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HISTOIRE
LITTÉRAIRE
DE LA FRANCE.
HISTOIRE
LITTÉRAIRE
DE LA FRANCE,
OUVRAGE
COMMENCÉ PAU DES RELIGIEUX BÉNÉDICTINS
DE EA CONGRÉGATION DE SAINT-MAUR,
ET COXTIWDÉ
Par des Membres de l'Institut (Académie royale des
Inscriptions et Belles -Lettres).
TOME XVIII.
SUITE DU TKElZlÈMt SIÈCLE,
ji)SQii'\ l'an ia55.
PARIS 1835
KRAUS REPRINT
Nendeln/Liechtenstein
1971
IDI
Réimpression avec L' accord de
L' Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Paris
KRAUS REPRINT
A Division of
KRAUS-THOMSON ORGANIZATION LIMITED
Nendcln/Licdifenstein
1971
Printed in Germany
Lessingdruckerei Wicsbadcn
AVERTISSEMENT.
L/ES tomes XVI et XVII de cette Histoire littéraire
contiennent i°un tableau général de l'état des lettres,
des sciences et des arts au xiii^ siècle ; 2° des notices
historiques et critiques sur igo auteurs qui ont
achevé leur carrière entre l'an 1200 et l'avènement
de Louis IX en 1226. Le volume que nous publions
aujourd liui correspond aux 3o premières années du
règne de ce monarque", et doit faire connaître la vie
et les ouvrages d'environ 200 auteurs décédés après
1225 et avant i256. Ces 200 notices sont distribuées
en quatre séries chronologiques, dont la plus étendue
comprend y 7 auteurs qui ont écrit en langue latine
ou en prose française sur des sujets quelconques, théo-
logiques, philosophiques, historifjues ou littéraires.
Parmi les théologiens, auteurs de Sommes, de trai-
tés dogmatiques ou moraux, de manuels, _de sermons,
de commentaires sur la Bible ou sur les quatre livres
des sentences, on distinguera Hugues de Miramors;
Guillaume d'Auxerre, archidiacre de Beauvais; le
cardinal Jean Halgrin, St. Edmond de Cantorbéry,
Alexandre de Halès , Guillaume d'Auvergne , aux-
quels se peuvent joindre Etienne Langton et Robert
Grosse-Téte, théologiens de profession, quoiqu'ils se
soient exercés en d autres genres et qu'ils aient même,
fun et l'autre, composé des vers français.
Hélinand, que ses stances sur la mort placeraient
aussi dans les rangs des Trouvères, est plus géné-
ralement connu comme sermonnaire et surtout
comme chroniqueur. L'article qui le concerne est, t. xvii, p.
ainsi que nous l'avons annoncé en i832, un écrit "
1 • ■
vj AVERTISSEMENT.
posthume de notre ancien collaborateur Brial , et
malheureusement le dernier de sa composition que
nous aurons à publier. Avec Héhnand , beaucoup
d'autres auteurs de chroniques, d'histoires, de rela-
tions, de légendes, figureront dans ce volume ; par
exemple, Guillaume d'Andres , Albéric de Trois-Fon-
taincs, Césaire d'Heisterbach , Gautier Cornut, Gilles
Moine d'Orval; outre ceux dont les récits concernent
particulièrement les croisades, tels que l'écolâtre de
Coloi^ne, Olivier; Jacques de Vitry, Gilles de Lewes,
et en langue française, Bernard le Trésorier, traduc-
teur et continuateur de Guillaume de Tyr.
Nicolas de Braia, qui a écrit en vers latins une
histoire de Louis VIII, n'est pas le seul poète latin a
reniar(pier dans ce même âge : ses émules les plus
renommés étaient Alexandre de Villedieu et (ieof-
froy de Vinisauf En d'autres genres de littérature ou
d'études, on pourra distinguer entre les épistolaires ,
Gervais de Chicester; entre les mathématiciens, Jor-
(lanus Nemorarius; entre les jurisconsultes, Guillaume
dv llenues; et Philippe de Grèves, chancelier de l'é-
olise de Paris, à cause de l'éclat de ses démêlés avec
i Université. La 77* notice est consacrée à Vincent de
Beauvais, ([ui n'est mort qu'en 1264, mais qui avait
terminé en i-îSô Vimmense ouvrage qui a mérité le
nom d Encyclopédie du xiii* siècle. Nous avons cru
devoir en placer fanalyse au milieu même des Annales
littéraires de ce siècle, à raison du jour qu'un telex-
i)osé des connaissances alors acquises pouvait jeter
sur la j>lupart des productions qui l'ont immédiate-
ment précédé ou suivi.
Une seconde série se compose de 18 auteurs dont
les écrits ont peu d'importance et ne donnent lieu
(lu'à de très-courtes notices ou même qu'à de simples
notes. L'un d'eux cependant, l'anglais Alexandre
Neckam, mériterait plus d'attention, si l'histoire de
ses ouvrages et de ses démêlés n'était presque entiè-
AVERTISSEMENT. vij
rement étrangère à la France. Le 28^ est un évêque de
Meaux, dont les actes authentiques sont nombreux,
mais tiennent beaucoup plus aux intérêts de son
église qu'aux annales des lettres. Les faits que nous
avions à recueillir étaient ceux qui pouvaient entrer
dans le tableau des divers genres d'études cultivés en
France ; et les personnages nés hors du royaume n'ont
dû attirer nos regards, que lorsqu'ils y avaient par-
couru une partie notable de leur carrière studieuse.
La 3* et la 4^ série sont purement françaises, puis-
qu'elles n'admettent que des poèmes écrits dans l'une
ou 1 autre des deux langues vulgaires qui se parta-
geaient le territoire. La poésie provençale, quoique
menacée de j)roscriptions, et quelquefois même exilée
hors de nos frontières, ne consentait point à inter-
' rompre ses progrès; les guerres religieuses l'entra-
vaient sans l'éteindre, la troublaient sans la décon-
certer; et au milieu de tant de désastres, ses chants
n'avaient pas cessé. Cinquante troubadours ont figuré
dans notre tome XVII comme ayant brillé ou paru
dans les ^5 premières années du xiii* siècle : le tome
XVIII continue cette liste jusqu'à l'an i255, par
soixante noms, dont quelques-uns ont conservé de
l'éclat; Pierre Bergerac, Guillaume de Beziers, Blacas,
Bergédan, Perdigon , Folquet de Marseille, Guillaume
Figuières, Savaric deMauléon, Aiméric de Péguilain...
La poésie des Trouvères n'avait pas atteint le même
degré d'élégance; mais elle tendait à s'y élever : elle
annonçait même plus de hardiesse et plus d'énergie; et
s'exerçant sur des sujets plus variés, quelquefois plus
périlleux, elle promettait, mais dans un avenir loin-
tain, des progrès, des succès et des chefs-d'œuvre. Si
elle n'offre avant 1255 qu'un bien petit nombre de
noms véritablement célèbres, du moins ceux de Guyot
de Provins, de Hugues de Bersil , d'Adam de Suel , de
Marie de France, etc., sont déjà recommandables; et
l'on devra aussi des éloges aux auteurs inconnus ou
viij AVERTISSEMENT.
incertains de l'Ordene de chevalerie, de la Cour de
Paradis , de Parthenopex de Blois , d'Aucassin et Nico-
lette, du châtelain de Goucy et de la dame de Fayel ;
de quelques jeux-partis et de beaucoup de chansons.
Cet aperçu des articles contenus dans le volume
que nous publions, fait prévoir que les deux suivants
suffiront pour achever l'histoire des lettres en France
durant le xiii' siècle. Le tome XIX la conduira de l'an
1-256 à 1280, dixième année du règne de Philippe
III, et peut-être jusqu'à l'avénemcnt de Philippe-
le-Bel en laSS : les i5 ou rio dernières années du siè-
cle fourniront la matière du tome XX.
L'état présent des études relatives à la littérature
du moyen âge, le nombre et l'importance des publi-
cations récentes qui la concernent, le besoin de la sou-
mettre à un examen impartial , afin que ce genre , en-
core nouveau, d'instruction philologique et historique,
étende la science sans égarer les talents et sans ramener
les arts à l'enfance , tout nous fait un devoir de don-
ner à notre travail autant d'activité que d'exactitude.
Le tome XVIII se termine, comme les précédents,
par une table alphabétique des matières; et le présent
Avertissement va être immédiatement suivi d'un ca-
talo"^ue bibliographique auquel nous avons laissé
prendre l'étendue dont il avait besoin pour rectifier
plusieurs détails restés inexacts dans celui du tome
XVII, et pour indiquer plus complètement toutes les
sources et toutes les branches de l'Histoire littéraire
de la France au moyen âge.
Les auteurs de ce XVIIP volume (ainsi que du
XVIP) sont quatre membres de l'Académie des in-
scriptions et belles-lettres, désignés à la fin des arti-
cles par les lettres initiales de leurs noms :
I). — M. Daiinou;
A. D- — M. Amaury Duval;
p R — ]V|. Petït-Radel;
J7. J). _ M. Eméric-David.
TABLE
DES LIVRES CITES DANS LES TOMES XVU ET XVUI DE
l'histoire LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.
Abolant (Rob. ) Voyez Chronicon altissiodoieiisp. Ai>oUiu (Rob.)
Histoire et Mémoires de l'Académie des Inscriptions et Belles -Lettres. Acad.desinscilpi.
Paris, 1709-1809. 5o vol. in-4°. — i8i5-i833. 10 vol. in-4°.
Gesta pontificum Leodiensium, abiKgidio Aureae vallis nionaclio, post He- a:gid. Anr. Vall.
rigerum, descripta, ab anno 1048 ad laSi: in tomo a" in-4'', sylloges
Cliapeavillianœ. Voyez Chapeauville.
jîîgidii (^orbuliensis carmina medica(de Urinis,de Pidsibus,deMedicamentis) «gid. d« Corbol.
ad fideni codicum et veterum editionum recensuit, notis etindicibus il-
lustravit Lud. Choulant. Lipsiae, Voss, 1826, in-8". — Priiis, in Historià
poematum medii a;vi, à Polycarpo Leysero édita,
ytgidii de Lèvres Epistola , in Tliesauro Anecd. t. I, p. 874. .«gid. de U».
/tlgidii parisiensis Carolinus. Fragments des livres IV et V de son poénie ^Egid.l'arit.
sur Charlemagne, dans le tome V, pag. 323, 324 de la Collection de
Ducbesne ; le livre V entier dans le t. XVII du grand Recueil des His-
toriens de Fiance, pag. 288-3oi.
Alberici, Trium-Fontium monacbi, Chronicon ab O. G. adann. Christi i23o, Albtrici ci.ion.
in tonio 2° Accessionum historicarum , à Leibnitzio editarum. Lipsiae ,
1700, in-4''.
Istorie di Bologna, di F. Leandro degli Alberti, dell' ordine de' F. Predi- Albcn. j F.i, i.t,
catori. Bologna. i543, in-4°. di Bol.
Leandri Alberti, libii VI de viris illustribus ordinis Praedicatorum. Bodo- Albeii. ( L.) Ord.
niœ, Plnto , iSig, in-fol. l'rad
Alberti Magni, ord. Praed. , Opéra omnia, curante Petro Jammy édita. Albert. Magn.
Lugiluni, i63i , 3i vol in-fol.
Alexandri llalensis Summa Theologica. Coloniae, i522, in-fol., etc. (Voy. Aleiand« Hdl
p. 3 12-328, ci-dessous (.
Natalis Alexandri , ord. Prœd., Historià ecclesiastica veteris et novi Testa- a' xnnd.i Nju-
menti. Parisiis. 1699, 8 vol. in-fol. — Ejusdem Selecta Historiae eccle- ''•
siasticœ capita, cum observationibus historicis, chronol. crit. dogmaticis.
Parisiis, De Sallier, 1679-1686, 26 vol. in-8°.
Alexandri de Villa Dei Doctrinale puerorum.Venetiis(i473), in-fol. Basileae, Ai,x«nii ,ir \;iii
i486, in-fol. Lipsiae, i5o6, in-4", etc. Dti.
Micbaelis Alford, Annales ecclesiastici Britannorum, Saxonum et Anglo- Aifotd, Amui.
rum. Leodii, Hovius, i663, 4 vol. in-fol.
Algrim. Voyez Haigrin. Algriui.
Tome XVlll. h
TABLE
Allaid, uiM. lia Iliitoire généalogique des maisons du Uauphiné, par Guy-Allard. Gre-
D«npb. noble, 1672, 1682, 4 vol. in-4''.
Le Nobiliaire du Dauphiné, par Guy-Allard. Grenoble, 1671, in-12 .
Bibliolheca Doniinicana, sive Catalogus scriptorum ordinis Pr.-vdicdfo-
runi , auctore Ambrosio de Altaniura. Roniw, Tinassi, 1677, in-l'ol.
Pétri de Alvti et Astorga Sol, veritatis pro Maria in suc conceplionis ortu
sanctâ. Matriti , i663 , in-fol. — Ejusdeni Uadii solis veritatis pro
sanctissimae Virginis Mariae elettione, etc. Lovanii , i663, in-fol. —
Pleito de los libros y sentencia del Juez, etc. Uertusœ, i66"4 , in-8".
Lettre d'André de Longjnniean à Louis IX, dans le Recueil de Voyage»
de Bergeron , 1. 1 , p. 1 52 , 1 53.
Dell' origine, de' progressi e dello stato attuale d'ogni Letteratura, da Giov.
Andres. Parma, Bodoni, 1783-1797, 7 vol. in-4".
Voyez Scriptores.
Annales bertiniani. Chronique de S.-Bertin, dans les Scriptores rerum itali-
carum , de Muratori; dans le tome III du Thésaurus Anecdotorum de
Blartène; dans la Collection des Historiens de France.
S. Anselmi opéra omnia, à Gabriele Gerberon recensita. Parisiis , 1721,
in-foL
Histoire généalogique et chronologique de la maison de France, des pairs,
grands officiers, etc., par le P. Anseln)e de Sainte-Marie de Guibours,
continuée par Caille, augmentée par Ange et Simplicien. Paris, 1726-
173,1,9 vol. in-fol.
Sancti Antonini Summa historialis sive Chronicon ab O. C. ad ann.i459, 3
vol in-fol. Venetiis, 1480. — Nuremberg, 1484. — Lugduni , i58f).
Bibiiotheca hispana vêtus usqne ad ann. i5oo, et nova ad 1684; auctore
Nicolao Antonio. Matriti, Ibarra, 1783, 1788,4 vol. in-fol.
Chronicon Iratrum Pra;dicatorum, et Bibliolheca ejusdem orilinis , virorum
quos luiit doctrinâ illustrium nomina, etc., complectens, auctore Antonio
Seneiise. Parisiis, i585, 2 part. in-S". — Antonii Senensis Traclatu»
(manuscriptus) de principiis et constitutionibus ordinis S. Dominici.
Antion, Chapelle Histoire ecclésiastique de la Chapelle des Rois de France, sous les trois
du R. races, jusqu'à Louis XIV, par L. Archon de Riom, chapelain de S. M.
et sacri^taIn de Versailles. Paris, 1704 et 171 1 , 2 vol. in-4°.
Ai'Dïad , Statou Statuts du Diocèse d'Angers, depuis l'an 1240 jusqu'en 1679, publiéi
d'Ansfu. par Tordre de l'évèque Henri Arnaud. Angers, 1680, in-4''.
Alt de viiif. lesd. L'Art <le vérifier les dates des chroniques et autres monuments; par des
religieux bénéilictins. Paris, Jond)ert, 1783-1792, 3 vol. in-f.
Aiceliii, Voyage. Voyage du F. Ascelin en Orient au 1 3° siècle, dans le Recueil de Bergeron.
Asseiujui, Bibiiot. Bibliotheca orientalis Clenu-niino-Vaiicana , recensons nianuscriptos co-
orieiit. dices syriacos, arabicos, etc. , studio Josephi Simonis Assemani. Romae,
1715-1728, 4 vol. in-fol. — Bibliothecae Mediceo-Laureniianoe et Palatin»
MSS. codicum orientalium Catalogus , studio Jos. Evodii Assemani.
Florentise, 174'-'» 2 vol. in-fol.
Aiiinc, Méd. de Mémoires pour servir à l'Histoire de la Faculté de Médecine de Montpel-
Moiiip. lier, par Astruc. Paris, 1767, in-4"; édition donnée par Lorry.
Auhriy, nist. de» Histoire générale des cardinaux , p.u' Ant. Aubery. Paris, i6'42-i645 , 5 toI.
card. in-4"-
Aatouc. Decii Ausonii burdigalensis poelae opéra, cum commentariisEIiœ Vineti et
J. C. Scaligeri. Burdigalas, i6o4, in-4"- — Achery, Attichi , Auteuil ,
Auvitnji voy. d' Achery , d'Alticki, d^ Auteuil , dAuvigny.
Aliamura, Bibliot.
t)oiDiii.
Alvj y Asiorga.
André de Lonpj.
André», H. délia
Leiler.
Anglic. reium.
Annal berlin.
Anselmi (S.) Op.
.Inoclnjc ;_ te P.)
AntnnlDi(S.)Hist.
Autnnio , Bibliot.
llisp.
Anton. Sen. Cbr.
Praed.
DES CITATIONS. xi
IJALE. Scriptorum illustriuni majoris Britanniae Catalogus à Japheto usque Baie Scripi. Ancl
ad aniiiiin iSS^, ex Deroso, Gennadio, Bedà;. . . auctore Joanne Baleo.
Biisilfœ, Oporin, i55y, 2 toni., i vol. in-f'ol.
Jugements des savants sur les ouvrages des auteurs, par Adrien Baillet, Bailler , Jug«iB.
avei- tles remarques de la Monnoye et l'Aïui-Bailiet de Ménage. Paris ,
1^9.2-1730, 8 vol. iti-4''.
Vies des S.iints , pai- Adr. Baillet. Paris, 1701, etc., 17 vol. in-8°, ou lo Baillti, v. de»SS.
vol. iii-4"i ou 4 V'J- in-fol.
Balduini prreinonstratensis Ch^nicon à Chiisto nato ad ann. i294- Inter Balduin, Chron.
Saciœ Antiquiiatis Mouumenta à C. L. Hugone collecta. S. Deodati ,
173 1 , in fol., t. 2, p. 53.
Histoire de la Maison d'Auvergne, par Etienne Baluze. Paris, 1708, 2 vol. Bjin^. Auv.
in-folio,
(loneilioium Coll«i<'lio (incepia) à Stephano Baluze. Parisiis, i683. in-fol. B^'"'- Conc.
Miscellanea, édita à Siepli. Baluze. Parisiis, 1678-1715, 7 vol. in-S". Luc*, lijim. Mi.cell.
1761 , 4 vol. in-folio. — Voyez Innocent III.
Libelliis recollectioiiis authoritatuin de veriiate conceptionis B. Mariae, Bandello (Vinc.)
auctore Viiuentio Baiidello. Mediolani, i475, in-4°. Ejusdeni Tractatus
de puritate conceptionis Jesu-Cluisti. Bonoiiiae, i48i,in-4°.
Fabliaux pid)lies>n' Barbazan. Voyez Méon. Ba.l.aznn, lal.l.
Caesaris Baronii Cardiiialis Annales ecclesiaslici à C. N. ad ann. 1198. Baionii AnnaK
Roiu.x', i588-i593, 12 vol. in-folio. Cum Odor. Raynaldi continuatione,
Ant. Pagii criticà , indice, etc. Uomae, 1 740-1 757, 39 vol. in-fol.
Caspaiis Barthii Adveisarioruni conuiientaiioruni libii 60, quibus ex uni- Banbii Adven
versa antiquitatis série, omiiis geneiis loci tain gentilium quam Christia-
norum scriptorum illustrantui- et emendaiitur, cum undecim indicibus.
Francofurti , 1624 vel 1648, in-fol.
Bartbolomoei monachi ( abbatis ) cluniacensis Sermones io5. Mss 4295 BaitLolom.ClaD.
Bibliotli. reg.
Crusca piovenzale ovvero le voci , frasi, e manière di dire che la lingua Bastero, Cr. prov.
toscan.) ba preso dalla provenzale; di Antonio Bastero. Roma, Antonio
de' Rossi, 1724, in-fol.
Histoire de IMiilippe-Auguste , par Baudot de Juilly. Paris, Brunet, 1702, B.iudoide Jaiin.
a vol. in-i2. ^^ Phil.-Aug.
Dictionnaire bistorique et critique de P. Bayle. Amsterdam, 1720 ou 1740, Bayle, Dlci.
4 vol. in-fol.
Recheiches sur les Théâtres de France, par Beauchamps, Paris. 1735, Beaurhamps , Me
in-zj". th. sur les Th.
La Coutume de Beauvoisis (selon que il couroit en l'an de l'Incarnation Beaumanoir.Cont-
Nostre Seigneur ia83 ), par Beiuiuanoir, avec les notes delà Thau- de lieauv.
inassière. Bourges et Paris, i63o, in-fol.
Venerabilis Bedae Historia ecclesiastica Anglorum. — Et Cbronica de 6 B«da.
aetatibus mundi. — Liter ejiis Opéra omnia. Colonise Agrippiiioe, sunip-
tibus Anton. Hierali, et S. Gyuiniei. 1612, 8 tom. (4 vol.) in-fol.
Roberti Bellarmini, cardinalis, liber de .scnptoribus ecclesiasticis, cum ap- Bcllaniiin, De Sci.
pendice Pliilippi Labbe. Parisiis, i()58, in-S". — Rob. Bellarmini Opéra <^«l".
varia. Coloniae, i6n, 3 vol. in-fol.
Annales générales de l'Histoire de France, par Fr. de Belleforest. Paris, BeUrforest . An-
Buon , 1579, 2 vol. in-ful. «"'• ''<■ ^''
Xll
TABLE
r.einho , Pl()^L■
Benev. Hi>t. Mon-
tis K.
Keuoist, Hisi. île
Toul.
Btrgeron, Voyag.
Bernaul ' S-)-
Beioat d (îtiiduois.
Bernard le Tiesor,
Bcsse . H. de Car-
cassonne et de
Narbonne.
Bessin , Coacil.
Bcnghein, Bibliog.
BJancjni , Chl'On.
Bibliographie.
Bibliothèques.
B;i>i;r. imiv.
Blaïunin. C.hron
Vicon.
Boeder. Bibliogr.
Boetii CoDsol.
Bolland. AcIt.S.S
Le IVose (lel Bembo. Napoli, 1714- 2 vol. in-4°, et dans le I. II fies OEii-
vrt'sdu cartl. Bembo. Venise, 17291 in-t'ol.
Bcnevennti de S. Georgio Historia Montis Ferrati iisque ad ann. 1490. In
tomo XXUI Rer. Italie. Lud. Muratorii. Col. 38o.
Histoire ecclésiastique et politique de la ville de Toul, par le P. Benoist
(Picard), capucin. Toul, 1707, in-4''.
Voyages laits principalement en Asie dans lesxii, xiii, xiv et xv* siècles,
(par André de Longjumeau, Ascelin , Plancarpin, Rubruquis, etc.), avec
une Introduction par Bergeron. La Haye, 1729 ou 1735 , 2 tomes in-4°.
S. Bernardi , abbatis Clarevallensis, opéra omnia, cura Joannis Mabillon.
Parisiis, 1690, 2 vol. in-fol.
Catalogus fratrum Praedic. aliaque Bernardi Guidonis opuscula ( manuscr.).
Traduction française et continuation de l'Histoire des Croisades de Guil-
laume de Tyr, par Bernard dit le Trésorier. Mss. 674^, etc., de la Biblioth.
du Iloi. Version latine de l'ouvrage de Bernaril, par Pipino, dans le
tome VII des Scfiptores Reriim italic. de Muratori.
Histoire des comtes de Carcassonne, par Guill. Besse. Beziers, Estradiers,
1643, in-4". — Histoire des comtes de Narbonne, autrement appelés
princes des Goths, ducs de Septimanie et marquis de Gotbie, par Guill.
Besse. Paris, Sommaville, 1660, in-fol.
Concilia Ecclesioe Rothomagensis , editio auctior, cura Guillelmi Bessin,
benedictini. Rotlioniagi, 1717 , in-fol. La première édition avait été
donnée par Pommeraye , à Rouen, en 1677. in-4".
Cornelii à Beugliem Bibliographia juridica, niedica, niathematica, historica,
etc. Amslelodami, 1678-1696, 5 vol. in-12. — Incunabula Typographiœ,
ibidem , i 688. in-i2.
Clarorum mathematicorum Chronologia ab O. 'C. ad ann. i6i4, studio
Jos. Biancani ; cum ejusdem Dissertatione de mathcmaticarum naturà,
ad calcem voluniinis cui titulus : Aristotelis locamathematica; Bononiae,
Cocchi, 1625, in-4''.
Voyez Beughein , Boeder, Braun, Brunet, de Fortia, Freyttig , Laire ,
Maittaire , Naui/é , Panzer.
Notices de livres ou d'auteurs. \ oyez jiltainura , Antonio, Àssemani,
Baie, Boucher de la Richnrderie , Brunet, Dav. Clément, De Vich,
Draudius , Ellies Dtipin , Du Ferdier, Fabricius , Fontanini , Foppens ,
Gesner, Hamberger, Hartzheim , Hayin , Intbonaii , Konig, Lahbe , La-
croix du Maine, Lelong , Le Paige, Le prince , Leyser, Lipenius , Liroii ,
Marracci , Manier, Meusel ,Michaud , Montfaucon , Papillon, Reinaud,
Reiser, Sander, Siinler , Si.rte de Sienne, Tanner, Tissier, Thomassin ,
Valère Andrc,Vosiius. Voyez aussi Catalogue, Recueil, Scriptores.
Biographie universelle, ancienne et motlerne, ou Histoire alphabétique
de tous les hommes qui se sont fait remarquer, etc.; par une Société de
gens de lettres. Paris, Michaud , 181 1-1828 ; 52 vol. in-8°.
Blainpini notae ad Chronicon viconiense. Mss.
S. H. Boecleri Bibliographia critica. Lipsiae, 1715. in-4". — Ejusdern Dis-
sertalio de scriptonbus graecis et latinis usque ad ann. i5oo. Argento-
rati , 1676, in-8''.
An. Man. Severini Boetii liber de Consolatione philosophiae. Glasguae ,
Foulis, 1751, in-4".
Acta sanctonim omnium collecta et illustrata, cura Joannis Bollandietalio-
rum. Antuerpiae, 1643-1794, ^'2 vol. in-fol.
DES CITATIONS. xiij
Joannis Bonaecardinalis Opéra. Parisiis , 1677,3 vol. in-8". Augustae Tau- Bonn.
rinoruni, 17471 4 ^<'l- in-fol.
Mémoire de lîonamy sur le Trésor des Chartes, dans le t. XXX de l'Aca- Konamy, Tr. a»
demie des Inscriptions et Belles-Lettres. ''
Traité sur la mesure musicale et poétique, par Bonesi. Paris, i8o4, in-8". **""•"■•'• Mei. mn
Gesta D<'i per Francos , sive de oiientalibiis expeditionibus et de reguo
Francoruin Hierosoiymitano Scriptores varii,collecti à Jacobo Bongais. ™"i;^".Gest.Dci.
Hanoviœ, i6'i i, 2 tom. in-fol.
Trésor des Recherch. et Antiq. gaul. et fr. par P. Borei. Paris, i6j5, in-4°. ^""^^ > Antuj.
Olai Borrichii de Poetis graccis et latinis Dissertationes 7. Hafniœ, 1677 et Bouicb. de Pou.
seqq. in-4°. Francofurti, i683, in-4".
Histoire des variations des églises protestantes, par Bossuet. Paris, 1776, Itos^mt, h. dfs
f) vol. in-i2, et t. III des OEuvres de Bossuet. Paris, 1743, in-4°. Vj.iai.
Histoire dés Mathématiques, par Bossut. Paris, Louis, 1810, 2 vol. in-8". '•<'-■-'"•"■''""""
Histoire de Provence , par Honoré Bouche. Aix, 1664, 2 vol. in-fol. liomhe Hit 1-
Bibliothèque universelle des Voyages, par Boucher de la Richarderie. Paris, l'iDvence.
Treuttel, i8o6, 6 vol. in-S". Bc". hoi, liiuiioiii.
Scriptores rerum Gallicarum et Francicarum. — Recueil des Historiens de 'l^s voyages.
France, publié par Doni Bouquet, et d'autres bénédictins; depuis le t. !,;(,, J^ ,"'
XIII, par Brial; le t. XIX achevé par MM. Daunou et Naudet. Paris,
Impr. roy. , 1736-1832, 19 vol in-fol. (le XX^ est sous presse).
La Somme rurale, compilée par Jehan Bouteiller. Bruges, Colard Mansioi', lUiui.iiiei, Sum.
'479) gr- in-fol. Abbeville, Gérard, i486, in-fol. Paris, 1488, in-ful. ii]r..ic.
Paris, avec les commentaires et les annotations de L. Charondas I,c
Caron. Paris, i6o3, in-4°; 'bid. 1611, 1612, in-4".
Historyof the Popes, froin llie foundation of the see of Rome, by Arclii- Bower.
bald ISower. London, 1748-1766, 7 vol. in-4".
Placidi Braun Notitia historico-litteraria de libris ab artis typograpliira? Bnimi, Noiit. iN-
inventione usque ad ann. i5oo impressis, Augustae extantibus. Auguste '''•r.
Vindelicorum, 1788 et 1789, a part. in-4°.
BuUarium Ordinis Fratrum Praedicatorum, studio fratris Bremond. Ronue, Biemond, Buli.n.
1739-1740, 8 vol. in-fol. l'i.uJ.
Chronique dite de Brompton, de 588 à 1198, dans la collection de Twis- B.cnipton ( .s. ) ,
den. Lond., 1632, in-fol. Cluon.
Antiquitatum et Annalium Trevirensium libri 25, à Ch. Browero et Jac. Biown. Aniici
Mazenio. Leodii, Hovius, 1670, 2 vol. in-fol. 'i'cv.
Fasciculus rerum expetendarum et fugiendarum, editus ab Edwardo Bruvn (Ed.)Fai.
Brown. Londiiii, 1690, 2 vol. in-fol. ♦ ciculus.
Hisloria critica Philosophiœ, auctore Jacobo Bruckero. Lipsiae , 1742- Bu.ciiei.H. Ph;io».
1765, 6 vol. in-4°; 1766 et 1767, 6 vol in-4°.
Manuel du libraire et de l'amateur de livres, par Jacq. Ch. Brunet. 3' l'mnet, Mao. ,iu
édition. Paris, 1820. 4 vol. in-8°. ''^'■•
Caspar Bruschius, de Episcopatibus Germaniae. Norinibergae , 1549, '"-8"- '""'"^^'''U'.'leKin»
Nouvel examen de l'usage général des Fiefs en France, pendant les xi, xii, '"•'■ '^""^
XIII et XIV* siècles, par Brussel. Paris, 1717 et 1750, 2 vol. in-4". ''"isscl, isag. .1,»
Dissertations sur différents sujets de l'Histoire de France, par J. B. BuUet. ]„,'i'ierij;„e,, ^
Besançon , 1 739 , in-8°. "Vu,;, ',1'/?..""
Biovii Annales ecclesiastici ab anno 1108 usque atl i57U. Cnloniae A-Mip- «, . ■
pma;, lOio, etc. Konue , 167a, 9 vol. in-fol.
xiv TABLE
CicsaiiuiHeisieib. Vj ESARii Heisterbacencis libri 3 de Vità S. Engelberti. Coloniae , i633 ,
in-S", et dans les F'itœ Sanctorum de Surius.
Cslmrt , Hist. de Histoire ecclésiastique et civile de Lorraine, par dom Augustin Calmet.
^'■'"'- Nancy, 1728, 3 vol. in-tbi. i-j^^-i"]^-] ^ 7 vol. in-fol.
Cauibddi. Siilpt. Anglicariim , Hibernicanim, etc., rerum Scriptores, à Guill. Camdeno col-
rciiiniangl. ]ecù. Francofurti , 1602, in-f'oi.
Caiiisii,Anii(|.lcct. Aiitiquaî Lectionis tomi 6 sive vetera Monumenta primùm édita et illus-
trata notis ab llenrico Canisio. Ingoistadii , Eber, i6ui , etc., 6 vol. in-4°.
— H. Caiiisii Tliesaurus Monunientoruni. Antuerpice, 1735, 7 vol. in-fol.
c.auo ( Mrli h. de Melchioris Cani , ord. Praedic. , de Locis Thcologicis libri 12. Coloniae
Locis ibrai. Agrippina;, idoSjin-S"; Patavii , i7i5,in-4''.
Catal. niss. Ang). Catalogns librorum manuscriptoriim Àngliae et Hiberniae. Oxonii , è Tbea-
tro Sheldoniano , 1697. 1 vol. in-fol.
r*iiil. Ribliot. reg. Catalogns Manuscriptoriim BibliothecB regiae parisiensis (studio Aniceti
JMellot). Parisiis , è Typogr. reg., 1739-1744; 4 ^ol- in-fol. — Catalogue
des livres imprimes de la Bibliothèque du Roi (par Sallier, IJoudot,
Capperonnier). Paris, Inipr. royale, 1739-1750; 6 vol. in-fol.
Caialog. de li\res. Catalogue des livres de la bibliothèque de Charost. Paris, Barrois, 1742,
in-8". — Du maréchal d'Estrées. Paris, Guerin, 1740 et 1760,
2 vol. in-8". — De Rotlielin. Paris, Gabr. Martin, 1746, in-S". —
Bibliotheca baluziana. Paris, Martin, 1719, 2 vol. in-12. — Bigotiana.
Paris, Boudot, 1706, 2 vol. in-12. — Heinsiana. Lugduni Batavoruni,
1682, in- 12.
Otrl. Hlsf.de Tou- Histoire des comtes de Tolose, par Guill. Catel. Tolose, 1623 , in-fol. —
louse- Mémoires de Iflistoire de Languedoc , par G. Catel. Tolose , Bosc, i633,
in-fol.
C«Te, Scripf.eccl. Scriptorum ecclesiasticorum Historia litcraria à C. N. , usque ad seculum
XIV, auctore Guillelmo Cave. Oxonii, è Theatro Sheldoniano, 1740,
1743 , 2 vol. in-fol.
rhaijeaiMiiip, Ec- Historia sacra et profana, nec non politica, in quâ non solùm reperiuntur
des. I eod. Gesta Pontificum Tuiigrensium , Trajectensiiim ac Leotliensium, verùm
etiani Pontificum romanoriim atque Imperatorum, ac regum Franciae j
nunc primùm studio Joannis Cliapeauvillii (è veteribus libris ac monu-
miTitis) édita et annotationibus illustrata. Augustae Eburonum , 1612,
1616, 1618, 3 vol. in-4°.
(.hénier, Fabliaux OEii vies de :NL-J. Chcnier , (et de son frère André), revues, corrigées , etc.
K,om;,n,f,Hnc. p^,,.;^^ GuiUaume, i825, lo vol. in -8°; p. 88-167 du t. IV, in-8<'.
(.Tiifflci.^csoniio. J. J.ic. ('.Iliftietii , Vesontio civitas imperialis libéra, Sequariorum nietropolis,
pluribus... luonumentis illustrata. Lugduni, i65o, 2 part, in-4", edit 2° .
rjior]ii. I. fis. Rilg. Sancii Belgii, ordiiiis Praeilicatorum, studio Francisci Hyac. Choquet. Duaci,
'•"■''• Bélier, 1618, in-8 ., tig.
Chion. piov. dei Chronique île la guerre des Albigeois, écrite en langue provençale, par un
*""ï- anonyme; dans le tome 111 de IHist. de Languedoc de Vaissette, et dans
le tome XIX du Recueil des Historiens de France.
Chron Aliisiiod. Chronicon Autissiodorense scriptimi à Roberto (Abolant) praemonstratensi
ad S. Marianimi canoniro , editum à Nicolao Camusœo. Trecis , 1606,
in-fol., et tom. X, XI, XII, XVIII du Recueil des Historiens de France.
(.Iirou. lie S. ))en. Grandes chr(miqMes ik* France ( dites Chroniques de Saint-Denis), depuis
les Troycns jusqu'à la mort de Charles VII, en 1461. Paris, Bonhomme,
1476'; 3 vol. in-fol. P. Vérard, i493 , 3 vol. in-fol. Paris, Eustiice, i5i4)
DES CITATIONS. xv
3 vol. in-fol., et clans plusieurs volumes ilu Rec. des Historiens de France.
Chronicon Kivcannense, Chronique de Fécanip , dans le t. 1" de la Bihlio- chron. Fiscann
theca jKwa de Labbe.
Chronicon Episcoporuni Metensinm, dans le t. II du Spicilège de d'Acheri. Cliron. Mei«D»e
Chronicon Viconiense ab anno iii5ad laSo circiter, t. XIi,Spicil. d'Acli. Chron. vicon
— Cliion. Hictaviense; Turon. Waverlei. dans le t. XVllI du Recueil des
Hisl. de Fi.
Chroniques; voyez Alheiic , Annales Bertiniani , S. Antonin, Antonius Se- CbroDK|uci.
nensis, B/ildtdn, Bedci, DorianJ, Foresli, GenebranI, Gislebeit^Gresoritis
Tuniti., GuUvlinui- Andrensis , helinand, Higden , Jonnnes de Columna
Kny-gtlion , Krnntz , Lanfranc , Martin. Pol , Matthœus fVestinonaste-
riensts , MattUias de Michovia , Mencon, Mej'er, Otideghcrst , Panvini ,
Mntih. Paris , Pignon, Ptolomœus Liicensis , Badulplius de Coggeshalv,
Radii/fjhns de Diceto, Ricobaldus , Sc/iaten , Schedel , Thomas de Wal-
sint^hmn , Trivet
Alplinn>i (^iaconii, Vit.ne et Res Gestse romanorum Pontificum et Cardi- ciacim v i'
nairuni. Uonia', de llubeis, 1677,4 vol. in-fol.
Angeli de Clavasio Suninia angelica de casibus conscienliae. Norimber<'ae, «-k ■ ,, , ■
o _ D & ' v>i.lVdhio(Ang. (le).
i/joS, in-4".
Bibliothèiiue curieuse, ou Catalogue raisonné des livres difficiles à trou- n\ ,r, •>>
'„.,,.,. /-. ■ T • ■ r- z 1'. Clément (Djyitl.)
ver, par D.ivitl Clément, (jottingue, Leipsic, 1730-1700, y vol. in-4'*.
Jodoci (;iiciova;i Elucidatorium ecclesiasticum, ad officiiim ecclesiasticuin /-i- . r, •■
1 ., n ■ •■ r~o ■ ,0 Chcluv. Elucid.
pertineniia planius exponeiis. Pansus, i&.to, in-4 .
Collections; \oyvz Baluze , Bol/and, Bongars , Bouquet, Bron-n, Cnnibden, ,■ n
Caniiius, d\i chéri , Despont, Diplomata ,DodiWortli,Ducheinc, Durand,
Eckhail, Fell, Gale, Go/dstat, Guizot, Honiniey, Hugo, Labbe, Lcibnitz,
Lunig , iMabillon, Martenc,Ant. Matthieu, Aub. Mirœus , Muratori ,
Ordonnances , Parker , Petitot , Pez , P it hou , Recueil , Saint-} on , Sa-
vil , Scriptores, Surius , Tn'isden , tVarthon.
Mémoires pour servira l'Histoire ecclésiastique , civile et militaire du Ver- ,- i,-
I • ' ,^11- ^ I • r. • o 1 • , Lollielle, Hist. du
mandois, par Colhette. Cambrai et Pans ,1771 et suiv. , ,-J vol. in-4°. Vimund
Joannis Coliinibi, è Societate Jesu, libri 4 de Rébus Valetiiinorum et Dieu- r, 1 . i- i- ■
. ' ' ^^ _ V..01UI11U1 , tniso.
sium episcoporum. Lugduni, io38 vel i652, in-8°. Ejusdem libri 4 de Valem.
Rebiis gestis episcoporum Vivarensium; Lugduni, i65i , in-4".
Conciles ; voy. Baluze , Btisin , Harduin, Liibhe, Maan, Spe.'inan , Jf ilkiiis. Concilei.
Histoire moderne, par Condillac, t. XVI et XYII de ses œuvres complètes. Condillac.H mod.
Paiis, 1798, 23 vol. in -8°.
Cornelii à Lapide commentaria in libros veteris Testament!. Antuerpiœ , Comel à Lanid»
Nutius, if)3o-i647, 10 vol. in-fol. Commpnt.
Pauli Cortesii de hominibus doctis Dialogus. Florentiae, 1734, in-4°. Coiies. (Paul.)
Les Antiquités, Chroniques et Singularités de Paris, par Gilles Corrozet. Conozct, Amiq
Paris, i565, in-ia.
Chansons du châtelain de Coucy, revues sur les mss. par M. Francisque < ouc» Chanaom
Michel, Paris, Crapelet, i83o, gr. in-S".
Crantz; voyez Krantz. Cranta (Alh.).
Istoria délia volgar Poesia, diGiov.Mar. Crescimbeni. Roma , 1698, in-4". Crescimbeni.
Venezia, 17301731 , 7 vol. in-4°. Dans le t. Il, File de' Poiti pri>ven-
zali, traduites du français de J. Nostradamus, et augmentées de notes.
Histoire de l'Université de Paris, depuis son origine jusqu'à 1600; par Cievi^r, Hist. de
Crevier. Paris, Desaint et Saillant, 1761, 7 vol. in-ia. l'Univ.
Joannis Growaei Elenchus scriptorurain sacraïuscripturam. Londini, 1672, Cron»n», Scripi-
xvi TABLE
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crain scripturam coninieiitati sunt. Londini, 1668, in-8°.
Cuvlcr, Hisi. Jes Histoire naturelle des Poissons, par MM. Cuvier et Valenciennes. Paris,
,,oi.,un5. Levrault, 1828, 6 vol. in-S".
D'Acbeiy, Si.icll. U'AcHEBY. Spicilegium sive CoUectio veteniin scriptorum, cura Lucae
d'Achery. Parisiis, i635-i6-y , i4 vol. in-4°. — Parisiis, Montalant ,
1723, 3 vol. iii-fol.
DAiRiripuiile, H. Histoire civile et ecclésiastique de la ville de Montpellier, par Ch. D'Ai-
(le Muiirp. grefeuille. Montpellier, i-)~ et 17^9, a vol. in-iol.
naire.il.dAii.ifns. Histoire de la ville fl'Auiiens clepuis son origine , par le P. Daire, Paris,
ijSj, 2 vol. in-4°.
l).,iii.l. II. Je i"r. Histoire de France, par le P. Gabriel Daniel, jésuite. Edition de Griffet.
Paris, 1706, 17 vol. in-4". Amsterdam, 1755, 24 vol. in-12.
Dante, C(. mm. Div. H Paradiso, parte délia Diviiia Conimedia del Dante. Parma, Bodoni, 1796,
Pjiad. in-4". — La Divine Comédie du Dante, en italien et en français, tra-
duction de M. Artaud. Paris, Firm. Didot, 1828 6129.9 '*'*''• '"-18.
"""4"'"'''''"' Histoire de Bretagne , par Daru. Paris, Firmin Didot, 1826, 3 vol. in-8°.
nai.r.H.le Venise. Histoire de la république de Venise, par Daru, 2^ édition, revue et cor-
rigée. Paris, Firmin Didot, 1821, 8 vol. in-8".
DAiiieuii . 11:5t. Histoire des Ministres d'Etat, par Charles de Combault, baron d'Auteuit.
des MiiiistLs. Paris, 1642, in-fol. Pans, 1667, 1680, 2 vol. in-12.
Der.iosses, Foiiii. Traité tle la Formation mécanique des langues, par le président de
'^*' '■'"!<■ Brosses. Paris, 1801, 2 vol. in-12.
n^ikiieir. Sciii)t. Joannis Deckherr, de scriptis adespotis , pseudepigraphis et supposititiis
^'''"'P- conjectiirae. i63i, in-12.
Defouiaiiie, Clins, ("onseil que Pierre Desluntaines 1 ou Défontaine") donne à son ami, ou
Traité de l'ancienne jurisprudence, en français; à la suite de Joinville,
édition de Ducange. P.iris, 1668, in-fol.
Dclambre, liist.de Histoire de l'Astronomi,.' du moyen Age, par Delambre. Paris, veuve
l'asiron. Courcier , 18 18, in-4".
Delandinc , Diri. Nouveau Dictionnaire historique (de Chaudon\ augmenté par Delandine.
'''"'■■■■ Lyon, Muysset, 1804 , i3 vol. 'in-8°.
Oelandine , .Aisj Man uscrits de la Bibliothèque de Lyon , ou Notices sur leur ancienneté, etc.,
^'^ Lyon p,„ fr. \„t. Dclandine. I.yon et Paris, 181 2, 3 vol. in-8°.
De h Rue, K.ii- Essais historiques sur les B.iriles, les Jongleurs et les Trouvères, par M. de
''". •■"• la Rue. Caen , i834, 3 vol. in-8°.
Hepplnj:, iii>i lie» lliiioire des expéditions maiitimesdes Normands, par M. Depping; onvrage
.N.MiiKMids. couronné par l'Acadénue des Inscriptions et Belles-Lettres. Paris, 1826,
2 vol. in-8".
l)esl.lll(!.■.,l|l^l..le Histoire critique de la Philosophie, par Deslandes. Amsterdam, Ghanguyon,
la philos. _<- / I ■
' *7'7 ) 4 ^"l- in-12.
Desaioieis.'Meii,. Continuation des !\Iémoires de littérature et d'histoire de Sallengre, par
le l'. Desniolels , de l'Oratoire. Paris, 1-26-1731, 11 vol. in-12.
iv«pr.iit, nihiici Biblintlieca maxiuia veternm patrum, cura Philippi Despont. Lugduni,
""''• '677, ao vol. in-fol.
lieviii,-, chiiean- flistoiic du Cliàteaii-Gaillai d et du siège qu'il soutint en i2o3 et iao4, par
'•"'"■ M. Achille Devdie. Houen, 1829, in-8", fig.
Hciil'e lombeaui Toinbeaux (le la cathédrale de Rouen, par M. ,Ach. Deville. Rouen, i833,
•''■«""«"• u,8°, fig.
DES CITATIONS. xvij
Bibliotheca scriptorum. ordinis cisterciensis , auctore Carolo De Vich. Co- i)eVi»ch, Bibliot.
loniae Agrippinae, i656,in-4°. cisierc.
Diploiuata , Cliartae et alla docuiiienta ad res francicas spectantia. Edide- Diplomaïa.ch.etc.
runt et notis illustrarunt G. O. de Brequigny et J. G. la Porte du Theil.
Parisiis, Typogr. Reg. 1791 , 3 vol. in-f'ol. — Les tomes II et 111 ne con-
tiennent que des lettres d Innocent 111.
Pétri Dorlandi Chronicon carlhiisiense. Coloniae, 1608, in-S". Dori. (P.), Chron.
Histoire des Révolutions d'Angleterre, par le P. d'Orléans, jésuite. Paris, , "f*"" „ . ,
1744, 4 vol. in-i2. d-Ang,
Histoire de la ville de Soissons, et de ses rois et ducs , etc. , par Cl. Dormay. Dormay, Hist. d«
Soissons, 1693, 2 vol. in-4°. Soiss.ms.
Draudii Bibliotheca classica. Francofurli, 161 1 , in-4°. ^^"J^^^ Biblioih.
Historia ecclesiae parisiensis, auctore Gerardo Dubois. Parisiis, Muguet, i,ui,„is' HUt. ec-
1690 et I71O, 2 vol. in-fol. des. Paris.
Historia Universitatis parisiensis, auctore Caesare Egassio Bula:o. Parisiis , ],„ Boui;,y nist.
1665-1673, 6 vol. in-fol. Dair. Paris.
Caroli Dut'resne du Cange, Glossariutn niediae et infiniœ latinitatis, cum Dn Caogt , GIom.
Indice auctorum. Parisiis, Osmont, 1733-1736, 6 vol. in fol. — Supple-
mentuni, auctore D. F. Carpeatier. Parisiis, 1766, 4 vol. in-fol.
Histoire de l'empire de Consiantinople sous les empereurs français, par i)n c^nge, H. d«
Dufresne Du Gange. Eloge et texte (rajeuni) de Vilîe-Hardouin, avec des C. P.
notes. Paris, 1657, in-fol. Du Cange a donné aussi une édition de Join-
ville, i668, in-fol.
Histoires généalogiques des Maisons de Chastillon, Montmorency,... Coucy, .Dachnne (A), H.
Dreux,... Bétliune; par André Duchesne . Paris, 162 1-1639, 7 vol. in-fol. g^neai.
Hisloriae Frgncorum Scriptores, à gentis origine ad Philippi IV tempora, UuchesDe(.\.),9cr.
editi ab Andraeâ Duchesne , et posl illuni à Francisco ejus filio. Parisiis, ■«■"• e^U-
1 636- 1649, 5 vol in-fol.
Duchesne (A.) , Bibliotheca cluniacensis. \ oyez Mnrrier. Tr'ih' i
Histoire des cardinaux français, par François Duchesne. Paris, 1660-1666, Dochesne (Kr.) H.
2 vol. in-fol. des card.
Histoire des chanceliers et gardes des sceaux de France, par Fr. Du- Dacbe5ne(Fr.)H.
chesne. Paris, 1680, in-fol. de» ehanc.
Histoire de Paris, par Diilaure. Paris, 1821 , etc. , 7 vol. in-S" — iSaS, Dubore. Hist. d«
10 vol. in-12 , avec atlas et fig. Piris.
Histoire de l'église de Meaux, par dom Martin Du Plessis. Paris, Gandouin, Du Plessûi, H. d«
n3l , 2 vol. in-4°. Meaux.
Bibliothèque ecclésiastique, par L. Ellies Du pin, xiii* et xiv* siècles. Paris, Uupin(EU!es)Bibl.
Pralard, 1697, ^ ^*''- '"-8°. ecclé».
Traité de la majorité des Rois, et des Régences du Royaume, par P. Du Puy. Dapnj , Majorité
Paris , i655 , in-4°. — Avec un Traité des pinséminences du parlement des H., «ic.
de Paris. Amsterdam, 172a, 2 vol. in-8°.
Durand. Voyez Martene. Doraod Béi.éd.
Recueil des Rois de France, leur couronne et maison, par Jean DuTillet. Do TUlet , Rois de
Paris, 1618, in-4°. ^'
Traité» de paix, de trêves, d'alliance entre les rois de France et d'An- Du Tillrt , Traita*
gleterre, par J. Du Tillet. Paris, Dupuis, 1688, in-fol. de Paix.
Bibliothèque française de La Croix du Maine et de Du Verdier de Vau On Teroier, Bi-
Privas, avec des rem. de la Monnoye, etc. ; nouvelle édition, donnée par ^lioi. fr.
Rigoley de Juvigny. Paris, Saillant et Nyon , 1772, 6 vol. in-4°.
Tome XV m. , c
2
XVII
J
TABLE
Da Yipnay, Trad.
de Vinc. de B.
Eidmer,IIist. oov.
Ecclûiasle.
Erbard , Scrîptor.
ord. Praed.
Ëckbart , Corpus
historic.
Eggs, Pontif. do»:ï-
Kggs, Porp. docta.
Eisengrein ,C^Ial.
Fest.
Éloy , Dlct. hlsl.
de médec.
£mon. Cbron. Ili-
ner.
Eipîlly,Dicl. péo-
grapb.
F«bric.Cod.Pseod.
Fabric. liiblioUi.
écries.
Fabrir. Bibl. gr.
Fabric. Bibl. ined.
et inf. lat.
Facciolati l*e»ic,
lat.
F«achet(Cl.), An-
(iq. fr.
Félibien,S.'Deni>
K«ll. Script, rer.
•ogi.
Le Miroir historial de Vincent de Beauvai.'î, traduit en français par Fr. Du
Vit;.iay. Paris, Véiard, 1495, 1496, 5 vol. in-lol.; Paris, JSic. Couteau,
i535 , 5 vol. p. in-fol.
EADMERi,canluariensis monaclii, Historia novorum , sive rerum sui seculi,
al) anrio 1066 ad 1122. Londini, 1623, in-fol. — Et ad calcem Ope-
nini S. Anselmi. Parisiis, lôyS, in-fol.; 1721, in-fol.
L'Ecclesiaste, l'un des livres sapientiaux compris dans l'Ancien Testament;
éditions de la Bilile.
Scriptores ordinis Praedicatorum, opus inchoatum à Jacobo Quetif , abso-
lutumà Jacobo Echard. Parisiis, 1717, 1721, 2 vol. in-fol.
Corpus historicuni medii aevi, à tempore Caroli Magni, ad finem seculi xt,
studio J. Georg. Eccardi (Eckhart). Lipsiae, 1723, 2 vol. in-fol.
Georgii Jos. Eggs Pontificium docluui, seu vitœ, res geslae, obitus, aba-
que scltu et niemoratu digna pontificum romanorum. Colonise, 1718,
in-fol.
Georgii Jos. Eggs Purpura docta, seu vitre, legationcs et res gestœ cardina-
lium qui docirinâ et scriplis inclaruêre. Moiiacbii , 1714- 3 vol. in-fol. —
Siipplementum Purpurae doctae. Augustae Vindelicorum, 1729, in-tol.
Guillelnii Eisengrein Catalogus Tesiiuni veritalis. Dilingen, i685, in-4".
Diciionnaire historique de la Médecine, par N. F. G. Éloy. Mons , Hoyoi» ,
1778, 4 vol. in-4".
Euionis Clironicon (in quo Itinerarium TernE sanctae includitur). In tonio
secundo Analectorum veteris aevi ab Antonio Matthœo editonim ; dein in
tomo primo Monumentorum sacrae Antiquiiatis , p. 429-5o3.
Diciionnaire géographique, historique et politique des Gaules et de la
France, par l'abbé Expilly. Avignon, Paris, 1762-1770, 6 vol. in-fol.
V ABT.iAOx. Voyez Méon.
Codex Pseudepigraphus veteris Testamenti collectus et illustratus àJoanne
Alberto Fabricio. Hamburgi, 1722-1741, 2 vol. in-8".
J. Alb. Fabricii Bibliotheca ecclesiastica in quà continentur de scriptoribut
ecdcsiasticis libri plurinioriim. Hamburgi, 1718, in-fol.
J. Alb. Fabricii Bibliotlieca Grœca, sive nolitia scriptorum veterum Graeco-
rum. Hamburgi, 1718-1728, i4 vol. in-4". — Ibidem, 1790-181 1 , l '^
vol. in-4°.
J. Alb. Fabricii Bibliotheca mediae et infmiae latinilatis. Hamburgi, 1734,
6 vol. in-8". — Cum notis Douiinici Mansi , Patavii, Mambré, 1754, ^>
vol. in-4°.
Totius latinilatis Lexicon , consilio et cura Jacobi Facciolati, operà et stu-
dio yEgidii Forcellini lucubratum, editio altéra locupletior. Patavii,
typis seminarii, i8o5, apud Thomam Bettinelli, 4 vol. in-fol. — Idem
in tertiâ editione auctum et emendatum à Josepho Furlanetto. Patavii,
typ. sem., i83o, 4 vol. in-4°.
Les OEuvres de Claude Faucbet, président en la cour des monnoies (Anti-
quités gauloises et françoises, etc.). Paris, iSgo, in-4°.
Histoire de l'Abbaye de Saint-Denis en France, par Dom Michel Félibien.
Paris, 1706, iu-l'ol. , fig.
Rerum Anglicarum scriptores editi studio Joannis Fell. Oxonii, è Tbeatro
Sheldoniano, 1684, iu-fol.
DKS CITATIONS.
XIX
Historia gênerai de sanf o Domingo, de su Orden de Predicadores, por Ferdi-
nando de Casiillo. Madrid, Sanchez, i 584, iSga, 2 vol. in-fol.
Trattado di' los servicios de la Orden de Predicadores, por Alph. Fernandez.
Piiitia , i6i5 , in-fol.
Histoire de S. Louis , divisée en i5 livres, par J. Filleau de la Chaise.
Paris, 1688, 2 vol. in-4° ou in-12.
Histoire ecclésiastique , par Claude Fleury. Paris , 1691-1737, 36 vol. in-4°
ou in-12 (y conipiis la continuation par le P. Barre <le l'Oratoire).
Traité du chr)ix et de la méthode des Etudes, par Ci. Fleury. Paris,
Auhoin , 168'), in-12.
Bihlioieca délia eloquenza italiana, da Giiisto Fontanini, colle Annotazioni
di .Aposlolo Zeno. Venezia, ijSS, 2 vol. in-4".
Jos. F. Foppens Bihliothera Belgica, seu virorum in Belgio scriptis illus-
trium Caialogus. Bruxellis, 1739, 2 vol. in-4°, fig.
Jacohi Philippi (Foresti) hergomensis, Supplementum Chronicorum.
Veneiiis, i5S3, in-fol., iSSi, in-4°.
Nouveau sistème de Bildiografie alfahétique , par M. le Marquis de Fortia
d'LJrlian , 2" édition. Paris , 1822 , in-12. — Voyez Jacq. de Guise.
Venanlii Honorii Clementiani Fortunati Carminum , Epistolarum, F.xposi-
tionuin lihri 12, cuni noiis Christophori Broveri. Moguntiae, 1617, iii-12.
Traité historique et critique sur l'origine et les progrès de i'Ilnprinierie, par
P. S. Fonrnier le jeune. Paris, Barbou (1764), in-S".
La FraiiC(r ecclésiasti(|ue pour 1789', Paris, in-i8.
Germaiii< ariMu rerum scriptores aliquot insignes , operâ Marquardi Fre-
heri collecti Francofurli, 1602-1611, 3 vol. in-fol. — Curante Burch.
Golth. Slruvio. Argentorati , 1717, 3 vol. in-fol.
Histoire (le la Médecine depuis Galien , par Freind , traduite de l'anglais en
français par Noguez. Paris, 1728, in-4°.
Friderii i Golth. Freytag, Analecta literaria de libris rarioribus. Lipsiae, 1750,
p. iii-S" , 2 tom.
Fritl. G. Freytag, Adparatus literarius iibi lihri, partiu antiqui, partim
rari recensentur. Lipsiae, 1752-1755, 3 vol. p. in-8".
Vita et Gfsta Gualre Bicchieii, cardinalis, collecta à Philadelpho Lihyco
( Jose[)lin Frova ). Mediolaiii, 1767, in-S".
The Hi-tory of the Worthies of England , by Thomas Fuller. London ,
1662 , in loi. ; London , Nichols, 1810, iSi i , 1 vol. io-4".
Kcritin. drCaatiUo.
Fem.ind. ord. d«
l'red.
Killeaa de la Cfa.
H. lie S. Louis.
Flenry, H. ecclés.
t-Ieui-y , Tr. de»
élades.
FoniauÏDÎfBibliot.
Foppens , Bîbliol.
r.eig.
F'oresiifJac.Phil.),
r»rrguro. Cbr.
Foriij (de), Bi-
bliugr. alfab.
ForloDSti CanD.
Foamîer, Orig. de
l'Jmprim.
France e<'clMÎast.
Freh.(Marq.)Scr.
Gcrni.
FVeind. Hist. delà
niêtiec.
Freytag, Anal.
Freyiag , Adpar.
Frova, Viia Gil.
card.
Foller, Worih. ot
Engl.
(jAiixABD. Histoire de François 1". Paris, 1819, 5 voL in-8". '"FranVr'" '
Historiae Britannica;, Saxonicae, Anglo-Danicae scriptores i5, necnon His- Cale, Scr. angL
toriae angli<ae scriptores 5, editi et in unum collecti operà Thoniae Gale.
Oxonii, 1^)91 , 2 vol. in-fol.
Galfridi de Vinosalvo Poetiia, Mss. reg. 8171, 8246. Apud Leyserum, Galfrid. de VIb«
Hist. Poematuin medii aevi. — Carmen Apologeticum in Analectis Ma- .Salvo.
bilioiiii, p. 369. — Historia hierosolyinitana. Apud Bongarsium, G. Dei
per Fr. t. 1 , p. i i5o-i 172.
Du Franc Alleu et origine des Droits seigneuriaux, par Galland; avec les Oalland (Angoai.),
lois données au pays di-s Albigeois en 1212, par Simon comte «le Mont- '"''•
fort. Paris, 1637, in-4". '
Gallia chiistiana (vêtus) , operâ fratrum gemellorum Scsevolae et Francisci Oall. clir. t.
Sammarthanoruni. Parisiis , i656 , 4 vol, in-fol.
C.
XX
TABLE
Gall. chr. a.
Galt.Comol.Sosc.
Cor.
ËiDeiid.
Gallia chrisUana nova, opeiâ Dionysii Sammarthani et aliorum bencdicli-
norum. Parisiis, 1715-1795, i3 vol. in-fol.
Historia susceptionis coronae spineae Jesu Chnsti , auctore Galtero Lot-
Garcia
errai.
Gariel , Praes. Ma-
galon.
Garin le Lob.
Genebrard, Chr.
Gtrbert. de S.Blas.
n„to; —dans le t. V des Scriptores Historiée Francorum de Duchesne.
mendatio erratonirn in Sunimà divi Thomae, curà etdiligentià Francise!
Garcia, dominicani. Tanacona-, 1678, in-4°.
Séries Prœsulum Magalonensium et Monspeliensium, auctore P. Gariel.
Tolosœ, i562 , in fol. ll>id. i665 , in-fol.
Le Roman de Garin le Loherain. Voyez P. Paris.
Gilberti Genebrardi Chronographiae libri 4- Parisiis, i58o, in-fol.
Gerberti de Sancto Blasio liber de Cantu et Musicà sacra. Typis san Bla-
sianis, 1774, 2 vol. in-4".
Gervasii cicestriensis , abbatis prseraonstratensis , episcopi sagiensis ,
Epistolae, in Tomo 1° Monuinentonnn sacrae Antiquiutis, ab Hugone
editorum.
Gervasii tilburiensis Otia iniperiaiia, inter Scriptores brunswicenses à
Leibnitzio édites, t. I, p. 881-1004.
"^'hr^h^""'^*' Conradi Gesneri Bibliotheca generaiis. Tiguri, i545 et i548, 2 vol. infol.
GibboL, Hbi. of History of the décline and fall of the Roman empire, by Edw. Gibbon,
Loiulon, 1777-1788, 6 vol. in-4°.
Histoire littéraire d'Italie, par L. Ginguené. Paris, Michaiid, 1811-1819,
g vol. in-8°. — a' édition, ibid., 1824, 10 vol. in-8°.
Gerardi de Fracbeto Chronicon lemovicense fratrum Praedicatorum. Mss.
Girardi Cambrensis de Instructione principis libri 3 (inediti). Brial en a
inséré des extraits dans le t. XVIII du Recueil des Historiens de France.
Ilinerarium Cambria;. Londini, i585, in-8". — Descriptio Canibris
in collectione Cambdenianà et in Anglià sacra Whartoni.
Vies des Saints pour tous les jours de l'année, avec le Martyrologe ro-
main, par Fr. Giry, minime. Paris, I7i5, 2 vol. in-fol.
Cbronicon Gisleberti montensis. Dans le Recueil des Historiens de France,
t. XVIII, p. 363.
Langue et Littérature des anciens Francs, par G. Gley. Paris, Michaud,
i8i4,in-8°.
Godefridi, monaclii S. Pantaleonis, Annales ab anno 1162 ad 1237. Dan»
le t. I*""^ de la Collection d Historiens d'Allemagne, de Freher.
Le Cérémonial françois, par Théodore Godelroy, mis en lumière par
Denis Godefroy. Paris, 1649, 2 voL in-fol.
Pra»nl. prancisci Godwini de Pra-sulibus Anglia; commentarius, omnium episco-
poruni necnoncardinaliuni ejusdem gentis nomma, tempora, seriem at-
que actiones,... exhibens, cum additionibus GuillelmiRichardson. Can-
tabrigise, 1743, in-fol.
Reruni Alaniannicarum Scriptores vetusti , à Melcbiore Goldasto collecti,
terliaeditio curàC. Senkenbergii, Francofurti , 1730, 3 t. in-fol.
S. Valeriani sermo de bono Disciplinae, et Isidori hispalensis de Praelatis
fragmenlum, studio et cum notis Melcbioris Goldasti. Genevaj, i6oi ,
Gerrai. cicestr.
prîeni
Gervasii tiJbar.
Olia iiDp.
roui. ctup.
Ginguené , llîst.
liller. d'Italie.
Ger. de Fracbelo.
Girard. Carobr.
Giry, Vie» des SS.
Gùleberli Cfaroo.
Gley, Lang. frju'i-
Godcfr. Annal.
Codefioi, (^éiéin.
OodKin.
Angl.
C.oldasi.Abm.Sci
Goldasr. Fragui.
Guldast.Monarcb.
Gotnin de Bow.
auctore Melcbiore Goldasto. Hanovise ,
in-8°.
Monarchia S. Romani imperii,
161 1 . 3 vol. in-fol.
De Viia b. Aiiiiilpbi de Cornibutio, libri 2, auctore Goswino de Bossuto.
Atrebati, i6oo, in-ia. — Et in Actis SS. Rolland. Jun. t. V. 6o8-63i.
DES CITATIONS.
XXI
J. Ernesti Grabe, praefatio et nolae ad Testamentum la patriarcharum.
Oxonii , 1698, in-8°.
Critique abrégée des ouvrages des auteurs ecclésiastiques, par J. Granco-
las. Paris, 1716, 2 vol. in-12.
Histoire du comté de Bourgogne et de ses souverains (par P. Phil. Grappin.)
Besançon, 1787,10-8°.
Graiiani Decretum. Argentinae, i4yi, in-fol. — Cum notis ; Venetiis ,
1777 , 4 vol. in-4°.
Essai sur la Littérature néerlandaise, par M. de S'Gravenwert. Amster-
dam , i83o, in-8°.
Vincentii Gravinae libri 3 de ortu et progressa juris civilis. Neapoli, lyiS.
Georgii Florentii Gregorii, episcopi turonensis , Opéra omnia, studio
Theodorici Ruinart. Parisiis, 1699, in-fol.
Trias Scriptorum adversus Waldensium sectam : Ebrardus bituniensis ,
Bernardus abbasFontis Calidi, Elmengardus; cura Jacobi Gretseri. Iii-
golstadii, i6i4, in-4". — Gretseri Opéra omnia. Ratisbona;, 1784 et seqq.,
17 vol in-fol.
Guiilelmi altissiodorensis Summaaurea. Parisiis, i5oo, in-f«I.; i5i8, in-fol.
Guillelmi andrensis Chronicon ab anno 1082 ad ia34, dans le Spicil. do
d'Ach. , t. XV.
Guillelmi arverni, parisiensis episcopi, Opéra omnia collecta studio Fer-
ronii. Aureiiani, 1674, 2 vol. in-fol.
Gesta Philippi Augusti descripta à Guillelmo britone. — Ejusdem Guil-
lelmi Philippidos libri 12, dans le t. V du Recueil de Duchesne, et
dans le t. XVII de la grande collection des Historiens de France. —
Philippidos Hbri 12 cum commentario Casp. Barthii. Lipsiae, i6g3,
in-4°. — Traduction française de la Philippide, dans le t. XII de la col-
lection de M. Guizot.
Guillelmi de Nangiaco liber de Gestis Ludovici IX; dans les Recueils de
Pithou et de Duchesne, et en français à la suite de Joinville, édition de
1761. Traduction en français moderne, dans le t. XIII de la Collection
de M. Guizot
Guillelmi de Podio Laurentii Historia bcllorum adversus Albigenses. Dans
le t. V du Recueil de Duchesne; XIX de la grande collection des His-
toriens de France. Traduction française dans le t. XV de la collection
de M. Guizot.
Guillelmi rhedonensis Adparatus in sumraam Rajmundi de Penna Forti.
Voyez Raimond.
Guillelmi, tornacensis monachi, libri 19 Flonim ex S. Bernardi operibus.
Lubecae, 1482 , in-fol. Norimbergae in-fol. Parisiis, i499> in-4°; i5o3 ,
in-S". Lugd. , j566,in-8°; 1570, in-12.
Guillelmi tyrii , Historia rerum in partibus transmarinis gestarum. Dans
le Recueil deBongars. — Editions particulières, à Bàle, i549, i564)'r'-'ol-
Collection de Mémoires relatifs à l'Histoire de France, depuis le commen-
cement de la monarchie (traduits en français), publiée par M. Guizot,
Paris, 1823-1826, 29 vol. in-8°.
Grabe, Tc9tuB. 13
patr.
Granculas , Crit.
ecclés.
Grappin , Hist. de
la Fr. C.
Gratiaiii Décret.
Gravenncrl, IJtt.
Deerl,
Gravina, J. Civ.
Gregor. raron.
Gretur.adT.Wild.
Gnillel. altùaod.
Giiillelm. andrens
Guillclm. arvein.
Gaîllelmi brilonis
Pbilipp.
Goillelm. d« Nan-
giaco.
Guillelm. dt Pod.
LaDr.
Guilleltii. rhedoD.
Gaillrliu. toro. Kl.
S. Itcrli-
Guillelni. tjr.
Guizur . CoUoet.
Halgrin. Joannis Halgrin de Abbatis villa , cardinalis , sermones, manu- Halgnu, carJ.
scripù. — Comment, in Gant, cantic. Parisiis, iSai , in-fol.
Notices sur les écrivains de tous les siècles jusqu'à l'an i5oo, par J. Chr. Hambcrget.
Hamberger. Lemgo, 1756-1764, 4 part. in-S" (en allemand).
2 «
XX1J
TABLE
Hardain, Cône.
Hirpsfel(l,H.eccl.
angl.
Harliheim , Bi-
bliolh. col.
Havelok.
Haym , BIblIolh.
ital.
Hearne (Th ), Scr.
Hisl. augl.
Helloand. Cbron.
Hélyol, Hisl. des
ordr. iD'inast.
Héméré , de Schol.
Héraéré, Atigast.
Viioin.
HcDaull, Abr. chr.
Henri de Valenc.
Uenric. gandav.
Henriquez, Fascic.
HeDri(|uer , Me-
nolog.
Henriqoez, Phœn.
Hickes. Lilt. srpï.
HigdeD , Polychr.
Uiu. lin. delà Kr.
Hoins , Vita Ja-
cobi de Vilr.
MominPT , Supp].
Kil.1. l'I".
Horaiius.
UubrrI, Aniiqnit.
dOrl.
Collectio regiamaxima Conciliorum, studio Joannis Harduini, jes. Parisiis.
t3'pis regiis, I7i5, 12 vol. in-fol.
NicoLii Harpsfeldii Historia anglicana ecclesiastica , cum ejusdem Historiâ
Wicklefianà, etc. Duaci , 1622, in-lol.
Josephi Haitzheim Bibliotlieca coloniensis, in quâ vitœ et libri recensen-
tiir omnium iiidigenarum , etc. Culoniae, 1747, in-fol.
I.e Roman dHavelok. Voyez Modden et Fr. Michel.
Birilioteca italiana o sia notizia de' libri rari ilaliani; da Nie. Fr. Haym ,
corretta ed ampliata (da Giatidoiiati). ftlilano, i8o3, 4 *"'• in-8°.
Sciiptores varii de Historiâ anglicana, editi à Thuniâ H«aine. Oxonii ,
1709-1735,64 vol. in-8".
Helinaiidi opus Chronicorum et Sermones 28, in tomo VII° Bii>liothecse
Patrum cisterciensium , à Bertrando Tissier editœ.
Histoire des ordres monastiques, religieux et militaires, etc. (par le
P. Hi'lyot, continuée par Bullot ). Paris, 1714-1719, 8 vol. in-4".
De Seholis pnblicis earunique magisleriis Uisseriatio (.laiidii Hemernei. Pa-
risiis, la Périère, i633,in-8". — l'jusdeiu Diss. de Academià paiisiensi,
qualis piiuiô fuit in Insulà, et de sclinlis episcoporum. Parisiis, Cra-
moisy, i637,in-4°- — t!'- Hemertei ,\ugusta \ironianduoriim vindi-
cata et illustrata. Parisiis, i634, in-H".
Abrégé cbronologique de IHistoire de France, par le président Hénault.
