
premier éditeur l'a divisé par chapitres, division qui n'existait
pas dans le manuscrit de D. Martène.
L'auteur commence sa généalogie à l'année 792, comme
dans la précédente , la première année de l'empereur Con-
stantin, fils d'Yrène, la vingt-quatrième de Cnarlemagne,
roi des Français, et ensuite empereur des Romains. Il la ter-
mine à la mort de Guillaume d'Ypres , comte de Loo, arrivée
au 26 janvier 1 1 65 ou 1 166. Ce Guillaume était fils naturel
de Philippe , second fds de Robert le Frison , comte de
Flandre. L'auteur dit l'avoir connu , et il en parle comme
témoin des largesses qu'il avait faites en mourant aux églises :
Multaque de facultatibus suis, ut ipsi 'vidimus , ecclesiis ac
pauperihus largicns , apud castrum suum quod dicitur Lo ,
plcnus dierum hominem exuit. D'où l'on peut conclure qu'il
vivait vers le même temps.
Son ouvrage n'est pas purement généalogique; il y mêle
beaucoup de faits historiques. Parmi ces faits il en avance
un fort singulier, et qu'il est difficile de concilier avec l'usage
constant de la monarchie relativement à la succession au
■■.n^
XII SIECLE.
DES COMTES DE FLANDRE. 21
trônes Selon lui , Baudoin de Lille , qui fut tuteur de Phi-
lippe F"" et régent du royaume , se fit prêter serment de fidélité Cap. XI.
par tous les grands , comme héritier présomptif du royaume
en cas de mort du jeune roi , aux droits de sa femme Athèle ,
fille du roi Robert : Juratâ sihi fidelitate ab omnibus i-egni
principibus, salvâ tanien fidelitate Philippi pueri , sivii>eret;
sin autem , oninino , utpote justo hereai per uxorem. Cela
est d'autant moins croyable que Philippe avait un frère
nommé Hugues , <^i fut la tige de la maison royale de Ver-
mandois.
3° Les continuateurs du recueil des historiens de France Bouquet , t.
ont extrait du registre de Philippe-Auguste, qui est à la Xiii.p. 4>6.
bibliothèque royale, une troisième généalogie des comtes
de Flandre, commençant à Baudoin de Lille, surnommé le
Pieux, et finissant à Philippe d'Alsace. Il paraît que c'est
une enquête qui fut faite en deux différens temps, et qui
pour cela est composée de deux parties. La première est
relative au Vermandois, que Philippe -Auguste revendiquait
l'an 1 183, comme plus proche héritier d'Isabelle de Verman-
dois, malgré la donation que celle-ci en avait faite à son
mari Philippe d'Alsace. La seconde se rapporte aux préten-
tions que forma le même roi sur la Flandre et l'Artois , aux
droits d'Isabelle de Hainaut, sa première femme, après la
mort de Philippe d'Alsace, l'an 1191. Ce procès fut terminé
par un jugement arbitral, par lequel l'Artois fut adjugé* à la -
France ^t la Flandre à Marguerite, sœur de Philippe d'Al-
sace , laquelle avait épousé Baudoin V , comte de Hainaut. Il
paraît que c'est pour éclairer les arbitres que ces différens
tableaux généalogiques furent dressés. i! '
4** Les mêmes éditeurs ont publié sur un màhùscrit de 7Wr/. p. 417.
l'abbaye de Cîteaux, une quatrième généalogie des corntes
de Flandre , qui commence aussi au comte Lideric ou Lan-
dri , du temps de Charlemagne , et se termine à l'année 1280.
Ce n'est qu'une simple nomenclature, mais qui donne assez,
exactement les filiations. B.
■A lii; cJiJplv,Jt] Aj^'Aiii^-j C:
Jk
XII SIECLE.
PONS DE CAPDUEIL,
POÈTE PROVENÇAL.
Vies des poèt. Jean Nostradamus a fait un article de Pons de Brueil, qui
prov. g quelques rapports avec ce que l'on trx)uve sur Pons de
Capdueil dans les manuscrits provençaux ; en sorte que,
sans s'arrêter aux différences notables que présentent ces
deux notices , on doit croire que c'est du même poète qu'il
a voulu parler; d'autant plus qu'on ne trouve ni dans les
recueils, ni dans aucun autre livre où il soit question des
troubadours, le nom de ce Pons de Brueil. Crescimbeni, qui
istor. ilella a traduit cette vie , a de plus tiré des mêmes manuscrits un
Voig.pocsia, t. article de Pons de Capdueil, que l'on trouve dans ses addi-
Giunte aile ^OTis ', mais il soupçonue fortement , dans une note sur la
vile, etc. li/rf, vie du premier, qu'il est le même que le second, toutes les
circonstances principales, dit-il, s accordant à merveille,
excepté la patrie de l'un et de l'autre, et le nom de la dame
qu'ils ont aimée. Il y faut ajouter que Nostradamus ne fait
mourir Pons de Brueil qu'en 1227, tandis que, selon tous
les calculs que fournit le rapprochement des circonstances ,
Pons de Capdueil mourut dans la troisième croisade , vers
i.i
■^'e
]e nom de Capdueil est tantôt écrit Capdoill, taiifftt d'une
autre manière clans les manuscrits. Crescimbeni le traduit
par CapodogUo , ou plus proprement, dit-il, di Capitolio ou
Campidoglio ; et l'on ne sait sur quel fondement il a voulu
faire de Pons de Capdueil un Pons du Capitule.
Pons de Capdueil possédait une riche baronie dans le
diocèse du Puy. Il réunissait la valeur guerrière au goût des
lettres, aux talens de la poésie, du chant, et à l'art déjouer
des instrumens : c'était enfin un baron et un troubadour
accompli. La dame qui fut l'objet de ses pensées et de ses
chants était Azalaïs , fille de Bernard d'Audun , l'un des sei-
gneurs les plus distingués du Languedoc , et femme de Noisil
de Mercœur, grand baron d'Auvergne : c'était très-publi-
quement qu'il lui offrait ses hommages; il lui donnait des
fêtes splendides , où toute la noblesse du pays accourait. Des
joiites chevaleresques et des combats poétiques en faisaient
XII SIECLE.
PONS DE CAPDUEIL, POÈTE PROVEiNÇAL. aS
les principaux omemens. Les poètes et les musiciens célé-
braient à 1 envi les qualités , les talens, la libéralité d^l'amant
et la beauté de sa nnaîtresse. On n'y disait rien du baron de
Mercœur, qui cependant y assistait , et ne &en fâchait pas.
Leur liaison, dont cette circonstance prouverait la pureté,
si les moeurs de ce siècle avaient été moins corrompues , ne
fat troublée que par la jalousie ou la fausse délicatesse de
Pons , qui voulut éprouver' la tendresse d'Azalais en s'éloi-
gnant d'elle. Elle se crut oubliée ou trahie, défendit de pro-
noncer le nom du troubadour devant'elle, et parut l'oublier
à son tour. Ce ne fut qu'avec beaucoup de peine qu'il parvint
à rentrer ^n grâce. Mais il reçut bientôt un coup plus ter-
rible : sa chère Azalaïs mourut. Il lui consacra des chants
plaintifs; et dégoûté du monde, passant, comme il arrive si
souvent, de l'amour à la'dévotion, il partit pour la troisième
croisade, où il mourut.
Nous avons de lui près de vingt chansons amoureuses,
les deux complaintes qu'il fit après la mort de Mercœur et
de la dame , deux sirventes par lesquels il excita les fidèles
à prendre la croix. Ces poésies se trouvent dans les manu-
scrits de la Vaticane 32o4 , 5, 7 et 8 , dans quelques-uns de
la Laurentienne à Florence , et à Paris dans ceux de la biblio-
thèque royale yaafi, 7614, etc.
Plusieurs de ses chansons galantes sont agréables, mais
elles ne donnent sujet à aucune observation particulière ; il
y eu a cependant une où l'on trouve un mot qui contribue ,
a prouver que c'est de Pons de Capdueil que Nostradamus a
voulu parler dans son article sur Pons de Brueil. Dans le
premier vers de l'envoi qui la termine , et qui n'en a que
deuK, le poèt«» nomme Audiartz, qu'il appelle JSaudiaHz ,
pour Dona Audiartz, selon une abbréviation provençale,
que nous avons eu lieu d'observer plusieurs fois :
Naudiartz am pe 7 bon pretz qu^ieu naug dir.
On voit par-là que cette chanson n'étftit point adressée à sa
maîtresse, mais a la dame de Rosalin, femme du vicomte de
Marseille, à laquelle Pons de Capdueil, selon les manuscrits,,
feignit de s'attacher pour éprouver Azalaïs. Cette dame se
nommait Adalasie, et l'abbé Millot observe que les vies ma-
nuscrites la nomment Audiarts ; or Nostradamus dit que H'**- Liuér.
Pons de Brueil adressa'ses chansons à Béatrix de Provence 53* ^r. t. i,p.
€t à Audiarde; il écrit Aridiarde, mais c'est une faute typo-
XII SIECLE.
u/i PONS I^ECAPDUEIL, POETE PROVENÇAL.
graphique. Nous ajouterons que Crescimbeni, dans sa tra-
duction , n'a pas manque de copier celte faute , et d'e'crire
aussi yéridiarda. Il a fait une faute plus grave. Nostradamus
joint à Be'atrix de Provence et à Âudiarde , Marie, reine
d'Angleterre et de France , à qiii notre poète adressa aussi
ses chansons. La traduction italienne fait ici deux reines au
lieu d'une, Andiarde, reine d'Angleterre, et Marie, reine de
France : ^d Andiarda e a Maria, regine, quella d'Inghil-
terra e questa di Francîa ; et il est impossible de çleviaer
la cause de cette singulière erreur. ,, . '
Il y a de la vérité et de la naïveté dans les vers de Pons de
Capdueil sur la mort d'Azalaïs : on y voit aussi la ni'euve que
tel était le nom de la dame de Mercœur, et non pas Elys,
comme le dit Nostradamus, ni Nasale, c'est-à-dire, donna
Sala , comme Crescimbeni l'écrit d'après les manuscrits.
Pons de Capdutil la nomme deux fois avec \n provençale
devant son nom :
Pois morta es ma dompna Nazalais.
Ay cals dans es de mi doria Nazalais.
Son exhortation pour la croisade respire aussi toute la
simplicité de ces temps, où l'on croyait effacer toutes les
fautes, et acquérir tous les mérites, en partant pour ces
expéditions lointaines. C'est très-sérieusement que le poète
tire un argument des paroles même de Jésus-Christ, qui a
dit aux apôtres qu'il fallait tout quitter pour le suivre. Ce
sont les seules conquêtes qu'il approuve, car du reste,
Alexandre, qui fut maître du monde, n'emporta rien avec
lui qu'un linceul : c'est donc être bien fou que de vendre le
bien et de prendre le mal , etc.
\
Qu'Alixandres que tôt lo mon avia
Non portet ren mas un drap solamen ;
Donex ben- es fols qui. 'l ben ven e V malpren.
Il veut enfin que tout le monde parte , et que ceux qui ne le
pourront pas par vieillesse bu par maladie (car il n'admet
que ces deux excuses) donnent leur argent :
Totz hom que/ai uelkez' o malantia
Remaner sai deu donar son argen.
PIERRE DE LA VERNEGUE. a5
Sinon ils ne sauront que l'e'pondre au jour du dernier juge- ^^^ siècle.
ment, quand Dieu les appellera faux et poltrons :
Quart Dieu dira fais , pies de coardia , etc.
Pour éviter de pareils reproches, nous avons vu qu'il
partit lui-incme, et qu'il ne revint pas. G.
O V«% «-«^ V«^ «%^«.A^^«^«.^ V«« ««r^^^^i» « «I
PIERRE DE LA YERNÈGUE^'l
r lERRE, seigneur de la Vernègue, e'tait un gentilhomme
qui réunissait les grâces du corps aux charmes de l'esprit,
n se mit au service de Dauphin d'Auvergne , comte de Cler-
mont, qui le combla de faveurs, et le fournit d'habits,
d'armes , et de chevaux. Ce prince avait une sœur nommée
Nassale, c'est-à-dire, selon une abbréviation qui était alors
en usage , dame Assalide (2) de Claustre , dame sage et ver-
tueuse, mariée à Béraud , seigneur de Mercuyr ou Mercueur,
et grand baron d'Auvergne. Pierre en devint amoureux ; et
le dauphin était tellement enchanté des talens du poète, qu'il
le favorisa dans ses amours , et qu'il engagea sa sœur à
l'écouter, et même à le payer de retour. Pierre composa en
l'honneur de la princesse plusieurs chansons qui achevèrent
de la séduire. Elle oublia enfin totalement ce qu'elle devait
à son mari pour s'attacher au poète. Ce fut avec si peu de
secret, que Béraud en eut bientôt connaissance. La jalousie
qu'il en témoigna fit rentrer Assalide en elle-même; et, pour
prévenir les chagrms dont elle se voyait menacée, elle congé-
dia honnêtement, c'est-à-dire, le plus doucement qu'elle
put, son amant.
Pierre, au sortir de cette cour, se trouva bientôt sans
argent et sans équipage. La nécessité le réduisit à se faire
comédien , c'est-à-dire , jongleur., car il n'y avait alors ni
comédiens, ni comédies. Il parcourut en cette qualité les
(i) Nostradamus l'appelle Pejre de Vernigue. Crescimbeni assure n'avoir
pu rien trouver qui le regarde dans aucun auteur italien.
(a) Dona sale , pour Donna assalide ^ et, par corruption ou abbréviation,
nassale y et même nasale.
Tome XK D
XII SIECLE.
aC PIERRE DE LA VERNEGUE..
cours des plus grands seigneui*s. Les succès qu'il y obtint
par ses talens mimiques et par ses chansons, et les récom-
penses qui lui furent prodiguées, rétablirent bientôt ses
affaires. En 1178, il se retira en Provence. Alphonse, comte
de Barcelonne et de Provence, fils de Raimond Bérenger, y
florissait alors. Pierre s'attacha à la comtesse , et composa
plusieurs belles chansons à sa louange. Lorsqu'il mourut,
la comtesse, pour témoigner sa reconnaissance, lui fit ériger
un mausolée en marbre auprès de la Vernègue. Nostradamus
dit que de ses jours on en voyait encore quelques vestiges ,
quoiqu'il fût ruiné par les injures du temps et par l'insou-
ciance des hommes peu curieux de ces précieuses antiquités.
Il fait aussi entendre que ce monument subsistait en son
entier au XV* siècle, en disant que Hugues de Saint-Césaire,
qui florissait en i435 , en parlait dans son histoire des poètes
provençaux , et assurait l'avoir vu avant qu'il fût ruiné.
Selon le moine des Iles d'Or , Pierre de la Vernègue avait
fait un poëme en forme de regret, c'est-à-dire, d'élégie,
intitulé la Prise de Jérusalem par Sala âin. On a donc deux
époques qui peuvent servir pour fixer à -peu -près celle de la
mort de ce poète. Alphonse, comte de Barcelonne, auprès
duquel il se retira et mourut, n'est autre qu'Alphonse II,
roi d'Arragon , qui s'empara de la Provence en i 1 67. « Ce
Hisi.deLan- prince, dit D. Vaissette, protégea ceux qui cultivaient de
pw). hv. ao, g^j^ temps la poésie provençale, et ne dédaigna pas lui-même
'' 8e faire des vers en cette langue, ce qui l'a fait mettre au
nombre des poètes provençaux, sous le nom d'Alphonse,
roi d'Arragon , celui qui trouva , pour le distinguer d'Al-
phonse F"". » Or Alphonse II mourut en 11 (^6, et Jérusalem
fut prise par Saladin en 1 187. Ainsi Pierre de la Vernègue,
qui fit un poëme sur cet événement , doit'être mort au plus
tôt en 1 190 et au plus tard en 1 196 , peu de temps avant la
mort d'Alphonse.
Baluze , dans son histoire généalogique de la maison
d'Auvergne, parlant de Dauphin d'Auvergne, et de la passion
qu'il avait pour la poésie provençale, rapporte ce trait de
1 appui qu'il donna ruprès de Nassale de Claustre, sa sœur,
à 1 amour que Pierre avait pour elle, mais il l'appelle Pierre
d'Auvergne, et non pas de la Vernègue, et le fait natif du
diocèse de Clermont. Il cite pour autorité les anciens ma-
nuscrits de la bibliothèque du roi.
' Si cela est, il ne faut pas du moins confondre ce Pierre
Vi
PLACENTIN. ^
< ^ 1 A . , . ^ XII SIKCLE
d Auvergne avec un autre poète de même nom , qui lui est
postérieur de près d'un siècle , et dont parlent Jean Nostra-
damus, dans ses vies des poètes provençaux, et César Nos- %►. ' .
tradaraus, dans son histoire de Provence. G. Pari5,'p.'26's-
a
PLACENTIN.
yj s peut, sans crainte d'être contredit, regarder la de'cou-
verte du manuscrit des lois de Justinien comme le plus im-
portant des èvénemens littéraires du XIP siècle. On sait
qu'il fut trouvé et pris dans le pillage d'une ville du royaume <
e Naplcs, à Amalfî. Sa couvertuie fut peut-être ce qui le
sauva; elle frappa les soldats qui pillaient, par les diverses
couleurs dont elle était ornée : le manuscrit fut mis à part,
et l'Europe recouvra un des monumens les plus précieux de
la législation. Bientôt ce livre, unique alors, ainsi échappé
aux malheurs de la guerre, fut lu, transcrit, commenté, et
devint la loi universelle d'un grand nombre de peuples. Une
foule de savaus hommes en France, en Allemagne, en Es-
pagne, en Italie, en firent, pendant phisieurs siècles, l'objet
de leurs méditations et de leurs veilles.
L'étude publique du digeste commença peu de temps après
la découverte du manuscrit. Le vainqueur, Lothaire II, en
fit don aux Pisans qui l'avaient fortement secondé pendant
la guerre. Pise donna l'exemple d'adopter désormais ces lois
pour règle des actions civiles et pour base des jugemens. Un
édit du même empereur, Lothaire II, étendit bientôt cette
adoption à tous les peuples qui lui étaient soumis. Un pro-
fesseur de Bologne, Warner, plus connu sous le nom d'Ir-
nerius, fut chargé d'enseigner les pandectes. Un Français, né
à MontpeUier, Placentin, vint les étudier sous lui, et revint,
quelques années après, faire jouir sa patrie des leçons qu'il
avait reçues et de tout ce que ses propres lumières y avaient
ajouté.
Ce fut un peu après le milieu du XII* siècle que Jean
Placentin ouvrit à Montpellier la première école de droit
romain qui ait existé en France ; et Pancirole est tombé dans De daris leg,
une grande erreur quand il ne place cet événement qu'en '"'erpr.p.iîa.
1196; il y avait même, en 1196, quatre ans que Placentin
Da
XII SIECLE.
fiibt. des aut.
du dr. civil , t.
I, p. 248.
Lit. I, c. 5,
Pancir.p. 122.
— Taisarid,vies
desjuriscons.p.
/i/|5. — Terrass.
hist. de ]a Jur.
rom., p. 446.
H. de la Jur.
ion», p. 4'i7.
28 PLACENTIN.
était mort. Denis Simon attribue la même erreur à Arthur
Duck, jurisconsulte anglais, qui a écrit au XVIP siècle un
traité Sur l'usage et l'autorité du droit romain dans les états
des princes chrétiens. Mais il se trompe : Arthur Duck ne
l'a pas commise. On peut voir l'endroit où il parle de Pla-
centin dans l'ouvrage que nous venons d'indiquer. L'école
du professeur français à Montpellier n'attira pas un moindre
nombre d'auditeurs que celle d'Irnerius à Bologne. Mais
celle-ci commençait à produire quelques ouvrages. On re-
marque parmi les jurisconsultes qui en publièrent , Martin
Gosia de Crémone, Bulgare de Pise, son antagoniste, et que
son éloquence fit surnommer la bouche d'or; Roger, Othon,
Ugolin , et quelques autres. L'émulation de Placentin ne fut
pas moins excitée par leurs écrits que par la renommée que
plusieurs avaient déjà comme professeurs : pour être plus
siir de les égaler, il s'enferma pendant quelque temps dans
une retraite où il ne s'occupa qu'à préparer des ouvrages qui
pussent l'emporter sur ceux que venaient de publier les ju-
risconsultes d'Italie. Le succès couronna ses efforts. Mais son
désir de gloire n'en devint que plus vif. Après avoir lutté
avec eux par ses écrits, il voulut aussi lutter par la puissance
de la parole. Il alla donner des leçons dans la ville même
qui était le théâtre de leur renommée, à Bologne. De nou-
veaux succès couronnèrent ces nouveaux efforts , et les Bolo-
nais eux - mêmes désirèrent que Placentin enseignât dans
leur ville. Il le fit avec une gloire qu'aucun de ses rivaux ne
surpassa. Son école attira un si grand concours d'auditeurs,
que l'envie fut réduite au silence. Enfin , après quatre années,
il revint à Montpellier , recommença les leçons qu'il avait le
premier données en France, et qui lui avaient acquis tant
d'illustration dans tout le reste de l'Europe. Il y mourut
quelques années avant la fin du VIII« siècle, et fut enterré
dans le cimetière de l'église de St.-Barthélemi. On y Ht encore,
dit Terrasson , d'après les biographes qui l'ont précédé , on
y lit encore une partie de son épitaphe en ces termes :
Jura pontificia ac cœsarea Placentinits prœclare docuit ;
lites placavit , etiam duhias; et secundtim eadem jura , juste
"vixit.
Le lieu où Placentin était enseveli fut long -temps un
objet de curiosité et de respect pour les voyageurs instruits
qui passaient à Montpellier. Dans les guerres civiles et reli-
gieuses du XVI* siècle , l'église de Saint-Barthélerai ayant été
XII SIECLE.
PLACENTIN. 29
détruite, le tombeau fut enveloppé sous ses ruines. Il y resta
jusqu'en i663, qu'en voulant rebâtir cette église, on trouva
sur une table de marbre l'inscription suivante :
Petra Placentiiii corpus tenet hic tumulatum;
Sed petra qiiœ Chrhti est animam tenet in paradiso.
Tollitur infesta Eulalice vir nobilis iste
Anno ndlleno ducenteno minus octo.
Cette inscription nous conserve la date précise de la mort
de Placentin; elle est de 1192 : le jour de Sainte -Eulalie
répond au 22 février. Phi lippe- Auguste régnait alors.
Nicolas Boyer ( Boerius) , dans ses additions à la préface
du commentaire de Dinus sur les règles du droit pontifical;
Pancirole, dans son ouvrage de claris legum interpretibus ; P. i3i.
Baillet, dans ses jugemens des savans; Denis Simon, dans t. i,p. i8a.
sa bibliothèque historique et chronologique des principaux T. i,p. a^x-
auteurs et interprètes du droit ; Terrasson, dans son histoire
de la jurisprudence romaine, affirment tous également que Pla- P. 446.
centin était Français et né à Montpellier. Néanmoins, dans
ses notes critiques sur l'ouvrage de Baillet, la Monnoy'e at- T.I,p.3a6i.
taque cette opinion, et fait naître notre jurisconsulte en Ita-
lie. La preuve qu'il en donne , et il n'a pu trouver que celle-
là , c'est que Placentin latinisé, Placentinus, veut dire, de
Plaisance. Il faudrait véritablement d'autres témoignages
pour détruire une affirmation unanime, et il ne serait pas
difficile de rappeler plusieurs hommes célèbres dont les
noms se rapportent à une ville, à une nation, à un art, etc. ,
sans que, pour cela, ceux qui l'ont porté aient appartenu à
ce peuple ou exercé cette jirofession. Pasquier, dans ses re- t i. p. ,,87.
cherches de la France, l'avait déjà supposé ItaHen,mais sans
en donner non plus aucune preuve. Il est vrai que Placentin
avait étudié en Italie ; mais il ne s'ensuit point de là qu'il ne
fût pas Français.
Si on a élevé quelques doutes sur la ville où était né ce
savant jurisconsulte , les éloges qu'il a reçus ont été univer-
sels. Il sortit de l'école d'Irnerius , dit Valentin Forster dans
le troisième livre de son histoire du droit civil, imprimée au
tome P'" du recueil des plus illustres écrivains sur cette ma-
tière, fait par les ordres et sous les auspices de Grégoire XIII;
il sortit de l'école d'Irnerius un grand nombre de très-savans
hommes ; mais celui qui se fit une plus haute réputation en
ou VLAC ENTIN.
XII M .Cï.F.. ^^^ temps-là fut Placeutin, qui, le premier, enseigna le droit
T. VI, p. 757. en France. Les auteurs de la Gaule chrétienne l'appellent le
premier des jurisconsultes de son siècle , Jurisconsultonwi
facile princeps , et croient devoir faire mention de sa mort,
tant ce fut alors un événement remarqué, en décrivant quel-
ques circonstaiices de la vie d'un évoque de Montpellier, ou
plutôt de Maguelone; car le siège épiscopal n'avait pas encore
été transféré dans la première de ces deux villes. Pierre Ga-
Pari. i,p.2/,ï. riel leur en avait donné l'exemple dans sa chronique des
évêques de ce diocèse. Il y appelle aussi Placentin le prince
des jurisconsultes, et il ajoute que les succès de l'enseignai
ment furent tels que l'école de Montpellier prit désormais
le nom du professeur qui l'avait tant illustrée : Monspelii ,
tantâ eniditionis famâ JUS docuit , ut sclwla puhlica ah ejus
nomine Placentinea juris appelletur. Accurse, Barthole, n'a-
vaient pas encore paru, et la somme de Placentin sur le code
et les institutes de Justinien, est peut-être la plus ancienne
que, nous "ayons.
Un autre jurisconsulte donna une grande illustration à
l'éccfle de Montpellier, la plus ancienne qu'ait eue la France
pour le droit romain , la seule qu'elle eût alors. Ce juriscon-
sulte est Azon Portius. Nous nous contentons de l'indiquer,
parce qu'il n'était pas né en France, quoique d'ailleurs le
séjour qu'il y fit, l'enseignement qu'il y donna, le grand
nombre de disciples qu'il forma, nous justifiassent assez de
ne pas le regarder comme étranger à notre Histoire litté-
raire. Attaqué et poursuivi par ces hommes médiocres, éter-
nels ennemis des hommes supérieurs, il fut obligé de quitter
Bologne, sa patrie, et vint dans le lieu même où Placentin
avait acquis tant de gloire. La mort de ce grand juriscon-
sulte laissant vacante la chaire de professeur de droit romain
à Montpellier, Azon fut nommé pour la remplir; et son suc-
cès fut tel, que les Italiens même venaient y étudier sous
lui. Sa renommée fut plus forte que l'envie; ses compatriotes
le rappellèrent pour rendre à l'école de Bologne tous les au-
diteurs que le mérite d'Azon faisait passer à Montpellier. Il
y mourut peu de temps après, en 1200; il n'y avait par
conséquent que huit années que la France avait perdu Pla-
centin. Azon a rendu plus d'une fois hommage, dans ses
écrits, aux lumières et aux talens de son prédécesseur ; il l'ap-
i>ap. Masson. pcUc prceclarus et prœclarus jurisperitus. « La mémoire de
Ami. 4, p. 45Î.
PLAGENTIN. 3i
XU SIKCLE.
ces deux grands jurisconsultes est en telle recommandation
à Montpellier, dit Catel, dans son histoire de Languedoc, t. il, p. 294.
qu'encore aujourd'hui les bedeaux de l'université portent — v. la nouv.
limage des têtes de Placentin et d'Azon, releve'es dans leurs ^'^^^^ ''"5^^""^'
massues d'argent. » En parlant de l'ouvrage qui lui attira * ' '*' '"
tant de réputation, sitmma Azonis , Pasquier observe qu'il p^^,^ ^ j
a s'ayda en ceci du labeur de Placentinus. » Balde appelle p. (,79.
Azon une source de lois, un vaisseau d'élection, et Jason, Bib!. de Simon,
autre jurisconsulte italien, dit que sa tête était un vaisseau '^'l'-^'i'
qui contenait toutes les lois.
§. II.
SES ÉCRITS.
Après avoir nommé Placentin comme le plus illustre
des savans hommes sortis de l'école d'irnerius , Valentia
Forster indique d'aboid, comme un de ses ouvrages, une r. r, p. 54
somme des institutes et du code ; pour ce dernier, la somme '^'^''' ^°"- ^''''■^•
de Placentin n'en contenait d'abord que les neuf premiers
livres. Un jurisconsulte italien , Roger, avait déjà publié sur
le code un abrégé qui n'avait pas peu contribué a en faci-
liter l'étude. Son succès fit naître à Placentin le désir et l'es-
pérance d'en obtenir un semblable, de surpasser même son
devancier. Il le surpassa en effet. L'ouvrage du jurisconsulte r.mcir.p. \\i.
italien cessa d'être lu et consulté, dès que celui du juriscon-
sulte français eut paru. Mais celui-ci éprouva bientôt lui-
même ce qu'il avait fait éprouver à un autre. Jean Bossianus,
né pareillement en Italie, publia un abrégé d'une partie du
grand recueil de Justinien,et il attaqua si souvent Placen-
tin, qu'on eiit dit que c'était là le véritable objet qu'il avait
eu en écrivant. Du reste il y montra moins de talent que de
vanité; et c'est avec raison qu'Odefroy, jurisconsulte du siècle
suivant^ appelle la somme de ^oî,^\di\\\\s, ventosam summxi- T-iJeiacoii.
lam : ses contemporains cependant l'avaient nommé lu- plir^'i^^S^et
ce/TzayV/m, mM«r/i.j/?ecîf//</«; et son épi taphe l'appelle /to/<i« i5(i. '
sidus, Jlos mseus patriœ , decus orbis, ^loria patnan. Pan(ir.p. i^.;.
Placentin donna ensuite un abi'égé des pandectes et des
derniers livres du code , si l'un s'eii rapporte à Pancirole,
dans son ouvrage sur les ilkistres interprètes des lois. Cepen-
dant l'opinion commune est que la somme du code fut ache-
vée par un jurisconsulte italien du XIP siècle, apjielé Pyleus,
auteur" d'up traité sur l'ordre des jngemens et de quelques
3a PLACENTIN.
XII SIECLF
observations sur les livres des fiefs. Pancirole le dit lui-même
c. 21 , p. ai3. en parlant de Pyleus. Peut-être celui-ci 1 avait-il fait d'abord ;
et Placentin, que d'autres travaux empêchèrent long-temps
de terminer cet abrégé, voulut-il achever enfin son propre
ouvrage, quoique ce qui y manquait eût déjà e'té suppléé
par un autre.
Placentin est auteur de plusieurs traités sur différentes
parties de la jurisprudence civile et criminelle. Ils ont encore
été publiés dans le grand recueil formé par les ordres et sous
les auspices de Grégoire XIII, vers la fin du XVr siècle.
„T."J'^Tiî*' ï^'^ii d'eux est intitulé De varietate actionum, des diverses
p. 35ctsoiv. actions judiciaires. L objet en est assez annonce par le titre.
L'ouvrage est divisé en vingt-deux chapitres, dans lesquels
Placentin explique successivement les différentes manières
de se pourvoir en justice, de réclamer et faire valoir ses
droits, de procéder et d'agir d'après les formes établies par
l'usage et par la loi. Tous ces chapitres ont des sommaires
assez étendus.
n,p. Boe'tsufv. Un second traité a pour titre : De personalihus actionihiis.
On peut le considérer comme une suite du premier, ainsi que
le remarque l'auteur lui-même. Après avoir expliqué les
moyens de revendiquer les choses auxquelles on a droit, il
va expliquer également ce qui concerne les droits attachés à
la personne, et les moyens aussi d'obtenir justice sous ce
rapport. Il annonce qu'il ne prétend pas traiter ce sujet dans
toute son étendue; cela l'entraînerait fort au-delà des bornes
qu'il s'est prescrites : mais si la prolixité engendre le dégoût,
trop de brièveté, dit-il, produit l'obscurité; il promet donc
de tenir un milieu entre ces deux écueils. Ce que c'est que
les actions personnelles , quels sont ceux à qui elles com-
pétent, quels sont ceux envers lesquels on en peut faire
usage, pendant quel espace de temps on le peut : tels sont
les différens points que l'auteur examine et discute. Il ne
faut pas, observe-t-il, que l'esprit de l'auditeur ou du lecteur
se fîitigue d'entendre ou de lire cette diversité d'actions ; c'est
par elles qu'un procès commence, c'est par elles qu'il est
terminé; cest par elles que l'on demande ce qui est dû, que
l'on conserve ce qui est acquis, que l'on recouvre ce quon
a perdu, que l'on peut repousser le dommage ou l'injustice.
L'ouvrage est divise en trente titres, tous précédés également
de sommaires assez étendus.
Nous lui devons trois autres traités insérés dans la même
PLACENTIN. 33
collection. Le premier est intitulé : des sénatiis-consultes. Il ^" siècle.
en contient vingt-deux, qui portent chacun le nom de leur T. l, p. i34
auteur ( Macedonianum , Velléianwn, Plautianum , Sjlla- e' ï35.
nianum , Claudianum , Pisonianum , TrebelUanum , Pega-
rianum , Apronianuni, Tertullianuni , Orficianum, Rubria-
num , Trasianum, Damasianuni , Artificulianura , Vincia-
num, Emilianum , Vivianum , Lihonianwn, Turpillianum ,
Largianuin, Sabinianuin). Un court sommaire précède ces
sénatus-consultes, et des explications en déterminent le sens.
Le second traite des jugèmens, de quelque manière qu'ils T. m, part, r,
puissent avoir lieu, par des arbitres ou par des juges : il est !'• 9* «' ««in-
divise en quinze chapitres, tous précédés de sommaires , et qui
contieni>ent tous autant de questions importantes sur le
droit civil. Immédiatement après on lit : de expediendÏA ju-
diciis; ce traité-ci a vingt-un titres, il n'est que la suite de
l'autre. Le troisième ouvrage a pour titre : de accusa tionibus T.ir,part. r,
puhlicorum judicionim. Sept chapitres le composent. L'au- P" * ^' *"'^"
teur traite, dans le premier, des accusations en général; il
traite, dans le second, de ceux qui ne peuvent accuser; dans
le troisième, il offre la division des crimes; il s'arrête, dans
le quatrième, à la loi Julia, qui avait pour objet la répression
du viol et de l'adultère; il parle, dans le cinquième, du sé-
natus-consulte Turpilien et des abolitions : ( le senatus-consulte
Turpilien avait été fait contre ceux qui, après avoir intenté
une accusation , l'abandonnaient , soit qu'ils n'osassent plus
la soutenir, parce qu'ils la reconnaissaient calomnieuse. Soit
qu'ils ne voulussent plus poursuivre, dans l'espérance de
sauver par-là celui quils avaient d'abord accuse). Il traite
de la question dans le sixième, et dans le septième j des
crimes.
Le style de Placentin est, en général, supérieur à celui de
ses contemporains et du' plus grand nombre des juriscon-
sultes qui l'ont suivi. Il n est pas vrai cependant, comme le
dit Simon, que, selon Cujas, Placentin surpasse, pour là Bibl. hist. et
netteté, tous les anciens interprètes du droit. Simon nidique «='"'°"- »• i» p-
le septième livre des observations de ce grand homme; mais ^Liv.Vii c.36.
Cujas n'y dit rien de semblable; l'ouvrage dont il loue la
clarté, la pureté du style, est de Bulgare; il remarque même
l'erreur de ceux qui l'attribuent à Placentin.
Placentin doit encore être l'auteur du commentaire énoncé
dans le titre suivant : de diversis regulis juris antiqui , pan-
dectanim libri quinquagesimi titulus decimus-septimus , cum
' Tome Xr. E •
XII SIECLE.
34 PLACENTIN.
tusco aut ex eo ducto accurate collectas et emendatus, ca-
pitiûis omnibus cum suis inscriptionihus , suo etiam ordini
restitutis; in eumdem titulum vêtus , sed incerto autore, hre~
vis et ele^ans commentarius. Paris, Charles Estienne, lôôy,
in-S". L'éditeur est porté à le croire, quoiqu'il annonce que
d'autres l'attribuent à Irnerius. Placentm semble en effet s en
déclarer lui-même l'atiteur dans le passage suivant : « Quid
ergo dicemus de hoc quod dicitur dig. de regulis j'uris P Si
repugnantia continet testamentum , neutrum fore ratum :
sic intelligatur , ut exposui in additionibus , sive exceptioni-
bus regularum.
Charles Estienne loue beaucoup cet ouvrage ; ce n'est pas
un simple commentaire, ce sont d'excellentes additions aux
règles du droit. Il assure qu'on y reconnaît le style de Pla-
centin, son agréable brièveté, sa méthode et sa dialectique.
En l'imprimant, il le dédia au cardinal Bertrand, le premier
qui soit devenu garde des sceaux en titre d'office; le roi ne
les donnait auparavant que par commission. L'épître dédi-
catoire est du 20 septembre iSSs. Elle nous apprend que
l'ouvrage avait été communiqué en manuscrit à Jean Lucius^
secrétaire du roi , et procureur de la reine Catherine de
Médicis; que Charles Estienne en avait obtenu la permission
de l'imprimer; qu'il l'avait fait, parce que, dit- il, outre le
mérite du latin assez pur, on y a lié avec tant d'art les opi-
nions et les lois les plus autorisées, qu'il semble que ce ne
soit qu'un seul et même ouvrage, et que c'est l'auteur des
règles qui les a lui-même commentées.
T.iii,p.6o3 Le manuscrit 4539 de la bibliothèque du Roi, qui parait
du calai, impr, écritau XIV® siècle , contient la somme de Placentin sur les
neuf premiers livres du code et celle sur les institutes de
Justinieo. P.
'Vy^V^^V^^V*^»*^»*^^^*'^^*^^**^*^^**'*^*'*^^'*^*'^^^^'^'^^^*^^*^^*''*^'*'***'^^^
XII SIECLE.
BERNARD,
ABBÉ DE FONT-CAULD;
ET ERMENGAUD,
ABBÉ DE SAINT-GILLES.
I. JjERNARD, abbë de Font-Cauld ou Font-Caulde ( fontis
calidi)^ de l'ordre de Prémontrë, au diocèse de Saint-Pons,
est regardé par les auteurs du nouveau Gallia Christiana T.vi,p.a67.
comme le premier abbë de ce monastère, qu'il gouvernait
déjà en 1 1^2. Ces auteurs ajoutent qu'en 1 182 et 1 188, il fut
témoin de deux transactions; qu'en 11 84, son abbaye fut
mise par Lucius III sous la juridiction des archevêques de
Narbonne ; que peu d'années après il écrivit contre les Vau-
dois; qu'enlin il mourut vers 11 92, et qu'en i ipS on le voit
remplacé par Pierre Gérald.
Voilà tout ce qu'on sait de la vie de Bernard de Font-
Cauld ou Fontaine -Chaude. Ni Hugo, dans les annales de T. I, p. 687.
Prémontré, ni dom Vaissette, dans lliistoire du Languedoc,
ne nous apprennent rien de plus sur les actions et les mœurs ^' ^^^' P" "*'
de cet abbe. Oudin, qui n'en parle qu'en fort peu de mots, "comment, in
s'en excuse comme il suit : Ampliorem hujus scriptoris ha- .Script. ecdes. t.
bere notidam non licuit , ohprofundam perpetuamque qud ï^'P-^^^S.
semper hic ordo celebris est, ignorantiain.
Au lieu de ce trait de satire, Oudin pouvait du moins
rendre compte de l'ouvrage de Bernard de Font-Cauld,
ouvrage que Gretser a publié en i6i4 avec ceux d'Ebrard Ingohtad.
et d'Ermeugard sur le même sujet, en donnant à ces trois "'"^''•
traités des titres que, selon Noël Alexandre, ils n'avaient Tracta tus con-
point reçus de leurs auteurs. Ces traités ont été insérés , de- ""* Waidenses
puis, dans le tome XXIV de la bibliothèque des Pères, im- ^'MagnrBibl.
primée à Lyon. Celui de l'abbë de Font-Cauld a été analysé ecd.t.i.p. 291!
par dom Vaissette, et plus brièvement par Bossuet. —Celui de Ber-
Après avoir dit que Bernard de Font-Cauld fixe au ponti- T^^^-\Z'i^'
ficat de Lucius III les progrès de la secte vaudoise, Bossuet Hist.duLan-
continue en ces termes : e"ed. t. m , p.
« Le pontificat de ce pape commence en 1 181, c'est-à-dire, ' Hist. 'des Va-
E2
36 BERNARD, ET ERMENGAUD.
1 L après que Valdo eut paru dans Lyon. Il lui fallut bien vingt
nations, 1. XI, aus à s'c'tcndrc et à former un corps de secte qui méritât d'être
"• 7J-79- regarde'. Alors donc Lucius III les condamna; et, comme son
pontificat n'a duré que quati'e ans, il faut que cette pre-
mière condamnation des Vaudois soit arrivée entre l'année
ii8i, où ce pape fiit élevé à la chaire de saint Pierre, et
l'année 1 185, ou il mourut. . . . Après la mort de ce pape,
comme , malgré son décret , ces hérétiques s'étendaient, beau-
coup , et que Bernard , archevêque de Narbonne , qui les
condamna de nouveau après un grand cxaqien , ne put ar-
rêter le cours de cette secte, plusieurs personnes pieuses,
ecclésiastiques et autres, procurèrent une conférence pour
les ramener à l'amiable. On choisit de part et d'autre pour
arbitre de la conférence un saint prêtre nommé Raimond de
Daventrie, homme illustre par sa naissance, mais encore plus
illustre par sa sainte vie. L'assemblée fut fort solennelle, et
la dispute fut longue. On produisit de part et d'autre des
passages de l'Ecriture, dont on prétendait s'appuyer. Les
Vaudois furent condamnés et déclarés hérétiques sur tous
les chefs de l'accusation. On voit par - là que les Vaudois ,
quoique condamnés, n'avaient pas encore rompu toutes me-
sures avec l'église romaine, puisqu'ils convinrent d'un arbitre
catholique et prêtre. L'abbé de Font-Cauld, qui fut présent
à la conférence, a rédigé par écrit, avec beaucoup de netteté
et de jugement, les points débattus et les passages qu'on em-
ploya de part et d'autre : de sorte qu'il n'y a rien de meilleur
pour connaître tout l'état de la question telle qu'elle était alors
et au commencement de la secte. La dispute roule principa-
lement sur l'obéissance qui était due aux pasteurs. On voit
aue les Vaudois la leur refusaient, et que, malgré toutes les
éfenses, ils se croyaient en droit de prêcher, hommes et
femmes. Comme cette desobéissance ne pouvait être fondée
que sur l'indignité des pasteurs, les catholiques, en prou-
vant l'obéissance qui leur est due, prouvent qu'elle est due
même à ceux qui sont mauvais, et que, quel que soit le
canal,. la grâce ne laisse pas de se répandre sur. les fidèles.
Pour la même raison , on fait voir que les médisances contre
les pasteurs. . . . sont défendues par la loi de Dieu. Dans la
suite, on attaque la liberté que se donnaient les laïcs de
f)rêcher sans la permission des pasteurs, et même malgré
eurs défenses; et on fait voir que ces prédications séditieuses
tendent à la suJjYcrsion des faibles et des ignorans. Sur-tout
BERNARD, ET ERMENGAIJD. ^
on prouve par 1 tenture que les temmes qui n ont que le si- =_
lence en partage, ne doivent pas se mêler d'enseigner. Enfin
on montre aux Vaudois le tort qu'ils ont de Irejeter la prière
pour les morts, qui avait tant de fondement dans f Écriture,
et une suite si évidente dans la tradition : et, comme ces
he'rétiques s'absentaient des églises pour prier entre eux en
particulier dans leurs maisons, on leur fait voir qu'ils ne de-
vaient pas abandonner la maison d'oraison, dont toute
l'Écriture et le fils de. Dieu lui-même avaient tant recom-
mande la sainteté. » ' ' '"' "'' 3> ft- "i :•,',; 'i'
Bossuet ne parle que d'une conférence entre les catho-
liques et les Vaudois du diocèse de Narbonne. Dom Vaissettè
en distingue, deux, et c'est ce qui résulte en effet du récit qui
sert de préface au traité de Bernard de Font-Cauld. Ce tul
à la seconde de ces conférences que présida Rairaond de
Déventer. Après cette préface, l'ouvrage de Bernard contient
douze chapitres. Dans les trois premiers, il montre, par des
textes de la Bible, qu'on doit de l'obéissance, du respect,' et,
au besoin, de l'indulgence aux prêtres et aux évêques : aucun '
trait ne concerne particulièrement lé pape, quoique le titre
du premier chapitre donne lieu de s'y attendre^ Les cha-
pitres IV et V refusent aux laïcs le droit de prêcher et
d'enseigner la religion. Le VF est une réfutation des con-
séquences que les Vaudois prétendaient tirer du texte qui
recommande d'obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes : l'aiiteur
répond qu'obéir à ses pasteurs, c'est obéir à Dieu, qui les '
a lui-même établis. L'objet du septième chapitre est de carac-
tériser les personnes que les Vaudois séduisent et celles
qu'ils ne séduisent pas : dans la première classe, on re-
marque sur-tout les femmes , dont tout le chapitre suivant
traite encore. L'abbé de Font-Cauld applique aux Vaudois
et aux femmes ces mots du psaume Go : Congregatio tau-
rorumin vaccis populorum. On lui objecte le texte .ou saint
Paul,- parlant des femmes d'un âge mur, met au nombre de
leurs meilleures qualités celle de bien enseigner : Anus. . .
henè docentes ; mais il ne s'agit là que d'un enseignement AJ. lit. c. a,
secret dans l'intérieur des maisons, et non dans les lieux
' publics. La sainte Vierge ne prêchait pas, elle renfermait dans
son cœur les paroles de son divin fils. La nécessité de prier Luc. a.
Ï>our les morts est prouvée dans le chapitre IX par un texte
brt connu du second livre des Machabées, et par le témoi- Ç- uSancù
gnage de quelques défunts qui ont apparu à des vivans pour co^Ua'ir!r''d *
Xir SIECLE
38 BERNARD, ET ERMENGAUD.
les remercier de leurs prières ou pour leur en demander. Le
functis exorare chapitre X, qui concerne le purgatoire, est fort court, et ne
*'*^' renferme guère qu'un texte où S. Augustin dit qu'il n'est pas
incroyable ^ incrédule non est , que les âmes souillées encore
de certaines taches en soient purifiées par le îen^per igneni
quemdam purgatorium. L'erreur de ceux qui soutenaient
que, sans aller en paradis ni en enfer, les âmes attendaient
en des asyles provisoires le jour du jugement universel, est
combattue dans l'avant -dernier chapitre : le dernier traite
des églises et de l'obligation de s'y rassembler pour prier.
L'auteur réfute l'objection que les Vaudois puisaient dans ce
Ch. 2. texte de saint Mathieu : Quand tu veux prier, setire-toi dans
ta chambre et ferme ta porte.
Ce traité a été quelquefois attribué, fort mal-à-propos, à
saint Bernard.
II. Ermengard, auteur de l'un des traités contre les Vau-
dois, recueillis par Gretser, nous paraît être la même per-
sonne qu'Ermengaud, abbé de Saint- Gilles, au diocèse de
Gall. Christ. Nîmes , dcpuis II 79 jusqu'à ii95,celui auquel Alain de Lisle
"80^400^^'''" ^ <i^dié un vocabulaire.'Ce n'est pas qu'on ne rencontre vers
Montfaiicon, Ics mêmes temps deux autres personnages du même nom,
Bibi. BU.liot. t. l'un, abbé de Yahnagne, au diocèse d'Agde; l'autre, évêque
" Gall' n'^rist ^^ Béziers, après avoir été abbé de Saint-Pons de Tomières.
nova^, t. vl7'p^ Mais l'Ermengaud , abbé de Valmagne, mourut en 1 1 7 1 avant
721 , 722. que l'hérésie, combattue dans ce traité, eût pris de la consis-
ytiV/. p. a3a, tance; et celui qui a occupé le siège épiscopal de Béziers
depuis 1180 jusqu'en i2o5 , serait désigné par le titre d'é-
vêque plutôt que par celui d'abbé, s'il était l'auteur d'un
traité compose selon toute apparence après 1 180 : ce prélat
est d'ailleurs connu par des poésies provençales dont Baluze
Bibl. Baluz. arecueiili quelques morceaux, sans le soupçonner aucune-
p.iii,p. 114- ment d'avoir écrit un ouvrage théologique. Ce sera donc à
Fabric. Bibl. l'Ermeiigaud, abbé de Saint- Gilles, que nous attribuerons
tned. t. II , p. \q traité dont nous allons donner une très-courte notice.
***'' Les dix -neuf chapitres qu'il contient occupent les treize
dernièies du vingt-quatrième volume de la bibliothèque des
Pères, édition de Lyon. L'auteur s'applique à prouver, par
des textes de la Bible, que Dieu a créé le monde; qu'il n'y
a pas deux Dieux ; que le seul véritable est celui qui s'est
révélé à Moïse; que Moïse n'était point un magicien; que le
mariage est permis; que la conception et la nativité de saint
Jean- Baptiste ont été annoncées, non par un démon, mais
BERNARD, ET ERMENGAUD. 89
par nn bon anj^e; que le corps de Jesus-Christ était re'el , vé- '
rirable et non fantastique ou aérien; qu'il faut des temples,
des autds, dos prières et des chants ecclésiastiques. Er-
mengaud parle ensuite des sacremens : savoir, de l'eucha-
ristie, du baptême et de la pénitence. L'un des plus longs
chapitres est le quatorzième, qui est intitulé ; de l'impo-
sition des mains, et qui n'est pas d'une clarté parfaite.
L'autrur y disserte à-la-(bis sur l'ordination et sur ce qu'il
ajjpelle consolamentum : c'est sans doute la conlirmàtiun ;
mais il ne se sert point de ce mot, et ce qu'il dit n'est pas
toujours applicable au deuxième de nos sacremens. Lt>s der-
niers chaintres ont successivement pour objets l'usage des
viaiides, la résurrection des morts, l'invocation des saints^
les jiiremens, et le meurtre. Il règne, comme on voit, fort
peu d'ordre dans cet ouvrage, qui , au reste, ne nous a point
été conservé en totalité. Le chapitre du meurtre n'a que les
deux lignes que voici : Explanatis ad evidentiam supradic-
torum quœ snfficere possunt capitulis , de occisione age-
mus. Et qualitev Deus non occiaere. ...
Pour l'ordinaire, Ermengard emploie avec beaucoup de
justesse et de bonne foi les text(-s qu'il cite. Mais nous som-
mes forcés d'avouer qu'il ne mérite pas toujours cet éloge.
Par exemple, dans le chapitre de la pénitence, il applique à
la confession , des passages qui ne cohcernent que la pro-
fession publique du culte et de la croyance. Conjitemini
Domino quoniam bonus. — Qid confitehitur me coram homi- f*. loS.
nibus, conjitehor et ego eum coram pâtre meo. — Corde cre" Math. ro.
dit un ad justitiam , ore aiitem confessio fit ad salutem, etc. ï^p-adflom.ia!
Un autre défaut de c* t ouvrage est de ne pas faire assez con-
naître les opinions des Vaudois; presque jamais les questipns
ne sont posées d'une manière précise; le j)lus souve^it on ne
sait pas quelle proposition l'auteur prétend réfuter. Le tiaité
de Bernard de Font-Cauld est, sous ce rapport et à d'autres
égards, préférable à celui d'Ermengaud. D.
xn SIECLE.
«<«^%'%'V%-%
%^g»^*»»*»y^%(i«A4*4fc vi% »4%v%^».-^^^^<y <^'^»»^»>*«^»-
X «««^ V««. V*/« V
ADAM,
CHANOINE RÉGULIER DE SAINT-VICTOR DE PARIS.
jt*.
S'A VIE.
Lja plupart des auteurs qui ont parlé de la patrie d'Adam
se sont contentés de dire qu'il était breton. L équivoque de
cette dénomination laisse lieu de douter s'il était anglais
ou français, d'autant plus qu'à l'époque où vivait le victorin,
on trouve un Adam prémontré, qui écrivait en Angleterre.
Blbl.ins.i.n, Cependant Montfaucon indique comme manuscrit l'ouvrage
p. laSg, c. intitulé : Liber sententianim magistri Adce de Rodronio. Si on
avait la preuve que cet écrit est d'Adam de Saint-Victor,
on pourrait conclure qii'il était de Rennes en Bretagne, et
par conséquent français. Quoi qu'il en soit , après avoir fait
ses études à Paris, il entra dans l'abbaye de Saint- Victor,
dont il devint un des ornemens par sa science et sa piété.
Gall. Christ. On ne sait aucun détail sur sa vie. Les auteurs du Gallia^
t.VIl,col. 670. Cliristiana disent vaguement qu'il mourut sous la prélature
i^dex anct. de l'abbé Guérin, entre les années iiy3 et 1194; Ducange
ad Gloss.p: 80. pig^e sa mort en 1 177 ; Félibien et Lobineau nous paraissent
lib. y, p. 197. mieux rondes a la reculer jusqu en 1 192. bon epitaphe, gravée
sur une plaque de cuiyre, dans le cloître de Saint-Victor^
près de la porte de l'église ,. rapportée par divers auteurs , d
toute l'apparence d'être son ouvragé, par le ton de piété et
de moa^stie qui y règne. Elle est conçue en ces termes :
. ilœres peccati y naturâjlîius irce,
Exiliiquc reus nascitur omnis honio.
Unde superbit homo , cujus conceptio culpa,
Nasci pœna, labor -vita, necesse mori?
fana salus hominis , vanus décor , omnia vana;
Inter -vana nihil vanius est homine.
Dum inagis alludit prœsentis gloria vitœ,
Prœterit, iino fiigit ; non f agit, iino périt.
Post hominem ver mis, post -vermemjit cinis, heu, heu!
Sic redit ad cinerem gloria nostra simul.
ADAM, CHANOINE DE SAINT- VICTOR. 4i
Hic ego quijaceo miser et miserabilis Adam,
Unani pro summo munere posco precem :
Peccavi , fateor , veniam peto , parce Jutenti ;
Parce pater , Jratres parcitf , parce Deus.
Pasquier, après avoir, transcrit cette ëpitaphe, ajoute:
« J'oppose cette pièce à tous épitaphes tant anciens que mo-
dernes. On peut juger de cet échantillon que les bonnes
lettres étaient alors à bonnes enseignes logées dans ce mo-
nastère de Saint-Victor. »
Martène a publié, dans sa grande collection, une autre
épitaphe d'Adam , plus récente et plus courte , mais qui ne
vaut pas à beaucoup près la première.
XII SIECLE.
Rech. liv. III,
ch. ag.
Arapl. Collect.
t. VI, qol. 242.
SES ECRITS.
Martène, ibid.
Les monumens les plus certains qui nous restent de la
plume d'Adam , sont des proses rimees ou séquences desti-
nées à être chantées à la messe, dans les grandes solennités.
Dans l'éloge d'Adam, publié par D. Martène, un anonyme,
qui vraisemblablement n'est autre que Jean de Toulouse,
prieur de Saint-Victor, mort en ibSg, donne ime haute
idée de ces compositions; Adam, selon lui, a saisi parfaite-
ment le véritable esprit du genre, il est admirable pour la
rapidité du trait, Tharmonie des finales, l'élégance du style,
le choix des expressions, la beauté des sentences, l'applica-
tion des figures et des prophéties, qui, souvent obscures
dans le texte sacré, deviennent, par la manière heureuse
dont il sait les employer, plutôt une histoire qu'un simple
,ornement de son sujet. Antoine Demochares ou de Moncni,
et Bellote, auteur des Rites de l'église de Laon, ne s'éloignent ^'"' '^^''^^" P*
pas beaucoup de ce jugement. Plein de la même estime pour Rit. Eccles.
ces proses, Josse Cliotove en a recueilli trente-sept dans son LauHnn.p.4i5.
Elucidariuni ecclesiasticum , qu'il a ornées d'un commen- Elucid. t. il,
taire, pour mieux faire sentir les beautés qu'il a cru y aper- *" '*'
cevoir. L'éditeur dit n'avoir rencontré , dans les manuscrits
de Saint-Victor, que ces trente-sept proses de notre auteur;
mais il présume que beaucoup d'autres ont succombé à l'in-
jure du temps.
A l'égard du mérite de ces pièces, ce serait outrer l'admi-
ration que d'adopter sans reserve les éloges qu'on leur a
Tome XF. F
De Obserr.
4a - ADAM, CHANOINE DE SAINT -VICTOR.
xn SIECCE. jQ^nés. Elles étaient bonnes pour le temps, et même les
meilleures qu'on eût vues jusqu'alors. Mais il a paru depuis
des modèles en ce genre qui les ont fait totalement oublier,
et avec lesquelles elles ne peuvent réellement entrer en
comparaison.
Dans la prose de saint Jean l'Évangëliste, nous remar-
quons un trait qui mérite detre mis sous les yeux de nos
lecteurs. On sait que, dans l'esprit de plusieurs alcliimistt'S,
ce saint passe pour avoir eu le secret du grand-œuvre. Adam
était dans la même opinion, et donne à entendre qu'elle
était déjà commune de son temps. Écoutons-le;
Cùm gemmarum partes Jractas
Solidasset , has dis tractai ^
Tribuit pauperibus ;
Inexhaustum fert Ihesaurum,
Qui de -virgisjecit auruin
Gemmas de lapidibus.
Journal de» Ce qu'oH a traduit en cette manière :
Sav. 1703. p.
6aa. Lorsqu'il eut réuni les morceaux divises.
De plusieurs diamans brisés,
Il en employa les richesses
En de charitables largesses.
Il jouit à-présent d'un immense trésor,
Celui dont les mains bienheureuses
Ont su changer des baguettes en or
Et des cailloux en pierres précieuses.
Ce n'est ni Adam , ni ses contemporains qui avaient ima-
giné cette histoire : elle remonte bien plus liaut. On la
Jbid. cap. 73 retrouve dans les livres de saint Isidore : De ortu et vita et
obita sanctonim patrum. Voici le passage : Cujas quidem
( Joannis) inter alias mrtutes inagnitudo sis^noruni hœc fuit.
Mutavit in aufum sylvestres frondium virf^as , littoreaqiie
saxa in gemmas; item gemmarum fragmina in prupriarn
reformant natutnin. Il y a bien de l apparence que cest de
là que les savans du XII* siècle avaient tiré cette anecdote
singulière.
On attribue à notre auteur divers autres écrits que nous
ne sommes pas en état de lui garantir, et dont quelques-uns
même \v.\ sont manifestement supposés.
Leiong,Bibi. i© Une expositiou du Cantique des cantiques, qui se
ADAM, CHANOINE DE SAINT-VICTOR. 43
conservait manuscrite à la bibliothèque de Sorbonne et dans '^^ siècle
celle de l'abbaye de Dunes en Flandre, où elle porte en Sac. t. ii, p.
titre : Magistri Adam expositio in cantica canticorum. Voilà '^'; j g;jj,
bien , à la vérité , le nom de notre auteur ; mais il n'était pas g^ig pajt. i, p!
le seul qui s'appelât Adam au XIP siècle et au suivant. i5i.
qP Un commentaire sur l'épître aux Hébreux, dont il y Sand. ibid.
avait, du temps de Sanderus, un exemplaire manuscrit a ?»«•'•".?• »o8-
l'abbaye du Val -Saint -Martin à Louvam , sous ce titre:
Adam Anglicus super epistolam, adHehrœos. Cette inscription
souffre encore difficulté , parce qu'elle convient aussi-bien ,
et peut-être mieux, à Adam prémontré qu'à Adam de Saint-
Victor. Au reste, ce prémontré était Ecossais de naissance,
profès de Saint-André en Ecosse, où il mourut suivant Oudin
et Cave<
3° Dans l'éloge déjà cité de notre auteur, on lui donne Martène, supra.
une explication des prologues de saint Jérôme sur les livres
de la Bible , explication dans laquelle, dit-on , il fait souvent
mention d'un autre livre de sa façon, intitulé : Summa de
vocabilibus Bihliœ, seu summa Britonis. Mais il est constant Wadding,Scr.
que cette somme est de Guillaume Breton , cordelier , dont '"' Ducange ,
le nom et le surnom se lisent à la tête de cet ouvrage dans praf. in Gloss.
deux manuscrits , dont l'un est à l'abbaye de Saint-Germain- "». 49-
des-Près, l'autre au collège de Navarre, où l'on trouve à la
tête la profession de l'auteur exprimée dans deux vers. D'où
il s'ensuit que l'explication des préfaces de saint Jérôme part
de la même plume. Ainsi le P. Dubois s'est mépris en met- Hi»t. Eccles.
tant , dans son Histoire de l'église de Paris , ces deux écrits ^^"*" '* ^^ » P'
sur le compte de notre victorin. Il est vrai que cet historien *'
a pour lui l'autorité de deux manuscrits de aaint-Victor qui Bibi. s. vict.
font honneur de l'une et de l'autre production à notre auteur; "• ^9 ®' ^99"
mais ces manuscrits sont récens , et ne peuvent balancer les
preuves que nous venons de donner de la fausseté de cette
attribution.
4** D. Bernard Pez dit avoir rencontré, dans plusieurs Pcz, Anecd.
bibliothèques d'Allemagne, une petite somme versifiée, qui *-ï>P''e'^-P- va-
traite des rites et des canons , Metrica sum,ma rerum ac sen-
tentiarum rititalium, canonicarumque. Dans un manuscrit du ***
XIV^ siècle, dit-il, elle porte le nom d'Adam de Saint- Victor;
dans un autre à-peu-près du même âge , l'auteur est nommé
maître Adam, frère mineur; et, dans un troisième conservé
à l'abbaye de Molk, on lit, en tête de cet opuscule : bicipit
summa magistri Adœ. Primo qualiter collectée dicendce sint
Fa
XII SIECLE.
Siml. p. 597.
Script. -Ord.
praed. t. I , p.
109.
Sand. BIbl.
Bel. part. II, p.
67.
Anecd. part.
II, p. 36o.
Sand. ibid.
part. I, p. 1G7.
44 ADAM , CHANOINE DE SAINT-VICTOR.
in missa. La pièce débute par ces mots : In summis , qui sont
les mêmes par où commence , suivant Simler , une somme
en vers imprimée à Coloj^ne chez Quentel, l'an i5oy, sous ce
titre: Sumina Raymundi. Pez, embarrassé par la variation
des manuscrits, soupçonne que cette somme abrégée est
l'ouvrage d'Adam prémontré, composée avant que celle de
Raymond de Penaioi't eût paru. Le P. Échard, dominicain,
prétend au contraire que c'est un abrégé dé la somme de
saint Raymond, fait par lui-même ou de son vivant, et il
cite pour son opinion plusieurs manuscrits du XIIP siècle.
Ce qu'on lit dans le manuscrit de Molk , que quelques-uns
donnent cette somme à Raymond , semble confirmer l'opi-
nion du dominicain.
5" Parmi les manuscrits des chanoines réguliers t^e Cor-
sendoncq, on voit Soliloquium mag. Adce de Sancto Fictore,
ouvrage dont les premiers mots sont : Dominis suis veneran-
dis, etc. Jean Picard , dans ses notes sur la vingt-neuvième
lettre de saint Anselme, cite, ce même ouvrage sous le nom
d'Adam de Saint-Victor, mais avec le titre De instructione
discipuli : ce qui revient à celui De instmctiane religiosovum ,
qu'il porte dans un exemplaire des chanoines réguliers de
Tongres , avec la même attribution. Mais , par les passages
que JPicard en cite , il est évident que c'est le même que le
Soliloquium de instructione animœ , publié sous le nom
d'Adam , prémontré , par Bernard Pez.
6° Du Verdier, dans sa Bibliothèque française, fait Adam
de Saint -Victor auteur du Grand Mariai de la mère de vie,
traduit du latin, et imprimé à Paris pour la première partie
en 1537, in-4''i et pour la seconde l'an iSSg, chez Thielman
Vivian. « Mais aucuns, ajoute-t-il, attribuent ladite œuvre
à un nommé Raymond l'Hermite. » Tout ce qu'on peut reven-
diquer dans ce livre pour Adam de Saint-Victor, c'est la
traduction de sa prose à l'honneur de la sainte Vierge ,
comme porte le titre imprimé : Le grand Mariai de la mère
de vie , des oracles , mérites , louanges , etc. de la vierge
Marie, avec la prose de maître Adam de Saint- Victor , en
l'honneur de la Vierge, translaté de latin en français.
70 Parmi les manuscrits de l'abbaye des Dunes, on voit
un commentaire de maître Adam sur les quatre livres des
sentences, et, dans ceux de l'abbaye de Saint-Thierri , ce
même ouvrage porte les nom et surnom d'Adam de Saint-
Victor. Si cette inscription était yraie, notre victorin serait
GAUTIER, ABBÉ D'ARROUAISE. 45
1 ^ ^ 1 V J * XII SIECLE.
le premier des commentateurs du maître des sentences.
Mais il y a bien de l'apparence que c'est plutôt l'ouvrage Wadding,Scr.
du cordelier Adam de Afarisco , qni composa, àms le P- ' «' ^•
XIIP siècle, un commentaire sur les sentences, avec un autre
sur le Cantique des cantiques.
8° Mabillon a imprimé, sous le nom de notre auteur, une Bem. op. t.
épitaphe de saint Bernard, commençant par ces mots, Clarœ ^^' ''°'- "7'^'
sunt voiles, laquelle se trouve aussi parmi les poésies de
Philippe Harvenjî , abbé de Bonne -Espérance : peut-être
n'est-elle ni de l'un , ni de l'autre , car les rédacteurs du
Callia Christiana la donnent sans nom d'auteur. Un des 9f"- f^''"st.
continuateurs de l'Histoire littéraire de la France, qui a ' ' ' ''■^''
donné séparément la vie de .saint Bernard avec celle de vnaS. Bern.
Pierre- le-Vénérable , fait honneur à notre Adam de l'épi- ^"
taphe du saint abbé de Glairvaux, commençant par ces mots :
Ecce latet Clarœvallis. C'est une erreur: elle a pour auteur
l'élégant versificateur Simon Chevre-d'Or, comme on l'a dit
à son article, d'après le Genus illustre de saint Bernard, H'*'- Littër.
page 91.
On voit que, de tant d'ouvrages attribués à Adam de Saint-
Victor, on ne peut revendiquer comme lui appartenant
réellement que les proses ou séquences dont nous avons
parlé. B.
GAUTIER,
ABBÉ D'ARROUAISE.
t. XI, p. 490.
A-RROOAisE est une abbaye de chanoines réguliers, au Gosse, List.
543.
diocèse d'Arras prçs de Bapaume, chef d'une congrégation ^''^'■'■"a**e, p
de ce nom. S'il n'y a point erreur de chiffre dans ce que
porte un de ses écrits , Gautier ou Wautier fut nommé à
cette abbaye au mois de janvier 1 180, qu'on comptait encore
alors II 79, quoiqu'il fut le plus jeune des prêtres de la
communauté, n'étant âgé que de vingt-cinq ans, dont il en
avait passé dix-sept en qualité de simple chanoine : d'où il
faut conclure qu'il était né l'an 11 55, et qu'il était entré en
religion à l'âge de huit ans, si la date qui lui donne vingt-
46 GAUTIER, ABBÉ D'ARROUAISE.
L cinq ans lorsqu'il fut élu abbe , est exacte. Nous faisons
cette observation , parce qu'elle nous servira à de'truire
l'opinion de ceux qui lui attribuent des écrits dont il ne
peut être l'auteur.
ibid.^. 545. Né à Cambrai ou dans le Can^brésis, c'était un homme
recommandable par sa naissance, par son savoir, et par la
régularité de sa vie , qui lui conciliait l'estime et l'amitié de
tout le monde. Il ne tint le siège abbatial que treize ans,
étant mort l'an 1 1 gS.'
Craignant que les originaux des bulles, des chartes et
privilèges de sa maison ne dépérissent par le fréquent usage
qu'on en ferait, que les sceaux n'en fussent endommagés
ou rompus , il entreprit , à l'exemple de plusieurs prélats
qui avaient fait la même chose pour leurs églises , de les
recueillir en un corps d'ouvrage , arrangés par ordre de
matières et par chapitres, afin que ceux qui voudraient les
consulter au besoin eussent plus de facilité à les trouver,
/forf. p. 533- C'est ce qu'il dit dans une préface qu'il a placée à la tête de
''*'*' son cartulaire, dans laquelle il trace un précis hisloiique,
- très-bien fait, de son abbaye, depuis sa fondation, l'an logo,
jusqu'à l'année 1180, époque de son élection à la dignité
d'abbé.
Boii. ri jan. Ce cartulaire n'a pas été imprimé ; mais Bollandus, voulant
p. 83t — 833. {•yjj.g connnaître le B. Hildemare , premier fondateur de
l'abbaye, a publié, au défaut d'une vie plus étendue, un
fragment de la préface qu'il donne comme l'ouvrage d'un
anonyme , quoique Gautier s'y nomme à la fin. Cela paraî-
trait étonnant , si l'on ne savait que Rosweide , son prédé-
cesseur, n'ayant besoin pour son objet que du commence-
ment de cet écrit, avait négligé de copier le reste. Mais il
existe tout entier, avec une continuation jusqu'à l'an 1200,
dans l'histoire de l'abbaye d'Arrouaise, par M. Gosse, prieur
de la maison, et membre de l'académie d'Arras, imprimée
à Lille l'an 1786, in-4°.
Boii. 4niaii, 2. Le P. Papebrok , successeur de Bollandus, ainsi que
P-.48'—^'Ossc, l'historien Gosse , Tillemont et Baillet , attribuent à notre
' ^' "' auteur la relation d'un voyage fait à Rome, l'an 1162, par
un chanoine d'Arrouaise, pendant lequel il enleva furtive-
ment du milieu des ruines de l'ancienne ville d'Ostie, les
ossemens de sainte Monique , mère de saint Augustin. Cette
relation , d'après ce qui a été observé plus haut , ne peut
être l'ouvrage de Gautier. En effet, l'auteur rapporte qu'en
GAUTIER, ABBE D'ARROUAISE. 47
1 161 il fut envoyé par son abbé auprès du pape Alexandre III, ^" SIECLE.
pour une affaire très-importante qui demandait un homme
expérimenté; et, à cette époque, Gautier, selon son propre
témoignage , n'avait tout au plus que six ans. Ce n'est donc
Eas lui qui a écrit cette relation ; les modernes la lui attri-
uerit sans preuves; il n'y a dans l'ouvrage aucun trait d'où
l'on puisse conclure que Gautier en soit l'auteur: le style
même comparé à celui du cartulaire, prouverait que l'ouvrage
n'est pas (Je lui. Cependant, comme il appartient à notre
époque, et qu'il est l'ouvrage d'un chanome d'Arrouaise,
cest ici le lieu d'en parler, et de faire connaître cette pro-
duction.
Cette relation est curieuse : l'auteur entre dans un grand
détail sur les positions géographiques et sur les affaires
Folitiques de l'Italie, à la naissance du schisme que fomentait
empereur Frédéric Barberousse. On ne peut lui reprocher
a ne d'être trop verbeux, et de s'appesantir beaucoup sur
es circonstances peu importantes de son voyage. Il nous
paraît que le judicieux Tillemont le critique un peu sévère- Mém. t.vill,
ment, lorsqu'il dit: « Il y aurait, ce me semble, bien des P- ^77-
difficultés sur la narration de Wautier , qui paraît fort aimer
à causer, et ne pus beaucoup craindra de mentir : ce qui
rend son témoignage suspect en tout. » Nous n'adoptons
pas ce Jugement; si quelques endroits peuvent faire naître
des difficultés, elles doivent être mises sur le compte des co-
pistes, et le P. Papebroch les a fait disparaître dans ses notes.
3° i^e même éditeur a publié encore une vie de sainte Boii. /, maii,
Monique, extraite du livre des Confessions de saint Augustin, P- 'î/^-
qu'il attribue aussi à Gautier, mais sans appuyer de preuves
son opinion. Si l'on compare le prologue de cette vie avec
celui qui est à la tète du voyage d'Italie , on s'apercevra que
les deux ouvrages appartiennent au même auteur, et, comme
le dernier ne peut être l'ouvrage de Gautier, nous ne pou-
vons pas lui faire honneur du premier.
4" Fabricius suggère, quoique en hésitant, qu'on pourrait Bihl.Med.seTi,
peut-être attribuer encore à Gautier une vie de saint Au- '^'^rb.Guaiierus.
gustin, mise au jour par Jacques Hommey , dans un supplé-
ment aux ouvrages des saints pères. Mais, selon les bollan-
distes, cette vie est l'ouvrage de Jourdain de Saxonia , de Boli. 28 aug.
l'ordre des hermites de Saint- Augustin. P ^iS.n. i/,.
Il résulte de cette discussion, que nous ne pouvons garan-
tir à Gautier que l'histoire de son abbave et son cartulaire.
B.
XII SIECLi:.
PIERRE MIRMET,
ABBÉ D'ANDERNES.
ciiroii. d'An- FiERRE était lié à Charroux , près de Poitiers, aujourd'hui
clernes, t. IX J^ns le département de la Vienne. La petitesse de sa taille
/,/i5. — Gallia '"1 "t donner le surnom de Mirmet ou Petit. 11 s appliqua,
Christ, t. X, p. dès son enfance, à l'étude des lettres, et fit assez de progrès
'^°^'- dans hi grammaire^ la réthorique, et les sciences sacrées,
pour mériter le titre de docteur ou de maître.
Il embrassa de bonne heure l'institut de Cîteaux, et voulut
î'tre religieux dans un monastère désigné par Allodioruni ou
T. X, p. iCo4. de yillodiis. Les auteurs de la France chrétienne le placent
en Limousin , par inadvertance sans doute : il y avait bien
près de Limoges une abbaye qui portait ce nom , mais
c'était une abbaye de femmes, comme nous le lisons dans
T. II, p. 617. un autre endroit de ce savant ouvrage. Le monastère où
• entra Pierre Mirmet doit être celui de l'ordre de Saint-
Gall. Christ. Benoît, qui était en Poitou, les AUeurs ou. les Alleus : il avait
t- II, p. 1295. ^j.^ établi dans ce siècle même, en 1 120, par Giraud de Salis
ibiil. p. ftoi, OU de Sala, fondateur de plusieurs autres monastères.
613,624,930, Après avoir passé quelque temps à l'abbaye des Alleus,
liai , i3A9 , Pierre Mirmet en sortit a l occasion dun diiierend survenu
i35o , i36i , entre l'abbé et ses religieux : il abandonna dès-lors la vie
'!^o ' '?^' ' retirée du cloître pour un pèlerinage actif. Il alla plusieurs
1463, l4<J7 , /. • ^ T> • •' *^l 1 '^ 1 A -Tl ^
et i538. lois a Rome visiter le tombeau des apôtres. 11 parcourut aussi
Spitilége (le l'Espaguc , uuc partie de l'Afrique, quelques autres régions,
** YiS^"^^''^^' ^'' *y instruisit avec soin des mœurs tant des infidèles que
des chrétiens. En Espagne, il fut retenu quelque temps dans
une église de la vieille Castille , à Avila , oii il remplit avec
Sj)icil. ihid. honucur les fonctions d'archidiacre.
r"x" ) 1604" ^' é\.ii\X. à peine de retour, après de si longs et de si pé-
nibles voyages, qu'il tomba malade : et sa maladie lui parut
un ordre de Dieu pour reprendre la vie monastique; il la
reprit en effet aussitôt , et se fit religieux dans l'abbaye de
Charroux, de l'ordre aussi de Saint-Benoît. On lui donna
bientôt un prieuré considérable dépendant de cette abbaye;
et, peu après, il fut élu abbé d'Andres ou Andernes, par
les religieux de ce monastère. Andernes était une fille de
PIERRE MIRMET, ABBÉ D'ANDERNES. %
Charroux. Pierre s'y rendit, et y fut bëni par Milon II, L
ëvêque dioce'sain, le 21 de'cembre 1161. Spicii. p. /,4(i.
L observance régulière avait beaucoup saufTert sous l'abbe' "j^^s ^^"''*^'
Grégoire , son prédécesseur ; Pierre Mirmet s'appliqua entiè-
rement à la rétablir, donnant lui-même l'exemple cfe ce qu'il
prescrivait aux autres. L'auteur de la chronique d'Andres P. 446.
ne se plaint pas seulement de la dégénération des mœurs;
il peint l'horreur qu'inspira au nouvel abbé la difformité des
religieux qui composaient le monastère. Abhorrait et expavit
difformitateni gregis ; quidam enim claudi , quidam con-
tracti , quidam monoculi, quidam strahones, quidam, cœci,
quidam vew manci, inter eos apparehant. Aussi , pendant
trente-deux ans qu'il gouverna cette abbaye, Pierre Mirmet
ne voulut-il jamais permettre d'y faire profession à toute
personne qui avait quelque défaut corporel. Il n'y admettait
aussi que ceux qui étaient déjà exercés dans la connaissance
des lettres, et dans la pratique du chant. Il réforma l'office
divin , où il introduisit la manière de chanter de Citeaux ,
avec les pauses et la gravité qu'on y observait aux Alleus.
Il rétablit plusieurs édifices détruits , fit enceindre le monas- ^^- P- ■^'^
tère d'un mur de pierre, et rebâtit en entier l'église dont ^'g"'^'
Didier, évêque diocésain, fit la dédicace solennelle en 1 179,
et dans laquelle Pierre Mirmet plaça beaucoup de reliques
qu'il avait reçues de Philippe, comte de Flandre., quand ce
prince revint de la Terre-Samte. Son amour pour les pauvres,
et son désir de concourir à l'utilité publique, engagèrent
également ce pieux abbé à faire construire, à ses propres
frais , un pont sur la petite rivière de Tornehem. Je re-
marque que l'artiste chargé de cette construction est appelé
ici maître , maître Aimon , ce qui semble annoncer qu'on
donnait alors cette qualification aux hommes distingués dans
les arts, comme à ce,ux qui excellaient dans la culture de
la philosophie et des lettres. Pierre Mirmet avait obtenu
d'Alexandre III , et non d'Innocent III , comme on le dit par
erreur dans la France chrétienne, quelques nouveaux privi- T. X, p. i6o5.
léges pour son abbaye , et la confirmation de tous ceux dont -^'''"^- ^' Spic.
elle était déjà en possession. La chronique d'Andres cite ^ v^.l'-i^elX^'i
encore , parmi les actions honorables qu elle lui attribue , — v. LoU. ?.2
d'avoir fait faire une châsse où l'on transféra le corps de i"'"' P- "^H-
sainte Rotrude. Nous parlerons bientôt d'un ouvrage qu'il
publia , et dont cette sainte fut l'objet.
La réputation de prudence, de savoir, et de piété, que
Tome XV. G
5o GUARIN, ABBÉ DE SAINTE-GENEVIÈVE.
Xir SIECLE, pjepre Mirmet avait obtenue , le tirent souvent choisir par
ceux qui avaient des affaires à la cour de Rome, pour les
Spicii.etGaii. conseiller et les diriger. Il fut choisi, en particulier, par
Philippe, comte de Flandre, pour aller solliciter une bulle
d'Alexandre III, qui lui permit d'épouser la douairière de
Champagne , sa proche parente : mais à peine ëtait-il arrivé
à Rome, que Philippe, qui avait changé de sentiment, le
rappela.
Spicii.t. IX, Il mourut au mois de mars hqS, après avoir gouverné
— Ga°i ciirllt **^" monastère pendant plus de trente-deux auriées avec
t. X, p. i6o5. autant de lumières que de fermeté. Il avait demandé qu'on
l'enterrât sous le porche de l'église, afin d'être foule aux
pieds par tous ceux qui y entreraient ou qui en sortiraient ;
^ mais Jean III , abbé de Saint-Bertin , son confesseur , le fit
enterrer avec honneur devant l'autel.
Spicîi. t. IX, Pierre Mirmet est auteur d'une légende de sainte Rotrude,
léq*^' ' ^^* '' ^°"' ^' <^st parlé au commencement de la chronique d'Andres,
et qu'on y loue ailleurs conime écrite d'un style élégant. Il
/fov/. p. 341. l'entreprit, dit-on, pour réparer la perte qu'on avait faite
Zx^i. S.'' ^'""^ ^^^ ^^ '3 même sainte, que Baudoin Bochard , seigneur
d'Andres, avait déchirée, pour faire tomber la réputation
Spicil.p.453. de sainteté dont jpuissait Rotrude. Pierre y rappelle la trans-
jrfe'o's ^''"*'' lation ordonnée par lui-même, la troisième année de son
gouvernement, cest-à-dire, en 1 164, du corps de la sainte,
dans une châsse plus précieuse que celle oii on l'avait placé
Spicii.p. 469. jusqu'alors. On avait coutume de lire cette légende, au
— Moian.Naia ^éfcctoire d'Audrcs, chaque année, lejour de Sainte-Rotrude.
gii , 22 ju[n , p. Les bollandistes assurent qu'elle est perdue. D. Mabillon
125. — Boii. 22 paraît ne l'avoir pas connue, puisqu'il n'en dit rien dans ses
juin,p a55,n. observations sur la vie de Rotrude, au tome II de ses Actes .
et fi.* ''°*° des saints de l'ordre de Saint-Benoît. P.
^/W%'^^'%^»-»^^»^'V%^^^V'*^^%^%'»^^'»^'V%^»^^^%.%^^'^^^^'*^»'V%»^^%^^%^^'»*|^
GUARIN,
ABBÉ DE SAINTE- GENEVIÈVE, PUIS DE SAINT-VICTOR DE PARIS.
Il y a beaucoup d'apparence que Guarin , avant cpi'il fût
promu à l'abbaye de Saint-Victor, l'an 1172 , avait été abbé
Paru.'t. n,p! de Sainte -Geneviève, quoique l'historien de l'église de PaVis
GUARIN, ABBÉ DE SAINTE-GENEVIÈVE. 5i
le nie. L'auteur de la vie de saint Guillaume , abbé du Para- ^" siècle.
clet, en Danemarck, auparavant chanoine de Sainte-Gene- BoU. 6 aprii
viève, dit positivement que, l'an ii64i l'abbé de Sainte- P-^*^-
Geneviève s'appelait Guarin , mais il ne dit pas qu'il soit
devenu depuis abbé de Saint-Victor. Cependant il en dit
assez pour nous- persuader que Guarin , en cessant d'être
abbé cfe Sainte -Geneviève , a pu devenir d*ns la suite abbé
de Saint -Victor ; car il raconte que Guarin, prieur de Sainte-
Geneviève , ayant été nommé abbé de la maison , indisposa
contre lui la communauté en nommant à la place de prieur
un de ses favoris, et sur-tout en le présentant au roi pour
obtenir de lui la confirmation du choix qu'il avait fait. Le
chanoine Guillaume s'étant opposé plus fortement que tout
autre au choix de l'abbé, celui-ci jura qu'il s'en vengerait,
ou qu'il quitterait sa place. En conséquence , il usa envers
le contradicteur d'une sévérité extrême, et lui imposa une
pénitence très- humiliante. Sur les plaintes de la commu-
nauté, le pape Alexandre III, qui était à Sens, ayant mandé Ciiesn. t.iv.
les parties, et pris connaissance de l'affaire, cassa la sentence 5^] —"^^Mar^!
de fabbé. L'historien ne dit pas que Guaiùn ait donné alors Ampl. Coliect.
sa démission ; mais on voit, par une lettre du roi Louis-le- '• vi, col. 234.
Jeune, écrite vers le même temps, que l'abbaye était vacante, 73"— Mart.
et il est prouvé d'ailleurs que, l'an 1 167 ou 1168, un abbé ibid. cal. i3g.
nommé Hugues remplissait ce poste. On peut donc avancer Gali. Christ.
que Guarin cessa d'être abbé à Sainte -Geneviève avant cette '• vu, col. 707.
époque; il résidait dans l'abbaye de Chage, au diocèse de
Meaux, lorsqu'il fut nommé à l'abbaye de Saint-Victor (i).
C'était l'an 1 1 72 , après que l'abbé Ervise eut été déposé
à cause de ses déprédations. On nous a conservé un grand
nombre de lettres qui furent écrites sur cet événement. Il y
en a cinq du pape Alexandre III, au roi de France, à l'ar- chesn. ibid.
chevêque de Sens, aux chanoines de Saint-Victor, et à ?:^°*v^?^T
r^ -^ 1 • A 1 /•/!• • • •! Mart. zwrf. col.
Guarm lui-même, pour le leliciter sur sa promotion; il y a^g-aSS.
en a trois des légats du pape , les cardinaux Albert et Théo-
(i) A la tête des Tictorins qui, l'an ii3i , furent envoyés pour intro-
<luire dans le chapitre de l'église de Séez la vie commune ( Gali. Christ.
t. XI, pr. col. 160), était un prieur nommé Garin. Nous ne pensons pas
que ce soit le même qui, l'an 11 72, fut fait abl)é de Saint- Victor, parce
que celui-ci, dans une lettre au pape Alexandre III, écrite postérieure-
ment à cette année, dit qu'il était alors fort jeune. Voyez Martène, Ainplis-
sùna Collectio, t. VI, col. 237.
Ga
XII SIECLE.
52 GUARIN, ABBÉ DE SAJNTE-GENEVIÈVE.
duin, mal nommés par D. Martène, Alexandre et Thëodoric,
adresse'es aux archevêques de Sens et de Bourges , à l'abbé
Guarin, et à la communauté de Saint-Victor, toujours sur
la même affaire.
A peine Guarin était-il en possession de son abbaye, qu'il
survint une affaire très-désagréable pour la maison de Sauit-
Victor. Eskil , archevêque de Lunden en Danemarck , avait
mis en dépôt , entre les mains de l'abbé Ervise, une somme
de près de 4oo marcs d'argent, pour être distribuée, soit de
son vivant, soit après sa mort, selon ses intentions. Ayant
Chesn. ibid. redemandé par trois fois cette somme, et n'ayant pu l'obte-
^' ' nir, Eskil écrivit au roi de France pour demander justice.
Les victorins furent condamnés à payer la somme. Cepen-
dant , s'étant pourvus en pour de Rome , ils employèrent
leurs amis, afin d'obtenir quelque adoucissement a la sen-
Mart. ibid. tence. Sur quoi nous avons cinq lettres du cardinal Pierre,
roi. 259-262. j^ jj^j,g j^ Saint-Chrysogone , du cardinal Hugues de la
maison de Pierre de Léon, de Bernard, évêque de Porto et
de Sainte-Rufine , de Jean , cardinal de Naples , et de Pierre,
camérier du pape, en réponse à autant de lettres de l'abbé
Guarin , que nous n'avons pas. Mais en voici d'autres qui
nous restent , relatives à d autres affaires.
f ■ 1° Le cardinal Jean Piuzuti , autrefois chanoine de Saint-
Victor , dit le cardinal de Naples , voulait peupler de cha-
noines réguliers une église qu'd avait bâtie et dotée à Naples.
Il écrivit à l'abbé Guarin, pour lui demander des sujets de
Marf. ibid. sa communauté. Guarin repond au cardinal , que des deux
(rhcsn!^iWJ.^ sujets qu'il avait nommément demandés, l'un était mort,
7/19. et l'autre se trouvait fort incommodé; qu'il n'osait prendre
sur lui d'en envoyer d'autres à la place, dans l'incertitude
s'ils seraient agréés; attendu sur-tout qu'il manquait lui-
même de sujets, et qu'il n'en trouvait aucun qui vouliît
exposer sa vie dans un climat si funeste à la santé.
Mari. Ampl. %o Le cardinal, ayant persisté à demander au moins celui
Ise. — \^hes*'n! ^) "^t^'t pas mort , auquel on pourrait associer tel autre
/6irf. p. -So. sujet qu'on voudrait, et ayant fait appuyer sa demande par
le pape, l'abbé Guarin, en répondant au souverain pontife,
répète les mêmes raisons qu'il avait alléguées au cardinal.
'^^'■'- _*>"?'• On voit cependant, par une autre lettre du cardinal, que
i6i. ' '^^ l'abbé de Saint-Victor lui avait envoyé le sujet qu'on deman-
dait. La même chose est prouvée par la lettre 4^ d'Etienne
de Tournai.
GUARIN, ABBÉ DE SAINTE-GENEVIÈVE. 53
30 Les chanoines de Reims ayant quitté la vie commune, ^" siècle.
Guarin leur écrivit une lettre rapportée par Guillaume Mar- Marlot.Hist.
lot, dans laquelle il leur représente le tort qu'ils font à leur ^^'"' '• *^' P-
réputation , eu abandonnant des coutumes anciennes , qui
les avaient rendus recommandables dans toute l'église.
4° Une autre lettre, publiée par D. Luc d'Acheri, contient SpicU. in-4°,
la réponse de l'abbé de Saint-Victor à un religieux de *ïi>p-45o.
Grandmont , qui , voulant contracter de nouveaux engage-
ments dans Tordre de Cîteaux, doutait si cela lui était permis
sans manquer aux premiers. Ce religieux , qu'on croit être
Guillaume, devenu depuis archevêque de Bourges, et mis
au nombre des saints , avait consulté sur cela plusieurs
personnes , entre autres Pierre de Celles , abbé de Saint-
Remi de Reims, et Etienne, abbé de Sainte -Geneviève de sieph. Tor-
Paris, dont on a les réponses. L'abbé de Saint-Victor ne "■'"••ep-7iia'«-
décido point la question ; mais il dit qu'il faut s'en tenir
humblement à la décisiorî de personnes si éclairées, sans
craindre de suivre leur avis, qui était de persévérer dans la
seconde vocation ; et c'est ce que fit le consultant , qu'on voit
dan§ la suite à la tête de plusieurs abbayes de 1 ordre de
Cîteaux.
5° Le roi Philippe- Auguste ayant rétabli la paix entre les Mart.Anocd.
religieux clercs et les frères convers de l'ordre de Grand- 'i^coi. 63o.
mont, par un j-églement de l'an 1187, les frères convers
recommencèrent aussitôt leurs vexations contre les religieux
clercs, et les uns et les autres se pourvurent en cour de Rome.
L'abbé de Saint-Victor, conjointement avec les abbés de
Saint-Denis, de Saint - Germain , et de Sainte- Geneviève,
écrivit alors au^pape Clément III une lettre qui est la i43*
parmi celles d'Etienne de Tournai ; il en écrivit aussi une en Mai t. Ampi.
son propre nom au roi, pour le prier de maintenir son Coll. t. vi, coi.
ouvrage , et d'être en garde contre les intrigues des frères ^
convers.
6° Le pape Célestin III étant monté sur la chaire de saint Mart. Ampl.
Pierre, Guarin lui écrivit pour le féliciter, et lui recomman- Collect^ t. vr,
der en même temps une affaire dont il n'explique pas la *^" ' ^ ^'
nature. Cette lettre prouve que l'abbé Guarin vécut au-delà
de l'année 1 191 , qui est celle où commence le pontificat de
Célestin III. Les auteurs varient sur l'année de sa mort; les Oali. christ.
uns la placent en 1 iqa, les autres en 1 198, et le plus grand t- vu, col. 671.
nombre, auxquels il faut s'en tenir, au 19 octobre ii94-
Peu de temps auparavant, le roi Philippe-Auguste, en par-
Tin SIECLE.
5é
J4 GUARIN, ABBÉ DE SAINTE-GENEVIÈVE.
tant pour la croisade, l'an 1190, l'avait nomme dans son
chesn. Ber. testament un des dispensateurs de ses trésors , dans le cas
Fran.t.V.p.'ii
De Scr. Eccl.
t. II, col. i566.
Ecliard, Scr.
ord. Prsed. 1. 1,
p. 576.
qu il vint a mourir.
y" On conservait, dit-on, dans la bibliothèque de Saint-
Victor, un recueil de sermons de l'abbé Guarin. Oudin, qui
les avait vus dans un manuscrit cotté m, i4i fol. i64, à la
suite des sermons de l'abbé Gilbert sur le Cantique des can-
tiques , dit qu'ils sont au nombre de treize , et qu'ils roulent
sur les fêtes de l'annonciation , de la nativité, et de l'assomp-
tion de la Sainte Vierge , de saint Augustin , et de tous les
saints. Le premier a pour texte : Ecce odor filii mei sicut
odor agri pleni , cui benedixit dominus.
Il ne faut pas oublier de dire qu'un abbé de Saint-Victor
avait engagé le poète Leonius à mettre en vers l'histoire de
la bible , et que le poète la lui avait dédiée. Leonius , à la
vérité , ne nomme pas cet abbé , mais le temps oii il vivait
nous permet de croire que ce "pourrait bien être l'abbé
Guarin. En partant de cette supposition , nous rapporterons
quelques-uns des vers que Leonius lui adresse au commen-
cement et à la fin de l'ouvrage ,. desquels il résulte que l'abbé
dont il parle n'était pas d'une naissance bien relevée : et çjela
explique pourquoi nous ne trouvons rien dans l'histoire
touchant les premières années de la vie de Guarin.
Tu quoque quem falso gêner is non lumine sphndor,
Sed virtus , meritique illustrât gloria celsi,
Nobilitasque animi melior, Victoris ut unum
Martyris œqualem sacra sibi relligione
Repererit patrem domus hoc te tempore dignum^
HcEC oculis lege digna tais , Juutorque benigno
Hune res divinas animo tuearis habentem,
Quem tibi pro magno quœsisti munere , meque
Magnus adegisti monitor componere librum , etc.
B.
KII SIECLE.
GUILLAUME,
ABBÉ DE LA PRÉE, PUIS DE CITEAUX.
SA VIE.
GruiLLAUME, selon les Annales du monastère de Waverlei T. Gaie,Scr.
en Angleterre, était abbé de la Prée en Berri , lorsqu'il fut '• ^i» P- »64.
fait abbé de Cîteaux l'an 1 186, et non l'an 1 184, comme le
disent sans preuve les auteurs du Gallia Christiana , qui ne Gail. Christ.
lui donnent que la qualité de moine de la Prée, quoique tiv.coLgSg.
l'auteur anglais lui donne positivement celle d'abbe. Ils le
comptent pour le second du nom parmi les abbés de Cîteaux;
mais ils n'ont pas bien connu celui qu'ils nous donneut^pour
le premier , lequel , selon eux , était auparavant abbe de la
Ferté-sur-Scosne. Nous trouvons, nous, qu'il était abbé de
Savigni au diocèse d'Avranches , qu'il était surnommé de
Toulouse , quoiqu'il fut natif de Caen : homme éminent en Baïuze.Misc.
littérature, emmentis Utteraturce , dont cependant nous tn,p. 3i2.
ne connaissons aucune production. Celui-ci fut fait abbé
de Cîteaux, l'an 1179, non l'an iiyô, et mourut l'an 1181 ,
suivant l'auteur anglais déjà cité.
Ange Manriquez ne donne à Guillaume II que deux années
de prélature dans l'abbayë de.Cîteaux, depuis l'an 11 84 jus-
quÎR 1186. Mais les auteurs du Gallia Christiana, fondés HistdeVergy,
sur des chartes des années 1187, 1188, 1189, prolongent Pr.p. 146, 148,
son existence jusqu'à 1 192, et ils se trompent encore. L'au- * ^"
teur anglais place sa mort l'an 1 194, et lui donne pour suc-
cesseur immédiat Gui Paré, alors abbé du val Sainte-Marie, T. Gale, iï<v/.
près de Pontoise , qui devint ensuite cardinal évêque de P* '^^•
Palestrine, et bientôt après, l'an i2o3, archevêque de Reims. ,
D'oti il résulte que les auteurs du Gallia Christiana ont
placé mal-à-propos un Pierre II entre les abbés Guillaume II
et Gui Paré.
SES ÉCRITS.
i» Manriquez rapporte des statuts de l'an 11 87, concer- Annal, cist.
nant l'ordre militaire de Calatra va, portant en tête le nom t-iH>p.i88et
de l'abbé de Cîteaux , qu'il nomme Gui : Ego IVido Cister- *^^'
ciensis humilis minister , etc. Nous venons de voir qu'en
XII SIECLE.
5G guillaumb:, abbé de citeaux.
1 187 l'abbë de Cîteaux s'appelait Guillaume, et non Gui. Il
y a grande apparence qu'on ne lisait que la lettre IV. dans
le manuscrit dont s'est servi Chrysostôme Henriquez, qui le
premier a publié ces statuts; et, comme cette lettre peut
de'signer aussi bien fVido que tVillelmus , on peut croire
qu'il se sera de'cidé pour le premier mot, parce que Gui
Pare', successeur de Guillaume, jouit dans l'histoire d'une
plus grande célébrité que lui. De-là vient que ceux qui ont.
écrit après Henriquez , ont attribué sans difficulté ces statuts
à Gui Paré; mais la date de 1187 fluils portent, prouve
incontestablement qu'il fallait lire ff^'dlelmus : et c'est pour
Annal. Cist.-sauyep (.gf anachronismc que Manriquez, dans son cata-
' ^' '''" logue des abbés de Cîteaux , a imaginé de placer un autre
Gui avant Gui Paré.
Voici maintenant ce qui donna lieu à ces statuts. Les che-
valicHi de Calatrava, qui, comme nous l'avons dit à l'article
T.xiii,p.38x de l'abbé Gilbert, avaient été affiliés à l'ordre de Cîteaux,
avaient jugé à propos de se donner ensuite un grand maître
à l'instar des autres ordres de chevalerie. Vingt ans après
qu'ils eurent renvoyé les moines qu'on leur avait envoyés
pour les former aux pratiques de l'ordre, ils voulurent renou-
veler leur association , mais sans renoncer à avoir un grand
Annîtl. Cist. maître. Ils députèrent au chapitre général de Cîteaux celui
t. III, p. 187. ^^^j remplissait alors cette charge, nommé Nunes-Perez Qui-
gnone, muni de lettres de recommandation d'Alphonse VIII,
roi de Castille , demandant non seulement à renouveler leur
ancienne association , mais à resserrer encore davantage les
liens qui les unissaient à l'ordre. Ils furent mis sous la dé-
pendance des abbés de Morimond , et l'abbé de Cîteaux leur
prescrivit la règle qu'ils auraient à pratiquer.
/iiV/. p. 188. Cette règle n'est pas bien longue^ mais elle ne laisse pas
que d'être fort austère. On y proscrit toute superfluité dans
^a manière de s'habiller. On ne pourra se nourrir de viande
que trois jours de la semaine et aux grandes fêtes , mais on
ne pourra user que d'un seul mets. On observera deux
carêmes et d'autres jeûnes en grand nombre pendant le cours
de l'année, à moins qu'on ne soit en campagne contre les
Sarrasins. Les peines contre les délinquans sont très-sévères;
la moindre est d'être privé de porter les armes et de monter
à cheval. On y règle ensuite les rapports qui existeront entre
Its chevaliers et les moines de Morimoncf, etc.
2° Comme on accusait d'avarice et de cupidité les moines
GUY DE LUSIGNAN, ROI DE JÉRUSAL. 67
de Cîteaux , en ce qu'ils faisaient continuellement de nou- 1
velles acquisitions de terres, le chapitre géne'ral de l'ordre ibid.-p. 244-
voulant à cet égard faire cesser les plaintes, enjoignit, l'an
1190, à quelques abbés de l'ordre, à la tête desquels était
celui de Cîteaux , de dresser une ordonnance portant défense
à tous les couvens de faire de nouvelles acquisitions soit en
terres , soit en d'autres biens , n'exceptant cie la défense que
ceux des monastères dont les facultés ne seraient pas suffi-
santes pour l'entretien de trente religieux avec un nombre
de frères convers, et. pour exercer convenablement l'hospi-
talité envers tout le monde. Manriquez avait vu ces régle-
mens dans un ancien manuscrit , mais il n'en a donné qu'un
extrait. Il appelle aussi l'abbé de Cîteaux fi^ido , mais c'est
JVillelmus qu'il fallait lire. B.
GUY DE LUSIGNAN,
ROI DE JÉRUSALEM ET DE CHYPRE.
(jUY de Lusignan était le troisième fils d'Hugues le Brun, Guii. dcTyr,
comte de la Marche, qui avait suivi Louis-le-Jeune, en Orient, 'i^. XXll, §. I.
La vaillance qu'il montra de bonne heure contre les infi- —H's'gen. de
,,,,.„T,. . t. la mais, de rr.
deles, lui fit obtenir en mariage, très -jeune encore, car t. m, p. 77.—
Guillaume de Tyr l'appelle adolescent. Sibylle, fille d'Amaury, An de Térif. le»
premier roi de Jérusalem, et d'Agnès de Courtenay, fille 444"? 445^.'^
du comte d'Edesse. Sibylle était veuve de Guillaume de
Montferrat , dit Guillaume longue-épée. Baudoin IV, ou le
lépreux, son frère, régnait alors. Sibylle apporta en dot, à
Guy de Lusignan, le comté de Joppe ou Jana et d'Ascalon,
Les infirmités de Baudoin IV le rendant peu capable de
gouverner , il avait d'abord voulu confier la régence à Guy
de Lusignan ; mais celui - ci s'était montré moins heureux
dans la science du gouvernement que dans l'art de combattre.
Guillaume de Tyr, au reste, semble pousser trop loin la P. io36 et $uiy.
censure envers lui ; Bongars le lui reproche , avec quelque
fondement , dans sa préface. Le comte de Tripoli n'avait pas Cont. de G.
peu contribué à faire ôter la régence à Guy de Lusignan, ^^^l'y"^"
et à la mort de Baudoin IV, bientôt suivie de celle de Bau- coU.'p. "g^,.'!!
Tome XF. H
58 GUY DE LUSIGNAN, ROI DE JÉRUSAL.
Vît ^TFPT V
. L doiii V, son fils, qui n'était encore qu'un enfant, il n'oublia
Guiii. de Camb. fign pour l'éloigner du trône où Sibylle allait monter , et
vutnier*^ ^BibT voulait placer son mari à côté d'elle. Elle y réussit. Le con-
iiistor.t.'in,p. tînuateur de Guillaume de Tyr, aprës avoir parlé du cou-
J74etsuiv. ronnement de cette princesse, ajoute que, la cérémonie
P- 594. achevée, le patriarche de Jérusalem lui dit: «Dame, vous
estes famé ; il convien que vos aies avec vos qui vostre
roiaume vous ait à gouverner, qui masle soit. Prenés ceste
autre corone et la donné à tel home qui vostre roiaume
puisse gouverner. Ele prit la corone ;fei apela son seignor qui
devant lui estoit ; si li dist : Sire , venes avant çt recevés
ceste corone, car je ne sai où je la puisse miex employer. Cil
s'agenoUa devant lui et celé li mist la corone en la teste. Si
fu roi et ele fu roine. »
An. 1186, p. Roger de Hoveden dit aussi que la reine plaça elle-même
'^' la couronne sur la tête de son mari, et lui prête ces mots:
Ego eligo te in rqgem et dominum meum , et terrœ hierosoly-
mitanœ ; quia^quod Deus conjunxit, homo separare non
débet.
V.aussiMart. Le livre du lignage d'Outremer, (publié par la Thaumas-
P'^s^" sière, avec les coutumes de Beauvoisis, et les assises de
Jérusalem ) dit , que les grands irrités offrirent le trône à
Humphroi de Thoron , dont le père avait été connétable du
royaume de Jéiusalem, et qu'Humphroi ayant, au contraire,
reconnnu Guy de Lusignan, ils furent tous obligés de se
Cont. de G. soumettre. Le comte de Tripoli se retire , traite avec Saladin,
de Tyr, p. 696. fj^j^- semblant, quand il s'en croit sûr, de sc réconcilier avec
— G.deNeubr. , -^ ^ n» • • 1
liv.iii c. 16.— ^^ nouveau roi, et en pronte pour ouvrir aux ennemis le
Gerr. p. i5oi royaumc de Jérusalem. Fait prisonnier à la bataille de Tibe-
duRec.d^hist. rJade , au mois de juillet 1 187, Lusignan est mis en liberté,
de Hov. p. 634! à la charge dé ne plus combattre Saladin ; et, de retour dans
ibid. et Art SCS états , il SC fait absoudre de cette promesse jurée, comme
^V "^ir''^' si l'on pouvait être dégagé d'un serment par un autre que
' '■ celui qui l'a reçu. Il n'en conserva pas mieux son empire.
Cont. de G. Aprcs la perte du royaume de Jérusalem , Lusignan devint
de Tyr, p. 638. joi de Chypre. Richard, roi d'Angleterre , avait vendu cette
ÎTs dat. t.^ "p! '^^ ^^^ templiers , pour vingt-cinq mille marcs d'argent, sui-
458 — H. gén. vant les uns, pour trente-cinq mille, suivant les autres, les
de la mais, de templiers la revendirent à Lusignan, ou, suivant Bromton,iI
— Rigord^ t! V ^^ Tcçut de Richard lui-même , et ne la tint que de sa libéralité.
deDuch. p. 35. Ce royaume, acquis en 1 192, resta près de trois siècles dans
•-^Bromt. p. la famille de ce prince. Quelques établissemens utiles y signa-
RAYMOND, COMTE DE TOULOUSE. 5^
lèrent un règne de peu d'années. On lui attribue, entre autres, '_
les assises de Chypre, suivant les coutumes de France. Gode- H. de la m. de
froi de Bouillon avait donné, à la fin du siècle précédent, ^'^nist^Litiér
celles qui sont connues sous le nom d'assises de Jérusalem, t. xiijp. 612!
Il mourut en 1 194, suivant Marin Sanuto et le plus grand GestaDeipei
nombre des écrivains. P. î^"?'- "V"'
p. 10 , c. o.
RAYMOND V,
COMTE DE TOULOUSE.
Alphonse Jourdain , comte de Toulouse , étant mort à
Césarée, au mois d'avril ii48i Raymond et Alphonse, ses
fils , se divisèrent ses états : on croit même qu'ils en jouirent , Hist. de Lang.
d'une partie du moins, par indivis. Raymond avait été connu P^'P- ^^'/^f '
jusqu alors sous le nom du comte de Saint-GilIes; et cest 461 et 463.
même ainsi que l'appellent les historiens anglais; ils ne le Catel.H. de»
reconnaissent pas pour comte de Toulouse ; ce comté , sui- ^- ^^ '^''"'" P"
vant eux, avait alors le roi d'Angleterre pour souverain. *^
A la mort de son père , Raymond n'avait que quatorze ans.
Il sentit que sa très-grande jeunesse pouvait porter à des
entreprises contre lui quelques vassaux puissans ; son pre-
mier soin fut de s'assurer la paix et leur amitié par des -'
accords et des transactions. Il épousa, quelques années après,
en ii54i la princesse Constance, fille de Louis -le -Gros et
sœur de Louis -le -Jeune , qui d'abord mariée ou plutôt
fiancée à Enstache de Blois, fils aîné du roi d'Angleterre,
l'avait perdu avant que le mariage fût consommé, et que
Raymond répudia ensuite pour épouser Richilde , veuve de
Raymond-Berenger , comte de Provence.
Nous trouvons, en 11 55, un acte par lequel, du conseil Gail. Christ,
de ses barons, il reconnaît, pour lui et pour Alphonse son *' g ""* ^'"' ^'
frère, non pas, comme le dit Vaissette , que la moitié de la p. 475.
ville de Carpentras appartenait de tout temps à l'évêque, mais
le marché et tout. ce qui en provenait , yôrww et omnia quœ
exforo proveniunt ad jus episcopi pertinere : Raymond pro-
met , pour son frère encore et pour lui , de ne pas souffiir
qu'on établisse d'autre marche dans les villes ou bourgs
Ha
6o RAYMOND, COMTE DE TOULOUSE.
1 voisins, jusqu'à une distance que l'acte détermine. Il fera
jouir les habitans de Carpentras de tous les avantages dont
lis avaient joui sous ses prédécesseurs. Il fera rendre à
l'évêque un péage que les habitans de Montélimart ont
usurpé sur lui, ainsi que l'avaient juré les témoins du prélat,
dans un plaid tenu à la cour d'Alphonse Jourdain. Il s oblige
à ne permettre qu'on élève aucune tour, aucune fortifica-
tion à Carpentras, sans le consentement de l'évêque ou de
ses successeurs.
Bist. deLang. Par un acte de 1167, Raymond V promet à Trencavel,
t. II, p. 565. vicomte de Lautrec, de lui garantir envers et contre tous
ses fiefs et ses alleux , excepté contre ses propres vassaux et
le vicomte de Nîmes , frère de Trencavef. Le serment peut
être placé ici comme faisant connaître quel était alors, sur
un oDJet important, l'état des institutions et des lois : Juro
tibi 'vitam tuam et metnbra tua, quod numquam te occi^
dam , neque capiam , nec ulliis homo nec fœmina , meo
consilio vel ingénia; et juro tibi totum meum lionorem , feudes
et alodes , sicut modo habes et tenes , a ut ullus homo aut
fœmina per te, vel in anteà acquires aut lucratus fueris meo
ingenio vel meo consilio. Et si ullus homo aut fœmina tibi
auferret meum honorem aut inde auferret tibi, adjutor ero
bonâfide, sine inganno, excepta fratre tua, exceptis meis
hominibus , et illos tibi ad justitiam habebo. Je ne sais si j'ai
besoin d'observer mxhonor signifie ici territoire^ domaine ;
il a souvent cette signification dans les anciens monumcns
de notre législation et de notre histoire.
Dom Vaissette a imprimé quelques autres chartes de Ray-
mond V , dans les preuves de son Histoire générale de Lan-
T. n, p. 565 guedoc ; une de 11 08, par exemple, qui confirme dans toutes
** ^''^ccQ ses possessions l'abbaye de Psalmodi , et un plaid tenu à
p. 568. rr 1 • j' -i J 1 A ^ - »
loulouse, au mois d avril de la même année, en présence
des capitouls , qui autorise la perception d'un droit ancien-
nement levé par les tanneurs sur les cuirs apportés dans la
Hist. deT.ang. ville, droit que ces artisans cédèrent ou plutôt vendirent au
«■ .P-4 3. j,qJ^ çj^ 1280; une charte de 1.160, qui rend quelques do-
T. II, p. 485. maines à l'évêque de Carpentras, en ne retenant pour les
comtes que les chevauchées et l'albergue (ou le droit de
gîte, de logement), et qui accorde exemption de péage ^
dans tous ses domaines, aux religieux de l'abbaye d'Aigue-
T. iiauxPr. belle (ordre de Cîteaux) dans le Toulousain; une autre, de
^' Il 56, en faveur de l'abbaye de Franquevaux, de l'ordre de
RAYMOND, COMTE DE TOULOUSE. 6f
Cîteaux aussi, et du diocèse de Nîmes, et une pareille exerap- ^'^ siecll.
tion, en ii63, pour un autre monastère du même ordre T. il, p. Soi.
encore, celui de Fontfroide, au diocèse de Narbonne; plu-
sieurs concessions semblables ; un traité de paix fait au mois Aut Pr. p.
de juin ii63, après de longues discussions, entre le comte goi'^Goje'ieoi'.
de Toulouse et le vicomte Raimond Trencavel ; et un ser- Pr. p. 593.
ment mutuel, l'année suivante, par lequel Raymond V aussi, Pr. p. 600.
et Guillaume VII, seigneur de Montpellier, se promettaient
de ne se faire aucun mal, de n'attenter jamais l'un sur l'autre.
Nous avons aussi quelqu'es lettres de ce prince. Duchesne
les a publiées sous les n"» 349 1 4^2 , 4^7, et 434 1 ^^ qua-
trième tome du Recueil des écrivains sur 1 kistoire de France;
et elles ont été réimprimées dans le seizième volume de la
nouvelle collection de nos historiens. La première , qui est Duchesne ,
de II 63, se rapporte à une négociation ouverte entre Ray- j"^i?''"~5g'*''
mond V et Manuel Comnène, empereur de Constantinople,
et dont la guerre pour la Terre- Sainte était le principal
objet. Raymond envoya des ambassadeurs à ce prince, qui,
lui-même , en avait envoyé en France. Sa lettre fait part à
Louis- le-Jeune de cette mission, et des engagemens qu'il a
pris avec l'empereur de Constantinople. Il prie le roi d'en-
voyer aussi des ambassadeurs à Manuel Comnène, des ambas-
sadeurs capables de terminer bientôt et heureusement les
négociations commencées.
La seconde , qui doit être aussi de 1 163 , est encore adres- Duchesn* ,
sée à Louis-le- Jeune, que Raymond V appelle magnifique *iv,p. 71Î.— •
roi des Français, son seigneur très-cher ^ prcecordialissirno x'v'i pteo! '"
domino, et prce cœteris omnibus excellentissimo , ajoute-t-il.
Lui s'intitule , comme dans la lettre précédente , duc de
Narbonne, comte de Toulouse, marquis de Provence. Après
avoir donné le salut à Louis VII par celui qui le donne aux
rois , Raymond annonce que , conformément à la lettre du
monarque, il s'est rendu, au jour indiqué, à Castel-Sarra-
sin, et y a conféré avec les ministres ou roi d'Angleterre,
Henri II , sur la trêve proposée et déjà convenue, mais que
les ministres de ce prince ont exigé que le vicomte RajTmond
Trencavel*et le roi a Arragon y fussent nommément compris.
Trencavel, dit le comte de Toulouse, est notre vassal; et
Henri n'a pas le droit d'exiger qii'il soit compris dans la
trêve ou qu'on la rompe : nous lui avons toujours fait la
guerre , sans qu'on nous en empêchât , et ni lui , ni le comte
de Barceloune, père du roi d'Arragoc, n'ont été compris dans
XII SIECLE.
Duchesne ,
p. 121. — Hist.
de Fr. p. 70.
62 RAYMOND, COMTE DE TOTJLOUSE.
les trêves antérieures. Voulant néanmoins, ajoute le comte
de Toulouse , voulant donner un témoignage de notre défe'-
rence pour le vœu exprimé au nom du roi d'Angleterre ,
nous avons proposé qu'il vous envoyât, ainsi que nous, un
député , à l'occasion de cette trêve ; notre proposition n'a
pas ete acceptée. Quant à nous, soumis à vos ordres, nous
ne romprons pas la trêve, que nous n'ayons connu votre
volonté. C'est en vous , après Dieu , que nous mettons toute
notre confiance. Du reste, votre majesté n'ignore pas sans
doute, vénérable seigneur, qu'en perdant un domaine qui
est dans vos mains , ce ne sera pas le nôtre , mais bien plutôt
le vôtre , que nous aurons perdu ; car je suis proprement à
vous , et tout ce que j'ai vous appartient. Je supplie donc
humblement votre clémence de ne pas souffrir que je sois
long-temps déshérité, ne longo temporis spatio, si placuerit ,
nos stare exhœredatos patiamini. Le comte de Toulouse veut
{>arler de la ville de Cahors , qui avait passé , en ii 58 , sous
a domination des Anglais; que Louis-le-Jeune avait repla-
cée , en 1169, ^^^^ celle de Raymond , et que le roi d'Angle-
terre avait soumise de nouveau.
Nous trouvons peu de temps après, toujours en 11 63,
une troisième lettre de Raymond V à Louis-le-Jeune. Il lui
marque d'abord que, depuis la paix conclue avec Tren-
cavel et cimentée par leurs sermens , il a eu le désir et la
résolution de demander au roi la liberté des otages gardés
à Montaigu ( château du diocèse d'Alby ) ; il le prie avec
instance de l'accorder; il le prie en même temps d'écrire à
Trencavel et de l'exhorter à une fidélité inviolable. Il fait
part ensuite au roi du mariage qu'il vient de conclure entre
Albéric Taillefer, son fils, et Béatrix, fille et héritière de
Guignes , comte d'Albon , de Viennois et de Graisivaudan ;
il annonce que cette très -jeune princesse habite déjà sa
cour, et qu'il est déjà en possession de la plus grande partie
des domaines qu'elle a recueillis de son père. Raymond de-
mande à Louis VII d'approuver ce mariage, de s'en mon-
trer leprotecteur par ses discours et par ses actions, d'écrire
même spécialement, à ce sujet, à la comtesse Marguerite,
mère du dauphin, et aux principaux personnages du pays.
II observe que, quoique ce comté soit de la juridiction
de l'empereur, cela ne laisse pas d'accroître l'autorité de
Louis VII et de lui offrir les moyens de l'étendre encore :
y4d regni vestri incrementuni , dit.- il , quasi quidam portus
RAYMOND, COMTE DE TOULOUSE. 63
• "VIT STKPf F
erit et porta. Dieu vous conserve, ajoute Raymond, Dieu '
vous conserve long-temps, mon seigneur et mon roi, afin
que vous puissiez continuer de me protéger, comme vous
avez commencé de le faire, envers le roi "des Anglais. Ces
derniers mots se rapportent au siège de Toulouse par
Henri II, que Louis-le- Jeune avait lait lever, en accourant
avec tant de rapidité au secours de cette ville. Albéric
Taillefer, dont Raymond conclut ici le mariage, était à
peine alors âgé de six ans , et Béatrix était à-peu-près du
même âge.
Il y a une quatrième lettre de Riymond V à Louis VII. Duchcsne,
Elle est de ii64- Bérenger," seigneur de Puiserguier, ayant J|' 'Ç^'~ g"'"
exercé quelques vexations pour lesquelles il fut cité et con-
damné a la cour d'Ermengarde , vicomtesse de Narbonne, il
appela du jugement au roi,' sous prétexte qu'il en était le
vassal immédiat. La lettre du comte de Toulouse n'est
qu'une recommandation en ftveur de Bérenger. II le pré-
sente comme un ami particulier, dont il a toujours reçu
aide et appui, et qui d'ailleurs est l'homme-lige du roi.
Une autre lettre de Raymond V est rapportée par Gervais
de Doroberne ou de Cantorbéry, dans sa chronique impri-
mée parmi les ouvrages recueillis sous le titre à' Historiœ P- i44i.
angUcané^criptores decem. Les sectateurs de Pierre de Bruis
et de Henri , son disciple , devenu lui-même chef d'une secte Hi»t. Littér.
qui prit son nom, continuaient à faire des progrès. Ray- *• ^î^^» P- y
mond crut devoir en écrire à l'abbé de Cîteaux et au cha- " ^^^'
pitre général de cet ordre, qui était alors réuni. Il com-
mence sa lettre en humble chrétien ; car il y joint à ses
titres mondains sa défiance de lui-même pour la vie à venir,
et il se déclare naufragaus circa supema. Vulpes parvulœ ,
dit-il ensuite, vineas quas plantavit dextera excelsi deniO'
liuntur, et fontes sine aquâ et nebulce turhinibus agitati^
fontem qui patet domui David in ahlutionem inimunditice
et menstruce evacuare nituntur Istorum sermo ut cancer
serpit Putida hœresis tabès prœvaluit. Sic iniquus
transfigurât se in angèlum lucis , ut uxor à viro , filius à
f'atre, nurus à socru, discedant. Ce n'est pas seulement
intérieur des familles que l'hérésie a infecté et troublé;
elle est parvenue à souiller et dépraver ceux même qui
remplissent les fonctions du sacerdoce; ces antiques objets
de la vénération des fidèles , le» temples , sont déserts ; ils
tombent en ruine, sans qu'on songe à les relever. Le bap-
XII SIECLE.
64 RAYMOND, COMTE DE TOUrX)USE.
tême est refuse; la pénitence méprise'e; l'eucharistie en abo-
mination ; l'idée de la création de l'homme , celle de sa
résurrection , sont rejetées avec dédain ; les sacremens tous
anéantis; et on ose introduire les deux principes... Et moi,
ceint d'un des deux glaives de Dieu, moi le ministre de sa
colère et son vengeur, je cherche vainement à mettre un
terme à l'impiété ; mes forces ne peuvent suffire à ce grand
ouvrage ; l'hérésie a flétri les plus nobles de mes sujets ; avec
eux est entraînée une immense multitude : je n'ai ni la
Puissance ni le courage de rien entreprendre. Dans cette
éplorable situation , fiest à vous que j'ai recours. J'implore
avec humilité vos conseils, votre appui ^ vos prières, pour
extirper une calamité si grande. Le poison a tellement
pénétré dans tous les cœurs, que la main de Dieu peut
seule les guérir... Le glaive spirituel ne suffisant plus, c'est
du glaive temporel qu'il faut s'armer. Je voudrais que le roi
vînt ici; je le conduirais daas les villes, dans les bourgs,
dans les châteaux ; je lui désignerais }es hérétiques , et. je
l'aiderais, autant qu'il dépendrait de moi, à exterminer
enfin tous ces ennemis de Jésus-Christ.
Cette lettre est de 1178. Raymond V donna, au mois
d'octobre de la même année , des statuts pour les changeurs
T. III , p. Sa. de la ville de Toulouse. Ces statuts sont rappelée par l'au-
teur de la nouvelle Histoire générale de Languedoc ; mais
il ne nous dit pas en quoi ils consistaient, et je ne les ai
pas retrouvés ailleurs.
Nous avons de lui des réglemens plus importans sur la
Eolice et l'administration de plusieurs villes de ses états,
•om Vaissette avait recueilli , dans les registres de l'hôtel-
de-viile et de la sénéchaussée de Nîmes, des lettres en
faveur de cette ville , qu'il a imprimées parmi les preuves
du tome 3 de son histoire. Elles sont au mois de mars
Ii85. On venait de renfermer Nîmes dans une enceinte
marquée par des fossés. Raymond donne et accorde à tous
ceux qui demeurent ou demeureront dans cette enceinte
quelques privilèges relatifs à l'administration de la justice
et quelques exemptions relatives à l'impôt.
Catel a recueilli également dans son Histoire des comtes
P. 214. de Toulouse une ordonnance de Raymond "V, de l'an 1181,
dont Toulouse même est l'objet. Les premiers mots annon-
cent qu'elle est rendue cum consilio capitidi, que dom Vai-
pette traduit par de l'avis du chapitre, et Lafaille et Catel ^
RAYMOND, COMTE DE TOULOUSE. 65
de l'avis des capitouls. Le capitulum fut d'abord, je crois, ^^^ SIECLE.
comme une sorte de parlement, une cour qui jugeait au
nom du prince, où se discutaient et se publiaient ses re'-
glemens et ses lois, curia comitis , et que présidait pour lui
ce premier magistrat , que les actes législatifs ou judiciaires
de ce temps -là désignent par vicaire ou lieutenant du
comte , comitis vicarius. Mais la traduction de capituli, par
des capitouls, n'en est pas moins bonne et exacte. C'étaient
eux-mêmes qui formaient alors cette cour du comte. Cames
et curia sua, sciUcet capitulum,, dit formellement une
charte de la seconde année du siècle suivant, également
rappelée dans l'Histoire de Catel , et dans les preuves du P. 33.
premier volume des Annales de Toulouse, par Lafaille. Les p. 54, noie
capitouls, capitularii, capitulares , capitulatores , furent en- ™*''8-
suite et successivement bornés à l'administration particulière
et intérieure de la cité, qu'ils avaient au reste dans le temps
où ils exerçaient de plus une autorité judiciaire. L'ordon-
nance au sujet, de laquelle nous nous sommes permis cette
légère digression , qui ne nous a pas semble dépourvue
d'utilité, ajoute qu'elle fut également rendue de lavis du
commun conseil de la ville et des faubourgs, cum consilio
capituli et cojfimunis consilii urbis Tolosce et suhurhii. Fai-
sons-en maintenant connaître les principales dispositions.
Le seigneur comte, en son nom et au nom de ses suc-
cesseurs, donne et accorde à tous les habitans de la ville
et eles faubourgs, présens et avenir :
Que si un homme ou une femme de Toulouse (Catel,
qui a publié cet acte en latin, à\t faidivat ^ mais c'est plu-
XÔtfaidiat qu'il faut lire, àefaidire : on sait ^aa faida ex-
primait inimitié, vengeance privée; çX. -^'aidire ^ c'est exciter,
faire naître, exercer ce sentiment de vengeance ou de haine),
si donc un homme ou une femme de Toulouse se livrent à
un sentiment pareil , soit envers le comte lui - même , soit
envers un des habitans , à l'égard de leurs possessions
mobiliaires comme à l'égard de leurs immeubles, qu'il ne
lui f oit plus permis, «jft-ès sa mauvaise action, .de reparaître
dans cette ville. Celui qui le trouverait et l'arrêterait, le
blesserait, le priverait de quelqu'un de ses meubles, le tue-
rait même, qui lui aurait causé des doiftmages dans ses
biens, de quelque manière que ce fût, n'aura aucune satis-
faction à faire pour cela, ni au comte ou à ses successeurs,
Tome XV. • I
66 RAYMOND, COMTE DE TOULOUSE.
• ni a son vicaire ou lieutenant, ni a aucune personne que ce
puisse être.
Les capitouls et le commun conseil de la ville et des
faubourgs donnent au comte et à ses descendans tout ce
/ qu'il leur accorde à eux-mêmes. Le texte porte comiti et
suo ordinio ; et c e&t ordinio ^ ^"c je traduis par descendans.
/ Ce mot est employé quelquefois avec une signification sem-
blable dans les monumens de cette époque : successoribus
et ordinio , successores suos aut ordinium , ejus successoribus
universis ac ordinio^ lisons -nous dans des actes cités par
Ducaiige, t. Rymer et rappelés par Ducange; il venait ^ordo , ordine
IV, p. i38o. descendentes ah alio.
Le comte statue ensuite, toujours de l'avis des capitouls
et du commun conseil, qu'un maître, travaillant en pierre
ou en bois, ne pourra d'aucune manière, de la Saint-Jean-
Baptiste à la Toussaint , recevoir pour salaire plus de trois
deniers de Toulouse par jour et la nourriture, et de la
Saint -Jean -Baptiste à la Toussaint plus de deux deniers
avec la nourriture : s'il reçoit davantage, ou quelqu'un pour
lui, soit à titre de récompense, soit de toute autre manière,
et que l'on s'en plaigne devant le comte ou son viguier , le
contrevenant sera condamné à une -amende de cinq sous :
Habeat quinque solidos justitiœ.
Il statue, toujours de l'avis des mêmes magistrats, que
les revendeurs ou revendeuses de poisson, de saumon en
particulier, ne recevront que quatre sous de Noël à Pâques
et deux de Pâques à la Saint-Jean-Baptiste, sous peine de
cinq sous d'amende- Les bouchers ne pourront, sous la
même peine, gagner plus d'un denier sur les viandes qu'ils
vendront in duodecim numantiis. Quel est le sens de cette
dernière expression.'' Ducange, au mot numantia.^ se con-
tente de rapporter le passage de l'ordonnance de Ray-
mond V, et il n'indique d'ailleurs aucune signification de
ce mot; il renvoie seulement à nummus et nummata. Num-
mata peut exprimer ou le prix d'une chose, nummata
bladi., numm,ata vini, nummata ptsciiim ; ou les denrées
même que l'argent sert à payer, comme dans ces lettres de
P. x5o. Jean II , insérées au quatrième tome de la collection des
ordonnances de tios rois, et relatives à la foire du Lendit :
Impositionem sex denariorum pro librd , de omnibus num-
m,atis et mercaturis quœ vendentur in nundine Lendcti; et
Ordon. 1. 1, dans dcs lettres plus anciennes par lesquelles Louis X ou le
p. 55a ei 960. *■ ^
RAYMOND, COMTE DE TOULOUSE. 67
Hutin ajaprouve et confirme les privilèges des habitans de '. — '-
Normandie : Qui, nostro nomine , nummata quœcumque ,
pro nostris munitionihus aut necessariis , uhilihet capere
voluerint. Mais aucun de ces deux sens ne nous paraît
applicable à l'article cité de l'ordonnance de Raymond V :
Macellarii et carnifices urbis Tolosœ et suhurbii non lucren-
tur in ulla came quant vendant in duodecim numantiis,
nisi denarium unum. Il me semble que numantiis doit plu-
tôt désigner ici un lieu où l'on vend; peut-être y avait- il
. dans la ville de Toulouse ou dans ses faubourgs douze en-
droits indiqués par la police publique où les denrées et
marchandises devaient être vendues exclusivement. Le mot
est répété dans l'article suivant, qui a pour objet la vente
du bois et de plusieurs ouvrages qui en sont formés : Non
lucrentur, y est-il dit encore, in duodecim numantiis , nisi
unum denarium^ nec infra^ nec supra.
Cette ordonnance de Raymond est du mois d'août 118 1.
Un règlement du mois de mars de la même année déter-
mine spécialement ce qui doit être pratiqué pour la vente
du poisson. Il fixe le prix au-delà auquel on ne pourra le
vendre, en permettant néanmoins de le faire, quand on
voudra , à un taux inférieur au prix fixé.
Un acte plus important est celui qu'il publia le 6 janvier Catel.H.de»
1 188-9. Richard-Cœur-de-Lion , duc d'Aquitaine, et qui C. de Toul. p.
succéda, peu de temps après, à Henri II au trône d'Angle- *'^*
terre , s'était ligué avec Alphonse II , roi d'Aragon , contre
Raymond V. Il venait de reporter la guerre dans les états
du comte de Toulouse, et après s'être emparé d'une grande
partie du Quercy, songeait à assiéger la ville de Toulouse
même. Beaucoup d'habitans , effrayés ou corrompus par
Richard, se soulevèrent contre Raymond. Celui-ci rendit à
ce sujet l'ordonnance du mois de janvier 1 188. On voit, dès
le premier article , à quel excès s'était porté l'esprit de sédi-
tion. Raymond y défend à tous les hommes et femmes de
la ville et des faubourgs d'exciter des querelles , des troubles,
de se causer des dommages les uns aux autres, de tuer mu-
tuellement leurs animaux, de couper leurs arbres, leurs
vignes, leurs moissons, de s'attaquer, de se blesser, de se
donner la mort; il ne veut pas que le désir même de le
servir puisse devenir le prétexte de ces maux; il promçt à
tous une égale justice ; les consuls ou des prud'hommes , des
citoyens notables et recommandables", prononceront les
I2
68 RAYMOND, COMTE DE TOULOUSE.
1 L jugemens, et il fera exe'cuter fidèlement ce que 1 evêque, les
consuls et deux autres qu'il nomme, auront décidé pour
réprimer et punir les rixes et- la sédition. Il y eut un autre
Catel, tbid. g^j-g j^ même jour, par lequel le comte de Toulouse renonça
■ ''■ à tout ce qu'il aurait pu exiger des coupables ou de leurs
complices à raison de leur soulèvement.
iVous avons plusieurs autres ordonnances du règne de
Raymond V, mais elles n'émanent pas de ce prince; elles
sont l'ouvrage du commun conseil de la ville. Cependant
elles annoncent toujours que ce conseil* délibère avec celui
du comte ; d'où on peut conclure que l'ordonnance ou le
règlement fait était soumis à la sanction souveraine; car
on lit quelquefois cum consllio, et quelquefois consilio, sans
préposition. 11 me semble même qu'il s'opéra à cet égard ,
sous le gouvernement de Raymond, un changement mé-
morable. Les actes de législation ou d'administration pu-
Caiei.p.aïf blique faits pendant son règne, depuis ii48 qu'il le com-
mença jusqu'en ii8o, portent : Stahilimentum quod fecit
commune consilium, Totosœ civitatis et suhurhii consilio ou
cum consilio domini Raimundi ; et depuis ii8o jusqu'en
ii94i époque de sa mort : Stahilimentum quod fecit Rai-
mundus cum consilio capituli et communis consilii. Les ré-
glemens dressés en i rôa pour la police et l'administration
Catel,p. 9,17 cle la ville de Toulouse avaient été faits par le commun
~ j!9~"^^'"- conseil et confirmés ensuite par le prince. Lafaille croit que
T.'l,p'io3. la différence ne tenait qu'à la présence ou à l'absence du
comte au moment où on délibérait; mais je pense que c'est
la différence seule des temps qu'il faut considérer; du moins
ne connais-je, depuis 1180, aucun acte qui ne commence
ainsi que je viens de le dire.
. Malgré ce changement arrivé dans la forme des lois,
changement qui en suppose toujours un autre dans l'exer-
•fcice du pouvoir, Raymond V est un des princes de son
temps qui favorisèrent le plus le mouvement général donné
par un de nos rois , Louis VI , en faveur des communes. II
acquit par-là des droits à la reconnaissance de la postérité.
On le compte aussi avec raison parmi les princes du XIP
siècle qui favorisèrent le plus la culture des lettres et de la
V. Vaisselle, poésie en particulier. Dans deux manuscrits de la biblio-
Vu!"'^'^^^ *' thèque du Roi (n"' 7225 et. 7698), qui renferment le vie et
les ouvrages des poètes provençaux, il est très-souvent ]>arlé
du bon Raymond, comte de Toulouse; c'est Raymond V.
P,
'«/«^•«/«^«■•«<
XII SIECLE.
GEOFROI,
SOUS-PRIEUR DE SAINTE-BARBE;
ET GODEFROI,
CHANOINE RÉGULIER DE SAINT-VICTOR DE PARIS.
(Quoique tous les modernes, à <|gfciimencer par les biblio-
the'caires de Saint-Victor qui ont ajouté des notes au fron-
tispice des ouvrages manuscrits duvictorin, lui donnent la
qualité de sous-prieur, nous ne lui donnons que celle de cha-
noine, parce que ce n'est que sous ce titre qu'il est désigné
dans le corps des anciens manuscrits que nous avons sous
les yeux. Si, d'aj^rès une tradition domestique, on a pu lui
donner la qualité de sous - prieur, c'est que , dans l'opinion
que nous nous sommes formée de sa personne, un chanoine
nommé Geofroi ou Godefroi fut, à la vérité, Tong-femps sous-
prieur, mais non à Saint-Victor. Cette assertion a besoin de
quelques développemens dans lesquels nous allons entrer. Ms. cod. s.
Nous ne saurions rien sur la personne de cet écrivain, Vict. olim» 14,
• ^ • " ■'â.'i'il I • . ^c' loi I ; mine
si lui-même ne nous eut nistruits de quelques circonstances i„ Bii,|/ j^
de sa vie dans un prologue qu'il a place à la tête de son 738.
grand ouvrage, inti ulé Microcosmus ou petit Monde. On y
voit qu'avant sa retraite à Saint-Victor, ce savant avait en-
seigne quelque part, et qu'il n'çtait plus jeune lorsqu'il prit
ce parti, veteranus. Comme ses amis, et sur-tout ses élèves,
lui reprochaient d'avoir préféré le repos au travail , et d'a-
voir enfoui dans l'obscurité d'une solitude oisive les talens
que Dieu lui avait donnés pour l'utilité du prochain , il
répond à ces plaintes dans son prplogue, et encore mieux
par l'ouvrage même qu'il leur adresse. Il les prie de se sou-
venir que, s'il avait reçu de Dieu quelque talent, il en avait
fait usage pendant plusieurs années pour leitr utilité, soit
{)ar des instructions verbales, soit par des écrits, soit en
eur donnant l'exemple du travail : Non reminiscentes quàm
diligenter aUquando pecuniam domini mei^ si qua apud me
erat^ eis erogaverim^ nunc verbo^ nunc sciipto^ niinc exem-
no GEOFROI, SOUS-PRIEUR DE S»*- BARBE,
XIl SIECLE. 7- • ^ ^ 7, • , • V- ■ rn- ^
plis mstans^ et cum muLta corpons et spintus mei afjiictione
pluribus annis hœc actitans. Il ajoute que, pour récom-
pense de tant de travaux , il n'avait recueilli que des perse- ,
cutions, jusque-là qu'on avait attenté à sa vie,. et que c'était
ce qui l'avait déterminé à s'ensevelir dans la solitude : Ciim-
que his omnibus modis diu multùmque institerim^ ipsi me-
lius noverunt quales exinde usuras domino meo reportaturus
acceperim , trihulationes mdelicet et dolores quitus apud
eos multipliciter trihulatus sum, ita ut sanguinem meum
ebiberint et medullas arefecerint, in nullo tamen apud eos
()u(lin. de accusante me conscientid.
Scnpi. ecci. t. Casimir Oudin , qui avait lu ce prologue , en conclut que
II,COl.l566. r> c • -^ '-^ /JL • ^^ • ■ '..' A \'
Geoiroi avait enseigne w^ans , et son opinion a ete adoptée
par tous ceux qui ont eu occasion de parler de ce profes-
seur. Quant à nous , nous n'y voyons rien qui désigne Paris
plutôt qu'un autre lieu; l'auteur dit même que ceux aux-
quels il adresse son livre demeuraient loin de lui : Quia tibi
pigri servi nota impingitur, eo quod secedens ad heremum
nunc ohmutuisti , et humilitatus es et siluisti a bonis, hoc
tibi restât ut pecuniam meam (c'est Dieu qu'il fait parler)
quam non potes verbo , scripto et exemplo eroges /lis qui
longe sunt. Résidant à Saint -Victor, l'auteur aurait -il dit
qu'il était éloigné d'eux s'il eût enseigné à Paris 7 Cette cir-
constance nous autorise à abandonner l'opinion d'Oudin, et
à chercher ailleurs le théâtre de l'enseignement de ce pro-
fesseur. Nous croyons devoir le placer à Sainte-Barbe, dans
MartAnecd. le pays d'Ai|e en Normandie : et voici nos raisons,
t.i, col. A94- jo D, Martene a pubUé cinquante-deux lettres de Geo-
■^ ■'■ froi (i) surnommé de Breteuil, sous -prieur des chanoines
réguliers de Sainte-Barbe. Cette maison suivait la réforme de
Saint-Victor, comme celle de la ville d'Eu, qui l'avait peuplée,
et nous voyons qu'une assemblée ayant été tenue, vers l'an
1 1^41 ^ Paris, relativement aux malversations d'Ervise, abbé
Mart. ibid. de Saint-Victor, le sous-prieur de Sainte-Barbe fut obligé
col. 517. de s'y trouver : Traxit me intérim ad concilium quod Parv-
siis celebrabatur, cujusdam abbatis necessarii mei dura ne-
(i) Si l'on nous oppose que le chanoine de Saint-Victor s'appelait Gode-
froi, et non Geofroi, nous dirons que, dans cinquante-deux lettres, le
sous-prieur de Sainte-Barbe n'est désigné cinquante-deux fois que par la
lettre initiale G. qu'on peut rendre aussi bien par God'efridus que par
/ Gaufridus. D'ailleurs ces deux noms s'employaient assez souvent l'un pour
l'autre.
XII SIECLE.
ET GODEFROI, CHANOINE DE S.-VICTOR. 71
cessitas. On peut donc supposer que Geofrpi , ayant éprouvé
à S'«-Barbe les tracasseries dont le chanoine de Saint-Victor
se plaint, avait choisi pour sa retraite la maison de Saint-
Victor, chef-lieu de son ordre. S'il appelle cette maison un
désert, une solitude, c'est qu'elle n était pas alors comme
aujourd'hui un faubourg de Paris, non plus que Saint-
Martin -des -Champs, ni Saint - Germain - des - Prés •: tout
comme nous appelons encore un ermitage, une solitude, le
Mont-Valérien , qui est aux portes de Paris.
2<> Les lettres que nous avons du sous-prieur de Sainte-
Barbe furent écrites pendant les années iiyS et 1174. C'est
vers le même temps, ou peu après, qu'il y eut à Sainte-
Barbe des dissensions qui forcèrent le prieur de la maison
à quitter ce poste pour entrer dans une maison de Pré-
montrés du voisinage. D. Martène a publié la lettre dans Mart. Ampi.
laquelle ce prieur anonyme épanche son cœur dans celui Collect. 1. 1, col.
de ses amis qui lui restaient à Sainte-Barbe, à la tête des-
quels on voit un Gaa, (^ui vraisemblablement n'est autre
que notre Gaufridus. Il y a toute apparence que les mêmes
troubles forcèrent aussi le sous -prieur à s'éloigner de la
maison.
3*^ L'auteur du Microcosme dit qu'il avait enseigné long-
temps, et qu'il avait composé des ouvrages pour l'instruc-
tion de ses élèves. Ceci convient pareillement au sous-prieur
de Sainte-Barbe, qui parle dans ses lettres de quelques
écrits de sa composition.
4** Le sous -prieur de Sainte -Barbe avait tant de govit
pour la versification , qu'il termine presque toutes ses lettres
par une petite pièce de vers de sa façon. C'est encore un
trait de ressemblance qu'on peut remarquer entre lui et le
chanoine de Saint-Victor, dont les écrits sont, les uns en
prose , et les autres en vers. Celui qui a pour titre Fons phi-
losophiœ , dans lequel l'auteur ne prend d'autre titre que
celui de G. quidam pauper Christi, est écrit en vers, et dé-
dié à Etienne, abbé de Sainte -Geneviève, qui passa de l'ab-
baye de Saint-Euverte d'Orléans à celle de oainte-Geneviève
l'an 1 1 76.
5° Cette circonstance de temps s'accorde encore avec
l'époque par nous assignée à la transmigration du sous-
prieur Geofroi de Sainte-Barbe à Saint- Victor; mais comme
Etienne gouverna l'abbaye de Sainte -Geneviève jusqu'en
l'an 1 191 , qu'il fut fait évêque de Tournai, on peut retar^
72 GEOFROI, SOUS-PRIEUR DE St«-BARBE,
'. L der la pul)lication du Fons philosovhiœ jusqu'à cette der-
nière époque, et supposer que Geoiroi vécut même au-delà.
Oudin. ibid. En effet, Jean de Toulouse, dans les Annales manuscrites
*^°*^ ■ . de Saint -Victor, rapporte une charte de l'an 1194, sous-
crite après les signatures de l'abbé Robert , du prieur An-
selme , du- sous-prieur Guillaume , par Godefroi , sacristain :
d'où l'annaliste conclut que Godefroi s'était démis alors de
la charge de sous-prieur.
Mais, comme nous l'avons dit, rien ne prouve que l'au-
teur du Microcosinus ait été sous-prieur à Saint- Victor ; il
ne prend ce titre nulle part. Si la tradition de la maison le
Mart.Anecd. lui a conservé , c'est que, selon notre opinion, il l'avait été
1. 1, col. 548. ^ Sainte-Barbe. Nous savons par une lettre du sous-prieur
de Sainte-Barbe, que celui qui remplissait ce poste à Saint-
Victor, vers l'an 1174» s'appelait Nicolas, et nous venons
de voir qu'en iiq4i c'était le sous-prieur Guillaume. Par
toutes ces considérations, nous nous croyons fondés à ne
faire du sous -prieur de Sainte -Barbe et du chanoine de
Saint- Victor, qu'un seul et même personnage. Cependant,
par déférence pour ceux qui penseraient autrement que
nous, nous traiterons séparément des écrits de l'un et de
l'antre, en commençant par ceux du sous-prieur de Sainte-
Barbe. .
Gall. Christ. Les auteurs du Gallia christiana avancent, mais sans
t. VII, col. 712. preuves, que Geofroi, sous-prieur de Sainte-Barbe, fut un
des douze Victorins qui, l'an ii48, mirent la réforme à
Sainte -Geneviève. Us ne sont pas mieux fondés lorsqu'ils
ié/if. col. 726. disent que l'auteur du Microcosmus, après avoir été sous-
f)rieur à Saint-Victor, devint prieur à Sainte-Geneviève sous
'abbé Etienne. Ils ajoutent qu'il vécut au-delà de l'an 1200.
Cela est possible, mais cela aurait besoin d'être prouvé.
Quoi qu'il en soit, voici son épitaphe, que nous trouvons
sous la couverture du manuscrit contenant le Fons philoso-
phice, et qui vraisemblablement est de la composition de
l'auteur lui-même :
Gleha soporati jacet hic aniinœ Godefridi,
Ordine quœ proprio restituetur ei,
Donari requiem, pie lector carminis hujus ,
Eluctœ rogita, dum cineratur ea.
Fortius Iwc ora, quo posfquam venerit hora
Restituendorum , gtorificetur ea.
XU SIECLE.
ET GODEFROI, CHANOINE DE S.-VICTOR. 73
Inter eos quorum sunt corpora glorificanda ,
Die orans : Caro sit glorifîcata tua.
Utrcique felici de sic insint sibi nexu ,
Sicut principiis fus Godefridas inest. Amen,
Le sens du dernier vers est qu'on trouvera le nom de
l'auteur, et le mot Godefridm, dans les premières lettres des
dix vers qiii composent son e'pitaphe.
§. I.
ÉCRITS DE GEOFROI, SOUS-PRIEUR DE SAINTE-BARBE. .
Nous avons, du sous-prieur de Sainte-Barbe, cinquante- Mart. Anecd.
deux lettres qui ont été publiées par D. Martène, sur un \h'^^^' '*^''~
manuscrit de l'abbaye de Lyre en Normandie. Sa corres-
pondance la plus active fut avec Jean, abbé de Baugerais (i)
en Touraine, dont Geofroi nous a conservé cinq lettres.
L'abbé Jean lui expose, dans la première lettre, la frayeur /6<v/. col. 495.
qu'il éprouve de se voir à la tête d'une communauté. Geo-
froi lui répond pour l'encourager; et il félicite sa commu-
nauté, qu'il appelle notre 'vigne , parce qu'il l'avait cultivée
lui-même auparavant, d'avoir à sa tête un tel vigneron.
C'est l'objet des deuxième , troisième et quatrième lettres ,
qui doivent être de l'an iiyS, époque de l'introduction des
cisterciens à Baugerais.
L'abbé Jean s'était proposé de faire un voyage à Sainte-
Barbe ; mais il en fut empêché par les troubles qu'excita en
Normandie, l'an 1173, la guerre du roi de France contre
celui d'Angleterre. C'est ce qui donna lieu à la cinquième
lettre de Geofroi , et à la sixième , qui est de l'abbé Jean. La
dixième, écrite à Geofroi par un chapelain de l'évêque de
Worchester, est relative à la même guerre , dont on annonce
la cessation en 1174-
(i) L'église de Baugerais [Baugeseiam) , près de Loches, avait appar-
tenu aux chanoines réguhers de Sainte-Barbe, et il paraît, par la lettre
17 de Geofroi, qu'il y avait fait sa demeure j mais, l'an 1173, selon l'an-
rien Gallia Christiana , t. IV, p. i34, Henri II, roi d'Angleterre, sou-
verain de la Touraine, donna cette maison à l'ordre de Cîteaux, sous la
dépendance de l'abbaye de Loroux [de Oratorio), qui la peupla de ses
religieux. De là les rapports qui existaient entre les chanoines réguliers
de Sainte -Barbe et les cisterciens, entre le sous -prieur Geofroi et l'abbé
Je Baugerais.
Tome XF. K
74 GEOFROI, SOUS -PRIEUR DE 8»^- BARBE,
- Dans la septième, Geofroi propose à l'abbé de Baugerais
ibid. col. 5oi. d'acheter une bibliothèque qui-etait à vendre à Caen. Cette
acquisition était importante pour urt nouvel établissement,
mais les fonds manquaient. Geofroi , dans la lettre dix-
ibid. co]. Sio. huitième, s'a4resse à un certain pierre Mangot, qui avait
déjà beaucoup contribué à l'établissement des cisterciens
à Baugerais; il lui représente que, pour compléter son ou-
vrage, il est essentiel de leur procurer une bibliothèque,
parce qu'un monastère dépourvu de livres ressemble, dit-il,
a un cnâteau fort sans munitions : Claustrum sine armario
quasi castrum sine armamentario. Enfin tout s'arrange pour
nid. coï. 5i4. le mieux, et l'abbé Jean écrit à son ami qu'il peut arrêter la
bibliothèque pour son compte avant quelle soit vendue à
V un autre. C'est l'objet de la lettre vingt-unième,
it/rf. col, 5o8. La seizième est encore de l'abbé de Baugerais, pour se
plaindre que Geofroi s'était refroidi à son égard , parce qu'il
avait été long-temps sans lui écrire. Celui-ci proteste clans
la suivante qu'il n'en est rien, et qu'il aurait grand tort de
ne pas aimer une communauté pour laquelle il s'était donné
tant de mouvemens auprès du roi d'Angleterre, jusqu'à en-
courir les reproches de certaines gens qui pensaient sur
cela autrement que lui.
7i«/. col. 5i3. La letti'e vingt- deuxième de Geofroi et la réponse de
l'abbé Jean , ne contiennent que des pensées pieuses sur le
bonheur d'une sainte mort.
L'abbé Jean, dans la lettre vingt -unième, avait annoncé
à son ami le désir qu'il avait d'aller le voir à Sainte -Barbe
au retour du chapitre de Cîteaux. Geofroi l'attendait avec
une vive impatience; mais ne le voyant pas arriver avec les
autres abbés de Normandie, il s'était rendu à Paris, à l'in-
vitation d'un abbé de son ordre, pour assister à un concile
devant lequel devait comparaître cet abbé. Nous ne con-
naissons pas ce concile de Paris; mais nous savons que,
vers le même temps, Ervise, abbé de Saint-Victor, fut re-
cherché pour avoir enlevé du trésor, lors de sa déposition ,
un dépôt d'argent et d'autres objets précieux. Sur quoi on
Mart. Ampl. peut voir les lettres du cardinal Albert, du titre de Saint-
Coiiect. t. VI, Laurent in Lucina, de Guillaume, archevêque de Sens, à
roi. î52-26o. jijjypjfjg^ évêque de Paris, et autres lettres qui ont été im-
Îïrimées par D. Martène. Quoi qu'il en soit, ce fut pendant
'absence de Geofîroi que l'abbé de Baugerais alla le trouver
Mart.Anecd. à Sainte-Barbe. Geofroi, dans les lettres vingt-quatrième et
col. 617.
ET GODEFROI, CHAN0;NE DE S.-VICTOR. ^5
vingt -cinquième, lui témoigne le regret qu'il a d'avoir ^" SIECLE.
manque' sa visite, et rend compte de ce que nous venons de
dire.
Geofroi était lié d'une étroite amitié avec le bienheureux
Hamon de I^ndacop, moine deSavigni, qui, au rapport de
Robert du Mont dans sa Chronique, était agréable à Dieu
et aux hommes par sa sainteté et sa grande charité envers
les pauvres. Ils travaillèrent de concert à la réforme de Bsiu-
gerais, et il ne fallut pas moins que la recommandation du
saint homme auprès de Henri II, roi d'Angleterre, pour
faire réussir cette affaire. C'est ce que dit Geofroi dans sa
lettre vingt -huitième aux religieux de Rangerais. Hamon /*«/. col. 5î».
mourut l'an ii74i et en mourant il avait légué son mani-
{)ule et son étole à son ami Geofroi. Celui-ci garda pour lui
e manipule comme un trésor précieux, ut Crœsi opes ha-
bere me credam, dit -il; et il envoya l'étole, avec d'autres
reliques qu'il tenait de Hamon , aux religieux de Rangerais ,
le tout accompagné d'un écrit qui contenait la relation de
sa vie et de sa mort : écrit qui ne se trouve plus, et qui
vraisemblablement était l'ouvrage de Geofroi.
La lettre suivante, vingt - neuvième , est adressée à l'abbé 7foVf. col.Sii.
Jean. Geofroi annonce à son ami le désir qu'il aurait de
l'aller voir, si ses affaires le lui permettaient. Comme il se
mêlait un peu de poésie, il lui envoie trois pièces de vers
très-spirituelles, ludos de pastorïbus, de digitis, de picturis,
afin, dit-jl, que vous appreniez à vous jouer agréablement
dans le champ des écritures, et à trouver dans les plus pe-
tites choses des conceptions sublimes. Dans la lettre qua-
rante-quatrième, il se dit auteur de quelques cantiques ou
épithalames qu'il avait composés pour un de ses amis ap- '
pelé Augustin : De cetera illa amatoria, illa epithalamica
cantica, et ad contemplationem commonitoria , quce vestro
nomini consecravi , vohis dicitis profuisse. C'est dommage
que de si belles choses ne soient pas venues jusqu'à nous.
Nous n'avons plus de lettres de l'abbé Jean depuis la
vingt-troisième; mais les trente-cinquième, quarantième et
quarante-huitième, lui sont encore adressées. Elles ne con-
tiennent que des protestations d'amitié et des complimens,
sur-tout la dernière, dans laquelle Geofroi dit à son ami /Wrf. col. 54g.
qu'il a le talent d'instruire comme saint Jérôme, de prouver
comme saint Augustin, de s'élever comme saint Kilaire, de
se rabaisser comme saint Jean-Chrysostôme , de reprendre.
7^ GEOFROI, SOUS-PRIEUR DE S^^-BARBE,
XIT SIECLE, comme saint Basile, de consoler comme saint Grégoire, de
presser comme Rufin , d'encourager comme saint Eucher,
de provoquer comme saint Paulin , et de ne pas se rebuter
comme saint Ambroise. Cela prouve au moins que Geofroi
connaissait les pères de 1 église, même les pères grecs, et ce
qui les caractérise ; car nous ne voyons pas que ce qui nous
reste de l'abbé Jean mérite un si bel éloge.
Geofroi avait envoyé à Roger, autrefois prieur de Saint-
Abraham, diocèse de Saint-Malo , un ouvrage de sa compo-
sition , de videndo Deo. Roger l'en remercie dans la lettre
ibid. col. 5i8. vingt-sixième, et reconnaît que l'auteur a traité cette matière
à la manière de saint Augustin , Augustinaliter; que tout y
est exact , écrit avec élégance et une grande pureté de style.
Geofroi, dans la lettre vingt-septième, rejette modestement
ces éloges, qu'il ne croit pas mériter; il dit qu'un plaisant
qui connaîtrait son livre, et qui lirait la lettre obligeante de
Roger, ne manquerait pas de faire la cicogne derrière lui:
Post tergum meum manum convertet in ciconiam. De son
côté, il exhorte son ami à continuer un ouvrage qu'il avait
entrepris , persuadé qu'il ne pouvait sortir de sa plume rien
que de bon et d'admirable. Si ces ouvrages existent quelque
part, on pourra les reconnaître au portrait que nous en fai-
sons ici; et s'ils sont anonymes, nous nous applaudirons d'en
avoir signalé les auteurs.
Geofroi était lié d'amitié avec le préchantre de l'abbaye
ibùi. col. 592. de Troarn , désigné par la lettre R. Ne pouvant communi-
3uer avec lui aussi souvent qu'il l'aurait désiré, il le priait,
ans la lettre trentième, de lui composer un cantique, can-
tando niihi aliquid favorahile de canticis Syon. Le chantre
lui répond par une longue lettre bien triste, bien sérieuse,
sur les misères de ce monde. Nous trouvons dans la lettre
de Geofroi ini trait singulier qui mérite d'être recueilli : c'est
que nous sommes redevables aux grues de l'invention ou du
moins de l'idée de l'alphabet. Mercure, selon lui, ayant ob-
servé les différentes formes régulières que prenaient entre
eux dans leur vol audacieux ces oiseaux attroupés pour
faire de longs voyages, imagina qu'en représentant ces
formes par des figures semblables, il élèverait la pensée de
l'homme jusqu'aux plus hautes conceptions : et l'auteur cite
pour son garant Cassiodore. Voici le texte : Litteras primùrn,
lU scribit Cassiodorus, et ut frequentior trcidit opinio , Mer-
curius'f multarum repertor artiuni, volatu strymoniarum
ET GODEFROI, CHANOINE DE S.-VICTOR. 77
aviitm collegisse memoratur. Nam et hodie grues , inquit , " '^^^'"^-^-
quœ classe consociantur, alphaheti formas naturd imbuente
describunt : queni in ordincni décorum redigens , vocalibus
consonantïbus congruenter admixtis , viam sensiialem re-
perit , per quant alta petens, ad penetralia prudentice mens
posset velocissima peivenire.
Les lettres trente-troisième, quarante-unième, quarante-
troisième, quarante-sixième, quarante-neuvième, sont adres-
sées à Hugues, prieur de Saint-Martin-de-Seez, jeune homme
qui avait entrepris de composer la vie d'un saint person- *
nage, qui n'est désigné que par les lettres ff^al. ou par la /ètV/. col. 54a.
lettre initiale fV.^ qui même était encore vivant selon la
lettre quarante-deuxième écrite par le prieur Hugues. L'édi-
teur suppose qu'il s'agit là de Gautier de Mortagne, évéque
de Laon, mort en 11 J^-, parce que Mortagne au Perche n est
pas loin de Seez. Mais l'évéque de Laon était né, non à
Mortagne au Perche, mais à Mortagne en Tournesis. Quoi
qu'il en soit du personnage, Geofroi exhorte le prjeur de jbid. col. 550.
Seez à continuer cet ouvrage, qui doit lui faire beaucoup
d'honneur, parce que la matière est abondante, remplie de
nectar, de fleurs et de perles. C'est urj sujet beau et agréable
à traiter, resplendissant comme l'écarlate, brillant comme
l'or, égalant pour la délicatesse la toile la plus fine. Copiosa
est materia , plena Hectares, florum, margaritarurn ; jo-
cunda est et illustris , Jlammea cocco , rutilans auro, lactea
hyssino. Le prieur de Seez eût bien désiré que Geofroi se
chargeât de la continuation de cet ouvrage; mais il s'en
défend, parce que ce serait, dit-il, gâter un si beau sujet yéjVf. col. 543.
par la disparate du style, ne croyant pas le sien assez relevé
pour atteindre à cette hauteur : Respondeo quod indecens
mihi videtur ut tam illustrem matericm styii diversitate con-
fundam; sed et supra imbecillitatis meœ. vires istud esse
perpendo negotium. Nous sommes fâchés de ne connaître ni
cet ouvrage, s'il existe, ni celui qui en est le sujet.
En général les lettres de Geofroi nous font connaître plu-
sieurs littérateurs, inconnus d'ailleurs, avec lesquel il était
en relation. De ce nombre est un certain maître Pf^. sur-
nommé Tuobe, qui avait demeuré non loin de Sainte-Barbe,
bien connu, dit-il, par un ouvrage qui l'avait mis en répu-
tation et lui faisait beaucoup d'honneur : Bene , ut arbitror
de illo audistis loqui , quii;i splendor operis et odor opinionis
m ejiis gloria conv^nientes illum notissimum reddiderunt. U .
XII SIECLK.
78 GEOFROI, SOUS-PRIEUR DE S'«-BARBE,
rapporte de lui, dans la lettre douzième, un trait satirique
ibid. col. 5o3. contre les moines, qui lui donne quelque conformité avec le
génie de Biunellus-Nigelli, auteur d'un écrit fameux contre
les moines, ayant pour titre : Asinus sive spéculum stultoruni.
Ce livre est dédie fratri Guitlelmo , qui n'est peut-être pas
différent de maître ff^. surnommé Tuobe. Au moins est-il
certain que ces deux auteurs étaient contemporains. Quoi-
qu'il en soit, voici le fait. Quelqu'un était venu faire part à
Tuobe du dessein qu'il avait d'entrer en religion. Dans ce
cas-là, 'répondit Tuobe, voici ce que vous avez à faire pour
être un bon moine : ne faites usage ni de vos oreilles ni de
vos yeux ; laissez-vous conduire comme un baudet ; mangez
tranquillement votre prébende. Alors vous pourrez chanter
ce verset du psaume : Me voilà comme une monture à votre
disposition. Non audias^ non videas, asini morem habeas ;
HEz hue, HEz illuc ^ comede prœbendaiu tuain. Ita cantare
poteris : Ut jumentum factus sum apud te. Geoffroi était zélé
pour l'avancement de la science ecclésiastique ; il prêche par-
tout l'étude et l'application. Une chose remarquable dans
ces lettres, c'est qu'elles finissent presque toutes par des
sentences en vers relatives aux matières qui y sont traitées.
§. II.
ÉCRITS DE GODEFROI, CHANOINE DE SAINT-VICTOR.
Les compositions de Godefroi , chanoine de Saint- Victor,
roulent sur la théologie et la philosophie, les unes en vers,
les autres en prose, et n'ont jamais été imprimées. r
1° Le livre intitulé Microcosmus ou le petit monde. L'objet
de cette production est l'homme considéré comme le monde
en raccourci. C'est proprement un commentaire allégorique
du premier chapitre de la Genèse; l'ouvrage des six jours
est pour ainsi dire le canevas sur lequel l'auteur broche,
toujours en allégorisant. Il observe que les philosophes,
aussi-bien que les théologiens, s'accordent à regarder, sous
différens rapports, l'homme comme un petit monde. En
effet, dit-il, comme le monde est composé de quatre élé-
mens, de même l'homme est doué de quatre facultés, qui
sont la partie sensitive, l'imagination, la raison, et l'intelli-
gence. Tout comme au premier jour Dieu créa le ciel et la
terre, de même en créant l'homme, Dieu le rendit capable
Xil SIECLK.
ET GODEFROI, CHANOINE DE S.-VICTOR. 79
de comprendre les choses terrestres et célestes. Cest en fai-
sant ces comparaisons et ces rapprochemens que l'auteur
parcourt tous les versets de l'Exameron de Moïse.
Cet ouvrage est divisé en trois livres. Dans le premier,
on parcourt les trois premiers jours de la cre'ation, aux-
quels on rapporte les facultés naturelles de l'homme, et
leurs effets, qui sont les arts mécaniques et libéraux, dont
on donne une assez ample description. Le second roule sur
les qualités morales de l'homme, combinées avec le détail
de l'œuvre du quatrième et cinquième jour. La charité, avec
les différentes formes qu'elle prend dans les différentes
vertus qu'elle anime , fait la matière du dernier livre. C'est à
quoi se réduit en précis la substance de cet écrit où règne
une mysticité souvent très-alambiquée. On y reconnaît fa-
cilement le goût dominant des théologiens du XII*' siècle
Four les allégories, les tropologies ou les sens figurés dans
interpi'étation des auteurs sacrés.
Cet ouvrage existait dans deux anciens manuscrits de la
bibliothèque de Saint- Victor, cotés loii et 1199. Ils sont
aujourd'hui à la bibliothèque royale sous les n°* 783 et 913.
Dans l'un et dans l'autre, on ht, en lettres rouges, après le
prologue dont nous avons parlé , Microcosmus Godefridi
canonici Sancti - Vwtoris Parùiensis ; et le premier livre
commence par ces mots : Mundi nomine plerumque homi-
ncm appellari tant philosophas quàm theologus testatur.
qP Ses sermons. Il y en a quatorze dans les deux manu-
scrits dont nous venons de parler. Ils roulent sur les princi-
pales fêtes de l'année depuis le premier dimanche de l'avent
jusqu'à la nativité de la Sainte -Vierge. Mais il est évident
qu'aucun de ces manuscrits n'est complet dans cette partie,
et qu'il y en manque au moins un, puisque l'auteur, dans
son Microscome , renvoie au sermon quil avait composé
pour la fête de tous les Saints : Quœrat ( lec^or) libellwn
sermonum nostrorum, et in eo noi'issimum sermonem qui
est de soleinnitate omnium Sanctonim. Il faut donc que l'an-
naliste de Saint -Victor, qui en compte jusqu'à trente-un, Oudin. dcS.
ait fait une somme totale des sermons contenus dans l'un et ^^Vj! ^^ ' '^"''
l'autre manuscrit, quoique ces sermons soient les mêmes. Au
moins est-il certain qu \\ n'en existe que quinze à la biblio-
'thèque royale, en comptant pour deux le premier divisé
en deux parties. Quant au mérite de ces sermons, ils n'ont
rien de plus remarquable que tant d'autres du même temps.
XII SIECLE.
l
80 GEOFROI, SOUS-PRIEUR DE St^-BARBE,
ui ne sont que de froides dissertations sur quelque texte
e l'Ecriture-Sainte.
3° Fons philosophiœ. Cet écrit, qui, parmi les manuscrits
de la bibliothèque de Saint -Victor, était coté 1198, est
aujourd'hui à la bibliothèque royale sous le n° 912. C'est
un ouvrage d'une composition singulière , divisé en quatre
livres, dont le premier est en prose rimée par strophes ou
quatrains ayant une même désinence : les autres sont en
vers élégiaques. Dans le premier livre, l'auteur nous donne
sur les difterentes écoles de Paris des renseignemens pré-
cieux , qu'on ne trouve nuTic autre part, et qu'il est de notre
devoir de recueillir. L'ouvrage est dédié à Etienne , abbé de
S'e-Geneviève , qui, comme nous l'avons dit, fut fait évêque
de Tournai, l'an 1191. En tête de l'épître dédicatoire, l'au-
teur n'a mis que la première lettre de son nom , G. quidam
pauper Christi ; usage fort commun en ce temps -là parmi
les gens de lettres, soit en parlant d'eux-mêmes, soit en
nommant les autres; mais usage très-incommode aujourd'hui
pour ceux qui, comme nou?, sont obligés de lire leurs écrits.
Cependant on a mis en toutes lettres, à la mai'ge du titre,
et d'une écriture aussi ancienne que le manuscrit qui est du
XIP siècle, le nom de l'auteur y>'a^m Godefridi , canonici
S. Victoris : ce qui ne laisse aucun doute que Godefroi ne
soit le véritable auteur de l'ouvrage.
Pour donner une idée de la facture de ses rimes, il suf-
fira de transcrire ici et de figurer en même temps la pre-
mièi^e strophe du premier livre :
Noctis crat terminus et soporis m
Et Jugabat tenebras nimtius di
Expergiscor , nescius affuturce r
Sacris ductus monitis et instinctu Dj
Ce début^ dont nous supprimons la suite , est pour dire
3ue l'auteur va parler de toutes les sciences naturelles et
ivines. Le premier livre traite en effet de tous ces objets
dont on repasse quelques-uns plus en détail dans les livres
suivans.
On commence par les trois premières facultés des arts,
connues sous le nom collectif de Trivium, savoir,. la gram-
maire , la dialectique et la rhétorique , qu'il compare à
trois grands fleuves, et dont on retrace asssez bien le carac-
tère. De ces trois fleuves , dit l'auteur, le premier coule len-
ET GODEFROI, CHANOINE DE S.-VICTOR. 8i
tement et sans détour dans un lit étendu. Son eau bien- ^^^ SIECLE.
faisante donne naissance aux tendres arbrisseaux, et répand La Grammaire,
la fécondité dans les terres qu'elle arrose : ^
Horum primum spargitnr campo latiore.
Et per plana labitur via rectiore : "
Hoc virgulta tenera siio créât rare,
Hoc fœcundat alla venâ pleniore.
Le second fleuve, roulant ses eaux dans des lieux incon- La Dialectique,
nus ou peu fréquentés, emporte rochers, bois, et tout ce
qui s'oppose à son cours. Son lit est étroit, inégal, et plein
de sinuosités, ce qui donne à ses eaux une force et une im-
pétuosité à laquelle rien ne peut résister :
At secundum transiens loca latebrosa ,
Rupes, lucos, invia frangit scrupulosa :
Hujus -via striction et anfractuosa ,
Hujus aqua Jortior et impetuosa.
Le troisième se promène mollement dans une prairie La Rhétorique,
charmante, dont il embellit le sien de l'émail de mille fleurs.
Ses flots vont plus loin que ceux des autres fleuves. Sa mar-
che est d'abord lente; mais à mesure qu'il avance, elle de-
vient précipitée :
Tertium lasciviens per amœna prati, *
Vernat Jlore vario sinus picturati :
Hujus Jluctus ceteris longiiis vagati, .
Primum tardi, postea currunt concitatià^
Tel est, ajoute- 1 -il, ce fameux Trivium connu de tout
l'univers, sur le bord duquel sont assises plusieurs villes
dont quelques-unes lui durent autrefois la prééminence
qu'elles avaient sur les autres. On retrouve les mêmes images
dans le Microcosme , à la fin du premier livre, lorsque l'au-
teur fait la description des arts mécaniques et libéraux avec
toutes leurs ramifications.
Godefroi déplore ensuite l'avilissement où ces arts sont
tombés; à quoi succède l'éloge des grands maîtres de l'an-
tiquité dont on lisait les écrits dans les écoles. Les modernes,
ou plutôt les sectes ou écoles qu'ils ont formées , viennent
à leur tour; celles des nominaux et des réalistes, dont on
parle avec assez de liberté, paraissent d'abord sur la scène.
Tome Xy. L
8i? GEOFROI, ÎÎOUS -PRIEUR DE S'^-BARBE,
XII SIECLE. Qjj reprouye la pj-emière, et on n'admet la seconde, dont
Oft 4^JPg"^e plusieurs branches, qu'avec restriction :
jtndwit his se socios quidam nominales ,
Nomine , non numine , taliuni sodales.
Alii wciniùs assunt , qifos reaies
Jpsa nuncupavit res y qubd sint taies.
Na/n si pro reatihus variis errorum
Poterat realium dici nomen horum ,
Tamen excusabilis error çft, eorunt
S/Ienti contradicere mos est insanoritpi-
Nam quœ mens -vel cogitet nomen esse genusP
Soins hoc crediderit mentis aliénas,
Ciim sit tôt generibus rerum mundus plenus ;
Cujus genus nomen est , seniper sit egenus.
Ceterîim , realium sunt quarnplures sect(E ,
Quas reaies dixeris a reatu recte ;
Quia vcri tramitem non eunt directe,
Hecjluenta gratiœ hauriunt per/ecte.
Gilbert de la Porre'e avait aussi fait une secte, laquelle,
en triplant les dix catégories, renversait, suivant notre auteur,
les fondemens de la dialectique :
, Ex his quidam tempérant Porri condimenta ,
Quorum genus creditur geminis contenta,
Decem rerum triplicant hi prœdicamenta ,
Evertuntur ■vfiterum per hoc Jundamenta.
Hist. Littcr. Il traite de fous les albericains , ou les disciples d'Albéric ,
t. XII, p. 7a- maître différent de celui de Reims, qui a eu son article
dans notre histoire, quoique, selon le témoignage de Jean
de Sarisbéry, cet Albéric fût très- oppose aux nominaux.
Metalog. lib. Xdhœsi, dit -il, màgistro Alherico qui inter cœteros opina-
, cap. 10. tissimus dia,lecticus eminebat ,' et erat rêvera norainalis sectœ
acerrimus impugnator. Voici le texte de Godefroi tel qu'il
est dans le manuscrit^ altéré sans doute, car il n'est pas trop
intelligible :
jfiiter , sed pcf,riter , errât AUfricanus ,
Cuf'us sortes œgprjit, si non manet sofiiff.
' Sed quia velociter transit horno vanu?,
Etiam, dwn mori^y^, m^metif ins^nfn-
XII SIECLE.
ET GODEFROI, CHANOINE DE S.-VICTOR. 83
Les disciples de Robert de Melun viennent à leiu- tour,
et sont les plus maltraités. Parmi les traits que Godefroi leur
lance, on croit apercevoir qu'ils tenaient leurs écoles au
sommet de la montagne de Sainte-Geneviève, et qu'ils se
l'approchaient un peu des nominaux ; ce qui pourrait bien
être la raison pour laquelle il les comptait pour rien :
Hœrent ioxi vértice turbœ Rohertinœ ,
SaxecB duritice -vel adamantinœ ,
Quos nec rigat pluvia netjtte ros doetrinœ :
Vêtant amnis aditiim scopulorum minœ.
Jpsi Jalsum litigant nihil sequî vère ;
Quamvis tamen ipsimet post hos abiere
Qui de solo nomine fingiint mille f ère :
Igitur pro nihilo licet hos censere.
Leur maître, comme on l'a dit ailleurs, était' Anglais, Smrcsh, ibïd.
surnommé de Melun , parce qu'il avait enseigné long-temps
dans cette ville. L'an 1162, H devint évêque d'Herfort, et
mourut l'an 1167. Au reste, si les Robèrtins étaient tels que "^
notre auteur les représente, ils avaient altéré sans doute la
doctrine de leur chef, attendu qu'en, matière théologique,
il employait avec beaucoup de circonspection les maximes
d'Aristote, comme on le voit par son traité de l'Incarna-
tion, conservé manuscrit à Saint- Victor, et dont on a pu-
blié d'amples extraits dans l'histoire de l'université de Paris. T. II, p. 596-
La secte des parvipontains esf celle qui, au jugement de ^*'*-
Godefroi , mérite la préférence sur toutes les autres. Dans
l'éloge qu'il fait de leur enseignement, il nous apprend aussi
la raison de leur dénomination. C'est qu'ayant fait construire
à leurs frais le petit-pont de Paris, ils y avaient assis des
maisons où ils logeaient et tenaient leurs écoles. Ce pont
était remarquable par son élégance et sa solidité. Non-seu-
lement la maçonnerie en était excellente, mais on avait cou-
vert de cuivre les piles sur lesi^ielles il reposait, pour en
assurer davantage la durée: Les parapets avaient dès ouver-
tures par où l'on pouvait regarder dans la rivière. Ce pont
était pavé; chose que l'auteur regarde cornme une singula-'
rite, parce qu'à cette époque la ville ne l'était pas encore.
Tout cela est exprimé dans cinq quatrains que voici :
Quidam pontem manibus suis exttuarerunt j
Et per aquas facilem transituin/ecerunt ,
T. 2
XII SIECLE.
Egid. Carol.
apud Chesn. t.
V, Rer. Fran.
p. 3a4.
84 GEOFROI, ET GODEFROI.
In quo slbi singuli donios statuerunt ,
Unde pontis iiicolce nomen acceperunt.
Decens est materia , decens est figura ,
Cubicorum lapidum subest quadratura ,
Stat columnis œneis soUda structura,
Nidlis niotionibus uriquam ruitura.
Paviinentis desuper opus est positum ,
Aureis, argenteis , signis insignitum ,
Editis lateribus undique munituni,
Ne ruinam tiineat vulgus imperitum.
Sed et habet exedras per qiias speculantur ,
Et latentein fiuininis fiunduin perscrutantur ;
Alii natatibus quoque delectantur.
Et œstivis solibus iisti recreantur.
Venerandus sedet hïc ordo seniorum ,
Et doctrinœ gratiâ prœinincns et morum :
SimpUces erudiunt turbas populorum ;
O beatus populus talium rectorum !
Maigre les précautions qu'on avait prises pour donner à cet
ouvrage de maçonnerie toute la solidité possible, ce pont
ne put résister long -temps aux efforts de l'eau dans les
grandes crues. L'historien Rigord nous apprend que trois
de ses arches furent renversées au mois de décembre 1206,
dans une inondation extraordinai rement forte, telle qu'on
ne se souvenait pas d'en avoir vu de pareille. Le pi-ofesseur
qui tenait alors cette école était Jean , surnomme du Petit-
Pont, qui, suivant Gille de Paris, son contemporain, était
un puits de science, et passa toute sa vie à expliquer les
anciens auteurs. Après avoir fait le dénombrement des lit-
térateurs,, et sur-tout des poètes qui de son temps avaient
illustré les écoles de Paris, Gille termine ainsi sa nomencla-
ture :
Nec meinoro cunctos ; aliquos quoque trariseo , sictU
Sape retentatis auctorum excursibus , illum
Vasis inexhausti parvo de ponte Joannem.
Nous n'entrerons pas dans un plus grand détail sur cette
Eroduction , qui dans le premier livre embrasse toutes les
ranchès de la littérature alors cultivée , dont on île dit qu'un
mot en passant pour s'arrêter ensuite avec complaisance sur
la théologie , à laquelle est consacré le reste de l'ouvrage.
XII SIECLE.
LAMBERT, ET AUTRES CHRONIQ. LIÉG. 85
Après avoir parlé du corps naturel de Jésus -Christ, soit
dans le ciel, soit dans l'eucharistie, on y traite de son corps
mystique, c'est-à-dire, de l'ëglise dont Jésus- Christ est^
chef; et, à ce sujet, on passe en revue tous les membres du
corps humain , de manière qu'au premier aspect on pren-
drait cette presque totalité de l'ouvrage pour un traité d'ana-
tomie, mais ce n'est rien moins que cela; on ne parle des
fonctions particulières de chaque membre que pour en tirer
des moralités ou de pieuses allégories : l'abbé Lebœuf s'y Dissert, t.ii,
est trompé le premier. P' ^°'*-
4** A la suite de cet écrit vient une autre production de
notre auteur, en prose rimée , dont le sujet est l'éloge de
saint Augustin. On y relève sur -tout les combats que le
saint docteur eut à soutenir contre les hérésies qui de son
temps s'élevèrent dans l'église. L'ouvrage commence par
ces vers :
jiugustini gloriœ meritis prœclarœ
Laudes , quantum dabor, rithmo cumularc , etc.
60 Oudin, sur la foi de l'annaliste de Saint-Victor, nous
apprend que Godefroi avait aussi composé un cantique à
l'honneur de la Sainte -Vierge , et. une complainte dans le
goût du Stabat. Ces deux pièces n'existent pas dans les
manuscrits de Saint -Victor que possède maintenant la bi-
bliothèque royale. B.
LAMBERT,
SURNOMMÉ LE PETIT,
MOINE DE S.-JACQUES DE LIÈGE,
ET AUTRES CHRONIQUEURS LIÉGEOLS.
Il y a peu de pays qui, dans le moyen âge, aient produit
autant et de si bons écrivains que celui de Liège. Cette
église a eu l'avantage de posséder des évêques qui non-
seulement ont entretenu et encouragé les bonnes études,
XII STECÏ.E.
S6 LAMBERT, ET AUTRES CHRON. LÎÉG.
mais ^i elix- mêmes ont figure partni les sâvanS. Nom
mettons de ce nombre les evêqiies Etienne, Notger, Wol-
l^jxjon, Waz!on, Ratbier, The'oduin, Henri-Ie-Pacifique , Ot-
bèrt, Frëdc^ric, qui ont vécu dans les X, XI et XII* siècleà,
et ont laissé des écrits de leur façon. Parmi les savans d'un
ordre inférieut, nous comptons, dans le même temps, deâ
écrivains célèbres, Alexandre et Anselme , chanoines de Liège ;
Gosechin, Francon, Alger, écolâtres, et Raimbaud, doyen
de la même église; Adelmanne ou Adelin, qui fut ert'suite
évêque de Bresse; Lambert, Heribrand, Wazelin, abbés de
Saint -Laurent de Liège; Folcuin et Hériger, moineà de
Laubes ; Olbert, abbé de Gemblours, qui eut pom^ disciple
le célèbre Burchard, évêque de Worms ; Sigebert et Anselme,
élèves du même monastère ;Rodolfe,Thierri, abbés de Saint-
Tron; et Stepelin, moine du même lieu; Thierri, abbé de
S.-Hubert; Théofroi d'Epternac, Rupert de Tuits, Wibalde,
abbé de Stavelo et de Corbie en Saxe, presque tous historiens,
qui ont eu dans cet ouvrage leurs articles. Il ne nous reste,
pour compléter quant à présent cette nombreuse liste, qu'à
recueillir dans cet article ceux qui ont vécu sur la fin du
XII« siècle.
I. Lambert, surnommé le Petit, moine de Sïiint- Jacrtnès
à Liège, a composé une chronique depuis l'année 988 jus-
qu'à sa mort , arrivée en 1 1 ^4 1 selon le moine Heinier, qui
a continué sa chronique jusqu'à l'année laSo, et qui repre-
nant à l'endroit où Lambert avait fini , commence par ces
jMart. Am])!. mots : Hoc atino (1194) moritur Lamhertus Parvus , ec-
ert. t. V, clesiœ nostrœ sacer.dos et monachus , et hucusque opits ejus.
La chronique de Lambert est très-laconique ; on n y trouve
guère que des noms et des dates; mais la continuation
de Reinier , dont il sera parlé dans un des volumes sui-
. vans , est plus détaillée et plus nourrie de faits. D. Martène
a publié les deux ouvrages au tome V de l'amplissime col-
lection, col. 1-64-
Mart.Anecd. II. Le même D. Martène a tiré d'un manuscrit de l'ab-
t. III, coi. i',o3 jjayg d'Orval une autre chi'onique de Liège , commençant à
-1^07. l'année 549 ^^ finissant en 1 192. Cette chronique est l'ouvrage
d'un auteur inconnu, qui était à Reims en 1192, lorsque
l'évêqUe Albert de Louvain, à la suite duquel il était \t-
tache, fut mis à mort par des gens de Son p<iys, qui étaient
venus le trouver dans lé dessein dfe le ttiér. I/AiTtenr rap-
porté comme témoiii ofulaife lès miraclès^ qti'-il dit avtfir
Collect,
col
XII SIECLE.
Bibl. ms.Cod.
5
ANDRÉ SYLVIUS, ET AUTRES ÉCRIV. 87
été opérés Aussitgt après sur le tombeau du saint, et ter-
mine là son écrit, qui n'est nullement rempli de faits. Le
plus grand nombre des années est resté vide , on n'y trouve
pas même une suite exacte des évêques de Liège. Cepen-
dant plusieurs des faits qu'il rapporte concernent l'histoire
publique, ou peuvent donner quelques lumières sur l'his-
toire du pays, par l'attention qu'il a eue de marquer les
époques des principaux établissemens religieux.
ni. Le P. Labbe a aussi donné sur un manuscrit de
Saint -Victor de Paris deux fragniens d'une chronique de 'J' v- ^^^
Liège, qui finit a iannee 1104, et qui est beaucoup plus _/,o8.
remplie de faits que la précédente. JNéanmoins l'éditeur dit
en avoir retranché des choses qui lui ont paru inutiles et
mieux connues d'ailleurs. S'il a voulu parler de ce qui pré-
cède l'année 4oOi où elle commence clans l'imprimé, il a
fort bien fait. Rien ne prouve que cette chronique soit
l'ouvrage de plusieurs auteurs, quoique le P. Labbe l'^it
coupée à l'an .1 182, comme si ce qu'il a imprimé à quelque
distance de- là n'était qu'une continuation. S'il fallait ad-
mettre plusieurs auteurs, ce ne pourrait être quq pour les
derniers- temps, c'est-à-dire depuis i333, époque oii l'on a
commencé à marquer non-seulement l'année des événemens,
mais encore les jours auxquels ils sont arrivés; ce qui est
un indice certain d'auteurs contemporains. Au reste l'au-
teur, quel qu'il soit, a eu soin de recueillir les traits les plus
intéressans de l'histoire des Pays-Bas, dont il fixe les dates.
B.
ANDRÉ SYLVIUS,
PRIEUR DE L'ABBAYE DE MARCHIENNES,
ET AUTRES ÉCRIVAINS DU MÊME MONASTÈRE.
André, surnommé Sylvius, c'est-à-dire du Bois, prieur de
Marchiennes (1), dans le pays d'Ostravant, diocèse d'Arras,
(1) Le ŒS. 6i83 de la biblioth. royale, oUai Colheninus , le dit moine
de l'abbaye d'Anchin. Cela prouve qu André était moine de cette abbaye
88 ANDRÉ SYLVIUS, ET AUTRES ÉCRIV.
XII SIECLE. , , 1 • 1 ' ' 1 . 1
. n est connu que par une chronique abrégée des rois de
France, qui a pour titre : De gestis et successione reguni
Francoruin. Elle est divisée en trois livres, un pour chacune
des trois races, et chaque livre est subdivisé en chapitres,
selon le nombre à -peu -près des souverains qui composent
chacune des trois dynasties. André' ne s'est pas contente
de nous donner l'histoire de nos rois, il a voulu nous faire
connaître leur origine, et pour cela il remonte, comme tant
d'autres chroniqueurs du moyen âge, jusqu'à Priam et au
siège de Troie , mais il a au moins le mérite d'être fort suc-
cint dans cette partie.
Il a dédié son ouvrage à Pierre, évêque d' An-as, qui lui
avait commandé ce travail. Ce prélat , auparavant abbé
de Cîteaux, gouverna l'église d'Arras depuis l'année ii84
jusqu'en i2o3 : cela suffit pour déterminer le temps auquel
vivait notre auteur qui termine sa chronique à l'année 1 194
p. 557. Pans l'épitre dédicatoire qui sert de préface, il déclare que
les principaux auteurs qu il a suivis sont Grégoire de
Tours etSigebert, continué par Anselme de Gemblours jus-
qu'à l'année 11 36. Mais il ne se borne pas à ces deux
auteurs, ni à donner seulement l'histoire des rois; il y a
entremêlé tout ce qu'il a pu découvrir touchant l'histoire ec-
clésiastique et civile de la Flandre, de l'Artois, et du reste
des Pays-Bas. Son écrit a été cité comme une autorité par de
Jjons auteurs anciens et modernes, tels que Jacques de Guise,
Paul Emile et Jacques Mayer; Guillaume, abbé- d'Andres
dans le Boulonnais, qui écrivait au commencement du XIII«
Spicil. t. IX, siècle, l'a inséré tout entier, en commençant à l'année 1091,
p. 334,2 e it. jjjjjjg j^ chronique de son monastère: et ce qui prouve le
t. II, p. 781. , T. . „. , ,. ,' . jl f , ., ,.
cas quoii en a toujours tait, cest quil existe dans les biblio-
thèques un grand nombre de manuscrits de cet ouvrage.
^ Raphaël de Beauchamp, autre moine de Marchiennes, a
"P' publié la chronique d'André en un volume 1x1-4° de plus
de 1200 pages, imprimé à Douai en i633 chez Pierre Bo-
gard, avec des prolégomènes , des observations en tout genre,
des paralipomenes ^ des appendices , et quantité d'autres
choses étrangères où' le texte de l'auteur est tellement
noyé, qu'on a souvent de la peine à le discerner. C'est ainsi
avant que de passer à celle de Marchiennes ; mais c'est par erreur que ,
dans le catalogue des manuscrits de la reine Christine de Suède, on a mis
jérctalensis.
ANDRI^ SYLVIUS, ET AUTRES ÉCRIV. 89
que d un opuscule assez mince , a une cnronique sèche et
de'charnée, on est venu à bout défaire un gros livre, sous le
titre de Synopsis Franco-Mercfvingica , en lui donnant de Des iHstoi-.
l'embonpoint. « Qu'il est rare, s ecme à cette occasion Louis de rr- p- 9
« le Gendre, qu'il est rare de trouver des gens d'un esprit
« net, gens d'uii esprit de précision, qui sachent à propos
a metti'e chaque chose en sa place ! »
En effet , avant que de rencontrer la première ligne de
l'auteur, il faut lire 556 pages 'de prole'gomènes contenant
la suite des empereurs romains , des rois de Perse , des rois
Goths, Ostrogots et Visigoths, des rois de Castille etdeLe'on ,
sans compter un trakë sur les antiquités de Marchiennes.
Arrive' au texte de l'auteur, vous êtes arrêté à chaque page
par des digressions interminables de l'éditeur. Etes -vous
parvenu à la fin, vous trouvez, sous le titre de paralipo-
mènea, deux continuations ou appendices à la chronique
d'André; l'une par Guillaume, abbé d'Andres, qui, à. la vé-
rité, était alors inédite, mais qui a été imprimée depuis dans
le spicilége de D. Dachéri; l'autre par un anonyme de Mar- Spi«l. ibuf.
chiennes; et, pour couronner l'ouvrage, il reprend la suite
des rois de France depuis saint Louis jusqu'à Louis XIII,
celle des papes jusqu'à Urbain VIII; celle des empereurs
d'Allemagne jusqu'à Ferdinand II. Si l'on veut lire cet écrit
sans commentaire, mais avec les notes nécessaires pour cor-
riger les erreurs de chronologie qui y sont assez fréquentes,
on le trouvera dans la collection des historiens de France,
aux tomes X, pages 289; tom. XI, pag. 364; to"™- XIII, pag.
419-423. Les éditeurs n'ont pas juge à -propos de donner
les deux premiers livres, qui ne contiennent guère que ce
qu'on trouve par-tout. Ils n'ont fait usage que du troisième
livre, qui traite des rois capétiens, en élaguant les endroits
empruntés des auteurs déjà imprimés dans la collection ,
auxquels ils renvoient.
II. Un anonyme du même monastère, qui écrivait après ActaSS.Boii.
l'an u68, en a composé l'histoire en deux livres, sous le addiemiamaii,
titre 6! Histoire des miracles de sainte Rictrude , fondatrice l'-^9~"*-
et patrooe du lieu. Elle conimenoe par un abrégé de la vie
de la sainte, née environ l'an 6i4iet contient les révolutions
et les changement qu'éprouva ce monastère jusqu'à l'année
ii68jj'à laquelle notre ahonyme,, comme nous l'avons, dit,
cessa d'écrire. On y trouve la suite des abbés qui avaient
succédé à des religieuses , l'indication des donations faites au
Tome XV. M
go ANDRÉ SYLVIUS, ET AUTRES ÉCRIV.
monastère, et quelques circonstances de l'histoire publique
du temps, à laquelle se rattachent les ëvénemens que l'au-
'teur raconte. Tout cela est 'entremêlé de miracles ; ce qui a
fait donner à ce morceau d'histoire le titre de Z/fVre des
miracles.
/fov/.p.7g,n.4. L'auteur, au jugement du P. Papebroch, qui a imprimé
cet écrit dans .la collection des actes des saints de BoUandus,
le préfère de beaucoup pour le style , pour la méthode et la
sobriété des paroles, à un autre écrivain du même monas-
tère, nommé Gualbert, qui, quarante ans auparavant, avait
traité le même sujet sans ordre, et avec une profusion de
T.xi,p. 4ia paroles fatigante. On l'a cependant imprimé à la suite de
~*'^- notre anonyme, et il en a été rendu compte dans cette his-
T. XIV, p. toire. Les continuateurs du recueil des historiens de France
435-44a. ^^^ extrait de cet ouvrage anonyme quelques fragmens im-
* portans , entre autres la relation d'un concile tenu à Lagny-
sur-Marne, en 1 142, par le légat Ives, lequel avait été envoyé
en France pour connaître du mariage que Raoul de Ver-
mandois, sénéchal de France, après avoir répudié sa pre-
mière femme, avait contracté avec Pétronille, sœur d'Eléo-
nore, reine de France. Les actes' de ce concile, dans lequel
Raoul fut excommunié, et qui fit naître entre Louis-le-Jeune
et Thibaud , comte de Champagne , une guerre atroce, n'exis-
tent nulle part, et l'anonyme ne les fait connaître qu'en ce
qui fut délibéré relativement à son monastère. Quant aux
autres fragmens moins importans , on les trouvera dans le
même volume à l'endroit cité. •
Mart.Anecd. III, Nous avons d'un autre anonyme de Marchiennes, si
un, col. 17 10 toutefois c'est un autre que le precédcnt(i).une vie de l'abbé
*' ' Hugues, qui gouverna ce monastère depuis l'année 1 148 jus-
qu'à 1 1 58. C'est un des ouvrages des mieux faits de ce siècle,
quoiqu'il ressemble beaucoup à un panégyrique. L'auteur ne
s écarte point de son sujet ; on n'y voit ni épisodes superflus,
ni écarts inutiles. Il avait été le confident de son abbé, le
compagnon de ses voyages, et, comme il le dit lui-même,
celui qui' avait été dépositaire de ses plus secrètes pensées
dans les grandes comme dans les plus petites choses. A ce
.81
(
un
[i) Cet anonyme a fait aussi, dans le livre des miracles de sainte Rictrude,
un éloge abrégé de l'abbé Hugues , à la vérité dans un style un peu diffé^
rent , mais qui , en substance , est le même. Voyez BoUan^us , au 1 2 de
mai, p. ii3.
ANDRÉ SYLVIUS, ET AUTRES ÉCRIV. gt
titre, il ne pouvait que réussir dans son entreprise, et on xn sieclb.
peut dire qu'il l'a exécutée en homme instruit de tous les
détails qu'on peut deaiter, et qui mérite toute notre con-
fiance. Sa narration est édifiante et instructive. Il paraît
qu'il ne tarda pas, après la mort de son ami, à mettre la
main à la plume. Le commencement de son prologue ne
permet pas d'en douter, car il suppose que ses confrères
n'avaient pas encore essuyé les larmes que les regrets d'un
si bon père leur avaient fait verser. Une autre preuve de ce
2ue nous avançons , est que , parlant de Robert , abbé de
llairvaux, qui avait succédé à saint Bernard, il dit que Ro-
bert était mort peu de temps avant Hugues, nuper de me- Jbui. coi. 171^;
dio foetus. Or Robert étant mort le 3o mai 1 1 58 , il n'y"a
pas à douter que c'est vers le même temps que l'anonyme
composa son ouvrage.
D. Rivet a fait usage de cet écrit en plusieurs endroits du Hist. Littér.
discours préliminaire sur l'état des sciences en France pen- «ix.p.ss, 36.
dant le XIF siècle, parce qu'il y est beaucoup parlé des
écoles qu'avait fréquentées l'abbé Hugues. Mais, comme dom
Rivet n en parle qu'en passant , il est de notre devoir de réu-
nir ici les traits que cet écrit nous fournit pour l'histoire
littéraire.
L'école de Reims était florissante lorsque Hugues y fut
envoyé dans son adolescen^, sous la conduite de Gautier
de Mortagne , lequel , au ten^ que l'auteur écrivait, était évê-
que de Laon. Albéric, qui, en 1 136, fut fait archevêque de Mart. AnecJ.
Bourges, gouvernait alors l'école de Reims. Elle était si flo- t. m, coi. 171a.
lissante et si fiéquentée, dit notre auteur, que, dans les al-
tercations qui s'élevaient quelquefois entre les habitans et
les clercs, c'est-à-dire les étudians, ceux-ci auraient eu
l'avantage , sf l'on ne »e fût empressé de les séparer.
Gautier de Mortagne n'était venu là que pour diriger les
études du jeime Hugues, né comme lui à Tournai, d'une famille
opulente, et fréquentait avec son élève l'école d' Albéric. Ce
professeur , étant en même temps archidiacre de Reims ,
jouissait dans la ville d'une grande considération , tant à
cause de sa science , que parce qu'il maintenait dans son écol*
le bon ordre et une exacte discipline. Il était éloquent, il
s'exprimait avec grâce et facilité , mais il manquait de talent
pour répondre aux difficultés qu'on lui proposait. Gautier
de Mortagne , qui n'était plus un écolier, lui faisait souvent
des objections auxquelles il lui était impossible de répondre.
Ma
Q2 ANDRÉ SYLVIUS, ET AUTRES ÉCRIV.
_; ' Cela indisposa tellement le professeur contre lui, qu'il ne
lui adressait plus la parole. Gautier ne pouvant lutter contre
un homme qui avait toute la confiaflf e de l'archevêque, prit
le parti de se retirer et d'ouvrir lui-même une école à Saint-
Remi. Il y fut suivi par le plus grand nombre des ëtudians;
mais Albe'ric usa de tout son crédit pour l'e'loigner. Alors
Gautier se retira à Laon , oii il ouvrit une ëcole qu'il rendit
célèbre. Il gouvernait son école, dit notre auteur, avec une
verge de fer ; et , contre ce qui se pratiquait ailleurs en France ,
il voulait qu'elle fut sans reproches ; s il arrivait qu'un écolier
s'écartât de son devoir, il était renvoyé sans miséricorde :
Consuetudo ei in Gallia , non Gallorum , erat gyninasium
hahere non infamatuni. Legens sub eo aut honeste omnino
se ageret, aut omnino fieret extra scholam.
Mari. ibid. Notre biographe nous fait connaître encore deux profes-
•ol. 1713. seurs qui enseignaient alors à Tournai : l'un, appelé Robert^
qu'il met au nombre des philosophes, inter philosophantes ,
embrassa dans la suite la réforme de Clairvaux , et fut le suc-
cesseur de saint Bernard dans cette abbaye ; l'autre est le
bienheureux Guerric, lequel, ayant suivi S. Bernard à Clair-
vaux, devint abbé d'Igni. On a rendu compte de ses écrits
T.Xli,p.45i dans cette histoire. Notre anonyme fait de lui un bel éloge;
~*M Aw ™^i3 le portrait qu'il fait, dans un autre endroit, d'Heri-.
col. 1723. ■ manne, abbé de Saint-Martin de Tournai , dont \\ reste des
- ztiV/. col. 1719. ouvrages estimables, n'est paPflatté. Litteraturâ et paren-
telcl satis idoneum , dit-il; sed de quo dubium non erat qubd
non digne quœreret quœ sunt Jesu-Christi. ,• .? ,
Les historiens de la Belgique parlant de l'abbé Hugues
dont nous examinons l'histoire , ne font pas difficulté de lui
donner le titre de saint. Cependant les'bollandistes ne trou-
vant pas son nom dans les martyrologes, n'otil pas jugé à-
propos d'imprimer sa vie. D. Martène l'a publiée au tom. III
* du Trésor dies anecdotes, sur une copie très-fautive qui lui
avait été envoyée de Tournai. Les continuateurs du Recueil
T. XIV, p. des historiens de France ont corrigé ce qu'ils en ont extrait
398-401. çur une copie que D. Mabillon destinait à la continuation
des actes des saints de l'ordre dé saint Benoît'.
t II Ui'V:
• X
XII SIECLE.
\
LAMBERT ET GUYMAN,
FRÈRES, RELIGIEUX DE SAINT-VAST D'ARRAS.
Li'ABBiè'ïîebœut,' âans «ft supp^ à sa dîssertatiotf ^ur Dissert. »nr
letat des sciences en France depuis la mort du roi Robert ii'ist- de Paris,
jusqu'à celle dePhilippé-le-Bel,a donné la notice de quelques J; js/,— "'93*'
auteurs eccle'siastiquës qui, sur la fin du XIP si,ëcle, ont
fleuri à Arras ou' dans l'Artois, et ne sont connus que pai^
dés' ouvrages encore inaimscrits. *'•*)
L Le premier» dont il parle et celui sur lequel il s'est 'IS
plus étendu est Lambert, prieur de Saint- Vast d' Arras, qill
eut le talent dé la versification latine autant qu'pn pouvait i
l'avoir au çommèhceméint du règne de PViilippe- Auguste.' Il
crut devoir l'employer ^Ur des sujets pieux; il choisit pour
cela lès offices divins du cours' de l'année, et priTicipalfen;ient
les évangiles des diiiiânches et' fêtes, faisant entrer dans ses
poésies quelques petites remarques sur Ifes pratiques '^ui de
sou temps étaient en usage. M. Leboéuf donne quelques mor-
ceaux de l'ouvrage de Lambert, qu'il a tirés d un Inahuscrit
du XIII^ siècle qu'on lui avait communiqué. v^^(,..Çi •"'.'•
L'auteur se fait connaître dans un prologue «ù il adresse
d'abord la parole aSaint-Vast, patron du monastère, et puis
aux jeunes religieux qui étaient sous sa conduite. Il com- idid. p. 287.
menée ainsi :
Hos ego Lçimbertus scripsi, Christo duce , -versus,
Monachus (aqi^ju:için, ^s^cte Fedaste , tuus.
Hcec studiis delego tuis, studiosa juveiitus ^
Cui mea pefvigUat cura , laborque plus.
On voit par-là que Lainbérl ne bornait pas ses, soins à
veiller en qualité de prieur à l'observance régulière, mais
qu'il était aussi chargé de l'instruction des jeunes religieux de
son monastère. C'est pour ses élèves qu'il dit avoir composé
, son livre, afin de leur donner l'intelligence des offices de l'église
dont ils "étaient occupés nuit et jour. Son poëme commence
au premier dimanche de l'avent? par lequel s'ouvre encore^
l'année ecçlésià^tique^et il nous apprend, si l'onne ^e s^"'
XII SIECLE.
Ibid. p. 289.
94 LAMBERT ET GUYMAN, FRÈRES.
vait d'ailleurs, qu'on lisait à la messe, ce jour-là, l'histoire
de l'arrive'e de Jésus - Christ à Jérusalem ; ce qu'il exprime
par ces vers :
Hœc vox , hic asince ruditus , Adœque veiusti
Hic novus est geimtus criniine pro veteri.
Son ouvrage continue de rimer à la fin des vers seulement,
en sorte que le pentamètre rime toujours avec l'hexamètre ;
ce qu'il observe pendant plus de quinze cents distiques. ,•
Arrivé à la fête de la Trinité, il interrompt son travail
pour déplorer la mort de l'abbé de Saint- Vast , nommé Jean
(c'était Jean IV, de Haimon-Quesnoi), qu'une mort impré-
vue venait d'enlever l'an i iq4 : ce qui nous donne l'époque
où il écrivait , mais non celle de la fsxv de s^ vie, qui se pro-
longea peut-être jusques dans le XlII* siècle. I^amoert fut si
affecté de la perte de son abbé, qu'il résolut de ne plus écrire
pour se livrer' entièrement à la douleur qu'elle lui causait.
Mais Pierre, q^i était alors évêque d'Arras, exigea de lui
qu'il reprît son travail : il obéit, selon qu'il le dit dans ces
vers, que nous traascrivons comme monument Ifisfôrique
fort honorable à la mémoire de l' évêque Pierre et de l'abbé
de Sainte Vast :
• ?• 29». Dum pressente fnètro Iwdit Tesu gratta meoum ,
Corripit abbatem mors inopina meum.
Jam Domini mille ducenti sex minus anrii ■
Transievartt^ transit hic obitu mémo ri:
- Quique sacris studiis semper inhiarat , ad ipsum
Qiiem nimis ardebat , evolat ille Jesum.
Ergo gemens qtiamvis pretiosâ morte Jokannis ,
Proposui studia spemere , -Jlere magis.
Porro pigram vulsit mihi Petrus episeopHs aurem ,
Quem clarum meritis urhs Itabet ista patrem.
Félix Atrehata hoc pastore tôruseat, it isio
Nil Iipfbuit majus , nil habitura viro :
Hortatur, replicatqiie minas , monituque pftenéi ,
Sopitos cineres suscitât ingenii.
Ergo resumo stylum , stiuiiiim înnovq , etc.
IL Le prieur Lambert tKms Ikit connaître tin aiitre Arté-
sien, nommé Arn oui , chanoine régulier du moiît Sfemt-Éloi,
près d'Art'as, qui, peu de temps avant lui, avait donn^ en
vers hexamèti^es une exiplication du canQii de la itessë; <I1
I L-'HiCf
I
LAMBERT ET GUYMAN , FRÈRES. 96
rapporte de eet écrit un fragment sur l'oraisoii dominicale, xii siècle.
dans lequel Arnoul fait un. court commentaire sur cette
divine prière. M. Lebœuf n'a imprimé qu'un vers de cette
citation , dont on ne peut ju^er, parce que le sens y est
incomplet. ]^ais Lambert fait d' Arnoul un bel éloge que nous
plaçons ici comme un supplément à son histoire , qui est
d'ailleurs très-peu connue :
Primo pater noster orat; capit ex ïsaïa ' .' '"1
Dona duo, reliquajatitur wangelia.
Hœc AugUstinus notât , Aniulphusque magister
F'ersièus exigUis expUcat atque docef.
Nec pudeat tanti seras hic me ponere vèrba ,
Grandis erit Jructus in brevitate nova.
Nil refert propriis te versibus, an alienis pj r^ ^^^
Erudiam , quisquis mystlca nosse cupis.
D. Martène avait trouvé l'écry; d'Arnoul dans un manu- Mart.Anecd.
scrit de l'abbaye de Clairmarais; mais il n'en a imprimé 1.1,001.477.
que la préface^ adressée à Frumolde, qui fut évêqùe d'Arras
depuis l'année 1 174 jusqu'à 1 183. C'est dans cet intervalle de
temps qu Arnoul composa son commentaire ; mais il paraît
3u'il vivait encore l'an 1 194 , puisqu'à cette époque Lambert
e Saint- Vast l'appelle un vieillard vénérable. >
in. Lambert avait un frère nommé Guiman ou Wimanne,
religieux, comme lui, de S.-Vast d'Arras, lequel a laissé des
Sreuves de son érudition par la composition d'un oartulaire
ont l'histoire manuscrite de Saint -Vast d'Arras, qui est à N° 5437 du
la bibliothèque royale, fait le plus grand éloge. Ce fut à la Catai. impr.
prière de l'abbé Martin , qui , pendant sa longue administra-
tion depuis l'an 1 169 jusqu'à 11 83, rendit cette maison si
florissante en y maintenant les bonnes études , que Guiman
recueillit dans les archives l«s anciens documens qu'il im-
portait au bien-être de la maison de conserver, et qui com-
mençaient à dépérir de vétusté. Il en composa un caftulaire
appelé de son nom ff^imannus , à la tête duquel il plaça
l'histoire de la fondation du monastère, et à la suite les
chartes et rescrits émanés des papes et des souverains, con-
cethant les droits et privilèges de l'abbaye de Saint -Vast.
C'est le recueil le plus intéressant que nous ayons, non-seu- 1
lement pour la ville d'Arras , mais encore pour la province
d'Artois. L'historien de Saint- VaSt ne craint paà de dire que
cette entreprise parut si neuve et si étonnante, qu'elle
Xn SIECLE.
96 LAMBERT ET GUYMAN, FRÈRES.
fut regardée comme une merveille :' Evasit hoc opère ( Giù^
ibid.ioL i6a. maniiui^) 'vir inognœ auctoritatis , îicèt non tani ùnperandi
auctûritate quant entditionis miràcidà , et litteraiiim péri'
tid rei novce et insolitcp inter rudes homines , qui facile in
animum indu^unt eum plus cœteris sapere qui ea scripsisset.
Guiman, selon cet historien, mit la main à l'ouvrage dès
l'anne'e 11 70, mais.il ne l'avait pas encore termine' lorsqu'il
mourut l'an 1192. Son frère Lambert se chargea d'y mettre
la dernière main, comme on le voit dans cette pièce de
vers , qui a été conservée dans l'histoire manuscrite de Saint-
Vast , et qu'il est important de transcrire ici , parce qu'elle
est anecdote et en même temps historique pour l'objet qui
nous occupe.
Ibid. fol, i63. Lambertus, prior et armanus atque sacrista,
O claustri veneranda cofiors , tibi dedicat ista.
Non datur à cunetis iit templo gemma vel awum ;
Sedjerrumfœs,plumbum, saga, ligna, piliquecaprarum;
Non omnes intrant arcanum. theologiœ ,
* Condecet ut satagens succurrat Martha Marîck.
Confiteor, mallem Marthœ complere laborem,
Quam sine Jine scqui , nec prendere posse sororem,
> O qui fastidis moralia gregoriana ,
Hcec lege ; non erit hcec ,Jateor, tibi lectio vana :
Invenies quis honor, quis apex , quœ gloria , Jastus
Huic domui , quid in hac habeatpater urbe Vedastits;
Çuœ prope , quœ longe domus hcec servet sibijiva,
Instruat ut cunctos liber, est mihi scribere cura :
Jam , nifallor ego,, -vicenus solvitur annus ,
Ciun mihi germanus , describeret ista JITirfiannus.
Hiijuf percurrens ego scripta, cor applico totum,
Ut complere queam germani nobile ziotum.
' ^ Qui legis hœc , Jratrisque mei mémento , rogaque
•)"ti/j[ i •Jidsit utrique, et utrumqiie stolâ Jésus orriet utraque.
' Transierant mille ducenti octo minus anni
Virginis a porta , cum transit vita Wimanni; .
Quâ Mardis colitw martjrr ,cum riuirtjrre Jratre ,
Hac f rater rapitur mihi lucé ,^uperstit€ frotte.
Ergo super stes ego , solusque relictus, utrisqiie
, In studiisfvigilo tibi, sanct^F'eda^ftuisque.
Fratribus, 6 teçfor, œterna preçOiff duobus j
I
GUY DE BASAINVILLE. 97
Privât uterque Deo, vivat liber hic, sed et ipsi ' J_
Quos , 6 diva cohors , divo tibi dogmate scripsi.
I-Minberti studium terrena et cœlestia futur :
Hœc quijastidit, his sufficienter alatur.
Sicut Martino sunt scripta dicata Winianni,
Sic nunc abbati mea dedico scripta Johanni.
Vos precor^ ô socii, -vos nocte dieque precari ,
Nos Deus ut faciat œtemâ luce bearî.
Le P. Lelong, de l'Oratoire, annonce le cartulaire de Bibi. hist. de
Guiman comme existant dans la bibliothèque royale parmi l'^'p""'*^'.
les manuscrits de Colbert, cote 699. Il se trompe : ce ma-
nuscrit, que nous avons sous les yeux, n'est pas un cartu-
laire, c'est une histoire de l'abbaye de Saint-Vast, fort bien
'écrite par un auteur moderne, l'an 1 583, lequel déclare avoir
fait usage de l'écrit de Guiman , 'mais en changeant le style.
IV.- Le même P. Lelong indique un manuscrit de l'abbaye la'xe.**""'
de Pontigni, ayant pour titre : Lamberti prions S. Vedasti
Atrehatensis , rithmi in universa Bihlia. On ne peut douter
que ce ne soit l'ouvrage de notre Lambert, si l'on fait atten-
tion que Pierre, évêque d'Arras, le Mécène de Lambert,
avait été abbé de Pontigni avant son épiscopat, et qu'il aura
enrichi son ancienne abbaye d'une production à laquelle il
pouvait avoir eu quelque part. B.
GUY DE BASAINVILLE,
PRÉCEPTEUR ou. MAITRE PARTICULIER DE l'oRDRE
DES TEMPLIERS.
Cj'est à tort, à ce qu'il nous semble, que l'on a donné
le titre de grand -maître de l'ordre des 'Templiers au Guy
de Basainville, auteur d'une lettre insérée dans la collection
de Duchesne. Son nom ne se trouve dans aucune des listes Ducliesne,
des grands-maîtres de cet ordre. Il est vrai que toutes ces *• ^' p-^'^.
listes sont assez inexactes, comme l'observent les auteurs Andeyérif.
de l'art de 'vérifier les dates; mais on y a plutôt multiplié '" dates,t. i,
Tome XF. . N ^ '"
Xir SIECLE.
98 GUY DE BASAINVILLE.
que réduit les noms , parce que l'on a pris pour des grands-
maîtres, des supe'rieurs généraux de provinces. Au reste, la
lettre de Guy de Basainville ne pouvait donner lieu à au-
cune erreur sur son véritable titre, puisqu'il y prend lui-
même la qualité de prœccptor, et non de magister tcmpli,
et qu'on ne peut guère traduire ce mot prœceptor que par
celui de supérieur ovl. maître particulier.
Cette lettre est le seul monument littéraire que nous con-
naissions de ce chevalier; et, comme les histoires des croi-
sades restent muettes sur ses actions, nous sommes réduits
à des conjectures, même sur l'époque où il a vécu.
La lettre que Duchesne nous a conservée , et qu'il avait
extraite d'un manuscrit de Nicolas Cnmusat, chanoine de
Troyes, est sans date d'année; mais elle lut écrite, le 4 oc-
tobre , à Saint - Jean - d'Acre , si toutefois l'on doit traduire
par le nom de cette ville, ce qui est très-vraisemblable, le
mot Achon , qui précède la date du 4 octobre. L'évêque
d'Orléans, à qui elle est adressée, n'y est point nommé,
comme on peut le voir par les pren)ières ligues que nous
Duchesne, allons citcr : Firo venerabili in Christo , pati i ac Domino,
V, p. 272. 2)et gratia aurelianensi episcopo , /rater Cuido de Basaiii-
villa domorum m.ilitiœ templi prœceptor in regno hjeroso-
limitano. Etc.
L'objet de Guy de Basainville, en écrivant à l'évêque
d'Orléans, était de lui doimer des nouvelles de ce qui se pas-
sait dans les pays d'outre-mer. Mais ses récits sont si vagues,
et rédigés dans un style si barbare et si obscur, qu'ils n'ap-
prennent rien de positif, et que ce n'est pas même sans dif-
ficulté qu'on peut déterminer à quelle époque ils appartien-
nent dans l'histoire des croisades. On y voit qu'une armée
de Tartares a envahi le pays du sultan d'Iconium ( l'écrivain
ne nomme point leur chef ) ; qu'ils pillaient les villes , for-
çaient de marcher avec eux les habitans qu'ils ne voulaient
ibid. OU ne pouvaient égorger. Ilomines quos ore gladii inter-
ficere nequeunt , seu nolunt , ipsos perire faciunt in prœliis
contra alias nationes.
A ces traits on ne pourrait reconnaître l'armée que cora-
ïhandait ce saladin, qui fut presque toujours généreux et
humain, sur-tout envers les Musulmans, si d'autres passages
ne faisaient présumer que c'est vraiment de la grande et de
la plus célèbre expédition de ce grand général qu'il est ici
' question. « Sur un rapport du roi d'Arménie, ajoute Guy de
XII SIECLK.
GUY DE BASAINVILLE. qy
Basainville, nous devons croire que l'intention des ennemis
est de marcher, au printemps , sur Jérusalem et de s'en em-
parer. Si cela arrrive, comme on le croit gcne'ralement , c'en
est fait de toute la chrétienté dans ce pays ; la maison du
Seigneur sera livrée aux impurs.» Rege Armeniœ intellixi- Duchesne,
mus referente quod statim post hiemem, ad aprilis herba- t. v, p. 272. .
giuniy proponunt versus Hierusalem siux castra dirigere, et
illam totaliter occupare. Quod si futurum est, ut multorum
tenet assertio , christianitas cisnmrina disperiet , et domus
Domini replebitur omni génère immundoruni.
Ceci nous semble prouver clairement en quel état déses-
péré étaient déjà les affaires des chrétiens dans l'Asie. Mais
enfin Jérusalem n'était point encore au pouvoir de leurs
ennemis. Sa prise n'est annoncée que pour le printemps sui-
vant; et en effet Saladin s'en empara en juillet 1187. Ainsi
l'on peut rapporter hi date de la lettre à l'année 11 86.
Guy de Basainville termine sa lettre par la description
des funestes résultats qu'avait eus un tremblement de terre ^
à la Mecque et dans les environs. Des villes avaient été ren-
versées; le tombeau même du prophète avait été englouti.
Pendant trois jours il était sorti, des pieds d'une montagne,
des torrens d'un feu que rien ne pouvait éteindre, et qui
dévorait les arbres, les hommes, et la terre elle-même. Li- ibid,
gnum, homines, lapides, et ipsam etiam terrant, duohus
passihus subtils terrain, dévorât et consumit.
Les historiens des croisades font bien mention d'un hor-
rible tremblement de terre qui renversa plusieurs villes de v
Syrie et de Palestine; mais ce fut en 1170 qu'il se fit sentir,
c'est-à-dire sous le règne d'Amauri P"", et lorsque ce roi re-
venait de son injuste et funeste expédition contre Damiette.
Jérusalem n'était point encore menacée , et ne fut prise que
seize ans après par Saladin. Ainsi ce n'est point de ce trem-
blement de terre que parle Guy de Basainville. Il faut
croire qu'il n'a rapporté en cette occasion qu'un de ces faux
bruits que l'on répandait souvent dans l'armée des chré-
tiens , pour leur faire croire que Dieu lui-même prenait
leur défense et frappait leurs ennemis.
En supposant que le Templier, auteur de cette lettre, ait
survécu aux désastres multipliés qui furent la suite de la
prise de Jérusalem , nous pouvons placer sa mort entre 1 1 90
et 1195. A. D.
■ Na
XII SIECLE.
GAULTIER DE LILLE,
ou DE CHATILLON.
Cje poète latin, qui florissait dans la dernière moitié duXII"
siècle, était né à Lille, et sans doute il en porta d'abord le
nom. Il fit ses études à Paris, oii il eut pour maître Etienne
de Beauvais. Etant ensuite allé s'établir à Châtillon , sans que
l'on sache positivement dans laquelle des trois ou quatre villes
de ce nom qui sont en France (i), il changea le nom de Lille
pour celui de Châtillon. C'est ce qu'il dit positivement dans
son épitaphe, qu'il fit lui-même (2) :
Insula me genuit, rapuit Castelllo nomen ;
Perstrepuit modulis Gallia tota meis, etc.
Il paraît qu'il fut chargé dans cette ville de la direction
Nota, ex ras. des ecoles, et qu'il s'y fit connaître par des poésies légères;
cod.455o,Bibi. mfùs n'y ayant pas trouvé les avantages et l'avancement qu'il
Colbert. j • • "^ •i"' ' i- ^ t> i v -i ' i- i i ■ • -i *
désirait, il se rendit a Bologne, ou il étudia les lois civiles et
Jbid. le droit canon. Il revint ensuite" en France , et fut placé en
qualité de secrétaire auprès de Henri T'' tlu nom, archevêque
Joan.Sarisb. de Rheims. On en pourrait conclure que c'était à Chàtillon-
pp. i83, 1166. sur-Marne qu'il avait précédemment fait un long séjour, qu'il
était revenu dans cette ville, et que de-là il ayait été appelé
par l'archevêque, ou qu'il était allé se présenter à lui.
