Skip to main content

Full text of "Histoire littéraire de la France"

See other formats


3  9007    0318    7942    2 


""'^**^g^^B^ 


HIR  1'*    . 


HISTOIRE 

LITTÉRAIRE 

DE  LA  FRANCE. 


DE  L'IMPRIMERIE    DE  FIRMIN   DIDOT,  PERE  ET  FILS, 
IMPRIMEURS   DE  L'INSTITUT. 


HISTOIRE 

LITTÉRAIRE 

DE   LA   FRANCE. 


OUVRAGE 

COMMENCÉ    PAR    DES    RELIGIEUX    RÉNÉDICTINS 
DE    LA    CONGRÉGATION    DE    SAINT-MAUR, 

ET     COWTINOi 

Par  des  Membres  de  l'Académie  Royale  des  Inscriptions 

et  Belles -Lettres. 

TOME    XV. 

SUITE     DU     DOUZIÈME     SIECLE. 


A    PARIS, 


FIRMIN  DIDOT,  père  et  fils,  Imprimeurs-Libraires ,  rue  Jacob,  n°  24. 
*""**      TREUTTEL  et  WURTZ,  Libraires,  rue  de  Bourbon,  n°  175 

Et  dans  la  même  Maison  de  commerce, 
A  Strasbourg  ,  rue  des  Serruriers ,  n°  3o  ; 
A  Lo.'«sa£S ,  n°  3o  ,  Soho  Square. 


M.   DGCC.  XX. 


7. 


Xtl  SIECLE 


SERLON, 

CHANOINE  DE  BAYEUX, 
POÈTE   LATIN. 

Il  a  été  rendu  compte ,  dans  notre  Histoire  littéraire ,  des 

écrits  de  plusieurs  auteurs  nommés  Serlon  ,  qui  ont  vécu 

et  qui  sont  morts  dans  le  XH^  siècle.  Tels  sont  i°  Serlon,       Hisi.  Littér. 

abbé  de  Glocester  en  Angleterre ,  qui,  quoi  qu'en  dirent  les  '•  ^^'  P'  *''' 

bibliographes  anglais,  était  né  en  Normandie.  Il  fut  d'abord 

chanoine  d'Avranches,  puis  religieux  bénédictin  au  mont 

Saint-Michel  avant  de  passer  en  Angleterre,  où  il  fut  pourvu 

de  l'abbaye  de  Glocester,  et  mourut  l'an  i  io4.  Tous  ces  faits 

sont  consignés  dans  le  Monasticwii  Anglicanum ,  tome  P'', 

pages  I  lo  et  m. 

a"  Un  autre  Serlon,  qui  a  eu  son  article  dans  notre  histoire,      ilid.  t.  X, 
est  l'évêque  de  Seez  de  ce  nom,  qui  fut  d'abord  abbé  de  P- 34i- 
Saint-Evroult,  décédé  l'an  1122. 

3°  Plus  tard  il  est  parlé  d'un  troisième  Serlon,  qui  fut  abbé      ihid.  t.  xil, 
de  Savigni  en  Normandie,  et  mourut  à  Clairvaux  l'an  ii58,  P"  ^*'" 
après  avoir  réuni  la  congrégation  dont  il  était  le  chef  à 
l'ordre  de  Cîteaux. 

Au  commencement  du  même  siècle,  vivait  un  autre  Ser- 
lon, chanoine  de  Bayeux,  poète  latin  peu  connu,  dont  nous 
avons  découvert  trois  manuscrits  contenant  un  très -grand 
nombre  de  pièces  de  sa  composition.  Le  premier  de  ces 
manuscrits  est  conservé  à  Londres  parmi  les  manuscrits  du 
chevalier  Cotton  (  Vitcllius  A.  XII)  faisant  partie  du  musée 
britannique.  Le  second  appartient  à  la  bibliothèque  royale  ^ 

de  Paris,  sous  le  n»  8718.  Le  troisième  se  trouve  à  Rome  au 
Vatican ,  parmi  les  manuscrits  de  la  reine  Christine  de 
Suède,  sous  le  n°  344 ^  oWra.  iSgg;  et  ces  trois  manuscrits, 
à  quelques  exceptions  près,  contiennent  des  pièces  toutes 
différentes. 

Les  premiers  auteurs  de  notre  Histoire  littéraire ,  n'étant 
pas  à  portée  de  consulter  ces  manuscrits ,  n'ont  rien  dit  du 
poète  Serlon.  C'est  pour  réparer  cette  omission  que  nous 

Tome  XV.  a 


XII  SIECLE. 


ij  SERLON,  POÈTE  LATIN. 

plaçons  ici  à  la  tête  du  volume  qui  complète  l'Histoire  lit- 
téraire du  XII''  siècle  ,  et  comme  nors-d'œuvre ,  son  article, 
qui  aurait  dû  trouver  sa  place  au  commencement  du  même 
siècle. 

Serlon  était  chanoine  de  Bayeux;  c'est  ce  qui  résulte  de 
toute  la  contexture  du  poëme  dans  lequel  il  fait  la  descrip- 
tion du  siège  de  cette  ville  par  Henri  l",  roi  d'Angleterre, 
lorsqu'il  fit,  l'an  no6,  la  conquête  de  la  Normandie  sur  le 
duc  Robert,  son  frère.  A  la  tête  d'une  autre  de  ses  poésies, 
il  est  surnommé  Parisiacensis.  Que  faut- il  entendre  par  ce 
surnom .î'  Etait-ce  son  nom  de  famille,  comme  celui  de  Ma- 
thieu Paris  .'^  ou  bien  était-il  né  à  Paris  ou  dans  le  Parisis  7 
Ce  dernier  sentiment  nous  paraît  assez  probable.  Nous  sa- 
vons d'ailleurs  que  Odon,  évêque  de  Bayeux,  frère  utérin  de 
Guillaume-le-Conquérant,  preiat  fort  remuant,  aimant  l'os- 
tentation et  tout  ce  qui  pouvait  favoriser  son  ambition , 
auquel  notre  auteur  adresse  une  de  ses  pièces,  avait  attiré  dans 
son  diocèse  des  gens  de  lettres  de  tous  les  pays.  C'est  tout 
ce  que  nous  savons  sur  sa  personne.  Nous  allons  nous  oc- 
cuper de  ses  écrits  par  l'analyse  de  ces  trois  manuscrits. 

Analyse  du  manuscrit  de  Ix>ndres. 

Ce  manuscrit  nous  a  e'té  indiqué  d'abord  par  M.  l'abbé 
Larue ,  correspondant  de  l'académie  des  Inscriptions  et 
Belles- Lettres  ;  et  nous  en  avons  reçu  des  extraits  par 
M.  l'abbé  Bétencourt ,  associé  libre  de  la  même  académie , 
et  par  M.  Henri  Pétrie,  garde  des  manuscrits  de  la  tour  de 
Londres. Voici  ce  qu'il  contient: 

1".  Le  plus  considérable  de  ces  poëmes  est  celui  qui  a 
jîour  titi'e  :  Versus  Serlonis  de  capta  Bajocensium  civitate. 
C'est  une  pièce  de  trois  cent  quarante  vers  léonins,  hexa- 
mètres, dont  la  fin  rime  toujours  avec  l'hémistiche.  Dans 
ce  poëme,  commençant  par  ces  mots ,  Corde  fero  tristi,  quod 
capta  fuisti,  urbs  Bajocensis ,  l'auteur  se  plaint  amèrement 
du  peu  de  résistance  que  la  garnison  avait  opposée  au  vain- 
queur, et  accuse  aussi  les  habitans  de  lâcheté  pour  ne  s'être 
pas  défendus  eux-mêmes.  Entrant  dans  un  plus  grand  détail , 
il  fait  la  description  des  accidcns  déplorables  qui  accompa- 
gnent un  siège,  de  l'incendie  de  la  ville,  et  des  pertes  que 
lui-même  avait  éprouvées,  réduit  à  n'avoir  plus  ni  gîte  ni 
vêtemens,  manquant  des  choses  les  plus  nécessaires  à  la 


XII  SIECLE. 


SERLON,  POÈTE  LATIN.  iij 

vie  :  d'où  il  prend  occasion  de  taxer  d'insensibilité  les  gens 
du  pays,  et  de  censurer  avec  esprit  les  mœurs  publiques. 

Ce  poëme  aurait  dû  trouver  place  dans  la  nouvelle  col- 
lection des  historiens  de  France;  mais  il  est  arrivé  trop  tard 
pour  être  inséré  dans  celle  qui  lui  convenait.  Pour  n'en  pas 
priver  le  public,  nous  l'avons  fait  imprimer  dans  le  tome  XI 
des  notices  et  extraits  des  manuscrits  de  la  bibliothèque 
royale  et  autres  bibliothèques  particulières  ;  collection  dont 
la  continuation  est  confiée  à  1  académie  des  Inscriptions  et 
Belles-Lettres.  Le  manuscrit  du  chevalier  Cotton  a  été  un 
peu  endommagé  par  le  feu  dans  la  partie  supérieure,  lors 
de  l'incendie  de  cette  riche  bibliothèque  l'an  1737. 

a**  On  trouve  dans  le  même  manuscrit,  Versus  Seiionis 
Parisiacensis  ad  muriel  sanctimonialem.  C'est  un  poëme  de 
deux  cent  soixante-seize  vers  hexamètres,  cadences  comme 
les  précédens.  Ces  vers  sont  adressés  à  une  sœur  utérine 
de  Guillaume -le -Conquérant,  appelée  Muriel,  peu  connue 
dans  l'histoire  sous  ce  nom.  Guillaume  de  Jumiége,  ou  plu-  i-ib.  viii, 
tôt  son  continuateur,  qui  lui  donne  pour  premier  mari  le  "^'  '' 
xnalheureux  Waldef,  comte  de  Huntington ,  condamné  à 
mort  par  le  roi ,  son  beau-1'rère ,  et  pour  second  mari  Eudes  ^*"'-  ^^P-  '• 
de  Champagne,  comte  d'Auttiale,  ne  la  nomme  pas.  L'au- 
teur de  l'Art  de  vérifier  les  dates,  la  nomme  Adélaïde,  on 
ne  sait  sur  quel  fondement.  Quoi  qu'il  en  soit ,  Muriel ,  étant 
devenue  veuve,  se  fit  religieuse  vraisemblablement  à  l'ab- 
baye de  la  Trinité  de  Caen,  nouvellement  fondée  par  le 
roi  son  frère  et  la  reine  Mathilde.  Ce  poëme  est  tout  moral , 
et  roule  sur  l'excellence  de  la  vie  religieuse,  don  on  relève 
les  avantages  au-dessus  des  jouissances  du  siècle.  Il  com- 
mence par  ces  mots  :  Dum  nostrum  poscis  carmen ,  quod 
inutile  nosti. 

3"  La  troisième  pièce  a  pour  titre  :  De  Reee  JVillelmo. 
Elle  a  été  composée  pour  féliciter  le  duc  Guillaume  sur  la 
conquête  de  l'Angleterre.  Comme  elle  n'est  pas  longue,  et 
qu'elle  ne  manque  pas  d'élégance,  nous  la  transcrirons  ici. 

Plus  tibifama  dédit ,  quàn  posset  musa  Maronis, 

Nec  tamen  ad  meritum pervertit  usque  tuum. 
Si  bene  proscquitur  qui  de  te  singula  quœrit , 

Viribus ,  ingénia ,  Cœsare  major  cris. 
Hune  opibus  largis ,  hune  milite  Roma  juvabat , 

Roma  potens  opibus,  ^uœ  caput  orbis  erat; 


XII  SIECLE. 


iv  SERLON,  POÈTE  LATIN. 

At  virtus  aniini ,  non  ampla  potentia  rerum , 

Tevocat  in  regnum,  tefacit  esse  Ducent. 
Clinique  tibilate  cedat  geminata  potestas , 

Et  varias  gentes  arguât  una  manus, 
Utiliter  leges  et  publica  jura  tueris , 

JustUiamque  frequens  cumpietate  colis. 
His  gradibus  faciles  aditus  ad  summa  parasti , 

Hoc  opus,  lioc  studium,  sceptra  dedere  tibi. 
Ergo  consul  eris  et  rex ,  et  magnus  ut  roque, 

Serviet  imperiis  utraque  terra  tuis. 
Tu  mare,  tu  terras,  tu  littus  utrumque  coerces 

Viribus ,  et  médias  pax  tua  signât  aquas. 
AEmulapars  taceat;  Cœsar  redit  ^  hoste  subacto  ; 

Ampla  trophœa  refert  Cœsar  ab  hoste  suo. 
Festaqiie  nunc  tandem  lœto  sonet  Anglia  plausu. 

4**  Dans  la  quatrième  pièce,  qui  a  pour  titre  De  Regind 
Mathilde,  le  poète  célèbre  le  mariage  de  Mathilde,  fille  de 
Malcolm,  roi  d'Ecosse,  avec  Henri  F"",  roi  d'Angleterre.  C'est 
un  ëpithalame  dans  lequel  le  poète  n'épargne  pas  les  hyper- 
boles. Nous  n'en  citerons  que  les  premiers  vers  : 

Septem  majores  numeramus  in  œlhere  stellas , 

Siderei  numerus  ordinis  i/npar  erit  j 
Addimus  octavam ,  nec  partes  inferiores 

Hœc  tenet;  in  summo  prœminet  orbe  poli,  etc. 

5°  Guillaume-le-Conque'rant,  qui  avait  comble  de  biens 
et  d'honneurs  son  frère  Odon ,  ëvêque  de  Bayeux ,  à  qui  il 
avait  donné  le  comté  de  Kaiit  et  confié  une  grande  portion 
de  son  autorité  dans  le  royaume,  mécontent  de  lui,  le  fit 
mettre  en  prison,  et  ne  consentit  à  le  relâcher  que  quatre 
ans  après,  au  moment  qu'il  allait  expirer.  C'est  cet  événe- 
ment que  le  poète  célèbre  dans  une  pièce  de  vers  ad  Odo- 
nem  Bajocensem  ,  dans  laquelle  il  fait  du  prélat  un  éloge 
pompeux,  tandis  que  sa  conduite  est  assez  généralement  dé- 
criée chez  les  auteurs  contemporains.  Voici  cette ^ièce  : 

Sidereos  cives,  nunc  et per  omnia  dives, 

Post  vitœ  metas ,  prœsul  honeste ,  pctas  ! 
Sohere  colla  venis ,  gracibus  depressa  catenis , 

Paslor,  et  exlegi  demcre  vincla  g  régi. 
Genspia  cumjlerét ,  quia  sol  sub  nube  lateret , 


SERLON,  POÈTE  LATIN.  y 

Ât  tujocundo  sua  reddens  lumina  mundo , 

Mœroris  nubes  omnis  abesse  jubés, 
Solnovus  illuxity  vêtus  horror  ab  aerejluxit; 

Nox  nigra  discedit ,  luxque  sereria  redit. 
Nostra  redit  virtus ,  raptor  jam  sœviat  hirtus , 

Quantum  vult  acer^  nil  timet  ordo  sacer. 
Hoc  genus  morbi  nostro  Deus  abstidit  orbi, 

Postquam  lux  celebris  prodiit  a  tenebris. 
Transiit  aura  gravis,  gaudetjam  rémige  navis  , 

Ridet  ovans  mater ,  te  veniente ,  pater. 
Te  veniente,  pater  ,fugit  hostis  et  angélus  ater  , 

Cedunt  ista  duo  puisa  vigore  tua. 
Te  sentit  postem  Dvmini  domus,  hostis  et  hostemj 

Hanc  pietatefovcns ,  hune  feritate  movens. 
Exsultent  montes,  silvœ  quoque ,Jlumina , fontes; 

Tanto  pastori  concinat  ordo  chori  l 
Vox  resonet  vatum ,  patrem  celebrando  beatum , 

Huncque  canens  mira  personet  arte  Ijra  ! 
Joseph  namque  modo  nobis  est  reddilus  Odo  , 

Joseph  dira  t ruais  clauserat  ira  Ducis  ; 
Postea  non  segni  tractans  ope  commoda  regni , 

Nunc  pensons  meritum  ,  reppulit  interituni. 
Tu  quoque,  gemma  patrum  ,  post  tempus  carceris  atrum 

Lux  patriœjies ,  ecclcsiœque  dies, 

6*».  Si  le  poète  Serlon  excellait  dans  la  louange ,  il  n'était 
pas  moins  véhément  dans  la  satire,  témoins  les  vers  acérés 
qu'il  lança  contre  l'abbé  de  Saint-Etienne  de  Caen ,  nommé 
Gislebert,  dont  le  titre  est  Invectio  ejusdem  Serlonis  in  GiS' 
lebertum  abbatem  Cadomi,  commençant  par  ces  mots ,  Se- 
cretis  mensis.  L'auteur  le  représente  comme  un  vrai  Sarda- 
napale,  adonné  à  tous  les  plaisirs  des  sens,  sur- tout  à  la 
bonne  chère,  tandis  qu'il  laissait  mourir  de  faim  ses  reli- 
gieux. L'invective  est  si  peu  mesurée,  qu'une  main  officieuse 
a  tracé  sur  chaque  vers  une  large  tranche  de  rouge  fort 
épais,  et  même  raturé  plusieurs  mots;  ce  qui  n'empêche  pas 
qu'on  ne  puisse^lire  encore,  en  tout  ou  en  partie,  presque 
tous  les  vers. 

7°  Dans  le  même  manuscrit,  qui  contient  aussi  des  pièces 
de  vers  d'Hildebert  et  de  Marbode,  on  trouve  deux  autres 
morceaux  ayant  pour  titre,  l'un  u4d  amicum   absentem , 


XII  SIECLE. 


yn  SIECLE. 


vj  SERLON,  POÈTE  LATIN. 

l'autre  Ad  mordacem  Cyneduni ,  qu'on  peut  attribuer  à 
Serlon.  Mais  nous  n'en  connaissons  que  le  titre. 

Analyse  du  manuscrit  de  la  bibliothèque  royale. 

Le  manuscrit  SyiS  de  la  bibliothèque  royale  de  Paris  con- 
tient aussi  plusieurs  pièces  de  notre  versificateur,  autres  que 
celles  que  nous  venons  d'indiquer  sous  ce  titre  presque 
effacé  :  Incipiunt  versus  magistri  Serlonis  de  diversis  modis 
'versificandi ,  utiles  'valde  cuique  versificatori. 

C'est  une  espèce  de  poétique  à  l'usage  des  versificateurs 
latins  du  XP  siècle ,  laquelle  consiste  moins  en  préceptes 
qu'en  exemples* ou  modèles.  C'est  pour  cela  que  toutes  ces 
pièces,  quoique  la  plupart  historiques,  n'ont  ni  titre  ni  sus- 
cription  ;  il  ne  paraît  pas  même  qu'on  ait  voulu  leur  en  don- 
ner après  coup  ;  car  il  n'existe  pas,  entre  les  différentes 
Fièces ,  le  moindre  espace  pour  les  recevoir  de  la  main  de 
enlumineur.  Ces  pièces  sont  au  nombre  de  seize.  Nous  tâ- 
cherons d'en  donner  une  idée  le  plus  brièvement  possible. 

1°  La  première,  composée  de  seize  vers  élégiaques,  est 
adressée  a  un  prélat  qui  n'est  pas  nommé.  Elle  commence 
ainsi  : 

Clerus  ,/ama ,  valor ,  te  magnum ,  magnifie andum  ^ 
Dignum,  testatur,  nuntiat ,  essefacit. 

ces  vers  ne  sont  rimes  ni  au  milieu  ni  à  la  fin ,  comme  la 
plupart  des  autres  du  recueil,  qu'on  appelle  léonins.  L'agré- 
ment qu'on  y  trouvait  consiste  dans  une  espèce  de  corres- 
pondance dans  l'arrangement  des  mots  du  premier  et  du 
second  vers.  Ainsi,  dans  cet  exemple,  pour  saisir  la  pensée 
de  l'auteur,  il  faut,  pour  ainsi  dire,  faire  l'anatomie  des 
mots,  et  lire  :  Clerus  testatur  te  magnum  ,  fama  nuntiat 
magnificandum ,  valor esse  facit  dignum.  lien  est  de  même 
des  autres  distiques. 

2°  La  deuxième  pièce  est  l'éloge  ou  l'épitaphe  d'un  abbé 
nommé  Robert,  en  yingt-six  vers  élégiaques  non  rimes.  Ils 
peuvent  servir  de  modèle  de  l'abus  des  antithèses  et  des  jeux 
de  mots.  Nous  n'en  citerons  que  ces  deux  vers  : 

Pax  intus,  tutelaforis  :  pater  lue,  ibi  quœstor; 
Plus  plus,  imo férus  ;  plus  férus.)  iino  piuf. 


SERLON,  POETE   LATIN.  vij 

3"  La  troisi^e  pièce,  de  dix  vers,  a  cela  de  particulier, 
que  tous  les  mots  de  chaque  vers  commencent  par  la  même 
lettre.  Ils  sont  hexamètres ,  et  rime's  au  milieu  et  à  la  fin.  Eu 
Yoici  un  échantillon  : 

Pulcher pube  Paris,  Pyrrhus probitate probaris , 
Actibus  Alcides ,  armis  animosus  Atrides. 

4°  La  quatrième,  en  dix  vers  éle'giaques,  rime's  au  milieu 
et  à  la  fin,  est  adressée  à  un  ami  qu'on  ne  nomme  pas, 
homme  de  plaisir  et  de  boime  chère ,  dont  on  regrette  l'ab- 
sence. L'auteur  a  mis  son  nom  Paiisius  à  la  tête, parce  qu'il 
fait  partie  du  vers. 

Paiisius  Paridi.  Félix  tua  secula  vidi, 
Infelix  careo  nunc  Ganymede  meo. 

5°  La  cinquième  est  un  chant  funèbre  de  vingt-huit  vers 
éiégiaques,  rimes  comme  les  précédens,  à  la  louange  d'un 
comte  nommé  Simon.  Tout  nous  porte  à  croire  que  ce  comte 
n'est  autre  que  Simon,  comte  de  Crépi  en  Valois,  tant  cé- 
lébré dans  le  XP  siècle,  dont  le  nom  figure  même  dans  le 
catalogue  des  saints.  Nous  n'en  citerons  que  ces  deux  vers 
du  milieu  : 

Flos  Comitum,  superis  par  nobUitate  ,  severis 
Justitiâ,  teneris  puce,  mucronejeris. 

6**  La  sixième  fournit  un  exemple  de  vers  hexamètres, 
rimes  trois  fois,  au  commencement,  au  milieu  et  à  la  fin, 
liés  deux  à  deux  avec  les  mêmes  rimes  dans  la  forme  sui- 
vante : 

•  Voce  brevi,  sermone  Uvi,  tibi paucuîa  s.  .  .  . 


XII  SIECLE. 


.     Çui  neque  W,  nec  jure  brevi,  sed  amore  qui.  .  . . 

n^  La  septième ,  de  huit  vers  hexamètres ,  rimes  au  milieu 
et  a  la  fin ,  paraît  être  adressée  à  un  souverain  pontife  pour 
demander  sa  protection  contre  des  détracteurs. 

Roma  ,  caput  superûm  tibi  dixit ,  pondéra  rerum , 
Officium  mundi ,  ducis  accipe  jura  secundi. 

8"  La  huitième,  en  douze  vers  hexamètres,  rimes  comme 
dans  la  précédente ,  paraît  être  l'épitaphe  du  comte  Simon 
de  Crêpi ,  dont  il  est  parlé  plus  haut. 


XII  SIECLE. 


viij  SERLON,  POETE  LATIN. 

Hères  primatum,  comitu/n  Jlos ,  vas  probitatum , 
Quo  ruât  clatus ,  Simon  docet  hic  tumulatus  ; 
Illiiis  eclipsis  dolor  est  virtutibus  ipsis, 

9°  La  neuvième  est  1  epitaphe  d'un  abbe'  qui  n'est  pas 
nommé,  consistant  en  vingt  vers  élégiaques,  dont  les  rimes 
se  correspondent  au  milieu  et  à  la  fin  de  chaque  distique , 
dans  cette  forme  : 


Fine  patris  veri  flnem  rnihi  constat  hab . 
Lumina  lœta  teri ,  semina  mœsta  s. . 


en 


lo"  Dans  la  dixième,  en  dix-huit  vers  hexamètres,  rime'» 
au  miUeu  et  à  la  tin,  l'auteur  re'pond  à  une  consultation 
au  sujet  d'un  cadet  de  famille,  dont  l'aînè  refusait  de  par- 
tager avec  lui  la  modique  fortune  du  père.  Son  avis  est  qu'il 
fera  bien  de  se  livrer  a  l'étude  des  arts. 

Patribus  orbatuni  régit  artis  semita  natum , 
Artibus  imbutum  reddunt  sua  dogmata  tutum. 

1 1°  La  onzième  est  une  épître  en  dix-huit  vers  élégiaques 
à  un  poète  nommé  Pierre.  Ces  vers  sont  non  -  seulement 
rimes,  mais  presque  toujours  le  même  mot,  pris  en  diffé- 
rens  sens,  forme  la  rime  au  milieu  et  à  la  fan. 

Exue ,  musa ,  metum ,  Pétri  visura  rosetum  ; 

Huic  mea  vota  nota ,  quem,  notât  ampla  nota. 
Fer,  rogo,  versifico  versus.,  etfœdus  amico: 

Kersus  non  cornes  non  légat  ille  cornes  • 
Non  comes ,  irnb  nitens ,  ad  laudis  culmina  nitens. 

12°  La  douzième  est  encore  une  épître  à  Roger  de  Caen, 
moine  du, Bec,  mort  l'an  1090,  célèbre  versificateur  de  son 
temps,  qui  a  eu  son  article  dans  notre  histoire  littéraire, 
tome  VIlI ,  page  4^0 ,  avec  lequel  Serlon  désire  lier  connais- 
sance. Cette  pièce ,  de  vingt-deux  vers ,  partie  hexamètres, 
partie  élégiaques ,  n'est  pas  rimée.  C'est  une  des  meilleures 
du  recueil,  qui  mérite  d'être  connue. 

Serlo  Rogerio.  Tu  par,  vel  nullus ,  Homero ; 
Tu ,  vel  nenio ,  Paris  animo  sapis ,  ore  probaris. 
De  veterum  numéro  quotiens  similcm  tibi  quœro , 
Quemque  licet  memorem,  notât  in  te  quisque  priorem. 
Quod  laudis  meritum ,  quœ  famœ  causa  tuœque , 
Quœ  vitœ  virtus ,  musa  sonare  sitit. 


SERLON,  POÈTE  LATIN.  ix 

jfctus^  sermo,  manus  ^  populum  populiqae  favorem  ^ 

Atque  favoris  opus  ,  aîlicit ,  auget ,  liabet. 
Fama  tui  prœco ,  sed  laus  prceconis  alumna 

Hoc  sitit ,  illa  magis  pullulât  atque  viget. 
Pacificits  nequam  sat  amicum ,  satque  lebellem 

Sentit,  conqueritur  te  sibi  mente,  manu. 
Quod  sibi  successor  dignus  dignaris  baberi , 

Grates  multiplicant  Plato ,  Maro ,  Cicero. 
Finetn  sortitijam ,  te  régnante ,  resurgunt , 

Te  suus ,  hosque  tuus  ,  ducunt  adesse  valor. 
Quid  geminat  genius  de  te  mihi,  collige;  miror 

Uni  tôt  dotes  inseruisse  vira. 
Ista  tibi  scribo  tuus ,  ut  meus.  Ergo  verende, 

Quœso  -verba  velis  hœc  mea  respicere. 
Verba  notant  nostri  tibi  dent.,  nota  fœderis  usum. 

Musa  vicem  domini  suppléât.  Ergo  vale. 

i3°  La  treizième  est  adressée  à  un  roi  qui  n'est  pas  nommé. 
C'était  vraisemblablement  un  roi  d'Angleterre,  nouvellement 
monté  sur  le  trône ,  dont  l'auteur  fait  l'horoscope  par  la 
bouche  de  la  parque  Clotho.  Cela  peut  convenir  à  Guillaume- 
le-Roux,lorsqu'en  1095  il  acquit  fie  son  frère,  le  duc  Robert, 
la  Normandie  à  titre  d'engagement;  ou  à  Henri  I",  leur  frère, 
oui  s'empara,  l'an  1 100,  du  royaume  et  de  la  Normandie  en 
1  absence  du  duc  Robert.  Il  n'y  a  pas  d'apparence  que  l'au- 
teur ait  eu  en  vue  Louis-le-Gros ,  qui  ne  monta  sur  le  trône 
de  France  que  l'an  1 108,  et  ne  fut  jamais  maître  de  la  Nor- 
mandie, où  nous  avons  vu  que  Serlon  faisait  sa  résidence. 
Quoi  qu'il  en  soit,  l'auteur  ne  prodigue  au  roi  ses  louanges 
que  pour  en  venir  aux  plaintes  qu'il  forme  contre  les  chan- 
celiers des  églises  cathédrales ,  qui  ne  permettaient  d'ouvrir 
ou  de  tenir  des  écoles  que  moyennant  finance  ;  conduite 
qu'il  taxe  de  simonie,  d'après  les  anciens  canons.  La  pièce, 
composée  de  trente-six  vers  élégiaques,  rimes  au  milieu  et 
a  la  fin,  est  trop  longue  pour  être  insérée  ici  en  entier. 
Nous  n'en  donnerons  que  le  dispositif  de  la  plainte  : 

Rex  homo  plus  Iiomine ,  studii  succurre  ruitiœ; 

Rex  homo  plus  rege.,  Palladis  arma  rege. 
Hoc  celo  quod  in  his ,  Simon,  tua  régnât  Herinis  (f.  Erinnis), 

Nec  loquor  istud  ego;  do,  scholasquc  rego. 
Tractaniur  misère,  date  cogimur ,  atque  tacere: 
Tome  Xr.  b 


xn  STECLK. 


Xn  SIECLE. 


»  SERLON,  POETE  LATIN. 

Hoc  ego  lege  lego,  doque,  darique  aego. 
Ast  in  decretis  legitar  :  Quicumque  docetis , 

Verum  dicatis  ;  hoc  date ,  sitque  satis. 
Ergo  tibi  manda  ^  rex.  stutime,  palant,  quia  clam  do , 

Sed  décréta  vêtant  ;  hoc  peto  ne  qua  pétant. 
Simonis  hceredem  ,  Jovis  hœres ,  comprime  ne  deni  ; 

Me  rege ,  qui  régis  nomina  cuncta  régis. 

i4*>  La  quatorzième  pièce  est  adressée  à  un  nommé  Ro- 
bert ,  à  qui  l'auteur  fait  honneur  d'un  travail  sur  les  formules 
de  Marculfe  et  de  commentaires  sur  les  livres  de  Salomon  ^ 
mais  qu'il  persifle  et  tourne  en  ridicule ,  pour  s'être  avisé 
de  faire  des  vers  avec  le  style  de  Marculfe.  Voici  ce  qu'il 
en  dit  : 

Dum  spéculer  versnm ,  dum  carmen  tam  bene  versum , 

Illic  perversum  nihil  invenio,  nisi  versiun. 

Fas  tester  juris  ac  cœtera  numina  rurisy 

Spem  de  venturis  prœsentant  illa  lituris. 

Quod  ■i'ersu  quœris,  iiersu  placuisse  mereris, 

Sic  Maro  semper  eris ,  si  nunqiiam  versificeris. 


de 


Ce  Robert  pourrait  bien  être  le  moine  Roliert  de  l'abbaye 

Lyre ,  auteur  d'un  commentaire  sur  l'évangile  de  saint 

Jean,  dont  parle  D.  Rivet,  tome  VIII  de  l'Histoire  littéraire, 
page  352.  Ce  qui  nous  porterait  à  le  croire ,  c'est  qu'il  vi- 
vait au  Xr  siècle ,  et  en  Normandie ,  comme  Serlon ,  et  qu'il 
faisait  des  commentaires.  S'ils  n'étaient  pas  mieux  écrits 
que  ses  Vers,  il  n'est  pas  étonnant  qu'il  ne  reste  de  tous 
ses  ouvrages  que  son  commentaire  sur  saint  Jean,  que  D. 
Rivet  dit  n'avoir  pu  se  procurer,  mais  qui  existe  dans  la 
bibliothèque  royale,  n°  GgS.  Si  D.  Rivet,  qui  ne  dit  presque 
rien  de  l'auteur  du  commentaire  sur  l'évangile  de  saint  Jean, 
eût  connu  cette  pièce  de  Serlon  ,  il  aurait  pu  en  parler  plus 
pertinemment;  car  nous  ne  voyons  pas,  dans  le  XI*  siècle, 
d'autre  Robert  ,à  qui  l'épigramme  de  Serlon  puisse  être  ap- 
pliquée. ,  .     , 

1 5°  La  quinzième  pièce,  de  soixante  vers  hexamètres ,  rimes 
au  milieu  et  à  la  fin ,  serait  fort  curieuse ,  si  l'auteur  n'avait 
pas  jugé  à  propos  de  l'envelopper  de  nuages  et  de  réticences , 
pour  n'être  entendu  que  de  celui  à  qui  il  écrivait.  11  paraît 
qu'il   s'était   fait  des   affaires   avec   le  roi  d'Angleterre,  et 


SERLON,  POÈTE  LATIN.  x] 

qu'oblige  de  s'expatrier,  il  s'était  réfugié  dans  les  états  du 
duc  de  Savoie.  C'était  vraisemblablement  à  l'époque  oi^ 
son  patron,  l'évêque  de  Bayeux ,  Odon ,  encourut  la  dis- 
grâce de  Guillaume -le -Conquérant,  son  frère,  dans  la- 
quelle on  peut  supposer  que  notre  poète  fut  enveloppé. 
Quelqu'un  sans  doute  voulut  le  rappeler  dans  sa  patrie,  et 
à  cette  occasion  il  fait  la  description  du  lieu  qui  lui  servait 
de  retraite.  Ce  lieu  était  au  milieu  des  Alpes ,  dont  il  peint 
les  horreurs,  non  loin  de  l'endroit  où  Annibal  s'était  frayé 
un  chemin  pour  entrer  en  Italie  ;  mais  il  ne  veut  pas  le  nom- 
mer. Il  était  dans  une  vallée  agréable  et  fertile,  avec  un  port 
sur  la  mer. 

Est  in  valle  brevi  brevis  urbs,  sed  non  brevis  œvi, 
Huic  mare  cum  porta ,  cui  sol  objectas  ab  ortu  ; 
Huic  montes  mille,  non  mille,  sed  anus,  et  il  le 
Mille  nitens  castris,juga  mille  propinqua  dat  astris. 

Hac  iter  Hannibali,  regnoque  metum  Latiali, 
Riipe  dédit  fractâ  ,  ida  plana  per  invia  facto. 
Hic  ■vallis  latitat ,  qaam  plene  copia  ditat , 
Arva  Ceres  ,  vîtes  Bacchus ,  Mars  ipse  qairifes , 
Fruge  replet  y  donat  genimis ,  post  arma  coronaf. 
Refora,  spe  portas,  ove pascna ,  firactibus  hortus 
Ditantttr.  Quce  dat  locus  iste ,  quis  omnia  credat  ? 

Ne  serait-ce  pas  Antibes.**  Quoi  qu'il  en  soit ,  voici  ce  qu'il 
dit  des  habitans,  de  la  noblesse  et  du  clergé,  dont  il  loue  la 
candeur  et  la  probité. 

Urbs  hic  tuta  bono  munimine,  cive ,  patrono; 
Urbs  urbana  ,  fero  fera  milite,  claraque  clero, 
Florida  pontificum  ^  sub  Jlore  receptat  amieam , 
Hoste  -vacat ,  jurât  in  crimina,  juraque  curât. 

Vient  ensuite  l'éloge  du  duc  souverain  du  pays. 

Gensfaustegenita,  quam  dextra  .,  pectore ,  vitâ, 
Dante pio ,  placiià  Dux  instruit  israelàa. 
Hoc  Duce  y  Jlore  ducum,priîis  ardua,  nuda,  cadacum 
Fraus  jacet ,  armatur probitas  ,Jus  stare  probatur. 


XII  SIECLE. 


XII  SIECLE. 


xil  SERLON,  POÈTE  LATIN. 

D'après  toutes  ces  considérations ,  il  refuse  nettement  Je 
retourner  sous  la  domination  du  roi  d'Angleterre  : 

Huic  ego  suppono  mecum  meafata  patrono  ; 
Hoc  Duce  ductus  ego  ,fausto  satis  omine  dego; 
Principe,  gente,  solo,  delector.  Die  fuge ;  nolo. 
Namque  locum  nactus  dulcem  ,  discedo  conclus; 
Fors  me  nolentein  pellet ,  res  nulla  volentem  : 
NuUis  exceptis ,  locus  omnis  ineptus  ineptis. 

Enfin  il  compare  ce  lieu  avec  l'Angleterre,  et  il  trouve  que. 
tout  l'avantage  est  du  côté  du  premier.  11  regrette  pourtant 
que  les  muses  y  soient  moins  cultivées. 

Non  hte  si  nusquam,  probus  hic  ero ,  si  pr obus  usquam; 

Nam  gens  angligcna  et  locus  hic  est  Angliapene. 

Hoc  tamen  excipio  quod  non  -viget  hic  ita  Clio , 

Exclusœ  musœ  non  sunt  his  partibus  usœ, 

Phœbus  ait  Marti:  Locus  iste  tuœ placet  arti; 

Trax,   Geta,  Sauromata ,  gens  liœc  tibi,  non  mihi  grata , 

Meque ,  meumque  melos ,  procul  hinc  habeat  irua  Delos. 

La  16"  et  dernière  pièce  est  un  long  poëme  de  sept 
cent  cinquante  vers  élegiaques  non  rimes,  ayant  pour  titre  : 
Incipiunt  versus  de  Patricidâ.  C'est  une  nouvelle,  un  conte 
dans  lequel  l'auteur  suppose  que  deux  époux,  favorisés 
de  tous  les  dons  de  la  fortune,  s'estimaient  malheureux, 
parce  qu'il  manquait  à  leur  bonheur  d'avoir  des  enfans. 
Le  lieu  de  la  scène  est  à  Rome.  Dans  son  impatience,  la 
femme  consulta  un  astrologue ,  qui ,  par  les  secrets  de  son 
art,  lui  promit  qu'elle  aurait  un  fils  accompli,  mais  qui  mal- 
heureusement tuerait  son  père.  L'accomplissement  de  la  pre- 
mière partie  de  cette  prédiction  ,  qui  eut  lieu,  faisait  craindre 
que  la  seconde  ne  fût  que  trop  vraie.  C'est  là  le  nœud  de 
1  intrigue  et  le  canevas  sur  lequel  le  poète  s'est  exercé.  Il  y 
décrit  en  assez  beaux  vers  les  combats  qu'éprouve  la  femme 
entre  les  affections  conjugales  et  l'amour  maternel ,  em- 
ployant pour  conserver  deux  objets  qui  lui  sont  également 
chers,  toutes  les  ressources  que  le  génie  de  son  sexe  peut 
lui  suggérer.  Nous  n'en  citerons  que  les  deux  premiers  versi 

Scinper  ut  ex  aliquâ  felices  parte  querantur , 
Humanœ  leges  conditionis  habent. 


SERLON,  POÈTE  LATIN.  xiij 

yfnalyse  du  manuscrit  du  Vatican. 

La  notice  de  ce  manuscrit,  qui  jadis  fut  envoye'e  aux  col- 
laborateurs de  l'Histoire  littéraire  par  le  cardinal  Passionei , 
bibliothécaire  du  Vatican,  fut  trouvée  si  superficielle,  qu'ils 
ne  jugèrent  pas  à  propos  d'en  faire  usage.  En  effet,  elle  ne 
donne  que  le  titre  et  le  premier  mot  de  chaque  pièce ,  sans 
autre  indication  et  sans  articuler  le  nombre  des  vers  qui  la 
composent.  Telle  qu'elle  est,  nous  croyons  pouvoir  la  donner 
ici ,  pour  compléter,  autant  que  possible ,  le  dénombrement 
des  ouvrages  de  notre  poète. 

Ce  manuscrit  en  contient  cinquante-six;  mais  il  y  en  a  quel- 
ques-uns que  nous  connaissons  déjà  par  les  autres  manu- 
scrits que  nous  possédons.  D'autres  ne  sont  pas  de  Serlon , 
auoiqu  on  les  trouve  à  la  suite  de  ses  véritables  ouvrages, 
'est  ce  que  nous  tacherons  de  démêler. 

24.  Incipiunt  versus  magistri  Seri.onis  :  Dactile,  quid 
latitas?  etc. 

La  même  pièce  nous  a  été  indiquée  comme  existante 
parmi  les  manuscrits  du  roi  d'Angleterre  au  musée  britan- 
nique {x'b.A.IV)^  dans  laquelle  le  poète  Serlon  se  nomme. 
En  voici  une  citation  plus  étendue,  d'où  l'on  peut  conclure 
que  ce  manuscrit  est  conforme  à  celui  du  Vatican  : 

Dactile ,  quid  latitas?  exi  :  quid  publica  vit  as? 
Quis  vetat  audiri,  quœ  fas,  nec  inutile.,  sciri? 
Non  alios  cura  ,  nisi  qui  curant  tua  jura^ 
Et  quœ  versifico ,  die  cuivis  quœ  tibi  dico. 


XII  SIECLE. 


In  me  Serlorem  non  respice^  sed rationem. 


De  quoi  s'agit-il  dans  ces  vers?  C'est  ce  que  nous  igno- 
rons, n'ayant  pas  la  pièce  entière  sous  nos  yeux.  Revenons 
au  manuscrit  du  Vatican. 

25.  Planctus  trojanae  destructionis.  Incipit  :  Pergama 
fiere  voîo ,  etc. 

a6.  HisTORiA  trojana.  Incipit: 

Divitiis  ,  or  tu,  specie,  -virtute ,  triumphis, 
Rex  Priamus  clarâ  clarus  in  urbefuit,  etc. 

27.  De  fuga  AEneae.  Inc.  Ignibus  AEneas  cedens,  etc 


XII  SIECLE. 


xiv  SERLON,  POÈTE  LATIN. 

28.  De  mercatore.  Inc.  Institor intentas  augendis  rébus,  etc. 

29.  De  quatuor  evangelistis.  Inc.  Tange  kamcna  stilum, 
phaleraios  exue  cultus. 

29.  De  thure  et  de  auro  et  de  myrrha.  Inc.  Quid  thus 
designet ,   quid  obumbrat  myrrha,,  quid  aurum,  etc. 

29.  De  Daniele,  de  Job  et  de  Noe.  Inc.  Très  recipit 
cœlum,  etc. 

29.  Descriptio  paradisi.  Inc.  Dirige  Clio  stilum. 

30.  Versus  de  papa.  Inc.  Orbis  ad  exemplum  papœ  pro- 
cedit,  etc. 

3o.  Versus  de  Caesare.  Inc.  Fulgurat  in  bello  constantia 
Cœsaris,  etc. 

3o.  Descriptio  juvenilis  sapientiae.  Inc.  Purpurat  elo- 
quium,  sensés  festival  IJlixem,  etc. 

3o.  De  tribus  cellulis  capitis.  Inc.  Non  cellœ  capitis',  etc. 

3o.  DtT'juvENE  ET  MONiALi.  Inc.  Te  mihi ,  mcque  tibi,  etc. 

3o.  Hos  versus  fecit  quidam  monachus  dormiendo.  Inc. 

Humani  generis  casum ,  subitamque  ruinam 
Àfferet  huic  orbi  perniciosa  lues. 

3i,.  Rythmus  EPiscopi  GuLii.  Inc.  AEstuans  intrinseciis  ira 
vehementi. 

Le  bibliogmphe  anglais  Baie,  et  après  lui  Pitz  et  Tanner 
attribuent  cette  pièce  à  Gautier  Map,  qui,  sous  un  nom 
emprunté,  répandait  des  facéties  contre  le  clergé  et  les 
moines.  Cette  pièce,  dans  les  manuscrits  d'Angleterre,  a 
pour  titre  Confessio  Goliœ  episcopi.  Gérald  surnommé  Cam- 
brcnsis  ou  le  Gallois,  contemporain  du  Map ,  parlant  du 
poëte  Gautier,  dans  un  ouvrage  inédit,  intitule  Spéculum 
ecclesiœ,  cité  par  J.  Baie,  s'exprime  ainsi  {lib.  3,  cap.  let  i4  ) 
Gualterus  cognomento  Mapus ,  vir  celebri  famâ  conspicuus, 
et  tam  literarum  copia  quam  curialium  verborum  facetiis 
prœclarus ,  Oxoniensis  archidiaconus ,  facetias  plures  in 
Cistercienses  monachos  evomchat.  Mais,  par  ménagement 
pour  l'archidiacre  d'Oxford,  il  attribue  la  plupart  de  ses 
facéties  à  un  bouffon,  prétendu  évêque ,  nommé  Golias , 
qui  divertissait  le  monde  aux  dépens  de  ceux  qu'il  déchi- 
rait, et  le  dépeint  ainsi  {lib.  4,  cap.  16)  -.Parasitas  quidam 
Golias,  nostris  diebus  gulositate  pariter  et  dicacitate  famo- 
sissimus,  qui  GuLwa  mclias ,  quia  galœ  et  crapulœ  deditus, 
dici  potuit  :  literatus  tamen  offatim ,  sed  nec  bene  morige- 


SERLON,  POETE  LATIN.  xv 

ratus  nec  disciplinis  informa  tus ,  m  papam  et  curiam  Ro- 
manam  carmina  famosa  pluries  et  plurima ,  tain  metrica 
quiirn  rythmica,  non  minus  imprudenter  quam  inipruden- 
ter  evomuit.  C'est  cet  homme  qui  est  appelé  ici  Gulius. 

3r.  ExcoMMUNicATio  EjusDEM  EPiscopi.  Inc.  Rapor  mei 
pilei  morte  nioriatur. 

I^es  mêmes  bibliographes  attribuent  cette  pièce  à  Gautier 
Map ,  sous  le  titre  Anathema  pro  pileo. 

3r.  Altercatio  Ganimedis  et  Helenae.  Inc.  Taiirum  sol 
introierat,  etc. 

Sa.  Hic  iNCiPiT  Ai'ocALYPSis.  Inc.  A  Tauro  iorrida  lam- 
pofle  Cinthii. 

La  même  pièce  attribue'e  à  Map  a  pour  titre  Apoca- 
Ijpsis  Goliœ  Pontifiais  super  vita  et  moribus  ecclesiasti- 
corum  (i). 

33.  RïTHMUs  de  mercatore.  Inc.  Quidam  vir officia  vivons 
mercatoris. 

34.  Hic  ostenditur  qualiter  Jupiter  decepit  Danaem 
IN  SPECIE  AORi.  Inc.  Prîmo  veris  tempore ,  vere  renascente. 

34.  Altercatio  Phillidis  et  Fi.orae.  Inc.  Anni  parte 
floridd,  etc. 

36.  De  cestis  Herculxs.  Inc.    Olim  sudor  Herculis. 

36.  De  amica  cujusdam  clerici.  Inc.  Sœvit  aurœ  spiritus 

36.    Hic   MONET  CONTEMNERE  DIVITIAS.  Inc.    Dii'itiœ ,   etc. 

36.  De  virginis  ivapta  virginitate.  Inc.  Dum  priusjoca 
colerem. 

36.  De  quodam  priore  defuncto.  Inc.  Absque  statu, etc. 
3^.  De  Wilhelmo  rege  Scotorum.  Inc.  Militât  ad  titulos 

ff^ilhelnd  gloria. 

37.  De  Edmundo  rege  Akguae.  Inc.  Edmundi  mundus 
miratur  gesta. 

(i)  Il  paraît  que  la  licence  plus  que  poétique  du  pnhendu  Goiias,  ap- 
pelé aussi  Boniolochus ,  avait  trouvé  des  imitateurs,  dans  le  clei"é  et 
formé  une  secte  qui  s'était  rendue  odieuse.  L'an  laSi,  il  fut  tenu  à 
Rouen  un  concile  provincial,  dans  lequel  on  lit  l'article  8  qui  les  con- 
cerne :  Statuiinus  qiiod  clerici  riùaudi ,  maxime  qui  dicuntur  de  famUiâ 
Goliœ  ^per  episcopos,  archidiacoiios  ,  officiâtes  et  decanos  christianitatis , 
tondeii  prœcipiantur  vel  etiam  radi ,  îta  quod  eis  tonsura  non  rémanent 
clericalis  ;  ita  quod  sine  scandalo  et  periculo  ista  fiant.  Concilia  Norman- 
ni»  parsl,  p.  i36.  Le  même  canon  se  retrouve  dans  celui  de  Château- 
Gonthier  de  la  môme  année  (Labbe,t.  XI,  p.  489)  et  dans  un  autre  de 
la  province  de  Sens  ,  que  le  P.  Labbe(  t.  IX  ,  p.  1677)  place  au  X"  siècle? 
mais  qu'il  faut  rapporter  au  même  temps. 


XII  SIECÏ.K. 


XII  SIECLE. 


xvj  SERLON,  POÈTE  LATIN. 

87.  De  mundo.  Inc.  Mandas,  abit ,  res  nota  salis. 
37.  Versus  de  melros.  Inc.  Vix  solet  esse  gravis  res ,  etc. 
87.  Ordo  siGNORUM.  Inc.  EstAries,  Tauras,  Gemini,  etc. 
37.  Oppositio  SIGNORUM.  Inc.  Est  Libra,  Aries,  Scorpius. 
37.  Domicilia.   Inc.  Est  tibi,  Saturne,  domas ,  etc. 
37.  De  tribus  sociis.  Inc.  Lex  fuerat  sociis,  etc. 

37.  De  clericis  et  de  rustico.  Inc.  Cotocii,  etc. 

38.  De  HiiGONE  CANCELLARio.  Inc.  Excitare  somno,  Masa. 
38.   De  quodam  juvene.   Inc.   Sargens    Uranius. 

38.  Descriptio  senilis  nequitiae.  Inc.  Scurra,  vagus,  etc. 

39.  Fabula  de  Hacteone.  Inc.  Canota  rotat  casus. 

39.  De  Salomone  et  Micoll.  Inc.   Nemo  potens  est ,  etc. 

40.  De  Hermaphrodito.  Inc.  Dam  mea  me  mater  gravido 
gestaret  in  alvo. 

4i.  Incipiunt  problemata.  Inc.  Corda puellarum ,  etc. 

4ï- Incipiunt  versus  magistri  Serlonis  de  diversis  modis 
versificandi,  utiles  valde  cuique  versificatori.  Inc.  Cle- 
rus ,  forma,  valor,  etc. 

Nous  avons  rendu  compte  de  cette  pièce ,  Cfui ,  dans  le 
manuscrit  du  roi,  en  contient  seize,  et  qui  n'est  comptée 
ici  que  pour  une. 

42.  De  amore  et  de  fortuna.  Inc.  Nalli  fidus  amor. 

43.  De  parricida.  Inc.  Semper  ut  ex  aliquâ  felices  parte 
querantar. 

Nous  avons  parlé  plus  haut  de  ce  long  poëme,  qui  existe 
aussi  dans  le  manuscrit  du  roi.  Les  pièces  suivantes  ne 
paraissent  pas  être  du  même  auteur  : 

47.  De  virgimtate  S.  Mariae.  Inc.  Nectareani  rorem ,  etc. 

47.  RïTHMUs  DE  s.  Thoma.  Inc.  Martyr,  prœsul,  mo- 
nachus. 

5o.  Discordia  inter  socerum  et  generum.  Inc.  Peritoram 
cogit  concilium  rex  JViUelmas. 

5o.  Versus  varias  sententias  complectentes  ,  sine  titulo. 

5i.  De  Achille  et  Ulixe.  Inc.  Certat  ubi  ■victus. 

54.  ViTA  SusANNAE.  luc.  Hactenfis  arrisit  Susannœ. 

56.  QuAEDAM   FABULA.  Inc.  Postquam  Pamphilas. 

56.  De  sancta  Agnete.  Inc.  Agnes  sacra  sui  pennam 
scriptoris  inauret. 

Cette  pièce  a  été  imprimée  plusieurs  fois.  On  la  trouve 
parmi  les  poésies  d'Hildebert,  évoque  du  Mans,  col.  1249 
de  l'édition  de  Beaugendre.  B. 


TABLE 
DES  CITATIONS. 


JylÉMOiRBS  de  l'Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres.  Paris, 

1701  —  1809,  5o  vol.  in- 4". 
OEgidii   parisiensis   Carolinus,  seu  de  Carolo  Magno  libri  5.  Le  livre  5 

est  imprimé  dans  le  t.  XVII  du  Recueil  des  historiens  de  France. 
Alberici  monachi  Trium-fontium    Chronicon ,  inter  accessiones   hïstor. 

Godof.  Guill.  Leibnitiii.  Hannoverae,  1698,  in-4". 
Blichaëlis  Alford.  Annales  ecclesiasiici  Bi-itannorum  ,  Saxonum  et  Anglo- 

rum.  Leodii,  Hovius,  i663 ,  4  vol.  in-fol. 
L'art  de  vérifier  les  d;ites  des  laits  historiques,  des  chartes,  des  chroniques, 

et  autres  anciens  monuments,   par  des  religieux  bénédictins.  Paris, 

Jombert,  1783 — 1973,  3  vol.  in-fol. 
Ludovici  Donii  d'Aitichy,  Flores  historiae  cardinalium.  Parisiis,  Cramoisy, 

1660,  3  vol.  in-fol. 

B. 


I 

Acad.desinscr, 


iEgid.  Carot'. 


Alberici  Chr. 


Alford. 


Art  de  vérif. 


Attichy  ,  Flor. 
Card. 


Vies  des  Saints,  par  Adrien  Baillet.  Paris,  1701,  etc.,  17  vol.  rn-8°,  ou      Baiil.v.desSS. 

10  vol.  in-4°  1  ou  4  vol.  in-iol. 
Scriptorum    illustrium    majoris    firitanniœ  Catalogus    digcsttis  a  Joanne      'R»^-  Scr.  angl. 

BaliBo.  Basileae ,  Oporin  ,  i557,  in-fol. 
Miscellanea  édita  a  Stephano  Baluzio.  Parisiis,  1678 — lyiS  ,  7  vol.  in-8°       Balaie. 

Lucae,  1761  ,  4  vol.  in-fol. 
Csesaris  Baronii  Annales  ecclesiastici ,  cum  criticâ  Ant.  Pagi,  etc.  Lucae,       Baronin». 

1740 — 1737,  3g  vol.  in-fol. 
Les  grandes  annales  de  France  par  Belleforest  etc.  Paris,  Buon,   1579,       Belleforest. 

3  voL  in-fol.  — 1621,  2  vol.  in-fol. 
Ritus  ecclesiae  Laudunénsis,  studio  Antonii  Belotte.  Parisiis ,  Sa  vieux ,      Bellote. 

iG6a,  in-fol. 
S.  Bernard!  abLiatis  Clac,  opéra,  cura  Joannis  Mabillon.  Parisiis,  1690,       Bemaidi  (9» 

2  vol.  in-fol. 
Bibliotheca  masima  Patrum  ,  cura  Phil.   Despoat.   Lugduni ,  Anisson ,      Bitl.  pp. 

1677  >  3o  vol.  in-fol.  <• 

Tome  XF.  c 


Bolland. 
BouaT.  Op. 
Bongars,  Gest. 

Bord.  Rech. 
BoMuel. 
Boalainv. 
Boolliard. 
Bouq.  HUt.  Fr. 

Bromton. 
Broawer. 
Buzelin. 


xviij  TABLE 

Acta  saiictorum  omnium,  cura  Joannis  BoUandi  et  aliorum.  Antuerpi», 

1643—  1794,  53  vol.  in-fol. 
S.  Bonaventurae   opéra.    Roms,   typis   vaticanis.    i588 — iSpô,    7   tom. 

in-fol. 
Gesta  Dei  per  Francos  sive  de  orientatibus  expeditionibus  et  de  rœno 

Francorum  hierosolymitano  scriptorcs  varii ,  collecti  a  Jac.  Bongarsio. 

Hanoviae  ,  161 1  ,  2  lom.  in-fol. 
Trésor  des  recherches  et  antiquités  gauloises  et  françaises,  réduites   en 

ordre  alphabétique  par  Pierre  Borel.  Paris,  i655,  in-4". 
Histoire    des    Variations,    par   Bossuet.    Paris,    1770,    5  vol.   in-12;  et 

tome  III  des  oeuvres  de  Bossuet.  Paris,  i743;  in-4°. 
Histoire  de  la  pairie  de  France  et  du  parlement  de  Paris,  par  M.  D.  B. 

(de  Bouiainvilliers).  Londres,  1744  1  2  vol  in-12. 
Histoire  de  l'abbaye  de  Saint-Germain  des  Prés,   par  Dom   Boulliard. 

Paris,  1724,  in-fol. 
Rerum  gallicaruni  et  franc,  scriptores.  Recueil  des  historiens  de  France, 

par  D.  Bouquet  et  autres  bénédictins.  Depuis  le  t.  XIV  inclusivement, 

par  M.  Brial,  de  l'institut.  Paris,  1738 — i8i4,  17  vol.  in-fol. 
Joannis  Bromton  Chronicon  ,  dans  le  recueil  intitulé  :  Historùe  anglica/ug 

Scriptores  X. 
Antiquitatum  et  Annalium  Trevirensium  libri  aS,  a  C.  Brouvrero  et  Jac. 

Masenio.  Leodii  Hovius,  1670.  2  vol.  in-fol. 
Gallo-Flandria  sacra  et  profana.  Leod.  1625,  in-fol. 


Calmet,  H.   de 
Lorr. 

Camasat. 


Cat.  Angl. 

Cat.  Bibl.  Cott. 
Cat.  Bibl.  Reg. 

Caul. 
Cent.  Magd. 


Chappeaaville. 


Fr.  Chifllel,  S. 
BtrA. 


Histoire  ecclésia.st.  et  civile  de  la  Lorraine,  par  D.  Aug.  Calmet.  Nancy , 

1728,  3  vol.  in-fol. — Ibid.  1745 — 1757,  7  vol.  in-fol. 
Promptuarium  sacrarum  antiquitatum  Tricassinœ  diœcesis,  auctore  Nie. 

Camusat.  Augustae  Trecarum ,  1610,  1618,  in-8". 
Catalogus  libr.  mss.  Anglia;  et  Hiberniae.  Oxon.  Sheldon,  1697,  ^  ^°'- 
in-fol . 

Catalogus  librorum  mss.  Bibliothecae  Cottonian»,  1696,  in-fol. 
Catalogus  codicum  mss.  Bibliothecœ  regiae  (studio  Aniceti  Mellot).  Pari- 

siis  ,   typis  regiis  ,  1739 — 1744)  4  ^ol.  in-fol. 
Mém.  de  l'Hist.  du  Langued.  par  Guill.  Catel.  Tolose,  Bosc,  i633,  in-fol. 
Historias  ecclesiastica;  centuria;  i3  congestœ  per  Magdeburgenses ,  Flac- 

cum    lUyricum,   Wigandura  ,   etc.   Basileœ  ,    iSSa — 1554,    i3   tom. 

8  vol.  in-fol. 
Historia  ecclesiœ  Leodiensis,  studio  Joannis  Chappeanville ,  1612  et  1618, 

3  vol  in-4''. 
Sancti  Bernardi  genus  illustre  assertum ,  à  P.  Fr.  Chifflet.  Divione ,  Cha- 

vance ,  1660,  in-4". 


DES  CITATIONS.  xvix 

Manuale  solitariorum  è  cartusianorum  cellis  depromptum  ;  à  FrChiffletio. 

Divione,  Chavance ,  1637,  in-8". 
Histoire  générale  du   Dauphiné ,  par  Nie.  Chorier.  Grenoble,  1661,  et 

Lyon,  1672,  2  vol  in-fol. 
Chronicon  Cisterciense. — Chronicon  Prsemonstratense.  V.  Mirœus. 
Ciironicon  Hirsaugiense.  V.  Trithem. 

Elucidariiim  ecclesiasticum ,  studio  Jodoci  Clictovœi.  Paris,  i658 ,  in-ibl. 
Œuvres  de  H.  Cochin.  Paris.  1751,  6  vol.  in-4°'^. 
Cujacii  opéra  omnia.  Paris,  i658,  10  vol.  in-fol. 
Histoire  littéraire  de    Lyon   par   le  P.  de  Coloaia.  Lyon  ,  1728 ,  2   vol. 

in-4°. 
L'istoria  délia  volgar  poesia  da  Giov.  Maria  Grescimbeni.  Venezia,  1730 

ei73i,  7  vol  in-4°. 


Fr.  Chifll.Maa. 
Solit 

Chorier. 


Chr.  Cist. 

Cbr.  Hirsang. 

ClictOT. 

Cochin. 

Cajas. 

Colonia. 

Crescimbtni. 


t)e  observandis  in  missae  celebratione... 

Bibliotheca  scriptorum  ordinis  Cisterciensis ,  autore  Carolo  de  Visch.  Co- 

loniae  Agrippinae,  i656,  in-4'' 
Pétri  Dorlandi  chronicon  Carthusiense  cum  notis  Theodori  Petraei.  Colo- 

niae,  x668 ,  in-8°. 
Histoire  de  la  ville  de  Soissons  et  de  ses  rois.  Soissons,  i663,  in-4''. 
Histoire  de  l'abbaye  de  Saint-Denys ,  par  Doublet.  Paris,    Buon ,   162 5, 

2  tom.  in-4°. 
Gerardi  Dubois  historia  ecclesiae  Parisiensis.   Parisiis,   Muguet,    1690 — 

17 10,   2  vol.  in-fol. 
Historia  universitatis  Parisiensis,  autore  Caesare  Egassio  Bulaeo  (Duboulay). 

Parisiis,  i665-  1673,  6  vol.  in-fol. 
Théâtre  des  antiquités  de  Paris,  par  Jacques  Dubreul ,  bénédictin.  Paris , 

1612,  in-4*';  Paris,  1739,  in-4''. 
Garoli  Dufresne  Ducange,  glossarium  mediae  et  infîmse  latinitatis   (cum 

indice  autoru m).  Parisiis,  Osmont,  1733—1736,  6  vol.  in-fôl. 
Historiœ  Francorum  autores,  collecti  ab  Andréa  Duchesne.  Parisiis,  i636, 

5  vol.  in-fol. 
Historise  Normaunorum  scriptores,  collecti  ab  Andréa  Duchesne.  Parisiis, 

1629,  in-fol. 
Histoire  de  tous  les  cardia,  franc,  par  Fr.  Duchesne.  Paris,  1660,  in-fol. 
Histoire  de  l'église  de  Meaux.  Paris,  1731,  in-4". 
Recueil  des  rois  de  France ,  leur  couronne  et  maison ,  par  Jean  Dutillet. 

Paris,  161 8,  in-4°. 
Bibliothèque  française,  par  la  Croix  du  Maine  et  Duverdicr.  Paris,  1772 — 

1773,  6  vol.  in-4''. 


Demochari*. 
De  Visch. 

Dorland. 

Dormans. 
Doublet. 

Dahois. 

Unboalay. 

Dnbrenl, 

Ducange,  Glos. 

A.  Duch.  H.  Fr. 

A.  Dach.  Hist. 
I^orm. 

F.Duch.H.d.C. 
Du  Plessis.  ^ 
Dutillet. 

Daverdier. 


c  a 


.cA4É!ii) 


Kcbard. 


Escceavres. 

l'M.'litl     .-1'      ' 


^,. 


TABLE 

E. 


Scriptores  ordinis  prasdicatorum  ,  opus  inchoatum  à  Jac.  Quetif ,  absolu- 
turii  à  Jac,  Ecliard.  Parisiis,  1719  et  1721,  2  vol.  in-foL 

Le  pourlraît  du  vrai  pasteur,  ou  Histoire  mémorable  de  Saint  Albert, 
évêque  de  Liège,  par  G.  D.  R.  S'  d'Escœuvres.  Paris,  Huby,  i6i3,. 
in-8". 


Fibric.  Med.      Joannis  Alb.  Fabricii  Bibliotheea  mediae  et  infimae  latinitatis.  Haqiburgi , 

1734»  6  vol.  in-S". — Cum   notis  Dominici   Mansi.  Patavii ,  Manfre^ 

1754,  6  vol.  in-4°. 
Fanchet.  Origine  de  la  langue  et  de  la  poésie  française,  par  Claude  Fauchet.  Paris, 

Pâtisson  ,  i58i ,  in-S". 
rélibjeu.  Histoire  de  l'abbaye   de  Saint-Denis,  par  don  Michel  Félibien.  Paris, 

,,  :  ..  (1.)  1 ,  1 706 ,  in-fol. 

Flenry.  Histoire  ecclésiastique,  par  Fleury.  Paris,  1691 — 1737,  36  vol.  in-4°  ou 

in-i2. 
Eoppent.  Bibliotheea  Belgica,   sive  Belgici  scriptores  à  Valerio  Andréa,  Auberto- 

Mireeo,  Fr.  Swertio  recensiti:  cura  Francisci  Foppens.  Bruxellis,  1739,. 

a  vol.  in-4".. 

G. 

Sali.  Chritf. n.   Gallia  Christiana  (nova)  operâ  DSonysii  Sammarthani  et  aliorum.  Parisiis,. 


1715 — 1783,  i3  vol  in-fol. 


Gariel. 
Gerr.  Oorol), 

Gesta  Pont.  L. 

Gilles  d'Oival. 
Girald.  Cambr. 

Goase. 

Srtncolas. 

GretsCT-. 

ftuill.  Nenbr. 


Séries  Pra?sulum  Magalonensium  et  Monspellensiura,  aiilore  P.  Gariel. 

Tolosae,  lôSa  ,  in-fol.  Ibid.  i655,  in-fol. 
Gervasii    Dorobornensis  monachi  Chronicon  ,    inter    Anglicae    historiae 

scriptores  10.  Londini,   i652,   in-fol. — Ejusdem  liber  de  pontificibus 

Cantuariensibus.  Ibid. ..p.  i63o — 1683. 
Gesta  Pontificum  Leodiensium ,  in   Historiâ  ecclesiie  Leodiensis ,  studio 

Joannis  Chappeauville. 
Gilles  d'Orval  dans  le  recueil  de  Chappeauville  ,  t.  IL 
Giraldi  Cambrensis  Hibernia  expugnata,  dans  la  collection  des  écrivain» 

anglais  et  normands  par  Guill.  Cambden ,  Francfort,  in-fol.  p.  755. 
Histoire  de  l'abbaye  d'Arouaise;  par  Gosse.  Lille,  1786,  in-4°. 
Critique  des  auteurs  ecclésiastiques,  par  Jean  Grancolas,  2  vol.  in-S". 
Tractatus  contra  Waldenses ,  coUecti  et  editi  à  Gretsero.  Ingolstadii,  1614, 

in-4''. 
Guillelmi  Neubrigensis  chronica  rerum  Anglicarum,  cum  notis  J.  Picard. 

Paris  1610  in-8°;  et  Oxfoid  par  Th.  Hearne,  1779,  vol.  in-8°. 


DES   CITATIONS.  xxj 

Guillelmi  Tyrii  archiepiscopi  historiœ  rerum  in  partibus  maritimis  gesta- 
rum  libri  23.  Dans  le  recueil  de  Bongars,  intitulé,  Gesta  Dei  per 
Francos. 

Histoire  de  l'église  et  de  la  ville  d'Orléans,  par  Symph.  Guyon.  Orléans, 
1647 ,  in-fot. 

Antiquités,  Chroniques  et  Annales  de  Haynaut.  Paris,  i53i, 

H. 

Historia  ecclesiastica  Anglicanaà  Nie.  Harpsfeldio.  Duaci,Wyon,  rôaa, 

in-fol. 
Csesarii   Hei&terbacensis  libri  la  miraculorum  et  historiarum  memorabi- 

lium  sui  teniporis.  Antuerpise,  Nutius,  i6o4,  in-S",  et  1. 1  Bihliothecce 

PP.  CUtcrc.  —  Dialogi ,  ibid.  t.  II,  p.  170. 
Menologiuni  Cisteiciense ,  notationibus  illustratum ,  cum  constitiitlonibus 

et  privilegiis  ejusdem  erdinis,  cura  Chi-ysostoini  Henriquez.  Antuer- 

piae,  Morct,  i63o,  in-fol. 
Histoire  littéraire  de  la   France  ,    par  des  religieux  bénédictins.  (  Dom 

Rivet,  etc.)  Paris,  1/33,  etc.,  i5  vol  in-4°. 
Supplementuni  bibliothecse  Patrum  ,  editum  à  Jacobo  Hommcy.  Parisiis , 

1684,  iii-8». 
P.  D.  Hueiii  tractatus  de  optimo  génère  interpretandi  et  de  claiis  iiHer- 

pretibus.  Parisiis  ,  i66i  ,  in-4». 
Caroli   Ludovici   IIu«:onis  monumenta  sacra;  antiquitatis.  Stigavii ,  lyao, 

2  vol.  in-fol.  —  Ejusdem  Annales  Prœmonstratenses.  Nancei,  Cusson , 

1734  et  1736,  2  vok  in-fol. 
The  History  of  england  from  the  invasion  of  Julius  Caîsar,  to  the  révo- 
lution in   1688  by  Dav.  Hume.  London  ,  1770,  8  vol.  in-4°. 


Gnill.  TyC. 
Guyou. 

Harpsfeld. 
Cos.  Ueùterb.' 

lltnriq.  Menol. 

HJst.  litt.  de  1» 
r. 

Hommey.  Snp. 
Hael.  Interpr, 
Car.  Lad.  Hug^ 

Hanif. 


Fr. 


Histoire  de  Tournus,  par  P.  Juénin.  Dijon,  Depuy,  i633,  in-4''. 
Journal  des  Savans.  Paris,  1665—1793,  1796,  1816— 1819,  in  4". 


Jaénin,  H.  lU 
Tonrnaa. 
J.deeSïv. 


Nova  Biblioiheca  manuscriptorum  codicnm  cura  Philippi   Labbe.  Pari-      Labbe,Bib.m«. 

siis,  1657,  2  vol.  in-fol. 
Sacro-sancta  concilia,  collecta  et  édita  à  Philippe  Labbe  et  Gabriele  Cos-      Ubbe,  Conc. 

sart.  Parisiis,  1671  ,  17  tont.  18  vol.  in-fol. 
Histoire  de  la  musique  ancienne  et  moderne  (par  J.  Benj.  de  la  Borde).       La  Borde. 

Pans,    Pierres,    1780,   4  vol.  in-4".— Mémoires  historiques  sur  Raoul 

de  Coucy,  par  J.  Benj.  de  la  Borde.  Paris,  1701  in-8". 
BibUothèque  française,  parla  Croix  du  Maine.  Paris,  i584,  in-fol.— Avec      ùcr.  da»r. 


xxij  TABLE 

Duverdier,  édition  de  Rigoley  de  Juvigny.  Paris,  177a  et  1778,  6  vol. 

in.4''. 
Histoire  des  Archevêques  de  Rouen,  par  un  bénédictin  (Fr.  de  la  Pom- 
meraye).  Paris,  Maurry,  1667,  in-fol. 
Dissertations  sur  l'histoire  ecclésiastique   et  civile  du  Diocèse  de  Paris , 

suivies  de  plusieurs  éclalrcissemens  sur  l'histoire  de  France,  par  Le- 

beuf.  Paris,  Lambert,  1739  et  suiv.  3.  vol.  in-ia. 
Histoire  de  la  ville  et  de  tout  le  diocèse  de  Paris,  par  Lebeuf.  Paris, 

Prault,  1754,  i5  vol.  in-ia. 
Bibliothèque  historique  de  la  France,  par  Jacq.  Leiong,  de  l'Oratoire, 

nouv.  édit.  augmentée  par  Fevret  de  Fontette.  Paris,  Hérissant,  1768 — 

1778,  5  vol.  in-fol. 
Histoire  ecclésisastique  et  civile  du  Diocèse  de  Laon  par  D.  Nicolas  le 

Long.  Chàlons  ,  1783  ,  in-4°. 
Essai  de  l'histoire  de  l'ordre  de  Citeaux ,  par  D.  Pierre  le  Nain.  Paris  , 

1696 — 1697  ,  3  vol.  in-i2. 
Joannis  le  Paige,  Bibliotheca  ordinis  Praemonstratensis.  Parisiis,    i633, 

in-fol. 
Lettres  historiques  sur  les  fonctions  essentielles  du  Parlement ,  sur  les 

droits  des  pairs  et  sur  les  luis  fondamentales  du  royaume.  Amsterdam, 

1753  et  1754,  2  vol.  in-ia. 
Annales  de  l'église  cathédrale  de  Noyon  ,  avec  une  description  de  la  ville, 

par  le  Vasseur.  Paris ,  i633 ,  2  vol.  in-4°. 
La  Bibliothèque  chartraine ,  ou  Traité  des  auteurs  et  hommes  illustres  du 

diocèse  de  Chartres,  par  Dom  Liron.  Paris,  1778,  in-4''. 
Histoire  de  Bretagne ,  composée  sur  les  actes  et  les  auteurs  originaux , 

par  Dom  Lobineau.  Paris,  Muguet,   1707,  2  vol.  in-fol.  fig.  — L'His- 
toire des  Saints  de  Bretagne,  par  le  même.  Rennes,  1724,  in-fol. 

M- 

Mabill.  Anal.     Vetera  Analecta  collecta  à  J.  Mabillon.  Parisiis,  Montalant,  1723,  in-fol. 

Mabill.  Annal.  Annales  ordinis  S.  Benedicti ,  à  J.  Mabillon  (et  Renato  Massuet).  Parisiis, 
Robustel,  1703 — 1739,  6  vol.  in-fol. 

Malingre.  Antiquités  de  la  ville  de  Paris,  par  Claude  Malingre.  Paris,  Rocolet,  i64o, 

in-fol. 

Manriqiie.  Cisterciensium  Annalium  tomi  4,  autore  Angelo  Maurique.  Lugduni  (Anis- 
son),  1642 — 1653,  4  vol.  in-fol. 

Marchand,  FI.  Jacobi  Marchant,  commentariorum  de  Flandriâ  hbri  4-  Antuerpiae,  Plan- 
tin  ,  1596 ,  in-8''. 

Marlot.  Metropolis  Remensis  historia,  studio  Guillelmi  Marlot.  Insulis,  de  Rache, 

1666,  2  vol.  in-fol. 

M»rt,  Anecd.     Thesaurus  novus  anecdotorum  complectens  epistolas,  diplomata,  etc.  stu- 


La  Pommeraye. 
Iicbtnf,  Diss. 

Lebeaf,  Paris. 


Leiong  ,    Bibl. 
de  Fr. 


N.  Le  Long. 

Le  Nain. 

Le  Paige,  B.Pr. 

l«tt.  Histor. 

LaVaiaenr. 
Liron,  Bib.  Cb. 


Lobineau,  Hist. 
it  Bret. 


DES    CITATIONS.  xxiij 

dio  Edmundi  Martène  et  Ursini  Durand.   Parisiis,  Delaulne,   1717  , 

5  Tol.  in-fol. 
Veteium  scriptorum  et  monumentorum  collectio  aniplissima  ,  studio  Ed-       M»rièn«,  Coll. 

mundi  Martène  et  Ursini  Durand.  Parisiis,  Montalant,   1724 — 1733,      '°^' 

g  vol.  iu-fol. 
Edmundi   Martène  de  ritibus  Ecclesiae  libri  4'  AnluerpiaB   (  Mediolani  ,       Martène,  Rit. 

cura  Muratorii),  1736 — 1738,  4  vol.  in-fol. 
Voyages  littéraires  de  deux  Bénédictins  (Martène  et  Durand).  Paris,  1717       Mart.Voy.Litt. 
et  17^4,  2  vol.  in-4". 

Histoire  de  la  poésie  française  par  Massien.  Paris,  I739,in-ia.  Massieo. 

Papirii  Masson  elogia.  Paris,  i638,  a  vol.  in-8°.  Pap.  Masson. 

Histoire  de  Sablé,  par  Gilles  Ménage.  Paris,  i683;  in-fol.  MénageH.deS. 

Jiacobi  Meyer  commeutarii,  sive  Annales  rerum  âandricarum.  Antuerpiae,       Meyer. 

i56i  ,  in-fol.  Francof.  i58o,  in-fol. 
Histoire   littéraire  des  Troubadours,    par   Millot  (snr   les  mémoires   de       Millot. 

Sainte-Palaye).  Paris,  Durand,   17741  3  vol  in-12. 
Auberti  Miraei  (Le  Mire)  auctarium  de  scriptoribus  ecclesiasticis.  In  Bi-      Mir.  Anct. 

bliothecâ  ecclesiaiticâ  Fabricii. 
Chronicon  Cisterciense,  studio  Auberti  Miraei.  Colonise,  i6i4,  in-fol.  Mir. Qr. Ci»t. 

Chronicon  ordinis  Pi'aemonstratensis,  studio  Auberti  Miraei.  Coloniae  Agrip-       Mir.  Chr.  Pr. 

pinae,  \-ji'i,  in-8". 
Origines    Cœnobiorum   ordinis  S.  Benedicli,    in    Belgio ,   studio   Auberti       Mir. Orig.  Ben. 

Miraei.  Antuerpiae,    1606,  in-8°. 
Monasticon  Anglicannm,  aive  Pandectae  Cœnobiorum,  etc.  à  primordiis       Monast.  Angl. 

eorum  usque  ad  dissolutionem  cura  Rogerii.  Dodswrorth  etGuili.  Du"- 

dale.  Londini ,   i655 — 1661  — 1673,  3  vol.  in-fol.  fig. 
Bibliotheca  bibliothccarum  mss.   nova;   studio  Bernardi  de  Montfaucon.       Montf.  B.  ms». 

Parisiis,  Briasson,   i73y,  2  vol.  in-fol. 
Histoire  de  Bretagne,  par  Dom  Morice  et  D.  Taillandier.  Paris,  1750  et       Morice. 
1756,  5  vol.  in-fol. 
J.  Morini  commentarius  historiens  de  Disciplina  in  administratione  .sacra-       MorinPœnit. 

menti  pœnitentiaî.  Parisiis,    i65i  ,    in-fol.  —  Antuerpiae,   1682,    in-fol. 
Theatrum  sacri  ordiuis  Carthusiani,  à  Carolo  Jos.  Morotio.  Taurini,  i68i,       Morot.Th.Cart. 

in-fol. 

N. 


Vies  des  anciens  poètes  provençaux,  par  Jean  Nostradamus.  Lyon,  1575, 
in  .8°. 

Notices  et  extraits  des  maimscrits  de  la  Bibliothèque  du  Roi  et  autres 
bibliothèques  de  Paris,  publiées  par  l'Académie  des  Inscriptions  et 
Belles-Lettres,  etc.  Paris,  1787— 181 3,  9  vol.  in-4°. 


J.Kostradamns. 


Not.  des  mss. 


X«IV 


TABLE 


O. 

Oraonnance».     Ordonnances  des  Rois  de  France,  recueillies  par  de  Eaurières,  Je  Bré- 

quigny,  etc.  continuées  par  M.  Pastoret.  Paris,  Impr.  Roy.  1728 — iSi4, 

16  vol.  in-fol. 
Ondeghenit.       Chroniques  et  Annales  de  Flandre.  Anvers,  i5yi,  in-4''. 
Oadin.  Casiniiri  Oudini  commentaiius  de  scriptoribus  Ecilesiaî  anliqiiis,  cum 

nuiltis  dissertationibus.  Francofurti  et  Lipsiae,  Weidman ,  172a,  3  vol. 

in-fol. 

P. 

Pagi.  Antonii  Pagi  crilica  historico-chronologica  in  universos  Annales  Baronii. 

Antuerpiœ  (Genevae),    1705,  4  vol.  in-fol.  —  Et  avec  !es  Annales  de 

Bai'onius,  édit.  de  1740,  in-fol. 
tïncirol.  G-  Pancirolli,  Tractatus  de  claris  juris  interpretibus.  Francof.  1721 ,  in-4*'. 

On.  PauT.  Onuphrii  Panvinii  Chronicon  ecclesiasticuin.  Coloni.-e  i568,  in-fol.  Lo- 

vanii,  iByi,  in-fol. — Ejiisdcm  liber  de  episcopatibus,  titulis   et  dia- 

coniis  cardinalium.  Venetiis,  1667,  in-4''.  Parisiis,  1609,  in-4*'. 
Pasqnier.  Recherches  de  la  France,  par  Etienne  Pasquier  dans  ses  œuvres.  Amst. 

1723,  2  vol.  in-fol. 
Petr.  Blés.  Pétri  Blesensis  opéra,  édita  à  Petro  de  Gussanville.  Parisiis,  1667,  infol. 

Peir.  Cant.         Pctri  Cantoris  verbum  abbreviatum ,  cum  notis  Georg.  Galopin.  Monti- 

bus,  1637,  in-4". 
Petr.  OIL  Pctri  abbalis  Cellensis  opéra  omnia,  studio  Reinerii  Ambrosii  Janvier. 

Parisiis,  Billaine,  1661 ,  in-4". 
p„,  D.  Bernardi  Pexii  Thésaurus  anecdotorum  novissimus.  Augustae  Vindeli- 

corum,  1721,  7  tom.  6  vol.  in-fol. 
paiet.  Histoire  de  Gerberoi.  Rouen,  1679.  in-4". 

Piti,  Joannes  Pitseus  de  scriptoribus  Angliae  illustribus.  Parisiis,    1619,  in-4''. 

FlacentiB.  Summa  inslitutionum  imperalium,  libri  très;  ejusdem  de  varietate  actio- 

nuni  libri  9.  Liigduni,  i536,  in-S",  in  codiceni  Justiniani,  Mogunt,  r536, 

in-fol. 
Planchtr.  Histoire  générale  et  particulière  de  Bourgogne,  avec  des  notes,  disserta- 

tions et  preuves,  par  un  bénédictin  (Urbain  Plancher).  Dijon,  de  Fay, 

1789 — 17485  3  vol.  in-fol. 

R. 

RU.  de  Diceto.  Radulplii  de  Diceto  imagines  historiarum  inter  AngUcanœ  hîstoriœ  serip- 

tores  10. 
Ralise.  a.  Eelg.  Ad  natales  sanctorum  Belgii  auctuarium ,  autore  Arnoldo  de  Baisse.  Duaci , 

Auroy,   1626,  in-8°. — Hierogaiophilacium ,  sive  thésaurus  sacraram 

reliquiarum  Belgii.  Duaci,  1628,  in-ia. 


DES  CITATIONS.  xxv 

Histoire  d'Angleterre  ,  par  Rapin  de  Thoyras,  avec  les  remarques  de      RapinThoyias. 

Tyndall.  La  Haye,    1726 — 1736,    i5  vol  in-4°. — Nouv.  édit.  donnée 

par  Lefebvre  de  Saint-Marc.  La  Haye  (Paris),  1749,  »6  ▼ol»  in-4°. 
Reineri  monachi  opéra  j  t.  IV  Thesauri  anecdot.  Bernardi  Pez.  Reiner, 

Rigord,  de  gestis  Philippi  Augusti.  t.  XVII,  scriptorum  rerum  gallica-       Rigord. 

rum ,  in-fol. 
Roberti  de  Monte,  abbatis  S.  Michaelis,  Chronica,  sive  appendix  ad  Si-       Rob.de Monte, 

gebertum,  ab  anno  iioo  usque  ad  1184. — Ad  calcem  operum  Guiberti 

de  Novigento.  Parisiis,  i65i,  in-fol.  pag.  743 — 810. 
Glossaire  de  la  langue  romane,  par  J.  B.  de  Roquefort.  Paris,  Warée.       Roqnefort. 

1808 ,  2  vol.  in-8''. 
Rogerii  de  Hoveden  Annales  ab  anno  ySa  ad  annum  1201.  P.  4oï— 4^9       Roj. deHoT«d. 

Collectionis  Savilianœ  :  Scriptores  rerum  anglicarum  post  Bcdam  prœci- 

pui. 

S. 

Bibliotheca  Belgica  manuscr. ,  sive  Elenchus  universalis  codicum  manuscr.       Sander. 

in  celebrioribus  Belgii  bibliothecis ,  digestus  ab  Antonio  Sandero.  In- 

sulis,  1641 ,  in-4''. 
Elogia  cardinalium  sanctitate  ,   doctrinâ  et  armis  illustrium ,  autore  An-       Sander.  Card. 

tonio  Sandero.  Lovanii,  iSaS,  in-4°. 
Cbristophori  Sandii  notas  et  animadversiones  in  Vossium  de  historicis  la-  Sandius  in  Vo»«. 

tinis.  Amstel.  1677,  •'>'''*• 
Anglicarum  rerum  scriptores  pOst  Bedam  praecipui,   collecti  ab  Henrico       Savil.     Script. 

Savilio.  Londini,  1696,  in-fol.;  Francofurti ,  i6n  ,  in-foK  «r.  angl. 

Origines  de  Clermont,  par  Jean  Savgron,   1607,  in-8°.  Paris,  Muguet,      Savaron.aerm. 

i66a,  in-fol. 
Car.  Saussaii  Annales  ecclesis  Aurelianensis.  Paris,  i6i5,  in-4°.  sauss.  Anr. 

Scriptores  Historiée  Anglicae  10.  Francof.  i6oi,  in-fol.;  Lond.  1682,  in-fol.       Scr.H.Angl.io. 
Scriptores  Historiae  Britannicae,  Saxonic»,  Anglo-saxonicse  20.  par  Th.       Scr.  H.  Anglo- 
Galle  Oxonii,  Sheldon,  1691 ,  2  vol.  in-fol.  *"• 
Scriptores  Historiae  Normannorum,  collecti  ab  Andréa  Duchesne.  Pari-      Scr.Hist.Norm. 

siis,  1629,  in-fol. 
Scriptores  Historiae  Francorum ,  collecti  ab  Andréa  Duchesne.  Parisiis ,      SCT.Hi»t.Franc. 

i636,  5  vol.  in-fol. 
Scriptores  Historiae  Francorum.  Parisiis,  1734—1814,  17  vol.  in-fol.  Scr.H.Fr.CoH.H. 

Bibliothèque  critique  par  de  Saint-Jore  (Richard  Simon).  Amsterd.  1708,       R.  Simon. Bibl. 

4  vol.  in-i2.  cri*. 

Nouvelle  Bibliothèque  histor.  et  critique  des  auteurs  de  droit  civil  et      »•  Simon. 

canonique,  par  Denis  Simon.  Paris,  1692 — lôgS ,  2  vol.  in-i2. 
ExtraitsdespoésiesdesXir,XIIi''etXIV' siècles, publiésparSinner;  in-i2.       Sinner.  Poi.. 
Sixti  Senensis  Bibliotheca  sancta.  Lugduni,  1676,  in-fol.;  Parisiis,  1610,      Six».  s«n.  Bibl 

in-fol.;  Neapoli,  174a,  2  vol.  in-fol. 

Tome  Xf^  d 


1. 


«feTJ  TABLE  DES  CITATIONS. 

fcoofiet..  Vita  S.  Bernardi  primi  abbatis  monasterii  de  Tiionio,  édita  a  J.  B.  Sou- 

ob«to;  Parisiis,  Diliaine,  t64g. 
Spicileg.  Spicilegrum ,  sivo  Collectk)  veterum  aliquot  «criptorum,  curt  Liicse  Da- 

'  chery.  Piirisiis,  i;655 — 1677,  '4  voL  iii-4".  Parisiis,  Montalant,  lyaS, 

.biif.i      -e-iyal.  in-fol. 
Stepb.  Tornac.  Stephaiii  Tomacensis  epistoUe,  notis  illuatratae  à  Claudio  duMolinet.  Pari- 
siis, 1679,  rn-8". 
Sanai.  Lauri'Srurii  VitJE  seu  Acta  sanctorum.  Colonise,  1618,  j  vol.  in-fol. 


TaisanJ.  Vies  dçs  fjus  célèbres  jurisconsultes,  par  P.  Taisand.  Paris,  1737,  in4*. 

Tbom.Qintaar.  ThoiDce  (Becket)  Cantuai'iensis  Episcopi(nec  non  I|.udov.  VII,  Henr.  II 
regù  Angliae  et  aliorum)  epistolae,  editae  à  Christ.  Lupo.  Bruxellis, 
1682,  a  vol.  in-4°. — Historia  quadripartita ,  sive  tractatus  de  vitâ  et 
passione  B.  Tliomae  archiepiscopi  Cantuariensis  in  fronte  epistolarum 
ejusdem. 

Tillemonf.  Mémoires  pour  servir  à  l'Histoire  ecclésiastique,  par  le  Nain  de  Tille- 
mont.  Paris,   1693^,  16  vol.  in-4". 


Taiasettr.  Histoire  générale  de  la  province  de  Languedoc ,  avec  les  pièces  justifica- 

tives, par  (Claude  de  Vie  et)  Vaisselle.  Parfs ,  Vincent,  1730 — 1745, 
5  vol.  iiirfol. 

Tignier.  Bibliothèque  hisloriale,  par  NicoIas  Vignier.  Kiris,  i588,  in-fol. 

Vinc. BelloT.  Vincentii  Bellovacensis  spéculum  hisloriale,  in  speculo  ejusdem  quadru- 
plici.  Duaci ,  4  ^o\.  in-fol. 

Tos».  Hiitor.  Gçrardi  Joannis  Vossii ,  de  Historicis  latinis  libri  3.  Lugduni  Batav. 
i65i ,  in-4''. —  Et  tom.  I  de  la  collection  des  œuvres  de  Vossius.  Anast. , 
Blaeu,  1995 — 1701 ,  6  vol.  in-fbl. 

Wa'iitng.  Afina]es  Minorum ,  seu  Historia  trtum  ordinitw  S.  Franotsct,  autore  Luoà- 

Waddingo.  Romae,   1731  et  seqq. ,  17  vol.  in-fol. 
Waith.AnglS.  Angli^,  sacra,,  sive   GoUectio  historiarum  de  archiepiscopis   et  episcopis 

Aoigli»,  cura  Heuriei  Warthon.  Londirù,  1691,  169a,  a  vol.  in^folj — 

Idem  Warthon  de  Episcopis  et  Decanis  Londinensibus.  Londini,  169$ 

in-S-*?. 
Wood.  Hisloria  et  Aptiquitatea  universitatis  Oxoniensis,  autore  Antonio  à  Wood^ 

'  Oxonii,  Sheldon,  1674  et  167S,  a  vol.  in-fol.— Atheaœ  OxonictiMSv 

laondoo,  1721,  a^  vol.  in-ifol. 


TABLE 

UES    ARTICLES    CONTENUS    DANS    DB    VOLUME. 


Oerlon,  chanoine  de  Bt^eux,  poète  latin,  mort  après  1106.  pafge.  i 

Table  des  Citations xij 

Taille  des  Articles  contenus  dans  ce  -voliime xxTii 

Philippe  (l'Alsace ,  comte  de  Flandre  et  de  Vermandois ,  mort  en 

Ï191 •-. I 

Guigues  II,  prieur  de  la  Grande-Chartreuse,  mort  vers  1189 ïi 

Thibaud  ,  comte  de  Blois  ,  sénéchal  de  France,  mort  en  iigi 14 

Haoul  de  Zeringen ,  évèque  de  Liège,  mort  en  1191 i6 

Anonymes,  auteui-s  de  généalogies  des  comtes  de  Flandre i^ 

Pons  de  Capdueil ,  poète  provençal ,  mort  vers  1191 , aa 

PI       I        fT             -                              ..                   *                   ,                                                                 «fUDlil     ,  M 

leire  de  la  Vernegue,  poète  provençal,  mort  vers  1190. ...  .^ aS 

Placeutin  ,  jurisconsulte  ,  mort  vers  1192 .  .  . , aj 

Bernard,  abbé  de  Fojit-Caulde ,  mort  en  115a 4  et  Ermengaud,  abbé 

de  Saint-Gilles  ,  *nort  vers  1195 ,  .  . , .  . ,  35 

Adam ,  chanoine  régulier  de  Saint-Victor  de  Paris  ,  mort  vers  119a .  ^o 

Gautier,  abbé  d'Arronaise,  mort  en  irgi. . ^5 

Pierre  Mirmet,  abbé  d'Andernes,  mort  en  1193 ^8' 

Guarin ,   abbé    de  Sainte-Geneviève,   pais  de  S.   Victor  de  Paris, 

mort  vers  1194- •  •  • 5o 

'Guillaume,  ablié  de  la  Prée,  puis  de  Cîteàiit,  mort  en  1194 55 

Guy  de  Lusignan  ,  roi  de  Jérusalem  et  de  Chypre,  mort  en  1194.  •  •  Sjr 

Baymond  V,  comte  de  Toulouse,  mort  en  1194 59' 

Geofroi,  soi»- prieur  de  Sainte-Barbe,  ou  Godefroi,  chanoine  régu- 

.  lier  de  Saint- Victor  de  Paris,  mort  vers  1194 68 

Lambeit,  surnommé  le  Petit,   moine  de  Saint-Jacques  de  Liège, 

mort  en  1194  ,  et  autres  chroniqueurs  liégeois 85 

André  Sylvius,  prieur  de  l'abbaye  de  Marchiennes,  mort  en  1194, 

et  autres  écrivains  du  même  monastère 87 

Lambert  et  Guiman,  frères,  religieux  de  S.  Vast  d'Arras.  Guiman 

mourut  l'an  1193,  et  Lambert  un  peu  pliis  tard 9a 

•Guy  de  Basainville ,  précepteur  ou  maître  particulier  de  l'ofdre  des 

Templiers 9» 

da 


xxviij  TABLE 

Gautier  de  Lille  ou  de  Châtillon  ,  poète  latin loo 

Lambert  II  cors  et  Alexandre  de  Paris,  poètes  français >. . . .  iip 

L'article  d'Alexandre  de  Paris  se  trouve  plus  étendu  à  la  page i6o 

Blondel  ou  Blondiaus  de  Nesle ,  chansonnier  français i  ay 

Gilbert  ou  Gislebert  de  Mons,  chancelier  de  Baudoin  V,  comte  de 
Hainaut,  vivant  encore  l'an  1221,  mais  ayant  cessé  d'écrire  l'an 

Ï196 : Ï29 

Baudouin  V,  comte  de  Hainaut  de  Flandre,  mort  en  11 95 iSa 

Mathieu ,  abbé  de  Ninove ,  mort  en  iigS 1 34 

Écrivains  de  l'ordre  de  Grandmont  :  Etienne  de  Liciac  ,  mort  en  1161; 
Pierre  Bernardi  ou  de  Bré,  mort  après  iigS  ;  Guillaume  de  Tra- 
hinac,  mort  après  1188  j  Gérald  Ithier,  mort  après  1197;  Guil- 
laume Dandina  ou  de  Saint-Savin,  mort  après  1188 i35 

Raoul  de  Serres,  doyen  de  l'église  de  Reims,  mort  en  1196 i46 

Maurice  de  Sully,  évèque  de  Paris ,  mort  en  1196 1 49 

Alphonse  II,  roi  d'Aragon  et  comte  de  Provence ,  mort  en  1196. .  .  i58 

Alexandre  de  Bernai  ou  de  Paris,  poète  français 160 

Chrétien  de  Troyes ,  poète  français 1 63 

Thomas ,  moine  de  Froimont,  mort  vers  1196 264 

Guillaume  de  Long-Champ,  évèque  d'Ély,  mort  en  1197 267 

Hugues  Foucaut,  abbé  de  Saint-Denis  en  France,  mort  en  1197...  274 

Guiter  ou  Guitier,  abbé  de  S.  Loup  à  Troyes,  mort  en  1197 282 

Pierre  le  Chantre  de*  l'église  de  Paris ,  mort  en  1197 283 

Haimon  ,  religieux  de  Saint- Denis,  mort  vers  1200 3o3 

Eudes  de  Vaudemont,  évèque  de  Toul,  mort  en  1197  ou  1198 3o6 

Hugue  de  Nouant,  évèque  de  Coventri ,  mort  en  1198 3io 

Anonyme,  auteur  du  traité  sur  la  manière  de  rendre  la  justice,  vers 

1198. 3i4 

Melior  ou  Melchior ,  cardinal  de  l'église  romaine,  mort  vers  1198.  .  Ih. 

Richard ,  roi  d'Angleterre ,  mort  en  1199 Sao 

Michel  de  Corbeil,  archevêque  de  Sens,  mort  en  1199 ^ 324 

Roger,  doyen  de  l'église  de  Rouen,  mort  vers  1200 Say 

Thomas  le  Cistercien,  Th.   de  Perseigne,  Th.  de  Vaucelles,  mort 

vers   1200 ^*" 

Les  actes  du  procès  entre  les  églises  de  Tours  et  de  Dol ,  recueillis 
vers  laoo ,  touchant  le  droit  de  métropole  sur  la  province  de  Bre- 
tagne   ■ 3^4 

Bertère  ou  Bertier,  clerc  de  l'église  d'Orléans,  mort  vers 'i 200 337 

Pérégrin  ,  abbé  de  Fontaines-les-Blanches,  mort  après  i  200 34o 

Pierre  de  Blois,  archidiacre  de  Bath,  puis  de  Londres,  mort  vers 

1 200. 34 1 


DES   AUTEURS.  xxix 

Guillaume  de  Blois,  frère  du  précédent 4^3 

Pierre  de  Blois,  chancelier  de  l'église  de  Chartres 4i5 

Aynard  de  Moirenc,  archevêque  de  Vienne,  mort  vers  1200 417 

Mathieu  de  Vendôme,  poète  latin,  mort  vers  laoo 4ao 

Vital  de  Blois ,  poète  latin ,  mort  vers  laoo 428 

Arnaud  Daniel ,  poète  provençal 4^4 

Arnaud  de  Marveil ,  poète  provençal.  ..." 44 ï 

Berenger  de  Palasol ,  poète  provençal 44^ 

Bertrand  de  Lamanon ,  l'ancien  ,  poète  provençal 443 

Pierre  de  Botignac ,  poète  provençal 444 

Giraud  de  Salagnac,  poète  provençal 16. 

Gavaudan  le  vieux ,  poète  provençal 44^ 

La  comtesse  de  Die ,  poète  provençal 44^ 

Guillaume  de  Balaun  ,  et  Pierre  de  Barjac ,  poètes  provençaux 44? 

Guillaume,  de  Saint-Didier ,  poète  provençal 449 

Peyrob  d'Auvergne  ,  poète  provençal 4^4 

Pierre  Raimond  ,  poète  provençal 4^7 

Pierre  Rogiers ,  poète  provençal 4^9 

Pons  de  la  Garda ,  poète  provençal ^ 4^0 

Raimond  de  Durfort,  et  Truc  Malec,  poètes  provençaux 4^^ 

Albert  Cailla  ,  poète  provençal .....    4^3 

Guérin  ou  Garin  le  Brun ,  poète  provençal Ib. 

Raimond  Jordan,  vicomte  de  Saint-Antoni ,  poète  provençal 4^4 

Bail  de  Scola ,  poète  provençal 466 

Guillaume  Mite,  poète  provençal •• Il>. 

Bernard  de  Venfadour,  poète  provençal  ou  limousin 467 

Pierre  Vidal ,  poète  provençal 470 

Anonyme ,  auteur  d'une  vie  en  vers  provençaux  ou  languedociens 

de  S.  Amant ,  évêque  de  Rhodez 477 

Anonyme ,  poète  moral 479 

Autres  auteurs  anonymes,  en  prose  et  en  vers. . .  » 483 

Aymé  de  Varannes  ou  de  Châtillon  ,  poète  français 487 

Jehan  Priorat,  poète  français 491 

Luces  du  Gast,^Gasse  le  Blond,  —  Gautier  Map,  —  Robert  de  Bor- 
ron,  —  Helis  de  Borron, — Rusticien  de  Pise,  auteurs,  ou  plutôt 

translateurs  de»  anciens  romans  de  la  table  ronde 494 

Simon  de  Boulogne ,  traducteur  de  Solin ,  et  autres  traducteurs  fran- 
çais   5oo 

Jean  de  Lyon  et  Arnold,  de  la  secte  des  Vaudois.. 5o3 

Guillaume   de  Champagne,  cardinal,  archevêque  de  Reims,  mort 

en  i2oa > 524 


ïxx  TABLE 

Etienne,  abbé  de  Sainte-Geneviève  à  Paris,  puis  évéque  cîe  Tournai, 

mort  en  i2o3 5^4 

Anonymes ,  auteurs  de  chroniques  d'Anjou , 687 

Anonymes ,  auteprs  de  chroniques  de  Picardie 690 

Anonymes,  auteurs  de  chroniques  de  Bourgogne 594 

Anonymes,  auteurs  de  chroniques  de  Reims  et  du  pays  rémois. . . .   Sgô 
Anonymes,  auteurs  de  chroniques  de  Lorraine  et  des  trois  évêchés.  601 

Anonymes ,  historiens  ou  chroniqueurs  du  Berri 6o4 

Anonymes,  auteurs  de  morceaux  historiques  coïK^raant  la  Provence, 

le  Languedoc ,  et  la  marche  d'Espagne 606 

Lettres,  sermons  et  opuscules,  par  des  auteurs  morts  ve»s  la  6n  du 

Xir  siècle 608 

I.  Jean,  abbé  de  Vaucelles ,  mort  l'an  1190, Il>. 

a.  Jean,  abbé  de  Gemblou,  mort  en  1195 609 

3.  Gérard  Hector ,  évèque  de  Caho»%»  mort  eo  1199 Ib. 

4.  Alexandre ,  abbé  de  Jumiége. , 61Q 

5.  Jean  ,  religieux  d'Ourcamp i*. 

6.  Jean  d'Alich ,  prédicateur  à  Liég«. 611 

7.  Evrard  ou  Ervard,  religieux  du  Val-des-Ecoliers là. 

8-  Gui  de  Noyers,  archevêque  de  Sens,  mort  en  itgS /*. 

9.  Gauxier,  archevêque  de  Palerme,  m<»ct  en  1191 /^. 

10.  Guillaume  Raymond  ,  évêque  de  Maguelone ,  en  H95 613 

11.  Arnulfe  ou  Arnoul,  doyen  de  l'église  de  Bruges 6i3i 

II.  Genard,  auteur  d'un  Algorismus ,  ou  traité  da  compitt. IL 

i3.  Albéric  de  Vitij  ,  in  psalmos  et  de  computo  lurue là. 

14.  Hugues  de  Limo'^es ,  de  prœcepto  Dd  et  dc-alUs li. 

i5.  Bertrand  de  Poitiers,  religieux  de  Beaulieu  en  Limousin. . .     Ib. 

16.  Gislemar,  religieux  de  S.  Germain-des-Préa. Ib^ 

17.  Hugues,  évêque  de  Lincoln ,  mort  en  laoO 6i4 

Légendaires  du  XII"  siècle 6i5 

1-  Jean,  moine  de  Sithien,  ou  S.  Bertin  à  Saint-Omer /&. 

a.  Guillaume ,  abbé  d'Orbais ,  au  diocèse  de  Soissons Ib, 

3.  Jean  de  Béthune,  évêque  de  Cambrai,  mort  vers  1197 Ib. 

4.  Chrétien,  moine  de  la  Sauve,  au  diocèse  de  Bordeaux 616 

5.  Bernard  de  S.  Romain ,  abbé  de  Tournus Ib. 

6.  Joswin,  moine  de  BouUencourt,  au  diocèse  dje  Trc^es. ...     Ib. 
Anonymes  auteurs  de  Vie»  de  Sainu ,  composées  vers  la  fin.  du  XU' 

•iècle. 

I.  Vie  de  saint  Huges  ,  abbé  de  Bonnevaux,  en  Dauphiné... . .    618 

2-  Vie  de  saint  Albert  de  Louvain ,  évèque  de  Liège,  mort  en 
119a .....,..• •  • ,.    Ib. 


DES  AUTEURS.  xxxj 

3.  Vie  de  Sainte  Aime,  vierge  et  martyre 620 

4.  Vie  et  translation  de  S.  Austremoine Ib, 

5.  Légende  de  Sainte-Vérone 621 

6.  Deux  Légendes  de  S.  Chrysole  ou  Chryseuil 6aa 

7.  Vie  de  saint  Guidon  ,  confesseur Ib. 

8.  Vie  de  S.  Manvieu,  évêque  de  Bayeux 6a3 

9.  Vie  de  sainte  Rolande Ib. 

10.  Vie  de  S.  Firmin,  le  confesseur,  évêque  d'Amiens Ib. 

11.  Actes  de  S.  Clair,  évêque  et  martyr 6a4 

\i.  Actes  de  S.  Hilaire  du  Maine Ib, 

i3.  Légende  de  S.  Cérat ,  évêque  d'Auch Ib, 

14.  Légende  de  S.  Léger,  prêtre  du  diocèse  de  Chàlons-sur- 

Marne Ib. 

i5.  Vie  de  saint  Blier Ib. 

16.  Vie  de  saint  Mégèce ,  évêque  de  Besançon 6a5 

17.  Traité  sur  la  profession  des  liioines Ib. 

18.  Règlement  monastique 626 

19.  Statuts  du  monastère  de  Froidmont. Ib, 

ao.  Lettre  dç  S.  de  Namur  à  H.  de  Villiers ôay 

a  I .  Spéculum  eccUsiœ Ib, 

aa.   Tractatus  de  duobus  presbyteris ,  etc. Ib. 

•  a3.  Vie  de  S.  Magnobode  ou  Mainbœuf,  évêque  d'Angers. ....   6a8 

24.  Vie  de  sainte  Lutrude Ib, 

a5.  Relation  de  miracles  opérés  par  l'intercession  de  S.  Georgens 

à  Roye  ,  en  Picardie gan 

TaTile  des  auteurs  et  des  matières 63i 

Addition* 640 

Table  générale  des  auteurs  du  XII*  siècle,  contenus  dans  les  tomes 

IX,  X,  XI,  XII,  XIII,  XIV,  XV 645 


HISTOIRE  LITTÉRAIRE 
DE  LA  FRANCE. 


SUITE  DU  DOUZIÈME  SIÈCLE. 


PHILIPPE  D'ALSACE, 


COMTE  DE  FLANDRE  ET  DE  VERMANDOIS. 


1  HiLiPPE  d'Alsace ,  comte  de  Flandre ,  était  fils  de  Thierry    ^"  siècle. 
d'Alsace,  dont  nous  avons  parlé  dans  le  volume  précédent,    p. Sgôetsuiv. 
et  de  Sibylle,  fille   de  Foulques  d'Anjou,  roi  de  Jérusalem. 
Nous  avons  dit,  en  parlant  de  Thierry,  qu'avant  de  partir 
pour  son  troisième  voyage  de  la  Terre -Sainte,  il  associa 
Philippe  à   la   souveraineté  de  ses   états.  Philippe  n'avait      Lemire ,  an 
guères  que  quinze  ans,  et  néanmoins  il  était  déjà  devenu  ii68,p.2i3.- 
comte  d'Amiens  et  de  Vermandois ,  par  son  mariage  avec  ^'**'  *^^  ^^'  *' 


l'orne  XV. 


A 


XIII,  p.   276, 


a  PHILIPPE  D'ALSACE. 

XII  SIECLE.    Elisabeth,  sœur  et  héritière  de  Raoul ,  dit  le  Lépreux.  Il  unis- 


8i  et  ! 


279,  3o8,  414  sait   toujours   effectivement  ce  titre  à  celui  de  comte   de 
*M'£",     or     Flandres,  ainsi  qu'on  le  voit  dans  le  spicile'ffe  de  Dacherv, 

l.XI,p.55i.      .  ,  1  I         l'/Y"  '  Tx       1 

P.  3  ctsuiv.    ^^  sur-tout  dans  les  dulerens  actes  rapportes  par  Duchesne, 

aux  preuves  de  l'histoire  de  la  maison  de  Bëthune.  Philippe 

Lemire,  ans  Augustc  lui  disputa  dans  la  suite,  à  la  mort  d'Elisabeth,  les 

Marf.*^A'n'rcd!T  P^^*  ^l^^  ^^*  ^^'  donnaient,  et,  après  ime  assez  longue  guerre, 

111,11.390,391  u"  arrangement  peu   favorable   au   comte  Philippe  ne  lui 

et  669.  laissa  que  Péronne  et  Saint-Quentin. 

Philippe  avait  consacré  à  l'étude  des  lettres ,  non  sans 
succès ,  sa  première  jeunesse.  Il  avait  même,  sous  ce  rapport, 
des  connaissances  assez  étendues,  si  nous  nous  en  rappor- 
tons à  une  épître  intéressante  à  consulter,  de  Philippe  de 
Le».  16,  p.  Havinge ,  d'abord  prieur  et  ensuite  abbé  de  Bonne-Espé- 
rance, dans  le  diocèse  de  Cambray. 

Un  des  premiers  actes  qu'il  lit,  comme  prince,  est  le  traité 
relatif  aux  différends  qu'avaient  excités  les  gênes  et  les  rétri- 
butions auxquelles  les  Hollandais  voulaient  soumettre  le  com- 
merce des  Flamands. 

L'empereur  Frédéric  F""  avait  accordé  à  Florent  III,  comte 
de  Hollande,  un  péage  à  Geervliet  :  l'acte  en  est  dans  le  pre- 
P.  651.  —  mier  volume  du  Trésor  des  anecdotes  de  Martène.  Philippe, 
Meyer.aniiSy.  q^•  gouvernait  la  Flandre  au  nom  de  son  père  absent,  sen- 
sible aux  plaintes  que  les  commerçans  lui  adressaient,  en 
Meyer ,  ibid.  réclama  l'abolition,  mais  il  ne  put  l'obtenir.  Les  Hollandais 
76  ^"^3^'   "^    firent  même  d'autres  actes  dont  les  Flamands  s'irritèrent.  La 
Mey.anii65  victoire  prononça  contre  Florent.  Vaincu,  emprisonné,  dé- 
etii67.— chr.  claré  félou  par  un  jugement  qui  ordonna  la  confiscation  de 

VolsiusTnvn'  *°"^  ^^*  ^'^^^  9"'^^  *^"'»^'^  ^"  ^^^^^  f'^  Flandre,  il  ne  put 
p.  77.   '         '  recouvrer  sa  liberté  et  ses  domaines  perdus,  qu'en  signaiit 
un  traité  dont  le  comte  de  Boulogne ,  frère  de  Philippe ,  les 
comtes  de  Gueldres  et  de  Clèves,  et  aussi  les  évêques  de  Co- 
logne et  de  Liège,  furent  les  médiateurs.  Dom  Martène  et 
dom  Durand  ont  encore  imprimé  cet  acte  dans  le  premier 
P.  io35  et  volume  de  leur  Trésor  des  anecdotes.  La  date  de   11 47  est 
If?^'  ~  y°"^  évidemment  une  erreur  ;  Philippe  d'Alsace   n'eut  part  au 

Meyer,  p.  49.  •  '    1'  *^  '  ^  C 

gouvernement ,  comme  associe  de  son  père ,  qu  en  1 1 07 ,  pour 

Hist.  Litiér.  la  première  fois  :  il  ne  devint  seul  prince  souverain  qu'au 

,p.  3yt).  jjjQjg  jg  janvier  11 68,  ou, Si  l'on  veut  11 67,  dans  la  manière 

Art  de  yérif.  dc  Compter  alors  adoptée:  d'un  autre  côté,  Florent  III  n'était 

iTaoo*^*''^"'  ^^venu  comte  dç  Hollande  qu'à  la  mort  de  Théodoric  .son 

père,  arrivée  le  5  août  1 167.  J  observerai  encore  que  Thierry 


PHILIPPE  D'ALSACE.  3 

d'Alsace  était  mort  quand  le  traite  fut  conclu,  quoique  les    ^"  stECLh. 
auteurs  de  l'Art  de  vérifier  les  dates  semblent  dire  le  con-  t.  Iil,p.  aoi. 
traire.  II  vivait  bien  encore  au  moment  de  la  victoire  de  Phi- 
lippe et  au  commencement  des  négociations ,  mais  il  ne  vi- 
vait plus  au  moment  de  la  paix.  Le  traite  est  du  27  février 
1 168.  L'observation  est  plus  frappante  encore,  si  on  le  sup- 
pose du  mois  de  mars,  comme  le  font  les  mêmes  auteurs  a  T.  m,  p.  10. 
l'article  des  comtes  de  Flandre,  quoiqu'ils  lui  donnent  d'ail-  t.  iu,p.  aoi. 
leurs  cette  date  même  du  27  février,  à  l'article  des  comtes 
de  Hollande.  • 

Nous  citerons  quelques  dispositions  de  ce  traité,  celles 
que  l'on  peut  considérer  comme  des  lois ,  ou  qui  appartien- 
nent davantage  à  l'administration  intérieure  de  l'éttit. 

Les  revenus  des  pays  situés  entre  l'Escaut  et  Heydene-Zée,      An.  3  et  4  du 
doivent  être  également  partagés  entre  les  comtes  de  Flandre  *''''"''-■• 
et  ceux  de  Hollande ,  ainsi  que  les  terres  et  domaines  qui 
seraient  confisqués  pour  crime.  Les  liabitans  de  ces  pays  ne      y.  l'art,  a  du 
peuvent  demander  que  dans  la  ville  de  Bruges,  un  champ  ""'"*''■ 
pour  le  duel ,  c'est-à-dire  pour  se  justifier  par  le  combat  a 
défaut  de  preuvçs,  d'une  accusation  intentée.  Si  un  Flamand    Art.  6,  7  et  8. 
est  dépouillé  dans  un  lieu  dépendant  du  comte  de  Hollande, 
le  dommage  sera  réparé  par  les  habitans,  et,  en  cas  de  refus, 
par  le  comte  lui-même  :  le  coupable  sera  banni  de  l'endroit 
où  il  aura  commis  son  crime; ceux  qui  lui  donneraient  asyle 
dans  leur  maison  ou  sur  leur  territoire ,  seront  responsables 
de  tous  les  nouveaux  délits  qu'il  pourrait  commettre.  Si  l'ac- 
cusé nie  le  vol ,  ajoute  l'article  suivant,  1*  deux  comtes  pro-    Art.  loet  u. 
nonceront;  s'ils  ne  peuvent  s'accorder,  ils  nommeront  cha- 
cun six  prud'hommes  qui  jugeront  en  leur  nom;  s'il  y  a  par- 
tage encore  entre  ceux-ci,  on  décidera  en  faveur  du  comte 
plaignant ,  et  l'autre  souverain  ne  pourra  mettre  obstacle  à 
ce  que  le  dommage  soit  réparé. 

Quant  aux  droits  mis  sur  les  négocians  de  Flandre  par 
les  comtes  de  Hollande,  ceux-ci  promettent  de  les  ôter,de 
n'en  exiger  aucuns  à  l'avenir  ;  ils  se  soumettent  à  restituer 
tout  ce  qu'ils  peuvent  avoir  perçu  jusqu'au  jour  de  traité ,  à 
titre  de  péage,  de  taxe,  de  contribution,  de  quelque  ma- 
nière que  ce  soit.  Un  Flamand  qui,  en  traversant  la  Hol-  Art.  li. 
lande ,  serait  attaqué  par  un  de  ses  créanciers ,  pourra  se 
libérer  par  serment ,  et  si  le  créancier  persiste ,  c'est  au  lieu 
du  domicile  de  son  débiteur  qu'il  devra  le  poursuivre. 

Les  comtes  de  Hollande  ne  pourront  ériger  de  nouveaux      Art.  12, 14, 


XI!  SIECLE. 


4  PHILIPPE  D'ALSACE. 

fiefs  dans  les  pays  situes  entre  Heydene-Zée  et  l'Escaut.  Ils 
perdront  ceux  qui  sont  mouvans  des  comtes  de  Flandre, 
s'ils  contreviennent  à  un  des  articles  du  traité  et  qu'ils  per- 
sistent dans  leur  infraction  :  la  confiscation  même  pourra 
être  alors  prononcée  ;  les  vassaux  du  comte  de  Hollande 
seront  libres  envers  lui  de  leui's  obligations  et  de  leur  ser- 
ment; ils  n'auront  plus  de  devoirs  qu'envers  le  comte  de 
Flandre. 
Meyer ,  an      Philippe  gouvernait  encore  au  nom  de  son  père,  quand  il 
«"i'i^ri^  ~~  donna,  en  i  iGA.  des  privilèges  et  des  lois  à  la  ville  de  Nieu- 
deFian(ir.c.77,  port ,  dout  OU  la  regarde  comme  le  véritable  lonclateur  par 
p-  33.  tes  constructions  et  les  établissemens  qu'il  y  forma.  Sa  Charte 

est  signée  de  Mathieu,  comte  de  Boulogne,  son  frère,  et  de 
quelques  autres.  Plusieurs  écrivains  la  rappellent ,  et  l'histo- 
p.  125,  et  aux  rien  de  la  maison  de  Béthune  en  particulier.  On  y  remarque 
Pr.  p.  33.  encore ,  dans  le  comté  de  Flandre ,  l'usage  de  fépreuve  du 

fer  chaud  :  Si  guis  vulnus  in  nocte  acceptum  alii  imputaverit, 
dit  la  loi,  si  scabinis  (aux  échevins)  dignwn  vicletur ,  ferro 
candente  se  excusahit  accusatus;  si  aiifugerit  manum  perdet, 
et  ailleurs:  Si  fur  Docatus  accusatus  fuerit ,  ferro  candente 
se  excusahit;  si  culpabilis  pemianserit ,  suspendetur;  et  si 
accusans  in  antejuramento  defecerit^  accusatus  liber  erit. 

Un  fait  particulier  de  la  vie  de  PhiHppe  nous  rappelle 
quelques  châtimens  mis  en  usage  par  lui,  sans  doute  usités  de 
son  temps  en  Flandre,  et  toujours  les  épreuves  imposées  ou 
offertes  pour  la  iu|tification  des  accuses  :  Benoît  de  Péter- 


Hist.  de  Fr.  boroug  et  Raoul  deUiceto  nous  l'ont  conservé.  Philippe  soup- 
pt  io8.'^  '  çonnait  d'un  commerce  criminel,  Elisabeth  sa  femme  et  un 
jeune  homme  appelé  Gauthier  des  Fontaines  ;  il  les  épie  et 
les  trouve  enfermés  ensemble.  On  arrête  Gauthier,  qui  nie 
le  crime  et  offre  de  se  purger  de  l'accusation  par  toutes  les 
épreuves  connues.  Philippe  n'y  consent  pas  ;  i[  ordonne  de 
punir  sur-le-champ  le  coupable.  On  dépouille  Gauthier  de 
ses  vêtemens;  on  le  frappe  de  verges,  de  bâtons,  de  massues, 
et  on  le  suspend  ensuite,  à  demi-mort,  par  les  pieds,  à  une 
fourche ,  où  il  termine  sa  vie  dans  la  douleur  et  l'opprobre. 
P.  35ietsuiv.  D.  Dachery  a  publié,  dans  le  onzième  tome  du  Spicilége, 
sur  un  manuscrit  que  M.  de  Rebecque  lui  avait  communi- 
qué ,  d'autres  lettres  de  Philippe ,  postérieures  de  près  de 
vingt-cinq  années  à  celles  pour  la  ville  de  Nieuport ,  qui 
confirment  les  lois  et  coutumes  accordées  aux  habitans 
d'Aire  par  le  comte  Robert, dit  le  Jérosolymitain ,  et  la  com- 


PHILIPPE   D'ALSACE.  5 

tesse   Clémence    de    Bourgogne   sa  femme  ;  par  le   comte    xii  siècle. 
Charles  F"",  dit  le  Bon;  par  Guillaume  Cliton,  dit  le  Nor- 
mand ,  son  successeur  ;  et  enfin ,  par  Thierri  d'Alsace.  Quoi- 
?[u'il  nous  reste  peu  de  ces  lettres ,  tout  porte  à  croire  qu'elles 
urent  assez  nombreuses ,  et  que  beaucoup  de  villes  de  cette 
contrée  obtinrent  la  même  faveur  de  Philippe ,  ou  l'avaient 
dëja  obtenue  de  ses  préde'cesseurs.  Jean  d  Ypres  même  lui 
attribue  presque  toutes  les  lois  données  en  Flandre.  II  ôta 
cependant  à  quelques  villes  de  ses  états ,  mais  à  des  villes      Mart.  Anecd. 
qui  s'étaient  révoltées,  les  droits  dont  elles  avaient  joui  jus-  t-iii,p.  666. 
qu'alors,  comme  on  le  retrouve  dans  l'Art  de  vérifier  les    T. m, p.  12. 
aates  et  dans  la  nouvelle  collection  des  historiens  de  France.  T.xiii,p.  423. 
On  peut  voir  les  Annales  de  Meyer,  en  1178,  sur  les  lois      p.  Sa. 
données  à  la  ville  de  Gand. 

L'acte  dont  Aire  est  l'objet,  se  compose  de  dix-sept  arti- 
cles. Le  préambule  annonce  que,  prêt  a  partir  pour  la  Terre- 
Sainte  ,  où  le  fils  de  Dieu  nous  a  rachetés  par  son  sang  de 
la  puissance  du  démon,  le  prince  a  cru  devoir* assurer  de 
nouveau  la  liberté  et  les  immunités  dont  jouissent  ses  sujets  : 
il  a  donc  accueilli  de  bon  cœur  la  demande  que  les  habitans 
d'Aire  lui  ont  faite  de  les  leur  confirmer,  et  voici  en  consé- 
quence ce  qu'il  ordonne  : 

Douze  personnes  choisies  seront  les  juges  de  la  commune. 
Remarquons ,  dès  ces  premiers  mots,  qu'il  exprime  com- 
mune par  amicida  :  in  amicitid  sunt  auodecini  selecti  ju- 
dices.  Quelques  villes  avaient  déjà  formé  de  ces  confédéra- 
tions indiquées  par  l'expression  dont  le  comte  PhiHppe  fait 
usage,  et  la  fin  du  même  article  en  annonce  l'objet  et  la 
forme  :  Omnes  autern  ad  ainicitiam  pertinentes  villœ  per 
fidem  et  sacramentum  Jirmaverunt ,  quod  unus  subveniet 
alteri  tanquam  fratri  siio  in  ulili  et  honesto.  Ce  passage  est 
un  de  ceux  qui  peuvent  servir  à  prouver  l'ancienne  exis- 
tence de  ces  associations  faites  entre  les  habitans  d'un  même 
lieu ,  avec  promesse  et  serment  de  se  défendre  dans  tout  ce 
qui  est  honnête  et  utile,  pour  me  servir  des  termes  sous 
lesciuels  se  cache  la  véritable  pensée  des  contractans ,  c'est- 
à-dire  plus  particulièrement,  du  moins  contre  les  vexations 
des  seigneurs  ;  vexations  toujours  plus  étendues ,  plus  mul- 
tipliées et  plus  oppressives.  Aussi  voit-on  toujours  de  sem- 
blables amitiés  protégées  par  les  rois  ;  protection  qui  était 
une  suite  nécessaire  de  la  volonté  plus  générale  de  l'affran- 
chissement des  communes.   Le  serment  par  lequel  on  les 


Xn  SIECLE. 


6  PHILIPPE  D'ALSACE. 

cimentait  fit  plus  souvent  encore  de'signer  l'association  par 
jurata ,  communia  jiirata  ;  quelquefois  aussi  nous  lisons 
conjuratio ,  mot  qui  ne  suppose  pas  nécessairement,  comme 
on  l'a  cru,  une  insurrection,  une  révolte,  mais  qui  peut 
très-bien  indiquer  seulement  cette  action  du  serment  mutuel 

3ui  achevait  et  affermissait  l'union  :  ainsi ,  pour  ne  pas  sortir 
u  siècle  dont  nous  retraçons  l'histoire  littéraire ,  et  du  pays 
V. Dùcange,  même  que  Philippe  gouvernait,  une  charte  de  Thierri  a'Al- 
t.ll,p.<)69,au  gace,  son  père,  et  de  l'an  ii47i  porte  -  Concesserim,  homi- 
nibus   o.   liertini   ad  ropanngenem.  pertmentibus   ejusdem 
pacis  securitate per  omnia  gaudere,  quâ  Fumenses  fniuntur, 
quam,  conjuraverunt ,  in  qud  et  confinnati  sunt.  Une  charte 
Ann.deTiè-  Jq  même  sièclc ,  et  postérieure  seulement  de  quelques  an- 
p!8oi!^  '^°^"^'  liées,  elle  est  de  i  i6i ,  et  donnée  par  l'empereur  Frédérrc  F"", 
se  sert  également  de  conjuratio  pour  désigner  la  commune 
de  Trêves. 

L'article  premier  des  lettres  du  comte  de  Flandre  ne  déter- 
mine pas  iniquement  le  nombre  des  juges  ;  il  veut  que 
ceux-ci  promettent  et  jurent  de  ne  faire  aucune  acception, 
dans  leurs  jugemens ,  du  pauvre  et  du  riche ,  du  noble  et 
de  celui  qui  ne  l'est  pas,  du  voisin  ou  de  l'étranger, jcroo^ww 
0)61  extranei. 
Art.  3,4,6,  Les  articles  suivans  règlent  ce  qui  doit  être  fait  dans  le 
7,  8  et  12.  çgg  ^j{j  m^  (jçg  habitans  se  permettrait  envers  un  autre 
quelque  offense,  quelque  injure,  lui  occasionnerait  un  dom- 
mage ,  un  tort ,  quel  qu'il  pût  être  ;  la  poursuite  qui  doit 
avoir  lieu ,  les  personnes  à  qui  la  plainte  doit  être  adressée , 
celles  à  qui  le  jugement  en  doit  appartenir,  les  peines  qui 
doivent  être  prononcées.  L'accusé  peut,  dans  certains  cas, 
et  s'il  est  convaincu,  être  chassé  de  la  confédération,  de 
l'association  communale ,  ah  amicitia  communi  ejici.  On  voit 
dans  ces  articles  et  dans  les  suivans  encore,  qu'on  donnait 
-  au  chef  de  cette  association  de  la  ville ,  le  titre  de  Prœfectus 
amicitice. 

Les  peines  étaient  ordinairement  pécuniaires  pour  l'of- 
fense ou  le  dommage,  elles  l'étaient  même  pour  la  mort 
donnée  à  un  des  membres  de  la  commune ,  conjurato ,  c'est 
V.  l'art.  5,  p.  le  terme  employé  par  la  loi.  On  donnait  quarante  jours  au 
353  du  Spicil.  coupable  pour  réparer  son  crime ,  et  satisfaire  aux  parens  de 
la  personne  assassinée,  suivant  la  décision  porté»  à  cet  égard 
par  les  douze  juges  :  les  parens  et  les  amis  du  mort  ne  pou- 
vaient, sans  s  exposer  eujK-mêmes  à  des  peines,  se  refuser 


XII  SIECLE. 


PHILIPPE  D'ALSACE.  7 

à  accepter  la  réparation   que  ces  juges  avaient  prescrite. 

L'article  6  porte  que  si  quelqu'un  de  l'association  a  perdu 
des  effets  qui  lui  appartenaient,  ou  par  vol  ou  par  rapinç, 
et  qu'il  trouve  quelques  vestiges  des  objets  perdus,  il  adres- 
sera sa  plainte  au  préfet  de  l'union ,  lequel  ayant  rassemble' 
les  associés,  ira  avec  eux  pendant  uji  jour  entier  à  la  décou- 
verte de  ces  objets  ;  l'associé  qui  s'y  refuserait  payera ,  dans 
la  semaine ,  une  amende  de  cinq  sols  à  l'association. 

Si  un  homme  étranger  à  la  confédération  a  volé  un  homme      Art.  7 ,  Ma. 

3ui  en  fait  partie,  le  préfet,  la  plainte  et  les  témoins  enten- 
us ,  mandera  le  coupable ,  et  si  ce  dernier  ne  compose  pas 
avec  celui  qui  aura  été  volé^on  lui  défendra  de  venir  aux 
marchés  de  la  commune.  La«même  interdiction  est  appli- 
quée ,  avec  quelques  autres  peines ,  à  quelques  autres  délits 
rappelés  dans  les  huitième  et  neuvième  articles.  Le  dixième 
condamne  à  cinq  sols  envers  la  commune,  payables  égale- 
ment dans  les  huit  jours ,  tout  membre  de  1  association  qui 
ne  se  réunirait  pas  aux  autres  pour  appaiser  des  troubles 
survenus.   Le    onzième    concerne    un    nomme    étranger  à 
l'union ,  qui  ayant  blessé ,  même  tué  un  homme  qui  en  fait  ^ 
partie ,* et  d'abord  fugitif,  est  pris  enfin ,  après  une,  deux 
ou  plusieurs  années.  Le  douzième  assure  immunité  et  ga- 
rantie aux  marchands  venant  aux  foires  ou  marchés  de  la 
commune ,  quelques  cas  exceptés.  Le  treizième  règle  ce  que 
doivent  faire  les  ecclésiastiques.  Le  quatorzième  établit  que 
chaque  associé  contribuera  d'un  écu  à  soulager  le  malheur 
d'un   membre  de  l'association ,  dont  la  maison  aurait  été 
brîilée.  Le  quinzième  réserve  les  droits  du  comte  de  Flandre, 
et  le  seizième  les  réserve  de  nouveau,  en  confirmant  d'ail- 
leurs d'une  manière  générale  les  articles  que  nous  venons 
d'analyser.  Le  dix-septième  renouvelle  et  confirme  aussi  un 
don  plus  ancien  de  Robert  le  Jérosolymitain,  et  de  Clémence 
de  Bourgogne ,  sa  femme. 

Nous  avons  déjà  dit  que  cet  acte  est  de  1 188 ,  et  que  Phi- 
lippe y  annonce  qu'il  est  prêt  à  partir  pour  la  Terre-Sainte, 
peregrinaturi  in  terrant  sanctam  dignuni  duximus ,  etc.  Il 
partit  en  effet  cette   année  même.  Ainsi  on  retarde  trop 
son  voyage,  quand  on  ne  le  place  qu'en   1190,  comme  le 
fait,  par  exemple,  Aubert  Lemire.  C'était  au  l'êste  la  seconde      Rer.  Ueigic. 
fois  que  Philippe  se  croisait.  Il  était  déjà  allé  dans  l'orient  CLronic.p.244. 
en  II 77,  et  en  était  revenu  l'année  suivante.  Guillaume  de      ihid.  p.  227 
Newbridge  et  plusieurs  autres  écrivains  ont  célébré  ses  hauts  *'  ^^°- 

Liv.  IIIjC.  II. 


8  PHILIPPE  D'ALSACE. 

XII  SIECLE,    fgjjg  d'armes^  en  Orient.   Baudoin  IV,  roi  de  Jérusalem, 

accablé  d'infirmités,  avait  voulu  lui  confier  la  régence  de 

Guiii.deTyr.  son  royaume  ;  mais  le  comte  de  Flandre  s'y  refusa.  Il  accepta 

— Mevei  i.vi    ^^^^^  ^^  France  peu  de  temps  après  son  retour  en  Europe; 

p. 5i,anii77!  Louis-lc-Jcune  la  lui  avait. donnée  par  son  testament.  Ce  fut 

Meyer,iiv.vi,  avcc  Philippe- Aufifuste  qu'il  entreprit  son  second  voyage  à 

p.5.,ani,79-  i^  Terre-Sainte.       ,  . 

Il  n'y  était  arrivé  que  depuis  quelques  mois  quand  il  y 

mourut  de  la  peste ,  au  siège  de  Saint-Jean-d'Acre  ou  Ptolé- 

Liv.  Vl,p.  57.  maïs,  avant  que  cette  ville  fût  prise,  disent  Meyer  dans  ses 

L.xvm,c.56.  Annales  de  Flandre,  Jacques  de  Guise  dans  ses  Annales  de 

Duchesne,  Halnaut,  et  Rigord  dans  la  Vi«  de  Philippe-Auguste.  Meyer, 

'  ^'     ■        dans  l'ouvrage  que  nous  ven«ns  de  citer ,  Hiigo ,  dans  les 

T. I,p.  xSg,  Annales  de  l'ordre  de  Prémontré,  Marlot,  dans  son  Histoire 

^^u\  426.    ^^  1^  métropole  de  Reims,  les  auteurs  de  l'Art  de  vérifier  les 

T.  iiî.p.  i3.    dates,  et  la  plupart  des  autres  écrivains,  placent  la  mort  de 

Philippe  au  premier  juin  de  l'année  irf)i  ;  Jean  d'Ypres, 

Chron.  de  S.  l'auteur  de  la  généalogie  des  comtes  de  Flandre ,  et  Jean 

^ntcd.deliîvu  ^^uzclin ,  dans  SOU  Histoire  sacrée  et  profane  de  la  Flandre 

•  p.  676.  -   française ,  la  placent  au  premier  juillet  seulement. 

Mart.ibid.f.       U  mourut  sans  laisser  d'enfans  des  deux  mariages  qu'il 

Art  de  vérif   ^'^^^^  Contractés ,  le  premier  avec  Isabelle ,  sœur  de  Raoul  le 

les  dates,  t.  iir,  Lépreux  ,  comte  de  Vermandois,  et  le  second  avec  Mathilde, 

p.  12.  — Mart.  fille  d'Alphonse,  roi  de  Portugal.  Il  fut  d'abord  inhumé  dans 

et  Hugo,  dict.  jg  cimetière  Saint-Nicolas,  hors  des  murs  de  la  ville   de 

jocis. — Lemire,    ^    •  t  u  »  '  •  t->  1 

aniigi.— Mar-  ï>aint-Jean-d  Acrc ,  transporte  ensuite  en  rrance  par  les 
chant,  Descript.  soius  de  Mathildc ,  et  enterré  à  Clairvaux. 
^e'^er'iiv  vi        ^^  avait,  en  1180,  marié  à  Philippe- Auguste  Isabelle  de 
p.  52  et  53.  —  Hainaut ,  fille  de  la  comtesse  Marguerite ,  sa  sœur ,  et  de 
Lemir.aniigî.  Baudoiu  V,  et  lui  avait  donné  pour  dot  Saint-Omer,  Aire, 
Tni*'^'  38  —  ^^''^^1  Bapaume,  les  comtés  de  Lens  et  d'Hesdin,  les  terri- 
Hist.'de  Fr.  t.  toires  de  Boulogne,  de  Saint-Pol,  de  Guines,  de  Lillers,  etc., 
Xill ,  \i.  58o,  ce  qui  a  formé  le  comté  d'Artois.  Un  pareil  démembrement 
et  7J0.        j^g  f^^.  pgg  seulement  nuisible  par  l'extrême  diminution  des 
états  que  les  comtes  de  Flandre  gouvernaient ,  il  le  fut  en- 
core par  les  guerres  qu'il  occasionna  entre  ces  souverains  et 
P.  201.        les  rois  de  France.  Quelques  auteurs  flamands.  Marchant,  par 
Fiandr.  111.  t.  exemple,  et  d'après  lui  Sander, l'auteur  aussi  de  la  généalogie 
'^'  des  comtes  de  Flandre,  imprimée  au  tome  III  du  Trésor  des 

P.  388.  Anecdotes  de  Martène ,  retrouvent  dans  cette  dispersion 
d'une  partie  du  patrimoine  de  Philippe,  l'accomplissement 
d'une  exclamation  qu'ils  supposent  avoir  été  proférée  par  ce 


PHILIPPE   D'ALSACE.  9 

,,     ,           .   .,          .          j                .                    ir     ^      *         •!.•    XII  SIECLE, 
prince,  des  le  troisième  jour  de  sa  naissance  :  nvaciiate  mihi  

domum.  Sander ,  qui  copie   si    souvent ,  dans  sa  Flandre 

illustrée  ,  la  description  de  Jacques  Marchant ,  n'a  pas  osé 

du  moins  répéter  cette  exclamation  prophétique. 

Le  comte  Pliilippe  a  obtenu  beaucoup  d'éloges  des  auteurs 

contemporains,  et  de  ceux  qui  leur  ont  succédé.  Quetn  jus- 

titia ,  fortitiido  et  liberaUtas ,  omnibus  bonis  laudabilemfecit 

etamabilem,  dit  Baudoin  de  Ninove,  dans  sa  Chronique.  Un      AmiSSdan» 

écrivain  du  XIl*"  siècle,  après  avoir  rappelé  avec  ciuel  suc-  Hugo,Sacr8ean- 

ces  ce  prince  gouverna  pendant  vingt-quatre  années,  dit  n^p.  ,,3. 

qu'aucun  comte  de  Flandre  ne  l'emporta  sur  lui  en  gloire, 

en  richesses ,_  en  prudence,  en  autorité,  en  amour  de  la 

justice,  en  courage  et  en  humanité  à  la  tète  des  armées;  il  le      Hugo,  Ann. 

compare  aux.  Macchabées ,  et  ajoute  ces  mots  qui  peuvent  l^^^^r"""  J'^p!' 

c  •  A.         \  Il  p        •  11  '      .       .         '■         '  .  ..       1.  '•  A»  aux  rr. 

taire  reconnaître  a  quelle  profession  1  écrivain  appartenait  :  p.  140. 
Cleiicos  honorabat ,  monachos  complcctebatur ,  pauperes 
defendebat ,  causas  religiosoniin ,  etiam  contra  suos  quando- 
que  barones  et  milites,  tuebatur.  Il  parle  ensuite  de  .toute  la 
aouleur  que  sa  mort  causa  aux  Flamands,  au  clergé  sur-tout 
et  au  peuple,  et  de  la  division  des  états  de  Philippe  en  trois 
parties. 

Ces  éloges,  mérités  à  beaucoup  d'égards,  sont  dus  aussi 
en  partie  aux  libéralités  extrêmes  de   ce   prince  envers   les 
églises  et  les  monastères,  et  à  son  édifiante  piété.  Les  mo- 
numens  de  plusieurs  de  ces  libéralités  ont  été  conservés  par 
Duchesne  dans  les  preuves  de  son  Histoire  de  la  maison  de      p.  34,35  4» 
Béthune.  Il  y  a  une  de  ces  chartes  au  tome  III  de  la  France  et  «uiv. 
chrétienne;  une  autre,  de  l'année  1169,  est  un  don  fait  à-    Preuv. p.  lao. 
la-fois  par  Philippe  et  par  Elisabeth,  qu'il  y  appelle  Nostrœ      Duch.  p.  36. 
dignltatis  et  legitimi  tnori  socia.  Il  augmenta  sur -tout  les       Lemire,  an 
revenus  de  l'église  de  Saint-Basile  de  Bruges,  oii  Théodoric,  1187.— v.d'au- 
son  père,  avait  fait  déposer  la  fiole  du  sang  de  Jésus-Christ,  riq! f. n^nfîts 
qu'on  lui  avait  donnée  en  Asie.  Sa  piété  l'avait  lié  avec  Tho- 
mas de  Cantorbéry ,  et  l'avait  ensuite  conduit  en  Angleterre 
Sour  honorer  son  tombeau.  Il  est  parlé  aussi  avec  beaucoup 
'éloge  du  comte  de  Flandre,  dans  les  épîtres  de  ce  prélat    p. 77,85,310, 
ou  à  ce  prélat.  Nous  avons  une  assez  longue  lettre  d'Eudes  623. —  v.  le  t. 
-ou  Odon,  prieur  de  l'église  de  Cantorbéry,  dont  le  seul  ÏJÏ/p.  S9  i 
objet  est  de  rendre  compte  à  Philippe  de  toutes  les  guéri-  168,  279,  41a 
sons  miraculeuses  d'aveugles  et  dé  sourds,  d'hydropiques  et  *'  ^74- 
de  lépreux ,  de  boiteux ,  de  perclus ,  d'insensés ,  de  muets ,  etc. ,  c<^.Ti,  p 'ssa 
opérées  par  l'intercession  de  saint  Thomas  sur  les  malades  et  »uir.  ' 
Tome  XF.  B 


lo  PHILIPPE  D'ALSAGEÏ 

XII  SIECLL.      ^  venaient  l'implorer.  Nous  en  avons  une  plus  ancienne  âe 
Philippe  lui-même,  écrite  en  1170  au  pape  Alexandre  III  en 
faveur  de  l'archevêque  de  Cantorbéry;  elle  est  pareillement 
Liv.  III,  ep.  imprimée  dans   le  recncil  des  épîtres  du  prélat.  Alexandre 
96,  p.  623.        jg  ]jjj  avait  recommandé  avec  le  plus  vif  intérêt  par   une 
Liv^ii'^'sio   ^**^®  publiée  dans  la  même  collection.  Par  une  autre,  il 
charge   Thomas  de   demander  au  prince   une    subvention 
pieuse  pour  venir  au  secours  de  l'église.  Nous  trouvons  ce- 
s-fart. Ampl.  pendant  quelques  lettres  d'Alexandre  moins  favorables,  moins 
cdlL  t.  II,  T-  confiantes  pour  ce  souverain  :  deux  sont  écrites  à  l'arche- 
—  Hist.  de  Fr.  veque  de  neims,  et  Philippe  y  est  accuse  cl  avoir  enlevé  vio- 
t.  XV,  p.  861,  lemment  les  reliques  du  monastère  de  Saint-Wast.  Le  pape 
864  et  932.        déclare,  dans  la  troisième,  ne  lui  avoir  accordé  aucune  imt 
muuité  contraire  aux  droits  et  à  la  dignité  de  cet  archevêque^ 
L'abbaye  de  Clairvaux  est  une  de  celles  qui  reçurent  te 
plus  de  témoignages  de  la  pieuse  générosité  de  Philippe.  Dom 
P.  632et639.  Màrtènc  a  placé  dans  le  premier  tome  de  ses  Anecclotes  |)lu- 
sicurs  actes  dont  elle  est  l'objet.  Par  le  premier,  qui  est  de 
1188,  il  lui  donne  duas  lestas  alecium ,  deux  lests  (charges) 
de  harengs,   payables,  chaque  année,  à  la  fête  de  Saint- 
André.  Par  la  seconde,  il  lui  fait  présent  d'une  chapelle  qu'il 
avait   portée  avec  lui  en  Orient,  et  de  tous  les  ornemens, 
vases,  etc.  qui  servaient  à  cette  chapelle.  Par  la  troisîènie,  il 
approuve   le   don   d'une  chai>fc'lle   encore,  que  la  comtesse 
Mathilde,  sa  femme  ,  avait  fait  à  la  même  abbaye  de  Clair- 
vaux.  ^•■'»  "<*»*"  ^ 
Jiait.  Àmpl.       Par  une  charte  de  Tan  1 17^),  Adam,  abbé  des'ï't-émontrés 
coll.t.i,p.gi4.  ^g  Saint-André,  de  Gâteau -Cambrésis,  cède  à  Philippe  les 
forêts  de  son  abbaye ,  em  récompense  de  l'appui  et  de^  ses 
cours  qu'elle  en  avait  reçus  dans  le  temps  de  son  oppression. 
Cette  charte  est  une  nouvelle  preuve  de  la  piété  du  comte 
de  Flandre  et  de  sa  protection,  active  pour  les  établissemens 
et  les  personnes  consacrés  à  la  religion. 

Il  n'accorda  pas  une  protection  moins  active  au  commerce. 
Nous  avons  rappelé,  au  commencement  de  cet  article,  les 
guerres  qu'il  eut  à  soutenir  et  les  succès  qu'il  obtint  contre 
An  1176, p. 52.  les  Hollandais.  Meyer  rappelle  aussi,  dans  le  sixième  livre 
de  ses  Annales,  une  convention  faite  en  1 178,  avec  l'arche- 
vêque de  Cologne,  qui  fut  d'une  grande  utilité  aux  négocians 
de  Flandre.  P. 


»t 


XII  SIECLE. 


GUIGUES  II, 

PRIEUR  DE  LA  GRANDE  CHARTREUSE. 

vjuiGUES  fut  e'ia  prieur  de  la  g^rande  Chartreuse  après  la 
mort  de  Basile,  arrivée  le  i4  juin  i  lyS.  Un  anonyme,  qui  a      Mart.  Ampl. 
composé,  vers  le  milieu  du  XV'=  siècle,  une  petite  histoire  Coiiect.  t.  vr, 
des  chartreux,  l'appelle  Hugues,  et  cette  erreur  es-t   cause  •^°'- ''^' 

S  le  dans  aucun  des  historieas  de  l'ordi'e  il  nVst  parlé  de 
uigues  II.  Il  est  pourtant  vrai  que  c'est  à  Guignes,  prieur, 
de  la  Chartreuse ,  qu'est  adressée  une  bulle  (i)  du  pape 
Alexandre  iri,  donnée  à  Anagni,  le  2  septembre  1 176,  et  ce 
Guignes  ne  peut  être  le  prieur  du  même  nom  qui  mourut 
l'an  1 1 3y.  Ce  qu'on  dit  que  Hugues ,  après  deux  ans  de  pré- 
latiire,  se  démit  de  sa  charge,  doit  s'eiitendre  de  Guigues; 
mais  au  lieu  de  deux  ans  de  pi^latwe,  la  bulle  du  pape 
Alexandre  III  nous  autorise  à  lui  en  accorder  trois  ou  même 
quatre  ;  et,  comme  l'on  ajoute  qu'il  vécut  encore  douze  ans 
après  sa  déposition,  il  doit  être  mort  l'an  1188  ou  1189. 
C  était  un  homme  entièrement  livré  à  la  contemplation  des 
choses  du  ciel  et  peu  propre  à  gouverner  les  affaires  de  la 
terre  :  ce  qui  fait  qu'on  le  regardait  non  comme  un  homme, 
mais  comme  un  ange.  C'est  aussi  l'idée  qu'on  pourrait  pren- 
dre de  son  esprit,  s'il  était  vrai  qu'il  fût  l'auteur  de  quelques 
ouvrages  qu'oii  lui  attribue. 

1°  Le  premier  est  un  traité  qu'on  trouve  dans  toutes  les      Append.i.i, 
éditions  de  saint  Augustin  et  de  saint  fiernardi,  intitulé  dans  P-  >S3. 
les  premières,  Scala  paradisi,  et  dans  les  dernières,  Scala      Bern.  op.  t, 
claustralium ,  sive  tractatus  de  modo  orandi.ljGS  éditeurs  de  H,  col.  3ii. 
saint  Augustin  et  D.  Mabillon  s'accordent  à  dire  que  ce  traité 
n'est  ni  de  saint  Augustin  ni  de  saint  Bernard.  Mais,  comme 
dans  un  manuscrit  de  la  diartreuse  de  Cologne,  ce  traité  a 
pour  titre  :  Epistola  domni  Gidgonis  Cartusiensis  ad  fintrem 
Getvasium  de  mtd  contemplât im ,  il  faut  qu'il  .ait  été  composé 
par  Guigues  I  ou  par  Guigues  II,  qui  nous  occupe.  D.  IMabillon 
•  n'a  pas  décidé  la  question  ;  mais  les  auteurs  de  l'histoire  lit-      Hist.  Littér. 


,(i)  Cette  huile  est  imprimée  à  la  suite  des  statuts  de  l'ordre  des  char- 
tJ!eux,iédit  de  i3ao. 


t.  XI,  p.  655. 


Ba 


12  GUIGUES  II. 

XII  SIECLE,  j^paire,  à  l'article  de  Guides  I,  n'ont  pas  hésité  à  le  donner 
au  second.  En  adoptant  leur  opinion,  nous  ajouterons  aux 
raisons  qu'ils  ont  alléguées ,  que  le  moine  Gervais,  auquel 
cet  ouvrage  est  adressé,  est  vraisemblablement  ce  Gervais 

3ui  devint  prieur  de  la  chartreuse  du  Mont -Dieu,  dans  le 
iocèse  de  Reims,  vers  l'an  ii5i.  Or,  comme  la  chartreuse 
du  Mont-Dieu  n'a  été  fondée  que  l'an  1 136,  ce  traité  ne  peut 
avoir  été  composé  par  Guigues  I,  mort,  comme  nous  l'avons 
dit,  l'an  1 187;  et  attendu  que  Guigues  ne  prend  pas  la  qua- 
lité de  prieur,  et  qu'il  ne  la  donne  pas  non  plus  à  Gervais, 
il  faut  que  ce  traité  ait  été  compose  avant  l'an  1 1 5o.  Ce  rai- 
sonnement est  appuyé  sur  ce  que  dit  l'auteur,  qu'il  dédie 
à  Gervais  les  j)remiers  fruits  de  son  travail  :  Hœc  nostri  la- 
boris  initia  tihi primittis  offero ,  ut  novelke  plantationis  pri- 
Ttiitii'os  fnictus  colligas  ;  langage  qui  ne  peut  convenir  à 
Guigues  I,  s'il  est  vrai  que  l'écrit  soit  adressé  à  Gervais 
du  Mont-Dieu. 

Ce  traité  ,  comme  nous  l'avons  dit,  a  été  imprimé  plusieurs 
fois ,  soit  parmi  les  œuvres  de  saint  Augustin ,  soit  parmi 
celles  de  saint  Bernard.  Il  est  fort  court,  et  ne  contient  que 
treize  chapitres.  Cette  échelle,  quoiqu'elle  aboutisse  au  ciel, 
et  qu'elle  mène  en  paradis,  n'a  que  quatre  échelons;  on  y 
monte  par  la  lecture,  la  méditation,  l'oraison,  et  la  contem- 
plation ;  car  l'auteur  distingue  ces  trois  dernières  choses. 
Bibl.  Patr.  t.       2°  Le  P.  Fran.  Chifflet  a  publié  un  ouvrage  plus  consi- 
XXIV,  p.  i463  dérable  ayant  pour  titre  :  De  quadripartito  exercitio  cellœ, 
**'^'  qu'il  attribue  à   Guigues  II,  quoique  l'écrit  soit  anonyme 

dans  les  deux  manuscrits  dont  il  s'est  servi.  II  est  certain  que 
cet  écrit  a  beaucoup  d'analogie  avec  le  précédent;  et  si  nous 
sommes  fondés  à  donner  à  Guigues  le  premier,  il  y  aurait 
quelque  raison  de  ne  pas  lui  refuser  celui-ci.  Le  savant  jé- 
suite a  mis  à  la  tête  de  l'ouvrage  une  dissertation  dans  la- 
quelle il  prouve  que  l'auteur  était  certainement  un  chartreux, 
et  que  ce  ne  peut  être  Guigues  I  ou  l'ancien  ;  mais  il  nous 
semble  qu'il  ne  prouve  pas  aussi-bien  que  l'ouvrage  ait  été 
composé  par  Guigues  II.  Examinons  ses  raisons  :  la  prin- 
cipale est  tirée  du  prologue  ou  épître  dédicatoire  adressée  au 
prieur  des  chartreux  de  Wittenam  en  Angleterre,  dont  le 
nom  n'est  désigné  que  par  la  lettre  B.  Le  P.  Chififlet  nous 
paraît  assez  fondé  à  croire  que  la  lettre  B  désigne  le  prieur 
Bovon,  mentionné  dans  une  vie  de  saint  Hugues ,  évoque  de 
Lincoln,  dont  Bovon  fut  le  successeur  dans  le  prieuré  de 


XII  SIECLE. 


GUIGUE§  II.  i3 

Witteham,  l'an  1186.  Mais  il  n'a  pas  repondu  à  toutes  les 
difficultés  que  présente  contre  son  opinion  cette  épître  dé- 
dicatoire.  A  celle  qui  résulte  de  la  qualité  que  l'auteur  se 
donne  spiritualis  uteri  vestn  films ,  on  répond  qu'apparem- 
ment Bovon  était  le  directeur  spirituel  de  Guignes,  lorsqu'ils 
vivaient  ensemble  à  la  grande  Chartreuse,  et  l'on  cite  à  l'appui 
de  cette  conjecture  une  charte  de  l'an  11 85,  dans  laquelle  Gui- 
gnes et  Bovon  comparaissent  comme  témoins.  Mais  que  ré- 
pondre à  ce  que  dit  l'auteur  dans  sou  épître,  qu'il  ne  con- 
naissait guère  les  avantages  de  la  cellule  que  par  ouï-dire  ; 
au'il  n'en  avait  que  très -peu  ou  point  au  tout  goûté  les 
ouceurs.''  Et  ego  quid  loqui  digne possem  de  dulcedine  cellœ, 
quem  constat  (  sicut  negare  non  valeo  nec  volo)  aliquid  de 
eâ  vel  tenuiter  audisse ,  quce  'vero ,  jqualis ,  quantave  sit,  vel 
nihil  omnino ,  vel  modicurn  certè  aliquando  expertum  fuisse  ? 
Ce  langage  est -il  applicable  à  un  vieillard  consommé  dans 
les  exercices  du  cloître,  (lu'on  nous  représente  comme  im 
homme  tout  absorbé  en  Dieu,  qui,  pour  goûter  les  dou- 
ceurs de  la  solitude ,  abdiqua ,  après  un  gouvernement  de 
de  trois  ou  quatre  ans ,  la  première  place  de  l'ordre  }  Con- 
cluons, pour  ne  faire  aucune  violence  au  texte,  que  l'ouvrage 
de  Guigues  Scala  claustrensium  a  pu  servir  de  type  à  celui- 
ci  ;  qu'il  a  été  retravaillé  et  amplifié  sous  un  autre  titre  par 
quelque  chartreux  de  Witteham,  qui  reconnaissait  Bovon 
pour  son  supérieur  ou  son  père  spirituel ,  comme  ayant  été 
engendré  par  lui  à  la  religion  ;  et  comme  cet  ouvrage ,  qiiel- 
qu'en  soit  l'auteur,  appartient  à  l'époque  où  nous  sommes 
parvenus,  voici  en  quoi  il  consiste. 

Il  est  composé  de  trente-six  chapitres,  et  roule  sur  la  ma-  ^ 

nière  d'employer  utilement  et  saintement  la  retraite  et  la 
solitude  à  laquelle  sont  dévoués  les  chartreux.  Les  moyens 
sont  la  lecture,  la  méditation,  la  prière  et  le  travail  des  mains. 
L'auteur  de  l'échelle  n'avait  pas  parlé  du  travail  des  mains  ; 
celui-ci  insiste  beaucoup  sur  cet  article,  et  recommande  sur- 
tout la  transcription  des  livres  :  Hoc  autem  esse  débet  spe-  Cap.  36. 
cialiter  opus  tiium,  ut  libns  scrihendis  operam  diligenter 
impendas.  Hoc  siquidem  spéciale  esse  débet  opus  cartu- 
siensium  inclusonim.  Et  il  le  prouve  par  les  statuts  du  bien- 
heureux Guigues,  qu'il  rappoite. 

Cet  ouvrage  fut  imprimé  d'abord  à  Dijon  l'an  1667  par  le 
P.  Chifflet,  dans  un  volume  in-S»,  auquel  il  a  donné  pour 
titre  :  Manuale  solitariorum ,  è  veterum  p0rum  cartusien- 


Xn  SiECLE. 


i4  THIBAUD,  COMTE  DE  BLOIS. 

sium  cellis  depromptum.  II  a  passe  ensttite  dans  la  grande 
Bibliothèque  des  pères,  tom.  XXJV,  pag.  i463-i5oo. 

B. 


THIBAUD, 

COMTE  DE  BLOIS,  SÉNÉCHAL  DE  FRANCE. 

i  HiBA  UD,  surnommé  le  Bon,  eut  en  partage  daos  la  suc- 
^cessjon  de  scmpère,  Thibaud-le-Grand  cm.  le  Saint,  les  comtes 
de  Chartres  et  de  Blois,  à  la  charge  de  l'hommage  envers 
son  frère  aîné  Henri-le-Libe'ral ,  comte  de  Champagne.  Thi- 
Joan.Saresb.  baud  était,  au  jugement  de  Jean  de  Sarisbéry,  l'hora'me  de 
ep.  89,  p.  178.  gQjj  tenips  Je  ^ns  versé  dans  la  connaissance  du  droit  fran- 
çais. Illustris  Blesensium  cornes  Theobcddus ,  dit-il ,  princeps 
quideni  justitiœ  amator  et  juris  citramontani  peritissinuts. 
Cette  profonde  connaissance  des  lois  de  son  pays  convenait 
parfaitement  au  grand  sénéchal  de  France,  chef  du  conseil 
du  roi,  et  organe  de  ses  décisions  ;  charge  (jue  Thibaud 
fcxerça  depuis  l'année  1 154  jusqu'à  sa  mort,  arrivée  au  siège 
d'Acre,  en  Syrie,  l'an  1191.  C'est  à  ce  titre  que  nous  avons 
eru  devoir  lui  consacrer  un  article  dans  notre  histoire.  Son 
ïiom  paraît  dans  toutes  les  décisions  émanées  du  conseil  du 
roi  pendant  cet  espace  de  temps,  sous  les  rois  Louis-le-Jeune 
>m^  -et  Philippe-Auguste  :  ce  ne  fut  qu'après  sa  mort  que  la  charge 

de  sénécnal  fut  supprimée.  Cependant  ce  n'est  pas  des  actes 
<le  cette  nature  que  nous  voulons  nous  occuper;  nous  nous 
l)ornerons  à  donner  la  notice  de  quelques-unes  de  ses  let- 
tres échappées  aux  ravages  du  temps. 
Duchesne,       1°  Lettre  au  roi  Louis-le-Jeune,  touchant  l'élection  de  son 
t.iv,  p.  70&.—  frère  Guillaume  à  l'évêché  de  Chartres,  l'an  n64.  11  expose 
^"loi  '  ^^^'  ®^  ^°^  ^"*^  ^  pendant  l'absence  et  à  l'insu  du  doyen,  le  prévôt 
•Geofroi    s'était  fait   élire   par  quelques-uns   des  membres 
du  chapitre  avant  même  que  l'evêque  défunt  eât  été  Hiis  en 
terre  :  en  quoi,  dit -il,  on  a  roeconnu  les  droits  de  la  cou- 
Tcmne,  parce  que  le  chapitre  aurait  dû  demander  au  roi  la 
permission  d'élire  avant  que  de  procéder  à  une  élection,  il 
énonce  ensuil|^ue , de  son  côte,  le  doyen,  de  concert  avec 


XII  SIECLE. 


THIBAUD,  COMTE  DE  BLOIS.  i5 

d'autres  membres  qui  n'avaient  pas  concouru  à  l'e'lection  du 
prévôt ,  avaient  donne'  leurs  suffrages  à  son  frère  Guillaume. 
C'est  pourquoi  il  supplie  le  roi  de  surseoir  à  la  confirmation 
du  prévôt  jusqu'à  ce  que  lui-même  ait  rendu  compte  verba- 
lement de  cette  affaire  à  sa  majesté.  En  terminant  sa  lettre, 
il  instruit  le  roi  de  la  déclaration  qu'avait  faite  le  comte 
Henri,  son  frère,  qu'il  n'assisterait  pas  aux  noces  de  Thi- 
baud   avec  une  fille  du  roi.  Cela  pourrait  paraître  extraor- 
dinaire, si  Robert  du  Mont  ne  nous  apprenait  qu'à  cette 
époque  Henri ,  qui  avait  épousé  la  fille  aînée  du  roi ,  était 
brouillé  avec  sa  femme.  Quant  à  l'élection  (hi  prince  Guil-        Duchesn* , 
laume ,  elle  fut  soumise  à  la  décision  du   pape ,  qui ,  par  g  "^'  i|'  f  "^^v" 
lettres  datées  de  Sens  le  9  octobre  1 164,  ordonna  qu  il  serait  p.^Sal!  '        ' 
procédé  à  une  nouvelle  élection,  et  cette  élection  retomba 
sur  le  prince  Guillaume. 

q9  Le  comte  Thibaud,  qui,  avec  son  frère,  devenu  arche-      inter  epist. 
vêque  de  Sens,  avait  contribué  plus  que  personne  à  la  rccon-  ^-  Thomae,  Hb. 
ciliation   de  saint  Thomas  de  Cantorbéry  avec  le  roi  d'An-  860.*  — *Bouq. 
gleterre,  fut  un  des  premiers,  à  la  nouvelle  du  meurtre  du  t. xvi,p.  468. 
saint  prélat ,  à  dénoTïcer  cet  attentat  au  pape ,  comme  ayant 
été  commandé  par  le  roi  d'Angleterre,  partageant  contre  le 
monarque  anglais  les  sentimens  qui  animaient  la  cour  de 
France. 

3°  Dans  une  lettre  au  cardinal  Pierre  de  Saint -Chryso-  Mart.Anecd, 
gone,  légat  en  France,  Thibaud  demande  le  concours  de  ti,  col.  600. 
son  autorité,  pour  empêcher  l'abbé  de  Châteaudun  d'intro- 
duire de  nouveaux  usages  dans  l'hôpital  des  pauvres  de  cette 
ville,  attendu  qu'il  n'y  avait  rien  à  réformer  dans  l'admi- 
nistration de  cette  maison,  à  laquelle  son  père  avait  pourvu 
par  des  réglemens  sages  qui  étaient  en  pleine  vigueur. 

Nous  nous  abstenons  de  faire  le  dénombrement  des  chartes 
de  ce  prince ,  qui  toutes  avaient  pour  objet  le  soulagement 
du  peuplfe  et  des  malheureux ,  et  lui  méritèrent  le  surnom 
de  Bon.  La  ville  de  Blois  en  particulier  lui  en  témoigna  sa 
reconnaissance  dans  une  inscription  lapidaire  gravée  à  la 
porte  de  Saint-Fiacre  du  Pont,  et  figurée  dans  l'histoire  de 
Blois,  par  Bernier,  p.  3or.  B. 


«^^«^  «^«^«.«/«/k  ' 


XII  SIECLE. 

RAOUL, 

ÉVÊQUE  DE  LIÈGE. 

Gaii.  Christ.  Haoul,  qu'on  trouvc   aussi   appelé  Rodulphe,  et  même 
I    'P-   7  •     Rudolfe,  appartenait    à  une   famille   des    plus  illustres.  Il 
Leod.  Histor.  avait  DOUF  iVere  Berthold ,  duc  de  Thuringe ,  selon  les  uns , 
sacr.  et  pro  .^  j^^  ^^  Zeringen ,  suivant  les  autres.  Mais  l'opinion  de  ces 
Albéric,Chron.  derniers  n'est  pas  seulement  préférable  ;  elle  est  la  seule  qu'il 
an.  1168.  soit  possible   d'admettre,  puisque,  à  cette  époque,  aucun 

prince  thuringeois  ne  porta  le  nom  de  Berthold ,  que  plu- 
sieurs, au  contraire,  portèrent  ce  nom  parmi  les  ducs  de 
Zeringen.  Raoul  était  fils  de  Conrad,  fils  lui-même  de  Ber- 
thold II,  et  frère  de  Berthold  III;  Conrad  eut  pour  succes- 
seur Berthold  IV,  l'ahié  de  ses  fils  ;  Raoul  était  le  second  ; 
Albert,  tige  des  ducs  de  Teck,  était  le  troisième;  et  deux  de 
ses  sœurs,  Clémence  et  Germaine,  épousèrent,  l'une  un  duc 
de  Saxe  et  de  Bavière,  l'autre  un  comte  de  Savoie.  Dode- 
chin,  continuateur  de  la  chronique  de  Marianus  Scotus,  dit, 
sur  l'an  11 27,  qu'après  la  mort  de  Guillaume  de  Bourgogne, 
que  ses  sujets  assassinèrent,  Conrad  fut  élevé'  à  cette  princi- 
pauté dans  la  ville  de  Spire ,  en  présence  de  plusieurs  sei- 
gneurs bourguignons.  Ce  Guillaume ,  troisième  du  nom ,  et 
surnommé  l'Enfant,  avait  péri  en  1 127. 

Raoul  avait  d'abord  été  élu  archevêque  de  Mayence ,  par 
le  peuple  et  le  clergé  de  cette  ville,  en  11 60,  immédiatement 
après  l'assassinat  d'Arnold  de  Selehoven ,  qui  occupait  ce 
siège  depuis  ii53.  Cette  élection  faite  dans  des  momens  de 
trouble  et  de  crime,  sans  avoir  consulté  l'empereur,  sous  la 
domination  de  qui  était  alors  Mayence,  et  par  suite  d'une 
insurrection  qu'il  ne  laissa  pas  impunie,  ne  pouvait  sub- 
sister. Frédéric  nomma  ou  fit  nommer ,  pour  occuper  ce 
siège,  Conrad,  fils  et  frère  des  comtes  de  Wittelsbach,  dans 
une  lettre  écrite  à  Louis  VII  par  un  frère  de  Raoul ,  et  con- 
T.  I,  p.  3io.  servée  dans  le  Bes  Germanicœ  de  Freher.  Le  refus  de  l'em- 
pereur est  attribué  à  sa  haine  pour  leur  maison.  L'auteur 
de  cette  lettre,  dont  le  nom  n'est  indiqué  que  par  la  lettre  B, 
y  prend  le  titre  de  duc  de  Bourgogne.  Mais  le  duc  de  Bour- 
T.  v,p. /,74.  gogne  était  alors  Eudes  second.  Les  auteurs  de  la  France 
chrétienne  croient  ou  qu'il  y  a  eu  erreur  dans  le  lettre  ini- 


RAOUL,  ÉVÊQUE  DE  LIÈGE.  17 

tiale ,  ou  qu'Eudes  avait  deux  noms.  Mais  le  B  indique  peut-  _1 

être  Berthold ,  frère  de  Raoul ,  fils  et  successeur  de  Conrad , 
devenu  à  la  mort  de  son  père,  comme  celui-ci  l'avait  été', 
recteur  ou  goiiverneur  de  Bourgogne,  et  qui  prenait  quel- 
quefois ,  comme  son  père  aussi ,  le  titre  de  duc  de  ce  pays  ; 
il  est  appelé  dux  Bursundiœ  dans  des  actes  même  faits  avec 

I'  11'  •..  V     l'Art    Af 

empereur,  ou  auxquels  1  empereur  avait  concouru.  .  :;,     r" 

T  •'  J       ?  T>  1  •*     V  '     'I  1  vcnf. les  dates, 

La  manière  dont  Raoul  avait  ete  élu  par  un  peuple  en  t.  ni, p.  340. 
fureur  et  un  clergé  forte  d'obéir  à  la  volonté  de  ce  peuple , 
n'avait  pas  été,  suivant  un  moine  d'Orval,  Gilles  ou  AEgi- 
dius,  qui  a  écrit  ou  du  moins  continué  l'histoire  de  Liège,      Gall.  Christ. 
la  seule  cause  de  la  destitution  de  Raoul  ;  il  l'attribue  même,  ^"^i^'  Jit  la 
assez  exclusivement,  à  un  acte  d'autorité,  dont  Frédéric  fut  môme  ch.  dan» 
et  devait  être  indigné.  L'échanson  de  ce  prince  ayant  été  tué  «^  chron.— v. 
par  des  Juifs,  l'empereur  avait  ordonné,  pour  les  en  punir,  t"in''p.*474. 
qu'une  statue  d'or  de  cet  échanson  serait  élevée  à  Mayence, 
aux  frais  des  Juifs:  Raoul,  devenu  archevêque,  avait  fait 
briser  la  statue,  et  s'en  était  adjugé  le  métal,  ou  pour  lui- 
même  ou  pour  ses  parens.  D'autres  assurent  que  ce  fut  au 
moment  tle  l'élection  même ,  que  Raoul ,  espérant  assurer 
par-là  une  confirmation  dont  il  avait  besoin ,  arracha  le  bras      Gail.  Christ. 
d'une  croix  d'or,  et  dilapida  le  trésor  de  l'église.  Trithême,  J;J"^  P'  ''''  ' 
dans  sa  chronique  d'Hirsauge,  parle  de  cette  croix,  donnée  "°t.  I,  p.  44». 
à  l'église  de  Mayence  par  la  libéralité  d'un  de  ses  anciens 
archevêques ,  et  du  crime  commis  par  Raoul.  Aurea  crux 
erat  pretiosissuna ,  dit-il ,  cujus  patibulum  erat  cypressinum 
laminis  aureis ,  et  pretiosis   lapidibus  desuper  opertum   et 
circumductum.  Imago  autem  crucifixi  magna  erat,  de  auro 
purissimo.  Il  ajoute  qu'un  archevêque  avait  déjà,  dans  une 
autre  occasion,  enlevé  un  des  pieds  du  crucifix,  pour  le 
donner  à  un  pape  auquel  il  voulait  complaire,  et  qu'il  en 
obtint  effectivement,  par  ce  moyen,  beaucoup  de  faveur;  et 
qu'un  autre  archevêque  encore  avait  pris  et  vendu  l'autre 
■  pied,  pour  avoir  de  quoi  lever  des  soldats.  Raoul  s'empara 
de  tout  le  reste  ;  il  l'offrit  à  l'empereur ,  pour  l'appaiser  : 
mais  l'empereur  ayant  refusé  ses  offres  avec  mépris ,  le  prélat 
garda  pour  lui-même  ce  que  Frédéric  ne  voulait  pas. 

On  croit  sans  peine  toutes  ces  actions  de  Raoul,  quand 
on  lit  les  autres  traits  de  sa  conduite ,  pendant  son  épiscopat 
de  Liège;  car  il  avait  été  nommé  evêque  de  cette  ville, 
quelques  années  après  le  refus  fait  par  l'empereur  de  consen- 
tir à  son  élection  comme  archevêque  de  Mayence.  Les  auteurs 
Tome  Xy.  G 


•  { 


i8  RAOUL,  ÉVÊQUE  DE  LIÈGE. 

^'    de  la  France  chre'tienne  nous  disent,  par  exemple,  d'après 


T.  III,  1..876.  des  écrivains  plus  anciens,  comment  on  obtenait  alors,  dans 
son  diocèse ,  les  bénéfices  ecclésiastiques.  Ils  se  vendaient  à 
l'enchère ,  publiquement ,  sur  la  place  du  marché  ;  et  le 
ministre  de  cette  avarice  sacrilège  se  glorifiait  avec  complai- 
sance d'avoir  ainsi  porté  plus  haut  les  revenus  de  l'épiscopat. 
La  cathédrale  de  Liège  et  d'autres  églises  ayant  été  consumées 

f>ar  les  flammes  en  ii83  ,  l'évêque  lit  appoi'ter  à  Liège  toutes 
es  reliques  du  diocèse,  pour  que  les  offrandes  d'un  peuple 
Lcod.  Hist.  pieux  pussent  servir  à  reconstruire  ces  églises. 

1^9.  jj  gçjj^j^jg  q^g  Raoul  éprouva  enfin  quelque  repentir;  car^ 
vers  l'an  1190,  il  crut  clevoir  faire  le  voyage  de  la  Terre- 
Sainte;  il  y  suivit  l'empereur  Frédéric.  Son  séjour  n'y  fut 
pas  long;  il  revint  en  France,  en  1191,  et  mourut  à  peine 
arrivé.  Lemire,  dans  sa  chronique,  place  sa  mort  au  mois 
Leod.  Hist.  d'août  de  cette  année.  Gilles  d'Orval  dit  qu'il  mourut  em- 
p.  133.  poisonne. 

t  m"  ^*"^'**'       ^"  l'y^i  d'autres  disent  en  11 79,  voulant  repousser  par 
noie'hî    '   ^'  ^^  fo^^*'  '^s  excès  commis  par  Gérard ,  comte  de  Los,  envers 
des  habitans  de  son  diocèse ,  Raoul  avait  porté  aussi  sur  les 
terres   de   ce   seigneur   la    dévastation   et   l'incendie.    Je   le 
remarque  sur-tout,  parce  que  les  principaux  ouvrages  qui 
nous  restent  de  ce  prélat  sont  des  statuts  contre  les  incen- 
diaires ;  on  a  aussi  Je  lui  des  statuts  contre  les  déprédateurs 
des  biens  de  l'église.  D.  Martène  les  a  conservés  dans  le  pre- 
p.  r,Q7.  et  sniv.    mier  tome  de  son  Trésor  des  anecdotes. 
T.  I  et  t.  V.        Il  a  conservé  pareillement ,  mais  dans  son  Amplissime 
collection ,  quelques  chartes  de  Raoul.  L'une  est  relative  au 
monastère  Saint-Laurent  de  Liège.  Le  prédécesseur  de  ce 
])rélat  avait  uni  à  ce  monastère  1  église  collégiale  de  Saint- 
Sévère  ,  que  les  guerres  avaient  ruinée ,  pour  la  restituer  à  la 
vie  religieuse,  qu'elle  avait  anciennement  pratiquée  ;  elle  avait 
Gaii.  Christ,  été  anciennement  une  maison  de  bénédictins.  Raoul  sanc- 
*■  ''''P-  9^7-     tionne  et  confirme  l'union  par  des  lettres  qui  n'ont  d'ailleurs 
Mart.  Ampi.  rien  de  remarquable.  Il  faut  en  dire  autant  de  celles  (  1 171  ) 
««"'Jtc^'  ^'  %^^  concernent  l'abbaye   de  Saint-Tron,  Sanctus-Trudo , 
dans  le  même  diocèse ,  sur  lesquelles  on  peut  encore  consul- 
T.  i,p.  557.    ter  le  Trésor  des  anecdotes  de  Martène;  de  celles  (1173) 
Mart.'Ampi.  pour  le  monastère  de  Vasor,  Valciodorum  ou  Vallis  décora; 
Coll.  t.  I,  p.  gj  jg  pgHçg  /  j  j^  N  en  faveur  de  la  collégiale  de  Saint-Jean- 

911,  etc.  /  '1-   ^  ^    «    T  •  '  D 

ibid.  p.  984  1  Evangeliste ,  a  Liège.  i^- 

«■t  suiv. 


»x»/*^V^^^%' 


.•.*-%^***"**»*»***' 


**'»-*'**.'*/^*****.^*,'^'«'\^-V\ 


XII  SIECLE. 


ANONYMES, 

AUTEURS  DE  GÉNÉALOGIES  DES  COMTES  DE  FLANDRE. 

JNous  avons  sur  les  comtes  de  Flandre  plusieurs  auteurs 
qui,  dans  le  Xir  siècle,  ont  trace  des  tableaux  généalo- 
giques des  souverains  de  cette  portion  de  la  France. 

1°  Les  continuateurs  du  Recueil  des  historiens  de  France 
ont  publie,  sur  un  manuscrit  de  la  bibliothèque  royale,  qui      Bouquet,  t. 
n'est  qu'une  copie  de  la  main  d'André  Duchesne ,  une  généa-  ^ï^»  V-  S»»- 
logie  des  comtes  de  Flandre  ,  commençant  à  l'année  792 , 
et  finissant  à  l'an  iiao.  Cette  généalogie  est  fort  succincte 
jusqu'à  Robert  le  Frison  ;  mais  a  cette  époque  l'auteur  entre, 
dans  un  plus  grand  détail.  Il  est  presque  le  seul  des  histo- 
riens connus  qui  parle  d'un  différend  que  ce  prince  eut  avec 
les  ecclésiastiques  de  ses  états,  dont,  à  leur  mort,  il  s'appro- 

{>riait  la  dépouille ,  sans  qu'il  leur  fût  permis  de  disposer  de 
eurs  biens  par  testament  Cet  usage  était  assez  général  en 
France  à  l'égard  des  évêques  et  autres  prélats  du  royaume; 
mais  il  paraît  qu'en  Flandre  ce  droit  du  prince  s'éten- 
dait sur  tous  les  be'nëfîeiers.  Ceux-ci  s'étaient  d'abord  /tjV/.  p.  74. 
adressés  au  pape  Urbain  II ,  qui  fit  sur  cela  au  comte  des 
représentations  pour  qu'ils  pussent  au  moins  disposer  de 
leur  patrimoine;  mais  ce  fut  inutilement  :  le  comte,  bien  ' 

loin  de  céder  aux  instances  du  pape,  devint  encore  plus 
exigeant  à  l'égard  des  ecclésiastiques,  et  fit  mettre  le  séquestre 
sur  tous  leurs  biens.  Alors  ils  portèrent  leurs  plaintes  au 
concile  de  la  province,  qui,  l'an  109a,  était  assemblé  à  Reims. 
Les  pères  du  concile  redoublèrent  leurs  instances  auprès  du 
comte,  qui  céda  enfin  aux  menaces  de  l'excommunication,  et 
renonça  à  un  droit  vexatoire  qu'il  avait  trouvé  établi  par  un 
long  usage.  Son  exemple  eut  des  imitateurs  ;  et  l'on  voit , 
vers  le  même  temps ,  les  rois  de  France  et  les  grands  sei- 
gneurs du  royaume  renoncer  à  l'envi  au  droit  qu'ils  avaient 
de  s'emparer  du  mobilier  des  évêques ,  à  leur  décès. 

Ce  fragment  avait  été  publié  parle  P.  Labbe  sur  une  copie     Labbe,  Conc-. 
du  P.  Sirmond,  qui,  ne  voulant  donner  que  les  actes  du  tX,  col.  478. 
concile  de  Reims,  avait  négligé  le  reste  de  la  généalogie.  Les 
nouveaux  éditeurs  ont  donné  l'ouvrage  tout  entier;  mais, 
comme  ils  avaient  déjà  imprimé  dans  le  même  volume  les 

Ga 


20      ANONYMES,  AUTEURS  DE  GENEALOGIES 

"  actes  du  concile  de  Reims  d'après  le  P.  Labbe,  ils  renvoyèrent 

pour  ce  morceau  à  l'endroit  du  volume  où  ils  sont  placés. 

2°  Une  autre  généalogie  des  comtes  de  Flandre,  bie»  plus 
étendue,  est  celle  qui  a  été  mise  au  jour,  i°  en  i643,  par 
Georges  Galopin ,  moine  de  Saint-Gliilain,  près  de  Mons, 
Mari.  Anocd.  SOUS  le  titre  de  Flandria  generosa ;  oP  en  1 727 ,  sur  un  ma- 
t. m, col.  385-  nuscrit  de  Clairmarais,  par  D.  Martène,  avec  deux  continua- 
tions qui  s'étendent  depuis  l'année  1 166  jusqu'à  i33o;  3°  Jean 
Noël  Paquot,  qui  a  donné  une  histoire  littéraire  de  la  Bel- 
gique, a  réimprimé,  l'an  1781 ,  la  Flandre  généreuse  de  Ga- 
lopin ,  à  laquelle  il  a  ajouté  de  savantes  notes  ,  avec  une 
continuation  de  sa  façon  jusqu'à  l'année  1482.  M.  Paquot 
aurait  mieux  fait  de  réimprimer, à  la  suite  de  son  auteur,  les 
continuations  bien  plus  importantes,  publiées  par  D.  Mar- 
•tène ,  en  y  ajoutant  les  éclaircissemens  qu'il  était  très  en  état 
de  leur  donner.  Ce  travail  eût  été  bien  plus  satisfaisant  pour 
les  personnes  qui  aiment  à  étudier  l'histoire  dalis  les  sources. 
Mais  il  ignorait  apparemment  que  ces  continuations  exis- 
tassent. Comme  elles  appartiennent  à  des  auteurs  qui  vivaient 
aux  XIIP  et  XIV*  siècles ,  nous  n'en  parlerons  pas  dans  cet 
article  :  nous  nous  bornerons  à  rendre  compte  de  l'écrit 
auquel  on  a  donné  pour  titre  Flandria  generosa,  qui  est  le 
même  dans  les  trois  éditions,  avec  cette  différence  que  le 
premier  éditeur  l'a  divisé  par  chapitres,  division  qui  n'existait 
pas  dans  le  manuscrit  de  D.  Martène. 

L'auteur  commence  sa  généalogie  à  l'année  792,  comme 
dans  la  précédente ,  la  première  année  de  l'empereur  Con- 
stantin, fils  d'Yrène,  la  vingt-quatrième  de  Cnarlemagne, 
roi  des  Français,  et  ensuite  empereur  des  Romains.  Il  la  ter- 
mine à  la  mort  de  Guillaume  d'Ypres ,  comte  de  Loo,  arrivée 
au  26  janvier  1 1 65  ou  1 166.  Ce  Guillaume  était  fils  naturel 
de  Philippe ,  second  fds  de  Robert  le  Frison ,  comte  de 
Flandre.  L'auteur  dit  l'avoir  connu ,  et  il  en  parle  comme 
témoin  des  largesses  qu'il  avait  faites  en  mourant  aux  églises  : 
Multaque  de  facultatibus  suis,  ut  ipsi  'vidimus ,  ecclesiis  ac 
pauperihus  largicns ,  apud  castrum  suum  quod  dicitur  Lo , 
plcnus  dierum  hominem  exuit.  D'où  l'on  peut  conclure  qu'il 
vivait  vers  le  même  temps. 

Son  ouvrage  n'est  pas  purement  généalogique;  il  y  mêle 
beaucoup  de  faits  historiques.  Parmi  ces  faits  il  en  avance 
un  fort  singulier,  et  qu'il  est  difficile  de  concilier  avec  l'usage 
constant  de  la  monarchie  relativement  à  la  succession  au 


■■.n^ 


XII  SIECLE. 


DES  COMTES  DE   FLANDRE.  21 

trônes  Selon  lui ,  Baudoin  de  Lille ,  qui  fut  tuteur  de  Phi- 
lippe F""  et  régent  du  royaume ,  se  fit  prêter  serment  de  fidélité  Cap.  XI. 
par  tous  les  grands ,  comme  héritier  présomptif  du  royaume 
en  cas  de  mort  du  jeune  roi ,  aux  droits  de  sa  femme  Athèle , 
fille  du  roi  Robert  :  Juratâ  sihi  fidelitate  ab  omnibus  i-egni 
principibus,  salvâ  tanien  fidelitate  Philippi  pueri ,  sivii>eret; 
sin  autem ,  oninino ,  utpote  justo  hereai  per  uxorem.  Cela 
est  d'autant  moins  croyable  que  Philippe  avait  un  frère 
nommé  Hugues ,  <^i  fut  la  tige  de  la  maison  royale  de  Ver- 
mandois. 

3°  Les  continuateurs  du  recueil  des  historiens  de  France  Bouquet ,  t. 
ont  extrait  du  registre  de  Philippe-Auguste,  qui  est  à  la  Xiii.p.  4>6. 
bibliothèque  royale,  une  troisième  généalogie  des  comtes 
de  Flandre,  commençant  à  Baudoin  de  Lille,  surnommé  le 
Pieux,  et  finissant  à  Philippe  d'Alsace.  Il  paraît  que  c'est 
une  enquête  qui  fut  faite  en  deux  différens  temps,  et  qui 
pour  cela  est  composée  de  deux  parties.  La  première  est 
relative  au  Vermandois,  que  Philippe -Auguste  revendiquait 
l'an  1 183,  comme  plus  proche  héritier  d'Isabelle  de  Verman- 
dois, malgré  la  donation  que  celle-ci  en  avait  faite  à  son 
mari  Philippe  d'Alsace.  La  seconde  se  rapporte  aux  préten- 
tions que  forma  le  même  roi  sur  la  Flandre  et  l'Artois ,  aux 
droits  d'Isabelle  de  Hainaut,  sa  première  femme,  après  la 
mort  de  Philippe  d'Alsace,  l'an  1191.  Ce  procès  fut  terminé 
par  un  jugement  arbitral,  par  lequel  l'Artois  fut  adjugé* à  la  - 
France ^t  la  Flandre  à  Marguerite,  sœur  de  Philippe  d'Al- 
sace ,  laquelle  avait  épousé  Baudoin  V ,  comte  de  Hainaut.  Il 
paraît  que  c'est  pour  éclairer  les  arbitres  que  ces  différens 
tableaux  généalogiques  furent  dressés.  i!       ' 

4**  Les  mêmes  éditeurs  ont  publié  sur  un  màhùscrit  de  7Wr/.  p.  417. 
l'abbaye  de  Cîteaux,  une  quatrième  généalogie  des  corntes 
de  Flandre ,  qui  commence  aussi  au  comte  Lideric  ou  Lan- 
dri ,  du  temps  de  Charlemagne ,  et  se  termine  à  l'année  1280. 
Ce  n'est  qu'une  simple  nomenclature,  mais  qui  donne  assez, 
exactement  les  filiations.  B. 


■A  lii;   cJiJplv,Jt]  Aj^'Aiii^-j  C: 


Jk 


XII  SIECLE. 


PONS   DE   CAPDUEIL, 

POÈTE   PROVENÇAL. 

Vies  des  poèt.  Jean  Nostradamus  a  fait  un  article  de  Pons  de  Brueil,  qui 

prov.  g  quelques  rapports  avec  ce  que  l'on  trx)uve  sur  Pons  de 

Capdueil  dans   les  manuscrits  provençaux  ;  en  sorte   que, 

sans  s'arrêter  aux  différences  notables  que  présentent  ces 

deux  notices ,  on  doit  croire  que  c'est  du  même  poète  qu'il 

a  voulu  parler;  d'autant  plus  qu'on  ne  trouve  ni  dans  les 

recueils,  ni  dans  aucun  autre  livre  où  il  soit  question  des 

troubadours,  le  nom  de  ce  Pons  de  Brueil.  Crescimbeni,  qui 

istor.  ilella  a  traduit  cette  vie ,  a  de  plus  tiré  des  mêmes  manuscrits  un 

Voig.pocsia,  t.  article  de  Pons  de  Capdueil,  que  l'on  trouve  dans  ses  addi- 

Giunte  aile  ^OTis  ',  mais  il  soupçonue  fortement ,  dans  une  note  sur  la 

vile, etc. li/rf,    vie  du  premier,  qu'il  est  le  même  que  le  second,  toutes  les 

circonstances   principales,  dit-il,  s  accordant   à   merveille, 

excepté  la  patrie  de  l'un  et  de  l'autre,  et  le  nom  de  la  dame 

qu'ils  ont  aimée.  Il  y  faut  ajouter  que  Nostradamus  ne  fait 

mourir  Pons  de  Brueil  qu'en  1227,  tandis  que,  selon  tous 

les  calculs  que  fournit  le  rapprochement  des  circonstances , 

Pons  de  Capdueil  mourut  dans  la  troisième  croisade ,  vers 


i.i 


■^'e 


]e  nom  de  Capdueil  est  tantôt  écrit  Capdoill,  taiifftt  d'une 
autre  manière  clans  les  manuscrits.  Crescimbeni  le  traduit 
par  CapodogUo ,  ou  plus  proprement,  dit-il,  di  Capitolio  ou 
Campidoglio  ;  et  l'on  ne  sait  sur  quel  fondement  il  a  voulu 
faire  de  Pons  de  Capdueil  un  Pons  du  Capitule. 

Pons  de  Capdueil  possédait  une  riche  baronie  dans  le 
diocèse  du  Puy.  Il  réunissait  la  valeur  guerrière  au  goût  des 
lettres,  aux  talens  de  la  poésie,  du  chant,  et  à  l'art  déjouer 
des  instrumens  :  c'était  enfin  un  baron  et  un  troubadour 
accompli.  La  dame  qui  fut  l'objet  de  ses  pensées  et  de  ses 
chants  était  Azalaïs ,  fille  de  Bernard  d'Audun ,  l'un  des  sei- 
gneurs les  plus  distingués  du  Languedoc ,  et  femme  de  Noisil 
de  Mercœur,  grand  baron  d'Auvergne  :  c'était  très-publi- 
quement qu'il  lui  offrait  ses  hommages;  il  lui  donnait  des 
fêtes  splendides ,  où  toute  la  noblesse  du  pays  accourait.  Des 
joiites  chevaleresques  et  des  combats  poétiques  en  faisaient 


XII  SIECLE. 


PONS  DE  CAPDUEIL,  POÈTE  PROVEiNÇAL.      aS 

les  principaux  omemens.  Les  poètes  et  les  musiciens  célé- 
braient à  1  envi  les  qualités ,  les  talens,  la  libéralité  d^l'amant 
et  la  beauté  de  sa  nnaîtresse.  On  n'y  disait  rien  du  baron  de 
Mercœur,  qui  cependant  y  assistait ,  et  ne  &en  fâchait  pas. 

Leur  liaison,  dont  cette  circonstance  prouverait  la  pureté, 
si  les  moeurs  de  ce  siècle  avaient  été  moins  corrompues ,  ne 
fat  troublée  que  par  la  jalousie  ou  la  fausse  délicatesse  de 
Pons ,  qui  voulut  éprouver'  la  tendresse  d'Azalais  en  s'éloi- 
gnant  d'elle.  Elle  se  crut  oubliée  ou  trahie,  défendit  de  pro- 
noncer le  nom  du  troubadour  devant'elle,  et  parut  l'oublier 
à  son  tour.  Ce  ne  fut  qu'avec  beaucoup  de  peine  qu'il  parvint 
à  rentrer  ^n  grâce.  Mais  il  reçut  bientôt  un  coup  plus  ter- 
rible :  sa  chère  Azalaïs  mourut.  Il  lui  consacra  des  chants 
plaintifs;  et  dégoûté  du  monde,  passant,  comme  il  arrive  si 
souvent,  de  l'amour  à  la'dévotion,  il  partit  pour  la  troisième 
croisade,  où  il  mourut. 

Nous  avons  de  lui  près  de  vingt  chansons  amoureuses, 
les  deux  complaintes  qu'il  fit  après  la  mort  de  Mercœur  et 
de  la  dame ,  deux  sirventes  par  lesquels  il  excita  les  fidèles 
à  prendre  la  croix.  Ces  poésies  se  trouvent  dans  les  manu- 
scrits de  la  Vaticane  32o4 ,  5,  7  et  8 ,  dans  quelques-uns  de 
la  Laurentienne  à  Florence ,  et  à  Paris  dans  ceux  de  la  biblio- 
thèque royale  yaafi,  7614,  etc. 

Plusieurs  de  ses  chansons  galantes  sont  agréables,  mais 
elles  ne  donnent  sujet  à  aucune  observation  particulière  ;  il 
y  eu  a  cependant  une  où  l'on  trouve  un  mot  qui  contribue  , 
a  prouver  que  c'est  de  Pons  de  Capdueil  que  Nostradamus  a 
voulu  parler  dans  son  article  sur  Pons  de  Brueil.  Dans  le 
premier  vers  de  l'envoi  qui  la  termine ,  et  qui  n'en  a  que 
deuK,  le  poèt«»  nomme  Audiartz,  qu'il  appelle  JSaudiaHz , 
pour  Dona  Audiartz,  selon  une  abbréviation  provençale, 
que  nous  avons  eu  lieu  d'observer  plusieurs  fois  : 

Naudiartz  am  pe  7  bon  pretz  qu^ieu  naug  dir. 

On  voit  par-là  que  cette  chanson  n'étftit  point  adressée  à  sa 
maîtresse,  mais  a  la  dame  de  Rosalin,  femme  du  vicomte  de 
Marseille,  à  laquelle  Pons  de  Capdueil,  selon  les  manuscrits,, 
feignit  de  s'attacher  pour  éprouver  Azalaïs.  Cette  dame  se 
nommait  Adalasie,  et  l'abbé  Millot  observe  que  les  vies  ma- 
nuscrites la  nomment  Audiarts  ;  or  Nostradamus  dit  que  H'**-  Liuér. 
Pons  de  Brueil  adressa'ses  chansons  à  Béatrix  de  Provence  53*  ^r.  t.  i,p. 
€t  à  Audiarde;  il  écrit  Aridiarde,  mais  c'est  une  faute  typo- 


XII  SIECLE. 


u/i      PONS  I^ECAPDUEIL,  POETE  PROVENÇAL. 

graphique.  Nous  ajouterons  que  Crescimbeni,  dans  sa  tra- 
duction ,  n'a  pas  manque  de  copier  celte  faute ,  et  d'e'crire 
aussi  yéridiarda.  Il  a  fait  une  faute  plus  grave.  Nostradamus 
joint  à  Be'atrix  de  Provence  et  à  Âudiarde ,  Marie,  reine 
d'Angleterre  et  de  France ,  à  qiii  notre  poète  adressa  aussi 
ses  chansons.  La  traduction  italienne  fait  ici  deux  reines  au 
lieu  d'une,  Andiarde,  reine  d'Angleterre,  et  Marie,  reine  de 
France  :  ^d  Andiarda  e  a  Maria,  regine,  quella  d'Inghil- 
terra  e  questa  di  Francîa  ;  et  il  est  impossible  de  çleviaer 
la  cause  de  cette  singulière  erreur.  ,,      .   ' 

Il  y  a  de  la  vérité  et  de  la  naïveté  dans  les  vers  de  Pons  de 
Capdueil  sur  la  mort  d'Azalaïs  :  on  y  voit  aussi  la  ni'euve  que 
tel  était  le  nom  de  la  dame  de  Mercœur,  et  non  pas  Elys, 
comme  le  dit  Nostradamus,  ni  Nasale,  c'est-à-dire,  donna 
Sala ,  comme  Crescimbeni  l'écrit  d'après  les  manuscrits. 
Pons  de  Capdutil  la  nomme  deux  fois  avec  \n  provençale 
devant  son  nom  : 

Pois  morta  es  ma  dompna  Nazalais. 
Ay  cals  dans  es  de  mi  doria  Nazalais. 

Son  exhortation  pour  la  croisade  respire  aussi  toute  la 

simplicité  de  ces  temps,  où  l'on  croyait  effacer  toutes  les 

fautes,  et  acquérir  tous  les  mérites,  en  partant  pour  ces 

expéditions  lointaines.  C'est  très-sérieusement  que  le  poète 

tire  un  argument  des  paroles  même  de  Jésus-Christ,  qui  a 

dit  aux  apôtres  qu'il  fallait  tout  quitter  pour  le  suivre.  Ce 

sont   les  seules   conquêtes  qu'il   approuve,  car  du  reste, 

Alexandre,  qui  fut  maître  du  monde,  n'emporta  rien  avec 

lui  qu'un  linceul  :  c'est  donc  être  bien  fou  que  de  vendre  le 

bien  et  de  prendre  le  mal ,  etc. 

\ 

Qu'Alixandres  que  tôt  lo  mon  avia 
Non  portet  ren  mas  un  drap  solamen  ; 
Donex  ben-  es  fols  qui.  'l  ben  ven  e  V  malpren. 

Il  veut  enfin  que  tout  le  monde  parte ,  et  que  ceux  qui  ne  le 
pourront  pas  par  vieillesse  bu  par  maladie  (car  il  n'admet 
que  ces  deux  excuses)  donnent  leur  argent  : 

Totz  hom  que/ai  uelkez'  o  malantia 
Remaner  sai  deu  donar  son  argen. 


PIERRE  DE  LA  VERNEGUE.  a5 

Sinon  ils  ne  sauront  que  l'e'pondre  au  jour  du  dernier  juge-    ^^^  siècle. 
ment,  quand  Dieu  les  appellera  faux  et  poltrons  : 

Quart  Dieu  dira  fais ,  pies  de  coardia ,  etc. 

Pour  éviter  de  pareils  reproches,  nous  avons  vu  qu'il 
partit  lui-incme,  et  qu'il  ne  revint  pas.  G. 


O  V«%  «-«^  V«^  «%^«.A^^«^«.^  V««  ««r^^^^i»  «  «I 


PIERRE  DE   LA  YERNÈGUE^'l 

r  lERRE,  seigneur  de  la  Vernègue,  e'tait  un  gentilhomme 
qui  réunissait  les  grâces  du  corps  aux  charmes  de  l'esprit, 
n  se  mit  au  service  de  Dauphin  d'Auvergne ,  comte  de  Cler- 
mont,  qui  le  combla  de  faveurs,  et  le  fournit  d'habits, 
d'armes ,  et  de  chevaux.  Ce  prince  avait  une  sœur  nommée 
Nassale,  c'est-à-dire,  selon  une  abbréviation  qui  était  alors 
en  usage ,  dame  Assalide  (2)  de  Claustre ,  dame  sage  et  ver- 
tueuse, mariée  à  Béraud ,  seigneur  de  Mercuyr  ou  Mercueur, 
et  grand  baron  d'Auvergne.  Pierre  en  devint  amoureux  ;  et 
le  dauphin  était  tellement  enchanté  des  talens  du  poète,  qu'il 
le  favorisa  dans  ses  amours  ,  et  qu'il  engagea  sa  sœur  à 
l'écouter,  et  même  à  le  payer  de  retour.  Pierre  composa  en 
l'honneur  de  la  princesse  plusieurs  chansons  qui  achevèrent 
de  la  séduire.  Elle  oublia  enfin  totalement  ce  qu'elle  devait 
à  son  mari  pour  s'attacher  au  poète.  Ce  fut  avec  si  peu  de 
secret,  que  Béraud  en  eut  bientôt  connaissance.  La  jalousie 
qu'il  en  témoigna  fit  rentrer  Assalide  en  elle-même;  et,  pour 
prévenir  les  chagrms  dont  elle  se  voyait  menacée,  elle  congé- 
dia honnêtement,  c'est-à-dire,  le  plus  doucement  qu'elle 
put,  son  amant. 

Pierre,  au  sortir  de  cette  cour,  se  trouva  bientôt  sans 
argent  et  sans  équipage.  La  nécessité  le  réduisit  à  se  faire 
comédien ,  c'est-à-dire ,  jongleur.,  car  il  n'y  avait  alors  ni 
comédiens,  ni  comédies.  Il  parcourut  en  cette  qualité  les 

(i)  Nostradamus  l'appelle  Pejre  de  Vernigue.  Crescimbeni  assure  n'avoir 
pu  rien  trouver  qui  le  regarde  dans  aucun  auteur  italien. 

(a)  Dona  sale ,  pour  Donna  assalide ^  et,  par  corruption  ou  abbréviation, 
nassale  y  et  même  nasale. 

Tome  XK  D 


XII  SIECLE. 


aC  PIERRE  DE  LA  VERNEGUE.. 

cours  des  plus  grands  seigneui*s.  Les  succès  qu'il  y  obtint 
par  ses  talens  mimiques  et  par  ses  chansons,  et  les  récom- 
penses qui  lui  furent  prodiguées,  rétablirent  bientôt  ses 
affaires.  En  1178,  il  se  retira  en  Provence.  Alphonse,  comte 
de  Barcelonne  et  de  Provence,  fils  de  Raimond  Bérenger,  y 
florissait  alors.  Pierre  s'attacha  à  la  comtesse ,  et  composa 
plusieurs  belles  chansons  à  sa  louange.  Lorsqu'il  mourut, 
la  comtesse,  pour  témoigner  sa  reconnaissance,  lui  fit  ériger 
un  mausolée  en  marbre  auprès  de  la  Vernègue.  Nostradamus 
dit  que  de  ses  jours  on  en  voyait  encore  quelques  vestiges , 
quoiqu'il  fût  ruiné  par  les  injures  du  temps  et  par  l'insou- 
ciance des  hommes  peu  curieux  de  ces  précieuses  antiquités. 
Il  fait  aussi  entendre  que  ce  monument  subsistait  en  son 
entier  au  XV*  siècle,  en  disant  que  Hugues  de  Saint-Césaire, 
qui  florissait  en  i435  ,  en  parlait  dans  son  histoire  des  poètes 
provençaux ,  et  assurait  l'avoir  vu  avant  qu'il  fût  ruiné. 

Selon  le  moine  des  Iles  d'Or ,  Pierre  de  la  Vernègue  avait 
fait  un  poëme  en  forme  de  regret,  c'est-à-dire,  d'élégie, 
intitulé  la  Prise  de  Jérusalem  par  Sala âin.  On  a  donc  deux 
époques  qui  peuvent  servir  pour  fixer  à -peu -près  celle  de  la 
mort  de  ce  poète.  Alphonse,  comte  de  Barcelonne,  auprès 
duquel  il  se  retira  et  mourut,  n'est  autre  qu'Alphonse  II, 
roi  d'Arragon ,  qui  s'empara  de  la  Provence  en  i  1 67.  «  Ce 
Hisi.deLan-  prince,  dit  D.  Vaissette,  protégea  ceux  qui  cultivaient  de 
pw).  hv.  ao,  g^j^  temps  la  poésie  provençale,  et  ne  dédaigna  pas  lui-même 
''  8e  faire  des  vers  en  cette  langue,  ce  qui  l'a  fait  mettre  au 
nombre  des  poètes  provençaux,  sous  le  nom  d'Alphonse, 
roi  d'Arragon  ,  celui  qui  trouva ,  pour  le  distinguer  d'Al- 
phonse F"".  »  Or  Alphonse  II  mourut  en  11  (^6,  et  Jérusalem 
fut  prise  par  Saladin  en  1 187.  Ainsi  Pierre  de  la  Vernègue, 
qui  fit  un  poëme  sur  cet  événement ,  doit'être  mort  au  plus 
tôt  en  1 190  et  au  plus  tard  en  1 196 ,  peu  de  temps  avant  la 
mort  d'Alphonse. 

Baluze ,  dans  son  histoire  généalogique  de  la  maison 
d'Auvergne,  parlant  de  Dauphin  d'Auvergne,  et  de  la  passion 
qu'il  avait  pour  la  poésie  provençale,  rapporte  ce  trait  de 
1  appui  qu'il  donna  ruprès  de  Nassale  de  Claustre,  sa  sœur, 
à  1  amour  que  Pierre  avait  pour  elle,  mais  il  l'appelle  Pierre 
d'Auvergne,  et  non  pas  de  la  Vernègue,  et  le  fait  natif  du 
diocèse  de  Clermont.  Il  cite  pour  autorité  les  anciens  ma- 
nuscrits de  la  bibliothèque  du  roi. 
'   Si  cela  est,  il  ne  faut  pas  du  moins  confondre  ce  Pierre 


Vi 


PLACENTIN.  ^ 

<  ^       1  A  .  ,    .       ^     XII  SIKCLE 

d  Auvergne  avec  un  autre  poète  de  même  nom ,  qui  lui  est  


postérieur  de  près  d'un  siècle ,  et  dont  parlent  Jean  Nostra- 

damus,  dans  ses  vies  des  poètes  provençaux,  et  César  Nos-        %►.    '     . 

tradaraus,  dans  son  histoire  de  Provence.  G.       Pari5,'p.'26's- 


a 


PLACENTIN. 

yj s  peut,  sans  crainte  d'être  contredit,  regarder  la  de'cou- 
verte  du  manuscrit  des  lois  de  Justinien  comme  le  plus  im- 
portant des  èvénemens  littéraires  du  XIP  siècle.  On  sait 
qu'il  fut  trouvé  et  pris  dans  le  pillage  d'une  ville  du  royaume  < 

e  Naplcs,  à  Amalfî.  Sa  couvertuie  fut  peut-être  ce  qui  le 
sauva;  elle  frappa  les  soldats  qui  pillaient,  par  les  diverses 
couleurs  dont  elle  était  ornée  :  le  manuscrit  fut  mis  à  part, 
et  l'Europe  recouvra  un  des  monumens  les  plus  précieux  de 
la  législation.  Bientôt  ce  livre,  unique  alors,  ainsi  échappé 
aux  malheurs  de  la  guerre,  fut  lu,  transcrit,  commenté,  et 
devint  la  loi  universelle  d'un  grand  nombre  de  peuples.  Une 
foule  de  savaus  hommes  en  France,  en  Allemagne,  en  Es- 
pagne, en  Italie,  en  firent,  pendant  phisieurs  siècles,  l'objet 
de  leurs  méditations  et  de  leurs  veilles. 

L'étude  publique  du  digeste  commença  peu  de  temps  après 
la  découverte  du  manuscrit.  Le  vainqueur,  Lothaire  II,  en 
fit  don  aux  Pisans  qui  l'avaient  fortement  secondé  pendant 
la  guerre.  Pise  donna  l'exemple  d'adopter  désormais  ces  lois 
pour  règle  des  actions  civiles  et  pour  base  des  jugemens.  Un 
édit  du  même  empereur,  Lothaire  II,  étendit  bientôt  cette 
adoption  à  tous  les  peuples  qui  lui  étaient  soumis.  Un  pro- 
fesseur de  Bologne,  Warner,  plus  connu  sous  le  nom  d'Ir- 
nerius,  fut  chargé  d'enseigner  les  pandectes.  Un  Français,  né 
à  MontpeUier,  Placentin,  vint  les  étudier  sous  lui,  et  revint, 
quelques  années  après,  faire  jouir  sa  patrie  des  leçons  qu'il 
avait  reçues  et  de  tout  ce  que  ses  propres  lumières  y  avaient 
ajouté. 

Ce  fut  un  peu  après  le  milieu  du  XII*  siècle  que  Jean 
Placentin  ouvrit  à  Montpellier  la  première  école  de  droit 
romain  qui  ait  existé  en  France  ;  et  Pancirole  est  tombé  dans      De  daris  leg, 
une  grande  erreur  quand  il  ne  place  cet  événement  qu'en  '"'erpr.p.iîa. 
1196;  il  y  avait  même,  en  1196,  quatre  ans  que  Placentin 

Da 


XII  SIECLE. 

fiibt.  des  aut. 
du  dr.  civil ,  t. 
I,  p.  248. 

Lit.  I,  c.  5, 


Pancir.p.  122. 
— Taisarid,vies 
desjuriscons.p. 
/i/|5. — Terrass. 
hist.  de  ]a  Jur. 
rom.,  p.  446. 


H.  de  la  Jur. 
ion»,  p.  4'i7. 


28  PLACENTIN. 

était  mort.  Denis  Simon  attribue  la  même  erreur  à  Arthur 
Duck,  jurisconsulte  anglais,  qui  a  écrit  au  XVIP  siècle  un 
traité  Sur  l'usage  et  l'autorité  du  droit  romain  dans  les  états 
des  princes  chrétiens.  Mais  il  se  trompe  :  Arthur  Duck  ne 
l'a  pas  commise.  On  peut  voir  l'endroit  où  il  parle  de  Pla- 
centin  dans  l'ouvrage  que  nous  venons  d'indiquer.  L'école 
du  professeur  français  à  Montpellier  n'attira  pas  un  moindre 
nombre  d'auditeurs  que  celle  d'Irnerius  à  Bologne.  Mais 
celle-ci  commençait  à  produire  quelques  ouvrages.  On  re- 
marque parmi  les  jurisconsultes  qui  en  publièrent ,  Martin 
Gosia  de  Crémone, Bulgare  de  Pise,  son  antagoniste,  et  que 
son  éloquence  fit  surnommer  la  bouche  d'or;  Roger, Othon, 
Ugolin ,  et  quelques  autres.  L'émulation  de  Placentin  ne  fut 
pas  moins  excitée  par  leurs  écrits  que  par  la  renommée  que 
plusieurs  avaient  déjà  comme  professeurs  :  pour  être  plus 
siir  de  les  égaler,  il  s'enferma  pendant  quelque  temps  dans 
une  retraite  où  il  ne  s'occupa  qu'à  préparer  des  ouvrages  qui 
pussent  l'emporter  sur  ceux  que  venaient  de  publier  les  ju- 
risconsultes d'Italie.  Le  succès  couronna  ses  efforts.  Mais  son 
désir  de  gloire  n'en  devint  que  plus  vif.  Après  avoir  lutté 
avec  eux  par  ses  écrits,  il  voulut  aussi  lutter  par  la  puissance 
de  la  parole.  Il  alla  donner  des  leçons  dans  la  ville  même 
qui  était  le  théâtre  de  leur  renommée,  à  Bologne.  De  nou- 
veaux succès  couronnèrent  ces  nouveaux  efforts ,  et  les  Bolo- 
nais eux  -  mêmes  désirèrent  que  Placentin  enseignât  dans 
leur  ville.  Il  le  fit  avec  une  gloire  qu'aucun  de  ses  rivaux  ne 
surpassa.  Son  école  attira  un  si  grand  concours  d'auditeurs, 
que  l'envie  fut  réduite  au  silence.  Enfin ,  après  quatre  années, 
il  revint  à  Montpellier ,  recommença  les  leçons  qu'il  avait  le 
premier  données  en  France,  et  qui  lui  avaient  acquis  tant 
d'illustration  dans  tout  le  reste  de  l'Europe.  Il  y  mourut 
quelques  années  avant  la  fin  du  VIII«  siècle,  et  fut  enterré 
dans  le  cimetière  de  l'église  de  St.-Barthélemi.  On  y  Ht  encore, 
dit  Terrasson ,  d'après  les  biographes  qui  l'ont  précédé ,  on 
y  lit  encore  une  partie  de  son  épitaphe  en  ces  termes  : 

Jura  pontificia  ac  cœsarea  Placentinits  prœclare  docuit ; 
lites  placavit ,  etiam  duhias;  et  secundtim  eadem  jura ,  juste 
"vixit. 

Le  lieu  où  Placentin  était  enseveli  fut  long -temps  un 
objet  de  curiosité  et  de  respect  pour  les  voyageurs  instruits 
qui  passaient  à  Montpellier.  Dans  les  guerres  civiles  et  reli- 
gieuses du  XVI*  siècle ,  l'église  de  Saint-Barthélerai  ayant  été 


XII  SIECLE. 


PLACENTIN.  29 

détruite,  le  tombeau  fut  enveloppé  sous  ses  ruines.  Il  y  resta 
jusqu'en  i663,  qu'en  voulant  rebâtir  cette  église,  on  trouva 
sur  une  table  de  marbre  l'inscription  suivante  : 

Petra  Placentiiii  corpus  tenet  hic  tumulatum; 
Sed  petra  qiiœ  Chrhti  est  animam  tenet  in  paradiso. 
Tollitur  infesta  Eulalice  vir  nobilis  iste 
Anno  ndlleno  ducenteno  minus  octo. 

Cette  inscription  nous  conserve  la  date  précise  de  la  mort 
de  Placentin;  elle  est  de  1192  :  le  jour  de  Sainte -Eulalie 
répond  au  22  février.  Phi  lippe- Auguste  régnait  alors. 

Nicolas  Boyer  (  Boerius) ,  dans  ses  additions  à  la  préface 
du  commentaire  de  Dinus  sur  les  règles  du  droit  pontifical; 
Pancirole,  dans  son  ouvrage  de  claris  legum  interpretibus ;        P.  i3i. 
Baillet,  dans  ses  jugemens  des  savans;  Denis  Simon,  dans      t.  i,p.  i8a. 
sa  bibliothèque  historique  et  chronologique  des  principaux      T.  i,p.  a^x- 
auteurs  et  interprètes  du  droit  ;  Terrasson,  dans  son  histoire 
de  la  jurisprudence  romaine,  affirment  tous  également  que  Pla-        P.  446. 
centin  était  Français  et  né  à  Montpellier.  Néanmoins,  dans 
ses  notes  critiques  sur  l'ouvrage  de  Baillet,  la  Monnoy'e  at-      T.I,p.3a6i. 
taque  cette  opinion,  et  fait  naître  notre  jurisconsulte  en  Ita- 
lie. La  preuve  qu'il  en  donne ,  et  il  n'a  pu  trouver  que  celle- 
là  ,  c'est  que  Placentin  latinisé,  Placentinus,   veut  dire,  de 
Plaisance.  Il  faudrait  véritablement    d'autres   témoignages 
pour  détruire  une  affirmation  unanime,  et  il  ne  serait  pas 
difficile  de  rappeler  plusieurs   hommes  célèbres   dont   les 
noms  se  rapportent  à  une  ville,  à  une  nation,  à  un  art,  etc. , 
sans  que,  pour  cela,  ceux  qui  l'ont  porté  aient  appartenu  à 
ce  peuple  ou  exercé  cette  jirofession.  Pasquier,  dans  ses  re-      t  i.  p.  ,,87. 
cherches  de  la  France, l'avait  déjà  supposé  ItaHen,mais  sans 
en  donner  non  plus  aucune  preuve.  Il  est  vrai  que  Placentin 
avait  étudié  en  Italie  ;  mais  il  ne  s'ensuit  point  de  là  qu'il  ne 
fût  pas  Français. 

Si  on  a  élevé  quelques  doutes  sur  la  ville  où  était  né  ce 
savant  jurisconsulte ,  les  éloges  qu'il  a  reçus  ont  été  univer- 
sels. Il  sortit  de  l'école  d'Irnerius ,  dit  Valentin  Forster  dans 
le  troisième  livre  de  son  histoire  du  droit  civil,  imprimée  au 
tome  P'"  du  recueil  des  plus  illustres  écrivains  sur  cette  ma- 
tière,  fait  par  les  ordres  et  sous  les  auspices  de  Grégoire  XIII; 
il  sortit  de  l'école  d'Irnerius  un  grand  nombre  de  très-savans 
hommes  ;  mais  celui  qui  se  fit  une  plus  haute  réputation  en 


ou  VLAC  ENTIN. 

XII  M  .Cï.F..  ^^^  temps-là  fut  Placeutin,  qui,  le  premier,  enseigna  le  droit 
T.  VI,  p.  757.  en  France.  Les  auteurs  de  la  Gaule  chrétienne  l'appellent  le 
premier  des  jurisconsultes  de  son  siècle  ,  Jurisconsultonwi 
facile  princeps ,  et  croient  devoir  faire  mention  de  sa  mort, 
tant  ce  fut  alors  un  événement  remarqué,  en  décrivant  quel- 
ques circonstaiices  de  la  vie  d'un  évoque  de  Montpellier,  ou 
plutôt  de  Maguelone;  car  le  siège  épiscopal  n'avait  pas  encore 
été  transféré  dans  la  première  de  ces  deux  villes.  Pierre  Ga- 
Pari.  i,p.2/,ï.  riel  leur  en  avait  donné  l'exemple  dans  sa  chronique  des 
évêques  de  ce  diocèse.  Il  y  appelle  aussi  Placentin  le  prince 
des  jurisconsultes,  et  il  ajoute  que  les  succès  de  l'enseignai 
ment  furent  tels  que  l'école  de  Montpellier  prit  désormais 
le  nom  du  professeur  qui  l'avait  tant  illustrée  :  Monspelii , 
tantâ  eniditionis  famâ  JUS  docuit ,  ut  sclwla  puhlica  ah  ejus 
nomine  Placentinea  juris  appelletur.  Accurse,  Barthole,  n'a- 
vaient pas  encore  paru,  et  la  somme  de  Placentin  sur  le  code 
et  les  institutes  de  Justinien,  est  peut-être  la  plus  ancienne 
que,  nous  "ayons. 

Un  autre  jurisconsulte  donna  une  grande  illustration  à 
l'éccfle  de  Montpellier,  la  plus  ancienne  qu'ait  eue  la  France 
pour  le  droit  romain  ,  la  seule  qu'elle  eût  alors.  Ce  juriscon- 
sulte est  Azon  Portius.  Nous  nous  contentons  de  l'indiquer, 
parce  qu'il  n'était  pas  né  en  France,  quoique  d'ailleurs  le 
séjour  qu'il  y  fit,  l'enseignement  qu'il  y  donna,  le  grand 
nombre  de  disciples  qu'il  forma,  nous  justifiassent  assez  de 
ne  pas  le  regarder  comme  étranger  à  notre  Histoire  litté- 
raire. Attaqué  et  poursuivi  par  ces  hommes  médiocres,  éter- 
nels ennemis  des  hommes  supérieurs,  il  fut  obligé  de  quitter 
Bologne,  sa  patrie,  et  vint  dans  le  lieu  même  où  Placentin 
avait  acquis  tant  de  gloire.  La  mort  de  ce  grand  juriscon- 
sulte laissant  vacante  la  chaire  de  professeur  de  droit  romain 
à  Montpellier,  Azon  fut  nommé  pour  la  remplir;  et  son  suc- 
cès fut  tel,  que  les  Italiens  même  venaient  y  étudier  sous 
lui.  Sa  renommée  fut  plus  forte  que  l'envie;  ses  compatriotes 
le  rappellèrent  pour  rendre  à  l'école  de  Bologne  tous  les  au- 
diteurs que  le  mérite  d'Azon  faisait  passer  à  Montpellier.  Il 
y  mourut  peu  de  temps  après,  en  1200;  il  n'y  avait  par 
conséquent  que  huit  années  que  la  France  avait  perdu  Pla- 
centin. Azon  a  rendu  plus  d'une  fois  hommage,  dans  ses 
écrits,  aux  lumières  et  aux  talens  de  son  prédécesseur  ;  il  l'ap- 
i>ap.  Masson.  pcUc  prceclarus  et  prœclarus  jurisperitus.  «  La  mémoire  de 

Ami.  4,  p.  45Î. 


PLAGENTIN.  3i 

XU  SIKCLE. 


ces  deux  grands  jurisconsultes  est  en  telle  recommandation 


à  Montpellier,  dit  Catel,  dans  son  histoire   de   Languedoc,     t.  il,  p.  294. 
qu'encore  aujourd'hui   les  bedeaux  de   l'université  portent  —  v.  la  nouv. 
limage  des  têtes  de  Placentin  et  d'Azon,  releve'es  dans  leurs  ^'^^^^  ''"5^^""^' 
massues  d'argent.  »  En  parlant  de  l'ouvrage  qui  lui  attira    *     '  '*'     '" 
tant  de  réputation,  sitmma  Azonis ,  Pasquier  observe  qu'il      p^^,^    ^    j 
a  s'ayda  en  ceci  du  labeur  de  Placentinus.  »    Balde  appelle  p.  (,79. 
Azon  une  source  de  lois,  un  vaisseau  d'élection,  et  Jason,    Bib!. de  Simon, 
autre  jurisconsulte  italien,  dit  que  sa  tête  était  un  vaisseau  '^'l'-^'i' 
qui  contenait  toutes  les  lois. 

§.   II. 
SES    ÉCRITS. 

Après    avoir   nommé   Placentin  comme  le  plus  illustre 
des  savans  hommes   sortis  de   l'école  d'irnerius ,  Valentia 
Forster  indique  d'aboid,  comme  un  de  ses  ouvrages,  une      r.  r,  p.  54 
somme  des  institutes  et  du  code  ;  pour  ce  dernier,  la  somme  '^'^'''  ^°"-  ^''''■^• 
de  Placentin  n'en  contenait  d'abord  que  les  neuf  premiers 
livres.  Un  jurisconsulte  italien ,  Roger,  avait  déjà  publié  sur 
le  code  un  abrégé  qui  n'avait  pas  peu  contribué  a  en  faci- 
liter l'étude.  Son  succès  fit  naître  à  Placentin  le  désir  et  l'es- 
pérance d'en  obtenir  un  semblable,  de  surpasser  même  son 
devancier.  Il  le  surpassa  en  effet.  L'ouvrage  du  jurisconsulte    r.mcir.p.  \\i. 
italien  cessa  d'être  lu  et  consulté,  dès  que  celui  du  juriscon- 
sulte français  eut  paru.  Mais  celui-ci  éprouva  bientôt  lui- 
même  ce  qu'il  avait  fait  éprouver  à  un  autre.  Jean  Bossianus, 
né  pareillement  en  Italie,  publia  un  abrégé  d'une  partie  du 
grand  recueil  de  Justinien,et  il  attaqua  si  souvent  Placen- 
tin, qu'on  eiit  dit  que  c'était  là  le  véritable  objet  qu'il  avait 
eu  en  écrivant.  Du  reste  il  y  montra  moins  de  talent  que  de 
vanité;  et  c'est  avec  raison  qu'Odefroy,  jurisconsulte  du  siècle 
suivant^  appelle  la  somme  de  ^oî,^\di\\\\s,  ventosam  summxi-      T-iJeiacoii. 
lam  :  ses  contemporains  cependant    l'avaient   nommé    lu-  plir^'i^^S^et 
ce/TzayV/m,  mM«r/i.j/?ecîf//</«;  et  son  épi taphe  l'appelle /to/<i«  i5(i.    ' 
sidus,  Jlos  mseus  patriœ ,  decus  orbis,  ^loria  patnan.  Pan(ir.p.  i^.;. 

Placentin  donna  ensuite  un  abi'égé  des  pandectes  et  des 
derniers  livres  du  code ,  si  l'un  s'eii  rapporte  à  Pancirole, 
dans  son  ouvrage  sur  les  ilkistres  interprètes  des  lois.  Cepen- 
dant l'opinion  commune  est  que  la  somme  du  code  fut  ache- 
vée par  un  jurisconsulte  italien  du  XIP siècle, apjielé  Pyleus, 
auteur"  d'up  traité  sur  l'ordre  des  jngemens  et  de  quelques 


3a  PLACENTIN. 

XII  SIECLF 

observations  sur  les  livres  des  fiefs.  Pancirole  le  dit  lui-même 


c.  21 ,  p.  ai3.  en  parlant  de  Pyleus.  Peut-être  celui-ci  1  avait-il  fait  d'abord  ; 
et  Placentin,  que  d'autres  travaux  empêchèrent  long-temps 
de  terminer  cet  abrégé,  voulut-il  achever  enfin  son  propre 
ouvrage,  quoique  ce  qui  y  manquait  eût  déjà  e'té  suppléé 
par  un  autre. 

Placentin  est  auteur  de  plusieurs  traités  sur  différentes 
parties  de  la  jurisprudence  civile  et  criminelle.  Ils  ont  encore 
été  publiés  dans  le  grand  recueil  formé  par  les  ordres  et  sous 
les  auspices  de  Grégoire  XIII,  vers  la  fin  du  XVr  siècle. 

„T."J'^Tiî*'  ï^'^ii  d'eux  est  intitulé  De  varietate  actionum,  des  diverses 

p.  35ctsoiv.  actions  judiciaires.  L  objet  en  est  assez  annonce  par  le  titre. 
L'ouvrage  est  divisé  en  vingt-deux  chapitres,  dans  lesquels 
Placentin  explique  successivement  les  différentes  manières 
de  se  pourvoir  en  justice,  de  réclamer  et  faire  valoir  ses 
droits,  de  procéder  et  d'agir  d'après  les  formes  établies  par 
l'usage  et  par  la  loi.  Tous  ces  chapitres  ont  des  sommaires 
assez  étendus. 

n,p.  Boe'tsufv.  Un  second  traité  a  pour  titre  :  De  personalihus  actionihiis. 
On  peut  le  considérer  comme  une  suite  du  premier,  ainsi  que 
le  remarque  l'auteur  lui-même.  Après  avoir  expliqué  les 
moyens  de  revendiquer  les  choses  auxquelles  on  a  droit,  il 
va  expliquer  également  ce  qui  concerne  les  droits  attachés  à 
la  personne,  et  les  moyens  aussi  d'obtenir  justice  sous  ce 
rapport.  Il  annonce  qu'il  ne  prétend  pas  traiter  ce  sujet  dans 
toute  son  étendue;  cela  l'entraînerait  fort  au-delà  des  bornes 
qu'il  s'est  prescrites  :  mais  si  la  prolixité  engendre  le  dégoût, 
trop  de  brièveté,  dit-il,  produit  l'obscurité;  il  promet  donc 
de  tenir  un  milieu  entre  ces  deux  écueils.  Ce  que  c'est  que 
les  actions  personnelles ,  quels  sont  ceux  à  qui  elles  com- 
pétent, quels  sont  ceux  envers  lesquels  on  en  peut  faire 
usage,  pendant  quel  espace  de  temps  on  le  peut  :  tels  sont 
les  différens  points  que  l'auteur  examine  et  discute.  Il  ne 
faut  pas,  observe-t-il,  que  l'esprit  de  l'auditeur  ou  du  lecteur 
se  fîitigue  d'entendre  ou  de  lire  cette  diversité  d'actions  ;  c'est 
par  elles  qu'un  procès  commence,  c'est  par  elles  qu'il  est 
terminé;  cest  par  elles  que  l'on  demande  ce  qui  est  dû, que 
l'on  conserve  ce  qui  est  acquis,  que  l'on  recouvre  ce  quon 
a  perdu,  que  l'on  peut  repousser  le  dommage  ou  l'injustice. 
L'ouvrage  est  divise  en  trente  titres,  tous  précédés  également 
de  sommaires  assez  étendus. 

Nous  lui  devons  trois  autres  traités  insérés  dans  la  même 


PLACENTIN.  33 

collection.  Le  premier  est  intitulé  :  des  sénatiis-consultes.  Il    ^"  siècle. 
en  contient  vingt-deux,  qui  portent  chacun  le  nom  de  leur      T.  l,  p.  i34 
auteur  (  Macedonianum ,  Velléianwn,  Plautianum ,  Sjlla-  e' ï35. 
nianum ,  Claudianum ,  Pisonianum ,  TrebelUanum ,  Pega- 
rianum ,  Apronianuni,  Tertullianuni ,  Orficianum,  Rubria- 
num ,  Trasianum,  Damasianuni ,  Artificulianura ,  Vincia- 
num,  Emilianum ,  Vivianum ,  Lihonianwn,  Turpillianum , 
Largianuin,  Sabinianuin).  Un  court  sommaire  précède  ces 
sénatus-consultes,  et  des  explications  en  déterminent  le  sens. 
Le  second  traite  des  jugèmens,  de  quelque  manière  qu'ils    T. m,  part,  r, 
puissent  avoir  lieu,  par  des  arbitres  ou  par  des  juges  :  il  est  !'•  9*  «' ««in- 
divise en  quinze  chapitres,  tous  précédés  de  sommaires ,  et  qui 
contieni>ent  tous  autant  de   questions  importantes  sur  le 
droit  civil.  Immédiatement  après  on  lit  :  de  expediendÏA  ju- 
diciis;  ce  traité-ci  a  vingt-un  titres,  il  n'est  que  la  suite  de 
l'autre.  Le  troisième  ouvrage  a  pour  titre  :  de  accusa tionibus     T.ir,part.  r, 
puhlicorum  judicionim.  Sept  chapitres  le  composent.  L'au-  P"  *  ^'  *"'^" 
teur  traite,  dans  le  premier,  des  accusations  en  général;  il 
traite, dans  le  second, de  ceux  qui  ne  peuvent  accuser;  dans 
le  troisième,  il  offre  la  division  des  crimes;  il  s'arrête,  dans 
le  quatrième,  à  la  loi  Julia,  qui  avait  pour  objet  la  répression 
du  viol  et  de  l'adultère;  il  parle,  dans  le  cinquième,  du  sé- 
natus-consulte  Turpilien  et  des  abolitions  :  (  le  senatus-consulte 
Turpilien  avait  été  fait  contre  ceux  qui,  après  avoir  intenté 
une  accusation ,  l'abandonnaient ,  soit  qu'ils  n'osassent  plus 
la  soutenir,  parce  qu'ils  la  reconnaissaient  calomnieuse.  Soit 
qu'ils  ne  voulussent  plus  poursuivre,  dans  l'espérance  de 
sauver  par-là  celui  quils  avaient  d'abord  accuse).  Il  traite 
de  la   question  dans  le  sixième,  et  dans  le  septième j  des 
crimes. 

Le  style  de  Placentin  est,  en  général,  supérieur  à  celui  de 
ses  contemporains  et  du'  plus  grand  nombre  des  juriscon- 
sultes qui  l'ont  suivi.  Il  n  est  pas  vrai  cependant,  comme  le 
dit  Simon,  que,  selon  Cujas,  Placentin  surpasse,  pour  là      Bibl.  hist.  et 
netteté,  tous  les  anciens  interprètes  du  droit.  Simon  nidique  «='"'°"-  »•  i»  p- 
le  septième  livre  des  observations  de  ce  grand  homme;  mais  ^Liv.Vii  c.36. 
Cujas  n'y  dit  rien  de  semblable;  l'ouvrage  dont  il  loue  la 
clarté,  la  pureté  du  style,  est  de  Bulgare;  il  remarque  même 
l'erreur  de  ceux  qui  l'attribuent  à  Placentin. 

Placentin  doit  encore  être  l'auteur  du  commentaire  énoncé 
dans  le  titre  suivant  :  de  diversis  regulis  juris  antiqui ,  pan- 
dectanim  libri  quinquagesimi  titulus  decimus-septimus ,  cum 
'   Tome  Xr.  E  • 


XII  SIECLE. 


34  PLACENTIN. 

tusco  aut  ex  eo  ducto  accurate  collectas  et  emendatus,  ca- 
pitiûis  omnibus  cum  suis  inscriptionihus ,  suo  etiam  ordini 
restitutis;  in  eumdem  titulum  vêtus ,  sed  incerto  autore,  hre~ 
vis  et  ele^ans  commentarius.  Paris,  Charles  Estienne,  lôôy, 
in-S".  L'éditeur  est  porté  à  le  croire,  quoiqu'il  annonce  que 
d'autres  l'attribuent  à  Irnerius.  Placentm  semble  en  effet  s  en 
déclarer  lui-même  l'atiteur  dans  le  passage  suivant  :  «  Quid 
ergo  dicemus  de  hoc  quod  dicitur  dig.  de  regulis  j'uris  P  Si 
repugnantia  continet  testamentum ,  neutrum  fore  ratum  : 
sic  intelligatur ,  ut  exposui  in  additionibus ,  sive  exceptioni- 
bus  regularum. 

Charles  Estienne  loue  beaucoup  cet  ouvrage  ;  ce  n'est  pas 
un  simple  commentaire,  ce  sont  d'excellentes  additions  aux 
règles  du  droit.  Il  assure  qu'on  y  reconnaît  le  style  de  Pla- 
centin,  son  agréable  brièveté,  sa  méthode  et  sa  dialectique. 
En  l'imprimant,  il  le  dédia  au  cardinal  Bertrand,  le  premier 
qui  soit  devenu  garde  des  sceaux  en  titre  d'office;  le  roi  ne 
les  donnait  auparavant  que  par  commission.  L'épître  dédi- 
catoire  est  du  20  septembre  iSSs.  Elle  nous  apprend  que 
l'ouvrage  avait  été  communiqué  en  manuscrit  à  Jean  Lucius^ 
secrétaire  du  roi ,  et  procureur  de  la  reine  Catherine  de 
Médicis;  que  Charles  Estienne  en  avait  obtenu  la  permission 
de  l'imprimer;  qu'il  l'avait  fait,  parce  que,  dit- il,  outre  le 
mérite  du  latin  assez  pur,  on  y  a  lié  avec  tant  d'art  les  opi- 
nions et  les  lois  les  plus  autorisées,  qu'il  semble  que  ce  ne 
soit  qu'un  seul  et  même  ouvrage,  et  que  c'est  l'auteur  des 
règles  qui  les  a  lui-même  commentées. 
T.iii,p.6o3  Le  manuscrit  4539  de  la  bibliothèque  du  Roi,  qui  parait 
du  calai,  impr,  écritau  XIV®  siècle ,  contient  la  somme  de  Placentin  sur  les 
neuf  premiers  livres  du  code  et  celle  sur  les  institutes  de 
Justinieo.  P. 


'Vy^V^^V^^V*^»*^»*^^^*'^^*^^**^*^^**'*^*'*^^'*^*'^^^^'^'^^^*^^*^^*''*^'*'***'^^^ 


XII  SIECLE. 


BERNARD, 

ABBÉ  DE   FONT-CAULD; 

ET    ERMENGAUD, 

ABBÉ  DE  SAINT-GILLES. 

I.  JjERNARD,  abbë  de  Font-Cauld  ou  Font-Caulde  (  fontis 

calidi)^  de  l'ordre  de  Prémontrë,  au  diocèse  de  Saint-Pons, 

est  regardé  par  les  auteurs  du  nouveau  Gallia  Christiana      T.vi,p.a67. 

comme  le  premier  abbë  de  ce  monastère,  qu'il  gouvernait 

déjà  en  1 1^2.  Ces  auteurs  ajoutent  qu'en  1 182  et  1 188,  il  fut 

témoin  de  deux  transactions;  qu'en  11 84,  son  abbaye  fut 

mise  par  Lucius  III  sous  la  juridiction  des  archevêques  de 

Narbonne  ;  que  peu  d'années  après  il  écrivit  contre  les  Vau- 

dois;  qu'enlin  il  mourut  vers  11 92,  et  qu'en  i  ipS  on  le  voit 

remplacé  par  Pierre  Gérald. 

Voilà  tout  ce  qu'on  sait  de  la  vie  de  Bernard  de  Font- 
Cauld  ou  Fontaine -Chaude.  Ni  Hugo,  dans  les  annales  de      T.  I,  p.  687. 
Prémontré,  ni  dom  Vaissette,  dans  lliistoire  du  Languedoc, 
ne  nous  apprennent  rien  de  plus  sur  les  actions  et  les  mœurs    ^'  ^^^'  P"  "*' 
de  cet  abbe.  Oudin,  qui  n'en  parle  qu'en  fort  peu  de  mots,  "comment,  in 
s'en  excuse  comme  il  suit  :  Ampliorem  hujus  scriptoris  ha-  .Script. ecdes.  t. 
bere  notidam  non  licuit ,  ohprofundam  perpetuamque  qud  ï^'P-^^^S. 
semper  hic  ordo  celebris  est,  ignorantiain. 

Au  lieu  de  ce  trait  de  satire,  Oudin  pouvait  du  moins 
rendre  compte  de   l'ouvrage   de  Bernard  de  Font-Cauld, 
ouvrage  que  Gretser  a  publié  en  i6i4  avec  ceux  d'Ebrard         Ingohtad. 
et  d'Ermeugard  sur  le  même  sujet,  en  donnant  à  ces  trois  "'"^''• 
traités  des  titres  que,  selon  Noël  Alexandre,  ils  n'avaient    Tracta  tus  con- 
point  reçus  de  leurs  auteurs.  Ces  traités  ont  été  insérés ,  de-  ""*  Waidenses 
puis,  dans  le  tome  XXIV  de  la  bibliothèque  des  Pères,  im-  ^'MagnrBibl. 
primée  à  Lyon.  Celui  de  l'abbë  de  Font-Cauld  a  été  analysé  ecd.t.i.p.  291! 
par  dom  Vaissette,  et  plus  brièvement  par  Bossuet.  —Celui de  Ber- 

Après  avoir  dit  que  Bernard  de  Font-Cauld  fixe  au  ponti-  T^^^-\Z'i^' 
ficat  de  Lucius  III  les  progrès  de  la  secte  vaudoise,  Bossuet  Hist.duLan- 
continue  en  ces  termes  :  e"ed.  t.  m ,  p. 

«  Le  pontificat  de  ce  pape  commence  en  1 181,  c'est-à-dire,  '  Hist. 'des  Va- 

E2 


36  BERNARD,  ET  ERMENGAUD. 

1 L  après  que  Valdo  eut  paru  dans  Lyon.  Il  lui  fallut  bien  vingt 

nations,  1.  XI,  aus  à  s'c'tcndrc  et  à  former  un  corps  de  secte  qui  méritât  d'être 
"•  7J-79-  regarde'.  Alors  donc  Lucius  III  les  condamna;  et,  comme  son 
pontificat  n'a  duré  que  quati'e  ans,  il  faut  que  cette  pre- 
mière condamnation  des  Vaudois  soit  arrivée  entre  l'année 
ii8i,  où  ce  pape  fiit  élevé  à  la  chaire  de  saint  Pierre,  et 
l'année  1 185,  ou  il  mourut. . . .  Après  la  mort  de  ce  pape, 
comme ,  malgré  son  décret ,  ces  hérétiques  s'étendaient,  beau- 
coup ,  et  que  Bernard ,  archevêque  de  Narbonne ,  qui  les 
condamna  de  nouveau  après  un  grand  cxaqien ,  ne  put  ar- 
rêter le  cours  de  cette  secte,  plusieurs  personnes  pieuses, 
ecclésiastiques  et  autres,  procurèrent  une  conférence  pour 
les  ramener  à  l'amiable.  On  choisit  de  part  et  d'autre  pour 
arbitre  de  la  conférence  un  saint  prêtre  nommé  Raimond  de 
Daventrie,  homme  illustre  par  sa  naissance, mais  encore  plus 
illustre  par  sa  sainte  vie.  L'assemblée  fut  fort  solennelle,  et 
la  dispute  fut  longue.  On  produisit  de  part  et  d'autre  des 
passages  de  l'Ecriture,  dont  on  prétendait  s'appuyer.  Les 
Vaudois  furent  condamnés  et  déclarés  hérétiques  sur  tous 
les  chefs  de  l'accusation.  On  voit  par  -  là  que  les  Vaudois , 
quoique  condamnés,  n'avaient  pas  encore  rompu  toutes  me- 
sures avec  l'église  romaine,  puisqu'ils  convinrent  d'un  arbitre 
catholique  et  prêtre.  L'abbé  de  Font-Cauld,  qui  fut  présent 
à  la  conférence,  a  rédigé  par  écrit,  avec  beaucoup  de  netteté 
et  de  jugement,  les  points  débattus  et  les  passages  qu'on  em- 
ploya de  part  et  d'autre  :  de  sorte  qu'il  n'y  a  rien  de  meilleur 
pour  connaître  tout  l'état  de  la  question  telle  qu'elle  était  alors 
et  au  commencement  de  la  secte.  La  dispute  roule  principa- 
lement sur  l'obéissance  qui  était  due  aux  pasteurs.  On  voit 
aue  les  Vaudois  la  leur  refusaient,  et  que,  malgré  toutes  les 
éfenses,  ils  se  croyaient  en  droit  de  prêcher,  hommes  et 
femmes.  Comme  cette  desobéissance  ne  pouvait  être  fondée 
que  sur  l'indignité  des  pasteurs,  les  catholiques,  en  prou- 
vant l'obéissance  qui  leur  est  due,  prouvent  qu'elle  est  due 
même  à  ceux  qui  sont  mauvais,  et  que,  quel  que  soit  le 
canal,. la  grâce  ne  laisse  pas  de  se  répandre  sur.  les  fidèles. 
Pour  la  même  raison ,  on  fait  voir  que  les  médisances  contre 
les  pasteurs. .  .  .  sont  défendues  par  la  loi  de  Dieu.  Dans  la 
suite,  on  attaque  la  liberté   que  se  donnaient  les  laïcs  de 

f)rêcher  sans  la  permission  des  pasteurs,  et  même  malgré 
eurs  défenses;  et  on  fait  voir  que  ces  prédications  séditieuses 
tendent  à  la  suJjYcrsion  des  faibles  et  des  ignorans.  Sur-tout 


BERNARD,  ET  ERMENGAIJD.  ^ 

on  prouve  par  1  tenture  que  les  temmes  qui  n  ont  que  le  si- =_ 

lence  en  partage,  ne  doivent  pas  se  mêler  d'enseigner.  Enfin 
on  montre  aux  Vaudois  le  tort  qu'ils  ont  de  Irejeter  la  prière 
pour  les  morts,  qui  avait  tant  de  fondement  dans  f Écriture, 
et  une  suite  si  évidente  dans  la  tradition  :  et,  comme  ces 
he'rétiques  s'absentaient  des  églises  pour  prier  entre  eux  en 
particulier  dans  leurs  maisons,  on  leur  fait  voir  qu'ils  ne  de- 
vaient pas  abandonner  la  maison  d'oraison,  dont  toute 
l'Écriture  et  le  fils  de.  Dieu  lui-même  avaient  tant  recom- 
mande la  sainteté.  »  '  '  '"'  "''  3>  ft- "i  :•,',;  'i' 
Bossuet  ne  parle  que  d'une  conférence  entre  les  catho- 
liques et  les  Vaudois  du  diocèse  de  Narbonne.  Dom  Vaissettè 
en  distingue,  deux,  et  c'est  ce  qui  résulte  en  effet  du  récit  qui 
sert  de  préface  au  traité  de  Bernard  de  Font-Cauld.  Ce  tul 
à  la  seconde  de  ces  conférences  que  présida  Rairaond  de 
Déventer.  Après  cette  préface,  l'ouvrage  de  Bernard  contient 
douze  chapitres.  Dans  les  trois  premiers,  il  montre,  par  des 
textes  de  la  Bible,  qu'on  doit  de  l'obéissance,  du  respect,' et, 
au  besoin,  de  l'indulgence  aux  prêtres  et  aux  évêques  :  aucun  ' 
trait  ne  concerne  particulièrement  lé  pape,  quoique  le  titre 
du  premier  chapitre  donne  lieu  de  s'y  attendre^  Les  cha- 
pitres IV  et  V  refusent  aux  laïcs  le  droit  de  prêcher  et 
d'enseigner  la  religion.  Le  VF  est  une  réfutation  des  con- 
séquences que  les  Vaudois  prétendaient  tirer  du  texte  qui 
recommande  d'obéir  à  Dieu  plutôt  qu'aux  hommes  :  l'aiiteur 
répond  qu'obéir  à  ses  pasteurs,  c'est  obéir  à  Dieu,  qui  les  ' 
a  lui-même  établis.  L'objet  du  septième  chapitre  est  de  carac- 
tériser les  personnes  que  les  Vaudois  séduisent  et  celles 
qu'ils  ne  séduisent  pas  :  dans  la  première  classe,  on  re- 
marque sur-tout  les  femmes ,  dont  tout  le  chapitre  suivant 
traite  encore.  L'abbé  de  Font-Cauld  applique  aux  Vaudois 
et  aux  femmes  ces  mots  du  psaume  Go  :  Congregatio  tau- 
rorumin  vaccis  populorum.  On  lui  objecte  le  texte  .ou  saint 
Paul,-  parlant  des  femmes  d'un  âge  mur,  met  au  nombre  de 
leurs  meilleures  qualités  celle  de  bien  enseigner  :  Anus. . . 
henè  docentes ;  mais  il  ne  s'agit  là  que  d'un  enseignement  AJ.  lit.  c.  a, 
secret  dans  l'intérieur  des  maisons,  et  non  dans  les  lieux 
'  publics.  La  sainte  Vierge  ne  prêchait  pas,  elle  renfermait  dans 
son  cœur  les  paroles  de  son  divin  fils.  La  nécessité  de  prier        Luc.  a. 

Ï>our  les  morts  est  prouvée  dans  le  chapitre  IX  par  un  texte 
brt  connu  du  second  livre  des  Machabées,  et  par  le  témoi-      Ç-  uSancù 
gnage  de  quelques  défunts  qui  ont  apparu  à  des  vivans  pour  co^Ua'ir!r''d  * 


Xir  SIECLE 


38  BERNARD,  ET  ERMENGAUD. 

les  remercier  de  leurs  prières  ou  pour  leur  en  demander.  Le 

functis  exorare  chapitre  X,  qui  concerne  le  purgatoire,  est  fort  court,  et  ne 

*'*^'  renferme  guère  qu'un  texte  où  S.  Augustin  dit  qu'il  n'est  pas 

incroyable  ^  incrédule  non  est ,  que  les  âmes  souillées  encore 

de  certaines  taches  en  soient  purifiées  par  le  îen^per  igneni 

quemdam  purgatorium.  L'erreur  de  ceux  qui  soutenaient 

que,  sans  aller  en  paradis  ni  en  enfer,  les  âmes  attendaient 

en  des  asyles  provisoires  le  jour  du  jugement  universel,  est 

combattue  dans  l'avant -dernier  chapitre  :  le  dernier  traite 

des  églises  et  de  l'obligation  de  s'y  rassembler  pour  prier. 

L'auteur  réfute  l'objection  que  les  Vaudois  puisaient  dans  ce 

Ch.  2.        texte  de  saint  Mathieu  :  Quand  tu  veux  prier,  setire-toi  dans 

ta  chambre  et  ferme  ta  porte. 

Ce  traité  a  été  quelquefois  attribué,  fort  mal-à-propos,  à 
saint  Bernard. 

II.  Ermengard,  auteur  de  l'un  des  traités  contre  les  Vau- 
dois, recueillis  par  Gretser,  nous  paraît  être  la  même  per- 
sonne qu'Ermengaud,  abbé  de  Saint- Gilles,  au  diocèse  de 
Gall.  Christ.  Nîmes ,  dcpuis  II 79  jusqu'à  ii95,celui  auquel  Alain  de  Lisle 
"80^400^^'''"  ^  <i^dié  un  vocabulaire.'Ce  n'est  pas  qu'on  ne  rencontre  vers 
Montfaiicon,  Ics  mêmes  temps  deux  autres  personnages  du  même  nom, 
Bibi.  BU.liot.  t.  l'un,  abbé  de  Yahnagne,  au  diocèse  d'Agde;  l'autre,  évêque 
" Gall' n'^rist    ^^  Béziers, après  avoir  été  abbé  de  Saint-Pons  de  Tomières. 
nova^,  t.  vl7'p^  Mais  l'Ermengaud ,  abbé  de  Valmagne,  mourut  en  1 1 7 1  avant 
721 ,  722.  que  l'hérésie,  combattue  dans  ce  traité,  eût  pris  de  la  consis- 

ytiV/.  p.  a3a,  tance;  et  celui  qui  a  occupé  le  siège  épiscopal  de  Béziers 
depuis  1180  jusqu'en  i2o5  ,  serait  désigné  par  le  titre  d'é- 
vêque  plutôt  que  par  celui  d'abbé,  s'il  était  l'auteur  d'un 
traité  compose  selon  toute  apparence  après  1 180  :  ce  prélat 
est  d'ailleurs  connu  par  des  poésies  provençales  dont  Baluze 
Bibl.  Baluz.  arecueiili  quelques  morceaux,  sans  le  soupçonner  aucune- 
p.iii,p.  114-    ment  d'avoir  écrit  un  ouvrage  théologique.  Ce  sera  donc  à 
Fabric.  Bibl.  l'Ermeiigaud,  abbé  de  Saint- Gilles,  que  nous  attribuerons 
tned.  t.  II ,  p.  \q  traité  dont  nous  allons  donner  une  très-courte  notice. 
***''  Les  dix -neuf  chapitres  qu'il  contient  occupent  les  treize 

dernièies  du  vingt-quatrième  volume  de  la  bibliothèque  des 
Pères,  édition  de  Lyon.  L'auteur  s'applique  à  prouver,  par 
des  textes  de  la  Bible,  que  Dieu  a  créé  le  monde;  qu'il  n'y 
a  pas  deux  Dieux  ;  que  le  seul  véritable  est  celui  qui  s'est 
révélé  à  Moïse;  que  Moïse  n'était  point  un  magicien;  que  le 
mariage  est  permis;  que  la  conception  et  la  nativité  de  saint 
Jean- Baptiste  ont  été  annoncées,  non  par  un  démon,  mais 


BERNARD,  ET  ERMENGAUD.  89 

par  nn  bon  anj^e;  que  le  corps  de  Jesus-Christ  était  re'el ,  vé-  ' 

rirable  et  non  fantastique  ou  aérien;  qu'il  faut  des  temples, 
des  autds,  dos  prières  et  des  chants  ecclésiastiques.  Er- 
mengaud  parle  ensuite  des  sacremens  :  savoir,  de  l'eucha- 
ristie, du  baptême  et  de  la  pénitence.  L'un  des  plus  longs 
chapitres  est  le  quatorzième,  qui  est  intitulé  ;  de  l'impo- 
sition des  mains,  et  qui  n'est  pas  d'une  clarté  parfaite. 
L'autrur  y  disserte  à-la-(bis  sur  l'ordination  et  sur  ce  qu'il 
ajjpelle  consolamentum  :  c'est  sans  doute  la  conlirmàtiun  ; 
mais  il  ne  se  sert  point  de  ce  mot,  et  ce  qu'il  dit  n'est  pas 
toujours  applicable  au  deuxième  de  nos  sacremens.  Lt>s  der- 
niers chaintres  ont  successivement  pour  objets  l'usage  des 
viaiides,  la  résurrection  des  morts,  l'invocation  des  saints^ 
les  jiiremens,  et  le  meurtre.  Il  règne,  comme  on  voit,  fort 
peu  d'ordre  dans  cet  ouvrage,  qui ,  au  reste,  ne  nous  a  point 
été  conservé  en  totalité.  Le  chapitre  du  meurtre  n'a  que  les 
deux  lignes  que  voici  :  Explanatis  ad  evidentiam  supradic- 
torum  quœ  snfficere  possunt  capitulis  ,  de  occisione  age- 
mus.  Et  qualitev  Deus  non  occiaere.  ... 

Pour  l'ordinaire,  Ermengard  emploie  avec  beaucoup  de 
justesse  et  de  bonne  foi  les  text(-s  qu'il  cite.  Mais  nous  som- 
mes forcés  d'avouer  qu'il  ne  mérite  pas  toujours  cet  éloge. 
Par  exemple,  dans  le  chapitre  de  la  pénitence,  il  applique  à 
la  confession ,  des  passages  qui   ne  cohcernent  que  la  pro- 
fession  publique  du  culte  et   de   la   croyance.   Conjitemini 
Domino  quoniam  bonus. —  Qid  confitehitur  me  coram  homi-       f*.  loS. 
nibus,  conjitehor  et  ego  eum  coram  pâtre  meo.  —  Corde  cre"      Math.  ro. 
dit  un  ad  justitiam ,  ore  aiitem  confessio  fit  ad  salutem,  etc.  ï^p-adflom.ia! 
Un  autre  défaut  de  c*  t  ouvrage  est  de  ne  pas  faire  assez  con- 
naître les  opinions  des  Vaudois;  presque  jamais  les  questipns 
ne  sont  posées  d'une  manière  précise;  le  j)lus  souve^it  on  ne 
sait  pas  quelle  proposition  l'auteur  prétend  réfuter.  Le  tiaité 
de  Bernard  de  Font-Cauld  est,  sous  ce  rapport  et  à  d'autres 
égards,  préférable  à  celui  d'Ermengaud.  D. 


xn  SIECLE. 


«<«^%'%'V%-% 


%^g»^*»»*»y^%(i«A4*4fc  vi%  »4%v%^».-^^^^<y  <^'^»»^»>*«^»- 


X  «««^  V««.  V*/«  V 


ADAM, 

CHANOINE  RÉGULIER  DE  SAINT-VICTOR  DE  PARIS. 


jt*. 


S'A  VIE. 


Lja  plupart  des  auteurs  qui  ont  parlé  de  la  patrie  d'Adam 
se  sont  contentés  de  dire  qu'il  était  breton.  L  équivoque  de 
cette  dénomination  laisse  lieu  de  douter  s'il  était  anglais 
ou  français,  d'autant  plus  qu'à  l'époque  où  vivait  le  victorin, 
on  trouve  un  Adam  prémontré,  qui  écrivait  en  Angleterre. 
Blbl.ins.i.n,  Cependant  Montfaucon  indique  comme  manuscrit  l'ouvrage 

p.  laSg,  c.  intitulé  :  Liber  sententianim  magistri  Adce  de  Rodronio.  Si  on 
avait  la  preuve  que  cet  écrit  est  d'Adam  de  Saint-Victor, 
on  pourrait  conclure  qii'il  était  de  Rennes  en  Bretagne,  et 
par  conséquent  français.  Quoi  qu'il  en  soit ,  après  avoir  fait 
ses  études  à  Paris,  il  entra  dans  l'abbaye  de  Saint- Victor, 
dont  il  devint  un  des  ornemens  par  sa  science  et  sa  piété. 
Gall.  Christ.  On  ne  sait  aucun  détail  sur  sa  vie.  Les  auteurs  du  Gallia^ 

t.VIl,col.  670.  Cliristiana  disent  vaguement  qu'il  mourut  sous  la  prélature 
i^dex  anct.  de  l'abbé  Guérin,  entre  les  années  iiy3  et  1194;  Ducange 

ad  Gloss.p:  80.  pig^e  sa  mort  en  1 177  ;  Félibien  et  Lobineau  nous  paraissent 

lib.  y,  p.  197.  mieux  rondes  a  la  reculer  jusqu  en  1 192.  bon  epitaphe,  gravée 
sur  une  plaque  de  cuiyre,  dans  le  cloître  de  Saint-Victor^ 
près  de  la  porte  de  l'église ,.  rapportée  par  divers  auteurs ,  d 
toute  l'apparence  d'être  son  ouvragé,  par  le  ton  de  piété  et 
de  moa^stie  qui  y  règne.  Elle  est  conçue  en  ces  termes  : 

.    ilœres  peccati  y  naturâjlîius  irce, 

Exiliiquc  reus  nascitur  omnis  honio. 
Unde  superbit  homo ,  cujus  conceptio  culpa, 

Nasci  pœna,  labor  -vita,  necesse  mori? 
fana  salus  hominis ,  vanus  décor ,  omnia  vana; 

Inter  -vana  nihil  vanius  est  homine. 
Dum  inagis  alludit  prœsentis  gloria  vitœ, 

Prœterit,  iino  fiigit ;  non  f agit,  iino  périt. 
Post  hominem  ver  mis,  post  -vermemjit  cinis,  heu,  heu! 

Sic  redit  ad  cinerem  gloria  nostra  simul. 


ADAM,  CHANOINE  DE  SAINT- VICTOR.  4i 

Hic  ego  quijaceo  miser  et  miserabilis  Adam, 

Unani  pro  summo  munere  posco  precem  : 
Peccavi ,  fateor ,  veniam  peto ,  parce  Jutenti  ; 

Parce  pater ,  Jratres  parcitf ,  parce  Deus. 

Pasquier,  après  avoir,  transcrit  cette  ëpitaphe,  ajoute: 
«  J'oppose  cette  pièce  à  tous  épitaphes  tant  anciens  que  mo- 
dernes. On  peut  juger  de  cet  échantillon  que  les  bonnes 
lettres  étaient  alors  à  bonnes  enseignes  logées  dans  ce  mo- 
nastère de  Saint-Victor.  » 

Martène  a  publié,  dans  sa  grande  collection,  une  autre 
épitaphe  d'Adam ,  plus  récente  et  plus  courte ,  mais  qui  ne 
vaut  pas  à  beaucoup  près  la  première. 


XII  SIECLE. 


Rech.  liv.  III, 
ch.  ag. 


Arapl.  Collect. 
t.  VI,  qol.  242. 


SES  ECRITS. 


Martène,  ibid. 


Les  monumens  les  plus  certains  qui  nous  restent  de  la 
plume  d'Adam ,  sont  des  proses  rimees  ou  séquences  desti- 
nées à  être  chantées  à  la  messe,  dans  les  grandes  solennités. 
Dans  l'éloge  d'Adam,  publié  par  D.  Martène,  un  anonyme, 
qui  vraisemblablement  n'est  autre  que  Jean  de  Toulouse, 
prieur   de   Saint-Victor,  mort  en    ibSg,  donne  ime  haute 
idée  de  ces  compositions;  Adam,  selon  lui,  a  saisi  parfaite- 
ment le  véritable  esprit  du  genre,  il  est  admirable  pour  la 
rapidité  du  trait,  Tharmonie  des  finales,  l'élégance  du  style, 
le  choix  des  expressions,  la  beauté  des  sentences,  l'applica- 
tion des  figures  et  des  prophéties,  qui,  souvent  obscures 
dans  le  texte  sacré,  deviennent,  par  la  manière  heureuse 
dont  il  sait  les  employer,  plutôt  une  histoire  qu'un  simple 
,ornement  de  son  sujet.  Antoine  Demochares  ou  de  Moncni, 
et  Bellote,  auteur  des  Rites  de  l'église  de  Laon,  ne  s'éloignent  ^'"'  '^^''^^"  P* 
pas  beaucoup  de  ce  jugement.  Plein  de  la  même  estime  pour       Rit.  Eccles. 
ces  proses,  Josse  Cliotove  en  a  recueilli  trente-sept  dans  son  LauHnn.p.4i5. 
Elucidariuni  ecclesiasticum ,  qu'il  a  ornées  d'un  commen-      Elucid.  t.  il, 
taire,  pour  mieux  faire  sentir  les  beautés  qu'il  a  cru  y  aper-  *"  '*' 
cevoir.  L'éditeur  dit  n'avoir  rencontré ,  dans  les  manuscrits 
de  Saint-Victor,  que  ces  trente-sept  proses  de  notre  auteur; 
mais  il  présume  que  beaucoup  d'autres  ont  succombé  à  l'in- 
jure du  temps. 

A  l'égard  du  mérite  de  ces  pièces,  ce  serait  outrer  l'admi- 
ration que  d'adopter  sans  reserve  les  éloges  qu'on  leur  a 

Tome  XF.  F 


De  Obserr. 


4a  -  ADAM,  CHANOINE  DE  SAINT -VICTOR. 
xn  SIECCE.  jQ^nés.  Elles  étaient  bonnes  pour  le  temps,  et  même  les 
meilleures  qu'on  eût  vues  jusqu'alors.  Mais  il  a  paru  depuis 
des  modèles  en  ce  genre  qui  les  ont  fait  totalement  oublier, 
et  avec  lesquelles  elles  ne  peuvent  réellement  entrer  en 
comparaison. 

Dans  la  prose  de  saint  Jean  l'Évangëliste,  nous  remar- 
quons un  trait  qui  mérite  detre  mis  sous  les  yeux  de  nos 
lecteurs.  On  sait  que,  dans  l'esprit  de  plusieurs  alcliimistt'S, 
ce  saint  passe  pour  avoir  eu  le  secret  du  grand-œuvre.  Adam 
était  dans  la  même  opinion,  et  donne  à  entendre  qu'elle 
était  déjà  commune  de  son  temps.  Écoutons-le; 

Cùm  gemmarum  partes  Jractas 
Solidasset ,  has  dis  tractai  ^ 

Tribuit  pauperibus  ; 
Inexhaustum  fert  Ihesaurum, 
Qui  de  -virgisjecit  auruin 
Gemmas  de  lapidibus. 

Journal  de»  Ce  qu'oH  a  traduit  en  cette  manière  : 

Sav.    1703.  p. 

6aa.  Lorsqu'il  eut  réuni  les  morceaux  divises. 

De  plusieurs  diamans  brisés, 

Il  en  employa  les  richesses 

En  de  charitables  largesses. 
Il  jouit  à-présent  d'un  immense  trésor, 

Celui  dont  les  mains  bienheureuses 
Ont  su  changer  des  baguettes  en  or 
Et  des  cailloux  en  pierres  précieuses. 

Ce  n'est  ni  Adam ,  ni  ses  contemporains  qui  avaient  ima- 
giné cette  histoire  :  elle  remonte  bien  plus  liaut.  On  la 
Jbid.  cap.  73  retrouve  dans  les  livres  de  saint  Isidore  :  De  ortu  et  vita  et 
obita  sanctonim  patrum.  Voici  le  passage  :  Cujas  quidem 
(  Joannis)  inter  alias  mrtutes  inagnitudo  sis^noruni  hœc  fuit. 
Mutavit  in  aufum  sylvestres  frondium  virf^as ,  littoreaqiie 
saxa  in  gemmas;  item  gemmarum  fragmina  in  prupriarn 
reformant  natutnin.  Il  y  a  bien  de  l  apparence  que  cest  de 
là  que  les  savans  du  XII*  siècle  avaient  tiré  cette  anecdote 
singulière. 

On  attribue  à  notre  auteur  divers  autres  écrits  que  nous 
ne  sommes  pas  en  état  de  lui  garantir,  et  dont  quelques-uns 
même  \v.\  sont  manifestement  supposés. 
Leiong,Bibi.       i©   Une  expositiou  du  Cantique  des  cantiques,  qui  se 


ADAM,  CHANOINE  DE  SAINT-VICTOR.         43 

conservait  manuscrite  à  la  bibliothèque  de  Sorbonne  et  dans    '^^  siècle 


celle  de  l'abbaye  de  Dunes  en  Flandre,  où  elle  porte  en  Sac.  t.  ii,  p. 
titre  :  Magistri  Adam  expositio  in  cantica  canticorum.  Voilà  '^';  j  g;jj, 
bien ,  à  la  vérité ,  le  nom  de  notre  auteur  ;  mais  il  n'était  pas  g^ig  pajt.  i,  p! 
le  seul  qui  s'appelât  Adam  au  XIP  siècle  et  au  suivant.  i5i. 

qP  Un  commentaire  sur  l'épître  aux  Hébreux,  dont  il  y  Sand.  ibid. 
avait,  du  temps  de  Sanderus,  un  exemplaire  manuscrit  a  ?»«•'•".?•  »o8- 
l'abbaye  du  Val -Saint -Martin  à  Louvam  ,  sous  ce  titre: 
Adam  Anglicus  super epistolam,  adHehrœos.  Cette  inscription 
souffre  encore  difficulté ,  parce  qu'elle  convient  aussi-bien , 
et  peut-être  mieux,  à  Adam  prémontré  qu'à  Adam  de  Saint- 
Victor.  Au  reste,  ce  prémontré  était  Ecossais  de  naissance, 
profès  de  Saint-André  en  Ecosse,  où  il  mourut  suivant  Oudin 
et  Cave< 

3°  Dans  l'éloge  déjà  cité  de  notre  auteur,  on  lui  donne  Martène, supra. 
une  explication  des  prologues  de  saint  Jérôme  sur  les  livres 
de  la  Bible ,  explication  dans  laquelle,  dit-on ,  il  fait  souvent 
mention  d'un  autre  livre  de  sa  façon,  intitulé  :  Summa  de 
vocabilibus  Bihliœ,  seu  summa  Britonis.  Mais  il  est  constant    Wadding,Scr. 
que  cette  somme  est  de  Guillaume  Breton ,  cordelier ,  dont     '"'  Ducange , 
le  nom  et  le  surnom  se  lisent  à  la  tête  de  cet  ouvrage  dans  praf.  in  Gloss. 
deux  manuscrits ,  dont  l'un  est  à  l'abbaye  de  Saint-Germain-  "».  49- 
des-Près,  l'autre  au  collège  de  Navarre,  où  l'on  trouve  à  la 
tête  la  profession  de  l'auteur  exprimée  dans  deux  vers.  D'où 
il  s'ensuit  que  l'explication  des  préfaces  de  saint  Jérôme  part 
de  la  même  plume.  Ainsi  le  P.  Dubois  s'est  mépris  en  met-      Hi»t.  Eccles. 
tant ,  dans  son  Histoire  de  l'église  de  Paris ,  ces  deux  écrits  ^^"*"  '*  ^^  »  P' 
sur  le  compte  de  notre  victorin.  Il  est  vrai  que  cet  historien  *' 
a  pour  lui  l'autorité  de  deux  manuscrits  de  aaint-Victor  qui      Bibi.  s.  vict. 
font  honneur  de  l'une  et  de  l'autre  production  à  notre  auteur;  "•  ^9  ®'  ^99" 
mais  ces  manuscrits  sont  récens ,  et  ne  peuvent  balancer  les 
preuves  que  nous  venons  de  donner  de  la  fausseté  de  cette 
attribution. 

4**  D.  Bernard  Pez  dit  avoir  rencontré,  dans  plusieurs      Pcz,  Anecd. 
bibliothèques  d'Allemagne,  une  petite  somme  versifiée,  qui  *-ï>P''e'^-P- va- 
traite  des  rites  et  des  canons ,  Metrica  sum,ma  rerum  ac  sen- 
tentiarum  rititalium,  canonicarumque.  Dans  un  manuscrit  du  *** 

XIV^  siècle,  dit-il, elle  porte  le  nom  d'Adam  de  Saint- Victor; 
dans  un  autre  à-peu-près  du  même  âge ,  l'auteur  est  nommé 
maître  Adam,  frère  mineur;  et,  dans  un  troisième  conservé 
à  l'abbaye  de  Molk,  on  lit,  en  tête  de  cet  opuscule  :  bicipit 
summa  magistri  Adœ.  Primo  qualiter  collectée  dicendce  sint 

Fa 


XII  SIECLE. 
Siml.  p.  597. 


Script.  -Ord. 
praed.  t.  I ,  p. 
109. 


Sand.  BIbl. 
Bel.  part.  II,  p. 
67. 


Anecd.  part. 
II,  p.  36o. 


Sand.    ibid. 
part.  I,  p.  1G7. 


44         ADAM ,  CHANOINE  DE  SAINT-VICTOR. 

in  missa.  La  pièce  débute  par  ces  mots  :  In  summis ,  qui  sont 
les  mêmes  par  où  commence ,  suivant  Simler ,  une  somme 
en  vers  imprimée  à  Coloj^ne  chez  Quentel,  l'an  i5oy,  sous  ce 
titre:  Sumina  Raymundi.  Pez,  embarrassé  par  la  variation 
des  manuscrits,  soupçonne  que  cette  somme  abrégée  est 
l'ouvrage  d'Adam  prémontré,  composée  avant  que  celle  de 
Raymond  de  Penaioi't  eût  paru.  Le  P.  Échard,  dominicain, 
prétend  au  contraire  que  c'est  un  abrégé  dé  la  somme  de 
saint  Raymond,  fait  par  lui-même  ou  de  son  vivant,  et  il 
cite  pour  son  opinion  plusieurs  manuscrits  du  XIIP  siècle. 
Ce  qu'on  lit  dans  le  manuscrit  de  Molk ,  que  quelques-uns 
donnent  cette  somme  à  Raymond ,  semble  confirmer  l'opi- 
nion du  dominicain. 

5"  Parmi  les  manuscrits  des  chanoines  réguliers  t^e  Cor- 
sendoncq,  on  voit  Soliloquium  mag.  Adce  de  Sancto  Fictore, 
ouvrage  dont  les  premiers  mots  sont  :  Dominis  suis  veneran- 
dis,  etc.  Jean  Picard ,  dans  ses  notes  sur  la  vingt-neuvième 
lettre  de  saint  Anselme,  cite,  ce  même  ouvrage  sous  le  nom 
d'Adam  de  Saint-Victor,  mais  avec  le  titre  De  instructione 
discipuli  :  ce  qui  revient  à  celui  De  instmctiane  religiosovum , 
qu'il  porte  dans  un  exemplaire  des  chanoines  réguliers  de 
Tongres ,  avec  la  même  attribution.  Mais ,  par  les  passages 
que  JPicard  en  cite ,  il  est  évident  que  c'est  le  même  que  le 
Soliloquium  de  instructione  animœ ,  publié  sous  le  nom 
d'Adam ,  prémontré ,  par  Bernard  Pez. 

6°  Du  Verdier,  dans  sa  Bibliothèque  française,  fait  Adam 
de  Saint -Victor  auteur  du  Grand  Mariai  de  la  mère  de  vie, 
traduit  du  latin,  et  imprimé  à  Paris  pour  la  première  partie 
en  1537,  in-4''i  et  pour  la  seconde  l'an  iSSg,  chez  Thielman 
Vivian.  «  Mais  aucuns,  ajoute-t-il,  attribuent  ladite  œuvre 
à  un  nommé  Raymond  l'Hermite.  »  Tout  ce  qu'on  peut  reven- 
diquer dans  ce  livre  pour  Adam  de  Saint-Victor,  c'est  la 
traduction  de  sa  prose  à  l'honneur  de  la  sainte  Vierge , 
comme  porte  le  titre  imprimé  :  Le  grand  Mariai  de  la  mère 
de  vie ,  des  oracles ,  mérites ,  louanges ,  etc.  de  la  vierge 
Marie,  avec  la  prose  de  maître  Adam  de  Saint- Victor ,  en 
l'honneur  de  la  Vierge,  translaté  de  latin  en  français. 

70  Parmi  les  manuscrits  de  l'abbaye  des  Dunes,  on  voit 
un  commentaire  de  maître  Adam  sur  les  quatre  livres  des 
sentences,  et,  dans  ceux  de  l'abbaye  de  Saint-Thierri ,  ce 
même  ouvrage  porte  les  nom  et  surnom  d'Adam  de  Saint- 
Victor.  Si  cette  inscription  était  yraie,  notre  victorin  serait 


GAUTIER,  ABBÉ  D'ARROUAISE.  45 

1  ^  ^  1  V         J  *  XII  SIECLE. 

le  premier  des  commentateurs  du   maître  des  sentences.  

Mais  il  y  a  bien  de  l'apparence  que  c'est  plutôt  l'ouvrage    Wadding,Scr. 
du    cordelier   Adam   de   Afarisco ,   qni   composa,  àms   le  P- '  «' ^• 
XIIP  siècle,  un  commentaire  sur  les  sentences,  avec  un  autre 
sur  le  Cantique  des  cantiques. 

8°  Mabillon  a  imprimé,  sous  le  nom  de  notre  auteur,  une      Bem.  op.  t. 
épitaphe  de  saint  Bernard,  commençant  par  ces  mots,  Clarœ  ^^'  ''°'-  "7'^' 
sunt  voiles,  laquelle  se  trouve  aussi  parmi  les  poésies  de 
Philippe   Harvenjî ,  abbé  de   Bonne -Espérance  :  peut-être 
n'est-elle  ni   de  l'un ,  ni  de  l'autre ,  car  les  rédacteurs  du 
Callia  Christiana  la  donnent  sans  nom  d'auteur.  Un  des      9f"-  f^''"st. 
continuateurs  de  l'Histoire   littéraire  de  la   France,  qui  a    '     '     ' ''■^'' 
donné  séparément  la  vie  de   .saint  Bernard  avec   celle  de      vnaS.  Bern. 
Pierre- le-Vénérable ,  fait   honneur  à  notre  Adam  de  l'épi-  ^" 
taphe  du  saint  abbé  de  Glairvaux,  commençant  par  ces  mots  : 
Ecce  latet  Clarœvallis.  C'est  une  erreur:  elle  a  pour  auteur 
l'élégant  versificateur  Simon  Chevre-d'Or,  comme  on  l'a  dit 
à  son  article,  d'après  le   Genus  illustre  de  saint  Bernard,      H'*'-  Littër. 
page  91. 

On  voit  que,  de  tant  d'ouvrages  attribués  à  Adam  de  Saint- 
Victor,  on  ne  peut  revendiquer  comme  lui  appartenant 
réellement  que  les  proses  ou  séquences  dont  nous  avons 
parlé.  B. 


GAUTIER, 

ABBÉ   D'ARROUAISE. 


t.  XI,  p.  490. 


A-RROOAisE  est  une  abbaye  de  chanoines  réguliers,  au      Gosse,  List. 

543. 


diocèse  d'Arras  prçs  de  Bapaume,  chef  d'une  congrégation  ^''^'■'■"a**e,  p 


de  ce  nom.  S'il  n'y  a  point  erreur  de  chiffre  dans  ce  que 
porte  un  de  ses  écrits ,  Gautier  ou  Wautier  fut  nommé  à 
cette  abbaye  au  mois  de  janvier  1 180,  qu'on  comptait  encore 
alors  II 79,  quoiqu'il  fut  le  plus  jeune  des  prêtres  de  la 
communauté,  n'étant  âgé  que  de  vingt-cinq  ans,  dont  il  en 
avait  passé  dix-sept  en  qualité  de  simple  chanoine  :  d'où  il 
faut  conclure  qu'il  était  né  l'an  11 55,  et  qu'il  était  entré  en 
religion  à  l'âge  de  huit  ans,  si  la  date  qui  lui  donne  vingt- 


46  GAUTIER,  ABBÉ  D'ARROUAISE. 

L  cinq  ans  lorsqu'il  fut  élu  abbe ,  est  exacte.  Nous  faisons 

cette  observation  ,  parce  qu'elle  nous  servira  à  de'truire 
l'opinion  de  ceux  qui  lui  attribuent  des  écrits  dont  il  ne 
peut  être  l'auteur. 
ibid.^.  545.  Né  à  Cambrai  ou  dans  le  Can^brésis,  c'était  un  homme 
recommandable  par  sa  naissance,  par  son  savoir,  et  par  la 
régularité  de  sa  vie ,  qui  lui  conciliait  l'estime  et  l'amitié  de 
tout  le  monde.  Il  ne  tint  le  siège  abbatial  que  treize  ans, 
étant  mort  l'an  1 1  gS.' 

Craignant  que  les  originaux  des  bulles,  des  chartes  et 
privilèges  de  sa  maison  ne  dépérissent  par  le  fréquent  usage 
qu'on  en  ferait,  que  les  sceaux  n'en  fussent  endommagés 
ou  rompus ,  il  entreprit ,  à  l'exemple  de  plusieurs  prélats 
qui  avaient  fait  la  même  chose  pour  leurs  églises  ,  de  les 
recueillir  en  un  corps  d'ouvrage ,  arrangés  par  ordre  de 
matières  et  par  chapitres,  afin  que  ceux  qui  voudraient  les 
consulter  au  besoin  eussent  plus  de  facilité  à  les  trouver, 
/forf.  p.  533-  C'est  ce  qu'il  dit  dans  une  préface  qu'il  a  placée  à  la  tête  de 

''*'*'  son  cartulaire,  dans  laquelle  il  trace  un  précis  hisloiique, 

-  très-bien  fait,  de  son  abbaye,  depuis  sa  fondation,  l'an  logo, 

jusqu'à  l'année  1180,  époque  de  son  élection  à  la  dignité 

d'abbé. 

Boii.  ri  jan.       Ce  cartulaire  n'a  pas  été  imprimé  ;  mais  Bollandus,  voulant 

p. 83t  — 833.  {•yjj.g  connnaître  le  B.  Hildemare  ,  premier  fondateur  de 
l'abbaye,  a  publié,  au  défaut  d'une  vie  plus  étendue,  un 
fragment  de  la  préface  qu'il  donne  comme  l'ouvrage  d'un 
anonyme ,  quoique  Gautier  s'y  nomme  à  la  fin.  Cela  paraî- 
trait étonnant ,  si  l'on  ne  savait  que  Rosweide ,  son  prédé- 
cesseur, n'ayant  besoin  pour  son  objet  que  du  commence- 
ment de  cet  écrit,  avait  négligé  de  copier  le  reste.  Mais  il 
existe  tout  entier,  avec  une  continuation  jusqu'à  l'an  1200, 
dans  l'histoire  de  l'abbaye  d'Arrouaise,  par  M.  Gosse,  prieur 
de  la  maison,  et  membre  de  l'académie  d'Arras,  imprimée 
à  Lille  l'an  1786,  in-4°. 
Boii.  4niaii,       2.  Le  P.  Papebrok ,  successeur  de  Bollandus,  ainsi  que 

P-.48'—^'Ossc,  l'historien  Gosse  ,  Tillemont  et  Baillet ,  attribuent  à  notre 
'  ^'  "'  auteur  la  relation  d'un  voyage  fait  à  Rome,  l'an  1162,  par 
un  chanoine  d'Arrouaise,  pendant  lequel  il  enleva  furtive- 
ment du  milieu  des  ruines  de  l'ancienne  ville  d'Ostie,  les 
ossemens  de  sainte  Monique ,  mère  de  saint  Augustin.  Cette 
relation ,  d'après  ce  qui  a  été  observé  plus  haut ,  ne  peut 
être  l'ouvrage  de  Gautier.  En  effet,  l'auteur  rapporte  qu'en 


GAUTIER,  ABBE  D'ARROUAISE.  47 

1 161  il  fut  envoyé  par  son  abbé  auprès  du  pape  Alexandre  III,    ^"  SIECLE. 
pour  une  affaire  très-importante  qui  demandait  un  homme 
expérimenté;  et,  à  cette  époque,  Gautier,  selon  son  propre 
témoignage ,  n'avait  tout  au  plus  que  six  ans.  Ce  n'est  donc 

Eas  lui  qui  a  écrit  cette  relation  ;  les  modernes  la  lui  attri- 
uerit  sans  preuves;  il  n'y  a  dans  l'ouvrage  aucun  trait  d'où 
l'on  puisse  conclure  que  Gautier  en  soit  l'auteur:  le  style 
même  comparé  à  celui  du  cartulaire,  prouverait  que  l'ouvrage 
n'est  pas  (Je  lui.  Cependant,  comme  il  appartient  à  notre 
époque,  et  qu'il  est  l'ouvrage  d'un  chanome  d'Arrouaise, 
cest  ici  le  lieu  d'en  parler,  et  de  faire  connaître  cette  pro- 
duction. 

Cette  relation  est  curieuse  :  l'auteur  entre  dans  un  grand 
détail   sur   les   positions  géographiques   et  sur   les  affaires 

Folitiques  de  l'Italie,  à  la  naissance  du  schisme  que  fomentait 
empereur  Frédéric  Barberousse.  On  ne  peut  lui  reprocher 
a  ne  d'être  trop  verbeux,  et  de  s'appesantir  beaucoup  sur 
es  circonstances  peu  importantes  de  son  voyage.  Il  nous 
paraît  que  le  judicieux  Tillemont  le  critique  un  peu  sévère-  Mém.  t.vill, 
ment,  lorsqu'il  dit:  «  Il  y  aurait,  ce  me  semble,  bien  des  P- ^77- 
difficultés  sur  la  narration  de  Wautier ,  qui  paraît  fort  aimer 
à  causer,  et  ne  pus  beaucoup  craindra  de  mentir  :  ce  qui 
rend  son  témoignage  suspect  en  tout.  »  Nous  n'adoptons 
pas  ce  Jugement;  si  quelques  endroits  peuvent  faire  naître 
des  difficultés,  elles  doivent  être  mises  sur  le  compte  des  co- 
pistes, et  le  P.  Papebroch  les  a  fait  disparaître  dans  ses  notes. 

3°  i^e  même  éditeur  a  publié  encore  une  vie  de  sainte  Boii.  /,  maii, 
Monique,  extraite  du  livre  des  Confessions  de  saint  Augustin,  P-  'î/^- 
qu'il  attribue  aussi  à  Gautier,  mais  sans  appuyer  de  preuves 
son  opinion.  Si  l'on  compare  le  prologue  de  cette  vie  avec 
celui  qui  est  à  la  tète  du  voyage  d'Italie ,  on  s'apercevra  que 
les  deux  ouvrages  appartiennent  au  même  auteur,  et,  comme 
le  dernier  ne  peut  être  l'ouvrage  de  Gautier,  nous  ne  pou- 
vons pas  lui  faire  honneur  du  premier. 

4"  Fabricius  suggère,  quoique  en  hésitant,  qu'on  pourrait    Bihl.Med.seTi, 
peut-être  attribuer  encore  à  Gautier  une  vie  de  saint  Au-  '^'^rb.Guaiierus. 
gustin,  mise  au  jour  par  Jacques  Hommey ,  dans  un  supplé- 
ment aux  ouvrages  des  saints  pères.  Mais,  selon  les  bollan- 
distes,  cette  vie  est  l'ouvrage  de  Jourdain  de  Saxonia ,  de      Boli.  28  aug. 
l'ordre  des  hermites  de  Saint- Augustin.  P  ^iS.n.  i/,. 

Il  résulte  de  cette  discussion,  que  nous  ne  pouvons  garan- 
tir à  Gautier  que  l'histoire  de  son  abbave  et  son  cartulaire. 

B. 


XII  SIECLi:. 


PIERRE   MIRMET, 

ABBÉ  D'ANDERNES. 


ciiroii. d'An-  FiERRE  était  lié  à  Charroux ,  près  de  Poitiers,  aujourd'hui 
clernes,  t.  IX  J^ns  le  département  de  la  Vienne.  La  petitesse  de  sa  taille 
/,/i5.  —  Gallia  '"1  "t  donner  le  surnom  de  Mirmet  ou  Petit.  11  s  appliqua, 
Christ,  t.  X,  p.  dès  son  enfance,  à  l'étude  des  lettres,  et  fit  assez  de  progrès 
'^°^'-  dans  hi  grammaire^  la  réthorique,  et  les  sciences  sacrées, 

pour  mériter  le  titre  de  docteur  ou  de  maître. 

Il  embrassa  de  bonne  heure  l'institut  de  Cîteaux,  et  voulut 

î'tre  religieux  dans  un  monastère  désigné  par  Allodioruni  ou 

T.  X,  p.  iCo4.  de  yillodiis.  Les  auteurs  de  la  France  chrétienne  le  placent 

en  Limousin ,  par  inadvertance  sans  doute  :  il  y  avait  bien 

près  de  Limoges   une  abbaye  qui   portait   ce  nom  ,  mais 

c'était  une  abbaye  de  femmes,  comme  nous  le  lisons  dans 

T.  II,  p.  617.     un  autre  endroit  de  ce  savant  ouvrage.  Le  monastère  où 

•  entra  Pierre  Mirmet  doit  être   celui  de   l'ordre   de  Saint- 

Gall.  Christ.  Benoît,  qui  était  en  Poitou,  les  AUeurs  ou. les  Alleus  :  il  avait 

t-  II,  p.  1295.     ^j.^  établi  dans  ce  siècle  même,  en  1 120,  par  Giraud  de  Salis 

ibiil.  p.  ftoi,  OU  de  Sala,  fondateur  de  plusieurs  autres  monastères. 
613,624,930,       Après  avoir  passé  quelque  temps  à  l'abbaye  des  Alleus, 
liai  ,    i3A9  ,  Pierre  Mirmet  en  sortit  a  l occasion  dun  diiierend  survenu 
i35o  ,    i36i  ,  entre  l'abbé  et  ses  religieux  :  il  abandonna  dès-lors  la  vie 
'!^o  '    '?^'  '  retirée  du  cloître  pour  un  pèlerinage  actif.  Il  alla  plusieurs 

1463,       l4<J7   ,      /.    •       ^      T>  •     •'       *^l  1       '^  1  A  -Tl  ^ 

et  i538.  lois  a  Rome  visiter  le  tombeau  des  apôtres.  11  parcourut  aussi 

Spitilége  (le  l'Espaguc ,  uuc  partie  de  l'Afrique,  quelques  autres  régions, 

**  YiS^"^^''^^'  ^''  *y  instruisit  avec  soin  des  mœurs  tant  des  infidèles  que 
des  chrétiens.  En  Espagne,  il  fut  retenu  quelque  temps  dans 
une  église  de  la  vieille  Castille ,  à  Avila ,  oii  il  remplit  avec 
Sj)icil.  ihid.  honucur  les  fonctions  d'archidiacre. 

r"x"  )  1604"  ^'  é\.ii\X.  à  peine  de  retour,  après  de  si  longs  et  de  si  pé- 
nibles voyages,  qu'il  tomba  malade  :  et  sa  maladie  lui  parut 
un  ordre  de  Dieu  pour  reprendre  la  vie  monastique;  il  la 
reprit  en  effet  aussitôt ,  et  se  fit  religieux  dans  l'abbaye  de 
Charroux,  de  l'ordre  aussi  de  Saint-Benoît.  On  lui  donna 
bientôt  un  prieuré  considérable  dépendant  de  cette  abbaye; 
et,  peu  après,  il  fut  élu  abbé  d'Andres  ou  Andernes,  par 
les  religieux  de  ce  monastère.  Andernes  était  une  fille  de 


PIERRE  MIRMET,  ABBÉ  D'ANDERNES.  % 

Charroux.  Pierre  s'y  rendit,  et  y  fut  bëni  par  Milon  II,  L 

ëvêque  dioce'sain,  le  21  de'cembre  1161.  Spicii.  p. /,4(i. 

L  observance  régulière  avait  beaucoup  saufTert  sous  l'abbe'  "j^^s  ^^"''*^' 
Grégoire ,  son  prédécesseur  ;  Pierre  Mirmet  s'appliqua  entiè- 
rement à  la  rétablir,  donnant  lui-même  l'exemple  cfe  ce  qu'il 
prescrivait  aux  autres.    L'auteur  de  la  chronique  d'Andres       P.  446. 
ne  se  plaint  pas  seulement  de  la  dégénération  des  mœurs; 
il  peint  l'horreur  qu'inspira  au  nouvel  abbé  la  difformité  des 
religieux  qui  composaient  le  monastère.  Abhorrait  et  expavit 
difformitateni  gregis  ;  quidam  enim  claudi ,  quidam  con- 
tracti ,  quidam  monoculi,  quidam  strahones,  quidam,  cœci, 
quidam  vew  manci,  inter  eos  apparehant.  Aussi ,  pendant 
trente-deux  ans  qu'il  gouverna  cette  abbaye,  Pierre  Mirmet 
ne  voulut-il  jamais  permettre  d'y  faire  profession  à  toute 
personne  qui  avait  quelque  défaut  corporel.  Il  n'y  admettait 
aussi  que  ceux  qui  étaient  déjà  exercés  dans  la  connaissance 
des  lettres,  et  dans  la  pratique  du  chant.  Il  réforma  l'office 
divin ,  où  il  introduisit  la  manière  de  chanter  de  Citeaux , 
avec  les  pauses  et  la  gravité  qu'on  y  observait  aux  Alleus. 
Il  rétablit  plusieurs  édifices  détruits  ,  fit  enceindre  le  monas-      ^^-  P-  ■^'^ 
tère  d'un  mur  de  pierre,  et  rebâtit  en  entier  l'église  dont  ^'g"'^' 
Didier,  évêque  diocésain,  fit  la  dédicace  solennelle  en  1 179, 
et  dans  laquelle  Pierre  Mirmet  plaça  beaucoup  de  reliques 
qu'il  avait  reçues  de  Philippe,  comte  de  Flandre.,  quand  ce 
prince  revint  de  la  Terre-Samte.  Son  amour  pour  les  pauvres, 
et  son  désir  de  concourir  à  l'utilité  publique,  engagèrent 
également  ce  pieux  abbé  à  faire  construire,  à  ses  propres 
frais ,  un  pont  sur  la  petite  rivière  de  Tornehem.  Je  re- 
marque que  l'artiste  chargé  de  cette  construction  est  appelé 
ici  maître ,  maître  Aimon ,  ce  qui  semble  annoncer  qu'on 
donnait  alors  cette  qualification  aux  hommes  distingués  dans 
les  arts,  comme  à  ce,ux  qui  excellaient  dans  la  culture   de 
la  philosophie  et  des  lettres.  Pierre  Mirmet  avait  obtenu 
d'Alexandre  III ,  et  non  d'Innocent  III ,  comme  on  le  dit  par 
erreur  dans  la  France  chrétienne,  quelques  nouveaux  privi-  T.  X,  p.  i6o5. 
léges  pour  son  abbaye ,  et  la  confirmation  de  tous  ceux  dont      -^'''"^-  ^'  Spic. 
elle  était  déjà  en  possession.  La  chronique  d'Andres  cite  ^  v^.l'-i^elX^'i 
encore  ,  parmi  les  actions  honorables  qu  elle  lui  attribue ,  —  v.  LoU.  ?.2 
d'avoir  fait  faire  une  châsse  où  l'on  transféra  le  corps  de  i"'"'  P-  "^H- 
sainte  Rotrude.  Nous  parlerons  bientôt  d'un  ouvrage  qu'il 
publia ,  et  dont  cette  sainte  fut  l'objet. 

La  réputation  de  prudence,  de  savoir,  et  de  piété,  que 

Tome  XV.  G 


5o        GUARIN,  ABBÉ  DE  SAINTE-GENEVIÈVE. 
Xir  SIECLE,    pjepre  Mirmet  avait  obtenue  ,  le  tirent  souvent  choisir  par 
ceux  qui  avaient  des  affaires  à  la  cour  de  Rome,  pour  les 
Spicii.etGaii.  conseiller  et  les  diriger.  Il   fut  choisi,  en  particulier,  par 
Philippe,  comte  de  Flandre,  pour  aller  solliciter  une  bulle 
d'Alexandre  III,  qui  lui  permit  d'épouser  la  douairière  de 
Champagne ,  sa  proche  parente  :  mais  à  peine  ëtait-il  arrivé 
à  Rome,  que  Philippe,  qui  avait  changé  de  sentiment,  le 
rappela. 
Spicii.t.  IX,       Il  mourut  au  mois  de  mars  hqS,  après  avoir  gouverné 
— Ga°i  ciirllt  **^"   monastère  pendant  plus  de  trente-deux  auriées   avec 
t.  X,  p.  i6o5.    autant  de  lumières  que  de  fermeté.  Il  avait  demandé  qu'on 
l'enterrât  sous  le  porche  de  l'église,  afin  d'être  foule  aux 
pieds  par  tous  ceux  qui  y  entreraient  ou  qui  en  sortiraient  ; 
^     mais  Jean  III ,  abbé  de  Saint-Bertin ,  son  confesseur ,  le  fit 
enterrer  avec  honneur  devant  l'autel. 
Spicîi.  t.  IX,       Pierre  Mirmet  est  auteur  d'une  légende  de  sainte  Rotrude, 
léq*^'  '  ^^*  ''  ^°"'  ^'  <^st  parlé  au  commencement  de  la  chronique  d'Andres, 
et  qu'on  y  loue  ailleurs  conime  écrite  d'un  style  élégant.  Il 
/fov/.  p.  341.  l'entreprit,  dit-on,  pour  réparer  la  perte  qu'on  avait  faite 
Zx^i.  S.''  ^'""^  ^^^  ^^  '3  même  sainte,  que  Baudoin  Bochard ,  seigneur 
d'Andres,  avait  déchirée,  pour  faire  tomber  la  réputation 
Spicil.p.453.  de  sainteté  dont  jpuissait  Rotrude.  Pierre  y  rappelle  la  trans- 
jrfe'o's  ^''"*''  lation  ordonnée  par  lui-même,  la  troisième  année  de  son 
gouvernement,  cest-à-dire,  en  1 164,  du  corps  de  la  sainte, 
dans  une  châsse  plus  précieuse  que  celle  oii  on  l'avait  placé 
Spicii.p. 469.  jusqu'alors.   On  avait  coutume  de  lire  cette   légende,  au 
— Moian.Naia   ^éfcctoire  d'Audrcs,  chaque  année,  lejour  de  Sainte-Rotrude. 
gii ,  22  ju[n ,  p.  Les  bollandistes  assurent  qu'elle  est  perdue.  D.  Mabillon 
125.  — Boii.  22  paraît  ne  l'avoir  pas  connue,  puisqu'il  n'en  dit  rien  dans  ses 
juin,p  a55,n.  observations  sur  la  vie  de  Rotrude,  au  tome  II  de  ses  Actes  . 
et  fi.*  ''°*°  des  saints  de  l'ordre  de  Saint-Benoît.  P. 


^/W%'^^'%^»-»^^»^'V%^^^V'*^^%^%'»^^'»^'V%^»^^^%.%^^'^^^^'*^»'V%»^^%^^%^^'»*|^ 


GUARIN, 

ABBÉ  DE  SAINTE- GENEVIÈVE,  PUIS  DE  SAINT-VICTOR  DE  PARIS. 

Il  y  a  beaucoup  d'apparence  que  Guarin ,  avant  cpi'il  fût 

promu  à  l'abbaye  de  Saint-Victor,  l'an  1172 ,  avait  été  abbé 

Paru.'t.  n,p!  de  Sainte -Geneviève,  quoique  l'historien  de  l'église  de  PaVis 


GUARIN,  ABBÉ  DE  SAINTE-GENEVIÈVE.       5i 
le  nie.  L'auteur  de  la  vie  de  saint  Guillaume ,  abbé  du  Para-    ^"  siècle. 
clet,  en  Danemarck,  auparavant  chanoine  de  Sainte-Gene-      BoU.  6  aprii 
viève,  dit  positivement  que,  l'an  ii64i  l'abbé  de  Sainte-  P-^*^- 
Geneviève  s'appelait  Guarin ,  mais  il  ne  dit  pas  qu'il  soit 
devenu  depuis  abbé  de  Saint-Victor.   Cependant  il  en  dit 
assez  pour  nous-  persuader  que  Guarin ,  en  cessant  d'être 
abbé  cfe  Sainte -Geneviève ,  a  pu  devenir  d*ns  la  suite  abbé 
de  Saint -Victor  ;  car  il  raconte  que  Guarin,  prieur  de  Sainte- 
Geneviève  ,  ayant  été  nommé  abbé  de  la  maison ,  indisposa 
contre  lui  la  communauté  en  nommant  à  la  place  de  prieur 
un  de  ses  favoris,  et  sur-tout  en  le  présentant  au  roi  pour 
obtenir  de  lui  la  confirmation  du  choix  qu'il  avait  fait.  Le 
chanoine  Guillaume  s'étant  opposé  plus  fortement  que  tout 
autre  au  choix  de  l'abbé,  celui-ci  jura  qu'il  s'en  vengerait, 
ou  qu'il  quitterait  sa  place.  En  conséquence ,  il  usa  envers 
le  contradicteur  d'une  sévérité  extrême,  et  lui  imposa  une 
pénitence  très- humiliante.  Sur  les  plaintes  de  la  commu- 
nauté, le  pape  Alexandre  III,  qui  était  à  Sens,  ayant  mandé      Ciiesn.  t.iv. 
les  parties,  et  pris  connaissance  de  l'affaire,  cassa  la  sentence     5^]  —"^^Mar^! 
de  fabbé.  L'historien  ne  dit  pas  que  Guaiùn  ait  donné  alors  Ampl.  Coliect. 
sa  démission  ;  mais  on  voit,  par  une  lettre  du  roi  Louis-le-  '•  vi,  col.  234. 
Jeune,  écrite  vers  le  même  temps,  que  l'abbaye  était  vacante,      73"— Mart. 
et  il  est  prouvé  d'ailleurs  que,  l'an  1 167  ou  1168,  un  abbé  ibid.  cal.  i3g. 
nommé  Hugues  remplissait  ce  poste.  On  peut  donc  avancer      Gali.  Christ. 
que  Guarin  cessa  d'être  abbé  à  Sainte -Geneviève  avant  cette  '•  vu,  col.  707. 
époque;  il  résidait  dans  l'abbaye  de  Chage,  au  diocèse  de 
Meaux,  lorsqu'il  fut  nommé  à  l'abbaye  de  Saint-Victor  (i). 

C'était  l'an  1 1 72 ,  après  que  l'abbé  Ervise  eut  été  déposé 
à  cause  de  ses  déprédations.  On  nous  a  conservé  un  grand 
nombre  de  lettres  qui  furent  écrites  sur  cet  événement.  Il  y 
en  a  cinq  du  pape  Alexandre  III,  au  roi  de  France,  à  l'ar-      chesn.  ibid. 
chevêque  de  Sens,  aux  chanoines  de  Saint-Victor,  et  à  ?:^°*v^?^T 

r^         -^    1    •         A  1      /•/!•    •  •  •!        Mart.  zwrf.  col. 

Guarm  lui-même,  pour  le  leliciter  sur  sa  promotion;  il  y  a^g-aSS. 
en  a  trois  des  légats  du  pape ,  les  cardinaux  Albert  et  Théo- 


(i)  A  la  tête  des  Tictorins  qui,  l'an  ii3i ,  furent  envoyés  pour  intro- 
<luire  dans  le  chapitre  de  l'église  de  Séez  la  vie  commune  (  Gali.  Christ. 
t.  XI,  pr.  col.  160),  était  un  prieur  nommé  Garin.  Nous  ne  pensons  pas 
que  ce  soit  le  même  qui,  l'an  11 72,  fut  fait  abl)é  de  Saint- Victor,  parce 
que  celui-ci,  dans  une  lettre  au  pape  Alexandre  III,  écrite  postérieure- 
ment à  cette  année,  dit  qu'il  était  alors  fort  jeune.  Voyez  Martène,  Ainplis- 
sùna  Collectio,  t.  VI,  col.  237. 

Ga 


XII  SIECLE. 


52       GUARIN,  ABBÉ  DE  SAJNTE-GENEVIÈVE. 

duin,  mal  nommés  par  D.  Martène,  Alexandre  et  Thëodoric, 
adresse'es  aux  archevêques  de  Sens  et  de  Bourges ,  à  l'abbé 
Guarin,  et  à  la  communauté  de  Saint-Victor,  toujours  sur 
la  même  affaire. 

A  peine  Guarin  était-il  en  possession  de  son  abbaye,  qu'il 
survint  une  affaire  très-désagréable  pour  la  maison  de  Sauit- 
Victor.  Eskil ,  archevêque  de  Lunden  en  Danemarck ,  avait 
mis  en  dépôt ,  entre  les  mains  de  l'abbé  Ervise,  une  somme 
de  près  de  4oo  marcs  d'argent,  pour  être  distribuée,  soit  de 
son  vivant,  soit  après  sa  mort,  selon  ses  intentions.  Ayant 
Chesn.  ibid.  redemandé  par  trois  fois  cette  somme,  et  n'ayant  pu  l'obte- 

^'      '  nir,  Eskil  écrivit  au  roi  de  France  pour  demander  justice. 

Les  victorins  furent  condamnés  à  payer  la  somme.  Cepen- 
dant ,  s'étant  pourvus  en  pour  de  Rome ,  ils  employèrent 
leurs  amis,  afin  d'obtenir  quelque  adoucissement  a  la  sen- 
Mart.  ibid.  tence.  Sur  quoi  nous  avons  cinq  lettres  du  cardinal  Pierre, 

roi.  259-262.  j^  jj^j,g  j^  Saint-Chrysogone ,  du  cardinal  Hugues  de  la 
maison  de  Pierre  de  Léon,  de  Bernard,  évêque  de  Porto  et 
de  Sainte-Rufine ,  de  Jean ,  cardinal  de  Naples ,  et  de  Pierre, 
camérier  du  pape,  en  réponse  à  autant  de  lettres  de  l'abbé 
Guarin ,  que  nous  n'avons  pas.  Mais  en  voici  d'autres  qui 
nous  restent ,  relatives  à  d  autres  affaires. 

f      ■  1°  Le  cardinal  Jean  Piuzuti ,  autrefois  chanoine  de  Saint- 

Victor  ,  dit  le  cardinal  de  Naples ,  voulait  peupler  de  cha- 
noines réguliers  une  église  qu'd  avait  bâtie  et  dotée  à  Naples. 
Il  écrivit  à  l'abbé  Guarin,  pour  lui  demander  des  sujets  de 
Marf.  ibid.  sa  communauté.  Guarin  repond  au  cardinal ,  que  des  deux 

(rhcsn!^iWJ.^  sujets  qu'il  avait  nommément  demandés,  l'un  était  mort, 

7/19.  et  l'autre  se  trouvait  fort  incommodé;  qu'il  n'osait  prendre 

sur  lui  d'en  envoyer  d'autres  à  la  place,  dans  l'incertitude 
s'ils  seraient  agréés;  attendu  sur-tout  qu'il  manquait  lui- 
même  de  sujets,  et  qu'il  n'en  trouvait   aucun  qui   vouliît 
exposer  sa  vie  dans  un  climat  si  funeste  à  la  santé. 
Mari.  Ampl.       %o  Le  cardinal,  ayant  persisté  à  demander  au  moins  celui 

Ise.  — \^hes*'n!  ^)  "^t^'t  pas  mort ,  auquel  on  pourrait  associer  tel  autre 

/6irf.  p. -So.       sujet  qu'on  voudrait,  et  ayant  fait  appuyer  sa  demande  par 

le  pape,  l'abbé  Guarin,  en  répondant  au  souverain  pontife, 

répète  les  mêmes  raisons  qu'il  avait  alléguées  au  cardinal. 

'^^'■'- _*>"?'•  On  voit  cependant,  par  une  autre  lettre  du  cardinal,  que 

i6i.  '  '^^  l'abbé  de  Saint-Victor  lui  avait  envoyé  le  sujet  qu'on  deman- 
dait. La  même  chose  est  prouvée  par  la  lettre  4^  d'Etienne 
de  Tournai. 


GUARIN,  ABBÉ  DE  SAINTE-GENEVIÈVE.        53 

30  Les  chanoines  de  Reims  ayant  quitté  la  vie  commune,    ^"  siècle. 
Guarin  leur  écrivit  une  lettre  rapportée  par  Guillaume  Mar-      Marlot.Hist. 
lot,  dans  laquelle  il  leur  représente  le  tort  qu'ils  font  à  leur  ^^'"'  '•  *^'  P- 
réputation ,  eu  abandonnant  des  coutumes  anciennes ,  qui 
les  avaient  rendus  recommandables  dans  toute  l'église. 

4°  Une  autre  lettre,  publiée  par  D.  Luc  d'Acheri,  contient      SpicU.  in-4°, 
la  réponse  de  l'abbé   de  Saint-Victor  à   un   religieux   de  *ïi>p-45o. 
Grandmont ,  qui ,  voulant  contracter  de  nouveaux  engage- 
ments dans  Tordre  de  Cîteaux,  doutait  si  cela  lui  était  permis 
sans  manquer  aux  premiers.  Ce  religieux ,  qu'on  croit  être 
Guillaume,  devenu  depuis  archevêque  de  Bourges,  et  mis 
au  nombre  des  saints  ,  avait  consulté   sur  cela  plusieurs 
personnes ,  entre  autres  Pierre  de  Celles ,  abbé  de  Saint- 
Remi  de  Reims,  et  Etienne,  abbé  de  Sainte -Geneviève  de      sieph.  Tor- 
Paris,  dont  on  a  les  réponses.  L'abbé  de  Saint-Victor  ne  "■'"••ep-7iia'«- 
décido  point  la  question  ;  mais   il  dit  qu'il  faut  s'en  tenir 
humblement  à  la  décisiorî  de  personnes  si  éclairées,  sans 
craindre  de  suivre  leur  avis,  qui  était  de  persévérer  dans  la 
seconde  vocation  ;  et  c'est  ce  que  fit  le  consultant ,  qu'on  voit 
dan§  la  suite  à  la  tête  de  plusieurs  abbayes  de  1  ordre  de 
Cîteaux. 

5°  Le  roi  Philippe- Auguste  ayant  rétabli  la  paix  entre  les      Mart.Anocd. 
religieux  clercs  et  les  frères  convers  de  l'ordre  de  Grand-  'i^coi.  63o. 
mont,  par  un  j-églement  de  l'an   1187,  les  frères  convers 
recommencèrent  aussitôt  leurs  vexations  contre  les  religieux 
clercs,  et  les  uns  et  les  autres  se  pourvurent  en  cour  de  Rome. 
L'abbé  de  Saint-Victor,  conjointement  avec  les  abbés  de 
Saint-Denis,  de  Saint  -  Germain  ,  et  de  Sainte- Geneviève, 
écrivit  alors  au^pape  Clément  III  une  lettre  qui  est  la  i43* 
parmi  celles  d'Etienne  de  Tournai  ;  il  en  écrivit  aussi  une  en      Mai  t.  Ampi. 
son  propre  nom  au  roi,  pour  le  prier  de  maintenir  son  Coll.  t.  vi, coi. 
ouvrage ,  et  d'être  en   garde  contre  les  intrigues  des  frères  ^ 
convers. 

6°  Le  pape  Célestin  III  étant  monté  sur  la  chaire  de  saint      Mart.  Ampl. 
Pierre,  Guarin  lui  écrivit  pour  le  féliciter,  et  lui  recomman-  Collect^  t.  vr, 
der  en  même  temps  une   affaire  dont  il  n'explique  pas  la  *^"  '  ^  ^' 
nature.  Cette  lettre  prouve  que  l'abbé  Guarin  vécut  au-delà 
de  l'année  1 191 ,  qui  est  celle  où  commence  le  pontificat  de 
Célestin  III.  Les  auteurs  varient  sur  l'année  de  sa  mort;  les      Oali.  christ. 
uns  la  placent  en  1  iqa,  les  autres  en  1 198,  et  le  plus  grand  t- vu,  col.  671. 
nombre,  auxquels  il  faut  s'en  tenir,  au  19  octobre   ii94- 
Peu  de  temps  auparavant,  le  roi  Philippe-Auguste,  en  par- 


Tin  SIECLE. 


5é 


J4       GUARIN,  ABBÉ  DE  SAINTE-GENEVIÈVE. 

tant  pour  la  croisade,  l'an  1190,  l'avait  nomme  dans  son 
chesn.  Ber.  testament  un  des  dispensateurs  de  ses  trésors ,  dans  le  cas 


Fran.t.V.p.'ii 


De  Scr.  Eccl. 
t.  II,  col.  i566. 


Ecliard,  Scr. 
ord.  Prsed.  1. 1, 
p.  576. 


qu  il  vint  a  mourir. 

y"  On  conservait,  dit-on,  dans  la  bibliothèque  de  Saint- 
Victor,  un  recueil  de  sermons  de  l'abbé  Guarin.  Oudin,  qui 
les  avait  vus  dans  un  manuscrit  cotté  m,  i4i  fol.  i64,  à  la 
suite  des  sermons  de  l'abbé  Gilbert  sur  le  Cantique  des  can- 
tiques ,  dit  qu'ils  sont  au  nombre  de  treize ,  et  qu'ils  roulent 
sur  les  fêtes  de  l'annonciation ,  de  la  nativité,  et  de  l'assomp- 
tion  de  la  Sainte  Vierge ,  de  saint  Augustin ,  et  de  tous  les 
saints.  Le  premier  a  pour  texte  :  Ecce  odor  filii  mei  sicut 
odor  agri  pleni ,  cui  benedixit  dominus. 

Il  ne  faut  pas  oublier  de  dire  qu'un  abbé  de  Saint-Victor 
avait  engagé  le  poète  Leonius  à  mettre  en  vers  l'histoire  de 
la  bible ,  et  que  le  poète  la  lui  avait  dédiée.  Leonius ,  à  la 
vérité ,  ne  nomme  pas  cet  abbé ,  mais  le  temps  oii  il  vivait 
nous  permet  de  croire  que  ce  "pourrait  bien  être  l'abbé 
Guarin.  En  partant  de  cette  supposition ,  nous  rapporterons 
quelques-uns  des  vers  que  Leonius  lui  adresse  au  commen- 
cement et  à  la  fin  de  l'ouvrage ,.  desquels  il  résulte  que  l'abbé 
dont  il  parle  n'était  pas  d'une  naissance  bien  relevée  :  et  çjela 
explique  pourquoi  nous  ne  trouvons  rien  dans  l'histoire 
touchant  les  premières  années  de  la  vie  de  Guarin. 

Tu  quoque  quem  falso  gêner is  non  lumine  sphndor, 
Sed  virtus ,  meritique  illustrât  gloria  celsi, 
Nobilitasque  animi  melior,  Victoris  ut  unum 
Martyris  œqualem  sacra  sibi  relligione 
Repererit  patrem  domus  hoc  te  tempore  dignum^ 
HcEC  oculis  lege  digna  tais ,  Juutorque  benigno 
Hune  res  divinas  animo  tuearis  habentem, 
Quem  tibi  pro  magno  quœsisti  munere ,  meque 
Magnus  adegisti  monitor  componere  librum ,  etc. 

B. 


KII  SIECLE. 

GUILLAUME, 

ABBÉ  DE  LA  PRÉE,  PUIS  DE  CITEAUX. 

SA  VIE. 

GruiLLAUME,  selon  les  Annales  du  monastère  de  Waverlei      T.  Gaie,Scr. 

en  Angleterre,  était  abbé  de  la  Prée  en  Berri ,  lorsqu'il  fut  '•  ^i»  P-  »64. 

fait  abbé  de  Cîteaux  l'an  1 186,  et  non  l'an  1 184,  comme  le 

disent  sans  preuve  les  auteurs  du  Gallia  Christiana ,  qui  ne      Gail.  Christ. 

lui  donnent  que  la  qualité  de  moine  de  la  Prée,  quoique  tiv.coLgSg. 

l'auteur  anglais  lui  donne  positivement  celle  d'abbe.  Ils  le 

comptent  pour  le  second  du  nom  parmi  les  abbés  de  Cîteaux; 

mais  ils  n'ont  pas  bien  connu  celui  qu'ils  nous  donneut^pour 

le  premier ,  lequel ,  selon  eux ,  était  auparavant  abbe  de  la 

Ferté-sur-Scosne.  Nous  trouvons,  nous,  qu'il  était  abbé  de 

Savigni   au  diocèse  d'Avranches  ,  qu'il  était  surnommé  de 

Toulouse ,  quoiqu'il  fut  natif  de  Caen  :  homme  éminent  en      Baïuze.Misc. 

littérature,    emmentis    Utteraturce ,    dont    cependant    nous  tn,p.  3i2. 

ne  connaissons  aucune  production.  Celui-ci  fut  fait  abbé 

de  Cîteaux,  l'an  1179,  non  l'an  iiyô,  et  mourut  l'an  1181 , 

suivant  l'auteur  anglais  déjà  cité. 

Ange  Manriquez  ne  donne  à  Guillaume  II  que  deux  années 
de  prélature  dans  l'abbayë  de.Cîteaux,  depuis  l'an  11 84  jus- 
quÎR  1186.  Mais  les  auteurs  du  Gallia  Christiana,  fondés    HistdeVergy, 
sur  des  chartes  des  années  1187,  1188,  1189,  prolongent  Pr.p.  146, 148, 
son  existence  jusqu'à  1 192,  et  ils  se  trompent  encore.  L'au-  *  ^" 
teur  anglais  place  sa  mort  l'an  1 194,  et  lui  donne  pour  suc- 
cesseur immédiat  Gui  Paré,  alors  abbé  du  val  Sainte-Marie,      T. Gale, iï<v/. 
près  de  Pontoise ,  qui  devint  ensuite  cardinal  évêque  de  P*  '^^• 
Palestrine,  et  bientôt  après,  l'an  i2o3,  archevêque  de  Reims.  , 
D'oti  il  résulte  que  les  auteurs  du   Gallia  Christiana  ont 
placé  mal-à-propos  un  Pierre  II  entre  les  abbés  Guillaume  II 
et  Gui  Paré. 

SES  ÉCRITS. 

i»  Manriquez  rapporte  des  statuts  de  l'an  11 87,  concer-      Annal,  cist. 
nant  l'ordre  militaire  de  Calatra va,  portant  en  tête  le  nom  t-iH>p.i88et 
de  l'abbé  de  Cîteaux ,  qu'il  nomme  Gui  :  Ego  IVido  Cister-  *^^' 
ciensis  humilis  minister ,  etc.  Nous  venons  de  voir  qu'en 


XII  SIECLE. 


5G  guillaumb:,  abbé  de  citeaux. 

1 187  l'abbë  de  Cîteaux  s'appelait  Guillaume,  et  non  Gui.  Il 
y  a  grande  apparence  qu'on  ne  lisait  que  la  lettre  IV.  dans 
le  manuscrit  dont  s'est  servi  Chrysostôme  Henriquez,  qui  le 
premier  a  publié  ces  statuts;  et,  comme  cette  lettre  peut 
de'signer  aussi  bien  fVido  que  tVillelmus ,  on  peut  croire 
qu'il  se  sera  de'cidé  pour  le  premier  mot,  parce  que  Gui 
Pare',  successeur  de  Guillaume,  jouit  dans  l'histoire  d'une 
plus  grande  célébrité  que  lui.  De-là  vient  que  ceux  qui  ont. 
écrit  après  Henriquez ,  ont  attribué  sans  difficulté  ces  statuts 
à  Gui  Paré;  mais  la  date  de  1187  fluils  portent,  prouve 
incontestablement  qu'il  fallait  lire  ff^'dlelmus  :  et  c'est  pour 
Annal.  Cist.-sauyep  (.gf  anachronismc  que  Manriquez,  dans  son  cata- 
'  ^'  '''"  logue  des  abbés  de  Cîteaux ,  a  imaginé  de  placer  un  autre 
Gui  avant  Gui  Paré. 

Voici  maintenant  ce  qui  donna  lieu  à  ces  statuts.  Les  che- 
valicHi  de  Calatrava,  qui,  comme  nous  l'avons  dit  à  l'article 

T.xiii,p.38x  de  l'abbé  Gilbert,  avaient  été  affiliés  à  l'ordre  de  Cîteaux, 
avaient  jugé  à  propos  de  se  donner  ensuite  un  grand  maître 
à  l'instar  des  autres  ordres  de  chevalerie.  Vingt  ans  après 
qu'ils  eurent  renvoyé  les  moines  qu'on  leur  avait  envoyés 
pour  les  former  aux  pratiques  de  l'ordre,  ils  voulurent  renou- 
veler leur  association ,  mais  sans  renoncer  à  avoir  un  grand 
Annîtl.  Cist.  maître.  Ils  députèrent  au  chapitre  général  de  Cîteaux  celui 

t.  III,  p.  187.  ^^^j  remplissait  alors  cette  charge,  nommé  Nunes-Perez  Qui- 
gnone,  muni  de  lettres  de  recommandation  d'Alphonse  VIII, 
roi  de  Castille ,  demandant  non  seulement  à  renouveler  leur 
ancienne  association ,  mais  à  resserrer  encore  davantage  les 
liens  qui  les  unissaient  à  l'ordre.  Ils  furent  mis  sous  la  dé- 
pendance des  abbés  de  Morimond ,  et  l'abbé  de  Cîteaux  leur 
prescrivit  la  règle  qu'ils  auraient  à  pratiquer. 
/iiV/.  p.  188.  Cette  règle  n'est  pas  bien  longue^  mais  elle  ne  laisse  pas 
que  d'être  fort  austère.  On  y  proscrit  toute  superfluité  dans 
^a  manière  de  s'habiller.  On  ne  pourra  se  nourrir  de  viande 
que  trois  jours  de  la  semaine  et  aux  grandes  fêtes ,  mais  on 
ne  pourra  user  que  d'un  seul  mets.  On  observera  deux 
carêmes  et  d'autres  jeûnes  en  grand  nombre  pendant  le  cours 
de  l'année,  à  moins  qu'on  ne  soit  en  campagne  contre  les 
Sarrasins.  Les  peines  contre  les  délinquans  sont  très-sévères; 
la  moindre  est  d'être  privé  de  porter  les  armes  et  de  monter 
à  cheval.  On  y  règle  ensuite  les  rapports  qui  existeront  entre 
Its  chevaliers  et  les  moines  de  Morimoncf,  etc. 

2°  Comme  on  accusait  d'avarice  et  de  cupidité  les  moines 


GUY  DE  LUSIGNAN,  ROI  DE  JÉRUSAL.         67 

de  Cîteaux ,  en  ce  qu'ils  faisaient  continuellement  de  nou-  1 

velles  acquisitions  de  terres,  le  chapitre  géne'ral  de  l'ordre  ibid.-p.  244- 
voulant  à  cet  égard  faire  cesser  les  plaintes,  enjoignit,  l'an 
1190,  à  quelques  abbés  de  l'ordre,  à  la  tête  desquels  était 
celui  de  Cîteaux ,  de  dresser  une  ordonnance  portant  défense 
à  tous  les  couvens  de  faire  de  nouvelles  acquisitions  soit  en 
terres ,  soit  en  d'autres  biens ,  n'exceptant  cie  la  défense  que 
ceux  des  monastères  dont  les  facultés  ne  seraient  pas  suffi- 
santes pour  l'entretien  de  trente  religieux  avec  un  nombre 
de  frères  convers,  et. pour  exercer  convenablement  l'hospi- 
talité envers  tout  le  monde.  Manriquez  avait  vu  ces  régle- 
mens  dans  un  ancien  manuscrit ,  mais  il  n'en  a  donné  qu'un 
extrait.  Il  appelle  aussi  l'abbé  de  Cîteaux  fi^ido ,  mais  c'est 
JVillelmus  qu'il  fallait  lire.  B. 


GUY  DE  LUSIGNAN, 

ROI  DE  JÉRUSALEM   ET  DE  CHYPRE. 