Paris, 1768,3 vol. p. in-8°.
Continuation de Villehardouin , par Henri de Valenciennes, dans le tome
XVlll du Recueil des Historiens de France.
Henricus gandavensis «le sciiptoribus ecclesiasticis, in Bibliolliecà eccle-
siastica Joannis Alb. Fabricii.
Fasciculus sanctorum ordinis cisterciensis, cura Chrysostomi Henriquez.
Colonia", i63i , 2 vol. in-4".
Menologium cisterciense, notalionibus illustratum, cum constilutionibus et
privilcgiis ejusdem ordinis, cura Clirys. Hentiquez. Antucipite, Moret,
i(i3o, in-fol.
Clir. Heiiiiquez Phœnix reviviscens , seii scriptores ord. cisterciensis Ah-
gliae et Hiberuiae. Bruxeilis , i6'j6, in-4°.
Hickesii (Georgii) Antiquse litteraturae seplentrionalis libri duo. Oxonii,
ijoli, 1 vol. gr. in-fol.
R. Higdeni Polyclininicon, libris7 comprehensum. Dans le Recueil d'His-
toriens aiij;lais de Tbomas Gale.
Histoire littéraire de la France , commencée par des bénédictins ( Dom
Rivet , etc. ), continuée par des membres de rin.>iitut (MM. Brial,
Giiigiicné, Pasioret, D.mnoii , Amaiiry Oiival , Pnit Radel, Eiiiéric
Davi<i). Paris, i733-i835 , in-4°. C'est l'ouvrage tlont nous publions le
XVlir tome.
Jacob) de Vitriaco vita , ejus orienlali Historiae prxGxa ab Andréa Hoio.
Duaci , i5g7, in-8".
Supplemeiituni Bibliothecae Patrum, editum à Jacobo Hommey, Parisiis,
iM-8°.
Q. Hoiatii Flacci Opéra (odœ , satirœ , epistolae , arspoetica). Biponti,
1783 , in-8", etc.
Aiiiiipiitcs historiques de l'église de Saint-Aignan d Orléans, par R. Hubert,
chanoine. Orléans, Hotot, i66l , in-4".
DES CITATIONS.
XXllJ
Annales Praemonstratenses, auctore Car. Ludovico Hugone. Nanceii, Cus- Hogo , Amulet
son, 1734 et 1736, 2"vol. in-fol. Piaem.
Monunienta sacrœaniiquitatis, studio Car. Ludov. Hugonis. Stigavii, 1725, Hugo , Monoi».
2 vol. in-fol. MC. aotiq.
Hugonis de FlorefHa, vitae tritim sanctimonialium , inActis SS. BoUand., Hugon. de Floreff.
i3janv. t. I, p. 863-887.
Hislory of England from the invasion of Jiilius Cœsar, to the Révolution Hame , Hisiory of
in 1688, by David Hnnie. London , 1770, 8 vol. gr. in-4°. ^"S'-
Romans de Hnon de Villeneuve (les éditions en Sont indiquées p. 73i
du présent vol. ).
Ignace de Jesus-Maria (Jacq. Sanson), carme déchaussé. Histoire ecclé- ig"»" ^*.'!', **
siastiqiie d'Abbeville. Paris, 1746) in-4''.
Josephi Inibonati Bibliothe'ca latino-hebraïca , sive de auctoribus latinis qui
contra judaeos scripsêre. Romae, 16941 in-l'ol.
Innocenti 111 Epistolae cum libro de gestis ejus anonyme; cura Stephani
Baluzii. Parisiis, 1682, 2 vol. in -foi. — Dans les tomes II et III du
Recueil de Bréquigny et du Theil, Diplomata, CAartœ; dans le tome
XIX du Recueil des Historiens de France.
Iiiibonati,BibUotb.
hebr.
Innocent. ITI EpUt.
J ACuBi de Vitriaco , Historiae orientalis et occidentalis libri 3. Duaci, 1697,
in-8", et dans Gesla Dei per Francos, de Bongars.
Histoire du Hainaut par Jacques de Guise, texte latin et version française.
Paris, 1826-1834. i5 vol. in-S" ; édit. donnée par M. de Fortia d'Urban.
Histoire de Méhisine, par Jehan d'Arras. Paris, Nie. Bonfons , in -4°-
Paris, le Caron et le Petit, in-fol.
Joannis de Columna Chronicon sive flores Historiamm ab O. C. ad ann.
C. i25o , libris 10. Mss. — (In Summà hist. S. Antonini.)
Joannis Iperii Liber de vitâ Bernardi pœnitentis, etc., in Actis SS.
Bolland., 19 et i3 april., p. 674-697, p. 93.
Pharaonis et Josephi epistolae 20, auctore Joanne lemovicensi, in codice
Pseudepigrapho veteris Testanienti fabriciano.
Vie de S. Louis par Joinville, édition de Ducange. Paris, 1668, in-fol. —
Edition de Capperonnier. Paris, imprimerie royale, 1761, in-fol.
Purpura divi Bernardi sive Elogia pontificum, cardinalium, archiep., epis-
coporum, ex ordine cisterciensi; auctore Gasp. Jongelino. Coloniae
Agrippinae, Kalcov. i6"44> in-fol.
L'Historial du Jongleur; chroniques et légendes françaises, publiées par
Ferd. Langle et Emile Morice, ornées d^initiales , vignettes et fleurons,
imités des Mss. Paris, Firmin Didot, Lami Denozan, 1829, gr. in-8°.
Jordani Nemorarii de Arithmeticâ libri 10. Parisiis, 149^1 in-fol. — De
Ponderibus propositiones i3. Norimbergae, i533,in-4°.
Lettre de Jourdain sur les Assassins, dans le tome II de l'Histoire des
Croisades de M. Michaud.
Journal des Savants. Paris, 1665-1792, I2i vol. in-4". — P- Baudouin ,
an V, I vol. in-4°. Imprimerie royale, i8i6-i835, 19 ▼cl. in-4''.
Jac. de Vilr.
Jacq. de Guù*.
Jean d'Ami.
Joann. de ColoBi-
Da, Cbron.
Joann. Iper.
Joann. lemovic.
Epist. Josephi.
Joinville, Hist. d*
S. Louis.
Jongelin. , Parp.
Bern.
Jongleur ( HUlo-
riat du ).
Jord. Nemor. A-
ritbm. de Pond.
Jourdain , Croi*.
Jonra. des Sav.
JVntgthoh ( Henrici de) libri 5 de Ëventibus Anghae ab anno 958 ad i SgS. ^nyg'l'o
— Dans la collection de Twisden. ^"s'-
E».
Konig, Biblioth.
Kraniz, Cbron. —
Uist.
LaBastie,Pétraiq.
Labbe , Bibifuib.
mss.
Labbe , CoDcil.
La Caille, Hist.de
rimpr.
La Cbaosiée,
La Cniix du Mai-
ne, Kibiioth fr.
Lairc, Ind. libr.
La Monnoye.
La Moilléie, An-
tiq. d'Amiens.
Lanfianr. Cbron.
Tangton, cjrrf.
LiunoT , Venei .
trad.
Lcbeaa, H. du W.
cmp.
Lcbeuf, Dissert,
Lebeaf , Histoire
d'Auicrre.
Lebeuf, Hist. dr
Pari..
Lebeuf, Tradact.
Le Dachat, sur Rii-
belaik.
Le Gendre , Uist.
da Fr.
xxiv TABLE
Bibliotheca vêtus et nova in quà Hebraeorum, Chaldaeorum, Syroruni, Ara-
bum, iïgyptioruni, Graecorum et Latinoruni,theologoruni ,jurisconsul-
toruni , niedicorum , philosophoium, bistoricorum , geographorum ,
philologoium, oratoriim et poetarum, patria, setijs , nomina, libri, etc.
à prima muiidi origine usqiie ad ann. 1678, ordine alphabetico recen-
seiitur à Georgio Konig. Altdorfi, 1678, in-fol.
Albert! Krantzii Chronica. Francofurti, Wechel, i575,in-foI. — Ejus-
deni Hisloria ecclesiastica, sive Metropolis Saxoniae, ibid. , 1576, in-fol.
— Wandalia, ibid. 1675, in-fol.
La Bastie. Mémoire sur la vie de Pétrarque, toni. XV et XVII du Re-
cueil de l'Académie des Insciiptions.
Nova Bibliotbeca manuscriptorum codicum , cura Philippi Labbe, è socie-
tate Jesu. Parisiis , 1667 , in-fol.
Sacro-sancta Concilia, édita studio Philippi Labbe et Gabrielis Cossart.
Parisiis, 1671, 171,, 16 vol. in-fol.
Histoire de l'Imprimerie et de la librairie (de Paris), où l'on voit son ori-
gine et son progrès; par J. de la Caille. Paris, i68g, in-4°.
OEiivres de Nivelle de la Chaussée. Paris, 1777. 5 vol. in- 12.
Bibliothèque française de la Croix du Maine. Voyez Du Ferdier.
Index librorum (cardinalis de Brienne) ab inventa Typographià, ad annum
i5oo itnpressorum , chronologicè dispositus cuni'notis P. ir. Xaverii
Laire. Senonis, 1791 , a vol. in-S".
Voyez liaillet , Du t^erdier. Menasse.
Les Antiquités, Histoires et choses plus remarquables de la ville d'Amiens,
p.ir Adrien delà Morlière. Paris, i542, in-fol.
Chronicon beccense, iuterLanfranci Opéra, à Lucà d'Achery édita. Parisiis,
1648, in-fol.
Stephani LangtonSermonesMSS. — Epistolae, t. III. Spiril. Lucae d'.\chery,
et inter Concilia Anglia; à Davide Wilkins collecta, etc. (voyez ci-
dessous, p. 61-66).
Veneranda romanse ecclesiae circà simoniam traditio, autore Joanne de
Launoy. Parisiis, 1676, in-8°.
Histoire du Bas-Empire, par Le Beau, continuée par Ameilhon. Paris,
i7.')7-i8i I , 27 vol. in- 12.
Dissertations sur l'Histoire ecclésiastique et civile du diocèse de Paris,
suivies de plusieurs éclaircissements sur l'Histoire de France, par Lebeuf.
Paris, Lambert, 1739, 3 vol. in-12. — Dans le tome II se trouvent les
]\I<'nioires de Lebeuf sur l'état des lettres en France depuis le roi Robert
jnxju'a Philippe-le-Bel.
Mcrii. concernant l'Hist. d'Aiixerre, par Lebeuf Paris, 1743, 2 vol. in-4''.
Histoire (.e la ville et de tout le diocèse de Paris, par Lebeuf. Paris, 1754,
I 5 vol. in-12.
Recherclics sur les anciennes traductions en langue française , par Lebeuf.
Dans le t. XVII de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.
Remarques de Jacques le Duchat sur Rabelais , dans les oeuvres de Rabelais.
Amsterdam, 171 1, 5 vol. in-8°. Amsterdam, Bernard, 1743,3 vol. in-4''.
Nouvelle Histoire de France ji:squ'à la mort de Louis XIII, avec les mœurs
et coutumes <le la nation, par Le Gendre. Paris, 1718, a vol. in-fol,
1719, 8 vol. in-.i2.
DES CITATIOiNS. xxv
Fabliaux ou contes du xu' et du xiii* siècle; Contes dévots, etc. (extraits Le Grand d'Anssj,
par Le Grand d'Aussy ). Paris, Onfroy , 1779 1781 , 4 vol. in-S". Fabliaoï.
GodofrediGuillelnii Leibnitzii, Accessiones historicae, quibus Scriptores re- '-'^' ""^' Acmss.
rum Gernianicanim continentur. Hanoverae, 1700, 2 vol. in-4°.
Scriptores, reruin brunswicensium illustrationi inservientes, coUecti à God. '^' ""' > •^■''P'-
Guill. Leibnitzio. Hanovera;, 1707-1711, 3 vol. in-fol.
Joannis Lelandi londinatis Commentarii descriptoribus britannicis.Oxonii, Lcbnd.Scr. Km.
Sbeldon. 1709, in-8".
Bibliothèque historique de la Fiance, par Jacques Lelong,de lOratoire ; ''*',°"j;.' ^''''""''
nouvelle édition, augmentée par Fevret de Fontette. l'aris , Hérissant,
1768-1778, 5 vol. in-l'ol.
Bibliotheca sacra, in binos syllabes digesta, cura Jacobi Leiong. Parisiis, Lelon-», Bibhuih
Coustelier. 1723, 2 vol. in-fol. — Eadem , post iteratas G. F. Boerneri
curas, emendata et aucta ab Angolo Gottl. Masch. Halae, 1778-90, 4
Toi. in-4". — Le Mire. Voyez Mirœus.
Méthode pour étudier l'Histoire, avec un catalogue des principaux histo- '-''"K'''' '""' Fruo.
liens, des remarques, etc., par Lenglet du Fresnoy; nouvelle édition ,
revue, corrigée, augmentée, par Drouet. Paris, 1772, i5 vol in-12. „ . „., ,. .
"^ . ' ' ' Le Paice Bibltoth
Joannis Le Paige, Bibliotheca Praemonslratensis. Parisiis, i633, in-fol. Pracm!
Essai historique sur la Bibliothèque du Roi , par Th. Nie. Leprince. Paris, LePrince, Bibliot.
Belin , 1782, in-12. daK.
Annales de l'église cathédrale de Noyon , avec une description et notice Le Aasseuc, catb.
de la ville, et des recherches tant des vies des évêques , que d'autres
monuments du diocèse, par Jacques Le Vasseur. Paris, i633, 2 vol. 10-4°.
Polycarpi Leyseri , Historia poematum medii a;vi. Magdeburgi, 1725, in-8". i ^ ^„ poem m
Davidis Lindani, de Teneramundà libri 3. Antuerpia;, 1612, in-4°. n^^i.
Ilistory of England from the first invasion bythe Romans, by John Lingard, i.ind.m. Tenem-
fourth édition. Paris, Baudry, i82J-i83o, 14 vol. in-S" ■ — Traduction '"""''a-
française par MM.Roujoux et Pichot. Paris, i825-i83i, 14 vol. in-8". ''"^'" '
M. Martini Làpenii Bibliotheca realis theologica. Francofurti ad Ma;num, Lipen. Biblioih.
i685 , 2 vol. in-fol. — Juridica. Lipsiœ, 1757, i77;'>, 1789,4vol. in-fol. tUeid.
— Philosophica. Francof. ad Ma-num , 1682, 2 vol. in-fol.
Bibliothèque chartraine , ou Traité des auteurs et hommes illustres du Limn , liiblioili.
diocèse de Chartres, par dom Liron. Paris, 1778, in-4''. Cbam.
Histoire générale de Bretagne, par dom Lobineau. Paris, 1707, 2 vol. in-fol. Lol.iiie.tu, iiisi. il.-
Ferreoli Locrii, Chronicum belgicum ab anno Chr. 258 ad 1600. Atrcbati, "'•■'•
1616, in-4". — Hist. chronographique des comtes , villes et pays de Saint- ^°^"' ('«"«o'' ,•
l'ol-en-lernois , par rerri de Locres. Douai, 1010, in-4 .
Mémoires du pays, villes, comté et comtes, évèché et évêques de Beau- Loisel, iwauvais.
voisis, par Ant. Loisel , avec les chartres et pièces justificatives. Paris,
1617 , in-4". — Lorry. Voyez Âstriic.
Histoire et Antiquités du pays de Beauvoisis, par P. Louvet. Paris, 1609, Lomet, Bcjav»ii.
in-8". — Histoire de la ville et cité de Beauvais, par le même. Rouen,
i6i4, in-8''. Beauvais, i635, in-8". — Pétri Louvet, Nomenclatura et
Chronologia reruni ecclesiasticarum diœcesis bellovacensis. Parisiis,
i6i8, in-8°.
Novum volumen Scriptorum rerum germanicarum, studio Joannis Petii LoJew Sd. >rr
Ludewig. Francofurti, 1718 , 2 t. 1 vol. in-fol. Oem..
Reliquia- manuscriptorum omnis aevi , diplomatum et monumentorum ine- Ludew.Kcllq.1u44
ditoruni; ex Miisseo J. Pétri Ludewig. Francof. et Lips. 1720-1740,
in-8" : 12 vol.
Tome Xf III. d
XXVI
TABLE
di-
'ariç Ca4
plow.
Lupi ( B.) EpMt
I.oscin. Allegor.
toMan(M''«de),
AnecJ. de l'bi-
lippe-Aogusle.
Maan. CoBc. Tu-
ron.
MabilUn, Anal.
Mabillon , Anoal.
MarhioveJ , Islor.
riur.
Uaddcn, Haveluk.
Madui , Exch.
Maffei(R.iph Vo-
luteiT,
MailtairCi Annal,
typog.
Mtilingre , Âotiq.
de Paris.
M*lT«i<da, Annal.
Prxdic.
Manriqiie, Annal.
Cisierc.
Mnnsi , Hibliotll.
med.
Marc» (P. de) M.
Hisp.
Mariana , De aAv.
Jic.
Mariana, H. Hisp.
>Itrlot,Melropol.
Rem.
Marracci Biblioth.
mar.
Uarrier llibliolh.
duniac.
Codes Italiœ diplomatieui, stuilio JoannisCbr. Lunig. Francof., 1755-173»,
4 vol. in-f(»l.
Beati Liipi, al>l>aUs Ferrari«'n»i.s , Epistolarum liber, ex eilitinne Papiril
Massoii. Paiisiis, Oriy, ifiSS, iii-8"; et inter S. Lupi Opéra, ex emen-
datione et cuin noiis liaUizii. Anliieipiœ, 1710, in-8".
Otliomani Luscinii (Naclitgail. Rossijjnol) Ailc;,'C)iiaB sinnd et Tropologire
in locos utiiusqiie Te>tiiiiienii SfU'ciiiiies è iiionunicnlis iiniiis l't Iriginta
auctonim deprompia; et in onlincni digeslse. Parisiis , i55o,iii-8".
Anec(h)tes de la cour de Pliilippe-Aiigiisie , par uiadenioiselle de Lussan.
Paris , Pissot, 1733-1738,6 vol. iii-ij.
IVIaai». Snncla et nietropolitana eccle.si.i Tiirononsi.';, «ive séries nrchiepi-
scopoiiiiii tui'iinfii.siuiii rt sialiita coni'ilii)riiiii et syiiodoriiin, stiulio
Joaiiiiis Maan. Angiisi;e Tnnuuini, in a'diliiis aui't(>i'i.s, 1MM7, iii-tul.
Veteta Analecla , .studio Joair.iis MabiWon. Paii.siis, 1723 , in-f'ol.
Annales ordinis S. Beneilicii de.scripii a Joanno Mabiiluii et Ueiiato Massuct.
Paii.siis, 1703-1739, 6 vol. in-Col.
Délie isiorie Fion-ntine libii 8 di Nicrolo Marbiavelli, i5.'mi, in-4", et T. 1
des œuvres de Marbiavil, édition tic Florence, 178a, 6 vol. in-4".
The ancient englisli lloniance of [laveluk tfie Dane, ac<-onipanied by tbe
frencli text, wiili an Introdui lion , Noies and a Glossary, by Fred. Mad-
den. Londoti , Nicol, 1828, in-4".
Tbe bistory and Aniiiniities oï tbe Excbequer, by Tbonias Madox. Lon-
don , 1711, in-lol.
Raph.ielis ( Mall'ei) Volaterrani, libri 38 qui inscribuntnrCommentarii re-
nim nrbanaruni. Ronix, i5o6", in-fol. ; Franeoinrii, i(io3, in-fol.
Micbaelis Mail t. lire Annales lypograpbici ab artis origine. Hagae-Coin.
Anislel. et Londini , 1719- 1741 , 9 vol. in-4".
LeTliéàtie tles aniiqnitt'S de Paris, par iloni Un Brenl , augmenté par Cl.
Malingre. Paris, 1609, in-4". — Les Annales de la ville <le Paris; par
Cl. Malingre. Paris, i<i4o, in-l'ol.
Annales sacri oi'diuis PrajJicatoruni , auctore Tbonià Malvenda. Neapoli,
1627 , in-fol.
Annales ciste" cienses, auctore Angelo Maiiiiquc. Lugduui, Anisson, 164*-
iti.Vi , 4 Vol. in-fo|.
Joannis DoininiLi Mansi, AdditaineiUa ad Dibliolbccam mediic et infima
latiiiilalis. Voyez h'iibruius.
Peiri de Marc.i, Marca iiis|)anica seu Limes bispanicus, id est geograpbica
el bistorica desciiptioailjacenliuni populoruni abanno 714 ad J2j8,etc.,
editio n.iluziinia. Paiisiis, i()'85, in-tol.
Tiact.itiis 7 de Advenlu Jacobi, auctore J. Mariana. Colonise Agrippina,
1609, in-i".
Historiie de rébus Hispani* libri 3o, auctore J. Mariana. Hagas-Com.
1733, 4 t., 2 vt)l. in-l«d.
Metiopolis Remensis Hi»turia, auctore Guillelnio Marlot. Insubs, De Roche,
166M , 2 vol. in-lol.
Hippolyli MaiTiicei Dibliotbeea Mariana ( scriptorum de Maria catalo-
gns ). Ronia;, 2 vol. iii-8". — Ejusilem Purpura Mariana; ibidem,
if)54, in-8".
Martini Marrier Dibliutbcca cluniacensis , complectens pati'uxu cluniacen-
DtS CITATIONS.
Xxvij
fium Titns, mirarnla, RCripla , staUila, privilégia; cund noti« AnJri-se
Du (>hi'Siic. I';iii.siis, i6i4, in-fol-
Thésaurus Aiifcdotoiuin novus, compli-rtens episiolas, Hiplomata , elc. ;
stiulii) Eilniiintli Maiieiie tt IJisini Uur.ind. Parisiis, Uclaulne, 1717,
5 vol. iii-lol.
Veteriini scriptorum et moniimentorum Amplissim.i Collectio, SliuiioEiI-
muiidi Marlciie et lirsini DuianJ. Paiiïits, Muniulaiit, 1724-1733, g
toi. in-t'oi.
Voyjge littéraire (le <leux bénédictins de la congrégation de S.-Maur (Mar-
tèiie «t DuriUKJ). l'aiis, 17 17 et 1724, ■>■ vol. in-4".
S, Alartinus de Triiiilate. Kpilapliia ahhiitiini S. Victoiis parisiensis. Ano"
nyniiii'uni nieliica opuscul.i. Codex Mss. anno i3io exaratus, olim
Vicloiitiiis , mine Mazarinreiis , in-4".
Martini Poloni clironicon à C N. ad ann. i.^io. Colonise, 1616, in fol.
Veteris a-vi Analin-ta seii vêlera nli(|uot nionunienta, curn observationibns
Antonii iMattlix'i. Lngduni Batavornni , 1697-1710, in-8". 10 vol. —
Nova edilio,cnni noiis Faidi Hovyiick vanl'apentlrecbt. Hagae-Coniitum,
17^8, f) v(d. in-4". — Mattli. Paris. Voyi /. Pans.
MatilL-Bi WestnicmasierienNisFIoies liistoriaruin de rebns britannicisabanno
1066 ad 1^07, cditi à Maltlineo Parkero, Londini, 1570, in-fbl.
Matlliia; de Micliovia Ciiioiiica Polonoruni. (àacoviae, 1 52i, iii-lol.; et dans
le t. Il du Corpus Hisr. i'olon.de IMstorius.
De verà Senoiuini oiigine clirislianà, .... ciim Catalogo arcliiepisco-
poruni senoneusiuin ; auctore Hiigone Malluiu, bénédictine. Parisiis,
i6'87,in-4".
Renini gernianicarnin Scriptores, studio Hcnrici Meiboinii. Helmaestadii,
168S, 3 vol. in-lol.
Anti-Bailli'l de Ménage. Voyez Bnillct, Jugements des Savants.
Dictionnaire étymologique de la langue irançaise, par Gilles Ménage.
Paris, 17J0 , in-lol.
Menagiana, ou les bons mots, remarques, critiques, etc., <le Ménage, troi-
sième édition (donnée par La Moiuioye). Paiis, Delaulnes , I7i5,
4 vol. in- 1 2.
Hugnnis Menard Martyrologitmi sanctoriiin ordinis S. Benedicti, duobus
Obervationuin libris illusiratuni. Parisiis, 102g, in-S".
Menconis, abbalis tertii Horti Kloridi, (>bronicon. — A la suite <le la chro-
nique d'Eiiion , dans le t. I du llecueil de Hugo, Monumenta sacrae
Aniiquilalis.
Fabliaux et contes des poètes français des xi-xv* siècles, publiés par
Uai'bazan, nouvelle édition augmentée par M. Méon. l'aris, inqirimeric
de Crapelet, libiairie de Warée, 1808, 4 vol. in-8°. — Nouveau Recueil
de F'abliaux et contes inédits, publié par M. Méon. Paris, imprim. de
Crapelet, libr. de Cliasseriau, 1823, 2 vol. in 8". — M. Méon a publié
aussi le Roninn du Renard. Paris, 1826, 4 vol. in-8"; et donne une
nouvelle édition du Roman de la Rose, i'aris , i8i3, 4 vol. in-8". -^
Barbazan avait pour la première fois mis au jour le» Fabbaux «n 17S6,
3 vol. in-12.
Mercure de France. Décembre 1754.
Nouveau Répertoire universel et raisonné de Jurisprudence, par M. Merlin,
4' éiliiiun. Parii, iSia, etc., lâ vul. in-4".
M«ricne, Tb«Mi.
Anccd-
Marirne, Aaipfi*».
coll.
Marténe , Toyaga
liilér.
Maninas, de Tri-
nitale.
MartÏD. Pol. Chr.
Maitb. Aot. AiMi-
Maiib. Westmo-
nast.
Mauli. dcMicliOT.
Maihna , arcbiep.
Senon.
Alfiboni. 8rr. rtr.
ri«*rm.
Slénape, Anli Bail-
ler.
M^aag«,Di<lt«Ui.
Mciiagiana.
Rlfoard , Martyr.
ord. a. Iteoed
()b^cl■v.
Mrncd , Cbrvu.
fraem.
Méon , I''abliaft&.
M»r«. At ft.
MeiIin.Ri'pMT. <h
Jarùpt.
d.
xxviij TABLE
Menris <■, lii^i. de Histoire de l'église de Metz, par Meurisse, de l'ordre des Frères mineurs.
Metz. Metz, i6:')4, in-fol.
Meuse), TïiKioib. Biblioiheca historica, instmcta à Struvio, aiicta à Budero, ampHHcala à J. IL
•"'S'- Meiiselio. Lipsiae, 1782, et sqq., 1 1 t. ; 22 vol. in-S".
Meyrr , f;hronic. Clironicoii Flamiriœ ab anno 44-"' ad 1476, per Jacobuni Meyerum. Antuer-
''""'•'■• piae, i56i, in-fol.; Franrof., i58i , in-tol.
Meyer, Pliilipp. Jacq. Meyef a publié la i"" édition d'une partie de la Pliilippide de Guil-
laume le Breton, sous ce titre : Bclluin quod Pliilippus, rex Francoruni,
cum Otiione, Anglis, Flandrisque gessit , conscriptuin cuniiiie beroico.
Antuerpire, i6,54, in-8".
Mcr.erai, H. de l'r. Histoiic de PVauce par Mezerai. Paris, i634-i6">', 3 vol. in-fol. — Abrégé
chronologique de 1 Histoire de France, par Mezerai. Edition in-12 de
1775 , 14 vol.
Micii.iud.Hist.dfs Histoire des Croisades , par M. Michaud , 4' édition. Paris, iSaS-iSag,
""'- 6 vol. in-8°.
lll<l.au,i,iiiblioil.. Bibliothèque des Croisades, par M. Michaud (et pour les auteurs orien-
■'«'■'"'5 taux, par M. Heinaud ). Paris, 1829, 4 vol. in-8".
i'i.iii.- Michil. M. Francisque Michel, éditeur du Uoinan du comte de Poitiers. Paris,
imprini. de Pinard, libr. de Silvcslre, i83i, in-S". — Du Roman de
Mahomet, par Alex. Du Pont. Paris, ibid. i83i, in-8". — Du Lai d'I-
gnaurès, par Renaut, elc, ibid. i832, iii-8°. — Du Lai d'Havelok le
Danois, ibid. i833, in-8° max. — Du Roman de la Violette ou de Gérard
de Nevers, par Gibert de Montreuii; ibid. i834, in-8". — Du Roman
d'Eustache le Moine. Paris, imprim. de Firmin Didot, libr. de Silveslre,
1834, in-S".
•Ilot, ii;»!. dis Histoire littéraire des Troubadours, contenant leurs vies, des extraits de
''"'''■ leurs pièces, etc., par Miilot, d'iiprès les manuscrits de Sainte-Palaye.
Paris , 1774 , 3 vol. in-12.
Mfr»mois(H. de). Hugonis de Miramors, Flores Jurrs canonici; — De mysterio nuineri qua-
tuor;— de Miseriis hominis. Mss.
Ji.i ( Aub.) Kact. Aubeiti Mini (Le Mire ), Auctarium de scriptoribus ecclesiasticis. — Dan»
la Biblioiheca ecclesiastica de Fabricius.
^;ir;Aiib.)CbroD. Auberti Miiaei, Chronicon cisterciense. Coloniii", i6i4, iu-f<>I.
r.'"V. 1 ,, ■ , Auberti Mira-i, Collcctio operum diploiuaticorum et historicorum , édita
[lis, • cura l'rancisci hoppcns. Lovanu, 1723-1748 , 4 ^ol. in-tol.
".'.Ud-is.ss Bel». Indiculus sanctorum Belgii à Joanne Molano digestns. .\ntuerpiae, i583,
in-8. — Natales sanctorum Belgii, et eorum chroniia recapituiatio.
Lovanii , iSpo, in-8°.
^' ''"''' OEuvres de Molière, avec des remarques par Bret; etc. Paris, 1786; 8 vol.
— p. iii-i2. — 1804 , G vol. in-8°.
M.rKisii.-. Aiigi. Monasticon.\nglicanuui seu Pandectœ caenobiorum bencdictinorum , clu-
niacensium , etc. , à primordiis eorum usque ad dissoUitioneni, cura
Rogeri Dodsworth et Guillelmi Dugdale. Londini, i655, i60'i,i(j73; 3
vol. in-fol. , (ig.
'^''esblîf"'*^''''' f^^-'P'''^ '•'*,'• l'ois-P'-T Montesquieu. Genève, 1755, 2 vol. in-4". — Et
•'ans les éditions de ses OEuvres. Paris, Plassan, 1796, 5 vol. in-4''; Pans,
Didot, 179;"), 12 vol. in-12, etc.
^■.>nll«,■^.,u. );ll,l. Ribliotluca Bibliotlierarum inanuscriptorum nova , studio Bernardi de
**'"'''""'• Motitfaiicon benediclltii. Parisiis, Briasson, 1739, 2 vol in-fol.
r.;...nlinm , iiiit Histoire (!.■ la ville .le Lille depuis sa fondation justpi'en i434, par le Clerc
• "^ de Moutlinot. Pari;,, 1764, in-ia.
DES CITATIONS. xxix
Histoire des Mathématiques, par Montucla. Nouvelle édition donnée par ModipcI», h. de.
Laiande. Paris, 1799-1803, 4 vol. 111-4°. maihém.
Dictionnaire historique de Moréri , avec les suppléments de Goujet, édit. Moréri, Uict.
de Drouet. Paris, lySg, 10 vol. in-fol.
Dan. Georg. Morhofii Polyhistor litterarins , philosophicus et practicus; Morbof. Polyh.
cum accessionibus J. Frickii et J. Mulleri, edit. J. Alb. Fabricii. Lubecae,
1732, vel 17471 2 vol. in-4°.
Histoire de la Bretagne, par dom Morice et doni Taillandier, avec les Morice, Hisi. jc
preuves. Paris ; i74a-i756, 5 vol. in-fol. ^"f-
J. Laur. Mosheniii Instilutionuni Historia; ecclesiasticœ lihri 4- Helmaestadii, Mosheim. Hi«t.
1751 vel 1764, 10-4° — Traduction française, par Eidous. Yverdun; "«l-
■1776, G vol. in-S".
Vie, miracles et translation de Marie d'Oignies (parBern. Mouchet). Lou- Mourhct . Uiur
vain, Rivius, 1670, in-8°. d'Oignies.
Rerum italicarum Scriptores à Ludovico Muratorio collecti. Mediolani , Muratoh Rer. iiai
1723-1751 , aS t., 29 vol. in-fol. •<^■■•
INacdé. Gabrielis Naudaci Bibliographia polilica. Venetiis, i633,in-i2. Naude, Bibliop.
Nicolai Anibianensis liber dictus Aristides , codex nianusciiptus liiblio- Polit.
thecaeregiœ 656(),in-4". Nlcohs d'Aïui-u,.
Gesta liudovici VIII , heroico carminé, auctore Nict)lao de Braia , — dans Nicolas Je lîraia.
le t. V du Recueil de Duchesne et dans le t. XVII de la grande Collection
des Historiens de France.
Nicolai de Lyra Postilla perpétua in universa Biblia, libros 85 coniplectens. Kicol.s de i.yr,i.
Romoe, 147I) 5 vol. in-fol. Parisiis, iSpo, 6 vol. in-fol.
Essais de morale et autres œuvres de Nicole. Paris, 1741 ou 1745 » 24 Nicole , Ess. de
vol. p. in-i2. ""or.
Les Vies des plus célèbres et anciens ptiites provençaux qui ont fleuri du Nostradamas,poe-
temps des comtes de Provence, par J. Nostradamus. Lyon, i595, in-8°. tespio».
■ — Traduction italiefine : voyea Crescitnbeiii.
Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque du roi , et de quelques Notice d» mit.
autres dépôts; publiés par l'Académie des Inscriptions. Paris, Imprimerie
royale, 1787-1^31, la vol. in-4°.
(Jbservationes ( Hallenses ) selectae ad rem litterariam spectantes , col- observât. luilea*.
lectœ à Tiioinasio et à Franc. Buddaeo. Halae-Magdeb. Renger , 1700-
1705, 12 vol. in-8°. min.
Augustini Oldoini Athenoeum romanum , in quo romanorum Pontifi- Oldoln. Aibeo.
cum, et pseudo-pontilicum, necnon Cardinalium et pseudo-cardinalium '"'°-
scripta expouunlur. Perusiae, apud Haeredes Sebastiani Zecchini , i66"4,
in-4°.
Oliverii, scholastici coloniensis, Historia reguniTerrâe sanctae; Historia Da- 01i»friunchoU>i.
miatae, etc. , in tomo 2" Coiporis hist. niedii œvi, cura Eccardi.
Ordene de Chevalerie , poème attribué à Hues de Tabarie, publié par Bar- Ordène de cbe».
bazan, 1759, in-8°; et depuis dans le Recueil de Fabliaux de Méon.
Ordonnances des rois de France de la 3* race, recueillies par Laurières, Ordonn. des iui«
de Bréquigny, M. de Pastoret. Paris, imprimerie royale, 1728-1828, <•' t"f
18 vol. i II -fol.
Les Chroniques et Annales de Flandre, de 620 à 1476, par d'Oudeghersl. Oodcgher.t, cbr
XXX
TABLE
Anvers, TÎÎ71, in-4*> Nouvelle étliiion, avec dej notes, par Lcsbroussart.
G. 111(1 , ijf^;), 2 vol. in-S".
OoJin ( r:i>i;m. ) Casimiri Oiuliiii C<iniin«'niaiitis de scriptoriinjs ecclesiae antiqiiis, cum
iiitiliis disbci t;iti()iiibus. Francot'urti et Lipsioe, Weidinan , 1723, 3 vol.
iii-lol.
Histoire de la ville et comté de Valenciennes , «livisée en quinze parlies ,
par fcii fleuri (J'Ouliieinafi , estiiier, seigneur de Roinliies , pi'évosl de
Valeneit-nnes , ilhistiée et augmentée par le P. Pierre d'Oultreinan, de
I.i coiiip.igiiie de Jésus. Douai, Marc Wyon , i(>,59, in-('ol.
Petit ilOidiroman , Constaiilinopolis helgiea, sive «le rébus geslis à Cal-
duiiio et Hctirieo imperatoril)«is Constantinopolitanis , ortu valenlianen-
sd>us ndgis, libri 5. Accessit de excidio Grxcuruiil liber tillgularis.
Tornaci, lypis Adriuiii Quinque, 164^, in-4''.
de scr. cccic.t.
Ooltrcinao, 11, di
Vjileoc.
OolirrniaD, C
Bel;;.
Palmfr , Ilîlt. of
Piint.
Pjnvrni, rliron.
Panvini.Vil.cl'on-
lif.
PaDzer. Annal, ly-
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Paprbruik. Diss.
Koll.
Pi.|Mllon, nilil. de
Uoui'g.
Papun , ilUt. de
Prov .
PaquoI, Mémoire».
ParN (Matlh.), H.
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PjrVrr, nV<l. II.
Angl.
P.irievul, riillipi>.
raaqaier, Recb.
Paul D;ac.
Pennoii, Cler. ca-
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porcin de Muni;;.
AlouDia. Pix'l.
1 Ai.MF.n. Tlie gênerai History of Printing, from thc firsl invention; Lon-
ditu, t~.\9. , iu-4".
Onuplirii Panviriii Clironicon ecclesiasticiim. Lovanii, iSja, infol.
On. P.iiiviuii lil)er de viiis ruinanurum Ponlificum. Lovanii, 15^2, in-fol.
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WdH'g. P.uizeri Annales lypograpliici, à priinordiis ad ann. i536. Norim-
berg.-e , i-;;i{-i8o3, II vol. in-4°.
Papobriicliii Disseitalione», iu Actis Sanctoriim. Voyez Bnifana.
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Joly). IJijdii, M.irieret, 1742, 2 parlies iti-l'ol.
Histoiie gfuérale de l'iovence , par J. P. Pa[)ou, de rOratoire, Paris, 1778-
i78(), 4 v<.l. in-4".
Mémoires ponrscrvii-à l'Histoire littéraire des Pays-Bas et du pays de Liège,
par J. Nie. Pa(piot. Louvain, 1770, 3 vol. in-fol., ou 18 vol. in-ia.
Matllu-ei P.iris, monaclii Alb.iiiensis, Hisloria major, sive reiiim anglîca-
l'um llisioi'ia ,1 Guilleluii .idventu ad ann. 1273. Londini , 1640, a vol.
iu'-lol. i'arisiis, 171 j, in-fol.
M. Paulin P.nis, éditeur du Romans de Berte an.s grans pies; Paris, îm-
prini.de Casimir, libr.de T<'clien<r, l83a,gr. in-12. — Du Romande
(îaiin li Lolieiaiiis (par Jean de Flagy ). Paris, Téclieiier, i833, gr.
in-i 2.
F.diii a Malili.-eo Parkero , Watfli.Teus Westmonasteiiensis anno iSjo,
Thomas W.dsinghani, anno «574, in-fo|.
La PInlippiile, poème en 12 (liants, par Parscval de Grandmaison, pré-
(l'cli- d un Avertissement et suivi de notes, 2* éilition. Paris, iniprim.
de Fournier, libr. de A.André, 180.6, 2vol. in-12.
Re(lnnliis de la France, par Estienue Pasquier, t. I de ses Œuvres.
Anisienlam, i7,>3 , 2 vol. in-fol. — Ses Lettres dans le t. IL
P.Hili Di.icoiii (^VV.irnelridi) tie rébus gestis Longobardorum, libri seX. Dam
li's t. 1 et 11 du Recueil de Muratoii : Scr. r. ital.
Toiins ordiiiis clericorum canonicoitim Hisloria tripartita, auctoré Gabriel*
Pennoto. Romx, i6"o4, in-fol. Coloni.ne, l73o, in-fol.
Moriiinicnt.i fonventùs toiosaiii ordinis Fratrum Prx'dicatorum , ex vetus-
lissimis .Mss. «triginalibus transcripta ,... in quihiis alini linjus conventAf
liistori.i pcr annos distribuitur , etc., auctoit! J. Jac. Percin (de Mont-
gaillanl ),ejusdeni ordinis alumno. Tolosa;, Pech, i6'g3, in-fol.
DES CITATIONS. xxxi
Recherches sur les Bibliothèques anciennes et modernes jusqu'à h fonda- Pfiit-nii,ifi , ac-
tion de la Uihliotlièqiie Maz;irine,ct sur les causes qui ont t'uvorisé clieïtb.
l'accroissement successif du nombre des livres , par W. Louis-Ch.-Fr.
Petit-Railel. Paris, 1819, in-8°.
Collection de Ménioires relatifs à l'Histoire de France , depuis le règne de Peiiiot , Collert.
Philippe-Auguste, publiée par Petitot. Première série. Paris, 1824, de Mém.
i8a5 , a4 vol. in-8".
Le Rime del Pctrarca. Parma, Bodoni, 1799, in-8°niin. Peir.irca, Triomf
rheodori Petreii Bibliotheca cartusiana. t^oloniœ, 1609, in-ia. tii'' ^'" ni
Pétri Blesensis oper.i , edila studio Pétri de Gussanviïle. Parisiis, i63y , cnus
in-f(d. Pelr. BIm.
Uistoria Albigensium et sacri belli adversùs eos susccpti, anclore Petro Pfi,-. sarn. Hi»i
Vallis Sarnensis nionacho. Trecis , Grif.ut, i6i5, in-8". — Dans Albig.
le t. V de la Colleccion de Duchesne; dans le t. XIX du grand Recueil
des Historiens de France. Traduction française, dans le t. XIV de la
Colleciion de M. Guizot.
D. Bernardi Pezii Thésaurus Anecdotorum iiovissimus. Augustœ Vindeli- Pn , Tlirs. Amcd
coruui, 1721 , y t., 5 vol in-fol.
Phacdri Fabnlae. Bipouti, 1784, in-8°. Parisiis, i83o, in-8°. Phidii fub.
Philippi de Harveng sive Boii.-e Spei Opeia, Epistolœ 21, Vitœ sancto- Pbilii.p.iionaspei.
ruui, etc. Dnaci, 1621 , in-fol.
Philippi de Grèves , cancellarii parisiensis, Scrmoncs in Psalmos. Parisiis, Philippi de Gre-
i533, in-8°. Brixioe, 1600, in-8". ves Strm.
Joannis Picardi nola; in très libros priores Epistolarum S. Anselmi, cum Pi.ard in Ansclm.
huj us-ce operibus. Coloniae, 1612, in-fol. Parisiis, 1676, in-fol., ijai,
in fol.
Acla Concilii primo apud Nicaeam, tiim apud Nymphae.nmhaljiti. — Et Re- Pierre de Séianne
lation de la mission de Pierre de Sezanne et de trois antres religieux, Acia oioc.
et de leur conférence avec les Grecs scliismati(|ues , dans le tome II
de la Collection des Conciles de Labbe, et dans Script, ord. Pitrd. f.
911-927.
Laureniii Pignon, Chronicon ord. Praetlicatorum , cum catalogis^ etc., Mss. Pignon , Cbron.
Beinardus riiesaurarius de Bellis iu Oriente sacris, à Pipino latine redditus „. 'I'^*''"'-
1711 c •. I' ripjn , Trad. de
m tomo Vil. Scr. rer. Italie. V \. -x j.
,,, . ■ f> Kern. 1res.
Jllustrmm veterum scriptorum qui rerum a Germanis per multas œtatcs VUkm. .Sci. rer
geslarum histoiias vel annales posleris reiiqueruiit tomi très; studio Oeruian.
Joannis Pistorii. Francof. i583, i584-ifio7, 3 vol. in-fol. Hano\i;c,
i6i3. Francofurti , i653, 3 vol. in-lol. — Cum notis Struvii. Ratis-
bonae, 1726, 3 vol. in-fol. Voyez Stnu'iiis.
Traité des droits et libertés de l'Eglise gallicane, par P. Pithou , avec les Piilwn.Lib. piiic.
preuves, 1731 , /( vol. in-fol. — Commentaire de 1'. Dnpuy sur le traité
des libertés de l'Eglise gallicane. Paris, 171.5, 2 vol. iii-4''. — Les libertés
de l'Eglise gallicane, édition et commentaire de Durand de Maillane. Lyon,
1 771- 1776, 5 vol. in-4°.
Scriptores Annaliitm et Historiae Francornm aL anno 708 ad ann. 1285 Piibon, Scripi. rer.
coœtanei 12, è Bibliolhecà Pétri Piibaei. Parisiis, i588, in-fol. Franco- «^"Uic.
furti, 1394, in-fol. — Historiae Francorum ab anno 900 (verii'is 1000)
ad 1285, scriptores Veteres undecim , è Bibliotheca P. Piihaei. Franco-
furti , 1596, in-fol.
JoaDois Pitsei liber de scriptoribus Angliae illustrîbus. Parisiis, i6ig, in-4». P»t»,SCTipi. Angl.
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Piaoti Pœnalus. Inter M. Accii Plauti oomœdias: Biponti, 1788, 3 vol. in-fol. — Cura
Commentario Josephi Naudet. Parisiis, iSSo-iS^a, 3 vol. in-8°.
Pluqaet, Dict. des Mémoires pour servira l'Histoire des égarements de l'esprit humain, ou Dic-
''""• tionnaire des Hérésies par Pluquet. Paris, 1762, 2 vol. p. in-S".
Polyd. Vergil.H. Polydori Vergilii Historia anglica , libl-os 26 complectens. Basileae, Bebel,
Angl. i534, in-fol.
l'olyd. Vcrg. De Polydori Vergilii de Inventoribus rerum libri très. Parisiis, Rob. Steph.
'"»«"'■ 1537 , in-4°.
Pope-BIouni, Cen- Censura 'celebriorum autorum , sive Tractatus in quo varia doctorum de
*""• clarissimis scriptoribus cujusque seculi judicia traduntur; studio Thom»
Pope Blount. Londini, Chiswul, 1690, in-fol.
Portai, Mist. de Histoire de l'Anatomie et de la Chirurgie, par Ant. Portai. Paris, H. Di-
'""■^" dot le jeune, 1770, 7 vol. p. in-8°.
rosscvin.Appar.». Antonii Possevini Apparatus sacer, cum appendicibus. Venetiis, 1606, in-fol.
3 vol. — Colonise, 1608 , 2 vol. in-fol.
ptolem.liu-. Ann. Pfolomaei Lucensis Annales ab anno io6o ad i3o3. Lugduni, i6ig, in-S". —
Et in tomo XH Bibliotliecœ maximae Patrum; XI Scriptorum rer. ital.
à Muratorio coUectorum.
Pioiem. Luc. Hijt. Ptolemaei Lucensis Historia ecclesiastica usque ad i3i2; in eodem MuratO'
•«'" rii tomo.
Ouatremairc.
v^uATREMAiRE. Rccensio naradoxorum Joannis Launoii et Joannis Baptist»
Duhamel, auctore Roberto Quatremaire, monacho benedictino. Parisiis,
1668, in-4°. — Traduction française. Paris, Billaine, 1668, in-12.
()uatrenière (Et.), Mémoire SUT les Assassins, par M. Etienne Quatremère. Dans le t. IV des
Mém. Mines de l'Orient.
tjaensted.DeVlris Joannis Andreae Quensted Dialogus de patriis illustrium doctrinâ et scripti»
'lia»"'- - viroriim omnium ordinum et facultatum , ab initio miindi ad ann. i6oo ,
exhiberjs plerorumque doctorum praecipua scripta et aetatem. Wittebergje,
1654 vel 1691, in-4°.
(^.letlf, Sci. ord. Scriptores ord. Praedicatorum. Voyez Echard.
Prœd. ^
Ribelais. IiABELAis. OEuvres de Rabelais, avec des remarques historiques et criti-
ques (par le Duchat, etc.). Amsterdam, 1641, 3 vol, in-4°. — Paris, iSaS,
9 v(}). gr. in-8°.
iiadalph.Coggesb. Radulphi Coggeslialensis monachi Chronicon , inter notas Picardi in Chro-
nicon Guillelmi Neubrigensis. Oxonii, è tbeatro Sheldoniano , 1719,
3 vol. in-8.
jiiJulphe de Di- Radulphi de Diceto Historia compendiosa de Regibus Britonum. — Abbre-
'"'•°- viationes Chronicorum. Indiculus de successione archiepiscoporum can-
tuariensium. Dans les Recueils de Gale, de Twysden ; dans l'Anglia sacra
de W. etc.
RjonldeHoudan. La Voye d'Enfer, poëme de Raoul de Houdan ; manuscrit du R. 7218.
K.iiiliD(J. ) Joannis Raulin Oratio ad laudem divi Ludovici; dans le t. V du Recueil
de Duchesne.
.>'.4»ai!ère(la),Poé- Poésics du roi de Navarre (Thibaut), avec des notes et un glossaire par
sirs de Tbili. LévCsque de la Ravalière. Paris, 1742, 2 vol. in-S".
DES CITATIONS. xxxiij
Rayinundi de Pennafcrti, Summa in 4 liHros divisa, ciim apparalu Guil- RaironniJ. lU p»n-
lelmi Rliedonensis, etc. Ludguni, 1718, in-fol. naforti.
Fragment d'un poème en vers romans, pnl>lié avec des notes, par M. Ray- Raynoaard, Fr»g-
nouard. Paris, Firm. Didot, i8i5, in-S". ■»""•
Eléments delà grammaire de la langue romane avant l'an 1000, précédés de Raynoaard,Or»n..
Recherches sur l'origine et la formation de celte langue , par M. Ray- ■"""■•
nouard. Paris, Firm. Didot, 1816, in-8°.
Observations philologiques et gramnialicales sur le Roman du Bou, par R-iynouaid , Ob-
M. Raynouard. Paris, Crapelet, 1829, in-8°. ""•
Choix des Poésies originales des Trouhadours, par M. Raynouard. Paris , Raynouard, Trou-
Firm. Didot, 1816-1821, 6 vol. in-S». ""^
Recueil général des anciennes lois françaises depuis l'an 42" jusqu'en Recoril des an. .
1719, par MM. Jourdan, de Crusy, Isaniberl, Taillandier. Paris, BeVm '"'» f'
le Prieur, etc. i822-i83i , 3o vol. in-8°. — Voyez Ordonnunces et Col-
lections.
IJacco in Toscana, Diiirambo di Franc. Redi, con annotazioni. Fircnze, u>Ji , Bacco ûi
Martini, i685, in-4°. — Sonetti del medesinio. Firenze, 1702, in-fol. — "•'"»<=.
Tutte le sue opère. Napoli , i74'5 174^, 6 vol. in-4".
Extraits des Historiens orientaux des Croisades, par M. Rcinaud. — Voyez Rtinaod.Bibi di-»
Michnud. ""'"
Rcineri Chronicon leodiense ab arino 1194 ad ia3o, in Ampliss. coUect. Rriaer, Chron.
Edm. Martène, V. 1-67.
liai d'Ignaurcs, par Renaut, publié par MM. Montmerqué et Francisque Renant, lai d'i-
Micliel. Paris, impr. de Pinard, libr. de Silvestre, i832, in-8". gnaurà.
Index libroruni manuscriptorum Dibliolhecaî augustanae, studio Antonii Rïysrr, Ribhoili.
Reyseri. 1675, in-4". Angiui.
Histoire des Dominicains de Lille, par Richard. Liège, 1781, in-8°. Ridiard.MiEt. d»
Gcrvasii Ricobaldi FerrariensîsP«miarium. Conipilatio chronologica ab O.G. Domin. de L.
ad ann. i3ia; pnesertim à Carolo mngno ad Oitonem IV ; in Corpore Il"^'»'»'d' . Ch'«»
historicorum nied. aevi , studio Eccardi; cl in tonu> IX Sciijit. rer. ital.
Gesla Phitippi Augusti, Francorum régis, desciipta à Rigordo. Dans le t. V Rigord, H. PbU.-
du Recueil de Duchesne, et dans le t. XVHI de la gr. coUeclion des *"?•
Historiens de ÏVarice.
Roberti Afiolant Chronicon. Voyez Chronicon nhissiodorense. ^°^- (Abolani}.
Roberti (Grosse-tête), Lincolniensis episcopi , versio laiina Testamenti 12 Rolirri. LiDcul».
Patriarcharum. In Codice Pseudepigrapho veleris lestamcniiFabriciano.
, — Epistolae et alia opuscula in Fasciculo rerum expelend. et fugiend.
Edw. Brown.
Le Parnasse occitanien , ou choix de Poésies originales des Troubailours , Rocbrgnde , Pa».
tirées des manuscrits nationaux , par M. de Rochegude. Toulouse, 1819, okùx.
1 vol. in-S".
Romans {le Garin le Loherain, de Gérard de Nevers ou de la Violette, de Romai».
Havelok, d'Ignaurès, de la châtelaine de Vergy, etc. Voyez Gnrin,
M'idilen, Fr. Michel, P. Paris, Ueitaut. — Dissertation de M. Monin sur
le Roman de Roncevaux. Paris, Imprim. royale, i83?, in-8". — Roman
deBeuvesde Hanslone et de la belle Josienne. Paris, Midi. Lenoii', i5o2,
in-4°. Paris, J. Bonfims, in-4°, golh. — Bibliothèque universelle des
Romans, Paris, 1775-1789; 224 parties, 112 vol. in-i2.
Glossaire de la langue romane, par M. de Roquefort. Paris, 1808, a RoqncfoM, Ch>M.
vol. in-8".
Tome XVII L
3
%Tk%iW
TABJ.E
kotipefuri , Toa. Éut Ue h Poe^le française .au ia' et »« nui' lùècLe , far M- de Bsgweforf.
f"°^- Paris, i8i5, in -8°.
noueoel, HJ9t. de Histoire ecdésiiistique et civile il^ \erdu», par Roussd, j-evue et publiée
Verdon. par Lebeuf. Paris, 1745, in-4».
KaUntfùi^ vpy. Yoyage de Uubruquis en Orient, au xw* sièple. Dans Ja Coilection de
Bergerofl.
Kntù.H. de Mar- Histoire de la ville de Marseille, par Ant Puffi, 2* ëditi»n , publiée jetaug.
««Ile. par son fils. Marseille, j6p6, in-fol.
R^mer. FcÊdera , conventiones, littiTîE et ciijusciinmaf gencris Acta pubHca ,
inter reges Angliae et aUos quosvis imperatores, reges, e«C-, siudio
Tbomae Rymer. Hagae-Com. ly^^t-iy^^j \o \ol. jn-Xol.
S«inct-Ton.
5>alaDhac, De «rd.
Prîcdic.
S*nder, fiibliolh.
belg.
Sandius in Yoss.
de Hist. lit.
Saril. Hist. Angl.
Saxii OnoDust.
!>bKaiea,SDppleiD.
Wadd.
St'siigerana.
*icbaleo. Aon. Pa-
deborn.
Scbedel. Chrooic.
Schiller, de l>ud.
\. Sehull. Ilisp.
illuilr.
iicriptore* Collecl.
OAincT-YoN. Recueil des édits et ordonnanres concernant les Eaux et
Forêts, avec des observations, parSainct-Yon. Paris, Abel Langelier,
i6io , in-ful.
Stephani de Salanbac Tractatus de Ordine Fratrum Praedicatorum manu-
scriptus.
Bibliotlit-ca Belgica manuscripta sive elencbus universalis codiciim manu-
scriptnriim iii celebrioribiis bibliotbecis asservaturuni , digestus ab Ant.
Sandero. Iiisulis, 164 1 , in-4°.
Christopliori Sandii Notae et Animadversiones in Ger. J. Vossii libros 3 de
Hisioi'icis latinis. Amstelodanii, Waesberg, 1677, p. in-ia.
Anglicanim rerum scriptores post ncdaiii pra.'cipui , «liti ab Henr. Savilio.
Liigdiini, I :")(:)(), Francof. 1601 in-fol.
CbristoplioM Saxii (Saclis) Ononiasticon litterarium seu Nomenclator his-
torico-criticiis praestanlissiinoruni oninis aetalis, populi,. . . scripîoruni.
Trajecii ad Rliennm, 1775-1803, 8 vol. in-S".
Suppleinentiini et castigatio ad Sniptoies triiini ordinum S. Francisci , à
Waddingd dcscriptos; Opus J. Hyaiinllii Sbaialea;. Roiiia;, 1806", in-fol.
Scaligeiana, Tiiuana, Perron ia na , Piiluxana , et Coloinesi.iiia j avec des
noies. Anislerdani, 1740, 2 vol. in-12. — Scaligeraua, édition de 1667,
in-i2.
Nicolai Scbatenii, soc. Jesu, Annales Paderbornenses. Neulinsii, i6g3, in-fol.
Clironicariini liber, opus Hartmanni Schedcl. Norimbergœ, Koburger ,
1493 , in-fol.
De l'aragio. Apanagio et Feudis jiiris Francici, auctore Joanne Scbilter.
ArgcDioiati , 1701 , in-4''.
Hispania illustrata seu rernni urbiuniqne Hispanix, Lusitanirc, jEtbiopi»
et Indiae sciiptores varii, operâ et studio docloi uni virornm (Andréa
et Francisci Scliolt, J. Pistorii, etc. ). Francolurti, i6o3-i6o6-x6o8 , 4
vol. in-fol.
Colle<-lions d"<'crivains divers, principalement ecclésiastiques: voyez Baluze,
Bollanil , Brown, Ciinisius , Dct/wiits , D'Achery^ Durand, Nommer,
Hugo, Labbc,MabiUon, Marrier, iMai l'eue, Ptz, lissier,. . ..d'Historiens
de France: Buiigars , Bouquet, Duc/icsiie, Gnizot , Petitol , Pithou... —
d'Angleterre: (ambilen, Doilsworth, FeU, Gale, Heanie, Paiker, Sai'il ,
Se/deii, Ta'/si/eii , If'harton... — d'Alleiiiai;ne : lickhart, Freher, Goldast,
teibnitz, Ludcwig, Meibomius, Piitoriui, Se/uirdius,Strui>iiis... — (l'Italie :
Muralori. — d'Espagne : SclioU , etc.
DES CITATIONS. iixv
Volices Mi« les Vi«s et If s Ouvrages de divers écrivains : vojez Alberti^ ScriptoresNoiirc^.
Akamitr», Antonio, Raie ,. Batllet,. Bayle, Beflarmin, BiograpHie univ. ,
Borrichiu^, Cave, Corles, Croivœus, Delandine,de la Bue, Denina,DeP^isch,
Dupin ( Elites ) , Dit f^crdier, F.chard, ^êë^i ^^°Xi Faùric/iits , Fonlanifii,
FoppenSf Fuller, Grancolas, Hamderger, Henri de Gand, Hist. Utl.de ta
France, La Croix du Maine, Leland,Le Paige, Liron, Mansi, Meusel ,
Michaud, M il lot , Mirœus , Moréri, Nostradamus , Oldoini, OiiiUn, Pa-
pillon , Paquot , Pits, Portai, Quensted , Quèlif, Reinaud , Saitdius ,
Saxius , Sbaralea, Sixte de Sienne, Tanner, Tiraboschi , Towon , Tri^
thème, f^al'erc André, Valleoleti, G. J. f^osiius, IVadding, Vf^ood, etc.
Cuillelnii Shirwood , Distincliones theologicae; Tractalus theologici , Shirwood.
«rc. Mss.
M6RK>ire de M. Silveslre de Sacy sur la dynastie des Assassins , dans le Siïvejir» Je Sicy,
t. IV des Mémoires do la classe d'Histoire et de Littérature de l'Institut. ***"•
Efutome BiLIiothecae Conradi G«sneri, per Simlerutn , etc. Tiguri,, »585 , Simler. Bibliotb.
i»-fol.
Supplément à l'Hisloire de Beauvais, par Denis Simon. Beauvais, i^oo,ou Simon, Hist. de
Paris, J705, in-i2. B«a«U.
Voyage de Sinum de Saint -Quentin, en Orient , au xiii* siècle, dans Te Sîmon de ^wat-
«etueil des Voyages de Bergeron. Qaeiitiii.Voj«fe-
Ilistoire des Français, par M. Sinionde de Sismondii Paris, i.82i-i835, Sismondi.Hïii.de»
20 vol» in-S". — Histoire des Républiq.ues italiennes , par le même. _'''■»»<;• RepoU.
Paris, 1809-1818, 16 vol. in-8". *"'
ËoUraiM d'anr. poésies franc. , publiés par Sinner. Lausanne, i^Sg, in-S.". Sinner E»ir.
Siiiii Senensis, Bihliolheca sancta. Neapoli, 174^, 2 vol. in-ful. SixiiSen.Bililioib.
C«nrcilia raagnse Britannix et Hiberni.ne, collecta ab Henrico Spelmanno, Spdnun, (>»ci).
dein à Davide Wilkins. Voyez ff^dkins. — Spiciieg, Voyez Ù Achery. Aogl.
Annules ecclosiastici caidinalis Baronii in epitomen redacti et continuati H. Speod. Auut.
ab Henrico Spondano. Parisiis, t6i2 et 163^, 3 voL in-fol.
Fandaniiiia et régulas omnium ordinura monasticoruiH et militarium., StdUru 0(d.B*n.
<|^iLus ascetinae religionis status, à Christoinstitutus, ad quartum usque
seculum producitur, et omnes ordinum regulae postmodutn conscriplae
proouilgantur, studio Prosperi Siellartii. Duaci, 1626, in-4".
Stepha-ni Cornacensis epistola;,, notis illustratsC' à Claudio Du Slolinet. Faiv StepluD. loraac.
siis-, i^ai^, in-S".
llUustrium vetérumi scriptbrum de rcliu» Germanicis , tomi très, post Pis- StniT. Scr. r.*nu.
torium à Burch. Gotth. Struvio recensiti , et annota tionibus lilustratL
Bati&lM^)n;B, i-^:»6,. 3'vol. in-foli
.&iidae Lexicon gfseciim ,, cum laiinà interpretatione et cum notis Ludovici SUdJp£«tUf.
Rusteri. Caniabrigia: , i70.'>, 3 vol. in-ft>l.
Vit*) sanctoruui à Laurentio Surio post Liyomanum conscriptse, Cblbniae, Soriu», Vii»^.
1770 et seqq. , 6 vol. in-fol.
1 ANNKRi (IPb.), episcopi asaphensis , BiHTotïieca britànnito-HibertiMsr, sive Tannef, d«r«!»ipi .
de scriptoribus qui in AngliA, Scotjâ, Hibemiâ nsqu^ad s«culi rvirini- *"6'-
tium floruerunt, commentarius alphabeticus, cum praefatione Davidis
Wilkins. Londini , Bowyer, 1748, in-fol.
CoAsid«ra2iont< dd^ Tassoiii sof>ra il P«trai;c«. Afedena.,, v&ogi, in-S". Tauoni.
SmonensitiiB Anchiepiscoporunr vkat- actusqp» vanis- è locis collectià^Ta- T»»el.areh»«p. V-
cobo Tavello, senoaetMi ju<ri*c»esiilSe> Senonis^ i<)o8f,,iw8". ■""•
XXXVl
TABLE
T«Teaii3na< Mau-
Tas.
Teirasson , Hist.
de la jarispr,
rhtrodoric. V. S,
Dumioîci.
Theodori Pœnî-
lent.
Thomas Aquin.
'rlionias Cao t imp r.
Tbnfn Cîs'err. iD
(il t.
Tlioiii.Wald.Doc-
trÎD.
'Iliomasius de Pla-
gio.
l'iilenionl , Hist.
eccléa.
1 lra1>oscbi,Lelier.
rissier , Ribliolh.
cîslerc.
l'oiumasiui , Ri-
bliulb. pauv.
l'osiat.
l'ourun.
Trilhcia. Script,
rccles.
Irivel. Ann.
'I wy&ilro , Sciipt.
11. AuJ.
Terentianiis Maunis de litteris, syllabis, pedibus et metris, èrecensione et
cil m notis LaurentiiSantenii, et Jacubi Tan Lennep. Trajecii aJ lUienum.
1823 , in-4''.
Histoire île la Juiisprudencc romaine, par Ant. Terrasson.Paris, i7D0,in-foi.
Vita sancti Doniiniri aiictore Theoderico de Apoldia,in Actis SS. Bulland.
Auif. t. 1 , col. 562 et scqq.
Theodori, caiiliiarieiisis episcopi, Pœnitentiale , curâ Jacobi Petit. Parisiis,
if>77 , in-4''.
Sancti Tlioniœ Aquinatis Opéra oninia, iByo. iSji, 18 vol. in-foi. — Siimnia,
recOp'iiit.i. Peiusiae, i66'3, in-f'ol. Cuin coinmentariis. Bassano , 1773,
lo vol. in-foI.
Vita B. Joidani. — Beatoe Liitgardae monialis de Aqiiiria. — Beatae Mariar
Ogiiiacensis. — Bealae Clirisliiiae dici.ne niiral)ilis ; aiictore Tlioniâ Ganiim-
pniteiisi ; dans les Actn saiiclniuni des Boilandisles, février, t. II ; juin ,
t. m et IV ; juillet, t. V, etc. — Ejiisdem Tliotnae Cantimpr. Boniini nni-
vorsule de Apibus, editum ciirà G. Colvenerii. Dtiaci , 1627, in-8°. —
Mir.iruloruni et exeniploruni iiliri 1. Diiaci , i6o5, in-S".
Thonice Cislerciensis Commentarii in Cantica canticurnu. Parisiis et Lu"-
o
diini, i52i , iii-fol.
Thonioe ( Nctteri ) Waldensis Doctriiiale antiquitatum Cdei catbolica;. Pa-
risiis, i522, iii-fnl. Viiietiis, i5ji, in-l'ol.
Jacobi Thoinasii Dissortatio pliilosopliica de Plagio litterario. Lipsiae, 1629
vel i(>g2,in-4o. — Voyez Ohsen<atioue<i llallemes.
Mémoires pour servir à I Histoire ecclésiastique, par Le Nain de Til'.emont.
Paris, ifiy.i, 16 vol. in-4 ■
^to'ia ijeneiale délia letteratiira italiana, del cavalière abbate Girolamo
Tir;il)()schi. Modetta , 178"-! 7945 '^ ^"'- g*". in-4°.
Biblioilieca patriun cisterciensium , operà Berlrandi Tissier. Bono-Fonti ,
ififio, 8 tom. Mi-l'ol.
Jacobi Pliilippi T oiiiniasini Bibliotlieca patavina mannscripta. Pafavii, lôSp,
iii-4°. — Ejtisdem Elogia virorum litteris illustrium. Patavii, i63o ei
1644 I 2 vol. in-4".
Altonsi Tosiali commentarii et opuscula. Venetiis, ifipg, i3 vol. in-fol.
Vie lie S. Dominique de Giisnian , fondateur de l'ordre des Frères Prê-
cheurs, parle P. Toiiron, dominicain. Paiis, 1739, in-4°. — Vie de S. Tho-
mas, par- le même. Paris, i737,in-4°. — Histoire des Hommes illustres de
l'orilre de Saint-Dominitjue , par le même. Paris, 1743 , 6 vol in-4°.
OEuvres choisies du comte tle Tressan. Paris, 1^87-1791. 12 vol. in-8°.
Joannis Tritliemii liber de script<)ribus ecclesiasiicis , dans la Bibliotlieca
ecclesi'istica de Fabricius.
Nicolai Tiivei Annales usque ad sua tempera (xiiis. ), dans le t. VHI du
SpiciK'ge de D'Acbery.
Histori.x- anglic.iiiae .«criptores 10, ex variis mannscripiis niinc primùm in
lucem edili, ailjeeli.s variis li-clionibiis, glossario, indiceque copioso;
operà Rogerii Twysden. Londini, i65:i, a vol. in-fol.
n^lielli, lut. s. Ughei.1,1 (Fcrdinandi) Italia sacra. Romae, 1644-'''''* » 9 *ol. in-fol. —
Seeunda eililio, studio Nicolai Coleli. Venetiis, 1717-1722,9 t., 10 vol.
in-lol. — Tertia , Florentiae , 1765 ,10 vol. ia-foL
DES CITATIONS. xxxvij
Usber, De ^wt.
eccles.
Gravissimœ qiiœstinnis île chiisiiananim ecrlesiarum successione et statu,
historien explicalio, aiiclore Jac. Usserio ( Usher). Lonilini, t6i'i, in-4..
Ejusdem , Amples veleiis cl iiovi tesianieiiti. Genevœ, 1622 , in-fol. Dsher, Ann.l.
Usuariii Mariy.ologiiim. Rnnia;, i48(i, in-4". Cuii. ;.ililitionil)us J. Molan,.
Lovanii, i5y3, iii-8°.— Editio Joannis Solerii. Aniuerpiae, 1714, in-fol.
Osuard. Marti;.!.
Vaissète. Histoire générale de la province de Languedoc, avec les pièces ^''^'^l' "»' ''
juslifieativcs . p^ir (i!oni Claude de Vie et ) doin Vaissète. Patis , Vincent, "«•
1730 , 5 vol. in-lol.
Valerii Andnre Cibliotheca nd^ica. Lovanii, j6ii, în-8"; i643, in-4», et Vaicru Andr. K,-
(lans toppeiit.
Tabula doctoruni ordinis Praîdicatorum , à Ludovico Vallcoleti de- Valleolni, T.L.ia
„ , Pradic.
scnpta. r.lss.
LErcolaiio di nonedettoVarrhi;dialogo ncl qnale si raggiona dcUe lingue, Tarel.i, FErco! -
colli correzione Kitta da C.astelvelro e colla Varchina di Muzio. Padova, "•
Coniinu, ly^-i, 2 vol. in-8". — Lezzioiii di M. Bened. Varclii sopra ina-
terie pnetiilie e filosofiilie. Fiorenza . Giimti, i-'igo, in- '4". — Sonetti di
B. Van iii F^ioriiiza, Torreiiiini» , iTiSS-iS^t , 2 vol. in-8".
Histoire de France par Vclly, Villaret et Gar.iier. Paris, 1770-1789, 16 vdl, , H,.. ..v
\ ol. 111-4 . — 1 ans , 1 7 j5 , etc. , 02 vol. in-i 2.
Mélanges de Liticralure et d'Histoire, par Vigneul-Marvillc ( Bonavenlure Vigncnl-Mir,:!:»,
d'Argonne, cli^irtrcux), édition augmentée (par Banier). Pans, i7a5 ou
1740 , 3 vol. in- 12.
Histoire de b ci)n(|uèle de Constantinople par les Français et les Véni- ville iiaroonm.
tiens, par Geoffroy de Ville-Hardouin , édition de Dueange; Ini[)rinierie
royale, i6jy, in loi. — Et avec continuation , dans le t. XVHI du Re-
cueil <les IlistDi'iens de France.
Vincenlii Beiiovaceiisis Spéculum Majiis. Dunci, 1626, in-fol. — Autres édi- ▼!•«:• Bellovac.
tions iiiiii(jiiccs ci-dessous, p. 469 » 47"- — Ejusdem Vincentii opuseula
septeiii, Ba^ilcT, Ameibacli, 1/181 , in-fol.
Pauli Viiidinj^ii, ilescriplis noniiullis adespotis,pspudepigiapliis... ad Dec- vinding. Scripi.
kerimi Epistola. Anistelodanii, 1686, in-12. Cuni libro Uecki;ii de argu- * "P-
niento eodcin. Voyez Dccklicrr.
La Violette ou Gérard de Nevers , roman composé par Gibert de Mon- La 'Violciie, ro-
treuil , puiillé par ]\L Francisque Michel. Paris, i834, in-8°. ""»■
P. Virgilii I\l..i>iiis op( r.i ( lUicolica, Georgica, iEneidos lihri 12, etc.). Ci- virgilios.
ponii, 1785, 2 vol. in-8', etc.
Recueil de la vie, mort et invention «le S. Jean-Baptiste, par Viseur. Amiens, Vùcar.SL-j.Rapi.
i6i8 ou l'i.iy, iii-8„. — Viiry. \ oyez Jacoùui de Vitriaco. -Volatterr.
Voyez Miiffei de Vollerra.
Essai sur les luœurs des Nations (on Histoire générale), par Voltaiie. Dans Voltaire, E». «r
les éditions (lèses OEuvre.-:: t. XVI-XXI de l'édition de Kelil, 1785, 9a le» iMœur.
vol. in-12. — Avec <les remarques de M. Daunou , dans les t. XlX-XXlV
de Tt-ditioii de i8.!5-i832 , in 8".