Guillaume P'" ayant succédé à Henri dans cet archevêché
~ en 1 176 , Gaultier conserva sa place. Il jouit même d'une fa-
veur plus particulière et d'une plus grande intimité auprès
du nouveau prélat, qui paraît avoir aimé les lettres. Ce fut
sans doute alors qu'il composa, ou du moins qu'il acheva un
poëme héroïque en dix livres, dont Alexandre est le héros, et
au'il intitula : Alexandris , sive gesta Alexandri magni. Il le
édia à son archevêque. Guillaume occupa ce siège depuis
1176 jusqu'en 1201; c'est donc dans cet intervalle de temps
(i) Châtillon sur Seine, sur Loin, sur Indre, sur Marne,
(a) La note tirée du manuscrit de Colbert porte : Quod ipse testatur.
Insula me genuit , etc.
GAULTIER DE LILLE. loi
que Gaultier fît son poëme. Si ce fut à la prière de Guillaume ^" SIECLE.
lui-même qu'il l'entreprit, comme le porte une note écrite
sur un manuscrit de la bibliothèque de Colbert, ce ne fut Vbi supra.
pas du moins l'année du meurtre de Thomas de Cantorbery
qu'il le commença, comme le dit la même note, ce crime md.
ayant été commis dès 1170. Mais Gaultier en parle dans son
7« livre comme d'un événement récent; ce qui peut faire
croire qu'il travaillait à son poëme déjà depuis plusieurs an-
nées, et que ce ne fut qu'en l'achevant qu'il plaça au commen-
cement et à la tin le nom et les louanges de son patron, et
au premier vers de chacun des dix livres une dispositien de
lettres dont nous allons bientôt parler. La protection de l'ar-
chevêque Guillaume procura au poète un canonicat de l'église
de Tournay, selon Fabricius; mais la note manuscrite citée Bibl. med. et
ci-dessus dit que ce futde l'église d'Amiens, et que ce Gaultier »nf-iat. iib.vir..
mourut de la peste dans cette dernière ville. Outre son poëme
de l'Alexandride, il avait composé plusieurs ouvrages : Casimir
Oudin a publié de lui trois livres de ôi\?\o^Vi^?, ^ advcrshs ju-
dœos, dans son recueil intitulé : Veterum aliquot Galliœ et
Belgii scriptorum opusçula sacra nunquam édita, 1692, in-S*».
Cette édition est précédée de la vie de l'auteur et ornée de
son portrait grave. Le même Oudin lui a consacré , à la fin
de ses comnientarii de scriptoribus et scriptis ecclesiasticis ,
t. 2, p. 1666, un article dans lequel il cite comme de lui un
recueil intitulé Opusçula varia ^ conservé parmi les manus-
crits de la bibliothèque royale de France, n° 5333, et dont ce ms, dan»
il détaille les titres avec le folio du manuscrit où se trouve 'e cataiog. îm-
chacun de ces opuscules. Il avoue ensuite que Guillaume P"'^''' est sous
Cave, dans son Hist. littcr. scriptor. ecclesiastic, attribue une
gi'ande partie de ces mômes opuscules à Gaultier Mapos, cha-
pelain du roi d'Angleterre Henri II et archidiacre d Oxford.
Enfin Bernard Pez a inséré, dans le t. a, part. 2 de ses anec^
dotes, un traité de SS. Trinitate, qu'il attribue à notre Gaul-
tier, opinion qu'il développe dans sa dissertation isagogique,
p. xxir. Mais ces ouvrages, en supposant même qu'ils fussent
en effet tous de lui, auraient moins fait pour sa réputation
que l'Alexandride.
Ce poëme est généralement regardé comme supérieur aux
autres poèmes latins que l'on écrivait alors. Du temps de l'au-
teur, ou peu de temps après, on le préférait même aux an
ciens; et à la fin du XIII^ siècle on l'expliquait dans les éco
à la place de l'Enéide, que l'on commençait à connaître, m
les
mais
loâ GAULTIER DE LILLE.
Xir SIECLE. ,. . ■ . ,r,
™ qua en juger par cette preterence, on entendait, ou quau-
moins on apprenait fort mal.
Delà langue Fauchet, en parlant de l'Alexandride, prétend que ce fut
et poésie franc, un de CCS poëmes qui furent composés à la louange de Phi-
iT. I, c. 7. lippe-Auguste; et en cela il se trompe. On va voir par l'ana-
lyse du poëme de Gaultier qu'il n'y a mis aucun éloge direct
ni même indirect de ce roi, sous lequel cependant il écrivait.
Plus occupé de l'archevêque Guillaume que de Philippe,
il ne s'est pas contenté de lui dédier son poëme, il a com-
mencé le premier vers de chacun des ses dix livres par une
des dix lettres qui composent le nom de Gidllerrnus que l'on
écrivait alors indifféremment pour Guillelmus , et l'on voit
que les lettres initiales de ces dix premiers vers, réunis en
acrostiche , forment en effet ce nom.
L. I Gesta ducis Macedûm totum digesta per orbem.
• 2 Ultorein magnum patriœ jam fata minantem.
3 lamfragor armorum , jam, strages bellica vincit.
4 Luridus et piceo siiffiisus liimina fumo.
5 l'ego Numœ régis latâ de mensibus olim.
\ 6 Ecce lues mundi! regum timor ultimm ecceî
•j* Restitit hesperio mœrensque in littore Phœbus.
8 Mcmnonis œterno deplorans funera luctu,
g Ultima terribiles Macedûm. censura tumultûs.
10 Srderios vultûs et ainicurn navibus amnem,
Guillaume était du sang royal d'Angleterre , et descendait,
par sa grand'mère, de Guillaume-le-Conquérant. Il avait été
archevêque de Sens avant de l'être de Rheims. Le poète n'a
oublié aucune de ces circonstances dans l'invocation qu'il lui
adresse, et qui corçmence au 12*= vers : il assure même que
Sens n'avait pas été moins honoré par son pontificat qu'il ne
l'avait été autrefois lorsque les Sénonais, dont Sens était la
capitale, allèrent attaquer Rome sous la conduite de Brennus,
et qu'ils se seraient rendus maîtres du capitule, si l'oie au
plumage d'argent n'en eiit réveillé la garde :
At tu , oui mnior gcnuisse Britannia reges
Gaudet avos , senonum quo prœsule non minor urbi
Nupsit honor quam cum Romam senonensibus armis
Fregit, adepturus Tarpeiam Brennius arcem.
Si non exciret -vigiles argenteus anser;
Quo tandem regimen caihedrœ Rhemensis adepto
Durit ice nomen cunisit bellica tellus, etc.
GAULTIER DE LILLE. io3
Ce poëme n'a dans son plan ni dans sa conduite rien de
poe'tique ni de merveilleux : il suit chronologiquement la
marche de Quinte-Gurce , et à quelques médiocres inventions
près, ce que l'auteur ajoute du sien se réduit le plus sou-
vent à des monologues prolixes et à de longs discours.
Alexandre paraît au i^'' livre à peine adolescent, mais déjà
iitipatient Je se signaler en combattant les Perses, ennemis
de sa patrie et de son père. Aristote, que le poète représente
avec l'extérieur hideux, la face et le corps maigre, les che-
veux négligés, et tout l'air enfin d'un pédant usé par l'étude,
vient donner au jeune prince des leçons assez communes de
morale et de politique. Philippe meurt, et Alexandre va se
faire couronner roi a Corinthe. C'était au mois de juin, qui
est ici désigné comme si l'action se passait à Rome et non
pas dans la Grèce, par la ressemblance de son nom avec celui
des jeunes gens :
Mensis erat , citjus juvenum de nomine nomen.
Les soldats que le jeune roi divise en plusieurs corps sont
aussi appelés , comme des Romains, Quintes.
*Lectosque ad bella Quintes
• Dividit in Turinas.
Les Athéniens osent se déclarer contre lui par le conseil
de Demosthène ; il marche aussitôt à eux; il est déjà sous les
murs d'Athènes avec son armée : Demosthène soutient, de-
vant le sénat assemblé, le parti de la guerre, Eschine celui
de la paix. Alexandre menace; le parti de la paix l'emporte;
le roi consent à renouveler son alliance avec Athènes. Il vole
à Thèbes : les Thébains ferment leurs portes : il les assiège:
la ville est prise de vive force. Alexandre y entre à la tète de
ses troupes. Un poète nommé Cloade s'approche de lui, et
lui chante en vers lyriques (i) des conseils de clémence et de
pardon. Mais ce sont des vers et des conseils perdus : Alexan-
dre persiste dans sa colère , fait abattre les tours et brûler le
reste de la ville.
Propositique tenax , irœ permittit habenas,
AEqudrique solo turres , ac mœnia primo
Imper at et reliquam Fulcano fulminât urbem.
Il se prépare aussitôt à la guerre contre les Perses ; réunit
toutes ses forces, rassemble tous ses vaisseaux, s'embarque
(i) Ljrricisque subintulit ista.
XII SIECLE.
XII SIECLE.
io4 GAULTIER DE LILLE.
avec son armée, traverse la mer, et débarque sur les côtes
d'Asie. L'auteur ne laisse pas échapper cette occasion de
faire une description, poétique autant qu'il -peut, mais sur-
tout géographique, de l'Asie et des' différens états qui la par-
tagent..Il finit par la Judée et par Jérusalem; et confondant
lés époques de l'histoire, au lieu de dire que là un Dieu doit
naître d'une Vierge, et qu'il doit ébranler par sa mort et
faire trembler le monde, il parle de ces grands événemens
comme des choses déjà passées au temps de l'expédition
d'Alexandre.
Inde Palestinœ cunctis superemùict una
Unius Judœa Dei, lerosoljma ter r ce
In centra posita est, ubi ■virginis édita partu
Vita obiit, nec starc Deo moriente renatus
Sustinuit , sed pcrtrcmuit pcrterritus orbis.
Alexandre traverse la Cilicie, la Phrygie, et s'arrête aux
ruines de Troie; il visite les tombes des héros, entre autres
celle d'Achille, à qui il n'envie que son Homère; mais, au lieu
de ce simple mot, il fait un très -long discours, et raconte
même à ses guerriers un songe qu'il avilit eu aussitôt après
la mort de son père. Un grand prêtre, revêtu de tous les
ornemens sacerdotaux, lui était apparu, l'avait exhorté à sortir
de ses états, à entrepi-endre la conquête du monde; lui avait
répondu du succès, en lui demandant pour toute récompense
que si, avant d'entrer dans une ville conquise, il voyait s'a-
vancer vers lui un prêtre vêtu comme celui qui lui apparais-
sait l'était lui-même, il épargnât cette ville et ses habitans.
C'était une prédiction, car dans la suite, après la prise et la
destruction de Tyr, ayant les mêmes desseins sur Jérusa-
lem, et s'approchant de cette ville, le grand-prêtre des juifs,
revêtu de ces mêmes habits, vint au-devant du vainqueur;
Alexandre descendit de son cheval, adora le grand-prêtre,
entra sans suite dans la ville, se rendit au temple, y fit de
riches présens, et permit aux Hébreux de jouir des douceurs
de la paix.
Au second livre, Darius, menacé par l'approche d'Alexandre,
lui écrit- une lettre insolente : Alexandre n'y répond qu'en
avançant toujours. A Sardes, il coupe le nœud gordien : il
marche ensuite à plus grandes journées. Darius vient au-
devant de lui et quitte les bords de l'Euphrate; description
de son armée. Alexandre se baigne dans le Cydnus. L'excès-
- Gj^ULTIER de LILLE. io5
sive froideur de l'eau le saisit; il tombe dangereusement ma-
lade : tandis que son me'decin Philippe le rappelle à la vie,
on l'accuse auprès du roi de vouloir la lui ôter, en lui don-
nant une médecine empoisonne'e. Le trait justement célèbre
de la lettre présentée à Philippe par Alexandre, est histori-
quement raconté. Le roi guéri se montre à son armée qui le
revoit avec des transports de joie. Les Perses continuent de
s'avancer. Darius harangue ses soldats, Alexandre les siens.
Les deux armées se préparent au combat.
La bataille d'Issus se donne au commencement du troi-
sième livre. Elle est décrite dans un grand détail et avec assez
de chaleur. Les Perses sont vaincus : Darius se sauve à Baby-
lone. Le vainqueur s'empare de ses trésors, conquête dont
le poète raconte ainsi les circonstances.,
Victor victores a cœde reeedere cogens
Ad Gaza, properare jubet, rapiendaque Gazœ
Munera qiiœ saltûs jacet interclusa latebris.
It celer, et parlas partitur partibus œquis
Victor opes; onerantur equi, gémit axis acarus;
Jam satur est, aurumque vomit summo tenus ore.
Sacculus et nexus refugit , sperriitque ligari;
Fessa légende manus , non est satianda Icgendo , etc.
Les soldats se portent au quartier des femmes ; les pillent,
leur arrachent Iqg riches ornemens qui composaient leur
parure :
Extorquent torques, et inaures perdidit auris
Leurs autres excès sont aussi décrits , mais on ne peut pas
les rapporter de même. La famille royale est seule épargnée.
Elle est conduite au vainqueur qui la reçoit avec tous les
égards dus au rang, au sexe, et à l'infortune. Siège, prise et
ruine de Tyr. Expédition d'Egypte. Alexandre au temple de
Jupiter Hammon. Cependant Darius répare ses forces, ras-
semble une nouvelle armée. Alexandre quitte l'Egypte et
vole à sa rencontre. Une éclipse de lune occasionne une
sédition dans son armée. Le soldat murmure , et ose accuser
son roi.
■ Jam tœdet in idtima mundi
Invitas à rege trahi; montana queruntur
Invia, désertas vulcano vindice terras;
Urbes et Jluvios admittere nolle nocentes;
Tome XV. O
XII SIECLE
io6 GAULTIER DE LILLE.
Xlt SIECLE. y elle hominum dominos, diis indignantibus , esse,
Astra infensa sibi solitumque negantia lumen; 4»
Inscriptos Iwmini regem transcender e fines ,
Affectare polum , patriœ conteninere sedes ',
Unius ad laudem tôt inire pericula , tantas
Fortuncç ^variare -vices, etc.
Alexandre fait parler des devins : ils expliquent favorable-
ment le phénomène qui avait causé ces mouvemens, et la
sédition s'appaise.
Le quatrième livre commence par la mort de la femme de
Darius; Alexandre la regrette et la pleure. Darius apprend
à-la-fois, et la mort de son épouse, et la manière généreuse
dont elle a été traitée par son ennemi : il adresse aux Dieux
des vœux pour lui,. et lui fait des propositions de paix.
Alexandre les refuse et fait rendre les honneurs funèbres
aux restes de l'épouse du roi qu'il va combattre. Après tant
de détails purement historiques, on trouve enfin ici une in-
vention du poète. Le tombeau qu'Alexandre fait élever au
sommet d'une montagne, à la femme de Darius, est con-
struit par un habile artiste juif qu'il nomme Apelle. Cet
artiste n'y grave pas seulement des rois et des noms grecs,
mais il y représente les histoii;;es de la guerre , depuis le com-
mencement du monde :
Tumulumque in vertice rupis
Imperat excidi, quem structum schemate mtro
Erexit celeber digitis hebrœus Apelles.
Nec solïim reges et nomina gentis Achœœ ,
Sed generis notât historias , ab origine mundi
Incipiens,
Ce morceau d'histoire hébraïque n'a pas beaucoup moins
de cent vers, et l'on voit comment il est amené; mais on ne
voit pas comment toutes les figures, depuis la création jus-
* qu'au règne d'Esdras, étaient représentées sur un tombeau,
Totaque picturœ séries finitur in Esdra;
ni comment cela fut fait par un seul homme et en si peu de
tems. Alexandre, après cette cérémonie, marche contre Darius.
Parménion l'engage à combattre pendant la nuit : il rejette
ce conseil. L'armée des Perses est sur ses gardes; elle allume
de grands feux. Les armes brillent à leur clarté : le poète
dont le défaut habituel est l'exagération et l'enflure, s'y livre
GAULTIER DE LILLE. 107
sur-tout dans les vers suivans , où il dit que les casques bril-
lent à l'envi des e'toiles, que l'Ether est surpris de voir des
feux pareils aux siens réfléchis par les boucliex'S , qu'il craint
que la terre ne tâche de devenir le ciel, et que la nuit se
réjouit de ressembler au jour; car au lieu de soleil, elle a le
casque d^ Darius qui éclate comme Phœbus même; une pierre
enflamme'e brille au sommet; elle obscurcit les astres de la
nuit , et s'indigne de céder seule aux seuls rayons du soleil ;
autant elle lui cède, autant elle l'emporte sur eux.
S'ideribus certant galeœ, cljpeisque retusis
Invertisse pares Jlanunas stupet arduus œther,
Et metuit cœlumjieri ne terra laboret;
Nec minimum gaudet nox instar habcre dieî.
Nam pro sole sibi Darii datur œmula Phœbi
Cassis , et in. summo lampas sedet ignea cono ,
Sideraque noctis obscurans , solaqtie solis
Solius radiis indignans ccdere : qitantum
Lumine cedet ei, tantiim prœjudicat illis.
Une seconde fiction poétique nous transporte dans une île
que l'auteur place au milieu du Tibre, île vénérable par le
heu même.oii elle est placée, et que l'univers réclame pour
la capitale de l'empire. Un temple s'y élève , soutenu pjir des
colonnes carrées : c'est celui de la victoire. L'ambition , mère
inquiète des soucis, veille à l'entrée. La déesse est assise sur
un trône d'ivoire. Ses compagnes l'environnent: c'est la gloire
qui fait entendre des chants immortels, la majesté qui op-
f)rime les siècles par son orgueil , le respect qui se concilie
e peuple docile , et la justice qui arme les lois et protège le
bon droit. La clémence est auprès d'elle, et c'est elle qui
rend stable le trône de la déesse. On y voit aussi la richesse,
barbare en ses mœurs, aliment des vices et mère du luxe,
et la concorde ou la réconciliation qui donne des baisers pa-
cifiques çt oublie tout sujet de haine , et la paix qui rend la
culture aux campagnes, et l'abondance avec sa corne toute
remplie. Vis-à-vis la divinité se tiennent les applaudisse-
mens et la faveur ambiguë, et le ris adulateur, qui tous
s'empressent de flatter la déesse, et font résonner autour
d'elle des sons et des chant» mesurés qu'ont préparés les
Muses. La victoire, occupée du jeune héros son favori, le
voit agité à la veille de cette grande bataille. Elle craint pour
lui l'insomnie de la nuit; elle se couvre d'un voile, va trouver
Oa
Xir SIECLE.
XII SIECLE.
ïo8 GAULTIER DE LILLE.
le sommeil dans son antre, et l'envoie au camp d'Alexandre.
L'influence du Dieu se fait sentir. Le roi passe la nuit en-
tière dans le plus profond repos. L'arme'e et tous ses chefs
étaient debout : il dormait encore. On le réveille; il donne
ses ordres pour le combat; il harangue ses soldats. Tout est
prêt pour la bataille d'Arbelle.
La description de cette bataille décisive rempfit la plus
grande partie du cinquième livre. L^auteur y a semé quelques
épisodes à l'imitation des anciens. Il fait plus que d'imiter
autant qu'il peut Virgile; il le cite ou le parodie. Il apostrophe
Darius qui se détermine à la fuite. Tu ne fuis l'ennemi, lui
dit-il, que pour rencontrer d'autres ennemis:
Incidis in Scjîlam bupiens vitare Charjbdim.
Tandis que Darius se retire dans la Médie , partie encore
intacte de son empire, Alexandre poursuit sa victoire et
marche vers la Syrie. Babylone lui est livrée. II y fait une
entrée triomphale , et le poète ne manque pas de décrire ce
triomphe accompagné de danses, de chants, de musique in-
strumentale, et de le mettre au-dessus des triomphes, posté-
rieurs d'environ trois siècles, de César après la défaite de
Pompée, et d'Auguste après celle d'Antoine et de Cléopâtre.
Et cette supériorité, ajoute-t-il, était bien juste; car, si l'on
compare les exploits du jeune Alexandre avec ceux des guer-
riers les plus célèbres, le héros qu'a chanté Ljicain dans son
style magnifique , et cet Honorius auquel Claudien a consa-
cré ses vers pompeux, ne paraîtront plus que du peuple
auprès d'un tel prince.
Respecta principis kujus
Plebs erit. *
Il termine ce livre par des vœux qui sont assez remarqua-
bles : « Si Dieu touché des gémisscmens et des désirs de son
peuple accordait aux Français un tel roi, aussitôt la vraie
foi brillerait dans tout l'univers; les Parthes vaincus par nos
armes, demanderaient le baptême; Carthage sortirait de ses
ruines au nom de J. G. ; et cette Espagne qui , sous Charle-
magne, mérita des peines sévères, relèverait l'étendard de la
croix; toutes les nations, toutes les langues chanteraient les
louanges de Dieu, et ce ne serait plus malgré soi que l'on se
soumettrait à recevoir l'eau sainte, sous le saint pontife de
Rheims. »
GAULTIER DE LILLE. 109
Et nostris fracta sub armis
Parthia, Baptismo renovari posceret iiîtro :
Quœque diuiacuit effusis mœnibus alla
Jdnomen Christi Caithago resurgeret; et qiue
Sub Carolo meruit Hispania solvere pœnas ,
Erigeret vexilla crucis : gens omnis et omnis
Lingua Deum caneret , et non invita siibiret
Sacrum sub sacro Rhemorum prœsulc fontem.
Ces vers font visiblement allusion à l'e'tat où e'taient les
affaires de la chrétienté', au commencement du règne de Phi-
lippe-Auguste, en Palestine, où Saladin reprit Jérusalem ; en
Espagne, où les Sarrazins se maintenaient et devaient se
maintenir encore long-temps, et en France, d'où l'on avait
chassé les juifs, en leur faisant l'optron entre le bannissement
et l'abjuration , ou le baptême. Il paraîtrait que c'était à
Rheims qu'ils devaient se rendre pour remplir cette condi-
tion; qu'ils y allaient, mais d'assez mauvaise grâce; ce dont
l'auteur lui-même était témoin dans la place qu'il remplis-
sait auprès de l'archevêque. Il est vrai qu'il ne daigne pas
nommer, ni même désigner positivement les juifs, comme il
a fait, les musulmans; mais si cela ne les regardait pas, de
auelle autre nation ou classe d'hommes pourrait-il dire que,
ans la supposition heureuse qu'il établit,
Non invita subiret
Sacrum sub sacro rhemorum prœsule fontem ?
Alexandre séjourne un mois à Babylone, dont les délices
commencent a corrompre et à amollir son armée. Il en sort
enfin : Suze lui ouvre ses portes; il y fait un butin immense
qu'il distribue à ses soldats. Il s'empare de la ville et du pays
des Uxiens, marche à la poursuite de Darius; prend, fait
piller et brûle Persépolis. Ici le poète, plus discret que l'his-
torien, qu'il suit d'ailleurs presque pas a pas, garde le silence
sur les excès auxquels son héros se livra dans Persépolis, et
ne dit pas que l'incendie de cette célèbre et opulente cité fut
le résultat d'une orgie et le fruit des conseils d'une courti-
sanne prise de vin : Tliais etipsa temulenta, dit Quinte-Curce ;
et il ajoute : Ebrio scorto de tantâ re referenti sententiam ,
unus et alter^ et ipd mero onerati, assentiuntur. Rex guoque
fuit avidior quam patientior. Primus ignem regiœ injecit ;
tum convivœ et ministii , pellicesque. En ne parlant point de
XII SIECLE.
no GAULTIER DE LÏLLË.
XII SIECLE. j,g^,.g tache, imprimée sur le caractère d'Alexandre, Gauthier
de Châtillon a sans doute cru l'effacer. Il s'arrête au contraire
avec complaisance sur un incident de sou invention. Alexan-
dre s'e'tant remis en marche avec son armée, rencontre trois
mille prisonniers grecs, mise'rablement mutilés par les Perses,
et les délivre. Il leur laisse le choix , ou de retourner en Grèce,
ou de se fixer dans le pays, où il leur distribuera des terres.
Les prisonniers délibèrent : les deux avis opposés sont dé-
fendus par deux d'entre eux; l'un soutenant qu'ils ne doivent
point, dans cet, état déplorable et hideux, s aller offrir aux
yeux de leurs familles, ae leurs femmes, de leurs amis ; l'autre
qu'il est toujours doux de revoir sa patrie, qu'il n'y a rien
de honteux dans l'état où un ennemi barbare les a réduits;
que c'est faire injure à ceux qui les aiment que de croire
qu'ils en seront Blessés. Ce dernier orateur a peu de parti-
sans: ils partent avec lui; les autres restent et reçoivent de
leur libérateur les terres qu'il leur a promises, de l'argent,
de^ troupeaux, tout ce quil faut à une colonie de cultiva-
teurs. La fuite de Darius au-delà d'Ecbatane ; le complot du
traître Dessus; l'avis donné à ce roi par le grec Patron; le
refus que fait Darius de se confier à d'autres qu'à ses propres
sujets; la résolution prise par Bessus d'exécuter son projet
la nuit suivante, telle est la matière du sixième livre.
Au septième, la trahison de Bessus s'exécute comme dans
Quinte-Gurce, à quelques circonstances près; Darius est em-
mené, des chaînes d'or aux pieds, dans un chariot couvert.
Alexandre qui était à sa poursuite, apprend avec horreur le
crime de Bessus; il marche avec plus de rapidité pour déli-
vrer Darius ou le venger, qu'il ne faisait pour achever sa dé-
faite. Il menace de toute sa colère les auteurs de ce forfait.
L'auteur le compare à Jupiter poursuivant les géans avec sa
foudre :
Talis in adverses Jovis îrrtdt ira gîgantes ,
Fulmine quem dextram Jingunt armasse poëtœ ,
Cum jam centimanus cœlo nodosa Tjphœus
Braehia porrigeret, Martemjlainmara videres,
Pallada vipereo clj-pco protendere vultâs
Telaque fatali spargentem Delion arcu.
La suite de cet événement dans le poëme est entièrement
conforme à ce qu'elle est dans l'histoire , excepté que, quand
Polystrate trouve le chariot où Darius était couvert de blés-
GAULTIER DE LILLE. m
sures et noyé' dans son sang, le roi placé aux dernières limites
entre la mort et un reste de vie ,
MoHis
Inter et exigucp positum confinia vîtes.
au lieu du peu de mots qu'il dit dans Quinte-Curce, prononce
un fort long discours , et que le poète lui-même fait à l'occa-
sion de ce crime des réflexions morales qui n'occupent pas
moins de place. Quelques-unes de ces réflexions sont diri-
gées avec amertume contre les vices de son siècle ; c'est une
satire qui commence par les papes simoniaques schismati-
qnes,et finit par les rois qui font assassiner de saints évêques.
Si l'on pensait, dit-il, davantage aux peines qui attendent les
criminels après leur mort, on verrait moins de crimes sur la
terre :
Non adeo ambiret cathedrœ venalis honorem
Jam tietus ille Simon , non iiicentiva malorum
PoUueret sacras Jimesta pecunia sedes;
Non adspiraret, licet indole clarus aviti
Sangidnis, imputes ad pontificale cacumen
Doncc eum mores , studiorum friictus , et œtas
Eligerent, merito non siiffragante parentum :
Non geminos patres , diicti livore, crearent,
Prceficerentque orbi sortiti a cardine nomen.
XII SIECLE.
Non caderent hodie nulla discrimine sacri
Pontifices : quales niiper cecidisse queruntur
Vicince ,' modico distantes œquore, terrœ;
Flandria Robertum , cœsum dolet Anglia Thomam.
On voit que le mot nuper employé ici, rapproche l'époque
où l'auteur écrivait son poëme de l'année 1 1 70 , où Thomas
Becket fut tué en Angleterre, et qu'il y dut travailler, au
plus tard , peu de temps après que l'archevêque de Rheims ,
nommé en 11 76, l'eut appelé auprès de lui. Il termine ce
morceau en adressant aux mânes de Darius la promesse con-
solante de rendre immortel le nom de ce prince, comme l'est
celui de Pompée, et comme le sien à lui-même ne peut man-
qiffii^ de l'être.
Te tamen, 6 Dari, si quœ modo scribimus, olim
Sunt habitura Jîdem , Pompeio Francia juste
Laudibus ce'quabit , vivet cum -vate superstes
Gloria defunctif nuUum. moritura per œmm.
XII SIECLE.
112 GAULTIER DE LILLE.
Quand Alexandre apprend la mort funeste de son rival ,
il le pleure et jure de punir ses assassins : ainsi, ajoute-t-il,
puisse'-je, après avoir soumis l'Orient, péne'trer dans les murs
de l'Hespërie; soumettre les Gaulois au joug des Grecs; et,
traversant les Alpes, dompter les Liguriens et la puissance
romaine.
Sic mihi contingat, belUs oriente subacto,
Hesperios penetrare sinus , classemqiie minacem
Occiduis inferre f refis , cursu^ue rejlexo ,
Gallica Grœcorum ditioni subdere colla :
Sic mihi dent superi, trajectis Alpibus, unà i^-
Cum populis ligurûm, romanas frangere •vires.
Le poète oublie qu'Alexandre n'avait peut-être jamais en-
tendu parler des Gaulois , que les Liguriens étaient un petiple
presque imperceptible pour lui , et que les Romains encore
aux prises avec les Samnites, en Italie, n'avaient aucun nom
au-dehors.
Le gotit de l'auteur pour la sculpture paraît ici une se-
conde fois : Alexandre, qui avait toujours le* juif Apelle à sa
suite, fait e'riger par lui à Darius une haute pyramide en
marbre blanc , recouverte en or , où sont gravées un grand
nombre de figures. Quatre colonnes d'argent, dont la base
et le chapiteau sont d'or, soutiennent avec un art admirable
une voûte concave sur laquelle sont représentées les trois
parties du globe terrestre, avec les fleuves, les forêts, les
montagnes, les villes, les régions , les peuples qui les couvrent.
L'auteur en fait l'ênumération détaillée dans ses vers; et
comme son sculpteur hébreu n'ignorait pas, dit-il, le sens
des prophéties de Daniel, il grava en or sur le monument
cette épitaphe :
Hic situs est tjpicus àries , duo cornua cujus
F régit Alexander , totius malleus orbis.
Il n'est pas nécessaire de répéter ici ce que nous avons dit
au sujet du tombeau de la femme de Darius.
Ayant rempli ces pieux devoirs, Alexandre donne à son
armée des repas somptueux et des loisirs, dont une sédition
est la suite. Tous demandent à grands cris de retourner dans
leur patrie. Alexandre dissimule sa colère; assemble ses sol-
dats, les harangue et ranime en eux l'amour de la gloire. Ils
jurent d'affronter tous les dangers où il voudra les conduire,
et de le suivre au bout de l'univers.
GAULTIER DE LILLE. ii3
Alexandre marche à leur tête vers l'Hircanie. Talestris,
reine des Amazones, vient le trouver dans son camp, suivie
de 3oo de ses guerriers. Elle n'est pas attirée par le seul
désir de le voir, elle y joint l'envie plus singulière d'avoir de
lui un enfant. L'historien et le poète lui font dire les choses
avec la même clarté et la même simplicité; tous deux nous
apprennent que treize jours lui furent accordés, et qu'ayant
obtenu ce qu elle desiiait, elle retourna tranquillement dans
ses états. Cependant le traître Bessus avait osé prendre la
couronne. Alexandre veut aller l'en punir; mais le luxe asia-
tique, fruit opulent de ses conquêtes, remplit son camp dont
il corrompt les mœurs et rallentit la marche. Il prend le parti
de briller toutes ces richesses dangereuses; il les fait réunir
en une masse immense, donne l'exemple d'y faire jeter le
butin précieux qu'il avait réservé pour lui, et obtient ainsi
sans murmure le sacrifice qu'il exigeait de son armée. La
conjuration de Dymnus et de Ceballinus contre Alexandre,
la complicité douteuse de Philotas fils de Parménion, l'accu-
sation Formée contre lui , sa longue défense, les tortures qu'on
lui fait subir, les aveux qu'on en tire, sans qu'il reste prouvé
qu'ils ne lui soient pas arrachés par la douleur plus que par
la conscience de son crime, sa lapidation ennn, occupent
tristement une grande partie de ce huitième livre. Bessus
est pris et livré à Alexandre qui le remet à Oxatrès frère
de Darius, pour en tirer la vengeance qu'il voudra. Oxatrès,
après lui avoir fait souffrir un long supplice, le fait mourir ,
sur une croix.
On est enfin délivré de ces scènes patibulaires. Alexandre
veut ajouter à ses conquêtes celle dfe la Scythie. Il arrive
aux bords du Tanaïs. Il reçoit de la part de ces peuples une
ambassade célèbre; le député Scythe perd son éloquence
sauvage, mais pleine de ton sens et de raison : Alexandre
passe le fleuve, et soumet les déserts et les montagnes de la
Scythie à son empire. L'auteur compare poétiquement ce
peuple qui a résiste à tant de nations puissantes, et qui tombe
sous le joug du roi de Macédoine, à un vieux sapin des
Alpes qui a résisté pendant des siècles au souffle de tous les
vents, et qui tombe enfin sous les coups de Borée.
Xlt SIECLE.
#
Qualis in Alpinis annoso rohore saxis
Astra peteiis abies , multosque injlexa per annos
Ad flatits Euri, zephyrum contempsit et austrum,
Tome Xr. P
XII SIECLE.
ii4 GAULTIER DE LILLE.
Quant si forte siio Boreœ de more fotiget
Spiriius et toto tundat simul aéra nisu,
Nil rami vûeres illi , nii horrida musco
Robora projlcient ma , quondnïis ohruta vento
Corruat et prorio tellurem vertice pulset.
La tléBiite des Scythes, jusqu'alors invincibles, répand au
loin la terreur du nom d'Alexandre, et plusieurs peuples de
ces contrées viennent se soumettre volontairement à lui.
Le poète écarte de son poème, autant qu'il lui est pos-
sible, ce qui, dans l'histoire, est trop défavorable à son hé-
ros. Ne pouvant taire cependant le meurtre de Clitus, ni le
supplice du jeune Hermolaiis et du philosophe Callisthènes
son maître, il les rappelle seulement en deux vers au com-
mencement de son neuvième livre, et en tire cette consé-
quence morale que l'amitié des rois n'est pas éternelle :
Etenim tcstatur eorum
Finis amicitias regum non csseperennes.
L'Inde restait à conquérir. Alexandre en entreprend la
conquête. La plupart des rois indiens se soumettent : le
seul Porus ose résister. Il lève une armée nombreuse et at-
tend Alexandre au bord de l'Hydaspe. Les deux armées sont
en présence sur les deux rives du fleuve. Ici l'auteur ima-
gine un épisode, ou plutôt il l'emprunte de Virgile, au moins
dans ce qu'il y met de plus intéressant. Il place au milieu
du fleuve vme île, oii de jeunes guerriers de l'une et de
l'auti'e armée passent souvent à la nage et se livrent des
combats particuliers, préludes des grands combats qui se pré-
parent. INicanor et Symaque, deux jeunes grecs nés le même
jour, et aussi intimes amis que Nisus et Euryale, se propo-
sent comme eux une aventure périlleuse. Suivis de quelques
soldats, ils passent dans l'île, d'où ils veulent passer pen-
dant la nuit sur l'autre bord, espérant y surprendre l'en-
nemi et en faire un grand carnage : mais en arrivant dans
l'île à la nage,, ils y trouvent une troupe nombreuse d'indiens
qui les attaquent avec de grands ciis; d'autres ennemis Sur-
viennent, les Grecs sont accablés, tous perdent la vie; les
deux àrais, après avoir fait des prodiges de valeur, blessés
tous les deux, s'embrassent et meurent ainsi réunis. Il n'y
manque que le fortunati ambo^ ou plutôt il manque à cet
épisode imaginé d'après Virgile , d'être écrit dans un style
GAULTIER DE LILLE. n5
moins éloigne du sien. La bataille se donne; les Macédo- ^" siècle.
niens traversent le fleuve; les Indiens cèdent après une longue
résistance : Porus est vaincu, blessé, fait prisonnier, porté
devant Alexandre. La noble fierté qu'il conserve touche son
vainqueur, qui lui rend ses états, les accroît et le met au
nombi'e de ses amis.
Après cette victoire, rien ne l'arrête plus; il veut pénétrer
jusqu'au.^ extrémités les plus reculées de l'Orient : en par-
courant l'Inde il imprime aux peuples et aux rois une ter-
reur égale à celle qu'inspire la foudre , quand elle éclate au
milieu de la nuit.
Nec minus humanis portenti mentihus infert,
Terrorisve minus nocttirni Julminis igné,
Quem sequitur fragor etfractœ collisio nuhis ,
Et vaga , pallenteni motura tonitrua mundum,
Mentent prœteritce memorem terrentia cufpce.
Cependant la ville d'Oxydraque arrête les pas du conqué-
rant; il l'assiège et monte le premier à l'assaut; ses soldats
sont repoussés ; alors du haut de l'échelle où il était parvenu,
au lieu de sauter ou de descendre au milieu des siens, il s'é-
lance dans la place même et ose affronter seul tant d'ennemis.
Mais bientôt entouré, pressé, atteint d'une large blessure,
il est près de périr quand ses soldats instruits de son danger
redoublent d'efforts, brisent les poites, inondent la ville et
en massacrent les habitans. Alexandre souffre avec courage
une opération douloureuse : il est promptemcnt rendu à son
armée et à ses projets de conquête. La joie de ses soldats
qui succède à leur tristesse est comparée par le poète à celle
a n'éprouvent des matelots lorsque, après avoir vu le pilote
u vaisseau tombé dans la mer, et englouti par les flots, ils
le voient sauvé de l'abîme reprendre |^ gouvernail.
Quah's in jéEgeo, Borea bacchante , profundo
Exoritur clamor , cum fractâ puppe magister
Volvitur in medios immerso vertice fluctus :
Fit fragor et siniilem timet unusquisque ruinant ,
Seque omnes anima periisse fatentur in unâ;
Si tamen incolumem revocare tenacibus uncis
Ad davum revocare queant, sonat aura tumultu
Lœtitiœ, et primuin vincunt nova gaiidia luctum.
Mais les préparatifs d'une expédition maritime, le projet
XII SIECLE.
ii6 GAULTIER DE LILLE.
annonce d'aller réchercher les sources inconnues du Nil, et
de laisser le gouvernement de l'Inde à Porus et à Taxile,
effraye l'armée : les chefs se présentent devant le roi ; l'un
d'eux lui tient un long discours pour le détourner de son
dessein. Alexandre , loin de céder, avoue dans sa réponse que
le monde est trop étroit pour lui; qu'après l'avoir soumis,
il ira subjuguer un autre univers; qu'il veut les. conduire aux
antipodes, voir avec eux une autre nature, ou que s'ils re-
fusent de le suivre, il ii'a seul se proposer pour chef à d'au-
tres peuples qui seront empressés de lier leur fortune à la
sienne. Cette réponse les enflamme, ils font de nouveau
serment de ne jamais abandonner Alexandre : il profite de
ce mouvement, marche aux vaisseaux qui l'attendent, et
s'embarque avec son armée.
Parvenu au dixième et dernier livre, Gaultier de Châtiilon
ne veut pas finir son poëme sans quelque trait de son in-
vention; il en emploie un qui est d'une grandeur gigan-
tesque. La nature indignée qu'un mortel ose vouloir pénétrer
ses secrets et atteindre jusqu'aux lieux qu'elle a voulu cacher,
interrompt son ouvrage, et laisse imparfaites des créations
commencées : elle s'environne d'un nuage et descend sur les
bords du Styx , ce qui amène une description de l'enfer, des
monstres qui l'habitent, des crimes qui y sont punis, de-
scription ou se trouvent souvent confondus l'ancien et le mo-
derne enfer. Leviatlian était au miheu de sa fournaise; il
aperçoit la déesse, quitte, de peur de l'effrayer, la figure du
serpent, et reprend la forme divine qu'il avait quand il vou-
lut partager 1 Olympe. La nature se plaint à lui des projets
d'Alexandre, qui s'étendent d'un côté jusqu'aux sources in-
connues du Nil, et à l'enceinte du Paradis, de l'autre aux
antipodes et à l'antique cahos. Elle invoque le serpent, à qui
elle donne ce nom, malgré son changement de forme, et
l'invite à venger leur commune injure.
Quœ tua laus, coluher , ■vélquce tua gloria? primum
E/ecisse hominein ? Si tam. -vcnerabilis horlus
Cedat Alexandro ? nec plura locuta récessif.
Le monarque infernal appelle au conseil les monstres qui
gouvernent sous lui son empire; il les harangue, et leur or-
donne de frapper de mort le roi de Macédoine, avant qu'il
puisse exécuter ses desseins. La trahison se lève et propose de
faire périr par le poison l'ennemi commun, et d'engager An-
GAULTIER DE LILLE. 117
tipater, exercé de longue main à la duplicité et à la fraude,
à se charger de l'exécution. L'enfer applaudit avec transport.
La trahison se déguise, va trouver Antipater, l'endoctrine
facilement, et retourne aux sombres royaumes. Alexandre
avait vaincu la résistance que l'Océan lui opposait; obligé
cependant de différer ses grands projets, il en méditait de
nouveaux , et retournait à Babylone. L'univers est dans l'at-
tente , et ne sachant de quel côté se porteront ses armes ,
toutes les nations, toutes les parties connues du globe, lui
envoient des ambassadeurs, des actes de soumission et des
présens. Il les reçoit à Babylone, élevé sur un trône magni-
fique, et contemplant avec orgueil l'univers entier à ses pieds.
Des prodiges funestes annoncent quelque grand et sinistre
événement. Alexandre dans la joie d'un festin où il ne se
croit entouré que d'amis, boit le fatal poison ; il en éprouve
subitement l'effet, et après un discours, oîi il montre pour
la dernière fois son orgueil et son courage, il expire. Le
poète ne manque ])as de moraliser siir cette mort préma-
turée; il s'arrête enfin dans sa course, et dit adieu aux Muses
jusqu'à ce qu'il les appelle à une seconde entreprise, et qu'il
les prie d'ouvrir pour lui une nouvelle source pour ap-
paiser une soif nouvelle. En finissant, il s'adresse à l'évêque
Guillaume, comme il l'a fait en commençant; il lui promet
qu'après leur mort ils vivront tous deux à jamais dans ses
vers.
Nam licet indignum tanto sit prœsule cannen
Cuni tamen exuerit mortales spiritus artus ,
yivemus parîter , -vivet ciim i)ate superstes
Gloria Gaillielmi, nullum moritura per cEvum.
Ce poëme fut imprimé pour la première fois à Strasbourg
en i5i3, in-8°, réimprimé à Ingolstadt en i54i , aussi in-8°,
et à Lyon en i558, in-4°. Cette dernière édition est la plus
belle. Ces éditions sont citées par Fabricius, et cependant
nous en avons une postérieure d'un siècle à la dernière
(1659, in- 12) donnée, d'après deux anciens manuscrits de
l'Abbaye de St.-Gall, et de celle du Mont -des -Anges de
l'ordre de St. -Benoît, par un moine de St.-Gall, nommé
Athanase Gugger; le frontispice annonce que cette édition
est faite dans le monastère de St.-Gall et avec les carac-
tères mêmes de cette abbaye, /or/nw ejusdem. L'éditeur,
dans son avertissement, parle du poëme qu'il publie comme
Xn SIKCLÊ.
XII SIECLE.
xi8 GAULTIER DE LILLE.
d'un ouvrage nouveau, quoique ancien, qui n'a jamais été
imprimé à sa connaissance, dont on attendait impatiem-
ment la publication, et aussi recommandable par son anti-
quité que par l'érudition qu'il renferme. En tihi, candide
lector, opusnovuni, ut sit antiquuni , nusquam, quod sciant,
editum , à niultis cupide itispectuni et desideratum , non mi-
nus antiquitate quam eruditione 'venerabile. Cet éditeur ajoute
que dans les deux manuscrits dont il s'est servi, mais sur-
tout dans celui de St.-Gall , le texte était expliqué par une
glose interlinéaire ; ce qui lui fait penser que ce poëme était
autrefois lu publiquement dans les écoles. Ce qu'il ne fait
que conjecturer est un fait attesté par plusieurs auteurs. I^
plupart des manuscrits que nous possédons de ce poëme,
sont aussi chargés de gloses et d'explications interlinéaires,
sans doute pour la même raison.
L'éditeur avoue cependant que l'Alexandréide a des défauts
qui peuvent l^lesser les gens délicats, que l'auteur emploie
souvent des noms dont la quantité ne pouvait entrer dans
le vers hexamètre; que les noms grecs y sont défigurés; qu'un
assez grand nombre de mots latins sont ou entièrement
inusités ou devenus hors d'usage ; qu'il y a substitué d'autres
mots, en prenant la précaution d avertir le lecteur par un
changement de caractères; qu'enfin il a corrigé un grand
nombre de fautes, qui ne peuvent être attribue'es qu'aux
copistes, n'étant pas vraisemblable qu'à l'exception peut-être
de quelques-unes, elles eussent pu échapper a l'auteur. Il en
reste encore beaucoup dans le poëme, tel qu'il est imprimé;
cependant le style en est généralement fort, élevé, et tendant
filutôtà l'enflure qu'à la bassesse et à la platitude, qui était
e caractère pxesque universel des vers latins de ce temps-là.
En effet, si l'on compare les vers de notre Gauthier avec
la plupart de ceux du XIP siècle, presque tous rimes ou
léonins, dépourvus d'images et d'harmonie, écrits du ton
de la plus mauvaise prose , et dans lesquels une sorte de
mesure n'est obsei'vée qu'au moyen des remplissages les plus
dégoûtants, on n'est pas surpris de l'admiration qu'ils exci-
tèrent, ou ])lutôt on l'est extrêmement de voir un tel ou-
vrage paraître dans un tel temps. On serait même tenté de
croire que si le premier éditeur y avait fait, de son aveu,
des corrections assez considérables, d'autres avant lui avaient
osé davantage, et l'on indiquerait facilement des tirades en-
tières qui sont du style du XV* siècle, et nullement de
celui du XII".
LAMB. LI-CORS, ET ALEX AND. DE PARIS. 119
L'un de ses contemporains et de ses compatriotes , Alain
de Lisle, est le seul que l'on puisse lui comparer, et l'on ne
le peut même, qu'en reconnaissant dans Alain une grande
infériorité, qu'il faut peut-être attribuer en partie à ce que
les sujets moraux qu'il a traités dans les neuf livres de son
Encyclopédie et dans les six chapitres de ses paraboles, ne
comportaient pas un style aussi élevé. Quoi qu'il en soit , il
est au moins vrai de dire que ce poète , qui était ennemi de
Gauthier, n'avait nullement le dix)it de lui donner le nom
de Maevius, ce qui suppose qu'apparemment il était à ses
propres yeux un Virgile , ni de s'exprimer à son sujet comme
il l'a fait clans ces vers :
Illic
Mœvius in cœlos audetis os ponere mufum ,
Gesta ducis Macedûm tenehrosi carmitds iimbrâ
Pingere dunt tentât, in primo limine Jessus
Hœret et ignavam queritur torpescere musam.
G.
XIT SIECLE.
^«^/«^«^«'U'W^^ «^«^«^«/««/^.«Hk^^^
LAMBERT LICORS,
ou LE COURT,
ET ALEXANDRE DE PARIS.
JL/Eux poètes contemporains, que l'on réunit ordinairement
parce qu'ils firent ensemble le poëme ou roman en vers
di yi lexandre -le- Grand. Les vers de ce poëme sont de douze
syllabes , mesure alors très-peu en usage , et dont on attribue
même l'invention à cet Alexandre de Paris. Pour que cela
fût , il faudrait que c'eût été lui cp.ii eût eu la première idée
du poème, et qui l'eût commencé ; il paraît au contraire que
ce fut Lambert Li-cors qui l'entreprit, et qu'Alexandre de
de Paris ne fît que le continuer ensuite. Il le dit lui-mêmfe
dans cet endroit :
Alexandre nos dit qui de Bernay fut nez
I20 LAMBERT LI-CORS,
XII SIECLE. u» j T, • r / X 1
Ht de Pans refit (i) ses sermons appelez,
' Qui cy a les siens vers o les Lambert (avec ceux de Lambert) ietez.
'' Lambert Li-cors était né à Châteaudun. Il fut « prêtre,
« escolier, ou homme de robe longue, qui sait les lettres,
« dit Fauchet , car ainsi faut-il interpréter le nom de clerc
« qu'il prend. » Lambert n'a pas manqué d'indiquer sa patrie
et son état dans cet endroit de son poëme :
La verte de l'histoir' si com li roy la fit
Un clers de Châteaudun Lambert Li-cors l'escrit,
Qui de latin la trest ( la tira ) et en roman la mit.
Pour Alexandre , on sait seuïement qu'il était natif de
Bernay, en Normandie, comme il le dit dans les trois vers cités
Moreri, sup- ci-dessus, mais qu'il préféra joindre à son nom celui de'Paris,
plém. de 1749. sans que l'on sache ce qui l'avait attiré dans cette ville.
Le roAian qu'ils firent ensemble , ou l'un après l'autre , se
trouve manuscrit dans un petit in-folio écrit sur vélin,
n° 7633 des manuscrits français de la Bibliothèque du Roi ;
le même volume contient plusieurs autres poëmes , et finit
Folio85,rec- P^r Celui d'Alexandre. Il n'a point d'autre titre que ces mots:
todecems. «Ci Commence l'Estoire dou Roi Alixandre, comment il
« conquist XII royaumes et fut sire du monde. » En voici
X les premiers vers :
Qui vers de riche estoire vuet entendre et oyr,
Por prenre bon essample et proësse acoillir.
De conoistre reson d'amer et de haïr,
De ses amis garder et chèrement tenir,
Des ennemis grever qu'on nés lest eslargir ,
De laidures vengier et des bienfès mérir.
De haslcr quand leus ( lieu ) est et à terme s'offrir ,
Oez donc H premier bonnement à loisir
~^ Ne l'orra guieres hom qui ne voie plaisir :
Ce est dou meilleur roy qui onq poest morir ;
D'Alixandre je vuel l'estoire rafraischir.
Le poëme est divisé en chapitres , dont voici les titres :
1. Comment li X H per de Grèce furent esleu ;
2. De la bataille des Grecs contre la gént Nicolas ;
3. Comment Alixandre alla encontre Daire ;
4' La venue d' Alixandre sor Porou parmi Inde;
(i) Je lis ainsi au lieu de fu avec Lamonnoje, dans ses notes sur la
Bibl. de la Croix du Maine , au mot Alexandre de Bernajr.
ET ALEXANDRE DE PARIS. lai
„,,.„,„ ;• . 7' / * , XII SIECLE.
i). La bataille de Beauchn et a Astarot ;
6. Comment AUxandre trouvd les Siraines en l'iaue toutes
nues ;
7. De laforest oh les famés conversaient ;
0. Comment AUxandre vint pour aller en Bahyione.
Ces titres sutïisent pour prouver que c'est un roman rempli
de fables, et non une traduction de l'histoire de ce prince,
quoique l'auteur ait prétendu l'avoir trest , ou tiré du latin.
Ce n'était pas au moins du latin de Quinte-Curce ni d'aucun
autre ancien historien : ce n'était pas non plus de celui de
Gauthier de Lille ou de Chastillon. Quoi qu'en ait dit le
président Fauchet, il n'y a dans l'Alexandride latine rien qui De la lang,
puisse être regardé comme un éloge direct ou indirect de ce j*'^ 'j'"'*^',/'^'""-"
roi ; au lieu que Lambert Li-6ors, dans son poème ou roman
français cï A lexandre-le-Grand , ajoute ou substitue souvent
aux faits de la vie d'Alexandre, des faits de son temps, c'est-
à-dire de la fin du règne de Louis-le-Jeune, et du commen-
cement de celui de Philippe -Auguste, et ciu Alexandre de
Paris-, continuateur de l'ouvrage , suivit la même méthode.
Le commencement du poëme français est en effet un tissu Moreri.loc.cit.
des actions de la vie d'Alexandre avec les événemens de cette
époque de notre histoire. Le poè^e suppose qu'Alexandre
étant parvenu à l'âge de treize ou quatorze ans, fut fait che-
valier, et associé par Philippe, son père, à la couionne de
Macédoine. On ne peut douter qu'il n'ait voulu désigner
l'association de Philippe-Auguste, que son père fit couronner
et sacrer à Reims , a son retour d'Angleterre , l'année qui
précéda sa mort. Philippe n'avait que quatorze ans, et monta
a quinze sur le trône. Alexandre, suivant le poète, entreprit
sa première guerre contre un roi qu'il nomme Nicolas. Avant
d'aller l'attaquer^ il convoque ses vassaux, et obtient de son
père la confiscation des biens des usuriers pour les distribuer
a ses capitaines. Ces traits indiquent la guerre contre le roi
d'Angleterre et la saisie des biens des Juifs dans tout le
royaume. Aristote conseille à Alexandre de créer douze pairs
qui auront la conduite de ses troupes :
Elisez' douze pairs qui soient compagnon,
Qui mènent vos bataill' par grand dévotion.
Celte fiction peut n'avoir été qu'un souvenir des pairs fabu-
leux de Charlemagne, mais elle peut aussi marquer que les
pairs existaient réellement en France dès le temps où l'auteur
Tome XF. Q
XII SIECLE.
xaa LAMBERT LI-CORS,
écrivait. On voit en effet que Philippe , comte de Flandres ,
porta 1 epe'e royale , en qualité de pair de France , au sacre de
ch"f"df£[: Philippe-Auguste.
de Fr. suln'an L'auteur ou les auteurs marquent dans un autre endroit
«179- quelles étaient alors les principales fonctions du connétable
ae France, en donnant aussi un connétable au roi de Macé-
doine :
Que sui Eumenidus qui toute l'ost apend ( dépend )
A mener et à duire dessus l'estrange gent,
Que j'en ai eu du roy don et otroiement.
Et ailleurs, en parlant d'une compagnie de soldats ébranlés,
et prêts à fuir :
Mais ils redoutent honte et -vilain reprouTer
Et le franc connestabl' qu'ex a à justicier (à châtier, à punir).
Faucliet, Ori- La guerre avec le roi Nicolas étant finie, le poète fait
çinedesdign.et marcher SOU héros contre Daire ou Darius. Il décrit la raa-
magistr. ( e r. gnjfjcence de sa tente , qui était chargée de broderies dont il
explique les sujets. Au haut , il y a deux pommes sur lesquelles
est un aigle , le plus beau qu'on ait jamais vu : la reine Isabelle
l'a fait. La reine Isabelle brodant un ornement de la tente
d'Alexandre, est un anachronisme un peu fort, mais le poète
n'y regardait pas de si près , ni sans doute Isabelle non
plus. C'était Isabelle, fille de Baudouin III, comte de Hainault,
que Philippe-Auguste épousa en 1 180, l'année même de son
avènement.
Gérard Vossius parle d'une histoire d'Alexandre-le-Grand,
Oo iiisi. lat. remplie de prodiges et de fables , dont l'auteur était inconnu,
)ib. III, §. qui et dont Silvestre Gyraldus (i), auteur de la fin duXIP siècle,
vtscrtbttur : De ^ f^^jj. jnention. Il ne sait si ce n'est point le même ouvrage
anonjrmis (ftn- , . , , , . . 7 .7 r •7-7 " .
tis incertœ, cd. que 1 Alexanuritle. yidenaum idem ne an alius sit liber qui
a', i65i,in-4°, inscrihitur Alexandrides , estque de gestis Alexandrimagni.
^ Ub sunr p ^' ajoute quc la bibliothèque publique de l'université de
7ay. Cambridge possède un exera|)laire manu.scrit de ce dernier
ouvrage, copié en i363, et clont la préface commence par
ces mots : Moris est usitati, etc. Il paraît en avoir ignoré l'au-
teur, qui est sans doute Gaultier de Chastillon. II faudrait
(i) Surnommé Cambrienùs , parce qu'il était Gallois ou du pays de
Galles ; secrétaire du roi Henri II, et ensuite gouverneur du prince Jean
son (ils; auteur dune Topographie de l'Irlande, Topographia Hiherniœ,
d'un Itinéraire du pays de Galles, Itinerarium Cnmbriœ, et de plusieurs
autres ouvrages.
XII SIECLE.
ET ALEXANDRE DE PARIS. ia3
pouvoir comparer ce manuscrit avec notre roman d'Alexandre,
pour voir ce que les deux poètes français ont ajouté aux
inventions du romancier latin.
Dans le manuscrit yGSS de la bibliothèque du roi , dont
ce roman occupe la dernière partie , le sens reste imparfait
à la fin de la dernière page ; elle se tetmine par ces cinq vers :
Sires , ce dist li gars merveilles dirai grant
Ya feut ce 1 1 puceles qui en vienent chantant
Chacune devant soi traite vo auferrant (votre cheval de bataille)
Couvert de ci qu'au piez d'un paile escarimant (i)
Y chevauche chacune i palefroi emblant. 4
La re'clame, qu'il n'en a nul meillor, qui est au bas, et le
sens suspendu de ces vers, prouvent quil manque quelque
chose pour finir le roman. Cette fin qui manque ici se trouve
dans le manuscrit 7190, petit in-folio relie en veau sur bois,
écrit sur vélin , à deux colonnes , d'une écriture du XIH* siècle,
on y lit au premier feuillet, recto, ce titre en rouge: Chicom-
nienche li Roumans dil Roi Alixandre , sire de tôt lo monde.
Le roman commence ensuite , et contient avec quelques
variantes , les mêmes vers , et le récit des mêmes choses que
dans l'autre manuscrit. Mais il s'étend jusqu'à la mort
d'Alexandre , et finit par un chapitre intitule : Ensi con
escorse les duex siers qui ocisent li roi Alixandre ; où est en
effet raconté le supplice des deux prétendus sicaires ou
assassins qui ont tue ce roi.
On attribue au même Alexandre de Paris un autre roman
en vers qui avait pour titre : Roman d'Athys et de Porfilias
ou Propkylias. Il se trouvait manuscrit dans un recueil de
romans du XIP siècle de la bibliothèque de Dufay , et
l'on y lisait après ce premier titre, rim,é par Alexandre de
Bernay, sumomm^Lfle Paris. Le nouveau Ducange cite jus- Bibl. Fay. p.
qu'à six fois ce roman dans son seul second volume , mais *^9'
sans en nommer l'auteur. Il cite au mot corata ces trois vers :
Le fer qu'il ot en son trenchant
Lui mist parmi le jaserant ( sorte de cuirasse )
Ou ( au ) coi|>* lui trancha ht courée.
Au mot crota :
Dehors les murs d'antiquité
(i) D'un drap, tapis, etc. Al. Paèle. — Escarimant Aoïi signifier ecZo^art?,
TÏclie , brillant, il n'est point dans nos anciens vocabulaires.
Qa
124 LAMBERT LI-CORS,
XII SIECLE. Trouva une crouste ( grotte ) sous terre :
Là se tourna pour la mort querre ,
Et dist que jamais n'en istra, (sortira)
Mais là- dedans de duel ( de deuil , de douleur ) mourra.
Au mot directus :
Au temple vindrent, si descendent
i Leurs droitures {rectapergunt) à l'autel tendent.
Au mot dos :
Le prestre fut appareillé
A leur entrée les a seigné;
Ains n'y fut douaires nommez
Ne seremens un seul jurez ,
Fiance faire ne plevie , ( promesse de mariage )
Mais le vassal reçut sa mie.
Au mot duchissa :
A séjour y ert ( était ) la Duclioise ,
Noble dame , preux et courtoise.
Enfin au mot Duplodos :
Ung doublet (houpelande , yêtement) est chascun vestu ,
D'un g vert samit (i) pourpoinct menu.
Mais c'est tout ce que l'on peut savoir de ce roman. Il en
existe un autre dont l'auteur se noiumait aussi Alexandre, et
qui paraît être du même temps. Il se trouve dans le n" 6987
des manuscrits de la bibliothèque royale, avec un grand
nombre d'autres ouvrages, tous en vers. Le titre de ce poëme
on roman est écrit à la fin de l'ouvrage qui le précède, où
on lit ces mots : Li siège d'Ataines. Le roman lui-même
commence sans titre par ces vers (2), où l'on voit que l'au-
teur se nomme dès le cinquième :
Qui sages est de sapience , ^|É
Bien doit espandre sa siencè^'^F'
Que tuix ( tous ) la puisse recoillir
Dont bons esamples puis venir ;
Oez del savoir Alixandre
Qi pour ce fist ses vers espandre,
Quant il sera del siècle issus
Cas autres soit ramentevux.
Ne fu pas sage de clergie
(i) Étoffe fine , brodée de fils d'or ou d'argent.
(a) Il commence au folio 1 19 , v°, a' colonne.
ET ALEXANDRE DE PARIS.
Mais des autors savoit la vie.
Met mostra selon sa mémoire,
Ci nos raconte d'une estoire
12D
XII SIECLE.
De une cités ries et grans
Gi -P (i) estoient si poissans
Rome est apelée la mcstre , etc.
L'auteur entre ainsi en matière, et raconte l'histoire de la
fondation de Rome. Il y a loin de là au siège d'Athènes, qui
est pourtant le sujet du poème; il huit par ces deux vers:
D'Afaines faut ichi l'estoire
Que li escris tesmoigne à voire (lî).
Et on lit au-dessous: Explicit li Siège d'Ataines. Le style
paraît non- seulement du même temps, mais il offre des
tours et des expressions qui le font ressembler particuliè-
rement au style d'Alexandre de Paris. D'ailleurs, on ne
connaît point d'autre poète du mêrfle siècle qui se soit nomme
Alexandre. Ces motifs peuvent autoriser à croire, sans ce-
pendant oser l'affirmer, que notre Alexandre fut aussi l'auteur
du Siège d' Athènes.
Son poème ou roman d'Alexandre, qui est son principal
ouvrage, eut deux continuations ou suites; l'une intitulée,
le Testament d'Alexandre > l'autour se nommait Pierre de
Saint-Clost, ou plutôt de Saint-Cloot, comme il le dit lui-
même dans ces deux vers :
Pierre de Saint Cloot si trouve en l'escriture
Que mauvez est li arbre dont li fruits ne meure.
On ne sait rien de plus de ce poète. Le second continuateur
fut Jean-le-Nivelois, ou Jehan-le-lSevelois , qui fit la Ven- franc, liv. ii.
geance d' Alexandre. Fauchet en rapporte ces neuf vers : ibid.
^ Seigneurs , or faites pes , un petit vos taisiez
S'orrez bons vers nouviaux , car li autre son viez
Jehan li Nevelois fut moult bien afaitiez ( bien appris ):
A son hostel se sied : si fu joyaus et liez ( gai ).
Un chantère li dit d'Alixandrf à ses piez.
E qand il l'a oï s'en fu grams et iriez ( triste et irrité ),
Du fins qu ot (du fils qu'il eut) de caudace en a vers comenciez,
Bien fais et bien rimez, bien dicts et bien dictiez,
Encore sera du comte Henri molt bien loiez.
(i) Abbréviation , /?0Mr ce 5^'.
(2) A vérité , témoigne être la vérité.
Fauchet, de
a lang. et poés.
126 LAMB. LI-CORS, ET ALEXAND. DE PARIS,
xn SIECLE. ]^g même Fauchet conjecture que ce comte Henri était
Fauchet, de Henri, comte de Champagne, qui fut depuis roi de Jérusalem,
la lang. et pocs. et que,par conséquent, Jean Le-Nivelois, qui paraît lui avoir
franc. hv. II. présenté son poëme, pour en obtenir une récompense, vivait
LiT^vii, c. 3. du temps de Louis -le -Jeune, et écrivait avant iigS, année
du couronnement de Henri.
Pasquier cite, dans ses Recherches de la France, un i"ge-
ment porté par un auteur français sur Pierre de Saint -Cloot
et Jehan- le -Nevelois, qui les met au-dessus de tous les
poètes qui fleurirent dans le même siècle; cet auteur est
^ Geoffroy Tory, imprimeur à Paris, qui fit paraître en 1626,
sous le titré de Champ Flori, un livre sur L'art et la science
de la 'vraie proportion des Lettres antiques (i). Selon lui, ces
deux poètes avaient en leur style une grande majesté de
langage ancien , et il croit que s'ils eussent eu le temps en
fleur de bonnes lettres, Qpmme il était au moment ou lui,
Geoffroy Tory, écrivait, ils eussent excédé tous autheurs
grecs et latins. Ce qu'il appelle en eux majesté de langage
ancien, était cet air d'antiquité que leur donnaient les progrès
2ue la langue avait faits depuis le Xir siècle jusqu'au XVP.
a suite de ces mêmes progrès a fait vieillir à nos yeux le
style de Pasquier lui-même, et donne à celui de Pierre de
Saint-Cloot, de Jehan -le-Nevelois, d'Alexandre de Paris et
de Lambert Li-Cors, un ton de vétusté' qui fait de leur lan-
gage, une langue autre que la nôtre, et qui ne nous paraît
plus majesté, mais barbarie. On cite cependant quelques vers
Supplément du roman d'Alexandre, qui joignent à la justesse des pensées
Ue 1749. yj^ jQ^j. d'expression plus heureux, et une harmonie plus
régulière; tels que les suivans cités par Moréri:
N'est pas roi qui se fausse et sa rezon dément...
Mieux vaut amis en voie que en borse denier.... ^
Pire est riche mauvais que pauvres honourez, etc.
Les vers de cette mesure, que nous nommons ^alexandrins,
ne peuvent , co^ime on l'a ait au commencement de cet ar-
ticle, avoir pris ce nom ^Alexandre de Paris, qui fut le
continuateur de Lambert Li-Cors , mais plutôt de cette suite
(i) Debure, dans sa Bibliographie , asses mal nommée instructive, vo-
lume des sciences et arts, ne cite que la a* édition qui est de i549, et
l'intitule : De la vraie proportion des lettres attiqucs ou antiques , alterna-
tive qui n'est sûrement point au titre de ce livre, que, selon toute appa-
rence , Debure n'avait point vu.
BLONDEL DE NESLES, CHANSON. FRANC. ia7
de romans sur Alexandre , tous écrits en vers de douze syl-
labes. Le roman du Rou avait même donné précédemment
l'exemple de cette mesure , ainsi que de ces longues suites
de vers sur la même inme, que l'on trouve dans celui
d'Alexandre, et dans presque tous les poëmes contemporains.
L!usage des vers alexandrins fut abandonné peu de temps
après, et ne fut repris que dans le XVP siècle. Marot s'en
servit quelquefois, mais, comme l'observe Pasquier, seule-
ment dans ses Tombeaux , et alors il prend soin d'en avertir
par cette suscription: vers alexandrins. Baïf, Du Bellay,
konsard, et du Bartas, qui les remirent en vogue, pouvaient
leur faire courir le risque de passer de mode avec eux: mais
nos classiques du XVIP siècle, en les adoptant pour le genre
héroïque, les y ont définitivement attachés. On a continué
de les nommer alexandrins , sans chercher le plus souvent
à savoir d'où ce nom leur est venu, ou se trompant sur cette
origine, que l'on tire du nom du poète Alexandre, tandis
aue tout porte à croire qu'elle vint cfe cette suite de poëmes,
ont Alexandre-le-Grand fut le héros. G.
XII SIECLE.
BLONDEL, BLONDEAU,
OU BLONDIAUS DE NESLES,
. CHANSONNIER FRANÇAIS.
Lj'est dans la petite ville de Nesles, en Picardie, que ce
chansonnier reçut le jour; on ignore quelle fut son édu-
cation, pour quelle cause, et à quelle époque de sa vie il passa
en Angleterre, oii Richard Cœur-de-Lion régnait. Ce mo-
narque se l'attacha , c'est tout ce qu'on sait de lui. Le fragment
d'une chronique, rapporté par Fauchet, lui a fait une grande p. 556.
réputation de fidélité pour son maître, et fournit à notre
histoire littéraire un trait intéressant dont les théâtres se
sont emparés. Selon cette chronique, quand le roi Richard
eut été fait prisonnier du duc d'Autricne , « Blondel pensa
« que ne voyant point son seigneur, il lui en estoit pis, et
«■ en avoit sa vie à plus grand mesaise, et sy estoit bien nou-
128 BLONDEL DE NESLES, CHANSON. FRANC.
._! « veiles quil cstoit party d outremer, mais nus ne sçavoit
« en quel pays il e'tait arrive,' et pour ce Blondel chercha
« maintes contrées , sçavoir s'il en pourroit ouyr nouvelles,
et Sy advint après plusieurs jours pas.sez,il arriva d'advenlnre
« en une ville assez près du Chastel; et l'hoste lui dit qu'il
« estoit au duc d'Austriche. Puis demanda s'il y avoit nus
« prisonniers, car tousiours en enqueroit secrètement où
« qu'il allast: et son hoste lui dist qu'il y avoit un prison-
ce nier, mais il ne scavoit qui il estoit, fors qu'il y avoit esté
« bien plus d'un an. Quand Blondel entendit cecy, il list tant
a qu'il s'accointa d'aucuns de ceux du Chastel , comme me-
« nestrels s'accointent légèrement; mais il ne put voir le roy
ce ne scavoir si c'estoit il. Sv vint un iour en droit d'une
« fenestre de la tour ou estoit le Roy Richard, prisonnier, et
« commença à chanter une chanson en François, que le roy
« Richard et Blondel avoient une fois faicte ensemble. Quand
^ a le roy Richard entendit la chanson, il cognent que c'estoit»
« Blondel; et quand Blondel ot dicte la moitié de la chanson,*
a le roy Richard se prist à dire l'autre moifié , et l'acheva,
ce Et ainsi sceut Blondel que c'estoit le roy, son maistre. Sy
<s. s'en retourna en Angleterre, et aux barons du pays conta
te l'adventure. »
Cette anecdote, il est vrai, n'a point d'autre garant que
Fauchet; mais rien n'en prouve la fausseté; elle n'a rien
d'invraisemblable dans ces temps de che\'alerie, ni entre un
roi et son sujet, ni entre un troubadour et son ménestrel.
On ne voit donc ni ce qui porterait ni ce qu'on gagnerait à
T. I, p. a5i. n'y pas croire. Elle a été adoptée, et se trouve-dans Duver-
Extr.depo.-s. dier , dans Sinner, dans Massieu, et dans tous les auteurs
1 "V n'y'!!!*"
XlV" et xv^ 4*^* ^"'' traité de notre ancienne poésie, l^plon La Croix du
siècles, p. 14. Mhine, Blondel fut un excellent joueur d'instrumens. Fauchet
p. i33. dit que ce poète n'a laissé que douze chansons, mais La
Essai 'sur la Roi'de cite les titres de vingt-neuf, et rapporte les deux
musique , t. II , COUplctS SUivaHS.
p. 171 et 3 16. Lji ■ -^ ^ç semoni
p. ï *■ I .
De chanler au eiouz tens,
Et mes cuers li respont
Que droit est que g 'i pens ;
Car nuls riens el mont
Ne fas seur son deffens.
Dex ! quel siècle cil ont
Qui i metent leur sens !
GILBERT DE MONS. iao
,,.... XII SIECLE.
A la joie apartient
D'amer niult finement,
Et, quant li lieus en vient
Li donners largement.
Oncor plus i convient
Parler cortoisement.
Qui ces trois voies tient
Jà n'ira malement.
GILBERT
ou GISLEBERT DE MONS,
CHANCELIER DE BAUDOIN V, COMTE DE HAINAUT.
On a déjà parlé, dans cette histoire, de Gilbert de Mons, T. xii, p. a36
mais d'une manière si inexacte, que nous nous croyons
obligés de refaire son article. Induits en erreur par le P.
Lelong, nos devanciers donnent comme certain que la Chro-
nique de Hainaut , de Gilbert de Mons , n'embrasse que l'espace
de temps qui s'est écoulé depuis l'année 1060 jusqu'en 1 1/\6.
La vérité est qu'elle ne commence qu'en 1 168, et se termine
à l'année 1 1 gS. Mais Gilbert a mis à la tête une introduction
qui remonte en effet jusqu'à Richilde, comtesse de Hainaut,
vers 1060. Avant que M. le marquis du Chasteler eût publié,
en 1 784 ■) cette Chronique sur un manuscrit des dames cha-
noinesses de Sainte -Vaudru de Mons, elle n'était connue que
par quelques citations que des historiens du Hainaut, et nom-
mément le P. de Lewarde , en avaient extraites : de-là les mé-
prises dans lesquelles sont tombes les bibliographes qui en
ont parlé, sans excepter Gérard Vossius et le docte Fabri-
cius. Mais aujourd'hui que l'ouvrage a été publié, nous pou-
vons en parler plus pertinemment.
Gilbert, ou comme il écrit lui-même son nom, Gislebert,
nous fait connaître quelques traits de sa vie ; mais il n'a pas
jugé à propos de npus dire qui étaient ses parens ni en quel
lieu il avait pris naissance. D après le surnom qu'il porte, on
Tome Xr. R
Xn SIECLE.
i3o GILBERT DE MONS.
pourrait croire que ce fut à Moijs, s'il n'y avait autant de
raison de présumer que ce surnom lui fut donné à cause du
long séjour qu'il fit dans cette ville, et des dignités dont il y
Edit. Bruxei. fut revêtu. Quoi qu'il en soit, à dater de l'année ii84, il
p- 127) iSg. prend dans sa Chronique la qualité de notaire et de clerc,
quelquefois celle de chancelier du comte de Hainaut; en
ibid. p. i65. 1 187, il ajoute à ces qualités celle de prévôt de Mons, prœ-
positus Montensis. L'année suivante, ayant été envoyé à la
cour de l'empereur pour les affaires de son maître , il se défit
de deux prébendes en faveur de deux courtisans, afin défaire
Ibid. p, 192, réussir la négociation dont il éfait chargé. Le comte lui en
**7- sut si bon gré, qu'il le combla de bienfaits, et ne tarda pas
à lui donner par reconnaissance la prévôté de Saint-Germain
à Mons , la custodie et une prébende dans l'église de Sainte-
Vaudru; la prévôté, la custodie et une prébende dans l'église
de Saint-Aliîan de Namur ; une prébende dans les églises de
Soignies, de Condé et de Maubeuge; enfin il lui procura
l'abbaye de Sainte-Marie à Namur, avec le droit de conférer
les prébendes. L'année de la mort de Gilbert n'est pas con-
nue, mais elle doit être postérieure à l'année 1221 , époque
où il souscrivit, comme prévôt de Saint-Alban deNamur(i),
à une charte de Philippe de Gourtenai, comte de Namur, en
^Biir»! op. faveur de cette église.
3oî '^' Nous ne possédons de Gilbert de Mons que sa Chronique,
** **' mais c'est un ouvrage ^'autant plus précieux que l'auteur a
été non -seulement témoin de la plupart des événemens
qu'il raconte , mais souvent encore Fagent accrédité des né-
gociations importantes dont il fait le récit. 11 paraît qu'il n'a
voulu écrire que la vie de Baudouin V, comte de Hainaut, dit
le Courageux ou le Magnanime, qui succéda en i tyi , à son
père Baudouin IV, dit le Bâtisseur, et mourut le 17 dé-
cembre iiq5. Là se termine son ouvrage qu'il a rédigé en
forme de chronique ou d'annales. Il a mis à la tête, comme
nous l'avons déjà dit, une espèce d'introduction dans laquelle
il a fait entrer toutes les notions qu'il a pu recueillir sur
l'histoire des comtes de Hainaut, depuis la comtesse Richilde,
(i) Quoiqu'il soit très -probable que le prévôt Gillebert, qui souscrivit
cette charte, ne soit autre que notre Gislebert de Mons; sans égaril à
cette date, pour ne pas différer plus long-temps à rectifier l'article qui le
concerne dans le t. XII de cette histoire , c'est ici le moment et le lieu
d'y revenir, sa chronique finissant à l'année 1195.
XII SIECLE.
GILBERT DE MONS. i3i
les lois et coutumes du pays, et sur-tout les généalogies et
les alliances de la maison comtale. Il n'est pas exempt d'er-
reurs dans cette partie de son travail , parce qu'il écrit sur la
foi d'autrui ; mais dans ses annales il mérite toute notre con-
fiance , et il y a peu d'auteurs qui la méritent davantage. Le
héros qu'il a entrepris de célébrer fut un des plus illustres
de son temps , qui eut l'avantage de marier une de ses filles à
Philippe -Auguste, d'augmenter considérablement la puis-
sance du Hainaut par l'adjonction des comtés de Flandre et
de Namur , et de préparer à ses enfans les moyens de faire ,
peu de temps après sa mort, la conquête de l'empire de
Constantinople. Il est fâcheux que Gilbert n'ait pas poussé
son travail jusqu'à cette époque brillante des comtes de
Hainaut, quoiqu'il eût promis, au commencement de son
ouvrage , qu'il parlerait aussi des successeurs de Bau-
douin V. Il est possible qu'il ait continué sa Chronique, mais
quant à -présent, la continuation est encore ensevelie dans
les ténèbres.
Parmi tant de choses curieuses que renferme l'écrit de
Gilbert, les érudits qui s'occupent de recherches sur l'an-
cienne chevalerie y trouveront la description de plusieurs
tournois où la noblesse, selon les mœurs du temps, se plaisait
à déployer beaucoup de magnificence. Ils y verront que ce
n'étaient pas toujours de purs jeux ou des exei'cices gym-
nastiques, mais que les passions, les haines et les jalousies
s'y mêlaient quelquefois , et faisaient dégénérer ces réunions
en arènes sanglantes.
Les continuateurs du Recueil des Historiens de France, qui T.xiii,p.54a
avaient obtenu de M. le marquis. du Chasteler communication -58o.
du ms. de S"^-Vaudru, avaient imprimé une bonne partie de
cette chronique avant que ce seigneur eût donné son édition.
Ils n'ont pu l'imprimer que jusqu'à l'année i i8o, qui est l'é-
poque où ils ont dû s'arrêter pour ne pas anticiper sur les
règnes suivans ; mais ils ne manqueront pas d'imprimer la
suite, lorsqu'ils en seront à Philippe- Auguste. M. le marquis
du Chasteler avait promis de donner des notes sur les endroits
de la chronique qu'il a désignés par des chiffres de renvoi ;
mais éet illustre savant étant mort , ses notes n'ont pas été
fmbliées. Les continuateurs de D. Bouquet en ont donné de
eur façon dans la portion qu'ils ont imprimée, et qui est
celle qui en avait le plus de besoin. Ils ont donné une atten-
tion particulière aujt généalogies , parce qu'elles ont servi de
i32 BAUDOIN V, COMTE DE HAINAUT.
ICII SIFCI F
1 base à Baudouin d'Avesnes, pour dresser les siennes, qui ont
été imprimées plusieurs fois. Comme le commencement de
celles-ci est exactement le texte de Gilbert, et que Baudouin
n'a fait que continuer jusqu'à son temps les mêmes généa-
logies dont Gilbert n'avait pu connaître que les premiers
degrés, ils ont imprimé au bas des pages le texte de Bau-
douin, qui conduit le fil des générations jusques vers le
milieu du XIIP siècle. B.
« «''v-%<«i«^ ^^«/^'wv^ w^-v*-^ «/«.^^/«i«^^«/%«%^
BAUDOIN V,
COMTE DE HAINAUT ET DE FLANDRE.
Jjaudoin V était né en ii5o, de Baudoin FV comte de
Hainaut, et d'Adélaïde, appelée aussi Ermengarde, fille de
. ?lîV ^^ ^I' Godefroi , comte de Namur. Le goût des tournois paraît
t. Xlll,p, 5oq 1' • / 1 1 11) 1 • ^ i
^Sjg. lavoir emporte de beaucoup dans lame de ce prince, sur le
goût des lettres : les historiens en rappellent plusieurs qu'il
rechercha et dans lesquels il obtint d'éclatantes victoires.
Il nous reste cependant de lui une de ces lois destinées à
abolir l'effet des vengeances privées , et à substituer au long
< empire des armes ou de la force le seul empire de la justice.
Baudoin la fit dans une réunion des personnes les plus dis-
tinguées par leur naissance ou leurs vertus, et tous ceui
qui lui étaient soumis en jurèrent l'observation. Une peine
capitale dut frapper l'homicide ; la perte d'un membre dut
être punie par une perte semblable. Un accusé qui se déro-
bait aux poursuites de la justice, était regardé comme cou-
pable de 1 action dont il avait craint de venir se justifier; et il
ne pouvait désormais obtenir miséricorde que du consente-
ment , tout-à-la-fois , et du prince et des parens de celui sur
qui avait été commis le crime. Si un noble tuait ou mutilait
un paysan, le comte pouvait lui faire grâce dans sa vie ou
dans ses membres; mais cette paùr ne pouvait lui être assu-
rée que du consentement des parens de celui qui avait été
l'objet de l'attentat. Les parens du coupable fugitif devaient
l'abjurer, s'ils voulaient rester en paix avec ses ennemis.
Cette loi avait beaucoup d'autres articles encore. Voilà
chron. du ccux quc Gilbert de Mons nous a conservés.
Hain. t. XIII • .
XII SIECLE.
des Hist. de Fr.
BAUDOIN V, COMTE DE HAINAUT. i33
Un des premiers actes de la jeunesse de Baudoin avait
e'té la poursuite armée des brigandages qu'il chercha de-
puis, sans doute, à réprimer par des mesures de législation ^"''^'
et de police, plus conformes à la dignité et aux devoirs d'un
prince. Il ne pardonnait à aucun de ceux qu'il trouvait cou-
pables. Nous apprenons encore , par Gilbert de Mons , de Md. p. 56>j.
quels supplices il les punissait; il faisait pendre les uns,
livrait les autres au feu, en faisait précipiter dans l'eau, en
faisait enterrer d'autres tout yivans. Baudoin n'était pas en- ■
core alors comte de Hainaut ; il ne le devint qu'en 1 1 7 1 et non ^- *79 «' 67^
en II 72 comme le dit une chronique anonyme, que l'on croit 5^,™ "** '"™'
être d'un chanoine de Laon. II avait épousé en 1 169 la prin- /did. p. 679.
cesse Marguerite, sœur de Philippe comte de Flandre : une ^'''- ^^eFr.
nouvelle alliance fut contractée, à cette occasion, entre les 4-3,5,0,67^!
deux souverains : le comte de Flandre promit de secourir — làeyer', an.
et défendre le comte de Hainaut dans tous les cas et contre "^9' v-'>9- —
toute sorte de personnes, hors le roi des Français, son sei- ^^* ' ^" '
gneur-lige; et le comte de Hainaut, celui de Flandre aussi
contre tout autre que son seigneur- lige, l'évèque de Liège.
Martène a donné en entier, dans le premier volume de P. 585 et 586.
son trésor des anecdotes, une autre confédération de ces
deux princes qui a le même objet, les mêmes exceptions, et
3ui paraît n'être que le renouvellement ou la confirmation
e la première. Eue y est datée de 1 176.
Après avoir annoncé d'abord qu'ils ont, du conseil de
leurs hommes et sous la foi d'un serment mutuel , nromis
de s'aider toujours , contre tout autre que le roi de France
et l'évèque de Liège, ils s'obligent, art. 2, à ne s'emparer
de rien dans les états l'un de l'autre, et à ne construire au-
cune forteresse sur leurs frontières , que de leur consente-
ment réciproque. Ils se défendent , par l'article 3 , de garder
dans leurs terres des hommes que l'autre aurait bannis des
siennes. Aucun sujet d'un des deux états ne peut aller, pour Art. 4 et 5.
nuire, dans les états de l'autre : aucun d'eux ne peut être
contraint au rachat pour les guerres, privées sans doute, ni
en Flandre ni en Hainaut. I^ traité ajoute que les discus-
sions, s'il s'en élève, doivent être terminées par les disposi-
tions même qu'il renferme; et si cela est insuffisant, par une
délibération commune des hommes des deux princes.
Martène rapporte, dans le même ouvrage, des lettres T. i, p. 619 et
d'Amauric, abbé de St.-Aubert de Cambrai, relatives à des ^*°*
urières qu'on devait faire pour Baudoin, sa femme et ses
i34 MATHIEU, ABBÉ DE NINOVE.
XII SIECLE, gnfans; il les date de 1183, et néanmoins il parle de ce
prince comme mort, quoique Baudoin n'ait cessé de vivre
au'en 1 195 : pas de doute cependant que ce ne soit de Bau-
oin V qu'il veut parler, puisqu'il nomme sa femme Mar-
- guérite; or Baudoin IV n'avait pas une femme de ce nom,
mais du nom de Laurette. Martëne rapporte aussi , sous la
ibid. p. 655. (Jate de i ig4, un accord fait entre le comte de Hainaut et le
duc de Louvain. Il avait cité, sous celle de 1 192, des lettres
- de Baudoin, comte de Flandre et de Hainaut, au sujet d'une
P. 653. redevance qu'on payait à Cambrai. Baudoin avait succédé en
Art de vérif. iic)i au comté de Flandre, après la mort de Philippe, mort,
;s dates, t. III, ^^^^jj^^ ,^Q^g l'avous dit, à la Terre-Sainte. Philippe l'avait
Hist. de Fr. désigné comme son héritier dès son premier voyage en
t. XIII, p. 577. Orient. P.
les
P
MATHIEU,
ABBÉ DE NINOVE.
Mathieu, né à li Schoorisse, dans le comté d'Alost, en
Flandre , d'abord chanoine iégulier de Prémontré, passa, en
1 1 go, du Mont-Saint-Martin , diocèse de Cambrai, à la dignité
d'abbé de Ninove , alors du même diocèse , et ensuite de Ma-
lines : mais au bout de quelques années , plus ami du repos
que de l'autorité , il abdiqua le gouvernement et revint vivre
comme simple religieux au milieu de ses frères de Saint-
Martin; c'était en i igS. Il y mourut la même année. On peut
voir sur sa vie monastique et ses vertus religieuses, Hugo,
T. II, p. 177. dans ses monumens historico-dogmatiques de l'antiquité sa-
T. II, p. 373. crée, et dans les annales des prémontrés , Lemire, clans son
P^ 104^ histoire du même ordre , et Foppens , dans sa bibliothèque
Belgique.
Homme d'une grande piété, Mathieu fut encore un homme
d'un grand savoir. On avait de lui plusieurs sermons, ainsi
que des commentaires sur les psaumes de David et sur le
prophète Isaïe. Il paraît que ces manuscrits, conservés à la
bibliothèque de l'abbaye de Ninove, ont péri dans le temps
p. 868.
ÉCRIV. DE L'ORDRE DE GRANDMONT. i35
des troubles qui ont agité le Brabant à la fin du seizième '
siècle et au commencement du dix-septième; ils n'existaient
déjà plus quand Lemire écrivait, et Lemire est mort en
ï64o.
La chronique de Ninove le loue comme instruit, sur-tout Hugo, Ami.
dans la théologie, comme possédant à un haut degré le talent '^"J"^"- *• "'
d'exposer au peuple la parole divine ; on l'écoutait , dit-elle ,
comme un ange qui serait descendu du ciel. P.
ÉCRIVAINS
DE L'ORDRE DE GRANDMONT.
JL'o RDRE de Grandmont , dont le berceau fut à Muret dans
le diocèse de Limoges, prit naissance à-peu-près dans le
même temps que celui des chartreux , vers la fin du onzième
siècle. Ces deux ordres, en mettant des bornes au désir d'ac-
3uérir qui tourmente les hommes, se sont rendus recomman-
ables par un genre de vie qui aurait fait l'admiration des
anciens philosophes, et qui n est autre chose que la morale
du christianisme mise en pratique, ^'est la réflexion que Polierat. lib.
faisait, en parlant d'eux, le philosophe chrétien Jean de vu, cap. 23.
Salisburi, témoin des beaux commencemens de ces insti-
tutions ( I ). Mais plus empressés de trouver l'art de bien
(i) Magni procul dubio viri, dit-il, et inter prœcipuos numerandi, cum
non modo prqfessiones , sed jam senescente mundo in tanta multitudine laben-
tium sœculorum, pauci processerint homincs qui satietatis sibi aliquos prae-
scripserint termittos. Necesse est semper déesse aliquid curtœ rei , et ipse
hiatus desiderii, aliquid ulteriîts jugiter affectantis , imperfcctionis signum
est.... Quodarn igitur modo, eoque glorioso , perfectus est qui prœvidet unde
valent satiari : quod etsi neminem vel admodum paucos gentuium assecutos
credam, huic tamen nonnullos institisse proposito certum habeo , cum et
Ethicus dicat : Certum voto pone finem , sine quo in infinîtum humani
animi conatus protenditur, et in id quod omnino nequeat apprehendi.
Porro Magni-montis incolœ vitam perarduam elegerunt, et non modo avu'
ritiœ , sed ipsius naturœ quodam modo domitores, omnia necessitatis imperia
excluserunt , abjecerunt soUiciludinem crastini, etc. Policratici, lib. VII ,
cap. 23. Etienne de Tournai, lettre 71 , fait du genre de vie des Grand-
montains un éloge non moins magnifique.
XII SIECLE.
i36 ECRIV. DE L'ORDRE DE GRANDMONT.
vivre pour le mettre en pratique, que de faire des livres, ces
bons solitaires écrivaient peu; je n'aurai à parler dans cet
article que des maximes de conduite et de morale qu'ils
s'étaient prescrites, ou de quelques morceaux historiques
concernant leur établissement.
1° Etienne de Liciac fut le quatrième prieur de Grand-
mont, après saint Etienne de Muret, et en cette qualité,
Mart. Ampl. supérieur-général de l'ordre. C'était un homme austère, très-
col. TiS et las! ^^'^ pour les observances du cloître , sous le gouvernement
duquel l'ordre de Grandmont sortit de son obscurité, et prit
de grands accroissemens , soit pour le nombre des frères,
soit pour celui des maisons que la piété des grands du siècle
s'empressait de construire à leur usage. Son gouvernement
fut de vingt-trois ans, selon son épitaphe et tous les monu-
mens historiques de Grandmont ; et comme il mouî-ut cer-
tainement au mois de janvier i i6i , il dut commencer, non
l'an I i4i, comme le disent les auteurs du Gallia Christiana,
mais au plus tard l'an i iSg.
Labbe,Bibi. Bernard Guidonis ou de la Guionie, évêque de Lodève
ms. t. II, p. 276. çj^ i3o8, lui attribue un écrit qui a pour titre: Dicta etfacta
Mart. ibid. saucti Stcphani de Mureto. D. Martène, qui avait trouvé cet
co . 104 . écrit intercalé dans une vie de saint Etienne, composée par
Gérard Ithier, septième prieur de Grandmont, adopte cette
opinion qu'il appuie de fortes conjectures, tirées de la nature
nui. co\. iiii. même de l'ouvrage. 1^ l'a imprimé à la suite de l'écrit de
Gérard Ithier, dans lequel il avait pour titre : Hic hreviter
comprehenduntur atque concluduntur mrtutes conversationis
Clique sanctitatis sancti Stephani confessons , et l'éditeur y
en a ajouté un nouveau , fondé sur ses conjectures : Sancti
Stephani dicta etfacta, Stephani de Liciaco, uti conjicinius,
jussu conscripta , et a Gerardo Itherii in vita ejusdem a se
conscripta , inserta.
Cet ouvrage est divisé en seize chapitres , et contient de fort
bonnes maximes ; c'est une espèce de panégyrique fait pour
servir de modèle de conduite aux religieux, et perpétuer dans
l'ordre l'esprit de ce grand serviteur de Dieu. Cet écrit ne
doit pas être confondu avec un autre du même genre , con-
tenant cent vingt-deux maximes, ayant pour titre : Liber
sententianim , seu rationum sancti patiis nostri Stephani,
instituions ordinis Grandimontensis , ouvrage traduit par le
célèbre Baillet, imprimé à Paris, en latin et en français, chez
Lemercier, l'an 1702, in-ia. On en a rendu compte au
ECRIV. DE L'ORDRE DE GRANDMONT. 137
tome X de cette Histoire ; mais en attribuant ce dernier écrit '
à saint Etienne de Muret , ainsi que la règle des grandmon- Hi**- Li«ér.
tains, on a suivi trop aveuglement D. Rémi Ceillier, qui a *'^^' P' ^''~
été réfuté par un religieux de l'étroite observance de cet
ordre, dans le Journal de Verdun, année 1766, juillet,
p. 37 — 47- L'opinion de ce religieux est que- la règle de
Grandmont, ainsi que le livre des Maximes recueillies des
instructions verbales de saint Etienne, sont l'ouvrage d'Etienne
de Liciac, ou du moins composés par son ordre, d'après
la délibération du chapitre -général, qu'il avait assemblé
l'an II 56.
IL Pierre Bernardi, appelé aussi Bernard du Coudrai, ^''^- ^^> ^P*
de Corilo, dans les lettres de saint Thomas de Cantorbéri, et ''Làbbe'°BU)U
par Geofroi de Vigeois Bernard de Bré , autrement dit de ms.t. Il,p. 317.
Boschiac, était d'une famille noble du Limousin. Il avait un
frère nommé Aimeric Bernardi de Bré, et lui-même avait
été engagé dans le mariage avant que d'entrer en religion.
Il fut élu prieur de Grandmont, l'an 1 161 , comme on le voit
par la lettre qu'il écrivit à Henri II, roi d'Angleterre, son
souverain, et par la réponse qu'il en reçut, datée de la
septième année du règne de ce prince. Il gouverna ce mo-
nastère pendant sept ans et demi , c'est-à-dire jusqu'à l'an-
née II 68, époque où il fut nommé correcteur cïes Bons-
Hommes de Vincennes, aux portes de Paris. C'était l'homme
le plus rccomniandcible de son ordre, dans un temps où cet
ordre jouissait de la plus grande considération (i); un homme ,
de qui les rois de France et d'Angleterre prenaient conseil,
et à qui les papes et les évêques confiaient les affaires les
plus délicates, comme on le verra par le détail des lettres
qui nous restent de lui , ou de celles qui le concernent.
1° Dom Martène a publié la lettre que Pierre Bernardi Mart.Anecd.
écrivit au roi d'Angleterre pour soumettre à son approbation '* ' ™ • ^ ^•
la nomination qui venait d'être faite de lui à la place de
prieur de Grandmont, général de l'ordre. La réponse du roi
est très-honorable pour sa personne.
2° Bernard n'était plus prieur de Grandmont, lorsau'il ^ Ep.s.Thoin.
' T Cant. hb. IV,
ep. I.
(i) Sancti Granditnontani , dit Jean de Sarisbéri, ép. 270, creduntur
talentutn gratice principum in tantum meruisse et percepisse à Domino, ut
dispensatio regnorum, quateniis ipsi permiserint , eorum permittatur arbitrio.
Fama siquidem prœconatur quod in eorum manibus sint consilia et opéra
regum.
Tome Xr. S
i38 ECRIV. DE L'ORDRE DE GRANDMONT:
L reçut du pape Alexandre III, conjointement avec les prieurs
des chartreuses du Mont-Dieu et du Val -Saint-Pierre, la
commission de travailler à la réconciliation de l'archevêque
de Cantorbéri avec le roi d'Angleterre. En vertu de ces lettres
de commission, dans lesquelles il est nommé Bemardus de
Corilo , il assista à la conférence qui eut lieu, aux fêtes de
l'Epiphanie de l'an 1 169, à Montmirail dans le Perche, entre
les rois de France et d'Angleterre, dans laquelle la paix entre
ces deux princes fut conclue, mais non celle de l'archevêque
Thomas avec son roi , quoique les commissaires du pape
fussent porteurs de lettres très- menaçantes, dans le cas qu'ils
ne parviendraient pas à fléchir le monarque anglais. Les
commissaires ayant rendu compte au pape du résultat de
/6jrf.ep.8eiio. cette conférence, Bernard ne jugea pas à-propos de souscrire
la lettre, par la raison, disait-il, que ce n'était pas l'usage
des grandmontains d'écrire à qui que ce fut: Etquiafratrum
Grandimontis consuetudo non est ut scrihant alicid, hœc de
conscientiâ et 'voluntate^ fratris Bernardi socii nostri Dohis
scribimus , qui veritatem in audientiâ multorum testijicatus
est, rogans eos quibus scnbere licet, ut 'vohis ab eo audita
joan. Saresb. scHberent. Ce procédé de la part du frère Bei'nard le rendit
ep. 268 , aCg. ^^ p^^ suspect à Jean de Sarisbéri , qui parle de lui comme
d'un homme dévoué au roi d'Angleterre ; car dans une autre
occasion ce grandmontain , comme nous Talions voir, ne fit
pas difficulté d'écrire.
3° En effet les grandmontains avaient des obligations in-
,finies au roi d'Angleterre, dont les faveurs étaient presque
toutes pour eux; il leur donnait des terres, leur bâtissait
des maisons dans ses états, et à l'époque même du meurtre
de saint Thomas , il faisait travailler à la reconstruction de
leur église. C'étaient de grands motifs de ne pas' se déclarer
contre lui ; mais ce qui prouve que frère Bernard était au-
dessus de ces considérations , c'est qu'à la nouvelle de ce
Mart.Anecd. meurtre, pénétré de la plus vive douleur, il écrivit au prieur
1. 1, col. 56o. jg Grandmont, se reprochant ce meurtre comme s'il l'eût
commis personnellement, parce qu'apparemment il était le
ihid. col. 56i. directeur de la conscience du roi. C'est ce qu'on doit conclure
de la longue lettre qu'il lui écrivit sans respect humain, et
avec une" liberté incroyable, pour lui reprocher l'énormité de
son crime. Elle est d'un pathétique aussi éloquent que sau-
vage; car, après avoir épuisé toute sa rhétorique, l'auteur
finit par déclarer au roi qu'il ne veut plus avoir rien de
ÉCRIV. DE L'ORDRE DE GRANDMONT. i39
commun avec lui , qu'il le regarde comme un excommunie ,
qu'il ne recevra pas même de ses lettres, si le coupable ne
répare par une pénitence convenable un si horrible attentat.
4° Nous ignorons si le roi d'Angleterre fut choqué d'une
pareille liberté; mais, quoique Bernard ait vécu depuis encore
plusieurs années, nous ne voyons pas qu'il ait eu d'autres
relations avec ce prince. En revanche, nous trouvons qu'il
était fort accrédité dans les conseils de Philippe-Auguste.
L'an 1 1 8 1 , ce prince voulant expulser les Juifs de son royaume, Duchesne ,
consulta sûr cela le frère Bernard de Vincennes, qui , au rap- '• ^ ^"- ^"°-
port de Rigord, approuva la mesure : Consuluit quemdam
eremitatn nomine Èernarduni , qui eo tempore in nemore
Vicenarum degebat , qidd facto opus esset ; de consilio cujus
relaxavit omnes christianos de regno suo a debitis Judœorum,
quintâ parte totius summœ sihi reseivatâ. L'an 1190, ce /W</. p. 3o.
prince, dans le testament qu'il lit en partant pour la Terre-
Sainte, défend aux régens du royaume de nommer à aucun
bénéfice ecclésiastique sans avoir consulté le frère Bernard :
ce qui prouve incontestablement la haute considération dont
jouissait ce bon solitaire dans le royaume.
5° Pendant les troubles qui agitèrent l'ordre de Grand-
mont, sou9 la présidence de Guillaume de Trahinac, dont
nous parlerons bientôt, le frère Bernard employa son crédit
auprès du roi, pour faire triompher la cause des religieux-
clercs contre les frères-lais, qui se croyant supérieurs aux
clercs , parce qu'ils étaient en plus grand nomore et qu'ils
avaient la manutention du temporel, avaient chassé les clercs
de leurs maisons. Nous avons parmi les lettres d'Etienne de Steph. Tor-
Tournai , alors abbé de Sainte-Geneviève, celle qu'il écrivit, "^c. ep. 143,
conjointement avec les abbés de Saint -Denis, de Saint-
Germain et de Saint- Victor de Paris, pour informer le pape
Clément III de la manière dont le roi avait terminé cette
affaire, et des nouveaux troubles que les frères -lais cher-
chaient à susciter. Dans cette lettre, les quatre abbés font
l'éloge du frère Bernard , qu'ils appellent un homme simple
et craignant Dieu, ajoutant que le pape ferait une chose
agréable au roi, s'il voulait confier au frère Bernard, ainsi
qu'à l'évêque de Paris , le soin de rétablir le bon ordre dans
cette congrégation.
6" C'est encore lui qui avait été chargé de négocier avec
saint Guillaume, abbe de Saint-Thomas du Paraclet en
Sa ,
S.II SIECLE
77
i4o ÉCRIV. DE L'ORDRE DE GRANDMONT.
Danemarck , le mariage du roi Philippe-Auguste avec ta
princesse Ingeburge. Ce mariage ayant été rompu presque
' }h'J^' aussitôt, l'abbé Guillaume, dans une lettre de l'an iiq5, lui
Dan. rappelle les soins quils s étaient donnes 1 un et 1 autre pour
cimenter cette union dont ils auraient pu se féliciter, si l'in-
trigue n'en eût rompu le charme. En finissant, il exhorte son
ami à faire usage de son crédit auprès du roi, afin de le
déterminer à reprendre sa femme. Supplicamuf imtur et nos ,
ut, quia rex idem consiliis vestris innititur , ad idem opus
complendum, Destrœ paHes accédant , ut malis actionibus
jucundiora et meliora munere di\'ino succédant.
Cette lettre prouve que notre solitaire vivait encore l'an
1 195, mais l'année précise de sa mort nous est inconnue. Si ,
malgré les affaires importantes dont il fut chargé, il n'a pas
beaucoup écrit , la raison en est dans la pratique austère de
l'ordre de Grandmont, qui, comme nous l'avons vu, ne per-
mettait point aux religieux d'écrire à qui que ce soit , même
au pape. Les trois lettres dont nous venons de parler, les
seules qui soient parvenues jusqu'à nous^ ont été réim-
primées dans le XVP volume du nouveau Recueil des Histo-
riens de France, aux pages 470, 47^1 ^38.
III. Guillaume de Trahinac, quelquefois» surnommé
d'Aixe, parce qu'apparemment il était originaire de ce lieu
dans le Limousin, fut fait prieur de Grandmont, vers l'an
1 168, après Pierre Bernardi, dont nous venons de parler.
Mart.Anecd. Nous n'avons du prieur Guillaume que deux lettres relatives
!..«' ^ ° *' au meurtre de saint Thomas de Cantorbéri ; l'une à Pierre
Bernardi, que cet événement avait jeté dans le trouble, pour
le consoler; l'autre au roi d'Angleterre, pour lui signifier
3 n'a la première nouvelle du meurtre du saint archevêque,
ont le chargeait la voix publique , il avait renvoyé les ou-
vriers qui, par un effet de sa munificence royale, travaillaient
à la reconstruction de l'église de Grandmont, ne voulant
plus de ses dons, ni avoir aucune communication avec lui.
Steph. Tor- Outre CCS deux lettres, il y en a une parmi celles d'Etienne,
ep. 144. abbé de Sainte -Geneviève, écrite en son nom au pape Ur-
bain III, et il n'est pas douteux qu'il n'en ait écrit beaucoup
d'autres pendant le grand procès que lui suscitèrent les
frères-lais, qui se prétendant supérieurs aux clercs, parce
qu'ils avaient la manutention du temporel, se portèrent aux
plus grands excès, le déposèrent, et mirent a sa place un
seq.
nac.
ÉCRIV. DE L'ORDRE DE GRANDMONT. i4i
nouveau prieur, nommé Etienne (i). Cette affaire dura trois
ans, ne fut terminée que l'an 1 187, par une espèce de com- Mart.Anecd.
promis entre les mains du roi de France, qui règle les pre'- *-^ '*=**'• ''^'»-
tentions respectives des cleres et des laïques. On voit par la
lettre t43 de l'abbé de Sainte-Geneviève au pape Clément III,
que le frère Bernard de Vincennes eut beaucoup de part à
cet accommodement, et que les troubles ne tardèrent pas à
recommencer de la part des frères convers, au point que
l'affaire ayant été portée au tribunal du pape Clément III, il
cassa l'élection des deux prieurs , et ordonna l'élection d'un Mart. Ampi.
nouveau. Il paraît que Guillaume de Trahinac, se croyant Co'lect. t. vi,
injustement déposé, lit alors le voyage de Rome (2), et qu'il ' '°^°'
y mourut avec la réputation d'un homme d'une sainteté re-
connue : Doninus H^illelrniis , prior Grandimontis , ut ferè Mart.Anecd.
omni mundo notum est , pw injuria quain a fratribus suis t-i.col. 6o5.
patiebatur, exul et peregrinus Romœ emigravit ad Christwn,
cujus sanctitatis 'virtutisque prœconium omnium nostrûm
novit ■ ccclesitt , quod etiani crehra testantur miracula. Les
annalistes de Grandraont s'accordant à lui donner dix-huit Mart. Ampl.
ans de priorature, laissent dans l'incertitude s'il faut compter ^"l'" ''^l,' *'°''
ces dix-huit années a commencer a 1 an 1 1 do jusques a i io5,
époque de sa première déposition par les frères convers , ou
depuis iiyo jusqu'à l'année 11 88, dans laquelle il eut pour
successeur Gérard Ithier.
IV. Le pape Clément III, pour rétablir la paix dans l'ordre
de Grandraont, ayant ordonné, comme nous venons de le
(i) On trouve dans un manuscrit de Saint-Victor quatre complaintes
sur cet événement , composées de rhythmes différens. Voici deux stances
de la seconde qui nous paraît la meilleure :
Fleant omnes litterati , Stupet cœlum scehcs terrce ,
Grandimontis ordinati ; Stupet terra gcntem ferre ,
Turpiter sunt mancipati Quœ sit ausa se prœferre,
Barbatorum potestati ■ Temereque viin inferre
Nostris in temporibus. Ministris ecclesiœ. -•
Fleant aurum obscuratum, Admirentur universa
Et co forent immutatum , Quant harbata gens perversa ,
Templum Dei violatum , Gens in malum tota mersa ,
Auro Christum coronatunt , Dominetur vice versa
Sanctum datum canibus. Litteratis hodie.
(2) C'est à cette occasion que le prieur Guillaume composa l'opuscule
Qiiales sunt, imprimé parmi ceux de Pierre de Blois, comme nous le
prouverons en rendant compte des écrits de ce dernier.
i42 ÉCRIV. DE L'ORDRE DE GRANDMONT.
' dire, de procéder à 1 élection d'un nouveau prieur, Gérard
Mart. jbùi. ou Gerald Ithier fut élu , le 29 septembre 1 188, d'une voix
co . 1090. unanime, à la place des deux prieurs destitues, dans un.
chapitre- général de l'ordre composé de cinq cents jnembres,
en présence d'Elie, archevêque de Bordeaux; de Seibrand,
évêque de Limoges, et de Bertrand, évêque d'Agen. C'était
un homme plus instruit que ne l'étaient communément alors
les grandmontains, et dune famille distinguée de la petite
ibtd. co\. 1111. yiiiy (jg Saint- Junien; car parlant d'un nommé Ithier de
Monte- Valerio, homme noble habitant de ce lieu, il l'appelle
son ami et son parent : Erat enim amicus noster atque coh-
sanguineus , génère qiioque atque nobilltate perspicuus.
Il fut résolu dans ce chapitre de travailler à la canonisation
du saint instituteur de l'ordre, et le soin en fut laissé au
prieur Gérard, qui ayant recueilli tous les documens pré-
parés pour cela , et muni des attestations des évêques que
nous venons de nommer , obtint facilement du pape Clé-
Jbid.coX. 1092. ment III, une bulle datée du 21 mars, la secofîde année de
son pontificat, c'est-à-dire l'an 1189, par laquelle le souverain
Ï)ontife donne commission à Jean, cardinal de Saint-Marc,
égat en France, de se transporter à Grandmont, et de pro-
céder, conjointement avec les évêques de la province, à la
/w</. col. 1094. canonisation de saint Etienne de Muret: cérémonie qui se
fit avec une pompe religieuse, le 3o août de la même année,
peu après la mort de Henri II, roi d'Angleterre, qui avait
vivement sollicité la canonisation du saint.
On dit qu'à cette occasion Gérard Ithier composa la vie
de saint Etienne de Muret; mais cette opinion ne nous paraît
pas devoir être admise sans restriction. Il nous semble qu'on
peut distinguer ce qui est vraiment 'de lui, de ce qui existait
Labbe,Bibl. avaiit lui. Le P. Laboe qui l'a publiée le premier, l'an 1667,
"'fisV^'^^''* la donne sans nom d'auteur; elle reparut, l'année d'après,
avec des observations préliminaires et de savantes notes dans
Boll. 8 febr. le recueil de Bollandus, sous le nom du prieur Gérard,
p. i99-ai3. d'après un manuscrit envoyé par le laborieux P. Chilïlet.
"Mais ce quils ont imprimé n'est qu'un abrégé du grand
ouvrage publié depuis par D. Martène et D. Durand. Ces
Mart. Ampl. derniers éditeurs pensent, comme Bollandus, que Gérard ne
Coiiect. t. Yi, £yj. ^^g jg rédacteur ou le compilateur des mémoires qui
col. 1040. .T , , .,,. , . *^ ^ A^ A -r?..-
avaient ete recueillis avant lui, peut-être même par Etienne
deLiciac, dont on a déjà parlé : et nous sommes de leur avis.
En effet on trouve à la tête de la dernière édition trois pré-
XII SIECLE.
ÉCRIV. DE L'ORDRK DE GRANDMONT. i43
faces ou inscriptions, tituli, qui paraissent être de différens
auteurs: les deux premières sont anonymes, et la troisième
porte le nom de Gérard , vénérable septième abbé de Grand-
mont. Nous pensons, comme les éditeurs, que la première
est celle qu'Etienne de Liciac, quatrième prieur de Grand-
mont, avait placée à la tête de l'écrit qui a pour titre: Dicta
et facta sancti Stephani; que la seconde était faite pour la
vie de saint Etienne, finissant au chapitre 55, comme on voit
par la doxologie qui le termine ; et que Gérard Itliier ayant
incorpore ces ouvrages dans le sien , y a ajouté la troisième
préface, ainsi que les chapitres depuis le 56^ jusqu'au ^4^,
dans lesquels il n'est parlé que de miracles.
Un autre ouvrage qui lui appartient tout entier est celui /6/V/. col. 1087
qui a pour titre: De revelatione beati Stephani. Il est divisé -"'*•
en trente -cinq chapitres, dont les deux premiers servent de
préface. Le premier est une lamentation sur les déplorables
divisions qui s'étaient élevées dans l'ordre , et l'avaient rendu
la fable du siècle; dans le second, l'auteur exhorte ses con-
frères à oublier le passé, à se pardonner mutuellement, et à
réparer le scandale de leur conduite par un renouvellement
de ferveur. Il fait ensuite l'histoire de la canonisation du
saint, et une longue énumération des miracles faits à cette
occasion, et dans les années suivantes. On y voit que les /iiV/. col. 1093,
grandmontains qui avaient défendu autrefois à leur saint
patriarche d'opérer des miracles, avec menace, s'i4 conti-
nuait , de jeter son corps dans un cloaque , parce que l'affluence
de monde qu'ils attiraient, troublait leur solitude; on y voit,
disons -nous, qu'ils le priaient instamment alors d'en faire,
parce qu'il importait de relever sa gloire aux yeux du peuple.
Les derniers éditeurs de la vie de saint Etienne ont re- Mart. ibid.
dressé les erreurs de chronologie dans lesquelles est tombé '^°'- '°'i''-
l'auteur, touchant la retraite du saint à Muret, et l'origine
de son ordre. Nous n'entrerons pas dans cette discussion,
parce que cette matière a été assez débattue par nos devau- ^'''- ^''"^■■•
ciers, à l'article d'Etienne de Muret. t. x, p. /,ii-
Deux auteurs , qui dans le XIV^ siècle ont composé l'histoire Mart. iùd.
ou la chronologie historique des prieurs de Grandmont, attri- *^°'- "' ^' ***'
buent encore à Gérard Ithier un ouvrage ayant pour X\Xx^\ Spé-
culum Grandimontis , livre, disent-ils, d'une érudition rare,
et d'une merveilleuse utilité , Qui Giraldus dictavit ^vitam
sancti Stephani prœlihati , et compilavit spéculum Grandi-
montis, mirœ utilitatis et scientice librum. Nous ne connais-
XIl SIECLE.
Annal. Ord.
Grandimont. p.
II.
Mart. ibid.
p. id46.
Ibid. col. 1 1 3o.
Mart. ibid.
eo\. 121 et 128.
Gall. Christ.
t. II, col. 65o.
Mart. ibid.
«ol. ïi85.
/i/V/.pol. 126Ï
et 1 167.
i44 ÉCRIV. DE L'ORDRE DE GRANDMONT.
sons pas ce miroir. Serait-ce le livre des maximes et ensei-
gnemens de saint Etienne, dont il a ëte' parle plus haut,
livre effectivement admirable ? Nous ne le pensons pas , par
la raison que Jean Lévêque, auteur des Annales de l'ordre
de Grandmont, imprimées à Troyes,ran 1662, dit que cet
ouvrage existait à Grandmont, en deux gros volumes. Il y a
apparence qu'on appelait ainsi les deux volumes dans lesquels
D. Martène dit avoir trouve les différens écrits concernant
l'ordre de Grandmont qu'il a publiés.
C'est vraisemblablement dans la même compilation que
l'infatigable Martëue a puisé une pièce de 64 vers nexamètres,
remarquables par la variété des rimes ou consonnances tantôt
entre les finales des vers, tantôt entre l'hémistiche et la finale,
contenant un très -court abrégé de la vie de saint Etienne.
Si ces vers sont aussi de la composition de Gérard Ithier,
il faut convenir qu'il n'était pas né poète ; car il n'est guère
possible d'en lire de plus plats. Sa prose cependant n'est
pas mauvaise; elle est semée de réflexions judicieuses qui
décèlent un sens droit, et écrite avec un air de candeur et
de simplicité qui lui concilient la confiance des lecteurs.
Le prieur Gérard, selon les historiens de Grandmont, se
démit de sa place, après avoir gouverné sa congrégation
pendant neuf ans, c'est-à-dire, jusqu'en 1 197, et mourut à
Grandmont, le 19 avril , sans dire en quelle année. Son épi-
taphe , rapportée daps le Gallia Christiana, lui donne dix
ans et trois mois de prélature, et ne marque pas non plus
l'année de sa mort.
V. Guillaume Dandina, ou de Saint S a vin, auteur
d'une vie du bienheureux Hugues de Lacerta, publiée par
D. Martène, nous apprend, en terminant son écrit, quel était
son nom et son surnom ; qu'il était prêtre et religieux de
l'ordre de Grandmont : Ego Guillelmus Dandina, qui de
sancto Savino impropriè cognominor , /rater peccator in-
digniisque saccrdos. Le surnom de saint Savin lui venait
apparemment du lieu de sa naissance: ce qui semble indiquer
3uil était poitevin. Nous ne connaissons aucune particularité
e sa vie; mais on peut recueillir de ses écrits qu'il vécut
long-temps après l'an 11 67, époque de la mort du saint
homme dont il écrit la vie. Car il parle du prieur Etienne
de Liciac, décédé l'an ii6i, et de son successeur Bernard,
qui vivait encore lorsqu'il écrivait. Or Pierre Bernard qui
cessa d'être prieur à Grandmont, l'an 1168, vécut, comme
ÉCRIV. DE L'ORDRE DE GRANDMONT. i45
nous l'avons prouvé ci-dessus, au-delà de l'anne'e iig5. _1
Dandina écrivait donc dans l'intei-valle des années 1161 et
I iû5 , et certainement avant 1 1 89 , puisque , parlant de saint
Etienne de Muret, il ne l'appelle jamais que dom Etienne,
sans lui donner le titre de saint : ce à quoi il n'aurait pas
manqué, s'il eût écrit postérieurement à sa canonisation
faite par le pape Clément III, l'an 1 189.
Son histoire est intéressante, et peut passer pour une
seconde vie de saint Etienne de Muret, dont Hugues de
Lacerta fut l'ami et le confident le plus intime. L'auteur nous ibid. col. 1160.
apprend qu'à l'époque où il écrivait la vie de ce dernier, on
avait déjà composé plusieurs volumes sur celle de saint
Etienne: Igitur post transitwn domni Muretensis , summi et
memorahilis viri, de cujus vitâ utque doctrind, multa, ut
dictum est, hahentur 'volumina. Cela prouve ce que nous
avons avancé plus haut, que Gérard Ithier ne fit que recueillir
tous ces ouvrages pour en composer la vie qui porte son nom.
Dandina fit usage des mêmes matériaux pour composer
l'histoire de Lacerta , et particulièrement des dits et gestes
du saint fondateur, dont il rapporte un grand nombre. Il 75iV/. col. 1x84.
avoue qu'il n'avait pas eu le bonheur de connaître person-
nellement le saint homme dont il écrivait la vie ; mais il dit ibid.coX. ii8a.
en plusieurs endroits qu'il avait appris ce qu'il rapporte
d'autres religieux qui avaient vécu avec le frère Hugues, et
qui vivaient encore lorsqu'il écrivait. Cette histoire est beau-
coup trop diffuse, et n'est pas recommandable par la beauté
du style. L'auteur en convient: Quoique mon style grossier, ibid. co\. 1184.
dit-il, ne soit nullement propre à donner du relief à cette
légende, j'espère cependant que le fond des choses que i'ai
mises par écrit, de mon mieux, et que je rapporte avec sin-
cérité, le rendra recommandable : Plurimwn confidentes
quoniam, etsi non potest legendam incultus sermo et rusti-
canusornare, eamfaciet ille heatus signis prœclarisque vir-
tutibus elucere. Elle est en effet très-édifiante, et prouve que
Muret était une excellente école de vertu.
Les successeurs de BoUandus n'ayant pu se procurer l'écrit Boll. «7 apr.
de Guillaume Dandina, n'ont dit que quelques mots en pas- P-'t75-
sant du bienheureux Hugues de Lacerta. Mais D. Martène, à
qui la littérature du moyen âge a tant d'obligations, l'a pu-
blié sur un manuscrit qui lui fut envoyé de Grandmont.
Le même éditeur nous a donné la relation d'une vision Mart. Anecd.
qu'eut un moine de Grandmont, au sujet de la déposition du t- 1. cd- 604.
Tome XV. T
i46 RAOUL DE SERIES.
L prieur Guillaume de Trahinac. Ce n'est qu'une vision, mais
dont l'histoire peut faire son profit. Elle fut écrite par un
nommé Guillaume , à- un religieux nommé Gui : Fratri
JVidoni fViUelnms. Il n'est pas hors de vraisemblance que
l'auteur de cette relation soit notre Guillaume Dandina , et
n ?f^rV^'"''l' 1^ nommé Gui le Guido de Milliaco, dont il parle dans son
Coll. t. YI, col. v- ^ . ni ' • 1 . ., r .
ji6a. histoire comme a un des témoins de qui il avait appris ce
qu'il raconte. Si cela est, on peut assurer que Dandina vécut
au-delà de l'an 1 188, époque de la déposition de Guillaume
de Trahinac, et que môme après la mort de ce prieur il
avait de la peine à reconnaître son successeur Gérard Ithier.
B.
RAOUL DE SERRES,
DOYEN DE L'ÉGLISE DE REIMS.
Bibl. med. et £ ABRicius dit qii'Oléarius , Bayle, Cave, et Dupin, ont con-
Mansr'in-4° t! f"^"<iii plusicurs Haouls : mais il s'en faut bien que Fabricius
YI, p. 33. ' lui-même ait parfaitement distingué de tous les autres celui
qui doit ici nous occuper. Pour éviter, s'il se peut, cette
confusion , nous commencerons par indiquer les divers per-
sonnages qu'il s'agit de distinguer.
1°. Radulphus ou Gradulphus, qui fut abbé de Fontenelle
Gaii. Christ, çn Normandie, vers le milieu du XP siècle, et qui, selon
76^V7- ' ^ t*^"t6 apparence , n'a laissé aucim ouvrage. Oudin l'appelle
Comment, in un écrivain imaginaire, un saint du nouveau calendrier :
Script. Ecdes. ^p Raoul, moine de Flaix ou de St.-Germer, théologien
Dicet.iia'duiph. ^" ^^^^ siècle, que Bayle a pris mal-à-propos pour un chro-
Hist. Litiér. niqueur, et que nos prédécesseurs ont mieux fait connaître
^^ ^\^^ *«^^^' <^o'"™^ auteur d'une somme théologique et de quelques com-
p- 4 0-4 4. jnentaires sur des livres sacrés :
3° Raoul de Beauvais qui toutefois pourrait fort bien n'être
que Raoul de Flaix ; car le monastère qui portait ce dernier
nom, ou celui de St.-Germer, était situé dans le Beauvoisis :
4° Raoul-le-Noir qui enseignait à Poitiers et auquel sont
adressées les deux lettres de Jean de Sarisberi, qui portent
les n°' 171 et 178 dans le recueil de celles de Thomas Éecket:
RAOUL DE SERRES. 147
5" Raoul de Serres, doyen de l'église de Reims, mort en ^" SIECLE.
1 196; -c'est celui à cause duquel nous parlons ici des autres: Hist. Unir.
Dii Boulay, dom Rivet et plusieurs autres lui ont appliqué Pa"s. t. il, p.
le surnom le Noir^ qui, selon M. Brial, doit être réservé au '^^j;^^ n.Liit.
précédent : de la Fr. t. ix,
6° et 7° Deux chroniqueurs qui écrivaient au XIIP siècle, r- 73-
savoir, Raoul de Coggeshale, et Raoul de Suffolk, quelque- Li^rde^F;.*^"
fois surnommé aussi le Noir^ mais archidiacre de Glocester. xvi, p. 535.
On a lieu de croire que Raoul, doyen de Reims, était né Gali. Christ.
en Angleterre. Jean de Sarisbéry , et Thomas Becket parlent "°^- '• ^^ > !'•
de lui comme de leur ami et de leur compatriote. Il fut exilé *'inter ep. S.
de la Grande-Bretagne avec Thomas qui, dans une de ses Thomae Cant.
lettres, remercie l'église de Reims du bon accueil qu'elle a Jiij-ii,ep-45i;
fait aux compagnons de ses infortunes. «^gé«fe;5 ei (^ecc/e.yi!<TP ,',0 jj^j
« Remensi) gratins de honore et amore quem nabis exhihidt in itui. op. 87.
« coexulihiis nostris , Philippe, Radulpho et aliis.y» Vers 1 166
ou 1167, Jean de Sarisbéry, dans une lettre à l'évêque
d'Amiens, sollicite pour Raoul la dignité de doyen de Reims:
(i) mais elle fut décernée à Foulques, et Raoul ne l'obtint
qu'en 1176. Pierre -le -Chantre lui succéda en 1 196, année
qu'on peut regarder comme celle de la mort de Raoul. Le
nécrologe de l'église de Reims dit seulement qu'il décéda le
treizième jour avant les calendes de septembre, et le repré-
sente d'ailleurs comme un ecclésiastique charitable, austère,
honnête et \etx.ré; virhonestiis et litteratus. Si aux témoignages
que lui ont rendus Thomas Becket et Jean de Sarisbéry,
on joint ceux de Pierre de Celles et d'Etienne de Tournai, P.C.Epîstlib.
il en résultera que Raoul avait obtenu de ses contemporains ^*' ''p- ,^-
des hommages pareils à ceux que Marlot et d'autres mo- ^Hist Métro'
dernes ont offerts à sa mémoire. Rem. t. i , p.
Voilà les seuls faits qui concernent la vie de ce doyen : nous 49°. Ag» ; '• n.
connaissons beaucoup moins encore ses ouvrages, qui sont \,^ ,55 ^ *'
restés manuscrits et qui n'existent cju'en des bibliothèques
d'Angleterre. Les catalogues de ces bibliothèques lui attri- Catal.ms.ang.
buent une chronique et un traité sur l'art militaire; nous part.ili,n. 12.
n'ajoutons point des commentaires sur la bible, parce que — ^'l'^- *=°^- *•
nos prédécesseurs les ont revendiqués avec raison pour Raoul Hist. Littér.
de Flaix. delaFr.t.XII,
p. 481.
(i) Precor magistro Radulpho... decanîam oltineatis. Jam enim de eo
eligendo senno habitas est, nec credo qiibd sit apud eos aliquis litteratiorf
aut honestior, aut liôeralior in pauperes Christi.
Ta
i48 RAOUL DE SERRES.
;_ Un traité de re militari semble avoir assez peu de rapport
avec les fonctions qui ont rempli la vie de Raoul de Serres.
Quant à la chronique, c'est, dit-on, celle qui, commen-
çant avec l'origine des choses humaines, s'étendait jusqu'à
l'an iii4i et qui a été continuée jusqu'au-delà de l'an 1200,
Ampi. Coiiect. par Raoul de Goggeshale qui mourut en 1 228. Dom Martène
870.' ^ * publié cette continuation qui remonte non pas seulement
à iii4i niais à 1066; en sorte qu'on en pourrait considérer
les trois premières pages comme les dernières de l'ouvrage
du doyen de Reims. Mais il y a ici quelque difficulté : car
De m. Angl. pjtz et Bailey nous disent que, dans les manuscrits d'Angle-
"^Balœus Scr t^^re , les additions de Raoul de Goggeshale à la chronique
Britan. Centur. de Raoul-lc-Noir [additiones ad liadulphum nigjumj com-
i.Ul, c. 88. mencent par ces mots : anno gratice 1 1 i4i ^^^ Henricus. Or
ni ces mots ni des termes équivalens ne se lisent dans le
livre que Martène a inséré au tome V de X amplissima collectio^
d'après un manuscrit de Saint- Victor qui ne contenait que
cette continuation. Là, de l'année 1 1 10, on passe immédiate-
ment à l'année 1 1 18; sans aucune mention des années inter-
médiaires , et sans qu'il soit question d'aucun acte du roi
Henri appartenant à l'année iii4- Ce n'est donc qu'à l'aide
des manuscrits anglais, qu'on pourrait prendre une idée un
peu précise de l'ouvrage continué par Raoul de Goggeshale.
Wood néanmoins, dans son histoire de l'université d'Ox-
ford, cite la chronique du doyen Raoul, et en transcrit même
Hist. UniT. quelques lignes; celle-ci, par exemple : « Liberalium artium
Oxon. Ut. I . p. „ exercitia evanuerunt occasione ambitiosi questil^ oh qiiem
« curritur ad leges sœculi, et décréta , et physicam. » On voit
qu'alors, comme à bien d'autres époques, la littérature était
beaucoup moins lucrative qiie la médecine , le droit canon ,
Ibid. p. 57. et la jurisprudence civile. En citant un autre passage de la
même chronique, relatif aux sectes qui divisaient les clercs
du moyen âge, Wood semble faire de Raoul le premier litté-
rateur du XII* siècle :,« qui in re grainmaticâ , huinaniori-
« que universun Litteraturâ , coœtaneis omnibus facile prœ-
« luxit. » Mais le Raoul qu'on exalte à ce point est ici qualifié
Belvacensis ^ au lieu du surnom de Niger v^'\\ porte dans les
autres citations de Wood. Nous osons croire que cette qua-
■■ lification de Beh'ucensis est ici erronée, ou du moins il nous
paraît difficile qu'elle convienne au doyen de Reims qui, ac-
cueilli en cette ville au moment même où il venait de quitter
l'Angleterre, n'a guère eu le temps de faire assez de séjour
à Beauvais pour en prendre le surnom. D.
XII SIECLE,
MAURICE DE SULLY,
ÉVÊQUE DE PARIS.
Le théologien dont nous allons parler n'était point de la
maison de Sully : il était né de parens pauvres, obscurs , dans
un village nommé Sully fde Solliaco) sur les bords de la
Loire. II se vit, durant sa jeunesse, réduit à la mendicité : "^'^^^i Belv.
Vincent de Beauvais, Guillaume de Nangis et d'autres écri- ^^ c.^ai.—
vains rapportent qu'un jour il refusa une aumône qu'on ne Ménage , Hist.
lui offrait qu'à condition qu'il renoncerait à devenir jamais <ieSablé,p.a58j
évéque. Il est sans doute fort étrange qu'on ait songé à exi-
ger d'un mendiant un engagement pareil : Maurice ne voulut
pas le prendre : apparemment, il se sentait dès-lors une vo-
cation décidée à lepiscopat, et il avait, dans son dénuement
extrême, un pressentiment de son opulence future. II vint
étudier et bientôt enseigner à Paris : il y prêchait avec suc-
cès, lorsqu'on le nomma chanoine de Bourges; mais il était
destiné à une dignité plus éminente : après avoir quitté
Bourges pour être chanoine, puis archidiacre de l'église de
Paris, il en devint évêque; et voici comment Césaire d'Hei- Bibl. Patr.
sterbach , moine de Cîteaux , raconte l'élection de Maurice. fl*i'*'^'^' '■^^' ^
Le siège de Paris vaquait par le décès de Pierre Lombard :
les suffrages ne se réunissant sur aucun candidat , les élec-
teurs s'accordèrent à investir trois membres de leur propre
assemblée du droit de nommer définitivement l'évêque. Les
opinions de ces trois électeurs se trouvèrent aussi inconci-
liables que celles de l'assemblée qu'ils représentaient, et ils
ne sortirent d'embarras qu'en concentrant, à leur tour, leurs
pouvoirs dans la personne de l'un d'entre eux. Cet électeur
unique était Maurice de Sully qui , après les réflexions sé-
rieuses qu'exigeait un choix si grave, fat à ses deux collègues
la déclaration suivante : « Je ne dois choisir qu'un homme
« qui me soit parfaitement connu comme dévoré du désir
« d'être utile, et non de l'ambition de commander. Je veux
« bien supposer cette disposition dans quelques-uns des can-
« didats ; mais je ne saurais en répondre ; je ne puis sonder
« leurs consciences; je ne lis que dans la mienne; et pour
« ne rien hasarder , c'est Maurice de Sully que je nomme. »
173.
tSo MAURICE DE SUTXY, ÉVÊQ. DE PARIS.
XII SIECLE. gj ^ç récit du moine Césaire n'est contredit par aucun
historien du XIP et du XIIP siècle , il n'est non plus confir-
me' nulle part. Il n'est connu ni de Robert du Mont, ni de
Rigord, ni de Vincent de Beauvais, qui tous trois parient de
Maurice de Sully, sans indiquer une seule de ces circon-
stances de sa promotion à l'ëpiscopat. Elles sont même peu
conciliables avec les lignes que nous allons extraire de la
Ann. 1164. chronique de Robert, chanoine de Saint-Marien-d'Auxerre,
ordre cle Prémontrë. « Floret Mauritius episcopus qui oh in-
c dustriam ac litemturam eximiam et dissertitudinein linguœ
«i prœcipiiam , de infimo magnœ paupertatis ad pontificalis
cédé n'eiit-il pas blessé toutes les règles canoniques ? Eùt-il
été digne de la vertu de Maurice.^ Ses deux coélecteurs n'au-
raient-ils pas pu l'élire immédiatement évêque, au lieu de
s'en rapporter a lui seul sur le choix qu'ils avaient à faire .-* Le
lui confier, n'était-ce pas au contraire l'exclure du nombre
des candidats , l'astreindre tacitement à ne pas s'y com-
prendre.*' Par toutes ces considérations, Oudin rejette le té-
moignage de Césaire, et censui;e, à cette occasion , l'extrême
crédulité de cet historien. « Absit comnientum istud mona-
c( ckale Cœsarii hominis simpUcissimi, in credendo et scribendo
vi fabulas facilis atque in plerisque suis historiis absurdi et
Hist. Univ. « insulsi. » Ce récit est néanmoins adopté par du Boulay ; il
Par. t. n , p. j^ ^j-^ reproduit dans la nouvelle Gaule chrétienne : il n'était
T.vii.p. 70 pas dans [ancienne.
-.77. ' Du Boulay transcrit une autte anecdote qu'il trouve dans
Hisi. Univ. ^^ sermon attribué à.Saint-Bonaventure, et qui serait arri-
"serin'.^s' de véc pcu de tcmps avant la promotion de Maurice à l'évêché
10 preceptis. de Paris , qui même aurait contribué à le faire élire. II s'agit
de sa mère qui, ayant appris les succès éclatans qu'il ob-
tenait comme professeur et comme prédicateur , prit la ré-
solution de le venir voir. Vêtue de bure, un bâton à la
main, elle s'achemine vers Paris, où étant arrivée elle s'in-
forme du docteur Maurice, à queli^ues dames. On lui de-
mande ce qu'elle veut de lui : Je suis sa mère, répond -elle.
Les dames craignant que le docteur ne fût tout honteux de
la voir en un tel état, la rhabillent, lui donnent un man-
teau, et la conduisent bien parée auprès de son fils. Dès
quelle lui eut déclaré qu'elle était sa mère, il lui répondit
XII SIECLE.
MAURICE DE SULLY, ÉVÊQ. DE PARIS. i5i
brusquement : je n'en crois rien, mais rien du tout en ve'-
rité : car ma mcre est une pauvre femme qui ne porte jamais
qu'une tunique de bure. Elle eut beau protester qu'elle ne
mentait point, il fut inflexible. Les dames la reconduisirent
à la maison , lui rendirent son bâton , et lui firent reprendre
ses premiers vètemens. Ainsi équipée, elle revint trouver
Maurice, qui était alors dans une assemblée brillante et
nombreuse; dès qu'il l'aperçut, il se découvrit, l'embrassa
et lui dit : Pour le coup, je vois bien que vous êtes ma mère.
Cette nouvelle se répandit dans la ville, et fit le plus grand
honneur au docteur qui, peu après, fut fait évêque de
Paris (i).
Oudin, quoiqu'il trouve ce conte plus croyable que le
précédent, croit néanmoins devoir l'écarter encore comme
énoncé en termes barbares, tout-à-fait indignes du style et
de la latinité de Saint-Bonaventure. Il prétend que ce doc-r
teur n'aurait jamais employé des expressions telles que
celles-ci: Âccepit tuniceÙani de hurello , dederunt ei man- Erpressiones
tellum, hoc fuit dà'ulgatum per villam; et à ce sujet, il re- ^J"^ '"°
proche îort amèrement aux franciscains, en les appelant
ohtusl judicii homines , d'avoir grossi de cette pièce le recueil
des œuvres du docteur séraphique. Cet argument ne nous
semblerait pas péremptoire : mais Oudin en ajoute un meil-
leur : c'est que l'opuscule dont ce conte fait partie est réelle-
ment de Godescalc HoUen, sous le nom duquel il avait été
•
(i) Fuit quidem (Mauritius) magnus et famosus Partsius et h multis
notas et dilectus. Hoc audiens mater sua paupcrcula , cogitavit ire adfiliun
suum : accepit baculum , et in tunicellâ de burello venit Parisius et quœsivit
a qnibusdain doniinahus pro tali magistro. Dixerunt illi matronœ : Quid
vuliis de eo ? Respondit : Ego sum mater sua. Tune illœ matronœ duxerunt
eam in doinum suam et refocillaverunt eam. Postea cogitaverunt quod ille
bonus Iiomo verecundaretur , si -videret eam in tali statu, et induerunt ipsam
bene , et dederunt ilh mantellum et iverunt secum ad magistrum. Tune illa
dixit : Ego sum mater tua. Respnndit Magister : F'ere ego non credo , quia
mater mea est paupercula , et consuevit solum liabere tunicellam de burello.
Et cum nulle modo vellet acquiescere verbis ejus , eduxerunt eam in domum
suam , et reddiderunt ei tunicellam ejus et baculum. Tune illa accessit ad
filium in congregatione multorum , et cum vidéret matrem suam in tali
habita venientem , deposuit capucium suum , et amplexatus est eam, et
dixit : Modo scio quod estis mater mea. Hoc fuit devulgatum per villam,
et reputatutn est ei pro magno honore , et postea factus est episcopus pari-
siensis, • >
i52 MAURICE DE SULLY, ÉVÊQ. DE PARIS.
XII SIECLE. . . , , . ^ . ,, ,
imprime plusieurs fois , avant d entrer dans la collection des
Colon Agripp. g'crits de Saint-Bonaventure. Hollen est un théologien du
l4»i , toi. ; J\o- "vi/e •' i -i ' • • /n ^ < n/
rimb. Koburg. ^* sieclc : il écrivait en i4bo, quatre cents ans après le-
1497, fol. poque qui nous occupe.
Maurice a fondé les abbayes d'Hérivaux, d'Hermière,
d'Hière, de Gif, et de Saint- Antoine-des-Champs. Mais le
principal fait de l'histoire de son épiscopat est la construction
de la cathédrale de Paris : il en fit poser la première pierre
par le pape Alexandre III , et ensuite consacra tous ses soins,
durant plus de trente ans au succès de cette entreprise. Pauvre
et sans patrimoine, comment s'y prenait-il pour doter des
monastères , et pour bâtir un temple.*^ Il s'adressait, répond
De Sacram. ^6 P- Morin , à ceux qui devaient accomplir quelques péni-
Pœnit. lib. X, tences, et les leur remettait en tout ou en partie, moyennant
cap. 20. (jgg contributions pécuniaires. C'est par cette industrie spi-
rituelle, liac spiritali industriâ, dit le même théologien, que
Maurice subvint à une dépense à laquelle eût à peine suffi le
Bîblioili.crii. trésor d'un prince. Voilà, dit Richard Simon, un bel exemple
de Saint -Jore, de l'utilité dcs indulgeuccs : cependant il se trouvait des gens
38a. ' ^ °~ ^^ ^^^'" ^"^ n'approuvaient point ce manège, (c'est l'ex-
pression de Simon); et l'industrieux prélat ayant demandé
a Pierre-le-Chantre ce qu'il en pensait, celui-ci lui répondit
qu'il ferait mieux d'exhorter ses diocésains à ne rien re-
trancher de leurs pénitences. Quoi qu'il en soit, la cathédrale
fut bâtie, et c'est a Maurice de Sully qu'en appartient l'hon-
neur : ceux qui le lui ont contesté ont été victorieusement
Hlstdudîoc. réfutés par l'abbé le Beuf Sur ce point, les témoignages
de Paris , t. III. positifs sont si nombreux dès la fih du douzième siècle et
durant les deux suivans, que leur autorité ne saurait être
affaiblie par le silence du nécrologe de l'église de Paris ;
silence néanmoins bien étrange dans un nécrologe qui con-
tient un long détail des bienfaits beaucoup moins importans
de ce prélat, des chappes, des tuniques, des aubes et des en-
censoirs dont on lui est redevable , des soins qu'il a pris pour
mieux loger l'évêque, et pour accroître de cent manières les
revenus de l'évêcné : Domos episcopales novas œdificavit,
reditus episcopales multiplibiter ampliavit. Il est sans doute
étonnant qu'on fasse un inventaire scrupuleux des donations
les plus légères, et qu'on ne dise pas un seul mot de la
construction d'une cathédrale. A la vérité , cet édifice ne fut
achevé que sous Odon , successeur immédiat de Maurice, et
1
Xll SIECLE.
MAURICE DE SULLY, EVEQ. DE PARIS. i53
quelques parties n'ont e^ construites que plus tard (i): mais
on couvrait déJA le chœur lorsque Maurice de Sully mourut.
En 1 165, il baptisa Philippe-Auguste, fils et successeur de
Louis-le-Jeune, et, lorsqu'en 1 188 , huitième année du règne
de Philippe, ce prince établit la dîme saladfte pour subvenir
aux frais des croisades, Maurice et d'autres prélats y con-
sentirent dans un concile de Paris. Cette complaisance ne fut
pas universellement, approuvée par le clergé français : f*ierre
deBlois, par exemple, trouva fort étrange qu'on dépouillât
l'église en prétendant combattre pour elle , et qu'on exigeât
des ecclésiastiques un autre tribut que celui de leurs prières.
Maurice touteéois ne négligeait point les intérêts temporels
de son épiscopat : il eut à soutenir, pour des droits honori- Gai'- Christ.
fiques ou pécuniaires, plusieurs démêlés avec des abbés et î?°Yt's*é
des moines; il en eut même avec le chapitre dé sa cathédrale.
Il s'agissait de savoir si les revenus du doyeimé vacant appar-
tenaient au chapitre ou à l'évêque ; l'affaire fut portée au
pape Alexandre III, qui commit ^our la décider, Guillaume,
archevêque de Sens : mais les chanoines se désistèrent de
leurs prétentions, et Guillaume, qui n'avait point intérêt de .
condamne^ celles du prélat, assoupit ce différend.
Maurice de Sully se livra toujours avec zèle à 4'étude et à
l'enseignement de la théologie. 11 n'adoptait point les opinions
de son prédécesseur, Pierre Lombard : il soutenait sur-tout
que la vierge Marie n'avait point échappé à la tache originelle, " ,
et il ne permettait point de célébrer, dans son diocèse, la fête
de l'immaculée conception. Mais il fut un ardent défenseur
du dogme de la résurrection des corps et pour contredire
plus solennellement les nombreux ennemis de cette croyance,
il fit insérer dans l'office des morts, ces paroles du livre de
Job : Credo quod redemptor meus vivit et in novissimo die de
terra surrecturus suni , et in came meâ videho salvatorem
ineum : quem visurus sum ego ipse et non alius , et oculi mei
conspecturi sunt; reposita est hύ spes mea in sinu meo.
Durant la dernière maladie , il fit placer sur sa poitrine un
écriteau qui contenait ces mêmes paroles, et avec lequel il
voulut être enterré: il est, dit- on, le premier qui ait donné
cet exemple qui n'a point manqué d'imitateurs. Maurice
mourut à Saint-Victor où il s'était retiré pour se mieux dis- fienebrar^.
Cliroii. ad ann.
(ij L inscription qui se lit sur le portique méridional de la croisée fait
foi que cette partie d'ouvrage n'a été commencée qu'en 1257.
Tome XK ^ ^ Y
Xlt SIECLE.
i54 MAURICE DE SULLY, ÉVÊQ. DE PARIS.
poser à paraître devant Dieu : d'autres disent qu'une inon-
dation survenue au mois de février i iq6 avait force l'évêque
de Paris à transférer son domicile dans cette abbaye. Le
moine Césaire raconte que Maurice agonisant demanda l'eu-
charistie, et que*les religieux qui l'environnaient le voyant
tombé dans le délire, jugèrent a-propos de ne lui présenter
qu'une hostie non -consacrée, mais qu'il la repoussa en
s écriant : ce n'est point-là mon sauveur.; qu'il fallut en con-
séquence lui apporter une hostie ^ritablemrnt consacrée,* et
qu il la reconnut aussitôt pour telle. Uji poète anonyme a
célébré ce miracle en vingt- quatre vers latins, que Nicolas
Comm.deScr. Camusat a publiés, et qui se retrouvent dans Oudin. Mais
fcccl, t. II, p. ,1 , ^ . 1 , . . , , , ,
1587. aux j^eux de ce dernier, cest encore ici une de ces râbles
pieuses qui fourmillent dans les écrits des moines. Celle-ci
ne nous est contée que par Césaire : Rigord n'en dit rien ,
' quoiqu'il parle fort au long des circonstances de la mort de
Maurice. Les auteurs du nouveau Gallia Chnstiana, après
* avoir transcrit le récit de' Césaire, ajoutent qu'avant de
mourir, Maurice de Sully chargea les moines de Saint-Victor
. d'accomplir en son n un et de ses deniers certaines resti-
tutions qu'il avait encore à faire, et qui auraient *pu être un
peu moins tardives. Etienne de Tournay lui fit cette épitaphe:
Excisus misero lacrymarum vallis in orbe
PoHÎtur œternâ vivus in urbe lapis.
Doctor et autistes, cathedra condignus utrq^ue,
A prima meruit continuare duas.
Sanajldes , doctrina J'requens , eleinosyna jugis ,
Clamât Parisius non habuisse parem,
Magnificiiin , structura doinûs et fabriça templi;
Muniflcuin pcrhibent advena, pauper, inops.
Horrea pauperibus et scrinia semper aperta
Exposuit miseris semper aperta ntanus.
Pontifîcem tanti meriti servumque Jldelem
Serva MauritiiMi, -virgo Maria, tuum.
Ces vers, qui se lisaient autrefois sur la tombe de Maurice
de Paris, dans le chœur de l'église de Saint-Victor, y furent
dans la suite, à \i\ reconstruction de ce chœur, remplacés
V. Malingre, P'T l'inscriptiou Suivante : '
Antiq.de Paris, Hicjacet reverendus pater Mauritius, Parisiensis episcopus,
l7^'i4i-'i5o ^l^i prî^^us basilicam B. Maricè virginis mchoavit. Ohiit
— ' Dubreuii , anno Domùii MCXVl tertio idus septembns.
MAURICE DE SULLY, EVEQ. DE PARIS. i55
Les écrits de Maurice de Sully peuvent se diviser en
quatre classes; ses chartes, ses lettres, ses sermons, et quel- A^ntiq.dePam,
^ » V *I ' I • liv. III,p. 32/,.
ques traites theologiques. m »
Ses chartes ne tiennent point à l'histoire littéraire ; mais
il nous semble à propos de les citer ici parce qu'elles prouvent
que Pierre Lombard n'a pas vécu jusqu'en 1 164, comme on
la^souvent dit, mais qu'il est mort en 1160, ainsi que les
auteurs du nouveau* oa///a Christiana l'ont déjà observé. T. vu, p. 60.
On connaît l'acte paç lequel Maurice, prenant en 1160 le
titre d'évêque de Paris , établit des chanoines l'éguliers à
Hérivaux. Nous avons trouvé, dans le Trésor des chartes, Titres dipiom.
sept autres actes de ce prélat, qui n'ont point encore été carton i, liasse
_ii-' --J- ' -1 f ^r-^iî^ja; liasse
jjpbiies ni indiques ; il y conhrme, en 1 15», une vente faite ,, n^a, 6, 9,
au chapitre de Saint-Marcel ; eu 1 172, un accord entre cette i5, 27, 29.
église et le nommé Adam Panier; en iiyS, une donation
faite à un hôpital, par Adcline. de Nucrei; en 1 177» une do-
nation du même genre, par Ajneline, fille d'Yvon le prêtre;
en 1 18a, un engagement pris par Hugues de Marolles et
Eremburge , son épouse , en faveur des frères de l'hôpital de
Paris; en 1191, d'autres dons faits au même hôpital; en
ï 194, une donation faite à l'église de Vincennes, d'une vigne
à Montreuil. Or dans ces deux dernières pièces, les années
1191 et 1 194 sont appelées la Si*' et la 34'^ de l'épiscopat de
Maurice; et l'accord daté de 11 72, l'est en même temps de
la 12* année de cet épiscopat qui, par conséquent, a dû
• commencer en 1160. Des diplômes de Maurice de Sully en
faveur de l'abbayg de Saint-Victor, des chanoines de Saint-
Germain J'Auxerre,de l'église de Saint-Cloud, ont été in-' Duch.iv,7G5.
sérés en divers recueils, ainsi qu'une transaction entre lui — Mart. Ampi.
et Roger, abbé de Couloms, au sujet de l'église de Saint- ^'^^^^H' ^ç\\
Germain- en -Laye, que les moin^ de Couloms prétendaient ciirist. nov'. t.
posséder sans dépendance de l'évêque. vil,instrum.
Ses lettres sont au nombre de six; et les trois que Du- '^■■""^•P" ^''^
1 j « 1 Ti» < II- ^ • par Jac. Petit, a
chesne, du Boulay et Martene ont recueillies ne consistent la suite du Çéui-
qu'en peu de lignes ,^'un faible intérêt : elles sont adressées temieideTLéo-
à févêque de ClermoW, et à Guillaume aux blanches mains, "^"j^u^j^ ^ jy
Les trois autres, écrites au pape Alexandre III, en 1169 et p. 761. ' ' '
1 170, concernent l'affaire de saint Thomas de Cantorbéri. ."'«t- ""iv-
La première contient des plaintes contre Gilbert, évêque de ^j"^' '• "' P-
Londres ; la seconde rend compte de la conférence qui s'est ' iviart. Ampl.
tenue près de Paris, entre Thomas et le roi d'Angkterre. La Coll. 1. 1, p. 253.
conduite de ce prince est amèrement censurée dans la troi- r ^'T^ f^'' J""'
*■ Lant, et Rec.
Va
XII SIECLE.
i56 MAURICE DE SULLY, ÉVÉQ. DE PARIS.
sième qu écrivent. en commun Maurice de Sully et Bernard^
des fiist. de F1-. évèque de Novon. On a aussi trois lettres du pape Alexandre
t. XVI, p. 364, ' n/i^ ■ -^ I 1, j • • * *^ »• r'
36ç, 398 4i5 ^ Maurice, pour le charger de commissions particulières,
et 4 16. ' relatives à Raynaud, abbé de Fkvigny, à Hugues, arche-
Roc. deshist. véquc de Sens, aux moines de Cluny, qui deinandaient qu'on
_„2 " "^ 38' leur restituât un domaine envahi par un, officier du roi
ibid.i.'xM, Louis VIL Ce prince, dans une lettre à levèque de Paris,
p. 76. ig pj.jg (jg nommer un clerc appelé B^r, ou Barbadore, au
premier bénéfice qui vaquera. Enfin Guillaume , «archevêque
Uid. t. XV, de Sens, lui adresse , en i ly i ou 1 172, une épître où Ervise,
P' ^' ■ abbé de Saint-Victor, est acctisé de cacher le trésor de
cette abbaye. Voilà tout ce qui nous reste de la correspon-
dance active et passive de Maurice, durant les trente -si«
années de son épiscopat. •
Ses sermons n'ont ^'importance que par la traduction
française qui en a été faite presque de son temps, ou du
moins au commencement du XIIP siècle. Les uns sont
adressés au peuple , les autres aux prêtres : les premiers ont
été distribues en deux livres, et portent le titre de Sermons
pour les dimanches et les fêtes. Un autre livre de -Maurice
intitulé. De oratione Dominicâ et ej'us septem partihus, n'eât
aussi qu'un recueil de prédictions , et il en est de même du livre
De cura animarwn : il contient des discours aux prêtres
sur leurs fonctions pastorales. Les copies manuscrites cle ces
divers sermons , soit en latin , soit en français , sont assez
Calai, t. III, nombreuses. Il en existe à la bibliothèque du roi, à la
''■^^^''îf^^lt bibliothèque ambrosienne de Milan, dan% celles du collège
Montf. Bibl.. ,,_,.^. ,._.,,. 1 1 . / l'io-
Biblioih. t. I, de la Trinité a Dublin, et des chanoines réguliers de baint-
p. 520. Nicolas à I^assaw en Bavière. On en trouvait aussi au collège
And^'p's "n" ^^ Navarre, à l'abbaye de Saint -Germain -des -Prés, au
553. ' chapitre de Sens, à Saint - Bénigne de Dijon, chez les
Oudin, Comm. Sulpicicns de Bourges , et chez les chanoines réguliers de
"LebeuflM^i: Toumay. Ceux que possédait l'abbaye de Saint- Victor à
de i'Acad. des Paris, se retrouvent à la bibliothèque du roi. Maurice de
inscr.iiv.xvii, Sully cst cité, et même loué comme Mpédicateur, par Henri
P" ^^'^jj. pjjj, de Gand , par Trithême , par Sixte ae Sienne , par Gran-
Biblioth. t. II, colas. Cependant ses discours ne consistent presque jamais
p. ia86. du'en paraphrases vulgaires et souvent peu justes des textes
p. fao.*^^"^" ' "' "" Nouveau-Testament. Son éloquence est bien froide, et sa
B.R.N°»62o, latinité fort peu élégante. Les versions françaises ont plus
89I- d'intérêt, parce qu'elles sont au moins des monumens du
ewi ^'[4^ ^"' langage de cette époque; et quoiqu'elles ne soient peut-être
XII SIECLE.
Trith. De Scr.
adann. 1190.
MAURICE DE SULLY, ÉVÊQ. DE PARIS. 167
pas du XIP siècle, nous croyons d'autant plus devoir en,
parler ici, qu'elles paraissent avoir etë faites (on ne sait
par qui ) peu d'années après la mort de Maurice. L'abbé le "s.s! Bibî. s'. r-
Beuf a déjà fait connaître ces traductions : nous ne trans- 27/,.
crirons qu'un petit nombre de lignes des morceaux qu'il Granc. Crftiq.
en a publie's craprès le manuscrit de l'église de* Sens; et t."i*p! 2*99, *'
nous y joindrons un extrait d'un manuscrit de Saint-Victor. Hist.de Paris,
^Dicit ei Ihesus : pasce oves meas, Se^noT^vexoirefPrétresJ. '-i» p-m- —
Geste parole né fut mie solement dite à monsegnor saint Pierre, t. xviirp^^a'i
Quar et à nos fu ele dite autsi qui somes ellui de lui el siècle et suiv.'
et qui avons les oeilles (ouailles J Damedju (Domini Dei, Ms. de Sens.
du Seigneur Dieu) a garder : co est son puple a governer-
et a conèeillier en cest siècle, et qui avons a faire le suen
mestier è terre de lyer les anmes et de deslyer et de con- ^
duire devant ûieu. . . . Issi, poons'nos dire que la preme-
raine cose qui est besoignable al prevoire qui tient parroce
(paroisse) si est sainte vie et bêle que il aoit démener de-
vant Deu et devant son puple. — Sermo in circumcisione
Domini Segnor et dames, huî si est li premiers jors de
1 an , qu'il est apeles an renues (annus renascens) A icest
jor suelent li malvais crestien, solonc le costume des paiens,
faire sorceries et charaies y por lor sorceries y por lor cha-
raies suelent expermenter les aventurés qui sont avenir. . . .
Nous trovons lisant en la sainte évangile d ui, que uostre sire
Deus par coque il par soi meisme volt garder le loi que il avait
donnée, que il al wistime (huitième) jor de sa naisence,
qui hui est, volt estre circuncis.
«.Si diligitis me, mandata mea servate.' Seignor et dames Ms. de S.-Vict.
por amor Deu, or entendez ceste reson. Il ni a nul de vos
s'il avoit un suen ami. qui deult venir à son hostel pour lui
voir qui moût ne se penast de nettoyer et de bien appa-
reillier la meson au miaux quil onques porroit et panseroit
comment il la peut faire fere bêle et nete; si quand ses amis
venraifquil ni veist rien qui li despleust et se vos ce faites
f)or. un home terrien lamor doquel est trespassable, moût
ou devriez mes miaux faire por lamor à celui qui est li '
verais amis et qui bien aide aux suens la ou mil autres ne
li puet aidier et dex qui est ores cil bons amis et cil verais
amis qui ce est. C'est cil qui conseille les desconseil liez, qui
avoie les desavoies, biaus sire, et qui est cil sps (spiritusj
veritatis, etc. . . . et devons nos donques recevoir hui et
XII SIECLE.
i58 ALPHONSE II, ROI D'ARAGON.
avoir son saint espriz devons .... si comme je vos ai dit
en commencement, si diligitis, etc. »
On cite deux 'éditions des sermons de Mam'ice, en fran-
çais, l'une in-4*' sans date; l'autre de Lyon, en i5i i , in-8°.
Nous n'avons pu rencontrer ni l'une ni l'autre.
Ayant Considéré comme des recueils de sermons les livres
de Maurice de Sully, qui portent les titres. De cura ani-
marum , de oratione Dominicâ, nous n'avons plus qu'un
seul traité théologique à lui attribuer : c'est un livre De ca-
Bibl. Biblioth. none misstB , que Montfaucon cite comme se trouvant ma
t. II, p. laag. ^jg^-rij J^ns la bibliothèque de Saint-Sulpice à Bourges; et
tout ce que nous en pouvons dire, est que l'auteur est appelé
sanctus Mauritius dans l'intitulé de ce manuscrit. On avait
en effet une très-haute idée des vertus de ce prélat, et il a
long-temps conservé assez de réputation , quoiqu'il n'ait
joué aucun rôle bien remarquable dans les grandes affaires
de son siècle. L'histoise civue ne fait mention de lui, que
parce qu'il a baptisé Philippe-Auguste; et nous venons de
voir que les écrits qu'il a laissés ne sauraient lui assigner
un très -haut rang dans l'histoire littéraire. Le zèle qu'il a
montré durant trente-si* ans pour la construction de la
cathédrale de Paris , est son principal titre de gloire.
D.
ALPHONSE II,
ROI D'ARAGON ET COMTE DE PROVENCE.
IVAIMOND BÉRENGER HT, comtc de Barcelone , avait épousé
Douce, héritière de Gilbert, comte de Provence, mort en
1 109, laquelle lui avait aussi apporté les vicomtes de Milhaud
en Rouergue , de Carlad en Auvergne et de Gevaudan. Leur
fils aîné, Raimond Bérenger IV, héritier du comte de Bar-
celone, devint prince d'Aragon, par son mariage avec Pé-
tronille, lille du roi D. Ramire. Alphonse II, fruit de ce
mariage, parvint à la couronne d'Aragon en 1162.
La Provence était échue au second fils de Raimond
Bérenger III, nommé Bérenger Raimond. Celui-ci qui fut
tué en ii44 dans une guerre contre la maison de Baulx,
ALPHONSE II, ROI D'ARAGON. * iSg
avait laissé la Provence à son fils Raimond Bérenger; ce
dernier étant mort en 1166, sans enfans mâles, le roi
d'Aragon, Alphonse II, s'empara de la Provence, après avoir
forcé le comte de Toulouse à se désister de ses prétentions
injustement fondées sur le mariage qui avait été projeté, et
non conclu entre le fils de ce comte, et DoBce, fille du dernier
comte de Provence.
Alphonse donna" d'abord la Provence, mais seulement à»
vie et à titre de bénéfice, à l'aîné de ses deux frères, Raimond
Bérenger de Bezaudun, qui fut tué en 1 181 , dans une guerre
en Languedoc. Alors il disposa du comté de Provence, au
même titre, en faveur de Sanche, son second frère; mais il
le lui retira peu d'années après, en lui donnant en échange
les comtés de Cerdagne et cfe Roussillon, et reçut Ihommage
immédiat de tous ses vassaux.
C'est ainsi que la Provence passa dans la maison d'Aragon
et de Barcelone. AlphorfSe , comte de Provence , est Al-
phonse I*^"", tandis que, comme roi d'Aragon , il est Alphonse II.
Cette différence est nécessaTre à observer. Elle a mis de la
confusion dans l'histoire des troubadours. Ces poètes furent
dans une haute faveur auprès d'Alphonse, qui était poète lui-
même. Ce qu'il fit comme roi et comme comte ne doit point
trouver place ici , et lui ferait peu d'honneur. Son goût pour
la poésie, et la protection distinguée que les troubadours
Provençaux trouvèrent auprès de lui , sont tout ce que
histoire littéraire doit consacrer, et les poètes ont largement .
payé en éloges son bon accueil et ses libéralités»
Alphonse II mourut en 1196. Il ne reste de lui qu'une
chanson , et c'est une chanson d'amour. Elle commence par
ce vers :
Per mantas guizas mes datz
et se trouve dans les manuscrits 32o4 de la bibliothèque
vaticane, et 7226 de la bibUothèque royale de France. Elle
n'a rien de remarquable, sinon que ce poète- roi se reproche
d'avoir placé son cœur en trop haut lieu, ce qui donnerait
une grande idée du rang de sa dame, si l'on prenait à la
lettre cette expression hyperbolique. Alphonse est toujours
nommé dan&ces manuscrits le Rei Nanfos , manière abrégée
et corrompue d'écrire et de prononcer Don Alfonso , la
lettre initiale N, devant une voyelle, et les monosyllabes
en ou na devant une consonne, tenant lieu de Don et de
Donna, dans l'ancien provençal. . G.
XII SIECLE.
,'V«^«/«/«H«i«>« ««^ «.«^^>^^ «/»^^/« % «.«b^ «.'■.^ X«<«r«>%«^^»% ^«>^ «■«>««'«>« «'»^M.
Xn SIECLE.
ALEXANDRE,
POÈTE FRANÇAIS DU XIP SIÈCbE.
Il
Ll est peu de nos anciens poètes sur les<^els les biographes
et les bibliographes se soient autant exercés que sur celui
qui fait le sujet de cet article. Le rapport des noms du poète
et du héros, l'opinion vulgairement adoptée qui le taisait
inventeur du grand vers, dit alexandrin, tous ces motifs
réunie) ont puissamment concouru à le faire connaître, et à le
faire regarder, à peu de chose près , comme le chef de la
nombreuse école des poètes de son temps.
Alçxandre naquit à Bernay,en Normandie, au diocèse de
Lisieux, et fut depuis surnommé de Paris, par le long séjour
qu'il fit dans cette ville. Il se fit d'abord connaître par le
•Roquefort , roman d'Athis et de Prophilia^ , dont nous donnerons un
Sn"'rom t^ extrait, et paf -celui d'Hélène, mère de St. Martin, fait à la
II, p. 76S. ' requête de hiadame Loyse , dame de Crequi-Canaples , ou-
Roque€. Biog. vrag^quc, malgré tous nos soins, nous n'avons pu découvrir.
53r art Àk- ^vant de parler du roman d'Alexandre, nous allons rap-
xanclre de Ber- porter les noms des écrivains et les titres des ouvrages qui ont
naj. fait mention de ce fameux poëmeet de ses auteurs; car il pa-
La Rayai- rajt qu'il fut commencé par Lambert Li-Cors^ c'est-à-dire
i65*' ^ ' ^ ^^ Court, né à Chastcaudun. Divers*bibliographes ont dit,
Fauciiet,p. d'après Fauchet, que ce dernier était prêtre ou écolier,
, SSSjv". — Ro- parce qu'il prenait le , titre de clerc; mais, à cette époque,
de* la'' Langue ^^ ™^'' "^ signifiait pas toujours un ecclésiastique: il indi-
rom. , t. II , p. quait aussi un homme lettré , instruit.
765. Voici le passage d'après lequel on se fonde ;
p. 567. — Dom La vérité de l'istoire si com li roys la fist,
Liron Bibliot. Un clerc de Chasdiaudun , Lambert li cors l'escrit
chartraine , p. /-, • 1 1 ■ •
(;5. Supplém. Qui "U latin la trest et en roniant la niist....
auDict. deMo- Alixandre nous dit que de Bernay fu nez
A^'fî V I ' ^* *'^ Paris refu ses sournoms appeliez,
. t. II, p. 6G7. Qui ot les siens vers o les Lambert mêliez. ,
p. 21/,. ' L'opinion qui faisait d'Alexandre de Paris, l'inventeur du
y vers alexandrni était générale parmi les littérateurs des trois
derniers siècles. Elle a été partagée par Bernier, par Pasquier,
ALEXANDRE, POÈTE FRANÇAIS. i6i
par Ménage, par Goujet (i), par les auteurs du dictionnaire
de Trévoux, par la Monnoye, par Massieu, etc. Recherch.des
JLa Ravalliere est je crois le premier qui ait donne une "'^^- ' '• ^ ' P"
notice sur notre poète, dans laquelle ces erreurs ne sont origine delà
point propagées. Il a également donné une notice très-abré- langue franc. ,
gée du roman, et c'est d'après elle qu'on a corrigé les divers ^^^l^^^Trey.,
articles Alexandre qu'on trouve dans plusieurs ouvrages au mot Aie-
faits après le sien. Enfin Legrand d'Aussi a donné une notice sandre.
détaillée du roman d'Alexandre dont notre extrait fera voir ^^^^l^l^\\\
l'infidélité et le peu de soin avec lequel cet auteur a souvent p. 286. '
travaillé. ^ H'sr. de la
Parce que Fauchet s'est trompé , en avançant que le P°^*'^ '^^""^ ^'
roman d'Alexandre avait «été composé vers ii4o, on ne Poésie» du
doit pas>en conclure, comme le fiiit Legrand d'Aussi, qu'il roi de Navarre,
ne fut publié qu'au XIII* siècle. Notre critique se fonde sur '■^^^■„;„. 'L '
1 1 • C .. • ..-^ ' 1 • r Ooujet,Mip-
ce que les douze pairs ne turent mstitues que depuis lan piém. au Mo-
1204 environ, jusqu'à l'an 12 12. « J'oserai même avancer que réri le 1749.
« ce roman, qu'on prétend le plus ancien de tous, continue loi-^s'i '
« Legrand, est postérieur à la bataille de Bouvines (année Fauchet, p.
« I2l4 )• » ^9* ""f 5^9» ^°
Pour prouver la fausseté de cette assertion , nous sommes cirn 'loV ^^
obligés de rappeler, 1° que Philippe- Auguste, né en ii64,
monta sur le trône en 1 180, et mourut le i4 juillet i223,)âgé ,
de cinquante- neuf ans -et après quarante - trois de règne;
3° que le président Hénault fixe 1 érection des pairies ecclé- fier Ls datls."'
siastiques à l'an 962, et la séance des pairs au sacre en l'an Abr. ciiron.
1179. Jean Sans-Terre fut cité à la cour des pairs en 1200* "Oupiutôten
et en 1216. Les membres de cette cour étaient indifférem- ,V°^'„""X""'
... , , , , , . . Uu lillet, Rec.
ment appelés pairs ou barons, et leur nombre n était point des Traités, p.
fixé. 1 57. ■
L'auteur des lettres historiques sur les fonctions essen- pranc*^ "t" iir
tielles du parlement et sur le droit des pairs , pose en fait que p. lel — Fau-
la pairie et les jugemens rendus par elle ont existé en France ci'et,p. 49», a.
depuis le commencement de la monarchie. Il démontre que » ^!'' '"*'<'5-'
, 'j .. j • • ' -^ 1 1 • • I \ -y I I ^ , Amster., 1753,
ie droit de pairie était le droit gênerai de tous les ordres de in- 12, 1. 1, p.
l'état. Le même auteur rapporte qu'en l'an io25 le roi Robert '*4 et suiv.
ayant formé des plaintes contre Eudes , comte de Chartres, ^' "' P' '*^'
fit assembler les pairs. Boulainvilliers démontre qu'il est Hist. de lapai-
fait mention de cette dignité au titre 71 des capitulaires du '^'parlement
(i) Supplément aa Moréri, 1735 ; dans celui de 1789, l'article a été
entièrement refait d'après La RavalUère.
Tome Xf^. X
de Paris, p. 21
et a5.
i6a iiLEXANDRE, POÈTE FRANÇAIS.
' de Charlemagne; que Hugues Capet fut nomme par les pairs,
/<•«/.!>. 44. et enfin que l'archevêque Guillaume fut promu au rang de
pair ecclésiastique en loj^i.
Cependant ces ouvrages qui traitent de l'origine et de&
accroissemens de la pairie n'indiquent pas l'époque pre'cise
où nos rois choisirent douze jwirs. C'est dans le roman du
Brut, composé en 11 55 (i), qu'il est pour la première fois
fait mention de douze pairs qui, tous militaires, possèdent
des fiefs, et sont grands vassaux; il en est de même dans le
roman d'Alexandre , et ee passage sert à apprécier le senti-
ment de M. de Boulainvilliers sur l'origine de la pairie. Alors
il est impossible que ce soit Louis VIÏ et Philippe-Auguste,
Notices, t.v, comme le dit Le Grand d'Aussi ,'tiui en ait fixé le nombre à
p. lia. douze, en se flattamt d'attacher amsi à leur personne et à
celle de leurs descendans les principaux vassaux de la
eouronne.
Par la raison que le même Le Grand d'Aussy s'est trompé
en parlant àe l'érection de la pairie en France , ne pourait-
il pas avoir commis une autre erreur lorsqu'il a avancé que
Loc. cit.p. iï5. le personnage d'Hélinant cité dans le roman d'Alexandre
n'était pas le poète de ee nom qui termina ses jours au mo-
nastère deFroidmont? Les raisons qu'il apporte pour sou-
tenir cette assertion ne sont pas admissioles. Deux entre
autres sont insoutenables , particulièrement la première qu'il
fonde sur les variantes orthographiques du nom d'Hélinant
qu'on trouve écrit de diverses manières. Comment peut- il
avoir avancé une si faible preuve? Ne savait -il pas que les
écrivains des XII* et XIIF siècles copiant, non-seulement
dans la même page , mais dans une même ligne deux mots
semblables , les écrivaient avec des orthographes différentes.
Loc. cit. p. 116.
(i)Pàr Robert Wace.Manusc. deCangé, n" 27, olim 69, et ancien fonds
n" ^535 — 5, n° ii5, recto, col. a et 3. L'auteur parlant de Gosier, roi
des Poitevins , dit :
Li rois en ot dol et pesance ,
Por querre aïe ala en France,
As Dote Pers, qui là estoient.
Qui la terre en douse partoient ;
Gascuns des douse xxa fié tenoit.
Et roi apeler se faisoit.
Cil douse ont à Oôfar pramis ,
A Tengier de ses anemis.
Le même passage extrait d'un aatre manuscrit a été cité par Léve.<que
«le La Ravallière, t. I, p. 161, dans sa petite notice du roman d'Alexandre.
t. I,p. iSg.
ALEXANDRE, POETE FEIANÇAIS. i6J
Quant à la seconde où il avance que cet Héiinant cité par le '.
poète Alexandre, n'est qu'un personnage imaginaire , il nous
semble qu'il se trompe. Héiinant, poète du XIP siècle, mort
en i2og, paraît avoir long-temps vécu dans le monde, et
s'être retiré à Froidmont dans un âge avancé. Ainsi il est
présumable que né vers i i4o ou 1 145 il ait commencé à se
taire distinguer en ii65, et que vingt ans après il se soit
consacré à Dieu. Il ne suivait on»cela que la "outume très-
ordinaire de son temps , où l'on voulait "mourir soit dans un „ „
,,, i*-, I' • Voy.lart.de
couvent ou avec 1 habit d un moine. ce pocte dans le
Ainsi, en nous résumant, nous disons que le roman Dict.univ.hist.
d'Alexandre est un cadre ingénieux dans lequel les poètes "°"^- ^'^''- *•
*!•■** ..»• J f * 1 -T ' • VlII,etLa[Ra-
ont tait entrer une partie des laits relatits a ce qui se passa vairière,t.l, p.
à la fin du règne de Louis VII et au commencement dé i6a et i66.
celui de Philipiîe- Auguste, et qu'il fut publié peu avant La RavaiUere,
1 184 La Ravallière a prouvé la vérité de cet argument que
Le Grand d'Aussy a passé sous silence ou a feint d'ignorer.
Cet ouvrage eut plusieurs suites qui furent ajoutées par
Simon le clerc, Pierre de St. Cloost, Jehan Li-Nivelois ou
le Vénelois, etc. ; nous en parlerons à leurs articles.
Le poëme d'Alexandre a été traduit de rime en prose par
un écrivain nommé Jehan Fauquelin qui florissait vers le
commencement du XV* siècle. Cette version a été imprimée
sous ce titre :
Histoire du roi Alixandre le gra^d , jadis roy et seigneur
de tout le monde, et des grandes prouesses qu'il afaictz en
son temps. Paris, Jehan Bonfons, in-4'*, Gotn. s. d.
Nous croyons devoir donner ici l'extrait du roman
d'Alexandre, qui, s'il n'est pas le premier , est le plus consi-
dérable des poèmes d'Alexandre oeBernay : nous donnerons
ensuite l'extrait du roman d'Athis et Profilias.
ROMAN D'ALEXANDRE.
PAR LAMBERT- LI-CORS (lE COURT ) ET ALEXANDRE DE PARI».
^ j • 1. 1 Manuse. de
Qni vers de riche estoire veut entendre et oir, la Bibl. royale,
Por prendre bon example et proece cueillir, "" TL»^?' 7'9o.
De conoistre reson d'amer et de haïr, * *' ^' — ■^- ^*
De ses amis garder et cbiérement tenir ,
Xa
XII SIECLE
i64 ALEXANDRE, POETE FRANÇAIS.
Des anemis grever, c'on nés lest enlargir*,
'Qu'on ne les Des lédures vengiers et des bienfës mérir.
laisse échapper.
■ Ainsi commence l'auteur; et il dit ensuite en plusieurs
vers : Oui , messieurs , vous devez m écouter , car je vais vous
raconter l'histoire d'Alexandre, le plus grand roi qui a existé.
Qui Est à son cornant tout le peuple obéir,
Et tant rois orgueilleus à esperon venir.
Alexandre ressentit de bonne heure les effets d'une édu-
cation mâle et dure; à peine sorti de l'enfance, il est fait
chevalier, et associe à la couronne de Macédoine par Phi-
lippe son père. Bientôt il entreprend une guerre contre un
roi nommé Nicolas. Le jeune guerrier avant d'aller l'atta-
quer , convoque ses vassaux , et obtient de son père la confis-
cation des biens des usuriers, pour les distribuer à ses capi-
taines.
Avant de partir Aristote lui dit :
Eslisez doze pers , qui soient compaignon ,
Si raainront vos batailles tozjors par devision.
Les pairs que se donne Alexandre sont pris parmi ses
principaux officiers. Voici leurs noms : Perdicas, Tholomée
(Ptolemée) , Clicon, Danclin, ou Dans-Clins, ou plutôt Dans-
Clius, Eumenidus ( Eumènes ) , Ariste (Areté), Antigonus,
Floridas, Lycanor (Nicanor), Antiochus, Caulus (Calas) et
Philotas.
Ayant fait ses dispositions , il marche contre le roi Nico-
las , ses pairs font des prodiges de valeur.
La bataille est vaincue , cil ont tourné les dos
Vers Cesaire s'entornent les confenons destors.
Les Grieu les enchaînent qui partot ont le los,
. Les eschines lor tranchent la boucle et les os.
Les ennemis sont poursuivis jusqu'aux murs de Césarée;
on délibère pour en faire le siège. Sur ces entrefaites arrive
un messager de Nicolas, qui, de la part de son maître, vient
demander le combat corps-à-corps avec le jeune conquérant.
Le combat est accepté, et a lieu en présence des deux ar-
mées. Nicolas après avoir donné des preuves de valeur ,
N'avait mie de l'hyaume ançois l'avait perdu,
Sa ventalle ert cheoite s'avoit le cliief tôt nu
Lors le fiert Alixandre com hom de grant vertu
ALEXANDRE, POÈTE FRANÇAIS. i65
Qui la teste li tranche rés à rés sor le bu, XII SIECLE.
D'autre part est volée enmi le pré herbu.
Alexandre s'empare du trône et des états de Nicolas, puis
va assiéger Athènes qui alors était une ville très -forte.
Aristote y avait établi sa résidence; les Athéniens le mettent
à la tête de la députation qu'ils envoient à Alexandre.
Alixandre se jut sor un paile fresé
Joste lui Aristote son niestre et son privé.
Ils causaient tranquillement lorsqu'un messager apporte
des nouvelles ; à cette occasion Aristote dévoile à son élève
le mystère de sa naissance , et lui apprend qu'il est fils d'un
sénéchal de Grèce.
Quant Alixandre ot son hontage noncier,
Do mautalent comence sa color à changier.
Dans sa colère , il s'informe de celui qui avait procuré un
amant à sa mère; l'ayant découvert, il le tua, A la nouvelle
de ce meurtre, Philippe entre en fureur, il veut tremper ses
mains dans le sang de son fils. Instruit du sort qui le me-
naçait, le conquérant veut rendre la couronne à son père,
mais par le conseil de ses pairs il marche contre Darius.
De Micholas fu Dayres iriez qui fu ocis
Car il ert ses parenz, ses druz, et ses amis.
Il voulait se venger ,
Et mande à Alixandre qu'il* chadele les gris
Qu'il li rende le règne qu'à Nicholas a pris,
Et li viegne droit faire de qu'il la raespris.
Il en fallait moins pour engager Alexandre à punir cet
orgueilleux ,
11 a juré ses diex Jupiter et Cahuz,
aue toutes les richesses du monde ne l'empêcheraient pas
e punir celui qui l'avait oft'ensé.
Alexandre se met en marche. Le poète fait une description
magnifique des armures et des tentes sur lesquelles on avait
représenté les travaux d'Hercule et divers sufets des aven-
tures de Paris et d'Hélène.
Darius instruit des préparatifs qui se faisaient contre lui,
corrbmpt un homme qu il charge d'assassiner le Macédo-
nien; il est déçu dans ce projet.
Xn SIECLE.
186 ALEXANDRE, POETE FRANÇAIS.
Une maladie d'Alexandre l'empêche <le poursuivre ses des-
seins. Sitôt qu'il est re'tabli , il va mettre le siège devant
Carthage et s'en empare. Il s'embarque ensuite pour Tyr,
&Oiq:>me cette ville, la prend et la détruit. Effrayes des pro-
gfè* et de la rapidité des conquêtes d'Alexandre, plusieurs
princes se liguent pour s'opposer à ses armes ; ils rassemblent
a cet «iffet une armée de oy,7oo hommes qu'ils embarquent
pour aller occuper des défilés que les troupes grecques et
macédoniennes doivent traverser. Euméniaas , les autres
pairs et leurs divisions s'y engagent et se trouvent envelop-
pés. Euménidas ne trouve personne qui veuille se charger
de porter cette nouvelle à Alexandre, l^e combat s'engage,
les pairs font des prodiges de valeur et font reculer les en-
nemis. Ceux-ci en se repliant font bonne contenance , et
font marcher l'arrière^ban. Enfin Alexandre reçoit la nou-
velle de la situation de son armée, il vole à son secours. Sa
présence ranime le courage de ses soldats, qui, redoublant
d'efforts, mettent en fuite les ennemis. Ceux-ci en abandon-
nant le champ de bataille se retranchent sur une montagne
d'où ils font pleuvoir une grêle de flèches. La bataille recom-
mence; Gadifer, général des ennemis, veut faire sa retraite
sur Gadies ; Alexandre le poursuit et le veut faire prisonnier.
Ses pairs vont attaquer Gadifer qui blesse Euménidas , et le
contraint à vuider les étrier«.
Il fiert Eumenidus sor la large floria
Desouz la bode U a fraite et pecoïe i
De grant vertu l'empaint et de grant baronîe,
Que la guige eu est route et len^rme faille ;
Enmi le pré l'enporte sor l'erbe verdie....
Et assez près du cuer est la lance guenchie
Cil cliiet del coup mortel s'a la selle vuidie.
Malgré la violence du coup, malgré sa blessure, on re-
monte Euménida# sur son cheval. Aussitôt il s'échappe, se
perd dans la mêlée, cherche son ennemi, le trouve, court
dessus , et le tue.
Les vaincus vont se réfugier à Gadres où Alexandre va
les assiéger. Le siège traîne en longueur par des incidents
trop longs à rapporter. On se sert du feu grégeois pour in-
cendier le port, tandis que la flotte macédonienne opérera
un débarquement; cette dernière est battue, et, dans leur
colère, les habitants de Gadres massacrent leurs prisonniers.
ALEXAJ^DRE, POÈTE FRANÇAIS. 167
^ XII ^lECLK.
Voici comment s'exprime le poète à l'occasion da feu gré- .,,
geois :
Une galie longue ont fait aparillier F" 3? du ms.,
Et d'esche et d'estoupes font l'un des bois chaïgier, "* ' ^°^' ^'
Et de chaume et d'espines qui ardent de legiei',
Et l'autre bord chargèrent d'araine et de gravier. ^HITT ^
Sot les estoupes sistrent cil qui durent nagier IriTTirr
Por le fais droit tenir et garder de plungier
Et nagent de vertu ne laissent por lancier
Tant que le chief devant aheurtent au planchier
Fea grezois en fiolas orent 1» maronier ,
Es estoupes le mistrent sans point de l'atargier
Le chief qui fu devant firent à mont drecier
La gallie se joint maintenant au planchier
Tôt esprent maintenant sans atitre recovrier
De feu grezois fu ars qui ne se volt naier.
Les ennemis battent la flotte d'Alexandre, et massacrent
les prisonniers. Les têtes des barons sont plantées sur les
créneaux de la ville. Le conquérant voulait châtier ces peu-
ples et les punir du crime qu'ils avaient commis; mais,
instruit qu'une sédition à Tyr prenait un caractère alarmant,
il se hâte d'aller soumettre les rebelles, les disperse; il court
risque d'être fait prisonnier, et il est délivré par Aristes, l'un
de ses pai|^. Cette expédition terminée, il retourne sous les
murs de Gadres , où toutes les troupes se rendent. Le duc
Betis qui en était le souverain fait proposer au Macédonien
de lui donner trente mulets chargés d'or et d'argent , s'if
Teut quitter ses états. Le siège se poursuit; les ennemis font
une sortie ; Alexandre est blessé à la cuisse , le duc de Betisi
est tué ; enfin la victoire décide du sort de lîf ville qui est
prise.
Le repos ne pouvait convenir à notre héros; sitôt que
son armée est reposée , il part pour de nouvelles conquêtes.
Alexandre trespasse la terre de Sulie
Droit vers Jherusalem a sa voie acuellie
Qu'il vuet la cité prendre et avoir en ballie^
• Bientôt l'eust destruite et la terre açrastie.
Mes la Macédoine envers lui s'umilie
Et viennent tuit ensamble à une compagnie
Des draps teligeus fu tote revestie,
La loi li aportèrent del tens saint Jberertiit? ,
XII SIECLE.
i68 ALEXANDRE, POÈTE FRANÇAIS.
Oiex , li sires du mont le dona en baliie
Moïses le prophètes el mont de Synaie
Et volt qu'ele fust à son oès eslablie :
Âlixandre la ore et encline et suuplie.
Enchante de ces marques de soumission , le vainqueur
refuse les présens qui lui étaient offerts , et promet au
peuple de le protéger envers et centre tous. Il continue sa
marche , va dans les états de Darius. Celui-ci informé de
l'arrivée d'Alexandre, croit pouvoir intimider le conquérant
et retarder sa marche en lui envoyant une charge de grams
de millet; c'était un emblème du nombre de soldats que ses
états pouvaient lui fournir. Ayant mangé une de ces graines,
Il la trouva moût douce et bone pour maschier.
C'est sans doute, dit-il au messager, l'image du caractère
de Darius et de ses chevaliers.
Se nos avons poi d'ornes , il sont tuit costumier
D'autre gent desconfire et destruire et cliacier....
Li.rois fait aprester tôt plain son gant de poivre
Dez , fait-il au mes , que vos vuel amentoivre
Que la force de ce poivre est l'image de la force et du cou-
rage de mes soldats.
Vous conquerrom en champ et votre gent ençoivre
Quant partirez de nos tuit serez dès chief soivre (s^arés).
Cette réponse est rapportée à Darius qui fait ses prépa-
ratifs. Cependant, avant de commencer les hostilités, il en-
voie proposer à Alexandre de lui donner sa fdle en ma-
riage avec la moitié de ses états. Ses oflres ayant été reietées,
il se prépare a combattre. De son côté , Alexandre se déguise ,
passe dans le camp ennemi , y observe tout et revient vers
ses soldats, leur donne des conseils pour se garantir des
éléphants^ et des chars. La bataille a lieu, Darius est vaincu,
il fuit laissant sa famille à la disposition du vainqueur qui a
pour elle les plus grands égaras. La femihe de Darius ne
pouvant survivre à la perte du royaume de son époux,
meurt de chagrin. Alexandre la fait ensevelir avec les hon-
neurs dus à son rang. Darius se désespère et admire la
grandeur d'ame de son vainqueur.
Alixandre , fait-il , moût en aura grant pris ,
Moût es humbles guerriers, fel à tes anemis ,
ALEXANDRE, POÈTE ERANÇAIS. 169
De l'anor que as faite m'en as si bien conquis ,
Se pès voloies faire par foi le te plevis,
Car mes cuers t'aime plus que home qui soit vis.
Alexandre s'empare d'une ville appelée Fis , il la rend aux
prières de la mère de Darius, et aonne la liberté à cette
dame. Il s'enquiert des chevaliers pauvres , et leur fait des
présens ; il en fait également à leurs femmes.
Aristote que nous avions laissé à Athènes se retrouve ici ,
donnant des conseils à son élève, et l'invitant à quitter
les états de Darius, qui répandait le bruit que le roi Phi-
lippe était son serf. Alexandre irrité fait marcher son armée
et envoie proposer à Darius de combattre corps-à -corps.
Darius fait une nouvelle levée , marche contre Alexandre.
A peine l'affaire est-elle engagée que ses troupes lâchent pied
et fuient, leurs chefs en font autant. Dans cette extrémité,
Darius, quoique grièvement blessé par les siens qu'il voulait
retenir, se rend vers le conquérant, lui propose de nouveau
sa fille et tous ses états. Epuisé par le sang qu'il avait perdu ,
il meurt dans la nuit. Alexandre fait pendre les barons qui
avaient si lâchement trahi leur prince ; puis après avoir
traversé un désert, il arrive au liord de la mer, et veut
en connaître le fond. Il fait construire un grand tonneau en
verre, qui est éclairé par des lampes. Il s'y enferme avec
deux de ses officiers ,
Alixandres H rois o les deus chevaliers
Ert parfont en la mer où veoit le gravier.
Et plongeant ainsi au fond des eaux, il y voit les jeux,
les combats, les accouplements des poissons et des monstres
marins.
Alixandre esgarde les granz et les pleniers.
Qui les petiz englotent , car tex est li métiers ,
Ensement com au siècle est chascuns homs maniers;
Autresi vit-il là les prévos , les voiers ;
Sor les petiz tornoit toz-dis li destorbiers.
Il fait encore plusieurs remarques sur le même sujet ; et donne
ensuite l'ordre de le remonter. Sitôt qu'il est rendu à sa tente,
il fait rassembler ses barons et leur fait part de ce qu'il a
observé. Les barons font des remontrances à leur souverain
sur le danger auquel il venait de s'exposer volontairement,
et lui apprennent que Porus s'avance à la tête de 100,000
Tome Xk". Y
XII SIECLE.
XII SIECLE.
17D ALEXANDRE, POETE FRANÇAIJS.
chevaliers, qu'il serait déjà arrivé s'il n'avait été retardé par
le mariage de sa fille qui avait épousé le fils de la reine
Caiidace. Alexandre fait lever le camp , se met en marche ,
rencontre son ennemi, le force à prendre la fuite, s'empare
de la ville de Ségure , et distribue à ses troupes les richesses
du palais de Porus. Ayant un grand désert à traverser , il
prend des guides qui le trahissent en le menant dans un
pays où il n'y a pomt d'eau. L'armée est prête à mourir de
soif
Angoisseuse fust l'ost confondue et matée
Mainte bêle jovente i ot le jor pasmée,
Avant que la chalor eussen trespassée
En ot bien en l'ost mort plus d'une charretée.
Les soldats découvrent un peu d'eau dans le creux d'un
rocher, ils se hâtent de la recueillir et de la présenter au roi.
Alixandre vit levé, moult l'avoit golosée,
Porpense s'il la boit sa gent sera dervée.
Car se chascuns n'en a , lor soif ert avivée.
Il remercie les soldats, jette le vase et ce qu'il contient. Le
lendemain ils arrivent au bord d'une rivière dont l'eau était
si amère qu'il fut impossible d'en boire, en remontant vers
la source de cette rivière , Alexandre s'empare d'une ville dont
les habitans sont à demi -nus. L'armée n'y trouve que de
l'eau saumàtre. Enfin il rencontre deux Indiens qui lui iur
diquent une source, il veut les récompenser;
Cil li ont respondu nos n'avons d'avoir cure ,
Car marchié ne feson de nule créature.
Ensement comme bestos ont commune pasture
Prent li uns l'avoir l'autre sanz coupe et sanz mesure
Mes portant que fait estes en la vostre figure
Et veons que de soif avez tel soffroiture
"Vous enseignerons éve à ombre et- à- froidure.-
L'armée campe pendant plusieurs jours pour se remettre-
de ses fatigues. Elle reprend sa marche ; les guides la con-
duisent dans un lieu rempli de bêtes féroces. L'armée en est
tellement incommodée qu'on est obHgé d'en faire la chasse.
Une partie est détruite, et l'autre, effrayée par le bruit des
cors et des tambours, s'enfuit et se cache. Les chevaux, à leur
tour , sont assaillis par des animaux qui en dévorent queK
qucs-uns. L'armée attaquée par un peuple sauvage qui est'
ALEXANDRE, POETE FRANÇAIS. 171
vaincu, est encore obligée de se défendre contre des chats-
huants et autres oiseaux de proie. Pour se préserver de leurs
attaques, on incendie la forêt qui leur servait de repaire.
Pendant la nuit de grands feux sont allumés , mais d'autres
animaux viennent se placer au milieu des feux sans en être
incommodés. Enfin on quitte la forêt, et l'armée s'avance dans
les terres.
Alexandre apprenant qu'il est près du camp de Porus, se
déguise; on l'introduit cians la tente de ce dernier qui lui
demande des nouvelles du conquérant et de son armée.
Trop a perdu de sans tant a esté navrez
II ne vivra mes gaires tant part est agrevez.
De ce fu moût Porus et halegres et clers
Que Alixandre est vielz et il est bachelers ;
Il fait ses lettres en langage des griex
Moût menace et maudit et laidenge ses diex.
Alexandre prend les lettres qui lui sont adressées, retourne
à son armée , la harangue , la mène au combat , défait celle
de Porus qui est lui-même fait prisonnier.
Porus vit Alixandre armé sor son destrier
Envers lui s'umélie , si li prist à prier
Que il nel face ocire ne son corps ledengier
Car, seul, de bêle charge en puet avoir d'ormier
Plus que n'en porteraient quatre mille somiers
Prist le ( Alexandre) parmi l'estrier le pié li volt besier.
Pitié et Alixandre si le fist redrecier
Rent li tote la terre ,
Et les prisonniers qui avaient été faits.
Le repos n'est pas la vertu des conquérants, Alexandre
en est une preuve ,
Car véoir vuet les bones (colonnes) se il n'a en combrier
Que Artus avolt fêtes en Oriant drécier.
Porus lui offre ses trésors ; Alexandre les refuse et accepte
des vivres pour aller dans l'Inde. Le conquérant voit les co-
lonnes à!y4rtus^ que Porus l'invite à ne pas outre-passer. Il
ne tient compte de cet avis, se met en marche, rencontre
des éléphans sauvages en quantité. On vient à bout de les
chasser en faisant grand bruit. L'armée campe vers un ma-
rais, les bêtes sauvages qui viennent s'y désaltérer, dévorent
plusieurs soldats. On lève le camp , et après avoir marché
Ya
XII SIECLE.
XII SIECLE.
17a ALEXANDRE, POETE FRANÇAIS.
toute la journée, on se retrouve au point du départ. Alexandre
découvre une inscription antique :
Où il avoit escrit : Grant doel et grant estor ;
Jà ne verra ci hom qui n'ait de mort paor. .
, Alexandre se repent de n'avoir pas suivi le conseil de Porus.^
et craint de ne pouvoir soitir du lieu où il est. L'armée est
accueillie d'un orage furieux. La terre paraît être en feu. Des
dragons et des serpents, jetant des flammes par les naseaux,
ajoutent encore à la terreur des soldats. Alexandre sort pour
combattre les monstres ; ses pairs veulent en vain le retenir ;
leurs efforts sont superflus. Il part, poursuit les monstres
et s'égare. Son armée ne le voyant point revenir, le croit
perdu. Chacun est dans l'affliction. On lève le camp pour le
porter au bord de la mer. Après avoir long-temps cheminé,
Alexandre trouve une citerne ; il y descend. Une voix qui
sort du fond , lui indique les moyens de quitter cette vallée
et de rejoindre les siens. Il part, arrive, fait lever le camp et
remonte le long de la mer. Des sirènes veulent le charmer
ainsi que ses barons. Ces soldats euX-mêmes.sont séduits par
leurs attraits.
Folio 69 du Et cil les convoitoient qu'à peines s'en partoient
ms. , col. a. Et qui erent si las que plus faire ne poient
Volantiers les tornassent, mais celés les tenoient
Moût tost levoient sus , en leu les traoient
Tant les tienent sorz eles queles les estagnoient : '
Quatre s'en eschaperent qui au roi sont venu
Le covine (la conduite) des famés content qu'il ont véu
Et de leur compagnons com il sont retenu
Ne repaireront mes, noie sont et perdu
Por la biauté des famés sont einsi déçu.
Alexandre presse la marche de son armée pour échapper
aux dangereux appas de ces sirènes. Chemin faisant il ren-
contre quatre vieillards dont les corps étaient couverts de
poils. Le roi en saisit un , et les pairs arrêtent les autres. Le
premier lui indique trois fontaines; la première rajeunit; la
deuxième rend immortel, et la troisième fait, après le cin-
quième jour, ressusciter les morts. Le roi promet beaucoup
d'argent aux vieillards s'ils veulent le conduire , ils y con-
sentent.
Li roi et tuit li autre chevauchent la praele ( prairie)
Lez li vont H villart , doucement les apele ;
ALEXANDRE, POÈTE FRANÇAIS. 173
La nuit sont ostelé lez une fontenele
Dont li ruissaux est clers et blanche la gravelle ,
Là descendit li rois qui tôt le mont querele.
Mais , après avoir essuyé une horrible tempête , l'arme'e est
accueillie d'une tourmente de neige qui brillait comme des
charbons ardens , et qui fait périr un grand nombre de sol-
dats. Alexandre rencontre deux vieillards qui demandent à
lui parler , et lui promettent de le conduire où il désirerait
aller. Ou fait halte pour le dîner.
A pie se vont desduire qant il se sont disné ,
De deseur une roche trovent un leu chevé
Hercule et l'Ibis i orent converse
Et orent icel leu bënëi et sacré.
Les deux vieillards guident l'armée qui s'est remise en
marche.
Donc descendent del terre et sont venu el val
Meut furent travillié li home et li cheval
La chaleur del soleil lor fist le jor grant mal
Alixandre les guie qui sist sor Bucifal
Et en l'arrière garde a mis son senesch^
Li villart vont avant qui guient le costal.
Des clos de la montagne sadlent li ocifal
Moult sont grant et hydeus ne furent hom tal
Plus lor luisent li oel que pierre de cristal.
Les soldats les assaillent avec des pierres et des flèches ;
ils en tuent beaucoup. On traverse une forêt remplie d'arbres
fruitiers et de toutes les plantes rares et salutaires , une
d'elles
A la flereur des herbes et de la savité
Ne n'a soz ciel Donzele tant ait ris et joé
S'ele avoit son gent cors son ami présenté
Entre ses braz tenu, baisié et acolé
Se une seule nuit i avoit sejorné
Et son cors trestot mis sur les herbes posé
Au matin ne fu pucele et s'eust sa chaasté.
Sous chacun des arbres de la forêt était une damoiselle,
chaque soldat eut la sienne. On reste pendant cinq jours dans
ce lieu de délices. La reine des damoiselles est conduite vers
Alexandre, qui, épris de ses charmes, veut l'emmener avec
lui ; la reine se jette à ses pieds 'en le priant de n'en rien»
XII SIECLE.
XII SIECLE.
174 ALEXANDRE, POÈTE FRANÇAIS.
faire , et en lui faisant observer qu'elle périrait sitôt qu'elle
aurait quitté la forêt. Les soldats enchantés des beaux lieux
où ils viennent de séjourner, ne ve;ulent plus les abandonner.
On est obligé d'employer la violence pour les leur faire
quitter. Enfin par la sagesse de ses mesures, Alexandre fait
rentrer les rebelles dans le devoir. Les vieillards lui donnent
des renseignemens très - détaillés sur les damoiselles de
la forêt. On descend dans une vallée où cinq énormes
serpens jettent feu et flamme par les narines; les vents y
soufflaient avec une telle violence , que l'air était de-
venu glacial, et le froid était d'autant \nus insupportable,
que le soleil ne répandait jamais sa chaleur bienfaisante
dans ces lieux. Les vieillards conduisent Alexandre vers la
fontaine qui fait revenir à l'âge de trente ans ; ils en racon-
tent une histoire fabuleuse, s'y baignent et redeviennent
jeunes. Deux paysans indiquent à leur tour deux arbres qui
répondaient à toutes les questions qui pouvaient leur être
faites, et ce, en toutes les langues. Curieux d'observer ce
phénomène , Alexandre consulte ses vieillards. Ceux-ci l'en-
gagent à ne partir qu'escorté de cent chevaliers. Craignant
quelque surprise, le conquérant s'emporte et veut faire tuer
les deux paysans , cependant après les avoir interrogés de
nouveau, il trouve tant de bonne foi et de candeur dans
leurs réponses qu'il les remet en liberté.
Après avoir laissé le commandement de l'armée à Porus et
lui avoir donné des instructions sur les lieux qu'il doit par-
courir, Alexandre se met en devoir d'aller vérifier l'aventure
des arbres parlans. Un prêtre qu'il rencontre lui fournit de
nouveaux renseignemens. Enfin il arrive, adresse la parole
à ces arbres. Une voix qui en sort lui prédit qu'après s'être
emparé de Babylone, il deviendra roi du monde et mourra
empoisonné. Alexandre fort affligé de cette prédiction allait
répondre lorsque la voix poursuivant son récit lui dit que
sa mère avait fait honte à son père, et qu'en punition, après
sa mort, son corps deviendrait la nourriture des oiseaux de
proie et des animaux féroces.
Arislotes tes mestres qui des mestres est flors,
jouira de la plus grande réputation, et toi, tu ne reverras
jamais la Grèce.
Alexandre demande des explications au sujet de son em-
poisonnement, elles lui sont refusées. Après avoir quitté ces
XII SIECLE.
ALEXANDRE, POÈTE FRANÇAIS. lyS
lieux , il se rend à l'endroit qu'il avait indique à Porus , lui
raconte ce qu'il avait entendu. Porus s'en réjouit intérieu-
rement, la honte de ses défaites lui revient sans cesse à
l'esprit , il cherche à s'en venger par tous les moyens pos-
sibles , et particulièrement en maltraitant les soldats macé-
doniens. Alexandre instruit de la conduite de Porus s'emporte,
le menace , et le renvoie chez lui. Celui-ci propose le combat
au conquérant; ils montent à cheval; à la seconde course
Porus est démonté, et pour se venger il coupe les jarrets à
Bucéphale. Irrité de cette barbarie, Alexandre tire son épée
et tue Porus. L'armée poursuit sa marche, arrive à Babylone.
Aussitôt que le conquérant est arrivé, il est reçu par la reine ,
qui .mande Apelles pour faire le portrait du erand homme.
Antigonus, un des fils de la reine, forme le dessein d'assas-
siner Alexandre ; il en fait part à sa mère , qui , bien loin
d'approuver ce projet, en informe Alexandre. Celui-ci,
loin de punir Antigonus d'avoir voulu attenter à ses jours,
lui donne un royaume bien plus considérable que celui qu'il
devait occuper.
Au matin parsoit l'aube quant l'aloete crié Folio 84 dùi
Est tote l'ost montée des cors fu gran bruie. ms. , col. i..
Cil olifant (éléphants) i sont qui font grant estormie
De sept lieus au plus oist l'en l'estormie.
Li rois se mist après o mult grant baronie,.
La gent à pié s'en est tote ensamble sallie.
Là poist-on veoir tante brogne sesie,
Maint bon espié à or, maint espée forbie ;
Li solaus fiert es hyaumes qui tant cler reflabie. <
Qant li rois les esganle devant soi une luie
Biax sire Diex, fait-il, que tote gent déprie-,
Protège une si belle et si brave armée, et fais qu'elle marche
toujours à la victoire.
Alexandre , après avoir visité le fond de la mer , veut aussi^
connaître le firmament et ce qu'il contient. En conséquence,,
il prend des griffons ,
Orrible sont , forment hydeuS come dragon
Bien raenjue au mengier chascuns d'eus un moton.
U les attache à un grand panier couvert en cuîr,
Li rois l'a fait porter loig de l'est en l'erbu
Cordes ont fait lacier si se font esméu;
Si home et si baron l'ont el champ porséu
l'jô ALEXANDRE, POÈTE FRAN'^IAIS.
XII SIECLE. j)g moût grant legevesce sont par cis e n.eu.
Illueques est li rois dedenz l'engig entrez
Une l.ince avec lui et fresche <'har assez,
Et dit à ses barons ne vous desconfoitt'z
Mes que me lessiez seul et de loing m'esgardez.
Alexandre s'élève par le moyen de la chair fraîche qu'il
tenait au bout de sa lance; en élevant cette lance, les grif-
fons qui veulent se repaître de la viande, le font toujours
monter. Lorsqu'il a fini ses observations et qu'il veut des-
cendre, il abaisse sa lance, et par ce moyen force les griffons
à revenir sur terre.
Le roi raconte fort longuement ce qu'il a vu et même ce
qu'il n'a pu voir, puis ordonne à l'armée de reprendre le
cn^min de Babylone dont il veut faire le siège. Cette ville
était défendue par un sénéchal nommé Nabuzardon ou Na-
buxardan , ( car on trouve ces deux noms) qui , apprenant les
desseins du monarque macédonien, ne néglige aucune me-
sure pour se défendre. Le siège commence. Les Babyloniens
font une sortie et sont battus, ils tentent encare une seconde
bataille qui ne leur est pas plus favorable que la première.
Alexandre tient un conseil de guerre à la suite duquel il
ordonne à ses barons de &e tenir prêts à monter à cheval dès
l'aube du jour.
Li rois vint en son tref, li cierges sont ardant,
11 a demandé l'éve, l'an li porte devant.
Ses manches qant il levé li tienent deus enfant. *
Quant li rois ot mangié s'apela Hélinant
Por lui esbanoier comanda que il chant ;
Cil comance à noter ansi com li faiant
Vorrent monter au ciel comme gent mescreant,
Antre les deus an ot une bataille grant
Se ne fust Jupiter à la foudre bruiant
Qui tous les déchaça n'an eussent garant.
Le conquérant poursuit le siège de Babylone. L'amiral ou
commandant des troupes ennemies fait un sacrifice et con-
sulte l'oracle qui lui prédit la mort d'Alexandre. Enchanté
de cette prédiction il offre la bataille, est vaincu et trouvé
parmi les morts. On somme la ville , elle se rend , et Alexandre
Îr entre. Son premier soin est de faire embaumer le corps de
'amiral, et de lui faire rendre les derniers devoirs. H le fait
mettre dans un cercueil de fer, et le fait retenir aux voûtes
ALEXANDRE, POÈTE FRANÇAIS. 177
du temple par quatre pierres d'aimant. Sur le tombeau .'
sont placées quatre harpes qui , à la moindre commotion,
re'sonnaient et rendaient des accords. Le vainqueur comble
de bienfaits les habitans de Babylone ; il se croit maître de
toute la terre et croit n'avoir rien à désirer. Un soldat le
détrompe et lui indique le royaume des Amazones. Alexandre
voulant joindre ce pays à ses conquêtes , part pour cette ex-
pédition. La reine des amazones voit en songe le malheur
dont elle est menacée; elle en fait part à ses pucelles qui le
lui expUquent et qui l'engagent à s» soumettre. Elle suit leur
consed, envoie à Alexandre linc députation charj^ée de lui
offrir ses hommages et des préseiifs. Flore la plus belle comme
la plus brave des amazones, l'amie et le conseil de la reine,
était chargée de porter la parole. La députation arrivée est
introduite sur-le-champ.
Alixandres estoit fors de sa tante îssuz
Et vist les deus niesages à terre descendu!
Flores parla avant qui (sic) li randi saluz.
Sires rois Alixandres , por vos fait Diex vertuz
Car par tôt le mont estes redoté et cremuz
Del règne de Mazoine vos vient ci li tréuz
La Roine vos mande que vos estes ses druz
fie veult que ses roiaumesfoit de riens confondu/.
Chascun an vos sera autresi granz randuz.
Li présanz fu muult biax s'amprès fu recéyz ^
Lors parla Alixandre com hom aperceuz.
Cist roiaumes estoit à mon eus toz perduz
Si li pais veult eslre de moie part tenuz
Et li covanz gardez et li treuz randuz
Jà n'an iert lance fraite ne estroez escuz
Chevalier» n'an iert morz , ne de sele abatuz
Ne jamais n'en sera.cox d'espée feruz
Cinz iert trestoz li règnes à grant pais maintenuz.
Le conquérant, après sa harangue , témoigne le desir de
voir la reine suivie d'une partie de ses troupes. Les messa-
gères repartent sur-le-champ, arrivent, rendent compte de
leur mission, font part du désir. d'Alexandre.
Quant la Roine l'oit maintenant se conroie
A mille de ses puceles à cui li sejors anoie;
elle donne l'ordre du départ. Le poète en^e dans les plus
Tome XF. . ' z
XII SIECLE.
178 ALEXANDRE, POÈTE FRANÇAIS.
grands détails sur la parure des amazones et sur celle de leur
reiue. Celle-ci est présentée au conquérant;
Por faire son bornage est à pié descendue.
après la conversation:
Certes , dit AlLxandres , premier veil esgarder
Cornant vos damoiselles sevent armes porter.
La Roine respont ne fait à refuser,
Isnelemant comande «on cheval amener
Defïuble le mantel por son gent cors monstrer
Des puceles comande d'une part aiorner
Et les armes à prendre , et es chevax monter
Qui veist les puceles des armes adouber
Et poindre les cbevax et gan<Siir et torner
Et qant l'une voloit les autres trespasser
• Et vot des espérons le cheval adeser
Si randonne plus tost qu'oisiax ne puet voler.
la reine prend congé et retourne dans ses états. Alexandre
se rend a Babylone, où il reçoit des nouvelles de sa mère
Olympias qui lui mande qu'Antipater , roi de Sydoine, et
Diviims Pater, roi de Tyr, voulaient s'affranchir de ce qu'ils
devaient à leur souverain. Dans sa colère , Alexandre mande
les coupables pour leur faire rçndre compte de leur conduite
et pour les punir. Ils se rendent aux ordres qu'ils reçoivent,
et ne se revoient que pour tramer les moyens d'assassiner
le conquérant. Après avoir mûrement délibéré, ils choisissent
le poison. On présente au roi un monstre singulier.
Desouz est chose morte desi en la poitrine.
Le roi veut en connaître la cause ; à cet effet on rassemble
tous les savans de Babylone; chacun dit son mot, mais un
vieillard prend la parole et s'exprime ainsi :
Roys, ce que tu demandes et vieilx que je te die
Se tu t'en courroiicoies , ce seroit grant folie.
Les bestes que tu voiz qui monstrent félonie
Et que l'une vers l'autre monstre si grant envie,
Ce sont li douze per qu'as en ta oompaignif,
Si tost com seras morz et ta vie fenie
La guerre est conimancié et la terre sésie
Fé le mieulz que tu puez, niolt est cotte ta vie.
Alexandre est saisi de douleur en apprenant la nouvelle
de sa fin prochaine et des malheurs qui devaient fondre sur
ALEXANDRE, POÈTE FRANÇAIS. 179
-, , ^ . •^ -1 vi ^ XII SIECLE,
ses états. Avant de terminer sa carrière, 11 rassemble tous ^
les chevaliers, tient une cour plénière, où il mange, la cou-
ronne sur la tête. Les conjures saisissent cette occasion pour
le faire empoisonner par deux serfs qu'ils avaient gagnes
par des récompenses et des promesses.
Li dui serf qui sa mort li orent aportée . ^
Li uns sist au mengier en la sale pavée recto, col. i du
Et li autres servi de la coupe dorée ms.
Qui crt de riches pierres garnie et aornée :
Moult fu la traison gentement porparlée.
Es ongles de lor dois est la couche boutée „
Por ce que <le lor braz ont la manche coupée :
Qant li rois vout le vin, la coupe a demandée
Et cil Gert enz son pouce , si la li a livrée.
Si tost comme a bu , si li art la corée, •
Li cuers li vient el ventre, s'a la color muée.
Aussitôt Alexandre demande une plume poyjg rendre le
venin (^u'il venait de prendre ; Antipater lui en remet une
3ui était empoisonnée. • Alexandre tombe, il est transporté
ans une chambre oii il demeure long-temps sans mouve-
ment. Ses sujets et ses officiers sont vivement affectés de
l'état du héros qui les conduisit si long-temps à la victoire;
ils pleurent sa mort. Après un long évanouissement, Alexan-
dre revient à lui et emploie les momens qui lui restent à
faire ses dernières dispositions. Il lègue à chacun de ses
F airs un royaun^^, ordonne le supplice des deux serfs qui
ont empoisonné, puis s'occupe de ses funérailles. Il meurt
entre les bras de ses capitaines, et le reste du roman n'est
consacré qu'à rappeler les regrets que cause la mort.
Del bon roy Alixandre dont terre est orfeline.
• ROMAN D'ATHIS ET PROFILIAS.
PAR ALEXANDRE DE BERNAY, SURNOMMÉ DE PARIS.
Qui saiges est de sapience jyj, . f^,,^,^
Bien doit espandre se science, deCangû,n"73,
Que tex la puisse recoillir ^®''*' **'^'
' D'on boins essanples puisse issir.
i8o ALEXANDRE, POÈTE FRANÇAIS.
XII SIECLE. ^ , , ■ *,• ,
- Oez del savoir Alixandre,
' Qui por ce fist ses vers espandre.
Qant il sera del siègle issuz
Qu'as autres fust amanteuz.
Ne fu pas saiges de clergie
Mes des auctors oï la vie,
Molt retint bien an son mémoire.
Vous saurez donc que dans l'antiquité il y avait deux villes
célèbres, Rome et Athènes. L'auteur raconte l'histoire de la
fondation de la première de ces villes où les jeunes Athéniens
venaient s'instruire dans l'art de la guerre. D'un autre côté
les Romains envoyaient leurs enfans à Athènes pour y faire
leurs études.
^ Or vous dirai des deus citez
Comant li pleiz est devisez.
Athène est pleine de clergîe
HEt Rome de chevalerie.
De sorte qu'on ne pouvait avoir une bonne éducation si
l'on ne faisait pas un assez long séjour dans chacune de ces
villes. Evas, homme fort riche qui demeurait à Rome, avait
fait ses études à Athènes, chez un maître nommé Savis qui
était devenu son ami. Il avait un fils beau, bien fait et rempli
de dispositions pour les lettres. Le destinant à devenir che-
valier , il désire que Prophilias , c'était le nom du jeune
homme , soit aussi l'élève du sage Savis. A cet effet, il le fait
partir pour Athènes. De son côté, Savis afait un fils nommé
Athis , qu'il desirait faire passer à Rome pour y apprendre
le métier des armes. De sorte que sans s'être consultés, les
deux pères firent un échange de lein"S enfans. Prophilias ar-
rive au moment où Athis allait "s'embarquer. Les deux jeunes
gens entrent en connaissance, ils vont chez Savis qui reçoit
de son mieux le fils de son ami ; Athis ne veut point quitter
son compagnon, il veut attendre la fin de ses études pour
l'accompagner à Rome. Prophilias fait de si grands prog^s
qu'il devient l'un des plus instruits d'Athènes. Les deux
jeunes gens remportent, les prix aux jeux publics. Se pro-
menant un jour-sur le bord de la mer, Athis fait confidence
à son ami que son père veut le marier, et que le jour de
ses fiançailles est fixé. Quelques jours après il l'invite à venir
voir sa future qui se nomme Cardionès ; mais sa vue répand
sur Prophilias un feu dont il ne cessera de brûler. Il tombe
ALEXANDRE, POÈTE FRANÇAIS. i8i
malade , une foule de réflexions viennent l'assaillir. Athis
vient le voir avec Savis; celui-ci mande tous les médecins.
Les noces se font, un grand repas est donné. Athis quit-
tant la compagnie vient auprès de s^n ami dont les souf-
frances redoublent lorsqu'il entend que sa maîtresse est dans
la maison. Athis le prie tant que Prophiliî\§ lui dit :
Tu quenuis bien la médecine
Et chascun jor voiz la racine
Qui me garroit à po de peine ;
Mes la Hsique au est vileiqe
Ancontre toi qui me requiers :
Athis respont , biax amis chiers ,
Est-ce por famé ? oil amis ,
Miaudre m'est morz que estre Vis.
Cornant a nom ? Cardionès ; ^
A c'est mot s'est pasmfez après.
Athis embrasse son ami, le réconforte, et promet de lui
rendre la santé.
Dedanz ma chambre, devant moi
Ferai mon lit fere por toi
Qant je serai alez couchier
Et gésir joste ma moiliier.
Lèverai , iré à ton lit
Et tu viens fere tooidelit
A ma moiliier (femme) te coucheras.
Prends garde de ne pas lui parler, et sur-tout de t'endorniir;
tu reviendras dans ton lit, et je retournerai dans le mien. En
attendant, je vais te faire transporter dans une chambre, à
côté de la mienne. Athis sort en aonnant des ordres pour cette
translation; et quand l'heure du coucher est venue, mille
réflexions diverses viennent assiéger Athis qui se contente
d'embrasser seulement sa femme. Pendant ce temps, Prophi-
lias s'impatientait et pestait contre son ami qui balançait
plus que jamais sur le parti qu'il avait à prendre; déjà il
était levé pour aller le chercher, lorsqixe rentrant en lui-
même il se décide à rester près de sa femme. Cependant ^
toute réflexion faite, il va le chercher et lui dit :
Va toi gésir avec ta mie-,
Mes garde que ni parler miej
Qant tu auras fet ta volenté^
XII SIECLE.
XII SIECLE.
ida ALEXANDRE, POÈTE FRANÇAIS.
Tout coiement et à celé,
Bevien tantost isnelemant
Garde ni ait qiienuissemant.
Propbilias se lève, ^^ au lit de Cardionès,mais pensant au
sacrifice que lui fait son ami , il ne veut pas le déshonorer.
Savoir^e touche, amors i'effroie.
Il se met cependant au lit, car
Âmors l'esprant el lit le bote,
Puis li a (lit , or n'ai«ï dote
Profilias ne t'atariiier.
Car te hastes de comancler.
Riens commanciée est mitië fête.
Enfin il se couche auprès de sa maîtresse, lui prend son
anneau, et retourne dans son lit. Revenu dans sa chambre,
Athis pense au sacrifice qu'il a fait, il pense aussi à laisser
sa femme à Prophilias qui, toutes les nuits, va coucher au-
Êrès de sa maîtresse. Ce train de vie continuait, lorsque
vas, sur le point de mourir, désirant voir son fils, envoie
un messager le demander au sage Savis. Prophilias au dé-
sespoir de la maladie de son père ne peut sans effroi penser
à quitter sa mie ; des pleurs inondent son visage ; Athis s'en
aperçoit, et tirant son ami à part, il lui promet de lui céder
sa femme. -r
Rentrés au palais , Athis prend Cardionès par la main , et
la menant dans une chambre écartée, lui conte tout ce qui
s'était passé, l'engage à regarder Prophilias comme son époux,
d'autant plus , lui- dit-il , qu'il t'a déflorée , et que jamais je n'ai
eu la moindre habitude avec toi. Il apjjolle son ami, le prie de
raconter son histoire; celui-ci montre l'anneau qu'il lui dé-
roba. La jeune femme est incertaine. On assemble toute la
famille qui ne veut pas consentir au divorce. Athis mène sa
femme et Piophilias au temple de Vénus oii la prêtresse
rompt ses nœuds pour en lier les deux amans. Prophilias
quitte Athènes pour s'en aller à Rome; il enimène avec lui
Cardionès. Evas se portant mieux vient au-devant de son fils.
Il est fort surpris qu'il se soit marié sans son aveu; cepen-
dant, en faveur des souffrances qu'il a endurées, il par-
doime, embrasse sa bru, plaint et admire Athis qu'il de.sire
voir pour le récompenser. Les noces se fout avec la plus
grande magnificence ; Evas donne de grands biens à son fils.
ALEXATVDRE, POETE FRANÇAIS. i83
Il n'en était pas de même du pauvre Athis qui , déshérité .
et renvoyé de chez son père , tombe dans la plus affreuse
pauvreté!^ Ses parens ne veulent plus le voir, il ne sait que
devenir, où aller; l'hospitalité lui est refusée. « Quelle diffé-
rence entre mon ami et moi! je me suis sacrifié pour lui; il
nage dans l'abondance, et moi, je vis dans l'opprobre et la
misère.
Li vileins dist en son reçoi
Qui mialz aime autrui que soi
Por fos San tient au tlépartir
Mes je sui tart au repantir.