(jUY  de  Lusignan  était  le  troisième  fils  d'Hugues  le  Brun,  Guii.  dcTyr, 
comte  de  la  Marche,  qui  avait  suivi  Louis-le-Jeune,  en  Orient,  'i^.  XXll,  §.  I. 
La  vaillance  qu'il  montra  de  bonne  heure  contre  les  infi-  —H's'gen.  de 

,,,,.„T,.  .  t.  la  mais,  de  rr. 

deles,  lui   fit  obtenir  en   mariage,  très -jeune  encore,  car  t.  m, p.  77.— 
Guillaume  de  Tyr  l'appelle  adolescent.  Sibylle,  fille  d'Amaury,  An  de  Térif. le» 
premier  roi  de  Jérusalem,  et  d'Agnès  de  Courtenay,  fille  444"? 445^.'^ 
du  comte  d'Edesse.  Sibylle  était  veuve  de  Guillaume  de 
Montferrat ,  dit  Guillaume  longue-épée.  Baudoin  IV,  ou  le 
lépreux,  son  frère,  régnait  alors.  Sibylle  apporta  en  dot,  à 
Guy  de  Lusignan,  le  comté  de  Joppe  ou  Jana  et  d'Ascalon, 

Les  infirmités  de  Baudoin  IV  le  rendant  peu  capable  de 
gouverner ,  il  avait  d'abord  voulu  confier  la  régence  à  Guy 
de  Lusignan  ;  mais  celui  -  ci  s'était  montré  moins  heureux 
dans  la  science  du  gouvernement  que  dans  l'art  de  combattre. 
Guillaume  de  Tyr,  au  reste,  semble  pousser  trop  loin  la  P. io36  et $uiy. 
censure  envers  lui  ;  Bongars  le  lui  reproche ,  avec  quelque 
fondement ,  dans  sa  préface.  Le  comte  de  Tripoli  n'avait  pas      Cont.  de  G. 
peu  contribué  à  faire  ôter  la  régence  à  Guy  de  Lusignan,  ^^^l'y"^" 
et  à  la  mort  de  Baudoin  IV,  bientôt  suivie  de  celle  de  Bau-  coU.'p.  "g^,.'!! 

Tome  XF.  H 


58         GUY  DE  LUSIGNAN,  ROI  DE  JÉRUSAL. 

Vît  ^TFPT  V 

.    L  doiii  V,  son  fils,  qui  n'était  encore  qu'un  enfant,  il  n'oublia 

Guiii.  de  Camb.  fign  pour  l'éloigner  du  trône  où  Sibylle  allait  monter ,  et 
vutnier*^  ^BibT  voulait  placer  son  mari  à  côté  d'elle.  Elle  y  réussit.  Le  con- 
iiistor.t.'in,p.  tînuateur  de  Guillaume  de  Tyr,  aprës  avoir  parlé  du  cou- 
J74etsuiv.       ronnement  de   cette   princesse,  ajoute  que,  la  cérémonie 
P- 594.        achevée,  le  patriarche  de  Jérusalem  lui  dit:  «Dame,  vous 
estes  famé  ;  il   convien   que  vos  aies  avec  vos  qui  vostre 
roiaume  vous  ait  à  gouverner,  qui  masle  soit.  Prenés  ceste 
autre  corone  et  la  donné  à  tel  home  qui  vostre  roiaume 
puisse  gouverner.  Ele  prit  la  corone  ;fei  apela  son  seignor  qui 
devant  lui  estoit  ;  si  li  dist  :  Sire ,  venes  avant   çt  recevés 
ceste  corone,  car  je  ne  sai  où  je  la  puisse  miex  employer.  Cil 
s'agenoUa  devant  lui  et  celé  li  mist  la  corone  en  la  teste.  Si 
fu  roi  et  ele  fu  roine.  » 
An.  1186,  p.       Roger  de  Hoveden  dit  aussi  que  la  reine  plaça  elle-même 
'^'  la  couronne  sur  la  tête  de  son  mari,  et  lui  prête  ces  mots: 

Ego  eligo  te  in  rqgem  et  dominum  meum ,  et  terrœ  hierosoly- 
mitanœ  ;  quia^quod  Deus  conjunxit,  homo  separare   non 
débet. 
V.aussiMart.       Le  livre  du  lignage  d'Outremer,  (publié  par  la  Thaumas- 
P'^s^"  sière,  avec   les  coutumes  de  Beauvoisis,  et  les  assises  de 

Jérusalem  )  dit ,  que  les  grands  irrités  offrirent  le  trône  à 
Humphroi  de  Thoron ,  dont  le  père  avait  été  connétable  du 
royaume  de  Jéiusalem,  et  qu'Humphroi  ayant,  au  contraire, 
reconnnu  Guy  de  Lusignan,  ils  furent  tous  obligés  de  se 
Cont.  de  G.  soumettre.  Le  comte  de  Tripoli  se  retire ,  traite  avec  Saladin, 
de  Tyr,  p.  696.  fj^j^-  semblant,  quand  il  s'en  croit  sûr,  de  sc  réconcilier  avec 

—  G.deNeubr.   ,  -^     ^  n»  •  •      1 

liv.iii  c.  16.—  ^^  nouveau  roi,  et  en  pronte  pour  ouvrir  aux  ennemis  le 

Gerr.  p.  i5oi  royaumc  de  Jérusalem.  Fait  prisonnier  à  la  bataille  de  Tibe- 

duRec.d^hist.  rJade ,  au  mois  de  juillet  1 187,  Lusignan  est  mis  en  liberté, 

de  Hov.  p.  634!  à  la  charge  dé  ne  plus  combattre  Saladin  ;  et,  de  retour  dans 

ibid.  et  Art  SCS  états ,  il  SC  fait  absoudre  de  cette  promesse  jurée,  comme 

^V  "^ir''^'  si  l'on  pouvait  être  dégagé  d'un  serment  par  un  autre  que 

'           '■  celui  qui  l'a  reçu.  Il  n'en  conserva  pas  mieux  son  empire. 

Cont.  de  G.  Aprcs  la  perte  du  royaume  de  Jérusalem ,  Lusignan  devint 

de  Tyr,  p.  638.  joi  de  Chypre.  Richard,  roi  d'Angleterre ,  avait  vendu  cette 

ÎTs  dat.  t.^  "p!  '^^  ^^^  templiers  ,  pour  vingt-cinq  mille  marcs  d'argent,  sui- 

458 — H.  gén.  vant  les  uns,  pour  trente-cinq  mille,  suivant  les  autres,  les 
de  la  mais,  de  templiers  la  revendirent  à  Lusignan,  ou,  suivant  Bromton,iI 

— Rigord^  t!  V  ^^  Tcçut  de  Richard  lui-même ,  et  ne  la  tint  que  de  sa  libéralité. 

deDuch. p. 35.  Ce  royaume,  acquis  en  1 192,  resta  près  de  trois  siècles  dans 

•-^Bromt.   p.  la  famille  de  ce  prince.  Quelques  établissemens  utiles  y  signa- 


RAYMOND,  COMTE  DE  TOULOUSE.  5^ 

lèrent  un  règne  de  peu  d'années.  On  lui  attribue,  entre  autres, '_ 

les  assises  de  Chypre,  suivant  les  coutumes  de  France.  Gode-  H.  de  la  m.  de 
froi  de  Bouillon  avait  donné,  à  la  fin  du  siècle  précédent,  ^'^nist^Litiér 
celles  qui  sont  connues  sous  le  nom  d'assises  de  Jérusalem,  t.  xiijp.  612! 
Il  mourut  en  1 194,  suivant  Marin  Sanuto  et  le  plus  grand  GestaDeipei 
nombre  des  écrivains.  P.         î^"?'- "V"' 

p.  10  ,  c.  o. 


RAYMOND   V, 

COMTE  DE  TOULOUSE. 


Alphonse  Jourdain  ,  comte  de  Toulouse ,  étant  mort  à 
Césarée,  au  mois  d'avril   ii48i  Raymond  et  Alphonse,  ses 
fils ,  se  divisèrent  ses  états  :  on  croit  même  qu'ils  en  jouirent ,    Hist.  de  Lang. 
d'une  partie  du  moins,  par  indivis.  Raymond  avait  été  connu  P^'P-  ^^'/^f  ' 
jusqu alors  sous  le  nom  du  comte  de  Saint-GilIes;  et  cest  461  et  463. 
même  ainsi  que  l'appellent  les  historiens  anglais;  ils  ne  le      Catel.H.  de» 
reconnaissent  pas  pour  comte  de  Toulouse  ;  ce  comté ,  sui-  ^-  ^^  '^''"'"  P" 
vant  eux,  avait  alors  le  roi  d'Angleterre  pour  souverain.  *^ 

A  la  mort  de  son  père ,  Raymond  n'avait  que  quatorze  ans. 
Il  sentit  que  sa  très-grande  jeunesse  pouvait  porter  à  des 
entreprises  contre  lui  quelques  vassaux  puissans  ;  son  pre- 
mier soin  fut  de  s'assurer  la  paix  et  leur  amitié  par  des  -' 
accords  et  des  transactions.  Il  épousa,  quelques  années  après, 
en  ii54i  la  princesse  Constance,  fille  de  Louis -le -Gros  et 
sœur  de  Louis -le -Jeune  ,  qui  d'abord  mariée  ou  plutôt 
fiancée  à  Enstache  de  Blois,  fils  aîné  du  roi  d'Angleterre, 
l'avait  perdu  avant  que  le  mariage  fût  consommé,  et  que 
Raymond  répudia  ensuite  pour  épouser  Richilde ,  veuve  de 
Raymond-Berenger ,  comte  de  Provence. 

Nous  trouvons,  en  11 55,  un  acte  par  lequel,  du  conseil      Gail.  Christ, 
de  ses  barons,  il  reconnaît,  pour  lui  et  pour  Alphonse  son  *'  g  ""*  ^'"'  ^' 
frère,  non  pas,  comme  le  dit  Vaissette ,  que  la  moitié  de  la       p.  475. 
ville  de  Carpentras  appartenait  de  tout  temps  à  l'évêque,  mais 
le  marché  et  tout. ce  qui  en  provenait , yôrww  et  omnia  quœ 
exforo  proveniunt  ad  jus  episcopi  pertinere  :  Raymond  pro- 
met ,  pour  son  frère  encore  et  pour  lui ,  de  ne  pas  souffiir 
qu'on  établisse  d'autre  marche  dans  les  villes  ou  bourgs 

Ha 


6o  RAYMOND,  COMTE  DE  TOULOUSE. 

1  voisins,  jusqu'à  une  distance  que  l'acte  détermine.  Il  fera 

jouir  les  habitans  de  Carpentras  de  tous  les  avantages  dont 
lis  avaient  joui  sous  ses  prédécesseurs.  Il  fera  rendre  à 
l'évêque  un  péage  que  les  habitans  de  Montélimart  ont 
usurpé  sur  lui,  ainsi  que  l'avaient  juré  les  témoins  du  prélat, 
dans  un  plaid  tenu  à  la  cour  d'Alphonse  Jourdain.  Il  s  oblige 
à  ne  permettre  qu'on  élève  aucune  tour,  aucune  fortifica- 
tion à  Carpentras,  sans  le  consentement  de  l'évêque  ou  de 
ses  successeurs. 
Bist.  deLang.       Par  un  acte  de  1167,  Raymond  V  promet  à  Trencavel, 

t.  II,  p.  565.  vicomte  de  Lautrec,  de  lui  garantir  envers  et  contre  tous 
ses  fiefs  et  ses  alleux ,  excepté  contre  ses  propres  vassaux  et 
le  vicomte  de  Nîmes ,  frère  de  Trencavef.  Le  serment  peut 
être  placé  ici  comme  faisant  connaître  quel  était  alors,  sur 
un  oDJet  important,  l'état  des  institutions  et  des  lois  :  Juro 
tibi  'vitam  tuam  et  metnbra  tua,  quod  numquam  te  occi^ 
dam ,  neque  capiam ,  nec  ulliis  homo  nec  fœmina ,  meo 
consilio  vel  ingénia;  et  juro  tibi  totum  meum  lionorem ,  feudes 
et  alodes ,  sicut  modo  habes  et  tenes ,  a  ut  ullus  homo  aut 
fœmina per  te,  vel  in  anteà  acquires  aut  lucratus fueris  meo 
ingenio  vel  meo  consilio.  Et  si  ullus  homo  aut  fœmina  tibi 
auferret  meum  honorem  aut  inde  auferret  tibi,  adjutor  ero 
bonâfide,  sine  inganno,  excepta  fratre  tua,  exceptis  meis 
hominibus ,  et  illos  tibi  ad  justitiam  habebo.  Je  ne  sais  si  j'ai 
besoin  d'observer  mxhonor  signifie  ici  territoire^  domaine  ; 
il  a  souvent  cette  signification  dans  les  anciens  monumcns 
de  notre  législation  et  de  notre  histoire. 

Dom  Vaissette  a  imprimé  quelques  autres  chartes  de  Ray- 
mond V ,  dans  les  preuves  de  son  Histoire  générale  de  Lan- 
T.  n,  p.  565  guedoc  ;  une  de  11 08,  par  exemple,  qui  confirme  dans  toutes 

**  ^''^ccQ        ses  possessions  l'abbaye  de  Psalmodi ,  et  un  plaid  tenu  à 

p.  568.  rr      1  •      j'        -i    J      1  A        ^  -       » 

loulouse,  au  mois  d avril  de  la  même  année,  en  présence 
des  capitouls ,  qui  autorise  la  perception  d'un  droit  ancien- 
nement levé  par  les  tanneurs  sur  les  cuirs  apportés  dans  la 
Hist.  deT.ang.  ville,  droit  que  ces  artisans  cédèrent  ou  plutôt  vendirent  au 
«■     .P-4  3.       j,qJ^  çj^  1280;  une  charte  de   1.160,  qui  rend  quelques  do- 
T. II, p. 485.  maines  à  l'évêque  de  Carpentras,  en  ne  retenant  pour  les 
comtes  que  les  chevauchées  et  l'albergue  (ou  le  droit  de 
gîte,  de  logement),  et  qui  accorde  exemption  de  péage ^ 
dans  tous  ses  domaines,  aux  religieux  de  l'abbaye  d'Aigue- 
T. iiauxPr.  belle  (ordre  de  Cîteaux)  dans  le  Toulousain;  une  autre,  de 
^'  Il 56,  en  faveur  de  l'abbaye  de  Franquevaux,  de  l'ordre  de 


RAYMOND,  COMTE  DE  TOULOUSE.  6f 

Cîteaux  aussi,  et  du  diocèse  de  Nîmes,  et  une  pareille  exerap-    ^'^  siecll. 


tion,  en  ii63,  pour  un  autre  monastère  du  même  ordre    T.  il,  p.  Soi. 
encore,  celui  de  Fontfroide,  au  diocèse  de  Narbonne;  plu- 
sieurs concessions  semblables  ;  un  traité  de  paix  fait  au  mois      Aut  Pr.  p. 
de  juin  ii63,  après  de  longues  discussions,  entre  le  comte  goi'^Goje'ieoi'. 
de  Toulouse  et  le  vicomte  Raimond  Trencavel  ;  et  un  ser-      Pr.  p.  593. 
ment  mutuel,  l'année  suivante,  par  lequel  Raymond  V  aussi,      Pr.  p.  600. 
et  Guillaume  VII,  seigneur  de  Montpellier,  se  promettaient 
de  ne  se  faire  aucun  mal,  de  n'attenter  jamais  l'un  sur  l'autre. 

Nous  avons  aussi  quelqu'es  lettres  de  ce  prince.  Duchesne 
les  a  publiées  sous  les  n"»  349 1  4^2 ,  4^7,  et  434 1  ^^  qua- 
trième tome  du  Recueil  des  écrivains  sur  1  kistoire  de  France; 
et  elles  ont  été  réimprimées  dans  le  seizième  volume  de  la 
nouvelle  collection  de  nos  historiens.  La  première ,  qui  est  Duchesne , 
de  II 63,  se  rapporte  à  une  négociation  ouverte  entre  Ray-  j"^i?''"~5g'*'' 
mond  V  et  Manuel  Comnène,  empereur  de  Constantinople, 
et  dont  la  guerre  pour  la  Terre- Sainte  était  le  principal 
objet.  Raymond  envoya  des  ambassadeurs  à  ce  prince,  qui, 
lui-même ,  en  avait  envoyé  en  France.  Sa  lettre  fait  part  à 
Louis- le-Jeune  de  cette  mission,  et  des  engagemens  qu'il  a 
pris  avec  l'empereur  de  Constantinople.  Il  prie  le  roi  d'en- 
voyer aussi  des  ambassadeurs  à  Manuel  Comnène,  des  ambas- 
sadeurs capables  de  terminer  bientôt  et  heureusement  les 
négociations  commencées. 

La  seconde ,  qui  doit  être  aussi  de  1 163 ,  est  encore  adres-  Duchesn* , 
sée  à  Louis-le- Jeune,  que  Raymond  V  appelle  magnifique  *iv,p.  71Î.— • 
roi  des  Français,  son  seigneur  très-cher ^  prcecordialissirno  x'v'i  pteo!  '" 
domino,  et prce  cœteris  omnibus  excellentissimo ,  ajoute-t-il. 
Lui  s'intitule ,  comme  dans  la  lettre  précédente ,  duc  de 
Narbonne,  comte  de  Toulouse,  marquis  de  Provence.  Après 
avoir  donné  le  salut  à  Louis  VII  par  celui  qui  le  donne  aux 
rois ,  Raymond  annonce  que ,  conformément  à  la  lettre  du 
monarque,  il  s'est  rendu,  au  jour  indiqué,  à  Castel-Sarra- 
sin,  et  y  a  conféré  avec  les  ministres  ou  roi  d'Angleterre, 
Henri  II ,  sur  la  trêve  proposée  et  déjà  convenue,  mais  que 
les  ministres  de  ce  prince  ont  exigé  que  le  vicomte  RajTmond 
Trencavel*et  le  roi  a  Arragon  y  fussent  nommément  compris. 
Trencavel,  dit  le  comte  de  Toulouse,  est  notre  vassal;  et 
Henri  n'a  pas  le  droit  d'exiger  qii'il  soit  compris  dans  la 
trêve  ou  qu'on  la  rompe  :  nous  lui  avons  toujours  fait  la 
guerre ,  sans  qu'on  nous  en  empêchât ,  et  ni  lui ,  ni  le  comte 
de  Barceloune,  père  du  roi  d'Arragoc,  n'ont  été  compris  dans 


XII  SIECLE. 


Duchesne , 
p.  121.  —  Hist. 
de  Fr.  p.  70. 


62  RAYMOND,  COMTE  DE  TOTJLOUSE. 

les  trêves  antérieures.  Voulant  néanmoins,  ajoute  le  comte 
de  Toulouse ,  voulant  donner  un  témoignage  de  notre  défe'- 
rence  pour  le  vœu  exprimé  au  nom  du  roi  d'Angleterre , 
nous  avons  proposé  qu'il  vous  envoyât,  ainsi  que  nous,  un 
député ,  à  l'occasion  de  cette  trêve  ;  notre  proposition  n'a 


pas  ete  acceptée.  Quant  à  nous,  soumis  à  vos  ordres,  nous 
ne  romprons  pas  la  trêve,  que  nous  n'ayons  connu  votre 
volonté.  C'est  en  vous ,  après  Dieu ,  que  nous  mettons  toute 
notre  confiance.  Du  reste,  votre  majesté  n'ignore  pas  sans 
doute,  vénérable  seigneur,  qu'en  perdant  un  domaine  qui 
est  dans  vos  mains ,  ce  ne  sera  pas  le  nôtre ,  mais  bien  plutôt 
le  vôtre ,  que  nous  aurons  perdu  ;  car  je  suis  proprement  à 
vous ,  et  tout  ce  que  j'ai  vous  appartient.  Je  supplie  donc 
humblement  votre  clémence  de  ne  pas  souffrir  que  je  sois 
long-temps  déshérité,  ne  longo  temporis  spatio,  si placuerit , 
nos  stare  exhœredatos  patiamini.  Le  comte  de  Toulouse  veut 

{>arler  de  la  ville  de  Cahors ,  qui  avait  passé ,  en  ii 58 ,  sous 
a  domination  des  Anglais;  que  Louis-le-Jeune  avait  repla- 
cée ,  en  1169,  ^^^^  celle  de  Raymond ,  et  que  le  roi  d'Angle- 
terre avait  soumise  de  nouveau. 

Nous  trouvons  peu  de  temps  après,  toujours  en  11 63, 
une  troisième  lettre  de  Raymond  V  à  Louis-le-Jeune.  Il  lui 
marque  d'abord  que,  depuis  la  paix  conclue  avec  Tren- 
cavel  et  cimentée  par  leurs  sermens ,  il  a  eu  le  désir  et  la 
résolution  de  demander  au  roi  la  liberté  des  otages  gardés 
à  Montaigu  (  château  du  diocèse  d'Alby  )  ;  il  le  prie  avec 
instance  de  l'accorder;  il  le  prie  en  même  temps  d'écrire  à 
Trencavel  et  de  l'exhorter  à  une  fidélité  inviolable.  Il  fait 
part  ensuite  au  roi  du  mariage  qu'il  vient  de  conclure  entre 
Albéric  Taillefer,  son  fils,  et  Béatrix,  fille  et  héritière  de 
Guignes ,  comte  d'Albon ,  de  Viennois  et  de  Graisivaudan  ; 
il  annonce  que  cette  très -jeune  princesse  habite  déjà  sa 
cour,  et  qu'il  est  déjà  en  possession  de  la  plus  grande  partie 
des  domaines  qu'elle  a  recueillis  de  son  père.  Raymond  de- 
mande à  Louis  VII  d'approuver  ce  mariage,  de  s'en  mon- 
trer leprotecteur  par  ses  discours  et  par  ses  actions,  d'écrire 
même  spécialement,  à  ce  sujet,  à  la  comtesse  Marguerite, 
mère  du  dauphin,  et  aux  principaux  personnages  du  pays. 
II  observe  que,  quoique  ce  comté  soit  de  la  juridiction 
de  l'empereur,  cela  ne  laisse  pas  d'accroître  l'autorité  de 
Louis  VII  et  de  lui  offrir  les  moyens  de  l'étendre  encore  : 
y4d  regni  vestri  incrementuni ,  dit.- il ,  quasi  quidam  portus 


RAYMOND,  COMTE  DE  TOULOUSE.  63 

•  "VIT   STKPf  F 

erit  et  porta.  Dieu  vous  conserve,  ajoute  Raymond,  Dieu  ' 
vous  conserve  long-temps,  mon  seigneur  et  mon  roi,  afin 
que  vous  puissiez  continuer  de  me  protéger,  comme  vous 
avez  commencé  de  le  faire,  envers  le  roi  "des  Anglais.  Ces 
derniers  mots  se  rapportent  au  siège  de  Toulouse  par 
Henri  II,  que  Louis-le- Jeune  avait  lait  lever,  en  accourant 
avec  tant  de  rapidité  au  secours  de  cette  ville.  Albéric 
Taillefer,  dont  Raymond  conclut  ici  le  mariage,  était  à 
peine  alors  âgé  de  six  ans ,  et  Béatrix  était  à-peu-près  du 
même  âge. 

Il  y  a  une  quatrième  lettre  de  Riymond  V  à  Louis  VII.  Duchcsne, 
Elle  est  de  ii64-  Bérenger," seigneur  de  Puiserguier,  ayant  J|'  'Ç^'~  g"'" 
exercé  quelques  vexations  pour  lesquelles  il  fut  cité  et  con- 
damné a  la  cour  d'Ermengarde ,  vicomtesse  de  Narbonne,  il 
appela  du  jugement  au  roi,'  sous  prétexte  qu'il  en  était  le 
vassal  immédiat.  La  lettre  du  comte  de  Toulouse  n'est 
qu'une  recommandation  en  ftveur  de  Bérenger.  II  le  pré- 
sente comme  un  ami  particulier,  dont  il  a  toujours  reçu 
aide  et  appui,  et  qui  d'ailleurs  est  l'homme-lige  du  roi. 

Une  autre  lettre  de  Raymond  V  est  rapportée  par  Gervais 
de  Doroberne  ou  de  Cantorbéry,  dans  sa  chronique  impri- 
mée parmi  les  ouvrages  recueillis  sous  le  titre  à' Historiœ       P-  i44i. 
angUcané^criptores  decem.  Les  sectateurs  de  Pierre  de  Bruis 
et  de  Henri ,  son  disciple ,  devenu  lui-même  chef  d'une  secte      Hi»t.  Littér. 
qui  prit  son  nom,  continuaient  à  faire  des  progrès.  Ray-  *•  ^î^^»  P-  y 
mond  crut  devoir  en  écrire  à  l'abbé  de  Cîteaux  et  au  cha-  "  ^^^' 
pitre  général  de  cet  ordre,  qui  était  alors  réuni.  Il  com- 
mence sa  lettre  en  humble  chrétien  ;  car  il  y  joint  à  ses 
titres  mondains  sa  défiance  de  lui-même  pour  la  vie  à  venir, 
et  il  se  déclare  naufragaus  circa  supema.  Vulpes  parvulœ , 
dit-il  ensuite,  vineas  quas  plantavit  dextera  excelsi  deniO' 
liuntur,  et  fontes  sine  aquâ  et  nebulce  turhinibus  agitati^ 
fontem  qui  patet  domui  David  in  ahlutionem  inimunditice 

et  menstruce  evacuare  nituntur Istorum  sermo  ut  cancer 

serpit Putida  hœresis   tabès  prœvaluit. Sic  iniquus 

transfigurât  se  in  angèlum  lucis ,  ut  uxor  à  viro ,  filius  à 

f'atre,  nurus  à  socru,  discedant.  Ce  n'est  pas  seulement 
intérieur  des  familles  que  l'hérésie  a  infecté  et  troublé; 
elle  est  parvenue  à  souiller  et  dépraver  ceux  même  qui 
remplissent  les  fonctions  du  sacerdoce;  ces  antiques  objets 
de  la  vénération  des  fidèles ,  le»  temples ,  sont  déserts  ;  ils 
tombent  en  ruine,  sans  qu'on  songe  à  les  relever.  Le  bap- 


XII  SIECLE. 


64  RAYMOND,  COMTE  DE  TOUrX)USE. 

tême  est  refuse;  la  pénitence  méprise'e;  l'eucharistie  en  abo- 
mination ;  l'idée  de  la  création  de  l'homme ,  celle  de  sa 
résurrection ,  sont  rejetées  avec  dédain  ;  les  sacremens  tous 
anéantis;  et  on  ose  introduire  les  deux  principes...  Et  moi, 
ceint  d'un  des  deux  glaives  de  Dieu,  moi  le  ministre  de  sa 
colère  et  son  vengeur,  je  cherche  vainement  à  mettre  un 
terme  à  l'impiété  ;  mes  forces  ne  peuvent  suffire  à  ce  grand 
ouvrage  ;  l'hérésie  a  flétri  les  plus  nobles  de  mes  sujets  ;  avec 
eux  est  entraînée   une   immense  multitude  :  je  n'ai  ni  la 

Puissance  ni  le  courage  de  rien  entreprendre.  Dans  cette 
éplorable  situation ,  fiest  à  vous  que  j'ai  recours.  J'implore 
avec  humilité  vos  conseils,  votre  appui ^  vos  prières,  pour 
extirper  une  calamité  si  grande.  Le  poison  a  tellement 
pénétré  dans  tous  les  cœurs,  que  la  main  de  Dieu  peut 
seule  les  guérir...  Le  glaive  spirituel  ne  suffisant  plus,  c'est 
du  glaive  temporel  qu'il  faut  s'armer.  Je  voudrais  que  le  roi 
vînt  ici;  je  le  conduirais  daas  les  villes,  dans  les  bourgs, 
dans  les  châteaux  ;  je  lui  désignerais  }es  hérétiques ,  et.  je 
l'aiderais,  autant  qu'il  dépendrait  de  moi,  à  exterminer 
enfin  tous  ces  ennemis  de  Jésus-Christ. 

Cette  lettre  est  de  1178.  Raymond  V  donna,  au  mois 
d'octobre  de  la  même  année ,  des  statuts  pour  les  changeurs 
T.  III ,  p.  Sa.  de  la  ville  de  Toulouse.  Ces  statuts  sont  rappelée  par  l'au- 
teur de  la  nouvelle  Histoire  générale  de  Languedoc  ;  mais 
il  ne  nous  dit  pas  en  quoi  ils  consistaient,  et  je  ne  les  ai 
pas  retrouvés  ailleurs. 

Nous  avons  de  lui  des  réglemens  plus  importans  sur  la 

Eolice  et  l'administration  de  plusieurs  villes  de  ses  états, 
•om  Vaissette  avait  recueilli ,  dans  les  registres  de  l'hôtel- 
de-viile  et  de  la  sénéchaussée  de  Nîmes,  des  lettres  en 
faveur  de  cette  ville ,  qu'il  a  imprimées  parmi  les  preuves 
du  tome  3  de  son  histoire.  Elles  sont  au  mois  de  mars 
Ii85.  On  venait  de  renfermer  Nîmes  dans  une  enceinte 
marquée  par  des  fossés.  Raymond  donne  et  accorde  à  tous 
ceux  qui  demeurent  ou  demeureront  dans  cette  enceinte 
quelques  privilèges  relatifs  à  l'administration  de  la  justice 
et  quelques  exemptions  relatives  à  l'impôt. 

Catel  a  recueilli  également  dans  son  Histoire  des  comtes 
P.  214.       de  Toulouse  une  ordonnance  de  Raymond  "V,  de  l'an  1181, 
dont  Toulouse  même  est  l'objet.  Les  premiers  mots  annon- 
cent qu'elle  est  rendue  cum  consilio  capitidi,  que  dom  Vai- 
pette  traduit  par  de  l'avis  du  chapitre,  et  Lafaille  et  Catel  ^ 


RAYMOND,  COMTE  DE  TOULOUSE.  65 

de  l'avis  des  capitouls.  Le  capitulum  fut  d'abord,  je  crois,    ^^^  SIECLE. 
comme  une  sorte  de  parlement,  une  cour  qui  jugeait  au 
nom  du  prince,  où  se  discutaient  et  se  publiaient  ses  re'- 
glemens  et  ses  lois,  curia  comitis ,  et  que  présidait  pour  lui 
ce  premier  magistrat ,  que  les  actes  législatifs  ou  judiciaires 
de   ce   temps -là  désignent   par  vicaire   ou   lieutenant  du 
comte ,  comitis  vicarius.  Mais  la  traduction  de  capituli,  par 
des  capitouls,  n'en  est  pas  moins  bonne  et  exacte.  C'étaient 
eux-mêmes  qui  formaient  alors  cette  cour  du  comte.  Cames 
et   curia  sua,    sciUcet  capitulum,,    dit   formellement   une 
charte  de  la  seconde  année  du  siècle  suivant,  également 
rappelée  dans  l'Histoire  de  Catel ,  et  dans  les  preuves  du         P.  33. 
premier  volume  des  Annales  de  Toulouse,  par  Lafaille.  Les     p.  54,  noie 
capitouls,  capitularii,  capitulares ,  capitulatores ,  furent  en-  ™*''8- 
suite  et  successivement  bornés  à  l'administration  particulière 
et  intérieure  de  la  cité,  qu'ils  avaient  au  reste  dans  le  temps 
où  ils  exerçaient  de  plus  une  autorité  judiciaire.  L'ordon- 
nance au  sujet,  de  laquelle  nous  nous  sommes  permis  cette 
légère   digression  ,   qui  ne   nous  a  pas   semble  dépourvue 
d'utilité,  ajoute  qu'elle  fut  également  rendue  de  lavis  du 
commun  conseil  de  la  ville  et  des  faubourgs,  cum  consilio 
capituli  et  cojfimunis  consilii  urbis  Tolosce  et  suhurhii.  Fai- 
sons-en maintenant  connaître  les  principales  dispositions. 

Le  seigneur  comte,  en  son  nom  et  au  nom  de  ses  suc- 
cesseurs, donne  et  accorde  à  tous  les  habitans  de  la  ville 
et  eles  faubourgs,  présens  et  avenir  : 

Que  si  un  homme  ou  une  femme  de  Toulouse  (Catel, 
qui  a  publié  cet  acte  en  latin,  à\t  faidivat ^  mais  c'est  plu- 
XÔtfaidiat  qu'il  faut  lire,  àefaidire  :  on  sait  ^aa  faida  ex- 
primait inimitié,  vengeance  privée;  çX. -^'aidire ^  c'est  exciter, 
faire  naître,  exercer  ce  sentiment  de  vengeance  ou  de  haine), 
si  donc  un  homme  ou  une  femme  de  Toulouse  se  livrent  à 
un  sentiment  pareil ,  soit  envers  le  comte  lui  -  même ,  soit 
envers  un  des  habitans  ,  à  l'égard  de  leurs  possessions 
mobiliaires  comme  à  l'égard  de  leurs  immeubles,  qu'il  ne 
lui f oit  plus  permis,  «jft-ès  sa  mauvaise  action, .de  reparaître 
dans  cette  ville.  Celui  qui  le  trouverait  et  l'arrêterait,  le 
blesserait,  le  priverait  de  quelqu'un  de  ses  meubles,  le  tue- 
rait même,  qui  lui  aurait  causé  des  doiftmages  dans  ses 
biens,  de  quelque  manière  que  ce  fût,  n'aura  aucune  satis- 
faction à  faire  pour  cela,  ni  au  comte  ou  à  ses  successeurs, 
Tome  XV.  •        I 


66  RAYMOND,  COMTE  DE  TOULOUSE. 

•    ni  a  son  vicaire  ou  lieutenant,  ni  a  aucune  personne  que  ce 
puisse  être. 

Les  capitouls  et  le  commun  conseil  de  la  ville  et  des 

faubourgs  donnent  au  comte  et  à  ses  descendans  tout  ce 

/  qu'il  leur  accorde  à  eux-mêmes.  Le  texte  porte  comiti  et 

suo  ordinio  ;  et  c  e&t  ordinio ^  ^"c  je  traduis  par  descendans. 

/  Ce  mot  est  employé  quelquefois  avec  une  signification  sem- 

blable dans  les  monumens  de  cette  époque  :  successoribus 
et  ordinio ,  successores  suos  aut  ordinium ,  ejus  successoribus 
universis  ac  ordinio^  lisons -nous  dans  des  actes  cités  par 
Ducaiige,  t.  Rymer  et  rappelés  par  Ducange;  il  venait  ^ordo ,  ordine 

IV,  p.  i38o.       descendentes  ah  alio. 

Le  comte  statue  ensuite,  toujours  de  l'avis  des  capitouls 
et  du  commun  conseil,  qu'un  maître,  travaillant  en  pierre 
ou  en  bois,  ne  pourra  d'aucune  manière,  de  la  Saint-Jean- 
Baptiste  à  la  Toussaint ,  recevoir  pour  salaire  plus  de  trois 
deniers  de  Toulouse  par  jour  et  la  nourriture,  et  de  la 
Saint -Jean -Baptiste  à  la  Toussaint  plus  de  deux  deniers 
avec  la  nourriture  :  s'il  reçoit  davantage, ou  quelqu'un  pour 
lui,  soit  à  titre  de  récompense,  soit  de  toute  autre  manière, 
et  que  l'on  s'en  plaigne  devant  le  comte  ou  son  viguier ,  le 
contrevenant  sera  condamné  à  une  -amende  de  cinq  sous  : 
Habeat  quinque  solidos  justitiœ. 

Il  statue,  toujours  de  l'avis  des  mêmes  magistrats,  que 
les  revendeurs  ou  revendeuses  de  poisson,  de  saumon  en 
particulier,  ne  recevront  que  quatre  sous  de  Noël  à  Pâques 
et  deux  de  Pâques  à  la  Saint-Jean-Baptiste,  sous  peine  de 
cinq  sous  d'amende-  Les  bouchers  ne  pourront,  sous  la 
même  peine,  gagner  plus  d'un  denier  sur  les  viandes  qu'ils 
vendront  in  duodecim  numantiis.  Quel  est  le  sens  de  cette 
dernière  expression.''  Ducange,  au  mot  numantia.^  se  con- 
tente de  rapporter  le  passage  de  l'ordonnance  de  Ray- 
mond V,  et  il  n'indique  d'ailleurs  aucune  signification  de 
ce  mot;  il  renvoie  seulement  à  nummus  et  nummata.  Num- 
mata  peut  exprimer  ou  le  prix  d'une  chose,  nummata 
bladi.,  numm,ata  vini,  nummata  ptsciiim  ;  ou  les  denrées 
même  que  l'argent  sert  à  payer,  comme  dans  ces  lettres  de 
P.  x5o.  Jean  II ,  insérées  au  quatrième  tome  de  la  collection  des 
ordonnances  de  tios  rois,  et  relatives  à  la  foire  du  Lendit  : 
Impositionem  sex  denariorum  pro  librd ,  de  omnibus  num- 
m,atis  et  mercaturis  quœ  vendentur  in  nundine  Lendcti;  et 
Ordon.  1. 1,  dans  dcs  lettres  plus  anciennes  par  lesquelles  Louis  X  ou  le 

p.  55a  ei  960.  *■  ^ 


RAYMOND,  COMTE  DE  TOULOUSE.  67 

Hutin  ajaprouve  et  confirme  les  privilèges  des  habitans  de  '. — '- 

Normandie  :  Qui,  nostro  nomine ,  nummata  quœcumque , 
pro  nostris  munitionihus  aut  necessariis ,  uhilihet  capere 
voluerint.  Mais  aucun  de  ces  deux  sens  ne  nous  paraît 
applicable  à  l'article  cité  de  l'ordonnance  de  Raymond  V  : 
Macellarii  et  carnifices  urbis  Tolosœ  et  suhurbii  non  lucren- 
tur  in  ulla  came  quant  vendant  in  duodecim  numantiis, 
nisi  denarium  unum.  Il  me  semble  que  numantiis  doit  plu- 
tôt désigner  ici  un  lieu  où  l'on  vend;  peut-être  y  avait- il 
.  dans  la  ville  de  Toulouse  ou  dans  ses  faubourgs  douze  en- 
droits indiqués  par  la  police  publique  où  les  denrées  et 
marchandises  devaient  être  vendues  exclusivement.  Le  mot 
est  répété  dans  l'article  suivant,  qui  a  pour  objet  la  vente 
du  bois  et  de  plusieurs  ouvrages  qui  en  sont  formés  :  Non 
lucrentur,  y  est-il  dit  encore,  in  duodecim  numantiis ,  nisi 
unum  denarium^  nec  infra^  nec  supra. 

Cette  ordonnance  de  Raymond  est  du  mois  d'août  118 1. 
Un  règlement  du  mois  de  mars  de  la  même  année  déter- 
mine spécialement  ce  qui  doit  être  pratiqué  pour  la  vente 
du  poisson.  Il  fixe  le  prix  au-delà  auquel  on  ne  pourra  le 
vendre,  en  permettant  néanmoins  de  le  faire,  quand  on 
voudra ,  à  un  taux  inférieur  au  prix  fixé. 

Un  acte  plus  important  est  celui  qu'il  publia  le  6  janvier  Catel.H.de» 
1 188-9.  Richard-Cœur-de-Lion ,  duc  d'Aquitaine,  et  qui  C.  de  Toul.  p. 
succéda,  peu  de  temps  après,  à  Henri  II  au  trône  d'Angle-  *'^* 
terre ,  s'était  ligué  avec  Alphonse  II ,  roi  d'Aragon ,  contre 
Raymond  V.  Il  venait  de  reporter  la  guerre  dans  les  états 
du  comte  de  Toulouse,  et  après  s'être  emparé  d'une  grande 
partie  du  Quercy,  songeait  à  assiéger  la  ville  de  Toulouse 
même.  Beaucoup  d'habitans ,  effrayés  ou  corrompus  par 
Richard,  se  soulevèrent  contre  Raymond.  Celui-ci  rendit  à 
ce  sujet  l'ordonnance  du  mois  de  janvier  1 188.  On  voit,  dès 
le  premier  article ,  à  quel  excès  s'était  porté  l'esprit  de  sédi- 
tion. Raymond  y  défend  à  tous  les  hommes  et  femmes  de 
la  ville  et  des  faubourgs  d'exciter  des  querelles ,  des  troubles, 
de  se  causer  des  dommages  les  uns  aux  autres,  de  tuer  mu- 
tuellement leurs  animaux,  de  couper  leurs  arbres,  leurs 
vignes,  leurs  moissons,  de  s'attaquer,  de  se  blesser,  de  se 
donner  la  mort;  il  ne  veut  pas  que  le  désir  même  de  le 
servir  puisse  devenir  le  prétexte  de  ces  maux;  il  promçt  à 
tous  une  égale  justice  ;  les  consuls  ou  des  prud'hommes ,  des 
citoyens    notables   et   recommandables",   prononceront  les 

I2 


68  RAYMOND,  COMTE  DE  TOULOUSE. 

1 L  jugemens,  et  il  fera  exe'cuter  fidèlement  ce  que  1  evêque,  les 

consuls  et  deux  autres  qu'il  nomme,  auront  décidé  pour 

réprimer  et  punir  les  rixes  et-  la  sédition.  Il  y  eut  un  autre 

Catel,  tbid.  g^j-g  j^  même  jour,  par  lequel  le  comte  de  Toulouse  renonça 

■   ''■  à  tout  ce  qu'il  aurait  pu  exiger  des  coupables  ou  de  leurs 

complices  à  raison  de  leur  soulèvement. 

iVous  avons  plusieurs  autres  ordonnances  du  règne  de 
Raymond  V,  mais  elles  n'émanent  pas  de  ce  prince;  elles 
sont  l'ouvrage  du  commun  conseil  de  la  ville.  Cependant 
elles  annoncent  toujours  que  ce  conseil*  délibère  avec  celui 
du  comte  ;  d'où  on  peut  conclure  que  l'ordonnance  ou  le 
règlement  fait  était  soumis  à  la  sanction  souveraine;  car 
on  lit  quelquefois  cum  consllio,  et  quelquefois  consilio,  sans 
préposition.  11  me  semble  même  qu'il  s'opéra  à  cet  égard , 
sous  le  gouvernement  de  Raymond,  un  changement  mé- 
morable.  Les  actes  de  législation   ou  d'administration  pu- 

Caiei.p.aïf  blique  faits  pendant  son  règne,  depuis  ii48  qu'il  le  com- 
mença jusqu'en  ii8o,  portent  :  Stahilimentum  quod  fecit 
commune  consilium,  Totosœ  civitatis  et  suhurhii  consilio  ou 
cum  consilio  domini  Raimundi ;  et  depuis  ii8o  jusqu'en 
ii94i  époque  de  sa  mort  :  Stahilimentum  quod  fecit  Rai- 
mundus  cum  consilio  capituli  et  communis  consilii.  Les  ré- 
glemens  dressés  en  i  rôa  pour  la  police  et  l'administration 

Catel,p.  9,17  cle  la  ville  de  Toulouse   avaient  été   faits  par   le  commun 
~ j!9~"^^'"-  conseil  et  confirmés  ensuite  par  le  prince.  Lafaille  croit  que 

T.'l,p'io3.  la  différence  ne  tenait  qu'à  la  présence  ou  à  l'absence  du 
comte  au  moment  où  on  délibérait;  mais  je  pense  que  c'est 
la  différence  seule  des  temps  qu'il  faut  considérer;  du  moins 
ne  connais-je,  depuis  1180,  aucun  acte  qui  ne  commence 
ainsi  que  je  viens  de  le  dire. 

.  Malgré  ce  changement  arrivé  dans  la  forme  des  lois, 
changement  qui  en  suppose  toujours  un  autre  dans  l'exer- 
•fcice  du  pouvoir,  Raymond  V  est  un  des  princes  de  son 
temps  qui  favorisèrent  le  plus  le  mouvement  général  donné 
par  un  de  nos  rois ,  Louis  VI ,  en  faveur  des  communes.  II 
acquit  par-là  des  droits  à  la  reconnaissance  de  la  postérité. 
On  le  compte  aussi  avec  raison  parmi  les  princes  du  XIP 
siècle  qui  favorisèrent  le  plus  la  culture  des  lettres  et  de  la 

V.  Vaisselle,  poésie  en  particulier.  Dans  deux  manuscrits  de  la  biblio- 

Vu!"'^'^^^  *'  thèque  du  Roi  (n"'  7225  et. 7698),  qui  renferment  le  vie  et 

les  ouvrages  des  poètes  provençaux,  il  est  très-souvent  ]>arlé 

du  bon  Raymond,  comte  de  Toulouse;  c'est  Raymond  V. 


P, 


'«/«^•«/«^«■•«< 


XII  SIECLE. 


GEOFROI, 

SOUS-PRIEUR  DE  SAINTE-BARBE; 

ET  GODEFROI, 

CHANOINE  RÉGULIER  DE  SAINT-VICTOR  DE  PARIS. 


(Quoique  tous  les  modernes,  à  <|gfciimencer  par  les  biblio- 
the'caires  de  Saint-Victor  qui  ont  ajouté  des  notes  au  fron- 
tispice des  ouvrages  manuscrits  duvictorin,  lui  donnent  la 
qualité  de  sous-prieur,  nous  ne  lui  donnons  que  celle  de  cha- 
noine, parce  que  ce  n'est  que  sous  ce  titre  qu'il  est  désigné 
dans  le  corps  des  anciens  manuscrits  que  nous  avons  sous 
les  yeux.  Si,  d'aj^rès  une  tradition  domestique,  on  a  pu  lui 
donner  la  qualité  de  sous  -  prieur,  c'est  que ,  dans  l'opinion 
que  nous  nous  sommes  formée  de  sa  personne,  un  chanoine 
nommé  Geofroi  ou  Godefroi  fut,  à  la  vérité,  Tong-femps  sous- 
prieur,  mais  non  à  Saint-Victor.  Cette  assertion  a  besoin  de 
quelques  développemens  dans  lesquels  nous  allons  entrer.  Ms.  cod.  s. 
Nous  ne  saurions  rien  sur  la  personne  de  cet  écrivain,  Vict.  olim»  14, 

•  ^     •        "  ■'â.'i'il  I  •  .  ^c'  loi  I  ;  mine 

si  lui-même  ne  nous  eut  nistruits  de  quelques  circonstances  i„  Bii,|/  j^ 
de  sa  vie  dans  un  prologue  qu'il  a  place  à  la  tête  de  son  738. 
grand  ouvrage,  inti  ulé  Microcosmus  ou  petit  Monde.  On  y 
voit  qu'avant  sa  retraite  à  Saint-Victor,  ce  savant  avait  en- 
seigne quelque  part,  et  qu'il  n'çtait  plus  jeune  lorsqu'il  prit 
ce  parti,  veteranus.  Comme  ses  amis,  et  sur-tout  ses  élèves, 
lui  reprochaient  d'avoir  préféré  le  repos  au  travail ,  et  d'a- 
voir enfoui  dans  l'obscurité  d'une  solitude  oisive  les  talens 
que  Dieu  lui  avait  donnés  pour  l'utilité  du  prochain ,  il 
répond  à  ces  plaintes  dans  son  prplogue,  et  encore  mieux 
par  l'ouvrage  même  qu'il  leur  adresse.  Il  les  prie  de  se  sou- 
venir que,  s'il  avait  reçu  de  Dieu  quelque  talent,  il  en  avait 
fait  usage  pendant  plusieurs  années  pour  leitr  utilité,  soit 

{)ar  des  instructions  verbales,  soit  par  des  écrits,  soit  en 
eur  donnant  l'exemple  du  travail  :  Non  reminiscentes  quàm 
diligenter  aUquando  pecuniam  domini  mei^  si  qua  apud  me 
erat^  eis  erogaverim^  nunc  verbo^  nunc  sciipto^  niinc  exem- 


no         GEOFROI,  SOUS-PRIEUR  DE  S»*- BARBE, 

XIl  SIECLE.        7-     •     ^  ^  7,  •      ,        •  V-  ■     rn-  ^ 

plis  mstans^  et  cum  muLta  corpons  et  spintus  mei  afjiictione 

pluribus  annis  hœc  actitans.  Il  ajoute  que,  pour  récom- 
pense de  tant  de  travaux ,  il  n'avait  recueilli  que  des  perse-  , 
cutions,  jusque-là  qu'on  avait  attenté  à  sa  vie,. et  que  c'était 
ce  qui  l'avait  déterminé  à  s'ensevelir  dans  la  solitude  :  Ciim- 
que  his  omnibus  modis  diu  multùmque  institerim^  ipsi  me- 
lius  noverunt  quales  exinde  usuras  domino  meo  reportaturus 
acceperim ,  trihulationes  mdelicet  et  dolores  quitus  apud 
eos  multipliciter  trihulatus  sum,  ita  ut  sanguinem  meum 
ebiberint  et  medullas  arefecerint,  in  nullo  tamen  apud  eos 
()u(lin.   de  accusante  me  conscientid. 

Scnpi.  ecci.  t.       Casimir  Oudin ,  qui  avait  lu  ce  prologue ,  en  conclut  que 

II,COl.l566.       r>       c      •  -^  '-^     /JL      •  ^^  •     ■  '..'     A      \' 

Geoiroi  avait  enseigne  w^ans ,  et  son  opinion  a  ete  adoptée 
par  tous  ceux  qui  ont  eu  occasion  de  parler  de  ce  profes- 
seur. Quant  à  nous ,  nous  n'y  voyons  rien  qui  désigne  Paris 
plutôt  qu'un  autre  lieu;  l'auteur  dit  même  que  ceux  aux- 
quels il  adresse  son  livre  demeuraient  loin  de  lui  :  Quia  tibi 
pigri  servi  nota  impingitur,  eo  quod  secedens  ad  heremum 
nunc  ohmutuisti ,  et  humilitatus  es  et  siluisti  a  bonis,  hoc 
tibi  restât  ut  pecuniam  meam  (c'est  Dieu  qu'il  fait  parler) 
quam  non  potes  verbo ,  scripto  et  exemplo  eroges  /lis  qui 
longe  sunt.  Résidant  à  Saint -Victor,  l'auteur  aurait -il  dit 
qu'il  était  éloigné  d'eux  s'il  eût  enseigné  à  Paris  7  Cette  cir- 
constance nous  autorise  à  abandonner  l'opinion  d'Oudin,  et 
à  chercher  ailleurs  le  théâtre  de  l'enseignement  de  ce  pro- 
fesseur. Nous  croyons  devoir  le  placer  à  Sainte-Barbe,  dans 
MartAnecd.  le  pays  d'Ai|e  en  Normandie  :  et  voici  nos  raisons, 
t.i,  col.  A94-  jo  D,  Martene  a  pubUé  cinquante-deux  lettres  de  Geo- 
■^  ■'■  froi  (i)  surnommé  de  Breteuil,  sous -prieur  des  chanoines 

réguliers  de  Sainte-Barbe.  Cette  maison  suivait  la  réforme  de 
Saint-Victor,  comme  celle  de  la  ville  d'Eu,  qui  l'avait  peuplée, 
et  nous  voyons  qu'une  assemblée  ayant  été  tenue,  vers  l'an 
1 1^41  ^  Paris,  relativement  aux  malversations  d'Ervise,  abbé 
Mart.  ibid.  de  Saint-Victor,  le  sous-prieur  de  Sainte-Barbe  fut  obligé 
col.  517.  de  s'y  trouver  :  Traxit  me  intérim  ad  concilium  quod  Parv- 

siis  celebrabatur,  cujusdam  abbatis  necessarii  mei  dura  ne- 

(i)  Si  l'on  nous  oppose  que  le  chanoine  de  Saint-Victor  s'appelait  Gode- 
froi,  et  non   Geofroi,  nous  dirons  que,  dans  cinquante-deux  lettres,  le 
sous-prieur  de  Sainte-Barbe  n'est  désigné  cinquante-deux  fois  que  par  la 
lettre  initiale   G.  qu'on  peut  rendre  aussi  bien  par  God'efridus  que  par 
/  Gaufridus.  D'ailleurs  ces  deux  noms  s'employaient  assez  souvent  l'un  pour 

l'autre. 


XII  SIECLE. 


ET  GODEFROI,  CHANOINE  DE  S.-VICTOR.       71 

cessitas.  On  peut  donc  supposer  que  Geofrpi ,  ayant  éprouvé 
à  S'«-Barbe  les  tracasseries  dont  le  chanoine  de  Saint-Victor 
se  plaint,  avait  choisi  pour  sa  retraite  la  maison  de  Saint- 
Victor,  chef-lieu  de  son  ordre.  S'il  appelle  cette  maison  un 
désert,  une  solitude,  c'est  qu'elle  n était  pas  alors  comme 
aujourd'hui  un  faubourg  de  Paris,  non  plus  que  Saint- 
Martin -des -Champs,  ni  Saint  -  Germain  -  des  -  Prés  •:  tout 
comme  nous  appelons  encore  un  ermitage,  une  solitude,  le 
Mont-Valérien ,  qui  est  aux  portes  de  Paris. 

2<>  Les  lettres  que  nous  avons  du  sous-prieur  de  Sainte- 
Barbe  furent  écrites  pendant  les  années  iiyS  et  1174.  C'est 
vers  le  même  temps,  ou  peu  après,  qu'il  y  eut  à  Sainte- 
Barbe  des  dissensions  qui  forcèrent  le  prieur  de  la  maison 
à  quitter  ce  poste  pour  entrer  dans  une  maison  de  Pré- 
montrés du  voisinage.  D.  Martène  a  publié  la  lettre  dans  Mart.  Ampi. 
laquelle  ce  prieur  anonyme  épanche  son  cœur  dans  celui  Collect.  1. 1,  col. 
de  ses  amis  qui  lui  restaient  à  Sainte-Barbe,  à  la  tête  des- 
quels on  voit  un  Gaa,  (^ui  vraisemblablement  n'est  autre 
que  notre  Gaufridus.  Il  y  a  toute  apparence  que  les  mêmes 
troubles  forcèrent  aussi  le  sous -prieur  à  s'éloigner  de  la 
maison. 

3*^  L'auteur  du  Microcosme  dit  qu'il  avait  enseigné  long- 
temps, et  qu'il  avait  composé  des  ouvrages  pour  l'instruc- 
tion de  ses  élèves.  Ceci  convient  pareillement  au  sous-prieur 
de  Sainte-Barbe,  qui  parle  dans  ses  lettres  de  quelques 
écrits  de  sa  composition. 

4**  Le  sous -prieur  de  Sainte -Barbe  avait  tant  de  govit 
pour  la  versification ,  qu'il  termine  presque  toutes  ses  lettres 
par  une  petite  pièce  de  vers  de  sa  façon.  C'est  encore  un 
trait  de  ressemblance  qu'on  peut  remarquer  entre  lui  et  le 
chanoine  de  Saint-Victor,  dont  les  écrits  sont,  les  uns  en 
prose ,  et  les  autres  en  vers.  Celui  qui  a  pour  titre  Fons  phi- 
losophiœ ,  dans  lequel  l'auteur  ne  prend  d'autre  titre  que 
celui  de  G.  quidam  pauper  Christi,  est  écrit  en  vers,  et  dé- 
dié à  Etienne,  abbé  de  Sainte -Geneviève,  qui  passa  de  l'ab- 
baye de  Saint-Euverte  d'Orléans  à  celle  de  oainte-Geneviève 
l'an  1 1 76. 

5°  Cette  circonstance  de  temps  s'accorde  encore  avec 
l'époque  par  nous  assignée  à  la  transmigration  du  sous- 
prieur  Geofroi  de  Sainte-Barbe  à  Saint- Victor;  mais  comme 
Etienne  gouverna  l'abbaye  de  Sainte -Geneviève  jusqu'en 
l'an  1 191  ,  qu'il  fut  fait  évêque  de  Tournai,  on  peut  retar^ 


72        GEOFROI,  SOUS-PRIEUR  DE  St«-BARBE, 

'. L  der  la  pul)lication  du  Fons  philosovhiœ  jusqu'à  cette  der- 
nière époque,  et  supposer  que  Geoiroi  vécut  même  au-delà. 
Oudin.  ibid.  En  effet,  Jean  de  Toulouse,  dans  les  Annales  manuscrites 

*^°*^  ■  .  de  Saint -Victor,  rapporte  une  charte  de  l'an  1194,  sous- 
crite après  les  signatures  de  l'abbé  Robert ,  du  prieur  An- 
selme ,  du-  sous-prieur  Guillaume ,  par  Godefroi ,  sacristain  : 
d'où  l'annaliste  conclut  que  Godefroi  s'était  démis  alors  de 
la  charge  de  sous-prieur. 

Mais,  comme  nous  l'avons  dit,  rien  ne  prouve  que  l'au- 
teur du  Microcosinus  ait  été  sous-prieur  à  Saint- Victor  ;  il 
ne  prend  ce  titre  nulle  part.  Si  la  tradition  de  la  maison  le 
Mart.Anecd.  lui  a  conservé ,  c'est  que,  selon  notre  opinion,  il  l'avait  été 

1. 1, col. 548.  ^  Sainte-Barbe.  Nous  savons  par  une  lettre  du  sous-prieur 
de  Sainte-Barbe,  que  celui  qui  remplissait  ce  poste  à  Saint- 
Victor,  vers  l'an  1174»  s'appelait  Nicolas,  et  nous  venons 
de  voir  qu'en  iiq4i  c'était  le  sous-prieur  Guillaume.  Par 
toutes  ces  considérations,  nous  nous  croyons  fondés  à  ne 
faire  du  sous -prieur  de  Sainte -Barbe  et  du  chanoine  de 
Saint- Victor,  qu'un  seul  et  même  personnage.  Cependant, 
par  déférence  pour  ceux  qui  penseraient  autrement  que 
nous,  nous  traiterons  séparément  des  écrits  de  l'un  et  de 
l'antre,  en  commençant  par  ceux  du  sous-prieur  de  Sainte- 
Barbe.  . 
Gall.  Christ.       Les   auteurs  du  Gallia   christiana  avancent,  mais  sans 

t. VII, col. 712.  preuves,  que  Geofroi,  sous-prieur  de  Sainte-Barbe,  fut  un 
des  douze  Victorins  qui,  l'an  ii48,  mirent  la  réforme  à 
Sainte -Geneviève.  Us  ne  sont  pas  mieux  fondés  lorsqu'ils 

ié/if.  col.  726.  disent  que  l'auteur  du  Microcosmus,  après  avoir  été  sous- 

f)rieur  à  Saint-Victor,  devint  prieur  à  Sainte-Geneviève  sous 
'abbé  Etienne.  Ils  ajoutent  qu'il  vécut  au-delà  de  l'an  1200. 
Cela  est  possible,  mais  cela  aurait  besoin  d'être  prouvé. 
Quoi  qu'il  en  soit,  voici  son  épitaphe,  que  nous  trouvons 
sous  la  couverture  du  manuscrit  contenant  le  Fons  philoso- 
phice,  et  qui  vraisemblablement  est  de  la  composition  de 
l'auteur  lui-même  : 

Gleha  soporati  jacet  hic  aniinœ  Godefridi, 

Ordine  quœ  proprio  restituetur  ei, 
Donari  requiem,  pie  lector  carminis  hujus , 

Eluctœ  rogita,  dum  cineratur  ea. 
Fortius  Iwc  ora,  quo  posfquam  venerit  hora 

Restituendorum ,  gtorificetur  ea. 


XU  SIECLE. 


ET  GODEFROI,  CHANOINE  DE  S.-VICTOR.      73 

Inter  eos  quorum  sunt  corpora  glorificanda , 

Die  orans  :  Caro  sit  glorifîcata  tua. 
Utrcique  felici  de  sic  insint  sibi  nexu , 

Sicut  principiis  fus  Godefridas  inest.  Amen, 

Le  sens  du  dernier  vers  est  qu'on  trouvera  le  nom  de 
l'auteur,  et  le  mot  Godefridm,  dans  les  premières  lettres  des 
dix  vers  qiii  composent  son  e'pitaphe. 

§.  I. 

ÉCRITS  DE  GEOFROI,  SOUS-PRIEUR  DE  SAINTE-BARBE.      . 

Nous  avons,  du  sous-prieur  de  Sainte-Barbe,  cinquante-     Mart.  Anecd. 
deux  lettres  qui  ont  été  publiées  par  D.  Martène,  sur  un  \h'^^^'  '*^''~ 
manuscrit  de  l'abbaye  de  Lyre  en  Normandie.  Sa  corres- 
pondance la  plus  active  fut  avec  Jean,  abbé  de  Baugerais  (i) 
en  Touraine,  dont  Geofroi  nous  a  conservé  cinq  lettres. 
L'abbé  Jean  lui  expose,  dans  la  première  lettre,  la  frayeur    /6<v/.  col.  495. 
qu'il  éprouve  de  se  voir  à  la  tête  d'une  communauté.  Geo- 
froi lui  répond  pour  l'encourager;  et  il  félicite  sa  commu- 
nauté, qu'il  appelle  notre  'vigne ,  parce  qu'il  l'avait  cultivée 
lui-même  auparavant,  d'avoir  à  sa  tête  un  tel   vigneron. 
C'est  l'objet  des  deuxième ,  troisième  et  quatrième   lettres , 
qui  doivent  être  de  l'an  iiyS,  époque  de  l'introduction  des 
cisterciens  à  Baugerais. 

L'abbé  Jean  s'était  proposé  de  faire  un  voyage  à  Sainte- 
Barbe  ;  mais  il  en  fut  empêché  par  les  troubles  qu'excita  en 
Normandie,  l'an  1173,  la  guerre  du  roi  de  France  contre 
celui  d'Angleterre.  C'est  ce  qui  donna  lieu  à  la  cinquième 
lettre  de  Geofroi ,  et  à  la  sixième ,  qui  est  de  l'abbé  Jean.  La 
dixième,  écrite  à  Geofroi  par  un  chapelain  de  l'évêque  de 
Worchester,  est  relative  à  la  même  guerre ,  dont  on  annonce 
la  cessation  en  1174- 

(i)  L'église  de  Baugerais  [Baugeseiam) ,  près  de  Loches,  avait  appar- 
tenu aux  chanoines  réguhers  de  Sainte-Barbe,  et  il  paraît,  par  la  lettre 
17  de  Geofroi,  qu'il  y  avait  fait  sa  demeure j  mais,  l'an  1173,  selon  l'an- 
rien  Gallia  Christiana ,  t.  IV,  p.  i34,  Henri  II,  roi  d'Angleterre,  sou- 
verain de  la  Touraine,  donna  cette  maison  à  l'ordre  de  Cîteaux,  sous  la 
dépendance  de  l'abbaye  de  Loroux  [de  Oratorio),  qui  la  peupla  de  ses 
religieux.  De  là  les  rapports  qui  existaient  entre  les  chanoines  réguliers 
de  Sainte -Barbe  et  les  cisterciens,  entre  le  sous -prieur  Geofroi  et  l'abbé 
Je  Baugerais. 

Tome  XF.  K 


74        GEOFROI,  SOUS -PRIEUR  DE  8»^- BARBE, 

-  Dans  la  septième,  Geofroi  propose  à  l'abbé  de  Baugerais 

ibid.  col.  5oi.  d'acheter  une  bibliothèque  qui-etait  à  vendre  à  Caen.  Cette 
acquisition  était  importante  pour  urt  nouvel  établissement, 
mais  les  fonds  manquaient.   Geofroi ,  dans  la   lettre  dix- 
ibid.  co].  Sio.  huitième,  s'a4resse  à  un  certain  pierre  Mangot,  qui  avait 
déjà  beaucoup  contribué  à  l'établissement  des  cisterciens 
à  Baugerais;  il  lui  représente  que,  pour  compléter  son  ou- 
vrage, il  est  essentiel  de  leur  procurer  une  bibliothèque, 
parce  qu'un  monastère  dépourvu  de  livres  ressemble,  dit-il, 
a  un  cnâteau  fort  sans  munitions  :  Claustrum  sine  armario 
quasi  castrum  sine  armamentario.  Enfin  tout  s'arrange  pour 
nid.  coï.  5i4.  le  mieux,  et  l'abbé  Jean  écrit  à  son  ami  qu'il  peut  arrêter  la 
bibliothèque  pour  son  compte  avant  quelle  soit  vendue  à 
V  un  autre.  C'est  l'objet  de  la  lettre  vingt-unième, 

it/rf.  col,  5o8.  La  seizième  est  encore  de  l'abbé  de  Baugerais,  pour  se 
plaindre  que  Geofroi  s'était  refroidi  à  son  égard ,  parce  qu'il 
avait  été  long-temps  sans  lui  écrire.  Celui-ci  proteste  clans 
la  suivante  qu'il  n'en  est  rien,  et  qu'il  aurait  grand  tort  de 
ne  pas  aimer  une  communauté  pour  laquelle  il  s'était  donné 
tant  de  mouvemens  auprès  du  roi  d'Angleterre,  jusqu'à  en- 
courir les  reproches  de  certaines  gens  qui  pensaient  sur 
cela  autrement  que  lui. 
7i«/.  col.  5i3.  La  letti'e  vingt- deuxième  de  Geofroi  et  la  réponse  de 
l'abbé  Jean ,  ne  contiennent  que  des  pensées  pieuses  sur  le 
bonheur  d'une  sainte  mort. 

L'abbé  Jean,  dans  la  lettre  vingt -unième,  avait  annoncé 
à  son  ami  le  désir  qu'il  avait  d'aller  le  voir  à  Sainte -Barbe 
au  retour  du  chapitre  de  Cîteaux.  Geofroi  l'attendait  avec 
une  vive  impatience;  mais  ne  le  voyant  pas  arriver  avec  les 
autres  abbés  de  Normandie,  il  s'était  rendu  à  Paris,  à  l'in- 
vitation d'un  abbé  de  son  ordre,  pour  assister  à  un  concile 
devant  lequel  devait  comparaître  cet  abbé.  Nous  ne  con- 
naissons pas   ce  concile  de  Paris;  mais  nous  savons  que, 
vers  le  même  temps,  Ervise,  abbé  de  Saint-Victor,  fut  re- 
cherché pour  avoir  enlevé  du  trésor,  lors  de  sa  déposition , 
un  dépôt  d'argent  et  d'autres  objets  précieux.  Sur  quoi  on 
Mart.  Ampl.  peut  voir  les  lettres  du  cardinal  Albert,  du  titre  de  Saint- 
Coiiect.  t.  VI,  Laurent  in  Lucina,  de  Guillaume,  archevêque  de  Sens,  à 
roi.  î52-26o.   jijjypjfjg^  évêque  de  Paris,  et  autres  lettres  qui  ont  été  im- 

Îïrimées  par  D.  Martène.  Quoi  qu'il  en  soit,  ce  fut  pendant 
'absence  de  Geofîroi  que  l'abbé  de  Baugerais  alla  le  trouver 
Mart.Anecd.  à  Sainte-Barbe.  Geofroi,  dans  les  lettres  vingt-quatrième  et 

col.  617. 


ET  GODEFROI,  CHAN0;NE  DE  S.-VICTOR.      ^5 
vingt -cinquième,   lui    témoigne   le   regret   qu'il   a    d'avoir    ^"  SIECLE. 
manque'  sa  visite,  et  rend  compte  de  ce  que  nous  venons  de 
dire. 

Geofroi  était  lié  d'une  étroite  amitié  avec  le  bienheureux 
Hamon  de  I^ndacop,  moine  deSavigni,  qui,  au  rapport  de 
Robert  du  Mont  dans  sa  Chronique,  était  agréable  à  Dieu 
et  aux  hommes  par  sa  sainteté  et  sa  grande  charité  envers 
les  pauvres.  Ils  travaillèrent  de  concert  à  la  réforme  de  Bsiu- 
gerais,  et  il  ne  fallut  pas  moins  que  la  recommandation  du 
saint  homme  auprès  de  Henri  II,  roi  d'Angleterre,  pour 
faire  réussir  cette  affaire.  C'est  ce  que  dit  Geofroi  dans  sa 
lettre  vingt -huitième  aux  religieux  de  Rangerais.  Hamon  /*«/.  col.  5î». 
mourut  l'an  ii74i  et  en  mourant  il  avait  légué  son  mani- 

{)ule  et  son  étole  à  son  ami  Geofroi.  Celui-ci  garda  pour  lui 
e  manipule  comme  un  trésor  précieux,  ut  Crœsi  opes  ha- 
bere  me  credam,  dit -il;  et  il  envoya  l'étole,  avec  d'autres 
reliques  qu'il  tenait  de  Hamon ,  aux  religieux  de  Rangerais , 
le  tout  accompagné  d'un  écrit  qui  contenait  la  relation  de 
sa  vie  et  de  sa  mort  :  écrit  qui  ne  se  trouve  plus,  et  qui 
vraisemblablement  était  l'ouvrage  de  Geofroi. 

La  lettre  suivante,  vingt  -  neuvième ,  est  adressée  à  l'abbé  7foVf.  col.Sii. 
Jean.  Geofroi  annonce  à  son  ami  le  désir  qu'il  aurait  de 
l'aller  voir,  si  ses  affaires  le  lui  permettaient.  Comme  il  se 
mêlait  un  peu  de  poésie,  il  lui  envoie  trois  pièces  de  vers 
très-spirituelles,  ludos  de pastorïbus,  de  digitis,  de  picturis, 
afin,  dit-jl,  que  vous  appreniez  à  vous  jouer  agréablement 
dans  le  champ  des  écritures,  et  à  trouver  dans  les  plus  pe- 
tites choses  des  conceptions  sublimes.  Dans  la  lettre  qua- 
rante-quatrième, il  se  dit  auteur  de  quelques  cantiques  ou 
épithalames  qu'il  avait  composés  pour  un  de  ses  amis  ap-  ' 

pelé  Augustin  :  De  cetera  illa  amatoria,  illa  epithalamica 
cantica,  et  ad  contemplationem  commonitoria ,  quce  vestro 
nomini  consecravi ,  vohis  dicitis  profuisse.  C'est  dommage 
que  de  si  belles  choses  ne  soient  pas  venues  jusqu'à  nous. 

Nous  n'avons  plus  de  lettres  de  l'abbé  Jean  depuis  la 
vingt-troisième;  mais  les  trente-cinquième,  quarantième  et 
quarante-huitième,  lui  sont  encore  adressées.  Elles  ne  con- 
tiennent que  des  protestations  d'amitié  et  des  complimens, 
sur-tout  la  dernière,  dans  laquelle  Geofroi  dit  à  son  ami  /Wrf.  col.  54g. 
qu'il  a  le  talent  d'instruire  comme  saint  Jérôme,  de  prouver 
comme  saint  Augustin,  de  s'élever  comme  saint  Kilaire,  de 
se  rabaisser  comme  saint  Jean-Chrysostôme ,  de  reprendre. 


7^  GEOFROI,  SOUS-PRIEUR  DE  S^^-BARBE, 
XIT  SIECLE,  comme  saint  Basile,  de  consoler  comme  saint  Grégoire,  de 
presser  comme  Rufin ,  d'encourager  comme  saint  Eucher, 
de  provoquer  comme  saint  Paulin ,  et  de  ne  pas  se  rebuter 
comme  saint  Ambroise.  Cela  prouve  au  moins  que  Geofroi 
connaissait  les  pères  de  1  église,  même  les  pères  grecs,  et  ce 
qui  les  caractérise  ;  car  nous  ne  voyons  pas  que  ce  qui  nous 
reste  de  l'abbé  Jean  mérite  un  si  bel  éloge. 

Geofroi  avait  envoyé  à  Roger,  autrefois  prieur  de  Saint- 
Abraham,  diocèse  de  Saint-Malo ,  un  ouvrage  de  sa  compo- 
sition ,  de  videndo  Deo.  Roger  l'en  remercie  dans  la  lettre 
ibid.  col.  5i8.  vingt-sixième,  et  reconnaît  que  l'auteur  a  traité  cette  matière 
à  la  manière  de  saint  Augustin ,  Augustinaliter;  que  tout  y 
est  exact ,  écrit  avec  élégance  et  une  grande  pureté  de  style. 
Geofroi,  dans  la  lettre  vingt-septième,  rejette  modestement 
ces  éloges,  qu'il  ne  croit  pas  mériter;  il  dit  qu'un  plaisant 
qui  connaîtrait  son  livre,  et  qui  lirait  la  lettre  obligeante  de 
Roger,  ne  manquerait  pas  de  faire  la  cicogne  derrière  lui: 
Post  tergum  meum  manum  convertet  in  ciconiam.  De  son 
côté,  il  exhorte  son  ami  à  continuer  un  ouvrage  qu'il  avait 
entrepris ,  persuadé  qu'il  ne  pouvait  sortir  de  sa  plume  rien 
que  de  bon  et  d'admirable.  Si  ces  ouvrages  existent  quelque 
part,  on  pourra  les  reconnaître  au  portrait  que  nous  en  fai- 
sons ici;  et  s'ils  sont  anonymes,  nous  nous  applaudirons  d'en 
avoir  signalé  les  auteurs. 

Geofroi  était  lié  d'amitié  avec  le  préchantre  de  l'abbaye 
ibùi.  col.  592.  de  Troarn ,  désigné  par  la  lettre  R.  Ne  pouvant  communi- 

3uer  avec  lui  aussi  souvent  qu'il  l'aurait  désiré,  il  le  priait, 
ans  la  lettre  trentième,  de  lui  composer  un  cantique,  can- 
tando  niihi  aliquid  favorahile  de  canticis  Syon.  Le  chantre 
lui  répond  par  une  longue  lettre  bien  triste,  bien  sérieuse, 
sur  les  misères  de  ce  monde.  Nous  trouvons  dans  la  lettre 
de  Geofroi  ini  trait  singulier  qui  mérite  d'être  recueilli  :  c'est 
que  nous  sommes  redevables  aux  grues  de  l'invention  ou  du 
moins  de  l'idée  de  l'alphabet.  Mercure,  selon  lui,  ayant  ob- 
servé les  différentes  formes  régulières  que  prenaient  entre 
eux  dans  leur  vol  audacieux  ces  oiseaux  attroupés  pour 
faire  de  longs  voyages,  imagina  qu'en  représentant  ces 
formes  par  des  figures  semblables,  il  élèverait  la  pensée  de 
l'homme  jusqu'aux  plus  hautes  conceptions  :  et  l'auteur  cite 
pour  son  garant  Cassiodore.  Voici  le  texte  :  Litteras  primùrn, 
lU  scribit  Cassiodorus,  et  ut frequentior  trcidit  opinio ,  Mer- 
curius'f  multarum  repertor  artiuni,   volatu  strymoniarum 


ET  GODEFROI,  CHANOINE  DE  S.-VICTOR.  77 
aviitm  collegisse  memoratur.  Nam  et  hodie  grues ,  inquit ,  "  '^^^'"^-^- 
quœ  classe  consociantur,  alphaheti  formas  naturd  imbuente 
describunt  :  queni  in  ordincni  décorum  redigens ,  vocalibus 
consonantïbus  congruenter  admixtis ,  viam  sensiialem  re- 
perit ,  per  quant  alta  petens,  ad penetralia  prudentice  mens 
posset  velocissima  peivenire. 

Les  lettres  trente-troisième,  quarante-unième,  quarante- 
troisième,  quarante-sixième,  quarante-neuvième,  sont  adres- 
sées à  Hugues,  prieur  de  Saint-Martin-de-Seez,  jeune  homme 
qui  avait  entrepris  de  composer  la  vie  d'un  saint  person-        * 
nage,  qui  n'est  désigné  que  par  les  lettres  ff^al.  ou  par  la    /ètV/. col.  54a. 
lettre  initiale  fV.^  qui  même  était   encore  vivant  selon  la 
lettre  quarante-deuxième  écrite  par  le  prieur  Hugues.  L'édi- 
teur suppose  qu'il  s'agit  là  de  Gautier  de  Mortagne,  évéque 
de  Laon,  mort  en  11 J^-,  parce  que  Mortagne  au  Perche  n  est 
pas  loin  de  Seez.  Mais   l'évéque  de  Laon  était  né,  non  à 
Mortagne  au  Perche,  mais  à  Mortagne  en  Tournesis.  Quoi 
qu'il  en  soit  du  personnage,  Geofroi  exhorte  le  prjeur  de    jbid. col.  550. 
Seez  à  continuer  cet  ouvrage,  qui  doit  lui  faire  beaucoup 
d'honneur,  parce  que  la  matière  est  abondante,  remplie  de 
nectar,  de  fleurs  et  de  perles.  C'est  urj  sujet  beau  et  agréable 
à  traiter,  resplendissant  comme  l'écarlate,  brillant  comme 
l'or,  égalant  pour  la  délicatesse  la  toile  la  plus  fine.  Copiosa 
est  materia ,  plena   Hectares,  florum,   margaritarurn ;  jo- 
cunda  est  et  illustris ,  Jlammea  cocco ,  rutilans  auro,  lactea 
hyssino.  Le  prieur  de  Seez  eût  bien  désiré  que  Geofroi  se 
chargeât  de  la  continuation  de  cet  ouvrage;  mais  il  s'en 
défend,  parce  que  ce  serait,  dit-il,  gâter  un  si  beau  sujet    yéjVf.  col.  543. 
par  la  disparate  du  style,  ne  croyant  pas  le  sien  assez  relevé 
pour  atteindre  à  cette  hauteur  :  Respondeo  quod  indecens 
mihi  videtur  ut  tam  illustrem  matericm  styii  diversitate  con- 
fundam;  sed  et  supra  imbecillitatis  meœ.  vires  istud  esse 
perpendo  negotium.  Nous  sommes  fâchés  de  ne  connaître  ni 
cet  ouvrage,  s'il  existe,  ni  celui  qui  en  est  le  sujet. 

En  général  les  lettres  de  Geofroi  nous  font  connaître  plu- 
sieurs littérateurs,  inconnus  d'ailleurs,  avec  lesquel  il  était 
en  relation.  De  ce  nombre  est  un  certain  maître  Pf^.  sur- 
nommé Tuobe,  qui  avait  demeuré  non  loin  de  Sainte-Barbe, 
bien  connu,  dit-il,  par  un  ouvrage  qui  l'avait  mis  en  répu- 
tation et  lui  faisait  beaucoup  d'honneur  :  Bene ,  ut  arbitror 
de  illo  audistis  loqui ,  quii;i  splendor  operis  et  odor  opinionis 
m  ejiis  gloria  conv^nientes  illum  notissimum  reddiderunt.  U  . 


XII  SIECLK. 


78        GEOFROI,  SOUS-PRIEUR  DE  S'«-BARBE, 

rapporte  de  lui,  dans  la  lettre  douzième,  un  trait  satirique 
ibid.  col.  5o3.  contre  les  moines,  qui  lui  donne  quelque  conformité  avec  le 
génie  de  Biunellus-Nigelli,  auteur  d'un  écrit  fameux  contre 
les  moines,  ayant  pour  titre  :  Asinus  sive  spéculum  stultoruni. 
Ce  livre  est  dédie  fratri  Guitlelmo ,  qui  n'est  peut-être  pas 
différent  de  maître  ff^.  surnommé  Tuobe.  Au  moins  est-il 
certain  que  ces  deux  auteurs  étaient  contemporains.  Quoi- 
qu'il en  soit,  voici  le  fait.  Quelqu'un  était  venu  faire  part  à 
Tuobe  du  dessein  qu'il  avait  d'entrer  en  religion.  Dans  ce 
cas-là,  'répondit  Tuobe,  voici  ce  que  vous  avez  à  faire  pour 
être  un  bon  moine  :  ne  faites  usage  ni  de  vos  oreilles  ni  de 
vos  yeux  ;  laissez-vous  conduire  comme  un  baudet  ;  mangez 
tranquillement  votre  prébende.  Alors  vous  pourrez  chanter 
ce  verset  du  psaume  :  Me  voilà  comme  une  monture  à  votre 
disposition.  Non  audias^  non  videas,  asini  morem  habeas ; 
HEz  hue,  HEz  illuc ^  comede  prœbendaiu  tuain.  Ita  cantare 
poteris  :  Ut  jumentum  factus  sum  apud  te.  Geoffroi  était  zélé 
pour  l'avancement  de  la  science  ecclésiastique  ;  il  prêche  par- 
tout l'étude  et  l'application.  Une  chose  remarquable  dans 
ces  lettres,  c'est  qu'elles  finissent  presque  toutes  par  des 
sentences  en  vers  relatives  aux  matières  qui  y  sont  traitées. 

§.  II. 

ÉCRITS   DE   GODEFROI,  CHANOINE   DE  SAINT-VICTOR. 

Les  compositions  de  Godefroi ,  chanoine  de  Saint- Victor, 
roulent  sur  la  théologie  et  la  philosophie,  les  unes  en  vers, 
les  autres  en  prose,  et  n'ont  jamais  été  imprimées.  r 

1°  Le  livre  intitulé  Microcosmus  ou  le  petit  monde.  L'objet 
de  cette  production  est  l'homme  considéré  comme  le  monde 
en  raccourci.  C'est  proprement  un  commentaire  allégorique 
du  premier  chapitre  de  la  Genèse;  l'ouvrage  des  six  jours 
est  pour  ainsi  dire  le  canevas  sur  lequel  l'auteur  broche, 
toujours  en  allégorisant.  Il  observe  que  les  philosophes, 
aussi-bien  que  les  théologiens,  s'accordent  à  regarder,  sous 
différens  rapports,  l'homme  comme  un  petit  monde.  En 
effet,  dit-il,  comme  le  monde  est  composé  de  quatre  élé- 
mens,  de  même  l'homme  est  doué  de  quatre  facultés,  qui 
sont  la  partie  sensitive,  l'imagination,  la  raison,  et  l'intelli- 
gence. Tout  comme  au  premier  jour  Dieu  créa  le  ciel  et  la 
terre,  de  même  en  créant  l'homme,  Dieu  le  rendit  capable 


Xil  SIECLK. 


ET  GODEFROI,  CHANOINE  DE  S.-VICTOR.      79 

de  comprendre  les  choses  terrestres  et  célestes.  Cest  en  fai- 

sant  ces  comparaisons  et  ces  rapprochemens  que  l'auteur 
parcourt  tous  les  versets  de  l'Exameron  de  Moïse. 

Cet  ouvrage  est  divisé  en  trois  livres.  Dans  le  premier, 
on  parcourt  les  trois  premiers  jours  de  la  cre'ation,  aux- 
quels on  rapporte  les  facultés  naturelles  de  l'homme,  et 
leurs  effets,  qui  sont  les  arts  mécaniques  et  libéraux,  dont 
on  donne  une  assez  ample  description.  Le  second  roule  sur 
les  qualités  morales  de  l'homme,  combinées  avec  le  détail 
de  l'œuvre  du  quatrième  et  cinquième  jour.  La  charité,  avec 
les  différentes  formes  qu'elle  prend  dans  les  différentes 
vertus  qu'elle  anime ,  fait  la  matière  du  dernier  livre.  C'est  à 
quoi  se  réduit  en  précis  la  substance  de  cet  écrit  où  règne 
une  mysticité  souvent  très-alambiquée.  On  y  reconnaît  fa- 
cilement le  goût  dominant  des  théologiens  du  XII*'  siècle 
Four  les  allégories,  les  tropologies  ou  les  sens  figurés  dans 
interpi'étation  des  auteurs  sacrés. 
Cet  ouvrage  existait  dans  deux  anciens  manuscrits  de  la 
bibliothèque  de  Saint- Victor,  cotés  loii  et  1199.  Ils  sont 
aujourd'hui  à  la  bibliothèque  royale  sous  les  n°*  783  et  913. 
Dans  l'un  et  dans  l'autre,  on  ht,  en  lettres  rouges,  après  le 
prologue  dont  nous  avons  parlé ,  Microcosmus  Godefridi 
canonici  Sancti -  Vwtoris  Parùiensis  ;  et  le  premier  livre 
commence  par  ces  mots  :  Mundi  nomine  plerumque  homi- 
ncm  appellari  tant  philosophas  quàm  theologus  testatur. 

qP  Ses  sermons.  Il  y  en  a  quatorze  dans  les  deux  manu- 
scrits dont  nous  venons  de  parler.  Ils  roulent  sur  les  princi- 
pales fêtes  de  l'année  depuis  le  premier  dimanche  de  l'avent 
jusqu'à  la  nativité  de  la  Sainte -Vierge.  Mais  il   est  évident 
qu'aucun  de  ces  manuscrits  n'est  complet  dans  cette  partie, 
et  qu'il  y  en  manque  au  moins  un,  puisque  l'auteur,  dans 
son   Microscome ,  renvoie   au  sermon  quil  avait  composé 
pour  la  fête  de  tous  les  Saints  :  Quœrat  (  lec^or)  libellwn 
sermonum  nostrorum,  et  in  eo  noi'issimum  sermonem  qui 
est  de  soleinnitate  omnium  Sanctonim.  Il  faut  donc  que  l'an- 
naliste de  Saint -Victor,  qui  en  compte  jusqu'à  trente-un,      Oudin.  dcS. 
ait  fait  une  somme  totale  des  sermons  contenus  dans  l'un  et  ^^Vj!  ^^  '  '^"'' 
l'autre  manuscrit,  quoique  ces  sermons  soient  les  mêmes.  Au 
moins  est-il  certain  qu  \\  n'en  existe  que  quinze  à  la  biblio- 
'thèque  royale,  en  comptant  pour  deux   le  premier  divisé 
en  deux  parties.  Quant  au  mérite  de  ces  sermons,  ils  n'ont 
rien  de  plus  remarquable  que  tant  d'autres  du  même  temps. 


XII  SIECLE. 


l 


80        GEOFROI,  SOUS-PRIEUR  DE  St^-BARBE, 

ui  ne  sont  que  de  froides  dissertations  sur  quelque  texte 

e  l'Ecriture-Sainte. 
3°  Fons philosophiœ.  Cet  écrit,  qui,  parmi  les  manuscrits 
de  la  bibliothèque  de  Saint -Victor,  était  coté  1198,  est 
aujourd'hui  à  la  bibliothèque  royale  sous  le  n°  912.  C'est 
un  ouvrage  d'une  composition  singulière ,  divisé  en  quatre 
livres,  dont  le  premier  est  en  prose  rimée  par  strophes  ou 
quatrains  ayant  une  même  désinence  :  les  autres  sont  en 
vers  élégiaques.  Dans  le  premier  livre,  l'auteur  nous  donne 
sur  les  difterentes  écoles  de  Paris  des  renseignemens  pré- 
cieux ,  qu'on  ne  trouve  nuTic  autre  part,  et  qu'il  est  de  notre 
devoir  de  recueillir.  L'ouvrage  est  dédié  à  Etienne ,  abbé  de 
S'e-Geneviève ,  qui,  comme  nous  l'avons  dit, fut  fait  évêque 
de  Tournai,  l'an  1191.  En  tête  de  l'épître  dédicatoire,  l'au- 
teur n'a  mis  que  la  première  lettre  de  son  nom ,  G.  quidam 
pauper  Christi ;  usage  fort  commun  en  ce  temps -là  parmi 
les  gens  de  lettres,  soit  en  parlant  d'eux-mêmes,  soit  en 
nommant  les  autres;  mais  usage  très-incommode  aujourd'hui 
pour  ceux  qui,  comme  nou?,  sont  obligés  de  lire  leurs  écrits. 
Cependant  on  a  mis  en  toutes  lettres,  à  la  mai'ge  du  titre, 
et  d'une  écriture  aussi  ancienne  que  le  manuscrit  qui  est  du 
XIP  siècle,  le  nom  de  l'auteur y>'a^m  Godefridi ,  canonici 
S.  Victoris  :  ce  qui  ne  laisse  aucun  doute  que  Godefroi  ne 
soit  le  véritable  auteur  de  l'ouvrage. 

Pour  donner  une  idée  de  la  facture  de  ses  rimes,  il  suf- 
fira de  transcrire  ici  et  de  figurer  en  même  temps  la  pre- 
mièi^e  strophe  du  premier  livre  : 

Noctis  crat  terminus  et  soporis  m 
Et  Jugabat  tenebras  nimtius  di 
Expergiscor ,  nescius  affuturce  r 
Sacris  ductus  monitis  et  instinctu  Dj 

Ce  début^  dont  nous  supprimons  la  suite ,  est  pour  dire 

3ue  l'auteur  va  parler  de  toutes  les  sciences  naturelles  et 
ivines.  Le  premier  livre  traite  en  effet  de  tous  ces  objets 
dont  on  repasse  quelques-uns  plus  en  détail  dans  les  livres 
suivans. 

On  commence  par  les  trois  premières  facultés  des  arts, 
connues  sous  le  nom  collectif  de  Trivium,  savoir,. la  gram- 
maire ,  la  dialectique  et  la  rhétorique  ,  qu'il  compare  à 
trois  grands  fleuves,  et  dont  on  retrace  asssez  bien  le  carac- 
tère. De  ces  trois  fleuves ,  dit  l'auteur,  le  premier  coule  len- 


ET  GODEFROI,  CHANOINE  DE  S.-VICTOR.      8i 

tement  et  sans  détour  dans  un  lit  étendu.  Son  eau  bien-  ^^^  SIECLE. 

faisante  donne  naissance  aux  tendres  arbrisseaux,  et  répand  La  Grammaire, 
la  fécondité  dans  les  terres  qu'elle  arrose  :         ^ 

Horum  primum  spargitnr  campo  latiore. 

Et  per  plana  labitur  via  rectiore  :  " 

Hoc  virgulta  tenera  siio  créât  rare, 

Hoc  fœcundat  alla  venâ  pleniore. 

Le  second  fleuve,  roulant  ses  eaux  dans  des  lieux  incon-  La  Dialectique, 
nus  ou  peu  fréquentés,  emporte  rochers,  bois,  et  tout  ce 
qui  s'oppose  à  son  cours.  Son  lit  est  étroit,  inégal,  et  plein 
de  sinuosités,  ce  qui  donne  à  ses  eaux  une  force  et  une  im- 
pétuosité à  laquelle  rien  ne  peut  résister  : 

At  secundum  transiens  loca  latebrosa , 
Rupes,  lucos,  invia  frangit  scrupulosa  : 
Hujus  -via  striction  et  anfractuosa , 
Hujus  aqua  Jortior  et  impetuosa. 

Le  troisième  se  promène  mollement  dans  une  prairie  La  Rhétorique, 
charmante,  dont  il  embellit  le  sien  de  l'émail  de  mille  fleurs. 
Ses  flots  vont  plus  loin  que  ceux  des  autres  fleuves.  Sa  mar- 
che est  d'abord  lente;  mais  à  mesure  qu'il  avance,  elle  de- 
vient précipitée  : 

Tertium  lasciviens  per  amœna  prati,  * 

Vernat  Jlore  vario  sinus  picturati  : 

Hujus  Jluctus  ceteris  longiiis  vagati,  . 

Primum  tardi,  postea  currunt  concitatià^ 

Tel  est,  ajoute- 1 -il,  ce  fameux  Trivium  connu  de  tout 
l'univers,  sur  le  bord  duquel  sont  assises  plusieurs  villes 
dont  quelques-unes  lui  durent  autrefois  la  prééminence 
qu'elles  avaient  sur  les  autres.  On  retrouve  les  mêmes  images 
dans  le  Microcosme ,  à  la  fin  du  premier  livre,  lorsque  l'au- 
teur fait  la  description  des  arts  mécaniques  et  libéraux  avec 
toutes  leurs  ramifications. 

Godefroi  déplore  ensuite  l'avilissement  où  ces  arts  sont 
tombés;  à  quoi  succède  l'éloge  des  grands  maîtres  de  l'an- 
tiquité dont  on  lisait  les  écrits  dans  les  écoles.  Les  modernes, 
ou  plutôt  les  sectes  ou  écoles  qu'ils  ont  formées ,  viennent 
à  leur  tour;  celles  des  nominaux  et  des  réalistes,  dont  on 
parle  avec  assez  de  liberté,  paraissent  d'abord  sur  la  scène. 

Tome  Xy.  L 


8i?        GEOFROI,  ÎÎOUS -PRIEUR  DE  S'^-BARBE, 
XII  SIECLE.    Qjj  reprouye  la  pj-emière,  et  on  n'admet  la  seconde,  dont 
Oft  4^JPg"^e  plusieurs  branches,  qu'avec  restriction  : 

jtndwit  his  se  socios  quidam  nominales , 
Nomine ,  non  numine ,  taliuni  sodales. 
Alii  wciniùs  assunt ,  qifos  reaies 
Jpsa  nuncupavit  res  y  qubd  sint  taies. 

Na/n  si  pro  reatihus  variis  errorum 
Poterat  realium  dici  nomen  horum , 
Tamen  excusabilis  error  çft,  eorunt 
S/Ienti  contradicere  mos  est  insanoritpi- 

Nam  quœ  mens  -vel  cogitet  nomen  esse  genusP 
Soins  hoc  crediderit  mentis  aliénas, 
Ciim  sit  tôt  generibus  rerum  mundus  plenus  ; 
Cujus  genus  nomen  est ,  seniper  sit  egenus. 

Ceterîim ,  realium  sunt  quarnplures  sect(E , 
Quas  reaies  dixeris  a  reatu  recte  ; 
Quia  vcri  tramitem  non  eunt  directe, 
Hecjluenta  gratiœ  hauriunt  per/ecte. 

Gilbert  de  la  Porre'e  avait  aussi  fait  une  secte,  laquelle, 
en  triplant  les  dix  catégories,  renversait,  suivant  notre  auteur, 
les  fondemens  de  la  dialectique  : 

,  Ex  his  quidam  tempérant  Porri  condimenta , 

Quorum  genus  creditur geminis  contenta, 
Decem  rerum  triplicant  hi  prœdicamenta , 
Evertuntur  ■vfiterum  per  hoc  Jundamenta. 

Hist.  Littcr.       Il  traite  de  fous  les  albericains ,  ou  les  disciples  d'Albéric , 

t. XII, p. 7a-      maître  différent  de  celui  de  Reims,  qui  a  eu  son   article 

dans  notre  histoire,  quoique,  selon  le  témoignage  de  Jean 

de  Sarisbéry,  cet  Albéric  fût  très- oppose  aux  nominaux. 

Metalog.  lib.  Xdhœsi,  dit -il,  màgistro  Alherico  qui  inter  cœteros  opina- 

,  cap.  10.       tissimus  dia,lecticus  eminebat ,' et  erat  rêvera  norainalis  sectœ 

acerrimus  impugnator.  Voici  le  texte  de  Godefroi  tel  qu'il 

est  dans  le  manuscrit^  altéré  sans  doute,  car  il  n'est  pas  trop 

intelligible  : 

jfiiter ,  sed  pcf,riter ,  errât  AUfricanus , 
Cuf'us  sortes  œgprjit,  si  non  manet  sofiiff. 
'  Sed  quia  velociter  transit  horno  vanu?, 

Etiam,  dwn  mori^y^,  m^metif  ins^nfn- 


XII  SIECLE. 


ET  GODEFROI,  CHANOINE  DE  S.-VICTOR.      83 

Les  disciples  de  Robert  de  Melun  viennent  à  leiu-  tour, 
et  sont  les  plus  maltraités.  Parmi  les  traits  que  Godefroi  leur 
lance,  on  croit  apercevoir  qu'ils  tenaient  leurs  écoles  au 
sommet  de  la  montagne  de  Sainte-Geneviève,  et  qu'ils  se 
l'approchaient  un  peu  des  nominaux  ;  ce  qui  pourrait  bien 
être  la  raison  pour  laquelle  il  les  comptait  pour  rien  : 

Hœrent  ioxi  vértice  turbœ  Rohertinœ , 
SaxecB  duritice  -vel  adamantinœ , 
Quos  nec  rigat  pluvia  netjtte  ros  doetrinœ  : 
Vêtant  amnis  aditiim  scopulorum  minœ. 

Jpsi  Jalsum  litigant  nihil  sequî  vère  ; 
Quamvis  tamen  ipsimet  post  hos  abiere 
Qui  de  solo  nomine  fingiint  mille  f ère  : 
Igitur  pro  nihilo  licet  hos  censere. 

Leur  maître,  comme  on   l'a   dit  ailleurs,  était'  Anglais,      Smrcsh, ibïd. 
surnommé  de  Melun ,  parce  qu'il  avait  enseigné  long-temps 
dans  cette  ville.  L'an  1162,  H  devint  évêque  d'Herfort,  et 
mourut  l'an  1167.  Au  reste,  si  les  Robèrtins  étaient  tels  que  "^ 

notre  auteur  les  représente,  ils  avaient  altéré  sans  doute  la 
doctrine  de  leur  chef,  attendu  qu'en,  matière  théologique, 
il  employait  avec  beaucoup  de  circonspection  les  maximes 
d'Aristote,  comme  on  le  voit  par  son  traité  de  l'Incarna- 
tion, conservé  manuscrit  à  Saint- Victor,  et  dont  on  a  pu- 
blié d'amples  extraits  dans  l'histoire  de  l'université  de  Paris.     T.  II,  p.  596- 

La  secte  des  parvipontains  esf  celle  qui,  au  jugement  de  ^*'*- 
Godefroi ,  mérite  la  préférence  sur  toutes  les  autres.  Dans 
l'éloge  qu'il  fait  de  leur  enseignement,  il  nous  apprend  aussi 
la  raison  de  leur  dénomination.  C'est  qu'ayant  fait  construire 
à  leurs  frais  le  petit-pont  de  Paris,  ils  y  avaient  assis  des 
maisons  où  ils  logeaient  et  tenaient  leurs  écoles.  Ce  pont 
était  remarquable  par  son  élégance  et  sa  solidité.  Non-seu- 
lement la  maçonnerie  en  était  excellente,  mais  on  avait  cou- 
vert  de  cuivre  les  piles  sur  lesi^ielles  il  reposait,  pour  en 
assurer  davantage  la  durée:  Les  parapets  avaient  dès  ouver- 
tures par  où  l'on  pouvait  regarder  dans  la  rivière.  Ce  pont 
était  pavé;  chose  que  l'auteur  regarde  cornme  une  singula-' 
rite,  parce  qu'à  cette  époque  la  ville  ne  l'était  pas  encore. 
Tout  cela  est  exprimé  dans  cinq  quatrains  que  voici  : 

Quidam  pontem  manibus  suis  exttuarerunt  j 
Et  per  aquas  facilem  transituin/ecerunt , 

T.  2 


XII  SIECLE. 


Egid.  Carol. 
apud  Chesn.  t. 
V,  Rer.  Fran. 
p.  3a4. 


84  GEOFROI,  ET  GODEFROI. 

In  quo  slbi  singuli  donios  statuerunt , 
Unde  pontis  iiicolce  nomen  acceperunt. 

Decens  est  materia ,  decens  est  figura , 
Cubicorum  lapidum  subest  quadratura  , 
Stat  columnis  œneis  soUda  structura, 
Nidlis  niotionibus  uriquam  ruitura. 

Paviinentis  desuper  opus  est  positum , 
Aureis,  argenteis ,  signis  insignitum , 
Editis  lateribus  undique  munituni, 
Ne  ruinam  tiineat  vulgus  imperitum. 

Sed  et  habet  exedras  per  qiias  speculantur , 
Et  latentein  fiuininis  fiunduin  perscrutantur  ; 
Alii  natatibus  quoque  delectantur. 
Et  œstivis  solibus  iisti  recreantur. 

Venerandus  sedet  hïc  ordo  seniorum , 
Et  doctrinœ  gratiâ  prœinincns  et  morum  : 
SimpUces  erudiunt  turbas  populorum  ; 
O  beatus  populus  talium  rectorum  ! 

Maigre  les  précautions  qu'on  avait  prises  pour  donner  à  cet 
ouvrage  de  maçonnerie  toute  la  solidité  possible,  ce  pont 
ne  put  résister  long -temps  aux  efforts  de  l'eau  dans  les 
grandes  crues.  L'historien  Rigord  nous  apprend  que  trois 
de  ses  arches  furent  renversées  au  mois  de  décembre  1206, 
dans  une  inondation  extraordinai rement  forte,  telle  qu'on 
ne  se  souvenait  pas  d'en  avoir  vu  de  pareille.  Le  pi-ofesseur 
qui  tenait  alors  cette  école  était  Jean ,  surnomme  du  Petit- 
Pont,  qui,  suivant  Gille  de  Paris,  son  contemporain,  était 
un  puits  de  science,  et  passa  toute  sa  vie  à  expliquer  les 
anciens  auteurs.  Après  avoir  fait  le  dénombrement  des  lit- 
térateurs,, et  sur-tout  des  poètes  qui  de  son  temps  avaient 
illustré  les  écoles  de  Paris,  Gille  termine  ainsi  sa  nomencla- 
ture : 

Nec  meinoro  cunctos  ;  aliquos  quoque  trariseo ,  sictU 
Sape  retentatis  auctorum  excursibus ,  illum 
Vasis  inexhausti  parvo  de  ponte  Joannem. 

Nous  n'entrerons  pas  dans  un  plus  grand  détail  sur  cette 

Eroduction  ,  qui  dans  le  premier  livre  embrasse  toutes  les 
ranchès  de  la  littérature  alors  cultivée ,  dont  on  île  dit  qu'un 
mot  en  passant  pour  s'arrêter  ensuite  avec  complaisance  sur 
la  théologie ,  à  laquelle  est  consacré  le  reste  de  l'ouvrage. 


XII  SIECLE. 


LAMBERT,  ET  AUTRES  CHRONIQ.  LIÉG.        85 

Après  avoir  parlé  du  corps  naturel  de  Jésus -Christ,  soit 
dans  le  ciel,  soit  dans  l'eucharistie,  on  y  traite  de  son  corps 
mystique,  c'est-à-dire,  de  l'ëglise  dont  Jésus- Christ  est^ 
chef;  et,  à  ce  sujet,  on  passe  en  revue  tous  les  membres  du 
corps  humain ,  de  manière  qu'au  premier  aspect  on  pren- 
drait cette  presque  totalité  de  l'ouvrage  pour  un  traité  d'ana- 
tomie,  mais  ce  n'est  rien  moins  que  cela;  on  ne  parle  des 
fonctions  particulières  de  chaque  membre  que  pour  en  tirer 
des  moralités  ou  de  pieuses  allégories  :  l'abbé  Lebœuf  s'y  Dissert,  t.ii, 
est  trompé  le  premier.  P'  ^°'*- 

4**  A  la  suite  de  cet  écrit  vient  une  autre  production  de 
notre  auteur,  en  prose  rimée ,  dont  le  sujet  est  l'éloge  de 
saint  Augustin.  On  y  relève  sur -tout  les  combats  que  le 
saint  docteur  eut  à  soutenir  contre  les  hérésies  qui  de  son 
temps  s'élevèrent  dans  l'église.  L'ouvrage  commence  par 
ces  vers  : 

jiugustini  gloriœ  meritis  prœclarœ 

Laudes ,  quantum  dabor,  rithmo  cumularc ,  etc. 

60  Oudin,  sur  la  foi  de  l'annaliste  de  Saint-Victor,  nous 
apprend  que  Godefroi  avait  aussi  composé  un  cantique  à 
l'honneur  de  la  Sainte -Vierge ,  et.  une  complainte  dans  le 
goût  du  Stabat.  Ces  deux  pièces  n'existent  pas  dans  les 
manuscrits  de  Saint  -Victor  que  possède  maintenant  la  bi- 
bliothèque royale.  B. 


LAMBERT, 

SURNOMMÉ    LE    PETIT, 

MOINE  DE  S.-JACQUES  DE  LIÈGE, 

ET  AUTRES  CHRONIQUEURS  LIÉGEOLS. 

Il  y  a  peu  de  pays  qui,  dans  le  moyen  âge,  aient  produit 
autant  et  de  si  bons  écrivains  que  celui  de  Liège.  Cette 
église  a  eu  l'avantage  de  posséder  des  évêques  qui  non- 
seulement  ont  entretenu   et  encouragé  les  bonnes  études, 


XII  STECÏ.E. 


S6         LAMBERT,  ET  AUTRES  CHRON.  LÎÉG. 

mais  ^i  elix- mêmes  ont  figure  partni  les  sâvanS.  Nom 
mettons  de  ce  nombre  les  evêqiies  Etienne,  Notger,  Wol- 
l^jxjon,  Waz!on,  Ratbier,  The'oduin,  Henri-Ie-Pacifique ,  Ot- 
bèrt,  Frëdc^ric,  qui  ont  vécu  dans  les  X,  XI  et  XII*  siècleà, 
et  ont  laissé  des  écrits  de  leur  façon.  Parmi  les  savans  d'un 
ordre  inférieut,  nous  comptons,  dans  le  même  temps,  deâ 
écrivains  célèbres,  Alexandre  et  Anselme ,  chanoines  de  Liège  ; 
Gosechin,  Francon,  Alger,  écolâtres,  et  Raimbaud,  doyen 
de  la  même  église;  Adelmanne  ou  Adelin,  qui  fut  ert'suite 
évêque  de  Bresse;  Lambert,  Heribrand,  Wazelin,  abbés  de 
Saint -Laurent  de  Liège;  Folcuin  et  Hériger,  moineà  de 
Laubes  ;  Olbert,  abbé  de  Gemblours,  qui  eut  pom^  disciple 
le  célèbre  Burchard,  évêque  de  Worms  ;  Sigebert  et  Anselme, 
élèves  du  même  monastère ;Rodolfe,Thierri, abbés  de  Saint- 
Tron;  et  Stepelin,  moine  du  même  lieu;  Thierri,  abbé  de 
S.-Hubert;  Théofroi  d'Epternac,  Rupert  de  Tuits,  Wibalde, 
abbé  de  Stavelo  et  de  Corbie  en  Saxe,  presque  tous  historiens, 
qui  ont  eu  dans  cet  ouvrage  leurs  articles.  Il  ne  nous  reste, 
pour  compléter  quant  à  présent  cette  nombreuse  liste,  qu'à 
recueillir  dans  cet  article  ceux  qui  ont  vécu  sur  la  fin  du 
XII«  siècle. 

I.  Lambert,  surnommé  le  Petit,  moine  de  Sïiint- Jacrtnès 
à  Liège,  a  composé  une  chronique  depuis  l'année  988  jus- 
qu'à sa  mort ,  arrivée  en  1 1  ^4 1  selon  le  moine  Heinier,  qui 
a  continué  sa  chronique  jusqu'à  l'année  laSo,  et  qui  repre- 
nant à  l'endroit  où  Lambert  avait  fini ,  commence  par  ces 
jMart.  Am])!.  mots  :  Hoc  atino  (1194)  moritur  Lamhertus  Parvus ,  ec- 
ert.  t.  V,  clesiœ  nostrœ  sacer.dos  et  monachus ,  et  hucusque  opits  ejus. 
La  chronique  de  Lambert  est  très-laconique  ;  on  n  y  trouve 
guère  que  des  noms  et  des  dates;  mais  la  continuation 
de  Reinier ,  dont  il  sera  parlé  dans  un  des  volumes  sui- 
.  vans ,  est  plus  détaillée  et  plus  nourrie  de  faits.  D.  Martène 

a  publié  les  deux  ouvrages  au  tome  V  de  l'amplissime  col- 
lection, col.  1-64- 
Mart.Anecd.       II.  Le  même  D.  Martène  a  tiré  d'un  manuscrit  de  l'ab- 
t. III, coi.  i',o3  jjayg  d'Orval  une  autre  chi'onique  de  Liège  ,  commençant  à 
-1^07.  l'année  549  ^^  finissant  en  1 192.  Cette  chronique  est  l'ouvrage 

d'un  auteur  inconnu,  qui  était  à  Reims  en  1192,  lorsque 
l'évêqUe  Albert  de  Louvain,  à  la  suite  duquel  il  était  \t- 
tache,  fut  mis  à  mort  par  des  gens  de  Son  p<iys,  qui  étaient 
venus  le  trouver  dans  lé  dessein  dfe  le  ttiér.  I/AiTtenr  rap- 
porté comme  témoiii  ofulaife  lès  miraclès^  qti'-il  dit  avtfir 


Collect, 
col 


XII  SIECLE. 


Bibl.  ms.Cod. 
5 


ANDRÉ  SYLVIUS,  ET  AUTRES  ÉCRIV.  87 

été  opérés  Aussitgt  après  sur  le  tombeau  du  saint,  et  ter- 
mine là  son  écrit,  qui  n'est  nullement  rempli  de  faits.  Le 
plus  grand  nombre  des  années  est  resté  vide ,  on  n'y  trouve 
pas  même  une  suite  exacte  des  évêques  de  Liège.  Cepen- 
dant plusieurs  des  faits  qu'il  rapporte  concernent  l'histoire 
publique,  ou  peuvent  donner  quelques  lumières  sur  l'his- 
toire du  pays,  par  l'attention  qu'il  a  eue  de  marquer  les 
époques  des  principaux  établissemens  religieux. 

ni.  Le  P.  Labbe  a  aussi  donné  sur  un  manuscrit  de 
Saint -Victor  de  Paris  deux  fragniens  d'une  chronique  de  'J'  v-  ^^^ 
Liège,  qui  finit  a  iannee  1104,  et  qui  est  beaucoup  plus  _/,o8. 
remplie  de  faits  que  la  précédente.  JNéanmoins  l'éditeur  dit 
en  avoir  retranché  des  choses  qui  lui  ont  paru  inutiles  et 
mieux  connues  d'ailleurs.  S'il  a  voulu  parler  de  ce  qui  pré- 
cède l'année  4oOi  où  elle  commence  clans  l'imprimé,  il  a 
fort  bien  fait.  Rien  ne  prouve  que  cette  chronique  soit 
l'ouvrage  de  plusieurs  auteurs,  quoique  le  P.  Labbe  l'^it 
coupée  à  l'an  .1 182,  comme  si  ce  qu'il  a  imprimé  à  quelque 
distance  de- là  n'était  qu'une  continuation.  S'il  fallait  ad- 
mettre plusieurs  auteurs,  ce  ne  pourrait  être  quq  pour  les 
derniers- temps,  c'est-à-dire  depuis  i333,  époque  oii  l'on  a 
commencé  à  marquer  non-seulement  l'année  des  événemens, 
mais  encore  les  jours  auxquels  ils  sont  arrivés;  ce  qui  est 
un  indice  certain  d'auteurs  contemporains.  Au  reste  l'au- 
teur, quel  qu'il  soit,  a  eu  soin  de  recueillir  les  traits  les  plus 
intéressans  de  l'histoire  des  Pays-Bas,  dont  il  fixe  les  dates. 

B. 


ANDRÉ  SYLVIUS, 

PRIEUR  DE  L'ABBAYE  DE  MARCHIENNES, 
ET  AUTRES  ÉCRIVAINS  DU  MÊME  MONASTÈRE. 


André,  surnommé  Sylvius,  c'est-à-dire  du  Bois,  prieur  de 
Marchiennes  (1),  dans  le  pays  d'Ostravant,  diocèse  d'Arras, 

(1)  Le  ŒS.  6i83  de  la  biblioth.  royale,  oUai  Colheninus ,  le  dit  moine 
de  l'abbaye  d'Anchin.  Cela  prouve  qu  André  était  moine  de  cette  abbaye 


88  ANDRÉ  SYLVIUS,  ET  AUTRES  ÉCRIV. 

XII  SIECLE.         ,     ,  1  •  1      '     '       1  .       1 

.  n  est  connu  que  par  une  chronique  abrégée  des  rois  de 

France,  qui  a  pour  titre  :  De  gestis  et  successione  reguni 
Francoruin.  Elle  est  divisée  en  trois  livres,  un  pour  chacune 
des  trois  races,  et  chaque  livre  est  subdivisé  en  chapitres, 
selon  le  nombre  à -peu -près  des  souverains  qui  composent 
chacune  des  trois  dynasties.  André'  ne  s'est  pas  contente 
de  nous  donner  l'histoire  de  nos  rois,  il  a  voulu  nous  faire 
connaître  leur  origine,  et  pour  cela  il  remonte,  comme  tant 
d'autres  chroniqueurs  du  moyen  âge,  jusqu'à  Priam  et  au 
siège  de  Troie ,  mais  il  a  au  moins  le  mérite  d'être  fort  suc- 
cint  dans  cette  partie. 

Il  a  dédié  son  ouvrage  à  Pierre,  évêque  d' An-as,  qui  lui 
avait  commandé  ce  travail.  Ce  prélat ,  auparavant  abbé 
de  Cîteaux,  gouverna  l'église  d'Arras  depuis  l'année  ii84 
jusqu'en  i2o3  :  cela  suffit  pour  déterminer  le  temps  auquel 
vivait  notre  auteur  qui  termine  sa  chronique  à  l'année  1 194 
p.  557.  Pans  l'épitre  dédicatoire  qui  sert  de  préface,  il  déclare  que 

les  principaux  auteurs  qu  il  a  suivis  sont  Grégoire  de 
Tours  etSigebert,  continué  par  Anselme  de  Gemblours  jus- 
qu'à l'année  11 36.  Mais  il  ne  se  borne  pas  à  ces  deux 
auteurs,  ni  à  donner  seulement  l'histoire  des  rois;  il  y  a 
entremêlé  tout  ce  qu'il  a  pu  découvrir  touchant  l'histoire  ec- 
clésiastique et  civile  de  la  Flandre,  de  l'Artois,  et  du  reste 
des  Pays-Bas.  Son  écrit  a  été  cité  comme  une  autorité  par  de 
Jjons  auteurs  anciens  et  modernes,  tels  que  Jacques  de  Guise, 
Paul  Emile  et  Jacques  Mayer;  Guillaume,  abbé-  d'Andres 
dans  le  Boulonnais,  qui  écrivait  au  commencement  du  XIII« 
Spicil.  t.  IX,  siècle,  l'a  inséré  tout  entier,  en  commençant  à  l'année  1091, 

p.  334,2  e  it.  jjjjjjg  j^  chronique  de  son  monastère:  et  ce  qui  prouve  le 

t.  II,  p.  781.  ,  T.      .  „.  ,  ,. ,'       .  jl         f        ,   ., ,. 

cas  quoii  en  a  toujours  tait,  cest  quil  existe  dans  les  biblio- 
thèques un  grand  nombre  de  manuscrits  de  cet  ouvrage. 
^  Raphaël  de  Beauchamp,  autre  moine  de  Marchiennes,  a 

"P'  publié  la  chronique  d'André  en  un  volume  1x1-4°  de  plus 

de  1200  pages,  imprimé  à  Douai  en  i633  chez  Pierre  Bo- 
gard,  avec  des  prolégomènes ,  des  observations  en  tout  genre, 
des  paralipomenes  ^  des  appendices ,  et  quantité  d'autres 
choses  étrangères  où'  le  texte  de  l'auteur  est  tellement 
noyé,  qu'on  a  souvent  de  la  peine  à  le  discerner.  C'est  ainsi 

avant  que  de  passer  à  celle  de  Marchiennes  ;  mais  c'est  par  erreur  que , 
dans  le  catalogue  des  manuscrits  de  la  reine  Christine  de  Suède,  on  a  mis 
jérctalensis. 


ANDRI^  SYLVIUS,  ET  AUTRES  ÉCRIV.  89 

que  d  un  opuscule  assez  mince ,  a  une  cnronique  sèche  et 


de'charnée,  on  est  venu  à  bout  défaire  un  gros  livre,  sous  le 

titre  de  Synopsis  Franco-Mercfvingica ,  en  lui  donnant  de      Des  iHstoi-. 

l'embonpoint.  «  Qu'il  est  rare,  s ecme  à  cette  occasion  Louis  de  rr-  p-  9 

«  le  Gendre,  qu'il  est  rare  de  trouver  des  gens  d'un  esprit 

«  net,  gens  d'uii  esprit  de  précision,  qui  sachent  à  propos 

a  metti'e  chaque  chose  en  sa  place  !  » 

En  effet ,  avant  que  de  rencontrer  la  première  ligne  de 
l'auteur,  il  faut  lire  556  pages  'de  prole'gomènes  contenant 
la  suite  des  empereurs  romains ,  des  rois  de  Perse ,  des  rois 
Goths,  Ostrogots  et  Visigoths,  des  rois  de  Castille  etdeLe'on , 
sans  compter  un  trakë  sur  les  antiquités  de  Marchiennes. 
Arrive'  au  texte  de  l'auteur,  vous  êtes  arrêté  à  chaque  page 
par  des  digressions  interminables  de  l'éditeur.  Etes -vous 
parvenu  à  la  fin,  vous  trouvez,  sous  le  titre  de  paralipo- 
mènea,  deux  continuations  ou  appendices  à  la  chronique 
d'André;  l'une  par  Guillaume,  abbé  d'Andres,  qui,  à. la  vé- 
rité, était  alors  inédite,  mais  qui  a  été  imprimée  depuis  dans 
le  spicilége  de  D.  Dachéri;  l'autre  par  un  anonyme  de  Mar-  Spi«l.  ibuf. 
chiennes;  et,  pour  couronner  l'ouvrage,  il  reprend  la  suite 
des  rois  de  France  depuis  saint  Louis  jusqu'à  Louis  XIII, 
celle  des  papes  jusqu'à  Urbain  VIII;  celle  des  empereurs 
d'Allemagne  jusqu'à  Ferdinand  II.  Si  l'on  veut  lire  cet  écrit 
sans  commentaire,  mais  avec  les  notes  nécessaires  pour  cor- 
riger les  erreurs  de  chronologie  qui  y  sont  assez  fréquentes, 
on  le  trouvera  dans  la  collection  des  historiens  de  France, 
aux  tomes  X,  pages  289;  tom.  XI,  pag.  364;  to"™-  XIII,  pag. 
419-423.  Les  éditeurs  n'ont  pas  juge  à -propos  de  donner 
les  deux  premiers  livres,  qui  ne  contiennent  guère  que  ce 
qu'on  trouve  par-tout.  Ils  n'ont  fait  usage  que  du  troisième 
livre,  qui  traite  des  rois  capétiens,  en  élaguant  les  endroits 
empruntés  des  auteurs  déjà  imprimés  dans  la  collection , 
auxquels  ils  renvoient. 

II.  Un  anonyme  du  même  monastère,  qui  écrivait  après     ActaSS.Boii. 
l'an  u68,  en  a  composé  l'histoire  en  deux  livres,  sous  le  addiemiamaii, 
titre  6! Histoire  des  miracles  de  sainte  Rictrude ,  fondatrice  l'-^9~"*- 
et  patrooe  du  lieu.  Elle  conimenoe  par  un  abrégé  de  la  vie 
de  la  sainte,  née  environ  l'an  6i4iet  contient  les  révolutions 
et  les  changement  qu'éprouva  ce  monastère  jusqu'à  l'année 
ii68jj'à  laquelle  notre  ahonyme,,  comme  nous  l'avons, dit, 
cessa  d'écrire.  On  y  trouve  la  suite  des  abbés  qui  avaient 
succédé  à  des  religieuses ,  l'indication  des  donations  faites  au 

Tome  XV.  M 


go  ANDRÉ  SYLVIUS,  ET  AUTRES  ÉCRIV. 

monastère,  et  quelques  circonstances  de  l'histoire  publique 

du  temps,  à  laquelle  se  rattachent  les  ëvénemens  que  l'au- 
'teur  raconte.  Tout  cela  est  'entremêlé  de  miracles  ;  ce  qui  a 
fait  donner  à  ce  morceau  d'histoire  le  titre  de  Z/fVre  des 
miracles. 

/fov/.p.7g,n.4.  L'auteur,  au  jugement  du  P.  Papebroch,  qui  a  imprimé 
cet  écrit  dans  .la  collection  des  actes  des  saints  de  BoUandus, 
le  préfère  de  beaucoup  pour  le  style ,  pour  la  méthode  et  la 
sobriété  des  paroles,  à  un  autre  écrivain  du  même  monas- 
tère, nommé  Gualbert,  qui,  quarante  ans  auparavant,  avait 
traité  le  même  sujet  sans  ordre,  et  avec  une  profusion  de 
T.xi,p.  4ia  paroles  fatigante.  On  l'a  cependant  imprimé  à  la  suite  de 

~*'^-  notre  anonyme,  et  il  en  a  été  rendu  compte  dans  cette  his- 

T.  XIV,  p.  toire.  Les  continuateurs  du  recueil  des  historiens  de  France 

435-44a.  ^^^  extrait  de  cet  ouvrage  anonyme  quelques  fragmens  im- 
*  portans ,  entre  autres  la  relation  d'un  concile  tenu  à  Lagny- 
sur-Marne,  en  1 142,  par  le  légat  Ives,  lequel  avait  été  envoyé 
en  France  pour  connaître  du  mariage  que  Raoul  de  Ver- 
mandois,  sénéchal  de  France,  après  avoir  répudié  sa  pre- 
mière femme,  avait  contracté  avec  Pétronille,  sœur  d'Eléo- 
nore,  reine  de  France.  Les  actes' de  ce  concile,  dans  lequel 
Raoul  fut  excommunié,  et  qui  fit  naître  entre  Louis-le-Jeune 
et  Thibaud ,  comte  de  Champagne ,  une  guerre  atroce,  n'exis- 
tent nulle  part,  et  l'anonyme  ne  les  fait  connaître  qu'en  ce 
qui  fut  délibéré  relativement  à  son  monastère.  Quant  aux 
autres  fragmens  moins  importans ,  on  les  trouvera  dans  le 
même  volume  à  l'endroit  cité.  • 
Mart.Anecd.       III,  Nous  avons  d'un  autre  anonyme  de  Marchiennes,  si 

un, col.  17 10  toutefois  c'est  un  autre  que  le  precédcnt(i).une  vie  de  l'abbé 
*'    '  Hugues,  qui  gouverna  ce  monastère  depuis  l'année  1 148  jus- 

qu'à 1 1 58.  C'est  un  des  ouvrages  des  mieux  faits  de  ce  siècle, 
quoiqu'il  ressemble  beaucoup  à  un  panégyrique.  L'auteur  ne 
s  écarte  point  de  son  sujet  ;  on  n'y  voit  ni  épisodes  superflus, 
ni  écarts  inutiles.  Il  avait  été  le  confident  de  son  abbé,  le 
compagnon  de  ses  voyages,  et,  comme  il  le  dit  lui-même, 
celui  qui' avait  été  dépositaire  de  ses  plus  secrètes  pensées 
dans  les  grandes  comme  dans  les  plus  petites  choses.  A  ce 


.81 


( 

un 


[i)  Cet  anonyme  a  fait  aussi,  dans  le  livre  des  miracles  de  sainte  Rictrude, 
un  éloge  abrégé  de  l'abbé  Hugues ,  à  la  vérité  dans  un  style  un  peu  diffé^ 
rent ,  mais  qui ,  en  substance ,  est  le  même.  Voyez  BoUan^us ,  au  1 2  de 
mai,  p.  ii3. 


ANDRÉ  SYLVIUS,  ET  AUTRES  ÉCRIV.  gt 

titre,  il  ne  pouvait  que  réussir  dans  son  entreprise,  et  on  xn  sieclb. 
peut  dire  qu'il  l'a  exécutée  en  homme  instruit  de  tous  les 
détails  qu'on  peut  deaiter,  et  qui  mérite  toute  notre  con- 
fiance. Sa  narration  est  édifiante  et  instructive.  Il  paraît 
qu'il  ne  tarda  pas,  après  la  mort  de  son  ami,  à  mettre  la 
main  à  la  plume.  Le  commencement  de  son  prologue  ne 
permet  pas  d'en  douter,  car  il  suppose  que  ses  confrères 
n'avaient  pas  encore  essuyé  les  larmes  que  les  regrets  d'un 
si  bon  père  leur  avaient  fait  verser.  Une  autre  preuve  de  ce 

2ue  nous  avançons ,  est  que ,  parlant  de  Robert ,  abbé  de 
llairvaux,  qui  avait  succédé  à  saint  Bernard,  il  dit  que  Ro- 
bert était  mort  peu  de  temps  avant  Hugues,  nuper  de  me-  Jbui.  coi.  171^; 
dio  foetus.  Or  Robert  étant  mort  le  3o  mai  1 1 58 ,  il  n'y"a 
pas  à  douter  que  c'est  vers  le  même  temps  que  l'anonyme 
composa  son  ouvrage. 

D.  Rivet  a  fait  usage  de  cet  écrit  en  plusieurs  endroits  du  Hist.  Littér. 
discours  préliminaire  sur  l'état  des  sciences  en  France  pen-  «ix.p.ss,  36. 
dant  le  XIF  siècle,  parce  qu'il  y  est  beaucoup  parlé  des 
écoles  qu'avait  fréquentées  l'abbé  Hugues.  Mais,  comme  dom 
Rivet  n  en  parle  qu'en  passant ,  il  est  de  notre  devoir  de  réu- 
nir ici  les  traits  que  cet  écrit  nous  fournit  pour  l'histoire 
littéraire. 

L'école  de  Reims  était  florissante  lorsque  Hugues  y  fut 
envoyé  dans  son  adolescen^,  sous  la  conduite  de  Gautier 
de  Mortagne ,  lequel ,  au  ten^  que  l'auteur  écrivait,  était  évê- 
que  de  Laon.  Albéric,  qui,  en  1 136,  fut  fait  archevêque  de  Mart.  AnecJ. 
Bourges,  gouvernait  alors  l'école  de  Reims.  Elle  était  si  flo-  t. m, coi.  171a. 
lissante  et  si  fiéquentée,  dit  notre  auteur,  que,  dans  les  al- 
tercations qui  s'élevaient  quelquefois  entre  les  habitans  et 
les  clercs,  c'est-à-dire  les  étudians,  ceux-ci  auraient  eu 
l'avantage ,  sf  l'on  ne  »e  fût  empressé  de  les  séparer. 

Gautier  de  Mortagne  n'était  venu  là  que  pour  diriger  les 
études  du  jeime  Hugues,  né  comme  lui  à  Tournai,  d'une  famille 
opulente,  et  fréquentait  avec  son  élève  l'école  d' Albéric.  Ce 
professeur ,  étant  en  même  temps  archidiacre  de  Reims , 
jouissait  dans  la  ville  d'une  grande  considération ,  tant  à 
cause  de  sa  science ,  que  parce  qu'il  maintenait  dans  son  écol* 
le  bon  ordre  et  une  exacte  discipline.  Il  était  éloquent,  il 
s'exprimait  avec  grâce  et  facilité ,  mais  il  manquait  de  talent 
pour  répondre  aux  difficultés  qu'on  lui  proposait.  Gautier 
de  Mortagne ,  qui  n'était  plus  un  écolier,  lui  faisait  souvent 
des  objections  auxquelles  il  lui  était  impossible  de  répondre. 

Ma 


Q2  ANDRÉ  SYLVIUS,  ET  AUTRES  ÉCRIV. 

_; '         Cela  indisposa  tellement  le  professeur  contre  lui,  qu'il  ne 

lui  adressait  plus  la  parole.  Gautier  ne  pouvant  lutter  contre 
un  homme  qui  avait  toute  la  confiaflf  e  de  l'archevêque,  prit 
le  parti  de  se  retirer  et  d'ouvrir  lui-même  une  école  à  Saint- 
Remi.  Il  y  fut  suivi  par  le  plus  grand  nombre  des  ëtudians; 
mais  Albe'ric  usa  de  tout  son  crédit  pour  l'e'loigner.  Alors 
Gautier  se  retira  à  Laon ,  oii  il  ouvrit  une  ëcole  qu'il  rendit 
célèbre.  Il  gouvernait  son  école,  dit  notre  auteur,  avec  une 
verge  de  fer  ;  et ,  contre  ce  qui  se  pratiquait  ailleurs  en  France , 
il  voulait  qu'elle  fut  sans  reproches  ;  s  il  arrivait  qu'un  écolier 
s'écartât  de  son  devoir,  il  était  renvoyé  sans  miséricorde  : 
Consuetudo  ei  in  Gallia ,  non  Gallorum ,  erat  gyninasium 
hahere  non  infamatuni.  Legens  sub  eo  aut  honeste  omnino 
se  ageret,  aut  omnino  fieret  extra  scholam. 
Mari.  ibid.       Notre  biographe  nous  fait  connaître  encore  deux  profes- 

•ol.  1713.  seurs  qui  enseignaient  alors  à  Tournai  :  l'un,  appelé  Robert^ 
qu'il  met  au  nombre  des  philosophes,  inter  philosophantes , 
embrassa  dans  la  suite  la  réforme  de  Clairvaux ,  et  fut  le  suc- 
cesseur de  saint  Bernard  dans  cette  abbaye  ;  l'autre  est  le 
bienheureux  Guerric,  lequel,  ayant  suivi  S.  Bernard  à  Clair- 
vaux,  devint  abbé  d'Igni.  On  a  rendu  compte  de  ses  écrits 
T.Xli,p.45i  dans  cette  histoire.  Notre  anonyme  fait  de  lui  un  bel  éloge; 

~*M         Aw   ™^i3  le  portrait  qu'il  fait,  dans  un  autre  endroit,  d'Heri-. 

col.  1723.       ■  manne,  abbé  de  Saint-Martin  de  Tournai ,  dont  \\  reste  des 
-  ztiV/. col.  1719.  ouvrages  estimables,  n'est  paPflatté.  Litteraturâ  et paren- 
telcl  satis  idoneum ,  dit-il;  sed  de  quo  dubium  non  erat  qubd 
non  digne  quœreret  quœ  sunt  Jesu-Christi.  ,•    .?  , 

Les  historiens  de  la  Belgique  parlant  de  l'abbé  Hugues 
dont  nous  examinons  l'histoire ,  ne  font  pas  difficulté  de  lui 
donner  le  titre  de  saint.  Cependant  les'bollandistes  ne  trou- 
vant pas  son  nom  dans  les  martyrologes,  n'otil  pas  jugé  à- 
propos  d'imprimer  sa  vie.  D.  Martène  l'a  publiée  au  tom.  III 
*  du  Trésor  dies  anecdotes,  sur  une  copie  très-fautive  qui  lui 

avait  été  envoyée  de  Tournai.  Les  continuateurs  du  Recueil 
T.  XIV,  p.  des  historiens  de  France  ont  corrigé  ce  qu'ils  en  ont  extrait 

398-401.         çur  une  copie  que  D.  Mabillon  destinait  à  la  continuation 
des  actes  des  saints  de  l'ordre  dé  saint  Benoît'. 


t  II  Ui'V: 


•  X 


XII  SIECLE. 


\ 


LAMBERT   ET   GUYMAN, 

FRÈRES,  RELIGIEUX  DE  SAINT-VAST  D'ARRAS. 

Li'ABBiè'ïîebœut,'  âans  «ft  supp^  à  sa  dîssertatiotf  ^ur      Dissert.  »nr 

letat  des  sciences  en  France  depuis  la  mort  du  roi  Robert  ii'ist- de  Paris, 
jusqu'à  celle  dePhilippé-le-Bel,a  donné  la  notice  de  quelques  J;  js/,— "'93*' 
auteurs  eccle'siastiquës  qui,  sur  la  fin  du  XIP  si,ëcle,  ont 
fleuri  à  Arras  ou'  dans  l'Artois,  et  ne  sont  connus  que  pai^ 
dés'  ouvrages  encore  inaimscrits.  *'•*) 

L  Le  premier»  dont  il  parle  et  celui  sur  lequel  il  s'est 'IS 
plus  étendu  est  Lambert,  prieur  de  Saint- Vast  d' Arras,  qill 
eut  le  talent  dé  la  versification  latine  autant  qu'pn  pouvait  i 

l'avoir  au  çommèhceméint  du  règne  de  PViilippe- Auguste.'  Il 
crut  devoir  l'employer ^Ur  des  sujets  pieux;  il  choisit  pour 
cela  lès  offices  divins  du  cours'  de  l'année,  et  priTicipalfen;ient 
les  évangiles  des  diiiiânches  et'  fêtes,  faisant  entrer  dans  ses 
poésies  quelques  petites  remarques  sur  Ifes  pratiques  '^ui  de 
sou  temps  étaient  en  usage.  M.  Leboéuf  donne  quelques  mor- 
ceaux de  l'ouvrage  de  Lambert,  qu'il  a  tirés  d  un  Inahuscrit 
du  XIII^  siècle  qu'on  lui  avait  communiqué. v^^(,..Çi  •"'.'• 

L'auteur  se  fait  connaître  dans  un  prologue  «ù  il  adresse 
d'abord  la  parole  aSaint-Vast,  patron  du  monastère,  et  puis 
aux  jeunes  religieux  qui  étaient  sous  sa  conduite.  Il  com-      idid.  p.  287. 
menée  ainsi  : 

Hos  ego  Lçimbertus  scripsi,  Christo  duce ,  -versus, 
Monachus  (aqi^ju:için,  ^s^cte  Fedaste ,  tuus. 

Hcec  studiis  delego  tuis,  studiosa  juveiitus  ^ 
Cui  mea  pefvigUat  cura ,  laborque  plus. 

On  voit  par-là  que  Lainbérl  ne  bornait  pas  ses,  soins  à 
veiller  en  qualité  de  prieur  à  l'observance  régulière,  mais 
qu'il  était  aussi  chargé  de  l'instruction  des  jeunes  religieux  de 
son  monastère.  C'est  pour  ses  élèves  qu'il  dit  avoir  composé 
,  son  livre,  afin  de  leur  donner  l'intelligence  des  offices  de  l'église 
dont  ils  "étaient  occupés  nuit  et  jour.  Son  poëme  commence 
au  premier  dimanche  de  l'avent?  par  lequel  s'ouvre  encore^ 
l'année  ecçlésià^tique^et  il  nous  apprend,  si  l'onne  ^e  s^"' 


XII  SIECLE. 


Ibid.  p.  289. 


94  LAMBERT  ET  GUYMAN,  FRÈRES. 

vait  d'ailleurs,  qu'on  lisait  à  la  messe,  ce  jour-là,  l'histoire 
de  l'arrive'e  de  Jésus  -  Christ  à  Jérusalem  ;  ce  qu'il  exprime 
par  ces  vers  : 

Hœc  vox ,  hic  asince  ruditus ,  Adœque  veiusti 
Hic  novus  est  geimtus  criniine  pro  veteri. 

Son  ouvrage  continue  de  rimer  à  la  fin  des  vers  seulement, 
en  sorte  que  le  pentamètre  rime  toujours  avec  l'hexamètre  ; 
ce  qu'il  observe  pendant  plus  de  quinze  cents  distiques.     ,• 

Arrivé  à  la  fête  de  la  Trinité,  il  interrompt  son  travail 
pour  déplorer  la  mort  de  l'abbé  de  Saint- Vast ,  nommé  Jean 
(c'était  Jean  IV,  de  Haimon-Quesnoi),  qu'une  mort  impré- 
vue venait  d'enlever  l'an  i  iq4  :  ce  qui  nous  donne  l'époque 
où  il  écrivait ,  mais  non  celle  de  la  fsxv  de  s^  vie,  qui  se  pro- 
longea peut-être  jusques  dans  le  XlII*  siècle.  I^amoert  fut  si 
affecté  de  la  perte  de  son  abbé,  qu'il  résolut  de  ne  plus  écrire 
pour  se  livrer' entièrement  à  la  douleur  qu'elle  lui  causait. 
Mais  Pierre,  q^i  était  alors  évêque  d'Arras,  exigea  de  lui 
qu'il  reprît  son  travail  :  il  obéit,  selon  qu'il  le  dit  dans  ces 
vers,  que  nous  traascrivons  comme  monument  Ifisfôrique 
fort  honorable  à  la  mémoire  de  l' évêque  Pierre  et  de  l'abbé 
de  Sainte  Vast  : 

•  ?•  29».  Dum pressente  fnètro  Iwdit  Tesu  gratta  meoum , 

Corripit  abbatem  mors  inopina  meum. 
Jam  Domini  mille  ducenti  sex  minus  anrii    ■ 

Transievartt^  transit  hic  obitu  mémo  ri: 
-  Quique  sacris  studiis  semper  inhiarat ,  ad  ipsum 

Qiiem  nimis  ardebat ,  evolat  ille  Jesum. 
Ergo  gemens  qtiamvis  pretiosâ  morte  Jokannis , 

Proposui  studia  spemere ,  -Jlere  magis. 
Porro  pigram  vulsit  mihi  Petrus  episeopHs  aurem , 

Quem  clarum  meritis  urhs  Itabet  ista  patrem. 
Félix  Atrehata  hoc  pastore  tôruseat,  it  isio 

Nil  Iipfbuit  majus ,  nil  habitura  viro  : 
Hortatur,  replicatqiie  minas ,  monituque pftenéi , 

Sopitos  cineres  suscitât  ingenii. 
Ergo  resumo  stylum ,  stiuiiiim  înnovq ,  etc. 

IL  Le  prieur  Lambert  tKms  Ikit  connaître  tin  aiitre  Arté- 
sien,  nommé  Arn oui ,  chanoine  régulier  du  moiît  Sfemt-Éloi, 
près  d'Art'as,  qui,  peu  de  temps  avant  lui,  avait  donn^  en 
vers  hexamèti^es  une  exiplication  du  canQii  de  la  itessë;  <I1 


I    L-'HiCf 


I 


LAMBERT  ET  GUYMAN ,  FRÈRES.  96 

rapporte  de  eet  écrit  un  fragment  sur  l'oraisoii  dominicale,  xii  siècle. 
dans  lequel  Arnoul  fait  un.  court  commentaire  sur  cette 
divine  prière.  M.  Lebœuf  n'a  imprimé  qu'un  vers  de  cette 
citation  ,  dont  on  ne  peut  ju^er,  parce  que  le  sens  y  est 
incomplet.  ]^ais  Lambert  fait  d' Arnoul  un  bel  éloge  que  nous 
plaçons  ici  comme  un  supplément  à  son  histoire ,  qui  est 
d'ailleurs  très-peu  connue  : 

Primo  pater  noster  orat;  capit  ex  ïsaïa  ' .'  '"1 

Dona  duo,  reliquajatitur  wangelia. 
Hœc  AugUstinus  notât ,  Aniulphusque  magister 

F'ersièus  exigUis  expUcat  atque  docef. 
Nec  pudeat  tanti  seras  hic  me  ponere  vèrba , 

Grandis  erit  Jructus  in  brevitate  nova. 
Nil  refert  propriis  te  versibus,  an  alienis  pj     r^  ^^^ 

Erudiam ,  quisquis  mystlca  nosse  cupis. 

D.  Martène  avait  trouvé  l'écry;  d'Arnoul  dans  un  manu-      Mart.Anecd. 
scrit  de  l'abbaye  de  Clairmarais;  mais  il  n'en  a  imprimé  1.1,001.477. 
que  la  préface^  adressée  à  Frumolde,  qui  fut  évêqùe  d'Arras 
depuis  l'année  1 174  jusqu'à  1 183.  C'est  dans  cet  intervalle  de 
temps  qu  Arnoul  composa  son  commentaire  ;  mais  il  paraît 

3u'il  vivait  encore  l'an  1 194 ,  puisqu'à  cette  époque  Lambert 
e  Saint- Vast  l'appelle  un  vieillard  vénérable.       > 
in.  Lambert  avait  un  frère  nommé  Guiman  ou  Wimanne, 
religieux,  comme  lui,  de  S.-Vast  d'Arras,  lequel  a  laissé  des 

Sreuves  de  son  érudition  par  la  composition  d'un  oartulaire 
ont  l'histoire  manuscrite  de  Saint -Vast  d'Arras,  qui  est  à  N°  5437  du 
la  bibliothèque  royale,  fait  le  plus  grand  éloge.  Ce  fut  à  la  Catai.  impr. 
prière  de  l'abbé  Martin ,  qui ,  pendant  sa  longue  administra- 
tion depuis  l'an  1 169  jusqu'à  11 83,  rendit  cette  maison  si 
florissante  en  y  maintenant  les  bonnes  études ,  que  Guiman 
recueillit  dans  les  archives  l«s  anciens  documens  qu'il  im- 
portait au  bien-être  de  la  maison  de  conserver,  et  qui  com- 
mençaient à  dépérir  de  vétusté.  Il  en  composa  un  caftulaire 
appelé  de  son  nom  ff^imannus ,  à  la  tête  duquel  il  plaça 
l'histoire  de  la  fondation  du  monastère,  et  à  la  suite  les 
chartes  et  rescrits  émanés  des  papes  et  des  souverains,  con- 
cethant  les  droits  et  privilèges  de  l'abbaye  de  Saint -Vast. 
C'est  le  recueil  le  plus  intéressant  que  nous  ayons,  non-seu-  1 

lement  pour  la  ville  d'Arras ,  mais  encore  pour  la  province 
d'Artois.  L'historien  de  Saint- VaSt  ne  craint  paà  de  dire  que 
cette  entreprise  parut  si  neuve  et  si  étonnante,  qu'elle 


Xn  SIECLE. 


96  LAMBERT  ET  GUYMAN,  FRÈRES. 

fut  regardée  comme  une  merveille  :'  Evasit  hoc  opère  (  Giù^ 
ibid.ioL  i6a.  maniiui^)  'vir  inognœ  auctoritatis ,  îicèt  non  tani  ùnperandi 
auctûritate  quant  entditionis  miràcidà ,  et  litteraiiim  péri' 
tid  rei  novce  et  insolitcp  inter  rudes  homines ,  qui  facile  in 
animum  indu^unt  eum  plus  cœteris  sapere  qui  ea  scripsisset. 
Guiman,  selon  cet  historien,  mit  la  main  à  l'ouvrage  dès 
l'anne'e  11 70,  mais.il  ne  l'avait  pas  encore  termine'  lorsqu'il 
mourut  l'an  1192.  Son  frère  Lambert  se  chargea  d'y  mettre 
la  dernière  main,  comme  on  le  voit  dans  cette  pièce  de 
vers ,  qui  a  été  conservée  dans  l'histoire  manuscrite  de  Saint- 
Vast ,  et  qu'il  est  important  de  transcrire  ici ,  parce  qu'elle 
est  anecdote  et  en  même  temps  historique  pour  l'objet  qui 
nous  occupe. 

Ibid.  fol,  i63.  Lambertus,  prior  et  armanus  atque  sacrista, 

O  claustri  veneranda  cofiors ,  tibi  dedicat  ista. 
Non  datur  à  cunetis  iit  templo  gemma  vel  awum  ; 
Sedjerrumfœs,plumbum,  saga,  ligna, piliquecaprarum; 
Non  omnes  intrant  arcanum.  theologiœ , 
*    Condecet  ut  satagens  succurrat  Martha  Marîck. 
Confiteor,  mallem  Marthœ  complere  laborem, 
Quam  sine  Jine  scqui ,  nec  prendere  posse  sororem, 

>  O  qui  fastidis  moralia  gregoriana , 

Hcec  lege  ;  non  erit  hcec  ,Jateor,  tibi  lectio  vana  : 
Invenies  quis  honor,  quis  apex ,  quœ  gloria ,  Jastus 
Huic  domui ,  quid  in  hac  habeatpater  urbe  Vedastits; 
Çuœ  prope ,  quœ  longe  domus  hcec  servet  sibijiva, 
Instruat  ut  cunctos  liber,  est  mihi  scribere  cura  : 
Jam ,  nifallor  ego,,  -vicenus  solvitur  annus , 
Ciun  mihi  germanus ,  describeret  ista  JITirfiannus. 
Hiijuf  percurrens  ego  scripta,  cor  applico  totum, 
Ut  complere  queam  germani  nobile  ziotum. 
'  ^  Qui  legis  hœc ,  Jratrisque  mei  mémento ,  rogaque 

•)"ti/j[      i  •Jidsit  utrique,  et  utrumqiie  stolâ  Jésus  orriet  utraque. 
'  Transierant  mille  ducenti  octo  minus  anni 

Virginis  a  porta ,  cum  transit  vita  Wimanni;  . 
Quâ  Mardis  colitw  martjrr  ,cum  riuirtjrre  Jratre , 
Hac  f rater  rapitur  mihi  lucé ,^uperstit€  frotte. 
Ergo  super stes  ego ,  solusque  relictus,  utrisqiie 
,  In  studiisfvigilo  tibi,  sanct^F'eda^ftuisque. 
Fratribus,  6  teçfor,  œterna preçOiff  duobus j 


I 


GUY  DE  BASAINVILLE.  97 

Privât  uterque  Deo,  vivat  liber  hic,  sed  et  ipsi  '  J_ 

Quos ,  6  diva  cohors ,  divo  tibi  dogmate  scripsi. 
I-Minberti  studium  terrena  et  cœlestia  futur  : 
Hœc  quijastidit,  his  sufficienter  alatur. 
Sicut  Martino  sunt  scripta  dicata  Winianni, 
Sic  nunc  abbati  mea  dedico  scripta  Johanni. 
Vos  precor^  ô  socii,  -vos  nocte  dieque  precari , 
Nos  Deus  ut  faciat  œtemâ  luce  bearî. 

Le  P.  Lelong,  de  l'Oratoire,  annonce  le  cartulaire  de  Bibi. hist.  de 
Guiman  comme  existant  dans  la  bibliothèque  royale  parmi  l'^'p""'*^'. 
les  manuscrits  de  Colbert,  cote  699.  Il  se  trompe  :  ce  ma- 
nuscrit, que  nous  avons  sous  les  yeux,  n'est  pas  un  cartu- 
laire, c'est  une  histoire  de  l'abbaye  de  Saint-Vast,  fort  bien 
'écrite  par  un  auteur  moderne,  l'an  1 583,  lequel  déclare  avoir 
fait  usage  de  l'écrit  de  Guiman ,  'mais  en  changeant  le  style. 

IV.- Le  même  P.  Lelong  indique  un  manuscrit  de  l'abbaye  la'xe.**""' 
de  Pontigni,  ayant  pour  titre  :  Lamberti  prions  S.  Vedasti 
Atrehatensis ,  rithmi  in  universa  Bihlia.  On  ne  peut  douter 
que  ce  ne  soit  l'ouvrage  de  notre  Lambert,  si  l'on  fait  atten- 
tion que  Pierre,  évêque  d'Arras,  le  Mécène  de  Lambert, 
avait  été  abbé  de  Pontigni  avant  son  épiscopat,  et  qu'il  aura 
enrichi  son  ancienne  abbaye  d'une  production  à  laquelle  il 
pouvait  avoir  eu  quelque  part.  B. 


GUY  DE  BASAINVILLE, 

PRÉCEPTEUR     ou.    MAITRE     PARTICULIER    DE     l'oRDRE 
DES    TEMPLIERS. 

Cj'est  à  tort,  à  ce  qu'il  nous  semble,  que  l'on  a  donné 
le  titre  de  grand -maître  de  l'ordre  des  'Templiers  au  Guy 
de  Basainville,  auteur  d'une  lettre  insérée  dans  la  collection 
de  Duchesne.  Son  nom  ne  se  trouve  dans  aucune  des  listes        Ducliesne, 
des  grands-maîtres  de  cet  ordre.  Il  est  vrai  que  toutes  ces  *•  ^'  p-^'^. 
listes  sont  assez  inexactes,  comme  l'observent  les  auteurs      Andeyérif. 
de  l'art  de  'vérifier  les  dates;  mais  on  y  a  plutôt  multiplié  '"  dates,t.  i, 
Tome  XF.  .  N  ^    '" 


Xir  SIECLE. 


98  GUY  DE  BASAINVILLE. 

que  réduit  les  noms ,  parce  que  l'on  a  pris  pour  des  grands- 
maîtres,  des  supe'rieurs  généraux  de  provinces.  Au  reste,  la 
lettre  de  Guy  de  Basainville  ne  pouvait  donner  lieu  à  au- 
cune erreur  sur  son  véritable  titre,  puisqu'il  y  prend  lui- 
même  la  qualité  de  prœccptor,  et  non  de  magister  tcmpli, 
et  qu'on  ne  peut  guère  traduire  ce  mot  prœceptor  que  par 
celui  de  supérieur  ovl.  maître  particulier. 

Cette  lettre  est  le  seul  monument  littéraire  que  nous  con- 
naissions de  ce  chevalier;  et,  comme  les  histoires  des  croi- 
sades restent  muettes  sur  ses  actions,  nous  sommes  réduits 
à  des  conjectures,  même  sur  l'époque  où  il  a  vécu. 

La  lettre  que  Duchesne  nous  a  conservée ,  et  qu'il  avait 
extraite  d'un  manuscrit  de  Nicolas  Cnmusat,  chanoine  de 
Troyes,  est  sans  date  d'année;  mais  elle  lut  écrite,  le  4  oc- 
tobre ,  à  Saint  -  Jean  -  d'Acre ,  si  toutefois  l'on  doit  traduire 
par  le  nom  de  cette  ville,  ce  qui  est  très-vraisemblable,  le 
mot  Achon ,  qui  précède  la  date  du  4  octobre.  L'évêque 
d'Orléans,  à  qui  elle  est  adressée,  n'y  est  point  nommé, 
comme  on  peut  le  voir  par  les  pren)ières  ligues  que  nous 
Duchesne,  allons  citcr  :  Firo  venerabili  in  Christo ,  pati  i  ac  Domino, 
V,  p.  272.  2)et  gratia  aurelianensi  episcopo ,  /rater  Cuido  de  Basaiii- 
villa  domorum  m.ilitiœ  templi  prœceptor  in  regno  hjeroso- 
limitano.  Etc. 

L'objet  de  Guy  de  Basainville,  en  écrivant  à  l'évêque 
d'Orléans,  était  de  lui  doimer  des  nouvelles  de  ce  qui  se  pas- 
sait dans  les  pays  d'outre-mer.  Mais  ses  récits  sont  si  vagues, 
et  rédigés  dans  un  style  si  barbare  et  si  obscur,  qu'ils  n'ap- 
prennent rien  de  positif,  et  que  ce  n'est  pas  même  sans  dif- 
ficulté qu'on  peut  déterminer  à  quelle  époque  ils  appartien- 
nent dans  l'histoire  des  croisades.  On  y  voit  qu'une  armée 
de  Tartares  a  envahi  le  pays  du  sultan  d'Iconium  (  l'écrivain 
ne  nomme  point  leur  chef  )  ;  qu'ils  pillaient  les  villes ,  for- 
çaient de  marcher  avec  eux  les  habitans  qu'ils  ne  voulaient 
ibid.  OU  ne  pouvaient  égorger.  Ilomines  quos  ore  gladii  inter- 
ficere  nequeunt ,  seu  nolunt ,  ipsos  perire  faciunt  in  prœliis 
contra  alias  nationes. 

A  ces  traits  on  ne  pourrait  reconnaître  l'armée  que  cora- 
ïhandait  ce  saladin,  qui  fut  presque  toujours  généreux  et 
humain,  sur-tout  envers  les  Musulmans,  si  d'autres  passages 
ne  faisaient  présumer  que  c'est  vraiment  de  la  grande  et  de 
la  plus  célèbre  expédition  de  ce  grand  général  qu'il  est  ici 
'  question.  «  Sur  un  rapport  du  roi  d'Arménie,  ajoute  Guy  de 


XII  SIECLK. 


GUY  DE  BASAINVILLE.  qy 

Basainville,  nous  devons  croire  que  l'intention  des  ennemis 
est  de  marcher,  au  printemps ,  sur  Jérusalem  et  de  s'en  em- 
parer. Si  cela  arrrive,  comme  on  le  croit  gcne'ralement ,  c'en 
est  fait  de  toute  la  chrétienté  dans  ce  pays  ;  la  maison  du 
Seigneur  sera  livrée  aux  impurs.»  Rege  Armeniœ  intellixi-  Duchesne, 
mus  referente  quod  statim  post  hiemem,  ad  aprilis  herba-  t.  v,  p.  272.  . 
giuniy  proponunt  versus  Hierusalem  siux  castra  dirigere,  et 
illam  totaliter  occupare.  Quod  si  futurum  est,  ut  multorum 
tenet  assertio ,  christianitas  cisnmrina  disperiet ,  et  domus 
Domini  replebitur  omni  génère  immundoruni. 

Ceci  nous  semble  prouver  clairement  en  quel  état  déses- 
péré étaient  déjà  les  affaires  des  chrétiens  dans  l'Asie.  Mais 
enfin  Jérusalem  n'était  point  encore  au  pouvoir  de  leurs 
ennemis.  Sa  prise  n'est  annoncée  que  pour  le  printemps  sui- 
vant; et  en  effet  Saladin  s'en  empara  en  juillet  1187.  Ainsi 
l'on  peut  rapporter  hi  date  de  la  lettre  à  l'année  11 86. 

Guy  de  Basainville  termine  sa  lettre  par  la  description 
des  funestes  résultats  qu'avait  eus  un  tremblement  de  terre  ^ 

à  la  Mecque  et  dans  les  environs.  Des  villes  avaient  été  ren- 
versées; le  tombeau  même  du  prophète  avait  été  englouti. 
Pendant  trois  jours  il  était  sorti,  des  pieds  d'une  montagne, 
des  torrens  d'un  feu  que  rien  ne  pouvait  éteindre,  et  qui 
dévorait  les  arbres,  les  hommes,  et  la  terre  elle-même.  Li-  ibid, 
gnum,  homines,  lapides,  et  ipsam  etiam  terrant,  duohus 
passihus  subtils  terrain,  dévorât  et  consumit. 

Les  historiens  des  croisades  font  bien  mention  d'un  hor- 
rible tremblement  de  terre  qui  renversa  plusieurs  villes  de  v 
Syrie  et  de  Palestine;  mais  ce  fut  en  1170  qu'il  se  fit  sentir, 
c'est-à-dire  sous  le  règne  d'Amauri  P"",  et  lorsque  ce  roi  re- 
venait de  son  injuste  et  funeste  expédition  contre  Damiette. 
Jérusalem  n'était  point  encore  menacée ,  et  ne  fut  prise  que 
seize  ans  après  par  Saladin.  Ainsi  ce  n'est  point  de  ce  trem- 
blement de  terre  que  parle  Guy  de  Basainville.  Il  faut 
croire  qu'il  n'a  rapporté  en  cette  occasion  qu'un  de  ces  faux 
bruits  que  l'on  répandait  souvent  dans  l'armée  des  chré- 
tiens ,  pour  leur  faire  croire  que  Dieu  lui-même  prenait 
leur  défense  et  frappait  leurs  ennemis. 

En  supposant  que  le  Templier,  auteur  de  cette  lettre,  ait 
survécu  aux  désastres  multipliés  qui  furent  la  suite  de  la 
prise  de  Jérusalem ,  nous  pouvons  placer  sa  mort  entre  1 1 90 
et  1195.  A.  D. 

■  Na 


XII  SIECLE. 

GAULTIER  DE  LILLE, 

ou    DE    CHATILLON. 


Cje  poète  latin, qui  florissait  dans  la  dernière  moitié  duXII" 
siècle,  était  né  à  Lille,  et  sans  doute  il  en  porta  d'abord  le 
nom.  Il  fit  ses  études  à  Paris,  oii  il  eut  pour  maître  Etienne 
de  Beauvais.  Etant  ensuite  allé  s'établir  à  Châtillon ,  sans  que 
l'on  sache  positivement  dans  laquelle  des  trois  ou  quatre  villes 
de  ce  nom  qui  sont  en  France  (i),  il  changea  le  nom  de  Lille 
pour  celui  de  Châtillon.  C'est  ce  qu'il  dit  positivement  dans 
son  épitaphe,  qu'il  fit  lui-même  (2)  : 

Insula  me  genuit,  rapuit  Castelllo  nomen  ; 
Perstrepuit  modulis  Gallia  tota  meis,  etc. 

Il  paraît  qu'il  fut  chargé  dans  cette  ville  de  la  direction 

Nota,  ex  ras.  des  ecoles,  et  qu'il  s'y  fit  connaître  par  des  poésies  légères; 

cod.455o,Bibi.  mfùs  n'y  ayant  pas  trouvé  les  avantages  et  l'avancement  qu'il 

Colbert.  j      •      •    "^  •i"'  '     i-     ^    t>    i  v     -i    '       i-      i        i    ■       •    -i  * 

désirait,  il  se  rendit  a  Bologne,  ou  il  étudia  les  lois  civiles  et 

Jbid.  le  droit  canon.  Il  revint  ensuite"  en  France ,  et  fut  placé  en 

qualité  de  secrétaire  auprès  de  Henri  T''  tlu  nom,  archevêque 

Joan.Sarisb.  de  Rheims.  On  en  pourrait  conclure  que  c'était  à  Chàtillon- 

pp.  i83,  1166.  sur-Marne  qu'il  avait  précédemment  fait  un  long  séjour,  qu'il 

était  revenu  dans  cette  ville,  et  que  de-là  il  ayait  été  appelé 

par  l'archevêque,  ou  qu'il  était  allé  se  présenter  à  lui. 

Guillaume  P'"  ayant  succédé  à  Henri  dans  cet  archevêché 
~  en  1 176 ,  Gaultier  conserva  sa  place.  Il  jouit  même  d'une  fa- 

veur plus  particulière  et  d'une  plus  grande  intimité  auprès 
du  nouveau  prélat,  qui  paraît  avoir  aimé  les  lettres.  Ce  fut 
sans  doute  alors  qu'il  composa,  ou  du  moins  qu'il  acheva  un 
poëme  héroïque  en  dix  livres,  dont  Alexandre  est  le  héros,  et 

au'il  intitula  :  Alexandris ,  sive  gesta  Alexandri  magni.  Il  le 
édia  à  son  archevêque.  Guillaume  occupa  ce  siège  depuis 
1176  jusqu'en  1201;  c'est  donc  dans  cet  intervalle  de  temps 

(i)  Châtillon  sur  Seine,  sur  Loin,  sur  Indre,  sur  Marne, 
(a)  La  note  tirée  du  manuscrit  de  Colbert  porte  :  Quod  ipse  testatur. 
Insula  me  genuit ,  etc. 


GAULTIER  DE  LILLE.  loi 

que  Gaultier  fît  son  poëme.  Si  ce  fut  à  la  prière  de  Guillaume    ^"  SIECLE. 
lui-même  qu'il  l'entreprit,  comme  le  porte  une  note  écrite 
sur  un  manuscrit  de  la  bibliothèque  de  Colbert,  ce  ne  fut      Vbi  supra. 
pas  du  moins  l'année  du  meurtre  de  Thomas  de  Cantorbery 
qu'il  le  commença,  comme  le  dit  la  même  note,  ce  crime         md. 
ayant  été  commis  dès  1170.  Mais  Gaultier  en  parle  dans  son 
7«  livre  comme  d'un  événement  récent;  ce  qui  peut  faire 
croire  qu'il  travaillait  à  son  poëme  déjà  depuis  plusieurs  an- 
nées, et  que  ce  ne  fut  qu'en  l'achevant  qu'il  plaça  au  commen- 
cement et  à  la  tin  le  nom  et  les  louanges  de  son  patron,  et 
au  premier  vers  de  chacun  des  dix  livres  une  dispositien  de 
lettres  dont  nous  allons  bientôt  parler.  La  protection  de  l'ar- 
chevêque Guillaume  procura  au  poète  un  canonicat  de  l'église 
de  Tournay,  selon  Fabricius;  mais  la  note  manuscrite  citée      Bibl.  med.  et 
ci-dessus  dit  que  ce  futde  l'église  d'Amiens, et  que  ce  Gaultier  »nf-iat.  iib.vir.. 
mourut  de  la  peste  dans  cette  dernière  ville.  Outre  son  poëme 
de  l'Alexandride,  il  avait  composé  plusieurs  ouvrages  :  Casimir 
Oudin  a  publié  de  lui  trois  livres  de  ôi\?\o^Vi^?,  ^  advcrshs  ju- 
dœos,  dans  son  recueil  intitulé  :  Veterum  aliquot  Galliœ  et 
Belgii  scriptorum  opusçula  sacra  nunquam  édita,  1692,  in-S*». 
Cette  édition  est  précédée  de  la  vie  de  l'auteur  et  ornée  de 
son  portrait  grave.  Le  même  Oudin  lui  a  consacré ,  à  la  fin 
de  ses  comnientarii  de  scriptoribus  et  scriptis  ecclesiasticis , 
t.  2,  p.  1666,  un  article  dans  lequel  il  cite  comme  de  lui  un 
recueil  intitulé  Opusçula  varia ^  conservé  parmi  les  manus- 
crits de  la  bibliothèque  royale  de  France,  n°  5333,  et  dont      ce  ms,  dan» 
il  détaille  les  titres  avec  le  folio  du  manuscrit  où  se  trouve  'e  cataiog.  îm- 
chacun  de  ces  opuscules.   Il  avoue  ensuite   que  Guillaume  P"'^''' est  sous 
Cave,  dans  son  Hist.  littcr.  scriptor.  ecclesiastic,  attribue  une 
gi'ande  partie  de  ces  mômes  opuscules  à  Gaultier  Mapos,  cha- 
pelain du  roi  d'Angleterre  Henri  II  et  archidiacre  d  Oxford. 
Enfin  Bernard  Pez  a  inséré,  dans  le  t.  a,  part.  2  de  ses  anec^ 
dotes, un  traité  de  SS.  Trinitate,  qu'il  attribue  à  notre  Gaul- 
tier, opinion  qu'il  développe  dans  sa  dissertation  isagogique, 
p.  xxir.  Mais  ces  ouvrages,  en  supposant  même  qu'ils  fussent 
en  effet  tous  de  lui,  auraient  moins  fait  pour  sa  réputation 
que  l'Alexandride. 

Ce  poëme  est  généralement  regardé  comme  supérieur  aux 
autres  poèmes  latins  que  l'on  écrivait  alors.  Du  temps  de  l'au- 
teur, ou  peu  de  temps  après,  on  le  préférait  même  aux  an 


ciens;  et  à  la  fin  du  XIII^  siècle  on  l'expliquait  dans  les  éco 
à  la  place  de  l'Enéide,  que  l'on  commençait  à  connaître,  m 


les 
mais 


loâ  GAULTIER  DE  LILLE. 

Xir  SIECLE.         ,.  .       ■       .  ,r, 
™  qua  en  juger  par  cette  preterence,  on  entendait,  ou  quau- 

moins  on  apprenait  fort  mal. 
Delà  langue       Fauchet,  en  parlant  de  l'Alexandride,  prétend  que  ce  fut 
et  poésie  franc,  un  de  CCS  poëmes  qui  furent  composés  à  la  louange  de  Phi- 
iT.  I,  c.  7.        lippe-Auguste;  et  en  cela  il  se  trompe.  On  va  voir  par  l'ana- 
lyse du  poëme  de  Gaultier  qu'il  n'y  a  mis  aucun  éloge  direct 
ni  même  indirect  de  ce  roi,  sous  lequel  cependant  il  écrivait. 
Plus  occupé  de  l'archevêque  Guillaume   que  de  Philippe, 
il  ne  s'est  pas  contenté  de  lui  dédier  son  poëme,  il  a  com- 
mencé le  premier  vers  de  chacun  des  ses  dix  livres  par  une 
des  dix  lettres  qui  composent  le  nom  de  Gidllerrnus  que  l'on 
écrivait  alors  indifféremment  pour  Guillelmus ,  et  l'on  voit 
que  les  lettres  initiales  de  ces  dix  premiers  vers,  réunis  en 
acrostiche ,  forment  en  effet  ce  nom. 

L.  I   Gesta  ducis  Macedûm  totum  digesta  per  orbem. 
•  2   Ultorein  magnum  patriœ  jam  fata  minantem. 

3  lamfragor  armorum ,  jam,  strages  bellica  vincit. 

4  Luridus  et  piceo  siiffiisus  liimina  fumo. 

5  l'ego  Numœ  régis  latâ  de  mensibus  olim. 

\  6  Ecce  lues  mundi!  regum  timor  ultimm  ecceî 

•j*  Restitit  hesperio  mœrensque  in  littore  Phœbus. 
8  Mcmnonis  œterno  deplorans  funera  luctu, 
g   Ultima  terribiles  Macedûm.  censura  tumultûs. 
10  Srderios  vultûs  et  ainicurn  navibus  amnem, 

Guillaume  était  du  sang  royal  d'Angleterre ,  et  descendait, 
par  sa  grand'mère,  de  Guillaume-le-Conquérant.  Il  avait  été 
archevêque  de  Sens  avant  de  l'être  de  Rheims.  Le  poète  n'a 
oublié  aucune  de  ces  circonstances  dans  l'invocation  qu'il  lui 
adresse,  et  qui  corçmence  au  12*=  vers  :  il  assure  même  que 
Sens  n'avait  pas  été  moins  honoré  par  son  pontificat  qu'il  ne 
l'avait  été  autrefois  lorsque  les  Sénonais,  dont  Sens  était  la 
capitale,  allèrent  attaquer  Rome  sous  la  conduite  de  Brennus, 
et  qu'ils  se  seraient  rendus  maîtres  du  capitule,  si  l'oie  au 
plumage  d'argent  n'en  eiit  réveillé  la  garde  : 

At  tu ,  oui  mnior  gcnuisse  Britannia  reges 

Gaudet  avos ,  senonum  quo  prœsule  non  minor  urbi 

Nupsit  honor  quam  cum  Romam  senonensibus  armis 

Fregit,  adepturus  Tarpeiam  Brennius  arcem. 

Si  non  exciret  -vigiles  argenteus  anser; 

Quo  tandem  regimen  caihedrœ  Rhemensis  adepto 

Durit ice  nomen  cunisit  bellica  tellus,  etc. 


GAULTIER  DE  LILLE.  io3 

Ce  poëme  n'a  dans  son  plan  ni  dans  sa  conduite  rien  de 
poe'tique  ni  de  merveilleux  :  il  suit  chronologiquement  la 
marche  de  Quinte-Gurce ,  et  à  quelques  médiocres  inventions 
près,  ce  que  l'auteur  ajoute  du  sien  se  réduit  le  plus  sou- 
vent à  des  monologues  prolixes  et  à  de  longs  discours. 
Alexandre  paraît  au  i^''  livre  à  peine  adolescent,  mais  déjà 
iitipatient  Je  se  signaler  en  combattant  les  Perses,  ennemis 
de  sa  patrie  et  de  son  père.  Aristote,  que  le  poète  représente 
avec  l'extérieur  hideux,  la  face  et  le  corps  maigre,  les  che- 
veux négligés,  et  tout  l'air  enfin  d'un  pédant  usé  par  l'étude, 
vient  donner  au  jeune  prince  des  leçons  assez  communes  de 
morale  et  de  politique.  Philippe  meurt,  et  Alexandre  va  se 
faire  couronner  roi  a  Corinthe.  C'était  au  mois  de  juin,  qui 
est  ici  désigné  comme  si  l'action  se  passait  à  Rome  et  non 
pas  dans  la  Grèce, par  la  ressemblance  de  son  nom  avec  celui 
des  jeunes  gens  : 

Mensis  erat ,  citjus  juvenum  de  nomine  nomen. 

Les  soldats  que  le  jeune  roi  divise  en  plusieurs  corps  sont 
aussi  appelés ,  comme  des  Romains,  Quintes. 

*Lectosque  ad  bella  Quintes 
•  Dividit  in  Turinas. 

Les  Athéniens  osent  se  déclarer  contre  lui  par  le  conseil 
de  Demosthène ;  il  marche  aussitôt  à  eux;  il  est  déjà  sous  les 
murs  d'Athènes  avec  son  armée  :  Demosthène  soutient,  de- 
vant le  sénat  assemblé,  le  parti  de  la  guerre,  Eschine  celui 
de  la  paix.  Alexandre  menace;  le  parti  de  la  paix  l'emporte; 
le  roi  consent  à  renouveler  son  alliance  avec  Athènes.  Il  vole 
à  Thèbes  :  les  Thébains  ferment  leurs  portes  :  il  les  assiège: 
la  ville  est  prise  de  vive  force.  Alexandre  y  entre  à  la  tète  de 
ses  troupes.  Un  poète  nommé  Cloade  s'approche  de  lui,  et 
lui  chante  en  vers  lyriques  (i)  des  conseils  de  clémence  et  de 
pardon.  Mais  ce  sont  des  vers  et  des  conseils  perdus  :  Alexan- 
dre persiste  dans  sa  colère ,  fait  abattre  les  tours  et  brûler  le 
reste  de  la  ville. 

Propositique  tenax ,  irœ  permittit  habenas, 
AEqudrique  solo  turres ,  ac  mœnia  primo 
Imper at  et  reliquam  Fulcano  fulminât  urbem. 

Il  se  prépare  aussitôt  à  la  guerre  contre  les  Perses  ;  réunit 
toutes  ses  forces,  rassemble  tous  ses  vaisseaux,  s'embarque 

(i)     Ljrricisque  subintulit  ista. 


XII  SIECLE. 


XII  SIECLE. 


io4  GAULTIER  DE  LILLE. 

avec  son  armée,  traverse  la  mer,  et  débarque  sur  les  côtes 
d'Asie.  L'auteur  ne  laisse  pas  échapper  cette  occasion  de 
faire  une  description,  poétique  autant  qu'il -peut,  mais  sur- 
tout géographique,  de  l'Asie  et  des' différens  états  qui  la  par- 
tagent..Il  finit  par  la  Judée  et  par  Jérusalem;  et  confondant 
lés  époques  de  l'histoire,  au  lieu  de  dire  que  là  un  Dieu  doit 
naître  d'une  Vierge,  et  qu'il  doit  ébranler  par  sa  mort  et 
faire  trembler  le  monde,  il  parle  de  ces  grands  événemens 
comme  des  choses  déjà  passées  au  temps  de  l'expédition 
d'Alexandre. 

Inde  Palestinœ  cunctis  superemùict  una 
Unius  Judœa  Dei,  lerosoljma  ter r ce 
In  centra  posita  est,  ubi  ■virginis  édita  partu 
Vita  obiit,  nec  starc  Deo  moriente  renatus 
Sustinuit ,  sed  pcrtrcmuit  pcrterritus  orbis. 

Alexandre  traverse  la  Cilicie,  la  Phrygie,  et  s'arrête  aux 
ruines  de  Troie;  il  visite  les  tombes  des  héros,  entre  autres 
celle  d'Achille,  à  qui  il  n'envie  que  son  Homère;  mais,  au  lieu 
de  ce  simple  mot,  il  fait  un  très -long  discours,  et  raconte 
même  à  ses  guerriers  un  songe  qu'il  avilit  eu  aussitôt  après 
la  mort  de  son  père.  Un  grand  prêtre,  revêtu  de  tous  les 
ornemens  sacerdotaux,  lui  était  apparu,  l'avait  exhorté  à  sortir 
de  ses  états,  à  entrepi-endre  la  conquête  du  monde;  lui  avait 
répondu  du  succès,  en  lui  demandant  pour  toute  récompense 
que  si,  avant  d'entrer  dans  une  ville  conquise,  il  voyait  s'a- 
vancer vers  lui  un  prêtre  vêtu  comme  celui  qui  lui  apparais- 
sait l'était  lui-même,  il  épargnât  cette  ville  et  ses  habitans. 
C'était  une  prédiction,  car  dans  la  suite, après  la  prise  et  la 
destruction  de  Tyr,  ayant  les  mêmes  desseins  sur  Jérusa- 
lem, et  s'approchant  de  cette  ville,  le  grand-prêtre  des  juifs, 
revêtu  de  ces  mêmes  habits,  vint  au-devant  du  vainqueur; 
Alexandre  descendit  de  son  cheval,  adora  le  grand-prêtre, 
entra  sans  suite  dans  la  ville,  se  rendit  au  temple,  y  fit  de 
riches  présens,  et  permit  aux  Hébreux  de  jouir  des  douceurs 
de  la  paix. 

Au  second  livre,  Darius,  menacé  par  l'approche  d'Alexandre, 
lui  écrit-  une  lettre  insolente  :  Alexandre  n'y  répond  qu'en 
avançant  toujours.  A  Sardes,  il  coupe  le  nœud  gordien  :  il 
marche  ensuite  à  plus  grandes  journées.  Darius  vient  au- 
devant  de  lui  et  quitte  les  bords  de  l'Euphrate;  description 
de  son  armée.  Alexandre  se  baigne  dans  le  Cydnus.  L'excès- 


-       Gj^ULTIER  de  LILLE.  io5 

sive  froideur  de  l'eau  le  saisit;  il  tombe  dangereusement  ma- 
lade :  tandis  que  son  me'decin  Philippe  le  rappelle  à  la  vie, 
on  l'accuse  auprès  du  roi  de  vouloir  la  lui  ôter,  en  lui  don- 
nant une  médecine  empoisonne'e.  Le  trait  justement  célèbre 
de  la  lettre  présentée  à  Philippe  par  Alexandre,  est  histori- 
quement raconté.  Le  roi  guéri  se  montre  à  son  armée  qui  le 
revoit  avec  des  transports  de  joie.  Les  Perses  continuent  de 
s'avancer.  Darius  harangue  ses  soldats,  Alexandre  les  siens. 
Les  deux  armées  se  préparent  au  combat. 

La  bataille  d'Issus  se  donne  au  commencement  du  troi- 
sième livre.  Elle  est  décrite  dans  un  grand  détail  et  avec  assez 
de  chaleur.  Les  Perses  sont  vaincus  :  Darius  se  sauve  à  Baby- 
lone.  Le  vainqueur  s'empare  de  ses  trésors,  conquête  dont 
le  poète  raconte  ainsi  les  circonstances., 

Victor  victores  a  cœde  reeedere  cogens 

Ad  Gaza,  properare  jubet,  rapiendaque  Gazœ 

Munera  qiiœ  saltûs  jacet  interclusa  latebris. 

It  celer,  et  parlas  partitur  partibus  œquis 

Victor  opes;  onerantur  equi,  gémit  axis  acarus; 

Jam  satur  est,  aurumque  vomit  summo  tenus  ore. 

Sacculus  et  nexus  refugit ,  sperriitque  ligari; 

Fessa  légende  manus ,  non  est  satianda  Icgendo ,  etc. 

Les  soldats  se  portent  au  quartier  des  femmes  ;  les  pillent, 
leur  arrachent  Iqg  riches  ornemens  qui  composaient  leur 
parure  : 

Extorquent  torques,  et  inaures  perdidit  auris 

Leurs  autres  excès  sont  aussi  décrits ,  mais  on  ne  peut  pas 
les  rapporter  de  même.  La  famille  royale  est  seule  épargnée. 
Elle  est  conduite  au  vainqueur  qui  la  reçoit  avec  tous  les 
égards  dus  au  rang,  au  sexe,  et  à  l'infortune.  Siège,  prise  et 
ruine  de  Tyr.  Expédition  d'Egypte.  Alexandre  au  temple  de 
Jupiter  Hammon.  Cependant  Darius  répare  ses  forces,  ras- 
semble une  nouvelle  armée.  Alexandre  quitte  l'Egypte  et 
vole  à  sa  rencontre.  Une  éclipse  de  lune  occasionne  une 
sédition  dans  son  armée.  Le  soldat  murmure ,  et  ose  accuser 
son  roi. 

■  Jam  tœdet  in  idtima  mundi 
Invitas  à  rege  trahi;  montana  queruntur 
Invia,  désertas  vulcano  vindice  terras; 
Urbes  et  Jluvios  admittere  nolle  nocentes; 
Tome  XV.  O 


XII  SIECLE 


io6  GAULTIER  DE  LILLE. 

Xlt  SIECLE.  y  elle  hominum  dominos,  diis  indignantibus ,  esse, 

Astra  infensa  sibi  solitumque  negantia  lumen;  4» 

Inscriptos  Iwmini  regem  transcender e  fines , 
Affectare  polum ,  patriœ  conteninere  sedes  ', 
Unius  ad  laudem  tôt  inire  pericula ,  tantas 
Fortuncç  ^variare  -vices,  etc. 

Alexandre  fait  parler  des  devins  :  ils  expliquent  favorable- 
ment le  phénomène  qui  avait  causé  ces  mouvemens,  et  la 
sédition  s'appaise. 

Le  quatrième  livre  commence  par  la  mort  de  la  femme  de 
Darius;  Alexandre  la  regrette  et  la  pleure.  Darius  apprend 
à-la-fois,  et  la  mort  de  son  épouse,  et  la  manière  généreuse 
dont  elle  a  été  traitée  par  son  ennemi  :  il  adresse  aux  Dieux 
des  vœux  pour  lui,. et  lui  fait  des  propositions  de  paix. 
Alexandre  les  refuse  et  fait  rendre  les  honneurs  funèbres 
aux  restes  de  l'épouse  du  roi  qu'il  va  combattre.  Après  tant 
de  détails  purement  historiques,  on  trouve  enfin  ici  une  in- 
vention du  poète.  Le  tombeau  qu'Alexandre  fait  élever  au 
sommet  d'une  montagne,  à  la  femme  de  Darius,  est  con- 
struit par  un  habile  artiste  juif  qu'il  nomme  Apelle.  Cet 
artiste  n'y  grave  pas  seulement  des  rois  et  des  noms  grecs, 
mais  il  y  représente  les  histoii;;es  de  la  guerre ,  depuis  le  com- 
mencement du  monde  : 

Tumulumque  in  vertice  rupis 
Imperat  excidi,  quem  structum  schemate  mtro 
Erexit  celeber  digitis  hebrœus  Apelles. 
Nec  solïim  reges  et  nomina  gentis  Achœœ , 
Sed  generis  notât  historias ,  ab  origine  mundi 
Incipiens, 

Ce  morceau  d'histoire  hébraïque  n'a  pas  beaucoup  moins 

de  cent  vers,  et  l'on  voit  comment  il  est  amené;  mais  on  ne 

voit  pas  comment  toutes  les  figures,  depuis  la  création  jus- 

*  qu'au  règne  d'Esdras,  étaient  représentées  sur  un  tombeau, 

Totaque  picturœ  séries  finitur  in  Esdra; 

ni  comment  cela  fut  fait  par  un  seul  homme  et  en  si  peu  de 
tems.  Alexandre,  après  cette  cérémonie,  marche  contre  Darius. 
Parménion  l'engage  à  combattre  pendant  la  nuit  :  il  rejette 
ce  conseil.  L'armée  des  Perses  est  sur  ses  gardes;  elle  allume 
de  grands  feux.  Les  armes  brillent  à  leur  clarté  :  le  poète 
dont  le  défaut  habituel  est  l'exagération  et  l'enflure,  s'y  livre 


GAULTIER  DE  LILLE.  107 

sur-tout  dans  les  vers  suivans ,  où  il  dit  que  les  casques  bril- 
lent à  l'envi  des  e'toiles,  que  l'Ether  est  surpris  de  voir  des 
feux  pareils  aux  siens  réfléchis  par  les  boucliex'S ,  qu'il  craint 
que  la  terre  ne  tâche  de  devenir  le  ciel,  et  que  la  nuit  se 
réjouit  de  ressembler  au  jour;  car  au  lieu  de  soleil,  elle  a  le 
casque  d^ Darius  qui  éclate  comme  Phœbus  même;  une  pierre 
enflamme'e  brille  au  sommet;  elle  obscurcit  les  astres  de  la 
nuit ,  et  s'indigne  de  céder  seule  aux  seuls  rayons  du  soleil  ; 
autant  elle  lui  cède,  autant  elle  l'emporte  sur  eux. 

S'ideribus  certant  galeœ,  cljpeisque  retusis 
Invertisse  pares  Jlanunas  stupet  arduus  œther, 
Et  metuit  cœlumjieri  ne  terra  laboret; 
Nec  minimum  gaudet  nox  instar  habcre  dieî. 
Nam  pro  sole  sibi  Darii  datur  œmula  Phœbi 
Cassis ,  et  in.  summo  lampas  sedet  ignea  cono , 
Sideraque  noctis  obscurans ,  solaqtie  solis 
Solius  radiis  indignans  ccdere  :  qitantum 
Lumine  cedet  ei,  tantiim  prœjudicat  illis. 

Une  seconde  fiction  poétique  nous  transporte  dans  une  île 
que  l'auteur  place  au  milieu  du  Tibre,  île  vénérable  par  le 
heu  même.oii  elle  est  placée,  et  que  l'univers  réclame  pour 
la  capitale  de  l'empire.  Un  temple  s'y  élève ,  soutenu  pjir  des 
colonnes  carrées  :  c'est  celui  de  la  victoire.  L'ambition ,  mère 
inquiète  des  soucis,  veille  à  l'entrée.  La  déesse  est  assise  sur 
un  trône  d'ivoire.  Ses  compagnes  l'environnent:  c'est  la  gloire 
qui  fait  entendre  des  chants  immortels,  la  majesté  qui  op- 

f)rime  les  siècles  par  son  orgueil ,  le  respect  qui  se  concilie 
e  peuple  docile ,  et  la  justice  qui  arme  les  lois  et  protège  le 
bon  droit.  La  clémence  est  auprès  d'elle,  et  c'est  elle  qui 
rend  stable  le  trône  de  la  déesse.  On  y  voit  aussi  la  richesse, 
barbare  en  ses  mœurs,  aliment  des  vices  et  mère  du  luxe, 
et  la  concorde  ou  la  réconciliation  qui  donne  des  baisers  pa- 
cifiques çt  oublie  tout  sujet  de  haine ,  et  la  paix  qui  rend  la 
culture  aux  campagnes,  et  l'abondance  avec  sa  corne  toute 
remplie.  Vis-à-vis  la  divinité  se  tiennent  les  applaudisse- 
mens  et  la  faveur  ambiguë,  et  le  ris  adulateur,  qui  tous 
s'empressent  de  flatter  la  déesse,  et  font  résonner  autour 
d'elle  des  sons  et  des  chant»  mesurés  qu'ont  préparés  les 
Muses.  La  victoire,  occupée  du  jeune  héros  son  favori,  le 
voit  agité  à  la  veille  de  cette  grande  bataille.  Elle  craint  pour 
lui  l'insomnie  de  la  nuit;  elle  se  couvre  d'un  voile,  va  trouver 

Oa 


Xir  SIECLE. 


XII  SIECLE. 


ïo8  GAULTIER  DE  LILLE. 

le  sommeil  dans  son  antre,  et  l'envoie  au  camp  d'Alexandre. 

L'influence  du  Dieu  se  fait  sentir.  Le  roi  passe  la  nuit  en- 
tière dans  le  plus  profond  repos.  L'arme'e  et  tous  ses  chefs 
étaient  debout  :  il  dormait  encore.  On  le  réveille;  il  donne 
ses  ordres  pour  le  combat;  il  harangue  ses  soldats.  Tout  est 
prêt  pour  la  bataille  d'Arbelle. 

La  description  de  cette  bataille  décisive  rempfit  la  plus 
grande  partie  du  cinquième  livre.  L^auteur  y  a  semé  quelques 
épisodes  à  l'imitation  des  anciens.  Il  fait  plus  que  d'imiter 
autant  qu'il  peut  Virgile;  il  le  cite  ou  le  parodie.  Il  apostrophe 
Darius  qui  se  détermine  à  la  fuite.  Tu  ne  fuis  l'ennemi,  lui 
dit-il,  que  pour  rencontrer  d'autres  ennemis: 

Incidis  in  Scjîlam  bupiens  vitare  Charjbdim. 

Tandis  que  Darius  se  retire  dans  la  Médie ,  partie  encore 
intacte  de  son  empire,  Alexandre  poursuit  sa  victoire  et 
marche  vers  la  Syrie.  Babylone  lui  est  livrée.  II  y  fait  une 
entrée  triomphale ,  et  le  poète  ne  manque  pas  de  décrire  ce 
triomphe  accompagné  de  danses,  de  chants,  de  musique  in- 
strumentale, et  de  le  mettre  au-dessus  des  triomphes,  posté- 
rieurs d'environ  trois  siècles,  de  César  après  la  défaite  de 
Pompée,  et  d'Auguste  après  celle  d'Antoine  et  de  Cléopâtre. 
Et  cette  supériorité,  ajoute-t-il,  était  bien  juste;  car,  si  l'on 
compare  les  exploits  du  jeune  Alexandre  avec  ceux  des  guer- 
riers les  plus  célèbres,  le  héros  qu'a  chanté  Ljicain  dans  son 
style  magnifique ,  et  cet  Honorius  auquel  Claudien  a  consa- 
cré ses  vers  pompeux,  ne  paraîtront  plus  que  du  peuple 
auprès  d'un  tel  prince. 

Respecta  principis  kujus 
Plebs  erit.  * 

Il  termine  ce  livre  par  des  vœux  qui  sont  assez  remarqua- 
bles :  «  Si  Dieu  touché  des  gémisscmens  et  des  désirs  de  son 
peuple  accordait  aux  Français  un  tel  roi,  aussitôt  la  vraie 
foi  brillerait  dans  tout  l'univers;  les  Parthes  vaincus  par  nos 
armes,  demanderaient  le  baptême;  Carthage  sortirait  de  ses 
ruines  au  nom  de  J.  G.  ;  et  cette  Espagne  qui ,  sous  Charle- 
magne,  mérita  des  peines  sévères,  relèverait  l'étendard  de  la 
croix;  toutes  les  nations,  toutes  les  langues  chanteraient  les 
louanges  de  Dieu,  et  ce  ne  serait  plus  malgré  soi  que  l'on  se 
soumettrait  à  recevoir  l'eau  sainte,  sous  le  saint  pontife  de 
Rheims.  » 


GAULTIER  DE  LILLE.  109 

Et  nostris  fracta  sub  armis 
Parthia,  Baptismo  renovari  posceret  iiîtro  : 
Quœque  diuiacuit  effusis  mœnibus  alla 
Jdnomen  Christi  Caithago  resurgeret;  et  qiue 
Sub  Carolo  meruit  Hispania  solvere  pœnas , 
Erigeret  vexilla  crucis  :  gens  omnis  et  omnis 
Lingua  Deum  caneret ,  et  non  invita  siibiret 
Sacrum  sub  sacro  Rhemorum  prœsulc  fontem. 

Ces  vers  font  visiblement  allusion  à  l'e'tat  où  e'taient  les 
affaires  de  la  chrétienté',  au  commencement  du  règne  de  Phi- 
lippe-Auguste, en  Palestine,  où  Saladin  reprit  Jérusalem  ;  en 
Espagne,  où  les  Sarrazins  se  maintenaient  et  devaient  se 
maintenir  encore  long-temps,  et  en  France,  d'où  l'on  avait 
chassé  les  juifs,  en  leur  faisant  l'optron  entre  le  bannissement 
et  l'abjuration ,  ou  le  baptême.  Il  paraîtrait  que  c'était  à 
Rheims  qu'ils  devaient  se  rendre  pour  remplir  cette  condi- 
tion; qu'ils  y  allaient,  mais  d'assez  mauvaise  grâce;  ce  dont 
l'auteur  lui-même  était  témoin  dans  la  place  qu'il  remplis- 
sait auprès  de  l'archevêque.  Il  est  vrai  qu'il  ne  daigne  pas 
nommer,  ni  même  désigner  positivement  les  juifs,  comme  il 
a  fait,  les  musulmans;  mais  si  cela  ne  les  regardait  pas,  de 

auelle  autre  nation  ou  classe  d'hommes  pourrait-il  dire  que, 
ans  la  supposition  heureuse  qu'il  établit, 

Non  invita  subiret 
Sacrum  sub  sacro  rhemorum  prœsule  fontem  ? 

Alexandre  séjourne  un  mois  à  Babylone,  dont  les  délices 
commencent  a  corrompre  et  à  amollir  son  armée.  Il  en  sort 
enfin  :  Suze  lui  ouvre  ses  portes;  il  y  fait  un  butin  immense 
qu'il  distribue  à  ses  soldats.  Il  s'empare  de  la  ville  et  du  pays 
des  Uxiens,  marche  à  la  poursuite  de  Darius;  prend,  fait 
piller  et  brûle  Persépolis.  Ici  le  poète,  plus  discret  que  l'his- 
torien, qu'il  suit  d'ailleurs  presque  pas  a  pas,  garde  le  silence 
sur  les  excès  auxquels  son  héros  se  livra  dans  Persépolis,  et 
ne  dit  pas  que  l'incendie  de  cette  célèbre  et  opulente  cité  fut 
le  résultat  d'une  orgie  et  le  fruit  des  conseils  d'une  courti- 
sanne  prise  de  vin  :  Tliais  etipsa  temulenta,  dit  Quinte-Curce  ; 
et  il  ajoute  :  Ebrio  scorto  de  tantâ  re  referenti  sententiam , 
unus  et  alter^  et  ipd  mero  onerati,  assentiuntur.  Rex  guoque 

fuit  avidior  quam patientior. Primus  ignem  regiœ  injecit ; 

tum  convivœ  et  ministii ,  pellicesque.  En  ne  parlant  point  de 


XII  SIECLE. 


no  GAULTIER  DE  LÏLLË. 

XII  SIECLE.  j,g^,.g  tache,  imprimée  sur  le  caractère  d'Alexandre,  Gauthier 
de  Châtillon  a  sans  doute  cru  l'effacer.  Il  s'arrête  au  contraire 
avec  complaisance  sur  un  incident  de  sou  invention.  Alexan- 
dre s'e'tant  remis  en  marche  avec  son  armée,  rencontre  trois 
mille  prisonniers  grecs,  mise'rablement  mutilés  par  les  Perses, 
et  les  délivre.  Il  leur  laisse  le  choix ,  ou  de  retourner  en  Grèce, 
ou  de  se  fixer  dans  le  pays,  où  il  leur  distribuera  des  terres. 
Les  prisonniers  délibèrent  :  les  deux  avis  opposés  sont  dé- 
fendus par  deux  d'entre  eux;  l'un  soutenant  qu'ils  ne  doivent 
point,  dans  cet, état  déplorable  et  hideux,  s  aller  offrir  aux 
yeux  de  leurs  familles,  ae  leurs  femmes,  de  leurs  amis  ;  l'autre 
qu'il  est  toujours  doux  de  revoir  sa  patrie,  qu'il  n'y  a  rien 
de  honteux  dans  l'état  où  un  ennemi  barbare  les  a  réduits; 
que  c'est  faire  injure  à  ceux  qui  les  aiment  que  de  croire 
qu'ils  en  seront  Blessés.  Ce  dernier  orateur  a  peu  de  parti- 
sans: ils  partent  avec  lui;  les  autres  restent  et  reçoivent  de 
leur  libérateur  les  terres  qu'il  leur  a  promises,  de  l'argent, 
de^  troupeaux,  tout  ce  quil  faut  à  une  colonie  de  cultiva- 
teurs. La  fuite  de  Darius  au-delà  d'Ecbatane  ;  le  complot  du 
traître  Dessus;  l'avis  donné  à  ce  roi  par  le  grec  Patron;  le 
refus  que  fait  Darius  de  se  confier  à  d'autres  qu'à  ses  propres 
sujets;  la  résolution  prise  par  Bessus  d'exécuter  son  projet 
la  nuit  suivante,  telle  est  la  matière  du  sixième  livre. 

Au  septième,  la  trahison  de  Bessus  s'exécute  comme  dans 
Quinte-Gurce,  à  quelques  circonstances  près;  Darius  est  em- 
mené, des  chaînes  d'or  aux  pieds,  dans  un  chariot  couvert. 
Alexandre  qui  était  à  sa  poursuite,  apprend  avec  horreur  le 
crime  de  Bessus;  il  marche  avec  plus  de  rapidité  pour  déli- 
vrer Darius  ou  le  venger,  qu'il  ne  faisait  pour  achever  sa  dé- 
faite. Il  menace  de  toute  sa  colère  les  auteurs  de  ce  forfait. 
L'auteur  le  compare  à  Jupiter  poursuivant  les  géans  avec  sa 
foudre  : 

Talis  in  adverses  Jovis  îrrtdt  ira  gîgantes , 
Fulmine  quem  dextram  Jingunt  armasse  poëtœ , 
Cum  jam  centimanus  cœlo  nodosa  Tjphœus 
Braehia  porrigeret,  Martemjlainmara  videres, 
Pallada  vipereo  clj-pco  protendere  vultâs 
Telaque  fatali  spargentem  Delion  arcu. 

La  suite  de  cet  événement  dans  le  poëme  est  entièrement 
conforme  à  ce  qu'elle  est  dans  l'histoire ,  excepté  que,  quand 
Polystrate  trouve  le  chariot  où  Darius  était  couvert  de  blés- 


GAULTIER  DE  LILLE.  m 

sures  et  noyé'  dans  son  sang,  le  roi  placé  aux  dernières  limites 
entre  la  mort  et  un  reste  de  vie , 

MoHis 
Inter  et  exigucp  positum  confinia  vîtes. 

au  lieu  du  peu  de  mots  qu'il  dit  dans  Quinte-Curce,  prononce 
un  fort  long  discours ,  et  que  le  poète  lui-même  fait  à  l'occa- 
sion de  ce  crime  des  réflexions  morales  qui  n'occupent  pas 
moins  de  place.  Quelques-unes  de  ces  réflexions  sont  diri- 
gées avec  amertume  contre  les  vices  de  son  siècle  ;  c'est  une 
satire  qui  commence  par  les  papes  simoniaques  schismati- 
qnes,et  finit  par  les  rois  qui  font  assassiner  de  saints  évêques. 
Si  l'on  pensait,  dit-il,  davantage  aux  peines  qui  attendent  les 
criminels  après  leur  mort,  on  verrait  moins  de  crimes  sur  la 
terre  : 

Non  adeo  ambiret  cathedrœ  venalis  honorem 
Jam  tietus  ille  Simon ,  non  iiicentiva  malorum 
PoUueret  sacras  Jimesta  pecunia  sedes; 
Non  adspiraret,  licet  indole  clarus  aviti 
Sangidnis,  imputes  ad  pontificale  cacumen 
Doncc  eum  mores ,  studiorum  friictus ,  et  œtas 
Eligerent,  merito  non  siiffragante  parentum  : 
Non  geminos  patres ,  diicti  livore,  crearent, 
Prceficerentque  orbi  sortiti  a  cardine  nomen. 


XII  SIECLE. 


Non  caderent  hodie  nulla  discrimine  sacri 
Pontifices  :  quales  niiper  cecidisse  queruntur 
Vicince ,'  modico  distantes  œquore,  terrœ; 
Flandria  Robertum ,  cœsum  dolet  Anglia  Thomam. 

On  voit  que  le  mot  nuper  employé  ici,  rapproche  l'époque 
où  l'auteur  écrivait  son  poëme  de  l'année  1 1 70 ,  où  Thomas 
Becket  fut  tué  en  Angleterre,  et  qu'il  y  dut  travailler,  au 
plus  tard ,  peu  de  temps  après  que  l'archevêque  de  Rheims , 
nommé  en  11 76,  l'eut  appelé  auprès  de  lui.  Il  termine  ce 
morceau  en  adressant  aux  mânes  de  Darius  la  promesse  con- 
solante de  rendre  immortel  le  nom  de  ce  prince,  comme  l'est 
celui  de  Pompée,  et  comme  le  sien  à  lui-même  ne  peut  man- 
qiffii^  de  l'être. 

Te  tamen,  6  Dari,  si  quœ  modo  scribimus,  olim 
Sunt  habitura  Jîdem ,  Pompeio  Francia  juste 
Laudibus  ce'quabit ,  vivet  cum  -vate  superstes 
Gloria  defunctif  nuUum.  moritura  per  œmm. 


XII  SIECLE. 


112  GAULTIER  DE  LILLE. 

Quand  Alexandre  apprend  la  mort  funeste  de  son  rival , 
il  le  pleure  et  jure  de  punir  ses  assassins  :  ainsi,  ajoute-t-il, 
puisse'-je,  après  avoir  soumis  l'Orient, péne'trer  dans  les  murs 
de  l'Hespërie;  soumettre  les  Gaulois  au  joug  des  Grecs;  et, 
traversant  les  Alpes,  dompter  les  Liguriens  et  la  puissance 
romaine. 

Sic  mihi  contingat,  belUs  oriente  subacto, 

Hesperios  penetrare  sinus ,  classemqiie  minacem 

Occiduis  inferre  f refis  ,  cursu^ue  rejlexo , 

Gallica  Grœcorum  ditioni  subdere  colla  : 

Sic  mihi  dent  superi,  trajectis  Alpibus,  unà  i^- 

Cum  populis  ligurûm,  romanas  frangere  •vires. 

Le  poète  oublie  qu'Alexandre  n'avait  peut-être  jamais  en- 
tendu parler  des  Gaulois ,  que  les  Liguriens  étaient  un  petiple 
presque  imperceptible  pour  lui ,  et  que  les  Romains  encore 
aux  prises  avec  les  Samnites,  en  Italie,  n'avaient  aucun  nom 
au-dehors. 

Le  gotit  de  l'auteur  pour  la  sculpture  paraît  ici  une  se- 
conde fois  :  Alexandre,  qui  avait  toujours  le*  juif  Apelle  à  sa 
suite,  fait  e'riger  par  lui  à  Darius  une  haute  pyramide  en 
marbre  blanc ,  recouverte  en  or ,  où  sont  gravées  un  grand 
nombre  de  figures.  Quatre  colonnes  d'argent,  dont  la  base 
et  le  chapiteau  sont  d'or,  soutiennent  avec  un  art  admirable 
une  voûte  concave  sur  laquelle  sont  représentées  les  trois 
parties  du  globe  terrestre,  avec  les  fleuves,  les  forêts,  les 
montagnes,  les  villes,  les  régions ,  les  peuples  qui  les  couvrent. 
L'auteur  en  fait  l'ênumération  détaillée  dans  ses  vers;  et 
comme  son  sculpteur  hébreu  n'ignorait  pas,  dit-il,  le  sens 
des  prophéties  de  Daniel,  il  grava  en  or  sur  le  monument 
cette  épitaphe  : 

Hic  situs  est  tjpicus  àries ,  duo  cornua  cujus 
F  régit  Alexander ,  totius  malleus  orbis. 

Il  n'est  pas  nécessaire  de  répéter  ici  ce  que  nous  avons  dit 
au  sujet  du  tombeau  de  la  femme  de  Darius. 

Ayant  rempli  ces  pieux  devoirs,  Alexandre  donne  à  son 
armée  des  repas  somptueux  et  des  loisirs,  dont  une  sédition 
est  la  suite.  Tous  demandent  à  grands  cris  de  retourner  dans 
leur  patrie.  Alexandre  dissimule  sa  colère;  assemble  ses  sol- 
dats, les  harangue  et  ranime  en  eux  l'amour  de  la  gloire.  Ils 
jurent  d'affronter  tous  les  dangers  où  il  voudra  les  conduire, 
et  de  le  suivre  au  bout  de  l'univers. 


GAULTIER   DE  LILLE.  ii3 

Alexandre  marche  à  leur  tête  vers  l'Hircanie.  Talestris, 
reine  des  Amazones,  vient  le  trouver  dans  son  camp,  suivie 
de  3oo  de  ses  guerriers.  Elle  n'est  pas  attirée  par  le  seul 
désir  de  le  voir,  elle  y  joint  l'envie  plus  singulière  d'avoir  de 
lui  un  enfant.  L'historien  et  le  poète  lui  font  dire  les  choses 
avec  la  même  clarté  et  la  même  simplicité;  tous  deux  nous 
apprennent  que  treize  jours  lui  furent  accordés,  et  qu'ayant 
obtenu  ce  qu  elle  desiiait,  elle  retourna  tranquillement  dans 
ses  états.  Cependant  le  traître  Bessus  avait  osé  prendre  la 
couronne.  Alexandre  veut  aller  l'en  punir;  mais  le  luxe  asia- 
tique, fruit  opulent  de  ses  conquêtes,  remplit  son  camp  dont 
il  corrompt  les  mœurs  et  rallentit  la  marche.  Il  prend  le  parti 
de  briller  toutes  ces  richesses  dangereuses;  il  les  fait  réunir 
en  une  masse  immense,  donne  l'exemple  d'y  faire  jeter  le 
butin  précieux  qu'il  avait  réservé  pour  lui,  et  obtient  ainsi 
sans  murmure  le  sacrifice  qu'il  exigeait  de  son  armée.  La 
conjuration  de  Dymnus  et  de  Ceballinus  contre  Alexandre, 
la  complicité  douteuse  de  Philotas  fils  de  Parménion,  l'accu- 
sation Formée  contre  lui , sa  longue  défense,  les  tortures  qu'on 
lui  fait  subir,  les  aveux  qu'on  en  tire,  sans  qu'il  reste  prouvé 
qu'ils  ne  lui  soient  pas  arrachés  par  la  douleur  plus  que  par 
la  conscience  de  son  crime,  sa  lapidation  ennn,  occupent 
tristement  une  grande  partie  de  ce  huitième  livre.  Bessus 
est  pris  et  livré  à  Alexandre  qui  le  remet  à  Oxatrès  frère 
de  Darius,  pour  en  tirer  la  vengeance  qu'il  voudra.  Oxatrès, 
après  lui  avoir  fait  souffrir  un  long  supplice,  le  fait  mourir  , 
sur  une  croix. 

On  est  enfin  délivré  de  ces  scènes  patibulaires.  Alexandre 
veut  ajouter  à  ses  conquêtes  celle  dfe  la  Scythie.  Il  arrive 
aux  bords  du  Tanaïs.  Il  reçoit  de  la  part  de  ces  peuples  une 
ambassade  célèbre;  le  député  Scythe  perd  son  éloquence 
sauvage,  mais  pleine  de  ton  sens  et  de  raison  :  Alexandre 
passe  le  fleuve,  et  soumet  les  déserts  et  les  montagnes  de  la 
Scythie  à  son  empire.  L'auteur  compare  poétiquement  ce 
peuple  qui  a  résiste  à  tant  de  nations  puissantes,  et  qui  tombe 
sous  le  joug  du  roi  de  Macédoine,  à  un  vieux  sapin  des 
Alpes  qui  a  résisté  pendant  des  siècles  au  souffle  de  tous  les 
vents,  et  qui  tombe  enfin  sous  les  coups  de  Borée. 


Xlt  SIECLE. 


# 


Qualis  in  Alpinis  annoso  rohore  saxis 

Astra  peteiis  abies ,  multosque  injlexa  per  annos 

Ad  flatits  Euri,  zephyrum  contempsit  et  austrum, 

Tome  Xr.  P 


XII  SIECLE. 


ii4  GAULTIER  DE  LILLE. 

Quant  si  forte  siio  Boreœ  de  more  fotiget 
Spiriius  et  toto  tundat  simul  aéra  nisu, 
Nil  rami  vûeres  illi ,  nii  horrida  musco 
Robora  projlcient  ma ,  quondnïis  ohruta  vento 
Corruat  et  prorio  tellurem  vertice  pulset. 

La  tléBiite  des  Scythes,  jusqu'alors  invincibles,  répand  au 
loin  la  terreur  du  nom  d'Alexandre,  et  plusieurs  peuples  de 
ces  contrées  viennent  se  soumettre  volontairement  à  lui. 

Le  poète  écarte  de  son  poème,  autant  qu'il  lui  est  pos- 
sible, ce  qui,  dans  l'histoire,  est  trop  défavorable  à  son  hé- 
ros. Ne  pouvant  taire  cependant  le  meurtre  de  Clitus,  ni  le 
supplice  du  jeune  Hermolaiis  et  du  philosophe  Callisthènes 
son  maître,  il  les  rappelle  seulement  en  deux  vers  au  com- 
mencement de  son  neuvième  livre,  et  en  tire  cette  consé- 
quence morale  que  l'amitié  des  rois  n'est  pas  éternelle  : 

Etenim  tcstatur  eorum 
Finis  amicitias  regum  non  csseperennes. 

L'Inde  restait  à  conquérir.  Alexandre  en  entreprend  la 
conquête.  La  plupart  des  rois  indiens  se  soumettent  :  le 
seul  Porus  ose  résister.  Il  lève  une  armée  nombreuse  et  at- 
tend Alexandre  au  bord  de  l'Hydaspe.  Les  deux  armées  sont 
en  présence  sur  les  deux  rives  du  fleuve.  Ici  l'auteur  ima- 
gine un  épisode, ou  plutôt  il  l'emprunte  de  Virgile,  au  moins 
dans  ce  qu'il  y  met  de  plus  intéressant.  Il  place  au  milieu 
du  fleuve  vme  île,  oii  de  jeunes  guerriers  de  l'une  et  de 
l'auti'e  armée  passent  souvent  à  la  nage  et  se  livrent  des 
combats  particuliers, préludes  des  grands  combats  qui  se  pré- 
parent. INicanor  et  Symaque,  deux  jeunes  grecs  nés  le  même 
jour,  et  aussi  intimes  amis  que  Nisus  et  Euryale,  se  propo- 
sent comme  eux  une  aventure  périlleuse.  Suivis  de  quelques 
soldats,  ils  passent  dans  l'île,  d'où  ils  veulent  passer  pen- 
dant la  nuit  sur  l'autre  bord,  espérant  y  surprendre  l'en- 
nemi et  en  faire  un  grand  carnage  :  mais  en  arrivant  dans 
l'île  à  la  nage,, ils  y  trouvent  une  troupe  nombreuse  d'indiens 
qui  les  attaquent  avec  de  grands  ciis;  d'autres  ennemis  Sur- 
viennent, les  Grecs  sont  accablés,  tous  perdent  la  vie;  les 
deux  àrais,  après  avoir  fait  des  prodiges  de  valeur,  blessés 
tous  les  deux,  s'embrassent  et  meurent  ainsi  réunis.  Il  n'y 
manque  que  le  fortunati  ambo^  ou  plutôt  il  manque  à  cet 
épisode  imaginé  d'après  Virgile ,  d'être  écrit  dans  un  style 


GAULTIER   DE   LILLE.  n5 

moins  éloigne  du  sien.  La  bataille  se  donne;  les  Macédo-  ^"  siècle. 
niens  traversent  le  fleuve;  les  Indiens  cèdent  après  une  longue 
résistance  :  Porus  est  vaincu,  blessé,  fait  prisonnier,  porté 
devant  Alexandre.  La  noble  fierté  qu'il  conserve  touche  son 
vainqueur,  qui  lui  rend  ses  états,  les  accroît  et  le  met  au 
nombi'e  de  ses  amis. 

Après  cette  victoire,  rien  ne  l'arrête  plus;  il  veut  pénétrer 
jusqu'au.^  extrémités  les  plus  reculées  de  l'Orient  :  en  par- 
courant l'Inde  il  imprime  aux  peuples  et  aux  rois  une  ter- 
reur égale  à  celle  qu'inspire  la  foudre ,  quand  elle  éclate  au 
milieu  de  la  nuit. 

Nec  minus  humanis  portenti  mentihus  infert, 
Terrorisve  minus  nocttirni Julminis  igné, 
Quem  sequitur  fragor  etfractœ  collisio  nuhis , 
Et  vaga ,  pallenteni  motura  tonitrua  mundum, 
Mentent  prœteritce  memorem  terrentia  cufpce. 

Cependant  la  ville  d'Oxydraque  arrête  les  pas  du  conqué- 
rant; il  l'assiège  et  monte  le  premier  à  l'assaut;  ses  soldats 
sont  repoussés  ;  alors  du  haut  de  l'échelle  où  il  était  parvenu, 
au  lieu  de  sauter  ou  de  descendre  au  milieu  des  siens,  il  s'é- 
lance dans  la  place  même  et  ose  affronter  seul  tant  d'ennemis. 
Mais  bientôt  entouré,  pressé,  atteint  d'une  large  blessure, 
il  est  près  de  périr  quand  ses  soldats  instruits  de  son  danger 
redoublent  d'efforts,  brisent  les  poites,  inondent  la  ville  et 
en  massacrent  les  habitans.  Alexandre  souffre  avec  courage 
une  opération  douloureuse  :  il  est  promptemcnt  rendu  à  son 
armée  et  à  ses  projets  de  conquête.  La  joie  de  ses  soldats 
qui  succède  à  leur  tristesse  est  comparée  par  le  poète  à  celle 

a  n'éprouvent  des  matelots  lorsque,  après  avoir  vu  le  pilote 
u  vaisseau  tombé  dans  la  mer,  et  englouti  par  les  flots,  ils 
le  voient  sauvé  de  l'abîme  reprendre  |^  gouvernail. 

Quah's  in  jéEgeo,  Borea  bacchante ,  profundo 
Exoritur  clamor ,  cum  fractâ  puppe  magister 
Volvitur  in  medios  immerso  vertice  fluctus  : 
Fit  fragor  et  siniilem  timet  unusquisque  ruinant , 
Seque  omnes  anima  periisse  fatentur  in  unâ; 
Si  tamen  incolumem  revocare  tenacibus  uncis 
Ad  davum  revocare  queant,  sonat  aura  tumultu 
Lœtitiœ,  et  primuin  vincunt  nova  gaiidia  luctum. 

Mais  les  préparatifs  d'une  expédition  maritime,  le  projet 


XII  SIECLE. 


ii6  GAULTIER  DE  LILLE. 

annonce  d'aller  réchercher  les  sources  inconnues  du  Nil,  et 
de  laisser  le  gouvernement  de  l'Inde  à  Porus  et  à  Taxile, 
effraye  l'armée  :  les  chefs  se  présentent  devant  le  roi  ;  l'un 
d'eux  lui  tient  un  long  discours  pour  le  détourner  de  son 
dessein.  Alexandre ,  loin  de  céder,  avoue  dans  sa  réponse  que 
le  monde  est  trop  étroit  pour  lui;  qu'après  l'avoir  soumis, 
il  ira  subjuguer  un  autre  univers;  qu'il  veut  les. conduire  aux 
antipodes,  voir  avec  eux  une  autre  nature,  ou  que  s'ils  re- 
fusent de  le  suivre,  il  ii'a  seul  se  proposer  pour  chef  à  d'au- 
tres peuples  qui  seront  empressés  de  lier  leur  fortune  à  la 
sienne.  Cette  réponse  les  enflamme,  ils  font  de  nouveau 
serment  de  ne  jamais  abandonner  Alexandre  :  il  profite  de 
ce  mouvement,  marche  aux  vaisseaux  qui  l'attendent,  et 
s'embarque  avec  son  armée. 

Parvenu  au  dixième  et  dernier  livre,  Gaultier  de  Châtiilon 
ne  veut  pas  finir  son  poëme  sans  quelque  trait  de  son  in- 
vention; il  en  emploie  un  qui  est  d'une  grandeur  gigan- 
tesque. La  nature  indignée  qu'un  mortel  ose  vouloir  pénétrer 
ses  secrets  et  atteindre  jusqu'aux  lieux  qu'elle  a  voulu  cacher, 
interrompt  son  ouvrage,  et  laisse  imparfaites  des  créations 
commencées  :  elle  s'environne  d'un  nuage  et  descend  sur  les 
bords  du  Styx ,  ce  qui  amène  une  description  de  l'enfer,  des 
monstres  qui  l'habitent,  des  crimes  qui  y  sont  punis,  de- 
scription ou  se  trouvent  souvent  confondus  l'ancien  et  le  mo- 
derne enfer.  Leviatlian  était  au  miheu  de  sa  fournaise;  il 
aperçoit  la  déesse,  quitte,  de  peur  de  l'effrayer,  la  figure  du 
serpent,  et  reprend  la  forme  divine  qu'il  avait  quand  il  vou- 
lut partager  1  Olympe.  La  nature  se  plaint  à  lui  des  projets 
d'Alexandre,  qui  s'étendent  d'un  côté  jusqu'aux  sources  in- 
connues du  Nil,  et  à  l'enceinte  du  Paradis,  de  l'autre  aux 
antipodes  et  à  l'antique  cahos.  Elle  invoque  le  serpent,  à  qui 
elle  donne  ce  nom,  malgré  son  changement  de  forme,  et 
l'invite  à  venger  leur  commune  injure. 

Quœ  tua  laus,  coluher ,  ■vélquce  tua  gloria?  primum 
E/ecisse  hominein  ?  Si  tam.  -vcnerabilis  horlus 
Cedat  Alexandro  ?  nec  plura  locuta  récessif. 

Le  monarque  infernal  appelle  au  conseil  les  monstres  qui 
gouvernent  sous  lui  son  empire;  il  les  harangue,  et  leur  or- 
donne de  frapper  de  mort  le  roi  de  Macédoine,  avant  qu'il 
puisse  exécuter  ses  desseins.  La  trahison  se  lève  et  propose  de 
faire  périr  par  le  poison  l'ennemi  commun,  et  d'engager  An- 


GAULTIER   DE   LILLE.  117 

tipater,  exercé  de  longue  main  à  la  duplicité  et  à  la  fraude, 
à  se  charger  de  l'exécution.  L'enfer  applaudit  avec  transport. 
La  trahison  se  déguise,  va  trouver  Antipater,  l'endoctrine 
facilement,  et  retourne  aux  sombres  royaumes.  Alexandre 
avait  vaincu  la  résistance  que  l'Océan  lui  opposait;  obligé 
cependant  de  différer  ses  grands  projets,  il  en  méditait  de 
nouveaux ,  et  retournait  à  Babylone.  L'univers  est  dans  l'at- 
tente ,  et  ne  sachant  de  quel  côté  se  porteront  ses  armes , 
toutes  les  nations,  toutes  les  parties  connues  du  globe,  lui 
envoient  des  ambassadeurs,  des  actes  de  soumission  et  des 
présens.  Il  les  reçoit  à  Babylone,  élevé  sur  un  trône  magni- 
fique, et  contemplant  avec  orgueil  l'univers  entier  à  ses  pieds. 
Des  prodiges  funestes  annoncent  quelque  grand  et  sinistre 
événement.  Alexandre  dans  la  joie  d'un  festin  où  il  ne  se 
croit  entouré  que  d'amis,  boit  le  fatal  poison  ;  il  en  éprouve 
subitement  l'effet,  et  après  un  discours,  oîi  il  montre  pour 
la  dernière  fois  son  orgueil  et  son  courage,  il  expire.  Le 
poète  ne  manque  ])as  de  moraliser  siir  cette  mort  préma- 
turée; il  s'arrête  enfin  dans  sa  course,  et  dit  adieu  aux  Muses 
jusqu'à  ce  qu'il  les  appelle  à  une  seconde  entreprise,  et  qu'il 
les  prie  d'ouvrir  pour  lui  une  nouvelle  source  pour  ap- 
paiser  une  soif  nouvelle.  En  finissant,  il  s'adresse  à  l'évêque 
Guillaume,  comme  il  l'a  fait  en  commençant;  il  lui  promet 
qu'après  leur  mort  ils  vivront  tous  deux  à  jamais  dans  ses 
vers. 

Nam  licet  indignum  tanto  sit  prœsule  cannen 

Cuni  tamen  exuerit  mortales  spiritus  artus , 

yivemus  parîter ,  -vivet  ciim  i)ate  superstes 

Gloria  Gaillielmi,  nullum  moritura  per  cEvum. 

Ce  poëme  fut  imprimé  pour  la  première  fois  à  Strasbourg 
en  i5i3,  in-8°,  réimprimé  à  Ingolstadt  en  i54i ,  aussi  in-8°, 
et  à  Lyon  en  i558,  in-4°.  Cette  dernière  édition  est  la  plus 
belle.  Ces  éditions  sont  citées  par  Fabricius,  et  cependant 
nous  en  avons  une  postérieure  d'un  siècle  à  la  dernière 
(1659,  in- 12)  donnée,  d'après  deux  anciens  manuscrits  de 
l'Abbaye  de  St.-Gall,  et  de  celle  du  Mont -des -Anges  de 
l'ordre  de  St. -Benoît,  par  un  moine  de  St.-Gall,  nommé 
Athanase  Gugger;  le  frontispice  annonce  que  cette  édition 
est  faite  dans  le  monastère  de  St.-Gall  et  avec  les  carac- 
tères mêmes  de  cette  abbaye, /or/nw  ejusdem.  L'éditeur, 
dans  son  avertissement,  parle  du  poëme  qu'il  publie  comme 


Xn  SIKCLÊ. 


XII  SIECLE. 


xi8  GAULTIER  DE  LILLE. 

d'un  ouvrage  nouveau,  quoique  ancien,  qui  n'a  jamais  été 
imprimé  à  sa  connaissance,  dont  on  attendait  impatiem- 
ment la  publication,  et  aussi  recommandable  par  son  anti- 
quité que  par  l'érudition  qu'il  renferme.  En  tihi,  candide 
lector,  opusnovuni,  ut  sit  antiquuni ,  nusquam,  quod  sciant, 
editum ,  à  niultis  cupide  itispectuni  et  desideratum ,  non  mi- 
nus antiquitate  quam  eruditione  'venerabile.  Cet  éditeur  ajoute 
que  dans  les  deux  manuscrits  dont  il  s'est  servi,  mais  sur- 
tout dans  celui  de  St.-Gall ,  le  texte  était  expliqué  par  une 
glose  interlinéaire  ;  ce  qui  lui  fait  penser  que  ce  poëme  était 
autrefois  lu  publiquement  dans  les  écoles.  Ce  qu'il  ne  fait 
que  conjecturer  est  un  fait  attesté  par  plusieurs  auteurs.  I^ 
plupart  des  manuscrits  que  nous  possédons  de  ce  poëme, 
sont  aussi  chargés  de  gloses  et  d'explications  interlinéaires, 
sans  doute  pour  la  même  raison. 

L'éditeur  avoue  cependant  que  l'Alexandréide  a  des  défauts 
qui  peuvent  l^lesser  les  gens  délicats,  que  l'auteur  emploie 
souvent  des  noms  dont  la  quantité  ne  pouvait  entrer  dans 
le  vers  hexamètre;  que  les  noms  grecs  y  sont  défigurés;  qu'un 
assez  grand  nombre  de  mots  latins  sont  ou  entièrement 
inusités  ou  devenus  hors  d'usage  ;  qu'il  y  a  substitué  d'autres 
mots,  en  prenant  la  précaution  d  avertir  le  lecteur  par  un 
changement  de  caractères;  qu'enfin  il  a  corrigé  un  grand 
nombre  de  fautes,  qui  ne  peuvent  être  attribue'es  qu'aux 
copistes,  n'étant  pas  vraisemblable  qu'à  l'exception  peut-être 
de  quelques-unes,  elles  eussent  pu  échapper  a  l'auteur.  Il  en 
reste  encore  beaucoup  dans  le  poëme,  tel  qu'il  est  imprimé; 
cependant  le  style  en  est  généralement  fort,  élevé,  et  tendant 

filutôtà  l'enflure  qu'à  la  bassesse  et  à  la  platitude,  qui  était 
e  caractère  pxesque  universel  des  vers  latins  de  ce  temps-là. 
En  effet,  si  l'on  compare  les  vers  de  notre  Gauthier  avec 
la  plupart  de  ceux  du  XIP  siècle,  presque  tous  rimes  ou 
léonins,  dépourvus  d'images  et  d'harmonie,  écrits  du  ton 
de  la  plus  mauvaise  prose  ,  et  dans  lesquels  une  sorte  de 
mesure  n'est  obsei'vée  qu'au  moyen  des  remplissages  les  plus 
dégoûtants,  on  n'est  pas  surpris  de  l'admiration  qu'ils  exci- 
tèrent, ou  ])lutôt  on  l'est  extrêmement  de  voir  un  tel  ou- 
vrage paraître  dans  un  tel  temps.  On  serait  même  tenté  de 
croire  que  si  le  premier  éditeur  y  avait  fait,  de  son  aveu, 
des  corrections  assez  considérables,  d'autres  avant  lui  avaient 
osé  davantage,  et  l'on  indiquerait  facilement  des  tirades  en- 
tières qui  sont  du  style  du  XV*  siècle,  et  nullement  de 
celui  du  XII". 


LAMB.  LI-CORS,  ET  ALEX  AND.  DE  PARIS.      119 

L'un  de  ses  contemporains  et  de  ses  compatriotes ,  Alain 
de  Lisle,  est  le  seul  que  l'on  puisse  lui  comparer,  et  l'on  ne 
le  peut  même,  qu'en  reconnaissant  dans  Alain  une  grande 
infériorité,  qu'il  faut  peut-être  attribuer  en  partie  à  ce  que 
les  sujets  moraux  qu'il  a  traités  dans  les  neuf  livres  de  son 
Encyclopédie  et  dans  les  six  chapitres  de  ses  paraboles,  ne 
comportaient  pas  un  style  aussi  élevé.  Quoi  qu'il  en  soit ,  il 
est  au  moins  vrai  de  dire  que  ce  poète ,  qui  était  ennemi  de 
Gauthier,  n'avait  nullement  le  dix)it  de  lui  donner  le  nom 
de  Maevius,  ce  qui  suppose  qu'apparemment  il  était  à  ses 
propres  yeux  un  Virgile ,  ni  de  s'exprimer  à  son  sujet  comme 
il  l'a  fait  clans  ces  vers  : 

Illic 

Mœvius  in  cœlos  audetis  os  ponere  mufum , 

Gesta  ducis  Macedûm  tenehrosi  carmitds  iimbrâ 

Pingere  dunt  tentât,  in  primo  limine  Jessus 

Hœret  et  ignavam  queritur  torpescere  musam. 

G. 


XIT  SIECLE. 


^«^/«^«^«'U'W^^  «^«^«^«/««/^.«Hk^^^ 


LAMBERT  LICORS, 

ou  LE   COURT, 

ET  ALEXANDRE   DE   PARIS. 


JL/Eux  poètes  contemporains,  que  l'on  réunit  ordinairement 
parce  qu'ils  firent  ensemble  le  poëme  ou  roman  en  vers 
di  yi lexandre -le-  Grand.  Les  vers  de  ce  poëme  sont  de  douze 
syllabes ,  mesure  alors  très-peu  en  usage ,  et  dont  on  attribue 
même  l'invention  à  cet  Alexandre  de  Paris.  Pour  que  cela 
fût ,  il  faudrait  que  c'eût  été  lui  cp.ii  eût  eu  la  première  idée 
du  poème,  et  qui  l'eût  commencé  ;  il  paraît  au  contraire  que 
ce  fut  Lambert  Li-cors  qui  l'entreprit,  et  qu'Alexandre  de 
de  Paris  ne  fît  que  le  continuer  ensuite.  Il  le  dit  lui-mêmfe 
dans  cet  endroit  : 

Alexandre  nos  dit  qui  de  Bernay  fut  nez 


I20  LAMBERT   LI-CORS, 

XII  SIECLE.  u»  j     T,    •        r    /  X  1 
Ht  de  Pans  refit  (i)  ses  sermons  appelez, 

'  Qui  cy  a  les  siens  vers  o  les  Lambert  (avec  ceux  de  Lambert)  ietez. 

''  Lambert  Li-cors  était  né  à  Châteaudun.  Il  fut  «  prêtre, 

«  escolier,  ou  homme  de  robe  longue,  qui  sait  les  lettres, 
«  dit  Fauchet ,  car  ainsi  faut-il  interpréter  le  nom  de  clerc 
«  qu'il  prend.  »  Lambert  n'a  pas  manqué  d'indiquer  sa  patrie 
et  son  état  dans  cet  endroit  de  son  poëme  : 

La  verte  de  l'histoir'  si  com  li  roy  la  fit 

Un  clers  de  Châteaudun  Lambert  Li-cors  l'escrit, 

Qui  de  latin  la  trest  (  la  tira  )  et  en  roman  la  mit. 

Pour  Alexandre  ,  on  sait  seuïement  qu'il  était  natif  de 
Bernay,  en  Normandie,  comme  il  le  dit  dans  les  trois  vers  cités 
Moreri,  sup-  ci-dessus,  mais  qu'il  préféra  joindre  à  son  nom  celui  de'Paris, 
plém.  de  1749.  sans  que  l'on  sache  ce  qui  l'avait  attiré  dans  cette  ville. 

Le  roAian  qu'ils  firent  ensemble ,  ou  l'un  après  l'autre ,  se 

trouve  manuscrit  dans  un   petit   in-folio  écrit  sur  vélin, 

n°  7633  des  manuscrits  français  de  la  Bibliothèque  du  Roi  ; 

le  même  volume  contient  plusieurs  autres  poëmes ,  et  finit 

Folio85,rec-  P^r  Celui  d'Alexandre.  Il  n'a  point  d'autre  titre  que  ces  mots: 

todecems.       «Ci  Commence   l'Estoire  dou  Roi  Alixandre,  comment   il 

«  conquist  XII  royaumes  et  fut  sire  du  monde.  »  En  voici 

X   les  premiers  vers  : 

Qui  vers  de  riche  estoire  vuet  entendre  et  oyr, 
Por  prenre  bon  essample  et  proësse  acoillir. 
De  conoistre  reson  d'amer  et  de  haïr, 
De  ses  amis  garder  et  chèrement  tenir, 
Des  ennemis  grever  qu'on  nés  lest  eslargir , 
De  laidures  vengier  et  des  bienfès  mérir. 
De  haslcr  quand  leus  (  lieu  )  est  et  à  terme  s'offrir , 
Oez  donc  H  premier  bonnement  à  loisir 
~^  Ne  l'orra  guieres  hom  qui  ne  voie  plaisir  : 

Ce  est  dou  meilleur  roy  qui  onq  poest  morir  ; 
D'Alixandre  je  vuel  l'estoire  rafraischir. 

Le  poëme  est  divisé  en  chapitres ,  dont  voici  les  titres  : 

1.  Comment  li  X H  per  de  Grèce  furent  esleu  ; 

2.  De  la  bataille  des  Grecs  contre  la  gént  Nicolas  ; 

3.  Comment  Alixandre  alla  encontre  Daire  ; 

4'  La  venue  d' Alixandre  sor  Porou parmi  Inde; 

(i)   Je  lis  ainsi  au  lieu  de  fu  avec  Lamonnoje,  dans  ses  notes  sur  la 
Bibl.  de  la  Croix  du  Maine ,  au  mot  Alexandre  de  Bernajr. 


ET  ALEXANDRE   DE  PARIS.  lai 

„,,.„,„  ;•        .    7'    /  *        ,  XII  SIECLE. 

i).  La  bataille  de  Beauchn  et  a  Astarot  ;  

6.  Comment  AUxandre  trouvd  les  Siraines  en  l'iaue  toutes 

nues  ; 

7.  De  laforest  oh  les  famés  conversaient  ; 

0.  Comment  AUxandre  vint  pour  aller  en  Bahyione. 

Ces  titres  sutïisent  pour  prouver  que  c'est  un  roman  rempli 
de  fables,  et  non  une  traduction  de  l'histoire  de  ce  prince, 
quoique  l'auteur  ait  prétendu  l'avoir  trest ,  ou  tiré  du  latin. 
Ce  n'était  pas  au  moins  du  latin  de  Quinte-Curce  ni  d'aucun 
autre  ancien  historien  :  ce  n'était  pas  non  plus  de  celui  de 
Gauthier  de  Lille  ou  de  Chastillon.  Quoi  qu'en  ait  dit  le 
président  Fauchet,  il  n'y  a  dans  l'Alexandride  latine  rien  qui  De  la  lang, 
puisse  être  regardé  comme  un  éloge  direct  ou  indirect  de  ce  j*'^ 'j'"'*^',/'^'""-" 
roi  ;  au  lieu  que  Lambert  Li-6ors,  dans  son  poème  ou  roman 
français  cï A lexandre-le-Grand ,  ajoute  ou  substitue  souvent 
aux  faits  de  la  vie  d'Alexandre,  des  faits  de  son  temps,  c'est- 
à-dire  de  la  fin  du  règne  de  Louis-le-Jeune,  et  du  commen- 
cement de  celui  de  Philippe -Auguste,  et  ciu  Alexandre  de 
Paris-,  continuateur  de  l'ouvrage ,  suivit  la  même  méthode. 

Le  commencement  du  poëme  français  est  en  effet  un  tissu  Moreri.loc.cit. 
des  actions  de  la  vie  d'Alexandre  avec  les  événemens  de  cette 
époque  de  notre  histoire.  Le  poè^e  suppose  qu'Alexandre 
étant  parvenu  à  l'âge  de  treize  ou  quatorze  ans,  fut  fait  che- 
valier, et  associé  par  Philippe,  son  père,  à  la  couionne  de 
Macédoine.  On  ne  peut  douter  qu'il  n'ait  voulu  désigner 
l'association  de  Philippe-Auguste,  que  son  père  fit  couronner 
et  sacrer  à  Reims ,  a  son  retour  d'Angleterre  ,  l'année  qui 
précéda  sa  mort.  Philippe  n'avait  que  quatorze  ans,  et  monta 
a  quinze  sur  le  trône.  Alexandre,  suivant  le  poète,  entreprit 
sa  première  guerre  contre  un  roi  qu'il  nomme  Nicolas.  Avant 
d'aller  l'attaquer^  il  convoque  ses  vassaux,  et  obtient  de  son 
père  la  confiscation  des  biens  des  usuriers  pour  les  distribuer 
a  ses  capitaines.  Ces  traits  indiquent  la  guerre  contre  le  roi 
d'Angleterre  et  la  saisie  des  biens  des  Juifs  dans  tout  le 
royaume.  Aristote  conseille  à  Alexandre  de  créer  douze  pairs 
qui  auront  la  conduite  de  ses  troupes  : 

Elisez' douze  pairs  qui  soient  compagnon, 
Qui  mènent  vos  bataill'  par  grand  dévotion. 

Celte  fiction  peut  n'avoir  été  qu'un  souvenir  des  pairs  fabu- 
leux de  Charlemagne,  mais  elle  peut  aussi  marquer  que  les 
pairs  existaient  réellement  en  France  dès  le  temps  où  l'auteur 
Tome  XF.  Q 


XII  SIECLE. 


xaa  LAMBERT  LI-CORS, 

écrivait.  On  voit  en  effet  que  Philippe ,  comte  de  Flandres , 
porta  1  epe'e  royale ,  en  qualité  de  pair  de  France ,  au  sacre  de 
ch"f"df£[:  Philippe-Auguste. 

de  Fr.  suln'an      L'auteur  ou  les  auteurs  marquent  dans  un  autre  endroit 
«179-  quelles  étaient  alors  les  principales  fonctions  du  connétable 

ae  France,  en  donnant  aussi  un  connétable  au  roi  de  Macé- 
doine : 

Que  sui  Eumenidus  qui  toute  l'ost  apend  (  dépend  ) 
A  mener  et  à  duire  dessus  l'estrange  gent, 
Que  j'en  ai  eu  du  roy  don  et  otroiement. 

Et  ailleurs,  en  parlant  d'une  compagnie  de  soldats  ébranlés, 
et  prêts  à  fuir  : 

Mais  ils  redoutent  honte  et  -vilain  reprouTer 

Et  le  franc  connestabl'  qu'ex  a  à  justicier  (à châtier,  à  punir). 

Faucliet, Ori-  La  guerre  avec  le  roi  Nicolas  étant  finie,  le  poète  fait 
çinedesdign.et  marcher  SOU  héros  contre  Daire  ou  Darius.  Il  décrit  la  raa- 
magistr.  (  e  r.  gnjfjcence  de  sa  tente ,  qui  était  chargée  de  broderies  dont  il 
explique  les  sujets.  Au  haut ,  il  y  a  deux  pommes  sur  lesquelles 
est  un  aigle ,  le  plus  beau  qu'on  ait  jamais  vu  :  la  reine  Isabelle 
l'a  fait.  La  reine  Isabelle  brodant  un  ornement  de  la  tente 
d'Alexandre,  est  un  anachronisme  un  peu  fort,  mais  le  poète 
n'y  regardait  pas  de  si  près ,  ni  sans  doute  Isabelle  non 
plus.  C'était  Isabelle,  fille  de  Baudouin  III,  comte  de  Hainault, 
que  Philippe-Auguste  épousa  en  1 180,  l'année  même  de  son 
avènement. 

Gérard  Vossius  parle  d'une  histoire  d'Alexandre-le-Grand, 

Oo  iiisi.  lat.  remplie  de  prodiges  et  de  fables ,  dont  l'auteur  était  inconnu, 

)ib.  III,  §.  qui  et  dont  Silvestre  Gyraldus  (i),  auteur  de  la  fin  duXIP  siècle, 

vtscrtbttur  :  De  ^  f^^jj.  jnention.  Il  ne  sait  si  ce  n'est  point  le  même  ouvrage 

anonjrmis  (ftn-  ,    .  ,        , , .  .        7  .7  r  •7-7  "  . 

tis  incertœ,  cd.  que  1  Alexanuritle.  yidenaum  idem  ne  an  alius  sit  liber  qui 
a',  i65i,in-4°,  inscrihitur  Alexandrides ,  estque  de  gestis  Alexandrimagni. 
^  Ub  sunr  p  ^'  ajoute  quc  la  bibliothèque  publique  de  l'université  de 
7ay.  Cambridge  possède  un  exera|)laire  manu.scrit  de  ce  dernier 

ouvrage,  copié  en  i363,  et  clont  la  préface  commence  par 
ces  mots  :  Moris  est  usitati,  etc.  Il  paraît  en  avoir  ignoré  l'au- 
teur, qui  est  sans  doute  Gaultier  de  Chastillon.  II  faudrait 

(i)  Surnommé  Cambrienùs ,  parce  qu'il  était  Gallois  ou  du  pays  de 
Galles  ;  secrétaire  du  roi  Henri  II,  et  ensuite  gouverneur  du  prince  Jean 
son  (ils;  auteur  dune  Topographie  de  l'Irlande,  Topographia  Hiherniœ, 
d'un  Itinéraire  du  pays  de  Galles,  Itinerarium  Cnmbriœ,  et  de  plusieurs 
autres  ouvrages. 


XII  SIECLE. 


ET  ALEXANDRE   DE   PARIS.  ia3 

pouvoir  comparer  ce  manuscrit  avec  notre  roman  d'Alexandre,  

pour  voir  ce  que  les  deux  poètes  français  ont  ajouté  aux 
inventions  du  romancier  latin. 

Dans  le  manuscrit  yGSS  de  la  bibliothèque  du  roi ,  dont 
ce  roman  occupe  la  dernière  partie ,  le  sens  reste  imparfait 
à  la  fin  de  la  dernière  page  ;  elle  se  tetmine  par  ces  cinq  vers  : 

Sires ,  ce  dist  li  gars  merveilles  dirai  grant 

Ya  feut  ce  1 1  puceles  qui  en  vienent  chantant 

Chacune  devant  soi  traite  vo  auferrant  (votre  cheval  de  bataille) 

Couvert  de  ci  qu'au  piez  d'un  paile  escarimant  (i) 

Y  chevauche  chacune  i  palefroi  emblant.  4 

La  re'clame,  qu'il  n'en  a  nul  meillor,  qui  est  au  bas,  et  le 
sens  suspendu  de  ces  vers,  prouvent  quil  manque  quelque 
chose  pour  finir  le  roman.  Cette  fin  qui  manque  ici  se  trouve 
dans  le  manuscrit  7190,  petit  in-folio  relie  en  veau  sur  bois, 
écrit  sur  vélin ,  à  deux  colonnes ,  d'une  écriture  du  XIH*  siècle, 
on  y  lit  au  premier  feuillet,  recto,  ce  titre  en  rouge:  Chicom- 
nienche  li  Roumans  dil  Roi  Alixandre ,  sire  de  tôt  lo  monde. 
Le  roman  commence  ensuite ,  et  contient  avec  quelques 
variantes ,  les  mêmes  vers ,  et  le  récit  des  mêmes  choses  que 
dans  l'autre  manuscrit.  Mais  il  s'étend  jusqu'à  la  mort 
d'Alexandre ,  et  finit  par  un  chapitre  intitule  :  Ensi  con 
escorse  les  duex  siers  qui  ocisent  li  roi  Alixandre  ;  où  est  en 
effet  raconté  le  supplice  des  deux  prétendus  sicaires  ou 
assassins  qui  ont  tue  ce  roi. 

On  attribue  au  même  Alexandre  de  Paris  un  autre  roman 
en  vers  qui  avait  pour  titre  :  Roman  d'Athys  et  de  Porfilias 
ou  Propkylias.  Il  se  trouvait  manuscrit  dans  un  recueil  de 
romans  du  XIP  siècle  de  la  bibliothèque  de  Dufay  ,  et 
l'on  y  lisait  après  ce  premier  titre,  rim,é par  Alexandre  de 
Bernay,  sumomm^Lfle  Paris.  Le  nouveau  Ducange  cite  jus-  Bibl.  Fay.  p. 
qu'à  six  fois  ce  roman  dans  son  seul  second  volume ,  mais  *^9' 
sans  en  nommer  l'auteur.  Il  cite  au  mot  corata  ces  trois  vers  : 

Le  fer  qu'il  ot  en  son  trenchant 

Lui  mist  parmi  le  jaserant  (  sorte  de  cuirasse  ) 

Ou  (  au  )  coi|>*  lui  trancha  ht  courée. 

Au  mot  crota  : 

Dehors  les  murs  d'antiquité 

(i)  D'un  drap,  tapis,  etc.  Al.  Paèle. — Escarimant  Aoïi  signifier  ecZo^art?, 
TÏclie ,  brillant,  il  n'est  point  dans  nos  anciens  vocabulaires. 

Qa 


124  LAMBERT  LI-CORS, 

XII  SIECLE.  Trouva  une  crouste  (  grotte  )  sous  terre  : 

Là  se  tourna  pour  la  mort  querre , 
Et  dist  que  jamais  n'en  istra,  (sortira) 
Mais  là- dedans  de  duel  (  de  deuil ,  de  douleur  )  mourra. 

Au  mot  directus  : 

Au  temple  vindrent,  si  descendent 
i  Leurs  droitures  {rectapergunt)  à  l'autel  tendent. 

Au  mot  dos  : 

Le  prestre  fut  appareillé 

A  leur  entrée  les  a  seigné; 

Ains  n'y  fut  douaires  nommez 

Ne  seremens  un  seul  jurez , 

Fiance  faire  ne  plevie ,  (  promesse  de  mariage  ) 

Mais  le  vassal  reçut  sa  mie. 

Au  mot  duchissa  : 

A  séjour  y  ert  (  était  )  la  Duclioise , 
Noble  dame ,  preux  et  courtoise. 

Enfin  au  mot  Duplodos  : 

Ung  doublet  (houpelande ,  yêtement)  est  chascun  vestu , 
D'un  g  vert  samit  (i)  pourpoinct  menu. 
Mais  c'est  tout  ce  que  l'on  peut  savoir  de  ce  roman.  Il  en 
existe  un  autre  dont  l'auteur  se  noiumait  aussi  Alexandre,  et 
qui  paraît  être  du  même  temps.  Il  se  trouve  dans  le  n"  6987 
des  manuscrits  de  la  bibliothèque  royale,  avec  un  grand 
nombre  d'autres  ouvrages,  tous  en  vers.  Le  titre  de  ce  poëme 
on  roman  est  écrit  à  la  fin  de  l'ouvrage  qui  le  précède,  où 
on  lit  ces  mots  :  Li  siège  d'Ataines.  Le  roman  lui-même 
commence  sans  titre  par  ces  vers  (2),  où  l'on  voit  que  l'au- 
teur se  nomme  dès  le  cinquième  : 

Qui  sages  est  de  sapience      ,  ^|É 
Bien  doit  espandre  sa  siencè^'^F' 
Que  tuix  (  tous  )  la  puisse  recoillir 
Dont  bons  esamples  puis  venir  ; 
Oez  del  savoir  Alixandre 
Qi  pour  ce  fist  ses  vers  espandre, 
Quant  il  sera  del  siècle  issus 
Cas  autres  soit  ramentevux. 
Ne  fu  pas  sage  de  clergie 

(i)  Étoffe  fine  ,  brodée  de  fils  d'or  ou  d'argent. 
(a)  Il  commence  au  folio  1 19 ,  v°,  a'  colonne. 


ET  ALEXANDRE   DE  PARIS. 

Mais  des  autors  savoit  la  vie. 
Met  mostra  selon  sa  mémoire, 
Ci  nos  raconte  d'une  estoire 


12D 


XII  SIECLE. 


De  une  cités  ries  et  grans 


Gi  -P  (i)  estoient  si  poissans 
Rome  est  apelée  la  mcstre ,  etc. 

L'auteur  entre  ainsi  en  matière,  et  raconte  l'histoire  de  la 
fondation  de  Rome.  Il  y  a  loin  de  là  au  siège  d'Athènes,  qui 
est  pourtant  le  sujet  du  poème;  il  huit  par  ces  deux  vers: 

D'Afaines  faut  ichi  l'estoire 

Que  li  escris  tesmoigne  à  voire  (lî). 

Et  on  lit  au-dessous:  Explicit  li  Siège  d'Ataines.  Le  style 
paraît  non- seulement  du  même  temps,  mais  il  offre  des 
tours  et  des  expressions  qui  le  font  ressembler  particuliè- 
rement au  style  d'Alexandre  de  Paris.  D'ailleurs,  on  ne 
connaît  point  d'autre  poète  du  mêrfle  siècle  qui  se  soit  nomme 
Alexandre.  Ces  motifs  peuvent  autoriser  à  croire,  sans  ce- 
pendant oser  l'affirmer,  que  notre  Alexandre  fut  aussi  l'auteur 
du  Siège  d' Athènes. 

Son  poème  ou  roman  d'Alexandre,  qui  est  son  principal 
ouvrage,  eut  deux  continuations  ou  suites;  l'une  intitulée, 
le  Testament  d'Alexandre  >  l'autour  se  nommait  Pierre  de 
Saint-Clost,  ou  plutôt  de  Saint-Cloot,  comme  il  le  dit  lui- 
même  dans  ces  deux  vers  : 

Pierre  de  Saint  Cloot  si  trouve  en  l'escriture 

Que  mauvez  est  li  arbre  dont  li  fruits  ne  meure. 

On  ne  sait  rien  de  plus  de  ce  poète.  Le  second  continuateur 

fut  Jean-le-Nivelois,  ou  Jehan-le-lSevelois ,  qui  fit  la  Ven-  franc,  liv.  ii. 

geance  d' Alexandre.  Fauchet  en  rapporte  ces  neuf  vers  :  ibid. 

^  Seigneurs ,  or  faites  pes ,  un  petit  vos  taisiez 

S'orrez  bons  vers  nouviaux ,  car  li  autre  son  viez 

Jehan  li  Nevelois  fut  moult  bien  afaitiez  (  bien  appris  ): 

A  son  hostel  se  sied  :  si  fu  joyaus  et  liez  (  gai  ). 

Un  chantère  li  dit  d'Alixandrf  à  ses  piez. 

E  qand  il  l'a  oï  s'en  fu  grams  et  iriez  (  triste  et  irrité  ), 

Du  fins  qu  ot  (du  fils  qu'il  eut)  de  caudace  en  a  vers  comenciez, 

Bien  fais  et  bien  rimez,  bien  dicts  et  bien  dictiez, 

Encore  sera  du  comte  Henri  molt  bien  loiez. 

(i)  Abbréviation  , /?0Mr  ce  5^'. 

(2)  A  vérité  ,  témoigne  être  la  vérité. 


Fauchet,  de 
a  lang.  et  poés. 


126     LAMB.  LI-CORS,  ET  ALEXAND.  DE  PARIS, 
xn  SIECLE.        ]^g  même  Fauchet  conjecture  que  ce  comte  Henri  était 


Fauchet,  de  Henri, comte  de  Champagne,  qui  fut  depuis  roi  de  Jérusalem, 

la lang. et pocs.  et  que,par  conséquent, Jean Le-Nivelois,  qui  paraît  lui  avoir 

franc. hv. II.      présenté  son  poëme,  pour  en  obtenir  une  récompense,  vivait 

LiT^vii,  c.  3.    du  temps  de  Louis -le -Jeune,  et  écrivait  avant  iigS,  année 

du  couronnement  de  Henri. 

Pasquier  cite,  dans  ses  Recherches  de  la  France,  un  i"ge- 
ment  porté  par  un  auteur  français  sur  Pierre  de  Saint -Cloot 
et  Jehan- le -Nevelois,  qui  les  met  au-dessus  de  tous  les 
poètes  qui  fleurirent  dans  le  même  siècle;  cet  auteur  est 
^  Geoffroy  Tory,  imprimeur  à  Paris,  qui  fit  paraître  en  1626, 

sous  le  titré  de  Champ  Flori,  un  livre  sur  L'art  et  la  science 
de  la  'vraie proportion  des  Lettres  antiques  (i).  Selon  lui,  ces 
deux  poètes  avaient  en  leur  style  une  grande  majesté  de 
langage  ancien ,  et  il  croit  que  s'ils  eussent  eu  le  temps  en 
fleur  de  bonnes  lettres,  Qpmme  il  était  au  moment  ou  lui, 
Geoffroy  Tory,  écrivait,  ils  eussent  excédé  tous  autheurs 
grecs  et  latins.  Ce  qu'il  appelle  en  eux  majesté  de  langage 
ancien,  était  cet  air  d'antiquité  que  leur  donnaient  les  progrès 

2ue  la  langue  avait  faits  depuis  le  Xir  siècle  jusqu'au  XVP. 
a  suite  de  ces  mêmes  progrès  a  fait  vieillir  à  nos  yeux  le 
style  de  Pasquier  lui-même,  et  donne  à  celui  de  Pierre  de 
Saint-Cloot,  de  Jehan -le-Nevelois,  d'Alexandre  de  Paris  et 
de  Lambert  Li-Cors,  un  ton  de  vétusté'  qui  fait  de  leur  lan- 
gage, une  langue  autre  que  la  nôtre,  et  qui  ne  nous  paraît 
plus  majesté,  mais  barbarie.  On  cite  cependant  quelques  vers 
Supplément  du  roman  d'Alexandre,  qui  joignent  à  la  justesse  des  pensées 
Ue  1749.  yj^  jQ^j.  d'expression  plus  heureux,  et  une  harmonie  plus 

régulière;  tels  que  les  suivans  cités  par  Moréri: 

N'est  pas  roi  qui  se  fausse  et  sa  rezon  dément... 

Mieux  vaut  amis  en  voie  que  en  borse  denier....  ^ 

Pire  est  riche  mauvais  que  pauvres  honourez,  etc. 

Les  vers  de  cette  mesure,  que  nous  nommons  ^alexandrins, 
ne  peuvent ,  co^ime  on  l'a  ait  au  commencement  de  cet  ar- 
ticle, avoir  pris  ce  nom  ^Alexandre  de  Paris,  qui  fut  le 
continuateur  de  Lambert  Li-Cors ,  mais  plutôt  de  cette  suite 

(i)  Debure,  dans  sa  Bibliographie ,  asses  mal  nommée  instructive,  vo- 
lume des  sciences  et  arts,  ne  cite  que  la  a*  édition  qui  est  de  i549,  et 
l'intitule  :  De  la  vraie  proportion  des  lettres  attiqucs  ou  antiques ,  alterna- 
tive qui  n'est  sûrement  point  au  titre  de  ce  livre,  que,  selon  toute  appa- 
rence ,  Debure  n'avait  point  vu. 


BLONDEL  DE  NESLES,  CHANSON.  FRANC.      ia7 

de  romans  sur  Alexandre ,  tous  écrits  en  vers  de  douze  syl- 
labes. Le  roman  du  Rou  avait  même  donné  précédemment 
l'exemple  de  cette  mesure ,  ainsi  que  de  ces  longues  suites 
de  vers  sur  la  même  inme,  que  l'on  trouve  dans  celui 
d'Alexandre,  et  dans  presque  tous  les  poëmes  contemporains. 
L!usage  des  vers  alexandrins  fut  abandonné  peu  de  temps 
après,  et  ne  fut  repris  que  dans  le  XVP  siècle.  Marot  s'en 
servit  quelquefois,  mais,  comme  l'observe  Pasquier,  seule- 
ment dans  ses  Tombeaux ,  et  alors  il  prend  soin  d'en  avertir 
par  cette  suscription:  vers  alexandrins.  Baïf,  Du  Bellay, 
konsard,  et  du  Bartas,  qui  les  remirent  en  vogue,  pouvaient 
leur  faire  courir  le  risque  de  passer  de  mode  avec  eux:  mais 
nos  classiques  du  XVIP  siècle,  en  les  adoptant  pour  le  genre 
héroïque,  les  y  ont  définitivement  attachés.  On  a  continué 
de  les  nommer  alexandrins ,  sans  chercher  le  plus  souvent 
à  savoir  d'où  ce  nom  leur  est  venu,  ou  se  trompant  sur  cette 
origine,  que  l'on  tire  du  nom  du  poète  Alexandre,  tandis 

aue  tout  porte  à  croire  qu'elle  vint  cfe  cette  suite  de  poëmes, 
ont  Alexandre-le-Grand  fut  le  héros.  G. 


XII  SIECLE. 


BLONDEL,    BLONDEAU, 
OU    BLONDIAUS    DE    NESLES, 

.     CHANSONNIER  FRANÇAIS. 

Lj'est  dans  la  petite  ville  de  Nesles,  en  Picardie,  que  ce 
chansonnier  reçut  le  jour;  on  ignore  quelle  fut  son  édu- 
cation, pour  quelle  cause,  et  à  quelle  époque  de  sa  vie  il  passa 
en  Angleterre,  oii  Richard  Cœur-de-Lion  régnait.  Ce  mo- 
narque se  l'attacha ,  c'est  tout  ce  qu'on  sait  de  lui.  Le  fragment 
d'une  chronique,  rapporté  par  Fauchet,  lui  a  fait  une  grande  p.  556. 
réputation  de  fidélité  pour  son  maître,  et  fournit  à  notre 
histoire  littéraire  un  trait  intéressant  dont  les  théâtres  se 
sont  emparés.  Selon  cette  chronique,  quand  le  roi  Richard 
eut  été  fait  prisonnier  du  duc  d'Autricne ,  «  Blondel  pensa 
«  que  ne  voyant  point  son  seigneur,  il  lui  en  estoit  pis,  et 
«■  en  avoit  sa  vie  à  plus  grand  mesaise,  et  sy  estoit  bien  nou- 


128     BLONDEL  DE  NESLES,  CHANSON.  FRANC. 

._! «  veiles  quil  cstoit  party  d outremer,  mais  nus  ne  sçavoit 

«  en  quel  pays  il  e'tait  arrive,'  et  pour  ce  Blondel  chercha 
«  maintes  contrées ,  sçavoir  s'il  en  pourroit  ouyr  nouvelles, 
et  Sy  advint  après  plusieurs  jours  pas.sez,il  arriva  d'advenlnre 
«  en  une  ville  assez  près  du  Chastel;  et  l'hoste  lui  dit  qu'il 
«  estoit  au  duc  d'Austriche.  Puis  demanda  s'il  y  avoit  nus 
«  prisonniers,  car  tousiours  en  enqueroit  secrètement  où 
«  qu'il  allast:  et  son  hoste  lui  dist  qu'il  y  avoit  un  prison- 
ce  nier,  mais  il  ne  scavoit  qui  il  estoit,  fors  qu'il  y  avoit  esté 
«  bien  plus  d'un  an.  Quand  Blondel  entendit  cecy,  il  list  tant 
a  qu'il  s'accointa  d'aucuns  de  ceux  du  Chastel ,  comme  me- 
«  nestrels  s'accointent  légèrement;  mais  il  ne  put  voir  le  roy 
ce  ne  scavoir  si  c'estoit  il.  Sv  vint  un  iour  en  droit  d'une 
«  fenestre  de  la  tour  ou  estoit  le  Roy  Richard,  prisonnier,  et 
«  commença  à  chanter  une  chanson  en  François,  que  le  roy 
«  Richard  et  Blondel  avoient  une  fois  faicte  ensemble.  Quand 
^  a  le  roy  Richard  entendit  la  chanson,  il  cognent  que  c'estoit» 

«  Blondel;  et  quand  Blondel  ot  dicte  la  moitié  de  la  chanson,* 
a  le  roy  Richard  se  prist  à  dire  l'autre  moifié ,  et  l'acheva, 
ce  Et  ainsi  sceut  Blondel  que  c'estoit  le  roy,  son  maistre.  Sy 
<s.  s'en  retourna  en  Angleterre,  et  aux  barons  du  pays  conta 
te  l'adventure.  » 

Cette  anecdote,  il  est  vrai,  n'a  point  d'autre  garant  que 
Fauchet;  mais  rien  n'en  prouve  la  fausseté;  elle  n'a  rien 
d'invraisemblable  dans  ces  temps  de  che\'alerie,  ni  entre  un 
roi  et  son  sujet,  ni  entre  un  troubadour  et  son  ménestrel. 
On  ne  voit  donc  ni  ce  qui  porterait  ni  ce  qu'on  gagnerait  à 
T. I,  p.  a5i.  n'y  pas  croire.  Elle  a  été  adoptée,  et  se  trouve-dans  Duver- 
Extr.depo.-s.  dier ,  dans  Sinner,  dans  Massieu,  et  dans  tous  les  auteurs 

1        "V  n'y'!!!*" 

XlV"    et  xv^  4*^*  ^"''  traité  de  notre  ancienne  poésie,  l^plon  La  Croix  du 

siècles,  p.  14.     Mhine,  Blondel  fut  un  excellent  joueur  d'instrumens.  Fauchet 

p.  i33.         dit  que  ce  poète  n'a  laissé  que  douze  chansons,  mais  La 

Essai 'sur  la  Roi'de  cite  les  titres  de  vingt-neuf,  et   rapporte  les  deux 

musique  ,  t.  II ,    COUplctS   SUivaHS. 

p.  171  et  3 16.  Lji  ■  -^  ^ç  semoni 

p.  ï  *■  I . 

De  chanler  au  eiouz  tens, 
Et  mes  cuers  li  respont 
Que  droit  est  que  g  'i  pens  ; 
Car  nuls  riens  el  mont 
Ne  fas  seur  son  deffens. 
Dex  !  quel  siècle  cil  ont 
Qui  i  metent  leur  sens  ! 


GILBERT  DE  MONS.  iao 

,,....                                                                   XII  SIECLE. 
A  la  joie  apartient  

D'amer  niult  finement, 

Et,  quant  li  lieus  en  vient 

Li  donners  largement. 

Oncor  plus  i  convient 

Parler  cortoisement. 

Qui  ces  trois  voies  tient 

Jà  n'ira  malement. 


GILBERT 

ou   GISLEBERT  DE   MONS, 

CHANCELIER  DE  BAUDOIN  V,  COMTE  DE  HAINAUT. 

On  a  déjà  parlé,  dans  cette  histoire,  de  Gilbert  de  Mons,  T. xii,  p.  a36 
mais  d'une  manière  si  inexacte,  que  nous  nous  croyons 
obligés  de  refaire  son  article.  Induits  en  erreur  par  le  P. 
Lelong,  nos  devanciers  donnent  comme  certain  que  la  Chro- 
nique de  Hainaut ,  de  Gilbert  de  Mons ,  n'embrasse  que  l'espace 
de  temps  qui  s'est  écoulé  depuis  l'année  1060  jusqu'en  1 1/\6. 
La  vérité  est  qu'elle  ne  commence  qu'en  1 168,  et  se  termine 
à  l'année  1 1  gS.  Mais  Gilbert  a  mis  à  la  tête  une  introduction 
qui  remonte  en  effet  jusqu'à  Richilde,  comtesse  de  Hainaut, 
vers  1060.  Avant  que  M.  le  marquis  du  Chasteler  eût  publié, 
en  1 784  ■)  cette  Chronique  sur  un  manuscrit  des  dames  cha- 
noinesses  de  Sainte -Vaudru  de  Mons,  elle  n'était  connue  que 
par  quelques  citations  que  des  historiens  du  Hainaut,  et  nom- 
mément le  P.  de  Lewarde ,  en  avaient  extraites  :  de-là  les  mé- 
prises dans  lesquelles  sont  tombes  les  bibliographes  qui  en 
ont  parlé,  sans  excepter  Gérard  Vossius  et  le  docte  Fabri- 
cius.  Mais  aujourd'hui  que  l'ouvrage  a  été  publié,  nous  pou- 
vons en  parler  plus  pertinemment. 

Gilbert,  ou  comme  il  écrit  lui-même  son  nom,  Gislebert, 
nous  fait  connaître  quelques  traits  de  sa  vie  ;  mais  il  n'a  pas 
jugé  à  propos  de  npus  dire  qui  étaient  ses  parens  ni  en  quel 
lieu  il  avait  pris  naissance.  D  après  le  surnom  qu'il  porte,  on 

Tome  Xr.  R 


Xn  SIECLE. 


i3o  GILBERT  DE  MONS. 

pourrait  croire  que  ce  fut  à  Moijs,  s'il  n'y  avait  autant  de 

raison  de  présumer  que  ce  surnom  lui  fut  donné  à  cause  du 

long  séjour  qu'il  fit  dans  cette  ville,  et  des  dignités  dont  il  y 

Edit. Bruxei.  fut  revêtu.  Quoi  qu'il  en  soit,  à  dater  de  l'année  ii84,  il 

p-  127)  iSg.  prend  dans  sa  Chronique  la  qualité  de  notaire  et  de  clerc, 
quelquefois  celle  de  chancelier  du  comte  de  Hainaut;  en 
ibid.  p.  i65.  1 187,  il  ajoute  à  ces  qualités  celle  de  prévôt  de  Mons,  prœ- 
positus  Montensis.  L'année  suivante,  ayant  été  envoyé  à  la 
cour  de  l'empereur  pour  les  affaires  de  son  maître ,  il  se  défit 
de  deux  prébendes  en  faveur  de  deux  courtisans,  afin  défaire 
Ibid.  p,  192,  réussir  la  négociation  dont  il  éfait  chargé.  Le  comte  lui  en 

**7-  sut  si  bon  gré,  qu'il  le  combla  de  bienfaits,  et  ne  tarda  pas 

à  lui  donner  par  reconnaissance  la  prévôté  de  Saint-Germain 
à  Mons ,  la  custodie  et  une  prébende  dans  l'église  de  Sainte- 
Vaudru;  la  prévôté,  la  custodie  et  une  prébende  dans  l'église 
de  Saint-Aliîan  de  Namur  ;  une  prébende  dans  les  églises  de 
Soignies,  de  Condé  et  de  Maubeuge;  enfin  il  lui  procura 
l'abbaye  de  Sainte-Marie  à  Namur,  avec  le  droit  de  conférer 
les  prébendes.  L'année  de  la  mort  de  Gilbert  n'est  pas  con- 
nue, mais  elle  doit  être  postérieure  à  l'année  1221 ,  époque 
où  il  souscrivit,  comme  prévôt  de  Saint-Alban  deNamur(i), 
à  une  charte  de  Philippe  de  Gourtenai,  comte  de  Namur,  en 
^Biir»!  op.  faveur  de  cette  église. 
3oî         '^'        Nous  ne  possédons  de  Gilbert  de  Mons  que  sa  Chronique, 

**    **'  mais  c'est  un  ouvrage  ^'autant  plus  précieux  que  l'auteur  a 

été  non -seulement  témoin  de  la  plupart  des  événemens 
qu'il  raconte ,  mais  souvent  encore  Fagent  accrédité  des  né- 
gociations importantes  dont  il  fait  le  récit.  11  paraît  qu'il  n'a 
voulu  écrire  que  la  vie  de  Baudouin  V,  comte  de  Hainaut,  dit 
le  Courageux  ou  le  Magnanime,  qui  succéda  en  i  tyi ,  à  son 
père  Baudouin  IV,  dit  le  Bâtisseur,  et  mourut  le  17  dé- 
cembre iiq5.  Là  se  termine  son  ouvrage  qu'il  a  rédigé  en 
forme  de  chronique  ou  d'annales.  Il  a  mis  à  la  tête,  comme 
nous  l'avons  déjà  dit,  une  espèce  d'introduction  dans  laquelle 
il  a  fait  entrer  toutes  les  notions  qu'il  a  pu  recueillir  sur 
l'histoire  des  comtes  de  Hainaut,  depuis  la  comtesse  Richilde, 

(i)  Quoiqu'il  soit  très -probable  que  le  prévôt  Gillebert,  qui  souscrivit 
cette  charte,  ne  soit  autre  que  notre  Gislebert  de  Mons;  sans  égaril  à 
cette  date,  pour  ne  pas  différer  plus  long-temps  à  rectifier  l'article  qui  le 
concerne  dans  le  t.  XII  de  cette  histoire ,  c'est  ici  le  moment  et  le  lieu 
d'y  revenir,  sa  chronique  finissant  à  l'année  1195. 


XII  SIECLE. 


GILBERT  DE   MONS.  i3i 

les  lois  et  coutumes  du  pays,  et  sur-tout  les  généalogies  et 
les  alliances  de  la  maison  comtale.  Il  n'est  pas  exempt  d'er- 
reurs dans  cette  partie  de  son  travail ,  parce  qu'il  écrit  sur  la 
foi  d'autrui  ;  mais  dans  ses  annales  il  mérite  toute  notre  con- 
fiance ,  et  il  y  a  peu  d'auteurs  qui  la  méritent  davantage.  Le 
héros  qu'il  a  entrepris  de  célébrer  fut  un  des  plus  illustres 
de  son  temps ,  qui  eut  l'avantage  de  marier  une  de  ses  filles  à 
Philippe -Auguste,  d'augmenter  considérablement  la  puis- 
sance du  Hainaut  par  l'adjonction  des  comtés  de  Flandre  et 
de  Namur ,  et  de  préparer  à  ses  enfans  les  moyens  de  faire , 
peu  de  temps  après  sa  mort,  la  conquête  de  l'empire  de 
Constantinople.  Il  est  fâcheux  que  Gilbert  n'ait  pas  poussé 
son  travail  jusqu'à  cette  époque  brillante  des  comtes  de 
Hainaut,  quoiqu'il  eût  promis,  au  commencement  de  son 
ouvrage  ,  qu'il  parlerait  aussi  des  successeurs  de  Bau- 
douin V.  Il  est  possible  qu'il  ait  continué  sa  Chronique,  mais 
quant  à -présent,  la  continuation  est  encore  ensevelie  dans 
les  ténèbres. 

Parmi  tant  de  choses  curieuses  que  renferme  l'écrit  de 
Gilbert,  les  érudits  qui  s'occupent  de  recherches  sur  l'an- 
cienne chevalerie  y  trouveront  la  description  de  plusieurs 
tournois  où  la  noblesse,  selon  les  mœurs  du  temps,  se  plaisait 
à  déployer  beaucoup  de  magnificence.  Ils  y  verront  que  ce 
n'étaient  pas  toujours  de  purs  jeux  ou  des  exei'cices  gym- 
nastiques,  mais  que  les  passions,  les  haines  et  les  jalousies 
s'y  mêlaient  quelquefois ,  et  faisaient  dégénérer  ces  réunions 
en  arènes  sanglantes. 

Les  continuateurs  du  Recueil  des  Historiens  de  France,  qui  T.xiii,p.54a 
avaient  obtenu  de  M.  le  marquis. du  Chasteler  communication  -58o. 
du  ms.  de  S"^-Vaudru,  avaient  imprimé  une  bonne  partie  de 
cette  chronique  avant  que  ce  seigneur  eût  donné  son  édition. 
Ils  n'ont  pu  l'imprimer  que  jusqu'à  l'année  i  i8o,  qui  est  l'é- 
poque où  ils  ont  dû  s'arrêter  pour  ne  pas  anticiper  sur  les 
règnes  suivans  ;  mais  ils  ne  manqueront  pas  d'imprimer  la 
suite,  lorsqu'ils  en  seront  à  Philippe- Auguste.  M.  le  marquis 
du  Chasteler  avait  promis  de  donner  des  notes  sur  les  endroits 
de  la  chronique  qu'il  a  désignés  par  des  chiffres  de  renvoi  ; 
mais  éet  illustre  savant  étant  mort ,  ses  notes  n'ont  pas  été 

fmbliées.  Les  continuateurs  de  D.  Bouquet  en  ont  donné  de 
eur  façon  dans  la  portion  qu'ils  ont  imprimée,  et  qui  est 
celle  qui  en  avait  le  plus  de  besoin.  Ils  ont  donné  une  atten- 
tion particulière  aujt  généalogies ,  parce  qu'elles  ont  servi  de 


i32  BAUDOIN  V,  COMTE  DE  HAINAUT. 

ICII  SIFCI F 

1  base  à  Baudouin  d'Avesnes,  pour  dresser  les  siennes,  qui  ont 

été  imprimées  plusieurs  fois.  Comme  le  commencement  de 
celles-ci  est  exactement  le  texte  de  Gilbert,  et  que  Baudouin 
n'a  fait  que  continuer  jusqu'à  son  temps  les  mêmes  généa- 
logies dont  Gilbert  n'avait  pu  connaître  que  les  premiers 
degrés,  ils  ont  imprimé  au  bas  des  pages  le  texte  de  Bau- 
douin, qui  conduit  le  fil  des  générations  jusques  vers  le 
milieu  du  XIIP  siècle.  B. 


«  «''v-%<«i«^  ^^«/^'wv^  w^-v*-^  «/«.^^/«i«^^«/%«%^ 


BAUDOIN   V, 

COMTE  DE  HAINAUT  ET  DE  FLANDRE. 

Jjaudoin  V  était  né  en  ii5o,  de  Baudoin  FV  comte  de 

Hainaut,  et  d'Adélaïde,  appelée  aussi  Ermengarde,  fille  de 

.  ?lîV  ^^  ^I'  Godefroi ,  comte  de  Namur.  Le   goût   des   tournois  paraît 

t.  Xlll,p,  5oq    1'         •  /    1      1  11)  1  •  ^        i 

^Sjg.  lavoir  emporte  de  beaucoup  dans  lame  de  ce  prince,  sur  le 

goût  des  lettres  :  les  historiens  en  rappellent  plusieurs  qu'il 
rechercha  et  dans  lesquels  il  obtint  d'éclatantes  victoires. 
Il  nous  reste  cependant  de  lui  une  de  ces  lois  destinées  à 
abolir  l'effet  des  vengeances  privées ,  et  à  substituer  au  long 
<  empire  des  armes  ou  de  la  force  le  seul  empire  de  la  justice. 

Baudoin  la  fit  dans  une  réunion  des  personnes  les  plus  dis- 
tinguées par  leur  naissance  ou  leurs  vertus,  et  tous  ceui 
qui  lui  étaient  soumis  en  jurèrent  l'observation.  Une  peine 
capitale  dut  frapper  l'homicide  ;  la  perte  d'un  membre  dut 
être  punie  par  une  perte  semblable.  Un  accusé  qui  se  déro- 
bait aux  poursuites  de  la  justice,  était  regardé  comme  cou- 
pable de  1  action  dont  il  avait  craint  de  venir  se  justifier;  et  il 
ne  pouvait  désormais  obtenir  miséricorde  que  du  consente- 
ment ,  tout-à-la-fois ,  et  du  prince  et  des  parens  de  celui  sur 
qui  avait  été  commis  le  crime.  Si  un  noble  tuait  ou  mutilait 
un  paysan,  le  comte  pouvait  lui  faire  grâce  dans  sa  vie  ou 
dans  ses  membres;  mais  cette paùr  ne  pouvait  lui  être  assu- 
rée que  du  consentement  des  parens  de  celui  qui  avait  été 
l'objet  de  l'attentat.  Les  parens  du  coupable  fugitif  devaient 
l'abjurer,  s'ils  voulaient  rester  en  paix  avec  ses  ennemis. 
Cette  loi  avait  beaucoup  d'autres  articles  encore.  Voilà 
chron.  du  ccux  quc  Gilbert  de  Mons  nous  a  conservés. 

Hain.    t.    XIII  •  . 


XII  SIECLE. 
des  Hist.  de  Fr. 


BAUDOIN  V,  COMTE  DE  HAINAUT.  i33 

Un  des  premiers  actes  de  la  jeunesse  de  Baudoin  avait 
e'té  la  poursuite  armée  des  brigandages  qu'il  chercha  de- 
puis, sans  doute,  à  réprimer  par  des  mesures  de  législation  ^"''^' 
et  de  police,  plus  conformes  à  la  dignité  et  aux  devoirs  d'un 
prince.  Il  ne  pardonnait  à  aucun  de  ceux  qu'il  trouvait  cou- 
pables. Nous  apprenons  encore ,  par  Gilbert  de  Mons ,  de      Md.  p.  56>j. 
quels  supplices  il  les  punissait;  il  faisait  pendre  les  uns, 
livrait  les  autres  au  feu,  en  faisait  précipiter  dans  l'eau,  en 
faisait  enterrer  d'autres  tout  yivans.  Baudoin  n'était  pas  en-  ■ 
core  alors  comte  de  Hainaut  ;  il  ne  le  devint  qu'en  1 1 7 1  et  non     ^-  *79  «'  67^ 
en  II 72  comme  le  dit  une  chronique  anonyme,  que  l'on  croit  5^,™  "**  '"™' 
être  d'un  chanoine  de  Laon.  II  avait  épousé  en  1 169  la  prin-      /did.  p.  679. 
cesse  Marguerite,  sœur  de  Philippe  comte  de  Flandre  :  une      ^'''-  ^^eFr. 
nouvelle  alliance  fut  contractée,  à  cette  occasion,  entre  les  4-3,5,0,67^! 
deux  souverains  :  le  comte  de  Flandre  promit  de  secourir  —  làeyer',  an. 
et  défendre  le  comte  de  Hainaut  dans  tous  les  cas  et  contre  "^9'  v-'>9-  — 
toute  sorte  de  personnes,  hors  le  roi  des  Français,  son  sei-    ^^*  '  ^"      ' 
gneur-lige;  et  le  comte  de  Hainaut,  celui  de  Flandre  aussi 
contre  tout  autre  que  son  seigneur- lige,  l'évèque  de  Liège. 

Martène  a  donné  en  entier,  dans  le  premier  volume  de    P.  585  et  586. 
son  trésor  des  anecdotes,  une  autre  confédération  de  ces 
deux  princes  qui  a  le  même  objet,  les  mêmes  exceptions,  et 


3ui  paraît  n'être  que  le  renouvellement  ou  la  confirmation 
e  la  première.  Eue  y  est  datée  de  1 176. 
Après  avoir  annoncé  d'abord  qu'ils  ont,  du  conseil  de 


leurs  hommes  et  sous  la  foi  d'un  serment  mutuel ,  nromis 
de  s'aider  toujours ,  contre  tout  autre  que  le  roi  de  France 
et  l'évèque  de  Liège,  ils  s'obligent,  art.  2,  à  ne  s'emparer 
de  rien  dans  les  états  l'un  de  l'autre,  et  à  ne  construire  au- 
cune forteresse  sur  leurs  frontières ,  que  de  leur  consente- 
ment réciproque.  Ils  se  défendent ,  par  l'article  3 ,  de  garder 
dans  leurs  terres  des  hommes  que  l'autre  aurait  bannis  des 
siennes.  Aucun  sujet  d'un  des  deux  états  ne  peut  aller,  pour  Art.  4  et  5. 
nuire,  dans  les  états  de  l'autre  :  aucun  d'eux  ne  peut  être 
contraint  au  rachat  pour  les  guerres,  privées  sans  doute,  ni 
en  Flandre  ni  en  Hainaut.  I^  traité  ajoute  que  les  discus- 
sions, s'il  s'en  élève,  doivent  être  terminées  par  les  disposi- 
tions même  qu'il  renferme;  et  si  cela  est  insuffisant,  par  une 
délibération  commune  des  hommes  des  deux  princes. 

Martène   rapporte,  dans   le  même  ouvrage,  des  lettres    T. i, p. 619 et 
d'Amauric,  abbé  de  St.-Aubert  de  Cambrai,  relatives  à  des  ^*°* 
urières  qu'on  devait  faire  pour  Baudoin,  sa  femme  et  ses 


i34  MATHIEU,  ABBÉ  DE  NINOVE. 

XII  SIECLE,    gnfans;  il  les  date  de   1183,  et  néanmoins  il  parle  de  ce 
prince  comme  mort,  quoique  Baudoin  n'ait  cessé  de  vivre 

au'en  1 195  :  pas  de  doute  cependant  que  ce  ne  soit  de  Bau- 
oin  V  qu'il  veut  parler,  puisqu'il  nomme  sa  femme  Mar- 

-  guérite;  or  Baudoin  IV  n'avait  pas  une  femme  de  ce  nom, 
mais  du  nom  de  Laurette.  Martëne  rapporte  aussi ,  sous  la 

ibid.  p.  655.  (Jate  de  i  ig4,  un  accord  fait  entre  le  comte  de  Hainaut  et  le 
duc  de  Louvain.  Il  avait  cité,  sous  celle  de  1 192,  des  lettres 

-  de  Baudoin,  comte  de  Flandre  et  de  Hainaut,  au  sujet  d'une 
P.  653.        redevance  qu'on  payait  à  Cambrai.  Baudoin  avait  succédé  en 

Art  de  vérif.  iic)i  au  comté  de  Flandre,  après  la  mort  de  Philippe,  mort, 
;s dates, t. III,  ^^^^jj^^  ,^Q^g  l'avous  dit,  à  la  Terre-Sainte.  Philippe  l'avait 
Hist.  de  Fr.  désigné   comme  son  héritier   dès  son  premier  voyage  en 
t.  XIII,  p.  577.  Orient.  P. 


les 
P 


MATHIEU, 

ABBÉ  DE  NINOVE. 


Mathieu,  né  à  li  Schoorisse,  dans  le  comté  d'Alost,  en 
Flandre ,  d'abord  chanoine  iégulier  de  Prémontré,  passa,  en 
1 1  go,  du  Mont-Saint-Martin ,  diocèse  de  Cambrai,  à  la  dignité 
d'abbé  de  Ninove ,  alors  du  même  diocèse ,  et  ensuite  de  Ma- 
lines  :  mais  au  bout  de  quelques  années ,  plus  ami  du  repos 
que  de  l'autorité ,  il  abdiqua  le  gouvernement  et  revint  vivre 
comme  simple  religieux  au  milieu  de  ses  frères  de  Saint- 
Martin;  c'était  en  i  igS.  Il  y  mourut  la  même  année.  On  peut 
voir  sur  sa  vie  monastique  et  ses  vertus  religieuses,  Hugo, 
T.  II,  p.  177.  dans  ses  monumens  historico-dogmatiques  de  l'antiquité  sa- 
T. II,  p.  373.  crée,  et  dans  les  annales  des  prémontrés ,  Lemire,  clans  son 
P^  104^  histoire  du  même  ordre ,  et  Foppens  ,  dans  sa  bibliothèque 
Belgique. 

Homme  d'une  grande  piété,  Mathieu  fut  encore  un  homme 
d'un  grand  savoir.  On  avait  de  lui  plusieurs  sermons,  ainsi 
que  des  commentaires  sur  les  psaumes  de  David  et  sur  le 
prophète  Isaïe.  Il  paraît  que  ces  manuscrits,  conservés  à  la 
bibliothèque  de  l'abbaye  de  Ninove,  ont  péri  dans  le  temps 


p.  868. 


ÉCRIV.  DE  L'ORDRE  DE  GRANDMONT.       i35 

des  troubles  qui  ont  agité  le  Brabant  à  la  fin  du  seizième  ' 

siècle  et  au  commencement  du  dix-septième;  ils  n'existaient 
déjà  plus  quand  Lemire  écrivait,  et  Lemire  est  mort  en 
ï64o. 

La  chronique  de  Ninove  le  loue  comme  instruit,  sur-tout      Hugo,  Ami. 
dans  la  théologie,  comme  possédant  à  un  haut  degré  le  talent  '^"J"^"-  *•  "' 
d'exposer  au  peuple  la  parole  divine  ;  on  l'écoutait ,  dit-elle , 
comme  un  ange  qui  serait  descendu  du  ciel.  P. 


ÉCRIVAINS 

DE   L'ORDRE  DE  GRANDMONT. 

JL'o  RDRE  de  Grandmont ,  dont  le  berceau  fut  à  Muret  dans 
le  diocèse  de  Limoges,  prit  naissance  à-peu-près  dans  le 
même  temps  que  celui  des  chartreux ,  vers  la  fin  du  onzième 
siècle.  Ces  deux  ordres,  en  mettant  des  bornes  au  désir  d'ac- 

3uérir  qui  tourmente  les  hommes,  se  sont  rendus  recomman- 
ables  par  un  genre  de  vie  qui  aurait  fait  l'admiration  des 
anciens  philosophes,  et  qui  n  est  autre  chose  que  la  morale 
du  christianisme  mise  en  pratique,  ^'est  la  réflexion  que  Polierat.  lib. 
faisait,  en  parlant  d'eux,  le  philosophe  chrétien  Jean  de  vu,  cap.  23. 
Salisburi,  témoin  des  beaux  commencemens  de  ces  insti- 
tutions (  I  ).  Mais  plus  empressés  de  trouver  l'art  de  bien 

(i)  Magni procul  dubio  viri,  dit-il,  et  inter  prœcipuos  numerandi,  cum 
non  modo  prqfessiones ,  sed  jam  senescente  mundo  in  tanta  multitudine  laben- 
tium  sœculorum,  pauci  processerint  homincs  qui  satietatis  sibi  aliquos  prae- 
scripserint  termittos.  Necesse  est  semper  déesse  aliquid  curtœ  rei ,  et  ipse 
hiatus  desiderii,  aliquid  ulteriîts  jugiter  affectantis ,  imperfcctionis  signum 
est....  Quodarn  igitur  modo,  eoque  glorioso ,  perfectus  est  qui prœvidet  unde 
valent  satiari  :  quod  etsi  neminem  vel  admodum  paucos  gentuium  assecutos 
credam,  huic  tamen  nonnullos  institisse  proposito  certum  habeo ,  cum  et 
Ethicus  dicat  :  Certum  voto  pone  finem ,  sine  quo  in  infinîtum  humani 
animi  conatus  protenditur,  et  in  id  quod  omnino  nequeat  apprehendi. 
Porro  Magni-montis  incolœ  vitam  perarduam  elegerunt,  et  non  modo  avu' 
ritiœ ,  sed  ipsius  naturœ  quodam  modo  domitores,  omnia  necessitatis  imperia 
excluserunt ,  abjecerunt  soUiciludinem  crastini,  etc.  Policratici,  lib.  VII , 
cap.  23.  Etienne  de  Tournai,  lettre  71 ,  fait  du  genre  de  vie  des  Grand- 
montains  un  éloge  non  moins  magnifique. 


XII  SIECLE. 


i36        ECRIV.  DE  L'ORDRE  DE  GRANDMONT. 

vivre  pour  le  mettre  en  pratique,  que  de  faire  des  livres,  ces 
bons  solitaires  écrivaient  peu;  je  n'aurai  à  parler  dans  cet 
article  que  des  maximes  de  conduite  et  de  morale  qu'ils 
s'étaient  prescrites,  ou  de  quelques  morceaux  historiques 
concernant  leur  établissement. 

1°  Etienne  de  Liciac  fut  le  quatrième  prieur  de  Grand- 
mont,  après  saint  Etienne  de  Muret,  et  en  cette  qualité, 
Mart.  Ampl.  supérieur-général  de  l'ordre.  C'était  un  homme  austère,  très- 
col.  TiS  et  las!  ^^'^  pour  les  observances  du  cloître ,  sous  le  gouvernement 
duquel  l'ordre  de  Grandmont  sortit  de  son  obscurité,  et  prit 
de  grands  accroissemens ,  soit  pour  le  nombre  des  frères, 
soit  pour  celui  des  maisons  que  la  piété  des  grands  du  siècle 
s'empressait  de  construire  à  leur  usage.  Son  gouvernement 
fut  de  vingt-trois  ans,  selon  son  épitaphe  et  tous  les  monu- 
mens  historiques  de  Grandmont  ;  et  comme  il  mouî-ut  cer- 
tainement au  mois  de  janvier  i  i6i ,  il  dut  commencer,  non 
l'an  I  i4i,  comme  le  disent  les  auteurs  du  Gallia  Christiana, 
mais  au  plus  tard  l'an  i  iSg. 
Labbe,Bibi.       Bernard  Guidonis  ou  de  la  Guionie,  évêque  de  Lodève 
ms. t. II, p. 276.  çj^  i3o8,  lui  attribue  un  écrit  qui  a  pour  titre:  Dicta  etfacta 
Mart.  ibid.  saucti  Stcphani  de  Mureto.  D.  Martène,  qui  avait  trouvé  cet 
co  .  104  .  écrit  intercalé  dans  une  vie  de  saint  Etienne,  composée  par 

Gérard  Ithier,  septième  prieur  de  Grandmont,  adopte  cette 
opinion  qu'il  appuie  de  fortes  conjectures,  tirées  de  la  nature 
nui.  co\.  iiii.  même  de  l'ouvrage.  1^  l'a  imprimé  à  la  suite  de  l'écrit  de 
Gérard  Ithier,  dans  lequel  il  avait  pour  titre  :  Hic  hreviter 
comprehenduntur  atque  concluduntur  mrtutes  conversationis 
Clique  sanctitatis  sancti  Stephani  confessons ,  et  l'éditeur  y 
en  a  ajouté  un  nouveau ,  fondé  sur  ses  conjectures  :  Sancti 
Stephani  dicta  etfacta,  Stephani  de  Liciaco,  uti  conjicinius, 
jussu  conscripta ,  et  a  Gerardo  Itherii  in  vita  ejusdem  a  se 
conscripta ,  inserta. 

Cet  ouvrage  est  divisé  en  seize  chapitres ,  et  contient  de  fort 
bonnes  maximes  ;  c'est  une  espèce  de  panégyrique  fait  pour 
servir  de  modèle  de  conduite  aux  religieux,  et  perpétuer  dans 
l'ordre  l'esprit  de  ce  grand  serviteur  de  Dieu.  Cet  écrit  ne 
doit  pas  être  confondu  avec  un  autre  du  même  genre ,  con- 
tenant cent  vingt-deux  maximes,  ayant  pour  titre  :  Liber 
sententianim ,  seu  rationum  sancti  patiis  nostri  Stephani, 
instituions  ordinis  Grandimontensis ,  ouvrage  traduit  par  le 
célèbre  Baillet,  imprimé  à  Paris,  en  latin  et  en  français,  chez 
Lemercier,  l'an    1702,  in-ia.  On  en  a  rendu  compte  au 


ECRIV.  DE  L'ORDRE  DE  GRANDMONT.       137 

tome  X  de  cette  Histoire  ;  mais  en  attribuant  ce  dernier  écrit  ' 

à  saint  Etienne  de  Muret ,  ainsi  que  la  règle  des  grandmon-  Hi**-  Li«ér. 
tains,  on  a  suivi  trop  aveuglement  D.  Rémi  Ceillier,  qui  a  *'^^'  P'  ^''~ 
été  réfuté  par  un  religieux  de  l'étroite  observance  de  cet 
ordre,  dans  le  Journal  de  Verdun,  année  1766,  juillet, 
p.  37  —  47-  L'opinion  de  ce  religieux  est  que-  la  règle  de 
Grandmont,  ainsi  que  le  livre  des  Maximes  recueillies  des 
instructions  verbales  de  saint  Etienne,  sont  l'ouvrage  d'Etienne 
de  Liciac,  ou  du  moins  composés  par  son  ordre,  d'après 
la  délibération  du  chapitre -général,  qu'il  avait  assemblé 
l'an  II 56. 

IL  Pierre  Bernardi,  appelé  aussi  Bernard  du  Coudrai,      ^''^-  ^^>  ^P* 
de  Corilo,  dans  les  lettres  de  saint  Thomas  de  Cantorbéri,  et  ''Làbbe'°BU)U 
par  Geofroi  de  Vigeois  Bernard  de  Bré ,  autrement  dit  de  ms.t.  Il,p.  317. 
Boschiac,  était  d'une  famille  noble  du  Limousin.  Il  avait  un 
frère  nommé  Aimeric  Bernardi  de  Bré,  et  lui-même  avait 
été  engagé  dans  le  mariage  avant  que  d'entrer  en  religion. 
Il  fut  élu  prieur  de  Grandmont,  l'an  1 161 ,  comme  on  le  voit 
par  la  lettre  qu'il  écrivit  à  Henri  II,  roi  d'Angleterre,  son 
souverain,  et  par  la  réponse   qu'il   en  reçut,  datée   de  la 
septième  année  du  règne  de  ce  prince.  Il  gouverna  ce  mo- 
nastère pendant  sept  ans  et  demi ,  c'est-à-dire  jusqu'à  l'an- 
née II 68,  époque  où  il  fut  nommé  correcteur  cïes  Bons- 
Hommes  de  Vincennes,  aux  portes  de  Paris.  C'était  l'homme 
le  plus  rccomniandcible  de  son  ordre,  dans  un  temps  où  cet 
ordre  jouissait  de  la  plus  grande  considération  (i);  un  homme         , 
de  qui  les  rois  de  France  et  d'Angleterre  prenaient  conseil, 
et  à  qui  les  papes  et  les  évêques  confiaient  les  affaires  les 
plus  délicates,  comme  on  le  verra  par  le  détail  des  lettres 
qui  nous  restent  de  lui ,  ou  de  celles  qui  le  concernent. 

1°  Dom  Martène  a  publié  la  lettre  que  Pierre  Bernardi      Mart.Anecd. 
écrivit  au  roi  d'Angleterre  pour  soumettre  à  son  approbation  '*   '  ™  •  ^  ^• 
la  nomination  qui  venait  d'être  faite  de  lui  à  la  place  de 
prieur  de  Grandmont,  général  de  l'ordre.  La  réponse  du  roi 
est  très-honorable  pour  sa  personne. 

2°  Bernard  n'était  plus  prieur  de  Grandmont,  lorsau'il  ^  Ep.s.Thoin. 

'  T  Cant.   hb.  IV, 

ep.  I. 

(i)  Sancti  Granditnontani ,  dit  Jean  de  Sarisbéri,  ép.  270,  creduntur 
talentutn  gratice  principum  in  tantum  meruisse  et  percepisse  à  Domino,  ut 
dispensatio  regnorum,  quateniis  ipsi permiserint ,  eorum  permittatur  arbitrio. 
Fama  siquidem  prœconatur  quod  in  eorum  manibus  sint  consilia  et  opéra 
regum. 

Tome  Xr.  S 


i38       ECRIV.  DE  L'ORDRE  DE  GRANDMONT: 

L  reçut  du  pape  Alexandre  III,  conjointement  avec  les  prieurs 

des  chartreuses  du  Mont-Dieu  et  du  Val -Saint-Pierre,  la 
commission  de  travailler  à  la  réconciliation  de  l'archevêque 
de  Cantorbéri  avec  le  roi  d'Angleterre.  En  vertu  de  ces  lettres 
de  commission,  dans  lesquelles  il  est  nommé  Bemardus  de 
Corilo ,  il  assista  à  la  conférence  qui  eut  lieu,  aux  fêtes  de 
l'Epiphanie  de  l'an  1 169,  à  Montmirail  dans  le  Perche,  entre 
les  rois  de  France  et  d'Angleterre,  dans  laquelle  la  paix  entre 
ces  deux  princes  fut  conclue,  mais  non  celle  de  l'archevêque 
Thomas  avec  son  roi ,  quoique  les  commissaires  du  pape 
fussent  porteurs  de  lettres  très- menaçantes,  dans  le  cas  qu'ils 
ne  parviendraient  pas  à  fléchir  le  monarque  anglais.  Les 
commissaires  ayant  rendu  compte  au  pape  du  résultat  de 

/6jrf.ep.8eiio.  cette  conférence,  Bernard  ne  jugea  pas  à-propos  de  souscrire 
la  lettre,  par  la  raison,  disait-il,  que  ce  n'était  pas  l'usage 
des  grandmontains  d'écrire  à  qui  que  ce  fut:  Etquiafratrum 
Grandimontis  consuetudo  non  est  ut  scrihant  alicid,  hœc  de 
conscientiâ  et  'voluntate^  fratris  Bernardi  socii  nostri  Dohis 
scribimus ,  qui  veritatem  in  audientiâ  multorum  testijicatus 
est,  rogans  eos  quibus  scnbere  licet,  ut  'vohis  ab  eo  audita 
joan.  Saresb.  scHberent.  Ce  procédé  de  la  part  du  frère  Bei'nard  le  rendit 

ep.  268 ,  aCg.  ^^  p^^  suspect  à  Jean  de  Sarisbéri ,  qui  parle  de  lui  comme 
d'un  homme  dévoué  au  roi  d'Angleterre  ;  car  dans  une  autre 
occasion  ce  grandmontain ,  comme  nous  Talions  voir,  ne  fit 
pas  difficulté  d'écrire. 

3°  En  effet  les  grandmontains  avaient  des  obligations  in- 
,finies  au  roi  d'Angleterre,  dont  les  faveurs  étaient  presque 
toutes  pour  eux;  il  leur  donnait  des  terres,  leur  bâtissait 
des  maisons  dans  ses  états,  et  à  l'époque  même  du  meurtre 
de  saint  Thomas ,  il  faisait  travailler  à  la  reconstruction  de 
leur  église.  C'étaient  de  grands  motifs  de  ne  pas'  se  déclarer 
contre  lui  ;  mais  ce  qui  prouve  que  frère  Bernard  était  au- 
dessus  de  ces  considérations ,  c'est  qu'à  la  nouvelle  de  ce 
Mart.Anecd.  meurtre,  pénétré  de  la  plus  vive  douleur,  il  écrivit  au  prieur 

1. 1,  col.  56o.  jg  Grandmont,  se  reprochant  ce  meurtre  comme  s'il  l'eût 
commis  personnellement,  parce  qu'apparemment  il  était  le 
ihid.  col.  56i.  directeur  de  la  conscience  du  roi.  C'est  ce  qu'on  doit  conclure 
de  la  longue  lettre  qu'il  lui  écrivit  sans  respect  humain,  et 
avec  une" liberté  incroyable,  pour  lui  reprocher  l'énormité  de 
son  crime.  Elle  est  d'un  pathétique  aussi  éloquent  que  sau- 
vage; car,  après  avoir  épuisé  toute  sa  rhétorique,  l'auteur 
finit  par  déclarer  au  roi  qu'il  ne  veut  plus  avoir  rien  de 


ÉCRIV.  DE  L'ORDRE  DE  GRANDMONT.        i39 

commun  avec  lui ,  qu'il  le  regarde  comme  un  excommunie , 
qu'il  ne  recevra  pas  même  de  ses  lettres,  si  le  coupable  ne 
répare  par  une  pénitence  convenable  un  si  horrible  attentat. 

4°  Nous  ignorons  si  le  roi  d'Angleterre  fut  choqué  d'une 
pareille  liberté;  mais,  quoique  Bernard  ait  vécu  depuis  encore 
plusieurs  années,  nous  ne  voyons  pas  qu'il  ait  eu  d'autres 
relations  avec  ce  prince.  En  revanche,  nous  trouvons  qu'il 
était  fort  accrédité  dans  les  conseils  de  Philippe-Auguste. 
L'an  1 1 8 1 ,  ce  prince  voulant  expulser  les  Juifs  de  son  royaume,  Duchesne  , 
consulta  sûr  cela  le  frère  Bernard  de  Vincennes,  qui ,  au  rap-  '•  ^  ^"-  ^"°- 
port  de  Rigord,  approuva  la  mesure  :  Consuluit  quemdam 
eremitatn  nomine  Èernarduni ,  qui  eo  tempore  in  nemore 
Vicenarum  degebat ,  qidd  facto  opus  esset  ;  de  consilio  cujus 
relaxavit  omnes  christianos  de  regno  suo  a  debitis  Judœorum, 
quintâ  parte  totius  summœ  sihi  reseivatâ.  L'an  1190,  ce  /W</.  p.  3o. 
prince,  dans  le  testament  qu'il  lit  en  partant  pour  la  Terre- 
Sainte,  défend  aux  régens  du  royaume  de  nommer  à  aucun 
bénéfice  ecclésiastique  sans  avoir  consulté  le  frère  Bernard  : 
ce  qui  prouve  incontestablement  la  haute  considération  dont 
jouissait  ce  bon  solitaire  dans  le  royaume. 

5°  Pendant  les  troubles  qui  agitèrent  l'ordre  de  Grand- 
mont,  sou9  la  présidence  de  Guillaume  de  Trahinac,  dont 
nous  parlerons  bientôt,  le  frère  Bernard  employa  son  crédit 
auprès  du  roi,  pour  faire  triompher  la  cause  des  religieux- 
clercs  contre  les  frères-lais,  qui  se  croyant  supérieurs  aux 
clercs ,  parce  qu'ils  étaient  en  plus  grand  nomore  et  qu'ils 
avaient  la  manutention  du  temporel,  avaient  chassé  les  clercs 
de  leurs  maisons.  Nous  avons  parmi  les  lettres  d'Etienne  de  Steph.  Tor- 
Tournai ,  alors  abbé  de  Sainte-Geneviève,  celle  qu'il  écrivit,  "^c.  ep.  143, 
conjointement  avec  les  abbés  de  Saint -Denis,  de  Saint- 
Germain  et  de  Saint- Victor  de  Paris,  pour  informer  le  pape 
Clément  III  de  la  manière  dont  le  roi  avait  terminé  cette 
affaire,  et  des  nouveaux  troubles  que  les  frères -lais  cher- 
chaient à  susciter.  Dans  cette  lettre,  les  quatre  abbés  font 
l'éloge  du  frère  Bernard ,  qu'ils  appellent  un  homme  simple 
et  craignant  Dieu,  ajoutant  que  le  pape  ferait  une  chose 
agréable  au  roi,  s'il  voulait  confier  au  frère  Bernard,  ainsi 
qu'à  l'évêque  de  Paris ,  le  soin  de  rétablir  le  bon  ordre  dans 
cette  congrégation. 

6"  C'est  encore  lui  qui  avait  été  chargé  de  négocier  avec 
saint  Guillaume,  abbe   de  Saint-Thomas   du  Paraclet  en 

Sa   , 


S.II  SIECLE 


77 


i4o       ÉCRIV.  DE  L'ORDRE  DE  GRANDMONT. 

Danemarck ,  le  mariage  du   roi  Philippe-Auguste  avec  ta 

princesse  Ingeburge.  Ce  mariage  ayant  été  rompu  presque 

'  }h'J^'  aussitôt,  l'abbé  Guillaume,  dans  une  lettre  de  l'an  iiq5,  lui 

Dan.  rappelle  les  soins  quils  s  étaient  donnes  1  un  et  1  autre  pour 

cimenter  cette  union  dont  ils  auraient  pu  se  féliciter,  si  l'in- 
trigue n'en  eût  rompu  le  charme.  En  finissant,  il  exhorte  son 
ami  à  faire  usage  de  son  crédit  auprès  du  roi,  afin  de  le 
déterminer  à  reprendre  sa  femme.  Supplicamuf  imtur  et  nos , 
ut,  quia  rex  idem  consiliis  vestris  innititur ,  ad  idem  opus 
complendum,  Destrœ  paHes  accédant ,  ut  malis  actionibus 
jucundiora  et  meliora  munere  di\'ino  succédant. 

Cette  lettre  prouve  que  notre  solitaire  vivait  encore  l'an 
1 195,  mais  l'année  précise  de  sa  mort  nous  est  inconnue.  Si , 
malgré  les  affaires  importantes  dont  il  fut  chargé,  il  n'a  pas 
beaucoup  écrit ,  la  raison  en  est  dans  la  pratique  austère  de 
l'ordre  de  Grandmont,  qui,  comme  nous  l'avons  vu,  ne  per- 
mettait point  aux  religieux  d'écrire  à  qui  que  ce  soit ,  même 
au  pape.  Les  trois  lettres  dont  nous  venons  de  parler,  les 
seules  qui  soient  parvenues  jusqu'à  nous^  ont  été  réim- 
primées dans  le  XVP  volume  du  nouveau  Recueil  des  Histo- 
riens de  France,  aux  pages  470,  47^1  ^38. 

III.  Guillaume  de  Trahinac,  quelquefois» surnommé 

d'Aixe,  parce  qu'apparemment  il  était  originaire  de  ce  lieu 

dans  le  Limousin,  fut  fait  prieur  de  Grandmont,  vers  l'an 

1 168,  après  Pierre  Bernardi,  dont  nous  venons  de  parler. 

Mart.Anecd.  Nous  n'avons  du  prieur  Guillaume  que  deux  lettres  relatives 

!..«'  ^  °  *'  au  meurtre  de  saint  Thomas  de  Cantorbéri  ;  l'une  à  Pierre 
Bernardi,  que  cet  événement  avait  jeté  dans  le  trouble,  pour 
le  consoler;  l'autre  au  roi  d'Angleterre,  pour  lui  signifier 

3 n'a  la  première  nouvelle  du  meurtre  du  saint  archevêque, 
ont  le  chargeait  la  voix  publique ,  il  avait  renvoyé  les  ou- 
vriers qui,  par  un  effet  de  sa  munificence  royale,  travaillaient 
à  la  reconstruction  de  l'église  de  Grandmont,  ne  voulant 
plus  de  ses  dons,  ni  avoir  aucune  communication  avec  lui. 
Steph.  Tor-  Outre  CCS  deux  lettres,  il  y  en  a  une  parmi  celles  d'Etienne, 
ep.  144.  abbé  de  Sainte -Geneviève,  écrite  en  son  nom  au  pape  Ur- 
bain III,  et  il  n'est  pas  douteux  qu'il  n'en  ait  écrit  beaucoup 
d'autres  pendant  le  grand  procès  que  lui  suscitèrent  les 
frères-lais,  qui  se  prétendant  supérieurs  aux  clercs,  parce 
qu'ils  avaient  la  manutention  du  temporel,  se  portèrent  aux 
plus  grands  excès,  le  déposèrent,  et  mirent  a  sa  place  un 


seq. 


nac. 


ÉCRIV.  DE  L'ORDRE  DE  GRANDMONT.        i4i 

nouveau  prieur,  nommé  Etienne  (i).  Cette  affaire  dura  trois 


ans,  ne  fut  terminée  que  l'an  1 187,  par  une  espèce  de  com-      Mart.Anecd. 
promis  entre  les  mains  du  roi  de  France,  qui  règle  les  pre'-  *-^ '*=**'•  ''^'»- 
tentions  respectives  des  cleres  et  des  laïques.  On  voit  par  la 
lettre  t43  de  l'abbé  de  Sainte-Geneviève  au  pape  Clément  III, 
que  le  frère  Bernard  de  Vincennes  eut  beaucoup  de  part  à 
cet  accommodement,  et  que  les  troubles  ne  tardèrent  pas  à 
recommencer  de  la  part  des  frères  convers,  au  point  que 
l'affaire  ayant  été  portée  au  tribunal  du  pape  Clément  III,  il 
cassa  l'élection  des  deux  prieurs ,  et  ordonna  l'élection  d'un      Mart.  Ampi. 
nouveau.  Il  paraît  que  Guillaume  de  Trahinac,  se  croyant  Co'lect.  t.  vi, 
injustement  déposé,  lit  alors  le  voyage  de  Rome  (2),  et  qu'il       '  '°^°' 
y  mourut  avec  la  réputation  d'un  homme  d'une  sainteté  re- 
connue :  Doninus  H^illelrniis ,  prior  Grandimontis ,  ut  ferè      Mart.Anecd. 
omni  mundo  notum  est ,  pw  injuria  quain  a  fratribus  suis  t-i.col.  6o5. 
patiebatur,  exul  et peregrinus  Romœ  emigravit  ad  Christwn, 
cujus  sanctitatis   'virtutisque  prœconium  omnium   nostrûm 
novit  ■  ccclesitt ,  quod  etiani  crehra  testantur  miracula.  Les 
annalistes  de  Grandraont  s'accordant  à  lui  donner  dix-huit      Mart.  Ampl. 
ans  de  priorature,  laissent  dans  l'incertitude  s'il  faut  compter  ^"l'"  ''^l,'  *'°'' 
ces  dix-huit  années  a  commencer  a  1  an  1 1 do  jusques  a  i  io5, 
époque  de  sa  première  déposition  par  les  frères  convers ,  ou 
depuis  iiyo  jusqu'à  l'année  11 88,  dans  laquelle  il  eut  pour 
successeur  Gérard  Ithier. 

IV.  Le  pape  Clément  III,  pour  rétablir  la  paix  dans  l'ordre 
de  Grandraont,  ayant  ordonné,  comme  nous  venons  de  le 

(i)  On  trouve  dans  un  manuscrit  de  Saint-Victor  quatre  complaintes 
sur  cet  événement ,  composées  de  rhythmes  différens.  Voici  deux  stances 
de  la  seconde  qui  nous  paraît  la  meilleure  : 

Fleant  omnes  litterati ,  Stupet  cœlum  scehcs  terrce , 

Grandimontis  ordinati  ;  Stupet  terra  gcntem  ferre , 

Turpiter  sunt  mancipati  Quœ  sit  ausa  se  prœferre, 

Barbatorum  potestati        ■  Temereque  viin  inferre 

Nostris  in  temporibus.  Ministris  ecclesiœ.  -• 

Fleant  aurum  obscuratum,  Admirentur  universa 

Et  co forent  immutatum ,  Quant  harbata  gens  perversa , 

Templum  Dei  violatum ,  Gens  in  malum  tota  mersa , 

Auro  Christum  coronatunt ,  Dominetur  vice  versa 

Sanctum  datum  canibus.  Litteratis  hodie. 

(2)  C'est  à  cette  occasion  que  le  prieur  Guillaume  composa  l'opuscule 
Qiiales  sunt,  imprimé  parmi  ceux  de  Pierre  de  Blois,  comme  nous  le 
prouverons  en  rendant  compte  des  écrits  de  ce  dernier. 


i42       ÉCRIV.  DE  L'ORDRE  DE  GRANDMONT. 

'  dire,  de  procéder  à  1  élection  d'un  nouveau  prieur,  Gérard 

Mart.  jbùi.  ou  Gerald  Ithier  fut  élu ,  le  29  septembre  1 188,  d'une  voix 

co  .  1090.  unanime,  à  la  place  des  deux  prieurs  destitues,  dans  un. 

chapitre- général  de  l'ordre  composé  de  cinq  cents  jnembres, 
en  présence  d'Elie,  archevêque  de  Bordeaux;  de  Seibrand, 
évêque  de  Limoges,  et  de  Bertrand,  évêque  d'Agen.  C'était 
un  homme  plus  instruit  que  ne  l'étaient  communément  alors 
les  grandmontains,  et  dune  famille  distinguée  de  la  petite 

ibtd.  co\.  1111.  yiiiy  (jg  Saint- Junien;  car  parlant  d'un  nommé  Ithier  de 
Monte- Valerio,  homme  noble  habitant  de  ce  lieu,  il  l'appelle 
son  ami  et  son  parent  :  Erat  enim  amicus  noster  atque  coh- 
sanguineus ,  génère  qiioque  atque  nobilltate  perspicuus. 

Il  fut  résolu  dans  ce  chapitre  de  travailler  à  la  canonisation 
du  saint  instituteur  de  l'ordre,  et  le  soin  en  fut  laissé  au 
prieur  Gérard,  qui  ayant  recueilli  tous  les  documens  pré- 
parés pour  cela ,  et  muni  des  attestations  des  évêques  que 
nous  venons  de  nommer ,  obtint  facilement  du  pape  Clé- 

Jbid.coX.  1092.  ment  III,  une  bulle  datée  du  21  mars,  la  secofîde  année  de 
son  pontificat,  c'est-à-dire  l'an  1189,  par  laquelle  le  souverain 

Ï)ontife  donne  commission  à  Jean,  cardinal  de  Saint-Marc, 
égat  en  France,  de  se  transporter  à  Grandmont,  et  de  pro- 
céder, conjointement  avec  les  évêques  de  la  province,  à  la 
/w</. col.  1094.  canonisation  de  saint  Etienne  de  Muret:  cérémonie  qui  se 
fit  avec  une  pompe  religieuse,  le  3o  août  de  la  même  année, 
peu  après  la  mort  de  Henri  II,  roi  d'Angleterre,  qui  avait 
vivement  sollicité  la  canonisation  du  saint. 

On  dit  qu'à  cette  occasion  Gérard  Ithier  composa  la  vie 

de  saint  Etienne  de  Muret;  mais  cette  opinion  ne  nous  paraît 

pas  devoir  être  admise  sans  restriction.  Il  nous  semble  qu'on 

peut  distinguer  ce  qui  est  vraiment  'de  lui,  de  ce  qui  existait 

Labbe,Bibl.  avaiit  lui.  Le  P.  Laboe  qui  l'a  publiée  le  premier,  l'an  1667, 

"'fisV^'^^''*  la  donne  sans  nom  d'auteur;  elle  reparut,  l'année  d'après, 

avec  des  observations  préliminaires  et  de  savantes  notes  dans 

Boll.  8  febr.  le  recueil  de  Bollandus,  sous  le  nom  du  prieur   Gérard, 

p.  i99-ai3.      d'après  un  manuscrit  envoyé  par  le  laborieux  P.  Chilïlet. 

"Mais  ce  quils  ont  imprimé  n'est  qu'un  abrégé  du  grand 

ouvrage  publié  depuis  par  D.  Martène  et  D.  Durand.  Ces 

Mart.  Ampl.  derniers  éditeurs  pensent,  comme  Bollandus,  que  Gérard  ne 

Coiiect.  t.  Yi,  £yj.     ^^g  jg  rédacteur  ou  le  compilateur  des  mémoires  qui 

col.  1040.  .T  ,      ,  .,,.  ,      .  *^    ^     A^  A  -r?..- 

avaient  ete  recueillis  avant  lui,  peut-être  même  par  Etienne 
deLiciac,  dont  on  a  déjà  parlé  :  et  nous  sommes  de  leur  avis. 
En  effet  on  trouve  à  la  tête  de  la  dernière  édition  trois  pré- 


XII  SIECLE. 


ÉCRIV.  DE  L'ORDRK  DE  GRANDMONT.        i43 

faces  ou  inscriptions,  tituli,  qui  paraissent  être  de  différens 
auteurs:  les  deux  premières  sont  anonymes,  et  la  troisième 
porte  le  nom  de  Gérard ,  vénérable  septième  abbé  de  Grand- 
mont.  Nous  pensons,  comme  les  éditeurs,  que  la  première 
est  celle  qu'Etienne  de  Liciac,  quatrième  prieur  de  Grand- 
mont,  avait  placée  à  la  tête  de  l'écrit  qui  a  pour  titre:  Dicta 
et  facta  sancti  Stephani;  que  la  seconde  était  faite  pour  la 
vie  de  saint  Etienne,  finissant  au  chapitre  55,  comme  on  voit 
par  la  doxologie  qui  le  termine  ;  et  que  Gérard  Itliier  ayant 
incorpore  ces  ouvrages  dans  le  sien ,  y  a  ajouté  la  troisième 
préface,  ainsi  que  les  chapitres  depuis  le  56^  jusqu'au  ^4^, 
dans  lesquels  il  n'est  parlé  que  de  miracles. 

Un  autre  ouvrage  qui  lui  appartient  tout  entier  est  celui  /6/V/.  col.  1087 
qui  a  pour  titre:  De  revelatione  beati  Stephani.  Il  est  divisé  -"'*• 
en  trente -cinq  chapitres,  dont  les  deux  premiers  servent  de 
préface.  Le  premier  est  une  lamentation  sur  les  déplorables 
divisions  qui  s'étaient  élevées  dans  l'ordre ,  et  l'avaient  rendu 
la  fable  du  siècle;  dans  le  second,  l'auteur  exhorte  ses  con- 
frères à  oublier  le  passé,  à  se  pardonner  mutuellement,  et  à 
réparer  le  scandale  de  leur  conduite  par  un  renouvellement 
de  ferveur.  Il  fait  ensuite  l'histoire  de  la  canonisation  du 
saint,  et  une  longue  énumération  des  miracles  faits  à  cette 
occasion,  et  dans  les  années  suivantes.  On  y  voit  que  les  /iiV/.  col.  1093, 
grandmontains  qui  avaient  défendu  autrefois  à  leur  saint 
patriarche  d'opérer  des  miracles,  avec  menace,  s'i4  conti- 
nuait ,  de  jeter  son  corps  dans  un  cloaque ,  parce  que  l'affluence 
de  monde  qu'ils  attiraient,  troublait  leur  solitude;  on  y  voit, 
disons -nous,  qu'ils  le  priaient  instamment  alors  d'en  faire, 
parce  qu'il  importait  de  relever  sa  gloire  aux  yeux  du  peuple. 

Les  derniers  éditeurs  de  la  vie  de  saint  Etienne  ont  re-       Mart.   ibid. 
dressé  les  erreurs  de  chronologie  dans  lesquelles  est  tombé  '^°'-  '°'i''- 
l'auteur,  touchant  la  retraite  du  saint  à  Muret,  et  l'origine 
de  son  ordre.  Nous  n'entrerons  pas  dans  cette  discussion, 
parce  que  cette  matière  a  été  assez  débattue  par  nos  devau-      ^'''-  ^''"^■■• 
ciers,  à  l'article  d'Etienne  de  Muret.  t.  x,  p.  /,ii- 

Deux  auteurs ,  qui  dans  le  XIV^  siècle  ont  composé  l'histoire  Mart.  iùd. 
ou  la  chronologie  historique  des  prieurs  de  Grandmont,  attri-  *^°'-  "'  ^'  ***' 
buent  encore  à  Gérard  Ithier  un  ouvrage  ayant  pour  X\Xx^\  Spé- 
culum Grandimontis ,  livre,  disent-ils,  d'une  érudition  rare, 
et  d'une  merveilleuse  utilité ,  Qui  Giraldus  dictavit  ^vitam 
sancti  Stephani  prœlihati ,  et  compilavit  spéculum  Grandi- 
montis, mirœ  utilitatis  et  scientice  librum.  Nous  ne  connais- 


XIl  SIECLE. 


Annal.  Ord. 
Grandimont.  p. 
II. 


Mart.    ibid. 
p.  id46. 

Ibid.  col.  1 1 3o. 


Mart.    ibid. 
eo\.  121  et  128. 


Gall.  Christ. 
t.  II,  col.  65o. 


Mart.   ibid. 
«ol.  ïi85. 


/i/V/.pol.  126Ï 
et  1 167. 


i44       ÉCRIV.  DE  L'ORDRE  DE  GRANDMONT. 

sons  pas  ce  miroir.  Serait-ce  le  livre  des  maximes  et  ensei- 
gnemens  de  saint  Etienne,  dont  il  a  ëte'  parle  plus  haut, 
livre  effectivement  admirable  ?  Nous  ne  le  pensons  pas ,  par 
la  raison  que  Jean  Lévêque,  auteur  des  Annales  de  l'ordre 
de  Grandmont,  imprimées  à  Troyes,ran  1662,  dit  que  cet 
ouvrage  existait  à  Grandmont,  en  deux  gros  volumes.  Il  y  a 
apparence  qu'on  appelait  ainsi  les  deux  volumes  dans  lesquels 
D.  Martène  dit  avoir  trouve  les  différens  écrits  concernant 
l'ordre  de  Grandmont  qu'il  a  publiés. 

C'est  vraisemblablement  dans  la  même  compilation  que 
l'infatigable  Martëue  a  puisé  une  pièce  de  64  vers  nexamètres, 
remarquables  par  la  variété  des  rimes  ou  consonnances  tantôt 
entre  les  finales  des  vers,  tantôt  entre  l'hémistiche  et  la  finale, 
contenant  un  très -court  abrégé  de  la  vie  de  saint  Etienne. 
Si  ces  vers  sont  aussi  de  la  composition  de  Gérard  Ithier, 
il  faut  convenir  qu'il  n'était  pas  né  poète  ;  car  il  n'est  guère 
possible  d'en  lire  de  plus  plats.  Sa  prose  cependant  n'est 
pas  mauvaise;  elle  est  semée  de  réflexions  judicieuses  qui 
décèlent  un  sens  droit,  et  écrite  avec  un  air  de  candeur  et 
de  simplicité  qui  lui  concilient  la  confiance  des  lecteurs. 

Le  prieur  Gérard,  selon  les  historiens  de  Grandmont,  se 
démit  de  sa  place,  après  avoir  gouverné  sa  congrégation 
pendant  neuf  ans,  c'est-à-dire,  jusqu'en  1 197,  et  mourut  à 
Grandmont,  le  19  avril ,  sans  dire  en  quelle  année.  Son  épi- 
taphe ,  rapportée  daps  le  Gallia  Christiana,  lui  donne  dix 
ans  et  trois  mois  de  prélature,  et  ne  marque  pas  non  plus 
l'année  de  sa  mort. 

V.  Guillaume  Dandina,  ou  de  Saint  S  a  vin,  auteur 
d'une  vie  du  bienheureux  Hugues  de  Lacerta,  publiée  par 
D.  Martène,  nous  apprend,  en  terminant  son  écrit,  quel  était 
son  nom  et  son  surnom  ;  qu'il  était  prêtre  et  religieux  de 
l'ordre  de  Grandmont  :  Ego  Guillelmus  Dandina,  qui  de 
sancto  Savino  impropriè  cognominor ,  /rater  peccator  in- 
digniisque  saccrdos.  Le  surnom  de  saint  Savin  lui  venait 
apparemment  du  lieu  de  sa  naissance:  ce  qui  semble  indiquer 

3uil  était  poitevin.  Nous  ne  connaissons  aucune  particularité 
e  sa  vie;  mais  on  peut  recueillir  de  ses  écrits  qu'il  vécut 
long-temps  après  l'an  11 67,  époque  de  la  mort  du  saint 
homme  dont  il  écrit  la  vie.  Car  il  parle  du  prieur  Etienne 
de  Liciac,  décédé  l'an  ii6i,  et  de  son  successeur  Bernard, 
qui  vivait  encore  lorsqu'il  écrivait.  Or  Pierre  Bernard  qui 
cessa  d'être  prieur  à  Grandmont,  l'an   1168,  vécut,  comme 


ÉCRIV.  DE  L'ORDRE  DE  GRANDMONT.       i45 

nous  l'avons  prouvé  ci-dessus,  au-delà  de  l'anne'e   iig5. _1 

Dandina  écrivait  donc  dans  l'intei-valle  des  années  1161  et 
I  iû5 ,  et  certainement  avant  1 1 89 ,  puisque ,  parlant  de  saint 
Etienne  de  Muret,  il  ne  l'appelle  jamais  que  dom  Etienne, 
sans  lui  donner  le  titre  de  saint  :  ce  à  quoi  il  n'aurait  pas 
manqué,  s'il  eût  écrit  postérieurement  à  sa  canonisation 
faite  par  le  pape  Clément  III,  l'an  1 189. 

Son  histoire  est  intéressante,  et  peut  passer  pour  une 
seconde  vie  de  saint  Etienne  de  Muret,  dont  Hugues  de 
Lacerta  fut  l'ami  et  le  confident  le  plus  intime.  L'auteur  nous  ibid.  col.  1160. 
apprend  qu'à  l'époque  où  il  écrivait  la  vie  de  ce  dernier,  on 
avait  déjà  composé  plusieurs  volumes  sur  celle  de  saint 
Etienne:  Igitur post  transitwn  domni  Muretensis ,  summi  et 
memorahilis  viri,  de  cujus  vitâ  utque  doctrind,  multa,  ut 
dictum  est,  hahentur  'volumina.  Cela  prouve  ce  que  nous 
avons  avancé  plus  haut,  que  Gérard  Ithier  ne  fit  que  recueillir 
tous  ces  ouvrages  pour  en  composer  la  vie  qui  porte  son  nom. 
Dandina  fit  usage  des  mêmes  matériaux  pour  composer 
l'histoire  de  Lacerta ,  et  particulièrement  des  dits  et  gestes 
du  saint  fondateur,  dont  il  rapporte  un  grand  nombre.  Il  75iV/.  col.  1x84. 
avoue  qu'il  n'avait  pas  eu  le  bonheur  de  connaître  person- 
nellement le  saint  homme  dont  il  écrivait  la  vie  ;  mais  il  dit  ibid.coX.  ii8a. 
en  plusieurs  endroits  qu'il  avait  appris  ce  qu'il  rapporte 
d'autres  religieux  qui  avaient  vécu  avec  le  frère  Hugues,  et 
qui  vivaient  encore  lorsqu'il  écrivait.  Cette  histoire  est  beau- 
coup trop  diffuse,  et  n'est  pas  recommandable  par  la  beauté 
du  style.  L'auteur  en  convient:  Quoique  mon  style  grossier,  ibid. co\.  1184. 
dit-il,  ne  soit  nullement  propre  à  donner  du  relief  à  cette 
légende,  j'espère  cependant  que  le  fond  des  choses  que  i'ai 
mises  par  écrit,  de  mon  mieux,  et  que  je  rapporte  avec  sin- 
cérité, le  rendra  recommandable  :  Plurimwn  confidentes 
quoniam,  etsi  non  potest  legendam  incultus  sermo  et  rusti- 
canusornare,  eamfaciet  ille  heatus  signis  prœclarisque  vir- 
tutibus  elucere.  Elle  est  en  effet  très-édifiante,  et  prouve  que 
Muret  était  une  excellente  école  de  vertu. 