GerarJi Joannis Vossii de Historicis latinis lihrl 3. Lngdnni -Batavorum , voa»iiM airr. j.',
i63 I, in -4°, et t. iV de la collection des œuvres de Vossius. Amsterdam , De Hisi. lai.
Biaeu, 6 vol. in-fol.
Voyage littéraire <le deux bénédictins (Martène et Durand). Paris 1717, voyage lïttér.
et 1724» 2 vol. 10-4".
3 .
xxxviij TABLE DES OTATIOxNS.
Uadding , Annil. Wa»!»»*. AnDodes Minâmm s«u Historia trium ordiniim à sancto Fran
>«"^ ciscainstitutorun», auctoreLucà Wadding, edilio secunda, 1731-1745,
17 toQiM in-fol.
Wadding, Script. Scriptores ordiftis Mmorum , studio Luc» Wadding. Romat, i65o, m-fol.
*•'"■ Altéra edilio, Roniae , i8o5 ; in-fol. Voyez Sbaralea.
Wigcnsfil. Joannis Christ. Wagenseil de Hydraspide epistola. Altorfii, 1698, in-4„.
WïJsin^M (Th. Historia brevis Majoris Britanniae , auctore Th. de Walsingham. Londini ,
<•«) 1^74 t in-foL, et dans les collections d'Historiens anglais.
WMjfboarg, An- Les Antiquités de la Gaule belgique , royaume de France, Australie et
tiq. bdg. Lorraine, par Richard de Wassebourg. Paris , i 549 » >n-'ol-
Whu-ioa.Angl. s. Anglia sacra sive collectio historiarum deepiscopiset archiepiscopi» Anglisr,
cura Henrici Wbarton. Londini, 1691', 1692 , a vol. in-fol.
Wil'mï, Concil. Concilia Magna; BritanniîB et Hiberniae ab ainno ^^6 zà 1717. Aceedunt
•''■'""- constitutiones et alia ad historiara anglicam spectantia>. Edidit postSpcl-
BiannuiD David Wilkins. Londini , 1737, 4 ^o'- in-fol.
Wuod , Aniiq. Historia et Antiquita^es Universitatis oxoniensis , auctore Antonio à WooiL
Oxon. O'xonii, ètheatro siieldoniano, 16741 ^6"]^ ^ vol. in-fol.
\,mtn. ^ Ro.ifr. , AiMTNii ( Rocferici ) Historia (lotTifca. Granat», r5f5» iiwfôh , el dan* le
Hùt. goib. t. II (ic i'Hicpania illustracr d'André ScfiotT.
TABLE
DES ARTICIBS COWTEWOS DANS CE DlS-HUm*»!* VOCaMB.
A*«a»t6«EMEI»T T-^vl'i
TmUe des Citations ist-XMvnj
TtMe des Articles «rxix-xlij
OuNiaz (le Nemours, évêque de Noyon, mort on 1222 i — -4
EJBSlache de Lens , abbc de Prémontré , mort après i aa6. 4 6
Conrad de Zareiiglieiii, religieux cistercien, cardinal-évèque de
Porto, m. en 1227 6 — 13
Olivier, écolàtre de Cologne, cardinal-évèque de Sabine, m. en
1227 «4— »9
Galon, cardinal, in. en 1227 29—33
(S4>énn, évèque de Senlis, chancelier de Fi-ance, m. en 1327. . . 33 — 4'
Servais de Cliicester, abbé de Prémontré, évêque de Séez, m.
en 1228 • 4« — ^«
Rtienne Langton, canlinal, archevêque de Canlorbéry, m. en
1228 5o — 66
J«^o, abbé de Saint-Victor de Paris, ra. en iaî<) 67,-68
Gotvin de Bossut, moine de Vitliers, m. après 1229 68, --69
Hugues de Miiamors , archidiacre de Maguelone , puis chartreux ,
n. vers i23o ^q— 79
Nicolas de Biaia , poète latin , m. vers i23o go gg
Hug<ies, chanoine de l'ordre de Prémontré a Floreffes, v. 1280. 86 89
Hélinand, moine de Froidmont, chroniqueur latin, poète fran-
çais, m. vers 1280 ; 89-103
Gérold , abbé de Molesme, puis de Cluny, évêque de Valence,
patriarche de Jérusalem, m. en laSo io3-io6
Guillaume (fils de Pierre), évèque d'Alby, m. en 1280 106-108
Jean dipres , abbé de Saint-Bertin , m. en 1 280 108- 1 1 a
Reiner , moine de Saint-Jacques de Liège , m. vers i 23o i i3-ii5
Guillaume d'Auxerre, archidiacre de Beauvais, m. en laSo ii5-iaa
Barthélémy , xx' abbé de Cluny, m. en i 280 1 23- 1 3o
Guillaume , abbé dAndres, m. en i 284 i3i-i34
(iautier d Ochies , abbé de Cîteaux , m. en i 234 ou i 235 i34-i36
tWrnard Dorna , archidiacre de Bourges , jurisconsulte , m. vers
'^35 137- i4o
xl TABLE
Jourdain le Forestier (Jordanus Nemorarius), mathe'maticien ,
ni. vers 1235 • • M» -'4'
Maurice, évèqiie du Mans, archevêque de Rouen , mort en i 235. I4T-I45
Geolfroy d'Eu , évéque d'Amiens, m. en 1235 i45-i 4;
Élieime de Braia ion , xxil' abbe de Cluny. m. en i 236 1 4;- i 49
Guillaume, abbé de Cîteaux , ni. vers i a3(i 149-1 5a
Gilles de Lèwes , piéniontré, surnommé le Ulanc-Gendarr.u, m.
en I 23; • • •' 1 5a-i 6a
Jean Hdgriii d'Abbeville, doyen d'.\niiens, arclievèque de Besan-
çon , cardinal , ni. en i 237 1 62- 1 77
Éiiion , abbé de Vérum , ni. en 1237 1-7 -184
Philippe de Grèves, chancelier de l'église de Paris, m. en i 237. 184-191
Philippe, frère prêcheur, vers 1238 191, 192
Slbrjiid, abbé de Maiie-Garden , m. en i 238 192,193
Césaire d'Heistcibach , m. en i 240 i()3-2oi
Alexandre de Villcdieu , gianiniairien-poéte , m. vers 1240.... 202-209
Jacques de Vitry , cardinal , historien , m. en i 240 209-246
Henri de Dreux, archevêiine de Beims, m. en 1 a^o 246-249
Guillaume de Dcaiiinont , e\ê!|tie d'Angers, m. en 1240 25o-252
Sainl-Edmond on Ednie, archevêque de Can toi beiy, m. vers i34o. a53-269
Élienne de Gual , après i 24" 269, 270
Gautier de Cornut, archevêque de Sens, m. en i 24 ' 270-279
Albéric de Trois-Fontaines, auteur d'une Chronique qui finit
en I 24 1 279-292
Guiil.Hime de Uonililberg, abbé de Clairvaux , m. vcis 1242. . . 293-295
Pierre de Reims, évêque «l'Agio , 111. en 1 242 295, 296
Amanien de Gresiuhac, arc!ie\êque d Auch, m. vers 1242 297, 298
Pierre de Sczaune, religii-ux douiiiiic-ain , m. d-.- 1240 à i 245. . 299-3o5
Geoffroy de Viiusauf, pucle ialin , vers 1 24> 3o5-3(2
Alexandre de liâtes, théiilogicn , m. «n i v4 » 3l 2-328
RerniH'd de Sidly, évêque d'Auxciie , m. m i245 ... 328, 32^
Rodolphe (le Torole , cvêquf de V erduii , m. iii i 245 32g-33 i
Pii-rie, (ils (rAniiliiis, arclii'vê(jiie de Naiboune, m. en 1245.. 33i-338
Guillaume <le iMoiilaigu, xx.*" ablié de Ciie;uix , m. en 1245 338-346
Robert de Torule, l'vêqiu! de I>jngres, puis lie Liège, m. en 1246. 347-35o
Pierre, moine de Fc'ianip, (broiiiqueiir, m. après 1246 35o, 35 i
Rodcric Xinieiiès , archevêque (U- 'l'o'ède , m. en 1 247 352-354
Guiard de Laoïi , cvê(|ne de ('and)iai , m. en i 247 354-355"
Jean de Mmiilaiir, évêqiu- de Magiielone , m. eu 1 247 356, 35>-
Guiliaume d'Aiiveigne, evêqtie ilc Paris, m. en i'>49 3i7-385
Robert de neihnue , avoué d'Arras , m. eu l 248 385-388
Raimond vil , comte de Toulouse, m. eu 1248 38j)-39i
Guillamne Sliirvood , ni. en i 249 39 1-393
Jean de Limoges, vers 1 25o 393-395
Guillaume de Sainl-.Mailin de Tournay, vers i25o 395-39-'
Siger (le Lille, frère pr(''c!ienr, vers laâo 297, 398
Jiuqm-s de Toidouse , fieie prêcheur, vers i 25o -^995 4<'0
Simon de S;iiiil Quentin , frère prêcheur, vers i 25o /^^ii-j^oi
Guillaume de Reunes, (rère prêcheur, vers i25o 4o3-4o6
Robert de France, comte d'Artois, ei Gui de Melun , chevalier,
1 230 407-4 « I
DES ARTICLES. xli
Julifl , archevêque de Reims , m. eo i a5o 4 • '-4 "4
Bernard le Trést)rier, traducteur et continuateur de Guillaume
de Ty I 4 » 4-4-^<>
Gilles de Liège, moine d'Orval, m. vers i 25 i 43 1-4-^5
Jean de Wildesliuseii , dit le Teutonique, général des frères prè-
clieurs , m. en I 252 435, 436
Robert Grosse-tête, évêque de Lincoln , ra. en i 253 437-444
Jean de S.iint-Gilles , médecin et théologien , m. après i 253 .... 444-447
André de Longjumeau, frère prêcheur, m. après i 253 447» 44^
Vincent de Beauvais 449-^1 9
Notices succinctes sur divers auteurs,
Jean de Louvain, dit le précurseur , 5ig, Sao
Martin de Laon , chartreux 320
Ida , abbesse d Argensole, morte en i 226 5a i
Alexandre Neckam, m. en i 227 521-523
Eudes de Sorcy, m. en 1 228 5^3, 5a4
Pierre de Roissy , m. vers i 23o 624
Gérard de Horaigny, m. en i a36 524
Guillaume Rurell , m. en i 236 524-520
Pierre de Reims, évêque d'Agen, m. en 1242 Saô, 527
Bertrand de Pontigny, m. après 1241 627
Odon Clément, m. en i a47 ^27, 5a8
Arnoul, evêque d'Amiens , m. en i 247 528
Rainier, le Lombard , m. en i 249 528, Sao
Raoul le Jîreton , vers i 25o 529
Michel de RIaunpayn et Henri d'Avranches, vers laSo 529,53o
Nicolas Hv.ird, vers i25o 53o, 53 1
Jean de Mailly , vers 1 25o 532, 533
Etienne d Auxerre, vers i25o 533
GeotfVoy île BIèves , m. en i aSo 533, 534
Pierre d Aubenas , m. en 1 25o 534
Adam , évêque de Térouane, m. en i aDo 534,535
Gaultier de Marvis, m. en i .«.r) i 535, 536
Anselme Rigaud , doyen du chapitre de Lyon, m. après i25a. 536
Herbert d'Auxerre , m. après laSa 536, 537
Pierre de Colmieu , cardinal , m. en ia55 537,538
Yves Breton, dominicain, vers laâS 539
Jean de Saint-Évroul , m. en 1 255 53^
Pierre de Cuisy , évêque de Meaux, m. en 1 25 5 539-54 1
Troubadours 54a, 543
Deux dames anonymes , auteurs de poésies provençales 543-547
Pierre de Bergerac 547-55o
Guillaume de Beziers 55o-553
Guillaume Anélier, vers 1 228 553-557
Arnaud de Comminges 557
Deudes de Prades, m. vers laaS ou laag 558-56i
Blacas, mort en i 22g 56i-568
Arnaud d'Entrevènesi^Bonnef'oi 568, 56q
La dame Tiberge 570
7 orne XFIII. f
xlij TABLE
Hugues de Mataplana , m. en i 229 07 i-âjS
Guillaume de Bergédan , vers i 2^0 676-579
Pistoletta , m. vers i 2^50 379' -^^^
La dame Casielioze 58o-583
Bernard , m. vers i 23o d8o- j86'
Azémar le Noir , m. vers i 23o 586-588
Folquet de Marseille , m. en i 23 1 588-6o3
l'erdigon , m. vers i23i 603-607
Robert , dauphin d Auvergne; et Robert, évèque de Ciermont,
m. en i 232 607-615
Bertrand de la Tour , et Pierre Pelissier , vers i 246 61 5-6i 8
Pierre de Maensac , vers i 246 61 8-62 i
Folquet de Romans; et Baudoin ix , comte de Flandre, 1240-
I 25o 62 1-625
Jean d'Aubusson , et Mcolet de Turin , vers 12 5o 626-63o
Guillaume de la Tour, et Pierre Imbert, 1240-1260 63o-63a
Raimond Vid.il de Besaudun 633-635
Arnaud Plaguès 635-637
Guillaume de Saint-Grégori 637, 638
Raimond de Salas 639, 640
Hugues de Bersie 640,641
Bertrand de Gordon, et Pierre Raimond 641,642
Ralmenz Bistors, d'Arles 642, 64i
l>ujols ''43
Ebles de Signe et Guillaume Gasmar 643, 644
Pons Barba 644, 645
Rambaud de Ikaujeu 645
Bertrand de Paris, en Rouergue 645,646
Jean d .\guila 646
Montant S.u tre 647
Pierre de la Caravane 648, 649
Guillaume Figuières, Bertrand d Aurel, Lambert Pavés 649-662
La dame Germonde 66:>.-665
Durand de Pernes 665, 666
Bernard de Rovenac 667-670
Rambaud d Hières 670,671
Savarir de M:iuleon , prévôt de Limoges 671-682
Bertrand d. Saint-Félix 682, 683
Aimérir de Peguilain 684-698
Trocvehes. Considérations généiales 699-703
Auteurs de Romans historiques , de Lais , etc.
Anonyme, auteur du Voyage de Ctiarlemagne à Jérusalem etàC. P. 704-714
Turold , auteur du poème de la Bataille de Roncevaux 714-720
Huou lie Villeneuve, auteur de Regnault de Montauban , des 4
iils Avmon , etc 721-730
Anonyme, auteur du Roman ou Lai d'Havelok le Danois 731-738
Jean de FKii;v, auteur du Roman de Garin le Loberains 738-748
Anonviue, auteiu" du Roman de Beuves de Hanstone 748-751
DES ARTICLES. xliij
Anonyme, auteur de l'Ordène de Chevalerie 752-760
Gibert (le Montreuil , auteur du Roman de la \ iolette ou de
Gérard de Nevers 760-771
Cali'ndre, auteur d'une histoire en vers des Empereurs de Rome. 771-773
Jehan Renax ou Renault, auteur du Lai d'Ignaurès, etc 773-779
Anonyme, auteur du Roman de la Châtelaine de Vergy 779-786
Auteurs de Romans allégoriques , de Satires , de Poésies religieuses.
Raoul de Houdan , auteur du Songe d'enfer 786-790
Anonyme , auteur de la Voye de Parailis 790-792
Anonyme, auteur de la Cour de Paradis 793-800
Huon de Méri, auteur du Tournoiement du Christ 800-806
Guiot de Provins et Hugues de Bersil, auteurs de poèmes satiri-
ques , intitulés Bibles 806-82 1
Simon de Fresne, auteur d'une imitation de la Consolation de
Itoece 833-824
Thibaud de Mailly, auteur d'un poenie moral et satirique 814-826
Adam de Suel ; Adam de Guienci; et autres traducteurs des Dis-
tiques de D. Caton 826-83o
Le prêtre Herman , traducteur de morceaux de la Bible, de
Légendes , etc 83o-837
Bérengiers , autre traducteur de la Bible 838, 839
Auteurs de Chansons, Sirventes et autres opuscules.
Considérations générales 839-841
Luc de la Barre 841-844
Maurice de Craon et Pierre de Craon , son fils 844,84^
Quesnes de Béthune et Hues d'Oisy 84:">-848
Audetfoy le Bâtard 848-85 1
■ v%>^«^^v
ADDITIONS ET CORRECTIONS-
Dans la Table des citations, on a omis les 8 articles suivants :
1*. XI, Banilt'llo. Le (|unlio parti de le Novelle del Bandt-llo. Londra, Harding,
I T /)0 , 4 loin . , 3 vol. p. in-A".
P. xii, Boccace. Il Decaincrone. Londra (Livorno), 1789, 1790, l, vol. in-8°.
)'. XT, Coutumier geniral , avec les notes de Chauvelin, de Brodeau, de Hicard
et de l'éditeur Bonrdot de Richebourt;. Paris, Rohustel , 1724, 8 tum
4 vol. in-fol.
Couliiniier de Verinandois, avec les commentaires de J. Buridan,et les
observations de L. d'Héricoiirt. Paris, 1728, % vol. in-fol.
P. XVI, De la Rue. Recherches sur la taj>isserie deBayeux, Caen, Poisson , 1824,
gr. in-4'', fig.
P. xviii, Duchesne (.\ndr. ). Historiae Pîormanorum Scriptores antiqui. Parisiis,
1619 , in-fol.
P. XXVI, Mary;iierite de Valois, reine de Navarre. Ses Nouvelles (Hollande),
1698, a vol. p. in- la.
P. xxvii, Massieu. Histoire de la poésie française. Paris, Prault, 17^9, in-ta.
Dans la Table des arti< les que ce volume contient,
P. XL , I. 26 , au lieu de Pierre de Reiras , Usez Enguerrand III , sire de Couct
Dans le corps du volume.
P. 3 1 , effacez te mot cent à la fin de ta ligne 38.
P. 36 ,1. 17, Beauvais, li.\ez Senlis.
P. 4* > I. 22 , ait, lisez n'ait.
P. 68, I. 29, du, lisez de ce,
P. i65, 1. 34 , exemplaire de la Bibliothèques, /ùez exemplaires de la Bibliulbèque.
P. 1 66, à /a note marfiinale , Gaudes, lisez Gaodav.
P. 192, 1. 23 , mensongère, /ùez mensongères.
P. 260, I. 40, pasage, lisez passage.
P. 273, 1. 25, epicopus, lisez episcopus.
P. 347, 1. 42, quels, lisez quel.
P. 377. 1. 32, Sahanac, lisez .Salanliac.
P. 482, 1. 36, ambiguïtés, li\ez ambiguitès.
. 12 , aurels, lisez auzels.
. 1 2 , ce qui prouve que, lisez ce qui le prouve, c'est que.
.10, qu'eus, lisez <|ue us.
27, ferai, lisez ferais.
. 29, celui, lisez celle.
. ig, Miri'baud, lisez Mirebeau.
P. 691 , 1. 42, prouvi, lisez prouve.
P. 696, I. 41 , .Sympainisaient , lisez sympathisaient.
P. 698, I. I, Trointo riprovenznli , lise/. Tinvatori provenzati.
1. 6 , Inghitelterra , lisez I/ighilterrn.
P. 853, a* col., 1. 3i, conimissaises, lisez commissaires.
P. 862, i" col., 1. 48, 816 821, toez 816-81 1.
On a imprimé en diverses pa^es, Wharton, Warthon, Wartoc , il fuit lire
partout Wharton ( auteur de 1 Anglia sacra ).
p
56i,
p.
p.
5-9,
583,
p.
1".
p.
587,
609,
672,
HISTOIRE LITTÉRAIRE
DE LA FRANCE.
■jioaa i — ■
SUITE DU TREIZIEME SIECLE
ETIENNE DE NEMOURS,
ÉVÊQUE DE NOYON. „o„^„ „,,,
(jAUTHiER DE ViLLE-BéoN, chambellan de France, plus
illustre par ses actions que par sa naissance, dit la chronique
d'AIbéric, eut de sa femme, Aveline de Nemours, sept nls,
dont quatre, entrés dans la clëricature, devinrent ëvê- deF7.,t'xvî'n,
ques, et trois suivirent la carrière des armes. Ces quatre p 769.
prélats furent Etienne, évêque de Noyon ; Pierre, évêque
de Paris; Guillaume, évêque de Meaux; et Philippe, évêque
de Châlons. La même chronique, à l'an i2o4, en parlant de ibid. , p. -gr,
Tome XFIII. A
Rec. des HIst.
ri 1 ■l.lH.
2 ETIENNE DE NEMOURS,
Mil SlKCr.E. , , , ^ • • ' j-
la mort de leur père, qui arriva en cette année, dit encore
que le plus jeune de ces sept fils, Philippe, avait pris le parti
des armes; mais à l'an 122S, elle le désigne, de manière à
ne laisser aucun doute, comme ayant été nommé à l'évêché
cnii. on., I. j^j^ Chàlons, et elle est en cela d'accord avec les historiens
\ 11, p. 880. , , , , ...
des eveques de cette ville.
Etienne, qui l'ait le sujet de cet article, est nommé avant
\iiaiiii. 1204 ses frères dans Rigord et dans Albéric, ce qui prouverait
qu'il lut leur aîné. A l'appui de cet indice, on peut remar-
quer que le premier acte de l'épiscopat d'Etienne est de l'an
oaii.ciir , I. I iH8, tandis que le premier de celui de Pierre est de l'an
IX, p. io(>'>; I. i-2oS; enfin (jue l'épiscopat de Guillaume est de l'an I2i4,
vu p. 87 ; t. ^^1^1 j^ Philippe n'est que de l'an iaa8.
i.ix,p. 88(i. ],e premier acte de la vie publique d Etienne lut d assister
comme témoin, et antérieurement à son épiscopat, au sacre
de Henri de Sully, archevêque de Bourges, qui eut lieu vers
l'an I i83. Etienne en fait mention dans la lettre de recom-
Levass., Ami. maudation qu'il écrivit au pape Honorius III en faveur de
'iiaie!il No'on ^^^ archevèquc, pour défendre ses droits de primatie contre
p. yi3. farchevêque de Bordeaux.
Gaii. christ, I. Fait évè(|ue de Noyon en 1188, il fonda dans cette ville
i\',P i(io5. une chapellenie à l'hospice des lépreux; après quoi, d'année
en année, son é|)iscopat fut marqué par divers actes de po-
litique ou d administration publique dont on a cru ne devoir
relever ici que les principaux.
;hid En I igi, il fut chargé par Philippe-Auguste d'aller négo-
cier auprès du roi de Danemark, Canut II, le mariage
d'ingerburge, fille de ce roi, avec celui de France. Néan-
moins il fut au nombre des évêques qui déclarèrent légitimes
les fils d'Agnès de Méranie. 11 n'a laissé d'ailleurs de lui aucun
souvenir purement littéraire; mais il en a laissé plusieurs de
sa bonne administraticui. Attentif à faciliter les transactions
commerciales dans le ressort de sa ville épiscopale, après y
avoir permis le libre cours de la monnaieyt?am/.y, pour obvier
aux inconvénients qui pouvaient résulter de cette liberté
même, il rendit en 1 197 un édit par lequel il ordonna que
tout paiement serait effectué en monnaie évaluée d'après le
tarit public, qu'il régla sur la valeur exacte du sou parisis :
comj>utatis duodccini parisiensibus pro deccm et octo nigris
Ainsi le porte littéralement cet édit, qui fait par là connaître
la proportion qui existait à cette époque entre la valeur de la
Ducange . in monnaie parisis et celle de l'évêché de Noyon, qui était en
billoii , niions.
(llobs. ad ^erl
AJi'Ht'ln nitiiii.
ÉVÊQUE DE NOYON.
XIII S!i;CI K.
C.all .hi. ,
I \ , p. 1014
L'ëvêque Etienne a montré qu'il savait allier à l'esprit
d'administration celui des institutions municipales, lorsqu'en
1200, il fit bâtir dans son diocèse le château de Carlepont, p,o ■ lie làv'i ,,.1
qui est devenu de notre temps un bourg de 227 feux. Jl en c- "
rédigea lui-même les statuts municipaux, qui furent confir-
més par Philippe- Auguste en 1222, dans l'année même de
ia mort de cet évêque,et peut-être afin d'honorer sa mémoire.
Zélé pour la discipline ecclésiastique , il ordonna que chaque
chanoine accomplirait son stage durant l'année qui suivrait
sa prise de possession; mais ce règlement fut aboli quinze
ans après par l'évêque Foucauld, sans doute comme trop
assujettissant pour un temps de croisade. L'Hôtel-Dieu de
Noyon ayant été presque entièrement rebâti par son prédé-
cesseur Renaud, l'évêque Etienne rédigea en 121 8 le règle- jIjj.i.o .....(i
ment de cette maison en 5o articles, qui furent adoptés
mot à mot par Geoffroi, évêque d'Amiens, l'an i233, et pour
l'Hôtel-Dieu de Beauvais en 1246, par Otton, évêque de
Tusculum et légat en France. Le préambule de ce règle- SpiciRg. aA-
ment, et la transcription du règlement même, tel qu'il a ',''"5'.,' ^'/i'
été adopté dans les deux diocèses, nous ont conservé des y. 335.
exemples du style latin d'Etienne; et la lettre qui lui a été
adressée à ce sujet par le pape Honorius III, contient des
éloges bien mérités de la sagesse du règlement approuvé
pour diriger cet Hôtel-Dieu.
Il est une particularité de la vie de cet évêque que les histo-
riens de son évêché n'ont pasfait remarquer, et que l'on trouve
dans les lettres de Gervais ; c'est qu'Etienne de Nemours fut, ii"s'i,s„i.,m
pendant son épiscopat, en lutte presque continuelle avec les """""" ' 'i' ^'
religieux prémontrés qui se trouvaient dans son diocèse. En
effet il est dit dans ces lettres, que l'évêque de Noyon voulant
obliger ces religieux à le défrayer dans ses voyages, et à lui
Eayer un tribut atmuel, faisait saisir leurs récoltes, leurs
êtes de somme et leur bétail. La conduite de l'évêque envers
les prémontrés était imitée par les doyens des églises :
celui de Ham avait fait saisir jusqu'à la farine nécessaire à la
subsistance d'un monastère de ces religieux, situé dans
son voisinage. Les plaitites de Gervais adressées au pape
avaient été souvent sans effet; mais elles devenaient plus
fréquentes et plus vives, et enfin Honorius Ili contraignit ibid.,i. i,p
Etienne à rendre compte de sa conduite devant les notables 43, 44. etc.
du cliapitre de Reiras, désignés pour mettre fin à ces
démêlés. En cette circonstanoe, Etienne, pressé de campa-
A2
4 EUSTACHE DE LENS,
XIII SIÈCLE. , , -1 1 ' •. »» ' J'U T »•
raître devant ce tribunal , évita cette espèce d humiliation,
en reconnaissant les droits et privilèges des prémontrés ;
cVst ce qui fait le sujet d'une lettre qu'il adressa à l'abbé
Hngo,Sacr.aiit. général de cet ordre. Il la commence en ces termes : JSon
mon, t. i,p .46. ignorât discretio vestra , quod divites et patentes sœculi aut
seducti consilio alieno , aut errore decepti, à via plerumque
déviant œquitalis, et milita faciunt, quœ postniodum pœnitet
eos fecisse , quandb reversi sunt ad cor et ad notitiam veri-
tatis. Il dit ensuite qu'on lui avait suggéré que les prémontrés
devaient et avaient payé un tribut annuel à ses prédécesseurs,
et que lui-même, croyant ce droit bien fondé, reconnaissait
avoir causé, pour le défendre, quelques dommages à ces re-
ligieux, lesquels auraient été bien plus grands, si la crainte
du scandale ne l'avait pas retenu ; mais que la volonté du
souverain pontife se faisant connaître d'une manière expresse,
il est résolu à se désister des droits qu'il croyait avoir, et à
payer le? dommages qu'il leur avait causés ; enfin il leur
demande pour cela de fixer le temps et le lieu où ils pour-
ront ensemble traiter de ces arrangements.
GtU. ihr., t. La mort d'Etienne est fixée à l'an 1222, d'abord parce que
II, p. 1006. c'est en cette année que lui fut adressée la bulle du pape Ho-
norius III , pour décider le différend qui s'était élevé entre
l'église de Noyon et le chapitre de St.-Quentin , ensuite parce
que Gérard de Bazoche, son sucesseur, reçut le serment du cha-
pitre collégial en cette même année, au mois de juillet. P. R.
EUSTACHE DE LENS,
MORTapr. 1226. ABBÉ DE L'ORDRE DE PRÉMONTRÉ.
(^ET Eustache prit son surnom de De Lens (en latin Lensius\
delà petite ville où il était né, et qui se trouve dans l'Artois.
Son nom de famille est inconnu, ainsi que la date précise
de sa naissance; mais i! florissait dans les vingt premières
, , u , , années du xiii* siècle.
Mr.,(.Ji,p.8a5. Nous ne savons sur quelle autorité 1 auteur de la Biblio-
thèque sacrée , en citant une partie de ses ouvrages, l'appelle
XIII SIÈCLE.
ABBE DE L'ORDRE DE PREIMONTRE. 5
Mathieu de Lens , et le fait naître en Flandre. Son surnom
aura pu occasioner l'erreur du P. Lelong sur sa véritable
patrie : en effet, il existe une autre ville de Lens à quelques
lieues de Mons , que l'on peut regarder comme flamande.
Ildébuta par être religieux et ensuite chanoine dans l'ab- Le Paige, Bi-
baye de Vicoigne, au diocèse d'Arras. Quelques auteurs le i»''"'*». pr*iuon-
font aussi chanoine de Valenciennes, et de plus docteur en "^^^l^x^oT^'
théologie et professeur dans l'école de Paris : Theologiœ caiiia chris-
doctor et projessor apud Parisios. Mais si véritablement il liananova.t.iii,
a eu le titre de professeur à Paris, nous ne croyons pas qu'il ** 46î,n° su.
en ait jamais exercé les fonctions dans cette ville. On ne
trouve point son nom cité parmi les célèbres professeurs de
ce temps. D'ailleurs il parait qu'il s'est peu éloigné, dans toute
sa vie, du lieu de sa naissance.
En effet, de son monastère de Vicoigne, ubi mentis et doc-
trind inclitus micabat, il fut appelé en qualité d'abbé dans prj'monstm'"'
celui de Val-Chrétien, au diocèse de Soissons. Il régit si bien, n.coi. lonjo**
adeo féliciter, cette abbaye, qu'on voulut l'avoir pour abbé à ^"•
Val-Sery, monastère voisin. Il parait qu'il conserva à la fois
le gouvernement de ces deux abbayes, mais qu'il se démit
de celle de Val-Sery en laao. Ce qu'il y a de certain, c'est
qu'il était encore abbé de Val-Chrétien en 1226, puisque Gaiiu christ,
cette année-là, il conBrma, en qualité d'abbé, une donation °°*^' '^°'- 5°<>'
faite à l'abbaye d'Igny. "" ''"'
Ce fut sans doute à cette même époque qu'Eustache de
Lens se démit encore de cette seconde abbaye pour se retirer
à Vicoigne, dans le premier monastère qu'il avait habité et
que gouvernait alors ff^alterus Qiiercetanus (Gauthier Du-
quesnoy). Il y vécut quelques années; mais il avait déjà
atteint une extrême vieillesse. Il travaillait cependant à un
ouvrage sur la Trinité , lorsque la mort le surprit. C'est sur
son pupitre même qu'il expira, « afin d'aller voir de ses
fi propres yeux , suivant l'expression d'un auteur du temps,
« la Trinité qu'il n'avait encore vue que comme dans un «
« miroir et en des énigmes. » //^.ye -ve/w magisler midto con- tiq.,i.ii,p.în
fectiis jam senio , tractatum de Trinitate cogitans , super
pulpitum suum visants Trinitatem oculo ad oculurn , quam
viderat per spéculum et in œnîgm,ate , ibidem expiravit.
Nous ne connaissons aucune autre particularité de la vie
d'Eustache de \jen%. On voit seulement qu'il fut ami de Jac-
ques de Laude Firginis , autre docteur en théologie et cha- id.ib.d.
noine piémontré du mont St.-Martin. Il entretint avec lui
4
CONRAD DE ZARENGEN,
XIII SIECLE.
une longTie correspondance dont on ignore l'objet, mais
dont parle le dernier continuateur des chroniques de l'abbaye
de Vicoigne.
Voici les ouvrages qu'on lui attribue :
i" (et c'est son principal ouvrage ) Une cosmographie
d'après les livres de Moïse, Cosmographia Moysis.
2° Seminarium VerbiDei, en un très-gros volume, et que
l'on pourrait appeler un lexique de la Bible. — Seminarium
Verhi Dei , quod ingenti volumine comprehensum , atque
Le Paige, Bi- alphabetico ordiiic digestum, recrè Lexicon h\h\\cvim a ppella-
bliotli. Praemon- i>pf^c
strat., col. 3o5. ^^ j^ Hymîios ah ordine prœmonstratensi receptos.
4° In Régulant S. Augustini ad Gervasium,, prœmonstra-
tensium priuiatem.
5° De Ai et ris, lib. I.
6° De Significationibus nominum et Qualitatibus rerum ,
ex D. Gregorio.
7" Le Traité sur la Trinité, que la mort l'empêcha de
terminer.
Devons-nous regarder comme un éloge ce que dit Hugo
de son style : Fulvo scrmone conscripsit.?
Tous les écrits d'Eustache de Lens étaient conservés
dans l'abbaye de Vicoigne, avant nos troubles civils. Ont-ils
échappé à la destruction de cette abbaye? C'est ce que nous
ignorons. La Bibliothèque royale n'en possède aucun.
A. D.
CONRAD DE ZARENGEN.
MORT en 1227- RELIGIEUX CISTERCIEN, CARDINAL-ÉVEQUE DE R)RTO.
E'auteur de l'article de Barthélémy, évêque albigeois, dans
Hist.iiit.de la le précédent volume de notre histoire littéraire, rapporte
France, t XVII, ^^g lettre écritc relativement à ce faux évêque, par le
p. a85. * *
RELIGIEUX CISTERCIEN. 7
f XXII SIFCLE
légat du pape Conrad de Zarengen , fils d'Éginon d'Urach ,
comte de Sègoe ou de Cérenges. et neveu de Berthold, duc Martèn. xhes.
de Zarengen ou de Thuringe. Ce Conrad fut d'abord cha- ^°««=d.,t. iii.p.
noine de l'église de St.-Lambert à Leyde ; et le moine ^Egidius, Rec. des Hist.
dans l'histoire des évêques de cette ville, donne à entendre deFr.,i.xviii,
qu'il fut élevé près de cette église dès sa plus tendre enfance, ^\^ y.^^j^ ^:^,
qui penè a cunahulis heati Lamherti educatus erat stipendiis, cisi.,p. 75.
Devenu par la suite doyen du chapitre de cette église, ce fut
pendant qu'il occupait cette dignité, qu'il prit la résolution
d'embrasser la vie monastique, et que, pour remplir ce vœu,
il se retira dans la célèbre abbaye de Villiers en Belgique.
Césaired'lleisterbach raconte comment, durant son noviciat, Cœs.Heisi.iib.
un de ses frères lui avait annoncé sa grandeur future; et il ïH.ca^-
ajoute que l'évêché de Leyde étant venu à vaquer, on parla
de l'élever à ce siège, quoiqu'il ne fût encore que novice, étant
déjà assez avancé en âge. Cette élection capitulaire qui, selon
la chronique d'Albéric. eut lieu en l'an 1200, ne fut pas fa- Aib.chioD.ad
vorable à Conrad, à raison du petit nombre de suffrages qui »""• '2""
se réunirent en sa faveur; -mais il devint successivement
prieur et abbé du monastère de Villiers , et fut élu en 1 209 à
cette dernière dignité, qu'il remplit jusqu'en r 2 14- L'historien Mait. Anecd.
de cette abbaye parle avec éloge de la noblesse de son ori- 'oc- 1'«
gine, plus encore de ses vertus et des regrets unanimes
qu'excita son départ, quand, en celte même année, il quitta
Villiers, pour aller à Clairvaux , dont il fut abbé jusqu'en caii. cLi. , t.
1217, année de son élévation au gouvernement général dç iv, p. 80/,.
son ordre, en qualité d'abbé de Cîteaux.
L'année même de cette promotion , il se trouva en rapporf
avec le comte Simon de Montfort pour un échange de caii.chr.ibid.,
maison à Carcassonne, et, l'année suivante, il obtint du pape p 99'-
HonoriusIII, pour tout l'ordre de Cîteaux , l'exemption de
payer aux évêques et aux seigneurs les dîmes pour les terres
que les Cisterciens avaient défrichées avant l'époque du
concile de Latran, et celles qu'ils avaient entrepris de défricher
depuis. Le même pape, en cette circonstance, lui adressa Anuai. cisier-
I "^ . • • / I » 1 ..» cicDses, ad aiin.
plusieurs actes pour protéger son ordre contre les attaques ^^jg
de ses rivaux et de ses envieux. L'annaliste de Cîteaux re-
marque ici que c'est depuis cet abbé, et à dater de cette
même année que les Cisterciens, en commençant le chant
du Sah>e, Regina, se prosternent et restent dans cette
posture jusqu'aux- mots mater misericordiœ ; enïin que c'est
le même abbé qui ordonna, que pour conserver l'humilité et
8 CONRAD DE ZARENGEN,
'- la modestie, même dans la célébration du culte divin, per-
sonne , quelque rang qu'il eût dans l'ordre , n'aurait de
tapis sous les pieds pendant qu'il dirait la messe.
Aonai. cister. Les mérites de Conrad et son habileté dans l'administra-
loc. cit. tion de son ordre s'étant manifestés de plus en plus, disent
les annales, l'Eglise romaine voulut s'attacher plus particuliè-
rement celui que sa propre famille avait élevé sucessivement
du rang le plus humble jusqu'à la plus haute dignité
qu'elle pût conférer. En effet, Conrad étant allé à Rome en
1-21 g, avec quelques autres abbés pour les affaires de son
Aib.chron.ad ordre, le pape Honorius III le créa cardinal évêque de
an. laiQ, hïo. n ^
Porto.
L'année suivante, ayant été envoyé en qualité de légat vers
les Albigeois, il se trouvait sur le théâtre des désordres
causés par ces sectaires, quand mourut Raimond , comte de
Toulouse. La mort de leur plus puissant défenseur non seu-
lement ne mit pas fin aux fureurs des Albigeois , mais elle
semble, au contraire, les avoir excités à commettre les dés-
ordres les plus révoltants. Le légat Conrad, écrivant à se.s
Aon. eut. , t. anciens frères de Citeaux, leur en parle en ces termes :
' ^ " Quidam ex potentibus Tolosanœ civitatis, quidam tam hor-
rendum inodium Christi, et ad confusionemnostrœ fideiegit,
ut etiam ipsos Christi inimicos movere mérita debeat. Juxtà
altare majorisecclesiœ ventrem suumpurgavit, etpalld altaris
ipsas immuuditias detersil. Cœteri verb furori furorem adji-
cientes , scortum super sacrum altare posuerunt in aspectu
crucifixi , eo ihi adeuntes. Posteà ipsam sacrant imaginent
detrakentes, hracchia ei prœsciderunt, multo militibus He-
rodis détériores, qui mortuo, ne ejus crura J rangèrent , peper-
cemnt.
Conrnd s'étant mis à la tête des défenseurs de la foi , et
ayant à lutter contre les efforts du jeune Raimond, fils de
celui qui venait de mourir, tint un concile à Toulouse, afin
de trouver un remède aux maux qui avaient motivé sa léga-
tion. Mais le mal allant en croissant, il ne se conienta pas
de l'assemblée des évèques de la province de Toulouse, il
convoqua tous les prélats français, afin de chercher avec eux
des moyens d'empêcher que les erreurs ne se répandissent
généralement. C'est dans cette circonstance qu'il écrivit la
Matt Pans p. circulaire adressée aux évêques de France, qui se trouve
*'9 dans ^lalhieu Paris et dans les lettres de Gervais, abbé de
Prémontré, avec l'inscription de l'archevêque de Rouen,
RELIGIEUX CISTERCIEN. 9
Xni SIliCLE.
laquelle ayant été rapportée dans cette histoire, ainsi que
nous l'avons dit en commençant cet article, nous croyons
pouvoir nous dispenser de la transcrire ici, où cependant
elle serait à sa place naturelle; mais il suffit d'y recourir.
Le concile devait se tenir à Sens; mais Philippe -Au-
guste ayant voulu y assister, afin de donner plus de poids
aux délibérations des prélats, Paris fut désigné pour le lieu
de la réunion. Cependant ce roi, qui était, en ce moment,
malade et éloigné de la ville, fut prévenu par la mort.
Guillaume le Breton, dans son poëme de la Philippide, en r.uili. Biito. ,
parlant de ce concile et du désir que le roi avait d'y assister, Phiiippïdos, lib.
dit que les médecins s'étant opposés à ce qu'il voyageât, il """"'•
n'avait pas adhéré à leur avis, et que le mal empirant, il
mourut le i4 de juillet avanf d'arriver à Paris.
Conrad , en sa qualité de cardinal-légat, fut choisi pour
{)résider et officier à la pompe funèbre. Guillaume le Breton ,. rv, p. 144. '
e désigne dans ses vers par cette qualité, et tout en se trom-
pant sur son nom, c'est ainsi qu'il en parle:
Ampliat exeqiiias, tnultoque insignit honore
Bertrandus, siinimi qui pontificis vice fiingcns,
Se praenestinam decorabat praîsule plebem :
lîasilicà regione satiis, vir nobilis ortu,
Ileligioue sacer, babitu cistercius.
La qualification d'évêquede Prénesteou de Porto, et celle
de cistercien, n'appartenaient qu'à Conrad, au temps dont il
s'agit. L'historien Rigord ajoute une particularité à ces cir-
constances : il dit (et nous l'avons rapporté à l'article de uigordus
Philippe- Auguste) que la messe funèbre fut célébrée en même viià Phïiippi.
temps à deux autels dans l'église de St.-Denis, à l'un par
l'évéque- légat, à l'autre par l'archevêque de Reims, qui
chantaient ensemble, unâ voce ad duo altaria propinqua.
Pendant que les prélats assemblés à Paris pour les affaires
albigeoises s'occupaient des funérailles de Philippe-Auguste,
ils apprirent la mort de celui que les Albigeois avaient choisi
pour leur pape. Avec lui avait, il est vrai, disparu le prin- A.nn. cisi , loo.
cipal motif delà convocation du concile; cependant, comme
un peuple nombreux s'était trouvé entraîné dans ses erreurs,
le légat fit quelques règlements pour réparer les maux qu'elles
avaient causés.
Le cardinal Conrad était à Paris quand les frères prê-
cheurs venaient d'y établir leur première maison ; et dans le
Tome XV m. B
cil.
XHI SIECLE.
lo CONRAD DE ZARENGEN,
doute où il se trouvait sur l'utilité de cet ordre nou-
veau, et sur le but que l'on avait eu en l'instituant, il se
rendit à leur couvent, comme pour les visiter : là, après
avoir demandé à Dieu de l'éclairer et de lui faire connaître
à quoi était destinée cette nouvelle société, à l'ouverture
d'un livre qui lui tomba par hasard sous la main, ses yeux
s'étant arrêtés sur les mots, laudare scilicet, benedicere et
prœdicare , il regarda ces paroles comme une réponse laite
;i ses doutes, il en remercia Dieu, et il dit aux nouveaux
religieux : « Bien que je sois sous la règle d'une profession
« différente de la vôtre, je serai cependant votre frère tant
« q«e je vivrai, et nulle adversité ne pourra me séparer de
ih (ani., p. „ vous. » Thomas dcCantimpré rapporte ce fait comme étant
^ arrivé à Paris, et Théodoric de Apoldiâ^ dans sa vie de saint
1 (un.i. vita s Dominique, le cite avec plus de détails comme s'étant passé
Dnmiii, cap. --. > „ , ' ■> -i i i'
a iiologne, parce que peut-être il s y est renouvelé.
^ ^ Vers ce même temps, au mois de décembre 1 2^4 ^ Conrad
prrrmnnsirai., I. termina uu différend qui s'était élevé entre l'abbé de l'ordre
I, ail piohaiio- de Prémontré et quelques abbés de rang inférieur dans cet
nés p. XXIII ordre, dont les maisons étaient en Saxe. Le légat, en vertu
de sa primauté , obligea les abbés saxons à se rendre chaque
année au chapitre général qui se tenait au monastère abba-
tial. La pièce qu'il écrivit en cette circonstance est datée de
Metz, et elle est intitulée : Diploma Conradi, Portuensis
ejnscopi, sanctœ sedis legati, amicabilem compositionem
inter abbatem prœmonstratensem , ejusque ordinem et prœ-
positos Saxoniœ sancientis.
Au commencement de l'an 1 226 , Conrad reçut un succes-
seur dans sa légation- de France, et il fut envoyé en Alle-
magne pour y travailler à réformer les mœurs des clercs, et
à exciter les princes de ce pays à s'armer pour la croisade
de la Terre-Sainte. Après avoir prêché la croisade, soit par
lui-même, soit par les religieux de son ordre, afin de retn-
plir une de ses obligations, il assembla à Mayenceen concile
les évê(|ues de sa légation pour s'acquitter de l'autre. Les
(aiihe.ronrii , Constitutions qu'il a faites en ce concile se trouvent dans les
r 2;/, recueils de Surius, de Vinius, de Labbe, dans Maniique,
'V, p isT' ' ^* n'excèdent guère quatre pages in-folio. L'incontinence du
(lergé fut le premier objet qui occupa son lèle, et contre
lequel il porta les peines les plus sévère >. Le mépris dps cen-
sures ecclésiastiques fut reconnu provenir de ce qu'elles
étaient trop fréquentes et trop sévères; mais oéanmoins les
' (r
RFJJGIKUX CISTKIICIEN. ii
XIII srf.cr.E.
pasteurs des églises turent réprimandés comme négligeant
leur ministère, et le faisant rem|)lir par des mercenaires;
enfin les cloîtres furent soumis à une clôture plus stricte.
Pendant (jue l«'s prélats assemblés en synode s'occupaient
des affaires de l'Kglise, des religieux cisterciens a[)portèient Ami. iist. i
au mdieu tl'eux le cadavre dEngelbert, archevêtiue de Co- l^. p-27*^
logne , qui venait d'être assassiné sur un grand chemin,
comme il allait faire la dédicace d'une église. Oh accusait
de ce meurtre trois frères , proches parents du prélat , et
surtout l'un deux , Frédéric, comte d'issembourg. Ce dernier j[,^'*"" ^^^ ' '
avait été nomme par l'archevêque de Cologne, avocat ou
défenseur d'un monastère de femmes appelé Essen: au lieu 0"tanj;e,Gios
di 1 'r 1 II ' -1 •- i<i • 1 ' I saiiiim , veihii
e le détendre et de le protéger, u en avait duapidc les ^idmcatus.
biens, et accablé les religieuses de vexations. Celles-ci firent
parvenir leurs plaintes au prélat, i\u\ n'eut pas le crédit
d'obtenir de son parent une administration moins injuste;
elles eurent alors recours à l'empereur d'Allemagile et au
pape, qui à leur tour pressèrent Engelbert de protéger ces
religieuses contre l'in j ustice de Frédéric. Les réprimandes que
le|)rélatfitalorsà son |)arent, quoique modérées, lui coûtèrent
la vie, car celui-ci aposta des nommes qui l'assassinèrent.
Conrad ayant prêché la croisade en Allemagne , et tenu '
un concile à Mayence, revint à Cologne, poury présider aux
funérailles de l'archevêque Engelbert. Bientôt après, au rap-
port de Thomas de Cantimpré, il convoqua un Synode pro-
vincial à Cologne, dont il ne sub.^iste aucun acte, et qui Tiiom. câm.,
pourrait bien avoir été confondu avec celui qu'il venait de '"cc'i-
tenir à Mayence. Les frères prêcheurs nouvellement institués, Labbo, Couc,
ui se multipliaient et s'étendaient avec beaucoup de rapi- '-^^'P- ^'"*-
ité, étant arrivés à Cologne, y excitèrerit lés plaintes et lés
murmures du clergé séculier; Conrad, dit le même historien,
fit en cette occasion une réponse mémorable à un prêtre de Thom. Cant. ,
cette ville. Ce prêtre, (jui était à la tête d'une paroisse, venait ''*'■ ^' *^' ^"
se plaindre à lui dans les termes suivants : o Voilà les frères
« de l'ordre des prêcheurs qui se sont établis à Cologne a
« notre préjudice; ils viennent moissonner dans le champ
a d'autrui, et , en écoutant les confessions, ils s'insinuent
« dans la faveur de nos paroissiens. A quoi le légat répliqua :
« Quel est donc le nombre de ceux qui composent votre
« paroisse.'' — Il est de neuf mille, dit le plaignant. — Et le
« légat, se signant de la croix, reprit avec sévérité: Quel
« homme êtes -vous donc, malheureux, pour suffire aux
Ba
3
12 CONRAD DE ZARENGEN ,
XIII SIECl£.
« soins que demande tant de monde? Nescis , hominum per-
« (iitissime, quia in illo dehes tremendo judicio antè tribunal
« Christi de his omnibus respondere? El lorsqu'il vous arrive
« des vicaires qui vous soulagent d'une partie du fardeau
« sous lequel vos épaules plient, vous vous plaignez! C'est
« poiirauoi , puisque, par cette plainte, vous vous êtes mon-
« tré indigne de conduire les autres, je vous ])rive dès ce
« moment de votre charge pastorale. » Dans cette sentence,
Conrad se montrait conséquent à ce qu'il avait dit quelque
temps auparavant dans le couvent des frères prêcheurs à
Paris. Mais ahn de faire de cette sentence une règle générale
pour les paysde l'y^llemagne où s'étendait sa légation, il pu-
blia que, de l'autorité dusaint-siége, les religieux prêcheurs
pourraient se livrer partout à la prédication et à l'administra-
tion du sacrement de pénitence; mais que le pasteur devant
connaître le visage de son troupeau, ils reluseraient leur
ministère à ceux qui tenteraient de se soustraire à l'autorité
pastorale.
Vers ce même temps, Conrad obtint de son père Rodol-
phe, comte d'Urach, un fonds de terre près de Constance
pour y établir un nouveau monastère de Cisterciens ; il en
jeta les fondements, et la mort l'ayant enijiêelié de l'achever,
l'homme qui |)i it ce soin lut ce même Rodolphe qui, dans
la suite, se retira du monde et se Ht religieux.
Ce|)endant la mort d'Engelbert n'avait pas encore été
vengée, et ceux qui avaient commis ce crime avaient été ren-
voyés devant un synode (jui devait se tenir à Leyde. Conrad
s'y rendit vers les lètes de la Pentecôte de l'an \ixiS Frédéric
avait pris la fuite; mais ses deux frères Théodoric, évêque
de Monestiers, et Engelbert, évêque nommé d'0-.naljruck,
furent mandés devant ce tribunal ecclésiastique. Ils y com-
parurent, et, comme les accusations portées contre eux
étaient telles qu'ils ne pouvaient pas s'en laver, Conrad ne
voulant ni les absoudre ni les condamner, les envoya au
pape, auquel il adressa une lettre où, entre autres choses, il
disait: Exandnivestro diriginius hos duosepiscopos, graviter
Os. Heist. , de dondni Engelberli nece infduiatos. \ ce tribunal suprême
lib.li.c. 17. ils furent dégradés de leur dignité, et leurs évêchés donnés
IV "°;{^'^'' '■ à d'autres. Mais, à Cologne, des gens armés se saisirent des
satellites que les trois frères avaient apostés pour consommer
le crime, et les firent périr dans les touruients Frédéric lui-
même qui, après avoir été long-temps en fuite, était rentré
RELIGIEUX CISTERCIEN. i3
,_,.,, , , , . Xllt SIÈCLE.
secrètement a Leyde , y tut découvert et condamne au dernier
supplice par la justice séculière.
Conrad ayant mis fin au synode de Leyde, dont aucun acte
ne fut publié, reprit le chemin de Rome. On apprend, par la
relation de son voyage, que de son temps la ville de Porto,
autrefois si florissante, était abandonnée et ensevelie sous
, I 11 I !• 1 Aiin. tisl., I.
ses rumes; car, a son passage, pour sauver de 1 oubli dans iv, 32;.
lequel on avait laissé les tombeaux des martyrs Eutrope , Fascii. .ss.
SosimeetBonose, il lesfit ouvrir, etfit transporter à Clairvaux fi'^', iii» n.
les reliques de ces saints. '''*'• ''
Conrad était à peine arrivé à Rome, que le pape Hono-
rius III mourut. Les cardinaux s'étant réunis pour lui donner
un successeur, convinrent, afin que l'élection ne trait ..H pas en
longueur, de désigner trois d'entre eux, les plus recomman-
dables par leur vertu, leur savoii- el leur illustration , et de
s'en rapporter à leur choix. Conrad fut un de ces trois com-
missaires, et aussitôt ses deux collègues s'accordèrent pour
le proposer au sacré collège. Voici en (juels termes il s'opposa
à leur désir: ^hsit ut dicatur quod ego me ij)surn clcgerirn
in papani! Par ses conseils, les suffrages se réunirent sur le
cardinal Hugolin (jui fut Grégoire IX. Telle est la dernière
action mémorable de Conrad ; il ne survécut (pie six mois à
l'élection de Grégoire, et il mourut le 2C) sej)tembre de l'an
I22y, comblé de la vénération que ses contemporains ren-
daient à ses vertus, à ses travaux et à sa sagesse. Dans ses
derniers moments, il regrettait de n être pas resté dans l'hu-
milité de son premier état, et on a recueilli de lui ces der-
nières paroles : Utinain iisqiie in hanc horani in l^illarin sub
disciplina vixisseni regulari , et cum ciilinœ hchdobadanis
semper ibidem scutellas abluissem !
Il fut enseveli à Clairvaux , et on écrivit sur sa tombe une
épitaphe énigmatique qui se trouve dans plusieurs recueils,
o Je lis dans la chronique de Villiers, dit l'annaliste de Cîteaux,
« une éjjitaphe écrite en vers héroïques ou léonins, qui n'est
« point à dédaigner, vu le temps où elle fut composée. On y
« trouve des réflexions sur la mort en général, puis sur Conrad.
« Voici les vers qui le concernent, car les autres sont durs et
« peut-être supposés. » Ainsi s'explique l'annaliste sur cette
épitaphe, et il la cite en retranchant les quatre premiers vers.
Nous ne la transcrivons point ici, parce que la plupartdesvers
en sont barbares, inintelligibles, et (jue, d'ailleurs, elle ne nous
paraît offrir aucun intérêt ni sous le rapport historique ni
sous le rajiport littéraire. P. R.
i.^ OIJVIKR,
Mil >II <'TI
()[J\ IKIl Ol OLIVAKIUS.
■uRTcnj227. ECOLATilE DE COLOGNE, CARDINAL-EVÈQUE DE SABIlNE.
L( AUTEUR de l'histoire des Croisades donne au personnage
dont nous allons parler le titre de sciiolasticjue; mais pour
justiHer celui d'écolàtre que nous croyons devoir substituer,
RIitliaud,Bili
iiesf .ois ,t ii[ nous ferons remarquer que , généralement parlant, le titre
de scholastique se prend dans deux sens différents de celui
qu il devrait avoir, en le joignant au nom d Olivier de Colo-
gne. Dans le premier sens, il siginHe élo(juent, disert, savant
dans les études littéraires, et, en général, il se dit du tout
horn'ne lettré. Ainsi l'ont entendu Végè( e , l*apias. saint Au-
gustin, Salvien, saint Jérôme, au rapport de Ducange. Comme
Ducingp Gios j^^ hommes lettrés étaient réputés seuls capahlcs de porter
lU-us. la parole devant les tribunaux , cette quaiiluation tut donnée
aux avocats par lecode Théodosien, et par la plupart des au-
Heury, Choix tcurs dc la moycnnc latinité. Au douzième siècle et depuis,
iiesetud., ch.ia. ^^^ ^ gj^^j qualifié ceux qui enseignaient ou étudiaient la
théologie scholastique: c'est pourquoi Fleury dit: Les pre-
miers scholastiques étaient de grands hommes. Le livre du
maître des sentences était regardé comme le corps de
théologie scholastique. Or, dans ces deux cas, ce mot, pris
adjectivement, ne peut appartenir à noire Olivier, qui fut
placé à la tête de l'école de Cologne, comme Alcuin l'avait
été à Tours , Hincmar et dans la suite saint Bruno à Reims;
mais ces personnages portaient If titre d'écolàtre et non
celui de scholastique. Ajoutons fju'avant l'établissement des
... ,,,,. universités, on avait établi auprès des sièges éijisionaux
ririnv, } Disc. / i i - '. . . v- ■ i
Mil iin'^i.eccl. des écoles, dont les maîtres, qui étaient ordinairement les
hommes les plus savants de leur temps, j)ortaient It; titie
d'écolàtre, et plus tard, en quelques églises du midi de la
France, celui de capiscol, et de théologal en d'autres.
. . , , Oli\ier était né Saxon, au duché de Westphalie. Nous le
Anii.li. s pader- considéfons comme ccri vaui français, autant a cause des deux
hoinriises. Xpu- ouvraiics qu'il a laissés sur l'histoire des croisades, et dans
P gnC '^ '" " lesquels les actions des Français tiennent une assez grande
ÉCOLATRE DE COLOGNE. i5
, " • j » '1 I ♦ 1 I ^"' sif-.(;i.E.
place, qu a raison du poste qu il occupa long-temps dans la
ville de Cologne, laquelle appartenait à la France à l'époque '^'■'H sac. i
dont nous écrivons l'histoire littéraire. in,p 6îo
On ne sait rien de positit sur ses parents. Selon l'annaliste ^^
dePaderborn, il appartenait probablement à une des familles ion , ,r
nobles de la Westphalie, qui depuis long-temps étaient en
possession du siège épiscopal de (-ette ville. I^a date de sa
naissance est aussi incertaine. Olivier fit ses études à Pader-
born , entra dans les ordres sacrés, et devint (hanoine de
l'église de la même ville. Son savoir l'ayant fait distinguer de
bonne heure, il fut a|)pelé à Cologne pour y être maître des
écoles ou écolâtre. Inaè ad coloniensein cccles'uun , dit l'an-
naliste, ob eniinenteni doctrinatn , et sacrarun/ litterdnini
scientiani , ejus ecclesiœ scholasticus est expetit us, quales
turn in majoribiis ecclesiis erant viri (jiii theologiaiti et sacras
litteras piihlicè profitehantur, et docehant clevum. Il paraît
qu'il est reste long-temps dans l'exercice de cette fonction,
puisque les trois emplois qu'il occupa dans la suite n'ont
point fait oublier le titre de scholasticus coloniensis qui lui
est resté.
Une lettre du pape Innocent III à l'evêque de Genève et à innorent. m
l'abbé de Bonneval au diocèse de Vienne, dans latpielle ce ^'"^,' ' '''' *'
pape leur enjoint de représenter à l'évèque de Grenoble l'in-
jixstice de sa conduite envers Olivier, nous apprend que ce
dernier gouvernait pastoralement une petite [)aroisse du
diocèse de Grenoble, désignée par le nom d'Ecciesia y/sper- E>^P'iiy. Din
,. -.A l, .. ' ' 1 seog. delaFr
madi , que nous croyons être Aspres , bourg situe sur le
Drac à neuf lieues de Grenoble. Cette lettre est datée de la
dixième année du pontificat d'Innocent, laquelle correspond
à l'an 1209. Le pape, dans sa lettre, dit (pi'Olivier, quoicjue
digne d'occuper un rang plus élevé, s'était contenté d'un
poste modeste qui le mettait à l'abri de la pauvreté comme
de l'opulence; mais que ce poste qui lui avait été assigné en
récompense de ses services, lui ayant été ôté par l'évèrpie de
Grenoble, Olivier avait porté sa plainte au souverain j)ontife,
et que celui-ci s'occupait à réparer l'injustice.
L'annaliste de Paderborn pense, d'après cette lettre,
qu'Olivier fut un de ceux qui se rendirent à Toulouse et
dans les villes voisines pour combattre, par la parole, l'hé-
résie naissante des Albigeois. En effet, en l'an laoy, des ^""^ Beiu.v ,
abbés de l'ordre de Cîteaux, et quelques autres per.sormaires ''f'"'^"''"" '''''°
, , , ^ T T r b i];ilo,lii) XXX,
avaient ete envoyé» par le pape pour extirper cette hérésie, cjp yi
G OIJVIER,
XIII SIÈCLE, et en détruire la doctrine nouvelle, en prêchant la doctrine
Hartzeim, Bi- Vraie et pure. D'autre p;irt, on voit que saint Dominique leve-
bliot.coionieiisis nant d'Kspngne avec l'évèque d'Osma, s'arrêta à Toulouse
Coi.mia;, i;^:, ^j^ j| prècda pour ramener les Albigeois, et qu'Olivier, qui y
'' ^^^' était venu pour le même motif, se lia dans cette circonstance
avtc le fondateur de l'ordre des frères prêcheurs; d'où l'on
conclut qu'après ces premiers travaux, Olivier aurait de-
mande à l'évèque de Grenoble, ou au pape, un poste où il
put vivre modestement; et en cela la date de sa prédication
aux Albigeois, et celle de la lettre d'Innocent III s'accor-
deraient assez l)ien. Quoi qu'd en soit de cette lettre, que
l'annaliste dit concerner Olivier, ce que Baluze ne veut pas
Baluz. innoc assurer,nous ne pouvons rien en décider, vu qu'il semble
^j, • '"^ ' '" étrange qu'un homme f[ui avait joui a Cologne d'un rang
assez distingué, allât se confiner dans une petite paroisse si
éloignée de son pays.
L'an suivant, laro, Olivier devint un des prédicateurs de
^Bii).coon.,p. ^^ croisade contre les Albigeois, après avoir rempli auprès
d'eux les fonctions de conciliateur. Il s'acquitta de ce nou-
veau ministère pendant plusieurs années, et il y acquit beau-
coup de réputation , mnlthmque exindè ceiebrari cœpit
Ann.padeib., ^/^,,^,.,„^^ disent Ics annales citées.
Cette réputation attira sur lui l'attention du souverain
pontile qui le chargea par lettres d'aller prêcher la croisade
p. 957.
Bililiot, colon.
^'^' î)our la Terre-Sainte, dans la Westphalie, la Frise, le Brabant,
Bec. des Hist } ,,. , 1 i- • l'ri.. \ ^ ^\ • ^ t^
de Fiance, toni. 'il Mandrc, le (iioccse d Utrecht et les pays enviroiniants. lin
XVIII, p. 63o, parcourant ces contrées, il excitait les chrétiens à se croiser,
fiia . (j3i , 785. 'fQus ,,e s'y décidaient pas , mais le plus grand nombre amen-
d.iit ses mœurs dépravées, s'imposait des pénitences, faisait
des .sacrifices en compensation des peines du voyage dont
il voulait s'exempter. Cliacun donnait dans cette vue une
somme d'argent selon son pouvoir; les riches étaient taxés
à cinq marcs d'argent, et cet argent, remis entre les mains
dOlivier, était employé à préparer l'expédition, à j)ourvoir
aux besoins de ceux qui se croisaient. Quand il avait com-
mencé son œuvre dans une ville par quelques jours de pré-
dication, il y laissait des coopérateurs pour la continuer, et
allctit dans une autre.
iiupo, San Après avoir achevé ses prédications et ses préparatifs, entre
anti.). mon.,i.i, jcs aiiiiees I2i4 ct 1217, il s'embarqua avec ceux que ses
''^'" discours avaient g Ignés, comme s'exprime l'annaliste: Classi
Ann. padiii., /^j^/^. (Ji^'enus se juiixit, totius hujus expeditionis auctor, ac
ECOLATRE DE COLOGNE. 17
. XIII SIÈCLE.
tuba sacra hujus belli. C'est pour cela que les chroniqueurs
contemporains disent qu'il passait pour l'orateur le plus Ca?s. HeiMer,
ardent et le plus éloquent de son temps. ''^ n,cap. 10.
L'ècolàtre de Cologne, devenu conducteur en Orient des Bruschius,Ca-
Frisons et des Brabançons de la CV croisade, dans le trajet "•' episcopa-
^1 1) 'I- ' 1 i » • "1 tuuin Gcrro., p.
et dans 1 expédition, renouvelant ces temps anciens ou les ^^^
chefs des peuples en étaient aussi les pontifes, se montrait tout ^^^^ padeih
ensemble capitaine vaillant et prêtre zélé. L'argent qui lui loc. cit.
restait entre les mains après les frais de [expédition , était
fidèlement employé à adoucir le sort de ses compagnons, et
son ministère spirituel leur était consacré à toute heure du
jour et de la nuit. Son courage et son élutpietice étaient encore
rehaussés par deux belles qualités que l'annaliste fait remar-
quer en lui, l'intégrité dans la conduite et la modestie dans
les actions; et comme ces qualités seront examinées dans
l'analyse de son ouvrage, nous passons à son retour en
Europe, qui eut lieu en 122:2. Il se retira à Paderborn , sa
patrie, où le siège éj)iscopal étant venu à vaquer l'année sui-
vante, le chapitre résolut de ly élever. Son élection donna
lieu à quelques débats entre les chanoines, les nobles, les
moines et le peuple ; on en appela à la décision d'Honorius III,
qui désigna des commissaires par l'autorité desquels cette
élection se fit canoniquement. A cette occasion, Honorius III
adressa aux notables, au clergé de Paderborn et à Olivier Ann. paderb.,
lui-même les lettres par lesquelles il approuvait ce choix. 'o*;- en.
En 1225, Olivier lit un voyage à Rome avec Engelbert,
archevêque de Cologne, avec qui il était étroitement lié. Le
pape voulut lui donner lui-même la consécration épiscopale;
et en récompense de ses belles actions, il le nomma cardinal-
évêque de Sabine. Lan suivant, il tut envoyé en légation
avec l'évêque de Tusculuni auprès de l'empereur Frédéric; Ughelii.iiaiia
mais étant ensuite revenu dans son évèché, il y mourut en "5^"' ' '• l'
122-, la même année que le pape Honorius, et il eut j)our '
successeur un Français nommé Jean Alegrin, d'Abbeville,
dont il sera parlé en cette Histoire à l'an 1237.
Le premier écrit d'Olivier qui ait été mis au jour est la
lettre qu'il adressa de la Palestine à Engelbert de Cologne,
et qui porte cette inscription : Honorahiiibus dominis suis ,
Engelberto Coluniensi archiepiscopu , mnjoii pnvposito, ma-
jori decano , cœterisque prioiibas , totiquc clero , Olivarius
peccatov, sen'us emptitius crucis , sic dictus colonieiisis scho-
lasticus, per viani salutis ad œternœ beatitudiuis consortium
Tome XV III C
i8 OLIVIER,
XIII sùr.Li.. . ^ ,. ,0 , , • . 1
pen-enire féliciter. Lctte lettre tait connaître avec assez de
détail , que pendant les quatre ans qu'il demeura dans la Pa-
lestine, Olivier employa son temps à diriger les entreprises
des croisés, à leur faire pratiquer les exercices de la religion,
et que les heures qui lui restaient après ces travaux, il les
consacrait à écrire les événements dont il entendait le récit,
ou qu'il voyait de ses propres yeux; c'est ainsi qu'après la
prise de Damictte, à laquelle il avait assisté, il écrivait ce
Eccardus, t. qu'il avait VU à l'archevêque «t au clergé de Cologne. Cette
II, io Proœmio. lettre, recueillie d'abord par Gretser et par Paul Petau, fut
Bongal^,Ges- im|)rimée claus Ic recucil de Bongars, où elle occupe dix pages
u^ ei pei lan- i,,.to|JQ j£||g gg trou\ c aussi (huis le recueil de Thomas Gale
„,, ^ , sans nom d'auteur; et Jatciues de Vitry, qui paraît avoir eu
1 homas Gale, . , ' 1 i,^-^i- . •' ^ ' . .
Aiiglicaium le- connaissancc des manuscrits d Olivier, en a reproduit une
mm Scripiorcs partie mot à mot dans son Histoire de Jérusalem, sans nom-
Oxomae, iG85, jj^^.^ Cependant celui qu'il co[)iait.
'n-folio. c^ ^ -, ' 'il 1
Ces compilateurs, en recueillant cette lettre , ne savaient
projjahlement pas qu'elle n'était qu'une partie des écrits
d'Olivier sur les événements de la Terre-Sainte. En effet,
l'écolàtre de Cologne, pendant son séjour en Orient, avait
composé deux ouvrages qui sont : i" \ IJistoire des rois de la
Terre - Sainte , a° \ Histoire de Damiette , dont la lettre à
l'archevêfjue de Cologne fait partie.
A l'époque où parut le recueil de Bongars, en 1619, ces
deux ouvrages étaient encore manuscrits , et ils apparte-
naient à la hihliothècjue de l'évêque de Parlerborn. En i6g3,
Schaten.Ann. Schatcu OU Schatciiius, Cil faisant paraître les annales de
padeiboinenses. ccttc ville, témoignait le regret de ce que les monuments de
la pieuse érudition d'Olivier n'eussent pas encore été rendus
Eccardus.Cor- publics ; et enfin Eccard, dans son Recueil historique du
ïW 'rin-roho "^'^y^" âp^i ^^^ parut en 1723, les a imprimés parmi plu-
Lipsii, 1723. sieurs ouvrages dus à des auteurs allemands. Ils le furent
alors pour la première fois, et ils ne l'ont plus été depuis.
Le premier ouvrage d'Olivier que nous avons à examiner
est celui qui porte pour titre : Incipit historia regiim Terrœ
11 ^"7355 ' * ■^'^"^(^tœ , quain magister Oliverius Coloitiensis scholasticus in
'^'^ ^' obsidione Damiatœ apud /Egjptios compilavit. Cette histoire
est distribuée en soixante-six chapitres, qui remplissent qua-
rante-deux colonnes in-folio. Elle commence au concile de
Clermont en io85, et va jusqu'en 1216. Les faits qui s'y
lisent sont les mêmes que ceux qui sont racontés dans toutes
les histoires des croisades. C'est à proprement parler une
XIII SIKCLE.
f.
ECOLATRE DE COLOGNE. 19
chronique qui rend compte à peu près, anne'e par année,
des succès et des revers que les chrétiens ont éprouvés dans
la Terre-Sainte. Une analyse détaillée nous mènerait trop
loin, une analyse succincte ne serait qu'une table chrono-
logique, nous ne nous occuperons donc ni de l'une ni de
l'autre. Mais quel a été l'esprit de l'historien ? sur quoi por-
tent ses réflexions.'^ quelles connaissances diverses peut -on
trouver dans sou ouvrage ? Voilà ce qui doit nous occuper en
ce moment.
Cet historien est d'abord essentiellement religieux, il re-
arde la croisade comme une guerre sainte et inspirée par
e Seigneur : dans les succès et dans les revers , il ne voit que iiisioiiaiegum
la volonté divine. Si les chrétiens font d'immenses préparatifs !>"* s-mna'
Eour aller en Orient, ce sont les crimes des Sarrasins que i'""""
ieu se prépare à punir. Arrivés devant Antioche, si les
croisés sont accablés de maux , de misère et de famine, c'est
Dieu qui les châtie de leur conduite dissolue. Si Antioche,
après oien des souffrances, tombe en leur pouvoir, c'est Dieu
qui a éprouvé ses fidèles et qui les récompense. Si bientôt
après , soixante mille Turcs vietment surprendre les vain-
queurs au milieu de leur conquête, c'est Dieu qui le permet
pour les punir de s'être abandonnés à un criminel commerce
avec les femmes étrangères. Si ces infidèles, quoique bien
supérieurs en nombre, sont mis en déroute dans la plaine
par les croisés, c'est qu'il a plu au Seigneur de disposer ainsi
de la victoire pour rémunérer la pénitence de ses serviteurs.
Enfin si Saladin accable sous ses coups les malheureux chré-
tiens, c'est que Dieu, qui les avait mis en possession de la
Terre -Sainte, considérant leur luxure, leur arrogance et
leur avarice, leur a suscité un adversaire auquel ils ne pou-
vaient pas résister, dépourvus qu'ils étaient du secours divin.