Mon père et mes parens me rejettent loin d'eux, il me
convient de m'exiler. J'irai à Rome , j'irai voir mon .ami ;
et je veux savoir quelle réception il me fera. » Il s'embarque
sur un vaisseau ou le passage lui est accordé par charité;
il arrive à Rome, où tout le monde se moqué de la pauvreté
de son accoustrement ; il trouve enfin le palais qu'habitaient
Prophilias et Cardionès. Les deux époux, à cheval, sortaient
à la tête d'une grande compagnie pour aller se promener;
ils voient Athis que le mauvais état de ses habits et sa mai-
greur rendaient méconnaissable.
Qant Athis voit son compeignon
Q'il ne li dit ne o ne non ,
Ancontré l'a et trespassé
Ne ne li a un mot soné. ,
Il pense qu'ils ne l'ont pas voulu reconnaître ; et s'abandon-
nant à la plus noire mélancolie, il sort de la ville, trouve
une grotte : il y entre en, jurant de n'en plus sortir, et
de s'y laisser mourir de faim. Il continue a déplorer son;
sort.
Tant a plore que toz se lasse -'
La nuiz revient li jorz trespassé.
Le temps était beau; trois jeunes gens sortent de la ville
pour se promener; ils avaient donné rendez-vous à leurs
maîtresses qui n'arrivaient pas. Dans son impatience l'un
d'eux injurie la maîtresse de son compagnon.; celui-ci tire
son épée , le troisième se joint à lui , et leur adversaire tombe
sous les coups des deux assassins , qui, après avoir consommé
leur crime , s'enfuient en laissant leur victime qui touchait à
ses dern iers momens.
Athis sort de sa Cachette pour donner du secours à cet in-
Xn SIËCLK.
XII SIECLE.
i84 ALEXANDRE, POETE FRANÇAIS.
. fortuné, il n'était plus temps. Il réfléchit que cette aventure
peut lui faire ôter cette vie qu'il déteste ; dans ce dessein ,
il se roule sur le cadavre , ensanglante ses vêtemens , et at-
.tend le jour pour faire reconnaître en lui l'assassin. En effet,
arrêté, mené devant les juges, il soutient qu'il est le cou-
pable; il est condamné. Cependant quelques juges observent
qu'il n'est pas possible qu'un étranger assassine quelqu'un
qu'il n'a jamais Vu, et qu'il attende qu'on vienne l'arrêter.
La coutume était à Rome, que lorsqu'un coupable était con-
damné, on l'exposait pendant trois jours aux regards du
peuple. Le hasard fît que Prophilias passa et reconnut son
ami. Les obligations qu'il .lui a reviennent à sa mémoire , il
ne balance point à se reconnaître coupable pour le sauver.
Il va vers les juges, s'accuse du crime et parvient à remplacer
Athis. Débat entre les deux amis qui s'accusent mutuelle-
ment, et qui veulent mourir l'un pour l'autre. La famille
de Prophilias se désole sur-tout quand le second jour est
passé. Les deux assassins qui avaient pris la fuite après avoir
commis leur crime , rentrent dans Rome oii ils apprennent
l'aventure d' Athis et de Prophilias : ils vont voir ce dernier,
qui était à la chaîne sur la place publique , ( il est à obser-
ver que leurs mains étaient encore teintes de sang ).
Qant orent auques démoré ,
Li uns d'ax a l'autre apelé
Puis li a dit privéemant
Alons nos an isnelemant.
Se nos somes aparcéu
Et de caste œuvre quenu ,
Que nos aions ocis cest home ,
La justice est si fors de Rome,
Que venuz est nostre joïs (jugement).
Ces paroles furent entendues par un sage qui , élevant la
voix, aénonce les assassins. On les arrête, ils sont mis à la
chaîne à laquelle était attaché Prophilias. Ils conviennent
de leur crime , en font l'aveu et bientôt en reçoivent le châ-
timent. Les d.eux amis s'embrassent, se racontent leurs aven-
tures : Athis est présenté à Evas et à toutes les personnes
de la famille ou de la connaissance de Prophilias. On lui
donne des vêtemens superbes , et l'on va au-devant de tout
ce qui peut lui faire plaisir. Evas lui donne des terres, de
l'argent, des bijoux, et le regarde comme un de ses enfans.
ALEXANDRE, POÈTE FRANÇAIS. i85
Peu de temps après on cële'brait la fête de l'enlèvement des
Sabines ; Evas, sa famille y vont; Athis donnait la main à son
ami qui avait une charmante sœur nomme'e Gayète. Elle
avait vu seize printemps , le dieu d'amour s'était plu à la
former (suit l'enume'ration des appas de la belle); et jamais
il n'y eut de beauté plus parfaite. Athis ne peut la voir sans
l'aimer, et n'ose pas avouer son amour, parce queBilas, roi
de Sicile , en a fait la demande. De son coté Gayète ressent
une amitié bien vive pour Athis, qui, combattu par sa pas-
sion, tombe malade. En vain Prophilias lui offre des conso-
lations, il s'obstine à vouloir mourir en emportant son secret.
Gayète s'afflige de la maladie de son amant; un jour, elle
tombe en faiblesse au récit que lui fait Cardionès de la ma-
ladie d' Athis. Cardionès se doute de l'amour qu'ils ont l'un
pour l'autre. Evas va auprès du malade , lui offre toutes les
consolations ; il lui tâte la tête et le pouls qu'il trouve assez
tranquille. Il sort avec Prophilias en lui disant, je suis d'au-
tant plus fâché de la maladie de ton ami que je lui destinais
ta^sœur, au lieu de la donner à Bilas, roi de Sicile. Je vais
aviser aux moyens de le guérir. Resté seul, notre pauvre
malade pleure sa destinée; dans son délire il croit voir la
beauté qu'il adore, il veut l'embrasser, et revenu à lui il
sent plus vivement son malheur. De son côté la pauvre
Gayète se désole, pleure et craint pour son amant. Prophi-
lias passe la nuit â réfléchir sur la situation d'Athis; d'où
peuvent venir ses maux ? C'est de l'amour ! oui ,
Tôt est d'amor et de s'orine,
Qui bien aime sovant devine.
mais de qui est-il amoureux ? Est-ce de ma femme ou de ma
sœur. Ah ! que ce soit l'une ou l'autre je la lui abandonne.
Moult pert qui pert un bon ami.
Si ce pouvait être de Gayète dont il eût le cœur pris , avec
quel plaisir je la lui offrirais. Le jour paraissant, Prophilias
se lève sans le secours de ses domestiques; il court à la
chambre de son ami , lui offre de nouveau ses services , et
au nom de l'amitié le prie de lui confier d'où peuvent naître
ses maux. Il n'ose lui parler d'amour dans la crainte qu' Athis
n'aime sa femme. Athis lui apprend qu'il aime, mais ne
nomme pas l'objet; nouveaux sujets de crainte pour Pro-
philias qui parvient à faire avouer a son ami toute sa passion
.Tome XV. A a
XII SIECLE.
XII SIEa.E.
m ALEXANDRE, POÈTE FRANÇAIS.
pour Gayète. A ces mots il embrasse Athis, lui promet sa
sœur et sort pour effectuer sa promesse. Rassure' sur son
amour, Athis prend courage et jouit déjà de sa feflicité fu-
ture. Prophilias passe chez sa sœur, lui fait convenir de son
amour , lui promet de l'unir bientôt à son ami. Il eu lait la
demande à la mère qui accorde la demande. Toute la famille
e'tait rassemblée au jardin lorsqu'un messager de Bilas, roi
de Sicile, arrive et vient de la part de son maîtrç, prier
Evas et Prophilias de venir le voir, voulant faire son entrée
à Rome avec eux , comme futur époux de Gayète. Je laisse
à penser quel fut le désespoir des deux amants à cette nou-
velle. Prophilias ne sait à quoi se résoudre ; il va vers son père,
suivi de sa sœur et de sa mère, ils lui parlent avec tant de
feu et d'éloquence qu'ils auraient tout obtenu de lui; mais
Evas avait engagé sa foi; il ne pouvait y manquer sans se
compromettre; rien ne peut fléchir ce vieillard. Alors Pro-
philias jure d'attaquer Bilas, de chercher toutes les occasions
de lui nuire dans le cas où il voudrait épouser Gayète. Evas
part pour raconter au roi que sa fille éprise d'amour pour
un autre, serait très-malheureuse avec lui. Il arrive à la tente
du roi ; on y voyait représentés le jugement de Paris et le siège
de Troie, ensuite l'histoire de la fondation de Rome, celle
d'Etéocle et de Polynice , puis celle de Salomon et ^e son
frère Absalon, enfin les douze mois, les quatre temps, les
douze signes, les planètes, les saisons. Le poëte s'étend
beaucoup sur la richesse et la beauté des tapisseries. Le
père est bien reçu de Bilas, qui lui demande des nouvelles
de son fils ; il viendra plus tard. Evas invite le roi à venir
à Rome. Bilas refuse , parce que ses gens n'entendent pas le
roman ; mais il le prie d'amener Gavète pour qu'il l'épouse.
Evas prend conseil des sénateurs et des douze pairs de nome,
pour refuser cette demande. Il charge ses amis d'ofl'rir au roi
des richesses pour qu'il se désiste ; mais celui-ci déclare qu'il
veut la Pucelle, et jure, en cas de refus, de se venger. On se
retire. Un vavasseur conseille à Evas de tenir sa parole , de ne
pas s'arrêter à ce que dit Prophilias, et de donner sa fille au
roi. Evas penche pour cet avis. Cependant, rentré chez lui,
il rend compte de ce qui s'est passé, et va se reposer. Pen-
dant la nuit, Salustine, mère de Prophilias, celui-ci et sa
femme Gradrones, ensuite Athis et la Pucelle, tiennent con-
seil : ils arrêtent d'envoyer demander secours à tous leurs
amis ou parens. Au matin , quatre mille s'étaient déjà ras-
ALEXANDRE, POETE FRANÇAIS. 187
semblés , ils sortent de la ville pour prendre conseil ; cinq
cents se mettent en embuscade pour enlever Gayète à son
passage. Prophilias, ayant reçu de nouveaux renforts, sépare
sa troupe en douze corps. Evas, s'étant levé, mande à sa *
fille qu'il veut la mener au roi; il lui commande de s'ap-
prêter. La Pucelle revêt ses habillemens les plus vieux et les
plus sales , mais Evas la contraint à se vêtir richement. On
monte à cheval, ils prennent un chemin détourné et arrivent
au camp de Bilas, qui, après lui avoir fait amitié, la fait
fjartir aussitôt pour ses états, sous la garde de cent cheva-
iers. La troupe se met en marche, elle est précédée et suivie
du reste de l'armée. Un corps, commancfé par Prophilias,
voit venir les chevaliers, soudain l'action s'engage, ils sont
vainqueurs , mais ne trouvent point la Pucelle , qu'un che-
valier emmenait. Ils sont rejoints par une autre troupe; et,
continuant leur route, ils viennent tomber dans l'embuscade
préparée par Athis. Ses amis le soutiennent mal, il est prêt
d'être vaincu. Pendant ce temps Gayète se cache dans la
forêt. Athis la cherche de tous côtés; il trouve son cheval et
son manteau qu'elle avait quittés; enhn il la voit sous un
olivier, la fait remonter sur son cheval, la met entre les
mains de ses amis, et court porter secours à Prophilias qui
était aux prises avec le roi Bilas. Les Romains , effrayés par
le nombre de troupes, lâchaient pied; mais Athis paraît à
la tête d'un corps considérable, ils reprennent courage;
Bilas est renversé, on le remonte avec peine sur son cheval^
ses troupes plient et prennent la fuite; les vainqueurs les
f)oursuivent jusqu'à la forêt. Il jure de se venger de sa dé-
aite. Athis et Prophilias retournent au champ de bataille
pour faire panser les blessés et ensevelir les morts ; ils
pleurent en voyant les maux dont eux seuls sont la cause.
Athis ne peut se le pardonner.
Qant de deus max esluet l'un prendre
Au moins honteus se dex l'en prendre.
En conséquence il veut fuir, mais ses amis lui représentent
qu'il ne peut le faire, à présent que leur valeur leur était
nécessaire. Et votre mie que deviendrait -elle.''
Malvés gaeing fet an gibier
Qui port l'aloe et l'esprevier.
Prophilias se joint aux autres chevaliers; ils parviennent ai
Aaa
XII SIECLE.
Xn SIECLE.
188 ALEXANDRE; POETE FRANÇAIS.
calmer Athis qui donne l'ide'e de remporter les morts et les
blesses à Rome, précèdes du riche butin qu'on avait conquis,
afin que sa "Vue fît suspendre la tristesse des parens qui
* avaient à regretter un lils ou un frère.
Cil qui son fil i aura mort
Por ce que mialz san reconfort
Ait de l'avoir greignor partie ;
Car granz avoirs grant duel oblie ,
En grant avoir a grant resset,
Tost change l'en un grant meffet.
Cet avis est suivi : les prisonniers servent de triomphe aux
vainqueurs. Ce qui avait été prévu arriva, les richesses con-
quises empêchèrent les plaintes. Athis eut pour lui la riche
tente du roi Bilas. Propnilias donne à Gayete une quantité
de robes et de bijoux précieux. Le mariage d'Athis et de
Gayète est arrêté ; on les mène au temple ; les noces se font
avec la plus grande magnificence. Propnilias fait des cadeaux
de toute espèce aux deux époux. Le soir, les jeux sont ou-
verts, la joute, les courses a pied et à cheval, la palestre,
l'escrime, sont les principaux; les fêtes durent huit jours.
Les fêtes terminées, Athis pense à ses parens, et pleure de
ce qu'ils ne peuvent partager son bonheur. Prophilias s'en
aperçoit , lui en demande la raison : après l'avoir entendu ,
il lui propose de l'accompagner et de partir avec leurs
femmes. Evas, consulté, donne son consentement, en enga-
geant ses enfans à revenir bientôt. Ils partent , suivis d'un
grand nombre de chevaliers, barons, escuiers, varlets, et,
après huit jours de traversée , ils descendent au port d'Athènes.
Un messager est envoyé à Savis pour le prévenir de l'arrivée
de son fils. Savis était malade de chagrin de n'en avoir pa§
de nouvelles, et languissait depuis un an dans son lit.
Aussitôt qu'il entend parler de son fils, il demande oii il
est, veut se lever pour aller le trouver; sa femme partage sa
joie; Savis mande cette nouvelle à ses parens; ils les invite
à venir dans son palais pour recevoir dignement son cher
fils. Suivi de sa femme et de sa maison il s'achemine au port.
Le messager les précède, et, doublant le pas, il rend compte
de ce qu'il a appris. Athis va au-devant de son père; chacun
s'embrasse mille et mille fois. Ceux qui avaient tout refusé
à Athis sont ceux qui lui font le plus d'amitié, et qui se
disputent l'honneur de le recevoir; mais Savis voulut garder
ses enfans et leur suite.
ALEXANDRE, POÈTE FRANÇAIS. 189
En ce temps là Athènes était gouverne'e par un duc , nommé
Theseus, descendant du fameux Thésée. Ce duc avait un fils
qu'il avait appelé Pyrithous : ayant appris l'arrivée des deux
amis, ils forment le projet daller leur rendre visite; ils
partent, arrivent, on les reçoit avec les honneurs dus à leur
rang. Theseus prie Athis de vouloir bien achever l'éducation
militaire de son fils et de l'aider dans ses entreprises. Ils
demandent à voir les dames; le père et le fils deviennent
subitement amoureux de Gayète. Rentrés dans leur château,
Theseus et son fils s'abandonnent à leur amour. En vain la
jeune femme de Theseus cherche à distraire son mari et son
fils. Cependant Theseus réfléchit qu'à son âge il a tort de
vouloir être amoureux, et le fils pense à faire une action
d'éclat qui le fasse remarquer de la dame de ses pensées. En
examinant comment il pourrait y parvenir, il apprend que
Thélamon, duc de Corinthe, avait un fils nommé Ajaus,
descendant d'Ajax, et fort bon chevalier. Pyrithous profite
d'une fête donnée par Thélamon pour aller défier Ajaus, et
le menacer de réduire en cendres son héritage; il envoie à
cet effet, et sans prévenir son père, un messager chargé de
déclarer la guerre. Outré de cette déclaration , Thélamon
rassemble ses gens et s'apprête à venir surprendre Athènes.
Pyrithous, ne sachant comment prévenir son père de l'incar-
tade qu'il avait commise, prend le parti de faire armei^ et
rassembler tous les chevaliers de la terre de son pè,re- il
prie également les deux amis et leur compagnie de v^^nir les
rejoindre. Lorsque tout le monde est rassemblé, o^se met
en marche. Pyrithous compte sept mille hommes, F,on ennemi
en a trois mille de plus. Les deux armées se J0)gnent font
des prodiges de valeur. Pyrithous fait cacher; une partie de
ses troupes, commence l'action, il fait semb'.ant de se retirer
et lorsque l'ennemi est acculé à un gué^ ses soldats, sortant
de leur cachette , attaquent Thélamon par derrière tandis
que lui les bat par devant. Athis et Prophilias se couvrent
de gloire par leurs hauts faits. T. a bataille dura un iour et
demi; l armée de Thélamon parlait déjà de se rendre lors-
que Theseus apprit l'escapade de son fils; craignant qi'il ne
succombe, il ramasse toutes ses communes et arrive avec
vingt mille hommes de toute arme, au lieu où se donnait
le combat; 1 attaque recommence avec plus de vigueur
parce que 1 ennemi reçoit aussi un renfort. Pyrithous est
blesse son père craint pour ses jours, il lui répond qu'il
cesse de s affliger: ^ ^
XII SIECLE.
XU SIECLE.
i()a ALEXANDRE, POETE FRANÇAISV
Que de la mort n'est nul respit
Dès que Deii plest et l'ore vient ;
Mauves siègle a qui trop la crient ;
N'a mes es morz nul recovrier
Por ce covient le duel lessier.
Mais, dit Theseus, pourquoi as-tu voulu taire la guerre
sans m'en prévenir, sans avoir fait des dispositions? car
Tuit estiez dans la nasse
Et mort et pris s'auques tardasse.
Enfin, puisque Thélamon se retire, il faut rentrer chez nous,
obtenir de grosses rançons de nos prisonniers, et de cet
argent nous lever des troupes étrangères. Le lendemain on
décampe, on retourne à Athènes pour se préparer à se battre
de nouveau. Les deux amis, rentrés dans leurs familles, y
racontent leurs exploits. De son côté, Thélamon fait les
plus grands jiréparatifs ; il invite ses parens, ses amis et ses,
vassaux à venir le secourir et à venger l'injure qu'il a reçue.
Le roi Bilas est son cousin ; il apprend par lui que le bel
Athis et sa femme sont à Athènes, et il s empresse de venir
soutenir Thélamon et de se venger des Romains qui lui
avaient enlevé sa femme. De chaque côté on fait des prépa-
ratifs immenses , et chaque parti n'a pas moins de cent mille
combattans.
Thélamon arrive suivi de Bilas ; ils projettent de sur-
prendre Theseus pendant la nuit et de s emparer de la
ville. Le projet est adopté, et, sûrs de leur proie, ils sa-
vourent déjà le plaisir de partager les dépouilles des vaincus.
Theseus prend conseil de ses barons et leur propose d'aller
attaquer les ennemis; son avis est adopté. Sur le soir, il
envoie Pyrithous aux deux amis pour les inviter au combat;
celui-ci part avec Carsidorus, fils d'un empereur; on les
reçoit avec les honneurs dus à leur rang. Ils prient Cardionès
et Gayète de leur donner un gage d'amour pour mettre à
leurs lances. Gayète donne à Pyrithous un anneau d'or,
Cardionès fait le même présent a Carsidorus. Ils partent,
se couchent, et passent la nuit à réfléchir aux actions qui
pourront les faire distinguer par les dames qui ont bien
voulu les accepter pour chevaliers. Pendant ces allées et
venues un espion va prévenir les assiégeans que la ville est
bien garnie et songe a se bien défendre. Bilas fait part de
cttte nouveUç à Thélamon; ils font armer leurs troupes et
ALEXANDRE, POÈTE FRANÇAIS. 191
attendent la sortie des assiégés. Ceux-ci ne tfiixlent pas à
paraître. Les dames montent aifx tours du château pour
voir les prouesses de leurs amis.
Les chevaliers voelent réolr
Et bien reconnestre çt savoir
Lequel sont plus cheval,erQS
Ou li ami ou li espos.
Le combat s'engage; la bataille fut longue, dura toute la
journée; les ennemis battus, laissèrent prisonniers une foule
de. princes. Quant aux autres, ils se couvrirent de gloire, et
chacun se surpassa. A l'issue du combat, Bilas demande à
parler au duc d'Athènes ; celui-ci se rend à cette invitation ,
suivi d'Athis, de Prophilias et de son fils Pyrithous. J3ilas,
après avoir donné des éloges à la valeur de ces guerriers,
demande une trêve de huit jours et une convention qui
permettra aux deux partis de commercer e^isemble. Il prie
aussi le duc de lui permettre de voir son aimable fille, la
belle Alemandine. Ces choses sont accordées par l'entre-
mise de Prophilias, dont le roi de Sicile admire autant le
courage que la droiture des intentions et l'esprit conciliant.
Chacun retourne au camp; Bilas vient le lendemain à Athènes,
il désire voir Savine, sœur d'Athis; et, en effet, il descend
chez Savis. Aussitôt qu'il arrive dans la cour du château,
Athis court lui tenir l'étrier, et s'empresse de lui porter hon-
neur. Bilas, reconnaissant des soins de son hôte, demande
à voir sa fille dont on lui avait parlé comme d'une personne
accomplie. En effet, le poète en fait un portrait séduisant.
Bilas en devient amoureux. Après avoir dîné chez Savis,
toute la compagnie s'en va chez Theseus. Les deux amis
accompagnent le roi. On arrive chez le duc qui, enchanté
de recevoir Bilas, lui présente et sa- femme et sa fille. Le roi
retourne à son camp, raconte à Thélamon tout le plaisir
qu'il avait eu à Athènes et les grands honneurs qu'il y avait
reçus ; il pense à Savine, et jusqu'à ce que la trêve SQJt expirée
il retourne souvent chez Savis. Il propose la paix à condition
que Athis lui rendra sa femme; celui-ci refuse; déjà les
préparatifs de bataille sont préparés; les armées sont en
présence, le combat commence; Pyrithous, ayant attaqué
Thélamon, est blessé, et ne doit son salut qu'à Prophilias qui
le couvre de son écu. Cardionès, qui avait choisi Pyrithous
pour son chevalier, l'ayant vu tomber et le croyant tué,
un SIECLE.
XII SIECLE.
192 ALEXANDRE, POÈTE FRANÇAIS.
tombe morte de chagrin; tous les secours sont inutiles.
Rentre dans son palais, Theseus va voir son fils qui lui de-
mande une grâce ; le père la lui accorde :
Donc vos pri-je que vos donez
Des Romeins à tôt le meillor,
Alemandine ma seror
Ce est au preux Profilias ,
Qui onques d'armes ne fu las ;
Car por moi est sa famé morte.
Le père le lui promet. On lui retire le fer de la lance qui
était entré dans sa plaie , mais Pyrithous ne survit pas à
l'opération. Un messager est député à Bilas pour lui faire
part de cette nouvelle et pour solliciter une trêve de huit
jours, elle est accordée. Rentré à son palais, Prophilias ap-
prend la mort de sa femme ; il s'en désespère. Les obsèques
de Cardioncs et de Theseus sont célébrées en même temps.
Et qant il furent enfoï
Li Dus n'a pas mis en obli
La proière Pyritlious.
Par la niein sanz atardier plus
Piist Alemandine la bêle
Prophilias avant apele :
Ceste vois doing , sire , tenez ,
Or maintenant si l'espousez.
Sire, fet-il, vostre merci ^
Or me doint Dex joie de li.
Les fiançailles ne tardent pas à se faire. Pendant ce temps
Bilas avait pensé à l'amour qu'il avait pour Savine ; il désire
revoir cette belle, et le quatrième jour de trêve il part pour
se rendre chez Savis; il" a une entrevue avec sa maîtresse,
lui déclare sa passion, et la requiert d'amour. En fille bien
élevée, Savine répond qu'elle est bien honorée d'être l'objet
de l'amour d'un roi ; mais qu'elle ne peut y répondre à cause
de l'inégalité des rangs. Bilas la rassure en lui disant que
son ajmour est loyal et qu'il désire l'épouser :
De ce parlez, sire, à mon père,
A mes amis, et à mon frère;
Je ferai tout ce qu'ils m'ordonneront. Bilas admire les sen-
timens de cette belle ; il en fait la demande à ses parens qui ,
CHRESTIEN DE TROYES, POÈTE FRANC. ipS
en remerciant le roi de l'honneur qu'il leur fait, veulent
avoir l'agrément du duc qui avait juré de ne jamais faire la
paix. Toute la compagnie va chez Theseus, qui se refuse
d'abord, mais qui finit par accepter les conditions qui lui sont
offertes. Les noces se font à Athènes.
Celé nuit (Bilas) juto la pucele
Au matin fû damé novele.
Après deux jours de fêtes , il retourne dans ses états ; et , tant
qu'il vécut, Athènes jouit de la paix et des biens qu'elle
procure.
D'Athènes faut ici l'estoire
Que li escriz tesmoingne à voire (vérité).
G.
XII SIECLE*
CHRESTIEN^'^ DE TROYES,
POÈTE FRANÇAIS.
CjHRESTrEN, surnommé de Troyes, du lieu de sa naissance,
a été l'un des romanciers les plus féconds et les plus estimés
du douzième siècle. Cet écrivain, que plusieurs biographes Borel,Catai.
ont confondu avec Manessier ou Manesier, florissait des le Lrc"rol!fdù^M~
milieu du siècle et écrivait encore vers la fin. Il paraît qu'il note», t. l, p'.
fut attaché à Philippe d'Alsace (2), comte de Flandres, mort 120.— Du Ver-
devant Saint - Jean - d'Acre en 1191, ear plusieurs de ses dier,^notes, t.
ouvrages lui sont dédiés. Chrestien a été tort loué par les 'Artdevérlf.
auteurs ses contemporains et par ceux du siècle suivant, lesdat. — Velly,
entre autres par le roi de Navarre , par Raoul de Houdan , et ||j**" '^ ^^g" ' *
par l'auteur du roman du Chevalier à l'Épée. Huon de Mery, Fauchet, p
religieux de l'abbaye Saint-Germain-des-Prés, en faisait un 557, 558.
cas particulier , et lui donne les plus grands éloges dans une xux"* ^^^ **
pièce conservée à la bibliothèque royale; il les méritait LeTor'noie-
par l'invention, la conduite, et particulièrement par le style, ™«"' d'Anti-
crist , vas. n"
7615 in- 4°, et
(i) On a quelquefois écrit Crestiens, Christians, ou Christien. Fauchet, p. 558.
(a) Et non Philippe de Valois, comme le dit le président Bouhier
jdans ses notes sur Lacroix du Maine. Loc. xiit.
Tome XF. B b
XII SIECLE.
194 CHRESTIEN DE TROYES, POETE FRANC.
qui l'élève au-dessus de tous les poètes de son temps. Il ne
nous reste aucun de'tail sur la vie d'un auteur qui a tant
e'crit. On ne connaît pas tous ses ouvrages, mais il lui en est
attribué plusieurs qui ne paraissent pas être de lui. Nous
donnerons, dans cet article; i** une notice succincte des
productions que nous reconnaissons pour en être, et les
titres de celles qui lui sont attribue'es, avec les motifs qui
nous font douter qu'il en soit l'auteur; cl^ un extrait de
chacun des six romans que iious rangeons dans la première
classe, et une idée suffisante des sujets et de la manière dont
il les a traités.
NOTICE GÉNÉRAtE DES ROMANS DE CHRESTIEN DE TROYES.
Mss. Ribiioth. I. Roman ^Erec et d'Enide, contenant des aventures de
^°^- \^°'^9^T'> chevaliers de la table ronde. Galland* s'est trompé en pariant
7518- ancien , i-i /■ 1 1 1 '^r. *■ 1
fonds, et n»' 27, de Cet ouvrage , quil confond avec Je roman de Perceval, et
73 , fond» de qu'il attribue à Raoul de Beauvais.
^V^^^'ax j n. Roman de Tristan ou du wi Marc et delà reine Yseult.
*Acadéra. des ,, , , ,1 , 1 /
lnscr.,t. ll,p. Maigre nos recherches nous n avons pu découvrir aucun
73 1 in-4°, et t. manuscrit de ce célèbre ouvrage dans nos bibliothèques
m,?. 469 in- publiques.
Bibiioih. roy. HI. Roman de Cliget, chevalier de la table ronde. Au
mss. n<»75i8i, début de ce poème l'auteur nous fait connaître plusieurs, de
anc. fonds, Ba- ges compositions qu'ou ne trouve point dans nos biblioa
73dcCangé!'' thèques; il y a apparence qu'elles se sont perdues. Voici
ce cfébut:
Cil qui fist d'Erec et d'Enide (i)
Et les Coinmandemens d'Ovide (2) ,
E l'ars d'Amors en romans mist(3),
Et le mors de l'espatiUe fist (4) ;
Del roi Marc et d'iselt la blonde (5)
(i) A l'exception de cet ouvrage tous les autres sont perdus.
(2) Il paraît que c'est le même ouvrage qui est désigné dans le vers
suivant.
(3) 11 y a dans le n" i83o de l'abbaye une traduction intitulée : Ovide,
de Arte.
(4) La métamorphose de Tantale, qui fit servir aux dieux son fils
Pélops, dont l'épaule seule fut mangée.
(.'î) C'est le sujet de Tristan , roman dont nous n'avons pu découvrir
aucun manuscrit.
CHRESTIEN DE TROYES, POETE FRANC. 196
Et de la Ilupe et de l'Aronde (i), ' XII .SIEC.r..E.
Et del' Rossignol la niuance (a) ,
Un autre conte recomniance. Etc.
On voit que les poëmes qui se sont perdus sont ceux qu'il
avait traauits ou imités des Métamorphoses d'Ovide, et qu'à
l'exception de Tristan nous possédons tous les autres.
IV. Roman du Chevalier au Lion, ou les Aventures Mss.Biblioth.
d'Y vain, fils du roi IJrien. On ne conçoit pas comment roy. , fonds de
Galland a pu attribuer ce roman à Maistre Wace, et con- £^7^' ^"^ *'
fondre ainsi le roman du Brut avec celui de notre poëte. Il Académ. des
est vraisemblable que dans son mémoire le savant académi- Inscr-. 1. 11, p.
cien a décrit le n" 27, Fonds de Can^é, ou le Brut, séparé Lsin^ia ' ^'
en deux parties , est coupé par le Chevalier au Lion. Cette
fausse opinion de Galland a induit en erreur le président Notes sur La-
Bouhier et M. de Bréquigny. croix du Maine,
\. Roman de Guillaume d'Angleterre. On ne sait trop Not.desmss.
duquel des deux Guillaumes il est question dans ce roman, deiaBibi.,t.v,
tant l'histoire y est défiguré par la fable , ou plutôt tant il P,^^' „., ,. ,
. f 1 I jr 1 P 1. ^ • •! • • 1 Mss.Biblioth.
est tabuleux d un bout a 1 autre; mais il est certainement de roy., n" 6987,
Chrestien, qui se nomme dès le commencement, comme fol. 240 , verso
nous le verrons plus bas. C'est le plus court des ouvrages '^°'- '• — ^47
d** A !•• AI verso col I
e notre poète, et en même temps celui qui parait lui ap- '
partenir le plus et où il a mis le plus de son invention.
VI. Il existe, comme nous le verrons, un roman du Graal,
en vers, d'après la version en prose de Robert de Borron;
mais rien ne nous paraît prouver qu'il soit de Chrestien de
Troyes. Fauchet le pense cependant, et il en rapporte deux
citations, dont voici la première: Fauchet , p.
.558, verso.
Qui petit semé petit cuelt,
Et qui auques recueuillir velt
En tel leu sa semence espande
Que fruit à cent doubles lui rende. Etc.
Mais en confrontant ces citations avec les manuscrits on
s'aperçoit qu'il s'est trompé, et que le prétendu roman du
Graal, dont il parle, n'est autre que celui de Perceval le Mss.fondsde
Gallois, dans lequel se trouvent les dernières aventures du ?^P^lj: ''°7^'
saint Graal. foho 36 1, recto
col. I de 1 Ar-
senal, foJ.i, etc.
( I et 2 ) Ces sujets sont encore tirés d'Ovide ; ce sont les métamor-
phoses de Térée en huppe, de Progné en hirondelle, et de Philomèle
en rossignol.
Bba
196 CHRESTIEN DE TROYES, POÈTE FRANC.
' VII. Roman de Perceval le Gallois , translaté de prose en
Mss.Bibiioth. rime d'une partie du roman de Tristan le Lc'ounois, traduit
Inc fonds^^n" '"'""^ême du latin en prose française, par Luces du Gasl.
27^1 73, fonds Chrestien le dédia au comte de Flandres,
de Cangé, bibl. Borel s'cst étrangement trompé lorsqu'il a dit : a Perceval
*'*'ca^"des^aut. ^'^"<^i poëte cn langue provençale, gouverneur d'Avignon
lettre P. ^t d'Arles, pour Charles, comte de Provence, selon Gcofroy
de Tore ». Il cite, à cet égard, la bibliothèque de du Verdier,
dans laquelle ces noms de Perceval et d'Orie ne se trouvent
pas. Mais, comme il lui arrive souvent, Borel a pi'is le titre
tredam^* vies ^^^ ouvrage pour le nom d'un auteur. Le même Borel cite
des plus'célèb. cucore un roman de Perceval le Gallois, manuscrit in-folio,
et anc. poètes de la bibliothèque de M. de Masnau, conseiller a Toulouse,
KV' ' ^k îi° ' lequel contient près de soixante mille vers ; et il s'est encore
tredame, Hist. trompé sur cc nombre : l'ouvrage est composé de trois par-
de Prov. , part, tics, écrites par trois diftérens auteurs, et les trois ensemble
3 , p. a57. réunies ne forment un total que de vingt mille cent soixante-
dix-huit vers (i).
La premièr-e partie seule est de Chrestien de Troyes. La
seconde et la troisième sont de deux poètes différens. Nous
verrons plus loin quels sont ces poètes, et les erreurs aux,-?
quelles leur nom et la part qu'ils eurent à la composition de
ce roman ont donné lieu.
Académ. des Galland a faussement attribué ce même roman de Per-
ir^pl^Aoet ceval à un Raoul de Beauvais, romancier qui n'a jamais
675. existé que dans son imagination. On trouve tien un poète
de ce nom, mais il n'a fait que des poésies amoureuses en
stances; on ne peut donc le compter que parmi les chan-
sonniers (2).
Bibiioth.roy., VIII. Romau de Lancelot, ou de la Charette , mis en vers
mss; fonds de it \ 1 • 1 /^ i- n* • • 'm. '
Cangé, no 73. " après la version en prose de Gautier Mapp, qui a aussi ete
attribuée, mais à tort, à Robert de Bouron. Chrestien a
(i) Ms. de la bibliothèque de l'Arsenal. Le ms. dont parle Borel
contenait sans doute trois romans réunis, le Saint Graal , Lancelot, et
Perceval. Les trois ensemble formaient soixante mille vers , et le dernier,
qui n'en formait que le tiers, n'en devait en effet contenir à -peu -près
que vingt mille. Voy. Bibl. des romans, t. IV, p. 38. L'auteur de l'article
dit avoir le ms. sous les yeux.
(2) Fauchet , p. ySi, v°. Lolsel , Mém. du Beauvoisis , p. 194, l'a
confondu avec Raoul de Beauvais , évêque de Nevers. Voyez aussi Sup-
plément à l'hifitoire du Beauvoisis par Simon, Paris, 1704, in -12,
part. 2 _, p. 12.
XII SIECLE.
CHRESTIEN DE TROYES, POÈTE FRANC. 197
publie son poëme sous le nom de la Charette , pour des
raisons que Von verra dans l'extrait de ce roman. Il n'eut
Eas le temps d'y mettre la dernière main, et Godefioiz de
eingny ou de Ligny, en Brie, se chargea de l'achever. Cela FaucLet, p.
n'a pas empêché les bibliographes d'en faire deux ouvrages, 56o. — Roquef.
l'un intitulé : Lancelot , et l'autre la Charette. ^' \lcToix du
IX. Roman du Chevalier à l'Espée. Legrand d'Aussy, qui Maine, lia Ver-
a donné une traduction de ce roman, est d'une opinion «'"''• -fauchet,
contraire à celle des bibliographes, qui l'attribuent à notre recto. " *^^
poète; et il suffit, pour penser comme lui, de voir que dès Fabliaux, in-
le commencement l'auteur s'adresse à Chrestien de Troyes, *"' '• i> P- S"
et lui reproche qu'après avoir célébré tant de chevaliers de * Lacroix du
la table ronde, il ait oublié celui-ci. Sinner (i) rapporte un Maine, t. i,p.
passage de ce roman, qui confirme le sentiment de Legrand '?°-— Du Ver-
d Aussy. Nous n avons pu, maigre nos recherches, decou- Sig.— Fauch.,
vrir le manuscrit d'après lequel cet auteur avait fait sa p. 558. — Pas-
traduction. ^"^^■■' '• i' P-
X. La continuation du roman des Chevaliers de la Table ^Lacroix du
ronde n'est point de notre auteur; les bibliographes, qui le Maine, Du Ver-
lui attribuent, ne citent, à cet égard, aucune autorité. ^ *'" ' '°'^- ^}^-
XI. On attribue encore à Chrestien les romans deTroye, ner loc. cit."
de Parthenopex de Bloys, de Blanchandin; mais nous peu- Roquefort,
sons que c'est encore une erreur, particulièrement à l'égard Joe. cit. d'aprè»
des deux derniers ouvrages. D'après une lecture attentive MouiTe't * ms!
des romans de Chrestien de Troyes , et sur - tout d'après les n° 7895 i'n-foL
personnages auxquels il les a dédiés. Nous présumons que '^oits manu-
ce poète a cessé de vivre de 1 195 à 1 198, malgré le sentiment ^[èj." tuteurs
d'un savant bibliographe, qui en fixe la date en 1191. decettehistoire
littéraire.
.^^.i^'^^^'.^^v^ M. VanPraët,
Catalogue de la
Vallicre, t. II,
J_ p. 210.
ROMAN D'ÉREC ET D'ÉNIDE.
Mss. de la
ri . . , , ... Biblioth. roy. ,
Le roman, qui contient a -peu -près sept mille vers, est fonds deCangé,
un des premiers que fit Chrestien de Troyes. A en juger "" *7 oUm 6g,
même par les vers qui commencent le roman de Cliget, que foi î'*" et'dè
l'ancien fonds,
(i) Extrait de quelques poésies des XII*, XIII" et XIV* siècle, p. i3. ^° 7535-5.
n dit le contraire un peu plus loin , p. 56. Voy. La Borde , Essai sur la
Musique, t. 11, p. 182. '
XII SÏECLE.
ujS CHRESTIEN DE TROYES, POETE FRANC.
nous avons cités précédemment, ce fut le début de l'auteur.
Rien n'indique s il le tira de la traduction française d'un
ancien roman latin. Quoique le roi Artus y figure, que la
plus grande partie de l'action se passe en Angleterre et la
fin seulement en Bretagne , ce n'est pas proprement un
roman de la Table ronde, et rien n'empêche de penser que
Chrestien tira de son imagination cette fable particulière,
et crut la devoir lier, selon l'usage du temps , à la fable du
roi Artus.
11 annonce d'abord son projet par cette espèce de pro-
logue :
Li vilains dit en son respit (proverbe, sentence).
Que tel chose a l'on (a-t'-on) an despit
Qui moult valt mialz que l'an ne cuide ,
Por ce fet bien qui son estuide
Atome à bien , qu'il que il l'ait ;
Car qui son estuide entrelait (interrompt)
Tost i puet tel chose teisir
Qui moult vandroit (viendrait) puis à plaisir.
Por ce dist Crestiens de Troies
Que reisons est que tote voies
Doit chascuns panser et antandre
A bien dire et à bien aprandre ,
Et tret(tire, traduit) d'un conte d'aventure
Une moult bêle conjointure....
D'Erec le fil Lac (i) est li contes ,
Qui devant rois et devant comtes,
Pépécier et corrompre suelent
Cil qui de conter vivre vuelent (a).
Dès -or comancerai l'estoire
Qui toz- jorz me ier (sera ) en mémoire ,
Tant com durera crestiantez ■
De ce s'est Crestiens vantez.
Le début du poëme contient un passage curieux sur une
coutume singulière que le roi Artus veut faire revivre dans
ses états.
(i) Fils de Lac, roi d'Outre -Galles.
(2) Que ceux qui vivent du métier de conteur ont coatume de dépecer
et de dénaturer devant les rois et les comtes.
CHRESTIEN DE TROYES, POETE FRANC. 199
, « , w • . X XII SIECLE.
Un jor de Pasques al tans novel (au printemps),
A Karadigan son castel(i),
Ot li rois Artus cort tenue j
Aine (jamais) si riche n'en fil véue.
Car moult i ot bons chevaliers,
Hardis , et corajos , et fiers ;
Et rices dames et puceles ,
Filles à roi , gentins et bêles.
Mais ançois que li cors partit (2) ,
Li rois à ses barons a dit
Qu'il volait le blanc cers cachier (chasser)
Por la costume renhauchier (reuiettre en vigueur).
Monsignor Gavain ne plot mie
Qant il ot la parole oïe ;
Sire , fait-il, de ceste cace
N'aurois vous jà ne gré , ne grâce.
Nos savon bien trestot pieça ( depuis long-temps )
Quel costume li blans cers a ;
Qui le blanc cerf ocire puet ,
Par raison baisier lui estuet
Des puceles de vostre cort
La plus bêle à quanqu'il cort ;
Maus en poroit venir moult grans :
Encor a-il çaiens cinq çans
Damoiseles de hais parages,
Filles à roi , gentils et sages ;
Ne n'i a nule n'ait ami
Chevalier vaillant et hardi ,
Qui tost deraisnier la valdroit (3)
Ou liist à tort, ou fiist à droit,
Que celé qui li atalente (lui plaît)
Ert la plus bele et la plus gente.
Li rois respont ce sai-jo bien ,
Mais por ce nel' lairai-jo rien ;
Mais ne puet estre contredite
Parole, puisque rois l'a dite.
(i) L'une des quatre grandes villes du roi Artus.* C'était toujours dans
l'une de ces villes qu'il tenait ses cours plénières et l'assemblée deis che-
valiers de la Table -Ronde.
(2) Mais avant que l'assemblée se séparât.
(3) Qui voudrait prouver le contraire.
XII SIECLE.
abo CHRESTIEN DE TROYES, POETE FRANC.
Demain matin à grant déduit
Irons cachier le blanc cers tuit
En la forest aventurose ;
Celé cace ert moult délitose.
Le roi Artus part pour la chasse, la reine Genèvre, son
épouse, le suit; elle rencontre Erec, jeune chevalier, fils de
Lac, roi d'Outre-Galles, et le prie de l'accompagner. Chemin
faisant, ils voient une pucelle battue par un nain; la reine
ordonne à Erec de l'arracher des mains de son bourreau, il
attaque le nain qui le reçoit à coups de fouet. Erec veut se
venger, mais un chevalier arme de toutes pièces , et dont les
armes sont d'azur et d'or, prend la défense du nain. Erec,
n'étant vêtu que pour la chasse, ne peut se mesurer avec
lui ; il prend congé de la reine et va chercher des armes. Un
vavasseur de grande noblesse , ruiné par la guerre , le reçoit
très - bien. Erec lui demande deux choses : le nom du che-
valier aux armes d'azur et d'or, et des armes pour le com-
battre. Sur le premier point le vavasseur ne peut le satisfaire;
mais lorsqu'Erec s'est fait connaître pour ce qu'il est, il lui
prête une armure complète. Erec fait une troisième demande,
celle de la main d'une fort jolie fille du vavasseur, dont la
beauté l'avait frappé, quoiqu'elle fut très-mal vêtue. Le père
la lui accorde. Erec apprend que dans un château voisin
on célèbre des fêtes où. des braves di.sputeront le prix; il ne
doute pas qu'il n'y trouve le chevalier qui l'avait insulté ; il
se rend à la fête, trouve en effet le chevalier, le défie, 1«
renverse, lui accorde la vie, lui demande son nom , apprend
de lui qu'il s'appelle Ydier, et l'envoie à Caradigan porter
de ses nouvelles à la reine Genpvre. Deux jours après , il
part lui-même pour s'y rendre avec sa mie, qui n'est poiot;
encore sa femme.
Folio iA3, t', Li père et la mère altresi (égalenjent, pareillement)
col. 3 du ms. La baisent sovent et menu ,
27,cilé aucoia^ ¥-.1 » »
Bj^ocement, ^« P^^""^"" "« ^"^ «°^* **'""■
Al départir plore li mère,
Plore li pucele , et li père.
Tex est amors , tes est natures
Tex est pitiés de noreture.
Plorer les faisoit li pitiés
Et la douçors et l'amistiés
Qu'il avoient de lor enfant.
p£ucenenU
XII SIECLE,
CHRESTIEN DE TROYES, POÈTE ERANÇ. 201
Erec et sa chère Enide arrivent; les murs de Caradigan
étaient couverts de chevaliers; la reine était montée sur la
maistre-tour , pour les découvrir de plus loin. Elle descend
{)our les recevoir, Artus donne la main à la pucelle et Erec
a donne à la reine. Genèvre fait cadeau de riches vêtemens
à la pucelle, qui est présentée par Artus aux chevaliers de
la table ronde. L'auteur n'oublie pas de les nommer tous.
Artus, qui avait été vainqueur du cerf blanc, donne, comme
il en avait le droit, un baiser à Enide. Erec envoie à son
beau -père les cadeaux qu'il lui avait promis, et dix cheva-
liers pour le conduire dans un de ses châteaux dont il lui
Élit don. Les noces se font avec la plus grande magnificence;
Artus y envite tous les rois ses vassaux , et arme cent che-
valiers. La reine sert de mère à Enide et l'accompagne à son
coucher.
<Jant délivrée fu la cambre Fol. i45,eol.
Lor droit rendent à cascun mambre ; 3 , du ms. ci-
,.,.,, r devant Cité.
VA oel d esgarder se retont
Cil qui d'anior la voie font
Et lor message al coer envoient
Qui moult lor plaist quanque il voient.
Apres le message des iels
Vient la dolçor qui moult valt miels.
Des baifcrs qui amor atraient;
Andui (tous deux) celé dolçor assaient
Et lor cœrs dedens en aboivrent '
Si qu'à paine s'en dessoivren»,
Del' baisier fu li primiers jeus
f Et l'amor qui est entre-deux
Fist la pucele plus hardie ,
Que rien ne s'est acoardie ;
Tôt sofri quanque li grevast ;
Ainçois qu'ele se relevast ,
Ot perdu le nom de pucele ;
Al matin £u dame novele (i).
Les noces durèrent quinze jours; il y eut un grand tournoi,
(i) Dans le roman SJthis et Prophilias , d'Alexandre de Bernay, on
trouve ce même vers répété en pareille occasion. Voy. l'article Alexandre
de Bernay, vers la fin.
Tome Xy. Ce
XII SIECLE.
ara CHRESTIEN DE TROYES, POÈTE FRANC.
où Erec fit des prodiges de valeur, et dont il remporta le
prix. Il demande son congé au roi Artus pour aller pré-
senter sa femme à son père; ils partent et sont reçus avec
la plus grande magnificence par le roi Lac. Les bourgeois
lui font des présens de chevaux, d'arrnes, et d'oiseaux pour
la chasse.
L'amour que notre chevalier a pour sa nouvelle épouse le
3étdVJrne du métier des armes; ses barons en murmurent.
Enide, instruite de leur mécontentement, s'en afflige, et se
détermine à en avertir son époux. Erec convient de ses torts.
Il ordonne à. sa femme de prendre ses plus beaux habits;
il se fait armer, et annonce qu'il est prêt à partir, accom-
pagné seulement d'Enidé. En vain ses chevaliers lui de-
mandent l'honneur de le suivre, il les refuse. Le roi Lac,,
très-affligé, conjure son fils de prendre au moins desécuyers,
Erec le refuse également. La tristesse est générale dans la
ville comme au château. Erec part en défendant à sa femme
de lui parler en route; il la fait marcher devant lui. Ils
étaient déjà loin, lorsque trois chevaliers qui, à la honte de
la chevalerie , vivaient de rapine , voient passer Enide , et
convoitent son cheval. Eijiide s'en aperçoit, retourne sur ses
pas, oublie la défense de son mari et lui fait part du danger
qui la menace. Après l'avoir grondée de sa désobéissance, il
fond sur les voleurs, les défait, et emiifène leurs chevaux,
qu'il donne à conduire à sa femme. Bientôt il rencontre cinq
autres chevaliers voleurs. Enide, effrayée, adresse encore la
parole à son époux, qui lui fait de nouveaux reproches,
défait les cinq voleurs, en tue quatre, donne à Enide les
quatre chevaux de plus à conduire, et renouvelle la défense
de lui parler.
Ils passent la nuit sous un arbre; un varlet, qui porte des
vivres, leur en offre très-à-propos; après un léger repas, ils
se remettent en route, et sont reçus dans un château. Le
comte, qui en est le maître , devient amoureux d'Enide, et
la prie de le prendre pour son chevalier ; elle le refuse ; il
insiste, et déclare que si elle le refuse encore, il fera tuer
son mari. Dans son effroi, elle accepte, ou plutôt feint d'ac-
cepter. Ils vont le soir même loger chez un bourgeois. Cou-
chée dans la chambre de son seigneur, Enide n'ose hii
parler; à la fiin cepeadarat eue l'éveille et lui dévoile Jes
projets du comte.
GHRESTIEN DE TROYES , POETE FRANC. 2o3
Ha! sire, fet-ele, merci!
XII SIECLE.
Levez isiielement deci (i) N° 73, fond»
Qui traïz estes antreset (2) ''^ Cangé , fol.
^ „ V . 1 4, recto, coll.
aanz acoison et sans loriet. •
Li cuens (le comte) est traîtres provez
Se ci (si en ce lieu) poez estre trovez
Jà n'eschaperoiz de la place
Que tôt desmanbrer ne vos face >
Avoir me vialt (veut), por ce vos het (hait).
Erec se lève, prend ses armes, fait venir sou hôte le bour-
geois, lui donne les sept chevaux qu'il avait pris aux voleurs,
et se remet en route avec Enide. A pleine étaient - ils partis
que le comte envoya chez le bourgeois cent chevaliers pour
tuer Erec. A la nouvelle de son départ, il s'emporte et fait
courir après lui; les cenf chevaliers ne sont pas long- temps
sans l'apercevoir. Enide, tremblante, prie son mari de hâter
le pas pour éviter une moit certaine; Erec ne lui répond
qu en la menaçant de punir sa désobéissance. Il se retourne,
tond sur le sénéchal au comte qu'il renverse, va combattre
le comte lui-même, et le renverse également.
Les deux époux , poursuivant leur route , passent auprès
du château du roi Gu jures-le-Petit ; un chevalier vient de la
3art de ce roi défier Érec au combat. Enide, qui craint tou-
ours les surprises, veut dire quelques mots à son mari; il
ui ordonne de se taire. Les deux champions se battent à
outrance. Gujures, plein d'admiration pour la valeur d'Erec,
lui offre son amitié. Erec lui fait à son tour offre de services ,
et ils se quittent fort bons amis.
Erec et Enide arrivent dans une forêt où le roi Artus était
venu passer quelques jours ; il avait amené avec lui plusieurs
chevaliers, entre autres son neveu Gauvain; celui-ci, fatigué,
avait laissé dans sa tente ses armes et son cheval. Messire
Keux, personnage bouffon de tous les romans de la table
ronde, voulant se divertir, prend le cheval, revêt l'armure
de Gauvain et va parcourir la forêt; il rencontre Erec, passe
fièrement devant lui, et
Li demanda par son orguel, N''73deCan-
Chevalier, fet-il, savoir vuel ge,tol.i6,rect.,
/-» • ji ■ col- '•
Qui vos estes et d ou venez.
(i) Sortez légèrement (vite) d'ici.
(2) En ce moment, dans ces entrefaites.
Ccu
2o4 CHRESTIEN DE TROYES, POÈTE FRANC.
Il lui promet que s'il veut le suivre il l'introduira auprès du
roi Artus. Erec l'écoute* d'abord avec patience, se fâche enfin,
lui court sus, le renverse, et donne à Enide le cheval de
• Gauvain. Messire Keux avoue sa faute et redemande le cheval,
qui lui est rendu.
Kex prant le cheval si remonte ,
Au tref-le-roi vient (i) , si li conte
Le voir (la vérité) que rien ne l'en cela,
Et li rois Gauvain apela.
Biax niés ( beau neveu ) Gauvains , ce dit li rois ,
S'onques fustes frans ne cortois,
Alez après isnelemant
Demandez amiablement
De son estre et de son afeire ;
Et tâchez de m'amener ce chevalier. Gauvain exécute les
ordres de son oncle, et se rend, suivi de deux valets, auprès
d'Erec :
Puis li ditz messire Gauvains
Qui de grant franchise estoit plains..
Sire , fet-il , à vos m'anvoie
Li rois Artus en ceste voie..
La roine et li rois vos mandent
Saluz , et prient et comandent
Qu'avoec ax vos venez déduire.
Eidier vos vuelent, non pas nuire
Et il ne sont pas loing deci.
Erec remercie Gauvain ; le charge de témoigner au roi sa
reconnaissance, mais demande qu'il lui soit permis de pour-
suivre son chemin. Gauvain ne pouvant rien obtenir du
chevalier, envoie un varlet prier Artus de faire transporter
ses tentes dans un endroit éloigné de quatre lieues, sur la
route qu'Erec devait suivre.
Artus change de place et va occuper celle qui lui est
indiquée. Gauvain et Erec y arrivent : sommé une seconde
fois de s'arrêter, Erec se nomtne, les deux héros se recon-
naissent. Sire , lui dit Gauvain ,
Geste novele
Sera jà mon seignor moult bêle.
(i) n vient à la tente du roi.
CHRESTIEN DE TROYES, POÈTE FRANC. ao5
Lié en iert ma dame et mes sire, Xïi STE - ^ .
Et je lor irai avant dire.
Mes ainçois m'estuet anbracier
Ma dame Ényde vostre famé.
De li véoir a moult ma dame
La reine grant désirier;
Encor parier l'en oï hier.
Gauvain les quitte pour annoncer leur arrivée à Artus et à
Genèvre, qui aussitôt viennent au-devant des deux époux.
Erec souffrait encore des blessures qu'il avait reçues en com-
battant contre le comte et contre le roi Gujures. On banda
ses plaies : on y applique un baume composé par la fée
Morgain, qui le guérit en huit jours. Il part avec Enide
malgré toutes les instances que Ion fait pour le re'^eiiir; ils
traversent une forêt, des cris de femmes se font entendre, et
implorent du secours. Erec ordonne à Enide de ré.'^ter, et
court vers l'endroit d'où partaient les cris; il trouve une
pucelle dont l'ami venait d'être enlaivé par deux géans; il
poursuit les ravisseurs, les atteint, les combat, perce un
géant, fend l'autre en deux, ramène le chevalier Cadoc de
Cabriole à sa mie, et les envoie tous deux au roi Artus. II
rejoint Enide, mais le sang qui coulait de ses blessures le
fait s'évanouir. Enide le croit mort et se reproche d'en être
la cause; elle s'évanouit à son tour, revient à elle, retombe
encore; et, lorsqu'elle a repris ses sens, tire l'épée d'Erec et
veut s'en percer. Un comte, suivi de plusieurs chevaliers,
lui arrête le bras , tâche de la calmer ; et lui offre pour con-
solation son cœur et sa main. Enide, indignée, le repousse
et le traite avec le dernier mépris. Les chevaliers font un
brancard, y attachent deux de leurs chevaux, y placent
Erec et l'emmènent au château. Enide est forcée de les suivre.
Le comte, à peine arrivé, mande son chapelain; et malgré
la résistance, les plaintes et la désolation d'Enide, il l'oblige
à recevoir sa main. Elle est forcée de paraître au repas de
noces qui se donne le lendemain et de se placer dans un
fauteuil à côté du comte. Par un raffinement de cruauté on
avait mis Erec dans une bière vis-à-vis la malheureuse Enide:
elle est au désespoir et veut se laisser mourir de faim. Le
comte tâche d'abord de la fléchir, lui fait ensuite des re-
Ê roches, et s'emporte enfin jusqu'à la frapper. Ses barons le
lâment; il s'emporte encore davantage, et déclare que le jour
XII SfECLE.
206 CHRESTIEN DE TROYES, POÈTE FRANC.
môme il veut jouir des droits dëpoux. Enide jette les hauts
cris ; mais tout-à-coup :
N°73,fol. 19, Antre ces diz et ces tançons,
recto, col. 2._ T> • . 17 1 ■"
• llevint trec de pasmeisons ,
Ausi com hoin qui s'esvoille ;
S'il s'esbahi ne fu merveille
Des gens qu'il vit environ lui.
Il écoute et croit dormir; voyant enfin ce qui se passe, il se
lève, rassemble ses forces, et saisissant sa bonne épée, il en
assène un coup si terrible qu'il coupe la tête du comt-e et la
fait rouler au bout de la salle (i). Les chevaliers, saisis
d'effroi, croyant que c'est un esprit, se sauvent précipitam-
ment, prennent des chevaux et s'enfuient. Erec demande
pardon à sa femme de tout ce qu'elle a souffert ; le pardon
est bientôt obtenu , les deux époux s'embrassent et s aiment
plus tendrement que jamais.
Cependant la mort du comte était parvenue au prince
Guivret, son voisin; il ^art avec ses gens pour s'emparer des
états du mort; il rencontre Erec; sans le connaître, l'attaque
à l'improviste et le renverse; mais lorsqu'il apprend à qui il
à affaire, il s'empresse de réparer sa faute, et conduit les
deux époux à son château. Les plaies d'Erec étaient encore
douloureuses , deux sœurs du piince Guivret se chargent de
les guérir et y réussissent promptement; Erec remercie son
hôte et veut prendre congé de lui. Guivret lui offre de l'ac-
compagner à la cour ; ils partent et passent devant un châ-
teau fort, appelé Brandiganz, qui appartient au roi Evrain,
Eréc veut y aller demander IhospitaUté, Guivret le prie
de n'en rien faire, et lui apprend qu'on n'en voit jamais
sortir ceux qui y s§nt entres. Erec veut tenter l'aventure.
Son compagnon cherche toujours à le dissuader; mais voyant
son parti bien pris il se décide à l'accompagner avec sa suite.
(i) Je pense que ce comte se nommait de Limors ou de Lymors , sui-»
Tant celte citation qui se trouve au folio 19 , v", col. i du môme ms.
Trovei le» avoit anbedeus (tous deux)
Li cuens orguilleus de Liraors ,
S'an avoit fet porter le cors.
Et la dame espouser voloit ,
Ses genz ver» Lymors conduisoit.
XII SIECLE.
CHRESTIEN DE TROYES, POETE FRANC. 207
Après qu'ils ont passé les lices et le pont, les bourgeois qui
les regardent admirent la beauté d'Erec et plaignent le sort
qui l'attend.
Après por ce que il entende, ♦
Dient en hait, Dex te deffendc
Chevalier de mésaventure ;
Car molt es hiax à desmesure,
Et moult fait ta biauté à plaindre
Car demain la verrons estaindre
A demain est ta mors venue ,
Demain morras sans atendue,
Se Dex ne t'en garde et deffent.
Erec entend tout cela sans en être effrayé. Le roi Evrain,
prévenu de la visite qui lui arrive, vient au-devant des
voyageurs, donne la main à Eiiide pour l'aidera descendrede
cheval, et les conduit dans ses appaitemens. On leur sert un
souper magnifique. Erec demande ensuite au roi la permission
de parcourir son château. Evrain fait connaître au chevalier
les dangers auxquels il s'expose ; Enide joint ses instances
à celles du roi, tout est inutile. Dès le matin Erec s'arme,
monte à clieval,
Li rois hors del chastel le nie-ne o' 'i °t'
22, y , col. I.
An un vergier qui estoit près ,
Et tote la gent vont après
Priant que de ceste besoigne
Dex à joie (heureusement) partir l'an doigne.
Ge verger était enchanté; les arbres étaient couverts de fruits
magnifiques qui, lorsqu'on en avait mangé, empêchaient de
trouver la porte de sortie. Evrain en avertit le chevaUer ; il
le fait entrer ensuite dans un jardin dont les murs sont
garnis de pieux , sur chacun desquels on voit un heaume et
le nom du chevalier auquel il avait appartenu; un seul pieu
restait vacant; on attendait la mort d'un chevalier pour y
glacer son nom et son heaume. Evrain remontre encore a
rec les périls qu'il va chercher. Ne pouvant rien gagner
sur lui, il le prévient qu'après les plus terribles aventures,
il trouvera un cor merveilleux , et que celui qui pourrait le
faire sonner conquerrait honneur et richesse. Erec fait retirer
tout le monde, congédie le roi Evrain, timbrasse Enide, et
l'invite à ne rien craindre. Resté seul, il prend un sentier au
bout duquel il trouve une pucelle couchée sur un lit d'argent;
XII SIECLE.
208 CHRESTIEN DE TROYES, POÈTE FRANC.
il approchait pour la considérer, lorsqu'un chevalier de la
plus liaute stature paraît et lui jette le gant; ils combattent.
Après une longue résistance, Erec renverse son ennemi, qui
demande meaci et le nom de son vainqueur, Erec se nomme,
le chevalier en fait autant; il s'appelle Mabonagrains," neveu
du roi Vi tains (i); il raconte comment il a été enchanté par sa
mie (2) qui l'avait condamné à rester dans ce séjour jusqu'au
moment où un chevalier, devenu son vainqueur, le déli-
vrerait. Cependant tout désenchanté qu'il est il ne peut sortir
du jardin si le cor placé à l'entrée du verger n'est sonné par
son vainqueur. Erec se lève, court s'emparer du cor, s en
saisit et le sonne. Aussitôt qu'on l'entend, Evrain, Guivret,
Enide, jettent des cris de joie, dont tout le château retentit.
Le peuple vient en foule au-devant d'Erec; fl sort suivi d'un
grand nombre de chevaliers qui étaient prisonniers dans le
verger, et délivrés ainsi que leurs dames par cette victoire.
Une seule personne, la mie du' chevalier Mabonagrains, ne
prenait point part à la joie commune. Enide, suivie de plu-
sieurs dames et demoiselles , entreprend de consoler cette
affligée, qui reconnaît Enide pour sa cousine; elles se ra-
content mutuellement leurs aventures. Tout le monde rentre
au château, le peuple témoigne sa joie par des acclamations.
Ce ne furent , pendant plusieurs jours, que fêtes et réjouis-
sances. Erec, Enide et Guivret prennent ensuite congé; ils
arrivent à la cour du roi de Rohais; ils y sont reçus avec autant
d'amitié que de magnificence. Après leur avoir fait conter
leurs aventures, le roi les invite a rester à sa cour; ils de-
meurèrent en effet jusqu'au moment où Erec reçoit la nou-r
velle de la mort dij roi Lac, son père, par une députatiou
de ses barons qui viennent le chercher. Alors
Fist canter vigiles et messes ,
Et praraist et rendi pramesses,
Si com il les avoit praniises.
As maisons Deu et as yglises
Moult fist bien qanque faire dut;
Povres maisaasiés eslut ,
Plus de cent et soixante noef,
(i) Dans le ms. n» 78, fol. 23, v», col. 2. Il est neveu du roi Évrain.
(2) Le ms. ne dit point quelle était cette mie , ni queL pouvoir elle
^vait d'enchanter ainsi son amant.
CHRESTIEN DE TROYES, POETE FRANC. 209
Si les revesti tos de noef. XII SIECLE.
As povres clers et as provoires
Dona que drojs fu (i) capes noires
Et bones pélices dessos;
Moult fist grant bien por Deu à tos ,
A cels qui en orent mestier
Dona deniers plus d'un sestier.
Avant de partir, Erec envoie prier le roi Artus de le cou-
ronner solennellement ainsi que son ami le prince Guivret.
Le roi manda tout son barnage (noblesse) à Nantes pour
cette cérémonie. Erec manda aussi le sien,
Ni fu pas oblié le père
Ma dame Enide , ne sa mère.
Ils arrivèrent en bonne et nombreuse compagnie : c'e'taient
des chevaliers, des chastelins;
Net pas route (troupe, compagnie) de capelains,
Ne de foie gent esmarie (2)
Mais de bone cevalerie.
La fête fut des plus belles; Artus fît des chevaliers, offrit
des présens magnifiques aux nouveaux chevaliers, aux an-
ciens et aux dames. Après la cérémonie du couronnement,
six cents tables furent splendidement servies. Les fêtes ter-
minées, Erec et Enide retournèrent dans leurs états, comblés
des présens et des bienfaits du roi Artus.
188, verso, col.
a.
IL
ROMAN DE CLIGÉS OU DE CLIGET. in-foi., fond,
de Cangé , fol
La. première chose qui frappe dans le début de ce roman,
c'est la liste que Chrestien cfe Troyes y donne de tous ceux
qu'il avait composés jusqu'alors. Nous avons cité précédem-
ment les sept premiers vers où se trouve cette liste ; le poëte
continue :
(i) Selon leur besoin \ selon leur dignité.
(2) Troublée , fâchée , de mauvaise humeur.
TomeXK Dd
210 CHRESTIEN DE TROYES, POÈTE FRANC.
Xir SIECLE. ,^ ' ^
c I Un autre conte recommance
D'un vallet qui en Gresse fu
Del linage le roi Artu.
Orez de son père la vie ,
Dont il fu , et de quel linage
Tant fu prous et de fier corage ,
Qui por pris et por los conquerre
Ala de Gresse en Engletere,
Qui lors estoit Bretaigne dite ,
Geste estore trovons escrite,
Que conter vos voel et retraire
En un des livres de l'aumaire (armoire, chartrier)
Monsignor saint Paul à Biouvais.
De la fu li contes estrais ,
Qui tesmoyne l'estore à voire(i)
Pour ce fait-ele muis à croire.
Par les livres que nos avons
Les fais des anciens savons
Et del siècle qui fu jadis
Ce nous ont nostre livre apris,
En Gresse et de cevalerie
Ce premier los et de clergie ;
Puis vînt cevalerie à Rome
Et de la clergie li sonie
Qui or est en France venue
Des doint quelle soit retenue
Et que li Luis (2) 11 abelisse
Tant que jamais de France n'isse,
Car des Français ne des Romains
Ne dist li contes plus ne mains.
Un empereur qui régnait sur Constantinople et sur la
Grèce eut deux enfans dont l'aîné, nomme, comme lui,
Alexandre , desirait être fait chevalier. Il voulut recevoir cet
ordre dans la cour du roi Artus, ou du moins après l'avoir
-visitée.
Il demande congé à son père; il lui demande aussi de
l'argent et des chevaliers pour lui servir d'escorte. L'empe-
(1) A vérité, qui témoigne que l'histoire est vraie.
(s) Louis VII , qui régnait alors.
CHRESTIEN DE TROYES, POÈTE FRANC, an
reur propose à son fils de le nommer roi de Gresse; le SIECLE..
prince refuse , et donne ainsi les motifs de son refus :
Ne s'acordenl pas bien ensamble Fol. 189, col. i.
Repos et los si com moi samble,
Car de nule rien ne s'alose
Rices boni qui tosjors repose. ♦
Parece est fais à malvais home
Et as prous est malvaise some.
Le père, ne trouvant rien à répondre à ces raisons, accorde
à son fils tout ce qu'il a demande.
On voit dans cette citation un certain talent de l'esserrer
dans la mesure du vers une maxime ou une pensée morale
qui était alors très-rare, ou plutôt que notre poëte connais-
sait peut-être seul , et qui forme un des traits distinctifs de
son style. C'est encore ainsi qu'il dit un peu plus bas que la Loc cit. col. a.
générosité est la plus belle des vertus ;
Mais tout aussi comme li rose
Est plus que nule altre flor bêle
Qant ele naist fresce novele.
Le prince s'embarque ; il arrive à Vincestre, où le roi Artus
tenait sa cour; il est présenté et bien reçu. Il expose les mo-
tifs qui l'ont amené en Angleterre et le désir qu'il a d'être
arme chevalier. Artus le prend à sou service et l'emmène avec
lui en Bretagne. Pendant le voyage, Alexandre devient amou-
reux de la pucelle de la reine, sœur de Gauvain et nièce
d' Artus. Elle le trouve aussi fort aimable.
Issi se plaint et cil et celé , F"'- '9* »
Et li uns à l'autre se celé. '*"° ' *'*''• '•
Le jor ont mal et la nuit pis.
En tel dolor ce m'est avis
En Bretaigne lonc tans esté.
Ils y étaient donc déjà depuis long-temps, l'orsqu'un messa-
ger vint apporter au roi Artus la nouvelle d'un soulèvement
dans ses états. Artus rassemble son armée, passe la mer, dé-
barque et se prépare au combat. Alexandre prie le roi de
lui conférer l'ordre de la chevalerie. Artus y consent, et la
reine Genoivre donne à cette occasion au nouvel initié une
cotte d'armes , qui
Es costures n'aToit un fil
Dda
XII SIECLE.
212 CHRESTIEN DE TROYES, POETE FRANC.
Ne fust d'or ou d'argent al mains ;
Al cosdre avoit mises ses mains.
Sore d'amors, ou sœur d'amour, c'est le nom de la maîtresse
du jeune Grec, avait mis de ses cheveux dans la broderie.
Artus arrive à Londres; sa présence dissipe les révolte's,
dont le chef va se cacher à Windsor. Le roi l'y fait attaquer
par Alexandre. Le nouveau chevalier fait des prodiges de
valeur.
Les rebelles, assiége's à Windsor, tentent de surprendre
l'armée pendant la nuit ; leur ruse est découverte , tous leurs
soldats sont tués ou faits prisonniers. Le chef se retire dans
son château ; Alexandre s'y introduit par une ruse de guerre.
Il prend et fait prendre à ses soldats les écus ou boucliers
de ceux qui avaient été tués. Ils font avec ces écus des si-
gnaux qui trompent les rebelles : le pont-levis est baissé ; ils
entrent dans la place ^ se font reconnaître et attaquent l'en-
nemi surpris. Après une longue résistance, leur chef s'enfuit
dans la grosse tour; Alexandre l'y suit, le combat à ou-
trance et le tue.
Artus, dans sa colère, avait juré de faire périr tous les
rebelles ; ils sont au désespoir.
"o . 194 , Cascuns plagnoit la siue (sa) perte
Qui lof ert grevose et anière , '
La plore li fius sor le père,
Et ça li père sor le fil ;
Sor son parent se pasme cil ,
Et li autre sor son neveu ,
Ainsi plaignent en cascuns leu
Lors fils , lorS pères , lors parans.
Alexandre les envoie au roi, demande leur grâce et l'obtient.
Artus lui donne d'abord pour récompense une superbe coupe
d'or; il le marie ensuite avec sa nièce Sore d'amors, sœur de
Gauvain, et lui promet un des plus beaux royauniés de sa'
terre. De ce mariage naquit Cligès ou Cliget, qui est leherofr
du roman. Cependant le père d'Alexandre, aux portes du
tombeau, envoya chercher son fils par plusieurs de ses ba-
rons, le vaisseau qui les portait fait naufrage : tous sont
noyés, à l'exception d'un traître, d'un renégat, qui préférait
les intérêts d'Alis, second fils de l'empereur, à ceux de son
aîné Alexandre;
verso , col. 3.
CHRESTIEN DE TROYES, POETE FRANC. 21:
Fors un félon , un renoié
XII SIECLE.
Qui amoit Alis le menor Fol. iijj.
Plus q'Alixandre son signor(i).
Ce traître retourne en Grèce, répand la nouvelle qu'en
revenant d'Angleterre le vaisseau qui ramenait Alexandre
avait fait naufrage, et que lui seul s'était sauvé. Les barons
trop confians, trompés par ce rapport infidèle, couronnent
Alis et le reconnaissent pour roi. Alexandre ayant appris la
maladie de son père, désire le revoir à ses derniers momens; il
obtient un congé d'Artus , et emmène avec lui une troupe de
Danois, d'Ecossais et de Cornoualliens; sa femme et son fils
l'accompagnent; ils débarquent à Athènes. Il y avait grande
fête dans le palais d'Alis. Alexandre envoie un de ses officiers
le prévenir de son arrivée. Le nouveau roi (car tantôt le poète
lui donne le titre de roi, et tantôt celui d'empereur), le nou-
veau roi, fort embarrassé, consulte les barons, qui lui con-
seillent de fairq la paix. Les deux frères s'embrassent; Alis
consent à ne se point marier, et à voir dans Cligès l'héritier
présomptif de la couronne. Alexandre meurt quelques années
après, et donne en mourant à son fils des instructions que
le jeune homme promet de suivre. Le deuil tei'miné, les ba-
rons conseillent a Alis de se marier, malgré la promesse qu'il
avait faite à son frère. Le voyant irrésolu, ils vont demander
pour lui une des nièces de l'etnpereur d'Allemagne. L'empe-
reur l'accorde; mais l'ayant déjà promise au duc de Sassoigne
ou de Saxe, il exige qu'Alis, suivi de ses chevaliers, vienne
faire les noces à Cologne. Alis part, emmenant avec lui son
neveu Cligès qui avait déjà dix-huit ans. Ils arrivent et sont
présentés a l'empereur. Après les premiers compUmens, l'em-
pereur fait venir sa nièce, qui ne paraît que pour faire au
cœur de Cligès une profonde blessure, et pour y allumer
une flamme dont elle brûle également. Cependant le duc de
Sassoigne envoie annoncer à l'empereur d Allemagne que si
la pucelle ne devient sa femme, il lui déclare une guerre
mortelle. L'empereur, sans s'effrayer de cette menace, fait
publier un tournoi. Cligès saisit cette occasion de plaire à
Fenice sa mie; il donne des preuves de la valeur la plus
brillante, et entre autres exploits, il renverse l'envoyé du
duc de Sassoigne. Fenice lui fait connaître par un souris
(i) A l'exception d'un traître , d'un renégat , qui préférait les intérêts
d'Alis, second (ils de l'empereur, à ceux de son aîné Alexandre.
verso , col. i.
XII SIECLE.
Fol. i9« ,
reclo , coJ. 2..
Fol- «99<
recto , coL i,.
fccto, col. a«
fi 14 CHRESTIEN DE TROYES, POÈTE FRANC.
combien elle est satisfaite de son courage. Cette princesse
était bien changée; les couleurs de son teint avaient perdu
tout leur éclat. Sa nourrice Thessala l'interroge, et pénètre
enfin son secret. Elle promet à sa jeune élève de la servir;
elle emploie pour cela un breuvage qu'elle fera donner au
nouvel époux, qui lui fera prendre en dormant l'ombre pour
la réalite, et l'empêchera pour toujours de toUir à l'aimable
Ïmcelle ce doux nom qu'elle craint de perdre. Le mariage se
ait; l'empereur donne un grand repas; Thessala prépare son
bi'cuvage, et le remet à Cligès pour qu'il le fasse prendre à
*on oncle. Alis boit avec plaisir cette liqueur traîtresse.
Que jamais n'en sera délivres
Mais tos jors ert en dormant ivres
Et sel fera si travillier (travier, traviare, délirer)
Qu'en dormant quidera villier.
Les deux époux vont au lit nuptial; Alis ne fait que rêver
toute la nuit, mais il rêve si bien, qu'il croit n'avoir plus
qu'à présenter sa nouvelle épouse à ses peuples. II part avec
elle dans ce dessein, peu de jours après son mariage. Le due
de Sa ss oigne, outré des refus qu'il avait éprouvés , avait as-
semblé ses troupes sur la frontière pour disputer et enlever
Fenice. Cligès, s'étant écarté dji camp avec quatre écuyers,
est attaqué et blessé par le neveu du duc. Revenu de sa sur-
prise, il l'attaque à son tour, et le tue. Le duc veut venger
son neveu; Cligès le désarçonne et emmène son cheval. La
bataille devient générale; Cligès fait tout trembler devant
lui. Cependant un espion vient annoncer au duc que les Grecs,
sortis de leur camp, ont laissé sans gardes la jeune reine; il
demande cent chevaliers, et se charge de l'enlever. Ils arrivent
au camp, emmènent la princesse qu'ils envoient au duc sous
l'escorte de douze hommes d'armes. Cligès vole à la défense
de sa mie^ tue ses ravisseurs, et ramène Fenice au camp. Au
désespoir d'avoir manqué sa proie, le duc offre la bataille à
Cligès. Le jour pris, le combat commence, les lances sont
bientôt brisées ; les champions mettent pied à terre. Le com-
bat devient terrible.
Il samble à cels qui les agardent.
Que lor elme esprendent et ardent.
Et quant à s'espées s'asaillent ,
Estenceles ardans en saillent
XII SIECLE.
CHRESTIEN DE TROYES, POÈTE FRANC. ai5
Aussi comme del fer qui fume
Que li fevre bat sor l'englume
Quant il l'atrait de le fornage.
Enfin, las de férir, et désespérant de vaincre, le duc pro-
pose la paix, et l'obtient. Après cet exploit, qui augmente
sa réputation, Cligès se souvient de l'une des promesses
qu'il a faites à son père mourant; c'était de se rendre à la
cour d'Artus pour y apprendre l'art de la chevalerie. Il en
demande la permission a son oncle qui la refuse d'aboid, et
ne l'accorde qu'après les instances les plus vives. Il prend
congé de sa jeune tante; les adieux sont tendres et doulou-
reux; mais il faut partir. Cligès aborde en Bretagne, et va
d'abord s'établir à Galingefort (Claginfurth), où le roi Artus
allait ouvrir un tournoi qui devait durer quinze jours. Cligès
envoie trois écuyers à Londres.
Si lor comamla aporter '"'• ,'*"
"vcrso coi» 5i>
Trois paires d'armes desparelles j
Unes noires, altres vermelles,
Les terces vers.
Il recommande que ces armes lui soient apportées secrète-
ment, et que personne ne les voie. Le tournoi est ouvert;
Cligès se présente revêtu de ses armes noires; il joute contre
le redoulable Sagremprs, le renverse et le fait prisonnier;
enfin il remporte pour cette journée le prix du tournoi.
Rentré chez lui, il cache ses armes noires, et le lendemain
paraît dans la lice avec son armure verte. On fait chercher
inutilement de tous côtés le chevalier vainqueur. Lancelot *
du Lac se présente au combat; il est abattu et fait prisonnier
par le chevalier aux armes vertes, qui remporte encore le
prix. Cligès cache de nouveau ses armes, en revêt de ver-
meilles, se fait encore chercher vainement, est vainqueur de
Perceval le Gallois , remporte pour la troisième fois le prix ,
et cache ses armes. Le quatrième jour, il en revêt de blanches,
celles avec lesquelles il avait été reçu chevalier. Il rompt quel-
ques lances avec Gauvain, qui allait être vaincu, lorsque
Artus envoya aux deux champions ordre de cesser le com-
bat, et à Cligès de se rendre auprès de lui. Cligès répond
qu'il s'y rendra aussitôt que le tournoi sera fini. Artus fait
sonner la retraite. Cligès se présente au roi, en est bien
accueilli, se fait reconnaître pour le vainqueur des trois pre-
mièi-es journées, et donne la liberté à ses prisonniers. Les
XII SIECLE.
2i6 CHRESTIEN DE TROYES, POÈTE FRANC.
chevaliers, enchantes de ses hauts faits, lui adressent ce com-
pliment:
Fol. aoa , Ce fastes vous bien le savoniçs ,
verso, col. s. Vostie acointance clùere avotncs.
Et moult vous devrions amer
Et signor et ami clamer
Qu'a vous n'est nus de npus parels
Mais tôt aussi com li solels
Estaint les estoiles menues
• - Que la clarté n'en pert ( paraît) es nues
La où li rai del' solel naissent,
Aussi estaignent et abaissent
Nos proesces contre les vos.
Cligès rougit de ces louanges. Les chevaliers le conduisent
au roi qui le place à table à côte' de lui. Après le repas, il
lui fait raconter sa vie et ses aventures. Gauvain reconnaît
en lui son neveu; il l'embrasse et lui témoigne toute la joie
qu'il a de le voir. Il n'en jouit pas long-temps. Cligès, qui
brûle d'envie de se signaler, quitte la cour, va parcourir la
France, la Normandie, la grande et la petite Bretagne. Mais
le souvenir de Fenice le suit par-tout; enfin il ne peut plus
tenir au désir de la revoir. Il demande congé pour retour-
ner en Grèce, s'embarque, arrive, et est reçu dans sa patrie
avec de vifs transports de joie. Les plus grands honneurs lui
. sont rendus. Fenice, sa mie, est plus charmée que personne
de son retour. Ils ont le loisir de se voir. Un jour qu'ils s'en-
tretenaient doucement, elle lui demanda si dans ses voyages
il avait aimé dame ou pucelle. Je ne sais, répondit-il, car je ne
fus qu'avec mon corps en Bretagne; j'avais laissé mon cœur
en Allemagne; j'ignore ce qu'il devint, mais sitôt que j'ai été
près de vous, je l'ai retrouvé. Il demande à son tour à Fenice
si le pays lui plaît. Jusqu'à -présent, dit-elle, il a été pour
^ moi sans charmes, et ce n'«st que depuis votre retour que je
le trouve charmant. Cette conversation finit, comme on peut
le penser, par une déclaration d'amour dans toutes les forrnes.
La princesse avoue à Cligès comment, quoique reine, elle n'a
point cessé d'être fille, lui raconte l'histoire du breuvage et
tout le reste. Il s'agit de trouver un moyen de rompre son ma-
riage. Comme nuit porte conseil , ils remettent au lendemain
. cette délibération. Cligès présente plusieurs projets qui sont
rejetés. On s'arrête enfin à celui-ci : Fenice contrefera la ma-
CHRESTIEN DE TROYES, POETE FRANC. 217
lade, feindra même de mourir, et se laissera enterrer; Cligès L
l'enlèvera la nuit ; ils se sauveront en Allemagne avec Thes-
sala qui les aidera dans l'exe'cution de leur projet. En effet,
l'officieuse nourrice présente à son élève un breuvage qui
l'assoupit sur-le-champ, et la fait passer pour morte.
. . Jà n'iert mais hom qui la voie p^,! ^^3
Que tôt chertainement ne croie Terso , col. 3.
Que l'anie soit del' cors sevrée
Paèlc, froide, descolorde,
Et sans parole et sans alaine ,
Et si ert tôt vive et saine,
Ne bien , ne mal ne sentira
Ne jà rien ne li grèvera
Dun jor et d'une nuit entière.
Cligès se confie à l'un de ses hommes, c'est-à-dire de ses
serfs, nommé Jehan, à qui il promet la liberté pour prix
de son silence et des services qu'il attend de lui. Jehaa le
sert avec un grand zèle, et fait pour lui l'acquisition d'une
tour ou d'un château où il pourra faire transporter Fenice.
Cependant, au bout d'un jour et d'une nuit, l'impératrice
était revenue à elle, et s'était encore assoupie. La nouvelle
de sa maladie était répandue parmi le peuple.
Mais li max dont ele se plaint Fol. 204 ,
Ne li grieve ne ne li delt. '*'«"o , col. 3.
S'a dit à tous quele ne velt
Que nus hom en sa cambre viegne
Tant com ses max si grans li tiegne , *
Dont ses coers li delt et li ciés (les chefs), «
Se n'est l'emperere u ses niés (neveux).
Pendant que l'empereur se livre à son désespoir, Cligès
trouve le temps de s'approcher de sa maîtresse et de lui faire
part de l'acquisition quil a faite. Alors elle redouble ses cris,
et demande qu'on la laisse seule, afin que son amant ait le
temps de tout préparer. Il se retire d'un air triste, mais le
cœur très-content. Cependant la maladie paraît empirer; les
médecins , appelés de tous côtés , s'assemblent. D'après l'urine
de la malade (les médecins de ce pays-là n'en savaient pas
alors davantage), ils prononcent qu'elle mourra bientôt.
Bientôt en effet on vient annoncer qu'elle est morte. A cette
2'o/ne XF. Ee
XII SIECLE.
Fol. ao5 ,
recto, col. i.
2i8 CHRESTIEN DE TROYES, POÈTE FRANC.
nouvelle l'empereur s'évanouit; le palais et toute la ville re-
tentissent de cris de douleur.
Par aventure, trois médecins de Saleme traversaient le
pays pour aller à Constantinople. Ils entendent les cris du
peuple, et en demandent la cause. L'ayant apprise, ils entrent
au palais, visitent le corps de l'impératrice, reconnaissent
bientôt qu'elle n'est qu'assoupie, et l'un deux élevant la
voix :
Emperere , conforte toi ;
Je sai chertainement, et voi
Que ceste dame n'est pas morte.
Esléece toi et conforte ;
Se jou vive ne te le rent '
J'otroi que m'ociez et pent.
L'empereur le prend au mot, et lui promet, s'il dit la vérité,
de le récompenser dignement, sinon de le faire pendre. Le
médecin, siàr de son fait, demande qu'on le laisse lui et ses
deux confrères, seuls avec la malade. Restés seuls, ils font
revenir l'impératrice de son assoupissement; ils l'interrogent
et veulent savoir d'elle ce qui a pu l'engager à prendre,
comme elle l'a fait sans doute, un breuvage soporifique.
Avouez-le nous, disent-ils;
Si traïssies l'empéréor
N'aiez mie de nous paor.
L'impératrice ne répond rien ; nouvelles instances de la part
des médecins, et pas une parole de l'impératrice. Nos doc-
teurs veulent absolument la forcer à parler. Ne pouvant en
venir à bout , ils prennent une forte courroie et l'en frappent
jusqu'à la mettre en sang. Elle ne parle ni ne se plaint. Ils
prennent du plomb fondu et le lui versent dans la main.
Elle ne jette pas le moindre cri, ne laisse pas même échap-
{)er un soupir. Ils ne s'en seraient pas tenus là, et ne vou-
aient rien moins que la griller, si Cligès, l'empereur et leur
suite, impatientés d'attendre si long -temps, n'eussent re-
gardé par la serrure. Transportés de colère, ils enfoncent
la porte : les médecins effrayés se sauvent et se jettent par
la fenêtre. , •
Thessala, qui était entrée avec les dames, recouvre le
corps de sa maîtresse. Cligès est au désespoir des souffrances
que Fenice vient d'endurer pour lui. Thessala fait retirer
tout le monde , et frotte les plaies de sa maîtrese avec un
XII SIECLE.
CHRESTIEN DE TROYES, POETE FRANC. a 19
onguent précieux qui eu fait disparaître jusqu'à la moindre
trace. Elle ensevelit de nouveau sa maîtresse ; les regrets du
peuple sont plus vifs et plus douloureux qu'auparavant.
L'empereur charge Jehan (le confident de Cligès) de con-
struire un magnifique tombeau pour l'impératrice; les ob-
sèques se font avec la plus grande magnificence. Trente che-
valiers sont chargés de la garde du corps, autour duquel
sont dix cierges allumés. Quand la nuit fut avancée, le cha-
grin, les pleurs et la fatigue avaient endormi les gardiens;
tout . dormait autour du tombeau. Cligès seul veillait. Aidé
par son fidèle Jehan, il pénètre avec lui dans l'enceinte.
Jehan lui ouvre le tombeau sans que personne s'éveille, et le
referme après que Cligès en* a tiré sa maîtresse. Ils l'em-
portent au château piéparé pour la recevoir. Elle est tou-
jours sans mouvement ; Cligès commence à craindre qu'elle
ne soit m(n'te; il se livre au désespoir, il est prêt à terminer
sa vie , lorsqu'il entend parler ainsi celle qu'il aime : *
Amis , amis , jo ne sui pas Fol. ao6 ,
Del tôt morte , mais po en fait ; '"
Ces médecins m'ont presque tuée, mais je serais bientôt
guérie, si ma nourrice était près de moi. Cfigès envoie Jehan
cheicher Thessala , qui arrive chargée de remèdes de toute
espèce. Ils ne tardent pas à opérer : bientôt Fenice est en-,
tièrement rétabUe , et les deux amans peuvent enfin se dé-
dommager de tout ce qu'ils ont souffert.
Il y avait près de deux ans qu'ils étaient réunis dans cet
asile, lorsquun chevalier nommé Bertrand vient chasser
auprès du château. Son épervier s'échappe et descend dans
le verger. Ne voulant pas perdre cet oiseau, il escalade les
murs et entre^fllBirtftjreprendre. Il passe devant un pavillon
où Fenice et Cligès étaient endormis l'un près de l'autre, et
dans la position la moins équivoque.
Dex, dist- il, que m'est avenu Fol. 206
Quel mervelle est-ce que jo voi ? verso , col. 2.
Est-ce Cliget ? oil par foi.
N'est-ce pas l'emperens ensamble?
Nenil , mais ele le resamble
Que riens altre tant ne sambla.
Ma foi, si elle n'était pas morte, je dirais que c'est elle. Il
veut cependant s'en assurer, s'approche de son oreille, et
Ee2
XII SIECLE.
Fol. 207
reCto, col. I.
2ÛO CHRESTIEN DE TROYES, POETE FRANC.
l'appelle par son nom. Fenice se réveille en sursaut, et jette
un cri en voyant un étranger. Cligès prend son épée, pour-,
suit Bertrand et le blesse grièvement lorsqu'il repassait par-
dessus le mur. Bertrand, retrouvé par sa suite auprès du
mur où il est tombé, se fait porter chez l'empereur, et lui
raconte ce qu'il ^ vu.
Mais on l'en tint por jongleor.
Cependant l'aventure fait du bruit. Pour s'éclaircir, l'empe-
reur se rend au château; il trouve Jehan, le fait arrêter.
Les els (yeux) li commande à bcnder
Et dist qu'il le fera pendre,
Et ardoir et venter la cendre.
Jehan proteste qu'il ne sait rien , et qu'au reste la mort ne
l'effraie pas.
Car se jo muir por mon signor
Ne morrai pas à deshonor.
Vous pouvez, ajoute- t-il, me reprocher d'être trop fidèle
à mon maître ; vous , Sire , qui aviez promis à votre frère de
ne jamais vous marier et de laisser à votre neveu l'empire
que vous gouvernez. Si vous me punissez , Cligès vengera
ma mort.
Faites en le pis que pores
Que se jo muir vous en morrés.
Malgré la colère où l'empereur entre à ce discours, Jehan
continue : Vous prétendez que l'on vous trompe, mais c'est
Votre Majesté qui se trompe elle-même. Vous croyez que
Fenice est votre femme, et elle ne l'est pas. Il lui raconte
alors le tour qu'on lui a joué le soir même de son mariage,
le breuvage qu'on lui a fait prendre, l'effet qu'il a produit,
qu'il produit encore, et qu'il produira toute sa vie. Dès ce
temps, ajoute -t-il, Cligès et Fenice étaient d'accord; dès
qu'ils se sont vus ils se sont aimés, et c'est encore Fenice
qui dans ce dernier événement a voulu se faire passer pour
morte, afin de vous quitter, et de vivre avec son amant.
L'empereur irrité fait poursuivre les deux amans qui, à la
première nouvelle de son arrivée, n'avaient pas jugé à propos
de l'attendre. Ils avaient pris la fuite, emmenant avec eux la
vieille Thessala. Ils arrivent en Angleterre ; Cligès va trouver
son oncle Gauvain et le roi Artus. Celui-ci arme une flotte
CHRESTIEN DE TROYES, POÈTE FRANC. 2a i
nombreuse pour aider le jeune prince à conquérir ses états; ^" ^ ^ '
On allait mettre à la voile, lorsque Cligès reçoit une dépu-
tation de ses barons qui lui apprennent la mort de son
oncle Alis, et l'avertissent que le trône l'attend. Cligès et
Fenice prennent congé d'Artus et des chevaliers de sa cour.
Ils retournèrent dans leurs états , où ils furent reçus avec
tous les honneurs dus à leur rang, et tout l'intérêt dû à leur
constance et à leurs malheurs. Ils furent couronnés solen-
nellement, régnèrent long -temps, et s'aimèrent toujours.
Quant à Thessala, elle fut reléguée à Constantinople; l'em-
pereur
Tos-jors l'a fait garder en cambre, Fol. 207
Plus por paor que por le halle. verso, col. i.
Trait remarquable et assez fin qui , dans sa tournure
naïve , prouve que si Chrestien de Troyes écrivait bien pour
son temps, il savait aussi penser.
III.
ROMAN DE GUILLAUME D'ANGLETERRE. m». 6987,
fol. 240, verso.
. Crestiens se veut entremetre
Sans nient oster et sans nient meffe
De conter un conte par rime
U consonant u lionime (i).
Ce début ne laisse, comme nous l'avons précédemment
observé, aucun doute sur le véritable auteur de ce roman,
quoiqu'il ne soit pas ordinairement compté parmi ceux de
Chrestien de Troyes.
En cherchant, continue-t-il, dans l'histoire d'Angleterre,
il y trouva un sujet propre à être mis en vers. La vie de Guil-
laume lui parut offrir de l'intérêt.
" Li rois fu plains de carité
Molt ot en lui d'umilité.
Ce trait de caractère ne convient pas ptus à Guillaume le
(1) La rime oonsonnatite était senlement à la fin des vers; la rime
léonime ou léonine était au milieu et à la fin.
col. a.
aaa CHRESTIEN DE TROYES, POÈTE FRANC.
xn SIECLE. Conquérant qu'à Guillaume le Roux, son fils et son suc-
cesseur; et aucune des circonstances du roman ne convient
ni à l'un ni à l'autre, et ne s'accorde avec l'histoire. C'est un
nom historique que le romancier applique, selon l'usage de
. son temps, à des évenemens tout fabuleux. Ce roi de son
invention épousa une femme belle et sage qui se nommait
^-^ Gratienne; c'était une dame accomplie. Il y avait déjà six
ans qu'ils étaient unis, lorsqu'elle devint enceinte. Malgré
son état, elle se levait pendant la nuit pour aller à matines :
le roi voyant le terme approcher, priait sa femme de vouloir
bien rester chez elle; mais il l'en priait inutilement. Un jour
qu'il attendait le son de la cloche pour aller lui-même à
I église, il entendit un grand coup de tonnerre,
Son cief en a \e\é en liant ,
Si a par le cambre esgardé
Et vit une si grande clartë,
qu'il en fut tout ébloui. Une voix lui dit en iriême temps :
Rois va en essil
De par Dieu et de par son fil.
Le roi, très -étonné, consulte son chapelain qui lui conseille
de rendre les châteaux qu'il a usurpés , et de payer à chacun
ce qu'il lui doit.
Aussitôt Guillaume mande à sa cour
Trestous oiax de cui il savoit
Que riens du leur à tort avoit.
II leur remet tout ce dont il s'était emparé injustement.
Quant li rois fu couciés la nuit,
Il vit et entendit encore les mêmes merveilles ; il se leva et
alla prier à sa chapelle. Ses prières dites, il raconte à son
chapelain sa seconde aventure , et lui demande conseil.
Celui-ci répond que Dieu sans doute lui ordonne de se
retirer du monde, mais qu'avant de prendre ce parti ^ il faut
attendre une troisième vision. En attendant., il l'invite à don-
ner tout ce qu'il possède, sans se réserver quoi que ce soit,
et lui promet que le ciel lui rendra tout au centuple.
Rentré dans son palais, Guillaume fait appeler les moines
et les pauvres de ses états, leur distrikie ses trésors; la
reine se joint à son époux, et distribue aussi toutes ses
richesses. Cela fait, ils se couchent en attendant le phéno-
CHRESTIEN DE TROYES ,. POETE FRANC. aaS
mène qui les réveillait toutes les nuits. Ils «e tardent pas à
entendre la voix, qui, d'un ton irrite, annonce à Guillaume
qu'il doit aller en exil jusqu'à ce qu'il plaise à Dieu de le rap-
peler. Le roi se lève; la reine qui avait tout entendu en fait
autant, et veut partager le sort de son époux. Il s'élève entre
eux de grands débats. Malgré la résistance et toutes les re-
présentations du roi, rien ne peut ébranler Gratienne; elle
obtient enfin de l'accompagner dans sa fuite. Ils descendent
par la fenêtre, afin que leur départ soit ignoré, et s'ache-
minent vers la forêt prochaine. L'obscurité de la nuit
ne leur permet pas de reconnaître la route ; et' s' étant
enfoncés dans l'endroit le plus épais, ils ont bientôt perdu
la voie. Cependant le jour ayant paru, les gens du palais
s'étaient levés, et chacun vaquait à ses fonctions ordinaires;
mais on remarquait que le roi , qui sortait ordinairement .au
petit jour, ne se faisait pas voir. On ne savait que penser : la
douzième heure venait de se faire^ntendre, et le roi n'avait
pas encore paru. On monte , on écoute à la porte qu'on
trouve fermée.
Une grant pièce si escoutent
Puis apelent à l'uis et boutent.
Ils frappent avec tant de force, que la porte est jetée en de-
dans. On entre, on voit la fenêtre ouverte et
Coffres , escrins , boistes , et maies ,
* Toutes les cambres, et les sales,
tout cela entièrement vide. On sait moins que jamais qu'en
penser. Chacun va cherchant de son côté dans le palais. Un
petit enfant aperçoit
Desous l%lit un cor d'ivoire.
Que li rois, ce conte l'estoire, «
Soloit tos-jors en bos porter.
Il le prend et l'emporte chez son père. La nouvelle du départ
de Guillaume se répandit bientôt dans ses états. Cet événe-
ment paraît inexplicable ; on fait chercher le roi de toutes
S arts. Pendant ce temps, nos deux voyageurs s'enfoncent
ans la forêt, et vivent de fruits saunages. Ils arrivent au
bord de la mer,
Là ont une roche trovée
Qui estait fendue et eavée.
XII SIECLE.
224 CHRESTIEN DE TROYES, POÈTE FRANC.
XII SIECLE. j|g s'arrêtent en»cet endroit. La reine, excédée de fatigue,
• s'endort sur la pierre dure : en se réveillant, elle ressent les
douleurs de l'enfantement. Le roi aide à la délivrance de son
épouse, et, coupant son manteau, il en enveloppe le nou-
veau-né. Peu après, la reine ressent de nouvelles douleurs,
et accouche d'un second enfant, qui n'a de même pour langes
qu'un second pan du manteau de son père. La fatigue que
la reine vient d'éprouver la replonge dans le sommeil. Elle
se réveille avec un appétit dévorant, demande à manger,
et tombe d'inanition. Le ror allume du feu, et veut couper
un morceau de sa cuisse pour en faire un repas à sa femme.
Elle lui retient le bras , et proteste qu'elle aime mieux mou-
rir. Le roi lui propose de manger un de leurs enfans : elle
rejette cette offre avec horreur, et prie son époux d'aller
chercher dans la forêt s'il ne découvrira point quelque nour-
riture. A peine est-il sorti de la grotte, qu'il aperçoit un
vaisseau marchand prêt ^ mettre à la voile : il va vers le
maître du vaisseau, et lui expose la cruelle situation où il
se trouve; il lui avoue même la proposition qu'il avait faite
à sa femme. Le marchand le repousse durement, le menace
de le faire jeter à la mer, s'il ne se retire, le traite de men-
teur, et refuse de le croire.
Feme ses enfans ne manja
Ce ne fu onques ne n'ert jà.
Cependant pour vérifier le fait, quinze des passagers accom-
pagnent Guillaume à la caverne. L'un d'eux l'accuse de n'être
* pas le mari de cette belle dame, et de l'avoir sans doute en-
levée à ses parens. Il propose à la reine de l'emmener et de
laisser les deux enfans au malheureux qui l'a séduite. A ces
mots, Guillaume ne peut retenir sa fureur; il prend son
épée pour en percer le téméraire; mait à l'instant cinq des
autres passagers se jettent sur lui et l'accablent de coups;
puis faisant un brancard de feuilles et de branchages, ils
emportent la reine dans le vaisseau, malgré les cris et la
douleur du roi. Un seul de ces passagers, ému de pitié, offre
sa bourse au malheureux père qui le remercie, mais qui de-
mande à grands cris à suivre sa femme. Ses prières ne sont
point écoutées, et le vaisseau met à la voile.
Cil s'en vont et li rois remaint
Qui molt se démente et complaint.
Après avoir long-temps suivi des yeux le vaisseau, il rentre
CHRESTIEN DE TROYES, POÈTE ERANÇ. 225
dans la caverne, et délibère sur le parti qu'il doit prendre.
S'il retourne en Angleterre, ses barons, qui le font cher-
cher, l'auront bientôt trouvé, et voudront le remettre sur
le trône. Enfin il se souvient d'avoir vu deux bateaux près
du rivage; il en va chercher un, l'amène près de son ro-
cher, va prendre un de ses enfans, le porte au bateau, re-
tourne chercher l'autre Un loup venait de s'en saisir; le
malheureux père n'avait point d'armes; dans son désespoir,
il marche contre l'animal qui s'enfuit sans lâcher sa proie.
Guillaume le poursuit, et l'a bientôt perdu de vue. Des mar-
chands qui traversaient la forêt pour se rendre à la mer
aperçoivent ce loup qui emportait un enfant.
Tout maintenant que il le voient
Si l'escrient et si le huent,
Et bastons et pierres li ruent,
Tant que li leus en mi la voie
Loi" a déguerpie la proie.
Les marchands courent à l'enfant, se réjouissent de le voir
sain et sauf, et regardent cet événement comme un miracle.
Le chef des marchands l'adopte; ils poursuivent leur route,
et arrivent au bateau où était \e j'umel; nouvelle surprise et
nouvelle joie. Le marchand adopte encore ce second trouvé.
Ses compagnons et lui profitent du vent, détachent le bateau
du rivage, et cinglent en pleine mer. Pendant ce temps, le
roi, épuisé de fatigue, avait voulu prendre un moment de
repos; il s'était assis au pied d'un arbre et s'était endormi.
Bientôt ses chagrins le réveillent; il déplore amèrement son
sort. Il se lève pour aller chercher son second fils, arrive au
rivage et n'y trouve plus le bateau. *
« Lors est toute sa dolors noeve,
« Lors li enforce et croît et double
« Li cuers li faut , Ji sans li trouble.
Mais loin d'accuser le ciel,
« Ains aoure Dieu et grassie.
Il se rappelle alors la bourse qui lui avait été donnée par le
marchand, et qu'il n'avait pas daigné ramasser; il la cherche,
la trouve, et allonge le bras pour la prendre , quand tout-
à-coup
Une aigle vint par grant merveille ,
Qni l'aumoniere vit vermeille
Tome Xy. Ff
XII SIECLE.
XII SIECLE.
226 CHRESTIEN DE TROYES, POETE FRANC.
Si l'a a li des mains ostée
Et si li dona tele hurtée
Des deux eles parmi la face
Qu'il caï as dens ea la plaça.
Après avoir gëmi de ce nouveau malheur, il fait de nouvelles
reflexions plus amères encore que les premières sur son état
passé, sur sa situation présente; il est comme un homme
hors de lui. Enfin il se levé, et sans trop savoir où il va, il
prend le premier chemin qui s'offre à lui. Il rencontre une
compagnie de marchands qui mangeaient, buvaient et se
divertissaient. Le roi, en passant devant eux, les salue; mais
les 'vilains, voyant son air pâle et défait, s'écrient, tuez,
tuez ,
Ce vif diable , ce larrpn ;
Jà ni ait esparguié baston ;
Qu'il n'en soit batus et roisciés
Et bras, et gambes froissiés.
Cest sans doute le chef de quelque bande de voleurs.
Des oniécides , de murdriers
Abés en est u ceneliers (i);
C'est cil qui tous les autres guie (conduit) !
Nostre or tt nostre argent espie ; etc.
Le roi, n'espérant aucun quartier de ces brutaux, prit la
fuite et courut jusqu'au lendemain matin.. Il arriva, mais par.
un chemin différent, au bord de la mer, en même temps
que les marchands; il les prie, les conjure de le laisser partir
avec eux : enfin
Tant lor prie que il l'otroient.
Le vaisseau allait à Galicide, pays que l'on peut se dispenser
de chercher sur la carte. Le roi arrive à bon port : un bour-
geois le retient à son service, et le* met à la tête de sa maison.
Tandis qu'il fait un métier dont bien des rois seraient
peut-être embarrassés , retournons à la reine que nous avons
quittée depuis long-temps.
On se rappelle qu'elle avait été emmenée par des mar-
chands. Leur vaisseau aborde à Surclin , où ils débarquent.
Ni les couches de la reine , ni ses chagrins n'avaient altéré
(i) Somelier, de céner, manger, etc., gardien des provisions.
CHRESTIEN DE TROYES , POÈTE FRANC. aâ^
sa beauté : aussi tous les marchands en devinrent -ils amou-
reux à-la-fois.
Tant que cascuns le vaut avoir *
U fust à force , u par avoir.
De-là des disputes si violentes, qu'on est obligé de recourir
au juge du lieu. Ce magistrat, nommé Gliolas , était un che-
valier plein d'honneur. Il fit d'abord déposer les cadeaux
que les marchands destinaient à la reine , puis il la fit mener
En ses 'cambres avoec sa feme j
Et la garda chez lui.
Peu de temps après, la femme du juge mourut. Gliolas,
veuf et sans enfans, se flatta que sa protégée voudrait bien
accepter l'honneur de sa couche. Il le lui propose, et promet
d'y joindre l'abandon de tous ses biens. La reine se souvient
trop de son rang pour penser sans effroi à cette proposi-
tion. Elle remercie Gliolas des bontés qu'il a pour elle , et
feint d'en être tout-à-fait indigne. •
Biaus sire , or esgardez raison ;
D'une garce , d'une vilaine ,
S'en en doit faire castelaine.
Mon père était vilain, et vous ne pouvez sans déshonneur
Vous allier avec moi. Elle ajoute, en se calomniant elle-même,
qu'elle est une none qui a fui de son couvent et mené une
mauvaise vie. Tout cela est égal au juge qui veut absolument
qu'elle soit sa femme. 1^ reine demande un an pour faire ses
réflexions : ce terme lui est accordé. Seulement le juge de-
mande et obtient la permission de célébrer une fête pour
faire connaître à ses vassaux celle qu'il a choisie. Cette fête
a lieu; tous honneurs sont rendus à Gratienne, qui reçoit
le serment des vassaux de son prétendu. Dès qu'elle eut ha-
bité quelque temps cette terre , elle s'attacha tout le monde
par légalité de son caractère et par la bonté de son cœur.
Pendant ce temps-là les deux enfans grandissaient rl'un
se nommait Louvel;
Pour le leu (à cause du loup), Lovel le clamèrent
Qui en mi le voie trovèrent
Qui l'emportoit parmi les rains.
L'autre s'appelait Marin, parce qu'il avait été trouvé sur la
mer. Le marchand qui les avait adoptés, les élevait fort bien:
ffa
Xn SIE(XE.
XII SIECLE.
à^B CHRESTIEN DE TROYES, POÈTE FRANC.
ils avaient déjà dix ans, et dans le monde entier, on n'eût
pas vu deux enfans plus intéressans ni plus beaux ; ils étaient
rbrt avancés pour leur âge. Tout annonçait en eux une nais-
sance au-dessus du vulgaire. Ils ignoraient qu'ils fussent
frères, et s'aimaient cependant de tout leur cœuf. Ils.se res-
semblaient tellement, qu'on les prenait souvent l'un pour
l'autre. On a vu qu'un seul marchand s'était chargé de tous
les deux; il avait apparemment partagé cette charge avec un
de ses confrères, car on leur voit maintenant deux protec-
teurs, dont l'un se nomme Gosselin, et l'autre Foukier.
Leurs études finies, on songe à leur faii'e prendre un état.
Gosselin veut mettre Louverdans le commerce de pelle-
terie ; celui-ci ne consent à embrasser cette profession qu'au-
tant que Marin la prendra. Marin à pareille proposition fait
môme réponse. Les bourgeois, impatientés 'battent et mal-
traitent les deux enfans. Châtiés séparément et à l'insu l'un
de l'autre, ils ne laissent pas échapper un crj ni la moindre
plainte. Quelque temps après, les deux marchands jugèrent
a propos de leur apprendre ce qu'ils savaient de leur his-
toire. Foukier remit a Marin le pan de manteau dans lequel
on l'avait trouvé. Marin le cacha soigneusement sous sa cape,
et profitant du moment oii il était seul, monte à cheval et
s'enfuit. Louvel, ayant aussi reçu le pan de manteau qui
l'avait enveloppé, demande à Gosselin la permission de le
quitter. Le marchand veut le retenir et l'engager à apprendre
le commerce. J'ai commencé comme toi, lui dit-il, et mainte-
nant je suis riche.
Qui rices est , moult troeve amis ,
Et si est moult vix (vieux) qui nient n'a,
Jà nus ne li apartenra.
Le jeune homme convient de ces vérités , mais n'en persiste
pas moins à demander congé. Il l'obtient. Le marchand lui
donne des vêtemens, deux chevaux, et pour écuyer
Un garçon qui ot nom Rodains ,
Enfin des armes et de l'argent. Louvel remercie et embrasse
son bienfaiteur.
Mais à moult grant anui li tome
Quant au partir Marin ne voit;
En la ville cuide qu'il soit
Si com Marins cuidoit de lui.
CHRESTIEN DE TROYES, POÈTE FRANC. 229
Il part , prend une route peu fréquentée , rencontre Marin
qui cheminait de son côte, songeant à son cher Louvel. Ils
s embrassent, continuent leur route, tuent un daim, le met-
tent sur le cheval de l'écuyer, et arrivent à une fontaine où
ils trouvent une cabane de feuillages. Ils font paître leurs
chevaux, et pendant que Rodains va à l'abbaye voisine cher-
cher du pain et du vin, ils se mettent à préparer leumÀbier.
Le garde forestier arrive et trouve nos jeunes gens qui sWaient
emparés de sa logette. Jls le saluent poliment : il leur dit
pour toute réponse :
5e vous menrai devant le roi
Si vous fera pendre u deffaire,
Les puins colper,u les iex traire. ^
Quel est notre délit.'' — Vous avez chassé sans ma permis-
sion. Ils appaisent le forestier en lui donnant un marc de
deniers quils possédaient pour tout bien. Le lendemain ils
partent de grand matin, arrivent à Catanasse, vont se pré-
senter au roi et lui demandent d'entrer à soîi service. Le
forestier, qui se trouve présent, dit qu'il les croit bons chas-
seurs, et donne pour preuve le daim qu'ils ont tué; mais en
dénonçant leur faute, il en obtient pour eux le pardon. Le
roi les retient auprès de lui et leur fait apprendre les fonc-
tions de veneur. Il est charmé de leur bonne volonté, de
leur esprit, de leur zèle; ils deviennent ses favoris.
Nous avons laissé Guillaume chez un bourgeois dont il
avait gagné la confiance. Celui-ci l'appelle un jour et lui dit :
Gui (c'est le nom que Guillaume s'était donné), ton ser-
vice me plaît; si tu veux faire le commerce, je te prêterai
de l'argent; tu iras aux foires; ce que tu gagneras sera pour
toi ; je n'en réclame rien. Guillaume accepte la proposition
et gagne en peu de temps beaucoup d'argent. Le bourgeois,
enchanté, lui propose de monter un de ses vaisseaux, de
prendre avec lui ses deux enfans, -de les diriger dans l'étude
du commerce et de l^t^ emmener en Angleterre. Guillaume
accepte encore; le vaisseau part; il arrive. Guillaume se défait
très-avantageusement de ses marchandises. Un jour, il ren-
contre un jeune homme tenant un cor qu'il reconnaissait
pour lui avoir appartenu. Comment, lui demande-t-il , as-tu
acquis cet instrument.'' Le varlet lui avoue que dans le pil-
lage du palais il l'avait pris, et qu'il s'en sert pour s'amuser.
Guillaume rachète son cor pour quelques pièces d'argent.
XII SIECLE.
XII SIECLE.
Folio 245,
recto , col. 4 du
ms.
23o CHRESTIEN DE TROYES, POÈTE FRANC.
Cependant plusieurs habitans avaient cru, en le regar-
dant, reconnaître leur ancien roi. On le croyait mort, et le
royaume était gouverné par un prince son neveu. Ces habi-
tans vont annoncer à leur jeune souverain cette nouvelle.
Aussitôt il monte à cheval pour aller s'informer de la vérité.
Il arrive, reconnaît son oncle, lui propose de reprendre la
couroane et veut lui rendre hommage. Guillaume affirme
que Ion se trompe, qu'il n'est qu'un simple marchand et
point du toui^celui que l'on cherche. Le jeune roi lui pro-
pose une place de sénéchal; Guillaume le refuse, le quitte,
achète de nouvelles marchandises et se rembarque. A peine
est-il en pleine mer, que le vaisseau est accueih d'une forte
tempête. Le vent rompt les cordages, les voiles et les mâts.
Tout l'équipage se met en prières.
Tout escrient à haute vois
Sains Nicholais, aidiés, aidiés,
Vers Diu merci nos aplaidiés
Qu'il ait de nos miséricorde,
Et mece entre «es vens concorde.
Ausi font or cist vent lor guerre
Comme font li signor de terre
Que de cou dont il se déduisent
Ardent les castiaux et destruisent.
A.usi nos cajtifs comperrons
Les guerres de ces haus barons :
Al barons puet-on comparer
Les vents, le terre et le mer.
La tempête dura trois jours. Malgré son habileté, le pilote
avait perdu sa route ; on vogue au hazard ; enfin on signale
la terre ; on aborde , et l'on obtient la permission de se défaire
des marchandises dont le vaisseau était chargé. La dame de
cette terre se promenait sur le port. Voyant des étrangers,
elle avait rabattu son voile sur son visage. Guillaume sort
du vaisseau, va au devant d'elle,
Et dist bien soijés vous venue,
Ma ciere dame , or descendes ;
Je sai bien que vous demandés.
Je sai bien le costume au port,
Des plus rices avoirs aport
Gonques nus marceans eust.
CHRESTIEN DE TROYES, POETE FRANC. 23 1
La dame consent à descendre dans la nef; le cœur lui bat
et la force est prête à lui manquer. C'était la reine Gra-
tienne, et cette terre était celle du juge Gliolas qu'elle avait
été forcée d'épouser. Elle croit reconnaître dans le marchand
le sire son premier époux. En entrant dans le vaisseau , Guil-
laume déploie ses plus belles étoffes,
Dras etnperiaus, et orfrois.
Et covretoirs , et sebelins ,
Pennes, et peliçons hermins,
Tables d'argent , et esches d'or ;
Mais ele regardoit au cor
Qui au mat de le nef pendoit.
Elle veut absolument l'avoir; Guillaume le lui donne; elle le
couvre de baisers. Un moment après, elle reconnaît à son
doigt unH'bague qu'il y portait le jour où ils furent séparés.
Quant la dame a lanel véu
Ne la mie desconéu^
Et dist, biau sire, jou ne Toel.
Avoir rien que voient mi oel
Fors cet anel que vous portés
Par- tant vos serés acuités !
Ha ! dame , fait li rois , nel dites ;
Jà por si peu ne serai cuites.
En cet nef à tel avoir
Dont on porroit cent mars avoir.
Prenez tout ce qu'il vous plaira, mais laissez-moi cet anneau;
sa perte causerait ma mort. A la fin cependant, il cède, et
dit à la dame en le lui donnant :
L'anel aurés , or le tenés
Mais molt vos ai large don fait,
Maugré moi l'ai de mon cuer trait j
Car en mon doit n'estoit-il mie; 9"
Or vos ai donée ma vie.
Ami , dit la dame , pour le plaisir que vous venez de me
faire, vous et vos compagnons n'aurez hôtel que dans mon
château. Cette offre est acceptée. La dame retourne chez elle;
Guillaume et ses compagnons s'y rendent. Déjà on apprêtait
les tables pour les recevoir. La dame les fait laver, puis fait
asseoir Guillaume auprès d'elle.
XII SIECLE.
XII SIECLE.
232 CHRESTIEN DE TROYES, POETE FRANC.
Si mangièrent ensanble andui ,
Cil le regarde et ele lui
Tant que li rois connut lors primes
Que c'estoit sa feme meismes
Qui là mangoit, et si ert ele.
Mais li uns vers l'autre se celé ,
Ainsi avint qu'il se celèrent
D'autres coses asscs parlèrent,
Tant que le roi vient à se rappeler qu'il était grand ama-
teur de la chasse et que depuis long -temps il n'avait pris
ce plaisir. Cette idée le fait tomber dans une rêverie pro-
fonde.
Ne n'en aies jà mervillant
Car on songe bien en villant.
Il croit, dans cette espèce de rêve, voir #
Un cerf qui seize rains avoit ,
Et il pense tous s'oublia,
Si qu'il semont et escria :
Les chiens derrière après le cerf!
Si ken (si bien que dans) la cambre franc et serf
Li oirent escrier tuit :
Hu, bu, Bliaut (i) cis cers s'enfuit.
Tout le monde part d'un éclat de rire, et croit que ce mar-
chand a perdu 1 esprit. La reine lui demande ce que ces cris
signifient. Il lui avoue qu'il croyait être à la chasse du cerf
le plus grand qu'il eût jamais vu, et que quand il aurait
dormi, il n'aurait pu avoir un songe plus semblable à la
vérité. C'est encore un trait de ressemblance auquel la dame
croit le reconnaître; elle s'approche de lui et l'embrasse.
Et ses gens la tienent por foie
De son signor , que ele acole.
Elle s'inquiète perfjhde ce qu'ils en pensent, et propose au
marchand de faire avec lui une partie de chasse. Il est en-
chanté de cette proposition. Depuis vingt-quatre ans, dit -il,
je n'ai connu que le malheur : c'en serait assez pour me faire
tout oubUer. Elle donne ses ordres pour la chasse; tout est
prêt; ils montent à cheval, et s'enfoncent dans la forêt.
A peine y sont-ils entrés, qu'ils rencontrent un cerf à seize
(i) Nom de chien de chasse.
CHRESTIEN DE TROYES, POÈTE FRANC. 233
cors. Tandis que les chiens le poursuivent, Guillaume et sa
femme, qui se sont enfin entièrement reconnus, se racontent
mutuellement leurs aventures depuis le jour oii ils ont été
séparés. La reine lui dit que Gliolas est en guerre avec ses
voisins, et que dans le cas où le cerf viendrait à traverser
une petite rivière , il se garde bien de la passer, parce qu'il
tomberait infailliblement entre les mains des ennemis. Guil-
laume le lui promet, et court à la poursuite de l'animal. Le
cerf, près d'être pris, met les chiens en défaut, et traverse
la rivière ; Guillaume oublie la défense qu'on lui a faite , et
la passe; bientôt le cerf est atteint. Guillaume, pour célébrer
sa victoire, sonne du cOr. A ce son, deux chevaliers ennemis,
armés de toutes pièces , accourent et lui crient de se rendre.
On ne prend jamais un roi, répond-il.
Un roi ! — Voire. — Dont ? — D'Engleterre.
K'estes vos donc ci venus querre ?
Le roi prend aussitôt de la confiance en eux , et leur raconte
ses aventures; les jeunes chevaliers pleurent. Il leur dit com-
ment il a perdu ses enfans qui étaient enveloppés dans les
pans de son manteau, l'un emporté par un loup , et l'autre
perdu dans un bateau. Il n'oublie pas l'aventure de la bourse
donnée par les marchands, enlevée par un aigle. Les cheva-
liers, déjà fort surpris, le furent encore bien davantage.
Si en furent moult esbahi
Quant l'aumosnière entr'ax kaï (tomba).
Li rois pour 4e prendre s'abaisse.
Les deux chevaliers ne doutent plus qu'ils n'aient retrouvé
leur père. Ils lui racontent à leur tour tout ce qui leur est
arrive depuis leur enfance, et ils offrent de lui remettre les
Ïians de robe ou de manteau dans lesquels ils furent trouvés.
Is vont en effet les chercher; le roi les reconnaît, embrasse
ses enfans, et marche avec eux vers la ville. Le roi de Cata-
nasse, instruit de cette aventure, vient au-devant de Guil-
laume, et lui demande secours contre la dame voisine de
ses états. Guillaume promet de faire la paix ; il ajîprend en-
suite aux deux jeunes chevaliers que cette dame contre
laquelle ils ont porté les armes est leur mère. 'Le l'oi de
Catanasse avait fait préparer les tables et servir : après le
repas , chacun se retire et va reposer.
La reine, ne voyant point revenir Guillaume, et appre-
Tome XV. G g
XII SIECLE.
XJI SIECLE.
a34 CHRESTIESr DE TROYES, POETE FRANC.
nant qu'il avait transgressé l'ordre de ne point passer la
rivière, se livre au désespoir. Elle croit son mari prisonnier
ou mort; elle forme des projets de vengeance, et veut faire
assembler l'armée, marcher a l'ennemi, lever toutes les com-
munes. Le ban est proclamé ; tout homme en état de porter
les armes est sommé de les prendre. Le lendemain, les
troupes se mettent en marche; la reine les suit; on passe le
gué ; mais bientôt on aperçoit les deux rois de Catanasse et
d'Angleterre, et les armées restent en présence. Guillaume
était suivi de ses «-nfous ; il s'approche de la reine. Elle lui
demande par quel hasard il est libre , et se trouve en si
grande compagnie. Il raconte ce qui' lui est arrivé, et pré-
sente à sa femme les deux, chevaliers. — Ah! Sire, maudit soit
le jour où ils sont nés! Ce sont eux qui ont tué mes hommes,
et qui sont la cause de tous mes maux.
Cist firent li premier message
Qui cuidièrent le mariage
De moi faire et de lor sisnor....
Enfin ce sont mes plus dangereux ennemis.
— « Ains sont vostre carnel ami.
— « Ami , comment ? — Vostre fil sont .'' »
* Quant la merveille ot entendue
La roïne sans atendue
Les a entre ses deus bras pris ,
Elle les embrasse tendrement; la joie lui ôte la parole.
Et cil li sont au pié kéu
Qui de joie sont esperdu.
Ils ne veulent se relever que lorsqu'ils auront obtenu le par-
don de tous les maux qu ils ont fait souffrir à leur mère. Le
roi de Catanasse lui demande aussi pardon de la guerre qu'il
a entreprise contre elle. La reine pardonne, et tout est ou-
blié; mais ce qui l'est le plus complètement, c'est le vieux
juge Gliolas dont Gratienne ne dit pas un mot, et dont il
n'est plus parlé dans le roman.
Marin et Louvel font mander les bourgeois qui les avaient
élevés. Ils arrivent; Guillaume et sa femme leur font de riches
présens. Au bout de neuf jours, les vaisseaux étant prêts, on
fait et l'on reçoit des adieux; on s'embarque.
Qant li rois à la roce vint,
Le roi de Catanasse tint
CHRESTIEN DE TROYES, POETE FRANC. 235
Par la main et si li a dit :
Sire vées ici le lit.... ,
U la roïne travilla
Qant de ses fix se délivra.
Ici était le lieu où un loup emporta mon premier né; voici
la place oii était le bateau dans lequel je laissai mon second
entant. Le roi de Catanasse est ému de ces souvenirs; les
deux rois s'embrassent, et se jurent une éternelle amitié. La
traversée fut heureuse. Guillaume et sa femme arrivent au
port. Le roi donne avis de son retour à son neveu qui se
nàte de venir déposer la couronne aux pieds de son oncle.
On se met en route vers Londres, où le roi Guillaume est
reçu avec la plus grande joie.
Il rendit heureux tous ceux qui l'avaient accueilli dans ses
malheurs, maria ses fils à des comtesses, rendit heureux ses
peuples, et le poëte nous dit en finissant :
Plus n'en sai , ne plus n'en i a ;
La matère si me conta
Un miens compains Rogers li cointes,
Qui de maint prodome est acointes.
Il faudrait savoir quel est ce comte Roger qui contait de
si belles histoires ; mais c'est ce qu'il ne nous a pas été pos-
sible de découvrir.
XII SIECLE.
IV.
ROMAN DU CHEVALIER AU LION.
Le Chevalier au Lion n'est point un des grands romans
de la Table-Ronde, comme Tristan, Lancelot, Perceval et
Gyron le Courtois; il est aussi moins connu; mais on peut Iç
regarder comme un épisode de cette grande fable poétique.
Le roi Artus et sa cour, les deux amis Yvains et Gauvain en
sont les principaux personnages. On y trouve plus d'un trait
qui a été imité par les anciens poètes romanesques italiens,
ce qui prouve qu'il eut dans son temps de la réputation.
Aux fêtes de la Pentecôte, le bon roi Artus étant à Car-
duel, tint une cour plénière. Après le repas, les chevaliers
furent appelés pour tenir, compagnie aux dames. Les uns
Gga
N" 29 oUm
69 de (Jangé ,
anc. fondj , n"
7535 — 5 , foiio
207 , y", col. 2.
XII SIECLE.
Folio ao8 ,
verso , col. a.
236 CHRESTIEN DE TROYES, POÈTE FRANC.
Karlèrent d'amours , les autres récitèrent des fabliaux et des
istoires du temps passé.
Messire Kex, sénéchal de cette cour, mais qui y joue tou-
jours le rôle d'un bouffon, fait à l'ordinaire de mauvaises
plaisanteries ; il insulte Calongnan qui était prêt à s'en ven-
ger, si la reine ne fût arrivée, et ne l'eût prié de laisser
Kex et de réciter à son tour une histoire. Il obéit , et raconte
3ue voyageant seul, il y avait environ dix ans, et cherchant
es aventures, il traversa la forêt de Broceliande. En sortant
d'un château-fort où il avait été parfaitement reçu, il trouve
dans une bruyère un géant qui gardait un troupeau de bêtes
sauvages et qui lui demande qui il est et ce qu'il cherche.
Jo sui , fait-il , uns chevaliers
Qui quier ce que trover ne puis ;
Assez ai quis et rien ne truis.
Et que vauroies tu trover ?
Aventures por esprover
Ma proece et mon hardimant.
Tu peux aller près d'ici, reprit le géant; si tu y entres, tu
n'en sortiras pas sans peine , et tu y verras des choses surna-
turelles. Prends sur ta droite, en quittant cette bruyère; tu
trouveras d'abord la fontaine qui bout, bien que l'eau en soit
olus froide que marbre. Les arbres qui l'entourent ne sentent
amais les attaques de l'hiver , et conservent toujours leur
'. 3el ombrage. A une longue chaîne de fer est attaché un bas-
sin d'or qui sert à puiser l'eau de la fontaine. Tu verras en-
suite un perron , et à côté une petite chapelle.
S'al bacin vels de l'eve prandre
Et desos le perron espandre ,
Là verras une tel tempeste
Qu'en cest bois ne remanra beste.
Chievreus, ne dains , ne cers, ne pors (sangliers),
Nis li oisel, en istront (sortiront) fors;
Car tu verras si foldroier ,
Venter et arbres peloier
Plovoir, venter, et espartir (éclairer)
Que se tu pues départir
Sans grant anui et sans pesance
Tu seras de greignor (plus grande) valance
Que chevalier qui i fust oncques.
CHRESTIEN DE TROYES, POÈTE FRANC. 237
Calongnan suivit la route que le géant lui avait indiquée. II
arrive à la fontaine bouillante , voit le perron ;
Si ot quatre rubis desous
Plus flamboians et plus vermax
QUe n'est àl matin li solax
Qant il peret en orient.
Il prend le vase d'or, puise à la fontaine, et renverse l'eau.
Aussitôt un orage furieux éclate; et le poëte fait tous ses
efforts pour le décrire. Enfin le calme renaît; les oiseaux
recommencent à chanter. Calongnan les écoutait avec ravis-
sement, lorsqu'il voit venir à lui un chevalier qui le défie.
Il accepte le défi, et à la troisième course, il est renversé. Le
chevalier prend son cheval et s'en va. Calongnan, obligé de
quitter son armure pour marcher plus aisément, retourne
tristement au château où il avait été si bien reçu. On le féli-
cita d'y être revenu sain et sauf, après une épreuve aussi
périlleuse que J' était celle du perron. Alors sire Yvains, fils
du roi Unen, prenant la parole, dit à Calongnan : Mon
cousin , vous avez eu tort de me cacher votre aventure. J'irai
venger votre affront, et braver tous les dangers du perron
et de la fontaine.
Le roi Artus montre aussi le plus grand désir de voir les
merveilles dont Calongnan avait parlé. Yvain, craignant de
ne pas arriver le premier à la fontaine .pour venger l'injure
faite à son cousin, part sur-le-champ et sans congé. Arrive
chez le vavasseur qui avait logé Calongnan, il y passe la
nuit, repart le lendemain matin, rencontre le géant qui lui
donne les mêmes instructions, et voit bientôt paraître le per-
ron merveilleux. Il est témoin de^ mêmes prodiges qui
s'étaient offerts à Calongnan. Le chevalier se présente; le
combat s'engage, et dure long-temps. Yvains blesse enfin
mortellement son ennemi, qui conserve encore assez de
force pour remonter sur son cheval et se sauver dans son
château. Yvains s'y précipite après lui; mais tout-à-coup les
portes se ferment; il se trouve prisonnier dans une cour
intérieure, et sans espoir d'en sortir. Il entre dans les salles
du cliâteau, rencontre une pucelle à qui il avait autrefois
rendu service à la cour du roi Artus. Elle lui prête un
anneau dont la vertu est de rendre invisible; elle lui ouvre
ensuite une chambre, où il se jette sur un lit, et s'endort.
Les gens du château cherchent par- tout le chevalier; ils
XII SIECLE
XII SIECLE.
Folio aïo,
verso , col. 3.
Folio an,
recto, col. 3.
Folio 11 3;
verso, col. i.
3'58 CHRESTIEN DE TROYES, POÈTE FRANC.
entrent dans la chambre, brisent les bancs et les lits, à
l'exception de celui sur lequel il était couche.
Partot ferent de lor basions
Com avugles qui à tastons
Va alqune cose querant.
Cependant on fait les obsèques du maître; sa femme jette
les hauts cris en voyant s'avancer le convoi, suivi de prêtres,
de religieuses,
Et H clerc qui sont despensier
A faire la haute despense.
On apporte le corps du défunt dans la salle où était Yvains ;
aussitôt le sang commence à sortir par les plaies, signe cer-
tain que le meurtrier est près de sa victime. Nouvelles re-
cherches aussi inutiles que les premières. Le convoi se met
en marche; la pucelle vient retrouver Yvains, le conduit dans
une autre chambre d'où il peut voir passer le cortège, et lui
recommande un silence absolu
Li sages tôt son pensé coevre
Et li fois si le met à oevre.
Le sage Yvains est pris d'une singulière folie. En voya
veuve dont il à tué le mari, il devient amoureux d'elle. Sa
protectrice, après avoir inutilement essayé de le détourner
de cet amour, lui promet de le servir. En effet elle s'y prend
avec tant d'adresse qu'elle engage d'abord la veuve a en-
tendre parler d'un nouveau mariage, ensuite à voir Yvains
sans répugnance, quoiqu'elle sache qtie c'est lui qui a tué
son premier mari. Enfin la première semaine de son veuvage
n'était pas finie, qu'elle consent à lui donner la main. Elle
le mène au conseil de ses barons, et le présente comme son
époux. Le sénéchal dit aux barons :
N'a pas encor sept jors ados ,
Mors est se sire , ce li poise ;
Na or de terre qu'une toise
Cil qui tôt cest pais tenoit.
Le mariage est arrêté et célébré avec magnificence. Les fêtes
étaient à peine finies, qu' Yvains apprit que le roi Artus et
sa cour arrivaient pour voir les merveilles du perron et de
la fontaine. Messire Kex était de la partie, et ne manquait
pas de plaisanter les absens,et particulièrement Yvains qui
CHRESTIEN DE TROYES, POÈTE FRANC. 289
n'avait pas donne de ses nouvelles depuis son départ de la ^" SIECLE.
cour. Le roi arrive, verse de l'eau sur le perron : 1 orage, les
feux, le tonnerre, toutes les raeiTcilles éclatent. Yvains se
f)rësente pour la bataille; messire Kex demande et obtient
a permission d'être le tenant; il est bientôt renversé. Son
rival, en lui reprochant ses mauvaises plaisanteries, emmène
SOTi cheval , et va se présenter au roi Artus auquel il se fait
connaître.
S'en fu Kex de honte asotnés Folio 214,
Et mas (triste, abattu, maté) et mors et desconfis ; recto, col. 2.
Qui dist qu'il s'en estoit fuis
Et li antre moult lié en sont
Qui de sa honte joie font.
Artus demande à Yvains par quelle aventure il se trouve
être défenseur du perron. Yvains satisfait la curiosité du roi,
et l'invite à entrer dans son château. Artus y est reçu avec
tous les honneurs dus à son rang, et y reste pendant huit
jours. Gauvain , ami d'Y vains, profite de ce temps pour l'en-
gager à les accompagner à un tournoi où ils doivent se
rendre. Yvains n'a pas la force de refuser; il était de fort
bon conseil,
Mais tex conselle bien altrul Folio a 14,
Qui ne saroit consillier lui. verso, col. 3.
Ausi com li preéceor,
Qui sont desloial lécéor.
Qui dient et monstrent le bien
Dont il ne volent faire rien.
La femme d'Yvains, désolée de son départ, exige de lui la
promesse qu'il sera de retour au jour qu'elle lui prescrit.
Elle lui donne un anneau qui rend invulnérable tant qu'on
aime sa dame. Toute la cour part enfin, et Yvains avec elle.
Gauvain et lui paraissent dans le tournoi , et y font des pro-
diges de valeur. La gloire fait oublier à Yvains le terme de
son retour. Un an s'écoule, et au lieu de revenir auprès de
sa femme, il se rend à la cour d' Artus. Là, il se rapppelle
enfin son mariage et sa promesse. Honteux de sa faute, il
songeait à la réparer, lorsqu'une demoiselle, montée sur un
beau palefroi, arrive, se présente au roi Artus, salue toute
la cour, à l'exception d'Yvains, demande qu'il soit puni
comme chevalier déloyal , lui déclare que sa femme ne veut
plus le revoir, et lui redemande l'anneau qu'elle lui a donné.
XII SIECLE.
Folio 21 5;
rerso, col. 2.
Folio 21 5,
verso , col. 3.
240 CHRESTIEN DE TROYES, POÈTE FRANC.
Profitant de l'ëtonnement dont il est frappé, elle le lui ôte
du doigt, le met au sien, salue l'assemblée et part. Yvains,
désespéré, reconnaît ses torts, quitte la cour pour aller s'en-
foncer dans un désert, et s'arrête dans une forêt. Son esprit
est aliéné , mais il n'a rien perdu de sa force.
Les bestes par le bois agaite
Et les occit , puis si manjue
La vénison trestote crue.
(Nous citons ces vers comme un exemple des licences sin-
gulières qui étaient alors autorisées par la nécessité de la
rime.) Yvains nu, pâle, défait et semblable à un spectre,
rencontre un ermite qui se sauve en le voyant, mais qui
met pour lui du pain et de l'eau sur la fenêtre de sa chau-
mière, et lui en prépare chaque jour autant. Le malheureux,
chevalier était depuis long-temps dans cet état ,
Lorsque le trovèrent dormant
En la forest trois damoiseles
Et une , lor dame , avec eles.
Elles reconnaissent Yvains, malgré sa nudité et le change-
ment qui s'est fait dans tous ses traits. Saisies de pitié , elles
parlent en sa faveur à leur dame. Elle avait une guerre à sou-
tenir contre le comte Ailiers. Avec le secours du chevalier,
elle serait sûre de la victoire. Quel dommage qu'il ait perdu
l'esprit ! La dame se rappelle que la fée Morgain lui a
fait présent d'un remède excellent contre la folie. Elle
charge une de ses demoiselles de l'administrer à Yvains, de
lui en appliquer aux tempes, au front, et de lui apporter
des habits convenables à son rang. La pucelle le trouve en-
core endormi , lui applique bien doucement le remède, dans
la crainte de le réveiller, pose les habits à terre, et se cache
derrière un gros chêne. Le poëte raconte ici fort longuement
le réveil du chevalier, sa surprise de se trouver nu au milieu
d'une forêt d'où il ne sait comment il pourra sortir, sa joie
en voyant des habits placés auprès de lui, et son empresse-
ment à s'en couvrir. La pucelle sort alors de sa cachette,
s'approche de lui, et s'offre à lui servir de guide. Elle le con-
duit au château de la dame. On le fait baigner, raser ; on lui
donne tout ce qu'il désire. En ce moment on annonce l'ar-
rivée du comte Aillier qui vient assiéger le château, et se
prépare à y mettre le feu. Yvains encourage les habitans, se
XII SIECLE
CHRESTIEN DE TROYES, POETE FRANC. 241
met à leur tête, et dès le premier jour, tue une douzaine de
chevaliers. Ce début excite une admiration générale.
Et la dame fu en la tor Folio 216,
De son castel montée hait ^ Terso, col. 2.
Et vit la mellée et l'asalt.
Le lendemain , nouveaux exploits, nouvelle victoire d'Yvains.
Toutes les dames chantent ses louanges et célèbrent sa va-
leur. Le comte Ailier est enfin forcé de se rendre à la dame
du château, et remet son épée à son vainqueur. La dame
passe de l'admiration à un sentiment plus tendre, et pro-
pose à Yvains sa main et son cœur. Mais, fidèle à ses pre-
miers engagemens, il la remercie; et après s'être reposé
quelques jours, il part seul, et s'enfonce dans les forêts.
Il avait marché plusieurs jours sans trouver d'aventure, ■-
lorsqu'il entend des cris qui lui semblent être ceux d'un
animal blessé. II y court ; il voit un lion aux prises avec un
énorme serpent dont la gueule jetait des flammes. Yvains \
s'approche en se couvrant de son bouclier; d'un coup de sa
bonne épée, il tue le serpent
Et en deus moitiés le tronçonne ; Folio 216 ,
, I verso, col. 2.
La reconnaissance du lion est fort bien peinte ; c est un des
meilleurs endroits du poëme. Ce pauvre animal sentit tant
de tendresse pour son libérateur,
Que il li comança à faire Folio 217
Samblant que à lui se rendoit; cccto, col. 3.
Et ses pies joins li estendoit.
Envers terre encline sa chiere ; •
S'.estut sor les deus pies deriere ,
Et puis si se rajenoilloit.
Et tote sa face moilloit
De larmes.
Enfin le lion s'attache si intimement au chevalier, que depuis'
lors ils voyagent toujours ensemble. Ils arrivent au perron
merveilleux et à la fontaine enchantée. Ce lieu rappelle à
Yvains tous ses malheurs. Réduit au désespoir, il tire son
épée et veut se donner la mort. Il se porte un coup à la
gorge, et tombe baigné dans son sang. Le lion jette des cris,
et semble appeler au secours de son maître. Une femme,
effrayée et plaintive, accourt : Yvains, ouvrant les yeux, re-
TomeXF. H h
XII SIECLE.
Folio 218,
recto , col. 3.
Folio 96 ,
recto , col. 2.
24a CHRESTIEN DE TROYES , POÈTE FRANC.
connaît en elle la pucelle qui l'avait servi clans ses amours.
Accusée de trahison, parce qu'elle a voulu le servir et le dé-
fendre, elle a été condamnée à mort. Elle devait être brûlée,
si avant quarante jours elle ne trouvait pas un défenseur, et
ctest le lendemain à midi que le terme fatal expire. Yvains
consent à vivre pour sauver sa bienfaitrice ; il la laisse étan-
cher son sang, bander sa plaie, et lui promet de se trouver
à l'heure indiquée pour combattre ses accusateurs ; il exige
seulement qu'elle ne le fasse point connaître. 11 la quitte
enfin, continue sa route.
Et H lions tos-jors après.
En passant près d'un château- fort, Yvains trouve toute la
famille du seigneur plongée dans un grand chagrin. Un
énorme géant, nommé Harpin de la Montagne, a fait pri-
sonniers les quatre fils du cMtelain, et menace de les mas-
sacrer, s'il ne lui donne sa fille en mariage. Tous les jours,
il vient renouveler sa demande et ses menaces. Yvains ras-
sure ce bon seigneur, lui promet de le délivrer de son en-
nemi, et passe la nuit dans la chambre d'honneur avec son
lion couché à ses pieds. Le lendemain, le géant paraît en
effet conduisant devant lui ses quatre prisonniers , appelant
le père au combat, et jurant de regorger, comme il va égor-
ger ses fils, puisqu'il s'obstine à lui refuser sa fille. Yvains
prend ses armes, sort du château avec son lion, et défie le
géant. Le combat est long-temps douteux ; Yvains était près
de succomber; tout-à-coup son lion s'élance, mord le géant,
le renverse; Yvains le tue. La famille, délivrée, entoure son
libérateur, et veut lui donner des fêtes; mais l'heure ap-
proche où il a promis d'aller courir une autre aventure. Il
s'échappe et se rend à son propre château, où la pucelle
était condamnée à périr pour avoir pris sa défense. Déjà la
foule inondant la place, attendait le moment du supplice;
le feu s'allumait; la victime était amenée. Yvains arrive, crie
de tout suspendre; la foule lui ouvre passage; il s'approche
de la pucelle,
£t dit ma daraeiselle où sont
Cil qui vos blasment et ancusent?
Tôt maintenant s'il n'el' refusent
Lor iert la bataille arramie (proclamée, annoncée»).
Elle lui désigne ses accusateurs; ils sont trois; mais Yvains,
aidé de sou lion, ne les craint pas. Il les attaque; le hou fait
CHRESTIEN DE TROYES, POÈTE FRANC. ^43
des merveilles , maii il reçoit une large blessure. Yvains re- Xli SIE(.LE.
double de courage, et force er^fin ses adversaires à s'avouer
vaincus. La pucelle, justifiée, est délivrée; ses accusateurs la
remplacent au bûcher; car on sait, dit le poëte,
Que ce est raisons de justice* « ^^o ^^
Que cil qui autrui juge à tort fondsdeCangé,
Doit de celui mesmes mort folio 96, verso.
Morir, que il li a jugiée.
La dame du château ne reconnaît point son mari dans le
chevalier; elle l'invite à se reposer, au moins jusqu'à ce que
son lion soit guéri. Mais il s'en excuse, en disant qu'il ne
prendra de repos que lorsque sa dame lui aura pardonné.
— Votre dame a tort, lui repond-elle, si elle refuse un che-
valier tel que vous. Ici s'engage un long entretien qui serait
intéressant, si le style était moins imparfait et plus formé.
Yvains part, toujours inconnu, excepté à la pucelle qu'il a
sauvée. Son lion blessé ne peut le suivre ; il le met sur son
bouclier et l'emporte jusquau château voisin, où des dames
et des demoiselles prennent soin de le guérir. Bien accueilli
et bien traité dans ce château, Yvains y reste jusqu'au mo-
ment où une aventure extraordinaire l'en fait sortir.
Un seigneur des environs, nommé le Sire de la Noire
Epine, n'avait laissé en mourant que deux filles. L'aînée
voulut garder toute la terre; la cadette n'ayant pu fléchir sa
sœur, alla se plaindre à la cour du roi Artus. L aînée l'avait
déjà prévenue, et le brave Gauvain était nommé pour sou-
tenir ses droits. Le même jour, les nouvelles de la mort du
géant et de l'autre victoire du chevalier au lion arrivèrent à
la cour. On le nomma pour défenseur de la sœur cadette.
Elle part sur un palefroi pour le chercher, et le trouve enfin.
Yvains lui promet son secours , et part aussitôt avec elle.
Ensi entr'aus deus chevalchièrent.
Parlant tant que il aprochièrent Folio 08 ,
Le chastel de pesme {mauvaiie , pessima) aventure. verso, col. 3.
Yvains y trouve en effet une aventure très- difficile, mais
dont il vient à bout par sa bravoure et avec l'aide de son
lion. Il reprend ensuite sa route, et se rend avec la jeune
demoiselle de la Noire Epine à la cour du roi Artus. L'aînée
y était déjà rendue. Les deux sœurs plaident devant le roi;
(*) Une lacune s'elant trouvée dans le manuscrit que nous avions suivi jusqu'ici,
nous avons été obligés d'en prendre un autre que nous indiquons à la marge.
Hh2
XltSIECLE.
244 CHRESTIEN DE TROYES , POÈTE FRANC.
l'une soutient ses prétentions, l'autre détend ses droits. Le
combat est ordonné. Les deux amis , Gauvain et Yvains ,
sans se parler et sans se connaître, s'attaquent avec achar-
nement, sans pouvoir remporter d'avantages. Trois fois ils
reprennent les armes, et trois fois la victoire est incertaine.
La nuit sépare les deux combattans; ils se parlent alors, se
reconnaissent et s'embrassent. Artus, enchanté de retrouver
un de ses braves, force les deux sœilrs à s'arranger et à par-
tager également le bien de leur père. La joie brille de toutes
parts; les deux amis se racontent leurs aventures.
Il ne restait plus à Yvains que de se raccommoder avec
sa femme. Il prend la résolution de retourner à la fontaine
pprilleuse. Il part secrètement avec son lion, arrive au per-
ron merveilleux, voit les mêmes enchantemens dont il avait
été témoin quelques années auparavant, mais ne "voit point
de champion se présenter. Au bruit de l'arrivée d'un che-
valier, la dame du château se plaignit à la pucelle qu' Yvains
avait sauvée, et qui était rentrée en grâce auprès d'elle, de
n'avoir plus de tenant qui prît sa défense. Lunette, c'est
ainsi que se nommait la jeune fille, lui conseille de prendre
pour défenseur le chevalier au lion qui remplit tout le pays
d'alentour du bruit de ses exploits. La dame s'y détermine
enfin. Lunette part sur son palefroi pour l'aller chercher, et
est agréablement surprise de le trouver dans ce chevalier
même qui demandait le combat. Elle l'amène au château,
et après avoir expliqué à sa dame cette heureuse rencontre,
elle lui fait reconnaître le chevalier au lion pour cet Yvains
jadis tant aimé. Après quelques difficultés , la dame pro-
nonce enfin le pardon; les époux s'embrassent, et pro-
mettent d'oublier les maux que l'absence leur a fait souffrir.
Del Chevalier au Lyeon fine
Crestiens son romans ensi ,
N'onques plus conter n'en oï •
He jà plus n'en orroiz conter
S'an ni vialt nianconge ajoster.
Les quatre romans dont nous avons donné l'extrait sont
en quelque sorte des branches ou des dépendances de la
Table Ronde. Les héros qui en sont les principaux acteurs
sont presque tous chevaliers de cet ordre, et attachés à la
cour du roi Artus qui en est regardé comme le fondateur;
XII SIECLE.
CHRESTIEN DE TROYES, POETE FRANC. M^
mais ce n'est pas là ce qu'on nomme proprement les romans
de la Table Ronde. Ceux d'entre ces derniers , qu'on attribue
à Chrestien de Troyes, sont aussi au nombre de quatre :
i". Le, Saint -Gréaal;
2. Tristan de Léonnois;
3. Perceval le Gallois ;
4. Lancelot du Lac ou Lancelot de la Charrette.
Il existe à la bibliothèque du roi, fonds de l'abbaye de Saint-
Germain-des-Prés, un manuscrit du roman du saint-Grëaal N" a74o,in-8*.
en vers. Ce manuscrit appartenait au président Fauchet, et
porte plusieurs notes marginales écrites de sa main. Il con-
tient : i" un autre roman intitulé l'Image du Monde, par
Guillaume Osmons , poëte du XIII<= siècle ; 2° l'histoire de
la Véronique, et celle du saint- Gréaal, mise en vers par un
auteur anonyme, mais d'après Robert de Boron et Gautier
de Montbélial.Nous avons cléja dit plus haut, notice générale,
N°VI, que c'était par erreur que Fauchet avait attribué ce
roman du Gréaal à Chrestien de Troyes. Nous persistons dans
cette opinion ; d'ailleurs l'ouvrage est fort mal écrit, et d'un
style qui ne ressemble nullement à celui de Chrestien de
Troyes.
Pour l'intelligence des autres romans de la Table-Ronde
qui sont de notre poète, il' suffit de se rappeler les faits sui-
vans.
On entend par le Saint-Gréaal ou Graal'un vase dont on
f)rétendait que Jésus-Christ s'était servi pour la cène, et dans
equel Joseph d'Arimathie, selon les mêmes traditions, avait
recueilli le sang qui coula des plaies et du côté de Jésus-Christ,
lorsqu'il eut été crucifié. Joseph , à qui Dieu même en avait
fait don ^ s'en servit en différens pays pour opérer les plus
étonnàns miracles. Il en fit sur-tout en Angleterre, et laissa
en mourant le Graal à ses descendans. Après quelques gé-
nérations, le vase • miraculeux se perdit; ce fut pour le
retrouver que le roi fabuleux Utter Pandragon institua
l'ordre de la Table-Ronde , dont les chevaliers avaient pour
premier devoir de chercher par tout le monde et de recon-
quérir le S.-Graal. Artus, fils d'Utter, perfectionna cette
institution chevaleresque, qui parvint, sous son règne, au
plus haut degré de gloire.
Le roman du Graal , traduit du latin en vers français,
contient l'histoire de ce saint vase , entremêlée de fables
épisodiques; mais, comme nous l'avons dit, cette traduction
n'est point de Chrestien de Troyes.
XH SIECLE.
246 CHRESTIEN DE TROYES, POÈTE FRANC.
Tristan de Leonnois , celui des romans de la Table-Ronde
qui tient le plus immédiatement au Graal par le sujet et par
la contexture de la fable, mais qui le surpasse infiniment
par l'invention et l'intérêt, fut certainement vérifié par
notre poëte , mais nous n'en possédons en France aucun ma-
nuscrit ; nous n'avons pas même d'indice qu'il en existe dans
aucune des grandes bioliothèques de l'Europe. S'il s'en dé-
couvrait un, dont l'authenticité fût prouvée, l'honneur de
notre littérature exigerait que l'on obtînt, à quelque prix
que ce fût, la faculté d'en faire tirer une copie.
La Bibliothèque des Romans, i*' volume d'avril 1776,
contient un extrait de ce roman écrit en prose. Cet extrait ,
que l'on doit à la plume élégante et facile du comte de
Tressan, offre, dans un grand détail, toute l'action du
roman ; et comme nous manquons de manuscrits pour y
comparer le même roman écrit en vers par Chrestien de
Troyes , nous renverrons à ce volume d'un ouvrage qui est
dans les mains de tout le monde.
Nous ferons seulement remarquer que l'auteur se trompe
au commencement de son extrait, lorsqu'il adopte l'opinion
commune qui regardait ce roman de Tristan comme le plus
ancien de ceux qui ont été écrits en prose; les autres, dit-il,
ayant été originairement écrits en vers, et réduits en prose
postérieurement à la composition de celui-ci, qui parut,
dit-on, sous le règne de Pnilippe-Augiiste, l'an 1 190. Il est
certain que ce roman ne fut mis en prose, comme tous les
autres, qu'après l'avoir été en vers, d après le latin de Luce
du Gua; que ce roman fut versifié vers l'époque indiquée,
et qu'il le fut par Chrestien de Troyes, comme le prouve
ce vers, déjà cité du début de son roman de Cligès, dans
lequel faisant l'énumération de tous les romans qu'il avait
écrits jusqu'alors, il y comprend celui
Du roi Marc et d'Yselt la blonde ,
C*est-à-dire le roman de Tristan, neveu de Marc et amant
d'Yseult.
ROMAN DE PERCEVAL LE GALLOIS.
Nous avons pour le roman de Pcrceval le Gallois les se-
cours qui nous manquent pour celui de Tristan. La biblio-
I
CHRESTIEN DE TROYES, POÈTE FRANC. 2^7
thèque du roi en possède deux manuscrits, et la biblio- '. L
thèque de l'Arsenal , un troisième. Le fil des événemens y ^°^'^^^ ^^
est entièrement le même que dans l'extrait du roman de ç^^l 'i^'f^i'^
Perceval en prose, inséré dans le quatrième volume de la
bibliothèque des romans, et ce dernier n'étant que du
X\'® siècle, de l'aveu de l'auteur de l'Extrait, le roman de
Chrestien de Troyes en vers est bien évidemment l'original.
Mais cette conformité nous dispense encore de donner ici
l'analyse détaillée du roman ae Chrestien, qui ne serait
qu'une répétition de celle que tout le monde peut lire dans
la bibliothèque des romans. Bornons-nous à en donner une
idée succincte, et à citer quelques passages qui feront voir
que le style de ce roman est bien celui de Chrestien de
Troyes.
Perceval était fils d'un illustre chevalier du pays de Galles;
il n'avait que deux ans , lorsqu'il perdit son père et ses deux
frères, qui furent tués dans des tournois. Sa mère se retira
avec lui dans une forêt qui faisait partie de ses domaines,
résolue de le soustraire aux dangers qui l'avaient déjà privée
de son mari et de deux de ses fils, et de le tenir dans l'igno-
rance absolue de ce que estait chevalerie. C'est à tirer Per-
ceval de cette ignorance, et à le faire parvenir par degrés
à ce que la science chevaleresque avait de plus héroïque et
de plus grand , que le poète s'est appliqué. Il y a fort bien
réussi, et ce roman est peut-être celui de tous les siens où
il a mis le plus d'art et de conduite.
Les deux premiers chevaliers, que le jeune Varlet ren-
contre tout armés dans la forêt, lui causent une grande sur-
prise, qu'il exprime naïvement. Il ne répond aux questions
qu'un de ces chevaliers lui adresse que par d'autres ques-
tions sur le nom et l'usage des différentes parties de leur
armure.
• Sire, que vos dist cil galoisP
Demande l'autre chevalier :
iNe sait mie totes les lois ,
Fait li sire, se Dex marnant.
Que rien nule que li demant
Ne me respont onques à droit ;
Ains demande de quan qu'il voit
Coment à nom el c'on en fait.
Sire, saciez bien entresait (cependant)
XII SIECLE.
248 CHRESTIEN DE TROYES, POÈTE FRANC.
Que galois sont tôt par nature
Plus fol que bestes en pasture.
Perceval, de. retour auprès de sa mère, lui raconte avec
transport cette rencontre, et lui déclare qu'il veut aussi avoir
des armes, et vivre comme ces chevaliers. La mère fait ce
qu'elle peut pour l'en détourner; elle lui raconte les malheurs
de sa famille, mais rien ne peut l'ébranler; et après avoir
reçu de sa mère les plus sages avis , il part seul , et s'enfonce
dans la forêt. Là, ses aventures .commencent, et le cours de
ses instructions continue. Un prud'homme, qui le reçoit
dans son château, lui donne les premiers élémens de cheva-
lerie, lui enseigne à jouter, à manier la lance et l'épée, Per-
ceval veut savoir le nom de ce prud'homme.
Sire (lui dit-il) ma mère m'enseigna
Qu'avole (avec) home n'alaisse jà
Ne compaignie à lui n'eusse
Granment (grandement, long-temps) se son nom ne s'eusse
Et son sornom à la parsome (entièrement) ;
Car par le nom conoist-on l'ome.
Le prud'homme s'étant nommé, le Varlet ne met plus de
bornes à sa confiance. Il lui demande enfin et obtient de lui
ce qu'il desirait le plus, l'ordre de chevalerie. Le prud'homme
ajoute ensuite de nouvelles instructions à celles qu'il lui a
données. Il en restait une à recevoir au jeune chevalier; mais
lorsqu'il eut délivré le château de la jeune pucelle Blanche-
Fleur, qui y était attaquée par un redoutable voisin et par
une nombreuse armée, il ne lui manqua plus rien de ce qui
constituait un véritable chevalier, puisqu'il avait aussi sa
dame.
Il fait bientôt après une rencontre d'une autre espèce : il
arrive dans le château du roi Peschéor, ou Pêcheur, qui
était ainsi nommé parce que son seul plaisir, et presque sa
seule occupation, était la pêche. Parmi différentes curio-
sités, il y voit une lance dont la pointe rend des gouttes de
sang, un grand plat et un tailloir, auxquels le roi paraît atta-
cher la plus grande importance; mais en jeune homme bien
élevé, il ne demande sur ces objets aucune explication , et
sort du château le lendemain matin, sans s'être informé de
ce que ce peut être. Il se trouve que ce roi , qui était malade
des suites de plusieurs blessures, ne pouvait être guéri que
lorsqu'un jeune chevalier lui aurait fait sur cette lance et sur
CHRESTIEN DE TROYES , POÈTE FRt^Ç. 249
ce plat des questions auxquelles il aurait satisfait. II se trouve
encore que ce roi était oncle de Perceval. Perceval en est
instruit dans la suite; il l'est aussi de la faute qu'il a faite
en montrant si peu de curiosité. Après un grand nombre
d'aventures brillantes et extraordinaires, il entreprend de
retrouver le château du .roi Pêcheur. Il en est écarté long-
temps par de nouvelles aventures, parmi lesquelles se trou-
vent mêlées celles de Gauvain, autre jeune chevalier qui,
ayant entendu vanter à la cour de son oncle, le roi Artus, la
valeur et les exploits de Perceval, part pour l'aller chercher,
le rencontre, le combat, et se lie avec lui de la plus étrpite
amitié. Ils se séparent et se réunissent plusieurs fois. En un
mot, Gauvain tient tant de place dans le roman, qu'on y
pourrait mettre pour titre : De Perceval et de Gauvain. Per-
ceval était seul, lorsqu'il rencontre une compagnie de che-
valiers et de dames, dont les habits annonçaient qu'ils
faisaient pénitence, et qui marchaient par mortification les
pieds nus. C'était un joUr de vendredi saint; un des che-
valiers reproche à Perceval de porter armes -et de courir
aventures un tel jour;
«
Li jors que l'on doit aorer
La crois , et son pécié* plorer ; . ,
Car hui fusr cil en crois pendu
Qui trente deniers fut vendu.
Ils viennent tous de chez un saint ermite qui les a confessés
et absous. Perceval, qui depuis cinq ans avait oublié ses de-
voirs de religion pou;- ceux de la chevalerie, profite dé cette
occasion, va troviver l'ermit», reconnaît en lui son oncle
maternel , qui le remet dans la bonne route. C'est cet oncle
ermite qui apprend à Perceval les particularités qui regar-»
dent son autre oncle le roi Pécheur. Perceval ne veut plus
différer de se rendre au château de ce roi; il y arrive enfin;
il le trouve assiégé par le redoutable Pertinal,'le plus im-
placable ennemi du roi Pêcheur. Il comb9.t Pertinal , le tue , et
délivre le roi, qui reçoit le vainqueur dans son château, le
reconnaît pour son neveu, lui apprend toutes les merveilles
de la lance sanglante, du plat miraculeux et du divin tail-
loir. Le roi Pêcheur fut alors guéri de toutes ses blessures ;
mais il était vieux, et Perceval, après l'avoir quitté, s'était
à peine rendu à la cour du roi Artus, qu'il apprit la mort de
son oncle. Il lui succéda dans ses étî^ts; mais après avoir
Tome XF. I i .
XII SIECLE.
25o CHRESTIEN DE TROYES, POÈTE FRANC.
• sagement gouverne' pendant quelques anne'es, il se retira
dans un ermitage, emportant avec lui le saint tailloir d'ar-
gent, la lance et le plat merveilleux, c'est-à-dire le saint
grëal. Cette pièce e'tait la plus essentielle pour lui, car elle
avait une telle efficacité, lorsqu'elle était portée trois fois
• autour d'une table, que la table se trouvait tout-à-coup
abondamment servie.
Perceval vécut ainsi miraculeusement jusqu'à ce qu'il plut
à Dieu le retirer à lui. Le jour même de sa mort, le gréai,
la lance et le tailloir furent enlevés aux cieux, et depuis ce
temps
N'ont par nul en terre esté vus.
Perceval fut d'abord enterré auprès du roi Pêcheur, mais on
lui éleva ensuite un tombeau magnifique, sur lequel fut
gravée une inscription dont le sens était :
€/■ gist Parceval le Gallois
^ Qui du saint granl dépiéca
Les avantures acheva.
Cet ouvrage n'est pas tout entier de Chrestien, soit qu'il
n'a"t pas eu le temps de l'achever, soit qu'on y ait ajouté,
après sa mort, des suites ou .branches auxquelles il n'avait
pas songé. Deux autres poètes sont connus pour y avoir
ajouté des aventures. Gantiers de Denet est évidemment I«
premier. Ce passage en fournit la preuve.
Ms. de l'Ar- Gautiers de Denet qui l'estoire
senal, fol. 148. ^ mis chi aprez en mémoire,
, Et dist et conte que Parcevaus •
*Li bons cheyaliers , li Ibyaus , , •
Erra bien près de quinze dis (jours)
Puisque de l'arbre fu partis
Dont Bagomedet despendi.
■ •
Ceci se rapporte à la dernière aventure racontée par Chres-
tien de Troyes. Nous allons en donner l'extrait.
Le roi Artus tint cour plénière'à la fête d'un saint
dans sa bonne ville de Caradigan. Nombre de rois étaient
assis à iable; les chevaliers et les pucelles étaient servis plus
bas. Le monarque pensait à Perceval dont il ne recevait pas
de nouvelles.
Es-vos, à-tantun chevalier
Qui Bagomédès est nomez ; •
CHRESTIEN DE TROYES, POETE FRANC.
En la riche sale est entrez
Trestoz armez sor son cheval.
25 1
XII SIECLE.
Il arrive auprès du roi , le salue de la part de Perceval , puis
se, tournant vers Genèvre, il lui présente ses hommages.
Artus remercie le chevalier, l'invite à descendre de cheval-,
à se faire désarmer et à venir prendre part au festin. Bago-
médès répond qu'il ne peut remplir les intentions de son
prince qu après avoir combattu avec Keux, le sénéchal. Le roi
renouvelle ses prières, et lui ordonne, en se mettant à table,
de raconter son aventure devant la cour. Le «ilence le plus
profond règne dans l'assemblée, et le chevalier, prenant la
parole, s'exprime ainsi :
J'aloie querant aventure ;
Tant qu'en une forest obscure,
M'encontra kex li seneschax ,
Et %vec lui ot trois vassax ,
Qui de noient ne m'araisnèrent ,
Il me prisent et laidengèrent ,
Si me fisent grant deshonor.
Kex méismes al chief del' tor
Ne me déporta de rien née ,
Ainz me pendi sans demorée
A un arbr«> par les deus piez ;
Des trois autres fuisse espargniez
Mais ne sofTri que il parlaissent
Car volentiers me delivraissent
Par che que iere chevaliers.
Kex qui fel ert et paqtoniers , '
Me pendi pendans les deus piez
Encor ert mes hiaumes laciez ,
Et mes hàubers'ens en mon dos.
S' i m'ait Diex je ne vdUs os
Dire comment il me bâtirent
Ne le giant honte qu'ils me firent ;
Car c'est grant honte à chevalier '
De si faite ovre retraiter
En cort où il a tant de gent.
"ntrues (pendant) que ière (j'étais) en tel forment,
1 vint chevalchant Percevax,
Li bgns , li sages , h loiaus ,
Qui aloit al mont Doleraus,
lia
fol. 1 37, col. a.
I
XII SIECLE.
202 CHRESTIEN DE TROYES, POETE FRANC.
Jà fuisse mors tôt à estrous (à l'instant)
Quant de l'arbre me despendi.
Ce brave resta à mes côtés jusqu'à ce que je fusse entière-
ment remis. Voyant que ses soins me devenaient inutiles,
il continua sa route. Pour moi , je me suis empressé de me
rendre à votre cour pour défier le traître de sénéchal. Et
c'est devant cette auguste assemblée que je l'appelle au com-
bat; daignez, sire, en accepter le gage.
]?'ol.i37,ver5o. La bataille a lieu; le sénéchal est désarçonné. Artus, crai-
gnant pour son frère de lait, prie Bagomédès de cesser le com-
bat et de pardonner. Remonté dans les appartemens , Genèvre
fait embrasser les deux charapiops; ce qui n'empêche pas la
compagnie de s'amuser aux dépens de Keux.
Manessier vint ensuite, et acheva le roman de Perceval.
Il dédia son travail à Jehanne, comtesse de Flandres, fille
d*. Beaudpin IX, lequel était neveu de PhiUppe. Cet hom-
mage paraît avoir été rendu par Manessier de 1208 à 1210.
L'auteur parle d'uii superbe tombeau qu'on avait élevé à
Perceval.
Môme ms. , La sépulture puet véoir
fol. a6i , recto, g^^. ^^^^^^ pjj^^^ j,^^ ^^^j^^
Si com Manesiers le tesmoigne
Que à fin traist ceste besoigne ,
El non Jehane la contesse
Qui est de Flandres dame et maistresse....
Et por ce que tant ai a pris
De ses bones mours à délivre,
Ai en son non fine mon livre.
El non son aiol comencha, ,
Ne puis né fu dès lors en cha ,
Nus hom qui la main i mesist ,
Ne de finer s'entremesist.
Dame, por vos s'en a peiné
Manesiers tant qu'il la fine
Selonc l'estoire proprement.
Et comencha al saldement
De l'espée sanz contredit ; ,
Tant en a et conté et dit
Si com en Salebiere (Salisbury) trove, "
Si com l'escris tesmoigne et prove
Que li rois Artus séoit là.
XII SIECLE.
CHRESTIEN DE TROYES, POÈTE FRANC. 253
Ces citations nous découvrent l'origine de l'erreur com-
mise par le président Bouhier, lorsquil a dit : « Dans mon Notes sur Du
«manuscrit du roman du Graal, 1 auteur s'appelle tantôt Verdier, t. l,
• « Chrestien, tantôt le Manessier, ce qui prouve que le der- ^' ' '
« nier nom était celui de sa fcnrdlle. » Et à la fin : « On voit
« qu'il ne l'acheva que sous Jehanne, comtesse de Flandres,
« petite -fille du comte Philippe, pour qui il l'avait com-
« mencé. »
"Le président Bouhier termine son article en renvoyant
au catalogue des auteurs cites par Borel. Celui-ci , qui a en
efïet commis cette erreur, y en a joint une autre. Jeanne
de Flandres n'était pas, comme il le dit, petite-fille de Phi-
lippe F"", surnomme à^ Alsace, puisqu'il mourut sans en-
fans; mais elle était fille de Beaudoin IX et petite nièce de
Philippe. Elle succéda à son père en. 1206, se retira en 1^44
à l'abbaye de la Marquette, qu'elle avait fonde'e, et fut rem-
f lacée par sa sœur Marguerite dans le gouvernement de la
landre et du Hainaut. •
Chrestien a dédié la plus grande partie de ses ouvrages
au comte Philippe, auquel nous avons dit qu'il était sans
doute attaché; mais il ne paraît avoir fait aucun hommage
de ce genre à la petite nièce de son bienfaiteur. Le seul
roman de Lanc^ot ou de la Charrette est offert à une dame
de Champagne. ^ • ,
Puisque ma dame de Champaigne,
dit le poëte en le commençant ,
Vielt que romans à faire anpraigne ,
Je l'an prendrai moult volentiers ,
Come cil qui est suens antiers ( tout sien ) , etc.
C'était probablement Marie de Champagne, femme de Beau-
doin IX, comte de Flandres, et mère de Jeanne. Beaudoin
ne mourut au' en 1206; mais sa femme était sans doute
morte avant lui, puisqu'elle ne lui succéda pas, et que ses
deux filles, Jeanne et Marguerite, gouvernèrent immédiate-
ment après lui. . .
Ce roman de Lancelot ou de "ia Charrette mérite sous plu-
sieurs rapports une attention particulière. Ce fut le dernier
qu'écrivit Chrestien de Troyes; la mort l'empêcha même de
le finir, et son continuateur, Godefroy deLigny ouLeingny,
a pris foin de nous indiquer à quel endroit de l'action il
XII SIECLE.
a52t CHRESTIEN DE TROYES, POÈTE FRANC.
avait commencé son travail. En&uite ce roman de la Char-
rette, qu'on croit être le même que celui de Lancelot du
lac, est entièrement différent. L'auteur s'est emparé d'un
épisode de ce dernier, et en a fait le sujet de son poëme.
C'est toujours le même héros, mais les aventures de l'un
. n'ont presque aucun rapport à celles de l'autre. Le roman
de Lancelot du Lac est très connu; celui de Lancelot de la
Charrette ne l'est pour ainsi dire que de nom. C'est ce qui
nous engage à en donner ici un extrait, comme nous l'avons
■fait des quatre premiers.
On sait que Lancelot est ce chevalier de la Table-Ronde
qui, ayant été déposé dans son enfance par la reine sa mère
au bord d'un lac, fut enlevé par la fée .Viviane, connue
sous le nom de. la Dame du Lac, nourri, élevé par cette
fée, et fait chevalier par le roi Artus, à i8 ans.
Ses aventures et celles de ses deux cousins Lionel et
Boort, et les effets de la protection constante que lui ac-
cord© la fée , ou la Dame du Lac , qui a pris soin de son
enfance, et les amours de Lancelot et de la reine Genièvre
ou Genèvre, femme du roi ^ Artus, forment, avec un grand
nombre d'épisodes, le tissu du roman intitulé : Lancelot
du Lac.
Dans un de, ces épisodes, on voit notre chevalier détenu
prisonnier par la méchante fée Morgain, dans un château
appelé le Cluiteau de la Charrette. On ne sait ce que
signifie ce titre singulier, mais c'est presque le seul rapport
qu'il y ait entre le roman en vers de Chrestien de Troyes,
" intitulé : Lancelot ou la Charrette, et le roman en prose du
XV* siècle , dont le titre est : Lancelot du Lac.
Les auteurs de l'extrait de ce dernier roman , qui ne con-
Bibl. univ. naissaient sans doute que de nom celui de la Charrette, disent
des Romans , q^g j^ mère de Lancelot du Lac , voyageant dans une char-
i"°yoi! p'ea! rette, y accoucha de lui, et que c'est ce qui a donné lieu
au titre de l'ouvrage. Nous allons voir quils se sont gros-
sièrement trompés.
« ^«^«^/^%^^%«'
CHRESTIEN DE TROYES, POÈTE FRANC. 255
XII SIECLE.
VI.
ROMAN DE LA CHARRETTE OU DE LANCELOT.
COMMENCÉ EW II 90 >AR CHRESTIEN DE TROTES , ET ACHEVÉ PAR f ^*'^g"caneé'
GOPEFROI DE LEINGNI. folio 17 , rectO ,
. • col. a.
Au temps de l'Ascension, le roi Artus tint une cour plë-
nière des plus magnifiques; la reine en partagea les plaisirs;
Si ot avec aus ce me sanble
Mainte bêle dame cortoise , ' ' '
Bien parlant en lengue françoise ;
Et Kex qui ot servi as tables
Manjoit avec les conestables.
Le repas était presque achevé, lorsque arrive un cheva-
lier armé de toutes armes , qui se présente fièrement au roi ,
et lui déclare que parmi beaucoup de prisonniers qu'il a
faits, il se trouve plusieurs personnes de sa cour, et qu'il
ne les rendra qu'à une seule condition. « S'il te reste, ajoute-t-
il, un chevalier courageux, confie-lui la reine, nous la dis-
puterons; s'il est vainqueur, il remmènera les prisonniers;
si c'est moi qui le suis, je retiendrai la reine. » Il dit et
sort.
Keux, présomptueux comme à son ordinaire, se présente
le pijemier, et à Force d'instances, obtient du roi la permis-
sion d'aller, suivi de la reine, combattre cet arrogant. Ge-
nèvre en est consternée, mais Artus a promis; elle est forcée
d'obéir. A peine était-elle partie avec Keux, que le roi sent sa
faute. Il permet à son neveu Gauvain de remplacer le séné-
chal. Gauvain part, Artus lui-même le suit. Ils arrivaient à
la foret , lorsqu'ils en virent sortir le cheval de Keiix, dont
la bride rompue, la selle dérangée et couverte- de taches de
sang, indiquaient la défaite et les blessures du maître. Gau-
vain se sépare d'Aitui^, et se met à la recherche de la reine.
Il aperçoit à peu de distance
Un chevalier tôt seul à pié.
Tôt armé, le heaume lacié,
L'esc'u au col, l'espée ceinte
Si ot (avoit) une charrete atainte :
XII SIECLE.
256 CHRESTIEN DE TROYES, POÈTE FRANC.
Dece servoit charrete lors
Dont li pilori servent ors ,
Et en chascune boene vile
Ou or en a plus de trois mile.
N'en avoit à cel tans que une ;
Et celé estoit à ces comune
Ausi com li pilori sont
A ces (ceux) qui murtre et larron sont,
Et à ces qui sont chanp chéu
Et as larrons qui ont eu
Autrui avoir par larrecin.
Qui a forfet éstoit l'epris ,
S'estoit sor la charrete mis
Et menez par totes les rues ,
S'avoit tote henors perdues '
Ne puiz n'estoit à cort oïz
Ne énorez , ne conjoïz. '
Aussi, nous autres petites gens, continue le poète, nous ne
manquons pas de faire le signe de la croix , quand nous en
rencontrons une, afin de prier le ciel qu'il nous épargne
les malheurs dont elle est le signe.
La charrette était conduite par un nain. Le chevalier, à
pied et sans lance, qui venait de l'atteindre, était le beau
Lancelot, qui de "son côté avait quitté la cour, et s'était mis
à suivre et à chercher Genèvre. II demande au conducteur
des nouvelles de la reine. Le nain refuse de lui en ap-
prendre.
Einz li dist se lu viax monter
Sor la charelte que je rnain ,
Savoir porras jusqu'à demain
Que la reine est devenue.
En disant ces mot5, le conducteur pressait le pas de son
cheval; Lancelot, armé de toutes pièces, était à pied; par
amour pour la reine , et sans songer à la honte qu'il en peut
recueillir, il consent à monter sur la charrette. Gauvain,
qui arrive en ce monient, est fort étonné de voir un cheva-
lier en pareil équipage, et plus étonné encore de recon-
naître dans ce chevalier le brave Lancelot Ils arrivent à un
château,_oii les deux chevaliers se présentent pour loger.
Gauvain est fort bien accueilli ; Lancelot ne 1 est pas de
même. Cependant, à la demande de Gauvain, on leur donne
CHRESTIEN DE TROYES, POÈTE ERANÇ. aS;
la même chambre. A peine sont -ils couches et endormis, . —
qu'il arrive à Lancelot quelque chose de singulier.
A mienuit devers les lates
Vint une lance come foudre , ,
.Le fer desoz, et cuida coudre
Le chevalier parmi les flancs-
Au covertor et as dras blans ,
Et au lit là où il gisoit.
En la lance un panon avoit
Qui estoit toz de feu espris ;
El covertor est li feus pris -
Et es dras, etel lit amasse,
Et li fers de la lance passe
Au chevalier lèz le costé.
Si qu'il li a del cuir osté
Un po , mes n'est mie blecîer.
Et li chevaliers s'est dreCiez
S'estaini le feu et prant la lance
En mi la sale la balance,
Ne por ceson lit ne guerpi
Einz se recoucha et dormi •
Tout autresi séurement
Com il ot fet pVemieremant.
Le lendemain, regardant à la fenêtre, ils voient passer un
chevalier, avec une nombreuse suite, au milieu de laquelle
sont plusieurs femmes, et parmi ces dernières, ils recon-
naissent la reine. Lancelot la suit dés yeux ; lorsqu'il l'a
perdue de vue, il veut se jeter par la fenêtre, et tombe dans
un accès de désespoir que Gauvain est long-temps sans pou-
voir calmer. Enfin les deux chevaliers s'arment, montent à
cheval , et se mettent en campagne pour trouver la reine
qu'ils ne peuvent plus découvrir. Après avoir long-temp»
erre dans une forêt, ils rencontrent une damoiselle;
Si l'ont anbedui saluée
Et chascuns li requiert et prie
S'ele le set qu'ele lor die , .
Où la reine an est menée.
Cette damoiselle leur annonce qu'avant de trouver ce qu'ils
cherchent, ils auront à soutenir bien des fatigues, et bien
des dangers à courir. La reine est maintenant au pouvoir du
Tome Xr. Rk
XII SIECLE.
258 CHRESTIEN DE TROYES, POETE FRANC.
terrible Mélëaganz, fils de Bademaguz, roi de Gorre, et il
l'emmène dans les états de son père. Cette nouvelle double
l'ardeur et le courage des deux chevaliers; ils se séparent
})our aller à la recherche de la princesse, et, d'après l'avis de
a pucelle, prennent chacun un chemin différent. Chacun
de ces deux chemins conduisait à un passage périlleux.
Li uns a non li ponz Evages
Por ce que soz eve est li ponz
Et s'a dès le pont jusqu'au fonz
Autant desoz comme desus, *
Ne de ca moins ne de là plus.
Einz est li ponz tôt droit enmi
, Et si n'a que pié et demi
• De lé et aulretant d'espès
Li autres ponz est plus malvés
Et est plus perilleus assez
Qu'ainz par hom ne fu passez
■Qu'il est com espée tranchanz
Et por ce trestotes»les geni
L'apelent le pont<le l'Espée.
Lancelot prend le chemin de ce dernier pont. Une des pre-
mières aventures qui lui arrivent sur la route a été imitée
dans plusieurs romans, ou poèmes tomanesques. Le cheva-
lier, passant auprès d'une église, descend pour fair^ sa
prière. Il entre dans le cimetière, et y rencontre un vieux
moine qui lui fait voir les tçmbeaux destinés aux preux de
la Table-Ronde; un sur-tout fixe ses regards; le moine lui
apprend que celui qui aura la force de soulever la table de
pierre qui le couvre
Folio 34, Citera ces et celés fors
recto, col. 3. q^j j^^j ^^ jj^ tg^^e an prison.
Lancelot essaie, et renverse la table merveilleuse. Le moine
lui prédit alors que ce tombeau sera le sien. Lancelot con-
tinue sa route. Il arrive, avec deux fils d'un prud'homme qui
lui avait donnéi'hospitalité, à un passage ditlicile appelé le
Passage des Pierres, qui était défendu par un chevalier et
par des sergens armés de haches. Ils reconnaissent dans Lan-
celot le chevalier à la charrette; ils lui reproclient d'y être
monté, lui témoignent beaucoup de mépris, et daignent à
peine prendre leurs armes pour lui disputer le passage. Lan-
celot et ses jeunes amis les attaquent, les écartent, ou les
CHRESTIEN DE TROYES , POÈTE FRANC. 269
renversent sans peine, et traversent le Passage des Pierres.
Ils apprennent qu'ils sont sur les terres du roi Bademaguz,
que l'armëe de Logres (de Londres) se bat en ce moment
avec les sujets de ce roi, et qu'elle est près d'être vaincue;
ils volent a son secours, se jettent dans la mêlée; l'arme'e
reprend courage, se rallie, et remporte une victoire com-
glete. Les chevaliers qui avaient ëtê faits prisonniers, et que
ademaguz faisait déjà emmener, sont délivrés, et viennent
rendre hommage au chevaUer de la Charrette; tous se dis-
fmtent l'iionneur de le loger lui et ses deux compagnons. Le
endemain, il part avec ses amis, arrive le soir dans un 'châ-
teau où on lui fait, sans le connaître, l'accueil le plus ami-
cal. Pendant le souper, un guerrier se présente, qui lui
reproche d'être monté dans la charrette, et lui annonce
qu après un pareil affront il ne pourra passer le pont de
1 Épée. Lanceiot reprend ses armes, monte à cheval, et fond
sur cet insolent chevalier.
Mes les espées moult sovant
Jusq'as cropes des chevax colent,
Del sanc s'aboivrent et saolent.
Lanceiot ne laisse point respirer son ennemi;
Tant le paine , tant le travaille ,
Que à merci venir l'estuet (le force);
Corne l'aloe qui ne puet
Devant l'esmerillon durer
Ne He sa ou aséurer,
Puisqu'il la passe et sormonte.
Le vainqueur -accorde la vie à son rival, mais à condition
qu'à son tour il montera sur une charrette. Ils en étaient là,
quand tout-à-coup arrive une damoiselle qui prie le vain-
queur de ne point faire grâce au vaincu, qu'elle appelle le
plus déloyal de tous les hommes , et dont elle demande la tête.
Lanceiot, pour ne pas manquer au respect dii aux' dames,
et pour ne pas enfreindre les lois de la chevalerie, propose
un nouveau combat. Il est une seconde fois vainqueur, et
tranche alors sans scrupule la tête au chevalier discourtois.
Les trois aventuriers arrivent enfin vers le soir au pont de
l'Épée. Le poète fait une description très-longue, très- ef-
frayante et, autant qu'il peut, très-poétique de ce pont. L'as-
pect seul en est si terrible, que les deux jeunes gens enga-
Kka
XII SIECLB.
XII SIECLE.
260 CHRESTIEN DE TROYES, POETE FRANC.
gent le chevalier à revenir sur ses pas, et à ne pas tenter
une pareille aventure. Lancelot rejette bien loin ce conseil.
Bien sai (leur répond-il ) que vos an nule guise
Ne voldriez ma meschéance
Mes j'ai tel foi et tel créance
An Deu qu'il me garra par tôt.
Cest pont, ne cest eve, ne dot'
Ne plus que ceste terre dure.
Einz me voel mètre en aventure •
De passer outre et atorner.
Mialz voel morir que retorner.
Aucun obstacle ne l'arrête; il attaque et traverse le pont,
sans recevoir autre w^ejcAe/" que quelques légères blessures.
Ce pont conduisait au château où le roi Bademaguz était
enfermé avec son iils Méléaganz, la reine Genèvre,sa pri-
sonnière, et plusieurs dames et chevaliers de la cour d'Artus,
qui étaient aussi prisonniers de Méléaganz.
Bademaguz , témoin de cet exploit du chevalier de la Char-
rette, veut engager son fils à rendre la reine et tous les
autres prisonniers. Mais Méléaganz, défié par Lancelot, veut
combattre. Ce combat est long -temps douteux. Méléaganz
est près de succomber; son père intercède auprès de la reiae
pour qu'elle obtienne de Lancelot la vie de son fils. Mais
ce fils même s'entête, et refuse de cesser le combat. Cepen-
dant, vaincu par les sollicitations de son père, il consent à
rendre la reine et tous les prisonniers, y compris Keux le
sénéchal, mais à condftion que Lancelot promettra de re-
prendre dans un an le combat. Cette promesse faite, les
portes sont ouvertes, et les prisoiniiers délivrés. Ils entou-
rent leur libérateur, le bénissent, et ne savent comment lui
témoigner leur reconnaissance. La reine seule le reçoit fort
mal. Surpris de ce refroidissement, il en demande la cause;
personne ne peut l'en mstruire, et la reine refuse de lui
parler. Réduit au désespoir, il sort du château à cheval, mais
sans ses armes, et s'enfonce dans la .forêt. Il est surpris et
arrêté par des sujets de Bademaguz, qui le lient sur son
cheval et l'emmènent. Le bruit de sa mort se répand, et
parvient jusqu'à la reine, qui se désespère à son tour. Cette
même situation se retrouve dans, le roman de Lancelot en
prose, mais elle y est amenée autrement. La reine Genèvre
ttombe malade de chagrin; jou la croit morte. Lancelot reçoit
GHRESTIEN DE TROYES, POÈTE FRANC. 261
de son côte cette fausse nouvelle; il veut se tuer. Ceux qui .
l'ont arrête l'en empêchent; et croyant faire une chose
agréable à leur roi, ils le ramènent au château de Bade-
maguz. Il y retrouve Genèvre, qui court se jeter dans se«
bras. Le roi veut punir ceux qui ont arrêté Lancelot, mais
le héros intercède en leur faveur, et obtient leur grâce. Il
prie la reine de lui dire enfin pourquoi elle l'avait si mal
reçu. C'est, lui répond -elle, parce que vous avez été sur la
charrette. Lancelot, qui a des explications à lui donner, lui
demande un entretien secret, et reçoit un rendez-vous pour
la nuit suivante.
Lanceloz ist fors de la chanbre
Si liez que il ne li remanbre . .
De nulle tretoz ses enuiz ,
Mes trop li demore la nuiz
£t li jors li a plus duré,
A ce qu'il a jà enduré.
Que cent autre ou c'un anz entiers.
La nuit vient. Il se rend à la croisée de la chambre de
Genèvre, obtient la permission de faire sauter la grille; mais
en l'abattant, il se coupe deux doigts. Le plaisir qu'il éprouve
l'empêche de s'en apercevoir. 11 escalade la croisée, passe la
nuit auprès de la reine, et la quitte avant le jour. Il remet
la grille à sa place, rentre chez lui, et s'aperçoit enfin de sa
blessure, dont il bénit la cause.
Tout cela se trouve encore dans le Lancelot en prose,
comme dans celui-ci. Le sang de la blessure que Lancelot
s'était faite à la main avait taché le lit de la reine. Le jaloux
Méléaganz s'en aperçoit, et ne sachant rien du rendez-vous
obtenu par le chevalier, il souj)çonne Genèvre d'en avoir
accordé un au sénéchal Reux, qui n'était pas encore guéri de
ses blessures. Il accuse la reine auprès du roi Bademaguz,
son père. Genèvre, interrogée par le roi, nie en sûreté de
conscience d'avoir vu ou reçu li sénéchal, et déclare au sur-
plus qu'elle a un chevalier qui prouvera, les armes à la main,
son innocence. Comme elle achevait ces mots, Lancelot et
ses compagnons entrent. Genèvre raconte l'insulte qui lui
.est fiiite; le chevalier de la Charrette propose de la venger
Le combat est accepté, les gages donnés, les sermens faits.
Méléaganz est encore une fois vaincu, et ne doit la vie qu'à .
l'intercession de son père, et à la générosité de, son vain-
queur.
XII SIECLE.
XII SIECLE.
26a CHRESTIEN DE TROYES, POETE FRANC.
Pendant tout ce temps, Gauvain avait marche vers le pont
périlleux. Lancelot n'en avait point de nouvelles. Inquiet du
sort de son ami, il prend lui-même le chemin de ce pont. Il
était près d'y arriver avec sa suite , lorqu'un nain vient le
prier de (quitter sa compagnie et de le suivre. Lancelot , qui
ne refuse jamais une aventure lorsqu'elle se présente, suit le
nain. Ses compagnons, après l'avoir attendu quelque temps,
continuent leur marche vers le pont périlleux. Ils y arrivent
a propos. Gauvain, après avoir trouvé en chemin plusieurs
aventures dont il était heureusement sorti, était près de suc-
comber dans la grande aventure du pont même, et un instant
plus tard, le neveu d'Artus était noyé. Retiré de l'eau, son
premier soin est de demander des nouvelles de son ami et
de la reine. Il se fait conduire à la cour de Bademaguz , espé-
rant que Genèvre sera instruite de ce que Lancelot est de-
venu. Il reçoit de la reine un excellent accueil, mais elle ne
sait rien de son chevalier, et se désole de sa perte. Bade-
maguz partage son inquiétude, et envoie des messagers dans
tout son royaume pour en avoir des 'nouvelles. Peu de jours
après, le roi reçoit une lettre; Lancelot l'y remerciait de tous
ses soins pour lui, pour la reine, Keux et les autres prison-
niers. Il ajoutait quêtant arrivé dans les états d'Artus, illes
{)riait d'y revenir tous, sous la conduite de Gauvain. Dès le
endemain , ils prirent congé du roi. Bademaguz les conduisit
jusqu'aux frontières de ses états. Artus, informé du retour
de sa femme et de son neveu, envoie à leur rencontre. On
félicite Gauvain d'avoir ramené Genèvre. Il déclare que l'hon-
neur de cette conquête est c\ù. à Lancelot, qu'il est impatient
de serrer dans ses bras. Il est bien étonne d'apprendre que
son ami n'a point reparu à la cour; il soupçonne qu'ils ont
été trahis tous deux. En effet, c'était le traître Méléaganz qui
avait écrit, au nom de Lancelot, cette lettre au roi Bade-
maguz, et qui avait aussi envoyé le nain à Lancelot, pour
l'attirer dans un piège. Le chevalier, sans défiance, y était
tombé, et il était détenu dans une prison.
Cependant le roi Artus, pour célébrer le retour de sa
femme , fait publier un grand tournoi. Lancelot en est
instruit dans sa prison. Celui qui en avait la garde était
absent; il obtient de la femme de ce gardien la permission,
d'aller assister au tournoi , en lui donnant sa parole de reve-
nir aussitôt qu'il sera fini. Cette bonne femme lui prête des
armes et un cheval. Il se présente inconnu au tournoi, et y
CHRESTIEN DE TROYES, POÈTE FRANC. 263
fait des prodiges de valeur. Mais , pour être plus sûr de n'être
point reconnu, à la fin de la première journée, il fait sem-
blant d'avoir peur, et devient volontiers la risée des cheva-
raliers. Il avait cependant trouvé le moyen de se faire
connaître de la reine, et d'en obtenir un rendez -vous. Le
lendemain matin, en la quittant, il reçut d'elle l'ordre de
déployer toute sa valeur. Dans cette seconde journée, il se
venge de ceux qui se sont moqués de lui, et les renverse
tous les uns après les autres. Au sortir du tournoi, dont il
avait remporté le prix , Lancelot , fidèle à sa promesse, va
se remettre en prison. La femme du gardien avait raconté à
son mari, et celui-ci à Méléaganz, comment il était aWé/iaire
armes. On le change de prison; on l'enferme dans une forte-
resse dont les portes sont murées; une petite fenêtre grillée
sert à lui faire passer sa nourriture.
C'est à cet endroit du roman que cesse le travail de Chres-
tien de Troyes, et que commence celui de son continuateur.
Dans cette dernière partie, Méléaganz ose se présenter à la
cour d'Artus, appeler Lancelot dont il dit n'avoir point de
nouvelles, et, l'année étant révolue, l'accuser de manquer au
combat qu'il avait accepté. Gauvain répond pour son ami.
Méléaganz, de retour à la cour de son père, tient les propos
les plus insultans sur son prisonnier. Il avait une sœur qui
était bien loin de penser comme lui. Lancelot lui avait rendu
un grand service : c'était elle qu'il avait délivrée d'un cheva-
lier déloyal, à qui il avait tranché la tête. Les forfanteries
de son frère lui donnent des soupçons; elle finit par décou-
vrir le lieu où Lancelot est détenu ; elle monte sur son bon
palefroi, et après vingt jours de marche, arrive à la forte-
resse. Elle trouve le moyen de parler au chevalier, et de lui
foùriîir des instrumens avec lesquels il élargit sa fenêtre, et
sort enfin de sa prison. Le long séjour qu'il y avait fait l'avait
extrêmement affaibli. Sa libératrice le fait moîiter sur son
palefroi , qu'elle mène doucement par des chemins détournés;
elle le dépose enfin chez des gens qui lui étaient dévoués, et
qui s'empressent de le dédommager de toutes ses fouffrances.
Bien rétabli ])ar les soins de ces bonnes gens, et monté -sur
un cheval qu'ils lui ont donné par ordre de sa libératrice, il
retourne à la cour d'Artus, jurant de se venger du traître
qui lui avait joué un si honible tour. Méléaganz avait osé
reparaître lui-même à cette cour, et sommer Gauvain de
tenir l'engagement qu'il avait pris. Gauvain avait accepté le
XII SIECLE.
û64 THOMAS, MOINE DE FROIMONT.
XII SIECLE, combat; il était prêt à monter sur son destrier, lorsque Lan-
celot arrive. Les deux amis s'embrassent; Lancelot raconte
devant toute la cour comment il a été trahi et renfermé par
Méléaganz, et la vie qu'il a. menée dans sa prison, et enfin
sa délivrance. Méléaganz, pétrifié à l'apparition de son pri-
sonnier, tâche de faire bonne contenance, mais il prévoit le
sort qui lui est réservé. Il se reproche d'avoir manqué de
précautions , mais il est trop tard.
Li vilains dist bien chose estable (constante, vraie)
• Qui trop à tard ferme l'estable
Qant li chevax an est menez ;
Bien sai c'or serai démenez
A grant honte et a grant laidure.
Le combat est terrible ^ mais il n'est pas long. Méléaganz
reçoit le prix de ses crimes; Lancelot le renverse, délace
son heaume et lui coupe la tête. Le vainqueur est ramené au
palais d'Artus, où des fêtes lui sont préparées. • ,
Ci faut li Romanz an travers
Godefroiz de Leigni li clers •
A parfinée la Charette,
Mes nus hom blasme ne l'an mete
Se sor Crestien a ovré,
Car ça il fait par le boen gré
Crestien qui le comança ;
Tant en a fet dès lors an ca
Ou Lanceloz fu anmurez ;
Tant com li contes est durez,
Tant en a fet : ni vialt plus mètre
Ne moins , por le conte raalmetre.
G.
THOMAS,
MOINE DE FROIMONT.
De vjscii , ^ E Thomas était angîais de nation ; mais il passa la plus
Bibl. Cist. p. grande partie de sa vie en France, et y composa ses ouvrages.
*47- Par un ancien manuscrit que cite Manrique, et qui était
THOMAS, MOINE DE FROIMONT. 265
conservé dans la bibliothèque de Clairvaux , on apprend que 1
Thomas e'tait né à Beverley , haud procul ab Himbro jlumine oudin, t. Il,
magno , et que son père s'appelait Hulnon et sa mère Sibille. p. 1688.
Thomas avait pour sœur Marguerite, qui fut célèbre dans
son temps par son courage et des aventures extr»ordinaires,
comme nous aurons occasion de le remarquer. Elle-même
Frit dans la suite, sur l'invitation de son frère, l'habit de
ordre de Cîteaux.
Marguerite était née à Jérusalem, où ses parens étaient Manriq. ,ad
allés, par dévotion, visiter les lieux saints. Elle avait onze ann. 1174,0. 3,
ans lorsque Thomas naquit en Angleterre, où ses parens /6,rf. adann.
étaient revenus, et où il paraît qu'ils ne vécurent pas longr- 1187, c. 8, n.
temps après la naissance de Thomas. En effet sa sœur se * yV-j^' j
trouva seule chargée de son éducation , comme il nous le dit 1,92, é. 3, n. i
lui-même dans une élégie où Marguerite lui adresse la parole et seq.
en ces termes:
A. me nutritus , tindenis me minor annis : Manriq. loc.
Quem tenerum soleo ferre , referre scholis. pnmmn cit.
Il paraît que le fameux Thomas de Cantgrbéry s'attacha
Thomas de Beverley (nous ne savons à quel titre), dès que ce
dernier fut dans l'adolescence. Sa sœur Marguerite retourna ibid-
alors à Jérusalem , qu'elle trouva assiégée par les troupes de
Saladin. Elle parvint à pénétrer dans la ville, en traversant le
camp des ennemis, prit un habit d'homme et des armes, se
mêla aux défenseurs de la sainte cité, et y fut blessée'
Ad natale solum , grandis jam facta , reversa lUd,
Tune y cum Jérusalem , capta dolore gemo.
Hic obsessa manens spatio ter quinque dieruni
Impleo pro passe sceva virago virum. '
Assimilata viro , galeam gero, mœnia gjro ,
In cervice lebes , cassidis instar habet.
Fœminajingo virum, tophus prœtendo sapphjrum:
Pleru^ metu disco dissimulare metum.
Et peu après elle ajoute :
AEstus erat , nec erat requies pugnantibus ; erg« ^i(,,Y/
In muro fessis pocula trado viris.
Cum venit ecce mihi petra simillima molœ ^
Cuj us fragmenta cœsa cruorejlua,
Sed eito sanatur, eut fnox medicina paratur ,
Vulnus : at si^um vulneris usque manet. ■ '
Tome Xr. L I
Xn SIECLE.
a66 THOMAS, MOINE DE FROIMONT.
Tandis que Marguerite combattait ainsi dans l'Orient , sou
frère était venu en France avec Thomas de Cantorbéry, qui
fuyait les persécutions qu'il s'était attirées en Angleterre. Ce
fut sans doute à l'époque où Thomas de Cantorbéry prit
l'habit de Cîteaux à Pontigny, que notre Thomas se décida à
se retirer aussi dans l'abbaye de Froimont , au diocèse de
Beauvais.
Cependant Marguerite, après des événements qu'il serait
ici superflu de raconter, avait été prise par les ennemis,
employée, dans son esclavage, aux plus rudes travaux; puis,
racnetée avec une foule d'autres captifs, elle avait visité Rome
et l'Italie, l'Espagne, et un grand nombre d'autres pays. Enfin
elle songe à s'enquérir de soft frère.
Manriq. , ad _
arin. I loijcap. Unica spes superest germanum qucerere jratrem ,
III, n. 3. Qui sicut f rater sic et alumnus erat.
Nunc investigans F rancorum finibus ^ ecce
Audio jam monachum : Francia te repeto.
Belluacum venions, ubinain sit, sciscitor : inae
Monstratur Fres-mons , quo manetille, locus,
Thomas, en voyant sa sœur, ne- veut point la reconnaître :
mais elle lui rappelle leur «nfance, il ne peut plus avoir
aucun doute :
Ibid. ' Hœc inter, signîs crédit, lacrymamur uterque ,
Casus pando meos , meque loquente, gémit.
Posthac hortatur mundi contemnere vham :
Quœ reddat monacham , me docet illc viam.
D'après les conseils de son frère, et grâce à la libéralité de
Ibid. n. 4. Louis , comte de Blois et de Clermont, Marguerite entra dans
un monastère de filles, du diocèse de Laon, appelé Montreuil
ou la Sainte-Face, oii elle passa dans 1« repos le reste de ses
jours.
Quant à son frère Thomas, il ne quitta point non plus le
Lcbeuf, Dis- mouastèrc de Froimont , et s'y adonna avec succès à la cul-
*««. »im l'hist. {yj.j. (Je la poésie. Il passe, suivant Lebeuf, pour avoir été
^e^ an», t. , ^^ j^^ meilleurs poètes de son temps. L'élégie dans laquelle
il fait raconter à sa sœur les singuliers événemens de sa vie,
et dont nous avons copié ici plusieurs fragmens , donne en
effet une idée favorable de ses talens. C'est le seul ouvrage
de ce genre qui nous reste de lui. - •
GUILLAUME DE LONGCHAMP. 267
Maia il avait de plus composç en prose un Traité du mépris ^ L
du monde, qu'il avait adresse à sa sœur Marguerite; et une De viseh,
F'ie de saint Thomas de Cantorhéry ^ que Dusa'ussay dit ^J^'' *^'*''' ^'
avoir vue.
Il mourut à Froimont, l'an 1 192', suivant Henriquez, qui Henriquei ,
n'appuie cette date d'aucune preuve. Aussi , $ans assigner à Phœn. reviv. p.
sa mort une date précise, nous le .plaçons parmi les écrivains "^ ^" 9-
de la fin du XIP siècle, quoiqu'il appartienne peut-être
au xiir ■ A. d:
GUILLAUME DE LONGCHAMP,
ÉVÊQUE D'ÉLY.
Il était petit-fils d'un paysan de Beauvaisis, suivant Simon Pan. n, p. 59.
dans son supplément a 1 histoire de cette province, et sui-
vant la chronique de Jean Bromton ; Rapin Thoyras le fait Hist. angl.
naître d'un fermier de Normandie. Une affection particulière "^'"" ' '" ^ ' P"
de Richard , Cœur-de-Lion , le porta , dès l'avènement de ce 't. li, p. aSS.
prince au trône , en 11 89, à l'évêché d'Ely. Un grand nombre G.deNewbr.,
de prélats assistèrent à son intronisation , qui fut faite avec l'c"^^' '^•"'P-
tant d'éclat et de solennité qu'un poète disait : xngi. sacra ,
Prœvisis aliis , elyensia festa videre , *•!)?• o^*-
Est quasi prœvisâ nocte vider e diem.
Il paraît même que, pendant qu'on célébrait cette fête , des lUd., p. 633.
voleurs ouvrirent le tombeau du prédécesseur de Guillaume,
pour enlever l'anneau pastoral avec lequel on l'avait enterré ;
les évêques rassemblés prononcèrent soudain un anathême
contre les coupables et leurs complices.
Guillaume de Longchamp était déjà chancelier d'Angle- Bromt. , p.
terre, quand il fut nommé evêque d'Ely. Adam de Perseigne '.'?'.— ^?°?'
eveque d Jily. Adam de Perseigne ' " .' ^:"
1 • j " J 11 ^'^ ■• 1 • *^vi A ". deUic. , p. 648.
lui donne ce double titre et voudrait quil renonçât ^u moins —Angl. sacra,
au second, dans une lettre assez mémorable qu'il lui écrit 1. 11, p. 389.
et que Martène a imprimée , d'après un manuscrit de Clair-
vaux , dans le premier volume de ses anecdotes ; elle corn- p. 693 et snir.
mence ainsi : Quod suhlimitati vestrce tam frequentihus lit-
teris vel nuntiis importuni sumus, partim facit familiaritas
vestra quâ immeriti fruimur, partim nécessitas nostra qud
û68 GUILLAUME DE- LONGCHAMP.
J ' " gravamur. L'objet de Ja lettre est de l'engager à quitter le
service du roi; mais il l'y exhorte d'une manière indirecte-
et détouriie'e; il lui parle cles Pharaons, de Moïse s'éloigna«t
de la cour d'Egypte, de la mer rouge, du désert, de la terrfc
promise, des malheurs de la vanité, des dangers de l'ambi-
tion, des progrès du vice, de l'impunité du crime, de la dé-
cadence et de la chute de toutes les vertus.
La dignité de chancelier ne fut pas la seule des dignités
civiles* à laquelle Richard éleva Guillaume de Longchamp.
La même année encore, en 1 189, ce roi, sur le point de
partir pour la Terre-Sainte, lui confia, pendant sou absence,
T. I, p. 655. la suprême autorité (on peut voir le mandement de Richard
TroTt"'"'' ^ ^^ sujet dans la collection des historiens d'Angleterre).
^ "'^'' L'évêque de Durham, Hugues, devait partager cette régence
avec lui; mais Guillaume, plus entreprenant, plus adroit,
plus puissant par les autres places qu'il occupait déjà, par-
R.Tboyr.,t. Vint après quelques luttes à être seul le véritable maître de
II, p. 255,261 l'empire. Mathieu Paris, dans son histoire d'Angleterre, de-
puis Guiliaume-le-Conquérant jusqu'à Henri III, l'appelle
Hist. angl. prince et pontife des Anglais : Guillaume unissait effective-
scr., t. I, p. ment à tout le pouvoir que lui donnait la délégation du roi,
An-'f.sac.'V.T celui qu'il avait reçu du pape Clément III, lequel l'avait
p. 633. —Du- nommé, en 11 90, son légat pour l'Angleterre et l'Irlande.
^""ss ' ' "' ^^ iiusa pas avec douceur de tant de puissance. Guillaume
^ Liv.iv,c. 12 ^6 Nevi'bridge le qualifie d'homme yèrocw animi, audaciœ
et 14. Voir aussi astutxœque pêne singidaris. Jean Bromton, Henri de Knygh-
le c. 33, et le X(yx\.^ Gervais de Cantorbéry ; et tous les autres écrivains par-
" P.'i^g3. ï^"* également de son arrogance, de ses exactions et de sa
P. 2402. tyrannie. Il s'emparait des biens des églises, même des par-
Angl. sacr., ticulicis , pour Ics donner à ses parens ou à ses favoris, dit
siiiv.' ^ ^ *^' Bromton en particulier , qui venait de lui reprocher de voya-
ger avec un appareil si magnifique, avec tant d'hommes, de
chevaux , que la maison où il avait passé une seule nuit pou-
vait à peine réparer, en trois ans, le dommage qu'elle eu
avait souffert. Bromton entre dans quelques autres détails
sur les oxactions de ce prélat, et finit par dire que "Guil-
laume de Longchamp traitait les Anglais comme son aïeul,
dont apparemment il honorait la mémoire, avait traité les
DuLoulay, bœufs des campagnes de Beauvais. Un autre écrivain pré-
lli.si. univ. , t. sente une idée semblable, en l'appliquant néanmoins à un
II, p. 488. fait particulier; /ittîc omnes filii nobilium , dit-il, sciviebant
'vultu demisso, nec in cœlnm aspicerc -aufichant , nisi forte
CUILLAUME DE LONGCHAMP. ' 269
vocatl ah eo, et si aliter attentassent, aculeo pungehantur ^" SIECLE>
queni dominas prœ manibus hahehat , memor piœ recorda-
tionis avi sui qui, servilis conditiords, in page hellovacensi
^t aratrum ducere et boves castigare consueverat. Ces der-
niers mots sont les mêmes dont Jean Bremton fait usage. A
la mort de Clément III, suivant le même auteur, Guillaume Hist. angi.
<le LongC-hamp avait acheté, à prix d'argent, auprès du swc- *^"^^^' *• "> P-
cesseur de ce pape, Célestin III aussi, la continuation des
fonctions de légat en Angleterre et en Irlande. Richard in- /è«v/. p. 1194
struit enfin de tant d'oppressions et de concussions, lui ôta 1' '^^^ — ^°''"
' I' ' •' • 1 t Ul ■'^"gl- sacr. , t.
un pouvoir exerce dune manière si redoutable pour ses su- h^j,. ^^g^
jets. Déposé, il se réfugia dans la Tour de Londres, y sou- RapuideDic.
tint un siège, et n'en sortit que par l'efi'et d'ime capitulation. l'-^Ca-Bromt.
Bientôt obligé de fuir, il se déguisa en femme, et reconnu
sous ces habits par des mariniers de Douvres, il fut recon-
duit à Londres. O douleur ! s'écrie à ce sujet un annaliste. Bromt. ibid.
Vir factus est fœmina , cancellarius cancellaria , sacerdos
meretrix , epicopus scutra. L'auteur raconte ensuite avec plus P- «a»? —
de détails que de pudicité toute l'histoire du déguisement ^'^' j""'*' .^"8'-
■et la manière dont on le découvrit. A Londres, Guillaume 401. ' ',**
obtint la permission de se retirer dans le lieu qu'il voudrait Raoul, de Die.
choisir. Il vint en Flandre, suivant les uns, et suivant d'au- P-^^^.-Bromt.
très , en Normardie. De là , il écrivit au pape et à plusieurs
évêques , pour tâcher de faire excommunier ceux qui prési- Hist. angi.
daient, en Angleterre, à l'administration de l'état. Il chercha '<=■;•'?• «228 et
en même temps à mettre dans ses intérêts la reine Eléonore,
mère de Richard , et le prince Jean , son frère ; et d'un autre
côté Philippe- Auguste. De to'us ceux qu'il imploi^, le pape
■lui fut le plus favox'able ; il ordonna même à tous les évêques
d'Angleterre, par une lettre du a décembre 1191, dans Act.desconc,
le cas où les faits qu'on lui avait dénoncés seraient cer- part.ii,p. igu.
tains, de proclamer dans leurs églises, au son des cloches ~ *''*'' ^g^"'
et les cierges allumés , les auteurs , fauteurs et complices , de • > P- ' * ■
l'expulsion et de l'emprisonnement de l'évêque d'Ely, et
d'interdire l'office dans les terres des coupables , menaçant
tous les prélats d'up anathême semblable s'ils négligeaient
d'obéir à l'ordre qu'il leur envoyait. Malgré cette menace et Bromt. , p.
les efforts redoublés de Guillaume de Longchainp, la lettre '^^o > '^^^ >
du pape ne produisit en Angleterre aucun effet réel et dé- ■*^^*"*'''^-
cisit. Guillaume mourut pieu de temps après, le 3i jartvier
1197, à Poitiers, et fut enterre dans l'abbaye du Pin, de
fordrede Cîteaux, à quelques lieues de cette ville, gomme on
ayo GUILLAUME DE LONGGHAMP.
XII SIECLE, peut le voir dans les annales de cet ordre même, sur l'an
c. 10, n. 5. ii4ii ainsi que dans le premiec tome de X^nglia sacra
p
€l 632
302,478 Etienne de Tournai, dans une de ses lettres, la i6q«, l'ap-
i. — Voir 11 ■ -xT T i-f ^- 1 7 '^ . a/^
aussi le "il, p. pelle vir MagJius. La qualification de grand ne peut être
389-/|o8;rtia donnée qu'au pouvoir qu'il exerça. C'est par erreur, je crois,
ciiron. deGeiv. q^g jg i^evG DumoHuet suppose qu'Etienne de Tournai dé-
'^* '"'^'' signe ici , non Guillaume de Longchamp, mais Eustache son
successeur dans l'évêclié d'Ely , puisque le prélat. dont il est
question y est expressément qualifié cA««cmer6?'y/«g"/efe/7'e.
v.ceiieleiire j^^ lettre d'aillcurs a été certainement écrite lorsqu'Etienne
du*P de MoH- ^^ Tournai était encore abbé de Sainte-Geneviève, avant 1 192
net, p. 261 et par Conséquent : or Eustache, le successeur de Guillaume de
»"»^- Longchamp, ne devint évêque d'Ely qu'en r 197. ,
Pierre de Blois n'avait pas partage l'opinion défavorable
que la conduite de Guillaume de Longchamp avait excitée.
Le». 87, p. Dans une lettre qui a pour objet de consoler ce prélat, il
u\"^làlûon^ s'élève avec une grande force contre ceux qui ont donné au
roi le conseil de l'éloigner de l'administration du royaume.
Pierre de Blois n'attribue cette disgrâce qu'aux efforts heu-
reux de l'envie, et il ne craint pas de rappeler à ce sujet
Gain armé contre Abel , Saiil contre David , Joab contre
Abner, et ce qui est presque une impiété , l'envie conduisant
Jésus-Christ à la mort. Tout ce que les moralistes hébreux
ont dit sur ce vice et sur ses Funestes effets, l'auteur le re-
cueille ici et l'applique au malheur de Guillaume de Long-
champ. Il ne recueirie pas moins de passages sur la vérité,
l'amour de la vérité, la liaine de la vérité, la médisance, le
ftiensongô, la douleur, la' pafieijcc, la grandeur d'ame, la
justice et l'injustice. Pierre de Blois s'était adressé plusieurs
Leit. ioB,p. fois à lui, dans les temps de sa faveur. Dans une lettre aussi
197 en98. qjjg nous avons encore, il assure que Dieu en a fait une des
colonnes de l'empire, un des gonds du ciel, un des géants
qui portent le monde : 'vos enini constituit dominus inter co-
tumnas regni, inter cardines cœli, inter gigantes qui portant
Leit. i56,p. orhem; et dans une troisième, il le supplie avec instance de
a83. Busée dit pgyer pour lui six livres qu'il doit à un juif, et il ne manque
Teoff,~oKu\\lli pas, « cette occasion, de dire quelques injures sur son créan-
ùeGuiiiaiimc,à cicr , sur la iiatiou des Juifs en général, sur le supplice de
la marge de ]jj (.j-oix quc Cette dette lui avait fait souffrir, sur l'usure, sur
cette page. j\^ perfidie, et sur l'espérance nueluidonnent de sa rédemp-
tion la miséricorde et l'amitié de Guillaume de Longchamp.
Hist. angi. Voger Àe Heveden nous a conservé une lettre plus noble
SCT. p. 401.
GUILLAUME DE LONGCHAMP. 371
de Pierre de Blois à Hugues , évêque de Coventry , e'crite en ^" siècle.
faveur de notre prélat.
UAnglia sacra parle de plusieurs dons faits aux pauvres T. l, p. 633.
et sur-tout aux églises par Guillaume de Longchamp. Jl paya
du trésor de sa cathédrale et de quelques effets précieux
vendus , une somme considérable pour la rançon du roi Ri-
chard.
. Le catalogue des manuscrits d'Angleterre fait mention Parf.3,n.i2/,2.
d'une vie de Guillaume de Longchamp (qui apparemment
n'est pas encore imprimée), parmi les manuscrits du collège
de Saint-Benoît de Cambridge.
Guillaume avait un frère nommé Robert, qu'il fit prieur Angl. sacra,
du monastère de sa cathédrale, après l'an 1189, et qui de- '• '[' P- ^^^ *'
vint abbé de Notre-Dame d'Yorck, le 17 mars 1197. .
SES ÉCRITS.
684.
Nous avons quelques lettres de Guillaume de Longchamp.
La première est adressée à Gautier archevêque de Rouen. H>»t- ang.
Gautier avait été d'abord chanoine de Lincoln ,. archidiacre gg"^''/' \' P"
d'Oxford, évêque de Lincoln aussi, puis élevé au siège de Pommeraye^ii!
Rouen par l'influence et la volonté du roi ; c'était encore des archev. de
Henri II. Richard, alors en Palestine, ayant reçu, quelques ^""««'P-SgS.
années après, des plaintes fortes et nombreuses sur la con- ^:^'^^—u\lt.
duite de Guillaume de Longchamp dans l'administration de «"gi- «cr. , p.
l'empire , il avait écrit au prince Jean , son frère , de déposer ^'^„' '^^^'
le régent et de lui substituer Gautier, si les plaintes étaient scr., v^iia^.
fondées; et, dans tous les cas, de le lui associer, ainsi que
deux autres seigneurs, pour concourir tous ensemble au
gouvernement de l'état. Le monarque en écrivit lui-même,
dans ce dernier sens, à l'évêque d'Ely : Nous voulons, disi^it- ibid. p. eSg.
il , que vous ne fassiez rien que de concert ; que Gautier
demande en tout votre consentement; que vous demandiez
en tout le sien. 11 termine sa lettre par un ordre d'exécuter
ce qu'il a chargé Gautier de lui dire, touchant l'archevêque
de Cantorbéry.
A son retour en Angleterre, l'archevêque de Rouen y
trouva l'évêque d'Ely tellement affermi dans sa puissance,
qu'ils n'osèrent, ni lui, ni le frère du roi, faire, usage des
ordres de Richard. Guillaume continua donc à gouverner .
seul. Gautier ayant voulu se rendre à Cantorbéry dont le ibid. p. 660.
siège était vacant, Guillaume, y craignant sa présence, lui
XII SIECLE.
72 GUILLAUME DE LOÎ^GCHAMP.
défendit, en vertu de l'autorité qu'il exerçait comme régent,
d'aller en cette ville, jusqu'à ce qu'il eût conféré avec lui.
C'est l'objet de la lettre que nous avons annoncée , et qui est
de I loi. « Quand je vous vis à Londres, lui dit-il , et que je
vous demandai pourquoi vous vouliez aller à Cantorbéry,
vous me répondîtes que c'était , d'une part , pour savoir s'il
était vrai, comme on vous l'assurait, que ces religieux étaient
irrités contre vous , et , de l'autre , s'il était vrai aussi que le
prreur eût été déposé. J'ai appris cependant qu'un autre motif
vous y conduisait, celui de traiter avec eux du choix d'un
archevêque. Certes , je ne suis pas peu surpris que vous
veuillez profiter ainsi àe mon absence pour faire ce que
vous ne devez ni ne pouvez faire sans nous qui présidons,
au nom du roi, à l'administration de l'état, et qui, comme
chancelier, tenons en nos mains l'archevêché de Cantorbéry
et toutes les appartenances de son église. Une affaire si
importante, si difficile, et qui intéresse tout le royaume, ne
pouvant être traitée qu'en la présence du roi ou en la nôtre,
nous vous mandons et enjoignons de n'aller à Cantorbéry,
ni pour cet -objet ni pour tout autre, qu'après que nous vous
aul'ons parlé: je ne le souffrirais pas avec patience, et je ne
cacherais pas mon ressentiment. »
r.nouideDic. La seconde lettre , légalement de 1 191 , et écrite au vicomte
î/>/f/. p.662.— jjg Sussex, lui ordonne de faire arrêter l'archevêque élu
II \,. 3jjo. a Yorck, s il aborde sur un des rivages de ce comte, ou toute
autre personne qui pourrait y venir pour lui ; elle ordonne
pareillement à ce vicomte de retenir toutes les lettres qui
pourraient arriver de la part du pape ou de quelque autre
llist. angl. grand personnage. Cet archevêque était Geofroi, fils naturel
65V ' 1^53'^ ^^ Henri II, f^ui avait obtenu d'Alexandre III les dispenses
ii56cti724.' au» son illégitimité rendait nécessaires , que le chapitre
d'Yorck avait élu d'une voix unanime , et dont le pape Clé-
ment III avait approuvé l'élection. Tant dè^motifs n'arrêtaient
pas Guillaume de Longchamp ; et sa lettre peut servir à
confirmer ce que nous avons dit de son caractère. Geofroi
Wjy. p. 6i3. avait été chancelier d'Angleterre, avant l'évêque d'Ély. Il
7é/rf. p. 1724. revenait alors de Rome, où il était allé se faire sacrer, au
— RaonideDic. préjudice dn droit qu'avaient les archevêques de Cantorbéry
sacra*,' *i. I ,"p. d'être les ooilsécrateurs nécessaires des archevêques d'Yorck,
i73^(i'isentq'ii'il droit réclamé dans une lettre signée par l'évêque d'Ely
a'vaitéiésacréà comme légat a]X)stolique, et par les autres évêques de la
°Angi. sacra", province de Cantorbéry. Geofroi ayant débarqué à Douvres,
t.ï.p. 73.