Les  successeurs  de  BoUandus  n'ayant  pu  se  procurer  l'écrit      Boll.  «7  apr. 
de  Guillaume  Dandina,  n'ont  dit  que  quelques  mots  en  pas-  P-'t75- 
sant  du  bienheureux  Hugues  de  Lacerta.  Mais  D.  Martène,  à 
qui  la  littérature  du  moyen  âge  a  tant  d'obligations,  l'a  pu- 
blié sur  un  manuscrit  qui  lui  fut  envoyé  de  Grandmont. 

Le  même  éditeur  nous  a  donné  la  relation  d'une  vision      Mart.  Anecd. 
qu'eut  un  moine  de  Grandmont,  au  sujet  de  la  déposition  du  t- 1.  cd-  604. 

Tome  XV.  T 


i46  RAOUL  DE  SERIES. 

L  prieur  Guillaume  de  Trahinac.  Ce  n'est  qu'une  vision,  mais 

dont  l'histoire  peut  faire  son  profit.  Elle  fut  écrite  par  un 
nommé  Guillaume ,  à-  un  religieux  nommé  Gui  :  Fratri 
JVidoni  fViUelnms.  Il  n'est  pas  hors  de  vraisemblance  que 
l'auteur  de  cette  relation  soit  notre  Guillaume  Dandina ,  et 

n  ?f^rV^'"''l'  1^  nommé  Gui  le  Guido  de  Milliaco,  dont  il  parle  dans  son 

Coll.  t.  YI,  col.   v-  ^    .  ni  '        •  1  .    .,    r      . 

ji6a.  histoire  comme  a  un  des  témoins  de  qui  il  avait  appris  ce 

qu'il  raconte.  Si  cela  est,  on  peut  assurer  que  Dandina  vécut 
au-delà  de  l'an  1 188,  époque  de  la  déposition  de  Guillaume 
de  Trahinac,  et  que  môme  après  la  mort  de  ce  prieur  il 
avait  de  la  peine  à  reconnaître  son  successeur  Gérard  Ithier. 

B. 


RAOUL  DE  SERRES, 

DOYEN  DE  L'ÉGLISE  DE  REIMS. 

Bibl.  med.  et  £  ABRicius  dit  qii'Oléarius ,  Bayle,  Cave,  et  Dupin,  ont  con- 
Mansr'in-4°  t!  f"^"<iii  plusicurs  Haouls  :  mais  il  s'en  faut  bien  que  Fabricius 
YI,  p.  33.    '     lui-même  ait  parfaitement  distingué  de  tous  les  autres  celui 
qui   doit   ici  nous  occuper.  Pour  éviter,  s'il  se  peut,  cette 
confusion ,  nous  commencerons  par  indiquer  les  divers  per- 
sonnages qu'il  s'agit  de  distinguer. 

1°.  Radulphus  ou  Gradulphus,  qui  fut  abbé  de  Fontenelle 

Gaii.  Christ,  çn  Normandie,  vers  le  milieu  du  XP  siècle,  et  qui,  selon 

76^V7-      '  ^    t*^"t6  apparence ,  n'a  laissé  aucim  ouvrage.  Oudin  l'appelle 

Comment,  in  un  écrivain  imaginaire,  un  saint  du  nouveau  calendrier  : 
Script.  Ecdes.  ^p  Raoul,  moine  de  Flaix  ou  de  St.-Germer,  théologien 
Dicet.iia'duiph.  ^"  ^^^^  siècle,  que  Bayle  a  pris  mal-à-propos  pour  un  chro- 
Hist.  Litiér.  niqueur,  et  que  nos  prédécesseurs  ont  mieux  fait  connaître 
^^  ^\^^  *«^^^'  <^o'"™^  auteur  d'une  somme  théologique  et  de  quelques  com- 
p- 4  0-4  4.      jnentaires  sur  des  livres  sacrés  : 

3°  Raoul  de  Beauvais  qui  toutefois  pourrait  fort  bien  n'être 
que  Raoul  de  Flaix  ;  car  le  monastère  qui  portait  ce  dernier 
nom,  ou  celui  de  St.-Germer,  était  situé  dans  le  Beauvoisis  : 
4°  Raoul-le-Noir  qui  enseignait  à  Poitiers  et  auquel  sont 
adressées  les  deux  lettres  de  Jean  de  Sarisberi,  qui  portent 
les  n°'  171  et  178  dans  le  recueil  de  celles  de  Thomas  Éecket: 


RAOUL  DE  SERRES.  147 

5"  Raoul  de  Serres,  doyen  de  l'église  de  Reims,  mort  en  ^"  SIECLE. 
1 196; -c'est  celui  à  cause  duquel  nous  parlons  ici  des  autres:  Hist.  Unir. 
Dii  Boulay,  dom  Rivet  et  plusieurs  autres  lui  ont  appliqué  Pa"s.  t.  il,  p. 
le  surnom  le  Noir^  qui,  selon  M.  Brial,  doit  être  réservé  au  '^^j;^^  n.Liit. 
précédent  :  de  la  Fr.  t.  ix, 

6°  et  7°  Deux  chroniqueurs  qui  écrivaient  au  XIIP  siècle,  r-  73- 
savoir,  Raoul  de  Coggeshale,  et  Raoul  de  Suffolk,  quelque-  Li^rde^F;.*^" 
fois  surnommé  aussi  le  Noir^  mais  archidiacre  de  Glocester.  xvi,  p.  535. 

On  a  lieu  de  croire  que  Raoul,  doyen  de  Reims,  était  né      Gali.  Christ. 
en  Angleterre.  Jean  de  Sarisbéry ,  et  Thomas  Becket  parlent  "°^-  '•  ^^  >  !'• 
de  lui  comme  de  leur  ami  et  de  leur  compatriote.  Il  fut  exilé  *'inter  ep.  S. 
de  la  Grande-Bretagne  avec  Thomas  qui,  dans  une  de  ses  Thomae    Cant. 
lettres,  remercie  l'église  de  Reims  du  bon  accueil  qu'elle  a  Jiij-ii,ep-45i; 
fait  aux  compagnons  de  ses  infortunes.  «^gé«fe;5  ei  (^ecc/e.yi!<TP  ,',0  jj^j 
«  Remensi)  gratins  de  honore  et  amore  quem  nabis  exhihidt  in    itui.  op.  87. 
«  coexulihiis  nostris ,  Philippe,  Radulpho  et  aliis.y»  Vers  1 166 
ou    1167,  Jean   de  Sarisbéry,  dans  une   lettre  à  l'évêque 
d'Amiens,  sollicite  pour  Raoul  la  dignité  de  doyen  de  Reims: 
(i)  mais  elle  fut  décernée  à  Foulques,  et  Raoul  ne  l'obtint 
qu'en  1176.  Pierre -le -Chantre  lui  succéda  en  1 196,  année 
qu'on  peut  regarder  comme  celle  de  la  mort  de  Raoul.  Le 
nécrologe  de  l'église  de  Reims  dit  seulement  qu'il  décéda  le 
treizième  jour  avant  les  calendes  de  septembre,  et  le  repré- 
sente d'ailleurs  comme  un  ecclésiastique  charitable,  austère, 
honnête  et  \etx.ré;  virhonestiis  et  litteratus.  Si  aux  témoignages 
que  lui  ont  rendus  Thomas  Becket  et  Jean  de  Sarisbéry, 
on  joint  ceux  de  Pierre  de  Celles  et  d'Etienne  de  Tournai,    P.C.Epîstlib. 
il  en  résultera  que  Raoul  avait  obtenu  de  ses  contemporains  ^*'  ''p-  ,^- 
des  hommages  pareils  à  ceux  que  Marlot  et  d'autres  mo-    ^Hist  Métro' 
dernes  ont  offerts  à  sa  mémoire.  Rem.  t.  i ,  p. 

Voilà  les  seuls  faits  qui  concernent  la  vie  de  ce  doyen  :  nous  49°.  Ag»  ;  '•  n. 
connaissons  beaucoup  moins  encore  ses  ouvrages,  qui  sont  \,^  ,55  ^  *' 
restés  manuscrits  et  qui  n'existent  cju'en  des  bibliothèques 
d'Angleterre.  Les  catalogues  de  ces  bibliothèques  lui  attri-  Catal.ms.ang. 
buent  une  chronique  et  un  traité  sur  l'art  militaire;  nous  part.ili,n.  12. 
n'ajoutons  point  des  commentaires  sur  la  bible,  parce  que  —  ^'l'^- *=°^- *• 
nos  prédécesseurs  les  ont  revendiqués  avec  raison  pour  Raoul      Hist.  Littér. 

de  Flaix.  delaFr.t.XII, 


p.  481. 


(i)  Precor  magistro  Radulpho...  decanîam  oltineatis.  Jam  enim  de  eo 
eligendo  senno  habitas  est,  nec  credo  qiibd  sit  apud  eos  aliquis  litteratiorf 
aut  honestior,  aut  liôeralior  in  pauperes  Christi. 

Ta 


i48  RAOUL  DE  SERRES. 

;_      Un  traité  de  re  militari  semble  avoir  assez  peu  de  rapport 

avec  les  fonctions  qui  ont  rempli  la  vie  de  Raoul  de  Serres. 
Quant  à  la  chronique,  c'est,  dit-on,  celle  qui,  commen- 
çant avec  l'origine  des  choses  humaines,  s'étendait  jusqu'à 
l'an  iii4i  et  qui  a  été  continuée  jusqu'au-delà  de  l'an  1200, 
Ampi.  Coiiect.  par  Raoul  de  Goggeshale  qui  mourut  en  1 228.  Dom  Martène 

870.'  ^  *  publié  cette  continuation  qui  remonte  non  pas  seulement 

à  iii4i  niais  à  1066;  en  sorte  qu'on  en  pourrait  considérer 

les  trois  premières  pages  comme  les  dernières  de  l'ouvrage 

du  doyen  de  Reims.  Mais  il  y  a  ici  quelque  difficulté  :  car 

De  m.  Angl.  pjtz  et  Bailey  nous  disent  que,  dans  les  manuscrits  d'Angle- 

"^Balœus  Scr    t^^re ,  les  additions  de  Raoul  de  Goggeshale  à  la  chronique 

Britan.  Centur.  de  Raoul-lc-Noir  [additiones  ad  liadulphum  nigjumj  com- 

i.Ul,  c.  88.  mencent  par  ces  mots  :  anno  gratice  1 1  i4i  ^^^  Henricus.  Or 
ni  ces  mots  ni  des  termes  équivalens  ne  se  lisent  dans  le 
livre  que  Martène  a  inséré  au  tome  V  de  X amplissima  collectio^ 
d'après  un  manuscrit  de  Saint- Victor  qui  ne  contenait  que 
cette  continuation.  Là,  de  l'année  1 1 10,  on  passe  immédiate- 
ment à  l'année  1 1 18;  sans  aucune  mention  des  années  inter- 
médiaires ,  et  sans  qu'il  soit  question  d'aucun  acte  du  roi 
Henri  appartenant  à  l'année  iii4-  Ce  n'est  donc  qu'à  l'aide 
des  manuscrits  anglais,  qu'on  pourrait  prendre  une  idée  un 
peu  précise  de  l'ouvrage  continué  par  Raoul  de  Goggeshale. 
Wood  néanmoins,  dans  son  histoire  de  l'université  d'Ox- 
ford, cite  la  chronique  du  doyen  Raoul,  et  en  transcrit  même 
Hist.  UniT.  quelques  lignes;  celle-ci,  par  exemple  :  «  Liberalium  artium 

Oxon.  Ut.  I .  p.  „  exercitia  evanuerunt  occasione  ambitiosi  questil^  oh  qiiem 
«  curritur  ad  leges  sœculi,  et  décréta ,  et  physicam.  »  On  voit 
qu'alors,  comme  à  bien  d'autres  époques,  la  littérature  était 
beaucoup  moins  lucrative  qiie  la  médecine ,  le  droit  canon , 
Ibid.  p.  57.  et  la  jurisprudence  civile.  En  citant  un  autre  passage  de  la 
même  chronique,  relatif  aux  sectes  qui  divisaient  les  clercs 
du  moyen  âge,  Wood  semble  faire  de  Raoul  le  premier  litté- 
rateur du  XII*  siècle  :,«  qui  in  re  grainmaticâ ,  huinaniori- 
«  que  universun  Litteraturâ ,  coœtaneis  omnibus  facile  prœ- 
«  luxit.  »  Mais  le  Raoul  qu'on  exalte  à  ce  point  est  ici  qualifié 
Belvacensis  ^  au  lieu  du  surnom  de  Niger  v^'\\  porte  dans  les 
autres  citations  de  Wood.  Nous  osons  croire  que  cette  qua- 
■■  lification  de  Beh'ucensis  est  ici  erronée,  ou  du  moins  il  nous 

paraît  difficile  qu'elle  convienne  au  doyen  de  Reims  qui,  ac- 
cueilli en  cette  ville  au  moment  même  où  il  venait  de  quitter 
l'Angleterre,  n'a  guère  eu  le  temps  de  faire  assez  de  séjour 
à  Beauvais  pour  en  prendre  le  surnom.  D. 


XII  SIECLE, 


MAURICE  DE  SULLY, 

ÉVÊQUE  DE  PARIS. 

Le  théologien  dont  nous  allons  parler  n'était  point  de  la 
maison  de  Sully  :  il  était  né  de  parens  pauvres,  obscurs ,  dans 
un  village  nommé  Sully  fde  Solliaco)  sur  les  bords  de  la 
Loire.  II  se  vit,  durant  sa  jeunesse,  réduit  à  la  mendicité  :       "^'^^^i  Belv. 
Vincent  de  Beauvais,  Guillaume  de  Nangis  et  d'autres  écri-  ^^  c.^ai.— 
vains  rapportent  qu'un  jour  il  refusa  une  aumône  qu'on  ne  Ménage ,  Hist. 
lui  offrait  qu'à  condition  qu'il  renoncerait  à  devenir  jamais  <ieSablé,p.a58j 
évéque.  Il  est  sans  doute  fort  étrange  qu'on  ait  songé  à  exi- 
ger d'un  mendiant  un  engagement  pareil  :  Maurice  ne  voulut 
pas  le  prendre  :  apparemment,  il  se  sentait  dès-lors  une  vo- 
cation décidée  à  lepiscopat,  et  il  avait,  dans  son  dénuement 
extrême,  un  pressentiment  de  son  opulence  future.  II  vint 
étudier  et  bientôt  enseigner  à  Paris  :  il  y  prêchait  avec  suc- 
cès, lorsqu'on  le  nomma  chanoine  de  Bourges;  mais  il  était 
destiné  à  une  dignité   plus  éminente  :  après  avoir  quitté 
Bourges  pour  être  chanoine,  puis  archidiacre  de  l'église  de 
Paris,  il  en  devint  évêque;  et  voici  comment  Césaire  d'Hei-        Bibl.  Patr. 
sterbach ,  moine  de  Cîteaux ,  raconte  l'élection  de  Maurice.       fl*i'*'^'^'  '■^^'  ^ 

Le  siège  de  Paris  vaquait  par  le  décès  de  Pierre  Lombard  : 
les  suffrages  ne  se  réunissant  sur  aucun  candidat ,  les  élec- 
teurs s'accordèrent  à  investir  trois  membres  de  leur  propre 
assemblée  du  droit  de  nommer  définitivement  l'évêque.  Les 
opinions  de  ces  trois  électeurs  se  trouvèrent  aussi  inconci- 
liables que  celles  de  l'assemblée  qu'ils  représentaient,  et  ils 
ne  sortirent  d'embarras  qu'en  concentrant,  à  leur  tour,  leurs 
pouvoirs  dans  la  personne  de  l'un  d'entre  eux.  Cet  électeur 
unique  était  Maurice  de  Sully  qui ,  après  les  réflexions  sé- 
rieuses qu'exigeait  un  choix  si  grave,  fat  à  ses  deux  collègues 
la  déclaration  suivante  :  «  Je  ne  dois  choisir  qu'un  homme 
«  qui  me  soit  parfaitement  connu  comme  dévoré  du  désir 
«  d'être  utile,  et  non  de  l'ambition  de  commander.  Je  veux 
«  bien  supposer  cette  disposition  dans  quelques-uns  des  can- 
«  didats  ;  mais  je  ne  saurais  en  répondre  ;  je  ne  puis  sonder 
«  leurs  consciences;  je  ne  lis  que  dans  la  mienne;  et  pour 
«  ne  rien  hasarder ,  c'est  Maurice  de  Sully  que  je  nomme.  » 


173. 


tSo  MAURICE  DE  SUTXY,  ÉVÊQ.  DE  PARIS. 
XII  SIECLE.  gj  ^ç  récit  du  moine  Césaire  n'est  contredit  par  aucun 
historien  du  XIP  et  du  XIIP  siècle ,  il  n'est  non  plus  confir- 
me' nulle  part.  Il  n'est  connu  ni  de  Robert  du  Mont,  ni  de 
Rigord,  ni  de  Vincent  de  Beauvais,  qui  tous  trois  parient  de 
Maurice  de  Sully,  sans  indiquer  une  seule  de  ces  circon- 
stances de  sa  promotion  à  l'ëpiscopat.  Elles  sont  même  peu 
conciliables  avec  les  lignes  que  nous  allons  extraire  de  la 
Ann.  1164.  chronique  de  Robert,  chanoine  de  Saint-Marien-d'Auxerre, 
ordre  cle  Prémontrë.  «  Floret  Mauritius  episcopus  qui  oh  in- 
c  dustriam  ac  litemturam  eximiam  et  dissertitudinein  linguœ 


«i  prœcipiiam ,  de  infimo  magnœ  paupertatis  ad  pontificalis 


cédé  n'eiit-il  pas  blessé  toutes  les  règles  canoniques  ?  Eùt-il 
été  digne  de  la  vertu  de  Maurice.^  Ses  deux  coélecteurs  n'au- 
raient-ils pas  pu  l'élire  immédiatement  évêque,  au  lieu  de 
s'en  rapporter  a  lui  seul  sur  le  choix  qu'ils  avaient  à  faire .-*  Le 
lui  confier,  n'était-ce  pas  au  contraire  l'exclure  du  nombre 
des  candidats ,  l'astreindre  tacitement  à  ne  pas  s'y  com- 
prendre.*' Par  toutes  ces  considérations,  Oudin  rejette  le  té- 
moignage de  Césaire,  et  censui;e,  à  cette  occasion  ,  l'extrême 
crédulité  de  cet  historien.  «  Absit  comnientum  istud  mona- 
c(  ckale  Cœsarii  hominis  simpUcissimi,  in  credendo  et  scribendo 
vi  fabulas  facilis  atque  in  plerisque  suis  historiis  absurdi  et 
Hist.  Univ.  «  insulsi.  »  Ce  récit  est  néanmoins  adopté  par  du  Boulay  ;  il 

Par.  t.  n  ,  p.  j^  ^j-^  reproduit  dans  la  nouvelle  Gaule  chrétienne  :  il  n'était 
T.vii.p. 70  pas  dans  [ancienne. 

-.77.      '  Du  Boulay  transcrit  une  autte  anecdote  qu'il  trouve  dans 

Hisi.  Univ.  ^^  sermon  attribué  à.Saint-Bonaventure,  et  qui  serait  arri- 

"serin'.^s'  de  véc  pcu  de  tcmps  avant  la  promotion  de  Maurice  à  l'évêché 

10  preceptis.  de  Paris ,  qui  même  aurait  contribué  à  le  faire  élire.  II  s'agit 
de  sa  mère  qui,  ayant  appris  les  succès  éclatans  qu'il  ob- 
tenait comme  professeur  et  comme  prédicateur ,  prit  la  ré- 
solution de  le  venir  voir.  Vêtue  de  bure,  un  bâton  à  la 
main,  elle  s'achemine  vers  Paris,  où  étant  arrivée  elle  s'in- 
forme du  docteur  Maurice,  à  queli^ues  dames.  On  lui  de- 
mande ce  qu'elle  veut  de  lui  :  Je  suis  sa  mère,  répond -elle. 
Les  dames  craignant  que  le  docteur  ne  fût  tout  honteux  de 
la  voir  en  un  tel  état,  la  rhabillent,  lui  donnent  un  man- 
teau, et  la  conduisent  bien  parée  auprès  de  son  fils.  Dès 
quelle  lui  eut  déclaré  qu'elle  était  sa  mère,  il  lui  répondit 


XII  SIECLE. 


MAURICE  DE  SULLY,  ÉVÊQ.  DE  PARIS.       i5i 

brusquement  :  je  n'en  crois  rien,  mais  rien  du  tout  en  ve'- 
rité  :  car  ma  mcre  est  une  pauvre  femme  qui  ne  porte  jamais 
qu'une  tunique  de  bure.  Elle  eut  beau  protester  qu'elle  ne 
mentait  point,  il  fut  inflexible.  Les  dames  la  reconduisirent 
à  la  maison ,  lui  rendirent  son  bâton ,  et  lui  firent  reprendre 
ses  premiers  vètemens.  Ainsi  équipée,  elle  revint  trouver 
Maurice,  qui  était  alors  dans  une  assemblée  brillante  et 
nombreuse;  dès  qu'il  l'aperçut,  il  se  découvrit,  l'embrassa 
et  lui  dit  :  Pour  le  coup,  je  vois  bien  que  vous  êtes  ma  mère. 
Cette  nouvelle  se  répandit  dans  la  ville,  et  fit  le  plus  grand 
honneur  au  docteur  qui,  peu  après,  fut  fait  évêque  de 
Paris  (i). 

Oudin,  quoiqu'il  trouve  ce  conte  plus  croyable  que  le 
précédent,  croit  néanmoins  devoir  l'écarter  encore  comme 
énoncé  en  termes  barbares,  tout-à-fait  indignes  du  style  et 
de  la  latinité  de  Saint-Bonaventure.  Il  prétend  que  ce  doc-r 
teur  n'aurait  jamais  employé  des  expressions  telles  que 
celles-ci:  Âccepit  tuniceÙani  de  hurello ,  dederunt  ei  man-  Erpressiones 
tellum,  hoc  fuit  dà'ulgatum  per  villam;  et  à  ce  sujet,  il  re-  ^J"^  '"° 
proche  îort  amèrement  aux  franciscains,  en  les  appelant 
ohtusl  judicii  homines ,  d'avoir  grossi  de  cette  pièce  le  recueil 
des  œuvres  du  docteur  séraphique.  Cet  argument  ne  nous 
semblerait  pas  péremptoire  :  mais  Oudin  en  ajoute  un  meil- 
leur :  c'est  que  l'opuscule  dont  ce  conte  fait  partie  est  réelle- 
ment de  Godescalc  HoUen,  sous  le  nom  duquel  il  avait  été 

• 
(i)  Fuit  quidem  (Mauritius)  magnus  et  famosus  Partsius  et  h  multis 
notas  et  dilectus.  Hoc  audiens  mater  sua  paupcrcula ,  cogitavit  ire  adfiliun 
suum  :  accepit  baculum ,  et  in  tunicellâ  de  burello  venit  Parisius  et  quœsivit 
a  qnibusdain  doniinahus  pro  tali  magistro.  Dixerunt  illi  matronœ  :  Quid 
vuliis  de  eo  ?  Respondit  :  Ego  sum  mater  sua.  Tune  illœ  matronœ  duxerunt 
eam  in  doinum  suam  et  refocillaverunt  eam.  Postea  cogitaverunt  quod  ille 
bonus  Iiomo  verecundaretur ,  si  -videret  eam  in  tali  statu,  et  induerunt  ipsam 
bene ,  et  dederunt  ilh  mantellum  et  iverunt  secum  ad  magistrum.  Tune  illa 
dixit  :  Ego  sum  mater  tua.  Respnndit  Magister  :  F'ere  ego  non  credo ,  quia 
mater  mea  est  paupercula ,  et  consuevit  solum  liabere  tunicellam  de  burello. 
Et  cum  nulle  modo  vellet  acquiescere  verbis  ejus ,  eduxerunt  eam  in  domum 
suam ,  et  reddiderunt  ei  tunicellam  ejus  et  baculum.  Tune  illa  accessit  ad 
filium  in  congregatione  multorum ,  et  cum  vidéret  matrem  suam  in  tali 
habita  venientem ,  deposuit  capucium  suum ,  et  amplexatus  est  eam,  et 
dixit  :  Modo  scio  quod  estis  mater  mea.  Hoc  fuit  devulgatum  per  villam, 
et  reputatutn  est  ei  pro  magno  honore ,  et  postea  factus  est  episcopus  pari- 
siensis,  •  > 


i52      MAURICE  DE  SULLY,  ÉVÊQ.  DE  PARIS. 

XII  SIECLE.     .  .      ,      ,      .  ^  .  ,,  , 

imprime  plusieurs  fois ,  avant  d  entrer  dans  la  collection  des 


Colon  Agripp.  g'crits  de  Saint-Bonaventure.  Hollen  est  un  théologien  du 

l4»i ,  toi.  ;  J\o-    "vi/e      •'     i         -i     '      •       •  /n  ^    <       n/ 

rimb.  Koburg.  ^*    sieclc  :  il  écrivait  en  i4bo,  quatre  cents  ans  après  le- 

1497,  fol.  poque  qui  nous  occupe. 

Maurice  a  fondé  les  abbayes  d'Hérivaux,  d'Hermière, 
d'Hière,  de  Gif,  et  de  Saint- Antoine-des-Champs.  Mais  le 
principal  fait  de  l'histoire  de  son  épiscopat  est  la  construction 
de  la  cathédrale  de  Paris  :  il  en  fit  poser  la  première  pierre 
par  le  pape  Alexandre  III ,  et  ensuite  consacra  tous  ses  soins, 
durant  plus  de  trente  ans  au  succès  de  cette  entreprise.  Pauvre 
et  sans  patrimoine,  comment  s'y  prenait-il  pour  doter  des 
monastères ,  et  pour  bâtir  un  temple.*^  Il  s'adressait,  répond 
De  Sacram.  ^6  P-  Morin ,  à  ceux  qui  devaient  accomplir  quelques  péni- 

Pœnit.  lib.  X,  tences,  et  les  leur  remettait  en  tout  ou  en  partie,  moyennant 

cap.  20.  (jgg  contributions  pécuniaires.  C'est  par  cette  industrie  spi- 

rituelle, liac  spiritali  industriâ,  dit  le  même  théologien,  que 
Maurice  subvint  à  une  dépense  à  laquelle  eût  à  peine  suffi  le 
Bîblioili.crii.  trésor  d'un  prince.  Voilà,  dit  Richard  Simon,  un  bel  exemple 

de  Saint -Jore,  de  l'utilité  dcs  indulgeuccs  :  cependant  il  se  trouvait  des  gens 

38a.  '  ^  °~  ^^  ^^^'"  ^"^  n'approuvaient  point  ce  manège,  (c'est  l'ex- 
pression de  Simon);  et  l'industrieux  prélat  ayant  demandé 
a  Pierre-le-Chantre  ce  qu'il  en  pensait,  celui-ci  lui  répondit 
qu'il  ferait  mieux  d'exhorter  ses  diocésains  à  ne  rien  re- 
trancher de  leurs  pénitences.  Quoi  qu'il  en  soit,  la  cathédrale 
fut  bâtie,  et  c'est  a  Maurice  de  Sully  qu'en  appartient  l'hon- 
neur :  ceux  qui  le  lui  ont  contesté  ont  été  victorieusement 
Hlstdudîoc.  réfutés  par  l'abbé  le  Beuf  Sur  ce  point,  les  témoignages 

de  Paris ,  t.  III.  positifs  sont  si  nombreux  dès  la  fih  du  douzième  siècle  et 
durant  les  deux  suivans,  que  leur  autorité  ne  saurait  être 
affaiblie  par  le  silence  du  nécrologe  de  l'église  de  Paris  ; 
silence  néanmoins  bien  étrange  dans  un  nécrologe  qui  con- 
tient un  long  détail  des  bienfaits  beaucoup  moins  importans 
de  ce  prélat,  des  chappes,  des  tuniques,  des  aubes  et  des  en- 
censoirs dont  on  lui  est  redevable ,  des  soins  qu'il  a  pris  pour 
mieux  loger  l'évêque,  et  pour  accroître  de  cent  manières  les 
revenus  de  l'évêcné  :  Domos  episcopales  novas  œdificavit, 
reditus  episcopales  multiplibiter  ampliavit.  Il  est  sans  doute 
étonnant  qu'on  fasse  un  inventaire  scrupuleux  des  donations 
les  plus  légères,  et  qu'on  ne  dise  pas  un  seul  mot  de  la 
construction  d'une  cathédrale.  A  la  vérité ,  cet  édifice  ne  fut 
achevé  que  sous  Odon ,  successeur  immédiat  de  Maurice,  et 


1 


Xll  SIECLE. 


MAURICE  DE  SULLY,  EVEQ.  DE  PARIS.       i53 

quelques  parties  n'ont  e^  construites  que  plus  tard  (i):  mais 
on  couvrait  déJA  le  chœur  lorsque  Maurice  de  Sully  mourut. 

En  1 165,  il  baptisa  Philippe-Auguste,  fils  et  successeur  de 
Louis-le-Jeune, et,  lorsqu'en  1 188 ,  huitième  année  du  règne 
de  Philippe,  ce  prince  établit  la  dîme  saladfte  pour  subvenir 
aux  frais  des  croisades,  Maurice  et  d'autres  prélats  y  con- 
sentirent dans  un  concile  de  Paris.  Cette  complaisance  ne  fut 
pas  universellement,  approuvée  par  le  clergé  français  :  f*ierre 
deBlois,  par  exemple,  trouva  fort  étrange  qu'on  dépouillât 
l'église  en  prétendant  combattre  pour  elle ,  et  qu'on  exigeât 
des  ecclésiastiques  un  autre  tribut  que  celui  de  leurs  prières. 
Maurice  touteéois  ne  négligeait  point  les  intérêts  temporels 
de  son  épiscopat  :  il  eut  à  soutenir,  pour  des  droits  honori-  Gai'-  Christ. 
fiques  ou  pécuniaires,  plusieurs  démêlés  avec  des  abbés  et  î?°Yt's*é 
des  moines;  il  en  eut  même  avec  le  chapitre  dé  sa  cathédrale. 
Il  s'agissait  de  savoir  si  les  revenus  du  doyeimé  vacant  appar- 
tenaient au  chapitre  ou  à  l'évêque  ;  l'affaire  fut  portée  au 
pape  Alexandre  III,  qui  commit  ^our  la  décider,  Guillaume, 
archevêque  de  Sens  :  mais  les  chanoines  se  désistèrent  de 
leurs  prétentions,  et  Guillaume,  qui  n'avait  point  intérêt  de  . 
condamne^  celles  du  prélat,  assoupit  ce  différend. 

Maurice  de  Sully  se  livra  toujours  avec  zèle  à  4'étude  et  à 
l'enseignement  de  la  théologie.  11  n'adoptait  point  les  opinions 
de  son  prédécesseur,  Pierre  Lombard  :  il  soutenait  sur-tout 
que  la  vierge  Marie  n'avait  point  échappé  à  la  tache  originelle,  "  , 

et  il  ne  permettait  point  de  célébrer,  dans  son  diocèse,  la  fête 
de  l'immaculée  conception.  Mais  il  fut  un  ardent  défenseur 
du  dogme  de  la  résurrection  des  corps  et  pour  contredire 
plus  solennellement  les  nombreux  ennemis  de  cette  croyance, 
il  fit  insérer  dans  l'office  des  morts,  ces  paroles  du  livre  de 
Job  :  Credo  quod  redemptor  meus  vivit  et  in  novissimo  die  de 
terra  surrecturus  suni ,  et  in  came  meâ  videho  salvatorem 
ineum  :  quem  visurus  sum  ego  ipse  et  non  alius ,  et  oculi  mei 
conspecturi  sunt;  reposita  est  hύ  spes  mea  in  sinu  meo. 
Durant  la  dernière  maladie ,  il  fit  placer  sur  sa  poitrine  un 
écriteau  qui  contenait  ces  mêmes  paroles,  et  avec  lequel  il 
voulut  être  enterré:  il  est,  dit- on,  le  premier  qui  ait  donné 
cet  exemple  qui  n'a  point  manqué  d'imitateurs.  Maurice 
mourut  à  Saint-Victor  où  il  s'était  retiré  pour  se  mieux  dis-        fienebrar^. 

Cliroii.  ad  ann. 

(ij  L  inscription  qui  se  lit  sur  le  portique  méridional  de  la  croisée  fait 
foi  que  cette  partie  d'ouvrage  n'a  été  commencée  qu'en  1257. 

Tome  XK  ^  ^  Y 


Xlt  SIECLE. 


i54       MAURICE  DE  SULLY,  ÉVÊQ.  DE  PARIS. 


poser  à  paraître  devant  Dieu  :  d'autres  disent  qu'une  inon- 
dation survenue  au  mois  de  février  i  iq6  avait  force  l'évêque 
de  Paris  à  transférer  son  domicile  dans  cette  abbaye.  Le 
moine  Césaire  raconte  que  Maurice  agonisant  demanda  l'eu- 
charistie, et  que*les  religieux  qui  l'environnaient  le  voyant 
tombé  dans  le  délire,  jugèrent  a-propos  de  ne  lui  présenter 
qu'une  hostie  non -consacrée,  mais  qu'il  la  repoussa  en 
s  écriant  :  ce  n'est  point-là  mon  sauveur.;  qu'il  fallut  en  con- 
séquence lui  apporter  une  hostie  ^ritablemrnt  consacrée,* et 
qu  il  la  reconnut  aussitôt  pour  telle.  Uji  poète  anonyme  a 
célébré  ce  miracle  en  vingt- quatre  vers  latins,  que  Nicolas 

Comm.deScr.  Camusat  a  publiés,  et  qui  se  retrouvent  dans  Oudin.  Mais 
fcccl,  t.  II,  p.  ,1  ,  ^     .     1      ,  .    .  ,  ,  ,  , 

1587.  aux  j^eux  de  ce  dernier,  cest  encore  ici  une  de  ces  râbles 

pieuses  qui  fourmillent  dans  les  écrits  des  moines.  Celle-ci 
ne  nous  est  contée  que  par  Césaire  :  Rigord  n'en  dit  rien , 
'  quoiqu'il  parle  fort  au  long  des  circonstances  de  la  mort  de 

Maurice.  Les  auteurs  du  nouveau  Gallia  Chnstiana,  après 
*  avoir  transcrit   le    récit   de'  Césaire,  ajoutent  qu'avant    de 

mourir,  Maurice  de  Sully  chargea  les  moines  de  Saint-Victor 
.   d'accomplir  en  son  n un  et  de  ses  deniers  certaines  resti- 
tutions qu'il  avait  encore  à  faire,  et  qui  auraient  *pu  être  un 
peu  moins  tardives.  Etienne  de  Tournay  lui  fit  cette  épitaphe: 

Excisus  misero  lacrymarum  vallis  in  orbe 

PoHÎtur  œternâ  vivus  in  urbe  lapis. 
Doctor  et  autistes,  cathedra  condignus  utrq^ue, 

A  prima  meruit  continuare  duas. 
Sanajldes ,  doctrina  J'requens ,  eleinosyna  jugis  , 

Clamât  Parisius  non  habuisse  parem, 
Magnificiiin ,  structura  doinûs  et  fabriça  templi; 

Muniflcuin  pcrhibent  advena,  pauper,  inops. 
Horrea  pauperibus  et  scrinia  semper  aperta 

Exposuit  miseris  semper  aperta  ntanus. 
Pontifîcem  tanti  meriti  servumque  Jldelem 

Serva  MauritiiMi,  -virgo  Maria,  tuum. 

Ces  vers,  qui  se  lisaient  autrefois  sur  la  tombe  de  Maurice 
de  Paris,  dans  le  chœur  de  l'église  de  Saint-Victor,  y  furent 
dans  la  suite,  à  \i\  reconstruction  de  ce  chœur,  remplacés 
V.  Malingre,  P'T  l'inscriptiou  Suivante  :   ' 
Antiq.de Paris,       Hicjacet  reverendus pater  Mauritius,  Parisiensis  episcopus, 
l7^'i4i-'i5o    ^l^i  prî^^us  basilicam  B.    Maricè   virginis   mchoavit.    Ohiit 
— '  Dubreuii  ,  anno  Domùii  MCXVl  tertio  idus  septembns. 


MAURICE  DE  SULLY,  EVEQ.  DE  PARIS.       i55 
Les  écrits  de  Maurice  de  Sully  peuvent  se  diviser  en 


quatre  classes;  ses  chartes,  ses  lettres,  ses  sermons,  et  quel-  A^ntiq.dePam, 

^  »      V     *I    '    I        •  liv.  III,p.  32/,. 

ques  traites  theologiques.  m       » 

Ses  chartes  ne  tiennent  point  à  l'histoire  littéraire  ;  mais 
il  nous  semble  à  propos  de  les  citer  ici  parce  qu'elles  prouvent 
que  Pierre  Lombard  n'a  pas  vécu  jusqu'en  1 164,  comme  on 
la^souvent  dit,  mais  qu'il  est  mort  en  1160,  ainsi  que  les 
auteurs  du  nouveau* oa///a  Christiana  l'ont  déjà  observé.  T. vu, p. 60. 
On  connaît  l'acte  paç  lequel  Maurice,  prenant  en  1160  le 
titre  d'évêque  de  Paris ,  établit  des  chanoines  l'éguliers  à 
Hérivaux.  Nous  avons  trouvé,  dans  le  Trésor  des  chartes,  Titres dipiom. 
sept  autres  actes  de  ce  prélat,  qui  n'ont  point  encore  été  carton  i,  liasse 

_ii-'        --J-        '        -1  f  ^r-^iî^ja;  liasse 

jjpbiies  ni  indiques  ;  il  y  conhrme,  en  1 15»,  une  vente  faite  ,,  n^a,  6,  9, 
au  chapitre  de  Saint-Marcel  ;  eu  1 172,  un  accord  entre  cette  i5,  27,  29. 
église  et  le  nommé  Adam  Panier;  en  iiyS,  une  donation 
faite  à  un  hôpital,  par  Adcline.  de  Nucrei;  en  1 177»  une  do- 
nation du  même  genre,  par  Ajneline,  fille  d'Yvon  le  prêtre; 
en  1 18a,  un  engagement  pris  par  Hugues  de  Marolles  et 
Eremburge ,  son  épouse ,  en  faveur  des  frères  de  l'hôpital  de 
Paris;  en   1191,  d'autres  dons  faits   au  même   hôpital;  en 
ï  194,  une  donation  faite  à  l'église  de  Vincennes,  d'une  vigne 
à  Montreuil.  Or  dans  ces  deux  dernières  pièces,  les  années 
1191  et  1 194  sont  appelées  la  Si*'  et  la  34'^  de  l'épiscopat  de 
Maurice;  et  l'accord  daté  de  11 72,  l'est  en  même  temps  de 
la  12*  année  de  cet  épiscopat  qui,  par  conséquent,  a  dû 
•  commencer  en  1160.  Des  diplômes  de  Maurice  de  Sully  en 
faveur  de  l'abbayg  de  Saint-Victor,  des  chanoines  de  Saint- 
Germain  J'Auxerre,de  l'église  de  Saint-Cloud,  ont  été  in-'  Duch.iv,7G5. 
sérés  en  divers  recueils,  ainsi  qu'une  transaction  entre  lui  — Mart.  Ampi. 
et  Roger,  abbé  de  Couloms,  au  sujet  de  l'église  de  Saint-  ^'^^^^H'  ^ç\\ 
Germain- en -Laye,  que  les  moin^  de  Couloms  prétendaient  ciirist.  nov'.  t. 
posséder  sans  dépendance  de  l'évêque.  vil,instrum. 

Ses  lettres  sont  au  nombre  de  six;  et  les  trois  que  Du-    '^■■""^•P"  ^''^ 

1  j      «       1  Ti»        <  II-  ^     •  par  Jac.  Petit, a 

chesne,  du  Boulay  et  Martene  ont  recueillies  ne  consistent  la  suite  du  Çéui- 
qu'en  peu  de  lignes  ,^'un  faible  intérêt  :  elles  sont  adressées  temieideTLéo- 
à  févêque  de  ClermoW,  et  à  Guillaume  aux  blanches  mains,  "^"j^u^j^  ^  jy 
Les  trois  autres,  écrites  au  pape  Alexandre  III,  en  1169  et  p.  761.  '  '  ' 
1 170,  concernent  l'affaire  de  saint  Thomas  de  Cantorbéri.  ."'«t-  ""iv- 
La  première  contient  des  plaintes  contre  Gilbert,  évêque  de  ^j"^'  '•  "'  P- 
Londres  ;  la  seconde  rend  compte  de  la  conférence  qui  s'est  '  iviart.  Ampl. 
tenue  près  de  Paris,  entre  Thomas  et  le  roi  d'Angkterre.  La  Coll. 1. 1, p. 253. 
conduite  de  ce  prince  est  amèrement  censurée  dans  la  troi-  r  ^'T^  f^'' J""' 

*■  Lant,    et    Rec. 

Va 


XII  SIECLE. 


i56      MAURICE  DE  SULLY,  ÉVÉQ.  DE  PARIS. 

sième  qu écrivent. en  commun  Maurice  de  Sully  et  Bernard^ 
des  fiist.  de  F1-.  évèque  de  Novon.  On  a  aussi  trois  lettres  du  pape  Alexandre 
t.  XVI,  p.  364,  '   n/i^      ■  -^       I       1,  j  •    •     *    *^    »•     r' 

36ç,  398    4i5  ^  Maurice,  pour  le  charger  de  commissions  particulières, 

et 4 16.     '         relatives  à  Raynaud,  abbé  de  Fkvigny,  à  Hugues,  arche- 
Roc.  deshist.  véquc  de  Sens, aux  moines  de  Cluny,  qui  deinandaient  qu'on 
_„2  "  "^     38'  leur  restituât  un   domaine  envahi   par  un,  officier  du  roi 
ibid.i.'xM,  Louis  VIL  Ce  prince,  dans  une  lettre  à  levèque  de  Paris, 
p.  76.  ig  pj.jg  (jg  nommer  un  clerc  appelé  B^r,  ou  Barbadore,  au 

premier  bénéfice  qui  vaquera.  Enfin  Guillaume , «archevêque 
Uid.  t.  XV,  de  Sens,  lui  adresse ,  en  i  ly  i  ou  1 172,  une  épître  où  Ervise, 
P' ^'  ■  abbé  de  Saint-Victor,  est  acctisé   de  cacher  le  trésor  de 

cette  abbaye.  Voilà  tout  ce  qui  nous  reste  de  la  correspon- 
dance active  et  passive  de  Maurice,  durant  les  trente -si« 
années  de  son  épiscopat.        • 

Ses  sermons  n'ont  ^'importance  que  par  la  traduction 
française  qui  en  a  été  faite  presque  de  son  temps,  ou  du 
moins  au  commencement  du  XIIP  siècle.  Les  uns  sont 
adressés  au  peuple ,  les  autres  aux  prêtres  :  les  premiers  ont 
été  distribues  en  deux  livres,  et  portent  le  titre  de  Sermons 
pour  les  dimanches  et  les  fêtes.  Un  autre  livre  de  -Maurice 
intitulé.  De  oratione  Dominicâ  et  ej'us  septem  partihus,  n'eât 
aussi  qu'un  recueil  de  prédictions ,  et  il  en  est  de  même  du  livre 
De  cura  animarwn  :  il  contient  des  discours  aux  prêtres 
sur  leurs  fonctions  pastorales.  Les  copies  manuscrites  cle  ces 
divers  sermons ,  soit  en  latin ,  soit  en  français ,  sont  assez 
Calai,  t.  III,  nombreuses.  Il  en  existe  à  la  bibliothèque  du  roi,  à  la 
''■^^^''îf^^lt  bibliothèque  ambrosienne  de  Milan,  dan%  celles  du  collège 

Montf.  Bibl..    ,,_,.^.    ,._.,,.  1  1  .  /       l'io- 

Biblioih.  t.  I,  de  la  Trinité  a  Dublin,  et  des  chanoines  réguliers  de  baint- 

p.  520.  Nicolas  à  I^assaw  en  Bavière.  On  en  trouvait  aussi  au  collège 

And^'p's  "n"  ^^  Navarre,  à   l'abbaye  de   Saint -Germain -des -Prés,  au 

553.         '  chapitre  de  Sens,  à  Saint  -  Bénigne  de  Dijon,   chez   les 

Oudin,  Comm.  Sulpicicns  de  Bourges ,  et  chez  les  chanoines  réguliers  de 

"LebeuflM^i:  Toumay.  Ceux  que  possédait  l'abbaye  de  Saint- Victor  à 

de  i'Acad.  des  Paris,  se  retrouvent  à  la  bibliothèque  du  roi.  Maurice  de 

inscr.iiv.xvii,  Sully  cst  cité,  et  même  loué  comme  Mpédicateur,  par  Henri 

P"  ^^'^jj.  pjjj,  de  Gand ,  par  Trithême ,  par  Sixte  ae  Sienne ,  par  Gran- 

Biblioth.  t.  II,  colas.  Cependant  ses  discours  ne  consistent  presque  jamais 

p.  ia86.  du'en  paraphrases  vulgaires  et  souvent  peu  justes  des  textes 

p.  fao.*^^"^"  '  "'  ""  Nouveau-Testament.  Son  éloquence  est  bien  froide,  et  sa 

B.R.N°»62o,  latinité  fort  peu  élégante.  Les  versions  françaises  ont  plus 

89I-  d'intérêt,  parce  qu'elles  sont  au  moins  des  monumens  du 

ewi  ^'[4^  ^"'  langage  de  cette  époque;  et  quoiqu'elles  ne  soient  peut-être 


XII  SIECLE. 

Trith.  De  Scr. 
adann.  1190. 


MAURICE  DE  SULLY,  ÉVÊQ.  DE  PARIS.       167 

pas  du  XIP  siècle,  nous  croyons  d'autant  plus  devoir  en, 

parler  ici,  qu'elles  paraissent  avoir  etë  faites  (on  ne  sait 

par  qui  )  peu  d'années  après  la  mort  de  Maurice.  L'abbé  le  "s.s!  Bibî. s'. r- 

Beuf  a  déjà  fait  connaître  ces  traductions  :  nous  ne  trans-  27/,. 

crirons  qu'un  petit  nombre   de  lignes  des  morceaux  qu'il     Granc.  Crftiq. 

en  a  publie's  craprès  le  manuscrit  de  l'église  de* Sens;  et  t."i*p!  2*99,  *' 

nous  y  joindrons  un  extrait  d'un  manuscrit  de  Saint-Victor.    Hist.de Paris, 

^Dicit ei Ihesus : pasce oves meas,  Se^noT^vexoirefPrétresJ.   '-i»  p-m-  — 
Geste  parole  né  fut  mie  solement  dite  à  monsegnor  saint  Pierre,  t.  xviirp^^a'i 
Quar  et  à  nos  fu  ele  dite  autsi  qui  somes  ellui  de  lui  el  siècle  et  suiv.' 
et  qui  avons  les  oeilles  (ouailles J  Damedju  (Domini  Dei,     Ms.  de  Sens. 
du  Seigneur  Dieu)  a  garder  :  co  est  son  puple  a  governer- 
et  a  conèeillier  en  cest  siècle,  et  qui  avons  a  faire  le  suen 
mestier  è  terre  de  lyer  les  anmes  et  de  deslyer  et  de  con-     ^ 
duire  devant  ûieu. . . .  Issi,  poons'nos  dire  que  la  preme- 
raine  cose  qui  est  besoignable  al  prevoire  qui  tient  parroce 
(paroisse)  si  est  sainte  vie  et  bêle  que  il  aoit  démener  de- 
vant Deu  et  devant   son  puple.  —  Sermo  in  circumcisione 
Domini  Segnor  et  dames,  huî  si  est  li  premiers  jors  de 
1  an ,  qu'il  est  apeles  an  renues  (annus  renascens)  A  icest 
jor  suelent  li  malvais  crestien,  solonc  le  costume  des  paiens, 
faire  sorceries  et  charaies  y  por  lor  sorceries  y  por  lor  cha- 
raies  suelent  expermenter  les  aventurés  qui  sont  avenir. . . . 
Nous  trovons  lisant  en  la  sainte  évangile  d  ui,  que  uostre  sire 
Deus  par  coque  il  par  soi  meisme  volt  garder  le  loi  que  il  avait 
donnée,  que  il  al  wistime  (huitième)  jor  de  sa  naisence, 
qui  hui  est,  volt  estre  circuncis. 

«.Si  diligitis  me,  mandata  mea  servate.' Seignor  et  dames  Ms.  de  S.-Vict. 
por  amor  Deu,  or  entendez  ceste  reson.  Il  ni  a  nul  de  vos 
s'il  avoit  un  suen  ami. qui  deult  venir  à  son  hostel  pour  lui 
voir  qui  moût  ne  se  penast  de  nettoyer  et  de  bien  appa- 
reillier  la  meson  au  miaux  quil  onques  porroit  et  panseroit 
comment  il  la  peut  faire  fere  bêle  et  nete;  si  quand  ses  amis 
venraifquil  ni  veist  rien  qui  li  despleust  et  se  vos  ce  faites 

f)or.  un  home  terrien  lamor  doquel  est  trespassable,  moût 
ou  devriez  mes  miaux  faire  por  lamor  à  celui  qui  est  li  ' 

verais  amis  et  qui  bien  aide  aux  suens  la  ou  mil  autres  ne 
li  puet  aidier  et  dex  qui  est  ores  cil  bons  amis  et  cil  verais 
amis  qui  ce  est.  C'est  cil  qui  conseille  les  desconseil  liez,  qui 
avoie  les  desavoies,  biaus  sire,  et  qui  est  cil  sps  (spiritusj 
veritatis,  etc. . .  .  et  devons  nos  donques  recevoir  hui  et 


XII  SIECLE. 


i58  ALPHONSE  II,  ROI  D'ARAGON. 

avoir  son  saint  espriz  devons ....   si  comme  je  vos  ai  dit 
en  commencement,  si  diligitis,  etc.  » 

On  cite  deux  'éditions  des  sermons  de  Mam'ice,  en  fran- 
çais, l'une  in-4*'  sans  date;  l'autre  de  Lyon,  en  i5i  i ,  in-8°. 
Nous  n'avons  pu  rencontrer  ni  l'une  ni  l'autre. 

Ayant  Considéré  comme  des  recueils  de  sermons  les  livres 
de  Maurice  de  Sully,  qui  portent  les  titres.  De  cura  ani- 
marum ,  de  oratione  Dominicâ,  nous  n'avons  plus  qu'un 
seul  traité  théologique  à  lui  attribuer  :  c'est  un  livre  De  ca- 
Bibl.  Biblioth.  none  misstB ,  que  Montfaucon  cite  comme  se  trouvant  ma 
t. II, p.  laag.  ^jg^-rij  J^ns  la  bibliothèque  de  Saint-Sulpice  à  Bourges;  et 
tout  ce  que  nous  en  pouvons  dire,  est  que  l'auteur  est  appelé 
sanctus  Mauritius  dans  l'intitulé  de  ce  manuscrit.  On  avait 
en  effet  une  très-haute  idée  des  vertus  de  ce  prélat,  et  il  a 
long-temps  conservé  assez  de  réputation  ,  quoiqu'il  n'ait 
joué  aucun  rôle  bien  remarquable  dans  les  grandes  affaires 
de  son  siècle.  L'histoise  civue  ne  fait  mention  de  lui,  que 
parce  qu'il  a  baptisé  Philippe-Auguste;  et  nous  venons  de 
voir  que  les  écrits  qu'il  a  laissés  ne  sauraient  lui  assigner 
un  très -haut  rang  dans  l'histoire  littéraire.  Le  zèle  qu'il  a 
montré  durant  trente-si*  ans  pour  la  construction  de  la 
cathédrale  de  Paris ,  est  son  principal  titre  de  gloire. 

D. 


ALPHONSE    II, 

ROI   D'ARAGON  ET  COMTE  DE  PROVENCE. 

IVAIMOND  BÉRENGER  HT,  comtc  de  Barcelone ,  avait  épousé 
Douce,  héritière  de  Gilbert,  comte  de  Provence,  mort  en 
1 109,  laquelle  lui  avait  aussi  apporté  les  vicomtes  de  Milhaud 
en  Rouergue ,  de  Carlad  en  Auvergne  et  de  Gevaudan.  Leur 
fils  aîné,  Raimond  Bérenger  IV,  héritier  du  comte  de  Bar- 
celone, devint  prince  d'Aragon,  par  son  mariage  avec  Pé- 
tronille,  lille  du  roi  D.  Ramire.  Alphonse  II,  fruit  de  ce 
mariage,  parvint  à  la  couronne  d'Aragon  en  1162. 

La  Provence  était  échue  au  second  fils  de  Raimond 
Bérenger  III,  nommé  Bérenger  Raimond.  Celui-ci  qui  fut 
tué  en  ii44  dans  une  guerre  contre  la  maison  de  Baulx, 


ALPHONSE  II,  ROI  D'ARAGON.  *    iSg 

avait  laissé  la  Provence  à  son  fils  Raimond  Bérenger;  ce 
dernier  étant  mort  en  1166,  sans  enfans  mâles,  le  roi 
d'Aragon,  Alphonse  II,  s'empara  de  la  Provence,  après  avoir 
forcé  le  comte  de  Toulouse  à  se  désister  de  ses  prétentions 
injustement  fondées  sur  le  mariage  qui  avait  été  projeté,  et 
non  conclu  entre  le  fils  de  ce  comte,  et  DoBce,  fille  du  dernier 
comte  de  Provence. 

Alphonse  donna"  d'abord  la  Provence,  mais  seulement  à» 
vie  et  à  titre  de  bénéfice,  à  l'aîné  de  ses  deux  frères,  Raimond 
Bérenger  de  Bezaudun,  qui  fut  tué  en  1 181 ,  dans  une  guerre 
en  Languedoc.  Alors  il  disposa  du  comté  de  Provence,  au 
même  titre,  en  faveur  de  Sanche,  son  second  frère;  mais  il 
le  lui  retira  peu  d'années  après,  en  lui  donnant  en  échange 
les  comtés  de  Cerdagne  et  cfe  Roussillon,  et  reçut  Ihommage 
immédiat  de  tous  ses  vassaux. 

C'est  ainsi  que  la  Provence  passa  dans  la  maison  d'Aragon 
et  de  Barcelone.  AlphorfSe ,  comte  de  Provence ,  est  Al- 
phonse I*^"",  tandis  que,  comme  roi  d'Aragon ,  il  est  Alphonse  II. 
Cette  différence  est  nécessaTre  à  observer.  Elle  a  mis  de  la 
confusion  dans  l'histoire  des  troubadours.  Ces  poètes  furent 
dans  une  haute  faveur  auprès  d'Alphonse,  qui  était  poète  lui- 
même.  Ce  qu'il  fit  comme  roi  et  comme  comte  ne  doit  point 
trouver  place  ici ,  et  lui  ferait  peu  d'honneur.  Son  goût  pour 
la  poésie,  et  la  protection   distinguée  que  les  troubadours 

Provençaux   trouvèrent  auprès  de   lui  ,  sont   tout  ce  que 
histoire  littéraire  doit  consacrer,  et  les  poètes  ont  largement  . 
payé  en  éloges  son  bon  accueil  et  ses  libéralités» 

Alphonse  II  mourut  en  1196.  Il  ne  reste  de  lui  qu'une 
chanson ,  et  c'est  une  chanson  d'amour.  Elle  commence  par 
ce  vers  : 

Per  mantas  guizas  mes  datz 

et  se  trouve  dans  les  manuscrits  32o4  de  la  bibliothèque 
vaticane,  et  7226  de  la  bibUothèque  royale  de  France.  Elle 
n'a  rien  de  remarquable,  sinon  que  ce  poète- roi  se  reproche 
d'avoir  placé  son  cœur  en  trop  haut  lieu,  ce  qui  donnerait 
une  grande  idée  du  rang  de  sa  dame,  si  l'on  prenait  à  la 
lettre  cette  expression  hyperbolique.  Alphonse  est  toujours 
nommé  dan&ces  manuscrits  le  Rei  Nanfos ,  manière  abrégée 
et  corrompue  d'écrire  et  de  prononcer  Don  Alfonso ,  la 
lettre  initiale  N,  devant  une  voyelle,  et  les  monosyllabes 
en  ou  na  devant  une  consonne,  tenant  lieu  de  Don  et  de 
Donna,  dans  l'ancien  provençal.      .  G. 


XII  SIECLE. 


,'V«^«/«/«H«i«>«  ««^  «.«^^>^^  «/»^^/«  %  «.«b^  «.'■.^  X«<«r«>%«^^»%  ^«>^  «■«>««'«>«  «'»^M. 


Xn  SIECLE. 


ALEXANDRE, 

POÈTE  FRANÇAIS  DU  XIP  SIÈCbE. 


Il 


Ll  est  peu  de  nos  anciens  poètes  sur  les<^els  les  biographes 
et  les  bibliographes  se  soient  autant  exercés  que  sur  celui 
qui  fait  le  sujet  de  cet  article.  Le  rapport  des  noms  du  poète 
et  du  héros,  l'opinion  vulgairement  adoptée  qui  le  taisait 
inventeur  du  grand  vers,  dit  alexandrin,  tous  ces  motifs 
réunie)  ont  puissamment  concouru  à  le  faire  connaître,  et  à  le 
faire  regarder,  à  peu  de  chose  près  ,  comme  le  chef  de  la 
nombreuse  école  des  poètes  de  son  temps. 

Alçxandre  naquit  à  Bernay,en  Normandie,  au  diocèse  de 

Lisieux,  et  fut  depuis  surnommé  de  Paris,  par  le  long  séjour 

qu'il  fit  dans  cette  ville.  Il  se  fit  d'abord  connaître  par  le 

•Roquefort ,  roman  d'Athis  et  de  Prophilia^  ,  dont  nous  donnerons  un 

Sn"'rom    t^  extrait,  et  paf -celui  d'Hélène,  mère  de  St.  Martin,  fait  à  la 

II,  p.  76S.  '      requête  de  hiadame  Loyse  ,  dame  de  Crequi-Canaples  ,  ou- 

Roque€. Biog.  vrag^quc,  malgré  tous  nos  soins,  nous  n'avons  pu  découvrir. 

53r  art  Àk-       ^vant  de  parler  du  roman  d'Alexandre,  nous  allons  rap- 

xanclre  de  Ber-  porter  les  noms  des  écrivains  et  les  titres  des  ouvrages  qui  ont 

naj.  fait  mention  de  ce  fameux  poëmeet  de  ses  auteurs;  car  il  pa- 

La  Rayai-  rajt  qu'il  fut  commencé  par  Lambert  Li-Cors^  c'est-à-dire 

i65*'  ^     '  ^    ^^  Court,  né  à  Chastcaudun.  Divers*bibliographes  ont  dit, 

Fauciiet,p.  d'après  Fauchet,  que  ce  dernier   était  prêtre  ou  écolier, 

,  SSSjv".  —  Ro-  parce  qu'il  prenait  le  , titre  de  clerc;  mais,  à  cette  époque, 

de* la'' Langue  ^^  ™^''  "^  signifiait  pas  toujours  un  ecclésiastique:  il  indi- 

rom. ,  t.  II ,  p.  quait  aussi   un  homme  lettré ,  instruit. 

765.  Voici  le  passage  d'après  lequel  on  se  fonde  ; 

p.  567.  —  Dom  La  vérité  de  l'istoire  si  com  li  roys  la  fist, 

Liron    Bibliot.  Un  clerc  de  Chasdiaudun ,  Lambert  li  cors  l'escrit 

chartraine  ,  p.  /-,    •    1     1     ■  • 

(;5. Supplém.  Qui  "U  latin  la  trest  et  en  roniant  la  niist.... 

auDict. deMo-  Alixandre  nous  dit  que  de  Bernay  fu  nez 

A^'fî  V  I  '  ^*  *'^  Paris  refu  ses  sournoms  appeliez, 

.  t.  II,  p.  6G7.  Qui  ot  les  siens  vers  o  les  Lambert  mêliez.  , 

p.  21/,.  '       L'opinion  qui  faisait  d'Alexandre  de  Paris,  l'inventeur  du 

y  vers  alexandrni  était  générale  parmi  les  littérateurs  des  trois 

derniers  siècles.  Elle  a  été  partagée  par  Bernier,  par  Pasquier, 


ALEXANDRE,  POÈTE  FRANÇAIS.  i6i 

par  Ménage,  par  Goujet  (i),  par  les  auteurs  du  dictionnaire 


de  Trévoux,  par  la  Monnoye,  par  Massieu,  etc.  Recherch.des 

JLa  Ravalliere  est  je  crois  le  premier  qui  ait  donne  une  "'^^-  '  '•  ^  '  P" 
notice  sur  notre  poète,  dans  laquelle  ces  erreurs  ne  sont  origine  delà 
point  propagées.  Il  a  également  donné  une  notice  très-abré-  langue  franc. , 
gée  du  roman,  et  c'est  d'après  elle  qu'on  a  corrigé  les  divers  ^^^l^^^Trey., 
articles  Alexandre  qu'on  trouve  dans  plusieurs  ouvrages  au  mot  Aie- 
faits  après  le  sien.  Enfin  Legrand  d'Aussi  a  donné  une  notice  sandre. 
détaillée  du  roman  d'Alexandre  dont  notre  extrait  fera  voir  ^^^^l^l^\\\ 
l'infidélité  et  le  peu  de  soin  avec  lequel  cet  auteur  a  souvent  p.  286.  ' 
travaillé.  ^  H'sr.  de  la 

Parce  que  Fauchet  s'est  trompé ,  en  avançant  que  le  P°^*'^  '^^""^  ^' 
roman  d'Alexandre  avait  «été  composé  vers  ii4o,  on  ne  Poésie»  du 
doit  pas>en  conclure,  comme  le  fiiit  Legrand  d'Aussi,  qu'il  roi  de  Navarre, 
ne  fut  publié  qu'au  XIII*  siècle.  Notre  critique  se  fonde  sur  '■^^^■„;„. 'L  ' 

1  1  •  C  ..    •       ..-^      '  1  •       r  Ooujet,Mip- 

ce  que  les  douze  pairs  ne  turent  mstitues  que  depuis  lan  piém.  au  Mo- 
1204  environ,  jusqu'à  l'an  12 12.  «  J'oserai  même  avancer  que  réri  le  1749. 
«  ce  roman,  qu'on  prétend  le  plus  ancien  de  tous,  continue      loi-^s'i    ' 
«  Legrand,  est  postérieur  à  la  bataille  de  Bouvines  (année       Fauchet,  p. 

«   I2l4  )•  »  ^9*  ""f  5^9»  ^° 

Pour  prouver  la  fausseté  de  cette  assertion ,  nous  sommes  cirn 'loV  ^^ 
obligés  de  rappeler,  1°  que  Philippe- Auguste,  né  en  ii64, 

monta  sur  le  trône  en  1 180,  et  mourut  le  i4  juillet  i223,)âgé  , 
de  cinquante- neuf  ans  -et  après  quarante  -  trois  de  règne; 

3°  que  le  président  Hénault  fixe  1  érection  des  pairies  ecclé-  fier  Ls  datls."' 

siastiques  à  l'an  962,  et  la  séance  des  pairs  au  sacre  en  l'an  Abr.  ciiron. 

1179.  Jean  Sans-Terre  fut  cité  à  la  cour  des  pairs  en  1200*  "Oupiutôten 

et  en  1216.  Les  membres  de  cette  cour  étaient  indifférem-  ,V°^'„""X""' 

...  ,  ,  ,  ,  ,     .  .         Uu  lillet,  Rec. 

ment  appelés  pairs  ou  barons,  et  leur  nombre  n était  point  des  Traités,  p. 
fixé.  1 57.  ■ 

L'auteur  des  lettres  historiques  sur  les  fonctions  essen-  pranc*^  "t"  iir 
tielles  du  parlement  et  sur  le  droit  des  pairs ,  pose  en  fait  que  p.  lel  — Fau- 
la  pairie  et  les  jugemens  rendus  par  elle  ont  existé  en  France  ci'et,p.  49»,  a. 
depuis  le  commencement  de  la  monarchie.  Il  démontre  que  »  ^!''  '"*'<'5-' 

,     'j       ..    j  •    •       '      -^  1       1       •         •     I      \    -y  I  I       ^  ,      Amster.,  1753, 

ie  droit  de  pairie  était  le  droit  gênerai  de  tous  les  ordres  de  in- 12, 1. 1,  p. 
l'état.  Le  même  auteur  rapporte  qu'en  l'an  io25  le  roi  Robert  '*4  et  suiv. 
ayant  formé  des  plaintes  contre  Eudes ,  comte  de  Chartres,     ^'  "'  P'  '*^' 
fit  assembler  les   pairs.  Boulainvilliers   démontre  qu'il    est  Hist.  de  lapai- 
fait  mention  de  cette  dignité  au  titre  71  des  capitulaires  du '^'parlement 


(i)  Supplément  aa  Moréri,  1735  ;  dans  celui  de  1789,  l'article  a  été 
entièrement  refait  d'après  La  RavalUère. 

Tome  Xf^.  X 


de  Paris,  p.  21 
et  a5. 


i6a  iiLEXANDRE,  POÈTE  FRANÇAIS. 

'    de  Charlemagne;  que  Hugues  Capet  fut  nomme  par  les  pairs, 

/<•«/.!>.  44.     et  enfin  que  l'archevêque  Guillaume  fut  promu  au  rang  de 
pair  ecclésiastique  en  loj^i. 

Cependant  ces  ouvrages  qui  traitent  de  l'origine  et  de& 
accroissemens  de  la  pairie  n'indiquent  pas  l'époque  pre'cise 
où  nos  rois  choisirent  douze  jwirs.  C'est  dans  le  roman  du 
Brut,  composé  en  11 55  (i),  qu'il  est  pour  la  première  fois 
fait  mention  de  douze  pairs  qui,  tous  militaires,  possèdent 
des  fiefs,  et  sont  grands  vassaux;  il  en  est  de  même  dans  le 
roman  d'Alexandre ,  et  ee  passage  sert  à  apprécier  le  senti- 
ment de  M.  de  Boulainvilliers  sur  l'origine  de  la  pairie.  Alors 
il  est  impossible  que  ce  soit  Louis  VIÏ  et  Philippe-Auguste, 
Notices,  t.v,  comme  le  dit  Le  Grand  d'Aussi  ,'tiui  en  ait  fixé  le  nombre  à 

p.  lia.  douze,  en  se  flattamt  d'attacher  amsi  à  leur  personne  et  à 

celle   de   leurs    descendans    les  principaux  vassaux   de  la 
eouronne. 

Par  la  raison  que  le  même  Le  Grand  d'Aussy  s'est  trompé 
en  parlant  àe  l'érection  de  la  pairie  en  France ,  ne  pourait- 
il  pas  avoir  commis  une  autre  erreur  lorsqu'il  a  avancé  que 

Loc.  cit.p.  iï5.  le  personnage  d'Hélinant  cité  dans  le  roman  d'Alexandre 
n'était  pas  le  poète  de  ee  nom  qui  termina  ses  jours  au  mo- 
nastère deFroidmont?  Les  raisons  qu'il  apporte  pour  sou- 
tenir cette  assertion  ne  sont  pas  admissioles.  Deux  entre 
autres  sont  insoutenables ,  particulièrement  la  première  qu'il 
fonde  sur  les  variantes  orthographiques  du  nom  d'Hélinant 
qu'on  trouve  écrit  de  diverses  manières.  Comment  peut- il 
avoir  avancé  une  si  faible  preuve?  Ne  savait -il  pas  que  les 
écrivains  des  XII*  et  XIIF  siècles  copiant,  non-seulement 
dans  la  même  page ,  mais  dans  une  même  ligne  deux  mots 
semblables ,  les  écrivaient  avec  des  orthographes  différentes. 


Loc.  cit.  p.  116. 


(i)Pàr  Robert  Wace.Manusc.  deCangé,  n"  27,  olim  69,  et  ancien  fonds 
n"  ^535  — 5,  n°  ii5,  recto,  col.  a  et  3.  L'auteur  parlant  de  Gosier,  roi 
des  Poitevins ,  dit  : 

Li  rois  en  ot  dol  et  pesance , 
Por  querre  aïe  ala  en  France, 
As  Dote  Pers,  qui  là  estoient. 
Qui  la  terre  en  douse  partoient  ; 
Gascuns  des  douse  xxa  fié  tenoit. 
Et  roi  apeler  se  faisoit. 
Cil  douse  ont  à  Oôfar  pramis , 
A  Tengier  de  ses  anemis. 

Le  même  passage  extrait  d'un  aatre  manuscrit  a  été  cité  par  Léve.<que 
«le La  Ravallière,  t.  I,  p.  161,  dans  sa  petite  notice  du  roman  d'Alexandre. 


t.  I,p.  iSg. 


ALEXANDRE,  POETE  FEIANÇAIS.  i6J 

Quant  à  la  seconde  où  il  avance  que  cet  Héiinant  cité  par  le  '. 

poète  Alexandre,  n'est  qu'un  personnage  imaginaire ,  il  nous 
semble  qu'il  se  trompe.  Héiinant,  poète  du  XIP  siècle,  mort 
en  i2og,  paraît  avoir  long-temps  vécu  dans  le  monde,  et 
s'être  retiré  à  Froidmont  dans  un  âge  avancé.  Ainsi  il  est 
présumable  que  né  vers  i  i4o  ou  1 145  il  ait  commencé  à  se 
taire  distinguer  en  ii65,  et  que  vingt  ans  après  il  se  soit 
consacré  à  Dieu.  Il  ne  suivait  on»cela  que  la  "outume  très- 
ordinaire  de  son  temps ,  où  l'on  voulait  "mourir  soit  dans  un     „     „ 

,,,     i*-,    I'  •  Voy.lart.de 

couvent  ou  avec  1  habit  d  un  moine.  ce  pocte  dans  le 

Ainsi,  en   nous  résumant,  nous  disons   que  le  roman  Dict.univ.hist. 

d'Alexandre  est  un  cadre  ingénieux  dans  lequel  les  poètes  "°"^-  ^'^''-  *• 

*!•■**  ..»•     J        f    *  1    -T     '  •  VlII,etLa[Ra- 

ont  tait  entrer  une  partie  des  laits  relatits  a  ce  qui  se  passa  vairière,t.l,  p. 
à  la  fin  du  règne  de  Louis  VII  et  au  commencement  dé  i6a  et  i66. 
celui  de  Philipiîe- Auguste,  et  qu'il  fut  publié  peu  avant    La RavaiUere, 
1 184  La  Ravallière  a  prouvé  la  vérité  de  cet  argument  que 
Le  Grand  d'Aussy  a  passé  sous  silence  ou  a  feint  d'ignorer. 

Cet  ouvrage  eut  plusieurs  suites  qui  furent  ajoutées  par 
Simon  le  clerc,  Pierre  de  St.  Cloost,  Jehan  Li-Nivelois  ou 
le  Vénelois,  etc.  ;  nous  en  parlerons  à  leurs  articles. 

Le  poëme  d'Alexandre  a  été  traduit  de  rime  en  prose  par 
un  écrivain  nommé  Jehan  Fauquelin  qui  florissait  vers  le 
commencement  du  XV*  siècle.  Cette  version  a  été  imprimée 
sous  ce  titre  : 

Histoire  du  roi  Alixandre  le  gra^d  ,  jadis  roy  et  seigneur 
de  tout  le  monde,  et  des  grandes  prouesses  qu'il  afaictz  en 
son  temps.  Paris,  Jehan  Bonfons,  in-4'*,  Gotn.  s.  d. 

Nous  croyons  devoir  donner  ici  l'extrait  du  roman 
d'Alexandre,  qui,  s'il  n'est  pas  le  premier ,  est  le  plus  consi- 
dérable des  poèmes  d'Alexandre  oeBernay :  nous  donnerons 
ensuite  l'extrait  du  roman  d'Athis  et  Profilias. 


ROMAN  D'ALEXANDRE. 

PAR    LAMBERT- LI-CORS   (lE    COURT  )    ET    ALEXANDRE    DE    PARI». 

^  j       •  1.  1  Manuse.  de 

Qni  vers  de  riche  estoire  veut  entendre  et  oir,  la  Bibl.  royale, 

Por  prendre  bon  example  et  proece  cueillir,  ""  TL»^?'  7'9o. 

De  conoistre  reson  d'amer  et  de  haïr,  *  *'  ^'  —  ■^-  ^* 

De  ses  amis  garder  et  cbiérement  tenir , 

Xa 


XII  SIECLE 


i64  ALEXANDRE,  POETE  FRANÇAIS. 

Des  anemis  grever,  c'on  nés  lest  enlargir*, 


'Qu'on  ne  les  Des  lédures  vengiers  et  des  bienfës  mérir. 


laisse  échapper. 


■  Ainsi  commence  l'auteur;  et  il  dit  ensuite  en  plusieurs 
vers  :  Oui ,  messieurs ,  vous  devez  m  écouter ,  car  je  vais  vous 
raconter  l'histoire  d'Alexandre,  le  plus  grand  roi  qui  a  existé. 

Qui  Est  à  son  cornant  tout  le  peuple  obéir, 
Et  tant  rois  orgueilleus  à  esperon  venir. 

Alexandre  ressentit  de  bonne  heure  les  effets  d'une  édu- 
cation mâle  et  dure;  à  peine  sorti  de  l'enfance,  il  est  fait 
chevalier,  et  associe  à  la  couronne  de  Macédoine  par  Phi- 
lippe son  père.  Bientôt  il  entreprend  une  guerre  contre  un 
roi  nommé  Nicolas.  Le  jeune  guerrier  avant  d'aller  l'atta- 
quer ,  convoque  ses  vassaux ,  et  obtient  de  son  père  la  confis- 
cation des  biens  des  usuriers,  pour  les  distribuer  à  ses  capi- 
taines. 

Avant  de  partir  Aristote  lui  dit  : 

Eslisez  doze  pers ,  qui  soient  compaignon , 
Si  raainront  vos  batailles  tozjors  par  devision. 

Les  pairs  que  se  donne  Alexandre  sont  pris  parmi  ses 
principaux  officiers.  Voici  leurs  noms  :  Perdicas,  Tholomée 
(Ptolemée) ,  Clicon,  Danclin,  ou  Dans-Clins,  ou  plutôt  Dans- 
Clius,  Eumenidus  (  Eumènes ) ,  Ariste  (Areté),  Antigonus, 
Floridas,  Lycanor  (Nicanor),  Antiochus,  Caulus  (Calas)  et 
Philotas. 

Ayant  fait  ses  dispositions ,  il  marche  contre  le  roi  Nico- 
las ,  ses  pairs  font  des  prodiges  de  valeur. 

La  bataille  est  vaincue ,  cil  ont  tourné  les  dos 
Vers  Cesaire  s'entornent  les  confenons  destors. 
Les  Grieu  les  enchaînent  qui  partot  ont  le  los, 
.  Les  eschines  lor  tranchent  la  boucle  et  les  os. 

Les  ennemis  sont  poursuivis  jusqu'aux  murs  de  Césarée; 
on  délibère  pour  en  faire  le  siège.  Sur  ces  entrefaites  arrive 
un  messager  de  Nicolas,  qui,  de  la  part  de  son  maître,  vient 
demander  le  combat  corps-à-corps  avec  le  jeune  conquérant. 
Le  combat  est  accepté,  et  a  lieu  en  présence  des  deux  ar- 
mées. Nicolas  après  avoir  donné  des  preuves  de  valeur , 
N'avait  mie  de  l'hyaume  ançois  l'avait  perdu, 
Sa  ventalle  ert  cheoite  s'avoit  le  cliief  tôt  nu 
Lors  le  fiert  Alixandre  com  hom  de  grant  vertu 


ALEXANDRE,  POÈTE  FRANÇAIS.  i65 

Qui  la  teste  li  tranche  rés  à  rés  sor  le  bu,  XII  SIECLE. 

D'autre  part  est  volée  enmi  le  pré  herbu. 

Alexandre  s'empare  du  trône  et  des  états  de  Nicolas,  puis 
va  assiéger  Athènes  qui  alors  était  une  ville  très -forte. 
Aristote  y  avait  établi  sa  résidence;  les  Athéniens  le  mettent 
à  la  tête  de  la  députation  qu'ils  envoient  à  Alexandre. 

Alixandre  se  jut  sor  un  paile  fresé 

Joste  lui  Aristote  son  niestre  et  son  privé. 

Ils  causaient  tranquillement  lorsqu'un  messager  apporte 
des  nouvelles  ;  à  cette  occasion  Aristote  dévoile  à  son  élève 
le  mystère  de  sa  naissance ,  et  lui  apprend  qu'il  est  fils  d'un 
sénéchal  de  Grèce. 

Quant  Alixandre  ot  son  hontage  noncier, 
Do  mautalent  comence  sa  color  à  changier. 

Dans  sa  colère ,  il  s'informe  de  celui  qui  avait  procuré  un 
amant  à  sa  mère;  l'ayant  découvert,  il  le  tua,  A  la  nouvelle 
de  ce  meurtre,  Philippe  entre  en  fureur,  il  veut  tremper  ses 
mains  dans  le  sang  de  son  fils.  Instruit  du  sort  qui  le  me- 
naçait, le  conquérant  veut  rendre  la  couronne  à  son  père, 
mais  par  le  conseil  de  ses  pairs  il  marche  contre  Darius. 

De  Micholas  fu  Dayres  iriez  qui  fu  ocis 
Car  il  ert  ses  parenz,  ses  druz,  et  ses  amis. 

Il  voulait  se  venger , 

Et  mande  à  Alixandre  qu'il*  chadele  les  gris 
Qu'il  li  rende  le  règne  qu'à  Nicholas  a  pris, 
Et  li  viegne  droit  faire  de  qu'il  la  raespris. 

Il  en  fallait  moins  pour  engager  Alexandre  à  punir  cet 
orgueilleux , 

11  a  juré  ses  diex  Jupiter  et  Cahuz, 

aue  toutes  les  richesses  du  monde  ne  l'empêcheraient  pas 
e  punir  celui  qui  l'avait  oft'ensé. 

Alexandre  se  met  en  marche.  Le  poète  fait  une  description 
magnifique  des  armures  et  des  tentes  sur  lesquelles  on  avait 
représenté  les  travaux  d'Hercule  et  divers  sufets  des  aven- 
tures de  Paris  et  d'Hélène. 

Darius  instruit  des  préparatifs  qui  se  faisaient  contre  lui, 
corrbmpt  un  homme  qu  il  charge  d'assassiner  le  Macédo- 
nien; il  est  déçu  dans  ce  projet. 


Xn  SIECLE. 


186  ALEXANDRE,  POETE  FRANÇAIS. 

Une  maladie  d'Alexandre  l'empêche  <le  poursuivre  ses  des- 
seins. Sitôt  qu'il  est  re'tabli ,  il  va  mettre  le  siège  devant 
Carthage  et  s'en  empare.  Il  s'embarque  ensuite  pour  Tyr, 
&Oiq:>me  cette  ville,  la  prend  et  la  détruit.  Effrayes  des  pro- 
gfè*  et  de  la  rapidité  des  conquêtes  d'Alexandre,  plusieurs 
princes  se  liguent  pour  s'opposer  à  ses  armes  ;  ils  rassemblent 
a  cet  «iffet  une  armée  de  oy,7oo  hommes  qu'ils  embarquent 
pour  aller  occuper  des  défilés  que  les  troupes  grecques  et 
macédoniennes  doivent  traverser.  Euméniaas ,  les  autres 
pairs  et  leurs  divisions  s'y  engagent  et  se  trouvent  envelop- 
pés. Euménidas  ne  trouve  personne  qui  veuille  se  charger 
de  porter  cette  nouvelle  à  Alexandre,  l^e  combat  s'engage, 
les  pairs  font  des  prodiges  de  valeur  et  font  reculer  les  en- 
nemis. Ceux-ci  en  se  repliant  font  bonne  contenance ,  et 
font  marcher  l'arrière^ban.  Enfin  Alexandre  reçoit  la  nou- 
velle  de  la  situation  de  son  armée,  il  vole  à  son  secours.  Sa 
présence  ranime  le  courage  de  ses  soldats,  qui,  redoublant 
d'efforts,  mettent  en  fuite  les  ennemis.  Ceux-ci  en  abandon- 
nant le  champ  de  bataille  se  retranchent  sur  une  montagne 
d'où  ils  font  pleuvoir  une  grêle  de  flèches.  La  bataille  recom- 
mence; Gadifer,  général  des  ennemis,  veut  faire  sa  retraite 
sur  Gadies  ;  Alexandre  le  poursuit  et  le  veut  faire  prisonnier. 
Ses  pairs  vont  attaquer  Gadifer  qui  blesse  Euménidas ,  et  le 
contraint  à  vuider  les  étrier«. 

Il  fiert  Eumenidus  sor  la  large  floria 
Desouz  la  bode  U  a  fraite  et  pecoïe  i 
De  grant  vertu  l'empaint  et  de  grant  baronîe, 
Que  la  guige  eu  est  route  et  len^rme  faille  ; 
Enmi  le  pré  l'enporte  sor  l'erbe  verdie.... 
Et  assez  près  du  cuer  est  la  lance  guenchie 
Cil  cliiet  del  coup  mortel  s'a  la  selle  vuidie. 

Malgré  la  violence  du  coup,  malgré  sa  blessure,  on  re- 
monte Euménida#  sur  son  cheval.  Aussitôt  il  s'échappe,  se 
perd  dans  la  mêlée,  cherche  son  ennemi,  le  trouve,  court 
dessus ,  et  le  tue. 

Les  vaincus  vont  se  réfugier  à  Gadres  où  Alexandre  va 
les  assiéger.  Le  siège  traîne  en  longueur  par  des  incidents 
trop  longs  à  rapporter.  On  se  sert  du  feu  grégeois  pour  in- 
cendier le  port,  tandis  que  la  flotte  macédonienne  opérera 
un  débarquement;  cette  dernière  est  battue,  et,  dans  leur 
colère,  les  habitants  de  Gadres  massacrent  leurs  prisonniers. 


ALEXAJ^DRE,  POÈTE  FRANÇAIS.  167 

^  XII  ^lECLK. 

Voici  comment  s'exprime  le  poète  à  l'occasion  da  feu  gré-  .,,       

geois  : 

Une  galie  longue  ont  fait  aparillier  F"  3?  du  ms., 

Et  d'esche  et  d'estoupes  font  l'un  des  bois  chaïgier,  "*  '  ^°^'  ^' 

Et  de  chaume  et  d'espines  qui  ardent  de  legiei', 

Et  l'autre  bord  chargèrent  d'araine  et  de  gravier.  ^HITT  ^ 

Sot  les  estoupes  sistrent  cil  qui  durent  nagier  IriTTirr 

Por  le  fais  droit  tenir  et  garder  de  plungier 

Et  nagent  de  vertu  ne  laissent  por  lancier 

Tant  que  le  chief  devant  aheurtent  au  planchier 

Fea  grezois  en  fiolas  orent  1»  maronier , 

Es  estoupes  le  mistrent  sans  point  de  l'atargier 

Le  chief  qui  fu  devant  firent  à  mont  drecier 

La  gallie  se  joint  maintenant  au  planchier 

Tôt  esprent  maintenant  sans  atitre  recovrier 

De  feu  grezois  fu  ars  qui  ne  se  volt  naier. 

Les  ennemis  battent  la  flotte  d'Alexandre,  et  massacrent 
les  prisonniers.  Les  têtes  des  barons  sont  plantées  sur  les 
créneaux  de  la  ville.  Le  conquérant  voulait  châtier  ces  peu- 
ples et  les  punir  du  crime  qu'ils  avaient  commis;  mais, 
instruit  qu'une  sédition  à  Tyr  prenait  un  caractère  alarmant, 
il  se  hâte  d'aller  soumettre  les  rebelles,  les  disperse;  il  court 
risque  d'être  fait  prisonnier,  et  il  est  délivré  par  Aristes,  l'un 
de  ses  pai|^.  Cette  expédition  terminée,  il  retourne  sous  les 
murs  de  Gadres ,  où  toutes  les  troupes  se  rendent.  Le  duc 
Betis  qui  en  était  le  souverain  fait  proposer  au  Macédonien 
de  lui  donner  trente  mulets  chargés  d'or  et  d'argent ,  s'if 
Teut  quitter  ses  états.  Le  siège  se  poursuit;  les  ennemis  font 
une  sortie  ;  Alexandre  est  blessé  à  la  cuisse ,  le  duc  de  Betisi 
est  tué  ;  enfin  la  victoire  décide  du  sort  de  lîf  ville  qui  est 
prise. 

Le  repos  ne  pouvait  convenir  à  notre  héros;  sitôt  que 
son  armée  est  reposée ,  il  part  pour  de  nouvelles  conquêtes. 

Alexandre  trespasse  la  terre  de  Sulie 
Droit  vers  Jherusalem  a  sa  voie  acuellie 
Qu'il  vuet  la  cité  prendre  et  avoir  en  ballie^ 
•  Bientôt  l'eust  destruite  et  la  terre  açrastie. 
Mes  la  Macédoine  envers  lui  s'umilie 
Et  viennent  tuit  ensamble  à  une  compagnie 
Des  draps  teligeus  fu  tote  revestie, 
La  loi  li  aportèrent  del  tens  saint  Jberertiit? , 


XII  SIECLE. 


i68  ALEXANDRE,  POÈTE  FRANÇAIS. 

Oiex ,  li  sires  du  mont  le  dona  en  baliie 
Moïses  le  prophètes  el  mont  de  Synaie 
Et  volt  qu'ele  fust  à  son  oès  eslablie  : 
Âlixandre  la  ore  et  encline  et  suuplie. 

Enchante  de  ces  marques  de  soumission ,  le  vainqueur 
refuse  les  présens  qui  lui  étaient  offerts  ,  et  promet  au 
peuple  de  le  protéger  envers  et  centre  tous.  Il  continue  sa 
marche ,  va  dans  les  états  de  Darius.  Celui-ci  informé  de 
l'arrivée  d'Alexandre,  croit  pouvoir  intimider  le  conquérant 
et  retarder  sa  marche  en  lui  envoyant  une  charge  de  grams 
de  millet;  c'était  un  emblème  du  nombre  de  soldats  que  ses 
états  pouvaient  lui  fournir.  Ayant  mangé  une  de  ces  graines, 

Il  la  trouva  moût  douce  et  bone  pour  maschier. 

C'est  sans  doute,  dit-il  au  messager,  l'image  du  caractère 
de  Darius  et  de  ses  chevaliers. 

Se  nos  avons  poi  d'ornes  ,  il  sont  tuit  costumier 
D'autre  gent  desconfire  et  destruire  et  cliacier.... 
Li.rois  fait  aprester  tôt  plain  son  gant  de  poivre 
Dez ,  fait-il  au  mes  ,  que  vos  vuel  amentoivre 

Que  la  force  de  ce  poivre  est  l'image  de  la  force  et  du  cou- 
rage de  mes  soldats. 

Vous  conquerrom  en  champ  et  votre  gent  ençoivre 
Quant  partirez  de  nos  tuit  serez  dès  chief  soivre  (s^arés). 

Cette  réponse  est  rapportée  à  Darius  qui  fait  ses  prépa- 
ratifs. Cependant,  avant  de  commencer  les  hostilités,  il  en- 
voie proposer  à  Alexandre  de  lui  donner  sa  fdle  en  ma- 
riage avec  la  moitié  de  ses  états.  Ses  oflres  ayant  été  reietées, 
il  se  prépare  a  combattre.  De  son  côté ,  Alexandre  se  déguise , 
passe  dans  le  camp  ennemi ,  y  observe  tout  et  revient  vers 
ses  soldats,  leur  donne  des  conseils  pour  se  garantir  des 
éléphants^  et  des  chars.  La  bataille  a  lieu,  Darius  est  vaincu, 
il  fuit  laissant  sa  famille  à  la  disposition  du  vainqueur  qui  a 
pour  elle  les  plus  grands  égaras.  La  femihe  de  Darius  ne 
pouvant  survivre  à  la  perte  du  royaume  de  son  époux, 
meurt  de  chagrin.  Alexandre  la  fait  ensevelir  avec  les  hon- 
neurs dus  à  son  rang.  Darius  se  désespère  et  admire  la 
grandeur  d'ame  de  son  vainqueur. 

Alixandre  ,  fait-il ,  moût  en  aura  grant  pris  , 
Moût  es  humbles  guerriers,  fel  à  tes  anemis , 


ALEXANDRE,  POÈTE  ERANÇAIS.  169 

De  l'anor  que  as  faite  m'en  as  si  bien  conquis , 

Se  pès  voloies  faire  par  foi  le  te  plevis, 

Car  mes  cuers  t'aime  plus  que  home  qui  soit  vis. 

Alexandre  s'empare  d'une  ville  appelée  Fis ,  il  la  rend  aux 
prières  de  la  mère  de  Darius,  et  aonne  la  liberté  à  cette 
dame.  Il  s'enquiert  des  chevaliers  pauvres ,  et  leur  fait  des 
présens  ;  il  en  fait  également  à  leurs  femmes. 

Aristote  que  nous  avions  laissé  à  Athènes  se  retrouve  ici , 
donnant  des  conseils  à  son  élève,  et  l'invitant  à  quitter 
les  états  de  Darius,  qui  répandait  le  bruit  que  le  roi  Phi- 
lippe était  son  serf.  Alexandre  irrité  fait  marcher  son  armée 
et  envoie  proposer  à  Darius  de  combattre  corps-à -corps. 
Darius  fait  une  nouvelle  levée ,  marche  contre  Alexandre. 
A  peine  l'affaire  est-elle  engagée  que  ses  troupes  lâchent  pied 
et  fuient,  leurs  chefs  en  font  autant.  Dans  cette  extrémité, 
Darius,  quoique  grièvement  blessé  par  les  siens  qu'il  voulait 
retenir,  se  rend  vers  le  conquérant,  lui  propose  de  nouveau 
sa  fille  et  tous  ses  états.  Epuisé  par  le  sang  qu'il  avait  perdu , 
il  meurt  dans  la  nuit.  Alexandre  fait  pendre  les  barons  qui 
avaient  si  lâchement  trahi  leur  prince  ;  puis  après  avoir 
traversé  un  désert,  il  arrive  au  liord  de  la  mer,  et  veut 
en  connaître  le  fond.  Il  fait  construire  un  grand  tonneau  en 
verre,  qui  est  éclairé  par  des  lampes.  Il  s'y  enferme  avec 
deux  de  ses  officiers , 

Alixandres  H  rois  o  les  deus  chevaliers 
Ert  parfont  en  la  mer  où  veoit  le  gravier. 

Et  plongeant  ainsi  au  fond  des  eaux,  il  y  voit  les  jeux, 
les  combats,  les  accouplements  des  poissons  et  des  monstres 
marins. 

Alixandre  esgarde  les  granz  et  les  pleniers. 
Qui  les  petiz  englotent ,  car  tex  est  li  métiers , 
Ensement  com  au  siècle  est  chascuns  homs  maniers; 
Autresi  vit-il  là  les  prévos ,  les  voiers  ; 
Sor  les  petiz  tornoit  toz-dis  li  destorbiers. 

Il  fait  encore  plusieurs  remarques  sur  le  même  sujet  ;  et  donne 
ensuite  l'ordre  de  le  remonter.  Sitôt  qu'il  est  rendu  à  sa  tente, 
il  fait  rassembler  ses  barons  et  leur  fait  part  de  ce  qu'il  a 
observé.  Les  barons  font  des  remontrances  à  leur  souverain 
sur  le  danger  auquel  il  venait  de  s'exposer  volontairement, 
et  lui  apprennent  que  Porus  s'avance  à  la  tête  de  100,000 
Tome  Xk".  Y 


XII  SIECLE. 


XII  SIECLE. 


17D  ALEXANDRE,  POETE  FRANÇAIJS. 

chevaliers,  qu'il  serait  déjà  arrivé  s'il  n'avait  été  retardé  par 
le  mariage  de  sa  fille  qui  avait  épousé  le  fils  de  la  reine 
Caiidace.  Alexandre  fait  lever  le  camp ,  se  met  en  marche , 
rencontre  son  ennemi,  le  force  à  prendre  la  fuite,  s'empare 
de  la  ville  de  Ségure ,  et  distribue  à  ses  troupes  les  richesses 
du  palais  de  Porus.  Ayant  un  grand  désert  à  traverser ,  il 
prend  des  guides  qui  le  trahissent  en  le  menant  dans  un 
pays  où  il  n'y  a  pomt  d'eau.  L'armée  est  prête  à  mourir  de 
soif 

Angoisseuse  fust  l'ost  confondue  et  matée 
Mainte  bêle  jovente  i  ot  le  jor  pasmée, 
Avant  que  la  chalor  eussen  trespassée 
En  ot  bien  en  l'ost  mort  plus  d'une  charretée. 

Les  soldats  découvrent  un  peu  d'eau  dans  le  creux  d'un 
rocher,  ils  se  hâtent  de  la  recueillir  et  de  la  présenter  au  roi. 

Alixandre  vit  levé,  moult  l'avoit  golosée, 
Porpense  s'il  la  boit  sa  gent  sera  dervée. 
Car  se  chascuns  n'en  a ,  lor  soif  ert  avivée. 

Il  remercie  les  soldats,  jette  le  vase  et  ce  qu'il  contient.  Le 
lendemain  ils  arrivent  au  bord  d'une  rivière  dont  l'eau  était 
si  amère  qu'il  fut  impossible  d'en  boire,  en  remontant  vers 
la  source  de  cette  rivière ,  Alexandre  s'empare  d'une  ville  dont 
les  habitans  sont  à  demi -nus.  L'armée  n'y  trouve  que  de 
l'eau  saumàtre.  Enfin  il  rencontre  deux  Indiens  qui  lui  iur 
diquent  une  source,  il  veut  les  récompenser; 

Cil  li  ont  respondu  nos  n'avons  d'avoir  cure , 
Car  marchié  ne  feson  de  nule  créature. 
Ensement  comme  bestos  ont  commune  pasture 
Prent  li  uns  l'avoir  l'autre  sanz  coupe  et  sanz  mesure 
Mes  portant  que  fait  estes  en  la  vostre  figure 
Et  veons  que  de  soif  avez  tel  soffroiture 
"Vous  enseignerons  éve  à  ombre  et- à- froidure.- 

L'armée  campe  pendant  plusieurs  jours  pour  se  remettre- 
de  ses  fatigues.  Elle  reprend  sa  marche  ;  les  guides  la  con- 
duisent dans  un  lieu  rempli  de  bêtes  féroces.  L'armée  en  est 
tellement  incommodée  qu'on  est  obHgé  d'en  faire  la  chasse. 
Une  partie  est  détruite,  et  l'autre,  effrayée  par  le  bruit  des 
cors  et  des  tambours,  s'enfuit  et  se  cache.  Les  chevaux,  à  leur 
tour ,  sont  assaillis  par  des  animaux  qui  en  dévorent  queK 
qucs-uns.  L'armée  attaquée  par  un  peuple  sauvage  qui  est' 


ALEXANDRE,  POETE  FRANÇAIS.      171 

vaincu,  est  encore  obligée  de  se  défendre  contre  des  chats- 
huants  et  autres  oiseaux  de  proie.  Pour  se  préserver  de  leurs 
attaques,  on  incendie  la  forêt  qui  leur  servait  de  repaire. 
Pendant  la  nuit  de  grands  feux  sont  allumés ,  mais  d'autres 
animaux  viennent  se  placer  au  milieu  des  feux  sans  en  être 
incommodés.  Enfin  on  quitte  la  forêt,  et  l'armée  s'avance  dans 
les  terres. 

Alexandre  apprenant  qu'il  est  près  du  camp  de  Porus,  se 
déguise;  on  l'introduit  cians  la  tente  de  ce  dernier  qui  lui 
demande  des  nouvelles  du  conquérant  et  de  son  armée. 

Trop  a  perdu  de  sans  tant  a  esté  navrez 
II  ne  vivra  mes  gaires  tant  part  est  agrevez. 
De  ce  fu  moût  Porus  et  halegres  et  clers 
Que  Alixandre  est  vielz  et  il  est  bachelers  ; 
Il  fait  ses  lettres  en  langage  des  griex 
Moût  menace  et  maudit  et  laidenge  ses  diex. 

Alexandre  prend  les  lettres  qui  lui  sont  adressées,  retourne 
à  son  armée ,  la  harangue ,  la  mène  au  combat ,  défait  celle 
de  Porus  qui  est  lui-même  fait  prisonnier. 

Porus  vit  Alixandre  armé  sor  son  destrier 

Envers  lui  s'umélie ,  si  li  prist  à  prier 

Que  il  nel  face  ocire  ne  son  corps  ledengier 

Car,  seul,  de  bêle  charge  en  puet  avoir  d'ormier 

Plus  que  n'en  porteraient  quatre  mille  somiers 

Prist  le  (  Alexandre)  parmi  l'estrier  le  pié  li  volt  besier. 

Pitié  et  Alixandre  si  le  fist  redrecier 

Rent  li  tote  la  terre , 

Et  les  prisonniers  qui  avaient  été  faits. 

Le  repos  n'est  pas  la  vertu  des  conquérants,  Alexandre 
en  est  une  preuve , 

Car  véoir  vuet  les  bones  (colonnes)  se  il  n'a  en  combrier 
Que  Artus  avolt  fêtes  en  Oriant  drécier. 

Porus  lui  offre  ses  trésors  ;  Alexandre  les  refuse  et  accepte 
des  vivres  pour  aller  dans  l'Inde.  Le  conquérant  voit  les  co- 
lonnes à!y4rtus^  que  Porus  l'invite  à  ne  pas  outre-passer.  Il 
ne  tient  compte  de  cet  avis,  se  met  en  marche,  rencontre 
des  éléphans  sauvages  en  quantité.  On  vient  à  bout  de  les 
chasser  en  faisant  grand  bruit.  L'armée  campe  vers  un  ma- 
rais, les  bêtes  sauvages  qui  viennent  s'y  désaltérer,  dévorent 
plusieurs  soldats.  On  lève  le  camp ,  et  après  avoir  marché 

Ya 


XII  SIECLE. 


XII  SIECLE. 


17a  ALEXANDRE,  POETE  FRANÇAIS. 

toute  la  journée,  on  se  retrouve  au  point  du  départ.  Alexandre 
découvre  une  inscription  antique  : 

Où  il  avoit  escrit  :  Grant  doel  et  grant  estor  ; 
Jà  ne  verra  ci  hom  qui  n'ait  de  mort  paor.   . 

,  Alexandre  se  repent  de  n'avoir  pas  suivi  le  conseil  de  Porus.^ 
et  craint  de  ne  pouvoir  soitir  du  lieu  où  il  est.  L'armée  est 
accueillie  d'un  orage  furieux.  La  terre  paraît  être  en  feu.  Des 
dragons  et  des  serpents,  jetant  des  flammes  par  les  naseaux, 
ajoutent  encore  à  la  terreur  des  soldats.  Alexandre  sort  pour 
combattre  les  monstres  ;  ses  pairs  veulent  en  vain  le  retenir  ; 
leurs  efforts  sont  superflus.  Il  part,  poursuit  les  monstres 
et  s'égare.  Son  armée  ne  le  voyant  point  revenir,  le  croit 
perdu.  Chacun  est  dans  l'affliction.  On  lève  le  camp  pour  le 
porter  au  bord  de  la  mer.  Après  avoir  long-temps  cheminé, 
Alexandre  trouve  une  citerne  ;  il  y  descend.  Une  voix  qui 
sort  du  fond ,  lui  indique  les  moyens  de  quitter  cette  vallée 
et  de  rejoindre  les  siens.  Il  part,  arrive,  fait  lever  le  camp  et 
remonte  le  long  de  la  mer.  Des  sirènes  veulent  le  charmer 
ainsi  que  ses  barons.  Ces  soldats  euX-mêmes.sont  séduits  par 
leurs  attraits. 
Folio  69  du  Et  cil  les  convoitoient  qu'à  peines  s'en  partoient 

ms. ,  col.  a.  Et  qui  erent  si  las  que  plus  faire  ne  poient 

Volantiers  les  tornassent,  mais  celés  les  tenoient 

Moût  tost  levoient  sus ,  en  leu  les  traoient 

Tant  les  tienent  sorz  eles  queles  les  estagnoient  :      ' 

Quatre  s'en  eschaperent  qui  au  roi  sont  venu 

Le  covine  (la  conduite)  des  famés  content  qu'il  ont  véu 

Et  de  leur  compagnons  com  il  sont  retenu 

Ne  repaireront  mes,  noie  sont  et  perdu 

Por  la  biauté  des  famés  sont  einsi  déçu. 

Alexandre  presse  la  marche  de  son  armée  pour  échapper 
aux  dangereux  appas  de  ces  sirènes.  Chemin  faisant  il  ren- 
contre quatre  vieillards  dont  les  corps  étaient  couverts  de 
poils.  Le  roi  en  saisit  un ,  et  les  pairs  arrêtent  les  autres.  Le 
premier  lui  indique  trois  fontaines;  la  première  rajeunit;  la 
deuxième  rend  immortel,  et  la  troisième  fait,  après  le  cin- 
quième jour,  ressusciter  les  morts.  Le  roi  promet  beaucoup 
d'argent  aux  vieillards  s'ils  veulent  le  conduire ,  ils  y  con- 
sentent. 

Li  roi  et  tuit  li  autre  chevauchent  la  praele  (  prairie) 

Lez  li  vont  H  villart ,  doucement  les  apele  ; 


ALEXANDRE,  POÈTE  FRANÇAIS.  173 

La  nuit  sont  ostelé  lez  une  fontenele 

Dont  li  ruissaux  est  clers  et  blanche  la  gravelle , 

Là  descendit  li  rois  qui  tôt  le  mont  querele. 

Mais ,  après  avoir  essuyé  une  horrible  tempête ,  l'arme'e  est 
accueillie  d'une  tourmente  de  neige  qui  brillait  comme  des 
charbons  ardens ,  et  qui  fait  périr  un  grand  nombre  de  sol- 
dats. Alexandre  rencontre  deux  vieillards  qui  demandent  à 
lui  parler ,  et  lui  promettent  de  le  conduire  où  il  désirerait 
aller.  Ou  fait  halte  pour  le  dîner. 

A  pie  se  vont  desduire  qant  il  se  sont  disné , 
De  deseur  une  roche  trovent  un  leu  chevé 
Hercule  et  l'Ibis  i  orent  converse 
Et  orent  icel  leu  bënëi  et  sacré. 

Les  deux  vieillards  guident  l'armée  qui  s'est  remise  en 
marche. 

Donc  descendent  del  terre  et  sont  venu  el  val 
Meut  furent  travillié  li  home  et  li  cheval 
La  chaleur  del  soleil  lor  fist  le  jor  grant  mal 
Alixandre  les  guie  qui  sist  sor  Bucifal 
Et  en  l'arrière  garde  a  mis  son  senesch^ 
Li  villart  vont  avant  qui  guient  le  costal. 
Des  clos  de  la  montagne  sadlent  li  ocifal 
Moult  sont  grant  et  hydeus  ne  furent  hom  tal 
Plus  lor  luisent  li  oel  que  pierre  de  cristal. 

Les  soldats  les  assaillent  avec  des  pierres  et  des  flèches  ; 
ils  en  tuent  beaucoup.  On  traverse  une  forêt  remplie  d'arbres 
fruitiers  et  de  toutes  les  plantes  rares  et  salutaires ,  une 
d'elles 

A  la  flereur  des  herbes  et  de  la  savité 

Ne  n'a  soz  ciel  Donzele  tant  ait  ris  et  joé 

S'ele  avoit  son  gent  cors  son  ami  présenté 

Entre  ses  braz  tenu,  baisié  et  acolé 

Se  une  seule  nuit  i  avoit  sejorné 

Et  son  cors  trestot  mis  sur  les  herbes  posé 

Au  matin  ne  fu  pucele  et  s'eust  sa  chaasté. 

Sous  chacun  des  arbres  de  la  forêt  était  une  damoiselle, 
chaque  soldat  eut  la  sienne.  On  reste  pendant  cinq  jours  dans 
ce  lieu  de  délices.  La  reine  des  damoiselles  est  conduite  vers 
Alexandre,  qui,  épris  de  ses  charmes,  veut  l'emmener  avec 
lui  ;  la  reine  se  jette  à  ses  pieds  'en  le  priant  de  n'en  rien» 


XII  SIECLE. 


XII  SIECLE. 


174  ALEXANDRE,  POÈTE  FRANÇAIS. 

faire ,  et  en  lui  faisant  observer  qu'elle  périrait  sitôt  qu'elle 
aurait  quitté  la  forêt.  Les  soldats  enchantés  des  beaux  lieux 
où  ils  viennent  de  séjourner, ne  ve;ulent  plus  les  abandonner. 
On  est  obligé  d'employer  la  violence  pour  les  leur  faire 
quitter.  Enfin  par  la  sagesse  de  ses  mesures,  Alexandre  fait 
rentrer  les  rebelles  dans  le  devoir.  Les  vieillards  lui  donnent 
des  renseignemens  très  -  détaillés  sur  les  damoiselles  de 
la  forêt.  On  descend  dans  une  vallée  où  cinq  énormes 
serpens  jettent  feu  et  flamme  par  les  narines;  les  vents  y 
soufflaient  avec  une  telle  violence ,  que  l'air  était  de- 
venu glacial,  et  le  froid  était  d'autant  \nus  insupportable, 
que  le  soleil  ne  répandait  jamais  sa  chaleur  bienfaisante 
dans  ces  lieux.  Les  vieillards  conduisent  Alexandre  vers  la 
fontaine  qui  fait  revenir  à  l'âge  de  trente  ans  ;  ils  en  racon- 
tent une  histoire  fabuleuse,  s'y  baignent  et  redeviennent 
jeunes.  Deux  paysans  indiquent  à  leur  tour  deux  arbres  qui 
répondaient  à  toutes  les  questions  qui  pouvaient  leur  être 
faites,  et  ce,  en  toutes  les  langues.  Curieux  d'observer  ce 
phénomène ,  Alexandre  consulte  ses  vieillards.  Ceux-ci  l'en- 
gagent à  ne  partir  qu'escorté  de  cent  chevaliers.  Craignant 
quelque  surprise,  le  conquérant  s'emporte  et  veut  faire  tuer 
les  deux  paysans  ,  cependant  après  les  avoir  interrogés  de 
nouveau,  il  trouve  tant  de  bonne  foi  et  de  candeur  dans 
leurs  réponses  qu'il  les  remet  en  liberté. 

Après  avoir  laissé  le  commandement  de  l'armée  à  Porus  et 
lui  avoir  donné  des  instructions  sur  les  lieux  qu'il  doit  par- 
courir, Alexandre  se  met  en  devoir  d'aller  vérifier  l'aventure 
des  arbres  parlans.  Un  prêtre  qu'il  rencontre  lui  fournit  de 
nouveaux  renseignemens.  Enfin  il  arrive,  adresse  la  parole 
à  ces  arbres.  Une  voix  qui  en  sort  lui  prédit  qu'après  s'être 
emparé  de  Babylone,  il  deviendra  roi  du  monde  et  mourra 
empoisonné.  Alexandre  fort  affligé  de  cette  prédiction  allait 
répondre  lorsque  la  voix  poursuivant  son  récit  lui  dit  que 
sa  mère  avait  fait  honte  à  son  père,  et  qu'en  punition,  après 
sa  mort,  son  corps  deviendrait  la  nourriture  des  oiseaux  de 
proie  et  des  animaux  féroces. 

Arislotes  tes  mestres  qui  des  mestres  est  flors, 

jouira  de  la  plus  grande  réputation,  et  toi,  tu  ne  reverras 
jamais  la  Grèce. 

Alexandre  demande  des  explications  au  sujet  de  son  em- 
poisonnement, elles  lui  sont  refusées.  Après  avoir  quitté  ces 


XII  SIECLE. 


ALEXANDRE,  POÈTE  FRANÇAIS.  lyS 

lieux ,  il  se  rend  à  l'endroit  qu'il  avait  indique  à  Porus ,  lui 
raconte  ce  qu'il  avait  entendu.  Porus  s'en  réjouit  intérieu- 
rement, la  honte  de  ses  défaites  lui  revient  sans  cesse  à 
l'esprit ,  il  cherche  à  s'en  venger  par  tous  les  moyens  pos- 
sibles ,  et  particulièrement  en  maltraitant  les  soldats  macé- 
doniens. Alexandre  instruit  de  la  conduite  de  Porus  s'emporte, 
le  menace ,  et  le  renvoie  chez  lui.  Celui-ci  propose  le  combat 
au  conquérant;  ils  montent  à  cheval;  à  la  seconde  course 
Porus  est  démonté,  et  pour  se  venger  il  coupe  les  jarrets  à 
Bucéphale.  Irrité  de  cette  barbarie,  Alexandre  tire  son  épée 
et  tue  Porus.  L'armée  poursuit  sa  marche,  arrive  à  Babylone. 
Aussitôt  que  le  conquérant  est  arrivé,  il  est  reçu  par  la  reine , 
qui  .mande  Apelles  pour  faire  le  portrait  du  erand  homme. 
Antigonus,  un  des  fils  de  la  reine,  forme  le  dessein  d'assas- 
siner Alexandre  ;  il  en  fait  part  à  sa  mère ,  qui ,  bien  loin 
d'approuver  ce  projet,  en  informe  Alexandre.  Celui-ci, 
loin  de  punir  Antigonus  d'avoir  voulu  attenter  à  ses  jours, 
lui  donne  un  royaume  bien  plus  considérable  que  celui  qu'il 
devait  occuper. 

Au  matin  parsoit  l'aube  quant  l'aloete  crié  Folio  84  dùi 

Est  tote  l'ost  montée  des  cors  fu  gran  bruie.  ms. ,  col.  i.. 

Cil  olifant  (éléphants)  i  sont  qui  font  grant  estormie 

De  sept  lieus  au  plus  oist  l'en  l'estormie. 

Li  rois  se  mist  après  o  mult  grant  baronie,. 

La  gent  à  pié  s'en  est  tote  ensamble  sallie. 

Là  poist-on  veoir  tante  brogne  sesie, 

Maint  bon  espié  à  or,  maint  espée  forbie  ; 

Li  solaus  fiert  es  hyaumes  qui  tant  cler  reflabie.      < 

Qant  li  rois  les  esganle  devant  soi  une  luie 

Biax  sire  Diex,  fait-il,  que  tote  gent  déprie-, 

Protège  une  si  belle  et  si  brave  armée,  et  fais  qu'elle  marche 
toujours  à  la  victoire. 

Alexandre ,  après  avoir  visité  le  fond  de  la  mer ,  veut  aussi^ 
connaître  le  firmament  et  ce  qu'il  contient.  En  conséquence,, 
il  prend  des  griffons , 

Orrible  sont ,  forment  hydeuS  come  dragon 
Bien  raenjue  au  mengier  chascuns  d'eus  un  moton. 
U  les  attache  à  un  grand  panier  couvert  en  cuîr, 

Li  rois  l'a  fait  porter  loig  de  l'est  en  l'erbu 
Cordes  ont  fait  lacier  si  se  font  esméu; 
Si  home  et  si  baron  l'ont  el  champ  porséu 


l'jô  ALEXANDRE,  POÈTE  FRAN'^IAIS. 

XII  SIECLE.  j)g  moût  grant  legevesce  sont  par  cis  e  n.eu. 

Illueques  est  li  rois  dedenz  l'engig  entrez 
Une  l.ince  avec  lui  et  fresche  <'har  assez, 
Et  dit  à  ses  barons  ne  vous  desconfoitt'z 
Mes  que  me  lessiez  seul  et  de  loing  m'esgardez. 

Alexandre  s'élève  par  le  moyen  de  la  chair  fraîche  qu'il 
tenait  au  bout  de  sa  lance;  en  élevant  cette  lance,  les  grif- 
fons qui  veulent  se  repaître  de  la  viande,  le  font  toujours 
monter.  Lorsqu'il  a  fini  ses  observations  et  qu'il  veut  des- 
cendre, il  abaisse  sa  lance,  et  par  ce  moyen  force  les  griffons 
à  revenir  sur  terre. 

Le  roi  raconte  fort  longuement  ce  qu'il  a  vu  et  même  ce 
qu'il  n'a  pu  voir,  puis  ordonne  à  l'armée  de  reprendre  le 
cn^min  de  Babylone  dont  il  veut  faire  le  siège.  Cette  ville 
était  défendue  par  un  sénéchal  nommé  Nabuzardon  ou  Na- 
buxardan ,  ( car  on  trouve  ces  deux  noms)  qui ,  apprenant  les 
desseins  du  monarque  macédonien,  ne  néglige  aucune  me- 
sure pour  se  défendre.  Le  siège  commence.  Les  Babyloniens 
font  une  sortie  et  sont  battus,  ils  tentent  encare  une  seconde 
bataille  qui  ne  leur  est  pas  plus  favorable  que  la  première. 
Alexandre  tient  un  conseil  de  guerre  à  la  suite  duquel  il 
ordonne  à  ses  barons  de  &e  tenir  prêts  à  monter  à  cheval  dès 
l'aube  du  jour. 

Li  rois  vint  en  son  tref,  li  cierges  sont  ardant, 

11  a  demandé  l'éve,  l'an  li  porte  devant. 

Ses  manches  qant  il  levé  li  tienent  deus  enfant.  * 

Quant  li  rois  ot  mangié  s'apela  Hélinant 

Por  lui  esbanoier  comanda  que  il  chant  ; 

Cil  comance  à  noter  ansi  com  li  faiant 

Vorrent  monter  au  ciel  comme  gent  mescreant, 

Antre  les  deus  an  ot  une  bataille  grant 

Se  ne  fust  Jupiter  à  la  foudre  bruiant 

Qui  tous  les  déchaça  n'an  eussent  garant. 

Le  conquérant  poursuit  le  siège  de  Babylone.  L'amiral  ou 
commandant  des  troupes  ennemies  fait  un  sacrifice  et  con- 
sulte l'oracle  qui  lui  prédit  la  mort  d'Alexandre.  Enchanté 
de  cette  prédiction  il  offre  la  bataille,  est  vaincu  et  trouvé 
parmi  les  morts.  On  somme  la  ville ,  elle  se  rend ,  et  Alexandre 

Îr  entre.  Son  premier  soin  est  de  faire  embaumer  le  corps  de 
'amiral,  et  de  lui  faire  rendre  les  derniers  devoirs.  H  le  fait 
mettre  dans  un  cercueil  de  fer,  et  le  fait  retenir  aux  voûtes 


ALEXANDRE,  POÈTE  FRANÇAIS.  177 

du  temple  par   quatre   pierres  d'aimant.  Sur  le  tombeau  .' 

sont  placées  quatre  harpes  qui ,  à  la  moindre  commotion, 
re'sonnaient  et  rendaient  des  accords.  Le  vainqueur  comble 
de  bienfaits  les  habitans  de  Babylone  ;  il  se  croit  maître  de 
toute  la  terre  et  croit  n'avoir  rien  à  désirer.  Un  soldat  le 
détrompe  et  lui  indique  le  royaume  des  Amazones.  Alexandre 
voulant  joindre  ce  pays  à  ses  conquêtes ,  part  pour  cette  ex- 
pédition. La  reine  des  amazones  voit  en  songe  le  malheur 
dont  elle  est  menacée;  elle  en  fait  part  à  ses  pucelles  qui  le 
lui  expUquent  et  qui  l'engagent  à  s»  soumettre.  Elle  suit  leur 
consed,  envoie  à  Alexandre  linc  députation  charj^ée  de  lui 
offrir  ses  hommages  et  des  préseiifs.  Flore  la  plus  belle  comme 
la  plus  brave  des  amazones,  l'amie  et  le  conseil  de  la  reine, 
était  chargée  de  porter  la  parole.  La  députation  arrivée  est 
introduite  sur-le-champ. 

Alixandres  estoit  fors  de  sa  tante  îssuz 

Et  vist  les  deus  niesages  à  terre  descendu! 

Flores  parla  avant  qui  (sic)  li  randi  saluz. 

Sires  rois  Alixandres ,  por  vos  fait  Diex  vertuz 

Car  par  tôt  le  mont  estes  redoté  et  cremuz 

Del  règne  de  Mazoine  vos  vient  ci  li  tréuz 

La  Roine  vos  mande  que  vos  estes  ses  druz 

fie  veult  que  ses  roiaumesfoit  de  riens  confondu/. 

Chascun  an  vos  sera  autresi  granz  randuz. 

Li  présanz  fu  muult  biax  s'amprès  fu  recéyz       ^ 

Lors  parla  Alixandre  com  hom  aperceuz. 

Cist  roiaumes  estoit  à  mon  eus  toz  perduz 

Si  li  pais  veult  eslre  de  moie  part  tenuz 

Et  li  covanz  gardez  et  li  treuz  randuz 

Jà  n'an  iert  lance  fraite  ne  estroez  escuz 

Chevalier»  n'an  iert  morz ,  ne  de  sele  abatuz 

Ne  jamais  n'en  sera.cox  d'espée  feruz 

Cinz  iert  trestoz  li  règnes  à  grant  pais  maintenuz. 

Le  conquérant,  après  sa  harangue ,  témoigne  le  desir  de 
voir  la  reine  suivie  d'une  partie  de  ses  troupes.  Les  messa- 
gères repartent  sur-le-champ,  arrivent,  rendent  compte  de 
leur  mission,  font  part  du  désir.  d'Alexandre. 

Quant  la  Roine  l'oit  maintenant  se  conroie 
A  mille  de  ses  puceles  à  cui  li  sejors  anoie; 

elle  donne  l'ordre  du  départ.  Le  poète  en^e  dans  les  plus 
Tome  XF.  .  '  z 


XII  SIECLE. 


178  ALEXANDRE,  POÈTE  FRANÇAIS. 

grands  détails  sur  la  parure  des  amazones  et  sur  celle  de  leur 
reiue.  Celle-ci  est  présentée  au  conquérant; 

Por  faire  son  bornage  est  à  pié  descendue. 

après  la  conversation: 

Certes ,  dit  AlLxandres ,  premier  veil  esgarder 
Cornant  vos  damoiselles  sevent  armes  porter. 
La  Roine  respont  ne  fait  à  refuser, 
Isnelemant  comande  «on  cheval  amener 
Defïuble  le  mantel  por  son  gent  cors  monstrer 
Des  puceles  comande  d'une  part  aiorner 
Et  les  armes  à  prendre ,  et  es  chevax  monter 
Qui  veist  les  puceles  des  armes  adouber 
Et  poindre  les  cbevax  et  gan<Siir  et  torner 
Et  qant  l'une  voloit  les  autres  trespasser 
•  Et  vot  des  espérons  le  cheval  adeser 

Si  randonne  plus  tost  qu'oisiax  ne  puet  voler. 

la  reine  prend  congé  et  retourne  dans  ses  états.  Alexandre 
se  rend  a  Babylone,  où  il  reçoit  des  nouvelles  de  sa  mère 
Olympias  qui  lui  mande  qu'Antipater ,  roi  de  Sydoine,  et 
Diviims  Pater,  roi  de  Tyr,  voulaient  s'affranchir  de  ce  qu'ils 
devaient  à  leur  souverain.  Dans  sa  colère ,  Alexandre  mande 
les  coupables  pour  leur  faire  rçndre  compte  de  leur  conduite 
et  pour  les  punir.  Ils  se  rendent  aux  ordres  qu'ils  reçoivent, 
et  ne  se  revoient  que  pour  tramer  les  moyens  d'assassiner 
le  conquérant.  Après  avoir  mûrement  délibéré, ils  choisissent 
le  poison.  On  présente  au  roi  un  monstre  singulier. 

Desouz  est  chose  morte  desi  en  la  poitrine. 

Le  roi  veut  en  connaître  la  cause  ;  à  cet  effet  on  rassemble 
tous  les  savans  de  Babylone;  chacun  dit  son  mot,  mais  un 
vieillard  prend  la  parole  et  s'exprime  ainsi  : 

Roys,  ce  que  tu  demandes  et  vieilx  que  je  te  die 
Se  tu  t'en  courroiicoies ,  ce  seroit  grant  folie. 
Les  bestes  que  tu  voiz  qui  monstrent  félonie 
Et  que  l'une  vers  l'autre  monstre  si  grant  envie, 
Ce  sont  li  douze  per  qu'as  en  ta  oompaignif, 
Si  tost  com  seras  morz  et  ta  vie  fenie 
La  guerre  est  conimancié  et  la  terre  sésie 
Fé  le  mieulz  que  tu  puez,  niolt  est  cotte  ta  vie. 

Alexandre  est  saisi  de  douleur  en  apprenant  la  nouvelle 
de  sa  fin  prochaine  et  des  malheurs  qui  devaient  fondre  sur 


ALEXANDRE,  POÈTE  FRANÇAIS.  179 

-,              ,      ^         .                          •^          -1                  vi      ^            XII  SIECLE, 
ses  états.  Avant  de  terminer  sa  carrière,  11  rassemble  tous  ^ 

les  chevaliers,  tient  une  cour  plénière,  où  il  mange,  la  cou- 
ronne sur  la  tête.  Les  conjures  saisissent  cette  occasion  pour 
le  faire  empoisonner  par  deux  serfs  qu'ils  avaient  gagnes 
par  des  récompenses  et  des  promesses. 

Li  dui  serf  qui  sa  mort  li  orent  aportée  .         ^ 

Li  uns  sist  au  mengier  en  la  sale  pavée  recto,  col.  i  du 

Et  li  autres  servi  de  la  coupe  dorée  ms. 

Qui  crt  de  riches  pierres  garnie  et  aornée  : 

Moult  fu  la  traison  gentement  porparlée. 

Es  ongles  de  lor  dois  est  la  couche  boutée „ 

Por  ce  que  <le  lor  braz  ont  la  manche  coupée  : 

Qant  li  rois  vout  le  vin,  la  coupe  a  demandée 

Et  cil  Gert  enz  son  pouce ,  si  la  li  a  livrée. 

Si  tost  comme  a  bu  ,  si  li  art  la  corée,  • 

Li  cuers  li  vient  el  ventre,  s'a  la  color  muée. 

Aussitôt  Alexandre  demande  une  plume  poyjg  rendre  le 
venin  (^u'il  venait  de  prendre  ;  Antipater  lui  en  remet  une 

3ui  était  empoisonnée. •  Alexandre  tombe,  il  est  transporté 
ans  une  chambre  oii  il  demeure  long-temps  sans  mouve- 
ment. Ses  sujets  et  ses  officiers  sont  vivement  affectés  de 
l'état  du  héros  qui  les  conduisit  si  long-temps  à  la  victoire; 
ils  pleurent  sa  mort.  Après  un  long  évanouissement,  Alexan- 
dre revient  à  lui  et  emploie  les  momens  qui  lui  restent  à 
faire  ses  dernières  dispositions.  Il  lègue  à  chacun  de  ses 

F  airs  un  royaun^^,  ordonne  le  supplice  des  deux  serfs  qui 
ont  empoisonné,  puis  s'occupe  de  ses  funérailles.  Il  meurt 
entre  les  bras  de  ses  capitaines,  et  le  reste  du  roman  n'est 
consacré  qu'à  rappeler  les  regrets  que  cause  la  mort. 

Del  bon  roy  Alixandre  dont  terre  est  orfeline. 


•     ROMAN  D'ATHIS  ET  PROFILIAS. 

PAR  ALEXANDRE  DE  BERNAY,  SURNOMMÉ  DE  PARIS. 

Qui  saiges  est  de  sapience  jyj,   .  f^,,^,^ 

Bien  doit  espandre  se  science,  deCangû,n"73, 

Que  tex  la  puisse  recoillir  ^®''*'  **'^' 
'    D'on  boins  essanples  puisse  issir. 


i8o  ALEXANDRE,  POÈTE  FRANÇAIS. 

XII  SIECLE.  ^       ,  ,  ■     *,•        , 

-  Oez  del  savoir  Alixandre, 

'         Qui  por  ce  fist  ses  vers  espandre. 

Qant  il  sera  del  siègle  issuz 

Qu'as  autres  fust  amanteuz. 

Ne  fu  pas  saiges  de  clergie 

Mes  des  auctors  oï  la  vie, 

Molt  retint  bien  an  son  mémoire. 

Vous  saurez  donc  que  dans  l'antiquité  il  y  avait  deux  villes 
célèbres,  Rome  et  Athènes.  L'auteur  raconte  l'histoire  de  la 
fondation  de  la  première  de  ces  villes  où  les  jeunes  Athéniens 
venaient  s'instruire  dans  l'art  de  la  guerre.  D'un  autre  côté 
les  Romains  envoyaient  leurs  enfans  à  Athènes  pour  y  faire 
leurs  études. 

^  Or  vous  dirai  des  deus  citez 

Comant  li  pleiz  est  devisez. 
Athène  est  pleine  de  clergîe 
HEt  Rome  de  chevalerie. 

De  sorte  qu'on  ne  pouvait  avoir  une  bonne  éducation  si 
l'on  ne  faisait  pas  un  assez  long  séjour  dans  chacune  de  ces 
villes.  Evas,  homme  fort  riche  qui  demeurait  à  Rome,  avait 
fait  ses  études  à  Athènes,  chez  un  maître  nommé  Savis  qui 
était  devenu  son  ami.  Il  avait  un  fils  beau,  bien  fait  et  rempli 
de  dispositions  pour  les  lettres.  Le  destinant  à  devenir  che- 
valier ,  il  désire  que  Prophilias  ,  c'était  le  nom  du  jeune 
homme ,  soit  aussi  l'élève  du  sage  Savis.  A  cet  effet,  il  le  fait 
partir  pour  Athènes.  De  son  côté,  Savis  afait  un  fils  nommé 
Athis ,  qu'il  desirait  faire  passer  à  Rome  pour  y  apprendre 
le  métier  des  armes.  De  sorte  que  sans  s'être  consultés,  les 
deux  pères  firent  un  échange  de  lein"S  enfans.  Prophilias  ar- 
rive au  moment  où  Athis  allait  "s'embarquer.  Les  deux  jeunes 
gens  entrent  en  connaissance,  ils  vont  chez  Savis  qui  reçoit 
de  son  mieux  le  fils  de  son  ami  ;  Athis  ne  veut  point  quitter 
son  compagnon,  il  veut  attendre  la  fin  de  ses  études  pour 
l'accompagner  à  Rome.  Prophilias  fait  de  si  grands  prog^s 
qu'il  devient  l'un  des  plus  instruits  d'Athènes.  Les  deux 
jeunes  gens  remportent,  les  prix  aux  jeux  publics.  Se  pro- 
menant un  jour-sur  le  bord  de  la  mer,  Athis  fait  confidence 
à  son  ami  que  son  père  veut  le  marier,  et  que  le  jour  de 
ses  fiançailles  est  fixé.  Quelques  jours  après  il  l'invite  à  venir 
voir  sa  future  qui  se  nomme  Cardionès  ;  mais  sa  vue  répand 
sur  Prophilias  un  feu  dont  il  ne  cessera  de  brûler.  Il  tombe 


ALEXANDRE,  POÈTE  FRANÇAIS.  i8i 

malade ,  une  foule  de  réflexions  viennent  l'assaillir.  Athis 
vient  le  voir  avec  Savis;  celui-ci  mande  tous  les  médecins. 
Les  noces  se  font,  un  grand  repas  est  donné.  Athis  quit- 
tant la  compagnie  vient  auprès  de  s^n  ami  dont  les  souf- 
frances redoublent  lorsqu'il  entend  que  sa  maîtresse  est  dans 
la  maison.  Athis  le  prie  tant  que  Prophiliî\§  lui  dit  : 

Tu  quenuis  bien  la  médecine 
Et  chascun  jor  voiz  la  racine 
Qui  me  garroit  à  po  de  peine  ; 
Mes  la  Hsique  au  est  vileiqe 
Ancontre  toi  qui  me  requiers  : 
Athis  respont ,  biax  amis  chiers , 
Est-ce  por  famé  ?  oil  amis  , 
Miaudre  m'est  morz  que  estre  Vis. 
Cornant  a  nom  ?  Cardionès  ;  ^ 
A  c'est  mot  s'est  pasmfez  après. 

Athis  embrasse  son  ami,  le  réconforte,  et  promet  de  lui 
rendre  la  santé. 

Dedanz  ma  chambre,  devant  moi 

Ferai  mon  lit  fere  por  toi 

Qant  je  serai  alez  couchier 

Et  gésir  joste  ma  moiliier. 

Lèverai ,  iré  à  ton  lit 

Et  tu  viens  fere  tooidelit 

A  ma  moiliier  (femme)  te  coucheras. 

Prends  garde  de  ne  pas  lui  parler,  et  sur-tout  de  t'endorniir; 
tu  reviendras  dans  ton  lit,  et  je  retournerai  dans  le  mien.  En 
attendant,  je  vais  te  faire  transporter  dans  une  chambre,  à 
côté  de  la  mienne.  Athis  sort  en  aonnant  des  ordres  pour  cette 
translation;  et  quand  l'heure  du  coucher  est  venue,  mille 
réflexions  diverses  viennent  assiéger  Athis  qui  se  contente 
d'embrasser  seulement  sa  femme.  Pendant  ce  temps,  Prophi- 
lias  s'impatientait  et  pestait  contre  son  ami  qui  balançait 
plus  que  jamais  sur  le  parti  qu'il  avait  à  prendre;  déjà  il 
était  levé  pour  aller  le  chercher,  lorsqixe  rentrant  en  lui- 
même  il  se  décide  à  rester  près  de  sa  femme.  Cependant ^ 
toute  réflexion  faite,  il  va  le  chercher  et  lui  dit  : 

Va  toi  gésir  avec  ta  mie-, 
Mes  garde  que  ni  parler  miej 
Qant  tu  auras  fet  ta  volenté^ 


XII  SIECLE. 


XII  SIECLE. 


ida  ALEXANDRE,  POÈTE  FRANÇAIS. 

Tout  coiement  et  à  celé, 
Bevien  tantost  isnelemant 
Garde  ni  ait  qiienuissemant. 

Propbilias  se  lève,  ^^  au  lit  de  Cardionès,mais  pensant  au 
sacrifice  que  lui  fait  son  ami ,  il  ne  veut  pas  le  déshonorer. 

Savoir^e  touche,  amors  i'effroie. 
Il  se  met  cependant  au  lit,  car 

Âmors  l'esprant  el  lit  le  bote, 
Puis  li  a  (lit ,  or  n'ai«ï  dote 
Profilias  ne  t'atariiier. 
Car  te  hastes  de  comancler. 
Riens  commanciée  est  mitië  fête. 

Enfin  il  se  couche  auprès  de  sa  maîtresse,  lui  prend  son 
anneau,  et  retourne  dans  son  lit.  Revenu  dans  sa  chambre, 
Athis  pense  au  sacrifice  qu'il  a  fait,  il  pense  aussi  à  laisser 
sa  femme  à  Prophilias  qui,  toutes  les  nuits,  va  coucher  au- 

Êrès  de  sa  maîtresse.  Ce  train  de  vie  continuait,  lorsque 
vas,  sur  le  point  de  mourir,  désirant  voir  son  fils,  envoie 
un  messager  le  demander  au  sage  Savis.  Prophilias  au  dé- 
sespoir de  la  maladie  de  son  père  ne  peut  sans  effroi  penser 
à  quitter  sa  mie  ;  des  pleurs  inondent  son  visage  ;  Athis  s'en 
aperçoit,  et  tirant  son  ami  à  part,  il  lui  promet  de  lui  céder 
sa  femme.  -r 

Rentrés  au  palais ,  Athis  prend  Cardionès  par  la  main ,  et 
la  menant  dans  une  chambre  écartée,  lui  conte  tout  ce  qui 
s'était  passé,  l'engage  à  regarder  Prophilias  comme  son  époux, 
d'autant  plus ,  lui-  dit-il ,  qu'il  t'a  déflorée ,  et  que  jamais  je  n'ai 
eu  la  moindre  habitude  avec  toi.  Il  apjjolle  son  ami,  le  prie  de 
raconter  son  histoire;  celui-ci  montre  l'anneau  qu'il  lui  dé- 
roba. La  jeune  femme  est  incertaine.  On  assemble  toute  la 
famille  qui  ne  veut  pas  consentir  au  divorce.  Athis  mène  sa 
femme  et  Piophilias  au  temple  de  Vénus  oii  la  prêtresse 
rompt  ses  nœuds  pour  en  lier  les  deux  amans.  Prophilias 
quitte  Athènes  pour  s'en  aller  à  Rome;  il  enimène  avec  lui 
Cardionès.  Evas  se  portant  mieux  vient  au-devant  de  son  fils. 
Il  est  fort  surpris  qu'il  se  soit  marié  sans  son  aveu;  cepen- 
dant, en  faveur  des  souffrances  qu'il  a  endurées,  il  par- 
doime,  embrasse  sa  bru,  plaint  et  admire  Athis  qu'il  de.sire 
voir  pour  le  récompenser.  Les  noces  se  fout  avec  la  plus 
grande  magnificence  ;  Evas  donne  de  grands  biens  à  son  fils. 


ALEXATVDRE,  POETE  FRANÇAIS.  i83 

Il  n'en  était  pas  de  même  du  pauvre  Athis  qui ,  déshérité  . 
et  renvoyé  de  chez  son  père ,  tombe  dans  la  plus  affreuse 
pauvreté!^  Ses  parens  ne  veulent  plus  le  voir,  il  ne  sait  que 
devenir,  où  aller;  l'hospitalité  lui  est  refusée.  «  Quelle  diffé- 
rence entre  mon  ami  et  moi!  je  me  suis  sacrifié  pour  lui;  il 
nage  dans  l'abondance,  et  moi,  je  vis  dans  l'opprobre  et  la 

misère. 

Li  vileins  dist  en  son  reçoi 
Qui  mialz  aime  autrui  que  soi 
Por  fos  San  tient  au  tlépartir 
Mes  je  sui  tart  au  repantir. 

Mon  père  et  mes  parens  me  rejettent  loin  d'eux,  il  me 
convient  de  m'exiler.  J'irai  à  Rome ,  j'irai  voir  mon  .ami  ; 
et  je  veux  savoir  quelle  réception  il  me  fera.  »  Il  s'embarque 
sur  un  vaisseau  ou  le  passage  lui  est  accordé  par  charité; 
il  arrive  à  Rome,  où  tout  le  monde  se  moqué  de  la  pauvreté 
de  son  accoustrement  ;  il  trouve  enfin  le  palais  qu'habitaient 
Prophilias  et  Cardionès.  Les  deux  époux,  à  cheval,  sortaient 
à  la  tête  d'une  grande  compagnie  pour  aller  se  promener; 
ils  voient  Athis  que  le  mauvais  état  de  ses  habits  et  sa  mai- 
greur rendaient  méconnaissable. 

Qant  Athis  voit  son  compeignon 

Q'il  ne  li  dit  ne  o  ne  non  , 

Ancontré  l'a  et  trespassé 

Ne  ne  li  a  un  mot  soné.  , 

Il  pense  qu'ils  ne  l'ont  pas  voulu  reconnaître  ;  et  s'abandon- 
nant  à  la  plus  noire  mélancolie,  il  sort  de  la  ville,  trouve 
une  grotte  :  il  y  entre  en,  jurant  de  n'en  plus  sortir,  et 
de  s'y  laisser  mourir  de  faim.  Il  continue  a  déplorer  son; 
sort. 

Tant  a  plore  que  toz  se  lasse      -' 
La  nuiz  revient  li  jorz  trespassé. 

Le  temps  était  beau;  trois  jeunes  gens  sortent  de  la  ville 
pour  se  promener;  ils  avaient  donné  rendez-vous  à  leurs 
maîtresses  qui  n'arrivaient  pas.  Dans  son  impatience  l'un 
d'eux  injurie  la  maîtresse  de  son  compagnon.;  celui-ci  tire 
son  épée  ,  le  troisième  se  joint  à  lui ,  et  leur  adversaire  tombe 
sous  les  coups  des  deux  assassins ,  qui,  après  avoir  consommé 
leur  crime ,  s'enfuient  en  laissant  leur  victime  qui  touchait  à 
ses  dern  iers  momens. 

Athis  sort  de  sa  Cachette  pour  donner  du  secours  à  cet  in- 


Xn  SIËCLK. 


XII  SIECLE. 


i84  ALEXANDRE,  POETE  FRANÇAIS. 

.  fortuné,  il  n'était  plus  temps.  Il  réfléchit  que  cette  aventure 
peut  lui  faire  ôter  cette  vie  qu'il  déteste  ;  dans  ce  dessein , 
il  se  roule  sur  le  cadavre ,  ensanglante  ses  vêtemens ,  et  at- 

.tend  le  jour  pour  faire  reconnaître  en  lui  l'assassin.  En  effet, 
arrêté,  mené  devant  les  juges,  il  soutient  qu'il  est  le  cou- 
pable; il  est  condamné.  Cependant  quelques  juges  observent 
qu'il  n'est  pas  possible  qu'un  étranger  assassine  quelqu'un 
qu'il  n'a  jamais  Vu,  et  qu'il  attende  qu'on  vienne  l'arrêter. 
La  coutume  était  à  Rome,  que  lorsqu'un  coupable  était  con- 
damné, on  l'exposait  pendant  trois  jours  aux  regards  du 
peuple.  Le  hasard  fît  que  Prophilias  passa  et  reconnut  son 
ami.  Les  obligations  qu'il  .lui  a  reviennent  à  sa  mémoire ,  il 
ne  balance  point  à  se  reconnaître  coupable  pour  le  sauver. 
Il  va  vers  les  juges,  s'accuse  du  crime  et  parvient  à  remplacer 
Athis.  Débat  entre  les  deux  amis  qui  s'accusent  mutuelle- 
ment, et  qui  veulent  mourir  l'un  pour  l'autre.  La  famille 
de  Prophilias  se  désole  sur-tout  quand  le  second  jour  est 
passé.  Les  deux  assassins  qui  avaient  pris  la  fuite  après  avoir 
commis  leur  crime ,  rentrent  dans  Rome  oii  ils  apprennent 
l'aventure  d' Athis  et  de  Prophilias  :  ils  vont  voir  ce  dernier, 
qui  était  à  la  chaîne  sur  la  place  publique ,  (  il  est  à  obser- 
ver que  leurs  mains  étaient  encore  teintes  de  sang  ). 

Qant  orent  auques  démoré , 

Li  uns  d'ax  a  l'autre  apelé 

Puis  li  a  dit  privéemant 

Alons  nos  an  isnelemant. 

Se  nos  somes  aparcéu 

Et  de  caste  œuvre  quenu , 

Que  nos  aions  ocis  cest  home , 

La  justice  est  si  fors  de  Rome, 

Que  venuz  est  nostre  joïs  (jugement). 

Ces  paroles  furent  entendues  par  un  sage  qui ,  élevant  la 
voix,  aénonce  les  assassins.  On  les  arrête,  ils  sont  mis  à  la 
chaîne  à  laquelle  était  attaché  Prophilias.  Ils  conviennent 
de  leur  crime ,  en  font  l'aveu  et  bientôt  en  reçoivent  le  châ- 
timent. Les  d.eux  amis  s'embrassent,  se  racontent  leurs  aven- 
tures :  Athis  est  présenté  à  Evas  et  à  toutes  les  personnes 
de  la  famille  ou  de  la  connaissance  de  Prophilias.  On  lui 
donne  des  vêtemens  superbes ,  et  l'on  va  au-devant  de  tout 
ce  qui  peut  lui  faire  plaisir.  Evas  lui  donne  des  terres,  de 
l'argent,  des  bijoux,  et  le  regarde  comme  un  de  ses  enfans. 


ALEXANDRE,  POÈTE  FRANÇAIS.  i85 

Peu  de  temps  après  on  cële'brait  la  fête  de  l'enlèvement  des 
Sabines  ;  Evas,  sa  famille  y  vont;  Athis  donnait  la  main  à  son 
ami  qui  avait  une  charmante  sœur  nomme'e  Gayète.  Elle 
avait  vu  seize  printemps ,  le  dieu  d'amour  s'était  plu  à  la 
former  (suit  l'enume'ration  des  appas  de  la  belle);  et  jamais 
il  n'y  eut  de  beauté  plus  parfaite.  Athis  ne  peut  la  voir  sans 
l'aimer,  et  n'ose  pas  avouer  son  amour,  parce  queBilas,  roi 
de  Sicile ,  en  a  fait  la  demande.  De  son  coté  Gayète  ressent 
une  amitié  bien  vive  pour  Athis,  qui,  combattu  par  sa  pas- 
sion, tombe  malade.  En  vain  Prophilias  lui  offre  des  conso- 
lations, il  s'obstine  à  vouloir  mourir  en  emportant  son  secret. 
Gayète  s'afflige  de  la  maladie  de  son  amant;  un  jour,  elle 
tombe  en  faiblesse  au  récit  que  lui  fait  Cardionès  de  la  ma- 
ladie d' Athis.  Cardionès  se  doute  de  l'amour  qu'ils  ont  l'un 
pour  l'autre.  Evas  va  auprès  du  malade ,  lui  offre  toutes  les 
consolations  ;  il  lui  tâte  la  tête  et  le  pouls  qu'il  trouve  assez 
tranquille.  Il  sort  avec  Prophilias  en  lui  disant,  je  suis  d'au- 
tant plus  fâché  de  la  maladie  de  ton  ami  que  je  lui  destinais 
ta^sœur,  au  lieu  de  la  donner  à  Bilas,  roi  de  Sicile.  Je  vais 
aviser  aux  moyens  de  le  guérir.  Resté  seul,  notre  pauvre 
malade  pleure  sa  destinée;  dans  son  délire  il  croit  voir  la 
beauté  qu'il  adore,  il  veut  l'embrasser,  et  revenu  à  lui  il 
sent  plus  vivement  son  malheur.  De  son  côté  la  pauvre 
Gayète  se  désole,  pleure  et  craint  pour  son  amant.  Prophi- 
lias passe  la  nuit  â  réfléchir  sur  la  situation  d'Athis;  d'où 
peuvent  venir  ses  maux  ?  C'est  de  l'amour  !  oui , 

Tôt  est  d'amor  et  de  s'orine, 
Qui  bien  aime  sovant  devine. 

mais  de  qui  est-il  amoureux  ?  Est-ce  de  ma  femme  ou  de  ma 
sœur.  Ah  !  que  ce  soit  l'une  ou  l'autre  je  la  lui  abandonne. 

Moult  pert  qui  pert  un  bon  ami. 

Si  ce  pouvait  être  de  Gayète  dont  il  eût  le  cœur  pris ,  avec 
quel  plaisir  je  la  lui  offrirais.  Le  jour  paraissant,  Prophilias 
se  lève  sans  le  secours  de  ses  domestiques;  il  court  à  la 
chambre  de  son  ami ,  lui  offre  de  nouveau  ses  services ,  et 
au  nom  de  l'amitié  le  prie  de  lui  confier  d'où  peuvent  naître 
ses  maux.  Il  n'ose  lui  parler  d'amour  dans  la  crainte  qu' Athis 
n'aime  sa  femme.  Athis  lui  apprend  qu'il  aime,  mais  ne 
nomme  pas  l'objet;  nouveaux  sujets  de  crainte  pour  Pro- 
philias qui  parvient  à  faire  avouer  a  son  ami  toute  sa  passion 
.Tome  XV.  A  a 


XII  SIECLE. 


XII  SIEa.E. 


m  ALEXANDRE,  POÈTE  FRANÇAIS. 

pour  Gayète.  A  ces  mots  il  embrasse  Athis,  lui  promet  sa 
sœur  et  sort  pour  effectuer  sa  promesse.  Rassure'  sur  son 
amour,  Athis  prend  courage  et  jouit  déjà  de  sa  feflicité  fu- 
ture. Prophilias  passe  chez  sa  sœur,  lui  fait  convenir  de  son 
amour ,  lui  promet  de  l'unir  bientôt  à  son  ami.  Il  eu  lait  la 
demande  à  la  mère  qui  accorde  la  demande.  Toute  la  famille 
e'tait  rassemblée  au  jardin  lorsqu'un  messager  de  Bilas,  roi 
de  Sicile,  arrive  et  vient  de  la  part  de  son  maîtrç,  prier 
Evas  et  Prophilias  de  venir  le  voir,  voulant  faire  son  entrée 
à  Rome  avec  eux ,  comme  futur  époux  de  Gayète.   Je  laisse 
à  penser  quel  fut  le  désespoir  des  deux  amants  à  cette  nou- 
velle. Prophilias  ne  sait  à  quoi  se  résoudre  ;  il  va  vers  son  père, 
suivi  de  sa  sœur  et  de  sa  mère,  ils  lui  parlent  avec  tant  de 
feu  et  d'éloquence  qu'ils  auraient  tout  obtenu  de  lui;  mais 
Evas  avait  engagé  sa  foi;  il  ne  pouvait  y  manquer  sans  se 
compromettre;  rien  ne  peut  fléchir  ce  vieillard.  Alors  Pro- 
philias jure  d'attaquer  Bilas,  de  chercher  toutes  les  occasions 
de  lui  nuire  dans  le  cas  où  il  voudrait  épouser  Gayète.  Evas 
part  pour  raconter  au  roi  que  sa  fille  éprise  d'amour  pour 
un  autre,  serait  très-malheureuse  avec  lui.  Il  arrive  à  la  tente 
du  roi  ;  on  y  voyait  représentés  le  jugement  de  Paris  et  le  siège 
de  Troie,  ensuite  l'histoire  de  la  fondation  de  Rome,  celle 
d'Etéocle  et  de  Polynice ,  puis  celle  de  Salomon  et  ^e  son 
frère  Absalon,  enfin  les  douze  mois,  les  quatre  temps,  les 
douze  signes,  les  planètes,  les   saisons.    Le  poëte    s'étend 
beaucoup  sur  la  richesse  et  la  beauté  des  tapisseries.    Le 
père  est  bien  reçu  de  Bilas,  qui  lui  demande  des  nouvelles 
de  son  fils  ;  il  viendra  plus  tard.  Evas  invite  le  roi  à  venir 
à  Rome.  Bilas  refuse ,  parce  que  ses  gens  n'entendent  pas  le 
roman  ;  mais  il  le  prie  d'amener  Gavète  pour  qu'il  l'épouse. 
Evas  prend  conseil  des  sénateurs  et  des  douze  pairs  de  nome, 
pour  refuser  cette  demande.  Il  charge  ses  amis  d'ofl'rir  au  roi 
des  richesses  pour  qu'il  se  désiste  ;  mais  celui-ci  déclare  qu'il 
veut  la  Pucelle,  et  jure,  en  cas  de  refus,  de  se  venger.  On  se 
retire.  Un  vavasseur  conseille  à  Evas  de  tenir  sa  parole ,  de  ne 
pas  s'arrêter  à  ce  que  dit  Prophilias,  et  de  donner  sa  fille  au 
roi.  Evas  penche  pour  cet  avis.  Cependant,  rentré  chez  lui, 
il  rend  compte  de  ce  qui  s'est  passé,  et  va  se  reposer.  Pen- 
dant la  nuit,  Salustine,  mère  de  Prophilias,  celui-ci  et  sa 
femme  Gradrones,  ensuite  Athis  et  la  Pucelle,  tiennent  con- 
seil :  ils  arrêtent  d'envoyer  demander  secours  à  tous  leurs 
amis  ou  parens.  Au  matin ,  quatre  mille  s'étaient  déjà  ras- 


ALEXANDRE,  POETE  FRANÇAIS.  187 

semblés ,  ils  sortent  de  la  ville  pour  prendre  conseil  ;  cinq 
cents  se  mettent  en  embuscade  pour  enlever  Gayète  à  son 
passage.  Prophilias,  ayant  reçu  de  nouveaux  renforts,  sépare 
sa  troupe  en  douze  corps.  Evas,  s'étant  levé,  mande  à  sa  * 
fille  qu'il  veut  la  mener  au  roi;  il  lui  commande  de  s'ap- 
prêter. La  Pucelle  revêt  ses  habillemens  les  plus  vieux  et  les 
plus  sales ,  mais  Evas  la  contraint  à  se  vêtir  richement.  On 
monte  à  cheval,  ils  prennent  un  chemin  détourné  et  arrivent 
au  camp  de  Bilas,  qui,  après  lui  avoir  fait  amitié,  la  fait 

fjartir  aussitôt  pour  ses  états,  sous  la  garde  de  cent  cheva- 
iers.  La  troupe  se  met  en  marche,  elle  est  précédée  et  suivie 
du  reste  de  l'armée.  Un  corps,  commancfé  par  Prophilias, 
voit  venir  les  chevaliers,  soudain  l'action  s'engage,  ils  sont 
vainqueurs ,  mais  ne  trouvent  point  la  Pucelle ,  qu'un  che- 
valier emmenait.  Ils  sont  rejoints  par  une  autre  troupe;  et, 
continuant  leur  route,  ils  viennent  tomber  dans  l'embuscade 
préparée  par  Athis.  Ses  amis  le  soutiennent  mal,  il  est  prêt 
d'être  vaincu.  Pendant  ce  temps  Gayète  se  cache  dans  la 
forêt.  Athis  la  cherche  de  tous  côtés;  il  trouve  son  cheval  et 
son  manteau  qu'elle  avait  quittés;  enhn  il  la  voit  sous  un 
olivier,  la  fait  remonter  sur  son  cheval,  la  met  entre  les 
mains  de  ses  amis,  et  court  porter  secours  à  Prophilias  qui 
était  aux  prises  avec  le  roi  Bilas.  Les  Romains ,  effrayés  par 
le  nombre  de  troupes,  lâchaient  pied;  mais  Athis  paraît  à 
la  tête  d'un  corps  considérable,  ils  reprennent  courage; 
Bilas  est  renversé,  on  le  remonte  avec  peine  sur  son  cheval^ 
ses  troupes  plient  et  prennent  la  fuite;  les  vainqueurs  les 

f)oursuivent  jusqu'à  la  forêt.  Il  jure  de  se  venger  de  sa  dé- 
aite.  Athis  et  Prophilias  retournent  au  champ  de  bataille 
pour  faire  panser  les  blessés  et  ensevelir  les  morts  ;  ils 
pleurent  en  voyant  les  maux  dont  eux  seuls  sont  la  cause. 
Athis  ne  peut  se  le  pardonner. 

Qant  de  deus  max  esluet  l'un  prendre 
Au  moins  honteus  se  dex  l'en  prendre. 

En  conséquence  il  veut  fuir,  mais  ses  amis  lui  représentent 
qu'il  ne  peut  le  faire,  à  présent  que  leur  valeur  leur  était 
nécessaire.  Et  votre  mie  que  deviendrait -elle.'' 

Malvés  gaeing  fet  an  gibier 
Qui  port  l'aloe  et  l'esprevier. 

Prophilias  se  joint  aux  autres  chevaliers;  ils  parviennent  ai 

Aaa 


XII  SIECLE. 


Xn  SIECLE. 


188  ALEXANDRE;  POETE  FRANÇAIS. 

calmer  Athis  qui  donne  l'ide'e  de  remporter  les  morts  et  les 
blesses  à  Rome,  précèdes  du  riche  butin  qu'on  avait  conquis, 
afin  que  sa  "Vue  fît  suspendre  la  tristesse  des  parens  qui 
*  avaient  à  regretter  un  lils  ou  un  frère. 

Cil  qui  son  fil  i  aura  mort 
Por  ce  que  mialz  san  reconfort 
Ait  de  l'avoir  greignor  partie  ; 
Car  granz  avoirs  grant  duel  oblie , 
En  grant  avoir  a  grant  resset, 
Tost  change  l'en  un  grant  meffet. 

Cet  avis  est  suivi  :  les  prisonniers  servent  de  triomphe  aux 
vainqueurs.  Ce  qui  avait  été  prévu  arriva,  les  richesses  con- 
quises empêchèrent  les  plaintes.  Athis  eut  pour  lui  la  riche 
tente  du  roi  Bilas.  Propnilias  donne  à  Gayete  une  quantité 
de  robes  et  de  bijoux  précieux.  Le  mariage  d'Athis  et  de 
Gayète  est  arrêté  ;  on  les  mène  au  temple  ;  les  noces  se  font 
avec  la  plus  grande  magnificence.  Propnilias  fait  des  cadeaux 
de  toute  espèce  aux  deux  époux.  Le  soir,  les  jeux  sont  ou- 
verts, la  joute,  les  courses  a  pied  et  à  cheval,  la  palestre, 
l'escrime,  sont  les  principaux;  les  fêtes  durent  huit  jours. 
Les  fêtes  terminées,  Athis  pense  à  ses  parens,  et  pleure  de 
ce  qu'ils  ne  peuvent  partager  son  bonheur.  Prophilias  s'en 
aperçoit ,  lui  en  demande  la  raison  :  après  l'avoir  entendu , 
il   lui   propose   de   l'accompagner  et   de  partir  avec   leurs 
femmes.  Evas,  consulté,  donne  son  consentement,  en  enga- 
geant ses  enfans  à  revenir  bientôt.  Ils  partent ,  suivis  d'un 
grand  nombre  de  chevaliers,  barons,  escuiers,  varlets,  et, 
après  huit  jours  de  traversée ,  ils  descendent  au  port  d'Athènes. 
Un  messager  est  envoyé  à  Savis  pour  le  prévenir  de  l'arrivée 
de  son  fils.  Savis  était  malade  de  chagrin  de  n'en  avoir  pa§ 
de   nouvelles,  et   languissait  depuis  un   an    dans   son   lit. 
Aussitôt  qu'il  entend  parler  de  son  fils,  il  demande  oii  il 
est,  veut  se  lever  pour  aller  le  trouver;  sa  femme  partage  sa 
joie;  Savis  mande  cette  nouvelle  à  ses  parens;  ils  les  invite 
à  venir  dans  son  palais  pour  recevoir  dignement  son  cher 
fils.  Suivi  de  sa  femme  et  de  sa  maison  il  s'achemine  au  port. 
Le  messager  les  précède,  et,  doublant  le  pas,  il  rend  compte 
de  ce  qu'il  a  appris.  Athis  va  au-devant  de  son  père;  chacun 
s'embrasse  mille  et  mille  fois.  Ceux  qui  avaient  tout  refusé 
à  Athis  sont  ceux  qui  lui  font  le  plus  d'amitié,  et  qui  se 
disputent  l'honneur  de  le  recevoir;  mais  Savis  voulut  garder 
ses  enfans  et  leur  suite. 


ALEXANDRE,  POÈTE  FRANÇAIS.  189 

En  ce  temps  là  Athènes  était  gouverne'e  par  un  duc ,  nommé 
Theseus,  descendant  du  fameux  Thésée.  Ce  duc  avait  un  fils 
qu'il  avait  appelé  Pyrithous  :  ayant  appris  l'arrivée  des  deux 
amis,  ils  forment  le  projet   daller  leur  rendre  visite;  ils 
partent,  arrivent,  on  les  reçoit  avec  les  honneurs  dus  à  leur 
rang.  Theseus  prie  Athis  de  vouloir  bien  achever  l'éducation 
militaire  de  son  fils  et  de  l'aider  dans  ses  entreprises.  Ils 
demandent  à  voir  les  dames;  le  père  et  le  fils  deviennent 
subitement  amoureux  de  Gayète.  Rentrés  dans  leur  château, 
Theseus  et  son  fils  s'abandonnent  à  leur  amour.  En  vain  la 
jeune  femme  de  Theseus  cherche  à  distraire  son  mari  et  son 
fils.  Cependant  Theseus  réfléchit  qu'à  son  âge  il  a  tort  de 
vouloir  être  amoureux,  et  le  fils  pense  à  faire  une  action 
d'éclat  qui  le  fasse  remarquer  de  la  dame  de  ses  pensées.  En 
examinant  comment  il  pourrait  y  parvenir,  il  apprend  que 
Thélamon,  duc  de  Corinthe,  avait  un  fils  nommé  Ajaus, 
descendant  d'Ajax,  et  fort  bon  chevalier.  Pyrithous  profite 
d'une  fête  donnée  par  Thélamon  pour  aller  défier  Ajaus,  et 
le  menacer  de  réduire  en  cendres  son  héritage;  il  envoie  à 
cet  effet,  et  sans  prévenir  son  père,  un  messager  chargé  de 
déclarer  la  guerre.   Outré  de  cette  déclaration ,  Thélamon 
rassemble  ses  gens  et  s'apprête  à  venir  surprendre  Athènes. 
Pyrithous,  ne  sachant  comment  prévenir  son  père  de  l'incar- 
tade qu'il  avait  commise,  prend  le  parti   de  faire  armei^  et 
rassembler  tous  les  chevaliers  de  la  terre  de  son  pè,re-  il 
prie  également  les  deux  amis  et  leur  compagnie  de  v^^nir  les 
rejoindre.  Lorsque  tout  le  monde  est  rassemblé,  o^se  met 
en  marche.  Pyrithous  compte  sept  mille  hommes,  F,on  ennemi 
en  a  trois  mille  de  plus.  Les  deux  armées  se  J0)gnent    font 
des  prodiges  de  valeur.  Pyrithous  fait  cacher;  une  partie  de 
ses  troupes,  commence  l'action,  il  fait  semb'.ant  de  se  retirer 
et  lorsque  l'ennemi  est  acculé  à  un  gué^  ses  soldats,  sortant 
de  leur  cachette ,  attaquent  Thélamon  par  derrière    tandis 
que  lui  les  bat  par  devant.  Athis  et  Prophilias  se  couvrent 
de  gloire  par  leurs  hauts  faits.  T. a  bataille  dura  un  iour  et 
demi;  l armée  de  Thélamon  parlait  déjà  de  se  rendre    lors- 
que Theseus  apprit  l'escapade  de  son  fils;  craignant  qi'il  ne 
succombe,  il  ramasse  toutes  ses  communes  et  arrive  avec 
vingt  mille  hommes  de  toute  arme,  au  lieu  où  se  donnait 
le  combat;  1  attaque   recommence   avec   plus   de  vigueur 
parce  que  1  ennemi  reçoit  aussi  un  renfort.   Pyrithous  est 
blesse    son  père  craint  pour  ses  jours,  il  lui  répond  qu'il 
cesse  de  s  affliger:  ^  ^ 


XII  SIECLE. 


XU  SIECLE. 


i()a  ALEXANDRE,  POETE  FRANÇAISV 

Que  de  la  mort  n'est  nul  respit 
Dès  que  Deii  plest  et  l'ore  vient  ; 
Mauves  siègle  a  qui  trop  la  crient  ; 
N'a  mes  es  morz  nul  recovrier 
Por  ce  covient  le  duel  lessier. 

Mais,  dit  Theseus,  pourquoi  as-tu  voulu  taire  la  guerre 
sans  m'en  prévenir,  sans  avoir  fait  des  dispositions?  car 

Tuit  estiez  dans  la  nasse 

Et  mort  et  pris  s'auques  tardasse. 

Enfin,  puisque  Thélamon  se  retire,  il  faut  rentrer  chez  nous, 
obtenir  de  grosses  rançons  de  nos  prisonniers,  et  de  cet 
argent  nous  lever  des  troupes  étrangères.  Le  lendemain  on 
décampe,  on  retourne  à  Athènes  pour  se  préparer  à  se  battre 
de  nouveau.  Les  deux  amis,  rentrés  dans  leurs  familles,  y 
racontent  leurs  exploits.  De  son  côté,  Thélamon  fait  les 
plus  grands  jiréparatifs  ;  il  invite  ses  parens,  ses  amis  et  ses, 
vassaux  à  venir  le  secourir  et  à  venger  l'injure  qu'il  a  reçue. 
Le  roi  Bilas  est  son  cousin  ;  il  apprend  par  lui  que  le  bel 
Athis  et  sa  femme  sont  à  Athènes,  et  il  s  empresse  de  venir 
soutenir  Thélamon  et  de  se  venger  des  Romains  qui  lui 
avaient  enlevé  sa  femme.  De  chaque  côté  on  fait  des  prépa- 
ratifs immenses ,  et  chaque  parti  n'a  pas  moins  de  cent  mille 
combattans. 

Thélamon  arrive  suivi  de  Bilas  ;  ils  projettent  de  sur- 
prendre Theseus  pendant  la  nuit  et  de  s  emparer  de  la 
ville.  Le  projet  est  adopté,  et,  sûrs  de  leur  proie,  ils  sa- 
vourent déjà  le  plaisir  de  partager  les  dépouilles  des  vaincus. 
Theseus  prend  conseil  de  ses  barons  et  leur  propose  d'aller 
attaquer  les  ennemis;  son  avis  est  adopté.  Sur  le  soir,  il 
envoie  Pyrithous  aux  deux  amis  pour  les  inviter  au  combat; 
celui-ci  part  avec  Carsidorus,  fils  d'un  empereur;  on  les 
reçoit  avec  les  honneurs  dus  à  leur  rang.  Ils  prient  Cardionès 
et  Gayète  de  leur  donner  un  gage  d'amour  pour  mettre  à 
leurs  lances.  Gayète  donne  à  Pyrithous  un  anneau  d'or, 
Cardionès  fait  le  même  présent  a  Carsidorus.  Ils  partent, 
se  couchent,  et  passent  la  nuit  à  réfléchir  aux  actions  qui 
pourront  les  faire  distinguer  par  les  dames  qui  ont  bien 
voulu  les  accepter  pour  chevaliers.  Pendant  ces  allées  et 
venues  un  espion  va  prévenir  les  assiégeans  que  la  ville  est 
bien  garnie  et  songe  a  se  bien  défendre.  Bilas  fait  part  de 
cttte  nouveUç  à  Thélamon;  ils  font  armer  leurs  troupes  et 


ALEXANDRE,  POÈTE  FRANÇAIS.  191 

attendent  la  sortie  des  assiégés.  Ceux-ci  ne  tfiixlent  pas  à 
paraître.  Les  dames  montent  aifx  tours  du  château  pour 
voir  les  prouesses  de  leurs  amis. 

Les  chevaliers  voelent  réolr 
Et  bien  reconnestre  çt  savoir 
Lequel  sont  plus  cheval,erQS 
Ou  li  ami  ou  li  espos. 

Le  combat  s'engage;  la  bataille  fut  longue,  dura  toute  la 
journée;  les  ennemis  battus,  laissèrent  prisonniers  une  foule 
de. princes.  Quant  aux  autres,  ils  se  couvrirent  de  gloire,  et 
chacun  se  surpassa.   A  l'issue  du  combat,  Bilas  demande  à 
parler  au  duc  d'Athènes  ;  celui-ci  se  rend  à  cette  invitation , 
suivi  d'Athis,  de  Prophilias  et  de  son  fils  Pyrithous.   J3ilas, 
après  avoir  donné  des  éloges  à  la  valeur  de  ces  guerriers, 
demande  une  trêve  de  huit  jours  et  une  convention  qui 
permettra  aux  deux  partis  de  commercer  e^isemble.  Il  prie 
aussi  le  duc  de  lui  permettre  de  voir  son  aimable  fille,  la 
belle  Alemandine.    Ces  choses  sont  accordées   par  l'entre- 
mise de  Prophilias,  dont  le  roi  de  Sicile  admire  autant  le 
courage  que  la  droiture  des  intentions  et  l'esprit  conciliant. 
Chacun  retourne  au  camp;  Bilas  vient  le  lendemain  à  Athènes, 
il  désire  voir  Savine,  sœur  d'Athis;  et,  en  effet,  il  descend 
chez  Savis.  Aussitôt  qu'il  arrive  dans  la  cour  du  château, 
Athis  court  lui  tenir  l'étrier,  et  s'empresse  de  lui  porter  hon- 
neur. Bilas,  reconnaissant  des  soins  de  son  hôte,  demande 
à  voir  sa  fille  dont  on  lui  avait  parlé  comme  d'une  personne 
accomplie.  En  effet,  le  poète  en  fait  un  portrait  séduisant. 
Bilas  en  devient  amoureux.  Après  avoir  dîné  chez  Savis, 
toute  la  compagnie  s'en  va  chez  Theseus.  Les  deux  amis 
accompagnent  le  roi.  On  arrive  chez  le  duc  qui,  enchanté 
de  recevoir  Bilas,  lui  présente  et  sa-  femme  et  sa  fille.  Le  roi 
retourne  à  son  camp,  raconte  à  Thélamon  tout  le  plaisir 
qu'il  avait  eu  à  Athènes  et  les  grands  honneurs  qu'il  y  avait 
reçus  ;  il  pense  à  Savine,  et  jusqu'à  ce  que  la  trêve SQJt  expirée 
il  retourne  souvent  chez  Savis.  Il  propose  la  paix  à  condition 
que  Athis  lui  rendra  sa  femme;  celui-ci  refuse;  déjà  les 
préparatifs  de  bataille   sont  préparés;  les  armées  sont  en 
présence,  le  combat  commence;  Pyrithous,  ayant  attaqué 
Thélamon,  est  blessé,  et  ne  doit  son  salut  qu'à  Prophilias  qui 
le  couvre  de  son  écu.  Cardionès,  qui  avait  choisi  Pyrithous 
pour  son  chevalier,  l'ayant  vu  tomber  et  le  croyant  tué, 


un  SIECLE. 


XII  SIECLE. 


192  ALEXANDRE,  POÈTE  FRANÇAIS. 

tombe  morte  de  chagrin;  tous  les  secours  sont  inutiles. 
Rentre  dans  son  palais,  Theseus  va  voir  son  fils  qui  lui  de- 
mande une  grâce  ;  le  père  la  lui  accorde  : 

Donc  vos  pri-je  que  vos  donez 
Des  Romeins  à  tôt  le  meillor, 
Alemandine  ma  seror 
Ce  est  au  preux  Profilias , 
Qui  onques  d'armes  ne  fu  las  ; 
Car  por  moi  est  sa  famé  morte. 

Le  père  le  lui  promet.  On  lui  retire  le  fer  de  la  lance  qui 
était  entré  dans  sa  plaie ,  mais  Pyrithous  ne  survit  pas  à 
l'opération.  Un  messager  est  député  à  Bilas  pour  lui  faire 
part  de  cette  nouvelle  et  pour  solliciter  une  trêve  de  huit 
jours,  elle  est  accordée.  Rentré  à  son  palais,  Prophilias  ap- 
prend la  mort  de  sa  femme  ;  il  s'en  désespère.  Les  obsèques 
de  Cardioncs  et  de  Theseus  sont  célébrées  en  même  temps. 

Et  qant  il  furent  enfoï 

Li  Dus  n'a  pas  mis  en  obli 

La  proière  Pyritlious. 

Par  la  niein  sanz  atardier  plus 

Piist  Alemandine  la  bêle 

Prophilias  avant  apele  : 

Ceste  vois  doing ,  sire  ,  tenez , 

Or  maintenant  si  l'espousez. 

Sire,  fet-il,  vostre  merci  ^ 

Or  me  doint  Dex  joie  de  li. 

Les  fiançailles  ne  tardent  pas  à  se  faire.  Pendant  ce  temps 
Bilas  avait  pensé  à  l'amour  qu'il  avait  pour  Savine  ;  il  désire 
revoir  cette  belle,  et  le  quatrième  jour  de  trêve  il  part  pour 
se  rendre  chez  Savis;  il"  a  une  entrevue  avec  sa  maîtresse, 
lui  déclare  sa  passion,  et  la  requiert  d'amour.  En  fille  bien 
élevée,  Savine  répond  qu'elle  est  bien  honorée  d'être  l'objet 
de  l'amour  d'un  roi  ;  mais  qu'elle  ne  peut  y  répondre  à  cause 
de  l'inégalité  des  rangs.  Bilas  la  rassure  en  lui  disant  que 
son  ajmour  est  loyal  et  qu'il  désire  l'épouser  : 

De  ce  parlez,  sire,  à  mon  père, 
A  mes  amis,  et  à  mon  frère; 

Je  ferai  tout  ce  qu'ils  m'ordonneront.  Bilas  admire  les  sen- 
timens  de  cette  belle  ;  il  en  fait  la  demande  à  ses  parens  qui , 


CHRESTIEN  DE  TROYES,  POÈTE  FRANC.       ipS 

en  remerciant  le  roi  de  l'honneur  qu'il  leur  fait,  veulent 
avoir  l'agrément  du  duc  qui  avait  juré  de  ne  jamais  faire  la 
paix.  Toute  la  compagnie  va  chez  Theseus,  qui  se  refuse 
d'abord,  mais  qui  finit  par  accepter  les  conditions  qui  lui  sont 
offertes.  Les  noces  se  font  à  Athènes. 

Celé  nuit  (Bilas)  juto  la  pucele 
Au  matin  fû  damé  novele. 

Après  deux  jours  de  fêtes ,  il  retourne  dans  ses  états  ;  et ,  tant 
qu'il  vécut,  Athènes  jouit  de  la  paix  et  des  biens  qu'elle 

procure. 

D'Athènes  faut  ici  l'estoire 

Que  li  escriz  tesmoingne  à  voire  (vérité). 

G. 


XII  SIECLE* 


CHRESTIEN^'^  DE  TROYES, 

POÈTE  FRANÇAIS. 

CjHRESTrEN,  surnommé  de  Troyes,  du  lieu  de  sa  naissance, 
a  été  l'un  des  romanciers  les  plus  féconds  et  les  plus  estimés 
du  douzième  siècle.  Cet  écrivain,  que  plusieurs  biographes      Borel,Catai. 
ont  confondu  avec  Manessier  ou  Manesier,  florissait  des  le  Lrc"rol!fdù^M~ 
milieu  du  siècle  et  écrivait  encore  vers  la  fin.  Il  paraît  qu'il  note»,  t.  l,  p'. 
fut  attaché  à  Philippe  d'Alsace  (2),  comte  de  Flandres,  mort  120.— Du  Ver- 
devant  Saint  -  Jean  -  d'Acre  en   1191,  ear  plusieurs  de  ses  dier,^notes,  t. 
ouvrages  lui  sont  dédiés.   Chrestien  a  été  tort  loué  par  les     'Artdevérlf. 
auteurs  ses  contemporains  et  par  ceux  du  siècle  suivant,  lesdat. — Velly, 
entre  autres  par  le  roi  de  Navarre ,  par  Raoul  de  Houdan ,  et  ||j**"  '^ ^^g"  '  * 
par  l'auteur  du  roman  du  Chevalier  à  l'Épée.  Huon  de  Mery,       Fauchet,  p 
religieux  de  l'abbaye  Saint-Germain-des-Prés,  en  faisait  un  557,  558. 
cas  particulier ,  et  lui  donne  les  plus  grands  éloges  dans  une  xux"*  ^^^  ** 
pièce  conservée   à  la   bibliothèque  royale;  il    les  méritait       LeTor'noie- 
par  l'invention,  la  conduite,  et  particulièrement  par  le  style,  ™«"'    d'Anti- 

crist  ,    vas.    n" 
7615  in- 4°,   et 
(i)  On  a  quelquefois  écrit  Crestiens,  Christians,  ou  Christien.  Fauchet,  p.  558. 

(a)   Et  non  Philippe  de  Valois,  comme  le  dit  le  président  Bouhier 
jdans  ses  notes  sur  Lacroix  du  Maine.  Loc.  xiit. 

Tome  XF.  B  b 


XII  SIECLE. 


194   CHRESTIEN  DE  TROYES,  POETE  FRANC. 

qui  l'élève  au-dessus  de  tous  les  poètes  de  son  temps.  Il  ne 
nous  reste  aucun  de'tail  sur  la  vie  d'un  auteur  qui  a  tant 
e'crit.  On  ne  connaît  pas  tous  ses  ouvrages,  mais  il  lui  en  est 
attribué  plusieurs  qui  ne  paraissent  pas  être  de  lui.  Nous 
donnerons,  dans  cet  article;  i**  une  notice  succincte  des 
productions  que  nous  reconnaissons  pour  en  être,  et  les 
titres  de  celles  qui  lui  sont  attribue'es,  avec  les  motifs  qui 
nous  font  douter  qu'il  en  soit  l'auteur;  cl^  un  extrait  de 
chacun  des  six  romans  que  iious  rangeons  dans  la  première 
classe,  et  une  idée  suffisante  des  sujets  et  de  la  manière  dont 
il  les  a  traités. 

NOTICE  GÉNÉRAtE  DES  ROMANS  DE  CHRESTIEN  DE  TROYES. 

Mss.  Ribiioth.       I.  Roman  ^Erec  et  d'Enide,  contenant  des  aventures  de 
^°^-  \^°'^9^T'>  chevaliers  de  la  table  ronde.  Galland*  s'est  trompé  en  pariant 

7518-     ancien     ,  i-i  /■       1  1  1  '^r.         *■      1 

fonds, et n»' 27,  de  Cet  ouvrage ,  quil  confond  avec  Je  roman  de  Perceval,  et 

73 ,  fond»  de  qu'il  attribue  à  Raoul  de  Beauvais. 

^V^^^'ax     j  n.  Roman  de  Tristan  ou  du  wi  Marc  et  delà  reine  Yseult. 

*Acadéra.  des   ,,   ,       ,  ,1  ,  1  / 

lnscr.,t.  ll,p.  Maigre  nos  recherches  nous  n  avons  pu  découvrir  aucun 
73 1  in-4°,  et  t.  manuscrit  de  ce  célèbre  ouvrage  dans  nos  bibliothèques 
m,?.  469  in-  publiques. 

Bibiioih.  roy.       HI.   Roman  de   Cliget,  chevalier  de  la  table  ronde.  Au 

mss.  n<»75i8i,  début  de  ce  poème  l'auteur  nous  fait  connaître  plusieurs,  de 

anc.  fonds,  Ba-  ges  compositions  qu'ou  ne  trouve  point  dans  nos  biblioa 

73dcCangé!''  thèques;  il  y  a  apparence  qu'elles  se  sont  perdues.  Voici 

ce  cfébut: 

Cil  qui  fist  d'Erec  et  d'Enide  (i) 

Et  les  Coinmandemens  d'Ovide  (2) , 

E  l'ars  d'Amors  en  romans  mist(3), 

Et  le  mors  de  l'espatiUe  fist  (4)  ; 

Del  roi  Marc  et  d'iselt  la  blonde  (5) 


(i)  A  l'exception  de  cet  ouvrage  tous  les  autres  sont  perdus. 

(2)  Il  paraît  que  c'est  le  même  ouvrage  qui  est  désigné  dans  le  vers 
suivant. 

(3)  11  y  a  dans  le  n"  i83o  de  l'abbaye  une  traduction  intitulée  :  Ovide, 
de  Arte. 

(4)  La  métamorphose  de  Tantale,  qui  fit  servir  aux  dieux  son  fils 
Pélops,  dont  l'épaule  seule  fut  mangée. 

(.'î)  C'est  le  sujet  de  Tristan ,  roman  dont  nous  n'avons  pu  découvrir 
aucun  manuscrit. 


CHRESTIEN  DE  TROYES,  POETE  FRANC.       196 

Et  de  la  Ilupe  et  de  l'Aronde  (i),  '  XII  .SIEC.r..E. 

Et  del'  Rossignol  la  niuance  (a) , 
Un  autre  conte  recomniance.  Etc. 

On  voit  que  les  poëmes  qui  se  sont  perdus  sont  ceux  qu'il 
avait  traauits  ou  imités  des  Métamorphoses  d'Ovide,  et  qu'à 
l'exception  de  Tristan  nous  possédons  tous  les  autres. 

IV.    Roman    du    Chevalier  au   Lion,    ou   les  Aventures  Mss.Biblioth. 

d'Y  vain,  fils  du  roi  IJrien.   On   ne   conçoit  pas  comment  roy. ,  fonds  de 

Galland  a  pu  attribuer  ce  roman  à  Maistre  Wace,  et  con-  £^7^'  ^"^  *' 

fondre  ainsi  le  roman  du  Brut  avec  celui  de  notre  poëte.  Il  Académ.  des 

est  vraisemblable  que  dans  son  mémoire  le  savant  académi-  Inscr-.  1. 11,  p. 

cien  a  décrit  le  n"  27,  Fonds  de  Can^é,  ou  le  Brut,  séparé  Lsin^ia  '  ^' 
en  deux  parties ,  est  coupé  par  le  Chevalier  au  Lion.  Cette 

fausse  opinion  de  Galland  a  induit  en  erreur  le  président  Notes  sur  La- 

Bouhier  et  M.  de  Bréquigny.  croix  du  Maine, 

\.  Roman  de  Guillaume  d'Angleterre.   On  ne  sait  trop  Not.desmss. 

duquel  des  deux  Guillaumes  il  est  question  dans  ce  roman,  deiaBibi.,t.v, 

tant  l'histoire  y  est  défiguré  par  la  fable ,  ou  plutôt  tant  il  P,^^'  „., ,.   , 

.    f  1      I  jr         1  P  1.       ^  •      •!  •     •  1  Mss.Biblioth. 

est  tabuleux  d  un  bout  a  1  autre;  mais  il  est  certainement  de  roy.,  n"  6987, 
Chrestien,  qui  se  nomme  dès  le  commencement,  comme  fol.  240 ,  verso 
nous  le  verrons  plus  bas.  C'est  le  plus  court  des  ouvrages  '^°'-   '•  —  ^47 

d**  A  !••  AI  verso    col   I 

e  notre  poète,  et  en  même  temps  celui  qui  parait  lui  ap-  ' 

partenir  le  plus  et  où  il  a  mis  le  plus  de  son  invention. 

VI.  Il  existe,  comme  nous  le  verrons,  un  roman  du  Graal, 

en  vers,  d'après  la  version  en  prose  de  Robert  de  Borron; 

mais   rien  ne  nous  paraît  prouver  qu'il  soit  de  Chrestien  de 

Troyes.  Fauchet  le  pense  cependant,  et  il  en  rapporte  deux 

citations,  dont  voici  la  première:  Fauchet ,  p. 

.558,  verso. 
Qui  petit  semé  petit  cuelt, 

Et  qui  auques  recueuillir  velt 

En  tel  leu  sa  semence  espande 

Que  fruit  à  cent  doubles  lui  rende.  Etc. 

Mais  en  confrontant  ces  citations  avec  les  manuscrits  on 
s'aperçoit  qu'il  s'est  trompé,  et  que  le  prétendu  roman  du 
Graal,  dont  il  parle,  n'est  autre  que  celui  de  Perceval  le      Mss.fondsde 
Gallois,  dans  lequel  se  trouvent  les  dernières  aventures  du  ?^P^lj:  ''°7^' 
saint  Graal.  foho  36 1,  recto 

col.  I   de  1  Ar- 
senal, foJ.i,  etc. 
(  I  et  2  )  Ces  sujets  sont  encore  tirés  d'Ovide  ;  ce  sont  les  métamor- 
phoses de  Térée  en  huppe,  de  Progné  en  hirondelle,  et  de  Philomèle 
en  rossignol. 

Bba 


196      CHRESTIEN  DE  TROYES,  POÈTE  FRANC. 

'  VII.  Roman  de  Perceval  le  Gallois ,  translaté  de  prose  en 

Mss.Bibiioth.  rime  d'une  partie  du  roman  de  Tristan  le  Lc'ounois,  traduit 
Inc  fonds^^n"  '"'""^ême  du  latin  en  prose  française,  par  Luces  du  Gasl. 
27^1  73, fonds  Chrestien  le  dédia  au  comte  de  Flandres, 
de  Cangé,  bibl.  Borel  s'cst  étrangement  trompé  lorsqu'il  a  dit  :  a  Perceval 
*'*'ca^"des^aut.  ^'^"<^i  poëte  cn  langue  provençale,  gouverneur  d'Avignon 
lettre  P.  ^t  d'Arles,  pour  Charles,  comte  de  Provence,  selon  Gcofroy 

de  Tore  ».  Il  cite,  à  cet  égard,  la  bibliothèque  de  du  Verdier, 
dans  laquelle  ces  noms  de  Perceval  et  d'Orie  ne  se  trouvent 
pas.  Mais,  comme  il  lui  arrive  souvent,  Borel  a  pi'is  le  titre 
tredam^*  vies  ^^^  ouvrage  pour  le  nom  d'un  auteur.  Le  même  Borel  cite 
des  plus'célèb.  cucore  un  roman  de  Perceval  le  Gallois,  manuscrit  in-folio, 
et  anc.  poètes  de  la  bibliothèque  de  M.  de  Masnau,  conseiller  a  Toulouse, 
KV'  '  ^k  îi°  '  lequel  contient  près  de  soixante  mille  vers  ;  et  il  s'est  encore 
tredame,  Hist.  trompé  sur  cc  nombre  :  l'ouvrage  est  composé  de  trois  par- 
de  Prov. ,  part,  tics,  écrites  par  trois  diftérens  auteurs,  et  les  trois  ensemble 
3  ,  p.  a57.         réunies  ne  forment  un  total  que  de  vingt  mille  cent  soixante- 
dix-huit  vers  (i). 

La  premièr-e  partie  seule  est  de  Chrestien  de  Troyes.  La 
seconde  et  la  troisième  sont  de  deux  poètes  différens.  Nous 
verrons  plus  loin  quels  sont  ces  poètes,  et  les  erreurs  aux,-? 
quelles  leur  nom  et  la  part  qu'ils  eurent  à  la  composition  de 
ce  roman  ont  donné  lieu. 
Académ.  des       Galland  a  faussement  attribué  ce  même  roman  de  Per- 
ir^pl^Aoet  ceval  à  un  Raoul  de  Beauvais,   romancier  qui  n'a  jamais 
675.  existé  que  dans  son  imagination.  On  trouve  tien  un  poète 

de  ce  nom,  mais  il  n'a  fait  que  des  poésies  amoureuses  en 
stances;  on  ne  peut  donc  le  compter  que  parmi  les  chan- 
sonniers (2). 
Bibiioth.roy.,       VIII.  Romau  de  Lancelot,  ou  de  la  Charette ,  mis  en  vers 

mss;   fonds    de     it         \      1  •  1     /^       i-        n*  •  •    'm.  ' 

Cangé,  no  73.     "  après  la  version  en  prose  de  Gautier  Mapp,  qui  a  aussi  ete 
attribuée,  mais  à  tort,  à  Robert  de  Bouron.   Chrestien  a 

(i)  Ms.  de  la  bibliothèque  de  l'Arsenal.  Le  ms.  dont  parle  Borel 
contenait  sans  doute  trois  romans  réunis,  le  Saint  Graal ,  Lancelot,  et 
Perceval.  Les  trois  ensemble  formaient  soixante  mille  vers ,  et  le  dernier, 
qui  n'en  formait  que  le  tiers,  n'en  devait  en  effet  contenir  à -peu -près 
que  vingt  mille.  Voy.  Bibl.  des  romans,  t.  IV,  p.  38.  L'auteur  de  l'article 
dit  avoir  le  ms.  sous  les  yeux. 

(2)  Fauchet ,  p.  ySi,  v°.  Lolsel  ,  Mém.  du  Beauvoisis ,  p.  194,  l'a 
confondu  avec  Raoul  de  Beauvais ,  évêque  de  Nevers.  Voyez  aussi  Sup- 
plément à  l'hifitoire  du  Beauvoisis  par  Simon,  Paris,  1704,  in -12, 
part.  2  _,  p.  12. 


XII  SIECLE. 


CHRESTIEN  DE  TROYES,  POÈTE  FRANC.       197 

publie  son  poëme  sous  le  nom  de  la  Charette ,  pour  des 
raisons  que  Von  verra  dans  l'extrait  de  ce  roman.    Il  n'eut 

Eas  le  temps  d'y  mettre  la  dernière  main,  et  Godefioiz  de 
eingny  ou  de  Ligny,  en  Brie,  se  chargea  de  l'achever.  Cela       FaucLet,  p. 
n'a  pas  empêché  les  bibliographes  d'en  faire  deux  ouvrages,  56o.  — Roquef. 
l'un  intitulé  :  Lancelot ,  et  l'autre  la  Charette.  ^'  \lcToix  du 

IX.  Roman  du  Chevalier  à  l'Espée.  Legrand  d'Aussy,  qui  Maine, lia Ver- 
a  donné  une  traduction  de  ce  roman,  est  d'une  opinion  «'"''• -fauchet, 
contraire  à  celle  des  bibliographes,  qui  l'attribuent  à  notre  recto.  "  *^^ 
poète;  et  il  suffit,  pour  penser  comme  lui,  de  voir  que  dès  Fabliaux, in- 
le  commencement  l'auteur  s'adresse  à  Chrestien  de  Troyes,  *"' '•  i>  P-  S" 
et  lui  reproche  qu'après  avoir  célébré  tant  de  chevaliers  de  *  Lacroix  du 
la  table  ronde,  il  ait  oublié  celui-ci.  Sinner  (i)  rapporte  un  Maine,  t.  i,p. 
passage  de  ce  roman,  qui  confirme  le  sentiment  de  Legrand  '?°-— Du  Ver- 
d  Aussy.  Nous  n  avons  pu,  maigre  nos  recherches,  decou-  Sig.—  Fauch., 
vrir  le  manuscrit  d'après  lequel  cet  auteur  avait  fait  sa  p.  558.  —  Pas- 
traduction.  ^"^^■■'  '•  i' P- 

X.  La  continuation  du  roman  des  Chevaliers  de  la  Table  ^Lacroix  du 
ronde  n'est  point  de  notre  auteur;  les  bibliographes,  qui  le  Maine, Du  Ver- 
lui  attribuent,  ne  citent,  à  cet  égard,  aucune  autorité.  ^ *'"  '  '°'^-  ^}^- 

XI.  On  attribue  encore  à  Chrestien  les  romans  deTroye,  ner  loc.  cit." 
de  Parthenopex  de  Bloys,  de  Blanchandin;  mais  nous  peu-  Roquefort, 
sons  que  c'est  encore  une  erreur,  particulièrement  à  l'égard  Joe.  cit.  d'aprè» 
des  deux  derniers  ouvrages.  D'après  une  lecture  attentive  MouiTe't  *  ms! 
des  romans  de  Chrestien  de  Troyes ,  et  sur  -  tout  d'après  les  n°  7895  i'n-foL 
personnages  auxquels  il  les  a  dédiés.  Nous  présumons  que  '^oits  manu- 
ce  poète  a  cessé  de  vivre  de  1 195  à  1 198,  malgré  le  sentiment  ^[èj."  tuteurs 
d'un  savant  bibliographe,  qui  en  fixe  la  date  en  1191.  decettehistoire 

littéraire. 
.^^.i^'^^^'.^^v^  M.  VanPraët, 

Catalogue  de  la 
Vallicre,  t.  II, 
J_  p. 210. 

ROMAN  D'ÉREC  ET  D'ÉNIDE. 

Mss.    de   la 
ri  .  .  ,  ,  ...  Biblioth.  roy. , 

Le  roman,  qui  contient  a -peu -près  sept  mille  vers,  est  fonds  deCangé, 
un  des  premiers  que  fit  Chrestien  de  Troyes.  A  en  juger  ""  *7  oUm  6g, 
même  par  les  vers  qui  commencent  le  roman  de  Cliget,  que  foi  î'*"  et'dè 

l'ancien  fonds, 
(i)  Extrait  de  quelques  poésies  des  XII*,  XIII"  et  XIV*  siècle,  p.  i3.   ^°  7535-5. 
n  dit  le  contraire  un  peu  plus  loin  ,  p.  56.  Voy.  La  Borde ,  Essai  sur  la 
Musique,  t.  11,  p.  182.  ' 


XII  SÏECLE. 


ujS      CHRESTIEN  DE  TROYES,  POETE  FRANC. 

nous  avons  cités  précédemment,  ce  fut  le  début  de  l'auteur. 
Rien  n'indique  s  il  le  tira  de  la  traduction  française  d'un 
ancien  roman  latin.  Quoique  le  roi  Artus  y  figure,  que  la 
plus  grande  partie  de  l'action  se  passe  en  Angleterre  et  la 
fin  seulement  en  Bretagne ,  ce  n'est  pas  proprement  un 
roman  de  la  Table  ronde,  et  rien  n'empêche  de  penser  que 
Chrestien  tira  de  son  imagination  cette  fable  particulière, 
et  crut  la  devoir  lier,  selon  l'usage  du  temps ,  à  la  fable  du 
roi  Artus. 

11  annonce  d'abord  son  projet  par  cette  espèce  de  pro- 
logue : 

Li  vilains  dit  en  son  respit  (proverbe,  sentence). 

Que  tel  chose  a  l'on  (a-t'-on)  an  despit 

Qui  moult  valt  mialz  que  l'an  ne  cuide , 

Por  ce  fet  bien  qui  son  estuide 

Atome  à  bien ,  qu'il  que  il  l'ait  ; 

Car  qui  son  estuide  entrelait  (interrompt) 

Tost  i  puet  tel  chose  teisir 

Qui  moult  vandroit  (viendrait)  puis  à  plaisir. 

Por  ce  dist  Crestiens  de  Troies 

Que  reisons  est  que  tote  voies 

Doit  chascuns  panser  et  antandre 

A  bien  dire  et  à  bien  aprandre  , 

Et  tret(tire,  traduit)  d'un  conte  d'aventure 

Une  moult  bêle  conjointure.... 

D'Erec  le  fil  Lac  (i)  est  li  contes , 

Qui  devant  rois  et  devant  comtes, 

Pépécier  et  corrompre  suelent 

Cil  qui  de  conter  vivre  vuelent  (a). 

Dès -or  comancerai  l'estoire 

Qui  toz- jorz  me  ier  (sera  )  en  mémoire , 

Tant  com  durera  crestiantez  ■ 

De  ce  s'est  Crestiens  vantez. 

Le  début  du  poëme  contient  un  passage  curieux  sur  une 
coutume  singulière  que  le  roi  Artus  veut  faire  revivre  dans 
ses  états. 


(i)  Fils  de  Lac,  roi  d'Outre -Galles. 

(2)  Que  ceux  qui  vivent  du  métier  de  conteur  ont  coatume  de  dépecer 
et  de  dénaturer  devant  les  rois  et  les  comtes. 


CHRESTIEN  DE  TROYES,  POETE  FRANC.       199 

,    «               ,                   w           •   .          X                         XII  SIECLE. 
Un  jor  de  Pasques  al  tans  novel  (au printemps),  

A  Karadigan  son  castel(i), 

Ot  li  rois  Artus  cort  tenue  j 

Aine  (jamais)  si  riche  n'en  fil  véue. 

Car  moult  i  ot  bons  chevaliers, 

Hardis  ,  et  corajos ,  et  fiers  ; 

Et  rices  dames  et  puceles , 

Filles  à  roi ,  gentins  et  bêles. 

Mais  ançois  que  li  cors  partit  (2) , 

Li  rois  à  ses  barons  a  dit 

Qu'il  volait  le  blanc  cers  cachier  (chasser) 

Por  la  costume  renhauchier  (reuiettre  en  vigueur). 

Monsignor  Gavain  ne  plot  mie 

Qant  il  ot  la  parole  oïe  ; 

Sire  ,  fait-il,  de  ceste  cace 

N'aurois  vous  jà  ne  gré  ,  ne  grâce. 

Nos  savon  bien  trestot  pieça  (  depuis  long-temps  ) 

Quel  costume  li  blans  cers  a  ; 

Qui  le  blanc  cerf  ocire  puet , 

Par  raison  baisier  lui  estuet 

Des  puceles  de  vostre  cort 

La  plus  bêle  à  quanqu'il  cort  ; 

Maus  en  poroit  venir  moult  grans  : 

Encor  a-il  çaiens  cinq  çans 

Damoiseles  de  hais  parages, 

Filles  à  roi ,  gentils  et  sages  ; 

Ne  n'i  a  nule  n'ait  ami 

Chevalier  vaillant  et  hardi , 

Qui  tost  deraisnier  la  valdroit  (3) 

Ou  liist  à  tort,  ou  fiist  à  droit, 

Que  celé  qui  li  atalente  (lui  plaît) 

Ert  la  plus  bele  et  la  plus  gente. 

Li  rois  respont  ce  sai-jo  bien , 

Mais  por  ce  nel'  lairai-jo  rien  ; 

Mais  ne  puet  estre  contredite 

Parole,  puisque  rois  l'a  dite. 

(i)  L'une  des  quatre  grandes  villes  du  roi  Artus.* C'était  toujours  dans 
l'une  de  ces  villes  qu'il  tenait  ses  cours  plénières  et  l'assemblée  deis  che- 
valiers de  la  Table -Ronde. 

(2)  Mais  avant  que  l'assemblée  se  séparât. 

(3)  Qui  voudrait  prouver  le  contraire. 


XII  SIECLE. 


abo      CHRESTIEN  DE  TROYES,  POETE  FRANC. 

Demain  matin  à  grant  déduit 
Irons  cachier  le  blanc  cers  tuit 
En  la  forest  aventurose  ; 
Celé  cace  ert  moult  délitose. 

Le  roi  Artus  part  pour  la  chasse, la  reine  Genèvre,  son 
épouse,  le  suit;  elle  rencontre  Erec,  jeune  chevalier,  fils  de 
Lac,  roi  d'Outre-Galles,  et  le  prie  de  l'accompagner.  Chemin 
faisant,  ils  voient  une  pucelle  battue  par  un  nain;  la  reine 
ordonne  à  Erec  de  l'arracher  des  mains  de  son  bourreau,  il 
attaque  le  nain  qui  le  reçoit  à  coups  de  fouet.  Erec  veut  se 
venger,  mais  un  chevalier  arme  de  toutes  pièces ,  et  dont  les 
armes  sont  d'azur  et  d'or,  prend  la  défense  du  nain.  Erec, 
n'étant  vêtu  que  pour  la  chasse,  ne  peut  se  mesurer  avec 
lui  ;  il  prend  congé  de  la  reine  et  va  chercher  des  armes.  Un 
vavasseur  de  grande  noblesse ,  ruiné  par  la  guerre ,  le  reçoit 
très  -  bien.  Erec  lui  demande  deux  choses  :  le  nom  du  che- 
valier aux  armes  d'azur  et  d'or,  et  des  armes  pour  le  com- 
battre. Sur  le  premier  point  le  vavasseur  ne  peut  le  satisfaire; 
mais  lorsqu'Erec  s'est  fait  connaître  pour  ce  qu'il  est,  il  lui 
prête  une  armure  complète.  Erec  fait  une  troisième  demande, 
celle  de  la  main  d'une  fort  jolie  fille  du  vavasseur,  dont  la 
beauté  l'avait  frappé,  quoiqu'elle  fut  très-mal  vêtue.  Le  père 
la  lui  accorde.  Erec  apprend  que  dans  un  château  voisin 
on  célèbre  des  fêtes  où. des  braves  di.sputeront  le  prix;  il  ne 
doute  pas  qu'il  n'y  trouve  le  chevalier  qui  l'avait  insulté  ;  il 
se  rend  à  la  fête,  trouve  en  effet  le  chevalier,  le  défie,  1« 
renverse,  lui  accorde  la  vie,  lui  demande  son  nom ,  apprend 
de  lui  qu'il  s'appelle  Ydier,  et  l'envoie  à  Caradigan  porter 
de  ses  nouvelles  à  la  reine  Genpvre.  Deux  jours  après ,  il 
part  lui-même  pour  s'y  rendre  avec  sa  mie,  qui  n'est  poiot; 
encore  sa  femme. 

Folio  iA3,  t',  Li  père  et  la  mère  altresi  (égalenjent,  pareillement) 

col.  3   du  ms.  La  baisent  sovent  et  menu , 

27,cilé  aucoia^  ¥-.1  »  » 

Bj^ocement,  ^«  P^^""^""  "«  ^"^  «°^*  **'""■ 

Al  départir  plore  li  mère, 

Plore  li  pucele ,  et  li  père. 
Tex  est  amors ,  tes  est  natures 
Tex  est  pitiés  de  noreture. 
Plorer  les  faisoit  li  pitiés 
Et  la  douçors  et  l'amistiés 
Qu'il  avoient  de  lor  enfant. 


p£ucenenU 


XII  SIECLE, 


CHRESTIEN  DE  TROYES,  POÈTE  ERANÇ.      201 

Erec  et  sa  chère  Enide  arrivent;  les  murs  de  Caradigan 
étaient  couverts  de  chevaliers;  la  reine  était  montée  sur  la 
maistre-tour ,  pour  les  découvrir  de  plus  loin.  Elle  descend 

{)our  les  recevoir,  Artus  donne  la  main  à  la  pucelle  et  Erec 
a  donne  à  la  reine.  Genèvre  fait  cadeau  de  riches  vêtemens 
à  la  pucelle,  qui  est  présentée  par  Artus  aux  chevaliers  de 
la  table  ronde.  L'auteur  n'oublie  pas  de  les  nommer  tous. 
Artus,  qui  avait  été  vainqueur  du  cerf  blanc,  donne,  comme 
il  en  avait  le  droit,  un  baiser  à  Enide.  Erec  envoie  à  son 
beau -père  les  cadeaux  qu'il  lui  avait  promis,  et  dix  cheva- 
liers pour  le  conduire  dans  un  de  ses  châteaux  dont  il  lui 
Élit  don.  Les  noces  se  font  avec  la  plus  grande  magnificence; 
Artus  y  envite  tous  les  rois  ses  vassaux  ,  et  arme  cent  che- 
valiers. La  reine  sert  de  mère  à  Enide  et  l'accompagne  à  son 
coucher. 

<Jant  délivrée  fu  la  cambre  Fol.  i45,eol. 

Lor  droit  rendent  à  cascun  mambre  ;  3 ,  du  ms.  ci- 

,.,.,,  r  devant  Cité. 

VA  oel  d  esgarder  se  retont 

Cil  qui  d'anior  la  voie  font 

Et  lor  message  al  coer  envoient 

Qui  moult  lor  plaist  quanque  il  voient. 

Apres  le  message  des  iels 

Vient  la  dolçor  qui  moult  valt  miels. 

Des  baifcrs  qui  amor  atraient; 

Andui  (tous  deux)  celé  dolçor  assaient 

Et  lor  cœrs  dedens  en  aboivrent  ' 

Si  qu'à  paine  s'en  dessoivren», 

Del'  baisier  fu  li  primiers  jeus 

f  Et  l'amor  qui  est  entre-deux 

Fist  la  pucele  plus  hardie , 

Que  rien  ne  s'est  acoardie  ; 

Tôt  sofri  quanque  li  grevast  ; 

Ainçois  qu'ele  se  relevast , 

Ot  perdu  le  nom  de  pucele  ; 

Al  matin  £u  dame  novele  (i). 

Les  noces  durèrent  quinze  jours;  il  y  eut  un  grand  tournoi, 

(i)  Dans  le  roman  SJthis  et  Prophilias ,  d'Alexandre  de  Bernay,  on 
trouve  ce  même  vers  répété  en  pareille  occasion.  Voy.  l'article  Alexandre 
de  Bernay,  vers  la  fin. 

Tome  Xy.  Ce 


XII  SIECLE. 


ara      CHRESTIEN  DE  TROYES,  POÈTE  FRANC. 

où  Erec  fit  des  prodiges  de  valeur,  et  dont  il  remporta  le 
prix.  Il  demande  son  congé  au  roi  Artus  pour  aller  pré- 
senter sa  femme  à  son  père;  ils  partent  et  sont  reçus  avec 
la  plus  grande  magnificence  par  le  roi  Lac.  Les  bourgeois 
lui  font  des  présens  de  chevaux,  d'arrnes,  et  d'oiseaux  pour 
la  chasse. 

L'amour  que  notre  chevalier  a  pour  sa  nouvelle  épouse  le 
3étdVJrne  du  métier  des  armes;  ses  barons  en  murmurent. 
Enide,  instruite  de  leur  mécontentement,  s'en  afflige,  et  se 
détermine  à  en  avertir  son  époux.  Erec  convient  de  ses  torts. 
Il  ordonne  à. sa  femme  de  prendre  ses  plus  beaux  habits; 
il  se  fait  armer,  et  annonce  qu'il  est  prêt  à  partir,  accom- 
pagné seulement  d'Enidé.   En  vain  ses  chevaliers  lui  de- 
mandent l'honneur  de  le  suivre,  il  les  refuse.  Le  roi  Lac,, 
très-affligé,  conjure  son  fils  de  prendre  au  moins  desécuyers, 
Erec  le  refuse  également.  La  tristesse  est  générale  dans  la 
ville  comme  au  château.  Erec  part  en  défendant  à  sa  femme 
de  lui  parler  en  route;  il  la  fait  marcher  devant   lui.   Ils 
étaient  déjà  loin,  lorsque  trois  chevaliers  qui,  à  la  honte  de 
la  chevalerie ,  vivaient  de  rapine ,  voient  passer  Enide ,  et 
convoitent  son  cheval.  Eijiide  s'en  aperçoit,  retourne  sur  ses 
pas,  oublie  la  défense  de  son  mari  et  lui  fait  part  du  danger 
qui  la  menace.  Après  l'avoir  grondée  de  sa  désobéissance,  il 
fond  sur  les  voleurs,  les  défait,  et  emiifène  leurs  chevaux, 
qu'il  donne  à  conduire  à  sa  femme.  Bientôt  il  rencontre  cinq 
autres  chevaliers  voleurs.  Enide,  effrayée,  adresse  encore  la 
parole  à  son  époux,  qui  lui  fait  de  nouveaux  reproches, 
défait  les  cinq  voleurs,  en  tue  quatre,  donne  à  Enide  les 
quatre  chevaux  de  plus  à  conduire,  et  renouvelle  la  défense 
de  lui  parler. 

Ils  passent  la  nuit  sous  un  arbre;  un  varlet,  qui  porte  des 
vivres,  leur  en  offre  très-à-propos;  après  un  léger  repas,  ils 
se  remettent  en  route,  et  sont  reçus  dans  un  château.  Le 
comte,  qui  en  est  le  maître ,  devient  amoureux  d'Enide,  et 
la  prie  de  le  prendre  pour  son  chevalier  ;  elle  le  refuse  ;  il 
insiste,  et  déclare  que  si  elle  le  refuse  encore,  il  fera  tuer 
son  mari.  Dans  son  effroi,  elle  accepte,  ou  plutôt  feint  d'ac- 
cepter. Ils  vont  le  soir  même  loger  chez  un  bourgeois.  Cou- 
chée dans  la  chambre  de  son  seigneur,  Enide  n'ose  hii 
parler;  à  la  fiin  cepeadarat  eue  l'éveille  et  lui  dévoile  Jes 
projets  du  comte. 


GHRESTIEN  DE  TROYES ,  POETE  FRANC.      2o3 

Ha!  sire,  fet-ele,  merci! 


XII  SIECLE. 


Levez  isiielement  deci  (i)  N°  73,  fond» 

Qui  traïz  estes  antreset  (2)  ''^  Cangé  ,  fol. 

^  „    V  .  1 4, recto, coll. 

aanz  acoison  et  sans  loriet.  • 

Li  cuens  (le  comte)  est  traîtres  provez 

Se  ci  (si  en  ce  lieu)  poez  estre  trovez 

Jà  n'eschaperoiz  de  la  place 

Que  tôt  desmanbrer  ne  vos  face  > 

Avoir  me  vialt  (veut),  por  ce  vos  het  (hait). 

Erec  se  lève,  prend  ses  armes,  fait  venir  sou  hôte  le  bour- 
geois, lui  donne  les  sept  chevaux  qu'il  avait  pris  aux  voleurs, 
et  se  remet  en  route  avec  Enide.  A  pleine  étaient  -  ils  partis 
que  le  comte  envoya  chez  le  bourgeois  cent  chevaliers  pour 
tuer  Erec.  A  la  nouvelle  de  son  départ,  il  s'emporte  et  fait 
courir  après  lui;  les  cenf  chevaliers  ne  sont  pas  long- temps 
sans  l'apercevoir.  Enide,  tremblante,  prie  son  mari  de  hâter 
le  pas  pour  éviter  une  moit  certaine;  Erec  ne  lui  répond 
qu  en  la  menaçant  de  punir  sa  désobéissance.  Il  se  retourne, 
tond  sur  le  sénéchal  au  comte  qu'il  renverse,  va  combattre 
le  comte  lui-même,  et  le  renverse  également. 

Les  deux  époux ,  poursuivant  leur  route ,  passent  auprès 

du  château  du  roi  Gu jures-le-Petit  ;  un  chevalier  vient  de  la 

3art  de  ce  roi  défier  Érec  au  combat.  Enide,  qui  craint  tou- 

ours  les  surprises,  veut  dire  quelques  mots  à  son  mari;  il 

ui  ordonne  de  se  taire.  Les  deux  champions  se  battent  à 

outrance.  Gujures,  plein  d'admiration  pour  la  valeur  d'Erec, 

lui  offre  son  amitié.  Erec  lui  fait  à  son  tour  offre  de  services , 

et  ils  se  quittent  fort  bons  amis. 

Erec  et  Enide  arrivent  dans  une  forêt  où  le  roi  Artus  était 
venu  passer  quelques  jours  ;  il  avait  amené  avec  lui  plusieurs 
chevaliers,  entre  autres  son  neveu  Gauvain;  celui-ci,  fatigué, 
avait  laissé  dans  sa  tente  ses  armes  et  son  cheval.  Messire 
Keux,  personnage  bouffon  de  tous  les  romans  de  la  table 
ronde,  voulant  se  divertir,  prend  le  cheval,  revêt  l'armure 
de  Gauvain  et  va  parcourir  la  forêt;  il  rencontre  Erec,  passe 
fièrement  devant  lui,  et 

Li  demanda  par  son  orguel,  N''73deCan- 

Chevalier,  fet-il,  savoir  vuel  ge,tol.i6,rect., 

/-»   •  ji  ■  col-  '• 

Qui  vos  estes  et  d  ou  venez. 


(i)  Sortez  légèrement  (vite)  d'ici. 

(2)  En  ce  moment,  dans  ces  entrefaites. 


Ccu 


2o4      CHRESTIEN  DE  TROYES,  POÈTE  FRANC. 

Il  lui  promet  que  s'il  veut  le  suivre  il  l'introduira  auprès  du 
roi  Artus.  Erec  l'écoute*  d'abord  avec  patience,  se  fâche  enfin, 
lui  court  sus,  le  renverse,  et  donne  à  Enide  le  cheval  de 
•  Gauvain.  Messire  Keux  avoue  sa  faute  et  redemande  le  cheval, 

qui  lui  est  rendu. 

Kex  prant  le  cheval  si  remonte  , 

Au  tref-le-roi  vient  (i) ,  si  li  conte 

Le  voir  (la  vérité)  que  rien  ne  l'en  cela, 

Et  li  rois  Gauvain  apela. 

Biax  niés  (  beau  neveu  )  Gauvains ,  ce  dit  li  rois , 

S'onques  fustes  frans  ne  cortois, 

Alez  après  isnelemant 

Demandez  amiablement 

De  son  estre  et  de  son  afeire  ; 

Et  tâchez  de  m'amener  ce  chevalier.  Gauvain  exécute  les 
ordres  de  son  oncle,  et  se  rend,  suivi  de  deux  valets,  auprès 
d'Erec  : 

Puis  li  ditz  messire  Gauvains 
Qui  de  grant  franchise  estoit  plains.. 
Sire ,  fet-il ,  à  vos  m'anvoie 
Li  rois  Artus  en  ceste  voie.. 
La  roine  et  li  rois  vos  mandent 
Saluz ,  et  prient  et  comandent 
Qu'avoec  ax  vos  venez  déduire. 
Eidier  vos  vuelent,  non  pas  nuire 
Et  il  ne  sont  pas  loing  deci. 

Erec  remercie  Gauvain  ;  le  charge  de  témoigner  au  roi  sa 
reconnaissance,  mais  demande  qu'il  lui  soit  permis  de  pour- 
suivre son  chemin.  Gauvain  ne  pouvant  rien  obtenir  du 
chevalier,  envoie  un  varlet  prier  Artus  de  faire  transporter 
ses  tentes  dans  un  endroit  éloigné  de  quatre  lieues,  sur  la 
route  qu'Erec  devait  suivre. 

Artus  change  de  place  et  va  occuper  celle  qui  lui  est 
indiquée.  Gauvain  et  Erec  y  arrivent  :  sommé  une  seconde 
fois  de  s'arrêter,  Erec  se  nomtne,  les  deux  héros  se  recon- 
naissent. Sire ,  lui  dit  Gauvain , 

Geste  novele 
Sera  jà  mon  seignor  moult  bêle. 

(i)  n  vient  à  la  tente  du  roi. 


CHRESTIEN  DE  TROYES,  POÈTE  FRANC.      ao5 

Lié  en  iert  ma  dame  et  mes  sire,  Xïi  STE  -  ^  . 

Et  je  lor  irai  avant  dire. 

Mes  ainçois  m'estuet  anbracier 

Ma  dame  Ényde  vostre  famé. 

De  li  véoir  a  moult  ma  dame 

La  reine  grant  désirier; 

Encor  parier  l'en  oï  hier. 

Gauvain  les  quitte  pour  annoncer  leur  arrivée  à  Artus  et  à 
Genèvre,  qui  aussitôt  viennent  au-devant  des  deux  époux. 
Erec  souffrait  encore  des  blessures  qu'il  avait  reçues  en  com- 
battant contre  le  comte  et  contre  le  roi  Gujures.  On  banda 
ses  plaies  :  on  y  applique  un  baume  composé  par  la  fée 
Morgain,  qui  le  guérit  en  huit  jours.  Il  part  avec  Enide 
malgré  toutes  les  instances  que  Ion  fait  pour  le  re'^eiiir;  ils 
traversent  une  forêt,  des  cris  de  femmes  se  font  entendre,  et 
implorent  du  secours.  Erec  ordonne  à  Enide  de  ré.'^ter,  et 
court  vers  l'endroit  d'où  partaient  les  cris;  il  trouve  une 
pucelle  dont  l'ami  venait  d'être  enlaivé  par  deux  géans;  il 
poursuit  les  ravisseurs,  les  atteint,  les  combat,  perce  un 
géant,  fend  l'autre  en  deux,  ramène  le  chevalier  Cadoc  de 
Cabriole  à  sa  mie,  et  les  envoie  tous  deux  au  roi  Artus.  II 
rejoint  Enide,  mais  le  sang  qui  coulait  de  ses  blessures  le 
fait  s'évanouir.  Enide  le  croit  mort  et  se  reproche  d'en  être 
la  cause;  elle  s'évanouit  à  son  tour,  revient  à  elle,  retombe 
encore;  et,  lorsqu'elle  a  repris  ses  sens,  tire  l'épée  d'Erec  et 
veut  s'en  percer.  Un  comte,  suivi  de  plusieurs  chevaliers, 
lui  arrête  le  bras ,  tâche  de  la  calmer  ;  et  lui  offre  pour  con- 
solation son  cœur  et  sa  main.  Enide,  indignée,  le  repousse 
et  le  traite  avec  le  dernier  mépris.  Les  chevaliers  font  un 
brancard,  y  attachent  deux  de  leurs  chevaux,  y  placent 
Erec  et  l'emmènent  au  château.  Enide  est  forcée  de  les  suivre. 
Le  comte,  à  peine  arrivé,  mande  son  chapelain;  et  malgré 
la  résistance,  les  plaintes  et  la  désolation  d'Enide,  il  l'oblige 
à  recevoir  sa  main.  Elle  est  forcée  de  paraître  au  repas  de 
noces  qui  se  donne  le  lendemain  et  de  se  placer  dans  un 
fauteuil  à  côté  du  comte.  Par  un  raffinement  de  cruauté  on 
avait  mis  Erec  dans  une  bière  vis-à-vis  la  malheureuse  Enide: 
elle  est  au  désespoir  et  veut  se  laisser  mourir  de  faim.  Le 
comte  tâche  d'abord  de  la  fléchir,  lui  fait  ensuite   des  re- 

Ê roches,  et  s'emporte  enfin  jusqu'à  la  frapper.  Ses  barons  le 
lâment;  il  s'emporte  encore  davantage,  et  déclare  que  le  jour 


XII  SfECLE. 


206      CHRESTIEN  DE  TROYES,  POÈTE  FRANC. 

môme  il  veut  jouir  des  droits  dëpoux.  Enide  jette  les  hauts 
cris  ;  mais  tout-à-coup  : 

N°73,fol.  19,  Antre  ces  diz  et  ces  tançons, 

recto,  col.  2._  T>      •    .  17         1  ■" 

•  llevint  trec  de  pasmeisons , 

Ausi  com  hoin  qui  s'esvoille  ; 

S'il  s'esbahi  ne  fu  merveille 

Des  gens  qu'il  vit  environ  lui. 

Il  écoute  et  croit  dormir;  voyant  enfin  ce  qui  se  passe,  il  se 
lève,  rassemble  ses  forces,  et  saisissant  sa  bonne  épée,  il  en 
assène  un  coup  si  terrible  qu'il  coupe  la  tête  du  comt-e  et  la 
fait  rouler  au  bout  de  la  salle  (i).  Les  chevaliers,  saisis 
d'effroi,  croyant  que  c'est  un  esprit,  se  sauvent  précipitam- 
ment, prennent  des  chevaux  et  s'enfuient.  Erec  demande 
pardon  à  sa  femme  de  tout  ce  qu'elle  a  souffert  ;  le  pardon 
est  bientôt  obtenu ,  les  deux  époux  s'embrassent  et  s  aiment 
plus  tendrement  que  jamais. 

Cependant  la  mort  du  comte  était  parvenue  au  prince 
Guivret,  son  voisin;  il  ^art  avec  ses  gens  pour  s'emparer  des 
états  du  mort;  il  rencontre  Erec;  sans  le  connaître,  l'attaque 
à  l'improviste  et  le  renverse;  mais  lorsqu'il  apprend  à  qui  il 
à  affaire,  il  s'empresse  de  réparer  sa  faute,  et  conduit  les 
deux  époux  à  son  château.  Les  plaies  d'Erec  étaient  encore 
douloureuses ,  deux  sœurs  du  piince  Guivret  se  chargent  de 
les  guérir  et  y  réussissent  promptement;  Erec  remercie  son 
hôte  et  veut  prendre  congé  de  lui.  Guivret  lui  offre  de  l'ac- 
compagner à  la  cour  ;  ils  partent  et  passent  devant  un  châ- 
teau fort,  appelé  Brandiganz,  qui  appartient  au  roi  Evrain, 
Eréc  veut  y  aller  demander  IhospitaUté,  Guivret  le  prie 
de  n'en  rien  faire,  et  lui  apprend  qu'on  n'en  voit  jamais 
sortir  ceux  qui  y  s§nt  entres.  Erec  veut  tenter  l'aventure. 
Son  compagnon  cherche  toujours  à  le  dissuader;  mais  voyant 
son  parti  bien  pris  il  se  décide  à  l'accompagner  avec  sa  suite. 

(i)  Je  pense  que  ce  comte  se  nommait  de  Limors  ou  de  Lymors ,  sui-» 
Tant  celte  citation  qui  se  trouve  au  folio  19 ,  v",  col.  i  du  môme  ms. 

Trovei  le»  avoit  anbedeus  (tous  deux) 
Li  cuens  orguilleus  de  Liraors  , 
S'an  avoit  fet  porter  le  cors. 
Et  la  dame  espouser  voloit , 


Ses  genz  ver»  Lymors  conduisoit. 


XII  SIECLE. 


CHRESTIEN  DE  TROYES,  POETE  FRANC.      207 

Après  qu'ils  ont  passé  les  lices  et  le  pont,  les  bourgeois  qui 
les  regardent  admirent  la  beauté  d'Erec  et  plaignent  le  sort 
qui  l'attend. 

Après  por  ce  que  il  entende,  ♦ 

Dient  en  hait,  Dex  te  deffendc 

Chevalier  de  mésaventure  ; 

Car  molt  es  hiax  à  desmesure, 

Et  moult  fait  ta  biauté  à  plaindre 

Car  demain  la  verrons  estaindre 

A  demain  est  ta  mors  venue , 

Demain  morras  sans  atendue, 

Se  Dex  ne  t'en  garde  et  deffent. 

Erec  entend  tout  cela  sans  en  être  effrayé.  Le  roi  Evrain, 
prévenu  de  la  visite  qui  lui  arrive,  vient  au-devant  des 
voyageurs,  donne  la  main  à  Eiiide  pour  l'aidera  descendrede 
cheval,  et  les  conduit  dans  ses  appaitemens.  On  leur  sert  un 
souper  magnifique.  Erec  demande  ensuite  au  roi  la  permission 
de  parcourir  son  château.  Evrain  fait  connaître  au  chevalier 
les  dangers  auxquels  il  s'expose  ;  Enide  joint  ses  instances 
à  celles  du  roi,  tout  est  inutile.  Dès  le  matin  Erec  s'arme, 
monte  à  clieval, 

Li  rois  hors  del  chastel  le  nie-ne  o'    'i  °t' 

22,  y  ,  col.  I. 

An  un  vergier  qui  estoit  près , 

Et  tote  la  gent  vont  après 

Priant  que  de  ceste  besoigne 

Dex  à  joie  (heureusement)  partir  l'an  doigne. 

Ge  verger  était  enchanté;  les  arbres  étaient  couverts  de  fruits 
magnifiques  qui,  lorsqu'on  en  avait  mangé,  empêchaient  de 
trouver  la  porte  de  sortie.  Evrain  en  avertit  le  chevaUer  ;  il 
le  fait  entrer  ensuite  dans  un  jardin  dont  les  murs  sont 
garnis  de  pieux ,  sur  chacun  desquels  on  voit  un  heaume  et 
le  nom  du  chevalier  auquel  il  avait  appartenu;  un  seul  pieu 
restait  vacant;  on  attendait  la  mort  d'un  chevalier  pour  y 

glacer  son  nom  et  son  heaume.  Evrain  remontre  encore  a 
rec  les  périls  qu'il  va  chercher.  Ne  pouvant  rien  gagner 
sur  lui,  il  le  prévient  qu'après  les  plus  terribles  aventures, 
il  trouvera  un  cor  merveilleux ,  et  que  celui  qui  pourrait  le 
faire  sonner  conquerrait  honneur  et  richesse.  Erec  fait  retirer 
tout  le  monde,  congédie  le  roi  Evrain,  timbrasse  Enide,  et 
l'invite  à  ne  rien  craindre.  Resté  seul,  il  prend  un  sentier  au 
bout  duquel  il  trouve  une  pucelle  couchée  sur  un  lit  d'argent; 


XII  SIECLE. 


208      CHRESTIEN  DE  TROYES,  POÈTE  FRANC. 

il  approchait  pour  la  considérer,  lorsqu'un  chevalier  de  la 
plus  liaute  stature  paraît  et  lui  jette  le  gant;  ils  combattent. 
Après  une  longue  résistance,  Erec  renverse  son  ennemi,  qui 
demande  meaci  et  le  nom  de  son  vainqueur,  Erec  se  nomme, 
le  chevalier  en  fait  autant;  il  s'appelle  Mabonagrains," neveu 
du  roi  Vi  tains  (i);  il  raconte  comment  il  a  été  enchanté  par  sa 
mie  (2)  qui  l'avait  condamné  à  rester  dans  ce  séjour  jusqu'au 
moment  où  un  chevalier,  devenu  son  vainqueur,  le  déli- 
vrerait. Cependant  tout  désenchanté  qu'il  est  il  ne  peut  sortir 
du  jardin  si  le  cor  placé  à  l'entrée  du  verger  n'est  sonné  par 
son  vainqueur.  Erec  se  lève,  court  s'emparer  du  cor,  s  en 
saisit  et  le  sonne.  Aussitôt  qu'on  l'entend,  Evrain,  Guivret, 
Enide,  jettent  des  cris  de  joie,  dont  tout  le  château  retentit. 
Le  peuple  vient  en  foule  au-devant  d'Erec;  fl  sort  suivi  d'un 
grand  nombre  de  chevaliers  qui  étaient  prisonniers  dans  le 
verger,  et  délivrés  ainsi  que  leurs  dames  par  cette  victoire. 
Une  seule  personne,  la  mie  du' chevalier  Mabonagrains,  ne 
prenait  point  part  à  la  joie  commune.  Enide,  suivie  de  plu- 
sieurs dames  et  demoiselles ,  entreprend  de  consoler  cette 
affligée,  qui  reconnaît  Enide  pour  sa  cousine;  elles  se  ra- 
content mutuellement  leurs  aventures.  Tout  le  monde  rentre 
au  château,  le  peuple  témoigne  sa  joie  par  des  acclamations. 
Ce  ne  furent ,  pendant  plusieurs  jours,  que  fêtes  et  réjouis- 
sances. Erec,  Enide  et  Guivret  prennent  ensuite  congé;  ils 
arrivent  à  la  cour  du  roi  de  Rohais;  ils  y  sont  reçus  avec  autant 
d'amitié  que  de  magnificence.  Après  leur  avoir  fait  conter 
leurs  aventures,  le  roi  les  invite  a  rester  à  sa  cour;  ils  de- 
meurèrent en  effet  jusqu'au  moment  où  Erec  reçoit  la  nou-r 
velle  de  la  mort  dij  roi  Lac,  son  père,  par  une  députatiou 
de  ses  barons  qui  viennent  le  chercher.  Alors 

Fist  canter  vigiles  et  messes , 
Et  praraist  et  rendi  pramesses, 
Si  com  il  les  avoit  praniises. 
As  maisons  Deu  et  as  yglises 
Moult  fist  bien  qanque  faire  dut; 
Povres  maisaasiés  eslut , 
Plus  de  cent  et  soixante  noef, 


(i)  Dans  le  ms.  n»  78,  fol.  23,  v»,  col.  2.  Il  est  neveu  du  roi  Évrain. 
(2)  Le  ms.  ne  dit  point  quelle  était  cette  mie ,  ni  queL  pouvoir  elle 
^vait  d'enchanter  ainsi  son  amant. 


CHRESTIEN  DE  TROYES,  POETE  FRANC.      209 

Si  les  revesti  tos  de  noef.  XII  SIECLE. 

As  povres  clers  et  as  provoires 

Dona  que  drojs  fu  (i)  capes  noires 

Et  bones  pélices  dessos; 

Moult  fist  grant  bien  por  Deu  à  tos , 

A  cels  qui  en  orent  mestier 

Dona  deniers  plus  d'un  sestier. 

Avant  de  partir,  Erec  envoie  prier  le  roi  Artus  de  le  cou- 
ronner solennellement  ainsi  que  son  ami  le  prince  Guivret. 
Le  roi  manda  tout  son  barnage  (noblesse)  à  Nantes  pour 
cette  cérémonie.  Erec  manda  aussi  le  sien, 

Ni  fu  pas  oblié  le  père 

Ma  dame  Enide  ,  ne  sa  mère. 

Ils  arrivèrent  en  bonne  et  nombreuse  compagnie  :  c'e'taient 
des  chevaliers,  des  chastelins; 

Net  pas  route  (troupe,  compagnie)  de  capelains, 

Ne  de  foie  gent  esmarie  (2) 

Mais  de  bone  cevalerie. 

La  fête  fut  des  plus  belles;  Artus  fît  des  chevaliers,  offrit 
des  présens  magnifiques  aux  nouveaux  chevaliers,  aux  an- 
ciens et  aux  dames.  Après  la  cérémonie  du  couronnement, 
six  cents  tables  furent  splendidement  servies.  Les  fêtes  ter- 
minées, Erec  et  Enide  retournèrent  dans  leurs  états,  comblés 
des  présens  et  des  bienfaits  du  roi  Artus. 


188,  verso,  col. 
a. 


IL 
ROMAN  DE  CLIGÉS  OU  DE  CLIGET.  in-foi.,  fond, 

de  Cangé ,  fol 

La.  première  chose  qui  frappe  dans  le  début  de  ce  roman, 
c'est  la  liste  que  Chrestien  cfe  Troyes  y  donne  de  tous  ceux 
qu'il  avait  composés  jusqu'alors.  Nous  avons  cité  précédem- 
ment les  sept  premiers  vers  où  se  trouve  cette  liste  ;  le  poëte 
continue  : 

(i)  Selon  leur  besoin  \  selon  leur  dignité. 

(2)  Troublée ,  fâchée ,  de  mauvaise  humeur. 

TomeXK  Dd 


210      CHRESTIEN  DE  TROYES,  POÈTE  FRANC. 

Xir  SIECLE.  ,^  '  ^ 

c    I  Un  autre  conte  recommance 

D'un  vallet  qui  en  Gresse  fu 

Del  linage  le  roi  Artu. 

Orez  de  son  père  la  vie , 

Dont  il  fu  ,  et  de  quel  linage 

Tant  fu  prous  et  de  fier  corage , 

Qui  por  pris  et  por  los  conquerre 

Ala  de  Gresse  en  Engletere, 

Qui  lors  estoit  Bretaigne  dite , 

Geste  estore  trovons  escrite, 

Que  conter  vos  voel  et  retraire 

En  un  des  livres  de  l'aumaire  (armoire,  chartrier) 

Monsignor  saint  Paul  à  Biouvais. 

De  la  fu  li  contes  estrais , 

Qui  tesmoyne  l'estore  à  voire(i) 

Pour  ce  fait-ele  muis  à  croire. 

Par  les  livres  que  nos  avons 

Les  fais  des  anciens  savons 

Et  del  siècle  qui  fu  jadis 

Ce  nous  ont  nostre  livre  apris, 

En  Gresse  et  de  cevalerie 

Ce  premier  los  et  de  clergie  ; 

Puis  vînt  cevalerie  à  Rome 

Et  de  la  clergie  li  sonie 

Qui  or  est  en  France  venue 

Des  doint  quelle  soit  retenue 

Et  que  li  Luis  (2)  11  abelisse 

Tant  que  jamais  de  France  n'isse, 


Car  des  Français  ne  des  Romains 
Ne  dist  li  contes  plus  ne  mains. 

Un  empereur  qui  régnait  sur  Constantinople  et  sur  la 
Grèce  eut  deux  enfans  dont  l'aîné,  nomme,  comme  lui, 
Alexandre ,  desirait  être  fait  chevalier.  Il  voulut  recevoir  cet 
ordre  dans  la  cour  du  roi  Artus,  ou  du  moins  après  l'avoir 
-visitée. 

Il  demande  congé  à  son  père;  il  lui  demande  aussi  de 
l'argent  et  des  chevaliers  pour  lui  servir  d'escorte.  L'empe- 

(1)  A  vérité,  qui  témoigne  que  l'histoire  est  vraie. 
(s)  Louis  VII ,  qui  régnait  alors. 


CHRESTIEN  DE  TROYES,  POÈTE  FRANC,      an 
reur  propose  à  son  fils  de  le  nommer  roi  de  Gresse;  le  SIECLE.. 

prince  refuse ,  et  donne  ainsi  les  motifs  de  son  refus  : 

Ne  s'acordenl  pas  bien  ensamble  Fol.  189,  col.  i. 

Repos  et  los  si  com  moi  samble, 

Car  de  nule  rien  ne  s'alose 

Rices  boni  qui  tosjors  repose.      ♦ 

Parece  est  fais  à  malvais  home 

Et  as  prous  est  malvaise  some. 

Le  père,  ne  trouvant  rien  à  répondre  à  ces  raisons,  accorde 
à  son  fils  tout  ce  qu'il  a  demande. 

On  voit  dans  cette  citation  un  certain  talent  de  l'esserrer 
dans  la  mesure  du  vers  une  maxime  ou  une  pensée  morale 
qui  était  alors  très-rare,  ou  plutôt  que  notre  poëte  connais- 
sait peut-être  seul ,  et  qui  forme  un  des  traits  distinctifs  de 
son  style.  C'est  encore  ainsi  qu'il  dit  un  peu  plus  bas  que  la  Loc  cit.  col.  a. 
générosité  est  la  plus  belle  des  vertus  ; 

Mais  tout  aussi  comme  li  rose 
Est  plus  que  nule  altre  flor  bêle 
Qant  ele  naist  fresce  novele. 

Le  prince  s'embarque  ;  il  arrive  à  Vincestre,  où  le  roi  Artus 
tenait  sa  cour;  il  est  présenté  et  bien  reçu.  Il  expose  les  mo- 
tifs qui  l'ont  amené  en  Angleterre  et  le  désir  qu'il  a  d'être 
arme  chevalier.  Artus  le  prend  à  sou  service  et  l'emmène  avec 
lui  en  Bretagne.  Pendant  le  voyage,  Alexandre  devient  amou- 
reux de  la  pucelle  de  la  reine,  sœur  de  Gauvain  et  nièce 
d' Artus.  Elle  le  trouve  aussi  fort  aimable. 

Issi  se  plaint  et  cil  et  celé ,  F"'-     '9*  » 

Et  li  uns  à  l'autre  se  celé.  '*"°  '  *'*''•  '• 

Le  jor  ont  mal  et  la  nuit  pis. 
En  tel  dolor  ce  m'est  avis 
En  Bretaigne  lonc  tans  esté. 

Ils  y  étaient  donc  déjà  depuis  long-temps,  l'orsqu'un  messa- 
ger vint  apporter  au  roi  Artus  la  nouvelle  d'un  soulèvement 
dans  ses  états.  Artus  rassemble  son  armée,  passe  la  mer,  dé- 
barque et  se  prépare  au  combat.  Alexandre  prie  le  roi  de 
lui  conférer  l'ordre  de  la  chevalerie.  Artus  y  consent,  et  la 
reine  Genoivre  donne  à  cette  occasion  au  nouvel  initié  une 
cotte  d'armes ,  qui 

Es  costures  n'aToit  un  fil 

Dda 


XII  SIECLE. 


212       CHRESTIEN  DE  TROYES,  POETE  FRANC. 

Ne  fust  d'or  ou  d'argent  al  mains  ; 
Al  cosdre  avoit  mises  ses  mains. 

Sore  d'amors,  ou  sœur  d'amour,  c'est  le  nom  de  la  maîtresse 
du  jeune  Grec,  avait  mis  de  ses  cheveux  dans  la  broderie. 
Artus  arrive  à  Londres;  sa  présence  dissipe  les  révolte's, 
dont  le  chef  va  se  cacher  à  Windsor.  Le  roi  l'y  fait  attaquer 
par  Alexandre.  Le  nouveau  chevalier  fait  des  prodiges  de 
valeur. 

Les  rebelles,  assiége's  à  Windsor,  tentent  de  surprendre 
l'armée  pendant  la  nuit  ;  leur  ruse  est  découverte ,  tous  leurs 
soldats  sont  tués  ou  faits  prisonniers.  Le  chef  se  retire  dans 
son  château  ;  Alexandre  s'y  introduit  par  une  ruse  de  guerre. 
Il  prend  et  fait  prendre  à  ses  soldats  les  écus  ou  boucliers 
de  ceux  qui  avaient  été  tués.  Ils  font  avec  ces  écus  des  si- 
gnaux qui  trompent  les  rebelles  :  le  pont-levis  est  baissé  ;  ils 
entrent  dans  la  place  ^  se  font  reconnaître  et  attaquent  l'en- 
nemi surpris.  Après  une  longue  résistance,  leur  chef  s'enfuit 
dans  la  grosse  tour;  Alexandre  l'y  suit,  le  combat  à  ou- 
trance et  le  tue. 

Artus,  dans  sa  colère,  avait  juré  de  faire  périr  tous  les 
rebelles  ;  ils  sont  au  désespoir. 

"o  .     194  ,  Cascuns  plagnoit  la  siue  (sa)  perte 

Qui  lof  ert  grevose  et  anière ,    ' 
La  plore  li  fius  sor  le  père, 
Et  ça  li  père  sor  le  fil  ; 
Sor  son  parent  se  pasme  cil  , 
Et  li  autre  sor  son  neveu , 
Ainsi  plaignent  en  cascuns  leu 
Lors  fils ,  lorS  pères ,  lors  parans. 

Alexandre  les  envoie  au  roi,  demande  leur  grâce  et  l'obtient. 
Artus  lui  donne  d'abord  pour  récompense  une  superbe  coupe 
d'or;  il  le  marie  ensuite  avec  sa  nièce  Sore  d'amors,  sœur  de 
Gauvain,  et  lui  promet  un  des  plus  beaux  royauniés  de  sa' 
terre.  De  ce  mariage  naquit  Cligès  ou  Cliget,  qui  est  leherofr 
du  roman.  Cependant  le  père  d'Alexandre,  aux  portes  du 
tombeau,  envoya  chercher  son  fils  par  plusieurs  de  ses  ba- 
rons, le  vaisseau  qui  les  portait  fait  naufrage  :  tous  sont 
noyés,  à  l'exception  d'un  traître,  d'un  renégat,  qui  préférait 
les  intérêts  d'Alis,  second  fils  de  l'empereur,  à  ceux  de  son 
aîné  Alexandre; 


verso ,  col.  3. 


CHRESTIEN  DE  TROYES,  POETE  FRANC.      21: 

Fors  un  félon  ,  un  renoié 


XII  SIECLE. 


Qui  amoit  Alis  le  menor  Fol.    iijj. 


Plus  q'Alixandre  son  signor(i). 

Ce  traître  retourne  en  Grèce,  répand  la  nouvelle  qu'en 
revenant  d'Angleterre  le  vaisseau  qui  ramenait  Alexandre 
avait  fait  naufrage,  et  que  lui  seul  s'était  sauvé.  Les  barons 
trop  confians,  trompés  par  ce  rapport  infidèle,  couronnent 
Alis  et  le  reconnaissent  pour  roi.  Alexandre  ayant  appris  la 
maladie  de  son  père,  désire  le  revoir  à  ses  derniers  momens;  il 
obtient  un  congé  d'Artus ,  et  emmène  avec  lui  une  troupe  de 
Danois,  d'Ecossais  et  de  Cornoualliens;  sa  femme  et  son  fils 
l'accompagnent;  ils  débarquent  à  Athènes.  Il  y  avait  grande 
fête  dans  le  palais  d'Alis.  Alexandre  envoie  un  de  ses  officiers 
le  prévenir  de  son  arrivée.  Le  nouveau  roi  (car  tantôt  le  poète 
lui  donne  le  titre  de  roi,  et  tantôt  celui  d'empereur),  le  nou- 
veau roi,  fort  embarrassé,  consulte  les  barons,  qui  lui  con- 
seillent de  fairq  la  paix.  Les  deux  frères  s'embrassent;  Alis 
consent  à  ne  se  point  marier,  et  à  voir  dans  Cligès  l'héritier 
présomptif  de  la  couronne.  Alexandre  meurt  quelques  années 
après,  et  donne  en  mourant  à  son  fils  des  instructions  que 
le  jeune  homme  promet  de  suivre.  Le  deuil  tei'miné,  les  ba- 
rons conseillent  a  Alis  de  se  marier,  malgré  la  promesse  qu'il 
avait  faite  à  son  frère.  Le  voyant  irrésolu,  ils  vont  demander 
pour  lui  une  des  nièces  de  l'etnpereur  d'Allemagne.  L'empe- 
reur l'accorde;  mais  l'ayant  déjà  promise  au  duc  de  Sassoigne 
ou  de  Saxe,  il  exige  qu'Alis,  suivi  de  ses  chevaliers,  vienne 
faire  les  noces  à  Cologne.  Alis  part,  emmenant  avec  lui  son 
neveu  Cligès  qui  avait  déjà  dix-huit  ans.  Ils  arrivent  et  sont 
présentés  a  l'empereur.  Après  les  premiers  compUmens,  l'em- 
pereur fait  venir  sa  nièce,  qui  ne  paraît  que  pour  faire  au 
cœur  de  Cligès  une  profonde  blessure,  et  pour  y  allumer 
une  flamme  dont  elle  brûle  également.  Cependant  le  duc  de 
Sassoigne  envoie  annoncer  à  l'empereur  d  Allemagne  que  si 
la  pucelle  ne  devient  sa  femme,  il  lui  déclare  une  guerre 
mortelle.  L'empereur,  sans  s'effrayer  de  cette  menace,  fait 
publier  un  tournoi.  Cligès  saisit  cette  occasion  de  plaire  à 
Fenice  sa  mie;  il  donne  des  preuves  de  la  valeur  la  plus 
brillante,  et  entre  autres  exploits,  il  renverse  l'envoyé  du 
duc  de  Sassoigne.  Fenice  lui  fait  connaître  par  un  souris 

(i)  A  l'exception  d'un  traître ,  d'un  renégat ,  qui  préférait  les  intérêts 
d'Alis,  second  (ils  de  l'empereur,  à  ceux  de  son  aîné  Alexandre. 


verso ,  col.  i. 


XII  SIECLE. 


Fol.     i9« , 
reclo ,  coJ.  2.. 


Fol-    «99< 
recto  ,  coL  i,. 


fccto,  col.  a« 


fi  14      CHRESTIEN  DE  TROYES,  POÈTE  FRANC. 

combien  elle  est  satisfaite  de  son  courage.  Cette  princesse 
était  bien  changée;  les  couleurs  de  son  teint  avaient  perdu 
tout  leur  éclat.  Sa  nourrice  Thessala  l'interroge,  et  pénètre 
enfin  son  secret.  Elle  promet  à  sa  jeune  élève  de  la  servir; 
elle  emploie  pour  cela  un  breuvage  qu'elle  fera  donner  au 
nouvel  époux,  qui  lui  fera  prendre  en  dormant  l'ombre  pour 
la  réalite,  et  l'empêchera  pour  toujours  de  toUir  à  l'aimable 

Ïmcelle  ce  doux  nom  qu'elle  craint  de  perdre.  Le  mariage  se 
ait;  l'empereur  donne  un  grand  repas;  Thessala  prépare  son 
bi'cuvage,  et  le  remet  à  Cligès  pour  qu'il  le  fasse  prendre  à 
*on  oncle.  Alis  boit  avec  plaisir  cette  liqueur  traîtresse. 

Que  jamais  n'en  sera  délivres 

Mais  tos  jors  ert  en  dormant  ivres 

Et  sel  fera  si  travillier  (travier,  traviare,  délirer) 

Qu'en  dormant  quidera  villier. 

Les  deux  époux  vont  au  lit  nuptial;  Alis  ne  fait  que  rêver 
toute  la  nuit,  mais  il  rêve  si  bien,  qu'il  croit  n'avoir  plus 
qu'à  présenter  sa  nouvelle  épouse  à  ses  peuples.  II  part  avec 
elle  dans  ce  dessein,  peu  de  jours  après  son  mariage.  Le  due 
de  Sa ss oigne,  outré  des  refus  qu'il  avait  éprouvés ,  avait  as- 
semblé ses  troupes  sur  la  frontière  pour  disputer  et  enlever 
Fenice.  Cligès,  s'étant  écarté  dji  camp  avec  quatre  écuyers, 
est  attaqué  et  blessé  par  le  neveu  du  duc.  Revenu  de  sa  sur- 
prise, il  l'attaque  à  son  tour,  et  le  tue.  Le  duc  veut  venger 
son  neveu;  Cligès  le  désarçonne  et  emmène  son  cheval.  La 
bataille  devient  générale;  Cligès  fait  tout  trembler  devant 
lui.  Cependant  un  espion  vient  annoncer  au  duc  que  les  Grecs, 
sortis  de  leur  camp,  ont  laissé  sans  gardes  la  jeune  reine;  il 
demande  cent  chevaliers,  et  se  charge  de  l'enlever.  Ils  arrivent 
au  camp,  emmènent  la  princesse  qu'ils  envoient  au  duc  sous 
l'escorte  de  douze  hommes  d'armes.  Cligès  vole  à  la  défense 
de  sa  mie^  tue  ses  ravisseurs,  et  ramène  Fenice  au  camp.  Au 
désespoir  d'avoir  manqué  sa  proie,  le  duc  offre  la  bataille  à 
Cligès.  Le  jour  pris,  le  combat  commence,  les  lances  sont 
bientôt  brisées  ;  les  champions  mettent  pied  à  terre.  Le  com- 
bat devient  terrible. 

Il  samble  à  cels  qui  les  agardent. 
Que  lor  elme  esprendent  et  ardent. 
Et  quant  à  s'espées  s'asaillent , 
Estenceles  ardans  en  saillent 


XII  SIECLE. 


CHRESTIEN  DE  TROYES,  POÈTE  FRANC.      ai5 

Aussi  comme  del  fer  qui  fume 
Que  li  fevre  bat  sor  l'englume 
Quant  il  l'atrait  de  le  fornage. 

Enfin,  las  de  férir,  et  désespérant  de  vaincre,  le  duc  pro- 
pose la  paix,  et  l'obtient.  Après  cet  exploit,  qui  augmente 
sa  réputation,  Cligès  se  souvient  de  l'une  des  promesses 
qu'il  a  faites  à  son  père  mourant;  c'était  de  se  rendre  à  la 
cour  d'Artus  pour  y  apprendre  l'art  de  la  chevalerie.  Il  en 
demande  la  permission  a  son  oncle  qui  la  refuse  d'aboid,  et 
ne  l'accorde  qu'après  les  instances  les  plus  vives.  Il  prend 
congé  de  sa  jeune  tante;  les  adieux  sont  tendres  et  doulou- 
reux; mais  il  faut  partir.  Cligès  aborde  en  Bretagne,  et  va 
d'abord  s'établir  à  Galingefort  (Claginfurth),  où  le  roi  Artus 
allait  ouvrir  un  tournoi  qui  devait  durer  quinze  jours.  Cligès 
envoie  trois  écuyers  à  Londres. 

Si  lor  comamla  aporter  '"'•  ,'*" 

"vcrso    coi»  5i> 
Trois  paires  d'armes  desparelles  j 

Unes  noires,  altres  vermelles, 

Les  terces  vers. 

Il  recommande  que  ces  armes  lui  soient  apportées  secrète- 
ment, et  que  personne  ne  les  voie.  Le  tournoi  est  ouvert; 
Cligès  se  présente  revêtu  de  ses  armes  noires;  il  joute  contre 
le  redoulable  Sagremprs,  le  renverse  et  le  fait  prisonnier; 
enfin  il  remporte  pour  cette  journée  le  prix  du  tournoi. 
Rentré  chez  lui,  il  cache  ses  armes  noires,  et  le  lendemain 
paraît  dans  la  lice  avec  son  armure  verte.  On  fait  chercher 
inutilement  de  tous  côtés  le  chevalier  vainqueur.  Lancelot  * 
du  Lac  se  présente  au  combat;  il  est  abattu  et  fait  prisonnier 
par  le  chevalier  aux  armes  vertes,  qui  remporte  encore  le 
prix.  Cligès  cache  de  nouveau  ses  armes,  en  revêt  de  ver- 
meilles, se  fait  encore  chercher  vainement,  est  vainqueur  de 
Perceval  le  Gallois ,  remporte  pour  la  troisième  fois  le  prix , 
et  cache  ses  armes.  Le  quatrième  jour,  il  en  revêt  de  blanches, 
celles  avec  lesquelles  il  avait  été  reçu  chevalier.  Il  rompt  quel- 
ques lances  avec  Gauvain,  qui  allait  être  vaincu,  lorsque 
Artus  envoya  aux  deux  champions  ordre  de  cesser  le  com- 
bat, et  à  Cligès  de  se  rendre  auprès  de  lui.  Cligès  répond 
qu'il  s'y  rendra  aussitôt  que  le  tournoi  sera  fini.  Artus  fait 
sonner  la  retraite.  Cligès  se  présente  au  roi,  en  est  bien 
accueilli,  se  fait  reconnaître  pour  le  vainqueur  des  trois  pre- 
mièi-es  journées,  et  donne  la  liberté  à  ses  prisonniers.  Les 


XII  SIECLE. 


2i6      CHRESTIEN  DE  TROYES,  POÈTE  FRANC. 

chevaliers,  enchantes  de  ses  hauts  faits,  lui  adressent  ce  com- 
pliment: 

Fol.    aoa  ,  Ce  fastes  vous  bien  le  savoniçs , 

verso,  col.  s.  Vostie  acointance  clùere  avotncs. 

Et  moult  vous  devrions  amer 
Et  signor  et  ami  clamer 
Qu'a  vous  n'est  nus  de  npus  parels 
Mais  tôt  aussi  com  li  solels 
Estaint  les  estoiles  menues 
•    -  Que  la  clarté  n'en  pert  (  paraît)  es  nues 
La  où  li  rai  del' solel  naissent, 
Aussi  estaignent  et  abaissent 
Nos  proesces  contre  les  vos. 

Cligès  rougit  de  ces  louanges.  Les  chevaliers  le  conduisent 
au  roi  qui  le  place  à  table  à  côte'  de  lui.  Après  le  repas,  il 
lui  fait  raconter  sa  vie  et  ses  aventures.  Gauvain  reconnaît 
en  lui  son  neveu;  il  l'embrasse  et  lui  témoigne  toute  la  joie 
qu'il  a  de  le  voir.  Il  n'en  jouit  pas  long-temps.  Cligès,  qui 
brûle  d'envie  de  se  signaler,  quitte  la  cour,  va  parcourir  la 
France,  la  Normandie,  la  grande  et  la  petite  Bretagne.  Mais 
le  souvenir  de  Fenice  le  suit  par-tout;  enfin  il  ne  peut  plus 
tenir  au  désir  de  la  revoir.  Il  demande  congé  pour  retour- 
ner en  Grèce,  s'embarque,  arrive,  et  est  reçu  dans  sa  patrie 
avec  de  vifs  transports  de  joie.  Les  plus  grands  honneurs  lui 

.  sont  rendus.  Fenice,  sa  mie,  est  plus  charmée  que  personne 
de  son  retour.  Ils  ont  le  loisir  de  se  voir.  Un  jour  qu'ils  s'en- 
tretenaient doucement,  elle  lui  demanda  si  dans  ses  voyages 
il  avait  aimé  dame  ou  pucelle.  Je  ne  sais,  répondit-il,  car  je  ne 
fus  qu'avec  mon  corps  en  Bretagne;  j'avais  laissé  mon  cœur 
en  Allemagne;  j'ignore  ce  qu'il  devint,  mais  sitôt  que  j'ai  été 
près  de  vous,  je  l'ai  retrouvé.  Il  demande  à  son  tour  à  Fenice 
si  le  pays  lui  plaît.  Jusqu'à -présent,  dit-elle,  il  a  été  pour 
^  moi  sans  charmes,  et  ce  n'«st  que  depuis  votre  retour  que  je 

le  trouve  charmant.  Cette  conversation  finit,  comme  on  peut 
le  penser,  par  une  déclaration  d'amour  dans  toutes  les  forrnes. 
La  princesse  avoue  à  Cligès  comment,  quoique  reine,  elle  n'a 
point  cessé  d'être  fille,  lui  raconte  l'histoire  du  breuvage  et 
tout  le  reste.  Il  s'agit  de  trouver  un  moyen  de  rompre  son  ma- 
riage. Comme  nuit  porte  conseil ,  ils  remettent  au  lendemain 

.  cette  délibération.  Cligès  présente  plusieurs  projets  qui  sont 
rejetés.  On  s'arrête  enfin  à  celui-ci  :  Fenice  contrefera  la  ma- 


CHRESTIEN  DE  TROYES,  POETE  FRANC.       217 

lade,  feindra  même  de  mourir,  et  se  laissera  enterrer;  Cligès  L 

l'enlèvera  la  nuit  ;  ils  se  sauveront  en  Allemagne  avec  Thes- 
sala  qui  les  aidera  dans  l'exe'cution  de  leur  projet.  En  effet, 
l'officieuse  nourrice  présente  à  son  élève  un  breuvage  qui 
l'assoupit  sur-le-champ,  et  la  fait  passer  pour  morte. 

.  .  Jà  n'iert  mais  hom  qui  la  voie  p^,!     ^^3 

Que  tôt  chertainement  ne  croie  Terso ,  col.  3. 

Que  l'anie  soit  del'  cors  sevrée 

Paèlc,  froide,  descolorde, 

Et  sans  parole  et  sans  alaine , 

Et  si  ert  tôt  vive  et  saine, 

Ne  bien ,  ne  mal  ne  sentira 

Ne  jà  rien  ne  li  grèvera 

Dun  jor  et  d'une  nuit  entière. 

Cligès  se  confie  à  l'un  de  ses  hommes,  c'est-à-dire  de  ses 
serfs,  nommé  Jehan,  à  qui  il  promet  la  liberté  pour  prix 
de  son  silence  et  des  services  qu'il  attend  de  lui.  Jehaa  le 
sert  avec  un  grand  zèle,  et  fait  pour  lui  l'acquisition  d'une 
tour  ou  d'un  château  où  il  pourra  faire  transporter  Fenice. 
Cependant,  au  bout  d'un  jour  et  d'une  nuit,  l'impératrice 
était  revenue  à  elle,  et  s'était  encore  assoupie.  La  nouvelle 
de  sa  maladie  était  répandue  parmi  le  peuple. 

Mais  li  max  dont  ele  se  plaint  Fol.    204  , 

Ne  li  grieve  ne  ne  li  delt.  '*'«"o ,  col.  3. 

S'a  dit  à  tous  quele  ne  velt 

Que  nus  hom  en  sa  cambre  viegne 

Tant  com  ses  max  si  grans  li  tiegne ,  * 

Dont  ses  coers  li  delt  et  li  ciés  (les  chefs),  « 

Se  n'est  l'emperere  u  ses  niés  (neveux). 

Pendant  que  l'empereur  se  livre  à  son  désespoir,  Cligès 
trouve  le  temps  de  s'approcher  de  sa  maîtresse  et  de  lui  faire 
part  de  l'acquisition  quil  a  faite.  Alors  elle  redouble  ses  cris, 
et  demande  qu'on  la  laisse  seule,  afin  que  son  amant  ait  le 
temps  de  tout  préparer.  Il  se  retire  d'un  air  triste,  mais  le 
cœur  très-content.  Cependant  la  maladie  paraît  empirer;  les 
médecins ,  appelés  de  tous  côtés ,  s'assemblent.  D'après  l'urine 
de  la  malade  (les  médecins  de  ce  pays-là  n'en  savaient  pas 
alors  davantage),  ils  prononcent  qu'elle  mourra  bientôt. 
Bientôt  en  effet  on  vient  annoncer  qu'elle  est  morte.  A  cette 

2'o/ne  XF.  Ee 


XII  SIECLE. 


Fol.    ao5 , 
recto,  col.  i. 


2i8      CHRESTIEN  DE  TROYES,  POÈTE  FRANC. 

nouvelle  l'empereur  s'évanouit;  le  palais  et  toute  la  ville  re- 
tentissent de  cris  de  douleur. 

Par  aventure,  trois  médecins  de  Saleme  traversaient  le 
pays  pour  aller  à  Constantinople.  Ils  entendent  les  cris  du 
peuple,  et  en  demandent  la  cause.  L'ayant  apprise,  ils  entrent 
au  palais,  visitent  le  corps  de  l'impératrice,  reconnaissent 
bientôt  qu'elle  n'est  qu'assoupie,  et  l'un  deux  élevant  la 
voix  : 

Emperere ,  conforte  toi  ; 

Je  sai  chertainement,  et  voi 

Que  ceste  dame  n'est  pas  morte. 

Esléece  toi  et  conforte  ; 

Se  jou  vive  ne  te  le  rent  ' 

J'otroi  que  m'ociez  et  pent. 

L'empereur  le  prend  au  mot,  et  lui  promet,  s'il  dit  la  vérité, 
de  le  récompenser  dignement,  sinon  de  le  faire  pendre.  Le 
médecin,  siàr  de  son  fait,  demande  qu'on  le  laisse  lui  et  ses 
deux  confrères,  seuls  avec  la  malade.  Restés  seuls,  ils  font 
revenir  l'impératrice  de  son  assoupissement;  ils  l'interrogent 
et  veulent  savoir  d'elle  ce  qui  a  pu  l'engager  à  prendre, 
comme  elle  l'a  fait  sans  doute,  un  breuvage  soporifique. 
Avouez-le  nous,  disent-ils; 

Si  traïssies  l'empéréor 
N'aiez  mie  de  nous  paor. 

L'impératrice  ne  répond  rien  ;  nouvelles  instances  de  la  part 
des  médecins,  et  pas  une  parole  de  l'impératrice.  Nos  doc- 
teurs veulent  absolument  la  forcer  à  parler.  Ne  pouvant  en 
venir  à  bout ,  ils  prennent  une  forte  courroie  et  l'en  frappent 
jusqu'à  la  mettre  en  sang.  Elle  ne  parle  ni  ne  se  plaint.  Ils 
prennent  du  plomb  fondu  et  le  lui  versent  dans  la  main. 
Elle  ne  jette  pas  le  moindre  cri,  ne  laisse  pas  même  échap- 

{)er  un  soupir.  Ils  ne  s'en  seraient  pas  tenus  là,  et  ne  vou- 
aient rien  moins  que  la  griller,  si  Cligès,  l'empereur  et  leur 
suite,  impatientés  d'attendre  si  long -temps,  n'eussent  re- 
gardé par  la  serrure.  Transportés  de  colère,  ils  enfoncent 
la  porte  :  les  médecins  effrayés  se  sauvent  et  se  jettent  par 
la  fenêtre.  ,  • 

Thessala,  qui  était  entrée  avec  les  dames,  recouvre  le 
corps  de  sa  maîtresse.  Cligès  est  au  désespoir  des  souffrances 
que  Fenice  vient  d'endurer  pour  lui.  Thessala  fait  retirer 
tout  le  monde ,  et  frotte  les  plaies  de  sa  maîtrese  avec  un 


XII  SIECLE. 


CHRESTIEN  DE  TROYES,  POETE  FRANC.   a  19 

onguent  précieux  qui  eu  fait  disparaître  jusqu'à  la  moindre 
trace.  Elle  ensevelit  de  nouveau  sa  maîtresse  ;  les  regrets  du 
peuple  sont  plus  vifs  et  plus  douloureux  qu'auparavant. 
L'empereur  charge  Jehan  (le  confident  de  Cligès)  de  con- 
struire un  magnifique  tombeau  pour  l'impératrice;  les  ob- 
sèques se  font  avec  la  plus  grande  magnificence.  Trente  che- 
valiers sont  chargés  de  la  garde  du  corps,  autour  duquel 
sont  dix  cierges  allumés.  Quand  la  nuit  fut  avancée,  le  cha- 
grin, les  pleurs  et  la  fatigue  avaient  endormi  les  gardiens; 
tout .  dormait  autour  du  tombeau.  Cligès  seul  veillait.  Aidé 
par  son  fidèle  Jehan,  il  pénètre  avec  lui  dans  l'enceinte. 
Jehan  lui  ouvre  le  tombeau  sans  que  personne  s'éveille,  et  le 
referme  après  que  Cligès  en*  a  tiré  sa  maîtresse.  Ils  l'em- 
portent au  château  piéparé  pour  la  recevoir.  Elle  est  tou- 
jours sans  mouvement  ;  Cligès  commence  à  craindre  qu'elle 
ne  soit  m(n'te;  il  se  livre  au  désespoir,  il  est  prêt  à  terminer 
sa  vie ,  lorsqu'il  entend  parler  ainsi  celle  qu'il  aime  :  * 

Amis ,  amis ,  jo  ne  sui  pas  Fol.    ao6  , 

Del  tôt  morte ,  mais  po  en  fait  ;  '" 

Ces  médecins  m'ont  presque  tuée,  mais  je  serais  bientôt 
guérie,  si  ma  nourrice  était  près  de  moi.  Cfigès  envoie  Jehan 
cheicher  Thessala ,  qui  arrive  chargée  de  remèdes  de  toute 
espèce.  Ils  ne  tardent  pas  à  opérer  :  bientôt  Fenice  est  en-, 
tièrement  rétabUe ,  et  les  deux  amans  peuvent  enfin  se  dé- 
dommager de  tout  ce  qu'ils  ont  souffert. 

Il  y  avait  près  de  deux  ans  qu'ils  étaient  réunis  dans  cet 
asile,  lorsquun  chevalier  nommé  Bertrand  vient  chasser 
auprès  du  château.  Son  épervier  s'échappe  et  descend  dans 
le  verger.  Ne  voulant  pas  perdre  cet  oiseau,  il  escalade  les 
murs  et  entre^fllBirtftjreprendre.  Il  passe  devant  un  pavillon 
où  Fenice  et  Cligès  étaient  endormis  l'un  près  de  l'autre,  et 
dans  la  position  la  moins  équivoque. 

Dex,  dist- il,  que  m'est  avenu  Fol.     206 

Quel  mervelle  est-ce  que  jo  voi  ?  verso  ,  col.  2. 

Est-ce  Cliget  ?  oil  par  foi. 
N'est-ce  pas  l'emperens  ensamble? 
Nenil ,  mais  ele  le  resamble 
Que  riens  altre  tant  ne  sambla. 

Ma  foi,  si  elle  n'était  pas  morte,  je  dirais  que  c'est  elle.  Il 
veut  cependant  s'en  assurer,  s'approche  de  son  oreille,  et 

Ee2 


XII  SIECLE. 


Fol.     207 
reCto,  col.  I. 


2ÛO      CHRESTIEN  DE  TROYES,  POETE  FRANC. 

l'appelle  par  son  nom.  Fenice  se  réveille  en  sursaut,  et  jette 
un  cri  en  voyant  un  étranger.  Cligès  prend  son  épée,  pour-, 
suit  Bertrand  et  le  blesse  grièvement  lorsqu'il  repassait  par- 
dessus le  mur.  Bertrand,  retrouvé  par  sa  suite  auprès  du 
mur  où  il  est  tombé,  se  fait  porter  chez  l'empereur,  et  lui 
raconte  ce  qu'il  ^  vu. 

Mais  on  l'en  tint  por  jongleor. 

Cependant  l'aventure  fait  du  bruit.  Pour  s'éclaircir,  l'empe- 
reur se  rend  au  château;  il  trouve  Jehan,  le  fait  arrêter. 

Les  els  (yeux)  li  commande  à  bcnder 
Et  dist  qu'il  le  fera  pendre, 
Et  ardoir  et  venter  la  cendre. 

Jehan  proteste  qu'il  ne  sait  rien ,  et  qu'au  reste  la  mort  ne 
l'effraie  pas. 

Car  se  jo  muir  por  mon  signor 
Ne  morrai  pas  à  deshonor. 

Vous  pouvez,  ajoute- t-il,  me  reprocher  d'être  trop  fidèle 
à  mon  maître  ;  vous ,  Sire ,  qui  aviez  promis  à  votre  frère  de 
ne  jamais  vous  marier  et  de  laisser  à  votre  neveu  l'empire 
que  vous  gouvernez.  Si  vous  me  punissez ,  Cligès  vengera 
ma  mort. 

Faites  en  le  pis  que  pores 

Que  se  jo  muir  vous  en  morrés. 

Malgré  la  colère  où  l'empereur  entre  à  ce  discours,  Jehan 
continue  :  Vous  prétendez  que  l'on  vous  trompe,  mais  c'est 
Votre  Majesté  qui  se  trompe  elle-même.  Vous  croyez  que 
Fenice  est  votre  femme,  et  elle  ne  l'est  pas.  Il  lui  raconte 
alors  le  tour  qu'on  lui  a  joué  le  soir  même  de  son  mariage, 
le  breuvage  qu'on  lui  a  fait  prendre,  l'effet  qu'il  a  produit, 
qu'il  produit  encore,  et  qu'il  produira  toute  sa  vie.  Dès  ce 
temps,  ajoute -t-il,  Cligès  et  Fenice  étaient  d'accord;  dès 
qu'ils  se  sont  vus  ils  se  sont  aimés,  et  c'est  encore  Fenice 
qui  dans  ce  dernier  événement  a  voulu  se  faire  passer  pour 
morte,  afin  de  vous  quitter,  et  de  vivre  avec  son  amant. 
L'empereur  irrité  fait  poursuivre  les  deux  amans  qui,  à  la 
première  nouvelle  de  son  arrivée,  n'avaient  pas  jugé  à  propos 
de  l'attendre.  Ils  avaient  pris  la  fuite,  emmenant  avec  eux  la 
vieille  Thessala.  Ils  arrivent  en  Angleterre  ;  Cligès  va  trouver 
son  oncle  Gauvain  et  le  roi  Artus.  Celui-ci  arme  une  flotte 


CHRESTIEN  DE  TROYES,  POÈTE  FRANC.       2a  i 

nombreuse  pour  aider  le  jeune  prince  à  conquérir  ses  états;  ^"  ^  ^  ' 
On  allait  mettre  à  la  voile,  lorsque  Cligès  reçoit  une  dépu- 
tation  de  ses  barons  qui  lui  apprennent  la  mort  de  son 
oncle  Alis,  et  l'avertissent  que  le  trône  l'attend.  Cligès  et 
Fenice  prennent  congé  d'Artus  et  des  chevaliers  de  sa  cour. 
Ils  retournèrent  dans  leurs  états ,  où  ils  furent  reçus  avec 
tous  les  honneurs  dus  à  leur  rang,  et  tout  l'intérêt  dû  à  leur 
constance  et  à  leurs  malheurs.  Ils  furent  couronnés  solen- 
nellement, régnèrent  long -temps,  et  s'aimèrent  toujours. 
Quant  à  Thessala,  elle  fut  reléguée  à  Constantinople;  l'em- 
pereur 

Tos-jors  l'a  fait  garder  en  cambre,  Fol.    207 

Plus  por  paor  que  por  le  halle.  verso,  col.  i. 

Trait  remarquable  et  assez  fin  qui ,  dans  sa  tournure 
naïve ,  prouve  que  si  Chrestien  de  Troyes  écrivait  bien  pour 
son  temps,  il  savait  aussi  penser. 


III. 
ROMAN  DE   GUILLAUME  D'ANGLETERRE.         m».  6987, 

fol.  240,  verso. 


.  Crestiens  se  veut  entremetre 
Sans  nient  oster  et  sans  nient  meffe 
De  conter  un  conte  par  rime 
U  consonant  u  lionime  (i). 

Ce  début  ne  laisse,  comme  nous  l'avons  précédemment 
observé,  aucun  doute  sur  le  véritable  auteur  de  ce  roman, 
quoiqu'il  ne  soit  pas  ordinairement  compté  parmi  ceux  de 
Chrestien  de  Troyes. 

En  cherchant,  continue-t-il,  dans  l'histoire  d'Angleterre, 
il  y  trouva  un  sujet  propre  à  être  mis  en  vers.  La  vie  de  Guil- 
laume lui  parut  offrir  de  l'intérêt. 

"  Li  rois  fu  plains  de  carité 

Molt  ot  en  lui  d'umilité. 

Ce  trait  de  caractère  ne  convient  pas  ptus  à  Guillaume  le 

(1)  La  rime  oonsonnatite  était  senlement  à  la  fin  des  vers;  la  rime 
léonime  ou  léonine  était  au  milieu  et  à  la  fin. 


col.  a. 


aaa      CHRESTIEN  DE  TROYES,  POÈTE  FRANC. 
xn  SIECLE.    Conquérant  qu'à  Guillaume  le  Roux,  son  fils  et  son  suc- 
cesseur; et  aucune  des  circonstances  du  roman  ne  convient 
ni  à  l'un  ni  à  l'autre,  et  ne  s'accorde  avec  l'histoire.  C'est  un 
nom  historique  que  le  romancier  applique,  selon  l'usage  de 
.   son  temps,  à  des  évenemens  tout  fabuleux.  Ce  roi  de  son 
invention  épousa  une  femme  belle  et  sage  qui  se  nommait 
^-^  Gratienne;  c'était  une  dame  accomplie.  Il  y  avait  déjà  six 

ans  qu'ils  étaient  unis,  lorsqu'elle  devint  enceinte.  Malgré 
son  état,  elle  se  levait  pendant  la  nuit  pour  aller  à  matines  : 
le  roi  voyant  le  terme  approcher,  priait  sa  femme  de  vouloir 
bien  rester  chez  elle;  mais  il  l'en  priait  inutilement.  Un  jour 
qu'il  attendait  le  son  de  la  cloche  pour  aller  lui-même  à 

I  église,  il  entendit  un  grand  coup  de  tonnerre, 

Son  cief  en  a  \e\é  en  liant , 
Si  a  par  le  cambre  esgardé 
Et  vit  une  si  grande  clartë, 

qu'il  en  fut  tout  ébloui.  Une  voix  lui  dit  en  iriême  temps  : 

Rois  va  en  essil 

De  par  Dieu  et  de  par  son  fil. 

Le  roi,  très -étonné,  consulte  son  chapelain  qui  lui  conseille 
de  rendre  les  châteaux  qu'il  a  usurpés ,  et  de  payer  à  chacun 
ce  qu'il  lui  doit. 

Aussitôt  Guillaume  mande  à  sa  cour 

Trestous  oiax  de  cui  il  savoit 

Que  riens  du  leur  à  tort  avoit. 

II  leur  remet  tout  ce  dont  il  s'était  emparé  injustement. 

Quant  li  rois  fu  couciés  la  nuit, 

Il  vit  et  entendit  encore  les  mêmes  merveilles  ;  il  se  leva  et 
alla  prier  à  sa  chapelle.  Ses  prières  dites,  il  raconte  à  son 
chapelain  sa  seconde  aventure ,  et  lui  demande  conseil. 
Celui-ci  répond  que  Dieu  sans  doute  lui  ordonne  de  se 
retirer  du  monde,  mais  qu'avant  de  prendre  ce  parti ^  il  faut 
attendre  une  troisième  vision.  En  attendant.,  il  l'invite  à  don- 
ner tout  ce  qu'il  possède,  sans  se  réserver  quoi  que  ce  soit, 
et  lui  promet  que  le  ciel  lui  rendra  tout  au  centuple. 
Rentré  dans  son  palais,  Guillaume  fait  appeler  les  moines 
et  les  pauvres  de  ses  états,  leur  distrikie  ses  trésors;  la 
reine  se  joint  à  son  époux,  et  distribue  aussi  toutes  ses 
richesses.  Cela  fait,  ils  se  couchent  en  attendant  le  phéno- 


CHRESTIEN  DE  TROYES ,. POETE  FRANC.   aaS 

mène  qui  les  réveillait  toutes  les  nuits.  Ils  «e  tardent  pas  à 
entendre  la  voix,  qui,  d'un  ton  irrite,  annonce  à  Guillaume 
qu'il  doit  aller  en  exil  jusqu'à  ce  qu'il  plaise  à  Dieu  de  le  rap- 
peler. Le  roi  se  lève;  la  reine  qui  avait  tout  entendu  en  fait 
autant,  et  veut  partager  le  sort  de  son  époux.  Il  s'élève  entre 
eux  de  grands  débats.  Malgré  la  résistance  et  toutes  les  re- 
présentations du  roi,  rien  ne  peut  ébranler  Gratienne;  elle 
obtient  enfin  de  l'accompagner  dans  sa  fuite.  Ils  descendent 
par  la  fenêtre,  afin  que  leur  départ  soit  ignoré,  et  s'ache- 
minent vers  la  forêt  prochaine.  L'obscurité  de  la  nuit 
ne  leur  permet  pas  de  reconnaître  la  route  ;  et'  s' étant 
enfoncés  dans  l'endroit  le  plus  épais,  ils  ont  bientôt  perdu 
la  voie.  Cependant  le  jour  ayant  paru,  les  gens  du  palais 
s'étaient  levés,  et  chacun  vaquait  à  ses  fonctions  ordinaires; 
mais  on  remarquait  que  le  roi ,  qui  sortait  ordinairement  .au 
petit  jour,  ne  se  faisait  pas  voir.  On  ne  savait  que  penser  :  la 
douzième  heure  venait  de  se  faire^ntendre,  et  le  roi  n'avait 
pas  encore  paru.  On  monte ,  on  écoute  à  la  porte  qu'on 
trouve  fermée. 

Une  grant  pièce  si  escoutent 
Puis  apelent  à  l'uis  et  boutent. 

Ils  frappent  avec  tant  de  force,  que  la  porte  est  jetée  en  de- 
dans. On  entre,  on  voit  la  fenêtre  ouverte  et 

Coffres ,  escrins ,  boistes ,  et  maies , 
*  Toutes  les  cambres,  et  les  sales, 

tout  cela  entièrement  vide.  On  sait  moins  que  jamais  qu'en 
penser.  Chacun  va  cherchant  de  son  côté  dans  le  palais.  Un 
petit  enfant  aperçoit 

Desous  l%lit  un  cor  d'ivoire. 

Que  li  rois,  ce  conte  l'estoire,  « 

Soloit  tos-jors  en  bos  porter. 

Il  le  prend  et  l'emporte  chez  son  père.  La  nouvelle  du  départ 
de  Guillaume  se  répandit  bientôt  dans  ses  états.  Cet  événe- 
ment paraît  inexplicable  ;  on  fait  chercher  le  roi  de  toutes 
S  arts.  Pendant  ce  temps,  nos  deux  voyageurs  s'enfoncent 
ans  la  forêt,  et  vivent  de  fruits  saunages.  Ils  arrivent  au 
bord  de  la  mer, 

Là  ont  une  roche  trovée 
Qui  estait  fendue  et  eavée. 


XII  SIECLE. 


224  CHRESTIEN  DE  TROYES,  POÈTE  FRANC. 
XII  SIECLE.  j|g  s'arrêtent  en»cet  endroit.  La  reine,  excédée  de  fatigue, 
•  s'endort  sur  la  pierre  dure  :  en  se  réveillant,  elle  ressent  les 
douleurs  de  l'enfantement.  Le  roi  aide  à  la  délivrance  de  son 
épouse,  et,  coupant  son  manteau,  il  en  enveloppe  le  nou- 
veau-né. Peu  après,  la  reine  ressent  de  nouvelles  douleurs, 
et  accouche  d'un  second  enfant,  qui  n'a  de  même  pour  langes 
qu'un  second  pan  du  manteau  de  son  père.  La  fatigue  que 
la  reine  vient  d'éprouver  la  replonge  dans  le  sommeil.  Elle 
se  réveille  avec  un  appétit  dévorant,  demande  à  manger, 
et  tombe  d'inanition.  Le  ror  allume  du  feu,  et  veut  couper 
un  morceau  de  sa  cuisse  pour  en  faire  un  repas  à  sa  femme. 
Elle  lui  retient  le  bras ,  et  proteste  qu'elle  aime  mieux  mou- 
rir. Le  roi  lui  propose  de  manger  un  de  leurs  enfans  :  elle 
rejette  cette  offre  avec  horreur,  et  prie  son  époux  d'aller 
chercher  dans  la  forêt  s'il  ne  découvrira  point  quelque  nour- 
riture. A  peine  est-il  sorti  de  la  grotte,  qu'il  aperçoit  un 
vaisseau  marchand  prêt  ^  mettre  à  la  voile  :  il  va  vers  le 
maître  du  vaisseau,  et  lui  expose  la  cruelle  situation  où  il 
se  trouve;  il  lui  avoue  même  la  proposition  qu'il  avait  faite 
à  sa  femme.  Le  marchand  le  repousse  durement,  le  menace 
de  le  faire  jeter  à  la  mer,  s'il  ne  se  retire,  le  traite  de  men- 
teur, et  refuse  de  le  croire. 

Feme  ses  enfans  ne  manja 
Ce  ne  fu  onques  ne  n'ert  jà. 

Cependant  pour  vérifier  le  fait,  quinze  des  passagers  accom- 
pagnent Guillaume  à  la  caverne.  L'un  d'eux  l'accuse  de  n'être 
*  pas  le  mari  de  cette  belle  dame,  et  de  l'avoir  sans  doute  en- 
levée à  ses  parens.  Il  propose  à  la  reine  de  l'emmener  et  de 
laisser  les  deux  enfans  au  malheureux  qui  l'a  séduite.  A  ces 
mots,  Guillaume  ne  peut  retenir  sa  fureur;  il  prend  son 
épée  pour  en  percer  le  téméraire;  mait  à  l'instant  cinq  des 
autres  passagers  se  jettent  sur  lui  et  l'accablent  de  coups; 
puis  faisant  un  brancard  de  feuilles  et  de  branchages,  ils 
emportent  la  reine  dans  le  vaisseau,  malgré  les  cris  et  la 
douleur  du  roi.  Un  seul  de  ces  passagers,  ému  de  pitié,  offre 
sa  bourse  au  malheureux  père  qui  le  remercie,  mais  qui  de- 
mande à  grands  cris  à  suivre  sa  femme.  Ses  prières  ne  sont 
point  écoutées,  et  le  vaisseau  met  à  la  voile. 

Cil  s'en  vont  et  li  rois  remaint 
Qui  molt  se  démente  et  complaint. 

Après  avoir  long-temps  suivi  des  yeux  le  vaisseau,  il  rentre 


CHRESTIEN  DE  TROYES,  POÈTE  ERANÇ.      225 

dans  la  caverne,  et  délibère  sur  le  parti  qu'il  doit  prendre. 
S'il  retourne  en  Angleterre,  ses  barons,  qui  le  font  cher- 
cher, l'auront  bientôt  trouvé,  et  voudront  le  remettre  sur 
le  trône.  Enfin  il  se  souvient  d'avoir  vu  deux  bateaux  près 
du  rivage;  il  en  va  chercher  un,  l'amène  près  de  son  ro- 
cher, va  prendre  un  de  ses  enfans,  le  porte  au  bateau,  re- 
tourne chercher  l'autre Un  loup  venait  de  s'en  saisir;  le 

malheureux  père  n'avait  point  d'armes;  dans  son  désespoir, 
il  marche  contre  l'animal  qui  s'enfuit  sans  lâcher  sa  proie. 
Guillaume  le  poursuit,  et  l'a  bientôt  perdu  de  vue.  Des  mar- 
chands qui  traversaient  la  forêt  pour  se  rendre  à  la  mer 
aperçoivent  ce  loup  qui  emportait  un  enfant. 

Tout  maintenant  que  il  le  voient 
Si  l'escrient  et  si  le  huent, 
Et  bastons  et  pierres  li  ruent, 
Tant  que  li  leus  en  mi  la  voie 
Loi"  a  déguerpie  la  proie. 

Les  marchands  courent  à  l'enfant,  se  réjouissent  de  le  voir 
sain  et  sauf,  et  regardent  cet  événement  comme  un  miracle. 
Le  chef  des  marchands  l'adopte;  ils  poursuivent  leur  route, 
et  arrivent  au  bateau  où  était  \e  j'umel;  nouvelle  surprise  et 
nouvelle  joie.  Le  marchand  adopte  encore  ce  second  trouvé. 
Ses  compagnons  et  lui  profitent  du  vent,  détachent  le  bateau 
du  rivage,  et  cinglent  en  pleine  mer.  Pendant  ce  temps,  le 
roi,  épuisé  de  fatigue,  avait  voulu  prendre  un  moment  de 
repos;  il  s'était  assis  au  pied  d'un  arbre  et  s'était  endormi. 
Bientôt  ses  chagrins  le  réveillent;  il  déplore  amèrement  son 
sort.  Il  se  lève  pour  aller  chercher  son  second  fils,  arrive  au 
rivage  et  n'y  trouve  plus  le  bateau.  * 

«  Lors  est  toute  sa  dolors  noeve, 
«  Lors  li  enforce  et  croît  et  double 
«  Li  cuers  li  faut ,  Ji  sans  li  trouble. 

Mais  loin  d'accuser  le  ciel, 

«  Ains  aoure  Dieu  et  grassie. 

Il  se  rappelle  alors  la  bourse  qui  lui  avait  été  donnée  par  le 
marchand,  et  qu'il  n'avait  pas  daigné  ramasser;  il  la  cherche, 
la  trouve,  et  allonge  le  bras  pour  la  prendre ,  quand  tout- 
à-coup 

Une  aigle  vint  par  grant  merveille , 

Qni  l'aumoniere  vit  vermeille 
Tome  Xy.  Ff 


XII  SIECLE. 


XII  SIECLE. 


226      CHRESTIEN  DE  TROYES,  POETE  FRANC. 

Si  l'a  a  li  des  mains  ostée 
Et  si  li  dona  tele  hurtée 
Des  deux  eles  parmi  la  face 
Qu'il  caï  as  dens  ea  la  plaça. 

Après  avoir  gëmi  de  ce  nouveau  malheur,  il  fait  de  nouvelles 
reflexions  plus  amères  encore  que  les  premières  sur  son  état 
passé,  sur  sa  situation  présente;  il  est  comme  un  homme 
hors  de  lui.  Enfin  il  se  levé,  et  sans  trop  savoir  où  il  va,  il 
prend  le  premier  chemin  qui  s'offre  à  lui.  Il  rencontre  une 
compagnie  de  marchands  qui  mangeaient,  buvaient  et  se 
divertissaient.  Le  roi,  en  passant  devant  eux,  les  salue;  mais 
les  'vilains,  voyant  son  air  pâle  et  défait,  s'écrient,  tuez, 
tuez , 

Ce  vif  diable ,  ce  larrpn  ; 
Jà  ni  ait  esparguié  baston  ; 
Qu'il  n'en  soit  batus  et  roisciés 
Et  bras,  et  gambes  froissiés. 

Cest  sans  doute  le  chef  de  quelque  bande  de  voleurs. 

Des  oniécides ,  de  murdriers 

Abés  en  est  u  ceneliers  (i); 

C'est  cil  qui  tous  les  autres  guie  (conduit)  ! 

Nostre  or  tt  nostre  argent  espie  ;  etc. 

Le  roi,  n'espérant  aucun  quartier  de  ces  brutaux,  prit  la 
fuite  et  courut  jusqu'au  lendemain  matin..  Il  arriva,  mais  par. 
un  chemin  différent,  au  bord  de  la  mer,  en  même  temps 
que  les  marchands;  il  les  prie,  les  conjure  de  le  laisser  partir 
avec  eux  :  enfin 

Tant  lor  prie  que  il  l'otroient. 

Le  vaisseau  allait  à  Galicide,  pays  que  l'on  peut  se  dispenser 
de  chercher  sur  la  carte.  Le  roi  arrive  à  bon  port  :  un  bour- 
geois le  retient  à  son  service,  et  le*  met  à  la  tête  de  sa  maison. 

Tandis  qu'il  fait  un  métier  dont  bien  des  rois  seraient 
peut-être  embarrassés ,  retournons  à  la  reine  que  nous  avons 
quittée  depuis  long-temps. 

On  se  rappelle  qu'elle  avait  été  emmenée  par  des  mar- 
chands. Leur  vaisseau  aborde  à  Surclin ,  où  ils  débarquent. 
Ni  les  couches  de  la  reine ,  ni  ses  chagrins  n'avaient  altéré 

(i)  Somelier,  de  céner,  manger,  etc.,  gardien  des  provisions. 


CHRESTIEN  DE  TROYES ,  POÈTE  FRANC.   aâ^ 

sa  beauté  :  aussi  tous  les  marchands  en  devinrent -ils  amou- 
reux à-la-fois. 

Tant  que  cascuns  le  vaut  avoir  * 

U  fust  à  force ,  u  par  avoir. 

De-là  des  disputes  si  violentes,  qu'on  est  obligé  de  recourir 
au  juge  du  lieu.  Ce  magistrat,  nommé  Gliolas ,  était  un  che- 
valier plein  d'honneur.  Il  fit  d'abord  déposer  les  cadeaux 
que  les  marchands  destinaient  à  la  reine ,  puis  il  la  fit  mener 

En  ses 'cambres  avoec  sa  feme  j 

Et  la  garda  chez  lui. 

Peu  de  temps  après,  la  femme  du  juge  mourut.  Gliolas, 
veuf  et  sans  enfans,  se  flatta  que  sa  protégée  voudrait  bien 
accepter  l'honneur  de  sa  couche.  Il  le  lui  propose,  et  promet 
d'y  joindre  l'abandon  de  tous  ses  biens.  La  reine  se  souvient 
trop  de  son  rang  pour  penser  sans  effroi  à  cette  proposi- 
tion. Elle  remercie  Gliolas  des  bontés  qu'il  a  pour  elle ,  et 
feint  d'en  être  tout-à-fait  indigne.  • 

Biaus  sire ,  or  esgardez  raison  ; 
D'une  garce ,  d'une  vilaine , 
S'en  en  doit  faire  castelaine. 

Mon  père  était  vilain,  et  vous  ne  pouvez  sans  déshonneur 
Vous  allier  avec  moi.  Elle  ajoute,  en  se  calomniant  elle-même, 
qu'elle  est  une  none  qui  a  fui  de  son  couvent  et  mené  une 
mauvaise  vie.  Tout  cela  est  égal  au  juge  qui  veut  absolument 
qu'elle  soit  sa  femme.  1^  reine  demande  un  an  pour  faire  ses 
réflexions  :  ce  terme  lui  est  accordé.  Seulement  le  juge  de- 
mande et  obtient  la  permission  de  célébrer  une  fête  pour 
faire  connaître  à  ses  vassaux  celle  qu'il  a  choisie.  Cette  fête 
a  lieu;  tous  honneurs  sont  rendus  à  Gratienne,  qui  reçoit 
le  serment  des  vassaux  de  son  prétendu.  Dès  qu'elle  eut  ha- 
bité quelque  temps  cette  terre ,  elle  s'attacha  tout  le  monde 
par  légalité  de  son  caractère  et  par  la  bonté  de  son  cœur. 
Pendant  ce  temps-là  les  deux  enfans  grandissaient  rl'un 
se  nommait  Louvel; 

Pour  le  leu  (à  cause  du  loup),  Lovel  le  clamèrent 
Qui  en  mi  le  voie  trovèrent 
Qui  l'emportoit  parmi  les  rains. 

L'autre  s'appelait  Marin,  parce  qu'il  avait  été  trouvé  sur  la 
mer.  Le  marchand  qui  les  avait  adoptés,  les  élevait  fort  bien: 

ffa 


Xn  SIE(XE. 


XII  SIECLE. 


à^B      CHRESTIEN  DE  TROYES,  POÈTE  FRANC. 

ils  avaient  déjà  dix  ans,  et  dans  le  monde  entier,  on  n'eût 
pas  vu  deux  enfans  plus  intéressans  ni  plus  beaux  ;  ils  étaient 
rbrt  avancés  pour  leur  âge.  Tout  annonçait  en  eux  une  nais- 
sance au-dessus  du  vulgaire.  Ils  ignoraient  qu'ils  fussent 
frères,  et  s'aimaient  cependant  de  tout  leur  cœuf.  Ils.se  res- 
semblaient tellement,  qu'on  les  prenait  souvent  l'un  pour 
l'autre.  On  a  vu  qu'un  seul  marchand  s'était  chargé  de  tous 
les  deux;  il  avait  apparemment  partagé  cette  charge  avec  un 
de  ses  confrères,  car  on  leur  voit  maintenant  deux  protec- 
teurs, dont  l'un  se  nomme  Gosselin,  et  l'autre  Foukier. 

Leurs  études  finies,  on  songe  à  leur  faii'e  prendre  un  état. 
Gosselin  veut  mettre  Louverdans  le  commerce  de  pelle- 
terie ;  celui-ci  ne  consent  à  embrasser  cette  profession  qu'au- 
tant que  Marin  la  prendra.  Marin  à  pareille  proposition  fait 
môme  réponse.  Les  bourgeois,  impatientés 'battent  et  mal- 
traitent les  deux  enfans.  Châtiés  séparément  et  à  l'insu  l'un 
de  l'autre,  ils  ne  laissent  pas  échapper  un  crj  ni  la  moindre 
plainte.  Quelque  temps  après,  les  deux  marchands  jugèrent 
a  propos  de  leur  apprendre  ce  qu'ils  savaient  de  leur  his- 
toire. Foukier  remit  a  Marin  le  pan  de  manteau  dans  lequel 
on  l'avait  trouvé.  Marin  le  cacha  soigneusement  sous  sa  cape, 
et  profitant  du  moment  oii  il  était  seul,  monte  à  cheval  et 
s'enfuit.  Louvel,  ayant  aussi  reçu  le  pan  de  manteau  qui 
l'avait  enveloppé,  demande  à  Gosselin  la  permission  de  le 
quitter.  Le  marchand  veut  le  retenir  et  l'engager  à  apprendre 
le  commerce.  J'ai  commencé  comme  toi,  lui  dit-il,  et  mainte- 
nant je  suis  riche. 

Qui  rices  est ,  moult  troeve  amis , 

Et  si  est  moult  vix  (vieux)  qui  nient  n'a, 

Jà  nus  ne  li  apartenra. 

Le  jeune  homme  convient  de  ces  vérités ,  mais  n'en  persiste 
pas  moins  à  demander  congé.  Il  l'obtient.  Le  marchand  lui 
donne  des  vêtemens,  deux  chevaux,  et  pour  écuyer 

Un  garçon  qui  ot  nom  Rodains , 

Enfin  des  armes  et  de  l'argent.  Louvel  remercie  et  embrasse 
son  bienfaiteur. 

Mais  à  moult  grant  anui  li  tome 
Quant  au  partir  Marin  ne  voit; 
En  la  ville  cuide  qu'il  soit 
Si  com  Marins  cuidoit  de  lui. 


CHRESTIEN  DE  TROYES,  POÈTE  FRANC.      229 

Il  part ,  prend  une  route  peu  fréquentée ,  rencontre  Marin 
qui  cheminait  de  son  côte,  songeant  à  son  cher  Louvel.  Ils 
s  embrassent,  continuent  leur  route,  tuent  un  daim,  le  met- 
tent sur  le  cheval  de  l'écuyer,  et  arrivent  à  une  fontaine  où 
ils  trouvent  une  cabane  de  feuillages.  Ils  font  paître  leurs 
chevaux,  et  pendant  que  Rodains  va  à  l'abbaye  voisine  cher- 
cher du  pain  et  du  vin,  ils  se  mettent  à  préparer  leumÀbier. 
Le  garde  forestier  arrive  et  trouve  nos  jeunes  gens  qui  sWaient 
emparés  de  sa  logette.  Jls  le  saluent  poliment  :  il  leur  dit 
pour  toute  réponse  : 

5e  vous  menrai  devant  le  roi 

Si  vous  fera  pendre  u  deffaire, 

Les  puins  colper,u  les  iex  traire.  ^ 

Quel  est  notre  délit.''  —  Vous  avez  chassé  sans  ma  permis- 
sion. Ils  appaisent  le  forestier  en  lui  donnant  un  marc  de 
deniers  quils  possédaient  pour  tout  bien.  Le  lendemain  ils 
partent  de  grand  matin,  arrivent  à  Catanasse,  vont  se  pré- 
senter au  roi  et  lui  demandent  d'entrer  à  soîi  service.  Le 
forestier,  qui  se  trouve  présent,  dit  qu'il  les  croit  bons  chas- 
seurs, et  donne  pour  preuve  le  daim  qu'ils  ont  tué;  mais  en 
dénonçant  leur  faute,  il  en  obtient  pour  eux  le  pardon.  Le 
roi  les  retient  auprès  de  lui  et  leur  fait  apprendre  les  fonc- 
tions de  veneur.  Il  est  charmé  de  leur  bonne  volonté,  de 
leur  esprit,  de  leur  zèle;  ils  deviennent  ses  favoris. 

Nous  avons  laissé  Guillaume  chez  un  bourgeois  dont  il 
avait  gagné  la  confiance.  Celui-ci  l'appelle  un  jour  et  lui  dit  : 
Gui  (c'est  le  nom  que  Guillaume  s'était  donné),  ton  ser- 
vice me  plaît;  si  tu  veux  faire  le  commerce,  je  te  prêterai 
de  l'argent;  tu  iras  aux  foires;  ce  que  tu  gagneras  sera  pour 
toi  ;  je  n'en  réclame  rien.  Guillaume  accepte  la  proposition 
et  gagne  en  peu  de  temps  beaucoup  d'argent.  Le  bourgeois, 
enchanté,  lui  propose  de  monter  un  de  ses  vaisseaux,  de 
prendre  avec  lui  ses  deux  enfans,  -de  les  diriger  dans  l'étude 
du  commerce  et  de  l^t^  emmener  en  Angleterre.  Guillaume 
accepte  encore;  le  vaisseau  part;  il  arrive.  Guillaume  se  défait 
très-avantageusement  de  ses  marchandises.  Un  jour,  il  ren- 
contre un  jeune  homme  tenant  un  cor  qu'il  reconnaissait 
pour  lui  avoir  appartenu.  Comment,  lui  demande-t-il ,  as-tu 
acquis  cet  instrument.'' Le  varlet  lui  avoue  que  dans  le  pil- 
lage du  palais  il  l'avait  pris,  et  qu'il  s'en  sert  pour  s'amuser. 
Guillaume  rachète  son  cor  pour  quelques  pièces  d'argent. 


XII  SIECLE. 


XII  SIECLE. 


Folio  245, 
recto ,  col.  4  du 
ms. 


23o      CHRESTIEN  DE  TROYES,  POÈTE  FRANC. 

Cependant  plusieurs  habitans  avaient  cru,  en  le  regar- 
dant, reconnaître  leur  ancien  roi.  On  le  croyait  mort,  et  le 
royaume  était  gouverné  par  un  prince  son  neveu.  Ces  habi- 
tans vont  annoncer  à  leur  jeune  souverain  cette  nouvelle. 
Aussitôt  il  monte  à  cheval  pour  aller  s'informer  de  la  vérité. 
Il  arrive,  reconnaît  son  oncle,  lui  propose  de  reprendre  la 
couroane  et  veut  lui  rendre  hommage.  Guillaume  affirme 
que  Ion  se  trompe,  qu'il  n'est  qu'un  simple  marchand  et 
point  du  toui^celui  que  l'on  cherche.  Le  jeune  roi  lui  pro- 
pose une  place  de  sénéchal;  Guillaume  le  refuse,  le  quitte, 
achète  de  nouvelles  marchandises  et  se  rembarque.  A  peine 
est-il  en  pleine  mer,  que  le  vaisseau  est  accueih  d'une  forte 
tempête.  Le  vent  rompt  les  cordages,  les  voiles  et  les  mâts. 
Tout  l'équipage  se  met  en  prières. 

Tout  escrient  à  haute  vois 
Sains  Nicholais,  aidiés,  aidiés, 
Vers  Diu  merci  nos  aplaidiés 
Qu'il  ait  de  nos  miséricorde, 
Et  mece  entre  «es  vens  concorde. 


Ausi  font  or  cist  vent  lor  guerre 
Comme  font  li  signor  de  terre 
Que  de  cou  dont  il  se  déduisent 
Ardent  les  castiaux  et  destruisent. 
A.usi  nos  cajtifs  comperrons 
Les  guerres  de  ces  haus  barons  : 
Al  barons  puet-on  comparer 
Les  vents,  le  terre  et  le  mer. 

La  tempête  dura  trois  jours.  Malgré  son  habileté,  le  pilote 
avait  perdu  sa  route  ;  on  vogue  au  hazard  ;  enfin  on  signale 
la  terre  ;  on  aborde ,  et  l'on  obtient  la  permission  de  se  défaire 
des  marchandises  dont  le  vaisseau  était  chargé.  La  dame  de 
cette  terre  se  promenait  sur  le  port.  Voyant  des  étrangers, 
elle  avait  rabattu  son  voile  sur  son  visage.  Guillaume  sort 
du  vaisseau,  va  au  devant  d'elle, 

Et  dist  bien  soijés  vous  venue, 

Ma  ciere  dame ,  or  descendes  ; 

Je  sai  bien  que  vous  demandés. 

Je  sai  bien  le  costume  au  port, 

Des  plus  rices  avoirs  aport 

Gonques  nus  marceans  eust. 


CHRESTIEN  DE  TROYES,  POETE  FRANC.  23 1 
La  dame  consent  à  descendre  dans  la  nef;  le  cœur  lui  bat 
et  la  force  est  prête  à  lui  manquer.  C'était  la  reine  Gra- 
tienne,  et  cette  terre  était  celle  du  juge  Gliolas  qu'elle  avait 
été  forcée  d'épouser.  Elle  croit  reconnaître  dans  le  marchand 
le  sire  son  premier  époux.  En  entrant  dans  le  vaisseau ,  Guil- 
laume déploie  ses  plus  belles  étoffes, 

Dras  etnperiaus,  et  orfrois. 
Et  covretoirs ,  et  sebelins , 
Pennes,  et  peliçons  hermins, 
Tables  d'argent ,  et  esches  d'or  ; 
Mais  ele  regardoit  au  cor 
Qui  au  mat  de  le  nef  pendoit. 

Elle  veut  absolument  l'avoir;  Guillaume  le  lui  donne;  elle  le 
couvre  de  baisers.  Un  moment  après,  elle  reconnaît  à  son 
doigt  unH'bague  qu'il  y  portait  le  jour  où  ils  furent  séparés. 

Quant  la  dame  a  lanel  véu 

Ne  la  mie  desconéu^ 

Et  dist,  biau  sire,  jou  ne  Toel. 

Avoir  rien  que  voient  mi  oel 

Fors  cet  anel  que  vous  portés 

Par- tant  vos  serés  acuités  ! 

Ha  !  dame ,  fait  li  rois ,  nel  dites  ; 

Jà  por  si  peu  ne  serai  cuites. 

En  cet  nef  à  tel  avoir 

Dont  on  porroit  cent  mars  avoir. 

Prenez  tout  ce  qu'il  vous  plaira,  mais  laissez-moi  cet  anneau; 
sa  perte  causerait  ma  mort.  A  la  fin  cependant,  il  cède,  et 
dit  à  la  dame  en  le  lui  donnant  : 

L'anel  aurés ,  or  le  tenés 
Mais  molt  vos  ai  large  don  fait, 
Maugré  moi  l'ai  de  mon  cuer  trait  j 
Car  en  mon  doit  n'estoit-il  mie;     9" 
Or  vos  ai  donée  ma  vie. 

Ami ,  dit  la  dame ,  pour  le  plaisir  que  vous  venez  de  me 
faire,  vous  et  vos  compagnons  n'aurez  hôtel  que  dans  mon 
château.  Cette  offre  est  acceptée.  La  dame  retourne  chez  elle; 
Guillaume  et  ses  compagnons  s'y  rendent.  Déjà  on  apprêtait 
les  tables  pour  les  recevoir.  La  dame  les  fait  laver,  puis  fait 
asseoir  Guillaume  auprès  d'elle. 


XII  SIECLE. 


XII  SIECLE. 


232      CHRESTIEN  DE  TROYES,  POETE  FRANC. 

Si  mangièrent  ensanble  andui , 
Cil  le  regarde  et  ele  lui 
Tant  que  li  rois  connut  lors  primes 
Que  c'estoit  sa  feme  meismes 
Qui  là  mangoit,  et  si  ert  ele. 
Mais  li  uns  vers  l'autre  se  celé , 
Ainsi  avint  qu'il  se  celèrent 
D'autres  coses  asscs  parlèrent, 

Tant  que  le  roi  vient  à  se  rappeler  qu'il  était  grand  ama- 
teur de  la  chasse  et  que  depuis  long -temps  il  n'avait  pris 
ce  plaisir.  Cette  idée  le  fait  tomber  dans  une  rêverie  pro- 
fonde. 

Ne  n'en  aies  jà  mervillant 
Car  on  songe  bien  en  villant. 

Il  croit,  dans  cette  espèce  de  rêve,  voir  # 

Un  cerf  qui  seize  rains  avoit , 

Et  il  pense  tous  s'oublia, 

Si  qu'il  semont  et  escria  : 

Les  chiens  derrière  après  le  cerf! 

Si  ken  (si  bien  que  dans)  la  cambre  franc  et  serf 

Li  oirent  escrier  tuit  : 

Hu,  bu,  Bliaut  (i)  cis  cers  s'enfuit. 

Tout  le  monde  part  d'un  éclat  de  rire,  et  croit  que  ce  mar- 
chand a  perdu  1  esprit.  La  reine  lui  demande  ce  que  ces  cris 
signifient.  Il  lui  avoue  qu'il  croyait  être  à  la  chasse  du  cerf 
le  plus  grand  qu'il  eût  jamais  vu,  et  que  quand  il  aurait 
dormi,  il  n'aurait  pu  avoir  un  songe  plus  semblable  à  la 
vérité.  C'est  encore  un  trait  de  ressemblance  auquel  la  dame 
croit  le  reconnaître;  elle  s'approche  de  lui  et  l'embrasse. 

Et  ses  gens  la  tienent  por  foie 

De  son  signor ,  que  ele  acole. 

Elle  s'inquiète  perfjhde  ce  qu'ils  en  pensent,  et  propose  au 
marchand  de  faire  avec  lui  une  partie  de  chasse.  Il  est  en- 
chanté de  cette  proposition.  Depuis  vingt-quatre  ans,  dit -il, 
je  n'ai  connu  que  le  malheur  :  c'en  serait  assez  pour  me  faire 
tout  oubUer.  Elle  donne  ses  ordres  pour  la  chasse;  tout  est 
prêt;  ils  montent  à  cheval,  et  s'enfoncent  dans  la  forêt. 
A  peine  y  sont-ils  entrés,  qu'ils  rencontrent  un  cerf  à  seize 

(i)  Nom  de  chien  de  chasse. 


CHRESTIEN  DE  TROYES,  POÈTE  FRANC.       233 

cors.  Tandis  que  les  chiens  le  poursuivent,  Guillaume  et  sa 
femme,  qui  se  sont  enfin  entièrement  reconnus,  se  racontent 
mutuellement  leurs  aventures  depuis  le  jour  oii  ils  ont  été 
séparés.  La  reine  lui  dit  que  Gliolas  est  en  guerre  avec  ses 
voisins,  et  que  dans  le  cas  où  le  cerf  viendrait  à  traverser 
une  petite  rivière ,  il  se  garde  bien  de  la  passer,  parce  qu'il 
tomberait  infailliblement  entre  les  mains  des  ennemis.  Guil- 
laume le  lui  promet,  et  court  à  la  poursuite  de  l'animal.  Le 
cerf,  près  d'être  pris,  met  les  chiens  en  défaut,  et  traverse 
la  rivière  ;  Guillaume  oublie  la  défense  qu'on  lui  a  faite ,  et 
la  passe;  bientôt  le  cerf  est  atteint.  Guillaume,  pour  célébrer 
sa  victoire,  sonne  du  cOr.  A  ce  son,  deux  chevaliers  ennemis, 
armés  de  toutes  pièces ,  accourent  et  lui  crient  de  se  rendre. 
On  ne  prend  jamais  un  roi,  répond-il. 

Un  roi  !  —  Voire.  —  Dont  ?  —  D'Engleterre. 
K'estes  vos  donc  ci  venus  querre  ? 

Le  roi  prend  aussitôt  de  la  confiance  en  eux ,  et  leur  raconte 
ses  aventures;  les  jeunes  chevaliers  pleurent.  Il  leur  dit  com- 
ment il  a  perdu  ses  enfans  qui  étaient  enveloppés  dans  les 
pans  de  son  manteau,  l'un  emporté  par  un  loup ,  et  l'autre 
perdu  dans  un  bateau.  Il  n'oublie  pas  l'aventure  de  la  bourse 
donnée  par  les  marchands,  enlevée  par  un  aigle.  Les  cheva- 
liers, déjà  fort  surpris,  le  furent  encore  bien  davantage. 

Si  en  furent  moult  esbahi 

Quant  l'aumosnière  entr'ax  kaï  (tomba). 

Li  rois  pour  4e  prendre  s'abaisse. 

Les  deux  chevaliers  ne  doutent  plus  qu'ils  n'aient  retrouvé 
leur  père.  Ils  lui  racontent  à  leur  tour  tout  ce  qui  leur  est 
arrive  depuis  leur  enfance,  et  ils  offrent  de  lui  remettre  les 

Ïians  de  robe  ou  de  manteau  dans  lesquels  ils  furent  trouvés. 
Is  vont  en  effet  les  chercher;  le  roi  les  reconnaît,  embrasse 
ses  enfans,  et  marche  avec  eux  vers  la  ville.  Le  roi  de  Cata- 
nasse,  instruit  de  cette  aventure,  vient  au-devant  de  Guil- 
laume, et  lui  demande  secours  contre  la  dame  voisine  de 
ses  états.  Guillaume  promet  de  faire  la  paix  ;  il  ajîprend  en- 
suite aux  deux  jeunes  chevaliers  que  cette  dame  contre 
laquelle  ils  ont  porté  les  armes  est  leur  mère.  'Le  l'oi  de 
Catanasse  avait  fait  préparer  les  tables  et  servir  :  après  le 
repas ,  chacun  se  retire  et  va  reposer. 

La  reine,  ne  voyant  point  revenir  Guillaume,  et  appre- 
Tome  XV.  G  g 


XII  SIECLE. 


XJI  SIECLE. 


a34      CHRESTIESr  DE  TROYES,  POETE  FRANC. 

nant  qu'il  avait  transgressé  l'ordre  de  ne  point  passer  la 
rivière,  se  livre  au  désespoir.  Elle  croit  son  mari  prisonnier 
ou  mort;  elle  forme  des  projets  de  vengeance,  et  veut  faire 
assembler  l'armée,  marcher  a  l'ennemi,  lever  toutes  les  com- 
munes. Le  ban  est  proclamé  ;  tout  homme  en  état  de  porter 
les  armes  est  sommé  de  les  prendre.  Le  lendemain,  les 
troupes  se  mettent  en  marche;  la  reine  les  suit;  on  passe  le 
gué  ;  mais  bientôt  on  aperçoit  les  deux  rois  de  Catanasse  et 
d'Angleterre,  et  les  armées  restent  en  présence.  Guillaume 
était  suivi  de  ses  «-nfous  ;  il  s'approche  de  la  reine.  Elle  lui 
demande  par  quel  hasard  il  est  libre  ,  et  se  trouve  en  si 
grande  compagnie.  Il  raconte  ce  qui' lui  est  arrivé,  et  pré- 
sente à  sa  femme  les  deux,  chevaliers. — Ah!  Sire,  maudit  soit 
le  jour  où  ils  sont  nés!  Ce  sont  eux  qui  ont  tué  mes  hommes, 
et  qui  sont  la  cause  de  tous  mes  maux. 

Cist  firent  li  premier  message 

Qui  cuidièrent  le  mariage 

De  moi  faire  et  de  lor  sisnor.... 

Enfin  ce  sont  mes  plus  dangereux  ennemis. 

—  «  Ains  sont  vostre  carnel  ami. 

—  «  Ami ,  comment  ?  —  Vostre  fil  sont .''  » 


*  Quant  la  merveille  ot  entendue 

La  roïne  sans  atendue 
Les  a  entre  ses  deus  bras  pris , 

Elle  les  embrasse  tendrement;  la  joie  lui  ôte  la  parole. 

Et  cil  li  sont  au  pié  kéu 
Qui  de  joie  sont  esperdu. 

Ils  ne  veulent  se  relever  que  lorsqu'ils  auront  obtenu  le  par- 
don de  tous  les  maux  qu  ils  ont  fait  souffrir  à  leur  mère.  Le 
roi  de  Catanasse  lui  demande  aussi  pardon  de  la  guerre  qu'il 
a  entreprise  contre  elle.  La  reine  pardonne,  et  tout  est  ou- 
blié; mais  ce  qui  l'est  le  plus  complètement,  c'est  le  vieux 
juge  Gliolas  dont  Gratienne  ne  dit  pas  un  mot,  et  dont  il 
n'est  plus  parlé  dans  le  roman. 

Marin  et  Louvel  font  mander  les  bourgeois  qui  les  avaient 
élevés.  Ils  arrivent;  Guillaume  et  sa  femme  leur  font  de  riches 
présens.  Au  bout  de  neuf  jours,  les  vaisseaux  étant  prêts,  on 
fait  et  l'on  reçoit  des  adieux;  on  s'embarque. 

Qant  li  rois  à  la  roce  vint, 
Le  roi  de  Catanasse  tint 


CHRESTIEN  DE  TROYES,  POETE  FRANC.      235 

Par  la  main  et  si  li  a  dit  : 

Sire  vées  ici  le  lit....  , 

U  la  roïne  travilla 

Qant  de  ses  fix  se  délivra. 

Ici  était  le  lieu  où  un  loup  emporta  mon  premier  né;  voici 
la  place  oii  était  le  bateau  dans  lequel  je  laissai  mon  second 
entant.  Le  roi  de  Catanasse  est  ému  de  ces  souvenirs;  les 
deux  rois  s'embrassent,  et  se  jurent  une  éternelle  amitié.  La 
traversée  fut  heureuse.  Guillaume  et  sa  femme  arrivent  au 
port.  Le  roi  donne  avis  de  son  retour  à  son  neveu  qui  se 
nàte  de  venir  déposer  la  couronne  aux  pieds  de  son  oncle. 
On  se  met  en  route  vers  Londres,  où  le  roi  Guillaume  est 
reçu  avec  la  plus  grande  joie. 

Il  rendit  heureux  tous  ceux  qui  l'avaient  accueilli  dans  ses 
malheurs,  maria  ses  fils  à  des  comtesses,  rendit  heureux  ses 
peuples,  et  le  poëte  nous  dit  en  finissant  : 

Plus  n'en  sai ,  ne  plus  n'en  i  a  ; 

La  matère  si  me  conta 

Un  miens  compains  Rogers  li  cointes, 

Qui  de  maint  prodome  est  acointes. 

Il  faudrait  savoir  quel  est  ce  comte  Roger  qui  contait  de 
si  belles  histoires  ;  mais  c'est  ce  qu'il  ne  nous  a  pas  été  pos- 
sible de  découvrir. 


XII  SIECLE. 


IV. 


ROMAN  DU  CHEVALIER  AU  LION. 

Le  Chevalier  au  Lion  n'est  point  un  des  grands  romans 
de  la  Table-Ronde,  comme  Tristan,  Lancelot,  Perceval  et 
Gyron  le  Courtois;  il  est  aussi  moins  connu; mais  on  peut  Iç 
regarder  comme  un  épisode  de  cette  grande  fable  poétique. 
Le  roi  Artus  et  sa  cour,  les  deux  amis  Yvains  et  Gauvain  en 
sont  les  principaux  personnages.  On  y  trouve  plus  d'un  trait 
qui  a  été  imité  par  les  anciens  poètes  romanesques  italiens, 
ce  qui  prouve  qu'il  eut  dans  son  temps  de  la  réputation. 

Aux  fêtes  de  la  Pentecôte,  le  bon  roi  Artus  étant  à  Car- 
duel,  tint  une  cour  plénière.  Après  le  repas,  les  chevaliers 
furent  appelés  pour  tenir,  compagnie  aux  dames.  Les  uns 

Gga 


N"  29  oUm 
69  de  (Jangé  , 
anc.  fondj  ,  n" 
7535  —  5  ,  foiio 
207 ,  y",  col.  2. 


XII  SIECLE. 


Folio   ao8 , 
verso ,  col.  a. 


236      CHRESTIEN  DE  TROYES,  POÈTE  FRANC. 

Karlèrent  d'amours ,  les  autres  récitèrent  des  fabliaux  et  des 
istoires  du  temps  passé. 

Messire  Kex,  sénéchal  de  cette  cour,  mais  qui  y  joue  tou- 
jours le  rôle  d'un  bouffon,  fait  à  l'ordinaire  de  mauvaises 
plaisanteries  ;  il  insulte  Calongnan  qui  était  prêt  à  s'en  ven- 
ger, si  la  reine  ne  fût  arrivée,  et  ne  l'eût  prié  de  laisser 
Kex  et  de  réciter  à  son  tour  une  histoire.  Il  obéit ,  et  raconte 

3ue  voyageant  seul,  il  y  avait  environ  dix  ans,  et  cherchant 
es  aventures,  il  traversa  la  forêt  de  Broceliande.  En  sortant 
d'un  château-fort  où  il  avait  été  parfaitement  reçu,  il  trouve 
dans  une  bruyère  un  géant  qui  gardait  un  troupeau  de  bêtes 
sauvages  et  qui  lui  demande  qui  il  est  et  ce  qu'il  cherche. 

Jo  sui ,  fait-il ,  uns  chevaliers 
Qui  quier  ce  que  trover  ne  puis  ; 
Assez  ai  quis  et  rien  ne  truis. 
Et  que  vauroies  tu  trover  ? 
Aventures  por  esprover 
Ma  proece  et  mon  hardimant. 

Tu  peux  aller  près  d'ici,  reprit  le  géant;  si  tu  y  entres,  tu 
n'en  sortiras  pas  sans  peine ,  et  tu  y  verras  des  choses  surna- 
turelles. Prends  sur  ta  droite,  en  quittant  cette  bruyère;  tu 
trouveras  d'abord  la  fontaine  qui  bout,  bien  que  l'eau  en  soit 
olus  froide  que  marbre.  Les  arbres  qui  l'entourent  ne  sentent 
amais  les  attaques  de  l'hiver ,  et  conservent  toujours  leur 
'.  3el  ombrage.  A  une  longue  chaîne  de  fer  est  attaché  un  bas- 
sin d'or  qui  sert  à  puiser  l'eau  de  la  fontaine.  Tu  verras  en- 
suite un  perron ,  et  à  côté  une  petite  chapelle. 

S'al  bacin  vels  de  l'eve  prandre 

Et  desos  le  perron  espandre , 

Là  verras  une  tel  tempeste 

Qu'en  cest  bois  ne  remanra  beste. 

Chievreus,  ne  dains  ,  ne  cers,  ne  pors  (sangliers), 

Nis  li  oisel,  en  istront  (sortiront)  fors; 

Car  tu  verras  si  foldroier , 

Venter  et  arbres  peloier 

Plovoir,  venter,  et  espartir  (éclairer) 

Que  se  tu  pues  départir 

Sans  grant  anui  et  sans  pesance 

Tu  seras  de  greignor  (plus  grande)  valance 

Que  chevalier  qui  i  fust  oncques. 


CHRESTIEN  DE  TROYES,  POÈTE  FRANC.      237 

Calongnan  suivit  la  route  que  le  géant  lui  avait  indiquée.  II 
arrive  à  la  fontaine  bouillante ,  voit  le  perron  ; 

Si  ot  quatre  rubis  desous 
Plus  flamboians  et  plus  vermax 
QUe  n'est  àl  matin  li  solax 
Qant  il  peret  en  orient. 

Il  prend  le  vase  d'or,  puise  à  la  fontaine,  et  renverse  l'eau. 
Aussitôt  un  orage  furieux  éclate;  et  le  poëte  fait  tous  ses 
efforts  pour  le  décrire.  Enfin  le  calme  renaît;  les  oiseaux 
recommencent  à  chanter.  Calongnan  les  écoutait  avec  ravis- 
sement, lorsqu'il  voit  venir  à  lui  un  chevalier  qui  le  défie. 
Il  accepte  le  défi,  et  à  la  troisième  course,  il  est  renversé.  Le 
chevalier  prend  son  cheval  et  s'en  va.  Calongnan,  obligé  de 
quitter  son  armure  pour  marcher  plus  aisément,  retourne 
tristement  au  château  où  il  avait  été  si  bien  reçu.  On  le  féli- 
cita d'y  être  revenu  sain  et  sauf,  après  une  épreuve  aussi 
périlleuse  que  J' était  celle  du  perron.  Alors  sire  Yvains,  fils 
du  roi  Unen,  prenant  la  parole,  dit  à  Calongnan  :  Mon 
cousin ,  vous  avez  eu  tort  de  me  cacher  votre  aventure.  J'irai 
venger  votre  affront,  et  braver  tous  les  dangers  du  perron 
et  de  la  fontaine. 

Le  roi  Artus  montre  aussi  le  plus  grand  désir  de  voir  les 
merveilles  dont  Calongnan  avait  parlé.  Yvain,  craignant  de 
ne  pas  arriver  le  premier  à  la  fontaine  .pour  venger  l'injure 
faite  à  son  cousin,  part  sur-le-champ  et  sans  congé.  Arrive 
chez  le  vavasseur  qui  avait  logé  Calongnan,  il  y  passe  la 
nuit,  repart  le  lendemain  matin,  rencontre  le  géant  qui  lui 
donne  les  mêmes  instructions,  et  voit  bientôt  paraître  le  per- 
ron merveilleux.  Il  est  témoin  de^  mêmes  prodiges  qui 
s'étaient  offerts  à  Calongnan.  Le  chevalier  se  présente;  le 
combat  s'engage,  et  dure  long-temps.  Yvains  blesse  enfin 
mortellement  son  ennemi,  qui  conserve  encore  assez  de 
force  pour  remonter  sur  son  cheval  et  se  sauver  dans  son 
château.  Yvains  s'y  précipite  après  lui;  mais  tout-à-coup  les 
portes  se  ferment;  il  se  trouve  prisonnier  dans  une  cour 
intérieure,  et  sans  espoir  d'en  sortir.  Il  entre  dans  les  salles 
du  cliâteau,  rencontre  une  pucelle  à  qui  il  avait  autrefois 
rendu  service  à  la  cour  du  roi  Artus.  Elle  lui  prête  un 
anneau  dont  la  vertu  est  de  rendre  invisible;  elle  lui  ouvre 
ensuite  une  chambre,  où  il  se  jette  sur  un  lit,  et  s'endort. 
Les   gens  du  château  cherchent  par- tout  le  chevalier;  ils 


XII  SIECLE 


XII  SIECLE. 


Folio   aïo, 
verso ,  col.  3. 


Folio    an, 
recto,  col.  3. 


Folio    11 3; 
verso,  col.  i. 


3'58   CHRESTIEN  DE  TROYES,  POÈTE  FRANC. 

entrent  dans  la  chambre,  brisent  les  bancs  et  les  lits,  à 
l'exception  de  celui  sur  lequel  il  était  couche. 

Partot  ferent  de  lor  basions 
Com  avugles  qui  à  tastons 
Va  alqune  cose  querant. 

Cependant  on  fait  les  obsèques  du  maître;  sa  femme  jette 
les  hauts  cris  en  voyant  s'avancer  le  convoi,  suivi  de  prêtres, 
de  religieuses, 

Et  H  clerc  qui  sont  despensier 
A  faire  la  haute  despense. 

On  apporte  le  corps  du  défunt  dans  la  salle  où  était  Yvains  ; 
aussitôt  le  sang  commence  à  sortir  par  les  plaies,  signe  cer- 
tain que  le  meurtrier  est  près  de  sa  victime.  Nouvelles  re- 
cherches aussi  inutiles  que  les  premières.  Le  convoi  se  met 
en  marche;  la  pucelle  vient  retrouver  Yvains,  le  conduit  dans 
une  autre  chambre  d'où  il  peut  voir  passer  le  cortège,  et  lui 
recommande  un  silence  absolu 

Li  sages  tôt  son  pensé  coevre 
Et  li  fois  si  le  met  à  oevre. 