Olivier se montre sévère envers les fuyards, les traîtres,
les barbares. Ainsi il note d'une infamie ineffaçable Etienne,
comte de Beauvais, qui , voyant les maux que l'on souffrait
devant Antioche, prit la fuite et revint en France; ceux des
croisés qui, étant maîtres de Damas, se laissèrent corrompre
par l'argent des ennemis ; le roi de Jérusalem qui , mécontent Cap xx \ 1
de sa pauvreté, viola la trêve qu'il avait faite avec les infidèles;
enfin Renaud, comte d' Antioche, qui fit torturer par la pi- ibid.
qûre des mouches un patriarche dont il avait fait couvrir le
corps de miel.
S'il s'indigne contre ceux qui déshonorent le nom chrétien,
C2
20 OLIVIER ,
XIII SIECLE.
Cai. MX.
il fait l éloge de ceux qui montrent de la grandeur d'aine et
du courage. Près de Racha , dit-il , il y eut un grand combat
entre les Parthes et les Mèdes d'un coté, et les chrétiens de
l'autre; ceux-ci furent vaincus, des chefs furent faits prison-
niers; Rohémond et Tancrède ne conservèrent la vie qu'en
se sauvant dans des lieux déserts; plusieurs autres s'exposè-
rent honorablement à une mort certaine à l'exemple d'un
des guerriers d'Antioche : Multi alii , fine beato migraverunt
ad Domitiiini , exemplo illius, qui apud Antiochiam non sus-
tinens audirc blasphemiam contra nonien Jesii-Christi , vir-
tute Sancti-Spiritiis arniatus , dicta contradixit etjacto; nam
enuiini calcaribus pungens , astantibiis dixit: Si quis vestnlm
in paradiso cœnare desiderat , mecum veniat, et mecum pran-
deat! Max Inncea vibrata inter hostiuni niillia se mergens,
priniuni obviantem sibi , interfecit , et statim interremptus
occubuit.
Cette histoire est^ remplie de détails sur les principales
villes de Syrie et d'Egypte. Son auteur, à l'exemple des an-
ciens, ne passe pas un nom géographique sans en rappeler
en peu de mots l'histoire. Tynis est civitas valdè Jamosa ,
Cap VIII. Ij^ corde maris sita , olini insula , postmodum per obsi-
dionem Alexandri magni continuata , in cinerem ab eo est
redacta. Hcec civitas quondani à mercatoribits frequenta-
batur, opibuj ditabatur inimcnsis. Hujus civitatis opulentia
peperit luxuni , luxus peccata midtiplicavit , undè sœpiiis
puniri meruit. Ensuite il tait la description de son port, dans
lequel les vaisseaux vénitiens vinrent se mettre à l'abri. On
trouve des détails de ce genre sur Jérusalem, sur le Caire,
sur les restes de INIemphis, sur Antioche. Il fait mention
d'une ville appelée d'abord Antarados, puis Tortose, où
s'est conservée la vieille tradition que saint Pierre y con-
struisit une église en l'honneur de la sainte Vierge. Il
ajoute des particularités sur les califes et sur les diftérents
chefs de la religion mahométane; sur Saladin, ses émirs, ses
mamelouks et le reste de sa milice; sur la tribu ou l'ordre des
Assassins, et leur chef, le Vieux-des-Montagnes, c?/i crp^en'
in omnibus, etiam in atfvcioribus, obediunt. Isti meritorium
Cap. XLlIl sii)i Jore reputant, quendibet ad quem mittuntur a Vetulo,
cultellis interf.cere. A pueritia loqui variis linguis didicerunt ;
in utn)que sex.i sicarii destinantur, m habita clericali , mo-
nachali, peregrino , seculari , etc.
(:..|.. M. Olivier dans ses récits est essentiellement véridique. et la
ÉCOLATRE DE COLOGNE. . 21
Xlll* SIÈCLE.
vérité se trouve fidèle, même quand elle est peu favorable à
ceux qu'il aime. Nulle puissance, dit- il, n'est de longue
durée, et souvent ce qu'on a acquis par de longs efforts est
ébranlé ou renversé par la ruse ou la folie. Réflexion que lui
suggère la conduite du roi de Jérusalem, qui se perdit en
voulant envahir Péluse. Ceux qui écrivent des annales , dit-il
encore , ne mettent pas dans leurs récits ce qui leur serait
agréable , mais ce que les événements des temps leur fournis-
sent. Cette réflexion précède ce qu'il va dire des revers des
croisés.
Le second ouvraere d'Olivier a pour titre : Oliverii Scholas- „ ,
■ ■ Tf • I-. • • ¥1 1 ' • Il J 1' Eccardus , t.
tici Historia Damiatina. Il est la suite naturelle de 1 ouvrage n.p. iSgS.
précédent, qu'il surpasse d'un tiers en étendue, quoique
les événements qu'il retrace soient compris dans l'espace
de quatre ans. Le titre à! Histoire de Damiette semblerait
donner à entendre que c'est l'histoire de cette ville depuis
sa fondation , tandis que ce n'est que la relation des événe-
ments auxquels ont donné lieu les guerres des chrétiens
auprès de cette ville. L'historien en commence le récit à la
date qui a terminé son premier ouvrage, et il le poursuit
jusqu'au moment où il quitta l'Orient pour retourner dans
ses foyers, c'est-à-dire depuis le milieu de l'an 1217 jusqu'en
1222.
Ce livre est une narration faite par un témoin oculaire ,
par un homme qui était plus que témoin, puisqu'au rapport
AU..- -1 '»' J^ • • ^J . J Eccardus , iiV
des historiens, il a ete un des principaux conducteurs des proœmio.
croisés du Brabant et des pays voisins, Voici ce qu'il dit lui-
même de son ouvrage : Sanè , quœ vidimus et audivimus et
intelleximus , scribimus omnibus orlhodoxis absque falsitatis
ammixtione , ut quidquid est mrtutis usquam , assurgat in
laudem Dei et gratiarum actionem. Cependant, quelque im-
portant qu'ait été le rôle d'Olivier dans cette croisade, quel-
ques services qu'il ait rendus à la cause qu'il défendait, il ne
fait aucune mention spéciale de sa personne dans son ouvrage.
Il n'y parle ni de ses prédications dans plusieurs provinces,
qui durèrent trois ou quatre ans, ni des nombreux croisés
qu'elles réunirent, ni des préparatifs qu'il fit pour leur trajet
en Orient, ni enfin de ce trajet même dont il fut le capitaine.
Il garde également le silence surtout ce qu'il fit en ces con-
trées, pendant le« quatre ans qu'il y demeura, bien qu'il y
eût mené une vie très-active, qu'il eût toujours été auprès
des combattants, ou pour les encourager par ses discours ,
5
aa OLIVIER ,
ïiil SIÈCLE, ou pour les consoler dans leurs revers, ou pour les aider de
ses moyens et de ses talents. Quelle que soit la manière dont
on envisage les croisades, soit que, suivant le sentiment de
quelques-uns, on les trouve justes, ou que, suivant d'autres,
on les taxe d'injustice, on ne peut s'empêcher de reconnaître
et d'admirer dans Olivier et dans plusieurs autres chefs de
ces expéditions, de grandes qualités, telles que le désinté-
ressement, l'abnégation de soi-même et la modestie la plus
humble; quand, au contraire, en général, ceux qui président
à de grandes choses, ne s'oublient dans aucun temps, ni
pour la fortune, ni pour la renommée, ni pour les hon-
neurs.
U Histoire de Damiette est une suite non interrompue
de maux , de désastres de tout genre qui accablent tantôt
les croisés, tantôt leurs ennemis, mais plus souvent les
premiers. La lecture que nous en avons faite ne nous a
pas donné une idée bien favorable du plus grand nombre
Cap. IX. de ceux qui faisaient cette guerre. Les uns perdent courage
Op. xu. après quelques efforts; les autres, effrayés , reprennent le che-
Cap. XV. min de l'Europe; ceux-ci ne peuvent s'entendre avec les
Cap. XVI. chefs, ceux-là se rembarquent quand ils pensent que leur
^3 ïxrx ^"^^ ^^^ accompli, sans s'inquiéter si leur départ sera préju-
diciable à ceux qui restent; plusieurs enfin abusent des succès
passagers qu'ils ont, et excitent les plaintes de l'historien.
Au milieu de cette multitude d'actions diverses, dont le
détail serait peu agréable au lecteur, nous ne considé-
rerons que quelques points principaux qui feront connaître
l'esprit de l'historien, et qui donneront une juste idée de
son livre.
Ainsi nous nous arrêterons sur la prise de Jérusalem par
les Sarrasins, sur la prise de Damiette par les croisés, sur
la reprise de cette ville par les Sarrasins, et sur deux lettres
assez longues qui font partie de cette histoire, et dont Oli-
vier adressa l'une à Saladin et l'autre aux lettrés d'Egypte.
Pendant que les croisés, parmi lesquels se trouvait l'éco-
lâtre de Cologne, étaient occupés auprès de Damiette, les
Sarrasins redoublaient d'efforts pour reprendre Jérusalem;
ils y réussirent, et Olivier raconte ainsi cet événement :
Eccardus H, « L' uTi dc gracc laip, la reine des cités, Jérusalem, qui
'''"S" a semblait imprenable, fut saccagée au dehors et au dedans
c par Coradin, fils de Saphadin;ses murs et ses tours furent
« changés en monceaux de pierres, à l'exception du temple
ÉCOLATRE DE COLOGNE. a3
XUl SIECLE
a du Seigneur et de la tour de David. Les Sarrasins délibé- -
« rërent sur la destruction du Sépulcre; ils annoncèrent
« même à leurs frères de Damiette, pour les consoler, qu'ils
(c allaient le détruire; mais personne n'osa porteries mains
« sur ce monument, à cause du respect qu'ils lui portaient
a eux-mêmes. Car, selon qu'il est écrit dans l'alcoran, qui .
« est le livre de leur loi, ils croient que Jésus-Christ a été
(c conçu et est né d'une vierge, qu'il a été yn prophète
a sans péché, plus même qu'un prophète ; mais
« ils ne croient pas que sa passion et sa mort aient été
« divines, que la nature divine et la nature humaine aient
« été unies en lui, et qu'il y ait en Dieu trois personnes. Ils
«seraient donc mieux nommés hérétiques que Sarrasins;
« mais l'usage a fait prévaloir cette fausse dénomination.
« Durant les trêves, leurs sages montaient. à Jérusalem, se
« faisaient montrer les recueils des évangiles, les baisaient
« et les vénéraient à cause de la pureté de la loi que le Christ
« enseigna; surtout aussi, parce que l'ange Gabriel fut en-
« voyé pour annoncer la lumière évangélique, ce que leurs
« lettrés répètent souvent. Quant à leur loi, qui a été com-
« posée en arabe par le moine apostat Sergius, sous la dictée
« du diable, et que Mahomet donna aux Sarrasins, elle a
« commencé par le glaive, elle se maintient par le glaive, et
« elle finira par le glaive. Ce Mahomet fut un homme illettré,
« ainsi qu'il est attesté dans l'alcoran ; il se chargea de la promul-
« guer et de la faire adopter par la force. Il fut luxurieux et
« belliqueux, et il porta une loi sur la luxure et sur la bra-
« voure, que ses sectateurs observent surtout dans sa pre-
« raière partie. Et de même que la vérité et la pureté font la
« force de notre loi , ainsi leur erreur trouve ses appuis dans
« la crainte et la volupté. »
Telles sont les réflexions que faisait nôtre historien sur „
Jérusalem, et sur ceux en la puissance desquels elle tomba, h, p. 140°*'
Voici comment il s'exprime en parlant de Damiette. Les
croisés avaient équipé leur flotte et se préparaient à remonter
le Nil pour arriver auprès de Damiette; mais ils furent arrêtés
dan^ leur marche par une tour, Tiirris in medio fluminis
sita capienda Juit ante transitum ipsius : Frisones tamen
impatientes morce , transeuntes ISilum , junienta Sarrace-
norum tulerunt, et cupientes in ulterion ripa castra-metari ,
stabant peignantes contra Sarracenos , qui obviàm de civitate
processerunt. Revocati suntpçr obedientiani , quia non vide^
24
i OLIVIER
XIII SIECLE.
hatiir prlncipihus expedire , quod turris paganis rcpleta post
terguni relinqueretur christlanoram. On s'occupa donc de
l'attaque de cette tour; mais ce fut en vain, les échelles, les
pierres, les flèches tout fut inutile; ils y perdirent pendant
plusieurs jours un bon nombre d'hommes; et ils avaient à
essuyer les railleries des Sarrasins. Nos verb considérantes
turrini capl non possc petrnriorum et trahuculonun ictibus ,
hoc eniin multis diebus fuit attemptatum, nec applicatione
castri propter fluminis profunditatem , neque famé propter
cii'itatis vicinitatem , neque suffossione propter circiunfluentis
aquœ iniportunitatem ; Domino demonstrante et architectum
proK'idcnte, sumptibus Teutonicorum et Frisonum, eorumque
labore, duos cogones (i) conjunximus, trabibus et funibus for-
tissimè coliœrentes , sociâ compaginationcvacillandi periculum
prohibentes, quatuor maloset totidem aniennasin eis ereximus.
In summitaîe castellulum firmuni asseribus et opère reticulato
contectuni coUocantes contrit machinaruni iniportunitatem
coriis vestivimus illud et per circuitum et per tectum contra
ignein grœcuni. Sub castellulo fabricata fuit scala funibus
fortissiniis suspensa , et triginta cubitis ultra proram protensa,
opère brevi tempore féliciter consummato.
Quand cet ouvrage fut préparé , continue l'historien , ceux
qui l'avaient achevé demandèrent l'approbation des chefs.
^„ Tout le monde le considérait avec étonnement. On invoqua
1 assistance divine par des processions et des pénitences, puis
on traîna cette machine dans le Nil, on s'approcha delà tour,
et après un combat terrible qui dura un jour et une nuit,
la tour fut envahie par son sommet : Miles quidam jui>enis
Leodiensis primus turrim ascendit, Friso quidam juvenculus,
teuens flagelluni , quo granwn excuti solet, sed ad pugnan-
duin connexione catenarum prœparatum , ad dextram et
sinistranifortissimèpercussit, et quemdam tcnenteni signum
croceuni Soldani strai-it , vcxillum ei abstulit : alii post alios
successerunt superatis hostibus, quos resistentes duros sense-
rant et crudeles.
Nous nous sommes arrêtés sur ce fait, parce qu'il fut
essentiellement l'œuvre de notre Olivier, bien qu il garde
scrupuleusement le silence sur lui-même. <.i Le Seigneur^
Aim. paii.iii. dit -il, donna cette pensée à un architecte qu'il avait
!'• <.):8. préparé. » L'annaliste de Paderborn lui attribue toute la
(i ; i'etits navires anciennement appelés coquets.
ÉCOLATRE DE COLOGNE. aS
XUi SHCIE.
gloiredecefait, soit pour l'invention, soit pour les frais qu elle ■
exigea; et il est d'accord en cela avec Mathieu Paris, qui ne M.-.ih. Paris,
désigne, en général, que les Frisons, lesquels étaient dirigés p *""
par Olivier (i).
Ce fait eut lieu au mois d'août 1218. Les croisés s'appro-
chèrent de Damiette, en formèrent le siège, qui dura jusqu'au
mois de novembre de l'année suivante, dans lequel la ville,
réduite à la dernière extrémité, tomba au pouvoir des assail-
lants. « Elle fut prise, dit Olivier, sans se rendre et sans se
« défendre, sans tumulte et sans pillage violent, afin que la
« victoire ne pût en être attribuée qu'au Fils de Dieu. Le.s
« soldats chrétiens entrés dans Damiette trouvèrent les pla-
te ces couvertes des cadavres de ceux que la peste ou la faim
a avaient tués. Les maisons, les chambres, les lits, tout en
a était encombré. Une odeur empestée les frappait tous, et
« l'aspect de l'intérieur de cette ville inspirait la pitié ; les
« morts y avaient tué les vivants. »
Olivier adresse alors ces paroles à cette ville : Daniiata
inclila in regnis , famosa multiim in superbiâ Bahylonis , in
mari doininatrix , in ascensu persecutorum tuorum per pCiu-
cas et modicas scalas comprehensa , nunc humiliata es siib
potenti manu Dei , et adultéra queni diù tenuisti projecto ,
ad priorem viruni tuum reversa es
Après la prise de Damiette, les croisés virent fondre sur c xxxviii.
eux toutes les forces de leurs ennemis; ils avaient gardé cette
ville jusqu'en août la-îi, au milieu des-attaques continuelles
qui leur étaient faites. Enfin, soit par le désordre qui .s'était
mis parmi eux, soit par la famine dans laquelle leurs enne-
mis les tenaient resserrés , soit par le départ d'un grand
nombre de ceux dont la peur s'était emparée, soit surtout
parla trahison de quelques uns de leurs chefs, principalement
par celle d'un nommé Imbert, qui se rendit au soudaii avec
sa troupe, et qui lui fit connaitre le malheureux état des
possesseurs de la ville; soit aussi à cause des maux c|ue leur
causait l'inondation du Nil, les croi.sés se retirèrent après
avoir fait un traité avec le Soudan de Babylone. c. xx?.ix.
Les chefs des deux partis jurèrent d'observer le traité,
qui consistait principaleujent à rendre les captifs faits de
(i) On comparera ce passage de notre historien avec le récit du nit'me
fait, qu'on lira dans l'article qui concernera Gilles de Lewes.
Tome XV m . D
s *
26 . OLIVIER,
XIU SIÈCLE. ,, , r. ■ • < I l_ • J 1
part et d autre ; les Sarrasins restituèrent le bois de la croix et
les croisés Daraiette. Olivier félicite les chrétiens de ce traité,
à cause de l'impossibilité qu'il y avait de conserver la posses-
sion de cette ville, et de l'avantage d'avoir retiré du pouvoir
des Sarrasins le bois de la vraie croix; et, à cette occasion ,
il raconte comment cette relique, après sa découverte, était
tombée en leurs mains. Ensuite il parle ainsi de la perte que
les chrétiens firent de Dainiette. Régressa est igitur hestia in
latihulum suum , in antro suo nioratur. Si quœritur quare
Damiatta redierit tam citb ad incredulos , in promptu causa
est : luxuriosa fuit , ambitiosa fuit , sedituisa fuit. Deo prce-
terea et hominibtis nimis ins;rata extitit ; nam ut alia prœter-
mittani in distrihutlone divitiarum quœ in ipsà fuerunt
repertœ , nec vetulafuit exclusa , nec puer decem annorum
et supra , soli Christo largitori bonoruin , portio fuit negata ,
décima non soluta. « Les Romains qui étaient des païens,
« dit-il encore, dédièrent à Apollon un cratère d'or, comme
« le dixième du butin que leur avait procuré la victoire. Les
« Israélites, vaintjueurs des Madianites, voulurent que Moïse
« fît don au Seigneur des objets précieux en or et en pierre-
« ries qu'ils avaient pris sur l'ennemi. JMais à l'égard de cette
« nation valeureuse, soumise et vraiment digne d'éloge , qui,
« dès son arrivée, se porta sur Dauiiette; qui nourrit des
« provisions quelle apporta, unfe partie de l'armée; qui prit
« seule la tour du fleuve; qui jeta des ponts sur ce même
« fleuve, la part qu'on lui fit fut nulle, ou de peu de valeur,
« ou la dernière. » On sent que l'historien parle ici de quel-
que chose qui le touche personnellement. Ses Frisons avaient
montré de l'ardeur, de la générosité et de la vaillance, et
c'était lui qui les commandait. Ni le chef, ni les soldats n'eu-
rent à se louer de la justice des chefs de la croisade, dans le
partage des dépouilles. Ce qui semblerait montrer que la
généralité de ceux qui s'enrôlaient dans cette milice, cher-
chaient peut-être autant le butin que la gloire de Dieu, et
qu'un grand nombre de mécontents en Europe allaient
peut-être en Orient pour y acquérir les moyens de se pro-
curer dans leur patrie une existence meilleure.
Quand le traité entre les chrétiens et les Sarrasins eut été
mis à exécution, Olivier écrivit à Méchi-Kémel, soudan de
l'iVo*^' "* ' B''bylone,ur)e lettre qui fait partie de l'histoirecomposée |)ar
notre écolâtre. Cette lettre, qui a pour titre Epistola salu-
taris régi Babylonis ab auctore hujus operis conscripta , en
ÉCOLATRE DE COLOGNE. 27
XIII sim:le.
occupe six colonnes in-folio. Olivier s'y propose de solliciter
le Soudan à rendre Jérusalem aux chrétiens, ou à exiger de
son frère qu'il leur cède cette ville; car elle avait été prise par
Coradin. lllui en expose l'histoire, lui explique lesdroitsque
les chrétiens ont sur elle, lui montre que les croyances et les
pratiques chrétiennes sont fondées sur la vérité et la piirole
de Dieu; il le conjure de mettre le comble au bien qu'il a
déjà fait aux chrétiens, et il en prend occasion de lui témoi-
gner sa reconnaissance personnelle, en donnant au Soudan
les .éloges que ses grandes qualités méritaient : « Moi , dit-il, Locodiat., p.
« qui suis un esclave racheté par la croix , et votre affranchi, 14/1*-
« je ne serai jamais ingrat envers vos bienfaits. On n'a jamais
« oui dire que des prisonniers, au milieu d'une multitude
« d'ennemis, aient été traités avec tant de bonté. Car lorsque
« le Seigneur eut permis que nous tombassions entre vos
« mains, nous n'avons trouvé en vous ni un tyran, ni même
« un maître; mais vous avez été pour nous un père par
« vos bienfaits, un soutien dans nos périls, un ami de nos
« généraux, et d'une patience admirable dans nos inso-
« leuces. Les principaux d'entre nous, en otages dans votre
« camp, y ont goûté les délices qu'offre l'Egypte, vous les
(c avez enrichis de vos présents, et vous les avez honorés de
a vos visites avec vos frères. Nous qui étions leurs suhor-
« donnés, vous avez adouci notre captivité; chaque jour
a vingt et trente mille pains nous arrivaient par vos ordres,
« ainsi que le fourrage nécessaire à nos chevaux. Vous
« avez voulu nous faire jouir de la faculté d'acheter les
« autres mets, en nous construisant un pont, et en faisant
« réparer les routes que les pluies avaient dégradées; vous
« aviez soin de nous et de nos biens comme de la prunelle
tt de votre œil. Si une de nos bètes de somme s égarait , vous
« ordonniez qu'elle fût ramenée dans notre camp, et elle
« retrouvait son maître. Nos malades et nos convalescents
« étaient portés à vos frais, par terre et par eau dans le
(c port de Damietle; et, ce qui est plus étonnant, par un
« édit redoutable vous aviez défendu à vos sujets de nous
« molester, soit par leurs reproches, soit par leurs injures,
« soit par leurs moqueries C'est à juste droit
« que vous portez le nom de Kémel , qui veut dire
« accompli , parce que vous avez toutes les vertus qui font
a les rois et les princes; et vous êtes d'autant plus digne
« d'éloge, que vos mœurs ne ressemblent en rien aux
Da
Xm SIKCLK.
28 OLIVIER,
« mœurs dissolues de votre nation. Achevez donc, je vous
« en supplie, ce que vous avez commence. Après la déli-
te vrance des captifs, rendez-nous la terre sanctifiée, l'héritage
« (!u Seigneur, la cité sainte avec tous ses droits. Votre frère,
« qui l'a en son pouvoir, est votre vassal , il n'osera pas vous
K la refuser(i). » Olivier, qui a eu la franchise de reconnaître
tant de bonnes qualités dans ce Sarrasin , aurait peut-être
rcgrettéd'avoireuàcombattrecontreunennemi aussi humain,
et surtout si différent de plusieurs chefs des croisés, si la
ville sainte n'avait pas été le premier objet de ses pensées.
Nous nous sommes arrêtés sur cette lettre qui nous pré-
sente le portrait fidèle de IMECHI-KEMEL, avec d'autant
plus de raison que son article ne se trouve pas dans la
Biographie universelle.
pans la seconde épître écrite aux lettrés ou aux prêtres
d'Egypte, Olivier se propose de leur prouver la vérité de la
religion chrétienne par les livres saints des Hébreux , (ju'un
monarque égyptien fit traduire en grec par ya interprètes,
et lesquels sont depuis ce temps en leur pouvoir. En effet ,
il leur donne le détail des actes et de la vie tout entière du
Christ, dans les différents textes qu'il extrait avec beaucoup
de justesse de l'Ancien Testament. Il leur montre l'établis-
sement de la religion chrétienne, opéré selon les paroles
prophétiques des hommes inspirés dont les ouvrages étaient
dans leurs bibliothèques avant cet établissement. Enfin, s'il
ne nous dit pas comment ces lettres furent accueillies, elles
nous donnent du moins une idée favorable de la dialectique
et de la modération de leur auteur, autant que de la clarté
et du naturel de son style.
(i) Cùm enim nos in mis manibus conclusisset Dominiis , non te sen-
siniiis tyrannum vel dominuni, sed patrem inbeneBciis, adjutorem in
periculis , sociuin in capitaneis, patieiitem in nostri.s insolentiis. Majores
nostios in castris tuis obsides, deliciis quibus iKgyptus abumlat, insuper
largis muneribus, etiani cuni fratribus tuis, corporali visione plurimùm ho-
norastij nobis minoribus in libéra custodià positis, quotidie vicena vel
tricena niiliia paniim cum pabiilo jumenturum gratis niisisti. Induxisti
victiialium commercia, praeparans pontem et siccari faciens vias, quas
aqua fecerat invias; nos et nostra custodiri jussisti sicut pupillani oculi.
Si al)enaverit junientiun , reduetuni ad castra, requisito domino, locum
simui recepit. Infirmos nostros cum debilibus ad portum Damiatae per
tcnarn et aquani tuis sumptibus def'erri procurasti ; idque quod his om-
nibus majus est, iniproperari nobis, moveri supersubsannantium capita
vel aliquo signo derisionis niolestari edicto terribili prohibuisti , etc. , etc.
ECOLATRE DE COLOGNE. 29
,, . . „ , " Xni SIÈCLE.
Il ne nous reste plus qu'a faire mention a une lettre assez — -
courte qu'Olivier écrivit , en i225, à l'abbé et au chapitre de Hugo, Sacr.
l'ordre de Prémontré. Il s'y qualifie de cancellarius colo- ""i^p-Tts'"
niensis. Il y signale à la justice du chapitre, Heldric, prieur
d'un de leurs couvents dans la Frise, qui, par sa cupidité et
la dureté de son autorité, excitait contre lui les plaintes de
tout le peuple voisin du monastère.
M. Michaud , dans sa Bibliothètjue des croisades, a donné
une analyse des deux histoires d'Olivier, à laquelle notre Mithaud, Bi-
article ne dispense pas de recourir; mais on a lieu de re- biioih.desCrois.,
gretler que l'académicien nous ait laissé le soin d'analyser les ''' ' "
deux lettres d'Olivier, avec plus d'étendue et de précision
qu'il n'a fait; car ces lettres ne sont pas, comme il est dit,
écrites toutes deux pour démontrer la divinité du Christ:
c'est la matière de la seule lettre adressée aux docteurs de
l'Egypte; mais la première adressée à Kémel a pour sujet les l^^^, ç,,,,
témoignages de reconnaissance les plus touchants, et pour 159.
but définitif, la restitution de la Terre -Sainte, ce qui ne
permettait pas de dire qu'Olivier n'a point dit à quelle occa-
sion ces lettres fui ent écrites , mais seulement qu'on ignore
comment ces lettres furent reçues. P. R.
G A LON , CARDINAL.
MORT en m:
i^l OS prédécesseurs ont placé au nombre des auteurs du xii*^ Hisi.iinér. de
siècle, un professeur de Paris, nommé Galon ou Walo, engagé '* l' - '■ ^^ ' i'-
vers l'an i loSdans des controverses scholastiques. Un autre tI^^d
Walo, Guala ou Gallo, a occupé le siège épiscopal de cette ville Hist. Univ. pa-
depuis iio4 jusqu'en 11 16. On a quelquefois confondu avec risiens., t. il,p.
ces deux personnages français, le cardinal italien Galon, "*'''■
dont, par cette raison même, il peut importer de faire ici Gali.ciir.no
mention, ne fût-ce que pour le distinguer des deux autres jg '" '*"'
qui n'ont jamais été cardinaux. Il a rempli la fonction de
légat en France, en Angleterre, en AUe^magne, et pris part à
no-
3o GALON,
xni siKCtE. j'ifn portantes affaires, qui tiennent à nos annales littéraires
et politiques. Toutefois, puisqu'il s'agit d'un étranger, que
d'ailleurs on ne saurait prendre pour un écrivain propre-
,, , . , ment dit, nous abrégerons beaucoup les détails de sa vie
Vila et gcs(a . , ii ti • i ' i i- •
Gualo; Medio- privec et puDlique. 11 en existe une longue histoire, publiée
iani,in-8. en 1 767 , SOUS le nom de Philadelpho Libyco, par Joseph
Piemoutcsi ili. prova , clianoine régulier de Verceil: Denina et Tiraboschi
** Sioria «Jeiia ^" ^"^ cxtiait cc qu'ils oiit (lit de ce cardinal, sur lequel on
ictter.iial.t.iv, lisait auparavant des notices succinctes dans les recueils
86-88,^25-327. cl'Alph. Ciaconius et d'Alb. Fabricius.
euard!,i''nV|)^ Jacqucs Guallo, Gualla ou Qualo de Bicheriis ou de Bec-
25. ' caria, naquit à Verceil un peu avant n5o. Après avoir été
Bibl. med. et chauoine régulier à Pavie, il devint évéque de sa ville natale,
m '*","""' ' *it gouverna cette église dqiuis i lyS jusqu'en 1 185, Il passait
pour habile en droit civil et plus encore en droit canon. Il
fonda le monastère de St. -André de Verceil , en fit construire
à ses trais les cellules, l'église et l'école. Parmi les maîtres
qu'il y attira, on cite un Français nommé Thomas Gallo ou
Gallus. Cette abbaye dut à sa biefifaisauce et à ses soins de
riches revenus, des ornements d'or et d'argent, de précieuses
reliques, entre lesquelles on distinguait le glaive teint du
sang de saint Thomas Becket. Elle hérita de lui une biblio-
thèque ilont Frova a publié le catalogue, et qui contenait,
avec les livres sacrés, quelques commentaires ou traités com-
posés par les saints Pères, spécialement par Grégoire-le-
Grand. Informé du mérite de Galon, Innocent III le créa
cardinal - diacre du titre de Ste. - Marie-au-Portique, puis
cardinal -prêtre de St. -Silvestre. Il avait le premier de ces
titres en 1208, quand il vint en France en qualité de légat
apostolique. Il lit en laveur des maîtres et des écoliers de
iiisi.deruiiiv. l'Université de Paris un statut qui exigeait, dit Crevier,
<l.Paiis, 1. 1, p. a des admonitions réitérées avant qu'on pût procéder con-
^^" « tre eux à l'excommunication, et qui voulait que les seuls
« contumaces et rebelles pussent y être soumis. ;> Telle est, •
e!i effet, la substance de trois articles restrictifs qui font
partie d'un règlement général de discipline ecclésiastique, où
le légat prescrivait aux clercs, sous peine d excommunication,
la continence, la modestie des habits et le désintéressement.
Historia Univ. /-, . ■ • i. • • > j i i -i i- i ^ i
paris I. ui,p. ^^ règlement, qui se ht imprime dans les bibliollieques des
4i, ',4,45- Pères, dans les collections de conciles, et en partie dans
l'ouvrage de Duboulay , est celui qu'on a quelquefois attribué
à l'évêque de Paris, Galon , antérieur d'environ un siècle à
CARDINAL. 3t
XIII SIECLE.
cette légation du cardinal. Les dispositions relatives aux
étudiants et aux professeurs sont, aux yeux «le Fleury, des Hist.ecclés.,i.
preuves de la considération qu'obtenait l'école parisienne. i.xxvi,n. î8.
En parlant de la mission de Galon en Languedoc, saint n^^^"" ' ^"^'
Antonin expose comment ses prédications contribuèrent au
succès de la croisade contre les Albigeois et à l'extermination „
I , 'Il I I ' - • A' 1 "'S'- liller. t.
de douze mule de ces hérétiques. INous ne reviendrons pas x\ii, p. 2^4 ,
sur les détails de cette guerre sanglante, dont nous avons eu ^^5, 375, etc.
trop d'occasions de retracer le tableau. Le nom de Galon
s'est déjà mêlé aussi aux mentions que nous avons faites de
l'entreprise du prince Louis sur le royaume d'Angleterre. Ce
fut Galon qu'Innocent III chargea, en i2i5, d'y mettre ob-
stacle. Après d'inutiles conférences avec Philippe-Auguste,
le légat résolut de passer dans la Grande-Bretagne, et de-
manda au roi de France un sauf-conduit: Philippe-Auguste
le promit sur ses propres terres, non sur celles de son fils
Louis. Cette réponse mécontenta le cardinal, sans l'empêcher
de se rendre à Glocester, auprès du roi Jean : il assembla
des clercs, des abbés, des évêques, et prononça contie Louis
contre ses complices, une excommunication solennelle. Jean
et Innocent III étant morts sur ces entrefaites, le nouveau
pape, Ilonorius III, content des services de Galon, lui pre-
scrivit de les continuer, de soutenir les droits du jeune
Henri III, d'annuler les serments prêtés à Louis, de publier
toutes les censures que les circonstances pourraient exiger
ou conseiller. Louis repassa en France, revint en Angleterre,
livra la bataille de Lincoln, et prit la fuite, vaincu par l'ar-
mée de Henri, à laquelle les exhortations du légat avaient
in'spiré un invincible courage. La défaite et la retraite des
Français ne laissaientplusàGalon d'autre tâche à remplir (jue
la punition de leurs principaux adhérents, clercs, prieurs,
abbés et autres prélats qui venaient de se montrer rebelles à
l'autorité pontiKcale : il les dépouilla tous de leuis bénéfices,
leur enjoignit d'aller à Rome, et chargea des commissaires
de rechercher et de trouver des coupables dans toutes les
provinces anglaises. Par tant de spoliations, il acquit de quoi
enrichir ses propres agents, sans s'oublier lui-même. L'evê-
que de Lincoln paya, pour remonter sur son siège, cent
mille marcs d'argent au pape, et cent au légat, dont bien
d'autres ne rachetèrent qu'au même prix les bonnes grâces.
Tous les historiens l'accusent de rapacité; et le P. d'Orléans „j;^^, j^^_
trouve leurs témoignages si nombreux et si unanimes, qu'il g'ei-.ti, 453.
IIII SIECLE.
32 GALON,
n'ose pas les contredire. Il avoue que le cardinal vendait les
absolutions, et qu'il faisait son profit des bénéfices ravis aux
clercs qu'il n'absolvait pas. « la honte en rejaillit, dit le
.( P. d'Orléans, sur le saint-siége, auquel les maltnten-
« tionnés attribuent toujours volontiers les désordres de ses
« ministres; mais quelcjue temps après, ce prélat en ayant
« fait autant en Ecosse, à l'occasion d'un interdit, le pape,
« à qui l'on s'en plaignit, montra par le châtiment qu'il en
« fit, que si le siège apostolique ne peut empêcher les abus
« qu'on fait de son autorité, il ne les laisse pas au moins
« impunis. «
Nous ne voyons pourtant point que Galon ait été si sévè-
rement puni de ses malversations: il est trop vrai qu'il en
continua le cours en Ecosse; il maltraita particulièrement les
religieux cisterciens; les abbés de Cîteaux et de Clairvaux
s'en plaignirent et ne furent point écoutés, le légat n'ayant
fait qu'user (les pleins pouvoirs jusqu'alors inouïs, dont le
Apud Joann. pape l'avait revêtu. C'est ce que la chronique de Mailros,
Feii. Rpi, Angi , ècritc au xiii^ siècle, expose en ces termes: Contra ipsum
1.1,188-195.— ^ ' ^^^^^ crudeliter adi'ershs ordinem Cistercii se ircren-
acnpl.rerumgal- i' , . . . , 77-1 11
lie , I. XIX, p. tem (abbates cisterciensis et clarevaLlensisJ appeilaverunt ;
>6i. sed eâ via gratiam non obtinucrunt. Inauditain enim et in-
usitatam dominas papa eidem legato conccsserat auctorita-
tem ,faciendividelicet, ut ita dicarn, quidquid animo ipsius
cederet , in clero et populo per y^ngliani, Scotiam et J féales
constituto , transponendi et deponendi , et alios ponendi ,
suspendendi , et exconununicandi et absoh'endi episcopos et
abbates et alios ecclesiarum prœlatos et clericos , nec non,
et quod inajus fuit, pm'andi etiam monachos cistercensis or-
dinis privilegiis suis.
Galon ne revint à Rome que lorsque, ayant achevé sa
mission dans la Grande-Bretagne, et en ayant recueilli tous
les fruits, il pouvait bien trouver convenable de n'y plus
rester. Nous avons donc peine à considérer comme une dis-
grâce, son rappel et son remplacement par Panlolphe. Il
était encore tellement en faveur à la fin de 1226, qu'fiono-
rius III le députa en Allemagne pour presser l'empereur
Frédéric de porter des secours à la Terre- Sainte. Galon
mourut en I2ay, au commencement du pontifi<at de Gré-
goire IX, et fut enterré dans le monastère de St. -André, à
Verceil sa patrie. Il n'existe de lui d'autre écrit que le règle-
ment de i2oy dont nous avons parlé, et une lettre d'envoi
XIII SIECLE.
CARDINAL. 33
au pape, du traité conclu en 1217, entre Henri III et le prince
Louis. Les lif^nes qui suivent la transcription de cet acte s^,,. ,.,.,. „,|.
n'ont probablement pas été rédigées par le légat; car il y i'"^-< t- Xl\,i).
est cité avec éloge : Dominas vero Ies^nt//s ,' vir pvoK'idiis et ^'''^■
discretus. Il avait été plus magnifiquement loué dans 1 epître lUiii , l'oA ,
que le pape lui adressait le 17 janvier de la même année, ''*''
pour l'investir d'une puissance illimitée.
On peut s'étotuici- davantage qu'un cardinal, ennemi dé-
claré des princes français, ait été préconisé par un de nos
historiens, son contemporain; mais Rigord était moine de
St. -Denis, et il paraît que Galon avait témoigné de la bien-
veillance et du dévouement à cette abbaye : Iligord le qua-
lifie donc , y«7v.s/?enV«m , bonis inonbiis- oniatinn, ornniiiiii
ccclesiarum visitatoreni diligentissinaini , ecdesiœ beati Dio- Sh.\\a. m mn
nysii benevoluni et devotuin. D. saliic., r. xvn.
GUbTJN,
EVÊQLE DE SENLIS, ClIANCELIEU DE FRANCE.
MORT en 1227
jNlou.s n'inscrivons ici le nom de Guérin , évèque de Senlis,
qu'à raison du soin qu'il a pris tles archives royales, de la
part qu'il a eue îi leur rf'tablissement après WÇ)^-, à leur
conservation jusqu'en 1227, et à la fondation du Trésor des
chartes. Il n'existe de lui aucun ouvrage , même uucune
épître,pas d'autres écrits que les actes cju'il a signés, et qui
sont tout-à-fait étrangers à I histoire des lettres.
Guérin ou Guarin, que les livres latins du xiii"^ siècle ap- iiist.ecclesia*.
pellent Garinus et plus souvent Guarinus , ne commence à <ii ia<iia|Hlkiks
paraître dans les annales ecclésiastiques et civiles que sous ""^ ''"^^ Fiance,
1 » I m 1- i . /» 1 • Il . ' par L. Al (lion. —
le règne de rhilippe-Auguste. (Jn ne connaît ni I epoiiue ni
cm. ,
règne de l'nilippe-Auguste. (.Jn ne connaît ni I époque ni haii ti
le lieu de sa naissance; et lorsqu'on dit qu'il appartenait à vu, 229.
la famille des seigneurs de Montaigu en Auverirne, c'est une ^■'" '^^''^ • ''
I • * l'A -, .| P , , y . X , Pa£ I ',1')
simple conjecture. Avant detre eveque, il aviit ete chanoine ,/,,4
de St. -Quentin et frère hospitalier de St. -Jean de Jérusalem. iiist.desCi
Duchesne le fait conseiller d'I.-.tat dès iioo: on sait mieux '•' ^^ . P
•' 210.
Tome XJ III. E
l?n(
s-
34 GUÉRIN,
XIII SIKCLE. , 1 . II • '. » » /- ' •
qu en isioi ou 1202, la chancellerie étant vacante, {>uerin
a été créé vice-chancelier ou garde des sceaux : il a souscrit
en cette qualité, et avec la formule vacante cancellarid ,
plusieurs chaites en 1202 et pendant les 7 années suivantes.
Les chroniques donnent à Guérin le titre de conseiller du
roi, sous Tannée i20(:), lorsqu'il contiibuait avec l'évèque de
Script, reium Pjjpjg _;, \^ condamnation des disciples d'Amaury de Chartres.
îallic, t. XVn , /-If- ' /-iiiir» I 1 ••
p. 85. Le tait e^t rapporte par (juillauine le nreton, dont le récit
jijid , (.. 39^;. est traduit presque littéralement dans la chronique de St-
Denis,en ces termes : « Quant li évesque Pierre de Paris et
« frères Guérins, conseiller le Roi Phelippe, oirent la re-
a. nommée de ces énormités, il firent souliment enquerre
« par mcstre Raoul de Namur les compileors de ceste error
a et cens qui estoient de leur secte. Cil mestre Roous estoit
<; bons clers et bons crestiens, et sages et arlilleux. Quant
« il venoit à eux, il savoit faindre en merveilleuse manière
« que il tetioit leur doctrine, et il li reveloient leur seciez
« come à parcovier (partisan) de leur secte, si com il cui-
'< doient et en te! manière si com il plut à Notre Seigneur,
« furent trovéeset descovertes pluscurs j)ersones de celé er-
« ror. . . ., qui longuement s'estoient celé et tapi souz tel
« mésaventure. Tuit furent amené à Paris, convaincu et
« dampné en plein concile .... ; puis furent livré au roi Plie-
« lippe. . ., et li bons roi les fit tozardoirau defors de Paris
« de lez la [lorte de Champiaus, com bons justicier et vrais
« fius de Suiiicte Eglise. »
De 1209 à 121 3, Guérin continue, la chancellerie restant
vacante, à signer les ordonnances royales. Innocent III lui
Siiipt. leium écfivit le f^ juin 1212, pour lui recommander la cause de la
g.iiiir., r xi\, ,.ei,^g Ingelburge. En i2i3, Geoffroy, évêque de Senlis ,
Ibid.'t. XVII , ayant abdiqué cette prélature, « fu esleuz, disent les chroni-
p 't02 « ques, frères Guérinz qui estoit frères profès del'ospital,
« especiaux conseilliers le roi Phelippe, pour le grantsens de
« li et pour la noiant comparable vertu de conseil qui estoit
« en son cuer hei bergie , et pour les autres grâces qui en li
(( habitoient. Il governoit merveilleusement bien les besoi-
« gnes du roiaume secunz après le roi; les nécessités des
« églises procuroit par grant diligence, et gartioit leur fran-
ibitl, p. 91. « chises et leur privilèges entièrement et sainement soz son
Hist rrcie's , ,^ mantel. » Cet éloge, qui se retrouve dans Guillaume le
.^^ Breton, a ete aussi traduit par I^leury.
En la même année, Guérin fut employé à reprendre la
I. i.xxvi , 11. 59;
I. I XWII, I
EVÊQUE DE SENLIS. 35
Vtl¥ Clff^T V
ville (le Tournai sur les Flamands, et à détruire un château . '-
voisin: expédition célébrée par Guillaume le Breton, en scripi.mimi
V ' ' ^ gall.<-. , l Wll,
prose et en vers. ^ ^
il)id. , |>. 2/(0,
Rex sancti Pauli comitem , f'ratremque Gariniim Fniipp. , i ■ ix,
,„ . ■ ■ ^ V. 7 lo -26.
lornacum misit , pugriatncesqiie catervas
Associavit eis, fortissiiiia corpora bello,
Qualia secjuaniis proilucit Francia ripis.
Qui licet lio^tili numéro minor esset eoruin
In duplo numerus, tamcn au\iliantil>iis urbe
Civihus expellunt, regique viriliter uiLem
Restituunt; et
Nobile castrum
Funditùs à fiindo excisuin et ciini plèbe sepultum.
Après avoir raconté le même événement , la chronique de
St. -Denis ajoute : « Frères Guerinz li esleuz de Senlis (frère ii.i<i .p '^ofi.
« Guérin l'apelons, pour ce que il estoit frères profez de l'os-
« pital, et en portoit tozjors l'abit), sages homs et de par-
« font conseil et merveilleus porvoières des choses qui es-
a toient à avenir. »
Il avait été chargé d'aller trouver Regnauld, comte de
Boulogne, qui, à la suite d'une querelle avec le comte de
saint Pol, venait de quitter la cour et laissait éclater de vifs
ressentiments. Guérin ne parvint pas à le ramener; Regnauld ctiron citée
s'engagea plus que jamais dans le parti du comte de Flan- par Duchesoe,
dre, et y entraîna le comte de Guînes, l'avoué de Béthune H.si.desChanc,
et le châtelain de St-Omer. Plus heureux dans une mission ''
d'un autre genre, l'évêque de Senlis sut observer en homme
de guerre, les mouvements des trou|)es de l'etnpereur Othon
et de ses alliés, reconnaître leurs positions, mesurer leurs
forces, en informer Philippe-Auguste , et lui faire sentir la
nécessité de livrer sans délai une bataille décisive : ce fut c„.;. ,
t -i-k • r~s ' * î '^cript . I cru m
celle de Bouvines. Guerm s y trouva, non pour combattre, gaii.,i. wii, p.
dit Guillaume le Breton, mais pour exhorter et animer les 94^254en55,
guerriers. Il fit plus : il disposa leurs rangs, régla leurs mou- '°^ ^' "*" '
vements, et donna le signal à i5o cavaliers qui engagèrent
l'action. Erat ihi electus , non lit quidem pugnaret , sed ar- ii,id., ofi.
maîos hortahatur et animahat ad honoreni Dei , et regni et
régis, et ad defensionem salutis proptiœ . . . Omnes isti erant
in una acie , electo sic disponente , qui quosdani alios prœ-
cedentes retroposuit , quos forinidolosos et tcpidos noverat.
Istos autem de quorum probitate et fervore certus erat , in
Es
36 GUERIN ,
MM SIKCIE.
iina el prima acie posuit , et dixit ilUs : Campus amplus est,
exteiidite vos pcr ccuiipian directe , ne hostes vos interclu-
dant. iSon decet ut uiius miles scutum sibi de alio milite
faciat ; sed sic stetis ut omnes quasi uiid fronte possitis
piignarc. His dictis prœmisit idem electus . . . . centum et
quiriquaginta satellites in equis ad inchoandum hélium ,
cà intcntione ut prœdicli milites egrcgii invenirent hostes
aliquantuliim motos et turbatos. Dans la Philippide, (luil-
h. XI, V. r, ,. laiiine le Breton attriijue à l'évêque une part plus active
118. ii)iii , i> eniore à la victoire des Français. Il est possible que la
" ''■"^- poésie ajoute ici aux tableaux de l'Iustoire ; cependant
Vies des rioMi. d'Auvigny a cru devoir insérer ces détails dans sa notice
iii.deiahi , I I, iiJQgiapliique sur ce jjrelat. Jl lui donne la qualité de géné-
ralissime des armées de France, le place à la tête de l'aile
droite dans les champs de Bouvines, et le représente aidant
les princes de Dreux et de Courtenay i\ enfoncer les batail-
lons anglais. « L'évêque de Beauvais, dit-il, doué d'une ame
« martialeetd'uneforce prodigieuse, avaitdonné des marques
« d'un courage supérieur dans plusieurs combats où il s'était
« trouvé; on lui reprochait même d'aimer trop le carnage;
« et c'était pour s'opposer à une inclination si peu conve-
« nable à un évêque, que le pape lui avait détendu de se
« servir jamais de traits ni de glaive. L'évêque se soumit à
« cet ordre du pape, il ne ceignit plus lépée; mais il se
«trouva à la jjataille de Bouvines, armé d'une pesante
« massue dont il se servait avec tant de force et d'adresse,
(( qu'aucun guerrier ne renversa, cette journée - là , autant
« d'ennemis que lui : quand avec sa massue il les avait étour-
« dis et terrassés, le prélat ordonnait aux gens de sa suite
« de les égorger, ne voulant pas, disait-il, contrevenir à
« l'ordre du pape qui lui défendait de tremper ses mains
« dans le sang. . . . Armé de toutes pièces et lépée à la main,
a il se contentait d'animer les autres au carnage, sans voû-
te loir combattre lui-même. »
Les historiens originaux n'en disent pas tant; et l'on doit
remarquer aussi que dans leurs récits de la bataille de Bou-
vines, ils ne doinientà Guérin que la qualification d'élu; il n'a
été sacré que vers la fin de 121.4; il ne l'était pas encore quand
Philipp'-Auguste lui avait cédé le patronage de l'église de
St- 1 lionias de Crespv, en échange de l'hommage que le nio-
narcjue dev.iit au prélat à raison de certains fiefs. La chan-
cellerie vaquait tt»ujours : Guérin continue d'avoir le titre de
ÉVÊQUE DE SENLIS. 87
XIII SIECLE.
vice-chancelier ou garde des sceaux , sigillonim ciistos , dans
les chartes royales de 1214 et des trois années suivantes II
est membre de la cour des pairs qui , en 121 G, prononce à
Melun un jugement relatif" aux comtés de Champagne et de
Brie; il est arbitre, en 1217, entre les chanoines de Notre-
Dame de Paris et les moines de St.-Denis. De 1218 à 1228,
l'évèque de Senlis souscrit en cette qualité des chartes et des
transactions. Les Bénédictins en ont publié six qui concer- Gaii. chr., n.
nent des prébendes, des démêlés ou des intérêts locaux. En ^^g'^fj"*''^'*'"''
I2i(), il consacre l'église de Chaaiis , et accompagne le
prince Louis à la guerre contre les Albigeois. L'année sui-
vante, il termine le différend élevé entre le roi et l'évèque de
Paris, relativement au clos Bruneau; et c'est à cette même
année 1220 qu'on rapporte principalement les mesures
qu'il a jjrises pour la conservation des archives royales,
article sur lequel nous ne tarderons pas à revenir.
Son arbitrage entre le connétable de Montmorency et les Preuv.dei'bist.
religieux de St -Denis, touchant la voirie et la justice du de la maison de
bourg de St. -Marcel, est du mois de septendjre 1221. On a °"""o' .P-
vu, dans notre volume précédent, Guérin désigné comme
l'un des exécuteurs du testament de Philippe-Auguste : il
ligure aussi en I223, au nombre des prélats qui assistent Hisi. luiér. de
aux funérailles de ce monarque. Jusqu'alors il n'avait été que " ^g^ ' - '
vice-chancelier; il dut la dignité de chancelier à Louis VIIL
Quand ce roi confirme l'institution de l'abbaye de la Victoire,
et les statuts de la commune de Senlis; quand il établit la
commune de Grespy , ces chartes sont délivrées per rnanum
Guarini, silvanectensis episcopi, cancellarii. ijes mème^ mots
se lisent à la fin de plusieurs actes de 1224, par exemple de
celui par lequel Louis confirme les privilèges de la ville de
Bourges, et abolit quelques-unes de ses coutumes. C'est l'é-
poque d'un jugement rendu par les pairs contre le comte de
Flandre , dans une assemblée qui se tint à Paris , et à laquelle
Guerin assista. Nommé, en 1226, l'un des exécuteurs du
testament de Louis VIII, il suivit ce prince dans le midi de
la France, où se continuait une guerre déplorable. Les der-
nières chartes du même roi, entre autres les lettres en faveur
de la ville de Corbie, sont toujours souscrites par le chan-
celier Guérin, qui remplit encore cet office au commence-
ment du règne de saint Louis. Mais l'évèque de Senlis, après
avoir fait la dédicace de l'église de Ste.-Marie-de-la-Victoire,
dont il avait jeté les fondements, mourut en 1227, et fut
6
Xin SIECLE.
38 GUÉRIN ,
enterré à Chaalis, où son épitaphe se lisait conçue en ces
termes : Hic quiescit ciijiis vita perpétuas lahor, Guarinus
qitem ad Sih'anectensem episcopatum sua in Deum religio ,
ad cancellariatum sua in Pldlippum Augustumfides evexit.
Ternplum hoc anno 1219 dedicavit. Abbatiœ de J'ictoria
prima posait fundamenta. Anno episcopatûs i3 , Christi
1227, ad Deum abiit. Ci«q nécrologes placent la mort de
Guérin au i3 avant les calendes de mai ( iq avril), et un autre
au jour précédent. Dans le martyrologe de Noyon, c'est le
2 avant les ides de mai (8 mai ), et dans celui de St. -Victor
de Paris, le 6 avant les ides de décembre (8 décembre).
Mais ils font tous mention de ses donations et fondations
pieuses, des services qu'il a rendus aux églises. Aucun mo-
nument authentique n'a fourni à d'Auvigny les détails par
Les vies des lesquels il termiuesa notice sur Guérin: il dit «qu'après la
Fr°Ti',p. /13' « mort de Louis VIII, l'évêque de Senlis remit la dignité de
114. ' ' « chancelier à Blanche, régente du royaume, abdiqua son
« évêché, prit l'habit de religieux dans le monastère de Chaa-
« lis, V vécut deux années, et mourut le ig d'avril md deux
« cent trente, âgé de 70 ans. » Il y avait alors trois ans que
Guérin était mort, encore évêque et chancelier, ayant atteint
un âge assez avancé sans doute, mais qui n'est déterminé
avec précision nulle part. C'est son prédécesseur Geoffroi
qui, renonçant à l'épiscopat, est allé finir ses jours au sein
d'un cloître. Une méprise plus étrange est celle de Dapin et
Hist. ccclés., des derniers éditeurs de Moréri, qui font Guérin conseiller
Xlirs.,p.552. ^|g philippe-le-Bel au lieu de Philippe IL
Parmi les affaires de tout genre dans lesquelles il est inter-
venu, comme chevalier ou comme évêque, comme arbitre
ou commissaire, comme garde-des-sceaux ou chancelier,
nous avons indiqué celles qui nous ont paru les plus impor-
tantes, celles qui peuvent donner le mieux la mesure de son
crédit à la cour, dans l'église, et même à l'armée. André
„ , . Durhesne, d'Auteuil, d'Auvignv et les auteurs de la Gallia
Hist. des mi- ' ii- i i'' j j ' -i
fiisires d'État, christiana ont recuedh bien plus de détails : peut-être en
379-439- avotis-nous trop parcouru nous-mêmes; car enKn, si ce
prélat doit occuper une place dans f histoire littéraire, c'est
seulement pournous avoir conservé quelques-uns des monu-
ments de notre histoire politique.
Les expressions in sctiptis palatinis , in archivo palatii
nostri, qui se rencontrent dans les capitulaires de Louis-le-
Débonnaire, montrent que, dès le ix« siècle, les rois de
ÉVÊQUE DE SENLIS. 5g
. Xra SIÈCLE.
France avaient des archives. On y conservait les titres de — _
leurs domaines, les comptes de leurs revenus et de leurs dé-
penses , les registres de leurs traités ou transactions, de leurs ,
ordonnances, des grâces et des faveurs qu'ils accordaient.
Les scribes ou notaires employés dans ce dépôt étaient sous
les ordres du chancelier ou grand-chancelier [cancellanus ,
archicancellarius , summus cancellarius). Il ne subsiste au-
cune description, ni aucun débris de ces premières archives
royales, qui sans doute n'étaient pas considérables. Ce qui
nous reste d'actes émanés des princes de la 2^ dynastie et
de la 1""% a été recueilli dans les monastères, où l'on savait
mieux conserver les titres authentiques, et quelquefois en
fabriquer de faux. Les chartes même et les ordonnances des
premiers rois capétiens ne nous sont guère parvenues qu'en
vidimus , dans les lettres de leurs successeurs. On sait d'ail-
leurs que ces rois avaient pris l'habitude de traîner à leur
suite, dans les camps, la partie la plus précieuse de leurs
archives, et que celles de Philippe-Auguste hii furent enle-
vées par Richard, roi d'Angleterre, à la bataille de Bellefoge Hist.iitter.de
ou Fretteval en ii94- H fallut, dit Guillaume le Breton, la Fr.,t. xvii,
beaucoup de peines et de recherches pour retrouver les P=»fio-
titres des droits et des revenus de la couronne de France. Phiiipp.j.iv,
V. 563-570. Scr.
ror. gallic. , tom.
Scripta quibus praenosse dabatur '*' P- *7"-
Quid deberetur fisco, quse, quanta tributa,
Nomine quidcensûs, quot vectigaiia, quantum
Quisque teneretur feodali solvere jure ,
Qui sint vel glebae servi, vel conditionis,
Quove manumissus patrono jure ligetur ,
Non nisi cum summo poterit rescire labore.
Ce travail difBcile fut entrepris et achevé avec un plein
succès, si nous en croyons les historiens, par Gauthier de
Yillebéon le jeune, successeur de son père dans la charge
de grand chambellan :
Praefuit huic operi Gahenis junior; ille
Hoc grave sumpsit onus in se , qui cuncta reduxtt
Ingenio naturaÛ sensûsque vigore
In solitum rectumque statuai. jbij , 5-,.
On n'a plus ce travail de Gauthier; mais Guérin s'en est
4o GUÉRIN,
Xni SIÈCLE.
sans doute servi quand il a fait copier les registres de Phi-
lippe-Auguste, qui nous ont été conservés, surtout ceux qui
ont pour titre : Feoda Régis et Inqiicstœ. On doit aussi atta-
cher un grand prix à ceux qui renferment des transcriptions
de phisieurs actes des prédécesseurs de Phih'ppe, non pas
à la vérité de Hugues Capet, ni de Robert, ni de Henri t^"",
mais (le Philippe i'^'", de Louis \\ et de Louis VH ; ainsi
qu'au registre particulier des lettres de Philippe-Auguste :
Litterœ Régis.
Ce prince voulant qu'à l'avenir ses archives fussent plus
ibid, V. j6o. hoigneuseraent conservées (impcrat cura majore tueri), char-
Nou\. traité rrpa fjg ^c soiu Ic vice-chancclier Guérin, qu'on en voit par-
de diploin. , I. I, V- i< ^ - |> ' Tl l "^ I i
-i-t II p ticulierement occupe en I année 1220. 11 achevait alors de
/,ri;'t.'v,p.8o5. mettre ces archives en ordre, et les déposait en un lieu fixe
qui leur devenait exclusivement consacré. C'est aussi la date
du Registriim Philippi Augusti , que l'évêque de Senlis avait
lait écrire par un clerc nommé Etienne de Gual, ainsi que
lannonce l'intitulé : Incipiunt capitula registri compilati. . .
anno Doinini millesirno ducentesirno vicesimo.... Scripti
de mandata rwerendi patris Gariui , Sih'anectensis epis-
copi , per inanuin Stephani de Gual, clcrici. Ce registre,
au(|uel on a fait dans la suite plusieurs additions, a passé du
Trésor des chartes, auquel il appartient, à la Bibliothèque
du roi, ainsi que celui qui porte le titre de Registrum Gua-
rini. Ces deux registres et ceux qui sont restés ou rentrés au
Mém. sur le Tiésor dcs cliartcs, ont été décrits par Bonamy, qui attribue
Tris, des cil Ac. _^|[,gi .'^ Queriu la fondation du plus ancien corps d'archives
•lesInscr.,XXX. , ' I
royales.
Quant à une chronique de France depuis Pharamond
juscju'en 1220, il n'y a pas lieu d'en tenir compte comme
d'un ouvrage de Guérin, d'abord, parce qu'elle ne consiste
qu'en une pure et simple série de dates de l'avènement et
(le la mort des rois; en second lieu, parce qu'elle a été ré-
digée par son clerc ou secrétaire du Gual ou de Gualt, dont
il sera parlé dans l'un de nos articles suivants. Nous termi-
nerons celui-ci en faisant mention de quelques-uns des
hommages rendus à la mémoire de l'évêque de Senlis, vice-
chancelier de Philippe-Auguste, chancelier de Louis VIII et
de Louis IX.
Misi. lie M Ducange cite un ancien sermon , ou discours en vers ,
Louis, pan. I, composé par liobert de Sainceriaux , oii il est dit de
p. i65. Gueriii :
ÉVÊQUE DE SENLIS.
Moult fu de haut conseil et de tous bien fu plains.
Puis le tens Oiarlemaine, que fu un archevesques
Qu'on apela Turpin , ne fu si bon évesques
Volentiers essauçoit l'onor de sainte Eglise
Moult l'ama li bons rois qui Felipes ot non
4i
XIII SIÈCLE.
Aiinotal. ad
Budé le déclare un homme d'un grand nom ( vir masni „ j
. . .,, , X j 1 I' ' V 1 1 - 1 *' Pandect. , ut. de
nominis ilLo seculo), et date de I époque ou il devint chan- of6c. prxfecii
celier, le premier éclat de cette haute magistrature. Belle- pr3Ptorii,p. 73.
forest révère en lui un homme saee et de tirande conduite Annal.de Fr,
ï-iMi I 1 /-"i • j- • r • 1- an. iai4, t. I,
en guerre. l<illeau de la Chaise dit que saint Louis perdit , en p. fin.
laay, «non seulement un ministre de grand mérite, mais ^'"^ ^^ **■"'
a encore un homme qui avait pour lui une amitié de père, ^'°"'^' ••*>?■
« et qui tâchait de reconnaître, par son zèle pour le petit-
« fils, la considération dont le père et l'aïeul l'avaient tou-
« jours honoré. » C'était, selon Velly , « un vieillard respec-
« table, mais d'une sagesse austère, et dont les conseils
« avaient plus l'air de réprimandes que d'avis ; vertueux
ff ministre; génie universel, d'une prudence et d'une fermeté
« sans exemple; grand homme de guerre, avant qu'il par-
te vînt à l'épiscopat ; évêque digne des premiers siècles de
« l'Eglise , quand il cessa d'être homme de guerre : ce fut
Œ lui qui éleva la dignité de chancelier au plus haut degré
« d'honneur, et lui assura le rang au-dessus des pairs de
« France. » Il y a bien quelque exagération dans tous ces
éloges ; maisils pourront sembler justifiés, en certains points,
par les faits que nous venons d'exposer. D.
GERVAIS DE CHICESTER
ABBÉ DE PRÉMONTRÉ, PUIS ÉVÊQUE DE SÉEZ.
HOBT en laaS.
(jERVAis DE Chicester, né en Angleterre, sans doute au sein
de la ville dont il porte le nom, fit ses études en France,
entra dans l'ordre de Prémontré, devint prieur et au com-
Tome XVIII. F
XIII SIECLE.
IX, p. 633.
42 GERVAIS DE CHICESTER,
mencement du xiii^ siècle, abbé de St.-Just, au diocèse de
Beauvais. Levêque Philippe le chargea, en i2o3, de l'admi-
nistration d'un hôpital; et l'on dit qu'en 1207, Gervais fut
pris pour arbitre d'un différend entre ce prélat et les cha-
cun, chr, n. noines de la cathédrale. Cependant ailleurs on le fait, dès
' *^"" i2o5, abbé de Thenailles, Thcnolium, près de Vervins, dans
le diocèse de Laon; et l'on assure qu'en cette année, il acquit
pour ce second monastère, des biens provenant d'Enguerrand
'^n'fi^^'^ ' " Coucy et de son frère Thomas, seigneur de Vervins. Il
doit y avoir là quelque erreur de date qu'il ne serait pas aisé,
mais qu'il importe fort peu d'éclaircir. En 1208, le cardinal
légat Galon ou Guala commit l'abbé de Thenailles pour pré-
sider à l'élection d'un abbé de Gorbie, successeur de celui
qu'on venait de déposséder. Le 5 février 1209, ou plutôt 1210,
Gervais de Chicester fut promu à la dignité d'abbé général
de Prémontré. Il assista, en cette qualité, au concile de La-
tran en (2i5: il y gagna les bonnes grâces d'Innocent III,
qui réunit à l'ordre de Prémontré un monastère de Riéti.
Employé à prêcher la croisade , à terminer des affaires
contentieuses, à rétablir la discipline ecclésiastique, Gervais
devint l'un des correspondants du pape, l'un des commis-
saires de la cour de Rome en France. Il fit, pour les intérêts
de son ordre, un second voyage à Rome sous le pontificat
d'Honorius III, qui le créa son pénitencier, et accorda aux
Prémontrés plusieurs privilèges. Gervais était encore abbé
n.'p.'fi^q' ' " ^^ Prémontré en 1219. Mais l'évèché tle Séez vaqua en 1220;
il lui fut conféré de l'aveu du roi d'Angleterre Henri III, et
au gré du pnue qui le sacra lui-même à Rome le 18 juillet.
Le noln de i-^vêque Gervais se lit sur des chartes de cette
année et de la suivante, ainsi qu'en des actes de 1226. Ho-
norius lui délégua, en 1222, l'examen de l'élection de l'arche-
vêque de Rouen, Thibauld. Nous retrouvons Gervais à Rome
en 1228; il y est un des prélats consécrateurs d'Etienne,
nouvel évêque de Mende. Peu après, il admet les frères
mineurs dans sa ville épiscopale, et préside à la dédicace de
leur église. En septembre 1226, il reçoit pour ses chanoines,
le patronage et la dîme de Ste. -Marie de Mesnil-Jean, cédés
par Guillaume Pichener. Le 12 juin 1226, il consacre une
chapelle de saint Jean-Baptiste. Il mourut le 10 février 1228,
selon la chronique de St.-Evi'oul; le 20, selon le nécrologe
Gaii. .hi., .1. (Je Mont-Dieu, et fut enterré dans l'église de l'abbiyede.
""''' '^ ■ Silly. Il avait composé son épitaphe :
Clall. chr
ABBÉ DE PRÉMONTRÉ. 43
Xra SIÈCLE.
Anglia me genuit, nutrivit Gallia; sanctus .
Justiis, Thenolium , Praemonstratumque dedêre
Ahbaiis nonien; sed mitram Sagia: tumbam
Hic locus; oretur ut detur spiritus astris.
LePaigédatela mort de Gervais de 1227 au lieu de 1228, et Bibiiot. pram.,
on l'a quelquefois liansportéedu 10 ou 20 février au 28 sep- p. 924. y^S.
teuîbre : il peut rester surces dates quelquelégère incertitude;
nous avons suivi l'opinion des auteurs de la Gallia christiana.
Il nous reste à parier des écrits de Gervais, qui ne sont pas
d'une très-haute importance, mais qu'il a tous composés en
France, où il a été successivement, comme on vient de le
voir, à la tête de 3 abbayes et d'un diocèse. Ils se divisent
en 3 classes : commentaires sur la Bible, sermons ou homé-
lies, et lettres missives.
Le Long lui attribue des commentaires succincts sur les Bibiiot. sacra,
psaumes , sur Isaïe , sur les petits prophètes ; un commentaire p- tA'î-
plus étendu sur Malachie, ouvragé dont Leiand vante l'élé- Commeni. de
gance et l'érudition, opus tersum , luculentum, eruditum. Srripior. briian.
Aucun de ces commentaires n'est imprimé; et l'on ne cite de "^^ '*^"
manuscrit que de l'explication de Malachie, qu'on dit com- Momfaucon ,
posée en 1160. Gervais devait être alors bien jeune, à moins Bibi. Bibi. , 1. 1,
qu'il ait été, ce qui n'est dit nulle part, presque nonagénaire à ''" ^'
1 époque de sa mort en 1228. D'ailleurs les biographes ne le
{ont fleurir qu'en I2i3; et, quelque vague que soit cette
expression, toujours serait-il étrangeque la célébrité de cet
auteur fîit postérieure de 53 ans à la composition de celui
de ses ouvrages qu'on a le plus loué. Il se pourrait que ce
livre fut d'un autre personnage du même nom, d'un Gervais
de Chester, contemporain et ami de Thomas Bekket.
Gervais de Chicester passe aussi, dans les notices moder-
nes, pour avoir été attaché à ce même Thomas, Thornœ
cantuariensis faniiliaris ; ce qui n'est conciliable ni avec son
éducation en France, attestée par lui-même dans son épita-
phe, nutrivit Gallia , ni avec les autres données historiques
et chronologiques : il faudrait que de 1162 a 1170, Gervais
eût vécu en Angleterre, âgé de 20 à a3 ans. Quoi qu'il en
soit, le commentaire'sur Malachie contient beaucoup de ré- r._ „ . ,
a ■ 1' I II ' ' T\ iiiust. An-
nexions sur 1 ordre sacerdotal, ce qui a entraîne Pits a prêter gii» Script., p.
à Gervais un traité De sacerdotalis ordinis institutione. »9^-
Les sermons, les livres d'homélies de Gervais de Chicester SacrseantHpiii.
ne sont pas tnieux connus .le prémontré Hugo avoue qu'ils Monumenia, 1.1,
F 2 P- • ■ '9
44 GERVAIS DE CHICESTER,
ÏIIÎ SIKCLE .... I , , . 1.1
ne se retrouvent point. Ainsi, quand les biographes le donnent
Bule,ii,p.96. pour un très-habile prédicateur, cgregius ecclesiastes , nous
n'avons d'autre moyen de justifier cet éloge, qu'en rappelant
que les papes l'avaient chargé de prêcher la croisade.
Ses lettres ont été imprimées deux fois. La première édi-
tion fut donnée par Norbert Cailleu, prieur de l'abbaye de
Prémontré, d'après un manuscrit qu'il avait trouvé dans le
monastère de Vicoigne, au diocèse d'Arras. Les épîtres qu'il
en tira formèrent un volume in-4° qui parut à Mons, en
Hainaut,en i66y, ; quelques exemplaires sont datés de i663,
et de Valenciennes : Fabricius dit par erreur, que ce livre a
Bibiiot. med. ^tppQ[,[jé à Paris. L'édition de iVlons, qui ne contient que -o
et idI. lalinit , t. 1 , , , ,, i ■ ii •
lV(in-4°j,p. 53. epîtres, n est a peu près d aucun usage, depuis celle qui est
due à Charles- Louis Hugo, et qui occupe les 124 premières
pages in-folio du tome P' des Monumenta sacrœ antiqui-
taiis , imprimé à Estival en i^aj. Les lettres y sont au nom-
bre de 13^, y compris 26 qui ne sont point de Gervais; et
non pas seulement de i3o, comme le suppose Fabricius.
L'éditeur Hugo s'est servi d'un manuscrit de Steinfels, plus
comjjlet et plus exact que celui de Vicoigne. Des 1 12 épîtres
der.d)bede Prémontré, 3 sont adresséesà Innocent HI, iS
à Honorius Hl; le surplus à des princes, à des cardinaux, des
archevêques ou évèques, des abbés, des religieux. Pour don-
ner une idée <les sujets et des formes de ces lettres, nous en
traduirons trois qui sont écrites, l'une à la reine Ingelburge,
les deux autres à Innocent 111 et à Honorius III. C'est au
nom (lu chapitre général de l'ordre de Prémontré que Ger-
vais dit à Ingelburge (vers l'an 121 3): « Votre cœur a voué
« à toutes les personnes religieuses une affection sincère;
« mais vous avez, n'en doutons pas, pour l'ordre de Pré-
« montié une prédilection qu'il doit à votre zèle plutôt qu'à
« ses projnes mérites. Aussi les sentiments de reconnais-
« sari( e (jui nous attachent à tous ceux qui nous sont propi-
« ces, seront-ils toujours pour vous (c'est notre volonté, c'est
« notre devoir ) d'autant plus profonds et plus vils que votre
« amitié pciurra nous être plus prolitable. Vous nous avez
« demandé de nouvelles assurances de la participation à nos
« prières, (|ui vous est depuis long-temps accordée; f)€Ut-
<f être nos |)i écédentes lettres ne vous ont-elles pas été re-
« mi.->os avfc l'exactitude convenable. Toujours prêts à vous
« ol)e!i, à faire non seulement ce que vous nous demandez,
« mais, autant qu'il est en notre pouvoir, tout ce qui vous
ABBE DE PREMONTRÉ. 45
XIII SIECLE.