GUILLAUME DE LONGCHAMP. ayS
il V fut arrête au moment même où il venait de célébrer la '^^ SIECLE
Hist. angl.
scr. , p. laag-'
messe, revêtu encore de ses habits sacerdotaux, et traîné /6jV/.,etHist,
ignominieusement en prison, par les ordres de Guillaume gg|'" *^^' P'
de Longchamp. Les religieux de l'abbaye de Cantorbéry s'en is^è.
plaignirent à ce ministre , l'attentat ayant été commis dans
e diocèse dont Cantorbéry était la métropole : Guillaume
eur répondit par une lettre que le moine Gervais nous a
conservée dans sa chronique. Il y prétend que ce n'est pas Hi$t. angi.
lui qui avait donné l'ordre d'emprisonnement : « Nous avions '"..p. 1577.—
seulement ordonné, dit-il, que si, en débarquant, il se i^fl^i"^-^'
refusait à un serment de fidiélité envers le roi , on le fit
repartir. » Les réclamations cependant furent tellement mul- Hist. angl.
tipliées et tellement universelles, les menaces du prince Jean ««^""..p. laaS.—
sur-tout si fortes, que Guillaume de Longchamp ne crut 3yr™!!^^nd!
pas devoir priver plus long-temps Geofroi de sa liberté. sacra, t. li, p.
Nous avons encore deux autres lettres de l'évêque d'ÉIv, ^goetsmv.
toutes deux adressées a leveque de Lmcoln ; toutes deux j^^
ayant pour objet de livrer ses ennemis aux anathêmes de ia3i.
l'église de Rome. Il y dit :
• Guillaume , par la grâce de Dieu , évêque d'Ely , légat du
saint-siége, chancelier du seigneur roi, à son vénérable
frère et très-cher ami, l'évêque de Lincoln, salut et amitié
sincère. Votre fermeté nous est si connue , que nous nous
adressons à vous avec une grande sécurité pour le soutien
des intérêts de l'église et du roi. En vertu donc de l'autorité
qui nous est confiée et de l'obéissance qui nous est due,
nous vous mandons de faire publier et exécuter la bulle de
l'excommunication que le pape a prononcée contre Gautier,
archevêque de Rouen, et beaucoup d'autres, tous ennemis
de la paix et de la majesté royale , tous cherchant à semer
dans le royaume l'esprit dé faction et de discorde. • Guil-
laume , en conséquence , défend l'exercice de tous les sacre-
mens, la pénitence et le baptême des enfans exceptés. Il
ordonne de saisir le revenu de tous ceux sur lesquels il étend
les anathêmes. Il ne reconnaît pas et ne permet pas de recon-
naître l'autorité civile que l'archevêque de Rouen et quel-
ques autres seigneurs exerçaient dans l'état , par une délé-
gation expresse du roi.
Ces lettres , qui furent sans succès , doivent être du mois
de janvier 1 192, ou, suivant la manière de compter d'alors,
encore 1191 ; celles du pape Célestin III sont du mois de
décembre.
Tome XV, , Mm
XII SIECLE.
274 HUGUE& FOUCAUT, ABBÉ DE S.-DENIS.
Duchesne a placé parmi les preuves de l'histoire de la
P- 48 et 49. maison de Béthuiie, une charte postérieure de deux ou trois
années, et donnée par Richard Cœur-de-Lion , dans laquelle
Guillaume de Longchamp prend encore la triple qualité
devèque d'Ely, de légat du saint-siége, et de chancelier
d'Angleterre. 11 en est de même dans un diplôme recueilli
65"^*^^' '■^' P^'' """fi Martène, en faveur des hospitaliers de la maison
de Saint- Jean-de-Jérusalem , le 5 janvier 1194- Ce diplôme
est daté de Spire : Guillaume de Longchamp s'y était rendu
au-devant du roi , qui ayant fait naufrage en revenant de la
Terre-Sainte , était tombé entre les main^ du duc d'Autriche,
son ennemi, quoique, dans cette crainte même, il se fût
habillé en pèlerin, pour traverser l'Allemagne.
V. Thoji. C'est à Guillaume de Lonechamp qu'est dédié un ouvrage
une de ses let- ^^ ^" siccle, qui cut alors quelque vogue, et dont nous
très, p. 197. connaissons encore le titre, le Miroir des fous. Spéculum
stultitùe. . P..
HUGUES FOUCAUT,
ABBÉ DE SAINT-DENIS EN FRANCE.
• ■
HISTOIRE DE SA VIE.
xluGDES Foucaut, Fulcaudus , Fulcandus , qui fut abbé de
Saint-Denis depuis l'année 1 186 jusqu'en 1 197, n'aurait a ur
cun titre pour entrer dans cette histoire , s'il fallait le dis-
tinguer du Hugo Falcandus qui a composé une relation très-
circonstanciée <^es troubles arrivés en Sicile sous le règne de
Guillaume F"", et pendant la minorité de son fils Guillaume IL
Il faut donc, «avant que de parler de lui, établir l'identité
de ces deux personnages.
Mnra». Rer. On convient assez généralement que l'historien des troubles
ual. , t. VII, p. (Je Sicile n'était pas Sicilien. C'est ce qu'il donne à entendre
" **■ lui-même en plusieurs endroits, et sur-tout dans le détail
qu'il fait des productions du territoire de Palcrme. « Je ne
« parle, dit-il, que des fruits particuliers à cette contrée.
« Car pour les fruits ordinaires et qui naissent dans nos cli-
HUGUES FOUCAUT, ABBE DE S.-DENIS. 276
« mats, j'ai cru inutile d'en faire la description. » On voit ^^^ SIECLE.
même qu'il n'était plus en Sicile lorsqu'il écrivit son ouvrage.
Il l'adresse à Pierre trésorier de l'églilie de Palerme, en .le
priant de l'informer de ses nouvelles et de celles du royaume.
Vive diu , Petre carissime , diuque gaudeas ; et de statu l'egni ibid. col. a58.
tuoque 'vicarias pro te literas mittere non graveris. Mais s'en-
suit-il que l'auteur était Français? S'ensuit-il que l'historien
de la Sicile soit le même ,que l'abbé de Saint-Denis? C'est ce
que nous allons examiner.
Personne, avant le dernier rédacteur de l'Art de vérifier T. m, p. 8i3.
les dates , n'avait soupçonné que ces deux personnages pour-
raient bien n'être qu'une seule et même personne. M. de
Brequigni, dans un mémoire lu à l'académie des inscrip-
tions, a jeté quelques doutes sur l'assertion du bénédictin,
mais n'a pas détruit ses preuves. En effet deux lettres de
Pierre de Blois, qui lui-même avait été appelé en Sicile pour
être le précepteur du roi mineur, semblent ne laisser aucun
doute sur cette question et devraient peut-être suffire pour
la décider.
I^ pi-emière qui est la 116*, est adressée à H. abbé de Pet.Ble$.,ef.
Saint- D enis , et clans cette lettre il le prie de lui envoyer le ^*^'
traité qu'il avait composé sur les dernières révolutions de la
Sicile : Rogo quatenus tractatuni quem de statu aut potius
de casu vestro in Sicilia descripsistis , communicetis mihi, si
fieri potes t , ... ut inter veteres amicos mutua scriptorum
missio gratâ vicissitudine inlercurrat.
Dans la seconde qui est la i3i^, à son neveu, il appelle Ep. lU.
en témoignage l'abbé de Saint-Denis sur la conduite qu'il a
tenue en Sicile. Tu vero fréquenter ex ipsius papœ qui nunc
est, ac plerisque cardinalibus ejus qui in diehus meis lega-
tione futicti sunt ,fratris etiam mei, et abbatis Sancti-Dio-
Tnrsii , aliorumque magnatum qui in terra sunt , relatione
cognoscere potuisti , quod cùni in Sicilia essem sigillarius et
doctor Régis Guillelmi II, tune piieri , atque post reginam et
Panormitanum electum dispositio regni satis- ad meum pen-
deret arbitrium , quidam mei œmuli , etc. L'abbé de Saint-
Denis avait donc séjourné en Sicile en même temps qu^
Pierre de Blois.
Après des témoignages si formels il n'est guère possible
de ne pas attribuer à l'abbé de Saint-Denis l'ouvrage de Hu-
gues Falcand sur la Sicile. S'il y a quelque altération dans
le nom propre , si on a imprimé Falcandus au lieu de Ful-
Mm 2
276 HUGUES FOUCAUT, ABBÉ DE S- DENIS.
XII SIECLE. ' j ^ "^ ' ^ „
caudiis, ce ne peut-être quune erreur de copiste, erreur
Murât, ibid. Jaiis laquelle il était si facile de tomber. Carusius observe
''■ ^ "■ que le manuscrit conserve' à Catane dans la bibliothèque de
iSaint-Nicolas de Arenis ne porte point le nom de l'auteur;
et dans celui de la bibliothèque royale n° 6262, c'est M. Ba-
luze qui a écrit de sa main Hugo Falcandus , sans doute
sur l'autorité des éditions qui toutes ont été faites .sur la pre-
mière de Gervais de Tournai dont nous parlerons par la
suite.
Je sais qu'en accordant, d'après la lettre de Pierre de Blois,
que l'abbé de Saint-Denis aurait fait une relation des mal-
heurs qui lui étaient arrivés en Sicile, de casu 'vestro, on
pourrait soutenir que cet ouvrage était différent de celui qui
nous reste, d'autant plus que dans celui-ci l'auteur ne tait
aucune mention de ce qui lui était arrivé personnellement.
Mais il faut observer que Pierre de Blois, lorsqu'il écrivait
sa lettre, n'avait pas encore vu l'ouvrage; que les mots de
casu vestw peuvent s'entendre de tous les Français que la
conspiration des grands de la cour avait chassés de la Sicile.
Au reste s'il a existé une autre histoire que celle qui porte le
nom de Hugues Falcaud , elle est inconnue , et rien n'oblige
à y croire jusqu'à ce qu'on l'ait vue.
Après ces éclaircissemens nous sommes en droit de reven-
diquer comme appartenant à la France cet écrivain qui fut
un des plus heureux génies et des mieux cultivés de son
siècle. Nous ne pouvons pas dire si ce fut en France ou en
Italie (i) qu'il s'était formé à l'art d'écrire; mais il est certain
qu'après l'orage qui en 1 169 , pendant la minorité de Guil-
laume II , enveloppa tous les courtisans français qui étaient
en Sicile , Hugues retourna en France. Il avait éprouvé l'in-
stabilité de la fortune; le genre de vie qu'il y embrassa fut
le contraste de celui qu'il avait suivi jusqu alors. Il connaissait
le monde par expérience , il le quitta par dégoût , et se re-
Aniiq. dePa- tira dans l abbaye de Saint-Denis où il lit profession. Bien-
"*' ''^ ï^' P- tôt après, s'il faut s'en rapporter à un mémorial publié par
ta ,e .1 12. j^^ Breuii^ il se serait Tivré aux t.avaux apostoliques pour
convertir les usuriers et les femmes de mauvaise vie. On pré-
(1) Hugues, dans la préface, appelle la Sicile sa nourrice, vemmquia
difficile est in morte nutricis alnmno penua-deri ne lugent ; cesl une compa-
raison qui ne prouve autre chose que le long sëjour qu'il aurait fait en
Sicile.
XII SIECLE.
HUGUES FOUCAUT, ABBÉ DE S.-DENIS. 277
tend que les fruits de ses prédications furent si abondans
qu'ils donnèrent naissance a l'abbaye de Saint-Antoine, aux
faubourgs de Paris, pour servir d'asyle aux nouveaux con-
vertis. Si cela est, Hugues Foucaut fut le précurseur du fa-
meux prédicateur Foulques de Neuilli, qui vers le même
temps embrassa avec plus d'éclat ce genre d'apostolat.
Etant- abbé de Saint-Denis, Hugues eut avec le roi Phi- Ep. 116.
lippe - Auguste un grand différend dont nous ignorons le
sujet. Voici ce qu'en dit Pierre de Blois. « Je connais vos
« angoisses et les chagrins que vous endurez; je sais que
« vous avez été dépouillé de vos biens. J'ai entendu le ton-
« nerre que le roi faisait gronder sur vous par ses menaces ;
« j'étais comme présent lorsqu'il excitait à la révolte contre
« vous vos propres domestiques. Le seigneur vous a mis à
« une terrible épreuve ; mais j'espère que votre magnanimité
« qui a déjà passé par tant d'autres , triomphera encore
« cette fois par la patience. Il vous promet la paix , à condi-
« tion que vous lui payerez une gro,sse somme d'argent :
« cette réconciliation me parait peu sincère {^vulpinœ recon-
« ciliationis osculum) après qu'il a fermé les oreilles aux
« prières du souverain pontife, aux sollicitations desévèques
« et des abbés de la province, aux cris douloureux des
« vierges consacrées à Dieu, aux larmes des religieux. Mon
« avis est qu'un pareil rapprochement acheté à prix d'ar-
ec gent {yenalis confœderatid) est avilissant , et qu'une faveur
« qui ressemble à une transaction mercantile ne peut être
« agréable ni à Dieu ni aux hommes. » S'agissait-il de la
dîme saladine .^ C'est ce que nous n'osons décider. Nous igno-
rons aussi quelle fut l'issue de cette affaire. Hugues continua
de gouverner son monastère jusqu'à sa mort arrivée le aa
octobre de l'an 11 57.
SES ÉCRITS.
Avec le talent qu'avait Hugues Foucaut pour écrire , avec
la réputation qu'il avait d'un savant auquel Pierre de Blois
soumettait ses écrits, il est surprenant qu'il ne reste des pro-
ductions de sa plume que son histoire de Sicile à laquelle il
a donné pour titre De tyrannide Siculorum.
L'épitre dédicatoire adressée , comme on l'a dit , au tréso-
rier de l'église de Paleime, débute par des lamentations pa- P" ^^
thétiques sur la mort du roi Guillaume II, arrivée en iiog,
Ep. 1 16.
Murât, ibid.
2.
XII SIECLE.
278 HUGUES FOUGAUT, ABBÉ DE S. -DENIS.
et sur les malheurs qui allaient fondre sur la Sicile en passant
sous la domination des empereurs d'Allemagne, aux droits
de l'impératrice Constance. Il désire que les Siciliens se choi-
sissent un roi capable de les défendre contre les Allemands,
mais il ne parle pas de Tancrède qui s'était emparé de la
royauté : ce qui prouve que la composition de cet ouvrage ,
ou du moins l'envoi , suivit de bien près la mort du roi Guil-
laume. Au reste des maux qu'il prévoyait devoir fondre sur
la Sicile, il prend occasion de faire de cette île, et particu-
lièrement du territoire de Palerme, une description très-
curieuse.
Le corps de l'ouvrage roule entièrement sur les troubles
intérieurs de la Sicile sous le règne de Guillaume P"", et pen-
dant la minorité de Guillaume II. C'est pourquoi l'auteur
passe sous silence les guerres que Guillaume I^"" eut à sou-
tenir au commencement de son règne contre l'empereur
d'Orient, et contre celui d'Occident; guerres suscitées, dit-
on, par le pape* Adri-en IV, et dont ce prince sortit avec
avantage. Après un tableau magnifique du règne de Roger et
de l'état florissant où il avait laissé le royaume , Hugues passe
tout de suite à l'élévation de Majon, qui d'une condition
abjecte parvint sous Guillaume P"" à la dignité de grand-
amiral. Ce dangereux favori valut à son maître le surnom
de mauvais par l'abus qu'il fit de sa confiance, et par les
maux dont il inonda la Sicile à l'abri de son nom. Dévoré
par l'ambition il osa même porter ses vues sur le trône , et
pour y arriver il prit à tâche de perdre les grands dans l'es-
prit du monarque, afin de les engager, à force de mauvais
traitemens, à se révolter. Le voile dont il couvrait ses artifices
Ile fut pas assez épais" pour les dérober aux yeux de la haute
noblesse ; on démasqua le traître , et le comte Bonelli lui fit
porter la peine de ses forfaits en lui plongeant l'épée dans le
sein.
La mort de Majon causa une joie universelle dans la Sicile,
mais elle n'y rétablit pas le calme. Guillaume après avoir
entr 'ouvert les yeux sur la perfidie de son favori , les referma
presque aussitôt pour revenir à ses préjugés. Il n'envisagea
plus dans le meurtre de Majon que le coup d'essai d'une
main qui lui préparait le même sort. Dans cette pi'éoccupa-
tion, il jura la perte de Bonelli comme une précaution
nécessaire à la sûreté de ses jours. Les partisans du comte
prévinrent les desseins du monarque en s'assurant de sa
HUGUES FOUCAUT, ABBE DE S.-DENÏS. 279
personne. Devenu leur prisonnier, sa situation excita l'indi-
gnation du peuple qui le remit en liberté.
Les états de Sicile en terre ferme se ressentirent de la
secousse qui alors agitait l'île ; il y eut des soulèvemens dans
plusieurs villes de la Calabre et de la Fouille. Guillaume se
porta rflans tous les lieux où sa présence était ne'cessaire ,
triompha par-tout, et laissa par-tout des traces horribles de
sa vengeance. De retour à Palerme, dégagé d'inquiétude, et
enivré de ses succès, il se plongea dans l'oisiveté et la
débauche. Son indolence ouvrit une libre carrière aux rapines
et aux concussions de ses ministres. C'étaient pour la plupart
des Sarrasins, nation qu'il n'avait pas honte de préférer aux
chrétiens. Tandis que ces sangsues avides s'abreuvaient du
sang du peuple, le monarque s'amusait tranquillement à
bâtir à Palerme un nouveau palais. Une maladie ijjortelle
le surprit dans le cours de cette entreprise, et l'emporta, l'an
1166, chargé de la haine publique, que son surnom a per-
pétuée dans la postérité.
Son fils Guillaume II , âgé de quatorze ans , lui succéda
sous la régence de la reine Marguerite de Navarre , sa mère.
Cette princesse voyant les factions se renouveler, appela de
France Etienne du Perche (1), son parent, pour partager
avec elle, sous le titre de grand chancelier, la conduite de
l'état. Bientôt après elle le fit élîre archevêque de Palerme.
Etienne amena avec lui ou attira en Sicile un grand nombre
de Français, du nombre desquels fut Pierre de Blois, qui
fut fait garde-des-sceaux et précepteur du jeune roi ; la plu-
part des autres furent, placés dans des emplois importants.
Tant de confiance accordée à des étrangers fit naître des
jalousies. Etienne gouvernait absolument sous le nom de la
régente; il avait de la capacité pour les affaires, il aimait la
justice, il montra dans plusieurs rencontres de la prudence
et de la fermeté. Dans tout autre pays que la Sicile, son
admini.stration eût réuni tous les suffrages. Mais il avait
affaire à une nation turbulente qui ne pouvait se plier à
aucune sorte de gouvernement. L'ambition et la jalousie des
grands ( onspiièrent pour lui faire perdre son crédit et sa
place; on l'attaqua tantôt en secret, tantôt à force ouverte;
il éluda les pièges avec adresse, il repoussa les assauts avec
(i) Voyez sur Etienne du Perche une dissertation de M. de Brequigni,
î. 4' des Mémoires de l'académie des inscriptions, p. 622.
XII SIECLE.
Pet. Ble$. ,
ep. 90 et i3i.
XII SIECLE.
Murât, ibid.
Gol. a 56.
280 HUGUES FOUCAUT, ABBÉ DE S.-DENIS.
courage. Mais à la fin une conjuration subite et presque
générale ne lui laissa d'autre ressource que la. fuite pour se
soustraire à la mort. Il quitta la Sicile en 11 69 pour passer
en Syrie et de là à Jérusalem , où il mourut cette même
année. C'est par où finit cette histoire écrite avec tant d'élé-
gance, d'exactitude et de jugement, qu'elle a mériljé à son
auteur le titre de Tacite de la Sicile, il semble néanmoins
qu'on aurait dû plutôt le comparer à Tite-Live, dont il
approche davantage par sa manière d'écrire. •
Parmi les traits singuliers qu'il rapporte , les suivans nous
ont paru les plus dignes d'être remarqués. La ville de Palerme
alors partagée en trois quartiers, renfermait un grand
nombre de manufactures d étoffes en laine et en soie, enri-
chies d'or et de pierreries (i). Multa quidem et alla videas
ïbi vai'ii colons ac diversi generis ornamenta , in quibus et
sericis aurum intexitur , et multiformis picturœ varietas
gemmis interlucentibus illustratur. Plus bas il dit que les
meilleures laines se tiraient alors de France, où les arts
étaient beaucoup moins avancés , de gallico contextœ vellere.
Parmi les végétaux qui croissaient ou qu'on cultivait aux
environs de Palerme , il nomme les siliques ou carroubes , et
sur-tout la canne à miel, nom, dit-il, qui lui vient de la
douceur du suc qu'elle renferme. Une légère cuisson donne à
ce suc la saveur du miel; mais si on le fait bouillir assez
long- temps, il prend la consistance et la qualité du sucre.
Jbid. col. 258. Qiiod si in partent aliam visum dejlexeris , occurret tihi
mirandarum seges harundinum , quœ cannœ mellis ah inco-
lis nuncupantur , nomen hoc ah inteiioris succi dulcedine
sortientes. Harum succus diligenter et moderate decoctus in
specieni mellis traduciticr ; si verb perfectiiis excoctus Jiierit,
in saccari suhstantiam condensatur.
fbid. col. agS. Les Arabes avaient tellement accrédité l'astrologie judi-
ciaire parmi leis Siciliens, qu'on n'osait y risquer aucune
(i) C'était des Grecs que les Siciliens avaient appris à fabriquer des
étoffes de soie et d'or. Le roi Roger ayant fait une expédition en Grèce,
emmena prisonniers en Sicile des ouvriers en soie tirés de Thèbes, de
Corinlhe et d'Athènes , et les établit à Palerme, afin qu'ils apprissent leur
métier aux Siciliens. Ce fut ainsi, dit Othon de Frizingue , que cet art pra-
tiqué jusqu'alors par les seuls Grecs parmi les chrétiens, coniniença dètre
connu des Latins. Ex hinc prœdicta ars illa , prias h Grœcis tantuni inter
çhristianos habita , Romanis patere cœpit ingeiiiis. De Reb. Frederici, hb. I ,
cap. 33.
HUGUES FOUCAUT, ABBÉ DE S.-DENIS. 281
,•., , ^ „ .,, ,er XII SIECLE,
action militaire sans avoir consulte les astres. Guillaume 1
3oî.
ayant assiégé Buteiia , remarquait les jours favorables aux
attaques, et réciproquement Tancrède, son neveu, renfermé
dans la place, observait les jours favorables aux sorties, et
ne manquait pas d'en profiter.
A la mort de ce monarque, toute la ville de Palermc prit 1^"^- <=<>'
le deuil pour trois jours, selon l'usage, et ce deuil était en
noir. Les dames sarrasines, plus touchées que les autres de
cet événement, parce qu'elles y perdaient beaucoup plus,
firent éclater leur douleur en courant nuit et jour par les
rues, couvertes de sacs et les cheveux épars, précédées de
leurs femmes, remplissant la ville de leurs cris, et répon-
dant par des airs lamentables au son lugubre des tymbales : . - *
Ad pulsata tympana cantu flehili respondentes.
Il paraît qu'on parlait alors français a la cour de Palerme. ^*"^- *^"'- ^**-
Rodrigue, frère de la reine, sollicité par des mécontens de
s'emparer de la régence, s'excuse sur ce qu'il ne savait pas
la langue française , absolument nécessaire, disait-il, en cette
cour : Francorum se linguam ignorare , quœ maxime neces-
saria esset in curid. taw i 35i
Si la langue française était en honneur dans la Sicile, on ' ' '
n'y adoptait pas également leâ coutumes qui* s'observaient en
France. Jean de Lavardin ayant été mis en possession des
terres qui avaient appartenu au comte Bohelli , voulut exiger
de ses vassaux la moitié de la valeur de leur mobilier, parce
que tel était le droit coutumier de la France. On lui repon-
dit qu'en France on ne jouissait pas d'une vrai liberté, quœ
cives liberos non haheret. Dès ce moment, tous les habitans
conspirèrent pour chasser les Français, et préluder ainsi
aux Vêpres siciliennes.
On compte quatre éditions de cet ouvrage de Hugues
Falcand. La première, de Paris, in-4°, donnée, en i55o,par
Gervais de Tournai, chanoine de Soissons, sur un manus-
crit de Mathieu de Lçngue-Joue , évêque de Soissons ; elle
a passé depuis darts le recueil des historiens de Sicile , pu-
blié à Francfort l'an 1679, *^^^^ ^^^ Vechels; en 1608 dans
YHispania illustrata ; en 1 728 , dans la bibliothèque de Sicile
de Carusius; et enfin, l'an lySS, au»tome VH du recueil des
historiens d'Italie par Muratori, édition dont nous avons
fait usage. Mais toutes ces éditions, à bien parler, ne sont
que des répétitions de la première, à quelques légères cor-
Tome XV. N n
XII SIECLE.
a8a GUITER, ABBÉ DE SAINT- LOUP.
rections près , qui ne sont fondées sur l'autoritë d'aucun
manuscrit. B.
GUITER OU GUITHIER,
ABBÉ DE SAINT-LOUP A TROYES.
vjuiTER fut abbë de S"-Loup pendant l'espace de 44 ans,
depuis l'année 1 153 jusqu'à 1 197. Cependant sa longue admi-
nistration ne fournit aucun événement remarquable qui mérite
d'être recueilli. Il est auteur d'une petite histoire de son mo-
Promp. Tri- nastère , publiée par Nicolas Camusat, laquelle jette quelque
20*0.' **■ '^ ~ jour sur les antiquités ecclésiastiques de la ville de Troyes.
La curiosité ayant porté l'auteur, avant qu'il fût élevé à
la dignité d'abbe , à fouiller dans les archives du monastère
pour connaître les révolutions que son église avait éprou-
vées, il remonte jusqu'au temps de Charles - le - Chauve et
aux ravages des. Normands, constatés, en ce qui regarde la
ville de Troyes, par un titre du comte Adélerin , de l'an 893,
qu'il nous a conservé après l'avoir déchiffré avec peine à
raison de sa vétusté. Ce fut ce comte Adélerin , abbé en
même temps de Saint-Loup, selon l'usage du X^ siècle où
les grands seigneurs s'étaient emparés de presque tous les
monastères, qui, après le départ des Normands, rétablit
l'église de Saint-Loup, non hors de la ville, comme elle était
auparavant, mais dans la ville même, qu'on jugea nécessaire
alors de fortifier.
Depuis cette époque jusqu'à l'introduction des chanoines
réguliers à Saint-Loup, l'an 1 137, tout ce que l'auteur nous
apprend, c'est que cette église était gouvernée par des pré-
vôts à la nomination des comtes de Champagne, qui même
avaient inféodé ce droit de nomination à la famille de Capes.
La réforme de ce monastère fut l'ouvrage du comte Thibaud-
le-Grand ou le-Saint, aidé des conseils de saint Bernard, de
l'évêqué d'Auxerre, Hugues de Maçon, et de l'évêque dio-
césain Hatton. Guiter, dans la suite de son histoire, trace
la succession des abbés dont il fut le troisième , et se fait
un devoir de consigner dans son écrit les pieuses libéra-
xnsiECEE:
PIERRE LE CHANTRE. 283
litës qui furent faites à son église par les souverains du
pays, dans le livre même des évangiles, enrichi de plaques
d'or et de pierreries, dont le oomté Henri-le-Libéi'al avait
fait ])résent à cette église à l'occasion de la naissance de
son fils, venu au monde le jour de la fête de Saint -Loup,
comme l'atteste notre auteur. 7W^/.foi.3o8,
Camusat rapporte eocore de notre abbé quelques chartes ,
dont ce n'est pas notre objet de nous occuper.
og.
PIERRE LE CHANTRE.
SA YIE.
r'^iERRE fut surnommé le Chantre, parce que après avoir
professé la théologie dans l'école de Paris, il fut lait grand-
chantre de l'église cathédrale, dignité qui lui donnait le
droit non - seulement de diriger le chant de l'église, maïfc
encore d'instituer et de surveiller les maîtres des petites
écoles du diocèse , comme le chancelier de la même église
exerçait une juridiction sur les professeurs des hautes fa-
cultés des sciences et des arts.
Malgré la célébrité dont jouissait de son temps Pierre-le-
Chantre , et les éloges multipliés que font de sa science et
de sa vertu les auteurs contemporains, son histoire est peu
ou mal connue, et mérite d'être examinée au flambeau de la
critique.
D'abord on n'est pas d'accord sui;, le lieu de sa naissance.
Du Boulai, et d'après lui Casimir Oudin, le disent natif Hist. UniT.
de Paris, et citent à l'appui de leur assertion ces vers de la '''^"*' *• "> P-
Carolide de Gilles de Paris : ' ' '
Et quem intepuisse dolemus ,
Petrum in divi/iis -verbotenus alta sequanterh.
En admettant, si l'on veut, que le chantre du poëme de
Charlemagne a voulu désigner dans ces deux vers le chantre
de l'église de Paris, il ne s'ensuivrait pas nécessairement de
son texte que Pierre fiît natif de Paris ; l'intention du poète
284 PIERRE LE CHANTRE.
1 étant de prouver, non pas que tous les savans quil nomme
étaient Parisiens, mais que Paris était alors assez bien pourvu
de savans en tout genre, ^jnsi qu'il le déclare par ces vers
adressés au prince Louis, fils du roi Philippe- Auguste :
Chesn.'t. V , Egidiana novos pro te prorupit in ausus ,
Rer. franc. , p. Primitiasqite siii mittit tibi musa laboris ;
Sed secura minus , cîim dira infamia nostros
Jamdudum laceret cives , orisque maligni
Audeat imineritos commune incessere probrum ,
Quod nullos habeat urbs parisina scientes.
Quoi qu'il en soit de cette interprétation, voici une autre
Kist. de Ger- opinion qui ne mérite pas moins d'attention. Deux chartes de
beroi,p. 344. l'an jj35^ rapportées par Jean Pillet dans son histoire de
Gerberoi, semblent prouver que Pierre-le-Chantre était de
Beauvais , ou du moins né dans Je Beauvoisis ; qu'il avait
une maison dans le château de Gerberoi et un frère nommé
Gautier de Hosdenc ; que Pierre était par conséquent de
cette famille établie dans le pays de Brai , quoique la dignité
de chantre de l'église de Pans ait fait oublier son vrai nom.
Hist. cccies. D^un autre, côté, Marlot, suivi par les auteurs du Gallia
Rem., MI, p. ç^igtiana , assure que Pierre-le-Chantre fut élevé dès son
* Gaii. Christ, cnfance dans l'église de Reims, et il le prouve par une longue
t. VII, p. 78. lettre de l'archevêque Guillaume de Champagne, qu'il est à
EropoS de rapporter ici, non -seulement parce qu'elle est
onorable pour la mémoire de Pierre-le-Chantre, et qu'elle
nous instruit de quelques particularités de sa vie, mais plus
encore pour ne point affaiblir la preuve sur laquelle Marlot
appuie son o^îinion.
Marlot , ibid. Pierre ayant été élu par le chapitre de Reims pour suc-
céder au doyen Raoul décédé l'an 11 96, l'archevêque Guil-
laume le pressa d'accepter cette nouvelle dignité daiis les
termes les plus obligeans. «Nous rendons grâces, dit-il, à
«Dieu et à l'église de Reims, de ce que, par l'inspiration di-
«vine, celte église vous a choisi pour son doyen, et nous
«vous félicitons vous-même de la docilité avec laquelle vous
«avez accepté la charge qu'on vous offrait, sans porter un
«regard indigne sur un bénéfice plus opulent qu'un esprit
«d'avarice aurait pu vous faire envisager. Nous agréons, nous
« ratifions ce choix , que nous eussions prévenu , si vous 1 aviez
« voulu , lorsque le chapitre ayant rais à notre disposition le
«doyenné, nous vous invitâmes une autre fois à l'accepter.
PIERRE LE CHANTRE. aSS
«Mais alors, guidé par des vues plus relevées, et aspirant au
« but que vous avez si heureusement atteint , vous étiez dé-
«termipé à répandre dans un lieu plus célèbre et dans une
« école plus fréquentée , les lumières que vous avez reçues de
«Dieu. Maintenant il est temps que vous rapportiez dans
«votre patrie [ad propria) les fruits de votre abondante ré-
« coite aont les étrangers ont eu l'avantage de joviir iusqu'à
«ce jour; que vous rompiez à nos enfans qui sont dans la
«disette, le pain de la nourriture spirituelle, et que par un
« retour filial vous remplissiez du lait de la doctrine les ma-
« melles épuisées de votre mère , que vous avez sucées dans
«votre enfance. Il était convenable en effet, il était juste que
«notre église, votre première mère, rappelât dans ses besoins
«un fils qu'elle n'avait fait que prêter aux autres pour sub-
avenir à leur indigence, et qu'après l'avoir rappelé, elle l'ap-
«pliquât à son service. C'est pourquoi nous vous enjoignons
«dans toute la rigueur de l'obéissance que vous nous devez,
« et nous vous conseillons en pleine sûreté de conscience de
«nepoint prêter l'oreille aux suggestions de ceux qili vou-
«draient ébranler la résolution où vous êtes à cet égard, et
«vous empêcher d'y persévérer; car nous avons cette con-
« fiance dans le Seigneur que vous produirez en nous des fruits
«agréables à Dieu, qui, avec notre coopération, tourneront
«au profit des autres, dans la persuasion où nous sommes
«que vous êtes destiné par la providence à faire du bien non-
« seulement à l'église de Reims, mais encore à toute -la pro-
«vince et au royaume entier. Car c'est notre intention de
«mettre à profit vos conseils, ^ors même qu'ils contrarie-
«Faient nos vues, soit dans nos affaires particulières, soit
« dans celles d'un intérêt général , voulant partager avec vous
«le fardeau de la sollicitude pastorale, trop au-dessus de
«nos forces. Et afin que vous demeuriez plus ferme dans
« votre résolution , nous trouverons bon que vous vous fas-
« siez ordonner ptêtre , soit par nous , soit par les mains de
«notre parent 1 archevêque de Paris, lorsqu'il vous plaira
«prendre possession de votre nouvelle dignité dans notre
«église.» Nous reviendrons sur cette lettre.
Voilà donc des autorités qui semblent prouver, la pre-
mière que Pierre-ie-Chantre était né à Paris; la seconde,
qu'il était venu au monde à Beauvais; et la troisième semble
ne laisser aucun doute que Reims n'ait été le lieu de sa
naissance, d'autant plus qu'il est surnommé Remensis par
XII SIECLE.
286 PIERRE LE CHANTRE.
. Raoul de Coggeshale, historien anglais, et dans le titre de
plusieurs de ses ouvrages manuscrits , comme nous le ver-
Anteursecci. rons bientôt. D. Rémi Ceillier l'a encore surnomme de Poi-
'P ■ tiers; nous ne savons sur quel fondement. Comment conci-
lier des témoignages si contradictoires .•' Nous ne voyons
qu un moyen ; c'est de dire qu'il était né dans le Beauvoisis
où résidait sa famille, peu de temps avant que Henri de
France, frère du roi Louis-le-Jeune, fût fait évêque de cette
ville l'an ii49; qu'ayant été élevé par ce prélat et destiné
à l'état ecclésiastique, il avait suivi son patron lorsque celui-
ci fut transféré sur le siège de Reims l'an 1162; et d'après
la lettre que nous venons de rapporter, il faut croire qu'il
y fut pourvu de quelque bénéfice.
Examinons manitenant en quel temps il put se fixer à
Paris pour y enseigner la théologie. Si l'on peut s'en rap-
porter à Césaire d'Heisterbach , Pierre était un des profes-
seurs de Paris l'an 1 171. Cet auteur du XIIP siècle raconte
Tissier, Rbl. que la nouvelle du meurtre de saint Thomas de Cantor-
Pat.Cist.,t. II, jj^ri^ arrivé le 29 décembre de l'année précédente, dQ"na
^" * ** lieu à de grandes disputes parmi les théologiens, les uns le
qualifiant de martyr, les autres soutenant qu'il avait mérité
d'être mis à mort, non à la vérité par un assassinat, mais
suivant les formes judiciaires , comme rebelle à son roi.
Maître Roger , docteur de renom, se distingua , dit l'auteur,
parmi les derniers, et appuya même son opinion du ser-
ment. Pierre-le-Chantre prouva au contraire que l'archevêque
de Cantorbéri était mort victime d'une bonne cause; et, pour
ne céder en rien à son advcrsaiie, jura pareillement qu'il
n'avançait que la pure vérité. Le serment, à notre avis, était
de trop de part et d'autre, et n'était nullement propre à dé-
cider la question. Mais bientôt, ajoute l'historien, le ciel la
décida lui-même par les témoignages éclatans et multipliés
qu'il rendit à la sainteté du prélat.
Quoi qu'il en soit de cette anecdote, qui aurait besoin
d'un meilleur garant, elle prouve au moins que Pierre tenait
dès -lors un rang parmi les professeurs de Paris; mais il ne
fut pas sitôt chantre de l'église épi^copale. Il est prouvé par
lliui. «-des. des chartes rapportées dans l'histoire de l'église de Paris,
^44-' ' "'^' qu'un nommé Gautier était revêtu de cette dignité aux an-
nées 1178 et n8o. Mais Pierre remplissait certainement
cette charge l'an n84, selon une charte rapportée par le
même historien,
PIERRE LE CHANTRE. 287
XII SIECLE.
L'an 1 191,1e clergé de Tournai jeta les yeux sur le cliantre
1 église de Paris pour remplacer l'évèque Evrard d'Avesnes,
de 1 église de Paris pc
décédé au mois de décembre de l'année précédente. Malheu-
reusement cette élection si bonne quant au fond se trouva
manquer par la forme, défaut que Guillaume de Cliam-
f»agne, arclievêque de Reims et régent du royaume pendant
absence du roi Philippe- Auguste, ne voulut jamais couvrir
de son autorité. En vain Etieinie,abbé de Sainte-Geneviève,
organe des ^ens de bien, écrivit-il au métropolitain en fa- Sfeph.Tornac.
veur de levëque élu; sa lettre n'eut d'autre effet que de le «-p- «75, al- 173.
faire proposer lui-même, contre son attente, pour remplir
le siège vacant. Les Tournaisiens agréèrent ce nouveau
choix , et Pierre renonça sans peine aux droits que lui don-
nait son élection.
L'an 1 196, il fut encore appelé à remplir le siège de Pai'is Mart. Ampi.
après la mort de Maurice de Sully; mais, quoiqu'il eût pour ^°j'*^îg *' ^'
lui le vœu du clergé et du peuple , et même le consentement
du r»i, il paraît qu'il éprouva encore de l'opposition de la
part de l'archevêque de Reims , qui eut le crédit de faire
nommer à sa place son cousin Eudes de Sully. C'est ce qu'on
peut recueillir d'une lettre qu'adressa à ce dernier Adam,
abbé de Perseigne, dans laquelle, entre autres remontrances
fort libres, il lui dit : « Il est temps que vous fassiez éclater Mart. ibiW.-
« les rayons de votre gloire, après que l'astre brillant du fir- '■^' '^°^' '°'^''
«mament de votre église, qui l'a si long-temps illustrée par
a la sainteté de sa vie et par l'éclat de sa doctrine, s'est en-
«tièrement éclipsé. Je ne m'explique pas davantage : vous
«comprenez assez que je veux parler du chantre de l'église
«de Paris, homme de pieuse mémoire, dont vous devriez
«d'autant plus regretter la mort, que, selon l'opinion de
«bien du monde, vous regrettiez peu son absence. Il est
« pourtant vrai que le saint homme avait de la peine à se
« le persuader. »
Ceci sert à expliquer pourquoi l'archevêque de Reims, qui
avait fait manquer deux fois l'épiscopat à Pierre-le-Chantre,
mettait, dans la lettre rapportée plus haut, tant d'empres-
sement à l'attirer dans son église, et à lui procurer la dignité
de doyen; c'était pour réparer, en quelque sorte, le tort
qu'il lui avait fait, et aussi pour mettre à son aise son pa-
rent, en le délivrant d'un voisinage importun. Ce ne fut pas
sans peine, dit un historien anglais, que Pierre se rendit Mart. ihid.
aux désirs ^ ou, pour mieux dire, aux ordres du prélat. Mais '■^' ''°'- ^^^-
XII SIECLE.
288 PIERRE LE CHANTRE.
enfin , cédant aux importunités des citoyens de Reims , qui
s'étaient jetés à ses genoux, il consentit à son élection, à
condition qu'il obtiendrait l'agrément du chapitre de l'église
de Paris. S étant donc remis en chemin pour le demander,
il s'arrêta à l'abbaye de Long -Pont, près de Scissons , où
étant tombé dangereusement malade, il fit son testament
et prit l'habit religieux.
Mabill. Acta Vers le même temps arrivèrent des ordres du souverain
' ■ 'P' '^' pontife, qui lui enjoignait de prêcher la croisade en France.
Pierre était trop atïaibli par la maladie pour se charger de
cette pénible commission ; il en chargea son disciple Foul-
ques, curé de Neuilli-sur-Marne , qu'il avait formé lui-même
au ministère de la prédication, et il mourut bientôt après,
le 22 septembre 11 97. Raoul de Coggeshale rapporte sa
mort sous l'année 11 98; mais tous les autres chroniqueurs
la placent en 1 197, ajoutant à leur annonce un éloge plus ou
moins étudié, tant était grande la "réputation de science et
de sainteté dont jouissait notre auteur dans l'estime pu-
blique ! Son corps fut inhumé à Long-Pont, et l'on grava
sur sa tombe les deux vers suivans :
Hoc jacet in loculo Petrus -venerahilis ille
Egregius cantor, parùiense decus.
Mart. 2 Yoy. Dom Martène rapporte une autre épitaphe du même en
lut., p. 9. prose, mais beaucoup plus récente, dans laquelle on met sa
mort au 16 mai de l'an 1 180, époque réfutée par les anciens
monumens et par les circonstances de sa vie rapportées ci-
deSsus.
SES ÉCRITS.
Du grand nombre d'écrits sortis de la plume de Pierre-le-
Chantré, nous n'en avons qu'un seul qui ait été rendu pu-
blic par l'impression; c'est celui auquel on a donné pour
titre Verhum ahhreviatum, parce que l'ouvrage commence
par ces mots. Il paraît que 1 auteur l'avait intitulé d'une ma-
nière plus analogue aux matières qu'il renferme : duinoins
voit-on plusieurs manuscrits où cet ouvrage porte des titres
différens ; le plus ancien de la bibliothèque royale , n° 3487 ,
Olim Colbert 3609 , a pour titre Ethica magistri Pétri Can-
tons Parisiensis. D'autres sont intitulés tantôt Summa phi-
losophice, tantôt De brevitate locutionis, tantôt Summa de
sugillatione vitiorum et com^m^ndatione virtutum. C'est en
XII SIECLE.
PIERRE LE OftANTRE. 289
effet le pre'cis de cette production , qui n'a pour objet que
de caractériser les vices et les vertus , d'inspirer de l'ëloi-
gnement pour les uns et de faire naître l'amour des autres.
On y trouve une peinture fidèle des abus qui régnaient de
son temps dans l'église et dans l'état. On y reconnaît un
moraliste sévère qui dévoile mieux que tout autre quelle était
alors la dépravation des mœurs et les différentes formes que
prenait la cupidité pour arriver à ses fins. Dans le volume
imprimé l'ouvrage est divisé en une seule série de i53 cha-
pitres ; mais ce nombre n'est pas le même dans les dix ma-
nuscrits de la bibliothèque royale que nous avons consultés;
le plus ancien qui est le n° 3487 , est divisé en sept livres,
dont le premier contient 1 5 chapitres , le second g , le troi-
sième i3, le quatrième 21 , le cinquième 19, le sixième 53,
le septième 20 : ce qui fait en tout 1 5o chapitres. En rendant
compte des principales matières contenues dans cet ouvrage,
nous nous conformerons à la division établie dans le volume
imprimé,
Les premiers vices ou abus que l'auteur combat , sont ceux Cap. i-5.
des théologiens de son temps; Il blâme d'abord la prolixité
et la multiplicité des gloses de l'Ecriture-Sainte, plus pro-
f>res, dit-il, à embrouiller le texte qu'à l'éclaircir, a rebuter
e lecteur qu'à le soulager. II porte le même jugement des
questions qui sautaient alors dans les écoles , la plupart ne
roulant que sur des frivMités, des abstractions qui n'avaient
aucun rapport à la science du salut. On avait négligé les vé-
rités utiles pour courir après de vaines subtilités dans la
vue de. faire briller son esprit et d'embarrasser un adver-
saire dans la dispute. « Est-ce donc que je ne pourrai , dit-
ce il , faire la différence du juste et de l'injuste, si je n'invente
« des questions captieuses et malignes, et que je ne tire une
« erreur d'une vérité par une fausse conclusion.'^ » Notre
judicieux auteur ne se borne pas à condamner cet abus, il
indique les moyens d'y remédier : puiser la connaissance de
la religion dans ses véritables sources, l'écriture et la tra-
dition; ne point aller au-delà des bornes posées par nos
pères ; se retrancher dans ce qui est utile et édifiant ; laisser
aux esprits frivoles les vaines disputes qui n'ont pour but
que l'honneur de vaincre ; s'attacher à la clarté , la précision
et la solidité dans ses expressions : telles sont en abrégé les
règles qu'il propose aux . professeurs et aux interprètes de
l'Ecriture-Sainte.
Tome Xr. Oo
Xn SIECLE.
290 PIERRE LE CHANTRE.
Viennent ensuite les prédicateurs, auxquels il recom-
Cap. 6-9. mande sur-tRut la sainteté des mœurs comme la base des
succès cfu'ils peuvent se promettre. Il y a un chapitre entier
contre la prédication curieuse, c'est-à-dire, celle où l'on
cherche à flatter l'oreille de l'auditeur par des phrases so-
nores et cadencées, par des pointes ingénieuses, des figures
brillantes et tout l'attirail d'une rhétorique profane.
Cap. 10-18. L'orgueil, l'euvie, la détraction ont cnacun leur chapitre
particulier. On parle ensuite de l'humilité dont on distingue
deux espèces, lune bonne, l'autre mauvaise; de la douceur,
de la pauvreté ou de l'heureuse médiocrité.
Cap. 19-23. L'avarice occupe plusieurs chapitres. On déclame d'abord
tissez au long contre les magistrats qui reçoivent des présens
pour la justice rendue ou à rendre, pour favoriser l'injus-
tice commise ou pour donner le privilège de la commettre ;
ensuite contre l'avarice des clercs , et sur-tout des officiers épis-
copaux dont les exactions étaient criantes.
Cap. aS-ag. Les messes se célébraient à prix d'argent, et pour gagner
davantage les uns se permettaient d'en dire plusieurs dans
un même jour , les autres avaient imaginé les messes à plu-
sieurs faces, c'est-à-dire, qu'afin d'avoir plus d'offrandes,
on disait plusieurs fois la partie de la messe qui se termine
au canon , en observant de la varier suivant les intentions
qu'on avait à acquitter. « Mais, ajoute-t-il, parlerai-je d'une
« profanation encore plus énorme au saint sacrifice? Oui je
« le dis en pleurant ; on voit des prêtres qui ne craignent pas
«de convertir en- art magique nos redoutables mystères.
« Je veux dire qu'ils les célèbrent devant des images de cire
« destinées à faire des imprécations contre quelqu'un , qu'ils
« font eux-mêmes ces imprécations, et chantent jusqu'à dix
« fois, et plus encore, la messe des morts, dans l'intention
« que celui qu'ils ont en vue meure dans cet espace de temps
a et soit mis au rang de ceux pour lesquels ils prient (i). »
Pierre propose des moyens de remédier à tous ces abus; ce
(1) Le journal de Henri III rapporte qn'on exerça à Paris la mente
superstition à l'égard de ce prince. « Furent faites à Paris, dit l'auteur sur
« l'an iSSp, jeudi 26 janvier, force images de cire que les Parisiens
" tenaient sur l'autel , et les piquaient à chacune des quarante messes
« qu'ils faisaient dire dans les quarante heures en plusieurs paroisses de
• P.iris, et à la quarantième piquaient l'image à l'endroit du cneur, disant
• à chaque piquure quelque parole de magie pour essayer de faire mourir
» le roi. »
PIERRE LE CHANTRE. 291
serait de diminuer le nombre des églises, des autels et des
prêtres, en n'élevant au sacerdoce que les sujets qui en se-
raient vraiment dignes selon les canons, et sur-tout en sup-
primant, comme l'avait projeté le pape Grégoire VIII, les
offrandes à la messe, excepté aux principales fêtes de l'année.
La pluralité des bénéfices est un autre vice gu'il poursuit Cap. 31-48.
avec beaucoup de chaleur. Il appelle ceux qui possédaient' x
des titres en plusieurs églises à-la-fois, des polygames, des
lamechites, des geryons, des briarées, des monstres à plu-
sieurs corps et à plusieurs têtes. Il parle ensuite des abus qui
se commettaient dans les élections aux prélatures, et de la
simonie.
Les exemptions ecclésiastiques à la faveur desquelles on se Cap. 4'|.
soustrait à la juridiction du supérieur ordinaire pour ne dé-
pendre que d'un autre plus relevé en dignité, ne sont pas
traitées avec plus de ménagement.. L'auteur les qualifiç, d'a-
près saint Bernard, de véritables schismes dans l'église, de
renversement de la discipline ecclésiatique, d'abus contraire
au droit naturel. Il est vrai qu'il ne donne que pour des ob-
jections, et non pour des assertions, ce qu'il avance à ce
sujet. « Car il ne m'est pas permis, dit-il, de dire au seigneur
« pape pourquoi agissez-vous de la sorte ? Tout ce que je sais,
«c'est que les exemptions sont condamnées par les canons
«anciens et nouveaux, et que néanmoins elles émanent de
«l'autorité du siège apostolique, qui est telle que Dieu ne
«permet pas qu'il tombe dans l'erreur. Mais peut-être ac-
«corde-t-il ces sortes de privilèges par une inspiration par-
te ticulière du Saint-Esprit, comme Samson qui se détruisit
«lui-même en écrasant les Philistins. » On voit par -là que
Pierre- le- Chantre n'était guère éloigné de croire à l'infail-
libilité du pape.
Dans les chapitres suivans 45-5o, il continue à parler de Cap. 45- S».
la simonie et du mauvais emploi de l'argent, soit en faisant
des largesses à ceux qui n'en ont pas besoin, soit en don-
nant aux histrions , soit en prêtant à usure.
Vient ensuite le tour des avocats. Je n'ai jamais vu, dit-il, Cap. 5i-53.
de cause injuste et désespérée qui n'ait trouvé de défenseurs.
Il leur reproche de rançonner leurs parties, de négliger la
cause de la veuve et de l'orphelin, d'employer leurs talens
à prolonger les procès, à les multiplier, à inventer de nou-
velles chicanes pour obscurcir la vérité et empêcher le bon '
droit de triompher : « ce qui leur est d'autant plus facile,
O02
XII SIECLE.
29a PIERRE LE CHANTRE.
« ajoute- 1 -il, qu'ils se fondent sur les lois positives et hu-
«maines, lois purement arbitraires et sujettes à diverses in-
« terprétations. v Ce qu'il dit des lois humaines, il l'étend
même aux canons. « Car il est clair, dit-il, que les décrets
«n'ont rien d'absolument fixe, puisqu'ils dépendent de la
■ «volonté du seigneur pape, qui peut les interpréter selon
«son bon plaisir. S'il juge conformément aux canons, il ju-
«gera bien; et s'il juge d'une autre manière, son jugement
«sera également bon, car il a le pouvoir de faire de nou-
« veaux canons, d'expliquer les anciens ou de les abroger.
«Patet décréta esse mohilia , ex eo quod in corde domini
«.papœ sint , ut scilicet ea interpretetur ad libitum suum, ;
« qubd si secundiim ea judicaverit , juste judicahit ; si contra
v.ea, similiter juste judicasse dicetur. In ejus enini est po-
« testate condendi, interpretandi et abrogandi canones. » On
aurait. peine à croii'e que l'auteur parle sérieusement, si l'on
ne savait quelle étrange révolution les fausses décrétales
avaient faite dans les notions théologiques sur l'autorité du
pape.
Cap. 54-66. Les abus qui se commettaient dans les élections cano-
niques et la collation des bénéfices ; les devoirs des pasteurs
et clés prédicateurs fournissent la matière de douze chapitres.
Sur ces objets l'auteur pose de grands principes et débite une
excellente morale. Il finit ce qui concerne les prédicateurs
par le trait suivant. « Quelqu'un, je ne sais à quel dessein,
ft ayant dit au pape Alexandre III : Seigneur, vous êtes un
« bon pape, toutes vos actions sont vraiment papales ; Alexan-
« dre répondit en son langage vulgaire : Si je savois bien
KJujar, bien predicar et penitense douar , je seroie bosne
v.pape. » Ce langage du pape, qui était siennois, a bien du
rapport avec le français du temps.
Cap. 78. - Nous passons sous silence une multitude de chapitres tou-
chant plusieurs points de morale, pour arriver au 78"^ contre
les épreuves du fer chaud et de l'eau froide ou bouillante, que
l'auteur traite d'enchantemens et d'in.ventions diaboliques.
Il a réuni tout ce qu'on peut dire pour prouver l'incertitude,
la témérité, l'injustice et l'absurdité de ces moyens pour dé-
couvrir la vérité. Il n'est pas plus favorable aux duels judi-
ciaires. Il blâme également le zèle inconsidéré de certains
catholiques qui punissaient du feu les cathares , dès qu'ils
tombaient entre leurs mains, sans vouloir leur donner le
temps de se reconnaître. Souvent c'était la cupidité qui lai-
PIERRE LE CHANTRE. 1293
sait agii' ces prétendus zélateurs de la foi. L'auteur raconte '
que des femmes furent condamne'es à titre d'hérétiques , parce •
qu'elles n'avaient pas voulu consentir aux mauvais désirs de
leurs juges; qu'un catholique puissant et des plus zélés en
apparence surprit et arrêta plusieurs riches cathares, qu'il
relâcha après avoir vidé leurs bourses. Par malheur il se
ti'ouva dans la troupe un pauvre homme à face blême, qui
n'avait pas le moyen de payer sa rançon. On retint celui-ci ,
et on l'amena devant le roi et son conseil. Il eut beau pro-
fesser tous les articles de la foi catholique, on voulut qu'il
attestât sa foi par l'épreuve du fer chaud : comme il refusa de
le faire jusqu'à ce que les évêques présens lui eussent prouvé
que cela se pouvait sans tenter Dieu, il fut condamné à être
brûlé. « Aussitôt, dit l'auteur, les évêques se levèrent tous,
«et se retirèrent, disant qu'il ne leur était pas permis d'as-
«sister à un jugement de mort.» II nous semble à nous que
la douceur et la charité pastorales exigeaient d'eux quelque
chose de plus, et qu'ils n'eussent rien fait de trop en s'op-
posant à texécution d'un tel jugement.
Dans le chapitre suivant, on s'élève contre la multitude Cap. 7g.
accablante des traditions humaines ; on y prouve que s'il y
en a de bonnes en elles-mêmes, le trop grand nomore n'est
propre qu'à faire prendre le change aux fidèles sur l'acces-
soire et l'essentiel de la religion, qu'à faire naître des scru-
pules aux gens de bien , et à augmenter le nombre des
prévaricateurs. «Voyez, dit-il, combien n'a pas fait de trans-
«gresseurs le décret du dernier pape Grégoire (c'était Gré-
«goire VIII : ce qui prouve que ce traité ne fut composé *'
«qu'après l'an 1187), par lequel ce pape ordonne que pen-
« dant cinq ans on jeiinera le mercredi et le vendredi de
« chaque semaine jpour attirer le secours du ciel sur l'église
«de Jérusalem.^ Et le concile de Latran (de l'an 1 179) com-
«bien n'occasionna-t-il pas de scrtipules et par son décret
«sur les dîmes qu'il ordonne de retirer, sous peine d'ana-
« thème, des mains des laïques, et par la défense qu'il a
«faite de promettre un bénéfice avant qu'il soit vacant, dé-
« fense à laquelle on déroge par dispense sans égard aux
« canons des conciles précédens.»' Que dirai-je des traditions
« qui ont pour objet le vénérable sacrement de mariage ,
« telles que ce troisième degré d'affinité et d'autres qui tan-
«tôt l'annullent, tantôt le valident, suivant la tournure que
«le babil des avocats sait leur donner, instirumens utiles
294, PIERRE LE CHANTRE.
1 L «entre les mains de ces hommes adroits à vider la bourse
«des autres, et à remplir la leur. »
Cap. 80. XI y avait dès-lors nombre de casuistes qui s'étudiaient à
élargir la voie du ciel par des raffinemens qui atténuaient
et l'énormité des péchés et l'importance des devoirs de la
vie chrétienne. C'est contre ces docteurs relâchés qu'est di-
rigé le chapitre intitulé Contra mollientes arcum sacrœ scrip-
tural. L'auteur, entre autres choses, y fait cette remarque:
«Si nous qualifions d'hérétiques ceux qui s'éloignent tant
«soit peu du sentier de la foi, pourquoi ne traitons-nous
«pas de même tout homme qui se joue des préceptes
«moraux.»
Cap. 82-85. Quatre chapitres roulent sur le luxe et la superfluité des
habits. On y blâme fortement les robes à longues queues,
sur quoi on rapporte ces paroles d'un sermon de Milon ,
évêque de Terouane, dont les ouvrages ne sont pas venus
jusqu'à nous. « Sachez, mes bonnes dames, que si pour rem-
«plir l'objet de votre destination, vous aviez besom de lon-
«gues queues, la nature y eût pourvu par quelque chose
«d'approchant. Il y a des gens, ajoute l'auteur, qui n'ayant
«pas les moyens de faire à leurs robes des queues d'étoffe,
«y attachent des queues d'animaux, afin qu'ils ne soient
«pas tout-à-fait sans queues. On en voit aussi qui percent
«leurs habits en étoiles, d'où leur est venu le nom d'étoiles.»
Il y avait des ouvriers particuliers pour faire ces sortes d'ha-
bits ; l'auteur les nomme perforatores vestium.
Cap. 86-90. Les chapitres suivans, jusqu'au 90*^, sont contre la somp-
tuosité des édifices et les autres genres de prodigalité.
Cap. 91-1/(0. Après plusieurs chapitres sur les vertus théologales, la
foi, l'espérance et la charité, qu'il envisage sous Tes diffé-
' rentes manières de les exercer envers le jw-ochain, on parle
des quatre vertus cardinales, la prudence, la force, la tem-
pérance, la justice, et des vices qui leur sont opposés. Le
chapitre i4o a pour titre : Epilogus facierum culpœ. L'au-
teur le commence par dire qu'autant qu'il y a de vices dont
nous nous revêtons, autant prenons-nous de formes qui nous
rendent semblables à des bêtes brutes. Les termes par oîi
il le termine sont remarquables. « De même, dit-il, que dans
«les scènes théâtrales le même comédien se présente tantôt
«comme un vigoureux Hercule, tantôt comme une Vénus
«efféminée , tantôt tremblant comme Cybèle, de même nous
8 faisons autant de différens personnages que nous commet-
PIERRE LE CHANTRE. . aqS
, , , Ti L1 ' u 1 j -. XII SIECLE
«tons de pèches. » Il semble quon peut conclure de cet
endroit que, du temps de l'auteur, on représentait sur le
théâtre des sujets tires de la mythologie.
La pénitence et les conditions qu'elle doit avoir occupent Cap. 141 -i52.
les douze chapitres suivans , où l'on trouve d'excellentes
règles pour les confesseurs et pour les pénitens. L'auteur
conseille d'avoir toujours présente à l'esprit la brièveté de '
la vie, afin d'accélérer la pénitence qu'on doit faire, dans la
crainte d'être surpris de la mort avant de l'avoir accomplie;
et il termine son ouvrage par des considérations sur l'enfer
et le paradis.
Le chapitre i53 , qui est le dernier dans les imprimés, pa-
raît avoir été ajoute à l'ouvrage de Pierre -le -Chantre; au
moins est-il certain que ce chapitre n'existe pas dans les
plus anciens manuscrits de la bibliothèque royale. 11 roule
sur les moines propriétaires. Il a été "détaché du corps de
l'ouvrage et imprimé dans un recueil de pièces sur le même
sujet, ayant pour titre : Joannîs Cornificis , Joannis de Bo- 511,1. Baluz.
malio. Pétri Damiani et Pétri Cantoris Parisiensis , trac- t. II,p. ioi3.
tatus contra nionachos proptietarios , à Paris, chez JVIarnef,
in-8°, édition gothique et sans date.
L'ouvrage entier sortit des presses de François Waudrai ,
imprimeur à Mons en Hainaut, l'an i6'^9, en un volume in-4°,
par les soins de D. George Galopin, religieux et. bibliothé-
caire de l'abbaye de Saint-Guilain. L'éditeur avertit que les
trois manuscrits dont il s'est servi contenaient aux marges
des additions qu'il n'a pas toujours distinguées du texte ori-
ginal ; il n'a fait d'exception que pour un morceau tiré du
manuscrit de Marchiennes, qui depuis le chapitre 66 jusqu'au
80* diffère beaucoup des autres quant aux termes et quant
à la plupart des citations. Il aurait pu faire le même dis-
cernement sur presque tous les chapitres, s'il eût consulté
un plus grand nombre de manuscrits; car il n'y en a presque
pas qui se ressemblent exactement. Il a pourtant fait plaisir
au pubhc de lui donner à part Ce morceau qui contient 33
pages à la suite de ses notes.
Outre cet ouvrage de Pierre-le-Chantre, le seul, comme
on l'a dit, qui ait été imprimé, plusieurs autres existent
manuscrits dans les grandes bibliothèques. Il est bon toute-
fois d'observer que différens titres de ces manuscrits n'an-
noncent pas toujours des productions différentes. Casimir
Oudin,qui a vu par lui-même plusieurs de ces manuscrits
206 PIERRE LE CHANTRE.
_ L ensevelis dans les bibliothèques, et qui en a donne une
notice exacte , avertit que pour ne pas confondre et multi-
plier au-delà du vrai les écrits de notre auteur, il faut en
juger non par les titres que les copistes ont imaginés à leur
fantaisie, mais par les premiers mots .de chaque ouvrage
qu'on lui attribue. Cest ce qu'a fort bien exécuté ce savant
bibliographe que nous prendrons pour guide, en ajoutant
à ses observations celles que nous avons recueillies dans les
manuscrits de la bibliothèque royale.
a» Pierre -le -Chantre est auteur d'une somme des sacre-
mens qui, selon Trithème, commençait par ces mots : Cir-
Oudin, de cuibat poDulus , et était divisée en trois livres. Casimir Oudin
Script, eccles. , i- • •' i i • i -i i- i v i
t. II, col. i663. *^rt avoir vu dans plusieurs bibliothèques une grande somme
^ de Pierre-le-Chantre sur les sacremens , commençant par ces
mots :. Quœritur de legalihus quœ data sunt in signum per-
fectorum et jugum superhoruin , et pedagogum infirmorum,
ayant pour titre tantôt Summa de sacramentis et animœ
consiliis, tantôt Liber sententiarum. Enfin, nous avons sous
les yeux deux gros manuscrits de la bibliothèque royale,
écriture du XIII^ siècle, cotés 3208 et Saôg, olitn Colbert,
i4i9 et 22o8, ayant pour titre en 'lettres rouges de la même
main : Consiliarium cantons parisiensis de pœnitentla. Mais
le volume traite aussi des autres sacremens dans l'ordre sui-
vant : de la pénitence , du baptême , du mariage , de l'eucha-
ristie, de la confirmation, de l'extrême-onction, de l'ordre.
Le traité de la pénitence , qui forme les deux tiers du volume,
commence par ces mots du prologue ; Tota cœlestis philo-
sophia in bonis moiibus et fiae consistit ; et le corps de l'ou-
vrage portant pour nouveau titre : Liber disputatorius sen-
tentiarum, commence par ceux-ci : Pœnitentia est, teste
Augustino , quâ mfila commissa emendationis proposito
plangimus.
Voilà donc sur la même matière trois ouvrages qui pa-
raissent entièrement différens , tous attribués à Pierre-le-
Chantre. Casimir Oudin, qui avait examiné les deux manus-
crits de la bibliothèque royale, pense que l'ouvrage qu'ils
renferment n'est pas de Pierre-le-Chantre, et il se fonde sur
ce. que dans plusieurs chapitres on y cite comme une auto-
rité l'opinion du chantre de l'église de Paris; et à cet égard,
vérification faite sur le manuscrit , nous pensons comme lui.
Mais lorsqu'il ajoute que Robert de Corçon en est le véri-
table auteur, parce que dans un manuscrit de Saint-Victor,
XII SIECLE.
PIERRE LE CHANTRE 297
coté Pp. i3, cet ouvrage lui est attribue. Nous ne le con-
testons pas; c'est ce que nous examinerons lorsque nous en
serons à l'article de ce cardinal. — Quant à l'ouvrage cité par
Trithème , et dont Charles de Wisch dit avoir vu deux exem-
plaires aux abbayes d'Aine et de Villiers dans la Belgique :
«Pour moi, dit Casimir Oudin, ne l'ayant rencontré nulle
«part, je n'ai rien à en dire. Cependant, ajoute-t-il , j'ai bien
«de la peine à me persuader que Pierre-le-Chantre ait fait
«deux écrits sur le même sujet. »
Il est au moins certain quil en avait composé un, et que
sur le sacrement de l'Eucharistie, Pierre-le-Chantre avait en-
seigné une opinion que M. l'abbé Fleuri, d'après Césaire HUt. eccle».
d'Heisterbach , rapporte en ces termes. « Quoique Pierre-le- ' -7*'" 9-
«Chantre fût un des plus célèbres théologiens cfe son temps,
« il n'a pas été suivi toutefois dans une opinion qu'il avait de
«l'Eucharistie; c'est qu'il croyait que la consécration des
«deux espèces était indivisible, et que le pain n'était changé
«au corps de J. C. qu'après la consécration du vin. Doii il
« s'ensuivrait que si le prêtre mourait subitement après la
«consécration du pain, il n'y aurait rien de fait ; et si après
«la consécration du calice, le prêtre s'apercevait qu'il n'y
«avait que de l'eau, il devait recommencer à consacrer les
« deux espèces. » Mais nous trouvons dans un théologien dont
l'autorité est bien plus grande que celle de Césaire tl'Heister-
bach , que ce n'était pas là tout-à-fait l'opinion de Pierre-le-
Chantre. Ce théologien est le cardinal Robert de Corçon , à
qui, selon Casimir Oudin," il faut attribuer le traité des sa-
cremens contenu dans les manuscrits de la bibliothèque
royale, cités ci-dessus. Or voici ce qu'on lit dans ces manus-
crits : Undè quamvis quidam prœsumptuosè asserant et sine
omni auctoritate, qiiod una confectio possit esse sine alia , ta-
men nolamus hic ex nobis aliquid asserere ; sed dicimus cum
Cantore magistro nostro, quod in medio illo teinpore [intercon-
secrationem panis et vini interjecto) non est asserendum, ■
quod corpus sit confectum, neque idem est negandum. Solus
enim Deus , vel cui Deus inspiraverit , novit utrum illorum
sit verum.
L'abbé Fleuri observe judicieusement que cette question
n'aurait pas eu lieu, si l'usage eût été dès -lors d'adorer et
d'élever l'hostie avant la consécration du calice. « Aussi, '
«ajoute-t-il, n'ai -je trouvé jusqu'ici aucun vestige de cette
< cérémonie, et on peut croire qu'elle a été introduite pour
Tome Xr. P p
XII SIECLE.
298 PIERRE LE CHANTRE.
«empêcher qu'on ne doutât à l'avenir de la conversion du
«pain au corps de Notre-Seigneur avant celle du vin. »
Mais revenons au traite des sacremens de Pierre-le-Chantre.
Nous l'avons trouvé dans deux manuscrits de Saint-Victor,
faisant partie aujourd'hui de la bibliothèque royale. Le plus
ancien, cote autrefois GG. i3, aujourd'hui 4oii a pour titre
Summa cantons Parisiensis de sacramentis et anirruB eon-
siliis ; l'autre, coté jadis PP. 6, et maintenant 470 ■» Summa
ma gis tri Pétri Remensis , cantoris Parisiensis , de sacramen-
tis et animœ consiliis , et commencent l'un et l'autre par ces
mots, Quœritur de sacramentis legalibus ; mais le second est
plus étendu et contient beaucoup plus de questions que le
premier, ce qui prouve que ce traité n'a pas été moins inter-
polé que le P'^erbum abhreviatiim. C'est de l'un ou de l'autre
de ces manuscrits que Jacques Petit a extrait et publié un
fragment à la suite du pénitentiel de Théodore, archevêque
de Cantorbéri, page 363. Tj'ouvrage indiqué par Albéric de
Albéric. ad Trois-Fontaines, sous le titre de Magna summa de consiliis
an h97jP-4i^- et rébus ecclesiasticis , ne nous paraît pas différent du ti-aité
des sacremens qui nous occupe ; mais Albéric n'en ayant pas
indiqué le début, nous ne pouvons rien affirmer. Nous di-
sons la même chose d'un écrit cité par Charles de Wisch ,
comme existant dans l'abbaye de Royaumont sous ce titre,
Liber quidam determinationum seu consiliorum Pétri Can-
toris.
30 Une autre production de Pierre-le-Chantre, qui clans
quelques manuscrits a pour titre : De contrarietatibus theo-
togice , ou theologicis ; et dans d'autres, De contixirietatibus
scriptUTxe, ou bien, De contrarietatum solutionibus , com-
mençant par ces mots : Videmus nunc per spéculum in œnig-
mate , est intitulée dans d'autres manuscrits, Grammatica
theôlogorum ; et c'est sous ce dernier titre que l'annonce
De Script. Henri de Gand parmi les écritsr de Pierre-le-Chantre. Dans
*ccie$.,cap. i5. le manuscrit de Saint-Victor, coté GG. i3, à la suite de la
somme des sacremens dont nous venons de parler, cet ou-
vrage a pour titre : Tractatus magistri Pétri Remensis, can-
tons Parisiensis , de tropis theologicis ; dans un autre de la
même bibliothèque, coté BB. G, De t/vpis loquendi; et
ailleurs , Tropi et phrases sacrœ scripturœ ; de manière que
les titres varient presque autant que les manuscrits. Mai3f
comme ceux-ci commencent tous par ces mots, f^idemus nunc
per spéculum in œnigmate . il ne reste aucun doute qu'ils
XU SIECXE.
PIERRE LE Chantre. 399
ne contiennent tous le même ouvrage; et il est vrai de dire
que ces difïerens titres lui conviennent, parce que l'objet
de l'auteur est d'expliquer par les lois de la grammaire ou
de la rhétorique les expressions de l'écriture - sainte , em-
ployées dans un sens figure, lesquelles formeraient des am-
{)liibologies ou des sens erronés, si on les entendait dans
eur sens propre et naturel. C'est aussi l'idée que donne de
cet ouvrage Henri de Gand, lorsqu'il dit qu'en plusieurs
endroits il est fort utile pour lintelligence de l'écriture-
sainte , Ad sacrée scriptune intelligentiain in riiultis locis satis
utilem. .' . ..||.>'
4" Un autre écrit anaWffue à celui-ci a pour titre : Summa
quœ dicitur Abel, parce que rangée dans un ordre alpha-
bétique, elle commence jwr ce mol A bel <licitur priticipium
ecclesiœ. Nous disons que cet écrit est analogue au précé-
dent, parce qu'on y enseigne la manière d'expliquer dans
un sens allégorique les textes de l'écriture- sainte qui en
sont susceptibles. Ce même ouvrage, dans plusieurs manu-
scrits, et notamment dans le n° 93 de la bibliothèque royale
parmi ceux de la Belgique, est indiqué sous le 'titre de Dis-
tinctiones nwgistri Pétri, cantoris Parisiepsis. C'est aussi sous
ce titre que l'a vu Trithème, comme il le marque (cap 4 '9)
datîs rénumération qu'il fait des écrits de Pierre-le-Chantre.
C'est vraisemblablement cet écrit qu'on voyait autrefois à De visch ,
l'abbaye de Royaumont, sous le titre A' A Iphabetum morale, '^'^'" *^'*'^'"- P-
seu liber locorum communiuni pw concionatoribiis.
5° Si uous pouvions vérifier par nous-mêmes et garantir
que tous les écrits sur l'écriture- sainte, attribués à Pierre-
le-Chantre par Casimir Oudin comme existans dans les bi-
bliothèques de France, d'Angleterre et des Pays -bas, sont
véritablement de lui, nous dirions que ce docteur, non con-
tent de prescrire des règles pour bien interpréter l'écriture-
sainte, aurait fait lui-même , joignant l'exemple au précepte,
de nombreux commentaires sur tous les livres de l'ancien
et du nouveau testament. Mais, comme dans son Verbum Verb..ibbreT.
abbrei'iatum Pierre-le-Chantre blâme la multiplicité et la
prolixité des gloses sur l'écriture-sainte, est-il croyable qu'il
ait passé une bonne partie de sa vie à faire des commen-
taires.''
Ce qui nous force à suspendre notre jugement, c'est que
la plupart de ces commentaires portent en titre Pétri Re-
mensis , cantoris Parisiensis. Or nous avons vu plus haut
Pp2
cap.
3oo PIERRE LE CHANTRE.
XII SIECLE
que Pierre-le-Chantre n'était pas né à Reims, et, d'un autre
côté, nous trouvons, au commencement du XIII» siècle, un
Pierre de Reims, de l'ordre de saint Dominique, qui fut un
des grands commentateurs de l'écriture-saihte, selon le té-
moignage de Rernard Guidonis , rapporté par les auteurs
de la bibliothèque de l'ordre de saint Dominique, en ces
Script, ord. termes : Fr. Petrus Remensis , episcopus postmoauni Agen-
II*' col' I '' nensis, qui de glossis maxime super hihliam. totam, com.pen-
diosum opus et bonum, et alia bene utilia scripsit. Hic fuit
prior provincialis Franciœ , et inde factus est episcopus Agen-
nensis tempore magistri Johannis Teutonici. Il est d'autant
^ plus croyable, que ces commentaires ont été faussement
attribués au chantre de l'église de Paris, que le P. Quetif
avoue qu'il n'a pu découvrir dans aucune bibliothèque les
ouvrages de son confrère, excepté un commentaire sur les
douze petits prophètes qu'il dit avoir rencontré parmi d'au-
tres commentaires dans un volume manuscrit du collège de
maître Gervais, écriture du XIIP siècle, avec cette inscrip--
tion à la fin : Expliciunt postillœ fratris Pétri de prœdica-
toribus super duodecim prophetis. Le P. Quetif n'est pas éloi-
gné de croire que Ips commentaires de Pierre de Reims ont
été fondus dans ceux du cardinal Hugues de Saint-Cher,
intitulés Postillœ; nous sommes persuadés, nous, qu'on les
retrouverait dans la plupart de ceux qu'on attribue à Pierre-
le-Chantre.
Mart. Ampl. On pourra nous objecter que Pierre-le-Chantre est sur-
collect., t. V, nommé Remensis par Raoul, abbé de Coggeshale en Angle-
terre, auteur presque contemporani , et quil lest aussi a la
tête de quelques manuscrits contenant des ouvrages ciu'on
ne peut lui contester. — A cela nous répondons qu'il n était
pas rare que les libraires changeassent ou altérassent les
titres des manuscrits, en y substituant des noms plus connus
ou plus révérés, afin de mieux vendre leiH*^ marchandise.
C'est ce que nous avons reconnu plus haut relativement aux
deux manuscrits de la bibliothèque royale, contenant la
somme des sacremens de Robert de Corçon sous la rubi'ique
de Pierre-le-Chantre. C'est ainsi, vraisemblablement, que
transcrivant les commentaires de Pierre de Reims, ils y ajou-
taient Cantoris parisiensis, afin de leur donner plus de va-
leur; et Raoul de Coggeshaje y aura été trompe lui-même.
Qtioi qu'il en soit, cet historien anglais n'attribue à Pierre-
le-Chantre que deux écrits sur l'écriture-sainte, des gloses sur
col. 846.
/
PIERRE LE CHANTRE. 3oi
le psautier et sur les ëpîtres de saint Paul à l'usage des pau- 1
vres ëtudians. Or à l'égard des gloses sur le psautier qu'Ai- Aiberic Chr.
béric de Trois-Fontaines attribue aussi à Pierre- le-Chantre, P" ^'''
voici ce qui résulte de l'examen de deux manuscrits de la
bibliothèque royale, que nous avons sous les yeux, et cet
examen confirmera l'opinion que nous venons d'émettre.
Le plus ancien, apporté de la Belgique sous le n^ 169, a
pour titre : Incipit secunda pars Cantoris super psalteriam,
et ne commence qu'au ps. 5 1 . Cet écrit est tout différent de
celui qui est contenu dans le manuscrit de Saint-Victor, coté
jadis D. 2, et aujourd'hui 242, ayant pour titre : Notulce
magistri Pétri Remensis , Cantoris Parisiensis , supra psalte-
rium , et commençant par ces mots Flehat Johannes , quia
uerno erat qui aperiret libnim. On voit que dans le premier,
l'auteur n'est désigné que par le mot Cantoris, parce que
ce n'est qu'une seconde partie de l'ouvrage à la tête duquel
le nom cle l'auteur était exprimé plus longuement; et dans
le second, il est nommé Petrus Remensis , cantor Parisien-
sis, et le mot Notulœ du titre semble n'indiquer que les Pos-
tillœ , qui , comme nous l'avons vu , caractérisent les com-
mentaires du dominicain Pierre de Reims. Dirons-nous que
Pierre- le- Chantre a composé les deux ouvrages sans se ré-
péter? Nous avons de la peine à nous le persuader; nous ne
décidons pourtant rien, et nous laissons à d'autres le soin
de débrouiller lesquels des écrits sur l'écriture-sainte, attri-
bués à Pierre-le-Chantre, on pourrait revendiquer comme
appartenans au dominicain Pierre de Reims.
6° Nous croyons devoir user de la même réserve relati-
ment à un écrit qui lui est attribué par Albéric de Trois-
Fontaines, sous le titre de Unum ex quatuor innovatum.
C'est apparemment une concordance des évangiles, commen-
çant par ces mots : Quatuor faciès uni, etc.^ comme nous De Visch,
l'apprend Bunderius, qui dit l'avoir vu dans la bibliothèque ^'^^- Ç'*'*'"- P-
de Long-Pont. ^ '^''•
y" Nous serons moins réservés à l'égard d'un recueil de
sermons qu'on attribue à Pierre-le-Chantre , et que Sandérus Sander. mss.
dit avoir vu à l'abbaye de Cambron en Hainant, portant le ^^l^'.' P**"*" *'
nom de Pierre de Reims. Le P. Quetif, cité plus haut, nous ''
paraît mieux fondé lorsqu'il allègue en faveur de son con-
frère ce passage de Henn de Gand^cap. 21. Petrus ejusdem
ordinis ( prœdicatorum ) provincialis Franciœ scripsii sermo-
3o2 PIERRE LE CHANTRE.
'_ nés de donùnicis et festivitatibii^ ferk per totwn annunt,
quihus rnulti utuiitur usque hodiè.
De Script. 8*> Trithème attribue encore à Pierre-le^Chantre un livre
eccle».,n 419. j^ miracles, De quihusdam miraculis lihruni ununi , sur
lequel nous ne trouvons pas d'autres renseignemens qu'une
citation du miroir des exemples, rapportée par Charles de
Wisch, page 265, en ces termes; Hic Petrus cantor Pari-
siensis scripsit librum miraculoruni siii temporis, unde hœc
duo exempla sumpta sunt.
9** Nous ne sommes pas plus en état de décider si c'est
avec raison qu'on lui attribue un commentaire sur la phy-
sique d'Aristote et sur le traité de l'ame du même auteur;
un abrégé du décret de Gratien, et un opuscule intitulé
Distinctiones de B. Virgine , productions dont nous ne
voyons que le titre dans la bibliothèque de l'ordre de Cîteaux ,
page 263 et suiv.
Il résulte de l'examen critique dans lequel nous sommes
entrés touchant les productions de Pierre- le -Chantre, que
nous ne reconnaissons pour être véritablement de lui que
le Verhum abbreviatum, le Traité des Sacfemens, la Gram-
maire des Théologiens , ou de Tropis loquendi, et la somme
intitulée Abel, autrement dite Distinctiones , ou yilphabetum
morale. Ces quatre ouvrages sont solides et remplis d'une
grande érudition théologique. On trouve dans le Ferbwn
abbreviatum, outre les passages tirés de l'écriture -sainte,
les citations des 107 auteurs, conciles, pères de l'église, ora-
teurs, poètes, philosophes, historiens, etc. Cette variété de
passages fait le plus bel ornement du livre , et donne aux ma-
tières qu'on y traite un certain agrément qu'il n'aurait pas
sans cela. On ne peut pas dire que l'auteur, tout occupé de
citations, eût un style a lui; mais il avait un jugement ex-
quis, et ses décisions eu fait de morale sont ordinairement
César. Heis- très-sûres. On en jugera par j'Hiiecdote suivante, tirée de
terb., Dist. 2, Césaire d'Hcisterbach , par laquelle nous terminerons cet
"^' *' article. Sous le règne de Philippe- Auguste, un fameux usu-
rier, nommé Thibaud, avait amassé de grands biens dans
. cette indigne profession. Touché de remords, et voulant ré-
parer le mal qu'il avait fait, il s'adressa à l'évêque de Paris,
Maurice de Sully, qui faisait construire alors la grande basi-
lique telle qu'on la voit de nos jours. Le prélat, qui avait
besoin d'argent pour achever sou entreprise, lui conseilla
HAIMON, RELIGIEUX DE SAINT-DÈNIS. 3o3
de consacrer à cette œuvre pieuse le bien qu'il avait mal
acquis. Thibaud, soupçonnant quelçjue vue d'intérêt dans
ce conseil, voulut aussi prendre l'avis de Pierre-le-Chantre.
Celui-ci, sans aucun respect humain, lui répondit : « On ne
«vous a pas donne' un bon conseil. Voici ce que vous devez
«faire: Allez, faites proclamer dans toute la ville que vous
«êtes prêt à restituer à tous ceux qui ont eu affaire à vous,
« ce que vous avez exigé d'eux au-delà du sort principal. » Le
fiéniterit obéit ; étant ensuite venu retrouver le Chantre, il
ui dit qu'après toutes les i^estitutious faites, il lui restait
encore beaucoup de superflu. « Maintenant, lui répondit le
«sage directeur, vous pouvez laire l'aumône en toute sûreté.»
B.
XII SIECLE.
• HAIMON,
RELIGIEUX DE SAINT-DENIS.
Avant d'examiner quel était cet auteur, et en quel temps
il vivait, il faut connaître le principal ouvrage qu on lui at-
tribue. C'est une l'elation de la découverte des corps de saint
Denys, de saint Rustique et de saint Eleuthëre, en io5o ou
vers cette époque, anno , dit l'auteur lui-même, yt?/«.y minus '
cii'citer millesimo quinquagesimo. Duchesne n'avait publié
qu'une partie de cet opuscule. Dom Félibien l'a inséré en Script.
entier parmi les preuves de son histoire de l'abbaye de Saint- gaii., c. iv, p
Denys. La relation est précédée d'une épitre dédicatoire à i57, d'après un
TT Ul ' J A .^ r\ II- ins.deDeThou.
Hugues, aobe de ce même monastère. «. Domno abbati p. 166,167,
« Hugoni... Hnyrno sub eo in loco beati Dionysii regulariter d'après un an-
ii.degentium minùnus. » L'auteur, qui n'a pris la plume que cienms.del^b-
pour obéir aux ordres de son abbe, le siipplie de l'aider au ^^^ ^ " *'
moins par ses prières dans une entreprise si difficile. « Ut
« mihi tanti pelagi volubilitatem tianscendere conaturo tua-
« rum oràtionum indesinenter assistât protectio , ne lintris
« meœ callein obliquet ventonim adversa impulsio, ne sire-
« narum fallax detineat modidatio , sed expeditiiis prœter-
Kgresso syrtium vado , carybdisque voracis immunis periculo.
rer.
nys.
XII SIECLE.
X
3o4 HAIMON, RELIGIEUX DE SAINT-DENIS.
. « te patroclnante et remigante , quieti portûs adeptâ gratuler
«. amœnitaté. » Nous citons ces lignes, .afin de donner une
idée du style de l'auteur et de son goût pour les métaphores
et pour les consonnances.
Du reste, quelque immense que lui paraisse la mer qu'il
va parcourir, son ouvrage ne consiste après cette préface
qu'en quatorze petits chapitres. On apprend dans les pre-
miers comment, poussés par le démon ('versutid antiqui ser-
pentis), aveuglés par l'ignorance, ne craignant plus la jus-
tice ^livine, les moines de Saint-Hermentran ou Emmeran à
Ratisbonnese sont vantés de posséder lexorps de saint Dcnys
l'Aréopagite. Le roi de France, Henri P"", réclama contre
cette pretentioii auprès de l'empereur et du pape Léon IX,
qui' était alors en Allemagne. Au nombre des envoyés du
roi était labbé Hugues, qui, en ce temps-là, dit la relation,
gouvernait le monastère de Sainl-Denys. « Inter quos etiam
« abhas qui tune ipsius sancti loco prœerat, Hugo noinine
« adfuit. » Par le rapport de ces ambassadeurs , on demeura
convaincu que, pour déiviciner l'erreur que les moines alle-
mands propageaient, il fallait indispensaulement rechercher
les corps dfe saint Denys et de ses deux compagnons. On y
procéda; et l'auteur, après avoir exposé les détails de cette
recherche et du succès qu'elle obtint, nomme les évêques,
abbés et laïcs qu'on dit en avoir été témoins oculaires : « Qui
t prœsentes dicuntur celebritatis gaudio interfuisse. » Si les
Allemands demandent pourquoi nul miracle n'a signalé la
découverte de ces reliques; l'auteur leur répond qu'à la vérité
la santé n'a pas été rendue aux malades, ni la parole aux
muets; mais que les denrées se sont tenues au plus bas prix
durant cette solennité, malgré l'afïluence des curieux de l'un
et de l'autre sexe , et quoiqu'on touchât à la saison des ré-
coltes et des vendanges, époque où les vivres ne manquent
jamais d'être devenus plus rares et plus chers. Leur abon-
dance et la modicité de leur prix au moment de la décou-
verte de ces trois corps, modicité qui trompa l'esjîerance de
plusieurs marchands avides accourus à cette fête; voilà aux
yeux d'Haymon un vrai miracle qu'il ne craint pas de com^
parer à la multiplication des cinqjiains et des deux poissons
dont il est parlé dans l'évangile. Toutefois il raconte dans le
chapitre XIII la guérison d'un démoniaque par l'attouche-
ment ou même par le seul aspect d'un manteau de saint
Denys. Le dernier chapitre est une sorte d'hymne en l'hon-
HAIMON, RELIGIEUX DE SAINT-DENIS. 3o5
11'. J 1 • I 1 XII SIECLE.
neur de ce saint, qui, selon 1 auteur, occupe dans le ciel le
rang le plus élevë après les douze apôtres.
Si nous en croyons Harpsfeld, Pitz, Bailey, les centuria- Hist. Angi ,
teurs de Magdebourg et Vossius , cette relation serait l'ou- ^'^^^'^^ j^^^j^
vrage d'un Anglais nommé Haymon, moine de Saint-Denys a^gi.^ p. ,88.
vers io5o, contemporain des faits qu'il raconte, puis pro- Centur. il,
fesseur de théologie à Paris , ensuite chanoine et archidiacre ^- j9-
de Cantorberi, mort le 9 octobre 1004, et auteur de beau- <, jo,p. 620.
coup d'autres écrits, par exemple, d'homélies, de commen- Dehist. lat. ,
taires sur diverses parties de la Bible, de dix livres fie me- iib-ii»c*44-
mon'd rerum christlanarum ; de traités intitulés : De rébus
monachorum ; de fructu incarnationis ; de sanctorum imita-
tione ; de quibiisdam martyribus ; de pugnd vitiorum, et vir-
tutum, etc. Mais il a été reconnu que plusieurs de ces ou-
vrages appartiennent à Haymon d'Alberstad, auteur du IX*
siècle , et quelques-uns à Haymon , religieux d'Hirsauge vers
l'an 1091. On peut consulter à ce sujet les notes de Sandius P- ^' > ^''■•
sur Vossius et la bibliothèque du moyen âge de Fabricius,
édition de Mansi. T.iii,p. 181
, or
Onuphre Panvini et le Paige pensent aussi que la relation ~ p jg c^j^on.
dont nous avons rendu compte a été écrite au Xl* siècle par eccies. Lovan.
un moine de Saint-Denis, nommé Haymon, qui devint archi- Bogard. 1573,
diacre ou chanoine de Cantorberi, mais auquel ils s'abs- " jjjy p^g^,,,
tiennent d'attribuer d'autres œuvres. Doublet place au milieu p. 134.
du XP siècle cet abbé Hugues auquel Haymon dédie son Hist. <le s.-
livre, et il l'appelle assez mal-à-propo^ Hugues de Milan, ^^s^*'^' **"
surnom qui ne convient qu'à un abbé d'une époque moins
ancienne.
Au contraire dom Félibien, après avoir observé que l'au- HUt. dei'abb.
teur de la relation nous apprend lui-même qu'il écrivaityo/f *'*' S.-Deny», p.
long-temps après l'événement , ajoute que, selon toute appa-
rence, Haymon l'adressait à un des deux abbés du nom de
Hugues qiii ont gouverné l'abbaye de Saint-Denys sous le
règne de Philippe-Auguste, c'est-à-dire au temps de Rigord,
qui rapporte aussi la même histoire.
Nous devons avouer que nous ne trouvons dans cette re-
lation aucun texte où l'auteur dise qu'il écrit fort long-temps
après l'événement. Mais nous avons cité à dessein quelques
expressions qui donnent lieu de le conclure. Haymon ne sait
pas au juste en quelle année le fait s'est passé; anno plus
MINUS ciRciTER millesimo quinquagesimo. Il parle d'un abbé
Hugues, qui, dit-il, gouvernait alors {tune prœe rat) les reli-
Tome XF. Qq
3oG EUDES DE VAUDEMONT.
XII SIECLE.
gieux de Saint-Denys, et qui sans doute est fort distinct de
cet abbé Hugues auquel il dédie son livre. Enfin, quand il
nomme les témoins, il les désigne comme ceux qui passent
pour avoir assisté à la découverte des saintes reliques ; inter-
fuisse dicuntur. Ce langage ne paraît pas être celui d'un
contemporain.
Il est donc permis de n'attribuer cette relation ni à Hay-
mon, qui, de religieux de Saint-Denys, devint archevêque
de Cantorbéri, et mourut dès l'an io54; ni à Haymon , abbé
de Saint- Magloire à la fin du XI^ siècle, qui n'est désigné
nulle part comme ayant habité le monastère de Saint-Denys ;
ni à Baudouin, qui en effet y fut religieux, mais dont le
nom n'a pas assez de ressemblance avec celui d'Haymon,
expressément articulé au commencement de l'épître dédi-
catoire, telle que dom Félibien l'a imprimée d'après un an-
cien manuscrit de Saint-Denys.
C'est ainsi qu'on peut s!en tenir à considérer cette relation
comme l'ouvrage d'un religieux du XIF siècle, qui n'est
connu d'aucune autre manière, mais qui s'appelait Haymon,
et qui vivait à Saint-Denys ou sous l'abbé Hugues Foucaut,
depuis 1 186 jusqu'en 1 197 , ou bien sous l'abbé Hugues, dit
Gall. Christ, jg Milan, depuis 1197 jusqu'en i2o3.
^^' *■ ■ Depuis Hugues IV, duquel Haymon dit tune prœerat, il
n'y a pas eu d'abbé de Saint-Denys qui ait porte le nom de
Hugues, jusqu'aux deux que nous venons d'indiquer : on est
donc autorise à supposer qu'Haymon écrivait après 11 86 et
avant i2o3. D^
EUDES DE VAUDEMONT,
ÉVÉQUE DE TOUL.
Caimet,Hist. JljUdes OU Odon,fils de Hugues P\ comte de Vaudemont,
deLorr., t. H, et d'AgcUne de Bourgogne, et frère de Gérard II, fut d'abord
p. 144. — Gall. archidiacre de l'église de Toul; il en devint ensuite trésorier,
Christ., t. XIII, ^ o ' A ^ r^ I . il- CQ
p^iooi et 100/1. ®' enfin eveque en 1192. On le trouve arcliidiacre en iibo,
et vraisemblablement il exerçait déjà cette fonction depuis
plusieurs années , ayant été , pour ainsi dire , élevé dans cette
XII SIEC-LK.
EUDES DE VAUDEMONT. 3o^
église sous les auspices d'Henri de Lorraine , son parent, qui
en était alors ëvêque, et qui mourut en 1 165. li l'exerçait
encore en 1186, comme l'atteste Sa signature mise au bas
d'une charte de cette année. Il signe comme archidiacre et
trésorier, dans une charte postérieure de 1188, conservée
également par dom Calmet dans son histoire de Lorraine. T.iv,PreuT.
Il remplaça, comme évêque , Pierre de Brixey, qui était parti P- ^97 . '1"° «'
pour la Terre-Sainte en 1 189, et qui mourut à Jérusalem en ''"ôall. Christ.
IIQI ou II92. p. 1004.— Alb.
Le chapitre de Toul était alors composé de soixante cha- chron.,p. 39a,
nomes et de cent clercs ou vicaires. Ses revenus ne sutn- „. ,^4._Gall.
saient plus à nourrir tant de personnes. Eudes demanda au christ, p. 1004
pape et en obtint la réduction des chanoines à cinquante, ^^ '°°^-
sous la condition que le revenu des prébendes supprimées
serait pareillement réversible sur eux et sur les clercs. Il
voulut en même temps que l'on en donnât une de chanoine
aux trois maîtres des écoles de Toul , et qu'on en donnât une
de vicaire à ceux qui enseigneraient les humanités. Ces écoles
étaient donc encore alors entretenues avec soin et jouissaient
de quelque réputation. Ripert, archidiacre et chancelier, en p. ^a,.
avait la surveillance. Calmet le rappelle d'après l'histoire
ecclésiastique de Toul, du père Benoît.
Eudes nt un voyage à Rome; on ne sait pas bien pour-
quoi et dans quelle année ; mais on sait que pendant son ab-
sence, ce fut Gérard de Vaudemont, son neveu, alors archi-
diacre et trésorier, que l'archevêque de Trêves désigna pour Gall. ch»i«t.
remplir les fonctions de vicaire-général du diocèse. Eudes fit txill,p. ioo5.
aussi un voyage à Cluny, pour s'y édifier par l'exemple des Âeiltr. t. iV
vertus de ses religieux, et marqua son retour à Toul par p. 145. '
plusieurs libéralités envers son église et les monastères. II Ca\m. ibid.
se trouva en i iq6 avec un autre de ses neveux, Hugues de ibid.^. 147.
Vaudemont, à rassemblée que l'empereur Henri VI, sur la
demande de Célestin III, avait convoquée à Spire pour une
nouvelle croisade contre les ennemis des cnrétiens, et y
reçut la croix des mains du légat du pape. Il partit au plutôt
l'année suivante; car on a des actes de lui datés de 1197.
Albéric cependant le fait mourir en 1196. Eudes mourut P. 408 de sa
pendant son voyage à la Terre-Sainte, le 26 novembre 1197 c^ironique.
vraisemblablement, et peut-être seulement 1198. Son corps et Calm^jôS*'
fut rapporté à Toul, et y fut inhumé dans la cathédrale,
d'abord au milieu de la nef, et ensuite dans le tombeau de
Hugues II, comte de Vaudemont, son neveu.
Qqa
XII SIECLE.
3o8 EUDES DE VAUDEMONT.
" SES ÉCRITS.
*
Eudes donna le 8 mai 1192, la première année de son
episcopat, dans un synode général de son diocèse, des sta-
tuts qui ont été imprimés par dom Martène au quatrième
p. 1177-1180. tome de son trésor d'anecdotes, sur l'original conservé dans
Hist.deLorr. l'abbaye de Beaupré, et peu d'années après, par D. Calmet,
f.iy,auxPreuv. j'après le même manuscrit parmi les preuves de son his-
toire de Lorraine. L auteur annonce quiU sont taits a la
demande de ses chers frères et amis les archidiacres et abbés
du diocèse, qui, affligés des maux auxquels étaient chaque
jour exposés les églises et leurs ministres, l'avaient unani-
mement prié de leur accorder défense et protection contre
les entreprises de tous les genres de malfaiteurs qui rava-
geaient et désolaient le pays. Eudes fit en conséquence les
statuts dont nous venons de parler : ils sont en dix articles.
Par les deux premiers, il défend avec anatheme de célébrer
le service divin dans tout lieu de son diocèse où on aurait
apporté, ne fût-ce que pour une nuit, des objets enlevés à
des églises ou à des ecclésiastiques. Les mêmes anathêmes
sont prononcés contre tout lieu, quel qu'il fût, où. l'on aurait
vendu ou dépensé , d'une manière quelconque , en partie ou
en totalité, les fruits d'un tel brigandage. Eudes excommunie
pareillement, jusqu'à une entière restitution et une satisfac-
tion convenable, et les ravisseurs et les personnes qui achè-
teraient d'eux les objets ravis. Il permet cependant de don-
ner, mais in extremis seulement, la communion aux habitans
qui n'auraient eu aucune part à ces vols, ni comme auteurs,
ni comme complices. Quant à la sépulture ecclésiastique, il
la refuse, même dans ce cas, jusqu à ce que, du moins, les
coupables soient réconciliés avec féglise, et que le service
divin ait été rétabli.
Le troisième article applique plus particulièrement ces
interdictions et ces anathêmes aux princes et aux grands sei-
gneurs qui seraient eux-mêmes les auteurs de ceS rapines et
de ces violences , ainsi qu'à leurs soldats et aux personnes de
leur maison qui pourraient y avoir contribué. Il veut, par le
quatrième, que l'excommunication prononcée contre eux
soit renouvelée tous les dimanches par tous les prêtres qui
célébreront les divins mystères. Apres avoir même rendy en
entier ce qu'ils auraient pris, ils ne peuvent être absous
<%,
EUDES DE VAUDEMONT. 309
qu'après avoir fait satisfaction à l'évêque. Les personnes qui
leur donneraient asyle dans cet ëtat d'excommunication de-
viendront elles-mêmes excommuniées, si elles ne prouvent
qu'elles l'ignoraient. Le lien sera ôté, si elles payent autant
de fois dix sous que le coupable principal aura passé de
nuits dans leur demeure.
Le cinquième article prive à jamais des bénéfices ou des
fonctions qu'il pourrait avoir l'ecclésiastique, le religieux qui
ti'ansgresserait ce qu'on vient de prescrire. Le sixième or-
donne de cesser le service divin là où on aurait par violence
enfermé dans un tombeau un homme mort sous ces ana-
thêmes; il ordonne de l'en retirer, et défend de l'ensevelir
ailleurs : si un de ceux qui l'auront ainsi inhumé meurt avant
de s'être réconcilié avec l'église, il sera aussi privé pour ja-
mais de la sépulture chrétienne.
L'article Vil place sous les liens d'une excommunication
subite tout homme qui abuserait de son rang ou de sa puis-
sance pour enlever à des monastères leurs voitures ou leuts
chevaux, et ceux qui lui donneraient ou lui vendraient des
objets qu'il transporterait par ce moyen. Il interdit le service
divin dans l»lieu où ce transport aurait été fait, jusqu'à en-
tière restitution et satisfaction offertes à l'évêque et à Dieu.
L'excommunication doit être prononcée de nouveau ,
chaque dimanche, dans toutes les paroisses, contre les reli-
gieux qui abandonneraient leur monastère : s'ils se marient,
elle portera sur leurs femmes comme sur eux, et sur toutes
les personnes qui les auraient sciemment admis à la commu-
nion chrétienne.
Si, malgré l'excommunication lancée contre lui, un prince
ou un grand seigneur fait célébrer le service divin, le prêtre
qui l'aura célébré sera excommunié aussi et incapable de
fiosséder à jamais aucun bénéfice ou aucune fonction dans
e diocèse. La même incapacité est prononcée contre tout
prêtre qui oserait continuer à remplir son ministère, quoi-
qu'il eût encouru l'excommunication.
L'article suivant ordonne à tous les fidèles , tant ecclésias-
tiques que laïcs , pour la rémission de leurs péchés , de courre
sus aux hérétiques qu'il appelle Wadoys (les Vaudois), par-
tout où ils les trouveront , et de les amener enchaînés à Toul
pour y être punis. On s'était contenté d'excommunier les
religieux apostats avec leurs femmes et leurs enfans, s'ils se
XII SIECLE.
XII SIECLE.
Hist. deLoiT.
t.II,auxPreuv.
p. 173 et 174-
3io
HUGUES DE NONANT.
mariaient ; mais on n'avait point ordonné de les saisir, de les
emprisonner, de les livrer à d'autres peines.
Eudes finit par assurer une protection particulière de
l'évêque à ceux qui pourraient être chassés violemment de
leurs places et de leurs demeures, pour avoir voulu assurer
l'exécution du présent statut : il promet de fournir à leur
subsistance et à tous leurs besoins.
Dom Calmet a aussi donné une charte de ce prélat; elle
est sans date et en faveur de l'abbaye de Clair -Lieu : c'est
dans cette charte qu'Eudes en rappelle une du comte Gérard
de Vaudemont, son frère. P.
HUGUES DE NONANT.
n. 2.
Biblioth. pp
t. XXII , p
i336.
xluQDEs DE NoNANT tient ce surnom du lieu de sa nais-
sance : Nouant est un bourg de Normandie entre Argentan
et Séez. Trompé par une mauvaise copie des geetes de saint
De Ge»ti» S. Thomas de Cantorbéri , Baronius donne à Hugues le surnom
— ^nAncUâsa- ^® Temiuant, et le déclare Romain. Pagi a relevé ces erreurs.
crâ, 1. 1, p.8o/i. Hugues était neveu du célèbre Arnoul de Lisieux, qui le
Adann. 1172, gj; élcvcr avcc soin à l'université d'Oxford. On voit, par une
pièce de vers d'Arnoul, adressée à son neveu, jeune encore,
qu'il le croyait destiné à se distinguer dans la carrière poé-
tique. « Autrefois, dit l'évêque de Lisieux, la Normandie
«vantait mes vers; vous êtes le poète qu'elle admire auiour-
« d'hui : ma muse pâlit devant la vôtre. Je vous résigne l'Hé-
« licon, méritez de conserver les faveurs des muses, en leur
« rendant le culte assidu qu'elles exigent. » Toutefois il ne
paraît point que Hugues se soit dévoué à ce culte ; du moins
il ne nous reste aucune production de son talent poétique,
et il se pourrait que l'épître d'Arnoul, intitulée ad neputem
suum, sans nom, sans prénom, sans indication précise, fut
adressée à quelque autre neveu de ce prélat.
Ce qui est constant, c'est que Hugues fut de très-bonne
heure pourvu de bénéfices ecclésiastiques , et qu'il se montra
fort ingrat envers son oncle Arnoul, auquel il en était rede-
vable : Arnoul s'en plaint amèrement dans une lettre écrite.
HUGUES DE NONANT. 3u
vers l'an 1182, à Henri II, roi d'Angleterre. Le nom de 1
Hugues de Nonant se rencontre parmi ceux des jeunes élèves Spidl. in-fol.
attaches à Thomas Becket. 11 devint archidiacre de Lisieux in4"'tf xiir
.vers 1173, et finit par obtenir levêché de Coventry. Son p. a57etseq/
e'Iection paraît être de l'année 1 185. On croit qu'il ne fut . Th.chesterf.
sacré qu'en 1188, un an avant l'avènement du roi Richard; l^A^^^j^^jg!
mais en 1 187, il était déjà nommé légat du saint-siége, et en — Thom. Cant.
exerçait les fonctions. Nous avons besoin de rappeler ici epist. p. i58.
qu'en partant pour la croisade, Richard confia l'administra- i4-J'\5ao!—
tion de son royaume aux évêques de Durham et d'Ely. Ce Alford , 1184,
dernier, fort connu sous le nom de Longchamps, était né de "" **> "^6^' ""
parens fort obscurs; il abusa de sa puissance, fit arrêter son ^' '* '" ''
collègue, emprisonna l'archevêque d'York; et succombant
enfin sous le poids de l'indignation publique, il fut menacé,
cité, dépossédé, et forcé de s'enuiir déguisé en .femme.
Hugues de Nonant se fit remarquer parmi les ennemis les
plus acharnés de l'évêque d'Ely : il est déclaré le principal Roger deHov.
autedr de la disgrâce de ce ministre, dans une lettre adres- adann.1191.—
sée par Pierre de Blois à Hugues lui-même, à Hugues, l'wilden. ''col.
autrefois seigneur et ami, aujoui^d'hui soi- disant évêque, laio.
ayant à se souvenir de Dieu et à le craindre : « Quondam ^P- ?9 '" °P-
a domino et ainico , Hugoni dicto episcopo, Dei memoriam i3»_ _ èus*-
« et timorem. » Une telle inscription annonce asstz dans quel sainv. not. p.
esprit cette lettre est composée; c'est un tissu de reproches '*^» '^y-
et presque d'invectives.
L'année 1191, époque de cette catastrophe de^l'évêque
d'Ely, est la plus mémorable dans la vie de Hugues de No-
nant; car en même temps qu'il prenait une si grande part
aux affaires du royaume, il était en guerre ouverte avec les
religieux de son diocèse. Il avait conçu contre les moines cerv. apud
une aversion violente : il fit exprès un voyage à Rome pour Twisden , coi.
les dénoncer au chef de l'église. Nous lisons en propres ^555 ' '^^' '
termes dans la chronique de Gervais qu'il les envoyait au
diable , monachos ad diabolum amandandos. Si l'on voulait
m'en croire, aioutait-il, bientôt il n'en resterait pas un seul
dans la Grande-Bretagne. Ce qu'il disait, il le faisait autant
qu'il était en son pouvoir. Il expulsa les moines établis à
Coventry , et les remplaça par des chanoines réguliers. Ce-
pendant les moines et les autres ennemis de Hugues par-
vinrent à indisposer contre lui le roi Richard , qui rentrait
eu, Angleterre. Hugues, à son tour, fut, en 1194, chassé de
Coventry, où les moines ne tardèrent point à reparaître. Angiia sacra,
1. 1, p. 436.
3iâ HUGUES DE NONANT:
XII SIECLE.
Mais, en 1196, Hugues y revint lui-même moyennant une
somme de5ooo marcs d'argent que tira de lui le roi Richard.
Ce prince convertissait volontiers les exils en contributions.
On ignore quels autres déplaisirs Hugues éprouva dans son
diocèse; mais il le quitta de nouveau, et fit un dernier voyage
Voss. dehis- cu Normandie, où il mourut au mois d'avril 1 198. Les chro-
tor. lat. p. 782. niques s'accordent à dire qu'il termina ses jours dans sa
patrie, iri natali suo Normanniœ solo; mais les uns disent
a Caen , les autres à Betherlevin ou Bercheluvin , ou plutôt
Bec-Herluin (l'abbaye du Bec, fondée par Herluin).
• Il est un article plus important sur lequel les chroni-
aueurs sont encore moins d accord; c'est le caractère moral
e l'évêque de Coventry. Il a, dans leurs écrits, deux répu-
tations diftérentes, ainsi qu'il arrive fort souvent aux hommes
qui ont vécu au sein des troubles publics. Gervais le repré-
sente comme un personnage entreprenant et captieux,
prompt à mal dire, lent à bien faire, habile à se sei-vir des
faibles pour renverser les forts. Selon Guillaume de Neubright,
c'était un homme pervers, mais inconstant et craintif, qui,
troublé par ses remords , ne put soutenir les regards du roi
son maître. Il était rusé, quoiqu'impudent, nous dit Henri
de Knygton, et se montrait pourvu d'audace autant que de
littérature, litteraturâ audacidque instructus. Maintenant il
Anglia sacra, convient d'écouter Girard le Gallois, par qui Hugues nous
t. 11, p. 35i - ggj- dépeint comme le meilleur et le plus bénin des hommes,
■*■ qui, auî^plus heureux dons de la nature, avait ajouté ceux
que l'industrie acquiert ; qui , toujours prêt à pardonner, ne
savait offenser personne; recommandable par l'honnêteté de
ses mœurs , par l'étendue de ses lumières , par l'immensité
de ses vertus religieuses, religiositatis imm,cnsœ; patient et
généreux même à l'égard des moines contre lesquels il ne
s'est déclaré qu'après qu'ils eurent abusé long -temps de
Cent, xir, ses bienfaits. Les centuriateurs de Magdebourg, qui n'ont
p. 1454, 1455. recueilli que les témoignages favorables à l'évêque de Coventry,
préconisent son génie, ses vertus , sa science , et prétendent
aussi qu'il n'a sévi contre les moines que pour mettreun terme
à leurs désordres ; qiwd scélérate et îibidinosè niulta agerent.
On attribue à Hugues de Nouant d'abord plusieurs ou-
vrages dont ni les titres ni les objets ne sont indiqués nulle
part; en second lieu, une histoire merveilleuse de la chute
du ministre Longchamps , Histona mirabilis de ejectione
Longshampii; troisièmement enfin, une lettre à Richard,
HUGUES DE NONANT. 3i3
, . . , T. A . . i 1 1 Xll SIECLE.
évèque de Londres. Il nous parait extrêmement probable
que cette lettre et cette histoire ne sont qu'une seule et même
production; car, d'une part, l'on ne possède point cette pré-
tendue histoire merveilleuse, et , de 1 autre, l'épître à Pxichard
n'est qu'une narration de la catastrophe de l'évêque d'Ely.
Roger de Hoveden a inséré cette épître dans ses annales d'An- . Rog.de Hov.
, " .,1 . . TT *■ • • ïi J interscript.rer.
gleterre; et 1 historien Hume, qui ne cite que Hoveden, a angllc. p. 701-
réellement extrait du récit de Hugues toutes les circonstances 705.
de l'événement dont il s'agit. Il en a seulement retranché les liist.d'Anglet.
I < 1 . I . . " 1 t '. •! 1 ' • > Plantât;. , c. lo,
déclamations, les invectives et le détail des méprises qu oc- ^ich. l", ann.
casionnèrent les habits de femme dont Longchamps s'était 1191.
revêtu en prenant la fuite, détail étrange dans une lettre
qu'un évêque adresse à son confrère. Il nous sera plus per-
mis de citer quelques traits de la description que fait Hugues
du pouvoir et de l'opulence dont Longchamps avait abusé.
On ne pouvait sans lui ni acquérir ni conserver un évêché,
une abbaye, un domaine; son luxe surpassait celui des rois;
il semblait avoir partagé le monde avec le ci'éateur, ne lais-
sant à Dieu que le ciel ou la région du feu , et se réservant
à lui-même, pour ses besoins, pour ses plaisiis, pour ses
caprices, les trois avitres élémens, l'air, l'eau et la terre, reli-
qua tria suis usibiis, lusibus, abusibus resen>ans. Cet opus-
cule annonce une imagination vive et féconde : Hugues au-
rait pu et peut-être dû être poète plutôt qu'évêque. Mais le
talent qui se manifeste dans cette épître est à-la-fois égaré
par le mauvais goût du siècle et par les passions de l'auteur.
II est impossible de souscrire en la lisant aux éloges que
Girard prodigue au caractère moral de l'évêque de Coventry.
Dans une lettre fort courte à l'évêque de Londres, Richard,
et rapportée par Raoul de Diceto, Hugues promet de ne Twisd. p. 653.
plus exercer au nom du roi les fonctions de vicomte dans
plusieurs comtés. Baudouin, archevêque de Cantoibéri, lui
avait prescrit de s'en abstenir. Mais on a lieu de croire que
le prélat de Coventry tint mal la promesse qu'il donne ici
de se conformer à cet ordre.
La bibliothèque cottonienne indique des constitutions ou v. 82, n. x, 6.
statuts de l'église de Lichtlield par Hugues de Nouant, pu-
bliés en 1454. Il y a là quelque erreur, puisque Hugues
vivait sans nul doute au XIP siècle, et quen i454, c'était
Rainaud Bolars qui gouvernait l'église de Coventry et de
Lichtlield. Peut-être ce dernier prélat a-t-il renouvelé des sta-
tuts dont Hugues de Nonant avait été le premier auteur. D.
Tome XF. i\ r
XII SIECLE.
ANONYME,
AUTEUR D'UN TRAITÉ SUR LA MANIÈRE DE RENDRE LA JUSTICE.
IjENEBRARD, dans sa chronique, observe qu'avant le règne
de Philippe- Auguste, aucun hvre n'avait encore paru qui
T. II, p. 5i8. fut écrit en langue française. J'ai vu, dit Duboulay, un traité
dédie' à ce roi sur la manière de rendre la justice ; ce traité
existe dans la bibliothèque de Jacques Mentel, médecin de
Paris. Duboulay ajoute , d'après Masson , que Geoffroi de
Ville- Hardouin avait composé une histoire de la prise de
Constantinople par les croisés. Il semble placer le premier de
ces ouvrages sous l'an 1 198; c'est du moins sous cette année
qu'il en parle. Le second est nécessairement postérieur de
huit ou dix années au moins, puisque Constantinople ne fut
{)rise que l'an 1204. Duboulay cependant le met sous Louis-
e-Jeune, et en prend occasion de critiquer Genebrard; l'er-
reur, comme on voit, est toute entière dans le critique. Il
annonce pareillement que, selon quelques écrivains, un au-
teur qu'il appelle Hélinand , et qu il caractérise par Picardo-
Flamandus, avait composé en français un poëme sur la mort.
Hélinand, moine de Froidemont, abbaye de l'ordre de Ci-
teaux, dans le diocèse de Beauvais, a vécu assez avant dans
le XIII* siècle. P.
Gall. Clirist
t. IX, p. 83i.
MELIOR OU MELCHIOR,
CARDINAL DE L'ÉGLISE ROMAINE.
Ljes historiens qui ont parlé de ce cardinal, Ciaconius, le
P. Pagi, François Duchesne, du Boulai, et d'après lui dom
Rivet, le disent Fi-ançais de nation, et ils se trompent tous.
Il est vrai que ce docteur a vécu long-temps en France avant
de parvenir au cardinalat, et qu'il y possédait des bénéfices
en plusieurs églises; mais nous prouverons bientôt qu'il était
Italien, né a Pise.
Stepb. Tor- q^^ ^^ fonde pour le croire né en France sur un passage
al. ia8.
MELIOR, CARDINAL DE L'ÉGL. ROM. 3i5
de la lettre no d'Etienne de Tournai, lequel pourrait avoir ^^^ sreCLE.
quelque poids , si la conséquence qu'on veut en tirer n'était
cfémentie par un témoignage formel qui la renverse. Dans
cette lettre, l'abbé de Sainte-Geneviève, écrivant au cardinal
Melior au nom du cardinal Guillaume de Champagne, arche-
vêque de Reims, lui expose les inconvéniens qui résulteraient
pour l'église en général et pour la France en particulier, s'il
arrivait que le pape Lucius III, reprenant le procès de l'é-
glise de l'ours contre celle de Dol touchant la juridiction
métropolitaine sur les évêchés de Bretagne , décidât en faveur
de l'église de Dol. On écrivit au cardinal Melior, camérier
du pape, parce qu'étant compatriote de Rolland, élu évêque
de Dol, on craignait qu'il n'employât son crédit pour faire
triompher la cause de ce dernier , qui refusait de recevoir la
consécration des mains de l'archevêque de Tours avant que
la contestation fût décidée.
Or voici le passage de cette lettre dont on argumente : Inde
est quod dileçtionem tuam , de qua non immentb specialiter
confidimus , monemus , rogamus et consulimus , ut quacumque
arte potueris, factum istud impedias , ncc propter favorem
personœ ïllius qu.e tibi natione conjuncta est, pacem et
concordiam quœ inter romanam ecclesiam et regnum Fran-
conun hactenus innolahilis extitit , turhari perniittas. Il ré-
sulte de ce passage que le cardinal Melior était né dans le
même pays que Rolland, évêque de Dol, personœ illius qucB
tibi natione conjuncta est. Il faut donc examiner si Rolland
était vraiment né en France.
On l'a cru Breton , parce qu'à l'époque où il fut élu évêque Rob. de M.
de Dol, l'an 1177, il était doyen de l'église d'Avranches, ad an. 1177.
selon Robert, abbé du mont Saint-Michel. On aurait pu aussi
bien le dire Normand, l'évêché d'Avranches étant sous la mé-
tropole de Rouen. La vérité est qu'il était Italien, né à Pise.
Cela est prouvé par le procès-verbal d'une enquête faite l'an
1181 par ordre de Henri II, roi d'Angleterre pour le recou-
vrement des biens usurpés sur l'église de Dol. On y lit à la Morice.Hist.
fin : Actum anno verbi incarnati 1181 , mense octobri, de B""»'-' '• ï'I""-
mandato Henrici régis Angliœ et Gaufridi filii ejiis , comi- '^°'' ^^*"
tis Bntanniœ , RoUando Dolensi electo , natione pisano. Si
donc Rolland était Pisan, il est également prouvé par l'é-
pître 1 10 d'P:tienne de Tournai, que le cardinal Melior était
né dans les états de Pise.
Le P. Pagi, bien persuadé d'après les faux raisonnemens Pagi, ad an.
Rra 11»*, n",';.
Ti^l SlECUi,
3i6 MELIOR, CARDINAL DE L'ÉGL. ROM.
que nous venons d'exposer, que les cardinaux Melior et Rol-
land étaient Bretons, réfute l'opinion d'OnufrePanvinius,qui
les dit l'un et l'autre natifs de Sienne. Si Panvinius s'est
trompé en cela, il faut convenir que son erreur est moins
considérable que celle du P. Pagi.
)e^r"^"ënne ^^^""^ Baluze Croyait aussi avoir trouvé la preuve que le
de Tournà!""à *^^.^<^^'""1 Melior était Auvergnat. Il cite un nécrologe de l'é-
laBibl. roy.' glise de Ciermont en Auvergne, dans lequel le décès de ce
cardinal est marqué; mais il ne rapporte pas le texte, qui
prouverait tout au plus que Melior avait possédé un béné-
fice dans cette église, comme dans tant d'autres. Ce savant,
après s'être livré à de grandes recherches, a découvert que
ce cardinal pouvait appartenir à la maison d'Apchier dans
le Dauphine, parce qu'il a trouvé dans des titres du XIV*
siècle un Melior d'Apchier. Mais comme on a souvent écrit
Melior pour Mclchior, nom d'un des trois mages de l'Orient
qui se rendirent à Bethléem lors de la naissance du Sauveur,
il y a toute apparence que ce n'était qu'un noni de baptême.
Après ces éclaircissemens, nous allons tracer le piécis his-
torique de la vie du cardinal Melior, et des différens emplois
qu'il exerça en France,
f IX*' ^l^^^^' Suivant D. Rivet, Melior enseignait encore à Paris, lors-
' ^' '^" (|u'en 1 1 84, le pape Lucius III le nomma cardinal, et il cite
à la marge l'histoire de l'université de Paris, t. II, p. yôô.
Il est certain que ce prélat est qualilié Magister dans tous
les monumens du temps, même depuis qu'il fut élevé au
cardinalat; mais rien ne prouve qu'il ait enseigné à Paris. Il
était jurisconsulte, et il pourrait se faire qu'étant Italien, il
eût pris le bonnet de docteur à Bologne.
Il paraît qu'arrivé en France il s'attacha à Hugues de
Touci, archevêque de Sens, qui, à la demande du pape, lui
donna un bénéfice dans son église. C'est dans ce sens que
le continuateur du recueil des historiens de France a inter-
Peiri Ceiif .1^, prêté une lettre de Pierre de Celles à l'archcTêque de Sens,
Bouq. ^^t xvT ^^"^ laquelle, à la vérité, on ne lit pas le nom de Melior
j>. 709'. ' en toutes lettres, mais seulement avec la lettre initiale Ma-
gister M. D'après cette lettre, le roi sut mauvais gré à l'ar-
chevêque d'avoir conféré ce bénéfice à maître M. Celui-ci,
pour épargner au prélat le désagrément de se compromettre
avec le roi, avait renoncé à son titre; et l'objet de la lettre
de l'abbé de Celles est d'engager le prélat à récompenser le
généreux dévouement de l'impétrant par quelque autre
MÉLIOR, CARDINAL DE L'ÉGL. ROM. 817
bienfait, soit en obtenant pour lui l'agrément du roi, soit en ^" siècle.
lui procurant un autre bénéfice. Nous croyons que c'est à
lui aussi qu'est adressée la lettre ii4 de Jean de Salisburi,
et non à Matthieu, grand- chantre du chapitre de Sens,
Matthœo prœcentori senonensi, comme porte la suscription. Bouquet,»*»/.
Au moins le continuateur du recueil des historiens de France P- ^O*"»-
a-t-il observé avec raison que cette lettre n'a pu être écrite
au chantre de l'église de Sens , puisqu'il y est parlé de lui en
tierce personne. Ce qui autorise à croire que c'est à maître
Melior que la lettre oc Jean de Salisburi est adressée d'An-
gleterre , c'est qu'elle est de la même date que celle de l'abbé
de Celles, et relative à la même affaire : d'où l'on pourrait
conclure que maître Melior, à qui le savant Anglais donne
le titre d'ancien ami, avait été admis, comme lui, à l'abbaye
de Celles avant d'avoir obtenu un bénéfice à Sens. Mais,
manquant de lumières précises sur tous ces objets, on nous
pardonnera de n'avoir proposé que des conjectures propres
néanmoins à donner un sens à ces lettres d'ailleurs fort obs-
cures par la témérité ou la négligence des copistes. Quoi
qu'il en soit, la suite de l'histoire de notre cardinal est moins
embrouillée.
L'an 1 171, maître Melior fut député en cour de Rome par Mart. Ampi.
Henri -le -Libéral, comte de Champagne, pour défendre sa ^°''<'*^'> '• ">
cause contre l'archevêque de Reims, Henri de France, qui Txv'.'pTQon^
avait excommunié le comte et jeté l'interdit sur ses terres,
comme cela est expliqué dans une lettre du pape Alexandre
III, relative à cette afl'aire.
Un titre de l'an 11 83, rapporté par Marlot, prouve qu'à Mariot,Hi»t.
cette époque maître Melior était vidame de l'église de Reims^ ^5"' '" "' l*"
et qu'en cette qualité il fut nommé arbitre conjointement
avec Guillaume, archevêque de Reims, et l'abbé de Saint-
Remi nommé Simon, dans une contestation sin-venue entre
le chapitre de Laon et l'abbaye de Saint -Vincent de la
même ville, touchant le droit qu'on contestait à cette abbaye
de donner la sépulture aux évêques de Laon.
Melior avait été auparavant archidiacre de l'église de Laon. Steph. Toi-
Cela est prouvé par l'épître 83 d'Etienne de Tournai, où il "a*^- ^V- 8?','
est dit qu'en cette qualité il avait procuré un bénéfice à un "'' '°'"
clerc, en faveur duquel l'abbé de Sainte- Geneviève écrivit
sa lettre à Guillaume, archevêque de Reims. Cette lettre est
de l'an ii84, car l'auteur annonce qu'à cette époque MelioE
3i8 MELIOR, CARDINAL DE L'ÉGL. ROM.
_; L était sur le point d'être fait cardinal : Melioris in proximo.
ut audivimus , fortunœ futurum.
Rob. de M. En effet, ce fut l'an 1 184, selon Robert du Mont, ou l'an
ad an. 1184. |i85^ comme le dit Ciaconius, que le pape Lucius III le
nomma prêtre-cardinal du titre de Saint-Jean et de Saint-
Paul, et le lit en même temps son camérier. Au moins est-
il certain que dès le mois de juin de cette dernière année
on trouve son nom souscrit avec le titre de cardinal à une
ital. sacra , bulle du pape Lucius rapporte'e par Ughelli : Datum Vemnœ
l^éd— Labbe' p(^f' i^^<^^^uni Alberti, S. R. E- presb. cnrd. et canceUarii,
Concii. , t, X,' idihus jurai, indict. III , incarn. Dom. anno MCLXXXV,
col. i«io. pontificatûs verb domni Lucii tertii anno quarto.
Hoved.,p.-32. L'an 1193, le pape Célestin III chargea le cardinal Melioi
de conduire en France la reine Bérengère, épouse de Richard,
roi d'Angleterre, et la sœur de Richard, la reine Jeanne,
veuve de Guillaume II, roi de Sicile, qui avaient avec elles
la lille de l'empereur de Cypre, Isaac Comnène, détrôné et
emmené captif par Richard. Ces trois princesses revenant
de Syrie avaient abordé en Italie; mais, instruites du mal-
heur qui était arrivé au roi Richard, fait prisonnier en Al-
lemagne par le duc d'Autriche, et craignant le même sort
si elles suivaient la même route que lui, s'étaient réfugiées
à Rome. Ce ne fut qu'après six mois de séjour qu'elles se
déterminèrent à retourner en France , où elles n'avaient pas
moins à craindre du ressentiment de Philippe- Auguste, pour
{)asser de-là en Angleterre. Par ces considérations, le pape
es mit sous la sauve-garde du cardinal Melior, qu'il revêtit
de la dignité de légat. Avec ces précautions, les princesses
achevèrent leur voyage sans accident. Arrivées en Provence,
elles furent accueillies par le roi d'Aragon, qui leur servit
d'escorte pour traverser ses états. Le comte de Toulouse les
reçut à Saint-Gilles, et les accompagna jusqu'à Poitiers, der-
nière ville appartenant au roi d'Angleterre; mais elles n'en-
trèrent pas sur les terres du roi de France.
Sonciiet,viia Mclior Commença dès -lors à déployer son caractère de
s. Bernardi Ty- jeV^t ^ \^ ^our de Fraucc. Nous avons une charte de Renaud ,
ron., p. 230. , "^ I ^, 1/1 ' '} i »
eveque de Chartres, datée de cette année 1 19J, portant que
le cardinal Melior, en sa qualité de légat, avait réglé un dif-
férend qui s'était élevé entre l'évêque et le chapitre au sujet
Analecta, in- des prévotés de la jnême église. Il est aussi fait mention de'
fol. p. 237. çg règlement dans un formulaire de serment rapporté par
MÉLIOR, CARDINAL DE L'ÉGL. ROM. 319
Mabillon , dans lequel formulaire le légat est appelé Melchior. Xil SIECLE.
Ce fut aussi en sa qualité de légat que le cardinal Melior Hoved.,p.742.
ménagea, l'an 1 194^ une trêve d'un an entre le roi de France
et celui d'Angleterre. Cette même année, le roi d'Angleterre
ayant saisi les biens que des églises de France possédaient
dans ses états, et le roi de France ayant usé de représailles Rad. de Di-
à l'égard des églises de la domination du roi d'Angleterre, «'«>> col•677•
qui avaient des possessions en France, le cardinal Melior fit
tant par ses sollicitations et ses prières, que les deux rois
consentirent à donner main-levée.
L'an 1 196, Philippe- Auguste ayant épousé Agnès de Me- Rigord. ad
ranie en vertu du divorce prononcé, trois ans auparavant, ""• '"-'^•
contre Ingeburge de Danemarck, le cardinal Melior, sur les
plaintes des Danois, tint à Paris sur cette affaire un concile,
ou qui ne décida rien, ou dont les actes sont perdus. Sed
quia facti sunt canes inuti non valentes latrare , timentes
etiam pclli suce , nihil ad perfectum deduxerunt ^ dit Rigord.
L'année d'après il jeta l'interdit sur les terres du comte Stepli. Tor-
de Flandre et de Hainaut, parce que ce prince s'étant ligué "'"^•' «P- ^^^^
avec le roi d'Angleterre contre celui de France, son suze-
rain, faisait le dégât sur les frontières du royaume.
L'année précise de sa mort n'est pas connue; mais on
voit qu'il n'était plus de ce monde l'an 1 198, puisque le pape
Innocent III, parlant de lui dans une lettre de cette année, Lib. i, ep. 171.
l'appelle un prélat d'heureuse mémoire , honœ memorice.
Peut-être mourut-il en Auvergne dans le cours de sa léga-
tion; et cela expliquerait pourquoi les chanoines de Clermont
ont consigné son nom dans leur nécrologe, comme l'atteste
Baluze.
On ne peut douter que notre cardinal , avec la réputation
de savant qu'il eut de son temps, n'ait composé quelque
ouvrage qui lui aurait ouvert la carrière des honneurs aux-
quels il est parvenu ; qu'ayant été chargé de négociations
aussi importantes que celles que nous venons de décrire, il
n'ait été dans le cas d'écrire beaucoup de lettres. Cependant
nous ne trouvons de lui aucun écrit , pas même une lettre
missive. Malgré cela, nous avons cru pouvoir lui consacrer
un article, ne fût-ce que pour détruire les erreurs qu'on a
débitées sur son compte, et pour débrouiller un peu l'his-
toire de sa vie. R.
%''»^%%%««'««'«^««^>«^'«V^^%«.%.%«/«««'«^^^^«^«'«'«'V«%-»-»%«^«»'fc««^«/^^«^«/«%«.'«.^'«,«^V%r%^%^%V««»'^/^V«>««^»'V
XU SIECLE.
/ —
RICHARD,
ROI D'ANGLETERRE.
C>iE roi d'une nation presque toujours ennemie de la France,
moins connu par ses talens que par ses vices et ses mal-
heurs, ne paraît avoir en lui rien de français ni de pro-
vençal qui doive lui donner place dans cette histoire. Mais
avant de succéder à Henri II, son père, il fut pendant quinze
ans comte de Poitou; il séjourna souvent dans cette pro-
vince que les troubadours faisaient alors retentir de leurs
chants; souvent il fréquenta la cour de Raimond Bérenger,
comte de Provence; Nostradamus prétend même qu'il tut
amoureux d'Eléonore ou Hélyone, l'une des quatre filles du
comte. Cette cour était l'asyle naturel et comme le rendez-
vous général des troubadours ; Richard en attira un grand
nombre à la sienne. De l'admiration pour leurs talens, il
passa au désir de les imiter. On ignore s'il s'exerça dans le
genre de leurs poésies amoureuses et galantes. Il ij'est resté
de lui que deux sirventes ou pièces satiriques, relatives l'une
à sa captivité en Autriche, l'autre à sa dernière guerre avec
le roi de France.
Cette captivité fut le seul fruit qu'il retira de la croisade
qu'il avait entreprise moins par un esprit de piété malen-
tendue que pour obéir à la fougue de son caractère et au
désir d'effacer par ses exploits ceux du roi de France, Phi-
lippe-Auguste, qui partait en même temps. Pour cette expé-
dition inutile, Richard avait écrasé d'impôts ses sujets, vendu
les offices, les domaines, sa suzeraineté sur l'Ecosse; il au-
rait, disait-il, vendu Londres, s'il eût trouvé un acheteur.
Les deux rois, réunis devant Acre ou Ptolémaïs, qu'on as-
siégeait depuis deux ans, s'y distinguèrent à l'envi, et eurent
en commun la gloire d'en terminer le siège. Leur amitié
n'était qu'apparente, et couvrait, sous le nom d'émulation,
une haine réelle. Philippe revint peu de temps après dans
ses états ; Richard n'acheva pas non plus en Palestine la
trêve de trois ans qu'il avait conclue avec Saladin. Inquiet
de ce que le roi de France pouvait, malgré les sermens qu'il
lui avait faits, tenter contre lui en son absence; inquiet de
RICHARD, ROI D'ANGLETERRE. 3a i
l'ëtat où il savait qu'était son royaume, il s'embargua pour
y revenir, fit naufrage sur les côtes d'Istrie, entreprit de tra-
verser l'Allemagne seul et déguisé en pèlerin, passa témérai-
rement sur les terres du duc d'Autriche, Léopold, dont il
avait insulté la bannière au siège d'Acre, et son implacable
ennemi, fut arrêté par ses ordres et jeté dans une prison où
il demeura long-temps sans que l'on pût savoir ce qu'il était
devenu.
C'est là que lui arriva cette aventure que le président Fau-
chet a racontée le premier, et qui a paru dans ces derniers
temps avec un grand éclat sur nos théâtres. Ce n'est pas un
des traits les moins intéressans de l'histoire des trouba-
dours; et s'il est honorable pour le ménestrel qui en est le
principal acteur, il prouve aussi que Richard, au milieu de
tous ses vices, avait pourtant de Donnes qualités, puisqu'il
savait inspirer un attachement capable de résister à de telles
épreuves. Fauchet dit avoir tiré cette anecdote d'une bonne
chronique française qui était en sa possession.
Mais Richard n'était pas à la fin de ses infortunes. Léo-
pold, après l'avoir indignement traité, le vendit et le livra
plus indignement encore à l'empereur Henri VI , qui avait
aussi contre Richard des sujets de ressentiment. Philippe-
Auguste ne rougit point de se joindre à ses oppresseurs, de
lui imputer un crime qu'il n'avait pas commis (i), et, sous
ce prétexte , de ravager ses terres à main armée. Le malheu-
reux roi, abreuvé d'humiliations, obligé de se défendre de-
vant la diète de l'empire, où il était accusé de ce même
crime, ne dut enfin sa délivrance qu'à l'intercession du pape
et à une grosse rançon. C'est pendant cette dure captivité
qu'il composa le premier des deux sirventes qui nous sont
restés de lui. On voit, dès les premiers vers, qu'il est pénétré
de sa situation, et que l'abandon qu'il éprouve de la part de
ses amis , lui inspire autant de mépris que de colère. Il est à re-
marquer que le langage dont il se sert n'est pas du provençal
pur, mais mêlé de français, et que même le français y domine.
Ja nus hom pris non dira sa raison
Adreltament se com hom dolent non ;
Ma per confort pot il faire chanson.
(i) Le meurtre de Conrad, marquis de Montferrat, qui avait été tué
en Asie par les satellites du prince des Assassins, connu sous le nom du
Vieux de la Montagne.
Tome XK Sa
XII SIECLE.
3û2 RICHARD, ROI D'ANGLETERRE.
XII SIECLE. Prou a d'amis, mas poure son li don ,
Onta (honte) i auron se por ma reezon
Soi fat dos yver pris.
I.Il dit dans une autre strophe : « Il est trop vrai, homme
mort n'a ni parens ni amis, puisque pour de l'or et de l'ar-
gent on me délaisse. Je soufl're ae mes malheurs; je souffre
encore plus de la dureté de mes sujets : quels reproches à
leur faire si je meurs dans cette longue captivité » !
Dès que Richard fut libre, il déclara la guerre au roi de
France. Ils étaient tous les deux trop affaiblis pour que cette
guerre durât long-temps, et se haïssaient trop pour que la
paix ne fiât pas presque aussitôt rompue que signée. A la
première trêve, Richard abandonna 1 Auvergne a Philippe
en échange du Querci. Le dauphin d'Auvergne crut percfre
au change, et témoigna son regret, ce qui prouve, ou que
Richard valait mieux au fond que l'on ne croit, du moms
pour ses grands vassaux , ou que Philippe-Auguste exerçait
plus durement que lui ses droits de suzeraineté. Richard
ayant recommencé la guerre, le dauphin se déclara pour lui ;
mais il n'en fut pas soutenu, et se vit obligé de se sou-
mettre aux plus clures conditions. Après une seconde trêve,
la guerre se ralluma de nouveau entre les deux rois; celui
d'Angleterre voulut engager de nouveau le dauphin d'Au-
vergne à rompre avec le roi de France et à épouser sa que-
relle, mais il ne put l'y décider; et ce fut à cette occasion
qu'il fit son second sirveute. Il l'adresse au dauphin et au
comte Gui, son cousin et son zélé partisan. Le français et
le provençal y sont mêlés comme dans le précédent. Le roi
n'épargne à ses deux anciens vassaux ni les plaisanteries
piquantes, ni même le reproche de leurs défauts naturels;
car on voit par la fin de la première strophe, qu'au moins
l'un des deux était roux.
Daufin ieu voill deresnier (interroger, demander)
Vos e le conte Guion
Que ainen (avant) ceste seison
Vos feites bon gerrier ;
E vos jurastes a moi,
E portastes me tiel foi ,
Corne esangrins à reinart (i)
Gui sembiez dou poil iiart (roux).
(i) Allusion aux fables du Loup et du Ren.nrd; le loup est nppel«
ls:uigrin par les autours orientaux. • , v \i,v
XII SIECLE.
RICHARD, ROI D'ANGLETERRE. 323
Les subsides se payaient au profit de Richard à Chinon
en Touraine. II paraît, par le ton ironique de la seconde
strophe, que sa caisse était bien garnie, et il reproche au
dauphin et au comte Gui d'avoir mal calculé leurs intérêts.
Vos me laissastes aidier
Por treime de geerdon (par crainte de n'être pas payés)
E car savetz q'a Chinon
Non a argen ni dinier.
E vos Toles riche roi ,
Bon d'armes qui vos port foi j
E ie sui chiche, coart ,
Sius viretz de l'autre part.
Mais il promet de leur faire bonne et loyale guerre , mal-
gré leur déloyauté.
Mas una ren (une chose) vos outroi
Si be m' fausastes la loi :
Bon gerrier à l'estendart
Troveretz li roi Richart.
S'étant enfin réconcilié avec Philippe, il s'engagea peu de
temps après dans une- querelle particulière contre un sei-
gneur, son vassal, pour un trésor que ce seigneur avait
trouvé , et que Richard voulut avoir. Il l'assiégea dans son
château, et Fut blessé d'un coup de flèche dont il mourut (i) En 1199.
après s'être donné la satisfaction barbare de faire pendre la
garnison de la place dans laquelle il était entré de vive force
depuis sa blessure. Mais il est bon d'observer que ce n'était
pomt pour s'en venger; cette exécution était résolue d'a-
vance ; il l'avait même fait déclarer à la garnison , qui offrait
de se rendre; et ce fut après ce refus et cette déclaration
qu'il fut atteint d'une flèche et blessé à mort. Il eut la géné-
rosité tardive d'excepter de la sentence le soldat qui 1 avait
blessé, mais qui n'en fut pas moins écorché vif après la
mort du roi. G.
Ss 2
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XII SIECLE.
MICHEL DE CORBEIL,
ARCHEVÊQUE DE SENS.
M>
iCHEL, qu'on croit être de la famille des comtes de Cor-
beil, fut d'abord chanoine de Saint- Gery à Cambrai, sui-
T. XII, p. 55. vant la France chrétienne , et chanoine de Soissons, suivant
Liv. V, c. 48. Claude Dormay, dans son histoire de cette ville et de ses
rois; ensuite archidiacre de Bruxelles, suivant la F'rance
chrétienne encore, dont je ne vois au reste aucun écrivain
T. VIII, p. reproduire l'opinion. Le Gallia Christiana , Duboulay, dans
P^%8;*t.^x! '**^" histoire de l'Université de Paris ; Mathoud , dans le cata-
p. 56i.' ' logue des archevêques de Sens; d'autres encore, s'accordent
T. II, p. 496- tous également à dire que Michel de Corbeil fut doyen de
P. 129, etc. l'^gijsg ^g Meaux, de celle de Laon et de celle de Paris; de
celle de Laon en 1 191 , et de celle de Paris en 1 192, d'après
T. ix,p.36i. un autre passage du Gallia Christiana, qui le fait aussi cha-
V. aussi t. yii, jiojjje gt chancelier de cette dernière église, avant qu'il de-
p. 198, et Du- Ajii -ivTi
bois, Hist. de Vint doyen d aucune autre. Nous devons remarquer aussi
legi. de Paris, que, quoique les auteurs de ce savant ouvrage parlent de
t. Il, p. 144 et Bruxgjigs sans parler de Meaux en faisant ITiistoire de Mi-
t! XII, p. 55. chel de Corbeil, à l'article des archevêques de Sens, ils le
placent à Meaux non comme archidiacre, mais comme doyen
T.vni,p. i665. a l'article qui concerne l'église de cette ville. Michel devait
l'avoir été en 11G6 ou i i6y. Son prédécesseur, Guillaume,
fils de Thibaut, comte de Champagne, paraît encore dans
un acte de ii65; et lui, Michel, signe comme témoin, en
Gall. CJirist. I i6c), un autre acte par lequel Etienne de la Chapelle, alors
'■.^TA'^''^'^ évêque de Meaux, donne aux chanoines de sa cathédrale la
moitié de la dime de Quiney, bienrait dont on lui sut tant
de gré, que l'on crut devoir en faire mention dans l'inscrip-
P. i665. tion mise sur son tombeau. On rappelle aussi dans le hui-
tième tome de la France chrétienne quelques autres actes
3ue Michel de Corbeil signa comme doyen de Meaux. Dubois,
ans son histoire de l'église de Paris, rappelle ceux auxquels
—v. aussi Gall. ]y|ig|,ei coucourut comme doyen de cette église. L'histoire de
Christ., t. VII ,, 1 »• , m"' • i-k 1 • r •
p. 198. celle de Meaux, par dom Toussauit Duplessis, tait mention
T. i,p. 56o. de différens titres sur lesquels paraît son nom depuis 1169
jusqu'en 1184.
MICHEL DE CORBEIL, ARCHEV. DE SENS. 3a5
Michel de Corbeil était doyen de Paris quand on le
nomma, en iiç)^-, patriarche de Jérusalem; mais cette no- Gaii. christ,
mination fut sans effet, Michel ayant été élu presque immé- D,^"',^p"i'4^
diatement, quinze jours après, à l'archevêché de Sens, qu'il 179 , ^38. —
accepta. Il semble, par une lettre de l'évèque de Lydda, im- Dubouiay t.ir,
primée dans le second livre des Miscellanea de Baluze, que Rigord't. vdë
Michel de Corbeil était peu enclin à accepter le patriarcat laCoii.'deDu-
auquel on l'avait d'abord nommé : l'évèque de Lydda l'y ^''**'l^'P-^7—
exhorte, en Tui faisant sentir tout le bien qui pourra naître nlle^sdeFrancX
de son acceptation, tout le mal que son refus pourrait pro- 1. 11, p. 568.
duire. La lettre est pleine d'ailleurs de la plus grande con- P-a4aetsmT.
fiance et dés plus grands éloges pour les talens et les vertus
de Michel de Corbeil.
Avant d'être appelé à l'épiscopat, Michel s'était rendu cé-
lèbre par la culture et l'enseignement des lettres, de la litté-
rature sacrée en particulier. Dubouiay l'appelle professeur p. 49G. — v.
excellent, homme d'une immense renommée, i«^e«?/jyâOT<^y aussi, p. 756,
Rigord, Belleforêt, Dubois, tous les écrivains confirment cet 'urde* Robert
éloge. Ses vertus ne l'avaient pas fait moins chéi'ir. Rigord d'Auxerre.
indique en même temps et ses succès littéraires, et ses cha- T.VdeDuch.
rites envers les pauvres, et tous les autres biens qu'il faisait. ^" ,? ', *'', '' ^^
11 mourut au mois de novembre 1 199, suivant Dubouiay, 497.
Dubois et la France chrétienne. Le nécrologe de Meaux dit Dubouiay, p.
le i*""" décembre. Pierre, son frère, lui succéda dans l'arche- 35* "li^^n il
vêché de Sens. Un de ses petits neveux devint, au milieu du Christ., t. xii,
siècle suivant, évêque de Paris. p-56.
On croit que Michel de Corbeil fut aumônier de Philippe- ^çMea ^^^^^l'
Auguste. ^ ^ ^ ^ ^ p!56o*"^''" '
Il avait été envoyé à Rome par l'évèque de Paris, Eudes G^"- christ.
de Sully, pour y défendre ses droits contre l'abbé de Sainte- c -f'J'^'T"
/^ .f ' "' apicil. de Dach.
Geneviève. ^ 1. 11, p. 475.—
SES ÉCRITS. Rigord, t. Vde
Duch. p. 43.
Sander, dans sa bibliothèque des manuscrits de la Bel- t.vn!p^^oi!'
gi(jue, nomme entre ceux de l'abbaye d'Aulne, diocèse de /&«/.' p. aao.
Liège, Distinctiones Michaelis senonensis archiepiscopi in ,P^- ^" ^^
psatmos. N'étant encore que doyen de l'église de Meaux, l.^u, p.%^5T* '
Michel de Corbeil avait composé un commentaire sur les Part! 2,p.a38.
psaumes que le père de Montfaucon cite dans sa Biblio- T. il, p. 1393.
thèque des bibliothèques, comme étant parmi les manus-
crits de cette église. Il cite également parmi ceux du nou-
veau collège d'Oxford , Michaelis Meldensis distinctiones in T. I, p. 665.
3^6 MICHEL DE CORBEIL , ARCHEV. DE' SENS.
XU SIECLE. ;* • r . i J • j.. ,
psaltenum. Le catalogue des manuscrits d Angleterre nen
Part. a, n. 1000. fait pas seulement mention au sujet d'Oxford, mais aussi en
Jbid. n. H028. parlant de la bibliothèque jacobéenne et de celle de Thomas
Cat. mss. ang. Bodley. Lelong, pareillement, dans sa Bibliothèque sacrée,
^T.'n'"p.685. ^* Montfaucon encore, dans sa Bibliothèque des biblio-
T. II, p. lagS. thèques, nomment parmi les manuscrits de la cathédrale de
Laon Cominentarius in psalmos Michaelis decani Meldensis ,
P. 1197611298. et postea archiepiscopi senonensis. Le savant bénédictin
nomme presque aussitôt parmi les mêmes manuscrits deux
ouvrages dédiés à Michel de Corbeil : De tribus canticis , ad
Michaelem senonensem archiepiscopum ; commentarius in
Mathœum , ad Michaelem senonensem archiepiscopum. Les
trois cantiques annoncés dans la première de ces indications
sont apparemment le Magnificat , le Benedictus , et le Nunc
dimittis.
La 158" de Deux lettres, l'une d'Etienne de Tournai, l'autre, que
ledit, du p. du jjous avons déjà citée, de l'évêque de Lydda, peuvent faire
connaître jusqu'à quel point les contemporains de Michel de
Corbeil honoraient ses lumières. La première a pour objet
de consoler le chapitre de Laon, mécontent de ce que le
chapitre de Paris le lui enlevait en le nommant doyen aussi
de son église. Elle renferme un bel éloge de Michel de Cor-
beil, La seconde n'est pas moins honorable pour lui. On
Voir la page peut joindre à ces deux lettres celle du pape Innocent III,
précédente. quand il apprit la mort de ce prélat. Le pontife l'appelle
Gall. Christ, hommc Sage , éclairé, connaissant bien tous ses devoirs et
t. XII, p. 56. jgg pratiquant bien tous, défenseur zélé de la loi de Jésus-
Christ, adversaire implacable de l'hérésie. Nous avons une
Dubouiay,t. autre lettre d'un autre pape à Michel de Corbeil, de Céles-
II, p. 5o2. — |_ijj III ^ prédécesseur d Innocent; mais elle n'a pour objet
ChrfsTrt.xn" q"^ ^^ répudiation d'Ingeburge par Philippe -Auguste : Cé-
p. 55 et 56. ' lestin mande à l'archevêque de Sens de s'opposer à tout
nouveau mariage que le roi voudrait contracter, de le pres-
ser de reprendre l'épouse qu'il avait quittée.
sacra ,
XII SIECLE.
ROGER, '
DOYEN DE L'ÉGLISE DE ROUEN.
Cjirard Silvestris, parlant du succès avec lequel il Angi
enseignait le droit à Paris, vers 1176, dit qu'un jour, comme '* ^^' !'• ^7'-
il se faisait de toute part un concours immense pour en-
tendre Girard (observez que c'est de lui-même qu'il parle
ainsi à la troisième personne) , la leçon terminée et des ap-
plaudissemens universels d'un auditoire nombreux ayant
éclate, un homme plein de mérite, qui avait enseigné les
arts libéraux à Paris, après s'être long -temps livré, à Bo-
logne, à l'étude des lois, s'écria tout-à-coup (je me sers des
mots même employés par l'auteur qui nous confie cet éloge
fait de lui-même) : Non est sub sole scientia, si Parisios fue-
rit forte delata , quœ inconiparabiliter ihi et longe excellen-
tius quani usquam alibi, procul dubio non prœvaleat.
Girard nomme celui à qui on devait cette exclamation :
c'est Roger le Normand , qui devint ensuite doyen de l'église
de Rouen.
Le passage que nous venons d'indiquer annonce qu'il
avait étudié avec soin la jurisprudence, et qu'il avait pro-
fessé les arts libéraux à Paris, Parisiis in artibus legerat.
Mais il ne nous reste aucune trace de son enseignement et
de ses autres travaux.
C'est à lui qu'est adressée une lettre de Pierre de Pavie ,
évêque de Tusculum ou Frascati , et légat du saint-siége en
France, qui est la soixante-neuvième parmi celles d'Etienne
de Tournai, édition du père du Moulinet. Cette lettre pa-
raît avoir été écrite vers l'an 11 85.
On lisait dans un manuscrit de l'abbaye du Bec divers in-Zi^cotéaoS.
sermons composés par divers auteurs de la fin du XII*
siècle et du siècle suivant, parmi lesquels il y en a six de
Roger le Noir sur l'Ascension, la Pentecôte, le four des
Rameaux , et sur d'autres sujets. Serait-ce le doyen de l'église
de Rouen ? Nous ne connaissons du moins aucun autre Roger,
normand, de cette époque, à qui on puisse les attribuer.
Tout ce qu'on en dit dans la France chrétienne se borne T. ii,p. 117.
à ces mots : Rogerus { le Normand ) reperitur in tabulis ec-
XII SIECLE.
328 T. LE CIST.— T. DE PERSEIG— T. DE VAITC.
clesice rothomagensis, anno 1 199 , et in tabulis helli-loci, anno
1200. Un moment après, on lit que Richard était son suc-
cesseur en 1200. P.
THOMAS LE CISTERCIEN;
TH. DE PERSEIGNE; TH. DE VAUCELLES.
IN ou s réunissons ici trois noms qui, selon nous, dési-
gnent un seul personnage. — Voici les motifs qui appuient
"notre opinion.
De yisch, D'abord les auteurs qui ont parlé de ces trois Thomas, les
PoMevin^^Ap^ font tous vivrc à-peu-près dans le même temps, c'est-à-dire
parât, sa'cr. vcrs la fin du XII* siècle : ils leur attribuent à chacun un
Manriq. ad an. ouvrage qui portc le même titre; du reste, ils ne nous don-
^^'"u"^.*^^"' nent aucune espèce de rensei^nemens sur leurs actions ni
mir Uudin, m , , r, ' tvt' ^ i
supplément., et sur les places qu US ont occupées. JN est-il pas tres-vraisem-
ai"- blable que le moine , auteur de cet ouvrage, ayant passé suc-
cessivement d'un monastère à un autre, aura été désigné,
suivant les temps où se faisait la copie de son ouvrage , tan-
tôt comme moine de Vaucelles, tantôt comme moine de
Perseigne, et enfin par le seul nom de Cistercien, titre que
peut-être il avait fini par adopter.''
Mais l'identité de ces personnages ne nous paraît plus
douteuse d'après l'examen attentif que nous avons fait de
quelques manuscrits du livre qui leur est à tous les trois at-
tribué : déjà elle avait été regardée comme très-vraisemblable
De yisch , pgp (jg Visch dans sa Bibliothèque des écrivains de l'ordre
B.bl. Scr.pt. or. K /-....,.„ ^
din.cist.p.a47. ae uiteaux.
Ce livre est un commentaire du Cantique des Cantiques.
Des trois manuscrits qu'en possède la bibliothèque royale
sous les n"* Iv]^^ 662 et 565, les deux derniers portent au
titre le nom de Thomas Cisterciensis ; mais on lit dès la pre-
mière ligne du manuscrit ^'jS : Incipit expositio domini
Thomœ monachi abbatiœ de Vaucellis summœ super can-
tica canticorum. Ainsi l'auteur du commentaire sur le Can-
tique des Cantiques est désigné dans les manuscrits tantôt
XÎI SIECLE.
T. LE CIST.— T. DE PERSEIG.— T. DE VAUC. 329
par le nom de Thomas de Citeaux , tantôt par le nom de
Thomas de Faucelles.
Ces manuscrits sont conformes dans presque tout leur
contenu ; on trouve seulement au commencement du manus-
crit 562 un long et ennuyeux ouvrage où toutes les lettres
de l'alphabet sont passées en revue, et qui. n'a que peu ou
point de rapport avec le Cantique des Cantiques; il est sans
nom d'auteur. Ce n'est qu'au bas du folio ao qu'on lit : In-
cipit prologus niagistri Thomœ Cisterciensis uionachi supra
cantica canticorum. Vient ensuite une épitre dédicatoire à
Ponce, ëvêque de Clermont, que l'on ne trouve point dans
le manuscrit 47^ , lequel porte le nom de Thomas de Vau-
celles. Mais dans tout le reste, les deux manuscrits se res-
semblent.
Le manuscrit 563 n'est pas complet ; il commence par le
sixième livre du commentaire, et c'est le septième livre dans
les deux autres manuscrits, et aussi dans l'ouvrage imprimé,
dont nous parlerons bientôt.
Jusqu'ici il nous parait bien prouvé que Thomas le Cis-
tercien et Thomas de Vaucelles ne sont qu'un seul écrivain^
puisque nous avons le même ouvrage sous ces deux noms.
Nous ne pouvons prouver avec la même évidence l'identité de
cet auteur avec un Thomas de Perseigne, dont on trouve
le nom dans les listes des auteurs du XIP siècle; la biblio-.
thèque Royale ne possède point de manuscrits qui portent
ce dernier nom. Mais il y avait dans la bibliothèque des De Visch , i6/rf.
moines de Morimond, comme nous l'apprend de Visch, un
manuscrit qui contenait Expositioiies quasdani in cantica
canticorum , éditas h fratre Thoma de Persenia. L'abbaye
de Perseigne étant, comme l'abbaye de Vaucelles, de l'ordre
de Citeaux, il est vraisemblable, comme nous l'avons déjà
reiTiarqué, que le Thomas, auteur du commentaire sur le
Cantique des Cantiques, aura été indifféremment désigné
tantôt par les noms des abbayes de son ordre dans les-
quelles il avait vécu, tantôt par celui de Cistercien : de -là
est venue l'erreur de ceux qui, ne jugeant que sur les titres
des manuscrits, ont fait trois et même quatre auteurs du
même personnage.
C'est en loai que l'ouvrage fut imprimé pour la première
fois à Paris et ])ublié in-folio par Josse Badius (^Ascentius)
sous ce titre : Cantica Canticorum cum duobus commenta'
rUs plane egregiis ; altero venerabilis patris F. Thomce ois-
Tome xy. T t
33o T. LE CIST.— T. DE PERSEIG,— T. DE VAUC
XII SIECLE. - , ,
terciensis monachi , altero longe reverendi cardinalis M.
Joannis Halgrini ah ahhatisv'dla. Il parait que cette édi-
tion est devenue rare. La bibliothèque Royale ni celle de
Sainte -Geneviève n'en possèdent aucun exemplaire; nous
n'avons trouvé l'ouvrage que dans la bibliothèque Mazarine.
Et cependant le livre de Thomas le Cistercien avait eu
dans le temps un grand succès, puisqu'il fut réimprimé à
Lyon en 1671 . D'après cela, on a peine à comprendre com-
ment on ait voulu, moins de cent ans après, le publiei* à
Rome en l'attribuant à un autre auteur. C'est pourtant ce
qu'eutrejMrit le Gordelier Paul Reatino. Jaloux de la gloire de
son ordre, il fit imprimer Êct ouviage, dans lequel il trou-
vait swia doute un mérite éminent, soos le nom d'un fran-
ciscain célèbre, Jean Dans Scot ( /e docteur Subtil). Mais il
eut soin de supprimer l'épître dédicatoire à l'évêque Ponce.
En effet, elle eût fait découvrir la fraude, ])nisque le prélat
était mort avant cjiie Scot vînt au monde. Jean Magloire,
{|ui était, à cette époque, à Rome, procureur -général de
l ordre de Citeaux, révolté de l'audace du cordelier Paul
Cas.Oudin, Reatino, porta plainte contre lui, et obtint une sentence du
acript. écoles. a. i ^ , . • 1 -/> i- ■ 1 ,. i •■
Verb. Thomas. in=titre du sacre palais, qui défendit de publier le livre sous
— Dupin,i}ibi. tout autre nom que sous celui de Thomas le Cistercien. On
"arr'î,**")^^' ^"'' ^" conséquence obligé de changer le frontispice. — La
^'^^ mï. sentence, que Casimir Oudin rapporte en entier, est de l'an
l6'55, indiction VIII, 1 5 mars.
' Examinons maintenant l'ouvrage en lui-même, et tel que
l'a publié Josse Badius; il sera facile de juger ensuite s'il mé-
ritait bien de devenir, au XVIi* siècle, le sujet d'une que-
relle violente enti^ deux moines de diiférens ordres.
Le savant imprinK'ur qui l'a publié le premier, en 1621,
le dédie au père D. Edmond, abbé de Clairvaux, qui en
, qi
ne doute point cpie Thomas, son auteur, ait été non-seule-
Bwftï do même Ordre et pioféss-ion qiie l'abbé Edmond ,
mais aussi moine dans, la m«'me maison de Clairvaux': Ip-
Thom. Cist. sorum (commeiitariorum ) auctor non solum, istius ordinis
ca.n!"ép"(kdk "^ professionis , sedetiam domm et cohabitât ionis fuisse milù
au v°dufron- "visus est. Ainsi, aux abbayes de Vaucelles et de I^erseigne,
tispice. où nous croyons que Tliora«« a été moine, il faudrait aussi
joindre celle de Ciairvaax. Dans le reste de l'épitre, Badiuâ
XII SIECLE.
T. LE CIST.— T. DE PERSEIG.-^T. DE VAUC. 33 1
détaille tous les genres de mérite cju'il a cru remarquer
dans l'ouvrage de Thomas le Cistercien. On trouve dans ce
docteur, selon lui , 1 elocjuence douce et persuasive de saint
Bernard, et sa rare sagacité dans l'art de recueillir les fleurs
et les fruits des saintes écritures : Prœ se fert diligentem
mellijlui doctoris dwi Bernnrdi in divinis scripturis exercita-
tionem et lacteam eloquentiam , et in coUigendis fa^is et
sacrœ scripturce fioribus , dœdaleam et plus qiicim apinam
seduUtatem.
Vient ensuite l'épître dédicatoire de Thomas le Cistercien Ibid. p. i.
à Ponce, évéque de Clermont : Rei>erito patri domino Pontio
Dei gratiâ ctaremontensi episcopo /rater TJiomas quantu- ^
îuscunque cisterciensis nwnachus se totum in exequendis
mandatis ejus impendens. Cette épître sert à fixer, du moins
à-peu-près, le temps où fut composé l'ouvrage. En effet,
Ponce gouverna l'église de Clermont depuis 1170 qu'il en
fut élu évêque, jusqu'en 11 88. Ainsi c'est dans cet inter-
valle que Thomas écrivit son commentaire du Cantique des
Cantiques; il paraît même qu'il n'entreprit ce travail que
par les ordres du prélat. C'est là du moins ce qu'il lui dit
dans un style qui nous semble aujourd'hui bizaire et avec
des expressions qu'il serait assez difficile de traduire en fran-
çais : Vehementer obstupeseo et plus quant dicipotest admirari
non desino quod tam niblimis tam jxirvum , tam disertiis
tam imperitum , tam spiritualis tam irreligiosuni ad expri-
mendam de Canticis canticorum, spiritualem dulcedinem ,
non tam blandimcntis invitavêrit quam flagella facto de
funiculis charitatis coegeiit.
Dans la préface ou proœmium , Thomas trace ainsi le plan
qu'il a suivi dans son commentaire du Cantique des Can-
tiques : Singulos versiculos ab integuniento paleœ absolvo , ibid.p.itq.
brevi sive compendiosd expositione : deindè enodatam sen-
tentiani multiformi disponens distinctione ; postmodum quasi
apis argumentosa percurrens flosculos scripturarum , quœ
exposila sunt et distincta , eorum roboro attestatione.
Thomas n'est qu^ trop fidèle à ce plan. Il n'y a pas un
mot des versets du célèbre cantique qui 11e lui fournisse l'oc- -
casion de faire vingt définitions différentes; de diviser, sub-
diviser ses propositions. Au reste, les explications qu'il
donne sont bien plus inintelligibles que le texte, le plus
souvent beaucoup trop clair. On en jugera par quelques
exemples.
Tta
XII SIECLE.
33a T. LE CIST.— T. DE PERSEIG.— T. DE VAUC.
Comme c'est d'un épithalame t^'\\ va s'occuper, il croit
devoir d'abord définir l'ëpithalame dont il reconnaît trois
espèces, l'une historique, l'autre philosophique, la troisième
théologique. Tria sunt cpithalamia : primum historicum ,
secundum philosophicum , tertium theologicum. Primum agit
de légitima copula maris et f émince; secundum exprimit
conjunctionem tm>ialis eloquentiœ et quadrivialis sapientiœ f
tertium conjunctionem sponsce et sponsi, id est Dei et animœ,
Christi et ecclesiœ, etc. — Plusieurs colonnes du livre sont
employées en prétendues définitions et explications de ces
trois sortes d'epithalames.
Il passe ensuite au premier verset du cantique : Osculetur
me osculo oris sui, qu'il explique d'une manière tout aussi
claire et aussi satisfaisante. Hœc est, dit-il, 'vox synagogœ qiui
Christum 'venturum in mundum didicerat ah angelis , audio'
rat à prophetis. Itaque ejus infiammata desiderio clamât :
osculetur me osculo oris sui. Hœc est ad enidiendum et snl-
vandum me : non jam angelos, non patriarclias , non mittat
prophetas , sed ipse qui venturus est veniat in propria per-
sona. Osculum ejus est proprii ons eruditio. Feniat igitur et
eiudiat me proprio ore, etc. — Vient après une longue dis-
sertation sur les baisers dont il compte quatre espèces : Est
autem osculum quadruplex ;' osculum camis., osculum dce-
monis , osculum hominis, et osculum dilecli. De primo sus-
cipitur osculum luxuriosum , de secundo venenosum , de ter-
tio domesticum , de quarto sanctum. Il continue sur ce ton
pendant plusieurs pages; et, à propos de chacun de ces bai-
sers, il cite les saintes écritures. Mais ce n'est rien de les
avoir définis, il faut qu'il analyse les diverses manières dont
les baisers se donnent : Tria in osculis notantur, osculantium
labia se consociant ; interiores a nhelitus conspirant ; cofpora
sihi appropinquant. In primo conjunctio naturarum , m se-
cundo unio spirituum , in tertio comparticipatio fit passio-
num, etc.
Mais rien de plus extraordinaire que l'explication qu'il
»lonne du dixième verset : Quant pulchroi suntmammœ tuœ,
soror mea, sponsa mea. Pulchriora ubéra tua mno. Ces
mamelles de l'épouse représentent ceux qui nourrissent les
ignorans du lait de la cloctrine : Sic in mammis designan-
tur qui infirmos simpliciori lacté doc t rince nutriunt, adhuc
fuligine pectoris nigros ad pulchritudinem justitice addu£unt.
Il ne s'en tient pas là. Il ne laisse point échapper une si
XII SIECLE.
T. LE CIST.— T. DE PERSEIG.— T. DE VAUC. 333
belle occasion de discourir sur toutes les espèces de ma-
melles : Et paidisper loquamur de uherihus sine distinctione
nominum. Tria sunt gênera uberum. Ubera bruti animalis ,
ubera mulieris , ubera virginis. Brutum animal est prelatus
carnalis, mulicr doctor spiritualis, Virgo est mater Salva-
toris , etc. — Quelle idée doit-on prendre d'un siècle où l'on
pouvait admirer un ouvrage écrit entièrement sur ce ton et
de ce style!
Nous avons vu par le titre de l'édition qu'a donnée Josse
Badius, qu'il avait joint au commentaire de Thomas le Cis-
tercien un autre commentaire de Jean Haîgrin. Nous igno-
rons pourquoi il écrit ainsi le nom d'Alegrin d'Abb^ille, Morcri.Dlct.
qui fut promu, en 1227, à la dignité de cardinal, et mourut '''«t- ^crbo Aie-
en 1237. ^""'
Son commentaire ne vaut guère mieux, ni pour le style,
ni pour les idées, que celui du moine de Cîteaux, son de-
vancier. Au reste, comme il a composé d'autres ouvrages,
et qu'il a joué un rôle important dans les affaires de l'é-
glise, nous lui consacrerons dans la suite une notice par-
ticulière.
Si, comme nous le croyons, Thomas le Cistercien s'est
appelé successivement Thomas de Perseigne, puis de Vau-
celles, peut-être même de Clairvaux, il avait composé d'au-
tres ouvrages que son commentaire du Cantique des Can-
tiques. Dans plusieurs catalogues de manuscrits, on trouve
sous le nom de Thomas de Perseigne un ouvrage De prœ- De visch ,
paratione cordis ; un autre sur le livre des sentences ; enfin Bibl.cist.p.2;,7.
sous son nom plus connu de Thomas Cisterciensis , des ser-
mons. Nous n'avons ^u nous procurer aucun de ces ou-
vrages.
Tout ce que nous savons de la vie de ce moine, comme
nous l'avons dit, est qu'il vécut toui'-à-tour dans plusieurs
monastères de son ordre, et qu'il se fit un nom dans l'éghse
par ses écrits et ses sermons. Nous ignorons l'année précise
de sa mort; mais puisqu'il est bien prouvé par l'épître dédi-
catoire de son commentaire sur le Cantique, qu'il l'avait pu-
blié entre iiyo et 1 188, nous présumons qu'il est mort veis
l'an 1200, ou dans les premières années du XIIP siècle.
A. D.
XII SIECLE.
LES ACTES DU PROCÈS
ENTRE LES ÉGLISES DE TOURS ET DE DOL,
TOUCHANT LE DROIT DE MISTROPOLE SUR LÀ PROVINCE
DE BRETAGNE.
V j'est ici le lieu de rendie compte des pièces d'un procès
qui a duré l'espace de plus de trois cents ans, et qui ne fut
vraiment termine que l'an 1199 par jugement définitif du
pape Innocent III. Cette affaire, qui, au premier aspect,
semble ne pas être d'un grand intérêt, n'était pas étran-
gère à la politique des rois de France, qui ne pouvaient voir
d'un œil tranquille les princes bretons affecter l'indépen-
dance et se soustraire à leur domination. Nous verrons que
Philippe -Auguste regardait la perte de ce procès pour l'é-
glise de Tours, comme une atteinte portée à sa couronne,
parce qu'à cette époque ni la ville de Tours ni la province
de Bretagne n'étaient sous la mouvance immédiate du roi :
il n'avait conservé dans ses mains que l'évêché de Tours,
dont par conséquent il était important de maintenir la di-
gnité et l'autorité territoriale dans toute son étendue.
MartAnecd. £)ès l'an 846, Nominoë , duc des Bretons, ayant pris le
titre de roi, voulut aussi ériger en métropole un des évêchés
de son nouveau royaume. Plusieurs écrivains ont cru qu'il
avait érigé de sa propre autorité trois nouveaux évêchés,
ceux de Dol, de Saint-Brieux et de Tréguier ; mais les lettres
du pape Nicolas V^ à Salomon, roi des Bretons, et à Festi-
nien, évêque de Dol, prouvent le contraire; celle des pères
du concile de Soissons, de l'an 866 au même pape, écrite au
sujet de cette affaire, fait mention de Salocon, évêque de
Dol, çh^sé de son siège par Nominoë, qui mit Festiuieu à
sa place, et le fit reconnaître pour métropolitain par les évê-
ques de sa domination. Après quoi il reçut de leurs mains
les njarques ée la. royauté qu'il ambitionnait. L'évêché de
Dol existait donc avant cette entreprise de Nominoë; mais,
comme il n'arrive que trop souvent qu'une révolution dans
un état en amène aussi une dans le gouvernement de l'église,
et comme on ne pouvait consolider Te nouvel ordre de choses
t. lll.col. 85o.
xii siecij:.
PROCES DES ÉGL. DE TOURS ET DE DOL. 335
sans l'intervention de l'évêque métropolitain , on prit le parti
de se passer de lui , et d ériger en métropole l'évêché de Dol
sur le témoignage de quelques fausses légendes qui suppo-
sent que S. Samson, archevêque d'York, était décore du
palliiim, lorsque, chassé d'Angleterre, il prit possession de
cette église.
Depuis cet événement, l'église de Tours ne cessa de ré-
clamer ses droits de métropole sur la province de Bretagne,
et de s'opposer aux prétentions des évêques de Dol. On voit
dans ce recueil tout ce qu'ont fait ces deux églises, l'une
pour soutenir son droit, l'autre pour se maintenir dans son
usurpation; on y voit les papes et les conciles interposer
leur autorité pour rétablir les choses sur l'ancien pied sans
pouvoir fléchir l'obstination des Bretons. Grégoire VII,
l'homme le plus inflexible, parut céder devant eux. Content
de la soumassi^i des princes bretons qui avaient renoncé
aux investitures, il accorda l'usage du pallium à Even , nou-
vellement élu évêque de Dol , toutefois sans préjudice des
droits de l'église de Tours. Le procès n'était donc pas dé-
cidé : il se renouvela plus fortement que jamais au XII* siècle,
et à la poursuite de Hugues, archevêque de Tours, le pape
Lucius II lui donna, l'an ii44i g'^'^i "^ cause en l'investis-
sant soleimellement du droit de métropolitain sur les évê-
chés de Bretagne.
L'affaire paraissait terminée en dernier ressort; mais l'é-
glise de Dol trouva moyen de recommencer la contestation ;
et, s'il faut en croire les historiens, elle n'eut pas de peine
à faire entendre ses réclamations à la cour de Rome, qui
n'aimait rien tant qu'à perpétuer les procès pour attirer des
plaideurs. Eugène III, Anastase IV, Adrien IV, tentèrent plu-
sieurs voies de conciliation entre les deux églises, sans pou-
voir y réussir. Enfin, l'an 1 179, Alexandre III voulant mettre
fin à des débats interminables, nomma des commissaires sur
les lieux pour entendre des témoins, non sur le droit des
parties, rnais sur le possessoire, se réservant le jugement de
cette affaire quant au fond.
Alexandre mourut bientôt après, et son successeur, Lu-
cius III, se préparait à porter un jugement qui ne paraissait
pas devoir être favorable à l'église de Tours. Ce fut alors
que Philippe-Auguste intervint dans l'affaire, et éciivit les
lettres fulminantes qui se trouvent parmi celles d'Etienne de
Tournai, a Nous attendions de votre part la paix , et voilà Steph. Tor-
nac. ep. io8.
336 PROCES DES ÉGL. DE TOURS ET DE DOL.
: — 1 « que vous semez la discorde. Si l'e'glise romaine ne craint
. et pas de porter atteinte aux droits de l'église de Tours, qui ,
«du temps de nos pères, jouissait dans toute leur intégrité
«des droits de métropole sur la petite Bretagne, nous re-
« garderons cet événement comme un attentat contre nous,
«comme une injure faite à notre couronne, non moindre
«que si on l'avait foulée aux pieds. N'est-ce pas vouloir
«nous déshériter.'^ Que dis -je.'' n'est-ce pas nous faire des-
« cendre du trône, comme des lâches incapables de se dé-
« fendre, que d'entreprendre d'établir un archevêque là où
«il y a déjà un métropolitain, et cela au préjudice de l'in-
« tégrité de notre royaume.'' Si cela arrive, nous prenons Dieu
« à témoin que nous ne vous regarderons plus comme un
« père, et nous ne nous conduirons plus à votre égard comme
«un fils. Ce trait, qui percerait jusqu'au fond de notre ame,
« nous forcerait à crier comme un homme ou'on dépouille
«de son héritage, à gémir comme un homme abandonné,
« et à solliciter la vengeance de Dieu et des liommcs contre
« un traitement qui décèlerait le peu de cas , pour ne pas
«dire le mépris qu'on ferait de notre personne (i). »
Cette vive remontrance suspendit la procédure : elle ne fut
1 éprise que vingt ans après par l'église de Dol ; mais elle suc-
comba, et le droit de métropole de l'église de Tours sur la
province de Bretagne fut, comme nous l'avons déjà dit, au-
thentiquement reconnu par le pape Innocent III, l'an 1 199.
Mart. A.necd. Q^ recueil important a été publié par D. Martène sous le
-088*^° titre dH^ctes divers touchant l'église de Dol. Une partie de
ces actes existait déjà dans la collection des conciles du P.
Labbe, mais ils étaient disséminés. C'est ce qui a déterminé
(i) Sustlnuimus pacem vestram, et ecce turbatio; et in Itesione Turonensis
ecclesiœ , quœ tempore patrum nostrorutn integram mett opolitani jurisdic-
tionetn in tota minori Britannia obtinuit , regnum nostruni turpitcr immi-
nuere ac mntilare contenait ecclcsia roniana , coronam de capite nostro
dejicere , frangere et pedihus conculcare. Qiiid enini aliiid est archiepiscopum
in cadem provincia contra metropolitanum suum et integrifatein rcgni nostri
erigere velle , quiun ab hereditate patrum nostrorum nos, tanqiiam intbe-
cilles et résistera non valentes , ejicere et fugare ? Videat dominus etjudicet,
quod si processerit factùm istud , minus amodo vos œstimabimus patretn
quam vitricum , minus sentietis nos filium quant prii'ignum. Usque ad ani~
mani nostram pertingit gladius iste , lU exhereduti clarhemus , pfnnganms
nudati , contcmpti et abjecti a, vobis , ultionem quandoque Dei et hot/iinum
expectemui, etc.
BERTÈRE, CLERC DE L'ÉGL. D'ORLÉANS. 337
le savant bénédictin à les donner de nouveau, afin qu'on eût
toutes les pièces de ce fameux procès rassemblées dans un
même volume, en y ajoutant ce qui manque dans le P.
Labbe, et les corrections qu'on a pu faire à l'aide du manus-
crit qui était conservé aux archives de l'église de Tours. Mal-
gré cela, il y a encore des lacunes en quelques endroits.
Ce recueil est composé principalement de lettres des papes
3ui ont pris connaissance de cette affaire ; de procès-verbaux
'audition de témoins , de factum d'avocats , et finit par le
jugement du pape Innocent IlL Cependant l'anonyme qui a
recueilli ces actes, y a ajouté un grand nombre de pièces
postérieures à cette époque, lesquelles constatent que les
archevêques de Tours ont continué d'exercer l'autorité mé-
tropolitaine sur les églises de Bretagne, et que l'ancienne
discipline sur les élections et les ordinations aes évêques s'y
est maintenue jusqu'au milieu du XIV* siècle, puisque la
dernière pièce du recueil est une lettre du pape Benoît XII,
écrite l'an i34o. B.
XII SIECLE,
BERTEBE OU BERTIER,
CLERC DE L'ÉGLISE D'ORLÉANS.
U N historien anglais nous apprend que ce clerc d'Orléans Rog. Hoved.
composa, l'an 1188, une prose rimée pour exciter les Fran- p.639,éd.i6oi.
çais à prendre la croix, a l'exemple des rois de France et
d'Angleterre qui s'étaient croisés la même année pour la
défense de la Terre-Sainte.
Nous avons parlé ailleurs des pièces de ce genre qui furent Hîst. Littër.
composées l'an ii5o, après les désastres de la croisade du t-Xlll,p.8».
roi Louis -le -Jeune, pour stimuler les Français à tirer ven-
geance de la perfidie des Grecs et à recommencer l'expédi-
tion d'outre-mer. Cette fois-ci il s'agissait de voler au secours
des chrétiens de la Terre-Sainte, subjugués par le conqué-
rant Saladin , qui s'était rendu maître de Jér usalem et em-
paré de la vraie croix du Sauveur. 11 y avait là de quoi en-
flammer le zèle des preux du temps, non moins braves que
Tome XV. Vv ^
.f^ ^ .»«:.
XII SIECLE.
338 BERTERE, CLERC DE L'EGL. D'ORLÉANS.
religieux , et c'est ce que s'était propose' le poète dans la pein-
ture vive (^u'ir fait d'une si grande profanation. La pièce qui
nous a été conservée par l'historien est composée de six
strophes de douze vers , ayant toutes pour refrain ces six
vers :
Lignum crucis , Quod non cessU,
Signwn diicis , Scd processit
Sequitur exercitus : In -vi sancti spiritûs.
Nous n'en citerons que les deux premières strophes :
Juxta threnos Jeremiœ Jd portandum onus Tyri,
Vere Sion lugent viœ, Nunc deherent fortes viri
Quod solemni non sit die Suas -vires experiri.
Qui sepulcrum -visitet, Qui certant quotidie
Vel casum resuscitet Laiidibus militiœ
Hujus prophéties , Gratis insigniri.
Contra quod propheta scribit , Sed ad pugnam congressurit
Quod de Sion lex exibit , Est athletis opus duris ,
Numquid ibi lex peribit , i Non mollitis epicuris ;
Nec habebit vindicem, Non enim qui pluribus
Ubi Christus calicem Cutem curant sumptibus
Passionis bihit ? Emunt Deum precibus. F.pressuris.
Lignum crucis, etc. Lignum crucis^ etc.
Hist. d'Ori. Tâchons maintenant de découvrir qui était ce clerc. Sym-
P- 409. phorien Guyon dit que Bertère était conseiller d'état du roi
d'Angleterre; mais Roger de Hoveden ne lui donne pas cette
qualité. Il est plus vraisemblable que c'était ce Bertier, ar-
chidiacre de Cambrai , à qui Etienne de Tournai adresse les
lettres 99, 1 23, 190, 208, 241 de l'édition du P. Dumolinet.
Il résulte de ces lettres que leur amitié datait de loin, et que
cet archidiacre de Cambrai pourrait bien être le clerc d'Or-
léans dont parle l'historien anglais. Daiis cette supposition ,
on peut recueillir quelques notions sur sa personne. Quoique
archidiacre de Cambrai, il était attaché à Guillaume de
Champagne, archevêque de Reims, et c'est à lui qu'Etienne
recommandait ses affaires auprès du prélat, lorsqu'il avait
Steph. Tor- des raisons pour ne pas lui écrire directement. Ayant été
nac. cp.99. mandé à Troyes par l'archevêque, l'abbé de Sainte-Gene-
viève, retenu par une maladie, craignait d'avoir encouru la
disgrâce du prélat pour ne s'être pas rendu aussitôt. Il écrit
donc à Bertier qu'il s'est mis en route à petites journées, et
BERTÈRE, CLERC DE L'ÉGL. D'ORLÉANS. SSg
il désire lui parler avant de se présenter au prélat : Renun-
tiate mihi per prœsentiwn latorem uhi vos veniens inve-
niam, venialem moram meam sub virga Domini mei pur-
XII SIKCLE.
gaturus
Dans une autre lettre à Bertier, l'abbé de Sainte-Geneviève Epi$t. laJ.
craignant d'importuner l'archevêque par de trop fréquentes
sollicitations, s'adresse à son ami comme étant à portée de
solliciter pour lui : Verecundum, dit-il, nec minus venim
est quod loquor. Timeo Dominum mewn ac vestrum offen-
dere vel improhis questibus vel precibus importunis , etc.
C'en est assez pour prouver que Bertier faisait sa rési-
dence auprès de l'archevêque de Reims, qui aimait à s'en-
tourer de gens de lettres. Mais cet ami trouvait qu'Etienne, Epi$t. ao8.
devenu évèque de Tournai, remplissait mal les devoirs de
sa place, apparemment parce qu'il ne donnait pas assez à
la représentation. L'évêque, dans une autre lettre, lui repré-
sente que, s'il était repréhensible en quelque chose, son
ami aurait dû l'avertir en particulier, et non le tourner pu-
bliquement en ridicule : et sur cela, il lui fait le détail de sa
manière de vivre toute épiscopale.
Ce trait prouve que Bertier vécut au-delà de l'année 1 192;
mais nous ne trouvons aucune autorité pour fixer l'année
de sa mort. Dans le même temps vivait à Orléans un autre Gaii. Chriit.
Bertier, qui fut abbé de Saint-Éuverte depuis l'an i ig4 jus- *V^^^^ ' *^°''
qu'en 1 199. C'était apparemment un parent du premier. * '
II. Le même historien anglais rapporte une autre pièce Hoved, p. 666.
de vers qui fut faite au moment du départ des croisés. C'est
une prose rimée qui a pour titre : Planctus super itinere
tiersùs Jérusalem; mais l'auteur n'est pas nommé. Elle est
composée de huit stances de quatre vers , dont nous ne cite-
rons que la première et la dernière:
Graves nobis adniodum dies effluxere
Qui lapillis candidis digni nonfuere;
Nani luctus materiam inala prœbuere ,
Quœ sanctam Jérusalem constat sustinere.
Ut victores redeant, imploremus Deum ;
Ut tollant de medio terrœ Cananœurn,
Jngressi Jérusalem pellant Jehusœum ,
Christianœ gloriœ poi tantes trophœum,
B.
Vva
XII SIECLE.
PÉREGRIN,
4BBÉ DE FONTAINES-LES-BLANCHES,
ORDRE DE CITEAUX, AU DIOCESE DE TOURS.
^ %cii. in-A", PEREGRIN, auteur d'une histoire du monastère dont il e'tait
39a;'in-fol.'r ^^^^1 * ^u soin de Hous instruire de quelques particularité'»
II, p. 673-580. de sa vie, qui peuvent nous le faire connaître mieux que
nous ne connaissons beaucoup d'écrivains de son temps. Il
i*<rf. cap. i3. dit positivement qu'il composait cette histoire l'an 1200;
<ju'il y avait alors trente ans qu'il avait embrassé la vie re-
ligieuse, et douze qu'il était abbé : d'où il résulte qu'il s'était
fait religieux l'an 1170, et qu'il fut fait abbé l'an 1188.
Il a divisé son histoire en deux parties. Il traite, dans la
première, de la fondation du monastère, de ses accroisse-
mens, et on y trouve la succession des abbés avec des anec-
dotes qui les concernent : la seconde est une espèce de
cartulaire qui contient les titres des biens acquis, et les pri-
vilèges émanés de la cour de Rome en faveur du même
établissement.
/forf.cap.a-4. Dans la première partie, il nous apprend que ce lieu n'é-
tait d'abord qu'un nermitage dans lequel s'étaient rassem-
blés plusieurs solitaires dont il donne les noms, parmi les-
quels il s'en trouvait un qui ayant eu la dévotion de faire
le voyage de Jérusalem, avait été choisi, presque en arri-
vant, pour remplir le siège patriarcal de cette église. C'était
un Flamand nommé Guillaume qui tint ce siège éminent
depuis l'année ii3o jusqu'à ii44. Le choix qu'on fit, de lui
tient du miracle. Etant allé, la veille de Pâques, à l'église du
Saint-Sépulcre pour être témoin du prodige qui se renouve-
lait, dit- on, tous les ans à pareil jour à la descente du feu
nouveau, il arriva que le cierge qu'il portait à la main, se
trouva le premier allumé. Cela suffit pour déterminer le
choix qu'on fit de lui.
A l'exemple de beaucoup d'autres communautés d'her-
mites dont le nombre en ce temps-là était considérable dans
plusieurs endroits de la France, et qui, dans la suite, sont
devenues pour la plupart des abbayes, les hermites de P'on-
PIERRE DE BLOIS. 34i
taines mirent en délibération s'ils se réuniraient ou à l'ordre .
de saint Benoît ou aux chanoines réguliers. Ils choisirent, lôid.a^.e.
l'an 1 1 34 , la nouvelle congrégation de Savigny, dont le chef-
lieu était au pays d'Avranches, sur la frontière de la Bre-
tagne et du Maine, et qui était alors dans toute la ferveur
de la régularité. Cette congrégation s'étant donnée à saint
Bernard l'an ii47i la maison de Fontaines se trouva incor-
porée à l'ordre de Cîteaux, et c'est de là que lui est venu le
surnom de Fontaines -les -Blanches, de la couleur des ha-
bits qu'on y portait.
D. Luc Dacneri a publié cette petite histoire qui , quoique
peu importante au fond, est écrite avec ordre et clarté. Pere-
grin a soin de recommander à ses successeurs, en la termi-
nant , de recueillir à son exemple les événemens qui intéres-
seraient son monastère, parce que ce travail serait fort utile
pour la conservation des biens de la maison , et procurerait
une lecture agréable à ceux au moins qui dans la suite des
temps en seraient les habitans. Il ne paraît pas que ses in-
tentions aient été remplies : nous ne connaissons pas non
plus d'autre production de sa plume.
PIERRE DE BLOIS,
ARCHIDIACRE DE BATH, PUIS DE LONDRES.
SA VIE.
"lERRE, un des meilleurs écrivains du XII® siècle, sur- Epist. 49.
nommé de Blois, parce qu'il était né dans cette ville, tirait
son origine d'une famille noble de la Basse-Bretagne. Il eut
au moins deux frères; 4' un, établi à Orléans, laissa un fils,i
auquel Pierre de Blois écrivit pour le c:)nsoler de la perte Epist. ra. -
d'un oncle maternel; l'autre, nommé Guillaume, qui a eu Epist. 90, 93.'
son article dans notre histoire, ayant embrassé l'état reli-
gieux, devint abbé d'un monastère en Sicile. Pierre eut en-
core deux sœurs; l'une était la mère d'Ernaud, prieur de Epist. i3i,i32,
Saint-Martin de Moustier, qui devint ensuite abbé de Saint-
XII SIECLE.
342 PIERRE DE BLOIS.
Laumer de Blois; l'autre, nommée Chrétienne, mourut re-
Epist. 36. ligieuse. Il appelle ses cousins, consanguineos , un prieur de
Epist. 3a. Cantorbëri, dont le nom n'est désigne que par la lettre ini-
Epist. 34. tiale V; et un évêque de Périgueux, dont le nom commence
par la lettre P, apparemment Pierre Minet, qui gouverna
cette église depuis l'an 1 169 jusqu'en ii8a.
Epist. 139. Pierre nous apprend que, depuis son enfance jusqu'à sa
vieillesse, il avait passé sa vie ou dans les écoles ou dans
les cours des princes. Il ne dit nulle part où il lit ses pre-
mières études, ni quels furent ses maîtres. Il paraît, par
Epist. la. une de ses lettres écrite à un de ses neveux à Orléans, qu'il
avait fait ses humanités, au moins en partie, à Toui-s : Mitte
mihi, dit -il, 'versus et ludicra quœ feci Turonis. On peut
croire aussi qu'il avait pris quelque part des leçons de Jean
Epist. aa. de Salisburi; car dans une lettre de l'an 1170, il l'appelle
son seigneur et son maître. Si ce fut à Paris , ce ne put être
que depuis l'an ii4o jusque vers ii5o, temps oîi Jean de
Salisburi ouvrit des écoles à Paris, comme il le dit lui-
même, metalog. lib II, cap. 10. Mais Pierre qui, comme
nous le verxons, étudia à Paris la théologie, ne dit nulle
part qu'il y ait puisé la connaissance des beaux-arts.
Epist. a6. Il n'est pas douteux que Pierre de Blois alla étudier la
jurisprudence à Bologne; mais il serait difficile de dire en
quelle année, et combien de temps il séjourna dans cette
ville. Nous sommes portés à croire qu'il en sortit vers l'an
Epist. 48. 1160 ou 116 1, lorsqu'étant allé à Rome rendre ses hom-
mages au pape Alexandre III, il fut arrêté en chemin avec
ses compagnons de voyage, dévalisé et meurtri de coups
par les satellites du cardinal Octavien , ou l'antipape Victor
IV, qui voulaient l'obliger à fléchir le genou devant leur
idole. C'est ainsi qu'il appelle cet antipape.
Epist. a6. De retour en France, il vint à Paris étudier la théologie.
C'est là vraisemblablement, et peut-être aussi avant son
départ pour Bologne, qu'à l'exemple de Jean de Salisburi,
qui, livré à l'étude de la théologie, instruisait en particulier
des enfans pour subvenir à ses besoins , Pierre de Blois en-
Epist. 9 ,5i, seignait les arts libéraux, comme il le dit dans plusieurs de
loi, 126. ges lettres.
Vers l'an 11 67, Etienne du Perche ayant été appelé en
Sicile par sa parente la reine Marguerite, veuve d\i roi
Guillaume 1*', décédé l'an 1166, pour l'aider à gouverner
l'état pendant la minorité de son tils Guillaume II, Pierre
. PIERRE DE BLOIS. 343
de Blois passa en Sicile avec plusieurs autres Français à la ^^^ siècle.
suite de ce jeune seigneur. Etienne fut fait chancelier du
royaume, et bientôt après élu archevêque de Palerme; Pierre
remplaça le chapelain Gautier dans 1 emploi de précepteur
du jeune roi, fut chargé de la garde du sceau royal, sigil-
larius , et parvint à un tel degré d'autorité, qu'après la reine
et le chancelier, il eut la principale part au gouvernement
des affaires, comme il le dit lui-même. Mais cette brillante Epist. 72, i3i.
fortune ne dura qu'un an. Les Siciliens ne virent pas sans
jalousie ces deux étrangers dominer dans leur pays ; les ar-
tifices naturels à cette nation furent mis en usage pour les
supplanter. Après d'inutiles efforts pour décrier Pierre de
Blois dans l'esprit du roi, son élève, on chercha d'autres
moyens de l'éloigner de la cour. Deux évêchés lui furent
offerts successivement dans cette vue, puis l'archevêché de
Naples. Pierre évita ces pièges en refusant tout; mais, té- EpUt. g»,
moin de la conjuration ouverte qui avait forcé le chance-
lier son patron a quitter la Sicile l'an 1 169, ne voyant plus
de sûreté pour lui a continuer son emploi , Pierre demanda
sa retraite. Le roi voulut le retenir; mais n'ayant pu rien
gagner sur lui, il fit équiper un vaisseau qui le conduisit à
Gênes.
Arrivé en France , il paraît que Pierre reprit les fonctions Epist. 72.
de l'enseignement ; car il nous apprend que l'archevêque de
Sens, Guillaume de Champagne, ami des gens de lettres,
voulut le tirer de cet emploi , a scholari militid, pour l'avoir
auprès de lui, avec promesse de lui donner un bénéfice
dans son église. Mais un faux ami, qui d'abord s'était inté-
ressé pour lui procurer celte place, avait fait changer le
prélat de résolution. On peut croire cependant que l'arche- Epist. ia8.
vêque Guillaume, avant de se démettre de l'évêché de Char-
tres, l'an 1176, voulut le dédommager en le nommant à
une préfecture de cette église, pour laquelle il eut un procès
à soutenir contre ce faux ami sous l'episcopat de Jean de Epist. 49, i3o.
Salisburi , qui conféra ce bénéfice à un de ses propres
neveux.
A cette époque, Pierre de Blois était déjà passé en Angle-
terre; car dans la lettre i3o à Jean de Salisburi, il prend la
qualité de chancelier de l'archevêque de Cantorhéri; et dans
la 49* au chapitre de Chartres, celle à^ archidiacre de Bath.
On peut même avancer qu'il y était avant l'année iiyô, Epist. 41, 56.
puisqu'au commencement de cette année il était de retour
XII SIECLE.
1
344 PIERRE DE BLOIS.
d'un voyage qu'il avait fait à Rome pour les affaires du roi
d'Angleterre.
Vf. Thorn, L'ap 1177, il fit UH sccond voyage à Rome avec Gérard
interbist.A.ngI. r». 1 •. ' r • i*^ " ' u n 1 1 /
script. t.Xjcoi. *^cel, autre rameux canoniste, charges l un et l autre de de-
x8ai. fendre les droits de l'archevêque de Cantorbéri contre les
f)rivilëges d'exemption de l'abbaye de Saint- Augustin. Malgré
eur éloquence et leur vaste érudition, ils perdirent leur
bS^^i^^^'*^ cause. Pierre ne fut pas plus heureux l'an 1187, dans un
• C0.149 . troisième voyage qu'il fit a Vérone où résidait le pape Ur-
bain III, pour soutenir des prétentions que l'archevêque de
Cantorbéri, Baudouin, avait élevées contre les moines de
son église.
Epist. 127. Le roi d'Angleterre, Henri II, étant mort l'an 1 189, Pierre
- de Blois ne trouvant pas dans son successeur, qu'il appelle
un autre Pharaon, les mêmes sentiraens de bonté et ae gé-
nérosité qu'il avait éprouvés de la part du père , aurait aban-
donné l'Angleterre, s'il n'eût rencontré dans les évêques de
Worch ester et de Durham des amis empressés à le consoler
dans son affliction. Ces deux prélats, par leurs bienfaits, lui
firent oublier qu'il était dans une terre étrangère; mais la
mort, dit -il, lui enleva bientôt ces généreux amis. Ce fut
vraisemblablement alors que la reine Eléonore le prit à son
EpUt, 87, ia4. service en qualité de secrétaire. On voit au moins par plu-
sieurs de ses lettres qu'il remplissait cette fonction depuis
l'an 119 1 jusqu'après l'an iipS.
Epist. 149. Vers la même époque il éprouva plusieurs sortes d'adver-
sités; il fut accusé d'un crime honteux par des gens qui réus-
sirent à lui faire perdre l'archidiaconé de Bath, le meilleur
de ses bénéfices. Il en fut si consterné, qu'il résolut de repas-
Epist. 160. ggr en France, et demanda pour cela la protection d'Eudes
de Sully, évêque de Paris, dont il avait éprouvé jadis les
bontés, lorsque ce prélat n'était encore qu'aichidiacre de
Epist. i5i. Bourges. Il ne quitta pourtant pas l'Angleterre, parce que
l'évêque de Londres, pour le dédommager, le fit archidiacre
de son église; mais les revenus de ce bénéfice étaient si mo-
diques, qu'il pria le pape Innocent III de les augmenter, en
accordant à l'archidiacre de Londres les mêmes droits dont
jouissaient par -tout ailleurs les archidiacres, parce que les
revenus de celui-ci ne suffisaient pas, dit-il, pour vivre un
mois de l'année. C'est vraiseml)lablement pour suppléer à
l'insuffisance de son archidiaconé de Londres, qu'on lui pro-
cura le doyenné d'un chapitre appelé Wnlrehaniten , au dio-
XII SIECLR.
PIERRE DE BLOIS 3^5
cèse de Chester; mais il trouva les chanoines si déréglés et
si peu susceptibles de correction, qu'il donna sa démission l^P'st- "2.
entre les mains de l'archevêque de Cantorbéri , demandant
qu'on mît à leur place des cisterciens, avec l'autorisation du
saint-siége, pour laquelle il écrivit au pape Innocent III.
Ces deux lettres au pape Innocent III sont les dernières
époques connues de la vie de Pierre. On ignore l'année pré-
cise de sa mort; il est possible qu'il ait vécu encore quel-
ques années, mais on ne peut la placer avant l'an 1198,
époque où le pape Innocent III monta sur le trône pontifical.
Nous n'avons fait qu'indiquer sommairement, d'après les
lettres de Pierre de Blois , les principales époques de sa vie.
Nous ferons connaître plus particulièrement ce savant per-
sonnage en rendant un compte plus détaillé de ses lettres.
On y verra que du moment que Henri II, roi d'Angleterre,
l'eut mis au nombre de ses chapelains, Pierre devint un
homme important; qu'il éclipsa par sa capacité tous les
^autres clercs de la cour d'Angleterre : secrétaire du cabinet,
conseiller privé, négociateur, il entra dans presque toutes
les affaires de l'état; Richard, archevêque de Cantorbéri, et
ses deux successeurs, Baudouin et Hubert, lui donnèrent
la même part dans celles de l'église ; en sorte qu'il était obUgé
de partager son séjour entre la cour du prince et celle du
primat. D'autres prélats d'Angleterre prirent ses conseils, ou
empruntèrent sa plume pour leurs intérêts personnels et
ceux de leurs diocèses. En un mot, il fut l'homme le plus
consulté, le plus employé, le plus estimé de toute l'Angleterre.
SES ÉCRITS.
Pierre de Blois a ftiit lui-même le dénombrement de Pet. Blés.,
presque tous ses écrits : ils consistent dans des lettres, dans *"??• P- ^^7-
un grand nombre de sermons, et dans quelques traités par-
ticuliers. Toutes les productions de sa plume, à quelques
exceptions près, ont été recueillies par Pierre de Gussan-
ydle dans la dernière édition de ses œuvres en un volume
in-folio , que nous prendrons pour guide.
§. I. SES LETTRES.
C'est l'auteur lui-même qui, à la demande de Henri II,
roi d'Angleterre, les rassembla en grande partie, comme il
• Tome XF. X x
XII SIECLE.
346 PIERRE DE BLOIS.
le témoigne dans la première, adressée à ce prince, laquelle
tient lieu d'épître dédicatoire et de préface. Après un juge-
ment sévère sur l'imperfection du style de ses lettres, qui
n'étaient point destinées à devenir publiques, il prie ce mo-
narque de lui pardonner la liberté avec laquelle il parle
quelquefois de sa personne. « C'est, dit-il, l'effet de l'atta-
«cliement inviolable que j'ai pour vous; car je vous aime
«d'un amour de jalousie, et pour Dieu. Je ne me souviens
«pas que la flatterie soit entrée pour quelque chose dans les
«lettres que j'ai eu l'honneur de vous écrire : je ne suis pas
«marchand d'huile, Tion suni olei 'venditor. »
Pierre ayant fait la collection de ses lettres douze ans au
moins avant sa mort, il n'est pas étonnant que le nombre
n'en soit pas le même dans les manuscrits, les uns en con-
tenant plus, les autres moins, parce que, tant que l'auteur a
vécu, il a pu y en ajouter toujours de nouvelles. Mais ce qui
surprend, c'est qu'il ne les ait pas rangées dans un meil-
leur ordre. On ne voit point qu'il se soit proposé un plan
quelconque; ce n'est certainement pas l'ordre chronologique
qu'il a voulu garder ; ce n'est pas non plus l'ordre des ma-
tières : il semble qu'il les enregistrait fortuitement comme
elles se présentaient, tant il y règne de confusion.
Quoi qu'il en soit, nous rendrons compte des i83 lettres
qui dans la dernière édition forment la collection entière;
et, pour procéder avec plus d'ordre, nous les distribuerons
en deux classes : i° celles que Pierre écrivit en son propre
nom; a° celles dont il ne fut que le rédacteur, écrivant au
nom des personnes qui l'employaient. Dans l'arrangement
des premières, nous n'aurons égard qu'à la qualité des per-
sonnes à qui elles sont adressées, mettant d'abord celles qui
furent écrites aux souverains pontifes ou à des cardinaux,
puis aux archevêques, aux évêques, aux abbés et religieux,
aux clers séculiers, aux gens de lettres, etc. Mais nous pla-
cerons en première ligne sa correspondance avec le roi
d'Angleterre, à qui la collection est dédiée.
Lettres à Henri JI, roi dÂngieteire. Nous avons déjà fait
Epi»t. a. connaître la première. La seconde a pour objet de consoler
ce prince sur la mort de son fils Henri, décédé l'an ii83.
Pierre ne dissimule pas les révoltes de ce jeune prince , mais
il en rejette le blâme sur les traîtres qui abusaient de son
inexpérience ; car il loue d'ailleurs les belles qualités dont il
Epi»t. 41. était doué. — La lettre 4i* est relative à une mission dont
PIERRE DE BLOIS. 347
l'auteur avec d'autres députe's avait e'të chargé par le roi
auprès du saint- siège. Débarqué à IVieuport et attaqué de
la dyssenterie, il mande au roi qu'il est impatient de lui
rendre compte de sa mission , mais qu'il ne sait en quel
lieu le trouver; que ses députés sont revenus vides d'argent,
chargés de plomb, et dans un équipage assez délabré. L'édi-
teur rapporte cette lettre à l'an 1 177, parce qu'il y est parlé
de l'arrivée des ambassadeurs des rois d'Espagne pour sou-
mettre à l'arbitrage du roi les contestations qui les divisaient.
Il est vrai que la décision du monarque anglais est de cette
année; mais en combinant la lettre 4i^ avec la 56^ à l'évêque
de Rochester, on voit que Pierre était de retour de sa mis-
sion l'an 1 175, puisque dans la dernière il annonce la pro-
chaine arrivée du légat Hugution, qui débarqua en Angle-
terre vers la Toussaint de cette année, selon Roger de
Hoveden. — Dans la lettre ()5, Pierre dénonce au roi les
vexations criantes que les vicomtes, les forestiers, et leurs
officiers subalternes exerçaient dans l'administration de la
justice. Il convient que le prince ne peut pas tout voir par
ses yeux ; mais il soutient qu'il n'est pas moins responsable
des abus qui se commettent sous son autorité, s'il néglige
d'y apporter remède lorsqu'il en est instruit.
Lettres a de souverains pontifes. Il y en a d'adressées à
Alexandre III, à Urbain III, à Grégoire VIII, et à Célestin
III; mais ces lettres ayant été écrites par notre auteur au
nom d'autres personnes, il en sera parlé plus bas. Nous
avons de lui deux lettres écrites en son nom au pape Inno-
cent III : dans la i5i*, il supplie le pape d'augmenter le re-
venu de l'archidiaconé de Londres dont il était pourvu, en
accordant à cette dignité les mêmes droits dont jouissaient
ailleurs les archidiacres. Il dit qu'il y avait à Londres qua-
rante mille âmes et cent vingt églises. Dans la iSa*, l'auteur
rend compte au pape des désordres qui régnaient dans un
chapitre séculier dont il était doyen. Les chanoines, dit-il,
concubinaires publics, épousaient sans scrupule et en face
de l'église les nièces et les filles de leurs confrères. Le reste
de leur conduite répondait à cette licence. Ne pouvant re-
médier à des abus si crians, il annonce au souverain pontife
3u'il a donné sa démission entre les mains de l'archevêque
e Cantorbéri, le priant de consentir à ce que celui-ci mît à
la place des chanoines une colonie de cisterciens.
Lettres a des cardinaux. Le cardinal Octavien ayant été
Xxa
XU SIECLE.
Epist. 95.
Epist. i5i.
Epist. i5a.
Epist. 23.
54B PIERRE DE BLOIS.
XII SIECLE. . , , , . , „.
_ envoyé légat en Augleterre, Pierre de Blois lui écrivit la
lettre aS, dans laquelle il lui dénonce par quelles intrigues
des sujets indignes parvenaient à lepiscopat. Le cardinal
Octavien ayant été envoyé deux fois en Angleterre, l'an 1 187
et l'an 1 192, plusieurs auteurs rapportent cette lettre à l'an
1187, ^^,^- P^gi ^ 1'^" ^^92- Nous serions de son avis, si
Pierre eût donné à Octavien le titre d'évêque d'Ostie, que
ce cardinal avait déjà l'an 1190, suivant Roger de Hoveden,
p. 668.
Epist. 38. Ecrivant au cardinal Albert, chancelier de l'église romaine,
Pierre, dans la lettre 38^, prend lui-même la qualité de chan-
celier de l'archevêque de Cantorbéri. L'objet de la lettre est
de justifier la conduite de son archevêque , contre lequel des
malveillans avaient porté plainte au saint-siége. L'éditeur,
{)ersuadé qu'il s'agit dans cette lettre de l'archevêque Richard,
a rapporte à l'année 1176; mais il n'a pas fait attention
qu'Albert n'a été fait chancelier de l'église romaine qu'en
1 1 79. Notre opinion est que cette lettre regarde l'archevêque
Baudouin, installé l'an 11 84, dont l'auteur prend encore la
défense dans les lettres 100 et 164.
Epist. 48. Dans la 48% l'auteur félicite le cardinal Guillaume de Pavie
de la part qu'il avait eue à la paix de l'église par la réconci-
liation du pape Alexandre avec l'empereur Frédéric, l'an
1 177. Il se déchaîne vivement contre le cardinal Octavien, ou
l'antipape Victor IV, auteur de ce long schisme, parce que
allant à Rome vers l'an 11 60, comme nous l'avons dit plus
haut, il avait été arrêté et meurtri de coups par les satel-
lites de cet antipape. Il en prend occasion de remercier le
cardinal Guillaume de l'avoir recueilli et traité avec bonté,
après qu'il se fût échappé de leurs mains. .
Epiit. 4a. Lettres à des archevêques. La l\'^ est une invective contre
Robert, prévôt de l'église d'Aire et chancelier de Philippe,
comte de Flandre, lequel, quoique élu évêque d'Arras et
ensuite de Cambrai , jouissait des revenus de toutes ces
églises, sans se mettre en peine de recevoir la consécration
épiscopale, exerçant l'autorité du glaive qui lui était confiée,
livré entièrement aux affaires séculières et négligeant celles
de sa profession. Pierre lui prédit qu'il mourra d'une mort
violente, comme tant d'autres hommes sanguinaires dont il
lui retrace le souvenir. C'est ce qui arriva l'an x 1 74 1 Robert
ayant été .mis à mort à Conde par les gens de Jacques
d'Avesne. Il paraît que Pierre était lié d'amitiéavec ce fameux
XII SIECLE.
Epist. 5.
Epist. 52.
PIERRE DE BLOIS. 349
personnage, étant nës l'un et l'autre dans le diocèse de Char-
tres; car il lui reproche d'avoir brûlé, peu de temps aupara-
vant, une de ses lettres qu'il lui fit remettre par l'abbé de
Clairmarais, sans vouloir entendre les représentations de ce
pieux abbé.
La lettre 5 à Richard, archevêque de Cantorbéri, est pleine
de reproches sur la manière dont ce prélat gouvernait son
diocèse, ne faisant aucun usage de l'autorité de légat dont il
était revêtu, sur le reste de l'Angleterre. L'auteur, pour tem-
férer la dureté des reproches et justifier en même temps
étonnante liberté avec laquelle il lui parle , feint qu'il n'est
que l'écho où l'historien de ce qu'on disait de Richard dans
le monde. Cette lettre paraît être de la même date que la 38"
au cardinal Albert, chancelier de l'église romaine, dont il est
Fàrlé plus haut, dans laquelle Pierre, se disant chancelier de
archevêque de Cantorbéri, répond aux inculpations dont
on avait chargé ce prélat en cour de Rome.
Dans la Sa^ au même prélat, l'auteur fait la description
d'une tempête qu'il avait essuyée en traversant la mer pour
venir en France, chargé d'une mission de son archevêque
auprès du roi d'Angleterre, qui, dit-il, se rendait alors en
Gascogne. Nous ne voyons pendant l'épiscopat de Richard
aucun temps où le roi d'Angleterre ait fait un voyage dans
la Gascogne proprement dite ; mais Henri II en ht un à
Limoges l'an 1177, auquel il paraît qu'il faut rapporter cette
lettre.
La 109^ est adressée à Hubert, archevêque de Cantorbéri.
Ce prélat lui avait mandé de se rendre auprès de lui. Pierre
lui expose le mauvais état de sa santé : s'il y avait néanmoins
quelque affaire pressante qui exigeât sa présence, il ne crain-
dra pas d'exposer sa vie pour lui obéir. Ce billet est posté-
rieur à l'année 1193, où commence l'épiscopat de Hubert à
Cantorbéri.
Geofroi,fils naturel de Henri II, ayant été fait archevêque Epist. ii3.
d'Yorck l'an 1 189, notre auteur lui écrivit la lettre 1 13 pour
l'exciter à réprimer, par des peines sévères, des hérétiques
qui s'étaient glissés dans son diocèse.
La lettre i4.3 à Conrad, archevêque de Mayence, que Epist. 143.
Pierre de Blois dit avoir été son condisciple, a pour objet
d'intéresser ce prélat, tout puissant en Allemagne, à la déli-
vrance de Richard, roi d'Angleterre, fait prisonnier par le
Epist. 109.
35o PIERRE DE BLOIS.
XII SIECLE.
duc d'Autriche l'an 1 192. D. Martëne ai réimprimé cette lettre
moins correctement au tome P' des Anecdotes , col. 642.
Epist. 66. Gautier, archevêque de Palerme, auquel Pierre de Blois
avait succédé dans 1 emploi de précepteur de Guillaume 11^
roi de Sicile, Anglais d'origine, l'avait prié de lui faire le por-
trait de Henri II , roi d'Angleterre , que le bruit public char-
geait du meurtre de saint Thomas de Cantorbéri. La 66^
lettre est une réponse à celle de Gautier. Après l'avoir com-
plimenté sur son élévation et remercié des présens qu'il lui
avait envoyés, Pierre s'étend avec complaisance sur les qua-
lités de l'esprit et du cœur de son héros, sur son physique,
son humeur, son caractère, sa manière de vivre, ses exer-
cices journaliers, son gouvernement: il aime, dit- il, la lec-
ture , et se plaît à converser avec les savans lorsqu'il a ex-
pédié les affaires; il est réservé dans ses paroles . sobre dans
ses repas, libéral envers tout le monde, magnifique dans les
palais qu'il fait élever, très-habile dans la manière de forti-
fier les places; de sorte qu'il n'y avait, selon lui,auciui prince
qui piit lui être comparé. Passant ensuite à son apologie par
rapport au meurtre de saint Thomas, il proteste, sur son
ordre de diacre, qu'il ne voit aucun motif de le croire cou-
pal)le d'un pareil attentat. « Vous êtes à portée, ajoute-t-il,
« de consulter là-dessus les cardinaux Theoduin , évêque de
«Porto, et Albert, chancelier de l'église romaine, lesquels
« ayant été envoyés en France pour examiner cette affaire,
« ont reconnu l'innocence du roi. » Theoduin n'ayant été
fait évêque de Porto qu'en 1 178, et Albert chancelier qu'en
1 179, il est évident que cette lettre ne peut avoir été écrite
l'an 1177, comme le veut l'éditeur; mais on peut la placer
à l'année 1180, ou même plus tard.
Epist. 124,125. Il nous reste quatre lettres de Pierre de Blois à Gautier
de Coutances, archevêque de Rouen. La 124*^ et la suivante,
relatives au différend qui s'était élevé, l'an 1196, entre ce
prélat et Richard, roi a' Angleterre , ont pour objet de con-
soler l'archevêque dans l'exil auquel il s'était volontairement
condamné après avoir lancé une sentence d'interdit sur la
province et d'excommunication contre les officiers du roi,
pour empêcher la construction d'une forteresse an'on éle-
vait dans la terre des Andelys , appartenante à l'église de
Rouen. Dans l'une et dans l'autre il exhorte le prélat à tenir
ferme et à mettre à profit le loisir que lui laisse son exil, en
PIERRE DE BLOIS. 35i
XII SIECLE.
l'employant à la prière et à l'étude de 1 écriture-sainte.
Cette affaire ayant été terminée, l'année d'après, par un Epist. i38.
échange avantageux à l'église de Rouen , Gautier rentra dans -
6on église, et Pierre le félicite sur son retour par la lettre
i38. — Dans la i4i*i notre auteur se plaint à Gautier de l'in- Epist. 141.
fidélité du chapelain ÉHe, qui, depuis cinq ans qu'il admi-
nistrait son canonicat de Rouen, non-seulement ne lui avait
rien payé, mais prétendait ne lui rien devoir, attendu, disait-
il, que Pierre de Blois avait ailleurs de grands revenus. Sur
quoi celui-ci demande justice.
Guillaume, archevêque de Sens, avait fait dire à notre Epist. 128.
auteur par maître Gérard, qu'on croit être Gérard Pucel,
qu'il voulait se l'attacher, avec promesse de lui donner une
prébende dans son église. Voyant que le prélat tardait à
effectuer sa promesse, Pierre lui écrivit la lettre 128, dans
laquelle il lui représente qu'il a refusé des postes avanta-
geux qui lui étaient offerts par de grands personnages, mais
qu'il a [>référé de s'attacher à lui par amour pour sa patrie
et par le désir de posséder un bénéfice dans l'église de Char-
Ires. Il ajoute qu'il était déjà avancé en âge, et que ses che-
veux blancs annonçaient la vieillesse. Cependant cette lettre
doit avoir été écrite avant l'an 1176, époque où Guillaume
se démit des évêchés de Sens et de Chartres ; on peut même
la rapporter à l'an 1 1^9 ou la suivante, après que l'auteur
fut revenu de Sicile et avant qu'il passât en Angleterre.
Lettres à. des évéques. Il y en a cuiq à Jean de Salisburi ,
évêque de Chartres. Dans la 22*^, écrite avant l'épiscopat de ^i''*'- **•
celui-ci, Pierre annonce à Jean, son ancien maître, les mo-
tifs qu'il a de croire que Jean verra bientôt la fin de son
exil, qu'il partage si courageusement avec son archevêque
Thomas de Cantorbéri. Il ajoute qu'il a lu avec satisfaction
son traité De Nugis Curialium. C/est par erreur que dans
les imprimés on donne à Pierre de Blois le titre d'archidiacre
de Bath , qui ne se trouve pas dans les meilleurs manuscrits.
La lettre étant certainement de l'an 1170, l'auteur à cette
époque n'était pas encore passé en Angleterre. — La lettre
ii4 a pour objet de féliciter Jean de Salisburi sur sa pro- Epist. 114.
motion à l'épiscopat l'an 1 1 76. L'auteur le remercie d'avoir,
en montant sur son siège , rappelé dans leur maison les cha-
noines de S'.-Sauveur de Blois, que le mauvais état de leur
maison avait dispersés ; d'avoir conféré le premier bénéfice à
sa disposition, non à des parens, mais à un autre Pierre de
Xir SIECLE.
352 PIERRE DE BLOIS.
Blois, qui lui ressemblait en tout, par le caractère, les traits
du visage, le nom, le surnom, et la stature. Il lui annonce
3 n'ayant eu ordre de célébrer le triomphe de saint Thomas
e Cantorbéri , et voulant se préparer à ce travail , il avait
lu une vie du saint martyr récemment écrite; qu'ayant re-
connu , à la beauté du style, que c'était l'ouvrage de l'évêque
de Chartres, il n'aura garde d entrer en concurrence.^ — Dans
Epist. 70. la lettre 70, l'auteur réfute l'opinion de ceux qui disaient
qu'à mérite égal, l'évêque de Chartres ne devait pas préférer
ses neveux dans la collation des bénéfices. Il rend témoi-
gnage aux bonnes mœurs et à la capacité d'un des neveux
du prélat, nommé Robert, qu'il croit propre à remplir un
canonicat dans l'église de Chartres. Dans cette lettre, l'au-
teur ne prend pas d'autre qualité que celle de chanoine de
Epist. i3o. Chartres. — Il la perdit bientôt après, à la suite d'un procès
qu'il eut à soutenir contre le même neveu de Jean de Salis-
buri, qui fut pourvu d'une des prévôtés de l'église de Char-
tres, à laquelle Pierre de Blois prétendait avoir des droits,
comme il l'explique dans la lettre 49 au doyen et au cha-
pitre de Chartres. Non -seulement il perdit son procès, il
eut encore la mortification de se voir vilipendé; on attaqua
sa naissance, ce qui le mit dans la nécessité de faire l'apolo-
gie de son père, comme aussi d'avoir employé contre Jean
de Salisburi la protection des grands, et même des moyens
honteux et simoniaques; accusations dont il se défend dans
Epist. i58. la lettre i3o. — Au retour d'un voyage fait à Rome l'an i lyy,
f)our défendre les droits de l'archevêque de Cantorbéri contre
es privilèges de l'abbaye de Saint -Augustin, Pierre, dans
la lettre 1 58 , rend compte à l'évêque de Chartres de la mau-
vaise issue de cette affaire , afin de convaincre le prélat que
c'était bien gratuitement que saint Thomas avait versé son
sang pour la défense de cette église, attendu que la cour de
. Rome, qu'il ne ménage pas, sacrifiait les droits de l'église de
Cantorbéri à des intérêts particuliers dont elle était fort
jalouse.