Le  sage  Yvains  est  pris  d'une  singulière  folie.  En  voya 
veuve  dont  il  à  tué  le  mari,  il  devient  amoureux  d'elle.  Sa 
protectrice,  après  avoir  inutilement  essayé  de  le  détourner 
de  cet  amour,  lui  promet  de  le  servir.  En  effet  elle  s'y  prend 
avec  tant  d'adresse  qu'elle  engage  d'abord  la  veuve  a  en- 
tendre parler  d'un  nouveau  mariage,  ensuite  à  voir  Yvains 
sans  répugnance,  quoiqu'elle  sache  qtie  c'est  lui  qui  a  tué 
son  premier  mari.  Enfin  la  première  semaine  de  son  veuvage 
n'était  pas  finie,  qu'elle  consent  à  lui  donner  la  main.  Elle 
le  mène  au  conseil  de  ses  barons,  et  le  présente  comme  son 
époux.  Le  sénéchal  dit  aux  barons  : 

N'a  pas  encor  sept  jors  ados , 
Mors  est  se  sire  ,  ce  li  poise  ; 
Na  or  de  terre  qu'une  toise 
Cil  qui  tôt  cest  pais  tenoit. 

Le  mariage  est  arrêté  et  célébré  avec  magnificence.  Les  fêtes 
étaient  à  peine  finies,  qu' Yvains  apprit  que  le  roi  Artus  et 
sa  cour  arrivaient  pour  voir  les  merveilles  du  perron  et  de 
la  fontaine.  Messire  Kex  était  de  la  partie,  et  ne  manquait 
pas  de  plaisanter  les  absens,et  particulièrement  Yvains  qui 


CHRESTIEN  DE  TROYES,  POÈTE  FRANC.      289 
n'avait  pas  donne  de  ses  nouvelles  depuis  son  départ  de  la   ^"  SIECLE. 
cour.  Le  roi  arrive,  verse  de  l'eau  sur  le  perron  :  1  orage,  les 
feux,  le  tonnerre,  toutes  les  raeiTcilles  éclatent.  Yvains  se 

f)rësente  pour  la  bataille;  messire  Kex  demande  et  obtient 
a  permission  d'être  le  tenant;  il  est  bientôt  renversé.  Son 
rival,  en  lui  reprochant  ses  mauvaises  plaisanteries,  emmène 
SOTi  cheval ,  et  va  se  présenter  au  roi  Artus  auquel  il  se  fait 
connaître. 

S'en  fu  Kex  de  honte  asotnés  Folio   214, 

Et  mas  (triste,  abattu,  maté)  et  mors  et  desconfis  ;  recto,  col.  2. 

Qui  dist  qu'il  s'en  estoit  fuis 
Et  li  antre  moult  lié  en  sont 
Qui  de  sa  honte  joie  font. 

Artus  demande  à  Yvains  par  quelle  aventure  il  se  trouve 
être  défenseur  du  perron.  Yvains  satisfait  la  curiosité  du  roi, 
et  l'invite  à  entrer  dans  son  château.  Artus  y  est  reçu  avec 
tous  les  honneurs  dus  à  son  rang,  et  y  reste  pendant  huit 
jours.  Gauvain ,  ami  d'Y  vains,  profite  de  ce  temps  pour  l'en- 
gager à  les  accompagner  à  un  tournoi  où  ils  doivent  se 
rendre.  Yvains  n'a  pas  la  force  de  refuser;  il  était  de  fort 
bon  conseil, 

Mais  tex  conselle  bien  altrul  Folio    a  14, 

Qui  ne  saroit  consillier  lui.  verso,  col.  3. 

Ausi  com  li  preéceor, 

Qui  sont  desloial  lécéor. 

Qui  dient  et  monstrent  le  bien 

Dont  il  ne  volent  faire  rien. 

La  femme  d'Yvains,  désolée  de  son  départ,  exige  de  lui  la 
promesse  qu'il  sera  de  retour  au  jour  qu'elle  lui  prescrit. 
Elle  lui  donne  un  anneau  qui  rend  invulnérable  tant  qu'on 
aime  sa  dame.  Toute  la  cour  part  enfin,  et  Yvains  avec  elle. 
Gauvain  et  lui  paraissent  dans  le  tournoi ,  et  y  font  des  pro- 
diges de  valeur.  La  gloire  fait  oublier  à  Yvains  le  terme  de 
son  retour.  Un  an  s'écoule,  et  au  lieu  de  revenir  auprès  de 
sa  femme,  il  se  rend  à  la  cour  d' Artus.  Là,  il  se  rapppelle 
enfin  son  mariage  et  sa  promesse.  Honteux  de  sa  faute,  il 
songeait  à  la  réparer,  lorsqu'une  demoiselle,  montée  sur  un 
beau  palefroi,  arrive,  se  présente  au  roi  Artus,  salue  toute 
la  cour,  à  l'exception  d'Yvains,  demande  qu'il  soit  puni 
comme  chevalier  déloyal ,  lui  déclare  que  sa  femme  ne  veut 
plus  le  revoir,  et  lui  redemande  l'anneau  qu'elle  lui  a  donné. 


XII  SIECLE. 


Folio  21 5; 
rerso,  col.  2. 


Folio   21 5, 
verso ,  col.  3. 


240   CHRESTIEN  DE  TROYES,  POÈTE  FRANC. 

Profitant  de  l'ëtonnement  dont  il  est  frappé,  elle  le  lui  ôte 
du  doigt,  le  met  au  sien,  salue  l'assemblée  et  part.  Yvains, 
désespéré,  reconnaît  ses  torts,  quitte  la  cour  pour  aller  s'en- 
foncer dans  un  désert,  et  s'arrête  dans  une  forêt.  Son  esprit 
est  aliéné ,  mais  il  n'a  rien  perdu  de  sa  force. 

Les  bestes  par  le  bois  agaite 
Et  les  occit ,  puis  si  manjue 
La  vénison  trestote  crue. 

(Nous  citons  ces  vers  comme  un  exemple  des  licences  sin- 
gulières qui  étaient  alors  autorisées  par  la  nécessité  de  la 
rime.)  Yvains  nu,  pâle,  défait  et  semblable  à  un  spectre, 
rencontre  un  ermite  qui  se  sauve  en  le  voyant,  mais  qui 
met  pour  lui  du  pain  et  de  l'eau  sur  la  fenêtre  de  sa  chau- 
mière, et  lui  en  prépare  chaque  jour  autant.  Le  malheureux, 
chevalier  était  depuis  long-temps  dans  cet  état , 

Lorsque  le  trovèrent  dormant 
En  la  forest  trois  damoiseles 
Et  une  ,  lor  dame  ,  avec  eles. 

Elles  reconnaissent  Yvains,  malgré  sa  nudité  et  le  change- 
ment qui  s'est  fait  dans  tous  ses  traits.  Saisies  de  pitié ,  elles 
parlent  en  sa  faveur  à  leur  dame.  Elle  avait  une  guerre  à  sou- 
tenir contre  le  comte  Ailiers.  Avec  le  secours  du  chevalier, 
elle  serait  sûre  de  la  victoire.  Quel  dommage  qu'il  ait  perdu 
l'esprit  !  La  dame  se  rappelle  que  la  fée  Morgain  lui  a 
fait  présent  d'un  remède  excellent  contre  la  folie.  Elle 
charge  une  de  ses  demoiselles  de  l'administrer  à  Yvains,  de 
lui  en  appliquer  aux  tempes,  au  front,  et  de  lui  apporter 
des  habits  convenables  à  son  rang.  La  pucelle  le  trouve  en- 
core endormi ,  lui  applique  bien  doucement  le  remède,  dans 
la  crainte  de  le  réveiller,  pose  les  habits  à  terre,  et  se  cache 
derrière  un  gros  chêne.  Le  poëte  raconte  ici  fort  longuement 
le  réveil  du  chevalier,  sa  surprise  de  se  trouver  nu  au  milieu 
d'une  forêt  d'où  il  ne  sait  comment  il  pourra  sortir,  sa  joie 
en  voyant  des  habits  placés  auprès  de  lui,  et  son  empresse- 
ment à  s'en  couvrir.  La  pucelle  sort  alors  de  sa  cachette, 
s'approche  de  lui,  et  s'offre  à  lui  servir  de  guide.  Elle  le  con- 
duit au  château  de  la  dame.  On  le  fait  baigner,  raser  ;  on  lui 
donne  tout  ce  qu'il  désire.  En  ce  moment  on  annonce  l'ar- 
rivée du  comte  Aillier  qui  vient  assiéger  le  château,  et  se 
prépare  à  y  mettre  le  feu.  Yvains  encourage  les  habitans,  se 


XII  SIECLE 


CHRESTIEN  DE  TROYES,  POETE  FRANC.      241 

met  à  leur  tête,  et  dès  le  premier  jour,  tue  une  douzaine  de 
chevaliers.  Ce  début  excite  une  admiration  générale. 

Et  la  dame  fu  en  la  tor  Folio  216, 

De  son  castel  montée  hait  ^    Terso,  col.  2. 

Et  vit  la  mellée  et  l'asalt. 

Le  lendemain ,  nouveaux  exploits,  nouvelle  victoire  d'Yvains. 
Toutes  les  dames  chantent  ses  louanges  et  célèbrent  sa  va- 
leur. Le  comte  Ailier  est  enfin  forcé  de  se  rendre  à  la  dame 
du  château,  et  remet  son  épée  à  son  vainqueur.  La  dame 
passe  de  l'admiration  à  un  sentiment  plus  tendre,  et  pro- 
pose à  Yvains  sa  main  et  son  cœur.  Mais,  fidèle  à  ses  pre- 
miers engagemens,  il  la  remercie;  et  après  s'être  reposé 
quelques  jours,  il  part  seul,  et  s'enfonce  dans  les  forêts. 

Il  avait  marché  plusieurs  jours  sans  trouver  d'aventure,    ■- 
lorsqu'il  entend  des  cris  qui  lui  semblent  être  ceux  d'un 
animal  blessé.  II  y  court  ;  il  voit  un  lion  aux  prises  avec  un 
énorme  serpent  dont  la  gueule  jetait  des  flammes.  Yvains  \ 

s'approche  en  se  couvrant  de  son  bouclier;  d'un  coup  de  sa 
bonne  épée,  il  tue  le  serpent 

Et  en  deus  moitiés  le  tronçonne  ;  Folio  216  , 

,  I        verso,  col.  2. 

La  reconnaissance  du  lion  est  fort  bien  peinte  ;  c  est  un  des 
meilleurs  endroits  du  poëme.  Ce  pauvre  animal  sentit  tant 
de  tendresse  pour  son  libérateur, 

Que  il  li  comança  à  faire  Folio   217 

Samblant  que  à  lui  se  rendoit;  cccto,  col.  3. 

Et  ses  pies  joins  li  estendoit. 

Envers  terre  encline  sa  chiere  ;  • 

S'.estut  sor  les  deus  pies  deriere , 

Et  puis  si  se  rajenoilloit. 

Et  tote  sa  face  moilloit 

De  larmes. 

Enfin  le  lion  s'attache  si  intimement  au  chevalier,  que  depuis' 
lors  ils  voyagent  toujours  ensemble.  Ils  arrivent  au  perron 
merveilleux  et  à  la  fontaine  enchantée.  Ce  lieu  rappelle  à 
Yvains  tous  ses  malheurs.  Réduit  au  désespoir,  il  tire  son 
épée  et  veut  se  donner  la  mort.  Il  se  porte  un  coup  à  la 
gorge,  et  tombe  baigné  dans  son  sang.  Le  lion  jette  des  cris, 
et  semble  appeler  au  secours  de  son  maître.  Une  femme, 
effrayée  et  plaintive,  accourt  :  Yvains,  ouvrant  les  yeux,  re- 
TomeXF.  H  h 


XII  SIECLE. 


Folio  218, 
recto ,  col.  3. 


Folio    96  , 
recto ,  col.  2. 


24a   CHRESTIEN  DE  TROYES ,  POÈTE  FRANC. 

connaît  en  elle  la  pucelle  qui  l'avait  servi  clans  ses  amours. 
Accusée  de  trahison,  parce  qu'elle  a  voulu  le  servir  et  le  dé- 
fendre, elle  a  été  condamnée  à  mort.  Elle  devait  être  brûlée, 
si  avant  quarante  jours  elle  ne  trouvait  pas  un  défenseur,  et 
ctest  le  lendemain  à  midi  que  le  terme  fatal  expire.  Yvains 
consent  à  vivre  pour  sauver  sa  bienfaitrice  ;  il  la  laisse  étan- 
cher  son  sang,  bander  sa  plaie,  et  lui  promet  de  se  trouver 
à  l'heure  indiquée  pour  combattre  ses  accusateurs  ;  il  exige 
seulement  qu'elle  ne  le  fasse  point  connaître.  11  la  quitte 
enfin,  continue  sa  route. 

Et  H  lions  tos-jors  après. 

En  passant  près  d'un  château- fort,  Yvains  trouve  toute  la 
famille  du  seigneur  plongée  dans  un  grand  chagrin.  Un 
énorme  géant,  nommé  Harpin  de  la  Montagne,  a  fait  pri- 
sonniers les  quatre  fils  du  cMtelain,  et  menace  de  les  mas- 
sacrer, s'il  ne  lui  donne  sa  fille  en  mariage.  Tous  les  jours, 
il  vient  renouveler  sa  demande  et  ses  menaces.  Yvains  ras- 
sure ce  bon  seigneur,  lui  promet  de  le  délivrer  de  son  en- 
nemi, et  passe  la  nuit  dans  la  chambre  d'honneur  avec  son 
lion  couché  à  ses  pieds.  Le  lendemain,  le  géant  paraît  en 
effet  conduisant  devant  lui  ses  quatre  prisonniers ,  appelant 
le  père  au  combat,  et  jurant  de  regorger,  comme  il  va  égor- 
ger ses  fils,  puisqu'il  s'obstine  à  lui  refuser  sa  fille.  Yvains 
prend  ses  armes,  sort  du  château  avec  son  lion,  et  défie  le 
géant.  Le  combat  est  long-temps  douteux  ;  Yvains  était  près 
de  succomber;  tout-à-coup  son  lion  s'élance,  mord  le  géant, 
le  renverse;  Yvains  le  tue.  La  famille,  délivrée,  entoure  son 
libérateur,  et  veut  lui  donner  des  fêtes;  mais  l'heure  ap- 
proche où  il  a  promis  d'aller  courir  une  autre  aventure.  Il 
s'échappe  et  se  rend  à  son  propre  château,  où  la  pucelle 
était  condamnée  à  périr  pour  avoir  pris  sa  défense.  Déjà  la 
foule  inondant  la  place,  attendait  le  moment  du  supplice; 
le  feu  s'allumait;  la  victime  était  amenée.  Yvains  arrive,  crie 
de  tout  suspendre;  la  foule  lui  ouvre  passage;  il  s'approche 
de  la  pucelle, 

£t  dit  ma  daraeiselle  où  sont 

Cil  qui  vos  blasment  et  ancusent? 

Tôt  maintenant  s'il  n'el'  refusent 

Lor  iert  la  bataille  arramie  (proclamée,  annoncée»). 

Elle  lui  désigne  ses  accusateurs;  ils  sont  trois;  mais  Yvains, 
aidé  de  sou  lion,  ne  les  craint  pas.  Il  les  attaque;  le  hou  fait 


CHRESTIEN  DE  TROYES,  POÈTE  FRANC.      ^43 

des  merveilles ,  maii  il  reçoit  une  large  blessure.  Yvains  re-    Xli  SIE(.LE. 

double  de  courage,  et  force  er^fin  ses  adversaires  à  s'avouer 

vaincus.  La  pucelle,  justifiée,  est  délivrée;  ses  accusateurs  la 

remplacent  au  bûcher;  car  on  sait,  dit  le  poëte, 

Que  ce  est  raisons  de  justice*  «     ^^o  ^^ 

Que  cil  qui  autrui  juge  à  tort  fondsdeCangé, 

Doit  de  celui  mesmes  mort  folio  96,  verso. 

Morir,  que  il  li  a  jugiée. 

La  dame  du  château  ne  reconnaît  point  son  mari  dans  le 
chevalier;  elle  l'invite  à  se  reposer,  au  moins  jusqu'à  ce  que 
son  lion  soit  guéri.  Mais  il  s'en  excuse,  en  disant  qu'il  ne 
prendra  de  repos  que  lorsque  sa  dame  lui  aura  pardonné. 
—  Votre  dame  a  tort,  lui  repond-elle,  si  elle  refuse  un  che- 
valier tel  que  vous.  Ici  s'engage  un  long  entretien  qui  serait 
intéressant,  si  le  style  était  moins  imparfait  et  plus  formé. 
Yvains  part,  toujours  inconnu,  excepté  à  la  pucelle  qu'il  a 
sauvée.  Son  lion  blessé  ne  peut  le  suivre  ;  il  le  met  sur  son 
bouclier  et  l'emporte  jusquau  château  voisin,  où  des  dames 
et  des  demoiselles  prennent  soin  de  le  guérir.  Bien  accueilli 
et  bien  traité  dans  ce  château,  Yvains  y  reste  jusqu'au  mo- 
ment où  une  aventure  extraordinaire  l'en  fait  sortir. 

Un  seigneur  des  environs,  nommé  le  Sire  de  la  Noire 
Epine,  n'avait  laissé  en  mourant  que  deux  filles.  L'aînée 
voulut  garder  toute  la  terre;  la  cadette  n'ayant  pu  fléchir  sa 
sœur,  alla  se  plaindre  à  la  cour  du  roi  Artus.  L  aînée  l'avait 
déjà  prévenue,  et  le  brave  Gauvain  était  nommé  pour  sou- 
tenir ses  droits.  Le  même  jour,  les  nouvelles  de  la  mort  du 
géant  et  de  l'autre  victoire  du  chevalier  au  lion  arrivèrent  à 
la  cour.  On  le  nomma  pour  défenseur  de  la  sœur  cadette. 
Elle  part  sur  un  palefroi  pour  le  chercher,  et  le  trouve  enfin. 
Yvains  lui  promet  son  secours ,  et  part  aussitôt  avec  elle. 
Ensi  entr'aus  deus  chevalchièrent. 

Parlant  tant  que  il  aprochièrent  Folio    08  , 

Le  chastel  de  pesme  {mauvaiie ,  pessima)  aventure.  verso,  col.  3. 

Yvains  y  trouve  en  effet  une  aventure  très- difficile,  mais 
dont  il  vient  à  bout  par  sa  bravoure  et  avec  l'aide  de  son 
lion.  Il  reprend  ensuite  sa  route,  et  se  rend  avec  la  jeune 
demoiselle  de  la  Noire  Epine  à  la  cour  du  roi  Artus.  L'aînée 
y  était  déjà  rendue.  Les  deux  sœurs  plaident  devant  le  roi; 

(*)  Une  lacune  s'elant  trouvée  dans  le  manuscrit  que  nous  avions  suivi  jusqu'ici, 
nous  avons  été  obligés  d'en  prendre  un  autre  que  nous  indiquons  à  la  marge. 

Hh2 


XltSIECLE. 


244      CHRESTIEN  DE  TROYES ,  POÈTE  FRANC. 

l'une  soutient  ses  prétentions,  l'autre  détend  ses  droits.  Le 
combat  est  ordonné.  Les  deux  amis ,  Gauvain  et  Yvains , 
sans  se  parler  et  sans  se  connaître,  s'attaquent  avec  achar- 
nement, sans  pouvoir  remporter  d'avantages.  Trois  fois  ils 
reprennent  les  armes,  et  trois  fois  la  victoire  est  incertaine. 
La  nuit  sépare  les  deux  combattans;  ils  se  parlent  alors,  se 
reconnaissent  et  s'embrassent.  Artus,  enchanté  de  retrouver 
un  de  ses  braves,  force  les  deux  sœilrs  à  s'arranger  et  à  par- 
tager également  le  bien  de  leur  père.  La  joie  brille  de  toutes 
parts;  les  deux  amis  se  racontent  leurs  aventures. 

Il  ne  restait  plus  à  Yvains  que  de  se  raccommoder  avec 
sa  femme.  Il  prend  la  résolution  de  retourner  à  la  fontaine 
pprilleuse.  Il  part  secrètement  avec  son  lion,  arrive  au  per- 
ron merveilleux,  voit  les  mêmes  enchantemens  dont  il  avait 
été  témoin  quelques  années  auparavant,  mais  ne  "voit  point 
de  champion  se  présenter.  Au  bruit  de  l'arrivée  d'un  che- 
valier, la  dame  du  château  se  plaignit  à  la  pucelle  qu' Yvains 
avait  sauvée,  et  qui  était  rentrée  en  grâce  auprès  d'elle,  de 
n'avoir  plus  de  tenant  qui  prît  sa  défense.  Lunette,  c'est 
ainsi  que  se  nommait  la  jeune  fille,  lui  conseille  de  prendre 
pour  défenseur  le  chevalier  au  lion  qui  remplit  tout  le  pays 
d'alentour  du  bruit  de  ses  exploits.  La  dame  s'y  détermine 
enfin.  Lunette  part  sur  son  palefroi  pour  l'aller  chercher,  et 
est  agréablement  surprise  de  le  trouver  dans  ce  chevalier 
même  qui  demandait  le  combat.  Elle  l'amène  au  château, 
et  après  avoir  expliqué  à  sa  dame  cette  heureuse  rencontre, 
elle  lui  fait  reconnaître  le  chevalier  au  lion  pour  cet  Yvains 
jadis  tant  aimé.  Après  quelques  difficultés  ,  la  dame  pro- 
nonce enfin  le  pardon;  les  époux  s'embrassent,  et  pro- 
mettent d'oublier  les  maux  que  l'absence  leur  a  fait  souffrir. 

Del  Chevalier  au  Lyeon  fine 

Crestiens  son  romans  ensi , 

N'onques  plus  conter  n'en  oï  • 

He  jà  plus  n'en  orroiz  conter 

S'an  ni  vialt  nianconge  ajoster. 


Les  quatre  romans  dont  nous  avons  donné  l'extrait  sont 
en  quelque  sorte  des  branches  ou  des  dépendances  de  la 
Table  Ronde.  Les  héros  qui  en  sont  les  principaux  acteurs 
sont  presque  tous  chevaliers  de  cet  ordre,  et  attachés  à  la 
cour  du  roi  Artus  qui  en  est  regardé  comme  le  fondateur; 


XII  SIECLE. 


CHRESTIEN  DE  TROYES,  POETE  FRANC.      M^ 

mais  ce  n'est  pas  là  ce  qu'on  nomme  proprement  les  romans 
de  la  Table  Ronde.  Ceux  d'entre  ces  derniers ,  qu'on  attribue 
à  Chrestien  de  Troyes,  sont  aussi  au  nombre  de  quatre  : 
i".  Le,  Saint -Gréaal; 

2.  Tristan  de  Léonnois; 

3.  Perceval  le  Gallois  ; 

4.  Lancelot  du  Lac  ou  Lancelot  de  la  Charrette. 

Il  existe  à  la  bibliothèque  du  roi,  fonds  de  l'abbaye  de  Saint- 
Germain-des-Prés,  un  manuscrit  du  roman  du  saint-Grëaal  N"  a74o,in-8*. 
en  vers.  Ce  manuscrit  appartenait  au  président  Fauchet,  et 
porte  plusieurs  notes  marginales  écrites  de  sa  main.  Il  con- 
tient :  i"  un  autre  roman  intitulé  l'Image  du  Monde,  par 
Guillaume  Osmons  ,  poëte  du  XIII<=  siècle  ;  2°  l'histoire  de 
la  Véronique,  et  celle  du  saint- Gréaal,  mise  en  vers  par  un 
auteur  anonyme,  mais  d'après  Robert  de  Boron  et  Gautier 
de  Montbélial.Nous  avons  cléja  dit  plus  haut,  notice  générale, 
N°VI,  que  c'était  par  erreur  que  Fauchet  avait  attribué  ce 
roman  du  Gréaal  à  Chrestien  de  Troyes.  Nous  persistons  dans 
cette  opinion  ;  d'ailleurs  l'ouvrage  est  fort  mal  écrit,  et  d'un 
style  qui  ne  ressemble  nullement  à  celui  de  Chrestien  de 
Troyes. 

Pour  l'intelligence  des  autres  romans  de  la  Table-Ronde 
qui  sont  de  notre  poète,  il' suffit  de  se  rappeler  les  faits  sui- 
vans. 

On  entend  par  le  Saint-Gréaal  ou  Graal'un  vase  dont  on 

f)rétendait  que  Jésus-Christ  s'était  servi  pour  la  cène,  et  dans 
equel  Joseph  d'Arimathie,  selon  les  mêmes  traditions,  avait 
recueilli  le  sang  qui  coula  des  plaies  et  du  côté  de  Jésus-Christ, 
lorsqu'il  eut  été  crucifié.  Joseph ,  à  qui  Dieu  même  en  avait 
fait  don  ^  s'en  servit  en  différens  pays  pour  opérer  les  plus 
étonnàns  miracles.  Il  en  fit  sur-tout  en  Angleterre,  et  laissa 
en  mourant  le  Graal  à  ses  descendans.  Après  quelques  gé- 
nérations,  le  vase •  miraculeux  se  perdit;  ce  fut  pour  le 
retrouver  que  le  roi  fabuleux  Utter  Pandragon  institua 
l'ordre  de  la  Table-Ronde ,  dont  les  chevaliers  avaient  pour 
premier  devoir  de  chercher  par  tout  le  monde  et  de  recon- 
quérir le  S.-Graal.  Artus,  fils  d'Utter,  perfectionna  cette 
institution  chevaleresque,  qui  parvint,  sous  son  règne,  au 
plus  haut  degré  de  gloire. 

Le  roman  du  Graal ,  traduit  du  latin  en  vers  français, 
contient  l'histoire  de  ce  saint  vase ,  entremêlée  de  fables 
épisodiques;  mais,  comme  nous  l'avons  dit,  cette  traduction 
n'est  point  de  Chrestien  de  Troyes. 


XH  SIECLE. 


246      CHRESTIEN  DE  TROYES,  POÈTE  FRANC. 

Tristan  de  Leonnois ,  celui  des  romans  de  la  Table-Ronde 
qui  tient  le  plus  immédiatement  au  Graal  par  le  sujet  et  par 
la  contexture  de  la  fable,  mais  qui  le  surpasse  infiniment 
par  l'invention  et  l'intérêt,  fut  certainement  vérifié  par 
notre  poëte ,  mais  nous  n'en  possédons  en  France  aucun  ma- 
nuscrit ;  nous  n'avons  pas  même  d'indice  qu'il  en  existe  dans 
aucune  des  grandes  bioliothèques  de  l'Europe.  S'il  s'en  dé- 
couvrait un,  dont  l'authenticité  fût  prouvée,  l'honneur  de 
notre  littérature  exigerait  que  l'on  obtînt,  à  quelque  prix 
que  ce  fût,  la  faculté  d'en  faire  tirer  une  copie. 

La  Bibliothèque  des  Romans,  i*'  volume  d'avril  1776, 
contient  un  extrait  de  ce  roman  écrit  en  prose.  Cet  extrait , 
que  l'on  doit  à  la  plume  élégante  et  facile  du  comte  de 
Tressan,  offre,  dans  un  grand  détail,  toute  l'action  du 
roman  ;  et  comme  nous  manquons  de  manuscrits  pour  y 
comparer  le  même  roman  écrit  en  vers  par  Chrestien  de 
Troyes ,  nous  renverrons  à  ce  volume  d'un  ouvrage  qui  est 
dans  les  mains  de  tout  le  monde. 

Nous  ferons  seulement  remarquer  que  l'auteur  se  trompe 
au  commencement  de  son  extrait,  lorsqu'il  adopte  l'opinion 
commune  qui  regardait  ce  roman  de  Tristan  comme  le  plus 
ancien  de  ceux  qui  ont  été  écrits  en  prose;  les  autres,  dit-il, 
ayant  été  originairement  écrits  en  vers,  et  réduits  en  prose 
postérieurement  à  la  composition  de  celui-ci,  qui  parut, 
dit-on,  sous  le  règne  de  Pnilippe-Augiiste,  l'an  1 190.  Il  est 
certain  que  ce  roman  ne  fut  mis  en  prose,  comme  tous  les 
autres,  qu'après  l'avoir  été  en  vers,  d après  le  latin  de  Luce 
du  Gua;  que  ce  roman  fut  versifié  vers  l'époque  indiquée, 
et  qu'il  le  fut  par  Chrestien  de  Troyes,  comme  le  prouve 
ce  vers,  déjà  cité  du  début  de  son  roman  de  Cligès,  dans 
lequel  faisant  l'énumération  de  tous  les  romans  qu'il  avait 
écrits  jusqu'alors,  il  y  comprend  celui 
Du  roi  Marc  et  d'Yselt  la  blonde , 

C*est-à-dire  le  roman  de  Tristan,  neveu  de  Marc  et  amant 
d'Yseult. 

ROMAN  DE  PERCEVAL  LE  GALLOIS. 

Nous  avons  pour  le  roman  de  Pcrceval  le  Gallois  les  se- 
cours qui  nous  manquent  pour  celui  de  Tristan.  La  biblio- 


I 


CHRESTIEN  DE  TROYES,  POÈTE  FRANC.      2^7 

thèque  du  roi  en  possède  deux  manuscrits,  et  la  biblio-  '. L 

thèque  de  l'Arsenal ,  un  troisième.  Le  fil  des  événemens  y        ^°^'^^^  ^^ 

est  entièrement  le  même  que  dans  l'extrait  du  roman  de  ç^^l  'i^'f^i'^ 

Perceval  en  prose,  inséré  dans  le  quatrième  volume  de  la 

bibliothèque   des   romans,  et  ce   dernier   n'étant   que   du 

X\'®  siècle,  de  l'aveu  de  l'auteur  de  l'Extrait,  le  roman  de 

Chrestien  de  Troyes  en  vers  est  bien  évidemment  l'original. 

Mais  cette  conformité  nous  dispense  encore  de  donner  ici 

l'analyse  détaillée  du  roman  ae   Chrestien,  qui  ne   serait 

qu'une  répétition  de  celle  que  tout  le  monde  peut  lire  dans 

la  bibliothèque  des  romans.  Bornons-nous  à  en  donner  une 

idée  succincte,  et  à  citer  quelques  passages  qui  feront  voir 

que  le  style  de  ce  roman  est  bien  celui  de  Chrestien  de 

Troyes. 

Perceval  était  fils  d'un  illustre  chevalier  du  pays  de  Galles; 
il  n'avait  que  deux  ans ,  lorsqu'il  perdit  son  père  et  ses  deux 
frères,  qui  furent  tués  dans  des  tournois.  Sa  mère  se  retira 
avec  lui  dans  une  forêt  qui  faisait  partie  de  ses  domaines, 
résolue  de  le  soustraire  aux  dangers  qui  l'avaient  déjà  privée 
de  son  mari  et  de  deux  de  ses  fils,  et  de  le  tenir  dans  l'igno- 
rance absolue  de  ce  que  estait  chevalerie.  C'est  à  tirer  Per- 
ceval de  cette  ignorance,  et  à  le  faire  parvenir  par  degrés 
à  ce  que  la  science  chevaleresque  avait  de  plus  héroïque  et 
de  plus  grand ,  que  le  poète  s'est  appliqué.  Il  y  a  fort  bien 
réussi,  et  ce  roman  est  peut-être  celui  de  tous  les  siens  où 
il  a  mis  le  plus  d'art  et  de  conduite. 

Les  deux  premiers  chevaliers,  que  le  jeune  Varlet  ren- 
contre tout  armés  dans  la  forêt,  lui  causent  une  grande  sur- 
prise, qu'il  exprime  naïvement.  Il  ne  répond  aux  questions 
qu'un  de  ces  chevaliers  lui  adresse  que  par  d'autres  ques- 
tions sur  le  nom  et  l'usage  des  différentes  parties  de  leur 
armure. 

•  Sire,  que  vos  dist  cil  galoisP 

Demande  l'autre  chevalier  : 

iNe  sait  mie  totes  les  lois , 

Fait  li  sire,  se  Dex  marnant. 

Que  rien  nule  que  li  demant 

Ne  me  respont  onques  à  droit  ; 

Ains  demande  de  quan  qu'il  voit 

Coment  à  nom  el  c'on  en  fait. 

Sire,  saciez  bien  entresait  (cependant) 


XII  SIECLE. 


248      CHRESTIEN  DE  TROYES,  POÈTE  FRANC. 

Que  galois  sont  tôt  par  nature 
Plus  fol  que  bestes  en  pasture. 

Perceval,  de.  retour  auprès  de  sa  mère,  lui  raconte  avec 
transport  cette  rencontre,  et  lui  déclare  qu'il  veut  aussi  avoir 
des  armes,  et  vivre  comme  ces  chevaliers.  La  mère  fait  ce 
qu'elle  peut  pour  l'en  détourner;  elle  lui  raconte  les  malheurs 
de  sa  famille,  mais  rien  ne  peut  l'ébranler;  et  après  avoir 
reçu  de  sa  mère  les  plus  sages  avis ,  il  part  seul ,  et  s'enfonce 
dans  la  forêt.  Là,  ses  aventures  .commencent,  et  le  cours  de 
ses  instructions  continue.  Un  prud'homme,  qui  le  reçoit 
dans  son  château,  lui  donne  les  premiers  élémens  de  cheva- 
lerie, lui  enseigne  à  jouter,  à  manier  la  lance  et  l'épée,  Per- 
ceval veut  savoir  le  nom  de  ce  prud'homme. 

Sire  (lui  dit-il)  ma  mère  m'enseigna 

Qu'avole  (avec)  home  n'alaisse  jà 

Ne  compaignie  à  lui  n'eusse 

Granment  (grandement,  long-temps)  se  son  nom  ne  s'eusse 

Et  son  sornom  à  la  parsome  (entièrement)  ; 

Car  par  le  nom  conoist-on  l'ome. 

Le  prud'homme  s'étant  nommé,  le  Varlet  ne  met  plus  de 
bornes  à  sa  confiance.  Il  lui  demande  enfin  et  obtient  de  lui 
ce  qu'il  desirait  le  plus,  l'ordre  de  chevalerie.  Le  prud'homme 
ajoute  ensuite  de  nouvelles  instructions  à  celles  qu'il  lui  a 
données.  Il  en  restait  une  à  recevoir  au  jeune  chevalier;  mais 
lorsqu'il  eut  délivré  le  château  de  la  jeune  pucelle  Blanche- 
Fleur,  qui  y  était  attaquée  par  un  redoutable  voisin  et  par 
une  nombreuse  armée,  il  ne  lui  manqua  plus  rien  de  ce  qui 
constituait  un  véritable  chevalier,  puisqu'il  avait  aussi  sa 
dame. 

Il  fait  bientôt  après  une  rencontre  d'une  autre  espèce  :  il 
arrive  dans  le  château  du  roi  Peschéor,  ou  Pêcheur,  qui 
était  ainsi  nommé  parce  que  son  seul  plaisir,  et  presque  sa 
seule  occupation,  était  la  pêche.  Parmi  différentes  curio- 
sités, il  y  voit  une  lance  dont  la  pointe  rend  des  gouttes  de 
sang,  un  grand  plat  et  un  tailloir,  auxquels  le  roi  paraît  atta- 
cher la  plus  grande  importance;  mais  en  jeune  homme  bien 
élevé,  il  ne  demande  sur  ces  objets  aucune  explication ,  et 
sort  du  château  le  lendemain  matin,  sans  s'être  informé  de 
ce  que  ce  peut  être.  Il  se  trouve  que  ce  roi ,  qui  était  malade 
des  suites  de  plusieurs  blessures,  ne  pouvait  être  guéri  que 
lorsqu'un  jeune  chevalier  lui  aurait  fait  sur  cette  lance  et  sur 


CHRESTIEN  DE  TROYES ,  POÈTE  FRt^Ç.      249 

ce  plat  des  questions  auxquelles  il  aurait  satisfait.  II  se  trouve 
encore  que  ce  roi  était  oncle  de  Perceval.  Perceval  en  est 
instruit  dans  la  suite;  il  l'est  aussi  de  la  faute  qu'il  a  faite 
en  montrant  si  peu  de  curiosité.  Après  un  grand  nombre 
d'aventures  brillantes  et  extraordinaires,  il  entreprend  de 
retrouver  le  château  du  .roi  Pêcheur.  Il  en  est  écarté  long- 
temps par  de  nouvelles  aventures,  parmi  lesquelles  se  trou- 
vent mêlées  celles  de  Gauvain,  autre  jeune  chevalier  qui, 
ayant  entendu  vanter  à  la  cour  de  son  oncle,  le  roi  Artus,  la 
valeur  et  les  exploits  de  Perceval,  part  pour  l'aller  chercher, 
le  rencontre,  le  combat,  et  se  lie  avec  lui  de  la  plus  étrpite 
amitié.  Ils  se  séparent  et  se  réunissent  plusieurs  fois.  En  un 
mot,  Gauvain  tient  tant  de  place  dans  le  roman,  qu'on  y 
pourrait  mettre  pour  titre  :  De  Perceval  et  de  Gauvain.  Per- 
ceval était  seul,  lorsqu'il  rencontre  une  compagnie  de  che- 
valiers et  de  dames,  dont  les  habits  annonçaient  qu'ils 
faisaient  pénitence,  et  qui  marchaient  par  mortification  les 
pieds  nus.  C'était  un  joUr  de  vendredi  saint;  un  des  che- 
valiers reproche  à  Perceval  de  porter  armes  -et  de  courir 

aventures  un  tel  jour; 

« 
Li  jors  que  l'on  doit  aorer 

La  crois  ,  et  son  pécié*  plorer  ;  .       , 

Car  hui  fusr  cil  en  crois  pendu 

Qui  trente  deniers  fut  vendu. 

Ils  viennent  tous  de  chez  un  saint  ermite  qui  les  a  confessés 
et  absous.  Perceval,  qui  depuis  cinq  ans  avait  oublié  ses  de- 
voirs de  religion  pou;-  ceux  de  la  chevalerie,  profite  dé  cette 
occasion,  va  troviver  l'ermit»,  reconnaît  en  lui  son  oncle 
maternel ,  qui  le  remet  dans  la  bonne  route.  C'est  cet  oncle 
ermite  qui  apprend  à  Perceval  les  particularités  qui  regar-» 
dent  son  autre  oncle  le  roi  Pécheur.  Perceval  ne  veut  plus 
différer  de  se  rendre  au  château  de  ce  roi;  il  y  arrive  enfin; 
il  le  trouve  assiégé  par  le  redoutable  Pertinal,'le  plus  im- 
placable ennemi  du  roi  Pêcheur.  Il  comb9.t  Pertinal ,  le  tue ,  et 
délivre  le  roi,  qui  reçoit  le  vainqueur  dans  son  château,  le 
reconnaît  pour  son  neveu,  lui  apprend  toutes  les  merveilles 
de  la  lance  sanglante,  du  plat  miraculeux  et  du  divin  tail- 
loir. Le  roi  Pêcheur  fut  alors  guéri  de  toutes  ses  blessures  ; 
mais  il  était  vieux,  et  Perceval,  après  l'avoir  quitté,  s'était 
à  peine  rendu  à  la  cour  du  roi  Artus,  qu'il  apprit  la  mort  de 
son  oncle.  Il  lui  succéda  dans  ses  étî^ts;  mais  après  avoir 
Tome  XF.  I  i         . 


XII  SIECLE. 


25o      CHRESTIEN  DE  TROYES,  POÈTE  FRANC. 

•  sagement  gouverne'  pendant  quelques  anne'es,  il  se  retira 
dans  un  ermitage,  emportant  avec  lui  le  saint  tailloir  d'ar- 
gent, la  lance  et  le  plat  merveilleux,  c'est-à-dire  le  saint 
grëal.  Cette  pièce  e'tait  la  plus  essentielle  pour  lui,  car  elle 
avait  une  telle  efficacité,  lorsqu'elle  était  portée  trois  fois 

•  autour  d'une  table,  que  la  table  se  trouvait  tout-à-coup 
abondamment  servie. 

Perceval  vécut  ainsi  miraculeusement  jusqu'à  ce  qu'il  plut 
à  Dieu  le  retirer  à  lui.  Le  jour  même  de  sa  mort,  le  gréai, 
la  lance  et  le  tailloir  furent  enlevés  aux  cieux,  et  depuis  ce 


temps 


N'ont  par  nul  en  terre  esté  vus. 

Perceval  fut  d'abord  enterré  auprès  du  roi  Pêcheur,  mais  on 
lui  éleva  ensuite  un  tombeau  magnifique,  sur  lequel  fut 
gravée  une  inscription  dont  le  sens  était  : 

€/■  gist  Parceval  le  Gallois 
^  Qui  du  saint  granl  dépiéca 

Les  avantures  acheva. 

Cet  ouvrage  n'est  pas  tout  entier  de  Chrestien,  soit  qu'il 
n'a"t  pas  eu  le  temps  de  l'achever,  soit  qu'on  y  ait  ajouté, 
après  sa  mort,  des  suites  ou  .branches  auxquelles  il  n'avait 
pas  songé.  Deux  autres  poètes  sont  connus  pour  y  avoir 
ajouté  des  aventures.  Gantiers  de  Denet  est  évidemment  I« 
premier.  Ce  passage  en  fournit  la  preuve. 
Ms.  de  l'Ar-  Gautiers  de  Denet  qui  l'estoire 

senal,  fol.  148.  ^  mis  chi  aprez  en  mémoire, 

,  Et  dist  et  conte  que  Parcevaus    • 

*Li  bons  cheyaliers ,  li  Ibyaus  ,  ,  • 

Erra  bien  près  de  quinze  dis  (jours) 
Puisque  de  l'arbre  fu  partis 

Dont  Bagomedet  despendi. 

■  • 

Ceci  se  rapporte  à  la  dernière  aventure  racontée  par  Chres- 
tien de  Troyes.  Nous  allons  en  donner  l'extrait. 

Le  roi  Artus  tint  cour  plénière'à  la  fête  d'un  saint 
dans  sa  bonne  ville  de  Caradigan.  Nombre  de  rois  étaient 
assis  à  iable;  les  chevaliers  et  les  pucelles  étaient  servis  plus 
bas.  Le  monarque  pensait  à  Perceval  dont  il  ne  recevait  pas 
de  nouvelles. 

Es-vos,  à-tantun  chevalier 

Qui  Bagomédès  est  nomez  ;       • 


CHRESTIEN  DE  TROYES,  POETE  FRANC. 

En  la  riche  sale  est  entrez 
Trestoz  armez  sor  son  cheval. 


25 1 


XII  SIECLE. 


Il  arrive  auprès  du  roi ,  le  salue  de  la  part  de  Perceval ,  puis 
se,  tournant  vers  Genèvre,  il  lui  présente  ses  hommages. 
Artus  remercie  le  chevalier,  l'invite  à  descendre  de  cheval-, 
à  se  faire  désarmer  et  à  venir  prendre  part  au  festin.  Bago- 
médès  répond  qu'il  ne  peut  remplir  les  intentions  de  son 
prince  qu  après  avoir  combattu  avec  Keux,  le  sénéchal.  Le  roi 
renouvelle  ses  prières,  et  lui  ordonne,  en  se  mettant  à  table, 
de  raconter  son  aventure  devant  la  cour.  Le  «ilence  le  plus 
profond  règne  dans  l'assemblée,  et  le  chevalier,  prenant  la 
parole,  s'exprime  ainsi  : 

J'aloie  querant  aventure  ; 

Tant  qu'en  une  forest  obscure, 

M'encontra  kex  li  seneschax , 

Et  %vec  lui  ot  trois  vassax , 

Qui  de  noient  ne  m'araisnèrent , 

Il  me  prisent  et  laidengèrent , 

Si  me  fisent  grant  deshonor. 

Kex  méismes  al  chief  del'  tor 

Ne  me  déporta  de  rien  née , 

Ainz  me  pendi  sans  demorée 

A  un  arbr«>  par  les  deus  piez  ; 

Des  trois  autres  fuisse  espargniez 

Mais  ne  sofTri  que  il  parlaissent 

Car  volentiers  me  delivraissent 

Par  che  que  iere  chevaliers. 

Kex  qui  fel  ert  et  paqtoniers ,  ' 

Me  pendi  pendans  les  deus  piez 

Encor  ert  mes  hiaumes  laciez , 

Et  mes  hàubers'ens  en  mon  dos. 

S' i  m'ait  Diex  je  ne  vdUs  os 

Dire  comment  il  me  bâtirent 

Ne  le  giant  honte  qu'ils  me  firent  ; 

Car  c'est  grant  honte  à  chevalier  ' 

De  si  faite  ovre  retraiter 

En  cort  où  il  a  tant  de  gent. 

"ntrues  (pendant)  que  ière  (j'étais)  en  tel  forment, 

1  vint  chevalchant  Percevax, 

Li  bgns  ,  li  sages ,  h  loiaus , 

Qui  aloit  al  mont  Doleraus, 

lia 


fol.  1 37,  col.  a. 


I 


XII  SIECLE. 


202      CHRESTIEN  DE  TROYES,  POETE  FRANC. 

Jà  fuisse  mors  tôt  à  estrous  (à  l'instant) 
Quant  de  l'arbre  me  despendi. 

Ce  brave  resta  à  mes  côtés  jusqu'à  ce  que  je  fusse  entière- 
ment remis.  Voyant  que  ses  soins  me  devenaient  inutiles, 
il  continua  sa  route.  Pour  moi ,  je  me  suis  empressé  de  me 
rendre  à  votre  cour  pour  défier  le  traître  de  sénéchal.  Et 
c'est  devant  cette  auguste  assemblée  que  je  l'appelle  au  com- 
bat; daignez,  sire,  en  accepter  le  gage. 
]?'ol.i37,ver5o.  La  bataille  a  lieu;  le  sénéchal  est  désarçonné.  Artus,  crai- 
gnant pour  son  frère  de  lait,  prie  Bagomédès  de  cesser  le  com- 
bat et  de  pardonner.  Remonté  dans  les  appartemens ,  Genèvre 
fait  embrasser  les  deux  charapiops;  ce  qui  n'empêche  pas  la 
compagnie  de  s'amuser  aux  dépens  de  Keux. 

Manessier  vint  ensuite,  et  acheva  le  roman  de  Perceval. 
Il  dédia  son  travail  à  Jehanne,  comtesse  de  Flandres,  fille 
d*.  Beaudpin  IX,  lequel  était  neveu  de  PhiUppe.  Cet  hom- 
mage paraît  avoir  été  rendu  par  Manessier  de  1208  à  1210. 
L'auteur  parle  d'uii  superbe  tombeau  qu'on  avait  élevé  à 
Perceval. 

Môme  ms. ,  La  sépulture  puet  véoir 

fol.  a6i ,  recto,  g^^.  ^^^^^^  pjj^^^  j,^^  ^^^j^^ 

Si  com  Manesiers  le  tesmoigne 

Que  à  fin  traist  ceste  besoigne , 

El  non  Jehane  la  contesse 

Qui  est  de  Flandres  dame  et  maistresse.... 

Et  por  ce  que  tant  ai  a  pris 

De  ses  bones  mours  à  délivre, 

Ai  en  son  non  fine  mon  livre. 

El  non  son  aiol  comencha,  , 

Ne  puis  né  fu  dès  lors  en  cha , 

Nus  hom  qui  la  main  i  mesist , 

Ne  de  finer  s'entremesist. 

Dame,  por  vos  s'en  a  peiné 

Manesiers  tant  qu'il  la  fine 

Selonc  l'estoire  proprement. 

Et  comencha  al  saldement 

De  l'espée  sanz  contredit  ;  , 

Tant  en  a  et  conté  et  dit 

Si  com  en  Salebiere  (Salisbury)  trove,         " 

Si  com  l'escris  tesmoigne  et  prove 

Que  li  rois  Artus  séoit  là. 


XII  SIECLE. 


CHRESTIEN  DE  TROYES,  POÈTE  FRANC.   253 

Ces  citations  nous  découvrent  l'origine  de  l'erreur  com- 
mise par  le  président  Bouhier,  lorsquil  a  dit  :  «  Dans  mon     Notes  sur  Du 
«manuscrit  du  roman  du  Graal,  1  auteur  s'appelle  tantôt  Verdier,  t.  l, 
•   «  Chrestien,  tantôt  le  Manessier,  ce  qui  prouve  que  le  der-  ^'    '  ' 
«  nier  nom  était  celui  de  sa  fcnrdlle.  »  Et  à  la  fin  :  «  On  voit 
«  qu'il  ne  l'acheva  que  sous  Jehanne,  comtesse  de  Flandres, 
«  petite -fille  du  comte  Philippe,  pour  qui  il  l'avait  com- 
«  mencé.  » 

"Le  président  Bouhier  termine  son  article  en  renvoyant 
au  catalogue  des  auteurs  cites  par  Borel.  Celui-ci ,  qui  a  en 
efïet  commis  cette  erreur,  y  en  a  joint  une  autre.  Jeanne 
de  Flandres  n'était  pas,  comme  il  le  dit,  petite-fille  de  Phi- 
lippe F"",  surnomme  à^ Alsace,  puisqu'il  mourut  sans  en- 
fans;  mais  elle  était  fille  de  Beaudoin  IX  et  petite  nièce  de 
Philippe.  Elle  succéda  à  son  père  en. 1206,  se  retira  en  1^44 
à  l'abbaye  de  la  Marquette,  qu'elle  avait  fonde'e,  et  fut  rem- 

f lacée  par  sa  sœur  Marguerite  dans  le  gouvernement  de  la 
landre  et  du  Hainaut.  • 

Chrestien  a  dédié  la  plus  grande  partie  de  ses  ouvrages 
au  comte  Philippe,  auquel  nous  avons  dit  qu'il  était  sans 
doute  attaché;  mais  il  ne  paraît  avoir  fait  aucun  hommage 
de  ce  genre  à  la  petite  nièce  de  son  bienfaiteur.  Le  seul 
roman  de  Lanc^ot  ou  de  la  Charrette  est  offert  à  une  dame 
de  Champagne.  ^  •       , 

Puisque  ma  dame  de  Champaigne, 

dit  le  poëte  en  le  commençant , 

Vielt  que  romans  à  faire  anpraigne , 

Je  l'an  prendrai  moult  volentiers , 

Come  cil  qui  est  suens  antiers  (  tout  sien  ) ,  etc. 

C'était  probablement  Marie  de  Champagne,  femme  de  Beau- 
doin IX,  comte  de  Flandres,  et  mère  de  Jeanne.  Beaudoin 
ne  mourut  au' en  1206;  mais  sa  femme  était  sans  doute 
morte  avant  lui,  puisqu'elle  ne  lui  succéda  pas,  et  que  ses 
deux  filles,  Jeanne  et  Marguerite,  gouvernèrent  immédiate- 
ment après  lui.       .  . 

Ce  roman  de  Lancelot  ou  de  "ia  Charrette  mérite  sous  plu- 
sieurs rapports  une  attention  particulière.  Ce  fut  le  dernier 
qu'écrivit  Chrestien  de  Troyes;  la  mort  l'empêcha  même  de 
le  finir,  et  son  continuateur,  Godefroy  deLigny  ouLeingny, 
a  pris  foin  de  nous  indiquer  à  quel  endroit  de  l'action  il 


XII  SIECLE. 


a52t      CHRESTIEN  DE  TROYES,  POÈTE  FRANC. 

avait  commencé  son  travail.  En&uite  ce  roman  de  la  Char- 
rette, qu'on  croit  être  le  même  que  celui  de  Lancelot  du 
lac,  est  entièrement  différent.  L'auteur  s'est  emparé  d'un 
épisode  de  ce  dernier,  et  en  a  fait  le  sujet  de  son  poëme. 
C'est  toujours  le  même  héros,  mais  les  aventures  de  l'un 
.  n'ont  presque  aucun  rapport  à  celles  de  l'autre.  Le  roman 
de  Lancelot  du  Lac  est  très  connu;  celui  de  Lancelot  de  la 
Charrette  ne  l'est  pour  ainsi  dire  que  de  nom.  C'est  ce  qui 
nous  engage  à  en  donner  ici  un  extrait,  comme  nous  l'avons 
■fait  des  quatre  premiers. 

On  sait  que  Lancelot  est  ce  chevalier  de  la  Table-Ronde 
qui,  ayant  été  déposé  dans  son  enfance  par  la  reine  sa  mère 
au  bord  d'un  lac,  fut  enlevé  par  la  fée  .Viviane,  connue 
sous  le  nom  de. la  Dame  du  Lac,  nourri,  élevé  par  cette 
fée,  et  fait  chevalier  par  le  roi  Artus,  à  i8  ans. 

Ses  aventures  et  celles  de  ses  deux  cousins  Lionel  et 
Boort,  et  les  effets  de  la  protection  constante  que  lui  ac- 
cord© la  fée ,  ou  la  Dame  du  Lac ,  qui  a  pris  soin  de  son 
enfance,  et  les  amours  de  Lancelot  et  de  la  reine  Genièvre 
ou  Genèvre,  femme  du  roi ^ Artus,  forment,  avec  un  grand 
nombre  d'épisodes,  le  tissu  du  roman  intitulé  :  Lancelot 
du  Lac. 

Dans  un  de,  ces  épisodes,  on  voit  notre  chevalier  détenu 
prisonnier  par  la  méchante  fée  Morgain,  dans  un  château 
appelé  le  Cluiteau  de  la  Charrette.  On  ne  sait  ce  que 
signifie  ce  titre  singulier,  mais  c'est  presque  le  seul  rapport 
qu'il  y  ait  entre  le  roman  en  vers  de  Chrestien  de  Troyes, 
"  intitulé  :  Lancelot  ou  la  Charrette,  et  le  roman  en  prose  du 
XV*  siècle ,  dont  le  titre  est  :  Lancelot  du  Lac. 

Les  auteurs  de  l'extrait  de  ce  dernier  roman ,  qui  ne  con- 
Bibl.  univ.  naissaient  sans  doute  que  de  nom  celui  de  la  Charrette,  disent 
des    Romans ,  q^g  j^  mère  de  Lancelot  du  Lac ,  voyageant  dans  une  char- 
i"°yoi!  p'ea!  rette,  y  accoucha  de  lui,  et  que  c'est  ce  qui  a  donné  lieu 
au  titre  de  l'ouvrage.  Nous  allons  voir  quils  se  sont  gros- 
sièrement trompés. 


«  ^«^«^/^%^^%«' 


CHRESTIEN  DE  TROYES,  POÈTE  FRANC.   255 

XII  SIECLE. 

VI. 
ROMAN  DE  LA  CHARRETTE  OU  DE  LANCELOT. 

COMMENCÉ    EW      II 90     >AR     CHRESTIEN     DE    TROTES  ,    ET    ACHEVÉ    PAR    f  ^*'^g"caneé' 

GOPEFROI    DE    LEINGNI.  folio  17 ,  rectO , 

.  •  col.  a. 

Au  temps  de  l'Ascension,  le  roi  Artus  tint  une  cour  plë- 
nière  des  plus  magnifiques;  la  reine  en  partagea  les  plaisirs; 

Si  ot  avec  aus  ce  me  sanble 

Mainte  bêle  dame  cortoise ,  '  '  ' 

Bien  parlant  en  lengue  françoise  ; 

Et  Kex  qui  ot  servi  as  tables 

Manjoit  avec  les  conestables. 

Le  repas  était  presque  achevé,  lorsque  arrive  un  cheva- 
lier armé  de  toutes  armes ,  qui  se  présente  fièrement  au  roi , 
et  lui  déclare  que  parmi  beaucoup  de  prisonniers  qu'il  a 
faits,  il  se  trouve  plusieurs  personnes  de  sa  cour,  et  qu'il 
ne  les  rendra  qu'à  une  seule  condition.  «  S'il  te  reste,  ajoute-t- 
il,  un  chevalier  courageux,  confie-lui  la  reine,  nous  la  dis- 
puterons; s'il  est  vainqueur,  il  remmènera  les  prisonniers; 
si  c'est  moi  qui  le  suis,  je  retiendrai  la  reine.  »  Il  dit  et 
sort. 

Keux,  présomptueux  comme  à  son  ordinaire,  se  présente 
le  pijemier,  et  à  Force  d'instances,  obtient  du  roi  la  permis- 
sion d'aller,  suivi  de  la  reine,  combattre  cet  arrogant.  Ge- 
nèvre  en  est  consternée,  mais  Artus  a  promis;  elle  est  forcée 
d'obéir.  A  peine  était-elle  partie  avec  Keux,  que  le  roi  sent  sa 
faute.  Il  permet  à  son  neveu  Gauvain  de  remplacer  le  séné- 
chal. Gauvain  part,  Artus  lui-même  le  suit.  Ils  arrivaient  à 
la  foret ,  lorsqu'ils  en  virent  sortir  le  cheval  de  Keiix,  dont 
la  bride  rompue,  la  selle  dérangée  et  couverte- de  taches  de 
sang,  indiquaient  la  défaite  et  les  blessures  du  maître.  Gau- 
vain se  sépare  d'Aitui^,  et  se  met  à  la  recherche  de  la  reine. 
Il  aperçoit  à  peu  de  distance 

Un  chevalier  tôt  seul  à  pié. 
Tôt  armé,  le  heaume  lacié, 
L'esc'u  au  col,  l'espée  ceinte 
Si  ot  (avoit)  une  charrete  atainte  : 


XII  SIECLE. 


256      CHRESTIEN  DE  TROYES,  POÈTE  FRANC. 

Dece  servoit  charrete  lors 

Dont  li  pilori  servent  ors , 

Et  en  chascune  boene  vile 

Ou  or  en  a  plus  de  trois  mile. 

N'en  avoit  à  cel  tans  que  une  ; 

Et  celé  estoit  à  ces  comune 

Ausi  com  li  pilori  sont 

A  ces  (ceux)  qui  murtre  et  larron  sont, 

Et  à  ces  qui  sont  chanp  chéu 

Et  as  larrons  qui  ont  eu 

Autrui  avoir  par  larrecin. 

Qui  a  forfet  éstoit  l'epris , 

S'estoit  sor  la  charrete  mis 

Et  menez  par  totes  les  rues , 

S'avoit  tote  henors  perdues  ' 

Ne  puiz  n'estoit  à  cort  oïz 

Ne  énorez ,  ne  conjoïz.  ' 

Aussi,  nous  autres  petites  gens,  continue  le  poète,  nous  ne 
manquons  pas  de  faire  le  signe  de  la  croix ,  quand  nous  en 
rencontrons  une,  afin  de  prier  le  ciel  qu'il  nous  épargne 
les  malheurs  dont  elle  est  le  signe. 

La  charrette  était  conduite  par  un  nain.  Le  chevalier,  à 
pied  et  sans  lance,  qui  venait  de  l'atteindre,  était  le  beau 
Lancelot,  qui  de  "son  côté  avait  quitté  la  cour,  et  s'était  mis 
à  suivre  et  à  chercher  Genèvre.  II  demande  au  conducteur 
des  nouvelles  de  la  reine.  Le  nain  refuse  de  lui  en  ap- 
prendre. 

Einz  li  dist  se  lu  viax  monter 
Sor  la  charelte  que  je  rnain , 
Savoir  porras  jusqu'à  demain 
Que  la  reine  est  devenue. 

En  disant  ces  mot5,  le  conducteur  pressait  le  pas  de  son 
cheval;  Lancelot,  armé  de  toutes  pièces,  était  à  pied;  par 
amour  pour  la  reine ,  et  sans  songer  à  la  honte  qu'il  en  peut 
recueillir,  il  consent  à  monter  sur  la  charrette.  Gauvain, 
qui  arrive  en  ce  monient,  est  fort  étonné  de  voir  un  cheva- 
lier en  pareil  équipage,  et  plus  étonné  encore  de  recon- 
naître dans  ce  chevalier  le  brave  Lancelot  Ils  arrivent  à  un 
château,_oii  les  deux  chevaliers  se  présentent  pour  loger. 
Gauvain  est  fort  bien  accueilli  ;  Lancelot  ne  1  est  pas  de 
même.  Cependant,  à  la  demande  de  Gauvain,  on  leur  donne 


CHRESTIEN  DE  TROYES,  POÈTE  ERANÇ.      aS; 

la  même  chambre.  A  peine  sont -ils  couches  et  endormis, . — 

qu'il  arrive  à  Lancelot  quelque  chose  de  singulier. 

A  mienuit  devers  les  lates 

Vint  une  lance  come  foudre ,  , 

.Le  fer  desoz,  et  cuida  coudre 

Le  chevalier  parmi  les  flancs- 

Au  covertor  et  as  dras  blans , 

Et  au  lit  là  où  il  gisoit. 

En  la  lance  un  panon  avoit 

Qui  estoit  toz  de  feu  espris  ; 

El  covertor  est  li  feus  pris  - 

Et  es  dras,  etel  lit  amasse, 

Et  li  fers  de  la  lance  passe 

Au  chevalier  lèz  le  costé. 

Si  qu'il  li  a  del  cuir  osté 

Un  po ,  mes  n'est  mie  blecîer. 

Et  li  chevaliers  s'est  dreCiez 

S'estaini  le  feu  et  prant  la  lance 

En  mi  la  sale  la  balance, 

Ne  por  ceson  lit  ne  guerpi 

Einz  se  recoucha  et  dormi  • 

Tout  autresi  séurement 

Com  il  ot  fet  pVemieremant. 

Le  lendemain,  regardant  à  la  fenêtre,  ils  voient  passer  un 
chevalier,  avec  une  nombreuse  suite,  au  milieu  de  laquelle 
sont  plusieurs  femmes,  et  parmi  ces  dernières,  ils  recon- 
naissent la  reine.  Lancelot  la  suit  dés  yeux  ;  lorsqu'il  l'a 
perdue  de  vue,  il  veut  se  jeter  par  la  fenêtre,  et  tombe  dans 
un  accès  de  désespoir  que  Gauvain  est  long-temps  sans  pou- 
voir calmer.  Enfin  les  deux  chevaliers  s'arment,  montent  à 
cheval ,  et  se  mettent  en  campagne  pour  trouver  la  reine 
qu'ils  ne  peuvent  plus  découvrir.  Après  avoir  long-temp» 
erre  dans  une  forêt,  ils  rencontrent  une  damoiselle; 

Si  l'ont  anbedui  saluée 

Et  chascuns  li  requiert  et  prie 

S'ele  le  set  qu'ele  lor  die ,  . 

Où  la  reine  an  est  menée. 

Cette  damoiselle  leur  annonce  qu'avant  de  trouver  ce  qu'ils 
cherchent,  ils  auront  à  soutenir  bien  des  fatigues,  et  bien 
des  dangers  à  courir.  La  reine  est  maintenant  au  pouvoir  du 
Tome  Xr.  Rk 


XII  SIECLE. 


258      CHRESTIEN  DE  TROYES,  POETE  FRANC. 

terrible  Mélëaganz,  fils  de  Bademaguz,  roi  de  Gorre,  et  il 
l'emmène  dans  les  états  de  son  père.  Cette  nouvelle  double 
l'ardeur  et  le  courage  des  deux  chevaliers;  ils  se  séparent 

})our  aller  à  la  recherche  de  la  princesse,  et,  d'après  l'avis  de 
a  pucelle,  prennent  chacun  un  chemin  différent.  Chacun 
de  ces  deux  chemins  conduisait  à  un  passage  périlleux. 

Li  uns  a  non  li  ponz  Evages 
Por  ce  que  soz  eve  est  li  ponz 
Et  s'a  dès  le  pont  jusqu'au  fonz 

Autant  desoz  comme  desus,  * 

Ne  de  ca  moins  ne  de  là  plus. 
Einz  est  li  ponz  tôt  droit  enmi 
,  Et  si  n'a  que  pié  et  demi 

•  De  lé  et  aulretant  d'espès 

Li  autres  ponz  est  plus  malvés 
Et  est  plus  perilleus  assez 
Qu'ainz  par  hom  ne  fu  passez 
■Qu'il  est  com  espée  tranchanz 
Et  por  ce  trestotes»les  geni 
L'apelent  le  pont<le  l'Espée. 

Lancelot  prend  le  chemin  de  ce  dernier  pont.  Une  des  pre- 
mières aventures  qui  lui  arrivent  sur  la  route  a  été  imitée 
dans  plusieurs  romans,  ou  poèmes  tomanesques.  Le  cheva- 
lier, passant  auprès  d'une  église,  descend  pour  fair^  sa 
prière.  Il  entre  dans  le  cimetière,  et  y  rencontre  un  vieux 
moine  qui  lui  fait  voir  les  tçmbeaux  destinés  aux  preux  de 
la  Table-Ronde;  un  sur-tout  fixe  ses  regards;  le  moine  lui 
apprend  que  celui  qui  aura  la  force  de  soulever  la  table  de 
pierre  qui  le  couvre 

Folio    34,  Citera  ces  et  celés  fors 

recto,  col.  3.  q^j  j^^j  ^^  jj^  tg^^e  an  prison. 

Lancelot  essaie,  et  renverse  la  table  merveilleuse.  Le  moine 
lui  prédit  alors  que  ce  tombeau  sera  le  sien.  Lancelot  con- 
tinue sa  route.  Il  arrive,  avec  deux  fils  d'un  prud'homme  qui 
lui  avait  donnéi'hospitalité,  à  un  passage  ditlicile  appelé  le 
Passage  des  Pierres,  qui  était  défendu  par  un  chevalier  et 
par  des  sergens  armés  de  haches.  Ils  reconnaissent  dans  Lan- 
celot le  chevalier  à  la  charrette;  ils  lui  reproclient  d'y  être 
monté,  lui  témoignent  beaucoup  de  mépris,  et  daignent  à 
peine  prendre  leurs  armes  pour  lui  disputer  le  passage.  Lan- 
celot et  ses  jeunes  amis  les  attaquent,  les  écartent,  ou  les 


CHRESTIEN  DE  TROYES ,  POÈTE  FRANC.      269 

renversent  sans  peine,  et  traversent  le  Passage  des  Pierres. 
Ils  apprennent  qu'ils  sont  sur  les  terres  du  roi  Bademaguz, 
que  l'armëe  de  Logres  (de  Londres)  se  bat  en  ce  moment 
avec  les  sujets  de  ce  roi,  et  qu'elle  est  près  d'être  vaincue; 
ils  volent  a  son  secours,  se  jettent  dans  la  mêlée;  l'arme'e 
reprend  courage,  se  rallie,  et  remporte  une  victoire  com- 

glete.  Les  chevaliers  qui  avaient  ëtê  faits  prisonniers,  et  que 
ademaguz  faisait  déjà  emmener,  sont  délivrés,  et  viennent 
rendre  hommage  au  chevaUer  de  la  Charrette;  tous  se  dis- 

fmtent  l'iionneur  de  le  loger  lui  et  ses  deux  compagnons.  Le 
endemain,  il  part  avec  ses  amis,  arrive  le  soir  dans  un 'châ- 
teau où  on  lui  fait,  sans  le  connaître,  l'accueil  le  plus  ami- 
cal. Pendant  le  souper,  un  guerrier  se  présente,  qui  lui 
reproche  d'être  monté  dans  la  charrette,  et  lui  annonce 
qu  après  un  pareil  affront  il  ne  pourra  passer  le  pont  de 
1  Épée.  Lanceiot  reprend  ses  armes,  monte  à  cheval,  et  fond 
sur  cet  insolent  chevalier. 

Mes  les  espées  moult  sovant 
Jusq'as  cropes  des  chevax  colent, 
Del  sanc  s'aboivrent  et  saolent. 

Lanceiot  ne  laisse  point  respirer  son  ennemi; 

Tant  le  paine ,  tant  le  travaille , 

Que  à  merci  venir  l'estuet  (le force); 

Corne  l'aloe  qui  ne  puet 

Devant  l'esmerillon  durer 

Ne  He  sa  ou  aséurer, 

Puisqu'il  la  passe  et  sormonte. 

Le  vainqueur  -accorde  la  vie  à  son  rival,  mais  à  condition 
qu'à  son  tour  il  montera  sur  une  charrette.  Ils  en  étaient  là, 
quand  tout-à-coup  arrive  une  damoiselle  qui  prie  le  vain- 
queur de  ne  point  faire  grâce  au  vaincu,  qu'elle  appelle  le 
plus  déloyal  de  tous  les  hommes ,  et  dont  elle  demande  la  tête. 
Lanceiot,  pour  ne  pas  manquer  au  respect  dii  aux' dames, 
et  pour  ne  pas  enfreindre  les  lois  de  la  chevalerie,  propose 
un  nouveau  combat.  Il  est  une  seconde  fois  vainqueur,  et 
tranche  alors  sans  scrupule  la  tête  au  chevalier  discourtois. 
Les  trois  aventuriers  arrivent  enfin  vers  le  soir  au  pont  de 
l'Épée.  Le  poète  fait  une  description  très-longue,  très- ef- 
frayante et,  autant  qu'il  peut,  très-poétique  de  ce  pont.  L'as- 
pect seul  en  est  si  terrible,  que  les  deux  jeunes  gens  enga- 

Kka 


XII  SIECLB. 


XII  SIECLE. 


260   CHRESTIEN  DE  TROYES,  POETE  FRANC. 

gent  le  chevalier  à  revenir  sur  ses  pas,  et  à  ne  pas  tenter 
une  pareille  aventure.  Lancelot  rejette  bien  loin  ce  conseil. 

Bien  sai  (leur  répond-il )  que  vos  an  nule  guise 

Ne  voldriez  ma  meschéance 

Mes  j'ai  tel  foi  et  tel  créance 

An  Deu  qu'il  me  garra  par  tôt. 

Cest  pont,  ne  cest  eve,  ne  dot' 

Ne  plus  que  ceste  terre  dure. 

Einz  me  voel  mètre  en  aventure  • 

De  passer  outre  et  atorner. 

Mialz  voel  morir  que  retorner. 

Aucun  obstacle  ne  l'arrête;  il  attaque  et  traverse  le  pont, 
sans  recevoir  autre  w^ejcAe/"  que  quelques  légères  blessures. 
Ce  pont  conduisait  au  château  où  le  roi  Bademaguz  était 
enfermé  avec  son  iils  Méléaganz,  la  reine  Genèvre,sa  pri- 
sonnière, et  plusieurs  dames  et  chevaliers  de  la  cour  d'Artus, 
qui  étaient  aussi  prisonniers  de  Méléaganz. 

Bademaguz ,  témoin  de  cet  exploit  du  chevalier  de  la  Char- 
rette, veut  engager  son  fils  à  rendre  la  reine  et  tous  les 
autres  prisonniers.  Mais  Méléaganz,  défié  par  Lancelot,  veut 
combattre.  Ce  combat  est  long -temps  douteux.  Méléaganz 
est  près  de  succomber;  son  père  intercède  auprès  de  la  reiae 
pour  qu'elle  obtienne  de  Lancelot  la  vie  de  son  fils.  Mais 
ce  fils  même  s'entête,  et  refuse  de  cesser  le  combat.  Cepen- 
dant, vaincu  par  les  sollicitations  de  son  père,  il  consent  à 
rendre  la  reine  et  tous  les  prisonniers,  y  compris  Keux  le 
sénéchal,  mais  à  condftion  que  Lancelot  promettra  de  re- 
prendre dans  un  an  le  combat.  Cette  promesse  faite,  les 
portes  sont  ouvertes,  et  les  prisoiniiers  délivrés.  Ils  entou- 
rent leur  libérateur,  le  bénissent,  et  ne  savent  comment  lui 
témoigner  leur  reconnaissance.  La  reine  seule  le  reçoit  fort 
mal.  Surpris  de  ce  refroidissement,  il  en  demande  la  cause; 
personne  ne  peut  l'en  mstruire,  et  la  reine  refuse  de  lui 
parler.  Réduit  au  désespoir,  il  sort  du  château  à  cheval,  mais 
sans  ses  armes,  et  s'enfonce  dans  la  .forêt.  Il  est  surpris  et 
arrêté  par  des  sujets  de  Bademaguz,  qui  le  lient  sur  son 
cheval  et  l'emmènent.  Le  bruit  de  sa  mort  se  répand,  et 
parvient  jusqu'à  la  reine,  qui  se  désespère  à  son  tour.  Cette 
même  situation  se  retrouve  dans,  le  roman  de  Lancelot  en 
prose,  mais  elle  y  est  amenée  autrement.  La  reine  Genèvre 
ttombe  malade  de  chagrin;  jou  la  croit  morte.  Lancelot  reçoit 


GHRESTIEN  DE  TROYES,  POÈTE  FRANC.   261 

de  son  côte  cette  fausse  nouvelle;  il  veut  se  tuer.  Ceux  qui  . 
l'ont  arrête  l'en  empêchent;  et  croyant  faire  une  chose 
agréable  à  leur  roi,  ils  le  ramènent  au  château  de  Bade- 
maguz.  Il  y  retrouve  Genèvre,  qui  court  se  jeter  dans  se« 
bras.  Le  roi  veut  punir  ceux  qui  ont  arrêté  Lancelot,  mais 
le  héros  intercède  en  leur  faveur,  et  obtient  leur  grâce.  Il 
prie  la  reine  de  lui  dire  enfin  pourquoi  elle  l'avait  si  mal 
reçu.  C'est,  lui  répond -elle,  parce  que  vous  avez  été  sur  la 
charrette.  Lancelot,  qui  a  des  explications  à  lui  donner,  lui 
demande  un  entretien  secret,  et  reçoit  un  rendez-vous  pour 
la  nuit  suivante. 

Lanceloz  ist  fors  de  la  chanbre 

Si  liez  que  il  ne  li  remanbre  .  . 

De  nulle  tretoz  ses  enuiz , 

Mes  trop  li  demore  la  nuiz 

£t  li  jors  li  a  plus  duré, 

A  ce  qu'il  a  jà  enduré. 

Que  cent  autre  ou  c'un  anz  entiers. 

La  nuit  vient.  Il  se  rend  à  la  croisée  de  la  chambre  de 
Genèvre,  obtient  la  permission  de  faire  sauter  la  grille;  mais 
en  l'abattant,  il  se  coupe  deux  doigts.  Le  plaisir  qu'il  éprouve 
l'empêche  de  s'en  apercevoir.  11  escalade  la  croisée,  passe  la 
nuit  auprès  de  la  reine,  et  la  quitte  avant  le  jour.  Il  remet 
la  grille  à  sa  place,  rentre  chez  lui,  et  s'aperçoit  enfin  de  sa 
blessure,  dont  il  bénit  la  cause. 

Tout  cela  se  trouve  encore  dans  le  Lancelot  en  prose, 
comme  dans  celui-ci.  Le  sang  de  la  blessure  que  Lancelot 
s'était  faite  à  la  main  avait  taché  le  lit  de  la  reine.  Le  jaloux 
Méléaganz  s'en  aperçoit,  et  ne  sachant  rien  du  rendez-vous 
obtenu  par  le  chevalier,  il  souj)çonne  Genèvre  d'en  avoir 
accordé  un  au  sénéchal  Reux,  qui  n'était  pas  encore  guéri  de 
ses  blessures.  Il  accuse  la  reine  auprès  du  roi  Bademaguz, 
son  père.  Genèvre,  interrogée  par  le  roi,  nie  en  sûreté  de 
conscience  d'avoir  vu  ou  reçu  li  sénéchal,  et  déclare  au  sur- 
plus qu'elle  a  un  chevalier  qui  prouvera,  les  armes  à  la  main, 
son  innocence.  Comme  elle  achevait  ces  mots,  Lancelot  et 
ses  compagnons  entrent.  Genèvre  raconte  l'insulte  qui  lui 
.est  fiiite;  le  chevalier  de  la  Charrette  propose  de  la  venger 
Le  combat  est  accepté,  les  gages  donnés,  les  sermens  faits. 
Méléaganz  est  encore  une  fois  vaincu,  et  ne  doit  la  vie  qu'à  . 
l'intercession  de  son  père,  et  à  la  générosité  de, son  vain- 
queur. 


XII  SIECLE. 


XII  SIECLE. 


26a      CHRESTIEN  DE  TROYES,  POETE  FRANC. 

Pendant  tout  ce  temps,  Gauvain  avait  marche  vers  le  pont 
périlleux.  Lancelot  n'en  avait  point  de  nouvelles.  Inquiet  du 
sort  de  son  ami,  il  prend  lui-même  le  chemin  de  ce  pont.  Il 
était  près  d'y  arriver  avec  sa  suite ,  lorqu'un  nain  vient  le 
prier  de  (quitter  sa  compagnie  et  de  le  suivre.  Lancelot ,  qui 
ne  refuse  jamais  une  aventure  lorsqu'elle  se  présente,  suit  le 
nain.  Ses  compagnons,  après  l'avoir  attendu  quelque  temps, 
continuent  leur  marche  vers  le  pont  périlleux.  Ils  y  arrivent 
a  propos.  Gauvain,  après  avoir  trouvé  en  chemin  plusieurs 
aventures  dont  il  était  heureusement  sorti,  était  près  de  suc- 
comber dans  la  grande  aventure  du  pont  même,  et  un  instant 
plus  tard,  le  neveu  d'Artus  était  noyé.  Retiré  de  l'eau,  son 
premier  soin  est  de  demander  des  nouvelles  de  son  ami  et 
de  la  reine.  Il  se  fait  conduire  à  la  cour  de  Bademaguz ,  espé- 
rant que  Genèvre  sera  instruite  de  ce  que  Lancelot  est  de- 
venu. Il  reçoit  de  la  reine  un  excellent  accueil,  mais  elle  ne 
sait  rien  de  son  chevalier,  et  se  désole  de  sa  perte.  Bade- 
maguz partage  son  inquiétude,  et  envoie  des  messagers  dans 
tout  son  royaume  pour  en  avoir  des 'nouvelles.  Peu  de  jours 
après,  le  roi  reçoit  une  lettre;  Lancelot  l'y  remerciait  de  tous 
ses  soins  pour  lui,  pour  la  reine,  Keux  et  les  autres  prison- 
niers. Il  ajoutait  quêtant  arrivé  dans  les  états  d'Artus,  illes 
{)riait  d'y  revenir  tous,  sous  la  conduite  de  Gauvain.  Dès  le 
endemain ,  ils  prirent  congé  du  roi.  Bademaguz  les  conduisit 
jusqu'aux  frontières  de  ses  états.  Artus,  informé  du  retour 
de  sa  femme  et  de  son  neveu,  envoie  à  leur  rencontre.  On 
félicite  Gauvain  d'avoir  ramené  Genèvre.  Il  déclare  que  l'hon- 
neur de  cette  conquête  est  c\ù.  à  Lancelot,  qu'il  est  impatient 
de  serrer  dans  ses  bras.  Il  est  bien  étonne  d'apprendre  que 
son  ami  n'a  point  reparu  à  la  cour;  il  soupçonne  qu'ils  ont 
été  trahis  tous  deux.  En  effet,  c'était  le  traître  Méléaganz  qui 
avait  écrit,  au  nom  de  Lancelot,  cette  lettre  au  roi  Bade- 
maguz, et  qui  avait  aussi  envoyé  le  nain  à  Lancelot,  pour 
l'attirer  dans  un  piège.  Le  chevalier,  sans  défiance,  y  était 
tombé,  et  il  était  détenu  dans  une  prison. 

Cependant  le  roi  Artus,  pour  célébrer  le  retour  de  sa 
femme ,  fait  publier  un  grand  tournoi.  Lancelot  en  est 
instruit  dans  sa  prison.  Celui  qui  en  avait  la  garde  était 
absent;  il  obtient  de  la  femme  de  ce  gardien  la  permission, 
d'aller  assister  au  tournoi ,  en  lui  donnant  sa  parole  de  reve- 
nir aussitôt  qu'il  sera  fini.  Cette  bonne  femme  lui  prête  des 
armes  et  un  cheval.  Il  se  présente  inconnu  au  tournoi,  et  y 


CHRESTIEN  DE  TROYES,  POÈTE  FRANC.   263 

fait  des  prodiges  de  valeur.  Mais ,  pour  être  plus  sûr  de  n'être 
point  reconnu,  à  la  fin  de  la  première  journée,  il  fait  sem- 
blant d'avoir  peur,  et  devient  volontiers  la  risée  des  cheva- 
raliers.  Il  avait  cependant  trouvé  le  moyen  de  se  faire 
connaître  de  la  reine,  et  d'en  obtenir  un  rendez -vous.  Le 
lendemain  matin,  en  la  quittant,  il  reçut  d'elle  l'ordre  de 
déployer  toute  sa  valeur.  Dans  cette  seconde  journée,  il  se 
venge  de  ceux  qui  se  sont  moqués  de  lui,  et  les  renverse 
tous  les  uns  après  les  autres.  Au  sortir  du  tournoi,  dont  il 
avait  remporté  le  prix ,  Lancelot ,  fidèle  à  sa  promesse,  va 
se  remettre  en  prison.  La  femme  du  gardien  avait  raconté  à 
son  mari,  et  celui-ci  à  Méléaganz,  comment  il  était  aWé/iaire 
armes.  On  le  change  de  prison;  on  l'enferme  dans  une  forte- 
resse dont  les  portes  sont  murées;  une  petite  fenêtre  grillée 
sert  à  lui  faire  passer  sa  nourriture. 

C'est  à  cet  endroit  du  roman  que  cesse  le  travail  de  Chres- 
tien  de  Troyes,  et  que  commence  celui  de  son  continuateur. 
Dans  cette  dernière  partie,  Méléaganz  ose  se  présenter  à  la 
cour  d'Artus,  appeler  Lancelot  dont  il  dit  n'avoir  point  de 
nouvelles,  et,  l'année  étant  révolue,  l'accuser  de  manquer  au 
combat  qu'il  avait  accepté.  Gauvain  répond  pour  son  ami. 
Méléaganz,  de  retour  à  la  cour  de  son  père,  tient  les  propos 
les  plus  insultans  sur  son  prisonnier.  Il  avait  une  sœur  qui 
était  bien  loin  de  penser  comme  lui.  Lancelot  lui  avait  rendu 
un  grand  service  :  c'était  elle  qu'il  avait  délivrée  d'un  cheva- 
lier déloyal,  à  qui  il  avait  tranché  la  tête.  Les  forfanteries 
de  son  frère  lui  donnent  des  soupçons;  elle  finit  par  décou- 
vrir le  lieu  où  Lancelot  est  détenu  ;  elle  monte  sur  son  bon 
palefroi,  et  après  vingt  jours  de  marche,  arrive  à  la  forte- 
resse. Elle  trouve  le  moyen  de  parler  au  chevalier,  et  de  lui 
foùriîir  des  instrumens  avec  lesquels  il  élargit  sa  fenêtre,  et 
sort  enfin  de  sa  prison.  Le  long  séjour  qu'il  y  avait  fait  l'avait 
extrêmement  affaibli.  Sa  libératrice  le  fait  moîiter  sur  son 
palefroi ,  qu'elle  mène  doucement  par  des  chemins  détournés; 
elle  le  dépose  enfin  chez  des  gens  qui  lui  étaient  dévoués,  et 
qui  s'empressent  de  le  dédommager  de  toutes  ses  fouffrances. 
Bien  rétabli  ])ar  les  soins  de  ces  bonnes  gens,  et  monté -sur 
un  cheval  qu'ils  lui  ont  donné  par  ordre  de  sa  libératrice,  il 
retourne  à  la  cour  d'Artus,  jurant  de  se  venger  du  traître 
qui  lui  avait  joué  un  si  honible  tour.  Méléaganz  avait  osé 
reparaître  lui-même  à  cette  cour,  et  sommer  Gauvain  de 
tenir  l'engagement  qu'il  avait  pris.  Gauvain  avait  accepté  le 


XII  SIECLE. 


û64  THOMAS,  MOINE  DE  FROIMONT. 

XII  SIECLE,  combat;  il  était  prêt  à  monter  sur  son  destrier,  lorsque  Lan- 
celot  arrive.  Les  deux  amis  s'embrassent;  Lancelot  raconte 
devant  toute  la  cour  comment  il  a  été  trahi  et  renfermé  par 
Méléaganz,  et  la  vie  qu'il  a. menée  dans  sa  prison,  et  enfin 
sa  délivrance.  Méléaganz,  pétrifié  à  l'apparition  de  son  pri- 
sonnier, tâche  de  faire  bonne  contenance,  mais  il  prévoit  le 
sort  qui  lui  est  réservé.  Il  se  reproche  d'avoir  manqué  de 
précautions ,  mais  il  est  trop  tard. 

Li  vilains  dist  bien  chose  estable  (constante,  vraie) 
•       Qui  trop  à  tard  ferme  l'estable 
Qant  li  chevax  an  est  menez  ; 
Bien  sai  c'or  serai  démenez 
A  grant  honte  et  a  grant  laidure. 

Le  combat  est  terrible  ^  mais  il  n'est  pas  long.  Méléaganz 
reçoit  le  prix  de  ses  crimes;  Lancelot  le  renverse,  délace 
son  heaume  et  lui  coupe  la  tête.  Le  vainqueur  est  ramené  au 
palais  d'Artus,  où  des  fêtes  lui  sont  préparées.  •  , 

Ci  faut  li  Romanz  an  travers 

Godefroiz  de  Leigni  li  clers  • 

A  parfinée  la  Charette, 

Mes  nus  hom  blasme  ne  l'an  mete 

Se  sor  Crestien  a  ovré, 

Car  ça  il  fait  par  le  boen  gré 

Crestien  qui  le  comança  ; 

Tant  en  a  fet  dès  lors  an  ca 

Ou  Lanceloz  fu  anmurez  ; 

Tant  com  li  contes  est  durez, 

Tant  en  a  fet  :  ni  vialt  plus  mètre 

Ne  moins ,  por  le  conte  raalmetre. 

G. 


THOMAS, 

MOINE  DE  FROIMONT. 

De  vjscii ,  ^  E  Thomas  était  angîais  de  nation  ;  mais  il  passa  la  plus 
Bibl.  Cist.  p.  grande  partie  de  sa  vie  en  France,  et  y  composa  ses  ouvrages. 
*47-  Par  un  ancien  manuscrit  que  cite  Manrique,  et  qui  était 


THOMAS,  MOINE  DE  FROIMONT.  265 

conservé  dans  la  bibliothèque  de  Clairvaux ,  on  apprend  que  1 

Thomas  e'tait  né  à  Beverley ,  haud procul  ab  Himbro  jlumine      oudin,  t. Il, 
magno ,  et  que  son  père  s'appelait  Hulnon  et  sa  mère  Sibille.  p.  1688. 

Thomas  avait  pour  sœur  Marguerite,  qui  fut  célèbre  dans 
son  temps  par  son  courage  et  des  aventures  extr»ordinaires, 
comme  nous  aurons  occasion  de  le  remarquer.  Elle-même 

Frit  dans  la  suite,  sur  l'invitation  de  son  frère,  l'habit  de 
ordre  de  Cîteaux. 
Marguerite  était  née  à  Jérusalem,  où  ses  parens  étaient      Manriq. ,ad 
allés,  par  dévotion,  visiter  les  lieux  saints.  Elle  avait  onze  ann.  1174,0. 3, 
ans  lorsque  Thomas  naquit  en  Angleterre,  où  ses  parens      /6,rf. adann. 
étaient  revenus,  et  où  il  paraît  qu'ils  ne  vécurent  pas  longr-  1187,  c.  8,  n. 
temps  après  la  naissance  de  Thomas.  En  effet  sa  sœur  se  *  yV-j^' j 
trouva  seule  chargée  de  son  éducation ,  comme  il  nous  le  dit  1,92,  é.  3,  n.  i 
lui-même  dans  une  élégie  où  Marguerite  lui  adresse  la  parole  et  seq. 
en  ces  termes: 

A.  me  nutritus ,  tindenis  me  minor  annis  :  Manriq.  loc. 

Quem  tenerum  soleo  ferre ,  referre  scholis.  pnmmn  cit. 

Il  paraît  que  le  fameux  Thomas  de  Cantgrbéry  s'attacha 
Thomas  de  Beverley  (nous  ne  savons  à  quel  titre),  dès  que  ce 
dernier  fut  dans  l'adolescence.  Sa  sœur  Marguerite  retourna  ibid- 
alors  à  Jérusalem ,  qu'elle  trouva  assiégée  par  les  troupes  de 
Saladin.  Elle  parvint  à  pénétrer  dans  la  ville,  en  traversant  le 
camp  des  ennemis,  prit  un  habit  d'homme  et  des  armes,  se 
mêla  aux  défenseurs  de  la  sainte  cité,  et  y  fut  blessée' 

Ad  natale  solum ,  grandis  jam  facta ,  reversa  lUd, 

Tune  y  cum  Jérusalem ,  capta  dolore  gemo. 
Hic  obsessa  manens  spatio  ter  quinque  dieruni 

Impleo  pro  passe  sceva  virago  virum.  ' 
Assimilata  viro ,  galeam  gero,  mœnia  gjro , 

In  cervice  lebes ,  cassidis  instar  habet. 
Fœminajingo  virum,  tophus  prœtendo  sapphjrum: 

Pleru^  metu  disco  dissimulare  metum. 

Et  peu  après  elle  ajoute  : 

AEstus  erat ,  nec  erat  requies pugnantibus  ;  erg«  ^i(,,Y/ 

In  muro  fessis  pocula  trado  viris. 
Cum  venit  ecce  mihi  petra  simillima  molœ  ^ 

Cuj us  fragmenta  cœsa  cruorejlua, 
Sed  eito  sanatur,  eut  fnox  medicina  paratur , 

Vulnus  :  at  si^um  vulneris  usque  manet.  ■  ' 

Tome  Xr.  L I 


Xn  SIECLE. 


a66  THOMAS,  MOINE  DE  FROIMONT. 

Tandis  que  Marguerite  combattait  ainsi  dans  l'Orient ,  sou 

frère  était  venu  en  France  avec  Thomas  de  Cantorbéry,  qui 
fuyait  les  persécutions  qu'il  s'était  attirées  en  Angleterre.  Ce 
fut  sans  doute  à  l'époque  où  Thomas  de  Cantorbéry  prit 
l'habit  de  Cîteaux  à  Pontigny,  que  notre  Thomas  se  décida  à 
se  retirer  aussi  dans  l'abbaye  de  Froimont ,  au  diocèse  de 
Beauvais. 

Cependant  Marguerite,  après  des  événements  qu'il  serait 
ici  superflu  de  raconter,  avait  été  prise  par  les  ennemis, 
employée,  dans  son  esclavage,  aux  plus  rudes  travaux;  puis, 
racnetée  avec  une  foule  d'autres  captifs,  elle  avait  visité  Rome 
et  l'Italie,  l'Espagne,  et  un  grand  nombre  d'autres  pays.  Enfin 
elle  songe  à  s'enquérir  de  soft  frère. 

Manriq. ,  ad  _ 

arin.  I  loijcap.  Unica  spes  superest  germanum  qucerere  jratrem , 

III,  n.  3.  Qui  sicut  f rater  sic  et  alumnus  erat. 


Nunc  investigans  F rancorum  finibus  ^  ecce 
Audio  jam  monachum  :  Francia  te  repeto. 

Belluacum  venions,  ubinain  sit,  sciscitor  :  inae 
Monstratur  Fres-mons ,  quo  manetille,  locus, 

Thomas,  en  voyant  sa  sœur,  ne-  veut  point  la  reconnaître  : 
mais  elle  lui  rappelle  leur  «nfance,  il  ne  peut  plus  avoir 
aucun  doute  : 

Ibid.  '  Hœc  inter,  signîs  crédit,  lacrymamur  uterque , 

Casus  pando  meos ,  meque  loquente,  gémit. 
Posthac  hortatur  mundi  contemnere  vham  : 
Quœ  reddat  monacham ,  me  docet  illc  viam. 

D'après  les  conseils  de  son  frère,  et  grâce  à  la  libéralité  de 
Ibid.  n.  4.  Louis ,  comte  de  Blois  et  de  Clermont,  Marguerite  entra  dans 
un  monastère  de  filles,  du  diocèse  de  Laon,  appelé  Montreuil 
ou  la  Sainte-Face,  oii  elle  passa  dans  1«  repos  le  reste  de  ses 
jours. 

Quant  à  son  frère  Thomas,  il  ne  quitta  point  non  plus  le 

Lcbeuf,  Dis-  mouastèrc  de  Froimont ,  et  s'y  adonna  avec  succès  à  la  cul- 

*««.  »im  l'hist.  {yj.j.  (Je  la  poésie.  Il  passe,  suivant  Lebeuf,  pour  avoir  été 

^e^  an»,  t.     ,  ^^  j^^  meilleurs  poètes  de  son  temps.  L'élégie  dans  laquelle 

il  fait  raconter  à  sa  sœur  les  singuliers  événemens  de  sa  vie, 

et  dont  nous  avons  copié  ici  plusieurs  fragmens ,  donne  en 

effet  une  idée  favorable  de  ses  talens.  C'est  le  seul  ouvrage 

de  ce  genre  qui  nous  reste  de  lui.  -     • 


GUILLAUME  DE  LONGCHAMP.  267 

Maia  il  avait  de  plus  composç  en  prose  un  Traité  du  mépris  ^ L 

du  monde,  qu'il  avait  adresse  à  sa  sœur  Marguerite;  et  une  De  viseh, 

F'ie  de  saint  Thomas  de   Cantorhéry  ^  que   Dusa'ussay  dit  ^J^''  *^'*'''  ^' 
avoir  vue. 

Il  mourut  à  Froimont,  l'an  1 192',  suivant  Henriquez,  qui  Henriquei , 

n'appuie  cette  date  d'aucune  preuve.  Aussi ,  $ans  assigner  à  Phœn.  reviv.  p. 

sa  mort  une  date  précise,  nous  le  .plaçons  parmi  les  écrivains  "^  ^"  9- 
de  la   fin  du  XIP  siècle,  quoiqu'il  appartienne  peut-être 

au  xiir  ■  A.  d: 


GUILLAUME  DE  LONGCHAMP, 

ÉVÊQUE  D'ÉLY. 

Il  était  petit-fils  d'un  paysan  de  Beauvaisis,  suivant  Simon  Pan.  n,  p.  59. 
dans  son  supplément  a  1  histoire  de  cette  province,  et  sui- 
vant la  chronique  de  Jean  Bromton  ;  Rapin  Thoyras  le  fait  Hist.  angl. 
naître  d'un  fermier  de  Normandie.  Une  affection  particulière  "^'""  '  '"  ^  '  P" 
de  Richard  ,  Cœur-de-Lion ,  le  porta  ,  dès  l'avènement  de  ce  't.  li,  p.  aSS. 
prince  au  trône ,  en  11 89,  à  l'évêché  d'Ely.  Un  grand  nombre  G.deNewbr., 
de  prélats  assistèrent  à  son  intronisation ,  qui  fut  faite  avec  l'c"^^'  '^•"'P- 
tant  d'éclat  et  de  solennité  qu'un  poète  disait  :  xngi.  sacra , 

Prœvisis  aliis ,  elyensia  festa  videre ,  *•!)?•  o^*- 

Est  quasi  prœvisâ  nocte  vider e  diem. 

Il  paraît  même  que,  pendant  qu'on  célébrait  cette  fête ,  des   lUd.,  p.  633. 
voleurs  ouvrirent  le  tombeau  du  prédécesseur  de  Guillaume, 
pour  enlever  l'anneau  pastoral  avec  lequel  on  l'avait  enterré  ; 
les  évêques  rassemblés  prononcèrent  soudain  un  anathême 
contre  les  coupables  et  leurs  complices. 

Guillaume  de  Longchamp  était  déjà  chancelier  d'Angle-       Bromt. ,  p. 
terre,  quand  il  fut  nommé  evêque  d'Ely.  Adam  de  Perseigne  '.'?'.—  ^?°?' 


eveque  d  Jily.  Adam  de  Perseigne  '  "  .'      ^:" 

1    •   j        "  J       11     ^'^  ■•  1      •         *^vi  A  ".         deUic. ,  p.  648. 

lui  donne  ce  double  titre  et  voudrait  quil  renonçât  ^u  moins  —Angl.  sacra, 
au  second,  dans  une  lettre  assez  mémorable  qu'il  lui  écrit  1. 11, p.  389. 
et  que  Martène  a  imprimée ,  d'après  un  manuscrit  de  Clair- 
vaux  ,  dans  le  premier  volume  de  ses  anecdotes  ;  elle  corn-  p.  693  et  snir. 
mence  ainsi  :  Quod  suhlimitati  vestrce  tam  frequentihus  lit- 
teris  vel  nuntiis  importuni  sumus,  partim  facit  familiaritas 
vestra  quâ  immeriti  fruimur,  partim  nécessitas  nostra  qud 


û68  GUILLAUME  DE-  LONGCHAMP. 

J '    "        gravamur.  L'objet  de  Ja  lettre  est  de  l'engager  à  quitter  le 

service  du  roi;  mais  il  l'y  exhorte  d'une  manière  indirecte- 
et  détouriie'e;  il  lui  parle  cles  Pharaons,  de  Moïse  s'éloigna«t 
de  la  cour  d'Egypte,  de  la  mer  rouge,  du  désert,  de  la  terrfc 
promise,  des  malheurs  de  la  vanité,  des  dangers  de  l'ambi- 
tion, des  progrès  du  vice,  de  l'impunité  du  crime,  de  la  dé- 
cadence et  de  la  chute  de  toutes  les  vertus. 

La  dignité  de  chancelier  ne  fut  pas  la  seule  des  dignités 
civiles*  à  laquelle  Richard  éleva  Guillaume  de  Longchamp. 
La  même  année  encore,  en  1 189,  ce  roi,  sur  le  point  de 
partir  pour  la  Terre-Sainte,  lui  confia,  pendant  sou  absence, 
T.  I,  p.  655.  la  suprême  autorité  (on  peut  voir  le  mandement  de  Richard 
TroTt"'"''   ^  ^^  sujet  dans  la  collection  des  historiens  d'Angleterre). 
^       "'^''     L'évêque  de  Durham,  Hugues,  devait  partager  cette  régence 
avec  lui;  mais  Guillaume,  plus  entreprenant,  plus  adroit, 
plus  puissant  par  les  autres  places  qu'il  occupait  déjà,  par- 
R.Tboyr.,t.  Vint  après  quelques  luttes  à  être  seul  le  véritable  maître  de 
II,  p.  255,261  l'empire.  Mathieu  Paris,  dans  son  histoire  d'Angleterre,  de- 
puis Guiliaume-le-Conquérant  jusqu'à  Henri  III,  l'appelle 
Hist.  angl.  prince  et  pontife  des  Anglais  :  Guillaume  unissait  effective- 
scr.,  t.  I,  p.  ment  à  tout  le  pouvoir  que  lui  donnait  la  délégation  du  roi, 
An-'f.sac.'V.T  celui  qu'il  avait  reçu  du  pape  Clément  III,  lequel  l'avait 
p.  633. —Du-  nommé,  en  11 90,  son  légat  pour  l'Angleterre  et  l'Irlande. 
^""ss  '  '  "'  ^^  iiusa  pas  avec  douceur  de  tant  de  puissance.  Guillaume 
^  Liv.iv,c.  12  ^6  Nevi'bridge  le  qualifie  d'homme  yèrocw  animi,  audaciœ 
et  14.  Voir  aussi  astutxœque  pêne  singidaris.  Jean  Bromton,  Henri  de  Knygh- 
le  c.  33,  et  le  X(yx\.^  Gervais  de  Cantorbéry  ;  et  tous  les  autres  écrivains  par- 
"  P.'i^g3.       ï^"*  également  de  son  arrogance,  de  ses  exactions  et  de  sa 
P.  2402.       tyrannie.  Il  s'emparait  des  biens  des  églises,  même  des  par- 
Angl.  sacr.,  ticulicis ,  pour  Ics  donner  à  ses  parens  ou  à  ses  favoris,  dit 
siiiv.'  ^      ^  *^'  Bromton  en  particulier ,  qui  venait  de  lui  reprocher  de  voya- 
ger avec  un  appareil  si  magnifique,  avec  tant  d'hommes,  de 
chevaux ,  que  la  maison  où  il  avait  passé  une  seule  nuit  pou- 
vait à  peine  réparer,  en  trois  ans,  le  dommage  qu'elle  eu 
avait  souffert.  Bromton  entre  dans  quelques  autres  détails 
sur  les  oxactions  de  ce  prélat,  et  finit  par  dire  que  "Guil- 
laume de  Longchamp  traitait  les  Anglais  comme  son  aïeul, 
dont  apparemment  il  honorait  la  mémoire,  avait  traité  les 
DuLoulay,  bœufs  des  campagnes  de  Beauvais.  Un  autre  écrivain  pré- 
lli.si.  univ. ,  t.  sente  une  idée  semblable,  en  l'appliquant  néanmoins  à  un 
II,  p.  488.         fait  particulier;  /ittîc  omnes  filii  nobilium ,  dit-il,  sciviebant 
'vultu  demisso,  nec  in  cœlnm  aspicerc  -aufichant ,  nisi  forte 


CUILLAUME  DE  LONGCHAMP.   '  269 

vocatl  ah  eo,  et  si  aliter  attentassent,  aculeo  pungehantur   ^"  SIECLE> 
queni  dominas  prœ  manibus  hahehat ,  memor  piœ  recorda- 
tionis  avi  sui  qui,  servilis  conditiords,  in  page  hellovacensi 
^t  aratrum  ducere  et  boves  castigare  consueverat.  Ces  der- 
niers mots  sont  les  mêmes  dont  Jean  Bremton  fait  usage.  A 
la  mort  de  Clément  III,  suivant  le  même  auteur,  Guillaume       Hist.   angi. 
<le  LongC-hamp  avait  acheté,  à  prix  d'argent,  auprès  du  swc-  *^"^^^'  *•  ">  P- 
cesseur  de  ce  pape,  Célestin  III  aussi,  la  continuation  des 
fonctions  de  légat  en  Angleterre  et  en  Irlande.  Richard  in-      /è«v/.  p.  1194 
struit  enfin  de  tant  d'oppressions  et  de  concussions,  lui  ôta  1'  '^^^ — ^°''" 

'    I'      '  •'  •         1        t   Ul  ■'^"gl-  sacr.  ,  t. 

un  pouvoir  exerce  dune  manière  si  redoutable  pour  ses  su-  h^j,.  ^^g^ 
jets.  Déposé,  il  se  réfugia  dans  la  Tour  de  Londres,  y  sou-     RapuideDic. 
tint  un  siège,  et  n'en  sortit  que  par  l'efi'et  d'ime  capitulation.  l'-^Ca-Bromt. 
Bientôt  obligé  de  fuir,  il  se  déguisa  en  femme,  et  reconnu 
sous  ces  habits  par  des  mariniers  de  Douvres,  il  fut  recon- 
duit à  Londres.  O  douleur  !  s'écrie  à  ce  sujet  un  annaliste.     Bromt.  ibid. 
Vir  factus  est  fœmina ,  cancellarius  cancellaria ,  sacerdos 
meretrix ,  epicopus  scutra.  L'auteur  raconte  ensuite  avec  plus       P-  «a»? — 
de  détails  que  de  pudicité  toute  l'histoire  du  déguisement  ^'^'  j""'*'  .^"8'- 
■et  la  manière  dont  on  le  découvrit.  A  Londres,  Guillaume  401.  '        ',** 
obtint  la  permission  de  se  retirer  dans  le  lieu  qu'il  voudrait     Raoul,  de  Die. 
choisir.  Il  vint  en  Flandre,  suivant  les  uns,  et  suivant  d'au-  P-^^^.-Bromt. 
très ,  en  Normardie.  De  là ,  il  écrivit  au  pape  et  à  plusieurs 
évêques ,  pour  tâcher  de  faire  excommunier  ceux  qui  prési-        Hist.  angi. 
daient,  en  Angleterre,  à  l'administration  de  l'état.  Il  chercha  '<=■;•'?•  «228  et 
en  même  temps  à  mettre  dans  ses  intérêts  la  reine  Eléonore, 
mère  de  Richard ,  et  le  prince  Jean ,  son  frère  ;  et  d'un  autre 
côté  Philippe- Auguste.  De  to'us  ceux  qu'il  imploi^,  le  pape 
■lui  fut  le  plus  favox'able  ;  il  ordonna  même  à  tous  les  évêques 
d'Angleterre,  par  une  lettre  du  a  décembre   1191,  dans    Act.desconc, 
le  cas  où   les  faits  qu'on  lui  avait  dénoncés  seraient  cer-  part.ii,p.  igu. 
tains,  de  proclamer  dans  leurs  églises,  au  son  des  cloches  ~  *''*''  ^g^"' 
et  les  cierges  allumés ,  les  auteurs ,  fauteurs  et  complices ,  de       •  >  P-  '  *  ■ 
l'expulsion   et  de  l'emprisonnement  de  l'évêque  d'Ely,  et 
d'interdire  l'office  dans  les  terres  des  coupables ,  menaçant 
tous  les  prélats  d'up  anathême  semblable  s'ils  négligeaient 
d'obéir  à  l'ordre  qu'il  leur  envoyait.  Malgré  cette  menace  et       Bromt. ,  p. 
les  efforts  redoublés  de  Guillaume  de  Longchainp,  la  lettre  '^^o  >    '^^^  > 
du  pape  ne  produisit  en  Angleterre  aucun  effet  réel  et  dé-  ■*^^*"*'''^- 
cisit.  Guillaume  mourut  pieu  de  temps  après,  le  3i  jartvier 
1197,  à  Poitiers,  et  fut  enterre  dans  l'abbaye  du  Pin,  de 
fordrede  Cîteaux,  à  quelques  lieues  de  cette  ville,  gomme  on 


ayo  GUILLAUME  DE  LONGGHAMP. 

XII  SIECLE,    peut  le  voir  dans  les  annales  de  cet  ordre  même,  sur  l'an 

c.  10,  n.  5.     ii4ii  ainsi  que  dans  le  premiec  tome  de  X^nglia  sacra 


p 


€l   632 


302,478  Etienne  de  Tournai,  dans  une  de  ses  lettres,  la  i6q«,  l'ap- 

i.  —  Voir         11  ■      -xT  T  i-f      ^-  1  7  '^    .     a/^ 


aussi  le  "il,  p.  pelle  vir  MagJius.  La  qualification  de  grand  ne  peut  être 

389-/|o8;rtia  donnée  qu'au  pouvoir  qu'il  exerça.  C'est  par  erreur,  je  crois, 

ciiron. deGeiv.  q^g  jg  i^evG  DumoHuet  suppose  qu'Etienne  de  Tournai  dé- 

'^*  '"'^''  signe  ici ,  non  Guillaume  de  Longchamp,  mais  Eustache  son 

successeur  dans  l'évêclié  d'Ely ,  puisque  le  prélat. dont  il  est 

question  y  est  expressément  qualifié  cA««cmer6?'y/«g"/efe/7'e. 

v.ceiieleiire  j^^  lettre  d'aillcurs  a  été  certainement  écrite  lorsqu'Etienne 

du*P  de  MoH-  ^^  Tournai  était  encore  abbé  de  Sainte-Geneviève,  avant  1 192 

net,  p.  261  et  par  Conséquent  :  or  Eustache,  le  successeur  de  Guillaume  de 

»"»^-  Longchamp,  ne  devint  évêque  d'Ely  qu'en  r  197.    , 

Pierre  de  Blois  n'avait  pas  partage  l'opinion  défavorable 
que  la  conduite  de  Guillaume  de  Longchamp  avait  excitée. 
Le».  87,  p.  Dans  une  lettre  qui  a  pour  objet  de  consoler  ce  prélat,  il 
u\"^làlûon^  s'élève  avec  une  grande  force  contre  ceux  qui  ont  donné  au 
roi  le  conseil  de  l'éloigner  de  l'administration  du  royaume. 
Pierre  de  Blois  n'attribue  cette  disgrâce  qu'aux  efforts  heu- 
reux de  l'envie,  et  il  ne  craint  pas  de  rappeler  à  ce  sujet 
Gain  armé  contre  Abel ,  Saiil  contre  David ,  Joab  contre 
Abner,  et  ce  qui  est  presque  une  impiété ,  l'envie  conduisant 
Jésus-Christ  à  la  mort.  Tout  ce  que  les  moralistes  hébreux 
ont  dit  sur  ce  vice  et  sur  ses  Funestes  effets,  l'auteur  le  re- 
cueille ici  et  l'applique  au  malheur  de  Guillaume  de  Long- 
champ.  Il  ne  recueirie  pas  moins  de  passages  sur  la  vérité, 
l'amour  de  la  vérité,  la  liaine  de  la  vérité,  la  médisance,  le 
ftiensongô,  la  douleur,  la'  pafieijcc,  la  grandeur  d'ame,  la 
justice  et  l'injustice.  Pierre  de  Blois  s'était  adressé  plusieurs 
Leit.  ioB,p.  fois  à  lui,  dans  les  temps  de  sa  faveur.  Dans  une  lettre  aussi 
197  en98.       qjjg  nous  avons  encore,  il  assure  que  Dieu  en  a  fait  une  des 
colonnes  de  l'empire,  un  des  gonds  du  ciel,  un  des  géants 
qui  portent  le  monde  :  'vos  enini  constituit  dominus  inter  co- 
tumnas  regni,  inter  cardines  cœli,  inter  gigantes  qui  portant 
Leit.  i56,p.  orhem;  et  dans  une  troisième,  il  le  supplie  avec  instance  de 
a83.  Busée  dit  pgyer  pour  lui  six  livres  qu'il  doit  à  un  juif,  et  il  ne  manque 
Teoff,~oKu\\lli  pas,  «  cette  occasion,  de  dire  quelques  injures  sur  son  créan- 
ùeGuiiiaiimc,à  cicr ,  sur  la  iiatiou  des  Juifs  en  général,  sur  le  supplice  de 
la    marge    de  ]jj  (.j-oix  quc  Cette  dette  lui  avait  fait  souffrir,  sur  l'usure,  sur 
cette  page.         j\^  perfidie,  et  sur  l'espérance  nueluidonnent  de  sa  rédemp- 
tion la  miséricorde  et  l'amitié  de  Guillaume  de  Longchamp. 
Hist.  angi.      Voger  Àe  Heveden  nous  a  conservé  une  lettre  plus  noble 

SCT.  p.  401. 


GUILLAUME  DE  LONGCHAMP.  371 

de  Pierre  de  Blois  à  Hugues ,  évêque  de  Coventry ,  e'crite  en    ^"  siècle. 
faveur  de  notre  prélat. 

UAnglia  sacra  parle  de  plusieurs  dons  faits  aux  pauvres     T.  l,  p.  633. 
et  sur-tout  aux  églises  par  Guillaume  de  Longchamp.  Jl  paya 
du  trésor  de  sa  cathédrale  et  de  quelques  effets  précieux 
vendus ,  une  somme  considérable  pour  la  rançon  du  roi  Ri- 
chard. 

.    Le  catalogue   des  manuscrits  d'Angleterre  fait  mention  Parf.3,n.i2/,2. 
d'une  vie  de  Guillaume  de  Longchamp  (qui  apparemment 
n'est  pas  encore  imprimée),  parmi  les  manuscrits  du  collège 
de  Saint-Benoît  de  Cambridge. 

Guillaume  avait  un  frère  nommé  Robert,  qu'il  fit  prieur  Angl.  sacra, 
du  monastère  de  sa  cathédrale,  après  l'an  1189,  et  qui  de-  '• '['  P-  ^^^  *' 
vint  abbé  de  Notre-Dame  d'Yorck,  le  17  mars  1197.     . 

SES    ÉCRITS. 


684. 


Nous  avons  quelques  lettres  de  Guillaume  de  Longchamp. 

La  première  est  adressée  à  Gautier  archevêque  de  Rouen.        H>»t-   ang. 
Gautier  avait  été  d'abord  chanoine  de  Lincoln ,. archidiacre  gg"^''/'  \'  P" 
d'Oxford,  évêque  de  Lincoln  aussi,  puis  élevé  au  siège  de  Pommeraye^ii! 
Rouen   par  l'influence  et  la  volonté  du  roi  ;  c'était  encore  des  archev.  de 
Henri  II.  Richard,  alors  en  Palestine,  ayant  reçu,  quelques  ^""««'P-SgS. 
années  après,  des  plaintes  fortes  et  nombreuses  sur  la  con-  ^:^'^^—u\lt. 
duite  de  Guillaume  de  Longchamp  dans  l'administration  de  «"gi-  «cr. ,  p. 
l'empire ,  il  avait  écrit  au  prince  Jean ,  son  frère ,  de  déposer  ^'^„'  '^^^' 
le  régent  et  de  lui  substituer  Gautier,  si  les  plaintes  étaient  scr.,  v^iia^. 
fondées;  et,  dans  tous  les  cas,  de  le  lui  associer,  ainsi  que 
deux  autres  seigneurs,  pour  concourir  tous  ensemble   au 
gouvernement  de  l'état.  Le  monarque  en  écrivit  lui-même, 
dans  ce  dernier  sens,  à  l'évêque  d'Ely  :  Nous  voulons,  disi^it-    ibid.  p.  eSg. 
il ,  que  vous  ne  fassiez  rien  que  de  concert  ;  que  Gautier 
demande  en  tout  votre  consentement;  que  vous  demandiez 
en  tout  le  sien.  11  termine  sa  lettre  par  un  ordre  d'exécuter 
ce  qu'il  a  chargé  Gautier  de  lui  dire,  touchant  l'archevêque 
de  Cantorbéry. 

A  son  retour  en  Angleterre,  l'archevêque  de  Rouen  y 
trouva  l'évêque  d'Ely  tellement  affermi  dans  sa  puissance, 
qu'ils   n'osèrent,  ni  lui,  ni  le  frère  du  roi,  faire,  usage  des 
ordres  de  Richard.  Guillaume  continua  donc  à  gouverner     . 
seul.  Gautier  ayant  voulu  se  rendre  à  Cantorbéry  dont  le    ibid.  p.  660. 
siège  était  vacant,  Guillaume,  y  craignant  sa  présence,  lui 


XII  SIECLE. 


72  GUILLAUME  DE  LOÎ^GCHAMP. 

défendit,  en  vertu  de  l'autorité  qu'il  exerçait  comme  régent, 
d'aller  en  cette  ville,  jusqu'à  ce  qu'il  eût  conféré  avec  lui. 
C'est  l'objet  de  la  lettre  que  nous  avons  annoncée ,  et  qui  est 
de  I  loi.  «  Quand  je  vous  vis  à  Londres,  lui  dit-il ,  et  que  je 
vous  demandai  pourquoi  vous  vouliez  aller  à  Cantorbéry, 
vous  me  répondîtes  que  c'était ,  d'une  part ,  pour  savoir  s'il 
était  vrai,  comme  on  vous  l'assurait,  que  ces  religieux  étaient 
irrités  contre  vous ,  et ,  de  l'autre ,  s'il  était  vrai  aussi  que  le 
prreur  eût  été  déposé.  J'ai  appris  cependant  qu'un  autre  motif 
vous  y  conduisait,  celui  de  traiter  avec  eux  du  choix  d'un 
archevêque.  Certes ,  je  ne  suis  pas  peu  surpris  que  vous 
veuillez  profiter  ainsi  àe  mon  absence   pour  faire   ce  que 
vous  ne  devez  ni  ne  pouvez  faire  sans  nous  qui  présidons, 
au  nom  du  roi,  à  l'administration  de  l'état,  et  qui,  comme 
chancelier,  tenons  en  nos  mains  l'archevêché  de  Cantorbéry 
et  toutes  les  appartenances  de   son   église.   Une  affaire  si 
importante,  si  difficile,  et  qui  intéresse  tout  le  royaume,  ne 
pouvant  être  traitée  qu'en  la  présence  du  roi  ou  en  la  nôtre, 
nous  vous  mandons  et  enjoignons  de  n'aller  à  Cantorbéry, 
ni  pour  cet -objet  ni  pour  tout  autre,  qu'après  que  nous  vous 
aul'ons  parlé:  je  ne  le  souffrirais  pas  avec  patience,  et  je  ne 
cacherais  pas  mon  ressentiment.  » 
r.nouideDic.       La  seconde  lettre ,  légalement  de  1 191 ,  et  écrite  au  vicomte 
î/>/f/.  p.662.—  jjg   Sussex,  lui  ordonne  de  faire  arrêter  l'archevêque   élu 
II  \,.  3jjo.         a  Yorck,  s  il  aborde  sur  un  des  rivages  de  ce  comte,  ou  toute 
autre  personne  qui  pourrait  y  venir  pour  lui  ;  elle  ordonne 
pareillement  à  ce  vicomte  de  retenir  toutes  les  lettres  qui 
pourraient  arriver  de  la  part  du  pape  ou  de  quelque  autre 
llist.  angl.  grand  personnage.  Cet  archevêque  était  Geofroi,  fils  naturel 
65V  '  1^53'^  ^^  Henri  II,  f^ui  avait  obtenu  d'Alexandre  III  les  dispenses 
ii56cti724.'  au»   son  illégitimité  rendait  nécessaires ,  que  le  chapitre 
d'Yorck  avait  élu  d'une  voix  unanime ,  et  dont  le  pape  Clé- 
ment III  avait  approuvé  l'élection.  Tant  dè^motifs  n'arrêtaient 
pas  Guillaume  de  Longchamp  ;  et  sa  lettre  peut  servir  à 
confirmer  ce  que  nous  avons  dit  de  son  caractère.  Geofroi 
Wjy.  p.  6i3.    avait  été  chancelier  d'Angleterre,  avant  l'évêque  d'Ély.  Il 
7é/rf.  p.  1724.  revenait  alors  de  Rome,  où  il  était  allé  se  faire  sacrer,  au 
— RaonideDic.  préjudice  dn  droit  qu'avaient  les  archevêques  de  Cantorbéry 
sacra*,' *i.  I  ,"p.  d'être  les  ooilsécrateurs  nécessaires  des  archevêques  d'Yorck, 
i73^(i'isentq'ii'il  droit   réclamé  dans   une   lettre  signée   par   l'évêque   d'Ely 
a'vaitéiésacréà  comme   légat  a]X)stolique,  et  par  les  autres  évêques  de  la 
°Angi.  sacra",  province  de  Cantorbéry.  Geofroi  ayant  débarqué  à  Douvres, 
t.ï.p.  73. 


GUILLAUME  DE  LONGCHAMP.  ayS 

il  V  fut  arrête  au  moment  même  où  il  venait  de  célébrer  la    '^^  SIECLE 


Hist.    angl. 
scr. ,  p.  laag-' 


messe,  revêtu  encore  de  ses  habits  sacerdotaux,  et  traîné     /6jV/.,etHist, 
ignominieusement  en  prison,  par  les  ordres  de  Guillaume  gg|'"   *^^'  P' 
de  Longchamp.  Les  religieux  de  l'abbaye  de  Cantorbéry  s'en  is^è. 
plaignirent  à  ce  ministre ,  l'attentat  ayant  été  commis  dans 
e  diocèse  dont  Cantorbéry  était  la  métropole  :  Guillaume 
eur  répondit  par  une  lettre  que  le  moine  Gervais  nous  a 
conservée  dans  sa  chronique.  Il  y  prétend  que  ce  n'est  pas       Hi$t.  angi. 
lui  qui  avait  donné  l'ordre  d'emprisonnement  :  «  Nous  avions  '"..p.  1577.— 
seulement  ordonné,  dit-il,  que  si,  en  débarquant,  il  se  i^fl^i"^-^' 
refusait  à  un  serment  de  fidiélité  envers  le  roi ,  on   le  fit 
repartir.  »  Les  réclamations  cependant  furent  tellement  mul-       Hist.  angl. 
tipliées  et  tellement  universelles,  les  menaces  du  prince  Jean  ««^""..p.  laaS.— 
sur-tout  si  fortes,  que  Guillaume  de  Longchamp  ne  crut  3yr™!!^^nd! 
pas  devoir  priver  plus  long-temps  Geofroi  de  sa  liberté.         sacra,  t.  li,  p. 

Nous  avons  encore  deux  autres  lettres  de  l'évêque  d'ÉIv,  ^goetsmv. 
toutes  deux  adressées  a  leveque  de  Lmcoln  ;  toutes  deux  j^^ 
ayant  pour  objet  de  livrer  ses  ennemis  aux  anathêmes  de  ia3i. 
l'église  de  Rome.  Il  y  dit  : 

•  Guillaume ,  par  la  grâce  de  Dieu ,  évêque  d'Ely ,  légat  du 
saint-siége,  chancelier  du  seigneur  roi,  à  son  vénérable 
frère  et  très-cher  ami,  l'évêque  de  Lincoln,  salut  et  amitié 
sincère.  Votre  fermeté  nous  est  si  connue ,  que  nous  nous 
adressons  à  vous  avec  une  grande  sécurité  pour  le  soutien 
des  intérêts  de  l'église  et  du  roi.  En  vertu  donc  de  l'autorité 
qui  nous  est  confiée  et  de  l'obéissance  qui  nous  est  due, 
nous  vous  mandons  de  faire  publier  et  exécuter  la  bulle  de 
l'excommunication  que  le  pape  a  prononcée  contre  Gautier, 
archevêque  de  Rouen,  et  beaucoup  d'autres,  tous  ennemis 
de  la  paix  et  de  la  majesté  royale ,  tous  cherchant  à  semer 
dans  le  royaume  l'esprit  dé  faction  et  de  discorde.  •  Guil- 
laume ,  en  conséquence ,  défend  l'exercice  de  tous  les  sacre- 
mens,  la  pénitence  et  le  baptême  des  enfans  exceptés.  Il 
ordonne  de  saisir  le  revenu  de  tous  ceux  sur  lesquels  il  étend 
les  anathêmes.  Il  ne  reconnaît  pas  et  ne  permet  pas  de  recon- 
naître l'autorité  civile  que  l'archevêque  de  Rouen  et  quel- 
ques autres  seigneurs  exerçaient  dans  l'état ,  par  une  délé- 
gation expresse  du  roi. 

Ces  lettres ,  qui  furent  sans  succès ,  doivent  être  du  mois 
de  janvier  1 192,  ou,  suivant  la  manière  de  compter  d'alors, 
encore  1191  ;  celles  du  pape  Célestin  III  sont  du  mois  de 
décembre. 

Tome  XV,  ,  Mm 


XII  SIECLE. 


274      HUGUE&  FOUCAUT,  ABBÉ  DE  S.-DENIS. 

Duchesne  a  placé  parmi  les  preuves  de  l'histoire  de  la 

P-  48  et  49.     maison  de  Béthuiie,  une  charte  postérieure  de  deux  ou  trois 

années,  et  donnée  par  Richard  Cœur-de-Lion ,  dans  laquelle 

Guillaume   de   Longchamp   prend  encore  la  triple  qualité 

devèque  d'Ely,  de  légat  du  saint-siége,  et   de  chancelier 

d'Angleterre.  11  en  est  de  même  dans  un  diplôme  recueilli 

65"^*^^'  '■^'  P^''  """fi  Martène,  en  faveur  des  hospitaliers  de  la  maison 

de  Saint- Jean-de-Jérusalem ,  le  5  janvier  1194-  Ce  diplôme 

est  daté  de  Spire  :  Guillaume  de  Longchamp  s'y  était  rendu 

au-devant  du  roi ,  qui  ayant  fait  naufrage  en  revenant  de  la 

Terre-Sainte ,  était  tombé  entre  les  main^  du  duc  d'Autriche, 

son  ennemi,  quoique,  dans  cette  crainte  même,  il  se  fût 

habillé  en  pèlerin,  pour  traverser  l'Allemagne. 

V.    Thoji.       C'est  à  Guillaume  de  Lonechamp  qu'est  dédié  un  ouvrage 

une  de  ses  let-  ^^  ^"    siccle,  qui  cut  alors  quelque  vogue,  et  dont  nous 

très, p.  197.      connaissons  encore  le  titre,  le  Miroir  des  fous.  Spéculum 

stultitùe.  .  P.. 


HUGUES   FOUCAUT, 

ABBÉ  DE  SAINT-DENIS  EN  FRANCE. 

•  ■ 

HISTOIRE   DE  SA  VIE. 

xluGDES  Foucaut,  Fulcaudus ,  Fulcandus ,  qui  fut  abbé  de 
Saint-Denis  depuis  l'année  1 186  jusqu'en  1 197,  n'aurait  a ur 
cun  titre  pour  entrer  dans  cette  histoire ,  s'il  fallait  le  dis- 
tinguer du  Hugo  Falcandus  qui  a  composé  une  relation  très- 
circonstanciée  <^es  troubles  arrivés  en  Sicile  sous  le  règne  de 
Guillaume  F"",  et  pendant  la  minorité  de  son  fils  Guillaume  IL 
Il  faut  donc, «avant  que  de  parler  de  lui,  établir  l'identité 
de  ces  deux  personnages. 
Mnra».  Rer.       On  convient  assez  généralement  que  l'historien  des  troubles 
ual. ,  t.  VII,  p.  (Je  Sicile  n'était  pas  Sicilien.  C'est  ce  qu'il  donne  à  entendre 
"  **■  lui-même  en  plusieurs  endroits,  et  sur-tout  dans  le  détail 

qu'il  fait  des  productions  du  territoire  de  Palcrme.  «  Je  ne 
«  parle,  dit-il,  que  des  fruits  particuliers  à  cette  contrée. 
«  Car  pour  les  fruits  ordinaires  et  qui  naissent  dans  nos  cli- 


HUGUES  FOUCAUT,  ABBE  DE  S.-DENIS.  276 
«  mats,  j'ai  cru  inutile  d'en  faire  la  description.  »  On  voit  ^^^  SIECLE. 
même  qu'il  n'était  plus  en  Sicile  lorsqu'il  écrivit  son  ouvrage. 
Il  l'adresse  à  Pierre  trésorier  de  l'églilie  de  Palerme,  en  .le 
priant  de  l'informer  de  ses  nouvelles  et  de  celles  du  royaume. 
Vive  diu ,  Petre  carissime ,  diuque  gaudeas  ;  et  de  statu  l'egni  ibid.  col.  a58. 
tuoque  'vicarias  pro  te  literas  mittere  non  graveris.  Mais  s'en- 
suit-il que  l'auteur  était  Français?  S'ensuit-il  que  l'historien 
de  la  Sicile  soit  le  même  ,que  l'abbé  de  Saint-Denis?  C'est  ce 
que  nous  allons  examiner. 

Personne,  avant  le  dernier  rédacteur  de  l'Art  de  vérifier  T.  m,  p.  8i3. 
les  dates ,  n'avait  soupçonné  que  ces  deux  personnages  pour- 
raient bien  n'être  qu'une  seule  et  même  personne.  M.  de 
Brequigni,  dans  un  mémoire  lu  à  l'académie  des  inscrip- 
tions, a  jeté  quelques  doutes  sur  l'assertion  du  bénédictin, 
mais  n'a  pas  détruit  ses  preuves.  En  effet  deux  lettres  de 
Pierre  de  Blois,  qui  lui-même  avait  été  appelé  en  Sicile  pour 
être  le  précepteur  du  roi  mineur,  semblent  ne  laisser  aucun 
doute  sur  cette  question  et  devraient  peut-être  suffire  pour 
la  décider. 

I^  pi-emière  qui  est  la  116*,  est  adressée  à  H.  abbé  de  Pet.Ble$.,ef. 
Saint- D enis ,  et  clans  cette  lettre  il  le  prie  de  lui  envoyer  le  ^*^' 
traité  qu'il  avait  composé  sur  les  dernières  révolutions  de  la 
Sicile  :  Rogo  quatenus  tractatuni  quem  de  statu  aut  potius 
de  casu  vestro  in  Sicilia  descripsistis ,  communicetis  mihi,  si 
fieri  potes t ,  ...  ut  inter  veteres  amicos  mutua  scriptorum 
missio  gratâ  vicissitudine  inlercurrat. 

Dans  la  seconde  qui  est  la  i3i^,  à  son  neveu,  il  appelle  Ep.  lU. 
en  témoignage  l'abbé  de  Saint-Denis  sur  la  conduite  qu'il  a 
tenue  en  Sicile.  Tu  vero  fréquenter  ex  ipsius  papœ  qui  nunc 
est,  ac  plerisque  cardinalibus  ejus  qui  in  diehus  meis  lega- 
tione  futicti  sunt ,fratris  etiam  mei,  et  abbatis  Sancti-Dio- 
Tnrsii ,  aliorumque  magnatum  qui  in  terra  sunt ,  relatione 
cognoscere  potuisti ,  quod  cùni  in  Sicilia  essem  sigillarius  et 
doctor  Régis  Guillelmi  II,  tune  piieri ,  atque  post  reginam  et 
Panormitanum  electum  dispositio  regni  satis-  ad  meum  pen- 
deret  arbitrium ,  quidam  mei  œmuli ,  etc.  L'abbé  de  Saint- 
Denis  avait  donc  séjourné  en  Sicile  en  même  temps  qu^ 
Pierre  de  Blois. 

Après  des  témoignages  si  formels  il  n'est  guère  possible 
de  ne  pas  attribuer  à  l'abbé  de  Saint-Denis  l'ouvrage  de  Hu- 
gues Falcand  sur  la  Sicile.  S'il  y  a  quelque  altération  dans 
le  nom  propre ,  si  on  a  imprimé  Falcandus  au  lieu  de  Ful- 

Mm  2 


276      HUGUES  FOUCAUT,  ABBÉ  DE  S- DENIS. 

XII  SIECLE.       '     j  ^    "^  '  ^  „ 

caudiis,  ce  ne  peut-être  quune  erreur  de  copiste,  erreur 

Murât,  ibid.  Jaiis  laquelle  il  était  si  facile  de  tomber.  Carusius  observe 
''■  ^  "■  que  le  manuscrit  conserve'  à  Catane  dans  la  bibliothèque  de 

iSaint-Nicolas  de  Arenis  ne  porte  point  le  nom  de  l'auteur; 
et  dans  celui  de  la  bibliothèque  royale  n°  6262,  c'est  M.  Ba- 
luze  qui  a  écrit  de  sa  main  Hugo  Falcandus ,  sans  doute 
sur  l'autorité  des  éditions  qui  toutes  ont  été  faites  .sur  la  pre- 
mière de  Gervais  de  Tournai  dont  nous  parlerons  par  la 
suite. 

Je  sais  qu'en  accordant,  d'après  la  lettre  de  Pierre  de  Blois, 
que  l'abbé  de  Saint-Denis  aurait  fait  une  relation  des  mal- 
heurs qui  lui  étaient  arrivés  en  Sicile,  de  casu  'vestro,  on 
pourrait  soutenir  que  cet  ouvrage  était  différent  de  celui  qui 
nous  reste,  d'autant  plus  que  dans  celui-ci  l'auteur  ne  tait 
aucune  mention  de  ce  qui  lui  était  arrivé  personnellement. 
Mais  il  faut  observer  que  Pierre  de  Blois,  lorsqu'il  écrivait 
sa  lettre,  n'avait  pas  encore  vu  l'ouvrage;  que  les  mots  de 
casu  vestw  peuvent  s'entendre  de  tous  les  Français  que  la 
conspiration  des  grands  de  la  cour  avait  chassés  de  la  Sicile. 
Au  reste  s'il  a  existé  une  autre  histoire  que  celle  qui  porte  le 
nom  de  Hugues  Falcaud ,  elle  est  inconnue ,  et  rien  n'oblige 
à  y  croire  jusqu'à  ce  qu'on  l'ait  vue. 

Après  ces  éclaircissemens  nous  sommes  en  droit  de  reven- 
diquer comme  appartenant  à  la  France  cet  écrivain  qui  fut 
un  des  plus  heureux  génies  et  des  mieux  cultivés  de  son 
siècle.  Nous  ne  pouvons  pas  dire  si  ce  fut  en  France  ou  en 
Italie  (i)  qu'il  s'était  formé  à  l'art  d'écrire;  mais  il  est  certain 
qu'après  l'orage  qui  en  1 169 ,  pendant  la  minorité  de  Guil- 
laume II ,  enveloppa  tous  les  courtisans  français  qui  étaient 
en  Sicile ,  Hugues  retourna  en  France.  Il  avait  éprouvé  l'in- 
stabilité de  la  fortune;  le  genre  de  vie  qu'il  y  embrassa  fut 
le  contraste  de  celui  qu'il  avait  suivi  jusqu  alors.  Il  connaissait 
le  monde  par  expérience ,  il  le  quitta  par  dégoût ,  et  se  re- 
Aniiq.  dePa-  tira  dans  l  abbaye  de  Saint-Denis  où  il  lit  profession.  Bien- 
"*'  ''^  ï^'  P-  tôt  après,  s'il  faut  s'en  rapporter  à  un  mémorial  publié  par 
ta    ,e  .1  12.  j^^  Breuii^  il  se  serait  Tivré  aux  t.avaux  apostoliques  pour 
convertir  les  usuriers  et  les  femmes  de  mauvaise  vie.  On  pré- 

(1)  Hugues,  dans  la  préface,  appelle  la  Sicile  sa  nourrice,  vemmquia 
difficile  est  in  morte  nutricis  alnmno  penua-deri  ne  lugent ;  cesl  une  compa- 
raison qui  ne  prouve  autre  chose  que  le  long  sëjour  qu'il  aurait  fait  en 
Sicile. 


XII  SIECLE. 


HUGUES  FOUCAUT,  ABBÉ  DE  S.-DENIS.      277 

tend  que  les  fruits  de  ses  prédications  furent  si  abondans 
qu'ils  donnèrent  naissance  a  l'abbaye  de  Saint-Antoine,  aux 
faubourgs  de  Paris,  pour  servir  d'asyle  aux  nouveaux  con- 
vertis. Si  cela  est,  Hugues  Foucaut  fut  le  précurseur  du  fa- 
meux prédicateur  Foulques  de  Neuilli,  qui  vers  le  même 
temps  embrassa  avec  plus  d'éclat  ce  genre  d'apostolat. 

Etant- abbé  de  Saint-Denis,  Hugues  eut  avec  le  roi  Phi-  Ep.  116. 
lippe  -  Auguste  un  grand  différend  dont  nous  ignorons  le 
sujet.  Voici  ce  qu'en  dit  Pierre  de  Blois.  «  Je  connais  vos 
«  angoisses  et  les  chagrins  que  vous  endurez;  je  sais  que 
«  vous  avez  été  dépouillé  de  vos  biens.  J'ai  entendu  le  ton- 
«  nerre  que  le  roi  faisait  gronder  sur  vous  par  ses  menaces  ; 
«  j'étais  comme  présent  lorsqu'il  excitait  à  la  révolte  contre 
«  vous  vos  propres  domestiques.  Le  seigneur  vous  a  mis  à 
«  une  terrible  épreuve  ;  mais  j'espère  que  votre  magnanimité 
«  qui  a  déjà  passé  par  tant  d'autres ,  triomphera  encore 
«  cette  fois  par  la  patience.  Il  vous  promet  la  paix ,  à  condi- 
«  tion  que  vous  lui  payerez  une  gro,sse  somme  d'argent  : 
«  cette  réconciliation  me  parait  peu  sincère  {^vulpinœ  recon- 
«  ciliationis  osculum)  après  qu'il  a  fermé  les  oreilles  aux 
«  prières  du  souverain  pontife,  aux  sollicitations  desévèques 
«  et  des  abbés  de  la  province,  aux  cris  douloureux  des 
«  vierges  consacrées  à  Dieu,  aux  larmes  des  religieux.  Mon 
«  avis  est  qu'un  pareil  rapprochement  acheté  à  prix  d'ar- 
ec gent  {yenalis  confœderatid)  est  avilissant ,  et  qu'une  faveur 
«  qui  ressemble  à  une  transaction  mercantile  ne  peut  être 
«  agréable  ni  à  Dieu  ni  aux  hommes.  »  S'agissait-il  de  la 
dîme  saladine  .^  C'est  ce  que  nous  n'osons  décider.  Nous  igno- 
rons aussi  quelle  fut  l'issue  de  cette  affaire.  Hugues  continua 
de  gouverner  son  monastère  jusqu'à  sa  mort  arrivée  le  aa 
octobre  de  l'an  11 57. 

SES  ÉCRITS. 

Avec  le  talent  qu'avait  Hugues  Foucaut  pour  écrire ,  avec 
la  réputation  qu'il  avait  d'un  savant  auquel  Pierre  de  Blois 
soumettait  ses  écrits,  il  est  surprenant  qu'il  ne  reste  des  pro- 
ductions de  sa  plume  que  son  histoire  de  Sicile  à  laquelle  il 
a  donné  pour  titre  De  tyrannide  Siculorum. 

L'épitre  dédicatoire  adressée ,  comme  on  l'a  dit ,  au  tréso- 
rier de  l'église  de  Paleime,  débute  par  des  lamentations  pa-  P"  ^^ 
thétiques  sur  la  mort  du  roi  Guillaume  II,  arrivée  en  iiog, 


Ep.  1 16. 


Murât,   ibid. 
2. 


XII  SIECLE. 


278      HUGUES  FOUGAUT,  ABBÉ  DE  S. -DENIS. 

et  sur  les  malheurs  qui  allaient  fondre  sur  la  Sicile  en  passant 
sous  la  domination  des  empereurs  d'Allemagne,  aux  droits 
de  l'impératrice  Constance.  Il  désire  que  les  Siciliens  se  choi- 
sissent un  roi  capable  de  les  défendre  contre  les  Allemands, 
mais  il  ne  parle  pas  de  Tancrède  qui  s'était  emparé  de  la 
royauté  :  ce  qui  prouve  que  la  composition  de  cet  ouvrage , 
ou  du  moins  l'envoi ,  suivit  de  bien  près  la  mort  du  roi  Guil- 
laume. Au  reste  des  maux  qu'il  prévoyait  devoir  fondre  sur 
la  Sicile,  il  prend  occasion  de  faire  de  cette  île,  et  particu- 
lièrement du  territoire  de  Palerme,  une  description  très- 
curieuse. 

Le  corps  de  l'ouvrage  roule  entièrement  sur  les  troubles 
intérieurs  de  la  Sicile  sous  le  règne  de  Guillaume  P"",  et  pen- 
dant la  minorité  de  Guillaume  II.  C'est  pourquoi  l'auteur 
passe  sous  silence  les  guerres  que  Guillaume  I^""  eut  à  sou- 
tenir au  commencement  de  son  règne  contre  l'empereur 
d'Orient,  et  contre  celui  d'Occident;  guerres  suscitées,  dit- 
on,  par  le  pape*  Adri-en  IV,  et  dont  ce  prince  sortit  avec 
avantage.  Après  un  tableau  magnifique  du  règne  de  Roger  et 
de  l'état  florissant  où  il  avait  laissé  le  royaume ,  Hugues  passe 
tout  de  suite  à  l'élévation  de  Majon,  qui  d'une  condition 
abjecte  parvint  sous  Guillaume  P""  à  la  dignité  de  grand- 
amiral.  Ce  dangereux  favori  valut  à  son  maître  le  surnom 
de  mauvais  par  l'abus  qu'il  fit  de  sa  confiance,  et  par  les 
maux  dont  il  inonda  la  Sicile  à  l'abri  de  son  nom.  Dévoré 
par  l'ambition  il  osa  même  porter  ses  vues  sur  le  trône ,  et 
pour  y  arriver  il  prit  à  tâche  de  perdre  les  grands  dans  l'es- 
prit du  monarque,  afin  de  les  engager,  à  force  de  mauvais 
traitemens,  à  se  révolter.  Le  voile  dont  il  couvrait  ses  artifices 
Ile  fut  pas  assez  épais"  pour  les  dérober  aux  yeux  de  la  haute 
noblesse  ;  on  démasqua  le  traître ,  et  le  comte  Bonelli  lui  fit 
porter  la  peine  de  ses  forfaits  en  lui  plongeant  l'épée  dans  le 
sein. 

La  mort  de  Majon  causa  une  joie  universelle  dans  la  Sicile, 
mais  elle  n'y  rétablit  pas  le  calme.  Guillaume  après  avoir 
entr 'ouvert  les  yeux  sur  la  perfidie  de  son  favori ,  les  referma 
presque  aussitôt  pour  revenir  à  ses  préjugés.  Il  n'envisagea 
plus  dans  le  meurtre  de  Majon  que  le  coup  d'essai  d'une 
main  qui  lui  préparait  le  même  sort.  Dans  cette  pi'éoccupa- 
tion,  il  jura  la  perte  de  Bonelli  comme  une  précaution 
nécessaire  à  la  sûreté  de  ses  jours.  Les  partisans  du  comte 
prévinrent  les  desseins  du  monarque  en  s'assurant  de  sa 


HUGUES  FOUCAUT,  ABBE  DE  S.-DENÏS.      279 

personne.  Devenu  leur  prisonnier,  sa  situation  excita  l'indi- 
gnation du  peuple  qui  le  remit  en  liberté. 

Les  états  de  Sicile  en  terre  ferme  se  ressentirent  de  la 
secousse  qui  alors  agitait  l'île  ;  il  y  eut  des  soulèvemens  dans 
plusieurs  villes  de  la  Calabre  et  de  la  Fouille.  Guillaume  se 
porta  rflans  tous  les  lieux  où  sa  présence  était  ne'cessaire , 
triompha  par-tout,  et  laissa  par-tout  des  traces  horribles  de 
sa  vengeance.  De  retour  à  Palerme,  dégagé  d'inquiétude,  et 
enivré  de  ses  succès,  il  se  plongea  dans  l'oisiveté  et  la 
débauche.  Son  indolence  ouvrit  une  libre  carrière  aux  rapines 
et  aux  concussions  de  ses  ministres.  C'étaient  pour  la  plupart 
des  Sarrasins,  nation  qu'il  n'avait  pas  honte  de  préférer  aux 
chrétiens.  Tandis  que  ces  sangsues  avides  s'abreuvaient  du 
sang  du  peuple,  le  monarque  s'amusait  tranquillement  à 
bâtir  à  Palerme  un  nouveau  palais.  Une  maladie  ijjortelle 
le  surprit  dans  le  cours  de  cette  entreprise,  et  l'emporta,  l'an 
1166,  chargé  de  la  haine  publique,  que  son  surnom  a  per- 
pétuée dans  la  postérité. 

Son  fils  Guillaume  II ,  âgé  de  quatorze  ans ,  lui  succéda 
sous  la  régence  de  la  reine  Marguerite  de  Navarre ,  sa  mère. 
Cette  princesse  voyant  les  factions  se  renouveler,  appela  de 
France  Etienne  du  Perche  (1),  son  parent,  pour  partager 
avec  elle,  sous  le  titre  de  grand  chancelier,  la  conduite  de 
l'état.  Bientôt  après  elle  le  fit  élîre  archevêque  de  Palerme. 
Etienne  amena  avec  lui  ou  attira  en  Sicile  un  grand  nombre 
de  Français,  du  nombre  desquels  fut  Pierre  de  Blois,  qui 
fut  fait  garde-des-sceaux  et  précepteur  du  jeune  roi  ;  la  plu- 
part des  autres  furent,  placés  dans  des  emplois  importants. 
Tant  de  confiance  accordée  à  des  étrangers  fit  naître  des 
jalousies.  Etienne  gouvernait  absolument  sous  le  nom  de  la 
régente;  il  avait  de  la  capacité  pour  les  affaires,  il  aimait  la 
justice,  il  montra  dans  plusieurs  rencontres  de  la  prudence 
et  de  la  fermeté.  Dans  tout  autre  pays  que  la  Sicile,  son 
admini.stration  eût  réuni  tous  les  suffrages.  Mais  il  avait 
affaire  à  une  nation  turbulente  qui  ne  pouvait  se  plier  à 
aucune  sorte  de  gouvernement.  L'ambition  et  la  jalousie  des 
grands  ( onspiièrent  pour  lui  faire  perdre  son  crédit  et  sa 
place;  on  l'attaqua  tantôt  en  secret,  tantôt  à  force  ouverte; 
il  éluda  les  pièges  avec  adresse,  il  repoussa  les  assauts  avec 

(i)  Voyez  sur  Etienne  du  Perche  une  dissertation  de  M.  de  Brequigni, 
î.  4'  des  Mémoires  de  l'académie  des  inscriptions,  p.  622. 


XII  SIECLE. 


Pet.    Ble$. , 
ep.  90  et  i3i. 


XII  SIECLE. 


Murât,   ibid. 
Gol.  a  56. 


280      HUGUES  FOUCAUT,  ABBÉ  DE  S.-DENIS. 

courage.  Mais  à  la  fin  une  conjuration  subite  et  presque 
générale  ne  lui  laissa  d'autre  ressource  que  la.  fuite  pour  se 
soustraire  à  la  mort.  Il  quitta  la  Sicile  en  11 69  pour  passer 
en  Syrie  et  de  là  à  Jérusalem ,  où  il  mourut  cette  même 
année.  C'est  par  où  finit  cette  histoire  écrite  avec  tant  d'élé- 
gance, d'exactitude  et  de  jugement,  qu'elle  a  mériljé  à  son 
auteur  le  titre  de  Tacite  de  la  Sicile,  il  semble  néanmoins 
qu'on  aurait  dû  plutôt  le  comparer  à  Tite-Live,  dont  il 
approche  davantage  par  sa  manière  d'écrire.  • 

Parmi  les  traits  singuliers  qu'il  rapporte ,  les  suivans  nous 
ont  paru  les  plus  dignes  d'être  remarqués.  La  ville  de  Palerme 
alors  partagée  en  trois  quartiers,  renfermait  un  grand 
nombre  de  manufactures  d  étoffes  en  laine  et  en  soie,  enri- 
chies d'or  et  de  pierreries  (i).  Multa  quidem  et  alla  videas 
ïbi  vai'ii  colons  ac  diversi  generis  ornamenta ,  in  quibus  et 
sericis  aurum  intexitur ,  et  multiformis  picturœ  varietas 
gemmis  interlucentibus  illustratur.  Plus  bas  il  dit  que  les 
meilleures  laines  se  tiraient  alors  de  France,  où  les  arts 
étaient  beaucoup  moins  avancés ,  de  gallico  contextœ  vellere. 
Parmi  les  végétaux  qui  croissaient  ou  qu'on  cultivait  aux 
environs  de  Palerme ,  il  nomme  les  siliques  ou  carroubes ,  et 
sur-tout  la  canne  à  miel,  nom,  dit-il,  qui  lui  vient  de  la 
douceur  du  suc  qu'elle  renferme.  Une  légère  cuisson  donne  à 
ce  suc  la  saveur  du  miel;  mais  si  on  le  fait  bouillir  assez 
long- temps,  il  prend  la  consistance  et  la  qualité  du  sucre. 

Jbid.  col.  258.  Qiiod  si  in  partent  aliam  visum  dejlexeris  ,  occurret  tihi 
mirandarum  seges  harundinum ,  quœ  cannœ  mellis  ah  inco- 
lis nuncupantur ,  nomen  hoc  ah  inteiioris  succi  dulcedine 
sortientes.  Harum  succus  diligenter  et  moderate  decoctus  in 
specieni  mellis  traduciticr  ;  si  verb  perfectiiis  excoctus  Jiierit, 
in  saccari  suhstantiam  condensatur. 

fbid.  col.  agS.  Les  Arabes  avaient  tellement  accrédité  l'astrologie  judi- 
ciaire parmi  leis  Siciliens,  qu'on  n'osait  y  risquer  aucune 

(i)  C'était  des  Grecs  que  les  Siciliens  avaient  appris  à  fabriquer  des 
étoffes  de  soie  et  d'or.  Le  roi  Roger  ayant  fait  une  expédition  en  Grèce, 
emmena  prisonniers  en  Sicile  des  ouvriers  en  soie  tirés  de  Thèbes,  de 
Corinlhe  et  d'Athènes ,  et  les  établit  à  Palerme,  afin  qu'ils  apprissent  leur 
métier  aux  Siciliens.  Ce  fut  ainsi,  dit  Othon  de  Frizingue ,  que  cet  art  pra- 
tiqué jusqu'alors  par  les  seuls  Grecs  parmi  les  chrétiens,  coniniença  dètre 
connu  des  Latins.  Ex  hinc  prœdicta  ars  illa ,  prias  h  Grœcis  tantuni  inter 
çhristianos  habita ,  Romanis patere  cœpit  ingeiiiis.  De  Reb.  Frederici,  hb.  I , 
cap.  33. 


HUGUES  FOUCAUT,  ABBÉ  DE  S.-DENIS.      281 

,•.,  ,  ^  „     .,,  ,er     XII  SIECLE, 

action  militaire  sans  avoir  consulte  les  astres.  Guillaume  1 


3oî. 


ayant  assiégé  Buteiia ,  remarquait  les  jours  favorables  aux 
attaques,  et  réciproquement  Tancrède,  son  neveu,  renfermé 
dans  la  place,  observait  les  jours  favorables  aux  sorties,  et 
ne  manquait  pas  d'en  profiter. 

A  la  mort  de  ce  monarque,  toute  la  ville  de  Palermc  prit  1^"^-  <=<>' 
le  deuil  pour  trois  jours,  selon  l'usage,  et  ce  deuil  était  en 
noir.  Les  dames  sarrasines,  plus  touchées  que  les  autres  de 
cet  événement,  parce  qu'elles  y  perdaient  beaucoup  plus, 
firent  éclater  leur  douleur  en  courant  nuit  et  jour  par  les 
rues,  couvertes  de  sacs  et  les  cheveux  épars,  précédées  de 
leurs  femmes,  remplissant  la  ville  de  leurs  cris,  et  répon- 
dant par  des  airs  lamentables  au  son  lugubre  des  tymbales  :  .  -  * 
Ad  pulsata  tympana  cantu  flehili  respondentes. 

Il  paraît  qu'on  parlait  alors  français  a  la  cour  de  Palerme.  ^*"^-  *^"'-  ^**- 
Rodrigue,  frère  de  la  reine,  sollicité  par  des  mécontens  de 
s'emparer  de  la  régence,  s'excuse  sur  ce  qu'il  ne  savait  pas 
la  langue  française ,  absolument  nécessaire,  disait-il,  en  cette 
cour  :  Francorum  se  linguam  ignorare ,  quœ  maxime  neces- 
saria  esset  in  curid.  taw     i   35i 

Si  la  langue  française  était  en  honneur  dans  la  Sicile,  on  '  '  ' 
n'y  adoptait  pas  également  leâ  coutumes  qui*  s'observaient  en 
France.  Jean  de  Lavardin  ayant  été  mis  en  possession  des 
terres  qui  avaient  appartenu  au  comte  Bohelli ,  voulut  exiger 
de  ses  vassaux  la  moitié  de  la  valeur  de  leur  mobilier,  parce 
que  tel  était  le  droit  coutumier  de  la  France.  On  lui  repon- 
dit qu'en  France  on  ne  jouissait  pas  d'une  vrai  liberté,  quœ 
cives  liberos  non  haheret.  Dès  ce  moment,  tous  les  habitans 
conspirèrent  pour  chasser  les  Français,  et  préluder  ainsi 
aux  Vêpres  siciliennes. 

On  compte  quatre  éditions  de  cet  ouvrage  de  Hugues 
Falcand.  La  première,  de  Paris,  in-4°,  donnée,  en  i55o,par 
Gervais  de  Tournai,  chanoine  de  Soissons,  sur  un  manus- 
crit de  Mathieu  de  Lçngue-Joue ,  évêque  de  Soissons  ;  elle 
a  passé  depuis  darts  le  recueil  des  historiens  de  Sicile ,  pu- 
blié à  Francfort  l'an  1679,  *^^^^  ^^^  Vechels;  en  1608  dans 
YHispania  illustrata  ;  en  1 728 ,  dans  la  bibliothèque  de  Sicile 
de  Carusius;  et  enfin,  l'an  lySS,  au»tome  VH  du  recueil  des 
historiens  d'Italie  par  Muratori,  édition  dont  nous  avons 
fait  usage.  Mais  toutes  ces  éditions,  à  bien  parler,  ne  sont 
que  des  répétitions  de  la  première,  à  quelques  légères  cor- 
Tome  XV.  N  n 


XII  SIECLE. 


a8a  GUITER,  ABBÉ  DE  SAINT- LOUP. 

rections  près ,  qui  ne  sont  fondées  sur  l'autoritë  d'aucun 
manuscrit.  B. 


GUITER  OU   GUITHIER, 

ABBÉ  DE  SAINT-LOUP   A  TROYES. 

vjuiTER  fut  abbë  de  S"-Loup  pendant  l'espace  de  44  ans, 
depuis  l'année  1 153  jusqu'à  1 197.  Cependant  sa  longue  admi- 
nistration ne  fournit  aucun  événement  remarquable  qui  mérite 
d'être  recueilli.  Il  est  auteur  d'une  petite  histoire  de  son  mo- 
Promp.  Tri-  nastère  ,  publiée  par  Nicolas  Camusat,  laquelle  jette  quelque 
20*0.'  **■  '^  ~  jour  sur  les  antiquités  ecclésiastiques  de  la  ville  de  Troyes. 
La  curiosité  ayant  porté  l'auteur,  avant  qu'il  fût  élevé  à 
la  dignité  d'abbe ,  à  fouiller  dans  les  archives  du  monastère 
pour  connaître  les  révolutions  que  son  église  avait  éprou- 
vées, il  remonte  jusqu'au  temps  de  Charles  -  le  -  Chauve  et 
aux  ravages  des. Normands,  constatés,  en  ce  qui  regarde  la 
ville  de  Troyes,  par  un  titre  du  comte  Adélerin ,  de  l'an  893, 
qu'il  nous  a  conservé  après  l'avoir  déchiffré  avec  peine  à 
raison  de  sa  vétusté.  Ce  fut  ce  comte  Adélerin ,  abbé  en 
même  temps  de  Saint-Loup,  selon  l'usage  du  X^  siècle  où 
les  grands  seigneurs  s'étaient  emparés  de  presque  tous  les 
monastères,  qui,  après  le  départ  des  Normands,  rétablit 
l'église  de  Saint-Loup,  non  hors  de  la  ville,  comme  elle  était 
auparavant,  mais  dans  la  ville  même,  qu'on  jugea  nécessaire 
alors  de  fortifier. 

Depuis  cette  époque  jusqu'à  l'introduction  des  chanoines 
réguliers  à  Saint-Loup,  l'an  1 137,  tout  ce  que  l'auteur  nous 
apprend,  c'est  que  cette  église  était  gouvernée  par  des  pré- 
vôts à  la  nomination  des  comtes  de  Champagne,  qui  même 
avaient  inféodé  ce  droit  de  nomination  à  la  famille  de  Capes. 
La  réforme  de  ce  monastère  fut  l'ouvrage  du  comte  Thibaud- 
le-Grand  ou  le-Saint,  aidé  des  conseils  de  saint  Bernard,  de 
l'évêqué  d'Auxerre,  Hugues  de  Maçon,  et  de  l'évêque  dio- 
césain Hatton.  Guiter,  dans  la  suite  de  son  histoire,  trace 
la  succession  des  abbés  dont  il  fut  le  troisième ,  et  se  fait 
un  devoir  de  consigner  dans  son  écrit  les  pieuses  libéra- 


xnsiECEE: 


PIERRE  LE  CHANTRE.  283 

litës  qui  furent  faites  à  son   église  par  les  souverains  du    

pays,  dans  le  livre  même  des  évangiles,  enrichi  de  plaques 
d'or  et  de  pierreries,  dont  le  oomté  Henri-le-Libéi'al  avait 
fait  ])résent  à  cette  église  à  l'occasion  de  la  naissance  de 
son  fils,  venu  au  monde  le  jour  de  la  fête  de  Saint -Loup, 
comme  l'atteste  notre  auteur.  7W^/.foi.3o8, 

Camusat  rapporte  eocore  de  notre  abbé  quelques  chartes , 
dont  ce  n'est  pas  notre  objet  de  nous  occuper. 


og. 


PIERRE  LE  CHANTRE. 

SA    YIE. 

r'^iERRE  fut  surnommé  le  Chantre,  parce  que  après  avoir 
professé  la  théologie  dans  l'école  de  Paris,  il  fut  lait  grand- 
chantre  de  l'église  cathédrale,  dignité  qui  lui  donnait  le 
droit  non  -  seulement  de  diriger  le  chant  de  l'église,  maïfc 
encore  d'instituer  et  de  surveiller  les  maîtres  des  petites 
écoles  du  diocèse ,  comme  le  chancelier  de  la  même  église 
exerçait  une  juridiction  sur  les  professeurs  des  hautes  fa- 
cultés des  sciences  et  des  arts. 

Malgré  la  célébrité  dont  jouissait  de  son  temps  Pierre-le- 
Chantre ,  et  les  éloges  multipliés  que  font  de  sa  science  et 
de  sa  vertu  les  auteurs  contemporains,  son  histoire  est  peu 
ou  mal  connue,  et  mérite  d'être  examinée  au  flambeau  de  la 
critique. 

D'abord  on  n'est  pas  d'accord  sui;,  le  lieu  de  sa  naissance. 

Du  Boulai,  et  d'après  lui  Casimir  Oudin,  le  disent  natif  Hist.  UniT. 
de  Paris,  et  citent  à  l'appui  de  leur  assertion  ces  vers  de  la  '''^"*'  *•  ">  P- 
Carolide  de  Gilles  de  Paris  :  '  '    ' 

Et  quem  intepuisse  dolemus , 
Petrum  in  divi/iis  -verbotenus  alta  sequanterh. 

En  admettant,  si  l'on  veut,  que  le  chantre  du  poëme  de 
Charlemagne  a  voulu  désigner  dans  ces  deux  vers  le  chantre 
de  l'église  de  Paris,  il  ne  s'ensuivrait  pas  nécessairement  de 
son  texte  que  Pierre  fiît  natif  de  Paris  ;  l'intention  du  poète 


284  PIERRE  LE  CHANTRE. 

1  étant  de  prouver,  non  pas  que  tous  les  savans  quil  nomme 

étaient  Parisiens,  mais  que  Paris  était  alors  assez  bien  pourvu 
de  savans  en  tout  genre,  ^jnsi  qu'il  le  déclare  par  ces  vers 
adressés  au  prince  Louis,  fils  du  roi  Philippe- Auguste  : 

Chesn.'t.  V ,  Egidiana  novos  pro  te  prorupit  in  ausus , 

Rer.  franc. ,  p.  Primitiasqite  siii  mittit  tibi  musa  laboris  ; 

Sed  secura  minus ,  cîim  dira  infamia  nostros 
Jamdudum  laceret  cives ,  orisque  maligni 
Audeat  imineritos  commune  incessere  probrum , 
Quod  nullos  habeat  urbs  parisina  scientes. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  cette  interprétation,  voici  une  autre 

Kist.  de  Ger-  opinion  qui  ne  mérite  pas  moins  d'attention.  Deux  chartes  de 

beroi,p.  344.    l'an  jj35^  rapportées  par  Jean  Pillet  dans  son  histoire  de 

Gerberoi,  semblent  prouver  que  Pierre-le-Chantre  était  de 

Beauvais ,  ou  du  moins  né   dans  Je  Beauvoisis  ;  qu'il  avait 

une  maison  dans  le  château  de  Gerberoi  et  un  frère  nommé 

Gautier  de  Hosdenc  ;  que  Pierre  était  par  conséquent  de 

cette  famille  établie  dans  le  pays  de  Brai ,  quoique  la  dignité 

de  chantre  de  l'église  de  Pans  ait  fait  oublier  son  vrai  nom. 

Hist.  cccies.       D^un  autre,  côté,  Marlot,  suivi  par  les  auteurs  du  Gallia 

Rem.,  MI,  p.  ç^igtiana ,  assure  que  Pierre-le-Chantre  fut  élevé  dès  son 

*  Gaii.  Christ,  cnfance  dans  l'église  de  Reims,  et  il  le  prouve  par  une  longue 

t.  VII,  p.  78.     lettre  de  l'archevêque  Guillaume  de  Champagne,  qu'il  est  à 

EropoS  de  rapporter  ici,  non -seulement  parce  qu'elle  est 
onorable  pour  la  mémoire  de  Pierre-le-Chantre,  et  qu'elle 
nous  instruit  de  quelques  particularités  de  sa  vie,  mais  plus 
encore  pour  ne  point  affaiblir  la  preuve  sur  laquelle  Marlot 
appuie  son  o^îinion. 
Marlot ,  ibid.  Pierre  ayant  été  élu  par  le  chapitre  de  Reims  pour  suc- 
céder au  doyen  Raoul  décédé  l'an  11 96,  l'archevêque  Guil- 
laume le  pressa  d'accepter  cette  nouvelle  dignité  daiis  les 
termes  les  plus  obligeans.  «Nous  rendons  grâces,  dit-il,  à 
«Dieu  et  à  l'église  de  Reims,  de  ce  que,  par  l'inspiration  di- 
«vine,  celte  église  vous  a  choisi  pour  son  doyen,  et  nous 
«vous  félicitons  vous-même  de  la  docilité  avec  laquelle  vous 
«avez  accepté  la  charge  qu'on  vous  offrait,  sans  porter  un 
«regard  indigne  sur  un  bénéfice  plus  opulent  qu'un  esprit 
«d'avarice  aurait  pu  vous  faire  envisager.  Nous  agréons,  nous 
«  ratifions  ce  choix ,  que  nous  eussions  prévenu ,  si  vous  1  aviez 
«  voulu ,  lorsque  le  chapitre  ayant  rais  à  notre  disposition  le 
«doyenné,  nous  vous  invitâmes  une  autre  fois  à  l'accepter. 


PIERRE  LE  CHANTRE.  aSS 

«Mais  alors,  guidé  par  des  vues  plus  relevées,  et  aspirant  au 
«  but  que  vous  avez  si  heureusement  atteint ,  vous  étiez  dé- 
«termipé  à  répandre  dans  un  lieu  plus  célèbre  et  dans  une 
«  école  plus  fréquentée ,  les  lumières  que  vous  avez  reçues  de 
«Dieu.  Maintenant  il  est  temps  que  vous  rapportiez  dans 
«votre  patrie  [ad propria)  les  fruits  de  votre  abondante  ré- 
«  coite  aont  les  étrangers  ont  eu  l'avantage  de  joviir  iusqu'à 
«ce  jour;  que  vous  rompiez  à  nos  enfans  qui  sont  dans  la 
«disette,  le  pain  de  la  nourriture  spirituelle,  et  que  par  un 
«  retour  filial  vous  remplissiez  du  lait  de  la  doctrine  les  ma- 
«  melles  épuisées  de  votre  mère ,  que  vous  avez  sucées  dans 
«votre  enfance.  Il  était  convenable  en  effet,  il  était  juste  que 
«notre  église,  votre  première  mère,  rappelât  dans  ses  besoins 
«un  fils  qu'elle  n'avait  fait  que  prêter  aux  autres  pour  sub- 
avenir à  leur  indigence,  et  qu'après  l'avoir  rappelé,  elle  l'ap- 
«pliquât  à  son  service.  C'est  pourquoi  nous  vous  enjoignons 
«dans  toute  la  rigueur  de  l'obéissance  que  vous  nous  devez, 
«  et  nous  vous  conseillons  en  pleine  sûreté  de  conscience  de 
«nepoint  prêter  l'oreille  aux  suggestions  de  ceux  qili  vou- 
«draient  ébranler  la  résolution  où  vous  êtes  à  cet  égard,  et 
«vous  empêcher  d'y  persévérer;  car  nous  avons  cette  con- 
«  fiance  dans  le  Seigneur  que  vous  produirez  en  nous  des  fruits 
«agréables  à  Dieu,  qui,  avec  notre  coopération,  tourneront 
«au  profit  des  autres,  dans  la  persuasion  où  nous  sommes 
«que  vous  êtes  destiné  par  la  providence  à  faire  du  bien  non- 
«  seulement  à  l'église  de  Reims,  mais  encore  à  toute -la  pro- 
«vince  et  au  royaume  entier.  Car  c'est  notre  intention  de 
«mettre  à  profit  vos  conseils,  ^ors  même  qu'ils  contrarie- 
«Faient  nos  vues,  soit  dans  nos  affaires  particulières,  soit 
«  dans  celles  d'un  intérêt  général ,  voulant  partager  avec  vous 
«le  fardeau  de  la  sollicitude  pastorale,  trop  au-dessus  de 
«nos  forces.  Et  afin  que  vous  demeuriez  plus  ferme  dans 
«  votre  résolution ,  nous  trouverons  bon  que  vous  vous  fas- 
«  siez  ordonner  ptêtre ,  soit  par  nous ,  soit  par  les  mains  de 
«notre  parent  1  archevêque  de  Paris,  lorsqu'il  vous  plaira 
«prendre  possession  de  votre  nouvelle  dignité  dans  notre 
«église.»  Nous  reviendrons  sur  cette  lettre. 

Voilà  donc  des  autorités  qui  semblent  prouver,  la  pre- 
mière que  Pierre-ie-Chantre  était  né  à  Paris;  la  seconde, 
qu'il  était  venu  au  monde  à  Beauvais;  et  la  troisième  semble 
ne  laisser  aucun  doute  que  Reims  n'ait  été  le  lieu  de  sa 
naissance,  d'autant  plus  qu'il  est  surnommé  Remensis  par 


XII  SIECLE. 


286  PIERRE  LE  CHANTRE. 

. Raoul  de  Coggeshale,  historien  anglais,  et  dans  le  titre  de 

plusieurs  de  ses  ouvrages  manuscrits ,  comme  nous  le  ver- 
Anteursecci.  rons  bientôt.  D.  Rémi  Ceillier  l'a  encore  surnomme  de  Poi- 
'P  ■  tiers;  nous  ne  savons  sur  quel  fondement.  Comment  conci- 
lier des  témoignages  si  contradictoires  .•'  Nous  ne  voyons 
qu  un  moyen  ;  c'est  de  dire  qu'il  était  né  dans  le  Beauvoisis 
où  résidait  sa  famille,  peu  de  temps  avant  que  Henri  de 
France,  frère  du  roi  Louis-le-Jeune,  fût  fait  évêque  de  cette 
ville  l'an  ii49;  qu'ayant  été  élevé  par  ce  prélat  et  destiné 
à  l'état  ecclésiastique,  il  avait  suivi  son  patron  lorsque  celui- 
ci  fut  transféré  sur  le  siège  de  Reims  l'an  1162;  et  d'après 
la  lettre  que  nous  venons  de  rapporter,  il  faut  croire  qu'il 
y  fut  pourvu  de  quelque  bénéfice. 

Examinons  manitenant  en  quel  temps  il  put  se  fixer  à 
Paris  pour  y  enseigner  la  théologie.  Si  l'on  peut  s'en  rap- 
porter à  Césaire  d'Heisterbach ,  Pierre  était  un  des  profes- 
seurs de  Paris  l'an  1 171.  Cet  auteur  du  XIIP  siècle  raconte 
Tissier,  Rbl.  que  la  nouvelle  du  meurtre  de  saint  Thomas  de  Cantor- 

Pat.Cist.,t. II,  jj^ri^  arrivé  le  29  décembre  de  l'année  précédente,  dQ"na 

^"  *  **  lieu  à  de  grandes  disputes  parmi  les  théologiens,  les  uns  le 

qualifiant  de  martyr,  les  autres  soutenant  qu'il  avait  mérité 
d'être  mis  à  mort,  non  à  la  vérité  par  un  assassinat,  mais 
suivant  les  formes  judiciaires ,  comme  rebelle  à  son  roi. 
Maître  Roger ,  docteur  de  renom,  se  distingua ,  dit  l'auteur, 
parmi  les  derniers,  et  appuya  même  son  opinion  du  ser- 
ment. Pierre-le-Chantre  prouva  au  contraire  que  l'archevêque 
de  Cantorbéri  était  mort  victime  d'une  bonne  cause;  et,  pour 
ne  céder  en  rien  à  son  advcrsaiie,  jura  pareillement  qu'il 
n'avançait  que  la  pure  vérité.  Le  serment,  à  notre  avis,  était 
de  trop  de  part  et  d'autre,  et  n'était  nullement  propre  à  dé- 
cider la  question.  Mais  bientôt,  ajoute  l'historien,  le  ciel  la 
décida  lui-même  par  les  témoignages  éclatans  et  multipliés 
qu'il  rendit  à  la  sainteté  du  prélat. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  cette  anecdote,  qui  aurait  besoin 

d'un  meilleur  garant,  elle  prouve  au  moins  que  Pierre  tenait 

dès -lors  un  rang  parmi  les  professeurs  de  Paris;  mais  il  ne 

fut  pas  sitôt  chantre  de  l'église  épi^copale.  Il  est  prouvé  par 

lliui.  «-des.  des  chartes  rapportées  dans  l'histoire  de  l'église  de  Paris, 

^44-'  '  "'^'  qu'un  nommé  Gautier  était  revêtu  de  cette  dignité  aux  an- 
nées 1178  et  n8o.  Mais  Pierre  remplissait  certainement 
cette  charge  l'an  n84,  selon  une  charte  rapportée  par  le 
même  historien, 


PIERRE  LE  CHANTRE.  287 

XII  SIECLE. 


L'an  1 191,1e  clergé  de  Tournai  jeta  les  yeux  sur  le  cliantre 
1  église  de  Paris  pour  remplacer  l'évèque  Evrard  d'Avesnes, 


de  1  église  de  Paris  pc 

décédé  au  mois  de  décembre  de  l'année  précédente.  Malheu- 
reusement cette  élection  si  bonne  quant  au  fond  se  trouva 
manquer  par    la   forme,  défaut  que  Guillaume  de  Cliam- 

f»agne,  arclievêque  de  Reims  et  régent  du  royaume  pendant 
absence  du  roi  Philippe- Auguste,  ne  voulut  jamais  couvrir 
de  son  autorité.  En  vain  Etieinie,abbé  de  Sainte-Geneviève, 
organe  des  ^ens  de  bien,  écrivit-il  au  métropolitain  en  fa-  Sfeph.Tornac. 
veur  de  levëque  élu;  sa  lettre  n'eut  d'autre  effet  que  de  le  «-p- «75, al- 173. 
faire  proposer  lui-même,  contre  son  attente,  pour  remplir 
le  siège  vacant.  Les  Tournaisiens  agréèrent  ce  nouveau 
choix ,  et  Pierre  renonça  sans  peine  aux  droits  que  lui  don- 
nait son  élection. 

L'an  1 196,  il  fut  encore  appelé  à  remplir  le  siège  de  Pai'is      Mart.  Ampi. 
après  la  mort  de  Maurice  de  Sully;  mais,  quoiqu'il  eût  pour  ^°j'*^îg  *'  ^' 
lui  le  vœu  du  clergé  et  du  peuple ,  et  même  le  consentement 
du  r»i,  il  paraît  qu'il  éprouva  encore  de  l'opposition  de  la 
part  de  l'archevêque  de  Reims ,  qui  eut  le  crédit  de  faire 
nommer  à  sa  place  son  cousin  Eudes  de  Sully.  C'est  ce  qu'on 
peut  recueillir  d'une  lettre  qu'adressa  à  ce  dernier  Adam, 
abbé  de  Perseigne,  dans  laquelle,  entre  autres  remontrances 
fort  libres,  il  lui  dit  :  «  Il  est  temps  que  vous  fassiez  éclater        Mart.  ibiW.- 
«  les  rayons  de  votre  gloire,  après  que  l'astre  brillant  du  fir-  '■^'  '^°^'  '°'^'' 
«mament  de  votre  église,  qui  l'a  si  long-temps  illustrée  par 
a  la  sainteté  de  sa  vie  et  par  l'éclat  de  sa  doctrine,  s'est  en- 
«tièrement  éclipsé.  Je  ne  m'explique  pas  davantage  :  vous 
«comprenez  assez  que  je  veux  parler  du  chantre  de  l'église 
«de  Paris,  homme  de  pieuse  mémoire,  dont  vous  devriez 
«d'autant  plus  regretter  la  mort,  que,  selon  l'opinion  de 
«bien  du  monde,  vous  regrettiez  peu  son  absence.  Il  est 
«  pourtant  vrai  que  le  saint  homme  avait  de  la  peine  à  se 
«  le  persuader.  » 

Ceci  sert  à  expliquer  pourquoi  l'archevêque  de  Reims,  qui 
avait  fait  manquer  deux  fois  l'épiscopat  à  Pierre-le-Chantre, 
mettait,  dans  la  lettre  rapportée  plus  haut,  tant  d'empres- 
sement à  l'attirer  dans  son  église,  et  à  lui  procurer  la  dignité 
de  doyen;  c'était  pour  réparer,  en  quelque  sorte,  le  tort 
qu'il  lui  avait  fait,  et  aussi  pour  mettre  à  son  aise  son  pa- 
rent, en  le  délivrant  d'un  voisinage  importun.  Ce  ne  fut  pas 
sans  peine,  dit  un  historien  anglais,  que  Pierre  se  rendit  Mart.  ihid. 
aux  désirs ^  ou,  pour  mieux  dire,  aux  ordres  du  prélat.  Mais  '■^'  ''°'-  ^^^- 


XII  SIECLE. 


288  PIERRE  LE  CHANTRE. 

enfin ,  cédant  aux  importunités  des  citoyens  de  Reims ,  qui 
s'étaient  jetés  à  ses  genoux,  il  consentit  à  son  élection,  à 
condition  qu'il  obtiendrait  l'agrément  du  chapitre  de  l'église 
de  Paris.  S  étant  donc  remis  en  chemin  pour  le  demander, 
il  s'arrêta  à  l'abbaye  de  Long -Pont,  près  de  Scissons  ,  où 
étant  tombé  dangereusement  malade,  il  fit  son  testament 
et  prit  l'habit  religieux. 
Mabill.  Acta       Vers  le  même  temps  arrivèrent  des  ordres  du  souverain 
'  ■  'P'  '^'  pontife,  qui  lui  enjoignait  de  prêcher  la  croisade  en  France. 
Pierre  était  trop  atïaibli  par  la  maladie  pour  se  charger  de 
cette  pénible  commission  ;  il  en  chargea  son  disciple  Foul- 
ques, curé  de  Neuilli-sur-Marne ,  qu'il  avait  formé  lui-même 
au  ministère  de  la  prédication,  et  il  mourut  bientôt  après, 
le  22  septembre  11 97.  Raoul  de  Coggeshale   rapporte    sa 
mort  sous  l'année  11 98;  mais  tous  les  autres  chroniqueurs 
la  placent  en  1 197,  ajoutant  à  leur  annonce  un  éloge  plus  ou 
moins  étudié,  tant  était  grande  la  "réputation  de  science  et 
de  sainteté  dont  jouissait  notre  auteur  dans  l'estime  pu- 
blique !  Son  corps  fut  inhumé  à  Long-Pont,  et  l'on  grava 
sur  sa  tombe  les  deux  vers  suivans  : 

Hoc  jacet  in  loculo  Petrus  -venerahilis  ille 
Egregius  cantor,  parùiense  decus. 

Mart.  2  Yoy.       Dom  Martène  rapporte  une  autre  épitaphe  du  même  en 

lut.,  p.  9.  prose,  mais  beaucoup  plus  récente,  dans  laquelle  on  met  sa 

mort  au  16  mai  de  l'an  1 180,  époque  réfutée  par  les  anciens 

monumens  et  par  les  circonstances  de  sa  vie  rapportées  ci- 

deSsus. 

SES  ÉCRITS. 

Du  grand  nombre  d'écrits  sortis  de  la  plume  de  Pierre-le- 
Chantré,  nous  n'en  avons  qu'un  seul  qui  ait  été  rendu  pu- 
blic par  l'impression;  c'est  celui  auquel  on  a  donné  pour 
titre  Verhum  ahhreviatum,  parce  que  l'ouvrage  commence 
par  ces  mots.  Il  paraît  que  1  auteur  l'avait  intitulé  d'une  ma- 
nière plus  analogue  aux  matières  qu'il  renferme  :  duinoins 
voit-on  plusieurs  manuscrits  où  cet  ouvrage  porte  des  titres 
différens  ;  le  plus  ancien  de  la  bibliothèque  royale ,  n°  3487 , 
Olim  Colbert  3609 ,  a  pour  titre  Ethica  magistri  Pétri  Can- 
tons Parisiensis.  D'autres  sont  intitulés  tantôt  Summa  phi- 
losophice,  tantôt  De  brevitate  locutionis,  tantôt  Summa  de 
sugillatione  vitiorum  et  com^m^ndatione  virtutum.  C'est  en 


XII  SIECLE. 


PIERRE  LE   OftANTRE.  289 

effet  le  pre'cis  de  cette  production ,  qui  n'a  pour  objet  que 
de  caractériser  les  vices  et  les  vertus ,  d'inspirer  de  l'ëloi- 
gnement  pour  les  uns  et  de  faire  naître  l'amour  des  autres. 
On  y  trouve  une  peinture  fidèle  des  abus  qui  régnaient  de 
son  temps  dans  l'église  et  dans  l'état.  On  y  reconnaît  un 
moraliste  sévère  qui  dévoile  mieux  que  tout  autre  quelle  était 
alors  la  dépravation  des  mœurs  et  les  différentes  formes  que 
prenait  la  cupidité  pour  arriver  à  ses  fins.  Dans  le  volume 
imprimé  l'ouvrage  est  divisé  en  une  seule  série  de  i53  cha- 
pitres ;  mais  ce  nombre  n'est  pas  le  même  dans  les  dix  ma- 
nuscrits de  la  bibliothèque  royale  que  nous  avons  consultés; 
le  plus  ancien  qui  est  le  n°  3487  ,  est  divisé  en  sept  livres, 
dont  le  premier  contient  1 5  chapitres ,  le  second  g ,  le  troi- 
sième i3,  le  quatrième  21 ,  le  cinquième  19,  le  sixième  53, 
le  septième  20  :  ce  qui  fait  en  tout  1 5o  chapitres.  En  rendant 
compte  des  principales  matières  contenues  dans  cet  ouvrage, 
nous  nous  conformerons  à  la  division  établie  dans  le  volume 
imprimé, 

Les  premiers  vices  ou  abus  que  l'auteur  combat ,  sont  ceux      Cap.  i-5. 
des  théologiens  de  son  temps;  Il  blâme  d'abord  la  prolixité 
et  la  multiplicité  des  gloses  de  l'Ecriture-Sainte,  plus  pro- 

f>res,  dit-il,  à  embrouiller  le  texte  qu'à  l'éclaircir,  a  rebuter 
e  lecteur  qu'à  le  soulager.  II  porte  le  même  jugement  des 
questions  qui  sautaient  alors  dans  les  écoles ,  la  plupart  ne 
roulant  que  sur  des  frivMités,  des  abstractions  qui  n'avaient 
aucun  rapport  à  la  science  du  salut.  On  avait  négligé  les  vé- 
rités utiles  pour  courir  après  de  vaines  subtilités  dans  la 
vue  de. faire  briller  son  esprit  et  d'embarrasser  un  adver- 
saire dans  la  dispute.  «  Est-ce  donc  que  je  ne  pourrai ,  dit- 
ce  il ,  faire  la  différence  du  juste  et  de  l'injuste,  si  je  n'invente 
«  des  questions  captieuses  et  malignes,  et  que  je  ne  tire  une 
«  erreur  d'une  vérité  par  une  fausse  conclusion.'^  »  Notre 
judicieux  auteur  ne  se  borne  pas  à  condamner  cet  abus,  il 
indique  les  moyens  d'y  remédier  :  puiser  la  connaissance  de 
la  religion  dans  ses  véritables  sources,  l'écriture  et  la  tra- 
dition; ne  point  aller  au-delà  des  bornes  posées  par  nos 
pères  ;  se  retrancher  dans  ce  qui  est  utile  et  édifiant  ;  laisser 
aux  esprits  frivoles  les  vaines  disputes  qui  n'ont  pour  but 
que  l'honneur  de  vaincre  ;  s'attacher  à  la  clarté ,  la  précision 
et  la  solidité  dans  ses  expressions  :  telles  sont  en  abrégé  les 
règles  qu'il  propose  aux .  professeurs  et  aux  interprètes  de 
l'Ecriture-Sainte. 

Tome  Xr.  Oo 


Xn  SIECLE. 


290  PIERRE  LE  CHANTRE. 

Viennent  ensuite  les  prédicateurs,  auxquels  il  recom- 

Cap.  6-9.  mande  sur-tRut  la  sainteté  des  mœurs  comme  la  base  des 
succès  cfu'ils  peuvent  se  promettre.  Il  y  a  un  chapitre  entier 
contre  la  prédication  curieuse,  c'est-à-dire,  celle  où  l'on 
cherche  à  flatter  l'oreille  de  l'auditeur  par  des  phrases  so- 
nores et  cadencées,  par  des  pointes  ingénieuses,  des  figures 
brillantes  et  tout  l'attirail  d'une  rhétorique  profane. 

Cap.  10-18.  L'orgueil,  l'euvie,  la  détraction  ont  cnacun  leur  chapitre 
particulier.  On  parle  ensuite  de  l'humilité  dont  on  distingue 
deux  espèces,  lune  bonne,  l'autre  mauvaise;  de  la  douceur, 
de  la  pauvreté  ou  de  l'heureuse  médiocrité. 

Cap.  19-23.  L'avarice  occupe  plusieurs  chapitres.  On  déclame  d'abord 
tissez  au  long  contre  les  magistrats  qui  reçoivent  des  présens 
pour  la  justice  rendue  ou  à  rendre,  pour  favoriser  l'injus- 
tice commise  ou  pour  donner  le  privilège  de  la  commettre  ; 
ensuite  contre  l'avarice  des  clercs ,  et  sur-tout  des  officiers  épis- 
copaux  dont  les  exactions  étaient  criantes. 

Cap.  aS-ag.  Les  messes  se  célébraient  à  prix  d'argent,  et  pour  gagner 
davantage  les  uns  se  permettaient  d'en  dire  plusieurs  dans 
un  même  jour ,  les  autres  avaient  imaginé  les  messes  à  plu- 
sieurs faces,  c'est-à-dire,  qu'afin  d'avoir  plus  d'offrandes, 
on  disait  plusieurs  fois  la  partie  de  la  messe  qui  se  termine 
au  canon ,  en  observant  de  la  varier  suivant  les  intentions 
qu'on  avait  à  acquitter.  «  Mais,  ajoute-t-il,  parlerai-je  d'une 
«  profanation  encore  plus  énorme  au  saint  sacrifice?  Oui  je 
«  le  dis  en  pleurant  ;  on  voit  des  prêtres  qui  ne  craignent  pas 
«de  convertir  en- art  magique  nos  redoutables  mystères. 
«  Je  veux  dire  qu'ils  les  célèbrent  devant  des  images  de  cire 
«  destinées  à  faire  des  imprécations  contre  quelqu'un  ,  qu'ils 
«  font  eux-mêmes  ces  imprécations,  et  chantent  jusqu'à  dix 
«  fois,  et  plus  encore,  la  messe  des  morts,  dans  l'intention 
«  que  celui  qu'ils  ont  en  vue  meure  dans  cet  espace  de  temps 
a  et  soit  mis  au  rang  de  ceux  pour  lesquels  ils  prient  (i).  » 
Pierre  propose  des  moyens  de  remédier  à  tous  ces  abus;  ce 

(1)  Le  journal  de  Henri  III  rapporte  qn'on  exerça  à  Paris  la  mente 
superstition  à  l'égard  de  ce  prince.  «  Furent  faites  à  Paris,  dit  l'auteur  sur 
«  l'an  iSSp,  jeudi  26  janvier,  force  images  de  cire  que  les  Parisiens 
"  tenaient  sur  l'autel ,  et  les  piquaient  à  chacune  des  quarante  messes 
«  qu'ils  faisaient  dire  dans  les  quarante  heures  en  plusieurs  paroisses  de 

•  P.iris,  et  à  la  quarantième  piquaient  l'image  à  l'endroit  du  cneur,  disant 

•  à  chaque  piquure  quelque  parole  de  magie  pour  essayer  de  faire  mourir 
»  le  roi.  » 


PIERRE  LE  CHANTRE.  291 

serait  de  diminuer  le  nombre  des  églises,  des  autels  et  des 


prêtres,  en  n'élevant  au  sacerdoce  que  les  sujets  qui  en  se- 
raient vraiment  dignes  selon  les  canons,  et  sur-tout  en  sup- 
primant, comme  l'avait  projeté  le  pape  Grégoire  VIII,  les 
offrandes  à  la  messe,  excepté  aux  principales  fêtes  de  l'année. 

La  pluralité  des  bénéfices  est  un  autre  vice  gu'il  poursuit  Cap.  31-48. 
avec  beaucoup  de  chaleur.  Il  appelle  ceux  qui  possédaient'  x 
des  titres  en  plusieurs  églises  à-la-fois,  des  polygames,  des 
lamechites,  des  geryons,  des  briarées,  des  monstres  à  plu- 
sieurs corps  et  à  plusieurs  têtes.  Il  parle  ensuite  des  abus  qui 
se  commettaient  dans  les  élections  aux  prélatures,  et  de  la 
simonie. 

Les  exemptions  ecclésiastiques  à  la  faveur  desquelles  on  se  Cap.  4'|. 
soustrait  à  la  juridiction  du  supérieur  ordinaire  pour  ne  dé- 
pendre que  d'un  autre  plus  relevé  en  dignité,  ne  sont  pas 
traitées  avec  plus  de  ménagement.. L'auteur  les  qualifiç,  d'a- 
près saint  Bernard,  de  véritables  schismes  dans  l'église,  de 
renversement  de  la  discipline  ecclésiatique,  d'abus  contraire 
au  droit  naturel.  Il  est  vrai  qu'il  ne  donne  que  pour  des  ob- 
jections, et  non  pour  des  assertions,  ce  qu'il  avance  à  ce 
sujet.  «  Car  il  ne  m'est  pas  permis,  dit-il,  de  dire  au  seigneur 
«  pape  pourquoi  agissez-vous  de  la  sorte  ?  Tout  ce  que  je  sais, 
«c'est  que  les  exemptions  sont  condamnées  par  les  canons 
«anciens  et  nouveaux,  et  que  néanmoins  elles  émanent  de 
«l'autorité  du  siège  apostolique,  qui  est  telle  que  Dieu  ne 
«permet  pas  qu'il  tombe  dans  l'erreur.  Mais  peut-être  ac- 
«corde-t-il  ces  sortes  de  privilèges  par  une  inspiration  par- 
te ticulière  du  Saint-Esprit,  comme  Samson  qui  se  détruisit 
«lui-même  en  écrasant  les  Philistins.  »  On  voit  par -là  que 
Pierre- le- Chantre  n'était  guère  éloigné  de  croire  à  l'infail- 
libilité du  pape. 

Dans  les  chapitres  suivans  45-5o,  il  continue  à  parler  de    Cap.  45- S». 
la  simonie  et  du  mauvais  emploi  de  l'argent,  soit  en  faisant 
des  largesses  à  ceux  qui  n'en  ont  pas  besoin,  soit  en  don- 
nant aux  histrions ,  soit  en  prêtant  à  usure. 

Vient  ensuite  le  tour  des  avocats.  Je  n'ai  jamais  vu,  dit-il,  Cap.  5i-53. 
de  cause  injuste  et  désespérée  qui  n'ait  trouvé  de  défenseurs. 
Il  leur  reproche  de  rançonner  leurs  parties,  de  négliger  la 
cause  de  la  veuve  et  de  l'orphelin,  d'employer  leurs  talens 
à  prolonger  les  procès,  à  les  multiplier,  à  inventer  de  nou- 
velles chicanes  pour  obscurcir  la  vérité  et  empêcher  le  bon  ' 
droit  de  triompher  :  «  ce  qui  leur  est  d'autant  plus  facile, 

O02 


XII  SIECLE. 


29a  PIERRE  LE  CHANTRE. 

«  ajoute- 1 -il,  qu'ils  se  fondent  sur  les  lois  positives  et  hu- 
«maines,  lois  purement  arbitraires  et  sujettes  à  diverses  in- 
« terprétations.  v  Ce  qu'il  dit  des  lois  humaines,  il  l'étend 
même  aux  canons.  «  Car  il  est  clair,  dit-il,  que  les  décrets 
«n'ont  rien  d'absolument  fixe,  puisqu'ils  dépendent  de  la 
■  «volonté  du  seigneur  pape,  qui  peut  les  interpréter  selon 
«son  bon  plaisir.  S'il  juge  conformément  aux  canons,  il  ju- 
«gera  bien;  et  s'il  juge  d'une  autre  manière,  son  jugement 
«sera  également  bon,  car  il  a  le  pouvoir  de  faire  de  nou- 
«  veaux  canons,  d'expliquer  les  anciens  ou  de  les  abroger. 
«Patet  décréta  esse  mohilia ,  ex  eo  quod  in  corde  domini 
«.papœ  sint ,  ut  scilicet  ea  interpretetur  ad  libitum  suum,  ; 
«  qubd  si  secundiim  ea  judicaverit ,  juste  judicahit  ;  si  contra 
v.ea,  similiter  juste  judicasse  dicetur.  In  ejus  enini  est  po- 
«  testate  condendi,  interpretandi  et  abrogandi  canones.  »  On 
aurait. peine  à  croii'e  que  l'auteur  parle  sérieusement,  si  l'on 
ne  savait  quelle  étrange  révolution  les  fausses  décrétales 
avaient  faite  dans  les  notions  théologiques  sur  l'autorité  du 
pape. 
Cap.  54-66.  Les  abus  qui  se  commettaient  dans  les  élections  cano- 
niques et  la  collation  des  bénéfices  ;  les  devoirs  des  pasteurs 
et  clés  prédicateurs  fournissent  la  matière  de  douze  chapitres. 
Sur  ces  objets  l'auteur  pose  de  grands  principes  et  débite  une 
excellente  morale.  Il  finit  ce  qui  concerne  les  prédicateurs 
par  le  trait  suivant.  «  Quelqu'un,  je  ne  sais  à  quel  dessein, 
ft ayant  dit  au  pape  Alexandre  III  :  Seigneur,  vous  êtes  un 
«  bon  pape,  toutes  vos  actions  sont  vraiment  papales  ;  Alexan- 
«  dre  répondit  en  son  langage  vulgaire  :  Si  je  savois  bien 
KJujar,  bien  predicar  et  penitense  douar ,  je  seroie  bosne 
v.pape.  »  Ce  langage  du  pape,  qui  était  siennois,  a  bien  du 
rapport  avec  le  français  du  temps. 
Cap.  78.  -  Nous  passons  sous  silence  une  multitude  de  chapitres  tou- 
chant plusieurs  points  de  morale,  pour  arriver  au  78"^  contre 
les  épreuves  du  fer  chaud  et  de  l'eau  froide  ou  bouillante,  que 
l'auteur  traite  d'enchantemens  et  d'in.ventions  diaboliques. 
Il  a  réuni  tout  ce  qu'on  peut  dire  pour  prouver  l'incertitude, 
la  témérité,  l'injustice  et  l'absurdité  de  ces  moyens  pour  dé- 
couvrir la  vérité.  Il  n'est  pas  plus  favorable  aux  duels  judi- 
ciaires. Il  blâme  également  le  zèle  inconsidéré  de  certains 
catholiques  qui  punissaient  du  feu  les  cathares ,  dès  qu'ils 
tombaient  entre  leurs  mains,  sans  vouloir  leur  donner  le 
temps  de  se  reconnaître.  Souvent  c'était  la  cupidité  qui  lai- 


PIERRE  LE  CHANTRE.  1293 

sait  agii'  ces  prétendus  zélateurs  de  la  foi.  L'auteur  raconte  ' 
que  des  femmes  furent  condamne'es  à  titre  d'hérétiques ,  parce  • 
qu'elles  n'avaient  pas  voulu  consentir  aux  mauvais  désirs  de 
leurs  juges;  qu'un  catholique  puissant  et  des  plus  zélés  en 
apparence  surprit  et  arrêta  plusieurs  riches  cathares,  qu'il 
relâcha  après  avoir  vidé  leurs  bourses.  Par  malheur  il  se 
ti'ouva  dans  la  troupe  un  pauvre  homme  à  face  blême,  qui 
n'avait  pas  le  moyen  de  payer  sa  rançon.  On  retint  celui-ci , 
et  on  l'amena  devant  le  roi  et  son  conseil.  Il  eut  beau  pro- 
fesser tous  les  articles  de  la  foi  catholique,  on  voulut  qu'il 
attestât  sa  foi  par  l'épreuve  du  fer  chaud  :  comme  il  refusa  de 
le  faire  jusqu'à  ce  que  les  évêques  présens  lui  eussent  prouvé 
que  cela  se  pouvait  sans  tenter  Dieu,  il  fut  condamné  à  être 
brûlé.  «  Aussitôt,  dit  l'auteur,  les  évêques  se  levèrent  tous, 
«et  se  retirèrent,  disant  qu'il  ne  leur  était  pas  permis  d'as- 
«sister  à  un  jugement  de  mort.»  II  nous  semble  à  nous  que 
la  douceur  et  la  charité  pastorales  exigeaient  d'eux  quelque 
chose  de  plus,  et  qu'ils  n'eussent  rien  fait  de  trop  en  s'op- 
posant  à  texécution  d'un  tel  jugement. 

Dans  le  chapitre  suivant,  on  s'élève  contre  la  multitude  Cap.  7g. 
accablante  des  traditions  humaines  ;  on  y  prouve  que  s'il  y 
en  a  de  bonnes  en  elles-mêmes,  le  trop  grand  nomore  n'est 
propre  qu'à  faire  prendre  le  change  aux  fidèles  sur  l'acces- 
soire et  l'essentiel  de  la  religion,  qu'à  faire  naître  des  scru- 
pules aux  gens  de  bien ,  et  à  augmenter  le  nombre  des 
prévaricateurs. «Voyez,  dit-il,  combien  n'a  pas  fait  de  trans- 
«gresseurs  le  décret  du  dernier  pape  Grégoire  (c'était  Gré- 
«goire  VIII  :  ce  qui  prouve  que  ce  traité  ne  fut  composé  *' 

«qu'après  l'an  1187),  par  lequel  ce  pape  ordonne  que  pen- 
«  dant  cinq  ans  on  jeiinera  le  mercredi  et  le  vendredi  de 
«  chaque  semaine  jpour  attirer  le  secours  du  ciel  sur  l'église 
«de  Jérusalem.^  Et  le  concile  de  Latran  (de  l'an  1 179)  com- 
«bien  n'occasionna-t-il  pas  de  scrtipules  et  par  son  décret 
«sur  les  dîmes  qu'il  ordonne  de  retirer,  sous  peine  d'ana- 
«  thème,  des  mains  des  laïques,  et  par  la  défense  qu'il  a 
«faite  de  promettre  un  bénéfice  avant  qu'il  soit  vacant,  dé- 
«  fense  à  laquelle  on  déroge  par  dispense  sans  égard  aux 
«  canons  des  conciles  précédens.»'  Que  dirai-je  des  traditions 
«  qui  ont  pour  objet  le  vénérable  sacrement  de  mariage , 
«  telles  que  ce  troisième  degré  d'affinité  et  d'autres  qui  tan- 
«tôt  l'annullent,  tantôt  le  valident,  suivant  la  tournure  que 
«le  babil  des  avocats  sait  leur  donner,  instirumens  utiles 


294,  PIERRE  LE  CHANTRE. 

1 L  «entre  les  mains  de  ces  hommes  adroits  à  vider  la  bourse 

«des  autres,  et  à  remplir  la  leur.  » 
Cap.  80.  XI  y  avait  dès-lors  nombre  de  casuistes  qui  s'étudiaient  à 

élargir  la  voie  du  ciel  par  des  raffinemens  qui  atténuaient 
et  l'énormité  des  péchés  et  l'importance  des  devoirs  de  la 
vie  chrétienne.  C'est  contre  ces  docteurs  relâchés  qu'est  di- 
rigé le  chapitre  intitulé  Contra  mollientes  arcum  sacrœ  scrip- 
tural. L'auteur,  entre  autres  choses,  y  fait  cette  remarque: 
«Si  nous  qualifions  d'hérétiques  ceux  qui  s'éloignent  tant 
«soit  peu  du  sentier  de  la  foi,  pourquoi  ne  traitons-nous 
«pas  de  même  tout  homme  qui  se  joue  des  préceptes 
«moraux.» 

Cap.  82-85.  Quatre  chapitres  roulent  sur  le  luxe  et  la  superfluité  des 
habits.  On  y  blâme  fortement  les  robes  à  longues  queues, 
sur  quoi  on  rapporte  ces  paroles  d'un  sermon  de  Milon , 
évêque  de  Terouane,  dont  les  ouvrages  ne  sont  pas  venus 
jusqu'à  nous.  «  Sachez,  mes  bonnes  dames,  que  si  pour  rem- 
«plir  l'objet  de  votre  destination,  vous  aviez  besom  de  lon- 
«gues  queues,  la  nature  y  eût  pourvu  par  quelque  chose 
«d'approchant.  Il  y  a  des  gens,  ajoute  l'auteur,  qui  n'ayant 
«pas  les  moyens  de  faire  à  leurs  robes  des  queues  d'étoffe, 
«y  attachent  des  queues  d'animaux,  afin  qu'ils  ne  soient 
«pas  tout-à-fait  sans  queues.  On  en  voit  aussi  qui  percent 
«leurs  habits  en  étoiles,  d'où  leur  est  venu  le  nom  d'étoiles.» 
Il  y  avait  des  ouvriers  particuliers  pour  faire  ces  sortes  d'ha- 
bits ;  l'auteur  les  nomme  perforatores  vestium. 

Cap.  86-90.  Les  chapitres  suivans,  jusqu'au  90*^,  sont  contre  la  somp- 
tuosité des  édifices  et  les  autres  genres  de  prodigalité. 

Cap.  91-1/(0.  Après  plusieurs  chapitres  sur  les  vertus  théologales,  la 
foi,  l'espérance  et  la  charité,  qu'il  envisage  sous  Tes  diffé- 
'  rentes  manières  de  les  exercer  envers  le  jw-ochain,  on  parle 
des  quatre  vertus  cardinales,  la  prudence,  la  force,  la  tem- 
pérance, la  justice,  et  des  vices  qui  leur  sont  opposés.  Le 
chapitre  i4o  a  pour  titre  :  Epilogus  facierum  culpœ.  L'au- 
teur le  commence  par  dire  qu'autant  qu'il  y  a  de  vices  dont 
nous  nous  revêtons,  autant  prenons-nous  de  formes  qui  nous 
rendent  semblables  à  des  bêtes  brutes.  Les  termes  par  oîi 
il  le  termine  sont  remarquables.  «  De  même,  dit-il,  que  dans 
«les  scènes  théâtrales  le  même  comédien  se  présente  tantôt 
«comme  un  vigoureux  Hercule,  tantôt  comme  une  Vénus 
«efféminée ,  tantôt  tremblant  comme  Cybèle,  de  même  nous 
8  faisons  autant  de  différens  personnages  que  nous  commet- 


PIERRE  LE   CHANTRE.  .  aqS 

,  ,    ,  Ti  L1  '  u  1  j  -.    XII  SIECLE 

«tons  de  pèches.  »  Il  semble  quon  peut  conclure  de  cet 


endroit  que,  du  temps  de  l'auteur,  on  représentait  sur  le 
théâtre  des  sujets  tires  de  la  mythologie. 

La  pénitence  et  les  conditions  qu'elle  doit  avoir  occupent  Cap.  141 -i52. 
les  douze  chapitres  suivans ,  où  l'on  trouve  d'excellentes 
règles  pour  les  confesseurs  et  pour  les  pénitens.   L'auteur 
conseille  d'avoir  toujours  présente  à  l'esprit  la  brièveté  de  ' 

la  vie,  afin  d'accélérer  la  pénitence  qu'on  doit  faire,  dans  la 
crainte  d'être  surpris  de  la  mort  avant  de  l'avoir  accomplie; 
et  il  termine  son  ouvrage  par  des  considérations  sur  l'enfer 
et  le  paradis. 

Le  chapitre  i53 ,  qui  est  le  dernier  dans  les  imprimés,  pa- 
raît avoir  été  ajoute  à  l'ouvrage  de  Pierre -le -Chantre;  au 
moins  est-il  certain  que  ce  chapitre  n'existe  pas  dans  les 
plus  anciens  manuscrits  de  la  bibliothèque  royale.  11  roule 
sur  les  moines  propriétaires.  Il  a  été  "détaché  du  corps  de 
l'ouvrage  et  imprimé  dans  un  recueil  de  pièces  sur  le  même 
sujet,  ayant  pour  titre  :  Joannîs  Cornificis ,  Joannis  de  Bo-  511,1.  Baluz. 
malio.  Pétri  Damiani  et  Pétri  Cantoris  Parisiensis ,  trac-  t.  II,p.  ioi3. 
tatus  contra  nionachos  proptietarios ,  à  Paris,  chez  JVIarnef, 
in-8°,  édition  gothique  et  sans  date. 

L'ouvrage  entier  sortit  des  presses  de  François  Waudrai , 
imprimeur  à  Mons  en  Hainaut,  l'an  i6'^9,  en  un  volume  in-4°, 
par  les  soins  de  D.  George  Galopin,  religieux  et.  bibliothé- 
caire de  l'abbaye  de  Saint-Guilain.  L'éditeur  avertit  que  les 
trois  manuscrits  dont  il  s'est  servi  contenaient  aux  marges 
des  additions  qu'il  n'a  pas  toujours  distinguées  du  texte  ori- 
ginal ;  il  n'a  fait  d'exception  que  pour  un  morceau  tiré  du 
manuscrit  de  Marchiennes,  qui  depuis  le  chapitre  66  jusqu'au 
80*  diffère  beaucoup  des  autres  quant  aux  termes  et  quant 
à  la  plupart  des  citations.  Il  aurait  pu  faire  le  même  dis- 
cernement sur  presque  tous  les  chapitres,  s'il  eût  consulté 
un  plus  grand  nombre  de  manuscrits;  car  il  n'y  en  a  presque 
pas  qui  se  ressemblent  exactement.  Il  a  pourtant  fait  plaisir 
au  pubhc  de  lui  donner  à  part  Ce  morceau  qui  contient  33 
pages  à  la  suite  de  ses  notes. 

Outre  cet  ouvrage  de  Pierre-le-Chantre,  le  seul,  comme 
on  l'a  dit,  qui  ait  été  imprimé,  plusieurs  autres  existent 
manuscrits  dans  les  grandes  bibliothèques.  Il  est  bon  toute- 
fois d'observer  que  différens  titres  de  ces  manuscrits  n'an- 
noncent pas  toujours  des  productions  différentes.  Casimir 
Oudin,qui  a  vu  par  lui-même  plusieurs  de  ces  manuscrits 


206  PIERRE  LE  CHANTRE. 

_ L  ensevelis  dans  les  bibliothèques,  et  qui  en  a  donne  une 

notice  exacte ,  avertit  que  pour  ne  pas  confondre  et  multi- 
plier au-delà  du  vrai  les  écrits  de  notre  auteur,  il  faut  en 
juger  non  par  les  titres  que  les  copistes  ont  imaginés  à  leur 
fantaisie,  mais  par  les  premiers  mots  .de  chaque  ouvrage 
qu'on  lui  attribue.  Cest  ce  qu'a  fort  bien  exécuté  ce  savant 
bibliographe  que  nous  prendrons  pour  guide,  en  ajoutant 
à  ses  observations  celles  que  nous  avons  recueillies  dans  les 
manuscrits  de  la  bibliothèque  royale. 

a»  Pierre -le -Chantre  est  auteur  d'une  somme  des  sacre- 

mens  qui,  selon  Trithème,  commençait  par  ces  mots  :  Cir- 

Oudin,  de  cuibat  poDulus ,  et  était  divisée  en  trois  livres.  Casimir  Oudin 

Script,  eccles.  ,     i-  •     •'        i  i      •  i  -i  i-      i  v  i 

t.  II,  col.  i663.  *^rt  avoir  vu  dans  plusieurs  bibliothèques  une  grande  somme 
^  de  Pierre-le-Chantre  sur  les  sacremens ,  commençant  par  ces 
mots  :.  Quœritur  de  legalihus  quœ  data  sunt  in  signum  per- 
fectorum  et  jugum  superhoruin ,  et  pedagogum  infirmorum, 
ayant  pour  titre  tantôt  Summa  de  sacramentis  et  animœ 
consiliis,  tantôt  Liber  sententiarum.  Enfin,  nous  avons  sous 
les  yeux  deux  gros  manuscrits  de  la  bibliothèque  royale, 
écriture  du  XIII^  siècle,  cotés  3208  et  Saôg,  olitn  Colbert, 
i4i9  et  22o8,  ayant  pour  titre  en 'lettres  rouges  de  la  même 
main  :  Consiliarium  cantons  parisiensis  de  pœnitentla.  Mais 
le  volume  traite  aussi  des  autres  sacremens  dans  l'ordre  sui- 
vant :  de  la  pénitence ,  du  baptême ,  du  mariage ,  de  l'eucha- 
ristie, de  la  confirmation,  de  l'extrême-onction,  de  l'ordre. 
Le  traité  de  la  pénitence ,  qui  forme  les  deux  tiers  du  volume, 
commence  par  ces  mots  du  prologue  ;  Tota  cœlestis  philo- 
sophia  in  bonis  moiibus  et  fiae  consistit  ;  et  le  corps  de  l'ou- 
vrage portant  pour  nouveau  titre  :  Liber  disputatorius  sen- 
tentiarum, commence  par  ceux-ci  :  Pœnitentia  est,  teste 
Augustino ,  quâ  mfila  commissa  emendationis  proposito 
plangimus. 

Voilà  donc  sur  la  même  matière  trois  ouvrages  qui  pa- 
raissent entièrement  différens ,  tous  attribués  à  Pierre-le- 
Chantre.  Casimir  Oudin,  qui  avait  examiné  les  deux  manus- 
crits de  la  bibliothèque  royale,  pense  que  l'ouvrage  qu'ils 
renferment  n'est  pas  de  Pierre-le-Chantre,  et  il  se  fonde  sur 
ce. que  dans  plusieurs  chapitres  on  y  cite  comme  une  auto- 
rité l'opinion  du  chantre  de  l'église  de  Paris;  et  à  cet  égard, 
vérification  faite  sur  le  manuscrit ,  nous  pensons  comme  lui. 
Mais  lorsqu'il  ajoute  que  Robert  de  Corçon  en  est  le  véri- 
table auteur,  parce  que  dans  un  manuscrit  de  Saint-Victor, 


XII  SIECLE. 


PIERRE  LE  CHANTRE  297 

coté  Pp.  i3,  cet  ouvrage  lui  est  attribue.  Nous  ne  le  con- 
testons pas;  c'est  ce  que  nous  examinerons  lorsque  nous  en 
serons  à  l'article  de  ce  cardinal. — Quant  à  l'ouvrage  cité  par 
Trithème ,  et  dont  Charles  de  Wisch  dit  avoir  vu  deux  exem- 
plaires aux  abbayes  d'Aine  et  de  Villiers  dans  la  Belgique  : 
«Pour  moi,  dit  Casimir  Oudin,  ne  l'ayant  rencontré  nulle 
«part,  je  n'ai  rien  à  en  dire.  Cependant,  ajoute-t-il ,  j'ai  bien 
«de  la  peine  à  me  persuader  que  Pierre-le-Chantre  ait  fait 
«deux  écrits  sur  le  même  sujet.  » 

Il  est  au  moins  certain  quil  en  avait  composé  un,  et  que 
sur  le  sacrement  de  l'Eucharistie,  Pierre-le-Chantre  avait  en- 
seigné une  opinion  que  M.  l'abbé  Fleuri,  d'après   Césaire       HUt.  eccle». 
d'Heisterbach  ,  rapporte  en  ces  termes.  «  Quoique  Pierre-le-    '  -7*'"    9- 
«Chantre  fût  un  des  plus  célèbres  théologiens  cfe  son  temps, 
«  il  n'a  pas  été  suivi  toutefois  dans  une  opinion  qu'il  avait  de 
«l'Eucharistie;  c'est  qu'il    croyait  que   la   consécration  des 
«deux  espèces  était  indivisible,  et  que  le  pain  n'était  changé 
«au  corps  de  J.  C.  qu'après  la  consécration  du  vin.  Doii  il 
«  s'ensuivrait  que  si  le  prêtre  mourait  subitement  après  la 
«consécration  du  pain,  il  n'y  aurait  rien  de  fait  ;  et  si  après 
«la  consécration  du  calice,  le  prêtre  s'apercevait  qu'il  n'y 
«avait  que  de  l'eau,  il  devait  recommencer  à  consacrer  les 
«  deux  espèces.  »  Mais  nous  trouvons  dans  un  théologien  dont 
l'autorité  est  bien  plus  grande  que  celle  de  Césaire  tl'Heister- 
bach ,  que  ce  n'était  pas  là  tout-à-fait  l'opinion  de  Pierre-le- 
Chantre.  Ce  théologien  est  le  cardinal  Robert  de  Corçon ,  à 
qui,  selon  Casimir  Oudin,"  il  faut  attribuer  le  traité  des  sa- 
cremens  contenu  dans  les   manuscrits  de  la   bibliothèque 
royale,  cités  ci-dessus.  Or  voici  ce  qu'on  lit  dans  ces  manus- 
crits :  Undè  quamvis  quidam  prœsumptuosè  asserant  et  sine 
omni  auctoritate,  qiiod  una  confectio  possit  esse  sine  alia ,  ta- 
men  nolamus  hic  ex  nobis  aliquid  asserere  ;  sed  dicimus  cum 
Cantore  magistro  nostro,  quod  in  medio  illo  teinpore  [intercon- 
secrationem  panis  et  vini  interjecto)   non  est   asserendum,  ■ 
quod  corpus  sit  confectum,  neque  idem  est  negandum.  Solus 
enim  Deus ,  vel  cui  Deus  inspiraverit ,  novit  utrum  illorum 
sit  verum. 

L'abbé  Fleuri  observe  judicieusement  que  cette  question 

n'aurait  pas  eu  lieu,  si  l'usage  eût  été  dès -lors  d'adorer  et 

d'élever   l'hostie  avant  la  consécration  du  calice.  «  Aussi,  ' 

«ajoute-t-il,  n'ai -je  trouvé  jusqu'ici  aucun  vestige  de  cette 

< cérémonie,  et  on  peut  croire  qu'elle  a  été  introduite  pour 

Tome  Xr.  P  p 


XII  SIECLE. 


298  PIERRE  LE  CHANTRE. 

«empêcher  qu'on  ne  doutât  à  l'avenir  de  la  conversion  du 
«pain  au  corps  de  Notre-Seigneur  avant  celle  du  vin.  » 

Mais  revenons  au  traite  des  sacremens  de  Pierre-le-Chantre. 
Nous  l'avons  trouvé  dans  deux  manuscrits  de  Saint-Victor, 
faisant  partie  aujourd'hui  de  la  bibliothèque  royale.  Le  plus 
ancien,  cote  autrefois  GG.  i3,  aujourd'hui  4oii  a  pour  titre 
Summa  cantons  Parisiensis  de  sacramentis  et  anirruB  eon- 
siliis ;  l'autre,  coté  jadis  PP.  6,  et  maintenant  470 ■»  Summa 
ma  gis  tri  Pétri  Remensis ,  cantoris  Parisiensis ,  de  sacramen- 
tis et  animœ  consiliis ,  et  commencent  l'un  et  l'autre  par  ces 
mots,  Quœritur  de  sacramentis  legalibus ;  mais  le  second  est 
plus  étendu  et  contient  beaucoup  plus  de  questions  que  le 
premier,  ce  qui  prouve  que  ce  traité  n'a  pas  été  moins  inter- 
polé que  le  P'^erbum  abhreviatiim.  C'est  de  l'un  ou  de  l'autre 
de  ces  manuscrits  que  Jacques  Petit  a  extrait  et  publié  un 
fragment  à  la  suite  du  pénitentiel  de  Théodore,  archevêque 
de  Cantorbéri,  page  363.  Tj'ouvrage  indiqué  par  Albéric  de 
Albéric.  ad  Trois-Fontaines,  sous  le  titre  de  Magna  summa  de  consiliis 

an  h97jP-4i^-  et  rébus  ecclesiasticis ,  ne  nous  paraît  pas  différent  du  ti-aité 
des  sacremens  qui  nous  occupe  ;  mais  Albéric  n'en  ayant  pas 
indiqué  le  début,  nous  ne  pouvons  rien  affirmer.  Nous  di- 
sons la  même  chose  d'un  écrit  cité  par  Charles  de  Wisch , 
comme  existant  dans  l'abbaye  de  Royaumont  sous  ce  titre, 
Liber  quidam  determinationum  seu  consiliorum  Pétri  Can- 
toris. 

30  Une  autre  production  de  Pierre-le-Chantre, qui  clans 
quelques  manuscrits  a  pour  titre  :  De  contrarietatibus  theo- 
togice ,  ou  theologicis ;  et  dans  d'autres,  De  contixirietatibus 
scriptUTxe,  ou  bien,  De  contrarietatum  solutionibus ,  com- 
mençant par  ces  mots  :  Videmus  nunc  per  spéculum  in  œnig- 
mate ,  est  intitulée  dans  d'autres  manuscrits,  Grammatica 
theôlogorum  ;  et  c'est  sous  ce  dernier  titre  que  l'annonce 
De  Script.  Henri  de  Gand  parmi  les  écritsr  de  Pierre-le-Chantre.  Dans 

*ccie$.,cap. i5.  le  manuscrit  de  Saint-Victor,  coté  GG.  i3,  à  la  suite  de  la 
somme  des  sacremens  dont  nous  venons  de  parler,  cet  ou- 
vrage a  pour  titre  :  Tractatus  magistri  Pétri  Remensis,  can- 
tons Parisiensis ,  de  tropis  theologicis  ;  dans  un  autre  de  la 
même  bibliothèque,  coté  BB.  G,  De  t/vpis  loquendi;  et 
ailleurs ,  Tropi  et  phrases  sacrœ  scripturœ  ;  de  manière  que 
les  titres  varient  presque  autant  que  les  manuscrits.  Mai3f 
comme  ceux-ci  commencent  tous  par  ces  mots,  f^idemus  nunc 
per  spéculum  in  œnigmate .  il  ne  reste  aucun  doute  qu'ils 


XU  SIECXE. 


PIERRE  LE  Chantre.  399 

ne  contiennent  tous  le  même  ouvrage;  et  il  est  vrai  de  dire 
que  ces  difïerens  titres  lui  conviennent,  parce  que  l'objet 
de  l'auteur  est  d'expliquer  par  les  lois  de  la  grammaire  ou 
de  la  rhétorique  les  expressions  de  l'écriture  -  sainte ,  em- 
ployées dans  un  sens  figure,  lesquelles  formeraient  des  am- 
{)liibologies  ou  des  sens  erronés,  si  on  les  entendait  dans 
eur  sens  propre  et  naturel.  C'est  aussi  l'idée  que  donne  de 
cet  ouvrage  Henri  de  Gand,  lorsqu'il  dit  qu'en  plusieurs 
endroits  il  est  fort  utile  pour  lintelligence  de  l'écriture- 
sainte ,  Ad  sacrée  scriptune  intelligentiain  in  riiultis  locis  satis 
utilem.  .'  .    ..||.>' 

4"  Un  autre  écrit  anaWffue  à  celui-ci  a  pour  titre  :  Summa 
quœ  dicitur  Abel,  parce  que  rangée  dans  un  ordre  alpha- 
bétique, elle  commence  jwr  ce  mol  A  bel  <licitur  priticipium 
ecclesiœ.  Nous  disons  que  cet  écrit  est  analogue  au  précé- 
dent, parce  qu'on  y  enseigne  la  manière  d'expliquer  dans 
un  sens  allégorique  les  textes  de  l'écriture- sainte  qui  en 
sont  susceptibles.  Ce  même  ouvrage,  dans  plusieurs  manu- 
scrits, et  notamment  dans  le  n°  93  de  la  bibliothèque  royale 
parmi  ceux  de  la  Belgique,  est  indiqué  sous  le 'titre  de  Dis- 
tinctiones  nwgistri  Pétri,  cantoris  Parisiepsis.  C'est  aussi  sous 
ce  titre  que  l'a  vu  Trithème,  comme  il  le  marque  (cap  4 '9) 
datîs  rénumération  qu'il  fait  des  écrits  de  Pierre-le-Chantre. 
C'est  vraisemblablement  cet  écrit  qu'on  voyait  autrefois  à  De  visch , 
l'abbaye  de  Royaumont,  sous  le  titre  A' A Iphabetum  morale,  '^'^'"  *^'*'^'"-  P- 
seu  liber  locorum  communiuni  pw  concionatoribiis. 

5°  Si  uous  pouvions  vérifier  par  nous-mêmes  et  garantir 
que  tous  les  écrits  sur  l'écriture- sainte,  attribués  à  Pierre- 
le-Chantre  par  Casimir  Oudin  comme  existans  dans  les  bi- 
bliothèques de  France,  d'Angleterre  et  des  Pays -bas,  sont 
véritablement  de  lui,  nous  dirions  que  ce  docteur,  non  con- 
tent de  prescrire  des  règles  pour  bien  interpréter  l'écriture- 
sainte,  aurait  fait  lui-même  ,  joignant  l'exemple  au  précepte, 
de  nombreux  commentaires  sur  tous  les  livres  de  l'ancien 
et  du  nouveau  testament.  Mais,  comme  dans  son  Verbum  Verb..ibbreT. 
abbrei'iatum  Pierre-le-Chantre  blâme  la  multiplicité  et  la 
prolixité  des  gloses  sur  l'écriture-sainte,  est-il  croyable  qu'il 
ait  passé  une  bonne  partie  de  sa  vie  à  faire  des  commen- 
taires.'' 

Ce  qui  nous  force  à  suspendre  notre  jugement,  c'est  que 
la  plupart  de  ces  commentaires  portent  en  titre  Pétri  Re- 
mensis ,  cantoris  Parisiensis.  Or  nous  avons  vu   plus  haut 

Pp2 


cap. 


3oo  PIERRE  LE  CHANTRE. 

XII  SIECLE 


que  Pierre-le-Chantre  n'était  pas  né  à  Reims,  et,  d'un  autre 
côté,  nous  trouvons,  au  commencement  du  XIII»  siècle,  un 
Pierre  de  Reims,  de  l'ordre  de  saint  Dominique,  qui  fut  un 
des  grands  commentateurs  de  l'écriture-saihte,  selon  le  té- 
moignage de  Rernard  Guidonis ,  rapporté  par  les  auteurs 
de  la   bibliothèque  de  l'ordre  de  saint  Dominique,  en  ces 

Script,  ord.  termes  :  Fr.  Petrus  Remensis ,  episcopus  postmoauni  Agen- 
II*'  col'  I    ''    nensis,  qui  de  glossis  maxime  super  hihliam.  totam,  com.pen- 
diosum  opus  et  bonum,  et  alia  bene  utilia  scripsit.  Hic  fuit 
prior  provincialis  Franciœ ,  et  inde  factus  est  episcopus  Agen- 
nensis   tempore  magistri  Johannis  Teutonici.  Il  est  d'autant 
^  plus  croyable,  que  ces   commentaires  ont   été  faussement 

attribués  au  chantre  de  l'église  de  Paris,  que  le  P.  Quetif 
avoue  qu'il  n'a  pu  découvrir  dans  aucune  bibliothèque  les 
ouvrages  de  son  confrère,  excepté  un  commentaire  sur  les 
douze  petits  prophètes  qu'il  dit  avoir  rencontré  parmi  d'au- 
tres commentaires  dans  un  volume  manuscrit  du  collège  de 
maître  Gervais,  écriture  du  XIIP  siècle,  avec  cette  inscrip-- 
tion  à  la  fin  :  Expliciunt  postillœ  fratris  Pétri  de  prœdica- 
toribus  super  duodecim  prophetis.  Le  P.  Quetif  n'est  pas  éloi- 
gné de  croire  que  Ips  commentaires  de  Pierre  de  Reims  ont 
été  fondus  dans  ceux  du  cardinal  Hugues  de  Saint-Cher, 
intitulés  Postillœ;  nous  sommes  persuadés,  nous,  qu'on  les 
retrouverait  dans  la  plupart  de  ceux  qu'on  attribue  à  Pierre- 
le-Chantre. 

Mart.  Ampl.  On  pourra  nous  objecter  que  Pierre-le-Chantre  est  sur- 
collect.,  t.  V,  nommé  Remensis  par  Raoul,  abbé  de  Coggeshale  en  Angle- 
terre,  auteur  presque  contemporani ,  et  quil  lest  aussi  a  la 
tête  de  quelques  manuscrits  contenant  des  ouvrages  ciu'on 
ne  peut  lui  contester. — A  cela  nous  répondons  qu'il  n  était 
pas  rare  que  les  libraires  changeassent  ou  altérassent  les 
titres  des  manuscrits,  en  y  substituant  des  noms  plus  connus 
ou  plus  révérés,  afin  de  mieux  vendre  leiH*^  marchandise. 
C'est  ce  que  nous  avons  reconnu  plus  haut  relativement  aux 
deux  manuscrits  de  la  bibliothèque  royale,  contenant  la 
somme  des  sacremens  de  Robert  de  Corçon  sous  la  rubi'ique 
de  Pierre-le-Chantre.  C'est  ainsi,  vraisemblablement,  que 
transcrivant  les  commentaires  de  Pierre  de  Reims,  ils  y  ajou- 
taient Cantoris  parisiensis,  afin  de  leur  donner  plus  de  va- 
leur; et  Raoul  de  Coggeshaje  y  aura  été  trompe  lui-même. 
Qtioi  qu'il  en  soit,  cet  historien  anglais  n'attribue  à  Pierre- 
le-Chantre  que  deux  écrits  sur  l'écriture-sainte,  des  gloses  sur 


col.  846. 


/ 


PIERRE  LE   CHANTRE.  3oi 

le  psautier  et  sur  les  ëpîtres  de  saint  Paul  à  l'usage  des  pau-  1 

vres  ëtudians.  Or  à  l'égard  des  gloses  sur  le  psautier  qu'Ai-      Aiberic  Chr. 
béric  de  Trois-Fontaines  attribue  aussi  à  Pierre- le-Chantre,  P"  ^''' 
voici  ce  qui  résulte  de  l'examen  de  deux  manuscrits  de  la 
bibliothèque  royale,  que  nous  avons  sous  les  yeux,  et  cet 
examen  confirmera  l'opinion  que  nous  venons  d'émettre. 

Le  plus  ancien,  apporté  de  la  Belgique  sous  le  n^  169,  a 
pour  titre  :  Incipit  secunda  pars  Cantoris  super  psalteriam, 
et  ne  commence  qu'au  ps.  5 1 .  Cet  écrit  est  tout  différent  de 
celui  qui  est  contenu  dans  le  manuscrit  de  Saint-Victor,  coté 
jadis  D.  2,  et  aujourd'hui  242,  ayant  pour  titre  :  Notulce 
magistri  Pétri  Remensis ,  Cantoris  Parisiensis ,  supra  psalte- 
rium ,  et  commençant  par  ces  mots  Flehat  Johannes ,  quia 
uerno  erat  qui  aperiret  libnim.  On  voit  que  dans  le  premier, 
l'auteur  n'est  désigné  que  par  le  mot  Cantoris,  parce  que 
ce  n'est  qu'une  seconde  partie  de  l'ouvrage  à  la  tête  duquel 
le  nom  cle  l'auteur  était  exprimé  plus  longuement;  et  dans 
le  second,  il  est  nommé  Petrus  Remensis ,  cantor  Parisien- 
sis,  et  le  mot  Notulœ  du  titre  semble  n'indiquer  que  les  Pos- 
tillœ ,  qui ,  comme  nous  l'avons  vu ,  caractérisent  les  com- 
mentaires du  dominicain  Pierre  de  Reims.  Dirons-nous  que 
Pierre- le- Chantre  a  composé  les  deux  ouvrages  sans  se  ré- 
péter? Nous  avons  de  la  peine  à  nous  le  persuader;  nous  ne 
décidons  pourtant  rien,  et  nous  laissons  à  d'autres  le  soin 
de  débrouiller  lesquels  des  écrits  sur  l'écriture-sainte,  attri- 
bués à  Pierre-le-Chantre,  on  pourrait  revendiquer  comme 
appartenans  au  dominicain  Pierre  de  Reims. 

6°  Nous  croyons  devoir  user  de  la  même  réserve  relati- 
ment  à  un  écrit  qui  lui  est  attribué  par  Albéric  de  Trois- 
Fontaines,  sous  le  titre  de  Unum  ex  quatuor  innovatum. 
C'est  apparemment  une  concordance  des  évangiles,  commen- 
çant par  ces  mots  :  Quatuor  faciès  uni,  etc.^  comme  nous  De  Visch, 
l'apprend  Bunderius,  qui  dit  l'avoir  vu  dans  la  bibliothèque  ^'^^-  Ç'*'*'"-  P- 
de  Long-Pont.  ^       '^''• 

y"  Nous  serons  moins  réservés  à  l'égard  d'un  recueil  de 
sermons  qu'on  attribue  à  Pierre-le-Chantre ,  et  que  Sandérus      Sander.  mss. 
dit  avoir  vu  à  l'abbaye  de  Cambron  en  Hainant,  portant  le  ^^l^'.'  P**"*"  *' 
nom  de  Pierre  de  Reims.  Le  P.  Quetif,  cité  plus  haut,  nous  '' 
paraît  mieux  fondé  lorsqu'il  allègue  en  faveur  de  son  con- 
frère ce  passage  de  Henn  de  Gand^cap.  21.  Petrus  ejusdem 
ordinis  (  prœdicatorum  )  provincialis  Franciœ  scripsii  sermo- 


3o2  PIERRE  LE  CHANTRE. 

'_  nés  de  donùnicis  et  festivitatibii^  ferk  per  totwn  annunt, 

quihus  rnulti  utuiitur  usque  hodiè. 
De  Script.       8*>  Trithème  attribue  encore  à  Pierre-le^Chantre  un  livre 

eccle».,n  419.  j^  miracles,  De  quihusdam  miraculis  lihruni  ununi ,  sur 
lequel  nous  ne  trouvons  pas  d'autres  renseignemens  qu'une 
citation  du  miroir  des  exemples,  rapportée  par  Charles  de 
Wisch,  page  265,  en  ces  termes;  Hic  Petrus  cantor  Pari- 
siensis  scripsit  librum  miraculoruni  siii  temporis,  unde  hœc 
duo  exempla  sumpta  sunt. 

9**  Nous  ne  sommes  pas  plus  en  état  de  décider  si  c'est 
avec  raison  qu'on  lui  attribue  un  commentaire  sur  la  phy- 
sique d'Aristote  et  sur  le  traité  de  l'ame  du  même  auteur; 
un  abrégé  du  décret  de  Gratien,  et  un  opuscule  intitulé 
Distinctiones  de  B.  Virgine ,  productions  dont  nous  ne 
voyons  que  le  titre  dans  la  bibliothèque  de  l'ordre  de  Cîteaux , 
page  263  et  suiv. 

Il  résulte  de  l'examen  critique  dans  lequel  nous  sommes 
entrés  touchant  les  productions  de  Pierre- le -Chantre,  que 
nous  ne  reconnaissons  pour  être  véritablement  de  lui  que 
le  Verhum  abbreviatum,  le  Traité  des  Sacfemens,  la  Gram- 
maire des  Théologiens ,  ou  de  Tropis  loquendi,  et  la  somme 
intitulée  Abel,  autrement  dite  Distinctiones ,  ou  yilphabetum 
morale.  Ces  quatre  ouvrages  sont  solides  et  remplis  d'une 
grande  érudition  théologique.  On  trouve  dans  le  Ferbwn 
abbreviatum,  outre  les  passages  tirés  de  l'écriture -sainte, 
les  citations  des  107  auteurs,  conciles,  pères  de  l'église,  ora- 
teurs, poètes,  philosophes,  historiens,  etc.  Cette  variété  de 
passages  fait  le  plus  bel  ornement  du  livre ,  et  donne  aux  ma- 
tières qu'on  y  traite  un  certain  agrément  qu'il  n'aurait  pas 
sans  cela.  On  ne  peut  pas  dire  que  l'auteur,  tout  occupé  de 
citations,  eût  un  style  a  lui;  mais  il  avait  un  jugement  ex- 
quis, et  ses  décisions  eu  fait  de  morale  sont  ordinairement 
César.  Heis-  très-sûres.  On  en  jugera  par  j'Hiiecdote  suivante,  tirée  de 
terb.,  Dist.  2,  Césaire  d'Hcisterbach ,  par  laquelle  nous  terminerons  cet 
"^'    *'  article.  Sous  le  règne  de  Philippe- Auguste,  un  fameux  usu- 

rier, nommé  Thibaud,  avait  amassé  de  grands  biens  dans 
.  cette  indigne  profession.  Touché  de  remords,  et  voulant  ré- 
parer le  mal  qu'il  avait  fait,  il  s'adressa  à  l'évêque  de  Paris, 
Maurice  de  Sully,  qui  faisait  construire  alors  la  grande  basi- 
lique telle  qu'on  la  voit  de  nos  jours.  Le  prélat,  qui  avait 
besoin  d'argent  pour  achever  sou  entreprise,  lui  conseilla 


HAIMON,  RELIGIEUX  DE  SAINT-DÈNIS.      3o3 

de  consacrer  à  cette  œuvre  pieuse  le  bien  qu'il  avait  mal 
acquis.  Thibaud,  soupçonnant  quelçjue  vue  d'intérêt  dans 
ce  conseil,  voulut  aussi  prendre  l'avis  de  Pierre-le-Chantre. 
Celui-ci,  sans  aucun  respect  humain,  lui  répondit  :  «  On  ne 
«vous  a  pas  donne'  un  bon  conseil. Voici  ce  que  vous  devez 
«faire:  Allez,  faites  proclamer  dans  toute  la  ville  que  vous 
«êtes  prêt  à  restituer  à  tous  ceux  qui  ont  eu  affaire  à  vous, 
«  ce  que  vous  avez  exigé  d'eux  au-delà  du  sort  principal.  »  Le 

fiéniterit  obéit  ;  étant  ensuite  venu  retrouver  le  Chantre,  il 
ui  dit  qu'après  toutes  les  i^estitutious  faites,  il  lui  restait 
encore  beaucoup  de  superflu.  «  Maintenant,  lui  répondit  le 
«sage  directeur,  vous  pouvez  laire  l'aumône  en  toute  sûreté.» 

B. 


XII  SIECLE. 


•       HAIMON, 

RELIGIEUX  DE  SAINT-DENIS. 

Avant  d'examiner  quel  était  cet  auteur,  et  en  quel  temps 
il  vivait,  il  faut  connaître  le  principal  ouvrage  qu  on  lui  at- 
tribue. C'est  une  l'elation  de  la  découverte  des  corps  de  saint 
Denys,  de  saint  Rustique  et  de  saint  Eleuthëre,  en  io5o  ou 
vers  cette  époque,  anno ,  dit  l'auteur  lui-même,  yt?/«.y  minus   ' 
cii'citer  millesimo  quinquagesimo.    Duchesne  n'avait  publié 
qu'une  partie  de  cet  opuscule.  Dom  Félibien  l'a  inséré  en       Script. 
entier  parmi  les  preuves  de  son  histoire  de  l'abbaye  de  Saint-  gaii.,  c.  iv,  p 
Denys.  La  relation  est  précédée  d'une  épitre  dédicatoire  à  i57,  d'après  un 

TT  Ul   '      J  A  .^  r\  II-   ins.deDeThou. 

Hugues,  aobe  de  ce  même  monastère.  «.  Domno  abbati  p.  166,167, 
«  Hugoni...  Hnyrno  sub  eo  in  loco  beati  Dionysii  regulariter  d'après  un  an- 
ii.degentium  minùnus.  »  L'auteur,  qui  n'a  pris  la  plume  que  cienms.del^b- 
pour  obéir  aux  ordres  de  son  abbe,  le  siipplie  de  l'aider  au  ^^^  ^  "  *' 
moins  par  ses  prières  dans  une  entreprise  si  difficile.  «  Ut 
«  mihi  tanti  pelagi  volubilitatem  tianscendere  conaturo  tua- 
«  rum  oràtionum  indesinenter  assistât  protectio ,  ne  lintris 
«  meœ  callein  obliquet  ventonim  adversa  impulsio,  ne  sire- 
«  narum  fallax  detineat  modidatio ,  sed  expeditiiis  prœter- 
Kgresso  syrtium  vado ,  carybdisque  voracis  immunis  periculo. 


rer. 


nys. 


XII  SIECLE. 


X 


3o4      HAIMON,  RELIGIEUX  DE  SAINT-DENIS. 

.  «  te  patroclnante  et  remigante ,  quieti  portûs  adeptâ  gratuler 
«.  amœnitaté.  »  Nous  citons  ces  lignes,  .afin  de  donner  une 
idée  du  style  de  l'auteur  et  de  son  goût  pour  les  métaphores 
et  pour  les  consonnances. 

Du  reste,  quelque  immense  que  lui  paraisse  la  mer  qu'il 
va  parcourir,  son  ouvrage  ne  consiste  après  cette  préface 
qu'en  quatorze  petits  chapitres.  On  apprend  dans  les  pre- 
miers comment,  poussés  par  le  démon  ('versutid  antiqui  ser- 

pentis),  aveuglés  par  l'ignorance,  ne  craignant  plus  la  jus- 
tice ^livine,  les  moines  de  Saint-Hermentran  ou  Emmeran  à 
Ratisbonnese  sont  vantés  de  posséder  lexorps  de  saint  Dcnys 
l'Aréopagite.  Le  roi  de  France,  Henri  P"",  réclama  contre 
cette  pretentioii  auprès  de  l'empereur  et  du  pape  Léon  IX, 
qui' était  alors  en  Allemagne.  Au  nombre  des  envoyés  du 
roi  était  labbé  Hugues,  qui,  en  ce  temps-là,  dit  la  relation, 
gouvernait  le  monastère  de  Sainl-Denys.  «  Inter  quos  etiam 
«  abhas  qui  tune  ipsius  sancti  loco  prœerat,  Hugo  noinine 
«  adfuit.  »  Par  le  rapport  de  ces  ambassadeurs ,  on  demeura 
convaincu  que,  pour  déiviciner  l'erreur  que  les  moines  alle- 
mands propageaient,  il  fallait  indispensaulement  rechercher 
les  corps  dfe  saint  Denys  et  de  ses  deux  compagnons.  On  y 
procéda;  et  l'auteur,  après  avoir  exposé  les  détails  de  cette 
recherche  et  du  succès  qu'elle  obtint,  nomme  les  évêques, 
abbés  et  laïcs  qu'on  dit  en  avoir  été  témoins  oculaires  :  «  Qui 
t  prœsentes  dicuntur  celebritatis  gaudio  interfuisse.  »  Si  les 
Allemands  demandent  pourquoi  nul  miracle  n'a  signalé  la 
découverte  de  ces  reliques;  l'auteur  leur  répond  qu'à  la  vérité 
la  santé  n'a  pas  été  rendue  aux  malades,  ni  la  parole  aux 
muets;  mais  que  les  denrées  se  sont  tenues  au  plus  bas  prix 
durant  cette  solennité,  malgré  l'afïluence  des  curieux  de  l'un 
et  de  l'autre  sexe ,  et  quoiqu'on  touchât  à  la  saison  des  ré- 
coltes et  des  vendanges,  époque  où  les  vivres  ne  manquent 
jamais  d'être  devenus  plus  rares  et  plus  chers.  Leur  abon- 
dance et  la  modicité  de  leur  prix  au  moment  de  la  décou- 
verte de  ces  trois  corps,  modicité  qui  trompa  l'esjîerance  de 
plusieurs  marchands  avides  accourus  à  cette  fête;  voilà  aux 
yeux  d'Haymon  un  vrai  miracle  qu'il  ne  craint  pas  de  com^ 
parer  à  la  multiplication  des  cinqjiains  et  des  deux  poissons 
dont  il  est  parlé  dans  l'évangile.  Toutefois  il  raconte  dans  le 
chapitre  XIII  la  guérison  d'un  démoniaque  par  l'attouche- 
ment ou  même  par  le  seul  aspect  d'un  manteau  de  saint 
Denys.  Le  dernier  chapitre  est  une  sorte  d'hymne  en  l'hon- 


HAIMON,  RELIGIEUX  DE  SAINT-DENIS.      3o5 

11'.  J  1        •   I  1       XII  SIECLE. 

neur  de  ce  saint,  qui,  selon  1  auteur,  occupe  dans  le  ciel  le 

rang  le  plus  élevë  après  les  douze  apôtres. 

Si  nous  en  croyons  Harpsfeld,  Pitz,  Bailey,  les  centuria-       Hist.  Angi  , 
teurs  de  Magdebourg  et  Vossius ,  cette  relation  serait  l'ou-  ^'^^^'^^  j^^^j^ 
vrage  d'un  Anglais  nommé  Haymon,  moine  de  Saint-Denys  a^gi.^  p.  ,88. 
vers  io5o,  contemporain  des  faits  qu'il  raconte,  puis  pro-       Centur.  il, 
fesseur  de  théologie  à  Paris ,  ensuite  chanoine  et  archidiacre  ^-  j9- 
de  Cantorberi,  mort  le  9  octobre  1004,  et  auteur  de  beau-  <,  jo,p. 620. 
coup  d'autres  écrits,  par  exemple,  d'homélies,  de  commen-      Dehist.  lat. , 
taires  sur  diverses  parties  de  la  Bible,  de  dix  livres  fie  me-  iib-ii»c*44- 
mon'd  rerum  christlanarum  ;  de  traités  intitulés  :  De  rébus 
monachorum ;  de  fructu  incarnationis  ;  de  sanctorum  imita- 
tione  ;  de  quibiisdam  martyribus  ;  de  pugnd  vitiorum,  et  vir- 
tutum,  etc.  Mais  il  a  été  reconnu  que  plusieurs  de  ces  ou- 
vrages appartiennent  à  Haymon  d'Alberstad,  auteur  du  IX* 
siècle ,  et  quelques-uns  à  Haymon ,  religieux  d'Hirsauge  vers 
l'an  1091.  On  peut  consulter  à  ce  sujet  les  notes  de  Sandius      P-  ^'  >  ^''■• 
sur  Vossius  et  la  bibliothèque  du  moyen  âge  de  Fabricius, 
édition  de  Mansi.  T.iii,p.  181 

,  or 

Onuphre  Panvini  et  le  Paige  pensent  aussi  que  la  relation  ~  p  jg  c^j^on. 
dont  nous  avons  rendu  compte  a  été  écrite  au  Xl*  siècle  par  eccies.  Lovan. 
un  moine  de  Saint-Denis,  nommé  Haymon,  qui  devint  archi-  Bogard.  1573, 
diacre  ou  chanoine  de  Cantorberi,  mais  auquel  ils  s'abs-    "  jjjy   p^g^,,, 
tiennent  d'attribuer  d'autres  œuvres.  Doublet  place  au  milieu  p.  134. 
du  XP  siècle  cet  abbé  Hugues  auquel  Haymon  dédie  son       Hist.  <le  s.- 
livre,  et  il  l'appelle  assez  mal-à-propo^  Hugues  de  Milan,  ^^s^*'^'  **" 
surnom  qui  ne  convient  qu'à  un  abbé  d'une  époque  moins 
ancienne. 

Au  contraire  dom  Félibien,  après  avoir  observé  que  l'au-  HUt.  dei'abb. 
teur  de  la  relation  nous  apprend  lui-même  qu'il  écrivaityo/f  *'*' S.-Deny»,  p. 
long-temps  après  l'événement ,  ajoute  que,  selon  toute  appa- 
rence, Haymon  l'adressait  à  un  des  deux  abbés  du  nom  de 
Hugues  qiii  ont  gouverné  l'abbaye  de  Saint-Denys  sous  le 
règne  de  Philippe-Auguste,  c'est-à-dire  au  temps  de  Rigord, 
qui  rapporte  aussi  la  même  histoire. 

Nous  devons  avouer  que  nous  ne  trouvons  dans  cette  re- 
lation aucun  texte  où  l'auteur  dise  qu'il  écrit  fort  long-temps 
après  l'événement.  Mais  nous  avons  cité  à  dessein  quelques 
expressions  qui  donnent  lieu  de  le  conclure.  Haymon  ne  sait 
pas  au  juste  en  quelle  année  le  fait  s'est  passé;  anno  plus 
MINUS  ciRciTER  millesimo  quinquagesimo.  Il  parle  d'un  abbé 
Hugues,  qui,  dit-il,  gouvernait  alors  {tune prœe rat)  les  reli- 

Tome  XF.  Qq 


3oG  EUDES   DE  VAUDEMONT. 

XII  SIECLE. 


gieux  de  Saint-Denys,  et  qui  sans  doute  est  fort  distinct  de 
cet  abbé  Hugues  auquel  il  dédie  son  livre.  Enfin,  quand  il 
nomme  les  témoins,  il  les  désigne  comme  ceux  qui  passent 
pour  avoir  assisté  à  la  découverte  des  saintes  reliques  ;  inter- 
fuisse  dicuntur.  Ce  langage  ne  paraît  pas  être  celui  d'un 
contemporain. 

Il  est  donc  permis  de  n'attribuer  cette  relation  ni  à  Hay- 
mon,  qui,  de  religieux  de  Saint-Denys,  devint  archevêque 
de  Cantorbéri,  et  mourut  dès  l'an  io54;  ni  à  Haymon ,  abbé 
de  Saint- Magloire  à  la  fin  du  XI^  siècle,  qui  n'est  désigné 
nulle  part  comme  ayant  habité  le  monastère  de  Saint-Denys  ; 
ni  à  Baudouin,  qui  en  effet  y  fut  religieux,  mais  dont  le 
nom  n'a  pas  assez  de  ressemblance  avec  celui  d'Haymon, 
expressément  articulé  au  commencement  de  l'épître  dédi- 
catoire,  telle  que  dom  Félibien  l'a  imprimée  d'après  un  an- 
cien manuscrit  de  Saint-Denys. 

C'est  ainsi  qu'on  peut  s!en  tenir  à  considérer  cette  relation 
comme  l'ouvrage  d'un  religieux  du  XIF  siècle,  qui  n'est 
connu  d'aucune  autre  manière,  mais  qui  s'appelait  Haymon, 
et  qui  vivait  à  Saint-Denys  ou  sous  l'abbé  Hugues  Foucaut, 
depuis  1 186  jusqu'en  1 197 ,  ou  bien  sous  l'abbé  Hugues,  dit 

Gall.  Christ,  jg  Milan,  depuis  1197  jusqu'en  i2o3. 

^^'  *■      ■  Depuis  Hugues  IV,  duquel  Haymon  dit  tune  prœerat,  il 

n'y  a  pas  eu  d'abbé  de  Saint-Denys  qui  ait  porte  le  nom  de 
Hugues,  jusqu'aux  deux  que  nous  venons  d'indiquer  :  on  est 
donc  autorise  à  supposer  qu'Haymon  écrivait  après  11 86  et 
avant  i2o3.  D^ 


EUDES  DE   VAUDEMONT, 

ÉVÉQUE  DE  TOUL. 

Caimet,Hist.  JljUdes  OU  Odon,fils  de  Hugues  P\  comte  de  Vaudemont, 
deLorr.,  t.  H,  et  d'AgcUne  de  Bourgogne,  et  frère  de  Gérard  II,  fut  d'abord 
p.  144.  — Gall.  archidiacre  de  l'église  de  Toul;  il  en  devint  ensuite  trésorier, 

Christ.,  t.  XIII,      ^         o        '    A  ^  r^       I      .  il-  CQ 

p^iooi et  100/1.  ®'  enfin  eveque  en  1192.  On  le  trouve  arcliidiacre  en  iibo, 
et  vraisemblablement  il  exerçait  déjà  cette  fonction  depuis 
plusieurs  années ,  ayant  été ,  pour  ainsi  dire ,  élevé  dans  cette 


XII  SIEC-LK. 


EUDES  DE  VAUDEMONT.  3o^ 

église  sous  les  auspices  d'Henri  de  Lorraine ,  son  parent,  qui 
en  était  alors  ëvêque,  et  qui  mourut  en  1 165.  li  l'exerçait 
encore  en  1186,  comme  l'atteste  Sa  signature  mise  au  bas 
d'une  charte  de  cette  année.  Il  signe  comme  archidiacre  et 
trésorier,  dans  une  charte  postérieure  de  1188,  conservée 
également  par  dom  Calmet  dans  son  histoire  de  Lorraine.  T.iv,PreuT. 
Il  remplaça,  comme  évêque , Pierre  de  Brixey,  qui  était  parti  P-  ^97 .  '1"°  «' 
pour  la  Terre-Sainte  en  1 189,  et  qui  mourut  à  Jérusalem  en  ''"ôall.  Christ. 

IIQI   ou   II92.  p.  1004.— Alb. 

Le  chapitre  de  Toul  était  alors  composé  de  soixante  cha-  chron.,p.  39a, 
nomes  et  de  cent  clercs  ou  vicaires.  Ses  revenus  ne  sutn-  „.  ,^4._Gall. 
saient  plus  à  nourrir  tant  de  personnes.  Eudes  demanda  au  christ,  p.  1004 
pape  et  en  obtint  la  réduction  des  chanoines  à  cinquante,  ^^  '°°^- 
sous  la  condition  que  le  revenu  des  prébendes  supprimées 
serait  pareillement  réversible  sur  eux  et  sur  les   clercs.  Il 
voulut  en  même  temps  que  l'on  en  donnât  une  de  chanoine 
aux  trois  maîtres  des  écoles  de  Toul ,  et  qu'on  en  donnât  une 
de  vicaire  à  ceux  qui  enseigneraient  les  humanités.  Ces  écoles 
étaient  donc  encore  alors  entretenues  avec  soin  et  jouissaient 
de  quelque  réputation.  Ripert,  archidiacre  et  chancelier,  en        p.  ^a,. 
avait  la  surveillance.  Calmet  le  rappelle   d'après   l'histoire 
ecclésiastique  de  Toul,  du  père  Benoît. 

Eudes  nt  un  voyage  à  Rome;  on  ne  sait  pas  bien  pour- 
quoi et  dans  quelle  année  ;  mais  on  sait  que  pendant  son  ab- 
sence, ce  fut  Gérard  de  Vaudemont,  son  neveu,  alors  archi- 
diacre et  trésorier,  que  l'archevêque  de  Trêves  désigna  pour      Gall.  ch»i«t. 
remplir  les  fonctions  de  vicaire-général  du  diocèse.  Eudes  fit  txill,p.  ioo5. 
aussi  un  voyage  à  Cluny,  pour  s'y  édifier  par  l'exemple  des  Âeiltr.   t.  iV 
vertus  de  ses  religieux,  et  marqua  son  retour  à  Toul  par  p.  145.  ' 
plusieurs  libéralités  envers  son  église  et  les  monastères.  II     Ca\m.  ibid. 
se  trouva  en  i  iq6  avec  un  autre  de  ses  neveux,  Hugues  de    ibid.^.  147. 
Vaudemont,  à  rassemblée  que  l'empereur  Henri  VI,  sur  la 
demande  de  Célestin  III,  avait  convoquée  à  Spire  pour  une 
nouvelle  croisade  contre  les   ennemis  des  cnrétiens,  et  y 
reçut  la  croix  des  mains  du  légat  du  pape.  Il  partit  au  plutôt 
l'année  suivante;  car  on  a  des  actes  de  lui  datés  de  1197. 
Albéric  cependant  le  fait  mourir  en  1196.  Eudes  mourut      P.  408  de  sa 
pendant  son  voyage  à  la  Terre-Sainte,  le  26  novembre  1197  c^ironique. 
vraisemblablement,  et  peut-être  seulement  1198.  Son  corps  et  Calm^jôS*' 
fut  rapporté  à  Toul,  et  y  fut  inhumé  dans  la  cathédrale, 
d'abord  au  milieu  de  la  nef,  et  ensuite  dans  le  tombeau  de 
Hugues  II,  comte  de  Vaudemont,  son  neveu. 

Qqa 


XII  SIECLE. 


3o8  EUDES  DE  VAUDEMONT. 

"  SES  ÉCRITS. 

* 

Eudes  donna  le  8  mai  1192,  la  première  année  de  son 
episcopat,  dans  un  synode  général  de  son  diocèse,  des  sta- 
tuts  qui  ont  été  imprimés  par  dom  Martène  au  quatrième 

p.  1177-1180.  tome  de  son  trésor  d'anecdotes,  sur  l'original  conservé  dans 
Hist.deLorr.  l'abbaye  de  Beaupré,  et  peu  d'années  après,  par  D.  Calmet, 

f.iy,auxPreuv.  j'après  le  même  manuscrit  parmi  les  preuves  de  son  his- 
toire  de  Lorraine.  L  auteur  annonce  quiU  sont  taits  a  la 
demande  de  ses  chers  frères  et  amis  les  archidiacres  et  abbés 
du  diocèse,  qui,  affligés  des  maux  auxquels  étaient  chaque 
jour  exposés  les  églises  et  leurs  ministres,  l'avaient  unani- 
mement prié  de  leur  accorder  défense  et  protection  contre 
les  entreprises  de  tous  les  genres  de  malfaiteurs  qui  rava- 
geaient et  désolaient  le  pays.  Eudes  fit  en  conséquence  les 
statuts  dont  nous  venons  de  parler  :  ils  sont  en  dix  articles. 
Par  les  deux  premiers,  il  défend  avec  anatheme  de  célébrer 
le  service  divin  dans  tout  lieu  de  son  diocèse  où  on  aurait 
apporté,  ne  fût-ce  que  pour  une  nuit,  des  objets  enlevés  à 
des  églises  ou  à  des  ecclésiastiques.  Les  mêmes  anathêmes 
sont  prononcés  contre  tout  lieu,  quel  qu'il  fût,  où.  l'on  aurait 
vendu  ou  dépensé ,  d'une  manière  quelconque ,  en  partie  ou 
en  totalité,  les  fruits  d'un  tel  brigandage.  Eudes  excommunie 
pareillement,  jusqu'à  une  entière  restitution  et  une  satisfac- 
tion convenable,  et  les  ravisseurs  et  les  personnes  qui  achè- 
teraient d'eux  les  objets  ravis.  Il  permet  cependant  de  don- 
ner, mais  in  extremis  seulement,  la  communion  aux  habitans 
qui  n'auraient  eu  aucune  part  à  ces  vols,  ni  comme  auteurs, 
ni  comme  complices.  Quant  à  la  sépulture  ecclésiastique,  il 
la  refuse,  même  dans  ce  cas,  jusqu  à  ce  que,  du  moins,  les 
coupables  soient  réconciliés  avec  féglise,  et  que  le  service 
divin  ait  été  rétabli. 

Le  troisième  article  applique  plus  particulièrement  ces 
interdictions  et  ces  anathêmes  aux  princes  et  aux  grands  sei- 
gneurs qui  seraient  eux-mêmes  les  auteurs  de  ceS  rapines  et 
de  ces  violences ,  ainsi  qu'à  leurs  soldats  et  aux  personnes  de 
leur  maison  qui  pourraient  y  avoir  contribué.  Il  veut,  par  le 
quatrième,  que  l'excommunication  prononcée  contre  eux 
soit  renouvelée  tous  les  dimanches  par  tous  les  prêtres  qui 
célébreront  les  divins  mystères.  Apres  avoir  même  rendy  en 
entier  ce  qu'ils  auraient  pris,  ils  ne  peuvent  être  absous 


<%, 


EUDES  DE  VAUDEMONT.  309 


qu'après  avoir  fait  satisfaction  à  l'évêque.  Les  personnes  qui 
leur  donneraient  asyle  dans  cet  ëtat  d'excommunication  de- 
viendront elles-mêmes  excommuniées,  si  elles  ne  prouvent 
qu'elles  l'ignoraient.  Le  lien  sera  ôté,  si  elles  payent  autant 
de  fois  dix  sous  que  le  coupable  principal  aura  passé  de 
nuits  dans  leur  demeure. 

Le  cinquième  article  prive  à  jamais  des  bénéfices  ou  des 
fonctions  qu'il  pourrait  avoir  l'ecclésiastique,  le  religieux  qui 
ti'ansgresserait  ce  qu'on  vient  de  prescrire.  Le  sixième  or- 
donne de  cesser  le  service  divin  là  où  on  aurait  par  violence 
enfermé  dans  un  tombeau  un  homme  mort  sous  ces  ana- 
thêmes;  il  ordonne  de  l'en  retirer,  et  défend  de  l'ensevelir 
ailleurs  :  si  un  de  ceux  qui  l'auront  ainsi  inhumé  meurt  avant 
de  s'être  réconcilié  avec  l'église,  il  sera  aussi  privé  pour  ja- 
mais de  la  sépulture  chrétienne. 

L'article  Vil  place  sous  les  liens  d'une  excommunication 
subite  tout  homme  qui  abuserait  de  son  rang  ou  de  sa  puis- 
sance pour  enlever  à  des  monastères  leurs  voitures  ou  leuts 
chevaux,  et  ceux  qui  lui  donneraient  ou  lui  vendraient  des 
objets  qu'il  transporterait  par  ce  moyen.  Il  interdit  le  service 
divin  dans  l»lieu  où  ce  transport  aurait  été  fait,  jusqu'à  en- 
tière restitution  et  satisfaction  offertes  à  l'évêque  et  à  Dieu. 

L'excommunication  doit  être  prononcée  de  nouveau , 
chaque  dimanche,  dans  toutes  les  paroisses,  contre  les  reli- 
gieux qui  abandonneraient  leur  monastère  :  s'ils  se  marient, 
elle  portera  sur  leurs  femmes  comme  sur  eux,  et  sur  toutes 
les  personnes  qui  les  auraient  sciemment  admis  à  la  commu- 
nion chrétienne. 

Si, malgré  l'excommunication  lancée  contre  lui,  un  prince 
ou  un  grand  seigneur  fait  célébrer  le  service  divin,  le  prêtre 
qui   l'aura  célébré  sera  excommunié  aussi  et  incapable  de 

fiosséder  à  jamais  aucun  bénéfice  ou  aucune  fonction  dans 
e  diocèse.  La  même  incapacité  est  prononcée  contre  tout 
prêtre  qui  oserait  continuer  à  remplir  son  ministère,  quoi- 
qu'il eût  encouru  l'excommunication. 

L'article  suivant  ordonne  à  tous  les  fidèles ,  tant  ecclésias- 
tiques que  laïcs ,  pour  la  rémission  de  leurs  péchés ,  de  courre 
sus  aux  hérétiques  qu'il  appelle  Wadoys  (les  Vaudois),  par- 
tout où  ils  les  trouveront ,  et  de  les  amener  enchaînés  à  Toul 
pour  y  être  punis.  On  s'était  contenté  d'excommunier  les 
religieux  apostats  avec  leurs  femmes  et  leurs  enfans,  s'ils  se 


XII  SIECLE. 


XII  SIECLE. 


Hist.  deLoiT. 
t.II,auxPreuv. 
p.  173  et  174- 


3io 


HUGUES  DE  NONANT. 


mariaient  ;  mais  on  n'avait  point  ordonné  de  les  saisir,  de  les 
emprisonner,  de  les  livrer  à  d'autres  peines. 

Eudes  finit  par  assurer  une  protection  particulière  de 
l'évêque  à  ceux  qui  pourraient  être  chassés  violemment  de 
leurs  places  et  de  leurs  demeures,  pour  avoir  voulu  assurer 
l'exécution  du  présent  statut  :  il  promet  de  fournir  à  leur 
subsistance  et  à  tous  leurs  besoins. 

Dom  Calmet  a  aussi  donné  une  charte  de  ce  prélat;  elle 
est  sans  date  et  en  faveur  de  l'abbaye  de  Clair -Lieu  :  c'est 
dans  cette  charte  qu'Eudes  en  rappelle  une  du  comte  Gérard 
de  Vaudemont,  son  frère.  P. 


HUGUES  DE  NONANT. 


n.  2. 

Biblioth.  pp 
t.  XXII ,  p 
i336. 


xluQDEs  DE  NoNANT  tient  ce  surnom  du  lieu  de  sa  nais- 
sance :  Nouant  est  un  bourg  de  Normandie  entre  Argentan 
et  Séez.  Trompé  par  une  mauvaise  copie  des  geetes  de  saint 
De  Ge»ti»  S.  Thomas  de  Cantorbéri ,  Baronius  donne  à  Hugues  le  surnom 

— ^nAncUâsa-  ^®  Temiuant,  et  le  déclare  Romain.  Pagi  a  relevé  ces  erreurs. 

crâ,  1. 1,  p.8o/i.  Hugues  était  neveu  du  célèbre  Arnoul  de  Lisieux,  qui  le 
Adann.  1172,  gj;  élcvcr  avcc  soin  à  l'université  d'Oxford.  On  voit,  par  une 
pièce  de  vers  d'Arnoul,  adressée  à  son  neveu,  jeune  encore, 
qu'il  le  croyait  destiné  à  se  distinguer  dans  la  carrière  poé- 
tique. «  Autrefois,  dit  l'évêque  de  Lisieux,  la  Normandie 
«vantait  mes  vers;  vous  êtes  le  poète  qu'elle  admire  auiour- 
«  d'hui  :  ma  muse  pâlit  devant  la  vôtre.  Je  vous  résigne  l'Hé- 
«  licon,  méritez  de  conserver  les  faveurs  des  muses,  en  leur 
«  rendant  le  culte  assidu  qu'elles  exigent.  »  Toutefois  il  ne 
paraît  point  que  Hugues  se  soit  dévoué  à  ce  culte  ;  du  moins 
il  ne  nous  reste  aucune  production  de  son  talent  poétique, 
et  il  se  pourrait  que  l'épître  d'Arnoul,  intitulée  ad  neputem 
suum,  sans  nom,  sans  prénom,  sans  indication  précise,  fut 
adressée  à  quelque  autre  neveu  de  ce  prélat. 

Ce  qui  est  constant,  c'est  que  Hugues  fut  de  très-bonne 
heure  pourvu  de  bénéfices  ecclésiastiques ,  et  qu'il  se  montra 
fort  ingrat  envers  son  oncle  Arnoul,  auquel  il  en  était  rede- 
vable :  Arnoul  s'en  plaint  amèrement  dans  une  lettre  écrite. 


HUGUES  DE  NONANT.  3u 

vers   l'an  1182,  à   Henri  II,  roi    d'Angleterre.  Le  nom  de  1 

Hugues  de  Nonant  se  rencontre  parmi  ceux  des  jeunes  élèves      Spidl.  in-fol. 
attaches  à  Thomas  Becket.  11  devint  archidiacre  de  Lisieux  in4"'tf  xiir 
.vers  1173,  et  finit  par  obtenir  levêché  de  Coventry.  Son  p.  a57etseq/ 
e'Iection  paraît  être  de  l'année  1 185.  On  croit  qu'il  ne  fut  .  Th.chesterf. 
sacré  qu'en  1188,  un  an  avant  l'avènement  du  roi  Richard;  l^A^^^j^^jg! 
mais  en  1 187,  il  était  déjà  nommé  légat  du  saint-siége,  et  en  — Thom.  Cant. 
exerçait  les   fonctions.   Nous  avons  besoin  de  rappeler  ici  epist.  p.  i58. 
qu'en  partant  pour  la  croisade,  Richard  confia  l'administra-  i4-J'\5ao!— 
tion  de  son  royaume  aux  évêques  de  Durham  et  d'Ely.  Ce  Alford  ,  1184, 
dernier,  fort  connu  sous  le  nom  de  Longchamps,  était  né  de  ""  **>  "^6^'  "" 
parens  fort  obscurs;  il  abusa  de  sa  puissance,  fit  arrêter  son  ^'  '*    '"  '' 
collègue,  emprisonna   l'archevêque  d'York;  et  succombant 
enfin  sous  le  poids  de  l'indignation  publique,  il  fut  menacé, 
cité,  dépossédé,  et  forcé   de   s'enuiir  déguisé  en  .femme. 
Hugues  de  Nonant  se  fit  remarquer  parmi  les  ennemis  les 
plus  acharnés  de  l'évêque  d'Ely  :  il  est  déclaré  le  principal    Roger deHov. 
autedr  de  la  disgrâce  de  ce  ministre,  dans  une  lettre  adres-  adann.1191.— 
sée  par  Pierre  de  Blois   à  Hugues  lui-même,  à   Hugues,  l'wilden.  ''col. 
autrefois  seigneur  et  ami,  aujoui^d'hui  soi- disant  évêque,  laio. 
ayant  à  se  souvenir  de  Dieu  et  à  le  craindre  :  «  Quondam      ^P-  ?9  '"  °P- 
a  domino  et  ainico ,  Hugoni  dicto  episcopo,  Dei  memoriam  i3»_  _  èus*- 
«  et  timorem.  »  Une  telle  inscription  annonce  asstz  dans  quel  sainv.  not.  p. 
esprit  cette  lettre  est  composée;  c'est  un  tissu  de  reproches  '*^»  '^y- 
et  presque  d'invectives. 

L'année  1191,  époque  de  cette  catastrophe  de^l'évêque 
d'Ely,  est  la  plus  mémorable  dans  la  vie  de  Hugues  de  No- 
nant; car  en  même  temps  qu'il  prenait  une  si  grande  part 
aux  affaires  du  royaume,  il  était  en  guerre  ouverte  avec  les 
religieux  de  son  diocèse.  Il  avait  conçu  contre  les  moines  cerv.  apud 
une  aversion  violente  :  il  fit  exprès  un  voyage  à  Rome  pour  Twisden ,  coi. 
les  dénoncer  au  chef  de  l'église.  Nous  lisons  en  propres  ^555  '  '^^' ' 
termes  dans  la  chronique  de  Gervais  qu'il  les  envoyait  au 
diable ,  monachos  ad  diabolum  amandandos.  Si  l'on  voulait 
m'en  croire,  aioutait-il,  bientôt  il  n'en  resterait  pas  un  seul 
dans  la  Grande-Bretagne.  Ce  qu'il  disait,  il  le  faisait  autant 
qu'il  était  en  son  pouvoir.  Il  expulsa  les  moines  établis  à 
Coventry ,  et  les  remplaça  par  des  chanoines  réguliers.  Ce- 
pendant les  moines  et  les  autres  ennemis  de  Hugues  par- 
vinrent à  indisposer  contre  lui  le  roi  Richard ,  qui  rentrait 
eu, Angleterre.  Hugues,  à  son  tour,  fut,  en  1194,  chassé  de 
Coventry,  où  les  moines  ne  tardèrent  point  à  reparaître.     Angiia sacra, 

1. 1,  p.  436. 


3iâ  HUGUES  DE  NONANT: 


XII  SIECLE. 


Mais,  en  1196,  Hugues  y  revint  lui-même  moyennant  une 

somme  de5ooo  marcs  d'argent  que  tira  de  lui  le  roi  Richard. 

Ce  prince  convertissait  volontiers  les  exils  en  contributions. 

On  ignore  quels  autres  déplaisirs  Hugues  éprouva  dans  son 

diocèse;  mais  il  le  quitta  de  nouveau,  et  fit  un  dernier  voyage 

Voss.  dehis-  cu  Normandie,  où  il  mourut  au  mois  d'avril  1 198.  Les  chro- 

tor.  lat.  p.  782.  niques  s'accordent  à  dire  qu'il  termina  ses  jours  dans  sa 

patrie,  iri  natali  suo  Normanniœ  solo;  mais  les  uns  disent 

a  Caen ,  les  autres  à  Betherlevin  ou  Bercheluvin ,  ou  plutôt 

Bec-Herluin  (l'abbaye  du  Bec,  fondée  par  Herluin). 

•  Il  est  un  article  plus  important  sur   lequel  les  chroni- 

aueurs  sont  encore  moins  d  accord;  c'est  le  caractère  moral 
e  l'évêque  de  Coventry.  Il  a,  dans  leurs  écrits,  deux  répu- 
tations diftérentes,  ainsi  qu'il  arrive  fort  souvent  aux  hommes 
qui  ont  vécu  au  sein  des  troubles  publics.  Gervais  le  repré- 
sente comme  un  personnage  entreprenant  et  captieux, 
prompt  à  mal  dire,  lent  à  bien  faire,  habile  à  se  sei-vir  des 
faibles  pour  renverser  les  forts.  Selon  Guillaume  de  Neubright, 
c'était  un  homme  pervers,  mais  inconstant  et  craintif,  qui, 
troublé  par  ses  remords ,  ne  put  soutenir  les  regards  du  roi 
son  maître.  Il  était  rusé,  quoiqu'impudent,  nous  dit  Henri 
de  Knygton,  et  se  montrait  pourvu  d'audace  autant  que  de 
littérature,  litteraturâ  audacidque  instructus.  Maintenant  il 
Anglia sacra,  convient  d'écouter  Girard  le  Gallois,  par  qui  Hugues  nous 

t.  11,  p.  35i  -  ggj-  dépeint  comme  le  meilleur  et  le  plus  bénin  des  hommes, 
■*■  qui,  auî^plus  heureux  dons  de  la  nature,  avait  ajouté  ceux 

que  l'industrie  acquiert  ;  qui ,  toujours  prêt  à  pardonner,  ne 
savait  offenser  personne;  recommandable  par  l'honnêteté  de 
ses  mœurs ,  par  l'étendue  de  ses  lumières ,  par  l'immensité 
de  ses  vertus  religieuses,  religiositatis  imm,cnsœ;  patient  et 
généreux  même  à  l'égard  des  moines  contre  lesquels  il  ne 
s'est  déclaré  qu'après  qu'ils  eurent  abusé  long -temps  de 
Cent,  xir,  ses  bienfaits.  Les  centuriateurs  de  Magdebourg,  qui  n'ont 

p.  1454, 1455.  recueilli  que  les  témoignages  favorables  à  l'évêque  de  Coventry, 
préconisent  son  génie,  ses  vertus ,  sa  science ,  et  prétendent 
aussi  qu'il  n'a  sévi  contre  les  moines  que  pour  mettreun  terme 
à  leurs  désordres  ;  qiwd  scélérate  et  îibidinosè  niulta  agerent. 
On  attribue  à  Hugues  de  Nouant  d'abord  plusieurs  ou- 
vrages dont  ni  les  titres  ni  les  objets  ne  sont  indiqués  nulle 
part;  en  second  lieu,  une  histoire  merveilleuse  de  la  chute 
du  ministre  Longchamps  ,  Histona  mirabilis  de  ejectione 
Longshampii;  troisièmement  enfin,  une  lettre  à  Richard, 


HUGUES  DE  NONANT.  3i3 

,    .  .  ,  T.  A  .  .  i    1  1       Xll  SIECLE. 

évèque  de  Londres.  Il  nous  parait  extrêmement  probable 

que  cette  lettre  et  cette  histoire  ne  sont  qu'une  seule  et  même 
production;  car,  d'une  part,  l'on  ne  possède  point  cette  pré- 
tendue histoire  merveilleuse,  et ,  de  1  autre,  l'épître  à  Pxichard 
n'est  qu'une  narration  de  la  catastrophe  de  l'évêque  d'Ely. 
Roger  de  Hoveden  a  inséré  cette  épître  dans  ses  annales  d'An-  .   Rog.de  Hov. 

,   "  .,1  .  .  TT  *■    •  •  ïi  J  interscript.rer. 

gleterre;  et  1  historien  Hume,  qui  ne  cite  que  Hoveden,  a  angllc. p.  701- 

réellement  extrait  du  récit  de  Hugues  toutes  les  circonstances  705. 

de  l'événement  dont  il  s'agit.  Il  en  a  seulement  retranché  les    liist.d'Anglet. 

I  <  1  .  I        .  .  "  1       t  '.    •!      1  '       •  >  Plantât;. ,  c.  lo, 

déclamations,  les  invectives  et  le  détail  des  méprises  qu  oc-  ^ich.  l",  ann. 
casionnèrent  les  habits  de  femme  dont  Longchamps  s'était  1191. 
revêtu  en  prenant  la  fuite,  détail  étrange  dans  une  lettre 
qu'un  évêque  adresse  à  son  confrère.  Il  nous  sera  plus  per- 
mis de  citer  quelques  traits  de  la  description  que  fait  Hugues 
du  pouvoir  et  de  l'opulence  dont  Longchamps  avait  abusé. 
On  ne  pouvait  sans  lui  ni  acquérir  ni  conserver  un  évêché, 
une  abbaye,  un  domaine;  son  luxe  surpassait  celui  des  rois; 
il  semblait  avoir  partagé  le  monde  avec  le  ci'éateur,  ne  lais- 
sant à  Dieu  que  le  ciel  ou  la  région  du  feu ,  et  se  réservant 
à  lui-même,  pour  ses  besoins,  pour  ses  plaisiis,  pour  ses 
caprices,  les  trois  avitres  élémens,  l'air,  l'eau  et  la  terre,  reli- 
qua  tria  suis  usibiis,  lusibus,  abusibus  resen>ans.  Cet  opus- 
cule annonce  une  imagination  vive  et  féconde  :  Hugues  au- 
rait pu  et  peut-être  dû  être  poète  plutôt  qu'évêque.  Mais  le 
talent  qui  se  manifeste  dans  cette  épître  est  à-la-fois  égaré 
par  le  mauvais  goût  du  siècle  et  par  les  passions  de  l'auteur. 

II  est  impossible  de  souscrire  en  la  lisant  aux  éloges  que 
Girard  prodigue  au  caractère  moral  de  l'évêque  de  Coventry. 

Dans  une  lettre  fort  courte  à  l'évêque  de  Londres,  Richard, 
et  rapportée  par  Raoul  de  Diceto,  Hugues  promet  de  ne  Twisd.  p.  653. 
plus  exercer  au  nom  du  roi  les  fonctions  de  vicomte  dans 
plusieurs  comtés.  Baudouin,  archevêque  de  Cantoibéri,  lui 
avait  prescrit  de  s'en  abstenir.  Mais  on  a  lieu  de  croire  que 
le  prélat  de  Coventry  tint  mal  la  promesse  qu'il  donne  ici 
de  se  conformer  à  cet  ordre. 

La  bibliothèque  cottonienne  indique  des  constitutions  ou  v.  82,  n.  x,  6. 
statuts  de  l'église  de  Lichtlield  par  Hugues  de  Nouant,  pu- 
bliés en  1454.  Il  y  a  là  quelque  erreur,  puisque  Hugues 
vivait  sans  nul  doute  au  XIP  siècle,  et  quen  i454,  c'était 
Rainaud  Bolars  qui  gouvernait  l'église  de  Coventry  et  de 
Lichtlield.  Peut-être  ce  dernier  prélat  a-t-il  renouvelé  des  sta- 
tuts dont  Hugues  de  Nonant  avait  été  le  premier  auteur.     D. 

Tome  XF.  i\  r 


XII  SIECLE. 


ANONYME, 

AUTEUR  D'UN  TRAITÉ  SUR  LA  MANIÈRE  DE  RENDRE  LA  JUSTICE. 

IjENEBRARD,  dans  sa  chronique,  observe  qu'avant  le  règne 
de  Philippe- Auguste,  aucun  hvre  n'avait  encore  paru  qui 
T. II, p.  5i8.  fut  écrit  en  langue  française.  J'ai  vu,  dit  Duboulay,  un  traité 
dédie'  à  ce  roi  sur  la  manière  de  rendre  la  justice  ;  ce  traité 
existe  dans  la  bibliothèque  de  Jacques  Mentel,  médecin  de 
Paris.  Duboulay  ajoute ,  d'après  Masson ,  que  Geoffroi  de 
Ville- Hardouin  avait  composé  une  histoire  de  la  prise  de 
Constantinople  par  les  croisés.  Il  semble  placer  le  premier  de 
ces  ouvrages  sous  l'an  1 198;  c'est  du  moins  sous  cette  année 
qu'il  en  parle.  Le  second  est  nécessairement  postérieur  de 
huit  ou  dix  années  au  moins,  puisque  Constantinople  ne  fut 

{)rise  que  l'an  1204.  Duboulay  cependant  le  met  sous  Louis- 
e-Jeune, et  en  prend  occasion  de  critiquer  Genebrard;  l'er- 
reur, comme  on  voit,  est  toute  entière  dans  le  critique.  Il 
annonce  pareillement  que,  selon  quelques  écrivains,  un  au- 
teur qu'il  appelle  Hélinand ,  et  qu  il  caractérise  par  Picardo- 
Flamandus,  avait  composé  en  français  un  poëme  sur  la  mort. 
Hélinand,  moine  de  Froidemont,  abbaye  de  l'ordre  de  Ci- 
teaux,  dans  le  diocèse  de  Beauvais,  a  vécu  assez  avant  dans 
le  XIII*  siècle.  P. 


Gall.   Clirist 
t.  IX,  p.  83i. 


MELIOR   OU   MELCHIOR, 

CARDINAL  DE  L'ÉGLISE  ROMAINE. 


Ljes  historiens  qui  ont  parlé  de  ce  cardinal,  Ciaconius,  le 
P.  Pagi,  François  Duchesne,  du  Boulai,  et  d'après  lui  dom 
Rivet,  le  disent  Fi-ançais  de  nation,  et  ils  se  trompent  tous. 
Il  est  vrai  que  ce  docteur  a  vécu  long-temps  en  France  avant 
de  parvenir  au  cardinalat,  et  qu'il  y  possédait  des  bénéfices 
en  plusieurs  églises;  mais  nous  prouverons  bientôt  qu'il  était 
Italien,  né  a  Pise. 
Stepb.  Tor-       q^^  ^^  fonde  pour  le  croire  né  en  France  sur  un  passage 

al.  ia8. 


MELIOR,  CARDINAL  DE  L'ÉGL.  ROM.  3i5 
de  la  lettre  no  d'Etienne  de  Tournai,  lequel  pourrait  avoir  ^^^  sreCLE. 
quelque  poids ,  si  la  conséquence  qu'on  veut  en  tirer  n'était 
cfémentie  par  un  témoignage  formel  qui  la  renverse.  Dans 
cette  lettre, l'abbé  de  Sainte-Geneviève, écrivant  au  cardinal 
Melior  au  nom  du  cardinal  Guillaume  de  Champagne,  arche- 
vêque de  Reims,  lui  expose  les  inconvéniens  qui  résulteraient 
pour  l'église  en  général  et  pour  la  France  en  particulier,  s'il 
arrivait  que  le  pape  Lucius  III,  reprenant  le  procès  de  l'é- 
glise de  l'ours  contre  celle  de  Dol  touchant  la  juridiction 
métropolitaine  sur  les  évêchés  de  Bretagne ,  décidât  en  faveur 
de  l'église  de  Dol.  On  écrivit  au  cardinal  Melior,  camérier 
du  pape,  parce  qu'étant  compatriote  de  Rolland,  élu  évêque 
de  Dol,  on  craignait  qu'il  n'employât  son  crédit  pour  faire 
triompher  la  cause  de  ce  dernier ,  qui  refusait  de  recevoir  la 
consécration  des  mains  de  l'archevêque  de  Tours  avant  que 
la  contestation  fût  décidée. 

Or  voici  le  passage  de  cette  lettre  dont  on  argumente  :  Inde 
est  quod  dileçtionem  tuam ,  de  qua  non  immentb  specialiter 
confidimus ,  monemus ,  rogamus  et  consulimus ,  ut  quacumque 
arte  potueris,  factum  istud  impedias ,  ncc  propter  favorem 
personœ  ïllius  qu.e  tibi  natione  conjuncta  est,  pacem  et 
concordiam  quœ  inter  romanam  ecclesiam  et  regnum  Fran- 
conun  hactenus  innolahilis  extitit ,  turhari  perniittas.  Il  ré- 
sulte de  ce  passage  que  le  cardinal  Melior  était  né  dans  le 
même  pays  que  Rolland,  évêque  de  Dol,  personœ  illius  qucB 
tibi  natione  conjuncta  est.  Il  faut  donc  examiner  si  Rolland 
était  vraiment  né  en  France. 

On  l'a  cru  Breton ,  parce  qu'à  l'époque  où  il  fut  élu  évêque       Rob.  de  M. 
de  Dol,  l'an  1177,  il  était  doyen   de  l'église  d'Avranches,  ad  an.  1177. 
selon  Robert,  abbé  du  mont  Saint-Michel.  On  aurait  pu  aussi 
bien  le  dire  Normand,  l'évêché d'Avranches  étant  sous  la  mé- 
tropole de  Rouen.  La  vérité  est  qu'il  était  Italien,  né  à  Pise. 
Cela  est  prouvé  par  le  procès-verbal  d'une  enquête  faite  l'an 
1181  par  ordre  de  Henri  II,  roi  d'Angleterre  pour  le  recou- 
vrement des  biens  usurpés  sur  l'église  de  Dol.  On  y  lit  à  la      Morice.Hist. 
fin  :  Actum   anno  verbi  incarnati  1181  ,  mense  octobri,  de  B""»'-'  '•  ï'I""- 
mandato  Henrici  régis  Angliœ  et  Gaufridi  filii  ejiis ,  comi-  '^°''  ^^*" 
tis  Bntanniœ ,  RoUando  Dolensi  electo ,  natione  pisano.  Si 
donc  Rolland  était  Pisan,  il  est  également  prouvé  par  l'é- 
pître  1 10  d'P:tienne  de  Tournai,  que  le  cardinal  Melior  était 
né  dans  les  états  de  Pise. 

Le  P.  Pagi,  bien  persuadé  d'après  les  faux  raisonnemens      Pagi,  ad  an. 

Rra  11»*,  n",';. 


Ti^l  SlECUi, 


3i6        MELIOR,  CARDINAL  DE  L'ÉGL.  ROM. 

que  nous  venons  d'exposer,  que  les  cardinaux  Melior  et  Rol- 
land étaient  Bretons,  réfute  l'opinion  d'OnufrePanvinius,qui 
les  dit  l'un  et  l'autre  natifs  de  Sienne.  Si  Panvinius   s'est 
trompé  en  cela,  il  faut  convenir  que  son  erreur  est  moins 
considérable  que  celle  du  P.  Pagi. 
)e^r"^"ënne       ^^^""^  Baluze  Croyait  aussi  avoir  trouvé  la  preuve  que  le 
de  Tournà!""à  *^^.^<^^'""1  Melior  était  Auvergnat.  Il  cite  un  nécrologe  de  l'é- 
laBibl.  roy.'      glise  de  Ciermont  en  Auvergne,  dans  lequel  le  décès  de  ce 
cardinal  est  marqué;  mais  il  ne  rapporte  pas  le  texte,  qui 
prouverait  tout  au  plus  que  Melior  avait  possédé  un  béné- 
fice dans  cette  église,  comme  dans  tant  d'autres.  Ce  savant, 
après  s'être  livré  à  de  grandes  recherches,  a  découvert  que 
ce  cardinal  pouvait  appartenir  à  la  maison  d'Apchier  dans 
le  Dauphine,  parce  qu'il  a  trouvé  dans  des  titres  du  XIV* 
siècle  un  Melior  d'Apchier.  Mais  comme  on  a  souvent  écrit 
Melior  pour  Mclchior,  nom  d'un  des  trois  mages  de  l'Orient 
qui  se  rendirent  à  Bethléem  lors  de  la  naissance  du  Sauveur, 
il  y  a  toute  apparence  que  ce  n'était  qu'un  noni  de  baptême. 
Après  ces  éclaircissemens,  nous  allons  tracer  le  piécis  his- 
torique de  la  vie  du  cardinal  Melior,  et  des  différens  emplois 
qu'il  exerça  en  France, 
f  IX*'  ^l^^^^'       Suivant  D.  Rivet,  Melior  enseignait  encore  à  Paris,  lors- 
'  ^'  '^"      (|u'en  1 1 84,  le  pape  Lucius  III  le  nomma  cardinal,  et  il  cite 
à  la  marge  l'histoire  de  l'université  de  Paris,  t.  II,  p.  yôô. 
Il  est  certain  que  ce  prélat  est  qualilié  Magister  dans  tous 
les  monumens  du  temps,  même  depuis  qu'il  fut  élevé  au 
cardinalat;  mais  rien  ne  prouve  qu'il  ait  enseigné  à  Paris.  Il 
était  jurisconsulte,  et  il  pourrait  se  faire  qu'étant  Italien,  il 
eût  pris  le  bonnet  de  docteur  à  Bologne. 

Il  paraît   qu'arrivé  en  France  il  s'attacha  à  Hugues  de 
Touci,  archevêque  de  Sens,  qui,  à  la  demande  du  pape,  lui 
donna  un  bénéfice  dans  son  église.  C'est  dans  ce  sens  que 
le  continuateur  du  recueil  des  historiens  de  France  a  inter- 
Peiri Ceiif .1^,  prêté  une  lettre  de  Pierre  de  Celles  à  l'archcTêque  de  Sens, 
Bouq. ^^t xvT  ^^"^  laquelle,  à  la  vérité,  on  ne  lit  pas  le  nom  de  Melior 
j>.  709'.  '  en  toutes  lettres,  mais  seulement  avec  la  lettre  initiale  Ma- 

gister M.  D'après  cette  lettre,  le  roi  sut  mauvais  gré  à  l'ar- 
chevêque d'avoir  conféré  ce  bénéfice  à  maître  M.  Celui-ci, 
pour  épargner  au  prélat  le  désagrément  de  se  compromettre 
avec  le  roi,  avait  renoncé  à  son  titre;  et  l'objet  de  la  lettre 
de  l'abbé  de  Celles  est  d'engager  le  prélat  à  récompenser  le 
généreux   dévouement   de   l'impétrant   par   quelque   autre 


MÉLIOR,  CARDINAL  DE  L'ÉGL.  ROM.  817 
bienfait,  soit  en  obtenant  pour  lui  l'agrément  du  roi,  soit  en  ^"  siècle. 
lui  procurant  un  autre  bénéfice.  Nous  croyons  que  c'est  à 
lui  aussi  qu'est  adressée  la  lettre  ii4  de  Jean  de  Salisburi, 
et  non  à  Matthieu,  grand- chantre  du  chapitre  de  Sens, 
Matthœo  prœcentori  senonensi,  comme  porte  la  suscription.  Bouquet,»*»/. 
Au  moins  le  continuateur  du  recueil  des  historiens  de  France  P-  ^O*"»- 
a-t-il  observé  avec  raison  que  cette  lettre  n'a  pu  être  écrite 
au  chantre  de  l'église  de  Sens ,  puisqu'il  y  est  parlé  de  lui  en 
tierce  personne.  Ce  qui  autorise  à  croire  que  c'est  à  maître 
Melior  que  la  lettre  oc  Jean  de  Salisburi  est  adressée  d'An- 
gleterre ,  c'est  qu'elle  est  de  la  même  date  que  celle  de  l'abbé 
de  Celles,  et  relative  à  la  même  affaire  :  d'où  l'on  pourrait 
conclure  que  maître  Melior,  à  qui  le  savant  Anglais  donne 
le  titre  d'ancien  ami,  avait  été  admis,  comme  lui,  à  l'abbaye 
de  Celles  avant  d'avoir  obtenu  un  bénéfice  à  Sens.  Mais, 
manquant  de  lumières  précises  sur  tous  ces  objets,  on  nous 
pardonnera  de  n'avoir  proposé  que  des  conjectures  propres 
néanmoins  à  donner  un  sens  à  ces  lettres  d'ailleurs  fort  obs- 
cures par  la  témérité  ou  la  négligence  des  copistes.  Quoi 
qu'il  en  soit,  la  suite  de  l'histoire  de  notre  cardinal  est  moins 
embrouillée. 

L'an  1 171,  maître  Melior  fut  député  en  cour  de  Rome  par      Mart.  Ampi. 
Henri -le -Libéral,  comte  de  Champagne,  pour  défendre  sa  ^°''<'*^'>  '•  "> 
cause  contre  l'archevêque  de  Reims,  Henri  de  France,  qui  Txv'.'pTQon^ 
avait  excommunié  le  comte  et  jeté  l'interdit  sur  ses  terres, 
comme  cela  est  expliqué  dans  une  lettre  du  pape  Alexandre 
III,  relative  à  cette  afl'aire. 

Un  titre  de  l'an  11 83,  rapporté  par  Marlot,  prouve  qu'à  Mariot,Hi»t. 
cette  époque  maître  Melior  était  vidame  de  l'église  de  Reims^  ^5"'  '"  "'  l*" 
et  qu'en  cette  qualité  il  fut  nommé  arbitre  conjointement 
avec  Guillaume,  archevêque  de  Reims,  et  l'abbé  de  Saint- 
Remi  nommé  Simon,  dans  une  contestation  sin-venue  entre 
le  chapitre  de  Laon  et  l'abbaye  de  Saint -Vincent  de  la 
même  ville,  touchant  le  droit  qu'on  contestait  à  cette  abbaye 
de  donner  la  sépulture  aux  évêques  de  Laon. 

Melior  avait  été  auparavant  archidiacre  de  l'église  de  Laon.       Steph.  Toi- 
Cela  est  prouvé  par  l'épître  83  d'Etienne  de  Tournai,  où  il  "a*^-  ^V-  8?',' 
est  dit  qu'en  cette  qualité  il  avait  procuré  un  bénéfice  à  un  "''  '°'" 
clerc,  en  faveur  duquel  l'abbé  de  Sainte- Geneviève  écrivit 
sa  lettre  à  Guillaume,  archevêque  de  Reims.  Cette  lettre  est 
de  l'an  ii84,  car  l'auteur  annonce  qu'à  cette  époque  MelioE 


3i8        MELIOR,  CARDINAL  DE  L'ÉGL.  ROM. 

_; L  était  sur  le  point  d'être  fait  cardinal  :  Melioris  in  proximo. 


ut  audivimus ,  fortunœ  futurum. 
Rob.  de  M.       En  effet,  ce  fut  l'an  1 184,  selon  Robert  du  Mont,  ou  l'an 
ad  an.  1184.       |i85^  comme  le  dit  Ciaconius,  que  le  pape  Lucius  III  le 
nomma  prêtre-cardinal  du  titre  de  Saint-Jean  et  de  Saint- 
Paul,  et  le  lit  en  même  temps  son  camérier.  Au  moins  est- 
il  certain  que  dès  le  mois  de  juin  de  cette  dernière  année 
on  trouve  son  nom  souscrit  avec  le  titre  de  cardinal  à  une 
ital.  sacra ,  bulle  du  pape  Lucius  rapporte'e  par  Ughelli  :  Datum  Vemnœ 
l^éd— Labbe'  p(^f' i^^<^^^uni  Alberti,  S.  R.  E-  presb.  cnrd.   et  canceUarii, 
Concii. ,  t,  X,'  idihus  jurai,  indict.  III ,  incarn.  Dom.  anno  MCLXXXV, 
col.  i«io.         pontificatûs  verb  domni  Lucii  tertii  anno  quarto. 
Hoved.,p.-32.       L'an  1193,  le  pape  Célestin  III  chargea  le  cardinal  Melioi 
de  conduire  en  France  la  reine  Bérengère, épouse  de  Richard, 
roi  d'Angleterre,  et  la  sœur  de  Richard,  la  reine  Jeanne, 
veuve  de  Guillaume  II,  roi  de  Sicile,  qui  avaient  avec  elles 
la  lille  de  l'empereur  de  Cypre,  Isaac  Comnène,  détrôné  et 
emmené  captif  par  Richard.  Ces  trois  princesses  revenant 
de  Syrie  avaient  abordé  en  Italie;  mais,  instruites  du  mal- 
heur qui  était  arrivé  au  roi  Richard,  fait  prisonnier  en  Al- 
lemagne par  le  duc  d'Autriche,  et  craignant  le  même  sort 
si  elles  suivaient  la  même  route  que  lui,  s'étaient  réfugiées 
à  Rome.  Ce  ne  fut  qu'après  six  mois  de  séjour  qu'elles  se 
déterminèrent  à  retourner  en  France ,  où  elles  n'avaient  pas 
moins  à  craindre  du  ressentiment  de  Philippe- Auguste,  pour 

{)asser  de-là  en  Angleterre.  Par  ces  considérations,  le  pape 
es  mit  sous  la  sauve-garde  du  cardinal  Melior,  qu'il  revêtit 
de  la  dignité  de  légat.  Avec  ces  précautions,  les  princesses 
achevèrent  leur  voyage  sans  accident.  Arrivées  en  Provence, 
elles  furent  accueillies  par  le  roi  d'Aragon,  qui  leur  servit 
d'escorte  pour  traverser  ses  états.  Le  comte  de  Toulouse  les 
reçut  à  Saint-Gilles,  et  les  accompagna  jusqu'à  Poitiers,  der- 
nière ville  appartenant  au  roi  d'Angleterre;  mais  elles  n'en- 
trèrent pas  sur  les  terres  du  roi  de  France. 
Sonciiet,viia  Mclior  Commença  dès -lors  à  déployer  son  caractère  de 
s.  Bernardi  Ty-  jeV^t  ^  \^  ^our  de  Fraucc.  Nous  avons  une  charte  de  Renaud , 

ron.,  p.  230.         ,  "^  I     ^,  1/1  '  '}  i      » 

eveque  de  Chartres,  datée  de  cette  année  1 19J,  portant  que 
le  cardinal  Melior,  en  sa  qualité  de  légat,  avait  réglé  un  dif- 
férend qui  s'était  élevé  entre  l'évêque  et  le  chapitre  au  sujet 
Analecta,  in-  des  prévotés  de  la  jnême  église.  Il  est  aussi  fait  mention  de' 
fol.  p.  237.        çg  règlement  dans  un  formulaire  de  serment  rapporté  par 


MÉLIOR,  CARDINAL  DE  L'ÉGL.  ROM.         319 

Mabillon ,  dans  lequel  formulaire  le  légat  est  appelé  Melchior.    Xil  SIECLE. 
Ce  fut  aussi  en  sa  qualité  de  légat  que  le  cardinal  Melior  Hoved.,p.742. 
ménagea,  l'an  1 194^  une  trêve  d'un  an  entre  le  roi  de  France 
et  celui  d'Angleterre.  Cette  même  année,  le  roi  d'Angleterre 
ayant  saisi  les  biens  que  des  églises  de  France  possédaient 
dans  ses  états,  et  le  roi  de  France  ayant  usé  de  représailles      Rad.  de  Di- 
à  l'égard  des  églises  de  la  domination  du  roi  d'Angleterre,  «'«>>  col•677• 
qui  avaient  des  possessions  en  France,  le  cardinal  Melior  fit 
tant  par  ses  sollicitations  et  ses  prières,  que  les  deux  rois 
consentirent  à  donner  main-levée. 

L'an  1 196,  Philippe- Auguste  ayant  épousé  Agnès  de  Me-  Rigord.  ad 
ranie  en  vertu  du  divorce  prononcé,  trois  ans  auparavant,  ""•  '"-'^• 
contre  Ingeburge  de  Danemarck,  le  cardinal  Melior,  sur  les 
plaintes  des  Danois,  tint  à  Paris  sur  cette  affaire  un  concile, 
ou  qui  ne  décida  rien,  ou  dont  les  actes  sont  perdus.  Sed 
quia  facti  sunt  canes  inuti  non  valentes  latrare ,  timentes 
etiam  pclli  suce ,  nihil  ad  perfectum  deduxerunt  ^  dit  Rigord. 

L'année  d'après  il  jeta  l'interdit  sur  les  terres  du  comte        Stepli.  Tor- 
de Flandre  et  de  Hainaut,  parce  que  ce  prince  s'étant  ligué  "'"^•'  «P-  ^^^^ 
avec  le  roi  d'Angleterre  contre  celui  de  France,  son  suze- 
rain, faisait  le  dégât  sur  les  frontières  du  royaume. 

L'année  précise  de  sa  mort  n'est  pas  connue;  mais  on 
voit  qu'il  n'était  plus  de  ce  monde  l'an  1 198,  puisque  le  pape 
Innocent  III,  parlant  de  lui  dans  une  lettre  de  cette  année,  Lib. i, ep.  171. 
l'appelle  un  prélat  d'heureuse  mémoire ,  honœ  memorice. 
Peut-être  mourut-il  en  Auvergne  dans  le  cours  de  sa  léga- 
tion; et  cela  expliquerait  pourquoi  les  chanoines  de  Clermont 
ont  consigné  son  nom  dans  leur  nécrologe,  comme  l'atteste 
Baluze. 

On  ne  peut  douter  que  notre  cardinal ,  avec  la  réputation 
de  savant  qu'il  eut  de  son  temps,  n'ait  composé  quelque 
ouvrage  qui  lui  aurait  ouvert  la  carrière  des  honneurs  aux- 
quels il  est  parvenu  ;  qu'ayant  été  chargé  de  négociations 
aussi  importantes  que  celles  que  nous  venons  de  décrire,  il 
n'ait  été  dans  le  cas  d'écrire  beaucoup  de  lettres.  Cependant 
nous  ne  trouvons  de  lui  aucun  écrit ,  pas  même  une  lettre 
missive.  Malgré  cela,  nous  avons  cru  pouvoir  lui  consacrer 
un  article,  ne  fût-ce  que  pour  détruire  les  erreurs  qu'on  a 
débitées  sur  son  compte,  et  pour  débrouiller  un  peu  l'his- 
toire de  sa  vie.  R. 


%''»^%%%««'««'«^««^>«^'«V^^%«.%.%«/«««'«^^^^«^«'«'«'V«%-»-»%«^«»'fc««^«/^^«^«/«%«.'«.^'«,«^V%r%^%^%V««»'^/^V«>««^»'V 


XU  SIECLE. 
/  — 


RICHARD, 

ROI  D'ANGLETERRE. 


C>iE  roi  d'une  nation  presque  toujours  ennemie  de  la  France, 
moins  connu  par  ses  talens  que  par  ses  vices  et  ses  mal- 
heurs, ne  paraît  avoir  en  lui  rien  de  français  ni  de  pro- 
vençal qui  doive  lui  donner  place  dans  cette  histoire.  Mais 
avant  de  succéder  à  Henri  II,  son  père,  il  fut  pendant  quinze 
ans  comte  de  Poitou;  il  séjourna  souvent  dans  cette  pro- 
vince que  les  troubadours  faisaient  alors  retentir  de  leurs 
chants;  souvent  il  fréquenta  la  cour  de  Raimond  Bérenger, 
comte  de  Provence;  Nostradamus  prétend  même  qu'il  tut 
amoureux  d'Eléonore  ou  Hélyone,  l'une  des  quatre  filles  du 
comte.  Cette  cour  était  l'asyle  naturel  et  comme  le  rendez- 
vous  général  des  troubadours  ;  Richard  en  attira  un  grand 
nombre  à  la  sienne.  De  l'admiration  pour  leurs  talens,  il 
passa  au  désir  de  les  imiter.  On  ignore  s'il  s'exerça  dans  le 
genre  de  leurs  poésies  amoureuses  et  galantes.  Il  ij'est  resté 
de  lui  que  deux  sirventes  ou  pièces  satiriques,  relatives  l'une 
à  sa  captivité  en  Autriche,  l'autre  à  sa  dernière  guerre  avec 
le  roi  de  France. 

Cette  captivité  fut  le  seul  fruit  qu'il  retira  de  la  croisade 
qu'il  avait  entreprise  moins  par  un  esprit  de  piété  malen- 
tendue que  pour  obéir  à  la  fougue  de  son  caractère  et  au 
désir  d'effacer  par  ses  exploits  ceux  du  roi  de  France,  Phi- 
lippe-Auguste, qui  partait  en  même  temps.  Pour  cette  expé- 
dition inutile,  Richard  avait  écrasé  d'impôts  ses  sujets,  vendu 
les  offices,  les  domaines,  sa  suzeraineté  sur  l'Ecosse;  il  au- 
rait, disait-il,  vendu  Londres,  s'il  eût  trouvé  un  acheteur. 
Les  deux  rois,  réunis  devant  Acre  ou  Ptolémaïs,  qu'on  as- 
siégeait depuis  deux  ans,  s'y  distinguèrent  à  l'envi,  et  eurent 
en  commun  la  gloire  d'en  terminer  le  siège.  Leur  amitié 
n'était  qu'apparente,  et  couvrait,  sous  le  nom  d'émulation, 
une  haine  réelle.  Philippe  revint  peu  de  temps  après  dans 
ses  états  ;  Richard  n'acheva  pas  non  plus  en  Palestine  la 
trêve  de  trois  ans  qu'il  avait  conclue  avec  Saladin.  Inquiet 
de  ce  que  le  roi  de  France  pouvait,  malgré  les  sermens  qu'il 
lui  avait  faits,  tenter  contre  lui  en  son  absence;  inquiet  de 


RICHARD,  ROI  D'ANGLETERRE.  3a i 

l'ëtat  où  il  savait  qu'était  son  royaume,  il  s'embargua  pour 
y  revenir,  fit  naufrage  sur  les  côtes  d'Istrie,  entreprit  de  tra- 
verser l'Allemagne  seul  et  déguisé  en  pèlerin,  passa  témérai- 
rement sur  les  terres  du  duc  d'Autriche,  Léopold,  dont  il 
avait  insulté  la  bannière  au  siège  d'Acre,  et  son  implacable 
ennemi,  fut  arrêté  par  ses  ordres  et  jeté  dans  une  prison  où 
il  demeura  long-temps  sans  que  l'on  pût  savoir  ce  qu'il  était 
devenu. 

C'est  là  que  lui  arriva  cette  aventure  que  le  président  Fau- 
chet  a  racontée  le  premier,  et  qui  a  paru  dans  ces  derniers 
temps  avec  un  grand  éclat  sur  nos  théâtres.  Ce  n'est  pas  un 
des  traits  les  moins  intéressans  de  l'histoire  des  trouba- 
dours; et  s'il  est  honorable  pour  le  ménestrel  qui  en  est  le 
principal  acteur,  il  prouve  aussi  que  Richard,  au  milieu  de 
tous  ses  vices,  avait  pourtant  de  Donnes  qualités,  puisqu'il 
savait  inspirer  un  attachement  capable  de  résister  à  de  telles 
épreuves.  Fauchet  dit  avoir  tiré  cette  anecdote  d'une  bonne 
chronique  française  qui  était  en  sa  possession. 

Mais  Richard  n'était  pas  à  la  fin  de  ses  infortunes.  Léo- 
pold, après  l'avoir  indignement  traité,  le  vendit  et  le  livra 
plus  indignement  encore  à  l'empereur  Henri  VI ,  qui  avait 
aussi  contre  Richard  des  sujets  de  ressentiment.  Philippe- 
Auguste  ne  rougit  point  de  se  joindre  à  ses  oppresseurs,  de 
lui  imputer  un  crime  qu'il  n'avait  pas  commis  (i),  et,  sous 
ce  prétexte ,  de  ravager  ses  terres  à  main  armée.  Le  malheu- 
reux roi,  abreuvé  d'humiliations,  obligé  de  se  défendre  de- 
vant la  diète  de  l'empire,  où  il  était  accusé  de  ce  même 
crime,  ne  dut  enfin  sa  délivrance  qu'à  l'intercession  du  pape 
et  à  une  grosse  rançon.  C'est  pendant  cette  dure  captivité 
qu'il  composa  le  premier  des  deux  sirventes  qui  nous  sont 
restés  de  lui.  On  voit,  dès  les  premiers  vers,  qu'il  est  pénétré 
de  sa  situation,  et  que  l'abandon  qu'il  éprouve  de  la  part  de 
ses  amis ,  lui  inspire  autant  de  mépris  que  de  colère.  Il  est  à  re- 
marquer que  le  langage  dont  il  se  sert  n'est  pas  du  provençal 
pur,  mais  mêlé  de  français,  et  que  même  le  français  y  domine. 

Ja  nus  hom  pris  non  dira  sa  raison 

Adreltament  se  com  hom  dolent  non  ; 

Ma  per  confort  pot  il  faire  chanson. 

(i)  Le  meurtre  de  Conrad,  marquis  de  Montferrat,  qui  avait  été  tué 
en  Asie  par  les  satellites  du  prince  des  Assassins,  connu  sous  le  nom  du 
Vieux  de  la  Montagne. 

Tome  XK  Sa 


XII  SIECLE. 


3û2  RICHARD,  ROI  D'ANGLETERRE. 

XII  SIECLE.  Prou  a  d'amis,  mas  poure  son  li  don  , 

Onta  (honte)  i  auron  se  por  ma  reezon 
Soi  fat  dos  yver  pris. 

I.Il  dit  dans  une  autre  strophe  :  «  Il  est  trop  vrai,  homme 
mort  n'a  ni  parens  ni  amis,  puisque  pour  de  l'or  et  de  l'ar- 
gent on  me  délaisse.  Je  soufl're  ae  mes  malheurs;  je  souffre 
encore  plus  de  la  dureté  de  mes  sujets  :  quels  reproches  à 
leur  faire  si  je  meurs  dans  cette  longue  captivité  »  ! 

Dès  que  Richard  fut  libre,  il  déclara  la  guerre  au  roi  de 
France.  Ils  étaient  tous  les  deux  trop  affaiblis  pour  que  cette 
guerre  durât  long-temps,  et  se  haïssaient  trop  pour  que  la 
paix  ne  fiât  pas  presque  aussitôt  rompue  que  signée.  A  la 
première  trêve,  Richard  abandonna  1  Auvergne  a  Philippe 
en  échange  du  Querci.  Le  dauphin  d'Auvergne  crut  percfre 
au  change,  et  témoigna  son  regret,  ce  qui  prouve,  ou  que 
Richard  valait  mieux  au  fond  que  l'on  ne  croit,  du  moms 
pour  ses  grands  vassaux ,  ou  que  Philippe-Auguste  exerçait 
plus  durement  que  lui  ses  droits  de  suzeraineté.  Richard 
ayant  recommencé  la  guerre,  le  dauphin  se  déclara  pour  lui  ; 
mais  il  n'en  fut  pas  soutenu,  et  se  vit  obligé  de  se  sou- 
mettre aux  plus  clures  conditions.  Après  une  seconde  trêve, 
la  guerre  se  ralluma  de  nouveau  entre  les  deux  rois;  celui 
d'Angleterre  voulut  engager  de  nouveau  le  dauphin  d'Au- 
vergne à  rompre  avec  le  roi  de  France  et  à  épouser  sa  que- 
relle, mais  il  ne  put  l'y  décider;  et  ce  fut  à  cette  occasion 
qu'il  fit  son  second  sirveute.  Il  l'adresse  au  dauphin  et  au 
comte  Gui,  son  cousin  et  son  zélé  partisan.  Le  français  et 
le  provençal  y  sont  mêlés  comme  dans  le  précédent.  Le  roi 
n'épargne  à  ses  deux  anciens  vassaux  ni  les  plaisanteries 
piquantes,  ni  même  le  reproche  de  leurs  défauts  naturels; 
car  on  voit  par  la  fin  de  la  première  strophe,  qu'au  moins 
l'un  des  deux  était   roux. 

Daufin  ieu  voill  deresnier  (interroger,  demander) 

Vos  e  le  conte  Guion 

Que  ainen  (avant)  ceste  seison 

Vos  feites  bon  gerrier  ; 

E  vos  jurastes  a  moi, 

E  portastes  me  tiel  foi , 

Corne  esangrins  à  reinart  (i) 

Gui  sembiez  dou  poil  iiart  (roux). 

(i)  Allusion  aux  fables  du  Loup  et  du  Ren.nrd;  le  loup  est  nppel« 
ls:uigrin  par  les  autours  orientaux.  •  ,  v        \i,v 


XII  SIECLE. 


RICHARD,  ROI  D'ANGLETERRE.      323 

Les  subsides  se  payaient  au  profit  de  Richard  à  Chinon 
en  Touraine.  II  paraît,  par  le  ton  ironique  de  la  seconde 
strophe,  que  sa  caisse  était  bien  garnie,  et  il  reproche  au 
dauphin  et  au  comte  Gui  d'avoir  mal  calculé  leurs  intérêts. 

Vos  me  laissastes  aidier 

Por  treime  de  geerdon  (par  crainte  de  n'être  pas  payés) 

E  car  savetz  q'a  Chinon 

Non  a  argen  ni  dinier. 

E  vos  Toles  riche  roi , 

Bon  d'armes  qui  vos  port  foi  j 

E  ie  sui  chiche,  coart , 

Sius  viretz  de  l'autre  part. 

Mais  il  promet  de  leur  faire  bonne  et  loyale  guerre ,  mal- 
gré leur  déloyauté. 

Mas  una  ren  (une  chose)  vos  outroi 
Si  be  m' fausastes  la  loi  : 
Bon  gerrier  à  l'estendart 
Troveretz  li  roi  Richart. 

S'étant  enfin  réconcilié  avec  Philippe,  il  s'engagea  peu  de 
temps  après  dans  une-  querelle  particulière  contre  un  sei- 
gneur, son  vassal,  pour  un  trésor  que  ce  seigneur  avait 
trouvé ,  et  que  Richard  voulut  avoir.  Il  l'assiégea  dans  son 
château,  et  Fut  blessé  d'un  coup  de  flèche  dont  il  mourut  (i)  En  1199. 
après  s'être  donné  la  satisfaction  barbare  de  faire  pendre  la 
garnison  de  la  place  dans  laquelle  il  était  entré  de  vive  force 
depuis  sa  blessure.  Mais  il  est  bon  d'observer  que  ce  n'était 
pomt  pour  s'en  venger;  cette  exécution  était  résolue  d'a- 
vance ;  il  l'avait  même  fait  déclarer  à  la  garnison ,  qui  offrait 
de  se  rendre;  et  ce  fut  après  ce  refus  et  cette  déclaration 
qu'il  fut  atteint  d'une  flèche  et  blessé  à  mort.  Il  eut  la  géné- 
rosité tardive  d'excepter  de  la  sentence  le  soldat  qui  1  avait 
blessé,  mais  qui  n'en  fut  pas  moins  écorché  vif  après  la 
mort  du  roi.  G. 


Ss  2 


^  V^^  ^«^«.^.^  «^V^  %«^  «.«>«i«^'V«^/«  «<«/»  «i«^  «/*^.  «  «/^  «^«i«  «.  V%«  %«^  V%^  «^Vfc<»'*^ 


XII  SIECLE. 


MICHEL    DE    CORBEIL, 

ARCHEVÊQUE  DE  SENS. 


M> 


iCHEL,  qu'on  croit  être  de  la  famille  des  comtes  de  Cor- 

beil,  fut  d'abord  chanoine  de  Saint- Gery  à  Cambrai,  sui- 

T.  XII,  p.  55.  vant  la  France  chrétienne ,  et  chanoine  de  Soissons,  suivant 

Liv.  V,  c.  48.    Claude  Dormay,  dans  son  histoire  de  cette  ville  et  de  ses 

rois;  ensuite  archidiacre  de   Bruxelles,  suivant  la  F'rance 

chrétienne  encore,  dont  je  ne  vois  au  reste  aucun  écrivain 

T.  VIII,  p.  reproduire  l'opinion.  Le  Gallia  Christiana ,  Duboulay,  dans 

P^%8;*t.^x!  '**^"  histoire  de  l'Université  de  Paris  ;  Mathoud ,  dans  le  cata- 

p.  56i.'  '  logue  des  archevêques  de  Sens;  d'autres  encore,  s'accordent 

T.  II,  p.  496-  tous  également  à  dire  que  Michel  de  Corbeil  fut  doyen  de 

P.  129,  etc.     l'^gijsg  ^g  Meaux,  de  celle  de  Laon  et  de  celle  de  Paris;  de 

celle  de  Laon  en  1 191 ,  et  de  celle  de  Paris  en  1 192,  d'après 

T.  ix,p.36i.  un  autre  passage  du  Gallia  Christiana,  qui  le  fait  aussi  cha- 

V.  aussi  t.  yii,  jiojjje  gt  chancelier  de  cette  dernière  église,  avant  qu'il  de- 

p.  198,  et  Du-      Ajii  -ivTi 

bois,  Hist.  de  Vint  doyen  d aucune  autre.  Nous  devons  remarquer  aussi 
legi.  de  Paris,  que,  quoique  les  auteurs  de  ce  savant  ouvrage  parlent  de 
t.  Il,  p.  144  et  Bruxgjigs  sans  parler  de  Meaux  en  faisant  ITiistoire  de  Mi- 
t!  XII, p.  55.  chel  de  Corbeil,  à  l'article  des  archevêques  de  Sens,  ils  le 
placent  à  Meaux  non  comme  archidiacre,  mais  comme  doyen 
T.vni,p.  i665.  a  l'article  qui  concerne  l'église  de  cette  ville.  Michel  devait 
l'avoir  été  en  11G6  ou  i  i6y.  Son  prédécesseur,  Guillaume, 
fils  de  Thibaut,  comte  de  Champagne,  paraît  encore  dans 
un  acte  de  ii65;  et  lui,  Michel,  signe  comme  témoin,  en 
Gall.  CJirist.   I  i6c),  un  autre  acte  par  lequel  Etienne  de  la  Chapelle,  alors 
'■.^TA'^''^'^  évêque  de  Meaux,  donne  aux  chanoines  de  sa  cathédrale  la 
moitié  de  la  dime  de  Quiney,  bienrait  dont  on  lui  sut  tant 
de  gré,  que  l'on  crut  devoir  en  faire  mention  dans  l'inscrip- 
P.  i665.       tion  mise  sur  son  tombeau.  On  rappelle  aussi  dans  le  hui- 
tième tome  de  la  France  chrétienne  quelques  autres  actes 
3ue  Michel  de  Corbeil  signa  comme  doyen  de  Meaux.  Dubois, 
ans  son  histoire  de  l'église  de  Paris,  rappelle  ceux  auxquels 
—v.  aussi  Gall.  ]y|ig|,ei  coucourut  comme  doyen  de  cette  église.  L'histoire  de 

Christ.,  t.  VII  ,,        1      »•  ,  m"'  •         i-k       1        •       r  • 

p.  198.  celle  de  Meaux,  par  dom  Toussauit  Duplessis,  tait  mention 

T.  i,p.  56o.    de  différens  titres  sur  lesquels  paraît  son  nom  depuis  1169 
jusqu'en  1184. 


MICHEL  DE  CORBEIL,  ARCHEV.  DE  SENS.     3a5 
Michel   de  Corbeil  était  doyen  de   Paris   quand  on  le 


nomma,  en  iiç)^-,  patriarche  de  Jérusalem;  mais  cette  no-  Gaii.  christ, 
mination  fut  sans  effet,  Michel  ayant  été  élu  presque  immé-  D,^"',^p"i'4^ 
diatement,  quinze  jours  après,  à  l'archevêché  de  Sens,  qu'il  179  ,  ^38.  — 
accepta.  Il  semble,  par  une  lettre  de  l'évèque  de  Lydda,  im-  Dubouiay  t.ir, 
primée  dans  le  second  livre  des  Miscellanea  de  Baluze,  que  Rigord't.  vdë 
Michel  de  Corbeil  était  peu  enclin  à  accepter  le  patriarcat  laCoii.'deDu- 
auquel  on  l'avait  d'abord  nommé  :  l'évèque  de  Lydda  l'y  ^''**'l^'P-^7— 
exhorte,  en  Tui  faisant  sentir  tout  le  bien  qui  pourra  naître  nlle^sdeFrancX 
de  son  acceptation,  tout  le  mal  que  son  refus  pourrait  pro-  1. 11, p.  568. 
duire.  La  lettre  est  pleine  d'ailleurs  de  la  plus  grande  con-  P-a4aetsmT. 
fiance  et  dés  plus  grands  éloges  pour  les  talens  et  les  vertus 
de  Michel  de  Corbeil. 

Avant  d'être  appelé  à  l'épiscopat,  Michel  s'était  rendu  cé- 
lèbre par  la  culture  et  l'enseignement  des  lettres,  de  la  litté- 
rature sacrée  en  particulier.  Dubouiay  l'appelle  professeur      p.  49G. — v. 
excellent, homme  d'une  immense  renommée, i«^e«?/jyâOT<^y  aussi,  p.  756, 
Rigord,  Belleforêt,  Dubois,  tous  les  écrivains  confirment  cet  'urde* Robert 
éloge.  Ses  vertus  ne  l'avaient  pas  fait  moins  chéi'ir.  Rigord  d'Auxerre. 
indique  en  même  temps  et  ses  succès  littéraires,  et  ses  cha-     T.VdeDuch. 
rites  envers  les  pauvres,  et  tous  les  autres  biens  qu'il  faisait.  ^"  ,?  ',  *'',  ''  ^^ 

11  mourut  au  mois  de  novembre  1 199,  suivant  Dubouiay,  497. 
Dubois  et  la  France  chrétienne.  Le  nécrologe  de  Meaux  dit     Dubouiay,  p. 
le  i*"""  décembre.  Pierre,  son  frère,  lui  succéda  dans  l'arche-  35*  "li^^n  il 
vêché  de  Sens.  Un  de  ses  petits  neveux  devint,  au  milieu  du  Christ.,  t. xii, 
siècle  suivant,  évêque  de  Paris.  p-56. 

On  croit  que  Michel  de  Corbeil  fut  aumônier  de  Philippe-  ^çMea  ^^^^^l' 
Auguste.     ^  ^  ^  ^  ^  p!56o*"^''"  ' 

Il  avait  été  envoyé  à  Rome  par  l'évèque  de  Paris,  Eudes      G^"-  christ. 
de  Sully,  pour  y  défendre  ses  droits  contre  l'abbé  de  Sainte-  c  -f'J'^'T" 

/^  .f      '  "'  apicil.  de  Dach. 

Geneviève.      ^  1. 11,  p.  475.— 

SES     ÉCRITS.  Rigord,  t.  Vde 

Duch.  p.  43. 

Sander,  dans  sa  bibliothèque  des  manuscrits  de  la  Bel-  t.vn!p^^oi!' 
gi(jue,  nomme  entre  ceux  de  l'abbaye  d'Aulne,  diocèse  de    /&«/.' p.  aao. 
Liège,  Distinctiones   Michaelis  senonensis    archiepiscopi  in    ,P^-  ^"  ^^ 
psatmos.   N'étant  encore  que  doyen  de  l'église  de  Meaux,  l.^u, p.%^5T* ' 
Michel  de  Corbeil  avait  composé  un  commentaire  sur  les  Part!  2,p.a38. 
psaumes  que  le   père  de  Montfaucon  cite  dans  sa  Biblio-  T.  il,  p.  1393. 
thèque  des  bibliothèques,  comme  étant  parmi  les  manus- 
crits de  cette  église.  Il  cite  également  parmi  ceux  du  nou- 
veau collège  d'Oxford ,  Michaelis  Meldensis  distinctiones  in    T.  I,  p.  665. 


3^6    MICHEL  DE  CORBEIL ,  ARCHEV.  DE'  SENS. 