« serait agréable, nous nous empressons de renouveler par
« ces présentes, l'engagement que nous avons piis, il y a
a plusieurs années, de vous conserver une part dans les
« prières et dans tous les biens spirituels de notre ordre. Et
Œ nous ajoutons qu'aussitôt que le jour de votre décès sera
« connu de notre chapitre général , on accomplira pour
« vous, en vertu de nos lettres actuelles, tous les devoirs
« dont on s'acquitte envers chaque piémontré défunt, en
« messes, en prières et en psalmodies. » yiddeiites qiiod
ciim obitùs vestri dies innotuerit nostro capituto gencrali ,
sub prœsent'mm tcstimonio litterarum , tantum jlet pro vohis,
quantum pro quolibet uno nostrùni fieri consucvit , in missis, ^^"'^ ^"''i-
omtiombm et psalmis. ^ J'^"""'" ' '^' •*•
En 1216, l'abbé de Prémontré écrit à Innocent III en ces
termes : « Le zèle que j'ai voué aux intérêts de la Terre-
« Sainte et à ceux de votre Sainteté, me dévore à tel point,
« que, bien que je sois aux portes de la mort, je ne puis
« pourtant pas me taire. Vous avez depuis peu envoyé en
« France le révérend père en J.-C, Simon, archevêque de
« Tyr, à qui vous avez dornié le pouvoir d'exciter les fidèles
« à prendre la croix, et en même temps de commuer lés
« engagements des personnes de basse condition , que leurs
« infirmités ou leur pénurie excessive rend inhabiles à se-
« courir la Terre-Sainte. Plusieurs ont demandé à ce prélat
« si vous aviez accordé aux seigneurs français croisés la
« liberté de retarder leur départ jusquà fan |)rotliain : il a
« répondu que vous n'aviez rien changé, pour les grands ,
« ni pour les petits, aux dispositions du concile général.
« On lui a aussi adressé la question de savoir s'il fallait
« forcer tous les croisés à partir dans le cours de la présente
« année: il a déclaré que ni lui-même, ni personne, à sa
« connaissance, n'avait reçu de vous le pouvoir d'exercer
« cette contrainte. Il m'a dit particulièrement, quaussitôt
« après le concile de Melun, tenu à son arrivée, il vous
« avait rendu compte de ses négociations avec le seigneur roi
« etavec d'autres personnages, relativementaux affaires dont
« vous l'avez chargé. Je me suis abstenu de lui demander
« ce qu'il vous avait écrit: persuadé que vous étiez par lui
« suffisamment instruit de toutes choses, je ne devais dé-
« sirer rien de plus. Cependant, comme il est survenu depuis
« des incidents qu'il ignorait alors, et à l'égard desquels il
a n'a pu prémunir votre mansuétude [de quibus ves-
XITI SIÈCLE.
46 GERVAIS DE CHICESTER,
« tram non potuit mansuetudinem prœmunire ) , j'ai cru
« devoir vous en informer en peu de mots. Les docteurs
« parisiefis déclarent coupables de péché mortel tous ceux
« qui, maintenant que vous ne relâchez rien des dispositions
<t du concile général, ne partiront pas dès cette année
« même; de telle sorte que, privés de tous les privilèges
« des croisés, ils n'auront à espérer ni rémission de péchés,
« ni indulgence, quand bien même à l'avenir ils voudraient
« accomplir l'obligation qu'ils ont contractée. Mais les grands
« du royaume, déterminés pour la plupart à ne point partir,
'( s'inquiètent fort peu de cettedéclaration des théologiensde
« Paris: ils ne craignent ni peines spirituelles de votre part,
« ni peines temporelles de la part du pouvoir séculier;
« tandis que les croisés de condition inférieure, bourgeois et
« paysans, dont le nombre est considérable, se voient immé-
« diatemer)t exposés par ces décisions, à des dommages
« temporels. En effet, les nobles, les hommes puissants, et
« même les communes des cités, communiœ civilatum , leur
« signifient qu'après la Saint-Jean-Baptiste, ils les soumet-
« tront aux mêmes exactions, aux mêmes tailles qu'aupara-
« vi>nt. Voilà donc la multitude de ces petits croisés réduite
« aux plus amères extrémités, in multâ amaritudine et an-
« gustiâ constituti : ils répondent qu'ils sont prêts à obéir aux
« ordres apostoliques, dès qu'ils leur seront expressément
« annoncés; qu'ils se sont préparés à toutes les dépenses
<t nécessaires ; que leur plus ardent désir est d'accomplir leur
« vœu ; mais ils ajoutent qu'ils ne savent ni où aller, ni com-
« ment se mettre en marche, et qu'autant qu'on en peut
« humainement juger, leurs efforts ne seront d'aucun secours
a à la Terre-Sainte, tant qu'ils n'auront pas des chefs sortis
« de leur pays et parlant leur langue. Ce considéré, très-
« saint et très-tendre Père^ mansiietissime Pater, hâtez-vous,
« s'il vous plaît, de prendre une résolution qui console et
« soulage ces opprimés; de peur que tant de chrétiens fidèles
« que j'ai va prendre le signe de la croix avec une dévotion
« si fervente, et qui sont prêts encore à remplir leurs enga-
«■ gernents avec la plus religieuse loyauté, ne tombent dans
« l'abîme du désespoir, en se croyant obligés à partir sans
<i délai, et privés de tout privilège, de toute indulgence, par
<t un retard qui a pour cause la nécessité, et non certes leur
« volonté. Je vous le disconfidemment : je pense et bien des
« gens sont persuadés comme moi, qu'il est de la plus haute
ABBÉ DE PRÉ MONTRE. 4?
« importance que les Allemands et les Français ne marchent
« point ensemble; car on ne voit pas que la concorde. ait
« jamai.s pu s'établir entre eux dans de si grandes entreprises.
« Il serait, je crois, et c'est encore l'avis de plusieurs personnes,
oc il serait tort à propos que le duc de Bourgogne et le duc de
« Lorraine, pour lesquels vous avez jusqu'à ce jour usé de
« ménagements., fussent un peu plus rigoureusement tenus
« de se mettre en route l'année prochaine; et qu'en consé-
« quencetous les croisés, tant de haut parageque de condition
n inférieure, reçussent l'ordre exprès de partir, sous les pei-
« nés de droit. Sur tous ces points, votre Sainteté, si tel est
« son bon plaisir, pourra écrire aux archevêques de Bourges,
« de Reims, de Rouen, de Tours et de Sens, ainsi qu'à leurs suf-
a fragants,à plusieurs autres prélats, hclon votre volonté et les
« inspirations qu'enverra le Tout-Puissant à votre béatitude.
« Je désire qu'il vous plaise de ne pas exiger des Français
a qu'ils se dirigent vers les ports de l'Apulie et de ta Sicile;
« laissez-leur la faculté de s'embarquer où ils voudront, et
« où ils trouveront plus commodément des navires. Vous
o ne devez pas ignorer qu'il y a chez nous un évêque qui,
« laissant en repos les nobles, presse par des menaces d ex-
« communication le départ des roturiers, bien moins, à ce
« qu'on croit, pour assurer le succès de l'expédition, que
« pour puiser dans leurs bourses; non tam , ut créditur, ad
« negocium promovendiini quam ut eniungat bursas eoruni.
« Cependant comme on sait que toutes les affaires dépen-
« dent principalement de votre Sainteté, personne ne s'en
« mêlera, sinon l'envoyé, le notaire ou tout autre commis-
« saire que vous en aurez expressément chargé. Du reste,
« nous avons en France beaucoup d'hommes excommuniés
« pour avoir suivi le prince Louis en Angleterre; et, comme
a hien d'autres, j'ai avec eux des relations qui ne sont pas
« sans péril. Je me suis chargé de présenter a votre Sainteté
« une proposition que je la supplie d'agréer; c'est de déclarer
« que ces excommuniés obtiendront la grâce de l'absolutipn,
'<■ quand ils auront passé, à combattre les Albigeois, un
« temps égal à celui qu'ils ont empUyé en Angleterre au
« service du prince Louis. Il est bon que vous sachiez que,
« si plusieurs d'entre eux s'abstiennent d'entrer dans les
a églises, c'est par la crainte de Dieu et par respect pour
e ses commandements, plutôt que par la surveillance et les
« soins des prélats. Salut dans (e Seigneur à votre Sainteté :
XllI SIECLE.
XIII SIECLE.
p. 3.
48 GERVAIS DE CHICESTER,
« que Dieu la conserve saine et sauve à l'Eglise. » Ce souhait
ne fut pas exaucé ; Innocent III mourut le i6oule ly juillet
tai6, et cette lettre, écrite avant le 24 juin, est une des
Sacra; antiq. dernières qu'il ait reçues.
Mo^Dum., t. I, C'est à son successeur, Honorius III , qu'est adressée celle
dont il nous reste à donner connaissance au lecteur. « Si je
a n'étais, dit Gervais, dévoré du zèle de la sainte Eglise
« romaine, si les injures de ses détracteurs (oy;/?roèn« expro-
« hantium ei) ne retombaient pas sur moi, comme sur un
« fils qtii chérit tendrement sa mère, peut-être me serait-il
« facile de dissimuler, et d'imiter ainsi ceux qui supportent
« avec indifférence les dommages qui lui adviennent, comme
<c si tous ses enfants ne devaient pas s'appliquera conserver
a son honneur, autant qu'ils désirent d'être abreuvés de son
« lait ! Aussi long-temps que j'ai craint d'être accusé de pré-
« somption, j'ai différé d'écrire à votre Sainteté, attendant
« de jour en jour, que, selon les dispositions arrêtées au
<t concile général, un légat, un nonce envoyé par vous,
« après le décès de votre prédécesseur, Innocent, de véné-
oc rable mémoire, arrivât en Erance pour accorder, s'il y
« avait lieu, des dispenses à ceux dont les services lui sem-
« bleraient inutiles à la Terre-Sainte; et pour régler, en
« prenant les conseils des hommes éclairés, le départ des
« croisés de toute condition, haute ou basse. J'espérais par-
te ticulièrement que cette mission serait remplie par Jacques
« de Vitry, vénérable clerc, dont le retour en Erance était
« chaque jour attendu. Mais ayant appris qu'il venait de
« passer au-delà des mers , et que vous n'aviez écrit sur les
« affaires de la croisade qu'à des personnes du plus haut
« rang; ne sachant jjas si vos lettres faisaient mention du
« petit troupeau de Dieu [pusUlus grex), qui porte la croix
« avec une dévotion au moins égale à celle des nobles, j'ai
« cru à propos de vous présenter ses plaintes, qui sont nom-
« breuses et fréquentes. Il s'agit d'obscurs et pauvres sol-
o (Jats qui , ayant pris la croix au premier signal donné par
« les chefs de l'Eglise, et fait abnégation de tous leurs inté-
« rets personnels pour se vouera ceux de la Terre-Sainte,
« ne trouvent aujourd'hui, ni dans les grands du siècle, ni
« dans les prélats qui leur avaient tout promis, argent,
« conseils et direction, pas un seul homme dispose à les
a consoler, à les instruire , à leur rendre justice; ils se plai-
« gnent de ce délaissement et de l'oppression qu'ils subis-
ABBE DE PRÉMONTRE. 49
« sent, au mépris des privilèges qu'on semblait leur avoir
« garantis. Ils demandent aussi quel usage on lait de l'argent
« déposé dans le tronc des églises, et du tribut payé par les
« clercs N'avait -on pas promis, au nom de la sainte
« Eglise romaine, que tout cet argent serait employé à |)ayer
« les dépenses des plus pauvres croisés? Ce n'est pas tout:
« vous avez, comme je l'ai déjà dit, écrit à quelques nobles,
« par exemple au duc de Bourgogne et à Gautier, seigneur
« d'Avesne, qu'ils devaient se tenir prêts à partir à la pro-
« chaine tête de Pâques : ils vous ont répondu en vous sup-
« pliant de leuraccorder un répit, ou, comme ils disent, une
« trêve d'un an; et, tant qu'on ne saura pas si vous devez
« exaucer leur prière, cette incertitude jettera partout le trou-
« ble et la confusion. Vous avez à prendre, sur tous ces
a points, des mesures salutaires : la nécessité m'enhardit à
« vous les demander; et , après en avoir délibéré avec les
« hommes qui passent pour savoir ce qu'il y a de plus expé-
« client, j'ose vous proposer humblement, respectueuse-
« ment, et sauf meilleur avis, d'accorder aux susdits nobles
« la trêve qu'ils réclament. Si, en attendant, vous vous ab-
« stenez, pour ne pas grever les églises, d'envoyer en France
« un nonce ou un légat, daignez au moins, par des lettres
« expédiées en temps opportun, établir en «haque piovince
« ou diocèse des commissaires qui auront quatre devoirs à
« remplir : premièrement, garantir le privilège des croisés;
« secondement, dispenser de service ceux qui n en rendraient
« que d'inutiles; en troisième lieu, recueillir toutes les som-
« mes provenant soit de la comirmtation des vœux, soit des
« troncs, soit du vingtième denier, s'il a été perçu; enfin,
« pour prévenir ou éteindre tout scandale, distribuer cet
« argent aux croisés, à ceux qui se croiseront, à ceux même
« qui se rendront utiles de quelque autre manière à l'eiitre-
« prise commune. Toutefois je sais que le paiement du ving-
« tièmedenier,sans déduction des ta xesord inaires et généra les,
<c est impossible aux religieux et à d'autres ecclésiasticjues,
« à l'exception de ceux qui cnt pour vivre des revenus
« assurés. Maintenant, quelles sont les personnes les plus
« propres à s'acquitter de ces fonctions avec prudence et
« fidélité, soit j)ar eux-mêmes, soit par leurs associés? Je vais
« les indic|uer: dans la province de Reims, le doyen et l'éco-
« lâtre de Noyon, l'archidiacre de Chàlons - sur-Marne, le
« doyen de saint Pierre de Laon (Adam de Courlandoil); dans
Tome XV m. G
XIII SIECLE.
XIII SIÈCLE.
5o ETIENNE F^^NGTON,
« la province de Sens, l'archevêque ( Pierre de Ckjrbeii ) et
« l'évêque d'Auxerre ((juilhiume de Seignelay); dans celle
« de Rouen, le métropolitain ( Robert Pullus), les évêques
« fie Baveux ft de Lisieux; dans la province de Tours,
or l'évêque du Mans; dans celle de Bourges, le doyen ( Ar-
K chambauld ) et le chanoine maître Pierre; dans celle de
« Bprdeaux, l'archevèfjue ( Guillaume Amanevi ) et l'évêque
« de Poitiers. A l'égard des autres provinces, et surtout de
« celles que le voisinage des Albigeois occupe d'un autre
« intérêt, je ne connais personne que je puisse recommander
« sans témérité. Si ces propositions paraissent présomp-
« tueuses à quelqu'un qui ne prendrait en considération ni
« le besoin qui les provoque, ni le sentiment qui me les
« suggère, j'ai recours, bienheureux père, à votre indul-
« gence, et j'attends de vous le pardon que je vous demande
« humblement. Ma conscience me dit que tout ce que je
« viens d'écrire m'a été diclé par mon dévouement à votre
a autorité paternelle, comme par l'affection fraternelle et
« charitable que je dois à ceux qui sont avec moi vos ser-
« viteurs. Salut à votre sainte paternité : que Diou la conserve
« toujours à son Eglise. ».
Les trois lettres que nous venons de traduire sont celles,
qui, dans la correspondance de Gervai» de Chicester, tien-
nent de plus près aux annales de la France; il nous semble
qu'elles peuvent inspirer une idée avantageuse de l'intérêt
historique et même aussi du mérite littéraire des épîtresde
ibid, p. 6. ce prélat. D.
ETIENNE LANGTON,
CARDINAL, ARCHEVÊQUE DE CANTORBÉRY.
MORT en 1228.
Un archevêque de Canlorbéry qui naquit et niourut en
Angleterre, ne semble point appartenir à l'histoire littéraire
de la France; mais Etienne Langton a coiaposé une grande
partie de ses ouvrages à Paris et à, Pontigny. La date de sa
naissance n'est point connue :si l'on peut conjecturer qu'il
CARDINAL. 5i
XUl Sit'CLE.
était né vers le milieu du douzième siècle, c'est parce qu'on
sait qu'il mourut fort â^é en 1228. Nous n'avons aucun ren-
seignement sur sa famille : son nom se rencontre écrit de
diverses manières dans les livres soit du moyen âge, soit
des temps modernes : Langton , Langtlion , de Langetoun , de
Longatona , de Linguatona, Lnngtonus, Longodunus, etc.;
et il n'est quelquefois appelé qu'Etienne l'Anglais, Ste-
phanus yinglicus ou Angliis : le prénom Etienne est seul
invariable.
Il passa fort jeune en France, fît ses études à Paris, y
devint professeur d'humanités, puis de théologie, acquit le
titre de docteur, fut fait chanoine de l'église cathédrale et
vliancelier de l'Université. Il jouissait au commencement du
treizième siècle d'une brillante réputation littéraire, qu'il a
conservée même après sa mort. Long-temps on l'a célébré
comme l'honneur et le chef des écoles parisiennes, eynuiasii , „. ., „
... , , , • ,,, ^ f ■< ,, Jac. Phil. Ber-
pansiensis quondam decus et rector. Innocent 111, qui lavait gomas.Suppiem.
di.stingué, s'empressa de l'attirer à Rome, et li- nomma car- <i"on. ad ann.,
dinal-prétre du titre de St.-Chi Ysocone Cette promotion est P'^î'S-
datée de l an 1212 par Alphonse Liaconius, de 1210 par .ard, t.ii,p.3i,
Panvini ; mais Ughelli et Aubery la rapprochent avec plus i^. Kpii. pomif.
de vraisemblance de. l'année 1206,011 vaquait, par le décès 'om. liai, sacin.
djfii I •- «.,. Il/"» i'i»'i liisl. des caïu.
fiubert, le siège arciiiepiscopal de Lantorbery. Lelection
du successeur d'Hubert doinia lieu à de longs et violents
débats. Les moines de Cantorbéry s'étaient mis en posses-
sion de nommer à cette éminente préiature : le saint-siége, ^f"''- ^J^"'^"'-
I . . .Il 1 • I ' • ■ 1 ' Cnron. a<l ann. ,
disaient-ils, leur avait depuis long-temps octroyé ce privilège. 1207.Mai1h.Pa-
Quelques-uns de ces religieux, et particulièrement les j)lus ris, p. 148, 149,
"eunes, élurent secrètement et à l'insu du roi Jean-sans- ,V,?' '^^' '^'^'
, ; , . r. < • 1 I 1 1 .... Wharton , An-
L erre, leur supérieur Reginald, qui devait devenir ainsi primat giiasana , lom.
de l'Eglise d'Angleterre. Reginald et plusieurs de ceux qui i, pag. n/i; 1.
l'avaient élu partirent aussitôt pour Rome, afin d'obtenir du l^ ''•^Î7'.''''^
pape la confirmation du choix qu us venaient de taire. Il ciës., l. ixwi,
importait que le roi n'en sût rien; mais Reginald, en tra- n. 21,23. Hume.
versant la Flandre, eut l'indiscrétion de se (lualifier par- P'^"'^?'*^ "'•
, ^ ' /• I - A ' • . ann. 1 207,1 2on,
tout archevêque. Le monarque en tut bientôt instruit; et, ,209.
croyant que tous les moines deCantorbéry avaient participé Hapsfeid, list.
à cetBe manœuvre, il se disposait à les en punir : ceux ciui **=''''L'- ,^'''^ ''' '
n avaient pas quitte leur monastère rejetèrent la faute sur
les absents, Au ressentiment du roi se joignaient les plaintes
des évêques suffragants de l'archevêque de Cantorbéry, qui
revendiquaient le droit d'intervenir, au moins par l'assis-
G 2
if
XIII SIKCI.E.
52 ETIENNE LANGTON,
tance de trois d'entre eux, dans l'élection de leur métro-
politain. Effrayés de tant de réclamations, les moines qui
avaient élu Réi^inald l'abandonnèrent d'autant plus volon-
tiers qu'ils étaient fort mécontents de sa conduite. Tout le
monastère se hâta d'obéir au roi, qui enjoignait île procéder
à une élection nouvelle, et qui désignait un homme attaché
à son service, Jean de Gray, alors évêque de Norwich. Ce
personnage obtint tous les suffrages, s'installa et se mit en
possession du temporel. Quatorze moines se rendirent à
Rome pour informer le pape de ce qui s'était passé, et le
prier de r.itiher l'élection de Jean de Gray. Mais on même
temps les evèques suffragants, dont on avait méconim le
droit, chargèrent des députés de porter leurs plaintes au
très-saint père. Innocent III, après avoir entendu à Viterbe
les plaidoyers des deux députations, cassa les deux élections
de Réginald et de Jean de Gray, et ordonna aux i4 moines
de Caiilorbéry qui se trouvaient là d'en faire à Rome une
troisième. Ils s'en défendirent le plus qu'ils purent, disant,
non sans quelque apparence de raison , qu'un tel acte, con-
sommé hors de leur communauté et sans le consentement
de leur roi, serait par trop irrégulier, et jusqu'alors sans
exemple. Le pape répondit qu'ils étaient les repré.sentants
légitimes de la communauté qui les avait députés, et qu'une
élection faite en présence du souverain pontife n'avait aucun
besoin de l'aveu ou du concours d'un. monarque. 11 ne tint
pas plus décompte de la réclamation des evèques suffragants;
il leur déclara que le privilège accordé aux moines |)ar le
saint-siége anéantissait tout autre droit, et leur déferidit ex-
pressément de se mêler désormais, en aucune manière, du
clioix de leur métropolitain. Quant au personnage qui devait
succéder à Hubert, le pape indiquait, comme le plus digne,
Etienne Langton, Anglais de naissance, qui était alors à Rome,
et probablement déjà cardinal. Langton fut élu par treize
moines; le i4^, que Matthieu Paris appelle maître Hélie de
Brantefeld , persista dans le refus de coopérer à un acte qu'il
croyait illégal. Le saint père sacra de ses propres mains le
Kouvel archevêque de Cantorbéry, à Viterbe, le 17 juin
1207.
Innocpni iil, H était aisé de prévoir que ces procédés déplairaient au
) |)ist. I,. X , roi d'Angleterre. Pour prévenir ou tempérer son courroux,
Hvmei' ?'i^" Irmocent commença par lui envoyer quatre anneaux montés
li). l'v''. de pierres précieuses , et accompagnésd'une lettre où étaient
CARDINAL. 53
expliquées les prétendues significations mystérieuses ou mo-
rales de ces joyaux. Une seconde épître pontificale, beaucoup
plus claire^ qui suivit de près ce cadeau, exhortait le roi à
bien accueillir le nouveau primat, cardinal de l'Eglise ro-
maine, savant prélatanglais, (]ui allait rapporterdans sa patrie
des vertus chrétiennes et des talents politiques, utiles à la
religion et à l'état. Loin de soumettre l'élection d'Etienne à
l'examen du monarque, le pape, dans un autre bref, enjoi-
gnait aux moines de (jantorbéry et aux suftragants de cette
métropole de recevoir et d'installer l'archevêque. Le cour-
roux de Jean-sans-Terre ne tarda point d'éclater : deux che-
valiers, envoyés par lui, entrèrent l'épée à la main dans le
monastère de Cantorbéry, ordonnèrent aux moines de vider
les lieux et de sortir du royaume. Ils passèrent en Flandre, et
furent accueillis au sein de l'abbaye de Saint-Bertin. Dans une
lettre au pape, le roi traite d'attentats l'acte qui annule l'é-
lection canonique de Jean de Gray et celui qui tend à l'in-
trusion fie Langton. Non, il ne souffrira pas qu'on lui impose
un primat qu'il ne connaît point , qui , élevé en France, n'a
eu de relations qu'avec les ennemis de l'Angleterre. Il rompra
plutôt toute communication avec cette cour de Rome, qui
tire pl'is d'argent de la Grande-Bretagne que d'aucun autre
état chrétien. II a dans son royaume bien assez de prélats
capables de gouverner les églises, pour qu'il ne soit pas né-
cessaire de recourir à des pontifes qui abusent si scandaleu-
sement de leur autorité. Innocent III répliqua par une épître
encore paternelle et affectueuse, mais pourtant impérieuse et
menaçante. Elle contient un nouvel éloge d'Etienne Langton,
qui s'est acquis dans la plus célèbre des universités une
éclatante renommée; qui d'ailleurs a possédé à York une
prébende plus riche qu'un canonicat de Paris; qui depuis
qu'il est cardinal a reçu trois lettres du roi Jean, et par
conséquent n'est pas inconnu à ce prince On n'avait point à
demander, pour une élection consommée à Rome, le consen-
tement du roi; et cependant on a porté la condescendance
jusqu'à lui envoyer, pour l'informer de celle de Langton,
deux moines, que les vents contraires ont retenus à Boulogne-
sur-mer. Il recevra donc avec reconnaissance le prélat si
recommandable qu'on lui donne, ou plutôt qu'on lui rerjd;
il se souviendra de ce qui s'est passé du temps de saint
Thomas Bekliet, et ne voudra pas se jeter dans de nouveaux
embarras, d'où il aurait peine à sortir. Le pape écrit en
7
XIII SIKCLE.
54 ETIENNE LANGTON,
même temps aux trois évêques de Londres , d'Ely et de Wor-
cester; il les charge de porter au roi les ordres de l'Église,
de le presser d'y obéir, et, s'il s'obstine à les mépriser, de
mettre le royaume en interdit. Jean protesta que, si l'on avait
cette audace, si l'on tentait de renouveler les scènes du siècle
précédent, il bannirait tous les évèques et se mettrait en
possession de tous les biens ecclésiastiques. Il jura p^r les
dents de Dieu , per dentés Dei , dit Matthieu Paris, qu'il fe-
rait Jirracher les yeux, couper le nez et les oreilles à tous
les prêtres romains qu'il trouverait dans ses états, et qu'il
les renverrait ainsi mutilés à leur souverain pontife. Il com-
manda aux évêques de sortir de sa présence, et déclara qu'il
ne souffrirait jamais qu'Etienne Langton mît le pied dans
la Grande-Bretagne. Le cardinal avait un frère, Simon
Langton, qui, parles remontrances peu mesurées qu'il vint
adresser à Jean-sans-Terre, acheva de porter lu colère de ce
prince au plus haut degré de violence.
Les trois évêques, après de longs délais et d'inutiles ten-
tatives de conciliation, publièrent enfin la sentence d'interdit,
et se hâtèrent de passer le détroit. Henri de Knigton écrit
que l'interdit général commença le dimanche de la Passion,
Ue evenb'bus i*'^ avril i2o8, et dura six ans et un mois; qu'à l'exception
Angiiœ.i.ii.coi. jj^ baptême des enfants, toutes les cérémonies cessèrent dans
3430' ' '^* églises, qu'on n'enterrait plus les morts dans les cime-
tières. Plus s'aggravaient ces rigueurs, plus le roi étendait
ses vengeances. Il confisqua les biens de tous les clercs qui
obéissaient à l'interdit, et ordonna aux shérifs de les expulser
du territoire anglais. (]et ordre ne s'exécuta qu'avec quelque
ménagement; mais ceux qui avaient embrassé trop arrlem-
ment le parti du pape s'exilèrent d'eux-mêmes; et ceux qui
ne sortirent pas du royaume n'y vécurent qu'exposés à de
fréquentes et dures vexations. Innocent III, voyant que les
mesures qu'il avait prises ne produisaient pas les effets
qu'il en attendait, finit par prononcer en 1^09 l'excom,
ujunication nominative du roi Jean, et chargea les trois
mêmes évêques d'Ely, de Worcester et de Londres, de pu-
blier cette sentence. Une telle publication n'était pas facile
à exécuter, et devait souffrir de longs délais. Mais la nouvellç
de l'anathème se répandait dans toutes les provinces, et
affaiblissait de plus en plus la puissance du moniwque.
L'archidiacre de Norwich quitta son emploi de directeur de
l'échiquier, disant que sa conscience ne lui permettait pas
CARDINAL. 55
XIÎI SiÈCLÈf.
de servir urt prince excommunié: on le jfta dans un cachot •
où il mourut de faim, emboîté, dit-on , dans une chappe de
plomb. Hugues, élu évéque de Lincoln , obtint la perinissiorr
d'uller se taire sacrer par l'archevêque de Rouen, et prit,tiu
Heu du chemin de la Normandie, celui de Rome, où Etientïe
Ijangfon le sacra : le roi ne put J»e venger de cet évèque qu'e><
saisissant ses revenus. Tous les sujets de Jean étaient déliés
par le pape de leurs serments de fidélité, el le roi de France,
Philippe Auguste, invité à Je traiter en ennemi déclaré de
la sainte Eglise.
Les six années que ces troubles durèrent, Etienne Lang-
ton les passa en très-grande partie en France, surtout dans Manriq., An.
le monastère de Pontigny , où de prenx exercices el des «al. cisterc. ann.
travaux littéraires occupaient ses loisirs. Ce long séjour à |^°7' <=•■"• "•
Pontigny a autorisé les CisterciMis à l'inscrire au nombre des
religieux de leur ordre, auquel il ne paraît pa» avoir autre-
ment appartenu. De Visch, dans sa Bibliothèque cistercienne, P. 3oa, 3o3,
lui refuse cette qualité, fiae lui donnent HenriqueZ et Jon- ^°i;
I- IV- I • .. •^. i ' I i' J Pnœnix revi-
geun. J\ous croyons que ceux qui lui ont attribue la tonda- vit, ». i, p ni
tion du collège des Bernardins à Paris l'ont confondu avec aSapr.Menolog.
Etienne de Lexinston, véritable cistercien, qui fut abbé de "^■' '* "^i"-
C • j rVi ■ / ^ ' . • Purpura D.Ber-
aavignyei» 1229, de Clairvaux en 1242, et ne mourut qu a- nanti, pag. 26
près i25y. 106.
Cepwndamt le roi de la Granïle-Bretarffne revenait à rési- „.^- ï^"*»""'ay.
• ■ xiist un IV p3i"i*î
pisicence; il y était rainenié par rinifluence,alorssi formidable, t. m, p^ ,3^'
des foudres poQtiticales, et par les^craintes que lui inspiraient *"». ^97, 336.
les entreprises et les projets de Philippe. Dès taii, denx ^';;='"*'"> "'»< Je
» 41 -1 iTi lUniv. ,I,4qo.
nonces, envoyés en Ar)gleterre, avaient obtenu de Jean plu- caii chr
il. chr. no-
sieurs concessioMâ; il s'étaiit montré même assez disposé à -*a,xi, 548,1V,
permettre l'installation du. cardinal Laneton sur le siège de ^«^f '«"•"y.Hisi.
Ca^ntorbery; mais les nonee.s. exigeaient davantage, et sur le n. 67.
refus qu'il fit d'accéder à toutes leurs propositions, il* par- Maiih. Paris,
tirent après avoir solennellement publié la sentence d'excom- ^^/^ ^^\' '^^'
'._.,. 1 ■ ' I . . 100, 173.
munication. Les Anglais se crurent dégages plus que jamais Maiib. Wesi-
d« leurs obligations envers un roi fra-ppédetantd'anathèmes, monasi. Fior»
et les barons ourdirent des complots qui temiaient à le dé- *"*""" •'•"6''^-.
trôner. Innocentse fit adresser par Langton et par le8auti*es nai. Wavéri., p.
pmUits exilés une humble supplique où il était prié de '7»- '79- Ry-
remédier efficacement aux maux qui alQigeaient l'Église """ ' Vs'h'
d'Angleterre. Le collège des cardinaux assemblé pour enten- me,'ai!n. iaia*
dre la lecture de cette requête,, et consulté sur le parti qu'il >*'3. Fieury,
fallait prendre, déclara que Jean, convaincu de révolte contre "'*'" ^'^'='** > '•
~ ' ' ' i.xxYii , n. 16.
XIII SIECLE.
56 ETIENNE LANGTON,
le saint-siége, devait être déposé et remplacé par un roi que
choisirait le souverain pontife. Cet avis amena une bulle de
déposition qu'on chargea Philippe-Auguste d'exécuter,en lui
promettant pour récompense la rémission de ses péchés et
la couronne de la Grande-Bretagne. Tous les princes chré-
tiens étaient invités à seconder l'entreprise, et l'on assurait
à toutes les personiîes qui voudraient y prendre part les
mêmes indulgences qu'à ceux qui visitaient le saint Sépulcre;
c'était pres(jue une nouvelle croisade. Philippe ne perdit
point de temps: ses rapides et vastes préparatifs effrayèrent
le prince anglais, qui avait bien encore des moyens de dé-
fense, mais qui ne pouvait plus compter sur l'affection et
la fidélité de son armée. Au moment de ses plus vives alar-
mes, il fut visité à Douvres par l'un des deux nonces avec
lesquels il avait eu des conférences quelques mois aupa-
ravant. Cet envoyé, nommé Pandolphe, qui, maintenant
revêtu du titre de légat, venait de traverser Ja France et
d'applaudir au zèle de Philippe, invita Jean à considérer le
péril de sa position, et à le détourner par une plus sage po-
litique. Il l'instiuisit non seulement de l'activité, des forces
et du formidable armement du roi de France, mais aussi de
l'assistance promise à ce prince ennemi par les principaux
seigneurs anglais. Il en concluait qu'il ne restait plus à Jean
d'autre ressource, que de se placer sous la protection du
souverain pontife, miséricordieux et tendre père, qui dai-
gnait encore lui tendre les bras. Il ne s'agi.ssait, pour mériter
une aussi haute faveur, que de redeveinr un fils obéissant,
que de s'engager à exécuter tous les ordres, qui lui seraient
donnés par le chef de l'Eglise. Après quelque hésitation, le
monarque anglais jura qu'il restituerait les biens ecclésias-
tiques, qu'il réparerait tous les dommages causés par sa dés-
obéissance; qu'il paierait à compte 8,000 livres sterling; qu'il
livrerait les otages qui lui seraient demandés par le pape ou
par le légat ; qu'il enverrait des lettres de sûreté au cardmal
Langton et aux autres proscrits, afin qu'ils pussent rentrer
en Angleterre, et se rétablir dans leurs tbnctions; qu'il ne
poursuivrait personne pour des actes relatifs à ces démêlés.
Ce pacte est du i3 mai 121 3. Jean y reconnaît que, s il vient
jamais à le violer, il perdra ses droits sur les bénéfices va-
cants, et que les prélats et barons seront autorisés à défendre
contre lui la cause de l'Eglise. Le légat exigeait de plus la
promesse absolue d'obéir à toute volonté du pape : Jean
xin srÈCLE.
CARDINAL. Ô7
demanda l'explication d'un engagement si vague : Pandolphe
ne lui dissimula plus que tant de crimes, commis depuis
laof), ne pourraient être expiés que par la résignation de sa
couronne entre les mains du saint père. Cette proposition
l'indigna ; mais la cour de Rome avait prévu qu'il serait aussi
pusillanime qu'il s'était montré violent; car ces deux excès
sont toujours le symptôme et la mesure l'un de l'autre. Le
i4 mai, Jean se rendit à l'église de Douvres, avec le légat,
les seigneurs et les officiers de l'armée; là, en présence du
peuple, il déposa sa couronne aux pieds de Pandolphe, et
signa une charte où il déclarait que volontairement, sans
crainte ni contrainte, il résignait, de l'aveu des barons, le
royaume d'Angleterre et la seigneurie d'Irlande à l'Église
romaine. Il se reconnaissait le vassal du saint-siége, auquel
il s'obligeait à payer une redevance de mille marcs d'argent.
Le légat garda pendant 5 jours la couronne et le sceptre,
les rendit ensuite au prince qu'il avait achevé de déshonorer;
et, sans lever encore l'interdit général, sans prononcer l'ab-
solution de Jean , il repassa en France où il défendit à
Philippe-Auguste de poursuivre l'expédition projetée contre
la Grande-Bretagne. Nous avons exposé ailleurs les suites
de cette défense. _ xyT.' "'aSci^
Etienne Langton , après 738 ans d'exil, rentra en Angle^ de Phn.-Aug. et
terre avec les autres prélats bannis. Ils .se présentèrent tous de Louis viii.
à Winchester devant le roi, qui, se prosternant à leurs pieds» *"<:' *"»'
implora leur pitie pour iui-meme et pour son royaume. Le iH'i, 187, 189,
cardinal le releva, le conduisit à l'église, et lui fit prêter «90. «9*. '9^.
publiquement le serment de protéger leclereé, de rétablir ô^'' '^. '/^^
Il 1 • J' 1 ■ .. ' I' 1 • I "y™er, t. l,p.
les bonnes lois, d aummistrer régulièrement la justice, de 184,196,197,
rendre aux communautés et aux personnes leurs libertés et 200,201,103,
leurs privilèges. Aces conditions, Langton prononça l'abso- ^°J'*** ' '° '
lution de Jean-sans-Terre, qui, pour se montrer exempt de
tout reste d'inimitié, admit le cardinal à sa table. Il ne pa-
raît pas que les ressentiments de Langton fussent aussi
[)leinement éteints; car il est l'homme qui depuis a suscité
e plus de nouveaux embarras au monarque. Les barons
ayant refusé les services militaires qui leur étaient com-
mandés , Jean prenait les armes pour les contraindre à
l'obéissance: l'archevêque de Cantorbéry alla le voir à Nor-
thampton , et l'avertit que ce serait violer .ses serments que
de faire la guerre à des seigneurs qui n'étaient pas juridi-
quement condamnés. Jean ne tint aucun compte de cet avis, il
Tome XVIII. H
58 ETIENNE LANGTON,
XIII SIECU,.
marcha vers Nottingham : le prélat le suivit , et se déclara
résolu à excommunier tous ceux qui oseraient s'armer avant
la levée de l'interdit général. Cette menace eut un plein effet,
l'entreprise fut abandonnée. Peu de jours après, il se tint à
Londres une as.semblée de seigneurs ecclésiastiques et sécu-
liers : Langton s'y plaignit amèrement du roi, qui, loin de
rétablir, comme il l'avait juré, les privilèges des clercs, des
nobles et du peuple, avait pris les armes contre des barons
non jugés. Mais quel moyen emploierait -on pour obtenir
l'accomplissement des promesses royales.^ Le cardinal avait
retrouvé dans un monastère une copie, peut-être unique,
de la charte émanée de Henri i", en l'année iico; il en
donna Itnture: on vit qu'elle renouvelait les privilèges dont
les Anglais avaient joui sous les rois saxons, et abolissait
les dispositions contraires introduites par Guillaume- le-
Conquétantet par Guillaume-le-Roux. Cet acte servit de base
aux résolutions des seigneurs confédérés à la fin de 12 13,
pour le soutien des intérêts nationaux contre la cour.
En 121 4, arrive le légat Nicolas, cardinal-évêque de Tuscu-
lum : il met pour condition à la levée de l'interdit une seconde
résignation du royaume, à laquelle Jean consent encore, et
une nouvelle charte, contre laquelle Langton proteste, parce
qu'elle modifie celle de 121 3 en ce qui concerne les libtrtés
publiques. Innocent III, quoique très-offensé de cette oppo-
sition d'un membre du sacré collège aux résolutions de
l'Eglise romaine, ne laissa point d'abord éclater le courroux
qu'il en ressentait : il lui suffit de mortifier Langton, en
donnant à Nicolas le pouvoir de disposer de tous les béné-
fices vacants dans les îles britanniques. Nicolas en conféra
un grand nombre à des Italiens, à ses amis, à ses parents :
Fieurj, nist. l'archevêque de Cantorbéry dénonça cet abus au pape, et
i'ccies.,i.Lxxvii, envoya son frère Simon à Rome, afin de poursuivre l'appel.
11. 3o,n. 38. m • * I ^ 1 • • 1- ' T . I
31ais Innocent, deja indispose contre Langton par les rap-
ports de Pandolphe, approuva les mouvements du légat, rédui-
Annai. Wa- sit à 4oi00o marcs les sommes à payer par le roi pour toute
Ma'ih West'mô- réparation de dommages, et ordonna de leverenfin l'interdit.
nast., p. 274, Le cardinal Langton prit part à tous les actes des sei-
375,277. Hume, gneurs anglais, et put être considéré comme leur chef,
an."ilfi ',2^5' quoiqu'il affectât quelquefois de remplir la fonction de
Gervasii ' Epist. médiateur entre eux et le roi. Il est, en sa qualitéde primat
apuii Hus. nin- d'Anglelcrrc , nommé daus le préambule de la grande charte,
I "p. 1819."' ' '' <^o™™^ '^ premier de ceux en présence desquels Jean signa cet
xni SIÈCLE.
CARDINAL. 5g
acte mémorable en iai5. Nul n'avait plus que Langton con-
tribué à l'obtenir. Le pape, à la prière du faible et infidèle
monarque, condamna, cassa la grande charte et la charte
des forêts, excommunia les barons, et fit ordonner au primat
de fulminer ces anathèraes. Sur son refus d'obéir, les com-
missaires du pape publièrent les bulles, suspendirent le prélat ^!<'"7' "'"'
, „ .rli.... ,' j'T» eccles.,1. Lnvii,
de ses fonctions, et lui enjoignirent de se rendre a nome. ^ ^3
11 s'y présenta, et faillit être déposé: Innocent se contenta de
confirmer sa suspension, et d'annuler l'élection de son frère
Simon à l'archevêché d'York. Etienne n'obtint son propre
rétablissement qu'à la condition de ne retourner en Angle-
terre qu'après la fin des troubles. Il n'y était pas rentré, en
1216, quand Louis, fils de Philippe-Auguste, recevait à Lon-
dres les serments des barons et des bourgeois. Mais, au mépris
des ordres, des menaces, des anathèmes de la cour de Rome,
Simon Langton, frère du primat, se déclara en faveur du
prince français , qui lui conféra la charge de grand-chancelier.
Etienne revint sous le règne de Henri III. Il fit, en 1219, la
translation du corps de Thomas Bekket , et n'épargna
rien pour donner ne l'éclat à cette solennité, qui attira de
Londres à Cantorbéry une foule de spectateurs. Des vivres
furent fournis, dans ce trajet, à tous ceux qui en demandè-
rent; le vin, pendant tout le jour de la cérémonie, coula
dans des canaux qui le distribuaient aux différents quartiers
de la ville. La dépense^ s'éleva si haat, que Boniface, qua-
trième successeur d'Etienne , put à peine achever de la
payer. C'est de Henri KnigthonqUe nous tenons ces détails: DeEventibAn-
Facta est translatio beati Thomœ martyris per Stephanum 6'3f.<^o-^4 o.
archiepiscopum , qui durante solemnitate exhibuit cuiqûe
petenti J'œnum et prœbendam à Londonid usque ad Can~
tunriam itineranti. Fecit etiam, per totum diem translationis,
vinum jugiter in canalibus per varia urbis loca distillare ;
undè et expensas quas Stephanus in hdc solemnitate exhi-
buit, quartus ejus successor Bonifaciu4 vix exsolvit.
Le premier couronnement du jeune Henri III avait été
trop peu solennel, un petit nombre de grands du royaume
y avait assisté: on jugea convenable de le renouveler, et ce Maiih. Paiis,
fut Etienne langton qui fit cette cérémonie en 1220. Ce Pfs ''^ J'^'''
., . " ^ • 1 . 1 • ' • I 'I" leans , nevolul.
prélat avait restaure son palais archiépiscopal et son eguse d'Angiet., i.i.p.
métropolitaine; il avait remeublé et enrichi l'un et l'autre 459-463.
édifice; on parle surtout de l'horloge, qui lui coula une '"*',''' 7,™'
1. ' • 1 - 1 1 i»j • • • I 1 •» «nonast. «d ann.
somme d argent considérable. Mais son principal soin devait ,,j,,n. i«.
H 2
6o ETIENNE LANGTON,
'- 1 être de rétablir la discipline ecclésiastique, fort affaiblie ou
1222,11.19,20. plutôt même abolie depuis 1207. Il tint en J2'.22, à Oxford,
?222'"n'Aitî"h' "" concile provincial dont les statuts peuvent être regardés
Fiorc5Hisi.cai<f. commc SOU ouvragc. Cette assemblée condamna pour crime
II, p. 255. Ou- d'hérésie un imposteur qui séduisait les peuples en mon-
dé" ScJTe'ccT trant sur ses pieds, sur ses mains, sur son côté des stigmates
t. II, p. 1698.' pareils aux plaies de Jésus-Christ. Oo lui fit subir, pour
SjKiinaii,Con- p|i,s Je ressemblaiicc, le supplice de la croix; et l'on brûla
1V5 "fs'i'' wii- "" diacre , anathématisé par le même synode : tant on était
kiDs,'concii.Bii. loin de sortir encore de l'âge des superstitions et de la bar-
UiiD., t. II, ann. I^gi^Jg {
Maith West- Langton reparaît en 1228 , à la tête des grands du royaume,
mon.Fioiii.Eccl. qui réclamaient la confirmation et l'exécution de la grande
*°6' charte. Un conseiller d'état, que Matthieu Paris nomme Guil-
21*0 ^"*' laume Briwez, leur répondit qu'il était déraisonnable de
solliciter l'accomplissement d'une charte extorquée par la
violence. Indigné de ce propos, l'archevêque répliqua qu'un
conseiller qui aimerait véritablement le roi ne chercherait
point à le rendre infidèle et à replonger le royaume dans des
troubles à peine apaisés. Henri III, qui n'avait alors que 16
ans, s'empressa d'adopter l'avis du prélat, et déclara aux
députés que son intention était d'observer les deux chartes
de son père avec la plus scrupuleuse exactitude. Mais il avait
déjà mal tenu cette promesse, lorsque Etienne Langton
Maiih.Weît., mourut le 9 juillet 1228, à Slindon, dans la province de Sus-
Bzovius, dAiti- g^^ Le corps du primat fut rapporté à Cantorbéry, et inhumé
dans la chapelle de saint'Michel, où son tombeau se voit
Bzov.,adanii. ejjcoic. En 12^1 , Henri Stanford, évêque de Rochester, et
un prêtre qui avait été aumônier ou sacristain d'Etienne,
assurèrent publiquement qu'après l'entière expiation de ses
fautes, il venait d'entrer en paradis avec le roi Richard. Les
faits dont sa vie se compose tiennent si étroitement aux
annales de l'Anerleterre et à celles de l'Eglise, que la plupart
R.ioldeDicelo, , , ^ • . , ■ - \ ■
clnoii., ad ann. "cs clirouiqueurs occiûcntaux du moyen âge ont eu occasion
1207. -Bibiioi. de parier de lui. Nous nommerons seulement, au xiii'" siècle,
pp. Cisitri, II, j^aoul de Diceto qui lui a dédié l'histoire des archevêques
His".*' ma^'', ^ tie Cantorbéry, Robert Abolant,Césaire d'Heisterbach, Mat-
i55-2i3.— Fio- thieu Paris, Matthieu de Westminster, Henri de Gand ; au
— i/'rlnd""''e '"^'"^ Higden, Henri de Knigthon ; au xv% Thomas Netter
.Scripi écdts.,c^ "U V\ aldensis, Thomas de Walsingham , J;ic(jues de Bergame.
27 — Poivihro- Les hi.storiens modernes, ou postérieurs à la n i5oo, seraient
iii.on, I vu.— jçj IjJ^.jj |yg nombreux : on peut citer comme les plus in-
Vuclnnakaoliq.. ' * *
CARDINAL. 6i
.„ „ , , ^r- M ., , r^- ■ XIII SIÈCLE.
structus Polydore \ irgile et Alphonse Liaconius, au xvi^
siècle; Oldoini, François Godvvin, Bzovius, Spondaniis, Us- fiJ— Hypodig-
serius,d'Attichy,Ughelli, Rinaldi , duBoulay, VVharton et AlfamimPor
Aubéry,au xvii*^; et depuis i7oo,Fleury, Rapin Tlioyras , chionici— sup-
Mosheim , D'Orlëans, David Hume, M. Lingard. . . .; outre pi tiiionic.ann.
les biblioL^raphes que nous indiquerons à la fin de cet article. "■'^,„ „.
„ . " r; . T , 1 ^ 1. . Pol-V, Hisior.
Quoique htienne Langton appartienne en propre a 1 An- Angiiœ,!. xv et
gleterre,et qu'il soit, à beaucoup d'égards, étranger à la "m — DePiœsu-
France, nous donnerions quelque étendue à la notice de ses ■''' ^ngi.— Oac.
écrits s lis avaient conserve assez d intérêt ou a utilité pour caidin., ii, 3i,
être encore dignes d'une longue attention. Mais il s'en faut Sa, 33 — oïd.
qu'ils aient l'éclat de ses actions et de ses dignités; et nous f''''"n~^rf^'^"
devons avouer que, depuis deux siècles, ils ne sont a peu Angiia- commen-
près d'aucun usage en littérature sacrée ou profane. La plu- ««''"s. — Bz.
part consistent en commentaires de la Bible: il a expliqué "'"' ^'='='^^»»^
tous les livres de 1 Ancien-lestament , a 1 exception de celui tiC — Sp. An-
qui est intitulé la Sagesse, sur lequel aucun écrit de sa com- ""' > 1207, n. 4;
position n'est indiqué nulle part. Les gloses qu'il a jointes à '^", '.^' Tu^"
I '. ' . y 1 1 •! I- 1 sei .Aiitiquil. bri-
tous les autres subsistent manuscrites dans les bibliothèques laim., p. 154.—
d'Angleterre, dans les débris de quelques bibliothèques u'Aniciiy , fio-
cisterciennes de France, et dans la Bibliothèque royale de T 'Jw-îSe'''
Paris, .\ucune partie de ce volumineux commentaire n'a été lyi. iiai. sacia.
imprimée; du moins nous n'en voyons pas une seule édition '';'>" Annal., t.
citée par les bibliographes : seulement Etienne Langton est uû'! Pan"s' "l'n
un des 3o auteurs qu'Othoman Luscinius, de Strasbourg, 710,711.— '^vh!
bénédictin du xvi^ siècle, a mis à contribution, pour com- ^'igiia sacra, i,
poser un volu.me in-8', imprimé deux fois à Paris, en i5'Jo 1'?' W'"*^!"
r 1 • I yï7 ■ -1 , . Aul). liisl. des
et en \0']q^ sous le titre de AUegonœ nniui et tropologuv cardinaux.— fi.
in locos utriusque lestamenti selectlores , deproinptœ et in or- "'^'- l'cit^»., 1
dinem disestœ è monumentis tripinta auctorum. '"'^V';";?^"^^
II est a propos d observer que le trere du prélat de <Us, §. xm, t.
Cantorbéry, ce Simon Langton dont nous avons déjà parlé, n. c. 2,11. 8,—
vécut jusqu'en 19.48 , devint archevêque d'York , et laissa un ?r?'' ^' Ji^s-
•> ^. , , , . j /" • 1 ■ ^ '^- — Hum.
commentaire du Cantique des Cantiques , dont une copie Piimtag. , c. xi
manuscrite s'est conservée dans la Bibliothèque Bodléienne. — i i"oai*i.iii;iH
Il se pourrait que ce commentaire fût le môme que celui ''"^^ ,','"' .^ !'
quLtienne Langton a passe pour avoir tait sur le même tai ,p. i,n /o...,,
livre sacré; c'est un point qui ne pourrait être éclairci qu'en ^"'»T' '^"t^; P-
Angleterre, par la comparaison des manuscrits. On a lieu de i'^ " ^io, 838,
croire qu'Etienne n'a commenté, de tout le Nouveau-Testa- i,/-i, i.,7j; p!
ment , que les épîtres de saint Paul , et quelques autres, appe- i"- " ■"^. ^ ^''.
lées canoniques : il n'est dit , dans aucune des relations ou '' ':)• 't:"'^'iJ.
T lay» , 1422 ,
Gu ETIENNE LAxNGTON,
• nu SIECLE. . , ,.,..,. ,
. notices qui le concernent, quil ait rien écrit sur les quatre
1427 , 1428 , Evangiles, ni sur les Actes des apôtres, ni sur l'Apocalynse.
.\^'''*'<:é^°^c a' Pour apprécier son travail sur les autres livres de la Bible,
IV,n. 560,1578, ., c ^ '^^ r U ^ '1 1 1 1
7107 , 7109 , il raut remarquer u abord qu il le commença en remplissant
7169,8057.— la fonction de professeur de théoloeie. Ce fut lui, à ce
820— Ges- qu'assure Tritheme, qui introduisit l'usage d'expliquer l'E-
Der,Bibiioth.,i). criture sainte dans les cours publics, et d'y puiser la matière
764, col. 2.— d'mi enseignement moral et moelleux : Primas Scripturam.
th'eol" i'n°V ^<^^^^^^ meduUitùs et moraliter exponere cœpit , et hinc mos
647. inolevit ut magistri theologiœ divinos lihros suis lecturis in
Tiiih.DeScrip. ^choUs discipuUs lucidUis aperirent. Des leçons de ce genre
ec:es.,n. 422. J^y^y.^\^y^^ ^{^^ gjips contredit, fort profitables, si, après une
explication littérale et positive des textes sacrés, les profes-
seurs s'étaient appliqués à en déduire les conséquences mo-
rales les plus directe.s et les plus pratiques. Mais telle n'a
été la méthode ni d'Etienne Langton, ni de ses contempo-
rains, ni de ses successeurs. C'était à de mystiques allégories,
à des tropologies imaginaires, qu'ils donnaient le nom de
commentaires moraux. Dédaignant surtout le sens immédiat,
comme trop matériel, ils s'étudiaient à découvrir sous les
mots, sous les syllabes, sous chaque détail grammatical ou
numérique, sous les moindres particularités, des intentions
mystérieuses que personne avant eux n'avait aperçues ni
soupçonnées. Voilà ce qu'ils appelaient la moralisation de la
Bible : il s'agissait non de recueillir l'instruction que les
livres saints présentent, mais de deviner celle qu'ils devaient,
disait-on, receler. Etienne Langton excellait dans cet art; il
passait pour ne le céder à personne en philosophie aristo-
Script.iU. mjj, télicienne, c'est-à-dire en subtilités scholastiques. Jean Baie
lui reproche d'avoir répandu le goût des interprétations
arbitraires et superstitieuses. C'est, ajoute-t-il, un usage
diabolique, qui a fait trop de progrès, au préjudice de la
vraie doctrine chrétienne. Stephanus Langton in philo-
sophid aristotelicd nulli habebatur secundus. Utramque theo-
logiam, et scholasticam, et interpretativam, ingenio callidus,
novo prœlegeiidi génère , per subtilitates docuit; scripturasque
sacras niultis annis quàm superstitiosè per allegorisationes
et moralisationes exposuit , qui mos diabolicus, unoquoque
ferè pro suo ipsius interprétante commodo , in maximum rei
christianœ nocumentum , ad hanc nostram œtatem semper
in deterius accrerit.
On a long-temps attribué au cardinal Langton une concor-
BriiaDQ
XIII SIECLE.
CARDINAL. 63
dance de la Bible, Concordia utriusque Testamend , ou du
moins la division des livres saints en chapitres, sinon encore
en versets. Ce serait là le plus recommandable de ses tra-
vaux; mais l'opinion la mieux établie est que ces moyens de Quenstedi,Aii-
trouveret de rapprocher des textes semblables ou parallèles, "q '"'>''i* «-i ec-
.1 « fj j o - •. /^L • • 1' des., p. 02. Le
sontdusa Hugues de aamt-Cher, ainsi que nous 1 exposerons BeuLDissert.sm
dans l'article concernant ce dominicain, qui a été aussi car- l'Hist. de Paris,
dinal. Il est peu -croyable qu'Etienne Laneton se soit livré à ' ''- P- '''^'
di 1 -11- . • ' • ■> . 1' i'i4-— Le.Lonjr,
es recherches si laborieuses et si précises: ses goûts len- Bibiiot.,s.n./,57.
traînaient à de tout autres genres d'études. Peut-être l'aura- Fabiic. , Bi-
t-on confondu encore avec un Clément Langton, chanoine ^''"î''- ""''' ""^
... J j inf. laliDil.,l.lV,
anglais qui, vers 1170, composa une concorde des quatre p. 242^
Evangiles. L'archevêque de Canlorbéry étant resté le plus
célèbre de tous ceux qui ont porté le nom de Langton , les
bibliographes ont été facilement induits à lui attribuer les
Productions de ses homonymes. Les siennes étaient déjà nom-
reuses; mais, comme nous l'avons dit, peu importantes.
On a conservé manuscrits ses sermons de Tempore et de
Sanctis , c'est-à-dire sur le cours de l'année ecclésiastique et
sur les fêtes de saints; d'autres instructions adressées aux oudin , d«
prêtres, et contenant une explication mystique des dix plaies ii"^!^^! '^"o'^' '
d'Egypte, ad sacerdotes de dccem plagis ; un discours sur
l'assomption de la Vierge Marie, et quelques autres haran-
gues ou homélies. Nous ignorons si deux écrits, dont on le
dit l'auteur, et qui sont intitulés l'un , de Benedictionibus in
morte Ebal, l'autre de Maledictionihus , ont la forme de
prédications. Baie ne leur donne que le nom de livres, et ne Srripi.iii.maj.
dit point en quels dépôts ils se peuvent retrouver. II cite Bmann.
aussi, et comme l'ayant vu, l'Hexémeron, poème en vers
hexamètres sur l'ouvraee des six jours, dont Leyser a depuis *?"'■ . P,°*°'
J , , ." J ' J V med. aevi ,1.1,
donne quelques extraits. p. gg^^ g^j
Des vers français intercalés dans des sermons manuscrits
qui portent, dit-on, le nom d'Etienne Langton, l'ont fait
compter au nombre des poètes anglo -normands du xui*
siècle. Par exemple, on lui attribue cette stance : m. Deuiiui,
Arcl.aoloBia, l.
Bêle Aliz matin leva, XUI,p. iji
Sun cors vesti et para , M.Ro{|uefort,D<-
Enz un vergier s'en entra , la poésie franc. ,
Cink flurettes y'truva : P- ^45, 24/1,
Un chapelet fet en a ^^7 . *68.
De bel rose flurie.
Pur Deu trahez vus en là
Vus ki ne amez mie.
64 ETIENNE LANGTON,
XIII SIÈCLE j^g sermon applique chacun de ces vers à la Sainte Vierge:
Geste est la hele Aliz.
Geste est la flur, ceste est le liz.
Le cardinal était doue d'une imagination assez vive et de
talents assez variés pour qu'il ait pu composer de pareils
vers. Mais aucun de ses contemporains, aucun bibliographe
avant l'an i 800 , ne l'avait soupçonné d'avoir parsemé ses
sermons de poésies en langue vulgaire. Peut-être aurait-on
besoin de renseignements plus précis et plus détaillés, pour
s'assurer de l'authenticité cie celles dont il a été depuis si peu
de temps déclaré l'auteur.
Oudin a le premier indiqué le manuscrit d'une somme
théologique compilée par Etienne Langton ; et Mansi y
ajoute, dans l'édition in-4° de la Bihliotheca niediœ latini-
T.iv.p. 2',2, tatis \\q Fabricius, une somme de Diversis ; mais, de toutes
*4^* les sommes rédigées au xiii^ siècle, celle de saint Thomas
est la seule qui ait conservé du renom et de l'importance.
Plusieurs autres livres ou traités théologiques du cardinal
archevêque de Cantorbéry ont été cités sous les titres sui-
Baie, deVisch, vauts ". Repettùones îectionum ; Documenta clericorum; de
Ouiiin, Fabnc, ^acerdotihiis Deum nescientibus ; de verd Pœnitentid ; de
Mansi.ubi supra. .,.,.., , , ; • t ri ' • i>
Mss. Boid (a- Siinuitudinibus ; Adam, ubi esP H se peut que ces ecrits-la,
tai Mss. anj;! , qu du moins quclqucs-uns , ne soient que, des extraits du
pirt. I, n 200,. commentaire sur la Bible ou des sermons d'Etienne. On con-
naît mieux ses 4^ constitutions ecclésiastiques; elles font
partie des actes du synode d'Oxford , de 1 222 , dans la collec-
tion des conciles d'Angleterre de Wilkins, et elles avaient
T. I, ann. gté im|)rimées, dès i55(), à Londres, in-8° : rien n'y est fort
'tr^ ~~oo^T'' remarquable. Elles tendent au rétablissement de la discipline
i5i9,in o",Oio- T I ' 1 • ' 1 ' • I 1 •
nii 1603,10-8°. canonique, recommandent la régulante, la résidence, le cé-
libat, et règlent divers détails du régime des églises. Jean
Annotât. in ,^. \ o . D ^ D
Anseimi epist. Picurd a recueilli plusicurs dccrets du même prélat ; VV harton
6j,p.572,coi.i. rapporte celui qui concerne les immunités de Westminster.
Ansi.sacia,p. j^j^eppe ^ laissc dc lilus dcs statuts relatifs au droit de patro-
147-n,. » •■ 1
Bii>l. m.ii. et nage et aux causes matrimoniales.
inf. iat.,t. iv,p. Sa lettre au roi Jean, et la réponse de ce prince sur les
**^' démêlés dont nous avons parlé, se lisent dans le Spicilége
T.ui,p.i7o. de Dachery. Toutes deux sont fort courtes : le cardinal se
dit promu à la chaire de Cantorbéry par une élection géné-
rale : Personam nostram fratrum electio generalis cantua-
CARDINAL. 65
, , 7 • -, I • 1 1 , ^I" SIKCLF.
nensi cathedrœ suhrogavit ; et il se plaint des obstacles ap
portes à son installation. 11 avertit le roi des périls auxquels
il s'expose, en demeurant sous l'interdit, et de la ruine
prochaine de tout royaume que la clémence du prince n'af-
fermit pas : Regnum diii stare non poterit , cujus statuni
vera régis clenientia non cornniunit. Jean répond qu'une
élection est nulle quand elle n'est pas l'ouvrage de la plus
grande et de la plus saine partie des électeurs : Re\>ocan
débet in irrituni oninis electio quani pars major et sanior
consensus siii non rohoratfulcitnento. En conséquence, il ne
saurait tenir compte des anathèmes d'un liomme qui n'est
légalement revêtu d'aucun pouvoir en Angleterre. D'autres
épîtres du prélat sur le même sujet ont été annexées par
Wilkins aux actes du concile d'Oxford, et n'ajoutent rien à
ce que nous avons dit de ces démêlés. Mais il nous reste à
parler de certains écrits d'Etienne Langton qui appartien-
draient en effet au genre historique , si leur authenticité était
bien constante. ^ „ ,
Vossius , sans citer aucun manuscrit m aucun témoignage, ^ \\ ^ f,(j
le déclare auteur d'un livre de Factis Mahumedis. Ce serait
apparemment une sorte d'histoire de Mahomet. Nous avons
un peu plus de renseignements sur une vie du roi d'Angle-
terre, Richard, que Langton paraît avoir réellement écrite;
car Higden en fait une mention expresse dans son Poly-
chronicon; et Henri de Knigthon en a inséré un abrégé dans Poivdnon.
son ouvrage de Eventibus Angliœ, ainsi qu'il le déclare en lyLii.c.'^,
termes formels : Mortuo rege Henrico... successif Jilius suus
Richardus per deceni annos regnaturus , cujus mores et actus
Stepkanus cantuariensis luculenter descripsit : et ne prœsens
historia careat insigniis tanti ducis , libruin illum Stepliani
curàni studui declarare. Une copie manuscrite du livre
d'Etienne ( si ce n'est pas de l'abrégé de Knigthon ) existe à ^^^^^ '"'hiIT
la Bibliothèque du Vatican. i,i., ùi, <• 56.
D'Attichy raconte, d'après Hugues Ménard, que le car- Mhks, Hi't
dinal Etienne composa une vie de saint Thomas de Cantor- ' l'r' ' ' '' "^
béry, et la nomma Quadrilogus , parce qu'il l'avait recueillie ohserx inMar-
des relations de quatre disciples du vénérable martyr, t\roi iimcd. , i
lesquels étaient Héribert de Boséham , depuis cardinal ; Jean "' ^'^ ^^ **^
de Salisbury; Guillaume Sléphanides, et Adam, abbé de
Tékelbury; mais il est certain que Ménard et d'Attichy se
sont trompés. En effet, le Quadrilogus est imprimé, et nous
y lisons qu'il a été rédigé, compilatus et compositus , sous le i^^o '
Tome XVllI. I
66 ETIENNE LANGTON, CARDINAL.
Xin SIECLE.
pontificat de Grégoire XI, vers iSji , plus de i43 ans après
la mort d'Etienne Langton. Ajoutons qu'il difïerc essentielle-
ment du manuscrit annoncé comme l'ouvrage de ce cardinal :
car on nous dit que ce manuscrit, qui se conserve à Cam-
bridi^e, traite en cinq livres de la vie, de la passion et de la
translation de Thomas Bekket, et que le premier livre com-
mence par ces mots : Prof essores artium seculi proprios. Or,
le Quadrilogus ne contient ni ces mots, ni rien de relatif à
la translation du cor[)s de Thomas. II faudrait, comme
Lbisuprà. l'observe Fabricius, avoir vu le manuscrit de Cambridge
pour se former une opinion sur sa matière, son orisjine et
son authenticité. iSiirn vitam et passionem hujus Thomœ
( Stephanus J scripserit, illi viderint qui codicem manuscrip-
tum yS in collegio sancti Denedicti cantahrigiensi inspexerint.
Le seul point assez bien établi est qu'Etienne a composé sur
p 885-qo5 '^ translation des restes de Bekket un sermon ou opuscule
De Episcopis qui remplit 20 pages, imprimées à la suite des épitres de ce
Londin.,etc., t. personnage.
H, p. 677-693. £„fi,i d'après un intitulé moderne et fautif d'un autre ma-
— Comment. "Je ^ I . \i •
.Script, hiiiann., uuscrlt de Cambridge, Pitz et Vossius avaient pris pour un
. 22Z,.— Script, ouvrage de Langton les annales des archevêques de Can-
'" '^^"J "^'''''"' torbérv, queWharton a revendiquées pour Raoul de Diceto,
iiiEE, ceiït.lV, p. J ^ \ iii>i-
2,5. — sixt. s. en les insérant dans \Anglia sacra.
I IV.— Voss.de Quoiqu'il y ait lieu d'écarter ainsi plusieurs articles des
56*'_Î!'De Aca- ''^tes qu'ou a données des écrits d'Etienne Langton, il
demiisetiiiusir. n'en consepve pas moins une place très-distinguée dans les
Angiiae Script., apuaies littéraires, ecclésiastiques et politiques, de son pays
— CeTs'^'ce^ebr ^^ ^^ ^^" sièclc. Nous avotis nommé les principaux histo-
auctor., p. 284. riens de sa vie publique: les bibliographes modernes qui
—Script, écoles, ont rédigé dcs notices, plus ou moins exactes, de ses ouvrages
"?!;. îî/.Ti^: sont Leland, Baie (ou Baleus), Sixte de Sienne, Vossius,
—Comment, de Pitz , Pope Blouut, Cave, Oudiu, Lelong, Tanner, Albert
Script. eccies.,t. pabricius et Mansi. Après avoir, dans sa jeunesse et durant
.-'.,!°' n M^^" sa retraite à Pontigny, cultivé plusieurs genres d'études sa-
1702.— Bilil.sa- , -1 "^ ! !• ■ j c
cra, p.820, 821. crées et protanes, il a, dans [exercice de ses fonctions pu-
— Bibiioth. bri- bliques, appliqué à des affaires d'une très-haute importance
'^"n'iT.Ù "^"^"j des talents distingués et une instruction fort étendue pour
et inf. lat., t IV, le tcmps OU il vivait.'Son influence pendant les vingt-huit
p 242, 245 premières années du treizième siècle est un fait qui tient à
l'histoire générale des lettres, presque autant qu'à celle des
troubles civils de l'Angleterre. D.
XIII SIÈCLE.
JEAN.
ABBÉ DE SAINT-VICTOR DE PARIS.
MOBT en 1229.
1 RENTE-SEPT sermons de Jean, abbé de Saint- Victor, à Paris,
conservés manuscrits dans la bibliothèque de cette abbaye,
nous donnent lieu de l'inscrire ici au nombre des auteurs
du treizième siècle. Neuf de ces discours avaient été pro-
noncés aux chapitres généraux des Victorins , et Jacques de
Vitry en préconise l'élégance et la suavité : Dn'inœ predica- ^ ^'*'' °'^'^"'- >
tionis epulas de/icatas et suni'es.Cesneufdiscourstnùiaieutdes
institutions de cet ordre religieux. I^es vingt-huit autres em-
brassaient les plus importants détails de la morale ascétique.
« Ils étoient , dit Malingre, remplis de diverses conceptions
« et moralités affectives, procédantes d'un esprit vrayement i, "'"!"""'*«
« éclaire de la lumière du ciel. » Aussi l abbe Lesaire d Heis- 453.
terbach parle -t -il de Jean comme d'un personnage d'une Hisior. me-
éminente piété; il le qualifie homme intérieur et spirituel. ^^°" ' • ''^■
Quelques-uns l'ont cru auteur d'un traité contre la pluralité
des bénéfices, plus ordinairement attribué à son contempo-
rain Jean de Tours, abbé de Sainte-Geneviève, auquel il ne
parait pas mieux appartenir.
L'abbé de Saint-Victor était né en Allemagne, dans le dio-
cèse de Trêves : de là vient qu'il a été surnommé quelquefois
le Teutonique ; mais ce surnom s'applique à d'autres person-
nages nommés Jean comme lui , et avec lesquels il ne faut
pas le confondre. On compte jusqu'à trois dominicains qui
sont appelés Jean le Teutonique. Lun mourut en 1262, après
avoir été général des frères prêcheurs, et quelque temps
évêque de Bosnie : Quétif ne lui attribue que des lettres en-
cycliques. Le second était de Fribourg; il a, vers i32o, rédigé Script. ord.
une chronique, une somme à l'usage des confesseurs, et P^dic., 1. 1, p.
d'autres écrits. Le troisième, connu sous le nom de Jean de "îtij'^
Tambaco, a professé à Prague : il achevait en i366 wnSpe- 523-526. '^
culurn, ouvrage mystique en i5 livres, qui a eu long-temps
de la célébrité. Plus ancien qu'eux, Jean de Saint-Victor n'a
jamais été dominicain. Sa mère s'appelait Helvigée : c'est ce 667-670. ' ''
aue nous apprend un ancien nécrologe de saint Guenauld
e Corbeil (26 juin). Il était fort jeune quand il vint de
Trêves étudier à Paris. H se fit chanoine régulier à Saint-
la
68 JEAN, ABBÉ DE SAINT-VICTOR DE PARIS.
Xlll SIÈCLE. 1. 1 1 . ^ • '1 o - 1. I 1 ' I
Victor, sous labne Guarin, et succéda en laoo a 1 anue Ab-
salou. Les papes Innocent III etHonoiiusFII lui adressèrent
lnnor.ni,cp dcs épîlies, et le chargèrent de auelques commissions. On
ifiS.Honoi. m, l'a choisi pour arbitre de plusieurs différends, soit entre des
'^"^'""^'^V communautés ecclésiastiques, soit entre des particuliers.
ie«.ciiptis. I-es detads de ces affaires seraient tout-a-fait étrangers a
l'histoire des letti-es : ils sont plus convenablement recueillis
dans la Gallia christiana , où ion voit aussi que Jean permit
T.vii,p.675- aux Victorins de manger de la viande trois fois par semaine.
' ■ Philippe-Auguste, en fondant l'abbaye de la Victoire, près
de Senlis, en action de grâces du triomphe qu'il avait obtenu
à Bouvines en 1214, donna cet établissement aux chanoines
réguliers de Saint- Victor ; et l'abbé Jean y envoya d'abord
Ménandus, lun d'entre eux, et pénitencier de l'Université,
puis douze religieux qui en prirent possession le mercredi
des Cendres de l'année 1224. Louis VIII, en I225 , adjoignit
aux exécuteurs de son testament, l'abbé de Saint- Victor,
ainsi que nous l'avons rapporté dans notre volume précé-
Hist. lin. (le dent. Cinq ans après, Jean, se voyant avancé en âge, abdiqua
'"ioi:' 'oqV^'' '3 dignité abbatiale, et mourut en la même aimée 1220, le
|). 585,386. o " , .r-K 1. I l> • I- 1 o ■ -ir-
20 novembre. On l enterra dans 1 église de Saint- Victor,
près de l'autel de Saint-Jean; l'inscription suivante se lisait
sur sa tombe :
Indicat liic titulus quod continet ossa Johannis
Iste brevis tuniulus, qui niultis extitit annis
Sancii Victoris abbas, sed culmen honoris
Spernens, ut pacatam posset dticere vitam,
Ofticio cessit, qui cum Christo requiescit. Amen.