EpUt. i5. Renaud de Bar, fils de Renaud , comte de Bar et de Mon-
çon, ayant été élu évêque de Chartres l'an 11 84 ou 11 85,
Pierre lui écrivit une fort belle lettre (c'est la quinzième) sur
les devoirs de l'épiscopat. Ce prélat était de la plus haute
naissance, petit-fils par sa mère de Thibaud-le-Grand, comte
de Champagne, neveu de Guillaumc-aux-blanches-mains,
pour lors archevêque de Reims, et cousin germain du roi
PIERRE DE BLOIS. 353
XII SIECLE.
Philippe -Auguste. Notre auteur s'applique à lui faire sentir
qu'il doit autant se distinguer entre les autres évêques par
leminence de ses vertus, qu'il les surpasse par l'éclat de sa
noblesse.
Pendant la guerre que le jeune roi d'Angleterre, Henri-au- ^P"'- ^9'
Court-Mantel, fiaisait, l'an 1 183, à Henri, son père, les Ange-
vins avaient abandonné les drapeaux du monarque anglais
dans un temps oii il avait plus besoin de leur service militaire.
Pierre de Blois écrivit sur cela à Raoul, évêque d'Angers, la
lettre 69, dans laquelle il exhorte ce prélat, s'il veut pré-
server ses diocésains d'une juste punition , à faire ses efforts
pour les ramener à leur devoir; il l'avertit que l'archevêque
de Cantorbéri, appuyé d'une bulle du pape, avait excom-
munié dans la ville de Caen tous ceux qui s'étaient révoltés
contre le roi, sans excepter le jeune prince son fils. Or c'est
une chose certaine, ajoute-t-il, que ce prélat n'a jamais ex-
communié quelqu'un , qu'il ne soit mort dans l'année. Le jeune
Henri étant mort effectivement cette même année, semble
vérifier ce que dit ici fauteur de l'efficacité des excommuni-
cations des archevêques de Cantorbéri.
La lettre 63 est adressée à Pierre, évêque d'Arras, qui Epist. 63.
avait fait présent à l'auteur d'une coupe chargée d'emblèmes
sur lesquels Pierre cherche des moralités pour en rehausser
le prix et témoigner sa reconnaissance. Pierre ayant été fait
évêque d'Arras l'an 1184, cette lettre doit avoir été écrite
postérieurement à cette armée.
L' évêque d'Orléans, auquel Pierre de Blois adresse la lettre Epijt. lu.
1 12, n'est désigné que par la lettre initiale R. C'est une erreur
du copiste; il faut nécessairement substituer la lettre H, ini-
tiale du nom de Henri de Dreux, cousin germain du roi Phi-
lippe-Auguste, lequel gouverna l'église d'Orléans depuis l'an
1 186 juscju'en 1 108. Cela résulte du texte même de la lettre ^
dont le sujet est la dîme saladine que le roi avait imposée,
l'an 1188, sur les biens de tous ceux qui ne s'étaient point
croisés avec lui. Notre auteur exhorte le prélat à s'opposer
à la levée de cet impôt, sur-tout par rapport au clergé,
qu'il prétend ne pouvoir y être assujetti. 11 pose en prin-
cipe que le roi ne peut ni ne doit exiger du cierge que
des prières : d'où il conclut que le silence des prélats sur
cette imposition est très -coupable. « Je sais bien, dit -il,
que si votre roi voulait charger l'église de corvées, anga-
rias et parangarias , de capitations et d'autres exactions
Tome Xy. -. Yy
354 PIERRE DE BLOIS.
— 1 semblables, il trouverait un grand nombre d'e'vêques qui
approuveraient sa conduite. Votre devoir ne vous permet
pas de les imiter. Que le prince apprenne par vos instruc-
tions et vos remontrances , que l'église ne lui a confié le
pouvoir du glaive que pour la protéger, et non pour op-
primer les pauvres en lui ôtant les moyens de les secourir.
Doctrinâ et cxhortatione tua racolât dominas rex se non
ad oppressionem pauperurn , sedad tuitionem ecclesiœ potes-
tatem gladii ah ecclesiâ suscepisse. » Où Pierre de Blois
avait-il puisé ces maximes, que les princes tenaient de l'é-
glise le pouvoir du glaive, et que le clergé ne devait à l'état
que des prières? Ce n'était certainement pas dans les écrits
des apôtres et des anciens pères de l'église. Mais tel était
l'enseignement des écoles au XIF siècle.
Epist. 5o. Deux lettres à Henri, évêque de Bayeux, la 5o et la 169^,
ne présentent pas un grand intérêt. La première est une
supplique en faveur du camérier de l'abbé de Saint-Etienne
de Caen, qui avait commis un homicide en son corps défen-
dant et pour venger la mort de son père. L'auteur repré-
sente au prélat que le roi d'Angleterre, fort peu indulgent
envers de pareils délits, ayant pardonné au coupable, il ne
convient pas à un évêque d'être plus exigeant, d'autant plus
qu'il autorisait par-là les ennemis du coupable, qui d'ailleurs
était repentant de sa faute et promettait toute satisfoction ,
à s'emparer de ses biens patrimoniaux qu'ils convoitaient.
Epist. 1 59. — Dans la seconde, après des excuses sur la liberté qu'il
Erend de lui donner des avis, il exhorte le prélat à termnier
onorablement sa carrière, illustrée par tant de vertus. Ce
Srélat étant mort l'an i2o5, si cette lettre avait trait à sa
ernière maladie, il faudrait dire que l'auteur aurait vécu
jusqu'à cette époque.
Epist 147. On voit par la lettre 147 que Pierre de Blois, en sa qua-
lité de doyen du chapitre de Wulrehaniten, conférait de plein
droit les prébendes de cette église. Un de ses chanoines,
nommé Robert de Schrwsburi, Salopiensis, ayant été sacré
évêque de Bangor l'an 1197, voulait, sous prétexte du peu
de revenu de son église, conserver sa prébende, dont le
doyen avait disposé en faveur d'un ecclésiastique pieux et
lettré. Cette lettre contient une vive semonce contre ce pré-
lat, qui, ayant mis dans ses intérêts l'archevêque de Can-
torberi, avait brouillé notre auteur avec son archevêque.
Epist. i63. Reginald ou Renaud, arcMWijrcnîide Salisburi, ayant été
PIERRE DE BLOIS. 355
ëlu, l'an 1 172, avec l'agrément de Henri II, roi d'Angleterre , ^
pour remplir le siège de Batli vacant depuis plusieurs années ,
Pierre de Blois, dans la lettre i63, le félicite sur sa promo-
tion avec d'autant plus d'empressement, qu'il avait reçu de
lui des bienfaits signalés dans un temps ou il avait plus be-
soin de secours étrangers. — Ce prélat, fort considéré à la
cour de Henri II, avait pris goût à la chasse au vol. Pierre,
dans la lettre 61, lui représente qu'étant appelé à remplir Epist. 61.
les fonctions de l'épiscopat, il n'est plus temps de se livrer
à ces vains amusemens, et fait remonter jusqu'à Ulysse et au
siège de Troie l'invention de cette espèce de chasse à l'oi-
seau. — L'an 1 173, Renaud étant sur le point de recevoir la Epist So.
consécration èpiscopale avec plusieurs autres évêques dési-
gnés pour d'autres sièges, une opposition de la part du jeune
roi Henri, révolté contre son père, fit suspendre la cérémo-
nie. Il fallut aller à Rome soumettre au jugement du pape
cette opposition. Renaud partit avec Richard, élu arche-
vêque de Cantorbéri. Dans cet intervalle, Pierre de Blois eut
un songe dont il développe les circonstances dans la lettre
3o. Voulant en pénétrer le sens, il eut recours à ce qu'on
appelait alors le sort des saints ; il ouvrit le psautier, et tomba
sur ces mots , May ses et Aaron in sacerdotibus ejus , qui furent
pour lui un trait de lumière; il s'empressa de transmettre ce
pronostic à son futur évoque, car il prend dans la lettre la
quaUté d'archidiacre de Bath ; mais il paraît que c'est par an-
ticipation que les copistes la lui ont donnée. — Renaud n'é-
tait encore qu'évêque élu de Bath, lorsque Pierre lui écrivit
la lettre 69 en faveur d'un maître Henri dont l'auteur fait un Epist. Sg.
grand éloge, lequel avait encouru la disgrâce du prélat pour
avoir menacé, en sa présence, de frapper au visage un autre
clerc, nommé Simon, qui l'avait accusé d'avoir divulgué les
secrets du prélat. L'auteur, pour persuader à l'èvêque qu'il
est de la dignité de son caractère de pardonner cet empor-
ternent, cite, indépendamment de l'ècriture-sainte , des auto-
rités très - respectables de Cicéron , de Diogène Laërce , de
Suétone, de Frontin, de Perse, de Juvénal , etc. — C'est pré- Epist. ga.
cisément cette grande érudition qu'un jaloux attaché à l'è-
vêque de Bath , le même Simon peut-être dont nous venons
de parler, décriait dans notre auteur, l'appelant un compi-
lateur de centons, parce que celui-ci remplissait, tant bien
3ue mal, disait-il, ses écrits de passages de l'ècriture-sainte,
'exemples tirés des auteurs anciens, de citations des poètes.
Yya
XII SIECLE.
356 PIERRE DE BLOIS.
Ce zoïle accusait encore notre auteur de vanité, parce que
celui-ci avait fait un recueil de ses lettres, comme s'il eût
voulu les donner pour des modèles. Pierre de Blois, qui n'é-
tait rien moins qu endurant, repousse vivement cette attaque
dans sa qa* lettre à Renaud, ëvêque de Bath. Il se fait gloire
d'avoir, à l'exemple des pères de l'église, beaucoup lu l'ècri-
ture-sainte, d'en avoir retenu les plus beaux traits, de les avoir
répandus avec profusion dans ses écrits. Il se félicite aussi
d'avoir lu assidûment les bons auteurs de l'antiquité. En
répétant ce qu'ont dit les anciens, nous sommes, dit-il, comme
des nains montés sur les épaules des géans, qui, par ce
moyen, voyons plus loin qu'eux. Et pour prouver à son an-
tagoniste qu'il savait faire autre chose que des centons, il
parle ainsi de son talent pour le genre épistolaire : « Non, je
«ne craindrai pas d'avancer, et je puis sur cela produire
«un bon nombre de témoins que j'ai toujours dicté mes let-
a très avec plus de rapidité qu on ne pouvait les écrire. L'ar-
«chevêque de Cantorbéri, vous-même, évêque de Bath, et
«plusieurs autres, ne m'ont-ils pas vu dicter a trois écrivains
« a-la-fois des lettres sur différens sujets, et suivre la vitesse
«de leur plume, tandis que moi-même (ce qui n'est arrivé
«qu'à Jules César) j'en écrivais en même temps une qua-
« trième. »
Epiïi. 58. Le trait n'est pas modeste, mais il offre d'en faire l'essai
sous les yeux de son détracteur. — Malgré les services signa-
lés que 1 archidiacre de Bath avait rendus à Renaud lors de
sa promotion à l'épiscopat (sur quoi l'on peut voir la lettre
45), ce prélat, sans forme de procès et sans employer les
trois monitions prescrites par le concile de Latran de l'an
iiyc), avait interdit de ses fonctions le vice-archidiacre que
Pierre de Blois, obligé à de fréquentes absences, entretenait
à sa place ; et ce qui paraîtra bien étrange, c'était pour n'avoir
pas payé à l'évêque une dette de vingt sous. L auteur, pé-
nétré de douleur d'un procédé si peu amical , écrivit au prélat
la lettre 58. € Je vois bien, dit-il, que vous cherchez un pré-
« texte de rompre avec moi. S'il faut, pour conserver vos
«bonnes grâces, quitter l'Angleterre et tous les bénéfices que
«j'y possède, je suis prêt à faire ce sacrifice. Mais sachez que,
«si vous me forcez de m'éloigner, vous aurez plus d'une fois
«sujet de vous en repentir, et vous supporterez avec peine
«l'absence de celui dont vous dédaignez présentement les
«services. » Il ne paraît pas néanmoins que la brouillerie soit
XII SIECLE.
I
PIERRE DE BLOIS. 35j
allée jusqu'à rompre entièrement, puisque Pierre de Blois
prend encore la qualité d'archidiacre de Bath dans une lettre
a Savari, successeur de Renaud, décédé l'an 1192.
La lettre i48 est écrite à Savari , évêque de Bath. Ce prélat, Epist. 148.
parent de Henri VI, empereur d'Allemagne, s'étant donné
en otage pour la rançon du roi Richard, eut pour sa récom-
pense l'abbaye de Glocester, dans laquelle il taisait sa rési-
dence, voulant y transférer le siège de Bath. Il trouva de
grands obstacles à l'exécution de ce projet, pour lequel il fut
obligé d'entreprendre de longs et fréquens voyages. L'ar-
chidiacre Pierre lui représente que ce n'est pas ainsi qu'il
acquittera les devoirs de sa charge ; que tout le monde désire
sa présence à Bath, et gémit sur son absence; que vouloir
transférer le siège de son épiscopat à Glocester, c'était, de
l'aveu des personnes sensées , tenter une chose impossible. Il
n'y avait rien d'offensant dans cette lettre, qui est respec-
tueuse et i)leine d'éloges du prélat. Cependant c'est sous l'é-
piscopat de Savari qvie Pierre de Blois perdit son archidia-
coné, comme nous le dirons plus bas en rendant compte de
la lettre 149.
Richard, roi d'Angleterre, partant pour la Terre-Sainte, EpUt. 87.
l'an 1190, avait nommé régent du royaume Guillaume de
Long-Champ, évêque d'Ely , chancelier d'Angleterre, et légat
du saint-siége. Les ennemis de ce prélat ayant tramé contre
lui une violente conspiration , à la tête de laquelle était le
comte de Mortain , frère du roi, vinrent à bout de le chasser
d'Angleterre, l'an 1 191, après l'avoir dépouillé de toutes ses
dignités. Pierre de Blois, constamment attaché au régent, lui
écrivit la lettre 8y pour le consoler dans sa disgrâce; il l'ex-
horte à ne pas perdre courage, lui prédisant qu'il serait ré-
tabli dans ses dignités, ce qui arriva en effet lorsque le roi
fut de retour en Angleterre. Quant à moi, ajoute-t-il, je me
suis retiré auprès de la reine. — Le principal auteur de cette
conspiration était l'évêque de Coventri, Hugues de Nonant,
neveu d'Arnoul , évêque de Lisieux. Pierre lui adresse la
lettre 89, contenant une invective fulminante dans laquelle EpUt. 89.
il le traite de fourbe, de traître, d'un autre Judas; il l'accuse
de la plus noire ingratitude, et lui prédit qu'il aura aussi son
tour. Pierre ne le désigne que par la lettre H, sans lui don-
ner la qualité d'évêque. Mais dans les annales de Roger de
Hoveden où cette lettre est imprimée, p. 708, elle a pour
suscription : Quondam domino et amico Hugoni, Coventrensi
XII SIECLE.
I
358 PIERRE DE BLOIS.
et Cestrensi dicto episcopo , Petriis Blezensis , Bathonieiuis
archidiaconus , Dei memoriam cum timoré.
Epist. io8 et Lorsque Guillaume de Long- Champ eut ëte' rétabli dans
56
ses dignités par le roi Richard, Pierre ayant besoin de sa
f)rotection pour des affaires à lui personnelles, lui écrivit les
ettres io8 et i56.
Epist. 44- Arnoul, évêque de Lisieux, ayant encouru, à l'occasion
d'un procès qu'il eut avec son chapitre, la disgrâce du pape
et de Henri 11, roi d'Angleterre, consulta notre auteur sur le
f)arti qu'il voulait prendre de renoncer à l'épiscopat. Pierre
ui répond dans la lettre 44 que s'il n'a pas d'autre motif
d'abdiquer que celui qu'il allègue, il doit se roidir contre
l'adversité , et tâcher de legagner les bonnes grâces de ses
supérieurs ; que s'il veut recouvrer celles du roi , le meilleur
moyen est de lui témoigner une entière soumission; car il
est tel, dit- il, que, pour le vaincre, il faut s'avouer vaincu.
Arnoul s'étant cfémis de l'épiscopat l'an n8i, cette lettre est
à-peu-près de la même époque.
Epm. gi. A l'évêque Arnoul succéda sur le siège de Lisieux Raoul
de Varneville, archidiacre de Rouen, qui avait été chancelier
du roi d'Angleterre; homme avare, usurier, tout occupé de
gains sordides, qui, bien loin de faire des aumônes, atten-
dait les temps de disette et de cherté pour vendre plus cher
ses denrées. Pierre, dans la lettre 91, lui représente 1 itidignité
de sa conduite , et la met en contraste avec la noble généro-
sité de son prédécesseur, dont il fait un bel éloge.
Epist. 123. La lettre laS est une réponse à Richard, évèque de Lon-
dres, qui pressait notre auteur à recevoir la prêtrise. Pierre
lui expose les motifs qui l'empêchent de se rendre à ses in-
stances, motifs puisés d'une part dans la haute et juste idée
qu'il avait de la dignité sacerdotale, et de l'autre dans l'opi-
nion oii il était de sa propre indignité. Il prétend même que
vouloir ordonner prêtre un archidiacre malgré lui, c'est une
espèce de dégradation , et qu'il est conforme à la discipline
de l'église que chacun demeure dans l'ordre attaché au titre
de son bénéfice. « Nous avons vu, dit-il, des diacres demeu-
« rer toute leur vie dans le diaconat , et le seigneur Célestin ,
«qui est aujourd'hui sur le siège apostolique, m'a dit plu-
« sieurs fois qu'il avait pa.ssé soixante-cinq ans dans l'ordre
«de diacre avant que de parvenir à l'épiscopat » Célestin JII
(car c'est de lui que l'auteur parle) remplit la chaire de saint
Pierre depuis l'an 1191 jusqu'en 1198. Ainsi cette lettre fut
XII SIECll.
PIERRE DE BLOIS. 309
écrite dans cet espace de temps. Cependant Pierre de Blois
consentit enfin à recevoir l'ordre de prêtrise, comme nous
le dirons en rendant compte de la lettre 189 à l'abbé et aux
religieux de Cicester.
A peine Eudes de Sully fut-il monté sur le siège de Paris, Epist. la;.
sur la fin de l'an 11 96, que Pierre de Blois s'empressa de
le féliciter par la lettre 127, dans laquelle il expose les cha-
grins qu'il éprouvait en Angleterre depuis la mort du roi
Henri II, qui l'avait comblé de tant de bienfaits. Il aurait
3uitté dès-lors l'Angleterre , s'il n'eiit trouvé dans les évêques
e Worchester et de Durham des amis qui lui firent oublier
qu'il était dans une terre étrangère. Mais ces généreux amis
étant morts, il espère qu'ils seront remplacés par l'évêque de
Paris avec d'autant plus de confiance , que depuis long-temps
il avait éprouvé les bienfaits de son illustre lamille, célèbre,
dit-il, par ses libéralités. — Le désir de rentrer en France,
que notre auteur n'avait fait qu'insinuer dans la lettre pré-
cédente, il l'exprime clairement dans la lettre iGo au même Epist. 160.
prélat. Il y a vmgt-six ans, dit-il, que je suis en Angleterre
comme dans un lieu d'exil, sans que personne en France ait
songé à me rappeler : serai -je donc toujours vagabond sur
la terre .'' Il accuse en particulier la dureté des évêques fran-
çais à son égard ; mais il espère que le nouvel évèque de Paris ,
qui, n'étant encore que grand - chantre de Bourges, faisait
passer jusqu'au fond de l'Angleterre ses largesses, ne l'aban-
donnera pas dans son exil. Il lui offre , s'il veut le recevoir
dans sa maison, de consacrer à sa gloire tout ce qui lui reste
de talens, pourvu qu'il puisse mourir tranquillement dans
sa patrie. II n'eut pas cette consolation. Il ne pren9 aucun
titre dans cette lettre; ce qui prouve qu'il avait déjà perdu
l'archidiaconé de Bath lorscjuil l'écrivit, et qu'il n'était pas
encore archidiacre de Londres.
Nous avons vu plus haut que Guillaume de Champagne, Supràp. 35i.
archevêque de Sens, avait invité notre auteur, à son retour
de Sicile, à venir demeurer chez lui, avec promesse de ré-
compenser ses services. Vers le même temps, Pierre Minet,
que l'auteur appelle son parent, ayant été nommé évéque de
Périgueux, voulut aussi l'attirer auprès de lui. Pierre, dans
sa lettre 34, le remercie de sa bonne volonté; mais avant de
se rendre à son invitation, il attendra, dit-il, encore <iuel-
ques jours, pour voir si la personne puissante, qu'il ne
nomme pas , mais qui paraît être l'archevêque de Sens , tien-
Epist. 34,
XII SIECLE.
36o PIERRE DE BLOIS.
dra sa promesse, ou si, à l'exemple des Bretons, il doit en-
core attendre l'apparition du roi Artur, ou , comme les Juifs,
la venue du Messie. Pierre ne prend aucune qualité dans cette
lettre, qui parait être de l'an i lyo ou uni.
Epist. 56. Il ne prend pas non plus de qualité dans la lettre 56 à
Gautier, évêque de Rochester. Ce prélat, frère de Thibaud,
archevêque de Cantorbéri, était adonné, à l'âge de quatre-
vingt ans, aux plaisirs de la chasse. Pierre étant en cour de
Rome pour les affaires de Henri II, roi d'Angleterre, en-
tendit les plaintes qu'on portait contre ce vieil évêque, et
crut devoir l'avertir qu'un légat serait bientôt envoyé en
Angleterre pour examiner sa conduite et le traiter selon la
rigueur des canons. Nous pensons que ce légat n'est autre
que le cardinal Hugution, qui, suivant Roger de Hoveden ,
arriva en Angleterre vers la Toussaint de l'an 1 1^5, et que
c'est à la même année qu'il faut rappori-ter la lettre 56.
Epiit. 5i. Joscelin , évêque de Salisburi , avait confié l'éducation de
ses neveux à Pierre de Blois, enseignant à Paris les belles-
lettres (apparemment avant que celui-ci allât en Sicile), et
s'était obligé de lui payer une pension annuelle indépendam-
ment du salaire convenu. Pierre de Blois ayant rouvert son
école après son retour de Sicile, l'évêque de Salisburi devait
lui renvoyer ses neveux avec les arrérages de la pension;
mais rien ne venait. Notre auteur écrivit donc au prélat la
lettre 5i , dans laquelle il lui représente qu'il l'a constitué
dans des dépenses énormes; que la parole d'un évêque doit
être aussi sacrée qu'un serment ; qu'au lieu de former ses
npveux à la science et à la vertu, il les entretient dans les
plaisirs ^t la mollesse , etc. Il semble que cette lettre ne peut
avoir été écrite qu'en 1170; cependant l'auteur y prend la
qualité d'archidiacre de Bath ; mais on peut croire que ce
n'est qu'une addition des copistes.
Epist. 46. Richard , évêque de Syracuse, anglais de nation , qui jouis-
sait d'un grand crédit en Sicile, avait écrit à notre auteur
pour l'engagera retourner dans ce pays-là. Pierre lui répond,
dans la letre 46, qu'il n'en fera rien; qu'il n'a pas envie d'al-
ler une seconde fois s'exposer aux périls, aux maladies et à
la moi t, et dit tout le mal possible du pays et des habitans.
«Nous étions, dit-il, au nombre de trente-sept qui arrivâmes
«en Sicile avec le seigneur Etienne du Perche, et tous y sont
«morts en peu de temps, excepté moi et maître Roger de
«Normandie, homme savant, industrieux et modeste. Je ne
PIERRE DE BLOIS. 36i
«veux point retourner dans une terre dont je puis dire ce : 1
«que le renard disait.de l'antre du lion : /e vois bien com-
« ment on y entre , mais je ne vois pas comment on en sort.
«Deux choses m'ont rendu le séjour de la Sicile odieux, le
«mauvais air qu'on y respire, et la méchanceté' des naturels
« du pays. Cette île devrait être inhabitée comme elle est inha-
«bitable, selon moi. Car qui peut demeurer en siireté dans
«une terre où, sans compter les autres incommodités qu'on
«y souffre, on voit des montagnes vomir un feu d'enfer et
«exhaler une odeur de soufre qui vous étouffe. Ah! c'est là
«sûrement qu'est la porte de 1 enfer. . . . Ajoutez à cela le
«caractère de la nation sicilienne : s'il est vrai, comme l'ex-
«périence le prouve, que tous les insulaires en général sont
«gens de mauvaise foi, on peut assurer que les Siciliens sont
« les amis les plus faux et les traîtres les plus dissimulés et
«les plus dangereux qu'il y ait au monde. y> Après cela il
invite à son tour l'évêque de Syracuse à retourner en Angle-
terre où il fait très-bon vivre, au lieu qu'en Sicile on ne se
nourrit que d'ache et de fenouil; où saint Thomas, dit -il,
fait des miracles en quantité , et où le roi est très-bien dis-
Î)osé en votre faveur. L'auteur était déjà passé en Angleterre
orsqu'il écrivit cette lettre ; mais n'y prenant aucune qua-
lité, nous croyons pouvoir la rapportera l'année 1172 ou
1173.
La lettre 16, qui ne porte point d'adresse, paraît avoir été Epist. 16.
écrite à un évèque absorbé dans le maniement des affaires
temporelles, et même chargé du gouvernement d'un grand
état; car l'auteur lui dit qu'au dernier jour, ni les ordres du
roi, ni l'utilité publique, ne pourront lui servir d'excuse, s'il
a négligé le soin de son ame et de son diocèse. Tout cela ne
peut convenir qu'à Guillaume de Longchamp, évêque d'Ély,
que Richard, roi d'Angleterre, en partant pour la Terre-
Sainte , avait nommé régent du royaume , comme nous l'avons
dit plus haut.
Lettres h des doyens et archidiacres de chapitres. Pierre
de Blois ayant été débouté de ses prétentions à une prévôté
de l'église de Chartres, comme nous l'avons dit plus haut en Supràp. 352.
rendant compte de la lettre i3o à Jean de Salisburi, écrivit
au doyen du chapitre la lettre 49 pour épancher sa dou- Epist. 49.
leur, non pas précisément sur la perte de son procès, mais
parce que ses antagonistes, pour mieux arriver a leurs fins,
avaient flétri la mémoire de son père dont il crut devoir faire
Tome XV. Zz
XII SIECLE.
362 PIERRE DE BLOIS.
l'apologie. Il annonce en finissant que, si ses ennemis ont
l'éussi à lui faire perdre son canonicat de Chartres, il a trouvé
une compensation dans l'arciiidiacôné de Bath, beaucoup
plus riche, dont il prend le titre en commençant sa lettre,
qu'on peut rapporter à l'année iiyS ou à la suivante.
Epist. 54. Laurent, archidiacre de Poitiers, dont le nom, dans la
lettre 54, n'est désigné que par la lettre initiale L, mais qui
est écrit tout entier dans la lettre a^i de Jean de Salisburi,
voulait contraindre une de ses nièces à embrasser malgré
elle la vie religieuse. Pierre de Blois lui prouve par des
autorités respectables qu'il n'en a pas le droit. Cependant,
comme cette jeune personne était fort instruite, il tâchera,
dit-il, de lui persuader que c'est le meilleur parti qu'elle
Epist. 55. pourrait prendre. 11 y a apparence qu'il y réussit , comme
on en peut juger par la lettre 55 qu'il lui écrivit.
Epist. 74. La lettre y4 est écrite à un archidiacre dont le nom com-
mence par un G; mais il n'est pas dit dans quelle église il
exerçait cette fonction. L'objet de la lettre est un jeune liber-
tin que Pierre de Blois ajipelle sou colon, hospitem meum ,
parce qu'apparemment il habitait dans quelqu'une de ses
terres. Son avis est qu'il faut punir non-seulement ce jeune
homme , mais aussi son père , pour avoir négligé son éduca-
tion; et comme ces sortes de gens sont plus sensibles à ce
qui touche leurs intérêts que la morale publique, on fera
fort bien, dit-il, de leur imposer des peines pécuniaires.
L'auteur, à son ordinaire, a parsemé cette lettre de beaux
passages d'Ovide, de Perse, de Juvénal, etc.
Epist. 75. Depuis plus de quinze ans, à partir de l'année iiCiy, l'é-
glise de Lincoln était sans évéque, quoicjue depuis sej)t ans,
a l'époque où Pierre de Blois écrivait la lettre ^5 à Roger,
doyen du chapitre de Lincoln, le roi Henri II eiit fait nom-
mer à cet évêché son fils naturel, nommé Geof'roi, qui en
Percevait les revenus sans se mettre en peine de recevoir
ordination. Le pape avait donné ordre, l'an 1 181, à l'évéque
élu ou de se démettre ou de remplir ses fonctions : sans quoi
il donnerait lui-même un évêquc à cette église comme va-
cante. Il fallait persuader au roi d'entrer dans cet arrange-
ment. Le doyen de Lincoln fut député en cour pour de-
mander au roi la permission de procéder à une nouvelle
élection. Pierre, chargé de la même commission par l'arche-
vêque de Cantorbéri, avait adroitement disposé le roi à
donner cette permission; et en habile courtisan qui connais-
PIERRE DE BLOIS. 363
XII SIECLE.
sait parfaitement le caractère du prince, il instruit le doyen
Roger de quelle manière on doit s'y prendre pour obtenir .
de lui son consentement : chose d'autant plus difficile, que
la cour de Rome venait d'accorder à Geofroi un délai de
trois ans. Geofroi donna en effet sa démission l'an 1182.
Nous avons dit plus haut qu'une des premières opérations Suprà p. 35i.
de Jean de Salisburi, en montant sur le siège épiscopal de
Chartres, fut de rétablir dans leur église de Saint-Sauveur,
devenue cathédrale sur la fin du XVIP siècle, les chanoines
de Blois , que le mauvais état de leur maison avait contraints
de se disperser. Pierre de Blois, qui, dans la lettre i i4i en
témoigne sa reconnaissance au prélat, écrivit aussi la lettre Epi»t. 78.
y8 au doyen et aux chanoines, pour les féliciter sur cet heu-
reux événement, auquel il avait eu, comme il le dit lui-même,
la principale part.
I^a lettre 94 est adressée à un archidiacre nommé Jean , Epist. 94.
sans dire de quelle église. Cet archidiacre avait des neveux
armés chevaliers, qui, fiers de leur chevalerie, déclamaient
en toute occasion contre les gens d'église et leur faisaient
des avanies. Pierre supplie l'archidiacre de les corriger, et,
par occasion, il fait des chevaliers de son temps une pein-
ture exagérée peut-être, mais peu honorable. « S'il faut se
«mettre en campagne, dit- il, ils sont plus soigneux de se
«pourvoir de batterie de cuisine que de bonnes armes; ils
« ont des boucliers dorés , cherchant plutôt à faire du butin
«qu'à combattre leurs ennemis, et ils les rapportent, s'il est
«i permis de parler ainsi , vierges et intacts. Ils font peindre
« des combats et des batailles sur leurs écus et les harnais de
«leurs chevaux, uniquement par ostentation et pour le plai-
«sir de les regarder, car ils évitent tant qu'ils peuvent d'en
« venir aux mains. Quod si milites nostros ire in expeditionem
e. quandoque oporteat , summarii eorum non ferro, sed vino;
anon lanceis, sed caseis ; non ensihus, sed utrihus ; non liastis,
v.sed verubus onerantur : credas eos ire ad domum convivii,
(tnon ad hélium. Clypeos déférant optimè deauratos ,' etc. »
Dans le temps que Pierre de Blois enseignait à Paris ou
ailleurs les belles-lettres, un archidiacre de Nantes, dont le Epist. loi.
nom commençait par la lettre R, lui avait envoyé deux de
ses neveux pour être formés sous sa conduite. Il annonçait
que le cadet était encore dans l'enfance , et que l'aîné , beau-
coup plus avancé , montrait de grandes dispositions pour les
subtilités de la dialectique, si l'on avait soin de les cultiver.
Zza
XUr SIECLE.
364 PIERRE DE BLOIS.
Notre auteur, après avoir examiné la porte'e de ces deux su-
jets, répond à l'onde par la lettre loi, qu'il espère tirer meil-
leur parti du cadet que de l'aîné , dont les études avaient été
i'usqu'alors fort mal dirigées, et à ce propos il donne de très-
)onnes règles sur la manière d'enseigner qu'il met en oppo-
sition avec celle qui de son temps était le plus en usage,
a Vous vantez, dit-il, la grande pénétration de Guillaume
« (c'était le nom de ce génie précoce) sur ce que, sans avoir
«étudié ni la grammaire ni les auteurs classiques, il a passé
« tout d'un coup aux subtilités de la logique. Ce n'est point
«là le fondement d'une solide instruction, et cette subtilité
«que vous nous vantez tant est souvent l'écueil de ceux qui
« en font leur objet capital. A quoi sert-il en effet d'em-
« ployer son temps à apprendre des choses qui ne sont d'au-
« cune utilité dans l'usage de la vie civile, domi , ni pour la
« profession des armes , ni pour le barreau , ni dans les cloî-
«tres, ni dans les cours des princes, ni dans l'église, et dont
«on ne fait cas que dans les écoles.'' Il est des élèves à qui,
«avant que d'être imbus des premiers élémens des lettres,
«on apprend à chercher ce que c'est que le point, la ligne,
«la superficie, la quantité de l'ame, le destin, les inclina-
«tions de la nature, le hasard, le libre arbitre, la matière,
«le mouvement, les principes des corps, les combinaisons
« des nombres, les diverses sections de l'étendue ; ce que c'est
« que le temps , le lieu, l'identité et la diversité, le divisible et
« 1 indivisible, la substance et la forme de la voix, l'essence
« des universaux , l'origine, l'usage et la fin des vertus; quelles
« sont les causes de tout ce qui existe, le principe du flux et
«reflux de l'Océan, les sources du Nil, les secrets les plus
«cachés de la nature, les diverses manières d'envisager les
« questions de droit d'où naissent les contrats oii l'équiva-
« lent des contrats, les dommages, ou ce qui peut passer
«pour tel; enfin quelle est l'origine du monde, et une infî-
« nité d'autres questions qui demandent un grand fonds de
«connaissances et des esprits supérieurs. Avant que d'abor-
« der ces questions épineuses, ne fallait-il pas initier le pre-
« mier âge .aux règles de la grammaire, pour connaître l'ana-
« logie des mots, les barbarismes , les solécismes, les tropes,
« et les autres figures de rhétorique, tous objets sur lesquels
«ont prescrit des règles Donat, Servius, Priscien, Isidore,
«Bédé, Cassiodore : ce qu'ils n'auraient siîrenient pas fait, si
«l'on pouvait élever l'édifice du vrai savoir sans avoir posé
PIERRE DE BLOIS. 365
«ce fondement. » Quant à lui, il se félicite que dans son
enfance on lui ait fait apprendre par cœur les lettres d'Hil-
debert, et qu'on lui ait fait lire Trogue- Pompée, Josephe,
Hégésipj)e, Quinte-Curce, Tacite, Tite-Live, parce qu'indé-
pendamment de la belle élocution , on trouve dans ces auteurs
de beaux exemples pour l'instruction des mœurs.
Quoique la lettre io4 au doyen et au chapitre de Salisburi
n'ait pour objet que de les féliciter sur le parti qu'ils avaient Epist. 104*
pris, avec la permission du roi, de rebâtir leur église au bas
de la montagne au haut de laquelle elle était auparavant
située au milieu d'une forteresse , l'auteur a trouvé le secret
de rendre cette lettre assez intéressante. — Le sous- doyen
de Salisburi était dans l'opinion que Dieu n'avait permis la Epist. xo6.
guerre qui désolait alors les provinces qu'à cause des péchés
du roi. Pierre lui prouve fort bien que c'est là un secret de
la providence, et qu'on peut dire également que Dieu punit
souvent It-s rois et les royaumes à cause des pèches du
peuple. Tel est le sujet de la lettre 106.
Un archidiacre d'Vorck s'était glorifié en présence de quel-
ques abbés et d'autres personnes recommandables, que rien EpUt. 118.
ne troublait le repos de sa conscience , se croyant n-répro-
chable. Notre auteur lui fait sur cela une bonne morale, et
lui prouve, dans la lettre 118, que les plus grands saints
avaient d'eux-mêmes une opinion toute différente, tandis
que sa passion connue pour amasser de l'argent, sa vie molle
et oisive, ses beaux ameublemens et le luxe de sa table, de-
vaient lui inspirer des sentimens tout- à -fait opposés. Cette
lettre, écrite d'un style simple et naturel, est exempte des
citations multipliées et des allégories forcées qui surchargent
inutilement la plupart des lettres de notre auteur, se con-
formant en cela au goiit de son siècle.
Dans la lettre 120, il représente au doyen de l'église de Epist. lao.
Tours qu'un de ses neveux faisait un commerce inlàme de
bénéfices, qu'il achetait de toute main et qu'il revendait. Il
exhorte le doyen à faire cesser, pour son honneur, un si
grand scandale.
Nous avons vu plus haut, en rendant compte de la lettre Supràp. 353.
112 à Henri de Deux, évêque d'Orléans, quelle était l'opi-
nion de Pierre de Blois touchant la dîme saladine que Phi-
lippe-Auguste avait imposée sur les biens de tous ceux qui
ne s'étaient pas croisés avec lui. 11 traite le même sujet dans
la lettre 1 21 à Jean de Coutance , doyen de l'église de Rouen ,
XII SIECLE.
366 PIERRE DE BEOIS.
neveu de l'archevêque Gautier, à qui il reproche de n'avoir
pas fait usage d'une première lettre qu'il lui avait écrite, et
que nous n'avons pas, pour l'engager a détourner le roi d'An-
gleterre de suivre l'exemple de celui de France. Dans celle-
Epist. lai. ci il insiste sur le même objet; et comme le doven de Rouen
avait accès auprès du roi, duc de Normandie, il expose les
raisons que le doyen doit faire valoir en faveur du clergé.
« Si les princes , dit-il , sous prétexte d'aller faire la guerre aux
«infidèles, réduisent l'église en servitude en l'accablant d'im-
« pots, il faut que les vrais enfans de l'église aient le courage
«de s'y opposer, et de mourir plutôt que d'y consentir. Car
«dès les premiers temps l'église est libre, elle et ses enfans,
«et c'est Jésus-Christ qui lui a procuré cette liberté, comme
«il est marqué dans 1 Ecriture, que les enfans de Sara sont
« libres, tandis que ceux d'Agar sont esclaves. » On peut juger
par-là de la justesse des applications que l'auteur fait des
• passages de l'Ecriture-Sainte dans presque toutes ses lettres.
Son érudition n'est fondée ici, suivant la judicieuse re-
Hist. eccles. marque de l'abbé Fleuri, que sur l'équivoque àe liberté Gt
'o^R^'^'*'' '*' ^église , comme si l'église, délivrée par Jésus-Christ, n'était
que le clergé, et que la liberté qu'il nous a procurée consis-
tât, selon la pensée de saint Paul, en autre chose que dans
l'exemption du péché et l'abolition des cérémonies légales.
Epist. 129. IJn archidiacre d'Orléans, que Pierre de Blois avait eu
Four disciple , introduisait des pratiques simoniaques dans
exercice de sa charge. L'auteur, usant du droit que lui don-
nait son ancienne qualité de maître, lui fait sur cela de vives
réprimandes dans la lettre 129. Cette lettre fut écrite avant
q\ie l'auteur erit passé eu Angleterre , car il n'y pi'end aucune
qualité.
Epist. i33et Les lettres i33 et i35 aux doyen et chapitre de Salisburi
»35. sont relatives à un canonicat que Pierre de Blois possédait
dans cette église. On voulait le contraindre à la résidence
pour un bénéfice qui, dit -il, ne valait pas cinq marcs d'ar-
gent. Il appelle de la sentence au légat , qui décida la ques-
tion dans la lettre i35.
Epist. 157. Pierre de Blois, employé fréquemment à la cour du roi et
des archevêques, ne pouvant pas toujours i-emplir les devoirs
de sa charge d'archidiacre de Bath, avait nommé un vicaire
pour le remplacer; mais se cj'oyant responsable des fautes et
des négligences que celui-ci pouvait commettre, il l'exhorte,
dans la lettre 15^, à bien faire son devoir, afin de fermer la
bouche aux détracteurs.
XII SIECLE.
PIERRE DE BLOIS. 367
Étant lié d'amitié avec l'official de levêgue de Chartres,
Pierre, pour le de'goùter de cet emploi, lui adresse la lettre El"*'- ^^
îi5, qui renferme une sortie des plus violentes contre les ofti-
ciaux et leur manière de rendre la justice dans leur tribunal.
Il leur reproche des excès si révoltans, qu'on serait tenté de
croire qu'il n'a voulu faire qu'une amplification de rhéto-
rique. La fonction d'un officiai, dit-il, est de tondre au profit .
de l'évêque les pauvres ouailles soumises à sa juridiction , de
les sucer et de les écorcher. Il compare les ofHciaux. à des
sangsues qui regorgent le sang d'autrui après l'avoir bu; à
des éponges d'où la richesse coule dans les mains de celm
qui les presse. Il faut, pour satisfaire aux besoins ou aux plai-
sirs du maître, embrouiller le ilroit des parties, susciter des
f)rocès, casser les contrats, prolonger les affaires, supprimer
a vérité, favoriser le mensonge, courir après le gain, vendre
la justice, imaginer de nouvelles exactions, concerter des fri-
ponneries, etc. etc. etc. '.i •
' ; Lettres a des abbés. La 29^ à l'abbé et aux moines de Saint- Epist. ag.
Alban, est une plainte contre un prieur de leur dépendance,
qui avait refusé l'hospitalité à notre auteur étant en cours de
visite de son archidiaconé de Bath. Il y fait l'éloge de l'hos-
Eitalité tant recommandée dans les règles monastiques, qui,
ien loin d'appauvrir les monastères, avait beaucoup con-
tribué à les enriciiir.
Notre auteur ayant éprouvé une grave maladie, écrivit à Epist. 3i.
l'abbé deFontaines, nommé Raoul, la lettre 3i, dans laquelle
il le remercie des secours qu'il lui avait procurés, et s'étend
longuement sur le bonheur des souffrances.
Pierre avait un frère nommé Guillaume, homme de lettres
comme lui , mais moins corniu , qUÎ aura aussi son article dans
cette histoire. Ayant embrassé la vie monastique à Saint-
Laumer de Blois, Guillaume avait accompagné son frère en
Sicile, et par son crédit avait été pourvu d'une abbaye, non
de Mani ou Maniac en Sicile , comme le porte le texte im-
primé de la lettre 93, mais de Mâtine dans la Calabre, selon
tous les manuscrits (i). Arrivé en France l'an 1 169, après la
(1) Quoique dans celle dernière leUre Pierre de Blois place en Sicile
l'abbaye dont son frère était pourvu, nous croyons qu'il s'est exprimé
ainsi , parce que la Calabre, où était située l'abbaye de Mâtine, était .sous
la domination du loi de Si<:ile, et qu'il faut suivre la leçon Matinensis des
inarmscrits, parce que l'abbaye Maniacensis ne lut fondée qu'en 1174
par la reine iVIarguerite.
368 PIERRE DE BLOIS.
XII SIECLE, catastrophe d'Etienne du Perche, chancelier du royaume,
qui obligea les Français à quitter la Sicile, Pierre écrivit à
Epist. 90. son frère la lettre ()o, contenant le récit de son voyage et
de ce qui s'était passé en Sicile; après quoi il lui parle des
ornemens pontificaux que le pape venait de lui accorder, et
l'exhorte à n'en pas faire usage. « Je me réjouis, lui dit-il, de
«la bénédiction abbatiale que vous avez reçue; mais je n'ap-
« prouve pas les ornemens de la dignité épiscopale dans un
«abbé; la mitre , l'anneau et les sandales ne sont qu'une vaine
«ostentation d'orgueil et d'indépendance en tout autre qu'un
«évêque. . . . Renoncez à tout cela, mon frère; et si vous ne
«pouvez le faire sans scandale, remettez votre abbaye entre
«les mains du pape. »
C'CvSt le parti que prit Guillaume; il quitta son abbaye, et
revint en France oii il passa le reste de ses jours dans l'ab-
Epist. 93. baye de Saint-J^aumer. Pierre apprit avec joie le succès de
. sa lettre. Il enseignait alors à Pans, d'où il écrivit à son frère,
déjà rendu à Blois, la lettre 98, pour le féliciter du parti cou-
rageux qu'il avait pris. « Nous voilà donc rendus l'un et
«l'autre en France, qui, comme l'a dit saint Jérôme, n'en-
ttfanta jamais de monstres : tenons-nous-y. Vous respirez l'air
«natal, vous buvez l'excellent vin de Blois , au lieu de ces
«vins âpres que vous étiez condamné à boire en Sicile. Il
«est vrai qu'en quittant votre place, vous perdez un tombeau
«de marbre sur lequel on eût peut-être gravé après votre
«mort : Ci-gît Guillaume, abbé de Mâtine. Mais qu'importe
«un sépulcre? Votre nom durera plus long-temps parmi nos
« neveux par votre tragédie de Flaure et de Marc . par les vers
« que vous avez composés sur la puce et la mouche, par votre
«comédie d'Alda, par vos sermons et vos œuvres théologi-
«ques, dont il serait à souhaiter que les exemplaires fussent
«plus répandus et la lecture plus commune. Vos ouvrages
«vous font certainement plus d'honneur qu'il ne vous en re-
« viendrait si vous possédiez à-la-fois quatre abbayes : Plus
« honoris accrevit vobis ex operibus vestris quàm ex quatuor
9.ahbatiis (i). »
Pierre de Blois, en louant beaucoup, dans la lettre 86,
(i) On s'est trompe dans le diiscours sur letat de.i lettres au XII sjècle,
fen disant (t. IX, p. io5) que Guillaume avait possédé jusqu'à quatre ab-
bayes. L'unique fondement de cette assertion a été le texte latin que nous
rapportons , et dont il est visible qu'on n'a pas pris le sens.
XII SIECLE.
Epist.
PIERRE DE BLOIS. 869
Tordre des chartreux et des cisterciens, avait choqué par
quelques expressions celui de saint Benoît. Il en reçut des
reproches de la part de l'abbé d'Evesham. Pour faire cesser
ses plaintes, notre auteur lui adressa la lettre 97, dans la- ^^^^^ ^^
quelle il proteste qu'il est plein d'estime et de vénération
pour tous les ordres en général. Ce n'est pas, dit -il, par la
couleur blanche ou noire des habits qu'on est agréable à
Dieu, mais par la pratique exacte des devoirs qu'on s'est
imposés.
Dans la lettre 102, il met dans la bouche d'un abbé de
Reading, auquel il écrit, un long discours comme le résultat
d'une conférence qu'ils avaient eue ensemble sur les embar-
ras des supériorités monastiques, et sur les obstacles qu'on
y trouve à faire son salut. L'auteur applaudit aux pieux sen-
timens de l'abbé, qui aurait bien voulu se décharger du far-
deau de la supériorité : il ne lui conseille pourtant pas de se
démettre.
Nous voyons, par la lettre 11 o, que l'auteur avait des liai- Epist. n».
sons fort étroites avec l'abbé et les religieux de l'Aumône ou
le petit Cîteaux, non loin de la ville de Blois. En les quit-
tant un jour, il fut atteint d'une maladie dont il fait la des-
cription, et leur demande le secouis de leurs prières. Il paraît
que c'est à tort qu'on lui donne dans la suscription de cette
lettre la qualité d'archidiacre de Bath , et qu'il faut la rap-
porter au temps où Pierre de Blois faisait son séjour en
France.
La lettre xi5 à l'abbé de Mesander est la réponse à une Epist. ii5.
consultation sur les degrés et les différens genres d'affinité
qu'on opposait à un mariage. Notre auteur explique en ha-
bile jurisconsulte quels étaient alors les empêcheraens diri-
mans du mariage.
A l'article de Hugues Foucaud , abbé de Saint-Denis, nous Suprà p. 275.
avons rendu compte de la lettre ti6, qui lui est adressée.
Nous avons prouvé que cet abbé n'est autre que Hugues Fal-
cand , auteur d'un morceau intéressant de l'histoire de Sicile
sous les règnes de Guillaume l" et de son fils Guillaume II.
Pierre, en lui envoyant un de ses écrits, le prie de lui com- Epist. 116.
muniquer celui que Hugues avait composé touchant l'infor-
tune qu'il avait éprouvée en Sicile, de casu vestro in Siciliâ,
afin, dit- il, de cimenter notre ancienne amitié par cette
communication réciproque. Il parle ensuite des démêlés que
cet abbé avait eus avec le roi Philippe-Auguste, dont l'au-
Tome Xr. A a a
un SIECLE.
370 PIERRE DE BLOIS.
teur n'explique pas le sujet; mais il paraît qu'il s'agissait de
la dîmesaladine,sur laquelle l'abbé de Saint-Denis profes-
sait apparemment les opinions que Pierre de Blois ciierchait
à inspirer à ses amis, comme nous l'avons vu dans plusieurs
de ses lettres.
Epist. 117. La 117^ à Geofroi, abbé de Marmoutier, est pleine des
reproches les plus vifs sur ce que cet abbé avait soutenu un
procès contre le prieur de Saint-Côme dans une des îles de
la Loire, touchant quelques morceaux de terre et de pâtu-
rages. Il tourne en ridicule la manière dont cet abbé avait
plaidé et perdu sa cause au tribunal de l'archevêque de
Tours, dans une audience à laquelle l'auteur dit avoir été
présent. Geofroi fut fait abbé de Marmoutier l'an 1 187.
Epist. 126. L'abbé de Glocester, successeur de Henri de Sully, fait
évêque de Worch ester l'an 1193, ayant appris la nomina-
tion de Eudes de Sully à l'évêché de Paris, s adressa à Pierre
de Blois pour avoir des renseignemens sur ce jeune prélat,
dont il avait entendu dire tant de bien à l'oncle, et sur les
circonstances de son élection. Il ne pouvait mieux s'adres-
ser. Pierre l'avait connu particulièrement à Paris, dans le
temps que ce jeune seigneur avait pour précepteur un de ses
disciples nommé Pierre de Vernon,fi?e Ferno. La lettre 126
est pioprement l'éloge de ce prélat, dans lequel l'auteur
nous fait connaître plusieurs traits de sa vie privée avant
son épiscopat.
Les lettres i3i et iSa sont adressées à un de ses neveux,
nommé Ernaud ou Arnaud, moine et puis abbé de Saint-
Epist. i3i. Laumer de Blois. Dans la première, l'auteur reproche à son
neveu, alors prieur de Saint- Laumer de Moustier dans le
Perche, l'ambition de parvenir, qui le portait à faire la cour
aux grands et à se mêler de leurs affaires, au mépris de ses
obligations religieuses. Il lui donne sur cela de très -bons
conseils; et se donnant lui-même pour modèle d'un noble
désintéressement : « Vous avez pu apprendre, dit-il, de la
^bouche du seigneur j)ape qui occupe aujourd'hui le saint-
« siège, et de la plupart des cardinaux qui de mon temps
«ont été envoyés légats en F'rance , de la bouche de mon frère
«Guillaume, de l'abbé de S'.-Denis, et d'autres grands per-
«sonnages du royaume, qu'étant en Sicile garde du sceau
«et précepteur du roi Guillaume II , oîi après la reine et l'ar-
«chevêque de Palerme, j'avais une assez grande part au gou-
«verneraent, des envieux, pour m'éloigner de la cour, m'a-
PIERRE DE BLOIS. 871
«vaient fait nommer archevêque de Naples, et puis, à deux
a reprises , à revêclié de Rossano. Mais , content d'une hon-
«nête médiocrité, j'ai refusé constamment ces dignités.» Il
y a dans l'imprimé Rqffensis episcopatus , Rochester en
Angleterre; mais la contexture de la lettre indique qu'il faut
lire Rossanensis en Calabre, comme portent quelques ma-
nuscrits. Quant à l'époque de la lettre, on la connaîtrait à-
peu-près, si l'auteur eût nommé le pape dont il parle; mais,
appelant en témoignage l'abbé de Saint-Denis , Hugues
Foucault, qui entra en possession de cette abbaye l'an 1 186,
il faut conclure que la lettre est d'une date postéri<'ure à
cette année. — La lettre iSa est écrite au même Ernaud , nou-
vellement élu abbé de Saint-Laumer de Blois. L'auteur veut
bien partager avec toute la famille la joie que cette élection
lui a causée ; mais il prie le nouvel abbé de bien examiner
s'il a lieu de s'en féliciter lui-même, et sur cela il lui donne
d'excellentes instructions sur les obligations d'un supérieur.
On ne sait pas précisément en quelle année Ernaud fut fait
abbé; on ne le trouve avec cette qualité que dans un titre
de l'an 11 98 : son prédécesseur Robert 1 était encore l'an
1 193. On peut donc placer la lettre entre ces deux années.
L'objet de la lettre i34 à Guillaume, qui venait d'être
nommé à l'abbaye de Notre-Dame de Blois , ordre de saint
Augustin, connu sous le nom de Bourgmoyen, est le même
que celui de l'auteur dans la lettre dont nous venons de par-
ler : c'est une longue instruction sur les devoirs de ceux qui
sont chargés de la conduite des autres. Cet abbé redeman-
dait à l'auteur un livre qu'il lui avait prêté, ayant pour titre
Unus ex quatuor. C'était apparemment une concordance des
quatre évangélistes. On trouve dans le Gallia Christiana la
preuve que Philippe, prédécesseur de Guillaume à Bourg-
moyen, vivait encore l'an 1194; et comme Guillaume tint
un chapitre général de sa congrégation l'an 1196, on peut
sans inconvénient rapporter cette lettre à l'an 11 gS.
Nous avons dit plus haut, en rendant compte de la lettre
123 à Richard, évëque de Londres, par quels motifs Pierre
de Blois se défendait de recevoir l'ordre de prêtrise. Il ne per-
sista pas jusqu'à la lin dans cette disposition; il consentit
enfin à son ordination vers l'an 1 196. C'est ce que l'on voit
par la lettre 139 à l'abbé et à la communauté a& Chicester,
dans laquelle il leur annonce qu'il venait d'être fait prêtre,
et leur demande le secours de leurs prières, afin, dit-il, que
A aa 2
XII SIECLE.
Epist. i3a.
Gall. Christ,
t. VIII, col.
1357.
Epist. i34.
Gall. Christ,
t. VIII , col.
1390.
Supra, p. 358.
Epist. 139.
373 PIERRE DE BLOIS.
XII SIECLE.
je puisse mener une vie conforme à la sainteté de cet e'tat.
Dans quelques manuscrits, cette lettre est adressée à l'abbé
d'Evesham, ce qui prouve qu'il la répandit le plus qu'il put
parmi ses amis. Il y prend encore la qualité d'arcliidiacre
de Bath.
Epist. 4. Lettres a des prieurs et a des moines. La lettre 4 a pour
adresse R. priori cisterciensi ; nous croyons qu'il faut lire
cicestrensi , et que ce prieur est le même auquel, devenu
abbé, Pierre écrivit la lettre 189 dont nous venons de rendre
compte. Dans cette lettre, l'auteur donne à son ami des
éclaircissemens sur quelques endroits de son traité des illu-
sions de la fortune. 11 était alors dans un âge assez avancé.
« Mes rides, dit-il, rendent témoignage contre moi; j'ai déjà
«les cheveux blancs, avant-coureurs de la dernière heure. »
Mais ce n'est pas une raison de lixer l'époque de la lettre à
l'an 1195, comme fait l'éditeur. Pierre de Blois tenait le
même langage, dans la lettre 128, à Guillaume de Cham-
pagne, archevêque de Sens, c'est-à-dire avant l'année iinG.
EpUt. 8. Dans la lettre 8, Pierre répond à un prieur qui n'est ])as
nommé, mais qui avait étudié avec lui à Bologne. Cet ano-
nyme avait trouvé mauvais que notre auteur prêchant de-
vant sa communauté, eût cite dans un discours chrétien des
passages d'auteurs profanes, et qu'il eût employé des termes
empruntés de la jurisprudence. La réponse de l'auteur est
courte et solide. «On ne s'informe pas, ait-il, dans quel j)ays
« sont venues les plantes médicales, ni par quelles mains
«elles ont été cultivées, pourvu qu'elles aient la vertu de
« guérir. Il en est de même des belles ipaximes de morale ;
« on les prend par-tout où elles se trouvent. »
Epist. i3. Un jeune religieux, à peine sorti du noviciat, ambition-
nait un prieuré-cure, persuadé que par ses instructions il
gagnerait beaucoup d'aines à Dieu. Pierre, dans sa lettre i3,
lui fait sur cela une bonne leçon. « Croyez-moi, dit-il, restez
«dans votre cloître. S'il y a un paradis sur la terre, ce n'est
«que là qu'on le trouve, ou dans les écoles; par-tout ailleurs
«tout est plein d'anxiétés, d'amertumes , de craintes, de sol-
«licitudes et de souffrances. »
Epist. 32. On voit, par la lettre 32 au prieur de Cantorbéri, désigné
par la lettre V, que ce prieur était parent de notre auteur,
et qu'ils venaient de lier connaissance, lorsque Pierre lui
écrivit cette lettre en faveur de quelqu'un qui av;iit des in-
térêts à démêler avec la communauté de Cantorbéri.
PIERRE DE BLOIS. SyS
^. 1 T.I • '^ ^ ' V .. ' I XII SIECLE.
Pierre de Blois étant passe en t rance apparemment a la
suite du roi d'Angleterre, avait «'m[)rante un livre de la Epist. 37.
bibliothèque de l'abbaye de Juraiège. Ne l'ayant pas rendu
au jour convenu, il écrivit au prieur Alexandre la lettre 87,
dans laquelle il s'excuse d'avoir manqué de parole sur les
grandes affaires dont il était chargé, et prie qu'on lui laisse
encore le livre pour quelques jours.
Un chartreux nommé Alexandie, voulant passer dans un Epist. 86.
ordre moins austère, alléguait pour prétexte que dais l'ordre
des chartreux on ne permettait pas de célébrer la messe tous
les jours. Notre auteur, dans la lettre 86, loin de blâmer
cette pratique, lui prouve, par de nombreux exemples de
grands saints, que cette conduite est très-louable, et le con-
jure de demeurer dans l'état qu'il a volontairement embrassé,
s'il veut ne pas être un sujet de scandale à ses frères et à
ceux qui apprendraient sa démarche inconsidérée.
Ayant rempli une mission ou du roi ou de l'archevêque Epi»t. io5.
de Cantorbéri dans la province d'Yorck, Pierre, dans la lettre
io5, prenant congé du prieur et des religieux de Fontaines,
allègue plusieurs raisons qui l'ont empêché de les voir aussi
souvent qu'il l'eût désiré.
La lettre loy est adressée à un de ses amis, qui, après Epist. 107.
avoir embrassé la vie religieuse, était devenu courtisan, et
se plaignait qu'il n'éprouvait plus, comme autrefois, des sen-
timens de dévotion. Notre auteur lui répond que ce n'est
pas à la cour qu'on trouve le recueillement et le repos d'une
bonne conscience; qu'on n'a rien de mieux à faire que de
s'en éloigner.
Écrivant à maître Alexandre de Saint-Alban , son ami très- Epist iS;,
intime, qui venait d'embrasser la vie religieuse, la lettre iS^,
Pierre l'exhorte à persévérer dans cet état, sans se rebuter
des austérités et des autres pratiques du cloître.
Les lettres 35, 36, .55, à des religieuses, ne sont que des Epist. 35, 36,
exhortations à persévérer dans leur état dont il relève l'ex- ^^■
cellence.
Lettres à des chanoines et autres clercs. La lo^ a pour Epist. 10.
titre dans les imprimés ^d G. capellanwn régis Siciliœ •
dans les manuscrits les titres varient beaucoup. Le beau
manuscrit de Saint-Victor, aujourd'hui dans la bibliothèque
royale sous le n" 38, porte : Correctio principis ; un autre,
Ârguitur quidam de nimia taciturnitate. Mais aucun ne
contient la suscription ordinaire indiquant le nom et la
374 PIERRE DE BLOIS.
XII SIECLE, qualité de l'auteur, ainsi que ceilx de la personne à qui la
lettre est adressée. Nous ne contestons pas que la lettre G
ne de'signe Gautier, jadis chapelain de Guillaume II, roi de
Sicile, a qui Pierre de Blois avait succédé dans la place de
Î)récepteur de ce prince; mais il nous semble que ce chape-
ain était déjà archevêque de Palerme lorsque cette lettre lui
fut écrite, puisque l'auteur appelle le roi son ouaille : Oi'is
tua est , et in periculum tuum ipsiiis custodiam suscepisti.
Vide ne alios imiteris qui lac et lanam quœrunt inovibus,
non saluteni. Peiiculosum est tihi si in tonsoris officium con-
Sicil. sac. p. vertas ministerium pastorale. Baronius , et , après lui , Roch
699, éd. 1733. Pirrus, voyant que ce passage ne pouvait être appliqué à
un simple chapelain, ont supposé que la lettre était adressée
à Richard, évêque de Syracuse, et l ont rapportée à un temps
V antérieur à l'épiscopat de Gautier, commençant à l'année
1 1 69 ; mais Richard n'était pas l'évêque diocésain de la cour
de Palerme.
Ce n'est pas le seul embarras dans lequel nous aient jetés
les copistes. Dans quelques manuscrits, au lieu de la pre-
mière phrase : Diu est quod rumor insonuit et publiée jam
crebj'escit, quod dominus tuus rex Siciliœ , salutis suce et
paternœ traditionis oblitus , cuni comité Lorocelli in ruinant
et desolationeni Agri^entinœ ecclesiœ conjuravit ; on a eu
la téméiité de substituer, lîecc Francoruni .... cuni comité
claromontensi in ruinam et desolationein Bituricensis eccle-
siœ conjuravit ; leçon inconciliable avec tout le contexte de
la lettre. Tenons donc pour certain que cette lettre fut adres-
sée à Gautier, archevêque de Palerme, auquel Pierre de Blois
Suprà, p. 35o. adresse encore la lettre ^%,, dont il a été rendu compte ci-
dessus.
Ce prélat ayant mandé à Pierre de Blois que, malgré ses
représentations, le jeune roi de Sicile, gagné par des présens,
n'écoutant que les conseils du comte de Lorotello, voulait
nommer à l'évêché de Gergenti le frère de ce comte, homme
stupide et peu propre à remplir ce poste; Pierre lui répond
au'il n'a pas assez fait pour empêcher un si grand mal , qu'il
oit insister et exposer même sa fortune et sa vie pour faire
échouer ce dessein. Cette lettre produisit son effet, et l'évê-
ché de Gergenti fut donné l'an 1 172 à Barthélemi, frère de
Gautier. En terminant sa lettre, l'auteur ajoute à la louange
du roi d'Angleterre : « Béni soit le Seigneur, qui a préservé
«jusqu'ici le roi Henri d'une telle prévarication. Ce prince
PIERRE DE BLOIS. 376
« n'a jamais reçu de présens pour la collation des dignités ^" siècle.
«ecclésiastiques, il ne les a jamais données qu'au mérite!
«Aussi le Seigneur l'a-l-il comblé d'honneurs et de gloire
a plus que tous les princes ses contemporains. » Ce qui prouve,
selon nous, qu'à cette époque l'auteur était déjà passé en
Angleterre au service de Henri II.
Nous ne dirons qu'un mot de la lettre 1 1 à un clerc de Eplst. n.
ses amis, dont l'objet est de lui prouver qu'ayant fait vœu
d'embrasser la vie religieuse, il était oblige, malgré les rai-
sons qu'il alléguait pour s'en dispenser, de tenir sa promesse.
Dégoûté du service de la cour après une sérieuse maladie, Epist. 14.
Pierre de Blois écrivit aux clercs de la chapelle du roi d'An->
gleterre la lettre i4 pour les en dégoûter aussi. La peinture
qu'il y fait des désagrémens, des incommodités, des tour-
mens qu'on éprouve a la suite de la cour, sur-tout lorsque le
roi est en voyage (ce qui arrivait souvent au roi Henri II),
est pleine d'espiit et de vérité. Nous aurions un vrai plai-
sir à en donner quelques lambeaux en français, s'il nous était
permis de nous élendre,et si nous ne craignions de l'affai-
blir. L'auteur a cependant soin d'observer qu'il n'a quitté
qu'à regret le service du roi d'Angleterre, parce que ce prince
lui avait toujours donné des marques de bonté, lui accor-
dant tout ce qu'il demandait, allant même au-devant de ses
désirs; il n'en regrette pas moins le temps qu'il a perdu, et
les sacrifices qu'il a faits à son ambition au péril de son
ame. En terminant sa lettre, il annonce qu'il a entrepris d'é-
crire l'histoire de ce prince : ouvrage qui n'est pas parvenu
jusqu'à nous.
Les chapelains du roi ne furent nullement satisfaits de la Epist. i5o.
lettre de notre auteur. Leur mécontement lui étant revenu,
il leur adressa la lettre i5o, pour tempérer les traits trop
acérés qui dans l'autre les avaient indisposés. Il convient que
le séjour des clercs et même des évéques à la cour n'est pas
sans utilité pour l'église; qu'ils peuvent y faire beaucoup de
bien ; qu'ils s'y occupent ordinairement de bonnes choses, et
qu'on y peut faire son salut. Son exemple vint à l'appui de
cette espèce de retractation; il reprit bientôt après, malgré
ses sermens, son ancien genre de vie, au moins jusqu'à la
mort de Henri II. 11 nous apprend dans cette lettre que les
rois d'Angleterre avaient, comme ceux de France, en vertu
de leur sacre , le don de guérir des écrouelles.
La lettre 17 est dirigée contre un clerc, son compagnon Epist. 17.
XII SIECLE.
376 PIERRE DE BLOIS.
et ami, qui croyait pouvoir faire le commerce sans blesser
les convenances de son e'tat.
Renaud de Bar, ëvêque de Chartres, auquel Pierre de
Blois avait écrit, vers l'an 1 185, la lettre lô pour le féliciter
sur son exaltation , lui avait fait espérer qu'il l'attirerait
auprès de lui. Voyant qu'on l'avait clesservi auprès de ce
jeune prélat, et n'osant lui écrire directement touchant le
renouvellement de la dîme saladine par le roi Phihppe-Au-
Epist. ao. guste, Pierre adressa à deux clercs nommés Crispin et Payen,
ayant la confiance de l'évêque de Chartres, la lettre 20, dans
laquelle il regrette de ne pouvoir aider de ses conseils un
prélat dont il avait conçu les plus belles espérances, les
chargeant de lui représenter souvent ses devoirs, sur -tout
relativement à cette imposition, contre laquelle nous avons
vu que l'auteur écrivit plusieurs lettres. « Il ne doit pas
« craindre, leur dit-il , l'indignation du roi ; il est son égal
«par sa naissance (ils étaient cousins germains du côté ma-
te ternel), et il ne lui est pas inférieur en dignité. D'ailleurs,
« c'est ici la cause de Dieu qui est au-dessus de tout , et pour
«lequel un évêque doit s estimer heureux de souffrir et
« môme de donner sa vie. »
Epùi. ai. Ayant rencontré à Rouen un ancien ami que Pierre ap-
pelle son fils, apparemment parce qu'il avait contribué,
comme il le dit, a lui procurer un canonicat dans cette
église, et l'ayant abordé amicalement, cet homme ne daigna
ni lui répondre ni le regarder. Notre auteur, indigné de tant
de fierté, l'accable , dans la lettre 21, de reproches et de me-
naces les plus capables de l'humilier et de le faire rentrer
en lui-même.
Epist. 27. Voulant instruire les chanoines de Beauvoir de ce qui se
passait en Angleterre l'an 1 173 relativement à l'élection d'un
successeur à donner à saint Thomas de Cantorbéri , Pierre
commence la lettre 27 par faire le panégyrique du saint; il
blâme ensuite les moines de Cantorbéri d'avoir élu seuls, et
sans la participation des évèqucs et des abbés de la pro-
vince, un de leurs membres pour remplir le siège vacant,
et qualifie cette élection de clandestine et furtive, comme
contraire à l'usage et aux droits de l'épiscopat. Telle était
sa manière de voir; mais Gervais de Cantorbéri, historien
anglais, parle bien autrement de cette contestation, qui fut
terminée alors et au commencement du siècle suivant à
l'avantage des rehgieux.
XII SIECLE.
PIERRE DE BLOIS. 877
Dans le temps que Renaud ou Reginald, archidiacre de
Salisburi, le même qui devint ensuite^ l'an 1 178, évêque de Epist. 24.
Bath, étudiait à Paris, c'est-à-dire l'an 11 65, comme nous
le prouverons bientôt, Pierre de Blois se lia d'amitié avec
lui et le voyait fréquemment. Cet archidiacre était fils de
Jocehn, ëvêque de Salisburi, un des antagonistes de Thomas
Beckct, qui fut interdit de ses fonctions ëpiscopales par son
mëtropohtain , réfugié en France. On reprochait à notre
auteur ses liaisons avec l'archidiacre : sur quoi Pierre de
Blois écrivit aux clercs qui avaient accompagné en France
l'archevêque de Cantorbéri , la lettre 24 , dans laquelle il s'ex-
cuse d'abord sur ce qu'il ignorait que cet arcnidii:cre eût
encouru la disgrâce du prélat ; puis il les assure que le
même archidiacre ne desirait rien tant que de se ranger du
côté de l'archevêque, mais qu'il n'osait se déclarer par mé-
nagement pour son père, l'évêque de Salisburi ; qu'il espérait
pourtant le gagner, pourvu que l'archevêque voulût bien le
traiter avec modération et ne pas le pousser à bout. L'édi-
teur, persuadé que Pierre de Blois était en Angleterre lors-
qu'il écrivit cette lettre, la rapporte à l'année 1170, temps
où l'archidiacre Rainai était entièrement déclaré contre l'ar-
chevêque de Cantorbéri , et l'agent le plus accrédité du roi
Henri II, qui l'envoyait souvent en cour de Rome. Nous ne
pouvons donc partager l'opinion de l'éditeur; mais nous pen-
sons que la lettre fut écrite, l'an ii65, à Paris, où l'archi-
diacre de Salisburi faisait alors ses études, comme on le voit
par la lettre que le pape Alexandre III écrivit de Sens en sa Duchesne ,
faveur à Hugues de Champ-Fleuri, évêque de Soissons et »• iv Rer. fran.
chancelier de France. ^' ^
L'an II 73, le même archidiacre de Salisburi ayant été élu Epist. 45.
évêque de Bath, éprouva de grandes contradictions de la
Fart de ceux qui lui reprochaient d'avoir pris parti contre
archevêque-primat, et d'avoir contribué par-là à sa fin tra-
gique. Pierre prit encore sa défense dans la lettre 45 à un
anonyme , non pour l'excuser en tout , mais parce qu'ayant
suivi l'impulsion générale , Renaud avait depuis reconnu et
réparé sa faute par une sérieuse pénitence. C'est dans le
même sens que les amis les plus déclarés du saint arche-
vêque, Jean de Salisburi, Barthélemi, évêque d'Exester, et
le chapitre de Cantorbéri, écrivirent, en faveur de l'évêque
élu, les lettres imprimées à la suite de celles de Jean de
Salisburi.
Tome XV. . B b b
XII SIECLE.
378 PIERRE DE BLOIS.
La lettre 81 à un chanoine de Chartres, nommé Simon,
Epist. 81. a pour objet de lui inspirer l'amour de l'étude et de l'appli-
cation comme un remède à tous les vices qui se glissent
facilement dans le cœur d'un jeune homme livré à la dissi-
pation. C'est une belle passion , dit-il , que celle d'apprendre;
et quand une fois on a pris goût à l'étude, tout le reste de-
vient fastidieux; cela dure toute la vie.
Epist. III. Il prescrit le même antidote, c'est-à-dire, la lecture de
l'écriture-sainte , la méditation et la prière contre les tenta-
tions de la chair, à un autre chanoine de ses amis, dans la
lettre 11 1 .
Epist. iig. La lettre iig est aussi adressée à un chanoine sans dire
de quelle église. Pierre l'avait chargé d'une commission au-
près du roi , dont ce chanoine s'était mal acquitté. Ayant
entendu quelqu'un mal parler de son commettant , il s'était
emporté en invectives sans respect pour le prince, pour les
évéques et les seigneurs présens. L'auteur n'approuve point
son zèle prétendu officieux qui avait fait manquer l'anaire;
il s'impute à lui-même .d'avoir confié ses intérêts à un
homme imprudent et inconsidéré.
Epist. i/,o. Un clerc de la chapelle du roi d'Angleterre , nommé Pierre,
avait consulté notre auteur sur le dessein qu'il avait de se
livrer à l'étude des lois et de la jurisprudence. Pierre , dans
la lettre i4o, lui conseille l'étude ae la théologie comme
plus convenable à l'ordre de diacre dont il était revêtu; et
sur cela il établit un long parallèle entre la jurisprudence et
la théologie, tout à l'avantage de celle-ci; mais en même
temps il lui enseigne la bonne manière de l'étudier. Ne vous
avisez pas, dit- il, de vouloir pénétrer des choses qui sont
au-dessus de votre portée, et n'imaginez pas de vains .sys-
tèmes, comme font quelques-uns, pour en atteindre la hau-
teur. Ne perdez pas votre temps en disputes subtiles et en
discours propres à faire illusion. Nos mystères sont si éle-
vés, qu'il fiiut en puiser l'intelligence dans les lumières de
la foi , et nou dans les recherches du raisonnement humain.
11 cite pour exemple celui de l'eucharistie, dans lequel la
raison se perd; il explique la manière dont il f;mt admettre
la présence réelle, et se sert du terme de transuhstantiation.
Epist. 6. Lettres a des savans et autres gens de lettres, La 6*^ est
une réponse à maître Raoul de Beauvais, professeur de gram-
maire dans cette ville, mais anglais de nation, selon l'hi.sto-
rien HéUnand. Ce professeur s'était permis des invectives
PIERRE DE BLOIS. 879
contre les clercs attache's aux cours des rois ou même à celles Xil SIECLE.
des ëvêques , prétendant qu'ils seraient bien plus utiles à l'état
en se livrant à l'enseignement dans les écoles. La réponse de
notre auteur est d'un homme vivement piqué. « Sachez, lui
«dit-il, que la maison de l'archevêque de Cantorbéri est
«composée de savans d'un mérite distingué, qui, après la
«prière et les repas, sont continuellement occupés ou à la
« lecture, ou à des conférences, ou à la décision des affaires
« les plus importantes du royaume , qui sont portées devant
« nous. Au lieu que vous, enfant de cent ans, s'il est permis
« de vous appeler ainsi, vous n'êtes occupé que de niaiseries,
« discourant éternellement sur les premiers élémens des
«voyelles et des syllabes. Priscien, Cicéron, Lucain, Perse,
«sont les noms que vous idolâtrez; mais hélas! j'appréhende
« fort qu'à l'heure de la mort , on ne vous demande maligne-
«ment oîi sont vos divinités.-^» On voit par-là quels étaient
les auteurs qu'on expliquait dans les écoles , et que la plu-
part des professeurs consacraient toute leur vie à l'enseigne-
ment des humanités, moyen siir de former de bons élèves.
Dans la lettre 7 à un professeur qu'il appelle maître A, Epist. 7.
l'auteur raconte une aventure qui lui était arrivée en passant
devant sa maison, de la part d'un autre professeur qui en
sortait ivre de vin ou de oière, et qui, prenant son cheval
par la bride , voulait l'obliger à descendre pour boire avec
eux dit fils de Dieu. Pierre, à l'aide de ses domestiques,
s'étant débarrassé de cet homme, et accablé d'injures par
lui, manda le fait au maître du logis, lui représentant com-
bien il était indécent que sa maison , consacrée aux exer-
cices littéraires, fût devenue le rendez-vous des buveurs.
Un de ses disciples, qui n'est pas nommé, après avoir fini Epist. 9.
son cours d'études, voulait, avant que de passer à la théo-
logie, prendre deux années de repos. Pierre, dans sa lettre 9,
lui fait voir combien il entendait mal ses intérêts, et que,
perdre l'habitude du travail, c'est s'exposer à tous les dan-
gers de l'oisiveté.
Notre auteur avait été attaché au service d'un évêque Epist. 18.
dont il avait été fort mal récompensé. Un de ses amis , son
ancien commensal, le pressait de reprendre ses fonctions
auprès de ce prélat, qui desirait l'avoir pour conseil. « Sa
«table, répondit -il, lettre 18, a été pour moi un piège
« oii j'ai été pris et une pierre de scanaale : non , je n'y re-
« tournerai pas. » Après quoi il fait un portrait affreux de
Bbba
XII SIECLE.
38o PIERRE DE BLOIS.
ce prélat, auquel il attribue tous les crimes et tous les vices
imaginables. II ne le nomme pas; mais il paiaif, à la véhé-
mence de son style, qu'il était extrêmement irrité contre lui:
on peut même dire que dans cette occasion la colère le rendit
vraiment élo(juent. En comparant cette lettre avec la 1/19%
on est porté a croire (jue l'auteur a voulu parler de Savari,
évêque de Bath, qui, a l'aide d'une diffamation en cour de
Rome, était venu à bout de lui faire perdre son archidiaconé.
Epist. 19. La lettre 19 est une réponse à un de ses amis, étudiant
en droit depuis deux ans à Paris, qui avait consulté notre
auteur sur cette question agitée dans un exercice scliolas-
tique, savoir si une femme qui a embrassé la vie religieuse
dans l'opinion que son mari, absent depuis long-temj)s,
était mort, doit rester dans le cloître au cas que cet époux
reparaisse; si elle peut en sortir quand même il ne la rede-
manderait pas; enfin, si, l'ayant réellement perdu par la
mort après son retour clans le siècle , elle doit rentrer
dans son monastère. Pierre, avant que de répondre, dit
à la louange des écoles de Paris : « Comme autrefois chez
« les Juifs c'était à Abela qu'on renvoyait ceux qui deman-
«daient conseil, c'est à Paris qu'il faut aujourd'hui les ren-
« voyer, parce que c'est là qu'on résout les questions les plus
a embarrassantes : Qui interwgant , interrogent Parisiis ,
a ubi difjiciliwn quœstionum nodi intricatissimi resolvuntur. »
Il donne ensuite sa décision motivée sur des autorités res-
pectables des pères de l'église, des décrétales, du droit civil
et canonique; il parle aussi de son livre des prestiges de la
fortune, dont son ami demandait communication; il lui en
donne une idée; mais cet ouvrage n'étant pas encore en état
de voir le jour, il ne lui envoie que les premiers cahiers pour
les parcourir.
Epist. 43. Parmi les connaissances variées dont Pierre de Blois avait
enrichi son esprit, sur la belle littérature, sur la théologie
et la jurisprudence, il en avait aussi acquises sur la méde-
cine. Cela est prouvé par la lettre 43 à un médecin de ses
amis, nommé Pierre. Passant par Amboise, notre auteur fut
arrêté pour administrer des remèdes à un seigneur de la
ville, nommé Gelduin, dangereusement malade. Au bout
de trois jours, ne pouvant séjourner plus long-temps, il char-
gea son ami de venir continuer le traitement, lui exposant
en termes de l'art les symptômes de la maladie, les remèdes
. qu'il avait employés, et ceux dont il croyait qu'on devait
Xll SIECLr,.
PIERRE DE BLOIS. 38i
faire usa^je pour parvenir à une entière guérison. « Ce n'est
«pas, dit-il, que je croie que vous ayez besoin de mes instruc-
« lions; mais si le malade s'aperçoit que nos avis sont les
«mêmes, cela aura l'air d'une consultation, et lui inspirera
a plus de confiance : car il n'est que trop ordinaire que des
«médecins qu'on appelle en consultation, ne sont d accord
«ni sur les causes de la maladie, ni sur le traitement conve-
«nable. » L'auteur ne prend aucune qualité dans cette lettre,
qui paraît avoir été écrite avant qu'il allât étudier la juris-
prudence à Bologne, c'est-à-dire vers l'an ii56 ou ii5y.
Ayant été envoyé vers le roi de France par celui d'Angle- Episi. 71.
terre (apparemment l'an i irS, conjointement avec Rotrou,
archevêque de Rouen, et Arnoul, évêque de Lisieux, comme
on peut le conjecturer d'après la lettre i53 au roi d'Angle-
terre, dont il sera parlé plus bas), Pierre avait acheté à
Paris, chez un libraire, des livres de jurisprudence qui lui
paraissaient convenir à un de ses neveux. Pressé de retour-
ner vers le roi, qui l'avait envoyé, il les avait laissés en dépôt
chez le libraire , après en avoir soldé le prix. Mais ayant ap-
pris qu'ils avaient été vendus ensuite au prévôt de Salsbourg,
saxeburgensis , pour une plus forte somme, il chargea, par
la lettre 7I^ maître Ernaud de Blois (peut-être son neveu, Supràp. 370.
dont il a été parlé plus haut, le même qui devint ensuite
abbé de Saint-Laumer de Blois) d'en poursuivre la restitu-
tion en justice, lui indiquant les lois du code et du digeste
qui favorisaient son bon droit. Cette lettre est une bonne
preuve de f habileté de l'auteur dans la jurisprudence civile.
Les lettres 76 et 77 sont adressées à un savant, nommé, Epist. 76.
comme l'auteur, maître Pierre de Blois. La première a pour
objet de lui faire abandonner les études profanes, et sur-
tout les chansons et les poésies lascives auxquelles il conti-
nuait de s'adonner, quoique dans un âge avancé; il le presse
de consacrer à la théologie et à quelque ouvrage édifiant,
les talens qu'il a reçus de Dieu (i), avouant qu'il avait com-
posé lui-même des poésies lascives dans sa jeunesse; mais
que Dieu, par une grâce spéciale, lui en avait fait connaître
le danger : Ego quidem nugis et cantibus venereis quan-
(1) Dans un ancien manuscrit cité par Goussainville {Notœ ad epist. ii4,
p. 735), cet autre Pierre de Blois est qualifié chancelier de leo^lise de
Chartres. li avait fait, apparemment à i instigation de notre auteur sur les
psaumes un conimentaire que nous n'avons plus;
382 PIERRE DE BLOIS.
XII SIECLE.
doque operam dedi; sed per gratiam ejus qui me ses^regavit
ah utero matns meœ , rejeci fiœc omnia à primo liminc ju-
vcntutis. II lui cite encore l'exemple de sou frère Guillaume,
auteur de quelques tragédies, qu il avait degoùtë de ce geme
d'occupation, et qui se distinguait alors par ses prédications.
Cette lettre est fort chrétienne et pleine d'excellentes
Epist. 77^ maximes. — Dans la suivante au même, il tient un langage
tout différent, qui se ressent beaucoup de la vanité d'auteur;
mais c'est que celle-ci fut écrite long-temps avant la précé-
dente. L'auteur, après avoir félicité son ami sur l'identité
de leur nom, sur la conformité de leurs goûts et l'égalité
de talens, dit que leurs écrits respectifs les ont rendus cé-
lèbres par toute la terre. II n'y a, dit-il, que les savans qui
puissent rendre les hommes immortels. C'est pourquoi les
princes et leurs ministres ne sauraient rien faire de mieux
que de se rendre favorables ceux qui sont capables de trans-
mettre leurs noms à la postérité la plus reculée; et, fai-
sant l'application de ce principe, vrai en soi, à leurs propres
écrits , il cite ces vers d'Ovide :
Ore hgar populi , perque omnia sœcida famâ ,
Si quid habent veri vatum^prœsagia , vivain.
Son ami avait composé un poëme contre les adulateurs et
les fausses louanges. Pierre lui demande s'il a pris quelqu'un
de nos princes pour sujet de ses éloges. Quant à moi, djt-il ,
j'ai pris pour mon héros le roi d'Angleterre, Henri II, dont
j'ai célébré les gestes dans mon livre des prestiges de la for-
tune, qu'il lui envoie pour en être le juge.
Lettres à des compagnons d'études et amis , sociis et ami-
Epist. 12. cis, sans autres qualifications. L'objet de la lettre [2 à un
de ses neveux établi à Orléans, qui lui avait annoncé la
mort d'un oncle maternel, et d'autres fâcheux accidens qui
lui étaient arrivés, est de le consoler en faisant l'éloge du
défunt son ami, pour lequel, dit-il , tout Orléans fondrait en
larmes, si des larmes pouvaient le rappeler à la vie. Dans
le reste de la lettre, il fait la description vraie et ingénieuse
des bizarreries , des passions, des ridicules, des fausses maxi-
mes qui régnent dans le monde, propres à dégoûter de la
vie quiconque pense sensément. En terminant sa lettre , il
prie son neveu de lui envoyer les poésies badines qu'il avait
composées à Tours dans sa jeunesse, avec promesse de les
lui icuvoyer après qu'il en aurait tiré copie : Mitte mihi 'ver-
sus et luaicra quœ feci Turonis.
PIERRE DE BLOIS. 383
, . , 1 T> 1 1' ^ XII SIECLE.
Pierre de Blois, a son retour de Bologne vers I an i ibo,
s'était livré à Paris à l'étude de la théologie. C'est ce qu'il Kr'^f- ^^^
mande dans la lettre 26 à un ami avec lequel il avait étudié
le droit, qu'il appelle son seigneur et son compagnon d'é-
tude, domino sua B. et carissimo socio sua. Il avoue qu'il a
quitté trop tôt l'étude du droit civil; mais qu'il ne pouvait
se dispenser, étant clerc , de prendre une teinture de la théo-
logie , sans pourtant renoncer à l'étude des lois , à laquelle ,
dit-il, il prenait un extrême plaisir à cause de la beauté du
style et de la richesse des expressions. Il ne dissimule pas
que la science des lois est sujette à de grands abus , et sur
cela il fait une sortie violente contre les avocats de son temps,
a L'avarice , à ce qu'il dit, était leur unique mobile. Ce nom,
«si respectable autrefois, cette profession si glorieuse, est
« présentement avilie par une insigne vénalité. L'avocat au-
«jourd'hui ne rougit pas de mettre à prix son éloquence; il
a achète les procès, fait dissoudre les mariages les plus légi-
« times, met la discorde entre des amis , fait revivre des con-
«testations assoupies, rompt les accords, se joue des tran-
osactions, abolit les privilèges; et, habile à tendre des pièges
« pour attraper de l'argent, il intervertit et dénature les droits
«les mieux établis, etc. etc. » 11 voudrait que les avocats
exerçassent gratuitement leur ministère, ou qu'ils se conten-
tassent de ce qui leur serait offert volontairement. L'éditeur
observe que c'est mal-à-propos qu'on donne à l'auteur, dans
cette lettre, le titre iï archidiacre de Bath, puisqu'il dit lui-
même qu'il étudiait alors la théologie à Paris. Aussi cette
quahfication ne se trouve-t-elle pas dans tous les manuscrits.
La lettre 3f) n'est qu'un billet éci-it à un ami pendant que Epist. 59.
l'auteur était en cour de Rome. « Sachez, lui dit-il en finis-
«sant,que la cour de Rome, à son ordinaire, m'a fait con-
« tracter beaucoup de dettes; mais si Dieu me fait la grâce
«de m'en dépêtrer, je ne retomberai plus dans ce gouffre,
« non recidam in Charyhdini. »
Un prélat de ses amis était fort peu réservé dans ses pa- Epist. 40.
rôles, \\ se permettait même de médire de son roi. C'est sur
cela que notre auteur lui fait une morale dans la lettre [\o.
Le moine G. de l'abbaye d'Aunai au diocèse de Bayeux,
croyant que son état le mettait à l'abri des tentations de la
chair, se permettait, dans ses momens de loisir, la lecture
des poésies profanes, même les plus libres; et, comme il sa-
vait que notre auteur en avait composées de ce genre dans
XII SIECLE.
384 PIERRE DE BLOIS.
sa jeunesse, il lui écrivit pour, les lui demander. Pierre lui
Epist. 5;. re'pond , par sa lettre 5^, que ces sortes de lectures ne con-
viennent point à la sainteté de son état. «Au lieu de ces vers
«erotiques que vous me demandez, je vous envoie un can-
« tique sur le combat de la chair et de l'esprit. » C'est une
prose latine rimée, très-longue et très-plate, dirigée contre
, les désordres qui régnaient alors parmi les ecclésiastiques et
les grands du monde, dont nous ne rapporterons que la
première strophe pour donner une idée de la pièce :
Olim militaverani
Pompis hujus sœculi ,
Quibus flores obtuli
Meœ juventutis ;
Pedein tamen retulî
Circa -vitcE vesperam,
Nunc daturus operam
Militiœ mrtutis.
Il y a cinq ou six strophes sur l'emprisonnement de Ri-
chard , roi d'Angleterre, et sur la vente que le duc d'Autriche
avait faite de ce monarque à l'empereur Henri VI : ce qui
fixe la date de cette lettre à l'année 1 193.
Epist. 60. Un de ses amis , maître R. , blâmait hautement la conduite
de certains évêques, qui, au lieu de secourir de pauvres étu-
dians, ne songeaient qu'à amasser des richesses pour avan-
cer leurs neveux et leur procurer des bénéfices, pour marier
leurs nièces à des gens de qualité, etc. Pierre lui répond
(lettre 60) que ces plaintes ne sont pas nouvelles; et, comme
vous ne tarderez pas à être fait évéque, je vous prédis, si je
ne me trompe , que vous ferez comme les autres , et que vous
donnerez lieu aux pauvres étudians de crier contre vous.
Epist. 65. La lettre 65 à un de ses amis qu'il ne nomme pas, a pour
objet les songes, les augures et autres superstitions de cette
espèce. Voici quelle en fut l'occasion. « Dernièrement, dit
«notre auteur, le moine maître Guillaume de Blois, mon
«c frère, ayant rencontré maître Guillaume le Beau sortant
« d'une hôtellerie, le pria très-instamment de rentrer, l'assu-
« rant qu'il était menacé d'un grand danger, s'il se hasardait
« ce jour-là de se mettre en route. Maître le Beau, regardant
« comme des niaiseries tout ce qui n'est pas appuyé sur la
«foi, monte à cheval pour se joindre au cortège de l'arche-
«vêque de Cantorbéri, auquel il était attaché. Mais à peine
Xn SIECLE.
PIERRE DE BLOIS. 385
«eut-il fait quelques pas, qu'il tombe avec son cheval dans
«une mare profonde et pleine d'eau, dont on eut bien de
« la peine à le retirer. Yous avez été témoin de cet événe-
«ment, vous et tous ceux de la suite du prélat. Dès -lors
«vous me demandâtes si j'ajoutais foi à ces sortes de pré-
« sages , et en général ce que je pensais des songes, des lutins,
«des oiseaux, des éternuemens. J'aurais sur-le-champ satis-
«fait à ces questions sans un ordre qui me pressait d'aller
«trouver le roi, et ne me permettait de penser qu'à mon
« voyage. y> L'auteur parcourt ensuite les pronostics les plus
remarquables de l'antiquité : de-là il vient aux superstitions
de son temps. « Il y a des femmes, dit-il, qui font des images
«de cire ou de boue, dans la vue de tourmenter par-là leurs
«ennemis ou d'allumer la passion de leurs amans. Plusieurs
«regardent comme un mauvais augure la rencontre d'un
«lièvre, d'une femme échevelée, d'un aveugle, d'un boiteux,
«d'un moine. On voit des voyageurs qui comptent sur un
«hospice agréable, s'ils rencontrent sur la route un loup,
«ou aperçoivent une colombe; si l'oiseau de saint Martin
«vole de gauche à droite; si en sortant ils entendent le ton-
«nerre gronder au loin; si un bossu ou un lépreux se trou-
«vent sur leur chemin. Mon avis est que maître le Beau,
«quand même aucun moine ne lui eîit parlé, serait égale-
«ment tombé dans la mare. »
Pour entendre la lettre 72 à un homme désigné par la Epist. 7a.
lettre G, autrefois ami et collègue de Pierre de Blois, il faut
la combiner avec la 128*' à Guillaume de Champagne, arche-
vêque de Sens. Dans celle-ci, l'anonyme G. est appelé maître
Gérard ; c'est vraisemblablement Gérard Pucelle. Ce faux
ami, qui avait engagé l'archevêque de Sens à prendre notre
auteur à son service, avec promesse de lui procurer un béné-
fice dans l'église de Chartres, s'était vanté d'avoir eu le crédit
de faire nommer un autre à sa place. Sur cela notre auteur
lui écrivit une lettre fulminante , dans laquelle il a rassemblé
les injures les plus sonores qu'il a trouvées dans les écrits
d'Horace, d'Ovide, de Plaute, de Juvénal, de Lucain, etc.
Il lui dit qu'il ne se croit plus malheureux, puisqu'il a pu lui
donner de la jalousie, ce qui doit faire son tourment. Cet intri-
gant lui ayant déjà fait perdre deux prébendes et une pré-
vôté de l'église de Chartres, il lui prédit qu'il sera humilié
à son tour, comme les Siciliens furent punis, non pour
l'avoir privé de bénéfices , mais pour avoir voulu lui en pro-
Tome XF. C c c
Xn SIECLE.
386 PIERRE DE BLOIS.
curer, afin de l'e'loigiier de la cour. L'auteur ne prend aucune
qualité dans cette lettre ; cependant elle doit être postérieure
à la lettre i3o à Jean de Salisburi, évêque de Chartres, tou-
chant la prévôté de cette église , à laquelle il prétendait avoir
des droits.
Epist. 79. La lettre ng est adressée à son cher ami R. Cet ami était
un philosopne très-renommé, qui, dès son enfance, se per-
mettait des plaisanteries sur le mariage et des sarcasmes
contre les femmes. Cet homme, quoique ordonné diacre,
venait de se marier, et les femmes riaient beaucoup de le
voir pris dans leurs filets. Notre auteur, dans sa lettre, a
recueilli tout ce qui a été dit par les anciens contre le ma-
riage en général , sachant bien que cela n'a pas dégoûté le
monde de se marier. Mais prenant ensuite le ton sérieux,
il représente à son ami qu'ayant violé les lois de l'église , il
s'est jeté dans un embarras inextricable; « car, dit-il, si votre
«intention a été de faire casser votre mariage après l'avoir
«consommé, vous déshonorez votre épouse et la famille à
«laquelle elle appartient; si vous la gardez, vous perdez toute
«considération, et vous êtes déshonoré pour toujours. »
Epist. 80, Un de ses amis, qui avait embrassé la vie religieuse, vou-
' lait sortir du cloître, sous prétexte qu'il était jalousé par
ses confrères. Bien loin de vous en affliger, lui dit-il, lettre
80, vous devriez vous en glorifier, puisque l'envie ne s'at-
tache qu'au mérite. Il lui prouve que la jalousie est un tour-
ment, non pour celui qui en est 1 objet, mais pour celui qui
l'a conçue. Je crains bien, ajoute-t-il, que vous ne cherchiez
à pallier le dégoût de votre état par ce vain prétexte.
Episi. 85. Dans la lettre 85, il fait un grand détail des maux qui
assiègent les grands mangeurs, et des avantages qui résul-
tent d'une vie sobre, pour corriger de sa gourmandise quel-
qu'un qu'il appelle Ji. de Salisburi. Quoiqu'en dise Dupin,
ce quidam n'était point évêque de Salisburi, la lettre R. ne
pouvant s'appliquer à aucun des évêques qui remplirent ce
siège pendant la seconde moitié du XII siècle; mais ce
pouvait être quelque dignitaire de cette église.
Epist. 100. Un anonyme, que Pierre de Biois appelle son seigneur et
son ami, accusait de mollesse et de pusillanimité mi évêque
nouvellement installé, parce qu'il mettait beaucoup de dou-
ceur dans son gouvernement. Pierre, dans la lettre 100,
prend la défense du prélat, et prouve avec quels ménage-
mens il faut parler aux princes, sur-tout lorsqu'il s'agit de
XII SIECLE.
PIERRE DE BLOIS. 387
reformer leuf conduite. L'éditeur pense que ce pre'Iat était
l'archevêque de Cantorbéri, Richard , mort l'an 1 183. Nous
croyons, nous, qu'il s'agit ici, comme dans la lettre 38, de
Baudouin, successeur de Richard , dont la modération était
si connue, que le pape Urbain III, dans l'adresse d'une de
ses lettres, le qualifiait Monacho fen'entissimo, abbati calido,
episcopo tepido , archiepiscopo remisso , salutem, etc.
Ayant été dépouillé de l'archidiaconé de Bat'h au moyen Epist. 149.
d'une accusation grave portée contre lui en cour de Rome,
Pierre écrivit la lettre i4.9 à deux amis qu'on ne désigne
que par les lettres I. et P. C'étaient peut-être deux cardi-
naux, car la lettre n'a pas la suscriptidn qui devait contenir
leurs qualités. Dans cette lettre, l'auteur déplore amèrement
l'affront qu'il venait de recevoir; il expose qu'il lui est bien
dur de se voir traité de la sorte, après avoir été comblé
de bienfaits par le roi Henri et ses enfans, honoré des pré-
lats et des grands du royaume, estimé de toute la nation
anglaise, a Au bout de ma carrière, dit-il, lorsque je devais
« jouir du fruit de mes travaux , je me vois chasse par un
«jeune homme; valétudinaire et sans méfiance, par un am-
«bitieux; paisible et sans reproche, par un intrigant, qui,
«en me chargeant d'un crime honteux, a obtenu, sur un
«faux exposé, des lettres papales. Je ne puis vous en dire
« davantage, tant la douleur me suffoque; mais le porteur de
«ma lettre vous expliquera toute l'afiaire. » Est-ce de l'é- '
vêque Savari qu'il se plaint, comme on pourrait le croire
en lisant la lettre 18, ou du jeune homme qui avait impétré
son archidiaconé 't' C'est ce que nous n'osons décider.
La lettre 160 ne porte ni titre ni adresse. Dans cette lettre, Epist. 160.
écrite, à ce {(u'il paraît, à un évêque à qui l'auteur donne le
titre de majesté, il se plaint d'un maître G., qu'il croyait
son ami le plus intime, et qui ne cessait de le décrier. Si
cette lettre est de notre auteur, on pourrait croire qu'il
s'agit ici dé Gérard Pucelle, à qui est adressée la lettre 72, Suprà, p. 385.
pleine de reproches sur les mauvais services que ce prétendu
ami lui avait rendus. Dans cette supposition, le prélat dont
l'auteur réclame l'intervention pour le réconcilier avec son
ami, pourrait être ou Guillaume, archevêque de Sens, ou
Jean de Salisburi, évêque de Chartres. Mais la lettre est in-
forme, et paraît n'être qu'un croquis dans lequel l'auteur
avait écrit quelques pensées incohérentes.
Quoique dans la lettre 162 à un ami intime, l'auteur se Epist. 162.
CCC2
\II SIECLE.
388 PIERRE DE BLOIS.
plaigne, comme fait souvent Pierre de Blois, de son e'ioigne-
ment de son pays natal, et qu'il parle de ses occupations à
la cour, il est douteux que cette lettre soit de lui. Il ne de-
sire, dit-il, de retourner dans sa patrie que pour avoir le
plaisir de le voir, et cependant il lui recommande de faire
Conduire à Londres l'exprès qu'il lui envoie. C'était donc un
Anglais éloigne de son pays qui écrivait à un Anglais.
Epist. 164. Un de ses collègues et amis accusait d'une excessive in-
dulgence l'archevêque de Cantorbéri, parce qu'à la prière
du roi, ce prélat avait rétabli dans ses fonctions un prêtre
coupable, qui, ayant profité du châtiment qu'on lui avait
infligé, s'était corrigé. Pierre, dans la lettre i64, prend la
défense du prélat, et prouve qu'eu usant de miséricorde
envers les pécheurs qui se corrigent , on ne fait qu'imiter la
conduite du père céleste. Si ce prélat, qui n'est pas nommé,
est, comme on peut le croire, l'archevêque Baudouin, notre
auteur avait déjà pris sa défense sur une accusation du même
Suprà, p. 386. genre dans la lettre 100. Ce prélat fut en butte à beaucoup
de contradictions de la part des moines de Cantorbéri,
parce qu'il était le premier de son ordre parvenu à cette
éminente dignité.
Epist. 47. Lettres de Pierre de Blois , écrites au nom d'autres per-
sonnes. Il y en a sept portant le nom de Richard, archevêque
de Cantorbéri. La 47* , à Henri au Court-mantel , fils de Henri
II , roi d'Angleterre , faisant la guerre à son père, est une fort
belle exhortation à ce jeune prince , dans laquelle le prélat
lui met sous les yeux tous les motifs qui doivent le déter-
miner à poser les armes, et à se réconcilier au plutôt avec
l'auteur cle ses jours; « Si dans quinze jours, lui-dit-il, vous
« ne venez à résipiscence, sachez que j'ai ordre du souverain
« pontife de lancer contre vous , et contre ceux qui- fomen-
« tent voti-e révolte , la sentence d'excommunication qui aura
« son effet malgré toute appellation. » L'éditeur rapporte cette
lettre à l'an 1 1^4; mais comme il y est parlé des Brabançons,
que le jeune prince avait pris à sa solde, elle doit être de
1 année 1 182, ou du commencement de la suivante, époque
de sa seconde rébellion.
Epist. 53. La 53e, écrite au nom de Richard, à tous les évêques de sa
province, a deux objets: le premier concerne certains évêques
ambulans qui, sans avoir reçu l'imposition des mains, al-
laient exerçant les fonctions épiscopales en divers lieux du
royaume, se donnant les uns pour des évêques d'Irlande, les
XTT SIECLE.
PIERRE DE BLOIS. 389
autres pour des e'véques en Ecosse , trompant les peuples en
balbutiant ie langage de ces pays-là. Le prélat détend à ses
collègues de permettre à ces vagabonds d'exercer aucune
fonction , à moins qu'ils n'administrent la preuve de leur
ordination. Le second objet roule sur une troupe de faus-
saires qui, falsifiant les bulles du pape et les sceaux des
évéques, fournissaient matière à opprimer des innocens, et
à troubler les possessions les mieux assurées. L'archevêque
enjoint de déclarer, tous les dimanches, ces sortes de gens
excommuniés.
Dans la lettre 68 , l'archevêque de Cantorbéri rend compte Epist. 68.
au pape d'un procès qui s'était élevé entre l'évêqne de Salis-
buri et l'abbé de Malmesburi lequel, se prétendant exempt de
la juridiction de l'ordinaire, s'était fait oénir par l'évêque de
Landalf. Après avoir exposé l'affaire dans toutes ses circons-
tances, le prélat qui venait de perdre un procès semblable
contre l'abbaye de Saint- Augustin de Cantorbéri, se déclare
contre les exemptions en elles-mêmes, et, à l'imitation de
saint Bernard, il applique au pape la parabole de Nathan à
David touchant le meurtre d'Urie. « Quel est, dit-il, ce riche
« ayant des brebis sans nombre, sinon le pontife romain, lui
« qui possède toutes les églises du monde ? Et quoi de plus
« pauvre que l'église de Cantorbéri qui , n'ayant qu'une seule
« abbaye qu'elle nourrissait dans sa charité paternelle, se la
« voit enlever par ce riche de la parabole, pour ne pas dire
«le pape qui veut se l'approprier.-'... Je sais, à la vérité, que
« souvent la tyrannie des évêques a porté les pontifes romains
« à dormer aux monastères ces sortes d'exemptions, pour
« assurer par -là leur tranquillité; mais le contraire est arrivé,
(c Les monastères qui ont acquis la grâce de cette funeste
«liberté, soit par tautorité apostolique, soit, comme cela
« est arrivé plus souvent , par des bulles supposées , sont tom-
«bés dans les plus grands désordres;... car la malice artifi-
ce cieuse des faussaires s'est déchaînée contre les droits de
« l'épiscopat au point que la fausseté prévaut dans les titres
(c d'exemption de presque tous les monastères. »
Telle est la substance de cette lettre trop souvent citée
dans les tribunaux. Quoi qu'il n'y ait plus aujourd'hui parmi
nous ni exemptions ni monastères, nous nous permettrons
quelques observations sur cette lettre, pour venger au moins
1 honneur des archives monastiques formant aujourd'hui
des dépôts publics.
390 PIERRE DE BLOIS.
L'auteur, dont le caractère porté à l'exagération est bien
connu, met dans la bouche de l'abbé de Malmesburi, sor-
tant de l'audience archiépiscopale , ce propos indiscret : « En
«vérité, les abbés n'ont point de cœur, et sont des miséra-
ables, de ne pas secouer entièrement le joug des évêques,
et tandis que pour une once d'or par an ils peuvent obtenir
«du saint-siége une pleine et entière indépendance. Files,
inquit , sunt abhates et miseri, qui potestatein cpiscopalem
non exterminant, ciim pro una auri uncia plenam à sede
Will. Thorn, apostoUca possint assequi lihertatem. Ce propos est calom-
nieux et absurde. 1° C'est une calomnie que le pape Alexandre
III réfute avec indignation dans la lettre qu'il écrivit au roi
d'Angleterre pour justifier sa conduite relativement à l'affaire
. de St. Augustin de Cantorbéri. 2° C'est une absurdité de dire ,
comme fait l'auteur, qu'on achetait ces sortes de privilèges,
et qu'ils étaient presque tous supposés. S'ils étaient supposés,
on ne les avait donc pas achetés de celui dont ils portaient
le nom. Quelle apparence, par exemple, que l'abbé de Mal-
mesburi eiît forgé ou fait fabriquer à son profit un faux titre ,
tandis qu'avec une once d'or il pouvait s'en procurer un
véritable ?
Ce que Pierre de Blois avance pour rendre suspect le titre
en question, n'est pas plus raisonnable.» Les lacs, dit-il,
« et fe sceau ont paru vicieux, et le style n'était pas conforme
Mabill. Ann. « à cclui de la chancellerie romaine. » Il fallait avoir envie de
î;î,'Ur^?^','^* chicaner pour prétendre qu'une bulle du pape Sereins, don-
ViU. Malbesb. , V /• Q ^ l}a ' i • f J -^ -I
née vers 1 an byJ , et ratifiée par le roi Ina , devait être en
tout conforme au style de la chancellerie romaine au XII*
Playd. t. VI, siècle. « Ce Pierre de Blois, dit le célèbre Cochin , était un
P- ^^^- « homme violent et emporté , qui déchirait sans ménagement
« tous ceux qui n'avaient pas l'avantage de lui plaire ; . . . .
a esprit violent, qui ne savait pas modérer sa plume; homme^
«que la passion dominait, et qui ne savait pas se contenir
"'^ « dans les bornes de la bienséance et de la vérité.... Il ne faut
«pas être surpris après cela si Pierre de Blois, écrivant pour
« l'archevêque de Cantorbéri , contre des moines qui se pré-
« tendait exempts, ménageait si peu les exemptions et les titres
« par lesquels elles étaient soutenues. »
Epist. 73. lia lettre y3 aux évêques de Winchester, de Ely, et de
Norwic, dont l'influence était grande à la cour du roi d'An-
gleterre, roule sur la juridiction ecclésiastique en matière cri-
minelle. Depuis le meurtre de saint Thomas de Cantorbéri , le
XII SIECLE.
PIERRE DE BLOIS. 391
clergé d'Angleterre était demeuré dans la paisible possession
de connaître seul des crimes commis par des clercs ou sur
des clercs. L'autorité civile, dans la crainte de se compro-
mettre une seconde fois avec la puissance ecclésiastique , lais-
sait à celle-ci le soin de punir les attentats où elle était inté-
ressée; et comme elle ne pouvait infliger que des peines cano-
niques, il arrivait de là que les clercs étaient plus exposés que
les laïques aux violences et aux assassinats, par la différence
même des châtimens qu'il y avait à redouter en attaquant
les uns et les autres. On ne tarda pas à sentir les inconvé-
niens des prétentions pour lesquelles on avait combattu avec
tant d'opiniâtreté. « Que notre ambition est mal entendue,
o dit par la plume de notre auteur l'archevêque de Cantorberi !
« nous enlevons au prince le droit qui lui appartient de punir
a de pareils attentats pour nous fattribuer exclusivement,
« sans faire attention que nous invitons en quelque sorte, ceux
« qui ne redoutent pas les excommunications, à nous égor-
« ger. Que l'église exerce donc sa juridiction , et si cela ne
« suffit pas, que le glaive du prince y supplée. Abandonnons
a au roi comme il le demande la punition de ces sortes de
« crimes; il importe à la sûreté de tous que ceux qui ne res-
te pectent ni l'église ni les canons , soient contenus par la
«crainte du glaive matériel.» Cette lettre fit son effet, et le
clergé d'Angleterre rendit enfin au roi cette juridiction cri-
minelle pour laquelle on avait mis peu auparavant le royaume
en combustion.
L'ordre de Cîteaux avait obtenu des souverains pontifes un Epist. 82.
privilège qui l'exemptait de payer la dixme des biens fonds
qu'il possédait, soit par achat soit par aumône. Ce privilège
exorbitant excita des murmures et des plaintes dans tous
les états catholiques. L'archevêque Richard , écrivant à l'abbé
et à la communauté de Cîteaux la lettre 82, entreprit de
prouver l'injustice de ce privilège, et notre auteur lui prêta
sa plume. Après un magnifique éloge du bon ordre qui
régnait dans leurs maisons et de l'austérité de leur vie. « ce
«vil intérêt, leur dit-il, vous déshonore dans le pubhc, et
« ternit la réputation de sainteté que votre vie pénitente vous
« avait méritée à juste titre. Pourquoi faut -il qu'en devenant •
« possesseurs de nouvelles terres vous portiez préjudice aux
« droits d'autrui ? car suivant le droit commun elles ont dû
« passer dans vos mains avec leurs charges. Vous avez , dites-
« vous , des privilèges : nous le savons bien , et nous ne dis-
XII SIECLE.
392 PIERRE DE BLOIS.
« putons point slir le fait du souverain pontife ; mais si le
a seigneur pape vous a privilégies par une indulgence spé-
« ciale, lorsque vous étiez dans la pauvreté, on a pu tolérer
« pendant un temps ce que la nécessité avait introffuit, quoi-
« que cela tournât au détriment d'autrui. Maintenant que vos
« possessions se sont accrues à un point qui étonne , on doit
«moins regarder ces privilèges comme des moyens de sanc-
« tification que comme des instrumens de la cupidité. Quel-
«ques grâces que Rome vous accorde, je ne crois pas que
« vous puissiez en conscience prendre le bien des autres. »
Le prélat entasse les raisonnemens pour leur prouver l'injus-
tice de leur privilège. De là il passe aux menaces, et finit
par leur annoncer que s'ils demeurent obstinés il excommu-
niera tous ceux qui leur donneront ou vendront quelques
fonds sujets à la dixme.
Epist. 84. Des plaintes ayant été portées à Rome contre trois évêques
d'Angleterre, Richard de Winchester, Geofroi de Hely, et
Jean de Norwic, sur ce que, admis aux conseils du roi, ils
négligeaient le soin de leurs diocèses , le pape Alexandre III
avait donné ordre à l'archevêque de Cantorbéri de remédier
à cet abus. Richard, dans la lettre 84 au pape, fait leur apo-
logie, et prouve en même temps qu'il est avantageux pour
l'église, et pour le bon gouvernement des états, qu'il y ait
dans les cours des princes des évêques assez en crédit pour
y faire le bien , et empêcher le mal que des intrigans ne
réussisent que trop souvent à faire prévaloir. On en voulait
à ces trois évêques, parce qu'avant leur épiscopat et pendant
la querelle du roi avec sanit Thomas, ils s'étaient déclarés
les plus grands adversaires du saint, et c'est peut-être ce qui
leur avait valu le grand crédit dont ils jouissaient à la cour.
Epist. 88. Richard , dans la lettre 88, écrit à l'abbé de Theokesburi en
faveur d'un religieux qui , étant sorti du cloître , desirait y
rentrer pour faire pénitence.
Parmi les lettres de Pierre de Blois nous en trouvons trois
écrites au nom de Baudouin , archevêque de Cantorbéri , suc-
Fpist. 96. cesseur de Richard. Dans la lettre 96, au chapitre général de
l'ordre de cîteaux, le prélat, dont elle porte le nom, est dési-
gné par la lettre R. nous pensons que c'est une erreur de
copiste, et qu'il faut y substituer la lettre B. En efïèt, le
prélat nouvellement élu archevêque de Cantorbéri se recom-
mande aux prières de ses anciens confrères , et regrette de
de ne pouvoir se rendre au milieu d'eux. Or cela ne peut
XII SIECLE.
PIERRE DE BLOIS. SgS
convenir à l'archevêque Richard qui était bénédictin , prieur
de Douvres à l'époque de sa nomination, et convient par-
faitement à Baudouin qui était cistercien , abbé de Forden
en Devonshire, lorsqu'il fut fait évêque de Worchester l'an
I i8i , d'où il passa àl'archevêché de Cantorbéri l'an 1 184.
L'an 1 185, une députation envoyée par le roi de Jérusa- EpUt. 98.
lem, composée du patriarche Héraclius et du grand maître
des hospitaliers, arriva en Angleterre pour demander des
secours contre les armes de Saladin déjà maître de presque
toute la Syrie. L'archevêque Baudouin emprunta la plume
de notre auteur pour écrire aux évêques ses suffragans la
lettre 98 , dans laquelle , après avoir exposé la triste situation
des chrétiens de la Terre - Sainte , et les dangers qui mena-
çaient la cité de Jérusalem, il recommande de lever dans
les diocèses la collecte ordonnée par le roi , du consentement
du clergé , des comtes , et des barons.
La lettre 99 , écrite la même année ou la suivante au pape Epîst. 99.
Urbain III au nom de Baudouin, a pour objet de le féliciter
sur son élévation au suprême pontificat, et de le remercier
en même temps d'une grâce que le nouveau pontife venait
de lui accorder, grâce que l'auteur ne spécifie pas. Nou? pen-
sons que cela doit s'entendre de la permission que le prélat
avait obtenue de bâtir une chapelle au voisinage de l'église
de Cantorbéri pour y placer des chanoines, entreprise qui
donna lieu à un long procès entre les moines et l'archevêque,
pour lequel notre auteui- se donna tant de mouvemens et dut
composer bien des écritures; mais qui lui réussit si mal qu'il
n'a eu garde de les rendre pubUques. Sur quoi l'on peut voir
ce qu'en dit Gervais de Cantorbjfri à la page 1498*^.
Il n'est pas aisé de bien comprendre la lettre 12a, écrite Epist. n-.
à Guillaume de Champagne, archevêque de Reims, par notre
auteur au nom de Hubert archevêque de Cantorbéri , soit à
raison de l'incorrection du texte, soit à cause des réticences
affectées de l'auteur. On y voit que quelqu'un qui n'est pas
nommé, mais que fauteur, parlant à l'archevêque de Reims,
appelleyra^er illevester, avait dénigré celui de Cantorbéri,
l'homme de l'Angleterre le plus puissant après le roi. Com-
ment interT^réter \ef rater ille vester P l'archevêque Guillaume
n'avait à cette époque aucun frère vivant. Cette difficulté a
disparu à l'aide du plus ancien manuscrit de la bibliothèque
royale (le n° 38 parmi ceux de saint Victor) portant /m-
ter ille noster. Ainsi ce quidam était un évêque tout comme
Tome XV. D d d
XII SIECLE.
394 PIERRE DE BLOIS.
eux. Mais quel était-il cet évêque ? voici le portrait qu'en fait
l'auteur: a Vous n'igjnorez pas, dit-il, que les prédécesseurs de
«cet homme dans le siège qu'il occupe, héritiers pour ainsi
a dire d'une haine invétérée, ont de tout temps suscité des
«procès à l'église de Cantorbéri, et lui-même, depuis sa
«promotion, n'a pas cessé un moment de travailler a notre
«avilissement... Nous coimaissons son caractère turbulent, et
« vous-même vous ïie tarderez pas à le connaître par ses
« procédés. Dieu sait que je suis touché d'une compassion
«fraternelle à la vue des vexations qu'il éprouve, et que je
> « me serais empressé de venir à son secours , s'il eiit voulu
« écouter et suivre mes conseils, s'il savait se conduire avec
« modération, en un mot si l'adversité l'eut rendu plus sage. »
Ce portrait ne peut convenir, selon nous, qu'a Geofroi,
fils naturel du roi Henri II , qui fut fait archevê(jue d'Yorck
H. Hoved. ]'an 1 189, et eut de grands démêlés avec le roi Richard, son
*■ ' ■ frère, pendant les années 1196 et 1196. Au reste l'arche-
vêque Hubert dans cette lettre fait un grand éloge de celui
de Reims, lui témoignant sa reconnaissance des secours
qu'il avait procurés jadis à saint Thomas son prédécesseur,
et de la part très-active qu'il avait toujours eue dans les
traités de paix cimentés entre les rois de France et d'Angle-
terre.
Epist. i35. Le chapitre de Salisburi voulant forcer à la résidence un
clerc nommé Thomas de Esseben, ayant un emploi à la cour
du roi, le même prélat Hubert écrivant au doyen du cha-
f)itre la lettre 1 35 , fait l'énumération des clercs dispensés de
a résidence, savoir, les clercs employés au service du roi,
de l'archevêque, des écoles, les infirmes, les voyageurs, et
ceux dont les prébendes sont trop modiques pour obliger à
la résidence. En composant cette lettre Pierre de Blois plai-
dait sa propre cause, étant lui-même recherché pour un
canonicat qu'il possédait dans l'église de Salisburi , comme
SupM,p^366. nous l'avons dit plus haut en rendant compte de la lettre i33.
Epist. 28. Parmi les lettres de Rotrou, archevêque de Rouen, dont
Pierre de Blois fut le rédacteur , la 20* à Guillaume de
Chamj}agne,archevêc|ue de Sens et légat du Saint- Siège, fut
écrite dans le temps que les rois de France et d'Angleterre,
se faisant mie guerre a outrance sur les contins de lu Nor-
mandie, l'an 1 1^3 et 1 174,, le clergé de Rouen craignant la
dévastation pour ses domaines des Andelis, eut ncours à
la protection de l'archevêque de Sens, dont le crédit à la
XII SIECLE.
PIERRE DE BLOIS. 396
cour de France était grand, le priant de repre'senter au
monarque français que l'église de Rouen étant sous sa domi-
nation , il ne devait pas dévaster un bien qui lui appartenait,
qu'il devait au contraire en être le défenseur. La lettre est
remplie d'éloges vrais et bien tournés des belles qualités du
jeune prélat.
C'était pour appuyer les demandes prématurées du jeune EpUt. 35.
roi d'Angleteire , fils de Henri II, qu'on faisait la guerre au
père. Rotrou écrivit aussi au jeune prince la lettre 33, dans
laquelle il lui représente pathétiquement l'énormité de sa
rébellion et le tort qu'il se faisait a lui-même en aidant les
ennemis de son père à ravager des provinces qui devaient
être un jour son patrimoine. L'auteur demande ici , comme
dans la lettre précédente , qu'au milieu des hostilités on
épargne au moins la terre des Andelis, sans laquelle le clergé
de Rouen aurait peine à vivre.
La lettre 1 54 , à la reine Éléonore , roule sur le même sujet. Epîst. i54.
Cette princesse s'était jointe à ses trois enfans pour molester
son mari, et soufflait le feu de la discorde. Rotrou après
l'avoir exhortée à rejoindre son mari, la menace de l'y con-
traindre par l'excommunication.
Le roi d'Angleterre, voulant détourner le roi Louis-le- Jeune EpUt. i5S.
de prendre parti pour ses enfans, députa vers lui l'archevêque
de Rouen et l'évêque de Lisieux. Ces prélats, après avoir rem-
f)li leur mission, écrivirent en commun au monarque anglais
a lettre i53, dont apparemment Pierre de Blois fut le rédac-
teur. Cette lettre , contenant les réponses du roi de France
aux demandes de celui d'Angleterre, est pour ainsi dire le
manifeste des griefs dont le monarque français avait à se
plaindre.
Pendant les troubles que la révolte des enfans de Henri II Epist. i55.
contre leur père, excitait dans la Normandie, Rotrou fut in-
vité par le prieur E. du monastère de la Charité, à aller chez
lui, comme il l'avait promis, jouir du repos de la solitude.
«A Dieu ne plaise, répond l'archevêque dans la lettre i55 ,
« que dans un temps de calamité publique j'abandonne mon
«troupeau. Ce n'est pas que je veuille faire la guerre; car
« des deux côtés , soit dans le roi de France , soit dans celui
« d'Angleterre , je reconnais mes maîtres, et j'ai voué fidélité
« à chacun d'eux ; mais je travaillerai à rétablir entre eux la
« paix , et je m'estimerai heureux de pouvoir l'obtenir au
« prix de ma vie. » L'éditeur pense que cette lettre fut adres-
Dd4
XII SIECLE.
396 PIERRE DE BLOIS.
see au-prieur de la Charitë-surJ^oire ; mais comme la lettre
initiale E. ne peut convenir à aucun des prieurs de ce mo-
nastère, le continuateur du recueil des historiens de France
avertit ( tom. XVI, pag. 632) qu'il existait en Angleterre un
prieuré de même nom.
Epist. 67. Ce fut vraisemblablement pour fixer à quelque chose Tin-
constance du jeune Henri, le jouet des intrigans qui 1 éga-
raient en de vains projets, que Rotrou, après que tout fut
rentre dans le devoir, suggéra au roi Henri II d'appliquer
aux Itttres son fils, quoique alors âgé de 20 ans. L'auteur,
dans la lettre 67, après un grand éloge de la science, prouve
combien elle est nécessaire à un prince pour bien gouverner
ses états ; et ce qui est fort adroit, il le prouve par l'exemple
même de celui à qui il écrit. «Nous avons vu, dit-il, par une
« heureuse expérience, les grands avantages qui ont résulté
« de la bonne instruction que vous avez reçue dans votre
« adolescence. Votre esprit plus cultivé que celui de la plu-
« part des autres monarques, a acquis la prévoyance néccs-
« saire dans une grande administration, une grande péné-
« tration pour ne rendre que des jugemens équitables, et
/ « cette circonspection qu'on admire en vous dans les conseils
« et dans les ordres qui en émanent. C'est pourquoi le voeu
« de tous les évêques est que vous appliquiez aux lettres
« votre fils qui doit nous gouverner après vous. Ce n'est que
«t dans les livres qu'on peut apprendre la manière de bien
« gouverner la chose publique, de faire la guerre, décamper
« avec avantage, de dresser des machines, d'élever des for-
te tifications, etc. Un roi sans lettres ressemble à un vaisseau
« sans rames ou à un oiseau sans ailes. »
Epist. 173. Dans la lettre 173, Rotrou écrivant aux évêques et aux
M abbés de sa province, les exhorte à envoyer des secours
pécuniaires au pape Alexandre III, qui, pour rentrer dans
Rome l'an ii65, avait été obligé de contracter des dettes
énormes. Il ne paraît pas que cette lettre ait été rédigée par
notre auteur, qui , à cette époque, n'était pas encore attaché
à l'archevêque de Rouen, ou était déjà passé en Sicile; on
n'y reconnaît pas non plus son style toujours nourri de cita-
tions.
Gautier de Coutance, archevêque de Rouen , employa aussi
quelquefois la plume de notre auteur pour écrire ses lettres.
Epist 83. Ce prélat , n'étant encore qu'archidiacre d'Oxford , écrivit ou
fit écrire par notre auteur la lettre 83 à Barthélemi , évêque
XII SIECLE.
PIERRE DE BLOIS. 397
d'Excester, pour le presser , comme délégué du pape , de dis-
soudre, à cause de parenté, le mariage d'un de ses neveux
nommé Robert, prétendant que la procédure ne laissait rien
à désirer, et que l'honneur de la famille exigeait que la
séparation fût prononcée sans délai.
La lettre 64, au pape Célestin III , au nom de l'archevêque %"»• 64
Gautier et des evêques de Normandie, est relative à la déten-
tion du roi Richaril arrêté prisonnier par le duc d'Autriche.
Ces prélats font valoir auprès du pape le privilège accordé
aux croisés d'être sous la protection immédiate du souverain
pontife , afin que, déployant toute l'autorité dont il est revêtu ,
il force le duc, par les censures ecclésiastiques , à relâcher le
prisonnier.
Ce ne fut pas la seule lettre que Pierre de Blois écrivit sur
cet événement. Nous avons déjà parlé de la i43<' qu'il écrivit Supràp. 349.
en son nom à Conrad , archevêque de Mayence. Les lettres
i44<) 145, i46, sont écrites au nom de la reine Eléonore,
mère de Richard, au pape Célestin III. Tout ce qu'on peut
dire de plus fort et de plus pressant pour déterminer le pon- Epist. 144.
tife à secourir le prince captif, est mis en œuvre dans la lettre
i44) aux prières, aux exhortations, la reine mêle les plus
vifs reproches sur l'inaction oix le saint-siége avait été jus-
qu'alors dans une affaine de cette importance.
« C'est un grand sujet d'artliction pour l'église, dit-elle, de
« scandale pour le peuple, d'étonnement pour tous ; c'est en
« même temps une tache considérable à votre réputation, que
« dans un si grand péril, ni les larmes, ni les prières des pro-
« vinces, n'aient encore pu vous engager à envoyer un nonce
« à ces perGdes tyrans ( l'empereur Henri VI , et Léopold ,
«c duc d Autriche ). Qui peut, ajoute -t-elle, ne pas accuser
<c ici de partialité votre conduite ? souvent pour des objets
« de peu de conséquence, vos cardinaux vont en grand cor-
«tége et avec de pleins pouvoirs exercer les fonctions de
« légat dans des pays barbares , tandis que pour une cause si
« grave , si déplorable , qui intéresse tant de monde , vous
« n'avez pas daigné dépêcher un sous -diacre ou bien un aco-
« lyte.... Certes vous n'eussiez pas beaucoup compromis la
« dignité du siège apostolique si , pour la délivrance d'un si
«gtand prince, vous fussiez descendu en personne dans
« la Germanie, etc. » D. Martène a reproduit cette lettre au
tome l" du Trésor des Anecdoctes , col. 689, trompé par la
Élusse suscription qu'elle portait dans le manuscrit dont il
3q8 pierre de BLOIS.
' "■ s'est servi : Reverendo patri et domino Cœlestino , dei gratiâ
summo pontifici, B. divinâ permissione Turonensis archi-
episcopus , salutem et misericordlœ reminisci. Quelle appa-
rence qu'un archevêque de Tours eût osé écrire au pape
avec autant de liberté! un pareil langage n'était tolérable
que dans la bouche d'une reine et d'une mère plongée dans
1 affliction la plus amère.
Epist. liiSet Les lettres i45 et i46 au pape Célestin contiennent les
'* ■ mêmes reproches, quoique l'auteur y ait pris le ton plaintif.
« Sont-ce là, dit-elle, les promesses que vous me fites à
« Châteauroux avec de si grandes démonstrations de zèle et
a d'attachement? Hœccine promissio illa est quant nobis apud
« Castrum Radulfi cum tantâ dilectionis et fidei protestatione
«Jecistis P » On aurait tort de conclure de ce texte que le
pape Célestin aurait fait un voyage en France. La reine Eléo-
nore rappelle seulement ce qui s'était passé à Châteauroux
l'an 1 162, lorsque le roi son mari était allé avec elle trouver
le pape Alexandre III, à la suite duquel était le cardinal Hya-
cinthe Bobo, le même qui remplissait alors le siège aposto-
lique sous le nom de Célestin III. Elle avait d'autant plus de
raison de rappeler ce fait, et d'en exiger la reconnaissance,
^ que l'objet de leur visite était de se joindre au pontife, contre
lequel le roi de France avait pris des engagemens avec l'em-
pereur Frédéric Barberousse.
Kpist. 6a. Pierre de Blois écrivit au nom de Geofroi, fils naturel du
roi Henri II, élu évêque de Lincoln, la lettre 62 à maître R.
surnommé Blondus. Ce docteur, après avoir été attaché au
service de Geofroi , et pourvu par lui d'un bénéfice , l'avait
quitté pour s'attacher a un abbé qui n'est pas nommé. C'é-
tait apparemment l'abbé de Saint- Augustin de Cautorbéri ;
car le prélat lui recommande de ne pas se mêler du procès
que cet abbé avait à soutenir contre l archevêque. Quoi qu'il
en soit, Geofroi lui reproche de lui avoir écrit une lettre
peu respectueuse, et de former des projets d'ambition , disant
qu'il voulait se consacrer au barreau , tantôt à Paris, tantôt
à Bologne, puis à Lincoln ou à Oxford. Cette lettre doit
avoir été écrite vers l'an 1176, temps oîi l'abbé de Saint-
Augustin était en procès avec l'archevêque de Cantorbéri.
Epist. i36. Dans la lettre 106 au pape Alexandre 111, le roi d'Angle-
terre Henri II, s'exprimant par la plume de notreauteur,
lui annonce la révolte de ses enfans, et le prie de venir à
son secours eu employant contre eux et leurs complices les
XII SIECLE,
ï
PIERRE DE BLOIS. 899
foudres de l'église. « Je me jette à vos genoux, dit-il, pour
«vous demandei' conseil. Le royaume d'Angleterre est de
«votre juridiction, et quant au droit de vassalité, je ne re-
«lève que de vous : Vestrœ jurisdictionis est regnum Angliœ,
«et quantum ad feudatarii juris obligationem voùis dun-
a taxât obnoxius teneor.-» Il fallait qu'un roi si puissant fut
dans une grande détresse pour foire un tel aveu. Ce n'est
pas sur ce ton que Guillaume-le-Conquérant répondit autre-
fois au pape Grégoire VII. Hubertus iegatus tuus , religiose
pater , ad me veniens de tua parte , m.e admonuit quatenus
tibi et successoribus tais fidelUatem facerem^ , et de pecuniâ
quam, antecessores mei ad tx)Tna,nam. ecclesiam mittere sole-
bant, m.elihs cogitnrem. (Inum, adtnisi, alterum, non ad-
m.isi. Fidelitatem facere nolui, nec volo; quia nec ego pro-
misi, nec antecessores meos antecessoribus tuis id fecisse
comperio. (Baluzii miscel. t. VII, p. 127).
Il ne paraît pas que les lettres qui terminent la collec-
tion depuis la i65* jusqu'à la i83*, soient de notre auteur;
elles ne représentent ni son style, ni sa manière de penser;
elles sont anonymes et manquent dans les plus anciens ma-
nuscrits. Ce sont des lettres qu'on a recueillies pour servir
de modèles dans le genre épistoiaire : la plupart regardent
l'Italie et l'Espagne, et non la France ou l'Angleterre. S'il
suffisait, pour les attribuer & Pierre de Blois, de les ren-
contrer dans quelques manuscrits de ses lettres, nous pour-
rions y en ajouter encore un bon nombre d'après le manus-
crit 2607 de la bibliothèque royale. Cependant, comme
quelques-unes de ces lettres imprimées ne sont pas tout-à-
fait sans intérêt, nous en dirons un mot.
La i65*, écrite par Gui de Noyers, archevêque de Sens, Epist. i65,
au nom des évêqucs de sa province, à un pape dont le nom
est désigné par l;i lettre G, a pour objet de rendre témoi-
gnage aux botmes mœurs et au mérite de l'évêque de Laon,
qu'on ne nomme pas, contre lequel des accusations graves
avaient été portées au saint-siége, sans dire en quoi elles
cotisistaient. Cet évêcpe n'est autre que Roger de Rosoi,
3ui, n'ayant pu obtenir du roi Louis-le-Jeune la dissolution
e la commune de Laon, entreprit de la dissiper à main
armée : il y eut un combat livré l'an 1178, où, avec l'aide
de ses parens et alliés, l'évêque fit un carnage affreux des
membres de la commune. Le roi ayant levé une armée pour
punir cet attentat, il fut fait un accommodement avaiit qu'on
XII SIECLE.
4oo PIERRE DE BLOIS.
en vînt aux mains; mais il ne fut pas si aisé de justifier à
Rome le prélat du sang qu'il avait répandu ou fait répandre.
Ce ne fut qu'en affirmant par serment qu'il n'avait tué per-
sonne de sa propre main, qu'il put rentrer en grâce avec le
saint-siége l'an 1179. Tel est le récit des historiens Gilbert
de Mons et l'anonyme de Laon. D'après cela, nous pensons
que c'est mal-à-propos que dans le texte le pape est désigné
par la lettre G. qui indiquei'ait le pape Grégoire VIII, et
qu'il faut y substituer la lettre A. c'est-à-dire, Alexandre,
à moins qu'il ne s'agisse d'une autre affaire dont les histo-
riens ne parlent pas.
Epist. 166. La lettre 166 anonyme contient aussi la justification de
Mainier, abbé de Saint -Floi'ent de Saumur, contre lequel
des plaintes avaient été portées à Rome. Il y avait alors
quatorze ans que Mainier était abbé; et, comme le com-
mencement de sa prélature date de l'an 1176, cette lettre
doit avoir été écrite l'an 1190.
Epist. 167. Dans la 167% les chrétiens de Jérusalem, pour témoigner
à la reine Eleonore la part qu'ils prenaient à la perte qu'elle
venait de faire du jeune roi Henri, son fils aîné, lui annon-
cent qu'ils ont fait célébrer pour lui un service, auquel ont
assiste les prélats et les barons du royaume avec le légat
du pape.
Les autres lettres sont presque toutes des éloges funèbres
ou des lettres de consolation relatives à des défunts qu'on
ne nomme pas : ce qui prouve, comme nous l'avons dit,
que ce ne sont que des modèles de lettres qu'on a voulu
conserver.
Si nous nous sommes un peu étendus sur les lettres de
Pierre de Bloiis , c'est qu'elles sont la partie la plus curieuse
de ses ouvrages, et la plus intéressante pour l'histoire. Le
grand nombre de manuscrits qui existent, prouvent le cas
qu'on en a toujours fait. Quoique le P. Busée et Goussain-
ville aient essayé d'en éclaircir le texte dans des notes fort
étendues, ils ont laissé bien des choses à expliquer; mais on
doit leur savoir gré d'avoir compulsé les manuscrits, et d'en
avoir recueilli les leçons- variantes. Pour nous, non-seule-
ment nous avons donné l'idée de chacune de ces pièces,
nous avons encore tâché d'en faire connaître l'occasion et
le motif, afin qu'à l'avenir on puisse les lire avec plus de
fruit. Nous serons plus sobres en rendant compte au reste
des écrits de notre auteur.
PIERRE DE BLOIS. 4oi
§ 2. SES SERMONS OU EXHORTATIONS.
Aux lettres de notre auteur succèdent, dans l'édition qui
nous sert de guide, ses sermons au nombre de soixante-
cinq, SOUS le titre à' Exhortations ou seimons prononcés dans
les synodes, dans les écoles , dans les monastères , et devant
le peuple. Ces sermons avaient déjà été imprimés, l'an iSig,
par Jacques Merlin, curé-archiprêtre de la Madeleine à
Paris; cependant le P. Busée, jésuite, qui apparemment ne
connaissait pas cette édition, trompé par des manuscrits
ayant pour titre Sermones magistri Pétri, publia dans la
sienne, de l'an 1600, au lieu des vrais sermons de Pierre de
Blois, ceux de Pierre-le-Mangeur. Mais il reconnut ensuite
sa méprise.
Ces sermons n'ont rien de bien remarquable, comme tant
d'autres de la même époque. La plupart sont sans ordre,
sans suite et sans dessein. L'auteur ne fait qu'efïleurer cer-
tains points de morale , dont aucun n'est traité à fond. On
y voit quantité d'explications mystiques de l'écriture-sainte
et d'allégories forcées, dont ses autres ouvrages ne sont pas
exempts, selon le goût du temps. Ce qui prouve le peu d es-
time qu'on en a toujours fait, c'est que les manuscrits en
sont si rares, que le dernier éditeur n'a pu s'en procurer
aucun. Pour cette raison, nous ne dirons qu'un mot du der-
nier, le plus long de tous, qui n'a été publié que dans l'édi-
tion de Goussainville. II fut prononcé devant le peuple, et
une note placée en tète nous apprend qu'il le fut en langue
vulgaire. Un ami ayant prié l'auteur de le traduire en latin,
celui-ci y consentit, mais à condition que cet ami n'en ferait
usage que pour lui, ou qu'il le brûlerait après l'avoir lu.
Cependant c'est la traduction qui existe, et l'original est
f)erdu. L'objet de ce sermon est de recommander à tout
e monde la lecture de l'écriture-sainte, comme un moyen
d'accomplir exactement la loi de Dieu : ce qui suppose qu'il
y en avait dès- lors des traductions en langue vulgaire, et
que les exemplaires en étaient assez communs.
§ 3. LES TRAITAS OU OPUSCULES.
A'
Après les sermons viennent les traités ou opuscules au
nombre de dix-sept, et forment la troisième partie de ses
œuvres.
Tome XV. Eee
XII SIECLE.
4oà PIERRE DE BLOIS.
\ L Le premier, sur la transfiguration de Notrc-Seigneur, res-
p. 400-404. semble plus à une exhortation qu'à un traite. Aussi Merlin,
premier éditeur de Pierre de Blois, l'avait-il rangé dans la
classe des sermons. Cet écrit fut composé à la demande
d'un évêque d'Arras, désigné par la lettre F., à qui l'auteur
l'adresse. Le nom de cet évêque était Frumoldus ou Fru-
maldus , mort l'an ii83.
p. 404-407. Le second traité, dont l'objet est la conversion de saint
Paul, est du même genre, et se trouve aussi parmi les ser-
mons dans l'édition de Merlin.
p. 407, 4a4. Le 3e a pour titre : Abrégé sur Job, Compendium in Joh.
C'est une explication des deux premiers chapitres du livre
de Job, adressée au roi d'Angleterre Henri II, par une
épître dédicatoire oii l'auteur prend la qualité d'archidiacre
de Bath. Ce prince avait demandé cet ouvrage à Pierre de
Blois , en lui recommandant d'y insérer les endroits de la
vie du saint homme les plus propres à inspirer la patience.
Passant ensuite au dernier chapitre du livre, où Jod reçoit,
dès ce monde même, la récompense de ses souffrances, l'au-
teur exhorte le prince à se détacher de toute affection aux
biens périssables, afin de ne pas perdre le fruit de ses bonnes
œuvres journalières, dont il fait le dénombrement.
p. 425-43». Des brouilleries survenues entre le roi de France et celui
d'Angletei're depuis qu'ils avaient pris la croix, retardaient
le départ des croisés pour la Terre -Sainte. Pierre, dans le
quatrième opuscule ayant pour titre De Jerosolymitanâ père-
grinatione accelerandâ , blâme avec force les princes qui,
pour des intérêts particuliers, négligeaient d'accomplir leurs
vœux, leur reprochant sans ménagement les guerres qu'ils
se faisaient mutuellement, au lieu d'aller secourir la Terre-
Sainte pour laquelle ils levaient un décime extraordinaire.
Le ton d'autorité avec lequel il parle dans cet écrit, nous
fait douter qu'il l'ait publié en son nom ; il faut croire qu'il
avait prêté sa plume a quelque prélat d'un siège éminent,
car l'ouvrage est vraiment de lui.
i\ 431-435. Nous ne pouvons pas assurer la même chose du traité sui-
vant, qui a pour titre Instructio fidei, adressé par le pape
Alexandre III au Soudan de Coni. Il est bien vrai que Pierre
de Blois compte parmi ses écrits une Assertio fidei; mais ce
dernier ouvrage est-il le même que \ Instruction sur la foi,
placée par l'éditeur parmi ceux de notre auteur, comme si
Assertion ou Instruction de la Joi n'étaient que deux titres
\
PIERRE DE BLOIS. 4o3
diffërens d'un seul et même ouvrage? C'est ce qu'on peut
révoquer en doute. Il est certain, par le témoignage même
de notre auteur, que le livre de \ Assertion de la foi fut
composé postérieurement aux traités du voyage de Jérusa-
lem, dont on vient de parler, et des Prestiges de la fortune,
dont nous parlerons bientôt (i). Or ces deux opuscules sont
postérieurs à l'année 1 187. Comment donc le pape Alexan-
dre m, mort l'an 1181, aurait -il pu mettre son nom à la
tête de l'ouvrage de Pierre de Blois? Ajoutons que Mathieu
Paris, à qui nous devons la conservation de la lettre du pape
Alexandre au soudan d'/coniuni, imprimée aussi au tome X
des conciles du P. Labbe, col. I2i3, rapporte cette lettre à
l'année ii6g, et concluons que Goussainville a confondu
mal-à-propbs ces deux ouvrages, et que vraisemblablement
celui de Pierre de Blois est perdu.
Après cet éclaircissement nous dirons un mot de Y Instruc-
tion de la foi ou sur la foi. Le but de cet ouvrage est
d'instruire le prince musulman des dogmes de la religion
chrétienne qu'il avait témoigné vouloir embrasser par une
lettre au pape Alexandre III. Ce soudan avait déjà lu quel-
ques livres de l'Ancien et du Nouveau -Testament, et de-
mandait quelqu'un qui pût l'instruire plus amplement de
vive voix. Le pape lui envoya sans doute le catéchiste qu'il
desirait, avec l'instruction qui nous occupe. Celle-ci roule
uniquement sur les mystères de la Trinité et de l'Incarna-
tion. Matthieu Paris dit que les soins du pape eurent leur
effet, et que le soudan re^ut en secret le baptême; mais on
n'a point d'autre assurance de ce fait.
Le sixième opuscule, adressé à un évêque qu'on ne
nomme pas, est intitulé De la confession sacramentelle. L'au-
teur, y considérant la confes.sion comme la troisième partie
du sacrement de pénitence, s'applique à en faire voir la
nécessité, les conditions et les effets. Il veut que l'on con-
fesse en détail tous les péchés mortels_avec l'occasion, le lieu,
le temps, la manière , et toutes les circonstances aggravantes.
(i) /« tractatu meo de Jerosolymitanà peregrinatione ; in lihro meo de
Praestigils fortunae, et in opère meo novcUo de Assertione fidei ,... regein
vestruni et alios terrce magnâtes , ubi materia se offert , plenâ libcrtate
redarguo. Ces paroles tirées de la réponse de notre auteur à l'anoiiynie
qui avait critiqué ses ouvrages, prouvent certainement que l'Assertion de
la foi fut compo.sée postérieurement au traité du Voyage de Jérusalem ,
par conséquent après 1 187.
Eeea
XII SIECLJi.
XII SIECLE.
4o4 PIERRE DE BLOIS.
Il prouve assez au long qu'une pénitence suivie de rechûtes
est ordinairement fausse.
p. /,44-A47- Le titre du septième opuscule est de la pénitence ou de
la satisfaction que le prêtre doit imposer au pénitent. Il est
adressé en forme de lettre à un abbé qui usait sur ce point
d'une rigueur excessive envers ses religieux. Le but de l'au-
teur est de porter ce supérieur à mettre plus de discrétion ,
de prudence et de charité dans sa conduite.
P. 447-445. Jean de Coutance, doyen de l'église de Rouen, ayant été
fait évéque de Worchester l'an 1x96, Pierre de Blois , qui
était son ami , lui éciùvit un petit traité en forme de lettre
sur l'institution d'un évêque, de institutione episcopi. Il lui
propose pour modèle Gautier de Coutance, son oncle, arche-
vêque de Rouen, dont il fait un très-bel éloge. Cet opuscule,
qui est le huitième, contient des vérités de pratique dans
un grand détail; les obligations d'un évêque y sont très-
bien développées : c'est un des meilleurs écrits que les bas
temps aient fournis sur ce sujet.
p. 455-462. Ui> anonyme, chanoine régulier, avait publié contre les
écrits de Pierre de Blois ime critique maligne, amère et pi-
quante, dans laquelle il mêlait des louanges pour lui faire
mieux avaler le poison. Il s'adressait mal. Notre auteur, dans
le neuvième opuscule, lui fît une réponse sanglante sous le
titre (Vim'ectà'e , où il lui rend avec usure les sarcasmes et
les injures dont son libelle était rempli. Sur ce que l'ano-
nyme l'accusait de flatter les grands dans ses éciits , il se
récrie à la calomnie, et cite ses écrits mêmes pour le réfuter.
«Je n'ai jamais été vendeur d'huile, dit-il. Dans mon abrégé
« sur Job, dans mes lettres, dans mes exhortations (ce sont ap-
« paremment ses sermons), dans mon dialogue au roi Henri
« (cet ouvrage ne nous est point connu d'ailleurs), dans mon
«traité du pèlerinage de Jérusalem, dans mon livre des illu-
«sions de la fortune, dans mon ouvrage touchant la certi-
« tude de la foi , de ^ssertione jidei (c'est celui que l'on
« confond avec l'in-stitution de la foi par le pape Alexandre
«III); dans mon livre de la perfidie des Juifs, dans ceux
«de la confession et de la pénitence, dans mon canon épis-
«copal (c'est l'instruction a un évêque sur les devoirs de
« l'épiscopat) : dans tous ces écrits et d'autres que j'ai com-
« posés, je reprends avec une entière liberté votre roi et tous
«les grands de la terre, quand l'occasion s'en présente; je
« leur dis des vérités utiles, et je leur remontre leurs devoirs
« avec les égards dus à leur rang. »
XII SIECLE.
PIERRE DE BLOIS. 4o5
Il rapporte ensuite quelques points de doctrine sur les-
quels 1 anonyme l'avait critiqué, comme d'avoir dit que la
voix des œuvres est plus puissante que celle de la parole;
de s'être mal explique sur la crainte, sur le mérite, sur la
grâce et le libre arbitre. Sur tout cela, notre auteur se jus-
tifie assez bien; mais il mêle tant d'aigreur, tant de fiel et
d'emportement à sa justification, qu'on ne peut s'empêcher
de dire que s'il a raison quant au fond, il pèche absolument
dans la forme. Cet opuscule fut composé après la mort du
roi Henri II, puisque l'auteur appelle un prince (iî heureuse
mémoire.
Le dixième opuscule contre la perfidie des Juifs fiit fait P. 462-496.
à la prière d'un ami qui se plaignait d'être environné d'hé-
rétiques et de juifs, avec lesquels il était souvent en dispute,
mais pas toujours en état de répondre à leurs argumens. Cet
ouvrage, distribué en trente-quatre chapitres, est un recueil
de passages de l'Ancien Testament les plus propres à éta-
blir la vérité de la religion chrétienne. Le XII® siècle n'a
peut-être rien produit de meilleur en ce genre, quoique la
pièce ne soit pas sans défauts. L'auteur eût bien fait de sup-
primer plusieurs allégories de son invention, qui ne prou-
vent rien. Il eût également pu se dispenser de citer les pères
de l'église contre les juifs. L'autorité de la sybille est encore
de trop dans son écrit. Il n'en est pas de même des témoi-
gnages qu'il emprunte des historiens juifs et des payens.
Celui de Joseplie touchant la personne de Jésus-Christ est
sur-tout remarquable, et l'assurance avec laquelle Pierre de
Blois le cite, montre que, de son temps, on n'avait aucun
doute sur l'authenticité de ce texte.
Le onzième traité, intitulé De l'amitié chrétienne et de la P- 49;- 55a.
charité envers Dieu et le prochain , est divisé en deux par-
ties. L'amit:é chrétienne est l'objet de la première, com-
posée de vingt-cinq chapitres. La charité envers Dieu et le
prochain occupe la seconde, qui en contient soixante-cinq.
Il y a de bonnes choses dans ce traité, mais il est trop plein
d'allégories arbitraires, de redites et de déclamations.
Ce traité a été attribué à Cassiodore, et se trouve parmi
ses œuvres au tome X,I de la giande bibliothèque des pères
de Lyon, page 1 326-1 '354, mais beaucoup moins correct
que dans l'éuition de Goussainville, et se trouve répété dans
la même bibliotlièque parmi les œuvres de Pierre de Blois
au tome XXIV, p. 1209-1242. '
XII SIECLE.
P. 553-563.
4o6 PIERRE DE BLOIS.
Dans le douzième opuscule, qui a pour titre De l'utilité
des tribulations , l'auteur expose tous les avantages qu'on peut
retirer de l'adversité.
Le titre Quales sunt , que porte le treizième opuscule, a
besoin d'explication pour être entendu. C'est une satire vio-
lente contre les èvêques d'Aquitaine en général, et en par-
ticulier contre les évêques de Saintes et de Limoges, qui
n'y sont pas nommés, composée dans la vue d'instruire le
roi d'Angleterre , leur souverain , de certains désordres qui
régnaient dans le gouvernement des églises de cette portion
de ses états. L'ouvrage est divisé en quatre parties. Dans la
•^*i>.- première partie on fait connaître quels sont ces prélats, et
c'est de cette partie que l'ouvrage est intitulé Quales sunt.
Dans les trois auti'es on montre quelles sont les personnes
qu'ils retiennent auprès d'eux , et auxquelles ils confèrent
les dignités ecclésiastiques, sans égard aux services des su-
jets les plus méritans. Ce sont, dit l'auteur, leurs neveux,
premiers, seconds, et jusqu'à l'infini, ce qui remplit la se-
conde partie. Les flatteurs sont l'objet de la troisième; la
quatrième est dirigée contre les brocanteurs de bénéfices.
Quoique l'animosité perce de toutes parts dans cette pièce,
et que les injures en forment, pour ainsi dire, le tissu, l'on
ne peut guère douter qu'elle ne renferme bien des vérités.
Il serait difficile en effet de s'imaginer que l'auteur n'eût fait
entrer que des calomnies contre des évêques vivans dans un
écrit destiné à faire connaître leur conduite au public et
au roi. L'orgueil, l'avarice, l'incapacité, la négligence dans
l'exercice de leurs fonctions, la simonie, sont les principaux
vices dont il les accuse. Nous ne le suivrons pas dans toutes
,fia-V(j les déclamations qu'il se permet sur ces objets; l'analyse en
serait plus propre a scandaliser nos lecteurs qu'à les instruire
et à les édifier. Nous nous bornerons à examiner si Pierre
de Blois est vraiment l'auteur de cet écrit, et si l'on peut,
avec quelque fondement, le lui attribuer.
Il est vrai qu'une note placée à la fin de l'ouvrage dans
le manuscrit dont il a été tiré, porte : Explicit liber qui inti-
tulatur QUALES SUNT, editus per venerabilem Petmm Ble-
sensem. Mais ces notes, étrangères au corps de l'ouvrage,
qui n'ont d'aigre garantie que l'opinion des copistes , ont
souvent induit en erreur. Voyons si celle-ci soutiendra l'exa-
men de la critique.
Nou3 observerons d'abord que Pierre de Blois, dans son
XII SIECLE.
PIERRE DE BLOIS. 407
neuvième opuscule, {iùsant l'enumération de ses écrits, pour
prouver à sou adversaire qu'il ne fut jamais un flatteur, ne
tait aucune mention de celui-ci, qui aurait certainement
prouvé plus que tous les autres qu il était |)ien éloigné de
mériter ce reproche. 2° L'auteur, dans cet ouvrage, pour
prouver qu'il n'a pris la plume ni par vengeance, ni par
quelque intérêt particulier, fait en peu de mots l'histoire de
sa vie, et rien de tout ce qu'il dit ne peut convenir à Pierre
de Blois. Il est bon de rapporter le texte même de l'auteur
pour ne pas l'altérer en le traduisant. De longe supplico, P- Sga, col. a.
dit-il, yOA? cœteris inagis quant pro me, cui divitias prœstat
exiliiim, delicias parât (parit) exterminiuni ; oui peregri-
jiatio felix , fertilis incolatus, felix priniœ felicitatis ohlwio ,
lenis austeritas , crudelitas Manda, didcis amaritudo , pa-
truni patrice niutatio jocunda ; oui transalpinam se dédit
in sociam gratia lœta cornes , quâ cunctis placui, cunctique <
mihi placuere. 1 talus enim risit, applausit Appulus , Siculus
obsecutus est, auxit Ilomanus honores. Pro cœteris itaque
rogo, quos apud seipsos exulare cogit dulcis in se patria ,
in patribus amara ; non pro me qui féliciter exulo.
Il est évident i" que l'auteur appelle l'Aquitaine sa patrie,
et que c'est en faveur de ses vertueux compatriotes, négligés
par les évèques, et comme exilés dans leur propre pays,
qu'il écrit : ce qui ne peut convenir à Pierre de Blois. 2° L'au-
teur, forcé de s'expatrier par les mauvais traitemens qu'il
éprouvait de la part des évèques, dit avoir trouvé au-delà
des Alpes et dans toute l'Italie, le bonheur, la considération,
et des avantages qui lui ont fait oublier ceux dont il jouis-
sait en-deçà des monts; il se félicite même d'avoir éprouvé,
à chaque mutation d'évêque de son diocèse, des tracasseries
qui l'avaient déterminé à s'expatrier. Tout cela , encore un
coup, peut -il convenir à Pierie de Blois .-^ Il est vrai que
Pierre de Blois avait aussi passé les Alpes, qu'il avait sé-
journé un an en Sicile; mais aurait-il avancé qu'il avait reçu
des applaudissemens dans la Pouille, que la Sicile lui était
dévouée, lui qui dit tant de mal de la Sicile et des Siciliens
dans la lettre 46 à Richard, évêque de Syracuse.!' Aurait -il
dit que Rome l'avait comblé d'honneurs, lui qui ne séjourna
jamais dans cette capitale du monde chrétien , et qui n'y fut
jamais revêtu d'aucune dignité.^ En un mot, l'auteur écrit
comme étant encore en Italie, de longe supplico , et Pierre
de Blois, depuis son retour de Sicile, a presque toujours été
4o8 PIERRE DE BLOIS.
1 à la suite du roi d'Angleterre. Au reste, l'ouvrage est si mal
écrit, qu'il est tout-à-fait indigne dé la plume de Pierre de
de Blois.
Si maintenant on nous demande qui donc en est l'auteur?
Nous croyons pouvoir satisfaire à cette question : c'est Guil-
laume de Tralîinac, prieur de Grandmont; c'est à lui qu'on
peut appliquer toutes les circonstances du récit que nous
Suprà, p. i4i. venons de rapporter, et voici nos preuves. Dans l'article que
nous avons consacré à ce prieur, nous avons dit que le pape
Clément III, pour rétablir la paix dans l'ordre de Grand-
mont et éteindre le schisme introduit par les frères lais en
créant un prieur de leur façon à la place de Guillaume , avait
cassé les deux prieurs et ordonné qu'on procédât canonique-
ment à l'élection d'un troisième qui fût agréable aux deux
partis. Guillaume, qui depuis vingt ans était en possession,
se croyant injustement déposé, fit, pour maintenir son
droit, le voyage de Rome, ou il mourut quelque temps après
avec la réputation d'un homme d'une sainteté reconnue.
C'est pendant ce qu'il appelle son exil qu'il composa contre
les évoques de Limoges et de Saintes, qui apparemment lui
étaient contraires, l'écrit intitulé Quales sunt, qu'il envoya
au roi d'Angleterre, dont il était connu et estimé, vraisem-
blablement par les mains de frère Pierre Bernardi, correc-
teur des Bons-Hommes de Vincennes, son ami, homme d'un
crédit extraordinaire à la cour de France et d'Angleterre. II
y a même apparence que celui-ci revit l'ouvrage; car, en com-
parant cet écrit avec la lettre qu'il adressa au roi Henri II
Mart.Anecd. après le meurtre de saint Thomas de Cantorbéri, on y re-
1. 1, col. 56i. connaît le même style. Si ces preuves ne sont pas destituées
de fondement, on peut avancer que l'évêque de Limoges,
dont il est parlé, était Saibrand de Chabot, et celui de
Saintes, Hélie, qui figurent dans le procès- verbal de l'in-
Mart. Ainpl. stallation du successeur de Guillaume; et, comme tous les
coUect. t. VI, ^vêques de la province y assistèrent, l'auteur les dénonce
»eqq. *°^'' tous en masse.
p. 595. Le quatorzième opuscule avait pour titre : Epistola aurea
de silentio servando. 11 n'en reste qu'un fragment très-couit.
ibid. Le quinzième est encore un fragment du livre des pres-
tiges ou illusions de la fortune , dans lequel il est parlé des
magiciens, des astrologues et des pythons. Ce traité, qui
n'existe plus, était un de ceux que l'auteur avait travaillés
avec plus de soin. Il en fait mention dans plusieurs de se»
XII SIECLE.
PIERRE DE BLOIS. 409
lettres, et sur-tout dans la 19* à un ami, qui lui avait de-
mandé à voir ce traité. Pierre lui répond qu'il ne peut en-
core le lui envoyer, parce qu'il a besoin d'être corrigé, limé,
f)oli , avant que de paraître au grand jour. C'est dans cette
ettre qu'il donne lui-même une idée de l'ouvrage. « Le prê-
te mier livre, dit -il, démontre suffisamment que ce qu'on
«nomme la fortune n'est rien ;' on y réfute l'opiftion de
«ceux qui attribuent aux caprices de la fortune les événe-
.« mens de ce monde , au lieu de reconnaître une volonté sou-
«veraine qui règle invariablement toutes leurs vicissitudes.
«C'est pour cela, continue-t-il , que j'ai intitulé cet ouvrage
fnDes illusions de la fortune, non que la fortune soit quel-
«que chose, mais pour montrer que, soit dans l'élévation,
«soit dans l'humiliation des hommes, où l'on croit voir or-
«dinairement l'effet du hasard, tout émane de la divine pro-
«vidence. Et afin que vous puissiez vous convaincre par vos
«yeux que tel est l'objet de mon livre, je vous envoie cinq
«cahiers, quinque quaternos , de ce nouveau traité, non pour
«les transcrire, mais pour les lire seulement, et me les ren-
«voyer au plutôt.»
C'est dans ce même ouvrage que Pierre de Blois, suivant
au'il le témoigne lui-même ailleurs (épît. 77), faisait l'éloge
u roi Henri II , encote vivant ; et c'est peut-être là , comme
le conjecture son dernier éditeur, le livre des actes de ce
prince ,, dont il est aussi parlé dans la i4* lettre aux clercs
de la chapelle du rpi : Illud autem noveritis quod ad gra-
tiam, gloriam et magnificentiam domini régis, jani de ac-
tibus ejus librum ex magna parte coniposui , qui vestrœ fra-
temitati communicandus est; sed adhuc opus illud manus
artificis corrigit et climat, ut ciim in puhlicam audientiam
venerit , nec obtrectatorum linguas, necvenenosos morsus
invidiœ pertimescat. Mais cet ouvrage n'existe nulle part.
Quant au traité des illusions de la fortune, Casimir Oudin De script, eccl.
croit l'avoir vu manuscrit dans une bibliothèque dont il n'a '• ïï»'^"'- '647-
pas retenu le nom. On ne peut que regretter qu'il n'ait pas
été mis au jour.
Le seizième opuscule, qui a pour titre De la distinction P. 596-599.
des écrits et des écrivains sacrés , est fort court et répond au
titre. L'auteur, après avoir compté vingt-deux livres de l'An-
cien-Testament , suivant le canon des Hébreux, nomme les
livres de la Sagesse, de l'Ecclésiastique, de Tobie, de Judith,
et des Machabées; livres, dit-il, que l'église révère et place
Tome XV. Fff
4ro PIERRE DE BLOIS.
SIECLE, jjgjjg |g canon des livres sacrés, quoique les Juifs les relèguent
parmi les écrits apocryphes. Rien ne prouve que ce traité
soit de Pierre de Blois; il n'en parle pas dans, le dénom-
brement qu'il fait de ses ouvrages, et celui-ci ne contient
pas un mot qui puisse faire soupçonner que l'archidiacre de
Bath en est l'auteur.
P. 600-618. Le dernier opuscule est un poëme sur l'Eucharistie. Nous
ne répéterons point ici les preuves qu'on a données , à l'ar-
T.Xlll,p. 429. ticle de Pierre le Peintre^ pour faire voir que cet ouvrage,
appartient à cet écrivain, et non à Pierre de Blois, comme
l'a cru , sur de légères présomptions , le P. Busée.
Outre ces ouvrages vrais ou supposés, dont nous venons
de rendre compte, il y en a d'autres cités par les anciens
. bibliographes, qui sont perdus ou déguisés sous d'autres titres.
De Script eccl. Ainsi le livre de la vie des clercs vivant h la cour, que l'abbé
n°394. Trithême place parmii les traités, n'est autre chose que la
\/\^ lettre adressée par Pierre de Blois aux chapelains du roi
d'Angleterre; l'écrit que Trithême a intitule de periculo
prœlatorum, est proprement la lettre 102 à l'abbé de Rading;
celui qu'il désigne par exhortatio ad ahhateni, n'est encore
que la lettre i34 à Guillaume, abbé de Sainte-Marie à Blois,
ou de Bourg -Moyen; et la lettre i4o contient exactement
l'ouvrage auquel il a donné le titre de studio sapientiœ. Mais
on peut regarder comme perdus les suivants : dialogue entre
un roi et un abbé , que Pierre de Blois dit avoir adressé au
roi Henri II, in dialogo meo ad Henricum regcm; le livre
de Assertione fidei , si, comme nous le croyons, c'était un
ouvrage distinct de la lettre du pape Alexandre III au soudan
d'Iconium ; le livre des prestiges de la fortune, dont il ne
reste qu'un fragment , ainsi que de celui du silence ; la vie
ou les gestes de Henii II , roi d' Angleterre, soit que cet écrit
fit partie du livre des prestiges de la fortune, soit que ce fiît
un ouvrage à part ; la vie de saint PP^ilfrid, archevêque
d'Yorck, dédiée par notre auteur à Gcofroi, fils naturel du
roi Henri II, arcnevêque de la même ville, dont il ne reste
Boll. iiapri- qu'un petit fragment au tome I du monasticon anglicanum,
)is,p.37,n°4- p, lya^ et la, ^ie de saint Guthlac , dont parlent les Bollan-
distes , et qu'ils n'ont pu se procurer.
Pierre de Blois, à la prière de Henri de Long -Champ, abbé
de Croyland , continua l'histoire de ce monastère composée
par l'abbé Ingulfe, continuation dont il existe un long frag-
ment de 2.Q. pages in-folio, imprimé à la suite de cette his-
XII SIECLE.
PIERRE DE BLOIS. 4"
toire dans le recueil des historiens d'Angleterre, publie' à
Oxford, l'an i684, par Jean Fell, evêque de la même ville. P. io8-i3o.
L'addition à l'histoire d'Ingulfe qu'on lit dans la collection
des historiens d'Angleterre, par Henri Savile, sous le titre de
Appendix incerti autoris , est aussi de Pierre de Blois; mais
ce n'est qu'un lambeau d'une demi -page, extrait de la con-
tinuation dont nous venons de parler. A la tête de celle-ci
est la lettre de l'abbé Henri, par laquelle il supplie notre
auteur de prendre la peine de coiriger le travail d'Ingulfe et
de vouloir bien le continuer d'après les matériaux qu'il lui
fournira. Les titres qu'il lui donne dans la salutation ou
susoription méritent d'être rapportés, parce qu'ils prouvent
la haute opinion qu'on avait en Angleterre de l'éloquence de
notre auteur : Amicissimo suo magistro Petro Blesensi, archi-
diacono Bathoniensi , domini nostri régis vice-cancellario ,
totiusque regni dignissima protho - notario , ac omnium artium
liberalium sanctuario scientissimo , necnon eloquentiœ Tid-
lianœ nostri temporis eminentissimo professori, frater Hen-
ricus de Ijingo-Campo , servorum dei in ecclesia Croyland
m,onasterii Domino miUtantium indignus abbas ^ inutilisque
minister se totum et sua ad beneplacita et mandata.
Dans la même lettre , l'abbé de Croyland prie notre au- ^
leur de mettre en meilleur style et d'abréger la vie de saint
Guthlac , patron du monastère , composée dans le VIP siècle
par un saint nommé Félix. C'est vraisemblablement celle qui
a été publiée par les Bollandistes au 1 1 avril, retouchée par
notre auteur. Dans sa réponse , Pierre de Blois se charge de
l'un et de l'autre travail ; mais^ce qui reste de son histoire ne
va pas jusqu'au règne du roi Etienne de Blois, comme l'a dit
le prélat éditeur, elle finit à l'an 1 1 18. Cependant comme il
existe dans le môme volume une autre continuation de l'his- P. /iSi-SgS.
toire d'Ingulfe, depuis l'an ii53 jusques à i486, on peut
croire qu'elle contenait la suite de celle de Pierre de Blois
i'usqu'après l'an 1190, époque de la promotion de Henri à
a dignité abbatiale; mais le manuscrit de cette seconde
continuation étant mutilé au commencement, la suite de l'his-
toire de Pierre de Blois est interrompue, et ne présente plus
que des morceaux décousus.
§ 4- ÉDITIONS DE SES OEUVRES.
Jacques Merlin , curé archiprêtre de la Magdeleine à Paris,
est, comme nous l'avons déjà dit, le premier éditeur des
Fffa
Xn SIECLE.
4i2 PIERRE DE BLOIS.
œuvres de Pierre de Blois; l'édition en fut faite à Paris dans
un vol. in-fol. l'an iSig. Le P. Jean Busée, jésuite, ne con-
naissant pas cell*e-ci, crut donner pour la première fois, l'an
1600, les œuvres de notre écrivain en un vol. in-4° à Mayence,
édition à laquelle il ajouta, l'an i6o5, un supplément in-8°, et
son édition a été répétée dans le XIF tome de la bibliothèque
des pères à Cologne. Après eux Goussainville, prêtre de
l'église de Chartres, publia à Paris, l'an 1667, en un vol. in-fol.
une édition plus complette des œuvres de Pierre de Blois, cor-
rigées sur de nouveaux manuscrits , accompagnées de diverses
leçons, enrichies de notes de sa- façon et de celles de Busée,
avec une collection de chartes et autres documens, propres
à éclaircir certains endroits du texte auxquels ils se rap-
portent, et que l'éditeur aurait voulu faire entrer dans ses
notes , s'il lui eussent été communiqués à temps. C'est cette
édition qui a été suivie dans le tome XXIV de la grande
bibliothèque des pères de Lyon, depuis la page gri jus-
qu'à. i365.
rerbo, Fetrm Nous ne parlons pas de quelques lettres indiquées par
Blés. Albert Fabricius comme imprimées dans d'autres ouvrages,
parce qu'elles ne sont nullement anecdotes, se trouvant
dans la collection générale.
§ 5. 'sa doctrine, son JÉRUDIxioN, SA MANIERE d'ÉCRIRE.
Le compte que nous venons de rendre des écrits de Pierre
de Blois , a mis déjà nos lecteurs en état d'apprécier le mérite
littéraire ainsi que le caractère moral de cet auteur. Avide
de connaissances, il donna dans tous les genres de savoir
que l'on cultivait de son temps, théologie, philosophie, juris-
prudence, médecine, grammaire, poésie, mathématiques,
philologie, politique même, si celle-ci avait alors des prin-
cipes assez fixes et des règles assez siires pour en faire une
science; bref il voulut être un homme universel. Dans cette
variété d'études, il donna néanmoins la préférence à celle
de la religion et des matières qui ont rapport à cet objet.
Son état, son goût, ses emplois, le déterminèrent à ce parti.
Quoique svir la distinction des deux puissances il ait pro-
fessé la doctrine qui avait la vogue'de son temps, ses écrits
montrent qu'il avait puisé la théologie dans de bonnes
sources; c'est sur-tout dans la morale qu'il excelle, et l'on
peut le regarder con^me un des meilleurs casuistes de son
temps.
XII SIECLE.
GUILLAUME DE BLOIS. 4i3
A l'étendue des connaissances il joignait une facilite
d écrire qui l'eût mis en état de produire des chefs-d'œuvre ,
s'il n'en eût pas abusé; mais il se fit une gloire d'enfanter ^
avec rapidité, et gâta par cette vanité tous ses autres talens. \
Ses lettres qu'il donnait lui-même pour des modèles, et qui
passèrent pour telles aux yeux de la plupart de ses con«
temporains, sont pleines d'expressions impropres, de méta-
phores et d'allusions rechercliées, de lieux communs en-
nuyeux, de déclamations outrées, de personnalités odieuses,
d'accusations dépourvues de fondement. Comftie les hommes '
se peignent ordinairement dans ces sortes d'écrits, on peut
dire, sans juger témérairement, qu'avec d'excellentes qualités
du cœur, et sur-tout un grand zèle pour l'honneur de la
religion, il étoit sujet à de grands défauts, inégal dans sa
conduite, vain, passionné, ne gardant point de modéra-
tion ni dans ses haines ni dans ses amitiés. Tel est le double
point de vue sous lequel l'homme et l'auteur se montrent
dans les écrits de Pierre de Blois. B.
GUILLAUME DE BLOIS,
FRÈRE DE PIERRE, ARCHIDIACRE DE BATH.
v^ET auteur, dont le surnom indique la patrie, était frère
puîné du célèbre Pierre de Blors archidiacre de Bath , qui
lui survécut: il est à présumer que la même éducation leur
fut commune , et que d'heureuses dispositions les firent
également distinguer. Guillaume avait 1 esprit pénétrant et
élevé ; ses études achevées, il prit, selon du Boulay, le degré
de docteur en l'université de Paris, et fit ensuite profession Hist. univ.
dans l'ordre de Saint-Benoît. Parisiens, t. ii,
- Pour remplir les intervalles de loisir que lui laissaient ses ^' t'^' •.
d.iT -^ ^ ' • • n \ ' JLiOC, Cit.
evoirs, u s amusait « écrire en vers ; mais son frère voyant
que cette o(;cupation pouvait nuire à son avancement, ou
peut-être par un motif de piété, l'engagea à y renoncer, et
a se livrer uniquement à la théologie et à la prédication. Dom Lîron,
Bibl. gén, des
Xri SIËCLE.
aut. de France,
ou Bibl. char-
tiaine , p. 83.
Pet. Blés. ep.
90.— Hist.univ.
Parisiens, t. II,
p. 337. — Sicilia
sacra , t. II , p.
I25l.
Loc. cit.
Pelr. Blesens.
«pist. 93.
4r4
GUILLAUME DE BLOIS.
Dom Liron.
Bibl. chartr. p.
84, et Pet. Blés,
epist. 65.
~>
•Pierre de Blois ayant etë appelle en Sicile, en 1167, pour
être précepteur du roi Guillaume II , surnommé le bon , et
garde du sceau l'oyal , emmena son frère avec lui , et le fit
nommer premier abbé du monastère de Sainte-Marie de Ma-
niaco, dans le diocèse de Messine. Guillaume obtint du pape
Alexandre III, la permission de porter des ornemens ponti-
ficaux. Il resta dans son abbaye jusqu'en 1169 qu'il la rési-
gna entre les mains du pape pour retourner en France, où
son frère l'avait déjà précédé. Ce dernier lui écrivit , pour se
féliciter avec lifi de ce qu'ils étaient dans le doux pays âe
France, le seul, selon saint Jérôme, qui ne produisît point
de monstres. Siunus , frater, in dulci Franciâ, quœ sola teste
Hieivnymo monstra non habet. Bonum est nos hic esse. Vi-
vant in Sicilia, qui proditiones et venena procurant , adula-
tionis officiarii, et qui aures magnatum venta inanis gloriœ
prurientes 'venenosa suavitate demulcent. Il paraît par ce
passage, que les deux frères n'avaient pas lieu d'être satis-
faits de leur séjour erT Sicile.
Pierre a placé dans une de ses lettres , une anecdote qui
semblerait attribuer à son frère le don de prophétie. Guil-
laume ayant rencontré un docteur de ses amis , qui sortait
d'une hôtellerie, le pria de rentrer et fit tout ce qu'il lui fut
possible pour l'empêcher de passer outre , en lui disant
que s'il sortait, il se trouverait ce jour- là dans un grand
péril. Le docteur se moqua de ce présage et se joignit à la
compagnie de saint Thomas , archevêque de Cantorbéry ;
mais il n'alla pas loin , car il tomba avec son cheval dans une
fosse très-profonde et remplie d'eau, dont on eut beaucoup
de peine à le tirer demi -mort.
Guillaume avait composé divers ouvrages en prose et
en vers. On remarqvie parmi ces derniers, une tragédie de
Flaura et Marco , qui aurait peut-être été faite sur une
célèbre courtisane du XIF siècle, qui se nommait Flore, et
dont Ives de Chartres fait mention dans une de ses lettres (i).
Un poëme de la puce et de la mouche (versus de Pulice et
Musca\ une comédie intitulée Aida; et enfin des sermons,
et divers ouvrages théologiques. Aucunes de ces productions
ne nous sont parvenues. Pierre , qui estimait assez son frère
(i) Ivonis episc. Carnot. epist. Paris. i584, in-4°, epist. 67, p. '^9. Et
hoc ita foma per Auidiancnsein episcopatuin et ■vicinas uibes publicavit ,
ut à canonicis siùsjainoscc cujiisdam concubinœ Flora agnomen acceperit.
p. Dfe BLOIS, DE L'ÉGL. DE CHARTRES. 4i5
pour lui donner ses livres à corriger , avoue qu'elles n'e'taient xn SIECLE.
pas fort répandues et fort célèbres ; cependant il ajoute
plus loin que ces écrits fexaient long-temps vivre la mémoire
de Guillaume. Les manuscrits de la bibliothèque royale,. ne
contiennent aucun des ouvrages de cet auteur; Montfaucon
n'en fait pas mention ; Guillaume Cave garde le même silence.
G. Bibl. Biblioth.
Bibl. Script.
Eccles.
PIERRE DE BLOIS,
CHANCELIER DE L'ÉGLISE DE CHARTRES.
Il ne faut pas confondre ce personnage, avec son homonyme,
le célèbre archidiacre deBatn, dont toutes les oeuvres ont été
publiées par Goussainville, et qui nous a fourni la matière
cl'une précderîte notice fort étendue. Le Pierre de Blois, dont
nous allons nous occuper, jouissait aussi, dans son temps, Petr. Blesens.
d'une grande réputation; mais, sans l'autre Pierre de Blois, op"» omnia,
à peine saurions- nous auiourd'hui qu'il a existé. C'est dans 4 ^-^ ' è"! °'
11 • •' / 1' 1 • !• 1 T. 1 Pan», 1672.
les lettres qiu nous sont parvenues de 1 archiaiacre de Bath ,
que nous puiserons, en grande partie, tout ce qu'il nous a
été possible de recueillir de la vie et des écrits du chancelier
de 1 église de Chartres.
Quoiqu'ils aient vécu tous les deux à la même époque ,
qu'ils portassent le même nom , et fussent nés dans la même
ville, its n'étaient point parens; une amitié qui avait com-
mencé dès la première jeunesse , les unissait seule l'un k
l'autre, et, à ce qu'il semble, ne s'est jamais démentie. Si' Epi»t, 77.
celui-là passa toute sa vie dans les cours étrangères, près
des grands et des rois , il ne perdit point le souvenir de 1 ami
qu'il avait laissé dans sa patrie. Dans ses lettres, tantôt il lui
donnait des conseils sur le genre des travaux auxquels il
devait se livrer , tantôt lui demandait des avis sur ses pro-
L
Xn SIECLE.
4i6 p. DE BLOIS, DE L'EGL. DE CHARTRES.
ce qui resuite de plusieurs lettres qui nous ont été conser-
vées , et que nous aurons bientôt occasion de faire connaître.
On ne sait rien des premières anfiées de Pierre de Blois ,
qui fait le sujet de cet article. Mais il parait qu'il cultiva
les lettres , la poésie , la jurisprudence , et ce que l'on appe-
lait alors la philosophie, avec un grand succès; que même
il en conserva le goût jusques dans la vieillesse ; que sur-tout
il avait en horreur la théologie, ce qui ne l'empêcha point
d'être chancelier de l'église de Chartres.
Son ami lui fait à ce sujet , dans une lettre qui , par le
style, a tout le caractère d'un sermon ou d'une amplification
de rhéteur, les reproches les plus durs, et l'invite a se livrer
à des occupations plus convenables et plus pures.
EpUt. 76. * Souvent, lui écrit-il , je t'ai averti et par mes lettres, et de
vive voix, qu'il fallait abandonner les jeux et les frivolités...
mes conseils ont été vains... je regrette d'être obligé aujour-
d'hui de te parler avec plus de dureté que je ii'^n usai
jusqu'à présent, et, que peut-être je ne le devrais. Doleo
quia vie loqui oportet plus debito et solito duriora : unde
et verba inea dolore sunt plena. La science des écoles t'avait
élevé aux plus hauts degrés des honneurs , ah summos emi-
nentiœ titulos; et lorsque tu devrais être pour tous un miroir
d'honnêteté, un exemple de vertus, en t'adonnant à des ba-
gatelles, en expliquant les fables scandaleuses du paganisme,
tu tends des pièges à l'innocence et l'entraînes dans l'abyme.
Cunique debuisses aliis esse virtutumforma et spéculum hones-
tatis , per scurriles nugas et fabulosa commenta gentilium,
factus es multis laqueus in ruinain. ■»
Suivent de nombreuses citations des psaumes, que l'archi-
diacre de Bath emploie pour démontrer à son ami , combien
sa conduite doit être réprouvée de Di(*u. Dans la suite de la
lettre, il désigne plus clairement quelles étaient ces occupa-
tions si dangereuses auxquelles il regrette tant de voir son
ami se livrer avec passion. In/abulis paganorum , in philo-
sophorum studiis , tandem in jure civili dies tuos usque in
senium expendisti ; et, contra omnium te diligentiuni volun-
tatem , sacram theologiœ paginant damnabititer horruisti.
Ibid. ■(>. ii'i. On sera peut-être étonne que, dans ce passage, il lui
reproche, comme une faute, de s'être adonné à Ta culture
du droit civil ou de la jurisprudence. C'est qu'en effet,
dans ce siècle où les ecclésiastiques étaient presque les seuls
p. DE BLOIS, DE L'ÉGL. DE CHARTRES. 417
hommes éclaires de la nation, l'intérêt on d'autres motifs ^ '
les portaient à se charger de la suite des affaires litigieuses,
ce qui leur faisait trop souvent négliger les devoirs de leur
état. ^
Mais Pierre de Blois composait de plus des chansons d'a-
mour et des romans. C'est ce qu'on voit par le conseil que
lui donne son ami vers la fin de la lettre. Oinitte penitus Uùi.p.n^.
cantus inutiles et aniles fabulas ^ et nœnia s puériles.
De ces chants d'amour, de ces romans, il ne nous est
rien resté que quatre vers rapportés par Borel au mot Preu, Bord, Trésor
qu'il expliciue par celui de profit. Les voici : de recherches et
' i 1 i 1 -^ antiquités gau-
Mais le vavasots par son preu, loises.
Entendant en autre manière,
Qu'il avait la langue nienière
A bien parler et sagement.
Borel ne dit point de quel roman il a tiré ces vers : il cite
seulement Pierre de Blois. Or il serait possible qu'ils fussent
de l'archidiacre de Bath ; car il avoue, dans la lettre où il
moralise son ami , que lui-même avait aussi composé autre-
fois des chansons d'amour. Ego quidem nugis et cantibus Petr. Blés.
venereis quandoque opérant dedi. Mais il ajoute aussitôt qu'à opéra, p. ïi^.
peine parvenu à la jeunesse, il avait abjuré ces dangereux
plaisirs: Sed per gratin m ejus qui me segregavit ab utero •^«'•
matris nicœ , rejeci hœc omnia a primo limine juventutis.
Il est à présumer qu'au temps où l'archidiacre de Bath
écrivait à son ami Pierre de Blois, cette lettre de répri-
mandes, celui-ci n'était point encore Chancelier de l'église de
Chartres. En effet, il n'eût point m;:nqué de lui faire aper-
cevoir que la dignité de la place qu il occupait, exigeait
f)lus que jamais, le sacrifice de ses goûts pour la poésie et
es belles-lettres. Or , c'est ce qu'il ne fait pas ; à moins que
l'on ne veuille entendre par les mots que nous avons déjà
cites, te quidem in summos eminentiœ titulos scientia scho-
larum extulcrat, que Pierre de Blois devait à sa science la
haute place qu'il occupait dans l'église de Chartres. '
Ce fut le savant Jean de Salisbery (ou Salisbury ) -qui le
nomma chancelier de cette église , presque aussitôt après
son élévation à la chaire épiscopale de Chartres , c'est-à-dire
en iiyG. L'archidiacre de Bath lui écrivant pour le féliciter
sur cette dignité d'évêque, bien due à son mérite, le remercie ibid. lettre
en même temps des bienfaits qu^l s'est empressé de répandre "4, p- 175-
Tome Xy. Ggg
4i8^ P. DE BLOIS, DE L'ÉGL. DE CHARTRES.
XII SIECLE. „. 1 ui • ,. . I • - • 1 •
sur ce Pierre de Blois, qui est un autre lui-meme, qui lui
ressemble d'esprit , de nom , de visage , et même de stature :
in eo quem me allerum sentio , qui me totum gerit animo ,
vultu, nomine , cognom,ine et statura.
Maigre les reproches que l'archidiacre de Bath faisait à
son ami , on voit dans ses lettres qu'il rendait toute justice
à ses talens , à son mérite. Il lui écrit ( on ne sait à quelle
époque) en se servant des idées et même des expressions
d Ovide, que l'incendie, les inondations, tous les fléaux ne
jhid. lettre pourront rien contre leurs communs ouvrages : nostra scripta
' quœ se diffundunt et puhlicant circumquaque, nec inundatio,
nec incendium , nec ruina , nec multiplex sœculorum excur-
sus poterit abolere. Et il lui soumet , pour les revoir et les
corriger , quelques nouveaux écrits , et entre autres , son
traité de prœstigiis fortunée.
Ainsi ce Pierre de Blois était un écrivain très -renommé ;
et l'on ne voit pas, sans quelque surprise, qu'excepté l'autre
Pierre de Blois, archidiacre de Bath, les auteurs contempo-
rains ne font mention ni de ses poésies, ni de ses romans.
Le chancelier de l'église de Chartres avait aussi composé
des commentaires sur les psaumes ^ et plusieurs homélies sur
Bibi. chartr. igg évangiles. S'il faut en croire D. Liron, ce dernier ouvrage
P' ^^* existait, en manuscrit, dans l'abbaye de Charlieu (i), et
ibid. p. 98. d'après Charles de Visch , il l'attribue à un autre Pierre de
Blois, religieux de l'Aumône au diocèse de Chartres.
Il paraît qu'il survécut assez long-temps à son protecteur
l'évêque de Salisbury , mort en 1 180. C'est vers l'année 12 10
que Fauteur que nous venons de citer place sa mort. Mais
selon nous, c est trop en reculer l'époque. En effet, dans la
lettre de réprimandes que lui écrivait 1 archidiacre de Bath,
il lui reproche d'être parvenu a lavieillesse au milieu d'occu-
{)ations puériles. Or, si cette lettre a précédé, comme nous
e croyons, la promotion de Jean de Salisbury à l'évêché de
Chartres, elle est antérieure à l'année 1 176; et a cette époque,
Pierre de Blois était déjà vieux, d'après l'aveu de son ami.
On ne peut donc guères supposer qu'il vécût encore dans
les dix premières années du XIIF siècle.
AD.
(1) Il fallait traduire Caroliloci par Chaalis au diocèse de Senlis, et non
f il. >s«> Charlieu, C'a /ï«-/ocf«, en Franche-Comté.
XII SIECLE.
AINARD ou AYNARD DE MOIRENC
ARCHEVÊQUE DE VIENNE.
v^E prélat sur lequel Guy Allard, Chorier et Charvet, ont Bibiioth. du
publie des notices, était né vers ii4o, d'une famille noble Dauphiné , p.
et ancienne de Saint-Donnat, près de Romans, à laquelle nouv. édit. de
apparemment le bourg de Moirenc avait originairement cette Bibiioth.
donné son nom. Suivant ces historiens, Aynard avait une H'st. duDau-
grande facilité pour la poésie dont il faisait ses délassemens. ^g, n°'xxv'i.
Il composa plusieurs épitaphes en vers léonins, entre autres Hist. de la
celles de Humbert et d'Etienne, archevêques de Vienne, qui Sainte Eghse de
, , t -w \\ n 11 1 T» 1 ■•■ Vienne. Lyon.
ont ete trouvées en cette ville. 11 ht encore celle de Robert ,,6,, in-4", p.
de Latour-du-Pin, son prédécesseur, qui mourut en iigS; 36a-37o.
cette épitaphe , également en vers léonins , fut gi'avée sur
la tombe de ce prélat , auquel Aynard ne survécut que cinq
ans environ, étant mort en 1200, selon Alard et Chorier,
et suivant Charvet (p. 36g), en 1208. Chorier rapporte que
l'année qui suivit l'élection et la consécration d Aynard , il
alla rendre ses devoirs à l'empereur Henri VI (i), dans la
ville de Turin : l'empereur reçut son hommage du temporel
de son église et lui en confirma la possession.
Voici l'épitaphe de Robert, dont Aynard est l'auteur, Hi»t. de la
telle qu'elle est citée par Charvet. Sainte Église de
Si quia juris eras gladio defensor utroque,
Gratia si linguœ , si littera , religioque ,
Si genus aut mores possunt averterefata ,
Te pastore fuit , Roberte, Vienna beata.
Félix quod fruitur saltem domus ista sepulto ,
Quo viventefrui gauderet tempore multo.
Sedquia te dignus vir, non/uit, incljte, mundus,
Deseris hune in quo remanet tibi nemo secundus ,
Et jam decursi dignum mer cède laboris
(i) Dans la table chronologique qui se trouve en tête de l'histoire de
la sainte église de Vienne, par Drouet de Maupertuy, Lyon, 1708, il est
dit «en iigS, le 4' du pontificat de Célestin III, et le 4' de l'empire
d'Henri YI. »
Vienne, p. 635.
XII SIECLE.
420 MATHIEU DE VENDOME.
Junius œthereis mcnsis te reddidit auris.
Quem tibi sola dédit succedere gratia Christi,
Te îuus Ainardus gémit hoc cpîgrainmate tiisti.
Anno Domini M. C.XCV.,XV kalend. Julii, obiit Domnus Robertus
archiepiscopus.
G.
«'«««.«'«%
r
MATHIEU DE VENDOME,
POETE LATIN,
s A V I E.
ijA double ressemblance de nom et de prénom, a fait souvent
confondre ce poète latin avec le célèbre Mathieu de Vendôme
abbe' de Saint- Denis, rëgent du royaume sous les règnes de
saint Louis, et de son fils Philippe-le-Hardi. Ce second Mathieu
mourut en ia86, et malgré l'espace d'un siècle qui est entre
l'un et l'autre, plusieurs graves et savans auteurs n'ont pas
laissé de les confondre, et de ne faire de ces deux Mathieu
qu'un seul et même personnage. On peut citer sur-tout
Critique des Grancolas, les frères de Sainte-Marthe, Charles de Combault
aut. eccl. t. II, baron d'Auteuil (i), le père Lelong, et plusieurs autres (2).
**■ l\n ri..icr Mathieu dont il s'agit dans cet article, était né à Vendôme,
nova, t. VII, p. et suivant 1 usage etabh de son temps, il joignit le nom de
3f)5E,et3<)6A. cette ville à son prénom. C'est donc à tort que Dargentré le
Bibl. sac. t. fait naître en Bretagne. Il n'a point non plus été Bénédictin.
liv
p
col'. 2. ' comme le dit le père Lelong. Il a été qualifié d'abbé de
Hist dcBret. Vendôme dans un manuscrit marqué dans Montfaucon ;
g|' '^^- *'*' mais on ne trouve point d'abbé de Vendôme de ce nom de
Loc. cit. Mathieu. Enfin Gesnei- s'est également trompé à sou sujet,
Bibl. bibiio- en le faisant vivre dans le XI* siècle. Ces erreurs, où tant de
thecar. t. I, p.
67 D.
Biblioth.,éd. (,) Hist. des Min. d'état, p. 477 et 4^6. Il cite ,Iean Hérold; auteur
5®^ i'>Oi , p- allemand, cjui publia, en i563, l'histoire sacrée de Tobje.
(2) Sotrthet, in notis àd vlfam Bernar^i abb. Tirotu, p.' 1^4! — Fabri-
clus , Bibl. lat. suppl. , p. lin et.iiS'.-r- L'aJbtbë Lebwi^ ttss€rt. sur l'iibt.
dé'Paris,f.IF, p.63; et^.'^'"'*^^ "^^ .fr"^ir. <^ >. "^ *T
i)
MATHIEU DE VENDOME. 4hi
savans sont tombés , prouvent que si Mathieu de Vendôme
acquit une certaine réputation par le poëme de Tobie, qui
nous est resté de lui, il ne fit rien pendant sa vie qui attirât
les yeux de ses contemporains , et dont ils se soient mis en
peine de conserver le souvenir. Mais il a consigné dans quel-
ques endroits de son poëme plusieurs circonstances que l'on
peut recueillir, en y joignant quelques particularités tirées
de la glose qui accompagne le texte dans la première édition
qu'on en a donnée.
L'auteur dit , dans une espèce d'épilogue qui termine l'ou-
XII SIECLK.
vrage
Quce tibi dat , Turonis , metra f^indocinensis alumnus ,
Perlege Parisius , Âurelianus luibe.
L'auteur de la glose imprimée ajoute : Iste niagister stu-
duerat Parisiis et Aurelianis : ideo volebat quod liber suus
in prœdictis civitatibus legeretur, quia propterea im'ocat ipsas
ut ipsum librum recipiant perlegenduni ; quia illœ duœ doutâ-
tes sunt nohiliores regni Franciœ^ et in ipsis sunt multi boni
doctores et clerici, per hôc quod ibi sunt universitates , etc.
Le poète continue, en s'adressant à ces deux villes de
Paris et d'Orléans :
F'os mihi nutrices, urbs Martinopolis aima
Mater, ubi patrid , sed patris , ossajacent.
mot-à-mot : « où gisent les ossemens d'un oncle , mais d'un
père, » ce qui dans ce mauvais latin veut dire que cet oncle
était plutôt un père pour lui, ou lui avait servi de père.
,_ La dédicace du poëme adressé à Barthélemi de Vendôme,
archevêque de Tours, nous apprend d'autres circonstances.
Ce prélat, issu d'une illustre origine, nobilibus trabeatus
avis^ avait succédé dans cet archevêché à son oncle, mort
depuis peu de temps :
Cui prœsul avunculus agnus
In pastore fuit, in dominante minor.
Hune fera mors rapide, cujus dignissfmus hœres
Tractas (i) emeritâ sceptra paterna manu.
Mais ce ne fut pas immédiatement que Barthélémy suc-
céda à son oncle. Cet oncle , Angebauld ou Engelbaud , de
Vendôme, était mort en 1167. Jodocus^ ou Joscius.^ qui était
j(i)£t oûn pas tractansy comme ou le lit dans Timprinié.
XII SIECLE.
4a2 MATHIEU DE VENDOME.
Breton, l'avait remplacé, et Barthe'Iemy e'tait monté sur ce
siège archiépiscopal en 1 174- Son oncle l'avait élevé dans ce
chapitre à la première dignité après la sienne. Il la remplit
sans doute de manière à se concilier les vœux des chanoines
ses confrères , à qui appartenait alors la nomination de l'ar-
chevêque , et qui le nommèrent à la mort de Jodocus. L'his-
torien de l'église métropolitaine de Tours, dit à ce sujet (i),
en parlant a'Angebaula : Bartholomœwn igitur ecclesias-
ticœ dignitatis gradii , qui episcopali proximus est, cum
sanguiiiis nobilitate conjiinctum , ea jam dignatione décora-
verat, ut sodales canonici non immerito eum ad Turonensis
ecclesiœ apicem extulerint.
jbid. p. ia3. A l'égard de sa naissance , elle était en effet illustre , il
était , selon le même historien ^ fils du comte Godefroy
surnommé Grisegonelle , et de Mathilde de Châteaudun ; et
il portait pour armoiries celles de la ville même de Vendôme,
comme l'avait fait Angebauld , qui était son oncle paternel.
Et quidem quod genus spectat , Vendocini ille na,tus est,
pâtre Gottofredo comité Grisagonella dicto, et Mathilde cas-
Sic. triduncea matre; iisdernque est usus Vindocinensium insigniis^
quihus Engehaldus ipse Turonensis archiepiscopus^ çujus erat
nepos ex fratre.
L'archevêque Barthélémy avait un frère qui était doyen
" de son chapitre et à qui Mathieu adresse aussi en partie sa
dédicace.
Suscipe Thobiœ titulos cum fratre "Decano ,
Ut timidum duplex Stella serenct iter.
Il n'y avait pas long-temps que les deux frères étaient, l'un
archevêque, et l'autre doyen : c'est ce que signifient claire-
ment ces deux vers :
Gaudeo luce nova vos prceîucescere , quippe
Sol nitet in Geminis , caetera signa vacant.
Il paraîtrait encore que Mathieu de Vendôme , aurait été
élevé chez ses deux protecteurs , et qu'il était devenu ensuite
leur intime ami, si l'on adoptait le sens que le glossateur
donne à ces deux autres vers :
Vos ego veitra precor plantatio , vester amicus.
Hic mea felici pandite vêla nota.
(i) Sancta et metropoUtana ecclesia Turonensis, etc. , par Jean Maan ,
Tours, 1677, p. 117. Engebaldus, 119 Jodocus et ia3 Bartliolomœus II.
XII SIECLE.
MATHIEU DE VENDOME. 423
Sur quoi la glose dit : O Bartholomœe et Decane, ego sum
plantatio vestra, id est fui nutritus in domo vestra, et in
vestrâ patrid , et nutiivistis me sicut terra nutrit plantam , et
sum amicas vester et nuncius vester ^ etc. Mais il n'est pas
nécessaire de donner ce sens rigoureux au mot plantatio :
il peut également, et même mieux, signifier que Mathieu
tenait de ses deux protecteurs sa place , sa fortune ; qu'il était,
comme nous le dirions , leur créature.
Les quatre vers de la fin du poëme que nous avons cités
les premiers, et dans lesquels 1 auteur appelle, comme il le
fait toujours , la ville de Tours Martinopolis , la ville de
Saint - Martin , sont suivis de ces deux-ci :
Veniat ubi prœsul milii compatriota , Dccaruis
Archiclavis , ubi V itidocinense deciis.
Ce qui dit, d'une manière plus positive que les vers cités
jusqu'à présent que l'archevêque Barthélémy et son frère
le doyen, qui était en même temps trésorier, y^rchiclans.^ pucange.inf.
étaient comme lui, de Vendôme. Enfin le premier de ces ^''"••Ps^'iT-
quatre vers :
Quce tibi dot , Turonis , metra Vindocinensis alumnus , etc.
fait entendre que Mathieu composa son poëme à Tours où *
il était attache à l'archevêque.
Il résulte de ces divers passages que Mathieu était né à
Ven Jôme , qu'il avait fait ses études à Paris et à Orléans ;
qu'ayant sans doute perdu son père de fort bonne heure ,
son oncle paternel lui en avait servi ; qu'après ses études
finies, il était allé demeurer à Tours avec cet oncle, qui y
était mort; que peu de temps après , Barthélémy de Vendôme
ayant été nommé à cet archevêché, Mathieu, qui était son
compatriote , s'attacha à lui et au doyen son frère ; qu'il de-
vint leur ami , qu'ils le placèrent assez biçn pour qu'il fût
content de sa fortune , et qu'il ne tarda pas à consacrer
les loisirs que lui laissait sa place à la composition de son
poëme.
On ignore l'époque de sa mort. Barthélémy , qui était jeune
quand il parvint, en 1 174^ au siège de Tours ( i ), l'occupa
pendant trente deux ans, n'étant mort qu'en 1206. Mathieu,
qui était au moins de son âge , put ne pas vivre aussi long-
(i) Elegenmt.... Bartholomceum , juvenem strenuum, et génère nobilem,
Jean Maan , ubi supra. '
XII SIECLE.
4a4 MATHIEU DE VENDOME.
temps , et il paraît vraisemblable qu'il mourut vers la fin du
siècle.
SES ÉCRITS.
Le pôëme qui a fait un nom à Mathieu de Vendôme , est
en vers éle'giaques, et contient toute l'histoire des deux Tobie,
père et fils, et ae leurs femmes. Le style en est presque par-tout
au-dessous du médiocre , le latin et les vers fort plats. Il est
rempli de digressions et de superfluités; aussi a-t-il plus de
deux mille deux cents vers, y compris la préface et l'e'pître
dédicatoire , qui sont en vers de la même mesure que ceux
du poëme.
Dans la préface , l'auteur compare l'ancien testament à un
champ plein d'excellentes semences et de bonnes plantes.
Les vertus des anciens patriarches, Loth, Abraham, aux-
quels il joint Job, Salomon, et Siméon, sont les semences et
les plantes de justice que l'on y trouve; chacun d'eux s'est
. endu célèbre par une vertu : le seul Tobie les rassemble
toutes.
Ex agro veteri, ■virtutum semina , morum
Plantula , jiistitiœ pullulât ampla seges ;
Loth decus hospitii , patientia Job , Salomoneni
Dogma,Jides Abraham, spes Slmeona probat.
Intitulant reliques prœconia singula : solus
Omnia Thobias prœtitulatus habet.
C'est sur la version de cette histoire par Saint-Jérôme
qu'il entreprend d'exercer sa veine
Quant sacra Hieronjmi tradit translatio prosam. ,
Qualicuuquc métro V indocinensis arat.
Après cette préface, qui n'est que de dix vers, vient l'épî-
tre dédicatoire dont nous avons tiré les traits relatifs à
l'histoire de la vie de l'auteur, et qui ne contient du reste
que de grands éloges de l'archevcque Barthélémy et de son
frère le doyen. Il la termine par deux vers assez heureux.
Il y rappelle la source où il a puisé, il se nomme, prévoit
les traits dont l'envie va le percer, et dépose son poëme
entre les mains de l'amitié.
Transfert Hier onyinus , exponit Beda, Mathœus
Metrificat , reprobat livor , andcus habet.
Le poëme est divisé en trois parties ou sections ( distinc-
tiones). L'histoire des deux Tobie et de leurs femmes ^ y est
MATHIEU DE VENDOME. 426
racontée sans interversion de faits, sans épisode et sans autre
embellissement que les fréquentes réflexions morales et reli-
gieuses de l'auteur, les discours prolixes et les longues
prières qu'il met dans la bouche de ses personnages, et cer-
tains jeux ou plutôt certains arrangements de mots qu'il fait
symétriser les uns avec les autres , artifice ou espèce d'orne-
ment , presque le seul qu'il emploie , et auquel il revient
souvent.
Tempore Salmanasar régis captivas , honestd
Mente Deum recolit , spe comitante timet.
Tel est le commencement de la narration , et tel est le
style narratif de l'auteur. S'il veut parler des secours que
Tobie donne à Gabelus son parent, il dit
Argenti sub chyrograplio bisquinque talenta
Tradit; amicitiam testificatur opus.
Si Tobie est persécuté et ruiné par Sennacherib :
Confiscantur opes Thobiœ , quas générales
Non proprias sentit advena , sentit inops.
Voici un exemple de ces jeux poétiques dont nous avons
parlé et dont il égaie beaucoup trop souvent le sérieux de
son sujet. Il veut célébrer la foi de Tobie en un seul dieu ,
son amour pour la justice, son horreur pour le crime et pour
l'idolâtrie ; c'est ce qu'il croit faire sans doute de la manière
la plus ingénieuse dans les huit vers suivants :
Odit,aniat, reprobat , probat , exsecratur , odorat,
Ciimina , jura , nef as, f as, siniulacra, Deum.
Fas , simulacra , Deum , probat , exsecratur , odorat :
Odit, amat , reprobat, crimina , jura , nef as.
Seminat , auget, alit, exterminât , arguit, arcet,
Dogmata , jura , decus , schismata, probra , dolos.
Schismata , probra , dolos , exterminât , arguit , arcet :
Dogmata , jura , decus, seminat, auget, alit.
Dans les deux premiers vers, l'un est tout composé de six
verbes , l'autre d'autant de noms ; et les six noms du second
scmt les régimes des six verbes du premier. Ainsi Tobie odit
crimina., amat jura, reprobat ncfas , probat fas , exsecratur
simulacra , adorât Deum. Dans les deux suivans , les six
mêmes verbes et les six mêmes noms reviennent , mais dans
uri autre ordre. Trois des noms forment le vers hexamètre
Tome XV. Hhh
XII SIECLE.
XII SIECLE.
426 MATHIEU DE VENDOME.
avec les trois verbes qui y correspondent , et les trois autres
verbes avec leurs noms correspondans forment le vers penta-
mètre. Le sens des six propositions est donc le même dans
les deux distiques; il n'y a de changé que les mots. Six nou-
' A un seul près, vcaux mots et six nouveaux noms * sont employe's avec le
./«m , qui est jjj^^jj^g artifice dans le second quatrain : artifice ste'rile , et
même ridicule, qui sulnrait pour déprécier le poème entier
s'il avait d'ailleurs le moindre prix.
On y trouve quelquefois des jeux d'une autre espèce et
qui ne sont pas d'un meilleur goiit. Par exemple, la jeune
Sara mariée sept fois était encore vierge, parce que le diable
Asmodée avait étranglé ses sept maris la première nuit de
leurs noces. Le poëte dit bien tout cela, et même la cause
pour laquelle ce diable les traitait ainsi , mais il ne veut point
prononcer ni écrire les deux dernières syllabes de son nom
//fl^7wo<yettJ, parce que c'est le nom de Dieu etqu'il ne convient
pas de joindre ce nom avec celui de Belial, le nom de la lu-
mière et celui des ténèbres. Il coupe donc par la figure tmesis
ces deux syllabes, et ne met que les deux premières Hasmo.
Septem nupta viris fuit hœc , quos dœnionis ira
Pressit, et illœso vernat honore pudor ;
Pressit pœna reos , dum caniis amore , pudoris
Virginei satagunt prùiiitiare rosam.
Hasmo dœmonio nomen , pars ultima vocis
Restât , ne videar intitulare maluin.
Fiat amore Dei decisio nominis : hx)stcni
Nempe Dei pudor est cequiparare Deo.
Non est ad Belial Domini conjurwtio , lacis
Ad tenehras ; Tmesis hâc ratione placet.
Tout mauvais et tout ennuyeux qu'est ce poëme, il a ce-
Eendant eu plusieurs fois les honneurs de l'impression , d'a-
ord à Lyon, chez Jehan-du-Pré, 1489, in-fol. parvo^ avec
une glose ou commentaire, pour en faciliter l'intelligence,
i5o5,in-4''i i5o6, 1620, in-4°, et i54o, in-8". On le trouve
aussi dans le recueil \nûl\x\é y^utores octo viorales^ Lugduni,
i538 et r54o, in-8«; dans Poctœ sacri^ Basileae 1563, in-4°;
dans Barthius adversariotum ^\\h. 3o , cap. 26. La meilleure édi-
tion est celle qui a paru à Brème sous ce titre: Mat thœl Viii-
docinensis historia sacra de Tobiâ (i) : aocedit Amhrosius
(t) l,a note des PP. BB, porte autrement ce titre, d'après le catal. des
XII SIF.CLE.
MATHIEU DE VENDOME. 427
niediolanensis de eâdem historid ; cura Joannis heringii,
Bremae, 1642, iii-8°.
Eberard de Béthune faisant l enumëration des poètes de
son temps , auquel il donne le titre de classiques , s'exprime
ainsi sur Mathieu de Vendôme : Fabricius ,
Bibliot. lat. liv.
Tohias in agro veteri lascint , et œqiie 5^ p_ j^S.
Res nova , et metri nobilitate placet.
Plus loin, il parle ainsi du même poëte, mais non plus
du même ouvrage : Loc. cit. 226.
Scrihendi régit arte stylum , Riijoque negante ,
Laudem Matthœus Findocinensis habet-.
Sur quoi une glose manuscrite porte ces mots : Matthœus
descrihit contra Rufum curialium doctrinas et obtinet victorias
et laudes contra ipsum. Il semblerait par cette note que notre
auteur aurait compose quelque autre poëme où il aurait donné
des instructions , ou peut-être des règles sur l'art d'écrire aux
gens de cour ou aux personnes de qualité. Il paraît même
qu'il avait fait plusieurs autres poëmes qui n'ont point été
publiés, mais qui sont conservés manuscrits dans des biblio-
thèques étrangères. On trouve dans le catalogue des manu-
scrits de Thomas Bodley : Matthœi metrum super salutatio- Part. i,n''2538.
nem angelicam (i j ; parmi les manuscrits du collège de Bail-
leul à Oxford Vindocinensis de arte 'versificatorid ; parmi ceux Catalog. ms.
du collège de la Trinité de Cambridge, Matthœi Findocinensis anglic. , part. 2,
versus de Piramo et Thisbe ; dans les manuscrits de Saint- " cat^loe ms
Pierre de Cambridge, de doctrind versificandi ^ qui est sans ang]ic.,part. 3,
doute le même que de arte versificatorid ; et enfin parmi ceux "" 'i^*- ^
du collège de la Trinité de la même ville, œquivoca magistri ' • " * 7-
Matthœi Vindocinensis carmina cum commentario scripta per
fratrem Joh. Hancock : ce frère Jean Hancock paraît n'avoir lud. part. 5,
été que le copiste et non pas le commentateur de cet ouvrage. "° 'Sa.
Le manuscrit 8433 de la bibliothèque du Roi , parmi Catalog. ms.
les poètes, in-4** fonds de Baluze, qui paraît écrit au XIV^ Bibi. R., t. iv,
siècle, contient au n^ i : A non jmi carmina de rébus ad chris- P" ^'^^'
livres impr. , de la bibliotb. du Roi, T. I, n" iSSy, p. 10 1 : Matthœi
Vindocinensis paraphrasis metrica in Tohiam versibus elegiacis et Anibrosii
Mediolanensis explicationes libelli de Tobiâ , ex ipsius opeiibus, cum obser-
i'ationibas ^ etc. , et après Bremœ , tjpis Wesselianis.
(1) Ce Mathieu ne paraît pas pouvoir être un autre que celui de Ven-
dôme.
Ilhha
XII SIECLE.
428 VITAL DE BLOIS.
tianam religionem speciantihus : prœmittitur fragmentum
synonymorum magistri Matthœi Vindocinensis. Cet auteur ne
paraît encore pouvoir être que notre Mathieu.
r,d.deZuricii, Gesner citant l'histoire de Tobie par Mathieu de Ven-
i583, p. 592, Jônie, ajoute qu'on doit encore à cet écrivain une somme
et un livre intitule Thehaïs : il ne dit point si c'est en prose
Anecdot. t.l, OU en vers. Enfin Pez dit : in bibliothecd monasterii Emm,e-
praefat. p. xxvi. racensis incidit in manus nostras codex m^mbraneus , in-l\° à
«le RaUsb"ii"' ^^^ dnnis , in quo Mathei cujusdam computus ecclesiasticus
dcscriptus erat hoc initio : « Augustini auctoritate freti in
« domo Dei quatuor dicimus esse necessaria : grammaticam,
« ad verba Dei intelligenda et debito modo pronuncianda ,
« etc. » Ne pourrait-on pas présumer du moins par ces pre-
miers mots de l'ouvrage qui conviennent à un grammairien
tel qu'était Mathieu de Vendôme, que ce coniput est encore
de lui?
Nous ne lui attribuerons pas de même, comme l'a fait Jean
Picard, (i) une traduction des livres des rois en vers latins,
dédiée à Geoffroy , évêque de Chartres , qui se trouvait ap-
paremment parmi les manuscrits de la bibliothèque de Saint-
Victor. Cet évêque mourut en 11 48, et il est évident que
Mathieu de Vendôme n'a fleuri que sur la fin du XIP siècle.
G.
«^^ «"«^ «J»^ «^« V«/« »
VITAL DE BLOIS,
POÈTE LATIN.
C,
ET écrivain qui florissaitversla fin du douzième siècle, était
.^'*™ Liron , né à Blois , et a été quelquefois surnommé Gallus et Gaîlicus ,
qH.'— Berlin, pour le distinguer cl'un autre Vital , auteur d'une vie de Saint
Hiit. de Blois] Bertrand. Vital de Blois paraît avoir été contemporain de
P- 7^- . Mathieu de Vendôme , de Gauthier de l'Isle et de Pierre de
Berjiier, loc.
(i) Not. in epist. 54 sanct. Bernardi. Non ab$ re enonymus , qui forsan
est Matthœus F'indocinensis , Gaiifridum. carnot. episcopuin prcefatur, initio
Ub. /, Reg.
Maxime pontificu m ^ Romance signifer aulte ,
Carnotensis apex , etpater uihis , ave.
VITAL DE BLOIS. 4^9
Blois. Fournîer croit qu'il publia en 1 186 le poème qiie nous 1
avons de lui. Trompé par ce surnom de Gallus^ le même his- ^jt- — Ger. J.
torien lui donne le titre de poète trançais, quoiquil naît j^^ j; jj^ _
écrit qu'en latin. On ne sait rien des circonstances de sa vie. Bartiâus , ad-
Le poëme qu'il nous a laissé est en vers élégiaques divisé versar.i.xLvni,
en quatre livres et intitulé : De Querulo. Il y a mis en récit "'Barthius , loc.
ce qui était en dialogue et en scènes dans une ancienne cit.
pièce que quelques auteurs, d'après son titre, ont attribuée à Ep. liistor.
Plaute,mais qui est généralement reconnue pour n'en étrepas. B"îoi»^p'!'i68.'
Dans l'édition que P. Daniel a donnée de cette pièce, Paris,
Robert Estienne, i564i in-8°; elle est intitulée : Querolus,
anliqua comœdia , nunquam antehac édita , quœ in vetusto
codice mahuscripto Plauti Aulularia inscribitur , mine pri-
muni à Petro Daniele aurelio luce donata et notis illustrata.
Elle est précédée d'une préface adressée à Rutilius. Pierre
Daniel, premier éditeur, Conrad Ritters-huys qui la fit
réimprimer en lôgS, avec le poëme de Vital de Blois, et Ubi suprà.
Ger. Jean Vossius De Pué'tis latinis^ croient que ce Riiti/ius
est le même que Claudius Rutilius^ auteur de Xltincra-
rium^ ce qui fixe au temps de Théodo.se II et d'Honorius,
l'époque où le Querolus fut écrit ; on ignore le nom de
son auteur. Peut-être s'appelait-il Plautus^ comme l'ancien
poëte comique , ou Plautius^ ce qui aurait induit les copistes
en erreur; mais il est plus vraisemblable que la pièce fut
réellement attiibuée au premier, ou que l'auteur, ne vou-
lant pas être connu à cause du ton satirique qu'il y a pris
quelquefois, la lui attribua lui-même, aidé par la ressem-
blance du sujet, du genre de comique et même du style,
qui est pour ainsi dire parodié de celui de Plante. P- Daniel,
Le style du Querolus est poétique, mais la mesure des ''* '""^^"'^^•
vers n'y est pas toujours exactement observée, ce que l'au-
teur paraît avoir voulu annoncer, à la fin de prologue, par
ces mots : prodire... non auderemus cum claudo pede.Ba.r- ibïd.'mnot.
thius et d'autres auteurs ont prétendu que cette comédie pou- v. Joan. Àib.
vait êti^e de Gildas , le Breton , né en 620 , en Angleterre , ^«*""' . Bibi-
dans le comté de Sommerset ; mais Vossius observe fort „. 29,30'. '
bien qu'on ne peut nullement confondre la latinité du Que- Loc. cit.
rolus avec celle de ce Gildas et ùu VF siècle, vers le milieu
duquel il florissait.
voici le sujet de la pièce qu'il est nécessaire de connaître
pour entendre et juger le poème de Vital de Blois. Querolus
est, comme son nom l'indique, un homme qui se plaint
43ô VITAL DE BLOIS.
XII SIECLE, toujours de son sort, et importune tout le monde de ses
plaintes. Son père était un vieil avare nommé Euclion. 11
avait caché une immense somme d'or dans un vase fjnt en
forme d'une urne funéraire, sur laquelle était gravée une
épitaphe, comme si elle eût contenu les cendres du père d'Eu-
clion. En partant pour un long voyage, il avait enterré cette
urne devant l'autel du dieu Lare de sa maison , recomman-
daiit à ses gens le tombeau de son père, et au dieu Lare son
trésor. Il meurt eu pays étranger, sans découvrir son secret
à personne, si ce n'est à un parasite qu'il a rencontré dans
cette Unre éloignée. 11 lui avoue qu'il a laissé chez lui un
trésor à l'insu de son fils, et il lui en lègue la moitié par
son testament, à condition qu'il indiquera le trésor à son fils,
et qu'il le mettra en possession de l autre moitié. Il lui in-
dique le lieu où le trésor doit se trouver ; mais soit par oubli ,
soit par toute autre cause, il ne lui parle ni de la forme par-
ticulière de l'urne, ni de l'inscription. Le parasite s'embarque,
vient trouver le fils, et voulant s'emparer de tout l'héritage,
il le trompe , se donne pour un grand magicien, et feint d'a-
voir deviné par son art une infinité de petits détails qu'il
avait a])pris d'EucHon. Querolus en est la dupe, lui donne
accès dans sa maison , et le conjure de terminer ses malheurs.
Le fourbe fait semblant de purifier sa maison de tout ce qui
y exerce une influence funeste, en retire l'urne du consente-
ment de Querolus, et même avec son aide; il l'emporte chez
lui; mais là, il aperçoit l'inscription et les autres attributs
funéraires. Il croit qu'elle ne renferme en effet que les restes
du mort, dont le nom y est inscrit, et que le vieillard mou-
rant s'est moqué de lui. Il rapporte l'urne, se glisse auprès
de la maison de Querolus^ et jette par une fenêtre furne au
milieu de son appartement. Elle se brise , l'or se répand dans
toute la chambre. Querolus^ au lieu des cendres de son aïeul,
voit un trésor dont il est maître; mais l'effronté parasite,
revenu de sa surprise, produit le testament d'Euclion, et
réclame la moitié qu'il soutient lui appartenir. Cependant,
obligé d'avouer qu'il avait d'abord tout emporté, il ne peut
rien obtenir. Il est convaincu de vol et même de violation
d'un tombeau. Enfin Queivlus lui pardonne, entre en pos-
session de sa fortune, cesse de se plaindre de son sort, et le
faux magicien pris pour dupe est rendu à son métier de
parasite.
Son nom est Mandrogeiiis; il a pour auxiliaires deux fri-
VITAL DE BLOIS. 43£
•■ Vît ÇTfîT^T F
pons subalternes, Sycophante et Sardanapale qui rendent ',
te'moignage des prodiges qu'il a opères, et l'aident à em-
porter et à rapporter l'urne où est enfermé le trésor. Le dieu
Lare, Larfamiliaris ^ gardien de ce trésor, est acteur et in-
terlocuteur dans la pièce, et c'est avec lui que Querolus la
commence par une longue scène, où il expose tous les sujets
qu'il a de se plaindre de sa destinée.
Vital de Blois, en arrangeant ce sujet pour en faire un
poëme narratif, y a changé plusieurs circonstances. Il dit
pourtant dans son prologue qu'il n'y a changé que les noms,
et par la seule raison qu'ils ne pouvaient entrer dans ses vers.