XU  SIECLE.  ;*     •  r  .  i  J  •        j..       , 

psaltenum.  Le  catalogue  des  manuscrits  d  Angleterre  nen 


Part. a, n.  1000.  fait  pas  seulement  mention  au  sujet  d'Oxford,  mais  aussi  en 
Jbid.  n.  H028.  parlant  de  la  bibliothèque  jacobéenne  et  de  celle  de  Thomas 
Cat. mss.  ang.  Bodley.  Lelong,  pareillement,  dans  sa  Bibliothèque  sacrée, 

^T.'n'"p.685.  ^*  Montfaucon  encore,  dans  sa  Bibliothèque  des  biblio- 

T.  II,  p.  lagS.  thèques,  nomment  parmi  les  manuscrits  de  la  cathédrale  de 
Laon  Cominentarius  in  psalmos  Michaelis  decani  Meldensis , 

P.  1197611298.  et  postea  archiepiscopi  senonensis.  Le  savant  bénédictin 
nomme  presque  aussitôt  parmi  les  mêmes  manuscrits  deux 
ouvrages  dédiés  à  Michel  de  Corbeil  :  De  tribus  canticis ,  ad 
Michaelem  senonensem  archiepiscopum  ;  commentarius  in 
Mathœum ,  ad  Michaelem  senonensem  archiepiscopum.  Les 
trois  cantiques  annoncés  dans  la  première  de  ces  indications 
sont  apparemment  le  Magnificat ,  le  Benedictus ,  et  le  Nunc 
dimittis. 
La  158"  de       Deux   lettres,    l'une  d'Etienne  de  Tournai,  l'autre,  que 

ledit,  du  p.  du  jjous  avons  déjà  citée,  de  l'évêque  de  Lydda,  peuvent  faire 
connaître  jusqu'à  quel  point  les  contemporains  de  Michel  de 
Corbeil  honoraient  ses  lumières.  La  première  a  pour  objet 
de  consoler  le  chapitre  de  Laon,  mécontent  de  ce  que  le 
chapitre  de  Paris  le  lui  enlevait  en  le  nommant  doyen  aussi 
de  son  église.  Elle  renferme  un  bel  éloge  de  Michel  de  Cor- 
beil, La  seconde  n'est  pas  moins  honorable  pour  lui.  On 
Voir  la  page  peut  joindre  à  ces  deux  lettres  celle  du  pape  Innocent  III, 

précédente.        quand  il  apprit  la  mort  de  ce   prélat.  Le  pontife   l'appelle 
Gall.  Christ,  hommc  Sage ,  éclairé,  connaissant  bien  tous  ses  devoirs  et 

t. XII, p.  56.     jgg  pratiquant  bien  tous,  défenseur  zélé  de  la  loi  de  Jésus- 
Christ,  adversaire  implacable  de  l'hérésie.  Nous  avons  une 
Dubouiay,t.  autre  lettre  d'un  autre  pape  à  Michel  de  Corbeil,  de  Céles- 

II,  p.  5o2.  —  |_ijj  III ^  prédécesseur  d  Innocent;  mais  elle  n'a  pour  objet 

ChrfsTrt.xn"  q"^  ^^  répudiation  d'Ingeburge  par  Philippe -Auguste  :  Cé- 

p.  55  et  56.  '  lestin  mande  à  l'archevêque  de  Sens  de  s'opposer  à  tout 
nouveau  mariage  que  le  roi  voudrait  contracter,  de  le  pres- 
ser de  reprendre  l'épouse  qu'il  avait  quittée. 


sacra , 


XII  SIECLE. 

ROGER,  ' 

DOYEN  DE  L'ÉGLISE   DE   ROUEN. 


Cjirard  Silvestris,  parlant  du  succès  avec  lequel  il  Angi 
enseignait  le  droit  à  Paris,  vers  1176,  dit  qu'un  jour,  comme  '*  ^^'  !'•  ^7'- 
il  se  faisait  de  toute  part  un  concours  immense  pour  en- 
tendre Girard  (observez  que  c'est  de  lui-même  qu'il  parle 
ainsi  à  la  troisième  personne) ,  la  leçon  terminée  et  des  ap- 
plaudissemens  universels  d'un  auditoire  nombreux  ayant 
éclate,  un  homme  plein  de  mérite,  qui  avait  enseigné  les 
arts  libéraux  à  Paris,  après  s'être  long -temps  livré,  à  Bo- 
logne, à  l'étude  des  lois,  s'écria  tout-à-coup  (je  me  sers  des 
mots  même  employés  par  l'auteur  qui  nous  confie  cet  éloge 
fait  de  lui-même)  :  Non  est  sub  sole  scientia,  si  Parisios  fue- 
rit  forte  delata ,  quœ  inconiparabiliter  ihi  et  longe  excellen- 
tius  quani  usquam  alibi,  procul  dubio  non  prœvaleat. 

Girard  nomme  celui  à  qui  on  devait  cette  exclamation  : 
c'est  Roger  le  Normand ,  qui  devint  ensuite  doyen  de  l'église 
de  Rouen. 

Le  passage  que  nous  venons  d'indiquer  annonce  qu'il 
avait  étudié  avec  soin  la  jurisprudence,  et  qu'il  avait  pro- 
fessé les  arts  libéraux  à  Paris,  Parisiis  in  artibus  legerat. 
Mais  il  ne  nous  reste  aucune  trace  de  son  enseignement  et 
de  ses  autres  travaux. 

C'est  à  lui  qu'est  adressée  une  lettre  de  Pierre  de  Pavie , 
évêque  de  Tusculum  ou  Frascati ,  et  légat  du  saint-siége  en 
France,  qui  est  la  soixante-neuvième  parmi  celles  d'Etienne 
de  Tournai,  édition  du  père  du  Moulinet.  Cette  lettre  pa- 
raît avoir  été  écrite  vers  l'an  11 85. 

On  lisait  dans  un  manuscrit  de  l'abbaye  du  Bec  divers  in-Zi^cotéaoS. 
sermons  composés  par  divers  auteurs  de  la  fin  du  XII* 
siècle  et  du  siècle  suivant,  parmi  lesquels  il  y  en  a  six  de 
Roger  le  Noir  sur  l'Ascension,  la  Pentecôte,  le  four  des 
Rameaux ,  et  sur  d'autres  sujets.  Serait-ce  le  doyen  de  l'église 
de  Rouen  ?  Nous  ne  connaissons  du  moins  aucun  autre  Roger, 
normand,  de  cette  époque,  à  qui  on  puisse  les  attribuer. 

Tout  ce  qu'on  en  dit  dans  la  France  chrétienne  se  borne    T. ii,p.  117. 
à  ces  mots  :  Rogerus  { le  Normand  )  reperitur  in  tabulis  ec- 


XII  SIECLE. 


328    T.  LE  CIST.— T.  DE  PERSEIG— T.  DE  VAITC. 

clesice  rothomagensis,  anno  1 199 ,  et  in  tabulis  helli-loci,  anno 
1200.  Un  moment  après,  on  lit  que  Richard  était  son  suc- 
cesseur en  1200.  P. 


THOMAS  LE  CISTERCIEN; 
TH.  DE  PERSEIGNE;  TH.  DE  VAUCELLES. 

IN  ou  s  réunissons  ici  trois  noms  qui,  selon   nous,  dési- 
gnent un  seul  personnage. — Voici  les  motifs  qui  appuient 
"notre  opinion. 
De   yisch,       D'abord  les  auteurs  qui  ont  parlé  de  ces  trois  Thomas,  les 
PoMevin^^Ap^  font  tous  vivrc  à-peu-près  dans  le  même  temps,  c'est-à-dire 

parât,  sa'cr. vcrs  la  fin  du  XII*  siècle  :  ils  leur  attribuent  à  chacun  un 

Manriq.  ad  an.  ouvrage  qui  portc  le  même  titre;  du  reste,  ils  ne  nous  don- 
^^'"u"^.*^^"'  nent  aucune  espèce  de  rensei^nemens  sur  leurs  actions  ni 

mir  Uudin,  m  ,  ,  r,  '        tvt'     ^    i 

supplément., et  sur  les  places  qu US  ont  occupées.  JN  est-il  pas  tres-vraisem- 
ai"-  blable  que  le  moine ,  auteur  de  cet  ouvrage,  ayant  passé  suc- 

cessivement d'un  monastère  à  un  autre,  aura  été  désigné, 
suivant  les  temps  où  se  faisait  la  copie  de  son  ouvrage ,  tan- 
tôt comme  moine  de  Vaucelles,  tantôt  comme  moine  de 
Perseigne,  et  enfin  par  le  seul  nom  de  Cistercien,  titre  que 
peut-être  il  avait  fini  par  adopter.'' 

Mais  l'identité  de  ces  personnages  ne  nous  paraît  plus 
douteuse  d'après  l'examen  attentif  que  nous  avons  fait  de 
quelques  manuscrits  du  livre  qui  leur  est  à  tous  les  trois  at- 
tribué :  déjà  elle  avait  été  regardée  comme  très-vraisemblable 
De  yisch ,  pgp  (jg  Visch  dans  sa  Bibliothèque  des  écrivains  de  l'ordre 

B.bl.  Scr.pt.  or.   K     /-....,.„  ^ 

din.cist.p.a47.  ae  uiteaux. 

Ce  livre  est  un  commentaire  du  Cantique  des  Cantiques. 
Des  trois  manuscrits  qu'en  possède  la  bibliothèque  royale 
sous  les  n"*  Iv]^^  662  et  565,  les  deux  derniers  portent  au 
titre  le  nom  de  Thomas  Cisterciensis ;  mais  on  lit  dès  la  pre- 
mière ligne  du  manuscrit  ^'jS  :  Incipit  expositio  domini 
Thomœ  monachi  abbatiœ  de  Vaucellis  summœ  super  can- 
tica  canticorum.  Ainsi  l'auteur  du  commentaire  sur  le  Can- 
tique des  Cantiques  est  désigné  dans  les  manuscrits  tantôt 


XÎI  SIECLE. 


T.  LE  CIST.— T.  DE  PERSEIG.— T.  DE  VAUC.     329 

par  le  nom  de   Thomas  de  Citeaux ,  tantôt  par  le  nom  de 
Thomas  de  Faucelles. 

Ces  manuscrits  sont  conformes  dans  presque  tout  leur 
contenu  ;  on  trouve  seulement  au  commencement  du  manus- 
crit 562  un  long  et  ennuyeux  ouvrage  où  toutes  les  lettres 
de  l'alphabet  sont  passées  en  revue,  et  qui. n'a  que  peu  ou 
point  de  rapport  avec  le  Cantique  des  Cantiques;  il  est  sans 
nom  d'auteur.  Ce  n'est  qu'au  bas  du  folio  ao  qu'on  lit  :  In- 
cipit  prologus  niagistri  Thomœ  Cisterciensis  uionachi  supra 
cantica  canticorum.  Vient  ensuite  une  épitre  dédicatoire  à 
Ponce,  ëvêque  de  Clermont,  que  l'on  ne  trouve  point  dans 
le  manuscrit  47^ ,  lequel  porte  le  nom  de  Thomas  de  Vau- 
celles.  Mais  dans  tout  le  reste,  les  deux  manuscrits  se  res- 
semblent. 

Le  manuscrit  563  n'est  pas  complet  ;  il  commence  par  le 
sixième  livre  du  commentaire,  et  c'est  le  septième  livre  dans 
les  deux  autres  manuscrits,  et  aussi  dans  l'ouvrage  imprimé, 
dont  nous  parlerons  bientôt. 

Jusqu'ici  il  nous  parait  bien  prouvé  que  Thomas  le  Cis- 
tercien et  Thomas  de  Vaucelles  ne  sont  qu'un  seul  écrivain^ 
puisque  nous  avons  le  même  ouvrage  sous  ces  deux  noms. 
Nous  ne  pouvons  prouver  avec  la  même  évidence  l'identité  de 
cet  auteur  avec  un  Thomas  de  Perseigne,  dont  on  trouve 
le  nom  dans  les  listes  des  auteurs  du  XIP  siècle;  la  biblio-. 
thèque  Royale  ne  possède  point  de  manuscrits  qui  portent 
ce  dernier  nom.  Mais  il  y  avait  dans  la  bibliothèque  des  De  Visch ,  i6/rf. 
moines  de  Morimond,  comme  nous  l'apprend  de  Visch,  un 
manuscrit  qui  contenait  Expositioiies  quasdani  in  cantica 
canticorum ,  éditas  h  fratre  Thoma  de  Persenia.  L'abbaye 
de  Perseigne  étant,  comme  l'abbaye  de  Vaucelles,  de  l'ordre 
de  Citeaux,  il  est  vraisemblable,  comme  nous  l'avons  déjà 
reiTiarqué,  que  le  Thomas,  auteur  du  commentaire  sur  le 
Cantique  des  Cantiques,  aura  été  indifféremment  désigné 
tantôt  par  les  noms  des  abbayes  de  son  ordre  dans  les- 
quelles il  avait  vécu,  tantôt  par  celui  de  Cistercien  :  de -là 
est  venue  l'erreur  de  ceux  qui,  ne  jugeant  que  sur  les  titres 
des  manuscrits,  ont  fait  trois  et  même  quatre  auteurs  du 
même  personnage. 

C'est  en  loai  que  l'ouvrage  fut  imprimé  pour  la  première 
fois  à  Paris  et  ])ublié  in-folio  par  Josse  Badius  (^Ascentius) 
sous  ce  titre  :  Cantica  Canticorum  cum  duobus  commenta' 
rUs  plane  egregiis  ;  altero  venerabilis  patris  F.  Thomce  ois- 
Tome  xy.  T  t 


33o    T.  LE  CIST.— T.  DE  PERSEIG,— T.  DE  VAUC 

XII  SIECLE.  -  ,  , 

terciensis   monachi ,  altero  longe   reverendi  cardinalis  M. 

Joannis  Halgrini  ah  ahhatisv'dla.  Il  parait  que  cette  édi- 
tion est  devenue  rare.  La  bibliothèque  Royale  ni  celle  de 
Sainte -Geneviève  n'en  possèdent  aucun  exemplaire;  nous 
n'avons  trouvé  l'ouvrage  que  dans  la  bibliothèque  Mazarine. 
Et  cependant  le  livre  de  Thomas  le  Cistercien  avait  eu 
dans  le  temps  un  grand  succès,  puisqu'il  fut  réimprimé  à 
Lyon  en  1671 .  D'après  cela,  on  a  peine  à  comprendre  com- 
ment on  ait  voulu,  moins  de  cent  ans  après,  le  publiei*  à 
Rome  en  l'attribuant  à  un  autre  auteur.  C'est  pourtant  ce 
qu'eutrejMrit  le  Gordelier  Paul  Reatino.  Jaloux  de  la  gloire  de 
son  ordre,  il  fit  imprimer  Êct  ouviage,  dans  lequel  il  trou- 
vait swia  doute  un  mérite  éminent,  soos  le  nom  d'un  fran- 
ciscain célèbre,  Jean  Dans  Scot  ( /e  docteur  Subtil).  Mais  il 
eut  soin  de  supprimer  l'épître  dédicatoire  à  l'évêque  Ponce. 
En  effet,  elle  eût  fait  découvrir  la  fraude,  ])nisque  le  prélat 
était  mort  avant  cjiie  Scot  vînt  au  monde.  Jean  Magloire, 
{|ui  était,  à  cette  époque,  à  Rome,  procureur -général  de 
l  ordre  de  Citeaux,  révolté  de  l'audace  du  cordelier  Paul 
Cas.Oudin,  Reatino,  porta  plainte  contre  lui,  et  obtint  une  sentence  du 

acript.     écoles.    a.  i  ^       ,    .  •     1  -/>       i-       ■  1  ,.        i      •■ 

Verb.  Thomas.  in=titre  du  sacre  palais,  qui  défendit  de  publier  le  livre  sous 
— Dupin,i}ibi.  tout  autre  nom  que  sous  celui  de  Thomas  le  Cistercien.  On 
"arr'î,**")^^'  ^"''  ^"  conséquence  obligé  de  changer  le  frontispice.  —  La 
^'^^  mï.  sentence,  que  Casimir  Oudin  rapporte  en  entier,  est  de  l'an 

l6'55,  indiction  VIII,  1 5  mars. 
'  Examinons  maintenant  l'ouvrage  en  lui-même,  et  tel  que 

l'a  publié  Josse  Badius;  il  sera  facile  de  juger  ensuite  s'il  mé- 
ritait bien  de  devenir,  au  XVIi*  siècle,  le  sujet  d'une  que- 
relle violente  enti^  deux  moines  de  diiférens  ordres. 

Le  savant  imprinK'ur  qui  l'a  publié  le  premier,  en  1621, 
le  dédie  au  père  D.  Edmond,  abbé  de  Clairvaux,  qui  en 


,  qi 

ne  doute  point  cpie  Thomas,  son  auteur,  ait  été  non-seule- 

Bwftï  do  même  Ordre  et  pioféss-ion  qiie  l'abbé  Edmond  , 

mais  aussi  moine  dans,  la  m«'me  maison  de  Clairvaux':  Ip- 

Thom.  Cist.  sorum  (commeiitariorum  )  auctor  non  solum,   istius  ordinis 

ca.n!"ép"(kdk   "^  professionis ,  sedetiam  domm  et  cohabitât ionis fuisse  milù 

au  v°dufron-  "visus  est.  Ainsi,  aux  abbayes  de  Vaucelles  et  de  I^erseigne, 

tispice.  où  nous  croyons  que  Tliora««  a  été  moine,  il  faudrait  aussi 

joindre  celle  de  Ciairvaax.  Dans  le  reste  de  l'épitre,  Badiuâ 


XII  SIECLE. 


T.  LE  CIST.— T.  DE  PERSEIG.-^T.  DE  VAUC.     33 1 

détaille  tous  les  genres  de  mérite  cju'il  a  cru  remarquer 
dans  l'ouvrage  de  Thomas  le  Cistercien.  On  trouve  dans  ce 
docteur,  selon  lui ,  1  elocjuence  douce  et  persuasive  de  saint 
Bernard,  et  sa  rare  sagacité  dans  l'art  de  recueillir  les  fleurs 
et  les  fruits  des  saintes  écritures  :  Prœ  se  fert  diligentem 
mellijlui  doctoris  dwi  Bernnrdi  in  divinis  scripturis  exercita- 
tionem  et  lacteam  eloquentiam  ,  et  in  coUigendis  fa^is  et 
sacrœ  scripturce  fioribus ,  dœdaleam  et  plus  qiicim  apinam 
seduUtatem. 

Vient  ensuite  l'épître  dédicatoire  de  Thomas  le  Cistercien      Ibid.  p.  i. 
à  Ponce,  évéque  de  Clermont  :  Rei>erito  patri  domino  Pontio 
Dei  gratiâ  ctaremontensi  episcopo  /rater  TJiomas  quantu-  ^ 

îuscunque  cisterciensis  nwnachus  se  totum  in  exequendis 
mandatis  ejus  impendens.  Cette  épître  sert  à  fixer,  du  moins 
à-peu-près,  le  temps  où  fut  composé  l'ouvrage.  En  effet, 
Ponce  gouverna  l'église  de  Clermont  depuis  1170  qu'il  en 
fut  élu  évêque,  jusqu'en  11 88.  Ainsi  c'est  dans  cet  inter- 
valle que  Thomas  écrivit  son  commentaire  du  Cantique  des 
Cantiques;  il  paraît  même  qu'il  n'entreprit  ce  travail  que 
par  les  ordres  du  prélat.  C'est  là  du  moins  ce  qu'il  lui  dit 
dans  un  style  qui  nous  semble  aujourd'hui  bizaire  et  avec 
des  expressions  qu'il  serait  assez  difficile  de  traduire  en  fran- 
çais :  Vehementer  obstupeseo  et  plus  quant  dicipotest  admirari 
non  desino  quod  tam  niblimis  tam  jxirvum ,  tam  disertiis 
tam  imperitum ,  tam  spiritualis  tam  irreligiosuni  ad  expri- 
mendam  de  Canticis  canticorum,  spiritualem  dulcedinem , 
non  tam  blandimcntis  invitavêrit  quam  flagella  facto  de 
funiculis  charitatis  coegeiit. 

Dans  la  préface  ou  proœmium ,  Thomas  trace  ainsi  le  plan 
qu'il  a  suivi  dans  son  commentaire  du  Cantique  des  Can- 
tiques :  Singulos  versiculos  ab  integuniento  paleœ  absolvo ,  ibid.p.itq. 
brevi  sive  compendiosd  expositione  :  deindè  enodatam  sen- 
tentiani  multiformi  disponens  distinctione  ;  postmodum  quasi 
apis  argumentosa  percurrens  flosculos  scripturarum ,  quœ 
exposila  sunt  et  distincta ,  eorum  roboro  attestatione. 

Thomas  n'est  qu^  trop  fidèle  à  ce  plan.  Il  n'y  a  pas  un 
mot  des  versets  du  célèbre  cantique  qui  11e  lui  fournisse  l'oc-  - 
casion  de  faire  vingt  définitions  différentes;  de  diviser,  sub- 
diviser ses  propositions.  Au  reste,  les  explications  qu'il 
donne  sont  bien  plus  inintelligibles  que  le  texte,  le  plus 
souvent  beaucoup  trop  clair.  On  en  jugera  par  quelques 
exemples. 

Tta 


XII  SIECLE. 


33a    T.  LE  CIST.— T.  DE  PERSEIG.— T.  DE  VAUC. 

Comme  c'est  d'un  épithalame  t^'\\  va  s'occuper,  il  croit 
devoir  d'abord  définir  l'ëpithalame  dont  il  reconnaît  trois 
espèces,  l'une  historique,  l'autre  philosophique,  la  troisième 
théologique.  Tria  sunt  cpithalamia  :  primum  historicum , 
secundum  philosophicum ,  tertium  theologicum.  Primum  agit 
de  légitima  copula  maris  et  f émince;  secundum  exprimit 
conjunctionem  tm>ialis  eloquentiœ  et  quadrivialis  sapientiœ  f 
tertium  conjunctionem  sponsce  et  sponsi,  id  est  Dei  et  animœ, 
Christi  et  ecclesiœ,  etc.  —  Plusieurs  colonnes  du  livre  sont 
employées  en  prétendues  définitions  et  explications  de  ces 
trois  sortes  d'epithalames. 

Il  passe  ensuite  au  premier  verset  du  cantique  :  Osculetur 
me  osculo  oris  sui,  qu'il  explique   d'une  manière  tout  aussi 
claire  et  aussi  satisfaisante.  Hœc  est,  dit-il, 'vox  synagogœ  qiui 
Christum  'venturum  in  mundum  didicerat  ah  angelis ,  audio' 
rat  à  prophetis.  Itaque  ejus  infiammata  desiderio  clamât  : 
osculetur  me  osculo  oris  sui.  Hœc  est  ad  enidiendum  et  snl- 
vandum  me  :  non  jam  angelos,  non  patriarclias ,  non  mittat 
prophetas ,  sed  ipse  qui  venturus  est  veniat  in  propria  per- 
sona.  Osculum  ejus  est  proprii  ons  eruditio.  Feniat  igitur  et 
eiudiat  me  proprio  ore,  etc.  — Vient  après  une  longue  dis- 
sertation sur  les  baisers  dont  il  compte  quatre  espèces  :  Est 
autem  osculum  quadruplex ;' osculum  camis.,  osculum  dce- 
monis ,  osculum  hominis,  et  osculum  dilecli.  De  primo  sus- 
cipitur  osculum  luxuriosum ,  de  secundo  venenosum ,  de  ter- 
tio domesticum ,  de  quarto  sanctum.  Il  continue  sur  ce  ton 
pendant  plusieurs  pages;  et,  à  propos  de  chacun  de  ces  bai- 
sers, il  cite  les  saintes  écritures.  Mais  ce  n'est  rien  de  les 
avoir  définis,  il  faut  qu'il  analyse  les  diverses  manières  dont 
les  baisers  se  donnent  :  Tria  in  osculis  notantur,  osculantium 
labia  se  consociant  ;  interiores  a  nhelitus  conspirant  ;  cofpora 
sihi  appropinquant.  In  primo  conjunctio  naturarum  ,  m  se- 
cundo unio  spirituum ,  in  tertio  comparticipatio  fit  passio- 
num,  etc. 

Mais  rien  de  plus  extraordinaire  que  l'explication  qu'il 
»lonne  du  dixième  verset  :  Quant  pulchroi  suntmammœ  tuœ, 
soror  mea,  sponsa  mea.  Pulchriora  ubéra  tua  mno.  Ces 
mamelles  de  l'épouse  représentent  ceux  qui  nourrissent  les 
ignorans  du  lait  de  la  cloctrine  :  Sic  in  mammis  designan- 
tur  qui  infirmos  simpliciori  lacté  doc t rince  nutriunt,  adhuc 
fuligine  pectoris  nigros  ad pulchritudinem  justitice  addu£unt. 
Il  ne  s'en  tient  pas  là.  Il  ne  laisse  point  échapper  une  si 


XII  SIECLE. 


T.  LE  CIST.— T.  DE  PERSEIG.— T.  DE  VAUC.     333 

belle  occasion  de  discourir  sur  toutes  les  espèces  de  ma- 
melles :  Et  paidisper  loquamur  de  uherihus  sine  distinctione 
nominum.  Tria  sunt  gênera  uberum.  Ubera  bruti  animalis , 
ubera  mulieris ,  ubera  virginis.  Brutum  animal  est  prelatus 
carnalis,  mulicr  doctor  spiritualis,  Virgo  est  mater  Salva- 
toris ,  etc. — Quelle  idée  doit-on  prendre  d'un  siècle  où  l'on 
pouvait  admirer  un  ouvrage  écrit  entièrement  sur  ce  ton  et 
de  ce  style! 

Nous  avons  vu  par  le  titre  de  l'édition  qu'a  donnée  Josse 
Badius,  qu'il  avait  joint  au  commentaire  de  Thomas  le  Cis- 
tercien un  autre  commentaire  de  Jean  Haîgrin.  Nous  igno- 
rons pourquoi  il  écrit  ainsi  le  nom  d'Alegrin  d'Abb^ille,      Morcri.Dlct. 
qui  fut  promu,  en  1227,  à  la  dignité  de  cardinal,  et  mourut  '''«t- ^crbo  Aie- 
en  1237.  ^""' 

Son  commentaire  ne  vaut  guère  mieux,  ni  pour  le  style, 
ni  pour  les  idées,  que  celui  du  moine  de  Cîteaux,  son  de- 
vancier. Au  reste,  comme  il  a  composé  d'autres  ouvrages, 
et  qu'il  a  joué  un  rôle  important  dans  les  affaires  de  l'é- 
glise, nous  lui  consacrerons  dans  la  suite  une  notice  par- 
ticulière. 

Si,  comme  nous  le  croyons,  Thomas  le  Cistercien  s'est 
appelé  successivement  Thomas  de  Perseigne,  puis  de  Vau- 
celles,  peut-être  même  de  Clairvaux,  il  avait  composé  d'au- 
tres ouvrages  que  son  commentaire  du  Cantique  des  Can- 
tiques. Dans  plusieurs  catalogues  de  manuscrits,  on  trouve 
sous  le  nom  de  Thomas  de  Perseigne  un  ouvrage  De  prœ-  De  visch , 
paratione  cordis  ;  un  autre  sur  le  livre  des  sentences  ;  enfin  Bibl.cist.p.2;,7. 
sous  son  nom  plus  connu  de  Thomas  Cisterciensis ,  des  ser- 
mons.  Nous  n'avons  ^u  nous  procurer  aucun  de  ces  ou- 
vrages. 

Tout  ce  que  nous  savons  de  la  vie  de  ce  moine,  comme 
nous  l'avons  dit,  est  qu'il  vécut  toui'-à-tour  dans  plusieurs 
monastères  de  son  ordre,  et  qu'il  se  fit  un  nom  dans  l'éghse 
par  ses  écrits  et  ses  sermons.  Nous  ignorons  l'année  précise 
de  sa  mort;  mais  puisqu'il  est  bien  prouvé  par  l'épître  dédi- 
catoire  de  son  commentaire  sur  le  Cantique,  qu'il  l'avait  pu- 
blié entre  iiyo  et  1 188,  nous  présumons  qu'il  est  mort  veis 
l'an  1200,  ou  dans  les  premières  années  du  XIIP  siècle. 

A.  D. 


XII  SIECLE. 


LES  ACTES   DU   PROCÈS 

ENTRE  LES  ÉGLISES  DE  TOURS  ET  DE  DOL, 

TOUCHANT    LE    DROIT    DE    MISTROPOLE    SUR    LÀ    PROVINCE 
DE    BRETAGNE. 

V  j'est  ici  le  lieu  de  rendie  compte  des  pièces  d'un  procès 
qui  a  duré  l'espace  de  plus  de  trois  cents  ans,  et  qui  ne  fut 
vraiment  termine  que  l'an  1199  par  jugement  définitif  du 
pape  Innocent  III.  Cette  affaire,  qui,  au  premier  aspect, 
semble  ne  pas  être  d'un  grand  intérêt,  n'était  pas  étran- 
gère à  la  politique  des  rois  de  France,  qui  ne  pouvaient  voir 
d'un  œil  tranquille  les  princes  bretons  affecter  l'indépen- 
dance et  se  soustraire  à  leur  domination.  Nous  verrons  que 
Philippe -Auguste  regardait  la  perte  de  ce  procès  pour  l'é- 
glise de  Tours,  comme  une  atteinte  portée  à  sa  couronne, 
parce  qu'à  cette  époque  ni  la  ville  de  Tours  ni  la  province 
de  Bretagne  n'étaient  sous  la  mouvance  immédiate  du  roi  : 
il  n'avait  conservé  dans  ses  mains  que  l'évêché  de  Tours, 
dont  par  conséquent  il  était  important  de  maintenir  la  di- 
gnité et  l'autorité  territoriale  dans  toute  son  étendue. 
MartAnecd.  £)ès  l'an  846,  Nominoë ,  duc  des  Bretons,  ayant  pris  le 
titre  de  roi,  voulut  aussi  ériger  en  métropole  un  des  évêchés 
de  son  nouveau  royaume.  Plusieurs  écrivains  ont  cru  qu'il 
avait  érigé  de  sa  propre  autorité  trois  nouveaux  évêchés, 
ceux  de  Dol,  de  Saint-Brieux  et  de  Tréguier  ;  mais  les  lettres 
du  pape  Nicolas  V^  à  Salomon,  roi  des  Bretons,  et  à  Festi- 
nien,  évêque  de  Dol,  prouvent  le  contraire;  celle  des  pères 
du  concile  de  Soissons,  de  l'an  866  au  même  pape,  écrite  au 
sujet  de  cette  affaire,  fait  mention  de  Salocon,  évêque  de 
Dol,  çh^sé  de  son  siège  par  Nominoë,  qui  mit  Festiuieu  à 
sa  place,  et  le  fit  reconnaître  pour  métropolitain  par  les  évê- 
ques  de  sa  domination.  Après  quoi  il  reçut  de  leurs  mains 
les  njarques  ée  la.  royauté  qu'il  ambitionnait.  L'évêché  de 
Dol  existait  donc  avant  cette  entreprise  de  Nominoë;  mais, 
comme  il  n'arrive  que  trop  souvent  qu'une  révolution  dans 
un  état  en  amène  aussi  une  dans  le  gouvernement  de  l'église, 
et  comme  on  ne  pouvait  consolider  Te  nouvel  ordre  de  choses 


t.  lll.col.  85o. 


xii  siecij:. 


PROCES  DES  ÉGL.  DE  TOURS  ET  DE  DOL.     335 

sans  l'intervention  de  l'évêque  métropolitain ,  on  prit  le  parti 
de  se  passer  de  lui ,  et  d  ériger  en  métropole  l'évêché  de  Dol 
sur  le  témoignage  de  quelques  fausses  légendes  qui  suppo- 
sent que  S.  Samson,  archevêque  d'York,  était  décore  du 
palliiim,  lorsque,  chassé  d'Angleterre,  il  prit  possession  de 
cette  église. 

Depuis  cet  événement,  l'église  de  Tours  ne  cessa  de  ré- 
clamer ses  droits  de  métropole  sur  la  province  de  Bretagne, 
et  de  s'opposer  aux  prétentions  des  évêques  de  Dol.  On  voit 
dans  ce  recueil  tout  ce  qu'ont  fait  ces  deux  églises,  l'une 
pour  soutenir  son  droit,  l'autre  pour  se  maintenir  dans  son 
usurpation;  on  y  voit  les  papes  et  les  conciles  interposer 
leur  autorité  pour  rétablir  les  choses  sur  l'ancien  pied  sans 
pouvoir  fléchir  l'obstination  des  Bretons.  Grégoire  VII, 
l'homme  le  plus  inflexible,  parut  céder  devant  eux.  Content 
de  la  soumassi^i  des  princes  bretons  qui  avaient  renoncé 
aux  investitures,  il  accorda  l'usage  du  pallium  à  Even  ,  nou- 
vellement élu  évêque  de  Dol ,  toutefois  sans  préjudice  des 
droits  de  l'église  de  Tours.  Le  procès  n'était  donc  pas  dé- 
cidé :  il  se  renouvela  plus  fortement  que  jamais  au  XII*  siècle, 
et  à  la  poursuite  de  Hugues,  archevêque  de  Tours,  le  pape 
Lucius  II  lui  donna,  l'an  ii44i  g'^'^i  "^  cause  en  l'investis- 
sant soleimellement  du  droit  de  métropolitain  sur  les  évê- 
chés  de  Bretagne. 

L'affaire  paraissait  terminée  en  dernier  ressort;  mais  l'é- 
glise de  Dol  trouva  moyen  de  recommencer  la  contestation  ; 
et,  s'il  faut  en  croire  les  historiens,  elle  n'eut  pas  de  peine 
à  faire  entendre  ses  réclamations  à  la  cour  de  Rome,  qui 
n'aimait  rien  tant  qu'à  perpétuer  les  procès  pour  attirer  des 
plaideurs.  Eugène  III,  Anastase  IV,  Adrien  IV,  tentèrent  plu- 
sieurs voies  de  conciliation  entre  les  deux  églises,  sans  pou- 
voir y  réussir.  Enfin,  l'an  1 179,  Alexandre  III  voulant  mettre 
fin  à  des  débats  interminables,  nomma  des  commissaires  sur 
les  lieux  pour  entendre  des  témoins,  non  sur  le  droit  des 
parties,  rnais  sur  le  possessoire,  se  réservant  le  jugement  de 
cette  affaire  quant  au  fond. 

Alexandre  mourut  bientôt  après,  et  son  successeur,  Lu- 
cius III,  se  préparait  à  porter  un  jugement  qui  ne  paraissait 
pas  devoir  être  favorable  à  l'église  de  Tours.  Ce  fut  alors 
que  Philippe-Auguste  intervint  dans  l'affaire,  et  éciivit  les 
lettres  fulminantes  qui  se  trouvent  parmi  celles  d'Etienne  de 
Tournai,  a  Nous  attendions  de  votre  part  la  paix ,  et  voilà       Steph.  Tor- 

nac.  ep.  io8. 


336    PROCES  DES  ÉGL.  DE  TOURS  ET  DE  DOL. 

: — 1   «  que  vous  semez  la  discorde.  Si  l'e'glise  romaine  ne  craint 

.  et  pas  de  porter  atteinte  aux  droits  de  l'église  de  Tours,  qui , 
«du  temps  de  nos  pères,  jouissait  dans  toute  leur  intégrité 
«des  droits  de  métropole  sur  la  petite  Bretagne,  nous  re- 
«  garderons  cet  événement  comme  un  attentat  contre  nous, 
«comme  une  injure  faite  à  notre  couronne,  non  moindre 
«que  si  on  l'avait  foulée  aux  pieds.  N'est-ce  pas  vouloir 
«nous  déshériter.'^  Que  dis -je.''  n'est-ce  pas  nous  faire  des- 
«  cendre  du  trône,  comme  des  lâches  incapables  de  se  dé- 
«  fendre,  que  d'entreprendre  d'établir  un  archevêque  là  où 
«il  y  a  déjà  un  métropolitain,  et  cela  au  préjudice  de  l'in- 
«  tégrité  de  notre  royaume.''  Si  cela  arrive,  nous  prenons  Dieu 
«  à  témoin  que  nous  ne  vous  regarderons  plus  comme  un 
«  père,  et  nous  ne  nous  conduirons  plus  à  votre  égard  comme 
«un  fils.  Ce  trait,  qui  percerait  jusqu'au  fond  de  notre  ame, 
«  nous  forcerait  à  crier  comme  un  homme  ou'on  dépouille 
«de  son  héritage,  à  gémir  comme  un  homme  abandonné, 
«  et  à  solliciter  la  vengeance  de  Dieu  et  des  liommcs  contre 
«  un  traitement  qui  décèlerait  le  peu  de  cas ,  pour  ne  pas 
«dire  le  mépris  qu'on  ferait  de  notre  personne (i).  » 

Cette  vive  remontrance  suspendit  la  procédure  :  elle  ne  fut 
1  éprise  que  vingt  ans  après  par  l'église  de  Dol  ;  mais  elle  suc- 
comba, et  le  droit  de  métropole  de  l'église  de  Tours  sur  la 
province  de  Bretagne  fut,  comme  nous  l'avons  déjà  dit,  au- 
thentiquement  reconnu  par  le  pape  Innocent  III,  l'an  1 199. 
Mart.  A.necd.       Q^  recueil  important  a  été  publié  par  D.  Martène  sous  le 

-088*^°  titre  dH^ctes  divers  touchant  l'église  de  Dol.  Une  partie  de 

ces  actes  existait  déjà  dans  la  collection  des  conciles  du  P. 
Labbe,  mais  ils  étaient  disséminés.  C'est  ce  qui  a  déterminé 


(i)  Sustlnuimus  pacem  vestram,  et  ecce  turbatio;  et  in  Itesione  Turonensis 
ecclesiœ ,  quœ  tempore  patrum  nostrorutn  integram  mett  opolitani  jurisdic- 
tionetn  in  tota  minori  Britannia  obtinuit ,  regnum  nostruni  turpitcr  immi- 
nuere  ac  mntilare  contenait  ecclcsia  roniana ,  coronam  de  capite  nostro 
dejicere ,  frangere  et pedihus  conculcare.  Qiiid  enini  aliiid  est  archiepiscopum 
in  cadem  provincia  contra  metropolitanum  suum  et  integrifatein  rcgni  nostri 
erigere  velle ,  quiun  ab  hereditate  patrum  nostrorum  nos,  tanqiiam  intbe- 
cilles  et  résistera  non  valentes ,  ejicere  et  fugare  ?  Videat  dominus  etjudicet, 
quod  si  processerit  factùm  istud ,  minus  amodo  vos  œstimabimus  patretn 
quam  vitricum  ,  minus  sentietis  nos  filium  quant  prii'ignum.  Usque  ad  ani~ 
mani  nostram  pertingit  gladius  iste ,  lU  exhereduti  clarhemus ,  pfnnganms 
nudati ,  contcmpti  et  abjecti  a,  vobis ,  ultionem  quandoque  Dei  et  hot/iinum 
expectemui,  etc. 


BERTÈRE,  CLERC  DE  L'ÉGL.  D'ORLÉANS.      337 

le  savant  bénédictin  à  les  donner  de  nouveau,  afin  qu'on  eût 
toutes  les  pièces  de  ce  fameux  procès  rassemblées  dans  un 
même  volume,  en  y  ajoutant  ce  qui  manque  dans  le  P. 
Labbe,  et  les  corrections  qu'on  a  pu  faire  à  l'aide  du  manus- 
crit qui  était  conservé  aux  archives  de  l'église  de  Tours.  Mal- 
gré cela,  il  y  a  encore  des  lacunes  en  quelques  endroits. 
Ce  recueil  est  composé  principalement  de  lettres  des  papes 

3ui  ont  pris  connaissance  de  cette  affaire  ;  de  procès-verbaux 
'audition  de  témoins ,  de  factum  d'avocats ,  et  finit  par  le 
jugement  du  pape  Innocent  IlL  Cependant  l'anonyme  qui  a 
recueilli  ces  actes,  y  a  ajouté  un  grand  nombre  de  pièces 
postérieures  à  cette  époque,  lesquelles  constatent  que  les 
archevêques  de  Tours  ont  continué  d'exercer  l'autorité  mé- 
tropolitaine sur  les  églises  de  Bretagne,  et  que  l'ancienne 
discipline  sur  les  élections  et  les  ordinations  aes  évêques  s'y 
est  maintenue  jusqu'au  milieu  du  XIV*  siècle,  puisque  la 
dernière  pièce  du  recueil  est  une  lettre  du  pape  Benoît  XII, 
écrite  l'an  i34o.  B. 


XII  SIECLE, 


BERTEBE  OU  BERTIER, 

CLERC   DE  L'ÉGLISE   D'ORLÉANS. 


U  N  historien  anglais  nous  apprend  que  ce  clerc  d'Orléans      Rog.  Hoved. 
composa,  l'an  1188,  une  prose  rimée  pour  exciter  les  Fran-  p.639,éd.i6oi. 
çais  à  prendre  la  croix,  a  l'exemple  des  rois  de  France  et 
d'Angleterre  qui  s'étaient  croisés  la  même  année  pour   la 
défense  de  la  Terre-Sainte. 

Nous  avons  parlé  ailleurs  des  pièces  de  ce  genre  qui  furent  Hîst.  Littër. 
composées  l'an  ii5o,  après  les  désastres  de  la  croisade  du  t-Xlll,p.8». 
roi  Louis -le -Jeune,  pour  stimuler  les  Français  à  tirer  ven- 
geance de  la  perfidie  des  Grecs  et  à  recommencer  l'expédi- 
tion d'outre-mer.  Cette  fois-ci  il  s'agissait  de  voler  au  secours 
des  chrétiens  de  la  Terre-Sainte,  subjugués  par  le  conqué- 
rant Saladin ,  qui  s'était  rendu  maître  de  Jér  usalem  et  em- 
paré de  la  vraie  croix  du  Sauveur.  11  y  avait  là  de  quoi  en- 
flammer le  zèle  des  preux  du  temps,  non  moins  braves  que 

Tome  XV.  Vv       ^ 


.f^  ^  .»«:. 


XII  SIECLE. 


338      BERTERE,  CLERC  DE  L'EGL.  D'ORLÉANS. 

religieux ,  et  c'est  ce  que  s'était  propose'  le  poète  dans  la  pein- 
ture vive  (^u'ir  fait  d'une  si  grande  profanation.  La  pièce  qui 
nous  a  été  conservée  par  l'historien  est  composée  de  six 
strophes  de  douze  vers ,  ayant  toutes  pour  refrain  ces  six 
vers  : 

Lignum  crucis ,  Quod  non  cessU, 

Signwn  diicis ,  Scd  processit 

Sequitur  exercitus  :  In  -vi  sancti  spiritûs. 

Nous  n'en  citerons  que  les  deux  premières  strophes  : 

Juxta  threnos  Jeremiœ  Jd  portandum  onus  Tyri, 

Vere  Sion  lugent  viœ,  Nunc  deherent  fortes  viri 

Quod  solemni  non  sit  die  Suas  -vires  experiri. 

Qui  sepulcrum  -visitet,  Qui  certant  quotidie 

Vel  casum  resuscitet  Laiidibus  militiœ 

Hujus  prophéties ,  Gratis  insigniri. 

Contra  quod propheta  scribit ,  Sed  ad  pugnam  congressurit 

Quod  de  Sion  lex  exibit ,  Est  athletis  opus  duris , 

Numquid  ibi  lex  peribit ,  i  Non  mollitis  epicuris  ; 

Nec  habebit  vindicem,  Non  enim  qui  pluribus 

Ubi  Christus  calicem  Cutem  curant  sumptibus 

Passionis  bihit  ?  Emunt  Deum  precibus.  F.pressuris. 

Lignum  crucis,  etc.  Lignum  crucis^  etc. 

Hist.  d'Ori.       Tâchons  maintenant  de  découvrir  qui  était  ce  clerc.  Sym- 
P-  409.  phorien  Guyon  dit  que  Bertère  était  conseiller  d'état  du  roi 

d'Angleterre;  mais  Roger  de  Hoveden  ne  lui  donne  pas  cette 
qualité.  Il  est  plus  vraisemblable  que  c'était  ce  Bertier,  ar- 
chidiacre de  Cambrai ,  à  qui  Etienne  de  Tournai  adresse  les 
lettres  99,  1 23,  190,  208,  241  de  l'édition  du  P.  Dumolinet. 
Il  résulte  de  ces  lettres  que  leur  amitié  datait  de  loin,  et  que 
cet  archidiacre  de  Cambrai  pourrait  bien  être  le  clerc  d'Or- 
léans dont  parle  l'historien  anglais.  Daiis  cette  supposition , 
on  peut  recueillir  quelques  notions  sur  sa  personne.  Quoique 
archidiacre  de  Cambrai,  il  était  attaché  à  Guillaume  de 
Champagne,  archevêque  de  Reims,  et  c'est  à  lui  qu'Etienne 
recommandait  ses  affaires  auprès  du  prélat,  lorsqu'il  avait 
Steph.  Tor-  des  raisons  pour  ne  pas  lui  écrire  directement.  Ayant  été 
nac.  cp.99.  mandé  à  Troyes  par  l'archevêque,  l'abbé  de  Sainte-Gene- 
viève, retenu  par  une  maladie,  craignait  d'avoir  encouru  la 
disgrâce  du  prélat  pour  ne  s'être  pas  rendu  aussitôt.  Il  écrit 
donc  à  Bertier  qu'il  s'est  mis  en  route  à  petites  journées,  et 


BERTÈRE,  CLERC  DE  L'ÉGL.  D'ORLÉANS.      SSg 

il  désire  lui  parler  avant  de  se  présenter  au  prélat  :  Renun- 
tiate  mihi  per  prœsentiwn  latorem  uhi  vos  veniens  inve- 
niam,  venialem  moram  meam  sub  virga  Domini  mei  pur- 


XII  SIKCLE. 


gaturus 


Dans  une  autre  lettre  à  Bertier,  l'abbé  de  Sainte-Geneviève  Epi$t.  laJ. 
craignant  d'importuner  l'archevêque  par  de  trop  fréquentes 
sollicitations,  s'adresse  à  son  ami  comme  étant  à  portée  de 
solliciter  pour  lui  :  Verecundum,  dit-il,  nec  minus  venim 
est  quod  loquor.  Timeo  Dominum  mewn  ac  vestrum  offen- 
dere  vel  improhis  questibus  vel  precibus  importunis ,  etc. 

C'en  est  assez  pour  prouver  que  Bertier  faisait  sa  rési- 
dence auprès  de  l'archevêque  de  Reims,  qui  aimait  à  s'en- 
tourer de  gens  de  lettres.  Mais  cet  ami  trouvait  qu'Etienne,  Epi$t.  ao8. 
devenu  évèque  de  Tournai,  remplissait  mal  les  devoirs  de 
sa  place,  apparemment  parce  qu'il  ne  donnait  pas  assez  à 
la  représentation.  L'évêque,  dans  une  autre  lettre,  lui  repré- 
sente que,  s'il  était  repréhensible  en  quelque  chose,  son 
ami  aurait  dû  l'avertir  en  particulier,  et  non  le  tourner  pu- 
bliquement en  ridicule  :  et  sur  cela,  il  lui  fait  le  détail  de  sa 
manière  de  vivre  toute  épiscopale. 

Ce  trait  prouve  que  Bertier  vécut  au-delà  de  l'année  1 192; 
mais  nous  ne  trouvons  aucune  autorité  pour  fixer  l'année 
de  sa  mort.  Dans  le  même  temps  vivait  à  Orléans  un  autre      Gaii.  Chriit. 
Bertier,  qui  fut  abbé  de  Saint-Éuverte  depuis  l'an  i  ig4  jus-  *V^^^^  '    *^°'' 
qu'en  1 199.   C'était  apparemment  un  parent  du  premier.      *  ' 

II.  Le  même  historien  anglais  rapporte  une  autre  pièce  Hoved,  p.  666. 
de  vers  qui  fut  faite  au  moment  du  départ  des  croisés.  C'est 
une  prose  rimée  qui  a  pour  titre  :  Planctus  super  itinere 
tiersùs  Jérusalem;  mais  l'auteur  n'est  pas  nommé.  Elle  est 
composée  de  huit  stances  de  quatre  vers ,  dont  nous  ne  cite- 
rons que  la  première  et  la  dernière: 

Graves  nobis  adniodum  dies  effluxere 
Qui  lapillis  candidis  digni  nonfuere; 
Nani  luctus  materiam  inala  prœbuere , 
Quœ  sanctam  Jérusalem  constat  sustinere. 

Ut  victores  redeant,  imploremus  Deum  ; 
Ut  tollant  de  medio  terrœ  Cananœurn, 
Jngressi  Jérusalem  pellant  Jehusœum , 
Christianœ  gloriœ  poi  tantes  trophœum, 

B. 

Vva 


XII  SIECLE. 


PÉREGRIN, 

4BBÉ  DE  FONTAINES-LES-BLANCHES, 

ORDRE    DE    CITEAUX,    AU    DIOCESE   DE    TOURS. 

^  %cii.  in-A",  PEREGRIN, auteur  d'une  histoire  du  monastère  dont  il  e'tait 
39a;'in-fol.'r  ^^^^1  *  ^u  soin  de  Hous  instruire  de  quelques  particularité'» 
II, p.  673-580.  de  sa  vie,  qui  peuvent  nous  le  faire  connaître  mieux  que 
nous  ne  connaissons  beaucoup  d'écrivains  de  son  temps.  Il 
i*<rf.  cap.  i3.    dit  positivement  qu'il  composait  cette  histoire  l'an  1200; 
<ju'il  y  avait  alors  trente  ans  qu'il  avait  embrassé  la  vie  re- 
ligieuse, et  douze  qu'il  était  abbé  :  d'où  il  résulte  qu'il  s'était 
fait  religieux  l'an  1170,  et  qu'il  fut  fait  abbé  l'an  1188. 

Il  a  divisé  son  histoire  en  deux  parties.  Il  traite,  dans  la 
première,  de  la  fondation  du  monastère,  de  ses  accroisse- 
mens,  et  on  y  trouve  la  succession  des  abbés  avec  des  anec- 
dotes qui   les  concernent  :  la   seconde  est  une  espèce  de 
cartulaire  qui  contient  les  titres  des  biens  acquis,  et  les  pri- 
vilèges émanés  de  la  cour  de  Rome  en  faveur  du  même 
établissement. 
/forf.cap.a-4.       Dans  la  première  partie,  il  nous  apprend  que  ce  lieu  n'é- 
tait d'abord  qu'un  nermitage  dans  lequel  s'étaient  rassem- 
blés plusieurs  solitaires  dont  il  donne  les  noms,  parmi  les- 
quels il  s'en  trouvait  un  qui  ayant  eu  la  dévotion  de  faire 
le  voyage  de  Jérusalem,  avait  été  choisi,  presque  en  arri- 
vant, pour  remplir  le  siège  patriarcal  de  cette  église.  C'était 
un  Flamand  nommé  Guillaume  qui  tint  ce  siège  éminent 
depuis  l'année  ii3o  jusqu'à  ii44.  Le  choix  qu'on  fit, de  lui 
tient  du  miracle.  Etant  allé,  la  veille  de  Pâques,  à  l'église  du 
Saint-Sépulcre  pour  être  témoin  du  prodige  qui  se  renouve- 
lait, dit- on,  tous  les  ans  à  pareil  jour  à  la  descente  du  feu 
nouveau,  il  arriva  que  le  cierge  qu'il  portait  à  la  main,  se 
trouva  le  premier  allumé.   Cela  suffit  pour  déterminer  le 
choix  qu'on  fit  de  lui. 

A  l'exemple  de  beaucoup  d'autres  communautés  d'her- 
mites  dont  le  nombre  en  ce  temps-là  était  considérable  dans 
plusieurs  endroits  de  la  France,  et  qui,  dans  la  suite,  sont 
devenues  pour  la  plupart  des  abbayes,  les  hermites  de  P'on- 


PIERRE   DE  BLOIS.  34i 

taines  mirent  en  délibération  s'ils  se  réuniraient  ou  à  l'ordre  . 

de  saint  Benoît  ou  aux  chanoines  réguliers.  Ils  choisirent,  lôid.a^.e. 
l'an  1 1 34 ,  la  nouvelle  congrégation  de  Savigny,  dont  le  chef- 
lieu  était  au  pays  d'Avranches,  sur  la  frontière  de  la  Bre- 
tagne et  du  Maine,  et  qui  était  alors  dans  toute  la  ferveur 
de  la  régularité.  Cette  congrégation  s'étant  donnée  à  saint 
Bernard  l'an  ii47i  la  maison  de  Fontaines  se  trouva  incor- 
porée à  l'ordre  de  Cîteaux,  et  c'est  de  là  que  lui  est  venu  le 
surnom  de  Fontaines -les -Blanches,  de  la  couleur  des  ha- 
bits qu'on  y  portait. 

D.  Luc  Dacneri  a  publié  cette  petite  histoire  qui ,  quoique 
peu  importante  au  fond,  est  écrite  avec  ordre  et  clarté.  Pere- 
grin  a  soin  de  recommander  à  ses  successeurs,  en  la  termi- 
nant ,  de  recueillir  à  son  exemple  les  événemens  qui  intéres- 
seraient son  monastère,  parce  que  ce  travail  serait  fort  utile 
pour  la  conservation  des  biens  de  la  maison ,  et  procurerait 
une  lecture  agréable  à  ceux  au  moins  qui  dans  la  suite  des 
temps  en  seraient  les  habitans.  Il  ne  paraît  pas  que  ses  in- 
tentions aient  été  remplies  :  nous  ne  connaissons  pas  non 
plus  d'autre  production  de  sa  plume. 


PIERRE  DE  BLOIS, 

ARCHIDIACRE  DE  BATH,  PUIS  DE  LONDRES. 

SA  VIE. 


"lERRE,  un  des  meilleurs  écrivains  du  XII®  siècle,  sur-      Epist.  49. 
nommé  de  Blois,  parce  qu'il  était  né  dans  cette  ville,  tirait 
son  origine  d'une  famille  noble  de  la  Basse-Bretagne.  Il  eut 
au  moins  deux  frères; 4' un,  établi  à  Orléans,  laissa  un  fils,i 
auquel  Pierre  de  Blois  écrivit  pour  le  c:)nsoler  de  la  perte      Epist.  ra.  - 
d'un  oncle  maternel;  l'autre,  nommé  Guillaume,  qui  a  eu    Epist.  90, 93.' 
son  article  dans  notre  histoire,  ayant  embrassé  l'état  reli- 
gieux, devint  abbé  d'un  monastère  en  Sicile.  Pierre  eut  en- 
core deux  sœurs;  l'une  était  la  mère  d'Ernaud,  prieur  de  Epist. i3i,i32, 
Saint-Martin  de  Moustier,  qui  devint  ensuite  abbé  de  Saint- 


XII  SIECLE. 


342  PIERRE  DE  BLOIS. 

Laumer  de  Blois;  l'autre,  nommée  Chrétienne,  mourut  re- 

Epist.  36.      ligieuse.  Il  appelle  ses  cousins,  consanguineos ,  un  prieur  de 

Epist.  3a.       Cantorbëri,  dont  le  nom  n'est  désigne  que  par  la  lettre  ini- 

Epist.  34.  tiale  V;  et  un  évêque  de  Périgueux,  dont  le  nom  commence 
par  la  lettre  P,  apparemment  Pierre  Minet,  qui  gouverna 
cette  église  depuis  l'an  1 169  jusqu'en  ii8a. 

Epist.  139.  Pierre  nous  apprend  que,  depuis  son  enfance  jusqu'à  sa 
vieillesse,  il  avait  passé  sa  vie  ou  dans  les  écoles  ou  dans 
les  cours  des  princes.  Il  ne  dit  nulle  part  où  il  lit  ses  pre- 
mières études,  ni  quels  furent  ses  maîtres.   Il   paraît,  par 

Epist.  la.  une  de  ses  lettres  écrite  à  un  de  ses  neveux  à  Orléans,  qu'il 
avait  fait  ses  humanités,  au  moins  en  partie,  à  Toui-s  :  Mitte 
mihi,  dit -il,  'versus  et  ludicra  quœ  feci  Turonis.  On  peut 
croire  aussi  qu'il  avait  pris  quelque  part  des  leçons  de  Jean 

Epist.  aa.  de  Salisburi;  car  dans  une  lettre  de  l'an  1170,  il  l'appelle 
son  seigneur  et  son  maître.  Si  ce  fut  à  Paris ,  ce  ne  put  être 
que  depuis  l'an  ii4o  jusque  vers  ii5o,  temps  oîi  Jean  de 
Salisburi  ouvrit  des  écoles  à  Paris,  comme  il  le  dit  lui- 
même,  metalog.  lib  II,  cap.  10.  Mais  Pierre  qui,  comme 
nous  le  verxons,  étudia  à  Paris  la  théologie,  ne  dit  nulle 
part  qu'il  y  ait  puisé  la  connaissance  des  beaux-arts. 

Epist.  a6.  Il  n'est  pas  douteux  que  Pierre  de  Blois  alla  étudier  la 

jurisprudence  à  Bologne;  mais  il  serait  difficile  de  dire  en 
quelle  année,  et  combien  de  temps  il  séjourna  dans  cette 
ville.  Nous  sommes  portés  à  croire  qu'il  en  sortit  vers   l'an 

Epist.  48.  1160  ou  116 1,  lorsqu'étant  allé  à  Rome  rendre  ses  hom- 
mages au  pape  Alexandre  III,  il  fut  arrêté  en  chemin  avec 
ses  compagnons  de  voyage,  dévalisé  et  meurtri  de  coups 
par  les  satellites  du  cardinal  Octavien ,  ou  l'antipape  Victor 
IV,  qui  voulaient  l'obliger  à  fléchir  le  genou  devant  leur 
idole.  C'est  ainsi  qu'il  appelle  cet  antipape. 

Epist.  a6.  De  retour  en  France,  il  vint  à  Paris  étudier  la  théologie. 

C'est  là  vraisemblablement,  et  peut-être  aussi  avant  son 
départ  pour  Bologne,  qu'à  l'exemple  de  Jean  de  Salisburi, 
qui,  livré  à  l'étude  de  la  théologie,  instruisait  en  particulier 
des  enfans  pour  subvenir  à  ses  besoins ,  Pierre  de  Blois  en- 

Epist.  9  ,5i,  seignait  les  arts  libéraux,  comme  il  le  dit  dans  plusieurs  de 
loi,  126.         ges  lettres. 

Vers  l'an  11 67,  Etienne  du  Perche  ayant  été  appelé  en 
Sicile  par  sa  parente  la  reine  Marguerite,  veuve  d\i  roi 
Guillaume  1*',  décédé  l'an  1166,  pour  l'aider  à  gouverner 
l'état  pendant  la  minorité  de  son  tils  Guillaume  II,  Pierre 


.     PIERRE  DE  BLOIS.  343 

de  Blois  passa  en  Sicile  avec  plusieurs  autres  Français  à  la    ^^^  siècle. 
suite  de  ce  jeune  seigneur.  Etienne  fut  fait  chancelier  du 
royaume,  et  bientôt  après  élu  archevêque  de  Palerme;  Pierre 
remplaça  le  chapelain  Gautier  dans  1  emploi  de  précepteur 
du  jeune  roi,  fut  chargé  de  la  garde  du  sceau  royal,  sigil- 
larius ,  et  parvint  à  un  tel  degré  d'autorité,  qu'après  la  reine 
et  le  chancelier,  il  eut  la  principale  part  au  gouvernement 
des  affaires,  comme  il  le  dit  lui-même.  Mais  cette  brillante  Epist.  72,  i3i. 
fortune  ne  dura  qu'un  an.  Les  Siciliens  ne  virent  pas  sans 
jalousie  ces  deux  étrangers  dominer  dans  leur  pays  ;  les  ar- 
tifices naturels  à  cette  nation  furent  mis  en  usage  pour  les 
supplanter.   Après  d'inutiles  efforts  pour  décrier  Pierre  de 
Blois  dans  l'esprit  du  roi,  son  élève,  on  chercha  d'autres 
moyens  de  l'éloigner  de  la  cour.  Deux  évêchés  lui  furent 
offerts  successivement  dans  cette  vue,  puis  l'archevêché  de 
Naples.  Pierre  évita  ces  pièges  en  refusant  tout;  mais,  té-      EpUt.  g», 
moin  de  la  conjuration  ouverte  qui  avait  forcé  le  chance- 
lier son  patron  a  quitter  la  Sicile  l'an  1 169,  ne  voyant  plus 
de  sûreté  pour  lui  a  continuer  son  emploi ,  Pierre  demanda 
sa  retraite.  Le  roi  voulut  le  retenir;  mais  n'ayant  pu  rien 
gagner  sur  lui,  il  fit  équiper  un  vaisseau  qui  le  conduisit  à 
Gênes. 

Arrivé  en  France ,  il  paraît  que  Pierre  reprit  les  fonctions      Epist.  72. 
de  l'enseignement  ;  car  il  nous  apprend  que  l'archevêque  de 
Sens,  Guillaume  de  Champagne,  ami  des  gens  de  lettres, 
voulut  le  tirer  de  cet  emploi ,  a  scholari  militid,  pour  l'avoir 
auprès  de   lui,  avec  promesse  de  lui  donner  un  bénéfice 
dans  son  église.  Mais  un  faux  ami,  qui  d'abord  s'était  inté- 
ressé pour  lui  procurer  celte  place,  avait   fait  changer  le 
prélat  de  résolution.  On  peut  croire  cependant  que  l'arche-      Epist.  ia8. 
vêque  Guillaume,  avant  de  se  démettre  de  l'évêché  de  Char- 
tres, l'an  1176,  voulut  le  dédommager  en  le  nommant  à 
une  préfecture  de  cette  église,  pour  laquelle  il  eut  un  procès 
à  soutenir  contre  ce  faux  ami  sous  l'episcopat  de  Jean  de  Epist.  49,  i3o. 
Salisburi ,   qui  conféra   ce  bénéfice  à  un  de   ses  propres 
neveux. 

A  cette  époque,  Pierre  de  Blois  était  déjà  passé  en  Angle- 
terre; car  dans  la  lettre  i3o  à  Jean  de  Salisburi,  il  prend  la 
qualité  de  chancelier  de  l'archevêque  de  Cantorhéri;  et  dans 
la  49*  au  chapitre  de  Chartres,  celle  à^ archidiacre  de  Bath. 
On  peut  même  avancer  qu'il  y  était  avant  l'année  iiyô,  Epist.  41, 56. 
puisqu'au  commencement  de  cette  année  il  était  de  retour 


XII  SIECLE. 


1 

344  PIERRE  DE  BLOIS. 

d'un  voyage  qu'il  avait  fait  à  Rome  pour  les  affaires  du  roi 
d'Angleterre. 
Vf.  Thorn,       L'ap  1177,  il  fit  UH  sccond  voyage  à  Rome  avec  Gérard 

interbist.A.ngI.    r».       1  •.    '  r  •  i*^    "  '    u  n  1       1  / 

script.  t.Xjcoi.  *^cel,  autre  rameux  canoniste,  charges  l  un  et  l  autre  de  de- 
x8ai.  fendre  les  droits  de  l'archevêque  de  Cantorbéri  contre  les 

f)rivilëges  d'exemption  de  l'abbaye  de  Saint- Augustin.  Malgré 
eur  éloquence   et  leur  vaste  érudition,  ils  perdirent  leur 

bS^^i^^^'*^  cause.  Pierre  ne  fut  pas  plus  heureux  l'an  1187,  dans  un 
•  C0.149  .    troisième  voyage  qu'il  fit  a  Vérone  où  résidait  le  pape  Ur- 
bain III,  pour  soutenir  des  prétentions  que  l'archevêque  de 
Cantorbéri,  Baudouin,  avait  élevées  contre  les  moines  de 
son  église. 

Epist.  127.  Le  roi  d'Angleterre,  Henri  II,  étant  mort  l'an  1 189,  Pierre 

-  de  Blois  ne  trouvant  pas  dans  son  successeur,  qu'il  appelle 
un  autre  Pharaon,  les  mêmes  sentiraens  de  bonté  et  ae  gé- 
nérosité qu'il  avait  éprouvés  de  la  part  du  père ,  aurait  aban- 
donné l'Angleterre,  s'il  n'eût  rencontré  dans  les  évêques  de 
Worch  ester  et  de  Durham  des  amis  empressés  à  le  consoler 
dans  son  affliction.  Ces  deux  prélats,  par  leurs  bienfaits,  lui 
firent  oublier  qu'il  était  dans  une  terre  étrangère;  mais  la 
mort,  dit -il,  lui  enleva  bientôt  ces  généreux  amis.  Ce  fut 
vraisemblablement  alors  que  la  reine  Eléonore  le  prit  à  son 
EpUt,  87,  ia4.  service  en  qualité  de  secrétaire.  On  voit  au  moins  par  plu- 
sieurs de  ses  lettres  qu'il  remplissait  cette  fonction  depuis 
l'an  119 1  jusqu'après  l'an  iipS. 

Epist.  149.  Vers  la  même  époque  il  éprouva  plusieurs  sortes  d'adver- 
sités; il  fut  accusé  d'un  crime  honteux  par  des  gens  qui  réus- 
sirent à  lui  faire  perdre  l'archidiaconé  de  Bath,  le  meilleur 
de  ses  bénéfices.  Il  en  fut  si  consterné,  qu'il  résolut  de  repas- 

Epist.  160.  ggr  en  France,  et  demanda  pour  cela  la  protection  d'Eudes 
de  Sully,  évêque  de  Paris,  dont  il  avait  éprouvé  jadis  les 
bontés,  lorsque  ce   prélat  n'était  encore  qu'aichidiacre  de 

Epist.  i5i.  Bourges.  Il  ne  quitta  pourtant  pas  l'Angleterre,  parce  que 
l'évêque  de  Londres,  pour  le  dédommager,  le  fit  archidiacre 
de  son  église;  mais  les  revenus  de  ce  bénéfice  étaient  si  mo- 
diques, qu'il  pria  le  pape  Innocent  III  de  les  augmenter,  en 
accordant  à  l'archidiacre  de  Londres  les  mêmes  droits  dont 
jouissaient  par -tout  ailleurs  les  archidiacres,  parce  que  les 
revenus  de  celui-ci  ne  suffisaient  pas,  dit-il,  pour  vivre  un 
mois  de  l'année.  C'est  vraiseml)lablement  pour  suppléer  à 
l'insuffisance  de  son  archidiaconé  de  Londres,  qu'on  lui  pro- 
cura le  doyenné  d'un  chapitre  appelé  Wnlrehaniten ,  au  dio- 


XII  SIECLR. 


PIERRE  DE  BLOIS  3^5 

cèse  de  Chester;  mais  il  trouva  les  chanoines  si  déréglés  et 

si  peu  susceptibles  de  correction,  qu'il  donna  sa  démission      l^P'st-  "2. 

entre  les  mains  de  l'archevêque  de  Cantorbéri ,  demandant 

qu'on  mît  à  leur  place  des  cisterciens,  avec  l'autorisation  du 

saint-siége,  pour  laquelle  il  écrivit  au  pape  Innocent  III. 

Ces  deux  lettres  au  pape  Innocent  III  sont  les  dernières 
époques  connues  de  la  vie  de  Pierre.  On  ignore  l'année  pré- 
cise de  sa  mort;  il  est  possible  qu'il  ait  vécu  encore  quel- 
ques années,  mais  on  ne   peut  la  placer  avant  l'an  1198, 
époque  où  le  pape  Innocent  III  monta  sur  le  trône  pontifical. 
Nous  n'avons  fait  qu'indiquer  sommairement,  d'après  les 
lettres  de  Pierre  de  Blois ,  les  principales  époques  de  sa  vie. 
Nous  ferons  connaître  plus  particulièrement  ce  savant  per- 
sonnage en  rendant  un  compte  plus  détaillé  de  ses  lettres. 
On  y  verra  que  du  moment  que  Henri  II,  roi  d'Angleterre, 
l'eut  mis  au  nombre  de  ses   chapelains,  Pierre  devint  un 
homme  important;   qu'il  éclipsa    par   sa    capacité  tous  les 
^autres  clercs  de  la  cour  d'Angleterre  :  secrétaire  du  cabinet, 
conseiller  privé,  négociateur,  il  entra  dans  presque  toutes 
les  affaires  de  l'état;  Richard,  archevêque  de  Cantorbéri,  et 
ses  deux  successeurs,  Baudouin  et  Hubert,  lui  donnèrent 
la  même  part  dans  celles  de  l'église  ;  en  sorte  qu'il  était  obUgé 
de  partager  son  séjour  entre  la  cour  du  prince  et  celle  du 
primat.  D'autres  prélats  d'Angleterre  prirent  ses  conseils,  ou 
empruntèrent  sa    plume  pour  leurs  intérêts  personnels  et 
ceux  de  leurs  diocèses.  En  un  mot,  il  fut  l'homme  le  plus 
consulté,  le  plus  employé,  le  plus  estimé  de  toute  l'Angleterre. 

SES   ÉCRITS. 

Pierre  de  Blois  a  ftiit  lui-même  le  dénombrement  de  Pet.  Blés., 
presque  tous  ses  écrits  :  ils  consistent  dans  des  lettres,  dans  *"??•  P-  ^^7- 
un  grand  nombre  de  sermons,  et  dans  quelques  traités  par- 
ticuliers. Toutes  les  productions  de  sa  plume,  à  quelques 
exceptions  près,  ont  été  recueillies  par  Pierre  de  Gussan- 
ydle  dans  la  dernière  édition  de  ses  œuvres  en  un  volume 
in-folio ,  que  nous  prendrons  pour  guide. 

§.    I.     SES     LETTRES. 

C'est  l'auteur  lui-même  qui,  à  la  demande  de  Henri  II, 
roi  d'Angleterre,  les  rassembla  en  grande  partie,  comme  il 
•     Tome  XF.  X  x 


XII  SIECLE. 


346  PIERRE  DE  BLOIS. 

le  témoigne  dans  la  première,  adressée  à  ce  prince,  laquelle 
tient  lieu  d'épître  dédicatoire  et  de  préface.  Après  un  juge- 
ment sévère  sur  l'imperfection  du  style  de  ses  lettres,  qui 
n'étaient  point  destinées  à  devenir  publiques,  il  prie  ce  mo- 
narque de  lui  pardonner  la  liberté  avec  laquelle  il  parle 
quelquefois  de  sa  personne.  «  C'est,  dit-il,  l'effet  de  l'atta- 
«cliement  inviolable  que  j'ai  pour  vous;  car  je  vous  aime 
«d'un  amour  de  jalousie,  et  pour  Dieu.  Je  ne  me  souviens 
«pas  que  la  flatterie  soit  entrée  pour  quelque  chose  dans  les 
«lettres  que  j'ai  eu  l'honneur  de  vous  écrire  :  je  ne  suis  pas 
«marchand  d'huile,  Tion  suni  olei  'venditor.  » 

Pierre  ayant  fait  la  collection  de  ses  lettres  douze  ans  au 
moins  avant  sa  mort,  il  n'est  pas  étonnant  que  le  nombre 
n'en  soit  pas  le  même  dans  les  manuscrits,  les  uns  en  con- 
tenant plus,  les  autres  moins,  parce  que,  tant  que  l'auteur  a 
vécu,  il  a  pu  y  en  ajouter  toujours  de  nouvelles.  Mais  ce  qui 
surprend,  c'est  qu'il  ne  les  ait  pas  rangées  dans  un  meil- 
leur ordre.  On  ne  voit  point  qu'il  se  soit  proposé  un  plan 
quelconque;  ce  n'est  certainement  pas  l'ordre  chronologique 
qu'il  a  voulu  garder  ;  ce  n'est  pas  non  plus  l'ordre  des  ma- 
tières :  il  semble  qu'il  les  enregistrait  fortuitement  comme 
elles  se  présentaient,  tant  il  y  règne  de  confusion. 

Quoi  qu'il  en  soit,  nous  rendrons  compte  des  i83  lettres 
qui  dans  la  dernière  édition  forment  la  collection  entière; 
et,  pour  procéder  avec  plus  d'ordre,  nous  les  distribuerons 
en  deux  classes  :  i°  celles  que  Pierre  écrivit  en  son  propre 
nom;  a°  celles  dont  il  ne  fut  que  le  rédacteur,  écrivant  au 
nom  des  personnes  qui  l'employaient.  Dans  l'arrangement 
des  premières,  nous  n'aurons  égard  qu'à  la  qualité  des  per- 
sonnes à  qui  elles  sont  adressées,  mettant  d'abord  celles  qui 
furent  écrites  aux  souverains  pontifes  ou  à  des  cardinaux, 
puis  aux  archevêques,  aux  évêques,  aux  abbés  et  religieux, 
aux  clers  séculiers,  aux  gens  de  lettres,  etc.  Mais  nous  pla- 
cerons en  première  ligne  sa  correspondance  avec  le  roi 
d'Angleterre,  à  qui  la  collection  est  dédiée. 

Lettres  à  Henri  JI,  roi  dÂngieteire.  Nous  avons  déjà  fait 
Epi»t.  a.  connaître  la  première.  La  seconde  a  pour  objet  de  consoler 
ce  prince  sur  la  mort  de  son  fils  Henri,  décédé  l'an  ii83. 
Pierre  ne  dissimule  pas  les  révoltes  de  ce  jeune  prince ,  mais 
il  en  rejette  le  blâme  sur  les  traîtres  qui  abusaient  de  son 
inexpérience  ;  car  il  loue  d'ailleurs  les  belles  qualités  dont  il 
Epi»t.  41.      était  doué. — La  lettre  4i*  est  relative  à  une  mission  dont 


PIERRE  DE  BLOIS.  347 

l'auteur  avec  d'autres  députe's  avait  e'të  chargé  par  le  roi 
auprès  du  saint- siège.  Débarqué  à  IVieuport  et  attaqué  de 
la  dyssenterie,  il  mande  au  roi  qu'il  est  impatient  de  lui 
rendre  compte  de  sa  mission ,  mais  qu'il  ne  sait  en  quel 
lieu  le  trouver;  que  ses  députés  sont  revenus  vides  d'argent, 
chargés  de  plomb,  et  dans  un  équipage  assez  délabré.  L'édi- 
teur rapporte  cette  lettre  à  l'an  1 177,  parce  qu'il  y  est  parlé 
de  l'arrivée  des  ambassadeurs  des  rois  d'Espagne  pour  sou- 
mettre à  l'arbitrage  du  roi  les  contestations  qui  les  divisaient. 
Il  est  vrai  que  la  décision  du  monarque  anglais  est  de  cette 
année;  mais  en  combinant  la  lettre  4i^  avec  la  56^  à  l'évêque 
de  Rochester,  on  voit  que  Pierre  était  de  retour  de  sa  mis- 
sion l'an  1 175,  puisque  dans  la  dernière  il  annonce  la  pro- 
chaine arrivée  du  légat  Hugution,  qui  débarqua  en  Angle- 
terre vers   la  Toussaint   de    cette    année,   selon  Roger   de 
Hoveden.  —  Dans  la    lettre  ()5,  Pierre  dénonce  au   roi  les 
vexations  criantes  que  les  vicomtes,  les  forestiers,  et  leurs 
officiers  subalternes  exerçaient  dans  l'administration  de  la 
justice.  Il  convient  que  le  prince  ne  peut  pas  tout  voir  par 
ses  yeux  ;  mais  il  soutient  qu'il  n'est  pas  moins  responsable 
des  abus  qui  se  commettent  sous  son  autorité,  s'il  néglige 
d'y  apporter  remède  lorsqu'il  en  est  instruit. 

Lettres  a  de  souverains  pontifes.  Il  y  en  a  d'adressées  à 
Alexandre  III,  à  Urbain  III,  à  Grégoire  VIII,  et  à  Célestin 
III;  mais  ces  lettres  ayant  été  écrites  par  notre  auteur  au 
nom  d'autres  personnes,  il  en  sera  parlé  plus  bas.  Nous 
avons  de  lui  deux  lettres  écrites  en  son  nom  au  pape  Inno- 
cent III  :  dans  la  i5i*,  il  supplie  le  pape  d'augmenter  le  re- 
venu de  l'archidiaconé  de  Londres  dont  il  était  pourvu,  en 
accordant  à  cette  dignité  les  mêmes  droits  dont  jouissaient 
ailleurs  les  archidiacres.  Il  dit  qu'il  y  avait  à  Londres  qua- 
rante mille  âmes  et  cent  vingt  églises.  Dans  la  iSa*,  l'auteur 
rend  compte  au  pape  des  désordres  qui  régnaient  dans  un 
chapitre  séculier  dont  il  était  doyen.  Les  chanoines,  dit-il, 
concubinaires  publics,  épousaient  sans  scrupule  et  en  face 
de  l'église  les  nièces  et  les  filles  de  leurs  confrères.  Le  reste 
de  leur  conduite  répondait  à  cette  licence.  Ne  pouvant  re- 
médier à  des  abus  si  crians,  il  annonce  au  souverain  pontife 
3u'il  a  donné  sa  démission  entre  les  mains  de  l'archevêque 
e  Cantorbéri,  le  priant  de  consentir  à  ce  que  celui-ci  mît  à 
la  place  des  chanoines  une  colonie  de  cisterciens. 

Lettres  a  des  cardinaux.  Le  cardinal  Octavien  ayant  été 

Xxa 


XU  SIECLE. 


Epist.  95. 


Epist.  i5i. 


Epist.  i5a. 


Epist.  23. 


54B  PIERRE  DE  BLOIS. 

XII  SIECLE.     .  ,   ,  ,  .       ,  „. 

_ envoyé  légat  en  Augleterre,  Pierre  de  Blois  lui  écrivit  la 

lettre  aS,  dans  laquelle  il  lui  dénonce  par  quelles  intrigues 
des  sujets  indignes  parvenaient  à  lepiscopat.  Le  cardinal 
Octavien  ayant  été  envoyé  deux  fois  en  Angleterre,  l'an  1 187 
et  l'an  1 192,  plusieurs  auteurs  rapportent  cette  lettre  à  l'an 
1187,  ^^,^-  P^gi  ^  1'^"  ^^92-  Nous  serions  de  son  avis,  si 
Pierre  eût  donné  à  Octavien  le  titre  d'évêque  d'Ostie,  que 
ce  cardinal  avait  déjà  l'an  1190,  suivant  Roger  de  Hoveden, 
p.  668. 
Epist.  38.  Ecrivant  au  cardinal  Albert,  chancelier  de  l'église  romaine, 

Pierre,  dans  la  lettre  38^,  prend  lui-même  la  qualité  de  chan- 
celier de  l'archevêque  de  Cantorbéri.  L'objet  de  la  lettre  est 
de  justifier  la  conduite  de  son  archevêque ,  contre  lequel  des 
malveillans  avaient  porté  plainte  au  saint-siége.  L'éditeur, 

{)ersuadé  qu'il  s'agit  dans  cette  lettre  de  l'archevêque  Richard, 
a  rapporte  à  l'année  1176;  mais  il  n'a  pas  fait  attention 
qu'Albert  n'a  été  fait  chancelier  de  l'église  romaine  qu'en 
1 1 79.  Notre  opinion  est  que  cette  lettre  regarde  l'archevêque 
Baudouin,  installé  l'an  11 84,  dont  l'auteur  prend  encore  la 
défense  dans  les  lettres  100  et  164. 
Epist.  48.  Dans  la  48%  l'auteur  félicite  le  cardinal  Guillaume  de  Pavie 

de  la  part  qu'il  avait  eue  à  la  paix  de  l'église  par  la  réconci- 
liation du  pape  Alexandre  avec  l'empereur  Frédéric,  l'an 
1 177.  Il  se  déchaîne  vivement  contre  le  cardinal  Octavien, ou 
l'antipape  Victor  IV,  auteur  de  ce  long  schisme,  parce  que 
allant  à  Rome  vers  l'an  11 60,  comme  nous  l'avons  dit  plus 
haut,  il  avait  été  arrêté  et  meurtri  de  coups  par  les  satel- 
lites de  cet  antipape.  Il  en  prend  occasion  de  remercier  le 
cardinal  Guillaume  de  l'avoir  recueilli  et  traité  avec  bonté, 
après  qu'il  se  fût  échappé  de  leurs  mains.  . 
Epiit.  4a.  Lettres  à  des  archevêques.  La  l\'^  est  une  invective  contre 

Robert,  prévôt  de  l'église  d'Aire  et  chancelier  de  Philippe, 
comte  de  Flandre,  lequel,  quoique  élu  évêque  d'Arras  et 
ensuite  de  Cambrai ,  jouissait  des  revenus  de  toutes  ces 
églises,  sans  se  mettre  en  peine  de  recevoir  la  consécration 
épiscopale,  exerçant  l'autorité  du  glaive  qui  lui  était  confiée, 
livré  entièrement  aux  affaires  séculières  et  négligeant  celles 
de  sa  profession.  Pierre  lui  prédit  qu'il  mourra  d'une  mort 
violente,  comme  tant  d'autres  hommes  sanguinaires  dont  il 
lui  retrace  le  souvenir.  C'est  ce  qui  arriva  l'an  x  1 74 1  Robert 
ayant  été  .mis  à  mort  à  Conde  par  les  gens  de  Jacques 
d'Avesne.  Il  paraît  que  Pierre  était  lié  d'amitiéavec  ce  fameux 


XII  SIECLE. 


Epist.  5. 


Epist.  52. 


PIERRE  DE   BLOIS.  349 

personnage,  étant  nës  l'un  et  l'autre  dans  le  diocèse  de  Char- 
tres; car  il  lui  reproche  d'avoir  brûlé,  peu  de  temps  aupara- 
vant, une  de  ses  lettres  qu'il  lui  fit  remettre  par  l'abbé  de 
Clairmarais,  sans  vouloir  entendre  les  représentations  de  ce 
pieux  abbé. 

La  lettre  5  à  Richard,  archevêque  de  Cantorbéri,  est  pleine 
de  reproches  sur  la  manière  dont  ce  prélat  gouvernait  son 
diocèse,  ne  faisant  aucun  usage  de  l'autorité  de  légat  dont  il 
était  revêtu,  sur  le  reste  de  l'Angleterre.  L'auteur,  pour  tem- 

férer  la  dureté  des  reproches  et  justifier  en  même  temps 
étonnante  liberté  avec  laquelle  il  lui  parle ,  feint  qu'il  n'est 
que  l'écho  où  l'historien  de  ce  qu'on  disait  de  Richard  dans 
le  monde.  Cette  lettre  paraît  être  de  la  même  date  que  la  38" 
au  cardinal  Albert,  chancelier  de  l'église  romaine,  dont  il  est 

Fàrlé  plus  haut,  dans  laquelle  Pierre,  se  disant  chancelier  de 
archevêque  de  Cantorbéri,  répond  aux  inculpations  dont 
on  avait  chargé  ce  prélat  en  cour  de  Rome. 

Dans  la  Sa^  au  même  prélat,  l'auteur  fait  la  description 
d'une  tempête  qu'il  avait  essuyée  en  traversant  la  mer  pour 
venir  en  France,  chargé  d'une  mission  de  son  archevêque 
auprès  du  roi  d'Angleterre,  qui,  dit-il,  se  rendait  alors  en 
Gascogne.  Nous  ne  voyons  pendant  l'épiscopat  de  Richard 
aucun  temps  où  le  roi  d'Angleterre  ait  fait  un  voyage  dans 
la  Gascogne  proprement  dite  ;  mais  Henri  II  en  ht  un  à 
Limoges  l'an  1177,  auquel  il  paraît  qu'il  faut  rapporter  cette 
lettre. 

La  109^  est  adressée  à  Hubert,  archevêque  de  Cantorbéri. 
Ce  prélat  lui  avait  mandé  de  se  rendre  auprès  de  lui.  Pierre 
lui  expose  le  mauvais  état  de  sa  santé  :  s'il  y  avait  néanmoins 
quelque  affaire  pressante  qui  exigeât  sa  présence,  il  ne  crain- 
dra pas  d'exposer  sa  vie  pour  lui  obéir.  Ce  billet  est  posté- 
rieur à  l'année  1193,  où  commence  l'épiscopat  de  Hubert  à 
Cantorbéri. 

Geofroi,fils  naturel  de  Henri  II,  ayant  été  fait  archevêque      Epist.  ii3. 
d'Yorck  l'an  1 189,  notre  auteur  lui  écrivit  la  lettre  1 13  pour 
l'exciter  à  réprimer,  par  des  peines  sévères,  des  hérétiques 
qui  s'étaient  glissés  dans  son  diocèse. 

La  lettre  i4.3   à  Conrad,  archevêque  de   Mayence,  que      Epist.  143. 
Pierre  de  Blois  dit  avoir  été  son  condisciple,  a  pour  objet 
d'intéresser  ce  prélat,  tout  puissant  en  Allemagne,  à  la  déli- 
vrance de  Richard,  roi  d'Angleterre,  fait  prisonnier  par  le 


Epist.  109. 


35o  PIERRE  DE  BLOIS. 


XII  SIECLE. 


duc  d'Autriche  l'an  1 192.  D.  Martëne  ai  réimprimé  cette  lettre 
moins  correctement  au  tome  P'  des  Anecdotes ,  col.  642. 
Epist.  66.  Gautier,  archevêque  de  Palerme,  auquel  Pierre  de  Blois 

avait  succédé  dans  1  emploi  de  précepteur  de  Guillaume  11^ 
roi  de  Sicile,  Anglais  d'origine,  l'avait  prié  de  lui  faire  le  por- 
trait de  Henri  II ,  roi  d'Angleterre ,  que  le  bruit  public  char- 
geait du  meurtre  de  saint  Thomas  de  Cantorbéri.  La  66^ 
lettre  est  une  réponse  à  celle  de  Gautier.  Après  l'avoir  com- 
plimenté sur  son  élévation  et  remercié  des  présens  qu'il  lui 
avait  envoyés,  Pierre  s'étend  avec  complaisance  sur  les  qua- 
lités de  l'esprit  et  du  cœur  de  son  héros,  sur  son  physique, 
son  humeur,  son  caractère,  sa  manière  de  vivre,  ses  exer- 
cices journaliers,  son  gouvernement:  il  aime,  dit- il,  la  lec- 
ture ,  et  se  plaît  à  converser  avec  les  savans  lorsqu'il  a  ex- 
pédié les  affaires;  il  est  réservé  dans  ses  paroles .  sobre  dans 
ses  repas,  libéral  envers  tout  le  monde,  magnifique  dans  les 
palais  qu'il  fait  élever,  très-habile  dans  la  manière  de  forti- 
fier les  places;  de  sorte  qu'il  n'y  avait, selon  lui,auciui  prince 
qui  piit  lui  être  comparé.  Passant  ensuite  à  son  apologie  par 
rapport  au  meurtre  de  saint  Thomas,  il  proteste,  sur  son 
ordre  de  diacre,  qu'il  ne  voit  aucun  motif  de  le  croire  cou- 
pal)le  d'un  pareil  attentat.  «  Vous  êtes  à  portée,  ajoute-t-il, 
«  de  consulter  là-dessus  les  cardinaux  Theoduin ,  évêque  de 
«Porto,  et  Albert,  chancelier  de  l'église  romaine,  lesquels 
«  ayant  été  envoyés  en  France  pour  examiner  cette  affaire, 
«  ont  reconnu  l'innocence  du  roi.  »  Theoduin  n'ayant  été 
fait  évêque  de  Porto  qu'en  1 178,  et  Albert  chancelier  qu'en 
1 179,  il  est  évident  que  cette  lettre  ne  peut  avoir  été  écrite 
l'an  1177,  comme  le  veut  l'éditeur;  mais  on  peut  la  placer 
à  l'année  1180,  ou  même  plus  tard. 
Epist.  124,125.  Il  nous  reste  quatre  lettres  de  Pierre  de  Blois  à  Gautier 
de  Coutances,  archevêque  de  Rouen.  La  124*^  et  la  suivante, 
relatives  au  différend  qui  s'était  élevé,  l'an  1196,  entre  ce 
prélat  et  Richard,  roi  a' Angleterre ,  ont  pour  objet  de  con- 
soler l'archevêque  dans  l'exil  auquel  il  s'était  volontairement 
condamné  après  avoir  lancé  une  sentence  d'interdit  sur  la 
province  et  d'excommunication  contre  les  officiers  du  roi, 
pour  empêcher  la  construction  d'une  forteresse  an'on  éle- 
vait dans  la  terre  des  Andelys ,  appartenante  à  l'église  de 
Rouen.  Dans  l'une  et  dans  l'autre  il  exhorte  le  prélat  à  tenir 
ferme  et  à  mettre  à  profit  le  loisir  que  lui  laisse  son  exil,  en 


PIERRE  DE   BLOIS.  35i 


XII  SIECLE. 


l'employant  à  la  prière  et  à  l'étude  de  1  écriture-sainte. 
Cette  affaire  ayant  été  terminée,  l'année  d'après,  par  un      Epist.  i38. 
échange  avantageux  à  l'église  de  Rouen ,  Gautier  rentra  dans  - 

6on  église,  et  Pierre  le  félicite  sur  son  retour  par  la  lettre 
i38.  —  Dans  la  i4i*i  notre  auteur  se  plaint  à  Gautier  de  l'in-  Epist.  141. 
fidélité  du  chapelain  ÉHe,  qui,  depuis  cinq  ans  qu'il  admi- 
nistrait son  canonicat  de  Rouen,  non-seulement  ne  lui  avait 
rien  payé,  mais  prétendait  ne  lui  rien  devoir,  attendu,  disait- 
il,  que  Pierre  de  Blois  avait  ailleurs  de  grands  revenus.  Sur 
quoi  celui-ci  demande  justice. 

Guillaume,  archevêque  de  Sens,  avait  fait  dire  à  notre  Epist.  128. 
auteur  par  maître  Gérard,  qu'on  croit  être  Gérard  Pucel, 
qu'il  voulait  se  l'attacher,  avec  promesse  de  lui  donner  une 
prébende  dans  son  église.  Voyant  que  le  prélat  tardait  à 
effectuer  sa  promesse,  Pierre  lui  écrivit  la  lettre  128,  dans 
laquelle  il  lui  représente  qu'il  a  refusé  des  postes  avanta- 
geux qui  lui  étaient  offerts  par  de  grands  personnages,  mais 
qu'il  a  [>référé  de  s'attacher  à  lui  par  amour  pour  sa  patrie 
et  par  le  désir  de  posséder  un  bénéfice  dans  l'église  de  Char- 
Ires.  Il  ajoute  qu'il  était  déjà  avancé  en  âge,  et  que  ses  che- 
veux blancs  annonçaient  la  vieillesse.  Cependant  cette  lettre 
doit  avoir  été  écrite  avant  l'an  1176,  époque  où  Guillaume 
se  démit  des  évêchés  de  Sens  et  de  Chartres  ;  on  peut  même 
la  rapporter  à  l'an  1 1^9  ou  la  suivante,  après  que  l'auteur 
fut  revenu  de  Sicile  et  avant  qu'il  passât  en  Angleterre. 

Lettres  à.  des  évéques.  Il  y  en  a  cuiq  à  Jean  de  Salisburi , 
évêque  de  Chartres.  Dans  la  22*^,  écrite  avant  l'épiscopat  de  ^i''*'-  **• 
celui-ci,  Pierre  annonce  à  Jean,  son  ancien  maître,  les  mo- 
tifs qu'il  a  de  croire  que  Jean  verra  bientôt  la  fin  de  son 
exil,  qu'il  partage  si  courageusement  avec  son  archevêque 
Thomas  de  Cantorbéri.  Il  ajoute  qu'il  a  lu  avec  satisfaction 
son  traité  De  Nugis  Curialium.  C/est  par  erreur  que  dans 
les  imprimés  on  donne  à  Pierre  de  Blois  le  titre  d'archidiacre 
de  Bath ,  qui  ne  se  trouve  pas  dans  les  meilleurs  manuscrits. 
La  lettre  étant  certainement  de  l'an  1170,  l'auteur  à  cette 
époque  n'était  pas  encore  passé  en  Angleterre.  —  La  lettre 
ii4  a  pour  objet  de  féliciter  Jean  de  Salisburi  sur  sa  pro-  Epist.  114. 
motion  à  l'épiscopat  l'an  1 1 76.  L'auteur  le  remercie  d'avoir, 
en  montant  sur  son  siège ,  rappelé  dans  leur  maison  les  cha- 
noines de  S'.-Sauveur  de  Blois,  que  le  mauvais  état  de  leur 
maison  avait  dispersés  ;  d'avoir  conféré  le  premier  bénéfice  à 
sa  disposition,  non  à  des  parens,  mais  à  un  autre  Pierre  de 


Xir  SIECLE. 


352  PIERRE  DE  BLOIS. 

Blois,  qui  lui  ressemblait  en  tout,  par  le  caractère,  les  traits 
du  visage,  le  nom,  le  surnom,  et  la  stature.  Il  lui  annonce 

3 n'ayant  eu  ordre  de  célébrer  le  triomphe  de  saint  Thomas 
e  Cantorbéri ,  et  voulant  se  préparer  à  ce  travail ,  il  avait 
lu  une  vie  du  saint  martyr  récemment  écrite;  qu'ayant  re- 
connu ,  à  la  beauté  du  style,  que  c'était  l'ouvrage  de  l'évêque 
de  Chartres,  il  n'aura  garde  d  entrer  en  concurrence.^ — Dans 

Epist.  70.  la  lettre  70,  l'auteur  réfute  l'opinion  de  ceux  qui  disaient 
qu'à  mérite  égal,  l'évêque  de  Chartres  ne  devait  pas  préférer 
ses  neveux  dans  la  collation  des  bénéfices.  Il  rend  témoi- 
gnage aux  bonnes  mœurs  et  à  la  capacité  d'un  des  neveux 
du  prélat,  nommé  Robert,  qu'il  croit  propre  à  remplir  un 
canonicat  dans  l'église  de  Chartres.  Dans  cette  lettre,  l'au- 
teur ne  prend  pas  d'autre  qualité  que  celle  de  chanoine  de 

Epist.  i3o.  Chartres.  —  Il  la  perdit  bientôt  après,  à  la  suite  d'un  procès 
qu'il  eut  à  soutenir  contre  le  même  neveu  de  Jean  de  Salis- 
buri,  qui  fut  pourvu  d'une  des  prévôtés  de  l'église  de  Char- 
tres, à  laquelle  Pierre  de  Blois  prétendait  avoir  des  droits, 
comme  il  l'explique  dans  la  lettre  49  au  doyen  et  au  cha- 
pitre de  Chartres.  Non -seulement  il  perdit  son  procès,  il 
eut  encore  la  mortification  de  se  voir  vilipendé;  on  attaqua 
sa  naissance,  ce  qui  le  mit  dans  la  nécessité  de  faire  l'apolo- 
gie de  son  père,  comme  aussi  d'avoir  employé  contre  Jean 
de  Salisburi  la  protection  des  grands,  et  même  des  moyens 
honteux  et  simoniaques;  accusations  dont  il  se  défend  dans 

Epist.  i58.     la  lettre  i3o. — Au  retour  d'un  voyage  fait  à  Rome  l'an  i  lyy, 

f)our  défendre  les  droits  de  l'archevêque  de  Cantorbéri  contre 
es  privilèges  de  l'abbaye  de  Saint -Augustin,  Pierre,  dans 
la  lettre  1 58 ,  rend  compte  à  l'évêque  de  Chartres  de  la  mau- 
vaise issue  de  cette  affaire ,  afin  de  convaincre  le  prélat  que 
c'était  bien  gratuitement  que  saint  Thomas  avait  versé  son 
sang  pour  la  défense  de  cette  église,  attendu  que  la  cour  de 
.  Rome,  qu'il  ne  ménage  pas,  sacrifiait  les  droits  de  l'église  de 
Cantorbéri  à  des  intérêts  particuliers  dont  elle  était  fort 
jalouse. 
EpUt.  i5.  Renaud  de  Bar,  fils  de  Renaud ,  comte  de  Bar  et  de  Mon- 

çon,  ayant  été  élu  évêque  de  Chartres  l'an  11 84  ou  11 85, 
Pierre  lui  écrivit  une  fort  belle  lettre  (c'est  la  quinzième)  sur 
les  devoirs  de  l'épiscopat.  Ce  prélat  était  de  la  plus  haute 
naissance,  petit-fils  par  sa  mère  de  Thibaud-le-Grand,  comte 
de  Champagne,  neveu  de  Guillaumc-aux-blanches-mains, 
pour  lors  archevêque  de  Reims,  et  cousin  germain  du  roi 


PIERRE  DE  BLOIS.  353 


XII  SIECLE. 


Philippe -Auguste.  Notre  auteur  s'applique  à  lui  faire  sentir 
qu'il  doit  autant  se  distinguer  entre  les  autres  évêques  par 
leminence  de  ses  vertus,  qu'il  les  surpasse  par  l'éclat  de  sa 
noblesse. 

Pendant  la  guerre  que  le  jeune  roi  d'Angleterre,  Henri-au-      ^P"'-  ^9' 
Court-Mantel,  fiaisait,  l'an  1 183,  à  Henri,  son  père,  les  Ange- 
vins avaient  abandonné  les  drapeaux  du  monarque  anglais 
dans  un  temps  oii  il  avait  plus  besoin  de  leur  service  militaire. 
Pierre  de  Blois  écrivit  sur  cela  à  Raoul,  évêque  d'Angers,  la 
lettre  69,  dans  laquelle  il  exhorte  ce  prélat,  s'il  veut  pré- 
server ses  diocésains  d'une  juste  punition ,  à  faire  ses  efforts 
pour  les  ramener  à  leur  devoir;  il  l'avertit  que  l'archevêque 
de  Cantorbéri,  appuyé  d'une  bulle  du  pape,  avait  excom- 
munié dans  la  ville  de  Caen  tous  ceux  qui  s'étaient  révoltés 
contre  le  roi,  sans  excepter  le  jeune  prince  son  fils.  Or  c'est 
une  chose  certaine,  ajoute-t-il,  que  ce  prélat  n'a  jamais  ex- 
communié quelqu'un ,  qu'il  ne  soit  mort  dans  l'année.  Le  jeune 
Henri  étant  mort  effectivement  cette  même  année,  semble 
vérifier  ce  que  dit  ici  fauteur  de  l'efficacité  des  excommuni- 
cations des  archevêques  de  Cantorbéri. 

La  lettre  63  est  adressée  à  Pierre,  évêque  d'Arras,  qui  Epist.  63. 
avait  fait  présent  à  l'auteur  d'une  coupe  chargée  d'emblèmes 
sur  lesquels  Pierre  cherche  des  moralités  pour  en  rehausser 
le  prix  et  témoigner  sa  reconnaissance.  Pierre  ayant  été  fait 
évêque  d'Arras  l'an  1184,  cette  lettre  doit  avoir  été  écrite 
postérieurement  à  cette  armée. 

L' évêque  d'Orléans,  auquel  Pierre  de  Blois  adresse  la  lettre  Epijt.  lu. 
1 12, n'est  désigné  que  par  la  lettre  initiale  R.  C'est  une  erreur 
du  copiste;  il  faut  nécessairement  substituer  la  lettre  H,  ini- 
tiale du  nom  de  Henri  de  Dreux,  cousin  germain  du  roi  Phi- 
lippe-Auguste, lequel  gouverna  l'église  d'Orléans  depuis  l'an 
1 186  juscju'en  1 108.  Cela  résulte  du  texte  même  de  la  lettre  ^ 

dont  le  sujet  est  la  dîme  saladine  que  le  roi  avait  imposée, 
l'an  1188,  sur  les  biens  de  tous  ceux  qui  ne  s'étaient  point 
croisés  avec  lui.  Notre  auteur  exhorte  le  prélat  à  s'opposer 
à  la  levée  de  cet  impôt,  sur-tout  par  rapport  au  clergé, 
qu'il  prétend  ne  pouvoir  y  être  assujetti.  11  pose  en  prin- 
cipe que  le  roi  ne  peut  ni  ne  doit  exiger  du  cierge  que 
des  prières  :  d'où  il  conclut  que  le  silence  des  prélats  sur 
cette  imposition  est  très -coupable.  «  Je  sais  bien,  dit -il, 
que  si  votre  roi  voulait  charger  l'église  de  corvées,  anga- 
rias  et  parangarias ,  de  capitations  et  d'autres  exactions 
Tome  Xy.  -.  Yy 


354  PIERRE  DE  BLOIS. 

— 1   semblables,  il  trouverait  un  grand  nombre  d'e'vêques  qui 

approuveraient  sa  conduite.  Votre  devoir  ne  vous  permet 
pas  de  les  imiter.  Que  le  prince  apprenne  par  vos  instruc- 
tions et  vos  remontrances  ,  que  l'église  ne  lui  a  confié  le 
pouvoir  du  glaive  que  pour  la  protéger,  et  non  pour  op- 
primer les  pauvres  en  lui  ôtant  les  moyens  de  les  secourir. 
Doctrinâ  et  cxhortatione  tua  racolât  dominas  rex  se  non 
ad  oppressionem  pauperurn ,  sedad  tuitionem  ecclesiœ  potes- 
tatem  gladii  ah  ecclesiâ  suscepisse.  »  Où  Pierre  de  Blois 
avait-il  puisé  ces  maximes,  que  les  princes  tenaient  de  l'é- 
glise le  pouvoir  du  glaive,  et  que  le  clergé  ne  devait  à  l'état 
que  des  prières?  Ce  n'était  certainement  pas  dans  les  écrits 
des  apôtres  et  des  anciens  pères  de  l'église.  Mais  tel  était 
l'enseignement  des  écoles  au  XIF  siècle. 
Epist.  5o.  Deux  lettres  à  Henri,  évêque  de  Bayeux,  la  5o  et  la  169^, 

ne  présentent  pas  un  grand  intérêt.  La  première  est  une 
supplique  en  faveur  du  camérier  de  l'abbé  de  Saint-Etienne 
de  Caen,  qui  avait  commis  un  homicide  en  son  corps  défen- 
dant et  pour  venger  la  mort  de  son  père.  L'auteur  repré- 
sente au  prélat  que  le  roi  d'Angleterre,  fort  peu  indulgent 
envers  de  pareils  délits,  ayant  pardonné  au  coupable,  il  ne 
convient  pas  à  un  évêque  d'être  plus  exigeant,  d'autant  plus 
qu'il  autorisait  par-là  les  ennemis  du  coupable,  qui  d'ailleurs 
était  repentant  de  sa  faute  et  promettait  toute  satisfoction , 
à  s'emparer  de  ses  biens  patrimoniaux  qu'ils  convoitaient. 
Epist.  1 59.     — Dans  la  seconde,  après  des  excuses  sur  la  liberté  qu'il 

Erend  de  lui  donner  des  avis,  il  exhorte  le  prélat  à  termnier 
onorablement  sa  carrière,  illustrée  par  tant  de  vertus.  Ce 
Srélat  étant  mort  l'an  i2o5,  si  cette  lettre  avait  trait  à  sa 
ernière  maladie,  il  faudrait  dire  que  l'auteur  aurait  vécu 
jusqu'à  cette  époque. 
Epist  147.  On  voit  par  la  lettre  147  que  Pierre  de  Blois,  en  sa  qua- 
lité de  doyen  du  chapitre  de  Wulrehaniten,  conférait  de  plein 
droit  les  prébendes  de  cette  église.  Un  de  ses  chanoines, 
nommé  Robert  de  Schrwsburi,  Salopiensis,  ayant  été  sacré 
évêque  de  Bangor  l'an  1197,  voulait,  sous  prétexte  du  peu 
de  revenu  de  son  église,  conserver  sa  prébende,  dont  le 
doyen  avait  disposé  en  faveur  d'un  ecclésiastique  pieux  et 
lettré.  Cette  lettre  contient  une  vive  semonce  contre  ce  pré- 
lat, qui,  ayant  mis  dans  ses  intérêts  l'archevêque  de  Can- 
torberi,  avait  brouillé  notre  auteur  avec  son  archevêque. 
Epist.  i63.         Reginald  ou  Renaud,  arcMWijrcnîide  Salisburi,  ayant  été 


PIERRE  DE  BLOIS.  355 

ëlu,  l'an  1 172, avec  l'agrément  de  Henri  II,  roi  d'Angleterre ,  ^ 

pour  remplir  le  siège  de  Batli  vacant  depuis  plusieurs  années , 
Pierre  de  Blois,  dans  la  lettre  i63,  le  félicite  sur  sa  promo- 
tion avec  d'autant  plus  d'empressement,  qu'il  avait  reçu  de 
lui  des  bienfaits  signalés  dans  un  temps  ou  il  avait  plus  be- 
soin de  secours  étrangers.  —  Ce  prélat,  fort  considéré  à  la 
cour  de  Henri  II,  avait  pris  goût  à  la  chasse  au  vol.  Pierre, 
dans  la  lettre  61,  lui  représente  qu'étant  appelé  à  remplir     Epist.  61. 
les  fonctions  de  l'épiscopat,  il  n'est  plus  temps  de  se  livrer 
à  ces  vains  amusemens,  et  fait  remonter  jusqu'à  Ulysse  et  au 
siège  de  Troie  l'invention  de  cette  espèce  de  chasse  à  l'oi- 
seau. —  L'an  1 173,  Renaud  étant  sur  le  point  de  recevoir  la      Epist  So. 
consécration  èpiscopale  avec  plusieurs  autres  évêques  dési- 
gnés pour  d'autres  sièges,  une  opposition  de  la  part  du  jeune 
roi  Henri,  révolté  contre  son  père,  fit  suspendre  la  cérémo- 
nie. Il  fallut  aller  à  Rome  soumettre  au  jugement  du  pape 
cette   opposition.  Renaud  partit  avec  Richard,  élu   arche- 
vêque de  Cantorbéri.  Dans  cet  intervalle,  Pierre  de  Blois  eut 
un  songe  dont  il  développe  les  circonstances  dans  la  lettre 
3o.  Voulant  en  pénétrer  le  sens,  il  eut  recours  à  ce  qu'on 
appelait  alors  le  sort  des  saints  ;  il  ouvrit  le  psautier,  et  tomba 
sur  ces  mots ,  May  ses  et  Aaron  in  sacerdotibus  ejus ,  qui  furent 
pour  lui  un  trait  de  lumière;  il  s'empressa  de  transmettre  ce 
pronostic  à  son  futur  évoque,  car  il  prend  dans  la  lettre  la 
quaUté  d'archidiacre  de  Bath  ;  mais  il  paraît  que  c'est  par  an- 
ticipation que  les  copistes  la  lui  ont  donnée.  —  Renaud  n'é- 
tait encore  qu'évêque  élu  de  Bath,  lorsque  Pierre  lui  écrivit 
la  lettre  69  en  faveur  d'un  maître  Henri  dont  l'auteur  fait  un     Epist.  Sg. 
grand  éloge,  lequel  avait  encouru  la  disgrâce  du  prélat  pour 
avoir  menacé,  en  sa  présence,  de  frapper  au  visage  un  autre 
clerc,  nommé  Simon,  qui  l'avait  accusé  d'avoir  divulgué  les 
secrets  du  prélat.  L'auteur,  pour  persuader  à  l'èvêque  qu'il 
est  de  la  dignité  de  son  caractère  de  pardonner  cet  empor- 
ternent,  cite,  indépendamment  de  l'ècriture-sainte ,  des  auto- 
rités très  -  respectables  de  Cicéron  ,  de  Diogène  Laërce ,  de 
Suétone,  de  Frontin,  de  Perse,  de  Juvénal ,  etc.  —  C'est  pré-      Epist.  ga. 
cisément  cette  grande  érudition  qu'un  jaloux  attaché  à  l'è- 
vêque de  Bath ,  le  même  Simon  peut-être  dont  nous  venons 
de  parler,  décriait  dans  notre  auteur,  l'appelant  un  compi- 
lateur de  centons,  parce  que  celui-ci  remplissait,  tant  bien 
3ue  mal,  disait-il,  ses  écrits  de  passages  de  l'ècriture-sainte, 
'exemples  tirés  des  auteurs  anciens,  de  citations  des  poètes. 

Yya 


XII  SIECLE. 


356  PIERRE  DE  BLOIS. 

Ce  zoïle  accusait  encore  notre  auteur  de  vanité,  parce  que 
celui-ci  avait  fait  un  recueil  de  ses  lettres,  comme  s'il  eût 
voulu  les  donner  pour  des  modèles.  Pierre  de  Blois,  qui  n'é- 
tait rien  moins  qu  endurant,  repousse  vivement  cette  attaque 
dans  sa  qa*  lettre  à  Renaud,  ëvêque  de  Bath.  Il  se  fait  gloire 
d'avoir,  à  l'exemple  des  pères  de  l'église,  beaucoup  lu  l'ècri- 
ture-sainte,  d'en  avoir  retenu  les  plus  beaux  traits,  de  les  avoir 
répandus  avec  profusion  dans  ses  écrits.  Il  se  félicite  aussi 
d'avoir  lu  assidûment  les  bons  auteurs  de  l'antiquité.  En 
répétant  ce  qu'ont  dit  les  anciens,  nous  sommes,  dit-il,  comme 
des  nains  montés  sur  les  épaules  des  géans,  qui,  par  ce 
moyen,  voyons  plus  loin  qu'eux.  Et  pour  prouver  à  son  an- 
tagoniste qu'il  savait  faire  autre  chose  que  des  centons,  il 
parle  ainsi  de  son  talent  pour  le  genre  épistolaire  :  «  Non,  je 
«ne  craindrai  pas  d'avancer,  et  je  puis  sur  cela  produire 
«un  bon  nombre  de  témoins  que  j'ai  toujours  dicté  mes  let- 
a  très  avec  plus  de  rapidité  qu  on  ne  pouvait  les  écrire.  L'ar- 
«chevêque  de  Cantorbéri,  vous-même,  évêque  de  Bath,  et 
«plusieurs  autres,  ne  m'ont-ils  pas  vu  dicter  a  trois  écrivains 
«  a-la-fois  des  lettres  sur  différens  sujets,  et  suivre  la  vitesse 
«de  leur  plume,  tandis  que  moi-même  (ce  qui  n'est  arrivé 
«qu'à  Jules  César)  j'en  écrivais  en  même  temps  une  qua- 
«  trième.  » 
Epiïi.  58.  Le  trait  n'est  pas  modeste,  mais  il  offre  d'en  faire  l'essai 

sous  les  yeux  de  son  détracteur.  —  Malgré  les  services  signa- 
lés que  1  archidiacre  de  Bath  avait  rendus  à  Renaud  lors  de 
sa  promotion  à  l'épiscopat  (sur  quoi  l'on  peut  voir  la  lettre 
45),  ce  prélat,  sans  forme  de  procès  et  sans  employer  les 
trois  monitions  prescrites  par  le  concile  de  Latran  de  l'an 
iiyc),  avait  interdit  de  ses  fonctions  le  vice-archidiacre  que 
Pierre  de  Blois,  obligé  à  de  fréquentes  absences,  entretenait 
à  sa  place  ;  et  ce  qui  paraîtra  bien  étrange,  c'était  pour  n'avoir 
pas  payé  à  l'évêque  une  dette  de  vingt  sous.  L  auteur,  pé- 
nétré de  douleur  d'un  procédé  si  peu  amical ,  écrivit  au  prélat 
la  lettre  58.  €  Je  vois  bien,  dit-il,  que  vous  cherchez  un  pré- 
«  texte  de  rompre  avec  moi.  S'il  faut,  pour  conserver  vos 
«bonnes  grâces, quitter  l'Angleterre  et  tous  les  bénéfices  que 
«j'y  possède,  je  suis  prêt  à  faire  ce  sacrifice.  Mais  sachez  que, 
«si  vous  me  forcez  de  m'éloigner,  vous  aurez  plus  d'une  fois 
«sujet  de  vous  en  repentir,  et  vous  supporterez  avec  peine 
«l'absence  de  celui  dont  vous  dédaignez  présentement  les 
«services.  »  Il  ne  paraît  pas  néanmoins  que  la  brouillerie  soit 


XII  SIECLE. 


I 


PIERRE  DE  BLOIS.  35j 

allée  jusqu'à  rompre  entièrement,  puisque  Pierre  de  Blois 
prend  encore  la  qualité  d'archidiacre  de  Bath  dans  une  lettre 
a  Savari,  successeur  de  Renaud,  décédé  l'an  1192. 

La  lettre  i48  est  écrite  à  Savari ,  évêque  de  Bath.  Ce  prélat,  Epist.  148. 
parent  de  Henri  VI,  empereur  d'Allemagne,  s'étant  donné 
en  otage  pour  la  rançon  du  roi  Richard,  eut  pour  sa  récom- 
pense l'abbaye  de  Glocester,  dans  laquelle  il  taisait  sa  rési- 
dence, voulant  y  transférer  le  siège  de  Bath.  Il  trouva  de 
grands  obstacles  à  l'exécution  de  ce  projet,  pour  lequel  il  fut 
obligé  d'entreprendre  de  longs  et  fréquens  voyages.  L'ar- 
chidiacre Pierre  lui  représente  que  ce  n'est  pas  ainsi  qu'il 
acquittera  les  devoirs  de  sa  charge  ;  que  tout  le  monde  désire 
sa  présence  à  Bath,  et  gémit  sur  son  absence;  que  vouloir 
transférer  le  siège  de  son  épiscopat  à  Glocester,  c'était,  de 
l'aveu  des  personnes  sensées ,  tenter  une  chose  impossible.  Il 
n'y  avait  rien  d'offensant  dans  cette  lettre,  qui  est  respec- 
tueuse et  i)leine  d'éloges  du  prélat.  Cependant  c'est  sous  l'é- 
piscopat  de  Savari  qvie  Pierre  de  Blois  perdit  son  archidia- 
coné,  comme  nous  le  dirons  plus  bas  en  rendant  compte  de 
la  lettre  149. 

Richard,  roi  d'Angleterre,  partant  pour  la  Terre-Sainte,  EpUt.  87. 
l'an  1190,  avait  nommé  régent  du  royaume  Guillaume  de 
Long-Champ,  évêque  d'Ely ,  chancelier  d'Angleterre,  et  légat 
du  saint-siége.  Les  ennemis  de  ce  prélat  ayant  tramé  contre 
lui  une  violente  conspiration ,  à  la  tête  de  laquelle  était  le 
comte  de  Mortain ,  frère  du  roi,  vinrent  à  bout  de  le  chasser 
d'Angleterre,  l'an  1 191,  après  l'avoir  dépouillé  de  toutes  ses 
dignités.  Pierre  de  Blois,  constamment  attaché  au  régent,  lui 
écrivit  la  lettre  8y  pour  le  consoler  dans  sa  disgrâce;  il  l'ex- 
horte à  ne  pas  perdre  courage,  lui  prédisant  qu'il  serait  ré- 
tabli dans  ses  dignités,  ce  qui  arriva  en  effet  lorsque  le  roi 
fut  de  retour  en  Angleterre.  Quant  à  moi,  ajoute-t-il,  je  me 
suis  retiré  auprès  de  la  reine. — Le  principal  auteur  de  cette 
conspiration  était  l'évêque  de  Coventri,  Hugues  de  Nonant, 
neveu  d'Arnoul ,  évêque  de  Lisieux.  Pierre  lui  adresse  la 
lettre  89,  contenant  une  invective  fulminante  dans  laquelle  EpUt.  89. 
il  le  traite  de  fourbe,  de  traître,  d'un  autre  Judas;  il  l'accuse 
de  la  plus  noire  ingratitude,  et  lui  prédit  qu'il  aura  aussi  son 
tour.  Pierre  ne  le  désigne  que  par  la  lettre  H,  sans  lui  don- 
ner la  qualité  d'évêque.  Mais  dans  les  annales  de  Roger  de 
Hoveden  où  cette  lettre  est  imprimée,  p.  708,  elle  a  pour 
suscription  :  Quondam  domino  et  amico  Hugoni,  Coventrensi 


XII  SIECLE. 


I 


358  PIERRE  DE  BLOIS. 

et  Cestrensi  dicto  episcopo ,  Petriis  Blezensis ,  Bathonieiuis 
archidiaconus ,  Dei  memoriam  cum  timoré. 
Epist.  io8  et       Lorsque  Guillaume  de  Long- Champ  eut  ëte'  rétabli  dans 


56 


ses  dignités  par  le  roi  Richard,  Pierre  ayant  besoin  de  sa 

f)rotection  pour  des  affaires  à  lui  personnelles,  lui  écrivit  les 
ettres  io8  et  i56. 

Epist.  44-  Arnoul,  évêque  de  Lisieux,  ayant  encouru,  à  l'occasion 

d'un  procès  qu'il  eut  avec  son  chapitre,  la  disgrâce  du  pape 
et  de  Henri  11,  roi  d'Angleterre,  consulta  notre  auteur  sur  le 

f)arti  qu'il  voulait  prendre  de  renoncer  à  l'épiscopat.  Pierre 
ui  répond  dans  la  lettre  44  que  s'il  n'a  pas  d'autre  motif 
d'abdiquer  que  celui  qu'il  allègue,  il  doit  se  roidir  contre 
l'adversité ,  et  tâcher  de  legagner  les  bonnes  grâces  de  ses 
supérieurs  ;  que  s'il  veut  recouvrer  celles  du  roi ,  le  meilleur 
moyen  est  de  lui  témoigner  une  entière  soumission;  car  il 
est  tel,  dit- il,  que,  pour  le  vaincre,  il  faut  s'avouer  vaincu. 
Arnoul  s'étant  cfémis  de  l'épiscopat  l'an  n8i,  cette  lettre  est 
à-peu-près  de  la  même  époque. 

Epm.  gi.  A  l'évêque  Arnoul  succéda  sur  le  siège  de  Lisieux  Raoul 

de  Varneville,  archidiacre  de  Rouen,  qui  avait  été  chancelier 
du  roi  d'Angleterre;  homme  avare,  usurier,  tout  occupé  de 
gains  sordides,  qui,  bien  loin  de  faire  des  aumônes,  atten- 
dait les  temps  de  disette  et  de  cherté  pour  vendre  plus  cher 
ses  denrées.  Pierre,  dans  la  lettre  91,  lui  représente  1  itidignité 
de  sa  conduite ,  et  la  met  en  contraste  avec  la  noble  généro- 
sité de  son  prédécesseur,  dont  il  fait  un  bel  éloge. 

Epist.  123.  La  lettre  laS  est  une  réponse  à  Richard,  évèque  de  Lon- 
dres, qui  pressait  notre  auteur  à  recevoir  la  prêtrise.  Pierre 
lui  expose  les  motifs  qui  l'empêchent  de  se  rendre  à  ses  in- 
stances, motifs  puisés  d'une  part  dans  la  haute  et  juste  idée 
qu'il  avait  de  la  dignité  sacerdotale,  et  de  l'autre  dans  l'opi- 
nion oii  il  était  de  sa  propre  indignité.  Il  prétend  même  que 
vouloir  ordonner  prêtre  un  archidiacre  malgré  lui,  c'est  une 
espèce  de  dégradation ,  et  qu'il  est  conforme  à  la  discipline 
de  l'église  que  chacun  demeure  dans  l'ordre  attaché  au  titre 
de  son  bénéfice.  «  Nous  avons  vu,  dit-il,  des  diacres  demeu- 
«  rer  toute  leur  vie  dans  le  diaconat ,  et  le  seigneur  Célestin  , 
«qui  est  aujourd'hui  sur  le  siège  apostolique,  m'a  dit  plu- 
«  sieurs  fois  qu'il  avait  pa.ssé  soixante-cinq  ans  dans  l'ordre 
«de  diacre  avant  que  de  parvenir  à  l'épiscopat  »  Célestin  JII 
(car  c'est  de  lui  que  l'auteur  parle)  remplit  la  chaire  de  saint 
Pierre  depuis  l'an  1191  jusqu'en  1198.  Ainsi  cette  lettre  fut 


XII  SIECll. 


PIERRE  DE  BLOIS.  309 

écrite  dans  cet  espace  de  temps.  Cependant  Pierre  de  Blois 
consentit  enfin  à  recevoir  l'ordre  de  prêtrise,  comme  nous 
le  dirons  en  rendant  compte  de  la  lettre  189  à  l'abbé  et  aux 
religieux  de  Cicester. 

A  peine  Eudes  de  Sully  fut-il  monté  sur  le  siège  de  Paris,      Epist.  la;. 
sur  la  fin  de  l'an  11 96,  que  Pierre  de  Blois  s'empressa  de 
le  féliciter  par  la  lettre  127,  dans  laquelle  il  expose  les  cha- 
grins qu'il  éprouvait  en  Angleterre  depuis  la  mort  du  roi 
Henri  II,  qui  l'avait  comblé  de  tant  de  bienfaits.  Il  aurait 

3uitté  dès-lors  l'Angleterre ,  s'il  n'eiit  trouvé  dans  les  évêques 
e  Worchester  et  de  Durham  des  amis  qui  lui  firent  oublier 
qu'il  était  dans  une  terre  étrangère.  Mais  ces  généreux  amis 
étant  morts,  il  espère  qu'ils  seront  remplacés  par  l'évêque  de 
Paris  avec  d'autant  plus  de  confiance ,  que  depuis  long-temps 
il  avait  éprouvé  les  bienfaits  de  son  illustre  lamille,  célèbre, 
dit-il,  par  ses  libéralités.  — Le  désir  de  rentrer  en  France, 
que  notre  auteur  n'avait  fait  qu'insinuer  dans  la  lettre  pré- 
cédente, il  l'exprime  clairement  dans  la  lettre  iGo  au  même      Epist.  160. 
prélat.  Il  y  a  vmgt-six  ans,  dit-il,  que  je  suis  en  Angleterre 
comme  dans  un  lieu  d'exil,  sans  que  personne  en  France  ait 
songé  à  me  rappeler  :  serai -je  donc  toujours  vagabond  sur 
la  terre .''  Il  accuse  en  particulier  la  dureté  des  évêques  fran- 
çais à  son  égard  ;  mais  il  espère  que  le  nouvel  évèque  de  Paris , 
qui,  n'étant  encore  que  grand  -  chantre  de  Bourges,  faisait 
passer  jusqu'au  fond  de  l'Angleterre  ses  largesses,  ne  l'aban- 
donnera pas  dans  son  exil.  Il  lui  offre ,  s'il  veut  le  recevoir 
dans  sa  maison,  de  consacrer  à  sa  gloire  tout  ce  qui  lui  reste 
de  talens,  pourvu  qu'il  puisse  mourir  tranquillement  dans 
sa  patrie.  II  n'eut  pas  cette  consolation.   Il  ne  pren9  aucun 
titre  dans  cette  lettre;  ce  qui  prouve  qu'il  avait  déjà  perdu 
l'archidiaconé  de  Bath  lorscjuil  l'écrivit,  et  qu'il  n'était  pas 
encore  archidiacre  de  Londres. 

Nous  avons  vu  plus  haut  que  Guillaume  de  Champagne,  Supràp.  35i. 
archevêque  de  Sens,  avait  invité  notre  auteur,  à  son  retour 
de  Sicile,  à  venir  demeurer  chez  lui,  avec  promesse  de  ré- 
compenser ses  services.  Vers  le  même  temps,  Pierre  Minet, 
que  l'auteur  appelle  son  parent,  ayant  été  nommé  évéque  de 
Périgueux,  voulut  aussi  l'attirer  auprès  de  lui.  Pierre,  dans 
sa  lettre  34,  le  remercie  de  sa  bonne  volonté;  mais  avant  de 
se  rendre  à  son  invitation,  il  attendra,  dit-il,  encore  <iuel- 
ques  jours,  pour  voir  si  la  personne  puissante,  qu'il  ne 
nomme  pas ,  mais  qui  paraît  être  l'archevêque  de  Sens ,  tien- 


Epist.  34, 


XII  SIECLE. 


36o  PIERRE  DE  BLOIS. 

dra  sa  promesse,  ou  si,  à  l'exemple  des  Bretons,  il  doit  en- 
core attendre  l'apparition  du  roi  Artur,  ou  ,  comme  les  Juifs, 
la  venue  du  Messie.  Pierre  ne  prend  aucune  qualité  dans  cette 
lettre,  qui  parait  être  de  l'an  i  lyo  ou  uni. 
Epist.  56.  Il  ne  prend  pas  non  plus  de  qualité  dans  la  lettre  56  à 

Gautier,  évêque  de  Rochester.  Ce  prélat,  frère  de  Thibaud, 
archevêque  de  Cantorbéri,  était  adonné,  à  l'âge  de  quatre- 
vingt  ans,  aux  plaisirs  de  la  chasse.  Pierre  étant  en  cour  de 
Rome  pour  les  affaires  de  Henri  II,  roi  d'Angleterre,  en- 
tendit les  plaintes  qu'on  portait  contre  ce  vieil  évêque,  et 
crut  devoir  l'avertir  qu'un  légat  serait  bientôt  envoyé  en 
Angleterre  pour  examiner  sa  conduite  et  le  traiter  selon  la 
rigueur  des  canons.  Nous  pensons  que  ce  légat  n'est  autre 
que  le  cardinal  Hugution,  qui,  suivant  Roger  de  Hoveden , 
arriva  en  Angleterre  vers  la  Toussaint  de  l'an  1 1^5,  et  que 
c'est  à  la  même  année  qu'il  faut  rappori-ter  la  lettre  56. 
Epiit.  5i.  Joscelin ,  évêque  de  Salisburi ,  avait  confié  l'éducation  de 

ses  neveux  à  Pierre  de  Blois,  enseignant  à  Paris  les  belles- 
lettres  (apparemment  avant  que  celui-ci  allât  en  Sicile),  et 
s'était  obligé  de  lui  payer  une  pension  annuelle  indépendam- 
ment du  salaire  convenu.  Pierre  de  Blois  ayant  rouvert  son 
école  après  son  retour  de  Sicile,  l'évêque  de  Salisburi  devait 
lui  renvoyer  ses  neveux  avec  les  arrérages  de  la  pension; 
mais  rien  ne  venait.  Notre  auteur  écrivit  donc  au  prélat  la 
lettre  5i  ,  dans  laquelle  il  lui  représente  qu'il  l'a  constitué 
dans  des  dépenses  énormes;  que  la  parole  d'un  évêque  doit 
être  aussi  sacrée  qu'un  serment  ;  qu'au  lieu  de  former  ses 
npveux  à  la  science  et  à  la  vertu,  il  les  entretient  dans  les 
plaisirs  ^t  la  mollesse ,  etc.  Il  semble  que  cette  lettre  ne  peut 
avoir  été  écrite  qu'en  1170;  cependant  l'auteur  y  prend  la 
qualité  d'archidiacre  de  Bath  ;  mais  on  peut  croire  que  ce 
n'est  qu'une  addition  des  copistes. 
Epist.  46.  Richard ,  évêque  de  Syracuse,  anglais  de  nation ,  qui  jouis- 

sait d'un  grand  crédit  en  Sicile,  avait  écrit  à  notre  auteur 
pour  l'engagera  retourner  dans  ce  pays-là.  Pierre  lui  répond, 
dans  la  letre  46,  qu'il  n'en  fera  rien;  qu'il  n'a  pas  envie  d'al- 
ler une  seconde  fois  s'exposer  aux  périls,  aux  maladies  et  à 
la  moi  t,  et  dit  tout  le  mal  possible  du  pays  et  des  habitans. 
«Nous  étions,  dit-il,  au  nombre  de  trente-sept  qui  arrivâmes 
«en  Sicile  avec  le  seigneur  Etienne  du  Perche,  et  tous  y  sont 
«morts  en  peu  de  temps,  excepté  moi  et  maître  Roger  de 
«Normandie,  homme  savant,  industrieux  et  modeste.  Je  ne 


PIERRE  DE  BLOIS.  36i 

«veux  point  retourner  dans  une  terre  dont  je  puis  dire  ce : 1 

«que  le  renard  disait.de  l'antre  du  lion  : /e  vois  bien  com- 
«  ment  on  y  entre ,  mais  je  ne  vois  pas  comment  on  en  sort. 
«Deux  choses  m'ont  rendu  le  séjour  de  la  Sicile  odieux,  le 
«mauvais  air  qu'on  y  respire,  et  la  méchanceté'  des  naturels 
«  du  pays.  Cette  île  devrait  être  inhabitée  comme  elle  est  inha- 
«bitable,  selon  moi.  Car  qui  peut  demeurer  en  siireté  dans 
«une  terre  où,  sans  compter  les  autres  incommodités  qu'on 
«y  souffre,  on  voit  des  montagnes  vomir  un  feu  d'enfer  et 
«exhaler  une  odeur  de  soufre  qui  vous  étouffe.  Ah!  c'est  là 
«sûrement  qu'est  la  porte  de  1  enfer.  .  .  .  Ajoutez  à  cela  le 
«caractère  de  la  nation  sicilienne  :  s'il  est  vrai,  comme  l'ex- 
«périence  le  prouve,  que  tous  les  insulaires  en  général  sont 
«gens  de  mauvaise  foi,  on  peut  assurer  que  les  Siciliens  sont 
«  les  amis  les  plus  faux  et  les  traîtres  les  plus  dissimulés  et 
«les  plus  dangereux  qu'il  y  ait  au  monde.  y>  Après  cela  il 
invite  à  son  tour  l'évêque  de  Syracuse  à  retourner  en  Angle- 
terre où  il  fait  très-bon  vivre,  au  lieu  qu'en  Sicile  on  ne  se 
nourrit  que  d'ache  et  de  fenouil;  où  saint  Thomas,  dit -il, 
fait  des  miracles  en  quantité ,  et  où  le  roi  est  très-bien  dis- 

Î)osé  en  votre  faveur.  L'auteur  était  déjà  passé  en  Angleterre 
orsqu'il  écrivit  cette  lettre  ;  mais  n'y  prenant  aucune  qua- 
lité, nous  croyons  pouvoir  la  rapportera  l'année  1172  ou 
1173. 

La  lettre  16,  qui  ne  porte  point  d'adresse,  paraît  avoir  été  Epist.  16. 
écrite  à  un  évèque  absorbé  dans  le  maniement  des  affaires 
temporelles,  et  même  chargé  du  gouvernement  d'un  grand 
état;  car  l'auteur  lui  dit  qu'au  dernier  jour,  ni  les  ordres  du 
roi,  ni  l'utilité  publique,  ne  pourront  lui  servir  d'excuse, s'il 
a  négligé  le  soin  de  son  ame  et  de  son  diocèse.  Tout  cela  ne 
peut  convenir  qu'à  Guillaume  de  Longchamp,  évêque  d'Ély, 
que  Richard,  roi  d'Angleterre,  en  partant  pour  la  Terre- 
Sainte  ,  avait  nommé  régent  du  royaume ,  comme  nous  l'avons 
dit  plus  haut. 

Lettres  h  des  doyens  et  archidiacres  de  chapitres.  Pierre 
de  Blois  ayant  été  débouté  de  ses  prétentions  à  une  prévôté 
de  l'église  de  Chartres,  comme  nous  l'avons  dit  plus  haut  en  Supràp.  352. 
rendant  compte  de  la  lettre  i3o  à  Jean  de  Salisburi,  écrivit 
au  doyen  du  chapitre  la  lettre  49  pour  épancher  sa  dou-  Epist.  49. 
leur,  non  pas  précisément  sur  la  perte  de  son  procès,  mais 
parce  que  ses  antagonistes,  pour  mieux  arriver  a  leurs  fins, 
avaient  flétri  la  mémoire  de  son  père  dont  il  crut  devoir  faire 
Tome  XV.  Zz 


XII  SIECLE. 


362  PIERRE  DE  BLOIS. 

l'apologie.  Il  annonce  en  finissant  que,  si  ses  ennemis  ont 
l'éussi  à  lui  faire  perdre  son  canonicat  de  Chartres,  il  a  trouvé 
une  compensation  dans  l'arciiidiacôné  de  Bath,  beaucoup 
plus  riche,  dont  il  prend  le  titre  en  commençant  sa  lettre, 
qu'on  peut  rapporter  à  l'année  iiyS  ou  à  la  suivante. 

Epist.  54.  Laurent,  archidiacre  de  Poitiers,  dont  le  nom,  dans  la 

lettre  54,  n'est  désigné  que  par  la  lettre  initiale  L,  mais  qui 
est  écrit  tout  entier  dans  la  lettre  a^i  de  Jean  de  Salisburi, 
voulait  contraindre  une  de  ses  nièces  à  embrasser  malgré 
elle  la  vie  religieuse.  Pierre  de  Blois  lui  prouve  par  des 
autorités  respectables  qu'il  n'en  a  pas  le  droit.  Cependant, 
comme  cette  jeune  personne  était  fort  instruite,  il  tâchera, 
dit-il,  de  lui  persuader  que  c'est  le  meilleur  parti  qu'elle 

Epist.  55.       pourrait  prendre.  11  y  a  apparence  qu'il  y  réussit ,  comme 
on  en  peut  juger  par  la  lettre  55  qu'il  lui  écrivit. 

Epist.  74.  La  lettre  y4  est  écrite  à  un  archidiacre  dont  le  nom  com- 

mence par  un  G;  mais  il  n'est  pas  dit  dans  quelle  église  il 
exerçait  cette  fonction.  L'objet  de  la  lettre  est  un  jeune  liber- 
tin que  Pierre  de  Blois  ajipelle  sou  colon,  hospitem  meum , 
parce  qu'apparemment  il  habitait  dans  quelqu'une  de  ses 
terres.  Son  avis  est  qu'il  faut  punir  non-seulement  ce  jeune 
homme ,  mais  aussi  son  père ,  pour  avoir  négligé  son  éduca- 
tion; et  comme  ces  sortes  de  gens  sont  plus  sensibles  à  ce 
qui  touche  leurs  intérêts  que  la  morale  publique,  on  fera 
fort  bien,  dit-il,  de  leur  imposer  des  peines  pécuniaires. 
L'auteur,  à  son  ordinaire,  a  parsemé  cette  lettre  de  beaux 
passages  d'Ovide,  de  Perse,  de  Juvénal,  etc. 

Epist.  75.  Depuis  plus  de  quinze  ans,  à  partir  de  l'année  iiCiy,  l'é- 

glise de  Lincoln  était  sans  évéque,  quoicjue  depuis  sej)t  ans, 
a  l'époque  où  Pierre  de  Blois  écrivait  la  lettre  ^5  à  Roger, 
doyen  du  chapitre  de  Lincoln,  le  roi  Henri  II  eiit  fait  nom- 
mer à  cet  évêché  son  fils  naturel,  nommé  Geof'roi,  qui  en 
Percevait  les  revenus  sans  se  mettre  en  peine  de  recevoir 
ordination.  Le  pape  avait  donné  ordre,  l'an  1 181,  à  l'évéque 
élu  ou  de  se  démettre  ou  de  remplir  ses  fonctions  :  sans  quoi 
il  donnerait  lui-même  un  évêquc  à  cette  église  comme  va- 
cante. Il  fallait  persuader  au  roi  d'entrer  dans  cet  arrange- 
ment. Le  doyen  de  Lincoln  fut  député  en  cour  pour  de- 
mander au  roi  la  permission  de  procéder  à  une  nouvelle 
élection.  Pierre,  chargé  de  la  même  commission  par  l'arche- 
vêque de  Cantorbéri,  avait  adroitement  disposé  le  roi  à 
donner  cette  permission;  et  en  habile  courtisan  qui  connais- 


PIERRE  DE  BLOIS.  363 


XII  SIECLE. 


sait  parfaitement  le  caractère  du  prince,  il  instruit  le  doyen 
Roger  de  quelle  manière  on  doit  s'y  prendre  pour  obtenir    . 
de  lui  son  consentement  :  chose  d'autant  plus  difficile,  que 
la  cour  de  Rome  venait   d'accorder  à  Geofroi  un  délai  de 
trois  ans.  Geofroi  donna  en  effet  sa  démission  l'an  1182. 

Nous  avons  dit  plus  haut  qu'une  des  premières  opérations  Suprà  p.  35i. 
de  Jean  de  Salisburi,  en  montant  sur  le  siège  épiscopal  de 
Chartres,  fut  de  rétablir  dans  leur  église  de  Saint-Sauveur, 
devenue  cathédrale  sur  la  fin  du  XVIP  siècle,  les  chanoines 
de  Blois ,  que  le  mauvais  état  de  leur  maison  avait  contraints 
de  se  disperser.  Pierre  de  Blois,  qui,  dans  la  lettre  i  i4i  en 
témoigne  sa  reconnaissance  au  prélat,  écrivit  aussi  la  lettre  Epi»t.  78. 
y8  au  doyen  et  aux  chanoines,  pour  les  féliciter  sur  cet  heu- 
reux événement,  auquel  il  avait  eu,  comme  il  le  dit  lui-même, 
la  principale  part. 

I^a  lettre  94  est  adressée  à  un  archidiacre  nommé  Jean ,  Epist.  94. 
sans  dire  de  quelle  église.  Cet  archidiacre  avait  des  neveux 
armés  chevaliers,  qui,  fiers  de  leur  chevalerie,  déclamaient 
en  toute  occasion  contre  les  gens  d'église  et  leur  faisaient 
des  avanies.  Pierre  supplie  l'archidiacre  de  les  corriger,  et, 
par  occasion,  il  fait  des  chevaliers  de  son  temps  une  pein- 
ture exagérée  peut-être,  mais  peu  honorable.  «  S'il  faut  se 
«mettre  en  campagne,  dit- il,  ils  sont  plus  soigneux  de  se 
«pourvoir  de  batterie  de  cuisine  que  de  bonnes  armes;  ils 
«  ont  des  boucliers  dorés ,  cherchant  plutôt  à  faire  du  butin 
«qu'à  combattre  leurs  ennemis,  et  ils  les  rapportent,  s'il  est 
«i  permis  de  parler  ainsi ,  vierges  et  intacts.  Ils  font  peindre 
«  des  combats  et  des  batailles  sur  leurs  écus  et  les  harnais  de 
«leurs  chevaux,  uniquement  par  ostentation  et  pour  le  plai- 
«sir  de  les  regarder,  car  ils  évitent  tant  qu'ils  peuvent  d'en 
«  venir  aux  mains.  Quod  si  milites  nostros  ire  in  expeditionem 
e.  quandoque  oporteat ,  summarii  eorum  non  ferro,  sed  vino; 
anon  lanceis,  sed  caseis  ;  non  ensihus,  sed  utrihus  ;  non  liastis, 
v.sed  verubus  onerantur  :  credas  eos  ire  ad  domum  convivii, 
(tnon  ad  hélium.  Clypeos  déférant  optimè  deauratos ,'  etc.  » 

Dans  le  temps  que  Pierre  de  Blois  enseignait  à  Paris  ou 
ailleurs  les  belles-lettres,  un  archidiacre  de  Nantes,  dont  le  Epist.  loi. 
nom  commençait  par  la  lettre  R,  lui  avait  envoyé  deux  de 
ses  neveux  pour  être  formés  sous  sa  conduite.  Il  annonçait 
que  le  cadet  était  encore  dans  l'enfance ,  et  que  l'aîné ,  beau- 
coup plus  avancé ,  montrait  de  grandes  dispositions  pour  les 
subtilités  de  la  dialectique,  si  l'on  avait  soin  de  les  cultiver. 

Zza 


XUr  SIECLE. 


364  PIERRE  DE  BLOIS. 

Notre  auteur,  après  avoir  examiné  la  porte'e  de  ces  deux  su- 
jets, répond  à  l'onde  par  la  lettre  loi,  qu'il  espère  tirer  meil- 
leur parti  du  cadet  que  de  l'aîné ,  dont  les  études  avaient  été 
i'usqu'alors  fort  mal  dirigées,  et  à  ce  propos  il  donne  de  très- 
)onnes  règles  sur  la  manière  d'enseigner  qu'il  met  en  oppo- 
sition  avec  celle  qui  de  son  temps  était  le  plus  en  usage, 
a  Vous  vantez,  dit-il,  la  grande  pénétration  de  Guillaume 
«  (c'était  le  nom  de  ce  génie  précoce)  sur  ce  que,  sans  avoir 
«étudié  ni  la  grammaire  ni  les  auteurs  classiques,  il  a  passé 
«  tout  d'un  coup  aux  subtilités  de  la  logique.  Ce  n'est  point 
«là  le  fondement  d'une  solide  instruction,  et  cette  subtilité 
«que  vous  nous  vantez  tant  est  souvent  l'écueil  de  ceux  qui 
«  en  font  leur  objet  capital.  A  quoi  sert-il  en  effet  d'em- 
«  ployer  son  temps  à  apprendre  des  choses  qui  ne  sont  d'au- 
«  cune  utilité  dans  l'usage  de  la  vie  civile,  domi ,  ni  pour  la 
«  profession  des  armes ,  ni  pour  le  barreau ,  ni  dans  les  cloî- 
«tres,  ni  dans  les  cours  des  princes,  ni  dans  l'église,  et  dont 
«on  ne  fait  cas  que  dans  les  écoles.''  Il  est  des  élèves  à  qui, 
«avant  que  d'être  imbus  des  premiers  élémens  des  lettres, 
«on  apprend  à  chercher  ce  que  c'est  que  le  point,  la  ligne, 
«la  superficie,  la  quantité  de  l'ame,  le  destin,  les  inclina- 
«tions  de  la  nature,  le  hasard,  le  libre  arbitre,  la  matière, 
«le  mouvement,  les  principes  des  corps,  les  combinaisons 
«  des  nombres,  les  diverses  sections  de  l'étendue  ;  ce  que  c'est 
«  que  le  temps ,  le  lieu,  l'identité  et  la  diversité,  le  divisible  et 
«  1  indivisible,  la  substance  et  la  forme  de  la  voix,  l'essence 
«  des  universaux ,  l'origine,  l'usage  et  la  fin  des  vertus;  quelles 
«  sont  les  causes  de  tout  ce  qui  existe,  le  principe  du  flux  et 
«reflux  de  l'Océan,  les  sources  du  Nil,  les  secrets  les  plus 
«cachés  de  la  nature,  les  diverses  manières  d'envisager  les 
«  questions  de  droit  d'où  naissent  les  contrats  oii  l'équiva- 
«  lent  des  contrats,  les  dommages,  ou  ce  qui  peut  passer 
«pour  tel;  enfin  quelle  est  l'origine  du  monde,  et  une  infî- 
«  nité  d'autres  questions  qui  demandent  un  grand  fonds  de 
«connaissances  et  des  esprits  supérieurs.  Avant  que  d'abor- 
«  der  ces  questions  épineuses,  ne  fallait-il  pas  initier  le  pre- 
«  mier  âge  .aux  règles  de  la  grammaire,  pour  connaître  l'ana- 
«  logie  des  mots,  les  barbarismes ,  les  solécismes,  les  tropes, 
«  et  les  autres  figures  de  rhétorique,  tous  objets  sur  lesquels 
«ont  prescrit  des  règles  Donat,  Servius,  Priscien,  Isidore, 
«Bédé,  Cassiodore  :  ce  qu'ils  n'auraient  siîrenient  pas  fait,  si 
«l'on  pouvait  élever  l'édifice  du  vrai  savoir  sans  avoir  posé 


PIERRE  DE  BLOIS.  365 

«ce  fondement.  »  Quant  à  lui,  il  se  félicite  que  dans  son  

enfance  on  lui  ait  fait  apprendre  par  cœur  les  lettres  d'Hil- 
debert,  et  qu'on  lui  ait  fait  lire  Trogue- Pompée,  Josephe, 
Hégésipj)e,  Quinte-Curce,  Tacite,  Tite-Live,  parce  qu'indé- 
pendamment de  la  belle  élocution ,  on  trouve  dans  ces  auteurs 
de  beaux  exemples  pour  l'instruction  des  mœurs. 

Quoique  la  lettre  io4  au  doyen  et  au  chapitre  de  Salisburi 
n'ait  pour  objet  que  de  les  féliciter  sur  le  parti  qu'ils  avaient  Epist.  104* 
pris,  avec  la  permission  du  roi,  de  rebâtir  leur  église  au  bas 
de  la  montagne  au  haut  de  laquelle  elle  était  auparavant 
située  au  milieu  d'une  forteresse ,  l'auteur  a  trouvé  le  secret 
de  rendre  cette  lettre  assez  intéressante.  —  Le  sous- doyen 
de  Salisburi  était  dans  l'opinion  que  Dieu  n'avait  permis  la  Epist.  xo6. 
guerre  qui  désolait  alors  les  provinces  qu'à  cause  des  péchés 
du  roi.  Pierre  lui  prouve  fort  bien  que  c'est  là  un  secret  de 
la  providence,  et  qu'on  peut  dire  également  que  Dieu  punit 
souvent  It-s  rois  et  les  royaumes  à  cause  des  pèches  du 
peuple.  Tel  est  le  sujet  de  la  lettre  106. 

Un  archidiacre  d'Vorck  s'était  glorifié  en  présence  de  quel- 
ques abbés  et  d'autres  personnes  recommandables,  que  rien  EpUt.  118. 
ne  troublait  le  repos  de  sa  conscience ,  se  croyant  n-répro- 
chable.  Notre  auteur  lui  fait  sur  cela  une  bonne  morale,  et 
lui  prouve,  dans  la  lettre  118,  que  les  plus  grands  saints 
avaient  d'eux-mêmes  une  opinion  toute  différente,  tandis 
que  sa  passion  connue  pour  amasser  de  l'argent,  sa  vie  molle 
et  oisive,  ses  beaux  ameublemens  et  le  luxe  de  sa  table,  de- 
vaient lui  inspirer  des  sentimens  tout- à -fait  opposés.  Cette 
lettre,  écrite  d'un  style  simple  et  naturel,  est  exempte  des 
citations  multipliées  et  des  allégories  forcées  qui  surchargent 
inutilement  la  plupart  des  lettres  de  notre  auteur,  se  con- 
formant en  cela  au  goiit  de  son  siècle. 

Dans  la  lettre  120,  il  représente  au  doyen  de  l'église  de      Epist.  lao. 
Tours  qu'un  de  ses  neveux  faisait  un  commerce  inlàme  de 
bénéfices,  qu'il  achetait  de  toute  main  et  qu'il  revendait.  Il 
exhorte  le  doyen  à  faire  cesser,  pour  son  honneur,  un  si 
grand  scandale. 

Nous  avons  vu  plus  haut,  en  rendant  compte  de  la  lettre  Supràp.  353. 
112  à  Henri  de  Deux,  évêque  d'Orléans,  quelle  était  l'opi- 
nion de  Pierre  de  Blois  touchant  la  dîme  saladine  que  Phi- 
lippe-Auguste avait  imposée  sur  les  biens  de  tous  ceux  qui 
ne  s'étaient  pas  croisés  avec  lui.  11  traite  le  même  sujet  dans 
la  lettre  1 21  à  Jean  de  Coutance ,  doyen  de  l'église  de  Rouen , 


XII  SIECLE. 


366  PIERRE  DE  BEOIS. 

neveu  de  l'archevêque  Gautier,  à  qui  il  reproche  de  n'avoir 
pas  fait  usage  d'une  première  lettre  qu'il  lui  avait  écrite,  et 
que  nous  n'avons  pas,  pour  l'engager  a  détourner  le  roi  d'An- 
gleterre de  suivre  l'exemple  de  celui  de  France.  Dans  celle- 
Epist.  lai.  ci  il  insiste  sur  le  même  objet;  et  comme  le  doven  de  Rouen 
avait  accès  auprès  du  roi,  duc  de  Normandie,  il  expose  les 
raisons  que  le  doyen  doit  faire  valoir  en  faveur  du  clergé. 
«  Si  les  princes ,  dit-il ,  sous  prétexte  d'aller  faire  la  guerre  aux 
«infidèles,  réduisent  l'église  en  servitude  en  l'accablant  d'im- 
«  pots,  il  faut  que  les  vrais  enfans  de  l'église  aient  le  courage 
«de  s'y  opposer,  et  de  mourir  plutôt  que  d'y  consentir.  Car 
«dès  les  premiers  temps  l'église  est  libre,  elle  et  ses  enfans, 
«et  c'est  Jésus-Christ  qui  lui  a  procuré  cette  liberté,  comme 
«il  est  marqué  dans  1  Ecriture,  que  les  enfans  de  Sara  sont 
«  libres,  tandis  que  ceux  d'Agar  sont  esclaves.  »  On  peut  juger 
par-là  de  la  justesse  des  applications  que  l'auteur  fait  des 
•  passages  de  l'Ecriture-Sainte  dans  presque  toutes  ses  lettres. 

Son    érudition    n'est  fondée   ici,  suivant  la   judicieuse  re- 
Hist.  eccles.  marque  de  l'abbé  Fleuri,  que  sur  l'équivoque  àe  liberté  Gt 
'o^R^'^'*'' '*'  ^église ,  comme  si  l'église,  délivrée  par  Jésus-Christ,  n'était 
que  le  clergé,  et  que  la  liberté  qu'il  nous  a  procurée  consis- 
tât, selon  la  pensée  de  saint  Paul,  en  autre  chose  que  dans 
l'exemption  du  péché  et  l'abolition  des  cérémonies  légales. 
Epist.  129.         IJn  archidiacre  d'Orléans,  que  Pierre  de  Blois  avait  eu 

Four  disciple ,  introduisait  des  pratiques  simoniaques  dans 
exercice  de  sa  charge.  L'auteur,  usant  du  droit  que  lui  don- 
nait son  ancienne  qualité  de  maître,  lui  fait  sur  cela  de  vives 
réprimandes  dans  la  lettre  129.  Cette  lettre  fut  écrite  avant 
q\ie  l'auteur  erit  passé  eu  Angleterre ,  car  il  n'y  pi'end  aucune 
qualité. 

Epist.  i33et  Les  lettres  i33  et  i35  aux  doyen  et  chapitre  de  Salisburi 
»35.  sont  relatives  à  un  canonicat  que  Pierre  de  Blois  possédait 

dans  cette  église.  On  voulait  le  contraindre  à  la  résidence 
pour  un  bénéfice  qui,  dit -il,  ne  valait  pas  cinq  marcs  d'ar- 
gent. Il  appelle  de  la  sentence  au  légat ,  qui  décida  la  ques- 
tion dans  la  lettre  i35. 

Epist.  157.  Pierre  de  Blois,  employé  fréquemment  à  la  cour  du  roi  et 
des  archevêques,  ne  pouvant  pas  toujours  i-emplir  les  devoirs 
de  sa  charge  d'archidiacre  de  Bath,  avait  nommé  un  vicaire 
pour  le  remplacer;  mais  se  cj'oyant  responsable  des  fautes  et 
des  négligences  que  celui-ci  pouvait  commettre,  il  l'exhorte, 
dans  la  lettre  15^,  à  bien  faire  son  devoir,  afin  de  fermer  la 
bouche  aux  détracteurs. 


XII  SIECLE. 


PIERRE   DE  BLOIS.  367 

Étant  lié  d'amitié  avec  l'official  de  levêgue  de  Chartres, 
Pierre,  pour  le  de'goùter  de  cet  emploi,  lui  adresse  la  lettre      El"*'-  ^^ 
îi5,  qui  renferme  une  sortie  des  plus  violentes  contre  les  ofti- 
ciaux  et  leur  manière  de  rendre  la  justice  dans  leur  tribunal. 
Il  leur  reproche  des  excès  si  révoltans,  qu'on  serait  tenté  de 
croire  qu'il  n'a  voulu  faire  qu'une  amplification  de  rhéto- 
rique. La  fonction  d'un  officiai,  dit-il,  est  de  tondre  au  profit     . 
de  l'évêque  les  pauvres  ouailles  soumises  à  sa  juridiction ,  de 
les  sucer  et  de  les  écorcher.   Il  compare  les  ofHciaux.  à  des 
sangsues  qui  regorgent  le  sang  d'autrui  après  l'avoir  bu;  à 
des  éponges  d'où  la  richesse  coule  dans  les  mains  de  celm 
qui  les  presse.  Il  faut,  pour  satisfaire  aux  besoins  ou  aux  plai- 
sirs du  maître,  embrouiller  le  ilroit  des  parties,  susciter  des 
f)rocès,  casser  les  contrats,  prolonger  les  affaires,  supprimer 
a  vérité,  favoriser  le  mensonge, courir  après  le  gain,  vendre 
la  justice,  imaginer  de  nouvelles  exactions,  concerter  des  fri- 
ponneries, etc.  etc.  etc.  '.i  • 

'  ;  Lettres  a  des  abbés.  La  29^  à  l'abbé  et  aux  moines  de  Saint-      Epist.  ag. 
Alban,  est  une  plainte  contre  un  prieur  de  leur  dépendance, 
qui  avait  refusé  l'hospitalité  à  notre  auteur  étant  en  cours  de 
visite  de  son  archidiaconé  de  Bath.  Il  y  fait  l'éloge  de  l'hos- 

Eitalité  tant  recommandée  dans  les  règles  monastiques,  qui, 
ien  loin  d'appauvrir  les  monastères,  avait  beaucoup  con- 
tribué à  les  enriciiir. 

Notre  auteur  ayant  éprouvé  une  grave  maladie,  écrivit  à      Epist.  3i. 
l'abbé deFontaines,  nommé  Raoul,  la  lettre  3i,  dans  laquelle 
il  le  remercie  des  secours  qu'il  lui  avait  procurés,  et  s'étend 
longuement  sur  le  bonheur  des  souffrances. 

Pierre  avait  un  frère  nommé  Guillaume,  homme  de  lettres 
comme  lui ,  mais  moins  corniu ,  qUÎ  aura  aussi  son  article  dans 
cette  histoire.  Ayant  embrassé  la  vie  monastique  à  Saint- 
Laumer  de  Blois,  Guillaume  avait  accompagné  son  frère  en 
Sicile,  et  par  son  crédit  avait  été  pourvu  d'une  abbaye,  non 
de  Mani  ou  Maniac  en  Sicile ,  comme  le  porte  le  texte  im- 
primé de  la  lettre  93,  mais  de  Mâtine  dans  la  Calabre,  selon 
tous  les  manuscrits  (i).  Arrivé  en  France  l'an  1 169,  après  la 

(1)  Quoique  dans  celle  dernière  leUre  Pierre  de  Blois  place  en  Sicile 
l'abbaye  dont  son  frère  était  pourvu,  nous  croyons  qu'il  s'est  exprimé 
ainsi ,  parce  que  la  Calabre,  où  était  située  l'abbaye  de  Mâtine,  était  .sous 
la  domination  du  loi  de  Si<:ile,  et  qu'il  faut  suivre  la  leçon  Matinensis  des 
inarmscrits,  parce  que  l'abbaye  Maniacensis  ne  lut  fondée  qu'en  1174 
par  la  reine  iVIarguerite. 


368  PIERRE  DE  BLOIS. 

XII  SIECLE,  catastrophe  d'Etienne  du  Perche,  chancelier  du  royaume, 
qui  obligea  les  Français  à  quitter  la  Sicile,  Pierre  écrivit  à 
Epist.  90.  son  frère  la  lettre  ()o,  contenant  le  récit  de  son  voyage  et 
de  ce  qui  s'était  passé  en  Sicile;  après  quoi  il  lui  parle  des 
ornemens  pontificaux  que  le  pape  venait  de  lui  accorder,  et 
l'exhorte  à  n'en  pas  faire  usage.  «  Je  me  réjouis,  lui  dit-il,  de 
«la  bénédiction  abbatiale  que  vous  avez  reçue;  mais  je  n'ap- 
«  prouve  pas  les  ornemens  de  la  dignité  épiscopale  dans  un 
«abbé;  la  mitre ,  l'anneau  et  les  sandales  ne  sont  qu'une  vaine 
«ostentation  d'orgueil  et  d'indépendance  en  tout  autre  qu'un 
«évêque.  . . .  Renoncez  à  tout  cela,  mon  frère;  et  si  vous  ne 
«pouvez  le  faire  sans  scandale,  remettez  votre  abbaye  entre 
«les  mains  du  pape.  » 

C'CvSt  le  parti  que  prit  Guillaume;  il  quitta  son  abbaye,  et 
revint  en  France  oii  il  passa  le  reste  de  ses  jours  dans  l'ab- 
Epist.  93.  baye  de  Saint-J^aumer.  Pierre  apprit  avec  joie  le  succès  de 
.  sa  lettre.  Il  enseignait  alors  à  Pans,  d'où  il  écrivit  à  son  frère, 
déjà  rendu  à  Blois,  la  lettre  98,  pour  le  féliciter  du  parti  cou- 
rageux qu'il  avait  pris.  «  Nous  voilà  donc  rendus  l'un  et 
«l'autre  en  France,  qui,  comme  l'a  dit  saint  Jérôme,  n'en- 
ttfanta  jamais  de  monstres  :  tenons-nous-y.  Vous  respirez  l'air 
«natal,  vous  buvez  l'excellent  vin  de  Blois ,  au  lieu  de  ces 
«vins  âpres  que  vous  étiez  condamné  à  boire  en  Sicile.  Il 
«est  vrai  qu'en  quittant  votre  place,  vous  perdez  un  tombeau 
«de  marbre  sur  lequel  on  eût  peut-être  gravé  après  votre 
«mort  :  Ci-gît  Guillaume,  abbé  de  Mâtine.  Mais  qu'importe 
«un  sépulcre?  Votre  nom  durera  plus  long-temps  parmi  nos 
«  neveux  par  votre  tragédie  de  Flaure  et  de  Marc .  par  les  vers 
«  que  vous  avez  composés  sur  la  puce  et  la  mouche,  par  votre 
«comédie  d'Alda,  par  vos  sermons  et  vos  œuvres  théologi- 
«ques,  dont  il  serait  à  souhaiter  que  les  exemplaires  fussent 
«plus  répandus  et  la  lecture  plus  commune.  Vos  ouvrages 
«vous  font  certainement  plus  d'honneur  qu'il  ne  vous  en  re- 
«  viendrait  si  vous  possédiez  à-la-fois  quatre  abbayes  :  Plus 
«  honoris  accrevit  vobis  ex  operibus  vestris  quàm  ex  quatuor 
9.ahbatiis  (i).  » 

Pierre  de  Blois,  en  louant  beaucoup,  dans  la  lettre  86, 

(i)  On  s'est  trompe  dans  le  diiscours  sur  letat  de.i  lettres  au  XII  sjècle, 
fen  disant  (t.  IX,  p.  io5)  que  Guillaume  avait  possédé  jusqu'à  quatre  ab- 
bayes. L'unique  fondement  de  cette  assertion  a  été  le  texte  latin  que  nous 
rapportons ,  et  dont  il  est  visible  qu'on  n'a  pas  pris  le  sens. 


XII  SIECLE. 


Epist. 


PIERRE  DE  BLOIS.  869 

Tordre  des  chartreux  et  des  cisterciens,  avait  choqué  par 

quelques  expressions  celui  de  saint  Benoît.  Il  en  reçut  des 

reproches  de  la  part  de  l'abbé  d'Evesham.  Pour  faire  cesser 

ses  plaintes,  notre  auteur  lui  adressa  la  lettre  97,  dans  la-      ^^^^^  ^^ 

quelle  il  proteste  qu'il  est  plein  d'estime  et  de  vénération 

pour  tous  les  ordres  en  général.  Ce  n'est  pas,  dit -il,  par  la 

couleur  blanche  ou  noire  des  habits  qu'on   est  agréable  à 

Dieu,  mais  par  la  pratique  exacte  des  devoirs  qu'on  s'est 

imposés. 

Dans  la  lettre  102,  il  met  dans  la  bouche  d'un  abbé  de 
Reading,  auquel  il  écrit,  un  long  discours  comme  le  résultat 
d'une  conférence  qu'ils  avaient  eue  ensemble  sur  les  embar- 
ras des  supériorités  monastiques,  et  sur  les  obstacles  qu'on 
y  trouve  à  faire  son  salut.  L'auteur  applaudit  aux  pieux  sen- 
timens  de  l'abbé,  qui  aurait  bien  voulu  se  décharger  du  far- 
deau de  la  supériorité  :  il  ne  lui  conseille  pourtant  pas  de  se 
démettre. 

Nous  voyons,  par  la  lettre  11  o,  que  l'auteur  avait  des  liai-  Epist.  n». 
sons  fort  étroites  avec  l'abbé  et  les  religieux  de  l'Aumône  ou 
le  petit  Cîteaux,  non  loin  de  la  ville  de  Blois.  En  les  quit- 
tant un  jour,  il  fut  atteint  d'une  maladie  dont  il  fait  la  des- 
cription, et  leur  demande  le  secouis  de  leurs  prières.  Il  paraît 
que  c'est  à  tort  qu'on  lui  donne  dans  la  suscription  de  cette 
lettre  la  qualité  d'archidiacre  de  Bath ,  et  qu'il  faut  la  rap- 
porter au  temps  où  Pierre  de  Blois  faisait  son  séjour  en 
France. 

La  lettre  xi5  à  l'abbé  de  Mesander  est  la  réponse  à  une     Epist.  ii5. 
consultation  sur  les  degrés  et  les  différens  genres  d'affinité 
qu'on  opposait  à  un  mariage.  Notre  auteur  explique  en  ha- 
bile jurisconsulte  quels  étaient  alors  les  empêcheraens  diri- 
mans  du  mariage. 

A  l'article  de  Hugues  Foucaud ,  abbé  de  Saint-Denis,  nous  Suprà  p.  275. 
avons  rendu  compte  de  la  lettre  ti6,  qui  lui  est  adressée. 
Nous  avons  prouvé  que  cet  abbé  n'est  autre  que  Hugues  Fal- 
cand  ,  auteur  d'un  morceau  intéressant  de  l'histoire  de  Sicile 
sous  les  règnes  de  Guillaume  l"  et  de  son  fils  Guillaume  II. 
Pierre,  en  lui  envoyant  un  de  ses  écrits,  le  prie  de  lui  com-  Epist.  116. 
muniquer  celui  que  Hugues  avait  composé  touchant  l'infor- 
tune qu'il  avait  éprouvée  en  Sicile,  de  casu  vestro  in  Siciliâ, 
afin,  dit- il,  de  cimenter  notre  ancienne  amitié  par  cette 
communication  réciproque.  Il  parle  ensuite  des  démêlés  que 
cet  abbé  avait  eus  avec  le  roi  Philippe-Auguste,  dont  l'au- 

Tome  Xr.  A  a  a 


un  SIECLE. 


370  PIERRE  DE  BLOIS. 

teur  n'explique  pas  le  sujet;  mais  il  paraît  qu'il  s'agissait  de 
la  dîmesaladine,sur  laquelle  l'abbé  de  Saint-Denis  profes- 
sait apparemment  les  opinions  que  Pierre  de  Blois  ciierchait 
à  inspirer  à  ses  amis,  comme  nous  l'avons  vu  dans  plusieurs 
de  ses  lettres. 

Epist.  117.  La  117^  à  Geofroi,  abbé  de  Marmoutier,  est  pleine  des 
reproches  les  plus  vifs  sur  ce  que  cet  abbé  avait  soutenu  un 
procès  contre  le  prieur  de  Saint-Côme  dans  une  des  îles  de 
la  Loire,  touchant  quelques  morceaux  de  terre  et  de  pâtu- 
rages. Il  tourne  en  ridicule  la  manière  dont  cet  abbé  avait 
plaidé  et  perdu  sa  cause  au  tribunal  de  l'archevêque  de 
Tours,  dans  une  audience  à  laquelle  l'auteur  dit  avoir  été 
présent.  Geofroi  fut  fait  abbé  de  Marmoutier  l'an  1 187. 

Epist.  126.  L'abbé  de  Glocester,  successeur  de  Henri  de  Sully,  fait 
évêque  de  Worch ester  l'an  1193,  ayant  appris  la  nomina- 
tion de  Eudes  de  Sully  à  l'évêché  de  Paris,  s  adressa  à  Pierre 
de  Blois  pour  avoir  des  renseignemens  sur  ce  jeune  prélat, 
dont  il  avait  entendu  dire  tant  de  bien  à  l'oncle,  et  sur  les 
circonstances  de  son  élection.  Il  ne  pouvait  mieux  s'adres- 
ser. Pierre  l'avait  connu  particulièrement  à  Paris,  dans  le 
temps  que  ce  jeune  seigneur  avait  pour  précepteur  un  de  ses 
disciples  nommé  Pierre  de  Vernon,fi?e  Ferno.  La  lettre  126 
est  pioprement  l'éloge  de  ce  prélat,  dans  lequel  l'auteur 
nous  fait  connaître  plusieurs  traits  de  sa  vie  privée  avant 
son  épiscopat. 

Les  lettres  i3i  et  iSa  sont  adressées  à  un  de  ses  neveux, 
nommé  Ernaud  ou  Arnaud,  moine  et  puis  abbé  de  Saint- 

Epist.  i3i.  Laumer  de  Blois.  Dans  la  première,  l'auteur  reproche  à  son 
neveu,  alors  prieur  de  Saint- Laumer  de  Moustier  dans  le 
Perche,  l'ambition  de  parvenir,  qui  le  portait  à  faire  la  cour 
aux  grands  et  à  se  mêler  de  leurs  affaires,  au  mépris  de  ses 
obligations  religieuses.  Il  lui  donne  sur  cela  de  très -bons 
conseils;  et  se  donnant  lui-même  pour  modèle  d'un  noble 
désintéressement  :  «  Vous  avez  pu  apprendre,  dit-il,  de  la 
^bouche  du  seigneur  j)ape  qui  occupe  aujourd'hui  le  saint- 
«  siège,  et  de  la  plupart  des  cardinaux  qui  de  mon  temps 
«ont  été  envoyés  légats  en  F'rance ,  de  la  bouche  de  mon  frère 
«Guillaume,  de  l'abbé  de  S'.-Denis,  et  d'autres  grands  per- 
«sonnages  du  royaume,  qu'étant  en  Sicile  garde  du  sceau 
«et  précepteur  du  roi  Guillaume  II ,  oîi  après  la  reine  et  l'ar- 
«chevêque  de  Palerme,  j'avais  une  assez  grande  part  au  gou- 
«verneraent,  des  envieux,  pour  m'éloigner  de  la  cour,  m'a- 


PIERRE  DE  BLOIS.  871 

«vaient  fait  nommer  archevêque  de  Naples,  et  puis,  à  deux 
a  reprises ,  à  revêclié  de  Rossano.  Mais ,  content  d'une  hon- 
«nête  médiocrité,  j'ai  refusé  constamment  ces  dignités.»  Il 
y  a  dans  l'imprimé  Rqffensis  episcopatus ,  Rochester  en 
Angleterre;  mais  la  contexture  de  la  lettre  indique  qu'il  faut 
lire  Rossanensis  en  Calabre,  comme  portent  quelques  ma- 
nuscrits. Quant  à  l'époque  de  la  lettre,  on  la  connaîtrait  à- 
peu-près,  si  l'auteur  eût  nommé  le  pape  dont  il  parle;  mais, 
appelant  en  témoignage  l'abbé  de  Saint-Denis  ,  Hugues 
Foucault,  qui  entra  en  possession  de  cette  abbaye  l'an  1 186, 
il  faut  conclure  que  la  lettre  est  d'une  date  postéri<'ure  à 
cette  année. — La  lettre  iSa  est  écrite  au  même  Ernaud  ,  nou- 
vellement élu  abbé  de  Saint-Laumer  de  Blois.  L'auteur  veut 
bien  partager  avec  toute  la  famille  la  joie  que  cette  élection 
lui  a  causée  ;  mais  il  prie  le  nouvel  abbé  de  bien  examiner 
s'il  a  lieu  de  s'en  féliciter  lui-même,  et  sur  cela  il  lui  donne 
d'excellentes  instructions  sur  les  obligations  d'un  supérieur. 
On  ne  sait  pas  précisément  en  quelle  année  Ernaud  fut  fait 
abbé;  on  ne  le  trouve  avec  cette  qualité  que  dans  un  titre 
de  l'an  11 98  :  son  prédécesseur  Robert  1  était  encore  l'an 
1 193.  On  peut  donc  placer  la  lettre  entre  ces  deux  années. 

L'objet  de  la  lettre  i34  à  Guillaume,  qui  venait  d'être 
nommé  à  l'abbaye  de  Notre-Dame  de  Blois ,  ordre  de  saint 
Augustin,  connu  sous  le  nom  de  Bourgmoyen,  est  le  même 
que  celui  de  l'auteur  dans  la  lettre  dont  nous  venons  de  par- 
ler :  c'est  une  longue  instruction  sur  les  devoirs  de  ceux  qui 
sont  chargés  de  la  conduite  des  autres.  Cet  abbé  redeman- 
dait à  l'auteur  un  livre  qu'il  lui  avait  prêté,  ayant  pour  titre 
Unus  ex  quatuor.  C'était  apparemment  une  concordance  des 
quatre  évangélistes.  On  trouve  dans  le  Gallia  Christiana  la 
preuve  que  Philippe,  prédécesseur  de  Guillaume  à  Bourg- 
moyen,  vivait  encore  l'an  1194;  et  comme  Guillaume  tint 
un  chapitre  général  de  sa  congrégation  l'an  1196,  on  peut 
sans  inconvénient  rapporter  cette  lettre  à  l'an  11  gS. 

Nous  avons  dit  plus  haut,  en  rendant  compte  de  la  lettre 
123  à  Richard,  évëque  de  Londres,  par  quels  motifs  Pierre 
de  Blois  se  défendait  de  recevoir  l'ordre  de  prêtrise.  Il  ne  per- 
sista pas  jusqu'à  la  lin  dans  cette  disposition;  il  consentit 
enfin  à  son  ordination  vers  l'an  1 196.  C'est  ce  que  l'on  voit 
par  la  lettre  139  à  l'abbé  et  à  la  communauté  a&  Chicester, 
dans  laquelle  il  leur  annonce  qu'il  venait  d'être  fait  prêtre, 
et  leur  demande  le  secours  de  leurs  prières,  afin,  dit-il,  que 

A  aa  2 


XII  SIECLE. 


Epist.  i3a. 


Gall.  Christ, 
t.  VIII,  col. 
1357. 

Epist.  i34. 


Gall.  Christ, 
t.  VIII  ,  col. 
1390. 


Supra,  p.  358. 


Epist.  139. 


373  PIERRE  DE  BLOIS. 


XII  SIECLE. 


je  puisse  mener  une  vie  conforme  à  la  sainteté  de  cet  e'tat. 
Dans  quelques  manuscrits,  cette  lettre  est  adressée  à  l'abbé 
d'Evesham,  ce  qui  prouve  qu'il  la  répandit  le  plus  qu'il  put 
parmi  ses  amis.  Il  y  prend  encore  la  qualité  d'arcliidiacre 
de  Bath. 

Epist.  4.  Lettres  a  des  prieurs  et  a  des  moines.  La  lettre  4  a  pour 

adresse  R.  priori  cisterciensi ;  nous  croyons  qu'il  faut  lire 
cicestrensi ,  et  que  ce  prieur  est  le  même  auquel,  devenu 
abbé, Pierre  écrivit  la  lettre  189  dont  nous  venons  de  rendre 
compte.  Dans  cette  lettre,  l'auteur  donne  à  son  ami  des 
éclaircissemens  sur  quelques  endroits  de  son  traité  des  illu- 
sions de  la  fortune.  11  était  alors  dans  un  âge  assez  avancé. 
«  Mes  rides,  dit-il,  rendent  témoignage  contre  moi;  j'ai  déjà 
«les  cheveux  blancs,  avant-coureurs  de  la  dernière  heure.  » 
Mais  ce  n'est  pas  une  raison  de  lixer  l'époque  de  la  lettre  à 
l'an  1195,  comme  fait  l'éditeur.  Pierre  de  Blois  tenait  le 
même  langage,  dans  la  lettre  128,  à  Guillaume  de  Cham- 
pagne, archevêque  de  Sens,  c'est-à-dire  avant  l'année  iinG. 

EpUt.  8.  Dans  la  lettre  8,  Pierre  répond  à  un  prieur  qui  n'est  ])as 

nommé,  mais  qui  avait  étudié  avec  lui  à  Bologne.  Cet  ano- 
nyme avait  trouvé  mauvais  que  notre  auteur  prêchant  de- 
vant sa  communauté,  eût  cite  dans  un  discours  chrétien  des 
passages  d'auteurs  profanes,  et  qu'il  eût  employé  des  termes 
empruntés  de  la  jurisprudence.  La  réponse  de  l'auteur  est 
courte  et  solide.  «On  ne  s'informe  pas,  ait-il,  dans  quel  j)ays 
«  sont  venues  les  plantes  médicales,  ni  par  quelles  mains 
«elles  ont  été  cultivées,  pourvu  qu'elles  aient  la  vertu  de 
«  guérir.  Il  en  est  de  même  des  belles  ipaximes  de  morale  ; 
«  on  les  prend  par-tout  où  elles  se  trouvent.  » 

Epist.  i3.  Un  jeune  religieux,  à  peine  sorti  du  noviciat,  ambition- 

nait un  prieuré-cure,  persuadé  que  par  ses  instructions  il 
gagnerait  beaucoup  d'aines  à  Dieu.  Pierre,  dans  sa  lettre  i3, 
lui  fait  sur  cela  une  bonne  leçon.  «  Croyez-moi,  dit-il,  restez 
«dans  votre  cloître.  S'il  y  a  un  paradis  sur  la  terre,  ce  n'est 
«que  là  qu'on  le  trouve,  ou  dans  les  écoles;  par-tout  ailleurs 
«tout  est  plein  d'anxiétés,  d'amertumes ,  de  craintes,  de  sol- 
«licitudes  et  de  souffrances.  » 

Epist.  32.  On  voit,  par  la  lettre  32  au  prieur  de  Cantorbéri,  désigné 

par  la  lettre  V,  que  ce  prieur  était  parent  de  notre  auteur, 
et  qu'ils  venaient  de  lier  connaissance,  lorsque  Pierre  lui 
écrivit  cette  lettre  en  faveur  de  quelqu'un  qui  av;iit  des  in- 
térêts à  démêler  avec  la  communauté  de  Cantorbéri. 


PIERRE  DE  BLOIS.  SyS 

^.  1      T.I    •       '^      ^  '  V  ..  '    I       XII  SIECLE. 

Pierre  de  Blois  étant  passe  en  t  rance  apparemment  a  la 


suite  du  roi  d'Angleterre,  avait  «'m[)rante  un  livre  de  la  Epist.  37. 
bibliothèque  de  l'abbaye  de  Juraiège.  Ne  l'ayant  pas  rendu 
au  jour  convenu,  il  écrivit  au  prieur  Alexandre  la  lettre  87, 
dans  laquelle  il  s'excuse  d'avoir  manqué  de  parole  sur  les 
grandes  affaires  dont  il  était  chargé,  et  prie  qu'on  lui  laisse 
encore  le  livre  pour  quelques  jours. 

Un  chartreux  nommé  Alexandie,  voulant  passer  dans  un  Epist.  86. 
ordre  moins  austère,  alléguait  pour  prétexte  que  dais  l'ordre 
des  chartreux  on  ne  permettait  pas  de  célébrer  la  messe  tous 
les  jours.  Notre  auteur,  dans  la  lettre  86,  loin  de  blâmer 
cette  pratique,  lui  prouve,  par  de  nombreux  exemples  de 
grands  saints,  que  cette  conduite  est  très-louable,  et  le  con- 
jure de  demeurer  dans  l'état  qu'il  a  volontairement  embrassé, 
s'il  veut  ne  pas  être  un  sujet  de  scandale  à  ses  frères  et  à 
ceux  qui  apprendraient  sa  démarche  inconsidérée. 

Ayant  rempli  une  mission  ou  du  roi  ou  de  l'archevêque      Epi»t.  io5. 
de  Cantorbéri  dans  la  province  d'Yorck, Pierre, dans  la  lettre 
io5,  prenant  congé  du  prieur  et  des  religieux  de  Fontaines, 
allègue  plusieurs  raisons  qui  l'ont  empêché  de  les  voir  aussi 
souvent  qu'il  l'eût  désiré. 

La  lettre  loy  est  adressée  à  un  de  ses  amis,  qui,  après  Epist.  107. 
avoir  embrassé  la  vie  religieuse,  était  devenu  courtisan,  et 
se  plaignait  qu'il  n'éprouvait  plus,  comme  autrefois,  des  sen- 
timens  de  dévotion.  Notre  auteur  lui  répond  que  ce  n'est 
pas  à  la  cour  qu'on  trouve  le  recueillement  et  le  repos  d'une 
bonne  conscience;  qu'on  n'a  rien  de  mieux  à  faire  que  de 
s'en  éloigner. 

Écrivant  à  maître  Alexandre  de  Saint-Alban ,  son  ami  très-      Epist  iS;, 
intime,  qui  venait  d'embrasser  la  vie  religieuse,  la  lettre  iS^, 
Pierre  l'exhorte  à  persévérer  dans  cet  état,  sans  se  rebuter 
des  austérités  et  des  autres  pratiques  du  cloître. 

Les  lettres  35,  36,  .55,  à  des  religieuses,  ne  sont  que  des      Epist. 35, 36, 
exhortations  à  persévérer  dans  leur  état  dont  il  relève  l'ex-  ^^■ 
cellence. 

Lettres  à  des  chanoines  et  autres  clercs.  La  lo^  a  pour  Epist.  10. 
titre  dans  les  imprimés  ^d  G.  capellanwn  régis  Siciliœ  • 
dans  les  manuscrits  les  titres  varient  beaucoup.  Le  beau 
manuscrit  de  Saint-Victor,  aujourd'hui  dans  la  bibliothèque 
royale  sous  le  n"  38,  porte  :  Correctio  principis ;  un  autre, 
Ârguitur  quidam  de  nimia  taciturnitate.  Mais  aucun  ne 
contient  la  suscription  ordinaire   indiquant  le  nom  et  la 


374  PIERRE  DE  BLOIS. 

XII  SIECLE,  qualité  de  l'auteur,  ainsi  que  ceilx  de  la  personne  à  qui  la 
lettre  est  adressée.  Nous  ne  contestons  pas  que  la  lettre  G 
ne  de'signe  Gautier,  jadis  chapelain  de  Guillaume  II,  roi  de 
Sicile,  a  qui  Pierre  de  Blois  avait  succédé  dans  la  place  de 

Î)récepteur  de  ce  prince;  mais  il  nous  semble  que  ce  chape- 
ain  était  déjà  archevêque  de  Palerme  lorsque  cette  lettre  lui 
fut  écrite,  puisque  l'auteur  appelle  le  roi  son  ouaille  :  Oi'is 
tua  est ,  et  in  periculum  tuum  ipsiiis  custodiam  suscepisti. 
Vide  ne  alios  imiteris  qui  lac  et  lanam  quœrunt  inovibus, 
non  saluteni.  Peiiculosum  est  tihi  si  in  tonsoris  officium  con- 
Sicil.  sac.  p.  vertas  ministerium  pastorale.  Baronius ,  et ,  après  lui ,  Roch 

699,  éd.  1733.  Pirrus,  voyant  que  ce  passage  ne  pouvait  être  appliqué  à 
un  simple  chapelain,  ont  supposé  que  la  lettre  était  adressée 
à  Richard,  évêque  de  Syracuse,  et  l  ont  rapportée  à  un  temps 
V  antérieur  à  l'épiscopat  de  Gautier,  commençant  à  l'année 
1 1 69  ;  mais  Richard  n'était  pas  l'évêque  diocésain  de  la  cour 
de  Palerme. 

Ce  n'est  pas  le  seul  embarras  dans  lequel  nous  aient  jetés 
les  copistes.  Dans  quelques  manuscrits,  au  lieu  de  la  pre- 
mière phrase  :  Diu  est  quod  rumor  insonuit  et  publiée  jam 
crebj'escit,  quod  dominus  tuus  rex  Siciliœ ,  salutis  suce  et 
paternœ  traditionis  oblitus ,  cuni  comité  Lorocelli  in  ruinant 
et  desolationeni  Agri^entinœ  ecclesiœ  conjuravit  ;  on  a  eu 
la  téméiité  de  substituer,  lîecc  Francoruni ....  cuni  comité 
claromontensi  in  ruinam  et  desolationein  Bituricensis  eccle- 
siœ conjuravit  ;  leçon  inconciliable  avec  tout  le  contexte  de 
la  lettre.  Tenons  donc  pour  certain  que  cette  lettre  fut  adres- 
sée à  Gautier, archevêque  de  Palerme,  auquel  Pierre  de  Blois 

Suprà,  p.  35o.  adresse  encore  la  lettre  ^%,,  dont  il  a  été  rendu  compte  ci- 
dessus. 

Ce  prélat  ayant  mandé  à  Pierre  de  Blois  que,  malgré  ses 
représentations,  le  jeune  roi  de  Sicile,  gagné  par  des  présens, 
n'écoutant  que  les  conseils  du  comte  de  Lorotello,  voulait 
nommer  à  l'évêché  de  Gergenti  le  frère  de  ce  comte,  homme 
stupide  et  peu  propre  à  remplir  ce  poste;  Pierre  lui  répond 

au'il  n'a  pas  assez  fait  pour  empêcher  un  si  grand  mal ,  qu'il 
oit  insister  et  exposer  même  sa  fortune  et  sa  vie  pour  faire 
échouer  ce  dessein.  Cette  lettre  produisit  son  effet,  et  l'évê- 
ché de  Gergenti  fut  donné  l'an  1 172  à  Barthélemi,  frère  de 
Gautier.  En  terminant  sa  lettre,  l'auteur  ajoute  à  la  louange 
du  roi  d'Angleterre  :  «  Béni  soit  le  Seigneur,  qui  a  préservé 
«jusqu'ici  le  roi  Henri  d'une  telle  prévarication.  Ce  prince 


PIERRE  DE  BLOIS.  376 

«  n'a  jamais  reçu  de  présens  pour  la  collation  des  dignités  ^"  siècle. 
«ecclésiastiques,  il  ne  les  a  jamais  données  qu'au  mérite! 
«Aussi  le  Seigneur  l'a-l-il  comblé  d'honneurs  et  de  gloire 
a  plus  que  tous  les  princes  ses  contemporains.  »  Ce  qui  prouve, 
selon  nous,  qu'à  cette  époque  l'auteur  était  déjà  passé  en 
Angleterre  au  service  de  Henri  II. 

Nous  ne  dirons  qu'un  mot  de  la  lettre  1 1  à  un  clerc  de      Eplst.  n. 
ses  amis,  dont  l'objet  est  de  lui  prouver  qu'ayant  fait  vœu 
d'embrasser  la  vie  religieuse,  il  était  oblige,  malgré  les  rai- 
sons qu'il  alléguait  pour  s'en  dispenser,  de  tenir  sa  promesse. 

Dégoûté  du  service  de  la  cour  après  une  sérieuse  maladie,  Epist.  14. 
Pierre  de  Blois  écrivit  aux  clercs  de  la  chapelle  du  roi  d'An-> 
gleterre  la  lettre  i4  pour  les  en  dégoûter  aussi.  La  peinture 
qu'il  y  fait  des  désagrémens,  des  incommodités,  des  tour- 
mens  qu'on  éprouve  a  la  suite  de  la  cour,  sur-tout  lorsque  le 
roi  est  en  voyage  (ce  qui  arrivait  souvent  au  roi  Henri  II), 
est  pleine  d'espiit  et  de  vérité.  Nous  aurions  un  vrai  plai- 
sir à  en  donner  quelques  lambeaux  en  français,  s'il  nous  était 
permis  de  nous  élendre,et  si  nous  ne  craignions  de  l'affai- 
blir. L'auteur  a  cependant  soin  d'observer  qu'il  n'a  quitté 
qu'à  regret  le  service  du  roi  d'Angleterre,  parce  que  ce  prince 
lui  avait  toujours  donné  des  marques  de  bonté,  lui  accor- 
dant tout  ce  qu'il  demandait,  allant  même  au-devant  de  ses 
désirs;  il  n'en  regrette  pas  moins  le  temps  qu'il  a  perdu,  et 
les  sacrifices  qu'il  a  faits  à  son  ambition  au  péril  de  son 
ame.  En  terminant  sa  lettre,  il  annonce  qu'il  a  entrepris  d'é- 
crire l'histoire  de  ce  prince  :  ouvrage  qui  n'est  pas  parvenu 
jusqu'à  nous. 

Les  chapelains  du  roi  ne  furent  nullement  satisfaits  de  la  Epist.  i5o. 
lettre  de  notre  auteur.  Leur  mécontement  lui  étant  revenu, 
il  leur  adressa  la  lettre  i5o,  pour  tempérer  les  traits  trop 
acérés  qui  dans  l'autre  les  avaient  indisposés.  Il  convient  que 
le  séjour  des  clercs  et  même  des  évéques  à  la  cour  n'est  pas 
sans  utilité  pour  l'église;  qu'ils  peuvent  y  faire  beaucoup  de 
bien  ;  qu'ils  s'y  occupent  ordinairement  de  bonnes  choses,  et 
qu'on  y  peut  faire  son  salut.  Son  exemple  vint  à  l'appui  de 
cette  espèce  de  retractation;  il  reprit  bientôt  après,  malgré 
ses  sermens,  son  ancien  genre  de  vie,  au  moins  jusqu'à  la 
mort  de  Henri  II.  11  nous  apprend  dans  cette  lettre  que  les 
rois  d'Angleterre  avaient,  comme  ceux  de  France,  en  vertu 
de  leur  sacre ,  le  don  de  guérir  des  écrouelles. 

La  lettre  17  est  dirigée  contre  un  clerc,  son  compagnon      Epist.  17. 


XII  SIECLE. 


376  PIERRE  DE  BLOIS. 

et  ami,  qui  croyait  pouvoir  faire  le  commerce  sans  blesser 
les  convenances  de  son  e'tat. 

Renaud  de  Bar,  ëvêque  de  Chartres,  auquel  Pierre  de 
Blois  avait  écrit,  vers  l'an  1 185,  la  lettre  lô  pour  le  féliciter 
sur  son  exaltation ,  lui  avait  fait  espérer  qu'il  l'attirerait 
auprès  de  lui.  Voyant  qu'on  l'avait  clesservi  auprès  de  ce 
jeune  prélat,  et  n'osant  lui  écrire  directement  touchant  le 
renouvellement  de  la  dîme  saladine  par  le  roi  Phihppe-Au- 

Epist.  ao.  guste,  Pierre  adressa  à  deux  clercs  nommés  Crispin  et  Payen, 
ayant  la  confiance  de  l'évêque  de  Chartres,  la  lettre  20,  dans 
laquelle  il  regrette  de  ne  pouvoir  aider  de  ses  conseils  un 
prélat  dont  il  avait  conçu  les  plus  belles  espérances,  les 
chargeant  de  lui  représenter  souvent  ses  devoirs,  sur -tout 
relativement  à  cette  imposition,  contre  laquelle  nous  avons 
vu  que  l'auteur  écrivit  plusieurs  lettres.  «  Il  ne  doit  pas 
«  craindre,  leur  dit-il ,  l'indignation  du  roi  ;  il  est  son  égal 
«par  sa  naissance  (ils  étaient  cousins  germains  du  côté  ma- 
te ternel),  et  il  ne  lui  est  pas  inférieur  en  dignité.  D'ailleurs, 
«  c'est  ici  la  cause  de  Dieu  qui  est  au-dessus  de  tout ,  et  pour 
«lequel  un  évêque  doit  s  estimer  heureux  de  souffrir  et 
«  môme  de  donner  sa  vie.  » 

Epùi.  ai.  Ayant  rencontré  à  Rouen  un  ancien  ami  que  Pierre  ap- 

pelle son  fils,  apparemment  parce  qu'il  avait  contribué, 
comme  il  le  dit,  a  lui  procurer  un  canonicat  dans  cette 
église,  et  l'ayant  abordé  amicalement,  cet  homme  ne  daigna 
ni  lui  répondre  ni  le  regarder.  Notre  auteur,  indigné  de  tant 
de  fierté,  l'accable ,  dans  la  lettre  21,  de  reproches  et  de  me- 
naces les  plus  capables  de  l'humilier  et  de  le  faire  rentrer 
en  lui-même. 

Epist.  27.  Voulant  instruire  les  chanoines  de  Beauvoir  de  ce  qui  se 

passait  en  Angleterre  l'an  1 173  relativement  à  l'élection  d'un 
successeur  à  donner  à  saint  Thomas  de  Cantorbéri ,  Pierre 
commence  la  lettre  27  par  faire  le  panégyrique  du  saint;  il 
blâme  ensuite  les  moines  de  Cantorbéri  d'avoir  élu  seuls,  et 
sans  la  participation  des  évèqucs  et  des  abbés  de  la  pro- 
vince, un  de  leurs  membres  pour  remplir  le  siège  vacant, 
et  qualifie  cette  élection  de  clandestine  et  furtive,  comme 
contraire  à  l'usage  et  aux  droits  de  l'épiscopat.  Telle  était 
sa  manière  de  voir;  mais  Gervais  de  Cantorbéri,  historien 
anglais,  parle  bien  autrement  de  cette  contestation,  qui  fut 
terminée  alors  et  au  commencement  du  siècle  suivant  à 
l'avantage  des  rehgieux. 


XII  SIECLE. 


PIERRE  DE  BLOIS.  877 

Dans  le  temps  que  Renaud  ou  Reginald,  archidiacre  de 
Salisburi,  le  même  qui  devint  ensuite^  l'an  1 178,  évêque  de      Epist.  24. 
Bath,  étudiait  à  Paris,  c'est-à-dire   l'an  11 65,  comme  nous 
le  prouverons  bientôt,  Pierre  de  Blois  se  lia  d'amitié  avec 
lui  et  le  voyait  fréquemment.  Cet  archidiacre  était  fils  de 
Jocehn,  ëvêque  de  Salisburi,  un  des  antagonistes  de  Thomas 
Beckct,  qui  fut  interdit  de  ses  fonctions  ëpiscopales  par  son 
mëtropohtain ,  réfugié  en  France.  On  reprochait  à   notre 
auteur  ses  liaisons  avec  l'archidiacre  :  sur  quoi  Pierre  de 
Blois  écrivit  aux  clercs  qui  avaient  accompagné  en  France 
l'archevêque  de  Cantorbéri ,  la  lettre  24 ,  dans  laquelle  il  s'ex- 
cuse d'abord  sur  ce  qu'il  ignorait  que  cet  arcnidii:cre  eût 
encouru  la  disgrâce  du  prélat  ;  puis   il   les  assure   que   le 
même  archidiacre  ne  desirait  rien  tant  que  de  se  ranger  du 
côté  de  l'archevêque,  mais  qu'il  n'osait  se  déclarer  par  mé- 
nagement pour  son  père,  l'évêque  de  Salisburi  ;  qu'il  espérait 
pourtant  le  gagner,  pourvu  que  l'archevêque  voulût  bien  le 
traiter  avec  modération  et  ne  pas  le  pousser  à  bout.  L'édi- 
teur, persuadé  que  Pierre  de  Blois  était  en  Angleterre  lors- 
qu'il écrivit  cette  lettre,  la  rapporte  à  l'année  1170,  temps 
où  l'archidiacre  Rainai  était  entièrement  déclaré  contre  l'ar- 
chevêque de  Cantorbéri ,  et  l'agent  le  plus  accrédité  du  roi 
Henri  II,  qui  l'envoyait  souvent  en  cour  de  Rome.  Nous  ne 
pouvons  donc  partager  l'opinion  de  l'éditeur;  mais  nous  pen- 
sons que  la  lettre  fut  écrite,  l'an  ii65,  à  Paris,  où  l'archi- 
diacre de  Salisburi  faisait  alors  ses  études,  comme  on  le  voit 
par  la  lettre  que  le  pape  Alexandre  III  écrivit  de  Sens  en  sa        Duchesne , 
faveur  à  Hugues  de  Champ-Fleuri,  évêque  de  Soissons  et  »•  iv  Rer.  fran. 
chancelier  de  France.  ^'   ^ 

L'an  II 73,  le  même  archidiacre  de  Salisburi  ayant  été  élu      Epist.  45. 
évêque  de  Bath,  éprouva  de  grandes  contradictions  de  la 

Fart  de  ceux  qui  lui  reprochaient  d'avoir  pris  parti  contre 
archevêque-primat,  et  d'avoir  contribué  par-là  à  sa  fin  tra- 
gique. Pierre  prit  encore  sa  défense  dans  la  lettre  45  à  un 
anonyme ,  non  pour  l'excuser  en  tout ,  mais  parce  qu'ayant 
suivi  l'impulsion  générale ,  Renaud  avait  depuis  reconnu  et 
réparé  sa  faute  par  une  sérieuse  pénitence.  C'est  dans  le 
même  sens  que  les  amis  les  plus  déclarés  du  saint  arche- 
vêque,  Jean  de  Salisburi,  Barthélemi,  évêque  d'Exester,  et 
le  chapitre  de  Cantorbéri,  écrivirent,  en  faveur  de  l'évêque 
élu,  les  lettres  imprimées  à  la  suite  de  celles  de  Jean  de 
Salisburi. 

Tome  XV.  .  B  b  b 


XII  SIECLE. 


378  PIERRE  DE   BLOIS. 

La  lettre  81  à  un  chanoine  de  Chartres,  nommé  Simon, 
Epist.  81.  a  pour  objet  de  lui  inspirer  l'amour  de  l'étude  et  de  l'appli- 
cation comme  un  remède  à  tous  les  vices  qui  se  glissent 
facilement  dans  le  cœur  d'un  jeune  homme  livré  à  la  dissi- 
pation. C'est  une  belle  passion ,  dit-il ,  que  celle  d'apprendre; 
et  quand  une  fois  on  a  pris  goût  à  l'étude,  tout  le  reste  de- 
vient fastidieux;  cela  dure  toute  la  vie. 

Epist.  III.  Il  prescrit  le  même  antidote,  c'est-à-dire,  la  lecture  de 
l'écriture-sainte ,  la  méditation  et  la  prière  contre  les  tenta- 
tions de  la  chair,  à  un  autre  chanoine  de  ses  amis,  dans  la 
lettre  11 1 . 

Epist.  iig.  La  lettre  iig  est  aussi  adressée  à  un  chanoine  sans  dire 

de  quelle  église.  Pierre  l'avait  chargé  d'une  commission  au- 
près du  roi ,  dont  ce  chanoine  s'était  mal  acquitté.  Ayant 
entendu  quelqu'un  mal  parler  de  son  commettant ,  il  s'était 
emporté  en  invectives  sans  respect  pour  le  prince,  pour  les 
évéques  et  les  seigneurs  présens.  L'auteur  n'approuve  point 
son  zèle  prétendu  officieux  qui  avait  fait  manquer  l'anaire; 
il  s'impute  à  lui-même  .d'avoir  confié  ses  intérêts  à  un 
homme  imprudent  et  inconsidéré. 

Epist.  i/,o.         Un  clerc  de  la  chapelle  du  roi  d'Angleterre ,  nommé  Pierre, 
avait  consulté  notre  auteur  sur  le  dessein  qu'il  avait  de  se 
livrer  à  l'étude  des  lois  et  de  la  jurisprudence.  Pierre ,  dans 
la  lettre  i4o,  lui  conseille  l'étude  ae  la  théologie  comme 
plus  convenable  à  l'ordre  de  diacre  dont  il  était  revêtu;  et 
sur  cela  il  établit  un  long  parallèle  entre  la  jurisprudence  et 
la  théologie,  tout  à  l'avantage  de  celle-ci;  mais  en  même 
temps  il  lui  enseigne  la  bonne  manière  de  l'étudier.  Ne  vous 
avisez  pas,  dit- il,  de  vouloir  pénétrer  des  choses  qui  sont 
au-dessus  de  votre  portée,  et  n'imaginez  pas  de  vains  .sys- 
tèmes, comme  font  quelques-uns,  pour  en  atteindre  la  hau- 
teur. Ne  perdez  pas  votre  temps  en  disputes  subtiles  et  en 
discours  propres  à  faire  illusion.  Nos  mystères  sont  si  éle- 
vés, qu'il  fiiut  en  puiser  l'intelligence  dans  les  lumières  de 
la  foi ,  et  nou  dans  les  recherches  du  raisonnement  humain. 
11  cite  pour  exemple  celui  de  l'eucharistie,  dans  lequel  la 
raison  se  perd;  il  explique  la  manière  dont  il  f;mt  admettre 
la  présence  réelle,  et  se  sert  du  terme  de  transuhstantiation. 

Epist.  6.  Lettres  a  des  savans  et  autres  gens  de  lettres,  La  6*^  est 

une  réponse  à  maître  Raoul  de  Beauvais,  professeur  de  gram- 
maire dans  cette  ville,  mais  anglais  de  nation,  selon  l'hi.sto- 
rien  HéUnand.   Ce  professeur  s'était  permis  des  invectives 


PIERRE  DE  BLOIS.  879 

contre  les  clercs  attache's  aux  cours  des  rois  ou  même  à  celles  Xil  SIECLE. 
des  ëvêques ,  prétendant  qu'ils  seraient  bien  plus  utiles  à  l'état 
en  se  livrant  à  l'enseignement  dans  les  écoles.  La  réponse  de 
notre  auteur  est  d'un  homme  vivement  piqué.  «  Sachez,  lui 
«dit-il,  que  la  maison  de  l'archevêque  de  Cantorbéri  est 
«composée  de  savans  d'un  mérite  distingué,  qui,  après  la 
«prière  et  les  repas,  sont  continuellement  occupés  ou  à  la 
«  lecture,  ou  à  des  conférences,  ou  à  la  décision  des  affaires 
«  les  plus  importantes  du  royaume ,  qui  sont  portées  devant 
«  nous.  Au  lieu  que  vous,  enfant  de  cent  ans,  s'il  est  permis 
«  de  vous  appeler  ainsi,  vous  n'êtes  occupé  que  de  niaiseries, 
«  discourant  éternellement  sur  les  premiers  élémens  des 
«voyelles  et  des  syllabes.  Priscien,  Cicéron,  Lucain,  Perse, 
«sont  les  noms  que  vous  idolâtrez;  mais  hélas!  j'appréhende 
«  fort  qu'à  l'heure  de  la  mort ,  on  ne  vous  demande  maligne- 
«ment  oîi  sont  vos  divinités.-^»  On  voit  par-là  quels  étaient 
les  auteurs  qu'on  expliquait  dans  les  écoles ,  et  que  la  plu- 
part des  professeurs  consacraient  toute  leur  vie  à  l'enseigne- 
ment des  humanités,  moyen  siir  de  former  de  bons  élèves. 

Dans  la  lettre  7  à  un  professeur  qu'il  appelle  maître  A,  Epist.  7. 
l'auteur  raconte  une  aventure  qui  lui  était  arrivée  en  passant 
devant  sa  maison,  de  la  part  d'un  autre  professeur  qui  en 
sortait  ivre  de  vin  ou  de  oière,  et  qui,  prenant  son  cheval 
par  la  bride ,  voulait  l'obliger  à  descendre  pour  boire  avec 
eux  dit  fils  de  Dieu.  Pierre,  à  l'aide  de  ses  domestiques, 
s'étant  débarrassé  de  cet  homme,  et  accablé  d'injures  par 
lui,  manda  le  fait  au  maître  du  logis,  lui  représentant  com- 
bien il  était  indécent  que  sa  maison ,  consacrée  aux  exer- 
cices littéraires,  fût  devenue  le  rendez-vous  des  buveurs. 

Un  de  ses  disciples,  qui  n'est  pas  nommé,  après  avoir  fini  Epist. 9. 
son  cours  d'études,  voulait,  avant  que  de  passer  à  la  théo- 
logie, prendre  deux  années  de  repos.  Pierre,  dans  sa  lettre  9, 
lui  fait  voir  combien  il  entendait  mal  ses  intérêts,  et  que, 
perdre  l'habitude  du  travail,  c'est  s'exposer  à  tous  les  dan- 
gers de  l'oisiveté. 

Notre  auteur  avait  été  attaché  au  service  d'un  évêque  Epist.  18. 
dont  il  avait  été  fort  mal  récompensé.  Un  de  ses  amis ,  son 
ancien  commensal,  le  pressait  de  reprendre  ses  fonctions 
auprès  de  ce  prélat,  qui  desirait  l'avoir  pour  conseil.  «  Sa 
«table,  répondit -il,  lettre  18,  a  été  pour  moi  un  piège 
«  oii  j'ai  été  pris  et  une  pierre  de  scanaale  :  non ,  je  n'y  re- 
«  tournerai  pas.  »  Après  quoi  il  fait  un  portrait  affreux  de 

Bbba 


XII  SIECLE. 


38o  PIERRE  DE  BLOIS. 

ce  prélat,  auquel  il  attribue  tous  les  crimes  et  tous  les  vices 
imaginables.  II  ne  le  nomme  pas;  mais  il  paiaif,  à  la  véhé- 
mence de  son  style,  qu'il  était  extrêmement  irrité  contre  lui: 
on  peut  même  dire  que  dans  cette  occasion  la  colère  le  rendit 
vraiment  élo(juent.  En  comparant  cette  lettre  avec  la  1/19% 
on  est  porté  a  croire  (jue  l'auteur  a  voulu  parler  de  Savari, 
évêque  de  Bath,  qui,  a  l'aide  d'une  diffamation  en  cour  de 
Rome,  était  venu  à  bout  de  lui  faire  perdre  son  archidiaconé. 

Epist.  19.  La  lettre  19  est  une  réponse  à  un  de  ses  amis,  étudiant 

en  droit  depuis  deux  ans  à  Paris,  qui  avait  consulté  notre 
auteur  sur  cette  question  agitée  dans  un  exercice  scliolas- 
tique,  savoir  si  une  femme  qui  a  embrassé  la  vie  religieuse 
dans  l'opinion  que  son  mari,  absent  depuis  long-temj)s, 
était  mort,  doit  rester  dans  le  cloître  au  cas  que  cet  époux 
reparaisse;  si  elle  peut  en  sortir  quand  même  il  ne  la  rede- 
manderait pas;  enfin,  si,  l'ayant  réellement  perdu  par  la 
mort  après  son  retour  clans  le  siècle ,  elle  doit  rentrer 
dans  son  monastère.  Pierre,  avant  que  de  répondre,  dit 
à  la  louange  des  écoles  de  Paris  :  «  Comme  autrefois  chez 
«  les  Juifs  c'était  à  Abela  qu'on  renvoyait  ceux  qui  deman- 
«daient  conseil,  c'est  à  Paris  qu'il  faut  aujourd'hui  les  ren- 
«  voyer,  parce  que  c'est  là  qu'on  résout  les  questions  les  plus 
a  embarrassantes  :  Qui  interwgant ,  interrogent  Parisiis , 
a  ubi  difjiciliwn  quœstionum  nodi  intricatissimi  resolvuntur.  » 
Il  donne  ensuite  sa  décision  motivée  sur  des  autorités  res- 
pectables des  pères  de  l'église,  des  décrétales,  du  droit  civil 
et  canonique;  il  parle  aussi  de  son  livre  des  prestiges  de  la 
fortune,  dont  son  ami  demandait  communication;  il  lui  en 
donne  une  idée;  mais  cet  ouvrage  n'étant  pas  encore  en  état 
de  voir  le  jour,  il  ne  lui  envoie  que  les  premiers  cahiers  pour 
les  parcourir. 

Epist.  43.  Parmi  les  connaissances  variées  dont  Pierre  de  Blois  avait 

enrichi  son  esprit,  sur  la  belle  littérature,  sur  la  théologie 
et  la  jurisprudence,  il  en  avait  aussi  acquises  sur  la  méde- 
cine. Cela  est  prouvé  par  la  lettre  43  à  un  médecin  de  ses 
amis,  nommé  Pierre.  Passant  par  Amboise,  notre  auteur  fut 
arrêté  pour  administrer  des  remèdes  à  un  seigneur  de  la 
ville,  nommé  Gelduin,  dangereusement  malade.  Au  bout 
de  trois  jours,  ne  pouvant  séjourner  plus  long-temps,  il  char- 
gea son  ami  de  venir  continuer  le  traitement,  lui  exposant 
en  termes  de  l'art  les  symptômes  de  la  maladie,  les  remèdes 
.  qu'il  avait  employés,  et  ceux  dont  il  croyait  qu'on  devait 


Xll  SIECLr,. 


PIERRE   DE  BLOIS.  38i 

faire  usa^je  pour  parvenir  à  une  entière  guérison.  «  Ce  n'est 
«pas,  dit-il,  que  je  croie  que  vous  ayez  besoin  de  mes  instruc- 
«  lions;  mais  si  le  malade  s'aperçoit  que  nos  avis  sont  les 
«mêmes,  cela  aura  l'air  d'une  consultation,  et  lui  inspirera 
a  plus  de  confiance  :  car  il  n'est  que  trop  ordinaire  que  des 
«médecins  qu'on  appelle  en  consultation,  ne  sont  d  accord 
«ni  sur  les  causes  de  la  maladie,  ni  sur  le  traitement  conve- 
«nable.  »  L'auteur  ne  prend  aucune  qualité  dans  cette  lettre, 
qui  paraît  avoir  été  écrite  avant  qu'il  allât  étudier  la  juris- 
prudence à  Bologne,  c'est-à-dire  vers  l'an  ii56  ou  ii5y. 

Ayant  été  envoyé  vers  le  roi  de  France  par  celui  d'Angle-  Episi.  71. 
terre  (apparemment  l'an  i  irS,  conjointement  avec  Rotrou, 
archevêque  de  Rouen,  et  Arnoul,  évêque  de  Lisieux, comme 
on  peut  le  conjecturer  d'après  la  lettre  i53  au  roi  d'Angle- 
terre, dont  il  sera  parlé  plus  bas),  Pierre  avait  acheté  à 
Paris,  chez  un  libraire,  des  livres  de  jurisprudence  qui  lui 
paraissaient  convenir  à  un  de  ses  neveux.  Pressé  de  retour- 
ner vers  le  roi,  qui  l'avait  envoyé,  il  les  avait  laissés  en  dépôt 
chez  le  libraire ,  après  en  avoir  soldé  le  prix.  Mais  ayant  ap- 
pris qu'ils  avaient  été  vendus  ensuite  au  prévôt  de  Salsbourg, 
saxeburgensis ,  pour  une  plus  forte  somme,  il  chargea,  par 
la  lettre  7I^  maître  Ernaud  de  Blois  (peut-être  son  neveu,  Supràp.  370. 
dont  il  a  été  parlé  plus  haut,  le  même  qui  devint  ensuite 
abbé  de  Saint-Laumer  de  Blois)  d'en  poursuivre  la  restitu- 
tion en  justice,  lui  indiquant  les  lois  du  code  et  du  digeste 
qui  favorisaient  son  bon  droit.  Cette  lettre  est  une  bonne 
preuve  de  f  habileté  de  l'auteur  dans  la  jurisprudence  civile. 

Les  lettres  76  et  77  sont  adressées  à  un  savant,  nommé,  Epist.  76. 
comme  l'auteur,  maître  Pierre  de  Blois.  La  première  a  pour 
objet  de  lui  faire  abandonner  les  études  profanes,  et  sur- 
tout les  chansons  et  les  poésies  lascives  auxquelles  il  conti- 
nuait de  s'adonner,  quoique  dans  un  âge  avancé;  il  le  presse 
de  consacrer  à  la  théologie  et  à  quelque  ouvrage  édifiant, 
les  talens  qu'il  a  reçus  de  Dieu  (i),  avouant  qu'il  avait  com- 
posé lui-même  des  poésies  lascives  dans  sa  jeunesse;  mais 
que  Dieu,  par  une  grâce  spéciale,  lui  en  avait  fait  connaître 
le  danger  :  Ego  quidem  nugis  et  cantibus  venereis  quan- 

(1)  Dans  un  ancien  manuscrit  cité  par  Goussainville  {Notœ  ad  epist.  ii4, 
p.  735),  cet  autre  Pierre  de  Blois  est  qualifié  chancelier  de  leo^lise  de 
Chartres.  li  avait  fait,  apparemment  à  i instigation  de  notre  auteur  sur  les 
psaumes  un  conimentaire  que  nous  n'avons  plus; 


382  PIERRE  DE  BLOIS. 


XII  SIECLE. 


doque  operam  dedi;  sed  per  gratiam  ejus  qui  me  ses^regavit 
ah  utero  matns  meœ ,  rejeci  fiœc  omnia  à  primo  liminc  ju- 
vcntutis.  II  lui  cite  encore  l'exemple  de  sou  frère  Guillaume, 
auteur  de  quelques  tragédies,  qu  il  avait  degoùtë  de  ce  geme 
d'occupation,  et  qui  se  distinguait  alors  par  ses  prédications. 
Cette  lettre  est  fort  chrétienne  et  pleine  d'excellentes 
Epist.  77^  maximes.  — Dans  la  suivante  au  même,  il  tient  un  langage 
tout  différent,  qui  se  ressent  beaucoup  de  la  vanité  d'auteur; 
mais  c'est  que  celle-ci  fut  écrite  long-temps  avant  la  précé- 
dente. L'auteur,  après  avoir  félicité  son  ami  sur  l'identité 
de  leur  nom,  sur  la  conformité  de  leurs  goûts  et  l'égalité 
de  talens,  dit  que  leurs  écrits  respectifs  les  ont  rendus  cé- 
lèbres par  toute  la  terre.  II  n'y  a,  dit-il,  que  les  savans  qui 
puissent  rendre  les  hommes  immortels.  C'est  pourquoi  les 
princes  et  leurs  ministres  ne  sauraient  rien  faire  de  mieux 
que  de  se  rendre  favorables  ceux  qui  sont  capables  de  trans- 
mettre leurs  noms  à  la  postérité  la  plus  reculée;  et,  fai- 
sant l'application  de  ce  principe,  vrai  en  soi,  à  leurs  propres 
écrits ,  il  cite  ces  vers  d'Ovide  : 

Ore  hgar  populi ,  perque  omnia  sœcida  famâ , 
Si  quid  habent  veri  vatum^prœsagia ,  vivain. 

Son  ami  avait  composé  un  poëme  contre  les  adulateurs  et 
les  fausses  louanges.  Pierre  lui  demande  s'il  a  pris  quelqu'un 
de  nos  princes  pour  sujet  de  ses  éloges.  Quant  à  moi,  djt-il , 
j'ai  pris  pour  mon  héros  le  roi  d'Angleterre,  Henri  II,  dont 
j'ai  célébré  les  gestes  dans  mon  livre  des  prestiges  de  la  for- 
tune, qu'il  lui  envoie  pour  en  être  le  juge. 

Lettres  à  des  compagnons  d'études  et  amis ,  sociis  et  ami- 
Epist.  12.  cis,  sans  autres  qualifications.  L'objet  de  la  lettre  [2  à  un 
de  ses  neveux  établi  à  Orléans,  qui  lui  avait  annoncé  la 
mort  d'un  oncle  maternel,  et  d'autres  fâcheux  accidens  qui 
lui  étaient  arrivés,  est  de  le  consoler  en  faisant  l'éloge  du 
défunt  son  ami,  pour  lequel,  dit-il ,  tout  Orléans  fondrait  en 
larmes,  si  des  larmes  pouvaient  le  rappeler  à  la  vie.  Dans 
le  reste  de  la  lettre,  il  fait  la  description  vraie  et  ingénieuse 
des  bizarreries ,  des  passions,  des  ridicules,  des  fausses  maxi- 
mes qui  régnent  dans  le  monde,  propres  à  dégoûter  de  la 
vie  quiconque  pense  sensément.  En  terminant  sa  lettre ,  il 
prie  son  neveu  de  lui  envoyer  les  poésies  badines  qu'il  avait 
composées  à  Tours  dans  sa  jeunesse,  avec  promesse  de  les 
lui  icuvoyer  après  qu'il  en  aurait  tiré  copie  :  Mitte  mihi  'ver- 
sus et  luaicra  quœ  feci  Turonis. 


PIERRE  DE  BLOIS.  383 

,    .       ,  1      T>    1  1'  ^  XII  SIECLE. 

Pierre  de  Blois,  a  son  retour  de  Bologne  vers  I  an  i  ibo, 

s'était  livré  à  Paris  à  l'étude  de  la  théologie.  C'est  ce  qu'il  Kr'^f-  ^^^ 
mande  dans  la  lettre  26  à  un  ami  avec  lequel  il  avait  étudié 
le  droit,  qu'il  appelle  son  seigneur  et  son  compagnon  d'é- 
tude, domino  sua  B.  et  carissimo  socio  sua.  Il  avoue  qu'il  a 
quitté  trop  tôt  l'étude  du  droit  civil;  mais  qu'il  ne  pouvait 
se  dispenser,  étant  clerc ,  de  prendre  une  teinture  de  la  théo- 
logie ,  sans  pourtant  renoncer  à  l'étude  des  lois ,  à  laquelle , 
dit-il,  il  prenait  un  extrême  plaisir  à  cause  de  la  beauté  du 
style  et  de  la  richesse  des  expressions.  Il  ne  dissimule  pas 
que  la  science  des  lois  est  sujette  à  de  grands  abus ,  et  sur 
cela  il  fait  une  sortie  violente  contre  les  avocats  de  son  temps, 
a  L'avarice ,  à  ce  qu'il  dit,  était  leur  unique  mobile.  Ce  nom, 
«si  respectable  autrefois,  cette  profession  si  glorieuse,  est 
«  présentement  avilie  par  une  insigne  vénalité.  L'avocat  au- 
«jourd'hui  ne  rougit  pas  de  mettre  à  prix  son  éloquence;  il 
a  achète  les  procès,  fait  dissoudre  les  mariages  les  plus  légi- 
«  times,  met  la  discorde  entre  des  amis ,  fait  revivre  des  con- 
«testations  assoupies,  rompt  les  accords,  se  joue  des  tran- 
osactions,  abolit  les  privilèges;  et,  habile  à  tendre  des  pièges 
«  pour  attraper  de  l'argent,  il  intervertit  et  dénature  les  droits 
«les  mieux  établis,  etc.  etc.  »  11  voudrait  que  les  avocats 
exerçassent  gratuitement  leur  ministère,  ou  qu'ils  se  conten- 
tassent de  ce  qui  leur  serait  offert  volontairement.  L'éditeur 
observe  que  c'est  mal-à-propos  qu'on  donne  à  l'auteur,  dans 
cette  lettre,  le  titre  iï archidiacre  de  Bath,  puisqu'il  dit  lui- 
même  qu'il  étudiait  alors  la  théologie  à  Paris.  Aussi  cette 
quahfication  ne  se  trouve-t-elle  pas  dans  tous  les  manuscrits. 

La  lettre  3f)  n'est  qu'un  billet  éci-it  à  un  ami  pendant  que  Epist.  59. 
l'auteur  était  en  cour  de  Rome.  «  Sachez,  lui  dit-il  en  finis- 
«sant,que  la  cour  de  Rome,  à  son  ordinaire,  m'a  fait  con- 
«  tracter  beaucoup  de  dettes;  mais  si  Dieu  me  fait  la  grâce 
«de  m'en  dépêtrer,  je  ne  retomberai  plus  dans  ce  gouffre, 
«  non  recidam  in  Charyhdini.  » 

Un  prélat  de  ses  amis  était  fort  peu  réservé  dans  ses  pa-      Epist.  40. 
rôles,  \\  se  permettait  même  de  médire  de  son  roi.  C'est  sur 
cela  que  notre  auteur  lui  fait  une  morale  dans  la  lettre  [\o. 

Le  moine  G.  de  l'abbaye  d'Aunai  au  diocèse  de  Bayeux, 
croyant  que  son  état  le  mettait  à  l'abri  des  tentations  de  la 
chair,  se  permettait,  dans  ses  momens  de  loisir,  la  lecture 
des  poésies  profanes,  même  les  plus  libres;  et,  comme  il  sa- 
vait que  notre  auteur  en  avait  composées  de  ce  genre  dans 


XII  SIECLE. 


384  PIERRE  DE  BLOIS. 

sa  jeunesse,  il  lui  écrivit  pour, les  lui  demander.  Pierre  lui 
Epist.  5;.  re'pond ,  par  sa  lettre  5^,  que  ces  sortes  de  lectures  ne  con- 
viennent point  à  la  sainteté  de  son  état.  «Au  lieu  de  ces  vers 
«erotiques  que  vous  me  demandez,  je  vous  envoie  un  can- 
«  tique  sur  le  combat  de  la  chair  et  de  l'esprit.  »  C'est  une 
prose  latine  rimée,  très-longue  et  très-plate,  dirigée  contre 
,  les  désordres  qui  régnaient  alors  parmi  les  ecclésiastiques  et 
les  grands  du  monde,  dont  nous  ne  rapporterons  que  la 
première  strophe  pour  donner  une  idée  de  la  pièce  : 

Olim  militaverani 
Pompis  hujus  sœculi , 
Quibus  flores  obtuli 
Meœ  juventutis  ; 
Pedein  tamen  retulî 
Circa  -vitcE  vesperam, 
Nunc  daturus  operam 
Militiœ  mrtutis. 

Il  y  a  cinq  ou  six  strophes  sur  l'emprisonnement  de  Ri- 
chard ,  roi  d'Angleterre,  et  sur  la  vente  que  le  duc  d'Autriche 
avait  faite  de  ce  monarque  à  l'empereur  Henri  VI  :  ce  qui 
fixe  la  date  de  cette  lettre  à  l'année  1 193. 

Epist.  60.  Un  de  ses  amis ,  maître  R. ,  blâmait  hautement  la  conduite 

de  certains  évêques,  qui,  au  lieu  de  secourir  de  pauvres  étu- 
dians,  ne  songeaient  qu'à  amasser  des  richesses  pour  avan- 
cer leurs  neveux  et  leur  procurer  des  bénéfices,  pour  marier 
leurs  nièces  à  des  gens  de  qualité,  etc.  Pierre  lui  répond 
(lettre  60)  que  ces  plaintes  ne  sont  pas  nouvelles;  et,  comme 
vous  ne  tarderez  pas  à  être  fait  évéque,  je  vous  prédis,  si  je 
ne  me  trompe ,  que  vous  ferez  comme  les  autres ,  et  que  vous 
donnerez  lieu  aux  pauvres  étudians  de  crier  contre  vous. 

Epist.  65.  La  lettre  65  à  un  de  ses  amis  qu'il  ne  nomme  pas,  a  pour 

objet  les  songes,  les  augures  et  autres  superstitions  de  cette 
espèce.  Voici  quelle  en  fut  l'occasion.  «  Dernièrement,  dit 
«notre  auteur,  le  moine  maître  Guillaume  de  Blois,  mon 
«c  frère,  ayant  rencontré  maître  Guillaume  le  Beau  sortant 
«  d'une  hôtellerie,  le  pria  très-instamment  de  rentrer,  l'assu- 
«  rant  qu'il  était  menacé  d'un  grand  danger,  s'il  se  hasardait 
«  ce  jour-là  de  se  mettre  en  route.  Maître  le  Beau,  regardant 
«  comme  des  niaiseries  tout  ce  qui  n'est  pas  appuyé  sur  la 
«foi,  monte  à  cheval  pour  se  joindre  au  cortège  de  l'arche- 
«vêque  de  Cantorbéri,  auquel  il  était  attaché.  Mais  à  peine 


Xn  SIECLE. 


PIERRE  DE  BLOIS.  385 

«eut-il  fait  quelques  pas,  qu'il  tombe  avec  son  cheval  dans 
«une  mare  profonde  et  pleine  d'eau,  dont  on  eut  bien  de 
«  la  peine  à  le  retirer.  Yous  avez  été  témoin  de  cet  événe- 
«ment,  vous  et  tous  ceux  de  la  suite  du  prélat.  Dès -lors 
«vous  me  demandâtes  si  j'ajoutais  foi  à  ces  sortes  de  pré- 
«  sages ,  et  en  général  ce  que  je  pensais  des  songes,  des  lutins, 
«des  oiseaux,  des  éternuemens.  J'aurais  sur-le-champ  satis- 
«fait  à  ces  questions  sans  un  ordre  qui  me  pressait  d'aller 
«trouver  le  roi,  et  ne  me  permettait  de  penser  qu'à  mon 
«  voyage.  y>  L'auteur  parcourt  ensuite  les  pronostics  les  plus 
remarquables  de  l'antiquité  :  de-là  il  vient  aux  superstitions 
de  son  temps.  «  Il  y  a  des  femmes, dit-il,  qui  font  des  images 
«de  cire  ou  de  boue,  dans  la  vue  de  tourmenter  par-là  leurs 
«ennemis  ou  d'allumer  la  passion  de  leurs  amans.  Plusieurs 
«regardent  comme  un  mauvais  augure  la  rencontre  d'un 
«lièvre,  d'une  femme  échevelée,  d'un  aveugle,  d'un  boiteux, 
«d'un  moine.  On  voit  des  voyageurs  qui  comptent  sur  un 
«hospice  agréable,  s'ils  rencontrent  sur  la  route  un  loup, 
«ou  aperçoivent  une  colombe;  si  l'oiseau  de  saint  Martin 
«vole  de  gauche  à  droite;  si  en  sortant  ils  entendent  le  ton- 
«nerre  gronder  au  loin;  si  un  bossu  ou  un  lépreux  se  trou- 
«vent  sur  leur  chemin.  Mon  avis  est  que  maître  le  Beau, 
«quand  même  aucun  moine  ne  lui  eîit  parlé,  serait  égale- 
«ment  tombé  dans  la  mare.  » 

Pour  entendre  la  lettre  72  à  un  homme  désigné  par  la  Epist.  7a. 
lettre  G,  autrefois  ami  et  collègue  de  Pierre  de  Blois,  il  faut 
la  combiner  avec  la  128*'  à  Guillaume  de  Champagne,  arche- 
vêque de  Sens.  Dans  celle-ci,  l'anonyme  G.  est  appelé  maître 
Gérard  ;  c'est  vraisemblablement  Gérard  Pucelle.  Ce  faux 
ami,  qui  avait  engagé  l'archevêque  de  Sens  à  prendre  notre 
auteur  à  son  service, avec  promesse  de  lui  procurer  un  béné- 
fice dans  l'église  de  Chartres,  s'était  vanté  d'avoir  eu  le  crédit 
de  faire  nommer  un  autre  à  sa  place.  Sur  cela  notre  auteur 
lui  écrivit  une  lettre  fulminante ,  dans  laquelle  il  a  rassemblé 
les  injures  les  plus  sonores  qu'il  a  trouvées  dans  les  écrits 
d'Horace,  d'Ovide,  de  Plaute,  de  Juvénal,  de  Lucain,  etc. 
Il  lui  dit  qu'il  ne  se  croit  plus  malheureux,  puisqu'il  a  pu  lui 
donner  de  la  jalousie,  ce  qui  doit  faire  son  tourment.  Cet  intri- 
gant lui  ayant  déjà  fait  perdre  deux  prébendes  et  une  pré- 
vôté de  l'église  de  Chartres,  il  lui  prédit  qu'il  sera  humilié 
à  son  tour,  comme  les  Siciliens  furent  punis,  non  pour 
l'avoir  privé  de  bénéfices ,  mais  pour  avoir  voulu  lui  en  pro- 

Tome  XF.  C  c  c 


Xn  SIECLE. 


386  PIERRE  DE  BLOIS. 

curer,  afin  de  l'e'loigiier  de  la  cour.  L'auteur  ne  prend  aucune 
qualité  dans  cette  lettre  ;  cependant  elle  doit  être  postérieure 
à  la  lettre  i3o  à  Jean  de  Salisburi,  évêque  de  Chartres,  tou- 
chant la  prévôté  de  cette  église ,  à  laquelle  il  prétendait  avoir 
des  droits. 

Epist.  79.  La  lettre  ng  est  adressée  à  son  cher  ami  R.  Cet  ami  était 

un  philosopne  très-renommé,  qui,  dès  son  enfance,  se  per- 
mettait des  plaisanteries  sur  le  mariage  et  des  sarcasmes 
contre  les  femmes.  Cet  homme,  quoique  ordonné  diacre, 
venait  de  se  marier,  et  les  femmes  riaient  beaucoup  de  le 
voir  pris  dans  leurs  filets.  Notre  auteur,  dans  sa  lettre,  a 
recueilli  tout  ce  qui  a  été  dit  par  les  anciens  contre  le  ma- 
riage en  général ,  sachant  bien  que  cela  n'a  pas  dégoûté  le 
monde  de  se  marier.  Mais  prenant  ensuite  le  ton  sérieux, 
il  représente  à  son  ami  qu'ayant  violé  les  lois  de  l'église ,  il 
s'est  jeté  dans  un  embarras  inextricable;  «  car,  dit-il,  si  votre 
«intention  a  été  de  faire  casser  votre  mariage  après  l'avoir 
«consommé,  vous  déshonorez  votre  épouse  et  la  famille  à 
«laquelle  elle  appartient; si  vous  la  gardez,  vous  perdez  toute 
«considération,  et  vous  êtes  déshonoré  pour  toujours.  » 

Epist.  80,  Un  de  ses  amis,  qui  avait  embrassé  la  vie  religieuse,  vou- 

'  lait  sortir  du  cloître,  sous  prétexte  qu'il  était  jalousé  par 

ses  confrères.  Bien  loin  de  vous  en  affliger,  lui  dit-il,  lettre 
80,  vous  devriez  vous  en  glorifier,  puisque  l'envie  ne  s'at- 
tache qu'au  mérite.  Il  lui  prouve  que  la  jalousie  est  un  tour- 
ment, non  pour  celui  qui  en  est  1  objet,  mais  pour  celui  qui 
l'a  conçue.  Je  crains  bien,  ajoute-t-il,  que  vous  ne  cherchiez 
à  pallier  le  dégoût  de  votre  état  par  ce  vain  prétexte. 

Episi.  85.  Dans  la  lettre  85,  il  fait  un  grand  détail  des  maux  qui 

assiègent  les  grands  mangeurs,  et  des  avantages  qui  résul- 
tent d'une  vie  sobre,  pour  corriger  de  sa  gourmandise  quel- 
qu'un qu'il  appelle  Ji.  de  Salisburi.  Quoiqu'en  dise  Dupin, 
ce  quidam  n'était  point  évêque  de  Salisburi,  la  lettre  R.  ne 
pouvant  s'appliquer  à  aucun  des  évêques  qui  remplirent  ce 
siège  pendant  la  seconde  moitié  du  XII  siècle;  mais  ce 
pouvait  être  quelque  dignitaire  de  cette  église. 

Epist.  100.  Un  anonyme,  que  Pierre  de  Biois  appelle  son  seigneur  et 
son  ami,  accusait  de  mollesse  et  de  pusillanimité  mi  évêque 
nouvellement  installé,  parce  qu'il  mettait  beaucoup  de  dou- 
ceur dans  son  gouvernement.  Pierre,  dans  la  lettre  100, 
prend  la  défense  du  prélat,  et  prouve  avec  quels  ménage- 
mens  il  faut  parler  aux  princes,  sur-tout  lorsqu'il  s'agit  de 


XII  SIECLE. 


PIERRE  DE   BLOIS.  387 

reformer  leuf  conduite.  L'éditeur  pense  que  ce  pre'Iat  était 
l'archevêque  de  Cantorbéri,  Richard ,  mort  l'an  1 183.  Nous 
croyons,  nous,  qu'il  s'agit  ici,  comme  dans  la  lettre  38,  de 
Baudouin,  successeur  de  Richard  ,  dont  la  modération  était 
si  connue,  que  le  pape  Urbain  III,  dans  l'adresse  d'une  de 
ses  lettres,  le  qualifiait  Monacho  fen'entissimo,  abbati  calido, 
episcopo  tepido ,  archiepiscopo  remisso ,  salutem,  etc. 

Ayant  été  dépouillé  de  l'archidiaconé  de  Bat'h  au  moyen      Epist.  149. 
d'une  accusation  grave  portée  contre  lui  en  cour  de  Rome, 
Pierre  écrivit  la  lettre  i4.9  à  deux  amis  qu'on  ne  désigne 
que  par  les  lettres  I.  et  P.  C'étaient  peut-être  deux  cardi- 
naux, car  la  lettre  n'a  pas  la  suscriptidn  qui  devait  contenir 
leurs  qualités.  Dans  cette  lettre,  l'auteur  déplore  amèrement 
l'affront  qu'il  venait  de  recevoir;  il  expose  qu'il  lui  est  bien 
dur  de  se  voir  traité  de  la   sorte,  après  avoir  été  comblé 
de  bienfaits  par  le  roi  Henri  et  ses  enfans,  honoré  des  pré- 
lats et  des  grands  du  royaume,  estimé  de  toute  la  nation 
anglaise,  a  Au  bout  de  ma  carrière,  dit-il,  lorsque  je  devais 
«  jouir  du  fruit  de  mes  travaux ,  je  me  vois  chasse  par  un 
«jeune  homme;  valétudinaire  et  sans  méfiance,  par  un  am- 
«bitieux;  paisible  et  sans  reproche,  par  un  intrigant,  qui, 
«en  me  chargeant  d'un  crime  honteux,  a  obtenu,  sur  un 
«faux  exposé,  des  lettres  papales.  Je  ne  puis  vous  en  dire 
«  davantage,  tant  la  douleur  me  suffoque;  mais  le  porteur  de 
«ma  lettre  vous  expliquera  toute  l'afiaire.   »  Est-ce  de  l'é-   ' 
vêque  Savari  qu'il  se  plaint,  comme  on  pourrait  le  croire 
en  lisant  la  lettre  18,  ou  du  jeune  homme  qui  avait  impétré 
son  archidiaconé  't'  C'est  ce  que  nous  n'osons  décider. 

La  lettre  160  ne  porte  ni  titre  ni  adresse.  Dans  cette  lettre,  Epist.  160. 
écrite,  à  ce  {(u'il  paraît,  à  un  évêque  à  qui  l'auteur  donne  le 
titre  de  majesté,  il  se  plaint  d'un  maître  G.,  qu'il  croyait 
son  ami  le  plus  intime,  et  qui  ne  cessait  de  le  décrier.  Si 
cette  lettre  est  de  notre  auteur,  on  pourrait  croire  qu'il 
s'agit  ici  dé  Gérard  Pucelle,  à  qui  est  adressée  la  lettre  72,  Suprà,  p.  385. 
pleine  de  reproches  sur  les  mauvais  services  que  ce  prétendu 
ami  lui  avait  rendus.  Dans  cette  supposition,  le  prélat  dont 
l'auteur  réclame  l'intervention  pour  le  réconcilier  avec  son 
ami,  pourrait  être  ou  Guillaume,  archevêque  de  Sens,  ou 
Jean  de  Salisburi,  évêque  de  Chartres.  Mais  la  lettre  est  in- 
forme, et  paraît  n'être  qu'un  croquis  dans  lequel  l'auteur 
avait  écrit  quelques  pensées  incohérentes. 

Quoique  dans  la  lettre   162  à  un  ami  intime,  l'auteur  se      Epist.  162. 

CCC2 


\II  SIECLE. 


388  PIERRE  DE  BLOIS. 

plaigne,  comme  fait  souvent  Pierre  de  Blois,  de  son  e'ioigne- 
ment  de  son  pays  natal,  et  qu'il  parle  de  ses  occupations  à 
la  cour,  il  est  douteux  que  cette  lettre  soit  de  lui.  Il  ne  de- 
sire,  dit-il,  de  retourner  dans  sa  patrie  que  pour  avoir  le 
plaisir  de  le  voir,  et  cependant  il  lui  recommande  de  faire 
Conduire  à  Londres  l'exprès  qu'il  lui  envoie.  C'était  donc  un 
Anglais  éloigne  de  son  pays  qui  écrivait  à  un  Anglais. 

Epist.  164.  Un  de  ses  collègues  et  amis  accusait  d'une  excessive  in- 
dulgence l'archevêque  de  Cantorbéri,  parce  qu'à  la  prière 
du  roi,  ce  prélat  avait  rétabli  dans  ses  fonctions  un  prêtre 
coupable,  qui,  ayant  profité  du  châtiment  qu'on  lui  avait 
infligé,  s'était  corrigé.  Pierre,  dans  la  lettre  i64,  prend  la 
défense  du  prélat,  et  prouve  qu'eu  usant  de  miséricorde 
envers  les  pécheurs  qui  se  corrigent ,  on  ne  fait  qu'imiter  la 
conduite  du  père  céleste.  Si  ce  prélat,  qui  n'est  pas  nommé, 
est,  comme  on  peut  le  croire,  l'archevêque  Baudouin,  notre 
auteur  avait  déjà  pris  sa  défense  sur  une  accusation  du  même 
Suprà,  p.  386.  genre  dans  la  lettre  100.  Ce  prélat  fut  en  butte  à  beaucoup 
de  contradictions  de  la  part  des  moines  de  Cantorbéri, 
parce  qu'il  était  le  premier  de  son  ordre  parvenu  à  cette 
éminente  dignité. 

Epist.  47.  Lettres  de  Pierre  de  Blois ,  écrites  au  nom  d'autres  per- 

sonnes. Il  y  en  a  sept  portant  le  nom  de  Richard,  archevêque 
de  Cantorbéri.  La  47* ,  à  Henri  au  Court-mantel ,  fils  de  Henri 
II ,  roi  d'Angleterre ,  faisant  la  guerre  à  son  père,  est  une  fort 
belle  exhortation  à  ce  jeune  prince ,  dans  laquelle  le  prélat 
lui  met  sous  les  yeux  tous  les  motifs  qui  doivent  le  déter- 
miner à  poser  les  armes,  et  à  se  réconcilier  au  plutôt  avec 
l'auteur  cle  ses  jours;  «  Si  dans  quinze  jours,  lui-dit-il,  vous 
«  ne  venez  à  résipiscence,  sachez  que  j'ai  ordre  du  souverain 
«  pontife  de  lancer  contre  vous ,  et  contre  ceux  qui-  fomen- 
«  tent  voti-e  révolte ,  la  sentence  d'excommunication  qui  aura 
«  son  effet  malgré  toute  appellation.  »  L'éditeur  rapporte  cette 
lettre  à  l'an  1 1^4;  mais  comme  il  y  est  parlé  des  Brabançons, 
que  le  jeune  prince  avait  pris  à  sa  solde,  elle  doit  être  de 
1  année  1 182,  ou  du  commencement  de  la  suivante,  époque 
de  sa  seconde  rébellion. 

Epist.  53.  La  53e,  écrite  au  nom  de  Richard,  à  tous  les  évêques  de  sa 

province,  a  deux  objets:  le  premier  concerne  certains  évêques 
ambulans  qui,  sans  avoir  reçu  l'imposition  des  mains,  al- 
laient exerçant  les  fonctions  épiscopales  en  divers  lieux  du 
royaume,  se  donnant  les  uns  pour  des  évêques  d'Irlande,  les 


XTT  SIECLE. 


PIERRE  DE  BLOIS.  389 

autres  pour  des  e'véques  en  Ecosse ,  trompant  les  peuples  en 
balbutiant  ie  langage  de  ces  pays-là.  Le  prélat  détend  à  ses 
collègues  de  permettre  à  ces  vagabonds  d'exercer  aucune 
fonction ,  à  moins  qu'ils  n'administrent  la  preuve  de  leur 
ordination.  Le  second  objet  roule  sur  une  troupe  de  faus- 
saires qui,  falsifiant  les  bulles  du  pape  et  les  sceaux  des 
évéques,  fournissaient  matière  à  opprimer  des  innocens,  et 
à  troubler  les  possessions  les  mieux  assurées.  L'archevêque 
enjoint  de  déclarer,  tous  les  dimanches,  ces  sortes  de  gens 
excommuniés. 

Dans  la  lettre  68  ,  l'archevêque  de  Cantorbéri  rend  compte  Epist.  68. 
au  pape  d'un  procès  qui  s'était  élevé  entre  l'évêqne  de  Salis- 
buri  et  l'abbé  de  Malmesburi  lequel,  se  prétendant  exempt  de 
la  juridiction  de  l'ordinaire,  s'était  fait  oénir  par  l'évêque  de 
Landalf.  Après  avoir  exposé  l'affaire  dans  toutes  ses  circons- 
tances, le  prélat  qui  venait  de  perdre  un  procès  semblable 
contre  l'abbaye  de  Saint- Augustin  de  Cantorbéri,  se  déclare 
contre  les  exemptions  en  elles-mêmes,  et,  à  l'imitation  de 
saint  Bernard,  il  applique  au  pape  la  parabole  de  Nathan  à 
David  touchant  le  meurtre  d'Urie.  «  Quel  est,  dit-il,  ce  riche 
«  ayant  des  brebis  sans  nombre,  sinon  le  pontife  romain,  lui 
«  qui  possède  toutes  les  églises  du  monde  ?  Et  quoi  de  plus 
«  pauvre  que  l'église  de  Cantorbéri  qui ,  n'ayant  qu'une  seule 
«  abbaye  qu'elle  nourrissait  dans  sa  charité  paternelle,  se  la 
«  voit  enlever  par  ce  riche  de  la  parabole,  pour  ne  pas  dire 
«le  pape  qui  veut  se  l'approprier.-'...  Je  sais,  à  la  vérité,  que 
«  souvent  la  tyrannie  des  évêques  a  porté  les  pontifes  romains 
«  à  dormer  aux  monastères  ces  sortes  d'exemptions,  pour 
«  assurer  par -là  leur  tranquillité;  mais  le  contraire  est  arrivé, 
(c  Les  monastères  qui  ont  acquis  la  grâce  de  cette  funeste 
«liberté,  soit  par  tautorité  apostolique,  soit,  comme  cela 
«  est  arrivé  plus  souvent ,  par  des  bulles  supposées ,  sont  tom- 
«bés  dans  les  plus  grands  désordres;...  car  la  malice  artifi- 
ce cieuse  des  faussaires  s'est  déchaînée  contre  les  droits  de 
«  l'épiscopat  au  point  que  la  fausseté  prévaut  dans  les  titres 
(c  d'exemption  de  presque  tous  les  monastères.  » 

Telle  est  la  substance  de  cette  lettre  trop  souvent  citée 
dans  les  tribunaux.  Quoi  qu'il  n'y  ait  plus  aujourd'hui  parmi 
nous  ni  exemptions  ni  monastères,  nous  nous  permettrons 
quelques  observations  sur  cette  lettre,  pour  venger  au  moins 
1  honneur  des  archives  monastiques  formant  aujourd'hui 
des  dépôts  publics. 


390  PIERRE   DE  BLOIS. 

L'auteur,  dont  le  caractère  porté  à  l'exagération  est  bien 


connu,  met  dans  la  bouche  de  l'abbé  de  Malmesburi,  sor- 
tant de  l'audience  archiépiscopale ,  ce  propos  indiscret  :  «  En 
«vérité,  les  abbés  n'ont  point  de  cœur,  et  sont  des  miséra- 
ables,  de  ne  pas  secouer  entièrement  le  joug  des  évêques, 
et  tandis  que  pour  une  once  d'or  par  an  ils  peuvent  obtenir 
«du  saint-siége  une  pleine  et  entière  indépendance.  Files, 
inquit ,  sunt  abhates  et  miseri,  qui  potestatein  cpiscopalem 
non  exterminant,   ciim  pro  una  auri  uncia  plenam  à  sede 

Will.  Thorn,  apostoUca  possint  assequi  lihertatem.  Ce  propos  est  calom- 
nieux et  absurde.  1°  C'est  une  calomnie  que  le  pape  Alexandre 
III  réfute  avec  indignation  dans  la  lettre  qu'il  écrivit  au  roi 
d'Angleterre  pour  justifier  sa  conduite  relativement  à  l'affaire 
.  de  St.  Augustin  de  Cantorbéri.  2°  C'est  une  absurdité  de  dire , 
comme  fait  l'auteur,  qu'on  achetait  ces  sortes  de  privilèges, 
et  qu'ils  étaient  presque  tous  supposés.  S'ils  étaient  supposés, 
on  ne  les  avait  donc  pas  achetés  de  celui  dont  ils  portaient 
le  nom.  Quelle  apparence,  par  exemple,  que  l'abbé  de  Mal- 
mesburi eiît  forgé  ou  fait  fabriquer  à  son  profit  un  faux  titre , 
tandis  qu'avec  une  once  d'or  il  pouvait  s'en  procurer  un 
véritable  ? 

Ce  que  Pierre  de  Blois  avance  pour  rendre  suspect  le  titre 
en  question,  n'est  pas  plus  raisonnable.»  Les  lacs,  dit-il, 
«  et  fe  sceau  ont  paru  vicieux,  et  le  style  n'était  pas  conforme 

Mabill.  Ann.  «  à  cclui  de  la  chancellerie  romaine.  »  Il  fallait  avoir  envie  de 

î;î,'Ur^?^','^*  chicaner  pour  prétendre  qu'une  bulle  du  pape  Sereins,  don- 
ViU.  Malbesb.  ,  V         /•    Q        ^        l}a  '  i  •    f  J         -^    -I 

née  vers  1  an  byJ ,  et  ratifiée  par  le  roi  Ina ,  devait  être  en 
tout  conforme  au  style  de  la  chancellerie  romaine  au  XII* 

Playd.  t.  VI,  siècle.  «  Ce  Pierre  de  Blois,  dit  le  célèbre  Cochin ,  était  un 
P-  ^^^-  «  homme  violent  et  emporté ,  qui  déchirait  sans  ménagement 

«  tous  ceux  qui  n'avaient  pas  l'avantage  de  lui  plaire  ; . .  . . 
a  esprit  violent,  qui  ne  savait  pas  modérer  sa  plume;  homme^ 
«que  la  passion  dominait,  et  qui  ne  savait  pas  se  contenir 
"'^  «  dans  les  bornes  de  la  bienséance  et  de  la  vérité....  Il  ne  faut 

«pas  être  surpris  après  cela  si  Pierre  de  Blois,  écrivant  pour 
«  l'archevêque  de  Cantorbéri ,  contre  des  moines  qui  se  pré- 
«  tendait  exempts,  ménageait  si  peu  les  exemptions  et  les  titres 
«  par  lesquels  elles  étaient  soutenues.  » 

Epist.  73.  lia  lettre  y3  aux  évêques  de  Winchester,  de  Ely,  et  de 

Norwic,  dont  l'influence  était  grande  à  la  cour  du  roi  d'An- 
gleterre, roule  sur  la  juridiction  ecclésiastique  en  matière  cri- 
minelle. Depuis  le  meurtre  de  saint  Thomas  de  Cantorbéri ,  le 


XII  SIECLE. 


PIERRE  DE   BLOIS.  391 

clergé  d'Angleterre  était  demeuré  dans  la  paisible  possession 
de  connaître  seul  des  crimes  commis  par  des  clercs  ou  sur 
des  clercs.  L'autorité  civile,  dans  la  crainte  de  se  compro- 
mettre une  seconde  fois  avec  la  puissance  ecclésiastique ,  lais- 
sait à  celle-ci  le  soin  de  punir  les  attentats  où  elle  était  inté- 
ressée; et  comme  elle  ne  pouvait  infliger  que  des  peines  cano- 
niques, il  arrivait  de  là  que  les  clercs  étaient  plus  exposés  que 
les  laïques  aux  violences  et  aux  assassinats,  par  la  différence 
même  des  châtimens  qu'il  y  avait  à  redouter  en  attaquant 
les  uns  et  les  autres.  On  ne  tarda  pas  à  sentir  les  inconvé- 
niens  des  prétentions  pour  lesquelles  on  avait  combattu  avec 
tant  d'opiniâtreté.  «  Que  notre  ambition  est  mal  entendue, 
o  dit  par  la  plume  de  notre  auteur  l'archevêque  de  Cantorberi  ! 
«  nous  enlevons  au  prince  le  droit  qui  lui  appartient  de  punir 
a  de  pareils  attentats  pour  nous  fattribuer  exclusivement, 
«  sans  faire  attention  que  nous  invitons  en  quelque  sorte,  ceux 
«  qui  ne  redoutent  pas  les  excommunications,  à  nous  égor- 
«  ger.  Que  l'église  exerce  donc  sa  juridiction ,  et  si  cela  ne 
«  suffit  pas,  que  le  glaive  du  prince  y  supplée.  Abandonnons 
a  au  roi  comme  il  le  demande  la  punition  de  ces  sortes  de 
«  crimes;  il  importe  à  la  sûreté  de  tous  que  ceux  qui  ne  res- 
te pectent  ni   l'église  ni  les  canons ,  soient  contenus  par  la 
«crainte  du  glaive  matériel.»  Cette  lettre  fit  son  effet,  et  le 
clergé  d'Angleterre  rendit  enfin  au  roi  cette  juridiction  cri- 
minelle pour  laquelle  on  avait  mis  peu  auparavant  le  royaume 
en  combustion. 

L'ordre  de  Cîteaux  avait  obtenu  des  souverains  pontifes  un  Epist.  82. 
privilège  qui  l'exemptait  de  payer  la  dixme  des  biens  fonds 
qu'il  possédait,  soit  par  achat  soit  par  aumône.  Ce  privilège 
exorbitant  excita  des  murmures  et  des  plaintes  dans  tous 
les  états  catholiques.  L'archevêque  Richard ,  écrivant  à  l'abbé 
et  à  la  communauté  de  Cîteaux  la  lettre  82,  entreprit  de 
prouver  l'injustice  de  ce  privilège,  et  notre  auteur  lui  prêta 
sa  plume.  Après  un  magnifique  éloge  du  bon  ordre  qui 
régnait  dans  leurs  maisons  et  de  l'austérité  de  leur  vie.  «  ce 
«vil  intérêt,  leur  dit-il,  vous  déshonore  dans  le  pubhc,  et 
«  ternit  la  réputation  de  sainteté  que  votre  vie  pénitente  vous 
«  avait  méritée  à  juste  titre.  Pourquoi  faut -il  qu'en  devenant  • 
«  possesseurs  de  nouvelles  terres  vous  portiez  préjudice  aux 
«  droits  d'autrui  ?  car  suivant  le  droit  commun  elles  ont  dû 
«  passer  dans  vos  mains  avec  leurs  charges.  Vous  avez ,  dites- 
«  vous ,  des  privilèges  :  nous  le  savons  bien ,  et  nous  ne  dis- 


XII  SIECLE. 


392  PIERRE   DE  BLOIS. 

«  putons  point  slir  le  fait  du  souverain  pontife  ;  mais  si  le 
a  seigneur  pape  vous  a  privilégies  par  une  indulgence  spé- 
«  ciale,  lorsque  vous  étiez  dans  la  pauvreté,  on  a  pu  tolérer 
«  pendant  un  temps  ce  que  la  nécessité  avait  introffuit,  quoi- 
«  que  cela  tournât  au  détriment  d'autrui.  Maintenant  que  vos 
«  possessions  se  sont  accrues  à  un  point  qui  étonne ,  on  doit 
«moins  regarder  ces  privilèges  comme  des  moyens  de  sanc- 
«  tification  que  comme  des  instrumens  de  la  cupidité.  Quel- 
«ques  grâces  que  Rome  vous  accorde,  je  ne  crois  pas  que 
«  vous  puissiez  en  conscience  prendre  le  bien  des  autres.  » 
Le  prélat  entasse  les  raisonnemens  pour  leur  prouver  l'injus- 
tice de  leur  privilège.  De  là  il  passe  aux  menaces,  et  finit 
par  leur  annoncer  que  s'ils  demeurent  obstinés  il  excommu- 
niera tous  ceux  qui  leur  donneront  ou  vendront  quelques 
fonds  sujets  à  la  dixme. 

Epist.  84.  Des  plaintes  ayant  été  portées  à  Rome  contre  trois  évêques 

d'Angleterre,  Richard  de  Winchester,  Geofroi  de  Hely,  et 
Jean  de  Norwic,  sur  ce  que,  admis  aux  conseils  du  roi,  ils 
négligeaient  le  soin  de  leurs  diocèses ,  le  pape  Alexandre  III 
avait  donné  ordre  à  l'archevêque  de  Cantorbéri  de  remédier 
à  cet  abus.  Richard,  dans  la  lettre  84  au  pape,  fait  leur  apo- 
logie, et  prouve  en  même  temps  qu'il  est  avantageux  pour 
l'église,  et  pour  le  bon  gouvernement  des  états,  qu'il  y  ait 
dans  les  cours  des  princes  des  évêques  assez  en  crédit  pour 
y  faire  le  bien ,  et  empêcher  le  mal  que  des  intrigans  ne 
réussisent  que  trop  souvent  à  faire  prévaloir.  On  en  voulait 
à  ces  trois  évêques,  parce  qu'avant  leur  épiscopat  et  pendant 
la  querelle  du  roi  avec  sanit  Thomas,  ils  s'étaient  déclarés 
les  plus  grands  adversaires  du  saint,  et  c'est  peut-être  ce  qui 
leur  avait  valu  le  grand  crédit  dont  ils  jouissaient  à  la  cour. 

Epist.  88.  Richard ,  dans  la  lettre  88,  écrit  à  l'abbé  de  Theokesburi  en 

faveur  d'un  religieux  qui ,  étant  sorti  du  cloître ,  desirait  y 
rentrer  pour  faire  pénitence. 

Parmi  les  lettres  de  Pierre  de  Blois  nous  en  trouvons  trois 
écrites  au  nom  de  Baudouin ,  archevêque  de  Cantorbéri ,  suc- 

Fpist.  96.  cesseur  de  Richard.  Dans  la  lettre  96,  au  chapitre  général  de 
l'ordre  de  cîteaux,  le  prélat,  dont  elle  porte  le  nom,  est  dési- 
gné par  la  lettre  R.  nous  pensons  que  c'est  une  erreur  de 
copiste,  et  qu'il  faut  y  substituer  la  lettre  B.  En  efïèt,  le 
prélat  nouvellement  élu  archevêque  de  Cantorbéri  se  recom- 
mande aux  prières  de  ses  anciens  confrères ,  et  regrette  de 
de  ne  pouvoir  se  rendre  au  milieu  d'eux.  Or  cela  ne  peut 


XII  SIECLE. 


PIERRE  DE  BLOIS.  SgS 

convenir  à  l'archevêque  Richard  qui  était  bénédictin ,  prieur 
de  Douvres  à  l'époque  de  sa  nomination,  et  convient  par- 
faitement à  Baudouin  qui  était  cistercien ,  abbé  de  Forden 
en  Devonshire,  lorsqu'il  fut  fait  évêque  de  Worchester  l'an 
I  i8i ,  d'où  il  passa  àl'archevêché  de  Cantorbéri  l'an  1 184. 

L'an  1 185,  une  députation  envoyée  par  le  roi  de  Jérusa-  EpUt.  98. 
lem,  composée  du  patriarche  Héraclius  et  du  grand  maître 
des  hospitaliers,  arriva  en  Angleterre  pour  demander  des 
secours  contre  les  armes  de  Saladin  déjà  maître  de  presque 
toute  la  Syrie.  L'archevêque  Baudouin  emprunta  la  plume 
de  notre  auteur  pour  écrire  aux  évêques  ses  suffragans  la 
lettre  98 ,  dans  laquelle ,  après  avoir  exposé  la  triste  situation 
des  chrétiens  de  la  Terre  -  Sainte ,  et  les  dangers  qui  mena- 
çaient la  cité  de  Jérusalem,  il  recommande  de  lever  dans 
les  diocèses  la  collecte  ordonnée  par  le  roi ,  du  consentement 
du  clergé ,  des  comtes ,  et  des  barons. 

La  lettre  99 ,  écrite  la  même  année  ou  la  suivante  au  pape  Epîst.  99. 
Urbain  III  au  nom  de  Baudouin,  a  pour  objet  de  le  féliciter 
sur  son  élévation  au  suprême  pontificat,  et  de  le  remercier 
en  même  temps  d'une  grâce  que  le  nouveau  pontife  venait 
de  lui  accorder,  grâce  que  l'auteur  ne  spécifie  pas.  Nou?  pen- 
sons que  cela  doit  s'entendre  de  la  permission  que  le  prélat 
avait  obtenue  de  bâtir  une  chapelle  au  voisinage  de  l'église 
de  Cantorbéri  pour  y  placer  des  chanoines,  entreprise  qui 
donna  lieu  à  un  long  procès  entre  les  moines  et  l'archevêque, 
pour  lequel  notre  auteui-  se  donna  tant  de  mouvemens  et  dut 
composer  bien  des  écritures;  mais  qui  lui  réussit  si  mal  qu'il 
n'a  eu  garde  de  les  rendre  pubUques.  Sur  quoi  l'on  peut  voir 
ce  qu'en  dit    Gervais  de  Cantorbjfri  à  la  page  1498*^. 

Il  n'est  pas  aisé  de  bien  comprendre  la  lettre  12a,  écrite  Epist.  n-. 
à  Guillaume  de  Champagne,  archevêque  de  Reims,  par  notre 
auteur  au  nom  de  Hubert  archevêque  de  Cantorbéri ,  soit  à 
raison  de  l'incorrection  du  texte,  soit  à  cause  des  réticences 
affectées  de  l'auteur.  On  y  voit  que  quelqu'un  qui  n'est  pas 
nommé,  mais  que  fauteur,  parlant  à  l'archevêque  de  Reims, 
appelleyra^er  illevester,  avait  dénigré  celui  de  Cantorbéri, 
l'homme  de  l'Angleterre  le  plus  puissant  après  le  roi.  Com- 
ment interT^réter  \ef rater  ille  vester  P  l'archevêque  Guillaume 
n'avait  à  cette  époque  aucun  frère  vivant.  Cette  difficulté  a 
disparu  à  l'aide  du  plus  ancien  manuscrit  de  la  bibliothèque 
royale  (le  n°  38  parmi  ceux  de  saint  Victor)  portant /m- 
ter  ille  noster.  Ainsi  ce  quidam  était  un  évêque  tout  comme 
Tome  XV.  D  d  d 


XII  SIECLE. 


394  PIERRE  DE  BLOIS. 

eux.  Mais  quel  était-il  cet  évêque  ?  voici  le  portrait  qu'en  fait 
l'auteur:  a  Vous n'igjnorez  pas,  dit-il,  que  les  prédécesseurs  de 
«cet  homme  dans  le  siège  qu'il  occupe,  héritiers  pour  ainsi 
a  dire  d'une  haine  invétérée,  ont  de  tout  temps  suscité  des 
«procès  à  l'église  de  Cantorbéri,  et  lui-même,  depuis  sa 
«promotion,  n'a  pas  cessé  un  moment  de  travailler  a  notre 
«avilissement...  Nous  coimaissons  son  caractère  turbulent,  et 
«  vous-même  vous  ïie  tarderez  pas  à  le  connaître  par  ses 
«  procédés.  Dieu  sait  que  je  suis  touché  d'une  compassion 
«fraternelle  à  la  vue  des  vexations  qu'il  éprouve,  et  que  je 

>  «  me  serais  empressé  de  venir  à  son  secours ,  s'il  eiit  voulu 

«  écouter  et  suivre  mes  conseils,  s'il  savait  se  conduire  avec 
«  modération,  en  un  mot  si  l'adversité  l'eut  rendu  plus  sage.  » 
Ce  portrait  ne  peut  convenir,  selon  nous,  qu'a  Geofroi, 
fils  naturel  du  roi  Henri  II ,  qui  fut  fait  archevê(jue  d'Yorck 
H.   Hoved.  ]'an  1 189,  et  eut  de  grands  démêlés  avec  le  roi  Richard,  son 

*■  '    ■  frère,   pendant  les  années   1196  et  1196.  Au  reste  l'arche- 

vêque Hubert  dans  cette  lettre  fait  un  grand  éloge  de  celui 
de  Reims,  lui  témoignant  sa  reconnaissance  des  secours 
qu'il  avait  procurés  jadis  à  saint  Thomas  son  prédécesseur, 
et  de  la  part  très-active  qu'il  avait  toujours  eue  dans  les 
traités  de  paix  cimentés  entre  les  rois  de  France  et  d'Angle- 
terre. 
Epist.  i35.  Le  chapitre  de  Salisburi  voulant  forcer  à  la  résidence  un 

clerc  nommé  Thomas  de  Esseben,  ayant  un  emploi  à  la  cour 
du  roi,  le  même  prélat  Hubert  écrivant  au  doyen  du  cha- 

f)itre  la  lettre  1 35 ,  fait  l'énumération  des  clercs  dispensés  de 
a  résidence,  savoir,  les  clercs  employés  au  service  du  roi, 
de  l'archevêque,  des  écoles,  les  infirmes,  les  voyageurs,  et 
ceux  dont  les  prébendes  sont  trop  modiques  pour  obliger  à 
la  résidence.  En  composant  cette  lettre  Pierre  de  Blois  plai- 
dait sa  propre  cause,  étant  lui-même  recherché  pour  un 
canonicat  qu'il  possédait  dans  l'église  de  Salisburi ,  comme 
SupM,p^366.  nous  l'avons  dit  plus  haut  en  rendant  compte  de  la  lettre  i33. 
Epist.  28.  Parmi  les  lettres  de  Rotrou,  archevêque  de  Rouen,  dont 

Pierre  de  Blois  fut  le  rédacteur ,  la  20*  à  Guillaume  de 
Chamj}agne,archevêc|ue  de  Sens  et  légat  du  Saint- Siège,  fut 
écrite  dans  le  temps  que  les  rois  de  France  et  d'Angleterre, 
se  faisant  mie  guerre  a  outrance  sur  les  contins  de  lu  Nor- 
mandie, l'an  1 1^3  et  1 174,,  le  clergé  de  Rouen  craignant  la 
dévastation  pour  ses  domaines  des  Andelis,  eut  ncours  à 
la  protection  de  l'archevêque  de  Sens,  dont  le  crédit  à  la 


XII  SIECLE. 


PIERRE  DE  BLOIS.  396 

cour  de  France  était  grand,  le  priant  de  repre'senter  au 
monarque  français  que  l'église  de  Rouen  étant  sous  sa  domi- 
nation ,  il  ne  devait  pas  dévaster  un  bien  qui  lui  appartenait, 
qu'il  devait  au  contraire  en  être  le  défenseur.  La  lettre  est 
remplie  d'éloges  vrais  et  bien  tournés  des  belles  qualités  du 
jeune  prélat. 

C'était  pour  appuyer  les  demandes  prématurées  du  jeune  EpUt.  35. 
roi  d'Angleteire ,  fils  de  Henri  II,  qu'on  faisait  la  guerre  au 
père.  Rotrou  écrivit  aussi  au  jeune  prince  la  lettre  33,  dans 
laquelle  il  lui  représente  pathétiquement  l'énormité  de  sa 
rébellion  et  le  tort  qu'il  se  faisait  a  lui-même  en  aidant  les 
ennemis  de  son  père  à  ravager  des  provinces  qui  devaient 
être  un  jour  son  patrimoine.  L'auteur  demande  ici ,  comme 
dans  la  lettre  précédente ,  qu'au  milieu  des  hostilités  on 
épargne  au  moins  la  terre  des  Andelis,  sans  laquelle  le  clergé 
de  Rouen  aurait  peine  à  vivre. 

La  lettre  1 54 ,  à  la  reine  Éléonore ,  roule  sur  le  même  sujet.      Epîst.  i54. 
Cette  princesse  s'était  jointe  à  ses  trois  enfans  pour  molester 
son  mari,  et  soufflait  le  feu  de  la  discorde.  Rotrou   après 
l'avoir  exhortée  à  rejoindre  son  mari,  la  menace  de  l'y  con- 
traindre par  l'excommunication. 

Le  roi  d'Angleterre,  voulant  détourner  le  roi  Louis-le- Jeune      EpUt.  i5S. 
de  prendre  parti  pour  ses  enfans,  députa  vers  lui  l'archevêque 
de  Rouen  et  l'évêque  de  Lisieux.  Ces  prélats,  après  avoir  rem- 

f)li  leur  mission,  écrivirent  en  commun  au  monarque  anglais 
a  lettre  i53,  dont  apparemment  Pierre  de  Blois  fut  le  rédac- 
teur. Cette  lettre ,  contenant  les  réponses  du  roi  de  France 
aux  demandes  de  celui  d'Angleterre,  est  pour  ainsi  dire  le 
manifeste  des  griefs  dont  le  monarque  français  avait  à  se 
plaindre. 

Pendant  les  troubles  que  la  révolte  des  enfans  de  Henri  II  Epist.  i55. 
contre  leur  père,  excitait  dans  la  Normandie,  Rotrou  fut  in- 
vité par  le  prieur  E.  du  monastère  de  la  Charité,  à  aller  chez 
lui,  comme  il  l'avait  promis,  jouir  du  repos  de  la  solitude. 
«A  Dieu  ne  plaise,  répond  l'archevêque  dans  la  lettre  i55  , 
«  que  dans  un  temps  de  calamité  publique  j'abandonne  mon 
«troupeau.  Ce  n'est  pas  que  je  veuille  faire  la  guerre;  car 
«  des  deux  côtés ,  soit  dans  le  roi  de  France ,  soit  dans  celui 
«  d'Angleterre ,  je  reconnais  mes  maîtres,  et  j'ai  voué  fidélité 
«  à  chacun  d'eux  ;  mais  je  travaillerai  à  rétablir  entre  eux  la 
«  paix ,  et  je  m'estimerai  heureux  de  pouvoir  l'obtenir  au 
«  prix  de  ma  vie.  »  L'éditeur  pense  que  cette  lettre  fut  adres- 

Dd4 


XII  SIECLE. 


396  PIERRE  DE  BLOIS. 

see  au-prieur  de  la  Charitë-surJ^oire  ;  mais  comme  la  lettre 
initiale  E.  ne  peut  convenir  à  aucun  des  prieurs  de  ce  mo- 
nastère, le  continuateur  du  recueil  des  historiens  de  France 
avertit  (  tom.  XVI,  pag.  632)  qu'il  existait  en  Angleterre  un 
prieuré  de  même  nom. 

Epist.  67.  Ce  fut  vraisemblablement  pour  fixer  à  quelque  chose  Tin- 

constance  du  jeune  Henri,  le  jouet  des  intrigans  qui  1  éga- 
raient en  de  vains  projets,  que  Rotrou,  après  que  tout  fut 
rentre  dans  le  devoir,  suggéra  au  roi  Henri  II  d'appliquer 
aux  Itttres  son  fils,  quoique  alors  âgé  de  20  ans.  L'auteur, 
dans  la  lettre  67,  après  un  grand  éloge  de  la  science,  prouve 
combien  elle  est  nécessaire  à  un  prince  pour  bien  gouverner 
ses  états  ;  et  ce  qui  est  fort  adroit,  il  le  prouve  par  l'exemple 
même  de  celui  à  qui  il  écrit.  «Nous  avons  vu,  dit-il,  par  une 
«  heureuse  expérience,  les  grands  avantages  qui  ont  résulté 
«  de  la  bonne  instruction  que  vous  avez  reçue  dans  votre 
«  adolescence.  Votre  esprit  plus  cultivé  que  celui  de  la  plu- 
«  part  des  autres  monarques,  a  acquis  la  prévoyance  néccs- 
«  saire  dans  une  grande  administration,  une  grande  péné- 
«  tration  pour  ne  rendre  que  des  jugemens  équitables,  et 
/  «  cette  circonspection  qu'on  admire  en  vous  dans  les  conseils 

«  et  dans  les  ordres  qui  en  émanent.  C'est  pourquoi  le  voeu 
«  de  tous  les  évêques  est  que  vous  appliquiez  aux  lettres 
«  votre  fils  qui  doit  nous  gouverner  après  vous.  Ce  n'est  que 
«t  dans  les  livres  qu'on  peut  apprendre  la  manière  de  bien 
«  gouverner  la  chose  publique,  de  faire  la  guerre,  décamper 
«  avec  avantage,  de  dresser  des  machines,  d'élever  des  for- 
te tifications,  etc.  Un  roi  sans  lettres  ressemble  à  un  vaisseau 
«  sans  rames  ou  à  un  oiseau  sans  ailes.  » 

Epist.  173.         Dans  la  lettre  173,  Rotrou  écrivant  aux  évêques  et  aux 

M  abbés  de  sa  province,  les  exhorte  à  envoyer  des  secours 

pécuniaires  au  pape  Alexandre  III,  qui,  pour  rentrer  dans 
Rome  l'an  ii65,  avait  été  obligé  de  contracter  des  dettes 
énormes.  Il  ne  paraît  pas  que  cette  lettre  ait  été  rédigée  par 
notre  auteur,  qui ,  à  cette  époque,  n'était  pas  encore  attaché 
à  l'archevêque  de  Rouen,  ou  était  déjà  passé  en  Sicile;  on 
n'y  reconnaît  pas  non  plus  son  style  toujours  nourri  de  cita- 
tions. 

Gautier  de  Coutance,  archevêque  de  Rouen ,  employa  aussi 
quelquefois  la  plume  de  notre  auteur  pour  écrire  ses  lettres. 

Epist  83.       Ce  prélat ,  n'étant  encore  qu'archidiacre  d'Oxford ,  écrivit  ou 
fit  écrire  par  notre  auteur  la  lettre  83  à  Barthélemi ,  évêque 


XII  SIECLE. 


PIERRE  DE  BLOIS.  397 

d'Excester,  pour  le  presser ,  comme  délégué  du  pape ,  de  dis- 
soudre, à  cause  de  parenté,  le  mariage  d'un  de  ses  neveux 
nommé  Robert,  prétendant  que  la  procédure  ne  laissait  rien 
à  désirer,  et  que  l'honneur  de  la  famille  exigeait  que  la 
séparation  fût  prononcée  sans  délai. 

La  lettre  64,  au  pape  Célestin  III ,  au  nom  de  l'archevêque  %"»•  64 
Gautier  et  des  evêques  de  Normandie,  est  relative  à  la  déten- 
tion du  roi  Richaril  arrêté  prisonnier  par  le  duc  d'Autriche. 
Ces  prélats  font  valoir  auprès  du  pape  le  privilège  accordé 
aux  croisés  d'être  sous  la  protection  immédiate  du  souverain 
pontife ,  afin  que,  déployant  toute  l'autorité  dont  il  est  revêtu , 
il  force  le  duc,  par  les  censures  ecclésiastiques ,  à  relâcher  le 
prisonnier. 

Ce  ne  fut  pas  la  seule  lettre  que  Pierre  de  Blois  écrivit  sur 
cet  événement.  Nous  avons  déjà  parlé  de  la  i43<'  qu'il  écrivit  Supràp.  349. 
en  son  nom  à  Conrad ,  archevêque  de  Mayence.  Les  lettres 
i44<)  145,  i46,  sont  écrites  au  nom  de  la  reine  Eléonore, 
mère  de  Richard,  au  pape  Célestin  III.  Tout  ce  qu'on  peut 
dire  de  plus  fort  et  de  plus  pressant  pour  déterminer  le  pon-  Epist.  144. 
tife  à  secourir  le  prince  captif,  est  mis  en  œuvre  dans  la  lettre 
i44)  aux  prières,  aux  exhortations,  la  reine  mêle  les  plus 
vifs  reproches  sur  l'inaction  oix  le  saint-siége  avait  été  jus- 
qu'alors  dans  une  affaine  de  cette  importance. 

«  C'est  un  grand  sujet  d'artliction  pour  l'église,  dit-elle,  de 
«  scandale  pour  le  peuple,  d'étonnement  pour  tous  ;  c'est  en 
«  même  temps  une  tache  considérable  à  votre  réputation,  que 
«  dans  un  si  grand  péril,  ni  les  larmes,  ni  les  prières  des  pro- 
«  vinces,  n'aient  encore  pu  vous  engager  à  envoyer  un  nonce 
«  à  ces  perGdes  tyrans  (  l'empereur  Henri  VI ,  et  Léopold , 
«c  duc  d  Autriche ).  Qui  peut,  ajoute -t-elle,  ne  pas  accuser 
<c  ici  de  partialité  votre  conduite  ?  souvent  pour  des  objets 
«  de  peu  de  conséquence,  vos  cardinaux  vont  en  grand  cor- 
«tége  et  avec  de  pleins  pouvoirs  exercer  les  fonctions  de 
«  légat  dans  des  pays  barbares ,  tandis  que  pour  une  cause  si 
«  grave ,  si  déplorable ,  qui  intéresse  tant  de  monde ,  vous 
«  n'avez  pas  daigné  dépêcher  un  sous -diacre  ou  bien  un  aco- 
«  lyte....  Certes  vous  n'eussiez  pas  beaucoup  compromis  la 
«  dignité  du  siège  apostolique  si ,  pour  la  délivrance  d'un  si 
«gtand  prince,  vous  fussiez  descendu  en  personne  dans 
«  la  Germanie,  etc.  »  D.  Martène  a  reproduit  cette  lettre  au 
tome  l"  du  Trésor  des  Anecdoctes  ,  col.  689,  trompé  par  la 
Élusse  suscription  qu'elle  portait  dans  le  manuscrit  dont  il 


3q8  pierre  de  BLOIS. 

'  "■  s'est  servi  :  Reverendo  patri  et  domino  Cœlestino ,  dei  gratiâ 
summo  pontifici,  B.  divinâ  permissione  Turonensis  archi- 
episcopus ,  salutem  et  misericordlœ  reminisci.  Quelle  appa- 
rence qu'un  archevêque  de  Tours  eût  osé  écrire  au  pape 
avec  autant  de  liberté!  un  pareil  langage  n'était  tolérable 
que  dans  la  bouche  d'une  reine  et  d'une  mère  plongée  dans 
1  affliction  la  plus  amère. 

Epist.  liiSet  Les  lettres  i45  et  i46  au  pape  Célestin  contiennent  les 
'*  ■  mêmes  reproches,  quoique  l'auteur  y  ait  pris  le  ton  plaintif. 

«  Sont-ce  là,  dit-elle,  les  promesses  que  vous  me  fites  à 
«  Châteauroux  avec  de  si  grandes  démonstrations  de  zèle  et 
a  d'attachement?  Hœccine  promissio  illa  est  quant  nobis  apud 
«  Castrum  Radulfi  cum  tantâ  dilectionis  et  fidei protestatione 
«Jecistis  P  »  On  aurait  tort  de  conclure  de  ce  texte  que  le 
pape  Célestin  aurait  fait  un  voyage  en  France.  La  reine  Eléo- 
nore  rappelle  seulement  ce  qui  s'était  passé  à  Châteauroux 
l'an  1 162,  lorsque  le  roi  son  mari  était  allé  avec  elle  trouver 
le  pape  Alexandre  III,  à  la  suite  duquel  était  le  cardinal  Hya- 
cinthe Bobo,  le  même  qui  remplissait  alors  le  siège  aposto- 
lique sous  le  nom  de  Célestin  III.  Elle  avait  d'autant  plus  de 
raison  de  rappeler  ce  fait,  et  d'en  exiger  la  reconnaissance, 
^  que  l'objet  de  leur  visite  était  de  se  joindre  au  pontife,  contre 
lequel  le  roi  de  France  avait  pris  des  engagemens  avec  l'em- 
pereur Frédéric  Barberousse. 

Kpist.  6a.  Pierre  de  Blois  écrivit  au  nom  de  Geofroi,  fils  naturel  du 

roi  Henri  II,  élu  évêque  de  Lincoln,  la  lettre  62  à  maître  R. 
surnommé  Blondus.  Ce  docteur,  après  avoir  été  attaché  au 
service  de  Geofroi ,  et  pourvu  par  lui  d'un  bénéfice ,  l'avait 
quitté  pour  s'attacher  a  un  abbé  qui  n'est  pas  nommé.  C'é- 
tait apparemment  l'abbé  de  Saint- Augustin  de  Cautorbéri  ; 
car  le  prélat  lui  recommande  de  ne  pas  se  mêler  du  procès 
que  cet  abbé  avait  à  soutenir  contre  l  archevêque.  Quoi  qu'il 
en  soit,  Geofroi  lui  reproche  de  lui  avoir  écrit  une  lettre 
peu  respectueuse,  et  de  former  des  projets  d'ambition ,  disant 
qu'il  voulait  se  consacrer  au  barreau ,  tantôt  à  Paris,  tantôt 
à  Bologne,  puis  à  Lincoln  ou  à  Oxford.  Cette  lettre  doit 
avoir  été  écrite  vers  l'an  1176,  temps  oîi  l'abbé  de  Saint- 
Augustin  était  en  procès  avec  l'archevêque  de  Cantorbéri. 

Epist.  i36.  Dans  la  lettre  106  au  pape  Alexandre  111,  le  roi  d'Angle- 
terre Henri  II,  s'exprimant  par  la  plume  de  notreauteur, 
lui  annonce  la  révolte  de  ses  enfans,  et  le  prie  de  venir  à 
son  secours  eu  employant  contre  eux  et  leurs  complices  les 


XII  SIECLE, 


ï 


PIERRE  DE  BLOIS.  899 

foudres  de  l'église.  «  Je  me  jette  à  vos  genoux,  dit-il,  pour 
«vous  demandei'  conseil.  Le  royaume  d'Angleterre  est  de 
«votre  juridiction,  et  quant  au  droit  de  vassalité,  je  ne  re- 
«lève  que  de  vous  :  Vestrœ  jurisdictionis  est  regnum  Angliœ, 
«et  quantum  ad  feudatarii  juris  obligationem  voùis  dun- 
a taxât  obnoxius  teneor.-»  Il  fallait  qu'un  roi  si  puissant  fut 
dans  une  grande  détresse  pour  foire  un  tel  aveu.  Ce  n'est 
pas  sur  ce  ton  que  Guillaume-le-Conquérant  répondit  autre- 
fois au  pape  Grégoire  VII.  Hubertus  iegatus  tuus ,  religiose 
pater ,  ad  me  veniens  de  tua  parte ,  m.e  admonuit  quatenus 
tibi  et  successoribus  tais  fidelUatem  facerem^ ,  et  de  pecuniâ 
quam,  antecessores  mei  ad  tx)Tna,nam.  ecclesiam  mittere  sole- 
bant,  m.elihs  cogitnrem.  (Inum,  adtnisi,  alterum,  non  ad- 
m.isi.  Fidelitatem  facere  nolui,  nec  volo;  quia  nec  ego  pro- 
misi,  nec  antecessores  meos  antecessoribus  tuis  id  fecisse 
comperio.  (Baluzii  miscel.  t.  VII,  p.  127). 

Il  ne  paraît  pas  que  les  lettres  qui  terminent  la  collec- 
tion depuis  la  i65*  jusqu'à  la  i83*,  soient  de  notre  auteur; 
elles  ne  représentent  ni  son  style,  ni  sa  manière  de  penser; 
elles  sont  anonymes  et  manquent  dans  les  plus  anciens  ma- 
nuscrits. Ce  sont  des  lettres  qu'on  a  recueillies  pour  servir 
de  modèles  dans  le  genre  épistoiaire  :  la  plupart  regardent 
l'Italie  et  l'Espagne,  et  non  la  France  ou  l'Angleterre.  S'il 
suffisait,  pour  les  attribuer  &  Pierre  de  Blois,  de  les  ren- 
contrer dans  quelques  manuscrits  de  ses  lettres,  nous  pour- 
rions y  en  ajouter  encore  un  bon  nombre  d'après  le  manus- 
crit 2607  de  la  bibliothèque  royale.  Cependant,  comme 
quelques-unes  de  ces  lettres  imprimées  ne  sont  pas  tout-à- 
fait  sans  intérêt,  nous  en  dirons  un  mot. 

La  i65*,  écrite  par  Gui  de  Noyers,  archevêque  de  Sens,  Epist.  i65, 
au  nom  des  évêqucs  de  sa  province,  à  un  pape  dont  le  nom 
est  désigné  par  l;i  lettre  G,  a  pour  objet  de  rendre  témoi- 
gnage aux  botmes  mœurs  et  au  mérite  de  l'évêque  de  Laon, 
qu'on  ne  nomme  pas,  contre  lequel  des  accusations  graves 
avaient  été  portées  au  saint-siége,  sans  dire  en  quoi  elles 
cotisistaient.  Cet  évêcpe  n'est  autre  que  Roger  de   Rosoi, 

3ui,  n'ayant  pu  obtenir  du  roi  Louis-le-Jeune  la  dissolution 
e  la  commune  de  Laon,  entreprit  de  la  dissiper  à  main 
armée  :  il  y  eut  un  combat  livré  l'an  1178,  où,  avec  l'aide 
de  ses  parens  et  alliés,  l'évêque  fit  un  carnage  affreux  des 
membres  de  la  commune.  Le  roi  ayant  levé  une  armée  pour 
punir  cet  attentat,  il  fut  fait  un  accommodement  avaiit  qu'on 


XII  SIECLE. 


4oo  PIERRE  DE  BLOIS. 

en  vînt  aux  mains;  mais  il  ne  fut  pas  si  aisé  de  justifier  à 

Rome  le  prélat  du  sang  qu'il  avait  répandu  ou  fait  répandre. 
Ce  ne  fut  qu'en  affirmant  par  serment  qu'il  n'avait  tué  per- 
sonne de  sa  propre  main,  qu'il  put  rentrer  en  grâce  avec  le 
saint-siége  l'an  1179.  Tel  est  le  récit  des  historiens  Gilbert 
de  Mons  et  l'anonyme  de  Laon.  D'après  cela,  nous  pensons 
que  c'est  mal-à-propos  que  dans  le  texte  le  pape  est  désigné 
par  la  lettre  G.  qui  indiquei'ait  le  pape  Grégoire  VIII,  et 
qu'il  faut  y  substituer  la  lettre  A.  c'est-à-dire,  Alexandre, 
à  moins  qu'il  ne  s'agisse  d'une  autre  affaire  dont  les  histo- 
riens ne  parlent  pas. 
Epist.  166.         La  lettre  166  anonyme  contient  aussi  la  justification  de 
Mainier,  abbé  de  Saint -Floi'ent  de  Saumur,  contre  lequel 
des  plaintes  avaient  été  portées  à  Rome.   Il  y  avait  alors 
quatorze  ans  que  Mainier  était  abbé;  et,  comme  le  com- 
mencement de  sa  prélature  date  de  l'an  1176,  cette  lettre 
doit  avoir  été  écrite  l'an  1190. 
Epist.  167.         Dans  la  167%  les  chrétiens  de  Jérusalem,  pour  témoigner 
à  la  reine  Eleonore  la  part  qu'ils  prenaient  à  la  perte  qu'elle 
venait  de  faire  du  jeune  roi  Henri,  son  fils  aîné,  lui  annon- 
cent qu'ils  ont  fait  célébrer  pour  lui  un  service,  auquel  ont 
assiste  les  prélats  et  les  barons  du  royaume  avec  le  légat 
du  pape. 

Les  autres  lettres  sont  presque  toutes  des  éloges  funèbres 
ou  des  lettres  de  consolation  relatives  à  des  défunts  qu'on 
ne  nomme  pas  :  ce  qui  prouve,  comme  nous  l'avons  dit, 
que  ce  ne  sont  que  des  modèles  de  lettres  qu'on  a  voulu 
conserver. 

Si  nous  nous  sommes  un  peu  étendus  sur  les  lettres  de 
Pierre  de  Bloiis ,  c'est  qu'elles  sont  la  partie  la  plus  curieuse 
de  ses  ouvrages,  et  la  plus  intéressante  pour  l'histoire.  Le 
grand  nombre  de  manuscrits  qui  existent,  prouvent  le  cas 
qu'on  en  a  toujours  fait.  Quoique  le  P.  Busée  et  Goussain- 
ville  aient  essayé  d'en  éclaircir  le  texte  dans  des  notes  fort 
étendues,  ils  ont  laissé  bien  des  choses  à  expliquer;  mais  on 
doit  leur  savoir  gré  d'avoir  compulsé  les  manuscrits,  et  d'en 
avoir  recueilli  les  leçons- variantes.  Pour  nous,  non-seule- 
ment nous  avons  donné  l'idée  de  chacune  de  ces  pièces, 
nous  avons  encore  tâché  d'en  faire  connaître  l'occasion  et 
le  motif,  afin  qu'à  l'avenir  on  puisse  les  lire  avec  plus  de 
fruit.  Nous  serons  plus  sobres  en  rendant  compte  au  reste 
des  écrits  de  notre  auteur. 


PIERRE  DE  BLOIS.  4oi 

§    2.     SES     SERMONS     OU     EXHORTATIONS. 

Aux  lettres  de  notre  auteur  succèdent,  dans  l'édition  qui 
nous  sert  de  guide,  ses  sermons  au  nombre  de  soixante- 
cinq,  SOUS  le  titre  à' Exhortations  ou  seimons  prononcés  dans 
les  synodes,  dans  les  écoles ,  dans  les  monastères ,  et  devant 
le  peuple.  Ces  sermons  avaient  déjà  été  imprimés,  l'an  iSig, 
par  Jacques  Merlin,  curé-archiprêtre  de  la  Madeleine  à 
Paris;  cependant  le  P.  Busée,  jésuite,  qui  apparemment  ne 
connaissait  pas  cette  édition,  trompé  par  des  manuscrits 
ayant  pour  titre  Sermones  magistri  Pétri,  publia  dans  la 
sienne,  de  l'an  1600,  au  lieu  des  vrais  sermons  de  Pierre  de 
Blois,  ceux  de  Pierre-le-Mangeur.  Mais  il  reconnut  ensuite 
sa  méprise. 

Ces  sermons  n'ont  rien  de  bien  remarquable,  comme  tant 
d'autres  de  la  même  époque.  La  plupart  sont  sans  ordre, 
sans  suite  et  sans  dessein.  L'auteur  ne  fait  qu'efïleurer  cer- 
tains points  de  morale ,  dont  aucun  n'est  traité  à  fond.  On 
y  voit  quantité  d'explications  mystiques  de  l'écriture-sainte 
et  d'allégories  forcées,  dont  ses  autres  ouvrages  ne  sont  pas 
exempts,  selon  le  goût  du  temps.  Ce  qui  prouve  le  peu  d  es- 
time qu'on  en  a  toujours  fait,  c'est  que  les  manuscrits  en 
sont  si  rares,  que  le  dernier  éditeur  n'a  pu  s'en  procurer 
aucun.  Pour  cette  raison,  nous  ne  dirons  qu'un  mot  du  der- 
nier, le  plus  long  de  tous,  qui  n'a  été  publié  que  dans  l'édi- 
tion de  Goussainville.  II  fut  prononcé  devant  le  peuple,  et 
une  note  placée  en  tète  nous  apprend  qu'il  le  fut  en  langue 
vulgaire.  Un  ami  ayant  prié  l'auteur  de  le  traduire  en  latin, 
celui-ci  y  consentit,  mais  à  condition  que  cet  ami  n'en  ferait 
usage  que  pour  lui,  ou  qu'il  le  brûlerait  après  l'avoir  lu. 
Cependant  c'est  la   traduction   qui  existe,  et  l'original  est 

f)erdu.  L'objet  de  ce  sermon  est  de  recommander  à  tout 
e  monde  la  lecture  de  l'écriture-sainte,  comme  un  moyen 
d'accomplir  exactement  la  loi  de  Dieu  :  ce  qui  suppose  qu'il 
y  en  avait  dès- lors  des  traductions  en  langue  vulgaire,  et 
que  les  exemplaires  en  étaient  assez  communs. 

§    3.    LES     TRAITAS      OU     OPUSCULES. 

A' 

Après  les  sermons  viennent  les  traités  ou  opuscules  au 
nombre  de  dix-sept,  et  forment  la  troisième  partie  de  ses 
œuvres. 

Tome  XV.  Eee 


XII  SIECLE. 


4oà  PIERRE  DE  BLOIS. 

\ L       Le  premier,  sur  la  transfiguration  de  Notrc-Seigneur,  res- 

p. 400-404.  semble  plus  à  une  exhortation  qu'à  un  traite.  Aussi  Merlin, 
premier  éditeur  de  Pierre  de  Blois,  l'avait-il  rangé  dans  la 
classe  des  sermons.  Cet  écrit  fut  composé  à  la  demande 
d'un  évêque  d'Arras,  désigné  par  la  lettre  F.,  à  qui  l'auteur 
l'adresse.  Le  nom  de  cet  évêque  était  Frumoldus  ou  Fru- 
maldus ,  mort  l'an  ii83. 

p.  404-407.  Le  second  traité,  dont  l'objet  est  la  conversion  de  saint 
Paul,  est  du  même  genre,  et  se  trouve  aussi  parmi  les  ser- 
mons dans  l'édition  de  Merlin. 

p.  407,  4a4.  Le  3e  a  pour  titre  :  Abrégé  sur  Job,  Compendium  in  Joh. 
C'est  une  explication  des  deux  premiers  chapitres  du  livre 
de  Job,  adressée  au  roi  d'Angleterre  Henri  II,  par  une 
épître  dédicatoire  oii  l'auteur  prend  la  qualité  d'archidiacre 
de  Bath.  Ce  prince  avait  demandé  cet  ouvrage  à  Pierre  de 
Blois ,  en  lui  recommandant  d'y  insérer  les  endroits  de  la 
vie  du  saint  homme  les  plus  propres  à  inspirer  la  patience. 
Passant  ensuite  au  dernier  chapitre  du  livre,  où  Jod  reçoit, 
dès  ce  monde  même,  la  récompense  de  ses  souffrances,  l'au- 
teur exhorte  le  prince  à  se  détacher  de  toute  affection  aux 
biens  périssables,  afin  de  ne  pas  perdre  le  fruit  de  ses  bonnes 
œuvres  journalières,  dont  il  fait  le  dénombrement. 

p.  425-43».  Des  brouilleries  survenues  entre  le  roi  de  France  et  celui 
d'Angletei're  depuis  qu'ils  avaient  pris  la  croix,  retardaient 
le  départ  des  croisés  pour  la  Terre -Sainte.  Pierre,  dans  le 
quatrième  opuscule  ayant  pour  titre  De  Jerosolymitanâ père- 
grinatione  accelerandâ ,  blâme  avec  force  les  princes  qui, 
pour  des  intérêts  particuliers,  négligeaient  d'accomplir  leurs 
vœux,  leur  reprochant  sans  ménagement  les  guerres  qu'ils 
se  faisaient  mutuellement,  au  lieu  d'aller  secourir  la  Terre- 
Sainte  pour  laquelle  ils  levaient  un  décime  extraordinaire. 
Le  ton  d'autorité  avec  lequel  il  parle  dans  cet  écrit,  nous 
fait  douter  qu'il  l'ait  publié  en  son  nom  ;  il  faut  croire  qu'il 
avait  prêté  sa  plume  a  quelque  prélat  d'un  siège  éminent, 
car  l'ouvrage  est  vraiment  de  lui. 

i\  431-435.  Nous  ne  pouvons  pas  assurer  la  même  chose  du  traité  sui- 
vant, qui  a  pour  titre  Instructio  fidei,  adressé  par  le  pape 
Alexandre  III  au  Soudan  de  Coni.  Il  est  bien  vrai  que  Pierre 
de  Blois  compte  parmi  ses  écrits  une  Assertio  fidei;  mais  ce 
dernier  ouvrage  est-il  le  même  que  \ Instruction  sur  la  foi, 
placée  par  l'éditeur  parmi  ceux  de  notre  auteur,  comme  si 
Assertion  ou  Instruction  de  la  Joi  n'étaient  que  deux  titres 


\ 


PIERRE   DE   BLOIS.  4o3 

diffërens  d'un  seul  et  même  ouvrage?  C'est  ce  qu'on  peut 
révoquer  en  doute.  Il  est  certain,  par  le  témoignage  même 
de  notre  auteur,  que  le  livre  de  \ Assertion  de  la  foi  fut 
composé  postérieurement  aux  traités  du  voyage  de  Jérusa- 
lem, dont  on  vient  de  parler,  et  des  Prestiges  de  la  fortune, 
dont  nous  parlerons  bientôt  (i).  Or  ces  deux  opuscules  sont 
postérieurs  à  l'année  1 187.  Comment  donc  le  pape  Alexan- 
dre m,  mort  l'an  1181,  aurait -il  pu  mettre  son  nom  à  la 
tête  de  l'ouvrage  de  Pierre  de  Blois?  Ajoutons  que  Mathieu 
Paris,  à  qui  nous  devons  la  conservation  de  la  lettre  du  pape 
Alexandre  au  soudan  d'/coniuni,  imprimée  aussi  au  tome  X 
des  conciles  du  P.  Labbe,  col.  I2i3,  rapporte  cette  lettre  à 
l'année  ii6g,  et  concluons  que  Goussainville  a  confondu 
mal-à-propbs  ces  deux  ouvrages,  et  que  vraisemblablement 
celui  de  Pierre  de  Blois  est  perdu. 

Après  cet  éclaircissement  nous  dirons  un  mot  de  Y  Instruc- 
tion de  la  foi  ou  sur  la  foi.  Le  but  de  cet  ouvrage  est 
d'instruire  le  prince  musulman  des  dogmes  de  la  religion 
chrétienne  qu'il  avait  témoigné  vouloir  embrasser  par  une 
lettre  au  pape  Alexandre  III.  Ce  soudan  avait  déjà  lu  quel- 
ques livres  de  l'Ancien  et  du  Nouveau -Testament,  et  de- 
mandait quelqu'un  qui  pût  l'instruire  plus  amplement  de 
vive  voix.  Le  pape  lui  envoya  sans  doute  le  catéchiste  qu'il 
desirait,  avec  l'instruction  qui  nous  occupe.  Celle-ci  roule 
uniquement  sur  les  mystères  de  la  Trinité  et  de  l'Incarna- 
tion. Matthieu  Paris  dit  que  les  soins  du  pape  eurent  leur 
effet,  et  que  le  soudan  re^ut  en  secret  le  baptême;  mais  on 
n'a  point  d'autre  assurance  de  ce  fait. 

Le  sixième  opuscule,  adressé  à  un  évêque  qu'on  ne 
nomme  pas,  est  intitulé  De  la  confession  sacramentelle.  L'au- 
teur, y  considérant  la  confes.sion  comme  la  troisième  partie 
du  sacrement  de  pénitence,  s'applique  à  en  faire  voir  la 
nécessité,  les  conditions  et  les  effets.  Il  veut  que  l'on  con- 
fesse en  détail  tous  les  péchés  mortels_avec  l'occasion,  le  lieu, 
le  temps,  la  manière ,  et  toutes  les  circonstances  aggravantes. 

(i)  /«  tractatu  meo  de  Jerosolymitanà  peregrinatione  ;  in  lihro  meo  de 
Praestigils  fortunae,  et  in  opère  meo  novcUo  de  Assertione  fidei  ,...  regein 
vestruni  et  alios  terrce  magnâtes ,  ubi  materia  se  offert ,  plenâ  libcrtate 
redarguo.  Ces  paroles  tirées  de  la  réponse  de  notre  auteur  à  l'anoiiynie 
qui  avait  critiqué  ses  ouvrages,  prouvent  certainement  que  l'Assertion  de 
la  foi  fut  compo.sée  postérieurement  au  traité  du  Voyage  de  Jérusalem  , 
par  conséquent  après  1 187. 

Eeea 


XII  SIECLJi. 


XII  SIECLE. 


4o4  PIERRE  DE  BLOIS. 

Il  prouve  assez  au  long  qu'une  pénitence  suivie  de  rechûtes 
est  ordinairement  fausse. 

p.  /,44-A47-  Le  titre  du  septième  opuscule  est  de  la  pénitence  ou  de 
la  satisfaction  que  le  prêtre  doit  imposer  au  pénitent.  Il  est 
adressé  en  forme  de  lettre  à  un  abbé  qui  usait  sur  ce  point 
d'une  rigueur  excessive  envers  ses  religieux.  Le  but  de  l'au- 
teur est  de  porter  ce  supérieur  à  mettre  plus  de  discrétion , 
de  prudence  et  de  charité  dans  sa  conduite. 

P.  447-445.  Jean  de  Coutance,  doyen  de  l'église  de  Rouen,  ayant  été 
fait  évéque  de  Worchester  l'an  1x96,  Pierre  de  Blois ,  qui 
était  son  ami ,  lui  éciùvit  un  petit  traité  en  forme  de  lettre 
sur  l'institution  d'un  évêque,  de  institutione  episcopi.  Il  lui 
propose  pour  modèle  Gautier  de  Coutance,  son  oncle,  arche- 
vêque de  Rouen,  dont  il  fait  un  très-bel  éloge.  Cet  opuscule, 
qui  est  le  huitième,  contient  des  vérités  de  pratique  dans 
un  grand  détail;  les  obligations  d'un  évêque  y  sont  très- 
bien  développées  :  c'est  un  des  meilleurs  écrits  que  les  bas 
temps  aient  fournis  sur  ce  sujet. 

p.  455-462.  Ui>  anonyme,  chanoine  régulier,  avait  publié  contre  les 
écrits  de  Pierre  de  Blois  ime  critique  maligne,  amère  et  pi- 
quante, dans  laquelle  il  mêlait  des  louanges  pour  lui  faire 
mieux  avaler  le  poison.  Il  s'adressait  mal.  Notre  auteur, dans 
le  neuvième  opuscule,  lui  fît  une  réponse  sanglante  sous  le 
titre  (Vim'ectà'e ,  où  il  lui  rend  avec  usure  les  sarcasmes  et 
les  injures  dont  son  libelle  était  rempli.  Sur  ce  que  l'ano- 
nyme l'accusait  de  flatter  les  grands  dans  ses  éciits ,  il  se 
récrie  à  la  calomnie,  et  cite  ses  écrits  mêmes  pour  le  réfuter. 
«Je  n'ai  jamais  été  vendeur  d'huile,  dit-il.  Dans  mon  abrégé 
«  sur  Job,  dans  mes  lettres,  dans  mes  exhortations  (ce  sont  ap- 
«  paremment  ses  sermons),  dans  mon  dialogue  au  roi  Henri 
«  (cet  ouvrage  ne  nous  est  point  connu  d'ailleurs),  dans  mon 
«traité  du  pèlerinage  de  Jérusalem,  dans  mon  livre  des  illu- 
«sions  de  la  fortune,  dans  mon  ouvrage  touchant  la  certi- 
«  tude  de  la  foi ,  de  ^ssertione  jidei  (c'est  celui  que  l'on 
«  confond  avec  l'in-stitution  de  la  foi  par  le  pape  Alexandre 
«III);  dans  mon  livre  de  la  perfidie  des  Juifs,  dans  ceux 
«de  la  confession  et  de  la  pénitence,  dans  mon  canon  épis- 
«copal  (c'est  l'instruction  a  un  évêque  sur  les  devoirs  de 
«  l'épiscopat)  :  dans  tous  ces  écrits  et  d'autres  que  j'ai  com- 
«  posés,  je  reprends  avec  une  entière  liberté  votre  roi  et  tous 
«les  grands  de  la  terre,  quand  l'occasion  s'en  présente;  je 
«  leur  dis  des  vérités  utiles,  et  je  leur  remontre  leurs  devoirs 
«  avec  les  égards  dus  à  leur  rang.  » 


XII  SIECLE. 


PIERRE  DE  BLOIS.  4o5 

Il  rapporte  ensuite  quelques  points  de  doctrine  sur  les- 
quels 1  anonyme  l'avait  critiqué,  comme  d'avoir  dit  que  la 
voix  des  œuvres  est  plus  puissante  que  celle  de  la  parole; 
de  s'être  mal  explique  sur  la  crainte,  sur  le  mérite,  sur  la 
grâce  et  le  libre  arbitre.  Sur  tout  cela,  notre  auteur  se  jus- 
tifie assez  bien;  mais  il  mêle  tant  d'aigreur,  tant  de  fiel  et 
d'emportement  à  sa  justification,  qu'on  ne  peut  s'empêcher 
de  dire  que  s'il  a  raison  quant  au  fond,  il  pèche  absolument 
dans  la  forme.  Cet  opuscule  fut  composé  après  la  mort  du 
roi  Henri  II,  puisque  l'auteur  appelle  un  prince  (iî heureuse 
mémoire. 

Le  dixième  opuscule  contre  la  perfidie  des  Juifs  fiit  fait  P.  462-496. 
à  la  prière  d'un  ami  qui  se  plaignait  d'être  environné  d'hé- 
rétiques et  de  juifs,  avec  lesquels  il  était  souvent  en  dispute, 
mais  pas  toujours  en  état  de  répondre  à  leurs  argumens.  Cet 
ouvrage,  distribué  en  trente-quatre  chapitres,  est  un  recueil 
de  passages  de  l'Ancien  Testament  les  plus  propres  à  éta- 
blir la  vérité  de  la  religion  chrétienne.  Le  XII®  siècle  n'a 
peut-être  rien  produit  de  meilleur  en  ce  genre,  quoique  la 
pièce  ne  soit  pas  sans  défauts.  L'auteur  eût  bien  fait  de  sup- 
primer plusieurs  allégories  de  son  invention,  qui  ne  prou- 
vent rien.  Il  eût  également  pu  se  dispenser  de  citer  les  pères 
de  l'église  contre  les  juifs.  L'autorité  de  la  sybille  est  encore 
de  trop  dans  son  écrit.  Il  n'en  est  pas  de  même  des  témoi- 
gnages qu'il  emprunte  des  historiens  juifs  et  des  payens. 
Celui  de  Joseplie  touchant  la  personne  de  Jésus-Christ  est 
sur-tout  remarquable,  et  l'assurance  avec  laquelle  Pierre  de 
Blois  le  cite,  montre  que,  de  son  temps,  on  n'avait  aucun 
doute  sur  l'authenticité  de  ce  texte. 

Le  onzième  traité,  intitulé  De  l'amitié  chrétienne  et  de  la  P-  49;- 55a. 
charité  envers  Dieu  et  le  prochain ,  est  divisé  en  deux  par- 
ties. L'amit:é  chrétienne  est  l'objet  de  la  première,  com- 
posée de  vingt-cinq  chapitres.  La  charité  envers  Dieu  et  le 
prochain  occupe  la  seconde,  qui  en  contient  soixante-cinq. 
Il  y  a  de  bonnes  choses  dans  ce  traité,  mais  il  est  trop  plein 
d'allégories  arbitraires,  de  redites  et  de  déclamations. 

Ce  traité  a  été  attribué  à  Cassiodore,  et  se  trouve  parmi 
ses  œuvres  au  tome  X,I  de  la  giande  bibliothèque  des  pères 
de  Lyon,  page  1 326-1 '354,  mais  beaucoup  moins  correct 
que  dans  l'éuition  de  Goussainville,  et  se  trouve  répété  dans 
la  même  bibliotlièque  parmi  les  œuvres  de  Pierre  de  Blois 
au  tome  XXIV,  p.  1209-1242.  ' 


XII  SIECLE. 
P.  553-563. 


4o6  PIERRE  DE  BLOIS. 

Dans  le  douzième  opuscule,  qui  a  pour  titre  De  l'utilité 
des  tribulations ,  l'auteur  expose  tous  les  avantages  qu'on  peut 
retirer  de  l'adversité. 

Le  titre  Quales  sunt ,  que  porte  le  treizième  opuscule,  a 
besoin  d'explication  pour  être  entendu.  C'est  une  satire  vio- 
lente contre  les  èvêques  d'Aquitaine  en  général,  et  en  par- 
ticulier contre  les  évêques  de  Saintes  et  de  Limoges,  qui 
n'y  sont  pas  nommés,  composée  dans  la  vue  d'instruire  le 
roi  d'Angleterre ,  leur  souverain ,  de  certains  désordres  qui 
régnaient  dans  le  gouvernement  des  églises  de  cette  portion 
de  ses  états.  L'ouvrage  est  divisé  en  quatre  parties.  Dans  la 
•^*i>.-  première  partie  on  fait  connaître  quels  sont  ces  prélats,  et 

c'est  de  cette  partie  que  l'ouvrage  est  intitulé  Quales  sunt. 
Dans  les  trois  auti'es  on  montre  quelles  sont  les  personnes 
qu'ils  retiennent  auprès  d'eux ,  et  auxquelles  ils  confèrent 
les  dignités  ecclésiastiques,  sans  égard  aux  services  des  su- 
jets les  plus  méritans.  Ce  sont,  dit  l'auteur,  leurs  neveux, 
premiers,  seconds,  et  jusqu'à  l'infini,  ce  qui  remplit  la  se- 
conde partie.  Les  flatteurs  sont  l'objet  de  la  troisième;  la 
quatrième  est  dirigée  contre  les  brocanteurs  de  bénéfices. 

Quoique  l'animosité  perce  de  toutes  parts  dans  cette  pièce, 
et  que  les  injures  en  forment,  pour  ainsi  dire,  le  tissu,  l'on 
ne  peut  guère  douter  qu'elle  ne  renferme  bien  des  vérités. 
Il  serait  difficile  en  effet  de  s'imaginer  que  l'auteur  n'eût  fait 
entrer  que  des  calomnies  contre  des  évêques  vivans  dans  un 
écrit  destiné  à  faire  connaître  leur  conduite  au  public  et 
au  roi.  L'orgueil,  l'avarice,  l'incapacité,  la  négligence  dans 
l'exercice  de  leurs  fonctions,  la  simonie,  sont  les  principaux 
vices  dont  il  les  accuse.  Nous  ne  le  suivrons  pas  dans  toutes 
,fia-V(j  les  déclamations  qu'il  se  permet  sur  ces  objets;  l'analyse  en 
serait  plus  propre  a  scandaliser  nos  lecteurs  qu'à  les  instruire 
et  à  les  édifier.  Nous  nous  bornerons  à  examiner  si  Pierre 
de  Blois  est  vraiment  l'auteur  de  cet  écrit,  et  si  l'on  peut, 
avec  quelque  fondement,  le  lui  attribuer. 

Il  est  vrai  qu'une  note  placée  à  la  fin  de  l'ouvrage  dans 
le  manuscrit  dont  il  a  été  tiré,  porte  :  Explicit  liber  qui  inti- 
tulatur  QUALES  SUNT,  editus  per  venerabilem  Petmm  Ble- 
sensem.  Mais  ces  notes,  étrangères  au  corps  de  l'ouvrage, 
qui  n'ont  d'aigre  garantie  que  l'opinion  des  copistes ,  ont 
souvent  induit  en  erreur.  Voyons  si  celle-ci  soutiendra  l'exa- 
men de  la  critique. 

Nou3  observerons  d'abord  que  Pierre  de  Blois,  dans  son 


XII  SIECLE. 


PIERRE  DE  BLOIS.  407 

neuvième  opuscule,  {iùsant  l'enumération  de  ses  écrits,  pour 

prouver  à  sou  adversaire  qu'il  ne  fut  jamais  un  flatteur,  ne 

tait  aucune  mention  de  celui-ci,  qui   aurait  certainement 

prouvé  plus  que  tous  les  autres  qu  il  était  |)ien  éloigné  de 

mériter  ce  reproche.  2°  L'auteur,  dans  cet  ouvrage,  pour 

prouver  qu'il   n'a  pris  la  plume  ni  par  vengeance,  ni   par 

quelque  intérêt  particulier,  fait  en  peu  de  mots  l'histoire  de 

sa  vie,  et  rien  de  tout  ce  qu'il  dit  ne  peut  convenir  à  Pierre 

de  Blois.  Il  est  bon  de  rapporter  le  texte  même  de  l'auteur 

pour  ne  pas  l'altérer  en  le  traduisant.  De  longe  supplico,  P-  Sga,  col.  a. 

dit-il, yOA?  cœteris  inagis  quant  pro  me,  cui  divitias  prœstat 

exiliiim,   delicias  parât  (parit)  exterminiuni  ;  oui  peregri- 

jiatio  felix ,  fertilis  incolatus,  felix  priniœ  felicitatis  ohlwio , 

lenis  austeritas ,  crudelitas  Manda,  didcis  amaritudo ,  pa- 

truni  patrice  niutatio  jocunda  ;  oui  transalpinam  se  dédit 

in  sociam  gratia  lœta  cornes ,  quâ  cunctis  placui,  cunctique  < 

mihi  placuere.  1  talus  enim  risit,  applausit  Appulus ,  Siculus 

obsecutus  est,   auxit  Ilomanus  honores.  Pro  cœteris  itaque 

rogo,  quos  apud  seipsos  exulare  cogit  dulcis  in  se  patria , 

in  patribus  amara  ;  non  pro  me  qui  féliciter  exulo. 

Il  est  évident  i"  que  l'auteur  appelle  l'Aquitaine  sa  patrie, 
et  que  c'est  en  faveur  de  ses  vertueux  compatriotes,  négligés 
par  les  évèques,  et  comme  exilés  dans  leur  propre  pays, 
qu'il  écrit  :  ce  qui  ne  peut  convenir  à  Pierre  de  Blois.  2°  L'au- 
teur,  forcé  de  s'expatrier  par  les  mauvais  traitemens  qu'il 
éprouvait  de  la  part  des  évèques,  dit  avoir  trouvé  au-delà 
des  Alpes  et  dans  toute  l'Italie,  le  bonheur,  la  considération, 
et  des  avantages  qui  lui  ont  fait  oublier  ceux  dont  il  jouis- 
sait en-deçà  des  monts;  il  se  félicite  même  d'avoir  éprouvé, 
à  chaque  mutation  d'évêque  de  son  diocèse,  des  tracasseries 
qui  l'avaient  déterminé  à  s'expatrier.  Tout  cela ,  encore  un 
coup,  peut -il  convenir  à  Pierie  de  Blois  .-^  Il  est  vrai  que 
Pierre  de  Blois  avait  aussi  passé  les  Alpes,  qu'il  avait  sé- 
journé un  an  en  Sicile;  mais  aurait-il  avancé  qu'il  avait  reçu 
des  applaudissemens  dans  la  Pouille,  que  la  Sicile  lui  était 
dévouée,  lui  qui  dit  tant  de  mal  de  la  Sicile  et  des  Siciliens 
dans  la  lettre  46  à  Richard,  évêque  de  Syracuse.!'  Aurait -il 
dit  que  Rome  l'avait  comblé  d'honneurs,  lui  qui  ne  séjourna 
jamais  dans  cette  capitale  du  monde  chrétien ,  et  qui  n'y  fut 
jamais  revêtu  d'aucune  dignité.^  En  un  mot,  l'auteur  écrit 
comme  étant  encore  en  Italie,  de  longe  supplico ,  et  Pierre 
de  Blois,  depuis  son  retour  de  Sicile,  a  presque  toujours  été 


4o8  PIERRE  DE  BLOIS. 

1  à  la  suite  du  roi  d'Angleterre.  Au  reste,  l'ouvrage  est  si  mal 

écrit,  qu'il  est  tout-à-fait  indigne  dé  la  plume  de  Pierre  de 
de  Blois. 

Si  maintenant  on  nous  demande  qui  donc  en  est  l'auteur? 
Nous  croyons  pouvoir  satisfaire  à  cette  question  :  c'est  Guil- 
laume de  Tralîinac,  prieur  de  Grandmont;  c'est  à  lui  qu'on 
peut  appliquer  toutes  les  circonstances  du  récit  que  nous 

Suprà,  p.  i4i.  venons  de  rapporter,  et  voici  nos  preuves.  Dans  l'article  que 
nous  avons  consacré  à  ce  prieur,  nous  avons  dit  que  le  pape 
Clément  III,  pour  rétablir  la  paix  dans  l'ordre  de  Grand- 
mont  et  éteindre  le  schisme  introduit  par  les  frères  lais  en 
créant  un  prieur  de  leur  façon  à  la  place  de  Guillaume ,  avait 
cassé  les  deux  prieurs  et  ordonné  qu'on  procédât  canonique- 
ment  à  l'élection  d'un  troisième  qui  fût  agréable  aux  deux 
partis.  Guillaume,  qui  depuis  vingt  ans  était  en  possession, 
se  croyant  injustement  déposé,  fit,  pour  maintenir  son 
droit,  le  voyage  de  Rome,  ou  il  mourut  quelque  temps  après 
avec  la  réputation  d'un  homme  d'une  sainteté  reconnue. 
C'est  pendant  ce  qu'il  appelle  son  exil  qu'il  composa  contre 
les  évoques  de  Limoges  et  de  Saintes,  qui  apparemment  lui 
étaient  contraires,  l'écrit  intitulé  Quales  sunt,  qu'il  envoya 
au  roi  d'Angleterre,  dont  il  était  connu  et  estimé,  vraisem- 
blablement par  les  mains  de  frère  Pierre  Bernardi,  correc- 
teur des  Bons-Hommes  de  Vincennes,  son  ami,  homme  d'un 
crédit  extraordinaire  à  la  cour  de  France  et  d'Angleterre.  II 
y  a  même  apparence  que  celui-ci  revit  l'ouvrage;  car,  en  com- 
parant cet  écrit  avec  la  lettre  qu'il  adressa  au  roi  Henri  II 
Mart.Anecd.  après  le  meurtre  de  saint  Thomas  de  Cantorbéri,  on  y  re- 

1. 1,  col.  56i.     connaît  le  même  style.  Si  ces  preuves  ne  sont  pas  destituées 

de  fondement,  on  peut  avancer  que  l'évêque  de  Limoges, 

dont  il   est  parlé,  était  Saibrand   de  Chabot,  et  celui  de 

Saintes,  Hélie,  qui  figurent  dans  le  procès- verbal  de  l'in- 

Mart.  Ainpl.  stallation  du  successeur  de  Guillaume;  et,  comme  tous  les 

coUect.  t.  VI,  ^vêques  de  la  province  y  assistèrent,  l'auteur  les  dénonce 

»eqq.  *°^''       tous  en  masse. 

p.  595.  Le  quatorzième  opuscule  avait  pour  titre  :  Epistola  aurea 

de  silentio  servando.  11  n'en  reste  qu'un  fragment  très-couit. 
ibid.  Le  quinzième  est  encore  un  fragment  du  livre  des  pres- 

tiges ou  illusions  de  la  fortune ,  dans  lequel  il  est  parlé  des 
magiciens,  des  astrologues  et  des  pythons.  Ce  traité,  qui 
n'existe  plus,  était  un  de  ceux  que  l'auteur  avait  travaillés 
avec  plus  de  soin.  Il  en  fait  mention  dans  plusieurs  de  se» 


XII  SIECLE. 


PIERRE  DE   BLOIS.  409 

lettres,  et  sur-tout  dans  la  19*  à  un  ami,  qui  lui  avait  de- 
mandé à  voir  ce  traité.  Pierre  lui  répond  qu'il  ne  peut  en- 
core le  lui  envoyer,  parce  qu'il  a  besoin  d'être  corrigé,  limé, 
f)oli ,  avant  que  de  paraître  au  grand  jour.  C'est  dans  cette 
ettre  qu'il  donne  lui-même  une  idée  de  l'ouvrage.  «  Le  prê- 
te mier  livre,  dit -il,  démontre  suffisamment  que  ce  qu'on 
«nomme  la  fortune  n'est  rien  ;' on  y  réfute  l'opiftion  de 
«ceux  qui  attribuent  aux  caprices  de  la  fortune  les  événe- 
.«  mens  de  ce  monde ,  au  lieu  de  reconnaître  une  volonté  sou- 
«veraine  qui  règle  invariablement  toutes  leurs  vicissitudes. 
«C'est  pour  cela,  continue-t-il ,  que  j'ai  intitulé  cet  ouvrage 
fnDes  illusions  de  la  fortune,  non  que  la  fortune  soit  quel- 
«que  chose,  mais  pour  montrer  que,  soit  dans  l'élévation, 
«soit  dans  l'humiliation  des  hommes,  où  l'on  croit  voir  or- 
«dinairement  l'effet  du  hasard,  tout  émane  de  la  divine  pro- 
«vidence.  Et  afin  que  vous  puissiez  vous  convaincre  par  vos 
«yeux  que  tel  est  l'objet  de  mon  livre,  je  vous  envoie  cinq 
«cahiers,  quinque  quaternos ,  de  ce  nouveau  traité,  non  pour 
«les  transcrire,  mais  pour  les  lire  seulement,  et  me  les  ren- 
«voyer  au  plutôt.» 

C'est  dans  ce  même  ouvrage  que  Pierre  de  Blois,  suivant 

au'il  le  témoigne  lui-même  ailleurs  (épît.  77),  faisait  l'éloge 
u  roi  Henri  II ,  encote  vivant  ;  et  c'est  peut-être  là ,  comme 
le  conjecture  son  dernier  éditeur,  le  livre  des  actes  de  ce 
prince ,,  dont  il  est  aussi  parlé  dans  la  i4*  lettre  aux  clercs 
de  la  chapelle  du  rpi  :  Illud  autem  noveritis  quod  ad  gra- 
tiam,  gloriam  et  magnificentiam  domini  régis,  jani  de  ac- 
tibus  ejus  librum  ex  magna  parte  coniposui ,  qui  vestrœ  fra- 
temitati  communicandus  est;  sed  adhuc  opus  illud  manus 
artificis  corrigit  et  climat,  ut  ciim  in  puhlicam  audientiam 
venerit ,  nec  obtrectatorum  linguas,  necvenenosos  morsus 
invidiœ  pertimescat.  Mais  cet  ouvrage  n'existe  nulle  part. 
Quant  au  traité  des  illusions  de  la  fortune,  Casimir  Oudin  De  script,  eccl. 
croit  l'avoir  vu  manuscrit  dans  une  bibliothèque  dont  il  n'a  '•  ïï»'^"'-  '647- 
pas  retenu  le  nom.  On  ne  peut  que  regretter  qu'il  n'ait  pas 
été  mis  au  jour. 

Le  seizième  opuscule,  qui  a  pour  titre  De  la  distinction  P.  596-599. 
des  écrits  et  des  écrivains  sacrés ,  est  fort  court  et  répond  au 
titre.  L'auteur,  après  avoir  compté  vingt-deux  livres  de  l'An- 
cien-Testament ,  suivant  le  canon  des  Hébreux,  nomme  les 
livres  de  la  Sagesse,  de  l'Ecclésiastique,  de  Tobie,  de  Judith, 
et  des  Machabées;  livres,  dit-il,  que  l'église  révère  et  place 
Tome  XV.  Fff 


4ro  PIERRE  DE   BLOIS. 

SIECLE,  jjgjjg  |g  canon  des  livres  sacrés,  quoique  les  Juifs  les  relèguent 
parmi  les  écrits  apocryphes.  Rien  ne  prouve  que  ce  traité 
soit  de  Pierre  de  Blois;  il  n'en  parle  pas  dans,  le  dénom- 
brement qu'il  fait  de  ses  ouvrages,  et  celui-ci  ne  contient 
pas  un  mot  qui  puisse  faire  soupçonner  que  l'archidiacre  de 
Bath  en  est  l'auteur. 

P.  600-618.         Le  dernier  opuscule  est  un  poëme  sur  l'Eucharistie.  Nous 
ne  répéterons  point  ici  les  preuves  qu'on  a  données ,  à  l'ar- 

T.Xlll,p.  429.  ticle  de  Pierre  le  Peintre^  pour  faire  voir  que  cet  ouvrage, 
appartient  à  cet  écrivain,  et  non  à  Pierre  de  Blois,  comme 
l'a  cru ,  sur  de  légères  présomptions ,  le  P.  Busée. 

Outre  ces  ouvrages  vrais  ou  supposés,  dont  nous  venons 

de  rendre  compte,  il  y  en  a  d'autres  cités  par  les  anciens 

.   bibliographes,  qui  sont  perdus  ou  déguisés  sous  d'autres  titres. 