Henri de Gand et Trithème ne font aucune mention du
Jean de Saint-Victor, non plus que les bibliographes moder-
nes, Aubert le Mire, Oudin, Fabricius, etc. Ses écrits n'ont
acquisen effet aucune importance; et,s'ilafal!u lui acccorder
une place dans X Histoire littéraire, nous avons dû en res-
serrer les limites. D.
G OS WIN DE BOSSUT,
MOET après MOINE DE VILLIERS.
1 229.
i^ES bibliographes belges sont les seuls qui fassent mention
de Goswin de Bossut; encore n'a-t-il point d'article dans
GOSWIN DE BOSSUT, MOINE DE VILLIERS. 69
lîTi sii*'n p
les Mémoires de Paquot, recueil le plus ample que nous : :.
ayons sur l'histoire littéraire des Pays-Bas. Goswin était poppens, Bi-
Brabançon ; il a pris l'habit religieux dans le monastère cis- biioih. beig., i.i,
tcrcien de Viiiiers en Brabant; il y a rempli la fonction de •*■ ''"
chantre. Le bienheureux Arnulphe de Cornibout était alors
attaché à cette communauté en qualité de frère convers.
Témoin de sa vie édifiante, Goswin en a écrit l'histoire en
deux livres qui ont été imprimés à Arras en 1600, et insérés
f)lus complètement, d'après un manuscrit de Viiiiers, dans
a collection des Bollandistes, au 3o juin, jour anniversaire
de la mort d'Arnulphe en 1228. Le premier livre contient Acu sancio>
dix chapitres qui présentent le tableau des austérités du """"î- '""''• ^'
frère convers, des tourments et, a vrai dire, des supplices
auxquels il se condamnait; car il porta ces rigueurs à uu
tel point, pour ne pas dire à un tel excès, que son historien
lui décerne le titre de martyr. Le deuxième livre est plus
étendu; il a ai chapitres, où sont célébrés les miracles du
bienheureux. Il opérait des guérisons subites et surnatu-
relles; il prédisait à jour fixe la mort de ceux qu'il ne devait
pas guérir, et faisait d'autres prophéties non moins merveil-
leuses : il repoussait les démons qui le venaient obséder, et
Jésus-Christ lui apparaissait. Cependant, quels que soient
ces prodiges, nous n'en distinguons presque aucun qui ne
se rencontre, avec des détails à peu près semblables, dans
la plupart des légendes du même genre et du même âge.
Selon Foppens, Goswin de Bossut a composé une vie de
saint Abund ou Abundus, autre moine de Viiiiers : elle ne
nous est pas connue, à moins que ce ne soit celle dont
Manrique a donné d'assez longs extraits. Saint Abund était
pareillement favorisé de visions miraculeuses , et surtout ^- . ■ .
d entretiens avec la sainte Vierge, qui lui apprenait de nou- Annales adano.
velles oraisons, plus efficaces que. les prières communes. Il "»9» =■ s» "•
vivait en 1229; et, s'il a eu pour historien son confrère Gos- ''^'
win , celui-ci a dû prolonger sa carrière au-delà de ce terme.
Du reste, nous ne savons sur la vie et les écrits du chantre
de l'abbaye de Viiiiers que ce que nous venons d'en rap-
porter. D.
XIII smcLE.
HUGUES DE MIUAMORS,
MoaTversuîo. ARCHIDIACRE DE MAGUELONE, PUIS CHARTREUX.
Oodin t. m v^AsiMiR OoDiN ct Du Cangc sont les seuls qui aient parlé
p. 5o;Ducange, de cc personnage, ilsen ont dit très-peu de chose; et il n'est
In indice aucto- f.[i^ qyg brièvement, comme il convenait, dans le Discours sur
Hist. littér. de lètat dcs Icttrcsau xiii^ sièclc. Lc lieu et la date de sa naissance
la Fr., t. XVI, noussont inconnus, et l'annéede sa mort est incertaine. Il fut
P-"^- professeur en droit canon, puis archidiacre de l'ëglisedc Ma-
guelone, et enKn chartreux dans le monastère de IVIont-Rive,
au diocèse de Marseille. Ces trois circonstances de sa viesdnt
indiquées par quelques mots que l'on rencontre dans ses
ouvrages; on y voit qu'il s'est d'abord long-temps appliqué
à l'étude et à l'enseignement du droit, qu'ensuite il fut élevé
à une dignité ecclésiastique, et qu'enfin dégoûté du monde,
de ses honneurs et de ses biens, il s'est retiré à la Chartreuse,
où il a terminé sa carrière. Oudin fixe sa mort vers laSo,
parceque le chartreux dit quelque part qu'il fut ordonné sous-
diacre par Guidon, archevêque d'Aix, et qu'il rappelle ce
fait comme très-ancien. Or ce Guidon fut élevé sur le siéere
Gall. chr — ■ °
P-
^■^2 ""•' *• d'Aix en 1 1 88 , et mourut en 1 211 ; en supposant donc que
Hugues ait eu vingt ans environ quand il fut fait sous-diacre,
et que cette ordination ait eu lieu vers le commencement de
la prélature de Guidon, notre religieux aurait eu de soixante
à soixante-cinq ans environ en i23o,date approximative que
Oudin donneàsa mort. Il nous semble qu'on pourrait encore
la reculer de dix ans, attendu l'âge peu avancé que Hugues
avait en laSo, vu aussi qu'il parle de son sous-diaconat et
de celui qui le lui conféra, comme d'un fait très-ancien pour
lui; cependant nous laissons la date fixée par Oudin, fiaute
de raisons plus concluantes que les siennes. Du Gange conjec-
ture qu'il a dû écrire vers l'an 1220.
On connaît à la Bibliothèque royale trois manuscrits qui
portent le nom de ce religieux, et les ouvrages qu'ils ren-
Bibf "b'br""" ' f^"'"'"^"'^ '"' sont aussi attribués par les deux auteurs que
75i^A. ' ^ nous avons cités, et par Dom Montfaucon. Nous allons en
parler suivant l'ordre dans lequel nous pensons qu'ils auront
été composés.
HUGUES DE MIRAMORS. 71
L'un de ces manuscrits, sous le n° 4'48i porte ce titre:
Incipiunt flores nosci dignijurds canonici , in prœsenti opère
compilati per magistrum Hugonem de Miramori , sub suis
tum locis , capitulis et auctorihiis conservnti. Incipit protogus.
Dans ce prologue, l'auteur déclare quelle a été son intention
en composant cet ouvrage. «Le droit canonique, dit -il,
« semblable à une vaste mer ou à une grande forêt, présen-
« tait à ceux qui en voulaient faire l'étude, des difficultés
« inextricables, ils ne pouvaient atteindre leur but qu'avec
a bien des fatigues. La pensée m'est venue de recueillir dans
* un cadre peu étendu ce qu'il y a de plus remarquable et
« de plus essentiel dans cette science, afin que ceux qui se
« proposent d'en acquérir la connaissance, puissent en re-
<t tenir avec facilité les règles et les décisions. »
Cet ouvrage est distribué en six parties, dans chacune
desquelles l'auteur expose par manière de sentences, les
décisions des plus célèbres docteurs en droit canon, les
faisant suivre chacune du nom du docteur auquel elle appar-
tient. Ces décisions sont généralement présentées en peu de
mots et d'une manière claire et précise. La i*"* partie expose
les plus importantes sentences sur le droit naturel, sur la
simonie, sur l'ordre judiciaire, sur la conduite à tenir dans
l'accusation des prélats, sur les actions imputables aux alié-
nés, sur les pouvoirs spirituels des clercs réguliers, sur les
vœux illicites, sur les communications qu'on peut avoir avec
les hérétiques, sur le sortilège et la magie, sur les mariages
prohibés, sur l'ordination des clprcs. Les cinq parties sui-
vantes sont tirées du corps des décrétales. La i""* traite des
actes, la 2« des jugements , la 3* de la vie et de l'honneur des
clercs, la 4^ des fiançailles, la 5* des accusations.
Un second manuscrit , sous le n" 3589, est intitulé: Incipit
tractatus fratris Hugonis de Miramori super ^nlonomasiâ
et mysterio hujus numeri quatuor. Dans le prologue de cet
ouvrage tout systématique et original, l'auteur fait remar-
3uer que la science des nombres a été, dans l'antiquité, l'objet
e l'étude des hommes les plus célèbres, tels qu'Orphée et
Pythagore, qu'ils y ont trouvé la clef de toutes les connais-
sances. Ne se proposant pas d'embrasser toute la science, ii
choisit le nombre quatre, comme étant celui qui a les pro-
priétés les plus merveilleuses. Il parcourt rapidement quel-
ques-uns des grands objets auxquels ce nombre mystérieux <
est appliqué. Les éléments du monde, les points cardinaux,
Xin SIECLE.
Xm SIECLE.
72 HUGUES DE MIRAMORS,
les fleuves qui sortaient du paradis terrestre, les grands pro-
phètes, les ëvangélistes, les saisons de l'année, les Ages de
l'homme, les humeurs qui conservent sa vie, les colonnes
qui soutenaient le tabernacle, la forme de l'autel des sacri-
fices, et par-dessus tout, la céleste cité qui, selon l'Apoca-
lypse, est construite sur un plan carré. Après ce préambule
en l'honneur des nombres, et surtout du nombre quatre,
Hugues de Miramors se trace une vaste matière, au moyen
de laquelle il va montrer que ce nombre sert d'explication
générale à toute chose. En effet, avant de commencer son
traité du quat^ernaire , il fait l'énumération des sujets aux-
quels il va l'appliquer. Dieu, la matière primordiale, le
monde, les créatures, le temps, le paradis, l'homme, sa
chute; l'incarnation , la vie, les miracles de Jésus- Christ ; sa
résurrection , son ascension; l'Église de Dieu, les évangiles,
la messe, les prières, les sciences, le mariage, les persécu-
teurs de l'Église, la pénitence, la confession , la fragilité de
l'homme, la mort, les suffrages pour les morts : tout cela
s'explique dans son livre par quatre raisons, ou bien a été
établi pour quatre fins, ou doit s'entendre dans quatre sens
différents. Il est vrai que ce même livre porte le titre d'An-
tonomase, et que les noms propres de la Bible, que l'auteur
interprète à sa manière, contribuent aussi à son explication
universelle; mais l'objet principal est de tout trouver dans le
nombre et par le nombre quatre; aussi l'antonomase ou pré-
nomination ne l'occupent-elle que rarement.
Cet ouvrage est contenu dans les cinquante-un premiers
feuillets d'un manuscrit dont la seconde partie est une
paraphrase de l'Apocalypse, par Anselme de Laon (ou de
Loudun ).
Un troisième ouvrage de Hugues de Miramors se trouve
dans deux manuscrits, d'abord dans le premier, dont nous
avons parlé, qui est le n° 4^48 , où il se lit à la suite du
droit canon, puis dans le n° 33oy, oii il est accompagné de
plusieurs opuscules. C'est de ce dernier que nous allons faire
usage dans cette notice.
Ce livre porte le titre suivant : Incipit liber magùtri de
Miramori de miseriis hominùs , mundi et inferni , de prœro-
galivd cœlestis patriœ, etc. Oudin, en parlant de cet ouvrage,
l'appelle Spéculum spirituale. Son auteur ne lui a pas donné
d'autre titre que celui que nous avons transcrit ; mais celui-ci
lui conviendrait fort bien, ainsi qu'on pourra en juger par
ARCHIDIACRE DE MAGUELONE, CHARTREUX. 78
les titres des divers traités qu'il renferme, et que nous
allons passer en revue, en les accompagnant de quelques ré-
flexions.
Dans son prologue, l'auteur s'adresse à tous les chrétiens
que la vanité du monde, l'amour des plaisirs et les ruses du
démon font dévier de la voie de la justice. Il les prie, si ja-
mais ce livre tombe sous leurs yeux, de le recevoir sans répu-
gnance, vu qu'il n'a été écrit que pour leur bonheur. Mais
s'il venait à leur déplaire, il les prie encore de ne pas le
calomnier, de ne pas s'opposer à ce que d'autres le lisent;
car chacun a sa manière de voir les choses , et ce qui déplaît
à l'un, peut plaire à l'autre.
Le P"" traité de ce recueil est : De Multimoda hominis mi-
seria. L'auteur veut inspirer à l'homme un profond sentiment
d'humilité, afin de le forcer à se tourner vers Dieu, source
de toute grandeur. Il lui fait le tableau de sa misère, il passe
en revue les maux qui, dès son apparition sur la terre, ont
assailli l'espèce humaine. Il lui montre combien grand est le
néant de ce qui s'appelle bien en ce monde, surtout par la
nécessité où est l'homme de tout perdre à la mort. Ce traité,
où l'auteur a accumulé tous les textes de l'Ecriture sainte
qui décrivent les misères et l'orgueil de l'homme , est terminé
par une pièce de quatre-vingt-quatre vers, où il a peint le
néant de l'homme et de ses biens. Nous en citons quelques-
uns pour donner une idée de la tournure de son esprit.
Die, misero, si nobilitas mea magna, quid indè?
Si mihi sit rerum possessio larga, quid indè.''
Si domus est et opes et si sint régna, quid indè?
Si sit sponsa decens, fecunda, piidica, quid indè?
Si caste vivat mea cara propago, quid indè.''
Si cautè doceo socios in qualibet arte, quid indè?
Tanato pnetereunt héec omnia. Sic nibil indè.
XIII SIÈCLE.
Vado mori, mors certa quidem, nil certiùs illâ,
Vado mori, misero sententia dura, beato
Grata, mori sequitur vivere, vado mori.
Yado mori , Papa , quia me papare diù mors
Non sinit, os cogit claudere, vado mori.
Vado mori , Rex sum , quid honor, quid gloria regiun ?
Est via mors hominis regia, vado mori.
Vado mori, prxsul, baculum, sandalia, mitram,
Tome XV m, K
8 •
XIII SIÈCLE.
rj^ HUGUES DE MIRAMORS,
Nolens sive volens desino, vado mori.
Vado mori, miles helli certamine viclor
Morlem non didici vincere, vado mori.
Vado mori, pugiles doctus superare diiello,
Sed mortem nequeo vincere, Tado mori.
Vado mon, mediciis medicamine non rediniendus,
Quicquid agat raedici potio, vado mon. etc., etc.
Dans le 11^ traité, qui est intitulé De pericuUs humanœfra-
gilitaLis, Hugues de Miramors continue sa inéditntion soli-
taire. Il s'est convaincu dans le premier traité que l'Iiomme
est accalilé de misères; dans celui-ci , il médite sur les périls
auxquels est exposé le peu de Lien qu'il y a en lui. Comme
Ézéchiel , il a des visions , il en demande l'explication ; et une
voix qui frappe ses oreilles comme un souille léger, lui tait
comprendre ce qu'elles ont d'obscur. Tel est le sujet de
celle que nous allons traduire.
« Pendant que tout était plongé dans le silence de la nuit,
c et que j'étais moi-même livré à un profond sommeil , il
a me sembla que je tombais d'en haut dans une fosse, et
c que je m'écriais : Ah, tout pour l'homme est suspendu par
c un fil, et ce que l'cm croyait solide, s'écroule au premier
e instant. Mais dans nta chute, il me semblait que je m'étais
« retenu par les mains à un arbre qui se trouvait dans le
« milieu de la pente, afin de ne pas tomber jusqu'au fond,
a Deux rats, l'un blanc et l'autre noir, ne cessaient de ronger
« les racines de cet arbre. Au milieu de la fosse, et perpen-
a diculairement sous mes pieds, était une pierre sous laquelle
a quatre serpents se cachaient. Tout au fond, je voyais un
« énorme diagon qui tenait sa gueule ouverte, prête à me
« dévorer, si je tombais; mais à l'ouverture de la fosse était
« un animal qui n'avait qu'une corne , et qui semblait faire
c la garde pour m'empêcher de sortir. De l'arbre auquel je
a me tenais serré, il me semblait qu'un rayon de miel décou-
■ lait dans ma bouche, et que trompé par la douceur de ce
< miel, je perdais le souvenir de tous les préceptes qui de-
« valent diriger ma conduite. » Telle est la vision, et voici
comment elle est expliquée par la sainte Ecriture. La fosse
est le monde, l'arbre est la vie, les deux rats sont le jour et
la nuit, la pierre est le corps, les serpents sont les quatre
humeurs de l'homm*, le dragon est le diable, la bête a une
corne est la inort , la goutte de miel est la volupté qui trompe
et perd les hommes.
ARCHIDIACRE DE MAGUELONE, CHARTREUX. 75
. ,,«!•• 1 1./. 1- XIII SIÈCLE.
Le nie traite est un tableau de I affliction de 1 Eglise.
e Les réflexions que je venais de faire, dit notre chartreux,
a avaient prolongé mon sommeil : j'étais plongé dans de som-
« bres méditations, et je demandais si Dieu avait oublié d'a-
« voir pitié de nous, lorsque tout-à-coup mon esprit fut
« frappé d'une vision nouvelle. Je vis des choses encore plus
« tristes que celles que j'avais vues jusque-là; je vis la cithare
« changée en instrument de deuil , et Vorganum en une voix
« qui se lamente. » Le sujet de la tristesse de notre auteur
c'est l'alfliction de l'Église du Christ. «Les mondains la pil-
« lent, la ravagent, la désolent de toutes parts. Les hé-
« rétiques la déchirent et la morcellent, ils présentent aux
« imprévoyants le fiel du dragon dans la coupe d'or de Ba-
« bylone. Les clercs eux-mêmes sont un sujet de désolation
« pour cette Eglise, par leur peu de conibrmité avec leur
« maître. » On voit dans ce traité que notre Hugues, plein
d'enthousiasme pour la vie monacale, ne juge la conduite
du clergé séculier qu'avec un esprit trop prévenu en faveur
du cloître. Retiré dans sa Chartreuse, il prononce avec
sévérité sur les actions de ceux qui sont restés dans le
monde. Mais tout le monde ne pouvait pas et ne devait pas
l'imiter.
Dans le IV« traité, le monde est représenté sous l'image
de la mer. Les vents impétueux qui causent la tourmente
sont les vices déchaînés; les vagues agitées sont les doctrines
d'hérésie , les flots qui se heurtent sont les mauvais princes ;
la malice et la dépravation du peuple sont représentées pat
le bouleversement général des eaux. Mais le monde est en-
core déchiré et troublé par l'envie que les hommes se portent
mutuellement : Se ipsos invicem accusant , detrahunt etafjii-
gunt , persequuntur , defraudantur , fidem ad invicem non
servant, mochinanturdolum,falluntetfalluntur, supplantant
et supplantantur, etc. Il compare enfin l'avarice du monde
à l'amertume de la mer, et la luxure à l'écume qu'elle jette
sur ses bords.
Le V^ traité, qui montre comment les vertus se sont reti-
rées du monde, n'est pas dénué de grâces. Il commence par
une vision. « Comme ce que je venais de voir avait porté le
a trouble jusqu'au fond de mon ame, je méditais de fuir ce
« monde et ses fourberies, quand je vis devant moi quel-
« qu'un dont le visage m'était inconnu, et qui me dit : Que
»fais-tu là dans l'oisiveté.' car les.travaux du monde méri-
K 2
XIII SIECLE.
76 HUGUES DE MIRAMORS,
« tent-ils un autre nom? lève-toi, prends tes tablettes et
« écris, et ce que tu auras écrit, lis-le souvent pour ne pas
o l'oublier. — Qu'écrirai-je, dis-je à la voix qui me parlait ? —
« J'ai ouvert tes yeux, regarde. — Je regardai, et je vis des
« chœurs de vierges qui marchaient selon l'ordre de leur
« dignité et de leur fonction; leur marche était tranquille,
« leur visage était angélique, elles ne penchaient ni à droite
« ni à gauche, elles louaient Dieu dans leurs hymnes. Je
« demandai à la voix qui m'avait parlé , quelles étaient ce»
« créatures qui s'avançaient comme des nuages, plus blan-
« ches que la neige, plus brillantes que l'ivoire antique. —
« Ce sont, me dit -elle, les vierges appelées Vertus, les
a épouses de Dieu; chacune d'elles a son nom. Le Seigneur
« les avait envoyées à Jéricho, afin de guérir un homme pour
« lequel il avait fait lui-même les plus grands sacrifices, et
a qu il avait sauvé de la mort. Mais cet homme est tombé de
« nouveau sous les coups des voleurs et des méchants , qui
« l'ont tout couvert de plaies. Ces vierges étaient accourues
« pour guérir la plaie de l'orgueil par l'humilité, celle de
a l'envie par la bienveillance, celle de la colère par la man-
« suétude, celle de la tristesse par le contentement, celle
« de la gloutonnerie par la tempérance, celle de la luxure
«par la continence, celle de 1 avarice par la générosité,
« toutes pour remplacer le feu de la cupidité par le feu de la
a charité. Comme elles approchaient de cet homme pour
« lui pré.senter leurs remèdes , le malade , semblable à un
a frénétique, les repoussant et se détournant d'elles, répondit
« à leur empressement par des paroles de mépris et d'in-
<f suite. Lesviergesvoyantalorsque ces dispositions rendaient
« son mal incurable, l'ont abandonné; enhn elles se retirent et
« vont chercher un asile à la Chartreuse pour y attendre le
« jour où chacun rendra compte de ses actions et de ses pa-
a rôles. »
Après cette vision, Hugues de Miraitiors prenant chaque
vertu séparément, en fait la description; ces tableaux ne
sont pas uniquement le fruit son imagination, ils sonttiacés
sur les paroles de l'Ecriture, et ne sont pas dépourvus d'a-
gréments. La charité, la miséricorde, la vérité, la justice,
la paix, la prudence, la tempérance, la force, l'humilité, la
piété, la foi, etc., sont tour à tour l'objet de ses méditations.Ce
traité est terminé par unecourte description delà Chartreuse.
Le VI* traité est intitulé : De l'abominable vision des
ARCHIDIACRE DE MAGUELONE, CHARTREUX. 77
bêtes. « Accablé de cette extase, j'ouvrais les yeux sans rien
a voir, pensant que Dieu avait voulu me montrer tout cela
« pour des fins qui ne m'étaient pas connues en ce moment.
« Au lieu d'élever mon esprit vers lui , je retombai comme
« les animaux sur les jouissances terrestres; je méditais de
« vivre au gré de mes désirs, dans l'orgueil, l'avarice, la
« luxure et la gourmandise. Pendant que je me faisais ainsi
« semblable aux, animaux, une main me toucha la tète, en
« me disant: Lève-toi, toi qui dors, et regarde du côté d'où
« vient l'Aquilon. — Je me lève, je tourne les yeux de ce côté,
« et je vois comme des animaux qui se livraient à divers jeux
« entre eux , et qui sautaient devant Adonis , l'amant de
« Vénus. Le premier de ces animaux était un lion qui por-
a tait l'Orgueil, que l'on reconnaissait à une plume ae paon,
o Le second était un loup avec l'Avarice, décorée d'une plume
c de corbeau. Le troisième était un sanglier portant la Colère,
« qui avait une plume de corneille, etc., etc. Celui qui me
« parlait me dit : La race de Juda fait les abominations que
a tu viens de voir. Sors d'ici , et entre dans la ville de Jéricho.
Œ J'obéis , et dès les premiers pas que je fais, j'entends une
« voix puissante qui convoquait les habitants à une assem-
a blée. Alors je remarquai ce qui suit :
a La reine de cette ville est ^'Impiété, et son empire est
« le Monde; son héraut convoquait, par ses ordres, les prin-
« ces de son empire pour se rendre à Jéricho avec tous leurs
« suffragants , afin d'y tenir une assemblée générale. Ces
« princes sont les vices que l'on nomme cardinaux ou capi-
« taux, et (|ui sont au nombre de sept, leurs suîfragants sont
« la foule immense des autres vices qu'ils engendrent. Je vis
a donc paraître la -Superbe, l'Avarice, la Colère, l'Envie, la
« Tristesse, la Gloutonnerie (Culositas) et la Luxure, avec
« leur nombreux cortège.
« Tous viennent en cercle devant leur reine, qui les ha-
« rangue. Elle leur fait connaître quelle a été sa crainte de
« voir son empire'détruit pendant que son ennemie capitale,
« la Charité, y demeurait. Elle s'est réjouie quand elle a vu que
« toutes les vertus s'étaient enfuies à la Chartreuse. Elle fait
« part desa Joie à ses princes; mais cette joie n'est point pure,
« car de la Chartreuse les vertus peuvent encore la chagriner
« dans l'exercice de son autorité. Que les vices ne s'endor-
€ ment donc pas, mais qu'ils redoublent d'efforts et dé vigi-
« lance pour maintenir les droits de leur souveraine.
XIllSIECLF.
Xni SIECLE.
78 HUGUES DE MIRAMORS,
« Ce discours excite l'ardeur et le dévouement des sept
« princes, qui se levant tour à tour, font l'histoire de ce r|u'ils
« ont déjà fait pour détruire l'influence des vertus. Chacun
« fait valoir sa puissance, et se fait foi t de détruire seul toute
« trace de vertu, tout vestige de hien sur la terre. L'Orgueil
« surtout vante sa céleste origine, il parle de s;i niissance
« qui précéda celle des créatures, et des coups qu'il frappa
« quand Lucifer, son père, leva une armée contre Dieu. Les
« autres vices parlent après lui. L'Impiété, satisfaite do leur
« dévouement, les invite encore à grandir en audace et en
n courage, et les envoie mettre la main à l'œuvre, w
LeVII* traité commence par une vision nouvelle. Hugues,
incertain de ce qu'il avait à faire après le spectacle qui s'était
offert à ses yeux, s'abandonnait à ses méditations, quand
deux jeunes hommes apparurent à ses côtés. Il s'adresse à
l'un des deux, qui était ceint comme un voyageur :« Qui
« es-tu, lui dil-il, et d'oii viens-tu en ce lieu.'' — Je suis et
« je m'appelle la Crainte de la mort. Je reviens de l'enfer
a en grande hâte, pour l'annoncer ce que j'ai vu. Lève-toi
« donc promptement; car il y a du péril à uifférer. Fuis au
« plus tôt, et retire-toi dans les fentes des pierres et dans les
« cavernes pour y opérer ton salut; car la mort atteint déjà
« tes talons, pour ôter la vi»à ton corps; le diable épie pour
a perdre ton ame , l'enfer s'ouvre pour la recevoir, et As-
« modée l'attend pour la torturer. — Parle, lui dis-je, et dis-
« moi tout ce que tu sais, apprends- moi ce que c'est que
« la mort, le diable, l'enfer, Asmodée. » Le messager lui
explique alors tout ce qu'il sait du sort des âmes dans le
séjour des peines éternelles et dans celui des peines du pur-
gatoire.
Dans le VIII* traité, Hugues de Miramors, après avoir
entendu le récit de l'un des deux jeunes hommes, se tourne
vers l'autre, et lui demande qui il est. « Je m'appelle l'Amour
« de Dieu. Je suis descendu du ciel, je te ferai connaître de
« bien douces nouvelles. Je te décrirai la sainte cité d'où je
« viens. » Le céleste messager commence son récit, et l'on
voit tour à tour ce que c'est que la Jérusalem céleste, quels
en sont les habitants et les diverses demeures; ce que le roi
sert sur sa table à, ses conviés ; les plaisirs qu'ils goiitent , etc.
Après son récit, le jeune homme presse Hugues de le suivre,
et d'abandonner tout pour se préparer à entrer dans ce lieu
de bonheur.
ARCHIDIACRE DE MAGUELONE, CHARTREUX. 79
Le IX^ et dernier traité expose le tableau du combat de
l'esprit et de la rliair qu'éprouva notre auteur, après son entrée
à la Chartreuse. « Je me reposais, dit-il , en la considération
a de la miséricorde de Dieu, et je commençais en paix mon
« noviciat, quand un conflit extraordinaire s'éleva en moi
« entre mon esprit et ma chair. Les pointes du cilice , la du-
ce reté du lit, le séjour désert, la grossièreté des aliments,
« les jeûnes fréquents, l'absence de consolation, tout cela
« m'ajritait avec violence. Ah, malheureux! qu'ai-je entre-
« pris, et [lourquoi suis-je venu me soumettre à des travaux
« que jamais je n'endurerai.^ O esprit pervers, c'est toi qui
« as voulu me faire tomber dans ce piège! N'étais-je pas
« mieux à ma place, dans le monde, où ceux qui m'enten-
« daient ou me voyaient, parlaient avec éloge de ma per-
ce sonne, quand je haranguais le peuple, et que j'écoutais
« les plaintes des opprimés .►* Ne valait-il pas mieux sacrifier
« mes goûts particuliers à l'utilité publique.'' » Heu me! Ecce
qui vescebatar 'voluptuosè , moritur in solitudine et arescit ,
qui nutriehatur in croceis , amplexatus est stercora , et qui
quondam marchas aigenti numérotât nunc fabas numerat.
Meo igitur acquiesce consilio, tniser spiritus, et ad priora re-
deamus. Telles étaient les plaintes de la chair; mais l'esprit
lui répond avec l'Ecriture, « Que ce qui est né de la chair
« parle selon la chair, que la chair est terre, et qu'elle ne
« sait que les choses de la terre. L'esprit est venu d'en haut,
« et n'aspire qu'aux choses d'en haut. Tais -toi donc, ô ma
« chair, console -toi dans ton espérance au Seigneur, tu te
o reposeras en lui ! La chair et l'esprit conviennent de pren-
« dre la conscience pour juge, et de se soumettre à sa sen-
« tence. Mais ce juge, connaissant combien grande est la
a faiblesse de la chair pour résister aux attaques du monde
« et du démon, lui ôte tout empire, et la condamne à obéir
« à l'e.sprit. » Le livre se termine par l'éloge de la Chartreuse,
par une courte description du bonheur de ceux qui y ser-
vent Dieu, et par ces deux sentences, dictées par la sagesse
païenne et par la sagesse divine :
Virtus est vitium fugere. Hor. Epis t. /, v. 4i-
Omnia praetereunt prseter amare Deum. Ecoles.
P. R.
XIII siECU;.
XIII SIECLE.
NICOLAS DE BRAI OU DE RRAIA,
MOKTv.ni»3o. POÈTE Héroïque.
On ne sait, concernant la personne fie ce poète, rien de plus
positif que ce que Dom Brial en a dit dans l'avant- propos,
placé en tète des Gesta Ludovici VIII, qu'il a fait réimpri-
mer en 1818 , dans le XVIl*^ volume du Recueil des historiens
des Gaules et de la France. Il lui a paru que ce poète est le
même personnage que le Nicolas de Braia, doyen du chapitre
collégial de ce nom en Champagne, dont le P. Montfaucon a
cité une lettre existant sous la date de l'an 1202, dans le
cartulaire des comtes de Champagne,
En dédiant son poème à Guillaume d'Auvergne, arche-
vêque de Paris , dont la prélature est marquée entre les
années 1228 et 1248, le poète fait connaître que c'est dans
cet espace de temps que les copies de son poème ont dû se
répandre. Or, cela marquerait une époque postérieure à celle
de la mort de Louis VIII ; et ce n'est pas Dom Brial qui nous
a suggéré cette observation , mais seulement la lecture du 5*
vers du poème, où, parlant de cette mort, le poète s'exprime
ainsi :
Cui , ni fatales Kla sorores
Tarn cito rupissent vitae, florente juventà, etc.
Louis VIII étant mort dans sa quarante -unième année,
le 3 novembre 1226, il paraîtra sans doute probable qu'à la
date de la composition de son poème, Nicolas devait avoir
environ soixante ans et même plus, car il faut bien supposer
au poète cet âge avancé, pour qu'il ait pu traiter de jeunesse
florissante, l'âge mûr d'un homme de 4o ans. Un poète âgé
de 3o ans se serait exprimé sans doute différemment. Si l'on
admet ces conjectures, Nicolas serait né vers l'an 1160; il
aurait atteint l'âge de l^i ans à la date de l'an 1202, qui est
celle de la charte de Nicolas de Braia dont on cite l'existence
au cartulaire de Champagne, et l'on voit qu'à cette date, le
poète aurait eu l'âge compétent pour stipuler des intérêts
an nom de son chapitre. Il suivrait encore de ces diverses
combinaisons, que le chantre de Louis VIII aurait été con-
temporain d'Adam, chanoine de Saint-Victor.
NICOLAS DE BRAIA. POETE HEROÏQUE,. 8i
X
André Duchesn ..•■'..t déjà depuis lonir-temps donne une
éditi;^ '■'-■'- "■ : . acrcccueuse et peu ce m ■ ■ ' •= t •= . de ce •tm' '■ :'JS
reste . . :.- des G^'s"-^ . d'snrès i.- :v • ..^ : : :i
Besly . lorsque Dom Br: .. — r-
pose de iS~o ver> . ' :*r ;.-!.'.- quc :- ^ Li :.i:.n
rowle est d'ailIe.::- - . Je chiffres r: :_■.:..- ..\ qui
manquent a celic ce D.;;: •-: v. -. t : . r. ' : : '.—commodes
pour faciliter les citations et les uti.i>cr. i cu ni.:' . ' re
a joint de plus à la sienne qiselqi'^^ t t^^f ><::;.;„...; ^.- d
quelques cori'ections du texte. O;. - : quelles fas-
sent plus noraL r-, '..?-> , >..r:o'-.'. : ci.-. ;.■-,::.. :.: ..mx per.-on-
nages cités dam le p-rme.
Ije sacni' du roi Louis \'III. et le siège d'Avignon précède
de celui de la Rocbelle, font le sujet continuel de tout ce qui
nous restr .'- '';v.-.r j- J- N ':-\i> de Br3'.î. 11 en'.re en ma-
tière en c- :.:::,- .
Magnanimi re;- ? L .; :. ?rici fonia ecsta
Quam prabui : . quz be.
Hoc dooe «Çr - : Taaxits r 5
Qoot bndiUB Qtu - r ,i. -
Musa refer.
Le poète raconte success-v n^nt le sacre et les fêtes qui
furent données en cette cir ':.:<ce dans h< ville de Rrims.
dont Nicolas ne manque p. > .: raire remonter ron_.:_ r :-
minale au frère de Roraulus.
Haj3c diiêre Rejuis veî^re? ' " ": ^"^sitore.
Celui qui entremêle si biz.ni:t:i.c:it les noms de Remus
et de la ville de Reims, sest montre moins ditficile encore.
en faisant syrapathiser le ciel des chrétiens avec le ciel de la
Grèce, pour exprimer l'envoi de la sainte Ampoulle a !a
prière de saint Rerai.
Cujus prece rorem
Miiit in a.npnUam codestetn Reclor OljmpL
Il continue l'usage du même stvie dans la description qu'il
donne des fctes que la ville de Paris prépare au roi pour son
retour, et dans lesquelles les Parisiens déploient toute leur
mag^nificence publique.
Genat cum lumine Pbœbi
Fulf-.- .' - : aruin; lux luce nova superari
Se >--::: . r: terris aliura dare luoûna soloa
5 '. p uu: . e: qaeritur soliuUB juhar cxhebetari
^ es-tibus aunTonais.
Tome .17 '/II. L
xm siEaF.
XIII si:,(;i r
8a N [COLAS DE BRAIA,
On remarquera que lavant-dernier vers eût pu se com-
poser peut-être ainsi d'un autre synonyme :
Sol putrtt ; assuetum queritur jubar exhebetari.
Mais telle était la manie des poètes du xm* siècle, pour
qui c'était alors une perfeclion harmonique de reproduire,
le plus qu'ils pouvaient, le mécanisme syllahique des mots
qui jîrécédaient , |>our exprimer des idées toutes diffé-
rentes. Notre poète nous fournira encore d'autres exemples
du même abus.
C'est au moyen d'épithètes aussi disproportionnées avec
leur mot substantif, que le poète prélutle à la description
d'un cratère d'or (pie la ville de Paris offre en présent au
roi. Ici du moins la verve poétique se trouve soutenue par
des modèles de l'antiquité, qu'il imite assez bien dans les 65
vers qui commencent ainsi :
Ott'ertiir Crater ( qiiem si sit credere dignum),
Pertiilus ingenio tal)ricavit Mulciber auro.
Margine Crateris totus depingitur orbis,
Et séries leruiii bievilius distiiicta tiguris.
Illic poiitus erat, tellus et pendulus aer;
Ignis ad alta volans cœli supeieminet illis.
Quatuor in partes orbis distinguitur ; ingens
Circuit Oceanus itninensis lluctibus orbem.
Ingenio natura suo duo luiuina fecil
Fixa tenore poU , niunili tainuiantia rébus.
* Pioiiielheus. Hic Pytho* piasniavit boniineni tellure recenti,
Japelho natus , niixtâ cuni fluminis undis.
Aureus orbis erat Saturno régna regenti:
Sed, Jove regnanti, species pervertitur auri.
Jura, filles, pietas, fugiunt; Fraus proditioque
Pidiulat, et f'acinus. Astrea locatur in astris ,
Obsessas vitiis terras extrenia relinquens.
Le poète poursuit les développements mythologiques qu'il
suppose représentés sur le cratère d'or, et lorsqu'il en vient
à parler des sept chefs de la Thébaide , on est tout étonné
de l'expression purement hébraïque, dont la latinité ne pré-
sente aucun exemple, et qu'il emploie dans le vers qui suit :
Frater et .i furiis fiaternis se phariseat.
Ce n'est point ici un barbarisme échappé à la distraction;
c'est nécessairement par un effet de la singulière prétention
de faire jouir celte expression du droit de latinité, qu'il la
reproduit encore plus loin pour rendre la surprise du comte
POÈTE HEROÏQUE. 83
de Saint-Paul , lorsqu'il se vit intercepté par les Avignon-
nais, du corps de l'armée qu'il commandait. Ici l'emploi du
terme est encore plus ridicule, en ce qu'il fait de ce comte
un Pharisien proprement dit :
Cumque Cornes Régis à castris se phariseum
Cerneret
On conviendra que nous ne serions pas loin de tomber
nous-mêmes dans de pareils abus, en écrivant dans notre
propre langue, si le goût des barbares qui la pervertissent
de nos jours pouvait jamais prévaloir sur les modèles de la
littérature française.
Après les fêtes données pour son sacre, le roi fait une
tournée dans ses états. L'auteur alors saisit l'occasion de
susciter contre ce prince les génies infernaux. Les lieux
communs de la versification font les frais de ce long préam-
bule au récit du siège de la Rochelle, préparé par une allo-
cution du roi aux grands de son royaume. Après quoi,
passant en revue les ducs et les comtes, le poète trouve ici
l'occasion de caractériser diversement les peuples qui leur
sont soumis. Voici ce qu'il dit des Flamands et de ses com-
patriotes les Champenois.
Flandria Flandrenses quorum fomenta butyrum
Caseiis et lac sunt, quorum cerevisia potus. . .
Audaces et Marie probes Cumpania niisit. . .
Le comte de Flandre était alors retenu en captivité, ce
que le poète exprime aussi singulièrement qu'ailleurs dans le
vers suivant :
Comitem sed Flandria luget
Nam Ferrandus erat ferratus compede ferri.
La bizarrerie de ce vers fait ressortir d'autant les deux
vers plus heureux qui ouvrent l'allocution du roi au pied
des murs de la Rochelle, le septième jour de son entrée en
campagne.
Jam caput ignivomum Nabathœis Lucifer oris
Septimus extulerat, cum jam pernicior aura,
Imperiosa phalanx, hostiles cernere muros
Et turres poterat. . .
Il faut passer sous silence ce qui concerne ici la croisade
projetée contre les Albigeois par le légat Romain, cardinal
de Saint- Ange, dont il sera plusieurs fois parlé en prose dans
L2
XMI S II- CLE.
XIII SIECLE.
84 NICOLAS DE BRAIA,
la suite. Les 5o vers, qui peuvent intéresser la partie diplo-
matique de ce point historique, n'y présentent rien de re-
marquable pour la critique littéraire, si ce n'est la bizarrerie
encore de la composition des trois vers dans lesquels le poète
conjure la Parque d'épargner la vie de Louis VIII, qui,
comme on sait, était très-près de sa fin, à l'époque du siège
de la Rochelle.
Cum regem lateat sibi quod fera parca minatur,
Parca, per anti-phrasim, niinc incipe parcere! Parca,
Parce, nec aetatis florentia staniina rumpe;
Naturamjam vince tuani, nomenque sequaris.'
N'aurait-il pas, en effet, été bien étrange que, du vivant
encore de Louis VIII, un doyen de la collégiale de Brai eût
osé, même dans une composition poétique, faire un pacte
avec la Parque pour lui abandonner les jours du roi, moyen-
nant qu'elle le fît périr à la bataille; ou, du moins, que si
elle en décidait autrement, elle fit découvrir l'auteur du for-
fait de son lâche empoisonnement. •• Dom Brial nous avertit
ici, en note, qu'il n'avait lu nulle part, si ce n'est dans Je
poème des Gesta , que Richard, roi d'Angleterre, eût tenté
de faire empoisonner Louis VIII. Voici les vers :
Vel detege proditionis
Actorem , ciijus débet miscere venena
Ausa manus facinus, et sic te crimine solvam.
Le poète continue par la description de la ville d'Avignon,
dans l'état où elle était encore avant que ses anciennes et
doubles fortifications eussent été rasées après le siège. Suc-
cède à ce morceau une longue narration , toujours mêlée
de discours, sur la trahison trompée des Avignonnais, qui
croyaient avoir fait prisonnier le roi même , quand ils n a-
vaient saisi que le comte de Saint-Paul, ce que le poète
exprime encore par l'emploi du même barbarisme que nous
avons déjà fait remarquer. Mais le comte exhorte sa troupe
au courage, et s'il le faut, à mourir surtout en chrétiens.
Mais, dans une aussi grave circonstance, croirait-on que le
poète n'ait pas senti le ridicule des jeux de mots qu'il mêle
au discours de son héros.''
Quod pro Christo moriemur;
Sed genus lioc niortis est vivere , mors ea felix
Cujiis dat inorsus oeternae praemia vitae.
Sept jours après, les bourgeois d'Avignon se rendent à
POÈTE héroïque. 85
discrétion; les fauteurs de la trahison sont pendus; mais la
citadelle continue à résister. Le roi en ordonne l'assaut, et le
comte de Saint-Paul y succombe au moment même où la
victoire lui était assurée; c'est ce que le poète expose dans
le morceau suivant, qui termine ce que nous avons conservé
de toute sa composition, qui ne doit pas avoir été beaucoup
plus étendue, quand on la possédait entière.
Janique propinquabant acies indagine valli
Prostratà peiiitùs, et fossis aggere plenis
Lignorum lapidunique gravi, scalasque parabant
Jam mûris aptare suas; et tune timor hostes
Invasit tantus, quôd desperare coacti
Effugiunt, murumque sinunt. Sed dùm, super omne»
Miiitiae fervore calens et laudis honore,
Dictus saepè Cornes muros ascendere tentât,
Proh dolor! excutitur ingenti mole peremptus,
Quod Rex ut vidit, animi vix sustinet irani ,
Et cordis gravis astringit dolor intima , vixque
Spiritus ofticium poterat complere loquelae;
Nec flebat, lacrymas etenim siccaverat ardor.
' Ergô suis jubet ille viris vexilla referre;
Corpus et attolli: paretur, et omne reliquunt
Propositum. Redeunt hostes, eedentibus illis;
Et quos ante timor fugisse coegerat, illos
Consolidât redditque viros audacia major;
Et rursùni lapides et spicula , mente resumptâ,
Conjiciunt, valuitque parùm fuga dévia gentis.
Me quoque, jam memini, volitans per inane sagitta:
[rruit; at gentes egi, non corpore laeso.
Ces derniers vers , et surtout l'expression ampoulée de
gentes egi, constatent bien que le poète avait payé de sa
f)ersonne dans cette action, et qu'il en écrivit le récit assez
ong-temps après, pour avoir pu convenablement employer
l'expression jam memini, qui fait connaître le risque qu'il
avait couru d'être blessé.
En joignant cet indice à ceux qui ne permettent guère de
supposer qu'il ait fait plusieurs allusions à la mort du roi,
avant qu'elle fût arrivée, il est naturel d'en conclure que le
Poème de Nicolas de Braia n'aura été divulgué qu'à la fin de
an 1226, si ce n'est plus tard encore.
On ne connaît d'ailleurs d'autre pièce relative à notre "
poète qu'un acte, en vertu duquel le chapitre collégial de
Brai , en Champagne , cède à la comtesse de Flandre la nomi-
nation de deux Personnats; en voici la copie.
Ego Nicholaus, decanus, et universum, capitulum ecclesiœ
9
Xni SIKCLE.
ÏIU SIECLE.
Vers laBo.
86 NICOLAS DE BRAIA, POETE HEROÏQUE.
Braiacensis notum facimus omnibus tam presentibus qiiatn
futuris quod inter nos et venerabileni coniitissain Trccen-
sem palatinam , de donatione personatuum ecclesiœ nostrœ,
videlicet thesaurafiœ et cantorùe verleretur querela, tandem
pacificata est in hune modiim, quod nos honori etamori ejus
cupientes déferre, volumjxset tant patienter quam unani miter
sustiiieinus, quod ipsa comitissa et hœredes sui in perpetuum
prœdiclorum habeant donationem personatuum. Quod ut ra-
tum sit et firmum sigilli nostri munimine roboramus. Aclum
anno ab incarnatione DominiM. CCy secundo mensejanuario.
Cette comtesse est la même c|ui s'intitule: Eg:o Blancha ,
Campaniœ palatina , dans une charte clitee de l'an 1227,
qui est citée dans la Gallia christiana , tom. IX, pag. 168.
P. R.
HUGUES DE FLOREFFES
lluGCES, chanoine de l'ordre de Prémontré à Floreffes,
dans le diocèse de Namur, est auteur, non d'une vie de saint
Norbert, mais de celles de trois religieuses ou recluses, Ida
Ducange.ind. de Nivclle, Ida de Leuves , Jutta ou Ivetta de Huy, au ter-
coi. ii5. Aub. ritoire de Liège. De ces trois histoires qu'il avait rédigées
aaa'i.T'"' 'n" V^^ Ordre de son abbé, Jean, lesdeux premières n'ont jamais
388.1'abric., Bi- 1, , . . , ,, ' ,. \. ', ,. ' ■ i •'
biiot. med. lat., ete im|)rnnees, et Ion n indique pas les lieux ou elles peu-
t. m, p. a;>3. vent exister manuscrites. La perte n'en est pas fort regret-
deVilrù ec"'i'p"' '^•''''^i ^i l'ou cu juge par la troisième que les Bollandistes
t. III, p. IO-. ont publiée. Les 57 chapitres qui la composent sont précédés
Foppens, Hibi. d'uiit' préface et d'un prologue où l'auteur prie ses lecteurs
Agf '402 ' ''^^ de ne |)as exiger de lui, qu'il orne ses récits des fleurs de
Actass. i"}]:!- l'éloquiMice profane, adulterinos ethnicorum flosculos , aut
Duar., loni. I, p. spleiididimi eloquii venustatem. Il n'écrit pourtant pas sans
'■ soin ni sans art; il n'est point illettré; car il cite Lucain et
Boèce. On apprenil, dans son livre, qu'Ivette ou Jutta avait
été mariée par force et malgré sa résolution de vivre dans
le célibat; que, devenue veuve et mère de plusieurs enfants,
elle faillit être contrainte encore à prendre un second é|)Oux;
mais que la Sainte Vierge intervint pour la préserver de ce
péril et de quelques autres. Ivette se mit au service des lé-
preux, et désira vivement être lépreuse elle-même : il n'est
HUGUES OE FLOREFFES. 87
pas dit que ce vœu ait ete exauce. JNous lisons en revanche — ,
qu'elle fut douée du don de prophétie, et, ce qui n'est pas
moins remarquable, qu'elle saviiit lire dans le passé le plus
secret aussi bien que dans l'avenir le plus obscur: ses regards
pénétraient au fond des consciences. Elle prévit sa propre
mort, et, après que la Madeleine lui eut apparu, elle expira,
l'an 1^227 ou plutôt 1228, avant Pâques, le jour de l'octave
de l'Epiphanie, ayant atteint l'âge de 70 ans. Le chapitre IV
de son histoire est intitulé : de motione elementorum in
obitu ejas et mirabili cii'inm concentu. Son dernier soupir
ébranla l'univers, et son entrée au séjour des bienheureux
fut annoncé par les ravissants concerts des oiseaux. Après
de si éclatants miracles, il serait superflu d'en retracer ici
plusieurs autres qui précédèrent ou suivirent la mort de la
recluse Ivetta. Quant à l'historien Hugues qui les a soigneu-
cement racontés, nous ne connaissons de lui que son livre,
son nom et celui du monastère où il a vécu : il a dû écrire
cette relation assez peu de temps après le mois de janvier
1228 : c'est l'unique indice qui nous autorise à le placer sous
l'année 1 280 ; nous devons le prendre pour un contemporain
de la sainte. Il n'y a pas moyen de le confondre avec l'abbé
Hugues, mort en 1 174, qui avait été le premier disciple et
le successeur de saint JNorbeit. Le Paige, dans sa Bihlio-
theca pi'œmonstralensis , ne fait pas mention de Hugues de
Floreffes; mais il parle de la célébrité de cette abbaye, mère
de neuf autres monastères de l'ordre de Prémontré, et si
florissante qu'on a , selon lui, de justes raisons de dire d'elle : Bibhoth. Pi*-
^ •" monsl., I. H, ]).
Florida florenti floret Floreffia flore. D. 5ai.
HÉLINAND,
MOINE DE FROIDMONT. mort vers .2 3o.
SA VIE.
Hélinand naquit, suivant Loisel , à Pruneroi ou Pront-le-
Roi , dans le Beauvaisis. Il nous apprend lui-même qu'il
tirait son origine d'une famille noble de Flandre, que la Heiin.chion.,
recherche trop rigoureuse des complices de l'assassinat du •*■ '**•
comte Charles-le-Bon obligea, quoique innocente, de s'ex-
Loisel, ùltiii.,
p. 30 1
Xni SIECLE.
Helin. Flores,
tap. XII, p. 3ii.
Helin. cliion.
88 HELINAND,
pa trier, vers l'an 1 127. Herman, son père, était alors en bas
âge, et avait un frère nommé Ellebaude, qui devint par la
suite chambellan, cubicularius , de Henri de France, ar-
chevêque de Reims. Hélinand fut envoyé à Beauvais pour
y étudier dans l'école de Raoul, le grammairien, qui lui-
même s'était formé à celle d'Abélard. Héritier du savoir de
. , ces deux habiles professeurs , Hélinand les ée.ila par la
ad an. iiV-s.P- ■ ' \ *^ ■ \ c' J-^' I • • ..•
j8j. sagacité de son esprit, par la lecondite de son wnagination ,
par l'étendue et la variété de ses connaissances.
Après ses études, il débuta dans le monde par des chan-
sons, dont il relevait le prix par les accents de sa voix, qu'il
avait très-belle. Ce talent le fit rechercher des grands, qu'il
flattait dans ses vers, et redouter de ses rivaux, qui n'y étaient
pas épargnés. Le roi Philippe-Auguste le faisait souvent ap-
peler à sa cour, pour avoir le plaisir de l'entendre chanter.
C'est l'auteur du roman d'Alexandre qui nous instruit de ce
fait :
DuBoul Hisi Quant H rois ot mangié, s'apella Hélinand,
uaiv. Pai'is'i. Il Pour li esbanoyer commanda que il chant,
p. -^(i. Cil commence à noter ainsi com li jayant (i)
Monter voldrent au ciel, comme gent mescréant.
.Véritable trouverre, il parcourait ainsi les châteaux, se-
mant la gaieté partout où il se trouvait, et portant même
l'enjouement quelquefois jusqu'à la licence. Il ne se donnait,
dit-il, de son temps, ni spectacle, ni divertissement dans les
places publiques, dans les écoles ou les tournois, auxquels
Helin., de Re- \\ f,e f^f appelé. Ipse quideni spectaculum factus est angelis
r. apsi,p. ji . ^^ horninibus le^ntate miracuU , qui prias eis spectaculum
Juerat miraculo levitalis , dîiin non scena , non circus , non.
theatrum, non amphitheatrum , non forum , non platea , non
gyninasium , non arena, sine eo resonabat.
Hélinand coulait ainsi ses jours dans les plaisirs et la dissi-
pation, lorsqu'un rayon subit de la grâce lui découvrit le
vide de la félicité qui le charmait. Les réflexions qu'il fit sur
sa cxjiiduite passée ne furent point stériles; elles produisirent
utie résolution ferme de renoncer au monde, et l'abbaye de
Froidmont, ordre de Cîteaux, en Beauvaisis, fut le lieu où il
alla l'exécuter. Dès qu'il eut embrassé ce nouveau genre de
vie, il devint un homme tout différent de ce qu'il avait été.
li)ia*ni. « Vous avez sans doute ouï parler d'Hélinand, dit-il au mêinfi
(i) Lesgéans.
par
MOINE DE FROIDMONT. 89
« endroit; car qui n'a pas connu cet homme, si toutefois on
« peut l'appeler un homme? Il n'était paç plus fait pour le
« travail que l'oiseau qui ne sait que voler; il n'avait d'autre
« occupation que de courir le monde, cherchant à perdre les
« hommes, soit en les flattant, soit en les déchirant. Le voilà
« maintenant renfermé dans un cloître, lui à qui le monde
« entier semblait un cloître ou même une étroite prison. Il
« était si connu par son inconstance, que plusieurs attri-
« huaient à sa légèreté le changement qui venait de s'opérer
« en lui ; et plus il avait donné de preuves de son inconstance,
« moins on était disposé à croire qu'il pût persévérer dans
« un ordre aussi austère et si opposé au genre de vie qu'il
« avait mené jusque-là. »
Il persévéra cependant, et il y avait cinq ans qu'il portait
l'habit religieux, lorsqu'il se dépeignait ainsi, dans sa lettre
à Gautier; mais il serait difficile d'assigner l'année précise
de sa. conversion. Essayons de la découvrir à peu près.
Hélinand était déjà moine lorsqu'il composa ses stances
sur Ja mort, car il dit dans la première :
Mors, qui m'as mis muer en mue,
En tel estuve où li cors sue
Che qu'il fist au siècle d'outraige.
XIII SIECLE.
Por ce ai-je cangié mon coraige,
Et ai laissié et giu et raige:
Mal se mouille qui ne s'essue.
Or ces vers ont été composés avant l'an 1200. La preuve
en est que les stances d'Hélinand, sur la mort, se trouvent
dans un manuscrit de la maison de Sorbonne, aujourd'hui
dans la Bibliothèque royale, portant, à la dernière page, en
caractères du même temps et de la même main que le corps
entier du livre, ces mots qui en donnent l'époque, expUcit
iste liber anno M. CC. D'ailleurs la stance 18 est adressée à
des seigneurs décédés avant ou peu après l'an 1200. En voici
le commencement.
Mors, qui as contes et as rois
Acorches lor ans et lor mois,
Conques hom alongier ne pout,
Chartres et Chaalons et Blois
Salue pour les Tibaudois ,
Loeis , Renaut, et Retrout.
Louis, comte de Chartres et de Blois, succéda à son père
Tome XVllL M
Xllt SIECLE.
Helin. Flores,
cap. IX , p. 3 1 o.
go HELIN AND,
l'ail iiqi , partit pour la Terre-Sainte l'an 1202, et mourut
en i2o5. Renaut doit être l'évêque de Chartres de ce nom,
fils de Renaut II, comte de Bar et de Monçon , petit-fils de
Thibaud-le-Grand par sa mère, dont l'épiscopat commencé
l'an II 83 finit en 1217. Le Rotrou , dont il est parlé, ne
peut être que Rotrou III, comte du Perche, mort l'an 1191
au siéjje de Saint- Jean-d'Acre; ou Rotrou son fils, évêque de
Chàloiis-sur-Marne , depuis l'an 1190 jusqu'en 1201, prélat
également issu de Thibaud-le-Grand par sa mère. Voilà
pourquoi l'auteur les appelle les Thihaudois. Tout cela
prouve qu'Héliiiand , s'il est vrai, comme on n'en peut dou-
ter, qu'il soit l'auteur des 4^ stances sur la mort, était déjà
religieux avant 1200. Mais l'année où il entra en religion
nous est inconnue.
Hélinand, après sa conversion, vécut dans une piété con-
stante, sans abandonner la culture des lettres. Son mérite
lui concilia l'estime et l'amitié de plusieurs prélats <le son
temps, qu'il ne nomme pourtant pas; mais voici comment il
les désigne dans les stances 16 et 17.
Mors , va à Biauvais tôt corant
A l'évesque qui m'aime tant,
Et qui toz jors m'a tenu chier;
Di li qu'il ert sans contrement
Un jour à toi, mais ne sai quant.
Or se paint dont d'espeluchier
Sa vie , et sa nef espuisier,
Et de bones muers alucbier, etc.
D'après la date que nous venons d'assigner à ces vers , cet
évêque ne peut être que Philippe de Dreux, prélat guerrier,
qui tint le siège de Beauvais depuis l'an 1 176 jusqu'en 1217.
Hélinand rapporte une anecdote plaisante, qui prouve que
leur amitié dégénérait quelquefois en une grossière familia-
rité. Qu'il nous soit permis de la rapporter, quelque ignoble
qu'elle soit, puisqu'elle dépeint les mœurs du temps. Il dit
donc que Philippe de Dreux , évêque de Beauvais, étant allë
à Froidmont, lavait prié de lui procurer le lendemain, de
grand matin, une basse messe. Il était déjà jour, et le prélat
dormait encore, sans qu'aucun de ses domestiques osât le
réveiller. Hélinand entre dans sa chambre, et lui crie d'un
ton badin: « Il y a long-temps', seigneur, que les oiseaux
Œ sont levés pour louer leur créateur, et vous restez au lit! »
Le prélat prenant cela pour un reproche, lui répond avec
XIII SIECLE.
MOINE DE FPiOIDMONT. 91
émotion: «Tais-toi, misérable! va tuer tes poux.» Fade
hinc , miser! et interjlce pedicuîos tuos. Hélinand, sans se
déconcerter, lui riposte toujours sur le même ton : o Prenez
(c garde, mon père, que les vers ne vous tuent; car pour moi
« j'ai déjà tué les miens. Il y a cette différence entre la ver-
« mine du riche et celle du pauvre, que les pauvres s'en
(c débarrassent en la tuant, au lieu que les riches en sont
« souvent les victimes : témoin les rois puissants Antiocbus
« et Hérode-Agrippa qui, au rapport de la sainte Ecriture,
« en fuient dévorés. »
Les évêques de Noyon et d'Orléans n'étaient pas moins ses
amis, comme on le voit par la ly* stance, ainsi conçue :
Mors , qui les haus en prison tiens ,
Aussi comme uns povres rliiens,
Ke li siècles a en despit,
Salue deus évesqiies miens,
Celi de Noyon et d'Orliens;
Di leur qu'ils ont mainz de respit
Ke en lor faces n'est escrit :
Tu fais de lonc telme un petit.
Or se gardent de tes engiens.
Tu prens le dormant en son lit,
Tu touls au riche son délit.
Tu fais biaulé devenir fiens.
L'évêque de Noyon était sans doute Etienne de Nemours,
qui gouverna cette église depuis l'an 1188 jusqu'à 1221.
Quant à celui d'Orléans, ce ne peut être que Henri de Dreux,
frère de l'évêque de Beauvais, et mort lan 1199. II est vrai
que, dans d'autres manuscrits, au Heu de Noyon et d'Orliens,
on lit de Noyon tX. A' Amiens. Dans ce cas, ce serait Thibaud
de Heilly, qui fut évêque d'Amiens depuis l'an 1 169 jusqu'en
1204. Tels sont les évêques dont Hélinand s'était concilié
l'amitié.
L'année de sa mort est fort incertaine. Du Boulay la place
en 121 2. Cette opinion est inconciliable avec ce que rap-
porte Vincent de Beauvais. Pour rendre raison de la perte
•de la chronique de notre auteur, il dit qu'Hélinand en avait xxîx, V. cVi'i
confié quelques cahiers à Guérin, évêque de Senlis. Or,
Guérin n'ayant été fait évêque de Senlis qu'en iai5, il faut
3u'Hélinand ait vécu au-delà de ce terme. Casimir Oudin ne
it pas sur quel fondement il le fait vivre jusqu'en 1327. Nous
croyons quon peut retarder encore sa mort de quelques
années. En effet, parmi ses sermons, il y en a un qui fut
M 2
Spec. bist., I.
II.
92 HÉI.INAND,
— ! prêché à Toulouse dans un synode. C'est ce que portait le
Bii.i.p.cisie.., manuscrit original «le Froidmond. Or, nous ne trouvons pas
i. VII, p. »<)',. qu'il ait été tenu à Toulouse, dans les premières anjiées du
xiH^ siècle, un autre concile que celui (jui s'assembla, l'an
1129, sous la présidence du légat Romain , cardinal de Saint-
Maii.iiL,Ampi. Ange. Il est vrai que D. Martène rapporte des actes d'un
loilcct. , t. VII, JJ^^p^. concile de Toulouse de l'année 121Q, toujours sous la
col I OD -1 • "
présidence du cardinal Romain; mais il faut qu'il y ait erreur
dans la date, et qu'on ait lu 1219 pour 1229, parce que le
cardinal Romain ne fut légat en France qu'en 1225. Cela
posé, les actes publiés par iVIartène ne sont qu'un Inigment
de ceux qu'on trouve dans les collections des conciles, comme
appartenant à celui de Toulouse de l'an 1229.
Hélinand vivait donc encore en cette année, et n'était pas
si décrépit, qu'il ne pîit aller porter la parole de Dieu dans
des régions éloignées, ou du moins en Languedoc. Loisel ,
à la fin du poème d'Hélinand sur la mort, donne son épita-
phe, qu'il a tirée, dit-il, d'un ancien manuscrit de Froidmont.
Elle consiste dans les cinq vers suivants, dont les quatre
,,, , ., premiers se retrouvent dans l'épitaphe d'Abélard , attribuée
sp.i <),..,. 801. a Philippe Harveing, abbe de bonne-tsperance.
Lucifer occul)uit : stelloe radiale minores ;
Nanique hujus radius (i) hebetabat ut inferiores.
Illius occasu tandem venistis ad ortum ,
Naufragioque teiiet vestrae ratis anchora portum.
Claruit ingenio, moril)us alque stylo.
SES ECRITS.
Le tome VU de la Bibliothèque des pères de l'ordre de
(liteaux , par D. Tissier, contient les principaux ouvrages de
notre auteur. On y trouve sa chronique universelle, ses ser-
mons et quelques opuscules.
I. Sa Chronique. Elle remontait à la création du monde,
et comprenait 49 livres; mais il n'en reste qu'un assez long
fragment, commençant à l'année G34 de l'ère chrétienne, et
finissant à la prise de Constantinople par les Français l'an
i2o4; fragment qui correspond au livre 45 et aux suivants
jusqu'au ^cf inclusivement. La perte des autres livres est
ancit^nne, puisque Albéric de Trois-Fontaines n'emploie que
les cinq derniers dans les extraits d'Hélinand, qu'il a insérés
(i) ^l. Cujus vos radius.
XIII SIKCM,.
MOINE DE FROIDMONT. 93
dans sa propre chronique. Incipit liber Helinandi , dil-il , sur
l'année 633, et le morceau qu'il cite à cette occasion, est le
commencement du 45* livre de notre auteur. S il faut s'en
ra|)portt'r à Vincent de Beauvais , cette perte eut pour cause S|.c.. hist. , 1.
la néelii^ence de Guéiin, évêque de Senlis, qui ayant em- ^xix, c. cvm.
^'1 i • < p 1 I ' 1 1 '1 ^ • Oudin.deScri.
prunte quelques cahiers a lautcur, les ej^ara. Il est certaui ^^^1^ t. m, p.
que dans le manuscrit original, que Casimir Oudin dit avoir 12.
eu entre les mains, tout ce qui est antérieur à l'année 634,
ne consiste quen une nomenclature sèche des princes qui,
depuis la création, ont gouverné le monde, tableaux qui
aujourd'hui ne peuvent étie d'aucune utilité, et qu'on a bien
fait de ne pas imprimer. Cependant Oudin ajoute qu'il existe
en Angleterre, dans la bibliothèque Cottonnienne, un ma-
nuscrit ainsi désigné par le catalogue : Chronicon Helinandi
monachi, ordinis cisterciensis, pars prima à creatione niitndi
ad tenipora Dorii Nothi et Ârchelai , libris sexdecim ; d'où
il conjecture que la seconde partie, finissant à la naissance
de J. C, pouvait aussi contenir seize livres, avec un peu
de détail, et la troisième douze, depuis l'incarnation jusqu'à
l'an (133.
Quoi qu'il en soit, cette perte, si elle est réelle, n'est pas
beaucoup ;i regretter, à en juger par le fragment qui nous
reste, dans lequ^'l notre auteur n'a fait que compiler ce qu'il
a trouvé écrit avant lui. Ses guides ordinaires sont lu véné-
rable Bède, Sigebert de Gemblou, Hugues de Saint-Victor
et Guillaume de IMalmesburi. Arrivé à l'an 1 1 1 3 : « Ici finit,
« dit-il en terminant le livre 47 1 '^ chronicjue de Sigebert.
« Après lui , je ne vois ni chroniqueur, ni historien qui nous
u ait donné une suite non interrompue d'événements mémo-
« râbles. Je trouve seulement qu'on a ajouté à la chronique
« de Sigebert ( il veut parler de ses continuateurs) quelques
« annotations très-courtes, quasdani notulas hrei'issimas,
« unius tantimi lineœ capaces, qui, dans la chronologie,
« laissent, dit-il, plus d'années vides qu'elles n'en remplis-
« sent. » Il annonce donc qu'il amassera de tout côte, de
quoi remplir son plan jusqu'à la 2()*' année du règne de
Philij)pe- Auguste, c'est-à-dire jusqu'à l'an 1 y.o4. On s'atten-
drait à trouver, à cette époque, qui est celle de son âge mûr
et de sa célébrité, une histoire instructive, nourrie de faits
et d'aperçus politiques : point du tout, il n'a recueilli siir le
XII* siècle que des niaiseries; ses livres 4^ *^^ 49 ne sont
remplis que de prodiges, de visions, de songes, d'appari-
94 HÉLINAND,
XIII SIKCLE. . , ,, . ... , , „,.,
. tions, de revenants et d autres puérilités de ce genre, h il
touche, en passant, quelques ëvéïieinents publics, il n'en dit
qu'un mot, sans en marquer les dates; et si celles qu'on lit
à la marge sont de lui , et non de l'éditeur, elles siotn presque
toutes fausses. Le même désordre règne dans toute an chro-
nique.
Concluons qu'Hélinand n'était pas né pour écrire l'histoire;
qu'en abandonnant le métier de trouverre, il en conserva le
génie; il se mit à raconter sérieusement ses pieuses rêveries
ou celles des autres, avec autant d'assurance qu'il débitait
•autrefois ses chansons. Cependant Albéric de Trois-Fontai-
nes et Vincent de Beauvais, autres compilateurs, lui em-
pruntent souvent des morceaux qu'ils ont insérés dans leurs
chroniques: tant ou était dépourvu de critique dans les xu*
et xiii« sièc les!
Tis5ier,t.vn, j[ ^f,^ Serinons. Les sermons d'Hélinand sont solides et
'* *° d'un mérite supérieur à sa chronique. Ils sont au nombre de
28, et roulent sur les principales fêtes de l'année. Dans le
premier sermon sur l'Avent, nous remarquons cette pensée.
« La foi de l'incarnatiou a d'abord été annoncée par la sim-
« pie prédication, ensuite prouvée par la raison, enfin dé-
« tendue par l'etfusion du sang. De pauvres pêcheurs l'ont
« annoncée, des philosophes et des orateurs convertis l'ont
« prouvée, des martyrs de l'un et de l'autre sexe et de tout
« âge l'ont défendue. Klle a été annoncée à ceux qui se trom-
« paient par ignorance, elle a été prouvée contre ceux qui
« lui opposaient le raisonnement, elle a été défendue contre
« ceux qui abusaient de leur autorité pour la persécuter.
« Dans le premier degré, on peut la comparer au lever de
o l'aurore; dans le second, à la splendeur du matin; dans le
« troisième, à la chaleur du midi. »
Imbu, comme ses plus habiles contemporains, de notions
fausses ou mal éclaircies, le prédicateur tombe dans plus
ibid. p. 227 d'une erreur de fait. Il cite, comme de Virgile, l'épitaphe de
Jules-César, qu'on attribue avec plus de fondement à Mar-
bode, évêque de Rennes.
Caesar, tantus eras quantus et orbis,
At nunc exiguà clauderis urnâ.
Post hune qiiisque sciât se ruiturum,
Et jam nullâ niori gloria toUat.
Ibid. p. iiij Ailleurs , il fait honneur à saint Ambroise -de l'hymne
MOIiNE DE FROIDMONT. 96
Vcxilla Régis, qu'on sait être de Fortunat, évèque de Poi 1
tiers.
Le premier des cinq sermons, pour le dimanche des Ra-
meaux , avait été prêché en français, et ce serait le dernier
qu'Héliiiand eût débité, si l'on s'en rapportait à une note que „ • , ,,
,7,,. ., ,' . ■'• I T AU- •' IIjiJ. p. 234.
1 éditeur a copiée sur le manuscrit original. J^cs Albigeois y
sont traités de chiens, qu'on doit non seuhmeiit chas.ser à
coups de |)ierre et de bâton , mais égorger et livrer aux flam-
mes comme des chiens enragés. Erubescnnt igitur canes Al-
higenscs , dit l'édition latine,.... qui non soluni taniquam
canes improhi lapidibus et haculis ahigendi sunt, sed ctiani
tamquam canes rabidl confodiendi gladiis vel ignibus com-
burendi.
Dans le discours suivant, l'entrée de J.-C. à Jérusalem, sur
un âne, donne lieu à une vigoureuse sortie contre le luxe
des prélats de ce temps. « Ce n'est pas assez pour eux d'être
« montés sur des palefrois, il leur faut un Bucéphale tout ibid.p. 237.
« resplendissant d'or, afin de rivaliser avec Alexandre, et
« qu'on ne puisse révoquer en doute la haute illustration de
« leur origine : Ostentantes videlicet nubilitatem gcneris , ut
« quasi Alexandrino sanguine respersi videantur. »
A la tête du second sermon, pour la fête de l'Ascension,
le lecteur est averti que ce discours fut prononcé à Toulouse,
dans l'église de Saint- Jacques, en présence des étudiants, ad
clericos scholares , apparemment pendant le voyage que fit
Hélinand dans ces contrées, l'an 1229, comme nous l'avons
dit plus haut. Ce discours roule principalement sur la vanité
des sciences humaines, en comparaison de la science des
saints. « On va, dit-il, à Paris pour s'instruire dans les arts ibid.p. 2^)-.
« libéraux, à Orléans pour étudier les auteurs classiques, à
« Bologne pour apprendre la jurisprudence, à Salerne la
« médecine, à Tolède la magie; et nulle part, on n'a ouvert
a des écoles pour former les mœurs : Ecce querunt clerici
« Parisiis artes libérales , Aurelianis auctores , Bononiœ co-
ït dices , Salerni pyxides , Toleti dœmones, et nusquani nio-
« res , etc. »
Dans le dernier des trois sermons sur la Pentecôte, on re-
marque une vive sortie contre la mondanité des clercs en
général. «Vous verrez ces hommes, dit Hélinand, obligés ,, ,
« par état de donner des exemples de pudeur et de modestie,
« se parer avec plus de soin que des femmes. Vous les verrez
« se montrer en public, les cheveux élégamment frisés, la
XIU SIECLE.