Ce même prologue prouve qu'il regardait Plante comme le
véritable auteur du Querolus. Il rejette sur ce poète les fautes
et les inconvenances qu'on pourrait lui reprocher. On y voit
aussi qu'il avait fait auparavant sur \ Amphitryon un travail
du môme genre; mais ce premier travail ne nous a pas été
conservé. Nous citerons en entier ce prologue qui n'a que
i8 vers, et qui donnera une première idée de la manière
de l'auteur et de son style.
Qui relegct Plautum, niirabitur altéra forsan
Nomiiia personis quam mea scripta notent.
Causa subest facto , vult vcvba doinestica versus ;
GraneUa plus œquo noinina metra tintent.
Sic ego mutata decisa^'e nomina Jeci
Passe pati versum ; res tamen una manet.
A r guet hoc aliquis ^ mea si conuedia Jatum
Nominet et stcUas, et canat alta nimis;
Dcscivisse forent , hwnilemque ad grandia stulte
Evasisse stylum. Crimina Plautus habet ,
Absolvar culpâ ; Plautum sequor : et tamen ipsa
Materiœ séries exigit alta sibi.
Hœc mea vel Plauti comaedia, nomen ab ollâ
Traxit , sed Plauti quce fout , illa mea est.
Curtavi Plautum; Plautum hœc jactata* beavit , «Il semble
Ut placeat Plautus scripta Vitalis emunt. q«e c'est jac-
Amplùtryon nuper , nunc Aulularia tandem '"''" ^" '' **""
Senserunt senio pressa Vilalis opem.
On voit qu'il cherche principalement à excuser le haut
style dont il s'est servi, en parlant du destin et des astres.
C'est dans le moment où le fourbe qu'il fait agir se fait passer
pour magicien. Ce fourbe n'est pas un parasite, comme dans
XII SIECLE.
432 VITAL DE BLOIS.
la prétendue pièce de Plaute; c'est l'esclave du vieillard mort
en pays étranger, et qui a reçu ses aveux à ses derniers mo-
mens. Il s'appelle Sardana^ quoique dans aucune langue
ce dactyle n'ait été un nom propre. Euclion, en lui indiquant
le trésor qu'il a laissé et que son iils ne connaît pas, lui a
dit qu'il contenait mille talens; ce qui est une somme un"
peu forte pour tenir dans une seule urne, si l'on compte,
selon l'évaluation commune, le talent attique à 5,4oo fr. ; il
lui en a donné dix pour lui, et a voulu que le reste fut remis
à son fils. Outre ces dix talens, il lui a encore donné la
liberté, et a substitué, en l'affranchissant, le nom de Paul
à celui de Sardana. C'est sous ce nom de Paul que Sar-
dana vient se présenter à Querolus^ et qu'il entreprend de
s'approprier le trésor entier.
Non ultra dicar Sardana , Paulus ero ,
dit-il à la fin du premier livre ;
Paulus ero , Pauli romani consulis fueres j
Sub titulo Pauli Sardana clarus erit.
Cognita vilescunt; qui non est notus , amatur.
Ut sis ignotus hoc âge , clarus eris.
Ce ton sentencieux est habituellement celui de l'auteur. Dans
tout ce premier livre où il rapporte les plaintes que Querolus
ne cessait de faire de son sort, il le fait presque toujours, s'ex-
primer par sentences et par maximes; et souvent il les renferme
dans des vers assez précis , et qui ne ijjanquent pas d'élégance.
Paul, dans le deuxième livre, choisit pour coopérateurs
Gnathon et Clinias ; il leur fait part de ses projets et leur
donne ses instructions. Ce sont ceux qu'il charge de le faire
passer aux yeux de Querolus pour un savant magicien. Les
trois complices font ensembleJeurs dispositions.
Dans le 3« livre , Gnathon et Clinias savent que Querolus
les écoute ; l'un dit à l'autre des meiTcilles d'un homme fa-
meux qui vient d'arriver dans la ville. On ne sait si c'est un
homme ou un dieu ; s'il est homme par les formes extérieures,
il est dieu par son génie.
Servit ci cœlum , fatorwn strcnuus ordo
Expectat quod eum currere cogat iter.
litcJovis mentent novit , Jove certior ipso;
Quid pensent super i, quid novafata parent.
VITAL DE BLOIS. 433
Castigat mentem Jovis , invita love multa
Esse jubet; sic est Jupiter ipse Jovi,
Nec magus, at magicâ niagis est ars ipse putandus ;
Ars nihil kuic, sed ut ars ipsa sit istefacit.
Il dit enfin le nom de cet homme admirable; c'est Paul, fils
de Paul, consul de Rome, qui avait été envoyé de Rome
en Grèce pour instruire les Grecs. Querolus n y peut plus
tenir; il sort de sa maison, avoue qu'il a tout entendu, et
obtient de ces deux fourbes, comme une grande faveur,
qu'ils aillent le présenter au troisième.
Us le trouvent assis sur un trône et vêtu magnifiquement.
C'est là que Sardana , sous le nom de Paul , dit à Querolus
son nom, tout ce qu'il sait de sa famille, de sa position,
de sa fortune. Il prend ensuite un plus haut ton. pour lui
révéler que les astres soxis lesquels il est né, ont exercé jus-
qu'alors contre lui leur maligne influence; mais qu'il a des
moyens de faire violence aux astres mêmes et de corriger
les destinées. C'est pour ce passage que le poëte a demandé
grâce dans son prologue. Il Ta mis dans son poëme à la place
d'une longue explication sur la puissance des planètes, sur
les oies de mauvais augure et sur les cynocéphales , qui est
dans la comédie, et que l'auteur, quel qu'il soit, de cette
pièce a plutôt eu l'intention de renclre plaisante qu'il ne l'a
rendue en effet.
Ce dernier livre contient le reste de l'action à-peu-près tel
qu'il est dans l'ancien Querolus , excepté que le style en est
presque par-tout plus poétique, et en même temps plus sen-
tencieux. Il abonde aussi enjeux de mots et en antithèses,
selon la mode de ce temps-là. Les derniers vers du poëme
en sont remplis ; ils compléteront l'idée que les citations pré-
cédentes ont donnée du style de Vital de Blois.
Sardana soutient devant le juge que son vieux maître, en
mourant, ne lui avait, à la vérité, donné en propre que dix
talents sur les mille que contenait le trésor; mais qu'il lui
avait ordonné de commencer d'abord par s'emparer du trésor
k entier, pour éprouver si son fils était toujours aussi peu at-
tentif à ses afraires, aussi peu soigneux qu'autrefois, et de
le lui rendre ensuite pour lui apprendre par cette leçon à se
tenir mieux sur ses gardes. J'ai suivi de pomt en point, aijoute-
t-il, les ordres de mon maître.
Furor , reddo : Jîdem conserve senique tibique ,
Tome XV. 1 i i
XII SIECLE.
\
XII SIECLE.
434 ARNAUD DANIEL.
Scd furando scni, restituendo tibi.
Fraus fuit ahsque. dolo : fit utrunique fldcle : probata est
Infurto pietas ,• in pietalejidcs. *
Arbitcr emeruit Quernlain^ tua, Sardana, dixit,
Fraus sine fraude : fides est tua digrcafide.
Vera putat Querulus : irv partein Sardana venit;
Fert lucra flcta fides : lis cadit; acta placent.
ARNAUD DANIEL^'\
POÈTE PROVENÇAL.
Arnaud Daniel, issu d'une famille noble mais peu riche
de Ribeirac en Périgord , fut élevé dans les meilleures écoles de
ce pays. Son goût pour la poésie se déclara de bonne heure.
Le profit qu'il tira de ses premiers vers l'aida à continuer
ses études. Il composait fort bien et doctement, disent les
Nostradamus, historiens de sa vie, tant en latin que dans sa langue mnter-
vk^T^'"* ^"^ ' "^11^5 mais lorsqu'il se connut mieux, il se livra entièrement
à la poésie provençale. Il se fit une manière de composer en
rimes gênées ou contraintes {caras rirnas\cç, qui rendait ses
poésies très-difficiles à entendre et à retenir.
La femme de Guillaume de Boville, ou Bouville, grand
seigneur de Gascogne , fut le premier objet auquel il adressa
ses vœux d'amour et ses chansons ; il en fit sur toutes sortes
de rhythmes, des '^ixtines, des sons, des sirventes, etc. Il
y donnait à cette dame, pour cacher son véritable nom, le
nom emprunté de Giberne. Il la nommait aussi mon bon
esper ( mon bon espoir ) , et miels de ben ( mieux que bien ) ;
il paraît, par ses cfiansons même, qu'il n'obtint jamais rien
d'elle qui fut contraiie au devoir. Il y parle souvent de l'inu-
tilité de ses poursuites ; et selon la coutume de son temps
(i) Il est appc-lé quelquefois Dernaud Daniel, quelquefois Arnald ou
Narnald. Dans deux nianusiTits de la Bibliothèque royale, cotés •ji'iG
et yGyB , il est nommé Arnatui d'Anieh et non Daniel.
Dans les notes qui m'ont servi pour la rédaction de cet article, je trouve
ces mots : « Je me souviens que M. Arnaud d'Andiily, dans ses mémoires
compo>és pour 1 iiisti-uction de ses enfants, fait descendre sa famille de
ce poète provençal, »
ARNAUD DANIEL. 435
de mêler à des idées de dévotion des sentimens et des de- ^^^ ^^
sirs profanes, il dit dans un endroit qu'il a bien entendu
mille messes pour acquérir ses bonnes grâces, et pour qu'elle
le restaure au moins d'un seul baiser (i). Il est, dit-il, cet
Arnaud qui embrasse l'aure, c'est-à-dire le vent, et, ce qui
n'est pas d'un très -bon goût, qui chasse le lièvre avec un
bœuf (2). Il se compare au voyageur devant qui le Puy-de-Dôme Montagne
paraît s'éloignera mesure qu'il en approche davantage, etc. d'Auvergne.
Le moine des îles d'or, au rapport de Nostradamus, disait ^°'=- "»•
dans son histoire des troubadours, qu'Arnaud Daniel fut
amoureux de la dame d'Ongle, femme d'un gentilhomme
de Provence, nommée Allaëte, qu'il nommait Cyberne pour
tenir caché son vrai nom, et que par allusion a l'ongle du
doigt, il fit une sixtine dans laquelle il disait que pour le
ferme vouloir qu'il a envers sa dame, le bec ni l'ongle des
médisans ne peuvent lui nuire (3). Il est vrai, ajoutait cet
historien , qu'il n'a pu écrire si discrètement et à mots si cou-
verts, que l'on n'aperçoive par le dernier couplet de cette
chanson qu'elle fut faite à la louange de la dame d'Ongle,
qui était une darAe belle, docte, et bien parlante de ce temps.
Voici trois strophes de cette sixtine , telle qu'elle est citée
par Doni dans son livre intitulé i marmi (parte tertia,^
i53 et seq.) et rétablies selon les manuscrits.
Lo ferm voler qu'el cor m'intra
Nom' pot ges becx escoisseiidre ni ongla
De Lauzengier qui perd, per mal dir, s'arma.
E pus no l'aus batr' ab ram ni ab verja
Si vais ab frau lai; où non aura oncle'
J'auzirai joir en vergier o dins cambra.
(i) Nostradamus , p. 43- Quelques manuscrits portent six messes et
d'autres mille.
(2) Nostradamus dit avec un bœuf boiteux ; mais boiteux n'est point
dans le texte ; c'est bien assez du bœuf.
Jeu suy Arnautz c'amas l'aura
E catz la lebre ab lo bueu,
E nadi contra suberna.
Façons de parler pour dire des efforts inutiles.
(3) Millot a cité très-inexactement ce passage, en disant que Nostra-
damus, sur la foi du moine des îles-d'Or, parle dune passion de notre
poète 'çovit Aluete , dame d'Angle, qu'il chante sous le nom de Ciberna;
t. II, p. 489.
I i i a
XJI SIECLE.
436 ARNAUD DANIEL.
Quan mi sove de la cambra ,
Où à mon dan sai que om del mon non intr»
Ans me son tug plus que nebot ni onde,
Non ai membre no in fremisca ni ong-la
Aissi cum f'ai l'enfans devan la verja
Quar paor ai no el sia prop dé s'arma.
Del cors li fos non de l'arma
Que m consentis à celât dins sa cambra,
Quar plus mi nafra 1 cors que colp de verja ,
Quar lo siens sers lai ont ill es non intra.
Tos temps serai ab lieys cum cam et ongla
Ja non creirai castic d'amie ni d'oncle.
ce qui signifie à-peu-près:
« Le ferme désir qui entre dans mon cœur, ni bec ni
ongle du médisant ne peut l'en arracher, quand pour médire
il perd son ame. Et puis je ne l'ose battre à coups de bâton ni
de verge , à moins qu'en cachette là oii je n'aurai pas d'oncle,
je n'obtienne de jouir dans le verger ou dans la chambre.
Quand il me souvient de la chambre, oii pour mon
malheur je sais qae nul homme ne peut entrer, et où tout
m'est contraire plus que neveu ni oncle, je n'ai membre ni
ongle qui ne frémisse plus que ne fait l'eniant devant la verge;
tant j'ai peur que je ne sois proche de son ame.
Puisse -je y être de corps et non d'ame, et puisse-t-clle
consentir a me voir seul dans sa chambre ! Ce qui me blesse
le cœur plus que coups de verge, c'est que moi, son servi-
teur, je ne puis entrer oii elle est. Je serais avec elle comme
la chair et l'ongle, et ne croirais conseils d'ami ni d'oncle.»
Arnaud ayant passé en Angleterre rencontra,. à la cour de
Richard I**", un jongleur qui le défia et prétendit com-
poser des vers sur des rimes encore plus difficiles que lui,
car ou a vu que c'était un genre de mérite dont Arnaud était
très-jaloux. Il accepta ce défi, la gageure fut mise au jeu
et les deux poètes s'enfermèrent pour travailler chacun dans
une chambre séparée. Arnaud se trouva si mal disposé qu'il
ne put réussir à coudre deux mots ensemble. Son rival au-
contraire fit sa pièce promptement et sans peine. Le roi ne
leur avait donné que dix jours pour la faire, cinq pour
l'apprendre, après quoi elle devait être jouée c'est -a -dire
chantée devant lui. Le jongleur déclara dès le troisième jour ,
XII SIECLE.
ARNAUD DANIEL 437
qu'il avait fini sa pièce, et q^u'il était prêt à la faire entendre.
Arnaud répondit qu'il n'avait pas encore songé à la sienne. Le
jongleur répétait tous les jours ses vers afin de les mieux
savoir. Arnaud songeait aux moyens d'éviter les plaisanteries
dont il se voyait menacé , lorsqu'il entendit pendant la nuit ce
chant du jongleur. Il vient écouter à sa porte, et parvient
à retenir les paroles et l'air. Au jour mai-qué, ils paraissent
tous deux devant le roi. Arnaud demande à chanter le pre-
mier, et chante toute entière la chanson que le jongleur avait
faite. Celui-ci muet d'abord de surprise, s'écrie enfin : C'est
ma chanson! Cela ne se peut, répond le roi; mais il insiste,
et demande que le prince interroge lui-même Arnaud , qui
n'aura pas le front de le nier. En efle^, Arnaud l'avoue et
conte la manière dont la chose s'était passée, ce qui amusa
Richard plus que la chanson même. On rendit à chacun sa
gageure, et le roi les combla l'un et l'autre de présens.
Cette anecdote, ainsi que plusieurs autres, prouve que les
jongleurs de profession étaient aussi quelquefois poètes ou
troubadours. Arnaud lui-même est appelle jongleur par
quelques anciens historiens, parce qu'il composait les airs
de ses chansons et qu'il les cliantait avec beaucoup d'expres-
sion et de grâce. Les poésies qui nous restent de lui, au
nombre de dix-sept, sont dans un manuscrit de la biblio-
thèque royale, dans un autre du Vatican, aujourd'hui réuni ^"vfigS.
à la même bibliothèque , et dans un manuscrit de Florence. ^ " 5^*»4-
Elles sont toutes consacrées à l'amour. On dit qu'il avait
fait aussi un poëme contre Boniface, seigneur de Castellane,
qui refusait, en 1 189, de reconnaître, pour son seigneur,
Alphonse P"", roi d'Arragon et comte de Provence. Nostra- Nostradamu» ,
damus ajoute qu'il avait fait plusieurs comédies, aubades, P- *'•
martegalles, un chant qu'il intitula las phantaumarias del
paganisme, les visions du paganisme, et un beau poëme moral
adressé à Philippe roi de France. C'est probablement celui
que ï Alunno, dans sa fabrica del mondo, dit qu'Arnaud, N^yi.p. ji.
accablé par la pauvreté dans sa vieillesse , composa et pré-
senta aux rois de France et d'Angleterre qui l'en récom-
pensèrent généreusement. Aucune de ces pièces n'est parve-
nue jusqu'à nous. Il n'est pas besoin d'avertir que ce qu'on
entend ici par comédie et tragédie n'a rien de commun avec
l'art dramatique, qui n'existait nullement alors et que l'on
n'a pu vouloir designer ainsi que des pièces plaisantes, et
d»» pièces touchantes ou graves.
438 ARNAUD DANIEL.
Aucun autre poète provençal n'a reçu plus d éloges des
e'trangers, ou du moins des Italiens, qu'Arnaud Daniel.
Dante le cite avec honneur et s'appuie de son autorité dans
son traité latin de V éloquence 'vulgaire, traduit en italien par
Chap, 6eti3. jg Trissin. Dans son vingt-sixième chant du purgatoire, il
le met au-dessus de tous les poètes provençaux, même au-
dessus de Géraud de Borneil, limousin, qu'on appelait le
maître des troubadours, et pour donner plus de poids à
cet éloge, il le met dans la bouche de Guida Guinicelli, l'un
des créateurs de la poésie italienne. Questi, lui fait- il dire:
Questi ch' io ti scerno
Col dito (ed addito uno spirto innanzij
Fn miglioPfabbro del parlar materna :
F'ersi d'ainore e prose di romanzi
Soverchio tutti, e lascia dir gli stolti
Che quel di Lemosï credon cfi'avanzi.
Ce quel di Lémosi ne peut être un autre que Géraud de
Borneil. On voit par ces mots e prose di Romanzi qu'Arnaud
Daniel avait aussi composé des romans en prose. En effet le
Tasse, dans son discours sur le poëme héroïque, dit que
c'est lui qui fut l'auteur du roman de Lancelot. Varchi dans
p. 63, i59 sof, Ercolano , lui donne les mêmes éloges que le Dante.
des'cfiimi F^o- Pétrarque, dans son Triomphe de l'amour, le place aussi au
rencr., 1670. premier rang.
P' Fra tutti il primo Arnaldo Daniello
Gran maestro d'amor , ch^ alla sua terra
Ancorfa onor col dir polito e bello.
Le Vellutello et le Gesualdo ^ en commentant ce passage
de Pétrarque, assurent qu'Arnaud l'emporta sur tous les
provençaux qui firent des vers avant et après lui , que ses
chansons sont de toute beauté, et si poétiques qu'on ne peut
■ pas les entendre facilement. Ce mérite de l'obscurité, si tant
est que c'en soit un en poésie, naissait peut-être des rimes
recherchées et laborieuses, caras rimas^ dont Arnaud se
servait : mais il ne rjmait sans doute pas toujours ainsi, car
ce n'est ])as là ce qu'un poète aussi élégant et aussi poli que
Pétrarque aurait appelé un dir polito e bello. .
Prose, Uv. I. Le Bembo attribue à notre Arnaud l'invention de la sixtine,
espèce de chanson singulière, où l'entn lacement et le retour
des rimes donnent beaucoup de tiavailau poète, sans don-
ARNAUD DANIEL. 439
ner en même proportion du plaisir au lecteur. Les six vers
de la première strophe ne riment point entre eux, mais four-
nissent des rimes ou plutôt des bouts rime's pour toutes les
autres strophes , et cela dans l'ordre suivant. Les mots qui
terminent ces six vers étant dans la première strophe: terra ,
sole, giorno, stelle , selva, alba , comme dans la première
sixtine de Pétrarque, ils doivent se répéter ainsi à ta fin des
six vers de la seconde :
Alba, terra, selva, sole, stelle, giorno.
dans la troisième :
Giorno , alba , stelle , terra , sole , selva.
ainsi de suite dans les trois autres , mettant toujours pour
premier mot final le dernier de la strophe précédente , puis
le premier; le cinquième, puis le second; le quatrième, et
enfin le troisième ( i ).
Le Tassoni, dans ses considérations sur Pétrarque, Castel-
vetro , Varchi , etc. , confirment le témoignage du Bembo ;
mais celui-ci ajoute qu'Arnaud ne fit jamais lui-même qu'une
seule chanson de cette espèce, et que toutes les autres
étaient de cette forme que les Italiens appellent distesa ; les
strophes y sont de sept vers qui ne riment point entre eux,
mais tous les vers de chacune des strophes riment avec
ceux de la première, dans le même ordre ou ils y sont placés.
C'est bien encore assez d'entraves au génie, mais du moins
l'oreille peut saisir plus facilement ici l'ordre du retour des
mêmes sons.
Le Redi , dans les notes sur son dithyrambe, bocco in
toscana, confirme ce que nous avons dit du talent qu'avait
Arnaud Daniel de faire lui-même la musique de ses chansons.
Il en trouve la preuve dans deux passages de ce poète. Dans
l'un il dit, en s'adressant à sa dame :
Ma can7.os prec que no us sia enois
Car si voletz grazir lo son e Is motz ^.
Pauc preza Arnaut cui que plassa o que tire.
« Je vous prie que ma chanson ne vous ennuie pas; car si
(i) L'abbé Millot se trompe en disant que dans cette combinaison de
vers, les vers sont re'pétés dans un certairt ordre. Ce ne sont pas les vers
niais les derniers mots seulement qui se répètent.
XII SIECLE.
XII SIECLE.
44o ARNAUD DANIEL.
vous voulez agréer le chant et les paroles, Arnaud se soucie
peu à qui plaire ou déplaire. »
Il dit dans l'autre passage :
Ges pel maltrag qu'en soferi
De ben amar no m' destoli.
Sitôt mi ten en désert
Per lieis faz lo son e 1 rima.
« Quelque mauvais traitement que j'aie reçus , je n'ai point
cessé de bien aimer : dès que je suis seul, je fais pour elle
des chants et des vers. »
Le même Redi cite ce vers d'Arnaud :
Faz moz ca puze d'oli,
« Je fais des vers qui sentent l'huile. » Il les cite pour prouver
qu'il travaillait beaucoup ses vers et qu'ils lui coûtaient
beaucoup de peine; mais il paraît que ce vers écrit incorrec-
tement par Redi , présente un meilleur sens dans les ma-
nuscrits, où on lit:
Fas motz capus e doli.
c'est-à-dire, je fais des vers, les rabote et les polis. Il n'est
question là ni de lampe ni d'huile.
Pétrarque , comme on l'a vu , a beaucoup loué et souvent
imité Arnaud Daniel. Il lui a encore rendu une autre es|>èce
d'honneur. Dans une de ses canzoni ( i ) , il termine chacune
des cinq strophes ou couplets , par le premier vers d'une
chanson de quelqu'un des poètes qui s'étaient rendus célèbres
avant lui. Il y en a un de Cino, un de Cavalcanti , un de
Dante; et celui qui termine la première strophe est celui-ci
de notre troubadour:
Drez e rason es qu'en ciant enderaori (a).
« Il est juste et raisonnable que je chante d'amour. »
Malgré tant de témoignages honorables, l'abbé Millot ne
balance point à mettre la réputation d'Arnaud au nombre
des réputations usurpées. Il tourne contre lui les éloges
mêmes qu'on lui a donnés, et ne trouve ni dans la difficulté
(i) Lasso me, ch'io non so in quai parte pieghi , etc. Cam. 17.
(a) On lit ailleurs qu'e« cianlant dentori, mais il semble que l'autre
leçon vaut mieux, et qu'endemori signifie ici la même chose qu'ùmamorato
en italien , et énamoure en vieux français.
ARJVAUD de MARVEIL. 44r
de ses rimes, ni dans celle de ses formes poétiques, ni dans
l'obscurité d*son style, de quoi justifier cette renommée. Il
l'accuse aussi d\pe recherche pénible de sentimens et d'idées ,
et cite piusieurs^assages qui appuient ce dernier reproche.
Peut-être trouverait-on dans cette recherche même une des
causes et de la prédilection que Pétrarque avait pour lui , et
de l'affectation qui défigure trop souvent les vers de ce pre-
mier des lyriques italiens (i).
G.
ARNAUD DE MARYEIL^'^
POÈTE PROVENÇAL.
J_je château de Marveil où naquit ce troubadour était,
selon Nostradamus , dans le diocèse d'Aix- en -Provence,
mais les manuscrits provençaux le placent en Périgord, ce
qui est plus vraisemblable, puisque cet Arnaud était, selon
tous les auteurs qui ont parlé de lui , compatriote d'Ar-
naud Daniel, et que celui-ci était de Périgord.
Les parens d'Arnaud de Marveil étaient pauvres : il voulut
d'abord piendre l'état de notaire ou de clerc ; mais les agré-
mens de sa figure et le talent poétique qui se développa
en lui, l'entraînèrent bientôt dans une autre carrière : il se(
mit à parcourir en chantant les châteaux ou , comme on
les nommait alors, les cours des seigneurs du pays. Il s'at-
tacha particulièrement à celle d'Adélaïde de Burlats, vicom-
tesse de Béziers, femme de Roger II, surnommé Trencavel.
Selon l'usage des troubadours, il devint amoureux de la
vicomtesse et la célébra dans ses vers, en cachant le nom
(i) La vie d'Arnaud Daniel se trouve en provençal dans le ms. n" ^2a5
de la Bibliothèque royale.
Ses poésies sont dans les mss. de M. de Sain^î-Palaye : ms. A, 36,
fol 2o3; id. 36", fol. 204 ; id. i33, fol. 206; id. 164, fol. 2o5; id. 3ii,
fol. ao3 ; ms. B, iia, i3, i4; ms. C, 47; nis. D, pièce 23; id. a45 ;
id. 8i6" ; ms. E , pièce 16 ; ms. G , 025 ; id. 229 ; id. 402 , ms. S , fol. 86,
pièce aj6; ms. ï, p. 39; ms. D, 3q2.
(a) 11 est quelquefois nommé de Marvoil , de Marvelles, et de Miroil.
Nostra<iai!ius l'appelle Arnauld de Myrveilk.
Tome Xr. Kkk
XII SIECLE.
XII SIECLE.
'44a BÉRENGER DE PALASOL.
d'Adélaïde sous celui de Behezer ou Belregard. Mais il avait
auprès d'elle un rival dangereux; c'était un roi , Alphonse
roi de Castille. Adélaïde obligée d'opter, garda le roi et
congédia le poëte. Arnaud se retira auprès du seigneur
de Montpellier. Dans cette cour, il se livra quelque temps à
ses regrets , mais la dernière pièce qu'il y composa est toute
morale, et fait penser que, soit nécessité, soit raison, il était
revenu à la sagesse.
On présume qu'il mourut avant la fin du XII* siècle, et
avant la vicomtesse de Béziers (|ui mourut en 1 201. En effet,
il n'est question de cette moit dans aucune des pièces d'Ar-
naud de Marveil, et, quoique guéri de sa passion pour elle,
il n'eût pas manqué d'en parler s'il lui avait survécu.
C'est ce troubadour que Péti^arque désigne dans son
Cap. /,. triomphe de l'amour par ces mots : Il men fanioso Arnnldo;
non que ses poésies n'eussent peut-être plus de clarté, de
naturel et de tendresse que celles d'Ai'naud Daniel , mais
seulement parce que sa renommée avait moins d'éclat.
On trouve ses poésies dans les manuscrits 32o4,5,() et 7
de la vaticane , et dans ceux de la bibliothèque royale,
nos "225 et 7698, et dans un très-grand nombre d'autres
manuscrits. G.
^««^ «<«^ «.«^ «^«^«^^W«^/»^%.«f«^ «/«^ «/%,« <
BÉRENGER DE PALASOL,
POETE PROVENÇAL.
Lj'abbé Millot, après avoir fait observer, dans l'article de
J. Nostradamus intitidé 5. de Parasolz , la différence totale
qui règne entre cet article et la notice que les manuscrits
provençaux donnent sur Bérenger de Palasol, conclut qu'on
rie peut rien admettre du récit de Nostradamus qu'en sup-
posant un autre poëte de ce nom ( il fallait dire a-peiv-près
du même nom) , et beaucoup moins ancien. C'est eu effet ce
qu'on doit supposer; B. de Parasolz ne paraît avoir aucun
rapport avec notre Bérenger. L'un appartient an XIII* siècle,
l'autre au XI^. Crescimbeni ne les a pas ceufondus : après
BERTRAND D'ALLAMANON L'ANCIEN. 443
avoir traduit la vie du premier, il a fait dans ses additions
un petit article du second , d'après les manuscrits proven-
çaux. Il le nomme Berlinghieri di Palazzuolo , et 1 on sait
que le Berlinghieri à.es Italiens est le .fiere«g-er des Français,
n ne sait, au contraire, si c'est Bertrand ou Bernard que
Nostradamus a désigne par l'initiale B. qui précède le nom
de Parasolz , et non tle Palasol , dans l'article LXXII de ses
vies des poètes provençaux. Nous imiterons Crescimbeni, et
réservant pour l'histoire du XIII» siècle Bertrand ou Ber-
nard de Parasolz, nous dirons ici le peu qu'il y a à dire
de Bérenger de Palasol.
C'était un chevalier catalan du comté deRoussillon, pauvre
mais distingué par ses talens , par sa figure et par sa bra-
voure. L'objet de son amour et de ses chansons fut Er-
mesine , femme d'Arnaud d'Avignon et fille de Marie de
Pietralata. Bérenger est, selon D.Vaissette, dans son histoire
de Languedoc, au nombre des troubadours ' qui fleurirent
sous Raimond V, comte de Toulouse. Il ne s est conservé
de lui que quelques chansons d'amour, où l'on reconnaît
de la tendresse et du naturel , mais qui n'offrent rien de
particulier. On ne sait rien de positif sur l'époque de sa
mort , que l'on place cependant vers la fin du XIP siècle,
G.
XII SIECLE.
BERTRAND D'ALLAMANON L'ANCIEN,
POÈTE PROVENÇAL.
l JE Bertrand d'Allamanon, que nous nommons F ancien,
pour le distinguer d'un autre troubadour du même nom,
et apparemment son petit-fils, ne doit point être séparé de
son ami, GeofFroi Rudel. 11 était comme lui gentilhomme et
fort bon poëte provençal. La terre d'AUamon dont il était
seigneur, située dans le diocèse d'Aix- en -Provence, à une
lieue de Sallon et de Senès, s'appelle encore aujourd'hui La-
manon. Son voyage à Tripoli avec son ami GeoPiVoi est la
seule circonstance connue de sa vie. A son retour, il se fit
chanoine, ou plutôt moine de Silvecane, (i) où il se ren-
(i) Ou Sauve-Cane, abbaye de l'ordre de Cîleaux, au diocèse d'Aix.
Rkka
XII SIECLE.
444 P DE BOTIGNAC— GÎRAUD DE SALAGNAC.
ferma pour le reste de ses jours. Il paraît avoir vécu , au
moins jusqu'au commeuct'mrnt du XIII* siècle. Ses poésies,
estimées de son temps, se trouvaient parmi celles des autres
anciens poètes provençaux dans la bibliothèque de Robert,
mX'^âeTZy' ^^^ ^® Naples et comte de Provence, mort en i343.
part 3,p.37p, G.
'•'«.«.«^^«^^«.«-«^^^'«^«.'•'«^«««/«.^«^«^ ««-« «^x «.-W« V« « V*/^-*'»^ V%^^^^*i«Wr*
PIERRE DE BOTIGNAC^•^
POÈTE PROVENÇAL.
X^iERRE DE BoTiGNAC, poëte provcnçal , était clerc et
gentilhomme du château de Hautefort en Périgord, qui
appartenait à Bertrand deBorn, l'un des plus illustres trou
badours du XII* siècle. Pierre de Botignac.se fit connaître
par des sirventes et par des satires contre les femmes de
mauvaise vie. On en trouve dans le manuscrit 32o4 de la
Fol. ia8, y". Vaticane. Elles sont moins mordantes et moins libres
qu'on ne pourrait le croire d'après le sujet. Pierre blâmait
et reprenait hautement ces deux défauts dans les sirventes
de son seigneur Bertrand de Born (voy. l'art, de ce trouba-
dour). G.
GIRAUD DE SALAGNAC,
POÈTE PROVENÇAL.
LriRADD OU GoiRAUD DE Salagnac naquit sans doute dans
le château de ce nom, en Périgord ou dans le Limousin. Il
était jongleur et très-habile dans son art. Il sut aussi trou-
ver des chansons, des discours et des sirventes. On trouve
Fol. i3Set i8o. quelques-unes de ses pièces dans le même manuscrit.
G.
(t) CrescimheniÏAppeUe Rosignac et Rossinac. {Gîunte alfe vite, etc.)
Ce village qui est dans les environs de Hautefort en Périgord , s'ap-
pelle aujourd'hui Bucignac.
XII SIECLE.
GAVAUDAN LE VIEUX,
POETE PROVENÇAL.
Les manuscrits provençaux (Jui donnent à Gavaudan le
surnom de vieujc , l'appellent sans doute ainsi pour le dis-
tinguer d'un autre troubadour aussi nommé. Gavaudan , qui
était plus jeune ou plus moderne; mais il n'est resté nulle
trace des compositions ni de l'existence de ce dernier. Quoi-
qu'il ne soit non plus parlé de Gavaudan le vieux dans
aucun des auteurs qui ont écrit avant l'abbé Millot sur les
troubadours, on voit par Tune des pièces qui nous restent
de lui qu'il florissait vers la fin du XII« siècle. Elle fut faite
lorsque Saladin eut conquis Jérusalem, et avant que l'em-
pereur Frédéric F"" fût parti pour la croisade dont cette con-
quête fut le motif, c'est-à-dire entre les années 1187 et
1189. Dans ce même temps, les Maures d'Espagne mena-
çaient aussi les princes chrétiens, et même ils attaquaient
le roi de Gastille Alphonse IX. C'est à son secours que Ga-
vaudan appelle l'empereur Frédéric P*", le roi de France
Philippe-Auguste et le roi d'Angleterre, comte de Poitou;
c'était non Henri 1 1, comme dit Millot, mais plutôt Richard-
Cœur-de-Lion, qui venait de succéder à son père. Le trouba-
dour prodigue dans ce sirvente les injures les plus grossières
aux Sarrasins, qu'il traite de chiens et de charognes faites
pour servir de pâture aux milans. C'est contre ceux d'Es-
pagne qu'il exhorte tous les chrétiens à marcher pour lie pas
encourir la damnation. Quoiqu'il parle dans sa première
strophe de la prise de Jérusalem , M veut que les Portugais ,
Galiciens, Castillans, Arragonais, se soulèvent quand ils ver-
ront s'avancer à leur secours Allemands, Anglais, Bretons,
Angevins , Béarnais , Gascons et Provençaux ; il marchera
lui-même avec eux, et soyez sûrs, dit-il, qu'avec nos épées,
nous trancheroïis la tête à ces misérables.
Cette brusque franchise de style n'était pas toujours le
caractère des poésies de Gavaudan. Il se faisait quelquefois
gloire d'être obscur; il fait à dessein un poème clos et couvert,
pour éprouver ceux qui ont l'esprit ouvert ou bouché, et il se
XII SIECLE.
446 LA COMTESSE DE DIE.
moque des ignorans qui baient et musent dans l'embarras
où les jette ce qui est trop savant pour eux. Il dit dans une
autre pièce, quil ne ressemble, pas aux autres troubadours;
. que ce qui donne du prix à ses vers, c'est que sur mille il
n'y en aura pas dix qui puissent retenir le sens de ce qu'il va
dire. Mais dans cette pièce même oii il s'emporte contre
toutes les femmes, à 1 occasion d'un trait de fausse amitié
qu'il reproche à sa maîtresse, il ne parle quelquefois que trop
clairement, car il emploie les mots les plus obscènes.
Soit qu'il eût accusé faussement cette maîtresse , soit qu'il
se fût ensuite raccommodé avec elle, il composa sur sa mort
une complainte où l'on trouve l'expression d'une douleur
vraie et le ton du sentiment. On a aussi de lui deux pas-
tourelles, ou espèces dVglogUes, qui ne manquent pas de
La Savieza naïveté. La bergère parle dans l'une de la sagesse de Salomon
Saïainos. ^^ s'autorisc daus l'autre de la faiblesse d'Eve pour excuser la
sienne. Ce sont des traits conformes à l'esprit du temps.
Les poésies de Gavaudan le vieux se trouvent principale-
ment dans le manuscrit 7226 de la bibliothèque royale.
v«.«^«'«/«'%.
LA COMTESSE DE DIE,
POÈTE PROVENÇALE.
Hist. Littér. JM ous avons parlé de la comtesse de Die à l'article de Ram-
t. XIII, p. .472 ijaud d'Orange. Il y eut deux comtesses de ce nom, toutes
deux poëfes et toutes deux aimées et chantées par deux trouba-
dours provençaux. On ne peut que conjecturer ce que ces
deux comtesses étaient l'une à l'autre. Il paraît que c était la
mère et la fille. Rambaud d'Orange, amant de la première,
étant mort vers 1 1^3, on peut croire que ce fut alors qu'elle
épousa Guillaume de Poitiers. Elle lui apporta le comté de
Die, dont elle garda le titre, selon l'usage du temps, et ce
titre passa même à sa fille. C'est dix-sept ans après, en 1 190,
que Ion place la mort de Guillaume Adhémar, amoureux de
la jeune comtesse. Rien de plus naturel que le goût hérédi-
XII SIECLE.
GUILL. DE BALAUN. -PIERRE DE BARJAC. 447
taire de la fille pour la poésie et pour les poètes; rien aussi
qui le soit plus que cette visite delà mère et de la fille chez le
troubadour mourant, et le soin que prit la première de lui"
faire élever un tombeau , et d'y faire graver des vers à sa
louanj^e, prouve suffisamment l'estime qu'elle avait pour les
talens poétiques, et ceux qu'elle possédait elle-même.
No.straflamus dit que celle qui fut aimée de Guillaume
Adhémar était l'iuie des dames présidant la cour d'amour de
Sifïna et de Pierrefeu. On trouve en eftet, dans la liste de ces
dames, une comtesse de Die: mais il est plus vraisemblable , Voy. ci-dess.
que celait la mère, celle qui lutaimee denarabaud d Orange. CeofiroiRudeJ.
Sa fille, qui mourut de chagrin dans un couvent de Taras-
çon, peu (le temps après la mort d' Adhémar, était trop jeune,
et, n'étant pas mariée, ne' pouvait sans doute présider ce
grave tribunal.
C'est de la première comtesse de Die que sont les quatre
pièces de vers que l'on trouve dans quelques manuscrits. Il ne N°» 3ao4 et
s'est rien conservé de la seconde. Nostradamus dit qu'elle ^.*°' ^^ '* ^''^'
/ 1 . . • ' 1 1 m ticane.
avait compose depuis sa retraite un traite de la larasque, lo Tractai
en rimes provençales. La Tarasque était un mannequin en de la Tharasca.
forme de poisson, qu'on promenait en certains jours dans la
ville de Tarascon, et dont un homme caché en dedans met-
tait la queue en mouvement; mais on ne sait ce qu'est de-
venu ce traité.
G.
GUILLAUME DE BALAUIS ,
ou BALAZ.UN,
ET PIERRE DE BARJAC,
POETES PROVENÇAUX.
L(E premier de ces deux troubadours était un noble châ-
telain du pays de Montpellier, et le second un simple che-
448 GUILL. DE BALAUN.— PIERRE DE BARJAC.
xu SIECLE, ^^jjgj. jig étaient intimes amis, tous deux aimables et galans,
et cultivaient ensemble la poésie et les dames-Guillaume de
Balaun étant devenu amoureux de Guillelmine, dame de Jo-
viac, dans le Gévaudan, et ayant réussi auprès d'elle, Pierre
de Barjac voulut la connaître, et accompagna son ami dan»
une de ses visites au château de Joviac. 11 y trouva une jeune
dame appelée Viernette , femme du ravisseur d'un petit tiet
des environs, et intime amie de Guillelmine : il l'aima, s'en
fit aimer, et pendant quelque temps les deux chevaliers furent
également heureux. Mais Viernette se brouilla avec son amant.
Barjac cessa de l'aller voir,, et lui adressa un sirvente, dans
lequel il lui déclare qu'elle peut faire choix d'un autre amant,
et qu'il lui en a donné l'exemple en prenant une autre maî-
tresse. Mais ils se sont fait des sermens mutuels; peuvent-
ils les rompre sans crime ? Voici le parti qu'il lui propose.
Adressons-nous, dit-il, à un prêtre -.vous me donnerez votre
absolution, vous recevrez la mienne; et nous pourrons ainsi
loyalement former de nouvelles amours. » Pour bien sentir
tout ce que prouve contre les mœurs du siècle cette pvo-
position de l'intervention' d'un prêtre dans une pareille
affaire , il ne faut pas oublier que Viernette était mariée ,
ainsi que la dame de Joviac.
Balaun s'entremit dafts cette brouillerie et parvint à rac-
commoder les deux amans. Barjac trouva tant de plaisir
dans ce raccommodement , qu'il assura à son ami qu'une
réconciliation vaut mieux en amour que les premières faveurs.
Guillaume de Balaun voulut en faire l'épreuve , et sur le
plus léger prétexte, ou même sans en chercher, il rompit
avec sa dame, cessa de la voir , refusa de répondre à ses
lettres, même à l'ambassade qu'elle lui fit d'un chevalier confi-
dent de leurs amours , et ce qui est bien plus extraordinaire ,
il repoussa même ses prières dans une visite nocturne oii elle
ne craignit point de s abaisser jusqu'à tomber à ses genoux.
La dame de Joviac se lassa enfin de ce rôle humiliant; elle
devint fière à sop tour : alors Guillaume changea de rôle et
devint suppliant à son tour. Guillelmine se donne le plaisir
de rejeter pendant un an ses prières , ses supplications et ses
vers. Enfin, un ami commun, le chevalier Bernard d'Anduse,
rendit à Balaun le même service que Balaun lui-même avait
rendu à Bajac : il le fit rentrer en grâce ; mais ce fut à une
condition sévère. Elle exigea que le coupable s'arrachât l'ongle
du plus long doigt de la main droite , et qu'il vînt le lui oftrir
GUILLAUME DE SAINT- DIDIER. 449
avec une chanson qu'il aurait composée exprès. Crescimbeni
conjecture quelle avait voulu par là le mieux punir, parce-
qu'il jouait avec beaucoup d'habileté d'un instrument à cordes,
et qu'il le touchait sur-tout avec cet ongle. Balaun se trouva
trop heureux d'en être quitte à si bon marché : il se fit arra-
cher l'ongle par un chirurgien , fit la chanson exigée ; et
conduit par Bernard d'Audrun , alla déposer cet hommage
aux pieds de la dame de Joviac. A ce spectacle , elle fond en
larmes, pardonne et récompense. Balaun avoua ensuite à son
ami Barjac qu'il ne l'avait point trompé. La chanson qui lui
avait été prescrite s'est conservée : elle commence par ces
vers :
Mon vers mov merceyan vas vos
M«t chanson va vers vous en demandant merci.
C'est la seule qui nous reste de ce troubadour , que don
'Vaissette compte parmi les poètes provençaux du XIP siècle,
sous le bon comte de Toulouse Raymond V. G.
GUILLAUME DE SAINT -DIDIER^^
POÈTE PROVENÇAL.
(jruiLLAUME DE Saint-Didier, richc gentilhomme du Vêlai (a),
ne se distingua pas seulement par les talens et les dons de
l'esprit; il s'acquit l'estime publique par ses qualités civiles
et militaires. Il fut amoureux d'Adélaïde, marquise de Po-
lignac, ou comme l'écrit Nostradamus, de Poullignac, sœur
du Dauphin d'Auvergne et de Nassale de Claustral ou de
(1) Il est appelé par Nostradamus Guilhem de Sainct-Desdier ^ et dans
différents mss. de la Vaticane Guillems de Saint-Leidier , di Sain-Leisder ,
de San-Disder. Crescimbeni en rapportant ces variantes dans une note sur
la vie de ce troubadour, croit qu'elles signifient toutes en italien sant
Isidoro , qu'on a ensuite appelé sant' Isideio. Cependant comme plusieurs
provençaux lui ont affirmé que tous ces noms signifient en ïtaXien San
Desiderio, il conserve ce nom à Guillaume dans sa traduction.
(2) Nostradamus dit de Vellaj ; Crescimbeni , de Veilac ou Fellai ;
Miilot le dit « un riche châtelain de Veillac (ou Noaillac, ajoute-t-il) dans
l'évêché du Puy-Sainte-Marie ». C'est d'après le ms. 32o4 de la Vaticane,
fol. 62, que Crescimbeni a ainsi cité dans une note.
Tome XV. L 1 1
XII SIECLE
45o GUILLAUME DE SAINT- DIDIER.
— Claustre , dont il est parlé dans la vie de Pierre de la
Vernègue (i). Saint Didier composa plusieurs chansons à la
louange de la marquise ; pour dérober à son mari la con-
naissance de leur amour, il la nommait Bertrand dans ses
vers, et ayant donne ce même nom à l'un de ses plus intimes
amis, appelé Hugues Maresclial , c'est à lui qu'il adressait ses
chansons.
Nostradamus, et d'après lui Crescimbeni , rapportent ainsi
le fin de cette aventure. Hugues sachant tous les secrets
de Guillaume, entreprit de le faire chasser de cette cour,
croyant , par ce moyen , prendre sa place auprès de la
marquise. Son projet ne réussit qu'à moitié. Guillaume
fut, a la vérité, contraint de s'éloigner, et de se retirer en
Provence, auprès du roi d'Arragon, Ildephonse ou Alphonse
I*"", où il mourut en 1 185 ; mais Adélaïde voyant la trahison
et la témérité de Hugues Mareschal , le chargea d'aller re-
cevoir son revenu dans quelqu'une de ses terres, et il y fut
tué par les paysans, sans que l'on ait jamais su pourquoi.
Labbé Millot , d'après un ancien manuscrit provençal,
T. m, p. lao. raconte très- différemment et moins tragiquement la chose.
Selon lui , la liaison secrète de Guillaume avec Adélaïde
durait depuis long-temps sans qu'il eût rien obtenu d'elle.
Enfin elle lui déclara qu'il n'en obtiendrait jamais rien si
le vicomte son mari (2) ne la priait et ne lui commandait
de le prendre, lui Guillaume, pour chevalier et pour ser-
viteur. Il s'occupa aussitôt des moyens de remplir cette con-
dition. Il composa une pièce de vers où il faisait parler un
mari intercédant auprès de sa femme en faveur d'un chevalier
amoureux. Ses chansons plaisaient beaucoup au vicomte ,
qui, dit naïvement le biographe provençal, les chantait lui-
même fort bien. Guillaume ''alla donc trouver et lui récita
la chanson qu'il venait de faire. Le vicomte la trouva plaisante,
l'apprit et l'alla chanter à sa femme. Elle se ressouvint de la
parole qu'elle avait donnée à Guillaume , et voyant qu'il
(i) Selon la notice de ce même ms. provençal, ce ne fat point de la
sœur de Nassale de Claustre, mais de Nassale elle-même que Guillaume
fut amoureux. Voy. sur cette dernière la vie de Pierre de la Vernègue,
oi-dessus , p. aS.
(a) Suivant un usage des grandes maisons de ce temps , Adélaïde avait
gardé son titre de marquise, quoique son mari portât celui de vicomte
de Polignac.
GUILLAUME DE SAINT -DIDIER 45 1
avait rempli la condition qu'elle lui avait prescrite, elle l'ac-
cepta , comme elle l'avait promis , pour son chevalier et
serviteur.
Leurs amours durèrent long-temps; mais elles finirent par
une infidélité scandaleuse.
Le troubadour cachait son bonheur avec beaucoup de
discrétion, et se montrait souvent dans le monde occupé de
toute autre dame que de la sienne. Il l'était sur- tout de
la comtesse de Roussillon, dont la beauté et le mérite
attiraient les hommages des plus braves chevaliers : il la
louait et la vantait à tout propos; elle le voyait de bon œil.
Peut-être devint-il moins assidu auprès ae la marquise :
elle en fut jalouse et crut aux bruits qui couraient sur Guil-
laume et sur la comtesse. Décidée à se venger , elle mande
Hugues Mareschal , lui déclare qu'elle l'a choisi pour son
vengeur et pour son chevalier. «Je veux, dit-elle, aller en
pèlerinage a St. Antoine de Viennois ; nous passerons chez
Saint-Didier, et nous y coucherons dans sa chambre et dans
son propre Ht. » Hugues, d'abord très-surpris , accepte : ils
partent, et non pas secrètement; la marquise avait avec elle
ses dames et demoiselles , suivies de plusieurs chevaliers.
Guillaume était absent; elle n'en est pas moins bien et moins
honorablement reçue dans son château. On la sert comme
elle le désire ; enfin elle passe la nuit avec Hugues dans le
lit même de Guillaume. La nouvelle s'en répandit bientôt
dans le pays : Guillaume en fut aussi afflige que confus ,
mais il prit le sage parti que conseille un poète comique.
L'éclat est pour le fou, la plainte est pour le sot;
L'honnête homme trompé s'éloigne, et ne dit mot.
il se livra entièrement à la comtesse de Roussillon et se
détacha de la marquise.
L'abbé Millot observe en finissant que l'historien provençal
aurait dû nous apprendre quelle fut la conduite du mari après
cette aventure. Nous observerons à notre tour que ce second
dénouement d'une intrigue coupable dès son origine , mais
long-temps couverte du voile de la décence, paraît moins vrai-
semblable que le premier. Les précautions prises pour cacher
cette liaison d'amour depuis ses premiers temps, malgré la cré-
dule simplicité du mari , ne s'accordent point avec l'effronterie
d'une femme capable de mettre cette sorte de publicité dans
un acte de coquetterie et de libertinage. Ajoutons que cette
Llla
XII SIECLE.
452 GUILLAUME DE SAINT- DIDIER.
"VIT ^TÎî'f^T T"
1 même aventure ou du moins une toute semblable, se trouve
dans la vie d'un autre troubadour, Gaucelm Faidit, comme
nous le verrons à son article ; et ce qui n'est peut-être pas
indifférent, c'est que le chevalier choisi par la dame pour être
le héros de la fête, supérieur en naissance à Hugues Mares-
Voy. Miliot, chai, s'appelle Hugues comme lui; il peut y avoir ici confu-
t. i,p. 365. sion, et il est surprenant que l'abbe Miliot ne se soit pas
aperçu lui-même qu'il y a au moins double emploi.
T. III, p. 126. Il reproche à Don Vaissette, historien du Languedoc d'être
tombé dans quelques erreurs au sujet de Guillaume de Saint-
Didier. La principale, et il n'en cite pas d'autre, est de le
compter parmi les troubadours du- XII* siècle. Pour prouver
qu'il vivait bien avant dans le XIII*=, il allègue une pièce du
recueil de Guillaume, où le poète dit qu'il voudrait que le
roi d'Angleterre et son frère Richard allassent combattre
les païens, c'est-à-dire les Musulmans, et ajoute que ceux
qui voudront montrer leur valeur doivent aller en Castille
auprès du roi Alphonse, continuellement occupé à détruire
leur puissance. Or, dit l'abbé Miliot, le seul Roi d'Angleterre
de ces temps-là qui eût un frère nommé Richard est Henri
III ( I ), dont le règne commence en 1 2 1 6, et depuis cette époque,
le premier roi ae Castille nommé Alphonse est Alphonse X
qui ne monta sur le trône qu'en laôa, et ne fît la guerre aux
Maures qu'en 12.56. Ces objections paraissent fortes, mais il
les détruit lui-même à la fin de son article. « Crescimbeni,
dit-il, parle d'un fils de Guillaume de Saint-Didier, nommé
Gausserand, troubadour comme son père, et qui égala les
poètes les plus renommés de son temps... Une note de nos
manuscrits fait mention de Gausserand et de ses amours,
mais le suppose fils de la fille ( petit fils ) de Guillaume de
Saint-Didier; ses ouvrages ont été vraisemblablement con-
fondus avec ceux de son père. On lit à la tête du manuscrit :
Poésies de Guillaume de Saint-Didier ou Gausserand de Saint-
Didier. En ce cas, la critique sur l'historien du Languedoc,
faite d'après M. de Sainte-Palaye, pourrait être moins solide
si l'on attribuait à Gausserand la pièce historique dont j'ai
Ubi »upr. p. ^2iv\é. » Il ne nous paraît pas douteux qu'il ne faille attribuer
(i) Henri, fils de Henri II, couronné roi d'Angleterre du vivant de
son père, décédé l'an ii83, eut aussi un frère nommé Richard duc d'A-
quitaine, puis roi d'Angleterre. Ne peut-on pas supposer que c'est d'eux
qu'il est question dans la pièce citée par Miliot.''
GUILLAUME DE SAINT -DIDIER. 453
., , _ 1 • -, j 1 • j XII SIECLE.
cette pièce a Gausserand, puisquil y en a de lui dans ce re-
cueil, et puisqu'elle est la seule qui contredise sur l'époque
de l'existence de Guillaume son père, je ne dirai pas Nostra-
damus et Crescimbeni, mais Don Vaissette, historien, dont
on connaît la saine critique et la scrupleuse exactitude.
Crescimbeni paile en effet dans ses additions aux vies des ciunta aile
poètes provençaux de ce Gausserand qu'il nomme Galserano ''"'^ '^^' P°"'^
OMJlserano di San Desiderio. Il n'en ait que peu de chose, et de°sorhistoire
seulement que c'était le fils de Guillaume cle Saint-Didier, qu'il delà poésie vul-
devint amoureux de la comtesse de Vianes, fille de Guillaume , g^ire, p. i86.
marquis de Montferrat ; et qu'il fit de fort belles chansons ^"3204, p.
que 1 on trouve dans un manuscrit de la Vaticane, où est aussi i*7 1 ^"•
cette courte notice. C'est comme l'observe Millot , la comtesse
de Viennois et non pas de Vianes qu'il fallait dire. Il ajoute
que c'est Be'atrix, femme de Guignes - André , dauphin de
Viennois, mort en ia37, laquelle conserva toujours le titre
de comtesse. Mais en fixant ainsi l'époque où florissait Gaus-
serand, comment n'a-t-il pas vu qu'il rejetait nécessairement
à la fin du XII<= siècle celle où Guillaume père de ce Gausse-
rand florissait lui-même, et où, sans doute avant d'avoir
épousé la femme dont il eut ce fils, il était amoureux de la
marquise de Polignac, et menait la vie errante et libre de
troubadour .3 Si c'est la note des manuscrits provençaux citée
f)ar Millot qu'il en faut croire, et si Gausserand, qui aima
a comtesse de Viennois, n'était que petit-fils de Guillaume,
cela recule encore d'une génération dans le XIP siècle l'exis-
tence de ce dernier.
Il ne faut pas un grand effort de critique, ou même de simple
raison pour rejeter au rang des fables ce que dit Nostrada-
mus de l'art que Guillaume possédait d'interpréter les songes.
Selon cet historien, il en interpréta un que fit la marquise,
et qui lui prédisait ce qui devait leur arriver à tous deux
par l'envie et la trahison de Hugues Mareschal.
Le même Nostradamus dit que Saint-Didier avait mis les i^^s Fables
fables d'Esope en rimes provençales, et qu'il fit aussi un beau <rEsop.
traité de l escrime ^ qu'il adressa au comte de Provence.
L'abbé Millot ne parle pas de ces deux ouvrages. La Croix
du Maine et du Verdier disent que 4oo ans après la mort de
notre auteur, un autre gentilhomaie de même surnom, de
même qualité et de même pays, a écrit un livre de l'escrime.
C'est Henri de Saint-Didier; et dans l'article qui le concerne,
il n'est point fait mention de Guillaume.
454 PEYROLS D'AUVERGNE.
XII SIECLE. j ' • 1 1 • ' • 1
_ Les poésies de ce dernier étaient dans un des manuscrits
^ivf'^'B^b"'* de la bibliothèque du roi Robert. Dans la lettre grise du
lîe.etdùver- Hianuscrit yaaS de la bibliothèque Royale, où se trouvent
(lier, p. 542. neuf de ses chansons, il est peint à cheval, la lance en
Nostradamu», main et tenant un écu de gueules de trois tourteaux d'argent
Hist. de Prov., • . . , .^" • 1 . S
part. 3, p. 379. joints par une barre qui traverse et une autre qui descend en
forme de T. (i) . G.
(i) D. Vaissette, Hist. de Languedoc, t. III , p. 97 et 98. Les autres mss.
qui contiennent les poésies de Guillaume sont les 3,2o4, 5,6, 7 et 8 de
la Vaticane , il y en a aussi avec .sa vie dans les mss. provençaux de la Lau-
rentienne {pluteo 41 )• Dans les mss. de Sainte- Palaye , elles se trouvent
ms. R, fol. 49 V. L. C, fol. 108, 187; D, 285; K, a88 ; G, 208; D,
295 ; G , 209 , 348.
PEYROLS D'AUVERGNE,
*• POÈTE PROVENÇAL.
On a souvent confondu ce troubadour avec Pierre d'Au-
vergne. Nostradamus, qui était sans doute dans cette erreur,
Viesdespoèt. a fait uiie vie de Pierre et n'a rien dit de Peyrols. Crescim-
provençaux. bejjj Jpg a fort bien distingues dans une des notes ajoutées
Giunte aile à sa traduction de cette vie de Pierre d'Auvergne; et il a en-
vite de' poet. ^^\^q consacré un article à Peyrols qu'il nomme à l'italienne
provenç. Pieruolo , daus ses additions aux vies des poètes provençaux^
article extrait d'un manuscrit du Vatican N" 32o4, fol. 42-
Peyrols était un chevalier sans fortune, né au château de
Peyi'ols, au pied de Roquefort dans l'apanage du dauphin
d'Auvergne. Le dauphin prévenu en sa faveur par une figure
agréable, par des manières douces et polies et par des talens
fïoétiques qui s'annoncèrent de bonne heure, prit soin de
oi, et pourvut avec magnificence à son équipage de che-
valier. Il poussa plus loin les preuves de l'intérêt qu'il prenait
à lui. Peyrols, comme tous les troubadours, fit choix d'une
beauté qu'il pût célébrer dans ses vers ; et ce choix se fixa
sur une sœur du dauphin lui-même. Elle avait épousé Beraud
PEYROLS D'AUVERGNE. 455
deMercœur, grand baron d'Auvergne, sans doute après qu'il
eût perdu sa première femme Azalaïs, comme on le voit
dans l'article de Pons de Capdueil. Le dauphin encouragea
Peyrols dans cette passion, le servit auprès de sa sœur, et
poita ses bons oflices jusqu'à favoriser entre eux la liaison la
plus intime. Mais cette liaison eut enfin trop d'éclat. Les
mœurs du temps et le mari lui-même l'auraient permise, si
Peyrols eût été un plus grand seigneur, mais il y avait scan-
dale puisqu'il n'était qu'un simple chevalier. Il fut désavoué
par son protecteur , rejeté avec mépris par la dame dont il
n'avait pas tenu les faveurs assez secrètes, et réduit à cher-
cher fortune ailleurs.
Il se consola par d'autres amours et mena long-temps une
vie déréglée, dont on voit des traces dans plusieurs de ses
tensons, sortes de combats poétiques entre deux interlocu-
teurs réels ou fictifs sur des questions d'amour et de galan-
terie. Peyrols y soutient toujours le parti de la légèreté en
amour et du hbertinage.
Il sortit enfin de ces déréglemens pour se jeter avec ar-
deur dans les fatigues et les dangers de la troisième croi-
sade. Avant départir, il composa une de ses plus jolies pièces;
c'est un dialogue entre l'amour et le poète. L'amour lui
reproche d'avoir renoncé à lui et aux chansons : Peyrols se
défend. Il aime encore, mais sagement. Il suivra l'exemple
de tant d'autres qui pleurent en Syrie leurs maîtresses. Les
affaires de la croisade se trouvent ici mêlées avec celles de
l'amour : « ce n'est pas vous, lui dit l'amour, qui chasserez
de la tour de David les Turcs et les Arabes; ne sopgez qu'à
chanter et à aimer.
Peyrols , Turc ni Arabit
Ja pel Tostr'envazimen
No laisseron tor Davit :
Bon cosselh vos don e gen
Amatz et cantatz soven.
Que voulez- vous aller faire à la croisade, quand les rois
n'y vont pas eux-mêmes ? voyez comme ils s'occupent d'autres
guerres, et comme les barons cherchent aussi d'autres pré-
textes pour se dispenser de partir. » Mais Peyrols persiste ; il
prie Dieu de le conduire à la Terre-Sainte, et de mettre bien-
tôt la paix entre les deux rois, c'est-à-dire entre ceux de France
et d'Angleterre. Ce qui fait voir que cette chanson fut faite
XII SIECLE.
XII SIECLE.
456 PEYROLS D'AUVERGNE.
avant que Philippe-Auguste et Richard-Cœur-de-lion , cessas-
sent de se faire la guerre pour entreprendre leur fatale expé-
dition en Palestine.
II paraît que Peyrols y resta lors même que les deux rois
n'y étaient j>lus. Ou le voit par une pièce qu'il composa sur
les lieux mêmes, et dans laquelle il déplore l'état oii sont
restées après eux les affaires des chrétiens; puis qu'il a vu
le fleuve et le monument, c'est-à-dire le Jourdain et le Saint-
Sépulcre.
Pus flum Jordan ai vist e'I monimen , etc.
Il rend grâces à Dieu et il oublie tous ses maux . Cependant il veut
retourner en hâte à Marseille et ne demande à Dieu que bonne
mer, bon vent, bon navire et bon pilote. Il dit adieu aux villes
d'Acre, de Sour et de Tripoli, aux sergenset aux hospitaliers.
« Le monde, dit-il, va en décadence; il avait de bons rois et
de bons maîtres dans les personnes de Richard et du roi de
Fi-ance, (ils étaient alors retournés en Europe), Montferrat
avait un bon marquis (il avait été tué en Syrie) , et l'empire un
empereur glorieux, (Fiédéric i*"" qui s'était noyé, non dans
le Cydnus, comme on le croit communément, mais dans le
Calycadnus ) ; mais ceux qui sont à leur place , comment se
comporteront-ils? Seigneur Dieu, ajoute le poète, si vous
m'en croyiez ^\ous prendriez bien garde à qui vous donneriez
les empires, les royaumes, les châteaux et les tours; car plus
les hommes sont puissans, moins ils vous honorent. J'ai vu
l'empereur faire un serment et ensuite se parjurer. Vous em-
pereur (c'était sans doute Henri VI), Damiette vous attend,
et la tour blanche pleure votre aigle qui en fut chassé par
un vautour (i). Bien est lâche l'aigle qui se laisse prendre
par tel oiseau ».
Peyrols de retour en France, se maria à Montpellier, où
l'on croit qu'il mourut peu de temps après , c'est-a-dire vers
la fin du XII« siècle. On a conservé de lui vingt-quatre ou
vingt-cinq chansons galantes et cinq tensons. Ces pièces se
trouvent principalement dans le manuscrit du Vatican,
n° 32o4 et dans le n° 7226 de la bibliothèque Royale.
G.
(1) L'auteur fait ici allusion à l'incartade de Richard-Cœur-de-lion, qui
après la prise de St-Jean-d'Acre, fit arracher et jeier dans un «loaque le
drapeau que le duc d'Autriche avait arboré sur une des tours de la vdle,
au rapport de l'historien Rigord.
V^rl^^ «^«.■^^^ -« -^«^-^ «•« -^ «>% ^«^«^^.«'^ «/k^^^'V
PIERRE RAIMOND,
POÈTE PROVENÇAL.
Le poëte de ce nom , dont parlent les notices des manuscrits
grovençaux, et celui dont Nostradamus a donne la vie, sera-
ient deux hommes diftërens ; ce n'est pas une l'aison de croire
qu'en effet il y en a deux , mais que Nostradamus dans cette
vie , comme d,ans la plupart des autres, ne s'est soucié ni des
anachronismes ni des contradictions.
Selon les manuscrits, Pierre Raimond fut simplement fils
d'un bourgeois de Toulouse ; il était sage et spirituel , se fit
jongleur dans sa jeunesse, sut bien trouver et bien chanter^ et
fit de très-bonnes chansons. Il passa la plus grande partie
de sa vie à la cour d'Alphonse II , roi d'Arragon , ( mort en
1 196) ou à celle du bon comte Raimond V, ou enfin auprès
de Guillaume VIII, seigneur de Montpellier (mort en 1202).
Vers la fin de ses jours, il se maria à Pamiers, où il mourut.
Le récit de Jean Nostradamus, tout différent qu'il est, ne
contredit celui-ci que dans sa dernière partie. Nostradamus
donne à Pierre Raimond le surnom de lo Proux, le Preux,
le brave. Selon lui, en effet, «il était preux et vaillant «lu fait
des guerres. » Il passa en Syrie avec l'empereur Frédéric , où.
il composa plusieurs belles chansons qu'il adressait à Jaus-
serande del Puech, d'une noble et ancienne maison de Tou-
louse. L'une de ces chansons commençait par ces quatre vers :
Vergiers, ni Hors, ni pratz
Non m'an fach Cantador
Mas per vos qu'yeu ador,
Domna , soy allegratz.
Une autre commençait par cette strophe de sept vers :
Enquera m vai recalivan
Lo mais d'amor qu'avi antan ;
Qii'una dolor mi sent venir
Ai cor, d'un angoyssos talan, >
E'I metges que m pogra guérir
Vol me per traitura tenir (i) ,
Aissi cum l'autre metge fan. '
(i) On lit ailleurs dîete tenir, mais traitura traitement est dans tous le«
manuscrits.
Tome Xy. M m m
XII SIECLE.
XII SIECLE.
458 PIERRE RAIMOND, POETE PROVENÇAL.
Cette chanson est dans nos manuscrits , ce qui prouve l'iden-
tité du troubadour, dont ils contiennent les poésies, avec ce-
lui de Nostradamus. L'abbé Millot trouve cette idée basse;
mais il paraît avoir pris avec trop de simplicité le mot diète
dans le sens propre. « Les maux que jesouft'rais, dit le poëte,
se sont accrus au point que j'ai senti naître dans mon cœur
une douloureuse angoisse. Le médecin qui peut me guérir
me veut tenir à la diète, comme font les autres médecins;
je veux bien, ajoute-t-il, me soumettre à cette diète, mais je
crois qu'à la fin elle me tuera.» Ni l'idée, ni même l'expres-
sion nont rien de bas dans ce genre de poésies; elles n'ont
même rien de trop libre, vu la licence qui régnait alors; mais
on aurait plutôt a y reprendre la liberté que la bassesse-
Rien n'empêche non plus que Raimond, après son retour
de cette croisade, ne soit devenu amoureux d'une dame de
la maison de CodoUet, comme Nostradamus le dit d'après le
moine des îles d'Or. Selon eux, il fit pour elle une fort belle
chanson qui commence ainsi :
Amors si ton poder es tal
Ensins que cad' un ho razona.
Et dans laquelle, suivant l'expression de Nostradamus, il
décrit par une infinité d'historiettes, tous ceux qu'amour a mis
sous son pouvoir. Il en fit encore une autre, dont voici les
premiers vers :
Non es savy ny gayre ben après
Aquel que blayma amors e mal en ditz ;
Quar el sap ben donar gaug als marritz
E lous autres lous fay tournar courtes.
C'est là qu'il dit que bienheureux soit le temps et le jour
et l'an et le mois qu'il fut blessé au cœur par les beaux yeux
de celle dont il ne veut plus se séparer.
Ben aia'l temps , e'I jorn , e l'an , e'I mes
Que'ls dolz coi-s gais, plagenter, gent norritz,
Me saup ferir el cor d'un dolz e.igar
Don ja no 'm voil despartir ni sebrar.
Passage que Pétrarque a imité dans son 4o* sonnet :
BeneJetto sia'l giorno-, e'I mese, e lanno,
E lu stagione, e'I tempo, e l'ora, e'I punto,
Ml (Il ■
PIERRE ROGIERS, POETE PROVENÇAL 469
E 'l paese , e 7 /oco ov io/ui ^iunto XIL SIECLE.
Da duo begli occhi chc legato m'an/to.
Enfin Nostradamus dit que Raiuiond a écrit un traité contre
l'erreur des Ariens et aussi contre la tyrannie des princes, Contra l'er-
et même sur ce que les rois de France et les empereurs se sont «>"•• dei» A-
laissé assujettir aux curés , c'est-à-dire aux prêtres ou évêques. ""'
Par Afiens il faut entendre les hérétiques Albigeois , ainsi
nommés dans le midi de la France.
Tout ce qu'ajoute l'historien des troubadours est un tissu
de contradictions. Raimond, dit- il, florissait au temps de
i'eriipereur Frédéric II, et mourut en 1226; ce qui ferait
croire que ce fut avec Frédéric II qu'il était passé en Pales-
tine ; et cependant cet empereur n'y alla Quen 1228; mais
il est probable que si notre poète fit en enet ce voyage, ce
fut avec Frédéric I^'", c'est-à-dire en 1 189 ou 90. Il est cer-
tain, d'après les manuscrits originaux, qu'il florissait dans le
XIP siècle; et c'est vers la fin de ce même siècle que l'on
peut raisonnablement placer sa mort. G.
PIERRE ROGIERS,
POÈTE PROVENÇAL.
L>iE poète est encore un de ceux au sujet desquels on ne
trouve dans Nostradamus que des faits altérés et des ana-
chronismes. Au lieu de les relever minutieusement, il vaut
mieux s'en tenir au récit très-court et très-simple que four-
nissent les manuscrits provençaux. Pierre Rogiers était un
gentilhomme d'Auvergne qui commença par être chanoine
de Clermont; il s'ennuya Je sa prébende et se fit jongleur,
guis troubadour; il était bien fait et savant, et joignait à ces
elles qualités beaucoup de justesse et de bon sens naturel.
En parcourant les cours oii les talens étaient bien accueillis,
il arriva à celle d'Ermengarde, vicomtesse de Narbonne, qui
avait succédé à son père Aimery II, tué en Espagne en 1 134 en
combattant contre les Sarrasins. Elle gouvernait avec beau-
coup de sagesse, et tenait une cour brillante. Elle fit un ac-
M m m a
XII SIECLE.
46o PONS DE LA GARDA, POÈTE PROVENÇAL.
cueil favorable à Pierre Rogiers, goûta ses poésies et ses
chants, et le combla de biens. Le troubadour, d'abord re-
connaissant, ne se défendit pas d'un sentiment plus tendre;
il céle'bra la vicomtesse dans ses chansons sous le nom peu
harmonieux de Tort-n'avez^ pour exprimer la haute opinion
qu'elle avait donnée d'elle par sa manière de gouverner.
Mon tort n'avetz en Narbones
M an salutz, sitôt luenh s' estai.
Ermengarde ne fut point ingrate, sa réputation en souffrit;
elle prit le parti que les grandes dames prenaient toutes en
pareil cas : elle congédia Rogiers, qui alla la regretter à la
cour de Rambaud d'Orange, prince troubadour, célèbre par
ses galanteries autant que par ses vers. Pendant le séjour
au'il fit auprès de Rambaud, illui adressa im sirvente où il
éclara qu'il n'y est venu que pour savoir à quoi s'en tenir
sur la réputation équivoque dont ce prince jouissait dfCns le
monde (i). Est-il amant .'^ est-il mari? if pourrait bien être l'un
et l'autre. C'est s'y bien prendre pour réussir dans le monde,
que d'être sage ou fou selon les temps.
De la cour d'Orange , où il paraît qu il resta quelque temps ,
Pierre Rogiers se rendit à celle d'Alphonse III , roi de Cas-
tille, ensuite à celle d'Alphonse II , roi d'Arragon et comte
de Provence, d'où il revint à Toulouse, où régnait encore le
bon comte Raimond V. Enfin las de cette vie errante, il
entra dans l'ordre de Grammont, où il mourut vers la fin du
Xlle siècle. G.
(i) Senher Raymbaut per vezer, etc.
PONS DE LA GARDA,
POÈTE PROVf N<ÇAj^.
vJnze chansons galantes de ce troubadour ont été Mnser-
vées, et cependant on ne sait rien de sa naissance ni aes cir-
constances de sa vie; ni Nostradamus, ni Crescimbeni, ni
les historiens de Provence et de Languedoc, n'en ont parlé.
On est réduit à chercher quelques renseignemens dails ses
XU SIECLE,
PONS DE LA GARDA, POETE PROVENÇAL. 46i
chansons qui n'ont d'ailleurs rien de remarquable , si ce n'est
quelques traits de naïveté, comme lorsque le poëte dit à sa
maîtresse qu'elle est la plus belle après Dieu (i). Tout ce qu'on
y trouve relativement à sa patrie, ou plutôt au pays où il
vivait, c'est qu'il fréquentait les dames de Toulouse et de
Nîmes; à l'égard du temps oii il florissait, on voit seulement
au'il nomme une comtesse de Burlats qui vivait vers la fin
u XIP siècle.
On trouve plus communément dans les sirventes ou pièces Millot.t.lll,
satiriques de ces traits qui peuvent servir à fixer les dates. Il P' ""
en reste un de Pons de la Garda, mais où il n'y a que des traits
généraux qui conviennent à plusieurs de ces siècles où la
corruption était égale à la crédulité. Le poëte déclare d'abord
qu'il a un grand désir de faire un sirvente, et qu'il le fera
SI Dieu veut le bénir; puisqu'il voit que tout le monde de-
vient à rien , et qu'aucun homme fie peut plus se fier à un
autre (2). Il censure donc les gens d'église qui pardonnenttous
les crimes pour de l'argent, commettent eux-mêmes tout ce
3u'ils reprennent dans les autres, et vivent à-la-fois comme
es renégats et comme des voleurs (3) ; il n'est pas moins scan-
dahsé de la conduite des gens de justièe, et ne fait pas plus
de grâce aux marchands, en qui il ne voit que pillerie et
mauvaise foi. Enfin tout le monde met le vrai Dieu en oubli, .«iq»» kH;
et fait son Dieu de l'argent ; personne ne songe à se repentir;
il le faudra cependant bientôt, car chaque jour on approche
de la fin du monde : il en a vu un présage certain dans une
pluie de terre et de sang (4) : on devrait donc bien y penser,
se confesser et changer de vie.
Cette pièce, la seule de ce poëte qui ait quelque intérêt,
.(1) E la genser es sot Deu. '
(2) D'un sirventes a far ai gran talen
£ farai lo si Oieus me benezia ,
Quar tôt lo mon vey tornar en nien
Que negus hom l'us en l'autre no s fia.
(3) E devedon renou e raubaria.
(4) Quar quascun jorn propcham del fenimen
Per que quascus cofessar se devria,
Quar gran signe en vi antan un dia
Que ploc terra e sanc verayamen.
Per so degram aver bon pessamen , etc.
ot
XII SIECLE.
4Ôà RAIMOND DE DURFORT, TRUC MALEC
quoiqu'elle ne nous apprenne rien sur sa vie, se trouve avec
quelques autres du même auteur dans le manuscrit 7226 de
la bibliothèque Royale. G.
iii^îi'ioU !i ;i
RAIMOND DE DURFORT ,
ET TRUC MALEC ou MALET,
POÈTES PROVENÇAUX.
i iES deux noëtes contemporains le furent, dit-on, d'Arnaud
Daniel (1). C'étaient deux chevaliers du Quercy , l'un deCahors
même, et l'autre des environs. Ils composèrent en société
des sirventespourunedamedece pays, qu'ils appellent N'Aia
dame Aia et dont on ignore le vrai nom. Les manuscrits de la
N°3ao4,fol. Bibliothèque vaticane qui donnent cette courte et insigni-
172 et 3207, ^ ' /-i • 1 • • 1
fol. 41. fiante notice, recueillie par Lrescimbeni, contiennent quel-
Ubi suprà. ques-uns de leurs sirventes et une de leurs chansons. Au(nine
de ces pièces n'oftVe rien d'intéressant ni pour Thistoire, ni
du côté de l'art. L'abbé Millot joint à ce Raimond , Guillaume
de Durfort, son parent, poète comme lui, dont il ne s'est
conservé qu'une pièce remarquable seulement par son obs-
curité, par la contrainte de ses rimes et par la corru|>tion
du texte; il faut ajouter par la licence et la grossièreté des
expressions. Cette pièce est adressée à Truc, ou plutôt à
Turc Malet, ou du moins elle commence par son nom.
Turc Malet bens tenc engrat , etc.
Elle se trouve dans le manuscrit de la bibliothèque Roya4e
7226, fol. 379, v°. ^^■^^^, G.
(i) Crescimbeni, Giunta aile vite, aux deux art. Rnimundo di Duro-
forte et Trugo maletto.
XII SIECLE.
ALBERT CAILLA,
POETE PROVENÇAL.
Albert Cailla fut un jongleur de l'Albigeois. Les manuscrits
provençaux (i) qui parlent de lui disent qu'il ne sortit jamais
de son pays , mais qu'il s'y fit beaucoup aimer, sur-tout des
dames. On convient que c'était un poëte médiocre; il fît ce-
pendant une bonne chanson et quelques sirventes , genre
dans lequel il réussissait mieux. On le place dans le XIF
siècle, quoique rien n'indique positivement le temps où il
vécut. Grescimbeni qui parle de lui dans ses additions , croit
au'il manque peut-être une n à la fin de son nom , comme
en manque une dans plusieurs manuscrits au nom de Jordan
?ui est nommé Jorda\ ce serait alors Caillan au lieu de
'ailla ; mais cette supposition est sans fondement comme
sans utilité. G.
(i) Les mêmes que ci -dessus.
GUERIN ou GARIN LE BRUN,
POÈTE PROVENÇAL.
(juÉRiN ou Garin le Brun était un gentilhomme châtelain
du Velay dans l'évèché du Puy-Sainte-Marie. Tout ce que
les manuscrits provençaux disent de lui, c'est qu'il fut bon
trouveur^ non de vers et de chansons, mais de tensons. On V.len»7,î25
en trouve une dans le manuscrit du Vatican 32o4. Guérin le da labibi.Roy.
Brun florissait, selon D. Vaissette, sous Raimond V, comte Hist. duLan-
de Toulouse, du temps de Guillaume Adhémar, lequel giiedoc,t,ii.
mourut, comme nous lavons vu, en 1190. G.
XII SIECLE.
RAIMOND JORDAN,
VICOMTE DE SAINT-ANTONI (■).
JLe fief de Saint- Antoni , dont ce troubadour était seigneur,
était un riche bourg du Quercy. On nous peint Raimond
Jordan comme un homme d'une figure agréable, généreux,
vaillant, faisant bien les vers et l'amour; mais on nous fait peu
connaître les particularités de sa vie. Il aimait la femme du
vicomte de Péna, l'un des principaux barons de l'Albigeois,
et il en était aimé. La guerre vint troubler cette union. Rai-
mond fut blessé dans un combat contre quelques-uns de ses
voisins. On le rapporta presque mourant à Saint-Antoni ;
le bruit de sa mort parvint à la vicomtesse, dont la douleur
fut si vive qu'elle entra précipitamment dans un cloître. Rai-
mond guérit; et désespéré à son tour de la résolution de sa
maîtresse, il se retira du monde, ne fit plus ni vers , ni chan-
sons, et se livra pendant un an à la plus noire mélancolie.
Il en fut retiré au bout de ce temps par Élise de Montfort,
fille du vicomte de Turenne et femme de Guillaume de Gor-
don; elle s'offrit à lui avec une grande franchise (2), fut ac-
ceptée, et le troubadour retrouva auprès d'elle sa bonne
humeur et son talent.
Raimond Jordan était contemporain du moine de Mon-
taudon, qui le désigne dans sa satyre comme vivant, et même
comme jeune encore; car il lui reproche d'avoir mal réussi
dans son premier essai de galanterie, d'avoir été trompé par
sa dame , et de la regretter sans cesse , ce qui suppose qu'il
n'était point encore alors lié avec la vicomtesse de Péna. L'abbé
* Millot en conclut que Raimond vivait à la fin du XII* siècle
(i) Nommé quelquefois seulement Fescont ou Vcscovis de Saint-Anto-
lin, Antoulin, et Antoiiin, dans les mss. Le Tassoni, dans ses considéra-
tions sur Pétrarque, l'appelle Raimond Jorda. Crescimbeni conjecture
avec raison que c'est parce que le signe de \n manquait sur la dernière
sjllabe. ' ' ' '
(2) On dit que sa lettre était ainsi conçue : « Je vous oHVe mon aiVioAr
et mon corps, en dédommagement des chagrins que vous avez eus. Je
vous conjure de me venir voir. Si vous ne vous rendez pas à ma prière,
j'irai moi-même vous chercher. »
RAIMOND JORDAN. 4^5
et au commencement du XIII ; ce qui paraît vrai en effet ; .
mais il oublie que dans d'autres circonstances et dans la vie
même du moine de Montaudon , il a rejeté le temps oii flo-
rissait ce dernier jusqu'à la fin du XIII'^ siècle.
Le récit de Nostradamus diffère considérablement de celui
des manuscrits provençaux. Il place Rairaond Jordan à la
cour de Raimond-Bérenger, comte de Provence, fils du roi
d'Arragon Alphonse II; il le fait amoureux de Mabillede Riez^
noble dame de Provence, et ajoute qu'étant allé à la guerre
contre le comte de Toulou.se , il fut rapporté à Mabille, qu'il
y avait été tué, qu'elle en mourut de douleur ; que le vicomte,
étant de retour, et apprenant cette mort dont il était la cause ,>
fit élever à sa maîtresse une belle et grande statue de marbre
dans l'église du monastère de Mont-Majour, où il se fit reli-
gieux ; statue qui passa ensuite dans la même église pour
celle d'une sainte femme, selon le moine des Iles d'or, que
Nostradamus cite souvent. Enfin il place la mort de Raimond
Jordan vers l'an 1206.
L'historien des troubadours ne contredit pas seulement ici
les manuscrits, il contredit aussi l'histoire d'Arragon et de
Provence, et il se contredit lui-même. Il fait mourir en 1206
un troubadour qui fit, selon lui, admirer ses talens à la cour
de Raimond-Bérenger, fils du roi d'Arragon Alphonse II. Or
Alphonse II, roi d'Arragon, est Alphonse I*'', comte de Pro-
vence, et^'eut point de fils du nom de Raimond-Bérenger.
Son fils aîné Pierre lui succéda au royaume d'Arragon, et son
second fils Alphonse» au comté de Provence, sous le nom
d'Alphonse II. Mais cet Alphonse II, qui eut un fils nommé
Raimond-Bérenger, ne fut point roi d'Arragon. Quand il
mourut à Palerme en 1 209 , son fils était encore enfant. Pierre ,
roi d'Arragon , oncle du jeune Raimond-Bérenger, le prit sous
sa tutelle et l'emmena dans ses états avec des desseins que son
pupille démêla quand il fiit plus avancé en âge; alors il s'é-
chappa de cette cour, revint en Provence en i2iy , et ne par-
vint que par de longs efforts à y rétablir son autorité. Ce
ne semit donc que quelques années après sa fuite, et lors-
qu'il eut établi sa cour à Aix avec sa femme Béatrix de Sa-
voie, c'est-à-dire vers 1220, que Raimond Jordan aurait pu
y être accueilli.
Mais d'autres probabilités fixent vers 1 206 le temps de sa
mort, et l'on peut dire avec assez de vraisemblance qu'il
Tome XF. N n n
XII SIECLE.
XII SIECLE.
466 SAIL DE SGOLA— GUILLAUME MITE.
fleurit à la fin du XII^ siècle et au commencement du
Xllle (,). G.
(i) Ses poésies sont dans les nianuscrits Sao/J , 5, 6 et 8 de la Valirane,
et dans les manuscrits de la bibliothèque du Roi, n" 7926, fol. i5i —
??4; n°'j6i4, fol. 75 et 76; n° 1091 , supplément, fol. 3io; n" 2701.,
fol. a8.
Barjac.
SAIL DE SCOLA,
POÈTE PROVENÇAL.
Millot ditr/e (^^E poète était fils d'un marchand de Bergerac en Përieord
Uans sa jeunesse il se fit jongleur, et devint ensuite poète.
Il fut un de ceux qu'Ermengarde , vicomtesse de Narhonne,
v.l'ariiclede avait sans cesse à sa cour; il y resta jusqu'après la mort de
Pjerre Roger, ^gj^^ dame, arrivée en X197 ou 98. On dit qu'il se retira
alors à Bergerac et qu'il renonça entièrement aux muses.
Peut-être vécut-il encore quelques années, mais il cessa d'exis-
ter eorame poète, et l'on place sa mort à la fin du XIP siècle.
Il est nommé dans la satire que fit le moine de Montaudon
contre les troubadours de son temps (i). * G.
r (i) On trouve quelques-unes de ses poésies dans le manuscrit de la
Taticane, n" 32o4, folio gS; bibliothèque Royale, n" 7226, fo). .\6i , v°.
L'une de ses pièces, dont la première strophe est tronquée, commence
par ce vers :
Grand esfors fay qui chanta ni 's déporta.
GUILLAUME MITE.
POÈTE PROVENÇAL.
VjuiLLAUME Mite, personnage très-peu célèbre et dont il
ne reste aucune production, est pourtant nommé dans l'his-
toire, ou plutôt dans la chronique de Geoffroi de Vigeois.
BERNARD DE VENTADOUR. 46^
Cet écrivain du XIP siècle parle d'une assemblée ou cour ^" siècle.
plénière que tint le comte de Toulouse, Raimond V, en 1 17a,
et des fêtes qu'on y célébra. On avait résolu, dit-il, d'y éta-
blir roi ou cnef de tous les bateleurs, juliares, ou jongleurs,
un nommé Guillaume Mite, s'il ne se fut absenté. Ceux qui DonVaissette,
concluent de -là qu'il était un célèbre comédien ou même ^"'; ^\ ^^'
, . 1 . , . • ; 7 7 gued. , t. lit,
un poète comique, qui n avait pas moins de talens pour la p. 3^.
composition que pour la représentation ( i ), oublient qu'il n'y
avait alors ni comédiens ni comédie, mais seulement des
faiseurs de tours, des jongleurs, qui chantaient quelquefois
des chansons satiriques ou bouffonnes pour égayer les assem-
blées et les fêtes. C'était sans doute dans ce genre que se dis-
tinguait Guillaume Mite, et c'est tout ce qu'on sait de lui.
G.
(i) On trouve ces mots tians une petite note laissée par les anciens
rédacteurs de cette iiistoire littéraire.
BERNARD DE VENTADOUR^'l
POÈTE J>ROVENÇAL OU LIMOUSIN.
Lj'histoire des troubadours présente assez souvent des
grands seigneurs, des chevaliers d'une haute naissance, qui
cultivent les muses au milieu du bruit des armes et des
intrigues des cours : elle présente aussi des hommes nés
dans les derniers degrés de la société qui s'élèvent par leur
talent poétique, sont admis dans la société des grands, plan
cent, comme on disait autrefois, leurs amours en haut heu,
et ne craignent pas d'en adresser l'hommage aux dames du
premier rang. Bernard de Ventadour fut de cette dernière
classe. Son nom n'est point celui de .sa famille, mais d'un
château du Limousin oii il naquit. Son père y était four-
nier,ou domestique chargé du four. Le vicomte de Venta-
dour, seigneur de ce château, était alors Ebles II, que les
chroniques du temps appellent le chanteur parce qu'il aima
jusque dans sa vieillesse la poésie et les chansons. La figure
du jeune Bernard , et sans doute aussi quelque annonce de
(i) Appelé quelquefois Fentador, Vantadomo ^ et Vantadorn.
'Nnna
XII SIECLE.
468 BERNARD DE VENTADOUR
ses heureuses dispositions , attirèrent sur lui les regards du
maître. Il le fit élever avec soin , et l'éducation développa en
lui les heureux dons de la nature. Ses premiers chants furent
consacrés à l'amour. Celle qui les lui inspira fut la vicomtesse
elle-même, Agnès de Mont-Lu^on , femme de son maître etde
son bienfaiteur. Agnès était jeune, belle , vive , et d'un carac-
tère enjoué. Elle s'amusa d'abord des chansons où le jeune
poète peignait sa passion naissante sans en oser nommer
l'objet, qu'il désignait seulement par les noms d Arinan , et
de Belveser. Elle l' écouta bientôt et l'enhardit à se déclarer.
La déclaration fut bien reçue. On ne sait jusqu'où alla entre
eux l'intimité: maison voit par une chanson du troubadour
qu'il obtint au moins un baiser. C'est pour lui l'occasion
d'employer un trait d'érudition qui peut surprendre, puis-
qu'il est assez généralement reconnu que de son temps on
ignorait les sources d'où il l'aurait pu tirer. C'est ce qui nous
engage à parler de cette circonstance. Le poète compare le
baiser qu'il a reçu à la lance d'Achille qui pouvait seule gué-
rir les blessures qu'elle avait faites.
Ja sa bella boza rizenz ( sa belle bouche riante)
Non cuidei baisan me trais ,
Mas ab un dous baisar m'aucis ( me tue, m'occit) ;
E s'ab altre no m'es garenz ,
Eissamen m'es per semblansa
Com fo de Peleus la lansa ^
Que del seu colp non podi' hom garir.
Se per eis loc no s'en fezes ferir.
Ce trait ferait croire que Bernard connaissait Ovide , qui
dit dans son poëme de remedio amoris ( liv. I, v. 47 )•
f^ulnus in Hercuieo quœ quondam fecerat kasta
f^ulneris auxilium Pelias hasta tulit.
On voit par ces quatre vers d'une autre chanson de Bernard
que le roman de Tristan et de la belle Yseult existait alors
et qu'il était connu de notre poète.
Tant trac pena d'amor,
Qu'a Tristan Tamador
Non avenc tan dolor
Per Yseut la blonda.
BERNARD DE VENTADOUR. 469
Les liaisons de Bernard et de la dame de Ventadour ne
furent point assez secrètes. Quelque indiscrétion fut commise;
Ebles eut des soupçons, puis des certitudes; il enferma sa
femme, et chassa le troubadour de son château, et même de
ses terres.
Bernard parut quelque t€mps inconsolable; mais il lui fal-
lait un asyle. Il en trouva un à la cour d'Éléonore de Guienne,
devenue duchesse de Normandie en n 62 , après avoir été
reine de France ; il y trouva aussi la plus puissante des con-
solations ; c'est-à-dire un nouvel amour. La leçon qu'il avait
reçue à Ventadour ne le rendit pas plus sage. Il ne craignit
point d'élever ses vœux jusqu'à la duchesse; et quelques pas-
sages de ses poésies et le caractère bien établi de galanterie
que l'histoire donne à Eléonore, portent à croire qu'il en,
fut écouté. Son bonheur dura peu. En 11 54, le duc devint'
roi d'Angleterre, et Eléonore le suivit dans ses nouveaux
états. Bernard continua de la chanter; il fit même le projet
de se rendre auprès d'elle; mais il ne l'exécuta point, et il
se retira peu de temps après à la cour du comte de Toulouse,
Raimona V. Il y resta jusqu'à la mort de ce bon prince, et
y composa toutes celles de ses poésies qui n'ont pour objet
ni son premier ni son second amour. Il devait être déjà vieux
lorsque Raimond mourut, en iigi\. Alors, il se fit moine,
et entra dans l'abbaye de Dalon, en Limousin. Nostradamus
qui se trompe en disant que ce fut au rnonastère de Mont-
majour, se trompe peut-être aussi en ajoutant qu'il y com-
posa plusieurs beaux livres , tels que las Recoyssinadas de
l'amour recalyvat , las Mayas , la Ramada , et quelques
élégies intitulées las Syrénas , qu'enfin il mourut en I223.
Il est plus probable qu'il écrivit la plus grande partie de ces
ouvrages pendant son séjour chez le comte de Toulouse , et
?[ue s'il vécut au-delà de la fin du XIP siècle, ce ne fut que
ort peu d'années. G.
XII SIECLE.
XII SIECLE.
PJERRE VIDAL,
POÈTE PROVENÇAL.
Oi nous voulions que cette histoire littéraire devînt un livre
de pur amusement, les vies d'un grand nombre de trouba-
dours provençaux seraient très-propres à lui donner ce car-
ractère. Aucune ne pourrait y mieux contribuer que la vie
de Pierre Vidal, l'un des poètes les plus célèbres, et l'une des
têtes les plus extravagantes de son temps. Mais le genre de
cet ouvrage nous prescrit d'en écarter les aventures trop
romanesques, ou du moins d'en supprimer les détails.
Pierre Vidal était fils d'un pelletier de Toulouse: mais il
annonça, dès sa première jeunesse, des talens naturels qui
devaient l'élever au-dessus de l'état de son père. Il joignait
à la vivacité de l'imagination, une voix agréable, une humeur
libre et enjouée. Son goût pour les femmes se déclara de
bonne heure, et il n'eut bientôt, à l'entendre , que l'embarras
du choix. Il se vantait hautement de ses succès auprès d'elles,
ce qui lui en obtenait de nouveaux. Il devint le héros de
mille aventures galantes qu'il excellait à raconter. Ses récita
amusaient les cercles et les petites cours que les seigneurs
tenaient alors dans leurs châteaux : mais il mêla dans ses
récits une dame de Saint-Gilles, dont le mari, chevalier
très -chatouilleux sur tout ce qui tenait à son honneur, lé.
fiunit sévèrement de son indiscrétion , ou de* ses calomnies.
1 lui fît fendre selon les uns , et selon d'autres percer la langue.
Hugues de Baux en eut pitié; il le recueillit, le consola et Je
fit guérir. Pierre Vidal reprit bientôt sa bonne humeur ; un
autre prince de la même maison. Barrai, vicomte de Marseille,
l'attira chez lui et le paya, par la familiarité la plus intime
et par les meilleurs traitemens, du plaisir qu'if trouvait à
l'entendre. La vicomtesse, Adélaïde de Roque-Martine, en
prenait encore davantage. Pierre Vidal devenu bientôt amou-
reux d'elle, la célébrait dans ses chansons, sous le nom
d' Audiema , ou plutôt de Viema , car c'est ainsi que ce nom
est écrit dans toutes les chansons où il parle de la vicomtesse ;
PIERRE VIDAL, POÈTE PROVENÇAL. 471
on y lit même toujours Na Viema (i), c'est-à-dire, selon la
manière d'écrire de ce temps-là , dona Viema.
Elle se fit un amusement de cette passion ; son mari s'en
faisait un lui-même : mais un jour que Vidal surprit Adélaïde
endormie , il prit avec elle des libertés qui passaient la raillerie.
Barrai , appelé par les cris de sa femme , voulut encore prendre
la chose en plaisantant, et fit son possible pour la fléchir: il
ne put en venir à bout; Vidal fut obligé de partir et de se
retirer à Gênes. Il paraît qu'il n'y fut pas bien traité et qu'il
en conserva du ressentiment, car dès les premiers vers d'un
sirvente qu'il fit après son retour de la croisade, pour laquelle
il partit bientôt, il lance un trait contre les Génois, et fait
des vœux pour les Pisans leurs ennemis.
Bon' aventura don Dieus als Pizans
Quar son ardit e d'armas ben après,
Et an baissât l'orguelb dels Genoes,
Que s fan estar aunitz et soteirans (honnis et atterrés).
Il paraît aussi par ce même sirvente aue, mécontent des
Génois, il passa chez le marquis de Montferrat, puis en Lom-
bardie, et à Milan, et qu'il reçut par-tout un non accueil;
aixssi préfère- t-il le Montferrat, Milan, et le pays des joyeux
Lombards à celui des tristes et grossiers Allemands dont le
parler, dit-il, ressemble à l'aboiement des chiens; il le pré-
fère aussi à la Frise oii l'on n'entend tout le jour qu'un gla-
pissement ennuyeux.
Alaïaans truep descauzitz e vilans
E qan neguns se feing d'esser cortes
(i) Na Viema molt m'es araar.
Na viema, ieu no m clam ges de vos.
Na Viema, cui am de bona fe, etc.
Et dans cette jolie chanson , dont le nom de Na Viema termine en refrain
les trois couplets.
La lauzeta e'I rossinhol
Am mais que nulh autr' auzel.
Que pel joy del temps novel
Comenson premier lur chan;
Et ieu ad aquel semblau ,
Quan U autre trobador
Estan mut, ieu chan d'amor
De ma domiia NaVierna.
XII SIECLE.
XII SIECLE.
Nostradamus,
Hist. de Prov. ,
3' partie.
472 PIERRE VIDAL, POÈTE PROVENÇAL
Ira mortaU et enuetz cozens es ,
E lor parlars sembla lairas de cans ,
Per q' ieu no voill esser senher de Frisa
C auzis tôt iorn le glat dels enoios ;
Anz voill estar entr'els I^mbartz joios
Près de mi donz q'es gaia, blanc' e lisa.
C'est, selon l'abbé Millot, à la suite du roi Richard, dont
il parle aussi dans ce sirvente, que Pierre Vidal passa en
Palestine. Mais dans une autre pièce qu'il composa avant de
partir et dans laquelle il appelle les chrétiens à la croisade ,
il parle du marquis de Montferrat, et ne dit rien de Richard.
La pièce commence par ces vers , qui sont toul-à-fait dans
le goiit de son temps :
Baros Ihesus qu' en crotz fon mes
Per salvar crestiana gen ,
Nos manda a totz cominalmen
Q' anem cobrar lo saint paes
Ou venc per nostr'amor morlr.
Il dit dans la seconde strophe :
Qu' el saint Paradis que ns promes,.
Ou non a pena ni torraen ,
Vol ara livrar molt francamen
A celz qu' iran ab lo Marqes
Oltra la mar per Dieu servir.
Les folies de la croisade s'étant réunies dans sa tête à celles
de son amour, il perdit tout- à -fait la raison ; il se crut un
chevaUer invincible, un héros. Il remplit ses chansons de
fanfaronnades guerrières, et de forfanteries. Il épousa en
Chypre une grecque qu'on lui dit être nièce de l'empereur
d'Orient, et qui lui transférait, disait-on, des droits a l'em-
pire. Dès ce moment il se crut empereur. Revêtu d'ornemens
impériaux, il faisait porter un trône devant lui. « Cette folle
maladie d'imagination, dit l'ancien historien de Provence,
fut tellement forte et violente, que tout l'or et l'argent qu'il
gagnait à sa poésie était employé à la construction de certains
navires, qu'il s'attendait d'employer à la conquête de son vain
empire, jusques même à avoir changé les armoiries impériales
en un trident d'or en champ de gueules, et à faire appeler
sa femme impératrice. »
PIERRE VIDAL, POÈTE PROVENÇAL. 47?
On ne dit point comment se termina cette comédie, ni
ce que Vidal ht de sa femme grecque, lorsqu'après les dé-
sastres de cette troisième croisade, il revint en Provence. Ayant
appris à son arrivée la mort de Raimond, comte de Toulouse^
auquel il était fort attaché, il témoigna son affliction par des
bizarreries à sa manière. Il ht couper les oreilles et la queue
à tous ses chevaux, et raser la tête à tous ses domestiques.
Lui-même laissa croître sa barbe et ses ongles. II était dans,
cet état lorsque Alphonse II, roi d'Arragon, étant venu en
Provence, accompagné de ses barons, ils le recherchèrent,
l'engagèrent à quitter son deuil , à reprendre sa gaieté et à
exciter comme autrefois celle des autres par ses plaisan-
teries et par ses chants. Il obéit; composa de nouvelles chan-
sons, et s'engagea dans un nouvel amour qui fut selon sa
coutume accompagné de nouvelles folies. Épris d'Étiennette,
femme du seigneur de Penautier, dans le Carcassez, qu'on
nommait Louve de Penautier, il prit, pour l'amour d'elle, le
nom de loup, mit im loup dans ses armes, se revêtit d'une
peau de loup et courut sous ce déguisement la plus dange-
reuse aventure. Les bergers du pays le prirent ou feignirent
de le prendre pour un loup, et le firent poursuivre par leurs
chiens dans les montagnes. Leurs morsures et sans doute la
frayeur le mirent dans le plus triste état ; on le transporta à
demi-mort dans la maison de la dame de Penautier, qui le
fit guérir, mais qui disposée sans doute à s'amuser de tout,
ne fit que rire avec son mari de cette scène.
Il paraît que pendant le reste de sa vie, Pierre Vidal fut
attaché au roi d'Arragon, Alphonse III, comte de Provence.
Jean Nostradamus prétend, que devenu plus sage dans sa
vieillesse, il composa un traite sur la manière de réprimer sa
langue( i ). Il prétend aussi , mais sans preuve , qu'il repassa en
Orient en laay, à la poursuite de son empire d Orient, et
que, de retour de ce voyage , il mourut deux ans après. Il est
certain qu'il florissait dans le XII* siècle ; on n'a connaissance
d'aucune de ses actions ni de ses liaisons dans le XIIP; on
peut donc placer sa mort vers l'an 1200.
On ne croirait pas qu'un fou tel que l'était Pierre Vidal
pût donner des leçons de sagesse. On en trouve pourtant de
fort bonnes dans la plus longue de ses pièces, celle de toutes
les siennes qui lui fait le plus d'honneur. Il donne à ses con-
(i) La maneira de retirar la lengua,
TomeXr. Ooo
XII SIECLE.
474 PIKRRE VIDAL, POETE PROVENÇAL.
XII siECLH. ggjj^ ^^ jQ^j, ^j£ pj, (ii-jimatique, en feignant qu'il les adresse
à un jongleur qui vient se plaindre à lui de la décadence du
^siècle et du peu d'encouragement que les talens trouvaient
alors dans les cours où ils avaient été autrefois si bien accueil-
lis. Le jongleur lui raconte une visite qu'il avait faite un jour
chez le dauphin d'Auvergne , où il avait tout trouvé sur le
Eied du bon et ancien temps, bonne chère, compagnie de
raves chevaliers et de belles dames, joyeux propos, et bon
accueil. Dans un moment où il avait pu l'entretenir, il avait
demandé au dauphin pourquoi par tout ailleurs que chez lui
on ne trouvait plus rien de semblable. Le dauphin lui ré-
pondit très-sensément, mais très-longuement, et il rapporte
sa réponse toute entière. La faute en était aux barons (|ui ne
ressemblaient pins à ce qu'avaient été leurs ancêtres. La no-
blesse avait dégénéré de son ancienne valeur et de son ancienne
courtoisie : le dauphin prédit qu'il lui arrivera la même
chose qu'aux Sarrasins. Il y avait parmi eux de braves gens à
qui l'on donna la noblesse et des terres : leurs descendans se
crurent dispensés d'avoir les mêmes vertus. Les Mammelouks
s'élevèrent, et voulurent réparer le défaut de naissance par
de belles actions. Les peuples se déclarèrent pour eux, et
se soulevèrent contre leurs anciens maîtres pour se donner
aux nouveaux. Le jongleur a toujours présente cette conver-
sation avec le dauphin d'Auvergne, sans lequel il avoue qu'il
n'eût trouvé ni joie, ni bonté dans le monde.
C'est alors que Pierre Vidal commence par faire au jon-
gleur, comme le dauphin, une peinture de l'ancien temps
dont il avait été témoni , fort désavantageuse pour le temps
où ils étaient parvenus. Il se souviept d'avoir vu dans le
monde les troubadours honorés, bien reçus, enrichis, et
suivis de brillans équipages; les cours livrées aux exercices
de la valeùrct de l'esprit, et à d'honnêtes amours. Telles étaient
celles du preux marquis de Montferrat , en Lombardie, du
seigneur de Blacas, en Provence, du bon .seigneur Guillaume
de Baux, et de plusieurs autres dont il déplore la perte; Dieu
voulut alors qu'il y eût en Allemagne un empereur Frédéric;
en Angleterre, un roi Henri et ses trois fils; à Toulouse, un
comte Raimond; en Catalogne, un comte de Barcelone et son
fils Alphonse. Tous ces seigneurs savaient bien discerner les
hommes. Ces détails peuvent servir à fixer le temps où Vidal
composa ce poëme qui paraît être un des ouvrages de sa vieil-
lesse. On peut même y reconnaître celui que Nostradamus
PIERRE VIDAL, POÈTE PROVENÇAL. -475
appelle un traite sur la manière de reprimer sa langue , et que
l'on croyait perdu , ou dont ou ne répétait le prétendu titre
que comme une épigramme contre son auteur. Après des con-
seils généraux qu il donne à ce jongleur sur la manière décente
de se conduire, de s'habiller, de se présenter ; sur le bon choix
de sociétés qu'il doit faire, sur la nécessité de varier ses chan-
sons, de ne pas imiter certains jongleurs qui affadissent tout
le monde par leur chants amoureux et plaintifs, « ne parlez
pas trop, lui dit-il, Si l'on vous demande de raconter
ce que vous aurez vu et entendu , ne vous répandez pas trop
en discours: mais allez par degrés, sondez le terrain jus-
au'à ce que vous voyiez qu'on prenne goût à ce que vous
dites, etc. y> Ne sont-ce pas là des leçons de l'art de retenir
sa langue , de la maneira de retirar la lengua ? et les anciens
auteurs copiés par Nostradamus qui a été ensuite copié par
des auteurs plus modernes, n'auront-ils pas cru ces passages
d'un poëme qu'ils ne connaissaient pas tout entier, tirés d'un
ouvrage uniquement consacré à cet objet ?
Une des pièces purement poétiques et galantes de Pierre
Vidal peut donner, par le singulier entrelacement des rimes.^
une idée des formes difficiles auxquelles les troubadours
soumettaient quelquefois leurs chansons. Ils tenaient certai-
nement des Arabes ces sortes de jeux d'esprit dont aucune
autre poésie ne pouvait leur avoir donné lidée.
Les strophes sont de douze vers, huit de cinq syllabes,
et quatre de sept; tous à rimes masculines.
Les trois premiers vers de suite riment ensemble et avec
le cinquième ; les sixième, septième , et'huitième^semble , et
avec le quatrième.
Le neuvième et le dixième, sont sur une autre rime; le
onzième et le douzième sur une autre.
Voici la première strophe.
Molt m'es bon e bel ,
Quan vei de novvel
• La fuoilla el ramel,
E la fresca flor ;
E chanton l'auzel
Sobre la verdor ;
E'is fin amador
Son gai per amer.
Amaire e drutz sui ieu
Ooo 2
XII SIECLE.
XII SIECLE.
476 PIERRE VIDAL, POETE PROVENÇAL
Mas tant sol li maltraich grieu
Q'ieu n'ai soffert longamen
C'un pauc nm camjat mon sen.
Cette Strophe fournit les rimes des sept autres dont la
chanson est compose'e; mais dans un ordre bizarre et cepen-
dant très-regulier.
Dans la deuxième strophe, les trois premiers vers et le
cinquième reprennent la rime des deux derniers delà strophe
précédente, sen, talen, joven, longamen; les quatrième,
sixième, septième et huitième, celle des premiers vers de la
même strophe, hel, nouvel, ramel, auzel. Les deux suivans
sont en or, seconde rime de cette première strophe , et les
deux derniers en ieu, qui en est la troisième rime.
La troisième strophe en fait autant de la seconde. Elle
prend d'abord sa dernière rime ieu, puis sa première, sa
deuxième, et sa troisième.
La quatrième strophe prend , dans le même ordre, les rimes
de la troisième, commençant toujours par la dernière rime,
sautant de-là à la première et allant de suite.
La cinquième, la sixième, la septième, et la huitième,
font de même, chacune à 1 égard de la strophe qui la pré-
cède. On voit qu'à la cinquième, les rimes doivent se retrou-
ver dans le même ordre oii elles étaient à la première, et qu'elles
se trouvent dans le même rapport de la sixième strophe à
la deuxième, de la septième à la troisième, et delà huitième
à la quatrième.
L'envoi qui termine la pièce est de quatre vers de sept
syllabes, rïfnant deux à deux avec les quatre derniers delà
huitième strophe.
Il fout plaindre des poètes qui s'assujettissent volontaire-
ment à dépareilles entraves; mais peut-être aussi faut-il féli-
citer les troubadours de l'organisation délicate qui leur avait
fait un besoin de remplacer par l'harmonie de ces conson-
nances celle de la quantité qui leur manquait, et de lin-
vention même de ces sortes d'entraves qui aiguisaient l'esprit
par la difficulté, en même temps qu'elles flattaient l'oreille
•par un retour régulier et cependant varié des mêmes sons.
G.
v«^%^^«.
««^v^v«^ ««^-k
XII SIECLE.
ANONYME,
AUTEUR D'UNE VIE, EN VERS PROVENÇAUX OU LANGUEDOCIENS,
DE SAINT AMANT, ÉVÊQUE DE RHODEZ.
i^ETTE vie de saint Arnaud n'est connue que par les fragmens
Su'en a rapportes un savant jurisconsulte du XVII'' siècle, M.
lominicy de Toulouse, dans un ouvrage imprimé à Paris
en 1645 (1). Dom Rivet qui a parle deux fois de cette vie, Hist. Littér.
en fait remonter la composition au XI« siècle, et la croit de Fr. , t. vu,
plus ancienne que la traduction qu'Atton fit des ouvrages de "vu et" vTù' et
Constantin l'africain , avant 1077. L'abbé du Dos en rapporte t. ix, p. no.
un fragment en paijant d'une lettre d'Avitus adressée à Quin- ./^"V "'*■ <^«
tianus, évêque d'Auvergne et dit d'après Dominicy qu'il mônarchie-pi-
cite (2) : » nous avons une vie de saint Amant, évêque de ris, 1742,1^-4°,
« Rhodez, écrite il y a plus de cinq cents ans en langue ro- '• lï» P- 178 V"
« mane et en vers mesurés et rimes, et l'on y trouve plu- P^556 de ledit.
» sieurs particularités concernant Quintianus , un des predé-
« cesseurs de saint Amant. L'auteur de cette vie dit entre
« autres choses, que Clovis, dès qu'il eut appris la disgrâce
« de Quintianus, monta à cheval pour venir attaquer les Vi-
« sigoths. L'importance du fait que ces vers nous apprennent,
« ajoute M. Dominicy, me fait prendre la hardiesse de les
« rapporter ici, bien qu'ils soient composés dans l'ancien
« patois de noti'e pays ». En effet, continue le même auteur,
ces vers font voir que Clovis commença son expédition contre
(i) De Prœrogativâ AUodiorum, cap. VII, p. 54, Paris, i645, m-i^"
réimprimé. Cet ouvrage se trouve dans Joan. Schilteri codex Alemanicus ^
feudalis. Argentorati , 1728 , in -fol. , p. 49 j et dans Ansberti familia redi-
viva, Paris, 1648, in-4", p. 44-
(2) « Vêtus vita sancti Amantii Ruthenorum episcopi ante quingentos
annos versihus rhithmicis linguâ romanâ conscripta^ cjuâ decessorum ejus
quœdam acta continentur , asserit Clodoveum cum ejectionem Quintiani
accepta nuntio exploratam habuisset , brevi expeditionem suscepisse. Ita
enim hahet nec pudebit usiialem et antiquum harum regionum serriionem
licet barbarum proferre, duni tam nobile suppeditat argumentum. » De Prse-
^rogativa allodiorum, p. 54-
478 ANONYME, AUT. D'UNE VIE DE S. AMANT.
1 — les Visigoths avant le temps où il avait résolu de la com-
.mencer; mais qu'il se pressa et qu'il la commença prématuré-
ment, parce qu'il apprit que le projet de ses amis était dé-.
Grégoire de couvcrt et qu ils étaient en danger.
n°"c"37.'** L'abbé du Bos rapporte les vers suivans qu'il cite d'après
•Loc.cit.t.ii, Dominicy.
p. 179, ou 556
dcréd.dei734. Et fo mandat al rey, per messatge coren,
DePraeroga- q^^ Quintia l'avesque de Rhodes veramen ,
tiva Allodio- T. r ■ 1 j-
rum, cap. VU, ^ra fugit sa oltra , per penre gandimen
p. 49 , apud 'Del pobol de Rhodes que va'n^ar perseguen.
Joan. SchiUer. Disc que siihjugar los vol certanainen
Al noble rey de França : no lor era plasen ,
"Eît, per aquella causa, lo'rey'Ten brevemen.
Ahsberti fa- Lc même Dominicy, dans un autre ouvrage, cite le com-
milia rediriva, menccment et divers fragmens de cette vie de saint Amant,
**■ qu'il explique en latin.
Al nom de Jésus Christ aisy sia affinât
Lo libre, que vous ay de lali romansat,
Del padro Sant Amans.
Id est : In nomine domini hicfiniatur liber sancti Amantii patroni nostri,
quem vobis e latino in romanum. transtuU.
Aprop aisso long temps s'en s vol i-ecordar.
Un prince qu'era duc , que se f'asia appeiar
Marcia , ab gran gen ven per ;»settjar
La vila de Rodes, et vol la subjugar.
Que de per totas parts la fec environar ,
Et gardar que monda no lay pouges intrar,
Et destrieys tant lo pobol que non ac que mangar....
Tant lor entendement a Dieus van demonstrar,
Ab gran devotio se van appareilhar,
Qu'el sepulchre visite de sanct Amans lo bar.
Et prego caromen qu els veille desliurar
Del prince Marcia , et de tôt son affar.
Quand airo long temps fâcha aquesta orasio.
Et airo Dieus pregat ab grand devotio ,
Et an près sanct Amans per garda et per guide ^
Viro fugir d'aqui los contrari que so.
Posthœc ïongo deinde tempore, si recordari licet, dnx nomme Manias
cum multo exeicitu Ruthenam tendit, et ut eam sibi subjugaret , tam arcta
ANONYME, POETE MORAL. 479
Sbsidione cinxit, ut nullus itigredi posset , populusque ita distringeretwr ^ ut XII SIECLE.
quo sustentaret, non haheret. Tune omnes ad Deuin mentem élevant, ac
sepulchruin nobilis Arnantu magna cum reverentia adeunt , deprecantiirque
ut eos a principe Martia liberarc dignetun. Fusa vero per longa spatia de-
vota prece , et Amantio in auxilium et tuitionern invocato , inde castra^ •
moventes vidsre adversarios.
Et devenc se l'altr'an, per maWais mouvement, Pag. 4S.
Qu'aques duc Marcia fes altre asietgament
Per tornar a Rhodes et per far raubamen :
Que vol penre la vila et contrenger la gen
Per so que miels n'agut tôt son entendemen
Que no ac l'altra ves, quand s'en fugi coren :
E'I pobol, que a vist sest assietgamen ,
Gran paor en a aguda d'aquela mala gen ,
A sanct Amans s'en fuio , qu'es lor defensamen::"
E'is ennemies fugiro com l'altra ves coren :
One puiessas no tornero per far mal à la gen.
Et sequenti anno contigit , pravo motu ducem illum Martiam aliam obsi-
dionem parasse, ut rursus Ruthenam deprœdaretur ; quare ut quantocius
civitate hic potiretur , castra undique fixit , et immnniter cives as^gressus
est, sanioris se modo consilii ratus qukm alia vice, qua velociter aufugit.
Pnpulus ergo Ruthenensis se ita oppugnatum videns ingenti metu concussiis
ad sanctuin Amantitun ejiis patronum recurrit ,.et statiin i^itnici , ut alias
terga vertère , nec in posterum ut populo nocerent^ reversi siuU.
Ces fragmens conservés par Dominicy , sont tout ce qui
nous reste de cette vie de saint Amant. Ni ce jurisconsulte,
ni aucun des écrivains qui en ont parlé d'après fui, ne nous '
apprennent le nom de l'auteur, ni ne se sont occupés de sa
personne. On ne pourrait, à cet égard, former que des
conjectures vagues, et par conséquent inutiles. G.
•lilf jiijil oiùl.!^ '.'r-s' )
ANONYME,
POÈTE MORAL.
Il existait avant la révolution dans la bibliothèque de l'ab-
baye de Saint- Vincent-du-Mans un manuscrit m-8°, relié
en bois, d'une belle écriture de la fin du XIP, ou du com-
mencement du XIIP siècle, et orné de lettres initiales peintes
XII SIECLE.
48o ANONYME, POETE MORAL.
en rouge ou en bleu, dont quelques-unes tiennent toute la
page.
Ce manuscrit qui n'est que de log feuillets non chiffre's,
contient deux différens ouvrages en vers qui paraissent être
d'un même auteur, et dont le style est bien de la fin du XII*^
siècle.
Le premier qui remplit les 3a premiers feuillets , est l'histoire
de la sortie d'Egypte ou de la délivrance du peuple d'Israël ,
jusqu'à son entrée dans la terre promise. Cette histoire est
moralisée; c'est-à-dire que l'auteur, sur chaque trait d'his-
toire , fait des réflexions morales. Il débute par une espèce de
prologue.
Le viez estoire nos racunte ,
E met en ordene et en cunte,
Les manzions , les lius , les terres ,
Les batailles , les mais , les guerres
Que Israël eut e sofFri
Quant il Egypte déguerpi
Et fut menez par le Deu don
En terre de promission.
Tôt ço fu fait et fu escrit
Por tenir solons l'esperit ;
Por l'esperit, nient por les letre;.
M'en vien por amor entremetre.
Le ni de l'oisel ai trové ;
S'en vueil solons autorité
, Laissier le merre , e à nostre ues (usage)
Tenir les polans e les ues ( les poussins et les œufs ).
Cest doble fruit me senefie
Moralité, allégorie,
Par qui la fois est confermée
Et nostre vie enluminée.
Le raerre est li sens de le lettre ,
Dunt ne me quiersjo entremettre;
Quar n'est pas bone le gaine
Ki trop petit conquest amaine.
Voici de quelle manière le poëte moralise les travaux des
Israélites en Egypte , et quelles allégories il y trouve.
Pôr Egypte entendez lo mont ( le monde)
Ki le gent Deu grieve e confont;
ANONYME, POÈTE MORAL. 01
Li brais ( le mortier) est vie laide e foie ,
Le paille legiere parole; irîi-/
De CD nos vuels li rois ovrer,
Ki ne nous laisse à devoler .
C'est li diables od sa gent
Dont il nos vienent maint torment^
Il explique ainsi le nom de la montagne d'Abarim.
Mons Abarim torne en romans,
Se diras mont des trespassans.
Il finit son poëme par l'histoire de Balaam; et après avoir
déclare' cfu'un autre sujet l'appelle, il moralise encore sur le
nom du Jourdain en l'interprétant à sa manière :
De l'estoire ne vuel plus dire ;
Car mes chevals- d'autre part tire. ■
Jordains sone descendement :
Ki vuelt avoir aprochement
A Deu, e vuelt deseur soi tendre,
Primes apregne en soi descendre.
Ne pueit savoir celle haltesse
Ki ne connoit sa petitesse.
Ce second ouvrage, vers lequel il nous dit que ses chci'au^
le tirent^ est une explication allégorique et morale du can-
tique des cantiques; elle est précédée d'un long prologue
qui commence au feuillet Sa verso du manuscrit immédiate-
ment après la fin du poème précédent.
Dans ce prologue, le poète se propose sur-tout d'établir
qu'il faut entendre par les sentimens exprimés dans le can-
tique de Salomon l'amour de J. C. pour son église; en voici
le début :
La matere de cest saint livre
Vuelt tôt le aier (i) avoir délivre,
(i) Ainsi écrit dans la copié faite sur le manuscrit original. Mais ai ^
cune des significations du vieux mot aier ne peut convenir ici. ( 11 signifie,
selon le glossaire de la langue romane, i'\fils , héritier, et héritage; -i" feu,
chaleur, -violence; ^ aider , assister, soulager; ^"arrière, en reculant , au
rebours ). Il paraît donc qu'il y a erreur dans la copie, et qu'il faut lire le cucr,
le cœur , qui forme un très-bon sens. Le copiste aura joint nial-à-propos
au c le premier jambage de \u, et ne sachant plus que faire du second
il en aura fait un i en y mettant un point. Cela est d'autant plus Vrai-
emblable qu'il avertit dans une note à la lin de sa copie que dans tout
c. e manuscrit il n'y a pas de point sur les /.
Tome XF. P p p
XII SIECLE.
XII SIECLE.
48a ANONYME, POÈTE MORAL.
Qu'il n'ait al siècle baerie (attache)
Et tôt soit vuis (le légerie. •
Tel le requiers, quar altrement
Pj'auroit pas sain entendement.
Quar (l'amor est li livres fait
Et par grant sens en fut estrait.
Li sages Salemons le fist,
-Lui Deus à cest honor eslit,
L'amor dont il i a parole
N'est pas del siècle, n'est pas foïe ;
Enz est amors et bone et sainte
Dont il ne vient mais ne complainte.
Geste amers le saint cuer enivre
Et d'altres aiers(i) le délivre,
Duce est de ceste amor la plaie ;
Nuls ne le sait s'il ne l'ensaie.
A Jhu Christ et à sa raie
Qu'il sue ( sienne) fait par bone vie ,
Apartient d'amors le parole
Dont cest livres partot p.irole.
La mie co est sainte église
O larme ( lame) sainte bien aprise.
Por ceste amie à soi retraire
Morut li sire debonaire,
Morut et son sanc precios
Dona li plus li merveillos:
Ne pooit par altre nianiere
Mostrer conbien il l'avait chière.
Après ce prologue qui finit par une prière à Dieu, vient la
f)ara phrase de l'auteur sur les cinq premiers chapitres seu-
ement; il s'arrête même au iS*^ verset de ce chapitre. Il pa-
i;>Tphrase ou plutôt interprète le 5* : manus meœ stillaverunt
myrrham^ et digiti mei pleni myrrha prohatissiina , en disant
que cette myrrhe signifie l'incorruption de la Sainte- Vierge
après sa mort.
(i) Ce mot n'a encore ici aucun sens, mais on a écrit cette note en
marge do la copie : •< On lit au-dessus du mot aiers, d'une écriture un
« peu plus récente, cures, » Et c'est sans doute la véritable leçon.
AUT ANONYM. EN PROSE ET EN VERS. 483
'^'^^ ,. XII SIECLE.
Celé mirre que nos disons _
Cho fu ceste incorruptions.
Lautre fu quant ne porrit raie
Li cors de la vierge Marie.
En son sépulcre eut il séjor
Mais puis al quarantisme jor \ >
Fu il del sépulcre leveiz
E des angles en ciel porteiz.
De ceste mirre nequedcnt (néanmoins)
S'en taisait ii doz testament.
Par sainte révélacion
Seit on cesie iucorruption.
En tête de ce même chapitre, où se trouvent les traits les |
plus vifs du cantique des cantiques, l'auteur prend soin de
déclarer que c'est premièrement pour l'honneur de Dieu et
ensuite pour notre enseignement qu'il a entrepris cet ou-
vrage. Il s'est donné beaucoup de peine pour le mettre en
rime et pour en expliquer le vrai sens; mais il reconnaît
si bien que, malgré ses expHcations, le texte offre des ex-
pressions et des images qui ne sont pas sans danger, qu'il
recommande en finissant d'écarter ce livre des mains de la
jeunesse :
Mais tant requiers que cest romant
:Unkes ne viegne en main d'en&nt.
G.
AUTRES AUTEURS ANONYMES
EN PROSE ET EN VERS.
'La bibliothèque de l'abbaye de Marmoutiers possédait à
la même époque trois manuscrits, l'un en prose, et les deux
autres en vers , dont le langage était de la fin du XII* siècle,
et l'écriture du XIV® , et dont les auteurs sont également
inconnus.
I. Le manuscrit en prose était d'une fort belle écriture ,
et de format in-folio, mais le commencement manquait. Il
contenait une traduction des L<%endes des apôtres, de
Ppp 2
Xrt SIECLE.
484 AUT. ANONYM. EN PROSE ET EN VERS.
l'Histoire de l'invention de la vraie croix, de la Vie de saint
Gosme et de saint Damien, et enfin de celle de saint Julien
martyr. Cette dernière vie est un roman des plus fabuleux.
L'auteur appelle son he'ros saint Julien l'hostelier, et le fait
fils de Gcoftroi, comte d'Anjou. Elle commence ainsi : « Lus ou
« Dus Preudons raconte la vie monseigneur saint Julien, qu'il
« a translatée de latin en roumant, et dist que cil qui l'écou-
te teront i auront moult grand preu. Dueix Julien furent , li
« uns martirs, et li ostres confessors, li uns évesques, et li
« ostrès osteliers. Cil Julien li martirs fu fil au conte d'Angiers
a et fu osteliers, et n'ama oncques nulle richece, fors a don-
« ner pour Dieu , et herbeia moult volontiers les poures, etc. »
On ne connaît point, et rien n'indique dans tout l'ouvrage,
quel est ce prud'homme qui a traduit la vie de saint Julien,
a. L'un des deux manuscrits en vers, de format in-S»,
était sans titre, mais on lisait à la fin : ExpUcit li romans
fie Guiun de Borgogne. Ce roman paraît être l'histoire des
exploits de Charlemagne en Espagne. Cependant il y est
parlé de la mort de Richard, duc de Normandie, sans qu'on
puisse savoir si c'est de Richard I*"'", surnommé sans peur,
ou de Richard II, dit le bon, mort en 1027. Voici les pre-
miers vers de ce roman , qui sont alexandrins , ou de douze
syllabes :
Oies, seigneurs barouns, Dieu vous croisse bonté,
Si TOUS commencerai chançon de grant barné.
De Charles l'emperere le fort roi coronné.
XXXVII ans tous plains acomplis et passé
Fut li rois en Espaigne, 0 lui son grant barné (baronage), etc.
Et le manuscrit finit ainsi :
Seignor franc Chr. la chançon est finie;
Diex garisse celui qui le vous a chanté,
Et vous soies tuit sauf qui lavés escouté.
; 3. Le deuxième manuscrit en vers, in-folio sur vélin,
contenait la vie des saints Barlaam et Josaphat. C'est sans
doute une traduction de la vie de ces saints, attribuée à
saint Jean Damascène, ou, du moins, d'une version liitine
de cette vie. Le traducteur français commence par les huit
vers suivans :
Li cuers me dist et anioneste
Que en romans mette la geste
AUT. ANONYM. KN PROSE ET EN VERS. 185
E les vies de deus ermites
Si com je lai el cuer escrites.
E nequedant molt me séist
Qu'uns autres l'afaire aprist
Cui engins ( dont le génie ) peust miaux soffiie
A traitier si aut matire.
Il aioute qu'il a mieux aimé employer ses veilles à faire
quelque chose qui pût être utile au lecteur 1 édifier et lui
donner des modèles de vertu à imiter, que de taire comme
tant d'autres, des romans qui n'ont d'autre but que d amuser
et de faire rire.
Dans les dix-huit derniers vers de son ouvrage , il en
recommande l'auteur aux prières de toutes les classes de
lecteurs.
Por ce lui doivent tuit proier
Clerc e borgois e chevalier,
Soit évesques o clerc o prêtre.
Dex li otroit l'amor célestre
Qui de ces deux mist en mémoire
La vie, la mor e l'estoire.
Pensé ja y a maint semaine ;
Moult a bien employé sa peine,
Estudié ja maint vesprée,
E veilliés pltiisors matinées.
Or priom Deu qu'il vive à aise
E que l'oraison à Deu plaise ,
E que s'arme soit en remire (contemplation),
E an repos et sans martire ,
Au jor qu'elle déviera ( sortira de la vie)
E que del cors se partira.
Amen respondés anvirom
E puis pater noster dirom.
Explicit.
De Barlaam e Josaphas
Que Dex nos maint (mène) à bon trespas !
G.
XII SIECLE.
XII SIECLE.
AYMÉ DE VARANNES ou DE CHATILLON,
k POÈTE FRANÇAIS.
\jE poète est connu comme auteur d'un roman de Florimond ,
dont Borel , le nouveau du Cange, Galland et quelques autres
e'crivains ont parle' ; mais ni ces e'crivains , ni rien dans ce
roman ne nous apprennent aucune particularité' de sa vie. 11
n'est question ni rie sop roman ni de lui, dans'Fauchet, non
plus que dans Lacroix du INfeùic.
Le roman de Florimond quJ^se trouve dans un manuscrit
N° 6973. français de la bibliothèque du Roi, est in-4°, sur vélin, à
deux'colonnes. Les vers sont de suite comme de la prose,
et ne sont distingués que par la première lettre de chaque
vers qui est d'une teinte un peu rouge. L'écriture paraît du
XP''^ siècle, et en est etïèe^yement , comme on le voit à la
lin , par ces quatre vers du copiste, qui se nommait Thomas
le Huchier :
L'an i3 cent et aS,
Sis joi;s (levant la sainte croix,
Fist Thomas le Huchier cest livre;
£ ' Moult fu lié ( joyeux) qui en fu délivre,
Galland parle d'un manuscrit plus ancien, dont il n'in-
dique pas le numéro , mais qui est du XIIP siècle ; la preuve
en est dans ces trois vers du copiste, qui n'a pas pris soin
de se nommer :
E quant cil roman fu escri ,
Corroit mil deux cens quatre-vingt
Et quinze ans, el mois d'aoust.
Rien n'indique dans le poëme pourquoi on arvait donné à
Aymé le premier de ses surnoms, de Varannes , ni de la-
quelle des villes appelées Châtillon , son second lui était
venu. Il n'est appelé de Varannes que dans une traduction
en prose, dont nous parlerons plus bas. Dans plusieurs vers
de son poëmc , il dit qu'il l'avait composé à Châtillon ; mais
il dit aussi qu'il l'avait fait en Lionnais, et il ajoute que ce
n'était pas en France , parce qu'en effet le comté de Lyon
AYxMÉ DE VARANNES, POÈTE FRANÇAIS. 487
„ , . , , ' Q / ' , XII SIECLE.
ne fut réuni a la couronne quen 1009, sous le règne de
Philippe -le -Bel. Quoi qu'il en soit, c'est dans le début du
roman de Fiorimond que se trouvent toutes ces indications ,
dont il serait difficile de tirer une conséquence définitive,
dans la disette absolue où l'on est de renseignemens sur sa
vie et sur sa personne. Voici ce début ;
Cil qui a cuer de vasselage
Et veult amer de fin corage ,
Il doit oïr et escouter
Ce que Ainiës veult raconter.
Assez i puet de bien aprendre
Si de bon cuer i veut entendre.
Or oiez seignor que je t|i '
Aimés por amer avec fi (foi> .fidélité)
Fist le romans tant sagement
Que tel storre que on entent
Pourquoi il fust et fais et diz.
Tousjours mais en iert remetnbrance.
Il ne fu mie fais en France ,
Mais en la langue des François
Le fist Aimés en Lionnoii.
Aimés y mist s'entencion ,
Le romans fist à Chastillon
De felipon de Macédoine
Qui fust norris en Babiloine ,
Et del fil au duc Malaquas
Qui estoit sire de Duras.
Florimont ot nom en francois
Elenois est dist en grezois.
Sor Aselgue* à Chastillon * Sic tednoii
Estoit Aimés une^nkpn , Piquet.
Et pourpensa soi de l'eStoire
' Que il avoit en sa mémoire.
Il l'avoit en Grèce véûe,
Nés n'étoit pas partout séûe,
A Filipople la trouva
' A chastillon le aporta.
Ainsi corne il avait aprise
L'a de latin en romans mise.
XII SIECLE.
488 AYME DE VARANNES, POÈTE FRANÇAIS.
LAuitcur dit encore, à la fin de son roman, qu'il n'a fait
que traduire cette liistoire du latin de celui qui l'avait com-
posée pour son amusement et pour son plaisir. Ainsi, quoi-
que l'histoire soit grecque, c'est en latin qu'elle est censée
avoir été' d'abord écrite. Que cela fût vrai, ou que ce fût
ïine tournure assez usitée dans ces temps-là , pour donner
du crédita l'ouvrage, après avoir été mise en vers, elle fut
retraduite en prose, selon un autre usage du même temps.
Le manuscrit français ySSp de la bibliothèque du Roi , petit
in-folio sur papier, d'une écriture qui est aussi du XIIF siècle,
contient ce même roman de Florimond , en pro.se. Il est sans
titre, et commence ainsi :
« À celui qui a cuer de grant valeur et entend en amour de
«dames et damoiselles, si entende de bon cuer le livre que
« Aimé de Varannes fist de gregoys en fi auçoys ; et il étoit
« en amour d'une belle damoiselle de France qui avoit nom
«Julienne. Ceux qui le liront et entendront lire, ce qui n'est
« pas donné à tout le monde , en tireront un grand profit.
« Vrois seignors, Aymé si estoit en amours de cette noble
« damoiselle Julienne , ainsy comme je vous ay dit ; et si
«estoit en Lonris (c'est sans doute Lonois^ mal écrit pour
« Lionois). Mais il fist l'estoire à Castillon de Philippon de
« Macédoine, qui avoit été en Babylone, et du fils au duc
«Marquas (Malaques), qui tenoit pour héritage Duras et
«toute Albanie, et son fils d'icelui duc de Duras dont l'his-
« toire parle. Si eust nom Florimoiit en françois et Helenoys
« en gregoys. Icelui Florimont fut roy et si acquit assez hon-
« neur et terre, et eust moult de peine et de travail en sa vie.
Aseigiieàaw « En iceluy temps , estoit Aymez à Castillon sous Absegues (i),
- « et se pensa de celle histoire que il avoit en Grèce vue , etc. »
On apprend ici une seule circonstance de la vie d'Aymez
de Châtillon, c'est qu'il était amoureux d'une demoiselle
française appelée Julienne. Ce trait, et quelques autres ajoutés
au roman en vers, paraissent une preuve de plus qu'il fut
fait d'abord sous cette forme, et ensuite traduit en prose.
P. 55a. Pour revenir au poëme, Borel, dans son Trésor, au mot
Séneschal ^ en cite le passage suivant, qui donne des parti-
cularités assez curieuses sur la manière dont les repas étaient
servis au douzième siècle :
Quant lor mangier fust atornez
Li oste dist : Seignor , lavez.
A. l'oslel tôt estoient venu
le roman
yers
AYMÉ DE VARANNES, POETE FRANÇAIS. 489
Por véoir li povre perdu ,
Li damoisel , li chevalier,
Sergens , bourgeois et escuyer.
A l'ostel avoit moult grant bruit
Et de joye et de déduit.
Tous sont retenus au mangier ,
Si font le séneschal proier
Qu'il remansist por déporter
Al povre perdu au souper.
Li séneschal fist lor voloir;
Quant ot lavé s'alla seoir.
Delfis ne fist pas chière morne,
Les tables et les mets atorne.
Quant il se furent tôt assis
Les tables fist mettre Delfis.
XII SIECLE.
Quant les tables furent assises
Si ont les napes dessus mises.
Li sergent ne sont pas vilain.
Et vin aportèrent et pain.
Puis aportèrent autres mez ;
En la table furent espez.
One del mangier ne fut à dire.
Mes com ne peut penser ne dire,
Quant ils ont assez mangé tuit
Delfis fit aporter le fruit.
Ces te table fut bien servie
Ou fut li rois de Barbarie;
Por très pucelles qui y sont
Li seneschaux fist Florimont
Servir , parce que il sçavoit
Quant en son cuer moult li pesoit.
Assis s'y sont li chevalier
Cil qui ne servoit au mangier,
Après avoir raconte à sa manière les gestes de Philippe de
Macédoine, de son fils Alexandre et de son petit-fils Flori-
mont, le poète s'adresse au lecteur, et paraît craindre le
jugement du public français, très-difficile, dès ce temps-là,
sur le langage , n'approuvant que ce qui était d'origine fran-
çaise, et peu indulgent pour les prodvictions d'un étranger.
Tome XF. ' Qqq
490 AYMÉ DE VARANNES, POÈTE FRANÇAIS.
XII SIECLE. _ , T7t • ...
Uel roy rloiremont vous ai du
Tant com j'en ai trovc escrit.
Or pii à ceux qui oï l'ont ,
Et aus trouvères qui i sont ,
Et aus François que por arnor
Ils ne blasmoient mon labor.
Qui blasnie ce qu'il doit loef ,
Et ce loe qu'il doit blasmer.
Il ne s'en puet pas moins honir.
Aus François io voil tant sewir,
Que ma langue lor est sauvag»,
Que io ai (list en lor langage
El mieuls que je le ai su dire.
Se ma langue la lor empire
Por ce ne me dient ennui ;
Mies aim ma langue que l'autrui.
Romans ne estoire ne plaît
Aus François, se il ne l'ont fait.
N'est merveille, qujr el boschage
Mon a si !ait oisel salvage
* Que ses nis ne lui soit plus bieb
Que toz le moindre des oisels.
Et li estre de mon pais
Me sent plus bel à mon avis
En droit de pris et de onor
Et de service que li lor.
Voire est que i a des François
Et de vilains e de cortois.
Les quatre derniers vers du poëme en donnent la date;
mais un mo* illisible dans le second des quatre vers, rend
cette date incertaine.
Quant Aymezen fistle romans
Mil cent.... vint VIII ans
Avoit del inrartiacion.
Adonc fut retrait par Aymon.
L'a"tenr suit ici l'usage de changer les terminaisons des
mots, et même des noms propres, en faveur de la rime.
Quand au mot qui manque dans le second vers, on peut le
.suppléer d'après un manuscrit de Saint-Marc, à Veni.se, copié
l^r M de Saiute-Palaye, dans uu de ses recueils. Il porte :
JEHAN PRIORAT, POETE FRANÇxiiS^ 49 ï
Quant Aymez en fist le Ronians, •\
Mil cent et quatre vint viii ans
Avoit de l'incarnacium ;
Adonc fut retrait par Aymum.
Ce poëme fut donc terminé en 1 1 88 ; et le poète , qui n'a
laissé d'ailleurs aucune trace de son existence, peut èta-e
regardé comme ayant vécu jusque vers la fin du XIP siècle.
Dans le catalogue alphabétique de livres, qui est en tête
du Trésor de recherdies et d'antiquités gauloises et françaises,
de P. Borel , on trouve : Roman de Florimond ou Fleurimont,
manuscrit en la bibliothèque du Boi, de l'an 1128. Borel
cite ce roman dans plusieurs endroits de son Trésor, et il
répète au mot Drudus de la seconde partie, qu'il fut écrit
en 1 128.
XII SIECLE.
JEHAN PRIORAT,
POÈTE FRANÇAIS.
On ne connaît l'existence de ce poète que par le soin qu'il
a pris de mettre son nom à la fin du seul ouvrage qui soit
resté de lui ; c'est une traduction de Végèce, de re Militari,
en vers français ; et comme au temps où vivait le traducteur,
l'état militaire n'avait rien de si distingué que la chevalerie,
il n'a pas manqué d'intituler son ouvrage : Livres de Végèce,
de la chevalerie, traduits en vers français. Cette traduction
se trouve parmi les manuscrits français de la bibliothèque
Royale, n» 7622, petit in-folio; le manuscrit en est orné de
miniatures dans quelques lettres initiales , et sur quelques-
unes de ses marges, où l'on voit des détails assez curieux
sur la manière de s'armer, de faire la guerre, sur les campe-
mens, les sièges, selon l'usage de ce temps-là.
L'ouvrage commence par cette espèce de prologue, écrit
en rouge
Par bonaire ici coniance
U non de Deu li abrejance
De l'ordre de chevalerie ,
Qqqa
493 JEHAN PRIORAT, POÈTE FRANÇAIS.
XII SIECLE. Comment doit estre étaublie.
Faite fu par noble home et saive (sage , savant)
C'on appelloit Vegece Flaive
Per r 1 1 1 livres devisez
Le trouverois savant lisez.
On lit ensuite une table en vers des choses contenues dans
les (juatre premiers livres de Vëgèce; l'auteur n'a pas traduit
le cinquième, sans doute parce qu'il ne traite que des flottes
romaines, et de la guerre de mer. Cette table générale est
suivie d'une table particulière des chapitres du premier livre.
Ce livre commence ainsi :
Nos ne veons pas que 11 puples
Das Romains, ne il ne lors mubles,
Aient vaincut trestot le monde
Si con il tient à la raonde,
Pet" sorceries ne par charmes ;
Mais que par l'entance des armes.
On pense bien que Végèce n'a parlé ni de sorcellerie ni
de charmes. Il dit simplement en cet endroit : nuUa enim
aliâ re videmus poputum romanum orhem suhegisse terra-
rum, nisi armoruni exercitio , disciplina castronim , usuque
militiœ. Ce ne sont guère que des ornemens de cette espèce
qu'il gagne à être traduit en vers par Jehan Priorat.
On lit à la fin du quatrième livre, ces vers qui terminent
l'ouvrage , ou du moins le manuscrit :
Si i puet l'on en sa pensée
Retenir aucunes choses feites
Qui sont profitaubles et neites,
Qu'es grans et es petites guerres
Vaillent et au conquérir terres,
Et en totes autres besoingnes
Ou porte l'on baiiières n'ensaingnes ,
Ne quel guerre faire conoseingnej
Et qui ne le set si l'apreingne ,
Et coment qu'il voit ne quel coste.
La veille de la pentecoste
Après celé incarnation
Que j'ai dit de l'ascension ,
Fu ois livres trestoz parfaiz.
Se vos pensez qu'il soit bien faiz,
JEHAN PRTORAT, POETE FRANÇAIS. 493
„..,.,.. ' XII SIECLE.
Vos tuit qui cest livres liroiz
Pour Jehan Priorat prieroiz
Que Dieu le trait à bone fin.
Ici mon livre vous deûn.
Amen.
Explicit li romans de chevalerie.
Ce langage est bien celui du XII« siècle. M. de Sainte-
Palaye, dans une note manuscrite sur cette traduction de
Vëgèce , pense que les bannières dont il est parlé au septième
vers de ce passage, et que l'on portait à la guerre, selon
l'usage de ces temps , oîi les curés , avec leurs paroissiens, et
letirs bannières, servaient dans les armées, sont un indice
de plus que cet ouvrage appartient au XIF siècle. Mais, soit
que l'on dérive ce mot, comme Pasquier, de ban, ordre L. VIII, cli. 36.
Eubliquement proclamé d'aller à la guerre, et de se rassem-
ler sous le drapeau, l'étendard, qui de -là s'est appelé
bannière; soit que, comme le veut Ménage, sur ce mot, dans
ses Origines de la langue française , il vienne du mot latin
banduni , d'où nous avons fait bannière pour bandière ,
comme les Italiens disent bandiera; il paraît toujours cer-
tain que la chose , et le mot qui la représente , furent d'abord
appliqués à l'ordre militaire, et que ce ne fut que par imita-
tion qu'on appela bannière le signe que l'on portait à la tête
du clergé et aes fidèles dans toutes les solennités de l'église.
La religion s'étant malheureusement mêlée dans presque
toutes les guerres du XII*' siècle, les pasteurs et leurs pa-
roissiens y marchaient en effet précédés de leurs bannières;
mais dans le vers en question, ce. mot signifie enseigne,
étendard en général, et non pas en particulier les bannières
ecclésiastiques, comme l'a cru M. de Sainte-Palaye.
Au reste, ce que ces vers ont de plus remarquable, c'est le
nom de l'auteur placé à l'antépénultième. Cet auteur nous
y donne en même temps un échantillon de son esprit, en
faisant un jeu de mots de son nom avec un temps du verbe
prier :
Pour Jehan Priorat prieroiz ;
Mais il ne donne aucune indication sur sa vie, son état,
sa patrie , ui sur le temps précis où il a vécu ; et nous n'avons
pu trouver nulle part ailleurs rien qui puisse suppléer à son
silence.
XII SIECLE.
V ***^^ ^«« '«.'% -« ^
■«^^'«-«.'«/«««^
LUCES DU GAST,-GASSE LE BLOND,— GAUTIER
MAP,— ROBERT DE BORRON ,— HÉLIS DE BORRON,
— RUSTICIEN DE PISE,
AUTEURS OU PLUTÔT TRANSLATEURS DES ANCIENS ROMANS
DE LA TABLE-RONDE.
V>/ES auteurs gui écrivaient en Angleterre, traduisirent du
latin en prose française, les romans de Tristan de Léonnois,
de Meliadus père de Tristan, du Saint - Graa! , de Joseph
d'Arimathie , de Merlin , et de Lancelot du Lac , source
primitive de cette multitude de romans dits fie la Table-
ronde^ qui furent aussitôt après mis en vers français, et
^ui se répandirent dans toute l'Europe , vers la fin du XII*
siècle.
A l'exception de Gautier Map, sur lequel on trouve des
renseignemens , on ne sait rien sur les autres. Il ont échappé
aux recherches de tous les biographes; et si quelques-uns
d'entre eux n'avaient eu soin de nous instruire eux-mêmes
de leurs qualités, du rang qu'ils occupaient, et des noms
de ceux qui coopérèrent à leur entreprise, on ne pourrait
former que des conjectures sur le temps où ils ont vécu,
ainsi que sur le pays qui les a vus niiître.
LucES DU Gast, chevalier et seigneur du château du Gast
près Salisbury, en Angleterre, est regardé comme le plus
ancien ; il translata le roman de Tristan , et commença
Catal. de La celui du Saint-Graal. Il s'exprime ainsi en tête du premier.
6i'rn"Aoi5' '' Après ce que j'ai leu et releu et pourveu par maintes
« fois le grant livre en latin, celui meismes qui divise aper-
« teraent \Estoire du Saint-Graal , moult me nierveil que
a aucuns preudoms ne vint avant pour translater-le du
« latin en roumans Je Luces chevaliers et sires du Chastel
« du Gast, voi.sins procliain de Sal('bieres, comme cheva-
« Hors amoureus enprens à translater du latin en françois
« une partie de cette estoire, non mie pour ce que je sache
« gramment de françois, ainz apartient plus ma langue et
K ma parleure à la manière de l'Engleterre que à celle Ae
AUT. ANGLO-NORM. QUI ÉCRIV. EN- FRANC. 495
« France, comme cel qui fu en Engleterre nez, mais tele _: __1
« est ma volentez et mon proposemeiit que je en langue
« Françoise le translaterai »
Lëvesque de la Ravallière parait s'être trompé en disant P"és. du toi
que le roman de Tristan, dont il ne connaissait pas l'au- i^-.^'les"*' '
teur, avait jjaru en i iqo. Chrestien de Troyes avait mis cet '
ouvrage en rinjes ; et Ton peut présumer que cette version
fut publiée avant 1180, à en juger par ce que dit le poète
en tête d'un autre de ses romans , comme nous l'avons vu
dans son article. Mais le même la Ravallière nous semble Loccît.p. i6<^
avoir raison lorsqu'il dit : « On ne peut révoquer en doute
a que ce roman ( de Tristan), en prose, ne soit le premier
« et le plus ancien de ceux que l'on connaît jusqu'à-pré-
« sent; il a précédé de quelques années GtyioI et Lnncelot.-»
L'abbé Lebeuf a trouvé un roman de Giron le Courtois, Aca.l. ^Min-
attrihué à Luceà ; mais les rédacteurs du catalogue de la *'''"'i''-' »• '7.
Vallière regardent, avec raison, Rusticien de Pise comme t », p.6o6,
l'auteur, ou plutôt comme le translateur de cet ouvrage (i). n" 3990.
(>e qu'il dit dans un autre de ses romans, Meliadus de
Léonnt)is, confirme l'antériorité que la Ravallière accorde
à celui de Tristan , et nous apprend en même temps quels
furent dans ce dernier roman les collaborateurs ou plutôt
les continuateurs de Tances. Voici ce passage. Catsl. deLa
« Messire Luces du Gau ( Gast) s'en eiitremist première- ^'*1I'*J'' '.^''
« ment, et ce lu le premier chevalier qui s en entremist et n"3g9o.
« qui s'estude y mtst et sa cure que bien savons II trans-
a lata, en langue fraiiçoise, partie de l'istoire de monsieur
<r Tristan.... Aj) es s'en entremist messire Gasses li Blons
« qui pareils lu le roi Henry Après s'en entremist mes-
« sire GarrÏT Map qui fut chevalier le Roy, et divisa ciïz Ti est cité an
« ryst<^.iie (le Lanci'lot du Lac, que d'autie chose ne parla- âeruior f.uiliet
« il mie gramment. En son livre, messire Robeart de Borron "^"'^-^ ^
a s'en enti\>mist. Après s'en entremist Helis de Borrou par
« la prière de m- ssire Robeart de Borron »
Les autours r.ommés dans ce passage ont donc tofris tra-
vaillé à la traduction du Tristan , ou plutôt Rusticien de
Pise n'a flésigné que ceux qui avaient ajouté des branches
ou suites à ce roman.
II-. Gasse le Bi.ond, nommé le premier après Luces, était
parent du roi Henri II d'Angleterre. On ne nous apprend
(1) Le ms. n" 6977 est le seul <|ui l'^tctiorde à Lucee.
49^ ALT. ANGLO-NORM. QUI ÉCRIV. EN FRANC.
XII SIECLE - 'V
1 L rien de plus. 11 paraît être le seul qui ait écrit du vivant de
Luces du Gast, et qui ait partagé ses travaux,
t u^'f'-^T— ^^^' Gautier Map ou Mapp, oui vient ensuite, florissait
Casi'm.'oud'in, ^eis le même temps; 11 reçut ordre du même prince, dont
t. II, p. 1645. on dit qu'il était chapelain, de mettre en français, d'abord,
VaiS' ^il" ^^ roman latin du Saint-Graal, et ensuite celui de Lancelot
p. 6o5et6o6. ' ^^^ \''^^-
ibid. Tanner, cité par de Bure, le fait chanoine de Salisbury,
grand chantre de l'église de Lincoln, en 11 96, enfin archi-
Bibi^ît'mëd' ^?^^r*^ d'Oxfort, en 1198. On ignbre l'année de sa mort; il
et inf. t. "il, vivait encore en 12 10, ce qui le rejetterait à une époque
p. 117, cdit.de bien postérieure à celle où nous sommes parvenus dans cette
Mansi. histoire littéraire; mais on ne peut le séparer des autres
traducteurs de ces romans de la Table-ronde. Il y a d'ail-
, leurs, sur ce qui le regarde, quelques obscurités qu'il serait
,ti .) .;',; "i difficile d'éclaircir. r,
dod « Gautier Map , chapelain du roi , a toujours été regardé
•"t>t- ' comme le translateur du roman de Lancelot; on a cepen-
dant vu que Rusticien , son contemporain , dit de lui :
« Après s en entremist messire Gautier Map quifu cheva-
« lier le roy. »
Gr Igi qualité de messire n'était accordée qu'à ceux qui
«kl»i>./a»«D étaient revêtus de l'ordre subhme, c'est-à-dire de la che-
• ^ Valérie; Gautier Map, traducteur de Lancelot, était donc
homme du monde et chevalier. Il n'était donc pas chape^-
lain comme on l'a cru; et, quoique plusieurs écrivains lui
aient donné ce titre, le témoignage de Rusticien de Pise
semble devoir être cru préférablement.
Quoi qu'il en soit, dans un manuscrit de la bibliothèque
OB *ii» ii»:i Royale (i), on lit à la fin : Mestre Gautier Mapes qui fist le
(1) N° 7177 , fol. 263 , roman de Tristan , où Luces du Gast s'exprime
ainsi :
«Après le grant travail de cestui livre que fet ai, ai demoré un an
« entier, ai laissé totes chevaleries et toz autres soulaz , nie retornerai sor
"le livre de latin et sor les autres livres qui trait sont en François; et
« puerrai de chief le livre que nos i troveron. Je acomplirai ce Diex plest
« tôt ce que mestre Luces del' Gait qui premièrement comenca à translater, et
« mestre Gantier Mes (Map) qui fist h propre livre de latin , maistre Robert
« de Boron.Tot ce que nous n'avons mené afin je acomplirai, .se Diex me
' « doint tant de vie que je puisse celui livre mener à fin. Et je en doit moi
« merci jnôult le roi Henri mon seignor de ce qu'il loe le mien livre , et
« de ce que il li donne si grand pris.
, - • Yci fenist le livre de Tristan. »
AtJT. ANGLO-NORM. QUI ÉCRIV EN FRANC. 497
« propre livre du latin ; » c'est-à-dire qui traduisit du latin ^
ce livre même, le propre livre, ou, comme on l'eût dit
quelques siècles après , ce présent livre. Dans son roman de
Lancelot du Lac, on lit que les aventures du Saint-Graal ^
telles qu'elles furent vues et racontées par Boor, furent
mises et gardées en Y abbaye de Salesbieres ( Salisbury ).
« Dont maistre Gautier Map les traist à faire son livre
« del Saint-Graal por l'amor del'roi Henri (II) son signor
œ qui fist l'Estoire translater du latin en franchois. Après Ce passage
a cne que maistres Gautier Map ot traitié des aventures del ^^^^^\^ f,^*du
a Saint-Graal assez souffisament, si comme il fut avis al roi ms. n"7i85.
a Henri son signor que ce qu'il avait fait ne devoit pas
K souffire s'il ne racontoit la fin de chaus dont il avoit
« devant fait mention, comment chil moururent, de qui il ^
a, avoit les proeces ramentéus en son livre, et por ce cora-
« mencha il ceste daaraine partie et quant il l'ot mise en-
ce samble, il l'apala la mort al roi Artus. s» Caïai. de u
IV. Robert de Borron et Helis de Borron qui sont Vaihere , t. ii ,
nommés les derniers dans le passage de Rusticien de Pise,
continuèrent la traduction de ces divers romans , et en
firent paraître les suites sous les titres de Joseph d Arima-
thie , du Saint-Graal et de Merlin. /
Helis de Borron était parent de Robert; après avoir pu-
blié, lui seul, le roman de Palamedes qui fait partie de
ceux de la Table-ronde , il s'associa avec Robert et avec
Rusticien de Pise, pour terminer les différens ouvrages qui
ont paru sous le nom de ce dernier.
V. Il ne reste plus que Rusticien de Pise lui-même sur
lequel les biographes n'ont jusqu'à -présent fait aucune
recherche. Il est souvent nomme et cité; on connaît plu-
sieurs de ses ouvrages, mais on ne sait rien sur sa personne
ni sur sa vie. Cet auteur, que les rédacteurs du catalogue
de la Vallière qualifient de maître, traduisit du latin en T. Il, p. 606.
français les romans du Brut, de Méliadus, père de Tristan,
et celui de Giron le Courtois. Ils ajoutent que ces trois ou-
vrages furent faits d'après les ordres de Henri III. Son grand
père Henri II, disent-ils, monarque protecteur des lettres,
auquel la langue française était plus familière que la langue
anglaise, ayant fait traduire précédemment une partie des
romans de la Table-ronde, Henri III en fit continuer la
suite par cet auteur. Mais il nous semble qu'il suffit de citer
un autre passage des mêmes rédacteurs pour prouver qu'ils
Tome XV. R r r
XII SIECLE.
498 AUT. ANGLO-NORM. QUI ÉCRIV. EN FRANC.
se trompent dans celui-ci, et que ces romans furent traduits
Loc. cit. sous le règne de Henri II. « Helis de Borron, disent- ils,
« a aussi travaillé au roman du Brut avec Rusticien de Pise,
« secondé de son parent Robert (i). »
Henri II régna depuis 11 54 jusqu'en 1189, et Henri III
depuis 1216 jusqu'en 1272. Il est difficile de penser que
Robert de Bourion et Helis de Bourron, qui étaient cheva-
liers de Henri II , et qui avaient la confiance de ce prince ,
puisqu'ils travaillaient d'après ses ordres, fussent encore
vivans sous le règne du ]>etit-fils de ce monarque. D'ail-
leurs ce fut sur ces traductions françaises que nos poètes
du XII^ siècle composèrent leurs romans en vers; ni Rusti-
cien de Pise, traducteur en prose du roman du Brut, ni à
plus forte i-aispn Helis et Robert de Bourron dont il fut le
continuateur dans le roman de Lancelot, n'écrivirent donc pas
sous le règne de Henri III roi d'Angleterre, mais sous celui
de Henri II, ou au plus tard sous Richard-Cœur- de-Lion.
Nous terminerons cet article par la liste des romans tra-
duits pour la première fois du latin en prose française , par
ces écrivains nés anglais. Nous rappellerons en général que
ces premières traductions furent mises en vers français dans
le même siècle, que ce ne fut qu'au XIV siècle que les mêmes
romans furent remis en nouvelle prose, d'après les romans
ei;i ver^:, et imprimés. Nous citerons les plus anciennes édi-
tions qui en ont été faites , la plupart devenues rares ; nous
re'servant à donner une idée de chacun de ces romajis dans
les articles des poètes français qui les ont mis en vers.
Roman de Tristan , traduit pour la premier^ fois du latin
en prose française , par Luces du Gast , continué par
d'autres traducteurs , Gasses le Blond, Gautier Map, etc.
Histoirç 'du chevalier Tristan^ fils du roy Méliadus. Paris,
Bonfons, i584i hi-4!*.
(i) Dans le ms. n" 6961 , il est dit , fol. i , t" : « Sachiez tont vraienient
«que cist livres [Méliadus) fut translatez du livre mon.seigneur Edouart
«le roy d Englelerre en cellui temps que il passa outre la nier ou service
» nostre seigneur Dame Dieu pour conque.sterle Saint-Sépulcre, et maistrc
« Rusticiens <le Pise lequel est ymaginez yci dessus compila ce rouimant,
«car il en translata toutes les merveilleuses nouvelles et aventures qu'il
« trouva en celii livre et traita tout certainement de toutes le» aventure»
• du monde -, etc. » -4^0*$^'
AUT. ANGL.-NORM. QUI ECRIV. EN FRANC. 499
Tristan de Leonnois , chevalier de la Table-Ronde. Paris, -1-
Verard , in-fol. s. d.
Tristan , etc. Paris , Denys Janot , 1 533 , in-fol.
L'histoire du très-vaillant chevaUer Tristan, etc. Paris,
Ant. Verard, 2 vol. in-fol. s. d.
Le premier livre du nouveau Tristan , etc. , fait françois ,
par Jehan Maugin , dit l'Angevin. Paris, veuve Maurice de
la Porte, 1 554, in-fol.
Le livre du nouveau Tristan , etc. fait françois , par Jehan
Maugin. Lyon, Benoist Rigaut, 15^7, 2 vol. in-i6.
L'histoire d'Ysaïe le triste, fils ae Tristan de Leonnois.
Paris, Phil. Le Noir, in-4° s. d.
Le même, Galliot Duprë, iSaa, in-fol.
Roman de Lancelot, traduit pour la première Jbis par
Gautier Map.
La tierce partie de Lancelot du Lac avec la queste du
Saint-Graal et la dernière partie de la Table -Ronde. Paris,
Jehan Dupré, i488, in-fol.
Le tiers vol. de Lancelot du Lac. Paris, Jehan Petit, i5i3,
in-fol.
Les merveilleus faits et gestes du noble et puissant che-
valier Lancelot du hsic.., compaignon de la Table-Ronde.
Paris, Ant. Verard, i494» 3 vol. in-fol.
Les faicts et pfouesses de monseigneur Lancelot du Lac.
Paris, Phil. Lenoir, i533, in-fol.
Hist. contenant les grandes prouesses, vaillances, et hé-
roïques faits d'armes de Lancelot du Lac , etc. , mise en beau
langage. Lyon, Benoist Rigaud , 1591 , in-8**.
Romans du Graal, de JosEPft d'Arimathie et de Merlin,
traduits pour la première fois par Robert et Hélis de Boron.
L'hist. du Saint-Greaal, qui est le premier livre de la
Table-Ronde : ensemble la queste dudit Saint-Gréaal faite
par Lancelot , Galaad , Boorf et Perceval , qui est le dernier
hvre de la Table-Ronde. Paris, Jehan Petit, i5i6, in-fol.
La vie et les prophéties de Merlin. Paris, Ant. Verard,
1498 ■) 3 vol. in-u)l.
La vita de Merlino et de le sue prophétie historiade chef
Rrr 2
XII SIECLE.
5oo SIMON DE BOULOGNE.
lui fece, lequale tractano de le cose che havo avenire. In Flo-
rentia, i^gS^ in-4°.
autres romans de la Famille d'Artus.
Le roman du roi Artus. Rouen, Gaillard le Bourgeois,
i488, in-fol. (C'est le Brut, traduit en prose par Rusticien
de Pise.
Gyron le Courtois (par le même Rusticien), avec la devise
de tous les chevaliers de la Table -Ronde. Paris, Ant. A'^e-
rard , in-fol. s. d.
Les nobles faits d'armes du vaillant roi Meliadus de Leon-
nois (traduits par le même). Paris, 1628, in-fol.
Le livre des nobles faits d'armes du vaillant roi Melia-
dus, etc. Paris, Denis Jannot, iSSa; in-fol.
La triomphante et véritable histoire des hauts et cheva-
leureux faits d'armes du plus que victorieux prince Melia-
dus, etc. Paris, i535, in-4°, chez P. Sergent, et in-ia,
chez Denis Jannot. - G.
SIMON DE BOULOGNE,
TRADUCTEUR DE SOLIN,
ET AUTRES TRADUCTEURS FRANÇAIS.
AivDR^ DucHESNE, daus son Histoire généalogique des
moisyf *^6^?, maisons de Guines , d'Ardres , de Gand et de Coucy , par-
in-foi. ' ' lant de Baudouin II, qui succéda en 11 69, dans le comté
de Guines, à Arnoul F"^, son père, et qui mourut en i2o5
ou 1206, rapporte ce que Lambert d'Ardres avait écrit de
l'amour de Baudouin pour les bonnes lettres, et du soin
qu'il prenait de s'entourer de savans , dont les entretiens et
les lectures l'instruisaient. Duchesne, qui a imprirné parmi
les preuves de son histoire, le texte latin de Lamoert, tra-
duit ainsi tout ce passage : « D'où vint qu'il eut toujours près
« de soy un bon nombre de clercs et de gens de lettres , avec
SIMON DE BOULOGNE. 5oi
« lesquels il s'accoutuma de conférer, et par honnêtes recora-
« penses les convia de lui expliquer les meilleurs livres. »
Landri de Vualanio ( c'est sans cloute de Valogne , en Nor-
mandie), traduisit en sa faveur le cantique des cantiques
de latin en roman, c'est-à-dire en langue française ou vul-
gaire, tant à la lettre que selon l'intelligence du sens mys-
tique, ensemble plusieurs évangiles des dimanches, avec
des homélies et sermons à ce convenables. Un certain Alfrius
(c'est celui dont nous avons parlé dans le xiii^ volume de
cette Histoire littéraire, p. 1 14), lui interpréta pareillement
la Vie de saint Antoine, nermite. La plupart de la physique
(c'est-à-dire de la médecine), lui fut traduite par un savant
homme , appelé maître Geoffroy ; et Simon de Boulogne
ayant translaté de latin en vulgaire , Solin qui traite de la
nature des choses , il le lui offrit pour mériter l'honneur de
sa bienveillance. » tJUsuprà^^.'ji.
On voit par le temps où vivait le comte Baudouin que
tous ces savans florissaient au plus tard vers l'an 1190. Ce
qui est certain, c'est que maître Geoffroy était déjà auprès
de lui , en qualité de son médecin , dès l'an 1 1 77 , puisque
ce fut lui qui , avec un autre médecin , nommé Herman ,
prit soiu de la comtesse Chrétienne, femme de Baudouin,
dans la maladie dont elle mourut cette même année 1177,
comme le rapporte Lambert d'Ardres , cité par André Du-
chesne. Quant à Simon de Boulogne, il vivait encore en W'V/- p. 117.
1198. On en trouve la preuve dans un autre passage de
Lambert, qui nous apprend en même tenîps que Simon
joignait à ses autres connaissances celle de la géométrie, si
cependant cela ne se réduisait point, vu l'état oii étaient
alors les sciences, à savoir ce qu'on nomme l'arpentage; ce
fut lui qui , en qualité de géomètre, eut l'intendance des ou-
vriers qui travaillèrent au grand fossé dont la ville d'Ardres
fut environnée en 1198. 7èjy. p. aS?.
On peut soupçonner que Simon était aussi poète , d'après
un article de l'inventaire des livres du roi Charles V, rapporté
par Lebeuf. Cet article porte : «Des faits de Troyes, des Dissert, sur
«Romains, de Thèbes, d'Alexandre-le-Grand , escripts de l'hist. de Paris,
« lettre houlonnaise. v Et il est ajouté en note : « Le roi le prit '' ^^^' ^' '*^^'
« quand il alla au mont Saint-Michel. » Charles V mourut en
i38o; ce livre qu'il estimait particulièrement, sans doute à
cause de son ancienneté, et qui était écrit en lettre houlon-
naise, était peut-être l'original même de l'auteur; et aucun
5o2 SIMON DE BOULOGNE.
Xri SIECLE.
poète boulonnais, autre que Simon, ne figure dans 4iotre
Histoire littéi'aire avant l'époque de Charles V.
La suite de ce passage de Lambert d'Ardres, publié par
André Duchesne, contient d'autres détails que nous croyons
devoir ajouter ici, quoiqu'ils ne regardent plus Simon de
Boulogne, parce qu ils font connaître d'autres savans, ses
conteraporauis, dont il paraît qu'aucun autre auteur n'a
parlé.
«Il (le comte Baudouin) assembla une très-ample biblio-
« thèque , de laquelle il commit la garde à un nommé Hesard
«de Âldehem, ou de Haëden, qui, par le moyen d'icelle,
« apprit les bonnes disciplines, encore qu'il n'eût point au-
cc paravant étudié; et suivant son instruction, Gautier Silens
« (le Silencieux), autrement dit Silenticus, composa un livre
(f intitulé de son nom : le Silence, ou le roman du Silence ,
« en récompense duquel le comte Baudouin lui donna des
« chevaux , des vêtemens , et plusieurs autres présens hon-
ibuL p. 72. ^^ nètes. »
Lambert, dans un autre endroit que Duchesne n'a point
traduit, parle encore de trois autres savans qui, tandis que
les premiers étaient auprès du comte Baudouin II, étaient
eux-mêmes auprès de son fils, le jeune comte Arnoul , pour
l'instruire 'dans l'histoire; ce sont : Robert de Coutauce,
Philippe de Mongardin , et Gautier de Cluse. Le premier
était un ancien militaire (inilitcm quenidam veterajiiim Ro-
hertiimj , qui instruisait le jeune comte, et charmait en
môme temps ses oreilles, et aures ejus demulcebat , par les
histoires des empereurs romains, deCharlemagne, de Roland
et d'Olivier.
Le second, Philippe de Mongardin, lui parlait, au.ssi pour
. le plaisir de ses oreillesYW(7M/'/«TO f/c/ecfa^wnemj, du pays
de Jérusalem, du siège d'Antioche, et des faits d'armes
contre les Arabes, les Babyloniens, et dans toutes les régions
d'outre-mcr. Son cousin fcognatuni suumj , nommé Gautier
de Clqse, l'entretenait assiduement des faits histori(|ues et
fabuleux des Anglais , de Germond et d'Ysembard , de Tristan
et d'Yscult, de Merlin et de Merculfe, de l'histoire des
'"^ ' ''" 'Ardresiens, tt de la construction de la ville d'Ardres. Le
comte les retenait auprès de lui, les admettait à sa familiarité,
jhid. p. 25i et. prenait plaisir à les entendre. On voit que Baudouin
«' *5*- et son fils n épargnaient rien pour être instruits; mais qu'en
, croyant apprendre l'histoire , ils n'apprenaient à peu de cho.se
près que des fables.
JEAN DE LYON ET ARNOLD. 5o3
Dans une des assemblées que ces trois derniers savans te-
naient en présence du jeune comte Arnoul, Gautier de Cluse
prononça un long discours, où il fit toute l'histoire de la
ville d'Ardres, et des actions mémorables des seigneurs de
cette ville, Lambert d'Ardres nous a conservé ce long dis-
cours , que l'on trouve imprimé en entier parmi les preuves
de l'histoire généalogique, etc., écrite par André Duchesne,
qui nous a fourni les matériaux de cet article.
Il est à remarquer que Lambert y nomme souvent Bau-
douin d'Ardres, son père; c'est qu'il était fils naturel de ce
seigneui-, qui mourut en ll/^6•, il était ainsi proche parent
du jeune comte Arnoul, qui était, par sa mère Chrétienne,
petit-neveu du même Baudouin. G.
XII SIECLE.
Ibifl. p. 167.
JEAN DE LYON ET ARNOLD,
DE LA SECTE VAUDOISE.
Jean de Lyon était l'un des chefs de la secte vaudoise. On Dubouiay,t.
a réfuté et supprimé ses écrits; ils ne nous sont connus que ''' i'- '92- —
par les ciitiques ou censures qu'ils ont provoquées C est '|°""^'' ^,'?'-
..1 11- 11 •••r> • 1 ■', (les variât. , hv.
sur-tout dans le livre du dominicain Reyiuer contre les Vau- xi, n. 54.
dois, qu'il est question de la personne et plus encore de la Bibl. Patr.
doctrine de Jean de Lyon. Reynierest un théologien du Xlir ^"S*^- '• ^^V-
siècle, que nous ferons connaître ailleurs : mais voici, en P-*^^"*''-
substance, ce qu'il dit de l'hétérodoxe Jean. ,1
II le surnomme Bergomensis^ soit que Jean fîit né à Bar-
game, soit plutôt qu'ity eÛJ; porté ses erreurs qui, en effet,
se répandirent en Lombardie. Quoi qu'il en soit , Jean se
donniiit à lui-même le n< m de Jean de Lyon, et se qualifiait
Jîls aînéi ordonné cvéque par la grâce de Dieu. Pour expli-
Cjuer ces titres, Reynier nous apprend que chez les Vaudois,
lévêque mort était le plus souvent remplacé par l'aîné de
ses fils. Outre les épîtres assez nombreuses oii Jean prenait
ces qualités, il avait composé, ou comme dit Reynier, com-
pilé un gros volume de dix cahiers dont chacun était de
quatre feuilles : Compilavit magnum quoddam volumen
5o4 JEAN DE LYON ET ARNOLD.
X.II SIECLE
'- decem quaternorum. Là, Jean de Lyon développait sa doc-
trine, professait le manichéisme, niait la Trinité, réduisait la
création au simple débrouillement du chaos , bornait la
puissance de Dieu, étendait celle du diable, et la déclarait
supérieure à celle du Christ : il enseignait d'ailleurs la trans-
migration des âmes d'un corps en un autre; et plus témé-
raire que Pierre Valdo , il attaquait plusieurs croyances que
cet hérésiarque avait respectées. Reynier nous représente
la secte des Y audois comme divisée en deux branches : celle
dont Jean de Lyon était le chef, composée de jeunes gens,
se distinguait pas une licence plus auaacieuse. Mais il s'agit
ici de la licence de leurs opinions , non de leurs moeurs : car
Reynier rend hommage à la conduite édifiante de tous les
Vaudois; entraîné lui-même par l'éclat et l'attrait de leurs
vertus évangéliques , il s'était d'abord placé dans leurs rangs,
et avait professé leur doct;rine avant de la réfuter.
En quelles années naquit, vécut, écrivit, mourut Jean de
Lyon ? ni Reynier, ni aucun contemporain ne nous l'apprend.
Tout ce que nous en savons , c'est que Reynier réfutait Jean
vers l'année 1 25o , et qu'alors il ne représentait point les
lettres et le gros livre de cet hérétique comme des produc-
tions toutes récentes. Il dit néanmoins que Jean et ses com-
plices n'osent pas révéler à tous leurs disciples le système
entier de leurs dogmes ; et de ce temps présent, non audent,
on pourrait à la rigueur induire que Jean vivait encore en
laSo. Pour écarter cette conséquence, il faut soutenir que
le présent non audent ne doit s appliquer qu'aux complices
ou successeurs de Jean , et que si la construction grammati-
cale l'étend à ce personnage, c'est que Reynier ayant à dire
que Jean n'avait point osé et que ses successeurs n'osaient
pas , a mieux aimé dire plus brièvement : Ni Jean ni ses
complices n'osent : inexactitude qui en effet n'est point
sans exemple chez les auteurs qui écrivent, comme Reynier,
Hist. Liitér. avcc bcaucoup de négligence. Aussi le père Colonia n'a-t-il
de i.yon, t. II, point hésité à déclarer Jean de Lyon contemporain de Pierre
p. 248, a4Q. Valdo ; et quoique cette opinion soit dénuée de preuves po-
sitives , nous la suivons ici comme une hypothèse au moins
permise.
H. Vers les mêmes temps vivait un ArnauM ou Arnold,
autre Vaudois, que Jac. Thomasius, De Thou, Ussérius ,
ont confondu avec le fameux Arnauld de Bresse. Celui dont
nous voulons parler se réfugia , vers la fin du XII* siècle,
XII SIECLE.
GUILLAUME DE CHAMPAGNE. 5o5
dans la ville d'Alby; il y eut des sectateurs que l'histoire
des hére'sies distingue par le nom d'Albigeois. Nous croyons
?u'on peut appliquer à cet Arnold'un long passage de Lucas
\idensis, cite par Fabricius , dans sa bibliothèque latine Edit. Man»i ,
du moyen âge, à l'article d'Arnauld de Bresse. Ce dernier *-^^'P!>7-
périt à Rome, comme chacun sait, en ii55; et celui dont
parle Luc de Tude mourut en Espagne, frappe, terrasse,
exterminé par le diable : Arnauld de Bresse, au contraire,
avait été brûlé par ordre du pape. Les détails de la mort
diabolique d'Arnold ou Arnauld le Vaudois nous paraissent,
comme à Fabricius, assez peu croyables : mais il n'y a rien
d'impossible , rien même de miraculeux dans ce que Luc
nous raconte des erreurs et des artifices d'Arnold. Cet héré-
tique , qui s'occupait à transcrire la bible et les ouvrages des
pères de l'église , est accusé par Luc d'avoir corrompu , fal-
sifié beaucoup de textes ; et ce reproche que tant d'autres
ont encouru est l'un de ceux que n'a point mérités Arnauld
de Bresse. Nous nous croyons donc autorisés à faire ici
mention d'un Arnold qui, pour propager l'hérésie vaudoise,
altérait l'écriture sainte et les livres ecclésiastiques. Peut-être
a-t-il fourni des textes ainsi corrompus à Pierre Valdo lui-
même, qui n'ayant qu'une instruction fort médiocre, avait
souvent recours à celle d'autrui. « Icelui n'étant lettré, dit
« Vignier, se fit traduire par aucuns savans hommes les livres Hïst. delVgL,
«de la Sainte -Ecriture, avec aucuns passages des plus an- *""• *'^9» P'
« ciens et plus purs docteurs de l'église. » D. ' *
GUILLAUME DE CHAMPAGNE,
CARDINAL, ARCHEVÊQUE DE REIMS.
SA VIE.
(juiLLACME, surnommé aux Blanches- Mains, Alhimanus ,
était le plus jeune des quatre fils de Thibaud-le-Grand ou
le Dévot, comte de Chartres, de Blois et de Champagne,
et fut destiné dès son bas âge à l'état ecclésiastique. Quoique
Tome XV. Sss
6o6 GUILLAUME DE CHAMPAGNE.
XII SIECLE.
son père eût à sa disposition hùti toorabre de béne'fices dont
lui ou ses ancêtres étaient les foTidateurs, il s'adressa néan-
moins à l'illustre saint Bernard , abbé de Clairvaux , dont le
, i«n»W ,iiK^ crédit soit à la cour de Rome , soit à la cour de France , était
T«> '! grand , afin d'obtenir de bonne heure pour son fils quelque
grosse prélature. Saint Bernard , dans sa réponse , appuya
son refus de se mêler de pareilles choses par de très-bonnes
raisons. «Ce n'est pas, dit-il, que je ne souhaite du bien
au p<^tit Guillaume, mais non pas un bien pour lequel lui
s. Bernard;, et moi nous offenscrions Dieu: Sanè fVulelmulo nosùv
epist. 271. cupio bene per otnnia, sed ante oninia Deum, etc. » Cette
lettre est de l'année ii5i , qui précéda celle de la mort du
comte.
Quoique saint Bernard eût motivé son refus sur ce qu'il
n'était pas permis de posséder simultanément des bénéfices
dans plusieurs églises , Pierre , abbé de Saint-Pierre de
Celles, plus indulgent, ne fit pas difficulté de solliciter pour
lui , vers le même temps , auprès du pape , la prévôté de
^églisf^ de Soissons, alléguant pour motif les grands biens
que ses ancêtres , et son père en particulier, avaient fait aux
églises. « C'est , dit-il , un sujet qu'il faut se hâter d'attacher
à l'église , parce que , issu d'une tige excellente , il portera
dans son temps un fruit non dégénéré. Il a d'ailleurs deux
''•^ Crères puissants, dont l'un est comte de Champagne, et
' l'autre comte de Blois et sénéchal dé France, qu'on peut
considérer comme deux bras prêts à venir au secours de la
cour de Rome, toutes les fois qu'elle aura besoin de leur
appui. » Il ne paraît pourtant pas qu'il ait obtenu cette pré-
voté; il était destine à des dignités plus relevées. En effet
son crédit à la cour du pape et à celle du roi alla toujours
croissant » sur- tout depuis que la plus jeune de ses sœurs
eut épousé le roi Louis-le-Jeune, et lui eut donlié un fils
qui fut son successeur.
Robert du Mont nous apprend qu'à la demande de l'em-
f)ereur Frédéric, le jeune Guillaume de Champagne fut élu,
'an ii63, par le clergé et le peuple, archevêque de Lyon,
et que le pape Alexandre approuva ce choix. Ce fait qui
n'est appuyé que sur le témoignage de cet historien ,^ nous
paraît fort douteux , sur-tout en ce qui regarde la confirma-
tion donnée par le pape Alexandre, qui, comme l'on sait,
n'était pas à cette époque reconnu par l'empereur, et n'avait
.V Lyon qud très- peu de partisans. La chose serait plus
GUILLAUME DE CHAMPAGNE. So;
croyable, si l'historien eût nomme l'antipape Victor. Le
nom d'Alexandre n'a été peut-être fourré là que par la témé-
rité du copiste. Quoiqu'il en soit, cette élection ne fut pas
soutenue, sans que l'nistorien nous dise pourquoi elle fut
sans conséquence. Mais ce jeune aspirant ne tarda pas à être
élevé à l'épiscopat.
L'an ii64, il fut élu au siège vacant de l'église de Char-
tres, concurremment avec le prévôt du chapitre, qui s'était
fait un nombreux parti. Une lettre de Thibaud , comte de
Blois, au roi Louis-le- Jeune contient la relation de ce qui
s'était passé à cette occasion , afin d'intéresser le monarque
en faveur de son frère. Cependant l'affaire ayant été portée
à la décision du pape Alexandre III, ce pontife, qui séjournait
à Sens, ordonna de procéder à une nouvelle élection, et
écrivit au roi pour le prier d'employer son autorité afin que
tout se fit dans les règles. L'année suivante , notre jeune
prélat ayant été élu une seconde fois, se rendit à Montpellier
pour conférer avec le pape retournant en Italie, qui, à raison
de sa jeunesse, lui accorda, suivant Robert du Mont, un
délai de cinq ans pour recevoir la consécration épiscopale ,
et le chargea d'une lettre de recommandation auprès du roi ,
datée du iq août de la même année.
L'an iiDD, n'étant encore qu'évêque élu, sans avoir reçu
la consécration épiscopale, il assista au concile de Beauvais,
où furent excommuniés les moines de Rebais, lesquels refu-
saient de reconnaître leur abbé, parce qu'il avait fait pro-
fession d'obéissance à l'évêque de Meaux. Deux ans après,
le roi d'Angleterre , pressé de toutes parts par ses ennemis ,
et voulant se réconcilier avec le roi de Finance, c'est à l'évêque
élu de Chaitres qu'il s'adressa en personne pour faire sa
paix, sachant, dit Jean de Sarisbéri, qu'il était plus avant
que tout autre dans l'intimité du roi.
La même année 1168, l'archevêché de Sens étant devenu
vacant par la mort de Hugues de Touci , Guillaume fut élu
sans contestation pour lui succéder , et fut sacré le 22 dé-
cembre 1168, par Maurice, évêque de Paris, sans renoncer
néanmoins au gouvernement de l'église de Chartres, qu'il
retint pendant huit ans avec la permission du pape. Ce fut à
l'occasion de ce sacre que Jean de Sarisbéri , écrivant à Jean
de Belmais, évêque de Poitiers, fit de notre jeune prélat un
bel éloge que sa bonne conduite ne tarda pas à justifier.
« C'est, dit-il , un homme qui donne de grandes espérances,
Sss 2
XII SIECLE,
Chesn. t. IV,
Rer. Fran. p.
7o5. — Bouq.
t.XVI,p. io3.
Chesn. ibid.
p. 6oy. — Bouq.
t. XV, p. 824.
Chesn. ibid.
p. 62a. — Bouq.
ihid. p. 842. —
Labbe, concil. ,
t. X,col. 1347.
— Gall. Christ,
t. VIII, pr. col.
339.
Joan. Saresb.
epist. a3'3.
5o8 GUILLAUME DE CHAMPAGNE.
XII SIECLE^ q^j jouit d'une très-brillante réputation , d'un grand crédit^
et d'une influence considérable dans les affaires du royaume;
c'est lui qui après le roi accorde le plus de secours à l'ar-
chevêque de Cantorbéri et aux personnes qui l'ont suivi
dans son exil. Je voudrais que vous fissiez connaissance avec
lui, car il désire se lier d amitié avec vous; et pour vou»
dire sans détour ce que j'en pense, je ne connais personne
dans le clergé de France qui ait plus de prudence et plus
d'éloquence que lui ».
Cet éloge dicté par la reconnaissance pourrait paraître
intéressé, mais n'est pas contraire à la vérité. Personne en
France n'épousa plus ouvertement et plus chaudement la
cause de Thomas Becket contre le roi d'Angleterre. Muni
de l'autorité de légat en France dès l'instant de son sacre,
il n'en fit usage que pour contrebalancer celle des envoyés
extraordinaires que le roi d'Angleterre , par ses instances et
ses plaintes , obtenait de la cour de Rome. Indépendamment
d'une multitude de lettres qu'il écrivit à ce sujet, dont il
sera rendu compte plus bas (i), il fit, l'an 1169, le voyage
Bened. Petrob. d'Italie , pour cléterminer le pape à employer les voies de
rigueur, afin de contraindre le roi d'Angleterre à faire la
paix avec l'archevêque. Lorsque le roi , ne pouvant plus re-
culer, consentit à recevoir en grâce l'archevêque Thomas,
ce fut l'archevêque de Sens qui , avec son frère le comte de
Blois , le conduisit au lieu indiqué pour la réconciliation ;
mais le saint prélat ayant été mis à mort la même année,
intér epist. SCS poursuites contre le roi d'Angleterre ne firent que redou-
S. Thom., lib. ^igr, jusqu'à lancer l'interdit sur ses domaines en-deçà de
V, ep. 80. 82. j^ ^^^^ comme coupable de ce meurtre, malgré l'opposition
des prélats de Normandie.
La guerre ayant recommencé de plus fort, l'an iiyS,
entre les deux rois, l'archevêque de Rouen craignant ave*
raison que ce fléau ne tombât sur sa terre des Andelys,
s'adressa à l'archevêque de Sens pour détourner par son
crédit auprès du roi ce malheur qui le menaçait. « C'est
inter epist. VOUS, lui dit-il, qui daus le temps que la barque de sainl
Pétri Blés. ep. pierre était sur le point d'être engloutie par les flots des
schismatiques , l'avez plus que tout autre sauvée du naufrage
(») Voir parmi les lettres de saint Thomas de Cantorbéri la 62*6174 du
livre II; les lettres 3o, 3i , 78 et 88 du livre III j la 7* du livre IV; h
25% 80" et 8a* du livre V.
GUILLAUME DE CHAMPAGNE. 509
par votre main secourable. Quoique jeune encore , vous sur-
passez en sagesse les vieillards ; et votre vie réglée, au milieu
des séductions qui entourent les avantages du corps , de la
naissance et du crédit dont vous jouissez, vous donne plutôt
l'apparence d'un ange que d'un homme. Je n'insisterai pas
davantage sur vos autres vertus qui tiennent du prodige;
votre réputation d'honnêteté et de prudence est tellement
répandue au près et au loin, que vous n'avez aucun besoin
de nos éloges : nec enim nostra prœconia mendicatis, cujus
honestatem et prudentiain fama celebris latissime promul-
XII SIECLE.
gavit. y)
Pendant la guerre atroce que les Français firent au roi
d'Angleterre pour prêter main-forte à ses enfants en pleine
révolte contre leur père, l'an i lyS, Louis-le- Jeune faisant le
siège de Verneuil au Perche, envoya notre prélat au roi
d'Angleterre pour demander une suspension d'armes jus-
qu'au lendemain , pendant laquelle , disent les historiens
anglais , le roi de France s empara du bourg princi-
pal, qu'il réduisit en cendres. L'année suivante, au mois
d'août, le même prince, forcé d'abandonner le siège de la
ville de Rouen, envoya encore au roi d'Angleterre l'arche-
vêque de Sens, demander une suspension d'armes, et la
liberté de s'éloigner un peu , sauf à s aboucher le lendemain
pour s'entendre. Mais , des la nuit suivante , le roi de France,
sans égard aux assurances données avec serment, leva le
camp , et prit le chemin de France.
L'an II 76, Guillaume passa de l'archevêché de Sens à
celui de Reims pour succéder à Henri de France, frère du
roi Louis VH, décédé le i3 novembre iiyS; en même
temps il se démit de l'évêché de Chartres en faveur de Jean
de Sarisbéri , qu'on fit venir d'Angleterre. Ce choix fut ap-
prouvé par le roi , agréé par le clergé , et plut singulièrement
a Pierre de Celles, abbé ae Saint-Remi de Reims, l'ami et le
promoteur du savant anglais, auquel il devait succéder un
jour dans le même siège ; il en témoigna sa reconnaissance Petr. CeJlen.
au nouvel archevêque dans des termes qui prouvent le ''^- ^^l' «p- «•
discernement et le désintéressement que notre prélat appor-
tait dans le choix des sujets qu'il élevait aux dignités ecclé-
siastiques.
Au mois de juillet de l'année 11 78, il alla en grand cor- Bened. Petr.
tége visiter le tombeau de saint Thomas de Cantorbéri , dont *' Hoved.
il avait jadis épousé avec chaleur la querelle contre le roi ,
Xn SIECLE.
5 10 _ GUILLAUME DE CHAMPAGNE.
comme nous l'avons dit plus haut. Néanmoins le roi alla au-
devant de lui , le reçut dans son palais avec distinction , et
le retint pendant un temps assez considérable, ^er aliquan-
tulum temporis spatium. Raoul de Diceto dit pendant trois
jours , et ajoute qu'avant son départ, le roi lui envoya en
présent des vases précieux, dont il refusa l'hommage; et plus
réservé, dit-il, que ne le sont ordinairement les Français,
il n'accepta que quelques objets de peu de valeur eà signe
d'amitié.
S'étant rendu au concile général de Latran, de l'année
1 179, il fut revêtu de la dignité de cardinal-prêtre de Saint-
'8*"^ ■ Sabine ; et la même année il fit le sacre et le couronnement
du roi Philippe- Auguste , son neveu.
Jusques-la notre prélat , parvenu aux plus hautes dignités
de l'église , n'avait rien perdu du crédit qu'il avait à la cour
du roi , et de la part qu'il avait eue dans le maniement des
affaires et les grandes négociations ; mais à cette époque unç,
intrigue de cour le brouilla, pour un temps, ainsi que ses
frères, avec le jeune roi son neveu. C'est un fait constant;
tous les historiens le rapportent , mais ils ne sont pas d'ac-
cord sur le motif de cette brouillerie. Rigord dit que ce fut
une conspiration, sans nommer aucun des conspirateurs.
Les historiens anglais, et sur-tout Gervais , moine de Can-
torbéri, donnent à cette brouillerie un motif plus plausible.
Louis VII en mourant avait rais son fils sous la tutèle du
comte de Flandre , son parrain. Premier sujet de jalousie
pour la reine-mère et pour les oncles du roi. Le prince tuteur
abusant de la confiance de son pupille, voulut le marier avec
une de ses nièces, fille du comte de Hainaut; et, malgré le
mécontentement que cette alliance disproportionnée excita
parmi les grands du royaume, il fit procéder à la célébra-
tion du mariage dans ses états , et bientôt après au couron-
nement de la nouvelle reine à Saint-Denis. Ce procédé dut
Gilbert. Mont, d'autant plus offeuscr la reine-mère et ses frères, que la
princesse de Hainaut avait été promise, dès l'année précé-
dente, au fils aîné du comte de Champagne. Dans cet état
de choses, sans égard à l'usage ou aux prétentions de l'ar-
chevêque de Reims, on n'eut garde de recourir à son minis-
tère pour ces cérémonies ; le mariage fut célébré à Bapaurae
par l'évêque de Senlis, et le couronnement à Saint-Denis
par l'archevêque de Sens. Le cardinal Guillaume s'en j)lai-
'gnit au pape; et les autres mécontens, contie lesquels le
GUILLAUME DE CHAMPAGNE. on
'....,. , , XII SIECLE.
roi prit les voies de rigueur, sans épargner sa mère, appe- .
lèrent à leur secours le roi d'Angleterre , qui prit d'abord
les armes, et finit par concilier les esprits.
Le mariage de la reine Elisabeth avait en quelque sorte Gilbert. Mont.
rompu les engagemens que le comte de Hainaut avait con-
tractés avec la comtesse de Champagne relativement à l'éta-
blissement de leurs enfants. Pour cimenter la paix , on
s'assembla l'année suivante à Provins; et par de nouvelles
conventions il fut stipulé que le jeune comte de Cham-
pagne épouserait Yolende , la seconde fille du comte de
Hainaut, et le fils aîné du comte de Hainaut la sœur du
comte de Champagne. Le cardinal Guillaume, qui fut l'ame
de ces nouveaux arrangemens , se rendit garant de leur
exécution : insuper dominus ff^illelmus Remensis archiepis-
copus super pactionibiis istis ohsidem se constitidt.
Le crédit du comte de Flandre à la cour du roi ne fut Bened. Petr.
pas de longue durée , et les princes de la maison de Cham-
pagne trouvèrent bientôt occasion de le desservir auprès du--
roi, et de lui rendre la pareille. Dès la même année 1181 ,
des raisons d'intérêt le brouillèrent avec le roi ; il y eut des
hostilités commises du côté de Senlis; on appela une se-
conde fois le roi d'Angleterre au secours du jeune roi; et
l'archevêque de Reims, sous prétexte d'un pèlerinage au
tombeau de saint Thomas de Cantorbéri, fut envoyé vers
lui. Le roi d'Angleterre arriva en France. Il y eut au carême Gilb.Mont.—
de l'année suivante un congrès entre Senlis et Crépi , auquel ?"''•. f* 15*'~
• .1. lA c ^ ..1 . c *■ • ^ ' Gerald. Carabr.
assista 1 archevêque avec ses treres , et la paix rut cimentée.
Pendant ce démêlé, le pape Lucius III manda à Rome
notre cardinal ; mais le roi qui lui avait rendu toute sa
confiance , et qui avait besoin de lui , pour le dispenser de
faire ce voyage, écrivit au pape les raisons qui le détermi-
naient à le retenir auprès de lui. « Il faut , saint-père, qu'au- steph. Tom.
jourdhui, comme dans l'ancien temps, le sacerdoce et l'em- epist. loi , al.
pire se prêtent un mutuel secours. A peine monté sur le '*'•
trône de France , des hommes puissans , profitant de mon
adolescence pour m'attaquer , portent le trouble et la con-
fusion dans mon royaume; ceux même sur la fidélité des-
quels je devais compter à plusieurs titres, étant devenus
mes ennemis , je suis forcé de chercher ailleurs d'autres
conseillers et d'autres auxiliaires. J'ai auprès de moi le meil-
leur de mes amis et le plus fidèle, mon oncle Guillaume,
archevêque de Reims , qui , dans mes conseils , est le plus
5i2 GUILLAUME DE CHAMPAGNE.
L clairvoyant, et mon bras droit dans le maniement des affaires.
Mes ennemis ne demanderaient pas mieux que de le voir
éloigné de moi, quand ce ne serait que pour un temps,
parce qu'ils espèrent méchamment qu'au gré de leurs cou-
pables désirs ils me trouveront sans armes et sans amis.
Cependant, saint-père, j'ai appris que vous l'avez appelé
auprès de vous. Il était prêt a partir, parce qu'il sait que
ne pas vous obéir, ce serait offenser Dieu. Mais comptant
sur l'amitié que vous avez pour moi, et dans le besoin ex-
trême où je me trouve, je l'ai empêché de partir, parce
que sa présence suffit pour déconcerter mes ennemis, qui
le regardent comme une lance toujours levée sur eux; et
moi je suis persuadé que sans lui je ne pourrais traiter ni
de paix ni de guerre avec mes ennemis.... Trouvez donc bon,
saint-père, que je retienne un ami si essentiel, parce que
sa présence est indispensable , et que son absence nous serait
très- funeste. »
Cette lettre prouve que l'archevêque de Reims était à cette
époque non-seulement en faveur auprès du roi, mais qu'il
était encore son premier ministre.
Les affaires politiques du royaume ne l'absorbaient pas
tellement qu'il laissât en souffrance celles de l'église dont il
était chargé comme évêque, comme métropolitain, comme
légat du saint-siége. Plus de quarante lettres à lui adressées
par Etienne de Tournai prouvent que le ministre du roi
entrait dans le plus grand détail sur les affaires du clergé
les plus minutieuses. Il n'est donc pas étonnant que dans des
H;gord,Rad. affaires plus sérieuses, lorsque la foi était en danger et que
Coggesli. An- j'epreur faisait des progrès, il s'armât dune juste sévérité.
nal. Aquit. ni i i ' *^ ■ *' • i l
Lan iio3, des hérétiques ou sectaires, du genre de ceux
qui se multiplièrent en France pendant le XIP siècle, ayant
été découverts dans l'Artois, notre prélat se transporta à
Arras, et s' étant concerté avec le comte de Flandres, un
grand nombre de ces malheureux , nobles , clercs , villageois
et femmes , furent condamnés aujc flammes.
Nous avons exposé plus haut les raisons pour lesquelles
les princes de la maison de Champagne s'étaient déclarés
contre le mariage du roi avec la fille du comte de Hainaut.
oilbert. Mont. L'an 1 1 84 , les mêmes princes ayant à leur tête l'archevêcjue
de Reims, voyant que le roi était indisposé contre le père
de la reine, parce que ligué avec le comte de Flandre il por-
tait les armes contre lui, essayèrent de rompre ce mariage,
GUILLAUME DE CHAMPAGNE.
5i3
Xn SIECLE.
Aanai. Aquit.
>»9
;)J
mais ne purent y réussir. La même année , il fit le voyage
d'Italie ; il était à Vérone à la cour du paj)e Lucius III , lors-
qu'il donna la consécration épiscopale à Pierre, abbé de
Cîteaux , élu évêque d'Arras. L'année suivante 1 1 85 , notre
prélat fut un des principaux négociateurs de la paix entre
le roi et le comte de Flandre au sujet du Vermandois. Sur Gilbert. Mont
la fin de la même année, il fit tant lui et toute sa famille
auprès du comte de Hainaut, qu'ils l'obligèrent à consentir
au mariage de son fils aîné avec la sœur du comte de Charnu
pagne, suivant les conventions jadis stipulées, qui furent
encore renouvelées et garanties par notre prélat. Suivant
ces conventions, son neveu le comte de Champagne devait
épouser la sœur de la reine dé France, non encore nubile;
mais après ce nouvel engagement, le comte de Namur^
Henri l'aveugle , ayant accordé au comte de Champagne sa
fille unique a peine âgée d'un an, le comte de Hainaut^
doublement lésé par ce mariage , s'il avait lieu , en porta ses
plaintes à l'empereur, qui ajourna les parties à plaider de-
vant lui entre Ivois et Mouson en Lorraine ; et l'archevêqvuî
de Reims y comparut avec ses frères , dans l'intention d as-
surer à son neveu le comté de Namur.
Toujours attaché au service du roi , il était non-seulement
i'ame de ses conseils, il l'accompagnait encore dans ses ex-
péditions militaires. L'an 1187, au siège de Châteauroux, il Gervas. Dorob.
fut un de ceux auxquels s'adressa le roi d'Angleterre pour ob-
tenir de celui de France la paix, ou du moins une trêve.
Au mois de janvier de l'année suivante, les deux rois étant
assemblés à Gisors pour traiter de la paix , sur la nouvelle
de la prise de Jérusalem par Saladin, oubliant leurs querelles,
firent vœu d'entreprendre ensemble le voyage de la Terre-
Sainte ; l'archevêque de Reims donna la croix au roi , et se
croisa lui-même. La guerre ayant presque aussitôt recom-
mencé, il y eut à la Saint-Martin une assemblée à Bon-
moulin au Perche, pour traiter de la paix, et notre arche-
vêque s'y trouva avec le roi. Il assista de même au colloque
3U1 eut lieu pour le même objet à la Ferté-Bernard au mois
e juin de l'année suivante. A cette époque , voyant le roi
d'Angleterre prêt à succomber aux efforts de ses ennemis et Hoved
malade à Saumur, il alla le trouver avec le comte de Flandre
et le duc de Bourgogne, pour le déterminer à accepter les
conditions que le roi Philippe et son fils Richard voudraient
Rad. Dicet.
Gerr. Dorob.
Bened.Petrob.
Tome XF.
Tlt
xu SmCLE.
5i4 GUILLAUME DE CHAMPAGNE.
iui imposer. Le roi mourant se' soumit à tout; mais il en
conçut tant de chagrin qu'il expira bientôt après.
Quoique rarchevé(|ue de Reims eut pris' la croix en même
temps que le roi, il ne fit pourtant pas le voyage de- la
Rigord. Terre-Sainte. Le roi en partant, l'an 1 190, l'institua régent
i i ..! du royaume avec sa sœur la reine-mèrê, auxquels il laissa
par écrit ses instructions. Ce fut lui qui fit à Saint-Denis
la cérémonie de donner au roi la panetière et le bourdon
Hovecir'^""'' • ' P^^^'^*"-. Le comte de Flandre étant mort sans enfans nu
siège de Saint-Jean-d'Acre, il s'éleva une grande contestation
entre le comte de Hainaut, son beau-frère, t^t sa veuve la
comtesse Mathilde , prétendant qu'elle devait succéder à tous
ses biens. En l'absence du roi , c'était au régent à décider la
question; s'étant rendu au mois d'octobre iiCfi à Arras , il
ménagea entre les parties un accommodement, dans lequel
les droits du prince Louis, fils du roi, du chef de sa mère,
ne furent pas oubliés ni méconnus.
Giibert.Mont. L'an II 92, autorisé par le pape et l'archevêque de Cologne,
rt ahi. il sacra à Reims Albert de Louvain, élu évêque de Liège par
la plus saine partie du clergé, contre la volonté de remi)e-
reur, qui de sa propre autorité en avait nommé un autre.
Albert craignant le ressentiment de l'empereur n'osait re-
tourner à Liège, et bientôt après il fut mis à mort par des
Rigord. etaiii. traîtres envojrés d'Allemagne. L'année suivante, le roi Phi-
lippe devant épouser la princesse Ingeburge, sœur de Canut,
roi de Danemarck , Guillaume accompagna le roi à Amiens,
mi; .■ !'. pour célébrer le mariage et couronner la nouvelle reine;
mais dès le lendemain des noces le roi ayant pris de l'aver-
sion pour elle , le même archevêque , sur le témoignage
d'autres évêques ou barons , prononça bientôt après le di-
vorce pour cause de parenté avec la feue reine.
Avant que notre archevêque eût encouru la disgrâce du
pape Innocent III , dont nous parlerons bientôt, il fut plus
que jamais en crédit auprès du roi, et employé' comme mi-
Hoved. p. 73o. nistré dans les grandes affaires. L'an 1193, Richard, roi
d'Angleterre , étant encore prisonnier en Allemagne , fil
demander une trêve à celui de France ; elle fut accordée à
cette condition , entre autres , que pour garantie du tfaité ,
il serait remis entre les mains de l'archevêque de Reims
deux places fortes en Normandie, Driencourt et Arques.
lbid.f.Tf,i. L'année suivante, il se rendit au Vaudreuil pour négocier
avec les eovbyés du roi d'Angleterre une suspension d'armes,
«
GUILLAUME DE CHAMPAGNE. 5i5
sur laquelle on ne put pas tomber d'accord. L'an iiqS, les - ■' '
deux rois étant convenus d'un projet de paix sous le bon ^'"''- Uorob.
plaisir de l'empereur d'Allemagne , celui d'Angleterre députa *^° ' * ^'
vers l'empereur l'ëvêque d'Ely, son chancelier, et le roi de
France l'archevêque de Reims. L'empereur n'ayant point ap-
prouvé le traité , il fut résolu de s assembler de nouveau ;
et le roi d'Angleterre s'étant présenté au lieu indiqué , notre
archevêque fut chargé de lui dire que l'heure n'était pas
encore arrivée; que le roi était encore à délibérer avec son
conseil; et après que l'heure fut passée, on finit par lui dire
qu'il avait manqué à sa parole , et qu'on ne voulait plus en-
tendre à aucun accommodement. Tel est le récit de Roger
d'Hoveden , p. y58. Dominus noster rex Franciœ calumnia-
tur te de fide lœsa et pejjurio, quia jurasti et fideni dedisti
quod veniœs hodie ad colloquium hora tertia , et non venisti,
et ideo ipse te difjidat.
Vers le même temps, notre prélat obtint du pape Célestin
III l'autorisation nécessaire pour ériger d,ins son propre
diocèse, et dans une propriété dépendante du chapitre de
Reims un nouvel évêché à Mouson sur la Meuse. Cela est
prouvé par deux lettres du pape Innocent III , qui l'autorisa innoc. epi»t
de nouveau, à condition que cet établissement ne porterait •'•'• ^' «P- ^5»»
aucun dommage à l'abbaye existante dans- ce lieu. Mais il '^^"
paraît que l'aftaire du divorce qui porta une forte atteinte
au crécfit et à la brillante réputation de notre prélat, fit
échouer ce projet.
Avant au'il eût prononcé le divorce, la reine reléguée à sieph.Torn,
l'abbaye de Césoing dans le Tournesis , lui avait exposé le epist.a62,263.
triste état auquel elle était réduite; et le célèbre Etienne,
abbé de Sainte-Geneviève , alors évêque de Tournai , usant
de l'accès qu'il avait auprès de lui , lui avait écrit pour le
toucher de pitié , et le rendre favorable à cette illustre étran-
gère ; néanmoins quatre-vingts jours après la célébration du
mariage, il prononça le divorce. Sur les plaintes du roi de Mart. Ampl.
Danemarck , le pape Célestin III , ne voulant pas encore pro- ^°"- '="'• '""'i-
noncer sur ce qui avait été fait, lui enjoignit et aux évêques
de sa provmce de ne pas souffrir que le roi contractât un
nouveau mariage du vivant de sa temme répudiée. Malgré
cette défense, le roi épousa, l'an 1 196, la fille du duc de
Meranie, et il y a toute apparence que notre archevêque
prêta encore son ministère pour cette cérémonie. Il en fut
puni par le pape Innocent III , qui lui retira les pouvoirs
Ttta
5i6 GUILLAUME DE CHAMPAGNE.
xn-SIECLE. , , , j
^: de legat, dont il avait ete revêtu jusqu'alors, au moins dan*
sa province.
^^ Gesta Innoc. Après avoir épuise auprès du roi toutes les voies de conci-
seq. Jiation pour le déterminer à reprendre sa légitime épouse,
et à renvoyer celle qui occupait sa place , le pape Innocent
se décida, l'an 1199, à l'y contraindre par la voie des cen-
sures; il donna ordre au légat Pierre de Capoue de jeter
l'interdit sur toute la PVance, c'est-à-dire sur les terres du
roi : ce qui fut fait en plein concile à Dijon et à Vienne en
Dauphiné. Quoique le roi eût cru écarter le danger, ou du
moins suspendre l'effet de la sentence du légat par son appel
au pape , néanmoins la plupart des évêques mirent la sen-
tence à exécution ; mais l'archevêque de Reims et un petit
nombre d'autres, pour ménager le roi, s'abstinrent de l'or-
donner dans leurs diocèses, promettant cependant de se sou-
mettre et d'obéir, si les raisons qu'ils alléguaient n'étaient
pas jugées valables.
ibid. cap. 53. Pendant cet interdit qui dura neuf mois , le roi voulant
faire cesser le mécontentement général , dans une assemblée
d'évêques et de barons, demanda ce qu'il y aurait à fairé.^
Tout le monde fut d'avis qu'il fallait obéir au Pape. Alors
se tournant vers l'archevêque de Reims; « Est-il vrai, lui dit
le roi , ce que mande le pape , que le divorce par vous pro-
noncé n'était qu'un jeu? Le prélat ayant répondu que le
pape avait raison; vous êtes donc un sot et un étourdi d'a-
voir rendu un tel jugement; Quœsùdt ah avunculo suo Re-
niensi archieplscopo , qui sententiam divortii promulgaverat ^
utrum verum esset quod sihi dominus Papa scripserat , vi-
delicet quod dla non erat divortii sententia dicenda, sed lu-
dibrii fabula nominanda. Qui cwn respondisset veruni esse
quod scripserat suninius pontifex ( non enim audebat aliud
respondere ) statini rex intulit dicens : ergo tu es stultus
ET FATUUS, QUI TALEM SENTENTIAM PROTULISTI.
On ne voit pas qu'il ait eu depuis aucune part aux négo-
ciations qui, relativement au divorce, furent entamées, l'an
laoo et 1201 , avec le cardinal Octavien, ni qu'il ait assisté
aux conciles de St-Arnoul en Iveline, in Aquilina sylva,
Tbitt. cap. 54. ( mal nommé Nigellense ) ni à celui de Soissons , par la rai-
son que le pape lui avait interdit l'exercice de ses fonctions
episcopales, jusqu'à ce qu'il eut fait le voyage de Rome pour
être rehabilité par le pape.
Rigonl. L'an 1 196, Raudoin, comte de Hainaut, qui avait épousé
XII SIECLE;
GUILLAUME DE CHAMPAGNE. 517
la nièce de notre prélat, fille de Henri-le-Libéral , comte de
Champagne, et d une sœur du roi, étant entré en possession
du comté de Flandre par la mort de sa mère, prêta au roi
l'hommage qu'il devait, accompagné de l'archevêque de Reims
et de la comtesse de Champagne.
Notre prélat était à peine de retour de son voyage d'Italie,
qu'il fut frappé d'apoplexie à Laon, où il mourut, le septième
jour du mois de septembre 120a, dans la soixante-huitième
année de son âge , d'où il fut reporté à Reims , et inhumé
dans l'église cathédrale près du grand autel avec cette épi-
taphe :
Moribus excehus, providus, mitis , prudens etpacis amator ,
Annis bis dénis et sex cum simplice mense,
Prœfuit archiepiscopus Willclmus in urbe Remensi.
Septima septembris idus fuit finis vitœ meœ.
Si cette épitaphe est un peu sobre d'éloges, c'est que
notre prélat qui avait été tant loué pendant sa vie, était bien
déchu de son antique réputation depuis l'affaire du divorce.
Le chroniqueur de saint Marien tl'Auxerre, d'accord avec
tous les historiens sur les belles qualités qui le firent remar-
quer dans ses premières années, s'exprime fort librement
■ sur les vices ou imperfections qui ternirent les dernières.
Il ne lui reproche pourtant pas sa conduite dans l'affaire du
divorce, mais un excès de luxe, vendant sa faveur pour
y satisfaire, sans égard à la justice : Vir nohilis génère et qui
diii Jloruerat tant seculari quam ecclesiastica prœditus po-
testate. Hic in primis sui pontificatûs auspiciis satis modeste
sehahuit, etmorum enituit ornamentis ;felixque procul duhio
extitisset , si primis ultima responderent , et usque infinem
mérita cohœsissent. Sed cum res in contrarium versœ sint,
nec fuent concolor fi,nis initia , finali non attollimus laude
quem nimis reddidere notabilem et munerum injusta acceptio
et pfodigalis effusio.
Marlot trouvant ce reproche un peu vague et non motivé, Hist. Rom.,
a entrepris son apologie, et prouve que s'il amassa des ri- tn,p. 453.
chesses , il en fit toujours un bon usage, même l'année de sa
vie qui précéda celle de sa mort, par l'établissement d'un
hospice en faveur de vingt pauvres infirmes dont il . sera
parlé plus bas.
Xn SIECLE.
5i8 GUILLAUME DE CHAMPAGNE.
SES ÉCRITS.
Quoique , dans le haut rang qu'occupait dans l'église et
dans l'état le cardinal Guillaume de Champagne , nous ne
puissions pas le présenter comme un littérateur ou un sa-
vant, nous ne pouvons cependant pas nous dispenser de
lui donner place dans notre histoire littéraire, soit à raison
de la protection qu'il accorda aux gens de lettres, soit parce
. qu'il reste de lui des monuments historiques , rédigés peut-
être par une main étrangère , mais revêtus de son autorité.
Quant à la protection accordée aux gens de lettres elle est
f)rouvée par des témoignages nombreux et irrécusables,
itienne de Tournai écrivant au prélat pour lui recommander
un professeur nommé Simon, c'est, dit-il, un homme de
moeurs irréprochables et très-instruit , qui dans l'exercice
de l'enseignement public jouit d'une grande célébrité. « Or
K personne n'ignore que vous aimez à rechercher , à vous
a attacher de tels' sujets, en répandant sur eux vos bienfaits.
« Cela est si connu dans le monde entier, depuis l'orient
« jusqu'à l'occident, qu'on voit votre cour remplie de Tos-
« cans , de Lombards, d'Anglais, de Belges et de Français,
a que vous avez comblés de richesses ou d'honneurs, etc. »
Delà l'empressement qu'avaient les gens de lettres, poètes
et prosateurs , de lui dédier leurs ouvrages. Pierre le Man-
geur lui a dédié son histoire ecclésiastique; Gautier de Lille
son Alexandréïde, Pierre de Poitiers, chancelier de l'église
de Paris, la Somme des sentences ; un nommé Guillaume
sa M icro- Cosmographie , dont l'épître dédicatoire a été im-
primée par D. Martene, t. i , Ampl. Collect. p. 946.
, Voyons maintenant ses propres écrits et ses lettres qui
sont en assez grand nombre.
Inifr epist. i" La plus ancienne dans l'ordre chronologique parmi
s. Tliomae,lib. celles qui uous sont parvenues, est celle qu'il écrivit, l'an
Bouq''t.'xvTl 1166, n'étant encore qu'évêque élu de Chartres, au Pape
p. 369. ' Alexandre III, en faveur de Thomas Becket, archevêque de
Cantorbéry , dans laquelle il annonce que c'en est fait de l'é-
glise d'Angleterre et même de celle de France, si les atten-
tats du roi d'Angleterre restent impunis, déclarant aue telle
est l'opinion du roi de France et de toute l'église gallicane.
Lib. II , ep. 2° Le roi d'Angleterre ayant obtcim du pape un bref cjui
6î.— Bouquet, interdisait pour un temps à l'archevêque de Cantorbéry d u-
ibid. p. 319.
Xn SIECLE.
guillaumiï: de Champagne. 519
ser des censures ecclésiastiques contre le roi et ses adhé-
rents, levéque élu de Chartres s'en plaignit au pape dans
une lettre de l'an 1 168, témoignant son étonnement que les
menaces du roi d'Angleterre eussent agi plus efficacement
sur son esprit que les prières du roi de France et des évêques
du royaume.
3" L'an 1169, ayant assisté à la conférence qui eut lieu Lib. iv, ep.
vers l'Epiphanie à Montmirail entre les rois de France et 7— ■ Bouq- «*"'•
d'Angleterre, il rendit compte au pape de ce quis'y était passé ^' '"
relativement à l'affaire de l'archevêque de Cantorbéry dans
une relation qui a été imprimée parmi les lettres du saint
prélat.
4" La même année, l'archevêque Thomas ayant excom- Lib- iii.ep.
munie l'évêque de Londres et d'autres partisans du roi, ?/• ~ ^°"^"*''
■ i , . , n 1 A "1 c , . . ^ ibtd. p. 348.
pour intimider le roi même, 1 archevêque de bens écrivit au
pape au nom du roi de France, d'approuver la sentence
d'excommunication, dont on espérait le meilleur effet.
5° L'évêque de Londres poussé à bout par cette menace Lib. m, ep.
d'excommunication lancée contre lui et ne gardant plus de 88.— Bouquet,
ménagement, s'était vanté qu'il ferait transporter à son siège*' ' '^'
la dignité métropolitaine de l'église de Cantorbéry. C'est
cette tentative de schisme qiie l'archevêque de Sens dénonce
au pape , afin de le prémunir contre l'intrigue.
6° Le roi d'Angleterre ayant obtenu du pape qu'il enver- Lib. m, ep.
rait de nouveaux légats, chargés de lever les excommunica- *^' '°'-,?î'' —
lions lancées par l'archevêque Thomas , et des difficultés 37".^ ' ' • p.
étant survenues sur la manière de procéder qui leur était
prescrite , le roi et les légats s'adressèrent à notre archevêque
pour que lui-même en qualité de légat tranchât la difficulté.
Son avis fut qu'il fallait suivre littéralement le mandat du
pape.
n^ L'an 1170, le roi d'Angleterre ayant fait couronner Lib.v,ep.2.5.
son fils, par l'archevêque d'Yorck, sans égard aux privilèges ~ ^°"^- '''"'■
de l'église de Cantorbéry , indisposa non-seulement les par- ^' ^
tisans de l'archevêque Thomas , mais encore le roi de France
qui regarda comme une hostilité que sa fille, épouse du jeune
prince, n'eût pas été couronnée en même temps. L'archevêque
de Sens fut chargé d'en porter ses plaintes au pape, auquel il
ne dissimule pas que les trop grands ménagements dont il
use envers le roi d'Angleterre l'enhardissent à oser tout
impunément.
o>^ L'archevêque de Cantorbéry ayant été mis à mort sur Lib.v,ep.8o.
520 GUILLAUME DE CHAMPAGNE.
^ '- la fin de la même année , celui de Sens en fut d'autant plus
— Bouq. ibid. indigné qu'il avait plus contribué à le réconcilier au moins
^' '■ en apparence, avec le roi d'Angleterre. II écrivit donc au pape
pour lui dénoncer cet attentat, dont il ne craint pas de faire
retomber l'odieux sur le roi d'Angleterre en comparaison du-
?uel, dit-il, Achab, Hérodc, Néron, Julien-l'Apostatet même
udas étaient en quelque sorte de bonnes gens.
Lib.v,ep.8a. ^o jj répète les mêmes invectives dans la lettre au pape
~,^c"T *"^' pour lui annoncer qu'il a jeté l'interdit sur les terres du roi
p. 475et»eq. 'i, . , ^ j ^ j i '' i ' r •^- j ' «
d Angleterre en-deça de la mer maigre 1 opposition des eve-
ques de Normandie.
Celui qui pour cette lettre lui a prêté sa plume n'a pas
eu l'attention de le faire parler en évêque français. Jamais
les ultramontains ne portèrent plus haut les prétentions des
papes : « Toute puissance , dit-il , a été donnée à votre apos-
« tolat dans le ciel et sur la terre. Vous avez en main l'épée
« à deux tranchans; vous êtes établi sur les nations et sur
a les royaumes pour mettre les rois à la chaîne , et lés plus
« nobles d'entre eux dans les fers : Festro apostola tui, pater
« sa note, data est omnis potes tas in cœlo et in terra, gla-
a dius anceps in manibus vestris^ super gentes et régna con-
K stituti estis ad alligandos reges eoruin in conipedibus et
« nohiles eoruni in manicis ferreis etc. » Cette doctrine n'é-
tait que trop répandue dans le XIP siècle.