De  Script  eccl.  Ainsi  le  livre  de  la  vie  des  clercs  vivant  h  la  cour,  que  l'abbé 

n°394.  Trithême  place  parmii  les  traités,  n'est  autre  chose  que  la 

\/\^  lettre  adressée  par  Pierre  de  Blois  aux  chapelains  du  roi 
d'Angleterre;  l'écrit  que  Trithême  a  intitule  de  periculo 
prœlatorum,  est  proprement  la  lettre  102  à  l'abbé  de  Rading; 
celui  qu'il  désigne  par  exhortatio  ad  ahhateni,  n'est  encore 
que  la  lettre  i34  à  Guillaume,  abbé  de  Sainte-Marie  à  Blois, 
ou  de  Bourg -Moyen;  et  la  lettre  i4o  contient  exactement 
l'ouvrage  auquel  il  a  donné  le  titre  de  studio  sapientiœ.  Mais 
on  peut  regarder  comme  perdus  les  suivants  :  dialogue  entre 
un  roi  et  un  abbé ,  que  Pierre  de  Blois  dit  avoir  adressé  au 
roi  Henri  II,  in  dialogo  meo  ad  Henricum  regcm;  le  livre 
de  Assertione  fidei ,  si,  comme  nous  le  croyons,  c'était  un 
ouvrage  distinct  de  la  lettre  du  pape  Alexandre  III  au  soudan 
d'Iconium  ;  le  livre  des  prestiges  de  la  fortune,  dont  il  ne 
reste  qu'un  fragment ,  ainsi  que  de  celui  du  silence  ;  la  vie 
ou  les  gestes  de  Henii  II ,  roi  d' Angleterre,  soit  que  cet  écrit 
fit  partie  du  livre  des  prestiges  de  la  fortune,  soit  que  ce  fiît 
un  ouvrage  à  part  ;  la  vie  de  saint  PP^ilfrid,  archevêque 
d'Yorck,  dédiée  par  notre  auteur  à  Gcofroi,  fils  naturel  du 
roi  Henri  II,  arcnevêque  de  la  même  ville,  dont  il  ne  reste 
Boll.  iiapri-  qu'un  petit  fragment  au  tome  I  du  monasticon  anglicanum, 

)is,p.37,n°4-    p,  lya^  et  la,  ^ie  de  saint  Guthlac ,  dont  parlent  les  Bollan- 
distes ,  et  qu'ils  n'ont  pu  se  procurer. 

Pierre  de  Blois,  à  la  prière  de  Henri  de  Long -Champ,  abbé 
de  Croyland  ,  continua  l'histoire  de  ce  monastère  composée 
par  l'abbé  Ingulfe,  continuation  dont  il  existe  un  long  frag- 
ment de  2.Q.  pages  in-folio,  imprimé  à  la  suite  de  cette  his- 


XII  SIECLE. 


PIERRE  DE  BLOIS.  4" 

toire  dans  le  recueil  des  historiens  d'Angleterre,  publie'  à 
Oxford,  l'an  i684,  par  Jean  Fell,  evêque  de  la  même  ville.  P.  io8-i3o. 
L'addition  à  l'histoire  d'Ingulfe  qu'on  lit  dans  la  collection 
des  historiens  d'Angleterre,  par  Henri  Savile,  sous  le  titre  de 
Appendix  incerti  autoris ,  est  aussi  de  Pierre  de  Blois;  mais 
ce  n'est  qu'un  lambeau  d'une  demi -page,  extrait  de  la  con- 
tinuation dont  nous  venons  de  parler.  A  la  tête  de  celle-ci 
est  la  lettre  de  l'abbé  Henri,  par  laquelle  il  supplie  notre 
auteur  de  prendre  la  peine  de  coiriger  le  travail  d'Ingulfe  et 
de  vouloir  bien  le  continuer  d'après  les  matériaux  qu'il  lui 
fournira.  Les  titres  qu'il  lui  donne  dans  la  salutation  ou 
susoription  méritent  d'être  rapportés,  parce  qu'ils  prouvent 
la  haute  opinion  qu'on  avait  en  Angleterre  de  l'éloquence  de 
notre  auteur  :  Amicissimo  suo  magistro  Petro  Blesensi,  archi- 
diacono  Bathoniensi ,  domini  nostri  régis  vice-cancellario , 
totiusque  regni  dignissima protho  -  notario ,  ac  omnium  artium 
liberalium  sanctuario  scientissimo ,  necnon  eloquentiœ  Tid- 
lianœ  nostri  temporis  eminentissimo  professori,  frater  Hen- 
ricus  de  Ijingo-Campo ,  servorum  dei  in  ecclesia  Croyland 
m,onasterii  Domino  miUtantium  indignus  abbas  ^  inutilisque 
minister  se  totum  et  sua  ad  beneplacita  et  mandata. 

Dans  la  même  lettre ,  l'abbé  de  Croyland  prie  notre  au-  ^ 

leur  de  mettre  en  meilleur  style  et  d'abréger  la  vie  de  saint 
Guthlac ,  patron  du  monastère ,  composée  dans  le  VIP  siècle 
par  un  saint  nommé  Félix.  C'est  vraisemblablement  celle  qui 
a  été  publiée  par  les  Bollandistes  au  1 1  avril,  retouchée  par 
notre  auteur.  Dans  sa  réponse ,  Pierre  de  Blois  se  charge  de 
l'un  et  de  l'autre  travail  ;  mais^ce  qui  reste  de  son  histoire  ne 
va  pas  jusqu'au  règne  du  roi  Etienne  de  Blois,  comme  l'a  dit 
le  prélat  éditeur,  elle  finit  à  l'an  1 1 18.  Cependant  comme  il 
existe  dans  le  môme  volume  une  autre  continuation  de  l'his-  P.  /iSi-SgS. 
toire  d'Ingulfe,  depuis  l'an  ii53  jusques  à  i486,  on  peut 
croire  qu'elle  contenait  la  suite  de  celle  de  Pierre  de  Blois 

i'usqu'après  l'an  1190,  époque  de  la  promotion  de  Henri  à 
a  dignité  abbatiale;  mais  le  manuscrit  de  cette  seconde 
continuation  étant  mutilé  au  commencement,  la  suite  de  l'his- 
toire de  Pierre  de  Blois  est  interrompue,  et  ne  présente  plus 
que  des  morceaux  décousus. 

§  4-     ÉDITIONS    DE    SES    OEUVRES. 

Jacques  Merlin ,  curé  archiprêtre  de  la  Magdeleine  à  Paris, 
est,  comme  nous  l'avons  déjà  dit,  le  premier  éditeur  des 

Fffa 


Xn  SIECLE. 


4i2  PIERRE  DE  BLOIS. 

œuvres  de  Pierre  de  Blois;  l'édition  en  fut  faite  à  Paris  dans 
un  vol.  in-fol.  l'an  iSig.  Le  P.  Jean  Busée,  jésuite,  ne  con- 
naissant pas  cell*e-ci,  crut  donner  pour  la  première  fois,  l'an 
1600,  les  œuvres  de  notre  écrivain  en  un  vol.  in-4°  à  Mayence, 
édition  à  laquelle  il  ajouta,  l'an  i6o5,  un  supplément  in-8°,  et 
son  édition  a  été  répétée  dans  le  XIF  tome  de  la  bibliothèque 
des  pères  à  Cologne.  Après  eux  Goussainville,  prêtre  de 
l'église  de  Chartres,  publia  à  Paris,  l'an  1667,  en  un  vol.  in-fol. 
une  édition  plus  complette  des  œuvres  de  Pierre  de  Blois,  cor- 
rigées sur  de  nouveaux  manuscrits ,  accompagnées  de  diverses 
leçons,  enrichies  de  notes  de  sa- façon  et  de  celles  de  Busée, 
avec  une  collection  de  chartes  et  autres  documens,  propres 
à  éclaircir  certains  endroits  du  texte  auxquels  ils  se  rap- 
portent, et  que  l'éditeur  aurait  voulu  faire  entrer  dans  ses 
notes ,  s'il  lui  eussent  été  communiqués  à  temps.  C'est  cette 
édition  qui  a  été  suivie  dans  le  tome  XXIV  de  la  grande 
bibliothèque  des  pères  de  Lyon,  depuis  la  page  gri  jus- 
qu'à. i365. 
rerbo,  Fetrm  Nous  ne  parlons  pas  de  quelques  lettres  indiquées  par 
Blés.  Albert  Fabricius  comme  imprimées  dans  d'autres  ouvrages, 

parce  qu'elles  ne   sont   nullement  anecdotes,  se  trouvant 
dans  la  collection  générale. 

§  5. 'sa    doctrine,    son    JÉRUDIxioN,    SA    MANIERE   d'ÉCRIRE. 

Le  compte  que  nous  venons  de  rendre  des  écrits  de  Pierre 
de  Blois ,  a  mis  déjà  nos  lecteurs  en  état  d'apprécier  le  mérite 
littéraire  ainsi  que  le  caractère  moral  de  cet  auteur.  Avide 
de  connaissances,  il  donna  dans  tous  les  genres  de  savoir 
que  l'on  cultivait  de  son  temps,  théologie,  philosophie,  juris- 
prudence, médecine,  grammaire,  poésie,  mathématiques, 
philologie,  politique  même,  si  celle-ci  avait  alors  des  prin- 
cipes assez  fixes  et  des  règles  assez  siires  pour  en  faire  une 
science;  bref  il  voulut  être  un  homme  universel.  Dans  cette 
variété  d'études,  il  donna  néanmoins  la  préférence  à  celle 
de  la  religion  et  des  matières  qui  ont  rapport  à  cet  objet. 
Son  état,  son  goût,  ses  emplois,  le  déterminèrent  à  ce  parti. 
Quoique  svir  la  distinction  des  deux  puissances  il  ait  pro- 
fessé la  doctrine  qui  avait  la  vogue'de  son  temps,  ses  écrits 
montrent  qu'il  avait  puisé  la  théologie  dans  de  bonnes 
sources;  c'est  sur-tout  dans  la  morale  qu'il  excelle,  et  l'on 
peut  le  regarder  con^me  un  des  meilleurs  casuistes  de  son 
temps. 


XII  SIECLE. 


GUILLAUME  DE  BLOIS.  4i3 

A   l'étendue    des   connaissances  il    joignait   une  facilite 
d  écrire  qui  l'eût  mis  en  état  de  produire  des  chefs-d'œuvre , 

s'il  n'en  eût  pas  abusé;  mais  il  se  fit  une  gloire  d'enfanter  ^ 

avec  rapidité,  et  gâta  par  cette  vanité  tous  ses  autres  talens.  \ 

Ses  lettres  qu'il  donnait  lui-même  pour  des  modèles,  et  qui 
passèrent  pour  telles  aux  yeux  de  la  plupart  de  ses  con« 
temporains,  sont  pleines  d'expressions  impropres,  de  méta- 
phores et  d'allusions  rechercliées,  de  lieux  communs  en- 
nuyeux, de  déclamations  outrées,  de  personnalités  odieuses, 

d'accusations  dépourvues  de  fondement.  Comftie  les  hommes  ' 

se  peignent  ordinairement  dans  ces  sortes  d'écrits,  on  peut 
dire,  sans  juger  témérairement,  qu'avec  d'excellentes  qualités 
du  cœur,  et  sur-tout  un  grand  zèle  pour  l'honneur  de  la 
religion,  il  étoit  sujet  à  de  grands  défauts,  inégal  dans  sa 
conduite,  vain,  passionné,  ne  gardant  point  de  modéra- 
tion ni  dans  ses  haines  ni  dans  ses  amitiés.  Tel  est  le  double 
point  de  vue  sous  lequel  l'homme  et  l'auteur  se  montrent 
dans  les  écrits  de  Pierre  de  Blois.  B. 


GUILLAUME  DE  BLOIS, 

FRÈRE   DE  PIERRE,  ARCHIDIACRE   DE  BATH. 


v^ET  auteur,  dont  le  surnom  indique  la  patrie,  était  frère 

puîné  du  célèbre  Pierre  de  Blors  archidiacre  de  Bath ,  qui 

lui  survécut:  il  est  à  présumer  que  la  même  éducation  leur 

fut   commune ,  et  que   d'heureuses  dispositions   les  firent 

également  distinguer.  Guillaume  avait  1  esprit  pénétrant  et 

élevé  ;  ses  études  achevées,  il  prit,  selon  du  Boulay,  le  degré 

de  docteur  en  l'université  de  Paris,  et  fit  ensuite  profession       Hist.  univ. 

dans  l'ordre  de  Saint-Benoît.  Parisiens,  t. ii, 

-    Pour  remplir  les  intervalles  de  loisir  que  lui  laissaient  ses  ^'  t'^'    •. 

d.iT  -^    ^      '        •  •  n   \       '  JLiOC,    Cit. 

evoirs,  u  s  amusait  «  écrire  en  vers  ;  mais  son  frère  voyant 

que  cette  o(;cupation  pouvait  nuire  à  son  avancement,  ou 

peut-être  par  un  motif  de  piété,  l'engagea  à  y  renoncer,  et 

a  se  livrer  uniquement  à  la  théologie  et  à  la  prédication.  Dom  Lîron, 

Bibl.  gén,    des 


Xri  SIËCLE. 

aut.  de  France, 
ou  Bibl.  char- 
tiaine  ,  p.  83. 

Pet.  Blés.  ep. 
90.— Hist.univ. 
Parisiens,  t.  II, 
p.  337. —  Sicilia 
sacra ,  t.  II ,  p. 

I25l. 

Loc.  cit. 

Pelr.  Blesens. 
«pist.  93. 


4r4 


GUILLAUME  DE  BLOIS. 


Dom  Liron. 
Bibl.  chartr.  p. 
84,  et  Pet.  Blés, 
epist.  65. 


~> 


•Pierre  de  Blois  ayant  etë  appelle  en  Sicile,  en  1167,  pour 
être  précepteur  du  roi  Guillaume  II ,  surnommé  le  bon ,  et 
garde  du  sceau  l'oyal ,  emmena  son  frère  avec  lui ,  et  le  fit 
nommer  premier  abbé  du  monastère  de  Sainte-Marie  de  Ma- 
niaco,  dans  le  diocèse  de  Messine.  Guillaume  obtint  du  pape 
Alexandre  III,  la  permission  de  porter  des  ornemens  ponti- 
ficaux. Il  resta  dans  son  abbaye  jusqu'en  1169  qu'il  la  rési- 
gna entre  les  mains  du  pape  pour  retourner  en  France,  où 
son  frère  l'avait  déjà  précédé.  Ce  dernier  lui  écrivit ,  pour  se 
féliciter  avec  lifi  de  ce  qu'ils  étaient  dans  le  doux  pays  âe 
France,  le  seul,  selon  saint  Jérôme,  qui  ne  produisît  point 
de  monstres.  Siunus ,  frater,  in  dulci  Franciâ,  quœ  sola  teste 
Hieivnymo  monstra  non  habet.  Bonum  est  nos  hic  esse.  Vi- 
vant in  Sicilia,  qui proditiones  et  venena  procurant ,  adula- 
tionis  officiarii,  et  qui  aures  magnatum  venta  inanis  gloriœ 
prurientes  'venenosa  suavitate  demulcent.  Il  paraît  par  ce 
passage,  que  les  deux  frères  n'avaient  pas  lieu  d'être  satis- 
faits de  leur  séjour  erT  Sicile. 

Pierre  a  placé  dans  une  de  ses  lettres ,  une  anecdote  qui 
semblerait  attribuer  à  son  frère  le  don  de  prophétie.  Guil- 
laume ayant  rencontré  un  docteur  de  ses  amis ,  qui  sortait 
d'une  hôtellerie,  le  pria  de  rentrer  et  fit  tout  ce  qu'il  lui  fut 
possible  pour  l'empêcher  de  passer  outre ,  en  lui  disant 
que  s'il  sortait,  il  se  trouverait  ce  jour- là  dans  un  grand 
péril.  Le  docteur  se  moqua  de  ce  présage  et  se  joignit  à  la 
compagnie  de  saint  Thomas ,  archevêque  de  Cantorbéry  ; 
mais  il  n'alla  pas  loin ,  car  il  tomba  avec  son  cheval  dans  une 
fosse  très-profonde  et  remplie  d'eau,  dont  on  eut  beaucoup 
de  peine  à  le  tirer  demi -mort. 

Guillaume  avait  composé  divers  ouvrages  en  prose  et 
en  vers.  On  remarqvie  parmi  ces  derniers,  une  tragédie  de 
Flaura  et  Marco ,  qui  aurait  peut-être  été  faite  sur  une 
célèbre  courtisane  du  XIF  siècle,  qui  se  nommait  Flore,  et 
dont  Ives  de  Chartres  fait  mention  dans  une  de  ses  lettres  (i). 
Un  poëme  de  la  puce  et  de  la  mouche  (versus  de  Pulice  et 
Musca\  une  comédie  intitulée  Aida;  et  enfin  des  sermons, 
et  divers  ouvrages  théologiques.  Aucunes  de  ces  productions 
ne  nous  sont  parvenues.  Pierre ,  qui  estimait  assez  son  frère 

(i)  Ivonis  episc.  Carnot.  epist.  Paris.  i584,  in-4°,  epist.  67,  p. '^9.  Et 
hoc  ita  foma  per  Auidiancnsein  episcopatuin  et  ■vicinas  uibes  publicavit , 
ut  à  canonicis  siùsjainoscc  cujiisdam  concubinœ  Flora  agnomen  acceperit. 


p.  Dfe  BLOIS,  DE  L'ÉGL.  DE  CHARTRES.  4i5 
pour  lui  donner  ses  livres  à  corriger ,  avoue  qu'elles  n'e'taient  xn  SIECLE. 
pas  fort  répandues  et  fort  célèbres  ;  cependant  il  ajoute 
plus  loin  que  ces  écrits  fexaient  long-temps  vivre  la  mémoire 
de  Guillaume.  Les  manuscrits  de  la  bibliothèque  royale,. ne 
contiennent  aucun  des  ouvrages  de  cet  auteur;  Montfaucon 
n'en  fait  pas  mention  ;  Guillaume  Cave  garde  le  même  silence. 

G.  Bibl.  Biblioth. 

Bibl.  Script. 


Eccles. 


PIERRE  DE  BLOIS, 

CHANCELIER  DE  L'ÉGLISE  DE  CHARTRES. 

Il  ne  faut  pas  confondre  ce  personnage,  avec  son  homonyme, 

le  célèbre  archidiacre  deBatn,  dont  toutes  les  oeuvres  ont  été 

publiées  par  Goussainville,  et  qui  nous  a  fourni  la  matière 

cl'une  précderîte  notice  fort  étendue.  Le  Pierre  de  Blois,  dont 

nous  allons  nous  occuper,  jouissait  aussi,  dans  son  temps,     Petr. Blesens. 

d'une  grande  réputation;  mais,  sans  l'autre  Pierre  de  Blois,  op"»    omnia, 

à  peine  saurions- nous  auiourd'hui  qu'il  a  existé.  C'est  dans  4  ^-^  '  è"!  °' 

11  •  •'  /     1'        1  •  !•  1     T.     1        Pan»,  1672. 

les  lettres  qiu  nous  sont  parvenues  de  1  archiaiacre  de  Bath , 
que  nous  puiserons,  en  grande  partie,  tout  ce  qu'il  nous  a 
été  possible  de  recueillir  de  la  vie  et  des  écrits  du  chancelier 
de  1  église  de  Chartres. 

Quoiqu'ils  aient  vécu  tous  les  deux  à  la  même  époque , 
qu'ils  portassent  le  même  nom ,  et  fussent  nés  dans  la  même 
ville,  its  n'étaient  point  parens;  une  amitié  qui  avait  com- 
mencé dès  la  première  jeunesse ,  les  unissait  seule  l'un  k 
l'autre,  et,  à  ce  qu'il  semble,  ne  s'est  jamais  démentie.  Si'  Epi»t,  77. 
celui-là  passa  toute  sa  vie  dans  les  cours  étrangères,  près 
des  grands  et  des  rois ,  il  ne  perdit  point  le  souvenir  de  1  ami 
qu'il  avait  laissé  dans  sa  patrie.  Dans  ses  lettres,  tantôt  il  lui 
donnait  des  conseils  sur  le  genre  des  travaux  auxquels  il 
devait  se  livrer ,  tantôt  lui  demandait  des  avis  sur  ses  pro- 


L 


Xn  SIECLE. 


4i6      p.  DE  BLOIS,  DE  L'EGL.  DE  CHARTRES. 

ce  qui  resuite  de  plusieurs  lettres  qui  nous  ont  été  conser- 
vées ,  et  que  nous  aurons  bientôt  occasion  de  faire  connaître. 

On  ne  sait  rien  des  premières  anfiées  de  Pierre  de  Blois , 
qui  fait  le  sujet  de  cet  article.  Mais  il  parait  qu'il  cultiva 
les  lettres ,  la  poésie ,  la  jurisprudence ,  et  ce  que  l'on  appe- 
lait alors  la  philosophie,  avec  un  grand  succès;  que  même 
il  en  conserva  le  goût  jusques  dans  la  vieillesse  ;  que  sur-tout 
il  avait  en  horreur  la  théologie,  ce  qui  ne  l'empêcha  point 
d'être  chancelier  de  l'église  de  Chartres. 

Son  ami  lui  fait  à  ce  sujet ,  dans   une  lettre  qui ,  par  le 
style,  a  tout  le  caractère  d'un  sermon  ou  d'une  amplification 
de  rhéteur,  les  reproches  les  plus  durs,  et  l'invite  a  se  livrer 
à  des  occupations  plus  convenables  et  plus  pures. 
EpUt.  76.  *  Souvent,  lui  écrit-il ,  je  t'ai  averti  et  par  mes  lettres,  et  de 

vive  voix,  qu'il  fallait  abandonner  les  jeux  et  les  frivolités... 
mes  conseils  ont  été  vains...  je  regrette  d'être  obligé  aujour- 
d'hui de  te  parler  avec  plus  de  dureté  que  je  ii'^n  usai 
jusqu'à  présent,  et, que  peut-être  je  ne  le  devrais.  Doleo 
quia  vie  loqui  oportet  plus  debito  et  solito  duriora  :  unde 
et  verba  inea  dolore  sunt  plena.  La  science  des  écoles  t'avait 
élevé  aux  plus  hauts  degrés  des  honneurs ,  ah  summos  emi- 
nentiœ  titulos;  et  lorsque  tu  devrais  être  pour  tous  un  miroir 
d'honnêteté,  un  exemple  de  vertus,  en  t'adonnant  à  des  ba- 
gatelles, en  expliquant  les  fables  scandaleuses  du  paganisme, 
tu  tends  des  pièges  à  l'innocence  et  l'entraînes  dans  l'abyme. 
Cunique  debuisses  aliis  esse  virtutumforma  et  spéculum  hones- 
tatis ,  per  scurriles  nugas  et  fabulosa  commenta  gentilium, 
factus  es  multis  laqueus  in  ruinain.  ■» 

Suivent  de  nombreuses  citations  des  psaumes,  que  l'archi- 
diacre de  Bath  emploie  pour  démontrer  à  son  ami ,  combien 
sa  conduite  doit  être  réprouvée  de  Di(*u.  Dans  la  suite  de  la 
lettre,  il  désigne  plus  clairement  quelles  étaient  ces  occupa- 
tions si  dangereuses  auxquelles  il  regrette  tant  de  voir  son 
ami  se  livrer  avec  passion.  In/abulis  paganorum ,  in  philo- 
sophorum  studiis ,  tandem  in  jure  civili  dies  tuos  usque  in 
senium  expendisti  ;  et,  contra  omnium  te  diligentiuni  volun- 
tatem ,  sacram  theologiœ  paginant  damnabititer  horruisti. 
Ibid.  ■(>.  ii'i.  On  sera  peut-être  étonne  que,  dans  ce  passage,  il  lui 
reproche,  comme  une  faute,  de  s'être  adonné  à  Ta  culture 
du  droit  civil  ou  de  la  jurisprudence.  C'est  qu'en  effet, 
dans  ce  siècle  où  les  ecclésiastiques  étaient  presque  les  seuls 


p.  DE  BLOIS,  DE  L'ÉGL.  DE  CHARTRES.      417 

hommes  éclaires  de  la  nation,  l'intérêt  on  d'autres  motifs  ^    ' 

les  portaient  à  se  charger  de  la  suite  des  affaires  litigieuses, 
ce  qui  leur  faisait  trop  souvent  négliger  les  devoirs  de  leur 
état.  ^ 

Mais  Pierre  de  Blois  composait  de  plus  des  chansons  d'a- 
mour et  des  romans.  C'est  ce  qu'on  voit  par  le  conseil  que 
lui  donne  son  ami  vers  la  fin  de  la  lettre.   Oinitte  penitus    Uùi.p.n^. 
cantus  inutiles  et  aniles  fabulas  ^  et  nœnia s  puériles. 

De  ces  chants  d'amour,  de  ces  romans,  il  ne  nous  est 
rien  resté  que  quatre  vers  rapportés  par  Borel  au  mot  Preu,     Bord,  Trésor 
qu'il  expliciue  par  celui  de  profit.  Les  voici  :  de  recherches  et 

'  i       1        i  1      -^  antiquités  gau- 

Mais  le  vavasots  par  son  preu,  loises. 

Entendant  en  autre  manière, 
Qu'il  avait  la  langue  nienière 
A  bien  parler  et  sagement. 

Borel  ne  dit  point  de  quel  roman  il  a  tiré  ces  vers  :  il  cite 
seulement  Pierre  de  Blois.  Or  il  serait  possible  qu'ils  fussent 
de  l'archidiacre  de  Bath  ;  car  il  avoue,  dans  la  lettre  où  il 
moralise  son  ami ,  que  lui-même  avait  aussi  composé  autre- 
fois des  chansons  d'amour.  Ego  quidem  nugis  et  cantibus       Petr.   Blés. 
venereis  quandoque  opérant  dedi.  Mais  il  ajoute  aussitôt  qu'à  opéra,  p.  ïi^. 
peine  parvenu  à  la  jeunesse,  il  avait  abjuré  ces  dangereux 
plaisirs:  Sed  per  gratin  m  ejus  qui  me  segregavit  ab  utero         •^«'• 
matris  nicœ  ,  rejeci  hœc  omnia  a  primo  limine  juventutis. 

Il  est  à  présumer  qu'au  temps  où  l'archidiacre  de  Bath 
écrivait  à  son  ami  Pierre  de  Blois,  cette  lettre  de  répri- 
mandes, celui-ci  n'était  point  encore  Chancelier  de  l'église  de 
Chartres.  En  effet,  il  n'eût  point  m;:nqué  de  lui  faire  aper- 
cevoir que  la  dignité  de  la  place  qu  il  occupait,  exigeait 
f)lus  que  jamais,  le  sacrifice  de  ses  goûts  pour  la  poésie  et 
es  belles-lettres.  Or  ,  c'est  ce  qu'il  ne  fait  pas  ;  à  moins  que 
l'on  ne  veuille  entendre  par  les  mots  que  nous  avons  déjà 
cites,  te  quidem  in  summos  eminentiœ  titulos  scientia  scho- 
larum  extulcrat,  que  Pierre  de  Blois  devait  à  sa  science  la 
haute  place  qu'il  occupait  dans  l'église  de  Chartres.  ' 

Ce  fut  le  savant  Jean  de  Salisbery  (ou  Salisbury ) -qui  le 
nomma  chancelier  de  cette  église ,  presque  aussitôt  après 
son  élévation  à  la  chaire  épiscopale  de  Chartres ,  c'est-à-dire 
en  iiyG.  L'archidiacre  de  Bath  lui  écrivant  pour  le  féliciter 
sur  cette  dignité  d'évêque,  bien  due  à  son  mérite,  le  remercie  ibid.  lettre 
en  même  temps  des  bienfaits  qu^l  s'est  empressé  de  répandre  "4,  p- 175- 
Tome  Xy.  Ggg 


4i8^      P.  DE  BLOIS,  DE  L'ÉGL.  DE  CHARTRES. 

XII  SIECLE.  „.  1     ui    •  ,.  .        I    •       -  •    1    • 

sur  ce  Pierre  de  Blois,  qui  est  un  autre  lui-meme,  qui  lui 

ressemble  d'esprit ,  de  nom  ,  de  visage ,  et  même  de  stature  : 
in  eo  quem  me  allerum  sentio ,  qui  me  totum  gerit  animo , 
vultu,  nomine ,  cognom,ine  et  statura. 

Maigre  les  reproches  que  l'archidiacre  de  Bath  faisait  à 
son  ami ,  on  voit  dans  ses  lettres  qu'il  rendait  toute  justice 
à  ses  talens ,  à  son  mérite.  Il  lui  écrit  (  on  ne  sait  à  quelle 
époque)  en  se  servant  des  idées  et  même  des  expressions 
d Ovide,  que  l'incendie,  les  inondations,  tous  les  fléaux  ne 
jhid.  lettre  pourront  rien  contre  leurs  communs  ouvrages  :  nostra  scripta 
'  quœ  se  diffundunt  et puhlicant  circumquaque,  nec  inundatio, 
nec  incendium ,  nec  ruina ,  nec  multiplex  sœculorum  excur- 
sus poterit  abolere.  Et  il  lui  soumet ,  pour  les  revoir  et  les 
corriger ,  quelques  nouveaux  écrits ,  et  entre  autres  ,  son 
traité  de  prœstigiis  fortunée. 

Ainsi  ce  Pierre  de  Blois  était  un  écrivain  très -renommé  ; 
et  l'on  ne  voit  pas,  sans  quelque  surprise,  qu'excepté  l'autre 
Pierre  de  Blois,  archidiacre  de  Bath,  les  auteurs  contempo- 
rains ne  font  mention  ni  de  ses  poésies,  ni  de  ses  romans. 

Le  chancelier  de  l'église  de  Chartres  avait  aussi  composé 

des  commentaires  sur  les  psaumes  ^  et  plusieurs  homélies  sur 

Bibi.  chartr.  igg  évangiles.  S'il  faut  en  croire  D.  Liron,  ce  dernier  ouvrage 

P' ^^*  existait,  en  manuscrit,  dans  l'abbaye   de  Charlieu  (i),  et 

ibid.  p.  98.     d'après  Charles  de  Visch ,  il  l'attribue  à  un  autre  Pierre  de 

Blois,  religieux  de  l'Aumône  au  diocèse  de  Chartres. 

Il  paraît  qu'il  survécut  assez  long-temps  à  son  protecteur 
l'évêque  de  Salisbury  ,  mort  en  1 180.  C'est  vers  l'année  12 10 
que  Fauteur  que  nous  venons  de  citer  place  sa  mort.  Mais 
selon  nous,  c  est  trop  en  reculer  l'époque.  En  effet,  dans  la 
lettre  de  réprimandes  que  lui  écrivait  1  archidiacre  de  Bath, 
il  lui  reproche  d'être  parvenu  a  lavieillesse  au  milieu  d'occu- 

{)ations  puériles.  Or,  si  cette  lettre  a  précédé,  comme  nous 
e  croyons,  la  promotion  de  Jean  de  Salisbury  à  l'évêché  de 
Chartres,  elle  est  antérieure  à  l'année  1 176;  et  a  cette  époque, 
Pierre  de  Blois  était  déjà  vieux,  d'après  l'aveu  de  son  ami. 
On  ne  peut  donc  guères  supposer  qu'il  vécût  encore  dans 
les  dix  premières  années  du  XIIF  siècle. 

AD. 


(1)  Il  fallait  traduire  Caroliloci  par  Chaalis  au  diocèse  de  Senlis,  et  non 
f   il.   >s«>  Charlieu,  C'a /ï«-/ocf«,  en  Franche-Comté. 


XII  SIECLE. 


AINARD  ou  AYNARD  DE  MOIRENC 

ARCHEVÊQUE  DE  VIENNE. 


v^E  prélat  sur  lequel  Guy  Allard,  Chorier  et  Charvet,  ont  Bibiioth.  du 
publie  des  notices,  était  né  vers  ii4o,  d'une  famille  noble  Dauphiné ,  p. 
et  ancienne  de  Saint-Donnat,  près  de  Romans,  à  laquelle  nouv.  édit.  de 
apparemment  le  bourg  de  Moirenc  avait  originairement  cette  Bibiioth. 
donné  son  nom.  Suivant  ces  historiens,  Aynard  avait  une  H'st. duDau- 
grande  facilité  pour  la  poésie  dont  il  faisait  ses  délassemens.  ^g,  n°'xxv'i. 
Il  composa  plusieurs  épitaphes  en  vers  léonins,  entre  autres  Hist.  de  la 
celles  de  Humbert  et  d'Etienne,  archevêques  de  Vienne,  qui  Sainte Eghse de 

,    ,  t  -w      \\    n  11        1      T»    1  ■•■         Vienne.  Lyon. 

ont  ete  trouvées  en  cette  ville.  11  ht  encore  celle  de  Robert  ,,6,,  in-4",  p. 

de  Latour-du-Pin,  son  prédécesseur,  qui  mourut  en  iigS;  36a-37o. 

cette  épitaphe ,  également  en  vers  léonins  ,  fut  gi'avée  sur 

la  tombe  de  ce  prélat ,  auquel  Aynard  ne  survécut  que  cinq 

ans  environ,  étant  mort  en  1200,  selon  Alard  et  Chorier, 

et  suivant  Charvet  (p.  36g),  en  1208.  Chorier  rapporte  que 

l'année  qui  suivit  l'élection  et  la  consécration  d  Aynard ,  il 

alla  rendre  ses  devoirs  à  l'empereur  Henri  VI  (i),  dans  la 

ville  de  Turin  :  l'empereur  reçut  son  hommage  du  temporel 

de  son  église  et  lui  en  confirma  la  possession. 

Voici  l'épitaphe  de  Robert,  dont  Aynard  est  l'auteur,      Hi»t.    de  la 
telle  qu'elle  est  citée  par  Charvet.  Sainte  Église  de 


Si  quia  juris  eras  gladio  defensor  utroque, 
Gratia  si  linguœ ,  si  littera ,  religioque , 
Si  genus  aut  mores  possunt  averterefata , 
Te  pastore  fuit ,  Roberte,  Vienna  beata. 
Félix  quod  fruitur  saltem  domus  ista  sepulto , 
Quo  viventefrui  gauderet  tempore  multo. 
Sedquia  te  dignus  vir,  non/uit,  incljte,  mundus, 
Deseris  hune  in  quo  remanet  tibi  nemo  secundus , 
Et  jam  decursi  dignum  mer  cède  laboris 

(i)  Dans  la  table  chronologique  qui  se  trouve  en  tête  de  l'histoire  de 
la  sainte  église  de  Vienne,  par  Drouet  de  Maupertuy,  Lyon,  1708,  il  est 
dit  «en  iigS,  le  4'  du  pontificat  de  Célestin  III,  et  le  4'  de  l'empire 
d'Henri  YI.  » 


Vienne,  p.  635. 


XII  SIECLE. 


420  MATHIEU  DE  VENDOME. 

Junius  œthereis  mcnsis  te  reddidit  auris. 
Quem  tibi  sola  dédit  succedere  gratia  Christi, 
Te  îuus  Ainardus  gémit  hoc  cpîgrainmate  tiisti. 

Anno  Domini  M.  C.XCV.,XV  kalend.  Julii,  obiit  Domnus  Robertus 
archiepiscopus. 

G. 


«'«««.«'«% 


r 

MATHIEU  DE  VENDOME, 

POETE  LATIN, 
s  A  V  I E. 

ijA  double  ressemblance  de  nom  et  de  prénom,  a  fait  souvent 

confondre  ce  poète  latin  avec  le  célèbre  Mathieu  de  Vendôme 

abbe'  de  Saint- Denis,  rëgent  du  royaume  sous  les  règnes  de 

saint  Louis,  et  de  son  fils  Philippe-le-Hardi.  Ce  second  Mathieu 

mourut  en  ia86,  et  malgré  l'espace  d'un  siècle  qui  est  entre 

l'un  et  l'autre,  plusieurs  graves  et  savans  auteurs  n'ont  pas 

laissé  de  les  confondre,  et  de  ne  faire  de  ces  deux  Mathieu 

qu'un  seul   et  même  personnage.    On   peut   citer  sur-tout 

Critique  des  Grancolas,  les  frères  de  Sainte-Marthe,  Charles  de  Combault 

aut.  eccl.  t.  II,  baron  d'Auteuil  (i),  le  père  Lelong,  et  plusieurs  autres (2). 

**■  l\n  ri..icr        Mathieu  dont  il  s'agit  dans  cet  article,  était  né  à  Vendôme, 

nova,  t.  VII, p.  et  suivant  1  usage  etabh  de  son  temps,  il  joignit  le  nom  de 

3f)5E,et3<)6A.  cette  ville  à  son  prénom.  C'est  donc  à  tort  que  Dargentré  le 

Bibl.  sac.  t.  fait  naître  en  Bretagne.  Il  n'a  point  non  plus  été  Bénédictin. 


liv 

p 


col'.  2.  '  comme  le  dit  le    père  Lelong.  Il  a  été  qualifié  d'abbé  de 

Hist  dcBret.  Vendôme   dans   un   manuscrit  marqué   dans  Montfaucon  ; 

g|'  '^^-  *'*'  mais  on  ne  trouve  point  d'abbé  de  Vendôme  de  ce  nom  de 

Loc.  cit.  Mathieu.  Enfin  Gesnei-  s'est  également  trompé  à  sou  sujet, 

Bibl.  bibiio-  en  le  faisant  vivre  dans  le  XI*  siècle.  Ces  erreurs,  où  tant  de 

thecar.  t.  I,  p. 
67  D. 

Biblioth.,éd.       (,)  Hist.  des  Min.  d'état,  p.  477  et  4^6.  Il  cite  ,Iean  Hérold;  auteur 
5®^  i'>Oi  ,    p-   allemand,  cjui  publia,  en  i563,  l'histoire  sacrée  de  Tobje. 

(2)  Sotrthet,  in  notis  àd  vlfam  Bernar^i  abb.  Tirotu,  p.'  1^4!  —  Fabri- 
clus ,  Bibl.  lat.  suppl. ,  p.  lin  et.iiS'.-r- L'aJbtbë  Lebwi^  ttss€rt.  sur  l'iibt. 
dé'Paris,f.IF,  p.63;  et^.'^'"'*^^  "^^  .fr"^ir.    <^  >.   "^  *T 


i) 


MATHIEU  DE  VENDOME.  4hi 

savans  sont  tombés ,  prouvent  que  si  Mathieu  de  Vendôme 
acquit  une  certaine  réputation  par  le  poëme  de  Tobie,  qui 
nous  est  resté  de  lui,  il  ne  fit  rien  pendant  sa  vie  qui  attirât 
les  yeux  de  ses  contemporains ,  et  dont  ils  se  soient  mis  en 
peine  de  conserver  le  souvenir.  Mais  il  a  consigné  dans  quel- 
ques endroits  de  son  poëme  plusieurs  circonstances  que  l'on 
peut  recueillir,  en  y  joignant  quelques  particularités  tirées 
de  la  glose  qui  accompagne  le  texte  dans  la  première  édition 
qu'on  en  a  donnée. 

L'auteur  dit ,  dans  une  espèce  d'épilogue  qui  termine  l'ou- 


XII  SIECLK. 


vrage 


Quce  tibi  dat ,  Turonis ,  metra  f^indocinensis  alumnus , 
Perlege  Parisius ,  Âurelianus  luibe. 

L'auteur  de  la  glose  imprimée  ajoute  :  Iste  niagister  stu- 
duerat  Parisiis  et  Aurelianis  :  ideo  volebat  quod  liber  suus 
in  prœdictis  civitatibus  legeretur,  quia propterea  im'ocat  ipsas 
ut  ipsum  librum  recipiant  perlegenduni  ;  quia  illœ  duœ  doutâ- 
tes sunt  nohiliores  regni  Franciœ^  et  in  ipsis  sunt  multi  boni 
doctores  et  clerici,  per  hôc  quod  ibi  sunt  universitates ,  etc. 

Le  poète  continue,  en  s'adressant  à  ces  deux  villes  de 
Paris  et  d'Orléans  : 

F'os  mihi  nutrices,  urbs  Martinopolis  aima 
Mater,  ubi patrid ,  sed patris ,  ossajacent. 

mot-à-mot  :  «  où  gisent  les  ossemens  d'un  oncle ,  mais  d'un 
père,  »  ce  qui  dans  ce  mauvais  latin  veut  dire  que  cet  oncle 
était  plutôt  un  père  pour  lui,  ou  lui  avait  servi  de  père. 
,_  La  dédicace  du  poëme  adressé  à  Barthélemi  de  Vendôme, 
archevêque  de  Tours,  nous  apprend  d'autres  circonstances. 
Ce  prélat,  issu  d'une  illustre  origine,  nobilibus  trabeatus 
avis^  avait  succédé  dans  cet  archevêché  à  son  oncle,  mort 
depuis  peu  de  temps  : 

Cui  prœsul  avunculus  agnus 

In  pastore  fuit,  in  dominante  minor. 
Hune  fera  mors  rapide,  cujus  dignissfmus  hœres 
Tractas  (i)  emeritâ  sceptra  paterna  manu. 

Mais  ce  ne  fut  pas  immédiatement  que  Barthélémy  suc- 
céda à  son  oncle.  Cet  oncle ,  Angebauld  ou  Engelbaud ,  de 
Vendôme,  était  mort  en  1167.  Jodocus^  ou  Joscius.^  qui  était 

j(i)£t  oûn  pas  tractansy  comme  ou  le  lit  dans  Timprinié. 


XII  SIECLE. 


4a2  MATHIEU  DE  VENDOME. 

Breton,  l'avait  remplacé,  et  Barthe'Iemy  e'tait  monté  sur  ce 
siège  archiépiscopal  en  1 174-  Son  oncle  l'avait  élevé  dans  ce 
chapitre  à  la  première  dignité  après  la  sienne.  Il  la  remplit 
sans  doute  de  manière  à  se  concilier  les  vœux  des  chanoines 
ses  confrères  ,  à  qui  appartenait  alors  la  nomination  de  l'ar- 
chevêque ,  et  qui  le  nommèrent  à  la  mort  de  Jodocus.  L'his- 
torien de  l'église  métropolitaine  de  Tours,  dit  à  ce  sujet (i), 
en  parlant  a'Angebaula  :  Bartholomœwn  igitur  ecclesias- 
ticœ  dignitatis  gradii ,  qui  episcopali  proximus  est,  cum 
sanguiiiis  nobilitate  conjiinctum ,  ea  jam  dignatione  décora- 
verat,  ut  sodales  canonici  non  immerito  eum  ad  Turonensis 
ecclesiœ  apicem  extulerint. 
jbid.  p.  ia3.  A  l'égard  de  sa  naissance  ,  elle  était  en  effet  illustre  ,  il 
était ,  selon  le  même  historien  ^  fils  du  comte  Godefroy 
surnommé  Grisegonelle  ,  et  de  Mathilde  de  Châteaudun  ;  et 
il  portait  pour  armoiries  celles  de  la  ville  même  de  Vendôme, 
comme  l'avait  fait  Angebauld ,  qui  était  son  oncle  paternel. 
Et  quidem  quod  genus  spectat ,  Vendocini  ille  na,tus  est, 
pâtre  Gottofredo  comité  Grisagonella  dicto,  et  Mathilde  cas- 
Sic.  triduncea  matre;  iisdernque  est  usus  Vindocinensium  insigniis^ 

quihus  Engehaldus  ipse  Turonensis  archiepiscopus^  çujus  erat 
nepos  ex  fratre. 

L'archevêque  Barthélémy  avait  un  frère  qui  était  doyen 
"  de  son  chapitre  et  à  qui  Mathieu  adresse  aussi  en  partie  sa 
dédicace. 

Suscipe  Thobiœ  titulos  cum  fratre  "Decano , 
Ut  timidum  duplex  Stella  serenct  iter. 

Il  n'y  avait  pas  long-temps  que  les  deux  frères  étaient,  l'un 
archevêque,  et  l'autre  doyen  :  c'est  ce  que  signifient  claire- 
ment ces  deux  vers  : 

Gaudeo  luce  nova  vos  prceîucescere ,  quippe 
Sol  nitet  in  Geminis ,  caetera  signa  vacant. 

Il  paraîtrait  encore  que  Mathieu  de  Vendôme ,  aurait  été 
élevé  chez  ses  deux  protecteurs ,  et  qu'il  était  devenu  ensuite 
leur  intime  ami,  si  l'on  adoptait  le  sens  que  le  glossateur 
donne  à  ces  deux  autres  vers  : 

Vos  ego  veitra  precor  plantatio ,  vester  amicus. 
Hic  mea  felici  pandite  vêla  nota. 

(i)  Sancta  et  metropoUtana  ecclesia  Turonensis,  etc. ,  par  Jean  Maan , 
Tours,  1677,  p.  117.  Engebaldus,  119  Jodocus  et  ia3  Bartliolomœus  II. 


XII  SIECLE. 


MATHIEU  DE  VENDOME.  423 

Sur  quoi  la  glose  dit  :  O  Bartholomœe  et  Decane,  ego  sum 
plantatio  vestra,  id  est  fui  nutritus  in  domo  vestra,  et  in 
vestrâ  patrid ,  et  nutiivistis  me  sicut  terra  nutrit plantam ,  et 
sum  amicas  vester  et  nuncius  vester  ^  etc.  Mais  il  n'est  pas 
nécessaire  de  donner  ce  sens  rigoureux  au  mot  plantatio  : 
il  peut  également,  et  même  mieux,  signifier  que  Mathieu 
tenait  de  ses  deux  protecteurs  sa  place ,  sa  fortune  ;  qu'il  était, 
comme  nous  le  dirions  ,  leur  créature. 

Les  quatre  vers  de  la  fin  du  poëme  que  nous  avons  cités 
les  premiers,  et  dans  lesquels  1  auteur  appelle,  comme  il  le 
fait  toujours  ,  la  ville  de  Tours  Martinopolis  ,  la  ville  de 
Saint  -  Martin  ,  sont  suivis  de  ces  deux-ci  : 

Veniat  ubi  prœsul  milii  compatriota ,  Dccaruis 
Archiclavis ,  ubi  V itidocinense  deciis. 

Ce  qui  dit,  d'une  manière  plus  positive  que  les  vers  cités 

jusqu'à  présent  que  l'archevêque  Barthélémy  et  son  frère 

le  doyen,  qui  était  en  même  temps  trésorier,  y^rchiclans.^      pucange.inf. 

étaient  comme  lui,  de  Vendôme.   Enfin  le  premier  de  ces   ^''"••Ps^'iT- 

quatre  vers  : 

Quce  tibi  dot ,  Turonis ,  metra  Vindocinensis  alumnus ,  etc. 

fait  entendre  que  Mathieu  composa  son  poëme  à  Tours  où  * 

il  était  attache  à  l'archevêque. 

Il  résulte  de  ces  divers  passages  que  Mathieu  était  né  à 
Ven  Jôme  ,  qu'il  avait  fait  ses  études  à  Paris  et  à  Orléans  ; 
qu'ayant  sans  doute  perdu  son  père  de  fort  bonne  heure , 
son  oncle  paternel  lui  en  avait  servi  ;  qu'après  ses  études 
finies,  il  était  allé  demeurer  à  Tours  avec  cet  oncle,  qui  y 
était  mort;  que  peu  de  temps  après ,  Barthélémy  de  Vendôme 
ayant  été  nommé  à  cet  archevêché,  Mathieu,  qui  était  son 
compatriote ,  s'attacha  à  lui  et  au  doyen  son  frère  ;  qu'il  de- 
vint leur  ami ,  qu'ils  le  placèrent  assez  biçn  pour  qu'il  fût 
content  de  sa  fortune ,  et  qu'il  ne  tarda  pas  à  consacrer 
les  loisirs  que  lui  laissait  sa  place  à  la  composition  de  son 
poëme. 

On  ignore  l'époque  de  sa  mort.  Barthélémy ,  qui  était  jeune 
quand  il  parvint,  en  1 174^  au  siège  de  Tours  (  i  ),  l'occupa 
pendant  trente  deux  ans,  n'étant  mort  qu'en  1206.  Mathieu, 
qui  était  au  moins  de  son  âge ,  put  ne  pas  vivre  aussi  long- 

(i)  Elegenmt....  Bartholomceum ,  juvenem  strenuum,  et  génère  nobilem, 
Jean  Maan ,  ubi  supra.  ' 


XII  SIECLE. 


4a4  MATHIEU  DE  VENDOME. 

temps ,  et  il  paraît  vraisemblable  qu'il  mourut  vers  la  fin  du 
siècle. 

SES    ÉCRITS. 

Le  pôëme  qui  a  fait  un  nom  à  Mathieu  de  Vendôme ,  est 
en  vers  éle'giaques,  et  contient  toute  l'histoire  des  deux  Tobie, 
père  et  fils,  et  ae  leurs  femmes.  Le  style  en  est  presque  par-tout 
au-dessous  du  médiocre ,  le  latin  et  les  vers  fort  plats.  Il  est 
rempli  de  digressions  et  de  superfluités;  aussi  a-t-il  plus  de 
deux  mille  deux  cents  vers,  y  compris  la  préface  et  l'e'pître 
dédicatoire ,  qui  sont  en  vers  de  la  même  mesure  que  ceux 
du  poëme. 

Dans  la  préface ,  l'auteur  compare  l'ancien  testament  à  un 
champ  plein  d'excellentes  semences  et  de  bonnes  plantes. 
Les  vertus  des  anciens  patriarches,  Loth,  Abraham,  aux- 
quels il  joint  Job,  Salomon,  et  Siméon,  sont  les  semences  et 
les  plantes  de  justice  que  l'on  y  trouve;  chacun  d'eux  s'est 
.  endu  célèbre  par  une  vertu  :  le  seul  Tobie  les  rassemble 
toutes. 

Ex  agro  veteri,  ■virtutum  semina  ,  morum 

Plantula ,  jiistitiœ  pullulât  ampla  seges  ; 
Loth  decus  hospitii ,  patientia  Job ,  Salomoneni 

Dogma,Jides  Abraham,  spes  Slmeona probat. 
Intitulant  reliques  prœconia  singula  :  solus 

Omnia  Thobias  prœtitulatus  habet. 

C'est  sur  la  version  de  cette  histoire  par  Saint-Jérôme 
qu'il  entreprend  d'exercer  sa  veine 

Quant  sacra  Hieronjmi  tradit  translatio  prosam. , 
Qualicuuquc  métro  V indocinensis  arat. 

Après  cette  préface,  qui  n'est  que  de  dix  vers,  vient  l'épî- 
tre  dédicatoire  dont  nous  avons  tiré  les  traits  relatifs  à 
l'histoire  de  la  vie  de  l'auteur,  et  qui  ne  contient  du  reste 
que  de  grands  éloges  de  l'archevcque  Barthélémy  et  de  son 
frère  le  doyen.  Il  la  termine  par  deux  vers  assez  heureux. 
Il  y  rappelle  la  source  où  il  a  puisé,  il  se  nomme,  prévoit 
les  traits  dont  l'envie  va  le  percer,  et  dépose  son  poëme 
entre  les  mains  de  l'amitié. 

Transfert  Hier onyinus ,  exponit  Beda,  Mathœus 
Metrificat ,  reprobat  livor ,  andcus  habet. 

Le  poëme  est  divisé  en  trois  parties  ou  sections  (  distinc- 
tiones).  L'histoire  des  deux  Tobie  et  de  leurs  femmes ^  y  est 


MATHIEU  DE  VENDOME.  426 

racontée  sans  interversion  de  faits,  sans  épisode  et  sans  autre 
embellissement  que  les  fréquentes  réflexions  morales  et  reli- 
gieuses de  l'auteur,  les  discours  prolixes  et  les  longues 
prières  qu'il  met  dans  la  bouche  de  ses  personnages,  et  cer- 
tains jeux  ou  plutôt  certains  arrangements  de  mots  qu'il  fait 
symétriser  les  uns  avec  les  autres ,  artifice  ou  espèce  d'orne- 
ment ,  presque  le  seul  qu'il  emploie  ,  et  auquel  il  revient 
souvent. 

Tempore  Salmanasar  régis  captivas ,  honestd 
Mente  Deum  recolit ,  spe  comitante  timet. 

Tel  est  le  commencement  de  la  narration ,  et  tel  est  le 
style  narratif  de  l'auteur.  S'il  veut  parler  des  secours  que 
Tobie  donne  à  Gabelus  son  parent,  il  dit 

Argenti  sub  chyrograplio  bisquinque  talenta 
Tradit;  amicitiam  testificatur  opus. 

Si  Tobie  est  persécuté  et  ruiné  par  Sennacherib  : 

Confiscantur  opes  Thobiœ ,  quas  générales 
Non  proprias  sentit  advena ,  sentit  inops. 

Voici  un  exemple  de  ces  jeux  poétiques  dont  nous  avons 
parlé  et  dont  il  égaie  beaucoup  trop  souvent  le  sérieux  de 
son  sujet.  Il  veut  célébrer  la  foi  de  Tobie  en  un  seul  dieu , 
son  amour  pour  la  justice,  son  horreur  pour  le  crime  et  pour 
l'idolâtrie  ;  c'est  ce  qu'il  croit  faire  sans  doute  de  la  manière 
la  plus  ingénieuse  dans  les  huit  vers  suivants  : 

Odit,aniat,  reprobat , probat ,  exsecratur ,  odorat, 

Ciimina ,  jura ,  nef  as,  f as,  siniulacra,  Deum. 
Fas ,  simulacra ,  Deum ,  probat ,  exsecratur ,  odorat  : 

Odit,  amat ,  reprobat,  crimina ,  jura ,  nef  as. 
Seminat ,  auget,  alit,  exterminât ,  arguit,  arcet, 

Dogmata ,  jura ,  decus ,  schismata,  probra ,  dolos. 
Schismata ,  probra  ,  dolos ,  exterminât ,  arguit ,  arcet  : 

Dogmata ,  jura ,  decus,  seminat,  auget,  alit. 

Dans  les  deux  premiers  vers,  l'un  est  tout  composé  de  six 
verbes ,  l'autre  d'autant  de  noms  ;  et  les  six  noms  du  second 
scmt  les  régimes  des  six  verbes  du  premier.  Ainsi  Tobie  odit 
crimina.,  amat  jura,  reprobat  ncfas ,  probat  fas ,  exsecratur 
simulacra ,  adorât  Deum.  Dans  les  deux  suivans ,  les  six 
mêmes  verbes  et  les  six  mêmes  noms  reviennent ,  mais  dans 
uri  autre  ordre.  Trois  des  noms  forment  le  vers  hexamètre 

Tome  XV.  Hhh 


XII  SIECLE. 


XII  SIECLE. 


426  MATHIEU  DE  VENDOME. 

avec  les  trois  verbes  qui  y  correspondent ,  et  les  trois  autres 
verbes  avec  leurs  noms  correspondans  forment  le  vers  penta- 
mètre. Le  sens  des  six  propositions  est  donc  le  même  dans 
les  deux  distiques;  il  n'y  a  de  changé  que  les  mots.  Six  nou- 
'  A  un  seul  près,  vcaux  mots  et  six  nouveaux  noms  *  sont  employe's  avec  le 
./«m  ,  qui  est  jjj^^jj^g  artifice  dans  le  second  quatrain  :  artifice  ste'rile  ,  et 
même  ridicule,  qui  sulnrait  pour  déprécier  le  poème  entier 
s'il  avait  d'ailleurs  le  moindre  prix. 

On  y  trouve  quelquefois  des  jeux  d'une  autre  espèce  et 
qui  ne  sont  pas  d'un  meilleur  goiit.  Par  exemple,  la  jeune 
Sara  mariée  sept  fois  était  encore  vierge,  parce  que  le  diable 
Asmodée  avait  étranglé  ses  sept  maris  la  première  nuit  de 
leurs  noces.  Le  poëte  dit  bien  tout  cela,  et  même  la  cause 
pour  laquelle  ce  diable  les  traitait  ainsi ,  mais  il  ne  veut  point 
prononcer  ni  écrire  les  deux  dernières  syllabes  de  son  nom 
//fl^7wo<yettJ,  parce  que  c'est  le  nom  de  Dieu  etqu'il  ne  convient 
pas  de  joindre  ce  nom  avec  celui  de  Belial,  le  nom  de  la  lu- 
mière et  celui  des  ténèbres.  Il  coupe  donc  par  la  figure  tmesis 
ces  deux  syllabes,  et  ne  met  que  les  deux  premières  Hasmo. 

Septem  nupta  viris  fuit  hœc ,  quos  dœnionis  ira 

Pressit,  et  illœso  vernat  honore  pudor  ; 
Pressit  pœna  reos ,  dum  caniis  amore ,  pudoris 

Virginei  satagunt  prùiiitiare  rosam. 
Hasmo  dœmonio  nomen ,  pars  ultima  vocis 

Restât ,  ne  videar  intitulare  maluin. 
Fiat  amore  Dei  decisio  nominis  :  hx)stcni 

Nempe  Dei  pudor  est  cequiparare  Deo. 
Non  est  ad  Belial  Domini  conjurwtio ,  lacis 

Ad  tenehras  ;  Tmesis  hâc  ratione  placet. 

Tout  mauvais  et  tout  ennuyeux  qu'est  ce  poëme,  il  a  ce- 

Eendant  eu  plusieurs  fois  les  honneurs  de  l'impression ,  d'a- 
ord  à  Lyon,  chez  Jehan-du-Pré,  1489,  in-fol.  parvo^  avec 
une  glose  ou  commentaire,  pour  en  faciliter  l'intelligence, 
i5o5,in-4''i  i5o6,  1620,  in-4°,  et  i54o,  in-8".  On  le  trouve 
aussi  dans  le  recueil  \nûl\x\é  y^utores  octo  viorales^  Lugduni, 
i538  et  r54o,  in-8«;  dans  Poctœ  sacri^  Basileae  1563,  in-4°; 
dans  Barthius  adversariotum  ^\\h.  3o ,  cap.  26.  La  meilleure  édi- 
tion est  celle  qui  a  paru  à  Brème  sous  ce  titre:  Mat thœl  Viii- 
docinensis  historia  sacra  de  Tobiâ  (i)  :  aocedit  Amhrosius 

(t)  l,a  note  des  PP.  BB,  porte  autrement  ce  titre,  d'après  le  catal.  des 


XII  SIF.CLE. 


MATHIEU  DE  VENDOME.  427 

niediolanensis  de  eâdem  historid  ;  cura  Joannis  heringii, 
Bremae,  1642,  iii-8°. 

Eberard  de  Béthune  faisant  l  enumëration  des  poètes  de 
son  temps ,  auquel  il  donne  le  titre  de  classiques ,  s'exprime 
ainsi  sur  Mathieu  de  Vendôme  :  Fabricius , 

Bibliot.  lat.  liv. 
Tohias  in  agro  veteri  lascint ,  et  œqiie  5^  p_  j^S. 

Res  nova ,  et  metri  nobilitate  placet. 

Plus  loin,  il  parle  ainsi  du  même  poëte,  mais  non  plus 
du  même  ouvrage  :  Loc.  cit.  226. 

Scrihendi  régit  arte  stylum ,  Riijoque  negante , 
Laudem  Matthœus  Findocinensis  habet-. 

Sur  quoi  une  glose  manuscrite  porte  ces  mots  :  Matthœus 
descrihit  contra  Rufum  curialium  doctrinas  et  obtinet  victorias 
et  laudes  contra  ipsum.  Il  semblerait  par  cette  note  que  notre 
auteur  aurait  compose  quelque  autre  poëme  où  il  aurait  donné 
des  instructions ,  ou  peut-être  des  règles  sur  l'art  d'écrire  aux 
gens  de  cour  ou  aux  personnes  de  qualité.  Il  paraît  même 
qu'il  avait  fait  plusieurs  autres  poëmes  qui  n'ont  point  été 
publiés,  mais  qui  sont  conservés  manuscrits  dans  des  biblio- 
thèques étrangères.  On  trouve  dans  le  catalogue  des  manu- 
scrits de  Thomas  Bodley  :  Matthœi  metrum  super  salutatio-  Part.  i,n''2538. 
nem  angelicam  (i  j  ;  parmi  les  manuscrits  du  collège  de  Bail- 
leul  à  Oxford  Vindocinensis  de  arte  'versificatorid  ;  parmi  ceux      Catalog.  ms. 
du  collège  de  la  Trinité  de  Cambridge,  Matthœi  Findocinensis  anglic. ,  part.  2, 
versus  de  Piramo  et  Thisbe  ;  dans  les  manuscrits  de  Saint-  "  cat^loe  ms 
Pierre  de  Cambridge,  de  doctrind  versificandi ^  qui  est  sans  ang]ic.,part. 3, 
doute  le  même  que  de  arte  versificatorid  ;  et  enfin  parmi  ceux  ""  'i^*-  ^ 
du  collège  de  la  Trinité  de  la  même  ville,  œquivoca  magistri       '  •  "  *    7- 
Matthœi  Vindocinensis  carmina  cum  commentario  scripta per 
fratrem  Joh.  Hancock  :  ce  frère  Jean  Hancock  paraît  n'avoir      lud.  part.  5, 
été  que  le  copiste  et  non  pas  le  commentateur  de  cet  ouvrage.  "°  'Sa. 

Le  manuscrit  8433  de  la  bibliothèque  du  Roi ,  parmi  Catalog.  ms. 
les  poètes,  in-4**  fonds  de  Baluze,  qui  paraît  écrit  au  XIV^  Bibi.  R.,  t.  iv, 
siècle,  contient  au  n^  i  :  A  non jmi  carmina  de  rébus  ad  chris-  P"  ^'^^' 

livres  impr. ,  de  la  bibliotb.  du  Roi,  T.  I,  n"  iSSy,  p.  10 1  :  Matthœi 
Vindocinensis  paraphrasis  metrica  in  Tohiam  versibus  elegiacis  et  Anibrosii 
Mediolanensis  explicationes  libelli  de  Tobiâ ,  ex  ipsius  opeiibus,  cum  obser- 
i'ationibas  ^  etc. ,  et  après  Bremœ ,  tjpis  Wesselianis. 

(1)  Ce  Mathieu  ne  paraît  pas  pouvoir  être  un  autre  que  celui  de  Ven- 
dôme. 

Ilhha 


XII  SIECLE. 


428  VITAL  DE  BLOIS. 

tianam  religionem  speciantihus  :  prœmittitur  fragmentum 
synonymorum  magistri  Matthœi  Vindocinensis.  Cet  auteur  ne 
paraît  encore  pouvoir  être  que  notre  Mathieu. 
r,d.deZuricii,       Gesner  citant  l'histoire  de  Tobie  par  Mathieu  de  Ven- 
i583,  p.  592,  Jônie,  ajoute  qu'on  doit  encore  à  cet  écrivain  une  somme 
et  un  livre  intitule  Thehaïs  :  il  ne  dit  point  si  c'est  en  prose 
Anecdot.  t.l,  OU  en  vers.  Enfin  Pez  dit  :  in  bibliothecd  monasterii  Emm,e- 
praefat.  p.  xxvi.  racensis  incidit  in  manus  nostras  codex  m^mbraneus ,  in-l\°  à 
«le  RaUsb"ii"'  ^^^  dnnis ,  in  quo  Mathei  cujusdam  computus  ecclesiasticus 
dcscriptus  erat  hoc  initio  :  «  Augustini  auctoritate  freti  in 
«  domo  Dei  quatuor  dicimus  esse  necessaria  :  grammaticam, 
«  ad  verba  Dei  intelligenda  et  debito  modo  pronuncianda , 
«  etc.  »  Ne  pourrait-on  pas  présumer  du  moins  par  ces  pre- 
miers mots  de  l'ouvrage  qui  conviennent  à  un  grammairien 
tel  qu'était  Mathieu  de  Vendôme,  que  ce  coniput  est  encore 
de  lui? 

Nous  ne  lui  attribuerons  pas  de  même,  comme  l'a  fait  Jean 
Picard,  (i)  une  traduction  des  livres  des  rois  en  vers  latins, 
dédiée  à  Geoffroy ,  évêque  de  Chartres ,  qui  se  trouvait  ap- 
paremment parmi  les  manuscrits  de  la  bibliothèque  de  Saint- 
Victor.  Cet  évêque  mourut  en  11 48,  et  il  est  évident  que 
Mathieu  de  Vendôme  n'a  fleuri  que  sur  la  fin  du  XIP  siècle. 

G. 


«^^  «"«^  «J»^  «^«  V«/«  » 


VITAL   DE  BLOIS, 

POÈTE   LATIN. 


C, 


ET  écrivain  qui  florissaitversla  fin  du  douzième  siècle,  était 

.^'*™  Liron ,  né  à  Blois ,  et  a  été  quelquefois  surnommé  Gallus  et  Gaîlicus , 

qH.'— Berlin,  pour  le  distinguer  cl'un  autre  Vital ,  auteur  d'une  vie  de  Saint 

Hiit.  de  Blois]  Bertrand.  Vital  de  Blois  paraît  avoir  été  contemporain  de 

P-  7^-  .  Mathieu  de  Vendôme ,  de  Gauthier  de  l'Isle  et  de  Pierre  de 


Berjiier,  loc. 


(i)  Not.  in  epist.  54  sanct.  Bernardi.  Non  ab$  re  enonymus ,  qui forsan 
est  Matthœus  F'indocinensis ,  Gaiifridum.  carnot.  episcopuin  prcefatur,  initio 
Ub.  /,  Reg. 

Maxime  pontificu m  ^  Romance  signifer  aulte  , 
Carnotensis  apex ,  etpater  uihis ,  ave. 


VITAL  DE  BLOIS.  4^9 

Blois.  Fournîer  croit  qu'il  publia  en  1 186  le  poème  qiie  nous  1 

avons  de  lui.  Trompé  par  ce  surnom  de  Gallus^  le  même  his-  ^jt-  —  Ger.  J. 
torien  lui  donne  le  titre  de  poète  trançais,  quoiquil  naît  j^^  j;  jj^  _ 
écrit  qu'en  latin.  On  ne  sait  rien  des  circonstances  de  sa  vie.  Bartiâus ,   ad- 

Le  poëme  qu'il  nous  a  laissé  est  en  vers  élégiaques  divisé  versar.i.xLvni, 
en  quatre  livres  et  intitulé  :  De  Querulo.  Il  y  a  mis  en  récit  "'Barthius ,  loc. 
ce  qui  était  en   dialogue  et  en  scènes  dans  une  ancienne  cit. 
pièce  que  quelques  auteurs,  d'après  son  titre,  ont  attribuée  à       Ep.  liistor. 
Plaute,mais  qui  est  généralement  reconnue  pour  n'en  étrepas.  B"îoi»^p'!'i68.' 
Dans  l'édition  que  P.  Daniel  a  donnée  de  cette  pièce,  Paris, 
Robert  Estienne,  i564i  in-8°;  elle  est  intitulée  :  Querolus, 
anliqua  comœdia ,  nunquam  antehac  édita ,  quœ  in  vetusto 
codice  mahuscripto  Plauti  Aulularia  inscribitur ,  mine  pri- 
muni  à  Petro  Daniele  aurelio  luce  donata  et  notis  illustrata. 
Elle  est  précédée  d'une  préface  adressée  à  Rutilius.  Pierre 
Daniel,   premier   éditeur,  Conrad  Ritters-huys   qui  la  fit 
réimprimer  en   lôgS,  avec  le  poëme  de  Vital  de  Blois,  et      Ubi suprà. 
Ger.  Jean  Vossius  De  Pué'tis  latinis^  croient  que  ce  Riiti/ius 
est  le  même  que    Claudius  Rutilius^  auteur  de  Xltincra- 
rium^  ce  qui  fixe  au  temps  de  Théodo.se  II  et  d'Honorius, 
l'époque  où  le    Querolus  fut  écrit  ;   on  ignore   le  nom  de 
son  auteur.  Peut-être  s'appelait-il  Plautus^  comme  l'ancien 
poëte  comique ,  ou  Plautius^  ce  qui  aurait  induit  les  copistes 
en  erreur;  mais  il  est  plus  vraisemblable  que  la  pièce  fut 
réellement  attiibuée  au  premier,  ou  que  l'auteur,  ne  vou- 
lant pas  être  connu  à  cause  du  ton  satirique  qu'il  y  a  pris 
quelquefois,  la  lui  attribua  lui-même,  aidé  par  la  ressem- 
blance du  sujet,  du  genre  de  comique  et  même  du  style, 
qui  est  pour  ainsi  dire  parodié  de  celui  de  Plante.  P-   Daniel, 

Le  style  du  Querolus  est  poétique,  mais  la  mesure  des  ''* '""^^"'^^• 
vers  n'y  est  pas  toujours  exactement  observée,  ce  que  l'au- 
teur paraît  avoir  voulu  annoncer,  à  la  fin  de  prologue,  par 
ces  mots  :  prodire...  non  auderemus  cum  claudo  pede.Ba.r-     ibïd.'mnot. 
thius  et  d'autres  auteurs  ont  prétendu  que  cette  comédie  pou-      v.  Joan.  Àib. 
vait  êti^e  de  Gildas ,  le  Breton ,  né  en  620 ,  en  Angleterre  ,  ^«*""' .  Bibi- 
dans  le  comté  de  Sommerset  ;  mais  Vossius  observe  fort  „.  29,30'.      ' 
bien  qu'on  ne  peut  nullement  confondre  la  latinité  du  Que-       Loc.  cit. 
rolus  avec  celle  de  ce  Gildas  et  ùu  VF  siècle,  vers  le  milieu 
duquel  il  florissait. 

voici  le  sujet  de  la  pièce  qu'il  est  nécessaire  de  connaître 
pour  entendre  et  juger  le  poème  de  Vital  de  Blois.  Querolus 
est,  comme  son  nom  l'indique,  un  homme  qui  se  plaint 


43ô  VITAL  DE  BLOIS. 

XII  SIECLE,  toujours  de  son  sort,  et  importune  tout  le  monde  de  ses 
plaintes.  Son  père  était  un  vieil  avare  nommé  Euclion.  11 
avait  caché  une  immense  somme  d'or  dans  un  vase  fjnt  en 
forme  d'une  urne  funéraire,  sur  laquelle  était  gravée  une 
épitaphe,  comme  si  elle  eût  contenu  les  cendres  du  père  d'Eu- 
clion.  En  partant  pour  un  long  voyage,  il  avait  enterré  cette 
urne  devant  l'autel  du  dieu  Lare  de  sa  maison ,  recomman- 
daiit  à  ses  gens  le  tombeau  de  son  père,  et  au  dieu  Lare  son 
trésor.  Il  meurt  eu  pays  étranger,  sans  découvrir  son  secret 
à  personne,  si  ce  n'est  à  un  parasite  qu'il  a  rencontré  dans 
cette  Unre  éloignée.  11  lui  avoue  qu'il  a  laissé  chez  lui  un 
trésor  à  l'insu  de  son  fils,  et  il  lui  en  lègue  la  moitié  par 
son  testament,  à  condition  qu'il  indiquera  le  trésor  à  son  fils, 
et  qu'il  le  mettra  en  possession  de  l  autre  moitié.  Il  lui  in- 
dique le  lieu  où  le  trésor  doit  se  trouver  ;  mais  soit  par  oubli , 
soit  par  toute  autre  cause,  il  ne  lui  parle  ni  de  la  forme  par- 
ticulière de  l'urne,  ni  de  l'inscription.  Le  parasite  s'embarque, 
vient  trouver  le  fils,  et  voulant  s'emparer  de  tout  l'héritage, 
il  le  trompe  ,  se  donne  pour  un  grand  magicien,  et  feint  d'a- 
voir deviné  par  son  art  une  infinité  de  petits  détails  qu'il 
avait  a])pris  d'EucHon.  Querolus  en  est  la  dupe,  lui  donne 
accès  dans  sa  maison ,  et  le  conjure  de  terminer  ses  malheurs. 
Le  fourbe  fait  semblant  de  purifier  sa  maison  de  tout  ce  qui 
y  exerce  une  influence  funeste,  en  retire  l'urne  du  consente- 
ment de  Querolus,  et  même  avec  son  aide;  il  l'emporte  chez 
lui;  mais  là,  il  aperçoit  l'inscription  et  les  autres  attributs 
funéraires.  Il  croit  qu'elle  ne  renferme  en  effet  que  les  restes 
du  mort,  dont  le  nom  y  est  inscrit,  et  que  le  vieillard  mou- 
rant s'est  moqué  de  lui.  Il  rapporte  l'urne,  se  glisse  auprès 
de  la  maison  de  Querolus^  et  jette  par  une  fenêtre  furne  au 
milieu  de  son  appartement.  Elle  se  brise ,  l'or  se  répand  dans 
toute  la  chambre.  Querolus^  au  lieu  des  cendres  de  son  aïeul, 
voit  un  trésor  dont  il  est  maître;  mais  l'effronté  parasite, 
revenu  de  sa  surprise,  produit  le  testament  d'Euclion,  et 
réclame  la  moitié  qu'il  soutient  lui  appartenir.  Cependant, 
obligé  d'avouer  qu'il  avait  d'abord  tout  emporté,  il  ne  peut 
rien  obtenir.  Il  est  convaincu  de  vol  et  même  de  violation 
d'un  tombeau.  Enfin  Queivlus  lui  pardonne,  entre  en  pos- 
session de  sa  fortune,  cesse  de  se  plaindre  de  son  sort,  et  le 
faux  magicien  pris  pour  dupe  est  rendu  à  son  métier  de 
parasite. 

Son  nom  est  Mandrogeiiis;  il  a  pour  auxiliaires  deux  fri- 


VITAL  DE  BLOIS.  43£ 

•■  Vît  ÇTfîT^T  F 

pons  subalternes,  Sycophante  et  Sardanapale  qui  rendent  ', 

te'moignage  des  prodiges  qu'il  a  opères,  et  l'aident  à  em- 
porter et  à  rapporter  l'urne  où  est  enfermé  le  trésor.  Le  dieu 
Lare,  Larfamiliaris ^  gardien  de  ce  trésor,  est  acteur  et  in- 
terlocuteur dans  la  pièce,  et  c'est  avec  lui  que  Querolus  la 
commence  par  une  longue  scène,  où  il  expose  tous  les  sujets 
qu'il  a  de  se  plaindre  de  sa  destinée. 

Vital  de  Blois,  en  arrangeant  ce  sujet  pour  en  faire  un 
poëme  narratif,  y  a  changé  plusieurs  circonstances.  Il  dit 
pourtant  dans  son  prologue  qu'il  n'y  a  changé  que  les  noms, 
et  par  la  seule  raison  qu'ils  ne  pouvaient  entrer  dans  ses  vers. 
Ce  même  prologue  prouve  qu'il  regardait  Plante  comme  le 
véritable  auteur  du  Querolus.  Il  rejette  sur  ce  poète  les  fautes 
et  les  inconvenances  qu'on  pourrait  lui  reprocher.  On  y  voit 
aussi  qu'il  avait  fait  auparavant  sur  \ Amphitryon  un  travail 
du  môme  genre;  mais  ce  premier  travail  ne  nous  a  pas  été 
conservé.  Nous  citerons  en  entier  ce  prologue  qui  n'a  que 
i8  vers,  et  qui  donnera  une  première  idée  de  la  manière 
de  l'auteur  et  de  son  style. 

Qui  relegct  Plautum,  niirabitur  altéra  forsan 

Nomiiia  personis  quam  mea  scripta  notent. 
Causa  subest  facto ,  vult  vcvba  doinestica  versus  ; 

GraneUa  plus  œquo  noinina  metra  tintent. 
Sic  ego  mutata  decisa^'e  nomina  Jeci 

Passe  pati  versum  ;  res  tamen  una  manet. 
A r guet  hoc  aliquis  ^  mea  si  conuedia  Jatum 

Nominet  et  stcUas,  et  canat  alta  nimis; 
Dcscivisse  forent ,  hwnilemque  ad  grandia  stulte 

Evasisse  stylum.  Crimina  Plautus  habet , 
Absolvar  culpâ  ;  Plautum  sequor  :  et  tamen  ipsa 

Materiœ  séries  exigit  alta  sibi. 
Hœc  mea  vel  Plauti  comaedia,  nomen  ab  ollâ 

Traxit ,  sed  Plauti  quce  fout ,  illa  mea  est. 
Curtavi  Plautum;  Plautum  hœc  jactata*  beavit ,  «Il    semble 

Ut  placeat  Plautus  scripta  Vitalis  emunt.  q«e    c'est  jac- 

Amplùtryon  nuper ,  nunc  Aulularia  tandem  '"''"  ^"  ''  **"" 

Senserunt  senio  pressa  Vilalis  opem. 

On  voit  qu'il  cherche  principalement  à  excuser  le  haut 
style  dont  il  s'est  servi,  en  parlant  du  destin  et  des  astres. 
C'est  dans  le  moment  où  le  fourbe  qu'il  fait  agir  se  fait  passer 
pour  magicien.  Ce  fourbe  n'est  pas  un  parasite,  comme  dans 


XII  SIECLE. 


432  VITAL  DE  BLOIS. 

la  prétendue  pièce  de  Plaute;  c'est  l'esclave  du  vieillard  mort 
en  pays  étranger,  et  qui  a  reçu  ses  aveux  à  ses  derniers  mo- 
mens.  Il  s'appelle  Sardana^  quoique  dans  aucune  langue 
ce  dactyle  n'ait  été  un  nom  propre.  Euclion,  en  lui  indiquant 
le  trésor  qu'il  a  laissé  et  que  son  iils  ne  connaît  pas,  lui  a 
dit  qu'il  contenait  mille  talens;  ce  qui  est  une  somme  un" 
peu  forte  pour  tenir  dans  une  seule  urne,  si  l'on  compte, 
selon  l'évaluation  commune,  le  talent  attique  à  5,4oo  fr.  ;  il 
lui  en  a  donné  dix  pour  lui,  et  a  voulu  que  le  reste  fut  remis 
à  son  fils.  Outre  ces  dix  talens,  il  lui  a  encore  donné  la 
liberté,  et  a  substitué,  en  l'affranchissant,  le  nom  de  Paul 
à  celui  de  Sardana.  C'est  sous  ce  nom  de  Paul  que  Sar- 
dana  vient  se  présenter  à  Querolus^  et  qu'il  entreprend  de 
s'approprier  le  trésor  entier. 

Non  ultra  dicar  Sardana ,  Paulus  ero , 

dit-il  à  la  fin  du  premier  livre  ; 

Paulus  ero ,  Pauli  romani  consulis  fueres  j 

Sub  titulo  Pauli  Sardana  clarus  erit. 
Cognita  vilescunt;  qui  non  est  notus ,  amatur. 

Ut  sis  ignotus  hoc  âge ,  clarus  eris. 

Ce  ton  sentencieux  est  habituellement  celui  de  l'auteur.  Dans 
tout  ce  premier  livre  où  il  rapporte  les  plaintes  que  Querolus 
ne  cessait  de  faire  de  son  sort,  il  le  fait  presque  toujours,  s'ex- 
primer par  sentences  et  par  maximes;  et  souvent  il  les  renferme 
dans  des  vers  assez  précis ,  et  qui  ne  ijjanquent  pas  d'élégance. 

Paul,  dans  le  deuxième  livre,  choisit  pour  coopérateurs 
Gnathon  et  Clinias  ;  il  leur  fait  part  de  ses  projets  et  leur 
donne  ses  instructions.  Ce  sont  ceux  qu'il  charge  de  le  faire 
passer  aux  yeux  de  Querolus  pour  un  savant  magicien.  Les 
trois  complices  font  ensembleJeurs  dispositions. 

Dans  le  3«  livre ,  Gnathon  et  Clinias  savent  que  Querolus 
les  écoute  ;  l'un  dit  à  l'autre  des  meiTcilles  d'un  homme  fa- 
meux qui  vient  d'arriver  dans  la  ville.  On  ne  sait  si  c'est  un 
homme  ou  un  dieu  ;  s'il  est  homme  par  les  formes  extérieures, 
il  est  dieu  par  son  génie. 

Servit  ci  cœlum ,  fatorwn  strcnuus  ordo 

Expectat  quod  eum  currere  cogat  iter. 
litcJovis  mentent  novit ,  Jove  certior  ipso; 

Quid  pensent  super i,  quid  novafata  parent. 


VITAL  DE  BLOIS.  433 

Castigat  mentem  Jovis ,  invita  love  multa 

Esse  jubet;  sic  est  Jupiter  ipse  Jovi, 
Nec  magus,  at  magicâ  niagis  est  ars  ipse  putandus  ; 

Ars  nihil  kuic,  sed  ut  ars  ipsa  sit  istefacit. 

Il  dit  enfin  le  nom  de  cet  homme  admirable;  c'est  Paul,  fils 
de  Paul,  consul  de  Rome,  qui  avait  été  envoyé  de  Rome 
en  Grèce  pour  instruire  les  Grecs.  Querolus  n  y  peut  plus 
tenir;  il  sort  de  sa  maison,  avoue  qu'il  a  tout  entendu,  et 
obtient  de  ces  deux  fourbes,  comme  une  grande  faveur, 
qu'ils  aillent  le  présenter  au  troisième. 

Us  le  trouvent  assis  sur  un  trône  et  vêtu  magnifiquement. 
C'est  là  que  Sardana ,  sous  le  nom  de  Paul ,  dit  à  Querolus 
son  nom,  tout  ce  qu'il  sait  de  sa  famille,  de  sa  position, 
de  sa  fortune.  Il  prend  ensuite  un  plus  haut  ton.  pour  lui 
révéler  que  les  astres  soxis  lesquels  il  est  né,  ont  exercé  jus- 
qu'alors contre  lui  leur  maligne  influence;  mais  qu'il  a  des 
moyens  de  faire  violence  aux  astres  mêmes  et  de  corriger 
les  destinées.  C'est  pour  ce  passage  que  le  poëte  a  demandé 
grâce  dans  son  prologue.  Il  Ta  mis  dans  son  poëme  à  la  place 
d'une  longue  explication  sur  la  puissance  des  planètes,  sur 
les  oies  de  mauvais  augure  et  sur  les  cynocéphales ,  qui  est 
dans  la  comédie,  et  que  l'auteur,  quel  qu'il  soit,  de  cette 
pièce  a  plutôt  eu  l'intention  de  renclre  plaisante  qu'il  ne  l'a 
rendue  en  effet. 

Ce  dernier  livre  contient  le  reste  de  l'action  à-peu-près  tel 
qu'il  est  dans  l'ancien  Querolus ,  excepté  que  le  style  en  est 
presque  par-tout  plus  poétique,  et  en  même  temps  plus  sen- 
tencieux. Il  abonde  aussi  enjeux  de  mots  et  en  antithèses, 
selon  la  mode  de  ce  temps-là.  Les  derniers  vers  du  poëme 
en  sont  remplis  ;  ils  compléteront  l'idée  que  les  citations  pré- 
cédentes ont  donnée  du  style  de  Vital  de  Blois. 

Sardana  soutient  devant  le  juge  que  son  vieux  maître,  en 
mourant,  ne  lui  avait,  à  la  vérité,  donné  en  propre  que  dix 
talents  sur  les  mille  que  contenait  le  trésor;  mais  qu'il  lui 
avait  ordonné  de  commencer  d'abord  par  s'emparer  du  trésor 

k  entier,  pour  éprouver  si  son  fils  était  toujours  aussi  peu  at- 

tentif à  ses  afraires,  aussi  peu  soigneux  qu'autrefois,  et  de 
le  lui  rendre  ensuite  pour  lui  apprendre  par  cette  leçon  à  se 
tenir  mieux  sur  ses  gardes.  J'ai  suivi  de  pomt  en  point,  aijoute- 
t-il,  les  ordres  de  mon  maître. 

Furor ,  reddo  :  Jîdem  conserve  senique  tibique , 
Tome  XV.  1  i  i 


XII  SIECLE. 


\ 


XII  SIECLE. 


434  ARNAUD  DANIEL. 

Scd  furando  scni,  restituendo  tibi. 
Fraus  fuit  ahsque.  dolo  :  fit  utrunique  fldcle  :  probata  est 

Infurto  pietas  ,•  in  pietalejidcs.  * 

Arbitcr  emeruit  Quernlain^  tua,  Sardana,  dixit, 

Fraus  sine  fraude  :  fides  est  tua  digrcafide. 
Vera  putat  Querulus  :  irv partein  Sardana  venit; 

Fert  lucra  flcta  fides  :  lis  cadit;  acta  placent. 


ARNAUD   DANIEL^'\ 

POÈTE  PROVENÇAL. 

Arnaud  Daniel,  issu  d'une  famille  noble  mais  peu  riche 
de  Ribeirac  en  Périgord ,  fut  élevé  dans  les  meilleures  écoles  de 
ce  pays.  Son  goût  pour  la  poésie  se  déclara  de  bonne  heure. 
Le  profit  qu'il  tira  de  ses  premiers  vers  l'aida  à  continuer 
ses  études.  Il  composait  fort  bien  et  doctement,  disent  les 
Nostradamus,  historiens  de  sa  vie,  tant  en  latin  que  dans  sa  langue  mnter- 
vk^T^'"*  ^"^  '  "^11^5  mais  lorsqu'il  se  connut  mieux,  il  se  livra  entièrement 
à  la  poésie  provençale.  Il  se  fit  une  manière  de  composer  en 
rimes  gênées  ou  contraintes  {caras  rirnas\cç,  qui  rendait  ses 
poésies  très-difficiles  à  entendre  et  à  retenir. 

La  femme  de  Guillaume  de  Boville,  ou  Bouville,  grand 
seigneur  de  Gascogne ,  fut  le  premier  objet  auquel  il  adressa 
ses  vœux  d'amour  et  ses  chansons  ;  il  en  fit  sur  toutes  sortes 
de  rhythmes,  des '^ixtines,  des  sons,  des  sirventes,  etc.  Il 
y  donnait  à  cette  dame,  pour  cacher  son  véritable  nom,  le 
nom  emprunté  de  Giberne.  Il  la  nommait  aussi  mon  bon 
esper  (  mon  bon  espoir  ) ,  et  miels  de  ben  (  mieux  que  bien  )  ; 
il  paraît,  par  ses  cfiansons  même,  qu'il  n'obtint  jamais  rien 
d'elle  qui  fut  contraiie  au  devoir.  Il  y  parle  souvent  de  l'inu- 
tilité de  ses  poursuites  ;  et  selon  la  coutume  de  son  temps 

(i)  Il  est  appc-lé  quelquefois  Dernaud  Daniel,  quelquefois  Arnald  ou 
Narnald.  Dans  deux  nianusiTits  de  la  Bibliothèque  royale,  cotés  •ji'iG 
et  yGyB ,  il  est  nommé  Arnatui  d'Anieh  et  non  Daniel. 

Dans  les  notes  qui  m'ont  servi  pour  la  rédaction  de  cet  article,  je  trouve 
ces  mots  :  «  Je  me  souviens  que  M.  Arnaud  d'Andiily,  dans  ses  mémoires 
compo>és  pour  1  iiisti-uction  de  ses  enfants,  fait  descendre  sa  famille  de 
ce  poète  provençal,  » 


ARNAUD  DANIEL.  435 

de  mêler  à  des  idées  de  dévotion  des  sentimens  et  des  de-    ^^^  ^^ 

sirs  profanes,  il  dit  dans  un  endroit  qu'il  a  bien  entendu 

mille  messes  pour  acquérir  ses  bonnes  grâces,  et  pour  qu'elle 

le  restaure  au  moins  d'un  seul  baiser  (i).  Il  est,  dit-il,  cet 

Arnaud  qui  embrasse  l'aure,  c'est-à-dire  le  vent,  et,  ce  qui 

n'est  pas  d'un  très -bon  goût,  qui  chasse  le  lièvre  avec  un 

bœuf  (2).  Il  se  compare  au  voyageur  devant  qui  le  Puy-de-Dôme  Montagne 

paraît  s'éloignera  mesure  qu'il  en  approche  davantage,  etc.      d'Auvergne. 

Le  moine  des  îles  d'or,  au  rapport  de  Nostradamus,  disait  ^°'=-  "»• 
dans  son  histoire  des  troubadours,  qu'Arnaud  Daniel  fut 
amoureux  de  la  dame  d'Ongle,  femme  d'un  gentilhomme 
de  Provence,  nommée  Allaëte,  qu'il  nommait  Cyberne  pour 
tenir  caché  son  vrai  nom,  et  que  par  allusion  a  l'ongle  du 
doigt,  il  fit  une  sixtine  dans  laquelle  il  disait  que  pour  le 
ferme  vouloir  qu'il  a  envers  sa  dame,  le  bec  ni  l'ongle  des 
médisans  ne  peuvent  lui  nuire  (3).  Il  est  vrai,  ajoutait  cet 
historien ,  qu'il  n'a  pu  écrire  si  discrètement  et  à  mots  si  cou- 
verts, que  l'on  n'aperçoive  par  le  dernier  couplet  de  cette 
chanson  qu'elle  fut  faite  à  la  louange  de  la  dame  d'Ongle, 
qui  était  une  darAe  belle,  docte,  et  bien  parlante  de  ce  temps. 

Voici  trois  strophes  de  cette  sixtine ,  telle  qu'elle  est  citée 
par  Doni  dans  son  livre  intitulé  i  marmi  (parte  tertia,^ 
i53  et  seq.)  et  rétablies  selon  les  manuscrits. 

Lo  ferm  voler  qu'el  cor  m'intra 
Nom'  pot  ges  becx  escoisseiidre  ni  ongla 
De  Lauzengier  qui  perd,  per  mal  dir,  s'arma. 
E  pus  no  l'aus  batr'  ab  ram  ni  ab  verja 
Si  vais  ab  frau  lai;  où  non  aura  oncle' 
J'auzirai  joir  en  vergier  o  dins  cambra. 

(i)  Nostradamus  ,  p.  43-  Quelques  manuscrits  portent  six  messes  et 
d'autres  mille. 

(2)  Nostradamus  dit  avec  un  bœuf  boiteux  ;  mais  boiteux  n'est  point 
dans  le  texte  ;  c'est  bien  assez  du  bœuf. 

Jeu  suy  Arnautz  c'amas  l'aura 
E  catz  la  lebre  ab  lo  bueu, 
E  nadi  contra  suberna. 

Façons  de  parler  pour  dire  des  efforts  inutiles. 

(3)  Millot  a  cité  très-inexactement  ce  passage,  en  disant  que  Nostra- 
damus, sur  la  foi  du  moine  des  îles-d'Or,  parle  dune  passion  de  notre 
poète  'çovit  Aluete ,  dame  d'Angle,  qu'il  chante  sous  le  nom  de  Ciberna; 
t.  II,  p.  489. 

I  i  i  a 


XJI  SIECLE. 


436  ARNAUD  DANIEL. 

Quan  mi  sove  de  la  cambra , 
Où  à  mon  dan  sai  que  om  del  mon  non  intr» 
Ans  me  son  tug  plus  que  nebot  ni  onde, 
Non  ai  membre  no  in  fremisca  ni  ong-la 
Aissi  cum  f'ai  l'enfans  devan  la  verja 
Quar  paor  ai  no  el  sia  prop  dé  s'arma. 

Del  cors  li  fos  non  de  l'arma 
Que  m  consentis  à  celât  dins  sa  cambra, 
Quar  plus  mi  nafra  1  cors  que  colp  de  verja  , 
Quar  lo  siens  sers  lai  ont  ill  es  non  intra. 
Tos  temps  serai  ab  lieys  cum  cam  et  ongla 
Ja  non  creirai  castic  d'amie  ni  d'oncle. 

ce  qui  signifie  à-peu-près: 

«  Le  ferme  désir  qui  entre  dans  mon  cœur,  ni  bec  ni 
ongle  du  médisant  ne  peut  l'en  arracher,  quand  pour  médire 
il  perd  son  ame.  Et  puis  je  ne  l'ose  battre  à  coups  de  bâton  ni 
de  verge ,  à  moins  qu'en  cachette  là  oii  je  n'aurai  pas  d'oncle, 
je  n'obtienne  de  jouir  dans  le  verger  ou  dans  la  chambre. 

Quand  il  me  souvient  de  la  chambre,  oii  pour  mon 
malheur  je  sais  qae  nul  homme  ne  peut  entrer,  et  où  tout 
m'est  contraire  plus  que  neveu  ni  oncle,  je  n'ai  membre  ni 
ongle  qui  ne  frémisse  plus  que  ne  fait  l'eniant  devant  la  verge; 
tant  j'ai  peur  que  je  ne  sois  proche  de  son  ame. 

Puisse -je  y  être  de  corps  et  non  d'ame,  et  puisse-t-clle 
consentir  a  me  voir  seul  dans  sa  chambre  !  Ce  qui  me  blesse 
le  cœur  plus  que  coups  de  verge,  c'est  que  moi,  son  servi- 
teur, je  ne  puis  entrer  oii  elle  est.  Je  serais  avec  elle  comme 
la  chair  et  l'ongle,  et  ne  croirais  conseils  d'ami  ni  d'oncle.» 

Arnaud  ayant  passé  en  Angleterre  rencontra,. à  la  cour  de 
Richard  I**",  un  jongleur  qui  le  défia  et  prétendit  com- 
poser des  vers  sur  des  rimes  encore  plus  difficiles  que  lui, 
car  ou  a  vu  que  c'était  un  genre  de  mérite  dont  Arnaud  était 
très-jaloux.  Il  accepta  ce  défi,  la  gageure  fut  mise  au  jeu 
et  les  deux  poètes  s'enfermèrent  pour  travailler  chacun  dans 
une  chambre  séparée.  Arnaud  se  trouva  si  mal  disposé  qu'il 
ne  put  réussir  à  coudre  deux  mots  ensemble.  Son  rival  au- 
contraire  fit  sa  pièce  promptement  et  sans  peine.  Le  roi  ne 
leur  avait  donné  que  dix  jours  pour  la  faire,  cinq  pour 
l'apprendre,  après  quoi  elle  devait  être  jouée  c'est -a -dire 
chantée  devant  lui.  Le  jongleur  déclara  dès  le  troisième  jour , 


XII  SIECLE. 


ARNAUD  DANIEL  437 

qu'il  avait  fini  sa  pièce,  et  q^u'il  était  prêt  à  la  faire  entendre. 
Arnaud  répondit  qu'il  n'avait  pas  encore  songé  à  la  sienne.  Le 
jongleur  répétait  tous  les  jours  ses  vers  afin  de  les  mieux 
savoir.  Arnaud  songeait  aux  moyens  d'éviter  les  plaisanteries 
dont  il  se  voyait  menacé ,  lorsqu'il  entendit  pendant  la  nuit  ce 
chant  du  jongleur.  Il  vient  écouter  à  sa  porte,  et  parvient 
à  retenir  les  paroles  et  l'air.  Au  jour  mai-qué,  ils  paraissent 
tous  deux  devant  le  roi.  Arnaud  demande  à  chanter  le  pre- 
mier, et  chante  toute  entière  la  chanson  que  le  jongleur  avait 
faite.  Celui-ci  muet  d'abord  de  surprise,  s'écrie  enfin  :  C'est 
ma  chanson!  Cela  ne  se  peut,  répond  le  roi;  mais  il  insiste, 
et  demande  que  le  prince  interroge  lui-même  Arnaud ,  qui 
n'aura  pas  le  front  de  le  nier.  En  efle^,  Arnaud  l'avoue  et 
conte  la  manière  dont  la  chose  s'était  passée,  ce  qui  amusa 
Richard  plus  que  la  chanson  même.  On  rendit  à  chacun  sa 
gageure,  et  le  roi  les  combla  l'un  et  l'autre  de  présens. 

Cette  anecdote,  ainsi  que  plusieurs  autres,  prouve  que  les 
jongleurs  de  profession  étaient  aussi  quelquefois  poètes  ou 
troubadours.  Arnaud  lui-même  est  appelle  jongleur  par 
quelques  anciens  historiens,  parce  qu'il  composait  les  airs 
de  ses  chansons  et  qu'il  les  cliantait  avec  beaucoup  d'expres- 
sion et  de  grâce.  Les  poésies  qui  nous  restent  de  lui,  au 
nombre  de  dix-sept,  sont  dans  un  manuscrit  de  la  biblio- 
thèque royale,  dans  un  autre  du  Vatican,  aujourd'hui  réuni  ^"vfigS. 
à  la  même  bibliothèque ,  et  dans  un  manuscrit  de  Florence.  ^  "  5^*»4- 
Elles  sont  toutes  consacrées  à  l'amour.  On  dit  qu'il  avait 
fait  aussi  un  poëme  contre  Boniface,  seigneur  de  Castellane, 
qui  refusait,  en  1 189,  de  reconnaître,  pour  son  seigneur, 
Alphonse  P"",  roi  d'Arragon  et  comte  de  Provence.  Nostra-  Nostradamu» , 
damus  ajoute  qu'il  avait  fait  plusieurs  comédies,  aubades,  P- *'• 
martegalles,  un  chant  qu'il  intitula  las  phantaumarias  del 
paganisme,  les  visions  du  paganisme,  et  un  beau  poëme  moral 
adressé  à  Philippe  roi  de  France.  C'est  probablement  celui 
que  ï Alunno,  dans  sa  fabrica  del  mondo,  dit  qu'Arnaud,  N^yi.p.  ji. 
accablé  par  la  pauvreté  dans  sa  vieillesse ,  composa  et  pré- 
senta aux  rois  de  France  et  d'Angleterre  qui  l'en  récom- 
pensèrent généreusement.  Aucune  de  ces  pièces  n'est  parve- 
nue jusqu'à  nous.  Il  n'est  pas  besoin  d'avertir  que  ce  qu'on 
entend  ici  par  comédie  et  tragédie  n'a  rien  de  commun  avec 
l'art  dramatique,  qui  n'existait  nullement  alors  et  que  l'on 
n'a  pu  vouloir  designer  ainsi  que  des  pièces  plaisantes,  et 
d»»  pièces  touchantes  ou  graves. 


438  ARNAUD   DANIEL. 

Aucun  autre  poète  provençal  n'a  reçu  plus  d  éloges  des 
e'trangers,  ou  du  moins  des  Italiens,  qu'Arnaud  Daniel. 
Dante  le  cite  avec  honneur  et  s'appuie  de  son  autorité  dans 
son  traité  latin  de  V éloquence  'vulgaire,  traduit  en  italien  par 
Chap, 6eti3.  jg  Trissin.  Dans  son  vingt-sixième  chant  du  purgatoire,  il 
le  met  au-dessus  de  tous  les  poètes  provençaux,  même  au- 
dessus  de  Géraud  de  Borneil,  limousin,  qu'on  appelait  le 
maître  des  troubadours,  et  pour  donner  plus  de  poids  à 
cet  éloge,  il  le  met  dans  la  bouche  de  Guida  Guinicelli,  l'un 
des  créateurs  de  la  poésie  italienne.  Questi,  lui  fait- il  dire: 

Questi  ch'  io  ti  scerno 
Col  dito  (ed  addito  uno  spirto  innanzij 
Fn  miglioPfabbro  del  parlar  materna  : 
F'ersi  d'ainore  e  prose  di  romanzi 

Soverchio  tutti,  e  lascia  dir  gli  stolti 
Che  quel  di  Lemosï  credon  cfi'avanzi. 

Ce  quel  di  Lémosi  ne  peut  être  un  autre  que  Géraud  de 
Borneil.  On  voit  par  ces  mots  e  prose  di  Romanzi  qu'Arnaud 
Daniel  avait  aussi  composé  des  romans  en  prose.  En  effet  le 
Tasse,  dans  son  discours  sur  le  poëme  héroïque,  dit  que 
c'est  lui  qui  fut  l'auteur  du  roman  de  Lancelot.  Varchi  dans 
p.  63,  i59  sof,  Ercolano ,  lui  donne  les  mêmes  éloges  que  le  Dante. 

des'cfiimi  F^o-  Pétrarque,  dans  son  Triomphe  de  l'amour,  le  place  aussi  au 

rencr.,  1670.      premier  rang. 

P'  Fra  tutti  il  primo  Arnaldo  Daniello 

Gran  maestro  d'amor ,  ch^ alla  sua  terra 
Ancorfa  onor  col  dir  polito  e  bello. 

Le  Vellutello  et  le  Gesualdo  ^  en  commentant  ce  passage 
de  Pétrarque,  assurent  qu'Arnaud  l'emporta  sur  tous  les 
provençaux  qui  firent  des  vers  avant  et  après  lui ,  que  ses 
chansons  sont  de  toute  beauté,  et  si  poétiques  qu'on  ne  peut 
■  pas  les  entendre  facilement.  Ce  mérite  de  l'obscurité,  si  tant 
est  que  c'en  soit  un  en  poésie,  naissait  peut-être  des  rimes 
recherchées  et  laborieuses,  caras  rimas^  dont  Arnaud  se 
servait  :  mais  il  ne  rjmait  sans  doute  pas  toujours  ainsi,  car 
ce  n'est  ])as  là  ce  qu'un  poète  aussi  élégant  et  aussi  poli  que 
Pétrarque  aurait  appelé  un  dir  polito  e  bello. . 
Prose,  Uv.  I.  Le  Bembo  attribue  à  notre  Arnaud  l'invention  de  la  sixtine, 
espèce  de  chanson  singulière,  où  l'entn  lacement  et  le  retour 
des  rimes  donnent  beaucoup  de  tiavailau  poète,  sans  don- 


ARNAUD  DANIEL.  439 

ner  en  même  proportion  du  plaisir  au  lecteur.  Les  six  vers 
de  la  première  strophe  ne  riment  point  entre  eux,  mais  four- 
nissent des  rimes  ou  plutôt  des  bouts  rime's  pour  toutes  les 
autres  strophes ,  et  cela  dans  l'ordre  suivant.  Les  mots  qui 
terminent  ces  six  vers  étant  dans  la  première  strophe:  terra , 
sole,  giorno,  stelle ,  selva,  alba ,  comme  dans  la  première 
sixtine  de  Pétrarque,  ils  doivent  se  répéter  ainsi  à  ta  fin  des 
six  vers  de  la  seconde  : 

Alba,  terra,  selva,  sole,  stelle,  giorno. 

dans  la  troisième  : 

Giorno ,  alba ,  stelle ,  terra ,  sole ,  selva. 

ainsi  de  suite  dans  les  trois  autres ,  mettant  toujours  pour 
premier  mot  final  le  dernier  de  la  strophe  précédente ,  puis 
le  premier;  le  cinquième,  puis  le  second;  le  quatrième,  et 
enfin  le  troisième  (  i  ). 

Le  Tassoni,  dans  ses  considérations  sur  Pétrarque,  Castel- 
vetro ,  Varchi ,  etc. ,  confirment  le  témoignage  du  Bembo  ; 
mais  celui-ci  ajoute  qu'Arnaud  ne  fit  jamais  lui-même  qu'une 
seule  chanson  de  cette  espèce,  et  que  toutes  les  autres 
étaient  de  cette  forme  que  les  Italiens  appellent  distesa  ;  les 
strophes  y  sont  de  sept  vers  qui  ne  riment  point  entre  eux, 
mais  tous  les  vers  de  chacune  des  strophes  riment  avec 
ceux  de  la  première,  dans  le  même  ordre  ou  ils  y  sont  placés. 
C'est  bien  encore  assez  d'entraves  au  génie,  mais  du  moins 
l'oreille  peut  saisir  plus  facilement  ici  l'ordre  du  retour  des 
mêmes  sons. 

Le  Redi ,  dans  les  notes  sur  son  dithyrambe,  bocco  in 
toscana,  confirme  ce  que  nous  avons  dit  du  talent  qu'avait 
Arnaud  Daniel  de  faire  lui-même  la  musique  de  ses  chansons. 
Il  en  trouve  la  preuve  dans  deux  passages  de  ce  poète.  Dans 
l'un  il  dit,  en  s'adressant  à  sa  dame  : 

Ma  can7.os  prec  que  no  us  sia  enois 

Car  si  voletz  grazir  lo  son  e  Is  motz  ^. 

Pauc  preza  Arnaut  cui  que  plassa  o  que  tire. 

«  Je  vous  prie  que  ma  chanson  ne  vous  ennuie  pas;  car  si 


(i)  L'abbé  Millot  se  trompe  en  disant  que  dans  cette  combinaison  de 
vers,  les  vers  sont  re'pétés  dans  un  certairt  ordre.  Ce  ne  sont  pas  les  vers 
niais  les  derniers  mots  seulement  qui  se  répètent. 


XII  SIECLE. 


XII  SIECLE. 


44o  ARNAUD  DANIEL. 

vous  voulez  agréer  le  chant  et  les  paroles,  Arnaud  se  soucie 
peu  à  qui  plaire  ou  déplaire.  » 
Il  dit  dans  l'autre  passage  : 

Ges  pel  maltrag  qu'en  soferi 
De  ben  amar  no  m'  destoli. 
Sitôt  mi  ten  en  désert 
Per  lieis  faz  lo  son  e  1  rima. 

«  Quelque  mauvais  traitement  que  j'aie  reçus ,  je  n'ai  point 
cessé  de  bien  aimer  :  dès  que  je  suis  seul,  je  fais  pour  elle 
des  chants  et  des  vers.  » 

Le  même  Redi  cite  ce  vers  d'Arnaud  : 

Faz  moz  ca  puze  d'oli, 

«  Je  fais  des  vers  qui  sentent  l'huile.  »  Il  les  cite  pour  prouver 
qu'il  travaillait  beaucoup  ses  vers  et  qu'ils  lui  coûtaient 
beaucoup  de  peine;  mais  il  paraît  que  ce  vers  écrit  incorrec- 
tement par  Redi ,  présente  un  meilleur  sens  dans  les  ma- 
nuscrits, où  on  lit: 

Fas  motz  capus  e  doli. 

c'est-à-dire,  je  fais  des  vers,  les  rabote  et  les  polis.  Il  n'est 
question  là  ni  de  lampe  ni  d'huile. 

Pétrarque ,  comme  on  l'a  vu ,  a  beaucoup  loué  et  souvent 
imité  Arnaud  Daniel.  Il  lui  a  encore  rendu  une  autre  es|>èce 
d'honneur.  Dans  une  de  ses  canzoni  (  i  ) ,  il  termine  chacune 
des  cinq  strophes  ou  couplets ,  par  le  premier  vers  d'une 
chanson  de  quelqu'un  des  poètes  qui  s'étaient  rendus  célèbres 
avant  lui.  Il  y  en  a  un  de  Cino,  un  de  Cavalcanti ,  un  de 
Dante;  et  celui  qui  termine  la  première  strophe  est  celui-ci 
de  notre  troubadour: 

Drez  e  rason  es  qu'en  ciant  enderaori  (a). 

«  Il  est  juste  et  raisonnable  que  je  chante  d'amour.  » 
Malgré  tant  de  témoignages  honorables,  l'abbé  Millot  ne 
balance  point  à  mettre  la  réputation  d'Arnaud  au  nombre 
des   réputations  usurpées.    Il  tourne   contre  lui  les  éloges 
mêmes  qu'on  lui  a  donnés,  et  ne  trouve  ni  dans  la  difficulté 

(i)         Lasso  me,  ch'io  non  so  in  quai  parte  pieghi ,  etc.  Cam.  17. 

(a)  On  lit  ailleurs  qu'e«  cianlant  dentori,  mais  il  semble  que  l'autre 
leçon  vaut  mieux,  et  qu'endemori  signifie  ici  la  même  chose  qu'ùmamorato 
en  italien ,  et  énamoure  en  vieux  français. 


ARJVAUD  de  MARVEIL.  44r 

de  ses  rimes,  ni  dans  celle  de  ses  formes  poétiques,  ni  dans 
l'obscurité  d*son  style,  de  quoi  justifier  cette  renommée.  Il 
l'accuse  aussi  d\pe  recherche  pénible  de  sentimens  et  d'idées , 
et  cite  piusieurs^assages  qui  appuient  ce  dernier  reproche. 
Peut-être  trouverait-on  dans  cette  recherche  même  une  des 
causes  et  de  la  prédilection  que  Pétrarque  avait  pour  lui ,  et 
de  l'affectation  qui  défigure  trop  souvent  les  vers  de  ce  pre- 
mier des  lyriques  italiens  (i). 

G. 


ARNAUD  DE  MARYEIL^'^ 

POÈTE  PROVENÇAL. 

J_je  château  de  Marveil  où  naquit  ce  troubadour  était, 
selon  Nostradamus ,  dans  le  diocèse  d'Aix- en -Provence, 
mais  les  manuscrits  provençaux  le  placent  en  Périgord,  ce 
qui  est  plus  vraisemblable,  puisque  cet  Arnaud  était,  selon 
tous  les  auteurs  qui  ont  parlé  de  lui  ,  compatriote  d'Ar- 
naud Daniel,  et  que  celui-ci  était  de  Périgord. 

Les  parens  d'Arnaud  de  Marveil  étaient  pauvres  :  il  voulut 
d'abord  piendre  l'état  de  notaire  ou  de  clerc  ;  mais  les  agré- 
mens  de  sa  figure  et  le  talent  poétique  qui  se  développa 
en  lui,  l'entraînèrent  bientôt  dans  une  autre  carrière  :  il  se( 
mit  à  parcourir  en  chantant  les  châteaux  ou ,  comme  on 
les  nommait  alors,  les  cours  des  seigneurs  du  pays.  Il  s'at- 
tacha particulièrement  à  celle  d'Adélaïde  de  Burlats,  vicom- 
tesse de  Béziers,  femme  de  Roger  II,  surnommé  Trencavel. 
Selon  l'usage  des  troubadours,  il  devint  amoureux  de  la 
vicomtesse  et  la  célébra  dans  ses  vers,  en  cachant  le  nom 

(i)  La  vie  d'Arnaud  Daniel  se  trouve  en  provençal  dans  le  ms.  n"  ^2a5 
de  la  Bibliothèque  royale. 

Ses  poésies  sont  dans  les  mss.  de  M.  de  Sain^î-Palaye  :  ms.  A,  36, 
fol  2o3;  id.  36",  fol.  204  ;  id.  i33,  fol.  206;  id.  164,  fol.  2o5;  id.  3ii, 
fol.  ao3  ;  ms.  B,  iia,  i3,  i4;  ms.  C,  47;  nis.  D,  pièce  23;  id.  a45  ; 
id.  8i6"  ;  ms.  E ,  pièce  16  ;  ms.  G ,  025  ;  id.  229  ;  id.  402  ,  ms.  S  ,  fol.  86, 
pièce  aj6;  ms.  ï,  p.  39;  ms.  D,  3q2. 

(a)  11  est  quelquefois  nommé  de  Marvoil ,  de  Marvelles,  et  de  Miroil. 
Nostra<iai!ius  l'appelle  Arnauld  de  Myrveilk. 

Tome  Xr.  Kkk 


XII  SIECLE. 


XII  SIECLE. 


'44a  BÉRENGER  DE   PALASOL. 

d'Adélaïde  sous  celui  de  Behezer  ou  Belregard.  Mais  il  avait 
auprès  d'elle  un  rival  dangereux;  c'était  un  roi  ,  Alphonse 
roi  de  Castille.  Adélaïde  obligée  d'opter,  garda  le  roi  et 
congédia  le  poëte.  Arnaud  se  retira  auprès  du  seigneur 
de  Montpellier.  Dans  cette  cour,  il  se  livra  quelque  temps  à 
ses  regrets  ,  mais  la  dernière  pièce  qu'il  y  composa  est  toute 
morale,  et  fait  penser  que,  soit  nécessité,  soit  raison,  il  était 
revenu  à  la  sagesse. 

On  présume  qu'il  mourut  avant  la  fin  du  XII*  siècle,  et 
avant  la  vicomtesse  de  Béziers  (|ui  mourut  en  1 201.  En  effet, 
il  n'est  question  de  cette  moit  dans  aucune  des  pièces  d'Ar- 
naud de  Marveil,  et,  quoique  guéri  de  sa  passion  pour  elle, 
il  n'eût  pas  manqué  d'en  parler  s'il  lui  avait  survécu. 

C'est   ce  troubadour    que   Péti^arque   désigne  dans   son 

Cap.  /,.         triomphe  de  l'amour  par  ces  mots  :  Il  men  fanioso  Arnnldo; 

non  que  ses  poésies  n'eussent  peut-être  plus  de  clarté,  de 

naturel  et  de  tendresse  que  celles  d'Ai'naud  Daniel ,  mais 

seulement  parce  que  sa  renommée  avait  moins  d'éclat. 

On  trouve  ses  poésies  dans  les  manuscrits  32o4,5,()  et  7 
de  la  vaticane  ,  et  dans  ceux  de  la  bibliothèque  royale, 
nos  "225  et  7698,  et  dans  un  très-grand  nombre  d'autres 
manuscrits.  G. 


^««^  «<«^  «.«^  «^«^«^^W«^/»^%.«f«^  «/«^  «/%,«  < 


BÉRENGER  DE   PALASOL, 

POETE  PROVENÇAL. 

Lj'abbé  Millot,  après  avoir  fait  observer,  dans  l'article  de 
J.  Nostradamus  intitidé  5.  de  Parasolz ,  la  différence  totale 
qui  règne  entre  cet  article  et  la  notice  que  les  manuscrits 
provençaux  donnent  sur  Bérenger  de  Palasol,  conclut  qu'on 
rie  peut  rien  admettre  du  récit  de  Nostradamus  qu'en  sup- 
posant un  autre  poëte  de  ce  nom  (  il  fallait  dire  a-peiv-près 
du  même  nom) ,  et  beaucoup  moins  ancien.  C'est  eu  effet  ce 
qu'on  doit  supposer;  B.  de  Parasolz  ne  paraît  avoir  aucun 
rapport  avec  notre  Bérenger.  L'un  appartient  an  XIII*  siècle, 
l'autre  au  XI^.  Crescimbeni  ne  les  a  pas  ceufondus  :  après 


BERTRAND  D'ALLAMANON  L'ANCIEN.        443 

avoir  traduit  la  vie  du  premier,  il  a  fait  dans  ses  additions 
un  petit  article  du  second ,  d'après  les  manuscrits  proven- 
çaux. Il  le  nomme  Berlinghieri  di  Palazzuolo ,  et  1  on  sait 
que  le  Berlinghieri  à.es  Italiens  est  le  .fiere«g-er  des  Français, 
n  ne  sait,  au  contraire,  si  c'est  Bertrand  ou  Bernard  que 
Nostradamus  a  désigne  par  l'initiale  B.  qui  précède  le  nom 
de  Parasolz ,  et  non  tle  Palasol ,  dans  l'article  LXXII  de  ses 
vies  des  poètes  provençaux.  Nous  imiterons  Crescimbeni,  et 
réservant  pour  l'histoire  du  XIII»  siècle  Bertrand  ou  Ber- 
nard de  Parasolz,  nous  dirons  ici  le  peu  qu'il  y  a  à  dire 
de  Bérenger  de  Palasol. 

C'était  un  chevalier  catalan  du  comté  deRoussillon,  pauvre 
mais  distingué  par  ses  talens ,  par  sa  figure  et  par  sa  bra- 
voure. L'objet  de  son  amour  et  de  ses  chansons  fut  Er- 
mesine  ,  femme  d'Arnaud  d'Avignon  et  fille  de  Marie  de 
Pietralata.  Bérenger  est,  selon  D.Vaissette,  dans  son  histoire 
de  Languedoc,  au  nombre  des  troubadours  ' qui  fleurirent 
sous  Raimond  V,  comte  de  Toulouse.  Il  ne  s  est  conservé 
de  lui  que  quelques  chansons  d'amour,  où  l'on  reconnaît 
de  la  tendresse  et  du  naturel  ,  mais  qui  n'offrent  rien  de 
particulier.  On  ne  sait  rien  de  positif  sur  l'époque  de  sa 
mort ,  que  l'on  place  cependant  vers  la  fin  du  XIP  siècle, 

G. 


XII  SIECLE. 


BERTRAND  D'ALLAMANON  L'ANCIEN, 
POÈTE  PROVENÇAL. 

l  JE  Bertrand  d'Allamanon,  que  nous  nommons  F  ancien, 
pour  le  distinguer  d'un  autre  troubadour  du  même  nom, 
et  apparemment  son  petit-fils,  ne  doit  point  être  séparé  de 
son  ami,  GeofFroi  Rudel.  11  était  comme  lui  gentilhomme  et 
fort  bon  poëte  provençal.  La  terre  d'AUamon  dont  il  était 
seigneur,  située  dans  le  diocèse  d'Aix- en -Provence,  à  une 
lieue  de  Sallon  et  de  Senès,  s'appelle  encore  aujourd'hui  La- 
manon.  Son  voyage  à  Tripoli  avec  son  ami  GeoPiVoi  est  la 
seule  circonstance  connue  de  sa  vie.  A  son  retour,  il  se  fit 
chanoine,  ou  plutôt  moine  de  Silvecane,  (i)  où  il  se  ren- 

(i)  Ou  Sauve-Cane,  abbaye  de  l'ordre  de  Cîleaux,  au  diocèse  d'Aix. 

Rkka 


XII  SIECLE. 


444    P  DE  BOTIGNAC— GÎRAUD  DE  SALAGNAC. 

ferma  pour  le  reste  de  ses  jours.  Il  paraît  avoir  vécu ,  au 
moins  jusqu'au  commeuct'mrnt  du  XIII*  siècle.  Ses  poésies, 
estimées  de  son  temps, se  trouvaient  parmi  celles  des  autres 
anciens  poètes  provençaux  dans  la  bibliothèque  de  Robert, 
mX'^âeTZy'  ^^^  ^®  Naples  et  comte  de  Provence,  mort  en  i343. 

part  3,p.37p,  G. 


'•'«.«.«^^«^^«.«-«^^^'«^«.'•'«^«««/«.^«^«^  ««-«  «^x  «.-W«  V«  «  V*/^-*'»^  V%^^^^*i«Wr* 


PIERRE   DE   BOTIGNAC^•^ 
POÈTE  PROVENÇAL. 

X^iERRE  DE  BoTiGNAC,  poëte  provcnçal ,  était  clerc  et 
gentilhomme  du  château  de  Hautefort  en  Périgord,  qui 
appartenait  à  Bertrand  deBorn,  l'un  des  plus  illustres  trou 
badours  du  XII*  siècle.  Pierre  de  Botignac.se  fit  connaître 
par  des  sirventes  et  par  des  satires  contre  les  femmes  de 
mauvaise  vie.  On  en  trouve  dans  le  manuscrit  32o4  de  la 
Fol.  ia8,  y".  Vaticane.  Elles  sont  moins  mordantes  et  moins  libres 
qu'on  ne  pourrait  le  croire  d'après  le  sujet.  Pierre  blâmait 
et  reprenait  hautement  ces  deux  défauts  dans  les  sirventes 
de  son  seigneur  Bertrand  de  Born  (voy.  l'art,  de  ce  trouba- 
dour). G. 


GIRAUD  DE  SALAGNAC, 
POÈTE  PROVENÇAL. 

LriRADD  OU  GoiRAUD  DE  Salagnac  naquit  sans  doute  dans 
le  château  de  ce  nom,  en  Périgord  ou  dans  le  Limousin.  Il 
était  jongleur  et  très-habile  dans  son  art.  Il  sut  aussi  trou- 
ver des  chansons,  des  discours  et  des  sirventes.  On  trouve 
Fol.  i3Set  i8o.  quelques-unes  de  ses  pièces  dans  le  même  manuscrit. 

G. 

(t)  CrescimheniÏAppeUe  Rosignac  et  Rossinac.  {Gîunte  alfe  vite,  etc.) 

Ce  village  qui  est  dans  les  environs  de  Hautefort  en  Périgord ,  s'ap- 
pelle aujourd'hui  Bucignac. 


XII  SIECLE. 


GAVAUDAN    LE   VIEUX, 

POETE   PROVENÇAL. 

Les  manuscrits  provençaux  (Jui  donnent  à  Gavaudan  le 
surnom  de  vieujc ,  l'appellent  sans  doute  ainsi  pour  le  dis- 
tinguer d'un  autre  troubadour  aussi  nommé.  Gavaudan ,  qui 
était  plus  jeune  ou  plus  moderne;  mais  il  n'est  resté  nulle 
trace  des  compositions  ni  de  l'existence  de  ce  dernier.  Quoi- 
qu'il ne  soit  non  plus  parlé  de  Gavaudan  le  vieux  dans 
aucun  des  auteurs  qui  ont  écrit  avant  l'abbé  Millot  sur  les 
troubadours,  on  voit  par  Tune  des  pièces  qui  nous  restent 
de  lui  qu'il  florissait  vers  la  fin  du  XII«  siècle.  Elle  fut  faite 
lorsque  Saladin  eut  conquis  Jérusalem,  et  avant  que  l'em- 
pereur Frédéric  F""  fût  parti  pour  la  croisade  dont  cette  con- 
quête fut  le  motif,  c'est-à-dire  entre  les  années  1187  et 
1189.  Dans  ce  même  temps,  les  Maures  d'Espagne  mena- 
çaient aussi  les  princes  chrétiens,  et  même  ils  attaquaient 
le  roi  de  Gastille  Alphonse  IX.  C'est  à  son  secours  que  Ga- 
vaudan appelle  l'empereur  Frédéric  P*",  le  roi  de  France 
Philippe-Auguste  et  le  roi  d'Angleterre,  comte  de  Poitou; 
c'était  non  Henri  1 1,  comme  dit  Millot,  mais  plutôt  Richard- 
Cœur-de-Lion,  qui  venait  de  succéder  à  son  père.  Le  trouba- 
dour prodigue  dans  ce  sirvente  les  injures  les  plus  grossières 
aux  Sarrasins,  qu'il  traite  de  chiens  et  de  charognes  faites 
pour  servir  de  pâture  aux  milans.  C'est  contre  ceux  d'Es- 
pagne qu'il  exhorte  tous  les  chrétiens  à  marcher  pour  lie  pas 
encourir  la  damnation.  Quoiqu'il  parle  dans  sa  première 
strophe  de  la  prise  de  Jérusalem ,  M  veut  que  les  Portugais , 
Galiciens,  Castillans,  Arragonais,  se  soulèvent  quand  ils  ver- 
ront s'avancer  à  leur  secours  Allemands,  Anglais,  Bretons, 
Angevins ,  Béarnais ,  Gascons  et  Provençaux  ;  il  marchera 
lui-même  avec  eux,  et  soyez  sûrs,  dit-il,  qu'avec  nos  épées, 
nous  trancheroïis  la  tête  à  ces  misérables. 

Cette  brusque  franchise  de  style  n'était  pas  toujours  le 
caractère  des  poésies  de  Gavaudan.  Il  se  faisait  quelquefois 
gloire  d'être  obscur;  il  fait  à  dessein  un  poème  clos  et  couvert, 
pour  éprouver  ceux  qui  ont  l'esprit  ouvert  ou  bouché,  et  il  se 


XII  SIECLE. 


446  LA  COMTESSE  DE  DIE. 

moque  des  ignorans  qui  baient  et  musent  dans  l'embarras 
où  les  jette  ce  qui  est  trop  savant  pour  eux.  Il  dit  dans  une 
autre  pièce,  quil  ne  ressemble,  pas  aux  autres  troubadours; 
.  que  ce  qui  donne  du  prix  à  ses  vers,  c'est  que  sur  mille  il 
n'y  en  aura  pas  dix  qui  puissent  retenir  le  sens  de  ce  qu'il  va 
dire.  Mais  dans  cette  pièce  même  oii  il  s'emporte  contre 
toutes  les  femmes,  à  1  occasion  d'un  trait  de  fausse  amitié 
qu'il  reproche  à  sa  maîtresse,  il  ne  parle  quelquefois  que  trop 
clairement,  car  il  emploie  les  mots  les  plus  obscènes. 

Soit  qu'il  eût  accusé  faussement  cette  maîtresse ,  soit  qu'il 
se  fût  ensuite  raccommodé  avec  elle,  il  composa  sur  sa  mort 
une  complainte  où  l'on  trouve  l'expression  d'une  douleur 
vraie  et  le  ton  du  sentiment.  On  a  aussi  de  lui  deux  pas- 
tourelles,  ou  espèces  dVglogUes,  qui  ne  manquent  pas  de 
La  Savieza  naïveté.  La  bergère  parle  dans  l'une  de  la  sagesse  de  Salomon 
Saïainos.  ^^  s'autorisc  daus  l'autre  de  la  faiblesse  d'Eve  pour  excuser  la 

sienne.  Ce  sont  des  traits  conformes  à  l'esprit  du  temps. 

Les  poésies  de  Gavaudan  le  vieux  se  trouvent  principale- 
ment dans  le  manuscrit  7226  de  la  bibliothèque  royale. 


v«.«^«'«/«'%. 


LA    COMTESSE    DE   DIE, 
POÈTE  PROVENÇALE. 

Hist.  Littér.  JM  ous  avons  parlé  de  la  comtesse  de  Die  à  l'article  de  Ram- 
t. XIII, p. .472  ijaud  d'Orange.  Il  y  eut  deux  comtesses  de  ce  nom,  toutes 
deux  poëfes  et  toutes  deux  aimées  et  chantées  par  deux  trouba- 
dours provençaux.  On  ne  peut  que  conjecturer  ce  que  ces 
deux  comtesses  étaient  l'une  à  l'autre.  Il  paraît  que  c  était  la 
mère  et  la  fille.  Rambaud  d'Orange,  amant  de  la  première, 
étant  mort  vers  1 1^3,  on  peut  croire  que  ce  fut  alors  qu'elle 
épousa  Guillaume  de  Poitiers.  Elle  lui  apporta  le  comté  de 
Die,  dont  elle  garda  le  titre,  selon  l'usage  du  temps,  et  ce 
titre  passa  même  à  sa  fille.  C'est  dix-sept  ans  après,  en  1 190, 
que  Ion  place  la  mort  de  Guillaume  Adhémar,  amoureux  de 
la  jeune  comtesse.  Rien  de  plus  naturel  que  le  goût  hérédi- 


XII  SIECLE. 


GUILL.  DE  BALAUN.  -PIERRE  DE  BARJAC.     447 

taire  de  la  fille  pour  la  poésie  et  pour  les  poètes;  rien  aussi 
qui  le  soit  plus  que  cette  visite  delà  mère  et  de  la  fille  chez  le 
troubadour  mourant, et  le  soin  que  prit  la  première  de  lui" 
faire  élever  un  tombeau ,  et  d'y  faire  graver  des  vers  à  sa 
louanj^e,  prouve  suffisamment  l'estime  qu'elle  avait  pour  les 
talens  poétiques,  et  ceux  qu'elle  possédait  elle-même. 

No.straflamus  dit  que  celle  qui  fut  aimée  de  Guillaume 
Adhémar  était  l'iuie  des  dames  présidant  la  cour  d'amour  de 
Sifïna  et  de  Pierrefeu.  On  trouve  en  eftet,  dans  la  liste  de  ces 
dames,  une  comtesse  de  Die:  mais  il  est  plus  vraisemblable  ,  Voy. ci-dess. 
que  celait  la  mère,  celle  qui  lutaimee  denarabaud  d  Orange.  CeofiroiRudeJ. 
Sa  fille,  qui  mourut  de  chagrin  dans  un  couvent  de  Taras- 
çon,  peu  (le  temps  après  la  mort  d' Adhémar,  était  trop  jeune, 
et,  n'étant  pas  mariée,  ne'  pouvait  sans  doute  présider  ce 
grave  tribunal. 

C'est  de  la  première  comtesse  de  Die  que  sont  les  quatre 
pièces  de  vers  que  l'on  trouve  dans  quelques  manuscrits.  Il  ne       N°»  3ao4  et 
s'est  rien  conservé  de  la  seconde.  Nostradamus  dit  qu'elle  ^.*°'  ^^  '*  ^''^' 

/     1  .  .  •    '     1      1      m  ticane. 

avait  compose  depuis  sa  retraite  un  traite  de  la   larasque,        lo  Tractai 
en  rimes  provençales.  La  Tarasque  était  un  mannequin  en  de  la  Tharasca. 
forme  de  poisson,  qu'on  promenait  en  certains  jours  dans  la 
ville  de  Tarascon,  et  dont  un  homme  caché  en  dedans  met- 
tait la  queue  en  mouvement;  mais  on  ne  sait  ce  qu'est  de- 
venu ce  traité. 

G. 


GUILLAUME  DE  BALAUIS  , 

ou   BALAZ.UN, 
ET   PIERRE   DE  BARJAC, 

POETES   PROVENÇAUX. 


L(E  premier  de  ces  deux  troubadours  était  un  noble  châ- 
telain du  pays  de  Montpellier,  et  le  second  un  simple  che- 


448    GUILL.  DE  BALAUN.— PIERRE  DE  BARJAC. 
xu  SIECLE,    ^^jjgj.  jig  étaient  intimes  amis,  tous  deux  aimables  et  galans, 
et  cultivaient  ensemble  la  poésie  et  les  dames-Guillaume  de 
Balaun  étant  devenu  amoureux  de  Guillelmine,  dame  de  Jo- 
viac,  dans  le  Gévaudan,  et  ayant  réussi  auprès  d'elle,  Pierre 
de  Barjac  voulut  la  connaître,  et  accompagna  son  ami  dan» 
une  de  ses  visites  au  château  de  Joviac.  11  y  trouva  une  jeune 
dame  appelée  Viernette ,  femme  du  ravisseur  d'un  petit  tiet 
des  environs,  et  intime  amie  de  Guillelmine  :  il  l'aima,  s'en 
fit  aimer,  et  pendant  quelque  temps  les  deux  chevaliers  furent 
également  heureux.  Mais  Viernette  se  brouilla  avec  son  amant. 
Barjac  cessa  de  l'aller  voir,,  et  lui  adressa  un  sirvente,  dans 
lequel  il  lui  déclare  qu'elle  peut  faire  choix  d'un  autre  amant, 
et  qu'il  lui  en  a  donné  l'exemple  en  prenant  une  autre  maî- 
tresse. Mais  ils  se  sont  fait  des  sermens  mutuels;  peuvent- 
ils  les  rompre  sans  crime  ?  Voici  le  parti  qu'il  lui  propose. 
Adressons-nous,  dit-il,  à  un  prêtre -.vous  me  donnerez  votre 
absolution,  vous  recevrez  la  mienne;  et  nous  pourrons  ainsi 
loyalement  former  de  nouvelles  amours.  »  Pour  bien  sentir 
tout  ce  que  prouve  contre  les  mœurs  du  siècle  cette  pvo- 
position   de   l'intervention'  d'un   prêtre    dans  une  pareille 
affaire ,  il  ne  faut  pas  oublier  que  Viernette  était  mariée , 
ainsi  que  la  dame  de  Joviac. 

Balaun  s'entremit  dafts  cette  brouillerie  et  parvint  à  rac- 
commoder les  deux  amans.  Barjac   trouva   tant  de   plaisir 
dans  ce  raccommodement ,  qu'il  assura  à  son  ami  qu'une 
réconciliation  vaut  mieux  en  amour  que  les  premières  faveurs. 
Guillaume  de  Balaun  voulut  en  faire  l'épreuve  ,  et  sur  le 
plus  léger  prétexte,  ou  même  sans  en  chercher,  il  rompit 
avec  sa  dame,  cessa  de  la  voir  ,  refusa  de  répondre  à  ses 
lettres,  même  à  l'ambassade  qu'elle  lui  fit  d'un  chevalier  confi- 
dent de  leurs  amours ,  et  ce  qui  est  bien  plus  extraordinaire  , 
il  repoussa  même  ses  prières  dans  une  visite  nocturne  oii  elle 
ne  craignit  point  de  s  abaisser  jusqu'à  tomber  à  ses  genoux. 
La  dame  de  Joviac  se  lassa  enfin  de  ce  rôle  humiliant;  elle 
devint  fière  à  sop  tour  :  alors  Guillaume  changea  de  rôle  et 
devint  suppliant  à  son  tour.  Guillelmine  se  donne  le  plaisir 
de  rejeter  pendant  un  an  ses  prières ,  ses  supplications  et  ses 
vers.  Enfin,  un  ami  commun, le  chevalier  Bernard  d'Anduse, 
rendit  à  Balaun  le  même  service  que  Balaun  lui-même  avait 
rendu  à  Bajac  :  il  le  fit  rentrer  en  grâce  ;  mais  ce  fut  à  une 
condition  sévère.  Elle  exigea  que  le  coupable  s'arrachât  l'ongle 
du  plus  long  doigt  de  la  main  droite ,  et  qu'il  vînt  le  lui  oftrir 


GUILLAUME  DE  SAINT- DIDIER.  449 

avec  une  chanson  qu'il  aurait  composée  exprès.  Crescimbeni 
conjecture  quelle  avait  voulu  par  là  le  mieux  punir,  parce- 
qu'il  jouait  avec  beaucoup  d'habileté  d'un  instrument  à  cordes, 
et  qu'il  le  touchait  sur-tout  avec  cet  ongle.  Balaun  se  trouva 
trop  heureux  d'en  être  quitte  à  si  bon  marché  :  il  se  fit  arra- 
cher l'ongle  par  un  chirurgien  ,  fit  la  chanson  exigée  ;  et 
conduit  par  Bernard  d'Audrun ,  alla  déposer  cet  hommage 
aux  pieds  de  la  dame  de  Joviac.  A  ce  spectacle ,  elle  fond  en 
larmes,  pardonne  et  récompense.  Balaun  avoua  ensuite  à  son 
ami  Barjac  qu'il  ne  l'avait  point  trompé.  La  chanson  qui  lui 
avait  été  prescrite  s'est  conservée  :  elle  commence  par  ces 

vers  : 

Mon  vers  mov  merceyan  vas  vos 

M«t  chanson  va  vers  vous  en  demandant  merci. 

C'est  la  seule  qui  nous  reste  de  ce  troubadour ,  que  don 
'Vaissette  compte  parmi  les  poètes  provençaux  du  XIP  siècle, 
sous  le  bon  comte  de  Toulouse  Raymond  V.  G. 


GUILLAUME   DE   SAINT -DIDIER^^ 

POÈTE  PROVENÇAL. 

(jruiLLAUME  DE  Saint-Didier,  richc  gentilhomme  du  Vêlai  (a), 
ne  se  distingua  pas  seulement  par  les  talens  et  les  dons  de 
l'esprit;  il  s'acquit  l'estime  publique  par  ses  qualités  civiles 
et  militaires.  Il  fut  amoureux  d'Adélaïde,  marquise  de  Po- 
lignac,  ou  comme  l'écrit  Nostradamus,  de  Poullignac,  sœur 
du  Dauphin  d'Auvergne  et  de  Nassale  de  Claustral  ou  de 

(1)  Il  est  appelé  par  Nostradamus  Guilhem  de  Sainct-Desdier ^  et  dans 
différents  mss.  de  la  Vaticane  Guillems  de  Saint-Leidier ,  di  Sain-Leisder , 
de  San-Disder.  Crescimbeni  en  rapportant  ces  variantes  dans  une  note  sur 
la  vie  de  ce  troubadour,  croit  qu'elles  signifient  toutes  en  italien  sant 
Isidoro ,  qu'on  a  ensuite  appelé  sant'  Isideio.  Cependant  comme  plusieurs 
provençaux  lui  ont  affirmé  que  tous  ces  noms  signifient  en  ïtaXien  San 
Desiderio,  il  conserve  ce  nom  à  Guillaume  dans  sa  traduction. 

(2)  Nostradamus  dit  de  Vellaj ;  Crescimbeni ,  de  Veilac  ou  Fellai ; 
Miilot  le  dit  «  un  riche  châtelain  de  Veillac  (ou  Noaillac,  ajoute-t-il)  dans 
l'évêché  du  Puy-Sainte-Marie  ».  C'est  d'après  le  ms.  32o4  de  la  Vaticane, 
fol.  62,  que  Crescimbeni  a  ainsi  cité  dans  une  note. 

Tome  XV.  L 1 1 


XII  SIECLE 


45o  GUILLAUME  DE  SAINT- DIDIER. 

—  Claustre  ,    dont  il  est  parlé  dans  la  vie  de  Pierre  de  la 

Vernègue  (i).  Saint  Didier  composa  plusieurs  chansons  à  la 
louange  de  la  marquise  ;  pour  dérober  à  son  mari  la  con- 
naissance de  leur  amour,  il  la  nommait  Bertrand  dans  ses 
vers,  et  ayant  donne  ce  même  nom  à  l'un  de  ses  plus  intimes 
amis,  appelé  Hugues  Maresclial ,  c'est  à  lui  qu'il  adressait  ses 
chansons. 

Nostradamus,  et  d'après  lui  Crescimbeni ,  rapportent  ainsi 
le  fin  de  cette  aventure.  Hugues  sachant  tous  les  secrets 
de  Guillaume,  entreprit  de  le  faire  chasser  de  cette  cour, 
croyant ,  par  ce  moyen  ,  prendre  sa  place  auprès  de  la 
marquise.  Son  projet  ne  réussit  qu'à  moitié.  Guillaume 
fut,  a  la  vérité,  contraint  de  s'éloigner,  et  de  se  retirer  en 
Provence,  auprès  du  roi  d'Arragon,  Ildephonse  ou  Alphonse 
I*"",  où  il  mourut  en  1 185  ;  mais  Adélaïde  voyant  la  trahison 
et  la  témérité  de  Hugues  Mareschal ,  le  chargea  d'aller  re- 
cevoir son  revenu  dans  quelqu'une  de  ses  terres,  et  il  y  fut 
tué  par  les  paysans,  sans  que  l'on  ait  jamais  su  pourquoi. 
Labbé  Millot ,  d'après  un   ancien  manuscrit  provençal, 

T.  m,  p.  lao.  raconte  très- différemment  et  moins  tragiquement  la  chose. 
Selon  lui ,  la  liaison  secrète  de  Guillaume  avec  Adélaïde 
durait  depuis  long-temps  sans  qu'il  eût  rien  obtenu  d'elle. 
Enfin  elle  lui  déclara  qu'il  n'en  obtiendrait  jamais  rien  si 
le  vicomte  son  mari  (2)  ne  la  priait  et  ne  lui  commandait 
de  le  prendre,  lui  Guillaume,  pour  chevalier  et  pour  ser- 
viteur. Il  s'occupa  aussitôt  des  moyens  de  remplir  cette  con- 
dition. Il  composa  une  pièce  de  vers  où  il  faisait  parler  un 
mari  intercédant  auprès  de  sa  femme  en  faveur  d'un  chevalier 
amoureux.  Ses  chansons  plaisaient  beaucoup  au  vicomte , 
qui,  dit  naïvement  le  biographe  provençal,  les  chantait  lui- 
même  fort  bien.  Guillaume  ''alla  donc  trouver  et  lui  récita 
la  chanson  qu'il  venait  de  faire.  Le  vicomte  la  trouva  plaisante, 
l'apprit  et  l'alla  chanter  à  sa  femme.  Elle  se  ressouvint  de  la 
parole  qu'elle  avait  donnée  à   Guillaume ,  et  voyant  qu'il 

(i)  Selon  la  notice  de  ce  même  ms.  provençal,  ce  ne  fat  point  de  la 
sœur  de  Nassale  de  Claustre,  mais  de  Nassale  elle-même  que  Guillaume 
fut  amoureux.  Voy.  sur  cette  dernière  la  vie  de  Pierre  de  la  Vernègue, 
oi-dessus ,  p.  aS. 

(a)  Suivant  un  usage  des  grandes  maisons  de  ce  temps ,  Adélaïde  avait 
gardé  son  titre  de  marquise,  quoique  son  mari  portât  celui  de  vicomte 
de  Polignac. 


GUILLAUME  DE  SAINT -DIDIER  45 1 

avait  rempli  la  condition  qu'elle  lui  avait  prescrite,  elle  l'ac- 
cepta ,  comme  elle  l'avait  promis  ,  pour  son  chevalier  et 
serviteur. 

Leurs  amours  durèrent  long-temps;  mais  elles  finirent  par 
une  infidélité  scandaleuse. 

Le  troubadour  cachait  son  bonheur  avec  beaucoup  de 
discrétion,  et  se  montrait  souvent  dans  le  monde  occupé  de 
toute  autre  dame  que  de  la  sienne.  Il  l'était  sur- tout  de 
la  comtesse  de  Roussillon,  dont  la  beauté  et  le  mérite 
attiraient  les  hommages  des  plus  braves  chevaliers  :  il  la 
louait  et  la  vantait  à  tout  propos;  elle  le  voyait  de  bon  œil. 
Peut-être  devint-il  moins  assidu  auprès  ae  la  marquise  : 
elle  en  fut  jalouse  et  crut  aux  bruits  qui  couraient  sur  Guil- 
laume et  sur  la  comtesse.  Décidée  à  se  venger ,  elle  mande 
Hugues  Mareschal ,  lui  déclare  qu'elle  l'a  choisi  pour  son 
vengeur  et  pour  son  chevalier.  «Je  veux,  dit-elle,  aller  en 
pèlerinage  a  St.  Antoine  de  Viennois  ;  nous  passerons  chez 
Saint-Didier,  et  nous  y  coucherons  dans  sa  chambre  et  dans 
son  propre  Ht.  »  Hugues,  d'abord  très-surpris ,  accepte  :  ils 
partent,  et  non  pas  secrètement;  la  marquise  avait  avec  elle 
ses  dames  et  demoiselles  ,  suivies  de  plusieurs  chevaliers. 
Guillaume  était  absent;  elle  n'en  est  pas  moins  bien  et  moins 
honorablement  reçue  dans  son  château.  On  la  sert  comme 
elle  le  désire  ;  enfin  elle  passe  la  nuit  avec  Hugues  dans  le 
lit  même  de  Guillaume.  La  nouvelle  s'en  répandit  bientôt 
dans  le  pays  :  Guillaume  en  fut  aussi  afflige  que  confus  , 
mais  il  prit  le  sage  parti  que  conseille  un  poète  comique. 

L'éclat  est  pour  le  fou,  la  plainte  est  pour  le  sot; 
L'honnête  homme  trompé  s'éloigne,  et  ne  dit  mot. 

il  se  livra  entièrement  à  la  comtesse  de  Roussillon  et  se 
détacha  de  la  marquise. 

L'abbé  Millot  observe  en  finissant  que  l'historien  provençal 
aurait  dû  nous  apprendre  quelle  fut  la  conduite  du  mari  après 
cette  aventure.  Nous  observerons  à  notre  tour  que  ce  second 
dénouement  d'une  intrigue  coupable  dès  son  origine ,  mais 
long-temps  couverte  du  voile  de  la  décence,  paraît  moins  vrai- 
semblable que  le  premier.  Les  précautions  prises  pour  cacher 
cette  liaison  d'amour  depuis  ses  premiers  temps,  malgré  la  cré- 
dule simplicité  du  mari ,  ne  s'accordent  point  avec  l'effronterie 
d'une  femme  capable  de  mettre  cette  sorte  de  publicité  dans 
un  acte  de  coquetterie  et  de  libertinage.  Ajoutons  que  cette 

Llla 


XII  SIECLE. 


452  GUILLAUME  DE  SAINT- DIDIER. 

"VIT   ^TÎî'f^T  T" 

1  même  aventure  ou  du  moins  une  toute  semblable,  se  trouve 

dans  la  vie  d'un  autre  troubadour,  Gaucelm  Faidit,  comme 
nous  le  verrons  à  son  article  ;  et  ce  qui  n'est  peut-être  pas 
indifférent,  c'est  que  le  chevalier  choisi  par  la  dame  pour  être 
le  héros  de  la  fête,  supérieur  en  naissance  à  Hugues  Mares- 
Voy.  Miliot,  chai,  s'appelle  Hugues  comme  lui;  il  peut  y  avoir  ici  confu- 

t.  i,p.  365.       sion,  et  il   est  surprenant  que  l'abbe  Miliot  ne  se  soit  pas 
aperçu  lui-même  qu'il  y  a  au  moins  double  emploi. 

T.  III,  p.  126.  Il  reproche  à  Don  Vaissette,  historien  du  Languedoc  d'être 
tombé  dans  quelques  erreurs  au  sujet  de  Guillaume  de  Saint- 
Didier.  La  principale,  et  il  n'en  cite  pas  d'autre,  est  de  le 
compter  parmi  les  troubadours  du-  XII*  siècle.  Pour  prouver 
qu'il  vivait  bien  avant  dans  le  XIII*=,  il  allègue  une  pièce  du 
recueil  de  Guillaume,  où  le  poète  dit  qu'il  voudrait  que  le 
roi  d'Angleterre  et  son  frère  Richard  allassent  combattre 
les  païens,  c'est-à-dire  les  Musulmans,  et  ajoute  que  ceux 
qui  voudront  montrer  leur  valeur  doivent  aller  en  Castille 
auprès  du  roi  Alphonse,  continuellement  occupé  à  détruire 
leur  puissance.  Or,  dit  l'abbé  Miliot,  le  seul  Roi  d'Angleterre 
de  ces  temps-là  qui  eût  un  frère  nommé  Richard  est  Henri 
III  (  I  ),  dont  le  règne  commence  en  1 2 1 6,  et  depuis  cette  époque, 
le  premier  roi  ae  Castille  nommé  Alphonse  est  Alphonse  X 
qui  ne  monta  sur  le  trône  qu'en  laôa,  et  ne  fît  la  guerre  aux 
Maures  qu'en  12.56.  Ces  objections  paraissent  fortes,  mais  il 
les  détruit  lui-même  à  la  fin  de  son  article.  «  Crescimbeni, 
dit-il,  parle  d'un  fils  de  Guillaume  de  Saint-Didier,  nommé 
Gausserand,  troubadour  comme  son  père,  et  qui  égala  les 
poètes  les  plus  renommés  de  son  temps...  Une  note  de  nos 
manuscrits  fait  mention  de  Gausserand  et  de  ses  amours, 
mais  le  suppose  fils  de  la  fille  (  petit  fils  )  de  Guillaume  de 
Saint-Didier;  ses  ouvrages  ont  été  vraisemblablement  con- 
fondus avec  ceux  de  son  père.  On  lit  à  la  tête  du  manuscrit  : 
Poésies  de  Guillaume  de  Saint-Didier  ou  Gausserand  de  Saint- 
Didier.  En  ce  cas,  la  critique  sur  l'historien  du  Languedoc, 
faite  d'après  M.  de  Sainte-Palaye,  pourrait  être  moins  solide 
si  l'on  attribuait  à  Gausserand  la  pièce  historique  dont  j'ai 
Ubi  »upr.  p.  ^2iv\é.  »  Il  ne  nous  paraît  pas  douteux  qu'il  ne  faille  attribuer 

(i)  Henri,  fils  de  Henri  II,  couronné  roi  d'Angleterre  du  vivant  de 
son  père,  décédé  l'an  ii83,  eut  aussi  un  frère  nommé  Richard  duc  d'A- 
quitaine, puis  roi  d'Angleterre.  Ne  peut-on  pas  supposer  que  c'est  d'eux 
qu'il  est  question  dans  la  pièce  citée  par  Miliot.'' 


GUILLAUME  DE  SAINT -DIDIER.  453 

.,        ,     _  1  •         -,  j      1    •    j  XII  SIECLE. 

cette  pièce  a  Gausserand,  puisquil  y  en  a  de  lui  dans  ce  re-   

cueil,  et  puisqu'elle  est  la  seule  qui  contredise  sur  l'époque 
de  l'existence  de  Guillaume  son  père,  je  ne  dirai  pas  Nostra- 
damus  et  Crescimbeni,  mais  Don  Vaissette,  historien,  dont 
on  connaît  la  saine  critique  et  la  scrupleuse  exactitude. 

Crescimbeni  paile  en  effet  dans  ses  additions  aux  vies  des       ciunta  aile 
poètes  provençaux  de  ce  Gausserand  qu'il  nomme  Galserano  ''"'^   '^^'  P°"'^ 
OMJlserano  di  San  Desiderio.  Il  n'en  ait  que  peu  de  chose,  et  de°sorhistoire 
seulement  que  c'était  le  fils  de  Guillaume  cle  Saint-Didier,  qu'il  delà  poésie  vul- 
devint  amoureux  de  la  comtesse  de  Vianes,  fille  de  Guillaume  ,  g^ire,  p.  i86. 
marquis  de  Montferrat  ;  et  qu'il  fit  de  fort  belles  chansons      ^"3204,  p. 
que  1  on  trouve  dans  un  manuscrit  de  la  Vaticane,  où  est  aussi  i*7 1  ^"• 
cette  courte  notice.  C'est  comme  l'observe  Millot ,  la  comtesse 
de  Viennois  et  non  pas  de  Vianes  qu'il  fallait  dire.  Il  ajoute 
que  c'est  Be'atrix,  femme  de  Guignes  -  André ,  dauphin  de 
Viennois,  mort  en  ia37,  laquelle  conserva  toujours  le  titre 
de  comtesse.  Mais  en  fixant  ainsi  l'époque  où  florissait  Gaus- 
serand, comment  n'a-t-il  pas  vu  qu'il  rejetait  nécessairement 
à  la  fin  du  XII<=  siècle  celle  où  Guillaume  père  de  ce  Gausse- 
rand florissait  lui-même,  et  où,   sans   doute  avant  d'avoir 
épousé  la  femme  dont  il  eut  ce  fils,  il  était  amoureux  de  la 
marquise  de  Polignac,  et  menait  la  vie  errante  et  libre  de 
troubadour  .3  Si  c'est  la  note  des  manuscrits  provençaux  citée 

f)ar  Millot  qu'il  en  faut  croire,  et  si  Gausserand,  qui  aima 
a  comtesse  de  Viennois,  n'était  que  petit-fils  de  Guillaume, 
cela  recule  encore  d'une  génération  dans  le  XIP  siècle  l'exis- 
tence de  ce  dernier. 

Il  ne  faut  pas  un  grand  effort  de  critique,  ou  même  de  simple 
raison  pour  rejeter  au  rang  des  fables  ce  que  dit  Nostrada- 
mus  de  l'art  que  Guillaume  possédait  d'interpréter  les  songes. 
Selon  cet  historien,  il  en  interpréta  un  que  fit  la  marquise, 
et  qui  lui  prédisait  ce  qui  devait  leur  arriver  à  tous  deux 
par  l'envie  et  la  trahison  de  Hugues  Mareschal. 

Le  même  Nostradamus  dit  que  Saint-Didier  avait  mis  les  i^^s  Fables 
fables  d'Esope  en  rimes  provençales,  et  qu'il  fit  aussi  un  beau  <rEsop. 
traité  de  l  escrime  ^  qu'il  adressa  au  comte  de  Provence. 
L'abbé  Millot  ne  parle  pas  de  ces  deux  ouvrages.  La  Croix 
du  Maine  et  du  Verdier  disent  que  4oo  ans  après  la  mort  de 
notre  auteur,  un  autre  gentilhomaie  de  même  surnom,  de 
même  qualité  et  de  même  pays,  a  écrit  un  livre  de  l'escrime. 
C'est  Henri  de  Saint-Didier;  et  dans  l'article  qui  le  concerne, 
il  n'est  point  fait  mention  de  Guillaume. 


454  PEYROLS  D'AUVERGNE. 

XII  SIECLE.  j  '  •         1  1         •        '     •  1 

_  Les  poésies  de  ce  dernier  étaient  dans  un  des  manuscrits 

^ivf'^'B^b"'*  de  la  bibliothèque  du  roi  Robert.  Dans  la  lettre  grise  du 

lîe.etdùver-  Hianuscrit  yaaS  de  la  bibliothèque  Royale,  où  se  trouvent 

(lier,  p.  542.  neuf  de  ses  chansons,  il  est  peint  à  cheval,  la  lance  en 

Nostradamu»,  main  et  tenant  un  écu  de  gueules  de  trois  tourteaux  d'argent 

Hist.  de  Prov.,    •    .     .  ,  .^"  •    1     .         S 

part.  3,  p.  379.  joints  par  une  barre  qui  traverse  et  une  autre  qui  descend  en 
forme  de  T.  (i)  .  G. 

(i)  D.  Vaissette,  Hist.  de  Languedoc,  t.  III ,  p.  97  et  98.  Les  autres  mss. 
qui  contiennent  les  poésies  de  Guillaume  sont  les  3,2o4,  5,6,  7  et  8  de 
la  Vaticane ,  il  y  en  a  aussi  avec  .sa  vie  dans  les  mss.  provençaux  de  la  Lau- 
rentienne  {pluteo  41  )•  Dans  les  mss.  de  Sainte- Palaye ,  elles  se  trouvent 
ms.  R,  fol.  49  V.  L.  C,  fol.  108,  187;  D,  285;  K,  a88  ;  G,  208;  D, 
295  ;  G ,  209 ,  348. 


PEYROLS   D'AUVERGNE, 

*•  POÈTE  PROVENÇAL. 

On  a  souvent  confondu  ce  troubadour  avec  Pierre  d'Au- 
vergne. Nostradamus,  qui  était  sans  doute  dans  cette  erreur, 
Viesdespoèt.  a  fait  uiie  vie  de  Pierre  et  n'a  rien  dit  de  Peyrols.  Crescim- 
provençaux.       bejjj  Jpg  a  fort  bien  distingues  dans  une  des  notes  ajoutées 
Giunte  aile  à  sa  traduction  de  cette  vie  de  Pierre  d'Auvergne;  et  il  a  en- 
vite   de'  poet.  ^^\^q  consacré  un  article  à  Peyrols  qu'il  nomme  à  l'italienne 
provenç.  Pieruolo ,  daus  ses  additions  aux  vies  des  poètes  provençaux^ 

article  extrait  d'un  manuscrit  du  Vatican  N"  32o4,  fol.  42- 
Peyrols  était  un  chevalier  sans  fortune,  né  au  château  de 
Peyi'ols,  au  pied  de  Roquefort  dans  l'apanage  du  dauphin 
d'Auvergne.  Le  dauphin  prévenu  en  sa  faveur  par  une  figure 
agréable,  par  des  manières  douces  et  polies  et  par  des  talens 

fïoétiques  qui  s'annoncèrent  de  bonne  heure,  prit  soin  de 
oi,  et  pourvut  avec  magnificence  à  son  équipage  de  che- 
valier. Il  poussa  plus  loin  les  preuves  de  l'intérêt  qu'il  prenait 
à  lui.  Peyrols,  comme  tous  les  troubadours,  fit  choix  d'une 
beauté  qu'il  pût  célébrer  dans  ses  vers  ;  et  ce  choix  se  fixa 
sur  une  sœur  du  dauphin  lui-même.  Elle  avait  épousé  Beraud 


PEYROLS  D'AUVERGNE.  455 

deMercœur,  grand  baron  d'Auvergne,  sans  doute  après  qu'il 
eût  perdu  sa  première  femme  Azalaïs,  comme  on  le  voit 
dans  l'article  de  Pons  de  Capdueil.  Le  dauphin  encouragea 
Peyrols  dans  cette  passion,  le  servit  auprès  de  sa  sœur,  et 
poita  ses  bons  oflices  jusqu'à  favoriser  entre  eux  la  liaison  la 
plus  intime.  Mais  cette  liaison  eut  enfin  trop  d'éclat.  Les 
mœurs  du  temps  et  le  mari  lui-même  l'auraient  permise,  si 
Peyrols  eût  été  un  plus  grand  seigneur,  mais  il  y  avait  scan- 
dale puisqu'il  n'était  qu'un  simple  chevalier.  Il  fut  désavoué 
par  son  protecteur ,  rejeté  avec  mépris  par  la  dame  dont  il 
n'avait  pas  tenu  les  faveurs  assez  secrètes,  et  réduit  à  cher- 
cher fortune  ailleurs. 

Il  se  consola  par  d'autres  amours  et  mena  long-temps  une 
vie  déréglée,  dont  on  voit  des  traces  dans  plusieurs  de  ses 
tensons,  sortes  de  combats  poétiques  entre  deux  interlocu- 
teurs réels  ou  fictifs  sur  des  questions  d'amour  et  de  galan- 
terie. Peyrols  y  soutient  toujours  le  parti  de  la  légèreté  en 
amour  et  du  hbertinage. 

Il  sortit  enfin  de  ces  déréglemens  pour  se  jeter  avec  ar- 
deur dans  les  fatigues  et  les  dangers  de  la  troisième  croi- 
sade. Avant  départir,  il  composa  une  de  ses  plus  jolies  pièces; 
c'est  un  dialogue  entre  l'amour  et  le  poète.  L'amour  lui 
reproche  d'avoir  renoncé  à  lui  et  aux  chansons  :  Peyrols  se 
défend.  Il  aime  encore,  mais  sagement.  Il  suivra  l'exemple 
de  tant  d'autres  qui  pleurent  en  Syrie  leurs  maîtresses.  Les 
affaires  de  la  croisade  se  trouvent  ici  mêlées  avec  celles  de 
l'amour  :  «  ce  n'est  pas  vous,  lui  dit  l'amour,  qui  chasserez 
de  la  tour  de  David  les  Turcs  et  les  Arabes;  ne  sopgez  qu'à 
chanter  et  à  aimer. 

Peyrols ,  Turc  ni  Arabit 
Ja  pel  Tostr'envazimen 
No  laisseron  tor  Davit  : 
Bon  cosselh  vos  don  e  gen 
Amatz  et  cantatz  soven. 

Que  voulez- vous  aller  faire  à  la  croisade,  quand  les  rois 
n'y  vont  pas  eux-mêmes  ?  voyez  comme  ils  s'occupent  d'autres 
guerres,  et  comme  les  barons  cherchent  aussi  d'autres  pré- 
textes pour  se  dispenser  de  partir.  »  Mais  Peyrols  persiste  ;  il 
prie  Dieu  de  le  conduire  à  la  Terre-Sainte,  et  de  mettre  bien- 
tôt la  paix  entre  les  deux  rois,  c'est-à-dire  entre  ceux  de  France 
et  d'Angleterre.  Ce  qui  fait  voir  que  cette  chanson  fut  faite 


XII  SIECLE. 


XII  SIECLE. 


456  PEYROLS  D'AUVERGNE. 

avant  que  Philippe-Auguste  et  Richard-Cœur-de-lion ,  cessas- 
sent de  se  faire  la  guerre  pour  entreprendre  leur  fatale  expé- 
dition en  Palestine. 

II  paraît  que  Peyrols  y  resta  lors  même  que  les  deux  rois 
n'y  étaient  j>lus.  Ou  le  voit  par  une  pièce  qu'il  composa  sur 
les  lieux  mêmes,  et  dans  laquelle  il  déplore  l'état  oii  sont 
restées  après  eux  les  affaires  des  chrétiens;  puis  qu'il  a  vu 
le  fleuve  et  le  monument,  c'est-à-dire  le  Jourdain  et  le  Saint- 
Sépulcre. 

Pus  flum  Jordan  ai  vist  e'I  monimen ,  etc. 

Il  rend  grâces  à  Dieu  et  il  oublie  tous  ses  maux .  Cependant  il  veut 
retourner  en  hâte  à  Marseille  et  ne  demande  à  Dieu  que  bonne 
mer,  bon  vent,  bon  navire  et  bon  pilote.  Il  dit  adieu  aux  villes 
d'Acre,  de  Sour  et  de  Tripoli,  aux  sergenset  aux  hospitaliers. 
«  Le  monde,  dit-il,  va  en  décadence;  il  avait  de  bons  rois  et 
de  bons  maîtres  dans  les  personnes  de  Richard  et  du  roi  de 
Fi-ance,  (ils  étaient  alors  retournés  en  Europe),  Montferrat 
avait  un  bon  marquis  (il  avait  été  tué  en  Syrie) ,  et  l'empire  un 
empereur  glorieux,  (Fiédéric  i*""  qui  s'était  noyé,  non  dans 
le  Cydnus,  comme  on  le  croit  communément,  mais  dans  le 
Calycadnus  )  ;  mais  ceux  qui  sont  à  leur  place ,  comment  se 
comporteront-ils?  Seigneur  Dieu,  ajoute  le  poète,  si  vous 
m'en  croyiez  ^\ous  prendriez  bien  garde  à  qui  vous  donneriez 
les  empires,  les  royaumes,  les  châteaux  et  les  tours;  car  plus 
les  hommes  sont  puissans,  moins  ils  vous  honorent.  J'ai  vu 
l'empereur  faire  un  serment  et  ensuite  se  parjurer.  Vous  em- 
pereur (c'était  sans  doute  Henri  VI),  Damiette  vous  attend, 
et  la  tour  blanche  pleure  votre  aigle  qui  en  fut  chassé  par 
un  vautour  (i).  Bien  est  lâche  l'aigle  qui  se  laisse  prendre 
par  tel  oiseau  ». 

Peyrols  de  retour  en  France,  se  maria  à  Montpellier,  où 
l'on  croit  qu'il  mourut  peu  de  temps  après ,  c'est-a-dire  vers 
la  fin  du  XII«  siècle.  On  a  conservé  de  lui  vingt-quatre  ou 
vingt-cinq  chansons  galantes  et  cinq  tensons.  Ces  pièces  se 
trouvent  principalement  dans  le  manuscrit  du  Vatican, 
n°  32o4  et  dans  le  n°  7226  de  la  bibliothèque  Royale. 

G. 

(1)  L'auteur  fait  ici  allusion  à  l'incartade  de  Richard-Cœur-de-lion,  qui 
après  la  prise  de  St-Jean-d'Acre,  fit  arracher  et  jeier  dans  un  «loaque  le 
drapeau  que  le  duc  d'Autriche  avait  arboré  sur  une  des  tours  de  la  vdle, 
au  rapport  de  l'historien  Rigord. 


V^rl^^  «^«.■^^^  -«  -^«^-^  «•«  -^  «>%  ^«^«^^.«'^  «/k^^^'V 


PIERRE   RAIMOND, 

POÈTE  PROVENÇAL. 

Le  poëte  de  ce  nom ,  dont  parlent  les  notices  des  manuscrits 

grovençaux,  et  celui  dont  Nostradamus  a  donne  la  vie,  sera- 
ient deux  hommes  diftërens  ;  ce  n'est  pas  une  l'aison  de  croire 
qu'en  effet  il  y  en  a  deux ,  mais  que  Nostradamus  dans  cette 
vie ,  comme  d,ans  la  plupart  des  autres,  ne  s'est  soucié  ni  des 
anachronismes  ni  des  contradictions. 

Selon  les  manuscrits,  Pierre  Raimond  fut  simplement  fils 
d'un  bourgeois  de  Toulouse  ;  il  était  sage  et  spirituel ,  se  fit 
jongleur  dans  sa  jeunesse,  sut  bien  trouver  et  bien  chanter^  et 
fit  de  très-bonnes  chansons.  Il  passa  la  plus  grande  partie 
de  sa  vie  à  la  cour  d'Alphonse  II ,  roi  d'Arragon ,  (  mort  en 
1 196)  ou  à  celle  du  bon  comte  Raimond  V,  ou  enfin  auprès 
de  Guillaume  VIII,  seigneur  de  Montpellier  (mort  en  1202). 
Vers  la  fin  de  ses  jours,  il  se  maria  à  Pamiers,  où  il  mourut. 

Le  récit  de  Jean  Nostradamus,  tout  différent  qu'il  est,  ne 
contredit  celui-ci  que  dans  sa  dernière  partie.  Nostradamus 
donne  à  Pierre  Raimond  le  surnom  de  lo  Proux,  le  Preux, 
le  brave.  Selon  lui,  en  effet,  «il  était  preux  et  vaillant  «lu  fait 
des  guerres.  »  Il  passa  en  Syrie  avec  l'empereur  Frédéric ,  où. 
il  composa  plusieurs  belles  chansons  qu'il  adressait  à  Jaus- 
serande  del  Puech,  d'une  noble  et  ancienne  maison  de  Tou- 
louse. L'une  de  ces  chansons  commençait  par  ces  quatre  vers  : 

Vergiers,  ni  Hors,  ni  pratz 
Non  m'an  fach  Cantador 
Mas  per  vos  qu'yeu  ador, 
Domna ,  soy  allegratz. 

Une  autre  commençait  par  cette  strophe  de  sept  vers  : 

Enquera  m  vai  recalivan 

Lo  mais  d'amor  qu'avi  antan  ; 

Qii'una  dolor  mi  sent  venir 

Ai  cor,  d'un  angoyssos  talan,  > 

E'I  metges  que  m  pogra  guérir 

Vol  me  per  traitura  tenir  (i)  , 

Aissi  cum  l'autre  metge  fan.  ' 

(i)  On  lit  ailleurs  dîete  tenir,  mais  traitura  traitement  est  dans  tous  le« 
manuscrits. 

Tome  Xy.  M  m  m 


XII  SIECLE. 


XII  SIECLE. 


458      PIERRE  RAIMOND,  POETE  PROVENÇAL. 

Cette  chanson  est  dans  nos  manuscrits ,  ce  qui  prouve  l'iden- 
tité du  troubadour,  dont  ils  contiennent  les  poésies,  avec  ce- 
lui de  Nostradamus.  L'abbé  Millot  trouve  cette  idée  basse; 
mais  il  paraît  avoir  pris  avec  trop  de  simplicité  le  mot  diète 
dans  le  sens  propre.  «  Les  maux  que  jesouft'rais,  dit  le  poëte, 
se  sont  accrus  au  point  que  j'ai  senti  naître  dans  mon  cœur 
une  douloureuse  angoisse.  Le  médecin  qui  peut  me  guérir 
me  veut  tenir  à  la  diète,  comme  font  les  autres  médecins; 
je  veux  bien,  ajoute-t-il,  me  soumettre  à  cette  diète,  mais  je 
crois  qu'à  la  fin  elle  me  tuera.» Ni  l'idée,  ni  même  l'expres- 
sion nont  rien  de  bas  dans  ce  genre  de  poésies;  elles  n'ont 
même  rien  de  trop  libre,  vu  la  licence  qui  régnait  alors;  mais 
on  aurait  plutôt  a  y  reprendre  la  liberté  que  la  bassesse- 
Rien  n'empêche  non  plus  que  Raimond,  après  son  retour 
de  cette  croisade,  ne  soit  devenu  amoureux  d'une  dame  de 
la  maison  de  CodoUet,  comme  Nostradamus  le  dit  d'après  le 
moine  des  îles  d'Or.  Selon  eux,  il  fit  pour  elle  une  fort  belle 
chanson  qui  commence  ainsi  : 

Amors  si  ton  poder  es  tal 
Ensins  que  cad'  un  ho  razona. 

Et  dans  laquelle,  suivant  l'expression  de  Nostradamus,  il 
décrit  par  une  infinité  d'historiettes,  tous  ceux  qu'amour  a  mis 
sous  son  pouvoir.  Il  en  fit  encore  une  autre,  dont  voici  les 
premiers  vers  : 

Non  es  savy  ny  gayre  ben  après 
Aquel  que  blayma  amors  e  mal  en  ditz  ; 
Quar  el  sap  ben  donar  gaug  als  marritz 
E  lous  autres  lous  fay  tournar  courtes. 

C'est  là  qu'il  dit  que  bienheureux  soit  le  temps  et  le  jour 
et  l'an  et  le  mois  qu'il  fut  blessé  au  cœur  par  les  beaux  yeux 
de  celle  dont  il  ne  veut  plus  se  séparer. 

Ben  aia'l  temps ,  e'I  jorn  ,  e  l'an  ,  e'I  mes 
Que'ls  dolz  coi-s  gais,  plagenter,  gent  norritz, 
Me  saup  ferir  el  cor  d'un  dolz  e.igar 
Don  ja  no 'm  voil  despartir  ni  sebrar. 

Passage  que  Pétrarque  a  imité  dans  son  4o*  sonnet  : 

BeneJetto  sia'l giorno-,  e'I  mese,  e  lanno, 
E  lu  stagione,  e'I  tempo,  e  l'ora,  e'I punto, 

Ml  (Il   ■ 


PIERRE  ROGIERS,  POETE  PROVENÇAL       469 

E  'l  paese ,  e  7  /oco  ov  io/ui  ^iunto  XIL  SIECLE. 

Da  duo  begli  occhi  chc  legato  m'an/to. 

Enfin  Nostradamus  dit  que  Raiuiond  a  écrit  un  traité  contre 
l'erreur  des  Ariens  et  aussi  contre  la  tyrannie  des  princes,       Contra  l'er- 
et  même  sur  ce  que  les  rois  de  France  et  les  empereurs  se  sont  «>"••  dei»   A- 
laissé  assujettir  aux  curés ,  c'est-à-dire  aux  prêtres  ou  évêques.     ""' 
Par  Afiens  il  faut  entendre  les  hérétiques  Albigeois ,  ainsi 
nommés  dans  le  midi  de  la  France. 

Tout  ce  qu'ajoute  l'historien  des  troubadours  est  un  tissu 
de  contradictions.  Raimond,  dit- il,  florissait  au  temps  de 
i'eriipereur  Frédéric  II,  et  mourut  en  1226;  ce  qui  ferait 
croire  que  ce  fut  avec  Frédéric  II  qu'il  était  passé  en  Pales- 
tine ;  et  cependant  cet  empereur  n'y  alla  Quen  1228;  mais 
il  est  probable  que  si  notre  poète  fit  en  enet  ce  voyage,  ce 
fut  avec  Frédéric  I^'",  c'est-à-dire  en  1 189  ou  90.  Il  est  cer- 
tain, d'après  les  manuscrits  originaux,  qu'il  florissait  dans  le 
XIP  siècle;  et  c'est  vers  la  fin  de  ce  même  siècle  que  l'on 
peut  raisonnablement  placer  sa  mort.  G. 


PIERRE   ROGIERS, 

POÈTE   PROVENÇAL. 


L>iE  poète  est  encore  un  de  ceux  au  sujet  desquels  on  ne 
trouve  dans  Nostradamus  que  des  faits  altérés  et  des  ana- 
chronismes.  Au  lieu  de  les  relever  minutieusement,  il  vaut 
mieux  s'en  tenir  au  récit  très-court  et  très-simple  que  four- 
nissent les  manuscrits  provençaux.  Pierre  Rogiers  était  un 
gentilhomme  d'Auvergne  qui  commença  par  être  chanoine 
de  Clermont;  il  s'ennuya  Je  sa  prébende  et  se  fit  jongleur, 

guis  troubadour;  il  était  bien  fait  et  savant,  et  joignait  à  ces 
elles  qualités  beaucoup  de  justesse  et  de  bon  sens  naturel. 
En  parcourant  les  cours  oii  les  talens  étaient  bien  accueillis, 
il  arriva  à  celle  d'Ermengarde,  vicomtesse  de  Narbonne,  qui 
avait  succédé  à  son  père  Aimery  II,  tué  en  Espagne  en  1 134  en 
combattant  contre  les  Sarrasins.  Elle  gouvernait  avec  beau- 
coup de  sagesse,  et  tenait  une  cour  brillante.  Elle  fit  un  ac- 

M  m  m  a 


XII  SIECLE. 


46o    PONS  DE  LA  GARDA,  POÈTE  PROVENÇAL. 

cueil  favorable  à  Pierre  Rogiers,  goûta  ses  poésies  et  ses 
chants,  et  le  combla  de  biens.  Le  troubadour,  d'abord  re- 
connaissant, ne  se  défendit  pas  d'un  sentiment  plus  tendre; 
il  céle'bra  la  vicomtesse  dans  ses  chansons  sous  le  nom  peu 
harmonieux  de  Tort-n'avez^  pour  exprimer  la  haute  opinion 
qu'elle  avait  donnée  d'elle  par  sa  manière  de  gouverner. 

Mon  tort  n'avetz  en  Narbones 
M  an  salutz,  sitôt  luenh  s' estai. 

Ermengarde  ne  fut  point  ingrate,  sa  réputation  en  souffrit; 
elle  prit  le  parti  que  les  grandes  dames  prenaient  toutes  en 
pareil  cas  :  elle  congédia  Rogiers,  qui  alla  la  regretter  à  la 
cour  de  Rambaud  d'Orange,  prince  troubadour,  célèbre  par 
ses  galanteries  autant  que  par  ses  vers.  Pendant  le  séjour 

au'il  fit  auprès  de  Rambaud,  illui  adressa  im  sirvente  où  il 
éclara  qu'il  n'y  est  venu  que  pour  savoir  à  quoi  s'en  tenir 
sur  la  réputation  équivoque  dont  ce  prince  jouissait  dfCns  le 
monde  (i).  Est-il  amant .'^  est-il  mari?  if  pourrait  bien  être  l'un 
et  l'autre.  C'est  s'y  bien  prendre  pour  réussir  dans  le  monde, 
que  d'être  sage  ou  fou  selon  les  temps. 

De  la  cour  d'Orange ,  où  il  paraît  qu  il  resta  quelque  temps , 
Pierre  Rogiers  se  rendit  à  celle  d'Alphonse  III ,  roi  de  Cas- 
tille,  ensuite  à  celle  d'Alphonse  II ,  roi  d'Arragon  et  comte 
de  Provence,  d'où  il  revint  à  Toulouse,  où  régnait  encore  le 
bon  comte  Raimond  V.  Enfin  las  de  cette  vie  errante,  il 
entra  dans  l'ordre  de  Grammont,  où  il  mourut  vers  la  fin  du 
Xlle  siècle.  G. 

(i)  Senher  Raymbaut  per  vezer,  etc. 


PONS  DE   LA    GARDA, 
POÈTE  PROVf  N<ÇAj^. 

vJnze  chansons  galantes  de  ce  troubadour  ont  été  Mnser- 
vées,  et  cependant  on  ne  sait  rien  de  sa  naissance  ni  aes  cir- 
constances de  sa  vie;  ni  Nostradamus,  ni  Crescimbeni,  ni 
les  historiens  de  Provence  et  de  Languedoc,  n'en  ont  parlé. 
On  est  réduit  à  chercher  quelques  renseignemens  dails  ses 


XU  SIECLE, 


PONS  DE  LA  GARDA,  POETE  PROVENÇAL.  46i 

chansons  qui  n'ont  d'ailleurs  rien  de  remarquable ,  si  ce  n'est 
quelques  traits  de  naïveté,  comme  lorsque  le  poëte  dit  à  sa 
maîtresse  qu'elle  est  la  plus  belle  après  Dieu  (i).  Tout  ce  qu'on 
y  trouve  relativement  à  sa  patrie,  ou  plutôt  au  pays  où  il 
vivait,  c'est  qu'il  fréquentait  les  dames  de  Toulouse  et  de 
Nîmes;  à  l'égard  du  temps  oii  il  florissait,  on  voit  seulement 

au'il  nomme  une  comtesse  de  Burlats  qui  vivait  vers  la  fin 
u  XIP  siècle. 
On  trouve  plus  communément  dans  les  sirventes  ou  pièces      Millot.t.lll, 
satiriques  de  ces  traits  qui  peuvent  servir  à  fixer  les  dates.  Il  P'   "" 
en  reste  un  de  Pons  de  la  Garda,  mais  où  il  n'y  a  que  des  traits 
généraux  qui  conviennent  à  plusieurs  de  ces  siècles  où  la 
corruption  était  égale  à  la  crédulité.  Le  poëte  déclare  d'abord 
qu'il  a  un  grand  désir  de  faire  un  sirvente,  et  qu'il  le  fera 
SI  Dieu  veut  le  bénir;  puisqu'il  voit  que  tout  le  monde  de- 
vient à  rien ,  et  qu'aucun  homme  fie  peut  plus  se  fier  à  un 
autre  (2).  Il  censure  donc  les  gens  d'église  qui  pardonnenttous 
les  crimes  pour  de  l'argent,  commettent  eux-mêmes  tout  ce 

3u'ils  reprennent  dans  les  autres,  et  vivent  à-la-fois  comme 
es  renégats  et  comme  des  voleurs  (3)  ;  il  n'est  pas  moins  scan- 
dahsé  de  la  conduite  des  gens  de  justièe,  et  ne  fait  pas  plus 
de  grâce  aux  marchands,  en  qui  il  ne  voit  que  pillerie  et 
mauvaise  foi.  Enfin  tout  le  monde  met  le  vrai  Dieu  en  oubli,  .«iq»»  kH; 
et  fait  son  Dieu  de  l'argent  ;  personne  ne  songe  à  se  repentir; 
il  le  faudra  cependant  bientôt,  car  chaque  jour  on  approche 
de  la  fin  du  monde  :  il  en  a  vu  un  présage  certain  dans  une 
pluie  de  terre  et  de  sang  (4)  :  on  devrait  donc  bien  y  penser, 
se  confesser  et  changer  de  vie. 

Cette  pièce,  la  seule  de  ce  poëte  qui  ait  quelque  intérêt, 

.(1)  E  la  genser  es  sot  Deu.  ' 

(2)  D'un  sirventes  a  far  ai  gran  talen 
£  farai  lo  si  Oieus  me  benezia , 
Quar  tôt  lo  mon  vey  tornar  en  nien 
Que  negus  hom  l'us  en  l'autre  no  s  fia. 

(3)  E  devedon  renou  e  raubaria. 

(4)  Quar  quascun  jorn  propcham  del  fenimen 
Per  que  quascus  cofessar  se  devria, 
Quar  gran  signe  en  vi  antan  un  dia 
Que  ploc  terra  e  sanc  verayamen. 
Per  so  degram  aver  bon  pessamen  ,  etc. 


ot 


XII  SIECLE. 


4Ôà      RAIMOND  DE  DURFORT,  TRUC  MALEC 

quoiqu'elle  ne  nous  apprenne  rien  sur  sa  vie,  se  trouve  avec 
quelques  autres  du  même  auteur  dans  le  manuscrit  7226  de 
la  bibliothèque  Royale.  G. 


iii^îi'ioU  !i  ;i 


RAIMOND  DE  DURFORT , 
ET   TRUC    MALEC    ou   MALET, 

POÈTES   PROVENÇAUX. 


i  iES  deux  noëtes  contemporains  le  furent,  dit-on,  d'Arnaud 
Daniel (1).  C'étaient  deux  chevaliers  du  Quercy ,  l'un  deCahors 
même,  et  l'autre  des  environs.  Ils  composèrent  en  société 
des  sirventespourunedamedece  pays,  qu'ils  appellent  N'Aia 
dame  Aia  et  dont  on  ignore  le  vrai  nom.  Les  manuscrits  de  la 
N°3ao4,fol.  Bibliothèque  vaticane  qui  donnent  cette  courte  et  insigni- 

172    et    3207,  ^  '  /-i  •      1        •  •  1 

fol.  41.  fiante  notice,  recueillie  par  Lrescimbeni,  contiennent  quel- 

Ubi  suprà.  ques-uns  de  leurs  sirventes  et  une  de  leurs  chansons.  Au(nine 
de  ces  pièces  n'oftVe  rien  d'intéressant  ni  pour  Thistoire,  ni 
du  côté  de  l'art.  L'abbé  Millot  joint  à  ce  Raimond ,  Guillaume 
de  Durfort,  son  parent,  poète  comme  lui,  dont  il  ne  s'est 
conservé  qu'une  pièce  remarquable  seulement  par  son  obs- 
curité, par  la  contrainte  de  ses  rimes  et  par  la  corru|>tion 
du  texte;  il  faut  ajouter  par  la  licence  et  la  grossièreté  des 
expressions.  Cette  pièce  est  adressée  à  Truc,  ou  plutôt  à 
Turc  Malet,  ou  du  moins  elle  commence  par  son  nom. 

Turc  Malet  bens  tenc  engrat ,  etc. 

Elle  se  trouve  dans  le  manuscrit  de  la  bibliothèque  Roya4e 
7226,  fol.  379,  v°.  ^^■^^^,  G. 

(i)  Crescimbeni,  Giunta  aile  vite,  aux  deux  art.  Rnimundo  di  Duro- 
forte  et  Trugo  maletto. 


XII  SIECLE. 

ALBERT    CAILLA, 

POETE   PROVENÇAL. 

Albert  Cailla  fut  un  jongleur  de  l'Albigeois.  Les  manuscrits 
provençaux  (i)  qui  parlent  de  lui  disent  qu'il  ne  sortit  jamais 
de  son  pays ,  mais  qu'il  s'y  fit  beaucoup  aimer,  sur-tout  des 
dames.  On  convient  que  c'était  un  poëte  médiocre;  il  fît  ce- 
pendant une  bonne  chanson  et  quelques  sirventes ,  genre 
dans  lequel  il  réussissait  mieux.  On  le  place  dans  le  XIF 
siècle,  quoique  rien  n'indique  positivement  le  temps  où  il 
vécut.  Grescimbeni  qui  parle  de  lui  dans  ses  additions ,  croit 

au'il  manque  peut-être  une  n  à  la  fin  de  son  nom ,  comme 
en  manque  une  dans  plusieurs  manuscrits  au  nom  de  Jordan 
?ui  est  nommé  Jorda\  ce  serait  alors  Caillan  au  lieu  de 
'ailla  ;  mais  cette  supposition  est  sans  fondement  comme 
sans  utilité.  G. 

(i)  Les  mêmes  que  ci -dessus. 


GUERIN   ou  GARIN   LE  BRUN, 

POÈTE   PROVENÇAL. 


(juÉRiN  ou  Garin  le  Brun  était  un  gentilhomme  châtelain 
du  Velay  dans  l'évèché  du  Puy-Sainte-Marie.  Tout  ce  que 
les  manuscrits  provençaux  disent  de  lui,  c'est  qu'il  fut  bon 
trouveur^  non  de  vers  et  de  chansons,  mais  de  tensons.  On     V.len»7,î25 
en  trouve  une  dans  le  manuscrit  du  Vatican  32o4.  Guérin  le  da  labibi.Roy. 
Brun  florissait,  selon  D.  Vaissette,  sous  Raimond  V,  comte     Hist. duLan- 
de   Toulouse,  du   temps   de   Guillaume  Adhémar,  lequel  giiedoc,t,ii. 
mourut,  comme  nous  lavons  vu,  en  1190.  G. 


XII  SIECLE. 


RAIMOND  JORDAN, 

VICOMTE   DE  SAINT-ANTONI  (■). 


JLe  fief  de  Saint- Antoni ,  dont  ce  troubadour  était  seigneur, 
était  un  riche  bourg  du  Quercy.  On  nous  peint  Raimond 
Jordan  comme  un  homme  d'une  figure  agréable,  généreux, 
vaillant,  faisant  bien  les  vers  et  l'amour;  mais  on  nous  fait  peu 
connaître  les  particularités  de  sa  vie.  Il  aimait  la  femme  du 
vicomte  de  Péna,  l'un  des  principaux  barons  de  l'Albigeois, 
et  il  en  était  aimé.  La  guerre  vint  troubler  cette  union.  Rai- 
mond fut  blessé  dans  un  combat  contre  quelques-uns  de  ses 
voisins.  On  le  rapporta  presque  mourant  à  Saint-Antoni  ; 
le  bruit  de  sa  mort  parvint  à  la  vicomtesse,  dont  la  douleur 
fut  si  vive  qu'elle  entra  précipitamment  dans  un  cloître.  Rai- 
mond guérit;  et  désespéré  à  son  tour  de  la  résolution  de  sa 
maîtresse,  il  se  retira  du  monde,  ne  fit  plus  ni  vers ,  ni  chan- 
sons, et  se  livra  pendant  un  an  à  la  plus  noire  mélancolie. 

Il  en  fut  retiré  au  bout  de  ce  temps  par  Élise  de  Montfort, 
fille  du  vicomte  de  Turenne  et  femme  de  Guillaume  de  Gor- 
don; elle  s'offrit  à  lui  avec  une  grande  franchise  (2),  fut  ac- 
ceptée, et  le  troubadour  retrouva  auprès  d'elle  sa  bonne 
humeur  et  son  talent. 

Raimond  Jordan  était  contemporain  du  moine  de  Mon- 
taudon,  qui  le  désigne  dans  sa  satyre  comme  vivant,  et  même 
comme  jeune  encore;  car  il  lui  reproche  d'avoir  mal  réussi 
dans  son  premier  essai  de  galanterie,  d'avoir  été  trompé  par 
sa  dame ,  et  de  la  regretter  sans  cesse ,  ce  qui  suppose  qu'il 
n'était  point  encore  alors  lié  avec  la  vicomtesse  de  Péna.  L'abbé 
*  Millot  en  conclut  que  Raimond  vivait  à  la  fin  du  XII*  siècle 

(i)  Nommé  quelquefois  seulement  Fescont  ou  Vcscovis  de  Saint-Anto- 
lin,  Antoulin,  et  Antoiiin,  dans  les  mss.  Le  Tassoni,  dans  ses  considéra- 
tions sur  Pétrarque,  l'appelle  Raimond  Jorda.  Crescimbeni  conjecture 
avec  raison  que  c'est  parce  que  le  signe  de  \n  manquait  sur  la  dernière 
sjllabe.  '       '  '  ' 

(2)  On  dit  que  sa  lettre  était  ainsi  conçue  :  «  Je  vous  oHVe  mon  aiVioAr 
et  mon  corps,  en  dédommagement  des  chagrins  que  vous  avez  eus.  Je 
vous  conjure  de  me  venir  voir.  Si  vous  ne  vous  rendez  pas  à  ma  prière, 
j'irai  moi-même  vous  chercher.  » 


RAIMOND  JORDAN.  4^5 

et  au  commencement  du  XIII  ;  ce  qui  paraît  vrai  en  effet  ;  . 
mais  il  oublie  que  dans  d'autres  circonstances  et  dans  la  vie 
même  du  moine  de  Montaudon ,  il  a  rejeté  le  temps  oii  flo- 
rissait  ce  dernier  jusqu'à  la  fin  du  XIII'^  siècle. 

Le  récit  de  Nostradamus  diffère  considérablement  de  celui 
des  manuscrits  provençaux.  Il  place  Rairaond  Jordan  à  la 
cour  de  Raimond-Bérenger,  comte  de  Provence,  fils  du  roi 
d'Arragon  Alphonse  II;  il  le  fait  amoureux  de  Mabillede  Riez^ 
noble  dame  de  Provence,  et  ajoute  qu'étant  allé  à  la  guerre 
contre  le  comte  de  Toulou.se  ,  il  fut  rapporté  à  Mabille,  qu'il 
y  avait  été  tué,  qu'elle  en  mourut  de  douleur  ;  que  le  vicomte, 
étant  de  retour,  et  apprenant  cette  mort  dont  il  était  la  cause  ,> 
fit  élever  à  sa  maîtresse  une  belle  et  grande  statue  de  marbre 
dans  l'église  du  monastère  de  Mont-Majour,  où  il  se  fit  reli- 
gieux ;  statue  qui  passa  ensuite  dans  la  même  église  pour 
celle  d'une  sainte  femme,  selon  le  moine  des  Iles  d'or,  que 
Nostradamus  cite  souvent.  Enfin  il  place  la  mort  de  Raimond 
Jordan  vers  l'an  1206. 

L'historien  des  troubadours  ne  contredit  pas  seulement  ici 
les  manuscrits,  il  contredit  aussi  l'histoire  d'Arragon  et  de 
Provence,  et  il  se  contredit  lui-même.  Il  fait  mourir  en  1206 
un  troubadour  qui  fit,  selon  lui,  admirer  ses  talens  à  la  cour 
de  Raimond-Bérenger,  fils  du  roi  d'Arragon  Alphonse  II.  Or 
Alphonse  II,  roi  d'Arragon,  est  Alphonse  I*'',  comte  de  Pro- 
vence, et^'eut  point  de  fils  du  nom  de  Raimond-Bérenger. 
Son  fils  aîné  Pierre  lui  succéda  au  royaume  d'Arragon,  et  son 
second  fils  Alphonse» au  comté  de  Provence,  sous  le  nom 
d'Alphonse  II.  Mais  cet  Alphonse  II,  qui  eut  un  fils  nommé 
Raimond-Bérenger,  ne  fut  point  roi  d'Arragon.  Quand  il 
mourut  à  Palerme  en  1 209 ,  son  fils  était  encore  enfant.  Pierre , 
roi  d'Arragon ,  oncle  du  jeune  Raimond-Bérenger,  le  prit  sous 
sa  tutelle  et  l'emmena  dans  ses  états  avec  des  desseins  que  son 
pupille  démêla  quand  il  fiit  plus  avancé  en  âge;  alors  il  s'é- 
chappa de  cette  cour,  revint  en  Provence  en  i2iy ,  et  ne  par- 
vint que  par  de  longs  efforts  à  y  rétablir  son  autorité.  Ce 
ne  semit  donc  que  quelques  années  après  sa  fuite,  et  lors- 
qu'il eut  établi  sa  cour  à  Aix  avec  sa  femme  Béatrix  de  Sa- 
voie, c'est-à-dire  vers  1220,  que  Raimond  Jordan  aurait  pu 
y  être  accueilli. 

Mais  d'autres  probabilités  fixent  vers  1 206  le  temps  de  sa 
mort,  et  l'on  peut  dire  avec  assez  de  vraisemblance  qu'il 
Tome  XF.  N  n  n 


XII  SIECLE. 


XII  SIECLE. 


466        SAIL  DE  SGOLA— GUILLAUME  MITE. 

fleurit  à   la  fin   du   XII^  siècle  et  au   commencement  du 
Xllle  (,).  G. 

(i)  Ses  poésies  sont  dans  les  nianuscrits  Sao/J ,  5,  6  et  8  de  la  Valirane, 
et  dans  les  manuscrits  de  la  bibliothèque  du  Roi,  n"  7926,  fol.  i5i  — 
??4;  n°'j6i4,  fol.  75  et  76;  n°  1091 ,  supplément,  fol.  3io;  n"  2701., 
fol.  a8. 


Barjac. 


SAIL   DE   SCOLA, 

POÈTE  PROVENÇAL. 

Millot  ditr/e  (^^E  poète  était  fils  d'un  marchand  de  Bergerac  en  Përieord 
Uans  sa  jeunesse  il  se  fit  jongleur,  et  devint  ensuite  poète. 
Il  fut  un  de  ceux  qu'Ermengarde ,  vicomtesse  de  Narhonne, 
v.l'ariiclede  avait  sans  cesse  à  sa  cour;  il  y  resta  jusqu'après  la  mort  de 
Pjerre  Roger,  ^gj^^  dame,  arrivée  en  X197  ou  98.  On  dit  qu'il  se  retira 
alors  à  Bergerac  et  qu'il  renonça  entièrement  aux  muses. 
Peut-être  vécut-il  encore  quelques  années,  mais  il  cessa  d'exis- 
ter eorame  poète,  et  l'on  place  sa  mort  à  la  fin  du  XIP  siècle. 
Il  est  nommé  dans  la  satire  que  fit  le  moine  de  Montaudon 
contre   les  troubadours   de   son   temps  (i).        *  G. 

r  (i)  On  trouve  quelques-unes  de  ses  poésies  dans  le  manuscrit  de  la 
Taticane,  n"  32o4,  folio  gS;  bibliothèque  Royale,  n"  7226,  fo).  .\6i ,  v°. 
L'une  de  ses  pièces,  dont  la  première  strophe  est  tronquée,  commence 
par  ce  vers  : 

Grand  esfors  fay  qui  chanta  ni 's  déporta. 


GUILLAUME   MITE. 

POÈTE  PROVENÇAL. 

VjuiLLAUME  Mite,  personnage  très-peu  célèbre  et  dont  il 
ne  reste  aucune  production,  est  pourtant  nommé  dans  l'his- 
toire, ou  plutôt  dans  la  chronique  de  Geoffroi  de  Vigeois. 


BERNARD  DE  VENTADOUR.  46^ 

Cet  écrivain  du  XIP  siècle  parle  d'une  assemblée  ou  cour    ^"  siècle. 
plénière  que  tint  le  comte  de  Toulouse,  Raimond  V,  en  1 17a, 
et  des  fêtes  qu'on  y  célébra.  On  avait  résolu,  dit-il,  d'y  éta- 
blir roi  ou  cnef  de  tous  les  bateleurs,  juliares,  ou  jongleurs, 
un  nommé  Guillaume  Mite,  s'il  ne  se  fut  absenté.  Ceux  qui    DonVaissette, 
concluent  de -là  qu'il  était  un  célèbre  comédien  ou  même  ^"';  ^\  ^^' 

,  .       1  .      ,  .  •         ;  7  7      gued. ,    t.    lit, 

un  poète  comique,  qui  n  avait  pas  moins  de  talens  pour  la  p.  3^. 
composition  que  pour  la  représentation  (  i  ),  oublient  qu'il  n'y 
avait  alors  ni  comédiens  ni  comédie,  mais  seulement  des 
faiseurs  de  tours,  des  jongleurs,  qui  chantaient  quelquefois 
des  chansons  satiriques  ou  bouffonnes  pour  égayer  les  assem- 
blées et  les  fêtes.  C'était  sans  doute  dans  ce  genre  que  se  dis- 
tinguait Guillaume  Mite,  et  c'est  tout  ce  qu'on  sait  de  lui. 

G. 

(i)  On  trouve  ces  mots  tians  une  petite  note  laissée  par  les  anciens 
rédacteurs  de  cette  iiistoire  littéraire. 


BERNARD   DE  VENTADOUR^'l 

POÈTE  J>ROVENÇAL   OU   LIMOUSIN. 

Lj'histoire  des  troubadours  présente  assez  souvent  des 
grands  seigneurs,  des  chevaliers  d'une  haute  naissance,  qui 
cultivent  les  muses  au  milieu  du  bruit  des  armes  et  des 
intrigues  des  cours  :  elle  présente  aussi  des  hommes  nés 
dans  les  derniers  degrés  de  la  société  qui  s'élèvent  par  leur 
talent  poétique,  sont  admis  dans  la  société  des  grands,  plan 
cent,  comme  on  disait  autrefois,  leurs  amours  en  haut  heu, 
et  ne  craignent  pas  d'en  adresser  l'hommage  aux  dames  du 
premier  rang.  Bernard  de  Ventadour  fut  de  cette  dernière 
classe.  Son  nom  n'est  point  celui  de  .sa  famille,  mais  d'un 
château  du  Limousin  oii  il  naquit.  Son  père  y  était  four- 
nier,ou  domestique  chargé  du  four.  Le  vicomte  de  Venta- 
dour, seigneur  de  ce  château,  était  alors  Ebles  II,  que  les 
chroniques  du  temps  appellent  le  chanteur  parce  qu'il  aima 
jusque  dans  sa  vieillesse  la  poésie  et  les  chansons.  La  figure 
du  jeune  Bernard ,  et  sans  doute  aussi  quelque  annonce  de 

(i)  Appelé  quelquefois  Fentador,  Vantadomo  ^  et  Vantadorn. 

'Nnna 


XII  SIECLE. 


468  BERNARD  DE  VENTADOUR 

ses  heureuses  dispositions ,  attirèrent  sur  lui  les  regards  du 
maître.  Il  le  fit  élever  avec  soin ,  et  l'éducation  développa  en 
lui  les  heureux  dons  de  la  nature.  Ses  premiers  chants  furent 
consacrés  à  l'amour.  Celle  qui  les  lui  inspira  fut  la  vicomtesse 
elle-même,  Agnès  de  Mont-Lu^on ,  femme  de  son  maître  etde 
son  bienfaiteur.  Agnès  était  jeune,  belle ,  vive , et  d'un  carac- 
tère enjoué.  Elle  s'amusa  d'abord  des  chansons  où  le  jeune 
poète  peignait  sa  passion  naissante  sans  en  oser  nommer 
l'objet,  qu'il  désignait  seulement  par  les  noms  d Arinan ,  et 
de  Belveser.  Elle  l' écouta  bientôt  et  l'enhardit  à  se  déclarer. 
La  déclaration  fut  bien  reçue.  On  ne  sait  jusqu'où  alla  entre 
eux  l'intimité:  maison  voit  par  une  chanson  du  troubadour 
qu'il  obtint  au  moins  un  baiser.  C'est  pour  lui  l'occasion 
d'employer  un  trait  d'érudition  qui  peut  surprendre,  puis- 
qu'il est  assez  généralement  reconnu  que  de  son  temps  on 
ignorait  les  sources  d'où  il  l'aurait  pu  tirer.  C'est  ce  qui  nous 
engage  à  parler  de  cette  circonstance.  Le  poète  compare  le 
baiser  qu'il  a  reçu  à  la  lance  d'Achille  qui  pouvait  seule  gué- 
rir les  blessures  qu'elle  avait  faites. 

Ja  sa  bella  boza  rizenz  (  sa  belle  bouche  riante) 

Non  cuidei  baisan  me  trais , 

Mas  ab  un  dous  baisar  m'aucis  ( me  tue,  m'occit) ; 

E  s'ab  altre  no  m'es  garenz , 

Eissamen  m'es  per  semblansa 

Com  fo  de  Peleus  la  lansa  ^ 
Que  del  seu  colp  non  podi'  hom  garir. 
Se  per  eis  loc  no  s'en  fezes  ferir. 

Ce  trait  ferait  croire  que  Bernard  connaissait  Ovide ,  qui 
dit  dans  son  poëme  de  remedio  amoris  (  liv.  I,  v.  47  )• 

f^ulnus  in  Hercuieo  quœ  quondam  fecerat  kasta 
f^ulneris  auxilium  Pelias  hasta  tulit. 

On  voit  par  ces  quatre  vers  d'une  autre  chanson  de  Bernard 
que  le  roman  de  Tristan  et  de  la  belle  Yseult  existait  alors 
et  qu'il  était  connu  de  notre  poète. 

Tant  trac  pena  d'amor, 
Qu'a  Tristan  Tamador 
Non  avenc  tan  dolor 
Per  Yseut  la  blonda. 


BERNARD  DE  VENTADOUR.  469 

Les  liaisons  de  Bernard  et  de  la  dame  de  Ventadour  ne 
furent  point  assez  secrètes.  Quelque  indiscrétion  fut  commise; 
Ebles  eut  des  soupçons,  puis  des  certitudes;  il  enferma  sa 
femme,  et  chassa  le  troubadour  de  son  château,  et  même  de 
ses  terres. 

Bernard  parut  quelque  t€mps  inconsolable;  mais  il  lui  fal- 
lait un  asyle.  Il  en  trouva  un  à  la  cour  d'Éléonore  de  Guienne, 
devenue  duchesse  de  Normandie  en   n  62 ,  après  avoir  été 
reine  de  France  ;  il  y  trouva  aussi  la  plus  puissante  des  con- 
solations ;  c'est-à-dire  un  nouvel  amour.  La  leçon  qu'il  avait 
reçue  à  Ventadour  ne  le  rendit  pas  plus  sage.  Il  ne  craignit 
point  d'élever  ses  vœux  jusqu'à  la  duchesse;  et  quelques  pas- 
sages de  ses  poésies  et  le  caractère  bien  établi  de  galanterie 
que  l'histoire  donne  à  Eléonore,  portent  à  croire  qu'il  en, 
fut  écouté.  Son  bonheur  dura  peu.  En  11 54,  le  duc  devint' 
roi  d'Angleterre,  et  Eléonore  le  suivit  dans  ses   nouveaux 
états.  Bernard  continua  de  la  chanter;  il  fit  même  le  projet 
de  se  rendre  auprès  d'elle;  mais  il  ne  l'exécuta  point,  et  il 
se  retira  peu  de  temps  après  à  la  cour  du  comte  de  Toulouse, 
Raimona  V.  Il  y  resta  jusqu'à  la  mort  de  ce  bon  prince,  et 
y  composa  toutes  celles  de  ses  poésies  qui  n'ont  pour  objet 
ni  son  premier  ni  son  second  amour.  Il  devait  être  déjà  vieux 
lorsque  Raimond  mourut,  en  iigi\.  Alors,  il  se  fit  moine, 
et  entra  dans  l'abbaye  de  Dalon,  en  Limousin.  Nostradamus 
qui  se  trompe  en  disant  que  ce  fut  au  rnonastère  de  Mont- 
majour,  se  trompe  peut-être  aussi  en  ajoutant  qu'il  y  com- 
posa plusieurs  beaux  livres ,  tels  que  las  Recoyssinadas  de 
l'amour  recalyvat ,  las  Mayas ,    la  Ramada ,   et  quelques 
élégies  intitulées  las  Syrénas ,  qu'enfin  il  mourut  en   I223. 
Il  est  plus  probable  qu'il  écrivit  la  plus  grande  partie  de  ces 
ouvrages  pendant  son  séjour  chez  le  comte  de  Toulouse ,  et 

?[ue  s'il  vécut  au-delà  de  la  fin  du  XIP siècle,  ce  ne  fut  que 
ort  peu  d'années.  G. 


XII  SIECLE. 


XII  SIECLE. 


PJERRE   VIDAL, 

POÈTE   PROVENÇAL. 


Oi  nous  voulions  que  cette  histoire  littéraire  devînt  un  livre 
de  pur  amusement,  les  vies  d'un  grand  nombre  de  trouba- 
dours provençaux  seraient  très-propres  à  lui  donner  ce  car- 
ractère.  Aucune  ne  pourrait  y  mieux  contribuer  que  la  vie 
de  Pierre  Vidal,  l'un  des  poètes  les  plus  célèbres,  et  l'une  des 
têtes  les  plus  extravagantes  de  son  temps.  Mais  le  genre  de 
cet  ouvrage  nous  prescrit  d'en  écarter  les  aventures  trop 
romanesques,  ou  du  moins  d'en  supprimer  les  détails. 

Pierre  Vidal  était  fils  d'un  pelletier  de  Toulouse:  mais  il 
annonça,  dès  sa  première  jeunesse,  des  talens  naturels  qui 
devaient  l'élever  au-dessus  de  l'état  de  son  père.  Il  joignait 
à  la  vivacité  de  l'imagination,  une  voix  agréable,  une  humeur 
libre  et  enjouée.  Son  goût  pour  les  femmes  se  déclara  de 
bonne  heure,  et  il  n'eut  bientôt,  à  l'entendre ,  que  l'embarras 
du  choix.  Il  se  vantait  hautement  de  ses  succès  auprès  d'elles, 
ce  qui  lui  en  obtenait  de  nouveaux.  Il  devint  le  héros  de 
mille  aventures  galantes  qu'il  excellait  à  raconter.  Ses  récita 
amusaient  les  cercles  et  les  petites  cours  que  les  seigneurs 
tenaient  alors  dans  leurs  châteaux  :  mais  il  mêla  dans  ses 
récits  une  dame  de  Saint-Gilles,  dont  le  mari,  chevalier 
très -chatouilleux  sur  tout  ce  qui  tenait  à  son  honneur,  lé. 

fiunit  sévèrement  de  son  indiscrétion ,  ou  de*  ses  calomnies. 
1  lui  fît  fendre  selon  les  uns ,  et  selon  d'autres  percer  la  langue. 
Hugues  de  Baux  en  eut  pitié;  il  le  recueillit,  le  consola  et  Je 
fit  guérir.  Pierre  Vidal  reprit  bientôt  sa  bonne  humeur  ;  un 
autre  prince  de  la  même  maison.  Barrai,  vicomte  de  Marseille, 
l'attira  chez  lui  et  le  paya,  par  la  familiarité  la  plus  intime 
et  par  les  meilleurs  traitemens,  du  plaisir  qu'if  trouvait  à 
l'entendre.  La  vicomtesse,  Adélaïde  de  Roque-Martine,  en 
prenait  encore  davantage.  Pierre  Vidal  devenu  bientôt  amou- 
reux d'elle,  la  célébrait  dans  ses  chansons,  sous  le  nom 
d' Audiema ,  ou  plutôt  de  Viema ,  car  c'est  ainsi  que  ce  nom 
est  écrit  dans  toutes  les  chansons  où  il  parle  de  la  vicomtesse  ; 


PIERRE  VIDAL,  POÈTE  PROVENÇAL.         471 

on  y  lit  même  toujours  Na  Viema  (i),  c'est-à-dire,  selon  la 
manière  d'écrire  de  ce  temps-là ,  dona  Viema. 

Elle  se  fit  un  amusement  de  cette  passion  ;  son  mari  s'en 
faisait  un  lui-même  :  mais  un  jour  que  Vidal  surprit  Adélaïde 
endormie ,  il  prit  avec  elle  des  libertés  qui  passaient  la  raillerie. 
Barrai ,  appelé  par  les  cris  de  sa  femme ,  voulut  encore  prendre 
la  chose  en  plaisantant,  et  fit  son  possible  pour  la  fléchir:  il 
ne  put  en  venir  à  bout;  Vidal  fut  obligé  de  partir  et  de  se 
retirer  à  Gênes.  Il  paraît  qu'il  n'y  fut  pas  bien  traité  et  qu'il 
en  conserva  du  ressentiment,  car  dès  les  premiers  vers  d'un 
sirvente  qu'il  fit  après  son  retour  de  la  croisade,  pour  laquelle 
il  partit  bientôt,  il  lance  un  trait  contre  les  Génois,  et  fait 
des  vœux  pour  les  Pisans  leurs  ennemis. 

Bon' aventura  don  Dieus  als  Pizans 

Quar  son  ardit  e  d'armas  ben  après, 

Et  an  baissât  l'orguelb  dels  Genoes, 

Que  s  fan  estar  aunitz  et  soteirans  (honnis  et  atterrés). 

Il  paraît  aussi  par  ce  même  sirvente  aue,  mécontent  des 
Génois,  il  passa  chez  le  marquis  de  Montferrat,  puis  en  Lom- 
bardie,  et  à  Milan,  et  qu'il  reçut  par-tout  un  non  accueil; 
aixssi  préfère- t-il  le  Montferrat,  Milan,  et  le  pays  des  joyeux 
Lombards  à  celui  des  tristes  et  grossiers  Allemands  dont  le 
parler,  dit-il,  ressemble  à  l'aboiement  des  chiens;  il  le  pré- 
fère aussi  à  la  Frise  oii  l'on  n'entend  tout  le  jour  qu'un  gla- 
pissement ennuyeux. 

Alaïaans  truep  descauzitz  e  vilans 
E  qan  neguns  se  feing  d'esser  cortes 


(i)  Na  Viema  molt  m'es  araar. 

Na  viema,  ieu  no  m  clam  ges  de  vos. 
Na  Viema,  cui  am  de  bona  fe,  etc. 

Et  dans  cette  jolie  chanson ,  dont  le  nom  de  Na  Viema  termine  en  refrain 
les  trois  couplets. 

La  lauzeta  e'I  rossinhol 
Am  mais  que  nulh  autr'  auzel. 
Que  pel  joy  del  temps  novel 
Comenson  premier  lur  chan; 
Et  ieu  ad  aquel  semblau , 
Quan  U  autre  trobador 
Estan  mut,  ieu  chan  d'amor 
De  ma  domiia  NaVierna. 


XII  SIECLE. 


XII  SIECLE. 


Nostradamus, 
Hist.  de  Prov. , 
3'  partie. 


472         PIERRE  VIDAL,  POÈTE  PROVENÇAL 

Ira  mortaU  et  enuetz  cozens  es , 
E  lor  parlars  sembla  lairas  de  cans , 
Per  q'  ieu  no  voill  esser  senher  de  Frisa 
C  auzis  tôt  iorn  le  glat  dels  enoios  ; 
Anz  voill  estar  entr'els  I^mbartz  joios 
Près  de  mi  donz  q'es  gaia,  blanc' e  lisa. 

C'est,  selon  l'abbé  Millot,  à  la  suite  du  roi  Richard,  dont 
il  parle  aussi  dans  ce  sirvente,  que  Pierre  Vidal  passa  en 
Palestine.  Mais  dans  une  autre  pièce  qu'il  composa  avant  de 
partir  et  dans  laquelle  il  appelle  les  chrétiens  à  la  croisade , 
il  parle  du  marquis  de  Montferrat,  et  ne  dit  rien  de  Richard. 
La  pièce  commence  par  ces  vers ,  qui  sont  toul-à-fait  dans 
le  goiit  de  son  temps  : 

Baros  Ihesus  qu'  en  crotz  fon  mes 
Per  salvar  crestiana  gen  , 
Nos  manda  a  totz  cominalmen 
Q'  anem  cobrar  lo  saint  paes 
Ou  venc  per  nostr'amor  morlr. 

Il  dit  dans  la  seconde  strophe  : 

Qu' el  saint  Paradis  que  ns  promes,. 
Ou  non  a  pena  ni  torraen  , 
Vol  ara  livrar  molt  francamen 
A  celz  qu'  iran  ab  lo  Marqes 
Oltra  la  mar  per  Dieu  servir. 

Les  folies  de  la  croisade  s'étant  réunies  dans  sa  tête  à  celles 
de  son  amour,  il  perdit  tout- à -fait  la  raison  ;  il  se  crut  un 
chevaUer  invincible,  un  héros.  Il  remplit  ses  chansons  de 
fanfaronnades  guerrières,  et  de  forfanteries.  Il  épousa  en 
Chypre  une  grecque  qu'on  lui  dit  être  nièce  de  l'empereur 
d'Orient,  et  qui  lui  transférait,  disait-on,  des  droits  a  l'em- 
pire. Dès  ce  moment  il  se  crut  empereur.  Revêtu  d'ornemens 
impériaux,  il  faisait  porter  un  trône  devant  lui.  «  Cette  folle 
maladie  d'imagination,  dit  l'ancien  historien  de  Provence, 
fut  tellement  forte  et  violente,  que  tout  l'or  et  l'argent  qu'il 
gagnait  à  sa  poésie  était  employé  à  la  construction  de  certains 
navires,  qu'il  s'attendait  d'employer  à  la  conquête  de  son  vain 
empire,  jusques  même  à  avoir  changé  les  armoiries  impériales 
en  un  trident  d'or  en  champ  de  gueules,  et  à  faire  appeler 
sa  femme  impératrice.  » 


PIERRE  VIDAL,  POÈTE  PROVENÇAL.         47? 

On  ne  dit  point  comment  se  termina  cette  comédie,  ni 
ce  que  Vidal  ht  de  sa  femme  grecque,  lorsqu'après  les  dé- 
sastres de  cette  troisième  croisade,  il  revint  en  Provence.  Ayant 
appris  à  son  arrivée  la  mort  de  Raimond,  comte  de  Toulouse^ 
auquel  il  était  fort  attaché,  il  témoigna  son  affliction  par  des 
bizarreries  à  sa  manière.  Il  ht  couper  les  oreilles  et  la  queue 
à  tous  ses  chevaux,  et  raser  la  tête  à  tous  ses  domestiques. 
Lui-même  laissa  croître  sa  barbe  et  ses  ongles.  II  était  dans, 
cet  état  lorsque  Alphonse  II,  roi  d'Arragon,  étant  venu  en 
Provence,  accompagné  de  ses  barons,  ils  le  recherchèrent, 
l'engagèrent  à  quitter  son  deuil ,  à  reprendre  sa  gaieté  et  à 
exciter  comme  autrefois  celle  des  autres  par  ses  plaisan- 
teries et  par  ses  chants.  Il  obéit;  composa  de  nouvelles  chan- 
sons, et  s'engagea  dans  un  nouvel  amour  qui  fut  selon  sa 
coutume  accompagné  de  nouvelles  folies.  Épris  d'Étiennette, 
femme  du  seigneur  de  Penautier,  dans  le  Carcassez,  qu'on 
nommait  Louve  de  Penautier,  il  prit,  pour  l'amour  d'elle,  le 
nom  de  loup,  mit  im  loup  dans  ses  armes,  se  revêtit  d'une 
peau  de  loup  et  courut  sous  ce  déguisement  la  plus  dange- 
reuse aventure.  Les  bergers  du  pays  le  prirent  ou  feignirent 
de  le  prendre  pour  un  loup,  et  le  firent  poursuivre  par  leurs 
chiens  dans  les  montagnes.  Leurs  morsures  et  sans  doute  la 
frayeur  le  mirent  dans  le  plus  triste  état  ;  on  le  transporta  à 
demi-mort  dans  la  maison  de  la  dame  de  Penautier,  qui  le 
fit  guérir,  mais  qui  disposée  sans  doute  à  s'amuser  de  tout, 
ne  fit  que  rire  avec  son  mari  de  cette  scène. 

Il  paraît  que  pendant  le  reste  de  sa  vie,  Pierre  Vidal  fut 
attaché  au  roi  d'Arragon,  Alphonse  III,  comte  de  Provence. 
Jean  Nostradamus  prétend,  que  devenu  plus  sage  dans  sa 
vieillesse,  il  composa  un  traite  sur  la  manière  de  réprimer  sa 
langue(  i  ).  Il  prétend  aussi ,  mais  sans  preuve ,  qu'il  repassa  en 
Orient  en  laay,  à  la  poursuite  de  son  empire  d Orient,  et 
que,  de  retour  de  ce  voyage ,  il  mourut  deux  ans  après.  Il  est 
certain  qu'il  florissait  dans  le  XII*  siècle  ;  on  n'a  connaissance 
d'aucune  de  ses  actions  ni  de  ses  liaisons  dans  le  XIIP;  on 
peut  donc  placer  sa  mort  vers  l'an  1200. 

On  ne  croirait  pas  qu'un  fou  tel  que  l'était  Pierre  Vidal 
pût  donner  des  leçons  de  sagesse.  On  en  trouve  pourtant  de 
fort  bonnes  dans  la  plus  longue  de  ses  pièces,  celle  de  toutes 
les  siennes  qui  lui  fait  le  plus  d'honneur.  Il  donne  à  ses  con- 

(i)  La  maneira  de  retirar  la  lengua, 

TomeXr.  Ooo 


XII  SIECLE. 


474  PIKRRE  VIDAL,  POETE  PROVENÇAL. 
XII  siECLH.  ggjj^  ^^  jQ^j,  ^j£  pj,  (ii-jimatique,  en  feignant  qu'il  les  adresse 
à  un  jongleur  qui  vient  se  plaindre  à  lui  de  la  décadence  du 
^siècle  et  du  peu  d'encouragement  que  les  talens  trouvaient 
alors  dans  les  cours  où  ils  avaient  été  autrefois  si  bien  accueil- 
lis. Le  jongleur  lui  raconte  une  visite  qu'il  avait  faite  un  jour 
chez  le  dauphin  d'Auvergne ,  où  il  avait  tout  trouvé  sur  le 

Eied  du  bon  et  ancien  temps,  bonne  chère,  compagnie  de 
raves  chevaliers  et  de  belles  dames,  joyeux  propos,  et  bon 
accueil.  Dans  un  moment  où  il  avait  pu  l'entretenir,  il  avait 
demandé  au  dauphin  pourquoi  par  tout  ailleurs  que  chez  lui 
on  ne  trouvait  plus  rien  de  semblable.  Le  dauphin  lui  ré- 
pondit très-sensément,  mais  très-longuement,  et  il  rapporte 
sa  réponse  toute  entière.  La  faute  en  était  aux  barons  (|ui  ne 
ressemblaient  pins  à  ce  qu'avaient  été  leurs  ancêtres.  La  no- 
blesse avait  dégénéré  de  son  ancienne  valeur  et  de  son  ancienne 
courtoisie  :  le  dauphin  prédit  qu'il  lui  arrivera  la  même 
chose  qu'aux  Sarrasins.  Il  y  avait  parmi  eux  de  braves  gens  à 
qui  l'on  donna  la  noblesse  et  des  terres  :  leurs  descendans  se 
crurent  dispensés  d'avoir  les  mêmes  vertus.  Les  Mammelouks 
s'élevèrent,  et  voulurent  réparer  le  défaut  de  naissance  par 
de  belles  actions.  Les  peuples  se  déclarèrent  pour  eux,  et 
se  soulevèrent  contre  leurs  anciens  maîtres  pour  se  donner 
aux  nouveaux.  Le  jongleur  a  toujours  présente  cette  conver- 
sation avec  le  dauphin  d'Auvergne,  sans  lequel  il  avoue  qu'il 
n'eût  trouvé  ni  joie,  ni  bonté  dans  le  monde. 

C'est  alors  que  Pierre  Vidal  commence  par  faire  au  jon- 
gleur, comme  le  dauphin,  une  peinture  de  l'ancien  temps 
dont  il  avait  été  témoni ,  fort  désavantageuse  pour  le  temps 
où  ils  étaient  parvenus.  Il  se  souviept  d'avoir  vu  dans  le 
monde  les  troubadours  honorés,  bien  reçus,  enrichis,  et 
suivis  de  brillans  équipages;  les  cours  livrées  aux  exercices 
de  la  valeùrct  de  l'esprit,  et  à  d'honnêtes  amours.  Telles  étaient 
celles  du  preux  marquis  de  Montferrat ,  en  Lombardie,  du 
seigneur  de  Blacas,  en  Provence,  du  bon  .seigneur  Guillaume 
de  Baux,  et  de  plusieurs  autres  dont  il  déplore  la  perte;  Dieu 
voulut  alors  qu'il  y  eût  en  Allemagne  un  empereur  Frédéric; 
en  Angleterre,  un  roi  Henri  et  ses  trois  fils;  à  Toulouse,  un 
comte  Raimond;  en  Catalogne,  un  comte  de  Barcelone  et  son 
fils  Alphonse.  Tous  ces  seigneurs  savaient  bien  discerner  les 
hommes.  Ces  détails  peuvent  servir  à  fixer  le  temps  où  Vidal 
composa  ce  poëme  qui  paraît  être  un  des  ouvrages  de  sa  vieil- 
lesse. On  peut  même  y  reconnaître  celui  que  Nostradamus 


PIERRE  VIDAL,  POÈTE  PROVENÇAL.       -475 

appelle  un  traite  sur  la  manière  de  reprimer  sa  langue ,  et  que 
l'on  croyait  perdu  ,  ou  dont  ou  ne  répétait  le  prétendu  titre 
que  comme  une  épigramme  contre  son  auteur.  Après  des  con- 
seils généraux  qu  il  donne  à  ce  jongleur  sur  la  manière  décente 
de  se  conduire,  de  s'habiller,  de  se  présenter  ;  sur  le  bon  choix 
de  sociétés  qu'il  doit  faire,  sur  la  nécessité  de  varier  ses  chan- 
sons, de  ne  pas  imiter  certains  jongleurs  qui  affadissent  tout 
le  monde  par  leur  chants  amoureux  et  plaintifs,  «  ne  parlez 

pas  trop,  lui  dit-il, Si  l'on  vous  demande  de  raconter 

ce  que  vous  aurez  vu  et  entendu ,  ne  vous  répandez  pas  trop 
en  discours:  mais  allez  par  degrés,  sondez  le  terrain  jus- 
au'à  ce  que  vous  voyiez  qu'on  prenne  goût  à  ce  que  vous 
dites,  etc.  y>  Ne  sont-ce  pas  là  des  leçons  de  l'art  de  retenir 
sa  langue  ,  de  la  maneira  de  retirar  la  lengua  ?  et  les  anciens 
auteurs  copiés  par  Nostradamus  qui  a  été  ensuite  copié  par 
des  auteurs  plus  modernes,  n'auront-ils  pas  cru  ces  passages 
d'un  poëme  qu'ils  ne  connaissaient  pas  tout  entier,  tirés  d'un 
ouvrage  uniquement  consacré  à  cet  objet  ? 

Une  des  pièces  purement  poétiques  et  galantes  de  Pierre 
Vidal  peut  donner,  par  le  singulier  entrelacement  des  rimes.^ 
une  idée  des  formes  difficiles  auxquelles  les  troubadours 
soumettaient  quelquefois  leurs  chansons.  Ils  tenaient  certai- 
nement des  Arabes  ces  sortes  de  jeux  d'esprit  dont  aucune 
autre  poésie  ne  pouvait  leur  avoir  donné  lidée. 

Les  strophes  sont  de  douze  vers,  huit  de  cinq  syllabes, 
et  quatre  de  sept;  tous  à  rimes  masculines. 

Les  trois  premiers  vers  de  suite  riment  ensemble  et  avec 
le  cinquième  ;  les  sixième,  septième ,  et'huitième^semble ,  et 
avec  le  quatrième. 

Le  neuvième  et  le  dixième,  sont  sur  une  autre  rime;  le 
onzième  et  le  douzième  sur  une  autre. 

Voici  la  première  strophe. 

Molt  m'es  bon  e  bel , 
Quan  vei  de  novvel 
•  La  fuoilla  el  ramel, 

E  la  fresca  flor  ; 
E  chanton  l'auzel 
Sobre  la  verdor ; 
E'is  fin  amador 
Son  gai  per  amer. 
Amaire  e  drutz  sui  ieu 

Ooo  2 


XII  SIECLE. 


XII  SIECLE. 


476        PIERRE  VIDAL,  POETE  PROVENÇAL 

Mas  tant  sol  li  maltraich  grieu 
Q'ieu  n'ai  soffert  longamen 
C'un  pauc  nm  camjat  mon  sen. 

Cette  Strophe  fournit  les  rimes  des  sept  autres  dont  la 
chanson  est  compose'e;  mais  dans  un  ordre  bizarre  et  cepen- 
dant très-regulier. 

Dans  la  deuxième  strophe,  les  trois  premiers  vers  et  le 
cinquième  reprennent  la  rime  des  deux  derniers  delà  strophe 
précédente,  sen,  talen,  joven,  longamen;  les  quatrième, 
sixième,  septième  et  huitième,  celle  des  premiers  vers  de  la 
même  strophe,  hel,  nouvel,  ramel,  auzel.  Les  deux  suivans 
sont  en  or,  seconde  rime  de  cette  première  strophe ,  et  les 
deux  derniers  en  ieu,  qui  en  est  la  troisième  rime. 

La  troisième  strophe  en  fait  autant  de  la  seconde.  Elle 
prend  d'abord  sa  dernière  rime  ieu,  puis  sa  première,  sa 
deuxième,  et  sa  troisième. 

La  quatrième  strophe  prend ,  dans  le  même  ordre,  les  rimes 
de  la  troisième,  commençant  toujours  par  la  dernière  rime, 
sautant  de-là  à  la  première  et  allant  de  suite. 

La  cinquième,  la  sixième,  la  septième,  et  la  huitième, 
font  de  même,  chacune  à  1  égard  de  la  strophe  qui  la  pré- 
cède. On  voit  qu'à  la  cinquième,  les  rimes  doivent  se  retrou- 
ver dans  le  même  ordre  oii  elles  étaient  à  la  première,  et  qu'elles 
se  trouvent  dans  le  même  rapport  de  la  sixième  strophe  à 
la  deuxième,  de  la  septième  à  la  troisième,  et  delà  huitième 
à  la  quatrième. 

L'envoi  qui  termine  la  pièce  est  de  quatre  vers  de  sept 
syllabes,  rïfnant  deux  à  deux  avec  les  quatre  derniers  delà 
huitième  strophe. 

Il  fout  plaindre  des  poètes  qui  s'assujettissent  volontaire- 
ment à  dépareilles  entraves;  mais  peut-être  aussi  faut-il  féli- 
citer les  troubadours  de  l'organisation  délicate  qui  leur  avait 
fait  un  besoin  de  remplacer  par  l'harmonie  de  ces  conson- 
nances  celle  de  la  quantité  qui  leur  manquait,  et  de  lin- 
vention  même  de  ces  sortes  d'entraves  qui  aiguisaient  l'esprit 
par  la  difficulté,  en  même  temps  qu'elles  flattaient  l'oreille 
•par  un  retour  régulier  et  cependant  varié  des  mêmes  sons. 

G. 


v«^%^^«. 


««^v^v«^  ««^-k 


XII  SIECLE. 

ANONYME, 

AUTEUR  D'UNE  VIE,  EN  VERS  PROVENÇAUX  OU  LANGUEDOCIENS, 

DE  SAINT  AMANT,  ÉVÊQUE  DE  RHODEZ. 


i^ETTE  vie  de  saint  Arnaud  n'est  connue  que  par  les  fragmens 

Su'en  a  rapportes  un  savant  jurisconsulte  du  XVII''  siècle,  M. 
lominicy  de  Toulouse,  dans  un  ouvrage  imprimé  à  Paris 
en  1645  (1).  Dom  Rivet  qui  a  parle  deux  fois  de  cette  vie,      Hist.  Littér. 
en  fait  remonter  la  composition   au  XI«  siècle,  et  la  croit  de  Fr. ,  t.  vu, 
plus  ancienne  que  la  traduction  qu'Atton  fit  des  ouvrages  de  "vu  et"  vTù'  et 
Constantin  l'africain ,  avant  1077.  L'abbé  du  Dos  en  rapporte  t.  ix,  p.  no. 
un  fragment  en  paijant  d'une  lettre  d'Avitus  adressée  à  Quin-   ./^"V  "'*■  <^« 
tianus,   évêque   d'Auvergne  et  dit  d'après   Dominicy  qu'il  mônarchie-pi- 
cite  (2)  :  »  nous  avons  une  vie  de  saint  Amant,  évêque  de  ris,  1742,1^-4°, 
«  Rhodez,  écrite  il  y  a  plus  de  cinq  cents  ans  en  langue  ro-  '•  lï»  P- 178  V" 
«  mane  et  en  vers  mesurés  et  rimes,  et  l'on  y  trouve  plu-  P^556 de  ledit. 
»  sieurs  particularités  concernant  Quintianus ,  un  des  predé- 
«  cesseurs  de  saint  Amant.  L'auteur  de  cette  vie  dit  entre 
«  autres  choses,  que  Clovis,  dès  qu'il  eut  appris  la  disgrâce 
«  de  Quintianus,  monta  à  cheval  pour  venir  attaquer  les  Vi- 
«  sigoths.  L'importance  du  fait  que  ces  vers  nous  apprennent, 
«  ajoute  M.  Dominicy,  me   fait  prendre  la  hardiesse  de  les 
«  rapporter  ici,  bien  qu'ils  soient  composés  dans  l'ancien 
«  patois  de  noti'e  pays  ».  En  effet,  continue  le  même  auteur, 
ces  vers  font  voir  que  Clovis  commença  son  expédition  contre 


(i)  De  Prœrogativâ  AUodiorum,  cap.  VII,  p.  54,  Paris,  i645,  m-i^" 
réimprimé.  Cet  ouvrage  se  trouve  dans  Joan.  Schilteri  codex  Alemanicus  ^ 
feudalis.  Argentorati ,  1728 ,  in -fol. ,  p.  49  j  et  dans  Ansberti familia  redi- 
viva,  Paris,   1648,  in-4",  p.  44- 

(2)  «  Vêtus  vita  sancti  Amantii  Ruthenorum  episcopi  ante  quingentos 
annos  versihus  rhithmicis  linguâ  romanâ  conscripta^  cjuâ  decessorum  ejus 
quœdam  acta  continentur ,  asserit  Clodoveum  cum  ejectionem  Quintiani 
accepta  nuntio  exploratam  habuisset ,  brevi  expeditionem  suscepisse.  Ita 
enim  hahet  nec  pudebit  usiialem  et  antiquum  harum  regionum  serriionem 
licet  barbarum  proferre,  duni  tam  nobile  suppeditat  argumentum.  »  De  Prse- 
^rogativa  allodiorum,  p.  54- 


478    ANONYME,  AUT.  D'UNE  VIE  DE  S.  AMANT. 

1 —  les  Visigoths  avant  le  temps  où  il  avait  résolu  de  la  com- 

.mencer;  mais  qu'il  se  pressa  et  qu'il  la  commença  prématuré- 
ment, parce  qu'il  apprit  que  le  projet  de  ses  amis  était  dé-. 
Grégoire  de  couvcrt  et  qu  ils  étaient  en  danger. 
n°"c"37.'**  L'abbé  du  Bos  rapporte  les  vers  suivans  qu'il  cite  d'après 

•Loc.cit.t.ii,  Dominicy. 

p.  179,  ou  556 

dcréd.dei734.  Et  fo  mandat  al  rey,  per  messatge  coren, 

DePraeroga-  q^^  Quintia  l'avesque  de  Rhodes  veramen , 

tiva     Allodio-  T.      r     ■  1  j- 

rum,  cap.  VU,  ^ra  fugit  sa  oltra ,  per  penre  gandimen 

p.    49  ,    apud  'Del  pobol  de  Rhodes  que  va'n^ar  perseguen. 

Joan.  SchiUer.  Disc  que  siihjugar  los  vol  certanainen 

Al  noble  rey  de  França  :  no  lor  era  plasen  , 
"Eît,  per  aquella  causa,  lo'rey'Ten  brevemen. 

Ahsberti  fa-  Lc  même  Dominicy,  dans  un  autre  ouvrage,  cite  le  com- 
milia  rediriva,  menccment  et  divers  fragmens  de  cette  vie  de  saint  Amant, 
**■  qu'il  explique  en  latin. 

Al  nom  de  Jésus  Christ  aisy  sia  affinât 
Lo  libre,  que  vous  ay  de  lali  romansat, 
Del  padro  Sant  Amans. 

Id  est  :  In  nomine  domini  hicfiniatur  liber  sancti  Amantii patroni  nostri, 
quem  vobis  e  latino  in  romanum.  transtuU. 

Aprop  aisso  long  temps  s'en  s  vol  i-ecordar. 

Un  prince  qu'era  duc ,  que  se  f'asia  appeiar 

Marcia  ,  ab  gran  gen  ven  per  ;»settjar 

La  vila  de  Rodes,  et  vol  la  subjugar. 

Que  de  per  totas  parts  la  fec  environar , 

Et  gardar  que  monda  no  lay  pouges  intrar, 

Et  destrieys  tant  lo  pobol  que  non  ac  que  mangar.... 

Tant  lor  entendement  a  Dieus  van  demonstrar, 

Ab  gran  devotio  se  van  appareilhar, 

Qu'el  sepulchre  visite  de  sanct  Amans  lo  bar. 

Et  prego  caromen  qu  els  veille  desliurar 

Del  prince  Marcia ,  et  de  tôt  son  affar. 

Quand  airo  long  temps  fâcha  aquesta  orasio. 

Et  airo  Dieus  pregat  ab  grand  devotio , 

Et  an  près  sanct  Amans  per  garda  et  per  guide  ^ 

Viro  fugir  d'aqui  los  contrari  que  so. 

Posthœc  ïongo  deinde  tempore,  si  recordari  licet,  dnx  nomme  Manias 
cum  multo  exeicitu  Ruthenam  tendit,  et  ut  eam  sibi  subjugaret ,  tam  arcta 


ANONYME,  POETE  MORAL.  479 

Sbsidione  cinxit,  ut  nullus  itigredi  posset ,  populusque  ita  distringeretwr  ^  ut    XII  SIECLE. 
quo  sustentaret,  non  haheret.  Tune  omnes  ad  Deuin  mentem  élevant,  ac 
sepulchruin  nobilis  Arnantu  magna  cum  reverentia  adeunt ,  deprecantiirque 
ut  eos  a  principe  Martia  liberarc  dignetun.  Fusa  vero  per  longa  spatia  de- 
vota  prece ,   et   Amantio  in  auxilium   et  tuitionern  invocato  ,   inde  castra^    • 
moventes  vidsre  adversarios. 

Et  devenc  se  l'altr'an,  per  maWais  mouvement,  Pag.   4S. 

Qu'aques  duc  Marcia  fes  altre  asietgament 

Per  tornar  a  Rhodes  et  per  far  raubamen  : 

Que  vol  penre  la  vila  et  contrenger  la  gen 

Per  so  que  miels  n'agut  tôt  son  entendemen 

Que  no  ac  l'altra  ves,  quand  s'en  fugi  coren  : 

E'I  pobol,  que  a  vist  sest  assietgamen  , 

Gran  paor  en  a  aguda  d'aquela  mala  gen  , 

A  sanct  Amans  s'en  fuio ,  qu'es  lor  defensamen::" 

E'is  ennemies  fugiro  com  l'altra  ves  coren  : 

One  puiessas  no  tornero  per  far  mal  à  la  gen. 

Et  sequenti  anno  contigit ,  pravo  motu  ducem  illum  Martiam  aliam  obsi- 
dionem  parasse,  ut  rursus  Ruthenam  deprœdaretur ;  quare  ut  quantocius 
civitate  hic  potiretur ,  castra  undique  fixit ,  et  immnniter  cives  as^gressus 
est,  sanioris  se  modo  consilii  ratus  qukm  alia  vice,  qua  velociter  aufugit. 
Pnpulus  ergo  Ruthenensis  se  ita  oppugnatum  videns  ingenti  metu  concussiis 
ad  sanctuin  Amantitun  ejiis  patronum  recurrit  ,.et  statiin  i^itnici ,  ut  alias 
terga  vertère  ,  nec  in  posterum  ut  populo  nocerent^  reversi  siuU. 

Ces  fragmens  conservés  par  Dominicy ,  sont  tout  ce  qui 
nous  reste  de  cette  vie  de  saint  Amant.  Ni  ce  jurisconsulte, 
ni  aucun  des  écrivains  qui  en  ont  parlé  d'après  fui,  ne  nous  ' 

apprennent  le  nom  de  l'auteur,  ni  ne  se  sont  occupés  de  sa 
personne.  On  ne  pourrait,  à  cet  égard,  former  que  des 
conjectures  vagues,  et  par  conséquent  inutiles.  G. 

•lilf   jiijil    oiùl.!^    '.'r-s' ) 


ANONYME, 

POÈTE  MORAL. 

Il  existait  avant  la  révolution  dans  la  bibliothèque  de  l'ab- 
baye de  Saint- Vincent-du-Mans  un  manuscrit  m-8°,  relié 
en  bois,  d'une  belle  écriture  de  la  fin  du  XIP,  ou  du  com- 
mencement du  XIIP  siècle,  et  orné  de  lettres  initiales  peintes 


XII  SIECLE. 


48o  ANONYME,  POETE  MORAL. 

en  rouge  ou  en  bleu,  dont  quelques-unes  tiennent  toute  la 
page. 

Ce  manuscrit  qui  n'est  que  de  log  feuillets  non  chiffre's, 
contient  deux  différens  ouvrages  en  vers  qui  paraissent  être 
d'un  même  auteur,  et  dont  le  style  est  bien  de  la  fin  du  XII*^ 
siècle. 

Le  premier  qui  remplit  les  3a  premiers  feuillets ,  est  l'histoire 
de  la  sortie  d'Egypte  ou  de  la  délivrance  du  peuple  d'Israël , 
jusqu'à  son  entrée  dans  la  terre  promise.  Cette  histoire  est 
moralisée;  c'est-à-dire  que  l'auteur,  sur  chaque  trait  d'his- 
toire ,  fait  des  réflexions  morales.  Il  débute  par  une  espèce  de 
prologue. 

Le  viez  estoire  nos  racunte , 

E  met  en  ordene  et  en  cunte, 

Les  manzions ,  les  lius ,  les  terres , 

Les  batailles ,  les  mais ,  les  guerres 

Que  Israël  eut  e  sofFri 

Quant  il  Egypte  déguerpi 

Et  fut  menez  par  le  Deu  don 

En  terre  de  promission. 

Tôt  ço  fu  fait  et  fu  escrit 

Por  tenir  solons  l'esperit  ; 

Por  l'esperit,  nient  por  les  letre;. 

M'en  vien  por  amor  entremetre. 

Le  ni  de  l'oisel  ai  trové  ; 
S'en  vueil  solons  autorité 
,  Laissier  le  merre ,  e  à  nostre  ues  (usage) 

Tenir  les  polans  e  les  ues  (  les  poussins  et  les  œufs  ). 

Cest  doble  fruit  me  senefie 

Moralité,  allégorie, 

Par  qui  la  fois  est  confermée 

Et  nostre  vie  enluminée. 

Le  raerre  est  li  sens  de  le  lettre , 

Dunt  ne  me  quiersjo  entremettre; 

Quar  n'est  pas  bone  le  gaine 

Ki  trop  petit  conquest  amaine. 

Voici  de  quelle  manière  le  poëte  moralise  les  travaux  des 
Israélites  en  Egypte ,  et  quelles  allégories  il  y  trouve. 

Pôr  Egypte  entendez  lo  mont  (  le  monde) 
Ki  le  gent  Deu  grieve  e  confont; 


ANONYME,  POÈTE  MORAL.      01 

Li  brais  (  le  mortier)  est  vie  laide  e  foie , 

Le  paille  legiere  parole;  irîi-/ 

De  CD  nos  vuels  li  rois  ovrer, 

Ki  ne  nous  laisse  à  devoler . 

C'est  li  diables  od  sa  gent 

Dont  il  nos  vienent  maint  torment^ 

Il  explique  ainsi  le  nom  de  la  montagne  d'Abarim. 

Mons  Abarim  torne  en  romans, 
Se  diras  mont  des  trespassans. 

Il  finit  son  poëme  par  l'histoire  de  Balaam;  et  après  avoir 
déclare'  cfu'un  autre  sujet  l'appelle,  il  moralise  encore  sur  le 
nom  du  Jourdain  en  l'interprétant  à  sa  manière  : 

De  l'estoire  ne  vuel  plus  dire  ; 
Car  mes  chevals-  d'autre  part  tire.  ■ 
Jordains  sone  descendement  : 
Ki  vuelt  avoir  aprochement 
A  Deu,  e  vuelt  deseur  soi  tendre, 
Primes  apregne  en  soi  descendre. 
Ne  pueit  savoir  celle  haltesse 
Ki  ne  connoit  sa  petitesse. 

Ce  second  ouvrage,  vers  lequel  il  nous  dit  que  ses chci'au^ 
le  tirent^  est  une  explication  allégorique  et  morale  du  can- 
tique des  cantiques;  elle  est  précédée  d'un  long  prologue 
qui  commence  au  feuillet  Sa  verso  du  manuscrit  immédiate- 
ment après  la  fin  du  poème  précédent. 

Dans  ce  prologue,  le  poète  se  propose  sur-tout  d'établir 
qu'il  faut  entendre  par  les  sentimens  exprimés  dans  le  can- 
tique de  Salomon  l'amour  de  J.  C.  pour  son  église;  en  voici 
le  début  : 

La  matere  de  cest  saint  livre 
Vuelt  tôt  le  aier  (i)  avoir  délivre, 

(i)  Ainsi  écrit  dans  la  copié  faite  sur  le  manuscrit  original.  Mais  ai  ^ 
cune  des  significations  du  vieux  mot  aier  ne  peut  convenir  ici.  (  11  signifie, 
selon  le  glossaire  de  la  langue  romane,  i'\fils ,  héritier,  et  héritage;  -i" feu, 
chaleur,  -violence;  ^  aider ,  assister,  soulager;  ^"arrière,  en  reculant ,  au 
rebours  ).  Il  paraît  donc  qu'il  y  a  erreur  dans  la  copie,  et  qu'il  faut  lire  le  cucr, 
le  cœur ,  qui  forme  un  très-bon  sens.  Le  copiste  aura  joint  nial-à-propos 
au  c  le  premier  jambage  de  \u,  et  ne  sachant  plus  que  faire  du  second 
il  en  aura  fait  un  i  en  y  mettant  un  point.  Cela  est  d'autant  plus  Vrai- 
emblable  qu'il  avertit  dans  une  note  à  la  lin  de  sa  copie  que  dans  tout 
c.  e  manuscrit  il  n'y  a  pas  de  point  sur  les  /. 

Tome  XF.  P  p  p 


XII  SIECLE. 


XII  SIECLE. 


48a  ANONYME,  POÈTE  MORAL. 

Qu'il  n'ait  al  siècle  baerie  (attache) 
Et  tôt  soit  vuis  (le  légerie.  • 

Tel  le  requiers,  quar  altrement 
Pj'auroit  pas  sain  entendement. 
Quar  (l'amor  est  li  livres  fait 
Et  par  grant  sens  en  fut  estrait. 
Li  sages  Salemons  le  fist, 
-Lui  Deus  à  cest  honor  eslit, 
L'amor  dont  il  i  a  parole 
N'est  pas  del  siècle,  n'est  pas  foïe  ; 
Enz  est  amors  et  bone  et  sainte 
Dont  il  ne  vient  mais  ne  complainte. 
Geste  amers  le  saint  cuer  enivre 
Et  d'altres  aiers(i)  le  délivre, 


Duce  est  de  ceste  amor  la  plaie  ; 

Nuls  ne  le  sait  s'il  ne  l'ensaie. 

A  Jhu  Christ  et  à  sa  raie 

Qu'il  sue  (  sienne)  fait  par  bone  vie , 

Apartient  d'amors  le  parole 

Dont  cest  livres  partot  p.irole. 

La  mie  co  est  sainte  église 

O  larme  (  lame)  sainte  bien  aprise. 

Por  ceste  amie  à  soi  retraire 

Morut  li  sire  debonaire, 

Morut  et  son  sanc  precios 

Dona  li  plus  li  merveillos: 

Ne  pooit  par  altre  nianiere 

Mostrer  conbien  il  l'avait  chière. 


Après  ce  prologue  qui  finit  par  une  prière  à  Dieu,  vient  la 

f)ara phrase  de  l'auteur  sur  les  cinq  premiers  chapitres  seu- 
ement;  il  s'arrête  même  au  iS*^  verset  de  ce  chapitre.  Il  pa- 
i;>Tphrase  ou  plutôt  interprète  le  5*  :  manus  meœ  stillaverunt 
myrrham^  et  digiti  mei  pleni  myrrha prohatissiina ,  en  disant 
que  cette  myrrhe  signifie  l'incorruption  de  la  Sainte- Vierge 
après  sa  mort. 


(i)  Ce  mot  n'a  encore  ici  aucun  sens,  mais  on  a  écrit  cette  note  en 
marge  do  la  copie  :  •<  On  lit  au-dessus  du  mot  aiers,  d'une  écriture  un 
«  peu  plus  récente,  cures,  »  Et  c'est  sans  doute  la  véritable  leçon. 


AUT  ANONYM.  EN  PROSE  ET  EN  VERS.      483 

'^'^^  ,.  XII  SIECLE. 

Celé  mirre  que  nos  disons  _ 

Cho  fu  ceste  incorruptions. 

Lautre  fu  quant  ne  porrit  raie 

Li  cors  de  la  vierge  Marie. 

En  son  sépulcre  eut  il  séjor 

Mais  puis  al  quarantisme  jor  \  > 

Fu  il  del  sépulcre  leveiz 

E  des  angles  en  ciel  porteiz. 

De  ceste  mirre  nequedcnt  (néanmoins) 

S'en  taisait  ii  doz  testament. 

Par  sainte  révélacion 

Seit  on  cesie  iucorruption. 

En  tête  de  ce  même  chapitre,  où  se  trouvent  les  traits  les  | 

plus  vifs  du  cantique  des  cantiques,  l'auteur  prend  soin  de 
déclarer  que  c'est  premièrement  pour  l'honneur  de  Dieu  et 
ensuite  pour  notre  enseignement  qu'il  a  entrepris  cet  ou- 
vrage. Il  s'est  donné  beaucoup  de  peine  pour  le  mettre  en 
rime  et  pour  en  expliquer  le  vrai  sens;  mais  il  reconnaît 
si  bien  que,  malgré  ses  expHcations,  le  texte  offre  des  ex- 
pressions et  des  images  qui  ne  sont  pas  sans  danger,  qu'il 
recommande  en  finissant  d'écarter  ce  livre  des  mains  de  la 
jeunesse  : 

Mais  tant  requiers  que  cest  romant 
:Unkes  ne  viegne  en  main  d'en&nt. 

G. 


AUTRES  AUTEURS  ANONYMES 

EN  PROSE  ET  EN  VERS. 

'La  bibliothèque  de  l'abbaye  de  Marmoutiers  possédait  à 
la  même  époque  trois  manuscrits,  l'un  en  prose,  et  les  deux 
autres  en  vers ,  dont  le  langage  était  de  la  fin  du  XII*  siècle, 
et  l'écriture  du  XIV® ,  et  dont  les  auteurs  sont  également 
inconnus. 

I.  Le  manuscrit  en  prose  était  d'une  fort  belle  écriture , 
et  de  format  in-folio,  mais  le  commencement  manquait.  Il 
contenait  une   traduction   des  L<%endes  des   apôtres,   de 

Ppp  2 


Xrt  SIECLE. 


484      AUT.  ANONYM.  EN  PROSE  ET  EN  VERS. 

l'Histoire  de  l'invention  de  la  vraie  croix,  de  la  Vie  de  saint 
Gosme  et  de  saint  Damien,  et  enfin  de  celle  de  saint  Julien 
martyr.  Cette  dernière  vie  est  un  roman  des  plus  fabuleux. 
L'auteur  appelle  son  he'ros  saint  Julien  l'hostelier,  et  le  fait 
fils  de  Gcoftroi,  comte  d'Anjou.  Elle  commence  ainsi  :  «  Lus  ou 
«  Dus  Preudons  raconte  la  vie  monseigneur  saint  Julien,  qu'il 
«  a  translatée  de  latin  en  roumant,  et  dist  que  cil  qui  l'écou- 
te teront  i  auront  moult  grand  preu.  Dueix  Julien  furent ,  li 
«  uns  martirs,  et  li  ostres  confessors,  li  uns  évesques,  et  li 
«  ostrès  osteliers.  Cil  Julien  li  martirs  fu  fil  au  conte  d'Angiers 
a  et  fu  osteliers,  et  n'ama  oncques  nulle  richece,  fors  a  don- 
«  ner  pour  Dieu ,  et  herbeia  moult  volontiers  les  poures,  etc.  » 
On  ne  connaît  point,  et  rien  n'indique  dans  tout  l'ouvrage, 
quel  est  ce  prud'homme  qui  a  traduit  la  vie  de  saint  Julien, 
a.  L'un  des  deux  manuscrits  en  vers,  de  format  in-S», 
était  sans  titre,  mais  on  lisait  à  la  fin  :  ExpUcit  li  romans 
fie  Guiun  de  Borgogne.  Ce  roman  paraît  être  l'histoire  des 
exploits  de  Charlemagne  en  Espagne.  Cependant  il  y  est 
parlé  de  la  mort  de  Richard,  duc  de  Normandie,  sans  qu'on 
puisse  savoir  si  c'est  de  Richard  I*"'",  surnommé  sans  peur, 
ou  de  Richard  II,  dit  le  bon,  mort  en  1027.  Voici  les  pre- 
miers vers  de  ce  roman ,  qui  sont  alexandrins ,  ou  de  douze 
syllabes  : 

Oies,  seigneurs  barouns,  Dieu  vous  croisse  bonté, 

Si  TOUS  commencerai  chançon  de  grant  barné. 

De  Charles  l'emperere  le  fort  roi  coronné. 

XXXVII  ans  tous  plains  acomplis  et  passé 

Fut  li  rois  en  Espaigne,  0  lui  son  grant  barné  (baronage),  etc. 

Et  le  manuscrit  finit  ainsi  : 

Seignor  franc  Chr.  la  chançon  est  finie; 
Diex  garisse  celui  qui  le  vous  a  chanté, 
Et  vous  soies  tuit  sauf  qui  lavés  escouté. 

;  3.  Le  deuxième  manuscrit  en  vers,  in-folio  sur  vélin, 
contenait  la  vie  des  saints  Barlaam  et  Josaphat.  C'est  sans 
doute  une  traduction  de  la  vie  de  ces  saints,  attribuée  à 
saint  Jean  Damascène,  ou,  du  moins,  d'une  version  liitine 
de  cette  vie.  Le  traducteur  français  commence  par  les  huit 
vers  suivans  : 

Li  cuers  me  dist  et  anioneste 
Que  en  romans  mette  la  geste 


AUT.  ANONYM.  KN  PROSE  ET  EN  VERS.       185 

E  les  vies  de  deus  ermites 

Si  com  je  lai  el  cuer  escrites. 

E  nequedant  molt  me  séist 

Qu'uns  autres  l'afaire  aprist 

Cui  engins  (  dont  le  génie )  peust  miaux  soffiie 

A  traitier  si  aut  matire. 

Il  aioute  qu'il  a  mieux  aimé  employer  ses  veilles  à  faire 
quelque  chose  qui  pût  être  utile  au  lecteur  1  édifier  et  lui 
donner  des  modèles  de  vertu  à  imiter,  que  de  taire  comme 
tant  d'autres,  des  romans  qui  n'ont  d'autre  but  que  d  amuser 

et  de  faire  rire. 

Dans  les  dix-huit  derniers  vers  de  son  ouvrage ,  il  en 
recommande  l'auteur  aux  prières  de  toutes  les  classes  de 
lecteurs. 

Por  ce  lui  doivent  tuit  proier 
Clerc  e  borgois  e  chevalier, 
Soit  évesques  o  clerc  o  prêtre. 
Dex  li  otroit  l'amor  célestre 
Qui  de  ces  deux  mist  en  mémoire 
La  vie,  la  mor  e  l'estoire. 
Pensé  ja  y  a  maint  semaine  ; 
Moult  a  bien  employé  sa  peine, 
Estudié  ja  maint  vesprée, 
E  veilliés  pltiisors  matinées. 
Or  priom  Deu  qu'il  vive  à  aise 
E  que  l'oraison  à  Deu  plaise , 
E  que  s'arme  soit  en  remire  (contemplation), 
E  an  repos  et  sans  martire , 
Au  jor  qu'elle  déviera  (  sortira  de  la  vie) 
E  que  del  cors  se  partira. 
Amen  respondés  anvirom 
E  puis  pater  noster  dirom. 
Explicit. 

De  Barlaam  e  Josaphas 

Que  Dex  nos  maint  (mène)  à  bon  trespas  ! 

G. 


XII  SIECLE. 


XII  SIECLE. 

AYMÉ  DE  VARANNES  ou  DE  CHATILLON, 

k  POÈTE   FRANÇAIS. 


\jE  poète  est  connu  comme  auteur  d'un  roman  de  Florimond , 
dont  Borel ,  le  nouveau  du  Cange,  Galland  et  quelques  autres 
e'crivains  ont  parle'  ;  mais  ni  ces  e'crivains ,  ni  rien  dans  ce 
roman  ne  nous  apprennent  aucune  particularité'  de  sa  vie.  11 
n'est  question  ni  rie  sop  roman  ni  de  lui,  dans'Fauchet,  non 
plus  que  dans  Lacroix  du  INfeùic. 

Le  roman  de  Florimond  quJ^se  trouve  dans  un  manuscrit 
N°  6973.  français  de  la  bibliothèque  du  Roi,  est  in-4°,  sur  vélin,  à 
deux'colonnes.  Les  vers  sont  de  suite  comme  de  la  prose, 
et  ne  sont  distingués  que  par  la  première  lettre  de  chaque 
vers  qui  est  d'une  teinte  un  peu  rouge.  L'écriture  paraît  du 
XP''^  siècle,  et  en  est  etïèe^yement ,  comme  on  le  voit  à  la 
lin ,  par  ces  quatre  vers  du  copiste,  qui  se  nommait  Thomas 
le  Huchier  : 

L'an  i3  cent  et  aS, 
Sis  joi;s  (levant  la  sainte  croix, 
Fist  Thomas  le  Huchier  cest  livre; 
£      '  Moult  fu  lié  (  joyeux)  qui  en  fu  délivre, 

Galland  parle  d'un  manuscrit  plus  ancien,  dont  il  n'in- 
dique pas  le  numéro ,  mais  qui  est  du  XIIP  siècle  ;  la  preuve 
en  est  dans  ces  trois  vers  du  copiste,  qui  n'a  pas  pris  soin 
de  se  nommer  : 

E  quant  cil  roman  fu  escri , 
Corroit  mil  deux  cens  quatre-vingt 
Et  quinze  ans,  el  mois  d'aoust. 

Rien  n'indique  dans  le  poëme  pourquoi  on  arvait  donné  à 
Aymé  le  premier  de  ses  surnoms,  de  Varannes ,  ni  de  la- 
quelle des  villes  appelées  Châtillon ,  son  second  lui  était 
venu.  Il  n'est  appelé  de  Varannes  que  dans  une  traduction 
en  prose,  dont  nous  parlerons  plus  bas.  Dans  plusieurs  vers 
de  son  poëmc ,  il  dit  qu'il  l'avait  composé  à  Châtillon  ;  mais 
il  dit  aussi  qu'il  l'avait  fait  en  Lionnais,  et  il  ajoute  que  ce 
n'était  pas  en   France ,  parce  qu'en  effet  le  comté  de  Lyon 


AYxMÉ  DE  VARANNES,  POÈTE  FRANÇAIS.     487 

„  ,       .    ,    ,  '  Q  /      '  ,       XII  SIECLE. 

ne  fut  réuni  a  la  couronne  quen   1009,  sous  le  règne  de 


Philippe -le -Bel.  Quoi  qu'il  en  soit,  c'est  dans  le  début  du 
roman  de  Fiorimond  que  se  trouvent  toutes  ces  indications , 
dont  il  serait  difficile  de  tirer  une  conséquence  définitive, 
dans  la  disette  absolue  où  l'on  est  de  renseignemens  sur  sa 
vie  et  sur  sa  personne.  Voici  ce  début  ; 

Cil  qui  a  cuer  de  vasselage 

Et  veult  amer  de  fin  corage , 

Il  doit  oïr  et  escouter 

Ce  que  Ainiës  veult  raconter. 

Assez  i  puet  de  bien  aprendre 

Si  de  bon  cuer  i  veut  entendre. 

Or  oiez  seignor  que  je  t|i    ' 

Aimés  por  amer  avec  fi  (foi>  .fidélité) 

Fist  le  romans  tant  sagement 

Que  tel  storre  que  on  entent 

Pourquoi  il  fust  et  fais  et  diz. 


Tousjours  mais  en  iert  remetnbrance. 
Il  ne  fu  mie  fais  en  France , 
Mais  en  la  langue  des  François 
Le  fist  Aimés  en  Lionnoii. 
Aimés  y  mist  s'entencion , 
Le  romans  fist  à  Chastillon 
De  felipon  de  Macédoine 
Qui  fust  norris  en  Babiloine , 
Et  del  fil  au  duc  Malaquas 
Qui  estoit  sire  de  Duras. 
Florimont  ot  nom  en  francois 
Elenois  est  dist  en  grezois. 


Sor  Aselgue*  à  Chastillon  *  Sic  tednoii 

Estoit  Aimés  une^nkpn  ,  Piquet. 

Et  pourpensa  soi  de  l'eStoire 
'    Que  il  avoit  en  sa  mémoire. 
Il  l'avoit  en  Grèce  véûe, 
Nés  n'étoit  pas  partout  séûe, 
A  Filipople  la  trouva 
'  A  chastillon  le  aporta. 
Ainsi  corne  il  avait  aprise 
L'a  de  latin  en  romans  mise. 


XII  SIECLE. 


488  AYME  DE  VARANNES,  POÈTE  FRANÇAIS. 

LAuitcur  dit  encore,  à  la  fin  de  son  roman,  qu'il  n'a  fait 
que  traduire  cette  liistoire  du  latin  de  celui  qui  l'avait  com- 
posée pour  son  amusement  et  pour  son  plaisir.  Ainsi,  quoi- 
que l'histoire  soit  grecque,  c'est  en  latin  qu'elle  est  censée 
avoir  été'  d'abord  écrite.  Que  cela  fût  vrai,  ou  que  ce  fût 
ïine  tournure  assez  usitée  dans  ces  temps-là ,  pour  donner 
du  crédita  l'ouvrage,  après  avoir  été  mise  en  vers,  elle  fut 
retraduite  en  prose,  selon  un  autre  usage  du  même  temps. 
Le  manuscrit  français  ySSp  de  la  bibliothèque  du  Roi ,  petit 
in-folio  sur  papier,  d'une  écriture  qui  est  aussi  du  XIIF  siècle, 
contient  ce  même  roman  de  Florimond  ,  en  pro.se.  Il  est  sans 
titre,  et  commence  ainsi  : 

«  À  celui  qui  a  cuer  de  grant  valeur  et  entend  en  amour  de 
«dames  et  damoiselles,  si  entende  de  bon  cuer  le  livre  que 
«  Aimé  de  Varannes  fist  de  gregoys  en  fi  auçoys  ;  et  il  étoit 
«  en  amour  d'une  belle  damoiselle  de  France  qui  avoit  nom 
«Julienne.  Ceux  qui  le  liront  et  entendront  lire,  ce  qui  n'est 
«  pas  donné  à  tout  le  monde ,  en  tireront  un  grand  profit. 

«  Vrois  seignors,  Aymé  si  estoit  en  amours  de  cette  noble 
«  damoiselle  Julienne ,  ainsy  comme  je  vous  ay  dit  ;  et  si 
«estoit  en  Lonris  (c'est  sans  doute  Lonois^  mal  écrit  pour 
«  Lionois).  Mais  il  fist  l'estoire  à  Castillon  de  Philippon  de 
«  Macédoine,  qui  avoit  été  en  Babylone,  et  du  fils  au  duc 
«Marquas  (Malaques),  qui  tenoit  pour  héritage  Duras  et 
«toute  Albanie,  et  son  fils  d'icelui  duc  de  Duras  dont  l'his- 
«  toire  parle.  Si  eust  nom  Florimoiit  en  françois  et  Helenoys 
«  en  gregoys.  Icelui  Florimont  fut  roy  et  si  acquit  assez  hon- 
«  neur  et  terre,  et  eust  moult  de  peine  et  de  travail  en  sa  vie. 
Aseigiieàaw  «  En  iceluy  temps ,  estoit  Aymez  à  Castillon  sous  Absegues  (i), 
-  «  et  se  pensa  de  celle  histoire  que  il  avoit  en  Grèce  vue ,  etc.  » 

On  apprend  ici  une  seule  circonstance  de  la  vie  d'Aymez 
de  Châtillon,  c'est  qu'il  était  amoureux  d'une  demoiselle 
française  appelée  Julienne.  Ce  trait,  et  quelques  autres  ajoutés 
au  roman  en  vers,  paraissent  une  preuve  de  plus  qu'il  fut 
fait  d'abord  sous  cette  forme,  et  ensuite  traduit  en  prose. 
P.  55a.  Pour  revenir  au  poëme,  Borel,  dans  son  Trésor,  au  mot 

Séneschal ^  en  cite  le  passage  suivant,  qui  donne  des  parti- 
cularités assez  curieuses  sur  la  manière  dont  les  repas  étaient 
servis  au  douzième  siècle  : 

Quant  lor  mangier  fust  atornez 
Li  oste  dist  :  Seignor ,  lavez. 
A.  l'oslel  tôt  estoient  venu 


le     roman 
yers 


AYMÉ  DE  VARANNES,  POETE  FRANÇAIS.  489 

Por  véoir  li  povre  perdu , 
Li  damoisel ,  li  chevalier, 
Sergens ,  bourgeois  et  escuyer. 
A  l'ostel  avoit  moult  grant  bruit 
Et  de  joye  et  de  déduit. 
Tous  sont  retenus  au  mangier , 
Si  font  le  séneschal  proier 
Qu'il  remansist  por  déporter 
Al  povre  perdu  au  souper. 
Li  séneschal  fist  lor  voloir; 
Quant  ot  lavé  s'alla  seoir. 
Delfis  ne  fist  pas  chière  morne, 
Les  tables  et  les  mets  atorne. 
Quant  il  se  furent  tôt  assis 
Les  tables  fist  mettre  Delfis. 


XII  SIECLE. 


Quant  les  tables  furent  assises 
Si  ont  les  napes  dessus  mises. 
Li  sergent  ne  sont  pas  vilain. 
Et  vin  aportèrent  et  pain. 
Puis  aportèrent  autres  mez  ; 
En  la  table  furent  espez. 
One  del  mangier  ne  fut  à  dire. 
Mes  com  ne  peut  penser  ne  dire, 
Quant  ils  ont  assez  mangé  tuit 
Delfis  fit  aporter  le  fruit. 

Ces  te  table  fut  bien  servie 
Ou  fut  li  rois  de  Barbarie; 
Por  très  pucelles  qui  y  sont 
Li  seneschaux  fist  Florimont 
Servir ,  parce  que  il  sçavoit 
Quant  en  son  cuer  moult  li  pesoit. 
Assis  s'y  sont  li  chevalier 
Cil  qui  ne  servoit  au  mangier, 


Après  avoir  raconte  à  sa  manière  les  gestes  de  Philippe  de 
Macédoine,  de  son  fils  Alexandre  et  de  son  petit-fils  Flori- 
mont, le  poète  s'adresse  au  lecteur,  et  paraît  craindre  le 
jugement  du  public  français,  très-difficile,  dès  ce  temps-là, 
sur  le  langage ,  n'approuvant  que  ce  qui  était  d'origine  fran- 
çaise, et  peu  indulgent  pour  les  prodvictions  d'un  étranger. 

Tome  XF.  '  Qqq 


490  AYMÉ  DE  VARANNES,  POÈTE  FRANÇAIS. 

XII  SIECLE.  _  ,  T7t  •  ... 
Uel  roy  rloiremont  vous  ai  du 

Tant  com  j'en  ai  trovc  escrit. 

Or  pii  à  ceux  qui  oï  l'ont , 

Et  aus  trouvères  qui  i  sont , 

Et  aus  François  que  por  arnor 

Ils  ne  blasmoient  mon  labor. 

Qui  blasnie  ce  qu'il  doit  loef , 

Et  ce  loe  qu'il  doit  blasmer. 

Il  ne  s'en  puet  pas  moins  honir. 

Aus  François  io  voil  tant  sewir, 

Que  ma  langue  lor  est  sauvag», 

Que  io  ai  (list  en  lor  langage 

El  mieuls  que  je  le  ai  su  dire. 

Se  ma  langue  la  lor  empire 

Por  ce  ne  me  dient  ennui  ; 

Mies  aim  ma  langue  que  l'autrui. 

Romans  ne  estoire  ne  plaît 

Aus  François,  se  il  ne  l'ont  fait. 

N'est  merveille,  qujr  el  boschage 

Mon  a  si  !ait  oisel  salvage 

*  Que  ses  nis  ne  lui  soit  plus  bieb 

Que  toz  le  moindre  des  oisels. 

Et  li  estre  de  mon  pais 

Me  sent  plus  bel  à  mon  avis 

En  droit  de  pris  et  de  onor 

Et  de  service  que  li  lor. 

Voire  est  que  i  a  des  François 

Et  de  vilains  e  de  cortois. 

Les  quatre  derniers  vers  du  poëme  en  donnent  la  date; 
mais  un  mo*  illisible  dans  le  second  des  quatre  vers,  rend 
cette  date  incertaine. 

Quant  Aymezen  fistle  romans 
Mil  cent....  vint  VIII  ans 
Avoit  del  inrartiacion. 
Adonc  fut  retrait  par  Aymon. 

L'a"tenr  suit  ici  l'usage  de  changer  les  terminaisons  des 
mots,  et  même  des  noms  propres,  en  faveur  de  la  rime. 
Quand  au  mot  qui  manque  dans  le  second  vers,  on  peut  le 
.suppléer  d'après  un  manuscrit  de  Saint-Marc,  à  Veni.se,  copié 
l^r  M  de  Saiute-Palaye,  dans  uu  de  ses  recueils.  Il  porte  : 


JEHAN  PRIORAT,  POETE  FRANÇxiiS^         49  ï 

Quant  Aymez  en  fist  le  Ronians,  •\ 

Mil  cent  et  quatre  vint  viii  ans 
Avoit  de  l'incarnacium  ; 
Adonc  fut  retrait  par  Aymum. 

Ce  poëme  fut  donc  terminé  en  1 1 88  ;  et  le  poète ,  qui  n'a 
laissé  d'ailleurs  aucune  trace  de  son  existence,  peut  èta-e 
regardé  comme  ayant  vécu  jusque  vers  la  fin  du  XIP  siècle. 

Dans  le  catalogue  alphabétique  de  livres,  qui  est  en  tête 
du  Trésor  de  recherdies  et  d'antiquités  gauloises  et  françaises, 
de  P.  Borel ,  on  trouve  :  Roman  de  Florimond  ou  Fleurimont, 
manuscrit  en  la  bibliothèque  du  Boi,  de  l'an  1128.  Borel 
cite  ce  roman  dans  plusieurs  endroits  de  son  Trésor,  et  il 
répète  au  mot  Drudus  de  la  seconde  partie,  qu'il  fut  écrit 
en  1 128. 


XII  SIECLE. 


JEHAN   PRIORAT, 

POÈTE  FRANÇAIS. 


On  ne  connaît  l'existence  de  ce  poète  que  par  le  soin  qu'il 
a  pris  de  mettre  son  nom  à  la  fin  du  seul  ouvrage  qui  soit 
resté  de  lui  ;  c'est  une  traduction  de  Végèce,  de  re  Militari, 
en  vers  français  ;  et  comme  au  temps  où  vivait  le  traducteur, 
l'état  militaire  n'avait  rien  de  si  distingué  que  la  chevalerie, 
il  n'a  pas  manqué  d'intituler  son  ouvrage  :  Livres  de  Végèce, 
de  la  chevalerie,  traduits  en  vers  français.  Cette  traduction 
se  trouve  parmi  les  manuscrits  français  de  la  bibliothèque 
Royale,  n»  7622,  petit  in-folio;  le  manuscrit  en  est  orné  de 
miniatures  dans  quelques  lettres  initiales ,  et  sur  quelques- 
unes  de  ses  marges,  où  l'on  voit  des  détails  assez  curieux 
sur  la  manière  de  s'armer,  de  faire  la  guerre,  sur  les  campe- 
mens,  les  sièges,  selon  l'usage  de  ce  temps-là. 

L'ouvrage  commence  par  cette  espèce  de  prologue,  écrit 


en  rouge 


Par  bonaire  ici  coniance 
U  non  de  Deu  li  abrejance 
De  l'ordre  de  chevalerie , 

Qqqa 


493         JEHAN  PRIORAT,  POÈTE  FRANÇAIS. 

XII  SIECLE.  Comment  doit  estre  étaublie. 

Faite  fu  par  noble  home  et  saive  (sage ,  savant) 
C'on  appelloit  Vegece  Flaive 
Per  r  1 1 1  livres  devisez 
Le  trouverois  savant  lisez. 

On  lit  ensuite  une  table  en  vers  des  choses  contenues  dans 
les  (juatre  premiers  livres  de  Vëgèce;  l'auteur  n'a  pas  traduit 
le  cinquième,  sans  doute  parce  qu'il  ne  traite  que  des  flottes 
romaines,  et  de  la  guerre  de  mer.  Cette  table  générale  est 
suivie  d'une  table  particulière  des  chapitres  du  premier  livre. 
Ce  livre  commence  ainsi  : 

Nos  ne  veons  pas  que  11  puples 
Das  Romains,  ne  il  ne  lors  mubles, 
Aient  vaincut  trestot  le  monde 
Si  con  il  tient  à  la  raonde, 
Pet"  sorceries  ne  par  charmes  ; 
Mais  que  par  l'entance  des  armes. 

On  pense  bien  que  Végèce  n'a  parlé  ni  de  sorcellerie  ni 
de  charmes.  Il  dit  simplement  en  cet  endroit  :  nuUa  enim 
aliâ  re  videmus  poputum  romanum  orhem  suhegisse  terra- 
rum,  nisi  armoruni  exercitio ,  disciplina  castronim ,  usuque 
militiœ.  Ce  ne  sont  guère  que  des  ornemens  de  cette  espèce 
qu'il  gagne  à  être  traduit  en  vers  par  Jehan  Priorat. 

On  lit  à  la  fin  du  quatrième  livre,  ces  vers  qui  terminent 
l'ouvrage ,  ou  du  moins  le  manuscrit  : 

Si  i  puet  l'on  en  sa  pensée 

Retenir  aucunes  choses  feites 

Qui  sont  profitaubles  et  neites, 

Qu'es  grans  et  es  petites  guerres 

Vaillent  et  au  conquérir  terres, 

Et  en  totes  autres  besoingnes 

Ou  porte  l'on  baiiières  n'ensaingnes , 

Ne  quel  guerre  faire  conoseingnej 

Et  qui  ne  le  set  si  l'apreingne , 

Et  coment  qu'il  voit  ne  quel  coste. 

La  veille  de  la  pentecoste 

Après  celé  incarnation 

Que  j'ai  dit  de  l'ascension , 

Fu  ois  livres  trestoz  parfaiz. 

Se  vos  pensez  qu'il  soit  bien  faiz, 


JEHAN  PRTORAT,  POETE  FRANÇAIS.         493 

„..,.,..                                                    '         XII  SIECLE. 
Vos  tuit  qui  cest  livres  liroiz  

Pour  Jehan  Priorat  prieroiz 

Que  Dieu  le  trait  à  bone  fin. 

Ici  mon  livre  vous  deûn. 

Amen. 

Explicit  li  romans  de  chevalerie. 

Ce  langage  est  bien  celui  du  XII«  siècle.  M.  de  Sainte- 
Palaye,  dans  une  note  manuscrite  sur  cette  traduction  de 
Vëgèce ,  pense  que  les  bannières  dont  il  est  parlé  au  septième 
vers  de  ce  passage,  et  que  l'on  portait  à  la  guerre,  selon 
l'usage  de  ces  temps ,  oîi  les  curés ,  avec  leurs  paroissiens,  et 
letirs  bannières,  servaient  dans  les  armées,  sont  un  indice 
de  plus  que  cet  ouvrage  appartient  au  XIF  siècle.  Mais,  soit 
que  l'on  dérive  ce  mot,  comme  Pasquier,   de  ban,  ordre  L. VIII, cli. 36. 

Eubliquement  proclamé  d'aller  à  la  guerre,  et  de  se  rassem- 
ler  sous  le  drapeau,  l'étendard,  qui  de -là  s'est  appelé 
bannière;  soit  que,  comme  le  veut  Ménage,  sur  ce  mot,  dans 
ses  Origines  de  la  langue  française ,  il  vienne  du  mot  latin 
banduni ,  d'où  nous  avons  fait  bannière  pour  bandière , 
comme  les  Italiens  disent  bandiera;  il  paraît  toujours  cer- 
tain que  la  chose ,  et  le  mot  qui  la  représente ,  furent  d'abord 
appliqués  à  l'ordre  militaire,  et  que  ce  ne  fut  que  par  imita- 
tion qu'on  appela  bannière  le  signe  que  l'on  portait  à  la  tête 
du  clergé  et  aes  fidèles  dans  toutes  les  solennités  de  l'église. 
La  religion  s'étant  malheureusement  mêlée  dans  presque 
toutes  les  guerres  du  XII*'  siècle,  les  pasteurs  et  leurs  pa- 
roissiens y  marchaient  en  effet  précédés  de  leurs  bannières; 
mais  dans  le  vers  en  question,  ce.  mot  signifie  enseigne, 
étendard  en  général,  et  non  pas  en  particulier  les  bannières 
ecclésiastiques,  comme  l'a  cru  M.  de  Sainte-Palaye. 

Au  reste,  ce  que  ces  vers  ont  de  plus  remarquable,  c'est  le 
nom  de  l'auteur  placé  à  l'antépénultième.  Cet  auteur  nous 
y  donne  en  même  temps  un  échantillon  de  son  esprit,  en 
faisant  un  jeu  de  mots  de  son  nom  avec  un  temps  du  verbe 
prier  : 

Pour  Jehan  Priorat  prieroiz  ; 

Mais  il  ne  donne  aucune  indication  sur  sa  vie,  son  état, 
sa  patrie ,  ui  sur  le  temps  précis  où  il  a  vécu  ;  et  nous  n'avons 
pu  trouver  nulle  part  ailleurs  rien  qui  puisse  suppléer  à  son 
silence. 


XII  SIECLE. 


V  ***^^  ^««  '«.'%  -«  ^ 


■«^^'«-«.'«/«««^ 


LUCES  DU  GAST,-GASSE  LE  BLOND,— GAUTIER 
MAP,— ROBERT  DE  BORRON ,— HÉLIS  DE  BORRON, 
—  RUSTICIEN  DE  PISE, 

AUTEURS  OU   PLUTÔT  TRANSLATEURS   DES  ANCIENS  ROMANS 
DE  LA  TABLE-RONDE. 


V>/ES  auteurs  gui  écrivaient  en  Angleterre,  traduisirent  du 
latin  en  prose  française,  les  romans  de  Tristan  de  Léonnois, 
de  Meliadus  père  de  Tristan,  du  Saint  -  Graa!  ,  de  Joseph 
d'Arimathie ,  de  Merlin  ,  et  de  Lancelot  du  Lac ,  source 
primitive  de  cette  multitude  de  romans  dits  fie  la  Table- 
ronde^  qui  furent  aussitôt  après  mis  en  vers  français,  et 
^ui  se  répandirent  dans  toute  l'Europe ,  vers  la  fin  du  XII* 
siècle. 

A  l'exception  de  Gautier  Map,  sur  lequel  on  trouve  des 
renseignemens ,  on  ne  sait  rien  sur  les  autres.  Il  ont  échappé 
aux  recherches  de  tous  les  biographes;  et  si  quelques-uns 
d'entre  eux  n'avaient  eu  soin  de  nous  instruire  eux-mêmes 
de  leurs  qualités,  du  rang  qu'ils  occupaient,  et  des  noms 
de  ceux  qui  coopérèrent  à  leur  entreprise,  on  ne  pourrait 
former  que  des  conjectures  sur  le  temps  où  ils  ont  vécu, 
ainsi  que  sur  le  pays  qui  les  a  vus  niiître. 

LucES  DU  Gast,  chevalier  et  seigneur  du  château  du  Gast 
près  Salisbury,  en  Angleterre,  est  regardé  comme  le  plus 
ancien  ;  il  translata   le  roman   de   Tristan ,  et   commença 

Catal.  de  La  celui  du  Saint-Graal.  Il  s'exprime  ainsi  en  tête  du  premier. 

6i'rn"Aoi5'  ''  Après  ce  que  j'ai  leu  et  releu  et  pourveu  par  maintes 
«  fois  le  grant  livre  en  latin,  celui  meismes  qui  divise  aper- 
«  teraent  \Estoire  du  Saint-Graal ,  moult  me  nierveil  que 
a  aucuns  preudoms  ne  vint   avant   pour  translater-le    du 

«  latin  en  roumans Je  Luces  chevaliers  et  sires  du  Chastel 

«  du  Gast,  voi.sins  procliain  de  Sal('bieres,  comme  cheva- 
«  Hors  amoureus  enprens  à  translater  du  latin  en  françois 
«  une  partie  de  cette  estoire,  non  mie  pour  ce  que  je  sache 
«  gramment  de  françois,  ainz  apartient  plus  ma  langue  et 
K  ma  parleure  à  la  manière  de  l'Engleterre  que  à  celle  Ae 


AUT.  ANGLO-NORM.  QUI  ÉCRIV.  EN-  FRANC.     495 

«  France,  comme  cel  qui  fu  en  Engleterre  nez,  mais  tele  _: __1 

«  est  ma  volentez  et  mon   proposemeiit   que  je  en  langue 
«  Françoise  le  translaterai » 

Lëvesque  de  la  Ravallière  parait  s'être  trompé  en  disant      P"és.  du  toi 
que  le  roman  de  Tristan,  dont  il  ne  connaissait  pas  l'au-  i^-.^'les"*'  ' 
teur,  avait  jjaru  en  i  iqo.  Chrestien  de  Troyes  avait  mis  cet    ' 
ouvrage  en  rinjes  ;  et  Ton  peut  présumer  que  cette  version 
fut  publiée  avant  1180,  à  en  juger  par  ce  que  dit  le  poète 
en  tête  d'un  autre  de  ses  romans ,  comme  nous  l'avons  vu 
dans  son  article.  Mais  le  même  la  Ravallière  nous  semble  Loccît.p.  i6<^ 
avoir  raison  lorsqu'il  dit  :  «  On  ne  peut  révoquer  en  doute 
a  que  ce  roman  (  de  Tristan),  en  prose,  ne  soit  le  premier 
«  et  le  plus  ancien  de  ceux  que  l'on  connaît  jusqu'à-pré- 
«  sent;  il  a  précédé  de  quelques  années  GtyioI  et  Lnncelot.-» 

L'abbé  Lebeuf  a  trouvé  un  roman  de  Giron  le  Courtois,  Aca.l.  ^Min- 
attrihué  à  Luceà  ;  mais  les  rédacteurs  du  catalogue  de  la  *'''"'i''-'  »•  '7. 
Vallière  regardent,  avec  raison,  Rusticien  de  Pise  comme  t  », p.6o6, 
l'auteur,  ou  plutôt  comme  le  translateur  de  cet  ouvrage  (i).  n"  3990. 

(>e  qu'il  dit  dans  un  autre  de  ses  romans,  Meliadus  de 
Léonnt)is,  confirme  l'antériorité  que  la  Ravallière  accorde 
à  celui  de  Tristan ,  et  nous  apprend  en  même  temps  quels 
furent  dans  ce  dernier  roman  les  collaborateurs  ou  plutôt 
les  continuateurs  de  Tances.  Voici  ce  passage.  Catsl.  deLa 

«  Messire  Luces  du  Gau  (  Gast)  s'en  eiitremist  première-  ^'*1I'*J''  '.^'' 
«  ment,  et  ce  lu  le  premier  chevalier  qui  s  en  entremist  et  n"3g9o. 

«  qui  s'estude  y  mtst  et  sa  cure  que  bien  savons II  trans- 

a  lata,  en  langue  fraiiçoise,  partie  de  l'istoire  de  monsieur 
<r  Tristan....  Aj)  es  s'en  entremist  messire  Gasses  li  Blons 

«  qui  pareils  lu  le  roi  Henry Après  s'en  entremist  mes- 

«  sire  GarrÏT  Map  qui  fut  chevalier  le  Roy,  et  divisa  ciïz      Ti  est  cité  an 
«  ryst<^.iie  (le  Lanci'lot  du  Lac,  que  d'autie  chose  ne  parla-  âeruior  f.uiliet 
«  il  mie  gramment.  En  son  livre,  messire  Robeart  de  Borron     "^"'^-^    ^ 
a  s'en  enti\>mist.  Après  s'en  entremist  Helis  de  Borrou  par 
«  la  prière  de  m-  ssire  Robeart  de  Borron » 

Les  autours  r.ommés  dans  ce  passage  ont  donc  tofris  tra- 
vaillé à  la  traduction  du  Tristan  ,  ou  plutôt  Rusticien  de 
Pise  n'a  flésigné  que  ceux  qui  avaient  ajouté  des  branches 
ou  suites  à  ce  roman. 

II-.  Gasse  le  Bi.ond,  nommé  le  premier  après  Luces,  était 
parent  du  roi  Henri  II  d'Angleterre.  On  ne  nous  apprend 

(1)  Le  ms.  n"  6977  est  le  seul  <|ui  l'^tctiorde  à  Lucee. 


49^    ALT.  ANGLO-NORM.  QUI  ÉCRIV.  EN  FRANC. 

XII  SIECLE  -  'V 

1 L  rien  de  plus.  11  paraît  être  le  seul  qui  ait  écrit  du  vivant  de 

Luces  du  Gast,  et  qui  ait  partagé  ses  travaux, 
t  u^'f'-^T—       ^^^'  Gautier  Map  ou  Mapp,  oui  vient  ensuite,  florissait 
Casi'm.'oud'in,  ^eis  le  même  temps;  11  reçut  ordre  du  même  prince,  dont 
t.  II,  p.  1645.    on  dit  qu'il  était  chapelain,  de  mettre  en  français,  d'abord, 
VaiS'  ^il"  ^^  roman  latin  du  Saint-Graal,  et  ensuite  celui  de  Lancelot 

p.  6o5et6o6.  '    ^^^  \''^^- 

ibid.  Tanner,  cité  par  de  Bure,  le  fait  chanoine  de  Salisbury, 

grand  chantre  de  l'église  de  Lincoln,  en  11 96,  enfin  archi- 
Bibi^ît'mëd'  ^?^^r*^  d'Oxfort,  en  1198.  On  ignbre  l'année  de  sa  mort;  il 
et  inf.  t.  "il,  vivait  encore  en  12 10,  ce  qui  le  rejetterait  à  une  époque 
p.  117,  cdit.de  bien  postérieure  à  celle  où  nous  sommes  parvenus  dans  cette 
Mansi.  histoire  littéraire;   mais  on  ne  peut  le  séparer  des  autres 

traducteurs  de  ces  romans  de  la  Table-ronde.  Il  y  a  d'ail- 
,      leurs,  sur  ce  qui  le  regarde,  quelques  obscurités  qu'il  serait 
,ti   .)    .;',;  "i  difficile  d'éclaircir.  r, 

dod  «  Gautier  Map ,  chapelain  du  roi ,  a  toujours  été  regardé 

•"t>t-    '  comme  le  translateur  du  roman  de  Lancelot;  on  a  cepen- 
dant vu  que  Rusticien ,  son  contemporain ,  dit  de  lui  : 

«  Après  s  en  entremist  messire  Gautier  Map  quifu  cheva- 
«  lier  le  roy.  » 

Gr  Igi  qualité  de  messire  n'était  accordée  qu'à  ceux  qui 
«kl»i>./a»«D  étaient  revêtus  de  l'ordre  subhme,  c'est-à-dire  de  la  che- 
•  ^  Valérie;  Gautier  Map,  traducteur  de  Lancelot,  était   donc 

homme  du  monde  et  chevalier.  Il  n'était  donc  pas  chape^- 
lain  comme  on  l'a  cru;  et,  quoique  plusieurs  écrivains  lui 
aient  donné  ce  titre,  le  témoignage  de  Rusticien  de  Pise 
semble  devoir  être  cru  préférablement. 

Quoi  qu'il  en  soit,  dans  un  manuscrit  de  la  bibliothèque 
OB  *ii»  ii»:i      Royale  (i),  on  lit  à  la  fin  :  Mestre  Gautier  Mapes  qui  fist  le 

(1)  N°  7177  ,  fol.  263 ,  roman  de  Tristan  ,  où  Luces  du  Gast  s'exprime 
ainsi  : 

«Après  le  grant  travail  de  cestui  livre  que  fet  ai,  ai  demoré  un  an 
«  entier,  ai  laissé  totes  chevaleries  et  toz  autres  soulaz ,  nie  retornerai  sor 
"le  livre  de  latin  et  sor  les  autres  livres  qui  trait  sont  en  François;  et 
«  puerrai  de  chief  le  livre  que  nos  i  troveron.  Je  acomplirai  ce  Diex  plest 
«  tôt  ce  que  mestre  Luces  del'  Gait  qui  premièrement  comenca  à  translater,  et 
«  mestre  Gantier  Mes  (Map)  qui  fist  h  propre  livre  de  latin  ,  maistre  Robert 
«  de  Boron.Tot  ce  que  nous  n'avons  mené  afin  je  acomplirai,  .se  Diex  me 
'  «  doint  tant  de  vie  que  je  puisse  celui  livre  mener  à  fin.  Et  je  en  doit  moi 

«  merci  jnôult  le  roi  Henri  mon  seignor  de  ce  qu'il  loe  le  mien  livre ,  et 
«  de  ce  que  il  li  donne  si  grand  pris. 
,     -  •  Yci  fenist  le  livre  de  Tristan.  » 


AtJT.  ANGLO-NORM.  QUI  ÉCRIV  EN  FRANC.    497 

«  propre  livre  du  latin  ;  »  c'est-à-dire  qui  traduisit  du  latin    ^ 
ce  livre   même,  le  propre  livre,   ou,  comme  on  l'eût   dit 
quelques  siècles  après ,  ce  présent  livre.  Dans  son  roman  de 
Lancelot  du  Lac,  on  lit  que  les  aventures  du  Saint-Graal ^ 
telles  qu'elles   furent  vues   et   racontées  par  Boor,  furent 
mises  et  gardées  en  Y  abbaye   de   Salesbieres  (  Salisbury  ). 
«  Dont  maistre  Gautier  Map   les  traist  à  faire  son  livre 
«  del  Saint-Graal  por  l'amor  del'roi  Henri  (II)  son  signor 
œ  qui  fist  l'Estoire  translater  du  latin  en  franchois.  Après       Ce  passage 
a  cne  que  maistres  Gautier  Map  ot  traitié  des  aventures  del  ^^^^^\^  f,^*du 
a  Saint-Graal  assez  souffisament,  si  comme  il  fut  avis  al  roi  ms.  n"7i85. 
a  Henri  son  signor  que  ce   qu'il  avait  fait  ne  devoit  pas 
K  souffire   s'il  ne  racontoit  la  fin  de  chaus   dont  il  avoit 
«  devant  fait  mention,  comment  chil  moururent,  de  qui  il  ^ 

a, avoit  les  proeces  ramentéus  en  son  livre,  et  por  ce  cora- 
«  mencha  il  ceste  daaraine  partie  et  quant  il  l'ot  mise  en- 
ce  samble,  il  l'apala  la  mort  al  roi  Artus.  s»  Caïai.  de  u 

IV.  Robert  de  Borron  et  Helis   de  Borron   qui   sont  Vaihere ,  t.  ii , 
nommés  les  derniers  dans  le  passage  de  Rusticien  de  Pise, 
continuèrent  la  traduction  de   ces  divers  romans  ,  et  en 

firent  paraître  les  suites  sous  les  titres  de  Joseph  d  Arima- 

thie ,  du  Saint-Graal  et  de  Merlin.  / 

Helis  de  Borron  était  parent  de  Robert;  après  avoir  pu- 
blié, lui  seul,  le  roman  de  Palamedes  qui  fait  partie  de 
ceux  de  la  Table-ronde ,  il  s'associa  avec  Robert  et  avec 
Rusticien  de  Pise,  pour  terminer  les  différens  ouvrages  qui 
ont  paru  sous  le  nom  de  ce  dernier. 

V.  Il  ne  reste  plus  que  Rusticien  de  Pise  lui-même  sur 
lequel  les  biographes  n'ont  jusqu'à -présent  fait  aucune 
recherche.  Il  est  souvent  nomme  et  cité;  on  connaît  plu- 
sieurs de  ses  ouvrages,  mais  on  ne  sait  rien  sur  sa  personne 
ni  sur  sa  vie.   Cet  auteur,  que  les  rédacteurs  du  catalogue 

de  la  Vallière  qualifient  de  maître,  traduisit  du  latin  en  T.  Il,  p.  606. 
français  les  romans  du  Brut,  de  Méliadus,  père  de  Tristan, 
et  celui  de  Giron  le  Courtois.  Ils  ajoutent  que  ces  trois  ou- 
vrages furent  faits  d'après  les  ordres  de  Henri  III.  Son  grand 
père  Henri  II,  disent-ils,  monarque  protecteur  des  lettres, 
auquel  la  langue  française  était  plus  familière  que  la  langue 
anglaise,  ayant  fait  traduire  précédemment  une  partie  des 
romans  de  la  Table-ronde,  Henri  III  en  fit  continuer  la 
suite  par  cet  auteur.  Mais  il  nous  semble  qu'il  suffit  de  citer 
un  autre  passage  des  mêmes  rédacteurs  pour  prouver  qu'ils 
Tome  XV.  R  r  r 


XII  SIECLE. 


498    AUT.  ANGLO-NORM.  QUI  ÉCRIV.  EN  FRANC. 

se  trompent  dans  celui-ci,  et  que  ces  romans  furent  traduits 
Loc.  cit.        sous  le  règne  de  Henri  II.  «  Helis  de  Borron,  disent- ils, 
«  a  aussi  travaillé  au  roman  du  Brut  avec  Rusticien  de  Pise, 
«  secondé  de  son  parent  Robert  (i).  » 

Henri  II  régna  depuis  11 54  jusqu'en  1189,  et  Henri  III 
depuis  1216  jusqu'en  1272.  Il  est  difficile  de  penser  que 
Robert  de  Bourion  et  Helis  de  Bourron,  qui  étaient  cheva- 
liers de  Henri  II ,  et  qui  avaient  la  confiance  de  ce  prince , 
puisqu'ils  travaillaient  d'après  ses  ordres,  fussent  encore 
vivans  sous  le  règne  du  ]>etit-fils  de  ce  monarque.  D'ail- 
leurs ce  fut  sur  ces  traductions  françaises  que  nos  poètes 
du  XII^  siècle  composèrent  leurs  romans  en  vers;  ni  Rusti- 
cien de  Pise,  traducteur  en  prose  du  roman  du  Brut,  ni  à 
plus  forte  i-aispn  Helis  et  Robert  de  Bourron  dont  il  fut  le 
continuateur  dans  le  roman  de  Lancelot,  n'écrivirent  donc  pas 
sous  le  règne  de  Henri  III  roi  d'Angleterre,  mais  sous  celui 
de  Henri  II,  ou  au  plus  tard  sous  Richard-Cœur- de-Lion. 

Nous  terminerons  cet  article  par  la  liste  des  romans  tra- 
duits pour  la  première  fois  du  latin  en  prose  française ,  par 
ces  écrivains  nés  anglais.  Nous  rappellerons  en  général  que 
ces  premières  traductions  furent  mises  en  vers  français  dans 
le  même  siècle,  que  ce  ne  fut  qu'au  XIV  siècle  que  les  mêmes 
romans  furent  remis  en  nouvelle  prose,  d'après  les  romans 
ei;i  ver^:,  et  imprimés.  Nous  citerons  les  plus  anciennes  édi- 
tions qui  en  ont  été  faites ,  la  plupart  devenues  rares  ;  nous 
re'servant  à  donner  une  idée  de  chacun  de  ces  romajis  dans 
les  articles  des  poètes  français  qui  les  ont  mis  en  vers. 

Roman  de  Tristan  ,  traduit  pour  la  premier^  fois  du  latin 
en  prose  française ,  par  Luces  du  Gast ,  continué  par 
d'autres  traducteurs ,  Gasses  le  Blond,  Gautier  Map,  etc. 

Histoirç  'du  chevalier  Tristan^ fils  du  roy  Méliadus.  Paris, 
Bonfons,  i584i  hi-4!*. 

(i)  Dans  le  ms.  n"  6961 ,  il  est  dit ,  fol.  i ,  t"  :  «  Sachiez  tont  vraienient 
«que  cist  livres  [Méliadus)  fut  translatez  du  livre  mon.seigneur  Edouart 
«le  roy  d Englelerre  en  cellui  temps  que  il  passa  outre  la  nier  ou  service 
»  nostre  seigneur  Dame  Dieu  pour  conque.sterle  Saint-Sépulcre,  et  maistrc 
«  Rusticiens  <le  Pise  lequel  est  ymaginez  yci  dessus  compila  ce  rouimant, 
«car  il  en  translata  toutes  les  merveilleuses  nouvelles  et  aventures  qu'il 
«  trouva  en  celii  livre  et  traita  tout  certainement  de  toutes  le»  aventure» 
•  du  monde  -,  etc.  »  -4^0*$^' 


AUT.  ANGL.-NORM.  QUI  ECRIV.  EN  FRANC.     499 

Tristan  de  Leonnois ,  chevalier  de  la  Table-Ronde.  Paris,  -1- 

Verard ,  in-fol.  s.  d. 

Tristan  ,  etc.  Paris ,  Denys  Janot ,  1 533 ,  in-fol. 

L'histoire  du  très-vaillant  chevaUer  Tristan,  etc.  Paris, 
Ant.  Verard,  2  vol.  in-fol.  s.  d. 

Le  premier  livre  du  nouveau  Tristan ,  etc. ,  fait  françois , 
par  Jehan  Maugin ,  dit  l'Angevin.  Paris,  veuve  Maurice  de 
la  Porte,  1 554,  in-fol. 

Le  livre  du  nouveau  Tristan ,  etc.  fait  françois ,  par  Jehan 
Maugin.  Lyon,  Benoist  Rigaut,  15^7,  2  vol.  in-i6. 

L'histoire  d'Ysaïe  le  triste,  fils  ae  Tristan  de  Leonnois. 
Paris,  Phil.  Le  Noir,  in-4°  s.  d. 

Le  même,  Galliot  Duprë,  iSaa,  in-fol. 

Roman  de  Lancelot,  traduit  pour  la  première  Jbis  par 

Gautier  Map. 

La  tierce  partie  de  Lancelot  du  Lac  avec  la  queste  du 
Saint-Graal  et  la  dernière  partie  de  la  Table -Ronde.  Paris, 
Jehan  Dupré,  i488,  in-fol. 

Le  tiers  vol.  de  Lancelot  du  Lac.  Paris,  Jehan  Petit,  i5i3, 
in-fol. 

Les  merveilleus  faits  et  gestes  du  noble  et  puissant  che- 
valier Lancelot  du  hsic..,  compaignon  de  la  Table-Ronde. 
Paris,  Ant.  Verard,  i494»  3  vol.  in-fol. 

Les  faicts  et  pfouesses  de  monseigneur  Lancelot  du  Lac. 
Paris,  Phil.  Lenoir,  i533,  in-fol. 

Hist.  contenant  les  grandes  prouesses,  vaillances,  et  hé- 
roïques faits  d'armes  de  Lancelot  du  Lac ,  etc. ,  mise  en  beau 
langage.  Lyon,  Benoist  Rigaud  ,  1591 ,  in-8**. 

Romans  du  Graal,  de  JosEPft  d'Arimathie  et  de  Merlin, 
traduits  pour  la  première  fois  par  Robert  et  Hélis  de  Boron. 

L'hist.  du  Saint-Greaal,  qui  est  le  premier  livre  de  la 
Table-Ronde  :  ensemble  la  queste  dudit  Saint-Gréaal  faite 
par  Lancelot ,  Galaad ,  Boorf  et  Perceval ,  qui  est  le  dernier 
hvre  de  la  Table-Ronde.  Paris,  Jehan  Petit,  i5i6,  in-fol. 

La  vie  et  les  prophéties  de  Merlin.  Paris,  Ant.  Verard, 
1498  ■)  3  vol.  in-u)l. 

La  vita  de  Merlino  et  de  le  sue  prophétie  historiade  chef 

Rrr  2 


XII  SIECLE. 


5oo  SIMON  DE  BOULOGNE. 

lui  fece,  lequale  tractano  de  le  cose  che  havo  avenire.  In  Flo- 
rentia,  i^gS^  in-4°. 

autres  romans  de  la  Famille  d'Artus. 

Le  roman  du  roi  Artus.  Rouen,  Gaillard  le  Bourgeois, 
i488,  in-fol.  (C'est  le  Brut,  traduit  en  prose  par  Rusticien 
de  Pise. 

Gyron  le  Courtois  (par  le  même  Rusticien),  avec  la  devise 
de  tous  les  chevaliers  de  la  Table -Ronde.  Paris,  Ant.  A'^e- 
rard ,  in-fol.  s.  d. 

Les  nobles  faits  d'armes  du  vaillant  roi  Meliadus  de  Leon- 
nois  (traduits  par  le  même).  Paris,  1628,  in-fol. 

Le  livre  des  nobles  faits  d'armes  du  vaillant  roi  Melia- 
dus, etc.  Paris,  Denis  Jannot,  iSSa;  in-fol. 

La  triomphante  et  véritable  histoire  des  hauts  et  cheva- 
leureux  faits  d'armes  du  plus  que  victorieux  prince  Melia- 
dus, etc.  Paris,  i535,  in-4°,  chez  P.  Sergent,  et  in-ia, 
chez  Denis  Jannot.  -  G. 


SIMON  DE   BOULOGNE, 

TRADUCTEUR   DE  SOLIN, 

ET  AUTRES  TRADUCTEURS  FRANÇAIS. 

AivDR^  DucHESNE,  daus  son  Histoire  généalogique  des 
moisyf  *^6^?,  maisons  de  Guines ,  d'Ardres ,  de  Gand  et  de  Coucy ,  par- 
in-foi.  '  '  lant  de  Baudouin  II,  qui  succéda  en  11 69,  dans  le  comté 
de  Guines,  à  Arnoul  F"^,  son  père,  et  qui  mourut  en  i2o5 
ou  1206,  rapporte  ce  que  Lambert  d'Ardres  avait  écrit  de 
l'amour  de  Baudouin  pour  les  bonnes  lettres,  et  du  soin 
qu'il  prenait  de  s'entourer  de  savans ,  dont  les  entretiens  et 
les  lectures  l'instruisaient.  Duchesne,  qui  a  imprirné  parmi 
les  preuves  de  son  histoire,  le  texte  latin  de  Lamoert,  tra- 
duit ainsi  tout  ce  passage  :  «  D'où  vint  qu'il  eut  toujours  près 
«  de  soy  un  bon  nombre  de  clercs  et  de  gens  de  lettres ,  avec 


SIMON  DE  BOULOGNE.  5oi 

«  lesquels  il  s'accoutuma  de  conférer,  et  par  honnêtes  recora- 

«  penses  les  convia  de  lui  expliquer  les  meilleurs  livres.  » 
Landri  de  Vualanio  (  c'est  sans  cloute  de  Valogne ,  en  Nor- 
mandie), traduisit  en  sa  faveur  le  cantique  des  cantiques 
de  latin  en  roman,  c'est-à-dire  en  langue  française  ou  vul- 
gaire, tant  à  la  lettre  que  selon  l'intelligence  du  sens  mys- 
tique, ensemble  plusieurs  évangiles  des  dimanches,  avec 
des  homélies  et  sermons  à  ce  convenables.  Un  certain  Alfrius 
(c'est  celui  dont  nous  avons  parlé  dans  le  xiii^  volume  de 
cette  Histoire  littéraire,  p.  1 14),  lui  interpréta  pareillement 
la  Vie  de  saint  Antoine,  nermite.  La  plupart  de  la  physique 
(c'est-à-dire  de  la  médecine),  lui  fut  traduite  par  un  savant 
homme ,  appelé  maître  Geoffroy  ;  et  Simon  de  Boulogne 
ayant  translaté  de  latin  en  vulgaire ,  Solin  qui  traite  de  la 
nature  des  choses ,  il  le  lui  offrit  pour  mériter  l'honneur  de 
sa  bienveillance.  »  tJUsuprà^^.'ji. 

On  voit  par  le  temps  où  vivait  le  comte  Baudouin  que 
tous  ces  savans  florissaient  au  plus  tard  vers  l'an  1190.  Ce 
qui  est  certain,  c'est  que  maître  Geoffroy  était  déjà  auprès 
de  lui ,  en  qualité  de  son  médecin ,  dès  l'an  1 1 77 ,  puisque 
ce  fut  lui  qui ,  avec  un  autre  médecin ,  nommé  Herman , 
prit  soiu  de  la  comtesse  Chrétienne,  femme  de  Baudouin, 
dans  la  maladie  dont  elle  mourut  cette  même  année  1177, 
comme  le  rapporte  Lambert  d'Ardres ,  cité  par  André  Du- 
chesne.  Quant  à  Simon  de  Boulogne,  il  vivait  encore  en  W'V/- p.  117. 
1198.  On  en  trouve  la  preuve  dans  un  autre  passage  de 
Lambert,  qui  nous  apprend  en  même  tenîps  que  Simon 
joignait  à  ses  autres  connaissances  celle  de  la  géométrie,  si 
cependant  cela  ne  se  réduisait  point,  vu  l'état  oii  étaient 
alors  les  sciences,  à  savoir  ce  qu'on  nomme  l'arpentage;  ce 
fut  lui  qui ,  en  qualité  de  géomètre,  eut  l'intendance  des  ou- 
vriers qui  travaillèrent  au  grand  fossé  dont  la  ville  d'Ardres 
fut  environnée  en  1198.  7èjy.  p.  aS?. 

On  peut  soupçonner  que  Simon  était  aussi  poète ,  d'après 
un  article  de  l'inventaire  des  livres  du  roi  Charles  V,  rapporté 
par   Lebeuf.  Cet  article  porte  :  «Des  faits  de  Troyes,  des       Dissert,  sur 
«Romains,  de  Thèbes,  d'Alexandre-le-Grand ,  escripts  de  l'hist.  de  Paris, 
«  lettre  houlonnaise.  v  Et  il  est  ajouté  en  note  :  «  Le  roi  le  prit  ''  ^^^'  ^'  '*^^' 
«  quand  il  alla  au  mont  Saint-Michel.  »  Charles  V  mourut  en 
i38o;  ce  livre  qu'il  estimait  particulièrement,  sans  doute  à 
cause  de  son  ancienneté,  et  qui  était  écrit  en  lettre  houlon- 
naise, était  peut-être  l'original  même  de  l'auteur;  et  aucun 


5o2  SIMON  DE  BOULOGNE. 


Xri  SIECLE. 


poète  boulonnais,  autre  que  Simon,  ne  figure  dans  4iotre 
Histoire  littéi'aire  avant  l'époque  de  Charles  V. 

La  suite  de  ce  passage  de  Lambert  d'Ardres,  publié  par 
André  Duchesne,  contient  d'autres  détails  que  nous  croyons 
devoir  ajouter  ici,  quoiqu'ils  ne  regardent  plus  Simon  de 
Boulogne,  parce  qu  ils  font  connaître  d'autres  savans,  ses 
conteraporauis,  dont  il  paraît  qu'aucun  autre  auteur  n'a 
parlé. 

«Il  (le  comte  Baudouin)  assembla  une  très-ample  biblio- 
«  thèque ,  de  laquelle  il  commit  la  garde  à  un  nommé  Hesard 
«de  Âldehem,  ou  de  Haëden,  qui,  par  le  moyen  d'icelle, 
«  apprit  les  bonnes  disciplines,  encore  qu'il  n'eût  point  au- 
cc  paravant  étudié;  et  suivant  son  instruction,  Gautier  Silens 
«  (le  Silencieux),  autrement  dit  Silenticus,  composa  un  livre 
(f  intitulé  de  son  nom  :  le  Silence,  ou  le  roman  du  Silence , 
«  en  récompense  duquel  le  comte  Baudouin  lui  donna  des 
«  chevaux ,  des  vêtemens ,  et  plusieurs  autres  présens  hon- 
ibuL  p.  72.      ^^  nètes.  » 

Lambert,  dans  un  autre  endroit  que  Duchesne  n'a  point 
traduit,  parle  encore  de  trois  autres  savans  qui,  tandis  que 
les  premiers  étaient  auprès  du  comte  Baudouin  II,  étaient 
eux-mêmes  auprès  de  son  fils,  le  jeune  comte  Arnoul ,  pour 
l'instruire  'dans  l'histoire;  ce  sont  :  Robert  de  Coutauce, 
Philippe  de  Mongardin ,  et  Gautier  de  Cluse.  Le  premier 
était  un  ancien  militaire  (inilitcm  quenidam  veterajiiim  Ro- 
hertiimj ,  qui  instruisait  le  jeune  comte,  et  charmait  en 
môme  temps  ses  oreilles,  et  aures  ejus  demulcebat ,  par  les 
histoires  des  empereurs  romains,  deCharlemagne,  de  Roland 
et  d'Olivier. 

Le  second,  Philippe  de  Mongardin,  lui  parlait,  au.ssi  pour 

.         le  plaisir  de  ses  oreillesYW(7M/'/«TO  f/c/ecfa^wnemj,  du  pays 

de  Jérusalem,   du  siège   d'Antioche,    et  des   faits   d'armes 

contre  les  Arabes,  les  Babyloniens,  et  dans  toutes  les  régions 

d'outre-mcr.  Son  cousin  fcognatuni  suumj ,  nommé  Gautier 

de  Clqse,  l'entretenait  assiduement  des  faits  histori(|ues  et 

fabuleux  des  Anglais ,  de  Germond  et  d'Ysembard ,  de  Tristan 

et  d'Yscult,    de   Merlin   et  de  Merculfe,  de  l'histoire  des 

'"^    ' ''"  'Ardresiens,  tt  de  la  construction   de  la  ville  d'Ardres.  Le 

comte  les  retenait  auprès  de  lui,  les  admettait  à  sa  familiarité, 

jhid.  p.  25i  et.  prenait  plaisir  à    les  entendre.    On  voit  que  Baudouin 

«'  *5*-  et  son  fils  n  épargnaient  rien  pour  être  instruits;  mais  qu'en 

,  croyant  apprendre  l'histoire ,  ils  n'apprenaient  à  peu  de  cho.se 

près  que  des  fables. 


JEAN  DE  LYON  ET  ARNOLD.  5o3 

Dans  une  des  assemblées  que  ces  trois  derniers  savans  te- 
naient en  présence  du  jeune  comte  Arnoul,  Gautier  de  Cluse 
prononça  un  long  discours,  où  il  fit  toute  l'histoire  de  la 
ville  d'Ardres,  et  des  actions  mémorables  des  seigneurs  de 
cette  ville,  Lambert  d'Ardres  nous  a  conservé  ce  long  dis- 
cours ,  que  l'on  trouve  imprimé  en  entier  parmi  les  preuves 
de  l'histoire  généalogique,  etc.,  écrite  par  André  Duchesne, 
qui  nous  a  fourni  les  matériaux  de  cet  article. 

Il  est  à  remarquer  que  Lambert  y  nomme  souvent  Bau- 
douin d'Ardres,  son  père;  c'est  qu'il  était  fils  naturel  de  ce 
seigneui-,  qui  mourut  en  ll/^6•,  il  était  ainsi  proche  parent 
du  jeune  comte  Arnoul,  qui  était,  par  sa  mère  Chrétienne, 
petit-neveu  du  même  Baudouin.  G. 


XII  SIECLE. 


Ibifl.  p.  167. 


JEAN  DE  LYON   ET  ARNOLD, 

DE  LA  SECTE  VAUDOISE. 


Jean  de  Lyon  était  l'un  des  chefs  de  la  secte  vaudoise.  On  Dubouiay,t. 
a  réfuté  et  supprimé  ses  écrits;  ils  ne  nous  sont  connus  que  '''  i'-  '92-  — 
par  les  ciitiques  ou  censures  qu'ils  ont   provoquées    C  est  '|°""^''  ^,'?'- 

..1  11-  11         •••r>  •  1        ■',  (les  variât. ,  hv. 

sur-tout  dans  le  livre  du  dominicain  Reyiuer  contre  les  Vau-  xi,  n.  54. 
dois,  qu'il  est  question  de  la  personne  et  plus  encore  de  la       Bibl.    Patr. 
doctrine  de  Jean  de  Lyon.  Reynierest  un  théologien  du  Xlir  ^"S*^-  '•  ^^V- 
siècle,  que  nous   ferons   connaître  ailleurs  :  mais  voici,  en  P-*^^"*''- 
substance,  ce  qu'il  dit  de  l'hétérodoxe  Jean.  ,1 

II  le  surnomme  Bergomensis^  soit  que  Jean  fîit  né  à  Bar- 
game,  soit  plutôt  qu'ity  eÛJ;  porté  ses  erreurs  qui,  en  effet, 
se  répandirent  en  Lombardie.  Quoi  qu'il  en  soit ,  Jean  se 
donniiit  à  lui-même  le  n<  m  de  Jean  de  Lyon,  et  se  qualifiait 
Jîls  aînéi  ordonné  cvéque  par  la  grâce  de  Dieu.  Pour  expli- 
Cjuer  ces  titres,  Reynier  nous  apprend  que  chez  les  Vaudois, 
lévêque  mort  était  le  plus  souvent  remplacé  par  l'aîné  de 
ses  fils.  Outre  les  épîtres  assez  nombreuses  oii  Jean  prenait 
ces  qualités,  il  avait  composé,  ou  comme  dit  Reynier,  com- 
pilé un  gros  volume  de  dix  cahiers  dont  chacun  était  de 
quatre   feuilles  :   Compilavit   magnum    quoddam   volumen 


5o4  JEAN  DE  LYON  ET  ARNOLD. 

X.II  SIECLE 

'-  decem  quaternorum.  Là,  Jean  de  Lyon  développait  sa  doc- 
trine, professait  le  manichéisme,  niait  la  Trinité,  réduisait  la 
création  au  simple  débrouillement  du  chaos  ,  bornait  la 
puissance  de  Dieu,  étendait  celle  du  diable,  et  la  déclarait 
supérieure  à  celle  du  Christ  :  il  enseignait  d'ailleurs  la  trans- 
migration des  âmes  d'un  corps  en  un  autre;  et  plus  témé- 
raire que  Pierre  Valdo ,  il  attaquait  plusieurs  croyances  que 
cet  hérésiarque  avait  respectées.  Reynier  nous  représente 
la  secte  des  Y audois  comme  divisée  en  deux  branches  :  celle 
dont  Jean  de  Lyon  était  le  chef,  composée  de  jeunes  gens, 
se  distinguait  pas  une  licence  plus  auaacieuse.  Mais  il  s'agit 
ici  de  la  licence  de  leurs  opinions  ,  non  de  leurs  moeurs  :  car 
Reynier  rend  hommage  à  la  conduite  édifiante  de  tous  les 
Vaudois;  entraîné  lui-même  par  l'éclat  et  l'attrait  de  leurs 
vertus  évangéliques ,  il  s'était  d'abord  placé  dans  leurs  rangs, 
et  avait  professé  leur  doct;rine  avant  de  la  réfuter. 

En  quelles  années  naquit,  vécut,  écrivit,  mourut  Jean  de 
Lyon  ?  ni  Reynier,  ni  aucun  contemporain  ne  nous  l'apprend. 
Tout  ce  que  nous  en  savons ,  c'est  que  Reynier  réfutait  Jean 
vers  l'année  1 25o ,  et  qu'alors  il  ne  représentait  point  les 
lettres  et  le  gros  livre  de  cet  hérétique  comme  des  produc- 
tions toutes  récentes.  Il  dit  néanmoins  que  Jean  et  ses  com- 
plices n'osent  pas  révéler  à  tous  leurs  disciples  le  système 
entier  de  leurs  dogmes  ;  et  de  ce  temps  présent,  non  audent, 
on  pourrait  à  la  rigueur  induire  que  Jean  vivait  encore  en 
laSo.  Pour  écarter  cette  conséquence,  il  faut  soutenir  que 
le  présent  non  audent  ne  doit  s  appliquer  qu'aux  complices 
ou  successeurs  de  Jean  ,  et  que  si  la  construction  grammati- 
cale l'étend  à  ce  personnage,  c'est  que  Reynier  ayant  à  dire 
que  Jean  n'avait  point  osé  et  que  ses  successeurs  n'osaient 
pas ,  a  mieux  aimé  dire  plus  brièvement  :  Ni  Jean  ni  ses 
complices  n'osent  :  inexactitude  qui  en   effet    n'est    point 
sans  exemple  chez  les  auteurs  qui  écrivent,  comme  Reynier, 
Hist.  Liitér.  avcc  bcaucoup  de  négligence.  Aussi  le  père  Colonia  n'a-t-il 
de  i.yon,  t.  II,  point  hésité  à  déclarer  Jean  de  Lyon  contemporain  de  Pierre 
p.  248,  a4Q.      Valdo  ;  et  quoique  cette  opinion  soit  dénuée  de  preuves  po- 
sitives ,  nous  la  suivons  ici  comme  une  hypothèse  au  moins 
permise. 

H.  Vers  les  mêmes  temps  vivait  un  ArnauM  ou  Arnold, 
autre  Vaudois,  que  Jac.  Thomasius,  De  Thou,  Ussérius , 
ont  confondu  avec  le  fameux  Arnauld  de  Bresse.  Celui  dont 
nous  voulons  parler  se  réfugia  ,  vers  la  fin  du  XII*  siècle, 


XII  SIECLE. 


GUILLAUME  DE  CHAMPAGNE.  5o5 

dans  la  ville  d'Alby;  il  y  eut  des  sectateurs  que  l'histoire 
des  hére'sies  distingue  par  le  nom  d'Albigeois.  Nous  croyons 

?u'on  peut  appliquer  à  cet  Arnold'un  long  passage  de  Lucas 
\idensis,  cite  par  Fabricius ,  dans  sa  bibliothèque  latine  Edit.  Man»i , 
du  moyen  âge,  à  l'article  d'Arnauld  de  Bresse.  Ce  dernier  *-^^'P!>7- 
périt  à  Rome,  comme  chacun  sait,  en  ii55;  et  celui  dont 
parle  Luc  de  Tude  mourut  en  Espagne,  frappe,  terrasse, 
exterminé  par  le  diable  :  Arnauld  de  Bresse,  au  contraire, 
avait  été  brûlé  par  ordre  du  pape.  Les  détails  de  la  mort 
diabolique  d'Arnold  ou  Arnauld  le  Vaudois  nous  paraissent, 
comme  à  Fabricius,  assez  peu  croyables  :  mais  il  n'y  a  rien 
d'impossible ,  rien  même  de  miraculeux  dans  ce  que  Luc 
nous  raconte  des  erreurs  et  des  artifices  d'Arnold.  Cet  héré- 
tique ,  qui  s'occupait  à  transcrire  la  bible  et  les  ouvrages  des 
pères  de  l'église ,  est  accusé  par  Luc  d'avoir  corrompu ,  fal- 
sifié beaucoup  de  textes  ;  et  ce  reproche  que  tant  d'autres 
ont  encouru  est  l'un  de  ceux  que  n'a  point  mérités  Arnauld 
de  Bresse.  Nous  nous  croyons  donc  autorisés  à  faire  ici 
mention  d'un  Arnold  qui,  pour  propager  l'hérésie  vaudoise, 
altérait  l'écriture  sainte  et  les  livres  ecclésiastiques.  Peut-être 
a-t-il  fourni  des  textes  ainsi  corrompus  à  Pierre  Valdo  lui- 
même,  qui  n'ayant  qu'une  instruction  fort  médiocre,  avait 
souvent  recours  à  celle  d'autrui.  «  Icelui  n'étant  lettré,  dit 
«  Vignier,  se  fit  traduire  par  aucuns  savans  hommes  les  livres  Hïst. delVgL, 
«de  la  Sainte -Ecriture,  avec  aucuns  passages  des  plus  an-  *""•  *'^9»  P' 
«  ciens  et  plus  purs  docteurs  de  l'église.  »  D.         '  * 


GUILLAUME  DE  CHAMPAGNE, 

CARDINAL,  ARCHEVÊQUE  DE  REIMS. 

SA  VIE. 

(juiLLACME,  surnommé  aux  Blanches- Mains,  Alhimanus , 
était  le  plus  jeune  des  quatre  fils  de  Thibaud-le-Grand  ou 
le  Dévot,  comte  de  Chartres,  de  Blois  et  de  Champagne, 
et  fut  destiné  dès  son  bas  âge  à  l'état  ecclésiastique.  Quoique 

Tome  XV.  Sss 


6o6  GUILLAUME    DE   CHAMPAGNE. 


XII  SIECLE. 


son  père  eût  à  sa  disposition  hùti  toorabre  de  béne'fices  dont 
lui  ou  ses  ancêtres  étaient  les  foTidateurs,  il  s'adressa  néan- 
moins à  l'illustre  saint  Bernard ,  abbé  de  Clairvaux ,  dont  le 

,  i«n»W  ,iiK^      crédit  soit  à  la  cour  de  Rome ,  soit  à  la  cour  de  France ,  était 
T«>  '!  grand ,  afin  d'obtenir  de  bonne  heure  pour  son  fils  quelque 

grosse  prélature.  Saint  Bernard ,  dans  sa  réponse ,  appuya 
son  refus  de  se  mêler  de  pareilles  choses  par  de  très-bonnes 
raisons.  «Ce  n'est  pas,  dit-il,  que  je  ne  souhaite  du  bien 
au  p<^tit  Guillaume,  mais  non  pas  un  bien  pour  lequel  lui 
s.  Bernard;,  et  moi   nous  offenscrions   Dieu:  Sanè    fVulelmulo   nosùv 

epist.  271.  cupio  bene  per  otnnia,  sed  ante  oninia  Deum,  etc.  »  Cette 
lettre  est  de  l'année  ii5i ,  qui  précéda  celle  de  la  mort  du 
comte. 