96 HEUNAND,
« barbe proprement rasée, le visage ÏM-àé { pumicata cute\
a la tête découverte, les épaules nues, les bra'^ flottants , les
ce mains gantées, les pieds légèrement chaussés, la robe l'un-
ie due jusqu'aux aines ; et pour qu'il ne manque rien à la
« symétrie de leur ajustement , consulter sans cesse le miroir
(c sur ce point. C'est ainsi qu'on les voit en public , vêtus d'un
«t vert éclatant , les doigts garnis d'anneaux brillants , et
« l'œil exprimant la satisfaction de lame par des regards de
« complaisance, jetés de temps en temps sur cette parure
« élégante. J'oubliais de dire que cette couronne qu'ils sont
« obligés de porter sur le sommet de la tète, ils la diminuent
« tellement, pour ne pas gâter l'économie de leur chevelure,
« que vous la prendriez plutôt |)oiir la marque d'un esclave à
« vendre, que pour le sceau de Tordre clérical. »
ii.id p 2-( '-'^ premier sermon pour la tête de l'Assomption de la
Sainte Vierge est dirigé contre Pierre Lombard, le maître des
sentences, qui, au gré de notre auteur, s'était mal expliqué
au sujet de l'immaculée conception de la mère de Dieu.
Héliuand ne se montrait pas plus indulgent pour les abus
ibki.p. 288 de son ordre que pour ceux du clergé. Dans le premier
sermon pour la fête de tous les Saints, après avoir gour-
mande la folie des hommes qui élèvent de grands édifices,
comme s'ils ne devaient jamais mourir, il condamne avec
non moins de foice la somptuosité des édifices qu'on éle-
vait dans quelques maisons de l'ordre de Cîteaux. Il réfute
solidement les prétextes qu'on alléguait pour excuser ces
entreprises, si contraires à la simplicité et à la pauvreté mo-
nastiques.
Nous trouvons, dans le troisième sermon sur la fête de
tous les Saints, le serment qu'on exigeait des nouveaux che-
valiers, et les cérémonies qui s'observaient à leur réception.
ibid. p. 292. a Le jour où le nouveau chevalier devait recevoir la ceinture
oc militaire, il se rendait à l'église en cérémonie; après la
« messe, on prenait sur l'autel le glaive qu'on lui présentait,
« et il faisait une espèce de profession solennelle, par la-
ce quelle il se dévouait au service de l'Eglise, promettant de
« n'employer son glaive que pour la gloire de Dieu. Eo diequo
« qiiis militans cingulo decoratur, ecclesiani solcinniter adit,
« missani audit; gladioque superposito et allato , quasi ceîe-
(( briprofessionefactà, seipswn altaris ohsequio devovet , et
K gladii , id est , ojjicii sui jugem Deo spondet faniulaturn. »
L'auteur conclut de là, que le nouveau chevalier contracte
XIII SIECLE.
MOINE DE FROIDMONT. • 97
de grandes obligations envers l'Eglise , et qu'il s'interdit
tout ce qai pourrait lui être préjudiciable. De telles obli-
gations ne diffèrent pas beaucoup, selon lui, de celles des
moines, des abbés et des évêques en vertu de leur profes-
sion. Par conséquent tout chevalier, pour reiiiplir ses en-
gagements, doit prendre la défense de l'Eglise, s'armer,
contre toute perfidie, respecter le sacerdoce, redresser les
torts qu'on fait aux pauvres, maintenir partout la tranquil-
lité publique, en un mot , sacrifier sa vie pour accomplir son
serment.
Les trois sermons de la Toussaint sont suivis d'un dis-
cours prêché dans la ville de Toulouse, à l'ouverture d'un
synode; et l'on sait que, dans les premières aimées du xiii*^
siècle, il ne s'est tenu, en cette ville, qu'un seul concile, celui
de i22(), contre les Albigeois, sous la présidence du légat
Romain, cardinal de Saint-Ange, ainsi que nous l'avons dit
plus haut pour prouver qu'Hélinand a dû vivre jusqu'à cette
époque. Ce discours roule sur l'excellence et les devoirs du iimi. p. i,jH,
sacerdoce, et, à cette occasion, le prédicateur fait une ex- '^9'-
cursion contre les ministres de la secte albigeoise, qui affec-
taient, dit-il, un extérieur mortifié et des pruuipes austères,
en quoi il les compare aux prêtres des idoles, qui, d'après
saint Jérôme, ne leur cédaient en rien sous ce rapport.
Le dernier des sermons d'Hélinand a pour objet la puis-
sance et la sainteté de l'J'glise. On y lit un long commentaire
de ces paroles de Jéi émie : Ecce constitui te hodie super iientes ii.id. p. \>\.
et rei^na , ut evellas et dcstnuis , et disperdas , et œdijices et
plantes. « Tout prélat ecclésiastique, dit notre auteur, est
« établi, par le Seigneur, sur toutes les nations et sur tous tes
« royaumes, parce (ju'il est placé au-dessus de la multitude
« des séculiers, et même au-dessus des rois et des princes,
« Car Dieu a réglé, dès le coujuiencement, que toute dignité
« séculière et mondaine serait soumise à la puissance ecclé-
« siastique, et régie par elle, comme l'inférieur par son supé-
i( rieur, le moins noble par le plus noble. Or celui qui bénit
« est, sans contredit, plus grand que celui qui est béni,
et puiscjue le |)remier représente le Créateur qui doiwia sa
« bénédiction à tous les animaux, après les avoir tirés du
« néant. » Nous lai.ssons au lecteur éclairé le soin d'apprécier
ce raisonnement. Cependant l'auteur n'en tire aucune coa-'
clusion pour soumettre le temporel des rois à 1 autorité ecclé-
siastique, ni pour permettre à celle-ci de disposer à son gré ibid. p 3o6.
Tome XFllL N
Xllt SIECLE.
98
MÉLINAND ,
«
«
«
«
«
«
des couronnes. Tout son but est de prouver qu'elle a le droit
de punir par des peines canoniques, les princes, comme les
autres fidèles, lorsqu'ils s'écartent de leur devoir. Encore
faut-il distinguer leur conduite personnelle de celle qu'ils
tiennent comme administrateurs publics.
Ce discours fut prononcé à l'occasion de l'arrivée d'un
nouveau légat, et en sa présence, a Voilà, dit Hélinand, un
envoyé du souverain-pontife, un nouveay légat qui nous
a apporté plusieurs beaux renflements de discipline; mais
quiconque voudra permettre qu'on arrache les épines sans
nombre dont la surface de son ame est couverte, ne se
plaindra pas de la multitude de ces lois. . . Recevons-les
donc avec docilité; recevons pareillement avec respect
celui qui nous les apporte. Sa modestie doit nous engager
à lui rendre l'honneur qu'exige le caractère dont il est re-
« vêtu, et aux ordres dont il est ))orteur, l'obéissance qu'ils
« méritent. Il ne paraît point avec faste, il n'est point dominé
« par l'avarice, il ne court point après les présents; c'est
« nous qu'il cherche et non pas nos bieiis. Bref, il nest pas
<i comme beaucoup d'autres. » Il est fâcheux qu'Ilélinand
n'ait pas nommé ce légat; cela aurait pu nous donner une
époque certaine sur la durée de sa vie. Peut-être a-t-il voulu
parler du cardinal Robert de Corçon, qui vint à Paris, l'an
1212, et y publia, dans un concile, plusieurs constitutions du
saint-siége pour la réforme des mœurs. Peut-être aussi faut-il
entendre ce qu'il dit, du légat Romain, cardinal de Saint-
Ange, que notre orateur paraît avoir accompagné au concile
de Toulouse de l'an 1229^ comme nous l'avons déjà dit, où
ib11i.coi.42j- fy^gj^t promulguées d'autres constitutions.
On ne peut disconvenir que ces sermons ne soient graves,
pieux, solides, pleins de science ecclésiastique et d'érudition
profane très -bien appliquée; le style en est clair, vif et
serré, la morale en est saine (quand l'intolérance ne la cor-
rompt pas). L'auteur y décrit les vices dominants du siècle, et
les combat avec avantage. On y reconnaît aussi le génie d'Hé-
liiiand,en ce qu'il y mêle assez souvent des récits fabuleux,
comme il a fait dans sa chronique.
III. Les Fleurs d' Hélinand. Ce sont deux ou trois opus-
cules qu'Hélinand dit avoir composés, que Vincent de Beau-
vais nous a conservés, que D. Tissier a reproduits à la suite
des sermons de notre auteur.
Le premier est un traité de la connaissance de soi-même,
Labbe , Con-
il., t. XI, col.
">7-8i(
Bibl.PP. cist
(. VII, p. 3oG.
MOINE DE FROIDMONT.
9.9
XIII SIECLE.
composé de deux parties. Dans la première , Hélinand donne
un extrait d'un sermon qu'il avait prêché autrefois devant
sa communauté, pour prouver que Macrobe et les anciens
philosophes avaient très- mal entendu le fameux oracle de
Delphes yvùôi ceau-rôv; oracle sur lequel notre auteur , exami-
nant l'homme dans toutes ses parties, établit un fort bon
traité de morale. La seconde partie consiste en une lettre qu'il
dit avoir écrite -autrefois sur le même sujet, à un nommé
Drogon, chanoine de Noyon. Ces deux morceaux remplis-
sent les i3 premiers chapitres de cette compilation , qui en ibij. cap. u,
contient 25. Hélinand, toujours entraîné par ses premières \<- 12, i^
habitudes , termine cet opuscule par des contes de revenants
qui gâtent toutes les bonnes choses qu'il avait dites.
Le deuxième opuscule traite de l'institution d'un prince,
De instituendo Rege, et remplit les 12 derniers chapitres ,^.
du recueil des Fleurs. C'est un commentaire sur le chapitre et se(|q
17 du Deutéronome. Après avoir détaillé les qualités que doit
avoir un prince pour bien remplir les devoirs de sa place,
Hélinand passe aux obligations des officiers publics, aux-
quels il donne aussi des leçons, sans oublier de leur repro-
cher les abus d'autorité qu'ils se permettaient, de son temps,
dans l'exercice de leurs fonctions. Nous remarquons dans
cette partie plusieurs passages que nous avons déjà observés
dans ses sermons ; ce qui prouve que ces deux écrits sont
d'un même auteur.
Qu'Hélinand ait composé un traité de l'institution d'un Naneis ad an
prince, c'est ce qu'atteste Guillaume de Nangis, qui fut près- 1220.
que son contemporain. Casimir Oudin indique cet ouvrage neScri t ec
comme ex'istant manuscrit, mais anonyme, dans la Biblio- ries, t. m, oui.
thèque royale, sous l'ancien n" G608, qui est aujourd'hui ^^
le n° 6779; '' ^" rapporte même le début ainsi conçu :
Postqiiam regale sceptrum regniquc gubernacula rector chris-
tianus suscepit , etc. Nous avons examiné ce manuscrit, et
nous pouvons attester que l'ouvrage qu'il contient est tout
différent de celui d'Hélinand, que Vincent de Beauvais nous
a conservé en tout ou en partie. Ce n'est qu'en hésitant
qu'une main moderne a écrit à la tête du manuscrit, Forte
Hehnandi Frigidiinoidis nionachi.
Le troisième opuscule, qui nous a été conservé, paraît
entier, et porte dilférents titres. De reparatione lapsi , La-
mentationes et vœ , parce que l'ouvrage commence par ces 3|fi'*'' ' "*'
mots : Planctus monachi lapsi, ou De laude vitœ claustralis ;
Na
XIII SIECLE.
roo HÉTJNAND,
l'auteur y fait voir que , si quelquefois les observances
du cloître sont au-dessus des forces de certains tempéra-
ments, on ne refuse jamais aux infirmes les soulagements
que la raison et la charité prescrivent. C'est une longue
lettre d'f lelinand , écrite au nom de Guillaume, son confrère,
à Gauthier, frère de ce dernier, pour le rappeler dans le
cloître, qu'il avait quitté après y avoir fait profession. Gauthier
venait de consommer son apostasie par le mariage; il colo-
rait cette conduite de divers, prétextes qu'Hélinand réfute.
C'est dans cet écrit qu'il a tracé le tableau des égarements
de sa propre vie, avant son entrée en religion. On y trouve
comme dans ses autres écrits, la même abondance d'érudition
sacrée et profane.
IV. L'ouvrage le plus célèbre d'Hélinand, celui qui lui a
fait la plus belle réputation parmi les gens de goût et les
amateurs de notre vieux langage , ce sont ses stances en- vers
français sur la mort , dont il existe beaucoup de manuscrits,
et qu'Ant. Loisel , avocat à Beauvais, a mises au jour l'an
i5q4, sur une copie délectueuse qui lui avait été envoyée
par le président Fauchet. Nous disons défectueuse, parce
que plusieurs stances ne renferment que neuf, dix ou onze
vers, au lieu de douze qu'elles devraient avoir, et qu'il n'en
a donné que 89, au lieu de 4<) ? tlont la pièce est composée
dans le manuscrit de Saint-Victor.
C'est un poème moral, dans lequel l'auteur envoie la mort
saluer ses amis et ses protecteurs, afin qu'elle ne les enlève
pas de ce monde inopinément. Nous en avons déjà cité
quelques strophes, pour com[)oser sa vie. Nous en citerons
encore deux ou trois de celles qui nous ont paru plus remar-
quables. La 4^ indique le but que se proposait l'auteur :
Mors , je t'envoi à mes amis ,
Ne mie comme à anemis ,
Ne comme à gent que je point hace;
Ains proi Dieu qui el cuer ma mis,
Ke ce lor soille k'ai pramis,
Qu'il lor doinst longe vie, et grâce
De bien vivre tôt lor espace.
Mais tu qui joes à la cache
De chiaus où Dex paor n'a mis,
Moult fais grans biens par ta manache ;
Car ta paors purge et saache
Lame, aussi com par un tamis.
Les stances i3 et i4 sont dirigées contre la cour de Rome.
MOINE DE FROÏDMONT. loi
. XIII SIÈCLE.
Hélii)and y envoie aussi la mort, pour avertir de mettre un
terme aux exactions qui s'exerçaient au nom du saint-siëge.
Nous aimons mieux transcrire la i5^ qui est moins sati-
rique :
Mors , crie à Rome , crie à Rains ,
Seigneur, tôt estes en mes mains,
Aussi li haut comme li bas;
Ouvrez vos yex , chaingniez vos rains ,
Anchois que je vos tiegne as frains,
Ke je vos face crier, las!
Certes j'akeur phis que le pas,
Et j'aport dez de deus et d'as ,
Por vos faire jeter del mains.
Laissiez vos chilTlois et vos gas,
Tex me cuevre dessous ses dras
Qui cuide estre tous fors et sains.
Le poëme, au jugement de Loisel, est de toute beauté.
(t Car outre la naïveté, dit-il, de l'ancien roman François,
« que nous y devons reconnoître et apprendre avec plaisir,
« je trouve son style bien orné et grandement figuré, son
« oraison pleine, sentencieuse et morale; et sa rime si riche:
« et si coulante, qu'il ne se trouve en chaque douzain, dont
« cest œuvre est principalement composé, que deux lisières.
« Et, pour le dire en un mot, j'estime cest eschantillon se pou-
« voir parangonner, non seulement à beaucoup d'escrits de
« nos modernes , mais aussi surpasser plusieurs ouvrages
« anciens que nous prenons la peine d'apprendre et lisons
« avec admiration. »
Adrien Baillet, parlant du poëme d'Hélinand sur la mort, ^ ^^6- •'**^'^*^'
estime « qu'il avait l'esprit fort beau; qu'il n'était pas un ip./ro'
« simple versificateur, comme la plupart des autres poètes
« du moyen âge; qu'il avait du feu, de l'imagination et de
« l'invention, qu'il ne lui manquait que l'usage d'une langue
a plus parfaite que n'était alors la nôtre. . . . Mais on ne peut
« pas nier, ajoute-t-il, qu'il n'ait été un peu satirique et hardi
« pour un moine; que son sel ne fût un peu acre et piquant,
« surtout lorsqu'il voulait reprendre les désordres de son
« temps, et particulièrement ceux de la cour de Rome : té-
« moin ces vers delà i3^stance,
Rome est le mail qui tôt assorae, etc. •
Hélinand avait composé beaucoup d'autres poésies fran-
çaises, puisque ce fut sa principale étude avant d'entrer en
1 0
I02 HÉLINAND, MOINE DE FROIDMONT.
Xm SIECLE. ,. . ^
religion. Les productions de sa verve, qui apparemment se
ressentaient de la vie licencieuse qu'il menait dans le monde,
n'existent plus par l'attention qu'il aura eue lui-même de les
supprimer.
V. Sur la foi de Vincent de Beauvais, Surius et IcjS Bollan-
distes ont imprimé, au dix octobre, sous le nom d'Hélinand,
les actes de saint Géréon et autres martyrs de Cologne, qui
faisaient partie de la légion thébéenne. Voici le jugement
Till. Mém., t. qu'cn portc le judicieux Tillemont. On voit aisément par
IV, p. 429. le long -temps qu'il y a entre Hélinand et le martyre des
saints dont il écrit l'histoire, qu'il ne mérite nulle auto-
rité. Ainsi , on ne doit pas trouver étrange qu'il tombe
dans des anachronismes grossiers; qu'il fasse descendre
les Français des Troyens,et qu'il admette le baptême de
Constantin par le pape saint Silvestre. Il veut que tous
les saints dont il fait l'histoire aient été de la légion
thébéenne, excepté les soldats maures, qu'il met les der-
niers. On juge que toute son histoire n'est qu'un sermon
prononcé, ce semble, à Cologne même. En effet, cette
pièce, par l'élégance du style, se distingue des autres légen-
des, et peut passer pour un discours apprêté,
iter iiai. , p. VI. D. Martin Gerbert, abbé de Saint-Biaise dans la forêt
*^'^- Noire , témoigne avoir vu dans la bibliothèque de Saint-
George, à Venise, un manuscrit ayant pour titre : B. Heîi-
nandi Galli , monachi cœnohii Fontis - Frigidi ( Montis-
Frigidi ), ord. S. Benedicti , cong. cisterciensis , liber de
commendatione S. Bernardi, abhatis clarevallensis , ejusque
dictis et floribus.
Vil. Casimir Oudin dit aussi avoir vu dans l'abbaye de
Longpont, diocèse de Soissons, deux manuscrits contenant
un commentaire sur l'Apocalypse, avec le nom d'Hélinand.
Il ajoute qu'il a retrouvé le même ouvrage à la Bibliothèque
royale. Charles de Visch et Fabricius l'attribuent à un Héli-
nand, moine de Pcrseigne, auteur inconnu d'ailleurs. Il est
certain que les copistes et les faiseurs de catalogues donnent
souvent aux ouvrages des titres arbitraires, et il serait pos-
sible que celui-ci ne fût ni de l'un ni de l'autre. Nous disons
la même chose des Gloses sur l'Exode, qui existaient autre-
fois à Morimond, sous le nom d'Hélinand de Perseigne,
comme on l'avait mandé de France à l'auteur de la Biblio-
thèque des Pères de l'ordre de Citeaux.
VIII. Ignace Firmin de Hibéro, abbé de Fitère au royaume
GÉROLD OU GIRALD, ABBÉ DE MOLESME. io3
de Navarre, fait Hëlinand auteur du Grand Exorde de Ci-
teaux. Nous avons réfute cette opinion autre part, en ren-
dant compte de cet ouvrage comme d'un auteur anonyme.
( Anicle de feu M. BRIAL. )
xiu siècxE.
^^^^^^fc*»*»»^»^».^»*^»^^
GÉROLD OU GIRALD,
ABBÉ DE MOLESME, PUIS DE CLUNY, ENSUITE ÉVÈQUE
DE VALENCE, ENFIN PATRIARCHE DE JÉRUSALEM,. MoaTemaîo.
LjEs premières années de la vie de ce religieux sont reste'es
inconnues; on ne le trouve ci té, pour la première fois, qu'à l'an jg" '^ '■''^'
1 208 , où il fut élu vingtième abbé du monastère de Molesme,
au diocèse de Langres. Il gouverna ce monastère cinq ans,
et il n'est question de lui dans les chroniques de Molesme
que pour les actes de son administration temporelle. En
I2i4i il fut élu abbé de Cluny par le suffrage unanime des
religieux de cette abtaye. Dans cette élection, on remarque
que les religieux obligèrent leur candidat à jurer qu'il obser- Qan ^i,,. jy
verait les constitutions de Pierre-le- Vénérable, et cependant, n^S.
l'année qui suivit celle de son élection, le pape Innocent III Hist. Utt. de u
1 J -I- I » ^I ■ • • » J'- ' • Fr-,<- XIII, p.
le délia de son serment, et lui enjoignit d imposer une peni- j,, *^
tence à ses moines pour l'avoir exigé de lui. Cet abbé, qui fut le
dix-neuvième de Cluny, gouverna son abbaye jusqu'en 1220,
durant six ans, ou durant cinq ans seulement, selon ceux
qui placent son élection en 121 5. Son administration fut Bibi.cluniac,
tellement réglée, qu'il délivra sa communauté des dettes dont P- '664.
les intérêts dévoraient la substance, et qu'il la laissa, dit la
chronique, aussi riche des biens spirituels que des temporels.
En 1220, Gérold fut élu évêque de Valence en Dauphiné ; Aibeiicichion.
et ce qui détermina les chanoines de cette ville à faire choix »<< a""- is»»-
de ce religieux, dit un historien de cette éfflise, c'est qu'à , . ''.°^" .*^'''""'
."..,.,.. . iL-i ' ".' , il bi.de Rebusepis-
sa grande piete il joignait une habileté aussi graijde dans copor.Vaiemino-
les affaires. Mais, dit le même historien, son prédécesseur ruiii,in-4",i638,
Humbert avait mis tant d'ordre dans le diocèse, que Gé- i-"g<''"".P- ^6.
rold n'eut qu'à jouir d'un épiscopat paisible. L'an 1222, le
pape le chargea, conjointement avec Hugues, évêque de
Langres , de faire des recherches sur la vie et la sainteté du
bienheureux Robert, premier abbé de Molesme. Ses précé-
XIII SIECLE.
Albcric. chroii.
ad an. i si 5.
Gall.chr.,IV,
1145.
Bibl. cluoiac,
p. 1664.
.MâHh. Pari5,
P- «47-
Maltb. Pn\i ,
P- an:.
104 GEROLD,
(lents rapports avec cette al)baye l'avaient fait choisir pour
ce travail. Après avoir enrichi son éghse de quelques pro-
priétés nouvelles qu'il lui avait acquises, Gerolii la quitta
pour aller à Jérusalem, dont le pape venait de le nommer
patriarche eo lan 122.5. Il demeura dans cette nouvelle pré-
l-iture jusqu'en ia3o, et il y mourut dans le mois de sep-
tembre de cette année. Son corps fut enseveli tout près du
saint Sépulcre.
Matthieu Paris nous a conservé une lettre de ce prélat;
c'est le seul monument littéraire qui nous soit re>té de lui .
et le seul acte (iiie nous connaissions de son administration
épiscopale à Jérusalem. Avant d'en parler, il convient de
ra[)peler que l'empereur Frédéric II, après avoir été long-
temps pour le pape Honorius un sujet de discorde, avait
promis de s'embarcpier pour la croisade. Grégoire l.\. son
successeur, pour éloigner de lui un prince qui lui avait déjà
suscité plus d'un démêlé, le somma de remplir sa ()romesse,
et même l'cvcommuina pour vaincre son ol)>tination. Fré-
déric était partisans s'être fait absoudre de cette peine. Le
pape, mécontent ties dispositions dans lesquelles ce prince
persévérait, enjoignit au patriarche de Jérusalem île ne pas
le reconnaîtie con)me empereur. Frédéric, arrivé en Orient.
ayant traité avec le Soudan de Babylone, s'était fait rendre
Jérusalem sans combattre, et y avait fait son entrée Mais,
selon Matthieu Paris, (|ue nous suivons ici , les Templierset
les Hospitaliers, prenant en aversion les actes île [empereur,
qui avait mépn.sé leur assistance, se proposèrent lie le perdre
p.ir le mo\eii du Soudan. Ils écrivirent donc à ce dernier que
iempereur avait le dessein d'aller, un jour fixé par lui, sur les
rives du Jourdain pour adorer le Seigneur dans les lieux
mèiiies où il avait minil'esté sa présence; et qu'il lui serait
facile, s'il voul.iit, de s'emparer de sa j)ersoinie, et de le mettre
à moi t. Le Soudan, après la lecture decette lettre. I.i lit porter
aussitôt à l'empereur, (pii, content d'un côtéd .ivoir évite un
piège, et d'un autre touihede la grandeur il'ame du Soudan,
lui jur.i une araitie éternelle, lis s'envoyèrent mutuelhinent
des présents, et l'empereur excita par là de plus en plus
contre lui la haine des Templiers et des Hospitalieis Crai-
gn.uit de ne pouvoir avec certitude se venger de ces lieux
ordres, il difléra sa vengeance à un autre temps, et se pré-
p ira à retourner dans ses états.
Le patriarche de Jérusalem, excité d une part par lesplain-
ABBE DE MOLESME. id5
les du pape, de l'autre par les accusations des Templiers et
des Hospitaliers contre Frédéric, peut-être aussi mécontent
lui-même de sa conduite, écrivit aux chrétiens d'Occident
la lettre dont nous avons parlé et qui commence ainsi :
« Gérold . patriarche de Jérusalem, à tous les fidèles du
a Christ, salut dans le Seigneur. — Si la conduite qu'a tenue
a l'empereur dans les pays d'outre-mer, au grave préjudice
a de l'affaire du Christ, et au mépris de la foi chrétienne,
<t était bien connue depuis le commencement jusqu'à la
a fin, on ne trouverait en lui rien de sain de la plante des
a pieds jusqu'à la tête. II est arrivé ici sous le poids de l'ex-
« communication, ayant à peine avec lui (juarante soldats,
« entièrement dépourvu d'argent, comptant probablement
« pouvoir sustenter son indigence avec les dépouilles des
ft habitants de la Syrie. »
Après ce préambule, le patriarche continue l'histoire des
griets qu'il croyait devoir reprocher à Frédéric. Il l'accu-
sait particulièrement d'avoir pris Chypre par trahison, en
faisant prisonniers le roi et ses fils, qu'il avait invités à
un repas; d'avoir promis , en arrivant en Orient , de faire
des choses merveilleuses, et, au contraire, de s'être rendu
méprisable au Soudan même, en lui demandant la paix;
d'avoir fait avec l'ennemi un traité si déshonorant, qu'il
n'a voulu le faire connaître à personne; d'être entré à
Jérusalem, et d'être allé se couronner dans l'église, en
proclamant la délivrance des saints lieux, pendant que l'en-
nemi en possédait encore la plus grande partie; d'avoir
quitté clandestinement la ville, sans avoir rien fait pour sa
sûreté et sa défense; d'avoir méprisé les offres que lui avaient
faites les frères Templiers et Hospitaliers de travailler avec
lui à l'affermissement du royaume de Jérusalem; d'avoir,
par sa retraite de Jérusalem à Joppé, effrayé tellement les
pèlerins qui étaient dans la capitale, qu'à la nouvelle de son
départ ils voulurent aussi quitter cette ville, ce qu'ils firent
en grand nombre; de s'être opposé à ce que quelques soldats
français fussent retenus pour la protection de \a ville, en allé-
guant qu'il n'y avait |)lus rien à craindre, puisqu'ilavait faitun
traité avec le Soudan de Babylone , feignant d'ignorer que
nous étions en guerre ouverte avec celui de Damas.
Le patriarche poursuit ses plaintes contre lenipereur, et
lui reproche, à la face de toute l'Église, sa conduite pleine de
fourberies et de cruauté. En voici un nouvel exemple que
Tome XV m. G
1 0 *
Xin SIECE.
loG GÉPxOLD, ABBÉ DE MOLESME.
XllI SIÈCLE. . . • I , , j
nous Citons en latin pour donner quelque idée du style de
notre abhé : Et ut excogitatani nialitiam adimpleret , fva-
tres prœdicatores et quosdain minores qui in ramis pal-
mnruni locis statiitis convenerant ad prœdicandum verba
Doniini , per satellites suos rapi fecit de pidpitis , et in
terrant prosterni, extrahi, et quasi latrones per cii'itatcni
fustigari.
Cette lettre, qui remplit deux colonnes in-folio, n'est qu'un
tissu (le plaintes contre Frédéric. Matthieu Paris prétend
qu'elle ne fut écrite que pour diffamer l'empereur; il ajoute
que, quand elle arriva en Occident, elle ne ternit pas
peu sa réputation , et qu'elle lui fit perdre beaucoup de la
faveur générale. Quoi qu'il en soit de l'opinion du moine de
Hist. lies croi- Saiut-Alban , le traité de l'empereur avec le Soudan fut géné-
sades, I. ill,p. ralemcut r,i:ardé comme ignominieux par les chrétiens,
'"' ' même commi impie et sacrilège; enfin les reproches dont le
patriarche l" charge ne sont pas démentis par l'histoire.
Nous nous sommes arrêtés sur cette lettre, dont l'auteur
Biogiaphieiini- de l'articlc de Frédéric II, dans la Biographie universelle ,
lie, article j,'j, pjjg jVjjf mentioii. Elle est une peinture vive et vraie du
temps et des personnes. On y voit combien était alors agitée
cette société du moyen âge par l'ambition et la violence,
puisque ceux même qui y dominaient étaient saisis et frap-
pés sur les chaires chrétiennes. P. R.
GUILLAUME PÉTRI,
MORTen.23o. ÉVÊQUE D'ALBY.
Gail. tiuisi., (jiuii.r.AUME Petri était, en 1 176, prévôt de l'église d'Alby;
I i,pi5. depuis ce temps jusqu'en 1 185, année deson élection au siège
I. i,p. 43. é|)iscopal de cette ville, il conserva la rnènie dignité de pré-
vôt, ou peut-être ne fut il seulement (jue clianoine de cette
église et de l'abbaye de Saint-Salvien. La sixième année de
ii,ui..i(irnsiiu- sa prélature, en 1191, il fit un traité avecllaymond , comte
i.i.iii;i , |). r,. j^. Toulouse, dont l'acte, conservé par les auteurs de la
Gallici christiana , a été tiré des archives de la ville d'Alby.
On voitparcet acte que le comte etl'évêque, voulanlétablir
la paix dans leurs territoires, assemblèrent les principaux
verse
Fréiler
GUILLAUME PETRI, ÉVÊQUE D'ALBY. 107
Xm SIÈCLE.
seigneurs de leurs terres, et qu'ensemble ils convinrent de
prendre des mesures pour que les églises, les clercs, les mar-
chands, les pêcheurs, les chasseurs, les soldats, les bour-
geois et les paysans jouissent en paix de leurs propriétés. Le
comte de Toulouse garantit de sa part sûreté pour les bœufs
et les bêtes de somme de tous ceux qui porteraicntsureux un
signal de paix. Les autres seigneurs s'obligèrent à fiaire ob-
server cette paix par leurs vassaux. Elle concernait non-seu-
lement les hommes du territoire d'Alby, dans leurs relations
avec ceux de Toulouse et réciproquement, mais encore les
hommes de toute condition dans l'un et l'autre pays. Les traî-
tres, les perturbateurs du repos public ne furent pas compris
dans le traité; il fut arrêté, au contraire, que rien ne pour-
rait les protéger contre les rigueurs de la justice, ni la consi-
dération des personnes, ni la sainteté, soit du jour, soit du
lieu auxquels on s'emparerait d'eux. Les recteurs des églises
furent tenus de prêcher cette paix à leurs paroissiens, et de
leur en faire jurer l'observation sur le livre des évangiles.
Mais pour contribuer au maintien du traité, chacun était
tenu de payer au comte ou à l'évêque un setier de fro-
ment pour chaque bête de labour, douze deniers, monnaie
d'Alby, pour un cheval de bât, et six pour un âne. Enfin il
fut statué qu'aucune bête de somme, qui porterait le signal
de la paix, ne pourrait être saisie ni pour dettes, ni pour
aucun autre motif.
Guillaume Pétri continua d'administrer son diocèse jus-
qu'en 1227, année à laquelle il se démit volontairement de
sa prélature, après en avoir exercé les fonctions pendant
quarante-deux ans. Un des derniers actes qu'il fit, avant cette
retraite, fut celui par lequel il accorda aux consuls et aux
bourgeois d'Alby la faculté de disposer de leur avoir par
testament, à condition cependant que les biens de ceux qui
mourraient sans avoir testé appartiendraient à l'évêque. En
cette même année, il avait donné plusieurs privilèges à l'é-
glise de Saint-Salvien, dont il avait été chanoine, et l'acte qui
en a été conservé n'a rien d'ailleurs de remarquable.il avait,
durant sa prélature, fait, pour ce même monastère, des
statuts dont la date est incertaine, et que quelques-uns veu-
lent faire remonter à l'année même de son élection. Le prélat '^ù'',' \ i .
y ordonne aux rehgieux de vivre tous a la même table et p. 7.
des mêmes mets; de choisir un frère hospitalier, actif et
craignant Dieu, pour avoir soin des pauvres, lequel ne de-
O2
Gall. christ.
XIU SIECLE.
Ducange,\erb.
Donatus.
Mail. , l|,es.
a'ietd. , I. I, p.
Guillflm. de
PodioLaur.,cap.
3 et 4.
Pclrus, .le V.
•S. c. 25.
Gall.
I luït.,
christ.,
I.I,p.7.
108 GUILL.ALJME Ï^ETRf, ÉVÊQUE D'ALBY.
vrnit toutefois être dispensé d'aucun des devoirs de la com-
munauté. La peine ordinaire qu'il y infligea ceux qui auraient
transgressé ses statuts, était !a privation des reveims de leurs
bénéKces pour plus ou moins de temps, au profit des lépro-
series. Dans le cas où un de ces religieux , qu'on appelait
donati , se serait séparé de la communauté pour se marier,
il ne pouvait rien réclamer de cequ'il avait donné au monas-
tère. On désignait parce nom de donati, des hommes qui,
tout en restant laïques, se donnaient ou se consacraient eux
et leurs biens à un monastère, afin de jouir de la protection
de l'Église. Il ne devait pas être rare, dans ces temjys où l'au-
torité des lois était nulle, que des hommes consentissent à
abandonner une partie de leur patrimoine, jiour jouir du
reste avec assurance. Ils s'appelaient aussi oblnti , faisant
partie des moines, et ils étaient sous l'obéissance de l'abbé,
dont ils recevaient le vivre et le vêtement.
Le nom de Guillaume Pétri se trouve dans vme adresse
que les habitants de Castres écrivirent, en x-xi^-j , au roi saint
Louis, lors de son avènement au irône, relativement à leur
serment de fidélité. Guillaume de Puy-Laurent dans sa chro-
nique, et Pierre de Vaux-Cernay dans son histoire de la
guerre albigeoise, citent aussi plusieurs fois le nom de ce
prélat; le dernier surtout à l'occasion de l'entrée de Simon
de Montfort dans la ville d'Alby.
Ce prélat, après avoir passé trois ans dans la retraite,
mourut pieusement au mois de mai de l'an x-ïio. Il avait
demandé d'avoir sa sépulture dans l'église de Sainte-Cécile;
les religieux de Saint-Salvien, après sa mort, alléguèrent que
les restes du prélat leur appartenaient. L'official prononça
en faveur de Sainte-Cécile, et son acte est à la suite de ceux
de Guillaume Pétri. P. R.
MOBT en i'23o.
JEAN D'IPRES,
TROISIÈME DU NOM,
ABBÉ DE SAINT-BERTIN.
Jean surnommé d'Ipres , sans doute parce qu'il était né
dans cette ville, fut d'abord moine de Lobes, au diocèse de
JEAN DIPRES, ABBE DE SAINT-BERTIN. 109
Xiir siè;cLK.
Cambrai. Il passa de ce monastère clans celui de Sithieu ou
de Saiiit-Bertin, pour y succéder, en qualité d'abbé, à Simon
3^1 abdiquait cdte dignité en 1187. L'extérieur vénérable
e Jean, sa taille avantageuse, ce qu'il joignait de fermeté
à la douceur, d'habileté à la dévotion, de science à la piété,
de talents flexibles aux vertus sévères, en un mot un rare et
vrai m('rite lui ac(juit l'estime et l'amitié de ses contempo-
rains. Il obtint des papes Clément III, Célestin III, Inno-
cent III, Honorius III et Grégoire IX; de Philippe, comte
deFlaidrc, et du roi de France Philippe-Auguste, plusieurs
privilèges ou concessions pour son monastère. Il y reçut, en
laoy, des religieux de la catliédrale de Cantorbéry, bannis Voyezci-dts-
d'Angleterre pour avoir, contre la volonté du roi, élu Etienne "^"^' ■''
Langtoii à la dignité d'archevêque. Jean d'Ipres les accueillit
avec une bienveillance dont Innocent III ilaigna le remer-
cier. Quehjue temps après, il fit le voyage de Rome pour y
défeiidielcs droits de son abbaye contre les moines deSaint-
Silvin d'Auchi, qui perdirent leur cause. Il signa, en 1210,
une transaction avec ceux de Clairmarets, et fit ensuite, pour
les va.ssaux qu'il avait à Poperingues, une loi qui ne nous a
point été conservée. Un an avant sa mort, il s'engagea à
payer aux Flamajids 'j'oo livres, à condition qu'ils n'incen-
dieraient point le port de VVitlisand ( VVissant, l'ancien
Poi tus-Iccius }. Il mourut vers la fin du carême de l'année
12^0 : il gouvernait depuis 43 ans l'abbaye de Saint-Beitin ,
laquelle, entre les 45 abbés qui l'avaient précédé, en comp-
tait déjà deux du nom de Jean d'Ipres. On doit se garder
de le confondre avec eux, et il faut le distinguer aussi du
Jean tl'Ipres qui a rédigé une chronique de Saint-Bertin , et
qui n'est mort qu'en i383. Aubert-le-INIire, Henschenius et Auci.iieScri|)i.
le P. Leiong s'y sont trompés. Le chroniqueur est ordi- e"i«., r. 'îfii.
. j ' • ' I j>T • "Il I T Fit Boll.ind. I 2 el
naircment désigne par le nom d Iperius : il parle de Jean 111 ^
et transcrit l'épitaphe, fort richement rimée, qui ornait la jsiijI. hist. a
tombe de cet abbé. lairance, 2<=ed.
t. i,p. 18G, 268,
Omnibus annis, vita Joannis, laude nitescit; "•977''t' i^j»88.
Et nicritorum mole suorum, nocte tlitscit. Chron. Berlin.,
Pastor herilis, corde senilis, ore pudicus, ^' ^ ' '" }'"'
Fronte benignus , culmine dignus, pacis amicuS, ' ^^' '.' "'' . ., "
T. ^. . . . ^ 712' in 'Snicil
Juris amator, fit mediator seditiosis; .'o •'
Jiirgia calcans, scliismata falcans ex animosis.
Jam tener œvo, fit sine najvo, dos lobiensis, etc. , etc.
Les écrits qu'on pourrait attribuer à Jean d'Ipres, '3* abbé
(le
XIII SIÈCLE.
MO JEAN DIPRES,
de ce nom à Sitliieu, consisteniient en une vie de saint
Bernard le pénitt'iitT et en une le'gendc de saint Eikeniho-
don. A la vérité, Iperius, qui parle de ces deux productions,
ne dit pas que Jean Ilf en soit l'auteur; mais on aj)prend ,
dans le proloji[ue de la première, qu'elle est d'un moine de
Saint-Bertiii, jeune encore, qui s'appelle Jean et qui écrit
par ordre de l'abbé Simon. Or cet abbé Simon est le prédé-
cesseur de Jean III, qui ne devait pas être fort âgé quand il
lui succéda en 1187, puisqu'il vécut jusqu'en i23o. Quoi
qu'il en si)it, l'ouvrage est divisé en deux livres, dont le pre-
mier raconte la naissance, les voyages et la mort du pénitent
Bernard ; et le second ses miracles. Bernard narpiit au dio-
cèse de Maguelone, que Jean d'Ipres place en Provence; il
veut dire dans la Gaule Narbonnaise. L'historien ne sait pas
quels étaient les crimes horribles que Bernard voulut expiei',
en s'expatriant et en se condamnant aux |>lus dures austé-
rités : peut-être n'étaient-ils si horribles qu'aux yeux du
saint pénitent, qui se plaisait à les qualifier ainsi. Il marcha
sept ans sans souliers, fit le voyage de Jérusalem , erra dans
l'Inde, puis dans tous les pays chrétiens. S'etant enfin fixé à
Sithieu ou Saint-Omer, il couchait sur la dure, portait le ciliée,
faisait fondre la neige entre ses habits, mendiait son pain,
et distribuait lui-même des aumônes à mesure qu'il en rece-
vait. Quoique les miracles soient réservés au second livre,
l'un des chapitres du premier en célèbre déjà plusieurs. Ber-
nard, par exemple, éteignit un incendie en tai.sant le signe
de la croix; et voici comment il s'y prit pour guérir une jeune
femme des vertiges qui la tourmentaient: Per focum, puel-
lani intrà bracchia arripuit , et ainplexuuniiis brachii caput
vertiginosum aliquantiilîini firmiks adstrinxit, utjoculationis
gestu hjpocrisini dcclinaret et henedictionis effecta sanitatem
restitueret. Cet homme de Dieu mourut le 19 avril 1 182. Jean
d'Ipres, son contemporain, n'a écrit ici que ce qu'il a vu de
ses yeux, ou appris de bojine part; et cette observation
que l'auteur ne manque pas de faire lui-même, s'applique
surtout aux miracles dont le second livre est rempli. Il y en
a 3o au \^^ chapitre, 20 au 2«, 20 au 3^, i3 au 4*^, 3o au 5''
et 12 au 6^; total i25. Il s'en faut bien pourtant que l'auteur
Euisseénumérer tous ceux qui ne cessent de s'opérer au tom-
eau du saint; ils ne lui laisseraient pas, dit-il, le temps de
respirer, s'il n'en voulait omettre aucun. La plupart de ces
miracles sont des guérisons surnaturelles : quelques autres
ABBE DE SAINT-BERTIN. m
XIII SIKCLK.
consistent à faire retrouver des choses perdues. Tous sont
d'une telle force que nous n'en saurions distinguer aucun
comme plus mémorable que les autres. Cette vie se trouve
avec les notes d'Henschenius, dans le recueil des Bollan-
distes, au 19 avril. p. 674-697.
Au 12 du même mois, la même collection pre'sente une P- g"*
légende relative à saint Erkembodon , et beaucoup moins
étendue , si courte même , qu'on l'a insérée presque en entier
dans le bréviaire de Saint-Omer, en la divisant en leçons.
Hens(benius observe que le nom d'Erkembodon ressemble
fort à Erglien -Bode, mot teutonique composé qui signifie
adroit valet, industrieux serviteur. Le saint dont il s'agit fut
élu en ^17 abbé de Sitliieu, et joignit à cette dignité celle
d'évêque de Tliérouane, qui lui fut déférée en yao ou yai ;
unissant ainsi la vie de Marthe à la vie de Marie, et gardant
à la fois, dit son historien, Lia et Rachel. Sic utrobiqiie ad
pulchnv llachclis aiu plexus anhelahat , ut de Jecuiiditate
Liœ multipliceni procreare solwlem non desisteret. Il continua
de gouverner et l'abbaye et le diocèse jusqu'en 74^ , époque
de sa mort. Le légendaire se plaint de ne trouver aucun écrit
où les n)iracles d'Erkembodon soient rapportés; c'est l'effet
de l'humilité de ce prélat, qui .s'appliquait à les cacher, et
s'efforçait d'en abolir la mémoire. Mais la tradition s'en est
conservée parmi les fidèles; et d'ailleurs les prodiges qui,
depuis quatre siècles, se sont accomplis sans interruption
près de sa tombe, et qui, suivant la légende, enrichissent
encore chaque jour l'église de Sithieu, doivent sembler des
garants assez sûrs des vertus et de la sainteté d'Erkem-
bodon.
Il ne nous paraît pas aussi certain que cette légende soit
réellement l'ouvrage de Jean d'Ipres 3*" du nom. A la vérité,
l'auteur déclare qu'il écrit plus de 4oo ans après la mort du
bieidicureux qu'il célèbre, et par conséquent vers la fin du
xn*" siècle. Il nous apprend aussi qu'il habite le monastère
de Saint-Bertin , canobii hujus ( sithivensis ) ministerhunnlis;
et Ion pourrait penser que c'est là une expression modeste
de la dignité abbatiale, qu'il se dit le serviteur de son cou-
vent , comme le pape se déclare celui des serviteurs de Dieu,
servus servoruni Dci. Mais Henschenius ne fait pas ce com-
mentaire; il suppose, au contraire, que Jean d'Ipres a com-
1)osé cet opuscule avant d'être abbé. Or avait-il auparavant
labité Sitliieu comme simple moine? Cela est incertain : on
XHI SIECLE.
lia JEAN D'IPRES, ABBE DE SAINT-BERTIN.
serait plutôt fondé à croire qu'il fut immédiatement tiré de
l'abbaye de Eobes , pour venir dans celle de Saint-Bertin
succéder à Simon.
Cette dernière considération tendrait à faire aussi regar-
der comme douteuse l'opinion qui attribue au même Jean
d'Jpres l'histoire de saint Bernard le pénitent; car cette
histoire est également l'ouvrage d'un religieux qui obéit, en
la rédigeant, à son abbé Simon, et qui, selon toute appa-
rence, habitait déjà l'abbaye de Saint-Bertin, quand Bern.ird
y mourut en 1182. Or, à cette époque, et même jusqu'en
1187, Jean d'Ipres, à ce qu'il semble, demeurait à Lobes,
sous l'abbé Guérin. Il est vrai que les vers qui terminent le
second livre de cette longue relation nous apprennent (jue
l'auteur s'appelait Jean, ou du moins que la première et la
dernière lettre de son nom étaient celle qui commence et
celle qui finit le mot lohannes :
Hoc niodicum qui fecit opus
Noniinis illius finis S. Ique caput.
Nous n'avons pas voulu dissimuler ces difficultés qui peu-
vent sembler assez graves; cependant rien ne prouve, à
la rigueur, que l'auteur de la légende de saint Erkenibodon
ne fût point abbé de Saint-Bertin : Henschenius qui le dé-
clare un simple moine, n'appuie cette assertion d'aucune
preuve, d'aucun témoignage, et ne songe point à réfuter
l'objection qui résulte de l'expression rninisler humilis. Et
quanta la vie de saint Bernard le pénitent, Jean d'Ipres,
s il ne l'a point composée à Sithieu , a fort bien pu s'en
occuper à Lobes, pour complaire à l'abbé Simon, et après
en avoir recueilli les matériaux à Sithieu même, oia sans
doute il avait fait au moins quelques voyages. Nous ne pensons
donc pas que 1 hypothèse qui attribue ces deux productions
à Jean III soit inadmissible, quoiqu'on puisse assurément la
contester, et que les auteurs de la nouvelle Gallia christiana
se soient abstenus de la faire entrer dans l'article qu'ils ont
consacré à cet abbé. D.
^ ^ % «/«^^■^«'«r^^v-^ V^
XIII SIECLE.
REINER,
MOINE DE SAINT-JACQUES DE LIÈGE. mort ver» ia3o.
IlEiNER, religieux du monastère de Saint-Jacques à Liège,
était né en Ii55. Sa mère, nommée Judith, ayant quitté le
monde pour se faire sœur converse, il embrassa lui-même
l'état monastique en 1176, et reçut peu de mois après le
sous-diaconat. Il fut fait diacre en 11 79, et Raoul, évêque
de Liège, l'ordonna prêtre en 1 181. Au commencement de
l'année 1 1 84, Reiner se rend à Rome, en revient en avril , y
retourne à la fin d'août, et de nouveau en t 186 : on ignore
les motifs et les circonstances de ces trois voyages. L'an
1 197, il devient prieur de son monastère de Saint- Jacques,
puis prévôt de Wota et de Passérige. Le concile de Latran,
tenu en 12 15, fut l'occasion d'un quatrième voyage de Rei-
ner. Revenu de Rome à Liège, il s'occupa de la continuation
d'une chronique ou histoire de cette ville, qu'il conduisit
jusqu'à l'année i23o, qu'on suppose être aussi celle de sa
mort. Tous ces détails sont pris de cette chronique même,
tant de la partie rédigée par Reiner, que des pages qui pré-
cèdent les siermes.
Depuis l'année 988 où elle commence, jusqu'en 1194 où
Reiner en devient le rédacteur, cette chronique est l'ouvrage
d'un moine de Liège appelé Lambert; mais ce nom convient
à jilusieurs religieux qu'il a été facile de confondre. On en vossius, 13p
peut distii
moine de
inguer trois (i). Le plus ancien, natif de Liège et "'^j i^i-, ' n.
Tuy, a composé, dans le cours du xi'^ siècle, des ' ,^|(,|j„,h ,„pj
(i) Un autre Lambert de Liège, moine de Saint-Laurent à Tuy, est
désigne comme ayant composé, vers 1220, des hymnes, des épigrammes,
et deux livres sur la vie de saint Iléribert, archevêque de Cologne, im-
primés dans la collection des Bollandistes, au 16 mars. Ce Lambert aurait
été contemporain de Reiner, et devrait être placé ici , si l'on s'en rapportait à
l'article qui le concerne dans la BibUotheca belgica de Foppcns , toni. II,
p. 800. Mais la vie de saint Héribert a été attribuée avec plus de vraisem-
blance, par nos prédécesseurs, à l'abbé Lambert qui mourut en 1069,
après avoir gouverné le monastère de Saint- Laurent de Liège, et qui avait
aussi composé des hymnes et d'autres vers. Voyez Hist. littér. delà l'r.,
t. VIII , p. G-i 1. Le grand nombre de moines belges qui ont porté le nom
de Landiert a <;ausé beaucoup d'embarras et d'erreurs. ^
Tome XVUl.
cl lui. latin. t IV,
D.
la Fr. ,
2^
t. I.p.
V 1
ir4 REINER,
XIII SikCI.E. , . I • r I
hymnes et des vies de saints. Le second appartenait au cou-
vent de Saint-Christophe : Alberic de Trois-Fontaines fait
mention de lui, sous l'année i l'j'j, comme d'un zélé prédi-
cateur et d'un traducteur laborieux. Le troisième, surnommé
le Petit, et moine de Saint-Jacques à Liège, est celui qui a
laissé une chronique dont la continuation commence par
ces mots : Hoc aniio , i '94» moiitur Lanihertus prifvus, ec-
clcsice sacerdos et monachus , et hucus que opus ejus : abhinc
Reinerus , similiter hujus ecclesiœ sacerdos et monachus.
Un manuscrit de cette histoire des évêques et de la ville
Saiidir, uiiii. de Liéi^e se conservait dans le monastère de Saint- Jacques.
mss. Be|g. , 1. 1 , j^o^i ^l;,i-tène l'a imprimée au tome V de \ Amplissinia col-
Bibi. histoi. <îe Icctio , avcc Une suite qui s'étend de laSoà i46(, et dont
<iii , l'auteur est Corneille Zanfliet. La partie que nous devons à
'• " Ileiner ne présente, en général, que de petits faits, que des
détails d'une mince importance. On peut néanmoins lui sa-
voir gré de son attention à marquer le prix des denrées dans
chaque année bonne on mauvaise. Il nous apprend qu'il y
eut famine dans toute la Belgique en 1197, et que l'Iiiver de
1206 tut un véritable printemps, ou même un été, à l'ex-
ception des i5 premiers jours de janvier. La ville de Liège
fut prise en \i\q. par les Brabançons : pour mieux signaler
ce désasti'e , l'auteur insère dans sa chronique les trois vers
suivants, après avoir pris soin d'avertir qu'ils sont de sa com-
position :
Anilo milleno bis centeno diiodeno,
Leodiuni capitur et t'rangitur et spoliatur
A lîraljantinis, Vulcani fulmine dignis.
En I2i3, les Brabançons sorti vaincus par les Liégeois :
c'est le récit le plus étendu et le plus détaillé qu'ait fait
Reiner, mais il n'y mêle point de vers; il réserve son talent
j>oétique pour exalter le pape Innocent III, pour célébrer les
triomphes de a pontife sur les monarques indociles. Les
dates de mois et de jours ne sont indiquées, dans cette chro-
nique, que par les noms de saints, mis au génitif, en sous-
l'ioii ..'jiiiai entendant die, par exemple : Ronifacii martyris , abieiunt
nostrates peregrini , inter quos abiit filius sororis meœ Rei-
nerus cujus ahsenûafacit me dolerc fréquenter. On peut juger
par ces lignes de l'extrême simplicité de la prose de Reiner.
Sa diction n'est pas élégante; mais elle n'a aucun des défauts
que plusieurs de ses contemporains recherchaient comme
«les ornements.
MOINE DE SAINT-JACQUES DE LIÈGE. ii5
Il a été quelqueCois confondu avec un autre Reiner, re-
ligieux du monastère de Saint-Laurent à Liège, sur lequel
on a pu lire une notice dans notre XIV« volume. D. \iss\
XIIT SIECLE,
sous Tannée
GUILLAUME D'AUXERRE,
ARCHIDIACRE DE BEAUVAIS. mort en .23o.
99-
v_/N a long-temps confondu Guillaume d'Auxerre, auteur riiiiipp. iiei
d'une Somme de théologie, avec Guillaume de Seienelav, R"'" '"'•^" H9
eveque fl Auxeire , puis de Pans. Le prélat est mort en 1220, /, ,,. posscv. Ap-
et n'a laissé aucune production littéraire: l'écrivain a vécu pu. Sac.i.l.p
jusqu'en 1280, et n'a jacnais eu d'évèché; l';irchidiaconat de C;,8.]Maiinq., ad
Beauvais a été sa plus haute dignité dans l'Eglise. Nous avons n'.s.Laijb.- nVbi.,
eu et nous aurons encore plusieurs occasions de parler de " mss., c. 59
Guillaume de Seiernelav, à cause des relations qu'il a eues ^'a'^i -^if" Hist.
Il j I ... . ■ I . l'TT • <ccl., t. vu, p
avec des hommes de lettres, et spécialement avec I Univer- i^soiandcoLi»
site de Paris. Mais une notice particulière de sa vie serait Aur. .cd., i. 11,
déplacée dans f histoire de la littérature. Il doit nous suffire ■' ^''^ Ondm,
de renvoyer aux articles qui le concernent dan.s la Ciallia T.viî.p.go-V?.
christlana nova, dans l'Histoire de Paris par Félibien , t. i, i. vi, p
et surtout dans les Mémoires de Lebeuf sur la ville et le '^'-271.
locese d Auxerre. 355
La Somme théologique expressément attribuée à l'archi-
diacre (le Beauvais, dans un manuscrit de Clairvaux, avait
été, dès le xm* siècle, désignée comme son ouvrage par
Albéric deTrois-Fontaines, dont la chronique contient, sous
l'année i23o, un article conçu en ces termes : Milo BeU'a- Ltihn. A^ccess
censis episcopus . . . ad papam abiit. . . Mortuus est lîoniœ iii^'o' , ' n. i'
moqister Guillelnius autissiodorensis , theoïogus Jioniinatis- "* ''
siinns et in guœstionibus projundissinius : liujus habetur
magna Sumnia tlicologica , et ejus abbreviatio fjuam fecit
episcopus Florentiœ , ma gis 1er Avdingus papiensis. Cepen-
dant, par une confusion dont il y a bien d'autres exemples,
la qualilication d'èvêcjue se joignit, dans le cours des deux
siècles suivants, au nom de ce (iuillaume d'Auxerre. Vers
l'an iftoo, Trithème, en parlant du théologien auteur de la
^omme, écrit : Guillelnius a utissiodorcnsis , ut ferunt, épis- '•'•Sc'.cdi-s ,
copus. On peut remarquer ici les mots ut ferunt , qui sem- |j^;'," '"^^'j "'
P2
iiG GUILLAUME D'AUXERRE,
XIII Sli-CLE. . , . ,. . . r,. ■ , .
bleiit indiquer une opinion commune, que 1 ritneme croit
devoir rap[)orter, mais qu'il n'entend p:is garantir. Au xvii*
Hist.univ.Pa- siècle, Du Boulay s'aperçut que, dans les comptes des procu-
ris.t. III, p. 68^. reurs de l'Université de Paris et dans le calendrier du recteur,
l'obit de Guillaume d'Auxerre était placé au 3 novembre :
In crastino aniniarum fit anniversariuin inagistri Guillelnii
autissiodarensis, et ilen conclutque ce théologien ne pouvait
être Guillaume de Seignelay, qui mourut à Saint-Cloud le
23 novembre. Du Boulay fit plus, il prolongea la vie de
l'auteur de la Somme jusqu'au pontificat d'Innocent IV, c'est-
à-dire au-delà de i342. C'était une erreur sans doute, mais
qui tendait à distinguer encore plus le docteur, de l'évêque
de Paris, qui avait terminé sa carrière en 1223. Cette dis-
tinction a été depuis parfaitement établie par l'abbé Lebeuf
qui, en 1726, inséra dans les Mémoires de littérature du P.
T.iii,p.3i7- Desmolets, de l'Oratoire, une « Dissertation Louchant le ré-
'47- „ ritable auteur de la Somme théologique appelée de Guil-
« laume d'Auxerre, avec des remarques sur quelques en-
« droits des ouvrages de l'écrivain connu sous ce nom. » Aux
arguments que fournissent, comme on vient de le voir, le
texte d'Albéric, les paroles de Trithème et l'opinion de Du
Boulay, Lebeufajoute quelques autres observations. Durand
de Mende, théologien et jurisconsulte célèbre du xiii* siècle,
cite la Somme Magistri H^'illelmi autissiodorensis , sans la
qualification d'évêque. Dans une vie de Guillaume de Sei-
Bibi.nov.mss. gnelay , écrite vers les mêmes temps et publiée par Labbe,
1. 1, p. /,8o. \\ esf ^\[l positivement que ce prélat n'a jamais donné de le-
çons publiques : In scholis cathedram nunquam ascendit
mdgistralem ; tandis que l'auteur de la Somme était un pro-
L lll,ir.vfn, fesseur fort renommé. Enfin cette Somme fait mention d'un
.. 3,.iuaest. i.',. archevêque de Sens, qu'elle désigne comme ne vivant plus,
et ce doit être Pierre deCofbeil, qui n'est mort qu'en 122a,
Hisi. liiki. (le trop jieu de temps avant Guillaume de Seignelay pour que
'' *'•' ' ^^^'' celui-ci ait pu faire de lui une telle mention.
Il ne s'agit donc plus d'un évèque d'Auxerre ni de Paris,
mais d'un simple théologien qui n'est guère connu que par
ses ouvrages. Ce qu'on sait de sa vie se réduit à un très-petit
i.<j.cur, Mr.n. nombre de faits. Il était né à Auxerre, puisqu'il est partout
pdinriust.i Au- appelé autissiodorensis. Sa naissance doit être postérieure à
ViVi-i^ ' '•'""^'^ liDo, ou même 1160; car il n'est pas dit qu'il fàt
très-àgé, lorsqu'il mourut en i23o à Rome, où il venait de
suivre l'évêque de Beauvais Milon. On a lieu de croire qu'a-
ARCHIDIACRE DE BEAU VAIS. 117
XIII SIÈCLF
vant de se fixer à Beaiivais, comme archidiacre, il avait " '
professé la théologie à Paris, assez long-temps pour y ac-
3uérir une réputation brillante. C'est probablement pen-
ant l'exercice de cette fonction qu'il a écrit sa grande
Somme, dont quelques passages, que nous citerons bientôt,
indiquent le commencement du xiii^ siècle comme l'époque
de sa composition. La qualité d'archidiacre de Beauvais, at-
testée, comme nous l'avons déjà dit, par un ancien manu-
scrit de cet ouvrage, l'est aussi par un cartulaire de l'église
d'Auxerre : on y lit un acte de février 1229, oii Guillaume,
archidiacre de Beauvais, avant de partir pour Rome, fonde
le service anniversaire qui sera fait pour lui après sa mort
dans l'église d'Auxerre, sa patrie. De ces divers renseigne- Lebeuf, dû-
ments, ficbeuf conclut, non sans raison, que « Guillaume, *'"",'*'• ***"* '"
« après avoir professé la théologie à Paris, avait été attiré à leu" ,''^^7'°°
« Beauvais par l'évêque Milon de Châlillon, autrement dit Sis'.
« de JNanleuil , pour y être l'un des ornements de son clergé,
« et que ce prélat, ayant besoin d'une bonne tête dans l'af-
« faire qui le conduisit à Rome, après avoir jeté un interdit
<f sur sa ville épiscopale, choisit son archidiacre pour lui tenir
a compagnie et l'assister de ses lumières. » Le jour du décès
de Guillaume n'est pas indiqué dans les obituaires de Beau-
vais et d'Auxerre; mais les registres cités par Du Boulay
marquent, ainsi que nous l'avons dit, le 3 novembre, et b
chronique d'Albéric l'année ia3o.
L'abbé Lebeuf n'a pas fait mention et peut-être n'a pas
eu connaissance d'un récit qui fournirait, si l'on pouvait y
ajouter foi , une objection assez grave contre ce qui vient ,
d'être dit des époques où vivait et enseignait Guillaume
d'Auxerre. Nous lisons dans une vie de sainte Hildegarde, Boiiand., 17
que cette pieuse abbesse, en allantvisiter le tombeau de saint s«p'-,p- S7'J.p
Martin à Tours, passa par Paris, et laissa trois de ses ouvrages '^'
entre les mains des docteurs qui les devaient examiner; qu'ils
les gardèrent depuis l'octave de la Saint-Martin jusqu'à l'oc-
tave de l'Epiphanie; que maître Guillaume d'Auxerre les lui
rendit, en lui disant, au nom de tout le collège doctoral,
qu'ils étaient plus divins qu'humains. Comme Hddegardeest
morte en 11 78, plus de 20 ans après son voyage à Paris, il
faudrait que ce Guillaume d'Auxerre, qui serait sans doute
celui dont nous parlons, eût occupé, dès le milieu du xii*
siècle, une place distinguée parmi les grands maîtres, ce qai
dérangerait tout le système chronologique de sa vie. Mais
1 1
XIII SIECLE.
ii8 GUILLAUME D'AUXERRE,
l'histoire de sainte Hildegarde peut bien ne pas mériter tant
de confiance.
Le principal ouvrage de Guillaume est sa Somme de théo-
logie, Sumnia aurea super quatuor lihros sentcntiarum ;
c'est une longue explication des 4 livres des sentences; la
distribution des matières y est la même que dans l'ouvrage
de Pierre Lombard. I^e livre premier traite des attiibuts de
la divinité; le second, des créatures, des anges et des dé-
mons, de la grâce, du libre arbitre et du péché originel; le
troisième, de l'incarnation, des vertus théologales et cardi-
nales, des dix commandements, des deux testaments ou
alliances; le quatrième, des sacrements, du jugement der-
nier, du paradis et de l'enter.
Le texte cjui se lit à la tête du premier livre : Fides est
suhstantia reruni sj)erandarum , argumentuni non appa-
rcntiuni , annonce que l'auteur a considéré la toi comme la
base de tout l'édilice theologique, et comme le caractère
es.sentiel de la perfection chrétienne. En ettét, cette idée
domine à tel point tout le système de son ouvrage, qu'elle
l'entraîne jusqu'à dire que la toi est le prir<cipal mérite du
chrétien; que l'orthodoxie est une vertu supérieure à la cha-
rité; que le salut est mieux garanti par les croyances que ])ar
L. llI.Tr.xii, les œuvres. Bellarmin s est vivement récrié contre cette doc-
c. i,q. 2;c. 3. trine; il l'a combattue par des textes sacrés, avec d'autant
"^ DeJusiificatio- P'"^ ''^ ''•'^^^ l"*-' *'^''' héretiques modernes venaient de la
ne,i.v, c. i5. reproduire plus exj)licite et plus pernicieuse. Cette erreur
paraît être l'iirticle le plus remarquable dans la Somme de
Guillaume d'Auxerre : presque tous les autres se retrouvent
en substance, et souvent dans les mêmes formes, chez la
plupart des théologiens scliolastiques du xui'' siècle. Il con-
vient néanmoins d'observer encore que Guillaume passe
pour avoir introduit le premier, dans les traités des sacre-
ments, la distinction entre la matière et la forme. Elle n'avait
été employée ])ar aucun de ses prédécesseurs, de ceux du
moins dont les livres sont imprimés. 11 ne l'appliquait lui-
même qu'à quel(jues-uns des sacrements, par exemple, à la
pénitence et à Tordre; ses successeurs, Alexandre de Halès
et Albert-le-Grand l'ont étendue à tous les autres, y compris
le mariage : ils ont fait partout consister la forme dans les
paroles sacramentelles, et la matière dans les substances ou
dans les actes auxquels les paroles correspondent.
Après ces points de doctrine, il ue resterait guère à re-
XIII SIECLE.
ARCHIDIACRE D'AUXERRE. iig
marquer, dans la compilation de Guillaume, que certains
faits du XII* et du xiii*^ siècle dont elle retrace le souvenir.
Il y est parle de la dispute des nominaux et des réalistes ; et l n Tr xmx
c'est l)ien à tort qu'on a voulu conclure de là, que cette c. 3,q. 3.
Somme n'avait été composée qu'au temps de Scot; car les
nominaux remontent à Roscelin , maître d'Abailard , ou
même à Rainbert, dialecticien de l'âge précédent.
Guillaume dit qu'il écrit dans une ville où il y a une église
de Saint-Etienne. Il en existait une telle à Auxerre et une
aussi à Beauvais; mais il veut probablement indiquer Paris
où il professait, et où deux églises étaient dédiées à ce saint
dans le quartier des écoles. Ce qui surtout nous donne le
droit d'en juger ainsi, c'est qu'il parle ailleurs du grand
nombre d'hérétiques brûlés près du lieu où il compose son
ouvrage. On sait trop combien ces exécutions furent nom- L.lii,Tr.xxxv,
breuses à Paris, sous les règnes de Philippe-Auguste et de
Louis VIII.
Il cite Othon comme exemple du pouvoir que possède le
pape d'excommunier les souverains, et de délier les sujets
du serment de fidélité: c'est un fait dont il n'a pu faire men- l. Iii.Tr.xu,
tion qu'après 1210. Ajoutons que les expressions dont il se i->5-
sert, en citant Pierre le Chantre et Prœpositivus, concedebat
cantor parisiensis et omnes sequaces ejns , dicebat Prœposi- ^ iII.Tr.xxj,
tiviis, autorisent à penser qu'il écrivait après la mort de l'un *' '
et de l'autre : or le second n'est décédé que vers 1209. On Hist. liiiér. de
peut noter ici que Prcepositivus et Guillaume d'Auxerre ïl,' ^l^^'
•^ • ,. ^ ' 1 - 1- ' 1 • I I 1 P- ^°U, 585.
croient fermement a la reaiite des miracles et des visions de
saint Brandan.
L'auteur de la Somme, en traitant les questions relatives
aux vœux , s'exprime en ces termes : llte qui primo voiàt se
iturum ad ^Ibigenses et postmodum se iturum ad mare. Ce L.lll,Tr. xwi,
sont là les paroles d'un contemporain de la guerre entreprise •>•*•
vers 1209 contre les Albigeois, et des croisades qui se conti-
nuaient en Orient. A la vérité, il fait au même endroit men-
tion d'un roi de France, nommé Louis, qui, ayant promis
déjeuner tous les vendredis, fut relevé de ce vœu par un
f)ape Alexandre; et l'on devra retarder de plus de 24 ans
a mort de Guillaume d'Auxerre, si l'on suppose qu'il s'agis-
sait là d'Alexandre IV et de Louis IX. Mais Lebeuf observe
3ue saint Louis n'était pas homme à demander de pareilles
ispenses : ce passage concernerait bien plutôt Louis VII et
Alexandre III.
XIII SIECLE,
Tract.ult.,c. 2.
I20 GUILLAUME D'AUXERRE,
Vers la fin du livre 111, s'ëlève la question de savoir si
l'on doit donner la communion à celui que, par la voie de
la confession auriculaire, l'on sait être eh état de péché mor-
tel. L'auteur répond que l'Eglise ayant ordonné à tous les
fidèles de recevoir la communion au temps de Pâques, il ne
la faut refuser à aucun de ceux qui la demandent à cette
époque de l'année, quelque connaissance que l'on ait de leur
indignité. Cet article est sans doute écrit après le concile de
Latran de I2i5 , qui a imposé l'obligation de la communion
pascale.
Telles sont les observations qui nous ont paru les plus
propresà indiquer le temps où Guillaume d'Auxerrea com-
posé sa Somme ihéologique, et à donner une idée des doc-
trines qu'il y professe.
Les copies manuscrites , complètes ou partielles , de cette
compilation sont très-nombreuses. On en compte quatre à la
N 3o563o57, Bibliothèque du Roi. « Si vous êtes curieux , dit Lebeuf ( en
^A2- (Co^ber'o' ï726),de voir un grand nombre d'exemplaires manuscrits
in-4°. Catai. de « de la Somme thcologique de Guillaume d'Auxerre, vous
la B^R.,t. III, a pouvcz VOUS Satisfaire dans la Bibliothètjue de la Sor-
'' Diss'ert' dans " bounc. » Lebcuf fait une mention plus spéciale de celui
les.vém. deDes- qu'il a découvert à Clairvaux, et dont l'intitulé donne à Guil-
'"''''^'*''- ïit'P- laume d'Auxerre le titre d'archidiacre de Beauvais : lacipit
Mémoires sur ^^'^'-"^^ GiiUlelnii autissiodorensis , archidiaconi hellova-
Auxeire, t. II, p. censù. Moiitfaucon indique ceux qui se conservaient à Saint-
*i^T ^ ^°'"^"'' ^'^''™3'"-Jes-Prés, à Saint-Victor, dans les cathédrales de
'i73j,p°"i''ôj^!' Beauvais, de Tours et de Carcassonne, à Vendôme, à Lyre,
Bibi.Bibi.mss. à Saiut-Aubiu d'Angers, à Saint-Bénigne de Dijon, à Jumié-
pait.ii.p. n35, ges et chez les dominicains de Clermont en Auvergne, lien
Î226', iiSq! ^'^^ ^^ P'"^ dtvi\ de Rome et un de la bibliothèque Am-
1275, 1285) brosienne à Milan. Sander en fait connaître quatre en Bel-
Î355 ' ^-^^^ ' S'^"^' savoir : un à l'abbaye de Caraberon, un à l'abbaye
ibid.,part I <J'Âulne;et à Saint-Martin de Tournay, deux, dont l'un ne
I'. i35, iSg,' contenait que le livre IV, ou des sacrements, commençant
■^'^;. par ces mots : Dicto de prœceptis et judiciis , conscquenter
Bibl.mss.Bele . *»• / , ' • t. . i"' >^ i ■
p-7. 121, 246 "^<^^'*"«/" est de sacramentis. L Angleterre en possède huit
356. ' dans les bibliothèques Bodiéienne et Jacobéenne, dans celles
CaLinss.Ang?., Jes colléffcs d'Oxford et de Cambridge , et de la cathédrale
.Cù.Vl^e- deWorcester.
pan. m, pag. Nous n'avons pas compris , dans ces listes, les extraits ou
2094
21
p
94 , 2095 , abrégés manuscrits de la Somme de Guillaume, rédigés par
8049,8229.' un évêque de Florence, natif de Pavie ; par Hébert ou Au-
XUl SIECLE.