Chesn. t. IV lo" Vers le même temps ayant été chargé par le pape de
Ber. Franc, p. -yisiter l'abbaye de Saint- Victor et de réformer les abus qui
t. XvT^. 899.^ s'y étaient introduits par la négligence de l'abbé Eryise , il
écrivit à la communauté pour lui annoncer sa prochaine vi-
site après une maladie qui l'avait empêché d'agir.
Chesn. ibid. Il» A cette époque Hugues de Champ-Fleury, évêque de
l?-575— P'ouq. Soissons et chancelier de France, faisait sa résidence à Saint-
'" • P- 90 ■ Victor , et n'était peut-être pas étranger aux désordres qui
régnaient dans la maison. Le pape pour l'éloigner avait té-
moigné le désir qu'il renonçât à la chancellerie pour se li-
vrer tout entier aux soins de son diocèse, si l'on pouvait dé-
terminer le roi à se passer de son ministère. L'archevêque de
Sens voulant parer le coup dont était menacé le chancelier,
qu'il ne détourna pourtant pas, écrivit au pape, en sa fa-
veur, une lettre apparemment mendiée, dans laquelle il fait
son éloge , et prie le pape de tolérer dans l'évêque de Sois-
sons, ce qui nest pas tout-à-fait incompatible avec les obli-
gations d un pasteur.
GUILLAUME DE CHAMPAGNE. 621
„ , , . , -T. 1 -, 1 A j ^" SIECLE.
129 Sur les plaintes que le prince Eskil, archevêque de __
Lunden en Danemarck , avait adressées au pape et au roi , e^^î'^l^Bota
touchant un dépôt de 4oo marcs d'argent, que, dans un ^i^v/^p.gis!
voyage en France, il avait fait entre les mains d'Ervise,
abbé de Saint-Victor, dépôt qu'il réclamait; l'archevêque
de Sens, saisi de cette affaire , écrivit à Maurice, évêque de
Paris, de se transporter à Saint-Victor, et de faire les re-
cherches convenables parmi les effets <ie l'abbé destitué, afin
de retrouver son trésor.
i3o L'an II 77, étant déjà archevêque de Reims, il écrivit ^°x"*ia'l*
à Guillaume de Pavie , cardinal-évèque de Porto , pour lui ""**' ' '^'
recommander une affaire qu'avait en cour de Rome Etienne,
abbé de Sainte-Geneviève , depuis évêque de Tournai.
i4° A l'exemple de la plupart des villes de France, les
habitans du bourg de Saint-Martin à Tours s'étaient érigés
en commune pour se soustraire à la dépendance des cha-
noines. Jean de Salisbury , évêque de Chartres, délégué par Bouq; t. XVl.
le pape Alexandre pour dissiper la conjuration, n'ayant pu P- ^»'«-
rien obtenir, lança l'excommunication sur tous les conjurés.
Le pape Lucius III, voulant terminer cette affaire, chargea Bouquet, t.
l'archevêque de Reims, Guillaume de Champagne, de se xvill.p. agi.
transporter à Tours , lequel muni des pouvoirs du pape et
du roi, réussit, l'an ii84i à détacher la multitude du parti
des conjurés, laissant sous les liens de l'excommunication
ceux des conjurés qui ne se présentèrent pas au serment
d'abjuration. Nous avons la lettre du cardinal au pape, dans
laquelle il fait la relation de la chose comme elle s'était
passée.
i5° Depuis long-temps les archevêques de Tours plai-
daient à Rome avec les evêques de Dol touchant le droit de
métropole sur les évêchés de la province de Bretagne. Le roi
de France mettait beaucoup d'importance à ce que l'arche-
vêque de Tours fût maintenu dans ses droits. Cette même
année 1 164, le docteur Melior, vidame de l'église de Reims,
fut fait cardinal et camérier du pape Lucius III ; il était ami
et compatriote de Roland, évêque de Dol(i), qui poussait
vivement la décision du procès contre l'église de Tours. On Steph. Tpm.
craignit que le cardinal Melior ne profitât de l'accès qu'il epist. no. ,
avait auprès du pape pour faire triompher la cause de son
(i) Ils étaient Pisans l'un et l'autre, comme nous l'avons prouvé plus
haut, p. 3i5.
Tome XK Vyy
Xn SIECLE.
nist. Rcmen.
H, p. 643.
5a2 GUILLAUME DE CHAMPAGNE.
ami; l'archevêque de Reims fut chargé de lui écriie pour
le prévenir que, si par malheur oh blessait eu quelque chose
les droits de l'église de Tours , ee serait déclarer à la France
une guerre dont les suites pourraipnt devenir funestes à la
cour de Rome. La lettre est imprimée parmi celles d'Etienne
de Tournai, qui en fut le rédacteur.
16° Marlot rapporte la lettre que notre prélat écrivit à
Pierre le Chantre de l'éghse de Paris , pour le presser et
même lui enjoindre d'accepter la dignité de doyen du cha-
pitre de Reims, à laquelle il avait été nommé d'vine voix
unanime. La lettre est très-obligeante , et pleine d'estime et
de vénération pour celui qui en est l'objet. C'était apparem-
ment pour li^parer le tort qu'il lui avait causé en lui faisant
manquer deux fois l'épisoopat, l'an 1191, lorsqu'il fut élu
à l'évêché de Tournai , et l'an 1 1 96 , lorsqu après la mort de
Maurice de Sully , il fut nommé à l'évêché de Paris.
Ces lettres ne sont assurément que la moindre portion de
celles que notre prélat, qui eut tant de part aux affaires de
l'église et de l'état, dut écrire, et ne seraient pas même un
titre littéraire pour quelqu'un d'un rang moins élevé. Mais
on lui a attribué quelquefois un ouvrage théologique , qui ,
s'il existait , pouiTait le placer même au nombre des docteurs
de l'église : c'est un traité sur cette question : Si J- C. en
tant qu'homme est quelque chose.
Hist. Litiér. En rendant compte , dans cette histoire , de l'ouvrage de
*tMi\v'^ '^ Jeaa de Cornouaille intitulé Eulogium, , adressé au pape
Alexandre III, nous avons exposé les différentes opinions des
théologiens sur cette question, dont quelques-unes tendaient
à renouveler l'erreur de Nestorius , qui admettait dans le
verbe incarné deux personnes , ou d'Eutychès qui ne recon-
naissait en J. C. qu'une seule nature. Ceux qui niaient que
\ J. C. en tant qu'homme fiit quelque chose, c'est-à-dire un
vrai homme composé d'un corps et d'une ame , furent ap-
pelés nihilistes. Pierre Lombard, évêque de Paris, rapporte,
selon sa méthode , leur opinion sans l'approuver ni la com-
battre. La même question fut agitée , et non décidée , au
concile de Tours de l'an 1 163, présidé par le pape Alexandre;
mais six ans après, le pape voyant qu'à la faveur du livre
des Sentences, l'erreur des nihilistes se propageait , en con-
' fera d'abord avec notre prélat dans un voyage qu'il fît à
]\iari. Am))). Romc l'an 11G9, et enjoignit, l'année suivante, aux métro-
collfct., t. H, politains de Bourges , Reims, Tours, et Rouen, de proscrire
col. 843. t> ' 7 7
XII SIKCLE.
GUILLAUME DE CHAMPAGNE. SaS
la doctrine des nihilistes, et d'ordonner aux théologiens
d'enseigner que le Christ était vrai dieu et vrai homme. Il ^°g^g*" ^^' ^
y eut une lettre particulière à l'archevêque de Sens, portant Labbe.conc.
ia même injonction , parce que le livre de Pierre Lombard t. x , col. Sag.
avait été composé à Paris sous sa métropole. C'est ce qui a
fait croire qu'il avait composé lui-même un traité contre les
nihilistes ; mais il est plus vraisemblable qu'il chargea de ce
soin Jean de Cornouailles , ou peut-être Gautier de Saint-
Victor, qui embrassant un champ plus vaste, écrivit aussi
contre les nouvelles erreurs de Pierre Abélard , Gilbert de
la Porrée, Pierre Lombard et Pierre de Poitieis , qu'il ap-
pelle les quatre labyrinthes. On peut croire aussi que notre
prélat aura proscrit la nouvelle erreur par un mandement
que nous n'avons pas.
On a conservé avec plus de soin les chartes émanées de
la chancellerie de notre prélat , lesquelles sont en très-grand
nombre. Nous ne parlerons pas de celles qui n'intéressaient
que des particuliers en faveur desquels elles étaient don-
nées; mais il est essentiel, pour achever son éloge, de faire
connaître en peu de mots celles qui avaient pour objet le
bien public , soit l'embellissement des villes , soit la fonda-
tion des hôpitaux.
1. D. Calmet raconte que Guillaume de Champagne, ar- Hist. deLorr.
chevêque de Reims, fit bâtir, l'an 1182, la petite ville de tti. ^ol. 3i4.
Beaumont en Argonne , sur la rivière de Meuse , entre Stenai
et Mouson ; que pour y attirer des habitans , il fit leur condi-
tion meilleure que ne l'était celle de presque tous les peuples
de la campagne. Guillaume donna a ceux qui s'établiraient
à Beaumont certaines franchises qui furent nommées la loi
de Beaumont. Elles furent trouvées si sages par les princes
et par les seigneurs voisins , et parurent si avantageuses aux
peuples, que ceux-ci demandèrent avec grande instance, et
reçurent comme une grande faveur d'être soumis aux lois
de Beaumont; et les ducs de Lorraine, les comtes de Bar et
de Luxembourg les firent observer dans presque tous les lieux
de leur obéissance. Cette charte composée de 54 articles est
imprimée parmi les preuves de l'histoire de Lorraine, t. II,
p. 537, en français seulement, quoique D. Calmet eût an-
noncé qu'il donnerait aussi le texte latin.
2. La même année 1 182, il rétablit dans la ville de Reims Marloi, Hist.
l'échevinage , pour réparer en quelque sorte les dommages ^^"^' *' ^^' P'
que son prédécesseur Henri de France avait occasionnés
V v v 2
Xri SIECLE.
5a4 ETIENNE DE TOURNAI.
aux habitans, se concilier l'affection de la bourgeoisie, et
empêcher que les mêmes troubles ne recommençassent sous
son gouvernement. Cette charte a été publiée par D. Marlot,
et réimprimée t. IX du Gallia. Christiana , aux preuves,
col. 4^.
Mariot, j6/V/. 3. L'année suivante, il céda à la ville un terrain nommé
'*■ ^*' la Culture, pour y établir un nouveau faubourg , auquel
furent transportés des privilèges dont avait joui précédem-
ment l'hôpital des lépreux hors la ville.
Mariot.rtirf. 4. Pour honorer la science, et donner de l'émulation à
P'''* • teux qui la cultivent, il fit, l'an 1192, un statut par lequel
l'écolâtre dans l'église de Reims fut incorporé au chapitre
et placé parmi les dignitaires.
JMarlot,/Wrf. 5. Nous avons vu plus haut les reproches que des auteurs
P- 449- graves et contemporains font à notre prélat de s'être livré ,
sur la fin de ses jours, à un luxe immodéré, et que pour y
satisfaire il abusa quelquefois de son autorité. Hé bien! l'an-
née même qui précéda celle de sa mort, il fonda à Reims un
hôpital pour vingt malades , au soulagement desquels il
pourvoit abondamment dans une charte où respirent les
sentimens religieux d'un évêque vraiment pénétré des obliga-
tions de son ministère envers les pauvres. B.
» w.^^«^v^b^«««'«'«^«i«/«%.«««.«^«^*.^^«^<*'^«'
ETIENNE,
ABBÉ DE SAINTE-GENEVIÈVE A PARIS,
PUIS ÉVÊQUE DE TOURNAI.
SA VIE.
J_jA négligence avec laquelle le P. Claude du Molinet, der-
nier éditeur des lettres d'Etienne de Tournai , a composé la
vie de ce prélat, son ancien confrère, nous mettra clans la
nécessité d'entrer dans quelques discussions pour rétablir
la vérité des faits, et dissiper ses erreurs,
Kpist. 191. Nous savons par Etienne lui-même qu'il naquit à Orléans.
Le P. du Môhnet dit que ce fut l'an 11 35, et il se fonde sur
la lettre 274, dans laquelle l'auteur dit qu'il avait soixante-
ETIENNE DE TOURNAI. SaS
XII SIECLE.
huit ans accomplis lorsqu'il l'écrivait. Pater, in septuagesima^
si bene recolo , septuagesimuni annum hiennio minus com- Epist. 27/1.
plevi , qui numerus annonim a psalinista prœfigitur senec-
tuti. Reste à savoir à quelle année on peut rapporter cette
lettre non datée. Elle est adi-essée à son métropolitain
Guillaume de Champagne, archevêque de Reims. Ce prélat
avait invité l'évêque de Tournai à se trouver au sacre de
l'évêque de Châlons-sur-Marn», qui devait avoir lieu à
Reims au troisième dimanche de carême. L'évêque de Tour-
nai s'excuse sur son grand âge et ses infirmités, et de plus
sur ce que le roi l'avait mandé au Vaudreuil pour le qua-
trième dimanche, et à Paris pour le dimanche de la Passion,
au sujet d'une affaire à laquelle le roi mettait tant d'impor-
tance, qu'il l'avait conjuré de ne pas manquer de se trouver
au lieu indiqué. L'éditeur supposant que le sacre de l'évêque
de Châlons était celui de Gérard de Douai , qui fut fait 1 an
t2o3, l'année même de la mort de notre auteur, part de là
f)our conclure qu'Etienne de Tournai était né a Orléans
'an 1 135. Mais nous, nous croyons être mieux fondés à dire
qu'il s'agissait alors, non du sacre de Gérard de Douai, qui
n'est pas nommé dans la lettre , ni désigné par la lettre ini-
tiale de son nom, mais de Rotrou du Perche, qui, quoique Gall. Christ.
élu dès l'an 1190, n'était pas encore sacré l'an i ipS. En *• ix , col. 88:i.
effet, il est prouvé que le siège de Reims était vacant après t. m, col. 088.
la mort de Guillaume, lorsque Gérard de Douai fut sacré;
ce n'est donc pas lui qui devait faire le sacre. Toutes ces
raisons concourent à prouver que c'est cette même année que
la lettre fut écrite, et que c'est de là qu'il faut partir pour
trouver celle de la naissance d'Etienne. Or le calcul nous
donnera l'an 1128, et même le jour 'de sa naissance, qui
tombait, selon lui, dans l'année où il écrivait sa lettre, au
dimanche de la septuagésime, c'est-à-dire, au 19 février,
huit ans avant l'époque donnée par le P. du Molinet.
Dès sa première enfance , Etienne fut élevé dans la piété Epist. 59.
et les lettres parmi les clercs de Sainte-Croix d'Orléans, et
son premier maître de grammaire fut un professeur qu'il
ne fait connaître que par la lettre A, initiale de son nom,
selon l'usage de son temps aussi fréquent dans les manuscrits Epist. a6, 27,
qu'il est incommode pour les lecteurs. *8.
On connaît à-peu-près le temps où il se fit religieux cha-
noine régulier à Saint- Euverte d'Orléans par la lettre iiSa.
Dans cette lettre à Hugues de Garlande, évêque d'Orléans, Epi»t. aSa.
5^6
ETIENNE DE TOURNAI.
XII SIECLE.
Gall
MX
l'auteur déclare qu'à l'époque où il l'écrivait, il y avait en-
viron quarante-cinq ans quil avait embrassé la vie religieuse:
Quadraginta ferme et quinque anni sunt elapsi ex quo , Deo
volente, in ecclesiâ B. Evurtii habitutn religionis suscepiinus
suh ordine regulari. Si cette lettre était datée, ce ne serait
plus qu'une aftaire de calcul de trouver l'année à laquelle
Etienne entra en religion. Mais s'il n'est pas possible de fixer
cette époque avec précision , on peut en approcher beau-
coup, parce que tout le monde convient que l'évêque de
lU. Christ. Tournai mourut l'an iao3, et l'on sait d'ailleurs que Hugues
,col.i/,57. jjg |-y^ ^j^^ évêque d'Orléans que l'an 1198. Ce n'est donc
que dans l'intervalle de ces deux années qu'on peut placer
cette lettre ; et , en prenant un terme moyen , il résulte
qu'Etienne s'était fait religieux vers l'an iî5Ô, «t non l'an
ii65, comme l'a dit le P. du Molinet, et à l'âge de vingt-
huit ans , suivant le calcul établi ci-dessus.
Il s'était applique auparavant à l'étude des lois; car il nous
apprend qu'il avait étudié le droit sous le célèbre Bulgarus,
à Bologne, où il avait evi pour condisciple le cardinal Gratien,
auquel il dit : «C'est pour moi un souvenir agréable de me
rappeler que nous avons été condisciples dans l'école de
Kpist. 38. Bulgarus : Reliquiœ cogitationis nieœ diem festuni agunt
niihi, quoties rccolo me fuisse sociuni vestrum in auditorio
Bulgari , quem modo lœtus suspicio in ministerio Petit. »
Cela est encore prouvé par la lettre 63 à Eraclius , évêque
de Césarée , cju'il commence ainsi : Jocosas olini confahida-
tiones nostras fructuosis oro sœpiîis orationibus expiari. Toga-
tonim advocationes , mercimonia ; litigantium conflictus ,
cœcojum pugnam ; Bononiensium auditoiia, fahriles diximus
officinas. Inter hœc diversa sequuti studia sumus ; ego, quod
irriseram, carpentariam Bulgari; vos calvariam crucifixi.
Il est clair "par là que, peixlant qu'il étudiait à Bologne,
Etienne avait, dans des momens de gaieté, tourné eii ridicule
la profession d'avocftt, et qu'il l'avait exercée avant d'entrer
en religion. C'est encore à Bologne qu'il avait eu pour con-
disciple le pape Urbain IIÏ : Glorior inde mecum , lui dit-il
en le félicitant sur sa promotion , ego minima filiarum. ves-
tronim portio, quod dominum, nunc et jxttrem tneum, qunn-
doque mderim in scholis , ubi tamquam Hylos mirabar
Hercuhm , inagnis virtutum et prudentiœ passibus ince-
dentem.
Mais après qu'il eut embrassé la vie religieuse, il paraît
Epist. 63.
Epist.
XII SIECLE.
ÉTIENINE DE TOURNAI. 027
qu'il alla reprendre l'enseignement à Chartres (i), où il fit
un assez long séjour , comme on peut le conclure de la lettre
17 à Roger, abbé de Saint-Euverte , qui lui avait ordonné Epist. 17.
par trois fois de retourner dans son monastère. Ce qui prouve
3ue ce fut à Chartres, et non ailleurs, c'est la manière dont
s'exprime dans la lettre 36 au cardinal-évêque de Porto , Epist. 36.
en lui recommandant une affaire désagréable du doyen et
du sous-chantre de cette église : Amici nostri surit, dit-il,
ex diuturno convictu , et honestœ conversationis suce testinio-
mumprisca nohis eorum societas reprœsentat. Et dans la lettre
37 au cardinal-évêque de Palestrine : Specialiter eos diluai- '"'*■ ''
mus, et diligùnur ab eis , qiionùarn antiquœ societatis et
diutumi convictus reliquias sub honestce recordationis me-
moria retinemus. »
Etienne succéda, l'an iiGt, à l'abbé Roger, qui en sa Gali. Christ.
faveur se démit de l'abbaye de Saint-Euverte ; mais bientôt *• ^'^'' *^°'-
après, un événement déplorable arrivé à Orléans faillit à lui ' ' '
être funeste. Jean de la Cliaine,^fe Catenâ, doyen de Sainte-
Croi.K , ayant été assassiné et mis à mort l'an ii68, notre
jeune abbé fut chargé de prononcer, dans un synode tenu Epist. i.
à Sens, un discours propre à émouvoir l'assemblée, afin de
la porter à demander vengeance d'un pareil attentat. Ayant
été chargé d'en écrire au roi , bien loin d'obtenir la punition Epist. y.-.
des coupables, c'est contre lui que Louis-le-Jeune se pro-
nonça , on ne sait pourquoi ; et sans la protection de Guil-
laume de Champagne, alors évêque élu de Chartres, qui
intercéda pour lui, il eût peut-être encouru l'indignation
du roi.
sance, lui assignèrent une pension sur une de leurs terres. Epist. 77.
L'abbaye de Sainte-Geneviève se ressentit bientôt de la
sagesse de son gouvernement, tant au temporel qu'au spi- ,
rituel ; l'observance régulière y prit de nouveaux accroisse-
mens, et Dieu répandit stu- ses travaux les bénédictions les
plus abondantes. Il s'en explique ainsi dans une lettre à un Epist. i/,5.
(i) Nous àÀson& il paraît , parce que la lettre d'où l'on tire cette con-
jecture (Martène, Ampl. Collect. , t. I, col. 787) est anonyme, mai.s
quon peut avec quelque fondement lui attribuer.
Xn SIECLE.
528 ETIENNE DE TOURNAI.
de ses religieux nommé Pierre, neveu d'Absalon archevêque
de Lunden , qui était retourné en Danemarck. « Tout pros-
père chez nous, lui dit-il; grâces à la bonté divine nous ne
manquons de rien, et la conduite édifiante de nos frères
répond aux avantages temporels dont nous jouissons. Notre
communauté va toujours croissant; nos revenus augmentent;
et ce qui est préférable à tout, la paix , la pratique de la règle,
l'assiduité à l'office divin , régnant parmi nous , nous jouis-
sons du bonheur d'une conscience sans reproche et de l'es-
time publique. Pleins de confiance dans les secours de Dieu
qui nous favorise au-delà de nos mérites, nous avons entre-
pris de restaurer le comble de notre église, percé de gout-
tières , ouvert à tous les vents , et menaçant ruine. Nous
faisons dans ce dessein provision de bois pour la charpente
que nous nous proposons de couvrir en plomb. Nous forti-
fions aussi les murs par des culées en pierre de taille, etc. »
Quoiqu'il y eût à Sainte- Geneviève des écoles extérieures,
V il en établit d'intérieures pour ses religieux , afin qu'ils n'eus-
sent aucune communication avec les écoliers du dehors.
C'est ce qu'on voit par ses lettres à Absalon , archevêque de
Lunden, au sujet de son neveu dont nous venons de parler.
Ce prélat demandant que son neveu fréquentât les écoles
Epiit. 80. séculières de Paris , notre auteur lui répond : « Nous sommes
fâchés de ne pouvoir consentir à vos désirs , parce que cela
est contraire a notre institut , et pourrait être d'un mauvais
exemple à l'avenir. La règle sagement établie dans les cloîtres
est qu'il y ait des écoles pour la vertu aussi-bien que pour
la science. Si c'est votre intention de faire de votre neveu un
homme du monde , vous pouvez choisir pour son instruction
une autre ville que Paris , parce que nous ne pourrions sup-
porter que , sous nos yeux , il se livrât au verbiage et aux
détours de la dispute : cela tournerait à notre confusion. »
L'an 1 181 , non l'an 1 178, comme l'ont dit quelques mo-
^pist. 75. dernes (i) , le roi Philippe-Auguste députa notre abbé vers le
(i) L'abbé Fleuri, induit en erreur par le P. du Molinet, ditliv. 74,
n° 39 de son Hist. eccl. , «qu'en 1178, Etienne de Tournai, abbé de
Sainte-Geneviève de Paris , suivit en Languedoc Gautier, cardinal-évèque
d'Albano , qui fut pris par Roger de Bédiers , protecteur des Albigeois. »
H y a dans ce peu de mots trois erreurs : 1" ce fut pour joindre le légat
Henri , évêque d'Albano, qu'Etienne fut envoyé par le roi en Languedoc,
et non le cardinal Gautier, qui ne fut jamais légat en France ; a" la mis-
ETIENNE DE TOURNAI. Ô29
légat Henri , ëvêqiic d'Albano, en mission dans le Toulousain
contre les Albigeois , secondé d'une force armée. Dans la
lettre 73 au prieur de Sainte-Geneviève , Eltienne fait la re-
lation de ce voyage, mais il n'explique pas quel en fut l'objet :
Quare ad dominum legatwn vadû , nescilis. Alla causa est
quam ea quarn mandavi vobis : de Ula tamen omnino silete,
ne aliquis in contraviwn interpretetur.
A cette époque, l'abbé de Sainte-Geneviève jouissait de
l'entière confiance de Guillaume de Champagne , archevêque
de Reims, et par lui de celle de Philippe-Auguste, son neveu.
Le pape Lucius III ayant mandé à Rome l'archevêque de
Reims, le roi l'empêcha de partir, et écrivit au pape qu'ayant
un extrême besoin de la présence de son oncle au commen-
cement d'un règne orageux, il lui envoyait à sa place l'abbé
de Sainte-Geneviève, qu'il appelle son très-cher ami,/?Av:c-
dUectum et familiarem nostrum. Etienne fit-il ce voyage.-'
nous n'osons l'assurer, parce que dans une autre lettre à
l'archevêque de Reims, il lui dit qu'étant sur le point de
partir, et s'étant présenté pour prendre congé du roi, ce
prince avait changé de résolution. Mais peut-être s'agit-il là
d'un autre voyage que nous ne connaissons pas.
Ce qui prouve encore le haut degré de considération où
il était à la cour, c'est qu'il fut choisi, l'an 1 187, pour être
le parrain du prince Louis , fils du roi , qu'il appelle son
fdhul dans une de ses lettres.
L'évêché de Tournai étant devenu vacant, sur la fin de
l'an • 190 , par la mort d'Evrard d'Avesne, Pierre le Chantre
fut élu à sa place ; mais l'archevêque de Reims , alors régent
du royaume en l'absence du roi, refusa de confirmer cette
élection. L'abbé de Sainte-Geneviève, applaudissant comme
tous les gens de bien au choix d'une personne si recomman-
dable , employa en faveur du chantre de. l'église de Paris le
crédit qu'il avait auprès! du régent; il lui expose que pour
quelque défaut de forme, qu'il peut couvrir ae son autorité,
il n'est pas ju.ste de priver cette église d'un saint homme,
qui réunit d'ailleurs toutes les qualités requises pour illustrer
XII SIECLE.
Ëpist. 73.
Epist.
Epist. IÏ7.
'! .3
Epist. 227.
Epist. 175.
sion du cardinal Henri dans l'Albigeois est de l'an n8i , selon le témoi-
gnage de Geofroi de Vigeois, et non de l'an 1178, et par conséquent le
voyage d'Etienne de Tournai est de la même année, et peut-être de la
.■suivaute; i" ce n'était pas l'évèque d'Albano que le vicomte de Béiiers
et d'Albi avait mis en prison , mais l'évèque d'Âlbi.
Tome Xy. Xxx
53o ETIENNE DE TOURNAI.
XII SIECLE.
l'ëpiscopat. Il ajoute que le rejeter, c'est contrarier le vœU
du roi, qui l'avait désigné pour cet évêché. Ses instances
furent inutiles, et n'eurent d'autre résultat que de le faire
proposer lui-même, contre son attente, pour remplir le
siège vacant. Le clergé de Tournai agréa ce nouveau choix ,
mais le pape Célestin III eut de la peine à y consentir,
ipist. 179. comme on en peut juger par la lettre que notre abbé fut
obligé de lui écrire.
Ayant ainsi dissipé les nuages qui s'étaient élevés sur la
Epist. 177. validité de son élection, il fut sacré à Reims l'an 1 192, le
dimanche après Pâques, c'est-à-dire le 12 avril. Mais avant
que de quitter Sainte -Geneviève, il Aoulut s'assurer d'un
successeur capable de maintenir , tant au spirituel qu'au
Epist. 176. temporel , le bon ordre qu'il avait établi dans sa maison, et
il le trouva dans la personne de Jean , neveu de l'abbé d'Au-
villers, qu'il fit bénir par l'évêque de Meaux, le dimanche
des Rameaux de la même année.
Gaii. Christ. A peine arrivé dans sa ville épiscopale, il eut des contes-
t. III , pr. col. tations avec les habitans qui refusaient de le reconnaître
'' ' pour leur seigneur temporel. C'est ce qui résulte d'une lettre
du roi Philippe -Auguste, portant injonction aux habitans
de lui prêter serment de fidélité : elle est datée du mois de
février 1192, vieux style, qui revient à l'an iif)3. Cette
affaire n'en resta pas là ; il fut long-temps question de régler
ibid. col. 49. les droits respectifs du seigneur et des habitans : ce ne fut
3 n'en 1200 que ceux-ci adoptèrent les lois de la commune
e SenUs, comme leur étant plus favorables.
Epist. 181. L'an 1193, Etienne assista au couronnement de la reine
ingeburge, qui se fit à Amiens le jour de l'assomption de la
Vierge. Le roi s'étant dégoûté d'elle ce jour-là même, la fit
reléguer à l'abbaye de Cisoing, dans le diocèse de Tournai.
Epist. 262. jÉtienne, témoin de l'abandon et du dénuement dans lequel
on laissait cette princesse , écrivit à l'archevêque de Reims
la lettre 262, dans laquelle il fait l'éloge de cette infortunée
reine, et sollicite pour elle les secours de sa charité. Une
Epist. a63. lettre de la jwincesse au même archevêque , dont Etienne fut
le rédacteur, prouve que la recommandation de notre prélat
ne lui fut pas inutile.
Annal. Aqni- L'an 1 197, pendant que le roi de France faisait la guerre
cin.adan.1197. ^ j^gjjjj d'Angleterre sur les confins de la Normandie, le
comte de Flandre et de Hainaut , gagné par ce dernier,
tourna ses armes coutre. la France, faisant le dégât dans le
xn SIECLE.
ETIENNE DE TOURNAI. 53 1
Tournaisis et le Cambraisis, Le cardinal iMelior, légat apos-
tolique, ayant ordonné d'excommunier le comte etses adhé- Epist. «Si.
rens, et même de jeter l'interdit par-tout oii ils se trouve-
raient , Etienne qui n'approuvait pas cette mesure générale
d'interdit, se trouva dans un grand embarras, comme nous
l'expliquerons en rendant compte des lettres qu'il écrivit à
ce sujet. Ce prélat mourut le 9 ou le 12 septembre i2o3,
après onze ans d'épiscopat, traversé par de grandes ndver-
sités.
SES ÉCHITS.
Les écrits de ce prélat consistent en des lettres , des ser-
mons , un commentaire sur le décret de Gratien, et quelques
poésies. Quoiqu'ils ne soient pas des meilleurs du XIr siècle,
néanmoins la considération dont l'auteur jouit de son temps
le mit dans le cas d'écrire beaucoup de lettres qui sont par-
venues jusqu'à nous, et dont l'histoire peut faire son profit.
SES LETTRES.
Il y en a deux éditions; la première, publiée à Paris l'an
161 1 , par les soins de Jean-Baptiste Masson, à la suite de
celles de Gerbert et de Jean de Salisburi, in-,^", contient
240 lettres imprimées très-incorrectement sur un manuscrit
défectueux. C'est sur cette mauvaise édition qu'elles ont gjjji p^i,.. ,
passé dans la Bibliothèque des pères imprimée à Lyon. Le t. XXI, p. i-
P. Claude du Molinet , chanoine régulier de la congrégation ^^■
de France, ayant entrepris d'en donner une nouvelle, qui
parut l'an 16^9 à Paris, chez Louis Billaine, in-8°, en aug-
menta le nombre jusqu'à 286 lettres, qu'il a distribuées
dans un ordre différent, et selon les époques marquantes
de la vie de l'auteur , en trois parties , dont la première con-
tient les lettres écrites pendant qu'Etienne était abbé de
Saint -Euverte d'Orléans; la seconde celles qu'il écrivit
étant abbé de Sainte-Geneviève à Paris ; la tioisième après .
qu'il fut pourvu de l'évêché de Tournai. L'éditeur s'est servi
utilement, pour nous donner un texte plus correct, du tra-
vail qu'Etienne Baluze avait préparé sur cet auteur, travail
que nous avons retrouvé parmi ses manuscrits à la biblio- ^' ■'*<'**^*V'
tnèque Royale; mais les notes sont entièrement de l'éditeur.
C'est en suivant l'ordre de cette édition , que nous allons
rendre compte de la plupart de ces lettres, non de toutes,
X X X j
532 ETIENNE DE TOURNAI.
XII SIECLE
parce que plusieurs ne sont que des billets de pure civilité,
ou pour recommander des amis à des personnes en place.
Epist. I , al. a. 1 • V n • j
Lettres depuis ffàn nbj 'jusquen njo.
La première n'est pas proprement une lettre; c'est un
discoui^ prononcé, l'an ii68, à Sens dans un synode,
afin d'exciter l'assemblée, à poursuivre la vengeance de l'as-
sassinat commis sur la personne de Jean de Catena, doyen
de l'église de Sainte-Croix d'Orléans. L'auteur ne nomme
pas le coupable, mais il le désigne par ces mots : Ipsum
ducem sceleratœ factionis illius , qui altevo se polluerat hotni-
cidio , de inortis faucihus et exilii proscriptione (decanus)
suo i^demerat inteiventu. Apparemment en faisant participer
le coupable au privilège qu'avaient les évêques d'Orléans de
faire grâce à uri criminel en prenant possession de leur siège.
EpUt. 2, «1.60. Dans la lettre 2 à Guillaume de Champagne , alors nommé
à l'évêché de Chartres, l'auteur nous apprend qu'ayant été
chargé d'écrire au roi au nom de l'assemblée, ce prince vou-
lant sans doute assoupir l'affaire, bien loin d'être touché des
plaintes contenues dans sa lettre, avait tourné contre lui
son indignation.
Les lettres 3, 4 et 5 sont relatives à une question sur la
Epist. 3, al. 3. forme du sacrement du baptême. Dans la troisième. Ponce,
évéque de Clermont, consulte Maurice, évêque de Paris, et
l'abbé de Saint -Euverte sur la validité d'un baptême conféré
au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit , sans articuler,
,en plongeant l'enfant , les paroles je te baptise. Maurice ré-
Epist. 4 , al. 4. pond dans la quatrième que le baptême est nul. Etienne,
Epist. 5, al. 5. djHis la cinquième, soutient une opinion contraire, sans
(jnanquer aux égards dus au sentiment de l'évêquc de Paris,
lequel est devenu celui de tous les théologiens, depuis que
le pape Alexandre III a décidé cjue les paroles ye^e baptise
sont nécessaires pour déclarer l'intention du ministre, et
pour distinguer le sacrement du baptême de toute auti^
Fleuri, Hist. ablutiou. Cc^ autcurs nous apprennent que le baptême donné
eccl. , liv. 7I1, sans les autres cérémonies qui l'accompagnent, s'appelait
" ^^' dès lors ondoyer yUndejare, undaisare , et que la formule
en français était, en nome Patres, et Files, et Esperites santés.
Epist. 6, al. 16. Écrivant à Altjebert, évêque de Mende, pour désavouer
quelques faux rapports qui avaient été faits au prélat, Etienne
lui dit ( lettre G ) : Quia laboris et studii mei primitias no-
luistis, décimas vobis reseivo. S'agit- il là de quelque ouvrage
de notre auteur que nous ne connaissons pas.^
ETIENNE DE TOURNAI. 533
Les lettres 8 et q roulent, sur l'incendie de l'église de Saint-
Euverte, et sur le soin qu'Etienne se donnait pour la réparer, Epist. 8, al. i8.
en envoyant de ses religieux avec les reliques du saint re- Ep's'-9)a'- '9-
cueillir des aumônes dans les autres diocèses.
Le roi Louis-le-Jeune , à son retour de la croisade , ayant . Saussaeus ,
emmené en France quelques chanoines réguliers du mont re'iian.Tiib- x;
Syon, leur procura un établissement à Orléans dans l'église n''4.
de Saint-Samson. Dans la suite, une dame du pays ayant
troublé ces religieux dans la jouissance d'une de leurs pos-
sessions, fut condamnée à restitution par sentence du cha-
pitre de la cathédrale. La dames'étant pourvue par appel au
métropolitain, l'abbé de Saint-Euverte écrivit alors a Guil- Epist,ii,ai.ai.
laume de Champagne, archevêque de Sens, la lettre ii, ■*
dans laquelle il expose au prélat son opinion et celle des
habitans sur cette spoliation , et le prie de confirmer la sen-
tence du chapitre.
La lettre i3 au même prélat concerne la forme de la pro- Epist.i3,al.23.
cédure judiciaire en usage dans ce temps-là. Un jeune clerc,
pendant (ju'il vaquait aux études, avait été dépouillé de la
succession de son père ; il invoquait le privilège de la scho-
larité pour être réintégré dans ses droits. L'archevêque, re-
connaissant le principe , l'avait renvoyé à plaider au fond
devant le juge seigneurial. Etienne voyant que le juge laïque,
méconnaissant le principe, cherchait à djébouter le clerc,
représente au prélat que c'en est fait des études, que per- , ,
sonne ne voudra fréquenter les écoles , si l'absence et l'éloi-
gnement exposent les clercs à perdre leur patrimoine.
Ayant conservé des relations avec les jurisconsultes de
Bologne, chez lesquels ou avec lesquels il avait étudié, notre
abbé écrivit les lettres \[\ et i5 à Albéric et Guillaume, Epist.i/,,ai.2/,.
pour leur recommander un clerc d'Orléans nommé Hugues, Epist. i5,al.a5.
qui allait à Bologne étudier le droit.
Vei's l'an 1172, le cardinal de Naples , nommé Jean Piu- Mart. Ampl.
zutus , auparavant chanoine régulier de Saint-Victor de coUcct. , t. vi,
Paris,, avait fondé à Naples un établissement pour des victo-
rins. Etienne adresse au prieur de cette maison la lettre 16, Epist.i6,al.26.
en lui envoyant un de ses religieux. 11 est encore question
de cet établissement dans la lettre 2g.
Nous avons déjà dit qu'Etienne , après avoir embrassé la
vie religieuse à Saint-Euverte, était allé étudier la théo-
logie à Chartres. Son abbé trouvant son absence trop longue,
lui avait ordonné par trois fois de rentrer dans son monas-
534 ETIENNE DE TOURNAÎ)
L 1 tëre. Etienne, dans la lettre i^, lui annonce qu'il est prêt à
Epist. 17,31.27. obéir; mais qu'il ne sait comment faire poiu' transporter ses
livres, n'ayant point de voiture. Il est évident que si, dans
l'arrangement des lettres, l'éditeur etit eu égard à l'ordre
chronologique, celle-ci eût d 11 être placée la première.
Epist.i8,ai.28. La 18^ est relative à l'ordination de Barthélemi de Ven-
dôme, élu archevêque de Tours l'an ii74i sans la partici-
I)ation des évêques de la province. Sur quoi l'on peut voir la
ettre d'Arnoul, évêque de Lisieux, à celui du Mans, qui
1. 1 1,p.5i7. pjjj. jg (Jroit de son siège aurait dii présider l'assemblée. Il
paraît que le roi d'Angleterre, comte d'Anjou et de Tou-
raine , désapprouvait ce choix , et que les évêques de la pro-
vince , pour ne pas déplaire à leur souverain , refusaient de
donner la consécration à l'archevêque élu. De son t-'ôté, le
roi de France, qui n'avait jamais abandonné le droit de
recommander à ce siège , approuvait ce qui , à son instiga-
tion peut-être, avait été fait par les chanoines. Dans cet état
des choses, l'abbé de Saint- Euverte fut envoyé vers les
évêques suffragans de cette métropole pour soutenir les
droits du roi; et c'est pour instruire l'archevêque de Sens,
alors légat du saint-siége, du résultat de sa mission, qu'il lui
écrivit la lettre 18, sur laquelle l'éditeur ne donne aucun
éclaircissement, et qui serait inintelligible sans les rensei-
gnemens que nous venons d'indiquer.
Epist. 19,81.29. Les lettres i() et 20 regardent la donation que Pierre,
Epist.2o,al.3o. évêque du Puy en Vêlai, fit à l'abbaye de Saint-Euverte du
monastère de Doé, dans son diocèse, pour y introduire la
réforme de Saint-Victor. L'acte de cette donation est imprimé
au tome IV du Recueil des historiens de France par Du-
Gaii. Christ, chesne, p. 760; mais il est sans date. Les auteurs du Gallia
.11, col. 7o5. cjiristiana le rapportent au i5 de juillet 1 167, contre toute
vraisemblance , puisque notre auteur félicite le prélat sur la
paix qu'il venait de conclure, l'an 1171, avec le vicomte
de Polignac, par jugement de la cour féodale du roi Louis-
le-Jeune, imprimé parmi les preuves de la maison d'Au-
T. II, p. 66. vergne par Baluze. Ajoutons qu'Etienne n'était pas encore
abbé de Saint-Euverte au commencement de l'année i ifl?
Da'>o la lettre 22 à Jothon ou Joscius , archevêque de
Epist. 22, al. 32. Tours, l'abbé de Saint-Euverte intercède auprès du métro-
politain pour un prélat nouvellement élu evêque, non de
Conscrans, comme l'a imaginé le P. du Molin(t, mais de
" Quimpcr. Il est vrai qu'on lit dans les manuscrits Consp. ;
ETIENNE DE TOURNAI. 535
mais ce qui prouve qu'il faut lire Coiisopitensis , et non Con- il
seranensis , c'est que l'évêché de Quimper est suffragant de
Tours , et non celui de Conserans , situe au pied des Pyre'-
nées. Cette lettre est certainement d'xuie date plus ancienne
que la 18*^, puisque dans celle-ci il s'agit de Barthëlemi de
Vendôme , successeur de Joscius.
Après la mort de Pierre de la Châtre , archevêque de
Bourges , décède l'an 1 1 7 1 , le chantre et l'archidiacre de cette Epist.aB.ai.Sa.
église furent accusés d'avoir détourné à leur profit des legs P'"'^^'* •
que ce prélat avait faits aux églises. L'abbé de Saint-Euverte
prend leur défense dans la lettre iZ à Guillaume, archevêque
cie Sens, et le prie d'écrire au pape, en sa qualité dq légat,
la lettre ^4 dont Etienne fut le rédacteur.
Dans la lettre 26 , il félicite Jean de Belmeis , évèque de
Poitiers, sur l'heureux voyage qu'il avait fait au tombeau de Epist.25,al.33.
saint Tliomas de Cantorbéri , et sur le bon accueil qu'il avait
reçu du roi d'Angleterre, quoique ce prélat eût été un zélé
partisan du saint archevêque. L'auteur nous apprend dans
cette lettre qu'il fut aussi l'ami de saint Thomas, qui voulait
bien l'admettre dans sa société; mais l'éditeur a négligé de
transcrire la fin de cette lettre , qui existe toute entière dans
la première édition et dans les manuscrits.
La lettre 26 au prieur de la Charité-sur-Loire a pour objet
de faire rentrer dans ce monastère son premier maître de Epist.a6,al.6i.
grammaire , lequel , après avoir fait profession à la Charité ,
était passé clans l'ordre de Cîteaux , mais qui , n'ayant pu en
soutenir les austérités, desirait reprendre son premier genre Epist.27 al 63
de vie. Les lettres 2^ et 28 ont le même objet. Epist.28^ai!64!
Lettres depuis l'an 1 1 y6 jusqu'en 1 1 9 1 .
La Zo^ est adressée à maître Robert, que l'abbé de Epist.3o,ai.35.
Sainte-Geneviève appelle son ami et le compagnon de ses
études. Etienne Baluze pense que l'auteur écrit cette lettre
à Robert de Melun,sans faire attention que ce pi'ofesseur
était déjà évêque d'Herfort l'an ii63, et qu'il mourut en
1167. Nous croyons avec plus de fondement que c'est le
même Robert, Orléanais, auquel est adressée la lettr4||65,
alors un des secrétaires ou écrivain du pape Lucius IIL Dans
l'une et dans l'autre de ces lettres on lui recommande des
affaires particulières ; mais il paraît par la première que ce
Robert était alors attaché à Guillaume, archevêque de Reims,
qu'Etienne appelle simplement son seigneur.
536 ETIENNE DE TOURNAI.
XII SIECLE
L L'objet de la lettre Sa à l'aumônier du roi, est un pauvfe
Epist.32,al.37. juif espagnol , qui ayant été baptisé par l'évêque de Léon et
incorporé à son église, était venu faire ses études à Paris.
Ne serait-ce pas ce Juif nommé Guillaume , qui devint en-
suite diacre de l'église de Bourges , auteur de plusieurs écrits
Suppl. Patr. contre les Juifs, imprimés par le P. Jean Hommey? Quoiqu'il
p. 390 et seq. g^ Suit , l'abbé Etienne nous apprend , dans cette lettre ,
que le roi Louis-le-Jeune av;iit institué une aumône extra-
ordinaire pour remercier Dieu de lui avoir donné un fds
dans la personne de Philippe- Auguste ; et c'est afin de faire
participer à cette aumône le pauvre Juif converti qu'Etienne
écrivit cette lettre.
Epist. 34,81.39. Il écrivit la 34" à Bêla III, roi de Hongrie, pour dé-
truire le bruit répandu dans ses états qu'un de ses sujets,
mort à Paris et enterré à Sainte -Geneviève, avait laissé en
mourant beaucoup de dettes. L'auteur certifie au monarque
qu'après toutes les perquisitions faites , il ne s'en était trouvé
Epi»t.35,al.4o. aucune. Il atteste la même chose, dans la lettre 35, au père
et à la mère du jeune homme nommé Bethléem, et il les
remercie des riches présens qu'ils lui avaient envoyés par
deux fois.
Episi.36,ai.4i. Dans la lettre 36, l'auteur recommande au cardinal-évèque
de Porto , qui n'est pas nommé, une affaire du doyen et du
sous-chantre de l'église de Chartres, pendante au tribunal
du pape. Cette affaire paraît être relative à des plaintes por-
tées contre eux , pendant l'épiscopat de Pierre de Celles, par
des membres du chapitre , à la tête desquels était le prévôt
Renaud ou Rainai de Bar, le même qui succéda à Pierre de
. Celles , au sujet de certaines exactions dont parlent les au-
Gall. Christ, teurs du GalUa Christiana, exercées par les officiers du
** K^^^ ' '^°^ doyen. Si cela est , l'évêque de Porto à qui la lettre est adressée
** "■ était le cardinal Théodwin ; et l'évêque de Palestrine qui
Epiât. 37, al. 4a. n'est pas nommé dans la lettre suivante, roulant sur le même
sujet, serait le cardinal Bernerède, auparavant abbé de Saint-
Crcpin de Soissons. C'est dans ces deux lettres qu'Etienne
nous apprend qu'il avait vécu long- temps à Chartres dans
la sftiété de ces deux chanoines dont il fait l'éloge.
Epi$t.38,al.43. La lettre 38 au cardinal Gratien a pour objet un de ses
religieux, mauvais sujet, qui chassé cinq fois de sa maison,
et banni du royaume par l'autorité du roi , était revenu de
Rome avec des lettres de recommandation du pape pour être
réintégré dans sa maison. Cet homme s'étant livré à de nou-
ETIENNE DE TOURNAI. SSy
vea^ix excès, l'abbé de Sainte- Geneviève supplie le cardinal ^" siècle.
d'appuyer de son crédit la demande qu'il adressait au pape -
de le délivrer d'un pareil sujet.
L'an 1 179, le roi Louis-le- Jeune chargea notre abbé d'écrire Ep;st.4o,ai.49.
au pape qu'il avait empêché Barthélemi, archevêque de
Tours, tombé malade à Paris, de se rendre au concile de
Latran , et de lui exposer que le roi verrait avec chagrin , et
regarderait comme une atteinte portée à sa couronne, qu'on
recommençât le long procès touchant le droit de métropole
de l'église de Dol, procès qui peu de temps auparavant avait
été assoupi. Etienne accompagna cette lettre d'une autre à Epi$t. 39,01.43.
Guillaume, archevêque de Reizns, parti pour se rendre au
concile, dans laquelle il lui recommande cette affaire, ainsi
que les autres dont le roi l'avait chargé.
L'archevêque de Tours avait prié notre auteur de lui com- Epi»t.4i,al.47-
poser des sermons; il s'excuse sur le mauvais état de sa
santé, qui était tel, que les médecins lui avaient interdit '^
toute application.
Dans la lettre 4^ au souverain pontife qui n'est pas Epist.4a,al.48.
nommé , Etienne expose les raisons pour lesquelles Garin ,
abbé de Saint-Victor, ayant été mandé à Rome, n'avait pas
comparu : protestant que malgré le mauvais état de sa santé,
l'abbé de Saint-Victor était prêt à partir, si sa sainteté l'exi-
geait. De quoi s'agissait -il dans cette affaire.'' c'est ce que
nous ne trouvons nulle jiart.
L'évêque de Tusculum ou Frascati, auquel est adressée Epist.43,al.5o.
la lettre 43 1 et que l'auteur appelle maître Pierre, n'est
autre que le cardinal de Saint- Chrysogone, Pierre de Pavie,
nommé à cet évêché l'an 11 78. par le pape Alexandre III.
Ce cardinal avait été chanoine régulier , et en cette qualité
lié d'une étroite amitié avec notre auteur qui, en le félicitant,
dans la lettre 46, sur son élévation au cardinalat de Saint- Epi8t.46,al.6i.
Chrysogone , s'exprime ainsi : Amplector scholarem, prose-
quor archidiaconum ^ deosculor abbatem , assurgo episcopo,
revereor cardinalem. Nous avons expliqué, en rendant compte j^lV p. a3i.
des écrits de maître Pierre, par quels degrés il parvint à ce '
haut j)oint d'élévation. Il suffira d'observer ici que cette
lettre étant certainement de l'an 1 172 ou 1 178, et par con-
séquent antérieure à la précédente, aurait dû être placée dans
la première partie , contenant les lettres écrites par Etienne
étant abbé de Saint-Euverte.
C'était l'usage que les papes et les cardinaux assignassent
Tome XF. Y y Y
538 ETIENNE DE TOURNAI.
XH SIECLE. , , 1 , ,. ,
a de pauvres clercs des prébendes dans les églises de France,
et à d'autres des pensions alimentaires dans les monastères,
Ep.»i.48,al.G7. p^yj. [^^ .jj,j^,j. ^ suivre le cours de leurs études. La lettre 48
au pape Alexandre III prouve cet usage, et peut servir à
fixer la valeur du sou parisis, et quel était alors le prix des
denrées. Le pape ayant demandé, que la pension alimentaire
fût payée en argent par l'abbé de Sainte-Geneviève, l'avait
EpUt 5o',al.68! ^^^*^^ ^ ^^^^ *^"* P'"^^ '"^'^ ^'^^ lettres 49 et 5o au cardinal
Albert, chancelier de l'église romaine, n'ont pas d'autre objet
que ces sortes de pensions.
L'abbé de Corbie (c'était apparemment Hugues de Péronne)
eut une grande contestation avec ses religieux touchant l'ad-
ministration des biens de l'abbaye. Le roi ayant chargé le
comte de Flandre et huit abbés de terminer ce diffërend,
il fut fait un accommodement entre les parties ; mais bientôt
après, les religieux se croyant lésés, portèrent cette affaire
au tribunal du pape, qui n'est pas nommé. L'abbé de Sainte-
Epist.54,al.79. Geneviève écrivit alors à Rome en faveur de celui de Corbie
la lettre 54; et s'il faut s'en rapporter aux auteurs du Gallia
Gall. Christ. Chiistiatia , qui ne citent aucune autorité, le pape Alexandre
t.x, col. 1276. donna gain de cause aux religieux.
Etienne ayant avec les moines de Long-Pont , diocèse de
Soissons , un procès qui devait être jugé à l'officialité de
rpisi.56,al.7/,. Reims, rend compte a l'archevêque Guillaume (lettre 56)
de ce qui s'était passé à l'audience; et comme à sa demande
l'affaire avait été ajournée, et qu'il comptait beaucoup sur
la protection du prélat, il le prie de faire en sorte d'être pré-
sent au jugement. « Je crois bien , dit-il , que les cisterciens
sont du nombre de ceux qui ravissent le ciel par violence;
mais je n'ai lu nulle part qu'il leur soit permis de ravir le
bien cl'autrui , même sous prétexte de faire des aumônes. »
j;:pisi.58,al.77. L'archevêque de Sens voulant exercer un droit de procu-
ration ou de gîte sur l'abbaye de Saint-Euverte , ainsi que
sur trois autres abbayes de la ville d'Orléans, et cette affaire
ayant été portée au tribunal du pape, Etienne, tant en .son
nom qu'en celui de Hugues, abbé de Saint-Barthélemi de
Noyon, l'un et l'autre chanoines profès de Saint-Euverte,
Epist.Sg.ai.TS. atteste au pape, dans les lettres 58 et 59, que jamais de leur
temps les archevêmies de Sens n'avaient joui de ce droit, et
qu'il appartiendrait à plus juste titre à l'évêque d'Orléans,
qui cependant n'y formait aucune prétention.
Episi.6o,al.79. A l'occasion du procès qu'un célèbre professeur nommé
XII SIECLIE,
ETIENNE DE TOURNAI. 539
maître Simon soutenait au tribunal de rarchevêque de Reims
contre un e'vêque qui n'est pas nomme', notre auteur fait de
l'archevêque Guillaume, eu lui recommandant cette affaire,
un bel éloge de la protection que ce prélat accordait aus.
gens de lettres, les attirant de tous les pays du monde au-
près de lui , et les comblant d'honneurs et de richesses. La
lettre ne dit pas qui était ce Simon, ni contre quel évêque
il plaidait. Nous sommes portés à croire que c'était Simon
surnommé de Tournai, célèbre par ses écrits, lequel ayant
obtenu une prébende dans le chapitre de cette église, éprou-
vait dos difhcultés de la part de l'évêque. Tel est le sentiment
de Duboulay; mais non celui de D. Rivet, qui ayant mal i >st- ""'^
saisi le sens de cette lettre, suppose que l'abbé de Sainte- ,^"'' ' '^"
Geneviève sollicitait pour maître Simon la charge d'écolâtre Hist. Litiér
de l'église de Reims, sans faire connaître autrement ce t.ix.p. 34-
personnage.
Dans la lettre 6i , Etienne dénonce au pape les désordres Epist.6i,al.8o.
qui régnaient à Soissons dans l'abbaye de Saint-Jean-des-
Vignes, et prend la défense de l'abbé Hugues, qui ,. pour
maintenir la discipline régulière, se croyait en droit de des-
tituer les chanoines pourvus de prieurés-cures. L'évêque de
Soissons , à qui appartenait le droit de les instituer , se dé-
clara pour les obédienciers, et soutint contre l'abbé un procès
dont il est parlé dans plusieurs lettres de notre auteur. Celle- Epist.gSetiaS.
ci fut écrite après le concile de Latran de l'année 1 179; mais
on ne peut dire si ce fut au pape Alexandre III ou à Lucius,
son successeur, parce qu'elle n'a pour toute adresse que ces
mots : Summo pontifici.
Le cardinal Vivien avait envoyé un exprès à notre abbé, Eplsi.62,al.8i.
touchant quelque affaire dont on n'explique pas le sujet. La
réponse provisoire d'Etienne est contenue dans l'épître 62,
qui paraît avoir été écrite pendant que ce cardinal exerçait
la légation en Ecosse et en Irlande, c'est-à-dire l'année 1177
ou la suivante , selon Roger de Hoveden.
Etienne avait un parent qui par dévotion faisait le voyage Epist.63,al.8a.
de la Terre -Sain te, peut-être à la suite du comte de Cham-
pagne, Henri-le-Libéral, qui partit l'an 1 179. Etant connu
d'Héraclius , évêque de Césarée , avec lequel il avait étudié à
Bologne , il lui écrivit la lettre 63 pour lui recommander son
parent.
La lettre 64 à l'évêque de Saint-George ou de Lydda n'a Epi5f.64,al.83.
pas d'autre objet. Notre auteur avait connu ce prélat nommé
Yyya
XII SIECLE
54o ETIENNE DE TOURNAI.
Bernard, lorsqu'il vint en Franee l'an ii74i envoyé de la
part du roi et du patriarclie de Jérusalem , afin d'obtenir des
secours pour les chrétiens de la Terre- Sainte. Nous avons
les lettres dont il fut porteur, dans le tome II de l'Amplissime
collection de D. Martène, col. 994 1 996 et 997.
Epist65,al.8/,. Jean de Salisburi, évêque de Chartres, avait excommunié,
comme délégué du pape, les membres de la commune de
Meaux établie, l'an 1179, par Henri-le- Libéral, comte de
Champagne et de Brie ; mais l'évêque de Meaux négligeait
de metti'e à exécution la sentence. C'est pourquoi l'abbé de
Sainte-Geneviève écrivit k un Orléanais de ses amis , nommé
Jean , alors un des secrétaires du pape, la lettre 65 , le priant
de faire en sorte que le pape confirmât la sentence. L'auteur
parlant de Jean de Salisburi comme n'existant plus, ùonce
Tncnioviœ , il s'ensuit que la lettre. est au plutôt de l'an 1182.
Episi.66,al.85. l-^a suivante au pape Alexandre III nous instruit de ce qui
se passait à Blois relativement au clergé de la ville. Les cha-
noines de Saint-Sauveur ayant refusé d'embrasser la vie
commune, furent contraints d'abandonner leur église par
ordre du comte Thibaud-le-Dévot , au grand contentement
des chanoines réguliers de Bourg-moyen , qui par là deve-
Petii Bies. naient le clergé dominant dans la ville. Le premier soin de
epist. ii/i;ibid. j^an de Salisburi , en montant sur le siège de Chartres, fut
epist. 78. jg faire rentrer dans l'église de Saint-Sauveur, devenue dans
ces derniers temps l'église cathédrale , ce qui restait de cha-
noines dispersés , et Pierre de Blois s'empressa de le féliciter
sur cette opération. L'abbé de Sainte-Geneviève, au contraire,
partisan des chanoines réformés , employait le crédit qu'il
avait à Rome pour faire échouer cette entreprise, ou du moins
pour empêcher les nouveaux chanoines de rentrer dans leurs
^ Epi»t. 67, al. jjj,(,içj^5 droits : ce qui paraît être l'objet de la lettre 67.
j-pist.68,al.86. La lettre 68 à Jean de Belmeis, évêque de Poitiers, est
relative aux vexations qu'éprouvait ce prélat de la part de
Richard, duc d'Aquitaine, fils de Henri II, roi d'Angleterre.
Ce prince que l'auteur appelle un jeune tyran, s'était emparé
du château de l'Angle, appartenant à l'église de Poitiers,
comme cela est expliqué d'après un acte rappoité dans le
T.V.col. j3o4. glossaire de Ducange au mot Reliquiœ. L'objet de la lettre
d'Etienne est d'encourager le prélat , qui avait jeté l'interdit
sur les terres du duc , à tenir ferme sans rien abandonner de
ses droits.
Epist. 70, al. 88. La suscription de la lettre 70 à Guillaume, archevêque
ETIENNE DE TOURNAI. 54t
, ^ ^ ..-,.' ^ • 1 ^ j c '•, XII SIECLE.
de Sens, est fautive. C est a Giu, archevêque de Sens quil ^
faut lire, d'après un manuscrit qui de la bibliothèque du
chancelier Seguier e'tait passé dans celle de Saint-Germain-des^
Prés , et par la raison qu'il y est parlé du légat Pierre ^
évêque de Tusculum, lequel ne fut nommé à cet évêché ' •
au'en 1 178. La lettre a pour objet de prémunir l'archevêque
e Sens contre un prêtre libertin , qui vivant d'une maniera
scandaleuse avec des religieuses de Villercel , monastère dé-^
Êendant de l'abbaye de Saint-Cyr, s'était pourvu à son tri-
unal contre la sentence d'interdit prononcée par le cardinal-
légat dans une lettre au doyen de l'église de Rouen, qui est Ei)ist.69,al.87<
la 69"^ du recueil.
Le même cardinal-légat avait chargé notre abbé de ré-»
pondre à la question de trois religieux de Grandmont, qui
poussés du désir d'atteindre à une plus haute perfection ,
étant entrés au noviciat de l'ordre de Citeaux dans l'abbaye
de Pontigni , se croyaient obligés de retourner à Grandmont
i)our accomplir leur premier vœu. Etienne les rassure dans
a lettre 71 , et leur prouve par de très-bonnes raisons, que Epist. 71,31.1,
bien loin de manquer à leur vœu, ils prenaient le plus sûr
moyen de l'accomplir exactement (i), et il envoya cette dé-
cision au cardinal-légat, avant que celui-ci pai'tît de France
pour l'Italie, c'est-à-dire l'an 1180 ou 1181, comme on le
voit par la lettre 72. La môme question fut proposée à Pierre Epist.72,aL85-
de Celles, abbé de Saint-Remi de Reims, et décidée d'après
les mêmes principes dans une lettre qui contient les noms
de ces trois religieux, dont le plus marquant était, à ce qu'on Spicil. 111-4°,
croit, Guillaume de Donjeon , des comtes de Nivernais, qui '■^^'P'i^'-
fut fait archevêque de Bourges l'an 1200, dont le nom fut
placé bientôt après dans le catalogue des saints , et que l'uni-
versité de Paris a choisi pour un de ses patrons.
L'an 1 181 , et non 1 178, comme l'a cru le P. du Molinet, Epist. 73,31.90,
Etienne fut envoyé par le roi Philippe- Auguste à Toulouse
auprès du cardinal-évêque d'Albano, légat du saint-siége,
qui faisait la guerre aux Albigeois dans le Languedoc. Par
suite de sa première erreur, l'éditeur nomme ce cardinal
(i) On lit dans cette lettre, p. 104 : Transfigurât se nonnunquam Sa-
thanas in angduui lucis , et vesicain pro laterna siinplicioribus tjendit.
Vendre des vessies pour des lanternes; locution singulière qui a passé
jusqu'à nous, et que notre auteur avait sans doute empruntée de quelquÊ
romancier.
54a ETIENNE DE TOURNAI.
XII SIECLE, r- .• ■ c ^ • ■ y > i.
(jautier, qui ne rut jamais légat en rrance; son vrai nom
était Henri, abbé de Clairvaux, avant qu'il fût fait évéqiie
T.xiv.p. 453. d'Albano l'an iiyr), comme nous l'avons dit ailleurs. Etienne
écrivant au prieur de Sainte-Geneviève , nommé Raimond ,
la lettre 78, y fait la celation de son voyage, des dangers
3u'il avait courus, et de ceux qu'il craignait encore de la part
es Cotereaux, des Basques, des Aragonnais, stipendiés par
les hérétiques du pays.
Mait.Anecd. . Vcrs le même temps , Etienne ayant été nommé commis-
t 111,001.907. ^ij^jj,^ délégué du pape Alexandre III, conjointement avec
Henri, évèque de 13ayeux, et le doyen de cette église, pour
instruire la procédure et entendre les témoins dans la grande
contestation des églises de Tours et de Dol touchant la di-
gnité métropolitaine de celle-ci; Etienne, disons -nous, écri-
Epist.74,al.9i. yit à l'évéque de Bayeux la lettre ^^i de laquelle il résulte
que les commissaires devaient s'assembler pour délibérer
s'ils procéderaient ou non à l'instruction de cette affaire,
apparemment parce que, dans cet intei-valle de temps, le
Mari. ibid. pa[)e Alexandre était mort. On voit en effet que son succes-
coi. yio. seur Lucius III nomma d'autres commissaires.
L'évéque de Poitiers, Jean de Belmeis, ayant été nommé,
l'an 1 181 , archevêque de Narbonne, et presque aussitôt ar-
chevêque de Lyon, l'abbé de Sainte- Geneviève , pour le
Epis*. 75,31.92. congratuler, lui écrivit la lettre ^5, dans laquelle l'auteur
parle de son voyage en Languedoc, fait par ordre du roi , et
de l'affreuse dévastation de cette province par suite de la
guerre contre les Albigeois. « Je vous estime heureux, dit-il,
de n'avoir plus rien à démêler avec la barbarie des Goths,
la légèreté des Gascons, et les mœurs cruelles et sauvages
de la Septimanie, oii il règne une mauvaise foi incroyable,
où Ion meurt de faim, oii le dol et l'affliction surpassent
tout ce qu'on peut imaginer. J'ai vu en passant ce malheu-
reux pays , lorsque le roi m'y a envoyé il n'y a pas long-
temps, et par-tout j'ai aperçu l'image effroyable de la mort,
des églises presque renversées ou réduites en cendres, d'autres
ruinées jusques dans leurs fondemens, et les habitations des
hommes devenues le repaire des bêtes. Je n'ai pu penser sans
frémir que c'est là qu'on voulait vous établir. » L'auteur
parle ensuite d'un des neveux du prélat, déjà archidiacre
(de Poitiers vraisemblablement) dont il prenait soin à Paris.
Epist.79,ai.y6. Dans la lettre 79 à Absalon , archevêque de Lunden en
Danemarck , l'auteur lui annonce qu'un neveu du prélat,
ETIENNE DE TOURNAI. 543
, ,,. • 1 r • r • 1 1 • -, XII SIECLE.
nommé Pierre, venait de luire profession de la vie canoniale
à Sainte- Geneviève. — Dans la suivante au même prélat, Epist.8o,al.97.
considérant la mauvaise santé de ce jeune homme, il le ren-
voie en Danemarck , après lui avoir recommandé de se com-
porter selon le nouveau genre de vie qu'il avait embrassé,
et sur- tout de fréquenter la communauté de génovéfains
établie au Paraclet dans le diocèse de Rochilden. Nous ver-
rons plus bas ce même Pierre ëvèque de cette ville et chan-
celier du royaume.
Le chancelier de France Hugues de Puiseaux {de Puteaco) uj^^y "^^"'"J"'"
était bâtard, fils de Hugues, évêque de Durham en Angle- ' ' '"^"i' "'
terre. Ce vice de naissance lui fermait les portes de beaucoup
d'églises de France. L'abbé de Sainte- Geneviève fut chargé
d'écrire au pape pour lever cet obstacle. C'est l'objet de la
lettre 82 à Lucius III, dans laquelle il fait l'éloge du chan- Epist.8a,al.99.
celier et des services qu'il rendait à l'église dans un poste
où il pouvait lui faire beaucoup de mal.
Le roi d'Angleterre Henri II avait admis dans sa chapelle
un neveu du pape Alexandre 111. Ce jeune clerc nommé
Gentil étant mort à Paris et enterré à Sainte -Geneviève,
avait disposé de tout ce cpi'il avait, et des bienfaits qu'il
avait reçus du roi d'Angleterre. L'abbé de Sainfe-Geneviève
écrivit donc au monarque anglais la lettre 84, le priant de Epi5t.84,al.
consentir, ne fût-ce que pour honorer la mémoire de l'oncle, '°^'
à l'exécution des dernières volontés du défunt.
Etienne, dans la 85*', écrite à detix Orléanais appelés Guil- Episi. 85, al.
laume et Robert, cjui étaient devenus écrivains ou notaires '''^'
en cour de Rome , dit qu'en général les Orléanais faisaient
plutôt fortune chez l'étranger que chez eux : Soient pleriqiie
Aurelianenses aurei in ter aliénas esse, qui nec argentei fue-
rant inter suos. En leur recommandant ses propres affaires,
il les exhorte à la modestie et à une exacte probité, comme
à de vrais moyens de se maintenir dans leurs charges. Il y
avait encore à Rome un autre Orléanais nommé Jean, attaché
au paj^e comme écrivain, auquel notre abbé écrivit la lettre 65.
Le curé ou chapelain de Saint-Benoît à Paris étant en Ep!&t. 8^,al.
procès avec les chanoines de la même église touchant le lieu '"'''•
oii il exerçait les fonctions curiales, notre abljé prend la
défense du curé dans la lettre 86 au pape Lucius. et nous
apprend que cette église était alors orientée tout autrement
quelle n'est aujourd'hui, c'est-à-dire que l'autel était au
544 ETIENNE DE TOURNAI.
1 couchant et non au levant du soleil , parce que l'entrée prin-
cipale était sur la rue Saint-Jacques.
Suprà, p. 539. Nous avons dit plus haut, en. rendant compte de la lettre
6r, qu'il existait un conflit de juridiction entre Nivelon ,
évêque de Soissons, et l'abbé de Saint- Jean des Vignes,
nommé Hugues, relativement aux chanoines réguliers pour-
EpU^.95,al. vus de bénéfîces-cures. Le pape Lucius avait confié la déci-
"^' sion de cette affaire à Maurice, évêque de Paris, et au doyen
de Saint-Gcrraain-l'Auxerrois, lesquels avaient donné gain
de cause à l'abbé; mais ni l'évêque ni les religieux ne défé-
raient à la sentence. C'est de quoi l'abbé de Sainte-Geneviève
se plaint au pape dans la lettre 96.
Epist. 100 , Etienne ayant été chargé par le pape de contraindre par
"'• ■*°- les censures ecclésiastiques l'évêque d'Orléans Manassès, à
solder une dette que ce prélat avait contractée , ou dont le
pape, selon l'usage, lui avait impQgié le fardeau, envers un
acolyte de l'église romaine , nommé Benoît ; notre abbé
conseille au prélat de s'exécuter de bonne grâce, parce qu'au-
trement il serait obligé , à son grand regret , d'employer
contre lui les voies de rigueur, pour ne pas désobéir au pape.
Epist. loi , Le pape Lucius III ayant mandé à Rome l'archevêque de
»l. m. Reims, Philippe-Auguste lui expose, dans la lettre loi parmi
celles de notre auteur, qu'il ne peut au commencement d'un
règne orageux se passer des conseils du prélat son oncle,
soit pour faire la paix, soit pour continuer la guerre avec le
comte de Flandre. Cependant comme le roi avait à cœur
l'affaire pour laquelle 1 archevêque était mandé, il envoie au
pape l'abbé de Sainte -Geneviève, investi de ses pouvoirs,
pour traiter en son nom.
On ne sait à qui sont adressées les lettres 102 et io3, que
le P. du Molinet a publiées pour la première fois d'après le
manuscrit de Saint- Martin de Tournai. Il s'agit dans l'une
et dans l'autre de rixes qui s'étaient élevées entre des neveux
de papes et de cardinaux étudiant à Paris, sur le compte des^
quels l'abbé de Sainte-Geneviève avait été chargé de prendre
Ppist. 101. des informations. Dans le manuscrit 2923 de la bibliothèque
Royale, la lettre 102 est adressée au cardinal Octavien. Ce
^ qui avait donné lieu à la rixe, c'est que des écoliers de la
Pouille, à la tête desquels était un neveu du pape Grégoire
VIII, alors défunt, étaient accusés d'avoir écrit en cour de
Rome des lettres infamantes contre quelques-uns de leurs
XII SIECLE.
ETIENNE DE TOURNAI. 545
camarades romains, dont un neveu du pape régnant, c'est-
à-dire de Cle'ment III, et l'autre du cardinal Hyacinthe,
successeur de Clément. On voit par-là que cette lettre ne
peut avoir été écrite, au plutôt, que l'an 1 188.
La suivante écrite au cardinal Albert , chancelier de l'église Epist- ïo3.
romaine, qui fut pape sous le nom de Grégoire VIII, doit
être d'une date plus ancienne que la précédente. Il s'agit
dans celle-ci de deux neveux d'Albert, désignés dans l'im-
primé par les lettres B. et E. , et dans le manuscrit par B et
Th. Ces jeunes gens étant brouillés ensemble, l'abbé de
Sainte-Geneviève les fit venir chez lui, et n'eut pas beaucoup
de peine à les remettre d'accord. C'est ce qu'il marque au '
cardinal dans la lettre io3; mais il ne se charge pas de veiller
sur leur conduite, comme le cardinal l'aurait désire.
Les lettres 107, 108, 109, iio, sont relatives à la contes-
tation qui existait depuis long -temps entre les églises de
Tours et de Dol touchant la juridiction métropolitaine sur
les évêchés de la Bretagne-Armorique. Le roi Philippe-Au-
guste instruit que le pape Lucius III voulait reprendre la
procédure commencée par son prédécesseur, fit écrire en
son nom la lettre 107, aans laquelle l'abbé de Sainte-Gene- Epist. 107,
viève, après avoir rappelé au pape les services signalés rendus '*■*■
par la France aux souverains pontifes , et en dernier lieu au
pape Alexandre et à lui-même, le roi expose qviels dommages C
résulteraient pour l'intégrité du royaume , si l'archevêque
de Tours perdait sa cause. Il demande en conséquence qu'il
soit sursis à la décision de ce procès.
Le pape, sans égard à la demande du roi, ayant nommé Mart.Anecd.
des commissaires pour procéder à l'instruction du procès, tin,col. 91
le roi justement indigné qu'on lui eût refusé une si mince
faveur, fit écrire au pape la lettre 108, pleine de i-eproches
et de menaces. « Considérant, dit-il, dans le refus que vous ï:i)ist. io8,
avez fait d'accorder, à notre demande, un sursis à l'église de ^'- '*^-
Tours relativement à sa dignité métropolitaine sur la Bre-
tagne, que vous n'avez plus pour nous et pour la nation
française des entrailles de père , quoique de tout temps elle
ait été inviolablement attachée au saint-siége , et qu'à notre
confusion vous vous êtes montré inexorable , nous prenons
a témoin le ciel et la terre que nous serons justifie devant
Dieu et devant les hommes, s'il arrive qu'ayant besoin de ^
nous, nous fermions l'oreille à vos demandes. Nous atten-
dions de vous la paix , et vous nous envoyez la dissension ;
Tome Xy. Zzz
10.
546 ETIENNE DE TOURNAT,
xïi siEr'Lr
_ car troubler l'église de Tours dans la possession où elle est
détendre sa juridiction métropolitaine sur la province de
Bretagne, n'est-ce pas vouloir mutiler indignement notre
royaume, nous ôter la couronne et la fouler aux pieds? Vou-
loir ériger dans cette province un archevêque, et le sous-
traire à la juridiction du métropolitain, n'est-ce pas nous
priver de 1 héritage de nos pères, comme des lâches inca-
pables de défendre nos droits? Si cela arrive (nous le disons
devant Dieu), nous ne vous regarderons plus comme un
vrai père, et nous serons dispensés de vous traiter en véri-
tables fils. Ce trait nous percera jusqu'au cœur ; dépouillés
de notre héritage, nous ne cesserons de crier et de nous
plaindre, jusqu'à ce que nous obtenions de la part de Dieu
ou des hommes vengeance de l'avilissement dans lequel vous
nous aurez plongés. Ce n'est pas nous seulement que ce trait
blessera ; tous les barons du royaume prendront fait et cause
pour ilous, et vous serez responsable de tout le sang qui
sera répandu, et de la guerre interminable qui désolera im-
manquablement le royaume. On peut juger de ce qui arrivera
par ce qui a été fait : comme dans l'ancien temps il y eut
beaucoup de sang répandu pour soutenir une prétention
semblable, de même, si vous n'allez au-devant du mal dont
nous sommes menacés , nous verrons se renouveler de nos
jours entre les Français et les Bretons en général les combats
et les massacres. Or il est plus expédient de prévenir ce
malheur pendant qu'il en est encore temps , que d'être dans
le cas de punir les coupables, lorsque le mal sera fait. »
£pisi. 109, Le roi ht écrire dans le même sens la lettre 109 au car-
al. 127. dinal Octavien , qui apparemment avait plus d'influence en
cour de Rome. De son côté Guillaume, archevêque de Reims,
Epist. 110, adressa au cardinal Melior la lettre 110, parce qu'on crai-
«). 128. gnait que ce cardinal, camérier du pape, ne fût favorable à
l'évêque de Dol, son compatriote, nations conjunctus , qui
lui-même venait d'être élevé au cardinalat. Le résultat de
toutes ces démarches fut la suspension du procès accordée
par le pape Urbain III, dont on voit les lettres au tome HI
des pièces anecdotes de D. Martène, col. 91 1.
Epist. III , La lettre ma Absalon, archevêque de Lunden, ne parait
al. 119. pas être à la place que devait lui assigner l'ordre chronolo-
gique. Elle est d'une date certainement antérieure à la 79*,
dans laquelle l'auteur annonce au prélat danois que son
neveu nommé Pierre venait de faire profession de la vie
ETIENNE DE TOURNAI. 547
canoniale à Sainte -Geneviève, et à la 80" an même prélat, ._j,
portant qu'à raison de sa mauvaise santé , il était obligé de
l'envoyer en Danemarck dans l'abbaye du Paraclet. Or , dans
la me, l'auteur instruit le prélat du genre d'études auquel
on appliquait ce jeune homme, et des espérances qu'il fai-
sait concevoir : ce qui n'est applicable qu'a un commençant
entrant dans la carrière. En terminant cette lettre , l'auteur
voulant faire présent au prélat d'une chose rare, lui envoie
un flacon de thériaque du Levant, qu'il avait reçu, dit-il, de
l'archevêque de Mamistra, lancienTie Mopsueste (i), son ami,
et comme lui chanoine régulier.
Si l'on n'eût pas interverti l'ordre des épîtres 99, io4,
112, on en saisirait beaucoup mieux le sens. On voit par la
lettre 1 12 au prieur de Sainte-Geneviève, que l'auteur étant Epist- 112.
incommodé des accès de fièvre, s'était retiré à Marisi dans ^'- '^<'-
le Soissonnais , terre dépendante de son abbaye; dans la 99*= Epist.99, al.
il dit qu'étant mandé par l'archevêque de Reims, il était "9-
retourné , malgré sa maladie , à Paris , pour de là se trans-
Forter à Troyes en Champagne; dans la lo^*', que les accès Epist. 104,
avaient repris en chemin, et qu'enfin arrivé à Troyes, après "'■ '**•
avoir conféré avec l'archevêque, il s'était retiré à Clairvaux
pour soigner sa santé, et prendre du repos. Il est évident
que la lettre i la devait être placée avant la 99«.
Dans la lettre ii3, l'abbé de Sainte - Geneviève renvoie Epîst. ii3,
au cardinal Laborans, savant jurisconsulte, la décision d'un "^^ '^^"
cas embarrassant concernant un prêtre du diocèse d'Amiens,
qui revêtu de la charge de procureur fiscal au nom du
comte de Flandre , croyait pouvoir exercer en cette qualité
la justice civile et criminelle, imperium mixtum , sans dé-
roger aux canons, parce que ne prononçant jamais des peines
atïlictives , il renvoyait les coupables au tribunal de la com-
mune d'Amiens, qui seule avait le droit de juger en ma-
(i) Il y a dans rimpriméaé archiepiscopo Mamertino, Antiocheni patriar-
chœ suffraganeo. L'éditeur prétend que c'est ainsi que s'appelait autrefois
la ville de Messine en Sicile. Mais peut-on imaginer qu'un évêque de
Messine fût suffragant d'Antioche de Syrie .!* Cet archevêque de Mamistra
est vraisemblablement le même qui fut envoyé en France, l'an ii63
par Amauri, roi de Jérusalem, et dont il est parlé dans deux lettres au
roi Louis-le-Jeune (Duchesne, t. IV Rer. Fran. p. 689 et 692); mais son
nom n'y est pas exprimé. C'est alors vraisemblablement qu'Etienne fit
connaissance, et se lia d'amitié avec lui.
Zzz 2
al. i33.
Ô48 ETIENNE DE TOURNAI.
. — ■ ' tière criminelle. L'auteur demande si en pareil cas il n'est
pas^ permis de tempérer la rigueur des canons.
Etienne était souvent délégué par les souverains pontifes
pour mettre à exécution leurs brefs. C'est en cette qualité
de délégué qu'il écrivit au doyen et au chapitre de Sainte-
Epist. ii4, Croix d'Orléans la lettre ii4, en faveur d'un clerc de leur
église, porteur de lettres qu'il avait obtenues à Rome. — La
Epi»t. ii5, lettre suivante est adressée à l'écolâtre de la même église^
qui refusait à un clerc, le même peut-être dont nous venons
de parler, la permission d'enseigner dans la ville. L'auteur
lui ordonne de se rendre à Paris pour motiver son refus , s'il
nejuge pas à propos d'obtempérer aux ordres du pape.
Epist. 116, Les lettres 1 16 et 117 à Guillaume, archevêque de Reims,
"^ È^ft *^"* pour objet le soulagement de deux villageois qui éprou-
al. i35. ''' valent des vexations de la part des prévôts du roi.
Renaud de Bar, neveu, par sa mère, de l'archerêque de
Reims , à son avènement à l'épiscopat de Chartres , avait
ordonné, vers l'an 1186, une collecte extraordinaire sur
toutes les églises du diocèse. L'abbé de Sainte -Geneviève,
Epist. ii3 , dans la lettre 1 18, lui représente que ses confrères desservant
le prieuré de Choisi -aux -Boeufs sont fort pauvres, et que
dans d'autres diocèses , dans ceux de Paris et de Soissons »
les chanoines réguliers sont exempts de pareilles taxes.
Epist. lai, Le pape Urbain III étant monté sur le trône pontifical
al. i/,o. vers la fin de l'an 1 186 , l'abbé de Sainte-Geneviève qui avait
eu l'avantage de le connaître pendant son cours d'études à
Bologne, s'empressa de le féliciter dans la lettre lai, et de
lui offrir ses services en tout ce qui pourrait intéresser l'église
romaine.
Epist. 122 , On voit, par la lettre 122, que notre abbé avait un frère
al. 141. nommé Etienne comme lui ; et, par la iSo*, un neveu nommé
al. 66.'*' ' '*' Pierre, lequel avait embrassé la vie canoniale à Saint-Barthé-
lemi de INoyon.
L'abbé de Sainte-Euverte ayant à se plaindre des vexations
qu'il éprouvait de la part des officiers du roi , s'était retiré
auprès de l'abbé de Sainte- Geneviève, et avait obtenu par
.son crédit des ordres émanés du trône, auxquels ces offi-
ciers, sous divers prétextes, refusaient d'obtempérer. Nos
deux abbés saisirent l'occasion du sacre de Henri de Dreux ,
évêçjue d'Orléans, qui devait se faire à Reims l'an 1 186, pour
intéresser les deux prélats dans leur querelle. Etienne écrivit
Epist. 12/,, au nom de l'abbé de Saint-Euverte la lettre 124 à l'évêque
.il. 143.
al. i36.
ETIENNE DE TOURNAI. 549
d'Orléans, et en son propre nom la lettre laS à Berthier,
archidiacre de Cambrai, l'homme de confiance de l'arche- ï'-P'*'- «a^,
vêque de Reims, lui recommandant de profiter de la solen- " ' "*^"
nité du jour du sacre pour obtenir des deux prélats leur
intervention dans cette affaire.
Rolan de Dinan , seigneur breton, se voyant sans enfans Ep^«- 126,
et dégolîté du monde, avait consacré une partie de ses biens -^ ' '^■*'
à bâtir un monastère pour des chanoines réguliers près de
son château de Beaulieu. L'abbé de Sainte-Geneviève, en lui
envoyant des sujets pour l'habiter, lui recommande de pour-
voir à leur subsistance de manière à n'être pas obligés de
mendier, et à n'être pas troublés dans leur possession.
Dans la lettre 127 à Guillaume, archevêque de Reims, T^inst. 127,
l'auteur nous apprend que le roi Philippe -Auguste l'avait
chargé de faire un voyage environné de dangers effrayans,
dont le résultat cependant devait être fastueux : Cujus for-
midolosa sunt initia , periculosa média , novissima fastiiosa.
L'éditeur pense qu'il s'agit là d'un voyage à Rome, mais rien
dans la lettre n'autorise cette interprétation. Quoi qu'il en
soit, l'archevêque de Reims, tout en le plaignant, lavait
encouragé à entreprendre ce voyage; mais heureusement
pour lui, lorsqu'il se présenta jx)ur prendre congé, le roi
changea d'avis , et le remercia de sa bonne volonté.
Pour entendre la lettre 128 à Nivelon de Chérizy , évêque Epist. nS,
de Soissons, il faut consulter une charte de ce prélat, rap- ^'' "im-
portée dans l'histoire de l'abbaye de Saint-Jean-des-Vignes
par Charles-Antoine de Louen, p. 3oi. Nivelon, dans cette
charte, fait en abrégé l'histoire du différend qui s'était élevé
entre lui et l'abbé de Saint-Jean-des-Vignes, au sujet des
chanoines réguliers pourvus de cures dans son diocèse. Nous
avons vu plus haut, en rendant compte de la lettre gS, que Supràp. 544.
le pape Lucius III avait confié la décision de cette affaire à
l'évêque de Paris et au doyen de Saint-Germain-l'Auxerrois,
lesquels avaient donné gain de cause à l'abbé. Mais l'évêque
et les religieux curés avaient appelé de la sentence au pape.
Les deux parties ayant plaidé leur cause en cour de Rome ,
consentirent enfin à un arbitrage par lequel l'abbé promet-
tait de renoncer aux cures , et de recevoir dans sa maison les
usages de Saint- Victor de Paris. C'est dans cet état de choses
que l'abb» de Sainte-Geneviève écrivit à Nivelon la lettre 128,
lui annonçant qu'il allait envoyer de ses religieux à Saint-
Jean-des-Vignes , si le prélat se chargeait de les y installer
XH SIECLE.
55o ETIENNE DE TOURNAI.
avec honneur. Cet arrangement n'eut pas lieu , ou fut de
courte durée, parce que les religieux ne la maison, désa-
vouant ce qui avait été fait sans leur participation , se pour-
vurent à Rome contre cet arbitrage, et obtinrent du pape
Urbain III un rescrit qui autorisait l'évêque à rétablir les
choses comme elles étaient avant la contestation : ce qui fut
fait l'an 1187.
EpUt. 129, La lettre 12c) à Guillaume, archevêque de Reims, a pour
objet de faire lever l'interdit que l'évêque de Senlis avait jeté,
pour un très-mince sujet , sur la paroisse de Borret , dépen-
dante de Sainte -Geneviève; et à cette occasion l'auteur se
récrie sur la légèi'eté avec laquelle les prélats lançaient les
foudres de léglise.
Epist. i3i, Dans la lettre i3i,il fait la description d'un beau cheval
al. 149. danois qui lui avait été envoyé par son confrère Guillaume ,
abbé du Paraclet dans l'île de Zélande, et il en parle en
homme qui se connaissait en chevaux.
Depuis l'an 11 85 jusqu'à 1188 il y eut dans l'ordre de
Granclmont, qui jusques-là caché dans les solitudes avait
/ joui d'une grande réputation de sainteté , des troubles qui
le donnèrent en spectacle au monde, et faillirent à le ren-
verser. Les frères lais se croyant supérieurs aux clercs , parce
qu'ils étaient en plus grand nombre, et qu'ils avaient la ma-
nutention du temporel , après avoir déposé le supérieur gé-
néral de l'ordre dans la personne de Guillaume de Trahinac,
et en avoir créé un autre à leur fantaisie, en vinrent à cet
excès qu'ils chassèrent de leurs monastères les religieux
clercs qui ne voulurent pas reconnaître, ce dernier. Pendant
cette querelle monastique, C|ui donna de l'occupation à la
cour de Rome et à celle de France, l'abbé de Sainte-Gene-
viève eut occasion d'écrire plusieurs lettres dont nous allons
^ rendre compte.
Le pape Urbain III avait confié la décision de cette affaire
aux abbés de Cîteaux et de Clairvaux , qui après une mure
délibération , pour concilier tous les intérêts et rétablir la
paix, avaient pour ainsi dire coupé en deux l'ordre de Grand-
mont, en assignant aux clercs une vingtaine de raabons
distinctes de celles qu'occupaient les frères lais. Cet arrange-
ment déplut aux frères , qui se sentant appuyés par des gens
en place, n'eurent aucun égard à la sentence, ^t deman-
dèrent au pape d'autres commissaires. A cette époque, l'abbé
Epist. i34 , de Sainte-Geneviève écrivit aux abbés de Cîteaux et de Clair-
al. i53.
ETIENNE DE TOURNAI 5ji
vaux la lettre i34, pour presser l'exécution de leur sentence '_ 1_L.
portant excommunication contre ceux qui y contrevien-
draient. Mais ayant appris qu'ils ne pouvaient plus aller en
avant^ parce que le pape avait nommé de nouveaux commis-
saires, il adressa au cardinal Albert, chancelier de l'église
romaine, la lettre i35, dans laquelle il expose l'état misé- Epist. i35,
rable auquel étaient réduits les clercs, sans asyle, et à la *' *^'-
charge de ceux qui les avaient recueillis. Dans cet intervalle
le cardinal Albert ayant été élevé au souverain pontificat sous
le nom de Grégoire VIII, notre auteur lui écrivit au nom
du prieur de Grandmont déposé , la lettre 1-44 i dans Epist. 14,.
laquelle il demande pour lui la protection dont il l'avait
honoré étant cardinal; et dans une autre lettre que nous
avons sous les yeux , et qui n'a pas été imprimée , écrivant
en son propre nom au même pape, il lui suggère les moyens
qu'il conviendrait d'employer pour rétablir la paix dans^ cet
ordre , et faire cesser le scandale.
Grégoire étant mort presque aussitôt après son élection,
le roi Philippe-Auguste prit sur lui de terminer cette affaire.
Ayant assemblé, l'an 1187, les barons et les évèques du ^■:
royaume , il fit un règlement qui devait mettre d'accord les is
deux parties. Ce fut alors vraisemblablement que les clercs Mart.Anecd.
rentrèrent dans quelques-uns de leurs monastères ; car dans *• ^' '^°'- ^^°-
la lettre i38, ils remercient par l'organe de notre abbé celui Epist. i38,
de Ckeaux de leur avoir donné asyle pendant leur disper- '' • * ^•
sion. Mais cette paix ne fut pas de longue durée : la plupart
des frères lais désavouèrent ce qui avait été fait en leur ab-
sence. C'est de quoi se plaignirent au pape Clément III, dans
la lettre i43 , les abbés de Saint-Denis, de Saint-Germain, de Epist. 143 ,
Saint-Victor, et de Sainte-Geneviève, qui vraisemblablement ^^' '^^"
furent les instrumens dont le roi s'était sçrvi. L'abbé de
Sainte-Geneviève écrivit en même temps au pape, de l'aveu du
clergé de France, une lettre non encore imprimée (i), laquelle
a deux objets. Il se plaint d'abord des taxes et décimes dont
on accablait le clergé. Mais ce malheur, dit-il, est peu de
chose en comparaison de celui qui afflige les cleixs de l'ordre
de Grandmont : il est tel que cet ordre ne pourra subsister,
si le pape ne réprime les entreprises révoltantes des frères
lais, et ne rétablit les clercs dans leurs droits. Nous avons
expliqué plus haut, à l'article de Gérard Ithier, comment Suprà p. 141.
le pape Clément III termina cette longue contestation. "^
(i) Elle l'a été t. X des Notices des manuscrits, 2* partie, p. 80.
552 ETIENNE DE TOURNAI.
Vif SIFCI F •
' A peine cette affaire è'tait-elle terminée que la cour de
Rome voulut reprendre le procès qui durait depuis si long-
temps entre les églises de Tours et de Dol, au sujet de la
juridiction métropolitaine sur les évêchés de Bretagne. Phi-
lippe-Auguste qui s'était toujours opposé à la décision de
cette affaire, étiiit j)arti pour la croisade : c'était à la reine-
mère , régente du royaume , de maintenir les tlroits de l'ar-
chevêque de Tours , et d'empêcher les Bretons de se sous-
traire entièrement à la domination française. Elle fit écrire
au pape Clément ou à Célestin, car le nom n'est pas exprimé,
Kpist. j/,0, la lettre i4o dont notre abbé fut le rédacteur. Elle expose
' ' ^' au souverain pontife que c'est offenser Dieu que de troubler
le royaume , pendant que le roi son fils expose sa vie pour
le service de la chrétienté ; que le roi , en partant , avait bien
recommandé qu'il ne fut apporté aucun changement dans
la constitution du royaume ; que l'église de Tours en étant
un membre des plus distingués, le roi et les grands du
royaume ne verraient pas sans indignation qu'on eût altéré
la hiérarchie ecclésiastique , particulièrement en ce qui con-
cerne l'église de Tours, que le roi voulait maintenir dans les
mêmes prérogatives dont elle jouissait du temps du roi Louis
son père. Cette remontrance fit son effet; il ne fut plus
question de reprendre ce procès jusqu'au pontificat d'Inno-
cent III. •
Epist. lAi, L* lettre i4i à Raoul de Serres, doyen de l'église de
al. 160. Reims , mal-à-propos surnommé le Noir par quelques mo-
dernes, est relative à la tentative inconsidérée que firent les
chanoines d'abdiquer ce qui restait parmi eux de l'ancienne
règle des chanoines , c'est-à-dire le réfectoire et le dortoir
communs. Quoique le doyen fût un homme austère et très-
zélé pour le mjiintien de la discipline, ses efforts étaient
impuissans, parce que l'archevêque gagné par de jeunes cha-
noines semblait favoriser le relâchement. L'auteur est pei'-
• suadé qu'il suffirait de faire une remontrance au prélat pour
le détourner d'un pareil projet qui ternirait la gloire de
l'église de Reiras , si recommandable })ar son attachement à
l'ancienne discipline. Cette lettre est fort belle; mais on la
Mctrop. Rem. trouve plus entière dans l'histoire de Reims de Marlot, parce
t. If, p. 433. que la collection ne contient que la minute ou le premier jet
de l'auteur, au lieu que dans le cartulaire de l'église de Reims
la lettre est revêtue des formules ordinaires, et présente dans
le texte des améliorations survenues pendant 1 expédition.
Après avoir envoyé en Danemarck un neveu d'Absalon,
ETIENNE DE TOURNAI. 553
archevêque de Lunden , nommé Pierre , qu'il avait formé L
aux lettres et à la vertu, et même reçu à profession dans Suprà,p. 543
son ordre , comme nous l'avons dit plus haut , Etienne ne
le perdit pas de vue; il s'étudia à cultiver par lettres ces
heureuses dispositions. C'est dans ce dessein qu'il lui écrivit
la lettre iSg, pleine d'éloges et d'une tendre sollicitude pour Epist. iSg.
lui. Il en écrivit en même temps une autre à l'archevêque de
Lunden , laquelle n'est pas moins à sa louange : il l'appelle , ^]"'' ^^®'
un nouveau Salomon , qui mériterait bien que le prélat son-
geât à le pourvoir d'un bénéfice convenable à la dignité de
sa naissance. C'est la lettre i5o, qui , comme on le voit, n'est
pas à sa place.
Bientôt après, ce jeune génovéfain s'étant plaint qu'on ^pist. 145,
médisait de lui à Sainte-Geneviève, Etienne le rassure dans
la lettre i45, protestant qu'on lui avait fait un faux rapport;
que toute sa communauté était pénétrée d'estime et de véné-
ration pour sa personne, et à cette occasion il l'instruit du
bon ordre qui régnait dans sa maison , et qu'il était tout
occupé de la restauration de son église.
L'archevêque de Lunden s'étant démis en faveur de son Epist, 146 ,
neveu de l'évêché de Roschild, l'abbé de Sainte- Geneviève *'• ^^^•
remercie le prélat d'avoir eu égard à sa recommandation ; et
comme il avançait dans les réparations de son église, il le prie
par une tournure aussi agréable qu'ingénieuse, de lui en-
voyer du plomb d'Angleterre pour la couvrir. « Puisque vos
ancêtres, dit-il lettre i46, encore barbares, en ravageant les
villes et les châteaux de France, n'ont pas même épargné
l'église des apôtres saint Pierre et saint Paul , où repose le
corps de la vierge sainte Geneviève , il serait bien juste que
leurs descendans devenus chrétiens contribuassent à la ré-
parer. » Et toujours monté sur le ton de la plaisanterie , fai-
sant allusion au plomb des bulles venant de Rome , qui coii-
tait fort cher: «Je vous demande, ajoute-t-il, du plomb
d'Angleterre , parce que l'autre , bien loin de rétablir les
églises, ne fait que les appauvrir, lllo plumbo nudantur ec-
ciesice , teguntur isto.
Il écrivit dans le même sens, et presque dans les mêmes Epist. 147,
termes, la lettre i47 à Valdemar, évêque de Sleswik, tou- *'• '^^•
jours pour demander du plomb d'Angleterre.
L'aBbé du paraclet en Danemarck étant un ancien membre Epist. 148,
du chapitre de Sainte -Geneviève , c'est encore à lui que »'• i^^-
notre abbé s'adressa , dans la lettre i48, pour avoir du plomb.
Torne XF. A a a a
554 ETIENNE DE TOURNAI.
XTÎ SIFCT F
'. 1 Ne connaissant pas personnellement l'evêque de Ripen^
EpUt. 149 , quoique ce prélat eût étudié à Paris , mais sachant qu'il était
' ' '■ bienfaisant et très-pieux , il lui recommande le religieux qu'il
envoyait en Danemarck pour recueillir des aumônes à l'effet
de rétablir son église.
Epist. i52, C'est dans le même dessein qu'il écrivit la lettre i5a à un
" ' ^ ^' prince de la famille royale de Danemarck, nommé Canut,
dont le frère Valdemar était mort et enterré à Sainte-Gene-
Anève. Il lui représente qu'ayant tout fait pour son frère,
avant et après sa mort , il serait temps que le prince en
témoignât sa reconnaissance, en contribuant pour le soula-
gement de l'ame du défunt aux réparations de l'église jadis
dévastée par ses ancêtres-, sur-tout en envoyant du plomb
pour la couvrir.
Epi»t. i53 , Il adresse la même prière , dans la lettre suivante, à Canut,
al. 170. J.Q- jjg Danemarck , espérant que le roi déterminera son pa-
rent Canut, lequel avait recueilli la succession du défunt
Valdemar, à se dessaisir d'une partie pour honorer la mémoire
de son frère.
Epist. i5/, , Dans la lettre 1 54 à Nivelon, évêque de Soissons, l'auteur
al. 171. déclame contre la dîme saladine, dont la ré|>artition- était
confiée auiX évèques, et supplie le prélat d'avoir égard à
l'état d'indigence de ses confrères les chanoioes de Saint-
Vast à la Ferté-Milon , auquel les avait réduits, depuis deux
ans , l'interdit que le prélat avait jeté sur les terres du comte
de Soissons.
Epist. i55, Les chanoines de l'église de Paris contestaient à ceux de
al. 172. Saint-Victor, au moins en partie, les revenus que ceux-ci
étaient en droit de percevoir , pendant un an, des prébendes
qui venaient à vaquer par mort. Le pape au tribunal duquel
1 affaire avait été portée , avait délégué fexécution de la sen-
tence aux évêques d'Arras et d'Amiens , et à l'abbé de Pruilly,
qui ne sont pas nommés. Ces commissaires outrepavssant
leurs droits, l'abbé de Sainte-Geneviève en porta des plaintes
Gali. Christ, au pape dans la lettre i55. Les auteurs du Gallia Christiana
t VII, col. 670. disent que ce pape était Alexandre III. Si cela était, il fau-
drait dire que la lettré est bien loin d'être à sa place; mais
il paraît qu'ils se sont trompés. Au reste, les successeurs
d'Alexandre III jusqu'à Innocent III ont occupé chaoïan le
saint siège pendant un si court espace de temps, qu'il est
difficile de décider auquel la lettre peut avoir été adressée;
Epist. i56, Il est encore question, dans la lettre i5G, des frères con-
al. 174.
XII SIECLE.
ETIENNE DE TOURNAI. 555
vers de l'ordre de Grandmont. Ces religieux discoles, pour
se venger des démarches que Gui, abbé de Vaux-Sernai,
avait faites contre eux en faveur des religieux-clercs par eux
chassés de leurs monastères, avaient terni sa réputation, et
séduit quelques abbés de l'ordre de Cîteaux, qui devaient
dénoncer au chapitre général l'abbé de Vaux-Sernai. Notre
auteur écrivant à Pierre , évêque d'Arras , auparavant abbé
de Cîteaux, lui découvre l'intrigue, et fait l'éloge de l'abbé
Gui.
La lettre lôy est adressée à Absalon , archevêque de Lun- Epist. iSy.
den, qui avait confié à notre abbé un dépôt d'argent. Ce
prélat ayant envoyé un de ses clercs pour le reprendre, avait
oublié d'envoyer en même temps une décharge. Etienne lui
écrit qu'il est prêt à le rendre, pourvu qu'on lui envoie une
décharge valable.
L'an 1 191 , le chapitre de l'église de Paris ayant élu Michel Epist. i58,
de Corbeil, doyen de l'église de Laon, pour remplir la même ^'' ^"^
dignité dans leur église, l'abbé de Sainte-Geneviève fut chargé
d'écrire au chapitre de Laon la lettre 1 58 , dans laquelle il
nous apprend que ce personnage avait été d'abord chanoine
de Paris , puis doyen de Meaux , ensuite de Laon , enfin de
Paris, et l'on sait qu'il fut fait archevêque de Sens l'an i ipS.
La lettre 169 à un de ses confrères, qui après avoir vécu Epist. iSg,
quarante ans a Saint-Euverte d'Orléans voulait se retirer ^'- *76.
dans la forêt de Bière ou de Fontainebleau pour y vivre en
solitaire, contient des avis pour quiconque voudrait embras-
ser ce genre de vie.
Il ne paraît pas que la lettre 162, relative au différend Epist. i6i,
aui s'était élevé entre Nivelon , évêque de Soissons , et l'abbé *'• '79-
e Saint-Jean des Vignes , au sujet des chanoines réguliers ^
pourvus de cures, dont il est parlé dans les lettres 61 , 95,
128, soit à sa place. Elle n'a pour titre que cette adresse
vague ^ summo ponti/lci ; mais il nous semble qu'elle fut écrite
au pape Lucius III , à l'époque où les deux parties allèrent
à Rome plaider leur cause. Dans cette lettre l'abbé de Sainte-
Geneviève atteste au pape que , selon l'usage des chanoines
réguliers de France, les abbés étaient en droit de retirer des
cures les sujets dont on avait besoin au chef-lieu, ou qui
méritaient correction. Nous pensons donc que cette lettre
aurait dû être placée avant la gS^ et la 1 28^.
La lettre 164 est une réponse à l'abbé de Clairvaux, qui Epist. 164,
s'était plaint que notre auteur l'avait diffamé, en publiant ^i. i83.
Aaaa a
556 ETIENNE DE TOURNAI.
L qu'un archidiacre de Meaux n'avait été reçu religieux à Clair-
vaux qu'en vertu d'un pacte simoniaque. Etienne nie avoir
jamais tenu un pareil propos.
Epist. i65, On voit par la lettre id5 à l'abbé de Cîteaux, qu'il était
al. i8/,. question d envoyer l'abbé de Vaux-Sernai, le même Gui
dont il est parlé lettre i56, dans quelque mission difficile
et périlleuse. L'abbé de Sainte- Geneviève expose à celui de
Cîteaux les raisons qui devaient le détourner de charger de
cette mission l'abbé de Vaux-Sernai. Celui-ci, dit-il, avait
déjà fait ce voyage , et avait couru de grands dangers sur
mêr et de la part de faux frères, sans avoir réussi en quoi
que ce soit; l'envoyer une seconde fois, c'était l'exposer aux
insultes de ceux qui l'avaient mal accueilli la première. L'avis
de l'auteur, conforme à celui de l'abbé de Saint-Victor et de
Pierre- le-Cliantre, était qu'il fallait choisir dans l'ordre de
Cîteaux un homme qui fût agréable aux princes ^ intrépide
dans les combats , capable de diriger l'armée par ses conseils,
dont les mains, en un mot, élevées ^ers le ciel, décidassent
de la victoire. De quoi donc s'gissait-il dans cette entreprise?
Etait-ce de mettre l'abbé de Vaux-Sernai à la tête d'une ar-
mée pour aller combattre ou des hérétiques ou des infidèles?
Gaii. Christ. U est vrai que cet abbé fut chargé d'une mission de ce geni'e
♦•, ,W» so • 7- l'an I202 ; mais à cette époque l'abbé Guérin de Saint-Victor
et Pierre- le- Chantre étaient déjà morts. S'agissait -il de le
faire partir avec le roi Philippe-Auguste et les autres croisés,
l'an 1 190? Cela paraît plus vraisemblable, et la place que
la lettre occupe dans la collection semble aussi l'indiquer.
..Bpîït* ï66 , Vers le même temps, l'évéque de Senlis avait excommunié
" ■ ' •' les religieux de Saint-Vincent de la même ville, lesquels se
prétendant exempts de sa juridiction , avaient élu sans sa
participation un abbé parmi les chanoines de Saint-Victor
de Paris. L'aftaire ayant été portée à Rome, notre abbé écrivit
à l'archevêque de Reims la lettre 166, le priant d'employer
son crédit auprès des cardinaux ses confrères, pour faire
échouer l'entreprise du prélat. 11 écrivit lui-même au cardinal
Epist. 167, Sofviàxis ou Geofroi la lettre suivante, pour l'intéresser dans
al. 186. 1 - ce • • I •' 1 • '1
la même atlaire, tant en considération des services quil
rendait à ce cardinal, qu'à la recommandation de l'arche-
vêque de Reims.
Epist. 169, La lettre 169 à Guillaume , archevêque de Reims, r^ent
»). 188. Ju royaume pendant l'absence du roi , contient une dénon-
ciation tbi-melle contre Renaud, comte dé Dammartin et de
ETIENNE DE TOURNAI. 55f
Boulogne, qui vraisemblablement à l'iiistigatiou d'AlbëriG,. _1
son père, réfugié en Angleterre, avait enlevé à Guillaume
de Long-Champ, évêquje d'Ely et: chaUcelier d'Angleterte ,
obligé de se réfugier en France après sa disgrâce arrivée
l'an 1 191 , tous ses équipages et ce qu'il avait appoité d'effet&
avec lui, jusqu'aux vases stacrés. Ce coipte n'ayant pas ob-.
tempéré à un premier ordre du régent, l'auteur le prip
d'appesantir sa main pour obliger le coupable à restitution.
Pendant la régence de l'archevêque de Reims, les religieux Epist. iGS ,
de Saint-Germain-des-Prés furent inquiétés par les sergens al- ^87-
du roi {^satellites palatini)^ au sujet de certaines redevances
modiques dont ils grevaient leurs censitaires,, et dont les
sergens les déchargeaient. L'abbé Foulques eut recours à
celui de Saijite-Geneviève , qui écrivit en sa faveur au régent
la lettre 168, dans laquelle il est encore question de troubles
survenus dans l'ordre de Grandmont, à cause desquels le
régent voulait envoyer Etienne veils ces religieux.
Malgré le décret du pape Alexandre IIl, qui avait régl,ç, H's'- de s.-
que rar3l)evêque de SenS', faisant la visite des paraisses dé- ?5'!!!!'bou'^ ' ?
pendantes de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés , ne pour- t. xv, p. 956. '
rait amener avec lui que quarante-quatre personnes et qua-
rante montures , l'archevêque Gui avait violé plusieurs fois
ce règlement. Enfin, sur les plaintes des religieux, le pape
Célestin III ayant chargé des commissaires de décider la •c''» ii-
question , l'abbé de Sainte-Geneviève leur écrivit la lettre 1 70,. ' ^p^stl^'i'7o„
dont le résultat fut un acx:ord passé, l'an 1191, entre les "i. 190.
Farties, rapporté parmi les pièces justificative^ à la s,viite de.
histoire de Saint-Germain-des-Prés, p. 5i. -.
Les Letti'es 171, 172, 1^41 sont relatives à l'abdication de'
Hugues, abbé (de Saint- Barthélemi de Noyon. Dans la pce^. ÈpUt. 171,
mièi-e, l'aiiteur insiftue à l'abbé que les infirn^ités qui, aocpm- *'• '^7-
pagnent la vieillesse, l'avcirtiésent de laisser à UiftiautFS. le,
soin de gouverner le monastère. Dans les deux autres à; l'a»?T, Epist. 172.
chevêque de Reims , il le prie de faire accorder au vieux ^ ^,'i"!iîi','(* '
abbé une retraite honorable, et de faire en sorte que l'homme ^' ^^' ■ ■ <
qu'on lui donnera pour successeur ait les qualités requises.
Nous ne croyons pas que la lettre 178 ait trait à la même Epist. 173.
affaire, et soit adressée à la communauté de Saint-Bartbé-
lemi, comme l'a pensé l'éditeur. Elle a pour titre dans le
manuscrit 'è^^^ A. , de la bibliothèque Royale , le seul qui
la contienne : Hix: ammonentur suhaiti ut prœlato déferont
.<? , .-iq
558 ETIENNE DE TOURNAI.
XII SIECLE. ^ • . I 1 1 1 ' . . 1 . ^
. resignanti, et le nom du prélat est désigne par la lettre G,
qui ne peut convenir à l'abbé Hugues.
Epist. 175, L'an 1 191 , Pierre-le-Chantre de 1 église de Paris avait été
al. 173. ^^1^ ^vêque de Tournai. Quelque excellent que fut le choix
d'un tel personnage , l'archevêque régent du royaume faisait
difficulté de l'approuver. On employa auprès du l'égent le
crédit de l'abbé de Sainte-Geneviève , qui lui écrivit la lettre
175, contenant un bel éloge du chantre de Paris; mais
contre son attente, il arriva qu'on le proposa lui-même pour
Suprà, p: 'S3o. remplir ce siège, ainsi que nous l'avons dit plus haut. ■- "b
Lettres depuis l'an \ 1^7. jusqu'en i2o3.
Epist. 176 , Avant de quitter l'abbaye de Sainte -Geneviève, Etienne
al. 182. voulut se donner un successeur capable de maintenir dans
sa maison le bon ordre qu'il avait établi tant au spirituel
qu'au temporel ; il jeta les yeux sur un de ses religieux
nommé Jean , qui , quoique fort jeune encore , fut agréé par
la communauté. Il le conduisit lui-même à l'évêque de
Meaux pour être béni ; mais l'éditeur se trompe en nommant
ce prélat Ansel ou Anselme : son nom était Simon, auquel
Ansel ne succéda que l'an r 195.
Epist. 177 , Se préparant lui-même à recevoir la consécration épisco-
*' J"?»* g pale, il écrivit à son ami Barthélerai de Vendôme, arche-
ai. 181.' ' vêque de Tours , les lettres 177 et 1 78 , pour déposer dans
son sein les sentimens dont il était animé , et le remercier
en même temps des riches omemens qu'il lui avait envoyés
pour son sacre.
Epist. 179, Cependant le pape Célestin III avait conçu, on ne sait
al. aoa.i pourquoi, de fâcheuses impressions contre le nouvel évêque,
comme on en juge par l'épître 179 qu'Etienne lui écrivit
autant pour justifier son entrée dans l'épiscopat que pour
' •' solliciter ses bonnes grâces.
Epist. 180, La lettre 180 à l'archevêque de Reims contient la dénon-
al. 191. ciation de certains missionnaires qui allaient prêchant dans
les campagnes, et suscitaient des affaires aux doyens ruraux,
se disant envoyés par le métropolitain. C'étaient apparem-
ment des quêteurs pour les chrétiens de la Terre -Sainte.
L'évêque de Tournai fait de ces émissaires un portrait assez
hideux. '^;
Epist. 181, C'est mal-à-propos que l'éditeur a déplacé l'épître r8r,
al- 71- qui dans la première édition était la 71^. Il a cru qu'elle
XII SŒCLïf
ETIENNE DE TOURNAI. 55g
était relative au couronnement de la reine Ingeburge, fait
à Amiens l'an 1193, tandis qu'il n'est pas dit un mot d'A-
miens dans cette lettre , et que l'auteur n'y prend d'autre
titre, au moins dans le manuscrit, que celui An frère Etienne.
On sait que Lambin de Bruges, auquel la lettre est adressée,
fut fait chancelier de l'archevêque de Reims vers l'an 11 80,
et l'an 11 pi évêque de Térouane; cependant l'auteur ne lui
donne aucune qualité. Tout cela prouve que la lettre est
antérieure à ces époques, et qu'il s'agissait alors, non du
couronnement de la reine Ingeburge , mais du sacre de Phi-
lippe-Auguste, pour lequel l'abbé de Sainte -Geneviève de-
mandait qu'on lui arrêtât un logement à Reims.
Nous sommes obligés de faire la même observation sur Epist. i8a,
l'épître 182. L'éditeur ne pouvant concilier la suscription de *'* ^°°'
cette lettre avec les catalogues des doyens de l'église de
Paris, qui placent à l'an 11 95 Hugues Clément, a pris la
liberté de mutiler le titre -de la lettre portant dans les ma-
nuscrits , et même dans la première édition : Sanctissitno
domino et patri Lucio sunimo pontifiai frater Stephanus de
sancta Genc'efa salutem et sinceram in omnibus obedien-
tiam. Ce qu'il fallait conclure de cet intitulé, c'est qu'en 1 184
au plus tard , Hugues Clément avait concouru pour la place
de doyen avec Hervé de Montmorenci-Marli, et qu'ayant
^échoué cette fois malgré la recommandation de l'abbé de
Sainte-Geneviève auprès du souverain pontife^ il ne parvint
.<|ue dix ans après à cette dignité.
La lettre i83 aux évêques d'Arras et d'Amiens, la i84* Epist. i83,
à Lambin, évêque des Morins ou de Térouane, sont rela- ^'- '9!4-
tives à des démêlés qu'avait avec les religieux de Saint-Bertin ai.^2w. *^^ '
notre évêque de Tournai.
L'an ii€)i, Etienne étant déjà évêque de Tournai, dans Epist. i85 ,
une lettre au cardinal Octavien, évêque d'Ostie, prit la dé- *'• "o^-
fénse de son ancien ami Foulques , abbé de Saint-Germain-
des-Prés , que l'université voulait rendre responsable du
meurtre d'un écolier, commis par les cli«ns ou censitaires
de l'abbaye dans une rixe sur le Pré-aux-Clercs. Quoique
l'abbé eiit prouvé son innocence devant le régent , et qu'il
eût fait justice des coupables en démolissant leurs maisons,
néanmoins l'université avait dénoncé cet attentat en cour
de Rome. L'évêque de Tournai n'étant pas encore dans les
bonnes grâces du pape Célestin , c'est au cardinal Octavien
qu'il envoya ses instructious en faveur de son ami.
y
60 ETIENNE DE' TOURNAI.
XII SIECLE.
y
al. 21 3
L'éditeur, à la suite de cette lettre, en a placé deux autres
Epist. 186 , à l'abbé Foulques pour le remercier d'avoir donné à son
Ep°si. 18- fr^''^ un bénéfice dépendant de son abbaye. 11 lui parle, en
al. J95. finissant, d'une espèce de fromage de couleur verte, qu'on
trouvait délicieux en Flandre; mais qui ne plairait, dit-il,
ni aux yeux ni au goût des Parisiens.
Episi. 188 , La suscription ue l'épître 188 à Nivelon de Chérizi, évêque
de Soissons , en indique assez le sujet , cependant il est en-
core difficile d'en pénétrer le sens. Elle est conçue en ces
termes : Sues<sionensi episcopo injuste damnato ad solvenda
debitA , dunmatiis injuste ad fodienda metalla saluleni et
conimuneni mumuiris inclusi patientiam. Dans l'impossibilité
de payer les sommes qu'on exigeait de lui , l'evêque de
Tournai s'était réfugié à Marisy, terre dépendante de Sainte-
Geneviève dans le Soissonnais. Là voulant se rendre utile
aux habitans du voisinage qui demandaient à recevoir de
lui les sacremens réservés aux évêques, il demanda à l'evêque
diocésain, qui lui-même éprouvait des vexations, la per-
mission de les administrer, et à cette occasion il l'instruit
des motifs qui l'avaient éloigné de son diocèse sans pourtant
s'expliquer trop clairement. On voit seulement qu il s'était
montre récalcitrant dans quelque entreprise de la cour de
Rome, onéreuse au clergé en général, et sur-tout aux évêques,
à laquelle il voulait opposer une digue : Credideram me in
loco terribilium judiciorum posse pontem facere , per quem
pontifices alii transitum soient habere. Etait-il aéja alors
question des annates.^ Quoi qu'il en soit, voici ce que lui
répondit l'evêque de Soissons.
Epist. 189, Après avoir admiré dans la lettre de l'evêque de Tournai
al. 214. ' l'élégance du style, la gravité des pensées, fa connaissance
des lois et de l'écriture , pris part à son adversité : « Qui peut
voir sans gémir, dit-il, le vicaire de J. C. tergiverser entre
le oui et le non, révoquer un premier jugement conforme à
l'équité, être pour l'église gallicane un sujet de scandale et
de confusion ? Sanè non nos adeb perturbât familiare incom-
moduni quàm totius ecclesiœ scandalum générale. Quis enim
sine cordis amaritudine , sine lacrymarum fonte , sine suspi-
riorum crehra replicatione 'videat magistrum ecclesiœ, Pétri,
imnio Christi, vicarium à 'veritatis tramite deviare , ut in
ore ipsiiis est et non inveniatur? Si percussus fuerit incan-
tator, quis medebitur eiP Jam judex ille cui sœpè dicttur,
oculi tui videant œquitatem, terrain ingreditur duabus vus
XII SIECLE.
ETIENNE DE TOURNAI. 56i
et claudicat in duas partes , et quœ semel de lahiis suis pro-
cesserunt , non duhitat irritare : quis igitur dahit capiti nieo
aquani et oculis meis fontem lacrytnarinn , ut ploreni non
interfectos populi mei, sed pastores populi niei, sed principein
pastorum ? Èatius autem reputamus suspensionis onus , et ut
à plerisque dicitur , honorent sustinere , quam occasioneni
scandali et peipetuœ confusionis seniinariuni gallicanœ ec-
clesiœ suscitare. Tout cela n'expHque pas de quoi il s'agissait,
{)arce que, comme porte la suscription de la lettre, la dou-
eur était concentrée, comniuneni murmuiis interni patien-
tiam; mais on voit que cette affaire était regardée comme
une semence de scandale et de confusion pour toute l'église
gallicane. Ce qui prouve qu'il était question de finances,
c'est ce qu'ajoute Nivelon en terminant sa lettre, qvie la plu-
part des prélats, bien loin de refuser de donner de l'argent,
s'empressaient d'offrir de l'or, le mettant, pour ainsi dire,
en évidence sur leurs têtes : Illud ad ultimuni 'volumu's ha-
bere vos prœ oculis , qubd prœlati nostri non auruni pedibus
suis subjiciunt, sed suo capiti superponunt. Au reste , l'évêque
de Soissons eut d'autant moins de peine à accorder la per-
mission qu'on lui demandait, qu'il était lui-même suspendu
des fonctions épiscopales , ou qu'il s'attendait à l'être bientôt
après.
Quant à l'évêque de Tournai , il paraît qu'il se détermina Epist. igo ,
à payer en empruntant à usure jusqu'à la concurrence de ^- *'^-
deux années du revenu de son évêche , dans l'espérance que
l'archevêque de Reftns viendrait à son secours, comme il
le témoigne dans la lettre 190 à Bertier , archidiacre de
Cambraj.
La lettre 194 à un pape qui n'est pas nommé, fut écrite Epist. 194
au nom des évêques de France, ou du moins d'une de nos ^'" "'
provinces ecclésiastiques. Rien ne prouve qu'Etienne fût alors
revêtu de la dignité episcopale : mais on ne peut douter qu'il
n'en ail été le rédacteur. Ce sont de respectueuses remon-
trances sur une ordonnance du souverain pontife , qui en-
joignait aux évêques de pourvoir à la subsistance des clercs
de tous les gracies , soit par des bénéfices , soit de leurs
propres deniers. Les évêques dont la plupart avaient assisté
au concile de Latran de l'an 1179, it^presentent que dans
cette assemblée une pareille obligation ne leur fut imposée
3ue relativement aux prêtres et aux diacides; que le nombre
es autres clercs s'étant beaucoup multiplié par des consi-
TomeXF. Bbbb
5Ca ETIENNE DE TOURNAI.
XII S1£CLE
— L dérations fort étrangères au service de l'autel, il serait impos-
sible d'y suffire; et à cette occasion on nous instruit des
motifs qui précipitaient alors la plupart des hommes dans
le cierge.
Epist. igS , L'évêque de Tournai était si assuré de trouver dans l'ar-
" ' *^ ■ chevêque de Reims secours et protection, qu'il ne craignait
pas de l'importuner pour les moindres choses. Il avait institué
dans son chapitre une nouvelle prébende en faveur d'un
génovefain qu'il avait emmené avec lui ; mais à peine deux
ans s'étaient écoulés, que les chanoines le destituèrent.
Etienne s'en plaignit à l'archevêque dans la lettre i gS , et ,
pour entrer en matière, il lui rapporte qu'il existait à Or-
léans un homme fameux par ses quolibets qu'il assimile auK
paraboles de Salomon : Âiirelianensis nostri Garnaudi deli-
ciosas vohis parabolico Salomonis caractère nugas oppono.
Suivant ce diseur de bons mots , il y avait trois espèces de
murmurateurs, et une quatrième plus chagrine que les autres,
communia rusticorum domina ntium , cœtus fcminarum, liti-
gantium, grex porcorum ad uniiis clamorein grujiiiientium ,
capiUilura diversa vota sectantium. « Je me moque, dit -il,
des seconds , et m'embarrasse fort peu des troisièmes ; mais
me trouvant aux prises avec les premiers et les derniers, je
"*- vous supplie de venir à mon secours. » Et il expose l'affaire.
EpUi. irfi , L'arehevêque ayant , en sa qualité de légat , fait droit à ses
al. 191. plaintes, il len remercie dans la lettre suivante, annonçant
3ue les chanoines, bien loin de se corriger, avaient passé
u murmure aux injures, et ne menaçaient de rien moins
. que de lui intenter un procès : ce qu'il exprime par ces
mots : ohtulerunt festucam.
fjpnt. 197. Il écrivit au pape Célestin III les lettres iq^ et 198, pour-
Epist. 198 , le prémunir contre les faux rapports d'un religieux de Saint-
"••97- Martin de Tournai, qu'on supposait s'être échappé de la
maison muni de fausses lettres, et avoir pris le chemin de
Rome. On voit en effet par la seconde lettre qu'il s'était pré-
senté au pape, et qu'il répétait sur sa communauté des
sommes d argent dont il avait lui-même fabriqué les titres.
Epist. 199, Il est question dans la lettre 199 de la chapelle de Sainte-
ai. 198. Geneviève des Ardens, alors située au parvis Notre-Dame,
d'où un jeune archidiacre avait chassé te génovefain qui la
desservait pour la donner à un prêtre séculier. Ce fut matière
à. procès, sur lequel l'évêque de Tournai ayant été consulté,
trace à ses anciens confrères la marche qu'ils ont à suivre.
ETIENNE DE TOURNAI. 563
XII SIECLE.
Dans l epître 200 a l'archevêque de Reims , il rend compte
au prélat de 1 état de'plorable dans lequel il avait trouve le Epist. 200 ,
monastère de Bredenai, situe dans son diocèse, réduit alors ^- '99*
en solitude par l'abandon des religieux , et des mesures qu'il
avait prises pour y rétablir la conventualité.
Il y a apparence que l'élection de Gérard à l'abbaye de Epist. aoî ,
Corbie, faite l'an 1193 par le roi Philippe- Auguste avec le *'• *<*^-
consentement des religieux , souffrait à Rome quelque diffi-
culté, puisque l'évêque de Tournai fut charge d'écrire au
pape Célestin le lettre 2o3 en faveur du nouvel abbé.
Ce qui prouve que l'évêque de Tournai ne perdit jamais Epist. aoS ,
de vue l'abbaye de Sainte-Geneviève, c'est la lettre 2o5 qu'il *'• ^°'^'
écrivit à l'abbé Jean et à ses religieux pour leur recommander
de maintenir dans la maison la subordination et l'union des
coeurs, leur rappelant tout ce qu'il avait fait, pendant quinze
ans qu'il fut leur abbé, pour le bonheur de tous.
Des religieux de l'abbaye de Saint-Amand ayant porté Epist. 107,
contre leur abbé des plaintes à l'archevêque de Reims, notre *'• *"''
prélat, qui fut chargé d'aller prendre des informations sur
les lieux, rend compte à l'archevêque du résultat de sa mis-
sion entièrement favorable à l'abbé. C'est l'objet de l'épître
207.
Pour répondre aux reproches que lui faisait son ami Ber- Epist. ao8,
lier, archidiacre de Cambrai, prétendant que le nouvel ai- a»5.
évêque de Tournai remplissait mal les devoirs de sa place ,
apparemment parce qu'il donnait moins que bien d'autres
à la représentation , Etienne , dans la lettre 208 , lui fait le
détail de ses occupations journalières , et de sa manière de
vivre toute épiscopale.
La lettre 2 1 o à 1 archevêque de Reims n'est pas plus entière Epist. a 10 ,
dans l'édition du père du Molinet que dans l'ancienne édi- al- aig-
tion , oti des deux lettres 210 et 211 on n'en a fait qu'une
qui est la 219* . D'après le manuscrit où la lettre est entière,
on voit que l'archevêque de Reims exigeait que le doyen de
l'église de Tournai reçût l'ordre de prêtrise. Etienne le sup-
Flie d'avoir égard à la simplicité du doyen , qui manquait de
instruction requise pour le sacerdoce, et de ne pas le presser
sur cet objet. Dans la lettre 247, il annonce au chapitre de
Tournai qu'à sa recommandation l'archevêque s'est désisté
de ses instances.
Vers l'an 1 198, notre prélat fit la dédicace de la chapelle Epist.
de Saint -Vincent, qu'il avait fait construire à grands frais al
Bbbba
■Ml ,
220.
564 ETIENNE DE TOURNAI.
— . dans son palais sur une arcade aboutissant a 1 église cathé-
drale, afin, dit- il, d'y pénétrer par-là librement, sans être
expose', dans des temps de troubles, aux insultes de la
multitude. Tel est l'objet de la lettre 21 1 à l'abbé de Sainte-
Episi. 212, Geneviève qu'il invite à la cérémonie, et de la 2i2« à Lam-
ai- aig bin, évoque de Térouane, à la fin de laquelle il ajoute, pour
s égayer, qu'afin de détourner les passans de venir faire là
des ordures , quelqu'un avait peint à fextérieur ces vers
orduriers, que le P. du Molinet, par une excessive délica-
tesse , a supprimés :
Sordide, qui sentis Dentrem contendere ventis,
Longius absiste , quoniam sacer est locus iste ;
Cui stomachus turget , qiiem fœtidus AEolus urget.
Non hic se purget , quia non sine verbere surget. Etc.
Epist. 214, A l'occasion de faussaires fabricateurs de bulles papales,
«1. 221. qu'il avait découverts à Tournai , l'auteur fait la description
de l'instrument dont ils se servaient pour frapper le sceau
pendant. C'étaient des coins à deux branches en forme de
tenailles, au bout desquelles étaient deux poinçons qu'on
plaçait l'un au-dessus de l'autre , superiorem et inferiorem
molam , ou incudem , pour, serrer et frapper la matière , et
lui donner l'empreinte des deux côtés.
Episi. 216 , La lettre 21G à un prétendu évêque de Lisieux , transféré
al. 222. sur le siège de Héliopolis, comme porte le texte, in transla-
tione tua de Luxovio ad civitateni Heliopoleos , a donné la
Gall. Christ, torture aux auteurs du Gallia Christiana , parce qu'ils ne
I. XI , col. 7»o. trouvent pas que, du vivant d'Etienne de Tournai, aucun
évêque de Lisieux ait été transféré sur un autre siège. Le
P. du Molinet nous dit hardiment que cet évêque était Jour-
dain de Hommet, qui étant parti pour la Terre-Sainte, fut
fait évêque de HéHopolis en Syrie, oîi il mourut fan I2i4-
, Ce sont là autant de bévues que de mots. Jourdain ne parvint
à l'épiscopat de Lisieux qu'en 1202, un an avant la mort
d'Etienne de Tournai. Il est vrai qu'il alla à la Terre-Sainte
où il mom'ut; mais il ne partit qu'après l'an 1218.
Cette lettre , dans la première édition de Masson , est mu-
tilée au commencement ; mais dans le manuscrit 2028 de la
bibUothèque Royale, elle a pour titre au foho 162 verso:
Ricardo Reliensi archidiacono. Ainsi il n'est nullement ques-
tion d'Héliopolis en Syrie, mais de Hély ou Ely en Angle-
terre. Cet archidiacre venait de quitter Lisieux, où il était
XII SIECLE.
ETIENNE DE TOURNAI. 565
archidiacre , pour passer avec la même qualité à Ely , à
l'époque oii Guillaume de Long -Champ fut fait évêque de
cette ville. Voilà pourquoi l'auteur termine sa lettre par ces
mots: Saluta mihi tuum episcopum, legatiim, canceltarium,
et fréquenter admone ut suh hac promotione trina servum
Trinitatis se agnoscat, et sic prœesse discat hominihus , ut
creatori suo se confîteatur subesse. Tout cela ne peut convenir
qu'à Guillaume de Long-Champ , qui fut ftiit évêque d'Ely,
légat du pape, et chancelier d'Angleterre l'an 1 190, et perdit
ces places 1 année d'après : d'où il faut conclure qu'Etienne
n'était pas encore évêque de Tournai lorsqu'il écrivit cette
lettre, qui par conséquent n'est pas à sa place.
L'archidiacre de Lisieux et puis d'Ely était un savant
qu'il est à propos de faire connaître dans notre histoire lit-
téraire , puisque l'occasion s'en présente. L'auteur de la lettre
nous apprend que cet archidiacre avait étudié la jurispru-
dence à Bologne , et qu'en quittant ce pays on lui avait prédit
qu'il brillerait dans les conseils des prélats et des rois : Mé-
mento illius distichi quod poetico potiàs quàni prophetico ,
sed tamen veridicq spiritu , in recessu tuo Bononiensi dictunt
est tihi a quodam :
Pontificum causas , regitmque negotia tractes
Qui tibi dh'itias, deliciasque parant (i).
Il ajoute que ce savant avait aussi brillé dans les écoles : Qui
scholarihus amahilis eras , curialihus admirabilis esto.
Malgré l'autorité du manuscrit qui nomme cet archidiacre
Richard, nous pensons qu'il s'appelait Robert, et qu'il n'est
autre que cet archidiacre de Lisieux dont parle Roger de P- 5a6.
Hoveden (2), lequel, après le meurtre de saint Thomas de
Cantorbéri , fut un des ambassadeurs envoyés en cour de
Rome l'an 11 7 1 , pour justifier le roi d'Angleterre du meurtre
du saint prélat. Nous pensons que c'est encore à lui qu'est
adressée la lettre 60 de Jean de Salisburi, qui n'a aucun
titre, et dans laquelle l'auteur s'égaye sur l'éloquence des
(i) Nous rapportons ce texte ^ parce que le P. du Molinet l'a entière-
ment omis, quoiqu'il existât dans l'ancienne édition.
(2) Il est encore parlé de cet archidiacre deux fois dans la collection
des lettres de saint Thomas de Cantorbéri, liv. V, ep. 83 et 84 J mais là
ion nom n'est désigné que par la lettre R.
XII SIECLE.
566 ETIENNE DE TOURNAI.
babitans de Lisieux et du pays Lieuvin ; mais nous ne con-
naissons de lui aucun écrit.
Epist. 218, Par une méprise inconcevable, l'éditeur a entièrement
al. aa5. changé l'objet de la lettre 218 à Eudes, évêque de Paris.
Les six premières lignes contiennent un éloge du prélat, à
la suite auquel il a cousu un lambeau de l'épître 220, tandis
que, dans les manuscrits, il s'agit d'u le affaire toute diffé-
rente. L'évêque de Tournai mande celui de Paris qu'un
jeune archidiacre de son égUse , ayant besoin d'argent , avait
mis ses livres en gage chez un banquier , campsor, lequel
refixsait de les rendre , quoiqu'on lui eût remboursé le capital
et les intérêts. L'évêque de Paris est supplié de contraindre
f)ar voie de justice cet homme de mauvaise foi à rendre les
ivres.
Epist. aao , Autre méjprise sur l'épître 220. Elle est adressée à Pierre,
" ■ **'■ évêque d'Orléans, et il n'y a point eu d'évêque de ce nom à r
Orléans pendant le XIP siècle. Il fallait lire Atrehatensis ,
et non Aurelianensis. Pierre, évêque d'Arras, avait été pris
pour arbitre dans un procès qu avait l'église de Tournai
contre les religieux de Saint-Bertin , procès dont il est aussi
parlé dans les lettres i83 et 184, qu'il s'agissait alors de
terminer à l'amiable , et c'est pour en hâter la décision que
l'évêque de Tournai écrit à l'évêque d'Arras.
Epist. aaa , Il y a encore une méprise considérable dans la lettre 222
à Arnoul , doyen de Bruges. L'éditeur suivant aveuglément
l'ancienne édition , a cousu après ces mots , f estivant nobù
faciat , non infestant , un lambeau d'une épître de l'abbé de
la Sauve à l'évêque de Tournai , dont le commencement a
été déchiré, inais qu'on trouve toute entière commençant
par ces mots, Vohis , domine pater carissinte, dans le ma-
imscrit 2928, fol. i65, recto, de la bibliothèque Royale.
Les lettres 224 , 226 et 226 sont relatives à une procédure
contre l'abbé de Saint-Martin de Tournai, Jean de Nancin.
A peine arrivé dans son évêché , Etienne fut chargé par
l'archevêque de Reims de remédier aux abus qui s'étaient
%ist. a24- introduits dans cette abbaye. La lettre 224 contient l'ordon-
nance rendue contre l'abbé, et les conditions humiliantes
au prix desquelles il fut rétabli dans sa place. — L'abbé
s'étant ensuite pourvu contre cette ordonnance par appel
au souverain pontife, Etienne écrivit, au nom des religieux
Epist. 225. de Saint-Martin , la lettre 225 , non à l'archevêque de Reims,
comme l'a cru l'éditeur, mais au pape Célestin III, à qui
XII SIECLE.
ETIENNE DE TOURNAI. , 56'j
seul peut convenir la qualification qu'il lui donne (ïunigue
l'efuge des paiwres. Il écrivit aussi sur cet appel à l'arche-
vêque de Reims; mais la lettre est restée manuscrite, et
commence par ces mots : Clamât in aures domini Sahaoth.
— L'éditeur suppose encore que l'épître 226 sur le même Epîst. 426.
objet, est adressée à l'archevêque de Reims; mais le début
même ainsi conçu, Serib loquiniur^ qui quandoque vobiscwn
jocosè loqui solenius , prouve qu'elle lut adressée à son ami
Lambin, évêque de Térouane, avec lequel seulement l'évêque
de Tournai se permettait le ton badm , comme on peut le
voir dans les lettres i83, 212, 228. Ce qui prouve encore
que la lettre précédente est écrite au pape, c'est que dans
celle-ci l'auteur prie son ami de lui écrire aussi pour le
même objet.
Le prince Louis, fils du roi Philippe- Auguste, avait prié Epist. 2*7,
l'évêque de Tournai de lui envoyer un cheval de main , pa~ * • * 7-
lefriaum. Etienne lui répond , dans la lettre 227, qu'il va lui
en choisir un qui soit digne d'un tel cavalier. Il faut croire
C[ue le jeune prince était déjà en état de monter à cheval, et
qu'il avait par conséquent dix ou douze ans ; et comme il
était venu au monde l'an 1187, cette lettre peut avoir été
écrite l'an 1197 ou 1199. Au reste, l'auteur nous apprend
qu'il avait été le parrain du jeune prince , et en cette qualité
il l'exhorte à bien étudier , parce que pour bien gouverner
un état il faut être instruit.
La lettre 228 n'a point d'adresse ni dans l'imprimé ni dans Epist. 228 ,
les manuscrits. Nous la croyons cependant adressée à I.ambin^ ^'" ^^*-
évêque de Térouane , par la raison qu'elle est sur le ton de
plaisanterie, comme celles dont nous parlions tout-à-l'heure.
Lambin ayant consulté son ami sur quelque question' diffi-
cile, celui-ci le renvoie à une entrevue qu'ils devaient avoir
à Saint-Quentin , où l'archevêque de Reims les avait invités
de se trouver au mois d'août; et pour prouver qu'on pou-
vait différer de parler d'affaires jusqu'à ce temps-là, c'est
que la fin du monde , disait-il , n'étant pas si prochaine que
1 annonçait un certain Hugues ressuscité d'entre les morts,
il n'y avait point d'inconvénient à différer jusqu'au mois
d'août, quoique ce prétendu ressuscité, par ses prédictions,
eût jeté fa terreur dans tous les esprits. Rigord rapportant
l'apparition de ce revenant à l'année 1 198, nous donne à-peu-
pres la date de cette lettre.
L'épître 229 , qui dans l'édition du P. du Mohnet a pour Ep»»*- a»9.
568 ETIENNE DE TOURNAI.
:; L titre, Cuidain prœlato ecclesiœ romance, est adressée clan.s
le manuscrit domino Soffrido , sanctœ romance ecclesiœ car-
dinali. Elle a pour objet de demander les bons ofïices du
cardinal, pour obtenir du pape le renouvellement des privi-
lèges de 1 abbaye de Sainte- Geneviève : ce qui avait lieu à
chaque mutation de pontificat à Rome. Cette lettre est donc
antérieure à l'épiscopat d'Etienne, et aurait dû être placée
parmi celles qu il^écrivit étant abbé de Sainte-Geneviève.
Epist. 23o. Cuidam amico est le titre de la lettre 23o dans l'édition
du P. du Molinet. Les manuscrits portent, Arnulfo decano
chnstianitatis hrugensis , le même auquel sont adressées les
lettres 221 et 222. Elle contient une explication de quelques
effets d'équipement pour un cheval dont il faisait présent au
doyen,
Epist. 23i , L'épître 281 à l'archevêque de Reims a deux objets. L'au-
al. ai2. teur se plaint d'abord des tergiversations de la commune
de Tournai avec laquelle il était en procès. Le roi avait or-
donné aux habitans de s'en rapporter sur les objets contestés
à la décision de l'évêque d'Arras et du châtelain de Lille;
mais les habitans n'avaient tenu aucun compte des ordres du
roi. L'archevêque de Reims auquel ils s'étaient ensuite adres-
sés, leur avait suggéré un mode de conciliation par arbitrage,
auquel ils avaient consenti ; mais le peuple assemblé s'y
était refusé. C'est dans cet état des choses que les chanoines
de Tournai demandent au prélat de venir à leur secours. —
Le second objet de la lettre est relatif à l'excommunication
du comte de Flandre, et à l'interdit que le cardinal Melior,
légat du pape, avait ordonné de prononcer sur ses terres.
L'évêque de Tournai expose à l'archevêque les mauvais effets
qu'un premier interdit avait produits , parce que ce prince
ne redoutait ni excommunication ni interdit, et qu'il s'était
d'ailleurs pourvu par appel au pape. Cette lettre écrite l'an
1197 n'est pas à la place qu'elle devrait occuper; elle parle
d'un premier interdit, dont il n'est question que dans les
lettres 282, 235, 236 et 237.
F.pwt. a3a. La lettre 232 , qui dans l'imprimé n'a aucune suscription ,
est adressée dans le ms. 292? de la bibliothèque Royale,
fol 1/(8, verso, domino Cameracensi , pro interdicto in, terni
comitis Flandrice facto . L'évêque de Cambrai ayant excom-
munié le comte de Hainaut et son fils, devenu, l'an 1194»
comte de Flandre du chef de sa mère , pour des dommages
qu'ils avaient occasionnés à son église, avait mandé à 1 evêque
XII SIECLE.
ETIENNE DE TOURNAI. 56g
de Tournai de les tenir pour excommuniés, et même de
jeter l'interdit sur les terres qu'ils possédaient dans son dio-
cèse. Etienne lui répond qu'il a fait publier au prône l'ex-
communication ; mais qu'à l'égard de l'interdit il a besoin
de consulter l'évêque de Térouane et l'archevêque de Reims
avant de se déterminer à le jeter.
Il paraît par la lettre 235 , qui dans l'imprimé n'a pas Epist. 235.
non plus de suscription, mais qui, dans le manuscrit. Fol.
. i56 , verso , est adressée à Guillaume , archevêque de Reims, ^
Domino Remensi, pro interdicto in te ira comitis Flandriœ
proptev Camcracensem ecclesiam facto ; il paraît , disons-
nous, que l'évêque de Tournai se décida à lancer l'interdit;
mais cet interdit produisit un très-mauvais effet; le peuple,
et sur-tout les Flamands en murmurèrent beaucoup ; on fut
sur le point de chasser tous les prêtres qui refusaient le ser-
vice , et d'en appeler d'autres des pays étrangers. C'est ce
3ue mande à l'archevêque de Reims notre prélat, en le priant
e venir à son secours, et de mettre par son autorité quelque
tempérament à la sentence de l'évêque de Cambrai.
Ce prélat ayant eu connaissance de la lettre écrite à l'ar- Epist. 236.
cbevêque, en fit des reproches très-amers à celui de Tournai,
l'accusant de pusillanimité et d'inconstance dans ses opi-
nions, vu sur-tout qu'il avait approuvé auparavant la me-
sure aussi-bien que 1 archevêque de Reims. Tel est le précis
de la lettre 236 de l'évêque de Cambrai à noti'e prélat. —
Celui-ci lui répond dans la suivante, qu'il a fait pour entrer Epht. 237.
dans ses vues tout ce qu'exigeait de lui la charité fraternelle;
qu'il a fait observer l'interdit pendant tout le temps que le
comte de Flandre a séjourné à Tournai ; en un mot , qu'il
n'a pas à se reprocher d'avoir suggéré à l'archevêque d'avoir
pitié des pauvres gens sans blesser la justice et les lois de la
discipline envers les vrais coupables. Cette lettre est remar-
quable par la solidité des principes et par le ton de modé-
ration.
Une question s'était élevée sur la manière d'interpréter Epist. 238.
une ordonnance de Philippe d'Alsace, comte de Flandre,
portant qu'à chaque mutation de Hef, le relief serait payé
au double du revenu d'une année. On prétendait que ce
doublement devait être entendu sans préjudice du taux ordi-
naire. L'évêque de Tournai consulté sur ce point de dix)it,
répond dans la lettre 238 aux doyen et chapitre de Saint-
Donatien de Bruges , qu'entendre ainsi l'ordonnance du
Tome XF. C c c c
Sno ETIENNE DE TOURNAI.
XII SIECLE, ^ . ,., . „. .
comte, ce serait supposer qu il aurait eu l intention, non de
doubler, mais de trij)ler ce droit seigneurial; qu'au surplus
ce n'était point ainsi qu'on entendait en France le terme
doubler.
Epist. aSc). A peine notre prélat était-il monté sur le siège de Tournai
qu'il fut sommé par le roi de se rendre à l'armée avec le '
contingent des troupes qu'il devait fournir. Il se croyait
exempt de ce service, parce que le roi étant rentré depuis
peu en possession de Tournai, avait stipulé, non avec le*
clergé , mais avec la commune qui devait lui fournir trois
cents hommes. C'était un cas embarrassant où il avait à
lutter contre l'autorité royale. Il eut recours à son grand
protecteur l'archevêque de Reims, auquel il expose les motifs
3ui devaient le dispenser du service militaire, motifs puisés
ans l'histoire des premiers temps de la monarchie. Tel est
l'objet de la lettre a3(). La lettre a5a a rapport à la même
affaire.
Episi. »4o. La suivante est sans adresse dans l'imprimé, mais dans
le manuscrit 2928 de la bibliothèque Royale elle a pour ru-
brique. Domino Atrehatensi super quâdarn quœstione juris
sibi ab eofactd. L'évêque d'Arras, délégué du pape pour la
décision d'un procès , avait consulté notre prélat sur la ma-
• nière de prononcer un jugement contre la partie contumace.
L'illustre Guillaume de Lamoignon, premier président du
parlement de Paris, à la prière de l'éditeur, a pris la peine
d'éclaircir cette lettre par des notes : on sent en les lisant
qu'elles ne sont pas de l'éditeur.
Epist. a4a. Dans la lettre 242 , l'évêque de Tournai fait des représen-
tations au pape Célestin sur ce qu'il avait accordé des lettres
de recommandation pour la premièi-e prébende qui viendrait
à vaquer dans son chapitre , à un homme dont il n avait
reçu que de mauvais offices , qui ferait son tourment , et
qui aurait le droit de l'insulter, s'il obtenait une prébende
malgré son évêque. — Cette affaire lui tenait tellement au
cœur, qu'il en écrivit avec l'accent de la douleur au cardinal
Octavien, évêque d'Ostie. C'est la lettre 267, que l'éditeur a
eu tort de séparer de la précédente.
Les lettres 243 , 244 -, 245 , 246 , sont relatives aux démêlés
qu'eut le prélat avec la commune de Tournai, mais elles
sont placées dans un ordre interverti.
Epist. a43. Après de longues altercations , pendant lesquelles le roi
et l'archevêque de Reims avaient cherché à conciher les par-
571
ETIENNE DE TOURNAI.
■ ties, les habitans de Tournai avaient consenti à adopter la
charte de la commune de Senlis, qui réglait les droits res-
pectifs du cierge et des habitans; mais ceux-ci craignant de
s'être trop avancés , cherchaient encore à revenir sur leurs
pas. C'est dans cet état des choses que notre prélat écrivit à
l'archevêque de Reims la lettre a43 , le priant de faire con-
firmer par le roi et de confirmer lui-même les coutumes de
Senlis comme obligatoires pour la ville de Tournai. Cela fut
fait l'an 1200, suivant l'acte rapporté parmi les pièces justi-
ficatives du Gallia Christiana , t. III, col. 49- D'oii il suit
que la lettre 243 est de beaucoup postérieure en date aux
trois qui la suivent.
La 244* est aussi adressée à l'archevêque de Reims , quoi-»
que l'imprimé ne le dise j)as ; mais elle est antérieure de
quatre ans à la précédente. L'an 1 196, le roi ayant ordonné
aux habitans de prêter serment qu'ils s'en rapporteraient à
l'archevêque de Reims touchant les privilèges de leur com-
mune , ceux-ci, bien loin de céder, prétendaient que la
lettre du roi était supposée; et pour essayer d'obtenir un
contre-ordre par quelque moyen que ce fût, avaient envoyé
en cour une députation. Cependant le prévôt, les jurés et
les échevins furent contraints de promettre , au nom de la
commune, qu'ils choisiraient parmi les chartes de la commune
que l'archevêque leur indiquerait, celle qui leur conviendrait
le mieux. Cet acte est daté de l'an 1190, le dimanche après
l'Assomption de la Sainte Vierge.
Pendant ces altercations l'évêque de Tournai écrivit encore
la lettre 245 ; le texte imprimé tie dit pas à qui ; mais le ma-
nuscrit porte : Magistro Anselmo Francorum régis clerico.
C'était un ami de notre prélat, qu'il charge de surveiller et
de déjouer les démarches des citadins auprès du roi. Ce clerc
est le même qui , l'an 1 1 97 au plus tard , fut fait évêque de
Meaux.
Il est encore question de cette affaire dans la lettre 246 ,
où l'on ne voit pas à qui cette lettre est écrite ; mais le ma-
nuscrit porte : Petro Atrehatensi episcopo.
La lettre 248 à l'abbé de Saint- Amand contient des plaintes
amères , sur ce que cet abbé avait fait ordonner par l'évêque
d'Arras quelques-uns de ses religieux sans la permission de
l'évêque de Tournai. — La suivante à l'évêqïle d'Arras a le
même objet.
Ayant appris qu'il s'était élevé des dissensions dans la
Ce ce a
XII SIECLE.
Epist. 344.
Gall. Christ.
t. III, pr. col.
Epist. 245.
Epist. 246.
Epist. 248.
Epist. 249.
Epist. 25o.
XII SIECLE.
572 ETIENNE DE TOURNAI.
maison de Sainte-Geneviève , il écrivit à l'abbé Jean la lettre
aSo, dans laquelle, après de vifs reproches, il annonce qu'il
fera le voyage de Paris pour rétablir l'union et le bon ordre
parmi ses anciens confrères. Cette lettre, dans le manuscrit,
est précédée de deux autres où il est question de désordres
plus graves ; mais l'éditeur a jugé à propos de les supprimer.
Bpist, aSï. Notre auteur voyant avec peine le dépérissement des
bonnes études, eut le courage de demander au pape d'y
apporter remède. Il lui représente, dans la lettre 261, 1° que
dans les matières théologiques on ne composait plus que de
petites sommes , ou de longs commentaires , commentaria
Jinnantia, comme si les écrits des saints pères ne suffisaient
pas pour l'intelligence de l'écriture sainte. La manie de briller
ou d'étaler sa science était telle qu'on disputait sans respect,
jusque dans les carrefours et les places publiques, sur la
divinité incompréhensible et les autres mystères de la reli-
gion, indwidua Trinitas in triviis secatur et discerpitur , ut
jam tôt sint errores quot doctores , tôt scandala quot audi-
toria, tôt blasphemiœ quot plateœ. oP En matière canonique,
on ne fait plus usage que d'un recueil immense de décré-
tales qu'on débite sous le nom du pape Alexandre III (i), et
on ne tient plus compte des anciens canons , qu'on rejette ,
qu'on conspue , ahjiciuntur , respuuntur, expuuntur. Ce nou-
veau code tient lieu de tous les autres, et il soupçonne le»
avocats d'en être les auteurs; on l'enseigne dans les écoles,
on l'expose en vente à la grande satisfaction des copistes ou
libraires, notariorum, qui voient par là diminuer leur tra-
vail et augmenter leur gain. 3° Quant aux arts libéraux, ils
sont abandonnés à de jeunes imberbes qui , à peine écoliers,
se targuent du titre de maîtres ; qui laissant de côté les livres
classiques, font aussi leurs petites sommes empreintes de
leurs salives, non du vrai sel des philosophes, plurihus sa-
Ik'is effluentes et madidas , non philosophorum sale conditas.
Tel était à la fin du XIP siècle l'enseignement des écoles ,
dont revenue de Tournai desirait la réforme. Est-ce au pape
Célestin III ou à son successeur Innocent III qu'il adressa
ses représentations.'' C'est ce que nous ne décidons pas, parce
que le nom du pontife n'est pas même indiqué par la lettre
(1) C'est vraisemblablement cette compilation, publiée d'abord par Bar-
thélemi Laurens, surnommé Poin , qu'on trouve à la suite du troisième
concile de Latran de l'an 11 79, dans toutes les éditions des conciles.
XII SIECLE.
ETIENNE DE TOURNAI. 673
initiale, et que rien daiis le texte 'n'est applicable à l'un
plutôt qu'à l'autre.
La lettre aSa, qui dans l'imprimé n'a d'autre titre que Epist. aSi.
Magno prœlato , est adressée dans le manuscrit J-Vdlelmo
Remensi archiepiscopo . L'évêque de Tournai ayant refusé ,
comme nous l'avons dit plus haut en rendant compte de la
lettre 239, le service de Xost, fut cité à comparaître à la cour
du roi. Nouvel embarras qui le mit encore dans le cas de
recourir à la protection de l'archevêque de Reims. Il expose
qu'il est âgé de plus de soixante ans , et qu'à cet âge les
militaires même sont autorisés par les lois à demander leur
retraite. Etienne étant né l'an 1128, comme nous l'avons Suprà.p. SaS.
prouvé ai Heurs, avait 64 ans au moins lorsqu'il fut fait évêque.
Au lieu du titre vague, Cuidam clecano , que porte la Epist. 253.
lettre 253 dans l'édition du P. du Molinet, on lit dans le
manuscrit, Hugoni Aurelianensi clecano pro Petro preshy-
tero. Ce prêtre était un cousin de l'auteur, lequel avait été
suspendu de ses fonctions parle doyen du chapitre. Etienne
expose le mauvais état des finances du délinquant, et de-
mande qu'on lui inflige une tout autre peine qui ne lui ôte
pas le moyen de vivre.
La suivante qui n'a aucun titre est adressée dans le ma- Epist. aS/,.
nuscrit, magistm Reginaldo Aurelianensi arckipreshytero ,
et n'a pas d'autre objet que de lui recommander son cousin,
afin d'obtenir quelque^ indulgence de la part du doyen.
juIHaut ajouter, d'après le manuscrit, à la lettre 255 qui Epi^. o.W.
est' sans titre , l'inscription suivante : Heni'ico Bituricensi
archiepiscopo, Aquitaniœ primati , pro ecclesid S. Satyri.
Ce prélat, séduit par quelques sujets insubordonnés de l'ab-
baye de Saint-Satur, avait défendu à l'abbé, sous peine d'ex-
communication, d'exercer aucune correction sur ses religieux
qui s'adresseraient à lui par appel. Etienne lui représente
que c'est ouvrir la porte à tous les désordres et anéantir la
discipline claustrale. , ,
. En examinant plus haut les lettres 236 et 237 , nous avons EpUt. aÇS.
rendu compte d'une altercation qui s'était élevée entre notre
prélat et l'évêque de Cambrai. Celui-ci étant tombé malade
sur ces entrefaites, Etienne lui écrivit la lettre 256 pleine
des sentimens les plus affectueux , dans laquelle il se plaint
des mauvais bruits qu'on faisait courir , que l'inimitié s'étaijt
établie entre eux.
Cuidam prœlato ecclesiœ romanœ est le titre que l'éditeur Epist. 257.
XII SIECLE.
574 ETIENNE DE TOURNAI.
a cru devoir placer à la tête de lepître aSy. Le manuscrit
porte Domino Octaviano Ostiensi episcopo. L'objet de la
lettre est le même que celui dont nous avons parlé en ren-
dant compte de la lettre 24^ au pape Célestin.
Epi»t. aSy. Dans la lettre 209, l'auteur rend compte à l'évêque d'Arras
de l'état critique où se trouvait, l'an 1 197, la ville de Tournai
assiégée par le comte de Flandre, et des travaux qu'on avait
entrepris pour la fortifier.
Epist. a6o. Parce que, dans l'épître 260, il est question de l'épitaphe
de Maurice de Sully, évêque de Paris, qu'on avait prié notre
auteur de composer, l'éditeur a supposé que la lettre est
adressée aux chanoines de la cathédrale, Canonicis parisien-
sibus. Le manuscrit porte : Venerahili patri et amico Ro-
berto, abbati S. Victorls, Stephanus Dei pemiissione Torna-
censis ecclesiœ huniilis miiiister saliitetn et sinceraiti in Do-
mino caritatein. Maurice ayant été enterré à Saint -Victor^
on voit pourquoi l'abbé Robert avait à cœur d'orner son
tombeau d'une épitaphe. La lettre contient cette épitaphe
telle qu'elle a été imprimée dans le Gallia Christiana,
t. VII , col. 76 ; mais l'éditeur en a retranché les deux der-
niers vers , où le jour de la mort du prélat est indiqué, quoi-
qu'ils existent dans le manuscrit.
Epist. a62. L'an 1 1 93 , la reine Ingeburge de Danemarck ayant été
répudiée par Philippe -Auguste le lendemain de ses noces,
fut reléguée dans l'abbaye de Cysoing au diocèse de Tournai.
Notre prélat, témoin de l'abandon et de l'état de dénuement
dans lequel on laissait cette princesse, en écrivit à l'arche-
vêque de Reims la lettre 262 , dans laquelle il a épuisé toute
sa rhétorique pour célébrer les vertus de cette infortunée,
et toucher de compassion son métropolitain.
Epist. 263. Il paraît qu'à sa recommandation l'arciievêque de Reims
vint au secours de la princesse; car, dans la lettre suivante,
elle lui adresse des remercîmens |)ar l'organe de notre prélat.
Epist. 364. La lettre 264, dont la suscription porte, Amico suo , filio
cancellarii curice romanœ , en contient deux bien distinctes
dans le manuscrit. La première a pour titre, Domino Sof-
fredo^ sanctœ Romanœ ecclesiœ cardinali. L'objet de cette
lettre est le même que celui de la 257*^ au cardinal Octavien,
c'est-à-dire de flpchir le pape qu'il croyait indisposé contre
lui, parce qu'on lui avait ordonné d'admettre dans son cha-
)itre un homme qui l'avait desservi en toute occasion. —
j'autre doiit l'objet est le même a pour titre dans le manu-
t:
ETIENNE DE TOURNAI. 5j5
icnt ^ Johanni fdio cancellarii nlniœ itrhis , et commence par ^ ' L^f:^";'- '
ces mots dans le corps de la lettre a64 , Veteres amicitiœ. Ce
chancelier était un Orléanais, le même à qui l'auteur donne
la qualité de Domini papœ scriptori dans la lettre 65.
L'an 1 198, Hugues de Garlande ayant été élu évèque d'Or- Fpisi. 267.
léans , Etienne lui écrivit la lettre 207 pour le féliciter et lui
recommander l'abhaye de Saint-Euverte qui avait le doubk
privilège et de recevoir les évêques d'Orléans avant leur en-
trée solennelle, et de leur donner la sépulture après leur
mort : Undè assumptus estis ad cathedrani , illic absximcndus
eritis in sepulcro.
Nous ne savons s'il faut attribuer à notre auteur la lettre Epist. a68.
268 à un abbé qui n'est pas nommé, rédigée d'une manière
fort brutale. Comme elle n'est pas longue , nous la transcri-
vons ici en original. Petierat à vobis doniiniis Remensis
eqiium , et vos ei misistis asellum : undè non tant de munere
qiûun de muneris auctore cogimur admirari. Considerare
dehneratis non qualem vos niitteretis , sed qualeni doniinum
Remensem deceret accipere. Vohis ergo eum retromittimus ,
vos et cqimin vestrum œquo pretio œstimantes. Cette lettre
n'existe pas dans nos manuscrits.
Il s'agit dans la lettre 269 à Lambin, évêque de Térouane, Epist. 269.
de la translation de l'abbé de Sonnebeque à l'abbaye de
Saint-Barthélemi d'Esroult près de Bruges, et à cette occa-
sion l'auteur nous apprend que Lambin était né près de
cette dernière ville.
L'évèque de Paiis Eudes de Sully ayant attaqué l'exeinp- ^P"*- ^7***
tion de l'église de Sainte-Geneviève , et défendu sous peine i-^
d'excommunication aux paroissiens de tenir leurs assemblées '"^
dans la chapelle extérieure , dite aujourd'hui Saint-Etienne-
du-Mont, notre auteur combattit les prétentions du prélat
dans la lettre 270 au pape Innocent III , dont l'abbé Jean ,
allant plaider sa cause à Rome , fut le porteur.
Dans la lettre aya , l'évèque de Tournai rend compte au Epist. 27a.
pape Innocent III de la décision d'un procès, dont la con-
naissance lui avait été déléguée , entre l'abbaye de Falempin,
et le chapitre de Seclin , diocèse de Tournai.
Le même pape l'ayant chargé de prendre des renseigne- Epist. 27I. .
mens sur une ancienne procédure entre deux prétendans à
la prévôté du chapitre de Seclin , notre auteur lui répond',
dans la lettre suivante, que personne dans le chapitré n'a
pu lui en donner. Cette affaire était mieux connue à Rome
XII SIECLE.
576 ETIENNE DE TOURNAI.
qu'à Tournai, à en juger par la lettre dupape(lib. I,ep. 109)
qui entre sur cela dans un grand détail.
Epist. i^ty. L'an II 96, et non i2o3 comme l'a cru l'éditeur, i'ëvêquc
de Tournai ayant été invité par l'archevêque de Reims au
sacre de Rotrou du Perche , élu évêque de Châlons-sur-
Marne, s'excuse d« ne pouvoir y assister comme il le dési-
rerait, sur son grand âge et ses infirmités, et déclare qu'il
avait alors soixante-huit ans accomplis : Pater, in septuage-
sima , si heiic recolo , septuagesimum annuni hiennio miniis
cotnplevi, qui numerus annorum a psalmista prœfigitur senec-
I tuti. Nous avons fait usage de ce passage pour fixer l'époque
de la naissance de notre auteur.
Epist. 375. Craignant cependant de désobliger son archevêque auquel
il avait tant d'obligations , il écrivit à maître Bertier, fhomme
de confiance du prélat, de l'informer comment aurait été
reçue son excuse. Cette lettre est sans adresse dans f imprimé;
mais le manuscrit porte, Magistro Bertero , Cameracensi
archidiacono .
Epist. 1^&. Le sacre de l'évêque de Châlons ayant été renvoyé au jour
de l'octave de la Pentecôte, Etienne, malgré ses infirmités,
se détermina à y assister. C'est ce qu'il annonce à l'arche-
vêque dans la letlxe 276.
Les lettres 277, 278, 279, sont relatives à la demande
qu'on lui faisait de composer un office pour la fête de saint
Geraud, abbé de la Sauve-Majeure, qui venait d'être canonisé
l'an 1 197 ; mais l'éditeur n'a pas donné toutes les lettres qui
>6,-' ifUi regardent cette correspondance.
Epht. 178 , Non-seulement cette demande lui fut faite par l'abbé et la
a\. a3i. communauté de la Sauve, dont nous avons la lettre non
imprimée , mais encore par farchidiacre de Bordeaux qui ,
dans l'épître 278, lui propose, au nom de tous les Bordelais,
d'entrép^rendre ce travail, ne fut-ce que pour expier les poé-
sies profanes auxquelles notre prélat s'était livré autrefois :
Ut si quid maculœ in secidarihus carminibus quandoque
ludendo contraxistis , nunc opportunitate vobis ohlatà ffi'uc-
tuni) làhiorum vestrorum domino etbeato Geraldo afférentes,
dcvotiiis emendetis. Le P. du Molinet en altérant le titre de
, .€pfi .ttiq cette lettre qu'il 8upj)ose écrite à l'archidiacre de Bordeaux
par. l'évêque de Touinai, au lieu qu'elle le fut par l'archi-
diacre, l'a rendue' presque inintelligible, p;irce que, d'après
lés louanges cruelle contient, il faudrait attribuer à C( t archi-
diacre une célébrité qui ne convient qu'à notre prélat. C est
une remarque faite avant nous par les Bollandistcs.
ETIENNE DE TOURNAIl 677
La réponse du prélat à TablDé de la Sauve est contenue L
dans la lettre 277. Après avoir observé qu'il est peut-être Epist. 277 ,
ridicule qu'un évéque dans la caducité de l'âge s'amuse encore ^ ' ***'
à faire des vers, il consent néanmoins à entreprendre ce
travail : Rideant qui voluerint , dit-il; excusabit nos con^
scientia nostra et Jides non ficta.
Malgré la promesse du prélat, les bons religieux de là
Sauve, impatiens de recevoir l'office de leur patron et fon-
dateur, lui écrivirent encore pour lever les scrupules qui
auraient pu le i-etenir, et ils n'épargnent pas les louanges
qu'ils avaient déjà |>rodiguées dans leur première lettre.
Celle-ci n'a pas été imprimée, non plus que celle de notre
prélat en leur envoyant son écrit. 11 expinme de nouveau son
étonnement qu'on se soit adressé à lui, malgré la distance
des lieux, la différence des mœurs et du langage, tandis
qu'on aurait trouvé ailleurs , en France , en Aquitaine , en
Gascogne, des versificateurs plus habiles que lui. Si cepen-
dant ils daignent adopter son travail , il désire que son nom
soit supprimé , et reste inconnu.
En le remerciant de sa complaisance, et sur-tout de la Epist. 279,
célérité qu'il avait mise dans sa composition , les religieux ^'- *^^'
lui envoient par reconnaissance un bâton pastoral de bois
de cyprès, dont Etienne fit ensuite présent à Hugues de
Garlande, évéque d'Orléans, en lui envoyant la lettre 267.
Mais ils ne consentent pas à tenir son nom secret, parce que
c'est son nom qui doit donner du poids à sa production.
Nous avons cet écrit du prélat ; on peut juger s'il est digne
d'une si grande admiration.
L'abbaye de Saint-Euverte étant tombée dans un grand Epist. 280 ,
relâchement par la négligence de l'abbé, l'évêque de Tournai -i-aSg.
qui s'intéressait toujours aux maisons et à la gloire de son
ordre, écrivit à l'évêque d'Orléans, Hugues de Garlande,
la lettre 280, pour le prier d'y apporter remède. — Dans la Kp'*f- *8' >
suivante à l'abbé Bertier, il lui fait de vifs reproches sur sa '''• ^''°-
négligence , et l'exhorte à être plus attentif à remplir les
devoirs de sa charge.
uLe nouvel évéque d'Orléans, Hugues, voulant exercer sur Epist. 282.
l'abbaye de Saint-Euverte le droit de procuration ou de gîte,
notre auteur lui adressa la lettre 282 , dans laquelle il certifie
que depuis quarante -cinq ans qu'il était entré dans cette
maison , aucun évéque n'avaitusé de ce droit ; qu'il larrivait
Tome XF. Dddfl
by$ ETIENNE DE TOURNAI.
'- quelquefois qu'il prît envie à l'ëvêque Manassés, oncle du
prélat , d'aller dîner à Saint-Euverte , mais il avait l'attention
de faire porter son dîner par ses gens.
EpUt. 283. La lettre 283 n'existe dans aucun de nos manuscrits. L'édi-
teur l'a tirée sans doute de l'original en feuille volante. Elle
est adressée au pape Clément III, au nom du doyen de
l'église de Paris et de Pierre-le-Chantre , commissaires avec
lui délégués pour contraindre l'évêque de Troyes à livrer
aux chanoines réguliers de Saint-Loup l'église paroissiale de
Marigni. La suscription est ainsi conçue : Sanctissimo patri
et domino démenti, Dei gratiâ summo pontifici et universali
papœ, Stephanus beatœ Genove/œ dictus abbas, B. decanus
et P. cantor Parisiensis , obedientiœ , devotionis et obsequii
Gall. Christ, plenitudinem. Les auteurs du GalUa Christiana ont reproché
t. VII, col. 197. avec raison à l'éditeur d'avoir nommé Bernier le doyen qui
sousci'ivit cette lettre, Bernier ayant cessé d'être doyen vers
l'an I i4o. La lettre B. ne peut pas même désigner Barbedor,
parce qu'il n'était plus doyen l'an 1 188, époque du bref du
pape transcrit dans la lettre. Il paraît que le copiste a mis
un B pour un H, initiale du nom Hervé, alors doyen du
chapitre de Paris. ►'>
Epist. 285, La lettre a85 à l'archevêque de Reims n'est pas non plus
al. 106. îj gjj place. Etienne était encore abbé de Sainte -Geneviève
lorsqu'il l'écrivit; c'est la qualité qu'il prend dans le manu-
scrit : Sanctissimo domino et patri ff^. Dei gratiâ Remensi
archiepiscopo frater Stephanus de Sancta Genovefa saliitem
et cum omni devotione vigilem obedientiam. Ce qui a trompé
l'éditeur c'est qu'il est question dans cette lettre, comme
dans la 280'^ et 28 1«, des désordres qui régnaient à Saint-
Euverte ; il a voulu les rapprocher , sans faire attention
qu'elles se rappoi'tent à des temps différens.
Epist. 286, Enfin la 286^^ et dernière lettre est une charte qui n'existe
pas dans les manuscrits. Elle est datée de l'an 1 194, et con-
tient une déclai-ation portant que l'accueil obligeant qu'il
avait reçu de ses confrères à Saint-Barthélemi de Noyon ne
devait pas établir un droit pour les évêques ses successeurs;
qu'il ne devait qu'à leur amitié les services qu'il en avait
reçus.
On peut juger, d'après le compte que nous venons de
rendre de la presque totalité des 286 lettres d'Etienne de
Tournai, de quelle importance elles peuvent être pour 1 his-
toire civile ou ecclésiastique, et sur- tout pour l'histoire de
ETIENNE DE TOURNAI. 570
, ,. • • j ' il XII SIECLE.
l'ordre des chanoines réguliers qui jeta uu assez grand éclat
dans le XIP siècle , et dont l'évêque de Tournai ne fut pas
le moindre ornement. Ce qui procura à cet illustre prélat la
grande considération dont il jouit, ce fut, indépendamment
de sa capacité dans plusieurs genres de littérature et des
vertus cléricales dont il fut le modèle, ce fut l'estime et la
confiance que lui accordait Guillaume de Champagne, arche-
vêque de Reims , cardinal-légat du saint-siége , oncle du roi
Philippe -Auguste, qui eut sous ce règne tant d'influence
dans le maniement des affaires, et qui l'avait admis cîans ses
conseils : Benevolentia vestra, dit notre auteur dans une de
ses lettres, me gratis amplexata est, et in consortio locans et, P"'* *
a consilio non excludens. Cette confiance de l'archevêque ne
se démentit jamais : on le voit par le grand nombre de lettres
qu'Etienne lui écrivit depuis l'an i 168 jusqu'à sa mort. Nous
en avons compté 44 1 dans lesquelles l'auteur se fait un plaisir
de reconnaître qu'il tenait tout de lui, qu'il était sa créa-
ture (i).
On a pu aussi remarquer combien l'édition du P. du Mo-
linet est imparfaite. Il n'avait qu'un seul manuscrit pour
corriger et compléter la première édition remplie de lacunes,
et ce manuscrit autrefois de Saint-Martin de Tournai, aujour-
d'hui à la bibliothèque Royale sous le n° 8566 A, ne contient
que 216 lettres dont on a souvent retranché les adresses
f)our y substituer des sommaires indicatifs du contenu : de
à vient qu'on ne sait à qui sont adressées la plupart des
nouvelles lettres que l'éditeur a publiées. Quant aux notes,
quoiqu'elles soient longues et multipliées , il s'en faut de
beaucoup qu'il ait expliqué tous les endroits qui avaient
besoin tl' explication ; il y a répandu l'érudition d'un anti-
quaire, non celle d'un savant dans la littérature du moyen
âge. Le plan qu'il avait conçu pour l'arrangement des lettres
était beau et naturel, mais il ne l'a pas rempli; plus il s'est
écarté de l'ordre établi dans les manuscrits, plus il a mis de
confusion dans son arrangement. C'est ce qu'on remarque
particulièrement dans la troisième partie, oii l'éditeur a
(i) Epist. 233 : Consulite mihi , pater , plasmati vestro. Kpist. 289 : Coh-
iuUte creaturœ vestrœ. Epist. 262 : Non abjiciet me plastes lutnm suum,
vasculum suum figulus , artifex opus manuum suarum. Epist. 264: Erexistis
humilem de pulvere ^ de scabello sublimastis ad cathedratn ^ de grege pusill»
tainquam de post fœtantes accepistis me, et in millia milliwn prœfecistis.
Dddda
XII SIECLE.
58o ETIENNE BU TOURNAI.
rejeté presque toutes les nouvelles lettres qu'il donne, dont
aucune, à proprement parler, n'est à la place que réclamait
l'orflre chronologique.
Etienne Baluze qui avait communiqué à l'éditeur un pre-
mier travail qu'il avait fait sur ces lettres, fut si mécontent
de son édition, qu'il entreprit d'en préparer une autre, dans
laquelle il rétablissait les lettres selon l'ordre qu'elles occu-
pent dans les manuscrits. Il se servit utilement du manuscrit
sain et entier qui avait appartenu jadis à François Pétrarque,
aujourd'hui coté à la bibliothèque Royale 3928. Son travail
existe dans la même bibliothèque; le texte des lettres y est
corrigé avec la plus grande exactitude , mais les notes n'y
sont qu'ébauchées, ne contenant que l'indication des auteurs
au'il se proposait de consulter dans la ré<laction. Le nombre
des lettres qu'il avait recueillies est bien ])lus considérable
que dans l'édition du P. du Molinet : celui-ci n'en a imprimé
3ue 286; Baluze en avait préparé Sig, en y comprenant une
ouzaine d'autres lettres- anecdotes, qu'il avait tirées d'un
manuscrit du chancelier Seguier. C'est de ces lettres-anec-
dotes, soit du manusciit de Pétiarque, soit de celui du chan-
celier Seguier, qu'il nous reste à rendre compte. Elles sont
maintenant imprimées dans le t. X, partie seconde des no-
tices des manuscrits de la bibliothèque Royale, p. 66.
Le manuscrit de Pétrarque en fournit 19.
Toi. i3t,ver. La 16^ à un ami parvenu à quelque éminente dignité, a
pour objet de le tranquilliser sur des mauvais propos que
des envieux tenaient ou pourraient tenir sur son compte.
Toi. i3a, rec. Dans la i65*', l'auteur rend compte au pape Grégoire VIII
des troubles qui existaient dans l'ordre de Grandmont, et
des moyens qu'il convenait de prendre pour rétablir dans
cet ordre mal organisé la paix -et l'union entre les clercs et
les frères lais.
Le pape Grégoire VIII n'ayant tenu le saint-siége que
l'espace de quatre mois, l'abbé de Sainte-Geneviève écrivit
à son successeur Clément III la lettre i66 sur le même objet.
Fol. i33, rec. II rapjxjlle, dans la i6j^ au cardinal Soffroi , l'étroite union
dans laquelle ils avaient vécu ensemble, et lui demande sa
protection pour les affaires qu'il avait ou qu'il pourrait avoir
en cour de Rome.
lUd. Voulan.t recommander aux sohtaires de la grande char-
treuse un diacre qui aspirait au bonhour d'être wçn parmi
eux , il fait un grand éloge de leur ordre et de leurs institu-
tions dans la lettre i68.
Jbid. Ter.
XII SIECLE.
ETIENNE DE TOURNAI. 58i
L'abbe de Cîteaux avait renvoyé un religieux qui, dans
son enfance, avait eu le malheur de blesser à mort un de ibid. \er.
ses camarades en jouant. Etienne écrit à l'abbé que le cas
est très-graciable , et lui conseille de permettre à ce religieux
de vivre au moins parmi ses frères , s il ne juge pas à propos
de lui accorder l'exercice de ses fonctions cléricales. Tel est
l'objet de la lettre 169.
La 2i2« à Pierre, evêque d'Arras, a deux objets, 1° de lui Foi. 146, rec.
témoigner la paît que 1 évêque de Tournai avait prise à la
maladie dont ce prélat relevait; 2° de le consulter sur une t?8' •'"'î
affaire qui devait lui être exposée par son messager. ■•v-,
Pendant que la ville de Tournai était assiégée, l'an 1 197, Fol. i59,ver.
par le comte de Flandre et de Hainaut, l'évêque d'Arras
s'était informé par lettre de la situation oix se trouvaient les
assiégés. Etienne lui répond dans la lettre 267, et le prie à
son tour de l'informer lui-même de ce qui se passait au-aehors
relativement à sa propre ville, ainsi que dans les armées du
roi et du comte.
L'archevêque de Reims avait chargé notre prélat de réfor- Fol. 160, vit
mer certains abus qui s'étaient glissés à Saint- Martin dé
Tournai. L'abbé, lom de réformer sa conduite comme ^1
l'avait promis, avait pour ainsi dire pris à partie et l'archer
vêque-légat et son évêque. C'est de quoi cel^i-ei informe son
métropolitain dans la lettre 270.
La 271* et la suivante à l'abbé et aux chanoines de Sainte- Fol. 161.
Geneviève ne sont pas honorables pour cette abbaye, c'est
pourquoi le P. du Molinet les a entièrement omises. Il s'agit
dans l'une et dans l'autre de quelques turpitudes dont de?
individus s'étaient rendus coupables , et qui avaient transpiré
dans le public. Ce n'était pas une raison pour supprimer
ces lettres : la juste réclamation , mêlée d'indignation , de
l'évêque de Tournai fait plus d'honneur au corps que le vice
de quelques particuliers ne pouvait lui nuire. Ce qui flétrit
les corporations c'est l'impunité des coupables. .1
L'évêque de Tournai avait donné un canonicat de soiiji foI. 16/,, ver
église à un clerc qui n'est pas nommé; mais le cardinal Aider
brandin, neveu du pape, demandait ce bénélice pour un de
ses clercs. Etienne avait de la peine à révoquer le dan qu',^
avait fait, et il n'aurait ptis voulu se compromettre avec le
pape. Dans la lettre 284 il expose à son protégé l'embarras
cil il se trouve, afin que celui-ci prenne de lui-même le parti
de se démettre.
XII SIECLE.
582 ETIENNE DE TOURNAI.'
L'an 1 198 , un jeune genovéfain, nommé Marcel, qui avait
ibid. suivi son abbé à Tournai, ayant été élu abbé de Cisoing dans
■le même diocèse, Etienne écrivit ^a lettre 285 à l'archevêque
de Reims , pour le prier de confirmer cette élection , en con-
sidération des bonnes qualités du jeune abbé , auxquelles il
rend témoignage.
■^*«'' La lettre 286 est proprement une charte de dotation du
■■■^■^ .^ chapelain attaché à la chapelle épiscopale construite par
notre prélat l'an 1 198.
Fol. i65,rec. Ayant fort à cœur l'avancement de son confrère Marcel , il
écrivit à l'abbé et aux chanoines de Sainte-Geneviève la lettre
287 , dont furent porteurs les députés du chapitre de Cisoing
chargés de demander, selon l'usage du temps, l'émancipa-
tion de leur nouvel abbé.
^bid. Bientôt après , ou peut-être en même temps , l'abbé Marcel
fut envoyé a Sainte-Geneviève avec une lettre du prélat qui
permettait de rappeler dans la maison les membres qui en
avaient été éloignés à l'occasion des scandales dont il a été
parlé plus haut. C'est la lettre 288.
Ibid. La suivante 28g est adressée à l'évêque de Tournai par
l'abbé et les religieux de la Sauve- Majeure au diocèse de Bor-
deaux. Ils s'adressent à lui comme au plus habile versifica-
teur de son temps , pour le prier de composer un office eu
l'honneur de saint Geraud leur patron , qui venait d'être
canonisé l'an 1197.
Fol. 166 , rec. Quoique le prélat se fût chargé de ce travail , avec quel-
aue répugnance, à cause de son grand âge, les religieux
e la Sauve insistèrent dans la lettre 29 1 , afin de lever les
scrupules qui auraient pu le retenir.
Jbid. "ver. Enfin SOUS le n° 292 se trouve la lettre du prélat accompa-
gnant l'envoi qu'il faisait de l'office de saint Geraud aux re-
ligieux de la Sauve.
Telles sont les lettres-anecdotes que fournit le manuscrit
de Pétrarque. Etienne Baluze en avait encore recueilli, comme
nous l'avons déjà dit , une douzaine dans un manuscrit du
chancelier Seguier, dont il est aussi à propos de dire un mot.
La première est un compte rendu au pape Alexandre III
touchant une affaire dont la connaissance avait été déléguée
à notre Etienne et à l'abbé de la Cour-Dieu.
La 2.^ écrite au nom de l'abbé de Saint-Barthélemi de
j>foyon à Guillaume, archevêque de Reims, a pour objet
ETIENNE DE TOURNAI. 583
de dispenser ce vieillard infirme de se rendre au concile de
Latran convoqué l'an 1 179 par le pape Alexandre III.
Dans la suivante au cardinal Pieri'e de Saint-Chrysogone ,
qui venait d'être créé évêque de Tusculum ou Frascati , l'au-
teur se flatte de revoir son ami en France, et il lui en té-
moigne le désir.
La 4*" est sans adresse ; mais il paraît qu'elle fut écrite à
Bernerède, abbé de Saint-Crêpin de Soissons, qui fut fait
cardinal-évêque de Palestrine Van 11 79. Elle a pour objet
de le féliciter et de demander sa protection auprès du saint-
siége.
La 15® est adressée à Nivelon , évêque de Soissons , et au
doyen de la même église, qui devaient juger un procès entre
l'abbaye de Saint-Barthélemi de Noyon et celle de Saint-
Crêpin de Soissons.
On ne sait à qui la 6® est adressée. L'auteur y dénonce les
entreprises d'un chanoine régulier de Bénévent dans la
marche limousine, nommé B. de Alenac , lequel, loin d'o-
béir à son prieur, ne craignait pas d'élever autel contre
autel. Ce prieur nommé Simon n'a pas été connu des auteurs
du Gallia Christiana qui ont donné le catalogue des prieurs
et abbés de Bénévent, au tome II , col. 619.
La 7*' n'a pas non plus d'adresse. Nous pensons qu'elle fut
écrite à Guillaume, archevêque de Sens et en même temps
évêque de Chartres , parce qu'en sa première qualité il avait
ajourné»^ l'auteur , alors abbé de Saint-Euverte d'Orléans,
à comparaître en jugement à Sens , et comme évêque de
Chartres il l'avait chargé d'une commission urgente à Blois.
Après le meurtre commis, l'an 1167, sur la personne de
Jean de la Chaîne , doyen de l'église d'Orléans, le sous-doyen
Hugues de Garlande, neveu de l'évêque Manassès, fut élu
à sa place. Cette élection trouva des contradicteurs, et donna
lieu a une procédure. Etienne qui avait concouru à l'élection,
écrivit aux commissaires délégués pour juger ce différend ,
mais qui ne sont pas nommés , la lettre 8 , dans laquelle il
raconte ce qui s'était passé , et affirme que sa relation con-
tient l'exacte vérité, telle qu'il l'avait certifiée au pape dans
une autre lettre que nous n'avons pas.
Etienne était aussi abbé de Saint-Euverte lorsqu'il écrivit
à Guillaume, archevêque de Sens, la lettre 9 en faveur d'une
femme appartenant au vasselage de son abbaye par son père,
laquelle se plaignait d'être entièrement délaissée par son mari.
XII SIECLE.
XII SIECLE.
^' ETIENNE DE TOURNArl.
La 10* à Hugues, abbé de Saint -Barthëlemi de Noyou,
est relative à la peine que méritait un chanoine régulier
coupable de désonéissance et de rébellion contre son abbé.
C'est une consultation d'avocat nourrie de citations du décret
de Gratien.
La lettre ii qui n'est qu'un billet, est si peu intéressante
que nous n'aurions rien a en dire, si elle avait une adresse.
Comme elle n'a pour objet que de recommander un religieux
qui allait passer quelque temps dans une autre maison, et
3ue parmi les lettres imprimées nous en trouvons plusieurs
e ce genre à l'abbé de Saint-Satur dans le Berri , nous pen-
sons que celle-ci lui est aussi adressée.
Etienne écrivit la dernière des douze au cardinal Guillaume
de Pavie , évêque de Porto , en empr'untant le nom de Guil-
laume de Champagne, archevêque de Reims. C'était pour
obtenir du pape , par le moyen de ce cardinal , la révocation
de certaines lettres que le pape avait accordées à la sollici-
tation d'un mauvais sujet nommé Lodoyc , chassé plusieurs
fois de son corps, qui demandait à y rentrer, quoiqu'il evit
promis en présence du roi de sortir du royaume et de s'ex-
patrier pour toujours. La date de cette lettre est aisée à
trouver, parce que Guillaume de Pavie, auparavant prêtre-
cardinal de Saint-Pierre-aux-Liens, fut fait évêque de Porto
l'an 1 1 76 , et mourut l'année d'après.
Mart. Ainpi. D. Martène a publié une longue lettre d'un anonyme cha-
coUect., t. I, noine régulier à un ami, dans laquelle l'auteur expose les
col. 787-79^ motifs qui l'ont déterminé à embrasser la vie religieuse, et les
avantages qu'on trouve dans les exercices du cloître , afin d'y
attirer son ami. On voit par le début qu'ils s'étaient vus l'un
et l'autre à Orléans , et que l'auteur étant retourné à Chartres
après sa profession , y avait repris les fonctions de l'ensei-
gnement comme auparavant. Tout cela convient parfaitement
a Etienne devenu chanoine régulier à Saint- Euverte d'Or-
léans, comme on peut s'en convaincre par la lecture des
épîtres 17, 36 et 87 de la nouvelle édition. Après avoir acquis
cette conviction , ce ne sera peut-être pas trop hasarder
d'avancer que l'ami auquel il écrit était son ancien maître de
grammaire dont il parle dans les lettres 26, 27, 28, qui,
d'après ses avis, s'était fait religieux à la Charité-sur-Loire,
et dont il se dit le disciple dans celle-ci. Si nos conjectures
ne sont pas entièrement vaines, il nous semble que cette
lettre aurait dû être la première dans la collection; mais
ETIENNE DE TOURNAI.
585
quoiqu'elle soit très-ëdifiante , l'auteur y fait des aveux trop
humilians sur les ëgaremens de sa vie passée pour n'avoir
pas désire qu'elle restât anonyme.
Malgré le désir que nous avons eu d'être courts en ren-
dant compte des lettres d'Etienne de Tournai , on trouvera
peut-être que nous nous sommes trop étendus ; mais si l'on
fait attention à l'état d'imperfection dans lequel ces lettres
ont été publiées jusqu'à-présent, nous espérons qu'on nous
saura quelque gré des observations que nous nous sommes
permises. Nous serons plus réservés en rendant compte de
ses autres écrits.
XII SIECLE.
Praef.
SES SERMONS ET SES STATUTS SYNODAUX.
Les sermons d'Etienne de Tournai eurent de la célébrité
de son temps. Nous voyons par la lettre 4i que l'archevêque
de Tours, Barthélemi de Vendôme, l'employait à lui com-
poser des sermons. Le P. du Molinet donne la liste de 3 1 de P- 436.
ces discours qu'il avait recueillis dans quatre manuscrits de
la cathédrale de Tournai, de Sainte -Geneviève, de Saint-
Victor , et du collège de Navarre ; mais il n'en a publié qu'un
seul prononcé dans un synode , pour donner une idée de
tous les autres, qui paraîtraient aujourd'hui, dit-il, insi-
pides et même puérils. Bien différens des belles homélies
des saints pères et de leur manière d'expliquer l'écriture
sainte , on n'y trouve pas cette morale substantielle qui
nourrit et ravit les âmes; ce sont des allusions froides ou
des petites pointes selon le goût du temps. Nous nous abs-
tiendrons cf'en dire davantage.
Le même éditeur a placé à la suite des lettres quatre ou P. 4i'>.
cinq statuts synodaux informes, qui, dans les manuscrits,
tiennent la place des lettres 6 , 7 , 8 , 9. Ce ne sont que des
préambules qui indiquent tout au plus l'objet du règlement,
mais qui ne présentent aucun dispositif.
SES POESIES.
Il est certain qu'Etienne de Tournai eut la réputation d'un
habile versificateur. On s'adressait à lui dans des occasions
solennelles pour composer des épitaphes ou des hymnes en
l'honneur des saints. Il parle dans plusieurs denses lettres
des vers qu'il avait composés dans sa jeunesse. Ecrivant au
Tome XV. * Eeee
XII SIECLE.
586 ETIENNE DE TOURNAI.
cardinal Pierre, évêque de Tusculum, qui avait désiré les
Epist. 43. avoir : Rogo , lui dit-il, ut puerilia mea, quamvis digna
sint risii, benevolo tamen suscipiatis affectu. Et dans une
Epist. 277. lettre à l'abbë de la Sauve : Quandoque lusimus métro , for-
sitan et prosâ, nec lusisse pudet. JJ archidiacre de Bordeaux,
])our le de'terminer à composer l'office de saint Geraud, abbe'
de la Sauve , lui suggère que ce travail sera comme une ex-
piation des vers profanes que notre prélat s'était permis de
Epist. 278. composer dans sa jeunesse : Ut si quia maculœ in secularibus
carminibus quandoque ludendo contraxistis , nunc opportu-
nitate 'vobis oblatd, labiorum vestronim vitulos domino et
beato Giraldo afférentes , devotiiis emendetis. Cependant ce
qui reste des poésies de notre prélat est peu de cnose.
Boll. 5 april. jo Lg morceau le plus considérable est cet office de saint
p. /,io,n Geraud. Le P. Papebrock en a imprimé les leçons et le pre-
mier répons que nous plaçons ici comme un échantillon des
autres :
Delectare, Sylva-major , in Giraldi nomine ,
Qui splendore -veri solis et cœlesti lumine
Umhram tuam Hheravit a mortis caligine.
Et mundawt saltus tuos ab ejfuso sanguine.
'■<' Les antiennes à laudes et à vêpres, ainsi que les hymnes,
étaient pareillement en prose rimée. Papebrock n'a imprimé
que les hymnes, dont voici une strophe pour juger de la
tacture :
Exaltet Aquitanin fatris nostri prœconia ,
Cujus gaudet prœsenliâ , sentitque bénéficia , etc.
P. 420- Du Molinet a réimprimé tout ce qu'il a trouvé dans les bol-
landistes sans y rien ajouter.
Rer. Fran., a** André Duclicsne a publié une épitaphe du roi Louis-
t. IV, p. 444. le-Jeune, dont il ne connaissait pas l'auteur. Elle commence
par ces mots : Transit in hœredem pius ille prier Ludovicus.
On y loue la piété , la foi , la chasteté du prince , son amour
pour les pauvres , et la protection qu'il accordait aux églises,
en quatorze vers hexamètres et pentamètres , non rimes ,
s.Bern. gcnus qui ne sont pas sans mérite. Le P. Ghifflet, jésuite, a dé-
ill. p. 90. couvert le nom de l'auteur, maître Etienne de Sainte-Gene-
viève, dans un manuscrit du monastère de la Charité, ordre
de Gîteaux au diocèse de Besançon.
'3» Il n'est pas douteux qu'il ne soit l'auteur de l'épitaphe
XII SIECLE.
ANONYMES, AUT. DE CHRONIQ. D'ANJOU. 687
de Maurice de Sully, évêque de Paris, commençant par ces
mots : Excisus miseiv. Elle fait partie de la lettre 260, dont
il a été parle' plus haut.
Il nous resterait à parler de son commentaire sur le Décret
de Gratien, dont il existe un grand nombre d'exemplaires
manuscrits dans les bibliothèques. Le P. du Molinet n'en a P. 439.
imprimé que la préface qui est comme l'introduction au reste
de l'ouvrage, contenant des principes généraux ou les notions
préliminaires à l'étude du droit ecclésiastique. Il paraît que
l'auteur avait composé ce long commentaire à l'usage des
étudians qui suivaient ses leçons à Chartres ou à Orléans.
L'ouvrage ayant été examiné par d'habiles gens, on fut
d'avis qu'il était inutile d'en grossir le volume des lettres.
Cette décision nous dispense d'entrer dans un plus grand
détail. B.
ANONYMES,
AUTEURS DE CHRONIQUES D'ANJOU.
J_jiE pays d'Anjou a eu, dans le XP siècle, entre autres his-
toriens dont les écrits sont perdus, Renaud, archidiacre
d'Angers, et Foulques-le-Rechin , comte d'Anjou, des écrits
desquels il a été rendu compte dans cette Histoire , pour le t. viii , p.
XII siècle, outre Jean de Marmoutier, qui a déjà eu son ^2-38.
article, le P. Labbe et D. Martène ont publié plusieurs _3 g 'P' ^
chroniques anonymes qui vont faire le sujet de celui-ci.
1° Le P. Labbe a tire des manuscrits de l'abbaye de Saint- . Bibl.mss.cod.
Aubin d'Angers, cinq chroniques ou fragmens de chroniques, '• i' P- ^vS-
dont la première commence à l'année 92g , et finit à l'année
1200; la seconde remonte à l'année 76Ô, et se termine à
l'année 11 10; la troisième est un supplément à la précédente,
depuis l'an io47 jusques à 1106. Le P. Labbe a encore im-
primé sur un manuscrit de l'abbaye de Vendôme, une chro-
nique d'Anjou, qu'il a divisée en deux parties, dont l'une
Eeeea
283.
588 ANONYMES, AUX. DE CHRONIQ. D'ANJOU.
XIÏ SIFr*! K
' ' ' ' finit à l'année loôy, et l'autre poursuit jusqu'à l'année laSr.
Anccd. t.iii, j). Martène, d'après le manuscrit 4q55 de la bibliothèque
col.i38i-i383. Tî^ 1 • £ » < r- n '^^ • ■ , ^
Uoyale, qui avait appartenu a Loibert, en a imprime une
autre qui s'étend depuis l'année 781 jusques a 1192, et
même iipô.
T. VIII, p. On a rendu compte, dans cette Histoire, de la première
'i5-/i7- partie de la chronique de Vendôme, qui tient le quatrième
rang parmi celles du P. Labbe , ainsi que du commencement
de celle de D. Martène jusqu'à l'année 1079, où l'on voit que
l'écriture du manuscrit commence à être d'une main diué-
ibid. t. IX, rente. On a dit aussi un mot des seconde et troisième chro-
P" 9" niques du P. Labbe ; mais on n'a pas encore parlé de la
première qui est la plus considérable , et de laquelle c'est ici
le lieu de nous occuper.
Labbe, zô/V/. Le P. Labbe dit avoir lu dans quelques mémoires de
m syllabe. ]y[ jg Peiresc , que ce savant avait vu au-devant d'un manus-
crit de Saint-Aubin d'Angers, contenant les lettres de saint
Ambroise, écrit du temps de l'abbé Hugues , vers 1 156, deux
chroniques, dont l'une commençait avec la création du
monde, et finissait en iiSy à la mort de Louis-le-Gros ;
l'autre, qui commençait en 920, était écrite de la même
main et cie la même encre jusquen ii74i et ensuite jusqu'à
l'an 1200, était écrite sur chaque année par des mains dif-
férentes. Il n'est pas douteux que cette dernière partie est
celle qui a été donnée au public par le P. Labbe, mais la
première n'a pas été publiée.
Celle qui a été imprimée par D. Martène est en tout diffé-
rente de la précédente, jusques à l'année 1079; mais depuis
cette époque jusqu'en 1 190, l'éditeur a trouvé tant de con-
formité entre cette chronique et celle du P. Labbe, qu'il a
fait beaucoup de retranchemens ; en renvoyant à l'imprimé
du P. Labbe, il aurait pu aussi remarquer que la première
partie de sa chronique est plutôt l'ouvrage d un Tourangeau
ï. XII , p. que d'un Angevin. Les continuateurs du Recueil des histo-
^79-/184. riens de France qui ont réimprimé la chronique du P. Labbe,
n'ont pris de celle de D. Martène, que les variantes qu'ils
ont placées au bas des pages.
Ces deux chroniques sont intéressantes pour l'histoire
d'Anjou; on y trouve la suite des comtes, leurs guerres et
leurs actions les plus mémorables, quoique d'une manière
sèche, selon l'usage des chroniqueurs; la succession des
ANONYMES, AUT. DE GHRONIQ. D'ANJOU. 689
évêques d'Angers et des abbés de Saint-Aubin; et dans les X.11 siècle.
derniers temps , des traits plus étendus sur les rois d'Angle-
terre, de la maison d'Anjou, auxquels les derniers conti-
nuateurs paraissent avoir été très-affectionnés , quoique ces
princes ne fussent guère chéris des Anglais.
2° Le P. Labbe a publié une seconde chronique de Saint- Labbe , Md.
Aubin, depuis l'année 768 jusqu'en 1 1 10, suivie d'un appen- ?• *'^o-^*'-
dice depuis io47 jusques à 1 106. Ce sont celles dont il a été •
rendu compte dans cette Histoire, t. ix, p. 56q. Cette mul-
tiplicité de chroniques d'un même lieu , écrites dans le même
temps , très-peu remplies d'événemens , dont les auteurs
semolent s'être tellement concertés que l'un laisse vides deS'
années que l'autre remplit, aurait de quoi étonner, si l'on
ne savait que ces sortes d'ouvrages étaient écrits ordinaire-
ment sur les feuillets des manuscrits qu'on laissait en blanc
au commencement et à la fin. Tel était celui qu'avait vu à
Saint-Aubin le célèbre Peiresc. Comme on était gêné par
l'espace , on écrivait tantôt au commencement , tantôt à la fin ;
tantôt sur un manuscrit , tantôt sur un autre. C'est ce qui a
produit ces divers fragmens qui, réunis ensemble, forme-
raient une bonne chronique , passablement remplie selon le
goût de ces temps.
3" Le même éditeur a imprimé sur un manuscrit de l'ab- ^■^^«' '*'*'•
baye de Vendôme, une chronique depuis l'année 678 jus-
qu'en laSi , qui tient le quatrième rang parmi celles d'Anjou,
quoiqu'elle parle plus du Vendômois que de l'Anjou. Mais
on sait que l'abbaye de Vendôme avait dans sa dépendance
le prieuré de Leviere fde Aquaria), au faubourg d'Angers :
ce qui devait rendre les religieux de Vendôme attentifs à ce^
qu'y s'y passait. Là première partie de cette chronique , dont
on a rendu compte dans cette Histoire, finit à l'année 1067, ^' ^'^'
et ne dit presque rien de l'abbaye de Vendôme, qui n'exis-
tait pas avant 1 année loSa , mais elle donne des époques sur
l'histoire générale de la monarchie. La seconde partie, qui
commence à l'année 1060, et finit en laSi , est l'ouvrage de
plusieurs auteurs, qui ont écrit successivement les faits qu'elle
contient. Le premier vivait en 1075, car il dit avoir vu, le
27 septembre de cette année, qui était un dimanche, et le;
1 3 de la lune, avant qu'il fiît jour, la troisième partie de la
lune, du côté du midi, plus noire qu'un sac de poil de chèvre,
noirceur qui se dissipa peu-à-peu dans l'espace de deux heures.
C'était une éclipse marquée ce jour-la dans les tables astro-
283—291.
45-47.
XII SIECLE.
590 ANONYM, AUT. DE CHRON. DE PICARDIE.
nomiques(i), quoique l'auteur en parle comme d'un prodige.
Cet auteur ne peut pas être le même qui écrivait en laÔi; il
faut donc en admettre plusieurs, qui étaient tous religieux
de Vendôme. On trouve dans leur chronique des traits cu-
rieux sur les comtes d'Anjou et de Vendôme, avec la succes-
sion des abbés du monastère, jusqu'à l'abbé Hamelin qui,
en iai5, assista au grand concile de Latran, ovi il prit place
à son rang parmi les cardinaux : ce qui prouve qu'encore
alors on reconnaissait à Rome les droits de l'abbaye de Ven-
dôme sur l'église cardinale de Sainte-Prisque.
Les continuateurs du Recueil des historiens de France,
ont donné plusieurs extraits de cette chronique, t. VIII,
p. 261; t. X, p. 176; t. XI, p. 3o; t. XII, p. 486. B.
'■(i) On lit dans l'imprimé quinto kal. novembris. C'est une faute'; il faut
Vaéoctcbris, pour être d'accord avec les tables astronomiques.
• ' . ' >. I''
iHJi :;î 1; ki'iii . ..
ANONYMES,
.n}«.*^«.. AUTEURS DE CHRONIQUES DE PICARDIE.
Ija Picardie , qui eut , dans le XI« et XII« siècles , et particu-
lièrement à Laon, d'excellentes écoles, et des professeurs cé-
lèbres, produisit, dans le genre de l'histoire, de bons écri-
vains,tels que Guibert, abbé de Nogent, Hariulfe, moine de
'I ' IH ' Saint-Riquier , Hérimanne, de Laon, qui ont eu leurs ar-,
ticles dans cette Histoire. Nous traiterons dans celui-ci de
quelques écrits anonymes qui peuvent encore servir à l'his-
toire de cette province dans le XII^ siècle.
Exnis. cod. 1» Le premier est une longue relation d'un religieux de
l'abbaye de Saint-Germer de Flaix ( Sancti-Geremarl hlaia-
censis , ou FlaviacensisJ, qui a pour objet de revendiquer,
contre les chanoines de Beauvais, les reliques de saint Ger-
mer, fondateur du monastère, au diocèse de Beauvais, sur
la rivière d'Epte. L'auteur écrivait, vers l'an 11 Sa, sa rela-
tion, à laquelle il a donné pour titre : Narratio qualitcr
reUqidas beati patris nostri Gereniari accepimus.
XII SIECLE.
ANONYM. AUT. DE CHRON. DE PICARDIE. 691
Au sujet de ces reliques, l'anonyme fait l'histoirei de son
monastère, depuis sa fondation, l'an 65o, jusqu'au temps où
il écrivait. Il nous représente d'abord l'état florissant ae ce
monastère jusqu'à l'arrivée des Normands, sous la conduite
de Hastaing, et ensuite de Rollon , dont il décrit en peu de
mots les cruautés et les ravages. A cette dernière époque,
les religieux transportèrent à Beauvais les reliques du sanit,
pour les soustraire à la fureur des Normands, lesquels ayant
renversé, comme tant d'autres, ce monastère ae fond eti
comble, les reliques restèrent à Beauvais, après l'extinction
des religieux qui les avaient accompagnées , dans Une des
tours de l'église de Saint-Pierre, qui est la cathédrale. En-
viron cent trente ans après, l'évêque Drogon songea à rele-
ver de ses ruines le monastère, et il y rétablit en io3o des
religieux qui , dans peu de temps , furent en état de com-
muniquer a d'autres monastères des hommes de lettres et
des supérieurs vertueux. Mais il manquait à leur bonheur
d'avoir avec eux les reliques de leur patron : chose extrême-
ment importante dans ces vieux temps. Ils s'adressèrent
d'abord au roi Philippe I*"" , et à l'évêque Odon , qui se con-
certèrent pour les leur faire rendre. Mais le clergé et les
habitans ae Beauvais, qui regardaient ce saint comme un
Dieu tutélaire contre la contagion du feu dit saav, qui dé-
solait alors les provinces de France, eurent la précaution de
les soustraire pour le moment , et firent courir le bruit qu'on
les avait enlevées. Enfin les rehques ayant été retrotivées,
l'auteur raconte fort au long par quel événement les reli-
gieux obtinrent, l'an iiSa, de l'évêque Pien-e, qu'on leur
rendrait, comme une insigne faveur, un os du bras du
corps saint : encore fallut-il la décision et toute l'éloquence
de Goslen , évêque de Soissons, qui était venu à Beauvais
montrer au peuple les saintes reliques, pour persuader aux
habitans que cela était de toute justice.
Tel est le précis de cette histoire, dans laquelle l'auteur
touche en passant plusieurs faits relatifs à l'histoire de nos
rois, des évêques de Beauvais, et d'autres monastères de la
province. Son style est diffus , mais clair et méthodique. Les
successeurs de Bollandus ont donné un extrait de son ou^ Ad diom 24
vrage, à la suite de la vie de saint Germer. M. Traulé, pro- *<=P'-
cureur du roi, près le tribunal de première instance du
canton d'Abbeville, correspondant de 1 Institut, ayant trauvé
i'ouvrage entier dans une copie ancienne , l'a déposé depuis
XII SIECLE.
592 ANONYM. AUT. DE CHRON. DE PICARDIE.
peu d'années à la bibliothèque Royale. C'est sur ce manuscrit
que nous avons dressé notre article.
Annal, de II. Jacques Levasseur, chanoine et doyen de l'église ca-
Noyon, p. 33- thédrale de Noyon , a donné, en français, une petite histoire
de la ville de Vermand , dans laquelle l'auteur anonyme dé-
crit la destruction de cette antique cité, au cinquième siècle;
puis la fondation de l'abbaye ou même nom , pour des cha-
noines réguliers, par Radbode, évêque de Noyon, vers la
fin du Xfe siècle ; et enfin l'introduction des chanoines pré-
montrés, qui furent substitués aux anciens chanoines, en
1 144- On distingue visiblement deux auteurs dans cette com-
position; l'un qui écrivait, fort peu d'années après l'intro-
duction des premontrés, sous l'abbé Gilbert, vers l'an 1 155,
puisqu'il déclare nettement avoir conversé quelque temps
avec le dernier abbé des chanoines réguliers, nommé Iribert,
et que même cet abbé vivait encore lorsqu'il écrivait ; l'autre
beaucoup plus récent, raconte de quelle manière l'abbaye
de Vermand fut transférée, l'an 1200, le 18 novembre, qui
était un dimanche (i), du haut de la montagne oii elle était
située , dans la vallée oii elle est maintenant.
Il serait à souhaiter que Levasseur eiit publié, comme il
l'avait promis, l'original de cet ouvrage qui lui avait été
communiqué par Jacques Buxin , avocat à Chauny, au lieu
d'en donner une traduction qui , aujourd'hui , est surannée.
Mais trouvant apparemment que le volume de ses Annales ,
n'était déjà que trop gros, il n en a rien fait, en avouant ce-
pendant, dans une note qu'il a placée à la fin de sa traduc-
tion, qu'il faisait grand cas de cet écrit, tant pour son anti-
quité , que pour la variété des sujets qui y sont traités , le
sac de Vermand , où était le siège primordial des évêques de
Noyon , et plusieurs traits qui concernent les évêques de la
même ville, saint Médard, Radbode, Lambert, Simon et
autres.
III. Le même Levasseur a publié deux pièces relatives à
l'abbaye d'Ourcamp, près de Noyon, sur la rivière d'Oise.
La première est une notice qui explique le nom et l'origine
de cette abbaye, de la filiation de Clairvaux, fondée en r 129.
Cette notice a pour titre : De oratorio sancti Eligii apud
tJrsicampum , et de monasterii appellatione. On y voit que
(i) Puisque le i8 novembre était un dimanche, ce devrait être en
laoi , et non en 1200.
Ibid. p. 5o.
Jbid. p. 83o.
»
XII SIECLE.
ANONYM. AUT. DE CHRON. DE PICARDIE. 5g3
saint Eloi , faisant construire en ce lieu, où il aimait à se re-
tirer, une chapelle, employait, pour le transport des mate'-
riaux, un bœuf qui, un beau jour, fut la proie d'un ours
affamé. Le saint exigea de l'ours, par compensation, qu'il
ferait à l'avenir le service du bœuf : a quoi l'animal indompté
voulut bien se soumettre. Telle est l'origine du nom d'Our- ibid. p. 838.
camp , Ursicampus. — La seconde pièce produite par Levas-
seur est une description de la même abbaye, en trente-quatre
vers latins qu'il croit fort anciens. « Je les dois , dit-il, à l'ami-
« tié et diligence de dom Jean Boquet, duquel je ne saurais
a assez estimer l'excellente piété, et l'amour des lettres. Je
a tiens encore de lui ces vers marqués au coing de la vétusté,
« qu'il a tirés des archives de la maison. » Mais ces vers,
auoique tirés des archives, ne paraissent pas être d'un auteur
u XIP siècle, auquel Levasseur semble les rapporter. Si cela
était, ce versificateur pourrait passer pour un des meilleurs
de son temps.
IV. Ce serait ici le lieu de parler de la chronique de Nicolas
d'Amiens, qui finit à l'an 1204. Mais outre que nous ne
traitons dans cet article que d'auteurs anonymes, et que
nous avons de cet auteur d'autres écrits dont nous devons
rendre compte, nous ferons pour lui un article à part.
Nous ne parlerons pas non plus ici de la chronique d'un
chanoine de Laon, dont le nom est inconnu. Sa chronique,
qui commence à l'origine du monde, et descend jusqu'à
1 année 1 2 1 9 , contient quelques particularités sur la Picardie.
Les continuateurs du Recueil des historiens de France , en T. XIII , p.
ont donné un fragment depuis l'année 1 165, jusqu'en 1 180, ^77-683.
d'après le manuscrit 5oi i de la bibliothèque Royale. Le ju-
gement qu'ils en portent ne donne pas une haute idée de
cette production, au moins pour les premiers temps. Nous
nous réservons d'en parler lorsque nous en serons au XIIP
siècle.
Par la même raison , nous renvoyons à un autre volume
ce que nous avons à dire de la chronique anonyme de Saint-
Médard de Soissons , qui , dans le Spicilége de D. Dacheri , Spicil. in-fol,
commence en 497i et se termine à Fannée 1260. B. '•"'?• ''*"•
Tome XV. Ffff
Xil SIECLE.
^ «/^iV« «^ %.^ » « ^ •« ^.«.^ «
, ANONYMES,
AUTEURS DE CHRONIQUES DE BOURGOGNE.
Au défaut de meilleurs historiens, c'est dans les chroniques
des monastères qu'il faut chercher le peu de lumières qui
nous restent sur la plupart des provinces de France. La
Bourgogne a eu dans ce genre plusieurs historiens estimes,
dont il a été rendu compte dans cette Histoire; la chronique
T. vil,p. /,55. de Saint-Bénigne de Dijon, celle de Saint-Pierre de Bese,
T. X, p. 270 jg Saint-Philibert de Tournus, de Vezelai, etc. Nous réu-
~ T. VIII , p. nirons dans cet article quelques notices d'autres chroniques
327- 33o. anonymes de monastères situés en Bourgogne, qui appar-
gggT- ^" ' P- tiennent à l'époque où nous en sommes.
Bibi.'clun. , I- André Duchesne et D. Marrier ont imprimé dans la
col. 1618. Bibliothèque de Cluni , une chronique de ce monastère,
depuis l'année 910, époque de la fondation, jusqu'à l'année
i3i8; mais les éditeurs ont observé, par la diftérence des
écritures du uianuscrit, qu'elle est l'ouvrage de trois ou
quatre écrivains, qui y ont travaillé successivement. Le
premier s'est arrêté à l'année iiDy; le second reprend jus-
qu'à l'année iai5; et le troisième continue jusqu'à l'année
i3i8 : ce qui suit a été ajouté par une main très-récente.
Cette chronique n'est nullement remplie : le plus grand
nombre des années est resté vide : elle ne contient pres-
que autre chose que les éloges des abbés, à l'époque de
leur décès.
Il nous reste encore un ou deux fragmens de chroniques
de Cluni, dont l'un, qui s'étend depuis l'année 1 109 jusques
Anecd. t.lll, à 1199,1 a été publié par D. Martène, sur un manuscrit de
col. 1387. Saint-Etienne ae Nevers; l'autre a été recueilli par D. Claude
Estiennot, au tome V de ses Fragmens d'histoire, et a pour
titre : Excetpta ex chronico Cluniacensi ante annuni \ 1 3^,
ex magna sui parte compilato , et a inonachis Cluniacensi-
hus aucto ah anno 888 ad an. laSy, quœ desunt in édita
Cluniacensi hihliotheca.
T. XII, p. Les continuateurs du Recueil des historiens de France,
3i3-3i6. Qut pris dans ces deux fragmens de chroniques de quoi
ANON. AUT. DE CHRON. DE BOURGOGNE. 5q5
remplir les vides de la première, en mêlant les trois en-
semble, et n'ont pas réussi à en faire une bien intéressante.
II. Les mêmes continuateurs ont publié un fragment de ibid. p. 309.
chronique abrégée de l'abbaye de Bese, qu'ils ont trouvée
écrite à la marge du Cycle paschal, dans le manuscrit 6009
de la bibliothèque Royale. Cette chronique commence à la
naissance de Jésus-Christ, et finit à l'année 1177. Ce qu'elle .^
a de plus intéressant se réduit à quelques époques sur les
évêques de Langres , dans le diocèse desquels était alors
l'abbaye de Bese, et à la succession des abbés du monastère. Bibl.mss.cod.
III. La petite chronique de Saint-Bénigne de Dijon, qui P »95-»9J-
a été publiée par le P. Labbe, commençant à l'année ^53,
au sacre du roi Pépin, par le pape Etienne, et finissant en
1223, ne doit pas être confondue avec la grande chronique,
si justement estimée, qui a été composée au XP siècle. Celle-*
ci qui en est un extrait, est beaucoup plus remplie de faits
que la petite chronique de Bese, dont nous venons de par-
ler. On y trouve non-seulement la suite des abbés de Saint-
Bénigne, mais encore celle des évêques de Langres, des
ducs de Bourgogne, et même des rois de France, etc. Les T. XI, p. 345.
continuateurs du Recueil des historiens de France, l'ont TXli,p. 3io.
réimprimée dans leur collection, depuis l'année io46, où
finit à-peu-près la grande chronique.
IV. Nous sommes redevables au P. Pierre-FrançoisChifflet, S. Bern. gen.
jésuite, d'une bonne chronique de Clairvaux, qu'il a mise au inust.p.81^89.
jour dans sa diatribe en faveur de la noble extraction de
saint Bernard. Cette chronique ne commence qu'en wlvj ^
et finit en 1192; mais il paraît qu'elle n'est pas entière, et
que l'auteur écrivait assez avant dans le XIIP siècle. La
pi'euve résulte du texte même de l'auteur; sous l'année 1 178,
il parle de Gossuin , moine de Clairvaux, comme étant déjà
mort lorsqu'il écrivait, qui in Burlencuria requiescit. Or
Gossuin ne mourut, selon Albéric de Trois-Fontaines, qu'en
i2o3. Bien plus, sous l'année 1179, l'auteur, parlant du
couronnement du roi Philippe-Auguste, ajoute que ce prince
régna environ quarante- quatre ans. Si ce n'est pas une four-
rure, il est incontestable que l'auteur écrivait sous le règne de
saint Louis, et que son ouvrage est imparfait. Au reste, cette
chronique est remplie de faits qu'on ne trouve que là. 11 est
vrai quils sont presque tous relatifs à l'ordre de Cîteaux, et
qu'on n'y traite guère d'affaires politiaues ; mais il y a bon
nombre de traits excellents pour l'histoire littéraire de la
Ffffa
Xn SIECLK.
696 ANONYM. AUX. DE GHRONIQ. DE REIMS.
France, et nous avons été' plus d'une fois dans le cas d'en
faire usage.
ActaSS.ord. V. D. Mabillon a publié, à la suite de l'Histoire des trans-
s. ijeu. ssec.iv, Jations des reliques de saint Philibert, à Tournus, un frag-
' ' ■ ■ ment écrit sur la fin du XIF siècle, dans lequel on trouve
quelques renseignemens sur la navigation de la Saône, à
1 occasion d'un différend qui s'était élevé entre les religieux
de Tournus et le comte Gérard de Mâcon , qui avaient con-
curremment des ports sur ce fleuve. L'abiie Juenin a aussi
rapporté ce fragment parmi les preuves de son histoire de
T.xiv.p. 479. Tournus, et les continuateurs du Recueil des historiens de
France, l'ont inséré dans leur collection.
Bibl.mss.i.i, Nous pourrious encore placer ici la petite chronique
P-394- de Vezelai, imprimée par le P. Labbe; mais comme elle
s'étend jusqu'à l'année i3i6, et que rien ne prouve qu'elle
ait été composée par différents auteurs, nous en renvoyons
la notice au siècle suivant. B.
«««««^«^
ANONYMES,
AUTEURS DE CHRONIQUES DE REIMS ET DU PAYS RÉMOIS.
OuoiQUE les études aient été florissantes à Reims, durant les
XÏ et XII*' siècles, comme on l'a démontré dans cette his-
toire; néanmoins depuis Flodoard ce pays n'a produit aucun
liistorien distingué. Nous n'avons que quelques chroniques
anonymes dont nous allons nous occuper.
Hisi. dudioc. 1° D. Nicolas le Long, religieux bénédictin de la congré-
d<-Laon,p.593. gatiou de St-Vaniie, a tiré de l'obscurité, l'an 1783, une chro-
nique dite de Mézières, qui ne méritait guères de voir le
jour. C'est un écrit qui paraît fait à plaisir, et peut-être dans
l'intention de favoriser de folles prétentions de quelques fa-
milles qui voudraient faire remonter à des temps fort recu-
lés l'illustration de leurs ancêtres ou de ceux dont ils pos-
sèdent les terres. Il n'y a pas de matière sur laquelle on
ait été moins scrupuleux de débiter des mensonges que sur
XII SIECLE.
ÀNONYM. AUX. DE CHRONIQ. DE REIMS. 697
les généalogies ; les familles les plus illustres qui aiment à voir
leur origine se perdre dans l'obscurité des temps, et même
des nations entières n'ont pas été toujours exemptes de ce
reproche; elles ont leurs fables qui leur sont aussi chères
que la vérité.
On attribue cette chronique, qui commence à l'année 860
et finit en ioi5, et non en 1020 comme porte l'imprimé, à
Alard de Gennilé ou Gennilac ( de Gennilaco) qui, selon
les auteurs du Gallia christiana fut abbé de Signy , au dio- Gall. Christ,
cèse de Reims, depuis l'année 1162 jusqu'en 1176. On sup- *• lX,col. 3o6.
f)ose qu'elle fut écrite l'an 1 155, d'après cette espèce depro-
ogue qu'on lit au commencement, ^nno iticarnat. Dont.
II 55, chronicon hoc suscipio , et ut ordinatini incedens Ma-
ceriarurn originem , dehinc Herlebaldi Castricensis comitis
prognatos , consanguinitates , bella ac decessuni aperiam, et
qiud eventum sit celebrius in Rertiensi^ Castricensi ^ Stadu-
nensi, Dulconiensi , Registetensi ac Porcensi hreviter stillaho
pagis. En accordant qu'Alard serait l'auteur de cette chro-
nique, ce qui n'est pas dit, on voit déjà qu'il rapporte des
évenemens qui s'étaient passés 3oo ans auparavant , et qui
auraient besoin d'un autre garant que lui-même.