Quoique  saint  Bernard  eût  motivé  son  refus  sur  ce  qu'il 
n'était  pas  permis  de  posséder  simultanément  des  bénéfices 
dans  plusieurs   églises  ,   Pierre  ,   abbé  de   Saint-Pierre  de 
Celles,  plus  indulgent,  ne  fit  pas  difficulté  de  solliciter  pour 
lui ,  vers  le  même  temps ,  auprès  du  pape ,  la  prévôté  de 
^églisf^  de  Soissons,  alléguant  pour  motif  les  grands  biens 
que  ses  ancêtres ,  et  son  père  en  particulier,  avaient  fait  aux 
églises.  «  C'est ,  dit-il ,  un  sujet  qu'il  faut  se  hâter  d'attacher 
à  l'église ,  parce  que ,  issu  d'une  tige  excellente ,  il  portera 
dans  son  temps  un  fruit  non  dégénéré.  Il  a  d'ailleurs  deux 
''•^     Crères  puissants,  dont  l'un  est  comte   de  Champagne,  et 
'     l'autre  comte  de  Blois  et  sénéchal  dé  France,  qu'on  peut 
considérer  comme  deux  bras  prêts  à  venir  au  secours  de  la 
cour  de  Rome,  toutes  les   fois  qu'elle  aura  besoin  de  leur 
appui.  »  Il  ne  paraît  pourtant  pas  qu'il  ait  obtenu  cette  pré- 
voté; il  était  destine  à  des  dignités  plus  relevées.  En  effet 
son  crédit  à  la  cour  du  pape  et  à  celle  du  roi  alla  toujours 
croissant  »  sur- tout  depuis  que  la  plus  jeune  de  ses  sœurs 
eut  épousé  le  roi  Louis-le-Jeune,  et  lui  eut  donlié  un  fils 
qui  fut  son  successeur. 

Robert  du  Mont  nous  apprend  qu'à  la  demande  de  l'em- 

f)ereur  Frédéric,  le  jeune  Guillaume  de  Champagne  fut  élu, 
'an  ii63,  par  le  clergé  et  le  peuple,  archevêque  de  Lyon, 
et  que  le  pape  Alexandre  approuva  ce  choix.  Ce  fait  qui 
n'est  appuyé  que  sur  le  témoignage  de  cet  historien  ,^  nous 
paraît  fort  douteux ,  sur-tout  en  ce  qui  regarde  la  confirma- 
tion donnée  par  le  pape  Alexandre,  qui,  comme  l'on  sait, 
n'était  pas  à  cette  époque  reconnu  par  l'empereur,  et  n'avait 
.V  Lyon  qud  très- peu  de  partisans.   La   chose  serait  plus 


GUILLAUME  DE  CHAMPAGNE.  So; 

croyable,  si  l'historien  eût  nomme  l'antipape  Victor.  Le 
nom  d'Alexandre  n'a  été  peut-être  fourré  là  que  par  la  témé- 
rité du  copiste.  Quoiqu'il  en  soit,  cette  élection  ne  fut  pas 
soutenue,  sans  que  l'nistorien  nous  dise  pourquoi  elle  fut 
sans  conséquence.  Mais  ce  jeune  aspirant  ne  tarda  pas  à  être 
élevé  à  l'épiscopat. 

L'an  ii64,  il  fut  élu  au  siège  vacant  de  l'église  de  Char- 
tres, concurremment  avec  le  prévôt  du  chapitre,  qui  s'était 
fait  un  nombreux  parti.  Une  lettre  de  Thibaud ,  comte  de 
Blois,  au  roi  Louis-le- Jeune  contient  la  relation  de  ce  qui 
s'était  passé  à  cette  occasion ,  afin  d'intéresser  le  monarque 
en  faveur  de  son  frère.  Cependant  l'affaire  ayant  été  portée 
à  la  décision  du  pape  Alexandre  III,  ce  pontife,  qui  séjournait 
à  Sens,  ordonna  de  procéder  à  une  nouvelle  élection,  et 
écrivit  au  roi  pour  le  prier  d'employer  son  autorité  afin  que 
tout  se  fit  dans  les  règles.  L'année  suivante ,  notre  jeune 
prélat  ayant  été  élu  une  seconde  fois,  se  rendit  à  Montpellier 
pour  conférer  avec  le  pape  retournant  en  Italie,  qui,  à  raison 
de  sa  jeunesse,  lui  accorda,  suivant  Robert  du  Mont,  un 
délai  de  cinq  ans  pour  recevoir  la  consécration  épiscopale  , 
et  le  chargea  d'une  lettre  de  recommandation  auprès  du  roi , 
datée  du  iq  août  de  la  même  année. 

L'an  iiDD,  n'étant  encore  qu'évêque  élu,  sans  avoir  reçu 
la  consécration  épiscopale,  il  assista  au  concile  de  Beauvais, 
où  furent  excommuniés  les  moines  de  Rebais,  lesquels  refu- 
saient de  reconnaître  leur  abbé,  parce  qu'il  avait  fait  pro- 
fession d'obéissance  à  l'évêque  de  Meaux.  Deux  ans  après, 
le  roi  d'Angleterre ,  pressé  de  toutes  parts  par  ses  ennemis , 
et  voulant  se  réconcilier  avec  le  roi  de  Finance,  c'est  à  l'évêque 
élu  de  Chaitres  qu'il  s'adressa  en  personne  pour  faire  sa 
paix,  sachant,  dit  Jean  de  Sarisbéri,  qu'il  était  plus  avant 
que  tout  autre  dans  l'intimité  du  roi. 

La  même  année  1168,  l'archevêché  de  Sens  étant  devenu 
vacant  par  la  mort  de  Hugues  de  Touci ,  Guillaume  fut  élu 
sans  contestation  pour  lui  succéder ,  et  fut  sacré  le  22  dé- 
cembre 1168,  par  Maurice,  évêque  de  Paris,  sans  renoncer 
néanmoins  au  gouvernement  de  l'église  de  Chartres,  qu'il 
retint  pendant  huit  ans  avec  la  permission  du  pape.  Ce  fut  à 
l'occasion  de  ce  sacre  que  Jean  de  Sarisbéri ,  écrivant  à  Jean 
de  Belmais,  évêque  de  Poitiers,  fit  de  notre  jeune  prélat  un 
bel  éloge  que  sa  bonne  conduite  ne  tarda  pas  à  justifier. 
«  C'est,  dit-il ,  un  homme  qui  donne  de  grandes  espérances, 

Sss  2 


XII  SIECLE, 


Chesn.  t.  IV, 
Rer.  Fran.  p. 
7o5.  —  Bouq. 
t.XVI,p.  io3. 


Chesn.  ibid. 
p.  6oy. — Bouq. 
t.  XV,  p.  824. 

Chesn.  ibid. 
p.  62a. — Bouq. 
ihid.  p.  842.  — 
Labbe,  concil. , 
t.  X,col.  1347. 
—  Gall.  Christ, 
t.  VIII,  pr.  col. 
339. 


Joan.  Saresb. 
epist.  a3'3. 


5o8  GUILLAUME   DE  CHAMPAGNE. 

XII  SIECLE^  q^j  jouit  d'une  très-brillante  réputation ,  d'un  grand  crédit^ 
et  d'une  influence  considérable  dans  les  affaires  du  royaume; 
c'est  lui  qui  après  le  roi  accorde  le  plus  de  secours  à  l'ar- 
chevêque de  Cantorbéri  et  aux  personnes  qui  l'ont  suivi 
dans  son  exil.  Je  voudrais  que  vous  fissiez  connaissance  avec 
lui,  car  il  désire  se  lier  d amitié  avec  vous;  et  pour  vou» 
dire  sans  détour  ce  que  j'en  pense,  je  ne  connais  personne 
dans  le  clergé  de  France  qui  ait  plus  de  prudence  et  plus 
d'éloquence  que  lui  ». 

Cet  éloge  dicté  par  la  reconnaissance  pourrait  paraître 
intéressé,  mais  n'est  pas  contraire  à  la  vérité.  Personne  en 
France  n'épousa  plus  ouvertement  et  plus  chaudement  la 
cause  de  Thomas  Becket  contre  le  roi  d'Angleterre.  Muni 
de  l'autorité  de  légat  en  France  dès  l'instant  de  son  sacre, 
il  n'en  fit  usage  que  pour  contrebalancer  celle  des  envoyés 
extraordinaires  que  le  roi  d'Angleterre ,  par  ses  instances  et 
ses  plaintes ,  obtenait  de  la  cour  de  Rome.  Indépendamment 
d'une  multitude  de  lettres  qu'il  écrivit  à  ce  sujet,  dont  il 
sera  rendu  compte  plus  bas  (i),  il  fit,  l'an  1169,  le  voyage 

Bened.  Petrob.  d'Italie ,  pour  cléterminer  le  pape  à  employer  les  voies  de 
rigueur,  afin  de  contraindre  le  roi  d'Angleterre  à  faire  la 
paix  avec  l'archevêque.  Lorsque  le  roi ,  ne  pouvant  plus  re- 
culer, consentit  à  recevoir  en  grâce  l'archevêque  Thomas, 
ce  fut  l'archevêque  de  Sens  qui ,  avec  son  frère  le  comte  de 
Blois ,  le  conduisit  au  lieu  indiqué  pour  la  réconciliation  ; 
mais  le  saint  prélat  ayant  été  mis  à  mort  la  même  année, 
intér  epist.  SCS  poursuites  contre  le  roi  d'Angleterre  ne  firent  que  redou- 

S.  Thom.,  lib.  ^igr,  jusqu'à  lancer  l'interdit  sur  ses  domaines  en-deçà  de 

V,  ep.  80.  82.    j^  ^^^^  comme  coupable  de  ce  meurtre,  malgré  l'opposition 
des  prélats  de  Normandie. 

La  guerre  ayant  recommencé  de  plus  fort,  l'an  iiyS, 
entre  les  deux  rois,  l'archevêque  de  Rouen  craignant  ave* 
raison  que  ce  fléau  ne  tombât  sur  sa  terre  des  Andelys, 
s'adressa  à  l'archevêque  de  Sens  pour  détourner  par  son 
crédit  auprès  du  roi  ce  malheur  qui  le  menaçait.  «  C'est 
inter  epist.  VOUS,  lui  dit-il,  qui  daus  le  temps  que  la  barque  de  sainl 

Pétri  Blés.  ep.  pierre  était  sur  le  point  d'être  engloutie  par  les  flots  des 
schismatiques  ,  l'avez  plus  que  tout  autre  sauvée  du  naufrage 

(»)  Voir  parmi  les  lettres  de  saint  Thomas  de  Cantorbéri  la  62*6174  du 
livre  II;  les  lettres  3o,  3i ,  78  et  88  du  livre  III  j  la  7*  du  livre  IV;  h 
25%  80"  et  8a*  du  livre  V. 


GUILLAUME    DE   CHAMPAGNE.  509 

par  votre  main  secourable.  Quoique  jeune  encore ,  vous  sur- 
passez en  sagesse  les  vieillards  ;  et  votre  vie  réglée,  au  milieu 
des  séductions  qui  entourent  les  avantages  du  corps ,  de  la 
naissance  et  du  crédit  dont  vous  jouissez,  vous  donne  plutôt 
l'apparence  d'un  ange  que  d'un  homme.  Je  n'insisterai  pas 
davantage  sur  vos  autres  vertus  qui  tiennent  du  prodige; 
votre  réputation  d'honnêteté  et  de  prudence  est  tellement 
répandue  au  près  et  au  loin,  que  vous  n'avez  aucun  besoin 
de  nos  éloges  :  nec  enim  nostra  prœconia  mendicatis,  cujus 
honestatem  et  prudentiain  fama  celebris  latissime  promul- 


XII  SIECLE. 


gavit.  y) 


Pendant  la  guerre  atroce  que  les  Français  firent  au  roi 
d'Angleterre  pour  prêter  main-forte  à  ses  enfants  en  pleine 
révolte  contre  leur  père,  l'an  i  lyS,  Louis-le- Jeune  faisant  le 
siège  de  Verneuil  au  Perche,  envoya  notre  prélat  au  roi 
d'Angleterre  pour  demander  une  suspension  d'armes  jus- 
qu'au lendemain ,  pendant  laquelle ,  disent  les  historiens 
anglais  ,  le  roi  de  France  s  empara  du  bourg  princi- 
pal, qu'il  réduisit  en  cendres.  L'année  suivante,  au  mois 
d'août,  le  même  prince,  forcé  d'abandonner  le  siège  de  la 
ville  de  Rouen,  envoya  encore  au  roi  d'Angleterre  l'arche- 
vêque de  Sens,  demander  une  suspension  d'armes,  et  la 
liberté  de  s'éloigner  un  peu ,  sauf  à  s  aboucher  le  lendemain 
pour  s'entendre.  Mais ,  des  la  nuit  suivante ,  le  roi  de  France, 
sans  égard  aux  assurances  données  avec  serment,  leva  le 
camp ,  et  prit  le  chemin  de  France. 

L'an  II 76,  Guillaume  passa  de  l'archevêché  de  Sens  à 
celui  de  Reims  pour  succéder  à  Henri  de  France,  frère  du 
roi  Louis  VH,  décédé  le  i3  novembre  iiyS;  en  même 
temps  il  se  démit  de  l'évêché  de  Chartres  en  faveur  de  Jean 
de  Sarisbéri ,  qu'on  fit  venir  d'Angleterre.  Ce  choix  fut  ap- 
prouvé par  le  roi ,  agréé  par  le  clergé ,  et  plut  singulièrement 
a  Pierre  de  Celles,  abbé  ae  Saint-Remi  de  Reims,  l'ami  et  le 
promoteur  du  savant  anglais,  auquel  il  devait  succéder  un 
jour  dans  le  même  siège  ;  il  en  témoigna  sa  reconnaissance  Petr.  CeJlen. 
au  nouvel  archevêque  dans  des  termes  qui  prouvent  le  ''^-  ^^l'  «p-  «• 
discernement  et  le  désintéressement  que  notre  prélat  appor- 
tait dans  le  choix  des  sujets  qu'il  élevait  aux  dignités  ecclé- 
siastiques. 

Au  mois  de  juillet  de  l'année  11 78,  il  alla  en  grand  cor-      Bened.  Petr. 
tége  visiter  le  tombeau  de  saint  Thomas  de  Cantorbéri ,  dont  *'  Hoved. 
il  avait  jadis  épousé  avec  chaleur  la  querelle  contre  le  roi , 


Xn  SIECLE. 


5 10        _     GUILLAUME   DE   CHAMPAGNE. 

comme  nous  l'avons  dit  plus  haut.  Néanmoins  le  roi  alla  au- 
devant  de  lui ,  le  reçut  dans  son  palais  avec  distinction ,  et 
le  retint  pendant  un  temps  assez  considérable, ^er  aliquan- 
tulum  temporis  spatium.  Raoul  de  Diceto  dit  pendant  trois 
jours ,  et  ajoute  qu'avant  son  départ,  le  roi  lui  envoya  en 
présent  des  vases  précieux,  dont  il  refusa  l'hommage;  et  plus 
réservé,  dit-il,  que  ne  le  sont  ordinairement  les  Français, 
il  n'accepta  que  quelques  objets  de  peu  de  valeur  eà  signe 
d'amitié. 

S'étant  rendu  au  concile  général  de  Latran,  de  l'année 
1 179,  il  fut  revêtu  de  la  dignité  de  cardinal-prêtre  de  Saint- 
'8*"^  ■        Sabine  ;  et  la  même  année  il  fit  le  sacre  et  le  couronnement 
du  roi  Philippe- Auguste ,  son  neveu. 

Jusques-la  notre  prélat ,  parvenu  aux  plus  hautes  dignités 
de  l'église ,  n'avait  rien  perdu  du  crédit  qu'il  avait  à  la  cour 
du  roi ,  et  de  la  part  qu'il  avait  eue  dans  le  maniement  des 
affaires  et  les  grandes  négociations  ;  mais  à  cette  époque  unç, 
intrigue  de  cour  le  brouilla,  pour  un  temps,  ainsi  que  ses 
frères,  avec  le  jeune  roi  son  neveu.  C'est  un  fait  constant; 
tous  les  historiens  le  rapportent ,  mais  ils  ne  sont  pas  d'ac- 
cord sur  le  motif  de  cette  brouillerie.  Rigord  dit  que  ce  fut 
une  conspiration,  sans  nommer  aucun  des  conspirateurs. 
Les  historiens  anglais,  et  sur-tout  Gervais ,  moine  de  Can- 
torbéri,  donnent  à  cette  brouillerie  un  motif  plus  plausible. 
Louis  VII  en  mourant  avait  rais  son  fils  sous  la  tutèle  du 
comte  de  Flandre ,  son  parrain.  Premier  sujet  de  jalousie 
pour  la  reine-mère  et  pour  les  oncles  du  roi.  Le  prince  tuteur 
abusant  de  la  confiance  de  son  pupille,  voulut  le  marier  avec 
une  de  ses  nièces,  fille  du  comte  de  Hainaut;  et,  malgré  le 
mécontentement  que  cette  alliance  disproportionnée  excita 
parmi  les  grands  du  royaume,  il  fit  procéder  à  la  célébra- 
tion du  mariage  dans  ses  états ,  et  bientôt  après  au  couron- 
nement de  la  nouvelle  reine  à  Saint-Denis.  Ce  procédé  dut 
Gilbert. Mont,  d'autant  plus  offeuscr  la  reine-mère  et  ses  frères,  que  la 
princesse  de  Hainaut  avait  été  promise,  dès  l'année  précé- 
dente, au  fils  aîné  du  comte  de  Champagne.  Dans  cet  état 
de  choses,  sans  égard  à  l'usage  ou  aux  prétentions  de  l'ar- 
chevêque de  Reims,  on  n'eut  garde  de  recourir  à  son  minis- 
tère pour  ces  cérémonies  ;  le  mariage  fut  célébré  à  Bapaurae 
par  l'évêque  de  Senlis,  et  le  couronnement  à  Saint-Denis 
par  l'archevêque  de  Sens.  Le  cardinal  Guillaume  s'en  j)lai- 
'gnit  au  pape;  et  les  autres  mécontens,  contie  lesquels  le 


GUILLAUME    DE    CHAMPAGNE.  on 

'....,.  ,  ,  XII  SIECLE. 

roi  prit  les  voies  de  rigueur,  sans  épargner  sa  mère,  appe-  . 

lèrent  à  leur  secours  le  roi  d'Angleterre ,  qui  prit  d'abord 
les  armes,  et  finit  par  concilier  les  esprits. 

Le  mariage  de  la  reine  Elisabeth  avait  en  quelque  sorte  Gilbert.  Mont. 
rompu  les  engagemens  que  le  comte  de  Hainaut  avait  con- 
tractés avec  la  comtesse  de  Champagne  relativement  à  l'éta- 
blissement de  leurs  enfants.  Pour  cimenter  la  paix ,  on 
s'assembla  l'année  suivante  à  Provins;  et  par  de  nouvelles 
conventions  il  fut  stipulé  que  le  jeune  comte  de  Cham- 
pagne épouserait  Yolende  ,  la  seconde  fille  du  comte  de 
Hainaut,  et  le  fils  aîné  du  comte  de  Hainaut  la  sœur  du 
comte  de  Champagne.  Le  cardinal  Guillaume,  qui  fut  l'ame 
de  ces  nouveaux  arrangemens ,  se  rendit  garant  de  leur 
exécution  :  insuper  dominus  ff^illelmus  Remensis  archiepis- 
copus  super  pactionibiis  istis  ohsidem  se  constitidt. 

Le  crédit  du  comte  de  Flandre  à  la  cour  du  roi  ne  fut    Bened.  Petr. 
pas  de  longue  durée ,  et  les  princes  de  la  maison  de  Cham- 
pagne trouvèrent  bientôt  occasion  de  le  desservir  auprès  du-- 
roi,  et  de  lui  rendre  la  pareille.  Dès  la  même  année  1181 , 
des  raisons  d'intérêt  le  brouillèrent  avec  le  roi  ;  il  y  eut  des 
hostilités  commises  du  côté  de  Senlis;  on  appela  une  se- 
conde fois  le  roi  d'Angleterre  au  secours  du  jeune  roi;  et 
l'archevêque  de  Reims,  sous  prétexte  d'un  pèlerinage  au 
tombeau  de  saint  Thomas  de  Cantorbéri,  fut  envoyé  vers 
lui.  Le  roi  d'Angleterre  arriva  en  France.  Il  y  eut  au  carême    Gilb.Mont.— 
de  l'année  suivante  un  congrès  entre  Senlis  et  Crépi ,  auquel  ?"''•.  f*  15*'~ 

•   .1.        lA  c  ^  ..1  .     c     *■    •         ^  '       Gerald.  Carabr. 

assista  1  archevêque  avec  ses  treres ,  et  la  paix  rut  cimentée. 
Pendant  ce  démêlé,  le  pape  Lucius  III  manda  à  Rome 
notre  cardinal  ;  mais  le  roi  qui  lui  avait  rendu  toute  sa 
confiance ,  et  qui  avait  besoin  de  lui ,  pour  le  dispenser  de 
faire  ce  voyage,  écrivit  au  pape  les  raisons  qui  le  détermi- 
naient à  le  retenir  auprès  de  lui.  «  Il  faut ,  saint-père,  qu'au-  steph.  Tom. 
jourdhui,  comme  dans  l'ancien  temps,  le  sacerdoce  et  l'em-  epist.  loi ,  al. 
pire  se  prêtent  un  mutuel  secours.  A  peine  monté  sur  le  '*'• 
trône  de  France ,  des  hommes  puissans ,  profitant  de  mon 
adolescence  pour  m'attaquer ,  portent  le  trouble  et  la  con- 
fusion dans  mon  royaume;  ceux  même  sur  la  fidélité  des- 
quels je  devais  compter  à  plusieurs  titres,  étant  devenus 
mes  ennemis ,  je  suis  forcé  de  chercher  ailleurs  d'autres 
conseillers  et  d'autres  auxiliaires.  J'ai  auprès  de  moi  le  meil- 
leur de  mes  amis  et  le  plus  fidèle,  mon  oncle  Guillaume, 
archevêque  de  Reims ,  qui ,  dans  mes  conseils ,  est  le  plus 


5i2  GUILLAUME  DE   CHAMPAGNE. 

L  clairvoyant,  et  mon  bras  droit  dans  le  maniement  des  affaires. 

Mes  ennemis  ne  demanderaient  pas  mieux  que  de  le  voir 
éloigné  de  moi,  quand  ce  ne  serait  que  pour  un  temps, 
parce  qu'ils  espèrent  méchamment  qu'au  gré  de  leurs  cou- 
pables désirs  ils  me  trouveront  sans  armes  et  sans  amis. 
Cependant,  saint-père,  j'ai  appris  que  vous  l'avez  appelé 
auprès  de  vous.  Il  était  prêt  a  partir,  parce  qu'il  sait  que 
ne  pas  vous  obéir,  ce  serait  offenser  Dieu.  Mais  comptant 
sur  l'amitié  que  vous  avez  pour  moi,  et  dans  le  besoin  ex- 
trême où  je  me  trouve,  je  l'ai  empêché  de  partir,  parce 
que  sa  présence  suffit  pour  déconcerter  mes  ennemis,  qui 
le  regardent  comme  une  lance  toujours  levée  sur  eux;  et 
moi  je  suis  persuadé  que  sans  lui  je  ne  pourrais  traiter  ni 
de  paix  ni  de  guerre  avec  mes  ennemis....  Trouvez  donc  bon, 
saint-père,  que  je  retienne  un  ami  si  essentiel,  parce  que 
sa  présence  est  indispensable ,  et  que  son  absence  nous  serait 
très- funeste.  » 

Cette  lettre  prouve  que  l'archevêque  de  Reims  était  à  cette 
époque  non-seulement  en  faveur  auprès  du  roi,  mais  qu'il 
était  encore  son  premier  ministre. 

Les  affaires  politiques  du  royaume  ne  l'absorbaient  pas 
tellement  qu'il  laissât  en  souffrance  celles  de  l'église  dont  il 
était  chargé  comme  évêque,  comme  métropolitain,  comme 
légat  du  saint-siége.  Plus  de  quarante  lettres  à  lui  adressées 
par  Etienne  de  Tournai  prouvent  que  le  ministre  du  roi 
entrait  dans  le  plus  grand  détail  sur  les  affaires  du  clergé 
les  plus  minutieuses.  Il  n'est  donc  pas  étonnant  que  dans  des 
H;gord,Rad.  affaires  plus  sérieuses,  lorsque  la  foi  était  en  danger  et  que 

Coggesli.    An-  j'epreur  faisait  des  progrès,  il  s'armât  dune  juste  sévérité. 

nal.  Aquit.  ni        i         i    '  *^   ■  *'  •  i  l 

Lan  iio3,  des  hérétiques  ou  sectaires,  du  genre  de  ceux 
qui  se  multiplièrent  en  France  pendant  le  XIP  siècle,  ayant 
été  découverts  dans  l'Artois,  notre  prélat  se  transporta  à 
Arras,  et  s' étant  concerté  avec  le  comte  de  Flandres,  un 
grand  nombre  de  ces  malheureux ,  nobles ,  clercs ,  villageois 
et  femmes ,  furent  condamnés  aujc  flammes. 

Nous  avons  exposé  plus  haut  les  raisons  pour  lesquelles 
les  princes  de  la  maison  de  Champagne  s'étaient  déclarés 
contre  le  mariage  du  roi  avec  la  fille  du  comte  de  Hainaut. 
oilbert.  Mont.  L'an  1 1 84  ,  les  mêmes  princes  ayant  à  leur  tête  l'archevêcjue 
de  Reims,  voyant  que  le  roi  était  indisposé  contre  le  père 
de  la  reine,  parce  que  ligué  avec  le  comte  de  Flandre  il  por- 
tait les  armes  contre  lui,  essayèrent  de  rompre  ce  mariage, 


GUILLAUME   DE    CHAMPAGNE. 


5i3 


Xn  SIECLE. 

Aanai.  Aquit. 
>»9 


;)J 


mais  ne  purent  y  réussir.  La  même  année ,  il  fit  le  voyage 
d'Italie  ;  il  était  à  Vérone  à  la  cour  du  paj)e  Lucius  III ,  lors- 
qu'il donna  la  consécration  épiscopale  à  Pierre,  abbé  de 
Cîteaux ,  élu  évêque  d'Arras.  L'année  suivante  1 1 85  ,  notre 
prélat  fut  un  des  principaux  négociateurs  de  la  paix  entre 
le  roi  et  le  comte  de  Flandre  au  sujet  du  Vermandois.  Sur  Gilbert.  Mont 
la  fin  de  la  même  année,  il  fit  tant  lui  et  toute  sa  famille 
auprès  du  comte  de  Hainaut,  qu'ils  l'obligèrent  à  consentir 
au  mariage  de  son  fils  aîné  avec  la  sœur  du  comte  de  Charnu 
pagne,  suivant  les  conventions  jadis  stipulées,  qui  furent 
encore  renouvelées  et  garanties  par  notre  prélat.  Suivant 
ces  conventions,  son  neveu  le  comte  de  Champagne  devait 
épouser  la  sœur  de  la  reine  dé  France,  non  encore  nubile; 
mais  après  ce  nouvel  engagement,  le  comte  de  Namur^ 
Henri  l'aveugle ,  ayant  accordé  au  comte  de  Champagne  sa 
fille  unique  a  peine  âgée  d'un  an,  le  comte  de  Hainaut^ 
doublement  lésé  par  ce  mariage ,  s'il  avait  lieu ,  en  porta  ses 
plaintes  à  l'empereur,  qui  ajourna  les  parties  à  plaider  de- 
vant lui  entre  Ivois  et  Mouson  en  Lorraine  ;  et  l'archevêqvuî 
de  Reims  y  comparut  avec  ses  frères ,  dans  l'intention  d  as- 
surer à  son  neveu  le  comté  de  Namur. 

Toujours  attaché  au  service  du  roi ,  il  était  non-seulement 
i'ame  de  ses  conseils,  il  l'accompagnait  encore  dans  ses  ex- 
péditions militaires.  L'an  1187,  au  siège  de  Châteauroux,  il  Gervas.  Dorob. 
fut  un  de  ceux  auxquels  s'adressa  le  roi  d'Angleterre  pour  ob- 
tenir de  celui  de  France  la  paix,  ou  du  moins  une  trêve. 
Au  mois  de  janvier  de  l'année  suivante,  les  deux  rois  étant 
assemblés  à  Gisors  pour  traiter  de  la  paix ,  sur  la  nouvelle 
de  la  prise  de  Jérusalem  par  Saladin,  oubliant  leurs  querelles, 
firent  vœu  d'entreprendre  ensemble  le  voyage  de  la  Terre- 
Sainte  ;  l'archevêque  de  Reims  donna  la  croix  au  roi ,  et  se 
croisa  lui-même.  La  guerre  ayant  presque  aussitôt  recom- 
mencé, il  y  eut  à  la  Saint-Martin  une  assemblée  à  Bon- 
moulin  au  Perche,  pour  traiter  de  la  paix,  et  notre  arche- 
vêque s'y  trouva  avec  le  roi.  Il  assista  de  même  au  colloque 
3U1  eut  lieu  pour  le  même  objet  à  la  Ferté-Bernard  au  mois 
e  juin  de  l'année  suivante.  A  cette  époque ,  voyant  le  roi 
d'Angleterre  prêt  à  succomber  aux  efforts  de  ses  ennemis  et  Hoved 
malade  à  Saumur,  il  alla  le  trouver  avec  le  comte  de  Flandre 
et  le  duc  de  Bourgogne,  pour  le  déterminer  à  accepter  les 
conditions  que  le  roi  Philippe  et  son  fils  Richard  voudraient 


Rad.  Dicet. 


Gerr.  Dorob. 


Bened.Petrob. 


Tome  XF. 


Tlt 


xu  SmCLE. 


5i4  GUILLAUME   DE   CHAMPAGNE. 

iui  imposer.  Le  roi  mourant  se' soumit  à  tout;  mais  il  en 
conçut  tant  de  chagrin  qu'il  expira  bientôt  après. 

Quoique  rarchevé(|ue  de  Reims  eut  pris' la  croix  en  même 

temps  que  le  roi,  il  ne  fit  pourtant  pas  le  voyage  de-  la 

Rigord.       Terre-Sainte.  Le  roi  en  partant,  l'an  1 190,  l'institua  régent 

i    i    ..!        du  royaume  avec  sa  sœur  la  reine-mèrê,  auxquels  il  laissa 

par  écrit  ses  instructions.  Ce  fut  lui  qui  fit  à  Saint-Denis 

la  cérémonie  de  donner  au  roi  la  panetière  et  le  bourdon 

Hovecir'^""''  •  '  P^^^'^*"-.  Le  comte  de  Flandre  étant  mort  sans  enfans  nu 
siège  de  Saint-Jean-d'Acre,  il  s'éleva  une  grande  contestation 
entre  le  comte  de  Hainaut,  son  beau-frère,  t^t  sa  veuve  la 
comtesse  Mathilde  ,  prétendant  qu'elle  devait  succéder  à  tous 
ses  biens.  En  l'absence  du  roi ,  c'était  au  régent  à  décider  la 
question;  s'étant  rendu  au  mois  d'octobre  iiCfi  à  Arras ,  il 
ménagea  entre  les  parties  un  accommodement,  dans  lequel 
les  droits  du  prince  Louis,  fils  du  roi,  du  chef  de  sa  mère, 
ne  furent  pas  oubliés  ni  méconnus. 

Giibert.Mont.       L'an  II 92,  autorisé  par  le  pape  et  l'archevêque  de  Cologne, 

rt  ahi.  il  sacra  à  Reims  Albert  de  Louvain,  élu  évêque  de  Liège  par 

la  plus  saine  partie  du  clergé,  contre  la  volonté  de  remi)e- 
reur,  qui  de  sa  propre  autorité  en  avait  nommé  un  autre. 
Albert  craignant  le  ressentiment  de  l'empereur  n'osait  re- 
tourner à  Liège,  et  bientôt  après  il  fut  mis  à  mort  par  des 

Rigord.  etaiii.  traîtres  envojrés  d'Allemagne.  L'année  suivante,  le  roi  Phi- 
lippe devant  épouser  la  princesse  Ingeburge,  sœur  de  Canut, 
roi  de  Danemarck ,  Guillaume  accompagna  le  roi  à  Amiens, 
mi;  .■  !'.  pour  célébrer  le  mariage  et  couronner  la  nouvelle  reine; 
mais  dès  le  lendemain  des  noces  le  roi  ayant  pris  de  l'aver- 
sion pour  elle  ,  le  même  archevêque  ,  sur  le  témoignage 
d'autres  évêques  ou  barons ,  prononça  bientôt  après  le  di- 
vorce pour  cause  de  parenté  avec  la  feue  reine. 

Avant  que  notre  archevêque  eût  encouru  la  disgrâce  du 
pape  Innocent  III ,  dont  nous  parlerons  bientôt,  il  fut  plus 
que  jamais  en  crédit  auprès  du  roi,  et  employé' comme  mi- 

Hoved.  p.  73o.  nistré  dans  les  grandes  affaires.  L'an  1193,  Richard,  roi 
d'Angleterre  ,  étant  encore  prisonnier  en  Allemagne ,  fil 
demander  une  trêve  à  celui  de  France  ;  elle  fut  accordée  à 
cette  condition ,  entre  autres ,  que  pour  garantie  du  tfaité , 
il  serait  remis  entre  les  mains  de  l'archevêque  de  Reims 
deux  places  fortes  en  Normandie,  Driencourt  et  Arques. 
lbid.f.Tf,i.  L'année  suivante,  il  se  rendit  au  Vaudreuil  pour  négocier 
avec  les  eovbyés  du  roi  d'Angleterre  une  suspension  d'armes, 

« 


GUILLAUME    DE   CHAMPAGNE.  5i5 

sur  laquelle  on  ne  put  pas  tomber  d'accord.  L'an  iiqS,  les  -  ■'  ' 
deux  rois  étant  convenus  d'un  projet  de  paix  sous  le  bon  ^'"''-  Uorob. 
plaisir  de  l'empereur  d'Allemagne ,  celui  d'Angleterre  députa  *^°  '  *  ^' 
vers  l'empereur  l'ëvêque  d'Ely,  son  chancelier,  et  le  roi  de 
France  l'archevêque  de  Reims.  L'empereur  n'ayant  point  ap- 
prouvé le  traité ,  il  fut  résolu  de  s  assembler  de  nouveau  ; 
et  le  roi  d'Angleterre  s'étant  présenté  au  lieu  indiqué ,  notre 
archevêque  fut  chargé  de  lui  dire  que  l'heure  n'était  pas 
encore  arrivée;  que  le  roi  était  encore  à  délibérer  avec  son 
conseil;  et  après  que  l'heure  fut  passée,  on  finit  par  lui  dire 
qu'il  avait  manqué  à  sa  parole ,  et  qu'on  ne  voulait  plus  en- 
tendre à  aucun  accommodement.  Tel  est  le  récit  de  Roger 
d'Hoveden ,  p.  y58.  Dominus  noster  rex  Franciœ  calumnia- 
tur  te  de  fide  lœsa  et  pejjurio,  quia  jurasti  et  fideni  dedisti 
quod  veniœs  hodie  ad  colloquium  hora  tertia ,  et  non  venisti, 
et  ideo  ipse  te  difjidat. 

Vers  le  même  temps,  notre  prélat  obtint  du  pape  Célestin 
III  l'autorisation  nécessaire  pour  ériger  d,ins   son  propre 
diocèse,  et  dans  une  propriété  dépendante  du  chapitre  de 
Reims  un  nouvel  évêché  à  Mouson  sur  la  Meuse.  Cela  est 
prouvé  par  deux  lettres  du  pape  Innocent  III ,  qui  l'autorisa      innoc.  epi»t 
de  nouveau,  à  condition  que  cet  établissement  ne  porterait  •'•'•  ^'  «P-  ^5»» 
aucun  dommage  à  l'abbaye  existante  dans-  ce  lieu.  Mais  il  '^^" 
paraît  que  l'aftaire  du  divorce  qui  porta  une  forte  atteinte 
au  crécfit  et  à  la  brillante  réputation  de  notre  prélat,  fit 
échouer  ce  projet. 

Avant  au'il  eût  prononcé  le  divorce,  la  reine  reléguée  à      sieph.Torn, 
l'abbaye  de  Césoing  dans  le  Tournesis ,  lui  avait  exposé  le  epist.a62,263. 
triste  état  auquel  elle  était  réduite;  et  le  célèbre  Etienne, 
abbé  de  Sainte-Geneviève ,  alors  évêque  de  Tournai ,  usant 
de  l'accès  qu'il  avait  auprès  de  lui ,  lui  avait  écrit  pour  le 
toucher  de  pitié ,  et  le  rendre  favorable  à  cette  illustre  étran- 
gère ;  néanmoins  quatre-vingts  jours  après  la  célébration  du 
mariage,  il  prononça  le  divorce.  Sur  les  plaintes  du  roi  de      Mart.  Ampl. 
Danemarck ,  le  pape  Célestin  III ,  ne  voulant  pas  encore  pro-  ^°"-  '="'•  '""'i- 
noncer  sur  ce  qui  avait  été  fait,  lui  enjoignit  et  aux  évêques 
de  sa  provmce  de  ne  pas  souffrir  que  le  roi  contractât  un 
nouveau  mariage  du  vivant  de  sa  temme  répudiée.  Malgré 
cette  défense,  le  roi  épousa,  l'an   1 196,  la  fille  du  duc  de 
Meranie,  et  il  y  a  toute  apparence  que  notre  archevêque 
prêta  encore  son  ministère  pour  cette  cérémonie.  Il  en  fut 
puni  par  le  pape  Innocent  III ,  qui  lui  retira  les  pouvoirs 

Ttta 


5i6  GUILLAUME   DE   CHAMPAGNE. 

xn-SIECLE.      ,     ,  ,  j 

^: de  legat,  dont  il  avait  ete  revêtu  jusqu'alors,  au  moins  dan* 

sa  province. 

^^  Gesta  Innoc.  Après  avoir  épuise  auprès  du  roi  toutes  les  voies  de  conci- 
seq.  Jiation  pour  le  déterminer  à  reprendre  sa  légitime  épouse, 
et  à  renvoyer  celle  qui  occupait  sa  place ,  le  pape  Innocent 
se  décida,  l'an  1199,  à  l'y  contraindre  par  la  voie  des  cen- 
sures; il  donna  ordre  au  légat  Pierre  de  Capoue  de  jeter 
l'interdit  sur  toute  la  PVance,  c'est-à-dire  sur  les  terres  du 
roi  :  ce  qui  fut  fait  en  plein  concile  à  Dijon  et  à  Vienne  en 
Dauphiné.  Quoique  le  roi  eût  cru  écarter  le  danger,  ou  du 
moins  suspendre  l'effet  de  la  sentence  du  légat  par  son  appel 
au  pape ,  néanmoins  la  plupart  des  évêques  mirent  la  sen- 
tence à  exécution  ;  mais  l'archevêque  de  Reims  et  un  petit 
nombre  d'autres,  pour  ménager  le  roi,  s'abstinrent  de  l'or- 
donner dans  leurs  diocèses,  promettant  cependant  de  se  sou- 
mettre et  d'obéir,  si  les  raisons  qu'ils  alléguaient  n'étaient 
pas  jugées  valables. 

ibid.  cap.  53.  Pendant  cet  interdit  qui  dura  neuf  mois ,  le  roi  voulant 
faire  cesser  le  mécontentement  général ,  dans  une  assemblée 
d'évêques  et  de  barons,  demanda  ce  qu'il  y  aurait  à  fairé.^ 
Tout  le  monde  fut  d'avis  qu'il  fallait  obéir  au  Pape.  Alors 
se  tournant  vers  l'archevêque  de  Reims;  «  Est-il  vrai,  lui  dit 
le  roi ,  ce  que  mande  le  pape ,  que  le  divorce  par  vous  pro- 
noncé n'était  qu'un  jeu?  Le  prélat  ayant  répondu  que  le 
pape  avait  raison;  vous  êtes  donc  un  sot  et  un  étourdi  d'a- 
voir rendu  un  tel  jugement;  Quœsùdt  ah  avunculo  suo  Re- 
niensi  archieplscopo ,  qui  sententiam  divortii  promulgaverat ^ 
utrum  verum  esset  quod  sihi  dominus  Papa  scripserat ,  vi- 
delicet  quod  dla  non  erat  divortii  sententia  dicenda,  sed  lu- 
dibrii  fabula  nominanda.  Qui  cwn  respondisset  veruni  esse 
quod  scripserat  suninius  pontifex  (  non  enim  audebat  aliud 
respondere  )  statini  rex  intulit  dicens  :  ergo   tu  es  stultus 

ET  FATUUS,  QUI  TALEM  SENTENTIAM   PROTULISTI. 

On  ne  voit  pas  qu'il  ait  eu  depuis  aucune  part  aux  négo- 
ciations qui,  relativement  au  divorce,  furent  entamées,  l'an 
laoo  et  1201 ,  avec  le  cardinal  Octavien,  ni  qu'il  ait  assisté 
aux  conciles  de  St-Arnoul  en  Iveline,  in  Aquilina  sylva, 
Tbitt.  cap.  54.  (  mal  nommé  Nigellense  )  ni  à  celui  de  Soissons ,  par  la  rai- 
son que  le  pape  lui  avait  interdit  l'exercice  de  ses  fonctions 
episcopales,  jusqu'à  ce  qu'il  eut  fait  le  voyage  de  Rome  pour 
être  rehabilité  par  le  pape. 
Rigonl.  L'an  1 196,  Raudoin,  comte  de  Hainaut,  qui  avait  épousé 


XII  SIECLE; 


GUILLAUME   DE   CHAMPAGNE.  517 

la  nièce  de  notre  prélat,  fille  de  Henri-le-Libéral ,  comte  de 
Champagne,  et  d  une  sœur  du  roi,  étant  entré  en  possession 
du  comté  de  Flandre  par  la  mort  de  sa  mère,  prêta  au  roi 
l'hommage  qu'il  devait,  accompagné  de  l'archevêque  de  Reims 
et  de  la  comtesse  de  Champagne. 

Notre  prélat  était  à  peine  de  retour  de  son  voyage  d'Italie, 
qu'il  fut  frappé  d'apoplexie  à  Laon,  où  il  mourut,  le  septième 
jour  du  mois  de  septembre  120a,  dans  la  soixante-huitième 
année  de  son  âge ,  d'où  il  fut  reporté  à  Reims ,  et  inhumé 
dans  l'église  cathédrale  près  du  grand  autel  avec  cette  épi- 
taphe  : 

Moribus  excehus,  providus,  mitis ,  prudens  etpacis  amator , 
Annis  bis  dénis  et  sex  cum  simplice  mense, 
Prœfuit  archiepiscopus  Willclmus  in  urbe  Remensi. 
Septima  septembris  idus  fuit  finis  vitœ  meœ. 

Si  cette  épitaphe  est  un  peu  sobre  d'éloges,  c'est  que 
notre  prélat  qui  avait  été  tant  loué  pendant  sa  vie,  était  bien 
déchu  de  son  antique  réputation  depuis  l'affaire  du  divorce. 
Le  chroniqueur  de  saint  Marien  tl'Auxerre,  d'accord  avec 
tous  les  historiens  sur  les  belles  qualités  qui  le  firent  remar- 
quer dans  ses  premières  années,  s'exprime  fort  librement 
■  sur  les  vices  ou  imperfections  qui  ternirent  les  dernières. 
Il  ne  lui  reproche  pourtant  pas  sa  conduite  dans  l'affaire  du 
divorce,  mais  un  excès  de  luxe,  vendant  sa  faveur  pour 
y  satisfaire,  sans  égard  à  la  justice  :  Vir  nohilis  génère  et  qui 
diii  Jloruerat  tant  seculari  quam  ecclesiastica  prœditus  po- 
testate.  Hic  in  primis  sui  pontificatûs  auspiciis  satis  modeste 
sehahuit,  etmorum  enituit  ornamentis  ;felixque procul  duhio 
extitisset ,  si  primis  ultima  responderent ,  et  usque  infinem 
mérita  cohœsissent.  Sed  cum  res  in  contrarium  versœ  sint, 
nec  fuent  concolor  fi,nis  initia ,  finali  non  attollimus  laude 
quem  nimis  reddidere  notabilem  et  munerum  injusta  acceptio 
et  pfodigalis  effusio. 

Marlot  trouvant  ce  reproche  un  peu  vague  et  non  motivé,      Hist.  Rom., 
a  entrepris  son  apologie,  et  prouve  que  s'il  amassa  des  ri-  tn,p.  453. 
chesses  ,  il  en  fit  toujours  un  bon  usage,  même  l'année  de  sa 
vie  qui  précéda  celle  de  sa  mort,  par  l'établissement  d'un 
hospice  en  faveur  de  vingt  pauvres  infirmes  dont  il .  sera 
parlé  plus  bas. 


Xn  SIECLE. 


5i8  GUILLAUME  DE   CHAMPAGNE. 

SES   ÉCRITS. 

Quoique ,  dans  le  haut  rang  qu'occupait  dans  l'église  et 
dans  l'état  le  cardinal  Guillaume  de  Champagne ,  nous  ne 
puissions  pas  le  présenter  comme  un  littérateur  ou  un  sa- 
vant, nous  ne  pouvons  cependant  pas  nous  dispenser  de 
lui  donner  place  dans  notre  histoire  littéraire,  soit  à  raison 
de  la  protection  qu'il  accorda  aux  gens  de  lettres,  soit  parce 
.  qu'il  reste  de  lui  des  monuments  historiques ,  rédigés  peut- 
être  par  une  main  étrangère ,  mais  revêtus  de  son  autorité. 

Quant  à  la  protection  accordée  aux  gens  de  lettres  elle  est 

f)rouvée  par  des  témoignages  nombreux  et  irrécusables, 
itienne  de  Tournai  écrivant  au  prélat  pour  lui  recommander 
un  professeur  nommé  Simon,  c'est,  dit-il,  un  homme  de 
moeurs  irréprochables  et  très-instruit ,  qui  dans  l'exercice 
de  l'enseignement  public  jouit  d'une  grande  célébrité.  «  Or 
K  personne  n'ignore  que  vous  aimez  à  rechercher ,  à  vous 
a  attacher  de  tels' sujets,  en  répandant  sur  eux  vos  bienfaits. 
«  Cela  est  si  connu  dans  le  monde  entier,  depuis  l'orient 
«  jusqu'à  l'occident,  qu'on  voit  votre  cour  remplie  de  Tos- 
«  cans  ,  de  Lombards,  d'Anglais,  de  Belges  et  de  Français, 
a  que  vous  avez  comblés  de  richesses  ou  d'honneurs,  etc.  » 
Delà  l'empressement  qu'avaient  les  gens  de  lettres,  poètes 
et  prosateurs ,  de  lui  dédier  leurs  ouvrages.  Pierre  le  Man- 
geur lui  a  dédié  son  histoire  ecclésiastique;  Gautier  de  Lille 
son  Alexandréïde,  Pierre  de  Poitiers,  chancelier  de  l'église 
de  Paris,  la  Somme  des  sentences  ;  un  nommé  Guillaume 
sa  M icro- Cosmographie ,  dont  l'épître  dédicatoire  a  été  im- 
primée par  D.  Martene,  t.  i ,  Ampl.  Collect.  p.  946. 
,  Voyons  maintenant  ses  propres  écrits  et  ses  lettres  qui 

sont  en  assez  grand  nombre. 
Inifr  epist.        i"   La  plus  ancienne  dans  l'ordre   chronologique  parmi 
s. Tliomae,lib.  celles  qui  uous  sont  parvenues,  est  celle  qu'il  écrivit,  l'an 
Bouq''t.'xvTl   1166,  n'étant  encore  qu'évêque  élu  de    Chartres,  au    Pape 
p.  369.  '  Alexandre  III,  en  faveur  de  Thomas  Becket,  archevêque  de 

Cantorbéry ,  dans  laquelle  il  annonce  que  c'en  est  fait  de  l'é- 
glise d'Angleterre  et  même  de  celle  de  France,  si  les  atten- 
tats du  roi  d'Angleterre  restent  impunis,  déclarant  aue  telle 
est  l'opinion  du  roi  de  France  et  de  toute  l'église  gallicane. 
Lib.  II ,  ep.  2°  Le  roi  d'Angleterre  ayant  obtcim  du  pape  un  bref  cjui 
6î.— Bouquet,  interdisait  pour  un  temps  à  l'archevêque  de  Cantorbéry  d  u- 

ibid.  p.  319. 


Xn  SIECLE. 


guillaumiï:  de  Champagne.  519 

ser  des  censures  ecclésiastiques  contre  le  roi  et  ses  adhé- 
rents, levéque  élu  de  Chartres  s'en  plaignit  au  pape  dans 
une  lettre  de  l'an  1 168,  témoignant  son  étonnement  que  les 
menaces  du  roi  d'Angleterre  eussent  agi  plus  efficacement 
sur  son  esprit  que  les  prières  du  roi  de  France  et  des  évêques 
du  royaume. 

3"   L'an  1169,  ayant  assisté  à  la  conférence  qui  eut  lieu      Lib.  iv,  ep. 
vers  l'Epiphanie  à  Montmirail  entre  les  rois  de  France  et  7— ■  Bouq- «*"'• 
d'Angleterre,  il  rendit  compte  au  pape  de  ce  quis'y  était  passé  ^'     '" 
relativement  à  l'affaire  de  l'archevêque  de  Cantorbéry  dans 
une  relation  qui  a  été  imprimée  parmi  les  lettres  du  saint 
prélat. 

4"    La  même  année,  l'archevêque  Thomas  ayant  excom-     Lib-  iii.ep. 
munie  l'évêque  de  Londres   et  d'autres    partisans  du  roi,  ?/•  ~ ^°"^"*'' 

■  i        ,  .         ,  n         1         A  "1      c  ,      .    .        ^    ibtd.  p.  348. 

pour  intimider  le  roi  même,  1  archevêque  de  bens  écrivit  au 
pape  au  nom  du  roi  de  France,  d'approuver  la  sentence 
d'excommunication,  dont  on  espérait  le  meilleur  effet. 

5°  L'évêque  de  Londres  poussé  à  bout  par  cette  menace      Lib.  m,  ep. 
d'excommunication  lancée  contre  lui  et  ne  gardant  plus  de  88.— Bouquet, 
ménagement,  s'était  vanté  qu'il  ferait  transporter  à  son  siège*'  '  '^' 
la  dignité  métropolitaine  de    l'église  de  Cantorbéry.   C'est 
cette  tentative  de  schisme  qiie  l'archevêque  de  Sens  dénonce 
au  pape ,  afin  de  le  prémunir  contre  l'intrigue. 

6°   Le  roi  d'Angleterre  ayant  obtenu  du  pape  qu'il  enver-      Lib.  m,  ep. 
rait  de  nouveaux  légats,  chargés  de  lever  les  excommunica-  *^'  '°'-,?î'' — 
lions   lancées  par  l'archevêque   Thomas ,  et  des  difficultés  37".^    '  '  •  p. 
étant  survenues  sur  la  manière  de  procéder  qui  leur  était 
prescrite ,  le  roi  et  les  légats  s'adressèrent  à  notre  archevêque 
pour  que  lui-même  en  qualité  de  légat  tranchât  la  difficulté. 
Son  avis  fut  qu'il  fallait  suivre  littéralement  le  mandat  du 
pape. 

n^    L'an   1170,  le  roi  d'Angleterre  ayant  fait  couronner    Lib.v,ep.2.5. 
son  fils,  par  l'archevêque  d'Yorck,  sans  égard  aux  privilèges  ~  ^°"^-  '''"'■ 
de  l'église  de  Cantorbéry ,  indisposa  non-seulement  les  par-  ^'  ^ 
tisans  de  l'archevêque  Thomas  ,  mais  encore  le  roi  de  France 
qui  regarda  comme  une  hostilité  que  sa  fille,  épouse  du  jeune 
prince,  n'eût  pas  été  couronnée  en  même  temps.  L'archevêque 
de  Sens  fut  chargé  d'en  porter  ses  plaintes  au  pape,  auquel  il 
ne  dissimule  pas  que  les  trop  grands  ménagements  dont  il 
use   envers  le  roi  d'Angleterre  l'enhardissent  à  oser  tout 
impunément. 

o>^   L'archevêque  de  Cantorbéry  ayant  été  mis  à  mort  sur     Lib.v,ep.8o. 


520  GUILLAUME  DE  CHAMPAGNE. 

^ '-  la  fin  de  la  même  année ,  celui  de  Sens  en  fut  d'autant  plus 

—  Bouq.  ibid.  indigné  qu'il  avait  plus  contribué  à  le  réconcilier  au  moins 

^'     '■  en  apparence,  avec  le  roi  d'Angleterre.  II  écrivit  donc  au  pape 

pour  lui  dénoncer  cet  attentat,  dont  il  ne  craint  pas  de  faire 

retomber  l'odieux  sur  le  roi  d'Angleterre  en  comparaison  du- 

?uel,  dit-il,  Achab,  Hérodc,  Néron,  Julien-l'Apostatet  même 
udas  étaient  en  quelque  sorte  de  bonnes  gens. 
Lib.v,ep.8a.       ^o    jj  répète  les  mêmes  invectives  dans  la  lettre  au  pape 
~,^c"T  *"^'  pour  lui  annoncer  qu'il  a  jeté  l'interdit  sur  les  terres  du  roi 

p.  475et»eq.       'i,  .        ,    ^  j     ^    j      i   ''  i        '  r  •^-  j         '    « 

d  Angleterre  en-deça  de  la  mer  maigre  1  opposition  des  eve- 
ques  de  Normandie. 

Celui  qui  pour  cette  lettre  lui  a  prêté  sa  plume  n'a  pas 
eu  l'attention  de  le  faire  parler  en  évêque  français.  Jamais 
les  ultramontains  ne  portèrent  plus  haut  les  prétentions  des 
papes  :  «  Toute  puissance ,  dit-il ,  a  été  donnée  à  votre  apos- 
«  tolat  dans  le  ciel  et  sur  la  terre.  Vous  avez  en  main  l'épée 
«  à  deux  tranchans;  vous  êtes  établi  sur  les  nations  et  sur 
a  les  royaumes  pour  mettre  les  rois  à  la  chaîne ,  et  lés  plus 
«  nobles  d'entre  eux  dans  les  fers  :  Festro  apostola  tui,  pater 
«  sa  note,  data  est  omnis  potes  tas  in  cœlo  et  in  terra,  gla- 
a  dius  anceps  in  manibus  vestris^  super  gentes  et  régna  con- 
K  stituti  estis  ad  alligandos  reges  eoruin  in  conipedibus  et 
«  nohiles  eoruni  in  manicis  ferreis  etc.  »  Cette  doctrine  n'é- 
tait que  trop  répandue  dans  le  XIP  siècle. 
Chesn.  t.  IV        lo"  Vers  le  même  temps  ayant  été  chargé  par  le  pape  de 
Ber.  Franc,  p.  -yisiter  l'abbaye  de  Saint- Victor  et  de  réformer  les  abus  qui 
t.  XvT^.  899.^    s'y  étaient  introduits  par  la  négligence  de  l'abbé  Eryise  ,  il 
écrivit  à  la  communauté  pour  lui  annoncer  sa  prochaine  vi- 
site après  une  maladie  qui  l'avait  empêché  d'agir. 
Chesn.  ibid.       Il»  A  cette  époque  Hugues  de  Champ-Fleury,  évêque  de 
l?-575— P'ouq.  Soissons  et  chancelier  de  France,  faisait  sa  résidence  à  Saint- 
'"  •  P-  90  ■       Victor ,  et  n'était  peut-être  pas  étranger  aux  désordres  qui 
régnaient  dans  la  maison.  Le  pape  pour  l'éloigner  avait  té- 
moigné le  désir  qu'il  renonçât  à  la  chancellerie  pour  se  li- 
vrer tout  entier  aux  soins  de  son  diocèse,  si  l'on  pouvait  dé- 
terminer le  roi  à  se  passer  de  son  ministère.  L'archevêque  de 
Sens  voulant  parer  le  coup  dont  était  menacé  le  chancelier, 
qu'il  ne  détourna  pourtant  pas,  écrivit  au   pape,  en  sa  fa- 
veur, une  lettre  apparemment  mendiée,  dans  laquelle  il  fait 
son  éloge ,  et  prie  le  pape  de  tolérer  dans  l'évêque  de  Sois- 
sons,  ce  qui  nest  pas  tout-à-fait  incompatible  avec  les  obli- 
gations d  un  pasteur. 


GUILLAUME   DE  CHAMPAGNE.  621 

„         ,  ,    .  ,  -T.  1  -,  1        A  j       ^"  SIECLE. 

129  Sur  les  plaintes  que  le  prince  Eskil,  archevêque  de __ 

Lunden  en  Danemarck ,  avait  adressées  au  pape  et  au  roi ,  e^^î'^l^Bota 
touchant  un  dépôt  de  4oo  marcs  d'argent,  que,  dans  un  ^i^v/^p.gis! 
voyage  en  France,  il  avait  fait  entre  les  mains  d'Ervise, 
abbé  de  Saint-Victor,  dépôt  qu'il  réclamait;  l'archevêque 
de  Sens,  saisi  de  cette  affaire  ,  écrivit  à  Maurice,  évêque  de 
Paris,  de  se  transporter  à  Saint-Victor,  et  de  faire  les  re- 
cherches convenables  parmi  les  effets  <ie  l'abbé  destitué,  afin 
de  retrouver  son  trésor. 

i3o  L'an  II 77,  étant  déjà  archevêque  de  Reims,  il  écrivit       ^°x"*ia'l* 
à  Guillaume  de  Pavie ,  cardinal-évèque  de  Porto ,  pour  lui  ""**'  '   '^' 
recommander  une  affaire  qu'avait  en  cour  de  Rome  Etienne, 
abbé  de  Sainte-Geneviève ,  depuis  évêque  de  Tournai. 

i4°  A  l'exemple  de  la  plupart  des  villes  de  France,  les 
habitans  du  bourg  de  Saint-Martin  à  Tours  s'étaient  érigés 
en  commune  pour  se  soustraire  à  la  dépendance  des  cha- 
noines. Jean  de  Salisbury ,  évêque  de  Chartres,  délégué  par    Bouq;  t.  XVl. 
le  pape  Alexandre  pour  dissiper  la  conjuration,  n'ayant  pu  P- ^»'«- 
rien  obtenir,  lança  l'excommunication  sur  tous  les  conjurés. 
Le  pape  Lucius  III,  voulant  terminer  cette  affaire,  chargea      Bouquet,  t. 
l'archevêque  de  Reims,  Guillaume  de  Champagne,  de  se  xvill.p.  agi. 
transporter  à  Tours ,  lequel  muni  des  pouvoirs  du  pape  et 
du  roi,  réussit,  l'an  ii84i  à  détacher  la  multitude  du  parti 
des  conjurés,  laissant  sous  les  liens  de  l'excommunication 
ceux  des  conjurés  qui  ne  se  présentèrent  pas  au  serment 
d'abjuration.  Nous  avons  la  lettre  du  cardinal  au  pape,  dans 
laquelle  il  fait  la  relation  de  la  chose  comme  elle  s'était 
passée. 

i5°  Depuis  long-temps  les  archevêques  de  Tours  plai- 
daient à  Rome  avec  les  evêques  de  Dol  touchant  le  droit  de 
métropole  sur  les  évêchés  de  la  province  de  Bretagne.  Le  roi 
de  France  mettait  beaucoup  d'importance  à  ce  que  l'arche- 
vêque de  Tours  fût  maintenu  dans  ses  droits.  Cette  même 
année  1 164,  le  docteur  Melior,  vidame  de  l'église  de  Reims, 
fut  fait  cardinal  et  camérier  du  pape  Lucius  III  ;  il  était  ami 
et  compatriote  de  Roland,  évêque  de  Dol(i),  qui  poussait 
vivement  la  décision  du  procès  contre  l'église  de  Tours.  On  Steph.  Tpm. 
craignit  que  le  cardinal  Melior  ne  profitât  de  l'accès  qu'il  epist.  no.  , 
avait  auprès  du  pape  pour  faire  triompher  la  cause  de  son 

(i)  Ils  étaient  Pisans  l'un  et  l'autre,  comme  nous  l'avons  prouvé  plus 
haut,  p.  3i5. 

Tome  XK  Vyy 


Xn  SIECLE. 


nist.  Rcmen. 
H,  p.  643. 


5a2  GUILLAUME    DE   CHAMPAGNE. 

ami;  l'archevêque  de  Reims  fut  chargé  de  lui  écriie  pour 
le  prévenir  que,  si  par  malheur  oh  blessait  eu  quelque  chose 
les  droits  de  l'église  de  Tours ,  ee  serait  déclarer  à  la  France 
une  guerre  dont  les  suites  pourraipnt  devenir  funestes  à  la 
cour  de  Rome.  La  lettre  est  imprimée  parmi  celles  d'Etienne 
de  Tournai,  qui  en  fut  le  rédacteur. 

16°  Marlot  rapporte  la  lettre  que  notre  prélat  écrivit  à 
Pierre  le  Chantre  de  l'éghse  de  Paris ,  pour  le  presser  et 
même  lui  enjoindre  d'accepter  la  dignité  de  doyen  du  cha- 
pitre de  Reims,  à  laquelle  il  avait  été  nommé  d'vine  voix 
unanime.  La  lettre  est  très-obligeante ,  et  pleine  d'estime  et 
de  vénération  pour  celui  qui  en  est  l'objet.  C'était  apparem- 
ment pour  li^parer  le  tort  qu'il  lui  avait  causé  en  lui  faisant 
manquer  deux  fois  l'épisoopat,  l'an  1191,  lorsqu'il  fut  élu 
à  l'évêché  de  Tournai ,  et  l'an  1 1 96 ,  lorsqu  après  la  mort  de 
Maurice  de  Sully ,  il  fut  nommé  à  l'évêché  de  Paris. 

Ces  lettres  ne  sont  assurément  que  la  moindre  portion  de 
celles  que  notre  prélat,  qui  eut  tant  de  part  aux  affaires  de 
l'église  et  de  l'état,  dut  écrire,  et  ne  seraient  pas  même  un 
titre  littéraire  pour  quelqu'un  d'un  rang  moins  élevé.  Mais 
on  lui  a  attribué  quelquefois  un  ouvrage  théologique ,  qui , 
s'il  existait ,  pouiTait  le  placer  même  au  nombre  des  docteurs 
de  l'église  :  c'est  un  traité  sur  cette  question  :  Si  J-  C.  en 
tant  qu'homme  est  quelque  chose. 
Hist.  Litiér.  En  rendant  compte ,  dans  cette  histoire ,  de  l'ouvrage  de 
*tMi\v'^  '^  Jeaa  de  Cornouaille  intitulé  Eulogium, ,  adressé  au  pape 
Alexandre  III,  nous  avons  exposé  les  différentes  opinions  des 
théologiens  sur  cette  question,  dont  quelques-unes  tendaient 
à  renouveler  l'erreur  de  Nestorius ,  qui  admettait  dans  le 
verbe  incarné  deux  personnes ,  ou  d'Eutychès  qui  ne  recon- 
naissait en  J.  C.  qu'une  seule  nature.  Ceux  qui  niaient  que 
\  J.  C.  en  tant  qu'homme  fiit  quelque  chose,  c'est-à-dire  un 

vrai  homme  composé  d'un  corps  et  d'une  ame ,  furent  ap- 
pelés nihilistes.  Pierre  Lombard,  évêque  de  Paris,  rapporte, 
selon  sa  méthode ,  leur  opinion  sans  l'approuver  ni  la  com- 
battre. La  même  question  fut  agitée ,  et  non  décidée ,  au 
concile  de  Tours  de  l'an  1 163,  présidé  par  le  pape  Alexandre; 
mais  six  ans  après,  le  pape  voyant  qu'à  la  faveur  du  livre 
des  Sentences,  l'erreur  des  nihilistes  se  propageait ,  en  con- 
'    fera  d'abord  avec   notre  prélat  dans  un  voyage  qu'il  fît  à 
]\iari.  Am))).  Romc  l'an  11G9,  et  enjoignit,  l'année  suivante,  aux  métro- 
collfct.,  t.  H,  politains  de  Bourges ,  Reims,  Tours,  et  Rouen,  de  proscrire 

col.         843.        t>  '  7  7 


XII  SIKCLE. 


GUILLAUME   DE   CHAMPAGNE.  SaS 

la  doctrine  des  nihilistes,  et  d'ordonner   aux   théologiens 
d'enseigner  que  le  Christ  était  vrai  dieu  et  vrai  homme.  Il  ^°g^g*"  ^^'  ^ 
y  eut  une  lettre  particulière  à  l'archevêque  de  Sens,  portant      Labbe.conc. 
ia  même  injonction ,  parce  que  le  livre  de  Pierre  Lombard  t.  x ,  col.  Sag. 
avait  été  composé  à  Paris  sous  sa  métropole.  C'est  ce  qui  a 
fait  croire  qu'il  avait  composé  lui-même  un  traité  contre  les 
nihilistes  ;  mais  il  est  plus  vraisemblable  qu'il  chargea  de  ce 
soin  Jean  de  Cornouailles ,  ou  peut-être  Gautier  de  Saint- 
Victor,  qui  embrassant  un  champ  plus  vaste,  écrivit  aussi 
contre  les  nouvelles  erreurs  de  Pierre  Abélard ,  Gilbert  de 
la  Porrée,  Pierre  Lombard  et  Pierre  de  Poitieis ,  qu'il  ap- 
pelle les  quatre  labyrinthes.  On  peut  croire  aussi  que  notre 
prélat  aura  proscrit  la  nouvelle  erreur  par  un  mandement 
que  nous  n'avons  pas. 

On  a  conservé  avec  plus  de  soin  les  chartes  émanées  de 
la  chancellerie  de  notre  prélat ,  lesquelles  sont  en  très-grand 
nombre.  Nous  ne  parlerons  pas  de  celles  qui  n'intéressaient 
que  des  particuliers  en  faveur  desquels  elles  étaient  don- 
nées; mais  il  est  essentiel,  pour  achever  son  éloge,  de  faire 
connaître  en  peu  de  mots  celles  qui  avaient  pour  objet  le 
bien  public ,  soit  l'embellissement  des  villes ,  soit  la  fonda- 
tion des  hôpitaux. 

1.  D.  Calmet  raconte  que  Guillaume  de  Champagne,  ar-    Hist.  deLorr. 
chevêque  de  Reims,  fit  bâtir,  l'an  1182,  la  petite  ville  de  tti.  ^ol.  3i4. 
Beaumont  en  Argonne ,  sur  la  rivière  de  Meuse ,  entre  Stenai 

et  Mouson  ;  que  pour  y  attirer  des  habitans ,  il  fit  leur  condi- 
tion meilleure  que  ne  l'était  celle  de  presque  tous  les  peuples 
de  la  campagne.  Guillaume  donna  a  ceux  qui  s'établiraient 
à  Beaumont  certaines  franchises  qui  furent  nommées  la  loi 
de  Beaumont.  Elles  furent  trouvées  si  sages  par  les  princes 
et  par  les  seigneurs  voisins ,  et  parurent  si  avantageuses  aux 
peuples,  que  ceux-ci  demandèrent  avec  grande  instance,  et 
reçurent  comme  une  grande  faveur  d'être  soumis  aux  lois 
de  Beaumont;  et  les  ducs  de  Lorraine,  les  comtes  de  Bar  et 
de  Luxembourg  les  firent  observer  dans  presque  tous  les  lieux 
de  leur  obéissance.  Cette  charte  composée  de  54  articles  est 
imprimée  parmi  les  preuves  de  l'histoire  de  Lorraine,  t.  II, 
p.  537,  en  français  seulement,  quoique  D.  Calmet  eût  an- 
noncé qu'il  donnerait  aussi  le  texte  latin. 

2.  La  même  année  1 182,  il  rétablit  dans  la  ville  de  Reims  Marloi,  Hist. 
l'échevinage ,  pour  réparer  en  quelque  sorte  les  dommages  ^^"^'  *'  ^^'  P' 
que  son  prédécesseur  Henri   de  France  avait  occasionnés 

V  v  v  2 


Xri  SIECLE. 


5a4  ETIENNE  DE  TOURNAI. 

aux  habitans,  se  concilier  l'affection  de  la  bourgeoisie,  et 
empêcher  que  les  mêmes  troubles  ne  recommençassent  sous 
son  gouvernement.  Cette  charte  a  été  publiée  par  D.  Marlot, 
et  réimprimée  t.  IX  du  Gallia.  Christiana ,  aux  preuves, 
col.  4^. 
Mariot,  j6/V/.  3.  L'année  suivante,  il  céda  à  la  ville  un  terrain  nommé 
'*■    ^*'  la  Culture,  pour  y  établir  un  nouveau  faubourg ,  auquel 

furent  transportés  des  privilèges  dont  avait  joui  précédem- 
ment l'hôpital  des  lépreux  hors  la  ville. 
Mariot.rtirf.       4.  Pour  honorer  la  science,  et  donner  de  l'émulation  à 
P'''*  •  teux  qui  la  cultivent,  il  fit,  l'an  1192,  un  statut  par  lequel 

l'écolâtre  dans  l'église  de  Reims  fut  incorporé  au  chapitre 
et  placé  parmi  les  dignitaires. 
JMarlot,/Wrf.       5.  Nous  avons  vu  plus  haut  les  reproches  que  des  auteurs 
P-  449-  graves  et  contemporains  font  à  notre  prélat  de  s'être  livré , 

sur  la  fin  de  ses  jours,  à  un  luxe  immodéré,  et  que  pour  y 
satisfaire  il  abusa  quelquefois  de  son  autorité.  Hé  bien!  l'an- 
née même  qui  précéda  celle  de  sa  mort,  il  fonda  à  Reims  un 
hôpital  pour  vingt  malades  ,  au  soulagement  desquels  il 
pourvoit  abondamment  dans  une  charte  où  respirent  les 
sentimens  religieux  d'un  évêque  vraiment  pénétré  des  obliga- 
tions de  son  ministère  envers  les  pauvres.  B. 


»  w.^^«^v^b^«««'«'«^«i«/«%.«««.«^«^*.^^«^<*'^«' 


ETIENNE, 

ABBÉ  DE  SAINTE-GENEVIÈVE  A  PARIS, 

PUIS  ÉVÊQUE  DE   TOURNAI. 

SA  VIE. 

J_jA  négligence  avec  laquelle  le  P.  Claude  du  Molinet,  der- 
nier éditeur  des  lettres  d'Etienne  de  Tournai ,  a  composé  la 
vie  de  ce  prélat,  son  ancien  confrère,  nous  mettra  clans  la 
nécessité  d'entrer  dans  quelques  discussions  pour  rétablir 
la  vérité  des  faits,  et  dissiper  ses  erreurs, 
Kpist.  191.  Nous  savons  par  Etienne  lui-même  qu'il  naquit  à  Orléans. 
Le  P.  du  Môhnet  dit  que  ce  fut  l'an  11 35,  et  il  se  fonde  sur 
la  lettre  274,  dans  laquelle  l'auteur  dit  qu'il  avait  soixante- 


ETIENNE  DE  TOURNAI.  SaS 


XII  SIECLE. 


huit  ans  accomplis  lorsqu'il  l'écrivait.  Pater,  in  septuagesima^ 
si  bene  recolo ,  septuagesimuni  annum  hiennio  minus  com-  Epist.  27/1. 
plevi ,  qui  numerus  annonim  a  psalinista  prœfigitur  senec- 
tuti.  Reste  à  savoir  à  quelle  année  on  peut  rapporter  cette 
lettre  non  datée.  Elle  est  adi-essée  à  son  métropolitain 
Guillaume  de  Champagne,  archevêque  de  Reims.  Ce  prélat 
avait  invité  l'évêque  de  Tournai  à  se  trouver  au  sacre  de 
l'évêque  de  Châlons-sur-Marn»,  qui  devait  avoir  lieu  à 
Reims  au  troisième  dimanche  de  carême.  L'évêque  de  Tour- 
nai s'excuse  sur  son  grand  âge  et  ses  infirmités,  et  de  plus 
sur  ce  que  le  roi  l'avait  mandé  au  Vaudreuil  pour  le  qua- 
trième dimanche,  et  à  Paris  pour  le  dimanche  de  la  Passion, 
au  sujet  d'une  affaire  à  laquelle  le  roi  mettait  tant  d'impor- 
tance, qu'il  l'avait  conjuré  de  ne  pas  manquer  de  se  trouver 
au  lieu  indiqué.  L'éditeur  supposant  que  le  sacre  de  l'évêque 
de  Châlons  était  celui  de  Gérard  de  Douai ,  qui  fut  fait  1  an 
t2o3,  l'année  même  de  la  mort  de  notre  auteur,  part  de  là 

f)our  conclure  qu'Etienne  de  Tournai  était  né  a  Orléans 
'an  1 135.  Mais  nous,  nous  croyons  être  mieux  fondés  à  dire 
qu'il  s'agissait  alors,  non  du  sacre  de  Gérard  de  Douai,  qui 
n'est  pas  nommé  dans  la  lettre ,  ni  désigné  par  la  lettre  ini- 
tiale de  son  nom,  mais  de  Rotrou  du  Perche,  qui,  quoique  Gall.  Christ. 
élu  dès  l'an  1190,  n'était  pas  encore  sacré  l'an  i  ipS.  En  *•  ix ,  col.  88:i. 
effet,  il  est  prouvé  que  le  siège  de  Reims  était  vacant  après  t.  m,  col. 088. 
la  mort  de  Guillaume,  lorsque  Gérard  de  Douai  fut  sacré; 
ce  n'est  donc  pas  lui  qui  devait  faire  le  sacre.  Toutes  ces 
raisons  concourent  à  prouver  que  c'est  cette  même  année  que 
la  lettre  fut  écrite,  et  que  c'est  de  là  qu'il  faut  partir  pour 
trouver  celle  de  la  naissance  d'Etienne.  Or  le  calcul  nous 
donnera  l'an  1128,  et  même  le  jour 'de  sa  naissance,  qui 
tombait,  selon  lui,  dans  l'année  où  il  écrivait  sa  lettre,  au 
dimanche  de  la  septuagésime,  c'est-à-dire,  au  19  février, 
huit  ans  avant  l'époque  donnée  par  le  P.  du  Molinet. 

Dès  sa  première  enfance ,  Etienne  fut  élevé  dans  la  piété      Epist.  59. 
et  les  lettres  parmi  les  clercs  de  Sainte-Croix  d'Orléans,  et 
son  premier  maître  de  grammaire  fut  un  professeur  qu'il 
ne  fait  connaître  que  par  la  lettre  A,  initiale  de  son  nom, 
selon  l'usage  de  son  temps  aussi  fréquent  dans  les  manuscrits      Epist.  a6, 27, 
qu'il  est  incommode  pour  les  lecteurs.  *8. 

On  connaît  à-peu-près  le  temps  où  il  se  fit  religieux  cha- 
noine régulier  à  Saint- Euverte  d'Orléans  par  la  lettre  iiSa. 
Dans  cette  lettre  à  Hugues  de  Garlande,  évêque  d'Orléans,      Epi»t.  aSa. 


5^6 


ETIENNE  DE  TOURNAI. 


XII  SIECLE. 


Gall 
MX 


l'auteur  déclare  qu'à  l'époque  où  il  l'écrivait,  il  y  avait  en- 
viron quarante-cinq  ans  quil  avait  embrassé  la  vie  religieuse: 
Quadraginta  ferme  et  quinque  anni  sunt  elapsi  ex  quo ,  Deo 
volente,  in  ecclesiâ  B.  Evurtii  habitutn  religionis  suscepiinus 
suh  ordine  regulari.  Si  cette  lettre  était  datée,  ce  ne  serait 
plus  qu'une  aftaire  de  calcul  de  trouver  l'année  à  laquelle 
Etienne  entra  en  religion.  Mais  s'il  n'est  pas  possible  de  fixer 
cette  époque  avec  précision ,  on  peut  en  approcher  beau- 
coup, parce  que  tout  le  monde  convient  que  l'évêque  de 
lU.  Christ.  Tournai  mourut  l'an  iao3,  et  l'on  sait  d'ailleurs  que  Hugues 
,col.i/,57.  jjg  |-y^  ^j^^  évêque  d'Orléans  que  l'an  1198.  Ce  n'est  donc 
que  dans  l'intervalle  de  ces  deux  années  qu'on  peut  placer 
cette  lettre  ;  et ,  en  prenant  un  terme  moyen ,  il  résulte 
qu'Etienne  s'était  fait  religieux  vers  l'an  iî5Ô,  «t  non  l'an 
ii65,  comme  l'a  dit  le  P.  du  Molinet,  et  à  l'âge  de  vingt- 
huit  ans ,  suivant  le  calcul  établi  ci-dessus. 

Il  s'était  applique  auparavant  à  l'étude  des  lois;  car  il  nous 
apprend  qu'il  avait  étudié  le  droit  sous  le  célèbre  Bulgarus, 
à  Bologne,  où  il  avait  evi  pour  condisciple  le  cardinal  Gratien, 
auquel  il  dit  :  «C'est  pour  moi  un  souvenir  agréable  de  me 
rappeler  que  nous  avons  été  condisciples  dans  l'école  de 
Kpist.  38.  Bulgarus  :  Reliquiœ  cogitationis  nieœ  diem  festuni  agunt 
niihi,  quoties  rccolo  me  fuisse  sociuni  vestrum  in  auditorio 
Bulgari ,  quem  modo  lœtus  suspicio  in  ministerio  Petit.  » 
Cela  est  encore  prouvé  par  la  lettre  63  à  Eraclius ,  évêque 
de  Césarée  ,  cju'il  commence  ainsi  :  Jocosas  olini  confahida- 
tiones  nostras  fructuosis  oro  sœpiîis  orationibus  expiari.  Toga- 
tonim  advocationes  ,  mercimonia  ;  litigantium  conflictus , 
cœcojum pugnam  ;  Bononiensium  auditoiia,  fahriles diximus 
officinas.  Inter  hœc  diversa  sequuti  studia  sumus  ;  ego,  quod 
irriseram,  carpentariam  Bulgari;  vos  calvariam  crucifixi. 
Il  est  clair  "par  là  que,  peixlant  qu'il  étudiait  à  Bologne, 
Etienne  avait,  dans  des  momens  de  gaieté,  tourné  eii  ridicule 
la  profession  d'avocftt,  et  qu'il  l'avait  exercée  avant  d'entrer 
en  religion.  C'est  encore  à  Bologne  qu'il  avait  eu  pour  con- 
disciple le  pape  Urbain  IIÏ  :  Glorior  inde  mecum ,  lui  dit-il 
en  le  félicitant  sur  sa  promotion ,  ego  minima  filiarum.  ves- 
tronim  portio,  quod  dominum,  nunc  et  jxttrem  tneum,  qunn- 
doque  mderim  in  scholis  ,  ubi  tamquam  Hylos  mirabar 
Hercuhm  ,  inagnis  virtutum  et  prudentiœ  passibus  ince- 
dentem. 

Mais  après  qu'il  eut  embrassé  la  vie  religieuse,  il  paraît 


Epist.  63. 


Epist. 


XII  SIECLE. 


ÉTIENINE  DE  TOURNAI.  027 

qu'il  alla  reprendre  l'enseignement  à  Chartres  (i),  où  il  fit 

un  assez  long  séjour ,  comme  on  peut  le  conclure  de  la  lettre 

17  à  Roger,  abbé  de  Saint-Euverte ,  qui  lui  avait  ordonné      Epist.  17. 

par  trois  fois  de  retourner  dans  son  monastère.  Ce  qui  prouve 

3ue  ce  fut  à  Chartres,  et  non  ailleurs,  c'est  la  manière  dont 
s'exprime  dans  la  lettre  36  au  cardinal-évêque  de  Porto ,  Epist.  36. 
en  lui  recommandant  une  affaire  désagréable  du  doyen  et 
du  sous-chantre  de  cette  église  :  Amici  nostri  surit,  dit-il, 
ex  diuturno  convictu ,  et  honestœ  conversationis  suce  testinio- 
mumprisca  nohis  eorum  societas  reprœsentat.  Et  dans  la  lettre 
37  au  cardinal-évêque  de  Palestrine  :  Specialiter  eos  diluai-  '"'*■  '' 
mus,  et  diligùnur  ab  eis ,  qiionùarn  antiquœ  societatis  et 
diutumi  convictus  reliquias  sub  honestce  recordationis  me- 
moria  retinemus.  » 

Etienne  succéda,  l'an    iiGt,  à  l'abbé  Roger,  qui  en  sa      Gali.  Christ. 
faveur  se  démit  de  l'abbaye  de  Saint-Euverte  ;  mais  bientôt  *•    ^'^''    *^°'- 
après,  un  événement  déplorable  arrivé  à  Orléans  faillit  à  lui  '  '  ' 
être  funeste.  Jean  de  la  Cliaine,^fe  Catenâ,  doyen  de  Sainte- 
Croi.K ,  ayant  été  assassiné  et  mis  à  mort  l'an   ii68,  notre 
jeune  abbé  fut  chargé  de  prononcer,  dans  un  synode  tenu      Epist.  i. 
à  Sens,  un  discours  propre  à  émouvoir  l'assemblée,  afin  de 
la  porter  à  demander  vengeance  d'un  pareil  attentat.  Ayant 
été  chargé  d'en  écrire  au  roi ,  bien  loin  d'obtenir  la  punition      Epist.  y.-. 
des  coupables,  c'est  contre  lui  que  Louis-le-Jeune  se  pro- 
nonça ,  on  ne  sait  pourquoi  ;  et  sans  la  protection  de  Guil- 
laume de  Champagne,  alors  évêque  élu   de  Chartres,  qui 
intercéda  pour  lui,  il  eût  peut-être  encouru  l'indignation 
du  roi. 


sance,  lui  assignèrent  une  pension  sur  une  de  leurs  terres.      Epist.  77. 

L'abbaye  de  Sainte-Geneviève  se  ressentit  bientôt  de  la 
sagesse  de  son  gouvernement,  tant  au  temporel  qu'au  spi-   , 
rituel  ;  l'observance  régulière  y  prit  de  nouveaux  accroisse- 
mens,  et  Dieu  répandit  stu-  ses  travaux  les  bénédictions  les 
plus  abondantes.  Il  s'en  explique  ainsi  dans  une  lettre  à  un      Epist.  i/,5. 

(i)  Nous  àÀson&  il  paraît ,  parce  que  la  lettre  d'où  l'on  tire  cette  con- 
jecture (Martène,  Ampl.  Collect.  ,  t.  I,  col.  787)  est  anonyme,  mai.s 
quon  peut  avec  quelque  fondement  lui  attribuer. 


Xn  SIECLE. 


528  ETIENNE  DE  TOURNAI. 

de  ses  religieux  nommé  Pierre,  neveu  d'Absalon  archevêque 
de  Lunden ,  qui  était  retourné  en  Danemarck.  «  Tout  pros- 
père chez  nous,  lui  dit-il;  grâces  à  la  bonté  divine  nous  ne 
manquons  de  rien,  et  la  conduite  édifiante  de  nos  frères 
répond  aux  avantages  temporels  dont  nous  jouissons.  Notre 
communauté  va  toujours  croissant;  nos  revenus  augmentent; 
et  ce  qui  est  préférable  à  tout,  la  paix ,  la  pratique  de  la  règle, 
l'assiduité  à  l'office  divin ,  régnant  parmi  nous ,  nous  jouis- 
sons du  bonheur  d'une  conscience  sans  reproche  et  de  l'es- 
time publique.  Pleins  de  confiance  dans  les  secours  de  Dieu 
qui  nous  favorise  au-delà  de  nos  mérites,  nous  avons  entre- 
pris de  restaurer  le  comble  de  notre  église,  percé  de  gout- 
tières ,  ouvert  à  tous  les  vents ,  et  menaçant  ruine.  Nous 
faisons  dans  ce  dessein  provision  de  bois  pour  la  charpente 
que  nous  nous  proposons  de  couvrir  en  plomb.  Nous  forti- 
fions aussi  les  murs  par  des  culées  en  pierre  de  taille,  etc.  » 
Quoiqu'il  y  eût  à  Sainte- Geneviève  des  écoles  extérieures, 
V        il  en  établit  d'intérieures  pour  ses  religieux ,  afin  qu'ils  n'eus- 
sent aucune   communication  avec  les  écoliers  du  dehors. 
C'est  ce  qu'on  voit  par  ses  lettres  à  Absalon ,  archevêque  de 
Lunden,  au  sujet  de  son  neveu  dont  nous  venons  de  parler. 
Ce  prélat  demandant  que  son  neveu  fréquentât  les  écoles 

Epiit.  80.  séculières  de  Paris ,  notre  auteur  lui  répond  :  «  Nous  sommes 
fâchés  de  ne  pouvoir  consentir  à  vos  désirs ,  parce  que  cela 
est  contraire  a  notre  institut ,  et  pourrait  être  d'un  mauvais 
exemple  à  l'avenir.  La  règle  sagement  établie  dans  les  cloîtres 
est  qu'il  y  ait  des  écoles  pour  la  vertu  aussi-bien  que  pour 
la  science.  Si  c'est  votre  intention  de  faire  de  votre  neveu  un 
homme  du  monde ,  vous  pouvez  choisir  pour  son  instruction 
une  autre  ville  que  Paris  ,  parce  que  nous  ne  pourrions  sup- 
porter que ,  sous  nos  yeux ,  il  se  livrât  au  verbiage  et  aux 
détours  de  la  dispute  :  cela  tournerait  à  notre  confusion.  » 
L'an  1 181 ,  non  l'an  1 178,  comme  l'ont  dit  quelques  mo- 

^pist.  75.      dernes  (i) ,  le  roi  Philippe-Auguste  députa  notre  abbé  vers  le 


(i)  L'abbé  Fleuri,  induit  en  erreur  par  le  P.  du  Molinet,  ditliv.  74, 
n°  39  de  son  Hist.  eccl. ,  «qu'en  1178,  Etienne  de  Tournai,  abbé  de 
Sainte-Geneviève  de  Paris ,  suivit  en  Languedoc  Gautier,  cardinal-évèque 
d'Albano ,  qui  fut  pris  par  Roger  de  Bédiers ,  protecteur  des  Albigeois.  » 
H  y  a  dans  ce  peu  de  mots  trois  erreurs  :  1"  ce  fut  pour  joindre  le  légat 
Henri ,  évêque  d'Albano,  qu'Etienne  fut  envoyé  par  le  roi  en  Languedoc, 
et  non  le  cardinal  Gautier,  qui  ne  fut  jamais  légat  en  France  ;  a"  la  mis- 


ETIENNE  DE  TOURNAI.  Ô29 

légat  Henri ,  ëvêqiic  d'Albano,  en  mission  dans  le  Toulousain 
contre  les  Albigeois  ,  secondé  d'une  force  armée.  Dans  la 
lettre  73  au  prieur  de  Sainte-Geneviève ,  Eltienne  fait  la  re- 
lation de  ce  voyage,  mais  il  n'explique  pas  quel  en  fut  l'objet  : 
Quare  ad  dominum  legatwn  vadû ,  nescilis.  Alla  causa  est 
quam  ea  quarn  mandavi  vobis  :  de  Ula  tamen  omnino  silete, 
ne  aliquis  in  contraviwn  interpretetur. 

A  cette  époque,  l'abbé  de  Sainte-Geneviève  jouissait  de 
l'entière  confiance  de  Guillaume  de  Champagne ,  archevêque 
de  Reims,  et  par  lui  de  celle  de  Philippe-Auguste,  son  neveu. 
Le  pape  Lucius  III  ayant  mandé  à  Rome  l'archevêque  de 
Reims,  le  roi  l'empêcha  de  partir,  et  écrivit  au  pape  qu'ayant 
un  extrême  besoin  de  la  présence  de  son  oncle  au  commen- 
cement d'un  règne  orageux,  il  lui  envoyait  à  sa  place  l'abbé 
de  Sainte-Geneviève,  qu'il  appelle  son  très-cher  ami,/?Av:c- 
dUectum  et  familiarem  nostrum.  Etienne  fit-il  ce  voyage.-' 
nous  n'osons  l'assurer,  parce  que  dans  une  autre  lettre  à 
l'archevêque  de  Reims,  il  lui  dit  qu'étant  sur  le  point  de 
partir,  et  s'étant  présenté  pour  prendre  congé  du  roi,  ce 
prince  avait  changé  de  résolution.  Mais  peut-être  s'agit-il  là 
d'un  autre  voyage  que  nous  ne  connaissons  pas. 

Ce  qui  prouve  encore  le  haut  degré  de  considération  où 
il  était  à  la  cour,  c'est  qu'il  fut  choisi,  l'an  1 187,  pour  être 
le  parrain  du  prince  Louis ,  fils  du  roi ,  qu'il  appelle  son 
fdhul  dans  une  de  ses  lettres. 

L'évêché  de  Tournai  étant  devenu  vacant,  sur  la  fin  de 
l'an  •  190 ,  par  la  mort  d'Evrard  d'Avesne,  Pierre  le  Chantre 
fut  élu  à  sa  place  ;  mais  l'archevêque  de  Reims ,  alors  régent 
du  royaume  en  l'absence  du  roi,  refusa  de  confirmer  cette 
élection.  L'abbé  de  Sainte-Geneviève,  applaudissant  comme 
tous  les  gens  de  bien  au  choix  d'une  personne  si  recomman- 
dable ,  employa  en  faveur  du  chantre  de.  l'église  de  Paris  le 
crédit  qu'il  avait  auprès!  du  régent;  il  lui  expose  que  pour 
quelque  défaut  de  forme,  qu'il  peut  couvrir  ae  son  autorité, 
il  n'est  pas  ju.ste  de  priver  cette  église  d'un  saint  homme, 
qui  réunit  d'ailleurs  toutes  les  qualités  requises  pour  illustrer 


XII  SIECLE. 


Ëpist.  73. 


Epist. 


Epist.  IÏ7. 


'!  .3 


Epist.  227. 


Epist.  175. 


sion  du  cardinal  Henri  dans  l'Albigeois  est  de  l'an  n8i ,  selon  le  témoi- 
gnage de  Geofroi  de  Vigeois,  et  non  de  l'an  1178,  et  par  conséquent  le 
voyage  d'Etienne  de  Tournai  est  de  la  même  année,  et  peut-être  de  la 
.■suivaute;  i"  ce  n'était  pas  l'évèque  d'Albano  que  le  vicomte  de  Béiiers 
et  d'Albi  avait  mis  en  prison  ,  mais  l'évèque  d'Âlbi. 

Tome  Xy.  Xxx 


53o  ETIENNE  DE  TOURNAI. 


XII  SIECLE. 


l'ëpiscopat.  Il  ajoute  que  le  rejeter,  c'est  contrarier  le  vœU 
du  roi,  qui  l'avait  désigné  pour  cet  évêché.  Ses  instances 
furent  inutiles,  et  n'eurent  d'autre  résultat  que  de  le  faire 
proposer  lui-même,  contre  son  attente,  pour  remplir  le 
siège  vacant.  Le  clergé  de  Tournai  agréa  ce  nouveau  choix , 
mais  le  pape  Célestin  III  eut  de  la  peine  à  y  consentir, 

ipist.  179.  comme  on  en  peut  juger  par  la  lettre  que  notre  abbé  fut 
obligé  de  lui  écrire. 

Ayant  ainsi  dissipé  les  nuages  qui  s'étaient  élevés  sur  la 

Epist.  177.  validité  de  son  élection,  il  fut  sacré  à  Reims  l'an  1 192,  le 
dimanche  après  Pâques,  c'est-à-dire  le  12  avril.  Mais  avant 
que  de  quitter  Sainte -Geneviève,  il  Aoulut  s'assurer  d'un 
successeur  capable  de  maintenir ,  tant  au  spirituel  qu'au 

Epist.  176.  temporel ,  le  bon  ordre  qu'il  avait  établi  dans  sa  maison,  et 
il  le  trouva  dans  la  personne  de  Jean ,  neveu  de  l'abbé  d'Au- 
villers,  qu'il  fit  bénir  par  l'évêque  de  Meaux,  le  dimanche 
des  Rameaux  de  la  même  année. 

Gaii.  Christ.       A  peine  arrivé  dans  sa  ville  épiscopale,  il  eut  des  contes- 

t.  III ,  pr.  col.  tations  avec  les  habitans  qui  refusaient  de  le  reconnaître 

''  '  pour  leur  seigneur  temporel.  C'est  ce  qui  résulte  d'une  lettre 

du  roi  Philippe -Auguste,  portant  injonction  aux  habitans 

de  lui  prêter  serment  de  fidélité  :  elle  est  datée  du  mois  de 

février    1192,  vieux  style,  qui  revient  à  l'an   iif)3.  Cette 

affaire  n'en  resta  pas  là  ;  il  fut  long-temps  question  de  régler 

ibid.  col.  49.    les  droits  respectifs  du  seigneur  et  des  habitans  :  ce  ne  fut 

3 n'en  1200  que  ceux-ci  adoptèrent  les  lois  de  la  commune 
e  SenUs,  comme  leur  étant  plus  favorables. 

Epist.  181.  L'an  1193,  Etienne  assista  au  couronnement  de  la  reine 
ingeburge,  qui  se  fit  à  Amiens  le  jour  de  l'assomption  de  la 
Vierge.  Le  roi  s'étant  dégoûté  d'elle  ce  jour-là  même,  la  fit 
reléguer  à  l'abbaye  de  Cisoing,  dans  le  diocèse  de  Tournai. 

Epist.  262.  jÉtienne,  témoin  de  l'abandon  et  du  dénuement  dans  lequel 
on  laissait  cette  princesse ,  écrivit  à  l'archevêque  de  Reims 
la  lettre  262,  dans  laquelle  il  fait  l'éloge  de  cette  infortunée 
reine,  et  sollicite  pour  elle  les  secours  de  sa  charité.  Une 

Epist.  a63.  lettre  de  la  jwincesse  au  même  archevêque ,  dont  Etienne  fut 
le  rédacteur,  prouve  que  la  recommandation  de  notre  prélat 
ne  lui  fut  pas  inutile. 

Annal.  Aqni-      L'an  1 197,  pendant  que  le  roi  de  France  faisait  la  guerre 

cin.adan.1197.  ^  j^gjjjj   d'Angleterre  sur  les  confins  de  la  Normandie,  le 

comte  de  Flandre  et  de  Hainaut ,  gagné   par  ce  dernier, 

tourna  ses  armes  coutre.  la  France,  faisant  le  dégât  dans  le 


xn  SIECLE. 


ETIENNE  DE  TOURNAI.  53 1 

Tournaisis  et  le  Cambraisis,  Le  cardinal  iMelior,  légat  apos- 
tolique, ayant  ordonné  d'excommunier  le  comte  etses  adhé-  Epist.  «Si. 
rens,  et  même  de  jeter  l'interdit  par-tout  oii  ils  se  trouve- 
raient ,  Etienne  qui  n'approuvait  pas  cette  mesure  générale 
d'interdit,  se  trouva  dans  un  grand  embarras,  comme  nous 
l'expliquerons  en  rendant  compte  des  lettres  qu'il  écrivit  à 
ce  sujet.  Ce  prélat  mourut  le  9  ou  le  12  septembre  i2o3, 
après  onze  ans  d'épiscopat,  traversé  par  de  grandes  ndver- 
sités. 

SES  ÉCHITS. 

Les  écrits  de  ce  prélat  consistent  en  des  lettres ,  des  ser- 
mons ,  un  commentaire  sur  le  décret  de  Gratien,  et  quelques 
poésies.  Quoiqu'ils  ne  soient  pas  des  meilleurs  du  XIr  siècle, 
néanmoins  la  considération  dont  l'auteur  jouit  de  son  temps 
le  mit  dans  le  cas  d'écrire  beaucoup  de  lettres  qui  sont  par- 
venues jusqu'à  nous,  et  dont  l'histoire  peut  faire  son  profit. 

SES    LETTRES. 

Il  y  en  a  deux  éditions;  la  première,  publiée  à  Paris  l'an 
161 1 ,  par  les  soins  de  Jean-Baptiste  Masson,  à  la  suite  de 
celles  de  Gerbert  et  de  Jean  de  Salisburi,  in-,^",  contient 
240  lettres  imprimées  très-incorrectement  sur  un  manuscrit 
défectueux.  C'est   sur  cette   mauvaise  édition   qu'elles   ont       gjjji   p^i,.. , 
passé  dans  la  Bibliothèque  des  pères  imprimée  à  Lyon.  Le  t.  XXI,  p.  i- 
P.  Claude  du  Molinet ,  chanoine  régulier  de  la  congrégation  ^^■ 
de  France,  ayant  entrepris  d'en  donner  une  nouvelle,  qui 
parut  l'an  16^9  à  Paris,  chez  Louis  Billaine,  in-8°,  en  aug- 
menta le  nombre   jusqu'à   286  lettres,  qu'il  a  distribuées 
dans  un  ordre  différent,  et  selon  les  époques  marquantes 
de  la  vie  de  l'auteur ,  en  trois  parties ,  dont  la  première  con- 
tient les  lettres   écrites  pendant   qu'Etienne  était  abbé  de 
Saint -Euverte   d'Orléans;   la    seconde    celles   qu'il    écrivit 
étant  abbé  de  Sainte-Geneviève  à  Paris  ;  la  tioisième  après   . 
qu'il  fut  pourvu  de  l'évêché  de  Tournai.  L'éditeur  s'est  servi 
utilement,  pour  nous  donner  un  texte  plus  correct,  du  tra- 
vail qu'Etienne  Baluze  avait  préparé  sur  cet  auteur,  travail 
que  nous  avons  retrouvé  parmi  ses  manuscrits  à  la  biblio- ^' ■'*<'**^*V' 
tnèque  Royale;  mais  les  notes  sont  entièrement  de  l'éditeur. 
C'est  en  suivant  l'ordre  de  cette  édition ,  que  nous  allons 
rendre  compte  de  la  plupart  de  ces  lettres,  non  de  toutes, 

X  X  X  j 


532  ETIENNE  DE  TOURNAI. 

XII  SIECLE 


parce  que  plusieurs  ne  sont  que  des  billets  de  pure  civilité, 
ou  pour  recommander  des  amis  à  des  personnes  en  place. 

Epist.  I ,  al.  a.  1         •     V  n       •  j 

Lettres  depuis  ffàn  nbj  'jusquen  njo. 

La  première  n'est  pas  proprement  une  lettre;  c'est  un 
discoui^  prononcé,  l'an  ii68,  à  Sens  dans  un  synode, 
afin  d'exciter  l'assemblée,  à  poursuivre  la  vengeance  de  l'as- 
sassinat commis  sur  la  personne  de  Jean  de  Catena,  doyen 
de  l'église  de  Sainte-Croix  d'Orléans.  L'auteur  ne  nomme 
pas  le  coupable,  mais  il  le  désigne  par  ces  mots  :  Ipsum 
ducem  sceleratœ  factionis  illius ,  qui  altevo  se  polluerat  hotni- 
cidio ,  de  inortis  faucihus  et  exilii  proscriptione  (decanus) 
suo  i^demerat  inteiventu.  Apparemment  en  faisant  participer 
le  coupable  au  privilège  qu'avaient  les  évêques  d'Orléans  de 
faire  grâce  à  uri  criminel  en  prenant  possession  de  leur  siège. 
EpUt.  2, «1.60.  Dans  la  lettre  2  à  Guillaume  de  Champagne ,  alors  nommé 
à  l'évêché  de  Chartres,  l'auteur  nous  apprend  qu'ayant  été 
chargé  d'écrire  au  roi  au  nom  de  l'assemblée,  ce  prince  vou- 
lant sans  doute  assoupir  l'affaire,  bien  loin  d'être  touché  des 
plaintes  contenues  dans  sa  lettre,  avait  tourné  contre  lui 
son  indignation. 

Les  lettres  3,  4  et  5  sont  relatives  à  une  question  sur  la 

Epist.  3,  al.  3.  forme  du  sacrement  du  baptême.  Dans  la  troisième.  Ponce, 

évéque  de  Clermont,  consulte  Maurice,  évêque  de  Paris,  et 

l'abbé  de  Saint -Euverte  sur  la  validité  d'un  baptême  conféré 

au  nom  du  Père,  du  Fils  et  du  Saint-Esprit ,  sans  articuler, 

,en  plongeant  l'enfant ,  les  paroles  je  te  baptise.  Maurice  ré- 

Epist.  4 ,  al.  4.  pond  dans  la  quatrième  que  le  baptême  est  nul.  Etienne, 

Epist.  5,  al.  5.  djHis  la  cinquième,   soutient  une  opinion   contraire,  sans 

(jnanquer  aux  égards  dus  au  sentiment  de  l'évêquc  de  Paris, 

lequel  est  devenu  celui  de  tous  les  théologiens,  depuis  que 

le  pape  Alexandre  III  a  décidé  cjue  les  paroles ye^e  baptise 

sont  nécessaires  pour  déclarer  l'intention   du  ministre,  et 

pour  distinguer  le  sacrement  du   baptême  de  toute  auti^ 

Fleuri,  Hist.  ablutiou.  Cc^  autcurs  nous  apprennent  que  le  baptême  donné 

eccl. ,  liv.  7I1,  sans  les  autres  cérémonies   qui  l'accompagnent,  s'appelait 

"  ^^'  dès  lors  ondoyer yUndejare,  undaisare ,  et  que   la  formule 

en  français  était,  en  nome  Patres,  et  Files,  et  Esperites  santés. 

Epist.  6,  al.  16.       Écrivant  à  Altjebert,  évêque  de  Mende,  pour  désavouer 

quelques  faux  rapports  qui  avaient  été  faits  au  prélat,  Etienne 

lui  dit  (  lettre  G  )  :  Quia  laboris  et  studii  mei  primitias  no- 

luistis,  décimas  vobis  reseivo.  S'agit- il  là  de  quelque  ouvrage 

de  notre  auteur  que  nous  ne  connaissons  pas.^ 


ETIENNE  DE  TOURNAI.  533 

Les  lettres  8  et  q  roulent, sur  l'incendie  de  l'église  de  Saint- 


Euverte,  et  sur  le  soin  qu'Etienne  se  donnait  pour  la  réparer,  Epist.  8,  al.  i8. 
en  envoyant  de  ses  religieux  avec  les  reliques  du  saint  re-  Ep's'-9)a'- '9- 
cueillir  des  aumônes  dans  les  autres  diocèses. 

Le  roi  Louis-le-Jeune ,  à  son  retour  de  la  croisade ,  ayant     .    Saussaeus , 
emmené  en  France  quelques  chanoines  réguliers  du  mont  re'iian.Tiib-  x; 
Syon,  leur  procura  un  établissement  à  Orléans  dans  l'église  n''4. 
de  Saint-Samson.  Dans  la  suite,  une  dame  du  pays  ayant 
troublé  ces  religieux  dans  la  jouissance  d'une  de  leurs  pos- 
sessions, fut  condamnée  à  restitution  par  sentence  du  cha- 
pitre de  la  cathédrale.  La  dames'étant  pourvue  par  appel  au 
métropolitain,  l'abbé  de  Saint-Euverte  écrivit  alors  a  Guil-  Epist,ii,ai.ai. 
laume  de  Champagne,  archevêque  de  Sens,  la  lettre  ii,         ■* 
dans  laquelle  il  expose  au  prélat  son  opinion  et  celle  des 
habitans  sur  cette  spoliation ,  et  le  prie  de  confirmer  la  sen- 
tence du  chapitre. 

La  lettre  i3  au  même  prélat  concerne  la  forme  de  la  pro-  Epist.i3,al.23. 
cédure  judiciaire  en  usage  dans  ce  temps-là.  Un  jeune  clerc, 
pendant  (ju'il  vaquait  aux  études,  avait  été  dépouillé  de  la 
succession  de  son  père  ;  il  invoquait  le  privilège  de  la  scho- 
larité  pour  être  réintégré  dans  ses  droits.  L'archevêque,  re- 
connaissant le  principe ,  l'avait  renvoyé  à  plaider  au  fond 
devant  le  juge  seigneurial.  Etienne  voyant  que  le  juge  laïque, 
méconnaissant  le  principe,  cherchait  à  djébouter  le  clerc, 
représente  au  prélat  que  c'en  est  fait  des  études,  que  per-  ,    , 

sonne  ne  voudra  fréquenter  les  écoles ,  si  l'absence  et  l'éloi- 
gnement  exposent  les  clercs  à  perdre  leur  patrimoine. 

Ayant  conservé  des  relations  avec   les  jurisconsultes  de 
Bologne,  chez  lesquels  ou  avec  lesquels  il  avait  étudié,  notre 
abbé  écrivit  les  lettres   \[\  et  i5  à  Albéric  et  Guillaume,  Epist.i/,,ai.2/,. 
pour  leur  recommander  un  clerc  d'Orléans  nommé  Hugues,  Epist. i5,al.a5. 
qui  allait  à  Bologne  étudier  le  droit. 

Vei's  l'an  1172,  le  cardinal  de  Naples ,  nommé  Jean  Piu-      Mart.  Ampl. 
zutus ,   auparavant   chanoine   régulier    de   Saint-Victor  de  coUcct. ,  t.  vi, 
Paris,, avait  fondé  à  Naples  un  établissement  pour  des  victo- 
rins.  Etienne  adresse  au  prieur  de  cette  maison  la  lettre  16,  Epist.i6,al.26. 
en  lui  envoyant  un  de  ses  religieux.  11  est  encore  question 
de  cet  établissement  dans  la  lettre  2g. 

Nous  avons  déjà  dit  qu'Etienne ,  après  avoir  embrassé  la 
vie  religieuse  à  Saint-Euverte,  était  allé  étudier  la  théo- 
logie à  Chartres.  Son  abbé  trouvant  son  absence  trop  longue, 
lui  avait  ordonné  par  trois  fois  de  rentrer  dans  son  monas- 


534  ETIENNE  DE  TOURNAÎ) 

L 1    tëre.  Etienne,  dans  la  lettre  i^,  lui  annonce  qu'il  est  prêt  à 

Epist.  17,31.27.  obéir;  mais  qu'il  ne  sait  comment  faire  poiu'  transporter  ses 
livres,  n'ayant  point  de  voiture.  Il  est  évident  que  si,  dans 
l'arrangement  des  lettres,  l'éditeur  etit  eu  égard  à  l'ordre 
chronologique,  celle-ci  eût  d  11  être  placée  la  première. 

Epist.i8,ai.28.       La  18^  est  relative  à  l'ordination  de  Barthélemi  de  Ven- 
dôme, élu  archevêque  de  Tours  l'an  ii74i  sans  la  partici- 
I)ation  des  évêques  de  la  province.  Sur  quoi  l'on  peut  voir  la 
ettre  d'Arnoul,  évêque  de  Lisieux,  à  celui  du  Mans,  qui 

1. 1 1,p.5i7.  pjjj.  jg  (Jroit  de  son  siège  aurait  dii  présider  l'assemblée.  Il 
paraît  que  le  roi  d'Angleterre,  comte  d'Anjou  et  de  Tou- 
raine ,  désapprouvait  ce  choix ,  et  que  les  évêques  de  la  pro- 
vince ,  pour  ne  pas  déplaire  à  leur  souverain ,  refusaient  de 
donner  la  consécration  à  l'archevêque  élu.  De  son  t-'ôté,  le 
roi  de  France,  qui  n'avait  jamais  abandonné  le  droit  de 
recommander  à  ce  siège ,  approuvait  ce  qui ,  à  son  instiga- 
tion peut-être,  avait  été  fait  par  les  chanoines.  Dans  cet  état 
des  choses,  l'abbé  de  Saint- Euverte  fut  envoyé  vers  les 
évêques  suffragans  de  cette  métropole  pour  soutenir  les 
droits  du  roi;  et  c'est  pour  instruire  l'archevêque  de  Sens, 
alors  légat  du  saint-siége,  du  résultat  de  sa  mission,  qu'il  lui 
écrivit  la  lettre  18,  sur  laquelle  l'éditeur  ne  donne  aucun 
éclaircissement,  et  qui  serait  inintelligible  sans  les  rensei- 
gnemens  que  nous  venons  d'indiquer. 

Epist.  19,81.29.       Les  lettres   i()  et  20   regardent  la  donation  que  Pierre, 

Epist.2o,al.3o.  évêque  du  Puy  en  Vêlai,  fit  à  l'abbaye  de  Saint-Euverte  du 

monastère  de  Doé,  dans  son  diocèse,  pour  y  introduire  la 

réforme  de  Saint-Victor.  L'acte  de  cette  donation  est  imprimé 

au  tome  IV  du  Recueil  des  historiens  de  France  par  Du- 

Gaii.  Christ,  chesne,  p.  760;  mais  il  est  sans  date.  Les  auteurs  du  Gallia 

.11,  col.  7o5.   cjiristiana  le  rapportent  au  i5  de  juillet  1 167,  contre  toute 

vraisemblance ,  puisque  notre  auteur  félicite  le  prélat  sur  la 

paix  qu'il  venait  de  conclure,  l'an    1171,  avec  le  vicomte 

de  Polignac,  par  jugement  de  la  cour  féodale  du  roi  Louis- 

le-Jeune,  imprimé  parmi  les  preuves  de  la  maison  d'Au- 

T.  II,  p.  66.    vergne  par  Baluze.  Ajoutons  qu'Etienne   n'était  pas  encore 

abbé  de  Saint-Euverte  au  commencement  de  l'année  i  ifl? 

Da'>o  la  lettre  22  à  Jothon  ou  Joscius ,  archevêque    de 

Epist. 22, al. 32.  Tours,  l'abbé  de  Saint-Euverte  intercède  auprès  du  métro- 
politain pour  un  prélat  nouvellement  élu  evêque,  non  de 
Conscrans,  comme  l'a  imaginé  le  P.  du  Molin(t,  mais  de 
"  Quimpcr.  Il  est  vrai  qu'on  lit  dans  les  manuscrits  Consp.  ; 


ETIENNE  DE  TOURNAI.  535 

mais  ce  qui  prouve  qu'il  faut  lire  Coiisopitensis ,  et  non  Con-  il 

seranensis ,  c'est  que  l'évêché  de  Quimper  est  suffragant  de 
Tours ,  et  non  celui  de  Conserans ,  situe  au  pied  des  Pyre'- 
nées.  Cette  lettre  est  certainement  d'xuie  date  plus  ancienne 
que  la  18*^,  puisque  dans  celle-ci  il  s'agit  de  Barthëlemi  de 
Vendôme ,  successeur  de  Joscius. 

Après  la  mort  de  Pierre  de  la  Châtre ,  archevêque  de 
Bourges ,  décède  l'an  1 1 7 1 ,  le  chantre  et  l'archidiacre  de  cette  Epist.aB.ai.Sa. 
église  furent  accusés  d'avoir  détourné  à  leur  profit  des  legs  P'"'^^'*  • 
que  ce  prélat  avait  faits  aux  églises.  L'abbé  de  Saint-Euverte 
prend  leur  défense  dans  la  lettre  iZ  à  Guillaume,  archevêque 
cie  Sens,  et  le  prie  d'écrire  au  pape,  en  sa  qualité  dq  légat, 
la  lettre  ^4  dont  Etienne  fut  le  rédacteur. 

Dans  la  lettre  26 ,  il  félicite  Jean  de  Belmeis ,  évèque  de 
Poitiers,  sur  l'heureux  voyage  qu'il  avait  fait  au  tombeau  de  Epist.25,al.33. 
saint  Tliomas  de  Cantorbéri ,  et  sur  le  bon  accueil  qu'il  avait 
reçu  du  roi  d'Angleterre,  quoique  ce  prélat  eût  été  un  zélé 
partisan  du  saint  archevêque.  L'auteur  nous  apprend  dans 
cette  lettre  qu'il  fut  aussi  l'ami  de  saint  Thomas,  qui  voulait 
bien  l'admettre  dans  sa  société;  mais  l'éditeur  a  négligé  de 
transcrire  la  fin  de  cette  lettre ,  qui  existe  toute  entière  dans 
la  première  édition  et  dans  les  manuscrits. 

La  lettre  26  au  prieur  de  la  Charité-sur-Loire  a  pour  objet 
de  faire  rentrer  dans  ce  monastère  son  premier  maître  de  Epist.a6,al.6i. 
grammaire ,  lequel ,  après  avoir  fait  profession  à  la  Charité , 
était  passé  clans  l'ordre  de  Cîteaux ,  mais  qui ,  n'ayant  pu  en 
soutenir  les  austérités,  desirait  reprendre  son  premier  genre  Epist.27  al  63 
de  vie.  Les  lettres  2^  et  28  ont  le  même  objet.  Epist.28^ai!64! 

Lettres  depuis  l'an  1 1  y6  jusqu'en  1 1 9 1 . 

La  Zo^  est  adressée  à  maître  Robert,  que  l'abbé  de  Epist.3o,ai.35. 
Sainte-Geneviève  appelle  son  ami  et  le  compagnon  de  ses 
études.  Etienne  Baluze  pense  que  l'auteur  écrit  cette  lettre 
à  Robert  de  Melun,sans  faire  attention  que  ce  pi'ofesseur 
était  déjà  évêque  d'Herfort  l'an  ii63,  et  qu'il  mourut  en 
1167.  Nous  croyons  avec  plus  de  fondement  que  c'est  le 
même  Robert,  Orléanais,  auquel  est  adressée  la  lettr4||65, 
alors  un  des  secrétaires  ou  écrivain  du  pape  Lucius  IIL  Dans 
l'une  et  dans  l'autre  de  ces  lettres  on  lui  recommande  des 
affaires  particulières  ;  mais  il  paraît  par  la  première  que  ce 
Robert  était  alors  attaché  à  Guillaume,  archevêque  de  Reims, 
qu'Etienne  appelle  simplement  son  seigneur. 


536  ETIENNE  DE  TOURNAI. 

XII  SIECLE 

L       L'objet  de  la  lettre  Sa  à  l'aumônier  du  roi,  est  un  pauvfe 

Epist.32,al.37.  juif  espagnol ,  qui  ayant  été  baptisé  par  l'évêque  de  Léon  et 
incorporé  à  son  église,  était  venu  faire  ses  études  à  Paris. 
Ne  serait-ce  pas  ce  Juif  nommé  Guillaume ,  qui  devint  en- 
suite diacre  de  l'église  de  Bourges ,  auteur  de  plusieurs  écrits 
Suppl.  Patr.  contre  les  Juifs,  imprimés  par  le  P.  Jean  Hommey?  Quoiqu'il 

p.  390  et  seq.  g^  Suit ,  l'abbé  Etienne  nous  apprend ,  dans  cette  lettre , 
que  le  roi  Louis-le-Jeune  av;iit  institué  une  aumône  extra- 
ordinaire pour  remercier  Dieu  de  lui  avoir  donné  un  fds 
dans  la  personne  de  Philippe- Auguste  ;  et  c'est  afin  de  faire 
participer  à  cette  aumône  le  pauvre  Juif  converti  qu'Etienne 
écrivit  cette  lettre. 

Epist. 34,81.39.  Il  écrivit  la  34"  à  Bêla  III,  roi  de  Hongrie,  pour  dé- 
truire le  bruit  répandu  dans  ses  états  qu'un  de  ses  sujets, 
mort  à  Paris  et  enterré  à  Sainte -Geneviève,  avait  laissé  en 
mourant  beaucoup  de  dettes.  L'auteur  certifie  au  monarque 
qu'après  toutes  les  perquisitions  faites ,  il  ne  s'en  était  trouvé 

Epi»t.35,al.4o.  aucune.  Il  atteste  la  même  chose,  dans  la  lettre  35,  au  père 
et  à  la  mère  du  jeune  homme  nommé  Bethléem,  et  il  les 
remercie  des  riches  présens  qu'ils  lui  avaient  envoyés  par 
deux  fois. 

Episi.36,ai.4i.  Dans  la  lettre  36,  l'auteur  recommande  au  cardinal-évèque 
de  Porto ,  qui  n'est  pas  nommé,  une  affaire  du  doyen  et  du 
sous-chantre  de  l'église  de  Chartres,  pendante  au  tribunal 
du  pape.  Cette  affaire  paraît  être  relative  à  des  plaintes  por- 
tées contre  eux ,  pendant  l'épiscopat  de  Pierre  de  Celles,  par 
des  membres  du  chapitre ,  à  la  tête  desquels  était  le  prévôt 
Renaud  ou  Rainai  de  Bar,  le  même  qui  succéda  à  Pierre  de 
.  Celles ,  au  sujet  de  certaines  exactions  dont  parlent  les  au- 

Gall.  Christ,  teurs  du  GalUa  Christiana,   exercées  par   les  officiers  du 

**  K^^^  '    '^°^   doyen.  Si  cela  est ,  l'évêque  de  Porto  à  qui  la  lettre  est  adressée 

**  "■  était  le  cardinal  Théodwin  ;  et  l'évêque  de  Palestrine  qui 

Epiât.  37, al. 4a.  n'est  pas  nommé  dans  la  lettre  suivante,  roulant  sur  le  même 
sujet,  serait  le  cardinal  Bernerède,  auparavant  abbé  de  Saint- 
Crcpin  de  Soissons.  C'est  dans  ces  deux  lettres  qu'Etienne 
nous  apprend  qu'il  avait  vécu  long- temps  à  Chartres  dans 
la  sftiété  de  ces  deux  chanoines  dont  il  fait  l'éloge. 

Epi$t.38,al.43.  La  lettre  38  au  cardinal  Gratien  a  pour  objet  un  de  ses 
religieux,  mauvais  sujet,  qui  chassé  cinq  fois  de  sa  maison, 
et  banni  du  royaume  par  l'autorité  du  roi ,  était  revenu  de 
Rome  avec  des  lettres  de  recommandation  du  pape  pour  être 
réintégré  dans  sa  maison.  Cet  homme  s'étant  livré  à  de  nou- 


ETIENNE  DE  TOURNAI.  SSy 

vea^ix  excès,  l'abbé  de  Sainte- Geneviève  supplie  le  cardinal    ^"  siècle. 
d'appuyer  de  son  crédit  la  demande  qu'il  adressait  au  pape     - 
de  le  délivrer  d'un  pareil  sujet. 

L'an  1 179,  le  roi  Louis-le- Jeune  chargea  notre  abbé  d'écrire  Ep;st.4o,ai.49. 
au  pape  qu'il  avait  empêché  Barthélemi,  archevêque  de 
Tours,  tombé  malade  à  Paris,  de  se  rendre  au  concile  de 
Latran  ,  et  de  lui  exposer  que  le  roi  verrait  avec  chagrin ,  et 
regarderait  comme  une  atteinte  portée  à  sa  couronne,  qu'on 
recommençât  le  long  procès  touchant  le  droit  de  métropole 
de  l'église  de  Dol,  procès  qui  peu  de  temps  auparavant  avait 
été  assoupi.  Etienne  accompagna  cette  lettre  d'une  autre  à  Epi$t. 39,01.43. 
Guillaume,  archevêque  de  Reizns,  parti  pour  se  rendre  au 
concile,  dans  laquelle  il  lui  recommande  cette  affaire,  ainsi 
que  les  autres  dont  le  roi  l'avait  chargé. 

L'archevêque  de  Tours  avait  prié  notre  auteur  de  lui  com-  Epi»t.4i,al.47- 
poser   des  sermons;  il  s'excuse  sur  le  mauvais  état  de  sa 
santé,  qui  était  tel,  que  les  médecins   lui  avaient  interdit  '^ 

toute  application. 

Dans  la  lettre  4^  au  souverain  pontife  qui  n'est  pas  Epist.4a,al.48. 
nommé ,  Etienne  expose  les  raisons  pour  lesquelles  Garin , 
abbé  de  Saint-Victor,  ayant  été  mandé  à  Rome,  n'avait  pas 
comparu  :  protestant  que  malgré  le  mauvais  état  de  sa  santé, 
l'abbé  de  Saint-Victor  était  prêt  à  partir,  si  sa  sainteté  l'exi- 
geait. De  quoi  s'agissait -il  dans  cette  affaire.''  c'est  ce  que 
nous  ne  trouvons  nulle  jiart. 

L'évêque  de  Tusculum  ou  Frascati,  auquel  est  adressée  Epist.43,al.5o. 
la  lettre  43 1  et  que  l'auteur  appelle  maître  Pierre,   n'est 
autre  que  le  cardinal  de  Saint- Chrysogone,  Pierre  de  Pavie, 
nommé  à  cet  évêché  l'an   11 78. par  le  pape  Alexandre  III. 
Ce  cardinal  avait  été  chanoine  régulier ,  et  en  cette  qualité 
lié  d'une  étroite  amitié  avec  notre  auteur  qui,  en  le  félicitant, 
dans  la  lettre  46,  sur  son  élévation  au  cardinalat  de  Saint-  Epi8t.46,al.6i. 
Chrysogone ,  s'exprime  ainsi  :  Amplector  scholarem,  prose- 
quor  archidiaconum  ^  deosculor  abbatem ,  assurgo  episcopo, 
revereor  cardinalem.  Nous  avons  expliqué,  en  rendant  compte  j^lV  p.  a3i. 
des  écrits  de  maître  Pierre,  par  quels  degrés  il  parvint  à  ce  ' 

haut  j)oint  d'élévation.  Il  suffira  d'observer  ici  que  cette 
lettre  étant  certainement  de  l'an  1 172  ou  1 178,  et  par  con- 
séquent antérieure  à  la  précédente,  aurait  dû  être  placée  dans 
la  première  partie ,  contenant  les  lettres  écrites  par  Etienne 
étant  abbé  de  Saint-Euverte. 

C'était  l'usage  que  les  papes  et  les  cardinaux  assignassent 

Tome  XF.  Y  y  Y 


538  ETIENNE  DE  TOURNAI. 

XH  SIECLE.     ,     ,  1  ,  ,.         , 

a  de  pauvres  clercs  des  prébendes  dans  les  églises  de  France, 

et  à  d'autres  des  pensions  alimentaires  dans  les  monastères, 
Ep.»i.48,al.G7.  p^yj.  [^^  .jj,j^,j.  ^  suivre  le  cours  de  leurs  études.  La  lettre  48 

au  pape  Alexandre  III  prouve  cet  usage,  et  peut  servir  à 
fixer  la  valeur  du  sou  parisis,  et  quel  était  alors  le  prix  des 
denrées.  Le  pape  ayant  demandé, que  la  pension  alimentaire 
fût  payée  en  argent  par  l'abbé  de  Sainte-Geneviève,  l'avait 

EpUt  5o',al.68!  ^^^*^^  ^  ^^^^  *^"*  P'"^^  '"^'^  ^'^^  lettres  49  et  5o  au  cardinal 
Albert,  chancelier  de  l'église  romaine,  n'ont  pas  d'autre  objet 
que  ces  sortes  de  pensions. 

L'abbé  de  Corbie  (c'était  apparemment  Hugues  de  Péronne) 
eut  une  grande  contestation  avec  ses  religieux  touchant  l'ad- 
ministration des  biens  de  l'abbaye.  Le  roi  ayant  chargé  le 
comte  de  Flandre  et  huit  abbés  de  terminer  ce  diffërend, 
il  fut  fait  un  accommodement  entre  les  parties  ;  mais  bientôt 
après,  les  religieux  se  croyant  lésés,  portèrent  cette  affaire 
au  tribunal  du  pape,  qui  n'est  pas  nommé.  L'abbé  de  Sainte- 

Epist.54,al.79.  Geneviève  écrivit  alors  à  Rome  en  faveur  de  celui  de  Corbie 

la  lettre  54;  et  s'il  faut  s'en  rapporter  aux  auteurs  du  Gallia 

Gall.  Christ.  Chiistiatia ,  qui  ne  citent  aucune  autorité,  le  pape  Alexandre 

t.x,  col.  1276.  donna  gain  de  cause  aux  religieux. 

Etienne  ayant  avec  les  moines  de  Long-Pont ,  diocèse  de 
Soissons  ,  un  procès  qui  devait  être  jugé  à  l'officialité  de 

rpisi.56,al.7/,.  Reims,  rend  compte  a  l'archevêque  Guillaume  (lettre  56) 
de  ce  qui  s'était  passé  à  l'audience;  et  comme  à  sa  demande 
l'affaire  avait  été  ajournée,  et  qu'il  comptait  beaucoup  sur 
la  protection  du  prélat,  il  le  prie  de  faire  en  sorte  d'être  pré- 
sent au  jugement.  «  Je  crois  bien ,  dit-il ,  que  les  cisterciens 
sont  du  nombre  de  ceux  qui  ravissent  le  ciel  par  violence; 
mais  je  n'ai  lu  nulle  part  qu'il  leur  soit  permis  de  ravir  le 
bien  cl'autrui ,  même  sous  prétexte  de  faire  des  aumônes.  » 

j;:pisi.58,al.77.  L'archevêque  de  Sens  voulant  exercer  un  droit  de  procu- 
ration ou  de  gîte  sur  l'abbaye  de  Saint-Euverte ,  ainsi  que 
sur  trois  autres  abbayes  de  la  ville  d'Orléans,  et  cette  affaire 
ayant  été  portée  au  tribunal  du  pape,  Etienne,  tant  en  .son 
nom  qu'en  celui  de  Hugues,  abbé  de  Saint-Barthélemi  de 
Noyon,  l'un  et  l'autre  chanoines  profès  de  Saint-Euverte, 

Epist.Sg.ai.TS.  atteste  au  pape,  dans  les  lettres  58  et  59,  que  jamais  de  leur 
temps  les  archevêmies  de  Sens  n'avaient  joui  de  ce  droit,  et 
qu'il  appartiendrait  à  plus  juste  titre  à  l'évêque  d'Orléans, 
qui  cependant  n'y  formait  aucune  prétention. 

Episi.6o,al.79.       A  l'occasion  du  procès  qu'un  célèbre  professeur  nommé 


XII  SIECLIE, 


ETIENNE  DE  TOURNAI.  539 

maître  Simon  soutenait  au  tribunal  de  rarchevêque  de  Reims 
contre  un  e'vêque  qui  n'est  pas  nomme',  notre  auteur  fait  de 
l'archevêque  Guillaume,  eu  lui  recommandant  cette  affaire, 
un  bel  éloge  de  la  protection  que  ce  prélat  accordait  aus. 
gens  de  lettres,  les  attirant  de  tous  les  pays  du  monde  au- 
près de  lui ,  et  les  comblant  d'honneurs  et  de  richesses.  La 
lettre  ne  dit  pas  qui  était  ce  Simon,  ni  contre  quel  évêque 
il  plaidait.  Nous  sommes  portés  à  croire  que  c'était  Simon 
surnommé  de  Tournai,  célèbre  par  ses  écrits,  lequel  ayant 
obtenu  une  prébende  dans  le  chapitre  de  cette  église,  éprou- 
vait dos  difhcultés  de  la  part  de  l'évêque.  Tel  est  le  sentiment 
de  Duboulay;  mais  non  celui  de  D.  Rivet,  qui  ayant  mal       i  >st-   ""'^ 
saisi  le  sens  de  cette  lettre,  suppose  que  l'abbé  de  Sainte-  ,^"''  '     '^" 
Geneviève  sollicitait  pour  maître  Simon  la  charge  d'écolâtre      Hist.  Litiér 
de  l'église  de  Reims,  sans    faire    connaître    autrement   ce  t.ix.p.  34- 
personnage. 

Dans  la  lettre  6i ,  Etienne  dénonce  au  pape  les  désordres  Epist.6i,al.8o. 
qui  régnaient  à  Soissons  dans  l'abbaye  de  Saint-Jean-des- 
Vignes,  et  prend  la  défense  de  l'abbé  Hugues,  qui ,.  pour 
maintenir  la  discipline  régulière,  se  croyait  en  droit  de  des- 
tituer les  chanoines  pourvus  de  prieurés-cures.  L'évêque  de 
Soissons ,  à  qui  appartenait  le  droit  de  les  instituer ,  se  dé- 
clara pour  les  obédienciers,  et  soutint  contre  l'abbé  un  procès 
dont  il  est  parlé  dans  plusieurs  lettres  de  notre  auteur.  Celle-  Epist.gSetiaS. 
ci  fut  écrite  après  le  concile  de  Latran  de  l'année  1 179;  mais 
on  ne  peut  dire  si  ce  fut  au  pape  Alexandre  III  ou  à  Lucius, 
son  successeur,  parce  qu'elle  n'a  pour  toute  adresse  que  ces 
mots  :  Summo  pontifici. 

Le  cardinal  Vivien  avait  envoyé  un  exprès  à  notre  abbé,  Eplsi.62,al.8i. 
touchant  quelque  affaire  dont  on  n'explique  pas  le  sujet.  La 
réponse  provisoire  d'Etienne  est  contenue  dans  l'épître  62, 
qui  paraît  avoir  été  écrite  pendant  que  ce  cardinal  exerçait 
la  légation  en  Ecosse  et  en  Irlande,  c'est-à-dire  l'année  1177 
ou  la  suivante ,  selon  Roger  de  Hoveden. 

Etienne  avait  un  parent  qui  par  dévotion  faisait  le  voyage  Epist.63,al.8a. 
de  la  Terre -Sain  te,  peut-être  à  la  suite  du  comte  de  Cham- 
pagne, Henri-le-Libéral,  qui  partit  l'an  1 179.  Etant  connu 
d'Héraclius ,  évêque  de  Césarée ,  avec  lequel  il  avait  étudié  à 
Bologne  ,  il  lui  écrivit  la  lettre  63  pour  lui  recommander  son 
parent. 

La  lettre  64  à  l'évêque  de  Saint-George  ou  de  Lydda  n'a  Epi5f.64,al.83. 
pas  d'autre  objet.  Notre  auteur  avait  connu  ce  prélat  nommé 

Yyya 


XII  SIECLE 


54o  ETIENNE  DE  TOURNAI. 


Bernard,  lorsqu'il  vint  en  Franee  l'an  ii74i  envoyé  de  la 
part  du  roi  et  du  patriarclie  de  Jérusalem ,  afin  d'obtenir  des 
secours  pour  les  chrétiens  de  la  Terre- Sainte.  Nous  avons 
les  lettres  dont  il  fut  porteur, dans  le  tome  II  de  l'Amplissime 
collection  de  D.  Martène,  col.  994 1  996  et  997. 

Epist65,al.8/,.  Jean  de  Salisburi,  évêque  de  Chartres,  avait  excommunié, 
comme  délégué  du  pape,  les  membres  de  la  commune  de 
Meaux  établie,  l'an  1179,  par  Henri-le- Libéral,  comte  de 
Champagne  et  de  Brie  ;  mais  l'évêque  de  Meaux  négligeait 
de  metti'e  à  exécution  la  sentence.  C'est  pourquoi  l'abbé  de 
Sainte-Geneviève  écrivit  k  un  Orléanais  de  ses  amis ,  nommé 
Jean  ,  alors  un  des  secrétaires  du  pape,  la  lettre  65 ,  le  priant 
de  faire  en  sorte  que  le  pape  confirmât  la  sentence.  L'auteur 
parlant  de  Jean  de  Salisburi  comme  n'existant  plus,  ùonce 
Tncnioviœ ,  il  s'ensuit  que  la  lettre. est  au  plutôt  de  l'an  1182. 

Episi.66,al.85.  l-^a  suivante  au  pape  Alexandre  III  nous  instruit  de  ce  qui 
se  passait  à  Blois  relativement  au  clergé  de  la  ville.  Les  cha- 
noines de  Saint-Sauveur  ayant  refusé  d'embrasser  la  vie 
commune,  furent  contraints  d'abandonner  leur  église  par 
ordre  du  comte  Thibaud-le-Dévot ,  au  grand  contentement 
des  chanoines  réguliers  de  Bourg-moyen ,  qui  par  là  deve- 
Petii  Bies.  naient  le  clergé  dominant  dans  la  ville.  Le  premier  soin  de 

epist.  ii/i;ibid.  j^an  de  Salisburi ,  en  montant  sur  le  siège  de  Chartres,  fut 

epist.  78.  jg  faire  rentrer  dans  l'église  de  Saint-Sauveur,  devenue  dans 

ces  derniers  temps  l'église  cathédrale ,  ce  qui  restait  de  cha- 
noines dispersés ,  et  Pierre  de  Blois  s'empressa  de  le  féliciter 
sur  cette  opération.  L'abbé  de  Sainte-Geneviève,  au  contraire, 
partisan  des  chanoines  réformés  ,  employait  le  crédit  qu'il 
avait  à  Rome  pour  faire  échouer  cette  entreprise,  ou  du  moins 
pour  empêcher  les  nouveaux  chanoines  de  rentrer  dans  leurs 

^  Epi»t.  67,  al.  jjj,(,içj^5  droits  :  ce  qui  paraît  être  l'objet  de  la  lettre  67. 

j-pist.68,al.86.  La  lettre  68  à  Jean  de  Belmeis,  évêque  de  Poitiers,  est 
relative  aux  vexations  qu'éprouvait  ce  prélat  de  la  part  de 
Richard,  duc  d'Aquitaine,  fils  de  Henri  II,  roi  d'Angleterre. 
Ce  prince  que  l'auteur  appelle  un  jeune  tyran,  s'était  emparé 
du  château  de  l'Angle,  appartenant  à  l'église  de  Poitiers, 
comme  cela  est  expliqué  d'après  un  acte  rappoité  dans  le 

T.V.col.  j3o4.  glossaire  de  Ducange  au  mot  Reliquiœ.  L'objet  de  la  lettre 
d'Etienne  est  d'encourager  le  prélat ,  qui  avait  jeté  l'interdit 
sur  les  terres  du  duc ,  à  tenir  ferme  sans  rien  abandonner  de 
ses  droits. 

Epist. 70, al. 88.       La  suscription  de  la  lettre  70  à  Guillaume,  archevêque 


ETIENNE  DE  TOURNAI.  54t 

,     ^                    ^       ..-,.'    ^    •           1        ^           j      c                '•,     XII  SIECLE. 
de  Sens,  est  fautive.  C  est  a  Giu,  archevêque  de  Sens  quil  ^ 

faut  lire,  d'après  un  manuscrit  qui  de  la  bibliothèque  du 

chancelier  Seguier  e'tait  passé  dans  celle  de  Saint-Germain-des^ 

Prés ,  et  par  la  raison   qu'il  y  est  parlé  du  légat  Pierre  ^ 

évêque  de  Tusculum,  lequel  ne  fut  nommé  à  cet  évêché  '    • 

au'en  1 178.  La  lettre  a  pour  objet  de  prémunir  l'archevêque 
e  Sens  contre  un  prêtre  libertin ,  qui  vivant  d'une  maniera 
scandaleuse  avec  des  religieuses  de  Villercel ,  monastère  dé-^ 

Êendant  de  l'abbaye  de  Saint-Cyr,  s'était  pourvu  à  son  tri- 
unal  contre  la  sentence  d'interdit  prononcée  par  le  cardinal- 
légat  dans  une  lettre  au  doyen  de  l'église  de  Rouen,  qui  est  Ei)ist.69,al.87< 
la  69"^  du  recueil. 

Le  même  cardinal-légat  avait  chargé  notre  abbé  de  ré-» 
pondre  à  la  question  de  trois  religieux  de  Grandmont,  qui 
poussés  du  désir  d'atteindre  à  une  plus  haute  perfection  , 
étant  entrés  au  noviciat  de  l'ordre  de  Citeaux  dans  l'abbaye 
de  Pontigni ,  se  croyaient  obligés  de  retourner  à  Grandmont 

i)our  accomplir  leur  premier  vœu.  Etienne  les  rassure  dans 
a  lettre  71 ,  et  leur  prouve  par  de  très-bonnes  raisons,  que  Epist. 71,31.1, 
bien  loin  de  manquer  à  leur  vœu,  ils  prenaient  le  plus  sûr 
moyen  de  l'accomplir  exactement  (i),  et  il  envoya  cette  dé- 
cision au  cardinal-légat,  avant  que  celui-ci  pai'tît  de  France 
pour  l'Italie,  c'est-à-dire   l'an  1180  ou   1181,  comme  on  le 
voit  par  la  lettre  72.  La  môme  question  fut  proposée  à  Pierre  Epist.72,aL85- 
de  Celles,  abbé  de  Saint-Remi  de  Reims,  et  décidée  d'après 
les  mêmes  principes  dans  une  lettre  qui  contient  les  noms 
de  ces  trois  religieux,  dont  le  plus  marquant  était,  à  ce  qu'on      Spicil.  111-4°, 
croit,  Guillaume  de  Donjeon ,  des  comtes  de  Nivernais,  qui  '■^^'P'i^'- 
fut  fait  archevêque  de  Bourges  l'an  1200,  dont  le  nom  fut 
placé  bientôt  après  dans  le  catalogue  des  saints ,  et  que  l'uni- 
versité de  Paris  a  choisi  pour  un  de  ses  patrons. 

L'an  1 181 ,  et  non  1 178,  comme  l'a  cru  le  P.  du  Molinet,  Epist. 73,31.90, 
Etienne  fut  envoyé  par  le  roi  Philippe- Auguste  à  Toulouse 
auprès  du  cardinal-évêque  d'Albano,  légat  du  saint-siége, 
qui  faisait  la  guerre  aux  Albigeois  dans  le  Languedoc.  Par 
suite  de  sa  première  erreur,  l'éditeur  nomme  ce  cardinal 

(i)  On  lit  dans  cette  lettre,  p.  104  :  Transfigurât  se  nonnunquam  Sa- 
thanas  in  angduui  lucis ,  et  vesicain  pro  laterna  siinplicioribus  tjendit. 
Vendre  des  vessies  pour  des  lanternes;  locution  singulière  qui  a  passé 
jusqu'à  nous,  et  que  notre  auteur  avait  sans  doute  empruntée  de  quelquÊ 
romancier. 


54a  ETIENNE  DE  TOURNAI. 

XII  SIECLE,     r-       .•  ■  c  ^    •  ■     y  >  i. 

(jautier,  qui  ne  rut  jamais  légat  en  rrance;  son  vrai  nom 

était  Henri,  abbé  de  Clairvaux,  avant  qu'il  fût  fait  évéqiie 

T.xiv.p.  453.  d'Albano  l'an  iiyr),  comme  nous  l'avons  dit  ailleurs.  Etienne 
écrivant  au  prieur  de  Sainte-Geneviève ,  nommé  Raimond , 
la  lettre  78,  y  fait  la  celation  de  son  voyage,  des  dangers 

3u'il  avait  courus,  et  de  ceux  qu'il  craignait  encore  de  la  part 
es  Cotereaux,  des  Basques,  des  Aragonnais,  stipendiés  par 
les  hérétiques  du  pays. 
Mait.Anecd.    .  Vcrs  le  même  temps ,  Etienne  ayant  été  nommé  commis- 

t  111,001.907.  ^ij^jj,^  délégué  du  pape  Alexandre  III,  conjointement  avec 
Henri,  évèque  de  13ayeux,  et  le  doyen  de  cette  église,  pour 
instruire  la  procédure  et  entendre  les  témoins  dans  la  grande 
contestation  des  églises  de  Tours  et  de  Dol  touchant  la  di- 
gnité métropolitaine  de  celle-ci;  Etienne,  disons -nous,  écri- 

Epist.74,al.9i.  yit  à  l'évéque  de  Bayeux  la  lettre  ^^i  de  laquelle  il  résulte 

que  les  commissaires   devaient  s'assembler  pour  délibérer 

s'ils  procéderaient  ou  non  à  l'instruction  de  cette  affaire, 

apparemment  parce  que,  dans  cet  intei-valle  de  temps,  le 

Mari.  ibid.  pa[)e  Alexandre  était  mort.  On  voit  en  effet  que  son  succes- 

coi.  yio.  seur  Lucius  III  nomma  d'autres  commissaires. 

L'évéque  de  Poitiers,  Jean  de  Belmeis,  ayant  été  nommé, 
l'an  1 181 ,  archevêque  de  Narbonne,  et  presque  aussitôt  ar- 
chevêque de  Lyon,  l'abbé  de  Sainte- Geneviève  ,  pour  le 

Epis*. 75,31.92.  congratuler,  lui  écrivit  la  lettre  ^5,  dans  laquelle  l'auteur 
parle  de  son  voyage  en  Languedoc,  fait  par  ordre  du  roi ,  et 
de  l'affreuse  dévastation  de  cette  province  par  suite  de  la 
guerre  contre  les  Albigeois.  «  Je  vous  estime  heureux,  dit-il, 
de  n'avoir  plus  rien  à  démêler  avec  la  barbarie  des  Goths, 
la  légèreté  des  Gascons,  et  les  mœurs  cruelles  et  sauvages 
de  la  Septimanie,  oii  il  règne  une  mauvaise  foi  incroyable, 
où  Ion  meurt  de  faim,  oii  le  dol  et  l'affliction  surpassent 
tout  ce  qu'on  peut  imaginer.  J'ai  vu  en  passant  ce  malheu- 
reux pays ,  lorsque  le  roi  m'y  a  envoyé  il  n'y  a  pas  long- 
temps, et  par-tout  j'ai  aperçu  l'image  effroyable  de  la  mort, 
des  églises  presque  renversées  ou  réduites  en  cendres,  d'autres 
ruinées  jusques  dans  leurs  fondemens,  et  les  habitations  des 
hommes  devenues  le  repaire  des  bêtes.  Je  n'ai  pu  penser  sans 
frémir  que  c'est  là  qu'on  voulait  vous  établir.  »  L'auteur 
parle  ensuite  d'un  des  neveux  du  prélat,  déjà  archidiacre 
(de  Poitiers  vraisemblablement)  dont  il  prenait  soin  à  Paris. 

Epist.79,ai.y6.       Dans   la   lettre  79  à  Absalon  ,  archevêque  de  Lunden  en 
Danemarck  ,  l'auteur  lui  annonce  qu'un  neveu  du  prélat, 


ETIENNE  DE  TOURNAI.  543 

,  ,,.  •      1     r  •  r       •  1     1        •  -,       XII  SIECLE. 

nommé  Pierre,  venait  de  luire  profession  de  la  vie  canoniale 

à  Sainte- Geneviève.  —  Dans  la  suivante  au  même  prélat,  Epist.8o,al.97. 
considérant  la  mauvaise  santé  de  ce  jeune  homme,  il  le  ren- 
voie en  Danemarck ,  après  lui  avoir  recommandé  de  se  com- 
porter selon  le  nouveau  genre  de  vie  qu'il  avait  embrassé, 
et  sur- tout  de  fréquenter  la  communauté  de  génovéfains 
établie  au  Paraclet  dans  le  diocèse  de  Rochilden.  Nous  ver- 
rons plus  bas  ce  même  Pierre  ëvèque  de  cette  ville  et  chan- 
celier du  royaume. 

Le  chancelier  de  France  Hugues  de  Puiseaux  {de  Puteaco)  uj^^y  "^^"'"J"'" 
était  bâtard,  fils  de  Hugues,  évêque  de  Durham  en  Angle-    '  '    '"^"i' "' 
terre.  Ce  vice  de  naissance  lui  fermait  les  portes  de  beaucoup 
d'églises  de  France.  L'abbé  de  Sainte- Geneviève  fut  chargé 
d'écrire  au  pape  pour  lever  cet  obstacle.  C'est  l'objet  de  la 
lettre  82  à  Lucius  III,  dans  laquelle  il  fait  l'éloge  du  chan-  Epist.8a,al.99. 
celier  et  des  services  qu'il  rendait  à  l'église  dans  un  poste 
où  il  pouvait  lui  faire  beaucoup  de  mal. 

Le  roi  d'Angleterre  Henri  II  avait  admis  dans  sa  chapelle 
un  neveu  du  pape  Alexandre  111.  Ce  jeune  clerc  nommé 
Gentil  étant  mort  à  Paris  et  enterré  à  Sainte -Geneviève, 
avait  disposé  de  tout  ce  cpi'il  avait,  et  des  bienfaits  qu'il 
avait  reçus  du  roi  d'Angleterre.  L'abbé  de  Sainfe-Geneviève 
écrivit  donc  au  monarque  anglais  la  lettre  84,  le  priant  de  Epi5t.84,al. 
consentir,  ne  fût-ce  que  pour  honorer  la  mémoire  de  l'oncle,  '°^' 
à  l'exécution  des  dernières  volontés  du  défunt. 

Etienne,  dans  la  85*',  écrite  à  detix  Orléanais  appelés  Guil-  Episi.  85,  al. 
laume  et  Robert,  cjui  étaient  devenus  écrivains  ou  notaires  '''^' 
en  cour  de  Rome ,  dit  qu'en  général  les  Orléanais  faisaient 
plutôt  fortune  chez  l'étranger  que  chez  eux  :  Soient pleriqiie 
Aurelianenses  aurei  in  ter  aliénas  esse,  qui  nec  argentei  fue- 
rant  inter  suos.  En  leur  recommandant  ses  propres  affaires, 
il  les  exhorte  à  la  modestie  et  à  une  exacte  probité,  comme 
à  de  vrais  moyens  de  se  maintenir  dans  leurs  charges.  Il  y 
avait  encore  à  Rome  un  autre  Orléanais  nommé  Jean,  attaché 
au  paj^e  comme  écrivain,  auquel  notre  abbé  écrivit  la  lettre  65. 

Le  curé  ou  chapelain  de  Saint-Benoît  à  Paris  étant  en      Ep!&t.  8^,al. 
procès  avec  les  chanoines  de  la  même  église  touchant  le  lieu  '"'''• 
oii  il  exerçait  les  fonctions  curiales,  notre  abljé  prend  la 
défense  du  curé  dans  la  lettre  86  au  pape  Lucius.  et  nous 
apprend  que  cette  église  était  alors  orientée  tout  autrement 
quelle  n'est  aujourd'hui,  c'est-à-dire   que  l'autel  était  au 


544  ETIENNE  DE  TOURNAI. 

1  couchant  et  non  au  levant  du  soleil ,  parce  que  l'entrée  prin- 
cipale était  sur  la  rue  Saint-Jacques. 

Suprà,  p.  539.       Nous  avons  dit  plus  haut,  en. rendant  compte  de  la  lettre 

6r,  qu'il  existait  un  conflit  de  juridiction  entre  Nivelon , 

évêque  de  Soissons,  et  l'abbé  de  Saint- Jean  des  Vignes, 

nommé  Hugues,  relativement  aux  chanoines  réguliers  pour- 

EpU^.95,al.  vus  de  bénéfîces-cures.  Le  pape  Lucius  avait  confié  la  déci- 

"^'  sion  de  cette  affaire  à  Maurice,  évêque  de  Paris,  et  au  doyen 

de  Saint-Gcrraain-l'Auxerrois,  lesquels  avaient  donné  gain 
de  cause  à  l'abbé;  mais  ni  l'évêque  ni  les  religieux  ne  défé- 
raient à  la  sentence.  C'est  de  quoi  l'abbé  de  Sainte-Geneviève 
se  plaint  au  pape  dans  la  lettre  96. 
Epist.  100  ,       Etienne  ayant  été  chargé  par  le  pape  de  contraindre  par 

"'•  ■*°-  les  censures  ecclésiastiques  l'évêque  d'Orléans  Manassès,  à 

solder  une  dette  que  ce  prélat  avait  contractée ,  ou  dont  le 
pape,  selon  l'usage,  lui  avait  impQgié  le  fardeau,  envers  un 
acolyte  de  l'église  romaine ,  nommé  Benoît  ;  notre  abbé 
conseille  au  prélat  de  s'exécuter  de  bonne  grâce,  parce  qu'au- 
trement il  serait  obligé ,  à  son  grand  regret ,  d'employer 
contre  lui  les  voies  de  rigueur,  pour  ne  pas  désobéir  au  pape. 
Epist.  loi ,       Le  pape  Lucius  III  ayant  mandé  à  Rome  l'archevêque  de 

»l.  m.  Reims,  Philippe-Auguste  lui  expose,  dans  la  lettre  loi  parmi 

celles  de  notre  auteur,  qu'il  ne  peut  au  commencement  d'un 
règne  orageux  se  passer  des  conseils  du  prélat  son  oncle, 
soit  pour  faire  la  paix,  soit  pour  continuer  la  guerre  avec  le 
comte  de  Flandre.  Cependant  comme  le  roi  avait  à  cœur 
l'affaire  pour  laquelle  1  archevêque  était  mandé,  il  envoie  au 
pape  l'abbé  de  Sainte -Geneviève,  investi  de  ses  pouvoirs, 
pour  traiter  en  son  nom. 

On  ne  sait  à  qui  sont  adressées  les  lettres  102  et  io3,  que 
le  P.  du  Molinet  a  publiées  pour  la  première  fois  d'après  le 
manuscrit  de  Saint- Martin  de  Tournai.  Il  s'agit  dans  l'une 
et  dans  l'autre  de  rixes  qui  s'étaient  élevées  entre  des  neveux 
de  papes  et  de  cardinaux  étudiant  à  Paris,  sur  le  compte  des^ 
quels  l'abbé  de  Sainte-Geneviève  avait  été  chargé  de  prendre 
Ppist.  101.  des  informations.  Dans  le  manuscrit  2923  de  la  bibliothèque 
Royale,  la  lettre  102  est  adressée  au  cardinal  Octavien.  Ce 

^  qui  avait  donné  lieu  à  la  rixe,  c'est  que  des  écoliers  de  la 

Pouille,  à  la  tête  desquels  était  un  neveu  du  pape  Grégoire 
VIII,  alors  défunt,  étaient  accusés  d'avoir  écrit  en  cour  de 
Rome  des  lettres  infamantes  contre  quelques-uns  de  leurs 


XII  SIECLE. 


ETIENNE  DE  TOURNAI.  545 

camarades  romains,  dont  un  neveu  du  pape  régnant,  c'est- 
à-dire  de  Cle'ment  III,  et  l'autre  du  cardinal  Hyacinthe, 
successeur  de  Clément.  On  voit  par-là  que  cette  lettre  ne 
peut  avoir  été  écrite,  au  plutôt,  que  l'an  1 188. 

La  suivante  écrite  au  cardinal  Albert ,  chancelier  de  l'église  Epist-  ïo3. 
romaine,  qui  fut  pape  sous  le  nom  de  Grégoire  VIII,  doit 
être  d'une  date  plus  ancienne  que  la  précédente.  Il  s'agit 
dans  celle-ci  de  deux  neveux  d'Albert,  désignés  dans  l'im- 
primé par  les  lettres  B.  et  E. ,  et  dans  le  manuscrit  par  B  et 
Th.  Ces  jeunes  gens  étant  brouillés  ensemble,  l'abbé  de 
Sainte-Geneviève  les  fit  venir  chez  lui,  et  n'eut  pas  beaucoup 
de  peine  à  les  remettre  d'accord.  C'est  ce  qu'il  marque  au  ' 

cardinal  dans  la  lettre  io3;  mais  il  ne  se  charge  pas  de  veiller 
sur  leur  conduite,  comme  le  cardinal  l'aurait  désire. 

Les  lettres  107,  108,  109,  iio,  sont  relatives  à  la  contes- 
tation qui  existait  depuis  long -temps  entre  les  églises  de 
Tours  et  de  Dol  touchant  la  juridiction  métropolitaine  sur 
les  évêchés  de  la  Bretagne-Armorique.  Le  roi  Philippe-Au- 
guste instruit  que  le  pape  Lucius  III  voulait  reprendre  la 
procédure  commencée  par  son  prédécesseur,  fit  écrire  en 
son  nom  la  lettre  107,  aans  laquelle  l'abbé  de  Sainte-Gene-  Epist.  107, 
viève,  après  avoir  rappelé  au  pape  les  services  signalés  rendus  '*■*■ 
par  la  France  aux  souverains  pontifes ,  et  en  dernier  lieu  au 
pape  Alexandre  et  à  lui-même,  le  roi  expose  qviels  dommages  C 

résulteraient  pour  l'intégrité  du  royaume ,  si  l'archevêque 
de  Tours  perdait  sa  cause.  Il  demande  en  conséquence  qu'il 
soit  sursis  à  la  décision  de  ce  procès. 

Le  pape,  sans  égard  à  la  demande  du  roi,  ayant  nommé      Mart.Anecd. 
des  commissaires  pour  procéder  à  l'instruction  du  procès,  tin,col.  91 
le  roi  justement  indigné  qu'on  lui  eût  refusé  une  si  mince 
faveur,  fit  écrire  au  pape  la  lettre  108,  pleine  de  i-eproches 
et  de  menaces.  «  Considérant,  dit-il,  dans  le  refus  que  vous       ï:i)ist.  io8, 
avez  fait  d'accorder,  à  notre  demande,  un  sursis  à  l'église  de  ^'-  '*^- 
Tours  relativement  à  sa  dignité  métropolitaine  sur  la  Bre- 
tagne, que  vous  n'avez  plus  pour  nous  et  pour  la  nation 
française  des  entrailles  de  père ,  quoique  de  tout  temps  elle 
ait  été  inviolablement  attachée  au  saint-siége ,  et  qu'à  notre 
confusion  vous  vous  êtes  montré  inexorable ,  nous  prenons 
a  témoin  le  ciel  et  la  terre  que  nous  serons  justifie  devant 
Dieu  et  devant  les  hommes,  s'il  arrive  qu'ayant  besoin  de  ^ 

nous,  nous  fermions  l'oreille  à  vos  demandes.  Nous  atten- 
dions de  vous  la  paix ,  et  vous  nous  envoyez  la  dissension  ; 

Tome  Xy.  Zzz 


10. 


546  ETIENNE  DE  TOURNAT, 
xïi  siEr'Lr 
_  car  troubler  l'église  de  Tours  dans  la  possession  où  elle  est 

détendre  sa  juridiction  métropolitaine  sur  la  province  de 
Bretagne,  n'est-ce  pas  vouloir  mutiler  indignement  notre 
royaume,  nous  ôter  la  couronne  et  la  fouler  aux  pieds?  Vou- 
loir ériger  dans  cette  province  un  archevêque,  et  le  sous- 
traire à  la  juridiction  du  métropolitain,  n'est-ce  pas  nous 
priver  de  1  héritage  de  nos  pères,  comme  des  lâches  inca- 
pables de  défendre  nos  droits?  Si  cela  arrive  (nous  le  disons 
devant  Dieu),  nous  ne  vous  regarderons  plus  comme  un 
vrai  père,  et  nous  serons  dispensés  de  vous  traiter  en  véri- 
tables fils.  Ce  trait  nous  percera  jusqu'au  cœur  ;  dépouillés 
de  notre  héritage,  nous  ne  cesserons  de  crier  et  de  nous 
plaindre,  jusqu'à  ce  que  nous  obtenions  de  la  part  de  Dieu 
ou  des  hommes  vengeance  de  l'avilissement  dans  lequel  vous 
nous  aurez  plongés.  Ce  n'est  pas  nous  seulement  que  ce  trait 
blessera  ;  tous  les  barons  du  royaume  prendront  fait  et  cause 
pour  ilous,  et  vous  serez  responsable  de  tout  le  sang  qui 
sera  répandu,  et  de  la  guerre  interminable  qui  désolera  im- 
manquablement le  royaume.  On  peut  juger  de  ce  qui  arrivera 
par  ce  qui  a  été  fait  :  comme  dans  l'ancien  temps  il  y  eut 
beaucoup  de  sang  répandu  pour  soutenir  une  prétention 
semblable,  de  même,  si  vous  n'allez  au-devant  du  mal  dont 
nous  sommes  menacés ,  nous  verrons  se  renouveler  de  nos 
jours  entre  les  Français  et  les  Bretons  en  général  les  combats 
et  les  massacres.  Or  il  est  plus  expédient  de  prévenir  ce 
malheur  pendant  qu'il  en  est  encore  temps ,  que  d'être  dans 
le  cas  de  punir  les  coupables,  lorsque  le  mal  sera  fait.  » 
£pisi.  109,       Le  roi  ht  écrire  dans  le  même  sens  la  lettre  109  au  car- 

al.  127.  dinal  Octavien ,  qui  apparemment  avait  plus  d'influence  en 

cour  de  Rome.  De  son  côté  Guillaume,  archevêque  de  Reims, 

Epist.  110,  adressa  au  cardinal  Melior  la  lettre  110,  parce  qu'on  crai- 

«).  128.  gnait  que  ce  cardinal,  camérier  du  pape,  ne  fût  favorable  à 

l'évêque  de  Dol,  son  compatriote,  nations  conjunctus ,  qui 
lui-même  venait  d'être  élevé  au  cardinalat.  Le  résultat  de 
toutes  ces  démarches  fut  la  suspension  du  procès  accordée 
par  le  pape  Urbain  III,  dont  on  voit  les  lettres  au  tome  HI 
des  pièces  anecdotes  de  D.  Martène,  col.  91 1. 
Epist.  III ,       La  lettre  ma  Absalon,  archevêque  de  Lunden,  ne  parait 

al.  119.  pas  être  à  la  place  que  devait  lui  assigner  l'ordre  chronolo- 

gique. Elle  est  d'une  date  certainement  antérieure  à  la  79*, 
dans  laquelle  l'auteur  annonce  au  prélat  danois  que  son 
neveu  nommé  Pierre  venait  de  faire   profession  de  la  vie 


ETIENNE  DE  TOURNAI.  547 

canoniale  à  Sainte -Geneviève,  et  à  la  80"  an  même  prélat, ._j, 

portant  qu'à  raison  de  sa  mauvaise  santé ,  il  était  obligé  de 
l'envoyer  en  Danemarck  dans  l'abbaye  du  Paraclet.  Or ,  dans 
la  me,  l'auteur  instruit  le  prélat  du  genre  d'études  auquel 
on  appliquait  ce  jeune  homme,  et  des  espérances  qu'il  fai- 
sait concevoir  :  ce  qui  n'est  applicable  qu'a  un  commençant 
entrant  dans  la  carrière.  En  terminant  cette  lettre ,  l'auteur 
voulant  faire  présent  au  prélat  d'une  chose  rare,  lui  envoie 
un  flacon  de  thériaque  du  Levant,  qu'il  avait  reçu,  dit-il,  de 
l'archevêque  de  Mamistra,  lancienTie  Mopsueste  (i),  son  ami, 
et  comme  lui  chanoine  régulier. 

Si  l'on  n'eût  pas  interverti  l'ordre  des  épîtres  99,   io4, 
112,  on  en  saisirait  beaucoup  mieux  le  sens.  On  voit  par  la 
lettre  1 12  au  prieur  de  Sainte-Geneviève,  que  l'auteur  étant       Epist-  112. 
incommodé  des  accès  de  fièvre,  s'était  retiré  à  Marisi  dans  ^'- '^<'- 
le  Soissonnais  ,  terre  dépendante  de  son  abbaye;  dans  la  99*=      Epist.99,  al. 
il  dit  qu'étant  mandé  par  l'archevêque  de  Reims,  il  était  "9- 
retourné ,  malgré  sa  maladie ,  à  Paris ,  pour  de  là  se  trans- 

Forter  à  Troyes  en  Champagne;  dans  la  lo^*',  que  les  accès       Epist.  104, 
avaient  repris  en  chemin,  et  qu'enfin  arrivé  à  Troyes,  après  "'■  '**• 
avoir  conféré  avec  l'archevêque,  il  s'était  retiré  à  Clairvaux 
pour  soigner  sa  santé,  et  prendre  du  repos.  Il  est  évident 
que  la  lettre  i  la  devait  être  placée  avant  la  99«. 

Dans  la  lettre  ii3,  l'abbé  de  Sainte  -  Geneviève  renvoie  Epîst.  ii3, 
au  cardinal  Laborans,  savant  jurisconsulte,  la  décision  d'un  "^^  '^^" 
cas  embarrassant  concernant  un  prêtre  du  diocèse  d'Amiens, 
qui  revêtu  de  la  charge  de  procureur  fiscal  au  nom  du 
comte  de  Flandre ,  croyait  pouvoir  exercer  en  cette  qualité 
la  justice  civile  et  criminelle,  imperium  mixtum ,  sans  dé- 
roger aux  canons,  parce  que  ne  prononçant  jamais  des  peines 
atïlictives ,  il  renvoyait  les  coupables  au  tribunal  de  la  com- 
mune d'Amiens,  qui  seule  avait  le  droit  de  juger  en  ma- 


(i)  Il  y  a  dans  rimpriméaé  archiepiscopo  Mamertino,  Antiocheni patriar- 
chœ  suffraganeo.  L'éditeur  prétend  que  c'est  ainsi  que  s'appelait  autrefois 
la  ville  de  Messine  en  Sicile.  Mais  peut-on  imaginer  qu'un  évêque  de 
Messine  fût  suffragant  d'Antioche  de  Syrie  .!*  Cet  archevêque  de  Mamistra 
est  vraisemblablement  le  même  qui  fut  envoyé  en  France,  l'an  ii63 
par  Amauri,  roi  de  Jérusalem,  et  dont  il  est  parlé  dans  deux  lettres  au 
roi  Louis-le-Jeune  (Duchesne,  t.  IV  Rer.  Fran.  p.  689  et  692);  mais  son 
nom  n'y  est  pas  exprimé.  C'est  alors  vraisemblablement  qu'Etienne  fit 
connaissance,  et  se  lia  d'amitié  avec  lui. 

Zzz  2 


al.  i33. 


Ô48  ETIENNE  DE  TOURNAI. 

. — ■    '        tière  criminelle.  L'auteur  demande  si  en  pareil  cas  il  n'est 

pas^  permis  de  tempérer  la  rigueur  des  canons. 

Etienne  était  souvent  délégué  par  les  souverains  pontifes 

pour  mettre  à  exécution  leurs  brefs.  C'est  en  cette  qualité 

de  délégué  qu'il  écrivit  au  doyen  et  au  chapitre  de  Sainte- 

Epist.  ii4,  Croix  d'Orléans  la  lettre  ii4,  en  faveur  d'un  clerc  de  leur 

église,  porteur  de  lettres  qu'il  avait  obtenues  à  Rome. —  La 

Epi»t.  ii5,  lettre  suivante  est  adressée  à  l'écolâtre  de  la  même  église^ 

qui  refusait  à  un  clerc,  le  même  peut-être  dont  nous  venons 

de  parler,  la  permission  d'enseigner  dans  la  ville.  L'auteur 

lui  ordonne  de  se  rendre  à  Paris  pour  motiver  son  refus ,  s'il 

nejuge  pas  à  propos  d'obtempérer  aux  ordres  du  pape. 

Epist.  116,       Les  lettres  1 16  et  117  à  Guillaume,  archevêque  de  Reims, 

"^  È^ft  *^"*  pour  objet  le  soulagement  de  deux  villageois  qui  éprou- 

al.  i35.       '''  valent  des  vexations  de  la  part  des  prévôts  du  roi. 

Renaud  de  Bar,  neveu,  par  sa  mère,  de  l'archerêque  de 

Reims ,  à  son   avènement  à  l'épiscopat  de  Chartres ,  avait 

ordonné,  vers  l'an   1186,   une   collecte  extraordinaire  sur 

toutes  les  églises  du  diocèse.  L'abbé  de  Sainte -Geneviève, 

Epist.  ii3  ,  dans  la  lettre  1 18,  lui  représente  que  ses  confrères  desservant 

le  prieuré  de  Choisi -aux -Boeufs  sont  fort  pauvres,  et  que 

dans  d'autres  diocèses ,  dans  ceux  de  Paris  et  de  Soissons  » 

les  chanoines  réguliers  sont  exempts  de  pareilles  taxes. 

Epist.  lai,       Le  pape  Urbain  III  étant  monté  sur  le  trône  pontifical 

al.  i/,o.  vers  la  fin  de  l'an  1 186 ,  l'abbé  de  Sainte-Geneviève  qui  avait 

eu  l'avantage  de  le  connaître  pendant  son  cours  d'études  à 

Bologne,  s'empressa  de  le  féliciter  dans  la  lettre  lai,  et  de 

lui  offrir  ses  services  en  tout  ce  qui  pourrait  intéresser  l'église 

romaine. 

Epist.  122 ,       On  voit,  par  la  lettre  122,  que  notre  abbé  avait  un  frère 

al.  141.  nommé  Etienne  comme  lui  ;  et,  par  la  iSo*,  un  neveu  nommé 

al.  66.'*'    '  '*'  Pierre,  lequel  avait  embrassé  la  vie  canoniale  à  Saint-Barthé- 

lemi  de  INoyon. 

L'abbé  de  Sainte-Euverte  ayant  à  se  plaindre  des  vexations 
qu'il  éprouvait  de  la  part  des  officiers  du  roi ,  s'était  retiré 
auprès  de  l'abbé  de  Sainte- Geneviève,  et  avait  obtenu  par 
.son  crédit  des  ordres  émanés  du  trône,  auxquels  ces  offi- 
ciers, sous  divers  prétextes,  refusaient  d'obtempérer.  Nos 
deux  abbés  saisirent  l'occasion  du  sacre  de  Henri  de  Dreux , 
évêçjue  d'Orléans,  qui  devait  se  faire  à  Reims  l'an  1 186,  pour 
intéresser  les  deux  prélats  dans  leur  querelle.  Etienne  écrivit 

Epist.  12/,,  au  nom  de  l'abbé  de  Saint-Euverte  la  lettre  124  à  l'évêque 
.il.  143. 


al.  i36. 


ETIENNE  DE  TOURNAI.  549 

d'Orléans,  et  en  son  propre  nom  la  lettre  laS  à  Berthier, 


archidiacre  de  Cambrai,  l'homme  de  confiance  de  l'arche-       ï'-P'*'-  «a^, 
vêque  de  Reims,  lui  recommandant  de  profiter  de  la  solen-  "  '  "*^" 
nité  du  jour  du  sacre  pour  obtenir  des  deux  prélats  leur 
intervention  dans  cette  affaire. 

Rolan  de  Dinan ,  seigneur  breton,  se  voyant  sans  enfans  Ep^«-  126, 
et  dégolîté  du  monde,  avait  consacré  une  partie  de  ses  biens  -^  '  '^■*' 
à  bâtir  un  monastère  pour  des  chanoines  réguliers  près  de 
son  château  de  Beaulieu.  L'abbé  de  Sainte-Geneviève,  en  lui 
envoyant  des  sujets  pour  l'habiter,  lui  recommande  de  pour- 
voir à  leur  subsistance  de  manière  à  n'être  pas  obligés  de 
mendier,  et  à  n'être  pas  troublés  dans  leur  possession. 

Dans  la  lettre  127  à  Guillaume,  archevêque  de  Reims,  T^inst.  127, 
l'auteur  nous  apprend  que  le  roi  Philippe -Auguste  l'avait 
chargé  de  faire  un  voyage  environné  de  dangers  effrayans, 
dont  le  résultat  cependant  devait  être  fastueux  :  Cujus  for- 
midolosa  sunt  initia ,  periculosa  média ,  novissima  fastiiosa. 
L'éditeur  pense  qu'il  s'agit  là  d'un  voyage  à  Rome,  mais  rien 
dans  la  lettre  n'autorise  cette  interprétation.  Quoi  qu'il  en 
soit,  l'archevêque  de  Reims,  tout  en  le  plaignant,  lavait 
encouragé  à  entreprendre  ce  voyage;  mais  heureusement 
pour  lui,  lorsqu'il  se  présenta  jx)ur  prendre  congé,  le  roi 
changea  d'avis ,  et  le  remercia  de  sa  bonne  volonté. 

Pour  entendre  la  lettre  128  à  Nivelon  de  Chérizy ,  évêque  Epist.  nS, 
de  Soissons,  il  faut  consulter  une  charte  de  ce  prélat,  rap-  ^''  "im- 
portée dans  l'histoire  de  l'abbaye  de  Saint-Jean-des-Vignes 
par  Charles-Antoine  de  Louen,  p.  3oi.  Nivelon,  dans  cette 
charte,  fait  en  abrégé  l'histoire  du  différend  qui  s'était  élevé 
entre  lui  et  l'abbé  de  Saint-Jean-des-Vignes,  au  sujet  des 
chanoines  réguliers  pourvus  de  cures  dans  son  diocèse.  Nous 
avons  vu  plus  haut,  en  rendant  compte  de  la  lettre  gS,  que  Supràp. 544. 
le  pape  Lucius  III  avait  confié  la  décision  de  cette  affaire  à 
l'évêque  de  Paris  et  au  doyen  de  Saint-Germain-l'Auxerrois, 
lesquels  avaient  donné  gain  de  cause  à  l'abbé.  Mais  l'évêque 
et  les  religieux  curés  avaient  appelé  de  la  sentence  au  pape. 
Les  deux  parties  ayant  plaidé  leur  cause  en  cour  de  Rome , 
consentirent  enfin  à  un  arbitrage  par  lequel  l'abbé  promet- 
tait de  renoncer  aux  cures ,  et  de  recevoir  dans  sa  maison  les 
usages  de  Saint- Victor  de  Paris.  C'est  dans  cet  état  de  choses 
que  l'abb»  de  Sainte-Geneviève  écrivit  à  Nivelon  la  lettre  128, 
lui  annonçant  qu'il  allait  envoyer  de  ses  religieux  à  Saint- 
Jean-des-Vignes  ,  si  le  prélat  se  chargeait  de  les  y  installer 


XH  SIECLE. 


55o  ETIENNE  DE  TOURNAI. 

avec  honneur.  Cet  arrangement  n'eut  pas  lieu ,  ou  fut  de 
courte  durée,  parce  que  les  religieux  ne  la  maison,  désa- 
vouant ce  qui  avait  été  fait  sans  leur  participation ,  se  pour- 
vurent à  Rome  contre  cet  arbitrage,  et  obtinrent  du  pape 
Urbain  III  un  rescrit  qui  autorisait  l'évêque  à  rétablir  les 
choses  comme  elles  étaient  avant  la  contestation  :  ce  qui  fut 
fait  l'an  1187. 

EpUt.  129,  La  lettre  12c)  à  Guillaume,  archevêque  de  Reims,  a  pour 
objet  de  faire  lever  l'interdit  que  l'évêque  de  Senlis  avait  jeté, 
pour  un  très-mince  sujet ,  sur  la  paroisse  de  Borret ,  dépen- 
dante de  Sainte -Geneviève;  et  à  cette  occasion  l'auteur  se 
récrie  sur  la  légèi'eté  avec  laquelle  les  prélats  lançaient  les 
foudres  de  léglise. 

Epist.  i3i,       Dans  la  lettre  i3i,il  fait  la  description  d'un  beau  cheval 
al.  149.  danois  qui  lui  avait  été  envoyé  par  son  confrère  Guillaume  , 

abbé  du  Paraclet  dans  l'île  de  Zélande,  et  il  en  parle  en 
homme  qui  se  connaissait  en  chevaux. 

Depuis  l'an  11 85  jusqu'à  1188  il  y  eut  dans  l'ordre  de 
Granclmont,  qui  jusques-là  caché  dans  les  solitudes  avait 
/  joui  d'une  grande  réputation  de  sainteté ,  des  troubles  qui 
le  donnèrent  en  spectacle  au  monde,  et  faillirent  à  le  ren- 
verser. Les  frères  lais  se  croyant  supérieurs  aux  clercs ,  parce 
qu'ils  étaient  en  plus  grand  nombre,  et  qu'ils  avaient  la  ma- 
nutention du  temporel ,  après  avoir  déposé  le  supérieur  gé- 
néral de  l'ordre  dans  la  personne  de  Guillaume  de  Trahinac, 
et  en  avoir  créé  un  autre  à  leur  fantaisie,  en  vinrent  à  cet 
excès  qu'ils  chassèrent  de  leurs  monastères  les  religieux 
clercs  qui  ne  voulurent  pas  reconnaître,  ce  dernier.  Pendant 
cette  querelle  monastique,  C|ui  donna  de  l'occupation  à  la 
cour  de  Rome  et  à  celle  de  France,  l'abbé  de  Sainte-Gene- 
viève eut  occasion  d'écrire  plusieurs  lettres  dont  nous  allons 
^  rendre  compte. 

Le  pape  Urbain  III  avait  confié  la  décision  de  cette  affaire 
aux  abbés  de  Cîteaux  et  de  Clairvaux ,  qui  après  une  mure 
délibération ,  pour  concilier  tous  les  intérêts  et  rétablir  la 
paix,  avaient  pour  ainsi  dire  coupé  en  deux  l'ordre  de  Grand- 
mont,  en  assignant  aux  clercs  une  vingtaine  de  raabons 
distinctes  de  celles  qu'occupaient  les  frères  lais.  Cet  arrange- 
ment déplut  aux  frères ,  qui  se  sentant  appuyés  par  des  gens 
en  place,  n'eurent  aucun  égard  à  la  sentence,  ^t  deman- 
dèrent au  pape  d'autres  commissaires.  A  cette  époque,  l'abbé 

Epist.  i34 ,  de  Sainte-Geneviève  écrivit  aux  abbés  de  Cîteaux  et  de  Clair- 

al.  i53. 


ETIENNE  DE  TOURNAI  5ji 

vaux  la  lettre  i34,  pour  presser  l'exécution  de  leur  sentence    '_ 1_L. 

portant  excommunication  contre  ceux  qui  y  contrevien- 
draient. Mais  ayant  appris  qu'ils  ne  pouvaient  plus  aller  en 
avant^  parce  que  le  pape  avait  nommé  de  nouveaux  commis- 
saires, il  adressa  au  cardinal  Albert,  chancelier  de  l'église 
romaine,  la  lettre  i35,  dans  laquelle  il  expose  l'état  misé-  Epist.  i35, 
rable  auquel  étaient  réduits  les  clercs,  sans  asyle,  et  à  la  *'  *^'- 
charge  de  ceux  qui  les  avaient  recueillis.  Dans  cet  intervalle 
le  cardinal  Albert  ayant  été  élevé  au  souverain  pontificat  sous 
le  nom  de  Grégoire  VIII,  notre  auteur  lui  écrivit  au  nom 
du  prieur  de  Grandmont  déposé ,  la  lettre  1-44  i  dans  Epist.  14,. 
laquelle  il  demande  pour  lui  la  protection  dont  il  l'avait 
honoré  étant  cardinal;  et  dans  une  autre  lettre  que  nous 
avons  sous  les  yeux ,  et  qui  n'a  pas  été  imprimée ,  écrivant 
en  son  propre  nom  au  même  pape,  il  lui  suggère  les  moyens 
qu'il  conviendrait  d'employer  pour  rétablir  la  paix  dans^  cet 
ordre ,  et  faire  cesser  le  scandale. 

Grégoire  étant  mort  presque  aussitôt  après  son  élection, 
le  roi  Philippe-Auguste  prit  sur  lui  de  terminer  cette  affaire. 
Ayant  assemblé,  l'an    1187,  les  barons  et  les  évèques  du  ^■: 

royaume ,  il  fit  un  règlement  qui  devait  mettre  d'accord  les  is 

deux  parties.  Ce  fut  alors  vraisemblablement  que  les  clercs      Mart.Anecd. 
rentrèrent  dans  quelques-uns  de  leurs  monastères  ;  car  dans  *•  ^'  '^°'-  ^^°- 
la  lettre  i38,  ils  remercient  par  l'organe  de  notre  abbé  celui      Epist.  i38, 
de  Ckeaux  de  leur  avoir  donné  asyle  pendant  leur  disper-  ''  •  *  ^• 
sion.  Mais  cette  paix  ne  fut  pas  de  longue  durée  :  la  plupart 
des  frères  lais  désavouèrent  ce  qui  avait  été  fait  en  leur  ab- 
sence. C'est  de  quoi  se  plaignirent  au  pape  Clément  III,  dans 
la  lettre  i43 ,  les  abbés  de  Saint-Denis,  de  Saint-Germain,  de       Epist.  143 , 
Saint-Victor,  et  de  Sainte-Geneviève,  qui  vraisemblablement  ^^'  '^^" 
furent  les  instrumens  dont  le  roi  s'était  sçrvi.  L'abbé  de 
Sainte-Geneviève  écrivit  en  même  temps  au  pape,  de  l'aveu  du 
clergé  de  France,  une  lettre  non  encore  imprimée  (i),  laquelle 
a  deux  objets.  Il  se  plaint  d'abord  des  taxes  et  décimes  dont 
on  accablait  le  clergé.  Mais  ce  malheur,  dit-il,  est  peu  de 
chose  en  comparaison  de  celui  qui  afflige  les  cleixs  de  l'ordre 
de  Grandmont  :  il  est  tel  que  cet  ordre  ne  pourra  subsister, 
si  le  pape  ne  réprime  les  entreprises  révoltantes  des  frères 
lais,  et  ne  rétablit  les  clercs  dans  leurs  droits.  Nous  avons 
expliqué  plus  haut,  à  l'article  de  Gérard  Ithier,  comment  Suprà  p.  141. 
le  pape  Clément  III  termina  cette  longue  contestation.  "^ 

(i)  Elle  l'a  été  t.  X  des  Notices  des  manuscrits,  2*  partie,  p.  80. 


552  ETIENNE  DE  TOURNAI. 

Vif  SIFCI  F  • 

'  A  peine  cette  affaire  è'tait-elle  terminée  que  la  cour  de 

Rome  voulut  reprendre  le  procès  qui  durait  depuis  si  long- 
temps entre  les  églises  de  Tours  et  de  Dol,  au  sujet  de  la 
juridiction  métropolitaine  sur  les  évêchés  de  Bretagne.  Phi- 
lippe-Auguste qui  s'était  toujours  opposé  à  la  décision  de 
cette  affaire,  étiiit  j)arti  pour  la  croisade  :  c'était  à  la  reine- 
mère  ,  régente  du  royaume ,  de  maintenir  les  tlroits  de  l'ar- 
chevêque de  Tours ,  et  d'empêcher  les  Bretons  de  se  sous- 
traire entièrement  à  la  domination  française.  Elle  fit  écrire 
au  pape  Clément  ou  à  Célestin,  car  le  nom  n'est  pas  exprimé, 
Kpist.  j/,0,  la  lettre  i4o  dont  notre  abbé  fut  le  rédacteur.  Elle  expose 
'  '  ^'  au  souverain  pontife  que  c'est  offenser  Dieu  que  de  troubler 

le  royaume ,  pendant  que  le  roi  son  fils  expose  sa  vie  pour 
le  service  de  la  chrétienté  ;  que  le  roi ,  en  partant ,  avait  bien 
recommandé  qu'il  ne  fut  apporté  aucun  changement  dans 
la  constitution  du  royaume  ;  que  l'église  de  Tours  en  étant 
un  membre  des  plus  distingués,  le  roi  et  les  grands  du 
royaume  ne  verraient  pas  sans  indignation  qu'on  eût  altéré 
la  hiérarchie  ecclésiastique ,  particulièrement  en  ce  qui  con- 
cerne l'église  de  Tours,  que  le  roi  voulait  maintenir  dans  les 
mêmes  prérogatives  dont  elle  jouissait  du  temps  du  roi  Louis 
son  père.  Cette  remontrance  fit  son  effet;  il  ne  fut  plus 
question  de  reprendre  ce  procès  jusqu'au  pontificat  d'Inno- 
cent III.  • 
Epist.  lAi,       L*  lettre   i4i  à  Raoul  de  Serres,  doyen  de  l'église  de 

al.  160.  Reims ,  mal-à-propos  surnommé  le  Noir  par  quelques  mo- 

dernes, est  relative  à  la  tentative  inconsidérée  que  firent  les 
chanoines  d'abdiquer  ce  qui  restait  parmi  eux  de  l'ancienne 
règle  des  chanoines ,  c'est-à-dire  le  réfectoire  et  le  dortoir 
communs.  Quoique  le  doyen  fût  un  homme  austère  et  très- 
zélé  pour  le  mjiintien  de  la  discipline,  ses  efforts  étaient 
impuissans,  parce  que  l'archevêque  gagné  par  de  jeunes  cha- 
noines semblait  favoriser  le  relâchement.  L'auteur  est  pei'- 
•  suadé  qu'il  suffirait  de  faire  une  remontrance  au  prélat  pour 

le  détourner  d'un  pareil  projet  qui  ternirait  la   gloire  de 
l'église  de  Reiras ,  si  recommandable  })ar  son  attachement  à 
l'ancienne  discipline.  Cette  lettre  est  fort  belle;  mais  on  la 
Mctrop. Rem.  trouve  plus  entière  dans  l'histoire  de  Reims  de  Marlot,  parce 

t.  If,  p.  433.      que  la  collection  ne  contient  que  la  minute  ou  le  premier  jet 

de  l'auteur,  au  lieu  que  dans  le  cartulaire  de  l'église  de  Reims 

la  lettre  est  revêtue  des  formules  ordinaires,  et  présente  dans 

le  texte  des  améliorations  survenues  pendant  1  expédition. 

Après  avoir  envoyé  en  Danemarck  un  neveu  d'Absalon, 


ETIENNE  DE  TOURNAI.  553 

archevêque  de  Lunden ,  nommé  Pierre ,  qu'il  avait  formé  L 

aux  lettres  et  à  la  vertu,  et  même  reçu  à  profession  dans  Suprà,p. 543 
son  ordre ,  comme  nous  l'avons  dit  plus  haut ,  Etienne  ne 
le  perdit  pas  de  vue;  il  s'étudia  à  cultiver  par  lettres  ces 
heureuses  dispositions.  C'est  dans  ce  dessein  qu'il  lui  écrivit 
la  lettre  iSg,  pleine  d'éloges  et  d'une  tendre  sollicitude  pour      Epist.  iSg. 
lui.  Il  en  écrivit  en  même  temps  une  autre  à  l'archevêque  de 
Lunden ,  laquelle  n'est  pas  moins  à  sa  louange  :  il  l'appelle    ,  ^]"''   ^^®' 
un  nouveau  Salomon ,  qui  mériterait  bien  que  le  prélat  son- 
geât à  le  pourvoir  d'un  bénéfice  convenable  à  la  dignité  de 
sa  naissance.  C'est  la  lettre  i5o,  qui ,  comme  on  le  voit,  n'est 
pas  à  sa  place. 

Bientôt  après,  ce  jeune  génovéfain  s'étant  plaint  qu'on  ^pist.  145, 
médisait  de  lui  à  Sainte-Geneviève,  Etienne  le  rassure  dans 
la  lettre  i45,  protestant  qu'on  lui  avait  fait  un  faux  rapport; 
que  toute  sa  communauté  était  pénétrée  d'estime  et  de  véné- 
ration pour  sa  personne,  et  à  cette  occasion  il  l'instruit  du 
bon  ordre  qui  régnait  dans  sa  maison ,  et  qu'il  était  tout 
occupé  de  la  restauration  de  son  église. 

L'archevêque  de  Lunden  s'étant  démis  en  faveur  de  son  Epist,  146 , 
neveu  de  l'évêché  de  Roschild,  l'abbé  de  Sainte- Geneviève  *'•  ^^^• 
remercie  le  prélat  d'avoir  eu  égard  à  sa  recommandation  ;  et 
comme  il  avançait  dans  les  réparations  de  son  église,  il  le  prie 
par  une  tournure  aussi  agréable  qu'ingénieuse,  de  lui  en- 
voyer du  plomb  d'Angleterre  pour  la  couvrir.  «  Puisque  vos 
ancêtres,  dit-il  lettre  i46,  encore  barbares,  en  ravageant  les 
villes  et  les  châteaux  de  France,  n'ont  pas  même  épargné 
l'église  des  apôtres  saint  Pierre  et  saint  Paul ,  où  repose  le 
corps  de  la  vierge  sainte  Geneviève ,  il  serait  bien  juste  que 
leurs  descendans  devenus  chrétiens  contribuassent  à  la  ré- 
parer. »  Et  toujours  monté  sur  le  ton  de  la  plaisanterie ,  fai- 
sant allusion  au  plomb  des  bulles  venant  de  Rome ,  qui  coii- 
tait  fort  cher:  «Je  vous  demande,  ajoute-t-il,  du  plomb 
d'Angleterre ,  parce  que  l'autre  ,  bien  loin  de  rétablir  les 
églises,  ne  fait  que  les  appauvrir,  lllo  plumbo  nudantur  ec- 
ciesice ,  teguntur  isto. 

Il  écrivit  dans  le  même  sens,  et  presque  dans  les  mêmes      Epist.  147, 
termes,  la  lettre  i47  à  Valdemar,  évêque  de  Sleswik,  tou-  *'•  '^^• 
jours  pour  demander  du  plomb  d'Angleterre. 

L'aBbé  du  paraclet  en  Danemarck  étant  un  ancien  membre       Epist.  148, 
du  chapitre  de  Sainte -Geneviève  ,  c'est  encore  à  lui  que  »'•  i^^- 
notre  abbé  s'adressa ,  dans  la  lettre  i48,  pour  avoir  du  plomb. 

Torne  XF.  A  a  a  a 


554  ETIENNE  DE  TOURNAI. 

XTÎ   SIFCT  F 

'. 1       Ne  connaissant  pas  personnellement  l'evêque  de  Ripen^ 

EpUt.  149 ,  quoique  ce  prélat  eût  étudié  à  Paris ,  mais  sachant  qu'il  était 

'  '  '■  bienfaisant  et  très-pieux  ,  il  lui  recommande  le  religieux  qu'il 

envoyait  en  Danemarck  pour  recueillir  des  aumônes  à  l'effet 

de  rétablir  son  église. 

Epist.  i52,       C'est  dans  le  même  dessein  qu'il  écrivit  la  lettre  i5a  à  un 

"  '  ^  ^'  prince  de  la  famille  royale  de  Danemarck,  nommé  Canut, 

dont  le  frère  Valdemar  était  mort  et  enterré  à  Sainte-Gene- 
Anève.  Il  lui  représente  qu'ayant  tout  fait  pour  son  frère, 
avant  et  après  sa  mort ,  il  serait  temps  que  le  prince  en 
témoignât  sa  reconnaissance,  en  contribuant  pour  le  soula- 
gement de  l'ame  du  défunt  aux  réparations  de  l'église  jadis 
dévastée  par  ses  ancêtres-,  sur-tout  en  envoyant  du  plomb 
pour  la  couvrir. 
Epi»t.  i53 ,       Il  adresse  la  même  prière ,  dans  la  lettre  suivante,  à  Canut, 

al.  170.  J.Q-  jjg  Danemarck ,  espérant  que  le  roi  déterminera  son  pa- 

rent Canut,  lequel  avait  recueilli  la  succession  du  défunt 
Valdemar,  à  se  dessaisir  d'une  partie  pour  honorer  la  mémoire 
de  son  frère. 
Epist.  i5/, ,       Dans  la  lettre  1 54 à  Nivelon,  évêque  de  Soissons,  l'auteur 

al.  171.  déclame  contre  la  dîme  saladine,  dont  la  ré|>artition- était 

confiée  auiX  évèques,  et  supplie  le  prélat  d'avoir  égard  à 
l'état  d'indigence  de  ses  confrères  les  chanoioes  de  Saint- 
Vast  à  la  Ferté-Milon  ,  auquel  les  avait  réduits,  depuis  deux 
ans ,  l'interdit  que  le  prélat  avait  jeté  sur  les  terres  du  comte 
de  Soissons. 
Epist.  i55,       Les  chanoines  de  l'église  de  Paris  contestaient  à  ceux  de 

al.  172.  Saint-Victor,  au  moins  en  partie,  les  revenus  que  ceux-ci 

étaient  en  droit  de  percevoir ,  pendant  un  an,  des  prébendes 
qui  venaient  à  vaquer  par  mort.  Le  pape  au  tribunal  duquel 
1  affaire  avait  été  portée ,  avait  délégué  fexécution  de  la  sen- 
tence aux  évêques  d'Arras  et  d'Amiens ,  et  à  l'abbé  de  Pruilly, 
qui  ne  sont  pas  nommés.  Ces  commissaires  outrepavssant 
leurs  droits,  l'abbé  de  Sainte-Geneviève  en  porta  des  plaintes 
Gali.  Christ,  au  pape  dans  la  lettre  i55.  Les  auteurs  du  Gallia  Christiana 

t  VII, col. 670.  disent  que  ce  pape  était  Alexandre  III.  Si  cela  était,  il  fau- 
drait dire  que  la  lettré  est  bien  loin  d'être  à  sa  place;  mais 
il  paraît  qu'ils  se  sont  trompés.  Au  reste,  les  successeurs 
d'Alexandre  III  jusqu'à  Innocent  III  ont  occupé  chaoïan  le 
saint  siège  pendant  un  si  court  espace  de  temps,  qu'il  est 
difficile  de  décider  auquel  la  lettre  peut  avoir  été  adressée; 
Epist.  i56,       Il  est  encore  question,  dans  la  lettre  i5G,  des  frères  con- 

al.  174. 


XII  SIECLE. 


ETIENNE  DE  TOURNAI.  555 

vers  de  l'ordre  de  Grandmont.  Ces  religieux  discoles,  pour 
se  venger  des  démarches  que  Gui,  abbé  de  Vaux-Sernai, 
avait  faites  contre  eux  en  faveur  des  religieux-clercs  par  eux 
chassés  de  leurs  monastères,  avaient  terni  sa  réputation,  et 
séduit  quelques  abbés  de  l'ordre  de  Cîteaux,  qui  devaient 
dénoncer  au  chapitre  général  l'abbé  de  Vaux-Sernai.  Notre 
auteur  écrivant  à  Pierre ,  évêque  d'Arras ,  auparavant  abbé 
de  Cîteaux,  lui  découvre  l'intrigue,  et  fait  l'éloge  de  l'abbé 
Gui. 

La  lettre  lôy  est  adressée  à  Absalon ,  archevêque  de  Lun-  Epist.  iSy. 
den,  qui  avait  confié  à  notre  abbé  un  dépôt  d'argent.  Ce 
prélat  ayant  envoyé  un  de  ses  clercs  pour  le  reprendre,  avait 
oublié  d'envoyer  en  même  temps  une  décharge.  Etienne  lui 
écrit  qu'il  est  prêt  à  le  rendre,  pourvu  qu'on  lui  envoie  une 
décharge  valable. 

L'an  1 191 ,  le  chapitre  de  l'église  de  Paris  ayant  élu  Michel  Epist.  i58, 
de  Corbeil,  doyen  de  l'église  de  Laon,  pour  remplir  la  même  ^''  ^"^ 
dignité  dans  leur  église,  l'abbé  de  Sainte-Geneviève  fut  chargé 
d'écrire  au  chapitre  de  Laon  la  lettre  1 58 ,  dans  laquelle  il 
nous  apprend  que  ce  personnage  avait  été  d'abord  chanoine 
de  Paris ,  puis  doyen  de  Meaux ,  ensuite  de  Laon ,  enfin  de 
Paris,  et  l'on  sait  qu'il  fut  fait  archevêque  de  Sens  l'an  i  ipS. 

La  lettre  169  à  un  de  ses  confrères,  qui  après  avoir  vécu      Epist.  iSg, 
quarante  ans  a  Saint-Euverte  d'Orléans  voulait  se  retirer  ^'-  *76. 
dans  la  forêt  de  Bière  ou  de  Fontainebleau  pour  y  vivre  en 
solitaire,  contient  des  avis  pour  quiconque  voudrait  embras- 
ser ce  genre  de  vie. 

Il  ne  paraît  pas  que  la  lettre  162,  relative  au  différend      Epist.  i6i, 

aui  s'était  élevé  entre  Nivelon ,  évêque  de  Soissons ,  et  l'abbé  *'•  '79- 
e  Saint-Jean  des  Vignes ,  au  sujet  des  chanoines  réguliers  ^ 
pourvus  de  cures,  dont  il  est  parlé  dans  les  lettres  61 ,  95, 
128,  soit  à  sa  place.  Elle  n'a  pour  titre  que  cette  adresse 
vague  ^  summo  ponti/lci ;  mais  il  nous  semble  qu'elle  fut  écrite 
au  pape  Lucius  III ,  à  l'époque  où  les  deux  parties  allèrent 
à  Rome  plaider  leur  cause.  Dans  cette  lettre  l'abbé  de  Sainte- 
Geneviève  atteste  au  pape  que ,  selon  l'usage  des  chanoines 
réguliers  de  France,  les  abbés  étaient  en  droit  de  retirer  des 
cures  les  sujets  dont  on  avait  besoin  au  chef-lieu,  ou  qui 
méritaient  correction.  Nous  pensons  donc  que  cette  lettre 
aurait  dû  être  placée  avant  la  gS^  et  la  1 28^. 

La  lettre  164  est  une  réponse  à  l'abbé  de  Clairvaux,  qui      Epist.  164, 
s'était  plaint  que  notre  auteur  l'avait  diffamé,  en  publiant  ^i.  i83. 

Aaaa  a 


556  ETIENNE  DE  TOURNAI. 

L  qu'un  archidiacre  de  Meaux  n'avait  été  reçu  religieux  à  Clair- 
vaux  qu'en  vertu  d'un  pacte  simoniaque.  Etienne  nie  avoir 
jamais  tenu  un  pareil  propos. 
Epist.  i65,       On  voit  par  la  lettre  id5  à  l'abbé  de  Cîteaux,  qu'il  était 

al.  i8/,.  question  d  envoyer  l'abbé  de  Vaux-Sernai,  le  même  Gui 

dont  il  est  parlé  lettre  i56,  dans  quelque  mission  difficile 
et  périlleuse.  L'abbé  de  Sainte- Geneviève  expose  à  celui  de 
Cîteaux  les  raisons  qui  devaient  le  détourner  de  charger  de 
cette  mission  l'abbé  de  Vaux-Sernai.  Celui-ci,  dit-il,  avait 
déjà  fait  ce  voyage ,  et  avait  couru  de  grands  dangers  sur 
mêr  et  de  la  part  de  faux  frères,  sans  avoir  réussi  en  quoi 
que  ce  soit;  l'envoyer  une  seconde  fois,  c'était  l'exposer  aux 
insultes  de  ceux  qui  l'avaient  mal  accueilli  la  première.  L'avis 
de  l'auteur,  conforme  à  celui  de  l'abbé  de  Saint-Victor  et  de 
Pierre- le-Cliantre,  était  qu'il  fallait  choisir  dans  l'ordre  de 
Cîteaux  un  homme  qui  fût  agréable  aux  princes  ^  intrépide 
dans  les  combats  ,  capable  de  diriger  l'armée  par  ses  conseils, 
dont  les  mains,  en  un  mot,  élevées  ^ers  le  ciel,  décidassent 
de  la  victoire.  De  quoi  donc  s'gissait-il  dans  cette  entreprise? 
Etait-ce  de  mettre  l'abbé  de  Vaux-Sernai  à  la  tête  d'une  ar- 
mée pour  aller  combattre  ou  des  hérétiques  ou  des  infidèles? 
Gaii.  Christ.  U  est  vrai  que  cet  abbé  fut  chargé  d'une  mission  de  ce  geni'e 

♦•,  ,W»  so  •  7-  l'an  I202  ;  mais  à  cette  époque  l'abbé  Guérin  de  Saint-Victor 
et  Pierre- le- Chantre  étaient  déjà  morts.  S'agissait -il  de  le 
faire  partir  avec  le  roi  Philippe-Auguste  et  les  autres  croisés, 
l'an  1 190?  Cela  paraît  plus  vraisemblable,  et  la  place  que 
la  lettre  occupe  dans  la  collection  semble  aussi  l'indiquer. 
..Bpîït*  ï66 ,       Vers  le  même  temps,  l'évéque  de  Senlis  avait  excommunié 

"  ■  '     •'  les  religieux  de  Saint-Vincent  de  la  même  ville,  lesquels  se 

prétendant  exempts  de  sa  juridiction ,  avaient  élu  sans  sa 

participation  un  abbé  parmi  les  chanoines  de  Saint-Victor 

de  Paris.  L'aftaire  ayant  été  portée  à  Rome,  notre  abbé  écrivit 

à  l'archevêque  de  Reims  la  lettre  166,  le  priant  d'employer 

son  crédit  auprès  des  cardinaux  ses  confrères,  pour  faire 

échouer  l'entreprise  du  prélat.  11  écrivit  lui-même  au  cardinal 

Epist.  167,  Sofviàxis  ou  Geofroi  la  lettre  suivante,  pour  l'intéresser  dans 

al.  186.  1  -  ce  •  •  I  •'         1  •  '1 

la  même  atlaire,  tant  en  considération  des  services  quil 

rendait  à  ce  cardinal,  qu'à  la  recommandation  de  l'arche- 
vêque de  Reims. 
Epist.  169,       La  lettre  169  à  Guillaume  ,  archevêque  de  Reims,  r^ent 
»).  188.  Ju  royaume  pendant  l'absence  du  roi ,  contient  une  dénon- 

ciation tbi-melle  contre  Renaud,  comte  dé  Dammartin  et  de 


ETIENNE  DE  TOURNAI.  55f 

Boulogne,  qui  vraisemblablement  à  l'iiistigatiou  d'AlbëriG,. _1 

son  père,  réfugié  en  Angleterre,  avait  enlevé  à  Guillaume 
de  Long-Champ,  évêquje  d'Ely  et: chaUcelier  d'Angleterte , 
obligé  de  se  réfugier  en  France  après  sa  disgrâce  arrivée 
l'an  1 191 ,  tous  ses  équipages  et  ce  qu'il  avait  appoité  d'effet& 
avec  lui,  jusqu'aux  vases  stacrés.  Ce  coipte  n'ayant  pas  ob-. 
tempéré  à  un  premier  ordre  du  régent,  l'auteur  le  prip 
d'appesantir  sa  main  pour  obliger  le  coupable  à  restitution. 

Pendant  la  régence  de  l'archevêque  de  Reims,  les  religieux  Epist.  iGS , 
de  Saint-Germain-des-Prés  furent  inquiétés  par  les  sergens  al-  ^87- 
du  roi  {^satellites  palatini)^  au  sujet  de  certaines  redevances 
modiques  dont  ils  grevaient  leurs  censitaires,,  et  dont  les 
sergens  les  déchargeaient.  L'abbé  Foulques  eut  recours  à 
celui  de  Saijite-Geneviève ,  qui  écrivit  en  sa  faveur  au  régent 
la  lettre  168,  dans  laquelle  il  est  encore  question  de  troubles 
survenus  dans  l'ordre  de  Grandmont,  à  cause  desquels  le 
régent  voulait  envoyer  Etienne  veils  ces  religieux. 

Malgré  le  décret  du  pape  Alexandre  IIl,  qui  avait  régl,ç,      H's'-  de  s.- 
que  rar3l)evêque  de  SenS',  faisant  la  visite  des  paraisses  dé-  ?5'!!!!'bou'^  '  ? 
pendantes  de  l'abbaye  de  Saint-Germain-des-Prés ,  ne  pour-  t.  xv,  p.  956.  ' 
rait  amener  avec  lui  que  quarante-quatre  personnes  et  qua- 
rante montures ,  l'archevêque  Gui  avait  violé  plusieurs  fois 
ce  règlement.  Enfin,  sur  les  plaintes  des  religieux,  le  pape 
Célestin  III  ayant  chargé  des  commissaires  de  décider  la  •c''»    ii- 

question ,  l'abbé  de  Sainte-Geneviève  leur  écrivit  la  lettre  1 70,.    '  ^p^stl^'i'7o„ 
dont  le  résultat  fut  un  acx:ord  passé,  l'an   1191,  entre  les  "i.  190. 

Farties,  rapporté  parmi  les  pièces  justificative^  à  la  s,viite  de. 
histoire  de  Saint-Germain-des-Prés,  p.  5i.  -. 

Les  Letti'es  171,  172,  1^41  sont  relatives  à  l'abdication  de' 
Hugues,  abbé  (de  Saint- Barthélemi  de  Noyon.  Dans  la  pce^.     ÈpUt.  171, 
mièi-e,  l'aiiteur  insiftue  à  l'abbé  que  les  infirn^ités  qui,  aocpm-  *'•  '^7- 
pagnent  la  vieillesse,  l'avcirtiésent  de  laisser  à  UiftiautFS. le, 
soin  de  gouverner  le  monastère.  Dans  les  deux  autres  à;  l'a»?T,    Epist.  172. 
chevêque  de  Reims ,  il  le  prie  de  faire  accorder  au  vieux    ^  ^,'i"!iîi','(*  ' 
abbé  une  retraite  honorable,  et  de  faire  en  sorte  que  l'homme  ^'  ^^'  ■   ■    < 
qu'on  lui  donnera  pour  successeur  ait  les  qualités  requises. 

Nous  ne  croyons  pas  que  la  lettre  178  ait  trait  à  la  même     Epist.  173. 
affaire,  et  soit  adressée  à  la  communauté  de  Saint-Bartbé- 
lemi,  comme   l'a  pensé  l'éditeur.  Elle  a  pour  titre  dans  le 
manuscrit  'è^^^  A. ,  de  la  bibliothèque  Royale ,  le  seul  qui 
la  contienne  :  Hix:  ammonentur  suhaiti  ut  prœlato  déferont 


.<?  ,  .-iq 


558  ETIENNE  DE  TOURNAI. 

XII  SIECLE.  ^  •       .  I  1  1  1  '  .        .  1     .  ^ 

.  resignanti,  et  le  nom  du  prélat  est  désigne  par  la  lettre  G, 

qui  ne  peut  convenir  à  l'abbé  Hugues. 
Epist.  175,       L'an  1 191 ,  Pierre-le-Chantre  de  1  église  de  Paris  avait  été 

al.  173.  ^^1^  ^vêque  de  Tournai.  Quelque  excellent  que  fut  le  choix 

d'un  tel  personnage ,  l'archevêque  régent  du  royaume  faisait 
difficulté  de  l'approuver.  On  employa  auprès  du  l'égent  le 
crédit  de  l'abbé  de  Sainte-Geneviève ,  qui  lui  écrivit  la  lettre 
175,  contenant  un  bel  éloge  du  chantre  de  Paris;  mais 
contre  son  attente,  il  arriva  qu'on  le  proposa  lui-même  pour 

Suprà,  p:  'S3o.  remplir  ce  siège,  ainsi  que  nous  l'avons  dit  plus  haut.    ■-  "b 

Lettres  depuis  l'an  \  1^7.  jusqu'en  i2o3. 

Epist.  176  ,       Avant  de  quitter  l'abbaye  de  Sainte -Geneviève,  Etienne 
al.  182.  voulut  se  donner  un  successeur  capable  de  maintenir  dans 

sa  maison  le  bon  ordre  qu'il  avait  établi  tant  au  spirituel 
qu'au  temporel  ;  il  jeta  les  yeux  sur  un   de  ses   religieux 
nommé  Jean ,  qui ,  quoique  fort  jeune  encore ,  fut  agréé  par 
la  communauté.    Il   le  conduisit    lui-même  à   l'évêque  de 
Meaux  pour  être  béni  ;  mais  l'éditeur  se  trompe  en  nommant 
ce  prélat  Ansel  ou  Anselme  :  son  nom  était  Simon,  auquel 
Ansel  ne  succéda  que  l'an  r  195. 
Epist.  177 ,       Se  préparant  lui-même  à  recevoir  la  consécration  épisco- 
*'  J"?»*      g    pale,  il  écrivit  à  son  ami  Barthélerai  de  Vendôme,  arche- 
ai.  181.'        '  vêque  de  Tours ,  les  lettres  177  et  1 78 ,  pour  déposer  dans 
son  sein  les  sentimens  dont  il  était  animé ,  et  le  remercier 
en  même  temps  des  riches  omemens  qu'il  lui  avait  envoyés 
pour  son  sacre. 
Epist.  179,       Cependant  le  pape  Célestin  III  avait  conçu,  on  ne  sait 
al.  aoa.i  pourquoi,  de  fâcheuses  impressions  contre  le  nouvel  évêque, 

comme  on  en  juge  par  l'épître  179  qu'Etienne  lui  écrivit 
autant  pour  justifier  son  entrée  dans  l'épiscopat  que  pour 
'  •'  solliciter  ses  bonnes  grâces. 

Epist.  180,       La  lettre  180  à  l'archevêque  de  Reims  contient  la  dénon- 
al.  191.  ciation  de  certains  missionnaires  qui  allaient  prêchant  dans 

les  campagnes,  et  suscitaient  des  affaires  aux  doyens  ruraux, 
se  disant  envoyés  par  le  métropolitain.  C'étaient  apparem- 
ment des  quêteurs  pour  les  chrétiens  de  la  Terre -Sainte. 
L'évêque  de  Tournai  fait  de  ces  émissaires  un  portrait  assez 
hideux.  '^; 

Epist.  181,      C'est  mal-à-propos  que  l'éditeur  a  déplacé  l'épître  r8r, 
al-  71-  qui  dans  la  première  édition  était  la  71^.  Il  a  cru  qu'elle 


XII  SŒCLïf 


ETIENNE  DE  TOURNAI.  55g 

était  relative  au  couronnement  de  la  reine  Ingeburge,  fait 
à  Amiens  l'an  1193,  tandis  qu'il  n'est  pas  dit  un  mot  d'A- 
miens dans  cette  lettre ,  et  que  l'auteur  n'y  prend  d'autre 
titre,  au  moins  dans  le  manuscrit,  que  celui  An  frère  Etienne. 
On  sait  que  Lambin  de  Bruges,  auquel  la  lettre  est  adressée, 
fut  fait  chancelier  de  l'archevêque  de  Reims  vers  l'an  11 80, 
et  l'an  11  pi  évêque  de  Térouane;  cependant  l'auteur  ne  lui 
donne  aucune  qualité.  Tout  cela  prouve  que  la  lettre  est 
antérieure  à  ces  époques,  et  qu'il  s'agissait  alors,  non  du 
couronnement  de  la  reine  Ingeburge  ,  mais  du  sacre  de  Phi- 
lippe-Auguste, pour  lequel  l'abbé  de  Sainte -Geneviève  de- 
mandait qu'on  lui  arrêtât  un  logement  à  Reims. 

Nous  sommes  obligés  de  faire  la  même  observation  sur  Epist.  i8a, 
l'épître  182.  L'éditeur  ne  pouvant  concilier  la  suscription  de  *'*  ^°°' 
cette  lettre  avec  les  catalogues  des  doyens  de  l'église  de 
Paris,  qui  placent  à  l'an  11 95  Hugues  Clément,  a  pris  la 
liberté  de  mutiler  le  titre -de  la  lettre  portant  dans  les  ma- 
nuscrits ,  et  même  dans  la  première  édition  :  Sanctissitno 
domino  et  patri  Lucio  sunimo  pontifiai  frater  Stephanus  de 
sancta  Genc'efa  salutem  et  sinceram  in  omnibus  obedien- 
tiam.  Ce  qu'il  fallait  conclure  de  cet  intitulé,  c'est  qu'en  1 184 
au  plus  tard ,  Hugues  Clément  avait  concouru  pour  la  place 
de  doyen  avec  Hervé  de  Montmorenci-Marli,  et  qu'ayant 
^échoué  cette  fois  malgré  la  recommandation  de  l'abbé  de 
Sainte-Geneviève  auprès  du  souverain  pontife^  il  ne  parvint 
.<|ue  dix  ans  après  à  cette  dignité. 

La  lettre  i83  aux  évêques  d'Arras  et  d'Amiens,  la  i84*       Epist.  i83, 
à  Lambin,  évêque  des  Morins  ou  de  Térouane,  sont  rela-  ^'-  '9!4- 
tives  à  des  démêlés  qu'avait  avec  les  religieux  de  Saint-Bertin  ai.^2w.   *^^  ' 
notre  évêque  de  Tournai. 

L'an  ii€)i,  Etienne  étant  déjà  évêque  de  Tournai,  dans  Epist.  i85 , 
une  lettre  au  cardinal  Octavien,  évêque  d'Ostie,  prit  la  dé-  *'•  "o^- 
fénse  de  son  ancien  ami  Foulques ,  abbé  de  Saint-Germain- 
des-Prés  ,  que  l'université  voulait  rendre  responsable  du 
meurtre  d'un  écolier,  commis  par  les  cli«ns  ou  censitaires 
de  l'abbaye  dans  une  rixe  sur  le  Pré-aux-Clercs.  Quoique 
l'abbé  eiit  prouvé  son  innocence  devant  le  régent ,  et  qu'il 
eût  fait  justice  des  coupables  en  démolissant  leurs  maisons, 
néanmoins  l'université  avait  dénoncé  cet  attentat  en  cour 
de  Rome.  L'évêque  de  Tournai  n'étant  pas  encore  dans  les 
bonnes  grâces  du  pape  Célestin ,  c'est  au  cardinal  Octavien 
qu'il  envoya  ses  instructious  en  faveur  de  son  ami. 


y 


60  ETIENNE  DE'  TOURNAI. 


XII  SIECLE. 


y 


al.  21 3 


L'éditeur,  à  la  suite  de  cette  lettre,  en  a  placé  deux  autres 
Epist.  186 ,  à  l'abbé  Foulques  pour  le  remercier  d'avoir  donné  à  son 
Ep°si.  18-    fr^''^  un  bénéfice  dépendant  de  son  abbaye.  11  lui  parle,  en 

al.  J95.  finissant,  d'une  espèce  de  fromage  de  couleur  verte,  qu'on 

trouvait  délicieux  en  Flandre;  mais  qui  ne  plairait,  dit-il, 
ni  aux  yeux  ni  au  goût  des  Parisiens. 
Episi.  188  ,  La  suscription  ue  l'épître  188  à  Nivelon  de  Chérizi,  évêque 
de  Soissons ,  en  indique  assez  le  sujet ,  cependant  il  est  en- 
core difficile  d'en  pénétrer  le  sens.  Elle  est  conçue  en  ces 
termes  :  Sues<sionensi  episcopo  injuste  damnato  ad  solvenda 
debitA ,  dunmatiis  injuste  ad  fodienda  metalla  saluleni  et 
conimuneni  mumuiris  inclusi patientiam.  Dans  l'impossibilité 
de  payer  les  sommes  qu'on  exigeait  de  lui ,  l'evêque  de 
Tournai  s'était  réfugié  à  Marisy,  terre  dépendante  de  Sainte- 
Geneviève  dans  le  Soissonnais.  Là  voulant  se  rendre  utile 
aux  habitans  du  voisinage  qui  demandaient  à  recevoir  de 
lui  les  sacremens  réservés  aux  évêques,  il  demanda  à  l'evêque 
diocésain,  qui  lui-même  éprouvait  des  vexations,  la  per- 
mission de  les  administrer,  et  à  cette  occasion  il  l'instruit 
des  motifs  qui  l'avaient  éloigné  de  son  diocèse  sans  pourtant 
s'expliquer  trop  clairement.  On  voit  seulement  qu  il  s'était 
montre  récalcitrant  dans  quelque  entreprise  de  la  cour  de 
Rome,  onéreuse  au  clergé  en  général,  et  sur-tout  aux  évêques, 
à  laquelle  il  voulait  opposer  une  digue  :  Credideram  me  in 
loco  terribilium  judiciorum  posse  pontem  facere ,  per  quem 
pontifices  alii  transitum  soient  habere.  Etait-il  aéja  alors 
question  des  annates.^  Quoi  qu'il  en  soit,  voici  ce  que  lui 
répondit  l'evêque  de  Soissons. 
Epist.  189,       Après  avoir  admiré  dans  la  lettre  de  l'evêque  de  Tournai 

al.  214.  '  l'élégance  du  style,  la  gravité  des  pensées,  fa  connaissance 
des  lois  et  de  l'écriture ,  pris  part  à  son  adversité  :  «  Qui  peut 
voir  sans  gémir,  dit-il,  le  vicaire  de  J.  C.  tergiverser  entre 
le  oui  et  le  non,  révoquer  un  premier  jugement  conforme  à 
l'équité,  être  pour  l'église  gallicane  un  sujet  de  scandale  et 
de  confusion  ?  Sanè  non  nos  adeb  perturbât  familiare  incom- 
moduni  quàm  totius  ecclesiœ  scandalum  générale.  Quis  enim 
sine  cordis  amaritudine ,  sine  lacrymarum  fonte ,  sine  suspi- 
riorum  crehra  replicatione  'videat  magistrum  ecclesiœ,  Pétri, 
imnio  Christi,  vicarium  à  'veritatis  tramite  deviare ,  ut  in 
ore  ipsiiis  est  et  non  inveniatur?  Si  percussus  fuerit  incan- 
tator,  quis  medebitur  eiP  Jam  judex  ille  cui  sœpè  dicttur, 
oculi  tui  videant  œquitatem,  terrain  ingreditur  duabus  vus 


XII  SIECLE. 


ETIENNE  DE  TOURNAI.  56i 

et  claudicat  in  duas  partes ,  et  quœ  semel  de  lahiis  suis  pro- 
cesserunt ,  non  duhitat  irritare  :  quis  igitur  dahit  capiti  nieo 
aquani  et  oculis  meis  fontem  lacrytnarinn ,  ut  ploreni  non 
interfectos populi  mei,  sed pastores populi  niei,  sed principein 
pastorum ?  Èatius  autem  reputamus  suspensionis  onus ,  et  ut 
à  plerisque  dicitur ,  honorent  sustinere ,  quam  occasioneni 
scandali  et  peipetuœ  confusionis  seniinariuni  gallicanœ  ec- 
clesiœ  suscitare.  Tout  cela  n'expHque  pas  de  quoi  il  s'agissait, 

{)arce  que,  comme  porte  la  suscription  de  la  lettre,  la  dou- 
eur  était  concentrée,  comniuneni  murmuiis  interni patien- 
tiam;  mais  on  voit  que  cette  affaire  était  regardée  comme 
une  semence  de  scandale  et  de  confusion  pour  toute  l'église 
gallicane.  Ce  qui  prouve  qu'il  était  question  de  finances, 
c'est  ce  qu'ajoute  Nivelon  en  terminant  sa  lettre,  qvie  la  plu- 
part des  prélats,  bien  loin  de  refuser  de  donner  de  l'argent, 
s'empressaient  d'offrir  de  l'or,  le  mettant,  pour  ainsi  dire, 
en  évidence  sur  leurs  têtes  :  Illud  ad  ultimuni  'volumu's  ha- 
bere  vos  prœ  oculis ,  qubd  prœlati  nostri  non  auruni  pedibus 
suis  subjiciunt,  sed  suo  capiti  superponunt.  Au  reste ,  l'évêque 
de  Soissons  eut  d'autant  moins  de  peine  à  accorder  la  per- 
mission qu'on  lui  demandait,  qu'il  était  lui-même  suspendu 
des  fonctions  épiscopales ,  ou  qu'il  s'attendait  à  l'être  bientôt 
après. 

Quant  à  l'évêque  de  Tournai ,  il  paraît  qu'il  se  détermina      Epist.  igo , 
à  payer  en  empruntant  à  usure  jusqu'à  la  concurrence  de  ^-  *'^- 
deux  années  du  revenu  de  son  évêche ,  dans  l'espérance  que 
l'archevêque  de  Reftns  viendrait  à  son  secours,  comme  il 
le  témoigne  dans  la  lettre   190  à  Bertier  ,  archidiacre  de 
Cambraj. 

La  lettre  194  à  un  pape  qui  n'est  pas  nommé,  fut  écrite  Epist.  194 
au  nom  des  évêques  de  France,  ou  du  moins  d'une  de  nos  ^'"  "' 
provinces  ecclésiastiques.  Rien  ne  prouve  qu'Etienne  fût  alors 
revêtu  de  la  dignité  episcopale  :  mais  on  ne  peut  douter  qu'il 
n'en  ail  été  le  rédacteur.  Ce  sont  de  respectueuses  remon- 
trances sur  une  ordonnance  du  souverain  pontife ,  qui  en- 
joignait aux  évêques  de  pourvoir  à  la  subsistance  des  clercs 
de  tous  les  gracies ,  soit  par  des  bénéfices ,  soit  de  leurs 
propres  deniers.  Les  évêques  dont  la  plupart  avaient  assisté 
au  concile  de  Latran  de  l'an  1179,  it^presentent  que  dans 
cette  assemblée  une  pareille  obligation  ne  leur  fut  imposée 

3ue  relativement  aux  prêtres  et  aux  diacides;  que  le  nombre 
es  autres  clercs  s'étant  beaucoup  multiplié  par  des  consi- 
TomeXF.  Bbbb 


5Ca  ETIENNE  DE  TOURNAI. 

XII  S1£CLE 

— L  dérations  fort  étrangères  au  service  de  l'autel,  il  serait  impos- 
sible d'y  suffire;  et  à  cette  occasion  on  nous  instruit  des 
motifs  qui  précipitaient  alors  la  plupart  des  hommes  dans 
le  cierge. 

Epist.  igS ,  L'évêque  de  Tournai  était  si  assuré  de  trouver  dans  l'ar- 
"  '  *^  ■  chevêque  de  Reims  secours  et  protection,  qu'il  ne  craignait 

pas  de  l'importuner  pour  les  moindres  choses.  Il  avait  institué 
dans  son  chapitre  une  nouvelle  prébende  en  faveur  d'un 
génovefain  qu'il  avait  emmené  avec  lui  ;  mais  à  peine  deux 
ans  s'étaient  écoulés,  que  les  chanoines  le  destituèrent. 
Etienne  s'en  plaignit  à  l'archevêque  dans  la  lettre  i  gS ,  et , 
pour  entrer  en  matière,  il  lui  rapporte  qu'il  existait  à  Or- 
léans un  homme  fameux  par  ses  quolibets  qu'il  assimile  auK 
paraboles  de  Salomon  :  Âiirelianensis  nostri  Garnaudi  deli- 
ciosas  vohis  parabolico  Salomonis  caractère  nugas  oppono. 
Suivant  ce  diseur  de  bons  mots ,  il  y  avait  trois  espèces  de 
murmurateurs,  et  une  quatrième  plus  chagrine  que  les  autres, 
communia  rusticorum  domina ntium ,  cœtus  fcminarum,  liti- 
gantium,  grex  porcorum  ad  uniiis  clamorein  grujiiiientium , 
capiUilura  diversa  vota  sectantium.  «  Je  me  moque,  dit -il, 
des  seconds ,  et  m'embarrasse  fort  peu  des  troisièmes  ;  mais 
me  trouvant  aux  prises  avec  les  premiers  et  les  derniers,  je 
"*-  vous  supplie  de  venir  à  mon  secours.  »  Et  il  expose  l'affaire. 

EpUi.  irfi ,  L'arehevêque  ayant ,  en  sa  qualité  de  légat ,  fait  droit  à  ses 
al.  191.  plaintes,  il  len  remercie  dans  la  lettre  suivante,  annonçant 

3ue  les  chanoines,  bien  loin  de  se  corriger,  avaient  passé 
u  murmure  aux  injures,  et  ne  menaçaient  de  rien  moins 
.         que  de  lui  intenter  un  procès  :  ce  qu'il  exprime  par  ces 
mots  :  ohtulerunt  festucam. 
fjpnt.  197.         Il  écrivit  au  pape  Célestin  III  les  lettres  iq^  et  198,  pour- 
Epist.  198  ,  le  prémunir  contre  les  faux  rapports  d'un  religieux  de  Saint- 
"••97-  Martin  de  Tournai,  qu'on  supposait  s'être  échappé  de  la 

maison  muni  de  fausses  lettres,  et  avoir  pris  le  chemin  de 
Rome.  On  voit  en  effet  par  la  seconde  lettre  qu'il  s'était  pré- 
senté au  pape,  et  qu'il  répétait  sur  sa  communauté  des 
sommes  d  argent  dont  il  avait  lui-même  fabriqué  les  titres. 
Epist.  199,  Il  est  question  dans  la  lettre  199  de  la  chapelle  de  Sainte- 
ai.  198.  Geneviève  des  Ardens,  alors  située  au  parvis  Notre-Dame, 

d'où  un  jeune  archidiacre  avait  chassé  te  génovefain  qui  la 
desservait  pour  la  donner  à  un  prêtre  séculier.  Ce  fut  matière 
à. procès,  sur  lequel  l'évêque  de  Tournai  ayant  été  consulté, 
trace  à  ses  anciens  confrères  la  marche  qu'ils  ont  à  suivre. 


ETIENNE  DE  TOURNAI.  563 

XII  SIECLE. 


Dans  l  epître  200  a  l'archevêque  de  Reims ,  il  rend  compte 
au  prélat  de  1  état  de'plorable  dans  lequel  il  avait  trouve  le      Epist.  200 , 
monastère  de  Bredenai,  situe  dans  son  diocèse,  réduit  alors  ^-  '99* 
en  solitude  par  l'abandon  des  religieux  ,  et  des  mesures  qu'il 
avait  prises  pour  y  rétablir  la  conventualité. 

Il  y  a  apparence  que  l'élection  de  Gérard  à  l'abbaye  de      Epist.  aoî , 
Corbie,  faite  l'an  1193  par  le  roi  Philippe- Auguste  avec  le  *'•  *<*^- 
consentement  des  religieux ,  souffrait  à  Rome  quelque  diffi- 
culté, puisque  l'évêque  de  Tournai  fut  charge  d'écrire  au 
pape  Célestin  le  lettre  2o3  en  faveur  du  nouvel  abbé. 

Ce  qui  prouve  que  l'évêque  de  Tournai  ne  perdit  jamais      Epist.  aoS , 
de  vue  l'abbaye  de  Sainte-Geneviève,  c'est  la  lettre  2o5  qu'il  *'•  ^°'^' 
écrivit  à  l'abbé  Jean  et  à  ses  religieux  pour  leur  recommander 
de  maintenir  dans  la  maison  la  subordination  et  l'union  des 
coeurs,  leur  rappelant  tout  ce  qu'il  avait  fait,  pendant  quinze 
ans  qu'il  fut  leur  abbé,  pour  le  bonheur  de  tous. 

Des  religieux  de  l'abbaye  de  Saint-Amand  ayant  porté      Epist.  107, 
contre  leur  abbé  des  plaintes  à  l'archevêque  de  Reims,  notre  *'•  *"'' 
prélat,  qui  fut  chargé  d'aller  prendre  des  informations  sur 
les  lieux,  rend  compte  à  l'archevêque  du  résultat  de  sa  mis- 
sion entièrement  favorable  à  l'abbé.  C'est  l'objet  de  l'épître 
207. 

Pour  répondre  aux  reproches  que  lui  faisait  son  ami  Ber-  Epist.  ao8, 
lier,  archidiacre  de  Cambrai,  prétendant  que  le  nouvel  ai-  a»5. 
évêque  de  Tournai  remplissait  mal  les  devoirs  de  sa  place , 
apparemment  parce  qu'il  donnait  moins  que  bien  d'autres 
à  la  représentation ,  Etienne ,  dans  la  lettre  208 ,  lui  fait  le 
détail  de  ses  occupations  journalières ,  et  de  sa  manière  de 
vivre  toute  épiscopale. 

La  lettre  2 1  o  à  1  archevêque  de  Reims  n'est  pas  plus  entière      Epist.  a  10 , 
dans  l'édition  du  père  du  Molinet  que  dans  l'ancienne  édi-  al-  aig- 
tion ,  oti  des  deux  lettres  210  et  211  on  n'en  a  fait  qu'une 
qui  est  la  219* .  D'après  le  manuscrit  où  la  lettre  est  entière, 
on  voit  que  l'archevêque  de  Reims  exigeait  que  le  doyen  de 
l'église  de  Tournai  reçût  l'ordre  de  prêtrise.  Etienne  le  sup- 

Flie  d'avoir  égard  à  la  simplicité  du  doyen ,  qui  manquait  de 
instruction  requise  pour  le  sacerdoce,  et  de  ne  pas  le  presser 
sur  cet  objet.  Dans  la  lettre  247,  il  annonce  au  chapitre  de 
Tournai  qu'à  sa  recommandation  l'archevêque  s'est  désisté 
de  ses  instances. 

Vers  l'an  1 198,  notre  prélat  fit  la  dédicace  de  la  chapelle      Epist. 
de  Saint -Vincent,  qu'il  avait  fait  construire  à  grands  frais  al 

Bbbba 


■Ml   , 
220. 


564  ETIENNE  DE  TOURNAI. 

— . dans  son  palais  sur  une  arcade  aboutissant  a  1  église  cathé- 
drale, afin,  dit- il,  d'y  pénétrer  par-là  librement,  sans  être 
expose',  dans  des  temps  de  troubles,  aux  insultes  de  la 
multitude.  Tel  est  l'objet  de  la  lettre  21 1  à  l'abbé  de  Sainte- 
Episi.  212,  Geneviève  qu'il  invite  à  la  cérémonie,  et  de  la  2i2«  à  Lam- 

ai-  aig  bin,  évoque  de  Térouane,  à  la  fin  de  laquelle  il  ajoute,  pour 

s  égayer,  qu'afin  de  détourner  les  passans  de  venir  faire  là 
des  ordures ,  quelqu'un  avait  peint  à  fextérieur  ces  vers 
orduriers,  que  le  P.  du  Molinet,  par  une  excessive  délica- 
tesse ,  a  supprimés  : 

Sordide,  qui  sentis  Dentrem  contendere  ventis, 
Longius  absiste ,  quoniam  sacer  est  locus  iste  ; 
Cui  stomachus  turget ,  qiiem  fœtidus  AEolus  urget. 
Non  hic  se  purget ,  quia  non  sine  verbere  surget.  Etc. 

Epist.  214,       A  l'occasion  de  faussaires  fabricateurs  de  bulles  papales, 
«1.  221.  qu'il  avait  découverts  à  Tournai ,  l'auteur  fait  la  description 

de  l'instrument  dont  ils  se  servaient  pour  frapper  le  sceau 
pendant.  C'étaient  des  coins  à  deux  branches  en  forme  de 
tenailles,  au  bout  desquelles  étaient  deux  poinçons  qu'on 
plaçait  l'un  au-dessus  de  l'autre ,  superiorem  et  inferiorem 
molam ,  ou  incudem ,  pour,  serrer  et  frapper  la  matière ,  et 
lui  donner  l'empreinte  des  deux  côtés. 
Episi.  216 ,  La  lettre  21G  à  un  prétendu  évêque  de  Lisieux ,  transféré 
al.  222.  sur  le  siège  de  Héliopolis,  comme  porte  le  texte,  in  transla- 

tione  tua  de  Luxovio  ad  civitateni  Heliopoleos ,  a  donné  la 
Gall.  Christ,  torture  aux  auteurs  du  Gallia  Christiana ,  parce  qu'ils  ne 
I. XI , col.  7»o.  trouvent  pas  que,  du  vivant  d'Etienne  de  Tournai,  aucun 
évêque  de  Lisieux  ait  été  transféré  sur  un  autre  siège.  Le 
P.  du  Molinet  nous  dit  hardiment  que  cet  évêque  était  Jour- 
dain de  Hommet,  qui  étant  parti  pour  la  Terre-Sainte,  fut 
fait  évêque  de  HéHopolis  en  Syrie,  oîi  il  mourut  fan  I2i4- 
,  Ce  sont  là  autant  de  bévues  que  de  mots.  Jourdain  ne  parvint 
à  l'épiscopat  de  Lisieux  qu'en  1202,  un  an  avant  la  mort 
d'Etienne  de  Tournai.  Il  est  vrai  qu'il  alla  à  la  Terre-Sainte 
où  il  mom'ut;  mais  il  ne  partit  qu'après  l'an  1218. 

Cette  lettre ,  dans  la  première  édition  de  Masson  ,  est  mu- 
tilée au  commencement  ;  mais  dans  le  manuscrit  2028  de  la 
bibUothèque  Royale,  elle  a  pour  titre  au  foho  162  verso: 
Ricardo  Reliensi  archidiacono.  Ainsi  il  n'est  nullement  ques- 
tion d'Héliopolis  en  Syrie,  mais  de  Hély  ou  Ely  en  Angle- 
terre. Cet  archidiacre  venait  de  quitter  Lisieux,  où  il  était 


XII  SIECLE. 


ETIENNE  DE  TOURNAI.  565 

archidiacre ,  pour  passer  avec  la  même  qualité  à  Ely  ,  à 
l'époque  oii  Guillaume  de  Long -Champ  fut  fait  évêque  de 
cette  ville.  Voilà  pourquoi  l'auteur  termine  sa  lettre  par  ces 
mots: Saluta  mihi  tuum  episcopum,  legatiim,  canceltarium, 
et  fréquenter  admone  ut  suh  hac  promotione  trina  servum 
Trinitatis  se  agnoscat,  et  sic  prœesse  discat  hominihus ,  ut 
creatori  suo  se  confîteatur  subesse.  Tout  cela  ne  peut  convenir 
qu'à  Guillaume  de  Long-Champ ,  qui  fut  ftiit  évêque  d'Ely, 
légat  du  pape,  et  chancelier  d'Angleterre  l'an  1 190,  et  perdit 
ces  places  1  année  d'après  :  d'où  il  faut  conclure  qu'Etienne 
n'était  pas  encore  évêque  de  Tournai  lorsqu'il  écrivit  cette 
lettre,  qui  par  conséquent  n'est  pas  à  sa  place. 

L'archidiacre  de  Lisieux  et  puis  d'Ely  était  un  savant 
qu'il  est  à  propos  de  faire  connaître  dans  notre  histoire  lit- 
téraire ,  puisque  l'occasion  s'en  présente.  L'auteur  de  la  lettre 
nous  apprend  que  cet  archidiacre  avait  étudié  la  jurispru- 
dence à  Bologne ,  et  qu'en  quittant  ce  pays  on  lui  avait  prédit 
qu'il  brillerait  dans  les  conseils  des  prélats  et  des  rois  :  Mé- 
mento illius  distichi  quod  poetico  potiàs  quàni  prophetico , 
sed  tamen  veridicq  spiritu ,  in  recessu  tuo  Bononiensi  dictunt 
est  tihi  a  quodam  : 

Pontificum  causas ,  regitmque  negotia  tractes 
Qui  tibi  dh'itias,  deliciasque  parant  (i). 

Il  ajoute  que  ce  savant  avait  aussi  brillé  dans  les  écoles  :  Qui 
scholarihus  amahilis  eras ,  curialihus  admirabilis  esto. 

Malgré  l'autorité  du  manuscrit  qui  nomme  cet  archidiacre 
Richard,  nous  pensons  qu'il  s'appelait  Robert,  et  qu'il  n'est 
autre  que  cet  archidiacre  de  Lisieux  dont  parle  Roger  de  P-  5a6. 
Hoveden  (2),  lequel,  après  le  meurtre  de  saint  Thomas  de 
Cantorbéri ,  fut  un  des  ambassadeurs  envoyés  en  cour  de 
Rome  l'an  11 7 1 ,  pour  justifier  le  roi  d'Angleterre  du  meurtre 
du  saint  prélat.  Nous  pensons  que  c'est  encore  à  lui  qu'est 
adressée  la  lettre  60  de  Jean  de  Salisburi,  qui  n'a  aucun 
titre,  et  dans  laquelle  l'auteur  s'égaye  sur  l'éloquence  des 


(i)  Nous  rapportons  ce  texte  ^  parce  que  le  P.  du  Molinet  l'a  entière- 
ment omis,  quoiqu'il  existât  dans  l'ancienne  édition. 

(2)  Il  est  encore  parlé  de  cet  archidiacre  deux  fois  dans  la  collection 
des  lettres  de  saint  Thomas  de  Cantorbéri,  liv.  V,  ep.  83  et  84  J  mais  là 
ion  nom  n'est  désigné  que  par  la  lettre  R. 


XII  SIECLE. 


566  ETIENNE  DE  TOURNAI. 

babitans  de  Lisieux  et  du  pays  Lieuvin  ;  mais  nous  ne  con- 
naissons de  lui  aucun  écrit. 
Epist.  218,      Par  une  méprise  inconcevable,  l'éditeur  a  entièrement 
al.  aa5.  changé  l'objet  de  la  lettre  218  à  Eudes,  évêque  de  Paris. 

Les  six  premières  lignes  contiennent  un  éloge  du  prélat,  à 
la  suite  auquel  il  a  cousu  un  lambeau  de  l'épître  220,  tandis 
que,  dans  les  manuscrits,  il  s'agit  d'u  le  affaire  toute  diffé- 
rente. L'évêque  de  Tournai  mande  celui  de  Paris  qu'un 
jeune  archidiacre  de  son  égUse ,  ayant  besoin  d'argent ,  avait 
mis  ses  livres  en  gage  chez  un  banquier ,  campsor,  lequel 
refixsait  de  les  rendre ,  quoiqu'on  lui  eût  remboursé  le  capital 
et  les  intérêts.  L'évêque  de  Paris  est  supplié  de  contraindre 

f)ar  voie  de  justice  cet  homme  de  mauvaise  foi  à  rendre  les 
ivres. 

Epist.  aao ,       Autre  méjprise  sur  l'épître  220.  Elle  est  adressée  à  Pierre, 
"  ■  **'■  évêque  d'Orléans,  et  il  n'y  a  point  eu  d'évêque  de  ce  nom  à  r 

Orléans  pendant  le  XIP  siècle.  Il  fallait  lire  Atrehatensis , 
et  non  Aurelianensis.  Pierre,  évêque  d'Arras,  avait  été  pris 
pour  arbitre  dans  un  procès  qu  avait  l'église  de  Tournai 
contre  les  religieux  de  Saint-Bertin ,  procès  dont  il  est  aussi 
parlé  dans  les  lettres  i83  et  184,  qu'il  s'agissait  alors  de 
terminer  à  l'amiable ,  et  c'est  pour  en  hâter  la  décision  que 
l'évêque  de  Tournai  écrit  à  l'évêque  d'Arras. 

Epist.  aaa ,  Il  y  a  encore  une  méprise  considérable  dans  la  lettre  222 
à  Arnoul ,  doyen  de  Bruges.  L'éditeur  suivant  aveuglément 
l'ancienne  édition ,  a  cousu  après  ces  mots ,  f estivant  nobù 
faciat ,  non  infestant ,  un  lambeau  d'une  épître  de  l'abbé  de 
la  Sauve  à  l'évêque  de  Tournai ,  dont  le  commencement  a 
été  déchiré,  inais  qu'on  trouve  toute  entière  commençant 
par  ces  mots,  Vohis ,  domine  pater  carissinte,  dans  le  ma- 
imscrit  2928,  fol.  i65,  recto,  de  la  bibliothèque  Royale. 

Les  lettres  224 ,  226  et  226  sont  relatives  à  une  procédure 
contre  l'abbé  de  Saint-Martin  de  Tournai,  Jean  de  Nancin. 
A  peine  arrivé  dans  son  évêché ,  Etienne  fut  chargé  par 
l'archevêque  de  Reims  de  remédier  aux  abus  qui  s'étaient 

%ist.  a24-  introduits  dans  cette  abbaye.  La  lettre  224  contient  l'ordon- 
nance rendue  contre  l'abbé,  et  les  conditions  humiliantes 
au  prix  desquelles  il  fut  rétabli  dans  sa  place.  —  L'abbé 
s'étant  ensuite  pourvu  contre  cette  ordonnance  par  appel 
au  souverain  pontife,  Etienne  écrivit,  au  nom  des  religieux 

Epist.  225.  de  Saint-Martin ,  la  lettre  225 ,  non  à  l'archevêque  de  Reims, 
comme  l'a  cru  l'éditeur,  mais  au  pape  Célestin  III,  à  qui 


XII  SIECLE. 


ETIENNE  DE  TOURNAI.  ,  56'j 

seul  peut  convenir  la  qualification  qu'il  lui  donne  (ïunigue 
l'efuge  des  paiwres.  Il  écrivit  aussi  sur  cet  appel  à  l'arche- 
vêque de  Reims;  mais  la  lettre  est  restée  manuscrite,  et 
commence  par  ces  mots  :  Clamât  in  aures  domini  Sahaoth. 
— L'éditeur  suppose  encore  que  l'épître  226  sur  le  même  Epîst.  426. 
objet,  est  adressée  à  l'archevêque  de  Reims;  mais  le  début 
même  ainsi  conçu,  Serib  loquiniur^  qui  quandoque  vobiscwn 
jocosè  loqui  solenius ,  prouve  qu'elle  lut  adressée  à  son  ami 
Lambin,  évêque  de  Térouane,  avec  lequel  seulement  l'évêque 
de  Tournai  se  permettait  le  ton  badm ,  comme  on  peut  le 
voir  dans  les  lettres  i83,  212,  228.  Ce  qui  prouve  encore 
que  la  lettre  précédente  est  écrite  au  pape,  c'est  que  dans 
celle-ci  l'auteur  prie  son  ami  de  lui  écrire  aussi  pour  le 
même  objet. 

Le  prince  Louis,  fils  du  roi  Philippe- Auguste,  avait  prié  Epist.  2*7, 
l'évêque  de  Tournai  de  lui  envoyer  un  cheval  de  main ,  pa~  *  •  *  7- 
lefriaum.  Etienne  lui  répond ,  dans  la  lettre  227,  qu'il  va  lui 
en  choisir  un  qui  soit  digne  d'un  tel  cavalier.  Il  faut  croire 
C[ue  le  jeune  prince  était  déjà  en  état  de  monter  à  cheval,  et 
qu'il  avait  par  conséquent  dix  ou  douze  ans  ;  et  comme  il 
était  venu  au  monde  l'an  1187,  cette  lettre  peut  avoir  été 
écrite  l'an  1197  ou  1199.  Au  reste,  l'auteur  nous  apprend 
qu'il  avait  été  le  parrain  du  jeune  prince ,  et  en  cette  qualité 
il  l'exhorte  à  bien  étudier ,  parce  que  pour  bien  gouverner 
un  état  il  faut  être  instruit. 

La  lettre  228  n'a  point  d'adresse  ni  dans  l'imprimé  ni  dans  Epist.  228 , 
les  manuscrits.  Nous  la  croyons  cependant  adressée  à  I.ambin^  ^'"  ^^*- 
évêque  de  Térouane ,  par  la  raison  qu'elle  est  sur  le  ton  de 
plaisanterie,  comme  celles  dont  nous  parlions  tout-à-l'heure. 
Lambin  ayant  consulté  son  ami  sur  quelque  question'  diffi- 
cile, celui-ci  le  renvoie  à  une  entrevue  qu'ils  devaient  avoir 
à  Saint-Quentin ,  où  l'archevêque  de  Reims  les  avait  invités 
de  se  trouver  au  mois  d'août;  et  pour  prouver  qu'on  pou- 
vait différer  de  parler  d'affaires  jusqu'à  ce  temps-là,  c'est 
que  la  fin  du  monde  ,  disait-il ,  n'étant  pas  si  prochaine  que 
1  annonçait  un  certain  Hugues  ressuscité  d'entre  les  morts, 
il  n'y  avait  point  d'inconvénient  à  différer  jusqu'au  mois 
d'août,  quoique  ce  prétendu  ressuscité,  par  ses  prédictions, 
eût  jeté  fa  terreur  dans  tous  les  esprits.  Rigord  rapportant 
l'apparition  de  ce  revenant  à  l'année  1 198,  nous  donne  à-peu- 
pres  la  date  de  cette  lettre. 

L'épître  229 ,  qui  dans  l'édition  du  P.  du  Mohnet  a  pour      Ep»»*-  a»9. 


568  ETIENNE  DE  TOURNAI. 

:; L  titre,  Cuidain  prœlato  ecclesiœ  romance,  est  adressée  clan.s 

le  manuscrit  domino  Soffrido ,  sanctœ  romance  ecclesiœ  car- 
dinali.  Elle  a  pour  objet  de  demander  les  bons  ofïices  du 
cardinal,  pour  obtenir  du  pape  le  renouvellement  des  privi- 
lèges de  1  abbaye  de  Sainte- Geneviève  :  ce  qui  avait  lieu  à 
chaque  mutation  de  pontificat  à  Rome.  Cette  lettre  est  donc 
antérieure  à  l'épiscopat  d'Etienne,  et  aurait  dû  être  placée 
parmi  celles  qu  il^écrivit  étant  abbé  de  Sainte-Geneviève. 
Epist.  23o.  Cuidam  amico  est  le  titre  de  la  lettre  23o  dans  l'édition 

du  P.  du  Molinet.  Les  manuscrits  portent,  Arnulfo  decano 
chnstianitatis  hrugensis ,  le  même  auquel  sont  adressées  les 
lettres  221  et  222.  Elle  contient  une  explication  de  quelques 
effets  d'équipement  pour  un  cheval  dont  il  faisait  présent  au 
doyen, 
Epist.  23i ,       L'épître  281  à  l'archevêque  de  Reims  a  deux  objets.  L'au- 

al.  ai2.  teur  se  plaint  d'abord  des  tergiversations  de  la  commune 

de  Tournai  avec  laquelle  il  était  en  procès.  Le  roi  avait  or- 
donné aux  habitans  de  s'en  rapporter  sur  les  objets  contestés 
à  la  décision  de  l'évêque  d'Arras  et  du  châtelain  de  Lille; 
mais  les  habitans  n'avaient  tenu  aucun  compte  des  ordres  du 
roi.  L'archevêque  de  Reims  auquel  ils  s'étaient  ensuite  adres- 
sés, leur  avait  suggéré  un  mode  de  conciliation  par  arbitrage, 
auquel  ils  avaient  consenti  ;  mais  le  peuple  assemblé  s'y 
était  refusé.  C'est  dans  cet  état  des  choses  que  les  chanoines 
de  Tournai  demandent  au  prélat  de  venir  à  leur  secours.  — 
Le  second  objet  de  la  lettre  est  relatif  à  l'excommunication 
du  comte  de  Flandre,  et  à  l'interdit  que  le  cardinal  Melior, 
légat  du  pape,  avait  ordonné  de  prononcer  sur  ses  terres. 
L'évêque  de  Tournai  expose  à  l'archevêque  les  mauvais  effets 
qu'un  premier  interdit  avait  produits ,  parce  que  ce  prince 
ne  redoutait  ni  excommunication  ni  interdit,  et  qu'il  s'était 
d'ailleurs  pourvu  par  appel  au  pape.  Cette  lettre  écrite  l'an 
1197  n'est  pas  à  la  place  qu'elle  devrait  occuper;  elle  parle 
d'un  premier  interdit,  dont  il  n'est  question  que  dans  les 
lettres  282,  235,  236  et  237. 
F.pwt.  a3a.  La  lettre  232 ,  qui  dans  l'imprimé  n'a  aucune  suscription  , 
est  adressée  dans  le  ms.  292?  de  la  bibliothèque  Royale, 
fol  1/(8,  verso,  domino  Cameracensi ,  pro  interdicto  in,  terni 
comitis  Flandrice  facto .  L'évêque  de  Cambrai  ayant  excom- 
munié le  comte  de  Hainaut  et  son  fils,  devenu,  l'an  1194» 
comte  de  Flandre  du  chef  de  sa  mère ,  pour  des  dommages 
qu'ils  avaient  occasionnés  à  son  église,  avait  mandé  à  1  evêque 


XII  SIECLE. 


ETIENNE  DE  TOURNAI.  56g 

de  Tournai  de  les  tenir  pour  excommuniés,  et  même  de 
jeter  l'interdit  sur  les  terres  qu'ils  possédaient  dans  son  dio- 
cèse. Etienne  lui  répond  qu'il  a  fait  publier  au  prône  l'ex- 
communication ;  mais  qu'à  l'égard  de  l'interdit  il  a  besoin 
de  consulter  l'évêque  de  Térouane  et  l'archevêque  de  Reims 
avant  de  se  déterminer  à  le  jeter. 

Il  paraît  par  la  lettre  235 ,  qui  dans  l'imprimé  n'a  pas      Epist.  235. 
non  plus  de  suscription,  mais  qui,  dans  le  manuscrit.  Fol. 
.  i56  ,  verso ,  est  adressée  à  Guillaume ,  archevêque  de  Reims,  ^ 

Domino  Remensi,  pro  interdicto  in  te  ira  comitis  Flandriœ 
proptev  Camcracensem  ecclesiam  facto  ;  il  paraît ,  disons- 
nous,  que  l'évêque  de  Tournai  se  décida  à  lancer  l'interdit; 
mais  cet  interdit  produisit  un  très-mauvais  effet;  le  peuple, 
et  sur-tout  les  Flamands  en  murmurèrent  beaucoup  ;  on  fut 
sur  le  point  de  chasser  tous  les  prêtres  qui  refusaient  le  ser- 
vice ,  et  d'en  appeler  d'autres  des  pays  étrangers.  C'est  ce 
3ue  mande  à  l'archevêque  de  Reims  notre  prélat,  en  le  priant 
e  venir  à  son  secours,  et  de  mettre  par  son  autorité  quelque 
tempérament  à  la  sentence  de  l'évêque  de  Cambrai. 

Ce  prélat  ayant  eu  connaissance  de  la  lettre  écrite  à  l'ar-  Epist.  236. 
cbevêque,  en  fit  des  reproches  très-amers  à  celui  de  Tournai, 
l'accusant  de  pusillanimité  et  d'inconstance  dans  ses  opi- 
nions, vu  sur-tout  qu'il  avait  approuvé  auparavant  la  me- 
sure aussi-bien  que  1  archevêque  de  Reims.  Tel  est  le  précis 
de  la  lettre  236  de  l'évêque  de  Cambrai  à  noti'e  prélat.  — 
Celui-ci  lui  répond  dans  la  suivante,  qu'il  a  fait  pour  entrer  Epht.  237. 
dans  ses  vues  tout  ce  qu'exigeait  de  lui  la  charité  fraternelle; 
qu'il  a  fait  observer  l'interdit  pendant  tout  le  temps  que  le 
comte  de  Flandre  a  séjourné  à  Tournai  ;  en  un  mot ,  qu'il 
n'a  pas  à  se  reprocher  d'avoir  suggéré  à  l'archevêque  d'avoir 
pitié  des  pauvres  gens  sans  blesser  la  justice  et  les  lois  de  la 
discipline  envers  les  vrais  coupables.  Cette  lettre  est  remar- 
quable par  la  solidité  des  principes  et  par  le  ton  de  modé- 
ration. 

Une  question  s'était  élevée  sur  la  manière  d'interpréter  Epist.  238. 
une  ordonnance  de  Philippe  d'Alsace,  comte  de  Flandre, 
portant  qu'à  chaque  mutation  de  Hef,  le  relief  serait  payé 
au  double  du  revenu  d'une  année.  On  prétendait  que  ce 
doublement  devait  être  entendu  sans  préjudice  du  taux  ordi- 
naire. L'évêque  de  Tournai  consulté  sur  ce  point  de  dix)it, 
répond  dans  la  lettre  238  aux  doyen  et  chapitre  de  Saint- 
Donatien  de  Bruges ,  qu'entendre  ainsi  l'ordonnance  du 
Tome  XF.  C  c  c  c 


Sno  ETIENNE  DE  TOURNAI. 

XII  SIECLE,  ^  .  ,.,  .  „.  . 

comte,  ce  serait  supposer  qu il  aurait  eu  l intention,  non  de 

doubler,  mais  de  trij)ler  ce  droit  seigneurial;  qu'au  surplus 
ce  n'était  point  ainsi  qu'on  entendait  en  France  le  terme 
doubler. 
Epist.  aSc).         A  peine  notre  prélat  était-il  monté  sur  le  siège  de  Tournai 
qu'il  fut  sommé  par  le  roi  de  se  rendre  à  l'armée  avec  le  ' 
contingent  des  troupes  qu'il  devait  fournir.  Il  se  croyait 
exempt  de  ce  service,  parce  que  le  roi  étant  rentré  depuis 
peu  en  possession  de  Tournai,  avait  stipulé,  non  avec  le* 
clergé ,  mais  avec  la  commune  qui  devait  lui  fournir  trois 
cents  hommes.  C'était  un  cas  embarrassant  où  il  avait  à 
lutter  contre  l'autorité  royale.  Il  eut  recours  à  son   grand 
protecteur  l'archevêque  de  Reims,  auquel  il  expose  les  motifs 

3ui  devaient  le  dispenser  du  service  militaire,  motifs  puisés 
ans  l'histoire  des  premiers  temps  de  la  monarchie.  Tel  est 
l'objet  de  la  lettre  a3().  La  lettre  a5a  a  rapport  à  la  même 
affaire. 
Episi.  »4o.         La  suivante  est  sans  adresse  dans  l'imprimé,  mais  dans 
le  manuscrit  2928  de  la  bibliothèque  Royale  elle  a  pour  ru- 
brique. Domino  Atrehatensi  super  quâdarn  quœstione  juris 
sibi  ab  eofactd.  L'évêque  d'Arras,  délégué  du  pape  pour  la 
décision  d'un  procès ,  avait  consulté  notre  prélat  sur  la  ma- 
•      nière  de  prononcer  un  jugement  contre  la  partie  contumace. 
L'illustre  Guillaume  de  Lamoignon,  premier  président  du 
parlement  de  Paris,  à  la  prière  de  l'éditeur,  a  pris  la  peine 
d'éclaircir  cette  lettre  par  des  notes  :  on  sent  en  les  lisant 
qu'elles  ne  sont  pas  de  l'éditeur. 
Epist.  a4a.         Dans  la  lettre  242 ,  l'évêque  de  Tournai  fait  des  représen- 
tations au  pape  Célestin  sur  ce  qu'il  avait  accordé  des  lettres 
de  recommandation  pour  la  premièi-e  prébende  qui  viendrait 
à  vaquer  dans  son  chapitre ,  à  un  homme  dont  il  n  avait 
reçu  que  de  mauvais  offices ,  qui  ferait  son  tourment ,  et 
qui  aurait  le  droit  de  l'insulter,  s'il  obtenait  une  prébende 
malgré  son  évêque.  —  Cette  affaire  lui  tenait  tellement  au 
cœur,  qu'il  en  écrivit  avec  l'accent  de  la  douleur  au  cardinal 
Octavien,  évêque  d'Ostie.  C'est  la  lettre  267,  que  l'éditeur  a 
eu  tort  de  séparer  de  la  précédente. 

Les  lettres  243 ,  244  -,  245 ,  246 ,  sont  relatives  aux  démêlés 

qu'eut  le  prélat  avec  la  commune  de  Tournai,  mais  elles 

sont  placées  dans  un  ordre  interverti. 

Epist.  a43.         Après  de  longues  altercations ,  pendant  lesquelles  le  roi 

et  l'archevêque  de  Reims  avaient  cherché  à  conciher  les  par- 


571 


ETIENNE  DE  TOURNAI. 

■  ties,  les  habitans  de  Tournai  avaient  consenti  à  adopter  la 
charte  de  la  commune  de  Senlis,  qui  réglait  les  droits  res- 
pectifs du  cierge  et  des  habitans;  mais  ceux-ci  craignant  de 
s'être  trop  avancés ,  cherchaient  encore  à  revenir  sur  leurs 
pas.  C'est  dans  cet  état  des  choses  que  notre  prélat  écrivit  à 
l'archevêque  de  Reims  la  lettre  a43 ,  le  priant  de  faire  con- 
firmer par  le  roi  et  de  confirmer  lui-même  les  coutumes  de 
Senlis  comme  obligatoires  pour  la  ville  de  Tournai.  Cela  fut 
fait  l'an  1200,  suivant  l'acte  rapporté  parmi  les  pièces  justi- 
ficatives du  Gallia  Christiana ,  t.  III,  col.  49-  D'oii  il  suit 
que  la  lettre  243  est  de  beaucoup  postérieure  en  date  aux 
trois  qui  la  suivent. 

La  244*  est  aussi  adressée  à  l'archevêque  de  Reims ,  quoi-» 
que  l'imprimé  ne  le  dise  j)as  ;  mais  elle  est  antérieure  de 
quatre  ans  à  la  précédente.  L'an  1 196,  le  roi  ayant  ordonné 
aux  habitans  de  prêter  serment  qu'ils  s'en  rapporteraient  à 
l'archevêque  de  Reims  touchant  les  privilèges  de  leur  com- 
mune ,  ceux-ci,  bien  loin  de  céder,  prétendaient  que  la 
lettre  du  roi  était  supposée;  et  pour  essayer  d'obtenir  un 
contre-ordre  par  quelque  moyen  que  ce  fût,  avaient  envoyé 
en  cour  une  députation.  Cependant  le  prévôt,  les  jurés  et 
les  échevins  furent  contraints  de  promettre ,  au  nom  de  la 
commune,  qu'ils  choisiraient  parmi  les  chartes  de  la  commune 
que  l'archevêque  leur  indiquerait,  celle  qui  leur  conviendrait 
le  mieux.  Cet  acte  est  daté  de  l'an  1190,  le  dimanche  après 
l'Assomption  de  la  Sainte  Vierge. 

Pendant  ces  altercations  l'évêque  de  Tournai  écrivit  encore 
la  lettre  245  ;  le  texte  imprimé  tie  dit  pas  à  qui  ;  mais  le  ma- 
nuscrit porte  :  Magistro  Anselmo  Francorum  régis  clerico. 
C'était  un  ami  de  notre  prélat,  qu'il  charge  de  surveiller  et 
de  déjouer  les  démarches  des  citadins  auprès  du  roi.  Ce  clerc 
est  le  même  qui ,  l'an  1 1 97  au  plus  tard ,  fut  fait  évêque  de 
Meaux. 

Il  est  encore  question  de  cette  affaire  dans  la  lettre  246 , 
où  l'on  ne  voit  pas  à  qui  cette  lettre  est  écrite  ;  mais  le  ma- 
nuscrit porte  :  Petro  Atrehatensi  episcopo. 

La  lettre  248  à  l'abbé  de  Saint- Amand  contient  des  plaintes 
amères ,  sur  ce  que  cet  abbé  avait  fait  ordonner  par  l'évêque 
d'Arras  quelques-uns  de  ses  religieux  sans  la  permission  de 
l'évêque  de  Tournai.  —  La  suivante  à  l'évêqïle  d'Arras  a  le 
même  objet. 

Ayant  appris  qu'il  s'était  élevé  des  dissensions  dans  la 

Ce  ce  a 


XII  SIECLE. 


Epist.  344. 


Gall.  Christ. 
t.  III,   pr.  col. 

Epist.  245. 


Epist.  246. 
Epist.  248. 

Epist.  249. 
Epist.  25o. 


XII  SIECLE. 


572  ETIENNE  DE  TOURNAI. 

maison  de  Sainte-Geneviève ,  il  écrivit  à  l'abbé  Jean  la  lettre 
aSo,  dans  laquelle,  après  de  vifs  reproches,  il  annonce  qu'il 
fera  le  voyage  de  Paris  pour  rétablir  l'union  et  le  bon  ordre 
parmi  ses  anciens  confrères.  Cette  lettre,  dans  le  manuscrit, 
est  précédée  de  deux  autres  où  il  est  question  de  désordres 
plus  graves  ;  mais  l'éditeur  a  jugé  à  propos  de  les  supprimer. 
Bpist,  aSï.         Notre   auteur  voyant   avec  peine  le   dépérissement  des 
bonnes  études,  eut  le  courage  de  demander  au  pape  d'y 
apporter  remède.  Il  lui  représente,  dans  la  lettre  261,  1°  que 
dans  les  matières  théologiques  on  ne  composait  plus  que  de 
petites  sommes ,  ou  de  longs  commentaires  ,  commentaria 
Jinnantia,  comme  si  les  écrits  des  saints  pères  ne  suffisaient 
pas  pour  l'intelligence  de  l'écriture  sainte.  La  manie  de  briller 
ou  d'étaler  sa  science  était  telle  qu'on  disputait  sans  respect, 
jusque  dans  les  carrefours  et  les  places  publiques,  sur  la 
divinité  incompréhensible  et  les  autres  mystères  de  la  reli- 
gion, indwidua  Trinitas  in  triviis  secatur  et  discerpitur ,  ut 
jam  tôt  sint  errores  quot  doctores ,  tôt  scandala  quot  audi- 
toria,  tôt  blasphemiœ  quot plateœ.  oP  En  matière  canonique, 
on  ne  fait  plus  usage  que  d'un  recueil  immense  de  décré- 
tales  qu'on  débite  sous  le  nom  du  pape  Alexandre  III  (i),  et 
on  ne  tient  plus  compte  des  anciens  canons ,  qu'on  rejette , 
qu'on  conspue ,  ahjiciuntur ,  respuuntur,  expuuntur.  Ce  nou- 
veau code  tient  lieu  de  tous  les  autres,  et  il  soupçonne  le» 
avocats  d'en  être  les  auteurs;  on  l'enseigne  dans  les  écoles, 
on  l'expose  en  vente  à  la  grande  satisfaction  des  copistes  ou 
libraires,  notariorum,  qui  voient  par  là  diminuer  leur  tra- 
vail et  augmenter  leur  gain.  3°  Quant  aux  arts  libéraux,  ils 
sont  abandonnés  à  de  jeunes  imberbes  qui ,  à  peine  écoliers, 
se  targuent  du  titre  de  maîtres  ;  qui  laissant  de  côté  les  livres 
classiques,  font  aussi  leurs  petites  sommes  empreintes  de 
leurs  salives,  non  du  vrai  sel  des  philosophes,  plurihus  sa- 
Ik'is  effluentes  et  madidas ,  non  philosophorum  sale  conditas. 
Tel  était  à  la  fin  du  XIP  siècle  l'enseignement  des  écoles , 
dont  revenue  de  Tournai  desirait  la  réforme.  Est-ce  au  pape 
Célestin  III  ou  à  son  successeur  Innocent  III  qu'il  adressa 
ses  représentations.''  C'est  ce  que  nous  ne  décidons  pas,  parce 
que  le  nom  du  pontife  n'est  pas  même  indiqué  par  la  lettre 

(1)  C'est  vraisemblablement  cette  compilation,  publiée  d'abord  par  Bar- 
thélemi  Laurens,  surnommé  Poin ,  qu'on  trouve  à  la  suite  du  troisième 
concile  de  Latran  de  l'an  11 79,  dans  toutes  les  éditions  des  conciles. 


XII  SIECLE. 


ETIENNE  DE  TOURNAI.  673 

initiale,  et  que  rien  daiis  le  texte 'n'est  applicable  à  l'un 
plutôt  qu'à  l'autre. 

La  lettre  aSa,  qui  dans  l'imprimé  n'a  d'autre  titre  que  Epist.  aSi. 
Magno  prœlato ,  est  adressée  dans  le  manuscrit  J-Vdlelmo 
Remensi  archiepiscopo .  L'évêque  de  Tournai  ayant  refusé , 
comme  nous  l'avons  dit  plus  haut  en  rendant  compte  de  la 
lettre  239,  le  service  de  Xost,  fut  cité  à  comparaître  à  la  cour 
du  roi.  Nouvel  embarras  qui  le  mit  encore  dans  le  cas  de 
recourir  à  la  protection  de  l'archevêque  de  Reims.  Il  expose 
qu'il  est  âgé  de  plus  de  soixante  ans ,  et  qu'à  cet  âge  les 
militaires  même  sont  autorisés  par  les  lois  à  demander  leur 
retraite.  Etienne  étant  né  l'an  1128,  comme  nous  l'avons  Suprà.p.  SaS. 
prouvé  ai  Heurs,  avait  64  ans  au  moins  lorsqu'il  fut  fait  évêque. 

Au  lieu  du  titre  vague,  Cuidam  clecano ,  que  porte  la  Epist.  253. 
lettre  253  dans  l'édition  du  P.  du  Molinet,  on  lit  dans  le 
manuscrit,  Hugoni  Aurelianensi  clecano  pro  Petro  preshy- 
tero.  Ce  prêtre  était  un  cousin  de  l'auteur,  lequel  avait  été 
suspendu  de  ses  fonctions  parle  doyen  du  chapitre.  Etienne 
expose  le  mauvais  état  des  finances  du  délinquant,  et  de- 
mande qu'on  lui  inflige  une  tout  autre  peine  qui  ne  lui  ôte 
pas  le  moyen  de  vivre. 

La  suivante  qui  n'a  aucun  titre  est  adressée  dans  le  ma-      Epist.  aS/,. 
nuscrit,  magistm  Reginaldo  Aurelianensi  arckipreshytero , 
et  n'a  pas  d'autre  objet  que  de  lui  recommander  son  cousin, 
afin  d'obtenir  quelque^  indulgence  de  la  part  du  doyen. 
juIHaut  ajouter,  d'après  le  manuscrit,  à  la  lettre  255  qui      Epi^.  o.W. 
est'  sans  titre  ,   l'inscription  suivante  :  Heni'ico   Bituricensi 
archiepiscopo,  Aquitaniœ  primati ,  pro  ecclesid  S.  Satyri. 
Ce  prélat,  séduit  par  quelques  sujets  insubordonnés  de  l'ab- 
baye de  Saint-Satur,  avait  défendu  à  l'abbé,  sous  peine  d'ex- 
communication, d'exercer  aucune  correction  sur  ses  religieux 
qui  s'adresseraient  à  lui  par  appel.  Etienne  lui  représente 
que  c'est  ouvrir  la  porte  à  tous  les  désordres  et  anéantir  la 
discipline  claustrale.  ,  , 

.  En  examinant  plus  haut  les  lettres  236  et  237 ,  nous  avons  EpUt.  aÇS. 
rendu  compte  d'une  altercation  qui  s'était  élevée  entre  notre 
prélat  et  l'évêque  de  Cambrai.  Celui-ci  étant  tombé  malade 
sur  ces  entrefaites,  Etienne  lui  écrivit  la  lettre  256  pleine 
des  sentimens  les  plus  affectueux ,  dans  laquelle  il  se  plaint 
des  mauvais  bruits  qu'on  faisait  courir ,  que  l'inimitié  s'étaijt 
établie  entre  eux. 

Cuidam  prœlato  ecclesiœ  romanœ  est  le  titre  que  l'éditeur     Epist.  257. 


XII  SIECLE. 


574  ETIENNE  DE  TOURNAI. 

a  cru  devoir  placer  à  la  tête  de  lepître  aSy.  Le  manuscrit 
porte  Domino  Octaviano  Ostiensi  episcopo.  L'objet  de  la 
lettre  est  le  même  que  celui  dont  nous  avons  parlé  en  ren- 
dant compte  de  la  lettre  24^  au  pape  Célestin. 

Epi»t.  aSy.  Dans  la  lettre  209,  l'auteur  rend  compte  à  l'évêque  d'Arras 
de  l'état  critique  où  se  trouvait,  l'an  1 197,  la  ville  de  Tournai 
assiégée  par  le  comte  de  Flandre,  et  des  travaux  qu'on  avait 
entrepris  pour  la  fortifier. 

Epist.  a6o.  Parce  que,  dans  l'épître  260,  il  est  question  de  l'épitaphe 
de  Maurice  de  Sully,  évêque  de  Paris,  qu'on  avait  prié  notre 
auteur  de  composer,  l'éditeur  a  supposé  que  la  lettre  est 
adressée  aux  chanoines  de  la  cathédrale,  Canonicis parisien- 
sibus.  Le  manuscrit  porte  :  Venerahili  patri  et  amico  Ro- 
berto,  abbati  S.  Victorls,  Stephanus  Dei  pemiissione  Torna- 
censis  ecclesiœ  huniilis  miiiister  saliitetn  et  sinceraiti  in  Do- 
mino caritatein.  Maurice  ayant  été  enterré  à  Saint -Victor^ 
on  voit  pourquoi  l'abbé  Robert  avait  à  cœur  d'orner  son 
tombeau  d'une  épitaphe.  La  lettre  contient  cette  épitaphe 
telle  qu'elle  a  été  imprimée  dans  le  Gallia  Christiana, 
t.  VII ,  col.  76  ;  mais  l'éditeur  en  a  retranché  les  deux  der- 
niers vers ,  où  le  jour  de  la  mort  du  prélat  est  indiqué,  quoi- 
qu'ils existent  dans  le  manuscrit. 

Epist.  a62.  L'an  1 1 93 ,  la  reine  Ingeburge  de  Danemarck  ayant  été 
répudiée  par  Philippe -Auguste  le  lendemain  de  ses  noces, 
fut  reléguée  dans  l'abbaye  de  Cysoing  au  diocèse  de  Tournai. 
Notre  prélat,  témoin  de  l'abandon  et  de  l'état  de  dénuement 
dans  lequel  on  laissait  cette  princesse,  en  écrivit  à  l'arche- 
vêque de  Reims  la  lettre  262 ,  dans  laquelle  il  a  épuisé  toute 
sa  rhétorique  pour  célébrer  les  vertus  de  cette  infortunée, 
et  toucher  de  compassion  son  métropolitain. 

Epist.  263.  Il  paraît  qu'à  sa  recommandation  l'arciievêque  de  Reims 
vint  au  secours  de  la  princesse;  car,  dans  la  lettre  suivante, 
elle  lui  adresse  des  remercîmens  |)ar  l'organe  de  notre  prélat. 

Epist.  364.  La  lettre  264,  dont  la  suscription  porte,  Amico  suo ,  filio 

cancellarii  curice  romanœ ,  en  contient  deux  bien  distinctes 
dans  le  manuscrit.  La  première  a  pour  titre,  Domino  Sof- 
fredo^  sanctœ  Romanœ  ecclesiœ  cardinali.  L'objet  de  cette 
lettre  est  le  même  que  celui  de  la  257*^  au  cardinal  Octavien, 
c'est-à-dire  de  flpchir  le  pape  qu'il  croyait  indisposé  contre 
lui,  parce  qu'on  lui  avait  ordonné  d'admettre  dans  son  cha- 
)itre  un  homme  qui  l'avait  desservi  en  toute  occasion.  — 
j'autre  doiit  l'objet  est  le  même  a  pour  titre  dans  le  manu- 


t: 


ETIENNE  DE  TOURNAI.  5j5 

icnt  ^  Johanni  fdio  cancellarii  nlniœ  itrhis ,  et  commence  par    ^ ' L^f:^";'-  ' 
ces  mots  dans  le  corps  de  la  lettre  a64  ,  Veteres  amicitiœ.  Ce 
chancelier  était  un  Orléanais,  le  même  à  qui  l'auteur  donne 
la  qualité  de  Domini papœ  scriptori  dans  la  lettre  65. 

L'an  1 198,  Hugues  de  Garlande  ayant  été  élu  évèque  d'Or-  Fpisi.  267. 
léans ,  Etienne  lui  écrivit  la  lettre  207  pour  le  féliciter  et  lui 
recommander  l'abhaye  de  Saint-Euverte  qui  avait  le  doubk 
privilège  et  de  recevoir  les  évêques  d'Orléans  avant  leur  en- 
trée solennelle,  et  de  leur  donner  la  sépulture  après  leur 
mort  :  Undè  assumptus  estis  ad  cathedrani ,  illic  absximcndus 
eritis  in  sepulcro. 

Nous  ne  savons  s'il  faut  attribuer  à  notre  auteur  la  lettre  Epist.  a68. 
268  à  un  abbé  qui  n'est  pas  nommé,  rédigée  d'une  manière 
fort  brutale.  Comme  elle  n'est  pas  longue ,  nous  la  transcri- 
vons ici  en  original.  Petierat  à  vobis  doniiniis  Remensis 
eqiium ,  et  vos  ei  misistis  asellum  :  undè  non  tant  de  munere 
qiûun  de  muneris  auctore  cogimur  admirari.  Considerare 
dehneratis  non  qualem  vos  niitteretis ,  sed  qualeni  doniinum 
Remensem  deceret  accipere.  Vohis  ergo  eum  retromittimus , 
vos  et  cqimin  vestrum  œquo  pretio  œstimantes.  Cette  lettre 
n'existe  pas  dans  nos  manuscrits. 

Il  s'agit  dans  la  lettre  269  à  Lambin,  évêque  de  Térouane,      Epist.  269. 
de  la  translation  de  l'abbé  de  Sonnebeque  à  l'abbaye  de 
Saint-Barthélemi  d'Esroult  près  de  Bruges,  et  à  cette  occa- 
sion l'auteur  nous  apprend  que  Lambin   était  né  près  de 
cette  dernière  ville. 

L'évèque  de  Paiis  Eudes  de  Sully  ayant  attaqué  l'exeinp-      ^P"*-  ^7*** 
tion  de  l'église  de  Sainte-Geneviève ,  et  défendu  sous  peine  i-^ 

d'excommunication  aux  paroissiens  de  tenir  leurs  assemblées  '"^ 

dans  la  chapelle  extérieure ,  dite  aujourd'hui  Saint-Etienne- 
du-Mont,  notre  auteur  combattit  les  prétentions  du  prélat 
dans  la  lettre  270  au  pape  Innocent  III ,  dont  l'abbé  Jean , 
allant  plaider  sa  cause  à  Rome ,  fut  le  porteur. 

Dans  la  lettre  aya ,  l'évèque  de  Tournai  rend  compte  au      Epist.  27a. 
pape  Innocent  III  de  la  décision  d'un  procès,  dont  la  con- 
naissance lui  avait  été  déléguée ,  entre  l'abbaye  de  Falempin, 
et  le  chapitre  de  Seclin ,  diocèse  de  Tournai. 

Le  même  pape  l'ayant  chargé  de  prendre  des  renseigne-      Epist.  27I. . 
mens  sur  une  ancienne  procédure  entre  deux  prétendans  à 
la  prévôté  du  chapitre  de  Seclin ,  notre  auteur  lui  répond', 
dans  la  lettre  suivante,  que  personne  dans  le  chapitré  n'a 
pu  lui  en  donner.  Cette  affaire  était  mieux  connue  à  Rome 


XII  SIECLE. 


576  ETIENNE  DE  TOURNAI. 

qu'à  Tournai,  à  en  juger  par  la  lettre  dupape(lib.  I,ep.  109) 
qui  entre  sur  cela  dans  un  grand  détail. 

Epist.  i^ty.  L'an  II 96,  et  non  i2o3  comme  l'a  cru  l'éditeur,  i'ëvêquc 
de  Tournai  ayant  été  invité  par  l'archevêque  de  Reims  au 
sacre  de  Rotrou  du  Perche  ,  élu  évêque  de  Châlons-sur- 
Marne,  s'excuse  d«  ne  pouvoir  y  assister  comme  il  le  dési- 
rerait, sur  son  grand  âge  et  ses  infirmités,  et  déclare  qu'il 
avait  alors  soixante-huit  ans  accomplis  :  Pater,  in  septuage- 
sima ,  si  heiic  recolo ,  septuagesimum  annuni  hiennio  miniis 
cotnplevi,  qui  numerus  annorum  a  psalmista prœfigitur  senec- 
I  tuti.  Nous  avons  fait  usage  de  ce  passage  pour  fixer  l'époque 
de  la  naissance  de  notre  auteur. 

Epist.  375.  Craignant  cependant  de  désobliger  son  archevêque  auquel 
il  avait  tant  d'obligations ,  il  écrivit  à  maître  Bertier,  fhomme 
de  confiance  du  prélat,  de  l'informer  comment  aurait  été 
reçue  son  excuse.  Cette  lettre  est  sans  adresse  dans  f  imprimé; 
mais  le  manuscrit  porte,  Magistro  Bertero ,  Cameracensi 
archidiacono . 

Epist.  1^&.  Le  sacre  de  l'évêque  de  Châlons  ayant  été  renvoyé  au  jour 
de  l'octave  de  la  Pentecôte,  Etienne,  malgré  ses  infirmités, 
se  détermina  à  y  assister.  C'est  ce  qu'il  annonce  à  l'arche- 
vêque dans  la  letlxe  276. 

Les  lettres  277,  278,  279,  sont  relatives  à  la  demande 
qu'on  lui  faisait  de  composer  un  office  pour  la  fête  de  saint 
Geraud,  abbé  de  la  Sauve-Majeure,  qui  venait  d'être  canonisé 
l'an  1 197  ;  mais  l'éditeur  n'a  pas  donné  toutes  les  lettres  qui 

>6,-'  ifUi        regardent  cette  correspondance. 

Epht.  178  ,       Non-seulement  cette  demande  lui  fut  faite  par  l'abbé  et  la 
a\.  a3i.  communauté  de  la  Sauve,  dont  nous  avons  la   lettre  non 

imprimée ,  mais  encore  par  farchidiacre  de  Bordeaux  qui , 
dans  l'épître  278,  lui  propose,  au  nom  de  tous  les  Bordelais, 
d'entrép^rendre  ce  travail,  ne  fut-ce  que  pour  expier  les  poé- 
sies profanes  auxquelles  notre  prélat  s'était  livré  autrefois  : 
Ut  si  quid  maculœ  in  secidarihus  carminibus  quandoque 
ludendo  contraxistis ,  nunc  opportunitate  vobis  ohlatà  ffi'uc- 
tuni)  làhiorum  vestrorum  domino  etbeato  Geraldo  afférentes, 
dcvotiiis  emendetis.  Le  P.  du  Molinet  en  altérant  le  titre  de 
,  .€pfi  .ttiq  cette  lettre  qu'il  8upj)ose  écrite  à  l'archidiacre  de  Bordeaux 
par.  l'évêque  de  Touinai,  au  lieu  qu'elle  le  fut  par  l'archi- 
diacre, l'a  rendue' presque  inintelligible,  p;irce  que,  d'après 
lés  louanges  cruelle  contient,  il  faudrait  attribuer  à  C(  t  archi- 
diacre une  célébrité  qui  ne  convient  qu'à  notre  prélat.  C  est 
une  remarque  faite  avant  nous  par  les  Bollandistcs. 


ETIENNE  DE  TOURNAIl  677 

La  réponse  du  prélat  à  TablDé  de  la  Sauve  est  contenue   L 

dans  la  lettre  277.   Après  avoir  observé  qu'il  est  peut-être       Epist.  277 , 
ridicule  qu'un  évéque  dans  la  caducité  de  l'âge  s'amuse  encore  ^  '  ***' 
à  faire  des  vers,  il  consent  néanmoins  à  entreprendre  ce 
travail  :   Rideant  qui  voluerint ,  dit-il;  excusabit  nos  con^ 
scientia  nostra  et  Jides  non  ficta. 

Malgré  la  promesse  du  prélat,  les  bons  religieux  de  là 
Sauve,  impatiens  de  recevoir  l'office  de  leur  patron  et  fon- 
dateur, lui  écrivirent  encore  pour  lever  les  scrupules  qui 
auraient  pu  le  i-etenir,  et  ils  n'épargnent  pas  les  louanges 
qu'ils  avaient  déjà  |>rodiguées  dans  leur  première  lettre. 
Celle-ci  n'a  pas  été  imprimée,  non  plus  que  celle  de  notre 
prélat  en  leur  envoyant  son  écrit.  11  expinme  de  nouveau  son 
étonnement  qu'on  se  soit  adressé  à  lui,  malgré  la  distance 
des  lieux,  la  différence  des  mœurs  et  du  langage,  tandis 
qu'on  aurait  trouvé  ailleurs ,  en  France ,  en  Aquitaine ,  en 
Gascogne,  des  versificateurs  plus  habiles  que  lui.  Si  cepen- 
dant ils  daignent  adopter  son  travail ,  il  désire  que  son  nom 
soit  supprimé ,  et  reste  inconnu. 

En  le  remerciant  de  sa  complaisance,  et  sur-tout  de  la  Epist.  279, 
célérité  qu'il  avait  mise  dans  sa  composition ,  les  religieux  ^'-  *^^' 
lui  envoient  par  reconnaissance  un  bâton  pastoral  de  bois 
de  cyprès,  dont  Etienne  fit  ensuite  présent  à  Hugues  de 
Garlande,  évéque  d'Orléans,  en  lui  envoyant  la  lettre  267. 
Mais  ils  ne  consentent  pas  à  tenir  son  nom  secret,  parce  que 
c'est  son  nom  qui  doit  donner  du  poids  à  sa  production. 
Nous  avons  cet  écrit  du  prélat  ;  on  peut  juger  s'il  est  digne 
d'une  si  grande  admiration. 

L'abbaye  de  Saint-Euverte  étant  tombée  dans  un  grand      Epist.  280  , 
relâchement  par  la  négligence  de  l'abbé,  l'évêque  de  Tournai   -i-aSg. 
qui  s'intéressait  toujours  aux  maisons  et  à  la  gloire  de  son 
ordre,  écrivit  à  l'évêque  d'Orléans,  Hugues  de  Garlande, 
la  lettre  280,  pour  le  prier  d'y  apporter  remède.  — Dans  la       Kp'*f-  *8'  > 
suivante  à  l'abbé  Bertier,  il  lui  fait  de  vifs  reproches  sur  sa  '''•  ^''°- 
négligence ,  et  l'exhorte  à  être  plus  attentif  à  remplir  les 
devoirs  de  sa  charge. 

uLe  nouvel  évéque  d'Orléans,  Hugues,  voulant  exercer  sur      Epist.  282. 
l'abbaye  de  Saint-Euverte  le  droit  de  procuration  ou  de  gîte, 
notre  auteur  lui  adressa  la  lettre  282  ,  dans  laquelle  il  certifie 
que  depuis  quarante -cinq  ans  qu'il  était  entré  dans  cette 
maison ,  aucun  évéque  n'avaitusé  de  ce  droit  ;  qu'il  larrivait 

Tome  XF.  Dddfl 


by$  ETIENNE  DE  TOURNAI. 

'-  quelquefois  qu'il  prît  envie  à  l'ëvêque  Manassés,  oncle  du 

prélat ,  d'aller  dîner  à  Saint-Euverte ,  mais  il  avait  l'attention 
de  faire  porter  son  dîner  par  ses  gens. 
EpUt.  283.  La  lettre  283  n'existe  dans  aucun  de  nos  manuscrits.  L'édi- 
teur l'a  tirée  sans  doute  de  l'original  en  feuille  volante.  Elle 
est  adressée  au  pape  Clément  III,  au  nom  du  doyen  de 
l'église  de  Paris  et  de  Pierre-le-Chantre ,  commissaires  avec 
lui  délégués  pour  contraindre  l'évêque  de  Troyes  à  livrer 
aux  chanoines  réguliers  de  Saint-Loup  l'église  paroissiale  de 
Marigni.  La  suscription  est  ainsi  conçue  :  Sanctissimo  patri 
et  domino  démenti,  Dei  gratiâ  summo  pontifici  et  universali 
papœ,  Stephanus  beatœ  Genove/œ  dictus  abbas,  B.  decanus 
et  P.  cantor  Parisiensis ,  obedientiœ ,  devotionis  et  obsequii 
Gall.  Christ,  plenitudinem.  Les  auteurs  du  GalUa  Christiana  ont  reproché 

t.  VII,  col.  197.  avec  raison  à  l'éditeur  d'avoir  nommé  Bernier  le  doyen  qui 
sousci'ivit  cette  lettre,  Bernier  ayant  cessé  d'être  doyen  vers 
l'an  I  i4o.  La  lettre  B.  ne  peut  pas  même  désigner  Barbedor, 
parce  qu'il  n'était  plus  doyen  l'an  1 188,  époque  du  bref  du 
pape  transcrit  dans  la  lettre.  Il  paraît  que  le  copiste  a  mis 
un  B  pour  un  H,  initiale  du  nom  Hervé,  alors  doyen  du 
chapitre  de  Paris.  ►'> 

Epist.  285,       La  lettre  a85  à  l'archevêque  de  Reims  n'est  pas  non  plus 

al.  106.  îj  gjj  place.  Etienne  était  encore  abbé  de  Sainte -Geneviève 

lorsqu'il  l'écrivit;  c'est  la  qualité  qu'il  prend  dans  le  manu- 
scrit :  Sanctissimo  domino  et  patri  ff^.  Dei  gratiâ  Remensi 
archiepiscopo  frater  Stephanus  de  Sancta  Genovefa  saliitem 
et  cum  omni  devotione  vigilem  obedientiam.  Ce  qui  a  trompé 
l'éditeur  c'est  qu'il  est  question  dans  cette  lettre,  comme 
dans  la  280'^  et  28 1«,  des  désordres  qui  régnaient  à  Saint- 
Euverte  ;  il  a  voulu  les  rapprocher ,  sans  faire  attention 
qu'elles  se  rappoi'tent  à  des  temps  différens. 
Epist.  286,  Enfin  la  286^^  et  dernière  lettre  est  une  charte  qui  n'existe 

pas  dans  les  manuscrits.  Elle  est  datée  de  l'an  1 194,  et  con- 
tient une  déclai-ation  portant  que  l'accueil  obligeant  qu'il 
avait  reçu  de  ses  confrères  à  Saint-Barthélemi  de  Noyon  ne 
devait  pas  établir  un  droit  pour  les  évêques  ses  successeurs; 
qu'il  ne  devait  qu'à  leur  amitié  les  services  qu'il  en  avait 
reçus. 

On  peut  juger,  d'après  le  compte  que  nous  venons  de 
rendre  de  la  presque  totalité  des  286  lettres  d'Etienne  de 
Tournai,  de  quelle  importance  elles  peuvent  être  pour  1  his- 
toire civile  ou  ecclésiastique,  et  sur- tout  pour  l'histoire  de 


ETIENNE  DE  TOURNAI.  570 

,      ,.  •  •  j    '  il    XII  SIECLE. 

l'ordre  des  chanoines  réguliers  qui  jeta  uu  assez  grand  éclat  

dans  le  XIP  siècle ,  et  dont  l'évêque  de  Tournai  ne  fut  pas 
le  moindre  ornement.  Ce  qui  procura  à  cet  illustre  prélat  la 
grande  considération  dont  il  jouit,  ce  fut,  indépendamment 
de  sa  capacité  dans  plusieurs  genres  de  littérature  et  des 
vertus  cléricales  dont  il  fut  le  modèle,  ce  fut  l'estime  et  la 
confiance  que  lui  accordait  Guillaume  de  Champagne,  arche- 
vêque de  Reims ,  cardinal-légat  du  saint-siége ,  oncle  du  roi 
Philippe -Auguste,  qui  eut  sous  ce  règne  tant  d'influence 
dans  le  maniement  des  affaires,  et  qui  l'avait  admis  cîans  ses 
conseils  :  Benevolentia  vestra,  dit  notre  auteur  dans  une  de 
ses  lettres,  me  gratis  amplexata  est,  et  in  consortio  locans  et,  P"'*  * 
a  consilio  non  excludens.  Cette  confiance  de  l'archevêque  ne 
se  démentit  jamais  :  on  le  voit  par  le  grand  nombre  de  lettres 
qu'Etienne  lui  écrivit  depuis  l'an  i  168  jusqu'à  sa  mort.  Nous 
en  avons  compté  44 1  dans  lesquelles  l'auteur  se  fait  un  plaisir 
de  reconnaître  qu'il  tenait  tout  de  lui,  qu'il  était  sa  créa- 
ture (i). 

On  a  pu  aussi  remarquer  combien  l'édition  du  P.  du  Mo- 
linet  est  imparfaite.  Il  n'avait  qu'un  seul  manuscrit  pour 
corriger  et  compléter  la  première  édition  remplie  de  lacunes, 
et  ce  manuscrit  autrefois  de  Saint-Martin  de  Tournai,  aujour- 
d'hui à  la  bibliothèque  Royale  sous  le  n°  8566  A,  ne  contient 
que  216  lettres  dont  on  a  souvent  retranché  les  adresses 

f)our  y  substituer  des  sommaires  indicatifs  du  contenu  :  de 
à  vient  qu'on  ne  sait  à  qui  sont  adressées  la  plupart  des 
nouvelles  lettres  que  l'éditeur  a  publiées.  Quant  aux  notes, 
quoiqu'elles  soient  longues  et  multipliées ,  il  s'en  faut  de 
beaucoup  qu'il  ait  expliqué  tous  les  endroits  qui  avaient 
besoin  tl' explication  ;  il  y  a  répandu  l'érudition  d'un  anti- 
quaire, non  celle  d'un  savant  dans  la  littérature  du  moyen 
âge.  Le  plan  qu'il  avait  conçu  pour  l'arrangement  des  lettres 
était  beau  et  naturel,  mais  il  ne  l'a  pas  rempli;  plus  il  s'est 
écarté  de  l'ordre  établi  dans  les  manuscrits,  plus  il  a  mis  de 
confusion  dans  son  arrangement.  C'est  ce  qu'on  remarque 
particulièrement  dans   la  troisième  partie,  oii  l'éditeur  a 


(i)  Epist.  233  :  Consulite  mihi ,  pater ,  plasmati  vestro.  Kpist.  289  :  Coh- 
iuUte  creaturœ  vestrœ.  Epist.  262  :  Non  abjiciet  me  plastes  lutnm  suum, 
vasculum  suum  figulus ,  artifex  opus  manuum  suarum.  Epist.  264:  Erexistis 
humilem  de  pulvere  ^  de  scabello  sublimastis  ad  cathedratn  ^  de  grege  pusill» 
tainquam  de  post  fœtantes  accepistis  me,  et  in  millia  milliwn  prœfecistis. 

Dddda 


XII  SIECLE. 


58o  ETIENNE  BU  TOURNAI. 


rejeté  presque  toutes  les  nouvelles  lettres  qu'il  donne,  dont 
aucune,  à  proprement  parler,  n'est  à  la  place  que  réclamait 
l'orflre  chronologique. 

Etienne  Baluze  qui  avait  communiqué  à  l'éditeur  un  pre- 
mier travail  qu'il  avait  fait  sur  ces  lettres,  fut  si  mécontent 
de  son  édition,  qu'il  entreprit  d'en  préparer  une  autre,  dans 
laquelle  il  rétablissait  les  lettres  selon  l'ordre  qu'elles  occu- 
pent dans  les  manuscrits.  Il  se  servit  utilement  du  manuscrit 
sain  et  entier  qui  avait  appartenu  jadis  à  François  Pétrarque, 
aujourd'hui  coté  à  la  bibliothèque  Royale  3928.  Son  travail 
existe  dans  la  même  bibliothèque;  le  texte  des  lettres  y  est 
corrigé  avec  la  plus  grande  exactitude ,  mais  les  notes  n'y 
sont  qu'ébauchées,  ne  contenant  que  l'indication  des  auteurs 
au'il  se  proposait  de  consulter  dans  la  ré<laction.  Le  nombre 
des  lettres  qu'il  avait  recueillies  est  bien  ])lus  considérable 
que  dans  l'édition  du  P.  du  Molinet  :  celui-ci  n'en  a  imprimé 

3ue  286;  Baluze  en  avait  préparé  Sig,  en  y  comprenant  une 
ouzaine  d'autres  lettres- anecdotes,  qu'il  avait  tirées  d'un 
manuscrit  du  chancelier  Seguier.  C'est  de  ces  lettres-anec- 
dotes, soit  du  manusciit  de  Pétiarque,  soit  de  celui  du  chan- 
celier Seguier,  qu'il  nous  reste  à  rendre  compte.  Elles  sont 
maintenant  imprimées  dans  le  t.  X,  partie  seconde  des  no- 
tices des  manuscrits  de  la  bibliothèque  Royale,  p.  66. 
Le  manuscrit  de  Pétrarque  en  fournit  19. 

Toi.  i3t,ver.  La  16^  à  un  ami  parvenu  à  quelque  éminente  dignité,  a 
pour  objet  de  le  tranquilliser  sur  des  mauvais  propos  que 
des  envieux  tenaient  ou  pourraient  tenir  sur  son  compte. 

Toi.  i3a,  rec.  Dans  la  i65*',  l'auteur  rend  compte  au  pape  Grégoire  VIII 
des  troubles  qui  existaient  dans  l'ordre  de  Grandmont,  et 
des  moyens  qu'il  convenait  de  prendre  pour  rétablir  dans 
cet  ordre  mal  organisé  la  paix  -et  l'union  entre  les  clercs  et 
les  frères  lais. 

Le  pape  Grégoire  VIII  n'ayant  tenu  le  saint-siége  que 
l'espace  de  quatre  mois,  l'abbé  de  Sainte-Geneviève  écrivit 
à  son  successeur  Clément  III  la  lettre  i66  sur  le  même  objet. 

Fol.  i33,  rec.       II  rapjxjlle,  dans  la  i6j^  au  cardinal  Soffroi ,  l'étroite  union 
dans  laquelle  ils  avaient  vécu  ensemble,  et  lui  demande  sa 
protection  pour  les  affaires  qu'il  avait  ou  qu'il  pourrait  avoir 
en  cour  de  Rome. 
lUd.  Voulan.t  recommander  aux  sohtaires  de  la  grande  char- 

treuse un  diacre  qui  aspirait  au  bonhour  d'être  wçn  parmi 
eux ,  il  fait  un  grand  éloge  de  leur  ordre  et  de  leurs  institu- 
tions dans  la  lettre  i68. 


Jbid.    Ter. 


XII  SIECLE. 


ETIENNE  DE  TOURNAI.  58i 

L'abbe  de  Cîteaux  avait  renvoyé  un  religieux  qui,  dans  

son  enfance,  avait  eu  le  malheur  de  blesser  à  mort  un  de  ibid.  \er. 
ses  camarades  en  jouant.  Etienne  écrit  à  l'abbé  que  le  cas 
est  très-graciable ,  et  lui  conseille  de  permettre  à  ce  religieux 
de  vivre  au  moins  parmi  ses  frères ,  s  il  ne  juge  pas  à  propos 
de  lui  accorder  l'exercice  de  ses  fonctions  cléricales.  Tel  est 
l'objet  de  la  lettre  169. 

La  2i2«  à  Pierre,  evêque  d'Arras,  a  deux  objets,  1°  de  lui    Foi.  146,  rec. 
témoigner  la  paît  que  1  évêque  de  Tournai  avait  prise  à  la 
maladie  dont  ce  prélat  relevait;  2°  de  le  consulter  sur  une        t?8'  •'"'î 
affaire  qui  devait  lui  être  exposée  par  son  messager.  ■•v-, 

Pendant  que  la  ville  de  Tournai  était  assiégée,  l'an  1 197,  Fol.  i59,ver. 
par  le  comte  de  Flandre  et  de  Hainaut,  l'évêque  d'Arras 
s'était  informé  par  lettre  de  la  situation  oix  se  trouvaient  les 
assiégés.  Etienne  lui  répond  dans  la  lettre  267,  et  le  prie  à 
son  tour  de  l'informer  lui-même  de  ce  qui  se  passait  au-aehors 
relativement  à  sa  propre  ville,  ainsi  que  dans  les  armées  du 
roi  et  du  comte. 

L'archevêque  de  Reims  avait  chargé  notre  prélat  de  réfor-  Fol.  160,  vit 
mer  certains  abus  qui  s'étaient  glissés  à  Saint- Martin  dé 
Tournai.  L'abbé,  lom  de  réformer  sa  conduite  comme  ^1 
l'avait  promis,  avait  pour  ainsi  dire  pris  à  partie  et  l'archer 
vêque-légat  et  son  évêque.  C'est  de  quoi  cel^i-ei  informe  son 
métropolitain  dans  la  lettre  270. 

La  271*  et  la  suivante  à  l'abbé  et  aux  chanoines  de  Sainte-  Fol.  161. 
Geneviève  ne  sont  pas  honorables  pour  cette  abbaye,  c'est 
pourquoi  le  P.  du  Molinet  les  a  entièrement  omises.  Il  s'agit 
dans  l'une  et  dans  l'autre  de  quelques  turpitudes  dont  de? 
individus  s'étaient  rendus  coupables  ,  et  qui  avaient  transpiré 
dans  le  public.  Ce  n'était  pas  une  raison  pour  supprimer 
ces  lettres  :  la  juste  réclamation ,  mêlée  d'indignation  ,  de 
l'évêque  de  Tournai  fait  plus  d'honneur  au  corps  que  le  vice 
de  quelques  particuliers  ne  pouvait  lui  nuire.  Ce  qui  flétrit 
les  corporations  c'est  l'impunité  des  coupables.  .1 

L'évêque  de  Tournai  avait  donné  un  canonicat  de  soiiji  foI.  16/,,  ver 
église  à  un  clerc  qui  n'est  pas  nommé;  mais  le  cardinal  Aider 
brandin,  neveu  du  pape,  demandait  ce  bénélice  pour  un  de 
ses  clercs.  Etienne  avait  de  la  peine  à  révoquer  le  dan  qu',^ 
avait  fait,  et  il  n'aurait  ptis  voulu  se  compromettre  avec  le 
pape.  Dans  la  lettre  284  il  expose  à  son  protégé  l'embarras 
cil  il  se  trouve,  afin  que  celui-ci  prenne  de  lui-même  le  parti 
de  se  démettre. 


XII  SIECLE. 


582  ETIENNE  DE  TOURNAI.' 

L'an  1 198 ,  un  jeune  genovéfain,  nommé  Marcel,  qui  avait 

ibid.         suivi  son  abbé  à  Tournai,  ayant  été  élu  abbé  de  Cisoing  dans 
■le  même  diocèse,  Etienne  écrivit  ^a  lettre  285  à  l'archevêque 
de  Reims ,  pour  le  prier  de  confirmer  cette  élection ,  en  con- 
sidération des  bonnes  qualités  du  jeune  abbé ,  auxquelles  il 
rend  témoignage. 
■^*«''  La  lettre  286  est  proprement  une  charte  de  dotation  du 

■■■^■^  .^  chapelain   attaché  à  la  chapelle  épiscopale   construite  par 

notre  prélat  l'an  1 198. 

Fol.  i65,rec.  Ayant  fort  à  cœur  l'avancement  de  son  confrère  Marcel ,  il 
écrivit  à  l'abbé  et  aux  chanoines  de  Sainte-Geneviève  la  lettre 
287 ,  dont  furent  porteurs  les  députés  du  chapitre  de  Cisoing 
chargés  de  demander,  selon  l'usage  du  temps,  l'émancipa- 
tion de  leur  nouvel  abbé. 
^bid.  Bientôt  après ,  ou  peut-être  en  même  temps ,  l'abbé  Marcel 

fut  envoyé  a  Sainte-Geneviève  avec  une  lettre  du  prélat  qui 
permettait  de  rappeler  dans  la  maison  les  membres  qui  en 
avaient  été  éloignés  à  l'occasion  des  scandales  dont  il  a  été 
parlé  plus  haut.  C'est  la  lettre  288. 
Ibid.  La  suivante  28g  est  adressée  à  l'évêque  de  Tournai  par 

l'abbé  et  les  religieux  de  la  Sauve- Majeure  au  diocèse  de  Bor- 
deaux. Ils  s'adressent  à  lui  comme  au  plus  habile  versifica- 
teur de  son  temps ,  pour  le  prier  de  composer  un  office  eu 
l'honneur  de  saint  Geraud  leur  patron  ,  qui  venait  d'être 
canonisé  l'an  1197. 

Fol.  166 ,  rec.       Quoique  le  prélat  se  fût  chargé  de  ce  travail ,  avec  quel- 

aue  répugnance,  à  cause   de  son  grand   âge,  les  religieux 
e  la  Sauve  insistèrent  dans  la  lettre  29 1 ,  afin  de  lever  les 
scrupules  qui  auraient  pu  le  retenir. 
Jbid.  "ver.  Enfin  SOUS  le  n°  292  se  trouve  la  lettre  du  prélat  accompa- 

gnant l'envoi  qu'il  faisait  de  l'office  de  saint  Geraud  aux  re- 
ligieux de  la  Sauve. 

Telles  sont  les  lettres-anecdotes  que  fournit  le  manuscrit 
de  Pétrarque.  Etienne  Baluze  en  avait  encore  recueilli,  comme 
nous  l'avons  déjà  dit ,  une  douzaine  dans  un  manuscrit  du 
chancelier  Seguier,  dont  il  est  aussi  à  propos  de  dire  un  mot. 

La  première  est  un  compte  rendu  au  pape  Alexandre  III 
touchant  une  affaire  dont  la  connaissance  avait  été  déléguée 
à  notre  Etienne  et  à  l'abbé  de  la  Cour-Dieu. 

La  2.^  écrite  au  nom  de  l'abbé  de  Saint-Barthélemi  de 
j>foyon  à  Guillaume,  archevêque  de  Reims,  a  pour  objet 


ETIENNE  DE  TOURNAI.  583 

de  dispenser  ce  vieillard  infirme  de  se  rendre  au  concile  de 
Latran  convoqué  l'an  1 179  par  le  pape  Alexandre  III. 

Dans  la  suivante  au  cardinal  Pieri'e  de  Saint-Chrysogone , 
qui  venait  d'être  créé  évêque  de  Tusculum  ou  Frascati ,  l'au- 
teur se  flatte  de  revoir  son  ami  en  France,  et  il  lui  en  té- 
moigne le  désir. 

La  4*"  est  sans  adresse  ;  mais  il  paraît  qu'elle  fut  écrite  à 
Bernerède,  abbé  de  Saint-Crêpin  de  Soissons,  qui  fut  fait 
cardinal-évêque  de  Palestrine  Van  11 79.  Elle  a  pour  objet 
de  le  féliciter  et  de  demander  sa  protection  auprès  du  saint- 
siége. 

La  15®  est  adressée  à  Nivelon ,  évêque  de  Soissons ,  et  au 
doyen  de  la  même  église,  qui  devaient  juger  un  procès  entre 
l'abbaye  de  Saint-Barthélemi  de  Noyon  et  celle  de  Saint- 
Crêpin  de  Soissons. 

On  ne  sait  à  qui  la  6®  est  adressée.  L'auteur  y  dénonce  les 
entreprises  d'un  chanoine  régulier  de  Bénévent  dans  la 
marche  limousine,  nommé  B.  de  Alenac ,  lequel,  loin  d'o- 
béir à  son  prieur,  ne  craignait  pas  d'élever  autel  contre 
autel.  Ce  prieur  nommé  Simon  n'a  pas  été  connu  des  auteurs 
du  Gallia  Christiana  qui  ont  donné  le  catalogue  des  prieurs 
et  abbés  de  Bénévent,  au  tome  II ,  col.  619. 

La  7*'  n'a  pas  non  plus  d'adresse.  Nous  pensons  qu'elle  fut 
écrite  à  Guillaume,  archevêque  de  Sens  et  en  même  temps 
évêque  de  Chartres ,  parce  qu'en  sa  première  qualité  il  avait 
ajourné»^ l'auteur ,  alors  abbé  de  Saint-Euverte  d'Orléans, 
à  comparaître  en  jugement  à  Sens ,  et  comme  évêque  de 
Chartres  il  l'avait  chargé  d'une  commission  urgente  à  Blois. 

Après  le  meurtre  commis,  l'an  1167,  sur  la  personne  de 
Jean  de  la  Chaîne ,  doyen  de  l'église  d'Orléans,  le  sous-doyen 
Hugues  de  Garlande,  neveu  de  l'évêque  Manassès,  fut  élu 
à  sa  place.  Cette  élection  trouva  des  contradicteurs,  et  donna 
lieu  a  une  procédure.  Etienne  qui  avait  concouru  à  l'élection, 
écrivit  aux  commissaires  délégués  pour  juger  ce  différend , 
mais  qui  ne  sont  pas  nommés ,  la  lettre  8 ,  dans  laquelle  il 
raconte  ce  qui  s'était  passé ,  et  affirme  que  sa  relation  con- 
tient l'exacte  vérité,  telle  qu'il  l'avait  certifiée  au  pape  dans 
une  autre  lettre  que  nous  n'avons  pas. 

Etienne  était  aussi  abbé  de  Saint-Euverte  lorsqu'il  écrivit 
à  Guillaume,  archevêque  de  Sens,  la  lettre  9  en  faveur  d'une 
femme  appartenant  au  vasselage  de  son  abbaye  par  son  père, 
laquelle  se  plaignait  d'être  entièrement  délaissée  par  son  mari. 


XII  SIECLE. 


XII  SIECLE. 


^'  ETIENNE  DE  TOURNArl. 

La  10*  à  Hugues,  abbé  de  Saint -Barthëlemi  de  Noyou, 
est  relative  à  la  peine  que  méritait  un  chanoine  régulier 
coupable  de  désonéissance  et  de  rébellion  contre  son  abbé. 
C'est  une  consultation  d'avocat  nourrie  de  citations  du  décret 
de  Gratien. 

La  lettre  ii  qui  n'est  qu'un  billet,  est  si  peu  intéressante 
que  nous  n'aurions  rien  a  en  dire,  si  elle  avait  une  adresse. 
Comme  elle  n'a  pour  objet  que  de  recommander  un  religieux 
qui  allait  passer  quelque  temps  dans  une  autre  maison,  et 

3ue  parmi  les  lettres  imprimées  nous  en  trouvons  plusieurs 
e  ce  genre  à  l'abbé  de  Saint-Satur  dans  le  Berri ,  nous  pen- 
sons que  celle-ci  lui  est  aussi  adressée. 

Etienne  écrivit  la  dernière  des  douze  au  cardinal  Guillaume 
de  Pavie ,  évêque  de  Porto ,  en  empr'untant  le  nom  de  Guil- 
laume de  Champagne,  archevêque  de  Reims.  C'était  pour 
obtenir  du  pape ,  par  le  moyen  de  ce  cardinal ,  la  révocation 
de  certaines  lettres  que  le  pape  avait  accordées  à  la  sollici- 
tation d'un  mauvais  sujet  nommé  Lodoyc ,  chassé  plusieurs 
fois  de  son  corps,  qui  demandait  à  y  rentrer,  quoiqu'il  evit 
promis  en  présence  du  roi  de  sortir  du  royaume  et  de  s'ex- 
patrier pour  toujours.  La  date  de  cette  lettre  est  aisée  à 
trouver,  parce  que  Guillaume  de  Pavie,  auparavant  prêtre- 
cardinal  de  Saint-Pierre-aux-Liens,  fut  fait  évêque  de  Porto 
l'an  1 1 76 ,  et  mourut  l'année  d'après. 
Mart.  Ainpi.  D.  Martène  a  publié  une  longue  lettre  d'un  anonyme  cha- 
coUect.,  t.  I,  noine  régulier  à  un  ami,  dans  laquelle  l'auteur  expose  les 
col.  787-79^  motifs  qui  l'ont  déterminé  à  embrasser  la  vie  religieuse,  et  les 
avantages  qu'on  trouve  dans  les  exercices  du  cloître ,  afin  d'y 
attirer  son  ami.  On  voit  par  le  début  qu'ils  s'étaient  vus  l'un 
et  l'autre  à  Orléans ,  et  que  l'auteur  étant  retourné  à  Chartres 
après  sa  profession ,  y  avait  repris  les  fonctions  de  l'ensei- 
gnement comme  auparavant.  Tout  cela  convient  parfaitement 
a  Etienne  devenu  chanoine  régulier  à  Saint- Euverte  d'Or- 
léans, comme  on  peut  s'en  convaincre  par  la  lecture  des 
épîtres  17,  36  et  87  de  la  nouvelle  édition.  Après  avoir  acquis 
cette  conviction ,  ce  ne  sera  peut-être  pas  trop  hasarder 
d'avancer  que  l'ami  auquel  il  écrit  était  son  ancien  maître  de 
grammaire  dont  il  parle  dans  les  lettres  26,  27,  28,  qui, 
d'après  ses  avis,  s'était  fait  religieux  à  la  Charité-sur-Loire, 
et  dont  il  se  dit  le  disciple  dans  celle-ci.  Si  nos  conjectures 
ne  sont  pas  entièrement  vaines,  il  nous  semble  que  cette 
lettre  aurait  dû  être  la  première  dans  la  collection;  mais 


ETIENNE  DE  TOURNAI. 


585 


quoiqu'elle  soit  très-ëdifiante ,  l'auteur  y  fait  des  aveux  trop 
humilians  sur  les  ëgaremens  de  sa  vie  passée  pour  n'avoir 
pas  désire  qu'elle  restât  anonyme. 

Malgré  le  désir  que  nous  avons  eu  d'être  courts  en  ren- 
dant compte  des  lettres  d'Etienne  de  Tournai ,  on  trouvera 
peut-être  que  nous  nous  sommes  trop  étendus  ;  mais  si  l'on 
fait  attention  à  l'état  d'imperfection  dans  lequel  ces  lettres 
ont  été  publiées  jusqu'à-présent,  nous  espérons  qu'on  nous 
saura  quelque  gré  des  observations  que  nous  nous  sommes 
permises.  Nous  serons  plus  réservés  en  rendant  compte  de 
ses  autres  écrits. 


XII  SIECLE. 


Praef. 


SES    SERMONS    ET    SES   STATUTS    SYNODAUX. 

Les  sermons  d'Etienne  de  Tournai  eurent  de  la  célébrité 
de  son  temps.  Nous  voyons  par  la  lettre  4i  que  l'archevêque 
de  Tours,  Barthélemi  de  Vendôme,  l'employait  à  lui  com- 
poser des  sermons.  Le  P.  du  Molinet  donne  la  liste  de  3 1  de  P-  436. 
ces  discours  qu'il  avait  recueillis  dans  quatre  manuscrits  de 
la  cathédrale  de  Tournai,  de  Sainte -Geneviève,  de  Saint- 
Victor  ,  et  du  collège  de  Navarre  ;  mais  il  n'en  a  publié  qu'un 
seul  prononcé  dans  un  synode ,  pour  donner  une  idée  de 
tous  les  autres,  qui  paraîtraient  aujourd'hui,  dit-il,  insi- 
pides et  même  puérils.  Bien  différens  des  belles  homélies 
des  saints  pères  et  de  leur  manière  d'expliquer  l'écriture 
sainte ,  on  n'y  trouve  pas  cette  morale  substantielle  qui 
nourrit  et  ravit  les  âmes;  ce  sont  des  allusions  froides  ou 
des  petites  pointes  selon  le  goût  du  temps.  Nous  nous  abs- 
tiendrons cf'en  dire  davantage. 

Le  même  éditeur  a  placé  à  la  suite  des  lettres  quatre  ou       P.  4i'>. 
cinq  statuts  synodaux  informes,  qui,  dans  les  manuscrits, 
tiennent  la  place  des  lettres  6 ,  7 ,  8 ,  9.  Ce  ne  sont  que  des 
préambules  qui  indiquent  tout  au  plus  l'objet  du  règlement, 
mais  qui  ne  présentent  aucun  dispositif. 


SES    POESIES. 

Il  est  certain  qu'Etienne  de  Tournai  eut  la  réputation  d'un 
habile  versificateur.  On  s'adressait  à  lui  dans  des  occasions 
solennelles  pour  composer  des  épitaphes  ou  des  hymnes  en 
l'honneur  des  saints.  Il  parle  dans  plusieurs  denses  lettres 
des  vers  qu'il  avait  composés  dans  sa  jeunesse.  Ecrivant  au 

Tome  XV.  *  Eeee 


XII  SIECLE. 


586  ETIENNE  DE  TOURNAI. 

cardinal  Pierre,  évêque  de  Tusculum,  qui  avait  désiré  les 

Epist.  43.  avoir  :  Rogo ,  lui  dit-il,  ut  puerilia  mea,  quamvis  digna 
sint  risii,   benevolo  tamen  suscipiatis  affectu.  Et  dans  une 

Epist.  277.  lettre  à  l'abbë  de  la  Sauve  :  Quandoque  lusimus  métro ,  for- 
sitan  et prosâ,  nec  lusisse pudet.  JJ archidiacre  de  Bordeaux, 
])our  le  de'terminer  à  composer  l'office  de  saint  Geraud,  abbe' 
de  la  Sauve ,  lui  suggère  que  ce  travail  sera  comme  une  ex- 
piation des  vers  profanes  que  notre  prélat  s'était  permis  de 

Epist.  278.  composer  dans  sa  jeunesse  :  Ut  si  quia  maculœ  in  secularibus 
carminibus  quandoque  ludendo  contraxistis ,  nunc  opportu- 
nitate  'vobis  oblatd,  labiorum  vestronim  vitulos  domino  et 
beato  Giraldo  afférentes ,  devotiiis  emendetis.  Cependant  ce 
qui  reste  des  poésies  de  notre  prélat  est  peu  de  cnose. 

Boll.  5  april.  jo  Lg  morceau  le  plus  considérable  est  cet  office  de  saint 
p.  /,io,n  Geraud.  Le  P.  Papebrock  en  a  imprimé  les  leçons  et  le  pre- 

mier répons  que  nous  plaçons  ici  comme  un  échantillon  des 
autres  : 

Delectare,  Sylva-major ,  in  Giraldi  nomine , 
Qui  splendore  -veri  solis  et  cœlesti  lumine 
Umhram  tuam  Hheravit  a  mortis  caligine. 
Et  mundawt  saltus  tuos  ab  ejfuso  sanguine. 

'■<'  Les  antiennes  à  laudes  et  à  vêpres,  ainsi  que  les  hymnes, 
étaient  pareillement  en  prose  rimée.  Papebrock  n'a  imprimé 
que  les  hymnes,  dont  voici  une  strophe  pour  juger  de  la 
tacture  : 

Exaltet  Aquitanin  fatris  nostri  prœconia , 
Cujus  gaudet  prœsenliâ ,  sentitque  bénéficia ,  etc. 

P.  420-        Du  Molinet  a  réimprimé  tout  ce  qu'il  a  trouvé  dans  les  bol- 

landistes  sans  y  rien  ajouter. 
Rer.  Fran.,       a**  André  Duclicsne  a  publié  une  épitaphe  du  roi  Louis- 
t.  IV,  p.  444.     le-Jeune,  dont  il  ne  connaissait  pas  l'auteur.  Elle  commence 
par  ces  mots  :  Transit  in  hœredem  pius  ille  prier  Ludovicus. 
On  y  loue  la  piété ,  la  foi ,  la  chasteté  du  prince ,  son  amour 
pour  les  pauvres ,  et  la  protection  qu'il  accordait  aux  églises, 
en  quatorze  vers  hexamètres  et  pentamètres ,  non  rimes , 
s.Bern. gcnus  qui  ne  sont  pas  sans  mérite.  Le  P.  Ghifflet,  jésuite,  a  dé- 
ill.  p.  90.  couvert  le  nom  de  l'auteur,  maître  Etienne  de  Sainte-Gene- 

viève, dans  un  manuscrit  du  monastère  de  la  Charité,  ordre 
de  Gîteaux  au  diocèse  de  Besançon. 
'3»  Il  n'est  pas  douteux  qu'il  ne  soit  l'auteur  de  l'épitaphe 


XII  SIECLE. 


ANONYMES,  AUT.  DE  CHRONIQ.  D'ANJOU.     687 

de  Maurice  de  Sully,  évêque  de  Paris,  commençant  par  ces 
mots  :  Excisus  miseiv.  Elle  fait  partie  de  la  lettre  260,  dont 
il  a  été  parle'  plus  haut. 

Il  nous  resterait  à  parler  de  son  commentaire  sur  le  Décret 
de  Gratien,  dont  il  existe  un  grand  nombre  d'exemplaires 
manuscrits  dans  les  bibliothèques.  Le  P.  du  Molinet  n'en  a  P.  439. 
imprimé  que  la  préface  qui  est  comme  l'introduction  au  reste 
de  l'ouvrage,  contenant  des  principes  généraux  ou  les  notions 
préliminaires  à  l'étude  du  droit  ecclésiastique.  Il  paraît  que 
l'auteur  avait  composé  ce  long  commentaire  à  l'usage  des 
étudians  qui  suivaient  ses  leçons  à  Chartres  ou  à  Orléans. 
L'ouvrage  ayant  été  examiné  par  d'habiles  gens,  on  fut 
d'avis  qu'il  était  inutile  d'en  grossir  le  volume  des  lettres. 
Cette  décision  nous  dispense  d'entrer  dans  un  plus  grand 
détail.  B. 


ANONYMES, 

AUTEURS  DE  CHRONIQUES  D'ANJOU. 


J_jiE  pays  d'Anjou  a  eu,  dans  le  XP  siècle,  entre  autres  his- 
toriens dont  les  écrits  sont  perdus,  Renaud,  archidiacre 
d'Angers,  et  Foulques-le-Rechin ,  comte  d'Anjou,  des  écrits 
desquels  il  a  été  rendu  compte  dans  cette  Histoire ,  pour  le       t.  viii  ,  p. 
XII    siècle,  outre  Jean  de  Marmoutier,  qui  a  déjà  eu  son  ^2-38. 
article,    le  P.  Labbe  et  D.  Martène  ont  publié  plusieurs  _3  g    'P'  ^ 
chroniques  anonymes  qui  vont  faire  le  sujet  de  celui-ci. 

1°  Le  P.  Labbe  a  tire  des  manuscrits  de  l'abbaye  de  Saint- .  Bibl.mss.cod. 
Aubin  d'Angers,  cinq  chroniques  ou  fragmens  de  chroniques,  '•  i'  P-  ^vS- 
dont  la  première  commence  à  l'année  92g ,  et  finit  à  l'année 
1200;  la  seconde  remonte  à  l'année  76Ô,  et  se  termine  à 
l'année  11 10;  la  troisième  est  un  supplément  à  la  précédente, 
depuis  l'an  io47  jusques  à  1106.  Le  P.  Labbe  a  encore  im- 
primé sur  un  manuscrit  de  l'abbaye  de  Vendôme,  une  chro- 
nique d'Anjou,  qu'il  a  divisée  en  deux  parties,  dont  l'une 

Eeeea 


283. 


588     ANONYMES,  AUX.  DE  CHRONIQ.  D'ANJOU. 

XIÏ  SIFr*!  K 

'  '  '  '    finit  à  l'année  loôy,  et  l'autre  poursuit  jusqu'à  l'année  laSr. 

Anccd.  t.iii,  j).  Martène,  d'après  le  manuscrit  4q55  de  la  bibliothèque 

col.i38i-i383.   Tî^      1  •  £  »  <    r-    n   '^^  •  ■       ,    ^ 

Uoyale,  qui  avait  appartenu  a  Loibert,  en  a  imprime  une 
autre    qui   s'étend   depuis   l'année  781  jusques  a  1192,  et 
même  iipô. 
T.  VIII,  p.       On  a  rendu  compte,  dans  cette  Histoire,  de  la  première 

'i5-/i7-  partie  de  la  chronique  de  Vendôme,  qui  tient  le  quatrième 

rang  parmi  celles  du  P.  Labbe ,  ainsi  que  du  commencement 

de  celle  de  D.  Martène  jusqu'à  l'année  1079,  où  l'on  voit  que 

l'écriture  du  manuscrit  commence  à  être  d'une  main  diué- 

ibid.  t.  IX,  rente.  On  a  dit  aussi  un  mot  des  seconde  et  troisième  chro- 

P"     9"  niques  du  P.  Labbe  ;   mais  on  n'a  pas  encore  parlé  de  la 

première  qui  est  la  plus  considérable ,  et  de  laquelle  c'est  ici 
le  lieu  de  nous  occuper. 
Labbe,  zô/V/.       Le  P.   Labbe  dit  avoir  lu  dans  quelques  mémoires  de 

m  syllabe.  ]y[  jg  Peiresc ,  que  ce  savant  avait  vu  au-devant  d'un  manus- 
crit de  Saint-Aubin  d'Angers,  contenant  les  lettres  de  saint 
Ambroise,  écrit  du  temps  de  l'abbé  Hugues ,  vers  1 156,  deux 
chroniques,  dont  l'une  commençait  avec  la  création  du 
monde,  et  finissait  en  iiSy  à  la  mort  de  Louis-le-Gros ; 
l'autre,  qui  commençait  en  920,  était  écrite  de  la  même 
main  et  cie  la  même  encre  jusquen  ii74i  et  ensuite  jusqu'à 
l'an  1200,  était  écrite  sur  chaque  année  par  des  mains  dif- 
férentes. Il  n'est  pas  douteux  que  cette  dernière  partie  est 
celle  qui  a  été  donnée  au  public  par  le  P.  Labbe,  mais  la 
première  n'a  pas  été  publiée. 

Celle  qui  a  été  imprimée  par  D.  Martène  est  en  tout  diffé- 
rente de  la  précédente,  jusques  à  l'année  1079;  mais  depuis 
cette  époque  jusqu'en  1 190,  l'éditeur  a  trouvé  tant  de  con- 
formité entre  cette  chronique  et  celle  du  P.  Labbe,  qu'il  a 
fait  beaucoup  de  retranchemens  ;  en  renvoyant  à  l'imprimé 
du  P.  Labbe,  il  aurait  pu  aussi  remarquer  que  la  première 
partie  de  sa  chronique  est  plutôt  l'ouvrage  d  un  Tourangeau 
ï.  XII ,  p.  que  d'un  Angevin.  Les  continuateurs  du  Recueil  des  histo- 

^79-/184.  riens  de  France  qui  ont  réimprimé  la  chronique  du  P.  Labbe, 
n'ont  pris  de  celle  de  D.  Martène,  que  les  variantes  qu'ils 
ont  placées  au  bas  des  pages. 

Ces  deux  chroniques  sont  intéressantes  pour  l'histoire 
d'Anjou;  on  y  trouve  la  suite  des  comtes,  leurs  guerres  et 
leurs  actions  les  plus  mémorables,  quoique  d'une  manière 
sèche,  selon  l'usage  des  chroniqueurs;  la  succession  des 


ANONYMES,  AUT.  DE  GHRONIQ.  D'ANJOU.  689 
évêques  d'Angers  et  des  abbés  de  Saint-Aubin;  et  dans  les  X.11  siècle. 
derniers  temps ,  des  traits  plus  étendus  sur  les  rois  d'Angle- 
terre, de  la  maison  d'Anjou,  auxquels  les  derniers  conti- 
nuateurs paraissent  avoir  été  très-affectionnés ,  quoique  ces 
princes  ne  fussent  guère  chéris  des  Anglais. 

2°  Le  P.  Labbe  a  publié  une  seconde  chronique  de  Saint-  Labbe ,  Md. 
Aubin,  depuis  l'année  768  jusqu'en  1 1 10,  suivie  d'un  appen-  ?•  *'^o-^*'- 
dice  depuis  io47  jusques  à  1 106.  Ce  sont  celles  dont  il  a  été  • 
rendu  compte  dans  cette  Histoire,  t.  ix,  p.  56q.  Cette  mul- 
tiplicité de  chroniques  d'un  même  lieu ,  écrites  dans  le  même 
temps ,  très-peu  remplies  d'événemens ,  dont  les  auteurs 
semolent  s'être  tellement  concertés  que  l'un  laisse  vides  deS' 
années  que  l'autre  remplit,  aurait  de  quoi  étonner,  si  l'on 
ne  savait  que  ces  sortes  d'ouvrages  étaient  écrits  ordinaire- 
ment sur  les  feuillets  des  manuscrits  qu'on  laissait  en  blanc 
au  commencement  et  à  la  fin.  Tel  était  celui  qu'avait  vu  à 
Saint-Aubin  le  célèbre  Peiresc.  Comme  on  était  gêné  par 
l'espace ,  on  écrivait  tantôt  au  commencement ,  tantôt  à  la  fin  ; 
tantôt  sur  un  manuscrit ,  tantôt  sur  un  autre.  C'est  ce  qui  a 
produit  ces  divers  fragmens  qui,  réunis  ensemble,  forme- 
raient une  bonne  chronique ,  passablement  remplie  selon  le 
goût  de  ces  temps. 

3"  Le  même  éditeur  a  imprimé  sur  un  manuscrit  de  l'ab-      ^■^^«'  '*'*'• 
baye  de  Vendôme,  une  chronique  depuis  l'année  678  jus- 
qu'en laSi ,  qui  tient  le  quatrième  rang  parmi  celles  d'Anjou, 
quoiqu'elle  parle  plus  du  Vendômois  que  de  l'Anjou.  Mais 
on  sait  que  l'abbaye  de  Vendôme  avait  dans  sa  dépendance 
le  prieuré  de  Leviere  fde  Aquaria),  au  faubourg  d'Angers  : 
ce  qui  devait  rendre  les  religieux  de  Vendôme  attentifs  à  ce^ 
qu'y  s'y  passait.  Là  première  partie  de  cette  chronique ,  dont 
on  a  rendu  compte  dans  cette  Histoire,  finit  à  l'année  1067,      ^'  ^'^' 
et  ne  dit  presque  rien  de  l'abbaye  de  Vendôme,  qui  n'exis- 
tait pas  avant  1  année  loSa ,  mais  elle  donne  des  époques  sur 
l'histoire  générale  de  la  monarchie.  La  seconde  partie,  qui 
commence  à  l'année  1060,  et  finit  en  laSi ,  est  l'ouvrage  de 
plusieurs  auteurs,  qui  ont  écrit  successivement  les  faits  qu'elle 
contient.  Le  premier  vivait  en  1075,  car  il  dit  avoir  vu,  le 
27  septembre  de  cette  année,  qui  était  un  dimanche,  et  le; 
1 3  de  la  lune,  avant  qu'il  fiît  jour,  la  troisième  partie  de  la 
lune,  du  côté  du  midi,  plus  noire  qu'un  sac  de  poil  de  chèvre, 
noirceur  qui  se  dissipa  peu-à-peu  dans  l'espace  de  deux  heures. 
C'était  une  éclipse  marquée  ce  jour-la  dans  les  tables  astro- 


283—291. 


45-47. 


XII  SIECLE. 


590     ANONYM,  AUT.  DE  CHRON.  DE  PICARDIE. 

nomiques(i),  quoique  l'auteur  en  parle  comme  d'un  prodige. 
Cet  auteur  ne  peut  pas  être  le  même  qui  écrivait  en  laÔi;  il 
faut  donc  en  admettre  plusieurs,  qui  étaient  tous  religieux 
de  Vendôme.  On  trouve  dans  leur  chronique  des  traits  cu- 
rieux sur  les  comtes  d'Anjou  et  de  Vendôme,  avec  la  succes- 
sion des  abbés  du  monastère,  jusqu'à  l'abbé  Hamelin  qui, 
en  iai5,  assista  au  grand  concile  de  Latran,  ovi  il  prit  place 
à  son  rang  parmi  les  cardinaux  :  ce  qui  prouve  qu'encore 
alors  on  reconnaissait  à  Rome  les  droits  de  l'abbaye  de  Ven- 
dôme sur  l'église  cardinale  de  Sainte-Prisque. 

Les  continuateurs  du  Recueil  des  historiens  de  France, 
ont  donné  plusieurs  extraits  de  cette  chronique,  t.  VIII, 
p.  261;  t.  X,  p.  176;  t.  XI,  p.  3o;  t.  XII,  p.  486.  B. 

'■(i)  On  lit  dans  l'imprimé  quinto  kal.  novembris.  C'est  une  faute';  il  faut 
Vaéoctcbris,  pour  être  d'accord  avec  les  tables  astronomiques. 

•  '  .     '     >.       I'' 
iHJi  :;î  1;  ki'iii  .  .. 


ANONYMES, 

.n}«.*^«..      AUTEURS  DE  CHRONIQUES  DE  PICARDIE. 

Ija  Picardie ,  qui  eut ,  dans  le  XI«  et  XII«  siècles ,  et  particu- 
lièrement à  Laon,  d'excellentes  écoles,  et  des  professeurs  cé- 
lèbres, produisit,  dans  le  genre  de  l'histoire,  de  bons  écri- 
vains,tels  que  Guibert,  abbé  de  Nogent,  Hariulfe,  moine  de 

'I  '  IH  '  Saint-Riquier ,  Hérimanne,  de  Laon,  qui  ont  eu  leurs  ar-, 
ticles  dans  cette  Histoire.  Nous  traiterons  dans  celui-ci  de 
quelques  écrits  anonymes  qui  peuvent  encore  servir  à  l'his- 
toire de  cette  province  dans  le  XII^  siècle. 

Exnis.  cod.  1»  Le  premier  est  une  longue  relation  d'un  religieux  de 

l'abbaye  de  Saint-Germer  de  Flaix  ( Sancti-Geremarl  hlaia- 
censis ,  ou  FlaviacensisJ,  qui  a  pour  objet  de  revendiquer, 
contre  les  chanoines  de  Beauvais,  les  reliques  de  saint  Ger- 
mer, fondateur  du  monastère,  au  diocèse  de  Beauvais,  sur 
la  rivière  d'Epte.  L'auteur  écrivait,  vers  l'an  11  Sa,  sa  rela- 
tion, à  laquelle  il  a  donné  pour  titre  :  Narratio  qualitcr 
reUqidas  beati  patris  nostri  Gereniari  accepimus. 


XII  SIECLE. 


ANONYM.  AUT.  DE  CHRON.  DE  PICARDIE.     691 

Au  sujet  de  ces  reliques,  l'anonyme  fait  l'histoirei  de  son 
monastère,  depuis  sa  fondation,  l'an  65o,  jusqu'au  temps  où 
il  écrivait.  Il  nous  représente  d'abord  l'état  florissant  ae  ce 
monastère  jusqu'à  l'arrivée  des  Normands,  sous  la  conduite 
de  Hastaing,  et  ensuite  de  Rollon ,  dont  il  décrit  en  peu  de 
mots  les  cruautés  et  les  ravages.  A  cette  dernière  époque, 
les  religieux  transportèrent  à  Beauvais  les  reliques  du  sanit, 
pour  les  soustraire  à  la  fureur  des  Normands,  lesquels  ayant 
renversé,  comme  tant  d'autres,  ce  monastère  ae  fond  eti 
comble,  les  reliques  restèrent  à  Beauvais,  après  l'extinction 
des  religieux  qui  les  avaient  accompagnées ,  dans  Une  des 
tours  de  l'église  de  Saint-Pierre,  qui  est  la  cathédrale.  En- 
viron cent  trente  ans  après,  l'évêque  Drogon  songea  à  rele- 
ver de  ses  ruines  le  monastère,  et  il  y  rétablit  en  io3o  des 
religieux  qui ,  dans  peu  de  temps ,  furent  en  état  de  com- 
muniquer a  d'autres  monastères  des  hommes  de  lettres  et 
des  supérieurs  vertueux.  Mais  il  manquait  à  leur  bonheur 
d'avoir  avec  eux  les  reliques  de  leur  patron  :  chose  extrême- 
ment importante  dans  ces  vieux  temps.  Ils  s'adressèrent 
d'abord  au  roi  Philippe  I*"" ,  et  à  l'évêque  Odon ,  qui  se  con- 
certèrent pour  les  leur  faire  rendre.  Mais  le  clergé  et  les 
habitans  ae  Beauvais,  qui  regardaient  ce  saint  comme  un 
Dieu  tutélaire  contre  la  contagion  du  feu  dit  saav,  qui  dé- 
solait alors  les  provinces  de  France,  eurent  la  précaution  de 
les  soustraire  pour  le  moment ,  et  firent  courir  le  bruit  qu'on 
les  avait  enlevées.  Enfin  les  rehques  ayant  été  retrotivées, 
l'auteur  raconte  fort  au  long  par  quel  événement  les  reli- 
gieux obtinrent,  l'an  iiSa,  de  l'évêque  Pien-e,  qu'on  leur 
rendrait,  comme  une  insigne  faveur,  un  os  du  bras  du 
corps  saint  :  encore  fallut-il  la  décision  et  toute  l'éloquence 
de  Goslen ,  évêque  de  Soissons,  qui  était  venu  à  Beauvais 
montrer  au  peuple  les  saintes  reliques,  pour  persuader  aux 
habitans  que  cela  était  de  toute  justice. 

Tel  est  le  précis  de  cette  histoire,  dans  laquelle  l'auteur 
touche  en  passant  plusieurs  faits  relatifs  à  l'histoire  de  nos 
rois,  des  évêques  de  Beauvais,  et  d'autres  monastères  de  la 
province.  Son  style  est  diffus ,  mais  clair  et  méthodique.  Les 
successeurs  de  Bollandus  ont  donné  un  extrait  de  son  ou^  Ad  diom  24 
vrage,  à  la  suite  de  la  vie  de  saint  Germer.  M.  Traulé,  pro-  *<=P'- 
cureur  du  roi,  près  le  tribunal  de  première  instance  du 
canton  d'Abbeville,  correspondant  de  1  Institut,  ayant  trauvé 
i'ouvrage  entier  dans  une  copie  ancienne ,  l'a  déposé  depuis 


XII  SIECLE. 


592     ANONYM.  AUT.  DE  CHRON.  DE  PICARDIE. 

peu  d'années  à  la  bibliothèque  Royale.  C'est  sur  ce  manuscrit 
que  nous  avons  dressé  notre  article. 
Annal,  de  II.  Jacques  Levasseur,  chanoine  et  doyen  de  l'église  ca- 
Noyon,  p.  33-  thédrale  de  Noyon ,  a  donné,  en  français,  une  petite  histoire 
de  la  ville  de  Vermand ,  dans  laquelle  l'auteur  anonyme  dé- 
crit la  destruction  de  cette  antique  cité,  au  cinquième  siècle; 
puis  la  fondation  de  l'abbaye  ou  même  nom ,  pour  des  cha- 
noines réguliers,  par  Radbode,  évêque  de  Noyon,  vers  la 
fin  du  Xfe  siècle  ;  et  enfin  l'introduction  des  chanoines  pré- 
montrés, qui  furent  substitués  aux  anciens  chanoines,  en 
1 144-  On  distingue  visiblement  deux  auteurs  dans  cette  com- 
position; l'un  qui  écrivait,  fort  peu  d'années  après  l'intro- 
duction des  premontrés,  sous  l'abbé  Gilbert,  vers  l'an  1 155, 
puisqu'il  déclare  nettement  avoir  conversé  quelque  temps 
avec  le  dernier  abbé  des  chanoines  réguliers,  nommé  Iribert, 
et  que  même  cet  abbé  vivait  encore  lorsqu'il  écrivait  ;  l'autre 
beaucoup  plus  récent,  raconte  de  quelle  manière  l'abbaye 
de  Vermand  fut  transférée,  l'an  1200,  le  18  novembre,  qui 
était  un  dimanche  (i),  du  haut  de  la  montagne  oii  elle  était 
située ,  dans  la  vallée  oii  elle  est  maintenant. 

Il  serait  à  souhaiter  que  Levasseur  eiit  publié,  comme  il 
l'avait  promis,  l'original  de  cet  ouvrage  qui  lui  avait  été 
communiqué  par  Jacques  Buxin ,  avocat  à  Chauny,  au  lieu 
d'en  donner  une  traduction  qui ,  aujourd'hui ,  est  surannée. 
Mais  trouvant  apparemment  que  le  volume  de  ses  Annales , 
n'était  déjà  que  trop  gros,  il  n  en  a  rien  fait,  en  avouant  ce- 
pendant, dans  une  note  qu'il  a  placée  à  la  fin  de  sa  traduc- 
tion, qu'il  faisait  grand  cas  de  cet  écrit,  tant  pour  son  anti- 
quité ,  que  pour  la  variété  des  sujets  qui  y  sont  traités ,  le 
sac  de  Vermand ,  où  était  le  siège  primordial  des  évêques  de 
Noyon ,  et  plusieurs  traits  qui  concernent  les  évêques  de  la 
même  ville,  saint  Médard,  Radbode,  Lambert,  Simon  et 
autres. 

III.  Le  même  Levasseur  a  publié  deux  pièces  relatives  à 
l'abbaye  d'Ourcamp,  près  de  Noyon,  sur  la  rivière  d'Oise. 
La  première  est  une  notice  qui  explique  le  nom  et  l'origine 
de  cette  abbaye,  de  la  filiation  de  Clairvaux,  fondée  en  r  129. 
Cette  notice  a  pour  titre  :  De  oratorio  sancti  Eligii  apud 
tJrsicampum ,  et  de  monasterii  appellatione.  On  y  voit  que 

(i)  Puisque  le  i8  novembre  était  un  dimanche,  ce  devrait  être  en 
laoi ,  et  non  en  1200. 


Ibid.  p.  5o. 


Jbid.  p.  83o. 


» 


XII  SIECLE. 


ANONYM.  AUT.  DE  CHRON.  DE  PICARDIE.     5g3 

saint  Eloi ,  faisant  construire  en  ce  lieu,  où  il  aimait  à  se  re- 
tirer, une  chapelle,  employait,  pour  le  transport  des  mate'- 
riaux,  un  bœuf  qui,  un  beau  jour,  fut  la  proie  d'un  ours 
affamé.  Le  saint  exigea  de  l'ours,  par  compensation,  qu'il 
ferait  à  l'avenir  le  service  du  bœuf  :  a  quoi  l'animal  indompté 
voulut  bien  se  soumettre.  Telle  est  l'origine  du  nom  d'Our-  ibid.  p.  838. 
camp ,  Ursicampus.  —  La  seconde  pièce  produite  par  Levas- 
seur  est  une  description  de  la  même  abbaye,  en  trente-quatre 
vers  latins  qu'il  croit  fort  anciens.  «  Je  les  dois ,  dit-il,  à  l'ami- 
«  tié  et  diligence  de  dom  Jean  Boquet,  duquel  je  ne  saurais 
a  assez  estimer  l'excellente  piété,  et  l'amour  des  lettres.  Je 
a  tiens  encore  de  lui  ces  vers  marqués  au  coing  de  la  vétusté, 
«  qu'il  a  tirés  des  archives  de  la  maison.  »  Mais  ces  vers, 

auoique  tirés  des  archives,  ne  paraissent  pas  être  d'un  auteur 
u  XIP  siècle,  auquel  Levasseur  semble  les  rapporter.  Si  cela 
était,  ce  versificateur  pourrait  passer  pour  un  des  meilleurs 
de  son  temps. 

IV.  Ce  serait  ici  le  lieu  de  parler  de  la  chronique  de  Nicolas 
d'Amiens,  qui  finit  à  l'an  1204.  Mais  outre  que  nous  ne 
traitons  dans  cet  article  que  d'auteurs  anonymes,  et  que 
nous  avons  de  cet  auteur  d'autres  écrits  dont  nous  devons 
rendre  compte,  nous  ferons  pour  lui  un  article  à  part. 

Nous  ne  parlerons  pas  non  plus  ici  de  la  chronique  d'un 
chanoine  de  Laon,  dont  le  nom  est  inconnu.  Sa  chronique, 
qui  commence  à  l'origine  du  monde,  et  descend  jusqu'à 
1  année  1 2 1 9 ,  contient  quelques  particularités  sur  la  Picardie. 
Les  continuateurs  du  Recueil  des  historiens  de  France ,  en  T.  XIII ,  p. 
ont  donné  un  fragment  depuis  l'année  1 165,  jusqu'en  1 180,  ^77-683. 
d'après  le  manuscrit  5oi  i  de  la  bibliothèque  Royale.  Le  ju- 
gement qu'ils  en  portent  ne  donne  pas  une  haute  idée  de 
cette  production,  au  moins  pour  les  premiers  temps.  Nous 
nous  réservons  d'en  parler  lorsque  nous  en  serons  au  XIIP 
siècle. 

Par  la  même  raison ,  nous  renvoyons  à  un  autre  volume 
ce  que  nous  avons  à  dire  de  la  chronique  anonyme  de  Saint- 
Médard  de  Soissons ,  qui ,  dans  le  Spicilége  de  D.  Dacheri ,      Spicil.  in-fol, 
commence  en  497i  et  se  termine  à  Fannée  1260.  B.  '•"'?•  ''*"• 


Tome  XV.  Ffff 


Xil  SIECLE. 


^  «/^iV«  «^  %.^  »  «  ^  •«  ^.«.^  « 


,       ANONYMES, 

AUTEURS  DE  CHRONIQUES  DE  BOURGOGNE. 


Au  défaut  de  meilleurs  historiens,  c'est  dans  les  chroniques 
des  monastères  qu'il  faut  chercher  le  peu  de  lumières  qui 
nous  restent  sur  la  plupart  des  provinces  de  France.  La 
Bourgogne  a  eu  dans  ce  genre  plusieurs  historiens  estimes, 
dont  il  a  été  rendu  compte  dans  cette  Histoire;  la  chronique 

T.  vil,p. /,55.  de  Saint-Bénigne  de  Dijon,  celle   de  Saint-Pierre  de   Bese, 
T.  X,  p. 270  jg  Saint-Philibert   de  Tournus,  de  Vezelai,  etc.   Nous  réu- 

~  T.  VIII ,  p.  nirons  dans  cet  article  quelques  notices  d'autres  chroniques 

327- 33o.         anonymes  de  monastères  situés  en  Bourgogne,  qui  appar- 

gggT-  ^"  '  P-  tiennent  à  l'époque  où  nous  en  sommes. 
Bibi.'clun. ,       I-  André  Duchesne  et  D.  Marrier  ont  imprimé  dans   la 

col.  1618.  Bibliothèque  de  Cluni ,  une  chronique  de  ce  monastère, 
depuis  l'année  910,  époque  de  la  fondation,  jusqu'à  l'année 
i3i8;  mais  les  éditeurs  ont  observé,  par  la  diftérence  des 
écritures  du  uianuscrit,  qu'elle  est  l'ouvrage  de  trois  ou 
quatre  écrivains,  qui  y  ont  travaillé  successivement.  Le 
premier  s'est  arrêté  à  l'année  iiDy;  le  second  reprend  jus- 
qu'à l'année  iai5;  et  le  troisième  continue  jusqu'à  l'année 
i3i8  :  ce  qui  suit  a  été  ajouté  par  une  main  très-récente. 
Cette  chronique  n'est  nullement  remplie  :  le  plus  grand 
nombre  des  années  est  resté  vide  :  elle  ne  contient  pres- 
que autre  chose  que  les  éloges  des  abbés,  à  l'époque  de 
leur  décès. 

Il  nous  reste  encore  un  ou  deux  fragmens  de  chroniques 

de  Cluni,  dont  l'un,  qui  s'étend  depuis  l'année  1 109  jusques 

Anecd.  t.lll,  à  1199,1  a  été  publié  par  D.  Martène,  sur  un  manuscrit  de 

col.  1387.  Saint-Etienne  ae  Nevers;  l'autre  a  été  recueilli  par  D.  Claude 
Estiennot,  au  tome  V  de  ses  Fragmens  d'histoire,  et  a  pour 
titre  :  Excetpta  ex  chronico  Cluniacensi  ante  annuni  \  1 3^, 
ex  magna  sui  parte  compilato ,  et  a  inonachis  Cluniacensi- 
hus  aucto  ah  anno  888  ad  an.  laSy,  quœ  desunt  in  édita 
Cluniacensi  hihliotheca. 
T.  XII,  p.       Les  continuateurs  du  Recueil  des  historiens  de  France, 

3i3-3i6.        Qut  pris  dans  ces  deux  fragmens  de  chroniques  de  quoi 


ANON.  AUT.  DE  CHRON.  DE  BOURGOGNE.     5q5 
remplir  les  vides  de  la  première,  en  mêlant  les  trois  en- 


semble, et  n'ont  pas  réussi  à  en  faire  une  bien  intéressante. 

II.  Les  mêmes  continuateurs  ont  publié  un  fragment  de    ibid.  p.  309. 
chronique  abrégée  de  l'abbaye  de  Bese,  qu'ils  ont  trouvée 

écrite  à  la  marge  du  Cycle  paschal,  dans  le  manuscrit  6009 

de  la  bibliothèque  Royale.  Cette  chronique  commence  à  la 

naissance  de  Jésus-Christ,  et  finit  à  l'année  1177.  Ce  qu'elle  .^ 

a  de  plus  intéressant  se  réduit  à  quelques  époques  sur  les 

évêques   de  Langres ,  dans  le  diocèse  desquels  était  alors 

l'abbaye  de  Bese,  et  à  la  succession  des  abbés  du  monastère.     Bibl.mss.cod. 

III.  La  petite  chronique  de  Saint-Bénigne  de  Dijon,  qui  P  »95-»9J- 
a  été  publiée  par  le  P.  Labbe,  commençant  à  l'année  ^53, 

au  sacre  du  roi  Pépin,  par  le  pape  Etienne,  et  finissant  en 
1223,  ne  doit  pas  être  confondue  avec  la  grande  chronique, 
si  justement  estimée,  qui  a  été  composée  au  XP  siècle.  Celle-* 
ci  qui  en  est  un  extrait,  est  beaucoup  plus  remplie  de  faits 
que  la  petite  chronique  de  Bese,  dont  nous  venons  de  par- 
ler. On  y  trouve  non-seulement  la  suite  des  abbés  de  Saint- 
Bénigne,  mais  encore  celle  des  évêques  de  Langres,  des 
ducs  de  Bourgogne,  et  même  des  rois  de  France,  etc.  Les  T.  XI,  p.  345. 
continuateurs  du  Recueil  des  historiens  de  France,  l'ont  TXli,p.  3io. 
réimprimée  dans  leur  collection,  depuis  l'année  io46,  où 
finit  à-peu-près  la  grande  chronique. 

IV.  Nous  sommes  redevables  au  P.  Pierre-FrançoisChifflet,  S.  Bern.  gen. 
jésuite,  d'une  bonne  chronique  de  Clairvaux,  qu'il  a  mise  au  inust.p.81^89. 
jour  dans  sa  diatribe  en  faveur  de  la  noble  extraction  de 

saint  Bernard.  Cette  chronique  ne  commence  qu'en  wlvj  ^ 
et  finit  en  1192;  mais  il  paraît  qu'elle  n'est  pas  entière,  et 
que  l'auteur  écrivait  assez  avant  dans  le  XIIP  siècle.  La 
pi'euve  résulte  du  texte  même  de  l'auteur;  sous  l'année  1 178, 
il  parle  de  Gossuin  ,  moine  de  Clairvaux,  comme  étant  déjà 
mort  lorsqu'il  écrivait,  qui  in  Burlencuria  requiescit.  Or 
Gossuin  ne  mourut,  selon  Albéric  de  Trois-Fontaines,  qu'en 
i2o3.  Bien  plus,  sous  l'année  1179,  l'auteur,  parlant  du 
couronnement  du  roi  Philippe-Auguste,  ajoute  que  ce  prince 
régna  environ  quarante- quatre  ans.  Si  ce  n'est  pas  une  four- 
rure, il  est  incontestable  que  l'auteur  écrivait  sous  le  règne  de 
saint  Louis,  et  que  son  ouvrage  est  imparfait.  Au  reste,  cette 
chronique  est  remplie  de  faits  qu'on  ne  trouve  que  là.  11  est 
vrai  quils  sont  presque  tous  relatifs  à  l'ordre  de  Cîteaux,  et 
qu'on  n'y  traite  guère  d'affaires  politiaues  ;  mais  il  y  a  bon 
nombre  de  traits  excellents  pour  l'histoire  littéraire  de  la 

Ffffa 


Xn  SIECLK. 


696      ANONYM.  AUX.  DE  GHRONIQ.  DE  REIMS. 


France,  et  nous  avons  été'  plus  d'une  fois  dans  le  cas  d'en 
faire  usage. 
ActaSS.ord.       V.  D.  Mabillon  a  publié,  à  la  suite  de  l'Histoire  des  trans- 

s.  ijeu.  ssec.iv,  Jations  des  reliques  de  saint  Philibert,  à  Tournus,  un  frag- 
'  '  ■  ■  ment  écrit  sur  la  fin  du  XIF  siècle,  dans  lequel  on  trouve 
quelques  renseignemens  sur  la  navigation  de  la  Saône,  à 
1  occasion  d'un  différend  qui  s'était  élevé  entre  les  religieux 
de  Tournus  et  le  comte  Gérard  de  Mâcon ,  qui  avaient  con- 
curremment des  ports  sur  ce  fleuve.  L'abiie  Juenin  a  aussi 
rapporté  ce  fragment  parmi  les  preuves  de  son  histoire  de 

T.xiv.p.  479.  Tournus,  et  les  continuateurs  du  Recueil  des  historiens  de 
France,  l'ont  inséré  dans  leur  collection. 
Bibl.mss.i.i,       Nous  pourrious   encore   placer    ici   la   petite    chronique 

P-394-  de  Vezelai,  imprimée   par  le  P.  Labbe;  mais  comme  elle 

s'étend  jusqu'à  l'année  i3i6,  et  que  rien  ne  prouve  qu'elle 
ait  été  composée  par  différents  auteurs,  nous  en  renvoyons 
la  notice  au  siècle  suivant.  B. 


«««««^«^ 


ANONYMES, 

AUTEURS  DE  CHRONIQUES  DE  REIMS  ET  DU  PAYS  RÉMOIS. 


OuoiQUE  les  études  aient  été  florissantes  à  Reims,  durant  les 
XÏ  et  XII*'  siècles,  comme  on  l'a  démontré  dans  cette  his- 
toire; néanmoins  depuis  Flodoard  ce  pays  n'a  produit  aucun 
liistorien  distingué.  Nous  n'avons  que  quelques  chroniques 
anonymes  dont  nous  allons  nous  occuper. 
Hisi.  dudioc.  1°  D.  Nicolas  le  Long,  religieux  bénédictin  de  la  congré- 
d<-Laon,p.593.  gatiou  de  St-Vaniie,  a  tiré  de  l'obscurité,  l'an  1783,  une  chro- 
nique dite  de  Mézières,  qui  ne  méritait  guères  de  voir  le 
jour.  C'est  un  écrit  qui  paraît  fait  à  plaisir,  et  peut-être  dans 
l'intention  de  favoriser  de  folles  prétentions  de  quelques  fa- 
milles qui  voudraient  faire  remonter  à  des  temps  fort  recu- 
lés l'illustration  de  leurs  ancêtres  ou  de  ceux  dont  ils  pos- 
sèdent les  terres.  Il  n'y  a  pas  de  matière  sur  laquelle  on 
ait  été  moins  scrupuleux  de  débiter  des  mensonges  que  sur 


XII  SIECLE. 


ÀNONYM.  AUX.  DE  CHRONIQ.  DE  REIMS.      697 

les  généalogies  ;  les  familles  les  plus  illustres  qui  aiment  à  voir 
leur  origine  se  perdre  dans  l'obscurité  des  temps,  et  même 
des  nations  entières  n'ont  pas  été  toujours  exemptes  de  ce 
reproche;  elles  ont  leurs  fables  qui  leur  sont  aussi  chères 
que  la  vérité. 

On  attribue  cette  chronique,  qui  commence  à  l'année  860 
et  finit  en  ioi5,  et  non  en  1020  comme  porte  l'imprimé,  à 
Alard  de  Gennilé  ou  Gennilac  (  de  Gennilaco)  qui,  selon 
les  auteurs  du  Gallia  christiana  fut  abbé  de  Signy ,  au  dio-       Gall.  Christ, 
cèse  de  Reims,  depuis  l'année  1162  jusqu'en  1176.  On  sup-  *•  lX,col.  3o6. 

f)ose  qu'elle  fut  écrite  l'an  1 155,  d'après  cette  espèce  depro- 
ogue  qu'on  lit  au  commencement,  ^nno  iticarnat.  Dont. 
II 55,  chronicon  hoc  suscipio ,  et  ut  ordinatini  incedens  Ma- 
ceriarurn  originem ,  dehinc  Herlebaldi  Castricensis  comitis 
prognatos ,  consanguinitates ,  bella  ac  decessuni  aperiam,  et 
qiud  eventum  sit  celebrius  in  Rertiensi^  Castricensi ^  Stadu- 
nensi,  Dulconiensi ,  Registetensi  ac  Porcensi  hreviter  stillaho 
pagis.  En  accordant  qu'Alard  serait  l'auteur  de  cette  chro- 
nique, ce  qui  n'est  pas  dit,  on  voit  déjà  qu'il  rapporte  des 
évenemens  qui  s'étaient  passés  3oo  ans  auparavant ,  et  qui 
auraient  besoin  d'un  autre  garant  que  lui-même. 

Assurément  un  écrit  qui  nous  donnerait  des  lumières  sûres 
touchant  tant  d'objets,  sur  les  pays  Remois,  de  Castrice,  de 
Stenai,de  Dormois,  deRethel ,  deChâteau-Porcien,  serait  un 
monument  précieux;  mais  nous  ne  pensons  pas  que  la  chroni- 

3ue  dont  il  s  agit,  dans  son  entier,  soit  de  ce  genre.  A  l'exception 
e  deux  ou  trois  traits  sur  Herlebalde  comte  de  Castrice,  que 
l'auteur  a  empruntés  de  Flodoard,  on  ne  voit  dans  presque      ApudCLesu. 
tous  les  autres  personnages  dont  il  est  parlé,  que  des  noms  '•  Hi  Rer.  Fr., 
parfaitement   inconnus  dans  l'histoire;  tel  un  Garlaschus,  P-^9°- 
qu'on  fait  père  du  comte  Herlebalde,  et  celui-ci  de  Guérindit 
Fier-à-bras ,  Ferreuni-brachiam  ;  tels  un  Hucbaldus  qu'on  dit 
comte  de  Château-Porcien,  et  père  de  Frédéric;  un  Marc, 
comte  de  Dormois,  surnommé  Pectens-porcos\  un  Victor  de 
Pouilli  sur  Meuse,  un  Balthazar  de  Rethel,  qu'on  ne  trouve 
nommés  dans  aucune  histoire  ni  dans  les  chartes  connues. 
Quant  aux  mariages  qu'on  leur  fait  contracter ,  nous  aurions 
besoin  d'un  meilleur  garant  pour  les  admettre.  En  un  mot, 
tout  nous  paraît  supposé  dans  cet  ouvrage ,  excepté  ce  qui  a 
rapport  au  comte  Herlebalde,  auquel  Flodoard  assigne  pour      Flod.  <ô/rf. 
domaine  le  comté  de   Castrice,  lieu  inconnu  aujourd'hui, 
mais  sur  lequel  on  peut  s'en  rapporter  à  notre  auteur,  d'au- 


XII  SIECLE. 


598      ANONYM.  AUT.  DE  CHRONIQ.  DE  REIMS 

tant  plus  qne  dans  Flodoard  il  y  a  une  lacune  considérable 
immédiatement  avant  les  endroits  que  l'auteur  a  empruntés 
de  lui  et  qui  peut-être  n'existait  pas  de  son  temps. 

Il  dit  donc  qu'en  897  le  feu  du  ciel  réduisit  en  cendres  le 
château  ou  le  bourg  de  Gastrice ,  Castricii  domos  ;  et  qu'en 
899  Herlebalde  construisit  un  nouveau  château  sur  une  émi- 
nence  qui  domine  la  Meuse,  non  loin  des  ruines  de  Gastrice, 
pour  se  mettre  à  l'abri  des  poursuites  de  Foulques,  arche- 
vêque de  Reims.  G'est  aujourd'hui  la  ville  de  Mézières. 
Voici,  selon  l'auteur,  l'origine  de  ce  nom.  En  creusant  les 
fondations  de  ce  château,  on  découvrit  dans  les  ruines  d'un 
temple  l'image  d'une  idole  appelée  Macer;  l'auteur  ajoute 
que  le  culte  qu'on  lui  rendait  autrefois  consistait  à  la  frapper 
de  verges.  Cette  découverte  fit  donner  au  château  le  nom 
de  Mézières,  castrum  maceriarum  (i).  Herlebalde  ne  se  tint 
pas  long-temps  sur  la  défensive;  dès  l'an  900  il  fit  des  excur- 
sions sur  les  terres  de  l'évêché,  s'empara  de  Haumont,  et 
et  peupla  son  château  de  Mézières  des  vassaux  de  l'église 
de  Reims ,  Casatis.  L'évêque  Hervé  successeur  de  Foulques 
le  frappa  d'anathême ,  et  dès  l'année  suivante  l'ayant  réduit 
à  prendre  la  fuite ,  il  se  rendit  maître  du  château. 

Jusqu'ici  notre  auteur  est  d'accord  avec  Flodoard;  mais 
Flodoard  ne  parle  ni  de  la  femme  ni  des  enfans  du  comte 
Herlebade,  non  plus  que  des  alliances  des  autres  person- 
nages ci-dessus  nommés.  Ge  qui  nous  a  fait  dire  que  cette 
chronique  assez  décharnée  et  fort  peu  remplie  d'événemens 
n'a  été  composée  que  dans  le  dessein  d'y  fourrer  des  généa- 
logies. Nous  pourrions  conclure  son  peu  d'authenticité  des 
anachronismes  et  des  solécismes  grossiers  qu'elle  contient 
en  grand  nombre.  Si  le  prétendu  Alard,  pour  déguiser  la 
supposition,  a  cru  que  c'est  ainsi  qu'on  écrivait  au  XII*^ 
siècle,  il  s'est  bien  trompé.  Quoiqu'en  général  les  écrivains 
d'alors  parlent  assez  mal  latin,  ils  respectaient  au  moins  les 
règles  de  la  syntaxe. 

L'édition  que  D.  le  Long  a  donnée  de  cet  ouvrage  n'est 


(i)  Anno  899,  Herlebalflus  in  quadani  sunimitate  super  Mo^ani  et  prope 
Castricii  ruinas  novunt  struxit  castriijn,  ut  se  tueretur  adversus  Fu/cofiem 
archiepiscopuin.  Novi  hujus  castri  fundamenta  prœpaians  ,' /ani  reliqfiias 
reperiit  cum  cujusdam  idoU  figura  nomineM.A.CER,  quod  quondam  pagahi 

^  CastricenceS  virgis  colebant,  Lcetûs  cornes   vocavit  cccslriim  suiùH'Mmntm 

'9iaceriarum. 


ANONYM.  AUT.  DE  CHRONIQ.  DE  REIMS.      599 

rien  moins  qu'exacte;  il  y  manque  des  phrases  entières,  comme 

nous  l'avons  vérifie  sur  une  expédition  en  forme  qui  est  entre 
nos  mains,  faite  le  ôo  mars  1768,  à  la  réquisition  de  M.  Louis 
Albert  de  Pouilli,  chevalier  baron  de  Chauscourt,  seigneur 
de  Pouilli,  Quinci,  Yilosne  çt  autres  lieux,  demeurant  au 
châ^teau  dudit  Pouilli,  lieutenant-colonel  de  cavalerie  au  ré- 
giment de  Royal-Cravatte  ,  par  les  notaires  de  Stenai,  Bour- 
geois et  Goffart,  sur  l'original  manuscrit  en  vélin  et  en 
lettres  rouges,  tiré  des  archives  de  Saint-Juvin  près  Grand- 
pré  ,  représenté  et  à  l'instant  rendu  à  M.  MarcoUier ,  prêtre 
curé  dudit  lieu  de  St-Juvin. 

II.  Le  P.  Sirmond,  jésuite,  a  publié  à  la  suite  de  l'histoire  Flod.  Hist. 
dé  l'église  de  Reims  par  FlodoArd ^  un  appendiûs  ani  n  est  R«m-foi-4oi- 
quun  iragment  dun  abrège  de  cette  histoire,  continuée  par 

un  chanoine  anonyme  de  la  même  église  jusqu'à  l'épiscopat 
de  Samson,  qui  a  gouverné  l'église  de  Reims  depuis  l'année 
I  i4o  jusqu'en  1 162.  C'est  ce  que  le  P.  Sirmon  dit  avoir  re- 
connu sur  le  manuscrit  de  l'abbaye  d'Igni,  dont  il  s'est  servi 
et  ce  qu'on  peut  vérifier  sur  un  texte  du  même  ouvrage  rap- 
porté par  le  P.  Labbe  (i).  Le  peu  qui  reste  de  cet  écrit  qui  se 
termine  à  la  mort  de  l'évêque  Adalberon,  arrivée  l'an  988,  est 
très-propre  à  nous  faire  regretter  ce  qui  est  perdu;  l'auteur  à 
l'appui  de  ce  qu'il  avance ,  rapporte  des  chartes,  ets'il  est  vrai  ■  \y 

qu'il  a  vécu  sous  l'épiscopat  de  Samson,  comme  on  ne  peut 
en  douter  d'après  la  oitation  du  P.  Labbe,  il  est  probable 
qu'il  avait  décrit  les  troubles  qui,  avant  l'élection  de  Samson, 
avaient  agité  jusqu'à  la  sédition  la  ville  de  Reims,  troubles 
sur  lesquels  nous  n'avons  que  des  renseignemens  très-im- 

Farfaits.  Et  c'est  vraisemblablement  parce  qu'il  en  parlait  que 
ouvrage  a  été  mutilé ,  comme  cela  est  arrivé  à  tant  d'au- 
tres écrits  du  même  genre. 

III.  D.  Guillaume  Marlot,  prieur  de  St-Nicaise  de  Reims,  Metrop.Rem. 
a  mis  au  jour  une  notice  concernant  le  rétablissement  de  tï.P-S^a. 

(1)  De  îsto  Sculpho  solebant  dicere  nostri  antecessores ,  qiiod  ipse  amplia-  , 

verat  templum  hoc  quantum  continet  longitudo  arcuum  trium.  Dicebant  ■ 
quoque  quod  ipse  veterem  turrini  construxeraf ,  quain  domnus  Samson  ar- 
chiepiscopus  dirai  fecit,  quando  etiam  ipse  ecclesiatn  duorum  arcuum  longi- 
tudine  ainpliavit ,  et  in  unoquoque  latere  turrim  unam  œdijicare  inchoavit 
anno  incarnati  verbi  ^ICLII.  Sed  quoniam  de  prœdicta  opinione  nulla  in 
libro  Flodoardi  mentio  invenitur ,  incertum  esse  -videtur  ^  quodneque  scripto, 
neque  teste  aliquo  comprobatur.  Porro  iste  Flodoardus ,  qui  hujus  operis  est 
auctor,  etc.  Apud  Labbeum^  1. 1,  Biblioth.  mss.  cocl.  p.  364- 


XII  SIECLE. 


600     ANONYM.  AUT.  DE  CHRONIQ.  DE  REIMS. 

1  église  de  St-Nicaise,  appele'e  Jovinienne ^  parce  qu'elle  avait 
ëte  bâtie  au  quatrième  siècle  par  Jovin,  prefetde  la  milice, en. 
l'honneur  des  martyrs  Vital  et  Agricole.  L'archevêque  Gervais 
frappé  des  beautés  de  cet  édifice  abandonné,  entreprit  vers  l'an 
1 060  de  le  restaurer  pour  y  placer  des  chanoines  et  ensuite  des 
religieux.  L'auteur  de  la  notice,  après  avoir  raconté  tout  le  bien 
que  Gervais  avait  fait  au  monastère ,  et  l'état  déplorable  auquel 
son  successeur  Manassès  l'avait  réduit ,  loue  le  zèle  de  1  ar- 
chevêque Renaud,  qui, marchant  sur  les  traces  de  Gervais,  y 
rétablit,  l'an   1090,  la  régularité,  en  y  plaçant  des  moines 
qu'il  fit  venir  de  la  Chaise-Dieu.  Cet  auteur  vivait  dans  le 
XII^  siècle ,  car  il  dit  avoir  vu  l'abbé  Joranne  qui  gouverna 
le  monastère  depuis  l'année  iio3  jusqu'en  ii3(),  et  qui  s'é- 
tant  retiré  à  l'abbaye  de  Signi,  y  vécut  jusqu'en  i  iSg.  Nous 
saurions  peut-être  quelque  chose  de  plus  sur  sa  personne,  si 
Marlot  avait  jugé  à  propos  de  publier  en  entier  cet  écrit, 
dont  il  n'a  donné  qu'un  fragment. 
Bibl.mss.cod.       IV.  Le  P.  Labbe  a  imprimé  deux  chroniques  de  Reims.  La 
1. 1,  p.  362.       première  n'est  qu'un  fragment  depuis  l'année  83o  jusqu'à 
l'année  999,  et   quoiqu'elle  embrasse  l'espace  de  près    de 
deux  cents  ans,  elle  est  fort  courte,  parce  qu'elle  nest  nul- 
lement remplie.  La  seconde  commence  à  la   naissance  de 
UiW.  p.  358.    Jésus-Christ,  et  finit  à  l'année  u 90.  Les  continuateurs  du 
recueil  des  historiens  de  France  ont  donné  des  extraits  de 
cette  dernière  aux  tomes  IX,  p.  89;  t.   X,  p.   2yi  ;  t.   XI, 
p.  129;  t.  XII,  p.  274 
Bibl.   HIsi.       Le  P.  Lelong  de  1  oratoire  indique  un  manuscrit  du  XIII* 
Fran.n.e.t.lll,  siècle  qui  était  à  Dijon  dans  la  bibliothèque  du  président 
%um.  16718.    Bouhier,  contenant  une  chronique  de  Reims  différente  de 
celle  qu'a  publiée  le  P.  Labbe ,  et  qui  va  jusqu'à  l'année  1200. 
Cette  chronique  n'a  pas  encore  vu  le  jour. 

Le  rédacteur  de  cet  article  a  déposé  à  la  bibliothèque 
Royale  un  vieux  parchemin  de  quatre  pages,  écriture  du 
XIII*  siècle ,  contenant  un  fragment  de  chronique  de  Reims 

?[ui  peut  servir  de  continuation  à  celle  du  P.  Labbe.  Ce 
ragment  qui  commence  à  l'année  1197,  est  écrit  de  la 
même  main  jusqu'en  12^5,  et  ensuite  de  mains  différentes 
depuis  1264  jusques  à  1294.  Il  faut  espérer  que  les  conti- 
nuateurs du  Recueil  des  historiens  de  France,  lorsqu'ils  en 
en  seront  là ,  n'en  priveront  pas  le  ])ubli<?.  B« 


XU  SIECLE. 

ANONYMES, 

AUTEURS  DE  CHRONIQUES   DE   LORRAINE 
ET  DES   TROIS  ÉVÊCHÉS. 


I.  Anonyme,  continuateur  de  la  chronique  des  évêques 
de  Metz. 

On  a  rendu  compte  dans  cette  histoire  de  la  chronique  des  T.  XI,  p.  i»6. 
évêques  de  Metz ,  qui  est  plutôt  une  histoire  abrégée  qu'une 
vraie  chronique  ;  car  les  années  n'y  sont  pas  marquées.  Mais 
tel  est  le  titre  qu'elle  porte  dans  l'imprimé,  et  apparemment      Spicil.in-fol. 
dans  les  manuscrits ,  quoique  ce  ne  soit  qu'un  catalogue  qui  '•  ^^'  P-  ***• 
représente  la  suite  des  évêques  de  Metz  depuis  St.-Glément, 
envoyé,  selon  l'auteur,  par  St.-Pierre,  jusqu'à  l'élection  d'E- 
tienne de  Bar  qui  gouverna  l'église  de  Metz  depuis  l'année 
II 20  jusqu'à  sa  mort  arrivée  lan  11 64-  Cet  écrit  est  diffé- 
rent de  celui  auquel  Paul  Warnafride, écrivain  du  IX^  siècle, 
plus  connu  sous  le  nom  de  Paul  Diacre ,  a  donné  pour  titre 
gesta  episcoporum  Metensiuni.  L'auteur  de  la  chronique  in- 
dique assez  le  temps  où  il  écrivait ,  puisqu'il  parle  de  l'épis- 
copat  d'Albéron,  archevêque  de  Trêves,  lequel  ne  commença 

3uen  ii3i ,  et  finit  en  ii5i;  et  de  plus  il  s'excuse  de  parler 
e  l'évêque  Etienne,  parce  que,  dit-il,  ce  prélat  étant  plein 
de  vie  et  de  vigueur,  il  vaut  mieux  prier  Dieu  qu'il  lui  con- 
serve la  santé,  que  de  l'exposer  à  la  tentation  de  la  vanité  (i). 
Avant  que  de  parler  de  la  continuation  annoncée  plus 
haut,  nous  croyons  devoir  ajouter  à  ce  qui  a  été  dit  avant 
nous  du  premier  chroniqueur  une  observation  essentielle. 
Cet  auteur  avait  devant  lui  une  ample  matière  d'écrire  l'his- 
toire. Il  était  presque  contemporain  des  grandes  querelles 
sur  les  investitures ,  dont  les  effets  se  firent  vivement  sentir 
vers  la  fin  du  XI«  siècle  et  le  commencement  du  XII«,  dans 
la  Lorraine  et  les  trois  évêchés  pour-lors  soumis  à  la  domi- 
nation des  empereurs  d'Allemagne.  Pendant  ce  temps  de 

(i)  Quiquoniam  adhuc  vitâ  Jloret  et  attate  viget,  tentatio  sileat  elaùonis 
orta  ex  peste  adulationis,  et  preces /undantur  Deo  pro  continuo  ^sius  stu- 
dio. Spicil.  in -fol.,  t.  II,  p.  229. 

Tome  XV.  Gggg 


6oa      ANON.  AUT.  DE  CHRON.  DE  LORRAINE. 


xri  siEcr.E. 


troubles  on  vit  à  Metz  les  évêques  se  succéder  l'apidement  ; 
les  uns  placés  par  les  partisans  de  l'empereur,  et anathéma- 
tisés  comme  scnismatiques  par  le  pape;  les  autres  choisis  par 
les  bons  catholiques,  et  chassés  par  l'empereur.  Cependant 
l'auteur  ne  parle  presque  point  de  tout  cela  ;  il  ne  dit  pas  un 
mot  de  l'évêque  Théotger  ou  Dietger ,  qui  fut  le  prédéces- 
seur immédiat  de  l'évêque  Etienne  sous  lequel  il  vivait.  Heu- 
reusement il  s'est  trouvé  d'autres  écrivains  qui  mieux  ins- 
truits ,  ou  guidés  par  des  vues  différentes ,  ont  suppléé  à  son 
silence. 

De  ce  nombre  est  l'anonyme  qui  a  écrit  la  vie  du  bien- 
heureux Théotger.  Cet  auteur  plus  ancien  que  le  chroni- 
queur de  Metz  aurait  dû  avoir  à  sa  place  un  article  dans  cette 
histoire;  mais  à  l'époque  qui  lui  convenait ,  cet  écrit,  comme 
■'^^T'!^"^»  nous  le  dirons  bientôt,  n'était  pas  connu.  C'est  pourquoi  nous 
en  plaçons  ici  la  notice,. comme  à  l'endroit  le  plus  conve- 
nable. 

Théotger  était  abbé  de  St-George  dans  la  Forêt-Noire, 
lorsqu'en  1 1 15  il  fut  choisi  par  les  catholiques  de  Metz  pour 
remplir  le  siège  épiscôpal  à  la  place  d'Adalbéron  dépose 
par  le  pape;  mais  il  ne  jouit  pas  long-temps  de  sa  nouvelle 
dignité,  étant  mort  l'an  1 120  sans  avoir  pu  monter  sur  son 
siège ,  ni  être  reçu  dans  la  ville  de  Metz.  Celui  qui  a  écrit  sa 
vie  le  représente  tomme  un  saint  homme  et  d'une  patience 
héroïque  au  milieu  des  opprobres  et  des  mauvais  ti^itemens 
que  les  schismatiques  ou  les  partisans  de  l'empereur  lui  fi- 
rent éprouver  ;  il  a  jeté  sur  cette  déplorable  époque  de 
grandes  lumières  qui  intéressent  non-seulement  le  pays  Mes- 
sin ,  mais  toute  l'église  de  France.  On  y  voit  les  concdes  qui 
à  cette  occasion  furent  tenus  en  France  et  en  Allemagne 
par  le  légat  Conon,  évêque  de  Palestrine,  et  l'on  peut  dire 
que  cVst  un  monument  des  plus  précieux  du  XII«  siècle.  Ce- 

f)endantcet  écrit  était  resté  ignore  jusqu'à  ces  derniers  temps; 
es  boUandistes  ne  trouvant  pas  qu'il  ait  été  décerné  aucun 
culte  à  Théotger,  n'ont  point  inséré  sa  vie  dans  leur  collec- 
tion ;  les  auteurs  du  Gallia  christiana  en  ont  fait  l'analyse 
T.  XIV,  p.  dans  le  i3^  volume;  mais  les  continuateurs  du  Recueil  des 
207-220.  historiens  de  France  ont  publié  un  long  fragment  du  texte 
original  sur  un  manuscrit  de  la  ville  de  Villingen  dans  le 
Brisgaw ,  dont  il  y  a  une  copie  à  la  bibliothèque  Royale, 
parmi  les  papiers  de  D.  Thierri  Ruinart,  relatifs  à  la  conti- 
nuation des  actes  des  saints  de  l'ordre  de  saint  Benoît.        * 


ANON.  AUT  DE  CHRON.  DE  LORRAINE.   6o3 

•       ,  ,,..  I  ijiu  XII  SIECLE. 

Apres  ces  eclaircissemens  sur  le  premier  auteur  de  la  chro-  

nique  des  évêques  de  Metz,  il  nous  reste  à  parler  de  celui 
qui  a  continué  cet  ouvrage  depuis  l'anne'e  1 120  jusques  vers 
laoo.  Cet  auteur  écrivait  certainement  sous  l'épiscopat  de 
Bertrànne  qui  monta  sur  le  siège  de  Metz  l'an  1 180,  et  mou- 
rut en  1212,  puisque  en  finissant  son  article  il  lui  souhaite 
une  longue  suite  d  années ,  cujus  annis  et  nieritisfelix  divi- 
na  miseratio  incrementuni  prœstare  dignetur.  Il  a  écrit  l'his- 
toire d'Etienne  et  de  Thierri  de  Bar,  de  Frédéric  de  Pluyose, 


•1 


de  Thierri  de  Lorraine  et  de  l'évêque  ûertranne,  avec  plus 
d'étendue  que  n'avait  fait  le  premier  chroniqueur ,  mêlant 
quelquefois  à  l'histoire  des  évêques  l'histoire  politique.  Cette 
continuation  se  trouve  à  la  suite  de  la  chronique  dans  toutes 
les  éditions  de  D.  Dacheri ,  de  D.  Calmet ,  et  du  Recueil  des      Splcil.in-fol. 
historiens  de  France.  Duchesne  en  avait  donné  avant  tous  ^Hist^deLoir 
un  fragment  parmi  les  preuves  généalogiques  de  la  maison  1. 1,  pr.,  p.63'. 
de  Bar-le-Duc,  de  laquelle  étaient  issus  les  évêques  Etienne     Bouq.t.xill, 
et  Thierri.  p.6Aa-6/./,. 

II.  Nous  n'avons  rien  à  ajouter  à  ce  qui  a  été  dit  avant      Hist.  Littér. 
nous  sur  l'anonyme  qui  a  composé  l'histoire  des  évêques  de  '''"'>«.,  t.  xi ,  p. 
Toul,  finissant  en  1 107,  et  qui  n'a  été  continuée  qu'au  XV®  '*^ 
siècle. 

Un  religieux'  anonyme  de  St-Vanne  de  Verdun  a  conti- 
nué l'histoire  des  évêques  de  cette  ville,  composée  par  Lau- 
rent de  Liège,  autre  moine  de  Saint- Vanne  qui  a  eu  son 
article  dans  cette  histoire.  La  continuation  commence  à  l'an-  ibid.  T.  Xll, 
née  ii44i  où  finit  l'histoire  de  Laurent;  mais  comme  le  P-***- 
continuateur  écrivait  vers  le  milieu  duXIIP  siècle,  nous  n'en 
parlerons  qu'à  cette  époque. 

III.  Le  P.  Labbe  a  publié  une  chronique  du  monastère  de  Bibi.mss.cod. 
St-Vanne  de  Verdun  qui  s'étend  depuis  l'année  962  jusques  ti.p4oo-',o.',. 
à^  i456,  et  même,  au  moyen  d'une  addition,  jusques  a   1598. 

Elle  donne  des  époques  sur  l'histoire  ecclésiastique  et  poli- 
tique des  deux  Lorraines  ;  mais  quoiqu'elle  soit ,  comme  les 
autres  écrits  de  ce  genre ,  l'ouvrage  de  plusieurs  auteurs,  et 
qu'on  y  ait  peut-être  travaillé  au  Xlle  siècle ,  nous  n'en  par- 
lons ici  que  pour  avertir  qu'elle  existe. 

Nous  taisons   la  même  observation  sur  la  chronique  de      /é/rf.  p.s'ii- 
St-Vincent  de  Metz,  publiée  aussi  par  le  P.  Labbe.  Il  suffît  347- 
d'annoncer  ici  qu'elle  commence  a  l'année  5ii  ,  et  qu'elle 
finit  en  ii'7q.     <  g, 

Ggggd 


XII  SIECLE. 


ANONYMES, 

HISTORIENS  OU   CHRONIQUEURS  DU  BERRI 


INous  trouvons  peu  d'écrivains  qui,  à  l'époque  où  nous 
eu  sommes ,  aient  illustré  le  Berri.  Le  XIII®  siècle  fournira 
plus  de  matière  à  cette  histoire;  quant-à-présent,  nous  ne 
pouvons  indiquer  à  nos  lecteurs  que  des  morceaux  assez 
chétifs. 

I.  Un  moine  de  Déols  ou  de  Bourg-Dieu,  près  de  Château- 
Roux  ,  a  composé  un  livre  des  miracles  opérés  dans  son 
Bibi.ms8.cod.  monastère  par  l'intercession  de  la  Ste- Vierge.  Cet  écrit,  au 
V  t.  I,  p.  319—  rapport  du  P.  Labbe  qui  en  est  l'éditeur,  contient  la  rela- 
tion de  plus  de  deux  cents  miracles ,  parmi  lesquels  il  n'en 
a  choisi  que  deux  ou  trois  qui  ont  rapport  à  de  grands  évé- 
nemens  de  l'histoire  publique.  L'auteur  de  la  chronique  du 
même  monastère,  sous  l'année  1188,  dit  en  général  que  du 
temps  de  Philippe ,  roi  de  France  et  de  Henri' Il  roi  d'Àngle- 
Apudchesn.  terre.  Dieu  visita  le  monastère  de  Déols  par  de  grands  mi- 
*  \^*'^""  racles.  Rigord,  dans  l'histoire  de  Philippe- Augnste,  atteste 
la  même  chose ,  et  en  rapporte  quelques-uns.  A  cette  époque, 
c'est-à-dire  l'an  1 187,  le  roi  de  France  était  en  guerre  avec  le 
roi  d'Angleterre  et  son  fils  Richard  Cdeur-de-Lion ,  qui  refu- 
saient de  lui  rendre  hommage  pour  le  Poitou,  et  de  lui  restituer 
la  dot  de  sa  sœur  Marguerite  reine  d'Angleterre,  et  en  particu- 
lier le  château  de  Gisors  avec  ses  dépendances,  qui  faisait 
partie  de  la  dot.  Phihppe  entra  dans  la  portion  du  Berri  qui 
appartenait  au  roi  d'Angleterre,  s'empara  de  plusieurs  places 
et  mit  le  siège  devant  Château-Roux.  Le  monastère  de  Déols 
se  trouva  par  conséquent  au  milieu  du  théâtre  de  la  guerre. 
Les  moines  et  les  habitans  eurent  beaucoup  à  souft'rir  de  la 

[)art  des  deux  armées  ;  ils  adressèrent  de  ferventes  prières  à 
a  Sainte- Vierge ,  patrone  du  lieu,  et  ils  regardèrent  comme 
le  plus  grand  des  miracles  l'accommodement  qui  eut  lieu 
bientôt  après  entre  les  puissances  belligérantes.  L'auteur  se 
félicite  beaucoup  que  les  miracles  qu'il  raconte  aient  eu  pour 
témoins  tant  de  personnes  à-la-fois  du  rang  le  plus  distin- 


ANONYMES,  HISTORIENS  DU  BERRI.         6o5 
gue,  rassemblées  de  tant  d'endroits  différents,  qui  publiaient  11 


elles-mêmes  les  merveilles  qu'on  aurait  eu  de  la  peine,  dit-il, 
à  croii'e  sur  la  foi  des  moines,  s'ils  eussent  été  les  premiers 
à  les  divulguer. 

Le  P.  Labbe  a  ajouté  à  ce  morceau  un  autre  fragment 
concernant   la    guerre    qui  recommença    en   1 188 ,   entre 
Philippe- Auguste  et  Richard  comte  de  Poitou;  mais  l'auteur 
tout  occupé  de  miracles,  n'indique  pas  le  sujet  de  cette 
guerre  qui  est  mieux,  expliqué  par  l'historien  Rigoi'd:  il  s'a-     Rigord,/6/rf. 
gissait  des  prétentions  de  Richard  sur  le  comté  de  Toulouse.  P"  '''■ 
Cependant  ce  que  dit  l'anonyme  méritait  d'être  recueilli, 
comme  venant  d'un  historien  contemporain  et  qui  était  sur 
les  lieux:  on  le  présume  au  moins,  car  parlant  a  un  miracle 
arrivé  du  temps  de  l'abbé  Geraud  de  SpinoUo^  l'auteur  dit 
qu'il  était  alors  abbé.  Or  suivant  la  chronique  de  Déols,  Ge-      Labbe,  ibid. 
raud  abdiqua  en  i  \^l\^  et  mourut  en   1200.  Il  est  probable  P-^'7- 
que  l'anonyme  vivait  dans  le  même  temps,  mais  n'ayant  pas 
1  ouvrage  en  entier,  qui  fournirait  peut-être  quelque  date 
postérieure,  on  ne  peut  rien  prononcer  définitivement. 

II.  Nous  ne  ferons  qu'indiquer,  quant-à-présent,  quel- 
ques chroniques  abrégées  du  Berri,  qui  vraisemblablement 
sont  l'ouvrage  de  plusieurs  auteurs,  mais  qui  se  terminant 
au  XIII«.  siècle,  doivent  trouver  leur  place  aux  volumes 
su  i  vans. 

1°   La  chronique  de  Déols  qui  commence  en  giy,  et  finit      Labbe,  ihîd. 
en  i345,  avec  un  supplément  depuis  l'aiînée  1469  jusqu'à  '•  ^  »  P-  3*^~ 
i55o,  a  été  publiée  par  le  P.  Labbe,  aux  recherches  duquel    '^' 
la  littérature  doit  le  peu  de  raonumens  que  nous  avons 
sur  le  Berri,  sa  patrie. 

20  Le  même  savant  a   aussi  publié  une  généalogie  des      Labbe,  îbid. 
princes  de  Déols,  seigneurs  de  Château-Roux,  composée,  à  t.  il,  p.  740. 
ce  qui  paraît,  par  un  moine  du  Bourg-Dieu  qui  vivait  au 
XIII»  siècle.  On  n'y  trouve  que  des  noms  et  des  filiations, 
et  point  de  dates.  Les  continuateurs  du  Recueil  des  histo-    Bouq.,t.Xll, 
riens  de  France  qui  en  ont  donné  un  fragment,  y  ont  ajouté  P-  ^^S- 
les  dates  qu'a  pu  fournir  la  chronique  de  Déols.  Immédia- 
tement après  ils  ont  publié  sur  un  manuscrit  de  la  reine 
Christine  de  Suède,  la  même  généalogie  en  français ,  jusqu'à 
l'époque  oii  la  principauté  de  Déols  passa  dans  la  maison 
de  Chauvigny  par  le  mariage  d'André  avec   l'héritière  de 
Château-Roux  nommée  Denise.  André  de  Chauvigny  mou- 
rut en  1202  ,  et  Denise  en  122 1. 


6o6      ANON.  AUT.  DE  MORCEAUX  HISTORIQ. 
XII  SIECLE.     •   II  [Le  p.  Labbe  est  encore  éditeur  d'une  chronique  de 


habhc,  ibid.  Vieraon  sur  le  Cher,  laquelle  commence  à  l'année  843,  et 
t.  II,  p.  737.  Uj^jj.  gjj  1221.  Mais  dans  c«t  espace  de  près  de  cinq  cents 
ans,  on  ne  trouve  que  18  années  qui  soient  remplies,  tant 
cette  chronique ,  qui  d'ailleurs  contient  quelques  faits  inté- 
ressans,  est  décharnée.  L'éditeur  promettait  une  ancienne 
traduction  et  une  continuation  de  cette  chronique  en  fran- 
çais ;  nous  ignorons  s'il  a  tenu  sa  parole. 

IV.  Nous  ajouterons  ici  par  forme  de  supplément  au  X* 
volume  de  notre  histoire  littéraire ,  l'indication  d'une  chro- 
Labbe,  ibid.  nique  de  Massai  dans  le  Berri,  publiée  aussi  par  le  P  Labbe. 
p.  73a.  jgiig  commence  à  l'an  ySa,  finit  en  10 13,  et  n'est  guères  plus 

remplie  que  la  précédente  .  mais  elle  contient  de  bonnes 
choses.  G  est  par  inadvertance  que  nos  prédécesseurs  ont 
oublié  d'en  parler.  B. 


ANONYMES, 

AUTEURS  DE  MORCEAUX  HISTORIQUES  CONCERNANT  LA  PROVENCK, 
LE  LANGUEDOC  ET  LA  MARCHE  DESPAGNE. 


l.  Dans  un  manuscrit  de  la  bibliothèque  Royale  coté 
6941,  écriture  du  XIF  siècle,  se  trouve  un  chant  funèbre 
en  23  stances  de  quatre  vers ,  ayant  pour  titre  :  Epicedion  in 
fimere  Raimundi  comitis  Barcinonensis.  11  est  difficile  de  dé- 
cider en  l'honneur  duquel  des  comtes  de  Barcelone  ce  chaTijt 
fut  composé,  plusieurs  ayant  porté  le  nom  de  Raimond.  L'é- 
criture du  manuscrit ,  qu'on  estime  du  XII  siècle,  porterait 
à  croire  qu'il  s'agit  là  de  Raimond  Bérenger  III,  décédé 
l'an  ii3i,  ou  de  son  fils  Raimond  Bérenger  ÏV,  mort  l'an 
1162,  qui  l'un  et  l'autre  avaient  porté  la  maison  de  Barce- 
lone au  plus  haut  point  de  splendeur.  Cependant  en  lisant 
attentivement  la  pièce,  il  nous  semble  que  les  louanges qu'oa 
donne  à  ce  comte,  jointes  à  d'autres  circonstances,  sont  'plu- 
tôt applicables  à  Raimond  Borrel,  décédé  l'an  1017.  Quoi 
qu'il  en  soit ,  il  est  toujours  temps,  et  c'est  notre  devoir,  de 
taire  connaître  cette  pièce  asse^  remarquable ,  sinon  par  la 


ANON.  AUT,  DE  MORCEAUX  HISTORIQ        607 

beauté  du  style,  du  moins  par  la  régularité  du  rhythme;mais L 

uous  n'en  citerons  que  la  première  stance  : 

Ad  Carmen  popuUJlebile  cuncti 

Aures  nunc  animo  ferte  benigno ,  '"'»' 

Quod  pangit  meriti  vivete  laudes 

Raimundl  proccris',  patris  et  almi. 

II   L'an  ii5o,  il  y  eut  un  traité  de  paix,  entre  Raimon^   ^^•i'^i'«'P''0'> 
Bérenger  IV,  comte  de  Barcelone,  comme  tuteur  de;  sop  Bouq.%'.*x,iT, 
neveu  le  jeune  comte  de  Provence  Raimond  Bérenger  II ,  et  p.  364! 
les  seigneurs  de  la  maison  de  Baux,  pour  terminer  les  longues    ;;,  •   p  „  „ 
guerres  qui  divisaient  ces  deux  ramilles  touchant  la  propriété  ,»f, .,, 

du  comté  de  Provence.  Les  seigneurs  de  Baux  renoncerenl:^  , .-vuka 

au  moins  pour  l'instant,  à  leurs  prétentions  sûr  le|,|3omt^  ^    fdoi  .«^.ir.- 
moyennant  quelques  concessions  qui  leur  furent  faites,. çt 
dont  fut  dressé  l'acte  que  nous  annonçons.  ,  .. 

III.  Après  la  mort  du  comte  Raimond  Bérenger  I^^A^arfii-  Bduze.Marca 
vée  l'an  1162,  son  fils,  Alfonse,  comte  de  Barcelone  et  roi  H'*?^"-  >  col. 
d'Arragon,  voulant  faire  revivre  Içs  droits  de  sa, liaison  sur  t.xnTp.*'3'?4.' 
le  comté  de  Carcassonne  dont  les  vicomtes  d'Albi  et  de  Bé- 

ziers  s'étaient  emparés  ,  fit  faire  par  les  gens  dp  spn  içonseil 
une  enquête,  oii  l'on  voit  de  quelle  manière  le  comte  de  Car- 
cassonne était  entré  dans  le  domaine  des  comtes  de  Barcey 
lone,  comment  il  en  était  sorti,  et  .à  quel  titre  Alfonse  pouvait 
le  revendiquer.  <  :■  .       ,     ;  , , 

IV.  Etienne  Baluze  a  publié  une  chronique  très-abr^gée  du    Baïuze,  Mise. , 
monastère  de  St-Martin  de  Canigou ,  diocèse  de  Perpignan.  *•  ^^  '  P-  ^"9- 
Elle  commence  à  la  fondation  du  monastère  par  Guifred , 

comte  de  Cerdagne  l'an  looi  de  J.-C.  l'an  1089  de  l'ère  d'Es- 
pagne, qui  était  la  sixième  du  règne  du  roi  Robert,  et  se  ter- 
mine à  la  trente-troisième  année  de  l'abbé  Pierre  III ,  c'est-à- 
dire  vers  l'an  1200.  Cette  chronique  fst  fort  peu  intéressante; 
elle  donne  la  suite  des  abbés,  non  en  désignant  les  années 
où  commence  et  finit  ;  leur  prélature  ,  mais  en  marquant  en 
gros  la  durée  du  gouvernement  de  chacun.  L'auteur  n'entre 
dans  quelque  détail  que  relativement  au  comte  Guifred, 
qui  après  avoir  bâti  le  monastère,  s'y  fît  religieux  l'an  io36 
et  y  mourut  le  3 1  juillet  io5o. 

IV.  Baiuze  a  encore  donné  au  public  une  histoire  de  la     MarcaHîsp., 
translation  des  reliques  des  saints  martyr^Abdon  et  Sennen,  col.  1449-1453. 
au  monastère  d'Arles  en  Roussillon;  mais  il  avoue  n'avoir  ,'  in  i^/'c 
puf  découvrir  par  qui  ni  en  quel  temps  elle  fut  écrite.  Ce  fut  « 


6o8   AUT.  DE  LETTRES,  SERM.  ET  OPUSC. 

XII  SIECLE,  l'gij},^  Arnulfe  qui  étant  k  Rome,  selon  la  relation,  en  rap- 
porta ce  trésor.  Le  martyrologe  d'Espagne  dit  que  ce 
Fut  du  temps  de  Charlemagne  :  cependant  on  ne  trouve 
dans  aucun  temps  qu'il  y  ait  eu  à  Arles  un  Abbé  nommé 
Arnulfe.  Si  l'on  suppose,  ce  qui  n'est  pas  hors  de  vraisem- 
blance ,  que  cet  abbé  est  le  même  qui  ailleurs  est  appelé 
Arulfe ,  il  faut  dire  que  cette  translation  se  fit  vers  le  milieu 
du  X«  siècle,  et  dans  cette  supposition  l'auteur  a  pu  dire  que 
ce  monastère  était  de  l'ordre  des  moines  noirs  de  Cluni  ;  car 
on  sait  que  le  monastère  de  Cluni  ne  fut  fondé  qu'en  910. 
Boll.Sojuiii,       Les  continuateurs  de  BoUandus,  en  reproduisant  cette  re- 

p- ï'g.  lation ,  n'ont  pu  résoudre  les  difficultés  qui  arrêtaient  Ba- 

Ba\me,  ibid.  luzc.  Il  est  pourtant  vrai ,  et  il  est  prouve  par  des  titres  au- 

col.  948,  io63.  thentiques,  qu'on  croyait  aux  années  994  et  io36,  que  les 
corps  ou  partie  des  corps  des  martyrs  Abdon  et  Sennen  re- 

f)osaient  au  monastère  d'Arles;  mais  il  s'en  faut  bien  que 
'auteur  de  la  relation  soit  de  la  même  ancienneté;  il  donne 
aux  religieux  d'Arles  la  dénomination  de  moines  noirs  :  cela 
suppose  qu'il  y  en  avait  déjà  de  blancs  ,  chartreux  ou  cister- 
ciens qui  n'ont  été  bien  connus  que  dans  leXII*  siècle.  D'ail- 
leurs il  emploie  dans  son  ouvrage  quelques  termes  qui  dé- 
notent un  auteur  assez  récent ,  tels  sont  le  mot  Barile  pour 
désigner  im  vase  à  mettre  du  vin,  et  Treginerius  pour  dire 
un  muletier.  Au  reste  cette  histoire  est  un  tissu  de  prodiges 
qui  n'ont  pas  l'ombre  de  vraisemblance ,  et  le  tour  que  l'é- 
crivain donne  à  sa  narration  est  fort  propre  à  lui  ôter  toute 
croyance.  ^• 


QUELQUES  LETTRES ,  SERMONS ,  ET  OPUSCULES , 

PAR  DES   AUTEURS   MORTS  VERS  LA   FIN   DU  XII«  SIECLE. 

LETTRES. 

L  Jean,  abbé  de  Faucelles,  remplissait  cette  fonction  en 

GaU  Christ.  "Qs;  iU'abdiqua  en   11^4,  et  mourut  en  1196.  Une  lettre 

noya, t. m, pi  adressée  par  lui  à  Henri,  duc  de  Lorraine,  contenait  les 

»77-  ëloges  de  plusieurs  saints  religieux  de  Vaucelles.  Cette  epître 


AUT,  DE  LETTRES,  SERM.  ET  OPUSC.       609 

n'a  point  été  imprimée,  et  ne  nous  est  connue  que  par  la    Xii  SEECLe. 
mention  qu'en  font  de  Visch  et  les  auteurs   du  nouveau    Bibi.  cisterc. , 
Gallia  Christiana.  p.  a3i. 

II.  Jean,  abbé  de  Gemblou,  successeur  d'Odon  en  iiSp, 

ne  mourut  qu'en  1 196.  Dans  une  lettre  adressée,  vers  h8d,      caii.  chrUt. 
à  tous  les  chrétiens,  cet  abbé  fait  le  récit  ou  même  la  pein-  '■  lU'  P-  SSg. 
ture  des  violences  qui  venaient  d'être  exercées  sur  le  mo-  ^^**" 
nastère  de  Gemblon  par  Henri,  comte  de  Namur,  et  par 
son  neveu  Bauduin  ,  comte  de  Hainault.  Ce  morceau  publié 
dans  le  nouveau  Gallia  Christiana,  d'après  un  manuscrit      T.  lir,app., 
de  l'abbaye  de  Villiers,  nous  paraît  fort  remarquable  par  P  '*''  "*' 
l'élégance  et  la  rapidité  du  style.  Si  l'on  excepte  un  très-petit 
nombre  de  mots  barbares,  tels  que  duabus  curtibus  nostri 
indominii,  la  diction  en  est  beaucoup  plus  pure  que  celle 
des  écrits  du  même  temps.  Le  monastère  deux  fois  incendié, 
deux  fois  pillé,  les  religieux  immolés,  ou  mis  en  fuite,  ou 
enlevés  par  les  brigands ,  le  temple  et  le  sanctuaire  même 
dépouiltés  et   profanés  :  tels  sont  les  princijfeux  traits  du 
tableau  que  l'auteur  veut  exposer  aux  regards  de  tous  les 
fidèles.  La  fin  de  cette  épître  ne  nous  est  point  parvenue  : 
elle  manque  dans  le  manuscrit  qui  se  termine  par  les  pre- 
miers mots  d'une  phrase  :  Talis  est....  On  retrouve  les  mêmes 
faits  dans   une    relation  moins   habilement   composée   par 
Guibert,  lequel  fut,  immédiatement  après  Jean,  abbé  de    /ô/rf.  p.  129. 
Gemblou.  Mais  Gnil>ert  nous  atteste  que  Jean  avait  mérité 
ces  malheurs,  en  supplantant,  par  voie  de  simonie,  son  père 
et  son  seigneur  spirituel  (i).  Guibert  applique  à  Jean  ces 
paroles  de  /acob  a  Ruben  :  Ascefidisti  cubite  patris  tui  et  Gtnes. , 

maculasti  thorum  ejus ,  non  crescas.  Nous  n'avons  d'ailleurs  XLIX,  4. 
aucun  renseignement  précis  sur   l'usurpation  reprochée  à 
l'abbé  Jean ,  lequel  ne  paraît  à  la  tête  du  monastère  qu'après 
la  mort  de  son  prédécesseur  Odon. 

III.  GÉRARD  Hector,  évéque  de  Cahors ,  mourut  en  1199.  Gall.  Christ. 
Mais  il  était  évêque  depuis  plus  de  cinquante  ans ,  et  ce  fût  '-^'P  'î"''''- 
en  1 169  qu'il  écrivit  la  lettre  qui  nous  donne  lieu  de  parler 

de  lui.  Dans  un  voyage  qu'il  faisait  en  Italie,  pour  visiter 
un  de  ses  parens,  Eble,  vicomte  de  Ventadour,  qui  reve- 
nait de  Jérusalem,  et  qu'une  maladie  retenait  au  mont 
Cassin ,  Gérard  Hector  et  ses  compagnons  tombèrent  entre 

(i)  Patrem  et  dominum  suum  spiritualem per  supplantationem  et  simoniani 
honore  proprio  spoliaverat. 

Tome  XV.  -  Hhhh 


6io        AUX.  DE  LETTRES,  SERM.  ET  OPUSC. 

XII  SIECLE.     1  .         „  '.,<,.  .  . 

les  mains  cl  une  troupe  armée  qui  les  fit  prisonniers.  Obtenir 

sa  délivrance  et  celle  des  gens  de  sa  suite,  est  le  but  de 

l'épître  qu'il  adresse  à  l'empereur  Frédéric,  et  dans  laquelle 

-        il  se  dit  parent  du  marquis  d'Aubusson  pour  qui  l'empe- 

Spicil.,  t.  II,  reur  avait  de  la  bienveillance.  Dachery  a  publié  cette  lettre 

o  ,    04,    o  .  j]qjj|.  voici  l'inscription  :  Friderico  Dei  gratiâ  triumphatori 

et  gloriosissimo  Roinanorum  imperatori,  Geraldus  Caturcensis 

^^"•g.,  ^nei  .  episcopus , parcere  suhjectis  et  debellare  supcfhos. 

IV.    Alexandre  ,  abbé  de  Jumiéges ,   composa  vers  l'an 

Thés.  Anecd,   1200,  selon  Martène ,  une  épître  purement  théologique ,  qui 

780.'  ^    '""  occupe  trois  colonnes  dans  le  tome  premier  du  Thésaurus 

anecdotorum.  Elle  est  écrite  à  un  religieux  dont  le  nom  n'est 

indiqué  que  par  l'initiale  R.  L'auteur  s'y  propose  d'expliquer 

ces  paroles  de  l'évangile  :  Quem  dicunt  homines  esse  fitiuni 

hominis  ?  Matière  importante,  dit -il,  qu'il  aurait  traitée  en 

langue  française,  en  présence  des  auditeurs  les  plus  novices, 

s'il  n'eût  trouvé  l'entreprise  par  trop  épineuse  :  Sécréta  mihi 

meditatione    aUquando    quœrenti    qualiter   illud    evangeli- 

cum....  simplicioribus  fratribus  gallico  sermone  exponerem, 

tanta  obviavit  difficultas ,  etc.   La  difficulté  d'un  tel  sujet 

se  laisse  assez  voir  même  dans  l'épître  latine  qui  s'adresse 

à  un    théologien    exercé.    Toutefois    le   savant   auteur   dit 

qu'Adam  seul  est  appelé  fils  de  la  terre,  que  Jésus-Christ 

seul  est  appelé  fils  de  l'homme ,  que  tous  les  autres  sont 

nommés  fils  des  hommes,  ^/m  hominum.  Il  ajoute  que  le  nom 

latin  liomo  est  des  deux  genres ,  qu'il  ne  détermine  pas  le 

,  sexe  ,  non  déterminât  sexum ,  qu  ainsi  la  qualification   de 

0  filius  hominis  convenait  parfaitement  au  fils  d'une  vierge.  A 

la  vérité,  le  texte  oriental  de  saint  Mathieu  porte/«7.î  d' Adam 

et  non  fils  de  l'homme.  Mais ,  selon  l'abbé  de  Jumiéges ,  ces 

deux  mots  se  correspondent,  et  le  premier  n'a  ici  que  la 

valeur  du  second.  Le  reste  de  l'épître  présente  beaucoup  plus 

d'argumentations  que  de  résultats  clairs  et  précis. 

SERMONS. 

V.  Jean  ,  religieux  d'Ourcamp,  ordre  de  Cîteaux,  a  laissé 

Bibl.    mss.  dcs  sermons  qui,  au  rapport  de  Sanderus,  existaient  manu- 

f!'Dè^VJsdf    écrits  dans  la  bibliothèque  de  Saint-Martin  de  Tournai,  et 

Bibl.  cisterc.  '  qui  nc  iious  sout  conuus  que  par  leurs  titres  :  Sermones  de 

p.  23a ,  l'h'i.      Adventu  domini  duo  ;  de  Nativitate  domini  très  ;  de  Annun- 

ciatione  dominicâ  unus  ;  de  Paschate  unus  ;  de  Ascensione 

unus  ;  de  omnibus  Sanctis. 


XH  SIECLE 


AUT.  DE  LETTRES,  SERM.  ET  OPUSC.   6ii 

Quand  nous  plaçons  ce  prédicateur  à  la  fin  du  XIF  siècle, 
c'est  une  simple  conjecture,  à  l'appui  de  laquelle  nous  ne 
saurions  alléguer  d'autre  indice,  sinon  que  ces  sermons  se 
trouvaient  réunis,  dans  les  mêmes  volumes,  à  des  écrits  de 
cette  époque. 

VI.  Jean   d'Alich  prêchait  à  Liège  vers  le  même  temps.       Foppens ,  t. 
Ses  sermons  pour  toute  l'année ,  et  dont  le  premier  texte  "  '  ^'  ^^^" 
consistait  dans  ces  paroles  du  psaume  aô  :  Ad  te  leva<.'i  ani- 

mani  meam ,  étaient  connus  d'Albéric  de  Trois-Fontaines, 
qui  en  fait  mention  sous  l'année  i  ig5.  Ce  prédicateur  a  de       Chronic. 
plus   écrit  la   vie   d'une  très-vertueuse  personne   nommée 
Marguerite,  dont  il  avait  été  le<:onfesseur  :  Sander  cite  cette 
production  parmi  les  manuscrits  de  l'abbaye  de  Villiers.         Part,  i ,  p.  267. 

VII.  Evrard,  ou  Euvard,  ou  Ervard  ,  religieux  du  val 

dçs  Ecoliers,  ne  mérite  ici  une  mention  qu'à  cause  d'un  ms,      Noteras,  en- 
in-4°  sur  parchemin ,  qui  se  trouvait  cote  46  dans  la  biblio-  ^°y''*.  ^^  ***''" 

y  \  \  '■  TLM  •    ^  •  .  moutier. 

theque  de  Marmoutier ,  et  qui  commençait  par  ces  mots  : 
Incipit  summa  defestis  quani  fecit  f rater  Ervardus  ordinis 
valiis  Scholarium.  Cette  somme  était  un  recueil  de  sermons 
sur  les  fêtes  et  sur  des  sujets  de  morale. 


OPUSCULES. 


VIII.  Guy  des  Noyers,  archevêque  de  Sens  depuis  ii-^G 
jusqu'au  21  décembre  i  iy3,date  de  son  décès,  était  compté  ^'^'i'  Christ. 
au  nombre  des  plus  savans  prélats  de  cette  époque.  Cepen-  ""lolsj^^'' 
dant  il  ne  nous  reste  de  lui  que  deux  petite^  chartes  relatives  Dubouiay  , 
à  des  fondations  pieuses,  et  publiées  dans  le  tome  XII  du  h.  univ.  Paris, 
nouveau  Gallia  Christiana.  Il  assista  en   11 70  au  troisième  V  ^^\?:  W 

•I  1  T  1  T«l      •!•  »  Ti  'l*?!     V\kl    490. 

concile  de  Latran,  et  au  sacre  de  Phihppe-Auguste.  Il  eut  viro  optimo  et 
en  I  i8o  un  démêlé  avec  ce  prince  qui  refusait  d'exécuter  les  optimis  studiis 
décrets  rigoureux  du  concile  contre  les  Juifs.  L'archevêque  fut  P''*'''"'"*    '"*" 

•I'  •  1'  •    A       TT  'A  ii»i'^        1         triiclo. 

exile,  mais  rappelé  presque  aussitôt.  Une  epitre  d  Alexandre      Append. ,  p. 
III,  une  d'Lfrbain  III,  et  la  70^  lettre  d'Élienne  de  Tournai,  Go,  61. 
sont  adressées  à  Guy  des  Noyers. 

IX.  ÇtKMiveA^  élu  archevêque  de  Palerme  en  1168,  n'était 
en  Sicile  que  depuis  l'année  précédente.  Il  y  était  venu  de 
France  ;  et  cette  circonstance  est  à-])eu-près  la  seule  qui  nous 
autorise  à  parler  de  lui  :  Pitz  le  déclare  Anglais ,  sans  allé- 
guer d'ailleurs  aucune  preuve  de  cette  opinion    qui  a  été      Eg.BuiaeiH. 

'^  ,  .  j       ^»  i;       ^  11        (^--i-  ^  univ.  Pans.,  t. 

néanmoins  adoptée  par  i  auteur  de  la  oicilia  sacra  et  par  ii.p.  337,  347, 
Fabricius.  Tous  les  ouvrages  de  Gautier  sont  perdus,  ex-  •Jg'- 
cepté,  dit  Pitz,  un  abrégé  de  grammaire  latine.  Il   avait    _^^"'^'^' 

Hhhha 


%J 


6 12        AUT   DE  LETTRES,  SERM.  ET  0PU9C. 

XII  SIECEiE 

apparemment  composé  cet  opuscule  pour  l'éducation  d'un 


Bibi.  med.  et  nrince  de  Sicile  :  en  effet,  dans  une  lettre  adressée  à  Gautier, 
p"  iii   in- 4°.  '  P'^ri'^  ^^  Blois  s'exprime  en  ces  termes  :  «  Vous  savez  que 
Epis'i.66,op.  j'ai  eu  durant  une  année  pour  disciple  ce  roi  de  Sicile  à  qui 
Peir.  Blés.,  p.  vous  avicz  enseigné  les  premiers  élémens  de  la  littérature  et 
p!6ft,,~oi°^    de  la  versification  (i),  et  qui  en  a  fort  peu  profité.  »  Voilà  tout 
ce  que  nous  pouvons  dire  de  cet  archevêque  de  Palerme: 
car  que  son  élection  ait  éprouvé  des  difficultés,  qu'elle  ait 
été  cependant  confirmée  par  Alexandre  III;  que  Gautier,  en 
Maiiriq.  ad  iiy3,  ait  fondé  près  de  Palerme  l'abbaye  du  Saint-Esprit; 
v"l  n.'I.  '  '^    quen  I  lyy  il  ait  souscrit  l'acte  par  lequel  Guillaume  ,  roi  de 
Mart  Ampi.  Sicilc,  assignait  un  douaire  à  son  épouse;  qu'en  ii85  il  a(ft 
twHect. ,   t.  I,  fait  reconstruire  sa  cathédrale,  ces  faits  n'appartiennent  point 
p.  9o3.  ^  l'Histoire  littéraire ,  k  moins  cependant  qu'on  ne  suppose 

qvie  douze  vers  inscrits  sur  la  voûte  de  cette  cathédrale ,  et 
i:.  II,  p.  la;.  qu'on  peut  lire  dans  la  Sicilia  sacra ,  étaient  de  la  façon  de 
1  archevêque,  ce  qui  est  assez  vraisemblable.  11  mourut  en 
1 1 94 ,  et  serait  presque  inconnu  sans  la  lettre  que  Pierre  de 
Blois  lui  a  écrite ,  et  dans  laquelle  d'ailleurs  il  est  beaucoup 
moins  question  de  Gautier  que  de  Henri  II,  roi  d'Angleterre, 
dont  elle  fait  l'apologie  et  un  très-long  éloge. 
Epist.174,175.  C'est  aussi  par  Pierre  de  Blois  que  nous  connaissons  un 
autre  Gautier  qui  vint  de  France  à  Naples  professer  la  gram- 
maire, si  pourtant  ce  Gautier  n'est  pas  celui  dont  nous 
venons  de  parler.  Il  ne  subsiste  aucun  écrit  de  ce  professeur; 
mais  il  jouissait  d'une  grande  réputation ,  et  il  est  fort  célébré 
dans  deux  épîtres  de  Pierre  de  Blois,  qui  l'appelle  son  com- 
pagnon et  son  frère  :  Consociiis  noster  et /rater. 

X.  Guillaume  RAiitOND ,  élu  évéque  de  Maguelone  en  1190 , 

mourut  le  27  janvier  119^,  laissant  quelques  homélies  qui 

sont  perdues ,  et  une  centaine  de  vers  rimes  que  Garief  a 

Séries  prse    publiés,  et  qui  ont  pour  but  d'enseigner  au  cierge  la  manière 

suiuinMagai.et  ^g  réciter  l'office  divin.  Gaiiel  fait  de  Guillaume  un  oncle 

ijO^aL-^a^s"-  P>t^^''"*^l  ^^  Guillaume,  seigneur  de  Montpellier,  et  le  tire 

de  l'abbaye  d'Aniane  pour  l'élever  sur  le  siège  épiscopal  de 

Maguelone.  Catel  ne  lui  donne  pas  une  extraction  tout-à-fait 

.«i  haute,  et  suppose  qu'il  avait  été,  non  pas  abbé  d'Aniane, 

mais  chanoine  de  l'église  même  dont  il  ëevint  évêqu€.  Les 

T.'vi,p.7i6,  auteure  du  nouveau  Gallia  christiana  préfèrent  1  opinion 


767 


(i)    'ficitts  ^uod  dominus  rex  Sieïtiœ  per  annuin  discipulus  meus  fuit,  qui 
h  vohis  versÇicatoriœ  atque  litteratorite  artis  priinitias  habuerat. 


AUT.  DE  LETTRKS,  SERM.  ET  OPUSC.        6i3 

de  Catel  à  celle  de  Gariel ,  qu'ils  s'abstiennent  toutefois  de  1-L 

démentir  formellement. 

XI.  Arnulfe,  doyen  de  l'église  de  Bruges,  reçut  en  1197  ^^^P*^"  "'g*' 
ou  1198  deux  lettres  d'Etienne  de  Tournai,  qui,  dans  la  sieph.  Tornac! 
seconde,  le  priait  de  composer  des  hymnes,  dès  antiennes  p.  3a7,  3a8. 
et  des  répons  pour  la  fête  du  premier  martyr.  Ces  deux 

épîtres  supposent ,  dans  celui  auquel  elles  s'adressent ,  un 
très -grand  talent  pour  les  compositions  liturgiques  :  mais 
aucune  des  productions  de  ce  talent  n'est  arrivée  jusqu'à 
nous  ;  et  nous  ne  trouvons  rien  sur  ce  doyen  de  Bruges ,  ni 
dans  Swert,  ni  dans  Valère  André,  ni  dans  les  mémoires  de 
Paquot. 

XII,  XIII,  XIV.  Maître  Genard,  Alberic  deVitry,Hugdes 
DE  Limoges,  sont  cités  par  Montfaucon  comme  auteurs  de 
quelques  opuscules  manuscrits;  savoir,  maître  Genard,  d'un 
j4lgoristnus  et  d'un  traité  de  Computo  natali;  Albéric,  d'un 
commentaire  in  Psalnws  Davidicos ,  et  d'un  livre  de  Com-  Bibi.BibUotii. 
puto  lunce ;  Hugues,  d'un  écrit  intitulé  de  Prœcepto  Dei ,  et  '"  \]?:  ^^'  ^ 

',,  •.  '        7  7-         -1  y>  ••  ..  r\r/^     /       ..  .        767rf.p.Iï57, 

d  un  traite   de    aliquibus    Cerenionus    et  Ujjicianis  sancti  ,253. 
Martialis  (lemovicensis).  L'un  des  opuscules  du  mathéma-     ibid.  1. 11,  p. 
ticien   Genard  faisait  partie  d'un  volume  qui  commençait  "'^*'  '°^9- 
par  un  traité  de  Gerbert  ou  Sylvestre  II  sur  un  sujet  du        « 
même  genre.  Les'  deux  manuscrits  d'Albéric  se  trouvaient      Hist.  Liuér. 
dans  l'abbaye  de  Lyre ,  d'où  l'on  a  lieu  de  conclure  que  l'au-  ''^  '^  F*"'  '7^ 
teur  était  un  religieux  de  cette  abbaye.  Pour  Hugues  de  Li-  ^'   '   *'  *"'*' 
moges ,  c'était  sans  doute  un  religieux  de  l'église  de  Saint- 
Martial. 

XV.  Bertrand  de  Poitiers,  est  l'auteur  d'une  histoire 
du  monastère  de  Beaulieu  au  diocèse  de  Limoges,  histoire 
que  l'on  conserve  dans  la  bibliothèque  du  Vatican,  parmi 

les  manuscrits  de  la  reine  de  Suède,  n°  168.  Leiong, Bibl. 

XVI.  GisLEMAR,.re/«^iew^  de  Saint -Germain- des -Pre's.  ''^  ■'^Fr. ,  1. 1 , 
Nos  prédécesseurs  ont  parlé  d'un  religieux  de  ce  nom  et  de  Hist.'iittér. 
ce  monastère  qui  a  écrit  au  IX*  siècle  une  vie  de  saint  deiaFr.  ,t.v, 
Droctovée.  Celui  que  nous  voulons  désigner  ici  est  l'auteur  P'  ^^'  '97- 
d'un  livre  de  rétractations  qui  n'est  pas  imprimé ,  et  que 
Mabillon  indique  sans  le  faire  autrement  connaître.  Dom  Annal,  ord. 
Bouillart  ne  nous  instruit  pas  davantage  sur  l'objet  de  ce  i <  i*"»***- '  *•  1 . 
livre,  quoique,  dans  l'histoire  de  Sain t-Germain-d es-Prés,      p'xxtin. 

il  nous  rende  compte  d'un  nécrologe  de  cette  abbaye  où  le 

nom  de  Gislemar  se  rencontre ,  et  qui  a  été  rédigé  vers  le    xv ,  Kal.  Jan. 

milieu  du  Xlir  siècle. 


XII  SIECLE. 

Bapin  Thoy- 
ras,  H.  d'Angl. 
t.  II,  p.  562.— 
Haqjsfeld. ,  H. 
eccl.  angl. ,  p. 
38 1 .  —  Marot , 
Theat.  Carlhus. 
p.  46. —  Alford. 
ann.  11 86.  — 
Pagi,  Crit.  ann. 
1191. 

Hist.eccles., 
I.  LXXIV,n.7. 


Act.  $anct. , 
t.  VI ,  17  nov; 
Viesdes  saint», 
p.  66a  — 681. 

L.  LXXIV, 
n.  7  ,  !,6  ;  1. 
LXXV,n.  3i. 


Girard  Cam- 
br.  ,  Anglia 
sacra,  t.  II,  p. 
4i5. 

Mart.  Ampl. 
CoUect. ,  t.  VI , 
p.  38. 


T.  I,p.  924, 
9a  5. 


Hist.  duDau- 
pUnéjl.  II,  p. 
7,3. 


6i4        AUT.  DE  LETTRES,  SERM.  ET  OPUSG. 

XVII.  Hugues,  ne  vers  i  i4o  au  château  d'Avalon  ,  à  trois 
lieues  de  Grenoble ,  fut  d'abord  chanoine  régulier  en  Bour- 
gogne :  de-là  vient  le  surnom  de  Bourguignon ,  Biirgundus, 
qu'il  porte  dans  plusieurs  chroniques ,  quoiqu'il  ait  peu 
tardé  à  retourner  en  Dauphiné  pour  y  être  moine  de  la 
grande  Chartreuse.  Dans  la  suite,  il  devint  prieur  de  la 
chartreuse  de  Witham  en  Angleterre;  et  il  se  vit  contraint 
en  1184  d'accepter  l'évêché  de  Lincoln.  Cette  date  de  ii84 
adoptée  par  Fleuri  nous  paraît  préférable  à  celle  de  1182 
fixée  par  d'autres  écrivains;  car  ce  fut  en  ri 84  que  Gautier 
de  Coutances  passa  de  l'évêché  de  Lincoln  à  l'arcnevèché  de 
Rouen.  La  vie  édifiante  de  Hugues,-  ses  vertus  et  ses  miracles 
ont  fourni  à  un  de  ses  contemporains,  dont  le  nom  est 
ignoré,  la  matière  d'un  ouvrage  divisé  en  cinq  livres,  qui 
ne  se  retrouve  plus.  Mais  Surius  en  a  publié  des  extraits 
qui  ont  été  traduits  en  Français  par  Arnauld  d'Andilly.  Fleuri 
en  a  inséré  les  principaux  détails  dans  son  Histoire  ecclé- 
siastique. Ils  sont  trop  étrangers  à  l'histoire  littéraire  pour 
qu'il  nous  soit  permis  de  les  reproduire  ici  :  nous  citerons 
seulement ,  comme  un  exemple  du  zèle  apostolique  de 
Hugues,  l'ordre  qu'il  donna  en  1191  d'exhumer Rosemonde, 

3ue  son  amant  Henri  II,  roi  d'Angleterre,  avait  fait  enterrer 
ans  une  église  de  religieuses  :  Rosemonde  en  fut  expulsée, 
sans  égard  aux  riches  présens  que  le  prince  avait  faits  pour  l'a- 
mour d'elle  à  ce  couvent  et  à  cette  église.  L'évêque  de  Lincoln 
était  d'ailleurs  un  homme  fort  lettré ,  l'oracle  des  écoles ,  vir 
litteratissimus ,  dit  un  de  ses  historiens;  scholarum  consultor, 
dit  son  épitaphe.  Il  lisait  et  transcrivait  beaucoup  de  livres. 
On  vante  sur-tout  l'étendue  et  la  ténacité  de  sa  mémoire  : 
elle  ne  laissait  rien  échapper  de  ce  qu'elle  avait  daigné  re- 
cueillir; ce  sont  les  propres  termes  de  l'un  des  historiens  (i) 
de  Hugues.  NoiïS  n'avons  au  surplus  qu'un  seul  écrit  de  ce 
prélat ,  savoir  des  statuts  pour  les  religieuses  de  Cotun , 
ordre  de  Cîteaux  :  ils  sont  imprimés  dans  le  Monasticon 
anglicanum,  et  ne' présentent  rien  qui  les  puisse  distinguer 
de  la  multitude  des  réglemens  du  môme  genre.  Voilà  le  seul 
monument  que  nous  ait  laissé  Hugues  de  Lincoln,  qui  fut 
canonisé  en  laai.  Chorier  qui  le  fait  vivre  jusqu'en  1210  est 


(i)  Memoria  tam  tenax  ut  nihil  elabi pateretur  quod  semel  dignata  esset 
admittere.  Dorland. ,  Chron.  Carthus. ,  p.  78. 


LÉGENDAIRES  DU  XIP  SIÈCLE.  6i5 


XII  SIECLE. 


dans  l'erreur.  Sa^t  Hugues  mourut  sexagénaire,  la  quin- 
zième année  de  fcn  épiscopat,  le  i6  ou  le  ij  novembre  de     Anglia  sacra, 
l'an  laoo.-  D.         1. 1,  p.  îo/,. 


LEGENDAIRES 

DU    DOUZIÈME    SIÈCLE. 


I.  Jean  moine  de  Sithieu,  c'est-à-dire  de  Saint-Bertin  à 
Saint-Omer,  est  auteur  d'une  vie  ^e  saint  Bernard  le  pénitent,  BoUand. 
et  d'une  relation  des  vertus  et  des  miracles  de  saint  Erkera-  P'  775  —  797- 
bodon  ,  abbé  de  Saint-Beftin.                                                             ibùi.  apr.  t. 

Il  est  fort  possible  que  ce  légendaire  soit  un  simple  moine  "'  P'  9^- 
du  XIP  siècle,  distinct  de  Jean  d'Ypres,  2^  du  nom,  qui  fut        < 
abbé  de  Sithieu  depuis  1 187  jusqu'en  laSo.  Cependant  nous 
renvoyons  à  l'article  qui    concernera  cet   abbé ,  l'examen 
de  cette  question  ,  et  la  notice  des  deux  légendes  d'Erkem- 
bodon  et  du  pénitent  Bernard. 

II.  Guillaume  abbé  d'Orbais,  au  diocèse  de  Soissons  en  1 1 80, 

ne  l'était  plus  en  1 19a;  époque  où  son  successeur  permutait        ^*''-   ^'>'"- 
avec  l'abbé  de  Saint-Remi.  Tout  ce  que  nous  savons  de  Guil-  w  v,k  ^  '  a' 

i  1  )  o        •!<•••  ^p'  './-xi-j  2a4.1>abr.  med. 

laume,  c  estqu  en  1 100,  11  taisait  transférer  a  Orbais  le  corps  t. m,  p.  i58. 
de  saint Rieul,/^e^«/«.y,  évêque  de  Senlis,  et  qu'il  écrivait  un 
très-court  récit  de  cette  translation.  Il  atteste  que  les  habits  du         Martenne. 
saint  se  trouvèrent  intacts,  chose  étonnante,  ajoute-t-il ,  après  ^""P''*'-   Coll. 
plus  de  3oo  ans.  Le  miracle  était  encore  plus  grand  que  ne  pen-      Cail.^  chrÔn! 
sait  Guillaume  :  car  saint  Rieul  était  mort  en  688,  tout  près  de  t-  ix,  p. 
cinq  siècles  avant  la  cérémonie  que  décrit  l'abbé  d'Orbais.     *''■ 

III.  JçAN  DE  BÉTHUNE,  issu  de  la  famille  de  ce  nom,  après 
avoir  été  archidiacre  de  Cambray ,  doyen  ou  prévôt  de  l'église 


2i  ■ 


mencement  de  la  suivante.  Nous  faisons  mention  de  lui ,      call.  christ. 
parce  que  Vincent  deBeauvais  le  déclare  auteur  d'une  vie  de  «o^-  '•  m  ,  p- 
saint  Thomas  deCantorbery  qui  ne  s'est  pas  retrouvée.  Jean  ^*','^- 
de  Béthune  avait  épousé  avec  chaleur  la  cause  de  Becket,  et 


XII  SIECT,E. 


6i6  LÉGENDAIRES    DU  XIP  SIÈCLE. 

il  est  d'ailleurs  certain  qu'il  avait  composé  quelque  ouvrage, 

Mart.  anecd.  car  il  est  citc'  dans  une  histoire  du  monastère  de  Villiers. 

t.  m,  p.  1272.  j; auteur  (jg  cette  histoire  parle  d'Ulric  abbé  de  ce  monastère, 

et  ajoute  :    «  scrihit  de  eo  dominus  Joannes  Cameracensis 

episcopus.  » 

IV.  Chrétien  moine  de  la  Sauve-majeure  ,  au  diocèse  de 
Bordeaux,  a  composé  l'une  des  vies  de  saint  Gérauld ,  fonda- 
teur de  ce  monastère.  Saint-Gérauld  mourut  en  ioq5  ,  fut 
Sapril.p.  42:^  canonisé  en  11 97,  et  peu  de  temps  après  célébré  par  Chrétien 
"''•  "■  Celui-ci  n'est  connu  que  parce  qu'on  lit  son  nom  à  la  tête 

de  cette  légende  qui  occupe  sept  pages  dans  la  collection  des 
Act.  sanct.  BoUandistes.  Mabillon  fait  fort  peu  de  cas  de  cet  écrit  et  le 
7\yi     ^s'se'*    déclare  extrêmement  inexact.  Aussi  nos  prédécesseurs  n'en 
'^    ^       ont-ils  fait  aucun  usage  dans  l'article  qui  concerne  la  vie  et 
Hi»t.  Litt.  t.  les  ouvrages  de  saint  Gerauld.  Quoique  Chrétien   annonce 
Vlu,p.4o7—  q^'j^  écrira  humili  stylo  et  nudis  verbis  ^  parce  qu'il  est  su- 
perflu d'employer  l'art  à  blanchir  un  mur  rcspk  ndissant  de 
son  propre  éclat,  il  y  a  néanmoins  beaucoup  de  recheixihe 
dans  son  style  demi-barbare.  11  se  plait  sur-tout  à  composer 
de  longues  périodes,  et  à  les  surcharger  de  mots  empruntés 
de  la  bible.  Igitur  quia  difficile  nimis  est  longumque  descn- 
bere  quanta per  eum  Dominus  bona  diççnatusfuerit  operari, 
quanti  etiam  ab  errore  vice  make  cm  viam  conversa tionis 
sanctœ  etpietoteni  divinœjustitiœ  sint  conversi ,  paucis  tamen 
enunciatis,  deplurimis  miraculovum  ejus  viitutibus,  quorum 
partem  vidimus  etcognovimus  ea,  partem  quoque  docuerunt 
nos  fidèles  ordinis  nostri  patres  et  annuntiaverunt  nabis ,  ut 
enarrarentur  in  progenie   altéra ,   et  de  quibusdam  perhi- 
buerunt  testimonium^  etcredimus  eorum  testimonium  verum 
esse  ,  adfinem  de  cœtero  duximus  properandum. 

V.  Bernard  de  Saint-Romain  qui  fut  abbé  de  Tournus, 
n'était  encore  que  prieur  de  Loud un,  lorsqu'il  rédigea  une 
courte  relation  de  trois  miracles  opérés  par  saint  Philibert; 

Acta  sanct.  relation  que  D.  Mabillon  a  suffisamment  fait  connaître. 
ord.S.  B.  t.  IV,  Bernard  était  abbé  de  Tournus  en  1200  ;  car  à  cette  époque, 
^GaU  Christ  il  renouvclait  un  traité  d'alliance  et  de  confraternité  conclu 
nov.  t.  IV,  p!  entre  son  prédécesseur  et  l'abbaye  de  l'Ile-Barbe.  Mais  il  avait 
Î70.  Hist.  de  ^^  successeur  f^w  1202.  On  peut  conjecturer  qu'il  était  de 
ÏS^p.  ^38  la  famille  de  Saint-Romain  en  Maçonnais,  laquelle  a  fourni 
—  i/,o.  d'autres  abbés  dans  le  cours  du  Xlir  siècle. 

VI.  Le  bienheureux  Gosv^^in  ou  Gozevin  (^ui  fut  d'abord 
moine  de  Clairvaux,  près  de  Chcminon  au  diocèse  deChalons- 


LÉGENDAIRES  DU  XIF  SIÈCLE.  617 

/  VTT  STFCLE 

sjar-Marne,  est  quelquefois  de'signé  comme  abbéd'Eberbach  ou  '. 1 

Evervac  auprès  de  Mayence, quelquefois  aussi  comme  simple 
religieux  de  BouUencourt,  aboaye  du  diocèse  de  Troyes.  Ceux 
qui  l'ont  fait  abbé  d'Eberbach  l'ont  confondu  avec  Gérard 
auquel  il  a  dédié  un  de  ses  livres.  Mais  son  séjour  à  Boul- 
lencourt  n'est  point  douteux  :  car  il  y  est  mort.  On  ignore 
seulement  s'il  s'y  trouvait  comme  voyageur,  ou  s'il  appar- 
tenait réellement  à  cette  abbaye.  Nicolas  Camusat  préfère      Prompt.  Tri- 
la  première  hypothèse.  L'année  de  la  mort  du  bienheureux  *^^'*'     °'      *' 
Goswin  n'est  pas  plus  facile  à  fixer.  La  chronique  d'Alberic  le  up"""   "^  ' 
fait  vivre  jusqu'en  i2o4  ou  i2o3.  Selon  d'autres,  il  mourut         De  visch. 
en   1201  :  quelques-uns  disent  qu'il  survécut  peu  à  sainte-  ^''''-  •^'s'^'"-  P- 
Asceline  dont  il  a  écrit  la  vie  et  qui  décéda  le  28  aoiit  i  rg5.   '*  '  '*^' 
On  peut  donc  considérer  Gozevin  comme  un  auteur  de  la 
fin  du  XIP  siècle. 

Trois  ouvrages  lui  sont  attribués  par  l'auteur  d'une  chro- 
nique de  Clairvaux  :  i  °  une  vie  assez  détaillée  d'Asceline  {nar-     ^*'"  Chifflet, 
ratio  satis  prolixd)\  z°  une  vie  de  la  bienheui-euse  Hémeline,  "^s  ^l'^L^dT^ 
.3°une  histoire  des  miracles  de  son  temps.  Il  ne  subsiste  aucun  85.  '' 

fragment  de  cette  3^produc\;ion,non  plus  que  de  la  seconde: 
nous  ne  les  connaissons  que  par  la  très-courte  notice  qu'en 
donne  la  chronique  déjà  citée.  Elle  nous  apprend  que  dans 
l'histoire  des  miracles  de  sçn  tMnps,  Goswin  célébrait  sur- 
tout ceux  du  bienheureux  Everard  mort  à  Cologne  en  1 192, 
qu'il  désignait  les  lieux  que  l'ame  de  ce  personnage  avait 
visités  après  sa  mort,  et  qu'il  certifiait  l'avoir  lui-même  vu 
et  contemplé  en  esprit.  Quant  à  la  vie  de  sainte  Asceline, 
nous  n'en  avons  qu  un  simple  sommaire  qui  n'a  ni  authen-      ., 
ticité  ni  autorité.  Henriquez  a  publié  cet  abrégé ,  et  les  Bol-  omiss"ad  diem 
landistes  ne  l'ont  réimprimé  qu'en  le  signalant' comme  un  iSmaii. 
tissu  de  fictions  absurdes  dont  ils  ne  peuvent  croire  que  le  ^.^'^  augnr.  p. 
bienheureux  Goswin  ou  Gozevin  soit  l'auteur.  Manrique  et      'Ad  ann. 
Nicolas  Camusat  en  avaient  porté  le  même  jugement.  Pierre  1194,  c.  3,  n. 
le  Nain,  sous-prieur  de  la  Trappe,  possédait  le  véritable  ma-  ^'^'  9' 
nuscrit  de  Goswin  ou  le  même  abrégé  dont  Henriquez  a  fait 
usage.  C'est  d'après  ce  manuscrit  et  d'après  une  autre  vie 
d'Asceline  en  vieux  langage  français  que  le  Nain  a  rédigé 
l'article  qui  concerne  cette  sainte  dans  l'essai  de  l'histoire     t.  iv  1.2  ». 
de  Cîteaux.  372—405. 


Tome  Xv^  \'\V\ 


6i8       AUT.  ANONYMES  DE  VIES  DE  SAINTS. 


VIES    DE  SAINTS, 

COMPOSÉES  PAR  DES  ANONYMES  VERS  L'AN   1200. 

i^lous  réunirons  sous  ce  titre  une  vingtaine  d'articles  d'un 
très-miuce  intérêt,  mais  auxquels  nous  donnerons  fort  peu 
d'étendue.  Nous  n'aurons  le  plus  souvent  que  d'assez  faibles 
conjectures  à  offrir  sur  le  temps  où  ces  opuscules  ont  été 
composés.  Nous  les  plaçons  à  la  fin  du  XII*  siècle,  d'abord 
pour  les  placer  quelque  part,  mais  au.ssi  parce  que  cette 
époque  est  en  effet  celle  qui  paraît  le  mieux  convenir  à  la 
plupart  de  ces  obscures  productions. 

I.  Vie  de  saint  Hugues ,  abbé  de  Bonnevaux  au  diocèse  de 
Vienne  en  Dauphiné'. 

Vincent   de  Beauvais    a  inséré    cette   vie  dans    son    Mi- 
roir historial ,  et  nous  la  retrouvons  djius  la  collection  des 
Specul.  his-  Bollandistes,  au  1'"'"  avril.  Elle  n#dit  rien  ni  de  la  naissance 
r^s''^^^^^'  ^^  ^'^-  Hugues  ,  ni  de  ses  pareils,  ni  de  son  pays,  ni  de  sa 
P.  46-48.      mort ,  ni-  de  sa  sépulture  :  nous  y  apprenons  seulement  qu'il 
fut  abbé  de  Bonnevaux ,  .qu'^l  concourut  à  réconcilier  l'em- 
pereur Frédéric  Barberousse  avec  le  pape   Alexandre  III , 
qu'il  eut  des  visions  et  fit  des  miracles.  L'auteur  n'énonce 
jamais  les  dates  des  faits  qu'il  raconte  :  mais  la  paix  entre 
le  pape   et  Frédéric  est  de  1 177,  et  la  chronique  de  Clair- 
vaux   place  la  mort   de  Hugues,  en   ii83.  11  est  à  remar- 
Apnd  Chifll.  qucr  que  cette  chronique,  qui  finit  en  1190,  renvoie  le  lec- 
S.Bern.  genus  jg^j.  ^  quelques  vies  de  saints  dès-lors  écrites,  et  qu'elle 

î?.!'^*^!.  ««*"'  ne  fait  aucune  mention  de  celle  de  St.  Hugues.  La  légende 
tum ,  p.  »o.  •  .      I  /    '  '  / 

de  ce  saint  na  donc  ete  composée  que  vers  1 192  ou  1 194 , 

peut-être  par  l'auteur  même  de  la  chronique  de  Clairvaux. 

/èiW.  p.  87.     Car  cet  auteur  qui  adresse  son  livre  à  un  prieur,  lui  dit:  si 

vous  voulez  plus  de  détails*  sur  la  vie  de  St.  Hugues,  je  vous 

en  donnerai  un  jour,  Dieu  aidant. 

II.  Vie  de  St.  Albert  de  Louvain,  évéque  de  Liège,  et 
cardinal.  L'élection  de  cet  évéque  ayant  entraîné  des  con- 
testations ,  et  l'empereur  Henri  VI  ayant  investi  de  cette 
prélature  Lothaire ,  prévôt  de  Bonne,  Albert  prit  le  parti 
de  recourir  au  saiut-siége.  Par  des  chemins  détournés,  il  se 
rendit  à  Rome,  déguisé  en  valet.  Oi\  le  présenta  en  cet  équi- 


AUT.  ANONYMES  DE  VIES  DE  SAINTS.       610 

XII  SIËCLK 

jage,  dit  Fleuri,  au  pape  Célestin  III  qui   en   fut  touche'  ■. — 1 

usques  aux  larmes.  Non-seulement  le  pape   confirma  le-      Hist. eccles. , 
action  d'Albert,  mais  encore  il  le  fit  cardinal.  Albert  revint  ''•'•  i-XXiv,  n. 
en  France  et  fut  sacré  ëvèque  par  Guillaume,  archevêque  de 
Reims.  Henri  VI  ne  dissimula  point  sa  colère  :  ce  prince  est 
accuse  d'avoir  mis  en  mouvement  trois  chevaliers  et  quatre 
écuyers,  qui  vinrent  à  Reims  trouver  Albert,  s'insinuèrent 
dans  sa  société  la  plus  intime  ,  l'entraînèrent  hors  de  la  ville 
sous  le  prétexte  d'une  -promenade ,  et  le  massacrèrent  le.  24 
novembre  i  (92  ou  i  igS.  Plusieurs  miracles  se  sont  opérés    • 
au  tombeau  de  ce  martyr.  Fort  peu  d'années  après  sa  mort,      Gail.  Christ. 
il  eut  pour  historien  un  clerc  qui  avait  été  attaché  à  .sa  mai-  «"g"'  *"^^''  ^' 
son  ou  à  son  service  {^fainiliaris  et  domesticuS  ).    Cette  his- 
toire nous  fait  connaitie  cinq  amis  pai-ticuiiers  d'Albert,  sa- 
voir l'abbé  de  Laubes  et  quatre  chanoines  de  Liège,  dont  l'un, 
nommé  Siger,  fut  témoin  de  l'assassinat  :  mais  la  manière 
dont  il  est  ici  parlé  de  ces  cinq  personnages,  ne  permet  pas 
de  supposer  qu'aucun  d'eux  soit  l'auteur  de  cette  narration, 
à  moins  qu'elle  n'ait  été  modifiée  depuis.  Ceux  qui  l'ont  at- 
tribuée  à  Gilles,  moine  d'Orval,'qui  rédigeait  vers   1240,     Sander.Elog. 
une   histoire  dé  Liège,  n'ont   point  assez  observé  que  ce  iJ"^'!'"'îl'."'"r~ 

■  1    ^  •        I         ^        F      ^-    \  1     •   •'     A  Ducli.  Hist.  des 

compilateur,  en  y  insérant  cet  article,  annonce  lui-même  cardin.  franc. , 
qu'il  l'emprunte  d'un  commensal  du  saint  martyr,  d'un  au-  p-  'Ag- 
teur  contemporain  dont  il  ne  fait  que  transcrire,  abréger  ou 
amplifier  le  récit.  Quoi  qu'il  en  soit,  cette  vie  de  St.  Albert 
a  été  publiée  en  1610,  par  Aubert-le-Mire  (i).  Elle  se  re- 
trouve dans  un  recueil  de  Chappeauville  (2),  et  parmi  les 
Ereuves  de  l'histoire  des  cardinaux  français ,  de  Duchesne. 
ouis  d'Attichi  l'a  aussi  fait  entrer  dans  le  tome  I*""  de  ses  Fleurs      T.  11,  p.  149 
de  l'histoire  des  cardinaux.  On  en  connaît  une  traduction  -»66. 
en  espagnol,  par  André   de   Soto  (3),  une  traduction  en  in-for't'i^"' 

*  232   et  SPfr 

(i)   Vita  et  martjrium  S.  Alherli  cardiruilis ,  auctore  anonjmo  ejus  do-       Lile    i6i3 
mesticoyin  historiâ  quant  scripsit  yEgidius  leodiensis  ;  cujrâ  et  studio  Auberti  in- 8°. 
Mirœi,  Antuerpiae,  i6io,  in-fol. 

(a)  Historia  sacra  et  profana ,  nec  non  politica ,  in  quâ  non  soliim  repe- 
riuntur  gestapontificum  Tungrensium ,  Trajectensiuin  et  Leodiensiiim ,  veriim 
etiam  pont^icum  Ronianoruin ,  etc. ,  studio  Joannis  Chapeavillœi.  Augustae 
Eburonuin  ,  Ouvrex.  1618  ,  3  part,  in -4".  —  La  3*^  partie  consiste 
dans  l'ouvrage  de  Gilles  d'Orval.  ALgidii  à  Leodio,  aureœ  val.lis  religiosi, 
gcsta  pontificum  Leodiensium,  etc.   La  vie  de  saint  Albert  s'y  lit  p.  i34- 

184,   C.  LVII-XC. 

(3)  La  vida  de  S.  Alberto ,  traducida  por  Andréa  de  Soto.  En  Bnissellas, 
i6i3,in-8°. 

liiia 


XII  SIECLE. 


620       AUT.  ANONYMES  DE  VIES  DE  SAINTS. 

français,  par  Christophe  Beys;  et  nous  pouvons  considérer 
comme  une  autre  version  française  du  même  texte,  le  Hvre 
intitule  :  le  pourtrait  du  vrai  pasteur,  par  Guillaume  de  Re- 
breviettes  sieur  d'Escœuvres  (i).  Pour  en  revenir  à  l'auteur 
original,  outre  les  détails  qui  concernent  la  vie,  l'édition, 
le  voyage,  le  martyre  et  les  miracles  du  saint,  détails  dont 
il  a  une  connaissance  immédiate  et  dont  il  se  donne  souvent 
pour  témoin  oculaire,  on  lui  doit  quelques  renseignemens. 
qui  peuvent  servir  à  l'histoire  des  vilfesde  Liège  et  de  Reims. 
.  Il  parle  d'un  tournoi  qui  eut  lieu  près  de  Reims  le  mardi , 
a4  novembre  1192,  et  qui  attira  un  très-grand  nombre  de 
gentilshommes  français.  Dans  cet  endroit  et  dans  quelques 
autres,  l'auteur  paraît  se  considérer  comme  étranger  a  la 
France;  il  était  sans  doute  Liégeois.  Quant  à  ce  qu'il  ra- 
conte de  la  cupidité  qu'excitaient  les  Ijénéfices ,  des  brigues 
et  des  intrigues  pratiquées  pour  les  obtenir,  il  n'y  a  là  rien 
qui  appartienne  exclusivement  à  l'histoire  de  Liège,  ni  à 
celle  du  XIP  siècle. 

III.  Fie  de  Ste.  Alêne ,  merge  et  martyre.  Cet  opuscule 
est  divisé  en  quatre  chapitres.  Le  premier  est  une  softe  de 
préface;  le  second  raconte  les  miracles  de  la  sainte  ,  laquelle 
vivait  au  milieu  du  VHP  siècle.  Le  troisième  chapitre  con- 
cerne ses  reliques  recueillies  en  i  iqS,  et  les  miracles  recom- 
mencent dans  le  quatrième.  La  diction  est  tellement  uni- 
forme en  ces  quatre  chapitres,  qu'il  y  a  peu  d'apparence 
que  les  deux  premiers  aient  été  composés  fort  long-temps 
avant  les  autres,  quoi  qu'en  disent  les  continuateurs  de  Bol- 
i7jun.p.388  landus  qui  les  ont  insérés  tous  quatrç  dans  leur  collection. 
-395.  IV.  Fie  et  translation  de  St.  Austremoine.  Ce  saint  person- 

Labbe,  Bibl.  ^^„^  çg^  j^.-  représenté  comme  l'un  des  soixante-douze  disci- 

mSS.nOVil,  t.  il,  ,^iry-i  l  -/a  J  /-Il 

p.  482-507.—  pies  de  J.-C,  et  comme  le  premier  eveque  de  Llermont  en 

Mabiiion,  acta  Auvergne.  Son  histoire  est  souvent  interrompue  tantôt  par 

dfctrT'ivT  ^^^  ''^"^  communs,  tantôt  par  des  vers  qui  résument   les 

191-194.  '      faits  détaillés  en  prose.  A  la  suite  de  cette  vie  se  trouvent 

cinq  pièces:  1° Révélation  miraculeuse  faite  à  Cantin ,  évêque 

de  Clermont,  en  5y2,  du  lieu  où  était  déposé  le  corps  de 

St.  Austremoine.  2"  Translation  de  ce  corps  du  monastère 

d'Issoire,  détruit  par  les  Vandales,  au  monastère  de  Volvic, 

fondé  par  le  successeur  de  Cantin.  3"  Nouvelle  translation 

(i)  Le  Pcurtrait  du  vrai  pasteur,, ou  histoire  mémorable  de  S.  Albert, 
évêque  de  Liège,  par  G.  D.  R.  S"^  d'Escœuvres.  Paris,  Huby,  i6i3,  in-8°. 


XII  SIECLE. 


AUT.  ANONYMES  DE  VIES  DE  SAINTS.       621 

des  mêmes  reliques,  de  Volvic  à  Mauzac,  en  764,  en  pré- 
sence du  roi  Pépin.  4"  Miracles  opérés  à  Mauzac  par  l'inter- 
cession du  saint.  5°  Réfutation  de  toutes  les  objections  qu'on 
pourrait  faire  contre  la  fidélité  des  relations  précédentes.  On 
voit  dans  cette  cinquième  pièce  comment  après  le  rjitablis- 
sement  du  monastère  d'Issoire ,  les  religieux  qui  l'habitaient 
se  prétendaient  toujours  dépositaires  du  corps  de  St.  Austre- 
moine,  et  comment  en  1 197,  Robert,  évêque  de  Clermont, 
après  un   mûr  examen,  jugea  contre  Issoire  en  ftiveur  des 
moines  de  Mauzac.  Voilà,  dit  l'auteur  qui  est  lui-même  un  de 
ces  derniers  moines,  voilà  l'histoire  de  St.Austremoine,  par- 
faitement éclaircie.  Mais  ce  qui  est   encore  plus  clair,  c'est 
que  l'auteur  de  cette  dernière  pièce  n'écrit  qu'après  1197; 
et  nous   assignerons   la    même    époque  à  toutes  les  précé- 
dentes, sans  en  excepter  la  vie  du  saint.  En  effet,  si  les  cinq 
pièces  qui  suivent   cette  vie  sont  écrites  avec  un  peu  plus 
de  simplicité ,  c'est  que  la  matière  appelait   moins   d'orne- 
mens  et  qu'il  s'agissait  plus  d'éclaircir  les  faits  que  de  les 
célébrer.  Du  reste,  cette  vie  n'est  souvent  qu'une  copie   de 
celles  de  St.  Martial,  de  St  .Ursin  et  des  autres  fondateurs 
de  nos  églises  de  France  :  c'est  le  même  canevas  avec  quel- 
ques changemens  dans  les  circonstances.  Il  est  vrai  que  la 
seconde  des  pièces  à  la   suite  de  cette  vie  est  attribuée  par    _  .  Mém.  sur 
Tillemont  à  Lanfroid ,  abbé  de  Mauzac,  en  764.  Mais  cette  ''^"'-e^clés.,!. 
conjecture  qui   appartient  moins  a  liiiemont  qua  bavaron        Origine  de 
qu'il  cite,  na  d'autre  prétexte  que  la  mention  faite  dans  la  ciermom,  etc. 
relation  même  de  ce  Lanfrid  ou  Lanfroid,  comme  ayant  ob-  P-46,i79, 180. 
tenu  de  Pépin  la  translation  des  reliques  de  St.  Austremoine, 
d'Issoire  à  Mauzac.  Lanfroid  sera ,  si  l'on  veut,  l'auteur,  c'est- 
à-dire  la  cause  de  cette  translation  :  mais  qu'il  soit  le  rédac-  ' 
teur  de  la  relation  ,  cette  hypothèse  est  sans  vraisemblance. 
V.  Légende  de  Ste.  Vérone.  En  publiant  cette  pièce,   les 
Bollandistes  la  déclarent  fabuleuse.  Ils  ne  peuvent  croire  que    ^9  aug-  p-  5a5 
les  démons  aient  dit  à  la  sainte  encore  vivante  :  Ste.  Vérone,  ""'^°' 
pourquoi  nous  tourmentez-vous  .-^  Sancta  Verona ,  quare  nos 
torques  ?  Ils  révoquent  en  doute  les  conversations  qu'elle 
avait,  selon  la  légende,  avec  une  croix,  ou  plutôt  avec  un 
crucifix,  qui  l'appelait  son  épouse  :  Sponsa  mea  electa.  Ils 
vont  enfin  jusqu'à  taxer  d'exagération   ce  que  dit  le  pieux 
auteur  de  l'innombrable  multitude  des  prodiges  qui  suivi- 
rent  la  mort  de  Ste.  Vérone.  Cette  sainte  est  particulière- 
ment honorée  à  Louvain  :  en  croit  qu'elle  vivait  au  IX®  siècle; 


XII  SIECLE. 


632  AUT.  ANONYMES  DE  VIES  DE  SAINTS, 
mais  il  n'y  a,  dans  sa  légende,  que  des  miracles,  et  point 
de  dates  :  on  n'y  peut  môme  recueillir  aucun  renseignement 
sur  l'époque  où  vivait  le  légendaire  ;  et  lorsqu'à  l'exemple 
des  Bollandistes ,  nous  le  plaçons  à  la  fin  du  XII^  siècle , 
nous  4evons  avouer  que  c'est  une  simple  conjecture. 

VI.  Deux  légendes  de  St.  Chrysole  ou  Chry seuil.  Archevê- 
que d'Arménie,  mais  fuyant  la  persécution ,  St.  Chrysole  vint 
dans  les  Gaules  avec  St.  Piat,  St.  Lucien,  St.  Quentin,  St- 
Denis.  Il  fut  martyrisé  à  Wrelenghen  près  de  Lille  en  Flan- 
dres. On  ne  lui  amputa  que  le  sommet  de  la  tête ,  la  partie 
que   circonscrivait  une  couronne.  Le  saint  martyr  ramassa 
cette  couronne,  ainsi  que  les  portions  de  crâne  et  de  cer- 
velle C|ue  le  coup  de  hache  avait  détachées,  et  il  porta  le  tout 
jusqu'à  Gomines  ,    où    il    rendit  le  dernier  soupir.   Voilà  le 
sommaire  de  ces  deux  légendes  qui  offrent  le  plus  souvent 
les  mêmes  détails  et  pi^esque  le  même  texte.  La  différence  la 
plus  remarquable,  c'est  que  l'une  ne  désigne  que  par  le  nom 
générique  de  César,  l'empereur  sous  lequel  St.  Chrysole  fut 
persécuté,  au  lieu  que  l'autre  nomme  Dioolétien.'  En  disant 
que  St.  Chrysole  vint  en  France  avec  St.  Denis,  elles  ajou- 
tent que  c'est  un  fait  dont  conviennent  unanimement  les 
modernes,  ce  qui  suffirait  pour  prouver  qu'elles  ne  sont  pas 
elle-mêmes  fort  anciennes.  Ces  deux  pièces  occupent  cuiq 
pages  dans  le  recueil  de  BoUandus ,  au  y  février  :  \a  seconde 
P.  9.-i5.       avait^té  publiée  par  Arnauld  Raisse,  chanoine  de  Douay  (i). 
VII.  Vie  de  St.  Guidon.,  confesseur.    Les  reliques   de  ce 
saint  furent  recueillies  en  ma,  et  il  est  question  de  cette 
cérémonie  dans  la  légende,  qui  d'ailleurs  parle  de  seigneurs 
soumis  au  jugement  de  leurs  j)aiis,  parium  suorum.^  ce  qui 
autorise  à  conjecturer  qu'elle  n'a  été  rédigée  que  vei-s  la  fin 
du  XII*  siècle.  St.  Guidon  est  honoré  à  Anderlach  ou  An- 
derlecht,  au  diocèse  de  Cambrai.  Sa  légende  a  été  divisée  par 
les  Bollandistes,  en  trois  chapitres  :  les  deux  derniers  trai- 
sept.  p.  tgfjt  des  miracles  du  saint  et  du  culte  qu'on  lui  rend;  le  pre- 
mier promet  les  détails  de  sa  vie  et  n'en  donne  guères.  L'au- 
teur les  remplace  par  des  réflexions  morales  très -diffuses. 
Par  exemple ,  après  avoir  parlé  de  ceux  qui  demandent  des 
guérisons  miraculeuses,  et  qui  se  hâtent  d'oublier  St.  Gui- 

(i)  j4d  natales  sancforum.  Bel^i  auctuarium.  Duaci ,  1626,  in-8°. — 
Hicrogazophilacium ,  sive  Thésaurus  sacraruin  reliquiarurn  Beîgii.  Duaci , 
i6a$,  in- 12.  • 


12 
63-48 


AUT.  ANONYMES  DE  VIES  DE  SAINTS.       6a3 

,„,..,  ,  .,  .  ^         .      XII  SIECLE. 

don,  des  quils  les  ont  obtenues,  il  compare  ces  ingrats  mi-  -^ 

racule's  aux  militaires  qui  sollicitent  des  grades,  des  dignités, 
des  richesses,  et  qui  négligent,  quand  une  fois  ils  les  pos- 
sèdent, le  souverain  trop  libéral  dont  ils  les  tiennent. 

VIII.  Vie  de  St.  Manvieu  (Manvaeus)  ,  cvéque  de  BayeU^. 
Elle  est  composée  de  très  -  courtes  phrases  qui  paraissent 
avoir  été  jadis  des  répons,  des  versets,  des  antiennes  de  l'of- 
fice du  saint;  m^is  il  y  est  dit  que  St*.  Manvieu,  contempo- 
rain du  roi  de  France  Mérovée,  se  livrait  avec  zèle  à  l'é- 
tude des  décrétâtes.  Ce  trait,  le  seul  que  nous  extrairons  des 

deux  pages  de  cette  légende ,  ne  permet  pas  de  la  croire  an-  ^^.  *!  ""g*  *  t 
térieure  à  la  fin  du  XII*'  siècle.  A  la  vérité,  les  décxétales  fa-  ,68.' 
briquées  par  Isidore  ne  sont  postérieures  que  d'environ 
3oo  ans  au  règne  de  Mérovée  :*  mais  le  genre  d'études  au- 
quel on  applique  ici  St.  Manvieu,  ne  s'est  ^abli  dans  l'église 
qu'après  le  pontificat  d'Eugène  III,  sons  lequel  Gratien  ré- 
aTgea  la  compilation  canonique  qui  porte  le  nom  de  décret. 

IX.  Vie  de  Ste.   Rolande.  Les  Bollandistes  qui  ont  publié 

cette  légende,  ainsi  que  la  précédente,  supposent  quil  y  a  a-J^j?"'  ^' 
eu  une  sainte  Rolande  au  VII'^  ou  au  VIII-  siècle.  Elle  est 
ici  fille  d'un  roi  de  France,  nommé  Didier  ;  et  co'mme  fille 
uniqufe,  elle  était ,  dit  l'auteur,  destinée  à  régner  après  son 
père  (i).  Le  resté*  de  l'opuscule  n'est  pas  plus  conciliable 
avec  l'histoire.  Les  reliques  .de  la  sainte  ont  été  recueillies 
vers  iio3,  dans  l'église  de  Liège,  qu'il  plaît  au  légendaire 
d'ériger  en  métropole.  Il  avertit  qu'il  écrit  long-temps  après 
cette  cérémonie,  post  multum  decursum  temporis ^  expres- 
sions qui, chez  un  auteur  du  XIP  siècle,  peuvent  ne  signifier 
que  cent  années  ou^même  un  peu  moins.  Ce  pieux  roman 
est  l'ouvrage  de  quelque  clerc  liégeois  qui  fait  rimer  tant 
qu'il  peut  les  finales  des  membres  de  ses  phrase*,  quoiqu'il 
fasse  profession  de  dédaigner  les  mondains  ornemens  du 
style. 

X.  Vie  de  St.  Firmin  le  confesseur.  On  distingue  deux 
saints  Firmin,  tous  deux  évêques  d'Amiens  ;  mais  l'un  mar- 
tyr, l'autre  simple  confesseur  et  bien  moins  fameux.  C'est 

e  ce  dernier  qu'il  est  ici  question.  La  courte  légende  qui  le 


1 


(i)  Fuit  tnr....  nomine  Daiderius ,  qui  nohilium.  stirpe  progenituf:  .^  ac  regiœ 
ma]e!,tatis  hœres  inclytus ,  gallicis  gendbus  iinperavit....  Unicam  fùiam,  Ro- 
lanàain  nr.mine,  niencit  procreare....  ipsam  tanquam  Gallorum  iinperio  pro~ 
crtatain ,  regalibus  nutriincntis  iustituit  educaii. 


624       AUX.  ANONYMES  DE  VIES  DE  SAINTS. 

XII  SIECLE.  .     •      1  j  ,        T.    „        ,- 

concerne  est  si  absurde  que  les  BoUandistes  paraissent  ne 

Jjg^^'P"  '7^  l'avoir  publiée  que  pour  avoir  lieu  de  relever  fort  au  long 
les  anachronismes,  les  fables,  les  puérilités  dont  elle  four- 
mille. Elle  est  du  trop  grand  nombre  de  celles  que  nous 
n'indiquons  ici  que  pour  ne  pas  laisser  incomplet  le  cata- 
logue des  plus  minces  productions  littéraires  de  la  France  , 
au  XIP  siècle.  Peu  s'en  est  fallu  que  nous  n'ayions  renvoyé 
celle  -  ci  au  XIIP  ;  en  tout  cas ,  elle  serait  antérieure  à 
l'année  1279,  époque  de  la  translation  des  reliques  du  saint; 
car  le  légendaire  ne  dit  rien  de  cette  cérémonie,  dont  assu- 
rément il  n'eût  pas  manqué  de  rendre  compte  s'il  eiit  écrit 
postérieurement. 

XI.  Actes  de  saint  Clair,    évêque  et  martyr.  Actes  fabu- 
ijun.p.7-11.  leux,  selon  les  BoUandistes ,  qui  les  ont  pourtant  extraits  de 

deux  bréviaires  comparés.  Ce  qu'était  saint  Clair,  en  quel 
temps  il  vivait,  de  quel  diocèse  il  était  évêque,  c'est  ce 
qii'on  ne  sait  pas  encore ,  même  après  les  profondes  re- 
cherches d'Henschenius,  intitulées  par  lui  Divinatio.  On  voit 
seulement  que  plusieurs  saints  Clairs  ont  été  confondus  en 
un  seul.  ' 

XII.  Actes  de  saint  Hilaire  du  Maine.  En  i685,  ces  actes 

furent  eiivoyés  au  père  Papebrock,  par  un  chanoine  qui  n'y 

trouvait,  disait-il,  que  du  verbiage.  Aussi*  ne  les  a-t-on  pas 

jugés  dignes  d'être  transcrits  en  entier  dans  le  recueil  de 

Bollandus.  On  s'est  contenté  d'en  donner  une  notice  et  quel- 
,jul.,p.39-4>.  q^gg  extraits. 

XIII.  Légende  de  saint  Ce'rat,   évêque  d'Auch  et  confes- 
-^i^"'^  '***  .yeM/".  Elle  ne  consiste  chez  les  BoUandistes  qu'en  deQx  pages 

qu'ils  ont  extraites  d'une  pièce  un  peu  plus  longue  'qui  leur 
avait  été  communiquée  par  les  feuillans  de  Paris.  On  croit 
que  l'auteur  était  un  moine  de  l'abbaye  de  Simore  en  Gas- 
cogne, lieu  oii,  selon  la  légende,  les  miracles  de  saint  Cérat 
avaient  beaucoup  de  célébrité. 

XIV.  Légende  de  saint  Léger,  prêtre  du  diocèse  de  Châlons- 
a3jun.,p.485  sur-Mame,  publiée  par  les  BoUandistes  qui  en  font  reinar- 

-488.  quer  les  anachronismes,  l'insignifiance  et  la  parfaite  inutilité. 

L'auteur  parle  d'une  translation  des  reliques  du  saint  faite 
en  1 1 15,  du  temps  de  Guillaume  (de  Champeaux)  évêque  de 
Châlons-sur-Marne  ;  et  la  légende  paraît  écrite  long-temps 
après  cette  translation. 

XV.  Vie  de  saint  Blier  (Blitharius).  C'est  plutôt  un  pané- 
gyrique: les  formes  en  sont  tellement  oratoires  qu'il  n'y  a 


XII  SIECI,E. 


AUT.  ANONYMES  DE  VIES  DE  SAINTS.       635 

ni  dates  ni  détails  précis.  Il  n'est  point  de  saint  prêtre,  de 
saint  ermite ,  auquel  on  ne  pût  appliquer  les  éloges  donnés 
ici  à  saint  Blier.  Ce  saint  est  honoré  a  Broyés  au  diocèse  de 
Troyes,  et  son  panégyrique  remplit  deux  pages  du  recueil 
des  Bollandistes.  »'  i""- '  P- 

XVI.  f^  ie  de  saint  Mcgecc  (vingt- septième)  évêque  de  Be-  *7a-474- 
sançon.  L'anonyme  qui  a  composé  cette  légende,  prétend 
qu'il  la  tire  d'une  chronique  rédigée  en  6^5  par  Ternatius 
successeur  de  saint  Mégèce;  mais  les  fondations,  les  statuts, 
les  règlements,  les  usages   mentionnés  dans  cette  vie,  dé- 
cèlent une  époque  bien  moins  ancienne.  L'auteur  suppose 
que,  dès  le  tetnps  de  saint  Protade  qui  gouvernait  l'église  de 
Besançon  en  620,  on  récitait  l'office  de  la  vierge  dans  une 
chapelle  pai  ticulière  ;  il  raconte  que  saint  Mégèce  fonda  une 
messe  qui  tous  les  jours,  excepte  le  vendredi  saint,^  devait 
être  chantée  dès  l'aube  du  jour  à  l'autel  de  saint  Etienne. 
De  pareils  détails  nous  autorisent  à  regarder  l'opuscule  dont 
il  s'agit  comme  une  production  de  la  fin  du  XII*  siècle,  si 
même  elle  n'appartient  pas  au  XIIP.  On  la  trouve  dans  le 
recueil  des  Bollandistes  qui  l'ont  extraite  des  éclaircissements      6jun.,p.687 
du  père  Chifflet  sur  l'abbaye  de  Saint-Claude:  Illustrationes  -691- 
Claudianœ  :  ouvrage  qui  n'a  été  imprimé  que  par  parties 
dans  divers  tomes  de  la   collection   commencée   par    Bol- 
landus.  Chifflet  y  donne  un  abrégé  chronologique  de  l'his- 
toire des  archevêques  de  Besançon ,  et  transcrit  a  l'article  de 
saint  Mégèce  la  légende  que  nous  indiquons  ici. 

Nous  allons  placer  à  la  suite  de  ces  légendes  quelques 
traités  anonymes  comme  elles,  composés,  ce  semble,  a  la 
même  époque  ,  et  presque  tous  relatifs  à  la  profession  mo- 
nastique. 

XVII.  Traité  sur  la  profession  des  moines,  inséré  dans  l'ou- 
vrage de  dom  Martenne  De  antiquis  ecclesiœ  ritihus.  Après  t.  ll,p. /,69 
quelques  détails  sur  les  devoirs  de  la  vie  monastique,  sur  -496. 
les  périls  de  ceux  qui  commandent,  sur  les  chagrins  de  ceux 
qui  obéissent,  sur  l'orgueil  des  abbés,  sur  l'indocilité  des 
moines,  sur  les  autres  vices  familiers  aux  uns  et  aux  autres, 
l'auteur  arrive  à  la  question  qu'il  se  propose  essentiellement 
de  traiter  ;  celle  de  savoir  si  la  bénédiction  ou  consécration 
suffit  pour  lier  à  l'etaf^religieux  même  avant  la  profession. 
Il  soutient  l'affirmative,  mais  sans  condamner  ceux  qui  sont 
d  un  autre  avis.  Le  novice  ne  souscrivait  ses  vœux  qu'au  mo- 
ment de  la  profession  ;  mais  selon  l'auteur ,  la  bénédiction 
Tome  Xr.  ,  K  k  k  k 


XH  SIECLE. 


6ci6       AUT.  ANONYMES  DE  VIES  DE  SAINTS. 

l'avait  auparavant  consacré  à  l'état  monastique.  Il  y  a  dans 
ce  traité  plus  de  scolastique  que  d'histoire  :  on  y  voit  ce- 
pendant que  les  moines  qui  devenaient  évêques  conservaient 
l'habit  religieux  ou  le  portaient  au  moins  sous  les  vèt<'ments 
épiscopaux.  L'anonyme  parle  aussi  des  enfans  qu'on  élevait 
dans  les  monastères,  et  qu'on  se  hâtait  de  bénir  :  il  n'adoucit 

Coint  pour  eux  la  rigueur  de  son  système  sur  les  effets  de  la 
enédiction;  il  les  déclare  moines,  irrévocablement  moines, 
bien  qu'ils  doivent  attendre  l'âge  de  raison  pour  faire  pro- 
fession. Il  en  dit  autant  de  ceux  qui  recevaient  l'habit  mo- 
nastique étant  malades  ,  dévotion  très-commune  en  ces 
temps-là. 
Thes.Anccd.       XVIII.  Règlement  monastique  publié  par  Martenne  et  Du- 

t.  IV,p.  I2l5-  ,      ,,  ,     ^  •        l'i'U.  ,    Vt^  ti      .         •        I 

i23o.  ranci  d  après  un  manuscrit  de  l  église  de  Tours.  Il  s  agit  dans 

cet  écrit  de  quinze  pages  des  anciens  us  des  chanoines  régu- 
liers de  Saint-Jacques  de  Montfort  au  diocèse  de  Saint-Malo. 
Ce  monastère  a  été  fondé  en  1162,  et  l'on  n'a  guère  pu, 
avant  l'année  1200,  parler  de  ses  anciens  usages  ;  toutefois 
cette  qualification  d'ancien  est  assez  souvent  appliquée  dans 
les  écrits  de  ce  temps  à  ce  qui  n'avait  qu'environ  cinquante 
ans  de  date.  Les  caractères  du  manuscrit  de  ces  statuts  per- 
mettraient, selon  les  éditeurs,  de  le  supposer  contempo- 
rain de  Bernard,  premier  abbé  de  saint  Jacques  de  Montfort, 
ou  du  moins  de  son  successeur  Jean  de  Vaunoise  qui  mourut 
en  1189  évêque  de  Dol,  et  d'attribuer  à  l'un  de  ces  deux 
premiers  abbés,  sur-tout  au  second,  la  rédaction  de  l'ou- 
vrage. Mais  ces  mêmes  éditeurs  aimeut  mieux  supposer  qu'il 
n'a  été  composé  que  sous  le  troisième  ;  et  ils  observent  au 
surplus  que  la  plus  grande  partie  de  ces  us  est  tirée  de  ceux 
de  l'ordre  de  Cîteaux.  Dansées  longs  détails  d'exercices  mo- 
nastiques ,  nous  ne  remarquerons  que  le  quinzième  statut, 
qui ,  après  avoir  interdit  aux  moines  l'entrée  de  la  cuisine 
excepte  dans  les  cas  indispensables,  met  au  nombre  de  ces 
nécessités,  celle  de  faire  sécher  le  parchemin,  ad  exsiccan- 
diiin  pergamenum.  On  en  peut  conclure  que  la  transcrip- 
tion des  livres  était  l'une  des  occupations  de  ces  religieux  , 
et  cependant  il  n'en  est  fait  ici  aucune  mention  positive  dans 
rénumération  très-détaillée  des  pratiques  et  des  travaux  qui 
remplissaient  leurs  journées. 

XIX.  Statuts  du  monastère  de  Froidmont.  Doro  Martenne 

p.  i58-i63.    ]çs  ^  publiés  dans  la  seconde  partie  de  son  voyage  littéraire. 
Il  y  a  quarante-huit  articles  distribués  sous  sept  ùXre&  :  i»  cfe 


AUT.  ANONYMES  DE  VIES  DE  SAINTS.       627 

specioUbus  constitutionihus  ;  2"  dormitorium  ;  3°  capitulum; __1 

4"  claustrum;  5"  refectorium  ;  6°  infirmitorium ;  7°  grangia. 
L'article  7  dit  que  le  cierge  pascal  doit  être  de  onze  ou 
douze  livres.  Il  est  de'fendu  par  l'article  sS  d'écrire  sur  les 
murs  du  cloître  avec  de  la  craie  ou  du  charbon.  Au  titre  de 
rinfirraerie  ,  il  est  statué  qu'on  n'appellera  de  médecins  que 
dans  le  cas  d'extrême  nécessité;  car  c'est  vraisemblablement 
ainsi  qu'il  convient  de  traduire  l'article  :  medicinon  nisi pro 
l'aldè  necessariis  personis  adhibeantur  ;  il  n'y  a  pas  d'appa- 
rence qu'on  ne  veuille  livrer  aux  médecins  que  les  personnes 
les  plus  nécessaires  à  la  communauté.  La  grange,  grangia, 
était  un  bâtiment  extérieur,  séparé  du  monastère,  et  qui 
renfermait  quelquefois  une  école  pour  les  cnfans  du  voisin 
nage;  mais  \\  n'est  point  question  "^e^ cette  école  dans  les 
statuts  de  Froidmont. 

XX.  Lettre  de  S.  de  Namur  à  H.  de  filliers.H.  avait  con- 
sulté S. ,  sur  la  question  de  savoir  s'il  était  permis  aux  moines 
de  recevoir  en  don  des  biens  mal  acquis  par  des  séculiers. 
S.  répond  qu'il  ne  faut  jamais  accepter  les  fruits  ni  de  la  si- 
monie ,  ni  de  l'usure,  ni  du  vol,  ni  de  la  rapine;  car  il  ré- 
duit à  ces  quatre  genres  toutes  les  manières  de  mal  acquérir. 
Nous  n'avons  qu'un  fragment  de  cette  lettre,  publié  dans  le 
Thésaurus  anecdotorum  de  Martenne  et  Durand.  Ces  éditeurs  T.  l,  p. 776, 
la  croient  adressée  en  1200  a  un  moine  de  l'abbaye  de  Villiers  777- 

en  Flandres;  c'est  dans  ce  monastère  qu'ils  en  ont  trouvé  le 
manuscrit. 

XXI.  Spéculum  ecclesiœ.  C'est  un  rituel  qui  ne  nous  est 
connu  que  par  une  douzaine  de  lignes  que  dom  Martenne 
en  a  extraites,  et  qu'il  a  dispersées  dans  les  quatre  volumes 

de  son  traité  De  antiquis  ecclesiœ  ritibus.  Il  les  tire  d'un  ma-  T.  l,  p.  277, 
nuscrit  de  l'église  de  Tours,  ouvrage  d'un  chanoine  de  cette  *'^  s  *p'"'  P- 
église,  composé,  selon  dom  Martenne,  vers  l'an  1200.  558,559,578. 

XXII.  Sanderus,  dans  sa  bibliothèque  manuscrite  de  la 
Belgique,  indique  des  écrits  anonymes  conservés  à  St-Mar-  p.  i,  p.  107, 
tin  de  Tournai,  et  qui  pourraient  être  aus.si  de  la  fin  du  V'9'  '"" 
XII*  siècle.  Il  n'en  donne,  et  nous  n'en  pouvons  donner  que 
les  titres  ;  1°  Tractatus  de  duobus  presbyteris  quorum  unus 
post  mortem  alteri  'viventi  appaniit  et  de  se  multa  stupendç. 
narravit ;  2°  Magnum  et  stupendum  miraculum  de  quodam 
regulari  canonico  ;  "i^  Homiliœ  dominicarum  per  anni  circu- 
lum;  4"  Homilice  dominicarum  totius  anni  ;  _S°  Serpiones 
supra  epistolas;  6<»  un  traité  qui  commence  par  ces  mots  : 

Kkkka 


120. 


XII  SIECLE. 


628       AUT.  ANONYMES  DE  VIES  DE  SAINTS. 

K  f^idi  de  mari  bestiam  ascendentein ,  habenteni  capita  sep- 
tem.  » 

A  l'exception  des  numéros  II,  IV,  VII,  XVII,  XVIII, 
XIX,  XX,  XXI,  XXII,  tous  les  opuscules  latins  que  nous 
venons  de  parcourir,  se  trouvent  dans  la  collection  des  Bol- 
landistes  et  y  sont  accompagnés  de  notes  critiques  ,  dont 
nous  avons  fait  quelque  usage ,  et  auxquelles  nous  renvoyons 
pour  le  surplus  les  lecteurs  dont  nous  n'aurions  pas  pleine- 
ment satisfait  la  curiosité.  Il  doit  nous  sulïire  d'avoir  in- 
diqué, le  plus  complètement  que  nous  avons  pu,  toutes  les 
productions  de  cette  espèce,  et  nous  n'osons  espérer  de  n'en 
avoir  omis  aucune.  On  a  pu  reprocher  à  nos  prédécesseurs 
eux-mêmes,  malgré  l'exactitude  de  leurs  recherches,  un  petit 
nombre  de  ces  omissions;  mais  ou  va  juger,  par  celles  que 
nous  allons  indiquer 'et  réparer,  combien  peu  elles  ont 
d'importance. 
Hist.  Littér.       XXIII.  En  parlant  de  saint  Magnobode  ,  ou   Maimbœuf 

573.  '^  ''"  évêque  d'Angers,  ils  n'ont  rien  dit  de  sa  vie  écrite  par  un 
anonyme  du  X''  siècle,  ou  peut-être  même  un  peu  plus 
ancien.  Elle  n'a  point  été  imprimée,  mais  elle  se  trouve  à 
la  bibliothèque  du  Vatican,  parmi  les  manuscrits  de  la  reine 

L.  i3,n.a873.  Christine,  n°  465  :  La  Curne  deS^-Palaye  l'indique  dans  son 
recueil  des  manuscrits  d'Italie.  Il  en  transcrit  le  titre ,    les 
premières  lignes  et  les  dernières;  le  titre  est  ainsi  conçu: 
Incipit  vita  sancti  ac  heatissimi  Magnobodi  episcopi  et  con- 
fessons. L'ouvrage  commence  par  ces  paroles  :  Glonusiis  igitur 
/      ac  eximius  Chiisti  pontifex  Magiiohodus  in  pago  yi/ndega- 
vensi  nobiliter  editus ,  magnis  niiraculoruni  fulsit  pmilegiis 
etc.;  et  se  termine  à  la  page  G2  par  ces  lignes:  quateniis  ab 
omnibus  sordium,  criminibus  emendati  'valeamus  ab,  interitu, 
gehennœ  liberari  et  œterna  letitiafrai  cum  sanctis,  adjuvante 
domino  nostro ,  cui  est  honor  et  potestas  cum  pâtre  et  spiritu 
sancto  per  immortalia  secula  seculorum.  Amen. 
L'écriture  est  du  X*  siècle  au  plus  tard. 
XXIV.  C'est  peut-être  aussi   au  X*^  siècle  qu'appartient 

l/,s^lsT  '  ^    l'anonyme  qui  a  écrit  une  vie  de  sainte  Lutrude,  inséiée  dans 
Acta  sànci. ,  la  collectiou  dcs  Boilandistes,,  et  dont  Surius  avait  aupa- 

22sept.,p.345,  ravant  publié  un  simple  abrégé.  Sainte  Lutrude  et  ses  deux 

''  soeurs  sainte  Hoyide  et  sainte  Pusine,  vivaient  à   la  fin  du 

V*  siècle  ou  dans  le  cours  du  VP.  L'historien  de  la  première 

est  certainement  beaucoup  moins  ancien  :  ce  qu'il  dit  d'un 

merveilleux  voyage  que  la  sainte  fit  à  Rome  avec  son  dircc- 


AUT.  ANONYMES  DE  VIES  DE  SAINTS.       629 

„      ,  ,  „  1  ,        ,  ,       XII  SIECLE. 

leur  Eugène ,  suppose  dans  l  auteur  ou  dans  les  lecteurs  la  

crédulité  des  siècles  les  plus  ignorants.  Un  manuscrit  que  le 
P.  Périer,  l'un  des  continuateurs  de  Bollandus ,  avait  entre 
les  mains  ,  se  termine  par  un  souhait  pour  le  salut  de  l'âme 
de  l'archevêque  Thierry;  et  l'on  sait  que  cet  archevêque  de 
Trêves  est  mort  vers  l'an  970,  après  avoir  écrit  en  vers  une 
histoire  de  sainte  Lutrude.  Cette  histoire  subsiste  ,  et  l'ano- 
nyme dont  nous  parlons  n'a  guère  fait  que  la  mçttre  en 
prose.  On  a  donc  lieu.d'attribuer  ce  souhait  à  l'anonyme  lui- 
même  plutôt  qu'à  un  simple  copiste,  et  l'on  en  conclut  que 
cet  anonyme  n'écrivait  ni  avant  970,  ni  fort  long-temps 
après  :  car  il  n'est  pas  très-ordinaire  de  former  de  pareils 
vœux  pour  ceux  qui  sont  morts  depuis  un  très-grand  nombre 
d'années.  D'un  autre  côté  cependant,  il  peut  sembler  étrange  ^ 

que  la  vie  de  sainte  Lutrude  ait  été  composée  deux  siècles 
avant  celle'de  sa  sœur  sainte  Hoylde.  Or  l'auteur  anonyme 
de  la  vie  de  sainte  Hoylde  ne  la  rédigeait  qu'à  la  tin  du 
XIP  siècle,  ou  dans  le  cours  du  XIIP,  selon  les  Boliandistes      3^  avril,  p. 
qui  l'ont  in.sérée  dans  leur  recueil  où  elle  occupe  deux  pages.  773-775. 

XXV.  Enfin,  nos  prédécesseurs  ont  terminé  le  XP  siècle 
sans  faire  mention  d'une  relation  des  miracles  opérés  par  l'in- 
tercession de  saint  Georges  à  Roye  en  Picardie  ;  relation  que  ^3  ap,.ii. 
les  Boliandistes  ont  extraite  d'un  manuscrit  de  la  collégiale  549-551. 
de  St-Florent,  autrefois  St-Georges,  établie  dans  la  même 
ville.  Il  est  vrai  que' ce  manuscrit  n'est  que  du  XIII*  ou  XIV. 
siècle.  Le  copiste  surnomme  Auguste  le  roi  Philippe  I*"",  et  il 
donne  à  l'un  des  comtes  de  Vermandois  le  nom  de  Henri , 
qu'aucun  de  ces  comtes  n'a  porté.  Il  est  probable  que  l'ori- 
ginal n'offrait  ici  que  la  lettre  H  initiale  de  Herbert  ou  de 
Héribert  (ou  peut-être  de  Hugues-le- grand,  frère  de  Phi- 
lippe P"^);  et  que  l'auteur,  écrivant  dans  un  temps  où  il  n'y 
avait  eu  qu'un  seul  roi  de  France  du  nom  de  Philippe ,  n'y 
avait  ajouté  aucune  sorte  de  sirrnom.  Le  copiste  qui  vivait 
après  Philippe  II,  aura  sans  doute  ajouté  ce  surnom  d.'Au- 
guste ,  et  remplacé  l'initiale  H  par  le  mot  Henri.  Quoi  qu'il 
en  soit,  l'auteur  se  déclare  le  contemporain ,  le  témoin  ocu- 
laire de  quelques-uns  des  miracles  qu'il  raconte,  et  qui  sont 
antérieurs  à  l'année  1 100.  Mais  sa  relation  est  si  courte  et  si 
peu  utile  ,  qu'il  importe  fort  peu  que  la  mention  en  ait  été 
retardée:  l'omission  même  d'une  telle  pièce  n'eût  pas  été  un 
fort  grand  dommage.  La  multitude  de  celles  qui  ont  été  in- 
diquées jusqu'ici  dans  cette  histoire  littéraire,  ne  suffit  que 


63o  AUT.  ANONYMES  DE  VIES  DE  SAINTS. 
XII  SIECLE,  trop  pour  donner  une  idée  de  l'extrême  insignifiance  de  ce 
genre  d'écrits,  et  de  l'ignorante  crédulité  de  leurs  obscurs 
rédacteurs.  Mais  si  l'on  considère  l'influence  que  toutes  ces 
légendes  ne  pouvaient  manquer  d'exercer  sur  les  peuples  et 
sur  le  cierge  lui-même ,  on  ne  s'étonnera  point  de  la  len- 
teur des  progrès  de  la  véritable  littérature  durant  les  siècles 
suivants  :  elle  avait  à  revenir  de  fort  loin. 


FIN   DU    TOME    QUINZIEME. 


■%«/^^«/v« 


TABLE 

DES    AUTEURS 

ET  DES  MATIÈRES. 


yiccmés.  ÉpreuTfS  auxquelles  ils  étaient 
soumis  en  Flandre,  4-  Autres  dispositions 
concernant  les  accusés,  6  et  7. 

Adam,  chanoine  régulier  de  Saint-Victor 
de  Paris.  Son  épitaphe  composé*  par  lui- 
même  40.  Ses  proses  rimées  ou  séquences,  41- 
Autres  écrits  a  lui  attribués,  43- 

Adélaïde ,  marquise  de  Polignac,  joue  un 
tour  perfide  à  Guillaume  de  Saint-Didier, 
troub.idonr,  45  ■. 

Aduhirc.  Poursuite  et  condamnation  d'un 
jeune  homme  accusé  d'en  être  coupable  avec 
une  comtesse  de  Flandre ,  4. 

AJrius,  interprète  pour  Baudouin  II, 
comte  de  Guines,  la  Vie  de  saint  Antoine, 
ermite,  5oi. 

AiH.vR u  DE  Moi sBN n, arcbc véque  deVienne 
en  Uauphiné,  composa  plusieurs  épitaphes 
en  -vers  léonins,  419.  Citation  d'une  de  ces 
épitaphes,  ibid. 

Albéric  db  Vitry,  auteur  d'un  Com- 
mentaire sur  les  Psaumes,  et  d'un  Traité 
du  Compnt,  5i3. 

Albkbt  Caili.«,  poète  provençal  dans 
l'Albigeois,  ne  sortit  jamais  de  son  pays,  4fi3. 
C'était  un  poëte  médiocre;  il  a  pourtant  fait 
une  bonne  chanson,  ibid. 

Ai,BKBT  DE  Luuvtix  (Saint),  évéque  de 
Liège,  massacré  à  Reims  l'an  1191.  Sa  Vie 
par  un  anonyme,  (119. 

Alêne  (Sainte).  Sa  Vie  par  un  anonyme, 650. 

Albx4ND«e,  poëte  français,  né  à  Bernay 
en  Normandie,  fut  depuis  surnommé  de 
Paris,  160.  Auteur  du  roman  d'Athis  et  Pro- 
phylias,  plus  connu  par  celui  d'AIexandre- 
Ic-Grand  ,  ibid.  Preuves  que  ce  pocrae  fut 
conipo.sé  avant  le  XIII'  sièrle,  161  —  1^3. 
Extrait  du  roman  d'Alexandre,  i63 — 179. 
Extrait  du  roman  d'Athis  et  Prophylias,  179 
— 193  On  lui  atliihue  un  pocme  du  siège 
d'Athènes,  i34-  U  ue  peut  être  l'auteur  des 


vers  français  de  i»  syllabes  appelés  A/exar^ 
drins,  I  ly  et  u6.  Le  poème  d'.\lexandre  fut 
continué  par  Pierre  de  Saint-Clust,  et  ensuite 
par  Jean  le  ^ivelois,  ii5. 

Ai.p.xÀ!(DRE,  abbé  de  Jumiége,  auteur 
d'une  Epitre  théologique,  610. 

Aliénor,  reine  d'Angleterre.  Trois  lettre^ 
de  cette  princesse  au  papeCélestin  III ,  par- 
mi celles  de  Pierre  de  Blois,  397. 

Alix  de  Champagne,  mère  du  roi  Philippe- 
Auguste.  Sa  lettre  an  papeCélestin  III, parmi 
celles  d'Etienne  de  Tournai ,  55a. 

Alfhabeih.  Son  origine.  Imitation  des  évo- 
lutions des  Grues  dans  Iturs  courses  loin- 
taines ,  76. 

Alphoicse  II ,  roi  d'Arragon  et  comte  de 
Provence,  protecteur  des  Troubadoui  s,  est 
auteur  d'une  chanson  qui  est  restée,  iSg. 

Amicitia,  pour  désigner  une  commune,  5. 
Prcefectus  Amicicia;,  6. 

Ahdbé  Silvius,  prieur  de  l'abhaye  d« 
Marchiennes.  Sa  Chronique  abrégée  de  Gestit 
et  siiccesslone  Kegum  Funconim,  87. 

Ahobyme  de  Marrhi  enne s ,  auteur  du  11  vre 
des  miracles  de  sainte  Rictrude,  89.  Autre 
anonyme  du  même  lieu ,  auteur  de  la  Vie 
du  B.  Hugues,  abbé  de  Marchiennes,  ibid. 

Anokywe,  auteur  d'une  Généali)gie  de» 
comtes  de  Flandie, finissant  à  l'année  1 130,19. 
Amosymr,  auteur  d'une  Généalogie  des 
comtes  de  F'iandre  ,  sous  le  titre  de  Flandria 
gcnerosa.,  finissant  à  l'année  liH5,  20.  Autre 
Généalogie  des  comtes  de  Flandre,  tirée  du 
Cartniaire  du  roi  Philippe-Auguste,  »i. 

Akonyjce  d'Arouaise,  auteur  de  la  Rela- 
tion d'un  Voyage  fait  par  lui  en  Italie,  et 
d'une  Vie  de  saint  Augustin ,  tirée  de  se» 
Confessions,  46. 

AsoNYME  ,  auteur  d'un  Traité  sur  la  pro» 
ftssion  des  Moines,  6'j5. 

Ahokymes,  auteurs  de  chroniques  du  pays 
Liégeiiis ,  87. 
AnosïME,  compilateur  despièces  du  procis  1 


632 


TABLE   DES  AUTEURS 


entie  IVglise  de  Tours  et  celle  de  Dol ,  tou- 
chant le  droit  de  métropole  sur  les  évéchés 
de  la  province  de  Bretagne,  334 — 337- 

Akosyme,  auteur  d'un  cantique  en  prose 
rimée.à  l'usage  des  Croisés  qui ,  l'an  1190, 
partaient  pour  la  Terre-Sainte,  339. 

Anonyme  ,  auteur  d'une  Vie  de  saint 
Amand,  évêque  de  Rhodez,  en  vers  proven- 
çaux ou  languedociens,  477- 

Anonyme,  auteurd'unpoëme  moral  sur  la 
sortie  d'Egypte  ou  la  délivrance  du  peuple 
d'Israël,  480.  Autre  poëme  allégorique  et  mo- 
ral sur  le  Cantique  des cantiques,48  i.Trad uc- 
tion  en  prose  des  légendes  des  Apôtres;  dp  l'in- 
vention de  la  vraie  Croix,  etc.,  484-  Poëme 
ayant  pour  titre  :  Li  romans  de  Guion  de  llor- 
gognc,  ibid.  Vie  de  saint  Barlaam  et  Josaphat 
en  vers,  /i85. 

Anonymes,  auteurs  des  chroniques  desaint 
Aubin  d'Angers,  SSy — 58q. 

Anonyme  ,  auteur  de  l'Histoire  de  l'abbaye 
et  des  reliques  de  saint  Germer  de  Flaix,  Sqo. 

Anonyme  ,  auteurd'une  petite  Histoire  de 
la  ville  de  Verman  et  de  l'abbaye  de  ce  nom, 

*9'-  „,     . 

Amoitymes,    auteurs    décrits   concernant 

l'abbaye  d'Ourcamp,  diocèse  de  Noyon,  69». 

Anonymes  ,  auteurs  de  chroniques  con- 
•ernant  l'ahbaye  de  Cluni ,  594. 

Anonyme,  auteur  de  la  petite  chronique 
de  l'abbaye  de  TSèse  ,  5g5. 

Anonyme,  auteur  d'une  chronique  abré- 
gée de  saint  Bénigne  de  Dijon,  SgS. 

Anonyme,  auteur  d'une  chronique  de 
l'abbaye  de  Clairvam  ,  SpS. 

Anonyme,  au  leur  de  l'Histoi  re  des  diverses 
translations  des  reliques  de  saint  Philibert  à 
Tournus,  $96. 

Anonyme,  auteur  d'une  chronique  fabu- 
leuse de  la  ville  de  Méziëres,  596. 

Anonyme,  auteur  d'une  continuation  de 
Flodoard  ,  concernant  l'église  de  Reims , 
Syg. 

Anon  YME ,  auteur  d  une  notice  concernant 
le  rétablissement  de  l'église  de  Saint-Nicaise 
à  Reims,  $99. 

Anonymes,  auteurs  de  chroniques  de  la 
Tille  de  Reiras,  600. 

Anonyme  ,  continuateur  de  la  chronique 
des  évêques  de  Metz  depuis  iiao  jusque 
vers  lioo,  6o3. 

Anon  YME,  auteur  de  laVie  du  B.Théodger, 
évéque  de  Metz,  6oî. 

Anonyme,  auteur  d'une  relation  des  mi- 
racles de  la  Sainte-Vierge  à  Déols  dans  le 
Berry,  606. 

Anonyme  ,  auteur  d'un  chant  funèbre  en 
l'honneur  d'un  comt«deBarcelonne,nommé 
Raimond ,  606. 

Anonyme  ,  auteur  d'une  chronique  du 
monaitère  de  Saint-Martin  de  Canigou ,  en 
Roassillon,  607. 

Anonyme,  auteur  d'une  Histoire  de  la 


translation  des  reliques  des  saints  martyrs 
Abdon  et  Sennen ,  au  monastère  d'Arles  en 
Roussillon ,  t>o7. 

Anonymes,  auteurs  de  Vies  de  Saints  , 
savoir  :  de  saint  Hugues^  abbé  de  Bonne- 
vaux,  618;  de  saint  Albert  de  Louvain  , 
évéque  de  Liège,  fi  19;  de  sainte  Alêne,  610; 
de  saint  Austrenioine,  évéque  de  Clermont, 
630,  611  ;  de  sainte  Vérone,  631  ,  Cii  ;  d« 
saint  Chiysule,  613  ;  de  saint  Gt^idon  ,  631; 
de  saint  Manvieu,  fi33;  de  sainte  Rolande, 
633  ;  de  saint  Firmin  le  confesseur,  633  ;  de 
saint  Clair,  6i4;  de  saint  Cérat ,  évéque 
d'Auch,  634  ;  de  saint  Hilairo  du  Maine,  634  ; 
de  saint  Léger,  prêtre  de  Châlons-sur-Marne, 
634;  desaiut  Blier,  638;  de  saint  Mégèce , 
évéque  de  Besançon,  6a5. 

Ansel,  clerc  du  roi ,  puis  évéque  de  Meaux. 
Lettre  à  lui  adressée  par  Etienne  de  Tournai 
571. 

AiiHiiuD  ou  AiiHOLi>  ,  chef  des  Vaudois  , 
confondu  mal  à  propos  avec  Arnaud  de 
Bresse ,  5o4-  Détails  fabuleux  sur  sa  mort , 
5o5. 

Arnaud  Dvniel,  poète  provençal.  Quel- 
ques circonstances  de  sa  vie,  4^4.  Passe  en 
Angleterre,  à  la  cour  de  Richard  l""^,  436. 
Accepte  le  défi  que  lui  fait  un  jongleur,  et 
triomphe  par  une  ruse,  437.  Ses  écrits,  43y 
—441. 

Arnaud  deMebveii.,  poète  provençal. 
Ses  aventures,  44*.  Ses  poésies,  ibid. 

Arnaud  ou  Ernaiid,  abbé  de  Saint-Lauraer 
de  Blois.  Lettres  que  lui  écrit  sou  oncle  Pierre 
de  Blois,  370,  38 1. 

Arnonl,  éVêque  de  Lisieux.  Épître  à  son 
neveu  Hugues  de  Nonant,  3io.  Lettre  à  lui 
adressée  par  Pierre  de  Blois  ,  358. 

Aknoui.  ,  chanoine  régulier  du  mont  Saint- 
Eloi.  Son  Commentaire  sur  l'Oraison  domi- 
nicale en  vers  éléglaques  latins,  gS. 

Arnoul  ou  Amulphe,  doyen  de  l'église  de 
Bruges.  Ixjttrcs  à  lui  adressées  par  Etienne 
de  Tournai ,  56fi,  568. 

Ascilinc.  Sa  Vie  par  Gôswin  ,  617. 
Ason,  jurisconsulte} célèbre,  un  des  pre- 
miers professeurs  du  droit  romain  en  France,     \ 
3o. 

Assises  du  royaume  de  Chypre,  attribuées 
à  Gui  de  Lusiguan,  59. 

Aiisiremoim  (saint).  Sa  Vie  et  légendes  qui 
le  concernent ,  631. 

avocats.  Critique  sur  la  manière  dont  cette  \ 
profession  était  exercée  au  XH''  siècle,  39 1 —  \ 
383. 

Aymé  de  Varannes  ou  de  Chàtillon,  poète 
français ,  au  leur  du  lomau  de  Florimoiid,  486. 
Le  même  en  prose ,  488. 


B. 


Barthelemiderendâme,  archeT<qued«  Tours. 


ET   DES   M 

Deux  lettres  d'Élienne  de  Tournai  à  lui  adrcs- 
iéfs,558. 

Baudoin,  archevêque  de  Cantoibéri.  Trois 
de  ses  lettres  parmi  celles  de  Pierre  de  Blois , 
39  J. 

BtvDoiK  V,  comte  de  Hainaut  et  de  Flan- 
dre. Ses  lois  contre  le  brigandage  et  les  ven- 
geances privées,  i3i.  Association  avec  le 
comte  de  Flandre,  i33. 

Baudouin  II,  comte  de Guines,  lait  traduire 
en  français  plusieurs  ouvrages  anciens  pour 
l'instruction  de  son  fils  Arnoul ,  5oo. 

Jiraumont  en  Ar^onne.  Loi  et  franchises  ac- 
cordées à  cette  ville  par  Gnillauinede  Cham- 
pagne ,  archevêque  de  Reims,  534. 

BÉREKGEa  DE  P*LAsoL ,  poètc  provcnçal. 
Ses  chansons,  443- Ne  doit  pasêtreconfondu 
«vec  B.  de  Parasolz,  autre  poète  dn  XIll* 
tiède,  44». 

Bbrk4Rd  ,  ahbé  de  Font-Caud.  Ses  écrits 
contre  les  Vaudois,  35 — 38. 

Berkvrd  de  Saint-Romain,  abbé  de  Tour- 
nus  ,  auteur  d'une  relatiou  des  làiracles  de 
S.  Pliilibert.  61R. 

BRnictRn  m  Vbictioodb  ,  poète  provençal 
on  limousin.  Ses  aventurei,  ^d-].  Ouvrages 
qu'il  a  composés,  4*^9- 

Bertèhs  ou  Bertibr  ,  clerc  de  l'église 
d'Orléans ,  auti'ur  d'une  prose  rimée  pour 
exciter  les  fidèles  à  prendre  la  croix  contre 
Saladin ,  qui  s'était  rendu  maître  de  Jérusa- 
lem, 3J7. 

Bertier,  archidiacre  de  Cambrai.  Lettres 
d'Etienne  de  Tournai  k  lui  adressées,  56 1, 
563 ,  576. 

BsKrRkiTD  de  Poitiers,  auteur  ^'ane  His- 
toire du  monastère  de  Beaulieu  ,  6i3. 

Bbrtr«rd  D'AxLtMkiroii ,  l'ancien,  poète 
provençal ,  fit  le  Voyage  de  Tripoli  avec 
Gcofroi  fiudcl,  auiro"  poète  son  ami,  443. 
Ses  poé.sies  se  trouvent  confondues  avec 
celles  d'autres  poètes,  444- 
B/i'er  (5ai/if).  Sa  légende  ,  614. 
Blonde!  on  Blondiaus  de  Nesle,  chanson- 
nier français.  Anecdote  touclmnt  le  roi  d'An- 
gleterre Richard  ,  prisonnier  en  Allemagne, 
118. 


Capiltihim.  Ce  qu'il  faut  entendre  par  ce 
mot ,  65. 

Cerac  (Saint),  évéque  d'Auch.  Sa  légende  , 
6a4. 

Chevalerie.  Portrait  que  fait  Pierre  de  Bloîs 
des  chevaliers  de  son  temps,  363. 

Chbétie»,  moine  de  la  Sauve-Majour,  au- 
teur d'une  Vie  de  saint  Géraud  ,  fondateur 
du  monastère,  616. 

Chbesties  de  Trotes,  poète  français, 
anteur  de  plusieurs  romans ,  194.  Roman 
d'Érec  et  d'Énide,  197.  De  Cligès  ou  Cliget, 
aog.  De  Guillaume  d'Angleterre,  lïi.  Du 
Chevalier  au  Lion,  i3S,  De  Perceval  le  tial- 

Tome  XV. 


ATIERES. 


633 


lois,  î4fi-  De  la  Charrette  ou  de  Lancclot, 
a55. 

Chiysole  ow  Chrrseuil  (saint).  Deux  légendes 
de  son  martyre  ,  tiii 

Ciair  (saint)   Sa  légende,  6a4- 

Clergé,  non  exempt  des  charges  publiques, 
353,366. 

Commune.'.  Associations  formées  par  leurs 
habilans,5et  6.  Par  quels  noms  les  communes 
furent  souvent  déwgnées  ,  et  pourquoi ,  ii. 
VoY-  Amicitiajtiraia. 

Conjuratio.  On  se  servait  quelquefois  de  ce 
mot  pour  indiquer  une  commune,  6,  Voy. 
juratti. 

Conrad,  archevêque  de  Mayence.  Lettre  A 
lui  adressée  par  Pit rre  de  Blois  ,  349' 

Crimes.  Manière  cle  les  prévenir  et  do  les. 
punir  en  Flandres,  4i  l3i  et  i33. 

D 

Déprédateurs.  Statuts  d'un  évéque  de  Liégt 
contrelesdépiédaleursdes  biens  d'égli.se,  18. 

Die.  La  comtesse  de  Die  ,  poète  proven- 
çale. Quatre  pièces  de  vers  de  sa  composi- 
tion ,  446  et  suiv. 

Digeste.  Sa  découverte;  enseignement  et 
travaux  dout  il  devint  l'objet ,  17  etsuiv. 


£. 


Écoles  de  Paris.  Leur  célébrité,  38o.  Tes, 
Albéricains,  8  •.  Les  Bobertini,  74.  Les  Parvi- 
ponlarns,  83  et  suiv.  EEiseiguement  vicieux, 
dans  les  écoles,  363.  Lettre  d'Etienne  de 
Tournai,  pour  demander  une  réforme  dan» 
la  manière  d'enseigner,  571. 

Épreuves  reçues  dans  les  accusations  crimi- 
nelles, 4. 

Ermenc.ir  non  ERMEicGtUT,  abbé  de  Saint- 
Gilles  Son  traité  contre  les  Vaudois,  38  -Zg. 

FrAemboJnn  (saint).  Sa  Vie  par  Jean ,  moine 
de  Sithieu ,  Ci.ï. 

Étiebke  ,  abbé  de  Sainte-Geneviève  ,  puis 
évéque  de  Tournai.  Sa  Vie ,  5»4 — 53o.  Ses 
lettres  pendant  qu'il  était  abbé  à  Saint-Eu- 
verte  d'Orléans,  depuis  l'an  1 167  jusqu'en 
1176,  53a — 534-  Ses  lettres  depuis  1176, 
époque  de  sa  prélature  à  Sainte-Geneviève  , 
jusqu'en  1191 ,  536 — 55?.  Lettres  pendant  le 
tempsde son épiscopat  à  Tournai, depuis  1 19a 
jusqu'en  iao3 ,  époquede.sa  mort  ,558 — 584. 
Ses  sermons  et  statuts  synodaux,  585.  Ses 
poésies,  586.  Son  commentaire  sur  le  décret 
de  Gratien,  587.  Éditions  de  ses  lettres  ,  53  r. 

Étiehxe  de  LiciikC  ,  quatrième  prieur  de 
Grandmont,  est  auteur  ou  compilateur  du 
livre  des  maximes  de  saint  Etienne  de  Muret, 
i36. 

E/ides  de  Sulli,  évéque  de  Paris.  Deux  lettres 
i  lui  adressées  par  Pierre  de  Blois,  SSg. 

LUI 


634 


TABLE   DES   AUTEURS. 


I-f<lrc  à  lui  ailicsséc  par  Etienne  de  Tournai, 
56fi.  Son  éloge,  370. 

EtiDES  DE  Vaudemomt,  évéqtie  fie  Toul. 
Sa  \ie,  3o6.  Statuts  contre  les  malfaiteurs, 
3o8. 

hvRiBn  ou  EuRiHD ,  religieux  du  Val  des 
F.rolierr  ,  prédicateur ,  Ci  i. 

F. 

Firmin  {>aiiit)  le  confesseur,  évéque  d'A- 
jniciis.  Sa  légende,  (iaS. 

/^o«/i/n«,alibéde  Saint-Germain-des-Pjés. 
Son  différend  avec  l'archevêque  de  Sens,  au 
sujet  des  droits  de  visite  ,  557-  Son  .démêlé 
ajec  l'Vniversité,  55g. 


Gaeik  ou  GukRTN  ,  abbé  de  Saintc-Gene- 

■viève  ,  paraît  être  le  même  qui ,  l'an    1172  , 

fut  fait  abbé  do  Saint-Victor  de  Paris,  5i. 

Ses  lettres,  5a.  Ses  sermons,  54- 

1  i:aiiiau4i  diseur  de  bons  mots  à  Orl^ins, 

sr.-,. 

Gass^iI.e-Bi.okd  ,  l'un.dcs  translateurs  des 
louions  de  la  Table  ronde "conjpiulçnient 
avec  Lnces  de  Gflst,  4y5  et  suiv. 

G»v.vudan  ,  poète  provençal  surnommé  le 
f  iaix,  apparemment  parce  qu'il  y  en  avait 
un  plus  jeune,  auteur  d'un  sirvente  conire 
Haladinct  les  fllaures  d'E*j)agno,  et  d'autres 
j)césles,  44  J  et  sniv. 

^nH«cran(/a'e5u/nr-Z)i</iVr,  troubadour, dont 
en  trouve  quelques  pièce»  parnji  celles  de 
Qnillaumc  de  Saiut-L)idier,  son.père  ou  son 
aïeul ,  4.'>3. 

Gautier,  archevêque  de  PaUrme.  Deux 
lettres  de  Pierre  de  Blois  à  lui  adïessces, 
3po,  374.  Auteur  d'un.abrégéde  Grammaire 
laline,.6i  i. 

(iavtierde  C'jwtawcc,  archevêque  de  Bouen. 
Deux  lettres  de  ce  prélat  parmi  celles  de  Pierre 
de  lilois,  3y7.  Quatre  lettres  du  même  à.  lui 
adressées,  35o.. 

Gautier,  é.vêque  de  Kochesler.  Lettre  que 
lui  adresse  Pierre  de  Blois,  36o.. 

Gautier  de  Mi>rtngiie,  professeur  de  théolo- 
gie à  Laon,puisévêquedela  même  ville,  93. 

GitTisR  ou  Wautif.r  ,  abbé  d'Arroiiaise, 
rnteur  d'une  Histoire  et  du  carlulaire  desou 
y.bbave,  45.  On  ne])eut  lui  attribuer,  comme 
«mt  fait  Us  BoHandistes,  la  lehition  d'un 
vpyagc  fait  en. Italie  par  un  chanoine  d'Ar- 
ïouaise,  non  ]>Ius  qu'une  Vie  de  saint  Au- 
gustin tirée  de  ses  confessions  ,  46- 

Ghitier  dk  Lille  ou  de  CHAriri.oN , 
poète  latin,  auteur  du  poëme  dont  Alexandre 
e'r.t  le  héros,  ion.  Autres ourragcs  du  même 
joèle  ,  loi.. 

GiijTniiiliv,,  ch'pcjaiii  de,IIfi\ri JI.,/oi 


d'Angleterre,  traducteur  du  roman  de  Lan*- 
celot  du  I..ac,  49*>' 

Gautier,  surnommé  Si/ensoa  le  Silencieux  , 
auteur  du  roman  du  Silence, Soa. 

Ciofroi,  archevêque  d'Yorck.  Lettre  à  lui 
adressée  par  Pierre  de  Blois,  349. 

Geo/roi  ,ahl>c  de  Marmoutier.  Lettre  de 
Pierre  de  Blois  à  lui  adressée  ,  370. 

Groproi  ou  Godefroi  ,  sous-prinur  de. 
rabbajede  Sainte-Barbe  en  Auge.  Sa  retraite 
à  Sain^-^'ictor  de  Paris  versl'an  1174,  ^9  et 
.sniv.  Ses  lettres  au  nombre  de  56  ,  pendant 
qu'il  élail  sout-pricur  à  Sainte-Barbe,  73^ 
78.  Bai<:ons  pour  le  croire  auteur  des  ou- 
vrages qu'on  attribue  à  un  autre  Godefroi , 
chanoine  de  Saint- Victor ,  C9— 73.  Son  Mi 
croc.ismus  ou  Petit-Monde,  78.  Son  poÉine 
intitulé  Fons  phi!o.'oi>hiir,  80  et  suiv.  Auteur 
de  quelques  autres  pièces  de  vers,  75.  Son 
traité  tic  Videndo  Deo,  76.  Ses  sermons  ,  73. 

OÉBiBn  Hkc.tor,  évêque  de  Cahors.  Sa 
lettre  à  l'empereur  Frédéric  Barberousse,  (109. 

Gérard  Vuctl,  savant  canonistr.  Lettre  de 
Pierre  de  Elois  à  lui  adressée,  385. 

OÉRiRD  1thier,7''  prieur  de  Grandmoul 
en  1188,  travaille  à,  la  canonisatipn  de  saint 
Etienne  de  Muret,  140.  Est  auteur  ou  com- 
pilateur di'un  grand,  ouvrage  ccyicemant 
l'ordre  de  Grandmont ,  141. 

Gilbert  ou   Gisleoert  de  Mous,  chan- 
celier de  Baudouin  V,  comte  de  Haiiiaut  Sa 
\ie,    i3o.    Sa    chronique   finissant   à    l'an-.' 
née  1 195,  1^9  et  suiv, 

GistRjWER,  religieux  de  St-Gcrmain-de»-. 
Pi  es,  auteur  d'un  livre  de  rciractalions,  ()i3. 

Giraud  {saint) ,  abbé  et  fondateur  de  l'ab- 
bave  de  la  Sauve.  Son  office  liturgique  com-  • 
posé  par  Eiienne  de  Tournai,  577. 

GiRiuD  HE  Salignac  ,  poète  provençal. 

Ses  chansons, .444- 

GoswiN  ou  GossuiK  ,  moine  de  Clairvaux, 
auteur  d'une  Vie  d'Asceline ,  d'une  \\e 
d'IIermeliue,  et  d'une  relation  de  miracles 
arrivés  de  son  temps  ,  616-017. 

Gravdinnntaim.  Troubles  arrivée  dans  cet  ■ 
ordre,  14  •  1  5io. 

GtJEHiB  OU  Gârii»  LE  Bruh,  poète  pnv 
vençal,  bon  trouveur-,  uon  de  cliansons , 
mais  de  tensons,  463. 

Gueriic,  professeur, à  Tournai,  puis  abbé 
d'Igni,  yï. 

(m;ï   DE    Noyers,  archevêque  de    Sens. 
Lettre  écrite  au  Pape  en  faveur  de  Roger  de> 
Kosoi,   évêque    de    Laon  ,  parmi  celles   de 
Pierre  de  Blois  ,  3<)().  Ses  cinrtes  ,611. 

fîtt»-,  abbé  de  Vaux-Siriiai.  Son  éloge, 
555.  Lettre  qui  le  coocerne,  55t'. 

Guy  deLusighak,  roi  de  Jérusalem  ,  puis- 
de  Chypre.  Comment  il  devint  roi  de  Jéru- 
salem ,    57.  Il  perd  ce  royaume  ,  et  achète 
ou  reçoit  en  don  celui  de  Chypre  ,  58-  As- 
sise» qu'on  Iri  attribue  ,  5y.  \  oy.  Aisiscs. 

Gvf     B>    Bi»*iJtTii.i.B  ,    précepteur    dvt 


ET    DES   MATIEllES. 


635 


ïeiiiple  en  Orient.  Lettre  sur  l'état  des  Chré- 
tiens eu  Asie,  97. 

Guidon  [saint).  Sa  légende  ,  611. 

GuiouES  II ,  prieur  de  la  grande  Char- 
treuse ,  ne  doit  pas  être  confondu  avec 
Guigurs  I.  Époque  de  saprélaltiie  et  de  sou 
abdication  ,  IJ.  Son  traité  de  Scala  Paradiii, 
iiiJ.  Autre  ouvrage  à  lui  aliibuo  sou»  ce 
titre  ,  De  Quadripartito cxeivitio  cellœt  12. 

GuiLLiUJiE  DE  Chvmpvgke,  évéque  de 
Chartres ,  et  successivement  archevêque  de 
Sens  et  de  Reims,  cardinal  du  titre  de  Sainte- 
Sabine.  Histoire  de  sa  Vie,  5o5 — 517.  Ses 
lettres  au  nombre  de  seize,  5 18 — 5  j  2.  Chartes 
relativesàdes  élrablissemenlsd'utiliié  publi- 
que, 5a3.  Gautier  de  Lille  lui  dédie  son  poème 
d'Alexandre,   10». 

GuiitvcME  deLosc-Champ, évéqiied'Ely 
en  Angleteire.  Ses  aventures  ,  267 — ifig.  Ses 
lettres  et  chartes,  Ï71 — 174-  Lettre  à  lui 
adressée  par  Pierre  de  Blois,  357- 

Guillaume  Kiimo»o,  évéquede  Mague- 
4unDe  ,  auteur  d'Homélies  et  de  poésies,  611, 
6i3. 

GufLLiCME  uïThahiîiàg,  siniènie  prieur 
de  Grandmont ,  est  auteur  d'un  opuscule  in- 
titulé Quales  siint,  imprimé  parmi  les  œuvres 
de  Pierre  de  Blois,  406.  Deux  lettres  rela- 
tives au  meurtre  de  saint  Thomas  de  Cantor- 
béri,   l4o. 

GuillaumbD-vroiica  ,  religieux  de  Grand- 
mont,  auteur  de  la  Vie  du  J3.  Hugues  de  La- 
certa,  i44  et  suiv. 

Guillaume,  abbé  de  la  Prée  dans  leBerri, 
fut  fait  abbé  de  Citeaux  l'an  1 18() ,  et  mourut 
l'an  1 194  ,  5S.  Ses  statuts  pour  l'ordre  mili- 
taire de  Calatrava  m  Espagne,  5(3- 

£uiixiuME  ,  abbé  d'Orbais,  auteur  d'une 
relation  de  la  translation  du  corps  de  saiiit 
Rieul ,  évéque, de  Senlis,  6|3. 

Guillaume ,  abbé  de  Notre-Dame  de  Blois. 
Lettre  de  Pierre  de  Blois  à  lui  adressée,  371. 

Guillaume  de  BLOi5,frére  de  l'archidiacre 
de  Bath,  auteur  d'une  tragédie,  d'une  comé- 
die et  autres  pièces  perdues,  4i5.  Deux 
lettres  que  lui  écrit  son  fièrc,  368. 

Guillaume ,  diacre  de  l'église  de  Bourges, 
Juif  converti ,  auteur  de  plusieurs  écrits 
eontre  les  Juifs,  536. 

Guillaume  oeBalauh  ou  Balazvr, poète 
provençal.  Se»  aventures  et  ses  chants  ,  447 
—449- 

Guillaume  Mite  ,  poète  proven<;al  ou 
jongleur,  dont  il  ne  reste  point  de  produc- 
tions, 466. 

Guillaume  de  Saiht-Didibb  ou  Saiht- 
Laidifr,  poète  provençal.  Ses  ouvrages, 
parmi  lesquels  sont  confondus  ceux  de  Gaus- 
serant ,  son  fils  ou  petrt-Cls,  449 — 454. 

GuiMAH  ou  WiMAïf,  moine  de  Saint-Vast 
d'Arras,  auteur  ou  compilateur  d'un  cartu- 
laire  <le  la  même  abbaye ,  96. 


Guion  de  Bourgogne.  Sa  Vie  eu  vers  fran- 
çais, 4^1' 

GuiTEB  ,  abbé  de  Saiut-Loup  à  Troyes  eu 
Champagne,  auteur  d'une  petite  Histoire  do 
sou  monastère,  283. 


H. 


HiiMu.v  ,  religieux  de  Saint-Denis,  aulelir 
d'une  relation  de  la  vérification  des  corps 
de  saint  Denis  et  ses  compagnons,  ouviagu 
innl-à-propos  attribué  à  d'autres  Haimon  , 
3o5,  3o6. 

Haillon  de  f-andacnp.  Sa  Vie  -par  Gcofroi , 
sous-prieur  de  Sainte-Barbeau  pnys  d'Auge, 

7ï- 

Bémeline.  Sa  Vie  par  Goswin ,  moine  de 
Clairvaux  ,617. 

Henri  de  Stdly:,  archevêque  de  Bourges. 
Lettre  qae  lui  adresse  Etienne  de  Tournai, 
573. 

Henri,  évéque  de  Bayeux.  Deux  lettres  de 
Pierre  de  Blois  à  loi  adressées,  354- 

Henri  de  Dreux,  évéque  d'Orléans.  Leitro 
que  lui  écrit  Pierre  du  Blois,  au  sujet  de  la 
dimesaladine,  353. 

Henri  //,  roi  d'Angleterre.  Sa  lettre  au  pape 
Alexandie  III,  parmi  celles  de  Pierre  do 
Blois,  398.  Lettres  à  lui  adressées  par  le 
même,  346.  Son  éloge ,  35o  ,  37$  ,  3g6. 

Hiluire  [sainC)  du  Maine.  Sa  légende,  624. 

Hubert,  archevêque  de  Canlorbéri.  Deux 
lettres  de  lui  parmi  celles  de  Pierre  de  Blois, 
393. 

Hugues  de  Garlande  ,  évéque  d'Orléans. 
Lettres  à  lui  adressées  par  Etienne  de  Tour- 
nai, 575,  577. 

Hugues  (saint),  évéque  de  Lincoln.  Sa 
Vie  par  un  de  ses  contemporains,  614.  On 
n'a  de  lui  que  des  statuts  pour  des  reli- 
gieuses, Gi5. 

HuGt9Es  DE  NosAirr,  évéqne  de  Coven- 
try.  Son  caractère,  3 12.  Écrit  une  lettre  inju- 
rieuse et  diffamatoire  contre  Guillaume  de 
Longchamp  ,  évéque  d'Ely  et  régent  d'Angle- 
terre, 3i3.  Réponse  à  cette  lettre  par  Pierre 
de  Blois,  357. 

Hugues  (saint),  ahbé  de  Bonnevaur  en  Dau- 
phiné.  Sa  Vie  par  un  anonyme,  618. 

Hugues  Fouciut,  abbé  de  Saint- Denis. 
Recherches  sur  sa  Vie  et  son  séjour  en  Sicile, 
274  et  suivantes.  Son  histoire  de  Sicile ,  277. 
Lettre  de  Pierre  de  Blois  à  lui  adressée,  36y. 

Hugues,  aUhé  de  Marchiennes.Sa  Vie  écrite 
par  un  de  Ses  religieux ,  89. 

Hugues,  prieur  de  Saint-Martin  de  Seeï , 
auteur  d'une  vie  d'un  saint  personnage  qui 
n'est  pas  nommé  ,  77. 

Hugues  de  Limoges ,  auteur  de  trait** 
théologique»  et  liturgiques ,  6i3. 

LIII2 


6"3G 


TABLE   DES  AUTEURS 


Hugues  de  Lacerta,  religieux  de  Grandmout. 
Sa  Vie  tciilc  par  Guillaume  Dandiua  ,  i45. 

I.       J. 

Jean  de  Céihurie,  évéque  de  Cambrai  ,  au- 
teur, selon  Vincent  de  Beauvain,  d'une  Vie 
de  saint  Thomas  de  Cantorliéri ,  6i5.  Jetle 
l'interdit  sur  les  terres  du  comte  de  Flandre, 
Sfig.  Lettre  à  ce  sujet  à  l'époque  de  Tournai , 
itid. 

Jean  de  Belinais,  évéque  de  Poitiers,  puis 
archevêque  de  Lyon.  Deux  leltiesà  lui  écrites 
par  Etienne  de  Tournai ,  S^o,  54  j. 

Jean  de  Sa/hùiiri ,  évéque  de  Chartres.  Cinq 
lettres  à  lui  adressées  par  Pierre  de  Blois  , 
35i  et  suiv. 

Jean, abbé  deBaugcraisen  Touraine-Cinq 
lettres  de  lui  àGeofrui ,  sous-prieur  de  Saînte- 
Baibe,  7?. 

Jean ,  abbé  de  Ste  -  GcncTiève.  Lettres  que 
lui  adresse  Éticuue  de  Tournai,  563,  564» 
57a. 

Je.ih  ,  abbé  de  Gemblou.  Lettre  sur  la  dé- 
vastation de  son  abbaye  par  les  comtes  de 
Namuret  deHainaut,  609. 

Jean  de  Nai^chi ,  abbé  de  Saint-Martin  de 
Tournai.  Son  démêlé  avec  l'évéque Etienne, 
■566,58i. 

ir.w  ,  abbé  de  Vancelles.Sa  lettre  à  Henri 
duc  de  Basse-Loriaine  ,  608. 

Jean  de  Carcna  ,  do)  en  de  l'église  d'Oi - 
léaus.  Synode  tenu  à  Sens  à  l'occasion  du 
nu'urire  C0H)mis  sur  sa  personne  ,  533. 

Jeih,  religieux  d'Ourcamp,  auteur  de 
Satinons  ,  6io. 

Jka»,  moine  de  Saint-Bertin,  auteur  d'une 
légende  de  saint  Erkimbodon,  6i5.  ' 

Jean  d'Alieh ,  prêchait  à  Liège  vers  1195, 
611. 

Jea:»  de  Lyok,  l'un  dts  chtfs  de  la  secle 
des  Vaudois.  Ses  écrits  réfutés  par  le  moine 
Keinier,  5o3. 

Jean  /e  NtveJois^  auteur  de  la  î'cngeance 
d' Alexandre ,  suite  Au  roman  d'Âlexandrc- 
Je -Grand  ,  istS. 

Je.vh  Priobat,  poète  français.  Traduction 
en  vers  de  Vpgèce,(/e  Ile  militari ,  491- 

Ingeburge,  leine  de  France.  Sa  lettre  à 
Guillaume  de  Champagne,  archevêque  de 
Reims,  674. 

Joscelin ,  évéque  de  Salisburi.  Lettre  que 
lui  écrit  Pierre  de  Blois,  36o. 

Juifs.  Un  empereur  fuit  élever  à  leurs  frais 
une  statue  d'ur  à  sou  échanson  qu'ils  avaient 

~^*»  *7-  ...  ,  .     . 

'limita.  On  dé.s-gne  ainsi  quelquefois  1  as- 

lociation  foiniée  par  les  communes,  parce 

qu'un  serment  la  cimentait,  5  et  6.  Voy.  60m- 

munes. 

Justice.  Un   traité   sur    la    manière  de    la 

rendre,  3 14.  On  croit  que  c'est   le  premier 


ouvrage  de  jurisprudence  écrit  en  français  , 
iliid. 


Lambf.rt-lf.-Petit,  tnoiue  de  Saint-Jac- 
ques à  Liège.  Sa  chronique,  86. 

Lambert,  prieur  de  l'abbaye  de  Saiirt- 
Va.st  d'Arras.  Ses  poésies  latines  ,  C)3. 

La.mburt  li  Cohs,  poète  fraiiçiiis.  Com- 
pose avec  Alexandre  de  Paris  ,  le  roman  en 
vers  d'Alexandre-le-Grand ,  119. 

Lambert  de  Bruges,  évéque  de  Térouane. 
Lettres  à  lui  adressées  par  Etienne  de  Tour- 
nai ,  55<),  504,  567,575. 

Lanùri  de  ^aiognes.  Traduit  en  français  le 
Cantique  des  Cantiques ,  à  l'usage  de  Bau- 
douin II,  comte  de  Guines  ,  5oi. 

Laurent,  arcllidiacre  de  Poitiers.  Lettre  de 
Pierre  de  Blois  à  lui  adressée  ,  36a. 

Li'fici  {saint),  y^rétrc  du  diocèse  de  Chiloiis- 
sur-Marne.  Sa  légende,  614. 

Louis  ,  (ils  du  I  oi  Philippe  Auguste.  Lettre 
que  lui  écrit  Etienne  de  Tournai ,  567. 

I-UCESDE  Gast,  l'un  des  auteurs  ou  trans- 
lateurs des  anciens  romans  de  la  Table  ronde, 
traduisit  le  roman  de  Tristan  ,  et  couimença 
celui  du  Saint-Gjaal ,  493. 

M. 

Mainier,  abbé  de  Saint -Florent  de  San- 
mur.  Lettre  écrite  en  sa  faveur  pirmi  celles 
de  Pierre  de  Blois ,  400. 

Manasses  de  Car'amle ,  évéque  d'Orléans. 
Lcitre  à  lui  adiessée  par  Etienne  de  Touinai» 
544. 

Manvieu  (saint),  évéque' de  Bayenx.  Sa  It- 
gcnde,  6a3. 

Matuieu  DR  Venuûme,  poète  latin,  ne 
doit  pas  être  confondu  avec  Mathieu  de  Ven- 
dôme, abbé  de  Saint  Denis,  4^°-  Quelques 
pniticularités^ur  .-a  Vie,  4ai.  Son  poëme  de 
Ti^bje,  4a4-  Etl'''"n*  de  cet  ouvi.ige,  426. 
Autres  ouvrages  qu'on  lui  aitiibue,  4'8. 

Mathieu  ,  abbé  de  Ninove.  Quelques-uui 
de  ses  écrits,  i34  <"'  suiv. 

Macrice  db  SuiLT,  évéque  de  Paris.  Sa 
Vie,  i4g — i53.  Ses  chartes,  i55.  Set 
lettres,  i55  et  i56.  Ses  sermons,  i56 — i5f. 

SIégèce  (saint),  évéque  de  Besançon.  Sa  lé- 
gende ,  635. 

MÉLioR  on  Meichtor  ,  cr.rdinal  du  titre 
de  Saint-Jean  et  Saiiit-Panl.  Preuves  qu'il 
était  italien  ,  et  non  fiançais,  3i5.  Pourvu 
de  bénéfices  dans  plusieurs  églises  de  France, 
il  fut  ïidame  de  l'église  de  Reims  et  aichi- 
diacredeLaon,3i7.  L'an  ii84,  le  paiie  I.u- 
cius  m  réleva  au  cardinalat ,  3i8.  L'an  1193, 
il  fut  envoyé  légat  en  Fiance,  ibid.  L'anné» 
suivante  il  réussit  à  concilier  pour  un  lenij» 
1rs  rois  de  Fiance  et  d'Angleterre,  .3m). 
L'an  1196,  il  tiut  à  Paiis  un  couciUr  a  l'uc- 


ET  DES  MATIERES. 


687 


G^sion  du  divorce  de  Philippe-Auguste  et  de 
l»  reine  Ingeburge,  itù/. 

Michel  db  Corbeij.  ,  arcbevéque  de  Sens. 
Bignités  qu'il  avait  remplies  dans  l'église 
avant  de  parvenir  à  l'cpisropat,  3i4>  ^55. 
Ses  écrits,  3j5  et  3i6. 

N. 

Kirehn  de  Ckerisi,  évéque  de  Soissons.  Son 
démêlé  avec  l'ibbayç  de  Saint- Jean-des-Vi- 
gnes,  544 >  i^g-,  5S5.  Jeue  l'interdit  sur  Im 
terres  du  comte  de  Soissons  ,  5S4-  Sa  lelUe 
à  É^nue  de  Touinai ,  56o. 

Q. 

Officiatité;.  Abus  dans  l'exercice  de  ces 
ionctions  ,  367. 

Orléanais,  employés  à  Rome  cumme  no- 
taires on  necréuiret  du  Pape,  SlH  ,  i-]i. 


As/M',  supérieur  ans  canons  de  l'église, 
jyî. 

PçKECRiN,  abbé  de  Fontaines-Ies-BIanches 
au  diocèse  de  Toors.  L'Histoire  et  le  cartu- 
laire  de  son  monastère,  34o. 

PirnoLs  d'auverciir,  poète  provençal, 
qu'il  faut  distinguer  de  Pierre  d'Auvergne, 
autre  troubadour.  Ses  aventures  ,  4^4  >  455. 
Ses  chansons  galantes  et  trnsous,  4^6. 

Philib.  ri  (mini)  Relation  de  ses  miracles 
par  Bernard  de  Saiut-Ronialn  ,  f)i6.       ^ 

PuiLipre  D'ALS^cs,  comte  de  Flandre. 
Lois  et  établissemens  de  ce  prince,  1 — (i. 
Chartes  en  faveur  de  quelques  églises,  10. 

Pierre  de  Pttvie .  cardinal  de  Saint-Chryso- 
gonc,  puis  évéque  de  Tusciilum.  I.ettie 
d'Etienne  de  Tonriiai  à  lui  adressée ,  537. 

Pitrre,  évéque  d'.\nas.  Lettre  de  Picri» 
de  Blois  à  lui  adressée,  353.  Autres  lettres 
que  lui  écrit  Elieuue  de  Tournai ,  566,. $70, 
571,  5«i. 

Pitrn-,  évéque  du  Puy  en  Velay.  donne  à 
i'abboye  de  Sainte- Euverte  d'Qili-aus,  le^ 
prieuié  de  Doé  dans  son  diocèse,  534- 

PI  rre  Mi ;el ,  évéque  de  Périgueux.  Lettre 
de  Pierre  de  Blois  à  lui  adressée,  359- 

Pierre  MiR<iEr,  abbé  d'Andres.  Sa  Vie, 
48  et  4;)   Légende  de  Sainte  Rwtiude,  5o. 

PiEi^RBuEKA  vHDi,  prieur  de  Grandmont, 
puis  !'au  nfiS ,  jjrieur  ou  correcteur  des 
Bons  Hommes  du  bois  de  Vincennes.  Ses 
Littres  a  Henri  II,  roi  d'AugUttEie,  i37tt 
suiv. 

Pierre  oe  Blois  ,  archidiacre  deBath ,  en 
Angleterre.  Sa  Vie,  341.  Ses  lettres  à  Henri  II, 
roi  d'Angleterre,  34''.  Lettres  à  des  souve- 
rains pontifes,  347.  Lettres  à  des  cardiuau)! ,  I 


348.  Lettres  à  des  archevêque»,  ibid.  Lettres 
à  des  évèques,  35 1.  Lettres  à  des  doyens  et 
archidiacres  de  chapitre,  36i.  Lettres  à  de» 
abbés ,  367.  Lettres  à  des  prieurs  ou  de» 
moines,  i-ji.  Lettres  à  des  chanoines  ou 
autres  clercs,  373.  Lettres  à  des  savans  ou 
gens  de  lettres,  378.  Lettres  à  des  compagnons 
d'études  et  amis,  38i.  Lettres  écrites  au  nom 
d'autres  personnes,  388.  Ses  sermons,  40 ■• 
Ses  opuscules  ,  402.  Editions  de  ses  œuvres  , 
41 1.  Sa  doctrine,  son  érudition,  sa  manière 
d'écrire,  4"- 

Pierre  de  Blois,  chancelier  de  l'église  de 
Chartres,  condisciple  et  ami  du  précédent, 
4i5.  Remontrances  que  lui  fait  son  ami  sur, 
son  goût  pour  la  poésie ,  et  ses  occupation» 
aussi  vaines  que  dangereuses,  4'C.  On  a  lieu 
de  croire  qu'il  avait  composé  des  vers  fran- 
çais et  des  ronuns,  4 ■7'  I'  *'st  aussi  auteup 
de  commentaires  sur  les  psaumes,  et  d'homé-  . 
lies  sur  les  évangiles  ,  418. 

Pierre  le  Cuahthe  de  l'église  de  Paris. 
Recherches  sur  ie  lieu  de  sa  naissance  ,  ï83 
et  suiv.  Son  ycrbum  abl>rfviatum ,  a88 — 395. 
La  somme  des  sacrenien»,  196—598.  la 
grammaire  des  théologiens  ou  de  Tropis  tkéo- 
logicis^  598.  Stiinma  qua  dicitur  Abil ,  ow  >/.- 
pbuèeCiiin  morale  pro  concionatoribus  ,  200. 
Autres  écrits  à  lui  attrfbués  ,  3oo. 

Pierre  de  Bir/\c  ,  poète  provea^  ,  ami 
de  Guillaume  de  Balaun,  dont  il  partagea 
Us  aventures  ,  4^8. 

Pierre.de  BoTitjiAO,  poète  provençal, 
auteur  de  sirveiitts  et  de  s;ityres  contre  les    y 
femmes  ,414- 

Pierre  Raisio^^),  poète  provençal ,  au- 
teur de  bonne»  chansons,  4^7.  Ouvrage» 
qu'on  lui  attribue,  459. 

Pirbrb  Rogiehs,  poète  provençal.  Ses 
aventures  ,  459-  CéKbre  dans  se»  ver»  la  vi- 
corolesse  de-Narbonne ,  460. 

Pierre  de  Suiiit-Clost ,  poète  français ,  auteur 
dir  testament  d'Alexandre,  suite  du  ruinan 
d'Ail  xandre-lc-Grand,  n5.i 

Pierre  de  la  Vebsè&ue,  poète  proven- 
çal. Ses  avenlures,  aS.  Auteur  d'nn  poëme 
sur  la  prise  de  Jérusalem  par  Saladin,  a6. 

Pierre  Vid\l,  poète  provcnç;:!  des  plus 
célèbres  cl  des  plusexti avagans  de  son  siècle. 
Ses  aventures,  470 — 4/3.  Analyse  de  quel- 
(jues-unes  de  se.s  poésies ,  où  l'un  troui  e  plus 
de  sagesse  qu'il  n'y  eu  avait  dans  ses  action.» , 
474. 

Pl4Cbht|«,  jariseonsulle,  ouvre  »  Mont- 
pelliei-  la  première  école  de  droit  romain  qui 
ait  existé  eu  Frauce,  27.  Sa  mort  et  snn  épi- 
taphe,  jB.  Ou  a  faussement  prétendu  qu'il 
n'était  pas  français,  sg.  Ses  éciits,  3i  et  suiv. 

/'once,  évéque  de  Clerinout.  Sa  lettre  à 
.Maurice  ,  évéque  de  Paris  ,  sur  la  foruje  du 
baptême,  53j. 

PossDB  Cai'Deuil,  poètc  provcnçal ,  pos- 
sédait une  baioi:ie  dans  le  uiocètc  du  i'iiy,  . 


638 


TABLl-:   DES   AUTEURS 


^  ■!■>.  Examen  des  poésies  qui  nous  resteut  de 
lui,  i4- 

Poirs  DE  L*  Gardv,  poète  provençnl  dont 
on  conserve  onze  clia'nsons  ,  460.  Sirvcnte 
cootre  les  œœurs  du  siècle,  .{61. 


R 


Haoul ,  évèquc  d'Angers.  Lettre  de  Pierre 
fle  Blois  à  lui  adressée  ,  353. 

Haoîtl  de  F'arficfti/e ^  évêque  de  Lisieux. 
Lettre  de  reproches  que  lui  adresse  Pierre 
de  Blois,  358. 

Raoci,  ,  évéque  de  Liège.  Sa  Vie,  16 — 18. 
Statuts  contre  les  incendjairss  et  les  dépré- 
dateurs des  biens  d'église,  18.  Quelques 
chartes  de  ce  prélat  ,  itid. 

R.koui.  DE  Serues,  doyen  de  l'église  de 
Tleiras.  On  lui  attribue  une  chroui(|uc  qui 
porte  le  noin  de  Raoul-le-Noir ,  et  un  traité 
de  l'art  militaire,  147,  148.  Lettre  que  lui 
écrit  Etienne,  abbé  de  Sainte -Geneviève 
pour  l'engager  à  rétablir  la  vie  commune 
dans  son  chapitre,  55a. 

Raoul  de  flcauvais,  grammairien.  Lettre  que 
lui  adresse  Pierre  de  Blois,  378. 

RiY.MOHD  V,  comte  de  Toulouse.  Sur 
quelqucsactc'sdu  gouvernement  de  ce  prince, 
5y.  Le  serment  qu'il  prêta  en  1 157,  et  la  for- 
mule dans  laquelle  il  juça,  60.  Quelques 
autres  chartes  de  lui ,  ibid.  Ses  lettres,  dans 
Tune  desquelles  il  parle  de  quelques  rede- 
vances ou  contributions  que  l'on  payait  alors, 
61  et  Gj.  Une  autre  dirigée  contre  les  héré- 
sies de  Pieire  de  Bruis  et  de  Henri  son  dis- 
ciple ,  63.  Réglenont  de  police  et  d'adminis- 
tration publique  qu'on  lui  doit,  64. 

RvTMOND  DE  UuRFOBT,  poi-te  provençal, 
Qucrcinois  ,  compose  de  société  avec  Truc 
Malec  des  sirventes  qui  n'ont  rien  de  bien 
remarquable,  4*'». 

R.vY.MOKD  JoRD.iH,  vicomte  de  Saint-An- 
toni ,  poète  provençal.  Ses  aventures  ,  4*>4  < 
4(55. 

Renaud  de  Bar,  évéque  de  Chartres.  Lettres 
que  lui  écrit  Pierre  de  Blois  toucbant  la  dîme 
saladine  ,  35i ,  376. 

Renaud ,  évêque  de  Bath  en  Angleterre. 
Lettres  de  Pierre  de  Blois  à  lui  adressées, 
355,  377. 

Renaud,  comte  de  Dammartin  et  de  Bou- 
logne. Sa  rapacité  ,  557. 

Hichard,  archevêque  de  Cantorbéri.  Sept 
lettres  de  lui  parmi  celles  de  Pierre  de  Blois, 
388 — 39a .  Autresà  lui  adressées  par  le  même, 
349,387.  ^ 

Richard,  évéque  de  Londres.  Lettre  que 
Pierre  de  Blois  lui  écrit ,  358. 

Richard,  évéque  do  Syracuse  en  Sicile. 
Lettre  de  Pierre  de  Blois  à  lui  adressée,  36o. 

Richard Q\x  Robert,  archidiacre  de  Lisieux  , 


savant  jurisconsulte.   Lettre    d'Etienne  de 
Tournai  à  lui  adressée,  565. 

RiKHARD-CoEUB-DE-Lios,roi  d'Anglcterrp» 
n'étant  encore  que  comte  de   Poitieis,  fré- 

3uente  la  cour  de  Raimond  Bérenger,  comte 
e  Provence ,  et  compose  des  vers  dans  la 
langue  des  troubadours  ,  3jo.  11  reste  de  lui 
deux  sirventes  dont  on  cite  quelques  stro- 
phes, 3ii. 

Rietd  {saint)  ,  évéque  de  Senlîs.  Relation  de 
la  translation  de  «es  reliques  par  Guillaume, 
abbé  d'Orbais,  6i5. 

Robert ,  pi  évôt  de  l'église  d'Aire  ,  chance- 
lier de  Philippe  ,  comte  de  Flandre.  Lettre 
de  Pierre  de  Blois,  contenant  contre  hii  une 
Invective  véhémente,  348. 

Robert,  abbé  de  Saint-Victor  de  Pari». 
Lettre  que  lui  envoie  Etienne  de  Tournai  y 
avec  l'épitaphe  de  Maurice  de  Sully,  évéque 
de  Paris ,  574. 

Robert,  professeur  de  philosophie  à  Tour- 
nai, puiA  abbé  de  Clairvaux,  9a. 

Robert  de  Borhon,  et  Hélis  de  Horron  , 
continuent  la  traduction  des  romans  de  la 
Table  ronde  sous  les  titres  de  Joseph  d'Ari- 
inathie  ,  Au  Saint-Graal ,  et  de  Merlin,  497. 
HéJis  publia  seul  le  roman  de  Palamèdes , 
ibid. 

Roger,  doyen  du  chapitre  de  Lincoln. 
Lettre  de  Pierre  de  Blois  à  lui  adressée,  36a. 

Roger  ,  doyen  de  l'église  de  Rouen.  11  se 
livre  long-temps  à  l'élude  de  la  jurispru- 
dence ,  3a7.  11  professe  les  arts  libéraux  à 
Paris  ,  ibid.  Sermons  qu'on  lui  attribue,  ibid. 

Roe;er,  prieur  de  Saint-Abraham  au  diocèse 
de  Saint-Malo  ,  auteur  d'un  écrit  dont  parle 
Geofroi ,  sous-prieur  de  Sainte-Barbe,  76. 

Rolande  (sainte).  Sa  légende ,  6a3. 

Rotrou  ,  archevêque  de  Rouen.  Sept  lettre» 
de  ce  prélat  parmi  celles  de  Pierre  de  Blois , 
394—396. 

Rotrou  du  Perche,  évéque  de  Châlons-sar- 
Marnc.  Son  sacre,  $76. 

RusTiciEN  de  Pise  ,  a  traduit  du  latin  en 
français ,  le  Roman  de  /Init,  de  Meliadus,  père 
de  i'iistan,  et  de  Giron-le-Courtois ,  497. 
Ses  ouvrages  sont  plus  connus  que  sa  per- 
sonne, ibid. 


Sail  de  Scoi..k  ,  poète  provençal ,  natif  de 
Bergerac  ,  fréquenta  la  cour  de  la  vicomtesse 
de  Narbonne ,  466.  On  a  ses  poésies  ,  ibid. 

Savari,  évéque  de  Bath.  Lettres  de  Pierre 
de  Blois  à  lui  adressées,  357,  -^^o. 

SiMO!»  de  B0UJ.0GSE,  traducteurde  Solin, 
5oo.  Il  paraît  qu'il  était  aussi  poète,  et  qu'on 
pourrait  lui  attribuer  le  poërae  des  Fait*  J* 
Troues,  etc.,  5oi. 

Songes tt augures.  Leur  vanité,  384- A"''** 
superstitions,  ago. 


ET   DES   MATIÈUES. 


T. 


639 


Tiii„logir.  Vices  dans  l'enseignement  de  la 
théologie,  îSg. 

Thibiud,  comte  de  Blois  ,  sén^rlial  de 
France.  Ses  lettres,  14. 

Thojus,  raoine  de  Froidinont.  Klépie  dans 
laquelle  il  décritles  aventures  singulières  de 
"  ,'""''  M»''guerile,  ï65.  Autres  ouvrages 
qu'il  avait  composes ,  367. 

Thomas  rK  Cistebcien  ,  Thomas  de  Per- 
ifigne,  et  Thomas  de  l'aiice/les ,  paraissent 
n'avoir  été  qu'un  seul  personnage,  3a8.  On 
attribue  à  tous  les  trois  un  commentaire  sur 
le  Cantique  des  Cantiques, imprimé  l'an  i5ai, 
3>.q.  Autres  écrits  qu'on  lui  attribue ,  333. 


Tournai.  Uéniéies  des  lialiitans  avec  le 
clergé  an  sujet  delà  commune  ,  5^0 et  Syi. 

Tkug  MiLEC  ou  Malet ,  poète  provençal, 
collaborateur  de  Pavmond  de  Durfoi  t  ,  46». 

Tuohe,  aulenr  d'un  écrit  dont  parle  Geo- 
fioi  de  Saintt-Bnrbe,  jy. 


réronne  (sainte).  Sa  légende  ,  6îi. 

ViTAi  DE  Blois,  poète  latin  ,  auteur  d'un 
puëine  intitule  De  Qiieru/o.  C'est  l'imitation 
d'une  ancienne  pièce  atliibuéeà  Pliiute,  419. 
L'Amphilrjon  ,  poème  qui  ne  nous  est  pas 
parvenu  ,43». 


FI.V    DE    H    TABLE    DES    AUTFDRS    ET    «rS    MATIÈBES. 


»-».^V*'*-*''*^»-*«.%-»  V*>»»/» ■VV»'^V%*,%»»%%^*. ■»»»,»*. V%*,*^V*^%».%%^%%*%*%*<%*^-V\'V».VVfc^* 


ADDITIONS 

AUX    NOTICES  SUR  DIVERS  POÈTES  PROVENÇAUX 
DU  Xir  SIÈCLE. 


XII  SIECLE,  j  EVDANT  qu'on  itiiprimait  ce  XV*  volume  de  notre  his- 
toire littéraire ,  M.  Raynouard  ,  secrétaire  perpétuel  de 
i'académie  française,  et  membre  de  raeadémie  des  Inscrip- 
tions et  Belles-Lettres,  publiait,  pour  faire  suite  à  sa  gram- 
maire de  la  langue  romane,  un  choix  de  poésies  originales 
des  troubadours.  Un  assez  grand  nombre  de  pièces  de  ce 
recueil,  appartiennent  à  des  poètes  dont  on  trouve  lés  ar- 
ticles dans  notre  histoire  littéraire  du  XII*  siècle.  Quelques- 
tines  avaient  été  mentionnées  par  nous,  d'autres  nous  étaient 
inconnues.  Comme  il  entre  dans  notre  plan  de  faire  con- 
naître ceux  des  ouvrages  de  nos  auteurs,  qui  ont  été  publiés 
par  la  voie  de  l'impression,  nous  allons  indiquer  ici  quels 
sont  les  troubadours,  mentionnés  dans  nos  précédens  vo- 
lumes, qui  ont  fourni  des  pièces  au  recueil  récemment  pu- 
blié, et  quelles  sont  ces  pièces. 

Nous  observerons  que  dans  le  volume  qui  paraît  en  ce 
moment,  M.  Raynouard  n'a  inséré  que  des  chansons  et 
pièces  erotiques  de  nos  troubadours.  Dans  les  volumes  sui- 
vans ,  il  se  propose  de  publier  leurs  poèmes  moraux ,  saty- 
riques  et  historiques. 

Hist.  Llitér.  GuiM.ÀUME  IX,  COMTE  DE  PoiTOU. — Le  rccucil  de  M.  Ray- 
t.  IX,  p.  3?'  «^  nouard  contient  de  ce  poète  deux  chansons,  qui  ne  sont  pas 
t.  XIII,  p.  42;    cgiies  Que  nous  avons  citées  dans  les  deux  articles  qui  lui 

Choix  de  Poe-  ,7  ,      ,  ^        1  •   ^    •  •* 

iies  des  Trou-  Ont  ete  coiisacres  dans  notre  histoire. 

^Hu"LUtér.       Rambaud  d'Orange. — Des  vingt-huit  pièces  que  l'on  pos- 

t.Xll,  p.  471^  sède  encore  de  ce  troubadour,  on  en  trouve  trois  seulement 

dans  le  recueil  ;  elles  confirment  ce  que  nous  disons  de  la 

dureté  de  ses  vers.  Témoin  la  strophe  qui  commence  ainsi  : 

cil.  de  Poés.  Er  no  sui  ges  mais  et  astrucx,  etc. 

desTr. ,  p.  19- 


ADDIT.  AUX  NOTICES  SUR  DIV.  POÈTES.     64 1 


XII  SIECLE. 


Hist    Lillér. 


AzALAÏs  DE  PoRCAiRAGUEs. — On  n'cii  j)ublie  qu'une  seule 
chanson  :  et  ce  ne  paraît  pas  être  celle  qui  est  indiquée  dans 

'.     ,  ^  r       '  ••  ^  ■  t.  Xin,p.  /422. 

notre  article  sur  cette  temme-poete.  ch.  de  Poé». 

Elias  ou  Elie  de.Barjols.' — Parmi  les  quatorze  ou  quinze       iiist.  Littér. 
pièces  qui  restent  de  lui,  il  n'y  en  a  que  trois  qui  soient  t.xiv,  ji,  38. 

*^   ^    ,      1 ,  ,  .,       '  •'  ^  *  Ch.  de  Poés. 

entrées  dans  le  recueil.  desTr.,p.35i. 

Guillaume  de   Cabestaing. — Nous  avions  indiqué  sept  ^  JJ'f •  Luter. 

.,,,._  .,  .  .  T.  l        t.  XIV,p.2lo. 

pièces  de  lui.  Le  recueil  en  contient  cinq.  ch.  de  Poé*. 

des  Tr. ,  p.  1 06. 

Geoffroi  Rudel. — Les  cinq  pièces  que  nous  lui  attribuons       Hist-  Littér. 
dans  son  article,  sont  publiées.  *"  ^.^  àrPoé?! 

desTr. ,  p.  94. 

Guillaume  Adhémar.  —  Nous  n'avions  rien  cité  de  ce  Hist.  Littér. 
poète.  On  trouve  trois  chansons  de  lui,  dans  le  recueil.  *  cî7'd^  p^é 

des  Tr.  ,p.  192. 

PoNS  DE  CAPDUEiL. — Le  fccueil  renferme  douze  chansons  ^i**'-  Littér. 
de  ce  troubadour.  Il  y  en  a  une  dans  laquelle  il  nomme  "ch.'dépoés. 
cette  Azalaïs^  dont  pous  parlons  dans  l'article  qui  le  con-  desTr.^p.igi. 

cerne  : 

Ai!  quais  dans  es  de  mi  dons  n'Âzaiaïs! 

Alphonse  II,  roi  d' Arragon. —  La  seule  chanson  de  ce  t.  xv,p.  i58. 
roi ,  qui  se  soit  conservée,  est  dans  le  recueil.  ch.  de  Poés. 

'   ^  des  Tr., p.  118. 

Arnaud  de  Maruetl. — Douze  pièces  de  ce  troubadour,      Hist.  Litter. 
,  ,.  ,        ,  ,  -1    1VT  '      •  •  -^  '  j     1    •  t. XV,p. /,4i. 

publiées  dans  le  recueil.  Nous  n  avions  rien  cite  de  lui.  ci,,  je  Poës. 

des  Tr.,  p.  199. 

Bérekcer  de  Palasol. —  Six  chansons  de  lui,  publiées  Hist.  Littér. 
dans  Ip  ré-rnpil  t.  XV,  p.  443. 

aans  le  recueil.  ch.dePoés. 

desTr.  ,p.  a3i. 

Giraud  de  Salagnac. —  M.  Raynmiard  écrit  Salignac.  Il  ^''' ^i'/'' 
a  publié  deux  chansons  de  ce  troubadour.  '  ch.'dé  Poés. 

de»Tr.,p.  'ig^. 

G.WAUDAN  LE  ViEux — M.  Rayuouard  a  publié  deux  des       Hist.  Litiér. 
pièces  de  ce  troubadour,  que  nous  n'avions  qu'indiquées  *'c^'jeVoés 
dans  son  article.  L'une  est  une  espèce  de  romance  on  pas-  des  tr.,p.  i65. 
tourelle  ;  l'autre  ne  contient  que  des  plaintes  amoureuses. 
On  trouvera  sans  doute  dans  lés  volumes  suivans  du  recueil, 
le  sirvente  qu'il  fit  pour  appeler  tous  les  rois  de  la  chrétienté 
au  secours  d'Alphonse  IX,  roi  de  Castille,  contre  les  Maures. 

La  COMTESSE  DE  DiE.-— Il  n'y  a  dans  le  recueil  que  trois  t.xv'p.  î'^. 
Tome  Xy,  M  m  m  m 


6q2      ADDIT.  AUX  NOTICES  SUR  DIV.  POÈTES. 

- -   piècçs  de  cette  dame.  Nous  en  citions  quatre  d'elle ,  dans 

ch.  de  Poés.  notre  article. 

tics  Tr.,  p.  22. 

Hist.  Liitér.       PiERRE  DE  Barjac. —  Nous  avons   re'uni   dans  un    seul 
t.  XV,  p.  447.    article,  Guillaume  de  Balaun,  et  Pierre   de  Barjac,  parce 
cil.  de  Poés.  qu'ils  furent  toujoui-s  amis  inséparables.  M.  Raynouard  ne 
de» Tr., p. 242.  publie  qu'une  seule  pièce  du  second.  Ce  n'est  pas  proba- 
blement le  si/vente  dont  nous  avons  lait  l'analyse  dans  notre 
article,  car  on  n'y  trouve  aucun  des  traits  satiriques  que 
cite  M.  G.,   auteur  de  l'article.  Et  pourtant,  c'est  aussi  un 
congre  qu'il  prend  de  sa  dame, .et  qu'il  termine  par  ces  deux 
vers  : 

Jbiel.  p.  243.  Fe  que  m  de\etz,  si  be  us  sui  aziros, 

Prendeiz  cotnjas  de  mi  qu'  ieu  '1  pren  de  VOS. 

Hist.  Litién       GUILLAUME  DE  Saint-Didier.  —  Le  rccucil  contient  trois 

{.  XV,  p.  449.    chansons  de  ce  Guillaume  de  Saint-Didier.  On  y  trouve  sou- 

Ch.  dePoes.  ^^^^^^  j^  ^^^^  ^j^  g^j^  ^j^j  Bertrand.  Notre  article  apprend 

tics  Ir.,  p.  208.  ,  ,  .       ,,      .  .  ,  .  f^r^    ,. 

que  ce  prétendu  ami  n  était  autre  que  la  marquise  de  Poli- 
gnac  sa  maîtresse,  dont  il  avait  inte'rêt  de  déguiser  le  véri- 
table nom. 

iiist.  Liiiér.       Peyrols  d'AuvERGNE. — M.  Raynouard  ne  donne  point  à 
t.  XV,  p.  454.    ce  troubadour  son  surnom  d'Auvergne.  Des   trente    pièces 
de  lui,  que  contient  le  manuscrit  cité  dans  notre  article,  il 
ch.de Pots,  n'en  publie  que  six,  parmi  lesquelles  on  distingue  le  joli 
des  Tr. ,  p.  268.  dialogue  dont  nous  avions  transcrit  un  couplet.  Nous  trou- 
verons sans  doute  dans  quelque  volume  suivant  le   chant 
historique,   qu'il  composa  pendant  son  séjour  à   la  Terre- 
Sainte,  sur  les  désastres  des  chrétiens. 

L'envoi  qui  termine  une  des  chansons  recueillies  par 
M.  Raynouard,  offre  le  nom  de  la  dame  de  Mercœur,  sa 
maîtresse. 

Ihid.  p.  274.  ^*'  messatgier,  lai  a  Mercoill  lo  m  ren 

A'I  comtessa  cui  jois  e  pretz  manteîgna. 

Hist.  Liitér.       PiERRE  Raïmond; — Le  recueil  contient  cinq  chansons  de 

ftXV,  p.  458.    ce  troubadour,  parmi   lesquelles  se  trouve  celle  que  nous 

ch.de  Poés.  mentionnons  dans  notre  article  :    elle   commence  par  ce 

de» Tr., p.  120.    VCrS  : 

Enquerra  mi  vai  recalivan  ,  etc. 

Hist.  Littér.       PiERRE  RoGiKRS. — Dans  Ics  ciuq  chansons  de  Pierre  Ro- 
»; XV, p. 459.    giers,  pubUées  par  M.  Raynouard,  il  y  en  a  une  où  il  ce- 


ADDIT.  AUX  NOTICES  SUR  DIV.  POÈTES.      643 
lèbre  la  vicomtesse  de  Narbonne  sa  dame,  en  la  de'signant    ^"  sieclk. 
sous  le  nom  de  Tort-n'avetz.  C'est  la  quatrième.  Il  la  nomme      Ch.  de  Poés. 
encore  dans  l'envoi  d'une  autre  :  '^^^  ^'^'  '  P"  *' 

Bastart,  tu  vai  Ibid.  p.  34- 

£  porta  m  lai 
Mon  sonnet  a  mon  Tort-rC avetz. 

Pons  de  la  Garda. — On  ne  voit  dans  le  recueil,  qu'une  H'st-  Littér. 
pièce  de  ce  poëte,  quoiqu'il  y  en  ait  onze  de  conservées,  '"^h'.deî'oé's. 
dans  le  manuscrit  de  la  bibliothèque  du  roi,  que  nous  citons  des  Tr., 11.266. 
dans  notre  article. 

Saïi,  de  Scoi,A. — ^La  seule  chanson  de  ce  troubadour,  qu'on       Hist.  Littér. 
ait  publiée  ,  paraît  avoir  été  faite   pour   la   vicomtesse   de  '•  ^^'  P-  '^^^; 
Narbonne,  à  la  cour  de  laquelle  il  vivait.  Elle  finit  par  des  Tr. ,  p.  2*54! 
ces  vers  : 

Deu  prec  e  sainta  Maria  ^^^  p  ^55 

On  que  na  Biatritz  sia 

De  Naibona,  que  ill  don  jài^ 

E  ill  cresca  son  pretz  veraL 

Bernard  de  Ventadour. — C'est  le  poëte  qui  a  fourni  le  Hist.  Littér. 
plus  de  pièces  à  M.  Raynouard-  Le  recueil  en  contient  jus-  t.  xv,p.  467. 

au'à  vingt-deux  ,  dans  la  première  desquelles  se  trouve  celle  ^^^  Tr./p^Ta^ 
ont   nous  avons  cité  une  strophe  dans  notre  article  sur 
Bernard  de  Ventadour.  On   en   trouve   une    autre   où   on 
lit  le  nom  de  Del-Vezer ,  qu'il   donnait  à  Agnès  de  Mont- 
Luçon,  premier  objet  de  ses  amours. 

Bels  vezers ,  si  no  fos  jhid.  p.  53. 

Mos  enans  totz  en  vos, 

leu  laissera  chansos  > 

Per  mai  dels  enuios. 

Pierre  Vidal. — 11  n'y  a  dans  le  recueil  que  quatre  chan-      Hist.  Littér. 
sons  de  Pierre  Vidal.  Quiconque  aura  lu  notre  article  sur  t-X.v,p.  470. 
ce  poëte ,  désirera  stirement  de  trouver  dans  les  volumes 
suivans,  la  pièce  très-instructive  oii  Vidal  décrit  les  mœurs 
des  gentilshommes  et  des  troubadours  de  son  temps.  Mais 
M.  Raynouard  a  du  moins  publié  une  chanson  qui  rappelle 
une  des  époques  les  plus  singulières  de  la  vie  de  l'insensé      ^j^  ^^  p^^^ 
troubadour,  ses  amours  avec  la  dame  qu'on  appelait  Louve  de»Tr,,p.3i8. 

M  m  m  m  a 


G44      ADDIT.  AUX  NOTICES  SUR  DIV.  POÈTES. 

1  de  Penautier,  pour  laqueHe  il  fit  tant  de  folies.  Dans  une 

Strophe,   il  se  regarde  comme  honoré  d'être  appelé  Loup. 

Ibid.  p,  3a3.  E  sitôt  lop  m'apellatz , 

No  m'o  tenh  a  Ueshonor , 
Jiï  si  m  cri(ion  li  pastor-. 
Ni  si  lu  sui  per  lor  cassalz  ; 
E  àm  mais  boscx  e  boisso 
':^o  faut  palaitz  ni  niaizo', 
Et  ab  joi  li  er  mostrieus 
Entre  vent  e  gol  e  nieuS. 
La  loba  dits  que  sieus  so, 
Et  a  ben  drog  e  razo , 
Que  per  ma  fe ,  mielhs  sui  sieu» 
"Que  np  sui  d^utrui  ni  mieus. 


^^^v«^««^«i'»«  v^-^vv^ 


'^i^»V»)*'V«>*'«.v*Wv*^*»i*'*>*"*'*^-**-**'*^»^'*'»^'*''V^*-v^'»'*^'*'*'*'**^  ■*••■* 


TABLE  GÉNÉRALE 

DES  ÉCRIVAINS  DU  XII"  SIÈCLE, 

^ONT    I  ES    ARTICLES  SONT    CONTE^ÏJS   DANS    LES  TOMES  IX  ,    X  ,   XI , 

XII,  XllI,  XIV  ET  XV  Db  l'histoire  littéraire  de  frakcjs. 


A  Br.kVD ,  abbé  d'un  monastère  inconnu, 

XII,  44/i- 
Abei.ard.  Voyez  Pierre. 

AcHAM>,  abbé  de  Clairvaux ,  XIII ,  4 1 o- 
AcHino,  abbé  de  Saiut-Victor  de  Paris, 

jiul»  évécjue  d'Avranches,  XIII,  453. 
AD*LGisE,molnedeSaint-Thierri,  XI,  lo. 
AoAuou  Petit  PoHt,  professeur  à  Pari», 

XIV.  189. 
Adam,  rlianoine  régulier  de'Sainl- Victor 

de  Paris ,  XV,  39.     ... 
Adulaiuk   ou  Gertruue,    diicliesse   de 

Lorraine,  auteur  de  lellres,  XIII,  568. 
AuELBERT  ut TouttSEi., évoque  dcMeude, 

XlV,  6a3 

AuELiiLMF.,  moine  à  Flaix  ,  ÏX,  386. 

Ai)RttK  IV,  pape,  XIII,  i.''7. 

AuRiEN,  prévôt  de  l'é«lise  de  Maubêu^e, 

XIII,  413.    * 

AiMERic ,  troisième  i>atriarclie~laiin  d'An- 

tioche.XIV,  383. 
"AiMON,  abbé  de  Saint-fietre  sur  Dire, 

XII,  357.  ' 

AiNARD    UE    MoTRESc ,    arclievêq-e  de 

Vienne ,  XV,  419. 
Alain,  évéque  d'Auxerre,  XlV,  354. 
"A14BÉR1C  DE  RirMS,  archevêcpe  de  B(îur- 

ges,  XII,  7a. 
Albérig,  cardinal, é>(îquctrOs)!e.,  XllI, 

73. 

AlbÉrIC  DE  VlTRT,  XV,   6l3. 

Albéron  ,  évêque  de  Verdun  ,  XII ,  5 17. 
Alberon  DE  MossTEBOi. ,  atcUcvêque  de 

Trêves,  XIII,  121.  , 

Albert  d'Aix,  hist.  des  Croîs. ,  X ,  '27^. 
Albeet  Cailla,  poctoprov.    XV,  l^(i'i. 


AicflE» ,  ihoine  de  Clairvatix  ,  XTI,  6ffî. 
Alexandre    de    Paris,  poète  français, 

XV,  rig  et  iCo. 
Alexandre,  abbé  de  Jumiépcs,  XV,  610. 
Alfrius,  poète  français,  XIII,  114. 
Alger  ,  scholastique  de  Liège ,  puis  moine 

de  Cluni,  XI,  1 58. 
Alphonse  II ,  roi  d'Arragon  et  comte  de 

Provence,  XV,  1 5b. 
Alulfe  ,  moine  de  Saint-Martin  de  Tour- 
nai ,  XII,  244. 
Alvise,    abbé   d''Anchin  ,    puis  évêque 

d'Arras,  XIII,  71. 
Amanu  dv  Cbatel,  abbé  de  Marchiennes, 

XI,  211. 
Amat,  àrclievêquede  Bordeaux  ,IX,  226. 
Amairt,  roi  de  Jérusalem,  XIII,  4-89. 
Amahry,  patriarche  de  Jérusalem,  XIV, 

iGa. 
Amédée,  abbé  de  Haule-Combe  ,  puis 

évéque  de  Lausanne,  XII,  576. 
An  tiHÉ,' chanoine  régulier  de  Saint- Victor 

de  Paris,  XIII,  408. 
André  ,  grand  prieur  de   Fonlevraud , 

XI,iGS. 
André  Sylvois,  prieur  de  l'abbaye  de 

Marclàennes ,  XA',  87. 
Anscher,  abbé  de  Saint -Riquier,  XI, 

611. 
Assf.lle  ou  Anseau,  préchanire  de  l'é- 
glise du  S^iinl-Sépulcre  ;  X  ,  400. 
AssEXJiE  (saint) ,  archevéquede  Cantor- 

béry,TX,3è8. 
AitSELMK  DE  Laon,  prof,  à  Paris,  X,  170. 
Anselme,  àbbé  de'Gemblou,  XI,  6»3. 
AstHELME    ou  Nantbelme  ,    évèque   de 

Bellry,  XIV,  6  ta. 
Ars AVD  Dapiïi  ,  poète  proY. ,  XV,  4î/j. 


646 


TABLE  GÉNÉRALE. 


Aknàud  be  MiRTEiL,  poète,  XV,  44i- 
Ahnauld  ,  abbé  de  Saint-Pierre-le-Vif  à 

Sens,  Xm,  38. 
Arnauld  ou  Arnold,  vaudois,  XV,  5o4. 
ARNont. ,  abbé  de  Lapny,  IX ,  290. 
Arwocl  ou  Ersocl,  abbé  de  Saint-Martin 
^      de  Seez,  puis  de  Troarn,  IX,  5ig. 
Arnoul  ou  Ernupule,  cvèquede  Roches- 

ter,  X,  427. 
Arw ouL,  prédicateur  flamand ,  XII ,  29a. 
Arnoul,  prieur  de  Saint-Thomas  d'Am- 

boise,  auteur  d'opuscules,  XIII,  584- 
Arroul,  évêque  de  Lisieux,  XIV,  3o4. 
Arnoul,  chanoine  régulier  du  mont  Saint- 

Eloi,XV,  94. 
Arnulfe,  doyen  de  Féglise  de  Bruges, 

XV,  61 3. 
Atton,  évêque  de  Troyes ,  XII,  226. 
Aymé  de  Varanne»,  ou  de  Chatillon, 

poète  français,  XV,  486. 

AZALAIS     ou     AdkLE     DE     P0KCAIRAGU>5 , 

femme  poète^  XIII,  l\ii. 

B. 

Barthélemi  nE  Jura,  cvéque  de  Laon, 
XII,  524. 

Barthélemi,  évêque  d'Excester,  XIV, 
334. 

Basile,  huitième  prieur  de  la  Grande- 
Chartreuse,  auteur  de  lettres,  XIII, 

579- 
Baudoin    V,  comte   de    Hainaut  et   de 

Flandre,  XV,  i32. 
Baudouin  I,  roi -de  Jérusalem,  X,  204. 
Baudouin  IV,. roi  de  Jérusalem ,  XIV,  35 1 . 
Baudouin,  moine  de  Saint-Remi  de  Reims, 

XII,  234. 

Bauori,  évêque  de  Noyon,  IX,  578. 
Baudri,  évêque  de  Dol  en  Bretagne, XI, 

Bauori,  scholastique  de  Trêves,  XII,  077. 

Baudouin  II,  évêque  de  Noyon,  auteur 
de  lettres ,  XIII ,  572. 

Benoit  DE  Sainte-Maure,  poète  anglo- 
normand,  XIII,  4^3. 

Bérencer  de  Palasol,  poète  provençal, 
XV,  44a. 

Bernard,  moine  à  Bayeiix,  IX,  2g3. 

Bernard,  abbé  de  Tyron,  X,  210. 

Bernard  II ,  vicomte  de  Béarn  et  de  Bi- 
gorre,  X,  20. 

Bernard,  doyen  de  l'église  de  Soissons, 
X,268. 

iÇB&NARD,  archevêque  de  Tolède,  XI,  56. 


Bernard  ,  archidiacre  de  Braguc,  XI,  1 1'8. 

Bernard  des  Portes,  chartreux,  évêque 
de  Belley,  etc.,  XII,  420. 

Bernard  de  Varan,  prieur  de  la  Char- 
treuse des  Portes,  XII,  4'*. 

Bernard  ,  chanoine  de  Tours,  XII ,  80. 

Bernard  DE  MoRLAS,  religieux  de  l'ordre 
de  Cluni,  XII,  236. 

Bernard  de  Chartres,  dit  Svlvestris, 
professeur  de  belles-lettres,  XII,  261. 

Bernard,    moine    de   la    Chaise -Dieu, 

XII,  627. 

Bernard  (saint),  abbé   de  Clairvaux  , 

XIII,  129. 

Bernard  ,  professeur  à  Paris,  puis  évêque 
de  Quimper,  XIH,  376. 

Bernard,  évêque  de  Saintes,  auteur  d'o- 
puscule» ,  XIII ,  590. 

Bernard  Arnaud  ut  Mortluc  ,  poète 
provençal ,  XIII ,  420- 

Bernard,  évêque  de  Nevers,  XIV,  610. 

Bernard,  abbé  de  Font-Cauld,  XV,  34. 

Bernard  de  Vestadour,  poète  provençal, 
XV,  467. 

Bernard  de  Saint-Romain,  abbé  de  Tour- 
nus,  XV,  616. 

Bertère  ou  Berthier,  clerc  de  l'église 
d'Orléans,  XV,  337. 

Bebtrand  de  Blanchefort  ou  Blanque- 
FORT,  grand  — maître  des  Templiers, 
XIII,  400. 

Bertrand  d'Allamon  ,  l'ancien ,  poète 
provençal,  XV,  443. 

Bertrand  de  Poitiers  ,  moine  de  Beau- 
lieu  en  Limousin,  XV,  6i3. 

Blondel  ou  Blondeau  de  Nbsles,  chan- 
sonnier français,  XV,  127. 

BosoN,  abbé  du  Bec,  XI  ,619. 

Bruno  (saint),  instituteur  des  Chartreux, 
IX,  233. 

Brunon  ,  évêque  de  Strasbourg ,  XI ,  1 56 , 

BuRCHABD,  abbé  de  Balerne,  XIII ,  "iiZ. 

c. 

Cailixte  II ,  pape ,  5o5. 

Chrestien  de  Troyes,  poète  français,  XV, 

193. 
Chrétien,  moioe  de  l'Aumône,  auteur 

d'opuscules  ,  XIII,  584. 
Chrétien  ,  moine  de  la  Sauve-Majenre , 

XV,  616.  r 

Claralde,  diacre  de  Melï  ,  XII,  445. 
Clarembaud  ,  archidiacre  de  l'église  d'Ar- 

ras,  XII,  445. 


DES  ÉCRIVAINS  DU  XII*  SIÈCLE. 


<5/,7 


CiARius,  moine  de  Saiiit-Picrre-le-Vif; 
X,  Soi. 

CoNoïf,  cardinal  cvêque  de  Palestine, 
XIII,  3o. 

CoNSTANTiw,  prieur  d'Hérival ,  auteur  d'o- 
puscules,  XIII ,  5b6> 


D. 


David ,^ poète  anglo-normand,  XIII,  64. 
DiR(la  comtesse  de),  poète  provençale, 

XV,  446. 
DRocoM,moinede  Saint-André  de  Bruges, 

X,  iS-i. 
Dhoooti,  archidiacre  de  Lyon,  auteur  de 

lettres,  XIII,  670. 


E. 


ÉBtES  DE  Ventadour  ,  poète  provençal , 
^XIII,  119., 

Êbremau  ou  ÉvERMEK ,  patrîarcke  de  Jé- 
rusalem, X,  394- 
ÉtiE  DE  Barjols,  poète  prov.  ,XIV,  38. 
Erlebolde  ,  doyen  de  l'église  de  Cam- 
brai, X,  270. 
Ermencard,  abl>é  de  Saint-Gilles,  XV, 

3«. 
Kbnaud,  abbé  de  Bonneval,  XII,  535. 
ERvisE,abbc  de  Saint-Victor,  XIV,  6i  i. 
EsTiEN.iE,  comte  de  Chartres  et  de  Blois, 

IX,  265. 
EsTiENSE  H,  abbé  de  Saint -Jacques  à 

Liège,  IX,  5ai. 
Etienne,  abbé  de  Notre-Dsme  d'Yorck, 
.  X,  14. 

Etiesnk  dk  Muret  (saint),  X,  410. 
Etienne  (saint),  troisième  abbé  de  Ci- 

teaux,  XI  ,  2i3. 
Étiekne  ,  chanoine  régulier  de  l'abbaye 

de  Pebrac,  XI,  122. 
Étienwe  de  Bavcé  ,  évêque  d'Autun ,  XI , 

710. 
Etiesti E  DE  Senlis  ,  cvéqoe  de  Paris»  XÏI , 

i5i. 
Étiekke,  clerc  de  l'église  de  Paris, XII, 

260. 
Etien>e  de  Chalmet,  chartreux ,  XII , 

425. 
Etiewke  de  Rouen,  moine  du  Bec,  XII, 

675. 
Etienne   de    Garlande,   chancelier  du 

royaume,  XIII,  io5i 


Étienkk  ,  archevêque  de  Bourges ,  auteur 

de  lettres,  XIII,  58o. 
Etienne,  archevêque  de  Vienne  en  Dau- 

phiné,  XIII.  328. 
Etienne,  abbédeCluni,  auteur  de  lettres, 

XIII,  58i. 

Etienne  de  Focgères,  évéque  de  Reimes, 

XIV,  10. 

Etienne  de  Baucé  ,  évêque  de  Màcon , 

XIV,  618. 

Etienne  de  Liciac  ,  prieur  de  Grand- 
mont,  XV,  i36. 

Etienne,  abbé  de  Sainte-Geneviève,  puis 
évéque  de  Tournai,  XV,  5a4' 

Eudes  dk  Vàudbmont,  évéque  deToul, 

XV,  3o6. 

EtrsTACHE  ,  religieux  du  monrSaint-Eloi, 

XIV,  608. 
EvERABD  ou  Eberard,  poète  français 

XIII,  67. 
ÉvERLiN ,   prévôt    des    Prémonlrés    de' 

Steinfeld,  XII,  447. 
ÉvERLiN  DE  FocK,  abbé  de  Saint-Laurent 

de  Liège  ,  XIV,  3oo. 
Evrard  ou  Eurard  ,  religieux   du  Varl— 

des-Ecoliers,  XV,  611. 

F. 

Fastrède,  abbé  de  Citeaux  ,  XII,  628. 

FouLCABD,  abbé  de  Laubrs,  IX,  348. 

FoLCBER  DE  CHARTRES ,  histOTten  dcs  Croi- 
sades, XI,  47- 

Foulque,  auteur  d'un  poème  historique 
de  la  première  Croisade,  XII,  85. 

Foulque,  prieur  de  Deuil,  XII,  a49. 

Foulques  Rechin,  comte  d'Anjou,  IX, 
391. 

Fbancon,  second  abbé d'Afflighem ,  XI, 
588. 

Frédéric,  évêque  de  Liège,  X,  3 19. 

FuLCHERÉDE,  moine  de  Saint-Martin  dtf 
Séez,  X,  268. 

G. 

Galbkrt,  moine  de   Marchiennes,   XI, 

412. 
Galbebt,  historien  de  Charles-le-Bon  j 

comte  de  Flandre,  XI,  i4i. 
Galon,  évêque  de  Paris,  X,  94. 
Galon  ou  Walon  ,  professeur  à   Paris  , 

XI,  4'5. 

Garik  d'Apchier,  poète  prov. ,  XIV,  565. 
Garnier  ,  moine  de  l'Abbaje  deTouraus, 

IX,  5i5. 


648 


TABLE  GENERALE 


Gaeime»  ou  Warkie»  l'Homiuaibe,  re- 
ligieux de  Westminster,  X,  23. 

Gauitieb  ,  sous-prieur  de  Saint- Victor  de 
Paris,  XIII,  /Jog. 

Casses  le  Blond,  poète  franc. ,  XV,  494- 

Gaucelin,  évèque  deLodéve,  XIV,  Syg. 

Gaultier  de  Lille  ou  ue  Chatillon, 
poète  latin,  XV,  loo. 

Gautier  ,  abbé  de  Saint-Amand ,  5ÇI ,  lî. 

Gautier  le  chancelier,  historien ,  XI ,  33. 

Gautier,  évèque  de  Maguelone,  XI,  8i. 

Gautier,  historien  de  Cliarks-le-Bon , 

XI,  137. 

Gautier,  moine  de  Melun,  XI,  63o. 
Gautier  pe  Compiècnb,  moine  de  Mar- 

moutier,  XII,  491. 
Gautier  de  Mortacne,  évèque  de  Laon, 

XIII,  5ii. 
Gautier,  prieur  de  Salnt-Vlctor ,  xiv, 

549. 
Gautier,  abbé  d'Arrouaise,  XV,  45. 
Gautier  Map,  poète  anglo-norm. ,  XV, 

494. 

Gautier,  archevêque  de  Palerme,  XY> 
.611. 

Gataudan,  poète  provençal,  XV,  445. 

Genard  (maître) ,  computiste ,  XV,  6 1 3. 

Geoffroi  Babion,  archi-scolastique  d'An- 
gers, IX,  521. 

Geoffroi  (saint),  abbé  de  Nogent,  puis 
évèque  d'Amiens,  X,  267. 

Geoffroi,  abbé  de  Vendôme,  XI,   177. 

Geoffroi -le- Gros  ,  moine  de  Tiron, 

XII,  163. 

Geoffroi,  évèque  de  Châlons,  XII,  i85. 
Geoffroi  deLoroux,  archevêque  de  Bor- 
deaux ,  XII,  541. 
Geoffroi  Gaimar  ,  poète  anglo-nornjand, 

XIII,  63. 

Geoffroi  de  Lèves, évèque  de  Chartres, 
XIII,  82. 

Geoffroi  Fulchier  ou  Focche»,  cheva- 
lier du  Temple,  XIV,  3o. 

Geoffroi,  prieur  de  l'abbaye  duVigeois, 

XIV,  337. 

Geoffroi  de  Pérowne  ,  prieur  de  Clair- 
vaux,  XIV,  426. 

Geoffroi  d'Auxehre,  secrétaire  de  Saint- 
Bernard,  XIV,  43o. 

Geoffroi  Rudel  ,  poète  provençal ,  XIV, 
559. 

Geoffroi,  sous-prieur  de  Sainte-Barbe, 
XV,  69. 

Georges  ,  moine  de  l'abbaye  de  Breteuil , 
XII,  449- 

Gérard,  archevêque  d'Yorck^  IX,  3j6. 


Gbrardou  Girard,  évèque  d'AngouWin.e» 

XI ,  596. 

Gerar  »,  abbé  de  Fosse-Neuve,  XIV,  6 1  r . 
Gérard,    GiRiLD    ou    Giraud  ,    évèque 

d'Albi,  XIV,  609. 
Gérard  ou   Géralp  Ithier  ,  prieur  de 

Grandmont,  XV,  142. 
Gérard  Hector  ,  évèque  de  Cahors,  XV» 

609. 
Géraud  ou  Gérasd  de  Villacèses,  abbé 

de  Saint-Augustin  de  Limoges,  IX, 

279- 

Géraud,  abbé  de  ChezaUBenoit ,  X ,  268. 

Géraud  ou  Giraud-lk-Roux,  poète  pro- 
vençal, XIII,  3o6. 

Géraud  de  Salagnac,  idem,  XV,  444- 

Gerland,  chanoine  régulier  de  Besancon, 

XII,  275. 

Gemoi»  Hazarew,  rabin,  XIII ,  2. 
GiRKUN,  palriarclie  4e  Jérusalem,  IX. 

565. 
GiBuiN,  archidiacre  de  Troyes ,  XII ,  2^0. 
Gilbert,  l'upiverjel,  évèque  deLondres, 

XI,  236. 

GiLRERT  DE  Mous,  chaneelicrdu  comte  de 
Hainaut,XII,  236,  XV,  129. 

Gilbert  de  la  Poerée,  évèque  de  Poi- 
tiers, XII,  466. 

Gilbert  ou  Gislebert,  moine  de  Saint- 
Laurent  de  Liège,  XII,  Sag. 

Gilbert  dit  le  Grand,  abbé  de  Cîteaux, 

XIII,  38 1. 

Gilbert  ou  Gislebert  de  Hoilaitdia, 

XIII,  461, 

Giluuin,  abbé  de  Saint- Victor,  XII,  477i 
Gilles  ,  évèque  d'Evreux ,  XIV,  12. 
Gilles  Clémekt,  ministre  d'élat,  XIV, 

217. 
GiLON,  cardinal,  évèque  de  Tuscnlum, 

XII.  81. 

Girald,  chanoine  de  Compostelle,  XI, 

H7- 
Girard  de  Naïarzth  ,  évèque  de  Laodicée 

en  Syrie,  XIII,  3oo. 
Girard-Pucelle,  évèque  de  Coventry, 

XIV,  3oi. 

GiRADD,  évèque  de  Valence  en  Dauphiné, 

XIII,4i2- 

Gislebert,  évèque  d'Evreux,  X,  18. 
Gislebert  Crispin,  moine  du  Bec,  puis 

abbé  de  Westminster,  X,  19a. 
GisLEMAR,  religieux  de  Saint-Germain- 

des-Prés,  XV,  6i3. 
GoDEFROi.  prieur  de  la  ca  thcdralc  de  Win- 

cester ,  IX,  352. 
GoDEFROi ,  é\ éque  de  LangreSjXIH»  349, 


DES  ÉCRIVAINS  DU  XIV  SIECLE. 


64g 


GoDSFRoi,   chanoine   de  Saint -Victor, 

XV,  69. 
CfODESCALE,  cvêque  d'Arras,  XIII,  469- 
GoKDULFE ,    évêque  de   Rochester,  IX, 

369. 
GoNTiER ,  moine  à  Saint-Amaud,  IX,  38i. 
GoscELiN  ,  doyen  de  l'église  de  Beauvais , 

X,43i. 
Goswis   ou  GozEvi»  (le  bienheureux), 

moine  de  Clairvaux,  XV,  616. 
Grégoire  d'Aster  ,  abbé  de  Sainl-Pé  de 

Générés,  IX,  567. 
Grégoire  Bécdide,  historien,  X,  Ito'i. 
GcAKii» ,  abbé  de  Sainte-Geneviève, 'XV, 

5o. 
GoÉBiN    DES    EssARTS  ,  abbé   de  Saint— 

Évroul,  XI,  G37. 
GuÉRiif  ou  Garin-j,e-Bbuk  ,  poète  pro- 
vençal ,  XV,  /|63. 
CuerrÎc,  abbé  d'Igni,  XII,  45o. 
GuiBERT,  abbé  de  Nogent ,  X,  433. 
GuiBF.RT,  moine  de  Foigny ,  XIII  ,  585. 
GuicHARD,  abbé  de  Pontigny,  XIV,  179. 
GuiouES ,  cinquième  prieur  de  la  Grande- 
Chartreuse,  XI,  640. 
Guiches  II ,  prieur  de  la  Grande-Char- 
treuse, XV,  II. 
GotLLAUAME  DE  Ros  ,  abbé  de  Fécamp , 

surnommé  la  Pucelle,  IX,  33o. 
Guillaume  ,  archevêque  de  Rouen  ,  IX, 

/,90. 
Guillaume,  abbé  de  Cormeille,lX,  49» • 
Guillaume    de   Champeaus  ,   évêque  de 

Châlons-sur-Marne,  X,  ^07. 
Guillaume,  moiiTe  de  Saintc-AValbnrge 

à  Chesler  en  Angleterre,  X ,  n. 
Guillaume  IX,  comte  de  Poitiers  et  duc 

d'Aquitaine,  XI,  37,  XII,  42. 
Guillaume,  abbé  de  St  Thierri ,  XII ,  3 1 2. 
Guillaume   de   Conçues  ,    professeur    à 

Paris,  XII ,  455. 
Guillaume,  religieux  de  Saint-Denis  en 

France,  XII,  545. 
Guillaume  de  Coreeil,  archevêque  de 

Cantorbéry,  XIII  ,  55. 
Guillaume  VI,  seigneur  de  Montpellier, 

et  Guillaume  VII,  XIII ,  324. 
Guillaume  Godel  ou  Godeau,  moine  de 

Saint-Martial  de  Limoges,  XIII,  5o8. 
Guillaume,  chanoine  de  Grenoble,  XIII, 

587. 
GoiLLACME  d'Andozile,  archcv.  d'Auch, 

XIII,  591. 
Guillaume  de  CHERsauRC ,  poète  latin, 

XIII,  592. 
Guillaume,  abbé d'Auberiye ,  XIV, 200. 

Tome  XF. 


Guillaume  d'Acquit,  poète  provençal, 
XIV,  209. 

GuiLLACMr.  DE  Cabestaiw  ,  poètc  proven- 
çal ,  XIV,  210. 

Guillaume  de  Gap,  abbé  de  Saint-Denis, 

XIV,  374. 

Guillaume  AdhImar,  poète  provençal, 

XIV,  567. 
Guillaume,  archev.  de  Tyr,  XIV,  587. 
Guillaume  Templiers  ou  Tempeks,  abbé 

de  Reading,  XIV,  609. 
Guillaume  ,  bibliothécaire  de  l'abbaye  de 

Marmouliers,  XIV,  609. 
Guillaume  dit  de  Narbosne  ou  deToucy, 

évêque  d'AuxczTe,  XIV^,  616. 
Guillaume  Passavant,  évêque  du  Mans, 

XIV,  619. 

OiiiLLAUMK ,  nbbé  *le  la  Prc'e  ,  puis  de  Cl- 

teaux  ,  XV,  55. 
Guillaume    de    Trahiniac  ,    prieur    de 

Grandmont,  XV,  140. 
Guillaume  Dandina  ou  de  Saikt-Saviu 

rcligieu.x   de  l'ordre  de   Grandmont, 

XV,  144. 

Guillaume  dk  Longchaup,  évêque  d'Ély, 
XV,  267. 

Guillaume  de  Blois,  frère  de  l'archi- 
diacre de  Balh,  Pierre,  XV,  41 3. 

Guillaume  de  Balaun,  poète  provençal, 
XV,  447- 

Guillaume  de  Saint-Didier  ,  poète  pro- 
vençal, XV,  449- 

Guillaume  Mite  ,  poète  provençal ,  XV, 
466. 

Guillaume  de  Champagne  ,  cardinal ,  ar- 
chevêque de  Reims  ,  XV,  5o5. 

Guillaume  Raimond,  évêque  deMague- 
lonne,  XV,  612. 

Guillaume,  abbé  d'Orbais,  XV,  6i5. 

Guiman  ou  Wimanne,  religieux  de  Saint- 
Vast  d'Arras ,  XV,  95. 

Guiter  ou  Guithier  ,  abbé  de  St.-Loup, 
à  Troyes,  XV,  282. 

Gurherden,  moine  de  Sainte-Croix  d 
Quimperlé ,  XI  ,45. 

Guy,  archidiacre  de  Verdun,  X,  %o. 

Guy,  chancelier  de  l'église  de  Noyon ,  X, 
*79- 

Guy,  second  abbé  de  Molème,  XI,  208. 

Guy,   évêque  de  Chàlons- sur -Marne, 

XIV,  625. 

Guy  de  Lusignan,  roi  de  Jérusalem  et  de 

Chypre,  XV,  57. 
Guy  de  Basainville,  précepteur  ou  maître 

particulier  de  l'ordre  des  Templier» , 

XV,  97. 

Nnn  n 


65o 


TABLE  GÉNÉRALE 


Guy  «es  Noyers  ,  archevêque  de  Sens , 
XV,  6ii. 

H. 

Hacqi'et,  abbé  des  Dunes,  XIV,  353. 
Haimok  de  Basoche,  tWêque  de  Châlons- 

sur-Marne,  XII,  4ï6. 
Haimon,  traducteur  des  Évangiles,  XIII, 

127. 
Haimon,  religieux  de  Saint-Denis ,  XV, 

3o3. 
Hamon  ue  Landëcop  ,  moine  de  Savigny, 

XIII,  592. 

Hariulee,  abbé  d'Aldeitibork,  XII,  204. 

Héiie  de  Rdffec,  rclijrieux  de  Saint- 
Martial  à  Limoges,  XIII,  SgS. 

HÉEis  de  Borron,  poète  franc. ,  XV,  4y4. 

Héi.oïse,  abbessc  du  Paratlel,  XII, 619. 

Henri,  chanoine  de  Saint-Martin  de  Tour- 
nai, XII,  245. 

Henri  ,  disciple  de  Pierre  de  Bruis  et  chef 

des  Henricicns,  XIII ,  91. 
Henri  de  Blois,  abbé  de  Glastcmbury  et 

évoque  de  Winchester,  XIII,  457. 
Henri   de  France,  évêque  de  Beauvais, 

puis  archevêque  deKeims,  XIII,  54  i. 
Henri,  évêque  deTioyes,  XIII,  576. 
Henri  ,  abbé  de  Diligliem ,  XIII ,  586. 
Henri  le  Libéral,  comte  de  Cliampagne, 

XIV,  2o5. 

Henri  ,  cardinal,  évêque  d'AIbano ,  XIV, 
45i. 

Henri  ,  évoque  do  I,ubeck,  XIV,  608. 

Henri  II,  roi  d'Angleterre,  XIV,  462. 

Herbert  dk  INorwich,  surnommé  Lo- 
zinga ,  X,  265. 

Herbert,  archevêque  de  Torrès  en  Sar- 
daigne,  XIV,  55/|. 

Héribkrt  ,  moine  d'un  lieu  inconnu,  XII, 
446. 

Hébibkand,  abl>é  de  Saint-Laurent  de 
Liège,  XI ,  76. 

Hériman  ,  abbé  de  Saint-Martin  de  Tour- 
nai, XII ,  27g. 

Hébiuan,  moine  de  Saint-Jean  de  Laon, 
XII,  289. 

Hervé,  moine  du  Bourg-Dieu,  XJI,  344- 

Hesson  ,  scholastique  do  Uoims ,  XII,  204 . 

Hi^.zELON  ou  Kzelon  ,  moinc  de  Cluni,  X, 
65. 

HiLAiBE,  disciple  d'Ahélard,  XII,  25i. 

Huuébert,  évoque  du  Mans,  puis  arche- 
vêque de  Tours  ,  XI ,  aSo. 

HiixiN,  archevêque  de  TrcTCS  ,  XIII, 
575. 


Hlmbert  on  Hi'mbert  ,  disciple  de  Saint- 
Bernard,  XIV,  607. 

Honoré,  scholastique  de  l'église  d'Au- 
lun,  XII,  i65. 

Hucles,  archevêque  de  Lyon,  IX,  3o3. 

Hugues  (saint),  abbé  de  Ciuny,  IX,  465. 

Hugues,  archevêque  d'Édesse,  X,  60. 

Hugues,  abbé  de  Flavigni,  X,  7 3. 

Hugues  de  Sainte-Marie,  moine  de 
Fleuri,  X,  285. 

Hugues  tiz  Ribemont,  XI,  11 3. 

Hugues,  archidiacre  deCompostelle,  XI, 
ii5. 

Hugues  (saint),  évêque   de   Grenoble, 

XI,  149- 

Hugues  Farsit,  abbé  de  Saint-Jean  en 

Vallée,  XI,  626. 
Hugues,  chanoine  de  Saint-Victor,  XII,  1 . 
Hiicuïs    KiRsiT,    chanoine    régulier   de 

Saint-Jean   des   Vigne»,   à  Soissons, 

XII,  294. 

Hugues  de  macon  ,  premier  abbé  de  Pon- 
ligny,  puis  évêq.  d'Auxerre,  XII,  408. 

Hugues  Métel,  chanoine  régulier,  XII, 
493. 

Hugues,  cardinal,  évêque  d'Oslie,  XII, 
572. 

Hugues  d'Amiens,  archevêque  de  Rouen, 

XII,  647. 

Hugues  de  Cleers,  sénéchal  de  la  Flèche 
et  deBaugé,  XIII,  33G. 

Hugues,  abbé  d'Humblières ,  puis  d,e 
Saint-Amand,  XllI,  398. 

Hugues  de  Fouilloi  ,  prieur  de  Saint- 
Laurent  de  Heilly,  XIII,  49»- 

Hugues  de  Tbizan  ou  Frazan,  abbé  de 
Cluni,  XIII,  571. 

Hugues  de  Toucy ,  ai-chevêque  de  Sens, 

XIII,  573. 

Hugues,  prieur  du  Mont-Thabor,  XIII, 
578. 

Hugues  de  Poitiers,  moine  de  Vezelai, 
XII,  668. 

Hugues  de  Monceaux,  abbé  de  Saint- 
Germain-des-Prés ,  XIV,  6i5. 

Hugues  de  Mortagne,  prieur  de  Saint- 
Martin  deSéez,XIV,  61 5. 

Hugues  Foucaut,  abbé  de  Saint-Deni» 
en  France,  XV,  274. 

Hugues  de  Ts'onant,  évêque  de  Coventri, 
XV,  3io. 

Hugues  de  Saint- Martial,  moine  à  Li- 
moges, XV,  61 3. 

Hugues  (S.),  évêq.  de  Lincoln, XV,  6i4' 

HuMPB&oi,  prieur  de  l'abbaye  de  Samt- 
Evroul,  XI,  61 3. 


DES  ECRIVAINS  DU  XI1'=  SIÈCLE. 


65  f 


I.  J. 

Ildebold,  compagnon  de  Saint- Robert 

de  Molèrae,  X,  1 1. 
IsAAc,  abbé  de  l'Étoile,  XII,  678. 
Jacob  Bar-Jekar,  rabbin,  XIII,  4. 
Jakenton,  abbé  de  Saint-Benigne,  à  Di- 
jon ,  IX,  526. 
Jean  ,  diacre  et  moine  de  Saint-Ouen , 

X,  262. 
Jeaî»,  moine  de  Bèze,  X,  270. 
Jeax  de  Coutance,  computiste,  X,  43i, 

XI,63i. 
Jeaw,  moine  de  Saint-Evroul ,  XI,  i5. 
Jean  Miobaelfnsis,  auteur  de  la  Règle 

des  Templiers ,  XI ,  66. 
Jean  de  Colmieu,  archidiacre   de   Ter- 

rouane,  XI ,   146. 
Jean,   moine  d'Epternac,  XI,  63 1. 
Jean    de    Mont-Medi  ,    religieux    de    la 

chartreuse  des  Portes  ,  XII,  424. 
Jean  ,    écolâtre   de    Saint -Laurent    de 

Liège,  XII,  53o. 
Jean,  moine  de  Marmoutier,  historien, 

XIII,  353. 

Jean  l'Espagnol,  prieur  de  la  chartreuse 

du  Repos,  XIII,  585. 
Jean  de  Sarisbery,  évoque  de  Chartres, 

XIV,  89. 

Jean  Sakazin,  helléniste,  XIV,  191. 
Jean  de  Cornocaille»  ,  théologien ,  XIV, 

194- 
Jean  Beleth  ,  chanoine  d'Amiens,  XIV, 

218. 
Jean  l'Hermite,  prieur   de    Clairvaux, 

XIV,  222. 
Jean  de  Hantville,  poète  latin,  XIV. 

569. 
Jean  de  Montlaur,  évêque  de  Mague- 

lonne,  XIV ,  626. 
Jean  de  Lyon,  vaudois,  XV,  5o3. 
Jean,  abbé  de  Gemblou,  XV,  6og. 
Jean,  religieux  d'Ourcamp,  XV,  610. 
Jean  d'Alich  ,  prédicateur,  XV,  611. 
Jean    de   Béthune  ,   prévôt   de   l'église 

d'Arras,  XV,  61 5. 
Jean,  moine  de  Sithieu,  XV,  61 5. 
Jehan  Priorat,  poète  franc.,  XV,  491. 
JoNAs,  chanoine  de  Saint-Victor,  XIII, 

578. 
JoscELiN,  évêque  de  Soissons,  XII,  412. 
JoscERAN,  archevêque  de  Lyon,  X,  147. 
JossE,  archevêque  de  Tours,  XIII,  582. 
-TnDAs  Cohen,  rabbin,  XIII,  5. 
JoBAS,  autre  rabbin,  XIII,  6. 


K. 

KiLiNUF.  ET  Herrade,  abbcsscs  de  Ho- 
lienbourg,  XIII,  587. 

L. 

Lambekt,  évêque  d'Arras,  X,  38. 
Lambert,  abbé  de  Poutières,  X,  25x. 
Lambert,  évêque  de  Tournay,  X,  269. 
Lambert,  abbé  de  Saint-Bcrtin ,  XI,  i3. 
Lambert  ,   prieur   de  la   Chartreuse   de 
Squilliac  ou  de  la  Torre,  dans  la  Ca- 
labre,  XI,   14. 
Lambert,  moine    de  Saint-Laurent  de 

Liège,  XII,  529. 
I.AMBKitT,     moine    de    Saint  Mathias    de 

Trêves,  XII,  532. 
Lambert  de   Liège,  traducteur,   XIII, 

114. 
Lambert-le-Bkcue  ,  instituteur  dés  Bé- 
guines, XIV,  402. 
Lambert  Waterlos  ,  chanoine  de  Saint- 

Aubert  à  Cambrai,  XIV,  596. 
Lambert  ,  surnommé  le  Petit ,  moine  de 

Saint-  Jacques  de  Liège,  XV,  85. 
Lambert  ,  religieux  de  Saint- Vast  d'Ar- 
ras, XV,  93. 
Lambert   li-cors   ou   Le   court  ,  poète 

fi-ançais,  XV,  1 19. 
Laurent   de   Liège  ,  moine    de    Saiut- 

Vanne  de  Verdun,  XII,  222. 
Laurent  ,    abbé    de    Saint  -  Vanne     de 

Verdun,   XI,  704. 
Léger  ,    archevêque    de    Bourges  ,    X  , 

280. 
Léon   ou    Léonius  ,    abbé   de    Laubes , 

puis  de  Saint-Bcrtin,  XIII,  317. 
Léonius,    prêtre   de  l'église   de    Paris, 

poète  latin,  XIII,  434. 
Letbert,  abbé  de  Saint-Ruf,  IX,  570. 
LisiARD ,  évêque  de  Soissons,   XI,  26. 
Louis  VI,  dit  le  Gros,  roi  de  France, 

XI,  656. 
Louis  VII,  dit  le  Jeune ,  roi  de  France, 

XIV,  41. 

Luc,  abbé  de  Mont-Cornillon,  XIV,  8. 
LucEs  DU  Gast,  poète  anglo- normand, 

XV,  494. 

LuDOLPHE  ,   prieur   de    Saint-André  de 
Bruges ,  X  ,  268. 

M. 

Macairf.  ,  abbé  de  Fleury ,  XIII ,  3 1 3. 
N  n  n  n  2 


(>52 


TABLE  GENERALE 


Mainakd  ,  abbé  de  Pontigny ,  puis  car- 
dinal, XIV, /,i  8. 
Makassé  ,    archevêque  de    Reims ,    IX  , 

297- 
Manegolde  ,   prévôt  de  Morbach,  IX, 

280. 
Marbode,  évêque  de  Rennes,  X,  39a. 
Marsilie,  abbcsse  de  Saint- Amand ,  à 

Rouen,  IX,  383. 
Martin,    moine   de    Mouliemeuf ,   X, 

ao2. 
Mathieu  ,    cardinal ,  évêque  d'Albano  , 

XIII,  5i. 
Mathieu  d'Akcers  ,  cardinal ,  XIV,  227. 
Mathieu,  abbé  de  Ninove,  XV,  i34. 
Mathieu  db  Vendôme  ,  poète  latin ,  XV , 

420. 

Maurice  BE  Sully,  évêque  de  Pmla,  xv, 

Melchiade  (saint),  moine  de  Clairvaux  , 

X,  268. 
Melior  ou  Melchior,  cardinal  de  l'é- 
glise romaine ,  XV,  3i4- 
Michel    de    Cohbeil  ,     archevêque    de 

Sens,  XV,  324- 
MiLON ,  cardinal ,  évêque  de  Palestrine , 

X,  19. 
MiLON  CBisPiN ,    moine    du    Hec ,   XII , 

333. 
MiioN   I*"^ ,    évêque   de   Térouanne ,  et 

son  neveu  Milon  II,  XIII,  286. 
MoYSE    Haddabschan  ,    rabbin  ,    XIII , 

io3. 

N. 


Nalcobe,  moine  de  Cluni,  XI,  167. 
Nicolas,  moine  du  Bec,  IX,  294. 
Nicolas  ,    moine    de    Saint-Crespin    de 

Soissons,  XI,  72g. 
Nicolas  ,  diacre   de  l'église    de    Liège, 

XII,  iSg. 
Nicolas  ,  prieur  du  Mont-aux-Malades 

à  Rouen,  XIII,   393. 
Nicolas   de    Clairvaux  ,    secrétaire    de 

Saint-Bernard,  XIII,  553. 
Nicolas,  sous-prieur  de  Saint-Victor, 

XIV,  614. 
NiGEi.LE  ,   évêque  d'Ély ,    au  comté  de 

Cambrigc,  XIII,  4o3. 
NizoN  ,    moine    de    Saint  -  Laurent  de 

Liège,  XII,  53o. 
Norbert  (saint),  fondateur  de  Prémon- 
tré,  et  archevêque  de  Magdebourg, 

XI ,  a/,3. 


O. 


Odeliri,  prêtre  à  Orléans,  IX,  275. 
Odelric  ou  Ulric,  ou  Udelbic,  abbé 

de  Saint-Michel  en  Lorraine,  X,  6». 
Odon  ,    cardinal ,   évêque  d'Ostic ,   IX , 

a5i. 
Odon,   évêque  de  Cambray,  IX,  583. 
Ooon ,  abbé  de  Saint-Reni  de  Reims  , 

XII,  4o5. 

Odon,  abbé  de  Morimond,  XII,  Gio. 
Odon  de  Deuil,  abbé  de  Saint-Denis  en^ 

France,  XII,  614. 
Odon,  premier  abbé  de  Sainte-Geneviève, 

XIV ,  348. 
Oi>oN,   abbc'  de  Saint-Père,  près  d'Au- 

xerre  ,  XIV  ,    349. 
Ogier     ou    AtjoiK»  ,    poète    provençal  , 

XIII,  419- 

Oldkcaire  (saint),  évêque  de  Barcelonne 

et  archevêque    de  Tarragonne ,    XI  , 

632. 
Ordric  Vital,  moine  de  Saint- Evroul , 

XII,  190. 
Otbert  ou  Obert,  évêque  de  Liège,  X, 

V.58. 
Othon,  évêque  deFrisingue,  XIII,  a68. 


Pascal  II,  papc,X,  216. 

Paten  BoLOTis  ,  chanoine  de  Chartres , 
XI,  I. 

PÉRÉGBiN,  abbé  de  Fontaines-les- Blan- 
ches,  XV,  340. 

Peyrols  d'Auvergne,  poêle  provençal  , 
XV,  /,54. 

Philippe  I ,  roi  de  France,  IX  ,  384. 

Philippe  de    Tban  ,   poète  anglo- nor- 
mand, XIII ,  60. 

Philippe    de    Navarre,   jurisconsulte, 
XIII,  94. 

Philippe,  abbé  de  l'Aumône,  XIV,  166. 

Philippe  de  Harveng,  abbé  de  Bonne- 
Espérance,  XIV,  268. 

Philippe  d'Alsace,  comte  de  Flandre  el 
de  Vermandois ,  XV,  i. 

PiBON ,  moine  de  Saint-Mansuy  de  Toul , 
X,  26g. 

Pi  BON,  évêque  de  Toiil,  IX,  349. 

Pierre,  abbé  de  Saint-Savin,  IX,  667. 

Pierre,  chanoine  de  Noyon,  X,  4'''' 

Pierre  -  Guillaume  ,    moine   de    Sa»"'- 
Gilles,  X,  2o4- 


DES  ÉCRIVAINS  DU  Xir  SIÈCLE. 


653 


Pierre  de  Libranà  ,   évéque  de  Sarra- 

gosse  ,  "XI,  12. 
Pierre  Abélabd,  abbé  de  Ruys  en  Bre- 
tagne, XII,  86. 
PihRRK  ,   chanoine   régulier  ,  prieur  de 

Saint- Jean  de  Sens,  XII,  t'io. 
Pierre   Bérenuer,  disciple   d'Abélard, 

XII,  254. 
Pikrre  de  Poitiers,  religieux  de  Clu- 

ni,  XII ,  34g. 
Pierre  ,    religieux   de   Saint-Pierre   sur 

Divc,  XII,  36o. 
Pierre  Héi.ie  ,  professeur  à  Paris,  XII, 

486,  XIII,  3o3. 
Pierre  Lombard,  évèque  de  Paris,  XH, 

585. 
Pierre    »t  RoYB,  moine  de  Clairvanx, 

XII,  68G. 

Pierre  BÉcHm ,  .luloiir  d'une  chronique 

de  Tour»,   Xlll,  J7* 
Pierre  de  Ver50n,  poète  français,  XIII, 

ii5. 
Pierre  le  VÉHÉ«iBi.E,  abbé  de  Cluny, 

XIII,  241. 

Pierre  de  Beaccenct ,  poète  français, 

XIII,   3o5. 
Pierre   de    RtiMONu  ,    abbé    de   .Saint- 

Mai\ent,    XIII,   4o5. 
Pierre  le  Peimtre  ,  poète   latin,  XIII, 

429. 
PIERRE   DE  LA   Chatre  ,  archcvêquc  de 

Bourges,  XIII,   447. 
Pierre  1,o5ca-Testa,  chanoine  de  Brid- 

lington  ,  poète  français  ,  XIII ,  470. 
Pierre,  évêque  de  Rhodez ,  XIII",  571. 
Pierre  ,   évèque  de  Chàlons  sur  Saône  , 

XIII,  579. 
Pierre  de  Pise  ,  doyen  de  Saint- Agnan 

d'Orléans,  XIII  ,582. 
Pierre  de  Barry  ,  abbé  de  Saint-Martial 

à  Limoges ,  XIII ,  5g2. 
Pierre  de  Belmont,  abbé  de  S.  Chaffre, 

XIII,  592. 
Piebre-le-Mahgecr,  chancelier  de  l'église 

de  Paris ,  XIV ,  1 2. 
Pierre,  cardinal  de  S.-Chrysogone ,  élu 

archevêque   i.e  Bourges ,  XIV ,  23o. 
Pierre  de  Celle  ,  évèque  de  Chartres , 

XIV,  236. 

Pierre  II,  évèque  de  Carpentras,  XIV, 

606. 
Pierre  Monocole,  abbé  de  Clairvaux, 

XIV,  620. 

Pierre  de  la  Verhègue,  poète  provençal, 

XV,  25. 
PiEEB»MiRMET,abbcd'Andernes,XV,48. 


Pierre  Berkakdi  ,  prieui-  de  Grand- 
mont,  XV,  137. 

Pierre,  chantre  de  l'église  de  Parb,XV, 
283. 

Pierre  de  Blois  ,  archidiacre  de  Bath , 

XV,  341. 

Pierre  de  Blois  ,  cl-.ancelier  de  l'église 

de  Chartres ,  XV ,  4 1 5. 
Pierre  de  Boticnac,  poète  provençal, 

XV,  444. 
Pierre  ue  Barjac,  poète  provençal,  XV, 

447- 
Pierre  Raimond  ,  poète  provençal ,  XV , 

457. 
Pierre  Rociers  ,  poète  provençal  ou  Li- 
mousin, XV,  459. 

Pierre   Vidal,   poète   provençal,  XV, 

470. 
Placi-ntin,  jurisconsulte.  XV,  27. 
PoNce  de  Balmei  (le  B.),  évêque  de  Bel- 

lei,  XI ,  716. 
Ponce  ,  abbé   de  Clairvaux ,  évêque   de 

Clermont,  XIV,   O24. 
Pows  ou  Ponce  ,  abbé  de  Cluni,  XI,  20. 
Pons  DE  Capuuel  ,  poète  provençal,  XV, 

22. 
Pons  de  la  Garda,  poète  provençal ,  XV, 

460. 
Poppos,  évêque  de  Metz,  IX,  274. 


R. 


Baimbadd,  doyen  de  l'église  de  Liège, 

XII,  5i2. 

Raimond,  évêque  de  Maguelone,  XIII, 

^97- 
Raimond    de    Mokteedon  ,    archevêque 

d'Arles,  XIII,   236. 
Raimond  de  Ddefort,  poète  provençal, 

XV,  462. 
Raimond  Jordan  ,  vicomte  de  Saint-An- 

toni,  poète  provençal,  XV,  464. 
Rainalu,  archevêque  de  Lyon,  XI ,  85. 
Rainald,  abbé  de  Citeaux,  XII,  417. 
Rainabd,  prieur  de  Saint-Éloi  de  Paris, 

XI,  719. 
Ramrauu   d'O&ange  ,   poète   provençal , 

XIII,  471. 

Ranulfe  ueGeanville,  grand-justicier 

d'Angleterre,  XIV,  545k 
Raoul  Ardent,  orateur,  IX,  254. 
Raoul  ou  Rodulfe  ,  moine  de  la  Chaise- 

Uieu  en  Auvergne,  IX,  296. 
Raoul  de  Caen,  historien  de  la  croisade, 

X,67. 


654 


TABLÉ  GÉNÉRALE 


Raool  Tortaire,  moine  de  Fleury  ou 
Saint-Benoît-sur-Loire,  X,  85. 

Raoul,  archcv.  de  Cantorbery,  X,  336. 

Raoul  le  Verd,  archevêque  de  Reims, 
X,  /|3o. 

Raodl  ou  Radulphe  ,  moine  de  Flaix,  ou 
saint-Germer,  XII,  480. 

Raoul,  abbé  de  Pierremont,  XI,  718. 

Raoul  I",  abbé  de  Yaucellcs,  XIII,  laS. 

Raoul  ou  Rodolphe  II ,  abbé  d'Agaune 
ou  Saint-Maurice  en  Valais,  XIII,  569. 

RiouL,  châtelain  de  Coucy,  poète  fran- 
çais, XIV,  579. 

Raoul,  évoque  de  Liège,  XV,   16. 

Raoul  de  Serres  ,  doyen  de  l'église  de 
Reims,  XV,  146. 

RAUL(sire),  historien,  XIV,  i. 

RavmoND  Dopu-ir,  grand-matli-c  de  l*orilre 

de  saint-Jean  de  Jérusalem,  XII,  58 1. 
Raymond  V ,  comte  de  Toulouse ,  XV,  Sg. 
Reclus  (le)   de  Moliens  ou  Mollers, 

poète  français,  XIV,  33. 
Recinald  ,  moine  de  Saint-Augustin  de 

Cantorbery,  X,  33/|. 
Reinieh,  moine  de  Saint-Laurent  à  Liège, 

XIV,  420. 
Richard  ,  cardinal ,  archevêque  de  Nar- 

bonne, X,  3i6. 
Richard,  abbé  de  Préaux,  XI,  169. 
Richard  de  Leicestre,  abbé  de  Saint- 

Evroul,  XI,  714. 
Richard  de  Poitiers,  moine  de  Cluni, 

XII,  478. 

Richard  ,    cardinal ,   évéque   d'Albano , 

XIII,  24. 

Richard  de  Saint-Victor,  XIII,  (72. 
Richard  de  Poitiers,  moine  de  Cluni, 

historien,  XIII,  53o. 
Richard,  moine  de  Grandselve ,  XIII, 

586. 
Richard  l'Éveque,  archidiacre  de  Coù- 

tance,  XIV,  21 5. 
Richard  ,    archevêque   de  Cantorbery  , 

XIV,  617. 

Richard,  roi  d'Angleterre ,  XV,  32o. 
RicHER,  cvêque  de  Verdun ,  IX,  346. 
Robert,  évéque  de  Langres,   IX,  5io. 
RoBiiRT  (S.),  fondateur  de  MoIême,X,  1. 
Robert  d'Akbrissel,  fondateur  de  l'ordre 

de  Fonte vraud,  X,  i53. 
Robert,  abbé-de  Saint-Rcmi  de  Reims, 

X,  323. 
Robert  ,  religieux  de  Cluni ,  X ,  335. 
Robert  ,  archidiacre  d'Arras ,  XII ,  162. 
Robert   be  Mblun,  évéque  d'Hércfort, 

XIII,  371. 


Robert  ,  abbé  de  Wasor ,  XIII ,  5 1 5. 

Robert  Wace  ou  Huistace  ,  chanoine 
de  Bayeux,  poète  franc. ,  XIII,  5 18. 

Robert  Clément,  ministre  d'état,  XIV, 
217. 

Robert  de  Toricny  ,  abbé  du  mont  Saint- 
Michel,  XIV,  362. 

Robert  Paululus  ,  clerc  ou  chanoine 
d'Amiens,  XIV,  556. 

Robert  ,  moine  de  Fécamp ,  XIV ,  606. 

Robert  de  Borron,  poète  anglo- nor- 
mand, XV,  494- 

Rodolphe,  abbé  de  Cluni,  XIV,  4- 

Rodulfe,  abbé  de  Saint-Tron,  XI,  675. 

Rodulfe  ,  moine  du  Saint-Sépulcre,  à 
Cambrai,  XI,  686. 

K0DV1.FEDK  Bruges,  mathématicien,  XII, 
356. 

Roger,  évêqnc  .roioron  ,  IX,  567. 

Roger  du  Sap  ,  abbé  de  Saint-ETroul  et 
Odon,  son  frère,  XI,  3o. 

Roger  I"  abbé  d'Élan,  XIII,  585. 

Roger,  septième  abbé  du  Bec,  XIV,  26. 

Roger,  abbé  de  Saint-Euverte,  à  Or- 
léans, XIV,  228. 

Roger -des- Moulin»  ,  grand-maître  de 
l'ordre  de  Saint- Jean  de  Jérusalem , 

XIV,  38i. 

Roger  dc  pont-l'Évèque  ,  archevêque 

d'Yorck,  XIV,  616. 
Roger  ,  doyen  de  l'église  de  Rouen  ,  X\t, 

327. 
RoGO  Fretellus,  archidiacre d'Antioche, 

X,  270. 

Roland  o'Avranches,  cardinal,  évêque 
de  Dol  en  Bretagne,  XIV,  624. 

RoscELiN,  chanoine  de  Compicgne,  IX, 
358. 

RoTROD  ,  archevêque  de  Rouen ,  XlV , 
295. 

RupERT,  abbé  de  Tuy,  XI,  /^ll. 

RusTiciEN  DiPiSE,  poète  franc.,  XV,  494- 

S. 

Saii  de  Scola,  poète  provençal,  XV,  466. 
Sehère  ,  premier  abbé  de  Chaumoussei , 

XI,  70. 

Serlon,  abbé  de  Glocestrc,  IX,  277. 
Serlon  ,  évéque  de  Sées ,  X ,  34 1 . 
.Sehlon,  abbé  de  Savigni,  XII,  52 1. 
Serlon,  chanoine  de  Bayeux,  poète  lat., 

XV,  1. 

SicEBERT,  moine  de  Gemblou,  IX,  535. 
Simon   Chèvre-d'or  ,   chanoine   régulier 
de  Saint- Victor,  XII,  487- 


DES  ÉCRIVAINS  DU  XII'  SIECLE. 


655 


Simon  ,  premier  abbé  de  Saint-Bertin  , 
XIII,  78. 

Simon  ,  prieur  de  la  chartreuse  du  Mont- 
Dieu,  XIII,  577. 

Simon  de  Poissy,  prof,  à  Paris,  XIV,  6. 

Simon  de  Boulogne,  traducteur  de  Solin, 
XV,  5oo. 

Suave,  abbé  de  Saint-Séver,  IX,  3i8. 

SocEB ,  abbé  de  Saint-Denis  en  France , 
XII,  36i. 


TuEODccK  OU  DiETGEK ,  évéque  de  Metz , 

X,  282. 

Theofroy  ,  abbé  d'Epternac ,  IX ,  So"?. 
Teui.ff,  abbé  de  Saint-Crespin  le  grand, 

XI ,  689. 

Trurkde,  grammairien,  XIIl,  3o/.. 
ThibadD  o'ÉTAMPkS,  profe«eur  à  Oxford, 

XI ,  90. 
THfBiUu,  moine  de  Bèze,  XI,  120. 
Thibaud  II,  abbé  de  Cormeri,  XI,  7o3. 
Thibaud,  abbé  de  Cluni,  puis  cardinal, 

évéque  d'Ostie,  XIV,  417. 
Thibadd,   comte  de  Blois  ,  sénéchal   de 

France,  XV,  i4-  ' 

Tbibaut    de   Vernon  ,    poète   français  , 

XIII,  112. 
Thibaut  ,  abbé  du  Bec ,  puis  archevêque 

de  Canlorbery,  XIII,  309. 
Tbierri,  abbé  de  Saint-Tron,  IX,  336. 
TaiERRi   m,   abbé  de  Saint- Hubert , 

IX,  487. 
Thierry,  professeur  à  Paris,  XIII,  376, 

IX,  68. 
Thierry  d'Alsace  ,  comte  de  Flandre , 

XIII,  396. 
Thierry,  évèque  d'Amiens,  XIII,  569. 
Thierry,  moine  de  l'abbaye  de  Berne, 

XIII,  590. 
Thomas  II,  archevêque  d'Yorck,  X,  32. 
Thomas ,  seigneur  de  Couci ,  XI,  124. 
Thomas,  abbé  de  Morigni,  XII,  218. 


Thomas  II ,  évéque  de  Viviers,  XII ,  442. 

Thomas,  moine  de  Froimont,  XV,  264. 

Thomas  le  Cistercien,  ou  de  Perseignb, 
ou  DE  Vaucelles,  XV,  328. 

Traimond  ou  Tr AsiMOND,  moinc  de  Clair- 
vaux,  XIV,  395. 

Truc  Malec  ou  Malet,  poète  proven- 
çal, XV,  462. 
TuRSTAiN  ,    archevêque   d'Yorck  ,    XI , 

72a. 

u. 

Ulger,  évêque  d'Angers,  XII,  3oa. 


Varwier,  poète  français,  XIII,  470' 

Vital,  abbé   ae   Savigni  ,  X,  332. 
Vital  DE  Bi.ois,  poète  latin,  XV,  428. 
Vivien  ,  religieux  de  Prémontré  ,   XI , 
695. 

w. 

Warnier  ,    religieux   du   monastère    du 

Christ,  ou  de  Saiut-Sauveur  de  Can- 

torbei-y ,  X,  26. 
Wautier  ,  poète  latin,  XII,  5i6. 
Wazblin  II ,  abbé  de  Saint-Laurent  de 

Liège,  XII,  527. 
WiBAUD,  abbé  de  Stavelo  et  de  Corbie 

en  Saxe,  XII,  SSo. 
WicHAHo,  chanoine  de  Lyon,  XII,  444* 

Y. 

Yves,  prieur  de  Cluni,  IX,  5i3. 
Yves,  évêque  de  Chartres,  X,  loa. 

z. 

Zacbarie  de  Besançon  ,  Prémontré,  XII, 

484. 
Zérachias,  juif  lévite  ,  XIII,  loi. 


ANONYMES. 

TOME   IX. 


Auteur  d'une  chronique  de  l'abbaye  de 

Conques,  IX,  293. 
Auteur  d'une  histoire  de  l'abbaye  d'An- 

dagine  ou  Saint-Hubert  en  Ardenne, 

333. 
Auteur    d'une    histoire   de   la   transla- 


tion du  corps  de  saint  Lifard ,  etc. , 

334. 
Auteur  des  actes  ou  gestes  des  évêques 

de  Toul,  388. 
Auteurs  de  chroniques,  494,  49^. 
Auteur  de  la  vie  de  saint  Gautier,  pre- 


656  TABLE  GÉNÉRALE 

4e  Saint-Martin  de  Pon- 


mier  abbé 

toise,  5 16. 
Auteur  d'une  légende  de  saint  Théodard 

ou  Audard,  archevêque  de  Narbonne, 

5i7 ,  5i8. 
Auteur  d'une  vie  encore  manuscrite  de 

saittt  Saintin ,  premier  cvêquc  de  Vei^ 

dun ,  Hiii,  Hig. 


Moine  de  Mannoutier,  poète,  commen- 
tateur des  psaumes,  52 1. 

Moine  de  .Saint-Savin ,  auteur  de  la  re- 
lation de  la  découverte  des  reliques 
de  saint  Martin ,  568. 

Auteur  d'une  chronique  de  Saint-Aubin 
d'Angers,  569. 


ANONYMES. 


TOME   X. 


Auteur  d'une  Histoire  abrégée  de  Pas- 

chase  Ratbert,  a8. 
Historien  de  la  Fie  de  saint  Odulphe , 

29. 
Auteur  d'un  Fragment  de  Chistoire  de 

France,  3o. 
Auteur  d'une  Relation  de  miracle,  opéré 

par  l'intercession  de  saint  Hermeland, 

2o3. 
Auteur  d'un  écrit  intitulé  :  Lemovicenses 

episcopi,  usque  ad  annum  1118,  aSi . 
Auteur  d'un  écrit  intitulé  :  Opus  in  duos 

lihros  dii'isum  ,  quorum  primus  agit  de 

litteris ,  de  voce ,  etc.  ;  secundus  agit 


de  bibliothecd,  de  interpretibus ,  etc.  , 

Auteur  d«  martyrologe  dc  saint  Bénigne 

de  Dijon  ,  40/1. 
Auteur  de  la  vie  de  saint  Gilbert,  «v«()ue 

de  Meaux,  404. 
Auteur  de  la  vie  de  saint  Ansaric  ou  An- 

seric,  évêque  dc  Soissons,  4o5. 
Auteurs  de  trois  sermons  sur  saint  Mé- 

dard  ,  évéque  de  Noyon  ,  406. 
Auteur  de  la  Chronique  d Étemac ,  407. 
Auteur  de  la  Chronique  d Aurillac ,  408. 
I  Auteur  de  la  Vie  de  sainte   Colombe  , 
I      409. 


ANONYMES. 


TOME  XI. 


Auteur  de  la  découverte  des. reliques  de 
saint  Pierre  et  de  saint  Paul,  65. 

Auteur  d'une  chronique  de  saint-Pierre 
du  Puy ,  65. 

Auteur  de  la  vie  de  la  vénérable  Hilde- 
burge,  125. 

Auteur  de  la  chronique  des  évèques  de 
Metz,  126. 

Auteur  d'une  histoire  abrégée  des  évè- 
ques de  Toul,  129. 

Auteur  d'une  histoire  du  monastère  de 
saint  Mansuy,àToul  en  Lorraine,  i3o. 

Anteur  du  Cartulaire  du  monastère  de 
Savigni,  au  diocèse  de  I.yon ,  i3i. 

AuteÙT  de  la  vie  de  Girard,  moine  de 
Saint- Aubin  d'Angers ,  1 3 1 . 


Auteur  de  l'histoire  de  la  translation  des 
reliques  dc  saint  Majean,  i33. 

Auteur  de  la  vie  de  la  B.  Ide,  comtesse 
de  Boulogne,  i34. 

Auteur»  de  la  vie  de  saint  Guidon  ou 
saint  Wien ,  i35. 

Auteur  des  seconds  actes  dc  sainte  Sala- 
berge  et  de  sainte  Anstrude,  mère  et 
fille,  j36. 

Auteur  d'un  chant  lugubre  sur  la  mort  de 
Charles  le  bon,  comte  de  Flamlre,  1 37. 

Auteur  de  l'iiisloire  abrégée  des  cinq 
premiers  prieurs  de  la  grande  char- 
treuse, 7o3. 

Auteur  d'un  éloge  en  vers  d'Antoine, 
abbé  de  Sénone;  704. 


DES  ÉCRIVAINS  DU  XIP  SIECLE. 


657 


ANONYMES 

TOME  XII. 


Auteur  delà  chronique  de  Maillezais,  77. 
Clianoine   de  Sainte  Martis  de  Tours  , 

auteur  d'une  chronique  des  rois   de 

France,  80. 
Auteur  de  l'histoire  de  la  translation  et 

des  miracles  de  saint  Urbain,  pape  et 

martyr,  23a. 
Auteur  d'une  histoire  de  la  translation 

des  reliques  de  sainte  Christine  à  Beu- 

vry,  234. 
Chanoinn  régulier,  qui,  dans  une  lettre 

insérée  dans  le  rinquièni'*  ••»•»••  de» 
annales  bénédictines,  prend  le»  ini- 
tiales S.  H.,  298. 

Auteur  d'""  «^«-'r't  si""  1"  différens  ordres 
etprot'essions  qui  sont  dans  réglise,3oo. 

Auteur  d'une  lettre  apologétique  des 
chanoines  réguliers,  3oi. 

Moine  du  Bec, 'auteur  de  discours  sur 
les  évangiles,  et  de  divers  traités  thèo- 
logiques,  335. 

Auteur  d'une  chronique  de  l'abbaye 
d'Afflighem,  407. 

Auteur  des  actes  de  Dagobert  III,  428. 

Auteur  de  la  vie  de  saint  GudwaI,  43o. 

Auteur  de  la  vie  de  saint  Bandrit,   43 1. 

Auteur  d'une  histoire  de  la  translation 
des  reliques  de  salut  Antoine,  li'ii. 


Auteur  de  la  vie  de  saint  Carmeri ,  43^. 
Auteur  d'une  histoire  de  la  translation 

des  reliques  de  sainte  Honorine,  A^'- 
Auteur  de  la  vie  de  saint  Piat,  434. 
Auteur  d'une  relation  des  miracles  de 

saint  Aygulfe,  435. 
Auteur  d'une  vie  en  vers  de  saint  Gui- 

lain,  4^3. 
Auteur  d'un  traité  contre  les  Juifs,  436- 
Auteur  d'une  histoire  du  monastère  de 

Saint-Pierre  d'Userche,  437. 
Auteur  de  la  vie  du  b.  h.  Bertrand ,  ab- 

Ue  ae  tjrana-o«»c,  A^y. 
Auteur  de  la  vie  de  saint  Clément,  évê- 

que  de  Metz,  439- 
Atiteur  d'une  histoire   des   miracles  de 

saint  Erkenvald,  439. 
Auteur  de  la  vie  de  saint  Arnoul,  44". 
Auteur  de  la  vie  de  saint  Bertaut  et  saint 

Amand,  44 1- 
Auteur  de  la   vie  de  saint  Lietphard, 

441. 

Auteur  de  la  vie  de  saint  Gcraud ,  abbé 
de  la  Sauve,  44^- 

Moine  de  Saint-Mathias  de  Trêves ,  au- 
teur d'une  vie  de  saint  Mathias,  53i. 

Auteur  de  sermons,  544- 

Auteur  de  la  vie  de  saint  Norbert,  Bf^g. 


ANONYMES. 
TOME  XIII. 


Traducteur   dé   plusieurs    ouvrages    du 

pape  saint  Grégoire ,  6. 
Traducteur  des  livres  des  rois  et  des  ma- 

chabées,  i3. 
Auteur  d'une  passion  de  J,  C.  en  yers 

40.  '  ' 

Auteur  des  coutumes  de  la  ville  de  Laon , 

47. 
Auteur  de  la  Loi  de  Verviui,  5o. 
Auteur  d'une  élégie  sur  le  mauvais  suc- 
cès de  la  croisade  de  Louis  VU  ,  88. 
Auteur  des  jugemens  d'Olcron,  96. 
Épitres  farcies. —  Quelques-unes  citées, 

108. 
Auteur  de  la  vie  de  saint  Morand,  3o4. 
Auteur  de  l'histoire  des  évêques  et  des 

comtes  d'Angoulême,  3o6. 

Tome  XF 


Continuateur  de  l'histoire  des  abbés  de 
Laubes,  3i5. 

Auteurs  de  généalogies  des  rois  de  France, 
33i. 

Auteur  d'un  traité  contre  les  Juif»,  367. 

Auteur  d'une  vie  de  Charlemagne,  385. 

Auteurs  de  quelques  morceaux  histori- 
ques sur  le  X'ays  des  Albigeois,  387. 

Auteur  d'un  écrit  ayant  pour  titre  :  Dra- 
co  nonnannitus ,  392. 

Auteur  d'une  notice  sur  les  commence- 
mens  du  monastère  de  Saint-Mard» 

4'4- 
Auteur  d'une  instruction  sur  la  ma^''-'''* 

de  lire  la  bible,  41  G. 
Auteurs    de    chroniques    c"^*^^''''^'*'    '* 

diocèse  de  Sens,  5 10. 

0^00 


658 


TABLE  GENERALE 


X 


Auteur  de  la  vie  de  Roger,  premier  abbé 
d'E)an,  585. 

Aut.  des  act.  de  S.  Antonin  dePamiers,  ScjB. 

Auteur  de  la  vie  du  bienheureux  Ri- 
chard,  abl)é  de  Saint-Vanne,  bg5. 

Auteur  des  ntiraiiles  et  vie  de  saint  Gré- 
goire, 596» 

Auteur  des  ries  du  bienheureux  Amédée 
et  de  son  fils  Amédée,  évoque  de  Lau- 
sanne ,  597. 

Auteur  de  deux  relations  de  mitacles  de 
sainte  Geneviève,  598. 

Anteurdcla  viedeGarniprdeMailly,abbé 
de  Saint-Étknne  de  Dijon  ,  598. 

Amtenr  de  la  vl«  de  ta  bienheureuse  An- 
gel  ine,  599. 

Auteur  d'une  relation  des  miracles  de 
saint    Agile  uu  ^vycui,  000. 

Auteur  d'uae  relation  d'un  miracle  au 


tombeau  du  bienheureux  Milon,évéq. 

de  Thérouanne,  601. 
Auteur  de  deux  relations  sur  les  relique» 

de  saint  Taurin ,  60 1 . 
Auteur   d'une   vie   de    saint    Lambert  , 

évéqne  de  Vence,  60a. 
Auteur  d'nite  relation  Aes  miracles  d« 

saint-Claude,  6oi. 
Auteur  d'une  relation  de»  miracles  d« 

saint  Adalbert,  diacre,  6o3. 
Auteur  d'une  histoire  de»   miracle»  de 

sainte  Rictrude,  6o.'|. 
Auteur  d'une  circulaire ,   annonçant  la 

mort  d'Yves  II,  abbé  de  S.-Denis,6o5. 
Auteur  d'un  éloge  de  AValon ,  moioe  de 

Hautmont,  6o5. 

Autou»'  .l'i,n<-  vie  de  «aini  Goswin  ,  abbé 

<»A»chin,  6o5. 
Auteurs  de  »v,™^.,  ^  théologie,  606. 


ANONYMES. 
TOME   XIV. 


Auteur  d'une  histoire  de  Pologne ,  3. 
Auteur  du  formulaire  pour  le  sacre  de 

Philippe  Auguste,  22. 
Auteur  de  l'ouvrage  intitulé  :  Àbbrevia- 
tio  gestoruin  Vranciœ  regurn ,  ab  ori- 
gine regni  ad  annum  Il 37,   l83. 
Auteur  d'une  histoire  abrégée  des  rois  de 

France,  jusqu'en  11 52,  184. 
Auteur  d'une  continuation  de  l'histoire 
d'Aimoin,  de  Gestis  Fra/icoruin  ,  i85. 
Auteur  de  l'histoire:  Gesta  Ludovicifll, 

Francorum  régis ,  187. 
Auteur  d'une  notice  sur  quelques  évoques 

de  Périgueux,  2a5. 
Auteur  d'une  notice  de  la  fondation  de 

l'abbaye  de  Chancelade ,  225. 
Auteur  d'un  Epitome  gcstorum  quorum- 
dam  ecclesiœ  Petragorciensis  prcesu- 
lum ,   226. 
Auteur  d'un  recueil  de  formule»  épis- 

tol aires,  377. 
Auteurs  des  actes  des  ëvéques  du  Mans, 

410. 
Auteurs  d'histoires  et  chroniques  d'Au- 

xerre,  41 3. 
Auteur  des  Gesta  Cameraaensium  epis- 

\oporum ,  597. 

AuHnrs  d'un  appendix  à  la  chronique 

de  ^Itaudri  ,    et    de    quelques    autres 

écrits  fm^ifs  à  l'histoire  du  Cambre- 

sis,  699.     V 

Auteur  de  l'hisVrc  de  la  fondation  du 


prieuré  de  Sainte-Barbe,  en  Auge, 
601. 

Auteur  de  divers  écrits  relatifs  à  l'his- 
toire de  Prémontré,  6o5. 

G. ,  abbé  de  Barbeau.  Ses  lettres,  6i5. 

Auteur  d'une  vie  de  saint  Désiré,  arche- 
vêque de  Bourges,  627. 

Auteur  d'une  vie  de  saint  Bazin ,  6a8. 

Auteurs  de  deux  légendes  de  saint  Do- 
mitien,  évêque  de  Macstricht,  628. 

Auteur  d'une  vie  du  bienheureux  Ro- 
land, abbé  de  Chéry,  628. 

Auteur  d'une 'vie  de  saint  Fra«ib«ltle  ou 
Frambourg,  629.* 

Auteur  d'une  vie  de  saint  Beneiet,  fon- 
dateur du  pont  d'Avignon,  629. 

Auteur  d'une  vie  du  bienheureux  Ber- 
trand, abbé  de  Grand-Selve,  63o. 

Auteur  d'une  vie  du  bienheureux  Ponce, 
évéque  de  Belley,  Cy'io. 

Auteur  d'une  vie  de  saint  Anthelme  ou 
Nanihelme,  évéque  de  Belley,  63o. 

Auteur  d'une  vie  du  bienheureux  Pierre, 
prieur  de  JuUy ,  63i. 

Auteur  d'une  vie  de  saint  Arnould , 
évéque  de  Gap,  63a. 

Auteur  d'une  relation  de  la  translatixw 
des  reliques  de  saint  Renobert,  <)3a. 

Auteur  d'une  vie  de  saint  Fiacre,  633. 

Auteur  d'une  relation  des  miracles  d< 
saint  Bcrncrede ,  cardinal,  abbé  àt  S.- 
Crépin  à  Soissons,  637. 


DES  ÉCRIVAINS  DU  Xll*  SIÈCLE. 


659 


ANONYMES. 
TOME   XV. 


Auteurs  de  généalogies  des  comtes  de 
Flandre,  19. 

Autours  de  chroniques  de  liège,  88. 

Auteur  d'une  histoire  des  miracles  de 
sainte  Rictrude,  89. 

Auteur  d'une  vie  de  Hugues,  abbé  de 
Marchiennes,  9c. 

Compilateur  d'un  recueil  A'Actes  divers 
relatifs  ii  l'église  de  Tours  et  de  Dol , 
357,. 

Aateur  a-„„,  ^j^  j^  saXvA  Arnaud,,  évé- 
qne  de  Rhoai»,  ^,,.  , 

A.uteur  d'une  histoire  en  vers  franc-"*  "f 
la  Sortie  d'Ègyp"  >  ""  ^e  la  déli- 
vrance Ju  peuple  d'Israël,  et  d'une 
explication  allégorique  et  morale  du 
cantique  des  cantiques ,  479. 

Auteur  d'une  traduction  des  légendes 
des  apôtres,  de  l'histoire  de  l'iiiven- 
tion  de  la  vraie  croix,  des  vies  de  saint 
Cosme,  de  saint  Damien  et  de  saint  Ju- 
lien ,  4^3. 

Auteur  des  vies  des  saints  Barlaam  et 
Josapliat,  484- 

Auteurs  de  chroniques  d'Anjou ,  587. 

Auteurs  de  chroniques  de  Picardie ,  590. 

Auteurs  de  chroniques  de  Bourgogne  , 
595. 

Auteurs  de  chroniques  de  Reims  et  du 
pays  rémois,  SyS. 

Auteurs  de  chroniques  de  Lorraine   et 

J«r»    trois  cv<^cll<^s  ,    601. 

Historiens  ou    chroniqueurs  du  Berri  , 

604. 
Auteurs  de  morceaux  historiques,  con- 
cernant la  Provence,  le  Languedoc  et 

la  Marche  d'Espagne,  606. 
Auteur  d'une  vie  de  saint  Hugues,  abbé 

de  Bonnevaux,  618. 
Auteur  d'une  vie  de  saint  Alben  de  Lou- 

vain ,  évéque    de   Liège    et   cardinal , 

6i8.. 
Auteur  d'une  vie  de  sainte  Alêne,  vierge 

et  martyre,  620. 
Auteur  d'une  vie  et  translation  de  saint 

Ausfremoine,  620. 
Auteur  d'une  légende  de  sainte  Vérone , 

621. 


Auteur  de  deux  légendes  de  saint  Chrf- 

sole  ouChryseuil,  622. 
Auteur    d'une   vie    de    sahit    Gtddon , 

confesseur,  622. 
Aateur  d'une   rie    de  saint  Manviea , 

(iWfjwcœui)  évéque  de  Baycux.,  623. 
Auteur  d'uue  vie   de   sainte   Rolande, 

623. 
Auteur  d'une  vie  de  saint  Flrmin ,   le 

confesseur,  Saî. 
Auteur  des  actes  de  saint  Clair,  çyéque 

Auteur  des  actes  ae  saint  ITiIairc  d„ 
Maine,  624. 

Auteur  d'une  légende  de  saint  Ccrat, 
évéque  d'Auch,  624. 

Auteur  d'une  légende  de  saint  Léger, 
ju-ètre  du  diocèse  de  Châlons^sur-Ma*- 
ne,  624. 

Auteur  d'une  vie  de  saint  Btler  (  liKihc- 
rins') ,  6î4- 

Auteur  d'une  vie  de  saint  Mégècc,  évé- 
que de  Besançon,  625. 

Auteur  d'un  traité  sur  la  profession  des 
moines,  625. 

Auteur  d'un  règlement  monastique ,  626. 

Auteur  de  statuts  du  monastère  de  Froid- 
mont,  626. 

Auteur  d'une  lettre  à  H.  de  Villiers, 
626. 

Auteur  d'un  rituel  intitulé  :  Spéculum 
ecclesiœ ,  626. 

Auteurs  de  plusieurs  écrits  sur  des  mi- 
racles ,  de  traités  et  de  sermons  con- 
servés dans  les  bibliothèques  de  la 
Belgique,  dont  une  partie  existe  dans 
la  collection  des  Bollandistes,  et  dont 
les  autres  ne  sont  connus  que  par  les 
titres,  626. 

Auteur  d'iirie'vie  de  saint  Magnobode  ou 
Mainbœuf,  627. 

Auteur  d'une  vie  de  sainte  Lutrude , 
627. 

Auteur  d'une  rel»tion  des  miracles  opé- 
rés par  l'intercession  de  saint  Georges . 
à  Roye  en  Picardie,  628. 


ym    DE    LA    TABLE    GÉNÉBALE    DES    ÉCRIVAINS    DU    XII*  Sl»^''*- 


O0OO2 


\ 


m 


»A^W^*^«/«%«^>«A^«A^«,«^«^t/«V«^%«>V«^«^V«%«^%Xk.V 


ERRATA. 


i  AGE  aa,  li^<e  3o,  Bernard  d'Audun,  /ùezd'Anduse. 

P.  28,  1.  3^,  avant  la  fin  du  VIII"  siècle,  lisez  XII*. 

P.  55,  J.  10,  La  Ferté-sur  Scosne,  lisez  sur  Grosne. 

P.  73,  note,  1.  I ,  Bangeseiam,  lisez  Baugeseium.  , 

P-  loi ,  1.  1 1 ,  dispositien ,  lisez  disposition. 

P.  \ïo,\.  \  ,  Et  de  Paris  refit{\)  ses  sermons  appelez.  Feu  M.  Ginguené,  sur  l'au- 

•  torité  de  M.  de  la  Monnaye,  a  préféré  cette  leçon  à  l'ancienne,  qui  nous  parait 

préférable,  et  offre  un  meilleur  sens,  en  mettant  sernoms  ou  sumoins  à  la  place 

de  sermons:  Et  de  Paris  refit  ses  sernoms  appelez;  car,  dans  (■'•*  — J'"'!» 

'^iKumnrf  r\i^  H— "'-~  ■■■■-  1"  -"■«""i  1 — ji    -x^f...  _  ....T«nmé  de  Paris. 

P.  i33 ,  à  la  marge,  effacez  Beyel. 

P.  i35 ,  à  la  marge ,  Hugo  Annal,  du  Pen. ,  lisez  de  Prémontré. 

P.  i56 ,  1.  a ,  Bernard ,  évéque  de  Noyon ,  lisez  de  Nevers. 

Même  page,  1.  22,  prédictions,  lisez  prédications. 

P.  270,  1.  dernière,  Vogcr  de  Hoveden,  lisez  Roger  de  Hoveden. 

p.  449,  1.  8,  Bernard  d'Andrun,  lUez  Bernard  d'Anduze. 

Aux  tables ,  p.  647 ,  col.  1,1.5,  ajoutez  Cokos  ,  abbé  de  Salut-Yanne  de  Verdun , 
XIV,  36». 


# 


DateDue 


C38816 


'.'.'i'.'i*i*i'i't'»*i*4*i*i'i*»'4'r«Hiw