Assurément un écrit qui nous donnerait des lumières sûres
touchant tant d'objets, sur les pays Remois, de Castrice, de
Stenai,de Dormois, deRethel , deChâteau-Porcien, serait un
monument précieux; mais nous ne pensons pas que la chroni-
3ue dont il s agit, dans son entier, soit de ce genre. A l'exception
e deux ou trois traits sur Herlebalde comte de Castrice, que
l'auteur a empruntés de Flodoard, on ne voit dans presque ApudCLesu.
tous les autres personnages dont il est parlé, que des noms '• Hi Rer. Fr.,
parfaitement inconnus dans l'histoire; tel un Garlaschus, P-^9°-
qu'on fait père du comte Herlebalde, et celui-ci de Guérindit
Fier-à-bras , Ferreuni-brachiam ; tels un Hucbaldus qu'on dit
comte de Château-Porcien, et père de Frédéric; un Marc,
comte de Dormois, surnommé Pectens-porcos\ un Victor de
Pouilli sur Meuse, un Balthazar de Rethel, qu'on ne trouve
nommés dans aucune histoire ni dans les chartes connues.
Quant aux mariages qu'on leur fait contracter , nous aurions
besoin d'un meilleur garant pour les admettre. En un mot,
tout nous paraît supposé dans cet ouvrage , excepté ce qui a
rapport au comte Herlebalde, auquel Flodoard assigne pour Flod. <ô/rf.
domaine le comté de Castrice, lieu inconnu aujourd'hui,
mais sur lequel on peut s'en rapporter à notre auteur, d'au-
XII SIECLE.
598 ANONYM. AUT. DE CHRONIQ. DE REIMS
tant plus qne dans Flodoard il y a une lacune considérable
immédiatement avant les endroits que l'auteur a empruntés
de lui et qui peut-être n'existait pas de son temps.
Il dit donc qu'en 897 le feu du ciel réduisit en cendres le
château ou le bourg de Gastrice , Castricii domos ; et qu'en
899 Herlebalde construisit un nouveau château sur une émi-
nence qui domine la Meuse, non loin des ruines de Gastrice,
pour se mettre à l'abri des poursuites de Foulques, arche-
vêque de Reims. G'est aujourd'hui la ville de Mézières.
Voici, selon l'auteur, l'origine de ce nom. En creusant les
fondations de ce château, on découvrit dans les ruines d'un
temple l'image d'une idole appelée Macer; l'auteur ajoute
que le culte qu'on lui rendait autrefois consistait à la frapper
de verges. Cette découverte fit donner au château le nom
de Mézières, castrum maceriarum (i). Herlebalde ne se tint
pas long-temps sur la défensive; dès l'an 900 il fit des excur-
sions sur les terres de l'évêché, s'empara de Haumont, et
et peupla son château de Mézières des vassaux de l'église
de Reims , Casatis. L'évêque Hervé successeur de Foulques
le frappa d'anathême , et dès l'année suivante l'ayant réduit
à prendre la fuite , il se rendit maître du château.
Jusqu'ici notre auteur est d'accord avec Flodoard; mais
Flodoard ne parle ni de la femme ni des enfans du comte
Herlebade, non plus que des alliances des autres person-
nages ci-dessus nommés. Ge qui nous a fait dire que cette
chronique assez décharnée et fort peu remplie d'événemens
n'a été composée que dans le dessein d'y fourrer des généa-
logies. Nous pourrions conclure son peu d'authenticité des
anachronismes et des solécismes grossiers qu'elle contient
en grand nombre. Si le prétendu Alard, pour déguiser la
supposition, a cru que c'est ainsi qu'on écrivait au XII*^
siècle, il s'est bien trompé. Quoiqu'en général les écrivains
d'alors parlent assez mal latin, ils respectaient au moins les
règles de la syntaxe.
L'édition que D. le Long a donnée de cet ouvrage n'est
(i) Anno 899, Herlebalflus in quadani sunimitate super Mo^ani et prope
Castricii ruinas novunt struxit castriijn, ut se tueretur adversus Fu/cofiem
archiepiscopuin. Novi hujus castri fundamenta prœpaians ,' /ani reliqfiias
reperiit cum cujusdam idoU figura nomineM.A.CER, quod quondam pagahi
^ CastricenceS virgis colebant, Lcetûs cornes vocavit cccslriim suiùH'Mmntm
'9iaceriarum.
ANONYM. AUT. DE CHRONIQ. DE REIMS. 599
rien moins qu'exacte; il y manque des phrases entières, comme
nous l'avons vérifie sur une expédition en forme qui est entre
nos mains, faite le ôo mars 1768, à la réquisition de M. Louis
Albert de Pouilli, chevalier baron de Chauscourt, seigneur
de Pouilli, Quinci, Yilosne çt autres lieux, demeurant au
châ^teau dudit Pouilli, lieutenant-colonel de cavalerie au ré-
giment de Royal-Cravatte , par les notaires de Stenai, Bour-
geois et Goffart, sur l'original manuscrit en vélin et en
lettres rouges, tiré des archives de Saint-Juvin près Grand-
pré , représenté et à l'instant rendu à M. MarcoUier , prêtre
curé dudit lieu de St-Juvin.
II. Le P. Sirmond, jésuite, a publié à la suite de l'histoire Flod. Hist.
dé l'église de Reims par FlodoArd ^ un appendiûs ani n est R«m-foi-4oi-
quun iragment dun abrège de cette histoire, continuée par
un chanoine anonyme de la même église jusqu'à l'épiscopat
de Samson, qui a gouverné l'église de Reims depuis l'année
I i4o jusqu'en 1 162. C'est ce que le P. Sirmon dit avoir re-
connu sur le manuscrit de l'abbaye d'Igni, dont il s'est servi
et ce qu'on peut vérifier sur un texte du même ouvrage rap-
porté par le P. Labbe (i). Le peu qui reste de cet écrit qui se
termine à la mort de l'évêque Adalberon, arrivée l'an 988, est
très-propre à nous faire regretter ce qui est perdu; l'auteur à
l'appui de ce qu'il avance , rapporte des chartes, ets'il est vrai ■ \y
qu'il a vécu sous l'épiscopat de Samson, comme on ne peut
en douter d'après la oitation du P. Labbe, il est probable
qu'il avait décrit les troubles qui, avant l'élection de Samson,
avaient agité jusqu'à la sédition la ville de Reims, troubles
sur lesquels nous n'avons que des renseignemens très-im-
Farfaits. Et c'est vraisemblablement parce qu'il en parlait que
ouvrage a été mutilé , comme cela est arrivé à tant d'au-
tres écrits du même genre.
III. D. Guillaume Marlot, prieur de St-Nicaise de Reims, Metrop.Rem.
a mis au jour une notice concernant le rétablissement de tï.P-S^a.
(1) De îsto Sculpho solebant dicere nostri antecessores , qiiod ipse amplia- ,
verat templum hoc quantum continet longitudo arcuum trium. Dicebant ■
quoque quod ipse veterem turrini construxeraf , quain domnus Samson ar-
chiepiscopus dirai fecit, quando etiam ipse ecclesiatn duorum arcuum longi-
tudine ainpliavit , et in unoquoque latere turrim unam œdijicare inchoavit
anno incarnati verbi ^ICLII. Sed quoniam de prœdicta opinione nulla in
libro Flodoardi mentio invenitur , incertum esse -videtur ^ quodneque scripto,
neque teste aliquo comprobatur. Porro iste Flodoardus , qui hujus operis est
auctor, etc. Apud Labbeum^ 1. 1, Biblioth. mss. cocl. p. 364-
XII SIECLE.
600 ANONYM. AUT. DE CHRONIQ. DE REIMS.
1 église de St-Nicaise, appele'e Jovinienne ^ parce qu'elle avait
ëte bâtie au quatrième siècle par Jovin, prefetde la milice, en.
l'honneur des martyrs Vital et Agricole. L'archevêque Gervais
frappé des beautés de cet édifice abandonné, entreprit vers l'an
1 060 de le restaurer pour y placer des chanoines et ensuite des
religieux. L'auteur de la notice, après avoir raconté tout le bien
que Gervais avait fait au monastère , et l'état déplorable auquel
son successeur Manassès l'avait réduit , loue le zèle de 1 ar-
chevêque Renaud, qui, marchant sur les traces de Gervais, y
rétablit, l'an 1090, la régularité, en y plaçant des moines
qu'il fit venir de la Chaise-Dieu. Cet auteur vivait dans le
XII^ siècle , car il dit avoir vu l'abbé Joranne qui gouverna
le monastère depuis l'année iio3 jusqu'en ii3(), et qui s'é-
tant retiré à l'abbaye de Signi, y vécut jusqu'en i iSg. Nous
saurions peut-être quelque chose de plus sur sa personne, si
Marlot avait jugé à propos de publier en entier cet écrit,
dont il n'a donné qu'un fragment.
Bibl.mss.cod. IV. Le P. Labbe a imprimé deux chroniques de Reims. La
1. 1, p. 362. première n'est qu'un fragment depuis l'année 83o jusqu'à
l'année 999, et quoiqu'elle embrasse l'espace de près de
deux cents ans, elle est fort courte, parce qu'elle nest nul-
lement remplie. La seconde commence à la naissance de
UiW. p. 358. Jésus-Christ, et finit à l'année u 90. Les continuateurs du
recueil des historiens de France ont donné des extraits de
cette dernière aux tomes IX, p. 89; t. X, p. 2yi ; t. XI,
p. 129; t. XII, p. 274
Bibl. HIsi. Le P. Lelong de 1 oratoire indique un manuscrit du XIII*
Fran.n.e.t.lll, siècle qui était à Dijon dans la bibliothèque du président
%um. 16718. Bouhier, contenant une chronique de Reims différente de
celle qu'a publiée le P. Labbe , et qui va jusqu'à l'année 1200.
Cette chronique n'a pas encore vu le jour.
Le rédacteur de cet article a déposé à la bibliothèque
Royale un vieux parchemin de quatre pages, écriture du
XIII* siècle , contenant un fragment de chronique de Reims
?[ui peut servir de continuation à celle du P. Labbe. Ce
ragment qui commence à l'année 1197, est écrit de la
même main jusqu'en 12^5, et ensuite de mains différentes
depuis 1264 jusques à 1294. Il faut espérer que les conti-
nuateurs du Recueil des historiens de France, lorsqu'ils en
en seront là , n'en priveront pas le ])ubli<?. B«
XU SIECLE.
ANONYMES,
AUTEURS DE CHRONIQUES DE LORRAINE
ET DES TROIS ÉVÊCHÉS.
I. Anonyme, continuateur de la chronique des évêques
de Metz.
On a rendu compte dans cette histoire de la chronique des T. XI, p. i»6.
évêques de Metz , qui est plutôt une histoire abrégée qu'une
vraie chronique ; car les années n'y sont pas marquées. Mais
tel est le titre qu'elle porte dans l'imprimé, et apparemment Spicil.in-fol.
dans les manuscrits , quoique ce ne soit qu'un catalogue qui '• ^^' P- ***•
représente la suite des évêques de Metz depuis St.-Glément,
envoyé, selon l'auteur, par St.-Pierre, jusqu'à l'élection d'E-
tienne de Bar qui gouverna l'église de Metz depuis l'année
II 20 jusqu'à sa mort arrivée lan 11 64- Cet écrit est diffé-
rent de celui auquel Paul Warnafride, écrivain du IX^ siècle,
plus connu sous le nom de Paul Diacre , a donné pour titre
gesta episcoporum Metensiuni. L'auteur de la chronique in-
dique assez le temps où il écrivait , puisqu'il parle de l'épis-
copat d'Albéron, archevêque de Trêves, lequel ne commença
3uen ii3i , et finit en ii5i; et de plus il s'excuse de parler
e l'évêque Etienne, parce que, dit-il, ce prélat étant plein
de vie et de vigueur, il vaut mieux prier Dieu qu'il lui con-
serve la santé, que de l'exposer à la tentation de la vanité (i).
Avant que de parler de la continuation annoncée plus
haut, nous croyons devoir ajouter à ce qui a été dit avant
nous du premier chroniqueur une observation essentielle.
Cet auteur avait devant lui une ample matière d'écrire l'his-
toire. Il était presque contemporain des grandes querelles
sur les investitures , dont les effets se firent vivement sentir
vers la fin du XI« siècle et le commencement du XII«, dans
la Lorraine et les trois évêchés pour-lors soumis à la domi-
nation des empereurs d'Allemagne. Pendant ce temps de
(i) Quiquoniam adhuc vitâ Jloret et attate viget, tentatio sileat elaùonis
orta ex peste adulationis, et preces /undantur Deo pro continuo ^sius stu-
dio. Spicil. in -fol., t. II, p. 229.
Tome XV. Gggg
6oa ANON. AUT. DE CHRON. DE LORRAINE.
xri siEcr.E.
troubles on vit à Metz les évêques se succéder l'apidement ;
les uns placés par les partisans de l'empereur, et anathéma-
tisés comme scnismatiques par le pape; les autres choisis par
les bons catholiques, et chassés par l'empereur. Cependant
l'auteur ne parle presque point de tout cela ; il ne dit pas un
mot de l'évêque Théotger ou Dietger , qui fut le prédéces-
seur immédiat de l'évêque Etienne sous lequel il vivait. Heu-
reusement il s'est trouvé d'autres écrivains qui mieux ins-
truits , ou guidés par des vues différentes , ont suppléé à son
silence.
De ce nombre est l'anonyme qui a écrit la vie du bien-
heureux Théotger. Cet auteur plus ancien que le chroni-
queur de Metz aurait dû avoir à sa place un article dans cette
histoire; mais à l'époque qui lui convenait , cet écrit, comme
■'^^T'!^"^» nous le dirons bientôt, n'était pas connu. C'est pourquoi nous
en plaçons ici la notice,. comme à l'endroit le plus conve-
nable.
Théotger était abbé de St-George dans la Forêt-Noire,
lorsqu'en 1 1 15 il fut choisi par les catholiques de Metz pour
remplir le siège épiscôpal à la place d'Adalbéron dépose
par le pape; mais il ne jouit pas long-temps de sa nouvelle
dignité, étant mort l'an 1 120 sans avoir pu monter sur son
siège , ni être reçu dans la ville de Metz. Celui qui a écrit sa
vie le représente tomme un saint homme et d'une patience
héroïque au milieu des opprobres et des mauvais ti^itemens
que les schismatiques ou les partisans de l'empereur lui fi-
rent éprouver ; il a jeté sur cette déplorable époque de
grandes lumières qui intéressent non-seulement le pays Mes-
sin , mais toute l'église de France. On y voit les concdes qui
à cette occasion furent tenus en France et en Allemagne
par le légat Conon, évêque de Palestrine, et l'on peut dire
que cVst un monument des plus précieux du XII« siècle. Ce-
f)endantcet écrit était resté ignore jusqu'à ces derniers temps;
es boUandistes ne trouvant pas qu'il ait été décerné aucun
culte à Théotger, n'ont point inséré sa vie dans leur collec-
tion ; les auteurs du Gallia christiana en ont fait l'analyse
T. XIV, p. dans le i3^ volume; mais les continuateurs du Recueil des
207-220. historiens de France ont publié un long fragment du texte
original sur un manuscrit de la ville de Villingen dans le
Brisgaw , dont il y a une copie à la bibliothèque Royale,
parmi les papiers de D. Thierri Ruinart, relatifs à la conti-
nuation des actes des saints de l'ordre de saint Benoît. *
ANON. AUT DE CHRON. DE LORRAINE. 6o3
• , ,,.. I ijiu XII SIECLE.
Apres ces eclaircissemens sur le premier auteur de la chro-
nique des évêques de Metz, il nous reste à parler de celui
qui a continué cet ouvrage depuis l'anne'e 1 120 jusques vers
laoo. Cet auteur écrivait certainement sous l'épiscopat de
Bertrànne qui monta sur le siège de Metz l'an 1 180, et mou-
rut en 1212, puisque en finissant son article il lui souhaite
une longue suite d années , cujus annis et nieritisfelix divi-
na miseratio incrementuni prœstare dignetur. Il a écrit l'his-
toire d'Etienne et de Thierri de Bar, de Frédéric de Pluyose,
•1
de Thierri de Lorraine et de l'évêque ûertranne, avec plus
d'étendue que n'avait fait le premier chroniqueur , mêlant
quelquefois à l'histoire des évêques l'histoire politique. Cette
continuation se trouve à la suite de la chronique dans toutes
les éditions de D. Dacheri , de D. Calmet , et du Recueil des Splcil.in-fol.
historiens de France. Duchesne en avait donné avant tous ^Hist^deLoir
un fragment parmi les preuves généalogiques de la maison 1. 1, pr., p.63'.
de Bar-le-Duc, de laquelle étaient issus les évêques Etienne Bouq.t.xill,
et Thierri. p.6Aa-6/./,.
II. Nous n'avons rien à ajouter à ce qui a été dit avant Hist. Littér.
nous sur l'anonyme qui a composé l'histoire des évêques de '''"'>«., t. xi , p.
Toul, finissant en 1 107, et qui n'a été continuée qu'au XV® '*^
siècle.
Un religieux' anonyme de St-Vanne de Verdun a conti-
nué l'histoire des évêques de cette ville, composée par Lau-
rent de Liège, autre moine de Saint- Vanne qui a eu son
article dans cette histoire. La continuation commence à l'an- ibid. T. Xll,
née ii44i où finit l'histoire de Laurent; mais comme le P-***-
continuateur écrivait vers le milieu duXIIP siècle, nous n'en
parlerons qu'à cette époque.
III. Le P. Labbe a publié une chronique du monastère de Bibi.mss.cod.
St-Vanne de Verdun qui s'étend depuis l'année 962 jusques ti.p4oo-',o.',.
à^ i456, et même, au moyen d'une addition, jusques a 1598.
Elle donne des époques sur l'histoire ecclésiastique et poli-
tique des deux Lorraines ; mais quoiqu'elle soit , comme les
autres écrits de ce genre , l'ouvrage de plusieurs auteurs, et
qu'on y ait peut-être travaillé au Xlle siècle , nous n'en par-
lons ici que pour avertir qu'elle existe.
Nous taisons la même observation sur la chronique de /é/rf. p.s'ii-
St-Vincent de Metz, publiée aussi par le P. Labbe. Il suffît 347-
d'annoncer ici qu'elle commence a l'année 5ii , et qu'elle
finit en ii'7q. < g,
Ggggd
XII SIECLE.
ANONYMES,
HISTORIENS OU CHRONIQUEURS DU BERRI
INous trouvons peu d'écrivains qui, à l'époque où nous
eu sommes , aient illustré le Berri. Le XIII® siècle fournira
plus de matière à cette histoire; quant-à-présent, nous ne
pouvons indiquer à nos lecteurs que des morceaux assez
chétifs.
I. Un moine de Déols ou de Bourg-Dieu, près de Château-
Roux , a composé un livre des miracles opérés dans son
Bibi.ms8.cod. monastère par l'intercession de la Ste- Vierge. Cet écrit, au
V t. I, p. 319— rapport du P. Labbe qui en est l'éditeur, contient la rela-
tion de plus de deux cents miracles , parmi lesquels il n'en
a choisi que deux ou trois qui ont rapport à de grands évé-
nemens de l'histoire publique. L'auteur de la chronique du
même monastère, sous l'année 1188, dit en général que du
temps de Philippe , roi de France et de Henri' Il roi d'Àngle-
Apudchesn. terre. Dieu visita le monastère de Déols par de grands mi-
* \^*'^"" racles. Rigord, dans l'histoire de Philippe- Augnste, atteste
la même chose , et en rapporte quelques-uns. A cette époque,
c'est-à-dire l'an 1 187, le roi de France était en guerre avec le
roi d'Angleterre et son fils Richard Cdeur-de-Lion , qui refu-
saient de lui rendre hommage pour le Poitou, et de lui restituer
la dot de sa sœur Marguerite reine d'Angleterre, et en particu-
lier le château de Gisors avec ses dépendances, qui faisait
partie de la dot. Phihppe entra dans la portion du Berri qui
appartenait au roi d'Angleterre, s'empara de plusieurs places
et mit le siège devant Château-Roux. Le monastère de Déols
se trouva par conséquent au milieu du théâtre de la guerre.
Les moines et les habitans eurent beaucoup à souft'rir de la
[)art des deux armées ; ils adressèrent de ferventes prières à
a Sainte- Vierge , patrone du lieu, et ils regardèrent comme
le plus grand des miracles l'accommodement qui eut lieu
bientôt après entre les puissances belligérantes. L'auteur se
félicite beaucoup que les miracles qu'il raconte aient eu pour
témoins tant de personnes à-la-fois du rang le plus distin-
ANONYMES, HISTORIENS DU BERRI. 6o5
gue, rassemblées de tant d'endroits différents, qui publiaient 11
elles-mêmes les merveilles qu'on aurait eu de la peine, dit-il,
à croii'e sur la foi des moines, s'ils eussent été les premiers
à les divulguer.
Le P. Labbe a ajouté à ce morceau un autre fragment
concernant la guerre qui recommença en 1 188 , entre
Philippe- Auguste et Richard comte de Poitou; mais l'auteur
tout occupé de miracles, n'indique pas le sujet de cette
guerre qui est mieux, expliqué par l'historien Rigoi'd: il s'a- Rigord,/6/rf.
gissait des prétentions de Richard sur le comté de Toulouse. P" '''■
Cependant ce que dit l'anonyme méritait d'être recueilli,
comme venant d'un historien contemporain et qui était sur
les lieux: on le présume au moins, car parlant a un miracle
arrivé du temps de l'abbé Geraud de SpinoUo^ l'auteur dit
qu'il était alors abbé. Or suivant la chronique de Déols, Ge- Labbe, ibid.
raud abdiqua en i \^l\^ et mourut en 1200. Il est probable P-^'7-
que l'anonyme vivait dans le même temps, mais n'ayant pas
1 ouvrage en entier, qui fournirait peut-être quelque date
postérieure, on ne peut rien prononcer définitivement.
II. Nous ne ferons qu'indiquer, quant-à-présent, quel-
ques chroniques abrégées du Berri, qui vraisemblablement
sont l'ouvrage de plusieurs auteurs, mais qui se terminant
au XIII«. siècle, doivent trouver leur place aux volumes
su i vans.
1° La chronique de Déols qui commence en giy, et finit Labbe, ihîd.
en i345, avec un supplément depuis l'aiînée 1469 jusqu'à '• ^ » P- 3*^~
i55o, a été publiée par le P. Labbe, aux recherches duquel '^'
la littérature doit le peu de raonumens que nous avons
sur le Berri, sa patrie.
20 Le même savant a aussi publié une généalogie des Labbe, îbid.
princes de Déols, seigneurs de Château-Roux, composée, à t. il, p. 740.
ce qui paraît, par un moine du Bourg-Dieu qui vivait au
XIII» siècle. On n'y trouve que des noms et des filiations,
et point de dates. Les continuateurs du Recueil des histo- Bouq.,t.Xll,
riens de France qui en ont donné un fragment, y ont ajouté P- ^^S-
les dates qu'a pu fournir la chronique de Déols. Immédia-
tement après ils ont publié sur un manuscrit de la reine
Christine de Suède, la même généalogie en français , jusqu'à
l'époque oii la principauté de Déols passa dans la maison
de Chauvigny par le mariage d'André avec l'héritière de
Château-Roux nommée Denise. André de Chauvigny mou-
rut en 1202 , et Denise en 122 1.
6o6 ANON. AUT. DE MORCEAUX HISTORIQ.
XII SIECLE. • II [Le p. Labbe est encore éditeur d'une chronique de
habhc, ibid. Vieraon sur le Cher, laquelle commence à l'année 843, et
t. II, p. 737. Uj^jj. gjj 1221. Mais dans c«t espace de près de cinq cents
ans, on ne trouve que 18 années qui soient remplies, tant
cette chronique , qui d'ailleurs contient quelques faits inté-
ressans, est décharnée. L'éditeur promettait une ancienne
traduction et une continuation de cette chronique en fran-
çais ; nous ignorons s'il a tenu sa parole.
IV. Nous ajouterons ici par forme de supplément au X*
volume de notre histoire littéraire , l'indication d'une chro-
Labbe, ibid. nique de Massai dans le Berri, publiée aussi par le P Labbe.
p. 73a. jgiig commence à l'an ySa, finit en 10 13, et n'est guères plus
remplie que la précédente . mais elle contient de bonnes
choses. G est par inadvertance que nos prédécesseurs ont
oublié d'en parler. B.
ANONYMES,
AUTEURS DE MORCEAUX HISTORIQUES CONCERNANT LA PROVENCK,
LE LANGUEDOC ET LA MARCHE DESPAGNE.
l. Dans un manuscrit de la bibliothèque Royale coté
6941, écriture du XIF siècle, se trouve un chant funèbre
en 23 stances de quatre vers , ayant pour titre : Epicedion in
fimere Raimundi comitis Barcinonensis. 11 est difficile de dé-
cider en l'honneur duquel des comtes de Barcelone ce chaTijt
fut composé, plusieurs ayant porté le nom de Raimond. L'é-
criture du manuscrit , qu'on estime du XII siècle, porterait
à croire qu'il s'agit là de Raimond Bérenger III, décédé
l'an ii3i, ou de son fils Raimond Bérenger ÏV, mort l'an
1162, qui l'un et l'autre avaient porté la maison de Barce-
lone au plus haut point de splendeur. Cependant en lisant
attentivement la pièce, il nous semble que les louanges qu'oa
donne à ce comte, jointes à d'autres circonstances, sont 'plu-
tôt applicables à Raimond Borrel, décédé l'an 1017. Quoi
qu'il en soit , il est toujours temps, et c'est notre devoir, de
taire connaître cette pièce asse^ remarquable , sinon par la
ANON. AUT, DE MORCEAUX HISTORIQ 607
beauté du style, du moins par la régularité du rhythme;mais L
uous n'en citerons que la première stance :
Ad Carmen popuUJlebile cuncti
Aures nunc animo ferte benigno , '"'»'
Quod pangit meriti vivete laudes
Raimundl proccris', patris et almi.
II L'an ii5o, il y eut un traité de paix, entre Raimon^ ^^•i'^i'«'P''0'>
Bérenger IV, comte de Barcelone, comme tuteur de; sop Bouq.%'.*x,iT,
neveu le jeune comte de Provence Raimond Bérenger II , et p. 364!
les seigneurs de la maison de Baux, pour terminer les longues ;;, • p „ „
guerres qui divisaient ces deux ramilles touchant la propriété ,»f, .,,
du comté de Provence. Les seigneurs de Baux renoncerenl:^ , .-vuka
au moins pour l'instant, à leurs prétentions sûr le|,|3omt^ ^ fdoi .«^.ir.-
moyennant quelques concessions qui leur furent faites,. çt
dont fut dressé l'acte que nous annonçons. , ..
III. Après la mort du comte Raimond Bérenger I^^A^arfii- Bduze.Marca
vée l'an 1162, son fils, Alfonse, comte de Barcelone et roi H'*?^"- > col.
d'Arragon, voulant faire revivre Içs droits de sa, liaison sur t.xnTp.*'3'?4.'
le comté de Carcassonne dont les vicomtes d'Albi et de Bé-
ziers s'étaient emparés , fit faire par les gens dp spn içonseil
une enquête, oii l'on voit de quelle manière le comte de Car-
cassonne était entré dans le domaine des comtes de Barcey
lone, comment il en était sorti, et .à quel titre Alfonse pouvait
le revendiquer. < :■ . , ; , ,
IV. Etienne Baluze a publié une chronique très-abr^gée du Baïuze, Mise. ,
monastère de St-Martin de Canigou , diocèse de Perpignan. *• ^^ ' P- ^"9-
Elle commence à la fondation du monastère par Guifred ,
comte de Cerdagne l'an looi de J.-C. l'an 1089 de l'ère d'Es-
pagne, qui était la sixième du règne du roi Robert, et se ter-
mine à la trente-troisième année de l'abbé Pierre III , c'est-à-
dire vers l'an 1200. Cette chronique fst fort peu intéressante;
elle donne la suite des abbés, non en désignant les années
où commence et finit ; leur prélature , mais en marquant en
gros la durée du gouvernement de chacun. L'auteur n'entre
dans quelque détail que relativement au comte Guifred,
qui après avoir bâti le monastère, s'y fît religieux l'an io36
et y mourut le 3 1 juillet io5o.
IV. Baiuze a encore donné au public une histoire de la MarcaHîsp.,
translation des reliques des saints martyr^Abdon et Sennen, col. 1449-1453.
au monastère d'Arles en Roussillon; mais il avoue n'avoir ,' in i^/'c
puf découvrir par qui ni en quel temps elle fut écrite. Ce fut «
6o8 AUT. DE LETTRES, SERM. ET OPUSC.
XII SIECLE, l'gij},^ Arnulfe qui étant k Rome, selon la relation, en rap-
porta ce trésor. Le martyrologe d'Espagne dit que ce
Fut du temps de Charlemagne : cependant on ne trouve
dans aucun temps qu'il y ait eu à Arles un Abbé nommé
Arnulfe. Si l'on suppose, ce qui n'est pas hors de vraisem-
blance , que cet abbé est le même qui ailleurs est appelé
Arulfe , il faut dire que cette translation se fit vers le milieu
du X« siècle, et dans cette supposition l'auteur a pu dire que
ce monastère était de l'ordre des moines noirs de Cluni ; car
on sait que le monastère de Cluni ne fut fondé qu'en 910.
Boll.Sojuiii, Les continuateurs de BoUandus, en reproduisant cette re-
p- ï'g. lation , n'ont pu résoudre les difficultés qui arrêtaient Ba-
Ba\me, ibid. luzc. Il est pourtant vrai , et il est prouve par des titres au-
col. 948, io63. thentiques, qu'on croyait aux années 994 et io36, que les
corps ou partie des corps des martyrs Abdon et Sennen re-
f)osaient au monastère d'Arles; mais il s'en faut bien que
'auteur de la relation soit de la même ancienneté; il donne
aux religieux d'Arles la dénomination de moines noirs : cela
suppose qu'il y en avait déjà de blancs , chartreux ou cister-
ciens qui n'ont été bien connus que dans leXII* siècle. D'ail-
leurs il emploie dans son ouvrage quelques termes qui dé-
notent un auteur assez récent , tels sont le mot Barile pour
désigner im vase à mettre du vin, et Treginerius pour dire
un muletier. Au reste cette histoire est un tissu de prodiges
qui n'ont pas l'ombre de vraisemblance , et le tour que l'é-
crivain donne à sa narration est fort propre à lui ôter toute
croyance. ^•
QUELQUES LETTRES , SERMONS , ET OPUSCULES ,
PAR DES AUTEURS MORTS VERS LA FIN DU XII« SIECLE.
LETTRES.
L Jean, abbé de Faucelles, remplissait cette fonction en
GaU Christ. "Qs; iU'abdiqua en 11^4, et mourut en 1196. Une lettre
noya, t. m, pi adressée par lui à Henri, duc de Lorraine, contenait les
»77- ëloges de plusieurs saints religieux de Vaucelles. Cette epître
AUT, DE LETTRES, SERM. ET OPUSC. 609
n'a point été imprimée, et ne nous est connue que par la Xii SEECLe.
mention qu'en font de Visch et les auteurs du nouveau Bibi. cisterc. ,
Gallia Christiana. p. a3i.
II. Jean, abbé de Gemblou, successeur d'Odon en iiSp,
ne mourut qu'en 1 196. Dans une lettre adressée, vers h8d, caii. chrUt.
à tous les chrétiens, cet abbé fait le récit ou même la pein- '■ lU' P- SSg.
ture des violences qui venaient d'être exercées sur le mo- ^^**"
nastère de Gemblon par Henri, comte de Namur, et par
son neveu Bauduin , comte de Hainault. Ce morceau publié
dans le nouveau Gallia Christiana, d'après un manuscrit T. lir,app.,
de l'abbaye de Villiers, nous paraît fort remarquable par P '*'' "*'
l'élégance et la rapidité du style. Si l'on excepte un très-petit
nombre de mots barbares, tels que duabus curtibus nostri
indominii, la diction en est beaucoup plus pure que celle
des écrits du même temps. Le monastère deux fois incendié,
deux fois pillé, les religieux immolés, ou mis en fuite, ou
enlevés par les brigands , le temple et le sanctuaire même
dépouiltés et profanés : tels sont les princijfeux traits du
tableau que l'auteur veut exposer aux regards de tous les
fidèles. La fin de cette épître ne nous est point parvenue :
elle manque dans le manuscrit qui se termine par les pre-
miers mots d'une phrase : Talis est.... On retrouve les mêmes
faits dans une relation moins habilement composée par
Guibert, lequel fut, immédiatement après Jean, abbé de /ô/rf. p. 129.
Gemblou. Mais Gnil>ert nous atteste que Jean avait mérité
ces malheurs, en supplantant, par voie de simonie, son père
et son seigneur spirituel (i). Guibert applique à Jean ces
paroles de /acob a Ruben : Ascefidisti cubite patris tui et Gtnes. ,
maculasti thorum ejus , non crescas. Nous n'avons d'ailleurs XLIX, 4.
aucun renseignement précis sur l'usurpation reprochée à
l'abbé Jean , lequel ne paraît à la tête du monastère qu'après
la mort de son prédécesseur Odon.
III. GÉRARD Hector, évéque de Cahors , mourut en 1199. Gall. Christ.
Mais il était évêque depuis plus de cinquante ans , et ce fût '-^'P 'î"''''-
en 1 169 qu'il écrivit la lettre qui nous donne lieu de parler
de lui. Dans un voyage qu'il faisait en Italie, pour visiter
un de ses parens, Eble, vicomte de Ventadour, qui reve-
nait de Jérusalem, et qu'une maladie retenait au mont
Cassin , Gérard Hector et ses compagnons tombèrent entre
(i) Patrem et dominum suum spiritualem per supplantationem et simoniani
honore proprio spoliaverat.
Tome XV. - Hhhh
6io AUX. DE LETTRES, SERM. ET OPUSC.
XII SIECLE. 1 . „ '.,<,. . .
les mains cl une troupe armée qui les fit prisonniers. Obtenir
sa délivrance et celle des gens de sa suite, est le but de
l'épître qu'il adresse à l'empereur Frédéric, et dans laquelle
- il se dit parent du marquis d'Aubusson pour qui l'empe-
Spicil., t. II, reur avait de la bienveillance. Dachery a publié cette lettre
o , 04, o . j]qjj|. voici l'inscription : Friderico Dei gratiâ triumphatori
et gloriosissimo Roinanorum imperatori, Geraldus Caturcensis
^^"•g., ^nei . episcopus , parcere suhjectis et debellare supcfhos.
IV. Alexandre , abbé de Jumiéges , composa vers l'an
Thés. Anecd, 1200, selon Martène , une épître purement théologique , qui
780.' ^ '"" occupe trois colonnes dans le tome premier du Thésaurus
anecdotorum. Elle est écrite à un religieux dont le nom n'est
indiqué que par l'initiale R. L'auteur s'y propose d'expliquer
ces paroles de l'évangile : Quem dicunt homines esse fitiuni
hominis ? Matière importante, dit -il, qu'il aurait traitée en
langue française, en présence des auditeurs les plus novices,
s'il n'eût trouvé l'entreprise par trop épineuse : Sécréta mihi
meditatione aUquando quœrenti qualiter illud evangeli-
cum.... simplicioribus fratribus gallico sermone exponerem,
tanta obviavit difficultas , etc. La difficulté d'un tel sujet
se laisse assez voir même dans l'épître latine qui s'adresse
à un théologien exercé. Toutefois le savant auteur dit
qu'Adam seul est appelé fils de la terre, que Jésus-Christ
seul est appelé fils de l'homme , que tous les autres sont
nommés fils des hommes, ^/m hominum. Il ajoute que le nom
latin liomo est des deux genres , qu'il ne détermine pas le
, sexe , non déterminât sexum , qu ainsi la qualification de
0 filius hominis convenait parfaitement au fils d'une vierge. A
la vérité, le texte oriental de saint Mathieu porte/«7.î d' Adam
et non fils de l'homme. Mais , selon l'abbé de Jumiéges , ces
deux mots se correspondent, et le premier n'a ici que la
valeur du second. Le reste de l'épître présente beaucoup plus
d'argumentations que de résultats clairs et précis.
SERMONS.
V. Jean , religieux d'Ourcamp, ordre de Cîteaux, a laissé
Bibl. mss. dcs sermons qui, au rapport de Sanderus, existaient manu-
f!'Dè^VJsdf écrits dans la bibliothèque de Saint-Martin de Tournai, et
Bibl. cisterc. ' qui nc iious sout conuus que par leurs titres : Sermones de
p. 23a , l'h'i. Adventu domini duo ; de Nativitate domini très ; de Annun-
ciatione dominicâ unus ; de Paschate unus ; de Ascensione
unus ; de omnibus Sanctis.
XH SIECLE
AUT. DE LETTRES, SERM. ET OPUSC. 6ii
Quand nous plaçons ce prédicateur à la fin du XIF siècle,
c'est une simple conjecture, à l'appui de laquelle nous ne
saurions alléguer d'autre indice, sinon que ces sermons se
trouvaient réunis, dans les mêmes volumes, à des écrits de
cette époque.
VI. Jean d'Alich prêchait à Liège vers le même temps. Foppens , t.
Ses sermons pour toute l'année , et dont le premier texte " ' ^' ^^^"
consistait dans ces paroles du psaume aô : Ad te leva<.'i ani-
mani meam , étaient connus d'Albéric de Trois-Fontaines,
qui en fait mention sous l'année i ig5. Ce prédicateur a de Chronic.
plus écrit la vie d'une très-vertueuse personne nommée
Marguerite, dont il avait été le<:onfesseur : Sander cite cette
production parmi les manuscrits de l'abbaye de Villiers. Part, i , p. 267.
VII. Evrard, ou Euvard, ou Ervard , religieux du val
dçs Ecoliers, ne mérite ici une mention qu'à cause d'un ms, Noteras, en-
in-4° sur parchemin , qui se trouvait cote 46 dans la biblio- ^°y''*. ^^ ***''"
y \ \ '■ TLM • ^ • . moutier.
theque de Marmoutier , et qui commençait par ces mots :
Incipit summa defestis quani fecit f rater Ervardus ordinis
valiis Scholarium. Cette somme était un recueil de sermons
sur les fêtes et sur des sujets de morale.
OPUSCULES.
VIII. Guy des Noyers, archevêque de Sens depuis ii-^G
jusqu'au 21 décembre i iy3,date de son décès, était compté ^'^'i' Christ.
au nombre des plus savans prélats de cette époque. Cepen- ""lolsj^^''
dant il ne nous reste de lui que deux petite^ chartes relatives Dubouiay ,
à des fondations pieuses, et publiées dans le tome XII du h. univ. Paris,
nouveau Gallia Christiana. Il assista en 11 70 au troisième V ^^\?: W
•I 1 T 1 T«l •!• » Ti 'l*?! V\kl 490.
concile de Latran, et au sacre de Phihppe-Auguste. Il eut viro optimo et
en I i8o un démêlé avec ce prince qui refusait d'exécuter les optimis studiis
décrets rigoureux du concile contre les Juifs. L'archevêque fut P''*'''"'"* '"*"
•I' • 1' • A TT 'A ii»i'^ 1 triiclo.
exile, mais rappelé presque aussitôt. Une epitre d Alexandre Append. , p.
III, une d'Lfrbain III, et la 70^ lettre d'Élienne de Tournai, Go, 61.
sont adressées à Guy des Noyers.
IX. ÇtKMiveA^ élu archevêque de Palerme en 1168, n'était
en Sicile que depuis l'année précédente. Il y était venu de
France ; et cette circonstance est à-])eu-près la seule qui nous
autorise à parler de lui : Pitz le déclare Anglais , sans allé-
guer d'ailleurs aucune preuve de cette opinion qui a été Eg.BuiaeiH.
'^ , . j ^» i; ^ 11 (^--i- ^ univ. Pans., t.
néanmoins adoptée par i auteur de la oicilia sacra et par ii.p. 337, 347,
Fabricius. Tous les ouvrages de Gautier sont perdus, ex- •Jg'-
cepté, dit Pitz, un abrégé de grammaire latine. Il avait _^^"'^'^'
Hhhha
%J
6 12 AUT DE LETTRES, SERM. ET 0PU9C.
XII SIECEiE
apparemment composé cet opuscule pour l'éducation d'un
Bibi. med. et nrince de Sicile : en effet, dans une lettre adressée à Gautier,
p" iii in- 4°. ' P'^ri'^ ^^ Blois s'exprime en ces termes : « Vous savez que
Epis'i.66,op. j'ai eu durant une année pour disciple ce roi de Sicile à qui
Peir. Blés., p. vous avicz enseigné les premiers élémens de la littérature et
p!6ft,,~oi°^ de la versification (i), et qui en a fort peu profité. » Voilà tout
ce que nous pouvons dire de cet archevêque de Palerme:
car que son élection ait éprouvé des difficultés, qu'elle ait
été cependant confirmée par Alexandre III; que Gautier, en
Maiiriq. ad iiy3, ait fondé près de Palerme l'abbaye du Saint-Esprit;
v"l n.'I. ' '^ quen I lyy il ait souscrit l'acte par lequel Guillaume , roi de
Mart Ampi. Sicilc, assignait un douaire à son épouse; qu'en ii85 il a(ft
twHect. , t. I, fait reconstruire sa cathédrale, ces faits n'appartiennent point
p. 9o3. ^ l'Histoire littéraire , k moins cependant qu'on ne suppose
qvie douze vers inscrits sur la voûte de cette cathédrale , et
i:. II, p. la;. qu'on peut lire dans la Sicilia sacra , étaient de la façon de
1 archevêque, ce qui est assez vraisemblable. 11 mourut en
1 1 94 , et serait presque inconnu sans la lettre que Pierre de
Blois lui a écrite , et dans laquelle d'ailleurs il est beaucoup
moins question de Gautier que de Henri II, roi d'Angleterre,
dont elle fait l'apologie et un très-long éloge.
Epist.174,175. C'est aussi par Pierre de Blois que nous connaissons un
autre Gautier qui vint de France à Naples professer la gram-
maire, si pourtant ce Gautier n'est pas celui dont nous
venons de parler. Il ne subsiste aucun écrit de ce professeur;
mais il jouissait d'une grande réputation , et il est fort célébré
dans deux épîtres de Pierre de Blois, qui l'appelle son com-
pagnon et son frère : Consociiis noster et /rater.
X. Guillaume RAiitOND , élu évéque de Maguelone en 1190 ,
mourut le 27 janvier 119^, laissant quelques homélies qui
sont perdues , et une centaine de vers rimes que Garief a
Séries prse publiés, et qui ont pour but d'enseigner au cierge la manière
suiuinMagai.et ^g réciter l'office divin. Gaiiel fait de Guillaume un oncle
ijO^aL-^a^s"- P>t^^''"*^l ^^ Guillaume, seigneur de Montpellier, et le tire
de l'abbaye d'Aniane pour l'élever sur le siège épiscopal de
Maguelone. Catel ne lui donne pas une extraction tout-à-fait
.«i haute, et suppose qu'il avait été, non pas abbé d'Aniane,
mais chanoine de l'église même dont il ëevint évêqu€. Les
T.'vi,p.7i6, auteure du nouveau Gallia christiana préfèrent 1 opinion
767
(i) 'ficitts ^uod dominus rex Sieïtiœ per annuin discipulus meus fuit, qui
h vohis versÇicatoriœ atque litteratorite artis priinitias habuerat.
AUT. DE LETTRKS, SERM. ET OPUSC. 6i3
de Catel à celle de Gariel , qu'ils s'abstiennent toutefois de 1-L
démentir formellement.
XI. Arnulfe, doyen de l'église de Bruges, reçut en 1197 ^^^P*^" "'g*'
ou 1198 deux lettres d'Etienne de Tournai, qui, dans la sieph. Tornac!
seconde, le priait de composer des hymnes, dès antiennes p. 3a7, 3a8.
et des répons pour la fête du premier martyr. Ces deux
épîtres supposent , dans celui auquel elles s'adressent , un
très -grand talent pour les compositions liturgiques : mais
aucune des productions de ce talent n'est arrivée jusqu'à
nous ; et nous ne trouvons rien sur ce doyen de Bruges , ni
dans Swert, ni dans Valère André, ni dans les mémoires de
Paquot.
XII, XIII, XIV. Maître Genard, Alberic deVitry,Hugdes
DE Limoges, sont cités par Montfaucon comme auteurs de
quelques opuscules manuscrits; savoir, maître Genard, d'un
j4lgoristnus et d'un traité de Computo natali; Albéric, d'un
commentaire in Psalnws Davidicos , et d'un livre de Com- Bibi.BibUotii.
puto lunce ; Hugues, d'un écrit intitulé de Prœcepto Dei , et '" \]?: ^^' ^
',, •. ' 7 7- -1 y> •• .. r\r/^ / .. . 767rf.p.Iï57,
d un traite de aliquibus Cerenionus et Ujjicianis sancti ,253.
Martialis (lemovicensis). L'un des opuscules du mathéma- ibid. 1. 11, p.
ticien Genard faisait partie d'un volume qui commençait "'^*' '°^9-
par un traité de Gerbert ou Sylvestre II sur un sujet du «
même genre. Les' deux manuscrits d'Albéric se trouvaient Hist. Liuér.
dans l'abbaye de Lyre , d'où l'on a lieu de conclure que l'au- ''^ '^ F*"' '7^
teur était un religieux de cette abbaye. Pour Hugues de Li- ^' ' *' *"'*'
moges , c'était sans doute un religieux de l'église de Saint-
Martial.
XV. Bertrand de Poitiers, est l'auteur d'une histoire
du monastère de Beaulieu au diocèse de Limoges, histoire
que l'on conserve dans la bibliothèque du Vatican, parmi
les manuscrits de la reine de Suède, n° 168. Leiong, Bibl.
XVI. GisLEMAR,.re/«^iew^ de Saint -Germain- des -Pre's. ''^ ■'^Fr. , 1. 1 ,
Nos prédécesseurs ont parlé d'un religieux de ce nom et de Hist.'iittér.
ce monastère qui a écrit au IX* siècle une vie de saint deiaFr. ,t.v,
Droctovée. Celui que nous voulons désigner ici est l'auteur P' ^^' '97-
d'un livre de rétractations qui n'est pas imprimé , et que
Mabillon indique sans le faire autrement connaître. Dom Annal, ord.
Bouillart ne nous instruit pas davantage sur l'objet de ce i < i*"»***- ' *• 1 .
livre, quoique, dans l'histoire de Sain t-Germain-d es-Prés, p'xxtin.
il nous rende compte d'un nécrologe de cette abbaye où le
nom de Gislemar se rencontre , et qui a été rédigé vers le xv , Kal. Jan.
milieu du Xlir siècle.
XII SIECLE.
Bapin Thoy-
ras, H. d'Angl.
t. II, p. 562.—
Haqjsfeld. , H.
eccl. angl. , p.
38 1 . — Marot ,
Theat. Carlhus.
p. 46. — Alford.
ann. 11 86. —
Pagi, Crit. ann.
1191.
Hist.eccles.,
I. LXXIV,n.7.
Act. $anct. ,
t. VI , 17 nov;
Viesdes saint»,
p. 66a — 681.
L. LXXIV,
n. 7 , !,6 ; 1.
LXXV,n. 3i.
Girard Cam-
br. , Anglia
sacra, t. II, p.
4i5.
Mart. Ampl.
CoUect. , t. VI ,
p. 38.
T. I,p. 924,
9a 5.
Hist. duDau-
pUnéjl. II, p.
7,3.
6i4 AUT. DE LETTRES, SERM. ET OPUSG.
XVII. Hugues, ne vers i i4o au château d'Avalon , à trois
lieues de Grenoble , fut d'abord chanoine régulier en Bour-
gogne : de-là vient le surnom de Bourguignon , Biirgundus,
qu'il porte dans plusieurs chroniques , quoiqu'il ait peu
tardé à retourner en Dauphiné pour y être moine de la
grande Chartreuse. Dans la suite, il devint prieur de la
chartreuse de Witham en Angleterre; et il se vit contraint
en 1184 d'accepter l'évêché de Lincoln. Cette date de ii84
adoptée par Fleuri nous paraît préférable à celle de 1182
fixée par d'autres écrivains; car ce fut en ri 84 que Gautier
de Coutances passa de l'évêché de Lincoln à l'arcnevèché de
Rouen. La vie édifiante de Hugues,- ses vertus et ses miracles
ont fourni à un de ses contemporains, dont le nom est
ignoré, la matière d'un ouvrage divisé en cinq livres, qui
ne se retrouve plus. Mais Surius en a publié des extraits
qui ont été traduits en Français par Arnauld d'Andilly. Fleuri
en a inséré les principaux détails dans son Histoire ecclé-
siastique. Ils sont trop étrangers à l'histoire littéraire pour
qu'il nous soit permis de les reproduire ici : nous citerons
seulement , comme un exemple du zèle apostolique de
Hugues, l'ordre qu'il donna en 1191 d'exhumer Rosemonde,
3ue son amant Henri II, roi d'Angleterre, avait fait enterrer
ans une église de religieuses : Rosemonde en fut expulsée,
sans égard aux riches présens que le prince avait faits pour l'a-
mour d'elle à ce couvent et à cette église. L'évêque de Lincoln
était d'ailleurs un homme fort lettré , l'oracle des écoles , vir
litteratissimus , dit un de ses historiens; scholarum consultor,
dit son épitaphe. Il lisait et transcrivait beaucoup de livres.
On vante sur-tout l'étendue et la ténacité de sa mémoire :
elle ne laissait rien échapper de ce qu'elle avait daigné re-
cueillir; ce sont les propres termes de l'un des historiens (i)
de Hugues. NoiïS n'avons au surplus qu'un seul écrit de ce
prélat , savoir des statuts pour les religieuses de Cotun ,
ordre de Cîteaux : ils sont imprimés dans le Monasticon
anglicanum, et ne' présentent rien qui les puisse distinguer
de la multitude des réglemens du môme genre. Voilà le seul
monument que nous ait laissé Hugues de Lincoln, qui fut
canonisé en laai. Chorier qui le fait vivre jusqu'en 1210 est
(i) Memoria tam tenax ut nihil elabi pateretur quod semel dignata esset
admittere. Dorland. , Chron. Carthus. , p. 78.
LÉGENDAIRES DU XIP SIÈCLE. 6i5
XII SIECLE.
dans l'erreur. Sa^t Hugues mourut sexagénaire, la quin-
zième année de fcn épiscopat, le i6 ou le ij novembre de Anglia sacra,
l'an laoo.- D. 1. 1, p. îo/,.
LEGENDAIRES
DU DOUZIÈME SIÈCLE.
I. Jean moine de Sithieu, c'est-à-dire de Saint-Bertin à
Saint-Omer, est auteur d'une vie ^e saint Bernard le pénitent, BoUand.
et d'une relation des vertus et des miracles de saint Erkera- P' 775 — 797-
bodon , abbé de Saint-Beftin. ibùi. apr. t.
Il est fort possible que ce légendaire soit un simple moine "' P' 9^-
du XIP siècle, distinct de Jean d'Ypres, 2^ du nom, qui fut <
abbé de Sithieu depuis 1 187 jusqu'en laSo. Cependant nous
renvoyons à l'article qui concernera cet abbé , l'examen
de cette question , et la notice des deux légendes d'Erkem-
bodon et du pénitent Bernard.
II. Guillaume abbé d'Orbais, au diocèse de Soissons en 1 1 80,
ne l'était plus en 1 19a; époque où son successeur permutait ^*''- ^'>'"-
avec l'abbé de Saint-Remi. Tout ce que nous savons de Guil- w v,k ^ ' a'
i 1 ) o •!<••• ^p' './-xi-j 2a4.1>abr. med.
laume, c estqu en 1 100, 11 taisait transférer a Orbais le corps t. m, p. i58.
de saint Rieul,/^e^«/«.y, évêque de Senlis, et qu'il écrivait un
très-court récit de cette translation. Il atteste que les habits du Martenne.
saint se trouvèrent intacts, chose étonnante, ajoute-t-il , après ^""P''*'- Coll.
plus de 3oo ans. Le miracle était encore plus grand que ne pen- Cail.^ chrÔn!
sait Guillaume : car saint Rieul était mort en 688, tout près de t- ix, p.
cinq siècles avant la cérémonie que décrit l'abbé d'Orbais. *''■
III. JçAN DE BÉTHUNE, issu de la famille de ce nom, après
avoir été archidiacre de Cambray , doyen ou prévôt de l'église
2i ■
mencement de la suivante. Nous faisons mention de lui , call. christ.
parce que Vincent deBeauvais le déclare auteur d'une vie de «o^- '• m , p-
saint Thomas deCantorbery qui ne s'est pas retrouvée. Jean ^*','^-
de Béthune avait épousé avec chaleur la cause de Becket, et
XII SIECT,E.
6i6 LÉGENDAIRES DU XIP SIÈCLE.
il est d'ailleurs certain qu'il avait composé quelque ouvrage,
Mart. anecd. car il est citc' dans une histoire du monastère de Villiers.
t. m, p. 1272. j; auteur (jg cette histoire parle d'Ulric abbé de ce monastère,
et ajoute : « scrihit de eo dominus Joannes Cameracensis
episcopus. »
IV. Chrétien moine de la Sauve-majeure , au diocèse de
Bordeaux, a composé l'une des vies de saint Gérauld , fonda-
teur de ce monastère. Saint-Gérauld mourut en ioq5 , fut
Sapril.p. 42:^ canonisé en 11 97, et peu de temps après célébré par Chrétien
"''• "■ Celui-ci n'est connu que parce qu'on lit son nom à la tête
de cette légende qui occupe sept pages dans la collection des
Act. sanct. BoUandistes. Mabillon fait fort peu de cas de cet écrit et le
7\yi ^s'se'* déclare extrêmement inexact. Aussi nos prédécesseurs n'en
'^ ^ ont-ils fait aucun usage dans l'article qui concerne la vie et
Hi»t. Litt. t. les ouvrages de saint Gerauld. Quoique Chrétien annonce
Vlu,p.4o7— q^'j^ écrira humili stylo et nudis verbis ^ parce qu'il est su-
perflu d'employer l'art à blanchir un mur rcspk ndissant de
son propre éclat, il y a néanmoins beaucoup de recheixihe
dans son style demi-barbare. 11 se plait sur-tout à composer
de longues périodes, et à les surcharger de mots empruntés
de la bible. Igitur quia difficile nimis est longumque descn-
bere quanta per eum Dominus bona diççnatusfuerit operari,
quanti etiam ab errore vice make cm viam conversa tionis
sanctœ etpietoteni divinœjustitiœ sint conversi , paucis tamen
enunciatis, deplurimis miraculovum ejus viitutibus, quorum
partem vidimus etcognovimus ea, partem quoque docuerunt
nos fidèles ordinis nostri patres et annuntiaverunt nabis , ut
enarrarentur in progenie altéra , et de quibusdam perhi-
buerunt testimonium^ etcredimus eorum testimonium verum
esse , adfinem de cœtero duximus properandum.
V. Bernard de Saint-Romain qui fut abbé de Tournus,
n'était encore que prieur de Loud un, lorsqu'il rédigea une
courte relation de trois miracles opérés par saint Philibert;
Acta sanct. relation que D. Mabillon a suffisamment fait connaître.
ord.S. B. t. IV, Bernard était abbé de Tournus en 1200 ; car à cette époque,
^GaU Christ il renouvclait un traité d'alliance et de confraternité conclu
nov. t. IV, p! entre son prédécesseur et l'abbaye de l'Ile-Barbe. Mais il avait
Î70. Hist. de ^^ successeur f^w 1202. On peut conjecturer qu'il était de
ÏS^p. ^38 la famille de Saint-Romain en Maçonnais, laquelle a fourni
— i/,o. d'autres abbés dans le cours du Xlir siècle.
VI. Le bienheureux Gosv^^in ou Gozevin (^ui fut d'abord
moine de Clairvaux, près de Chcminon au diocèse deChalons-
LÉGENDAIRES DU XIF SIÈCLE. 617
/ VTT STFCLE
sjar-Marne, est quelquefois de'signé comme abbéd'Eberbach ou '. 1
Evervac auprès de Mayence, quelquefois aussi comme simple
religieux de BouUencourt, aboaye du diocèse de Troyes. Ceux
qui l'ont fait abbé d'Eberbach l'ont confondu avec Gérard
auquel il a dédié un de ses livres. Mais son séjour à Boul-
lencourt n'est point douteux : car il y est mort. On ignore
seulement s'il s'y trouvait comme voyageur, ou s'il appar-
tenait réellement à cette abbaye. Nicolas Camusat préfère Prompt. Tri-
la première hypothèse. L'année de la mort du bienheureux *^^'*' °' *'
Goswin n'est pas plus facile à fixer. La chronique d'Alberic le up""" "^ '
fait vivre jusqu'en i2o4 ou i2o3. Selon d'autres, il mourut De visch.
en 1201 : quelques-uns disent qu'il survécut peu à sainte- ^''''- •^'s'^'"- P-
Asceline dont il a écrit la vie et qui décéda le 28 aoiit i rg5. '* ' '*^'
On peut donc considérer Gozevin comme un auteur de la
fin du XIP siècle.
Trois ouvrages lui sont attribués par l'auteur d'une chro-
nique de Clairvaux : i ° une vie assez détaillée d'Asceline {nar- ^*'" Chifflet,
ratio satis prolixd)\ z° une vie de la bienheui-euse Hémeline, "^s ^l'^L^dT^
.3°une histoire des miracles de son temps. Il ne subsiste aucun 85. ''
fragment de cette 3^produc\;ion,non plus que de la seconde:
nous ne les connaissons que par la très-courte notice qu'en
donne la chronique déjà citée. Elle nous apprend que dans
l'histoire des miracles de sçn tMnps, Goswin célébrait sur-
tout ceux du bienheureux Everard mort à Cologne en 1 192,
qu'il désignait les lieux que l'ame de ce personnage avait
visités après sa mort, et qu'il certifiait l'avoir lui-même vu
et contemplé en esprit. Quant à la vie de sainte Asceline,
nous n'en avons qu un simple sommaire qui n'a ni authen- .,
ticité ni autorité. Henriquez a publié cet abrégé , et les Bol- omiss"ad diem
landistes ne l'ont réimprimé qu'en le signalant' comme un iSmaii.
tissu de fictions absurdes dont ils ne peuvent croire que le ^.^'^ augnr. p.
bienheureux Goswin ou Gozevin soit l'auteur. Manrique et 'Ad ann.
Nicolas Camusat en avaient porté le même jugement. Pierre 1194, c. 3, n.
le Nain, sous-prieur de la Trappe, possédait le véritable ma- ^'^' 9'
nuscrit de Goswin ou le même abrégé dont Henriquez a fait
usage. C'est d'après ce manuscrit et d'après une autre vie
d'Asceline en vieux langage français que le Nain a rédigé
l'article qui concerne cette sainte dans l'essai de l'histoire t. iv 1.2 ».
de Cîteaux. 372—405.
Tome Xv^ \'\V\
6i8 AUT. ANONYMES DE VIES DE SAINTS.
VIES DE SAINTS,
COMPOSÉES PAR DES ANONYMES VERS L'AN 1200.
i^lous réunirons sous ce titre une vingtaine d'articles d'un
très-miuce intérêt, mais auxquels nous donnerons fort peu
d'étendue. Nous n'aurons le plus souvent que d'assez faibles
conjectures à offrir sur le temps où ces opuscules ont été
composés. Nous les plaçons à la fin du XII* siècle, d'abord
pour les placer quelque part, mais au.ssi parce que cette
époque est en effet celle qui paraît le mieux convenir à la
plupart de ces obscures productions.
I. Vie de saint Hugues , abbé de Bonnevaux au diocèse de
Vienne en Dauphiné'.
Vincent de Beauvais a inséré cette vie dans son Mi-
roir historial , et nous la retrouvons djius la collection des
Specul. his- Bollandistes, au 1'"'" avril. Elle n#dit rien ni de la naissance
r^s''^^^^^' ^^ ^'^- Hugues , ni de ses pareils, ni de son pays, ni de sa
P. 46-48. mort , ni- de sa sépulture : nous y apprenons seulement qu'il
fut abbé de Bonnevaux , .qu'^l concourut à réconcilier l'em-
pereur Frédéric Barberousse avec le pape Alexandre III ,
qu'il eut des visions et fit des miracles. L'auteur n'énonce
jamais les dates des faits qu'il raconte : mais la paix entre
le pape et Frédéric est de 1 177, et la chronique de Clair-
vaux place la mort de Hugues, en ii83. 11 est à remar-
Apnd Chifll. qucr que cette chronique, qui finit en 1190, renvoie le lec-
S.Bern. genus jg^j. ^ quelques vies de saints dès-lors écrites, et qu'elle
î?.!'^*^!. ««*"' ne fait aucune mention de celle de St. Hugues. La légende
tum , p. »o. • . I / ' ' /
de ce saint na donc ete composée que vers 1 192 ou 1 194 ,
peut-être par l'auteur même de la chronique de Clairvaux.
/èiW. p. 87. Car cet auteur qui adresse son livre à un prieur, lui dit: si
vous voulez plus de détails* sur la vie de St. Hugues, je vous
en donnerai un jour, Dieu aidant.
II. Vie de St. Albert de Louvain, évéque de Liège, et
cardinal. L'élection de cet évéque ayant entraîné des con-
testations , et l'empereur Henri VI ayant investi de cette
prélature Lothaire , prévôt de Bonne, Albert prit le parti
de recourir au saiut-siége. Par des chemins détournés, il se
rendit à Rome, déguisé en valet. Oi\ le présenta en cet équi-
AUT. ANONYMES DE VIES DE SAINTS. 610
XII SIËCLK
jage, dit Fleuri, au pape Célestin III qui en fut touche' ■. — 1
usques aux larmes. Non-seulement le pape confirma le- Hist. eccles. ,
action d'Albert, mais encore il le fit cardinal. Albert revint ''•'• i-XXiv, n.
en France et fut sacré ëvèque par Guillaume, archevêque de
Reims. Henri VI ne dissimula point sa colère : ce prince est
accuse d'avoir mis en mouvement trois chevaliers et quatre
écuyers, qui vinrent à Reims trouver Albert, s'insinuèrent
dans sa société la plus intime , l'entraînèrent hors de la ville
sous le prétexte d'une -promenade , et le massacrèrent le. 24
novembre i (92 ou i igS. Plusieurs miracles se sont opérés •
au tombeau de ce martyr. Fort peu d'années après sa mort, Gail. Christ.
il eut pour historien un clerc qui avait été attaché à .sa mai- «"g"' *"^^'' ^'
son ou à son service {^fainiliaris et domesticuS ). Cette his-
toire nous fait connaitie cinq amis pai-ticuiiers d'Albert, sa-
voir l'abbé de Laubes et quatre chanoines de Liège, dont l'un,
nommé Siger, fut témoin de l'assassinat : mais la manière
dont il est ici parlé de ces cinq personnages, ne permet pas
de supposer qu'aucun d'eux soit l'auteur de cette narration,
à moins qu'elle n'ait été modifiée depuis. Ceux qui l'ont at-
tribuée à Gilles, moine d'Orval,'qui rédigeait vers 1240, Sander.Elog.
une histoire dé Liège, n'ont point assez observé que ce iJ"^'!'"'îl'."'"r~
■ 1 ^ • I ^ F ^- \ 1 • •' A Ducli. Hist. des
compilateur, en y insérant cet article, annonce lui-même cardin. franc. ,
qu'il l'emprunte d'un commensal du saint martyr, d'un au- p- 'Ag-
teur contemporain dont il ne fait que transcrire, abréger ou
amplifier le récit. Quoi qu'il en soit, cette vie de St. Albert
a été publiée en 1610, par Aubert-le-Mire (i). Elle se re-
trouve dans un recueil de Chappeauville (2), et parmi les
Ereuves de l'histoire des cardinaux français , de Duchesne.
ouis d'Attichi l'a aussi fait entrer dans le tome I*"" de ses Fleurs T. 11, p. 149
de l'histoire des cardinaux. On en connaît une traduction -»66.
en espagnol, par André de Soto (3), une traduction en in-for't'i^"'
* 232 et SPfr
(i) Vita et martjrium S. Alherli cardiruilis , auctore anonjmo ejus do- Lile i6i3
mesticoyin historiâ quant scripsit yEgidius leodiensis ; cujrâ et studio Auberti in- 8°.
Mirœi, Antuerpiae, i6io, in-fol.
(a) Historia sacra et profana , nec non politica , in quâ non soliim repe-
riuntur gestapontificum Tungrensium , Trajectensiuin et Leodiensiiim , veriim
etiam pont^icum Ronianoruin , etc. , studio Joannis Chapeavillœi. Augustae
Eburonuin , Ouvrex. 1618 , 3 part, in -4". — La 3*^ partie consiste
dans l'ouvrage de Gilles d'Orval. ALgidii à Leodio, aureœ val.lis religiosi,
gcsta pontificum Leodiensium, etc. La vie de saint Albert s'y lit p. i34-
184, C. LVII-XC.
(3) La vida de S. Alberto , traducida por Andréa de Soto. En Bnissellas,
i6i3,in-8°.
liiia
XII SIECLE.
620 AUT. ANONYMES DE VIES DE SAINTS.
français, par Christophe Beys; et nous pouvons considérer
comme une autre version française du même texte, le Hvre
intitule : le pourtrait du vrai pasteur, par Guillaume de Re-
breviettes sieur d'Escœuvres (i). Pour en revenir à l'auteur
original, outre les détails qui concernent la vie, l'édition,
le voyage, le martyre et les miracles du saint, détails dont
il a une connaissance immédiate et dont il se donne souvent
pour témoin oculaire, on lui doit quelques renseignemens.
qui peuvent servir à l'histoire des vilfesde Liège et de Reims.
. Il parle d'un tournoi qui eut lieu près de Reims le mardi ,
a4 novembre 1192, et qui attira un très-grand nombre de
gentilshommes français. Dans cet endroit et dans quelques
autres, l'auteur paraît se considérer comme étranger a la
France; il était sans doute Liégeois. Quant à ce qu'il ra-
conte de la cupidité qu'excitaient les Ijénéfices , des brigues
et des intrigues pratiquées pour les obtenir, il n'y a là rien
qui appartienne exclusivement à l'histoire de Liège, ni à
celle du XIP siècle.
III. Fie de Ste. Alêne , merge et martyre. Cet opuscule
est divisé en quatre chapitres. Le premier est une softe de
préface; le second raconte les miracles de la sainte , laquelle
vivait au milieu du VHP siècle. Le troisième chapitre con-
cerne ses reliques recueillies en i iqS, et les miracles recom-
mencent dans le quatrième. La diction est tellement uni-
forme en ces quatre chapitres, qu'il y a peu d'apparence
que les deux premiers aient été composés fort long-temps
avant les autres, quoi qu'en disent les continuateurs de Bol-
i7jun.p.388 landus qui les ont insérés tous quatrç dans leur collection.
-395. IV. Fie et translation de St. Austremoine. Ce saint person-
Labbe, Bibl. ^^„^ çg^ j^.- représenté comme l'un des soixante-douze disci-
mSS.nOVil, t. il, ,^iry-i l -/a J /-Il
p. 482-507.— pies de J.-C, et comme le premier eveque de Llermont en
Mabiiion, acta Auvergne. Son histoire est souvent interrompue tantôt par
dfctrT'ivT ^^^ ''^"^ communs, tantôt par des vers qui résument les
191-194. ' faits détaillés en prose. A la suite de cette vie se trouvent
cinq pièces: 1° Révélation miraculeuse faite à Cantin , évêque
de Clermont, en 5y2, du lieu où était déposé le corps de
St. Austremoine. 2" Translation de ce corps du monastère
d'Issoire, détruit par les Vandales, au monastère de Volvic,
fondé par le successeur de Cantin. 3" Nouvelle translation
(i) Le Pcurtrait du vrai pasteur,, ou histoire mémorable de S. Albert,
évêque de Liège, par G. D. R. S"^ d'Escœuvres. Paris, Huby, i6i3, in-8°.
XII SIECLE.
AUT. ANONYMES DE VIES DE SAINTS. 621
des mêmes reliques, de Volvic à Mauzac, en 764, en pré-
sence du roi Pépin. 4" Miracles opérés à Mauzac par l'inter-
cession du saint. 5° Réfutation de toutes les objections qu'on
pourrait faire contre la fidélité des relations précédentes. On
voit dans cette cinquième pièce comment après le rjitablis-
sement du monastère d'Issoire , les religieux qui l'habitaient
se prétendaient toujours dépositaires du corps de St. Austre-
moine, et comment en 1 197, Robert, évêque de Clermont,
après un mûr examen, jugea contre Issoire en ftiveur des
moines de Mauzac. Voilà, dit l'auteur qui est lui-même un de
ces derniers moines, voilà l'histoire de St.Austremoine, par-
faitement éclaircie. Mais ce qui est encore plus clair, c'est
que l'auteur de cette dernière pièce n'écrit qu'après 1197;
et nous assignerons la même époque à toutes les précé-
dentes, sans en excepter la vie du saint. En effet, si les cinq
pièces qui suivent cette vie sont écrites avec un peu plus
de simplicité , c'est que la matière appelait moins d'orne-
mens et qu'il s'agissait plus d'éclaircir les faits que de les
célébrer. Du reste, cette vie n'est souvent qu'une copie de
celles de St. Martial, de St .Ursin et des autres fondateurs
de nos églises de France : c'est le même canevas avec quel-
ques changemens dans les circonstances. Il est vrai que la
seconde des pièces à la suite de cette vie est attribuée par _ . Mém. sur
Tillemont à Lanfroid , abbé de Mauzac, en 764. Mais cette ''^"'-e^clés.,!.
conjecture qui appartient moins a liiiemont qua bavaron Origine de
qu'il cite, na d'autre prétexte que la mention faite dans la ciermom, etc.
relation même de ce Lanfrid ou Lanfroid, comme ayant ob- P-46,i79, 180.
tenu de Pépin la translation des reliques de St. Austremoine,
d'Issoire à Mauzac. Lanfroid sera , si l'on veut, l'auteur, c'est-
à-dire la cause de cette translation : mais qu'il soit le rédac- '
teur de la relation , cette hypothèse est sans vraisemblance.
V. Légende de Ste. Vérone. En publiant cette pièce, les
Bollandistes la déclarent fabuleuse. Ils ne peuvent croire que ^9 aug- p- 5a5
les démons aient dit à la sainte encore vivante : Ste. Vérone, ""'^°'
pourquoi nous tourmentez-vous .-^ Sancta Verona , quare nos
torques ? Ils révoquent en doute les conversations qu'elle
avait, selon la légende, avec une croix, ou plutôt avec un
crucifix, qui l'appelait son épouse : Sponsa mea electa. Ils
vont enfin jusqu'à taxer d'exagération ce que dit le pieux
auteur de l'innombrable multitude des prodiges qui suivi-
rent la mort de Ste. Vérone. Cette sainte est particulière-
ment honorée à Louvain : en croit qu'elle vivait au IX® siècle;
XII SIECLE.
632 AUT. ANONYMES DE VIES DE SAINTS,
mais il n'y a, dans sa légende, que des miracles, et point
de dates : on n'y peut môme recueillir aucun renseignement
sur l'époque où vivait le légendaire ; et lorsqu'à l'exemple
des Bollandistes , nous le plaçons à la fin du XII^ siècle ,
nous 4evons avouer que c'est une simple conjecture.
VI. Deux légendes de St. Chrysole ou Chry seuil. Archevê-
que d'Arménie, mais fuyant la persécution , St. Chrysole vint
dans les Gaules avec St. Piat, St. Lucien, St. Quentin, St-
Denis. Il fut martyrisé à Wrelenghen près de Lille en Flan-
dres. On ne lui amputa que le sommet de la tête , la partie
que circonscrivait une couronne. Le saint martyr ramassa
cette couronne, ainsi que les portions de crâne et de cer-
velle C|ue le coup de hache avait détachées, et il porta le tout
jusqu'à Gomines , où il rendit le dernier soupir. Voilà le
sommaire de ces deux légendes qui offrent le plus souvent
les mêmes détails et pi^esque le même texte. La différence la
plus remarquable, c'est que l'une ne désigne que par le nom
générique de César, l'empereur sous lequel St. Chrysole fut
persécuté, au lieu que l'autre nomme Dioolétien.' En disant
que St. Chrysole vint en France avec St. Denis, elles ajou-
tent que c'est un fait dont conviennent unanimement les
modernes, ce qui suffirait pour prouver qu'elles ne sont pas
elle-mêmes fort anciennes. Ces deux pièces occupent cuiq
pages dans le recueil de BoUandus , au y février : \a seconde
P. 9.-i5. avait^té publiée par Arnauld Raisse, chanoine de Douay (i).
VII. Vie de St. Guidon., confesseur. Les reliques de ce
saint furent recueillies en ma, et il est question de cette
cérémonie dans la légende, qui d'ailleurs parle de seigneurs
soumis au jugement de leurs j)aiis, parium suorum.^ ce qui
autorise à conjecturer qu'elle n'a été rédigée que vei-s la fin
du XII* siècle. St. Guidon est honoré à Anderlach ou An-
derlecht, au diocèse de Cambrai. Sa légende a été divisée par
les Bollandistes, en trois chapitres : les deux derniers trai-
sept. p. tgfjt des miracles du saint et du culte qu'on lui rend; le pre-
mier promet les détails de sa vie et n'en donne guères. L'au-
teur les remplace par des réflexions morales très -diffuses.
Par exemple , après avoir parlé de ceux qui demandent des
guérisons miraculeuses, et qui se hâtent d'oublier St. Gui-
(i) j4d natales sancforum. Bel^i auctuarium. Duaci , 1626, in-8°. —
Hicrogazophilacium , sive Thésaurus sacraruin reliquiarurn Beîgii. Duaci ,
i6a$, in- 12. •
12
63-48
AUT. ANONYMES DE VIES DE SAINTS. 6a3
,„,.., , ., . ^ . XII SIECLE.
don, des quils les ont obtenues, il compare ces ingrats mi- -^
racule's aux militaires qui sollicitent des grades, des dignités,
des richesses, et qui négligent, quand une fois ils les pos-
sèdent, le souverain trop libéral dont ils les tiennent.
VIII. Vie de St. Manvieu (Manvaeus) , cvéque de BayeU^.
Elle est composée de très - courtes phrases qui paraissent
avoir été jadis des répons, des versets, des antiennes de l'of-
fice du saint; m^is il y est dit que St*. Manvieu, contempo-
rain du roi de France Mérovée, se livrait avec zèle à l'é-
tude des décrétâtes. Ce trait, le seul que nous extrairons des
deux pages de cette légende , ne permet pas de la croire an- ^^. *! ""g* * t
térieure à la fin du XII*' siècle. A la vérité, les décxétales fa- ,68.'
briquées par Isidore ne sont postérieures que d'environ
3oo ans au règne de Mérovée :* mais le genre d'études au-
quel on applique ici St. Manvieu, ne s'est ^abli dans l'église
qu'après le pontificat d'Eugène III, sons lequel Gratien ré-
aTgea la compilation canonique qui porte le nom de décret.
IX. Vie de Ste. Rolande. Les Bollandistes qui ont publié
cette légende, ainsi que la précédente, supposent quil y a a-J^j?"' ^'
eu une sainte Rolande au VII'^ ou au VIII- siècle. Elle est
ici fille d'un roi de France, nommé Didier ; et co'mme fille
uniqufe, elle était , dit l'auteur, destinée à régner après son
père (i). Le resté* de l'opuscule n'est pas plus conciliable
avec l'histoire. Les reliques .de la sainte ont été recueillies
vers iio3, dans l'église de Liège, qu'il plaît au légendaire
d'ériger en métropole. Il avertit qu'il écrit long-temps après
cette cérémonie, post multum decursum temporis ^ expres-
sions qui, chez un auteur du XIP siècle, peuvent ne signifier
que cent années ou^même un peu moins. Ce pieux roman
est l'ouvrage de quelque clerc liégeois qui fait rimer tant
qu'il peut les finales des membres de ses phrase*, quoiqu'il
fasse profession de dédaigner les mondains ornemens du
style.
X. Vie de St. Firmin le confesseur. On distingue deux
saints Firmin, tous deux évêques d'Amiens ; mais l'un mar-
tyr, l'autre simple confesseur et bien moins fameux. C'est
e ce dernier qu'il est ici question. La courte légende qui le
1
(i) Fuit tnr.... nomine Daiderius , qui nohilium. stirpe progenituf: .^ ac regiœ
ma]e!,tatis hœres inclytus , gallicis gendbus iinperavit.... Unicam fùiam, Ro-
lanàain nr.mine, niencit procreare.... ipsam tanquam Gallorum iinperio pro~
crtatain , regalibus nutriincntis iustituit educaii.
624 AUX. ANONYMES DE VIES DE SAINTS.
XII SIECLE. . • 1 j , T. „ ,-
concerne est si absurde que les BoUandistes paraissent ne
Jjg^^'P" '7^ l'avoir publiée que pour avoir lieu de relever fort au long
les anachronismes, les fables, les puérilités dont elle four-
mille. Elle est du trop grand nombre de celles que nous
n'indiquons ici que pour ne pas laisser incomplet le cata-
logue des plus minces productions littéraires de la France ,
au XIP siècle. Peu s'en est fallu que nous n'ayions renvoyé
celle - ci au XIIP ; en tout cas , elle serait antérieure à
l'année 1279, époque de la translation des reliques du saint;
car le légendaire ne dit rien de cette cérémonie, dont assu-
rément il n'eût pas manqué de rendre compte s'il eiit écrit
postérieurement.
XI. Actes de saint Clair, évêque et martyr. Actes fabu-
ijun.p.7-11. leux, selon les BoUandistes , qui les ont pourtant extraits de
deux bréviaires comparés. Ce qu'était saint Clair, en quel
temps il vivait, de quel diocèse il était évêque, c'est ce
qii'on ne sait pas encore , même après les profondes re-
cherches d'Henschenius, intitulées par lui Divinatio. On voit
seulement que plusieurs saints Clairs ont été confondus en
un seul. '
XII. Actes de saint Hilaire du Maine. En i685, ces actes
furent eiivoyés au père Papebrock, par un chanoine qui n'y
trouvait, disait-il, que du verbiage. Aussi* ne les a-t-on pas
jugés dignes d'être transcrits en entier dans le recueil de
Bollandus. On s'est contenté d'en donner une notice et quel-
,jul.,p.39-4>. q^gg extraits.
XIII. Légende de saint Ce'rat, évêque d'Auch et confes-
-^i^"'^ '*** .yeM/". Elle ne consiste chez les BoUandistes qu'en deQx pages
qu'ils ont extraites d'une pièce un peu plus longue 'qui leur
avait été communiquée par les feuillans de Paris. On croit
que l'auteur était un moine de l'abbaye de Simore en Gas-
cogne, lieu oii, selon la légende, les miracles de saint Cérat
avaient beaucoup de célébrité.
XIV. Légende de saint Léger, prêtre du diocèse de Châlons-
a3jun.,p.485 sur-Mame, publiée par les BoUandistes qui en font reinar-
-488. quer les anachronismes, l'insignifiance et la parfaite inutilité.
L'auteur parle d'une translation des reliques du saint faite
en 1 1 15, du temps de Guillaume (de Champeaux) évêque de
Châlons-sur-Marne ; et la légende paraît écrite long-temps
après cette translation.
XV. Vie de saint Blier (Blitharius). C'est plutôt un pané-
gyrique: les formes en sont tellement oratoires qu'il n'y a
XII SIECI,E.
AUT. ANONYMES DE VIES DE SAINTS. 635
ni dates ni détails précis. Il n'est point de saint prêtre, de
saint ermite , auquel on ne pût appliquer les éloges donnés
ici à saint Blier. Ce saint est honoré a Broyés au diocèse de
Troyes, et son panégyrique remplit deux pages du recueil
des Bollandistes. »' i""- ' P-
XVI. f^ ie de saint Mcgecc (vingt- septième) évêque de Be- *7a-474-
sançon. L'anonyme qui a composé cette légende, prétend
qu'il la tire d'une chronique rédigée en 6^5 par Ternatius
successeur de saint Mégèce; mais les fondations, les statuts,
les règlements, les usages mentionnés dans cette vie, dé-
cèlent une époque bien moins ancienne. L'auteur suppose
que, dès le tetnps de saint Protade qui gouvernait l'église de
Besançon en 620, on récitait l'office de la vierge dans une
chapelle pai ticulière ; il raconte que saint Mégèce fonda une
messe qui tous les jours, excepte le vendredi saint,^ devait
être chantée dès l'aube du jour à l'autel de saint Etienne.
De pareils détails nous autorisent à regarder l'opuscule dont
il s'agit comme une production de la fin du XII* siècle, si
même elle n'appartient pas au XIIP. On la trouve dans le
recueil des Bollandistes qui l'ont extraite des éclaircissements 6jun.,p.687
du père Chifflet sur l'abbaye de Saint-Claude: Illustrationes -691-
Claudianœ : ouvrage qui n'a été imprimé que par parties
dans divers tomes de la collection commencée par Bol-
landus. Chifflet y donne un abrégé chronologique de l'his-
toire des archevêques de Besançon , et transcrit a l'article de
saint Mégèce la légende que nous indiquons ici.
Nous allons placer à la suite de ces légendes quelques
traités anonymes comme elles, composés, ce semble, a la
même époque , et presque tous relatifs à la profession mo-
nastique.
XVII. Traité sur la profession des moines, inséré dans l'ou-
vrage de dom Martenne De antiquis ecclesiœ ritihus. Après t. ll,p. /,69
quelques détails sur les devoirs de la vie monastique, sur -496.
les périls de ceux qui commandent, sur les chagrins de ceux
qui obéissent, sur l'orgueil des abbés, sur l'indocilité des
moines, sur les autres vices familiers aux uns et aux autres,
l'auteur arrive à la question qu'il se propose essentiellement
de traiter ; celle de savoir si la bénédiction ou consécration
suffit pour lier à l'etaf^religieux même avant la profession.
Il soutient l'affirmative, mais sans condamner ceux qui sont
d un autre avis. Le novice ne souscrivait ses vœux qu'au mo-
ment de la profession ; mais selon l'auteur , la bénédiction
Tome Xr. , K k k k
XH SIECLE.
6ci6 AUT. ANONYMES DE VIES DE SAINTS.
l'avait auparavant consacré à l'état monastique. Il y a dans
ce traité plus de scolastique que d'histoire : on y voit ce-
pendant que les moines qui devenaient évêques conservaient
l'habit religieux ou le portaient au moins sous les vèt<'ments
épiscopaux. L'anonyme parle aussi des enfans qu'on élevait
dans les monastères, et qu'on se hâtait de bénir : il n'adoucit
Coint pour eux la rigueur de son système sur les effets de la
enédiction; il les déclare moines, irrévocablement moines,
bien qu'ils doivent attendre l'âge de raison pour faire pro-
fession. Il en dit autant de ceux qui recevaient l'habit mo-
nastique étant malades , dévotion très-commune en ces
temps-là.
Thes.Anccd. XVIII. Règlement monastique publié par Martenne et Du-
t. IV,p. I2l5- , ,, , ^ • l'i'U. , Vt^ ti . • I
i23o. ranci d après un manuscrit de l église de Tours. Il s agit dans
cet écrit de quinze pages des anciens us des chanoines régu-
liers de Saint-Jacques de Montfort au diocèse de Saint-Malo.
Ce monastère a été fondé en 1162, et l'on n'a guère pu,
avant l'année 1200, parler de ses anciens usages ; toutefois
cette qualification d'ancien est assez souvent appliquée dans
les écrits de ce temps à ce qui n'avait qu'environ cinquante
ans de date. Les caractères du manuscrit de ces statuts per-
mettraient, selon les éditeurs, de le supposer contempo-
rain de Bernard, premier abbé de saint Jacques de Montfort,
ou du moins de son successeur Jean de Vaunoise qui mourut
en 1189 évêque de Dol, et d'attribuer à l'un de ces deux
premiers abbés, sur-tout au second, la rédaction de l'ou-
vrage. Mais ces mêmes éditeurs aimeut mieux supposer qu'il
n'a été composé que sous le troisième ; et ils observent au
surplus que la plus grande partie de ces us est tirée de ceux
de l'ordre de Cîteaux. Dansées longs détails d'exercices mo-
nastiques , nous ne remarquerons que le quinzième statut,
qui , après avoir interdit aux moines l'entrée de la cuisine
excepte dans les cas indispensables, met au nombre de ces
nécessités, celle de faire sécher le parchemin, ad exsiccan-
diiin pergamenum. On en peut conclure que la transcrip-
tion des livres était l'une des occupations de ces religieux ,
et cependant il n'en est fait ici aucune mention positive dans
rénumération très-détaillée des pratiques et des travaux qui
remplissaient leurs journées.
XIX. Statuts du monastère de Froidmont. Doro Martenne
p. i58-i63. ]çs ^ publiés dans la seconde partie de son voyage littéraire.
Il y a quarante-huit articles distribués sous sept ùXre& : i» cfe
AUT. ANONYMES DE VIES DE SAINTS. 627
specioUbus constitutionihus ; 2" dormitorium ; 3° capitulum; __1
4" claustrum; 5" refectorium ; 6° infirmitorium ; 7° grangia.
L'article 7 dit que le cierge pascal doit être de onze ou
douze livres. Il est de'fendu par l'article sS d'écrire sur les
murs du cloître avec de la craie ou du charbon. Au titre de
rinfirraerie , il est statué qu'on n'appellera de médecins que
dans le cas d'extrême nécessité; car c'est vraisemblablement
ainsi qu'il convient de traduire l'article : medicinon nisi pro
l'aldè necessariis personis adhibeantur ; il n'y a pas d'appa-
rence qu'on ne veuille livrer aux médecins que les personnes
les plus nécessaires à la communauté. La grange, grangia,
était un bâtiment extérieur, séparé du monastère, et qui
renfermait quelquefois une école pour les cnfans du voisin
nage; mais \\ n'est point question "^e^ cette école dans les
statuts de Froidmont.
XX. Lettre de S. de Namur à H. de filliers.H. avait con-
sulté S. , sur la question de savoir s'il était permis aux moines
de recevoir en don des biens mal acquis par des séculiers.
S. répond qu'il ne faut jamais accepter les fruits ni de la si-
monie , ni de l'usure, ni du vol, ni de la rapine; car il ré-
duit à ces quatre genres toutes les manières de mal acquérir.
Nous n'avons qu'un fragment de cette lettre, publié dans le
Thésaurus anecdotorum de Martenne et Durand. Ces éditeurs T. l, p. 776,
la croient adressée en 1200 a un moine de l'abbaye de Villiers 777-
en Flandres; c'est dans ce monastère qu'ils en ont trouvé le
manuscrit.
XXI. Spéculum ecclesiœ. C'est un rituel qui ne nous est
connu que par une douzaine de lignes que dom Martenne
en a extraites, et qu'il a dispersées dans les quatre volumes
de son traité De antiquis ecclesiœ ritibus. Il les tire d'un ma- T. l, p. 277,
nuscrit de l'église de Tours, ouvrage d'un chanoine de cette *'^ s *p'"' P-
église, composé, selon dom Martenne, vers l'an 1200. 558,559,578.
XXII. Sanderus, dans sa bibliothèque manuscrite de la
Belgique, indique des écrits anonymes conservés à St-Mar- p. i, p. 107,
tin de Tournai, et qui pourraient être aus.si de la fin du V'9' '""
XII* siècle. Il n'en donne, et nous n'en pouvons donner que
les titres ; 1° Tractatus de duobus presbyteris quorum unus
post mortem alteri 'viventi appaniit et de se multa stupendç.
narravit ; 2° Magnum et stupendum miraculum de quodam
regulari canonico ; "i^ Homiliœ dominicarum per anni circu-
lum; 4" Homilice dominicarum totius anni ; _S° Serpiones
supra epistolas; 6<» un traité qui commence par ces mots :
Kkkka
120.
XII SIECLE.
628 AUT. ANONYMES DE VIES DE SAINTS.
K f^idi de mari bestiam ascendentein , habenteni capita sep-
tem. »
A l'exception des numéros II, IV, VII, XVII, XVIII,
XIX, XX, XXI, XXII, tous les opuscules latins que nous
venons de parcourir, se trouvent dans la collection des Bol-
landistes et y sont accompagnés de notes critiques , dont
nous avons fait quelque usage , et auxquelles nous renvoyons
pour le surplus les lecteurs dont nous n'aurions pas pleine-
ment satisfait la curiosité. Il doit nous sulïire d'avoir in-
diqué, le plus complètement que nous avons pu, toutes les
productions de cette espèce, et nous n'osons espérer de n'en
avoir omis aucune. On a pu reprocher à nos prédécesseurs
eux-mêmes, malgré l'exactitude de leurs recherches, un petit
nombre de ces omissions; mais ou va juger, par celles que
nous allons indiquer 'et réparer, combien peu elles ont
d'importance.
Hist. Littér. XXIII. En parlant de saint Magnobode , ou Maimbœuf
573. '^ ''" évêque d'Angers, ils n'ont rien dit de sa vie écrite par un
anonyme du X'' siècle, ou peut-être même un peu plus
ancien. Elle n'a point été imprimée, mais elle se trouve à
la bibliothèque du Vatican, parmi les manuscrits de la reine
L. i3,n.a873. Christine, n° 465 : La Curne deS^-Palaye l'indique dans son
recueil des manuscrits d'Italie. Il en transcrit le titre , les
premières lignes et les dernières; le titre est ainsi conçu:
Incipit vita sancti ac heatissimi Magnobodi episcopi et con-
fessons. L'ouvrage commence par ces paroles : Glonusiis igitur
/ ac eximius Chiisti pontifex Magiiohodus in pago yi/ndega-
vensi nobiliter editus , magnis niiraculoruni fulsit pmilegiis
etc.; et se termine à la page G2 par ces lignes: quateniis ab
omnibus sordium, criminibus emendati 'valeamus ab, interitu,
gehennœ liberari et œterna letitiafrai cum sanctis, adjuvante
domino nostro , cui est honor et potestas cum pâtre et spiritu
sancto per immortalia secula seculorum. Amen.
L'écriture est du X* siècle au plus tard.
XXIV. C'est peut-être aussi au X*^ siècle qu'appartient
l/,s^lsT ' ^ l'anonyme qui a écrit une vie de sainte Lutrude, inséiée dans
Acta sànci. , la collectiou dcs Boilandistes,, et dont Surius avait aupa-
22sept.,p.345, ravant publié un simple abrégé. Sainte Lutrude et ses deux
'' soeurs sainte Hoyide et sainte Pusine, vivaient à la fin du
V* siècle ou dans le cours du VP. L'historien de la première
est certainement beaucoup moins ancien : ce qu'il dit d'un
merveilleux voyage que la sainte fit à Rome avec son dircc-
AUT. ANONYMES DE VIES DE SAINTS. 629
„ , , „ 1 , , , XII SIECLE.
leur Eugène , suppose dans l auteur ou dans les lecteurs la
crédulité des siècles les plus ignorants. Un manuscrit que le
P. Périer, l'un des continuateurs de Bollandus , avait entre
les mains , se termine par un souhait pour le salut de l'âme
de l'archevêque Thierry; et l'on sait que cet archevêque de
Trêves est mort vers l'an 970, après avoir écrit en vers une
histoire de sainte Lutrude. Cette histoire subsiste , et l'ano-
nyme dont nous parlons n'a guère fait que la mçttre en
prose. On a donc lieu.d'attribuer ce souhait à l'anonyme lui-
même plutôt qu'à un simple copiste, et l'on en conclut que
cet anonyme n'écrivait ni avant 970, ni fort long-temps
après : car il n'est pas très-ordinaire de former de pareils
vœux pour ceux qui sont morts depuis un très-grand nombre
d'années. D'un autre côté cependant, il peut sembler étrange ^
que la vie de sainte Lutrude ait été composée deux siècles
avant celle'de sa sœur sainte Hoylde. Or l'auteur anonyme
de la vie de sainte Hoylde ne la rédigeait qu'à la tin du
XIP siècle, ou dans le cours du XIIP, selon les Boliandistes 3^ avril, p.
qui l'ont in.sérée dans leur recueil où elle occupe deux pages. 773-775.
XXV. Enfin, nos prédécesseurs ont terminé le XP siècle
sans faire mention d'une relation des miracles opérés par l'in-
tercession de saint Georges à Roye en Picardie ; relation que ^3 ap,.ii.
les Boliandistes ont extraite d'un manuscrit de la collégiale 549-551.
de St-Florent, autrefois St-Georges, établie dans la même
ville. Il est vrai que' ce manuscrit n'est que du XIII* ou XIV.
siècle. Le copiste surnomme Auguste le roi Philippe I*"", et il
donne à l'un des comtes de Vermandois le nom de Henri ,
qu'aucun de ces comtes n'a porté. Il est probable que l'ori-
ginal n'offrait ici que la lettre H initiale de Herbert ou de
Héribert (ou peut-être de Hugues-le- grand, frère de Phi-
lippe P"^); et que l'auteur, écrivant dans un temps où il n'y
avait eu qu'un seul roi de France du nom de Philippe , n'y
avait ajouté aucune sorte de sirrnom. Le copiste qui vivait
après Philippe II, aura sans doute ajouté ce surnom d.'Au-
guste , et remplacé l'initiale H par le mot Henri. Quoi qu'il
en soit, l'auteur se déclare le contemporain , le témoin ocu-
laire de quelques-uns des miracles qu'il raconte, et qui sont
antérieurs à l'année 1 100. Mais sa relation est si courte et si
peu utile , qu'il importe fort peu que la mention en ait été
retardée: l'omission même d'une telle pièce n'eût pas été un
fort grand dommage. La multitude de celles qui ont été in-
diquées jusqu'ici dans cette histoire littéraire, ne suffit que
63o AUT. ANONYMES DE VIES DE SAINTS.
XII SIECLE, trop pour donner une idée de l'extrême insignifiance de ce
genre d'écrits, et de l'ignorante crédulité de leurs obscurs
rédacteurs. Mais si l'on considère l'influence que toutes ces
légendes ne pouvaient manquer d'exercer sur les peuples et
sur le cierge lui-même , on ne s'étonnera point de la len-
teur des progrès de la véritable littérature durant les siècles
suivants : elle avait à revenir de fort loin.
FIN DU TOME QUINZIEME.
■%«/^^«/v«
TABLE
DES AUTEURS
ET DES MATIÈRES.
yiccmés. ÉpreuTfS auxquelles ils étaient
soumis en Flandre, 4- Autres dispositions
concernant les accusés, 6 et 7.
Adam, chanoine régulier de Saint-Victor
de Paris. Son épitaphe composé* par lui-
même 40. Ses proses rimées ou séquences, 41-
Autres écrits a lui attribués, 43-
Adélaïde , marquise de Polignac, joue un
tour perfide à Guillaume de Saint-Didier,
troub.idonr, 45 ■.
Aduhirc. Poursuite et condamnation d'un
jeune homme accusé d'en être coupable avec
une comtesse de Flandre , 4.
AJrius, interprète pour Baudouin II,
comte de Guines, la Vie de saint Antoine,
ermite, 5oi.
AiH.vR u DE Moi sBN n, arcbc véque deVienne
en Uauphiné, composa plusieurs épitaphes
en -vers léonins, 419. Citation d'une de ces
épitaphes, ibid.
Albéric db Vitry, auteur d'un Com-
mentaire sur les Psaumes, et d'un Traité
du Compnt, 5i3.
Albkbt Caili.«, poète provençal dans
l'Albigeois, ne sortit jamais de son pays, 4fi3.
C'était un poëte médiocre; il a pourtant fait
une bonne chanson, ibid.
Ai,BKBT DE Luuvtix (Saint), évéque de
Liège, massacré à Reims l'an 1191. Sa Vie
par un anonyme, (119.
Alêne (Sainte). Sa Vie par un anonyme, 650.
Albx4ND«e, poëte français, né à Bernay
en Normandie, fut depuis surnommé de
Paris, 160. Auteur du roman d'Athis et Pro-
phylias, plus connu par celui d'AIexandre-
Ic-Grand , ibid. Preuves que ce pocrae fut
conipo.sé avant le XIII' sièrle, 161 — 1^3.
Extrait du roman d'Alexandre, i63 — 179.
Extrait du roman d'Athis et Prophylias, 179
— 193 On lui atliihue un pocme du siège
d'Athènes, i34- U ue peut être l'auteur des
vers français de i» syllabes appelés A/exar^
drins, I ly et u6. Le poème d'.\lexandre fut
continué par Pierre de Saint-Clust, et ensuite
par Jean le ^ivelois, ii5.
Ai.p.xÀ!(DRE, abbé de Jumiége, auteur
d'une Epitre théologique, 610.
Aliénor, reine d'Angleterre. Trois lettre^
de cette princesse au papeCélestin III , par-
mi celles de Pierre de Blois, 397.
Alix de Champagne, mère du roi Philippe-
Auguste. Sa lettre an papeCélestin III, parmi
celles d'Etienne de Tournai , 55a.
Alfhabeih. Son origine. Imitation des évo-
lutions des Grues dans Iturs courses loin-
taines , 76.
Alphoicse II , roi d'Arragon et comte de
Provence, protecteur des Troubadoui s, est
auteur d'une chanson qui est restée, iSg.
Amicitia, pour désigner une commune, 5.
Prcefectus Amicicia;, 6.
Ahdbé Silvius, prieur de l'abhaye d«
Marchiennes. Sa Chronique abrégée de Gestit
et siiccesslone Kegum Funconim, 87.
Ahobyme de Marrhi enne s , auteur du 11 vre
des miracles de sainte Rictrude, 89. Autre
anonyme du même lieu , auteur de la Vie
du B. Hugues, abbé de Marchiennes, ibid.
Anokywe, auteur d'une Généali)gie de»
comtes de Flandie, finissant à l'année 1 130,19.
Amosymr, auteur d'une Généalogie des
comtes de F'iandre , sous le titre de Flandria
gcnerosa., finissant à l'année liH5, 20. Autre
Généalogie des comtes de Flandre, tirée du
Cartniaire du roi Philippe-Auguste, »i.
Akonyjce d'Arouaise, auteur de la Rela-
tion d'un Voyage fait par lui en Italie, et
d'une Vie de saint Augustin , tirée de se»
Confessions, 46.
AsoNYME , auteur d'un Traité sur la pro»
ftssion des Moines, 6'j5.
Ahokymes, auteurs de chroniques du pays
Liégeiiis , 87.
AnosïME, compilateur despièces du procis 1
632
TABLE DES AUTEURS
entie IVglise de Tours et celle de Dol , tou-
chant le droit de métropole sur les évéchés
de la province de Bretagne, 334 — 337-
Akosyme, auteur d'un cantique en prose
rimée.à l'usage des Croisés qui , l'an 1190,
partaient pour la Terre-Sainte, 339.
Anonyme , auteur d'une Vie de saint
Amand, évêque de Rhodez, en vers proven-
çaux ou languedociens, 477-
Anonyme, auteurd'unpoëme moral sur la
sortie d'Egypte ou la délivrance du peuple
d'Israël, 480. Autre poëme allégorique et mo-
ral sur le Cantique des cantiques,48 i.Trad uc-
tion en prose des légendes des Apôtres; dp l'in-
vention de la vraie Croix, etc., 484- Poëme
ayant pour titre : Li romans de Guion de llor-
gognc, ibid. Vie de saint Barlaam et Josaphat
en vers, /i85.
Anonymes, auteurs des chroniques desaint
Aubin d'Angers, SSy — 58q.
Anonyme , auteur de l'Histoire de l'abbaye
et des reliques de saint Germer de Flaix, Sqo.
Anonyme , auteurd'une petite Histoire de
la ville de Verman et de l'abbaye de ce nom,
*9'- „, .
Amoitymes, auteurs décrits concernant
l'abbaye d'Ourcamp, diocèse de Noyon, 69».
Anonymes , auteurs de chroniques con-
•ernant l'ahbaye de Cluni , 594.
Anonyme, auteur de la petite chronique
de l'abbaye de TSèse , 5g5.
Anonyme, auteur d'une chronique abré-
gée de saint Bénigne de Dijon, SgS.
Anonyme, auteur d'une chronique de
l'abbaye de Clairvam , SpS.
Anonyme, au leur de l'Histoi re des diverses
translations des reliques de saint Philibert à
Tournus, $96.
Anonyme, auteur d'une chronique fabu-
leuse de la ville de Méziëres, 596.
Anonyme, auteur d'une continuation de
Flodoard , concernant l'église de Reims ,
Syg.
Anon YME , auteur d une notice concernant
le rétablissement de l'église de Saint-Nicaise
à Reims, $99.
Anonymes, auteurs de chroniques de la
Tille de Reiras, 600.
Anonyme , continuateur de la chronique
des évêques de Metz depuis iiao jusque
vers lioo, 6o3.
Anon YME, auteur de laVie du B.Théodger,
évéque de Metz, 6oî.
Anonyme, auteur d'une relation des mi-
racles de la Sainte-Vierge à Déols dans le
Berry, 606.
Anonyme , auteur d'un chant funèbre en
l'honneur d'un comt«deBarcelonne,nommé
Raimond , 606.
Anonyme , auteur d'une chronique du
monaitère de Saint-Martin de Canigou , en
Roassillon, 607.
Anonyme, auteur d'une Histoire de la
translation des reliques des saints martyrs
Abdon et Sennen , au monastère d'Arles en
Roussillon , t>o7.
Anonymes, auteurs de Vies de Saints ,
savoir : de saint Hugues^ abbé de Bonne-
vaux, 618; de saint Albert de Louvain ,
évéque de Liège, fi 19; de sainte Alêne, 610;
de saint Austrenioine, évéque de Clermont,
630, 611 ; de sainte Vérone, 631 , Cii ; d«
saint Chiysule, 613 ; de saint Gt^idon , 631;
de saint Manvieu, fi33; de sainte Rolande,
633 ; de saint Firmin le confesseur, 633 ; de
saint Clair, 6i4; de saint Cérat , évéque
d'Auch, 634 ; de saint Hilairo du Maine, 634 ;
de saint Léger, prêtre de Châlons-sur-Marne,
634; desaiut Blier, 638; de saint Mégèce ,
évéque de Besançon, 6a5.
Ansel, clerc du roi , puis évéque de Meaux.
Lettre à lui adressée par Etienne de Tournai
571.
AiiHiiuD ou AiiHOLi> , chef des Vaudois ,
confondu mal à propos avec Arnaud de
Bresse , 5o4- Détails fabuleux sur sa mort ,
5o5.
Arnaud Dvniel, poète provençal. Quel-
ques circonstances de sa vie, 4^4. Passe en
Angleterre, à la cour de Richard l""^, 436.
Accepte le défi que lui fait un jongleur, et
triomphe par une ruse, 437. Ses écrits, 43y
—441.
Arnaud deMebveii., poète provençal.
Ses aventures, 44*. Ses poésies, ibid.
Arnaud ou Ernaiid, abbé de Saint-Lauraer
de Blois. Lettres que lui écrit sou oncle Pierre
de Blois, 370, 38 1.
Arnonl, éVêque de Lisieux. Épître à son
neveu Hugues de Nonant, 3io. Lettre à lui
adressée par Pierre de Blois , 358.
Aknoui. , chanoine régulier du mont Saint-
Eloi. Son Commentaire sur l'Oraison domi-
nicale en vers éléglaques latins, gS.
Arnoul ou Amulphe, doyen de l'église de
Bruges. Ixjttrcs à lui adressées par Etienne
de Tournai , 56fi, 568.
Ascilinc. Sa Vie par Gôswin , 617.
Ason, jurisconsulte} célèbre, un des pre-
miers professeurs du droit romain en France, \
3o.
Assises du royaume de Chypre, attribuées
à Gui de Lusiguan, 59.
Aiisiremoim (saint). Sa Vie et légendes qui
le concernent , 631.
avocats. Critique sur la manière dont cette \
profession était exercée au XH'' siècle, 39 1 — \
383.
Aymé de Varannes ou de Chàtillon, poète
français , au leur du lomau de Florimoiid, 486.
Le même en prose , 488.
B.
Barthelemiderendâme, archeT<qued« Tours.
ET DES M
Deux lettres d'Élienne de Tournai à lui adrcs-
iéfs,558.
Baudoin, archevêque de Cantoibéri. Trois
de ses lettres parmi celles de Pierre de Blois ,
39 J.
BtvDoiK V, comte de Hainaut et de Flan-
dre. Ses lois contre le brigandage et les ven-
geances privées, i3i. Association avec le
comte de Flandre, i33.
Baudouin II, comte de Guines, lait traduire
en français plusieurs ouvrages anciens pour
l'instruction de son fils Arnoul , 5oo.
Jiraumont en Ar^onne. Loi et franchises ac-
cordées à cette ville par Gnillauinede Cham-
pagne , archevêque de Reims, 534.
BÉREKGEa DE P*LAsoL , poètc provcnçal.
Ses chansons, 443- Ne doit pasêtreconfondu
«vec B. de Parasolz, autre poète dn XIll*
tiède, 44».
Bbrk4Rd , ahbé de Font-Caud. Ses écrits
contre les Vaudois, 35 — 38.
Berkvrd de Saint-Romain, abbé de Tour-
nus , auteur d'une relatiou des làiracles de
S. Pliilibert. 61R.
BRnictRn m Vbictioodb , poète provençal
on limousin. Ses aventurei, ^d-]. Ouvrages
qu'il a composés, 4*^9-
Bertèhs ou Bertibr , clerc de l'église
d'Orléans , auti'ur d'une prose rimée pour
exciter les fidèles à prendre la croix contre
Saladin , qui s'était rendu maître de Jérusa-
lem, 3J7.
Bertier, archidiacre de Cambrai. Lettres
d'Etienne de Tournai k lui adressées, 56 1,
563 , 576.
BsKrRkiTD de Poitiers, auteur ^'ane His-
toire du monastère de Beaulieu , 6i3.
Bbrtr«rd D'AxLtMkiroii , l'ancien, poète
provençal , fit le Voyage de Tripoli avec
Gcofroi fiudcl, auiro" poète son ami, 443.
Ses poé.sies se trouvent confondues avec
celles d'autres poètes, 444-
B/i'er (5ai/if). Sa légende , 614.
Blonde! on Blondiaus de Nesle, chanson-
nier français. Anecdote touclmnt le roi d'An-
gleterre Richard , prisonnier en Allemagne,
118.
Capiltihim. Ce qu'il faut entendre par ce
mot , 65.
Cerac (Saint), évéque d'Auch. Sa légende ,
6a4.
Chevalerie. Portrait que fait Pierre de Bloîs
des chevaliers de son temps, 363.
Chbétie», moine de la Sauve-Majour, au-
teur d'une Vie de saint Géraud , fondateur
du monastère, 616.
Chbesties de Trotes, poète français,
anteur de plusieurs romans , 194. Roman
d'Érec et d'Énide, 197. De Cligès ou Cliget,
aog. De Guillaume d'Angleterre, lïi. Du
Chevalier au Lion, i3S, De Perceval le tial-
Tome XV.
ATIERES.
633
lois, î4fi- De la Charrette ou de Lancclot,
a55.
Chiysole ow Chrrseuil (saint). Deux légendes
de son martyre , tiii
Ciair (saint) Sa légende, 6a4-
Clergé, non exempt des charges publiques,
353,366.
Commune.'. Associations formées par leurs
habilans,5et 6. Par quels noms les communes
furent souvent déwgnées , et pourquoi , ii.
VoY- Amicitiajtiraia.
Conjuratio. On se servait quelquefois de ce
mot pour indiquer une commune, 6, Voy.
juratti.
Conrad, archevêque de Mayence. Lettre A
lui adressée par Pit rre de Blois , 349'
Crimes. Manière cle les prévenir et do les.
punir en Flandres, 4i l3i et i33.
D
Déprédateurs. Statuts d'un évéque de Liégt
contrelesdépiédaleursdes biens d'égli.se, 18.
Die. La comtesse de Die , poète proven-
çale. Quatre pièces de vers de sa composi-
tion , 446 et suiv.
Digeste. Sa découverte; enseignement et
travaux dout il devint l'objet , 17 etsuiv.
£.
Écoles de Paris. Leur célébrité, 38o. Tes,
Albéricains, 8 •. Les Bobertini, 74. Les Parvi-
ponlarns, 83 et suiv. EEiseiguement vicieux,
dans les écoles, 363. Lettre d'Etienne de
Tournai, pour demander une réforme dan»
la manière d'enseigner, 571.
Épreuves reçues dans les accusations crimi-
nelles, 4.
Ermenc.ir non ERMEicGtUT, abbé de Saint-
Gilles Son traité contre les Vaudois, 38 -Zg.
FrAemboJnn (saint). Sa Vie par Jean , moine
de Sithieu , Ci.ï.
Étiebke , abbé de Sainte-Geneviève , puis
évéque de Tournai. Sa Vie , 5»4 — 53o. Ses
lettres pendant qu'il était abbé à Saint-Eu-
verte d'Orléans, depuis l'an 1 167 jusqu'en
1176, 53a — 534- Ses lettres depuis 1176,
époque de sa prélature à Sainte-Geneviève ,
jusqu'en 1191 , 536 — 55?. Lettres pendant le
tempsde son épiscopat à Tournai, depuis 1 19a
jusqu'en iao3 , époquede.sa mort ,558 — 584.
Ses sermons et statuts synodaux, 585. Ses
poésies, 586. Son commentaire sur le décret
de Gratien, 587. Éditions de ses lettres , 53 r.
Étiehxe de LiciikC , quatrième prieur de
Grandmont, est auteur ou compilateur du
livre des maximes de saint Etienne de Muret,
i36.
E/ides de Sulli, évéque de Paris. Deux lettres
i lui adressées par Pierre de Blois, SSg.
LUI
634
TABLE DES AUTEURS.
I-f<lrc à lui ailicsséc par Etienne de Tournai,
56fi. Son éloge, 370.
EtiDES DE Vaudemomt, évéqtie fie Toul.
Sa \ie, 3o6. Statuts contre les malfaiteurs,
3o8.
hvRiBn ou EuRiHD , religieux du Val des
F.rolierr , prédicateur , Ci i.
F.
Firmin {>aiiit) le confesseur, évéque d'A-
jniciis. Sa légende, (iaS.
/^o«/i/n«,alibéde Saint-Germain-des-Pjés.
Son différend avec l'archevêque de Sens, au
sujet des droits de visite , 557- Son .démêlé
ajec l'Vniversité, 55g.
Gaeik ou GukRTN , abbé de Saintc-Gene-
■viève , paraît être le même qui , l'an 1172 ,
fut fait abbé do Saint-Victor de Paris, 5i.
Ses lettres, 5a. Ses sermons, 54-
1 i:aiiiau4i diseur de bons mots à Orl^ins,
sr.-,.
Gass^iI.e-Bi.okd , l'un.dcs translateurs des
louions de la Table ronde "conjpiulçnient
avec Lnces de Gflst, 4y5 et suiv.
G»v.vudan , poète provençal surnommé le
f iaix, apparemment parce qu'il y en avait
un plus jeune, auteur d'un sirvente conire
Haladinct les fllaures d'E*j)agno, et d'autres
j)césles, 44 J et sniv.
^nH«cran(/a'e5u/nr-Z)i</iVr, troubadour, dont
en trouve quelques pièce» parnji celles de
Qnillaumc de Saiut-L)idier, son.père ou son
aïeul , 4.'>3.
Gautier, archevêque de PaUrme. Deux
lettres de Pierre de Blois à lui adïessces,
3po, 374. Auteur d'un.abrégéde Grammaire
laline,.6i i.
(iavtierde C'jwtawcc, archevêque de Bouen.
Deux lettres de ce prélat parmi celles de Pierre
de lilois, 3y7. Quatre lettres du même à. lui
adressées, 35o..
Gautier, é.vêque de Kochesler. Lettre que
lui adresse Pierre de Blois, 36o..
Gautier de Mi>rtngiie, professeur de théolo-
gie à Laon,puisévêquedela même ville, 93.
GitTisR ou Wautif.r , abbé d'Arroiiaise,
rnteur d'une Histoire et du carlulaire desou
y.bbave, 45. On ne])eut lui attribuer, comme
«mt fait Us BoHandistes, la lehition d'un
vpyagc fait en. Italie par un chanoine d'Ar-
ïouaise, non ]>Ius qu'une Vie de saint Au-
gustin tirée de ses confessions , 46-
Ghitier dk Lille ou de CHAriri.oN ,
poète latin, auteur du poëme dont Alexandre
e'r.t le héros, ion. Autres ourragcs du même
joèle , loi..
GiijTniiiliv,, ch'pcjaiii de,IIfi\ri JI.,/oi
d'Angleterre, traducteur du roman de Lan*-
celot du I..ac, 49*>'
Gautier, surnommé Si/ensoa le Silencieux ,
auteur du roman du Silence, Soa.
Ciofroi, archevêque d'Yorck. Lettre à lui
adressée par Pierre de Blois, 349.
Geo/roi ,ahl>c de Marmoutier. Lettre de
Pierre de Blois à lui adressée , 370.
Groproi ou Godefroi , sous-prinur de.
rabbajede Sainte-Barbe en Auge. Sa retraite
à Sain^-^'ictor de Paris versl'an 1174, ^9 et
.sniv. Ses lettres au nombre de 56 , pendant
qu'il élail sout-pricur à Sainte-Barbe, 73^
78. Bai<:ons pour le croire auteur des ou-
vrages qu'on attribue à un autre Godefroi ,
chanoine de Saint- Victor , C9— 73. Son Mi
croc.ismus ou Petit-Monde, 78. Son poÉine
intitulé Fons phi!o.'oi>hiir, 80 et suiv. Auteur
de quelques autres pièces de vers, 75. Son
traité tic Videndo Deo, 76. Ses sermons , 73.
OÉBiBn Hkc.tor, évêque de Cahors. Sa
lettre à l'empereur Frédéric Barberousse, (109.
Gérard Vuctl, savant canonistr. Lettre de
Pierre de Elois à lui adressée, 385.
OÉRiRD 1thier,7'' prieur de Grandmoul
en 1188, travaille à, la canonisatipn de saint
Etienne de Muret, 140. Est auteur ou com-
pilateur di'un grand, ouvrage ccyicemant
l'ordre de Grandmont , 141.
Gilbert ou Gisleoert de Mous, chan-
celier de Baudouin V, comte de Haiiiaut Sa
\ie, i3o. Sa chronique finissant à l'an-.'
née 1 195, 1^9 et suiv,
GistRjWER, religieux de St-Gcrmain-de»-.
Pi es, auteur d'un livre de rciractalions, ()i3.
Giraud {saint) , abbé et fondateur de l'ab-
bave de la Sauve. Son office liturgique com- •
posé par Eiienne de Tournai, 577.
GiRiuD HE Salignac , poète provençal.
Ses chansons, .444-
GoswiN ou GossuiK , moine de Clairvaux,
auteur d'une Vie d'Asceline , d'une \\e
d'IIermeliue, et d'une relation de miracles
arrivés de son temps , 616-017.
Gravdinnntaim. Troubles arrivée dans cet ■
ordre, 14 • 1 5io.
GtJEHiB OU Gârii» LE Bruh, poète pnv
vençal, bon trouveur-, uon de cliansons ,
mais de tensons, 463.
Gueriic, professeur, à Tournai, puis abbé
d'Igni, yï.
(m;ï DE Noyers, archevêque de Sens.
Lettre écrite au Pape en faveur de Roger de>
Kosoi, évêque de Laon , parmi celles de
Pierre de Blois , 3<)(). Ses cinrtes ,611.
fîtt»-, abbé de Vaux-Siriiai. Son éloge,
555. Lettre qui le coocerne, 55t'.
Guy deLusighak, roi de Jérusalem , puis-
de Chypre. Comment il devint roi de Jéru-
salem , 57. Il perd ce royaume , et achète
ou reçoit en don celui de Chypre , 58- As-
sise» qu'on Iri attribue , 5y. \ oy. Aisiscs.
Gvf B> Bi»*iJtTii.i.B , précepteur dvt
ET DES MATIEllES.
635
ïeiiiple en Orient. Lettre sur l'état des Chré-
tiens eu Asie, 97.
Guidon [saint). Sa légende , 611.
GuiouES II , prieur de la grande Char-
treuse , ne doit pas être confondu avec
Guigurs I. Époque de saprélaltiie et de sou
abdication , IJ. Son traité de Scala Paradiii,
iiiJ. Autre ouvrage à lui aliibuo sou» ce
titre , De Quadripartito cxeivitio cellœt 12.
GuiLLiUJiE DE Chvmpvgke, évéque de
Chartres , et successivement archevêque de
Sens et de Reims, cardinal du titre de Sainte-
Sabine. Histoire de sa Vie, 5o5 — 517. Ses
lettres au nombre de seize, 5 18 — 5 j 2. Chartes
relativesàdes élrablissemenlsd'utiliié publi-
que, 5a3. Gautier de Lille lui dédie son poème
d'Alexandre, 10».
GuiitvcME deLosc-Champ, évéqiied'Ely
en Angleteire. Ses aventures , 267 — ifig. Ses
lettres et chartes, Ï71 — 174- Lettre à lui
adressée par Pierre de Blois, 357-
Guillaume Kiimo»o, évéquede Mague-
4unDe , auteur d'Homélies et de poésies, 611,
6i3.
GufLLiCME uïThahiîiàg, siniènie prieur
de Grandmont , est auteur d'un opuscule in-
titulé Quales siint, imprimé parmi les œuvres
de Pierre de Blois, 406. Deux lettres rela-
tives au meurtre de saint Thomas de Cantor-
béri, l4o.
GuillaumbD-vroiica , religieux de Grand-
mont, auteur de la Vie du J3. Hugues de La-
certa, i44 et suiv.
Guillaume, abbé de la Prée dans leBerri,
fut fait abbé de Citeaux l'an 1 18() , et mourut
l'an 1 194 , 5S. Ses statuts pour l'ordre mili-
taire de Calatrava m Espagne, 5(3-
£uiixiuME , abbé d'Orbais, auteur d'une
relation de la translation du corps de saiiit
Rieul , évéque, de Senlis, 6|3.
Guillaume , abbé de Notre-Dame de Blois.
Lettre de Pierre de Blois à lui adressée, 371.
Guillaume de BLOi5,frére de l'archidiacre
de Bath, auteur d'une tragédie, d'une comé-
die et autres pièces perdues, 4i5. Deux
lettres que lui écrit son fièrc, 368.
Guillaume , diacre de l'église de Bourges,
Juif converti , auteur de plusieurs écrits
eontre les Juifs, 536.
Guillaume oeBalauh ou Balazvr, poète
provençal. Se» aventures et ses chants , 447
—449-
Guillaume Mite , poète proven<;al ou
jongleur, dont il ne reste point de produc-
tions, 466.
Guillaume de Saiht-Didibb ou Saiht-
Laidifr, poète provençal. Ses ouvrages,
parmi lesquels sont confondus ceux de Gaus-
serant , son fils ou petrt-Cls, 449 — 454.
GuiMAH ou WiMAïf, moine de Saint-Vast
d'Arras, auteur ou compilateur d'un cartu-
laire <le la même abbaye , 96.
Guion de Bourgogne. Sa Vie eu vers fran-
çais, 4^1'
GuiTEB , abbé de Saiut-Loup à Troyes eu
Champagne, auteur d'une petite Histoire do
sou monastère, 283.
H.
HiiMu.v , religieux de Saint-Denis, aulelir
d'une relation de la vérification des corps
de saint Denis et ses compagnons, ouviagu
innl-à-propos attribué à d'autres Haimon ,
3o5, 3o6.
Haillon de f-andacnp. Sa Vie -par Gcofroi ,
sous-prieur de Sainte-Barbeau pnys d'Auge,
7ï-
Bémeline. Sa Vie par Goswin , moine de
Clairvaux ,617.
Henri de Stdly:, archevêque de Bourges.
Lettre qae lui adresse Etienne de Tournai,
573.
Henri, évéque de Bayeux. Deux lettres de
Pierre de Blois à loi adressées, 354-
Henri de Dreux, évéque d'Orléans. Leitro
que lui écrit Pierre du Blois, au sujet de la
dimesaladine, 353.
Henri //, roi d'Angleterre. Sa lettre au pape
Alexandie III, parmi celles de Pierre do
Blois, 398. Lettres à lui adressées par le
même, 346. Son éloge , 35o , 37$ , 3g6.
Hiluire [sainC) du Maine. Sa légende, 624.
Hubert, archevêque de Canlorbéri. Deux
lettres de lui parmi celles de Pierre de Blois,
393.
Hugues de Garlande , évéque d'Orléans.
Lettres à lui adressées par Etienne de Tour-
nai, 575, 577.
Hugues (saint), évéque de Lincoln. Sa
Vie par un de ses contemporains, 614. On
n'a de lui que des statuts pour des reli-
gieuses, Gi5.
HuGt9Es DE NosAirr, évéqne de Coven-
try. Son caractère, 3 12. Écrit une lettre inju-
rieuse et diffamatoire contre Guillaume de
Longchamp , évéque d'Ely et régent d'Angle-
terre, 3i3. Réponse à cette lettre par Pierre
de Blois, 357.
Hugues (saint), ahbé de Bonnevaur en Dau-
phiné. Sa Vie par un anonyme, 618.
Hugues Fouciut, abbé de Saint- Denis.
Recherches sur sa Vie et son séjour en Sicile,
274 et suivantes. Son histoire de Sicile , 277.
Lettre de Pierre de Blois à lui adressée, 36y.
Hugues, aUhé de Marchiennes.Sa Vie écrite
par un de Ses religieux , 89.
Hugues, prieur de Saint-Martin de Seeï ,
auteur d'une vie d'un saint personnage qui
n'est pas nommé , 77.
Hugues de Limoges , auteur de trait**
théologique» et liturgiques , 6i3.
LIII2
6"3G
TABLE DES AUTEURS
Hugues de Lacerta, religieux de Grandmout.
Sa Vie tciilc par Guillaume Dandiua , i45.
I. J.
Jean de Céihurie, évéque de Cambrai , au-
teur, selon Vincent de Beauvain, d'une Vie
de saint Thomas de Cantorliéri , 6i5. Jetle
l'interdit sur les terres du comte de Flandre,
Sfig. Lettre à ce sujet à l'époque de Tournai ,
itid.
Jean de Belinais, évéque de Poitiers, puis
archevêque de Lyon. Deux leltiesà lui écrites
par Etienne de Tournai , S^o, 54 j.
Jean de Sa/hùiiri , évéque de Chartres. Cinq
lettres à lui adressées par Pierre de Blois ,
35i et suiv.
Jean, abbé deBaugcraisen Touraine-Cinq
lettres de lui àGeofrui , sous-prieur de Saînte-
Baibe, 7?.
Jean , abbé de Ste - GcncTiève. Lettres que
lui adresse Éticuue de Tournai, 563, 564»
57a.
Je.ih , abbé de Gemblou. Lettre sur la dé-
vastation de son abbaye par les comtes de
Namuret deHainaut, 609.
Jean de Nai^chi , abbé de Saint-Martin de
Tournai. Son démêlé avec l'évéque Etienne,
■566,58i.
ir.w , abbé de Vancelles.Sa lettre à Henri
duc de Basse-Loriaine , 608.
Jean de Carcna , do) en de l'église d'Oi -
léaus. Synode tenu à Sens à l'occasion du
nu'urire C0H)mis sur sa personne , 533.
Jeih, religieux d'Ourcamp, auteur de
Satinons , 6io.
Jka», moine de Saint-Bertin, auteur d'une
légende de saint Erkimbodon, 6i5. '
Jean d'Alieh , prêchait à Liège vers 1195,
611.
Jea:» de Lyok, l'un dts chtfs de la secle
des Vaudois. Ses écrits réfutés par le moine
Keinier, 5o3.
Jean /e NtveJois^ auteur de la î'cngeance
d' Alexandre , suite Au roman d'Âlexandrc-
Je -Grand , istS.
Je.vh Priobat, poète français. Traduction
en vers de Vpgèce,(/e Ile militari , 491-
Ingeburge, leine de France. Sa lettre à
Guillaume de Champagne, archevêque de
Reims, 674.
Joscelin , évéque de Salisburi. Lettre que
lui écrit Pierre de Blois, 36o.
Juifs. Un empereur fuit élever à leurs frais
une statue d'ur à sou échanson qu'ils avaient
~^*» *7- ... , . .
'limita. On dé.s-gne ainsi quelquefois 1 as-
lociation foiniée par les communes, parce
qu'un serment la cimentait, 5 et 6. Voy. 60m-
munes.
Justice. Un traité sur la manière de la
rendre, 3 14. On croit que c'est le premier
ouvrage de jurisprudence écrit en français ,
iliid.
Lambf.rt-lf.-Petit, tnoiue de Saint-Jac-
ques à Liège. Sa chronique, 86.
Lambert, prieur de l'abbaye de Saiirt-
Va.st d'Arras. Ses poésies latines , C)3.
La.mburt li Cohs, poète fraiiçiiis. Com-
pose avec Alexandre de Paris , le roman en
vers d'Alexandre-le-Grand , 119.
Lambert de Bruges, évéque de Térouane.
Lettres à lui adressées par Etienne de Tour-
nai , 55<), 504, 567,575.
Lanùri de ^aiognes. Traduit en français le
Cantique des Cantiques , à l'usage de Bau-
douin II, comte de Guines , 5oi.
Laurent, arcllidiacre de Poitiers. Lettre de
Pierre de Blois à lui adressée , 36a.
Li'fici {saint), y^rétrc du diocèse de Chiloiis-
sur-Marne. Sa légende, 614.
Louis , (ils du I oi Philippe Auguste. Lettre
que lui écrit Etienne de Tournai , 567.
I-UCESDE Gast, l'un des auteurs ou trans-
lateurs des anciens romans de la Table ronde,
traduisit le roman de Tristan , et couimença
celui du Saint-Gjaal , 493.
M.
Mainier, abbé de Saint -Florent de San-
mur. Lettre écrite en sa faveur pirmi celles
de Pierre de Blois , 400.
Manasses de Car'amle , évéque d'Orléans.
Lcitre à lui adiessée par Etienne de Touinai»
544.
Manvieu (saint), évéque' de Bayenx. Sa It-
gcnde, 6a3.
Matuieu DR Venuûme, poète latin, ne
doit pas être confondu avec Mathieu de Ven-
dôme, abbé de Saint Denis, 4^°- Quelques
pniticularités^ur .-a Vie, 4ai. Son poëme de
Ti^bje, 4a4- Etl'''"n* de cet ouvi.ige, 426.
Autres ouvrages qu'on lui aitiibue, 4'8.
Mathieu , abbé de Ninove. Quelques-uui
de ses écrits, i34 <"' suiv.
Macrice db SuiLT, évéque de Paris. Sa
Vie, i4g — i53. Ses chartes, i55. Set
lettres, i55 et i56. Ses sermons, i56 — i5f.
SIégèce (saint), évéque de Besançon. Sa lé-
gende , 635.
MÉLioR on Meichtor , cr.rdinal du titre
de Saint-Jean et Saiiit-Panl. Preuves qu'il
était italien , et non fiançais, 3i5. Pourvu
de bénéfices dans plusieurs églises de France,
il fut ïidame de l'église de Reims et aichi-
diacredeLaon,3i7. L'an ii84, le paiie I.u-
cius m réleva au cardinalat , 3i8. L'an 1193,
il fut envoyé légat en Fiance, ibid. L'anné»
suivante il réussit à concilier pour un lenij»
1rs rois de Fiance et d'Angleterre, .3m).
L'an 1196, il tiut à Paiis un couciUr a l'uc-
ET DES MATIERES.
687
G^sion du divorce de Philippe-Auguste et de
l» reine Ingeburge, itù/.
Michel db Corbeij. , arcbevéque de Sens.
Bignités qu'il avait remplies dans l'église
avant de parvenir à l'cpisropat, 3i4> ^55.
Ses écrits, 3j5 et 3i6.
N.
Kirehn de Ckerisi, évéque de Soissons. Son
démêlé avec l'ibbayç de Saint- Jean-des-Vi-
gnes, 544 > i^g-, 5S5. Jeue l'interdit sur Im
terres du comte de Soissons , 5S4- Sa lelUe
à É^nue de Touinai , 56o.
Q.
Officiatité;. Abus dans l'exercice de ces
ionctions , 367.
Orléanais, employés à Rome cumme no-
taires on necréuiret du Pape, SlH , i-]i.
As/M', supérieur ans canons de l'église,
jyî.
PçKECRiN, abbé de Fontaines-Ies-BIanches
au diocèse de Toors. L'Histoire et le cartu-
laire de son monastère, 34o.
PirnoLs d'auverciir, poète provençal,
qu'il faut distinguer de Pierre d'Auvergne,
autre troubadour. Ses aventures , 4^4 > 455.
Ses chansons galantes et trnsous, 4^6.
Philib. ri (mini) Relation de ses miracles
par Bernard de Saiut-Ronialn , f)i6. ^
PuiLipre D'ALS^cs, comte de Flandre.
Lois et établissemens de ce prince, 1 — (i.
Chartes en faveur de quelques églises, 10.
Pierre de Pttvie . cardinal de Saint-Chryso-
gonc, puis évéque de Tusciilum. I.ettie
d'Etienne de Tonriiai à lui adressée , 537.
Pitrre, évéque d'.\nas. Lettre de Picri»
de Blois à lui adressée, 353. Autres lettres
que lui écrit Elieuue de Tournai , 566,. $70,
571, 5«i.
Pitrn-, évéque du Puy en Velay. donne à
i'abboye de Sainte- Euverte d'Qili-aus, le^
prieuié de Doé dans son diocèse, 534-
PI rre Mi ;el , évéque de Périgueux. Lettre
de Pierre de Blois à lui adressée, 359-
Pierre MiR<iEr, abbé d'Andres. Sa Vie,
48 et 4;) Légende de Sainte Rwtiude, 5o.
PiEi^RBuEKA vHDi, prieur de Grandmont,
puis !'au nfiS , jjrieur ou correcteur des
Bons Hommes du bois de Vincennes. Ses
Littres a Henri II, roi d'AugUttEie, i37tt
suiv.
Pierre oe Blois , archidiacre deBath , en
Angleterre. Sa Vie, 341. Ses lettres à Henri II,
roi d'Angleterre, 34''. Lettres à des souve-
rains pontifes, 347. Lettres à des cardiuau)! , I
348. Lettres à des archevêque», ibid. Lettres
à des évèques, 35 1. Lettres à des doyens et
archidiacres de chapitre, 36i. Lettres à de»
abbés , 367. Lettres à des prieurs ou de»
moines, i-ji. Lettres à des chanoines ou
autres clercs, 373. Lettres à des savans ou
gens de lettres, 378. Lettres à des compagnons
d'études et amis, 38i. Lettres écrites au nom
d'autres personnes, 388. Ses sermons, 40 ■•
Ses opuscules , 402. Editions de ses œuvres ,
41 1. Sa doctrine, son érudition, sa manière
d'écrire, 4"-
Pierre de Blois, chancelier de l'église de
Chartres, condisciple et ami du précédent,
4i5. Remontrances que lui fait son ami sur,
son goût pour la poésie , et ses occupation»
aussi vaines que dangereuses, 4'C. On a lieu
de croire qu'il avait composé des vers fran-
çais et des ronuns, 4 ■7' I' *'st aussi auteup
de commentaires sur les psaumes, et d'homé- .
lies sur les évangiles , 418.
Pierre le Cuahthe de l'église de Paris.
Recherches sur ie lieu de sa naissance , ï83
et suiv. Son ycrbum abl>rfviatum , a88 — 395.
La somme des sacrenien», 196—598. la
grammaire des théologiens ou de Tropis tkéo-
logicis^ 598. Stiinma qua dicitur Abil , ow >/.-
pbuèeCiiin morale pro concionatoribus , 200.
Autres écrits à lui attrfbués , 3oo.
Pierre de Bir/\c , poète provea^ , ami
de Guillaume de Balaun, dont il partagea
Us aventures , 4^8.
Pierre.de BoTitjiAO, poète provençal,
auteur de sirveiitts et de s;ityres contre les y
femmes ,414-
Pierre Raisio^^), poète provençal , au-
teur de bonne» chansons, 4^7. Ouvrage»
qu'on lui attribue, 459.
Pirbrb Rogiehs, poète provençal. Ses
aventures , 459- CéKbre dans se» ver» la vi-
corolesse de-Narbonne , 460.
Pierre de Suiiit-Clost , poète français , auteur
dir testament d'Alexandre, suite du ruinan
d'Ail xandre-lc-Grand, n5.i
Pierre de la Vebsè&ue, poète proven-
çal. Ses avenlures, aS. Auteur d'nn poëme
sur la prise de Jérusalem par Saladin, a6.
Pierre Vid\l, poète provcnç;:! des plus
célèbres cl des plusexti avagans de son siècle.
Ses aventures, 470 — 4/3. Analyse de quel-
(jues-unes de se.s poésies , où l'un troui e plus
de sagesse qu'il n'y eu avait dans ses action.» ,
474.
Pl4Cbht|«, jariseonsulle, ouvre » Mont-
pelliei- la première école de droit romain qui
ait existé eu Frauce, 27. Sa mort et snn épi-
taphe, jB. Ou a faussement prétendu qu'il
n'était pas français, sg. Ses éciits, 3i et suiv.
/'once, évéque de Clerinout. Sa lettre à
.Maurice , évéque de Paris , sur la foruje du
baptême, 53j.
PossDB Cai'Deuil, poètc provcnçal , pos-
sédait une baioi:ie dans le uiocètc du i'iiy, .
638
TABLl-: DES AUTEURS
^ ■!■>. Examen des poésies qui nous resteut de
lui, i4-
Poirs DE L* Gardv, poète provençnl dont
on conserve onze clia'nsons , 460. Sirvcnte
cootre les œœurs du siècle, .{61.
R
Haoul , évèquc d'Angers. Lettre de Pierre
fle Blois à lui adressée , 353.
Haoîtl de F'arficfti/e ^ évêque de Lisieux.
Lettre de reproches que lui adresse Pierre
de Blois, 358.
Raoci, , évéque de Liège. Sa Vie, 16 — 18.
Statuts contre les incendjairss et les dépré-
dateurs des biens d'église, 18. Quelques
chartes de ce prélat , itid.
R.koui. DE Serues, doyen de l'église de
Tleiras. On lui attribue une chroui(|uc qui
porte le noin de Raoul-le-Noir , et un traité
de l'art militaire, 147, 148. Lettre que lui
écrit Etienne, abbé de Sainte -Geneviève
pour l'engager à rétablir la vie commune
dans son chapitre, 55a.
Raoul de flcauvais, grammairien. Lettre que
lui adresse Pierre de Blois, 378.
RiY.MOHD V, comte de Toulouse. Sur
quelqucsactc'sdu gouvernement de ce prince,
5y. Le serment qu'il prêta en 1 157, et la for-
mule dans laquelle il juça, 60. Quelques
autres chartes de lui , ibid. Ses lettres, dans
Tune desquelles il parle de quelques rede-
vances ou contributions que l'on payait alors,
61 et Gj. Une autre dirigée contre les héré-
sies de Pieire de Bruis et de Henri son dis-
ciple , 63. Réglenont de police et d'adminis-
tration publique qu'on lui doit, 64.
RvTMOND DE UuRFOBT, poi-te provençal,
Qucrcinois , compose de société avec Truc
Malec des sirventes qui n'ont rien de bien
remarquable, 4*'».
R.vY.MOKD JoRD.iH, vicomte de Saint-An-
toni , poète provençal. Ses aventures , 4*>4 <
4(55.
Renaud de Bar, évéque de Chartres. Lettres
que lui écrit Pierre de Blois toucbant la dîme
saladine , 35i , 376.
Renaud , évêque de Bath en Angleterre.
Lettres de Pierre de Blois à lui adressées,
355, 377.
Renaud, comte de Dammartin et de Bou-
logne. Sa rapacité , 557.
Hichard, archevêque de Cantorbéri. Sept
lettres de lui parmi celles de Pierre de Blois,
388 — 39a . Autresà lui adressées par le même,
349,387. ^
Richard, évéque de Londres. Lettre que
Pierre de Blois lui écrit , 358.
Richard, évéque do Syracuse en Sicile.
Lettre de Pierre de Blois à lui adressée, 36o.
Richard Q\x Robert, archidiacre de Lisieux ,
savant jurisconsulte. Lettre d'Etienne de
Tournai à lui adressée, 565.
RiKHARD-CoEUB-DE-Lios,roi d'Anglcterrp»
n'étant encore que comte de Poitieis, fré-
3uente la cour de Raimond Bérenger, comte
e Provence , et compose des vers dans la
langue des troubadours , 3jo. 11 reste de lui
deux sirventes dont on cite quelques stro-
phes, 3ii.
Rietd {saint) , évéque de Senlîs. Relation de
la translation de «es reliques par Guillaume,
abbé d'Orbais, 6i5.
Robert , pi évôt de l'église d'Aire , chance-
lier de Philippe , comte de Flandre. Lettre
de Pierre de Blois, contenant contre hii une
Invective véhémente, 348.
Robert, abbé de Saint-Victor de Pari».
Lettre que lui envoie Etienne de Tournai y
avec l'épitaphe de Maurice de Sully, évéque
de Paris , 574.
Robert, professeur de philosophie à Tour-
nai, puiA abbé de Clairvaux, 9a.
Robert de Borhon, et Hélis de Horron ,
continuent la traduction des romans de la
Table ronde sous les titres de Joseph d'Ari-
inathie , Au Saint-Graal , et de Merlin, 497.
HéJis publia seul le roman de Palamèdes ,
ibid.
Roger, doyen du chapitre de Lincoln.
Lettre de Pierre de Blois à lui adressée, 36a.
Roger , doyen de l'église de Rouen. 11 se
livre long-temps à l'élude de la jurispru-
dence , 3a7. 11 professe les arts libéraux à
Paris , ibid. Sermons qu'on lui attribue, ibid.
Roe;er, prieur de Saint-Abraham au diocèse
de Saint-Malo , auteur d'un écrit dont parle
Geofroi , sous-prieur de Sainte-Barbe, 76.
Rolande (sainte). Sa légende , 6a3.
Rotrou , archevêque de Rouen. Sept lettre»
de ce prélat parmi celles de Pierre de Blois ,
394—396.
Rotrou du Perche, évéque de Châlons-sar-
Marnc. Son sacre, $76.
RusTiciEN de Pise , a traduit du latin en
français , le Roman de /Init, de Meliadus, père
de i'iistan, et de Giron-le-Courtois , 497.
Ses ouvrages sont plus connus que sa per-
sonne, ibid.
Sail de Scoi..k , poète provençal , natif de
Bergerac , fréquenta la cour de la vicomtesse
de Narbonne , 466. On a ses poésies , ibid.
Savari, évéque de Bath. Lettres de Pierre
de Blois à lui adressées, 357, -^^o.
SiMO!» de B0UJ.0GSE, traducteurde Solin,
5oo. Il paraît qu'il était aussi poète, et qu'on
pourrait lui attribuer le poërae des Fait* J*
Troues, etc., 5oi.
Songes tt augures. Leur vanité, 384- A"''**
superstitions, ago.
ET DES MATIÈUES.
T.
639
Tiii„logir. Vices dans l'enseignement de la
théologie, îSg.
Thibiud, comte de Blois , sén^rlial de
France. Ses lettres, 14.
Thojus, raoine de Froidinont. Klépie dans
laquelle il décritles aventures singulières de
" ,'""'' M»''guerile, ï65. Autres ouvrages
qu'il avait composes , 367.
Thomas rK Cistebcien , Thomas de Per-
ifigne, et Thomas de l'aiice/les , paraissent
n'avoir été qu'un seul personnage, 3a8. On
attribue à tous les trois un commentaire sur
le Cantique des Cantiques, imprimé l'an i5ai,
3>.q. Autres écrits qu'on lui attribue , 333.
Tournai. Uéniéies des lialiitans avec le
clergé an sujet delà commune , 5^0 et Syi.
Tkug MiLEC ou Malet , poète provençal,
collaborateur de Pavmond de Durfoi t , 46».
Tuohe, aulenr d'un écrit dont parle Geo-
fioi de Saintt-Bnrbe, jy.
réronne (sainte). Sa légende , 6îi.
ViTAi DE Blois, poète latin , auteur d'un
puëine intitule De Qiieru/o. C'est l'imitation
d'une ancienne pièce atliibuéeà Pliiute, 419.
L'Amphilrjon , poème qui ne nous est pas
parvenu ,43».
FI.V DE H TABLE DES AUTFDRS ET «rS MATIÈBES.
»-».^V*'*-*''*^»-*«.%-» V*>»»/» ■VV»'^V%*,%»»%%^*. ■»»»,»*. V%*,*^V*^%».%%^%%*%*%*<%*^-V\'V».VVfc^*
ADDITIONS
AUX NOTICES SUR DIVERS POÈTES PROVENÇAUX
DU Xir SIÈCLE.
XII SIECLE, j EVDANT qu'on itiiprimait ce XV* volume de notre his-
toire littéraire , M. Raynouard , secrétaire perpétuel de
i'académie française, et membre de raeadémie des Inscrip-
tions et Belles-Lettres, publiait, pour faire suite à sa gram-
maire de la langue romane, un choix de poésies originales
des troubadours. Un assez grand nombre de pièces de ce
recueil, appartiennent à des poètes dont on trouve lés ar-
ticles dans notre histoire littéraire du XII* siècle. Quelques-
tines avaient été mentionnées par nous, d'autres nous étaient
inconnues. Comme il entre dans notre plan de faire con-
naître ceux des ouvrages de nos auteurs, qui ont été publiés
par la voie de l'impression, nous allons indiquer ici quels
sont les troubadours, mentionnés dans nos précédens vo-
lumes, qui ont fourni des pièces au recueil récemment pu-
blié, et quelles sont ces pièces.
Nous observerons que dans le volume qui paraît en ce
moment, M. Raynouard n'a inséré que des chansons et
pièces erotiques de nos troubadours. Dans les volumes sui-
vans , il se propose de publier leurs poèmes moraux , saty-
riques et historiques.
Hist. Llitér. GuiM.ÀUME IX, COMTE DE PoiTOU. — Le rccucil de M. Ray-
t. IX, p. 3?' «^ nouard contient de ce poète deux chansons, qui ne sont pas
t. XIII, p. 42; cgiies Que nous avons citées dans les deux articles qui lui
Choix de Poe- ,7 , , ^ 1 • ^ • •*
iies des Trou- Ont ete coiisacres dans notre histoire.
^Hu"LUtér. Rambaud d'Orange. — Des vingt-huit pièces que l'on pos-
t.Xll, p. 471^ sède encore de ce troubadour, on en trouve trois seulement
dans le recueil ; elles confirment ce que nous disons de la
dureté de ses vers. Témoin la strophe qui commence ainsi :
cil. de Poés. Er no sui ges mais et astrucx, etc.
desTr. , p. 19-
ADDIT. AUX NOTICES SUR DIV. POÈTES. 64 1
XII SIECLE.
Hist Lillér.
AzALAÏs DE PoRCAiRAGUEs. — On n'cii j)ublie qu'une seule
chanson : et ce ne paraît pas être celle qui est indiquée dans
'. , ^ r ' •• ^ ■ t. Xin,p. /422.
notre article sur cette temme-poete. ch. de Poé».
Elias ou Elie de.Barjols.' — Parmi les quatorze ou quinze iiist. Littér.
pièces qui restent de lui, il n'y en a que trois qui soient t.xiv, ji, 38.
*^ ^ , 1 , , ., ' •' ^ * Ch. de Poés.
entrées dans le recueil. desTr.,p.35i.
Guillaume de Cabestaing. — Nous avions indiqué sept ^ JJ'f • Luter.
.,,,._ ., . . T. l t. XIV,p.2lo.
pièces de lui. Le recueil en contient cinq. ch. de Poé*.
des Tr. , p. 1 06.
Geoffroi Rudel. — Les cinq pièces que nous lui attribuons Hist- Littér.
dans son article, sont publiées. *" ^.^ àrPoé?!
desTr. , p. 94.
Guillaume Adhémar. — Nous n'avions rien cité de ce Hist. Littér.
poète. On trouve trois chansons de lui, dans le recueil. * cî7'd^ p^é
des Tr. ,p. 192.
PoNS DE CAPDUEiL. — Le fccueil renferme douze chansons ^i**'- Littér.
de ce troubadour. Il y en a une dans laquelle il nomme "ch.'dépoés.
cette Azalaïs^ dont pous parlons dans l'article qui le con- desTr.^p.igi.
cerne :
Ai! quais dans es de mi dons n'Âzaiaïs!
Alphonse II, roi d' Arragon. — La seule chanson de ce t. xv,p. i58.
roi , qui se soit conservée, est dans le recueil. ch. de Poés.
' ^ des Tr., p. 118.
Arnaud de Maruetl. — Douze pièces de ce troubadour, Hist. Litter.
, ,. , , , -1 1VT ' • • -^ ' j 1 • t. XV,p. /,4i.
publiées dans le recueil. Nous n avions rien cite de lui. ci,, je Poës.
des Tr., p. 199.
Bérekcer de Palasol. — Six chansons de lui, publiées Hist. Littér.
dans Ip ré-rnpil t. XV, p. 443.
aans le recueil. ch.dePoés.
desTr. ,p. a3i.
Giraud de Salagnac. — M. Raynmiard écrit Salignac. Il ^''' ^i'/''
a publié deux chansons de ce troubadour. ' ch.'dé Poés.
de»Tr.,p. 'ig^.
G.WAUDAN LE ViEux — M. Rayuouard a publié deux des Hist. Litiér.
pièces de ce troubadour, que nous n'avions qu'indiquées *'c^'jeVoés
dans son article. L'une est une espèce de romance on pas- des tr.,p. i65.
tourelle ; l'autre ne contient que des plaintes amoureuses.
On trouvera sans doute dans lés volumes suivans du recueil,
le sirvente qu'il fit pour appeler tous les rois de la chrétienté
au secours d'Alphonse IX, roi de Castille, contre les Maures.
La COMTESSE DE DiE.-— Il n'y a dans le recueil que trois t.xv'p. î'^.
Tome Xy, M m m m
6q2 ADDIT. AUX NOTICES SUR DIV. POÈTES.
- - piècçs de cette dame. Nous en citions quatre d'elle , dans
ch. de Poés. notre article.
tics Tr., p. 22.
Hist. Liitér. PiERRE DE Barjac. — Nous avons re'uni dans un seul
t. XV, p. 447. article, Guillaume de Balaun, et Pierre de Barjac, parce
cil. de Poés. qu'ils furent toujoui-s amis inséparables. M. Raynouard ne
de» Tr., p. 242. publie qu'une seule pièce du second. Ce n'est pas proba-
blement le si/vente dont nous avons lait l'analyse dans notre
article, car on n'y trouve aucun des traits satiriques que
cite M. G., auteur de l'article. Et pourtant, c'est aussi un
congre qu'il prend de sa dame, .et qu'il termine par ces deux
vers :
Jbiel. p. 243. Fe que m de\etz, si be us sui aziros,
Prendeiz cotnjas de mi qu' ieu '1 pren de VOS.
Hist. Litién GUILLAUME DE Saint-Didier. — Le rccucil contient trois
{. XV, p. 449. chansons de ce Guillaume de Saint-Didier. On y trouve sou-
Ch. dePoes. ^^^^^^ j^ ^^^^ ^j^ g^j^ ^j^j Bertrand. Notre article apprend
tics Ir., p. 208. , , . ,, . . , . f^r^ ,.
que ce prétendu ami n était autre que la marquise de Poli-
gnac sa maîtresse, dont il avait inte'rêt de déguiser le véri-
table nom.
iiist. Liiiér. Peyrols d'AuvERGNE. — M. Raynouard ne donne point à
t. XV, p. 454. ce troubadour son surnom d'Auvergne. Des trente pièces
de lui, que contient le manuscrit cité dans notre article, il
ch.de Pots, n'en publie que six, parmi lesquelles on distingue le joli
des Tr. , p. 268. dialogue dont nous avions transcrit un couplet. Nous trou-
verons sans doute dans quelque volume suivant le chant
historique, qu'il composa pendant son séjour à la Terre-
Sainte, sur les désastres des chrétiens.
L'envoi qui termine une des chansons recueillies par
M. Raynouard, offre le nom de la dame de Mercœur, sa
maîtresse.
Ihid. p. 274. ^*' messatgier, lai a Mercoill lo m ren
A'I comtessa cui jois e pretz manteîgna.
Hist. Liitér. PiERRE Raïmond; — Le recueil contient cinq chansons de
ftXV, p. 458. ce troubadour, parmi lesquelles se trouve celle que nous
ch.de Poés. mentionnons dans notre article : elle commence par ce
de» Tr., p. 120. VCrS :
Enquerra mi vai recalivan , etc.
Hist. Littér. PiERRE RoGiKRS. — Dans Ics ciuq chansons de Pierre Ro-
»; XV, p. 459. giers, pubUées par M. Raynouard, il y en a une où il ce-
ADDIT. AUX NOTICES SUR DIV. POÈTES. 643
lèbre la vicomtesse de Narbonne sa dame, en la de'signant ^" sieclk.
sous le nom de Tort-n'avetz. C'est la quatrième. Il la nomme Ch. de Poés.
encore dans l'envoi d'une autre : '^^^ ^'^' ' P" *'
Bastart, tu vai Ibid. p. 34-
£ porta m lai
Mon sonnet a mon Tort-rC avetz.
Pons de la Garda. — On ne voit dans le recueil, qu'une H'st- Littér.
pièce de ce poëte, quoiqu'il y en ait onze de conservées, '"^h'.deî'oé's.
dans le manuscrit de la bibliothèque du roi, que nous citons des Tr., 11.266.
dans notre article.
Saïi, de Scoi,A. — ^La seule chanson de ce troubadour, qu'on Hist. Littér.
ait publiée , paraît avoir été faite pour la vicomtesse de '• ^^' P- '^^^;
Narbonne, à la cour de laquelle il vivait. Elle finit par des Tr. , p. 2*54!
ces vers :
Deu prec e sainta Maria ^^^ p ^55
On que na Biatritz sia
De Naibona, que ill don jài^
E ill cresca son pretz veraL
Bernard de Ventadour. — C'est le poëte qui a fourni le Hist. Littér.
plus de pièces à M. Raynouard- Le recueil en contient jus- t. xv,p. 467.
au'à vingt-deux , dans la première desquelles se trouve celle ^^^ Tr./p^Ta^
ont nous avons cité une strophe dans notre article sur
Bernard de Ventadour. On en trouve une autre où on
lit le nom de Del-Vezer , qu'il donnait à Agnès de Mont-
Luçon, premier objet de ses amours.
Bels vezers , si no fos jhid. p. 53.
Mos enans totz en vos,
leu laissera chansos >
Per mai dels enuios.
Pierre Vidal. — 11 n'y a dans le recueil que quatre chan- Hist. Littér.
sons de Pierre Vidal. Quiconque aura lu notre article sur t-X.v,p. 470.
ce poëte , désirera stirement de trouver dans les volumes
suivans, la pièce très-instructive oii Vidal décrit les mœurs
des gentilshommes et des troubadours de son temps. Mais
M. Raynouard a du moins publié une chanson qui rappelle
une des époques les plus singulières de la vie de l'insensé ^j^ ^^ p^^^
troubadour, ses amours avec la dame qu'on appelait Louve de»Tr,,p.3i8.
M m m m a
G44 ADDIT. AUX NOTICES SUR DIV. POÈTES.
1 de Penautier, pour laqueHe il fit tant de folies. Dans une
Strophe, il se regarde comme honoré d'être appelé Loup.
Ibid. p, 3a3. E sitôt lop m'apellatz ,
No m'o tenh a Ueshonor ,
Jiï si m cri(ion li pastor-.
Ni si lu sui per lor cassalz ;
E àm mais boscx e boisso
':^o faut palaitz ni niaizo',
Et ab joi li er mostrieus
Entre vent e gol e nieuS.
La loba dits que sieus so,
Et a ben drog e razo ,
Que per ma fe , mielhs sui sieu»
"Que np sui d^utrui ni mieus.
^^^v«^««^«i'»« v^-^vv^
'^i^»V»)*'V«>*'«.v*Wv*^*»i*'*>*"*'*^-**-**'*^»^'*'»^'*''V^*-v^'»'*^'*'*'*'**^ ■*••■*
TABLE GÉNÉRALE
DES ÉCRIVAINS DU XII" SIÈCLE,
^ONT I ES ARTICLES SONT CONTE^ÏJS DANS LES TOMES IX , X , XI ,
XII, XllI, XIV ET XV Db l'histoire littéraire de frakcjs.
A Br.kVD , abbé d'un monastère inconnu,
XII, 44/i-
Abei.ard. Voyez Pierre.
AcHAM>, abbé de Clairvaux , XIII , 4 1 o-
AcHino, abbé de Saiut-Victor de Paris,
jiul» évécjue d'Avranches, XIII, 453.
AD*LGisE,molnedeSaint-Thierri, XI, lo.
AoAuou Petit PoHt, professeur à Pari»,
XIV. 189.
Adam, rlianoine régulier de'Sainl- Victor
de Paris , XV, 39. ...
Adulaiuk ou Gertruue, diicliesse de
Lorraine, auteur de lellres, XIII, 568.
AuELBERT ut TouttSEi., évoque dcMeude,
XlV, 6a3
AuELiiLMF., moine à Flaix , ÏX, 386.
Ai)RttK IV, pape, XIII, i.''7.
AuRiEN, prévôt de l'é«lise de Maubêu^e,
XIII, 413. *
AiMERic , troisième i>atriarclie~laiin d'An-
tioche.XIV, 383.
"AiMON, abbé de Saint-fietre sur Dire,
XII, 357. '
AiNARD UE MoTRESc , arclievêq-e de
Vienne , XV, 419.
Alain, évéque d'Auxerre, XlV, 354.
"A14BÉR1C DE RirMS, archevêcpe de B(îur-
ges, XII, 7a.
Albérig, cardinal, é>(îquctrOs)!e., XllI,
73.
AlbÉrIC DE VlTRT, XV, 6l3.
Albéron , évêque de Verdun , XII , 5 17.
Alberon DE MossTEBOi. , atcUcvêque de
Trêves, XIII, 121. ,
Albert d'Aix, hist. des Croîs. , X , '27^.
Albeet Cailla, poctoprov. XV, l^(i'i.
AicflE» , ihoine de Clairvatix , XTI, 6ffî.
Alexandre de Paris, poète français,
XV, rig et iCo.
Alexandre, abbé de Jumiépcs, XV, 610.
Alfrius, poète français, XIII, 114.
Alger , scholastique de Liège , puis moine
de Cluni, XI, 1 58.
Alphonse II , roi d'Arragon et comte de
Provence, XV, 1 5b.
Alulfe , moine de Saint-Martin de Tour-
nai , XII, 244.
Alvise, abbé d''Anchin , puis évêque
d'Arras, XIII, 71.
Amanu dv Cbatel, abbé de Marchiennes,
XI, 211.
Amat, àrclievêquede Bordeaux ,IX, 226.
Amairt, roi de Jérusalem, XIII, 4-89.
Amahry, patriarche de Jérusalem, XIV,
iGa.
Amédée, abbé de Haule-Combe , puis
évéque de Lausanne, XII, 576.
An tiHÉ,' chanoine régulier de Saint- Victor
de Paris, XIII, 408.
André , grand prieur de Fonlevraud ,
XI,iGS.
André Sylvois, prieur de l'abbaye de
Marclàennes , XA', 87.
Anscher, abbé de Saint -Riquier, XI,
611.
Assf.lle ou Anseau, préchanire de l'é-
glise du S^iinl-Sépulcre ; X , 400.
AssEXJiE (saint) , archevéquede Cantor-
béry,TX,3è8.
AitSELMK DE Laon, prof, à Paris, X, 170.
Anselme, àbbé de'Gemblou, XI, 6»3.
AstHELME ou Nantbelme , évèque de
Bellry, XIV, 6 ta.
Ars AVD Dapiïi , poète proY. , XV, 4î/j.
646
TABLE GÉNÉRALE.
Aknàud be MiRTEiL, poète, XV, 44i-
Ahnauld , abbé de Saint-Pierre-le-Vif à
Sens, Xm, 38.
Arnauld ou Arnold, vaudois, XV, 5o4.
ARNont. , abbé de Lapny, IX , 290.
Arwocl ou Ersocl, abbé de Saint-Martin
^ de Seez, puis de Troarn, IX, 5ig.
Arnoul ou Ernupule, cvèquede Roches-
ter, X, 427.
Arw ouL, prédicateur flamand , XII , 29a.
Arnoul, prieur de Saint-Thomas d'Am-
boise, auteur d'opuscules, XIII, 584-
Arroul, évêque de Lisieux, XIV, 3o4.
Arnoul, chanoine régulier du mont Saint-
Eloi,XV, 94.
Arnulfe, doyen de Féglise de Bruges,
XV, 61 3.
Atton, évêque de Troyes , XII, 226.
Aymé de Varanne», ou de Chatillon,
poète français, XV, 486.
AZALAIS ou AdkLE DE P0KCAIRAGU>5 ,
femme poète^ XIII, l\ii.
B.
Barthélemi nE Jura, cvéque de Laon,
XII, 524.
Barthélemi, évêque d'Excester, XIV,
334.
Basile, huitième prieur de la Grande-
Chartreuse, auteur de lettres, XIII,
579-
Baudoin V, comte de Hainaut et de
Flandre, XV, i32.
Baudouin I, roi -de Jérusalem, X, 204.
Baudouin IV,. roi de Jérusalem , XIV, 35 1 .
Baudouin, moine de Saint-Remi de Reims,
XII, 234.
Bauori, évêque de Noyon, IX, 578.
Baudri, évêque de Dol en Bretagne, XI,
Bauori, scholastique de Trêves, XII, 077.
Baudouin II, évêque de Noyon, auteur
de lettres , XIII , 572.
Benoit DE Sainte-Maure, poète anglo-
normand, XIII, 4^3.
Bérencer de Palasol, poète provençal,
XV, 44a.
Bernard, moine à Bayeiix, IX, 2g3.
Bernard, abbé de Tyron, X, 210.
Bernard II , vicomte de Béarn et de Bi-
gorre, X, 20.
Bernard, doyen de l'église de Soissons,
X,268.
iÇB&NARD, archevêque de Tolède, XI, 56.
Bernard , archidiacre de Braguc, XI, 1 1'8.
Bernard des Portes, chartreux, évêque
de Belley, etc., XII, 420.
Bernard de Varan, prieur de la Char-
treuse des Portes, XII, 4'*.
Bernard , chanoine de Tours, XII , 80.
Bernard DE MoRLAS, religieux de l'ordre
de Cluni, XII, 236.
Bernard de Chartres, dit Svlvestris,
professeur de belles-lettres, XII, 261.
Bernard, moine de la Chaise -Dieu,
XII, 627.
Bernard (saint), abbé de Clairvaux ,
XIII, 129.
Bernard , professeur à Paris, puis évêque
de Quimper, XIH, 376.
Bernard, évêque de Saintes, auteur d'o-
puscule» , XIII , 590.
Bernard Arnaud ut Mortluc , poète
provençal , XIII , 420-
Bernard, évêque de Nevers, XIV, 610.
Bernard, abbé de Font-Cauld, XV, 34.
Bernard de Vestadour, poète provençal,
XV, 467.
Bernard de Saint-Romain, abbé de Tour-
nus, XV, 616.
Bertère ou Berthier, clerc de l'église
d'Orléans, XV, 337.
Bebtrand de Blanchefort ou Blanque-
FORT, grand — maître des Templiers,
XIII, 400.
Bertrand d'Allamon , l'ancien , poète
provençal, XV, 443.
Bertrand de Poitiers , moine de Beau-
lieu en Limousin, XV, 6i3.
Blondel ou Blondeau de Nbsles, chan-
sonnier français, XV, 127.
BosoN, abbé du Bec, XI ,619.
Bruno (saint), instituteur des Chartreux,
IX, 233.
Brunon , évêque de Strasbourg , XI , 1 56 ,
BuRCHABD, abbé de Balerne, XIII , "iiZ.
c.
Cailixte II , pape , 5o5.
Chrestien de Troyes, poète français, XV,
193.
Chrétien, moioe de l'Aumône, auteur
d'opuscules , XIII, 584.
Chrétien , moine de la Sauve-Majenre ,
XV, 616. r
Claralde, diacre de Melï , XII, 445.
Clarembaud , archidiacre de l'église d'Ar-
ras, XII, 445.
DES ÉCRIVAINS DU XII* SIÈCLE.
<5/,7
CiARius, moine de Saiiit-Picrre-le-Vif;
X, Soi.
CoNoïf, cardinal cvêque de Palestine,
XIII, 3o.
CoNSTANTiw, prieur d'Hérival , auteur d'o-
puscules, XIII , 5b6>
D.
David ,^ poète anglo-normand, XIII, 64.
DiR(la comtesse de), poète provençale,
XV, 446.
DRocoM,moinede Saint-André de Bruges,
X, iS-i.
Dhoooti, archidiacre de Lyon, auteur de
lettres, XIII, 670.
E.
ÉBtES DE Ventadour , poète provençal ,
^XIII, 119.,
Êbremau ou ÉvERMEK , patrîarcke de Jé-
rusalem, X, 394-
ÉtiE DE Barjols, poète prov. ,XIV, 38.
Erlebolde , doyen de l'église de Cam-
brai, X, 270.
Ermencard, abl>é de Saint-Gilles, XV,
3«.
Kbnaud, abbé de Bonneval, XII, 535.
ERvisE,abbc de Saint-Victor, XIV, 6i i.
EsTiEN.iE, comte de Chartres et de Blois,
IX, 265.
EsTiENSE H, abbé de Saint -Jacques à
Liège, IX, 5ai.
Etienne, abbé de Notre-Dsme d'Yorck,
. X, 14.
Etiesnk dk Muret (saint), X, 410.
Etienne (saint), troisième abbé de Ci-
teaux, XI , 2i3.
Étiekne , chanoine régulier de l'abbaye
de Pebrac, XI, 122.
Étienwe de Bavcé , évêque d'Autun , XI ,
710.
Etiesti E DE Senlis , cvéqoe de Paris» XÏI ,
i5i.
Étiekke, clerc de l'église de Paris, XII,
260.
Etien>e de Chalmet, chartreux , XII ,
425.
Etiewke de Rouen, moine du Bec, XII,
675.
Etienne de Garlande, chancelier du
royaume, XIII, io5i
Étienkk , archevêque de Bourges , auteur
de lettres, XIII, 58o.
Etienne, archevêque de Vienne en Dau-
phiné, XIII. 328.
Etienne, abbédeCluni, auteur de lettres,
XIII, 58i.
Etienne de Focgères, évéque de Reimes,
XIV, 10.
Etienne de Baucé , évêque de Màcon ,
XIV, 618.
Etienne de Liciac , prieur de Grand-
mont, XV, i36.
Etienne, abbé de Sainte-Geneviève, puis
évéque de Tournai, XV, 5a4'
Eudes dk Vàudbmont, évéque deToul,
XV, 3o6.
EtrsTACHE , religieux du monrSaint-Eloi,
XIV, 608.
EvERABD ou Eberard, poète français
XIII, 67.
ÉvERLiN , prévôt des Prémonlrés de'
Steinfeld, XII, 447.
ÉvERLiN DE FocK, abbé de Saint-Laurent
de Liège , XIV, 3oo.
Evrard ou Eurard , religieux du Varl—
des-Ecoliers, XV, 611.
F.
Fastrède, abbé de Citeaux , XII, 628.
FouLCABD, abbé de Laubrs, IX, 348.
FoLCBER DE CHARTRES , histOTten dcs Croi-
sades, XI, 47-
Foulque, auteur d'un poème historique
de la première Croisade, XII, 85.
Foulque, prieur de Deuil, XII, a49.
Foulques Rechin, comte d'Anjou, IX,
391.
Fbancon, second abbé d'Afflighem , XI,
588.
Frédéric, évêque de Liège, X, 3 19.
FuLCHERÉDE, moine de Saint-Martin dtf
Séez, X, 268.
G.
Galbkrt, moine de Marchiennes, XI,
412.
Galbebt, historien de Charles-le-Bon j
comte de Flandre, XI, i4i.
Galon, évêque de Paris, X, 94.
Galon ou Walon , professeur à Paris ,
XI, 4'5.
Garik d'Apchier, poète prov. , XIV, 565.
Garnier , moine de l'Abbaje deTouraus,
IX, 5i5.
648
TABLE GENERALE
Gaeime» ou Warkie» l'Homiuaibe, re-
ligieux de Westminster, X, 23.
Gauitieb , sous-prieur de Saint- Victor de
Paris, XIII, /Jog.
Casses le Blond, poète franc. , XV, 494-
Gaucelin, évèque deLodéve, XIV, Syg.
Gaultier de Lille ou ue Chatillon,
poète latin, XV, loo.
Gautier , abbé de Saint-Amand , 5ÇI , lî.
Gautier le chancelier, historien , XI , 33.
Gautier, évèque de Maguelone, XI, 8i.
Gautier, historien de Cliarks-le-Bon ,
XI, 137.
Gautier, moine de Melun, XI, 63o.
Gautier pe Compiècnb, moine de Mar-
moutier, XII, 491.
Gautier de Mortacne, évèque de Laon,
XIII, 5ii.
Gautier, prieur de Salnt-Vlctor , xiv,
549.
Gautier, abbé d'Arrouaise, XV, 45.
Gautier Map, poète anglo-norm. , XV,
494.
Gautier, archevêque de Palerme, XY>
.611.
Gataudan, poète provençal, XV, 445.
Genard (maître) , computiste , XV, 6 1 3.
Geoffroi Babion, archi-scolastique d'An-
gers, IX, 521.
Geoffroi (saint), abbé de Nogent, puis
évèque d'Amiens, X, 267.
Geoffroi, abbé de Vendôme, XI, 177.
Geoffroi -le- Gros , moine de Tiron,
XII, 163.
Geoffroi, évèque de Châlons, XII, i85.
Geoffroi deLoroux, archevêque de Bor-
deaux , XII, 541.
Geoffroi Gaimar , poète anglo-nornjand,
XIII, 63.
Geoffroi de Lèves, évèque de Chartres,
XIII, 82.
Geoffroi Fulchier ou Focche», cheva-
lier du Temple, XIV, 3o.
Geoffroi, prieur de l'abbaye duVigeois,
XIV, 337.
Geoffroi de Pérowne , prieur de Clair-
vaux, XIV, 426.
Geoffroi d'Auxehre, secrétaire de Saint-
Bernard, XIV, 43o.
Geoffroi Rudel , poète provençal , XIV,
559.
Geoffroi, sous-prieur de Sainte-Barbe,
XV, 69.
Georges , moine de l'abbaye de Breteuil ,
XII, 449-
Gérard, archevêque d'Yorck^ IX, 3j6.
Gbrardou Girard, évèque d'AngouWin.e»
XI , 596.
Gerar », abbé de Fosse-Neuve, XIV, 6 1 r .
Gérard, GiRiLD ou Giraud , évèque
d'Albi, XIV, 609.
Gérard ou Géralp Ithier , prieur de
Grandmont, XV, 142.
Gérard Hector , évèque de Cahors, XV»
609.
Géraud ou Gérasd de Villacèses, abbé
de Saint-Augustin de Limoges, IX,
279-
Géraud, abbé de ChezaUBenoit , X , 268.
Géraud ou Giraud-lk-Roux, poète pro-
vençal, XIII, 3o6.
Géraud de Salagnac, idem, XV, 444-
Gerland, chanoine régulier de Besancon,
XII, 275.
Gemoi» Hazarew, rabin, XIII , 2.
GiRKUN, palriarclie 4e Jérusalem, IX.
565.
GiBuiN, archidiacre de Troyes , XII , 2^0.
Gilbert, l'upiverjel, évèque deLondres,
XI, 236.
GiLRERT DE Mous, chaneelicrdu comte de
Hainaut,XII, 236, XV, 129.
Gilbert de la Poerée, évèque de Poi-
tiers, XII, 466.
Gilbert ou Gislebert, moine de Saint-
Laurent de Liège, XII, Sag.
Gilbert dit le Grand, abbé de Cîteaux,
XIII, 38 1.
Gilbert ou Gislebert de Hoilaitdia,
XIII, 461,
Giluuin, abbé de Saint- Victor, XII, 477i
Gilles , évèque d'Evreux , XIV, 12.
Gilles Clémekt, ministre d'élat, XIV,
217.
GiLON, cardinal, évèque de Tuscnlum,
XII. 81.
Girald, chanoine de Compostelle, XI,
H7-
Girard de Naïarzth , évèque de Laodicée
en Syrie, XIII, 3oo.
Girard-Pucelle, évèque de Coventry,
XIV, 3oi.
GiRADD, évèque de Valence en Dauphiné,
XIII,4i2-
Gislebert, évèque d'Evreux, X, 18.
Gislebert Crispin, moine du Bec, puis
abbé de Westminster, X, 19a.
GisLEMAR, religieux de Saint-Germain-
des-Prés, XV, 6i3.
GoDEFROi. prieur de la ca thcdralc de Win-
cester , IX, 352.
GoDEFROi , é\ éque de LangreSjXIH» 349,
DES ÉCRIVAINS DU XIV SIECLE.
64g
GoDSFRoi, chanoine de Saint -Victor,
XV, 69.
CfODESCALE, cvêque d'Arras, XIII, 469-
GoKDULFE , évêque de Rochester, IX,
369.
GoNTiER , moine à Saint-Amaud, IX, 38i.
GoscELiN , doyen de l'église de Beauvais ,
X,43i.
Goswis ou GozEvi» (le bienheureux),
moine de Clairvaux, XV, 616.
Grégoire d'Aster , abbé de Sainl-Pé de
Générés, IX, 567.
Grégoire Bécdide, historien, X, Ito'i.
GcAKii» , abbé de Sainte-Geneviève, 'XV,
5o.
GoÉBiN DES EssARTS , abbé de Saint—
Évroul, XI, G37.
GuÉRiif ou Garin-j,e-Bbuk , poète pro-
vençal , XV, /|63.
CuerrÎc, abbé d'Igni, XII, 45o.
GuiBERT, abbé de Nogent , X, 433.
GuiBF.RT, moine de Foigny , XIII , 585.
GuicHARD, abbé de Pontigny, XIV, 179.
GuiouES , cinquième prieur de la Grande-
Chartreuse, XI, 640.
Guiches II , prieur de la Grande-Char-
treuse, XV, II.
GotLLAUAME DE Ros , abbé de Fécamp ,
surnommé la Pucelle, IX, 33o.
Guillaume , archevêque de Rouen , IX,
/,90.
Guillaume, abbé de Cormeille,lX, 49» •
Guillaume de Champeaus , évêque de
Châlons-sur-Marne, X, ^07.
Guillaume, moiiTe de Saintc-AValbnrge
à Chesler en Angleterre, X , n.
Guillaume IX, comte de Poitiers et duc
d'Aquitaine, XI, 37, XII, 42.
Guillaume, abbé de St Thierri , XII , 3 1 2.
Guillaume de Conçues , professeur à
Paris, XII , 455.
Guillaume, religieux de Saint-Denis en
France, XII, 545.
Guillaume de Coreeil, archevêque de
Cantorbéry, XIII , 55.
Guillaume VI, seigneur de Montpellier,
et Guillaume VII, XIII , 324.
Guillaume Godel ou Godeau, moine de
Saint-Martial de Limoges, XIII, 5o8.
Guillaume, chanoine de Grenoble, XIII,
587.
GoiLLACME d'Andozile, archcv. d'Auch,
XIII, 591.
Guillaume de CHERsauRC , poète latin,
XIII, 592.
Guillaume, abbé d'Auberiye , XIV, 200.
Tome XF.
Guillaume d'Acquit, poète provençal,
XIV, 209.
GuiLLACMr. DE Cabestaiw , poètc proven-
çal , XIV, 210.
Guillaume de Gap, abbé de Saint-Denis,
XIV, 374.
Guillaume AdhImar, poète provençal,
XIV, 567.
Guillaume, archev. de Tyr, XIV, 587.
Guillaume Templiers ou Tempeks, abbé
de Reading, XIV, 609.
Guillaume , bibliothécaire de l'abbaye de
Marmouliers, XIV, 609.
Guillaume dit de Narbosne ou deToucy,
évêque d'AuxczTe, XIV^, 616.
Guillaume Passavant, évêque du Mans,
XIV, 619.
OiiiLLAUMK , nbbé *le la Prc'e , puis de Cl-
teaux , XV, 55.
Guillaume de Trahiniac , prieur de
Grandmont, XV, 140.
Guillaume Dandina ou de Saikt-Saviu
rcligieu.x de l'ordre de Grandmont,
XV, 144.
Guillaume dk Longchaup, évêque d'Ély,
XV, 267.
Guillaume de Blois, frère de l'archi-
diacre de Balh, Pierre, XV, 41 3.
Guillaume de Balaun, poète provençal,
XV, 447-
Guillaume de Saint-Didier , poète pro-
vençal, XV, 449-
Guillaume Mite , poète provençal , XV,
466.
Guillaume de Champagne , cardinal , ar-
chevêque de Reims , XV, 5o5.
Guillaume Raimond, évêque deMague-
lonne, XV, 612.
Guillaume, abbé d'Orbais, XV, 6i5.
Guiman ou Wimanne, religieux de Saint-
Vast d'Arras , XV, 95.
Guiter ou Guithier , abbé de St.-Loup,
à Troyes, XV, 282.
Gurherden, moine de Sainte-Croix d
Quimperlé , XI ,45.
Guy, archidiacre de Verdun, X, %o.
Guy, chancelier de l'église de Noyon , X,
*79-
Guy, second abbé de Molème, XI, 208.
Guy, évêque de Chàlons- sur -Marne,
XIV, 625.
Guy de Lusignan, roi de Jérusalem et de
Chypre, XV, 57.
Guy de Basainville, précepteur ou maître
particulier de l'ordre des Templier» ,
XV, 97.
Nnn n
65o
TABLE GÉNÉRALE
Guy «es Noyers , archevêque de Sens ,
XV, 6ii.
H.
Hacqi'et, abbé des Dunes, XIV, 353.
Haimok de Basoche, tWêque de Châlons-
sur-Marne, XII, 4ï6.
Haimon, traducteur des Évangiles, XIII,
127.
Haimon, religieux de Saint-Denis , XV,
3o3.
Hamon ue Landëcop , moine de Savigny,
XIII, 592.
Hariulee, abbé d'Aldeitibork, XII, 204.
Héiie de Rdffec, rclijrieux de Saint-
Martial à Limoges, XIII, SgS.
HÉEis de Borron, poète franc. , XV, 4y4.
Héi.oïse, abbessc du Paratlel, XII, 619.
Henri, chanoine de Saint-Martin de Tour-
nai, XII, 245.
Henri , disciple de Pierre de Bruis et chef
des Henricicns, XIII , 91.
Henri de Blois, abbé de Glastcmbury et
évoque de Winchester, XIII, 457.
Henri de France, évêque de Beauvais,
puis archevêque deKeims, XIII, 54 i.
Henri, évêque deTioyes, XIII, 576.
Henri , abbé de Diligliem , XIII , 586.
Henri le Libéral, comte de Cliampagne,
XIV, 2o5.
Henri , cardinal, évêque d'AIbano , XIV,
45i.
Henri , évoque do I,ubeck, XIV, 608.
Henri II, roi d'Angleterre, XIV, 462.
Herbert dk INorwich, surnommé Lo-
zinga , X, 265.
Herbert, archevêque de Torrès en Sar-
daigne, XIV, 55/|.
Héribkrt , moine d'un lieu inconnu, XII,
446.
Hébibkand, abl>é de Saint-Laurent de
Liège, XI , 76.
Hériman , abbé de Saint-Martin de Tour-
nai, XII , 27g.
Hébiuan, moine de Saint-Jean de Laon,
XII, 289.
Hervé, moine du Bourg-Dieu, XJI, 344-
Hesson , scholastique do Uoims , XII, 204 .
Hi^.zELON ou Kzelon , moinc de Cluni, X,
65.
HiLAiBE, disciple d'Ahélard, XII, 25i.
Huuébert, évoque du Mans, puis arche-
vêque de Tours , XI , aSo.
HiixiN, archevêque de TrcTCS , XIII,
575.
Hlmbert on Hi'mbert , disciple de Saint-
Bernard, XIV, 607.
Honoré, scholastique de l'église d'Au-
lun, XII, i65.
Hucles, archevêque de Lyon, IX, 3o3.
Hugues (saint), abbé de Ciuny, IX, 465.
Hugues, archevêque d'Édesse, X, 60.
Hugues, abbé de Flavigni, X, 7 3.
Hugues de Sainte-Marie, moine de
Fleuri, X, 285.
Hugues tiz Ribemont, XI, 11 3.
Hugues, archidiacre deCompostelle, XI,
ii5.
Hugues (saint), évêque de Grenoble,
XI, 149-
Hugues Farsit, abbé de Saint-Jean en
Vallée, XI, 626.
Hugues, chanoine de Saint-Victor, XII, 1 .
Hiicuïs KiRsiT, chanoine régulier de
Saint-Jean des Vigne», à Soissons,
XII, 294.
Hugues de macon , premier abbé de Pon-
ligny, puis évêq. d'Auxerre, XII, 408.
Hugues Métel, chanoine régulier, XII,
493.
Hugues, cardinal, évêque d'Oslie, XII,
572.
Hugues d'Amiens, archevêque de Rouen,
XII, 647.
Hugues de Cleers, sénéchal de la Flèche
et deBaugé, XIII, 33G.
Hugues, abbé d'Humblières , puis d,e
Saint-Amand, XllI, 398.
Hugues de Fouilloi , prieur de Saint-
Laurent de Heilly, XIII, 49»-
Hugues de Tbizan ou Frazan, abbé de
Cluni, XIII, 571.
Hugues de Toucy , ai-chevêque de Sens,
XIII, 573.
Hugues, prieur du Mont-Thabor, XIII,
578.
Hugues de Poitiers, moine de Vezelai,
XII, 668.
Hugues de Monceaux, abbé de Saint-
Germain-des-Prés , XIV, 6i5.
Hugues de Mortagne, prieur de Saint-
Martin deSéez,XIV, 61 5.
Hugues Foucaut, abbé de Saint-Deni»
en France, XV, 274.
Hugues de Ts'onant, évêque de Coventri,
XV, 3io.
Hugues de Saint- Martial, moine à Li-
moges, XV, 61 3.
Hugues (S.), évêq. de Lincoln, XV, 6i4'
HuMPB&oi, prieur de l'abbaye de Samt-
Evroul, XI, 61 3.
DES ECRIVAINS DU XI1'= SIÈCLE.
65 f
I. J.
Ildebold, compagnon de Saint- Robert
de Molèrae, X, 1 1.
IsAAc, abbé de l'Étoile, XII, 678.
Jacob Bar-Jekar, rabbin, XIII, 4.
Jakenton, abbé de Saint-Benigne, à Di-
jon , IX, 526.
Jean , diacre et moine de Saint-Ouen ,
X, 262.
Jeaî», moine de Bèze, X, 270.
Jeax de Coutance, computiste, X, 43i,
XI,63i.
Jeaw, moine de Saint-Evroul , XI, i5.
Jean Miobaelfnsis, auteur de la Règle
des Templiers , XI , 66.
Jean de Colmieu, archidiacre de Ter-
rouane, XI , 146.
Jean, moine d'Epternac, XI, 63 1.
Jean de Mont-Medi , religieux de la
chartreuse des Portes , XII, 424.
Jean , écolâtre de Saint -Laurent de
Liège, XII, 53o.
Jean, moine de Marmoutier, historien,
XIII, 353.
Jean l'Espagnol, prieur de la chartreuse
du Repos, XIII, 585.
Jean de Sarisbery, évoque de Chartres,
XIV, 89.
Jean Sakazin, helléniste, XIV, 191.
Jean de Cornocaille» , théologien , XIV,
194-
Jean Beleth , chanoine d'Amiens, XIV,
218.
Jean l'Hermite, prieur de Clairvaux,
XIV, 222.
Jean de Hantville, poète latin, XIV.
569.
Jean de Montlaur, évêque de Mague-
lonne, XIV , 626.
Jean de Lyon, vaudois, XV, 5o3.
Jean, abbé de Gemblou, XV, 6og.
Jean, religieux d'Ourcamp, XV, 610.
Jean d'Alich , prédicateur, XV, 611.
Jean de Béthune , prévôt de l'église
d'Arras, XV, 61 5.
Jean, moine de Sithieu, XV, 61 5.
Jehan Priorat, poète franc., XV, 491.
JoNAs, chanoine de Saint-Victor, XIII,
578.
JoscELiN, évêque de Soissons, XII, 412.
JoscERAN, archevêque de Lyon, X, 147.
JossE, archevêque de Tours, XIII, 582.
-TnDAs Cohen, rabbin, XIII, 5.
JoBAS, autre rabbin, XIII, 6.
K.
KiLiNUF. ET Herrade, abbcsscs de Ho-
lienbourg, XIII, 587.
L.
Lambekt, évêque d'Arras, X, 38.
Lambert, abbé de Poutières, X, 25x.
Lambert, évêque de Tournay, X, 269.
Lambert, abbé de Saint-Bcrtin , XI, i3.
Lambert , prieur de la Chartreuse de
Squilliac ou de la Torre, dans la Ca-
labre, XI, 14.
Lambert, moine de Saint-Laurent de
Liège, XII, 529.
I.AMBKitT, moine de Saint Mathias de
Trêves, XII, 532.
Lambert de Liège, traducteur, XIII,
114.
Lambert-le-Bkcue , instituteur dés Bé-
guines, XIV, 402.
Lambert Waterlos , chanoine de Saint-
Aubert à Cambrai, XIV, 596.
Lambert , surnommé le Petit , moine de
Saint- Jacques de Liège, XV, 85.
Lambert , religieux de Saint- Vast d'Ar-
ras, XV, 93.
Lambert li-cors ou Le court , poète
fi-ançais, XV, 1 19.
Laurent de Liège , moine de Saiut-
Vanne de Verdun, XII, 222.
Laurent , abbé de Saint - Vanne de
Verdun, XI, 704.
Léger , archevêque de Bourges , X ,
280.
Léon ou Léonius , abbé de Laubes ,
puis de Saint-Bcrtin, XIII, 317.
Léonius, prêtre de l'église de Paris,
poète latin, XIII, 434.
Letbert, abbé de Saint-Ruf, IX, 570.
LisiARD , évêque de Soissons, XI, 26.
Louis VI, dit le Gros, roi de France,
XI, 656.
Louis VII, dit le Jeune , roi de France,
XIV, 41.
Luc, abbé de Mont-Cornillon, XIV, 8.
LucEs DU Gast, poète anglo- normand,
XV, 494.
LuDOLPHE , prieur de Saint-André de
Bruges , X , 268.
M.
Macairf. , abbé de Fleury , XIII , 3 1 3.
N n n n 2
(>52
TABLE GENERALE
Mainakd , abbé de Pontigny , puis car-
dinal, XIV, /,i 8.
Makassé , archevêque de Reims , IX ,
297-
Manegolde , prévôt de Morbach, IX,
280.
Marbode, évêque de Rennes, X, 39a.
Marsilie, abbcsse de Saint- Amand , à
Rouen, IX, 383.
Martin, moine de Mouliemeuf , X,
ao2.
Mathieu , cardinal , évêque d'Albano ,
XIII, 5i.
Mathieu d'Akcers , cardinal , XIV, 227.
Mathieu, abbé de Ninove, XV, i34.
Mathieu db Vendôme , poète latin , XV ,
420.
Maurice BE Sully, évêque de Pmla, xv,
Melchiade (saint), moine de Clairvaux ,
X, 268.
Melior ou Melchior, cardinal de l'é-
glise romaine , XV, 3i4-
Michel de Cohbeil , archevêque de
Sens, XV, 324-
MiLON , cardinal , évêque de Palestrine ,
X, 19.
MiLON CBisPiN , moine du Hec , XII ,
333.
MiioN I*"^ , évêque de Térouanne , et
son neveu Milon II, XIII, 286.
MoYSE Haddabschan , rabbin , XIII ,
io3.
N.
Nalcobe, moine de Cluni, XI, 167.
Nicolas, moine du Bec, IX, 294.
Nicolas , moine de Saint-Crespin de
Soissons, XI, 72g.
Nicolas , diacre de l'église de Liège,
XII, iSg.
Nicolas , prieur du Mont-aux-Malades
à Rouen, XIII, 393.
Nicolas de Clairvaux , secrétaire de
Saint-Bernard, XIII, 553.
Nicolas, sous-prieur de Saint-Victor,
XIV, 614.
NiGEi.LE , évêque d'Ély , au comté de
Cambrigc, XIII, 4o3.
NizoN , moine de Saint - Laurent de
Liège, XII, 53o.
Norbert (saint), fondateur de Prémon-
tré, et archevêque de Magdebourg,
XI , a/,3.
O.
Odeliri, prêtre à Orléans, IX, 275.
Odelric ou Ulric, ou Udelbic, abbé
de Saint-Michel en Lorraine, X, 6».
Odon , cardinal , évêque d'Ostic , IX ,
a5i.
Odon, évêque de Cambray, IX, 583.
Ooon , abbé de Saint-Reni de Reims ,
XII, 4o5.
Odon, abbé de Morimond, XII, Gio.
Odon de Deuil, abbé de Saint-Denis en^
France, XII, 614.
Odon, premier abbé de Sainte-Geneviève,
XIV , 348.
Oi>oN, abbc' de Saint-Père, près d'Au-
xerre , XIV , 349.
Ogier ou AtjoiK» , poète provençal ,
XIII, 419-
Oldkcaire (saint), évêque de Barcelonne
et archevêque de Tarragonne , XI ,
632.
Ordric Vital, moine de Saint- Evroul ,
XII, 190.
Otbert ou Obert, évêque de Liège, X,
V.58.
Othon, évêque deFrisingue, XIII, a68.
Pascal II, papc,X, 216.
Paten BoLOTis , chanoine de Chartres ,
XI, I.
PÉRÉGBiN, abbé de Fontaines-les- Blan-
ches, XV, 340.
Peyrols d'Auvergne, poêle provençal ,
XV, /,54.
Philippe I , roi de France, IX , 384.
Philippe de Tban , poète anglo- nor-
mand, XIII , 60.
Philippe de Navarre, jurisconsulte,
XIII, 94.
Philippe, abbé de l'Aumône, XIV, 166.
Philippe de Harveng, abbé de Bonne-
Espérance, XIV, 268.
Philippe d'Alsace, comte de Flandre el
de Vermandois , XV, i.
PiBON , moine de Saint-Mansuy de Toul ,
X, 26g.
Pi BON, évêque de Toiil, IX, 349.
Pierre, abbé de Saint-Savin, IX, 667.
Pierre, chanoine de Noyon, X, 4''''
Pierre - Guillaume , moine de Sa»"'-
Gilles, X, 2o4-
DES ÉCRIVAINS DU Xir SIÈCLE.
653
Pierre de Libranà , évéque de Sarra-
gosse , "XI, 12.
Pierre Abélabd, abbé de Ruys en Bre-
tagne, XII, 86.
PihRRK , chanoine régulier , prieur de
Saint- Jean de Sens, XII, t'io.
Pierre Bérenuer, disciple d'Abélard,
XII, 254.
Pikrre de Poitiers, religieux de Clu-
ni, XII , 34g.
Pierre , religieux de Saint-Pierre sur
Divc, XII, 36o.
Pierre Héi.ie , professeur à Paris, XII,
486, XIII, 3o3.
Pierre Lombard, évèque de Paris, XH,
585.
Pierre »t RoYB, moine de Clairvanx,
XII, 68G.
Pierre BÉcHm , .luloiir d'une chronique
de Tour», Xlll, J7*
Pierre de Ver50n, poète français, XIII,
ii5.
Pierre le VÉHÉ«iBi.E, abbé de Cluny,
XIII, 241.
Pierre de Beaccenct , poète français,
XIII, 3o5.
Pierre de RtiMONu , abbé de .Saint-
Mai\ent, XIII, 4o5.
Pierre le Peimtre , poète latin, XIII,
429.
PIERRE DE LA Chatre , archcvêquc de
Bourges, XIII, 447.
Pierre 1,o5ca-Testa, chanoine de Brid-
lington , poète français , XIII , 470.
Pierre, évêque de Rhodez , XIII", 571.
Pierre , évèque de Chàlons sur Saône ,
XIII, 579.
Pierre de Pise , doyen de Saint- Agnan
d'Orléans, XIII ,582.
Pierre de Barry , abbé de Saint-Martial
à Limoges , XIII , 5g2.
Pierre de Belmont, abbé de S. Chaffre,
XIII, 592.
Piebre-le-Mahgecr, chancelier de l'église
de Paris , XIV , 1 2.
Pierre, cardinal de S.-Chrysogone , élu
archevêque i.e Bourges , XIV , 23o.
Pierre de Celle , évèque de Chartres ,
XIV, 236.
Pierre II, évèque de Carpentras, XIV,
606.
Pierre Monocole, abbé de Clairvaux,
XIV, 620.
Pierre de la Verhègue, poète provençal,
XV, 25.
PiEEB»MiRMET,abbcd'Andernes,XV,48.
Pierre Berkakdi , prieui- de Grand-
mont, XV, 137.
Pierre, chantre de l'église de Parb,XV,
283.
Pierre de Blois , archidiacre de Bath ,
XV, 341.
Pierre de Blois , cl-.ancelier de l'église
de Chartres , XV , 4 1 5.
Pierre de Boticnac, poète provençal,
XV, 444.
Pierre ue Barjac, poète provençal, XV,
447-
Pierre Raimond , poète provençal , XV ,
457.
Pierre Rociers , poète provençal ou Li-
mousin, XV, 459.
Pierre Vidal, poète provençal, XV,
470.
Placi-ntin, jurisconsulte. XV, 27.
PoNce de Balmei (le B.), évêque de Bel-
lei, XI , 716.
Ponce , abbé de Clairvaux , évêque de
Clermont, XIV, O24.
Pows ou Ponce , abbé de Cluni, XI, 20.
Pons DE Capuuel , poète provençal, XV,
22.
Pons de la Garda, poète provençal , XV,
460.
Poppos, évêque de Metz, IX, 274.
R.
Baimbadd, doyen de l'église de Liège,
XII, 5i2.
Raimond, évêque de Maguelone, XIII,
^97-
Raimond de Mokteedon , archevêque
d'Arles, XIII, 236.
Raimond de Ddefort, poète provençal,
XV, 462.
Raimond Jordan , vicomte de Saint-An-
toni, poète provençal, XV, 464.
Rainalu, archevêque de Lyon, XI , 85.
Rainald, abbé de Citeaux, XII, 417.
Rainabd, prieur de Saint-Éloi de Paris,
XI, 719.
Ramrauu d'O&ange , poète provençal ,
XIII, 471.
Ranulfe ueGeanville, grand-justicier
d'Angleterre, XIV, 545k
Raoul Ardent, orateur, IX, 254.
Raoul ou Rodulfe , moine de la Chaise-
Uieu en Auvergne, IX, 296.
Raoul de Caen, historien de la croisade,
X,67.
654
TABLÉ GÉNÉRALE
Raool Tortaire, moine de Fleury ou
Saint-Benoît-sur-Loire, X, 85.
Raoul, archcv. de Cantorbery, X, 336.
Raoul le Verd, archevêque de Reims,
X, /|3o.
Raodl ou Radulphe , moine de Flaix, ou
saint-Germer, XII, 480.
Raoul, abbé de Pierremont, XI, 718.
Raoul I", abbé de Yaucellcs, XIII, laS.
Raoul ou Rodolphe II , abbé d'Agaune
ou Saint-Maurice en Valais, XIII, 569.
RiouL, châtelain de Coucy, poète fran-
çais, XIV, 579.
Raoul, évoque de Liège, XV, 16.
Raoul de Serres , doyen de l'église de
Reims, XV, 146.
RAUL(sire), historien, XIV, i.
RavmoND Dopu-ir, grand-matli-c de l*orilre
de saint-Jean de Jérusalem, XII, 58 1.
Raymond V , comte de Toulouse , XV, Sg.
Reclus (le) de Moliens ou Mollers,
poète français, XIV, 33.
Recinald , moine de Saint-Augustin de
Cantorbery, X, 33/|.
Reinieh, moine de Saint-Laurent à Liège,
XIV, 420.
Richard , cardinal , archevêque de Nar-
bonne, X, 3i6.
Richard, abbé de Préaux, XI, 169.
Richard de Leicestre, abbé de Saint-
Evroul, XI, 714.
Richard de Poitiers, moine de Cluni,
XII, 478.
Richard , cardinal , évéque d'Albano ,
XIII, 24.
Richard de Saint-Victor, XIII, (72.
Richard de Poitiers, moine de Cluni,
historien, XIII, 53o.
Richard, moine de Grandselve , XIII,
586.
Richard l'Éveque, archidiacre de Coù-
tance, XIV, 21 5.
Richard , archevêque de Cantorbery ,
XIV, 617.
Richard, roi d'Angleterre , XV, 32o.
RicHER, cvêque de Verdun , IX, 346.
Robert, évéque de Langres, IX, 5io.
RoBiiRT (S.), fondateur de MoIême,X, 1.
Robert d'Akbrissel, fondateur de l'ordre
de Fonte vraud, X, i53.
Robert, abbé-de Saint-Rcmi de Reims,
X, 323.
Robert , religieux de Cluni , X , 335.
Robert , archidiacre d'Arras , XII , 162.
Robert be Mblun, évéque d'Hércfort,
XIII, 371.
Robert , abbé de Wasor , XIII , 5 1 5.
Robert Wace ou Huistace , chanoine
de Bayeux, poète franc. , XIII, 5 18.
Robert Clément, ministre d'état, XIV,
217.
Robert de Toricny , abbé du mont Saint-
Michel, XIV, 362.
Robert Paululus , clerc ou chanoine
d'Amiens, XIV, 556.
Robert , moine de Fécamp , XIV , 606.
Robert de Borron, poète anglo- nor-
mand, XV, 494-
Rodolphe, abbé de Cluni, XIV, 4-
Rodulfe, abbé de Saint-Tron, XI, 675.
Rodulfe , moine du Saint-Sépulcre, à
Cambrai, XI, 686.
K0DV1.FEDK Bruges, mathématicien, XII,
356.
Roger, évêqnc .roioron , IX, 567.
Roger du Sap , abbé de Saint-ETroul et
Odon, son frère, XI, 3o.
Roger I" abbé d'Élan, XIII, 585.
Roger, septième abbé du Bec, XIV, 26.
Roger, abbé de Saint-Euverte, à Or-
léans, XIV, 228.
Roger -des- Moulin» , grand-maître de
l'ordre de Saint- Jean de Jérusalem ,
XIV, 38i.
Roger dc pont-l'Évèque , archevêque
d'Yorck, XIV, 616.
Roger , doyen de l'église de Rouen , X\t,
327.
RoGO Fretellus, archidiacre d'Antioche,
X, 270.
Roland o'Avranches, cardinal, évêque
de Dol en Bretagne, XIV, 624.
RoscELiN, chanoine de Compicgne, IX,
358.
RoTROD , archevêque de Rouen , XlV ,
295.
RupERT, abbé de Tuy, XI, /^ll.
RusTiciEN DiPiSE, poète franc., XV, 494-
S.
Saii de Scola, poète provençal, XV, 466.
Sehère , premier abbé de Chaumoussei ,
XI, 70.
Serlon, abbé de Glocestrc, IX, 277.
Serlon , évéque de Sées , X , 34 1 .
.Sehlon, abbé de Savigni, XII, 52 1.
Serlon, chanoine de Bayeux, poète lat.,
XV, 1.
SicEBERT, moine de Gemblou, IX, 535.
Simon Chèvre-d'or , chanoine régulier
de Saint- Victor, XII, 487-
DES ÉCRIVAINS DU XII' SIECLE.
655
Simon , premier abbé de Saint-Bertin ,
XIII, 78.
Simon , prieur de la chartreuse du Mont-
Dieu, XIII, 577.
Simon de Poissy, prof, à Paris, XIV, 6.
Simon de Boulogne, traducteur de Solin,
XV, 5oo.
Suave, abbé de Saint-Séver, IX, 3i8.
SocEB , abbé de Saint-Denis en France ,
XII, 36i.
TuEODccK OU DiETGEK , évéque de Metz ,
X, 282.
Theofroy , abbé d'Epternac , IX , So"?.
Teui.ff, abbé de Saint-Crespin le grand,
XI , 689.
Trurkde, grammairien, XIIl, 3o/..
ThibadD o'ÉTAMPkS, profe«eur à Oxford,
XI , 90.
THfBiUu, moine de Bèze, XI, 120.
Thibaud II, abbé de Cormeri, XI, 7o3.
Thibaud, abbé de Cluni, puis cardinal,
évéque d'Ostie, XIV, 417.
Thibadd, comte de Blois , sénéchal de
France, XV, i4- '
Tbibaut de Vernon , poète français ,
XIII, 112.
Thibaut , abbé du Bec , puis archevêque
de Canlorbery, XIII, 309.
Tbierri, abbé de Saint-Tron, IX, 336.
TaiERRi m, abbé de Saint- Hubert ,
IX, 487.
Thierry, professeur à Paris, XIII, 376,
IX, 68.
Thierry d'Alsace , comte de Flandre ,
XIII, 396.
Thierry, évèque d'Amiens, XIII, 569.
Thierry, moine de l'abbaye de Berne,
XIII, 590.
Thomas II, archevêque d'Yorck, X, 32.
Thomas , seigneur de Couci , XI, 124.
Thomas, abbé de Morigni, XII, 218.
Thomas II , évéque de Viviers, XII , 442.
Thomas, moine de Froimont, XV, 264.
Thomas le Cistercien, ou de Perseignb,
ou DE Vaucelles, XV, 328.
Traimond ou Tr AsiMOND, moinc de Clair-
vaux, XIV, 395.
Truc Malec ou Malet, poète proven-
çal, XV, 462.
TuRSTAiN , archevêque d'Yorck , XI ,
72a.
u.
Ulger, évêque d'Angers, XII, 3oa.
Varwier, poète français, XIII, 470'
Vital, abbé ae Savigni , X, 332.
Vital DE Bi.ois, poète latin, XV, 428.
Vivien , religieux de Prémontré , XI ,
695.
w.
Warnier , religieux du monastère du
Christ, ou de Saiut-Sauveur de Can-
torbei-y , X, 26.
Wautier , poète latin, XII, 5i6.
Wazblin II , abbé de Saint-Laurent de
Liège, XII, 527.
WiBAUD, abbé de Stavelo et de Corbie
en Saxe, XII, SSo.
WicHAHo, chanoine de Lyon, XII, 444*
Y.
Yves, prieur de Cluni, IX, 5i3.
Yves, évêque de Chartres, X, loa.
z.
Zacbarie de Besançon , Prémontré, XII,
484.
Zérachias, juif lévite , XIII, loi.
ANONYMES.
TOME IX.
Auteur d'une chronique de l'abbaye de
Conques, IX, 293.
Auteur d'une histoire de l'abbaye d'An-
dagine ou Saint-Hubert en Ardenne,
333.
Auteur d'une histoire de la transla-
tion du corps de saint Lifard , etc. ,
334.
Auteur des actes ou gestes des évêques
de Toul, 388.
Auteurs de chroniques, 494, 49^.
Auteur de la vie de saint Gautier, pre-
656 TABLE GÉNÉRALE
4e Saint-Martin de Pon-
mier abbé
toise, 5 16.
Auteur d'une légende de saint Théodard
ou Audard, archevêque de Narbonne,
5i7 , 5i8.
Auteur d'une vie encore manuscrite de
saittt Saintin , premier cvêquc de Vei^
dun , Hiii, Hig.
Moine de Mannoutier, poète, commen-
tateur des psaumes, 52 1.
Moine de .Saint-Savin , auteur de la re-
lation de la découverte des reliques
de saint Martin , 568.
Auteur d'une chronique de Saint-Aubin
d'Angers, 569.
ANONYMES.
TOME X.
Auteur d'une Histoire abrégée de Pas-
chase Ratbert, a8.
Historien de la Fie de saint Odulphe ,
29.
Auteur d'un Fragment de Chistoire de
France, 3o.
Auteur d'une Relation de miracle, opéré
par l'intercession de saint Hermeland,
2o3.
Auteur d'un écrit intitulé : Lemovicenses
episcopi, usque ad annum 1118, aSi .
Auteur d'un écrit intitulé : Opus in duos
lihros dii'isum , quorum primus agit de
litteris , de voce , etc. ; secundus agit
de bibliothecd, de interpretibus , etc. ,
Auteur d« martyrologe dc saint Bénigne
de Dijon , 40/1.
Auteur de la vie de saint Gilbert, «v«()ue
de Meaux, 404.
Auteur de la vie de saint Ansaric ou An-
seric, évêque dc Soissons, 4o5.
Auteurs de trois sermons sur saint Mé-
dard , évéque de Noyon , 406.
Auteur de la Chronique d Étemac , 407.
Auteur de la Chronique d Aurillac , 408.
I Auteur de la Vie de sainte Colombe ,
I 409.
ANONYMES.
TOME XI.
Auteur de la découverte des. reliques de
saint Pierre et de saint Paul, 65.
Auteur d'une chronique de saint-Pierre
du Puy , 65.
Auteur de la vie de la vénérable Hilde-
burge, 125.
Auteur de la chronique des évèques de
Metz, 126.
Auteur d'une histoire abrégée des évè-
ques de Toul, 129.
Auteur d'une histoire du monastère de
saint Mansuy,àToul en Lorraine, i3o.
Anteur du Cartulaire du monastère de
Savigni, au diocèse de I.yon , i3i.
AuteÙT de la vie de Girard, moine de
Saint- Aubin d'Angers , 1 3 1 .
Auteur de l'histoire de la translation des
reliques dc saint Majean, i33.
Auteur de la vie de la B. Ide, comtesse
de Boulogne, i34.
Auteur» de la vie de saint Guidon ou
saint Wien , i35.
Auteur des seconds actes dc sainte Sala-
berge et de sainte Anstrude, mère et
fille, j36.
Auteur d'un chant lugubre sur la mort de
Charles le bon, comte de Flamlre, 1 37.
Auteur de l'iiisloire abrégée des cinq
premiers prieurs de la grande char-
treuse, 7o3.
Auteur d'un éloge en vers d'Antoine,
abbé de Sénone; 704.
DES ÉCRIVAINS DU XIP SIECLE.
657
ANONYMES
TOME XII.
Auteur delà chronique de Maillezais, 77.
Clianoine de Sainte Martis de Tours ,
auteur d'une chronique des rois de
France, 80.
Auteur de l'histoire de la translation et
des miracles de saint Urbain, pape et
martyr, 23a.
Auteur d'une histoire de la translation
des reliques de sainte Christine à Beu-
vry, 234.
Chanoinn régulier, qui, dans une lettre
insérée dans le rinquièni'* ••»•»•• de»
annales bénédictines, prend le» ini-
tiales S. H., 298.
Auteur d'"" «^«-'r't si"" 1" différens ordres
etprot'essions qui sont dans réglise,3oo.
Auteur d'une lettre apologétique des
chanoines réguliers, 3oi.
Moine du Bec, 'auteur de discours sur
les évangiles, et de divers traités thèo-
logiques, 335.
Auteur d'une chronique de l'abbaye
d'Afflighem, 407.
Auteur des actes de Dagobert III, 428.
Auteur de la vie de saint GudwaI, 43o.
Auteur de la vie de saint Bandrit, 43 1.
Auteur d'une histoire de la translation
des reliques de salut Antoine, li'ii.
Auteur de la vie de saint Carmeri , 43^.
Auteur d'une histoire de la translation
des reliques de sainte Honorine, A^'-
Auteur de la vie de saint Piat, 434.
Auteur d'une relation des miracles de
saint Aygulfe, 435.
Auteur d'une vie en vers de saint Gui-
lain, 4^3.
Auteur d'un traité contre les Juifs, 436-
Auteur d'une histoire du monastère de
Saint-Pierre d'Userche, 437.
Auteur de la vie du b. h. Bertrand , ab-
Ue ae tjrana-o«»c, A^y.
Auteur de la vie de saint Clément, évê-
que de Metz, 439-
Atiteur d'une histoire des miracles de
saint Erkenvald, 439.
Auteur de la vie de saint Arnoul, 44".
Auteur de la vie de saint Bertaut et saint
Amand, 44 1-
Auteur de la vie de saint Lietphard,
441.
Auteur de la vie de saint Gcraud , abbé
de la Sauve, 44^-
Moine de Saint-Mathias de Trêves , au-
teur d'une vie de saint Mathias, 53i.
Auteur de sermons, 544-
Auteur de la vie de saint Norbert, Bf^g.
ANONYMES.
TOME XIII.
Traducteur dé plusieurs ouvrages du
pape saint Grégoire , 6.
Traducteur des livres des rois et des ma-
chabées, i3.
Auteur d'une passion de J, C. en yers
40. ' '
Auteur des coutumes de la ville de Laon ,
47.
Auteur de la Loi de Verviui, 5o.
Auteur d'une élégie sur le mauvais suc-
cès de la croisade de Louis VU , 88.
Auteur des jugemens d'Olcron, 96.
Épitres farcies. — Quelques-unes citées,
108.
Auteur de la vie de saint Morand, 3o4.
Auteur de l'histoire des évêques et des
comtes d'Angoulême, 3o6.
Tome XF
Continuateur de l'histoire des abbés de
Laubes, 3i5.
Auteurs de généalogies des rois de France,
33i.
Auteur d'un traité contre les Juif», 367.
Auteur d'une vie de Charlemagne, 385.
Auteurs de quelques morceaux histori-
ques sur le X'ays des Albigeois, 387.
Auteur d'un écrit ayant pour titre : Dra-
co nonnannitus , 392.
Auteur d'une notice sur les commence-
mens du monastère de Saint-Mard»
4'4-
Auteur d'une instruction sur la ma^''-'''*
de lire la bible, 41 G.
Auteurs de chroniques c"^*^^''''^'*' '*
diocèse de Sens, 5 10.
0^00
658
TABLE GENERALE
X
Auteur de la vie de Roger, premier abbé
d'E)an, 585.
Aut. des act. de S. Antonin dePamiers, ScjB.
Auteur de la vie du bienheureux Ri-
chard, abl)é de Saint-Vanne, bg5.
Auteur des ntiraiiles et vie de saint Gré-
goire, 596»
Auteur des ries du bienheureux Amédée
et de son fils Amédée, évoque de Lau-
sanne , 597.
Auteur de deux relations de mitacles de
sainte Geneviève, 598.
Anteurdcla viedeGarniprdeMailly,abbé
de Saint-Étknne de Dijon , 598.
Amtenr de la vl« de ta bienheureuse An-
gel ine, 599.
Auteur d'une relation des miracles de
saint Agile uu ^vycui, 000.
Auteur d'uae relation d'un miracle au
tombeau du bienheureux Milon,évéq.
de Thérouanne, 601.
Auteur de deux relations sur les relique»
de saint Taurin , 60 1 .
Auteur d'une vie de saint Lambert ,
évéqne de Vence, 60a.
Auteur d'nite relation Aes miracles d«
saint-Claude, 6oi.
Auteur d'une relation de» miracles d«
saint Adalbert, diacre, 6o3.
Auteur d'une histoire de» miracle» de
sainte Rictrude, 6o.'|.
Auteur d'une circulaire , annonçant la
mort d'Yves II, abbé de S.-Denis,6o5.
Auteur d'un éloge de AValon , moioe de
Hautmont, 6o5.
Autou»' .l'i,n<- vie de «aini Goswin , abbé
<»A»chin, 6o5.
Auteurs de »v,™^., ^ théologie, 606.
ANONYMES.
TOME XIV.
Auteur d'une histoire de Pologne , 3.
Auteur du formulaire pour le sacre de
Philippe Auguste, 22.
Auteur de l'ouvrage intitulé : Àbbrevia-
tio gestoruin Vranciœ regurn , ab ori-
gine regni ad annum Il 37, l83.
Auteur d'une histoire abrégée des rois de
France, jusqu'en 11 52, 184.
Auteur d'une continuation de l'histoire
d'Aimoin, de Gestis Fra/icoruin , i85.
Auteur de l'histoire: Gesta Ludovicifll,
Francorum régis , 187.
Auteur d'une notice sur quelques évoques
de Périgueux, 2a5.
Auteur d'une notice de la fondation de
l'abbaye de Chancelade , 225.
Auteur d'un Epitome gcstorum quorum-
dam ecclesiœ Petragorciensis prcesu-
lum , 226.
Auteur d'un recueil de formule» épis-
tol aires, 377.
Auteurs des actes des ëvéques du Mans,
410.
Auteurs d'histoires et chroniques d'Au-
xerre, 41 3.
Auteur des Gesta Cameraaensium epis-
\oporum , 597.
AuHnrs d'un appendix à la chronique
de ^Itaudri , et de quelques autres
écrits fm^ifs à l'histoire du Cambre-
sis, 699. V
Auteur de l'hisVrc de la fondation du
prieuré de Sainte-Barbe, en Auge,
601.
Auteur de divers écrits relatifs à l'his-
toire de Prémontré, 6o5.
G. , abbé de Barbeau. Ses lettres, 6i5.
Auteur d'une vie de saint Désiré, arche-
vêque de Bourges, 627.
Auteur d'une vie de saint Bazin , 6a8.
Auteurs de deux légendes de saint Do-
mitien, évêque de Macstricht, 628.
Auteur d'une vie du bienheureux Ro-
land, abbé de Chéry, 628.
Auteur d'une 'vie de saint Fra«ib«ltle ou
Frambourg, 629.*
Auteur d'une vie de saint Beneiet, fon-
dateur du pont d'Avignon, 629.
Auteur d'une vie du bienheureux Ber-
trand, abbé de Grand-Selve, 63o.
Auteur d'une vie du bienheureux Ponce,
évéque de Belley, Cy'io.
Auteur d'une vie de saint Anthelme ou
Nanihelme, évéque de Belley, 63o.
Auteur d'une vie du bienheureux Pierre,
prieur de JuUy , 63i.
Auteur d'une vie de saint Arnould ,
évéque de Gap, 63a.
Auteur d'une relation de la translatixw
des reliques de saint Renobert, <)3a.
Auteur d'une vie de saint Fiacre, 633.
Auteur d'une relation des miracles d<
saint Bcrncrede , cardinal, abbé àt S.-
Crépin à Soissons, 637.
DES ÉCRIVAINS DU Xll* SIÈCLE.
659
ANONYMES.
TOME XV.
Auteurs de généalogies des comtes de
Flandre, 19.
Autours de chroniques de liège, 88.
Auteur d'une histoire des miracles de
sainte Rictrude, 89.
Auteur d'une vie de Hugues, abbé de
Marchiennes, 9c.
Compilateur d'un recueil A'Actes divers
relatifs ii l'église de Tours et de Dol ,
357,.
Aateur a-„„, ^j^ j^ saXvA Arnaud,, évé-
qne de Rhoai», ^,,. ,
A.uteur d'une histoire en vers franc-"* "f
la Sortie d'Ègyp" > "" ^e la déli-
vrance Ju peuple d'Israël, et d'une
explication allégorique et morale du
cantique des cantiques , 479.
Auteur d'une traduction des légendes
des apôtres, de l'histoire de l'iiiven-
tion de la vraie croix, des vies de saint
Cosme, de saint Damien et de saint Ju-
lien , 4^3.
Auteur des vies des saints Barlaam et
Josapliat, 484-
Auteurs de chroniques d'Anjou , 587.
Auteurs de chroniques de Picardie , 590.
Auteurs de chroniques de Bourgogne ,
595.
Auteurs de chroniques de Reims et du
pays rémois, SyS.
Auteurs de chroniques de Lorraine et
J«r» trois cv<^cll<^s , 601.
Historiens ou chroniqueurs du Berri ,
604.
Auteurs de morceaux historiques, con-
cernant la Provence, le Languedoc et
la Marche d'Espagne, 606.
Auteur d'une vie de saint Hugues, abbé
de Bonnevaux, 618.
Auteur d'une vie de saint Alben de Lou-
vain , évéque de Liège et cardinal ,
6i8..
Auteur d'une vie de sainte Alêne, vierge
et martyre, 620.
Auteur d'une vie et translation de saint
Ausfremoine, 620.
Auteur d'une légende de sainte Vérone ,
621.
Auteur de deux légendes de saint Chrf-
sole ouChryseuil, 622.
Auteur d'une vie de sahit Gtddon ,
confesseur, 622.
Aateur d'une rie de saint Manviea ,
(iWfjwcœui) évéque de Baycux., 623.
Auteur d'uue vie de sainte Rolande,
623.
Auteur d'une vie de saint Flrmin , le
confesseur, Saî.
Auteur des actes de saint Clair, çyéque
Auteur des actes ae saint ITiIairc d„
Maine, 624.
Auteur d'une légende de saint Ccrat,
évéque d'Auch, 624.
Auteur d'une légende de saint Léger,
ju-ètre du diocèse de Châlons^sur-Ma*-
ne, 624.
Auteur d'une vie de saint Btler ( liKihc-
rins') , 6î4-
Auteur d'une vie de saint Mégècc, évé-
que de Besançon, 625.
Auteur d'un traité sur la profession des
moines, 625.
Auteur d'un règlement monastique , 626.
Auteur de statuts du monastère de Froid-
mont, 626.
Auteur d'une lettre à H. de Villiers,
626.
Auteur d'un rituel intitulé : Spéculum
ecclesiœ , 626.
Auteurs de plusieurs écrits sur des mi-
racles , de traités et de sermons con-
servés dans les bibliothèques de la
Belgique, dont une partie existe dans
la collection des Bollandistes, et dont
les autres ne sont connus que par les
titres, 626.
Auteur d'iirie'vie de saint Magnobode ou
Mainbœuf, 627.
Auteur d'une vie de sainte Lutrude ,
627.
Auteur d'une rel»tion des miracles opé-
rés par l'intercession de saint Georges .
à Roye en Picardie, 628.
ym DE LA TABLE GÉNÉBALE DES ÉCRIVAINS DU XII* Sl»^''*-
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ERRATA.
i AGE aa, li^<e 3o, Bernard d'Audun, /ùezd'Anduse.
P. 28, 1. 3^, avant la fin du VIII" siècle, lisez XII*.
P. 55, J. 10, La Ferté-sur Scosne, lisez sur Grosne.
P. 73, note, 1. I , Bangeseiam, lisez Baugeseium. ,
P- loi , 1. 1 1 , dispositien , lisez disposition.
P. \ïo,\. \ , Et de Paris refit{\) ses sermons appelez. Feu M. Ginguené, sur l'au-
• torité de M. de la Monnaye, a préféré cette leçon à l'ancienne, qui nous parait
préférable, et offre un meilleur sens, en mettant sernoms ou sumoins à la place
de sermons: Et de Paris refit ses sernoms appelez; car, dans (■'•* — J'"'!»
'^iKumnrf r\i^ H— "'-~ ■■■■- 1" -"■«""i 1 — ji -x^f... _ ....T«nmé de Paris.
P. i33 , à la marge, effacez Beyel.
P. i35 , à la marge , Hugo Annal, du Pen. , lisez de Prémontré.
P. i56 , 1. a , Bernard , évéque de Noyon , lisez de Nevers.
Même page, 1. 22, prédictions, lisez prédications.
P. 270, 1. dernière, Vogcr de Hoveden, lisez Roger de Hoveden.
p. 449, 1. 8, Bernard d'Andrun, lUez Bernard d'Anduze.
Aux tables , p. 647 , col. 1,1.5, ajoutez Cokos , abbé de Salut-Yanne de Verdun ,
XIV, 36».
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DateDue
C38816
'.'.'i'.'i*i*i'i't'»*i*4*i*i'i*»'4'r«Hiw