ARCHIDIACRE DE BEAUVAIS. 121
bert d'Auxerre et par Denis le Chartreux. Ils ont pour titres :
le i^"", Extracdones Summœ magistri Guillelmi autissio-
dorensis , à rnngistro ^rdenco papiensi compilatœ ; le 2* ,
Summa. . . PVUlelmi abbreviata à magistro Heberto, ouma-
gistri Auherd altissiodorensis , summa libris qualuor; le 3®,
Exhelcosis ex summa D. GuUlelmi autissiodorensis. Denis le
Chartreux nomme de plus Guillaume au nombre des treize
auteurs qu'il a mis à contribution dans son propre travail,
sur les quatre livres des sentences. Il existe ou a existe des
copies manuscrites de ces divers abrégés dans les bibliothè-
ques de Colbert, n" 3()3i, deClairvaux, de Saint-Martin de
Tournay, de quelques Chartreuses et de l'Angleterre. Lebenf , dans
La Somme théoloeique de Guillaume d'Auxerre a été im- •esMém.deDes-
, n • tT ■ ■ i I J •' ' !• molets, t. III, p.
primée quatre lois. Voici les titres des deux premières edi- 3^6^ 3,^; dans
tions. I. Sum,ma aurea in quatuor libros sententiarum, à lesiWém.surAu-
subtilissimo auctore magistro Guillelmo autissiodorensi édita, "^"J*' •• ^' P-
quam nuper à m,endis quamplurimis doctissimus sacrœ Bîbi.'mss. Belg.'
theologiœ professor magister de Quercu diligenti admodiim, t. i,p. a4; Fa-
castigatione emendavit , ac tabulam huic pernecessariam. hrîc- , Bibi. med.
addidit. Parisiis, Philipp. Pigouchet pro Nicolao f ciultier^ ^^ '
et Dur. Gerlier, i5oo, in-fol. niin. II. Âurea doctoris acutis-
simi sacrique prœsulis domini Guillelmi altissiodorensis in
quatuor sententiarum libros perlucida explanatio , denub
mendis purgata. Pdrisiis , Franc. Regnault , in-fol. On voit
que l'éditeur croit publier l'ouvrage d'un évêque. On peut
remarquer aussi le mot denub qui semble annoncer une se-
conde édition. La troisième est encore de Paris, en i5i8,
in-fol. Konig en cite une quatrième, publiée à Venise en Bibiioib. Bi-
" , j, . Kon.,Bibl.,p.
Un deuxième ouvrage de Guillaume d Auxerre a pour 34.
titre : Summa de divinis officiis. Le prologue commence par
ces mots : Jérusalem quœ sursiim est mater nostra dicitur, et
le i*"^ chapitre par ceux-ci : Dicturi ergb de officiis ecclesias-
ticis in generali. . . . On reconnaît dans ce traité des offices
divins les rites de l'église de Paris au moyen âge. Les ma-
tines se chantaient au milieu de la nuit : Media nocte can-
tatur ojficium matutinum. En parlant de la fête des Fous,
qui se célébrait au i*"" janvier, Guillaume la prend pour une
imitation des antiques Parentales. C'était plutôt avec les Sa-
turnales qu'elle avait quelque ressemblance : les Parentales
ou Férales étaient, chez les Romains, de tristes solennités,
transférées de mai en février. Mais si Guillaume n'est pas
Tome XV m. Q
1 1 *
XIII SIÈCLE.
122 GUILLAUME D'AUXERRE, ARCHIDIACRE.
très au fait des fêtes païennes, il nous donne une parfaite
connaissance des usages liturgiques de son temps. Il nous
apprend que, dans l'église de Paris, au deuxième dimanche
de carême, et à l'occasion du répons J^idi Dominum facie
adfaciem, on lisait l'évangile de la Transfiguration, et que
le lavement des autels se faisait le jeudi -saint et non le
samedi. Durand de jAlende cite Je traité de Guillaume, et dé-
clare qu'il s'en est servi pour composer son Rationale divi-
norum qfficiorum , qui est resté beaucoup plus célèbre. Dom
Martène en a fait aussi quelque usage dans son savant ouvrage
De antiquis Ecclesiœ ritibus. Toutefois cette Somme de Offi-
^ j- . .1 dis de Guillaume n'a jamais été imprimée. On en connaissait
Oodin, t.Il, J. , < c » Tr- » ' c • ..
1725. Lebeuf, quatre copics manuscntcs : deux a baint-Victor,une a aaint-
dans Desm. , I. Germain-dcs-Prés et une à Saint-Martin de Tournay.
" Saod^e^^ Biiîi ^u manuscrit du Vatican a été annoncé comme renfer-
mss.Bcig.'p.ae! maut deux ouvrages : Gaiifridi autissiodorensis in Apoca-
Monifaucon , lypsin ; ejusdem Summa; et comme il n'y a point de Geoffroy
Bibi. Bibi. mss j'y^yxerre , on a conjecturé que c'était Guillaume , qui de-
part. 1, p. lio. .,.'..,, J ,, ^ . i> * 1
viendrait amsi 1 auteur d un commentaire sur 1 Apocalypse.
Pour éclaircir ce point, pour discerner où est l'erreur, dans
le mot Gaufridi, ou dans autissiodorensis, ou dans ejusdem,
il faudrait un examen attentif ou une description plus dé-
taillée de ce volume. Nous en dirons autant d'un manuscrit
Bibiioih. Diss. d'Oxford, intitulé : Altissiodorensis sermones. Un titre si
Angi.,part. II, incomplct, si vague, suffit-il pour prouver qu'il existe des
•"■*''" sermons de Guillaume dAuxerre.*^
Ses deux Sommes sont les seuls ouvrages qu'on soit bien
fondé à lui attribuer. Le surplus peut appartenir à d'autres
théologiens du xiii^ siècle qui ont porté, comme lui, le nom
de Guillaume d'Auxerre. Ce nom a désigné dans cet âge,
non-seulement l'évêque Scignelay, mais encore des person-
nages moins connus; entre autres, un chanoine régulier et
un frère prêcheur: le premier, religieux à Saint-Victor vers
la^o, curé d'Athies en laôg, abbé de Sainte -Geneviève en
Gaiiia chr., n. 128a, ct mort en 1284; le second surnommé de Montiaco ,
vii,p 745,746; ou plutôt de Malliaco, né probablement à Mailly, domini-
"ie" i'Àgî. ' cain en 1272 et provincial de son ordre en 1294- Us seront
Sciipi. ordin. compHs l'uu ct l'autic, dans l'un de nos volumes suivants,
^^'*"^| ' ^i"' parmi les auteurs qui ont terminé leur carrière sous Philippe-
beuf, Meifi. sur Ic-Hardi OU sous Philippe-le-Bcl. D.
Auxerre, t. II ,
p. 496.
Xm SIÈCLE.
BARTHÉLÉMY T DU NOM,
XX' ABBÉ DÉ CLUNY. ■o»Teni»3o.
L ABB^ qui fournit la matière de cet article, après avoir
rempli l'offîce d'archidiacre de l'abbaye de Cluny, en fut
élu abbé général , le jour même auquel son prédécesseur
Roland résigna cette prclature, en l'année 1228, et son
élection fut confirmée par Grégoire IX, l'an -2^ de son
pontificat, le 21 novembre de la même année 1228. On
ne cite qu'un seul acte passé durant son administration,
et daté de l'an 1229. Son successeur Etienne II de Bran-
cion ( de Berziaco), ayant été élu au mois d'août i23o, on
conçoit que l'exercice d'une prélature qui n'a duré que 16
mois, n'a pu devenir remarquable à raison de faits multipliés.
Néanmoins on remarquera que les deux abdications de 1 abbé
Roland , prédécesseur de Barthélémy, et celle d'Etienne de
Brancion , son successeur, se trouvent circonscrites dans
l'espace de huit ans , et que, la date de la bulle de réforme
de 1 ordre correspondant à la deuxième année de la préla-
ture de cet Etienne, on devrait être porté à croire que les
relâchements qui s'étaient introduits dans cet ordre célèbre,
auraient dû être de nature beaucoup plus grave que ceux
qu on trouve indiqués dans la bulle de réforme. Nous en
citerons quelques traits pour faire connaître plusieurs usages
du xiii^ siècle.
On défendait, par exemple, à ces moines de porter des
chapeaux de feutre, des souliers sans courroies, des che-
mises de lin, de ces habits fendus sur l'estomac, qui sont onstiiutjoEe-
désignés par le mot bottonatas au xiv^ siècle. L'abbé de nedicUaor.BeDe-
Cluny ne devait entretenir que 16 chevaux pour son usage; d'ciij^i' «="P-
les autres abbés du même ordre huit, et les prieurs conven-
tuels six , quatre ou deux , selon l'importance de chaque
prieuré. En général, la lecture de la bulle de Grégoire IX
donne à connaître, d'après les nouvelles règles qui s'y trou-
vent prescritas, de quelle nature devaient être les relâche-
ments qui s'étaient introduits dans l'ordre de Saitit-Benoît,
au temps du gouvernement de l'abbé Barthélémy. Il paraît
XIII SIECLE.
124 BARTHELEMY I" DU NOM,
assez probable que l'abbé de Cîteaux avait dû influer beau-
coup sur cette réforme, ce que paraît indiquer la formule
more cisterciensis ordinis , qu'on trouve six fois reproduite
presque en mêmes termes dans la bulle. Nous verrons
bientôt qu'il est assez probable que les Cisterciens sont
désignés sous des traits peu favorables, dans le prologue
même de l'abbé Barthélémy, dont nous donnerons bientôt
la traduction, et qui précède le seul ouvrage qui nous soit
resté de lui.
Il consiste en un recueil de sermons qui existe manuscrit
à la Bibliothèque du Roi, sous les numéros 4296 et 327g,
in-4°, sur peau de vélin, bonne écriture du xiii« siècle. Il a
été considéré par Oudin comme une copie du temps même
de notre abbé. Si l'on s'en rapporte à la date de l'an laao,
que ce bibliographe fixe à cette composition , elle aura été de
huit ans antérieure à la prélature de notre abbé, et par con-
séquent elle appartient au temps où il n'était encore qu'ar-
chidiacre de son abbaye; et cette conjecture sera confirmée
plus loin. Oudin dit avoir trouvé presque toujours les ma-
nuscrits de ces sermons sans nom d'auteur dans les biblio-
thèques, mais con.stamment sous le même titre. Ils sont
Sandcri, Bibi. d'ailleurs cités par Sander,mais non pas à la page 35 1 ,
beig., p. 180. comme l'a dit Oudin.
Le manuscrit numéroté 4^95 de la Bibliothèque du Roi
porte en tête, pour première rubrique, cette ligne : Intitula-
tiones sermonuni Bartholomei monachi cluniacensis, centum
numéro folioruni.
Il commence par la table des io5 discours qui en occupent
les 100 premiers feuillets. A la suite de cette table, on lit
une rubrique conçue en ces termes :
Spéculum claustralium quod vcnerabilis pater et sacerdos
BartholoTueus Cluniacensis monachus ex dictis sanctorum
patium Grcgorii, ^ugustini , Ambrosii , Hieronymi , Orige-
nis et aliorum sanctorum Dei précédente gratiâ composuit
et fratribus suis claustralibus custodiendum reliquit. In hoc
enim, tamquam in speculo, mentium faciès videri passant .
Sunt in hoc volumine homeliœ evangeliorum , dominicarum
dierum et solcmnitatum Domini septuaginta. Sunt etiam in
hoc volumine sermones de solernnitatibus sanctorum, secun-
dùm alios doctores : Stephanus Dei , scilicet , cum aliis se-
quentibus.
Ces dernières lignes font assez connaître que les 18 dis-
ABBE DE CLUx\Y. laS
cours, qui terminent le manuscrit de la Bibliothèque du Roi ,
sont dus à Etienne de Brancion , successeur de l'abbé Bar-
thélémy; et c'est ce que Casimir Oudin n'a fait remarquer
sur aucun des manuscrits nombreux qu'il a rencontrés
dans les bibliothèques.
Dans cet ouvrage, l'auteur débute par le prologue sui-
vant, que nous allons traduire le plus littéralement qu'il se
pourra, afin de faciliter continuellement l'intelligence du
sens , qu'il n'est pas toujours aisé de saisir; et nous joindrons
en note le texte latin, autant pour fournir le moyen de rec-
tifier la traduction de ce morceau, que pour donner un
exemple du style de son auteur.
Intitulés des discours de Barthélémy, moine de Cluny.
« De quelle joie ne sera pas un jour comblé, dans les
éternels tabernacles du Seigneur, celui qui aura le bonheur
d'y retrouver quelque chose du sien , et qui pourra dire :
Voilà l'or, l'argent, la monnaie dont j'ai tant désiré l'acqui-
sition; voilà les piliers qui soutenaient ma tente, et les
pelleteries qui en composaient la meilleure partie!
« Dans le dessein d'imiter le père de famille de l'Évangile,
qui tirait de son trésor des richesses anciennes et nouvelles,
ou bien encore, l'Epouse du Cantique des Cantiques, la-
quelle dit qu'elle mêle l'ancien et le nouveau, je me suis
occupé du soin d'adapter à chaque circonstance occurrente
des principales fêtes de l'année ces tropologies morales,
et d'en puiser les motifs dans les saintes écritures, afin de
ne pas fonder mon œuvre sur le sable, mais sur la pierre
vive.
« Si quelqu'un trouve qu'il était inutile de traiter de nouveau
ce qui a été déjà traité par les saints Pères, saint Augustin
lui apprendra, dans son livre F"" de la Trinité, qu'il est
toujours utile que plusieurs traités sur les mêmes matières
soient écrits par diverses personnes, afin que l'instruction
parvienne à un plus grand nombre de lecteurs, aux uns
de telle manière, aux autres différemment. Car, suivant l'a-
pôtre, chacun a reçu du Seigneur le don particulier qui le
fait abonder dans le sens qui lui est propre.
«Je me trouve porté à juger ainsi de cette utilité, quand je
vois les pasteurs de Gérara guerroyer chaque jour contre
ceux d'Isaac : par les eftbrts qu'ils font pour combler les
puits de leurs voisins, ils nous figurent les esprits de mali-
XIII SIECLE.
XIH SIÈCLE.
126 BARTHELEMY I" DU NOM,
gnité qu'offense notre application à fouiller dans le secret
des cœurs, pour en extraire les résidus de la dépravation,
et qui ne cessent d'aiguiser contre nous leurs langues comme
les serpents, ne pouvant patiemment tolérer que d'autres
qu'eux trouvent dans les saintes écritures ce qu'ils n'y trou-
vent pas par eux-mêmes. Mais, à l'exemple d'isaac, nous ne
nous laisserons pas effrayer par l'animosité des Allophiles
(des Philistins), et, loin de céder à leur envie, notre main
ne se ralentira pas dans l'action de fouiller les cœurs, jusqu'à
ce que les eaux de la véritable intelligence aient acquis toute
leur limpidité. C'est ce que voulait le Sei-gneur quand il di-
sait à Ézéchiel : Fils de l'homme, fouille la muraille; car
c'est uniquement par les coups redoublés de l'activité scruta-
trice que tu parviendras à vaincre l'endurcissement des âmes.
L'oisiveté qui fomente le vice est aussi la rouille de l'esprit;
et voilà pourquoi Salomon nous exhorte à saisir le temps du
loisir, pour écrire les axiomes de la sagesse, afin que celui
qui n'est pas préoccupé par le travail puisse les bien com-
prendre; et qu'ailleurs, il nous dit: Pique l'œil, et il pro-
duira des larmes; pique le cœur, et tu ranimeras en lui le
sentiment.
«Cet ouvrage ne sera donc pas inutile sous tous les points
de vue; bien au contraire, il en est quatre qui recomman-
deront son utilité. D'abord sa lecture remédiera à l'oisiveté;
ensuite il aiguisera l'intellect; il tracera les préceptes de la
discipline morale; enfin il remplira un devoir encore plus
élevé , celui de l'obéissance spirituelle.
«Je n'ignore pas néanmoins qu'il existe des demi-savants
qui, voulant faire montre de leur habileté, ne manqueront
pas de nous taxer d'incapacité. Mais saint Jérôme répond
pour nous .- Lise ces pages qui voudra; que celui qui refusera
de les lire les disperse, s'il veut, au gré aes vents, et calomnie
notre genre de littérature. Quant à moi, j'en serai de plus
en plus encouragé à poursuivre des études vers lesquelles je
me sens attiré, soit par les douceurs que j'en recueille,
soit par les instances de mes frères, et dont les attaques de
l'animosité ou de la détraction ne me pourront jamais dé-
tourner.
« Placé, comme vous l'êtes, au sommet des dignités de notre
ordre, père et maître illustre, source de tout succès dans
mes recherches, et lumière de mon jugement; qui faites le
charme de notre vie morale, c'est à vous que j'offre les essais
ABBÉ DE CLUNY. 127
démon faible génie. Je les soumets à votre critiaue, en vous
priant de bien examiner s'ils ne contiennent rien de contraire
a la rectitude, et qui ait besoin d'être corrigé de suite; car
j'appréhenderais surtout que, si je les divulguais avant qu'ils
eussent été soigneusement discutés, le cours n'en fût arrêté
par des erreurs qui fourniraient aux langues malveillantes
une occasion d'insulte. Car il en est qui semblent ne faire
usage de la parole que pour satisfaire le besoin de leur mé-
disance effrontée.
« Dans le cours de ces compositions , j'ai procédé sous les
formes ilu style le plus simple, évitant surtout la prétention
de m'élever à l'aide d'un cothurne gallican, qui me ferait
dépasser la portée convenable à la simplicité de nos frères,
à qui la lecture de ces pages est destinée.
« J'esj)ère , en terminant , que vous ne me reprocherez pas -
de n'avoir pas commencé ma dédicace par le salut d'usage;
mais j'aurais craint d'être taxé d'orgueil, si mon nom s'était
produit au jour par ce salut (i). »
(*) Prologcs. Quam jucundè videbit aeternuin Domini tabernaculum qui
aliquidibi de suo recognoverit, ut possit ilict-re : lUudestmeuniauruni, illud
meum argentuni, illud meum œs, vel mci pili (*), vcl meœ pelles sunt, ille
de quibus in parle illa optimum est tabernaculum! Cupiens igitur imitari
patremfamilias de Evangelio, qui profert de tliesauro suo nova et vetera, et
sponsam de Canticis caiiticorum, cuni dicit nova cum veteribus, fratruelis
meus , servavi tibi; tropologiam moraleni assignare studui proprielatibus
precipuorum solemnium totius aiini dierum ex canonica scriptura
assimiptam, ut suprà petram non super arenam edificarem. Quod si quis
supertluum estimet ea tcntare, quum à sanctis patribus^praelibata sunt,
discat, docente beato Augustino in libro primo de Trinitate, necesse ideô
esse plures à pluribus, de capitulis etiani eisdem componi tractatus , ut ad
plurimos res perveniat; ad alios sic , ad alios verô sic. Nam et juxtà apos-
tolum, unusquisque proprium habet donimi ex Domino et unusquisque
in suo sensu abundat. Hoc idcircô dixerim quum pastores Geiarœ, quod
interpretatur maceria ^ quotidie rixantur contra pastores Isaac et intrà
oppilant puteos eoruni , id est duri ingenii et maligni bomines, cùm nos
studiosè cor fodere conspiciunt, congestas depravalionum immergunt,
acuunt linguas suas sicut serpentes et quod ipsi in sanctis scripturis non
possunt, alios posseequo aninio ferre non possunt. Si nosexemplo Isaac non
deterreamur zelo allophilorum , nec ccdamus invidiae; immô quousque
ver»intelligentia;nobisaqua respondeatuti resplendeat; nunquàm adexbau-
rienda corda contra manum inquisitionis torpescat. Undè ad Ezechielem
dicitur : Fili bominis, fode parietem, id est crebris perscrutationum ictibus
runipe mentis duritiam. Ocium enim fomes est vitii et rubigo ingenii.
(*) Vide verbi Pilum sextam iDlerprelationem apud Forcellini Lexicon.
XIII SIECLE.
128 BARTHELEMY V' DU NOM,
XIII SIKCLE.
D'après les circonstances qui ont été tracées au commen-
cement de cet article, on voit que dans plusieurs lignes de
son prologue, l'abbé Barthélémy faisait vivement allusion
aux critiques qui, de son temps, s'exerçaient contre son
ordre; mais il paraît aussi que Grégoire IK avait pris un
soin particulier de témoigner l'estime qu'il avait de la per-
sonne de cet abbé, et l'opinion avantageuse qu'il avait
conçue de la réputation qu'il avait acquise par son zèle, sa
charité et sa science, lorsqu'il n'était encore qu'archidiacre
Gallia christ., ^6 Ciuuy. , , ,
i.iv,p. iiAfi.B. Pour donner quelques exemples de la composition et du
style de ses sermons, voici comment il divise ses réflexions
sur la justice, considérée comme vertu.
« La justice, dit-il, se divise en trois espèces, savoir : i° la
« justice naturelle, 2." celle qui est acquise par l'instruction,
« 3° celle qui est opérée par la miséricorde. La première
« commence, la seconde perfectionne, la troisième est
« excellente; la première est bonne, la seconde est meil-
« leure, la troisième est parfaite. F^a justice naturelle con-
<f siste à rendre à la nature ce qu'elle a droit de réclamer;
Idcirco Salomon hortatur : Scribe sapientiam in tenipore otii et qui mino-
raturactu, percipiet eam. Item : Punge oculiim et proferetlacrymam, punge
cor et proférât intellectuin. Non est igitur hoc opus inoperiosuni , quia
utilitas quailrifariam spargitur. Eo quippe otiuni eliiuinatur, elimatur inge-
nium, niorum disciplina tractatur, impletur quod liis altius est palri spiri-
talis obedientia. Tamen non nescio aliquos sciolos esse, qui suam volenles
ostentare peritiani, nostram reprehcnsuri sunt inertiani. Quaniobrem non
meis sed beati Hieronynii respondebo sernionibus : legant qui vdlunt, qui
volunt abjiciant et ventdent apices; litteras cabimnientur; niagis dulcedine
scripturaruni et iiatrum precibus provocabor ad studiuni, quam horum
detractione et odio detrahebor. Tua; benevcdentiae erit. pater atque niagister
illustris, fons inventioiiis et lux judicii, reiigionis apex et moralis vitae duU
cedo, cui nostri ingenii priniitias offero, singula diligenter examinare, et si
quid rationi obviuni deprehenderis , mox mihi corrigendum insinuare.
Nostrae vero erit cautelae opus ipsum non exponere indiscussum, ne cursus
ejus inipediatur aliquo errore et malivolis justa sit occasio insultandi, qui
ad hoc solnni linguas habere se pulant, ut duritiani frontis attrità verbo-
rum rabie consolentur. In que opère piano, simplici ac pedestri sermone
sponte incedo, ne si gallicano cothurno attollerer , procul essem à lectione
fratrum siniplicium. Rogo autem ne frontem epistoiae à salutis titulo mu-
tam esse causseris; nani ideo salus ex more prœtermittenda tacetur, ne
titulus arguatur insolentiaî, si salutantis nomen indiceretur. Vale in fine
epistoiœ in eo qui est principium et finis.
Incipit liber tropologiae. Dominica prima adventûs Domini , et sic
deinde.
ABBÉ DE CLUNY. 129
« par exemple, d'affectionner ses parents, de chérir sa pa-
« trie, et autres sentiments qui sont réputés parfaits dans
« l'ordre naturel. La justice, considérée comme produite
« par l'instruction , consiste à observer les préceptes sanc-
« tionnés par nos pères, par exemple, ne pas se refuser
« à assister ses frères dans le besoin'; ne pas retenir, ne
« fût-ce que jusqu'au lendemain, le salaire du mercenaire,
« et autres préceptes semblables. La justice de la miséri-
« corde est celle que n'impose pas un devoir rigoureux,
« mais qui est inspirée par un tendre sentiment , comme de
« compatir aux malheureux, et tout ce que comprennent
« les sentiments habituels de la pitié. »
Il emploie une figure .assez ingénieuse pour faire com-
prendre à ses religieux comment la jactance peut leur faire
XIII SIF.CLE.
Mss. fol.
verso.
f)erdre le mérite de toutes les vertus qu'ils pratiquent dans
e cloître. « Que sert, dit-il, à un vaisseau qui est en pleine
« mer d'être construit de fortes planches bien clouées, si
« l'eau parvient à y pénétrer par un seul trou.** Notre ame est
« le vaisseau qui navigue sur la mer; les vertus en sont les
(c clous. Celui de l'humilité vient-il à manquer.^ la jactance y
« pénètre, elle profite du vide qu'il a laissé, et le vaisseau
« s'enfonce. »
Il réfute l'impiété contenue dans ce vers de Lucrèce: Pri.
mus in orbe Deos fecit titnor, en lui opposant ces paroles de
l'apôtre : Timor enim est in caritate, et celles du prophète-
roi : Timor Domini manet in sœculuni sœcnli.
Notre abbé paie d'ailleurs abondamment le tribut à l'es-
prit de son siècle , par la comparaison prolongée qu'il fait de
i'ame humaine avec la lune. Il faut citer ce passage dans la lan-
gue même i\u manuscrit pour en faire excuser, s'il se peut , les
ridicules comparaisons. Luna , dit notre a\)hé , ut scripserunt
philosophi, dicitur quasi Lucina, id est, in luce nata. Hujus
corpus est globosum , naturâ igneum, sed aqud pernuxtum,
undè et à se lucere non potest , juhar à sole recipiens. His
proprietatibus anima Lunœ conjœderatur. Luna namque m
luce nata ; anima in ratione creata. Luna corpus habet glo-
bosum , igneum quidem naturâ, sed aquœ permixtwne
gravatum. Anima quasi in sphœricam , pro sut perfectâ sub-
tilitate , cogitatur imaginent . . . Luna non lucet nisi recipiat
jubar h sole ; anima non potest fructum ferre à semetipsâ. . .
Latè patet ex probatis rectè in solefideni, in luna animam
design ari.
Tome XV m. R
\I1I SIECLE.
i3o BARTHELEMY 1" DU NOM, ABBÉ DE CLl NV.
Il cite, mais rarement, les auteurs de ranciemie latinité;
ce sont Lucrèce, Platon , mais cité par Cicèron, Virgile, Ho-
race, Boëce. Il est d'ailleurs fort enclin à l'habitude de tirer
des raisonnements de la considération et de la décomposition
des nombres; en voici un exemple adapté à ces paroles:
Cum factus esset J e sus puer annorum duodecim. Pulchrè, dit
l'orateur claustral, duodecim annorum Jésus essedescribitur,
ut totius in eo scientiœ perfectio mysticè signetur. Duodecim
enim numerus , sii^nijlcat perfectionem utriusque testamenti,
duplici rations; tum quia constat ex duobus senariis , tuin
quia ex diade et denario. Il poursuit ces parallèles séparé-
ment, en employant des raisons tirées des calculs arithmé-
tiques, qu'il retourne de toutes les façons. Ailleurs il s'étend
longuement sur les Go stades de la distance qui séparait
Emmaûs de Jérusalem , et sur les nombres décomposés que
produit celui des Go stades.
Nous n'avons pas négligé de profiter de la lecture entière
et attentive de ce manuscrit, pour y remarquer quelques ex-
pressions de basse latinité, que nos plus modernes et plus
attentifs lexicographes ont négligé de recueillir.
Par exemple, dans la comparaison qu'il fait de la culture
de l'ame avec celle de la vigne, voici comment il s'exprime :
Primo accedentcs ad vitem , radicem sive truncuni illius cir-
cumfuso terrœ aggere niodicè cavando circumdant , quod
vulgb excolisare dicitur ut noxii ramusculi appareant. D'où
l'on pourrait conclure que le mol latin excolisare serait resté
dans le langage vulgaire des vignerons du Maçonnais. Le pro-
logue du livre nous a déjà fourni le mot inoperiosuni qu'on
peut aussi considérer comme appartenant à la basse lati-
jMss. loi. i58 ni té, ainsi que les mots irregressibilis , irregressibditer, le
verso, fol. l'iS mot excecutio dans ce [iassage : Paulus excecatione illumi-
natus est; et enfin X è^xûieie fremitiva.
On peut aussi remarquer que toutes les fois que le mot
caput se rencontre dans la lecture du manuscrit, ce mot est
constamment terminé par un D bien formé, ce qui indique
qjie chaque T final avait alors constamment, dans ce mot, la
prononciation de la quatrième lettre de l'alphabet.
P. R.
H'ilO.
XIII SIÈCLE
GUILLAUME,
ABBÉ D'ANDRES.
MORT en iii!,.
J_j ABBAYE d'Andres ou d'Andernes , de l'ordre de saint
Benoît, était située entre Guines et Ardres, au diocèse de
Térouane, depuis de Boulogne -sur- mer. Itliier, qui la Gaii.chr.n.x,
gouvernait en qualité d'abbé en 120G, la quitta pour aller p. 160?.- 1606.
remplir la même fonction dans celle de Hames. Les moines
d'Andres se disposaient à lui donner un successeur; mais
ils dépendaient de l'abbaye de Cliaroux en Poitou, qui re-
vendiquait le droit d'intervenir dans l'élection de leur abbé.
Cette prétention ayant excité un assez vif démêlé, un reli-
gieux d'Andres nommé Guillaume, député par ses confrères,
se rendit d'abord à Charoux, puis à Uome. Il nous apprend
lui-même qu'il avait alors 3o ans; il était donc né vers 1 1^6;
on ne sait de quels parents, ni en (]uel lieu, mais proba-
blement dans le diocèse de Térouane. Il résulte aussi de
ses récits qu'il avait pris l'habit monastique à Andres, vers
iiq5, à l'âge d'environ 19 ans.
Guillaume défendit les intérêts de sa communauté avec
zèle, et même avec succès, sinon à Charoux, du moins à •
Rome ou plutôt à Viterbe, où il trouva le pape Innocent III.
Une bulle de ce pontife, datée du 2 juillet 1207, attribue
aux religieux d'Andres le droit de choisir librement leur
abbé, de le prendre dans leur propre sein, ou ailleurs, sauf
à faire confirmer l'élection par l'abbaye de Chaioux. Ils usè-
rent sans délai de cette faculté. Ils se donnèrent pour abbé
un prieur de leur ordre, appelé Simon. Mais Simon ne tarda
point d'abdiquer sa nouvelle dignité; et, au moment où
Guillaume rentrait à Andres, on s'y occupait du choix d'un
autre abbé. Il fut élu lui-même en 1208, le mardi, veille du
jour des Cendres, et allait entrer en fonctions, quand les re-
ligieux et l'abbé de Charoux refusèrent expressément de le
reconnaître. Il lui fallut retourner à Rome, où se rendaient
aussi des députés de Charoux. Le pape était à Férentino : il
y entendit les plaidoyers des deux parties, accueillit Guil-
laume avec bienveillance, accorda, sur sa demande, des
privilèges et des faveurs à l'abbaye d'Andres; et toutefois
R2
XIII SIECLE.
i32 GUILLAUME,
ajourna la décision de la principale affaire, la confirmation
de l'élection. Guillaume revint à Andres, et, à l'expiration
du délai fixé par Innocent, fit un troisième voyage à Rome.
Cette fois encore, il obtint les bonnes grâces du souverain
pontife; mais une bulle du i3 mars 1211 ordonna de pro-
céder à une élection nouvelle, en déclarant que l'élu et ses
successeurs seraient tenus de se présenter tous les trois ans
à Charoux , et de payer à cette abbaya une redevance an-
nuelle de ao sous sterling. Réélu aussitôt par ses confrères
d'Andres, Guillaume ne rencontra plus d'obstacles; l'évêque
de Térouane le bénit et l'installa le i5 août lai i. Pendant
les 23 ans qu'il gouverna ce monastère, il prit un très-grand
soin d'en accroître les revenus et les privilèges: on ne voit
pas qu'il se soit mêlé d'aucune autre affaire de quelque im-
portance. En i23i , il assistait à la translation des reliques
de saint Oswald et de sainte Idaberge à Saint- Vinox. Il
mourut en 1 134 '• c'est le terme où finit la chronique dont il
est l'auteur; et, si l'on veut un document plus décisif , c'est
aussi la date des lettres par lesquelles son successeur Tho-
mas demande la confirmation de l'élection qui vient de l'é-
lever à la dignité d'abbé d'Andres.
Le vif intérêt que Guillaume prenait à toutes les affaires de
sa communauté nous est attesté par son ouvrage, qui n'est
réellement qu'une histoire particulière de cette abbaye, depuis
l'an 1082 jusqu'en 1234 : Chtonicon Andrensis monasterii
ordinis sancti Benedicti , in diœcesi Tarravensi , ab aano
1082 ad 1234. L'original de cette chronique s'était conservé
dans le monastère d'Andres : on l'y a trouvé, au xvi*' siècle,
portant l'inscription : « Che libvre appartient à l'abbaye
d'Ardernes à Ardres. » Après la destruction de cette abbaye
en i544i le manuscrit qui lui avait été si précieux, passa
dans la bibliothèque du collège de Bergues, où André Du-
chesne en prit, en 162^, une copie certifiée conforme à
l'original, par deux jésuites de ce collège. Il paraît qu'il en
existait d'autres copies où la chronique finissait à l'année
1227; et c'est sans doute ce qui a fait donner quelquefois
Aller, n. 4o3. cette date au décès de Guillaume. Aubert le Mire a cru que
la chronique d'Andres ne s'étendait pas plus loin. Pape-
iioiiand.,mai, brock a le premier' averti qu'elle atteignait l'an 1234-
I in,p. 80. Avant qu'elle fût imprimée, quelques écrivains en avaient
fait usage et publié des extraits; Aubert-le-Mire , dans sa
chronique belgique; André Duchesne, dans son histoire gé-
ABBÉ D'ANPRES. i33
XIII SIECLE.
néalogique des comlesde Guines ; Raphaël de Beauchamps,
dans ses longues additions à la chronique succincte d'André
Silvius. Mais en 1669, dom d'Achéry inséra dans le tome JX
( in-4° ) de son Spicilége le livre entier de Guillaume d'An- Spicii., 111-4°,
dres : ce livre y remplit 35j pages, imprimées d'après la copie •• i^. P- 338-
manuscrite d'André Duchesne, et ne s'y termine qu'en i234, y'*' Tg^.g^i*'
quoique Casimir Oudin dise encore qu'elle n'y dépasse point Comment, de
1227. Brial en a réimprimé plusieurs articles dans le tome Script. eccies., t.
XVIII du Recueil des historiens de France. '"script.™
Guillaume avertit qu'en ce qui concerne les temps anté- gaii. et n . , tom.
rieurs à l'année 1 194» il transcrit l'ouvrage d'André Sylvius, ^viii, p. 568-
prieur de Marchiennes, en y intercalant les faits et les dé-
tails relatifs à l'abbaye d'Andres. Ayant fait connaître, dans
notre tome XV, cet André Sylvius ou Du Bois et son livre, Hist.liiter.de
nous n'avons à considérer ici que les appendices et complé- '^^'■•j'Xv, p.
ments, d'ailleurs assez considérables, que Guillaume y a
rattachés, et dans lesquels on peut distinguer ttois genres
d'articles, selon qu'ils appartiennent ou à l'histoire person-
nelle de l'auteur, ou aux annales de son abbaye , ou à celles
de la France et de la chrétienté entière.
Déjà l'on a pu prendre une idée des articles du premier
genre; car la notice que nous venons de donner de la vie de
Guillaume, nous l'avons tirée de ses propres récits. Seule-
ment il raconte avec beaucoup plus de détails ses voyages,
ses démêlés, les circonstances de sa double élection à la di-
gnité abbatiale; il insère au milieu de ses narrations les
discours qu'il a prononcés à Charoux, à Viterbe, à Féren-
tino, les plaidoyers de ses adversaires, le précis des entre-
tiens qu'il a eus avec le saint-père, la substance et souvent
les textes des sentences et des bulles pontificales. Il se plait
même à rapporter et à interpréter les songes qu'il a eus au
commencement de chacun de ses trois voyages, et qui de-
vaient , à ce qu'il semble croire , lui en présager les suites.
Toutes ces circonstances de sa vie tiennent plus ou moins
étroitement à l'histoire de son monastère, histoire qu'il faut
considérer comme le principal et le plus véritable sujet de
ce livre. Elle abonde en détails biographiques, en notices
relatives à la succession des abbés, à leurs actes, à leurs
contestations, soit avec d'autres couvents, soit avec des sei-
gneurs voisins, aux concessions et aux largesses des bien-
fiaiteurs de l'abbaye; et fort souvent ces divers récits sont
accompagnés de pièces textuellement transcrites. Mais ce
1 2
i34 GUILLAUME, ABBE D'ANDRES.
XIII SIÈCLE. ,, j rr- • i ■
sont la des aiiaires monastiques et locales, qui ne sauraient
aujourd'hui conserver ni reprendre assez d'importance, pour
qu'il nous soit permis de nous y arrêter plus long-temps.
Nous remarquerons seulement qu'un abbé d'Andres n'admet-
tait au nombre des moines que ceux qu'il trouvait exempts
de tout défaut corporel. Petrus III , ahhas Andrensis , nuU
lum unquam monachari permisit , qui in aliqua parte cor-
poris aliquem defecturn hahuit.
Les articles qui offriraient un intérêt général et réelle-
ment historique sont malheureusement ceux qui occupent le
moins d'espace : ils se réduisent presque tous à des mentions
sommaires d'événements connus par des récits beaucoup
plus instructifs; par exemple, en 1198, l'élection d'Othon à
l'empire et la concurrence de Philippe de Souabe; en i2o3
et i2o4i le siège et la prise de Constantinople, et le couron-
nement de Baudouin; en 1207, les troubles excités en An-
gleterre par l'élection d'un archevêque de Cantorbéry; en
1210 , une croisade d'enfants et l'expédition contre les Albi-
geois;en i2i4, la bataille de Bouvines; en I2i5 , le concile
de Latran; en 1216, la descente du prince Louis dans la
Grande-Bretagne; en 1 218, la mort de Simon de Montfort;
celle de Philippe-Auguste en i223, de Louis VIII en 1226.
L'un des articles les plus remarquables serait, à notre avis,
celui qui présente, sous l'année 11 95, une généalogie des
comtes de Hainault. En général, on ne saurait dire qu'il y
ait à recueillir une instruction bien précieuse dans cette chro-
nique, essentiellement destinée à l'usage et aux besoins d'un
seul monastère. Du reste, l'ordre des dates y est assez exac-
tement établi : Brial n'en a trouvé aucune à réformer. Les
trois classes de faits que nous venons de distinguer s'y en-
tremêlent et ne forment qu'une seule série chronologique,
sauf un petit nombre d'interversions dont on est averti par
l'auteur lui-même. D.
GAUTHIER D'OCHIES,
«oRTen.î34 ABBÉ DE CITEAUX.
ou 1235.
Vjauthier d'Orchies ou plutôt d'Ochies était, au commen-
cement du xin« siècle, abbé de Long-Pont, monastère de
GAUTHIER D'OCHIES, ABBÉ DE CITEAUX. i35
l'ordre de Cîteaux, au diocèse de Soissons. On le voit tran- [
siger, en 1 201, avec l'abbé du mont Saint-Martin; reconnaître,
en i2o3, ceux des biens de l'abbaye de Soissons qui dépen-
daient de celle de Sainte-Marthe. Il est témoin, en I2IO,d'un Gallia chr.,
accord entre l'abbé du mont Saint-Martin et le seigneur de ^^'P '♦' «^'^
Guise; il est arbitre, en 121 1, entre la comtesse Aliénor et le
curé de Saint-Quentin; en I2i3, entre les bourgeoiset les cha-
noines de cette ville. En ce même temps, il enrichissait d'un
vignoble les religieux de son monastère. Peu auparavant il avait
reçu parmi eux Jean de Montmirail, qui mourut en odeur
de sainteté en 1217, et fut depuis canonisé. Une vie de ce
bienheureux, où sont racontés plus de cent miracles par lui
opérés, est le principal ou même le seul essai littéraire de
Gauthier d'Ocnies. Cet abbé était renommé pour son savoir,
ainsi que l'attgstent ces deux vers rapportés parManrique:
Annai.cisterc.
Doctorum splendor, cunctos superansque coaevos adann. 1219,0.
Gualterus veniens, confestiin transiit annos. in,n. 2, t. IV,
p. i5g.
Si Gauthier cessa, en 12191 de gouverner l'abbaye de Long-
Pont, c'est qu'il devint alors abbé de Cîteaux, c'est-à-dire géné-
ral de son ordre. Une bulle d'Honorius III, sous cette date,
l'autorise à n'avoir aucun égard aux réclamations des curés,
qui, pour ne rien perdre de leur casuel, exigeaient de qui-
conque s'engageait dans une communauté religieuse, des frais
d'enterrement. Il demanda, en 1220, à ce même pape, la ca-
nonisation de saint Robert, abbé de Molesme; et ce fut aussi
en cette année, selon Manrique, qu'il tint à Cîteaux un cha- Ann. 1220,0.
pitre général, que les auteurs de la GalUa christiana placent 1."' °" \ '"' '
en 1222. Ce chapitre prescrivit de célébrer des messes de la GaiiL ^ chr. ,
sainte Vierge, de soumettre les frères convers à des épreuves '• JV, p. 992-
plus rigoureuses, de les laisser durant six mois en habit se- 9^'*
culier, et de mettre un terme à l'excessive multiplication
des couvents de religieuses. En 1221 , le pape écrivit à l'abbé
de Cîteaux pour lui recommander le prince Waldemar, qui,
en expiation de sa résistance aux ordres du saint-siége, em-
brassait la vie monastique. Une épître pontificale, datée de
1222, charge Gauthier de concilier un différend qui s'est
élevé entre le roi de France et l'évêque de Paris. L'année
suivante, il assiste comme témoin à une transaction entre le
chapitre de Langres et les moines de Hauterive; et, à cette
même époque, Honorius lui adresse le recueil de ses ser-
XIII SIECLE.
i36 GAUTHIER D'OCHIES,
mons. Mais ce dernier fait est révoqué en doute par Man-
*^*''"- '•''• rique, qui fixe à l'an i223 la mort de Gauthier.
' ' Dans la Gallia christiana, la carrière de cet abbé se
prolonge jusqu'en F 234 ou 35.11 obtient d'Honorius, en i225,
de Grégoire IX en i22y, la confirmation des privilèges de
l'abbaye et de tout l'ordre de Cîteaux. Il reçoit du pape deux
commissions en 1225, l'une de pacifier les rois de France
et d'Angleterre, l'autre déjuger l'archevêque de Lyon, alors
déposé et incarcéré. Il acquiert pour son monastère un droit
sur des salines de Franche-Comté, et, en 12^2, la possession
d'un pré.
Ce qui embarrasse l'histoire des dernières années du
généralatde Gauthier d'Ochies, c'est la mention faite en cer-
tains actes d'un Guillaume ou d'un G, comme étant abbé
de Cîteaux en 1228, 1229, i233, I235. Entreprise de ce
Guillaume pour s'attribuer une juridiction sur les religieu-
ses de Port- Royal ; contestation à ce sujet avec l'abbé de
Vaux-Sernai, en faveur duquel le chapitre général de Cî-
teaux et Grégoire IX prononcent. Lettre de G. à Thibaut,
Martène Thés ^omtc de Champagne, où il est dit que jamais les sceaux
Anecd. , t.'i, p. ne portent l'empreinte du nom d'un abbé de Cîteaux. Épître
946- de Guillaume à l'abbé de Font -Froide, concernant des
T..''rl!\i.?' distributions d'hosties. Autre lettre de G. au comte de Cham-
pagne , relative à un anniversaire. Mais d'une part, l'initiale
G. est aussi applicable à Gauthier qu'à Guillaume, et de
l'autre, le nom entier de Guillaume peut n'être qu'une erreur
des copistes, qui auront mal interprété cette même initiale.
L'abbé Jacques est indiqué comme ayant immédiatement
succédé, en i234, à Gauthier, décédé le 20 janvier ou
le tc). Il s'agit d'un mois antérieur à la fête de Pâques, et
par conséquent l'année pourrait être celle que nous appe-
lons 1235. Ces particularités ne nous semblent pas très-
parfaitement éclaircies; mais elles ne tiennent point assez
à l'histoire littéraire pour entraîner ici de plus longues
recherches; et les résultats que nous avons empruntés de la
Gallia christiana nova sont, à notre avis, les plus dignes
de confiance. D.
ibid, p. 991.
XUI SIECLE.
^^i-»-t-^-^-fc-^-v-^n~'*" " * -^^ - -»»*.«-»<^—
BERNARD DORNA,
ARCHIDIACRE DE BOURGES, JURISCONSULTE. MOBTvers ii35.
Trithem., cap.
IJERNARD DoRN A, Provençal de naissance, étudia la juris-
prudence sous le célèbre Azon , lequel avait tellement illus-
tré l'école de Bologne, que toute la jeunesse d'Italie, et '* ^^^ „ed. et
celle même de France , allait y entendre ses leçons. On a fait inf. lat., 1. 1, p.
monter jusqu'à dix mille le nombre continuel de ses auditeurs. ^*f!,- _,
x-.li I- • -'"T»! T-v 'J- Graïina , lie
Ltlonnepeutdireau juste si cesta bologneque Uorna étudia ortu et progressa
sous ce maître, ou bien si c'est à Montpellier; car Azon y juris ci¥ilis,pag.
enseigna quelque temps, ayant été obligé, par les intrigues ^'7. '°-'a.
des envieux de sa gloire, de quitter Bologne. Mais comm'e
ce célèbre professeur avait attiré à Montpellier presque toute
la jeunesse d'Italie, les Bolonais, pour repeupler leur école,
le rappelèrent chez eux. Cet Azon, que la France pourrait
revendiquer, soit pour avoir été pendant quelque temps un „.
de ses plus fameux maîtres en droit, soit pour avoir formé de la juris'pru-
un grand nombre de jurisconsultes français, mourut en l'an «lence romaiDe,
I200. Alciat et l'auteur d'une histoire de Bologne, Alberti, '""["'''P; *"?'
,. ,., , . , . . " , , ^ Alberti, His-
disent qu il mourut de mort violente, en punition d un assas- toriadiBoiogna,
sinat qu'il aurait commis; mais c'est une erreur relevée par ""-4°. i543- ad
Gravina et Terrasson , qui attribuent sa fin à une mort na- """• "°°'
turelle, ajoutant qu'elle fut accompagnée de tant de regrets
de la part des habitants de Bologne, qu'à cette occasion les
écoles furent fermées pendant long-temps, afin de rendre
plus sensible la perte que l'on avait faite. On le qualifiait
par les épithètes Aefons legum , vas electionis , et il a laissé
une Somme de droit, que Terrasson dit être un excellent
ouvrage.
Quant à Bernard Dorna, qui fut un de ses nombreux dis- Trithem, loc.
ciples, il est probable qu'il professa à Bourges, dont l'école, •^"
aussi célèbre dans les annales de la jurisprudence que ^^^^"^"•''P'S-
celle de Bologne, a été regardée par Alciat comme le séjour
perpétuel de la jurisprudence. Les hommes les plus distin-
gués de tous les pays s'y rendaient pour y enseigner le droit
civil, de sorte que le Forum de Rome semblait y avoir
été transféré ; et Cujas a dit dans la suite, que nulle
école oe lui paraissait comparable à celle de Bourges,
Tome XV m, S
1 2 »
i38 BERNARD DORNA,
XIII SIÈCLE. , ' j 1 • » I 1 • J
pour la pureté de la st-ience et le grand savoir de ceux qui y
enseignaient. Ou peut eonjeclurer, d'après Trithème, que
ce fut là que Bernard Dorna passa eii grande partie sa vie,
étant tout ensemble archidiacre d;' l'église de Bourges et
jurisconsulte. On ne sait rien de positif sur la date de sa
naissance, ni sur ses premières études; l'année de sa mort
est également incertaine; mais comme on le fait disciple
d'Azoïi en même temps qu'Accurseï lequel mourut en laar)
à l'âge de 78 ans, nous pensons que Dorna, condisciple
d'Accurse, sera mort entre ia3o et 1235, et (jue même en
le su Imposant moins âgé que ce dernier, la date de cette
Tnihem, lot. ,n^5rf pç jojt pas être ret.udée jusqu'en i24o-
Le jugement porté sur ce jurisconsulte par Trithème,
Moréii.Dic- et que Moréri répète, donne de lui une assez haute idée.
tiooii. « Encouragé, dit-il, par son célèbre maître, Dorna s'appii-
« qu;i tout entier aux lettres ; il composa plusieurs ouvrages
« qui ont fait passer son nom à l'immortalité, et un surtout,
« le seul qui soit venu h ma connaissance, et qui portait ce
Monif Bibl « Mre : De libclloruni conception il/us. » Doin Montfaucon
bibl.jp. iii,B., dit cpi'il en existe deux exemplaires h la bibliothèque du
i35,A. Vatican, sons le titre : De lH-elloriiDi compositione. Nous
avons sous les yeux ce même ouvrage en un manuscrit delà
Bibliothèque royale, sous le n°4^^'"^i parmi plusieurs autres
ouvrages de droit; il y occu|)e vingt -deux cohuines petit
in-folio, depuis la page 34 jusqu'à 45, sous le titre : Suninia
de libellis.
Il ne nous a pas paru répondre à l'idée que les expres-
sions de Trithème semblent en avoir voulu donner; peut-
être qu'au temps où il a été composé, il aura été de
(juehpie utilité; mais parmi le grand nombre de livies sur
la même matière, qui parurent iWti, lors, cet ouvrage dut
être bientôt oublié à cause de son peu d importance.
Un court prologue de l'auteur expose le but qu'il s'est
proposé dans cette composition. « Comme la ruse, dit-il, et
« la fourberie des hommes se snnt accrues à tel point, qu'il
« n'y a plus de bonne foi sur la terre; que tous les jours de
« nouveaux sujets de discorde prennent naissance parmi
« nous; que le nombre i^c?, procès se multiplie de jour en
« jour, aussi bien que celui des avocats; et que les actes,
« par la manière dont ils sont rédigés, peuvent donner à la
a mauvaise foi un sujet continuel de récrimination; plu-
c sieurs juriscousuUes célèbres ayant déjà essayé en vain de
ARCHIDIACRE DE BOURGES. iSq
Xin SIÈCLE.
« porter un remède à ce mal , j'ai, moi Bernard Dorna, en-
« trepris cette Somme sur la manière de rédiger les actes ,
« pour complaire.! la demande de mes amis et de niessupé-
tc rieurs, et pour qu'il fasse le tourment de mes envieux :
« Sufficit enim eis ( œmulis ) ut aculeis invidiœ continué tor-
« queantur. » Dorna demande ensuite qu'on ne soit pas trop
sévère dans le jugement qu'on portera sur son livre, soit en
considération de la dilticulté de la matière, soit à cause de
l'imperfection de la nature humaine, à qui il n'est donné
d'atteindre en rien à la perfection; puis il entre en ma-
tière.
L'esprit de chicane qui paniît avoir été général à l'époque
à laquelle appartient notre jurisconsulte, et que nous atteste
le dessein annonce dans son livre, a été souvent relevé par
Fleury, soit dans son Histoire du droit , soit ailleurs. On y Fleurj-, 5*' dis-
voit jus(|u'à quel excès était montée la subtilité des plaideurs '"""'^s sur l'Hist.
pour éluder les lois, et les rendre complices de l'injustice. ^'^'^'
L'ouvrage de Bernard aurait donc pu nous flonner une idée
complète de cet esprit de chicane au moyen âge, s'il avait
été fait avec clarté, méthode et précision. Or, ce n'est pas
ainsi qu'il a été exécuté. Les titres de chaque article sont
clairs, mais l'explication ne l'est pas. Qu'est-ce qu'un acte.''
— En combien de manières peut-on rédiger les actes.*' — A
qui faut-il les présenter.-' — - Dans quelles circonstances doit-
on les présenter.^ — Que doivent-ils renfermer, etc. Telles
sont les questions que l'auteur se propose, et auxquelles il
ne fait pas des réponses aussi claires. Ainsi quand il se de-
mande : Quid sit libellus ? il se répond : Sciendum est quod
libellus est quœdani modica scriptura tenore et pondère,
etiamsi interdiim in longuin et latuni non minimum sit pro-
tensa, et est diminutivum ah hoc nomine dcrivatuin : liber. Une
définition de ce genre n'est pas faite pour produire de bien
vives lumières, et tout l'ouvrage est a peu près composé de
même. L'intention de diminuer les prétextes de chicane,
ainsi que le nombre de ceux qui en vivaient, qui troublaient
la paix des familles et favorisaient la mauvaise foi, était
assurément très-bonne; mais il était difficile de la remplir
par un livre aussi peu satisfaisant, quoique laborieusement
exécuté. L'auteur termine son travail par ces réflexions :
« J'ai réuni dans cet ouvrage tout ce qui regarde la rédaction
« des actes, et tout ce que j'ai cru utile à cette rédaction;
a j'y ai résolu, avec le secours des- lois, bien des difficultés
Sa
Xin SIÈCLE.
i4o JOURDAIN LE FORESTIER.
« inextricables; je l'ofTre à mes amis et à mes confrères avec
« un vif intérêt, a6n que par lui, sinon ma vie, du moins
« ma mémoire se perpétue à jamais. Pour ce qui est de mes
« rivaux, je leur défends de le regarder de mauvais œil.
« jEmulis inhiheo ne oblique super hoc intueantur, sed tor-
« mentis invidiœ incessanter qfflicti , etc. . . Porib nec tarduni
Horat. « opperior, nec prœcedentibus msto. »
Les désirs de Bernard Dorna n'ont été accomplis que jus-
qu'à un certain point; car sa mémoire et son livre ont fait
peu de bruit. Son livre est resté manuscrit , et est extrê-
mement rare; ce qui montre qu'on n'en a pas multiplié les
copies, et par conséquent qu'on s'en est peu servi. Sa mé-
moire même s'est si peu conservée, que le nom de Dorna ne
se trouve dans aucun des historiens qui ont été ses contem-
porains, pas même dans ceux qui n'ont parlé que des juriscon-
sultes; en6n, on ne trouve quelques détails sur sa vie que
dans le peu de lignes que nous a lournies Trithème. P. R.
JOURDAIN LE FORESTIER
JORDANUS NEMORARIUS.
Vers I235i
(.Quelque attention que puissent mériter les travaux du ma-
thématicien Jourdain le Forestier {Jordanus Nemorarius)^
comme il y a peu d'apparence qu'il soit né en France, ou
qu'il y ait vécu, nous ne ferons de lui qu'une mention fort
succincte. Tiraboschi l'appelle Giordano Nemorario ou dal
T. IV ub. 2 Bosco, dans l'Histoire ae la littérature italienne; mais en
cap. 2, n. XI, avouant que la patrie de cet écrivain n'est pas bien connue,
ediz.2%Modeii., q^\\ p'a été fait sur ce point aucune recherche, et qu'il y
> P- »79- aurait lieu de désigner l Allemagne plutôt qu'aucune autre
contrée. Cette opinion de Tiraboschi se fonde sur un ma-
nuscrit de Venise, dont il a pris connaissance, et qui est in-
titulé : Jordani de Nemore de Alemania Arithnietica. Ainsi,
ajoute-t-il, l'Italie n'a plus aucun droit de le revendiquer;
e noi percio non abbiani piii alcun diritto ad annoi'erarlo
tra nostri. La France n'en a pas davantage; car il n'y a rien
à conclure de ce que la première édition de celte Arithmé-
JOURDAIN LE FORESTIER. i4i
,,,,., V . , . , , , . IIII SIÈCLE
tique a été publiée à Paris. Il en est arrive autant a bien ■—
d'autres livres tout-à-fait étrangers à notre littérature.
On ne s'est pas non plus toujours accordé sur le temps où
écrivait Jordanus. Il a été quelquefois placé vers l'an io5o,
sous le règne de l'empereur Henri III; c'est une époque peu
fertile en productions ou même en essais d'un pareil genre;
d'ailleurs Biancani, dans sa chronologie des mathématiciens, Ad cale, libri
fait observer que Jordanus Nemorarius cite Campanus de deNaiuràmathe-
Ni^..! ./|.A • ' t-i malicar. scienlia-
ovare, par lequel il est cite lui-même; ce qui montre quils ^y^, Bononiae
étaient contemporains. Or Campanus, quoique inscrit aussi i6i5,in-4°.
quelquefois parmi les écrivains du xi* siècle, appartient plus
probablement au xiii*; il composait ses traités du comput
et du cercle sous Frédéric II. Ce qui est étrange, c'est que
Biancani, qui rapproche ainsi ces deux géomètres, laisse
ailleurs entre eux tout un siècle d'intervalle; qu'il place au
XI* siècle Campanus, et au xii* Jordanus, en ajoutant, pour
surcroît de contradiction, que, vers l'an 1200, Campanus
composait son grand et son petit comput. Les travaux de
l'un et de l'autre ont pu commencer peu après 1 185, et se
prolonger fort au-delà de i2i5. Nous supposons que la car-
rière de, Jordanus ne s'est terminée que vers laSo.
Quoi qu'il en soit, ses ouvrages, estimés de ses contempo-
rains ,ont con.'jervé quelque réputation dans les âges suivants.
Deux sont imprimés, savoir: Ses Eléments d'arithmétique
en 10 livres, et ses i3 propositions sur les poids : De ponde-
ribus ; le premier avec les commentaires de Jacques Lefebvre
d'Etaples, à Paris, chez Higman et Hopil, en 1496, in-folio;
le second, in-4°, en i533, chez Petreius à Nuremberg. Bien
que le titre de ce deuxième article porte : Liber Jordani
Nemorarii, viri clarissimi. . . multarum rerum rationes sanè
pulclierrimas complectens, ce ne sont, selon Clavius,que des
fragments qui n'éclaircissent rien. Jordanus a laissé de plus
quelques traités inédits, des Z)<2ta anV/iwc'?/c«, trois livres de r, ^
T, ^, . ,' • 1 1 ni 1- 1 > 1 • Voss., De ar
géométrie qui ontpasse manuscrits de la Bibiiothequepalatine tium et scient.
dans celle du Vatican; un livre sur les miroirs : De naturâ naturà,i. iii(de
Speculorum,; d'autres sur l'astrolabe et le planisphère. On ^' "'). ç- .
\oit qu 11 avait cultive, autant qu il était alors possible, 1950. 5i,n, 5,
toutes les branches des sciences mathématiques. Maurolyco, c-6o,n. 2.
qui les enrichissait au xvi« siècle, a fait mention de lui. Gé- dês"!!!!"!^/^"' t
rard-Jean Vossius a inséré des notices de ses écrits en divers i, p. SofJ, é'dit.
chapitres d'une histoire chronologique de ces mêmes scien- ^^ ''^" ^i'-
ces. Bailly ne le nomme point, mais il est indiqué par Montucla d^ l'aTuIn." Tti
i42 MAURICE,
Xm SIÈCLE. 1^1, n 1- >i 1- •
et par Delainbre. Bossut dit qu il « se distingua pour son
moyen âge, I. », ,( tciiips daiis l'ai i thinetifjue et dans la géométrie, comme
Bossnt, Hist. « on cu peut jiiger par son Traité du Planisphère et ses dix
(les mutlRiii. , t. « livres d'Arithinétifiue. » D.
p. 2^1.
Bossi
(les niul
I, p. i!,2
MAURICE,
HORTkiojan- ÊVÈQUE DU MANS, PUIS ARCFIEVÈQUE DE ROUEN.
vier 1235. ^
IMaurice, né en Champagne de parents pauvres, était
Gaii.chr.vct., archidiacre de Troycs, lorsfpi'il fut élu évéque du Mans en
' •" ^''' 12 ic); ce qui doit fixer la date de sa naissance entre ii8o et
I igo. Sacré à Tours par Jean de Faya, son métropolitain , il
Thomas Can- rédigea en 1229 des statuts pour son diocèse, et en i23i,le
iimp.,p. 0 et 7. papy Hrégoire I\ l'éleva au siège archiépiscopal de Rouen.
Gali.(hi.nnv., La mèmeaiinée, il tint dans cette ville un concile provincial
t.xi,p. G2. pour la réforme des mœurs et le maintien de la discipline
ecclésiastique. En laSa, les moines de Saint-Ouen s'étant
adressés à lui pour le prier de leur désigner un abbé, il ré-
Fondit qu'il ne voulait s'arroger aucun droit contraire à
entière liberté de leurs élections. Cependant, presque vers
le même temps, il excommuniait les religieuses de Monti-
villiers, parce qu'elles avaient désapprouvé le choix de la
nouvelle abbesse qu'il leur avait donnée ; ce qui indique assez
que cette abbaye n'était pas élective.
fr A. hery-S|ii- Le jcuiie loi Louis IX, obligé de lutter contre tous les
Cl! ,1. 11, [. Hm, seigneurs de son royaume pour la défense de son autorité
*""' royale, avait, de l'avis de ses barons, fait saisir les posses-
sions temporelles de Théobald , prédécesseur de Maurice au
siège de llouen , pour quelques démêlés qu'il avait eus avec
lui. Théobald étant mort avant d'avoir fait la paix avec son
prince, le roi avait maintenu la saisie des biens temporels
de l'archevêché de Rouen sous le nouveau prélat; Maurice
par représailles jeta sur son diocèse un interdit, dont les
circonstances se lisent tians les lettres qu'il écrivit à cette oc-
ibùl., p. :i2n casion. Ces lettres sont au nombre de cinq. On remarque
'"^'^ dans une de ces lettres l'ordre doiméàtouslesdoyensdu dio-
cèse de déposer de leurs piédestaux toutes les statues des
saints. Dans une autre lettre, il leur expose les motifs qui
EVÊQUE DU MANS, ARCHEVÊQUE DE ROUEN. i43
XIII SIECLE.
l'avaient deterininc à mettre son diocèse en interdit; c'était,
entre autres, que le roi refusait de rendre la liberté aux
prisonniers qu'il avait faits, de rendre les biens qu'il avait
saisis, de léparer les dommages qu'il avait causés; enlin
que le mépris du roi pour ses prières et pour ses moiiitions
réitérées l'avait oblij;;é à interdire les églises de son diocèse
qui étaient du domaine royal , exceptant néanmoins, et par
ménagement, celles où le roi et la reine se trouveraient
passagèrement. Enlin, dans une autre lettre aux mêmes
doyens , le jirélat déclare de nouveau la nécessité dans la-
quelle il se trouve d'aggraver les peines (pi'il a déjà portées,
vu la i)ersévérance du loi tians ses résolutions. Il leur enjoint
d'exposer au [)euple les motits des mesures rigoureuses qu'il
avait j)rescrites.
I /année même en laquelle il j^rit possession de son siège
arclii('j)iscopal (en i23i), Maurice tint un concile provineialà Conni. Nor-
Roueii , durant lecpiel il s'occupa de la réforme de son clergé: '"^Ji)l'»'' !> v
on remarcjue les dis])ositions suivantes: défenses sont laites '
aux piètres, sous peine dexcommunication, de laisser con-
duite des cliœurs de danses dans les cimetières ou les églises;
de porter de grands coutelas ou des lances. Voilà les seules
partirulaiités qui nous restent de la vie littéraire de ce prélat.
Il mourut au prieuré de Sauceuse,.S(7//rr).çc/, durant l'octave
de l'Epiphanie, le lo janvier 19,35, selon le iiécrologe de
l'église métropolitaine de Rouen, et il icçut la sépulture dans
celte église. La plus grande jxirtie du temps de sa préiature
à Rouen fut occupée par les dilférends (juil eut avec la cour
de Erance, différends (ju'il avait lierites de son i)rédécesseur,
et (pii continuèrent, parce cpie ÎNlaurice voulait soutenir les
droits de son église. Ce|)endant Its liistoiiens nous ont con-
servé un trait de ce prélat qui nous fait assez connaître son
désintéressement personnel , pour Cju'on ne j)uisse pas flétrir
sa mémoire par le moindre soupçon de cupidité pour les ri-
chesses. Il est en effet rapporté qu'un jour les économes de .,,
sa maison lui ayant mis sous les yeux le détail des revenus liiupr., p. <r
de son diocè.se, cpii s'élevaient à douze mille livres : « Mettez-
« en à part, leur dit-il, deux ou trois mille pour l'entretien
« le plus strict de ma maison; je n'ai rien à prétendre sur le
« reste, c'est le bien xles pauvres, distribuez-le-leur. Quant à
« ce que je conserve, j'en userai , non comme en étant le pro-
« priétaire,mais comme le d'ispensaicur. Duo aiit /ria millia
« ad victum faniiliœ nustrœ conservate , in reliquis omnibus
i44 MAURICE,
Xm SIÈCLE. ., -, , r ■ 4 .. • j-
(c nihil habeo, pauperum enim sunt , et m pauperes aispen-
« sate. Illis auteni quœ mihi manent dispensatoris utar loco,
a non domini. » Thomas de Cantimpré rapporte sur ce prélat
Ibidem. le trait suivant: « Aux approches de l'hiver, Robert, chape-
« lain de l'archevêque, donna ordre à l'économe de la maison
(t de lui acheter une pelisse. On l'acheta, et quand elle lui
« fut apportée, ce chapelain qui était avancé en âge, et d'une
« santé faible, ne la voulut pas, et il en demanda une de
« peaux plus légères et plus fines: Archiepiscopus : sine, in-
<i quil , me vidcre pelUcium quod respuis nimis grossum. Et
a quand il l'eut vue et touchée, il ajouta: Fade et domino
« Roberto subtilius emas, istud verb mihi loco penrue sub scor-
« tocio meo ponas. » Le mot scortocio qui présente quelque
difficulté, parce qu'il est inusité, se trouve expliqué par les
paroles qu'ajoute Thomas de Cantimpré: Hoc autem domi-
nus Robertus audiens, midtàm erubuit, quod ipse capellanus
pro pellicio portare noluerit, quod archiepiscopo domino sua
pro supertunicaliforratura suffecit. On voit par-là que les mots
supertunicali forratura expliquent ce que l'on doit entendre
par scortocium.
ibdem ^^ même auteur fait encore remarquer que Maurice voyait
avec peine que ses intendants dépensassent trois ou quatre
livres pour l'entretien journalier de sa maison, et cependant
son aumônier en distribuait chaque jour dix ou douze aux
pauvres.
Deviiie, Tom- De tous Ics tombeaux dont la cathédrale de Rouen était
beauxdeiacaih. oméc, il n'en cxistc plus actuellement que six, savoir: celui
deRouen. i833, j^ j^, Rollon ; de son fils Guillaume-longue-épée; de Mau-
ouen,p. ,. j,j^.ç^ archevêque; de Pierre de Brézé, grand -sénéchal de
Normandie; de George d'Amboise; de Louis de Brézé, mari
de Diane de Poitiers. Celui de l'archevêque Maurice est placé
derrière le chœur. Le prélat y est représenté couché sur un
linceul, en habits pontificaux dont on distingue -toutes les
pièces, la soutane de velours, l'aube garnie d'une riche den-
telle, la dalmatique d'origine phénicienne, et à la forme de
piauius , in laquelle un vers de Plante faisait allusion.
Pœnulo , aci. V, '
tcea. II, vers i5. 5gj quaenam illaec avis est quae hùc cura tunicis atlTenit.**
On la reconnaît à l'ampleur d'une manche qui dépasse le
bord de la chasuble. Cette chasuble n'est pas plate, sans plis,
échancrée sur les épaules, comme celles de notre temps ; alors
ÉVÊQUE DU MANS, ARCHEVÊQUE DE ROUEN. i45
elle couvrait même les mains, et c'est de là que s'est conservé
l'usage inutile aujourd'hui d'aider le prêtre, en la soutenant
au moment de l'élévation. Nous nous souvenons d'avoir vu
encore une de tes chasubles antiques qui était conservée aux
Chartreux (le Paris, he pa/liurnqne, l'on distingue à la forme
delà lettre T, passant transversalement d'une épaule à l'autre,
retombe par deux bandes sur le dos et sur la poitrine. Il
est terminé par une riche Irange du côté qui se présente au
spectateur, mais ce n'est qu'un embellissement de l'artiste;
car de tout temps, les archevêques, et le pape lui-même,
n'ont fait usage que Au pallium de simple laine blanche,
semée dans un seul et même tissu de quelques croix de laine
noire. Les deux extrémités des bandes sont garnies d'une
feuille de plomb laminé, hes pallium que le pape envoie aux
métropolitains de la catholicité sont tissus avec de la laine
des agneaux élevés par des religieuses , et qu'on bénit chaque
année sur l'autel de Sainte-Agt)ès-liors-les-iriurs. En France,
le seul évêque du Puy-en- Vêlai est décoré de droit du pal-
lium des métropolitains.
Voici l'épitaphe qui se lit gravée sur le tombeau de Mau-
rice : D. O. M. Hic jncet Mauritius ex episcop. cenomanensi
ad Rothom. archiep. translatas anno i aS ( . Vitœ austeritate,
liheralitate in pauperes claras. Obiit anno I235.
Le fanatisme avec lequel on a, de notre temps, fait la
guerre aux monuments de l'histoire des morts, nous impose
l'obligation de recueillir avec soin les épitaphes les moins
intéressantes en apparence, mais qui contiennent et perpé-
tuent les dates les plus certaines. P. R.
GEOFFROY D'EU.
ÉVÊQUE D'AMIENS.
XUI SIKCLE.
MORT le a5 no-
vembre 1236.
l^E prélat naquit dans la ville d'Eu vers la fin du xii* siècle ; o-.^;,.,. , u
sa famille portait le nom de Waltcr, que l'historien de la p. 39.
ville d'Amiens dit être le mêtne que Wallech, le Varlet ou
le Valet, If^allerius de Augo, le Valet d'Eu. Après ses pre- ouBouiay, t.
mières études, il vint à Paris où il prit le grade de docteur ï'". P- '^'
en théologie, puis celui de docteur en médecine, s'étant
Tome XVlll. T
i46 GEOFFROY D'EU,
XIII SIÈCLE. .,,.,, • Il -,
rendu habile dans cette science dont la pratique, a cette épo-
que, était généralement exercée en France par des ecclésias-
tiques. Il avait été nommé chanoine de l'église d'Amiens, et
il était revêtu de cette prébende depuis plusieurs années,
quand le siège épiscopal vaquant en 1222, il y fut élevé par
le choix de son chapitre, à raison de son mérite extraordi-
naire, ainsi que le dit le même auteur. L'année suivante, il
assista à l'assemblée des évêques qui se tint à Paris à l'occa-
sion de l'hérésie des Albigeois, et fut aussi présent aux ob-
sèques du roi Phili[)pe-Auguste. Trois ans après, en i22(i,
il concourut au couronnement du roi Louis IX, qui fut
célébré à Reims par l'évèque de Soissons, Jacques de Bazo-
ches, et il y remplit les fonctions de diacre. Il revint à Paris
en 1228 pour assister à l'assemblée des évêques, dans laquelle
Gaii chr t '' combattit l'abus de la pluralité des bénéfices.
X, p. ii83.' Le roi se disposant à marcher contre le duc de Bretagne,
convoqua Geoffroy d'Eu avec les autres évêques pour l'ac-
compagner dans cette guerre; mais ce prélat s'en exempta,
u'Aire « II Comme la plupart de ses coiifrères , en payant au loi la somme
p. 92. ' ' de cent livres parisis. Geoffroy poursuivit la construction
de la cathédrale de sa ville épiscopale, dont les fondements
avaient été jetés en i2s>opar son prédécesseur, et il continua
depuis le pavé jusqu'aux voîites ce grand monument , qui ne
fut achevé qu'en 1288.
Geoffroy d'Eu mourut en I236, le 25 novembre, plein de
vertus et de mérites, n'ayant laissé pour titres littéraires que
cinq actes relatifs à l'administration de son diocèse , et un rè-
glement composé pour les religieuses qu'il avait chargées de
desservir l'hôpital de la ville d'Amiens. Ces cinq actes se
trouvent dans les pièces justificatives de l'histoire de cette
UAch. Spici- ville, et le règlement se trouve dans le Spicilége de D'Achery.
[%., I. XII, p. ]V[ais si Geoffroy d'Eu n'a laissé après lui aucun souvenir
écrit qui puisse faire connaître l'étendue de sa science litté-
raire, on est fondé à conjecturer qu'il ne devait pas être
étranger à la culture des beaux-arts; ce que paraît indiquer
cette ligne de son épitaphe : Quo sedes Amhianensis crevit in
cœlos aucta. En effet, on voit qu'il aura, durant quatorze ans,
participé, du moins par son approbation, à tous les projets
de Robert de Luzarches, architecte du monument célèbre
de la cathédrale. Le moyen employé par son successeur Ar-
noul , pour procurer les fonds nécessaires à la poursuite de
l'entreprise, montre assez que le nouvel évèque savait bien
ÉVÊQUE D'AMIENS. 14^
juger (le It-tret que devaient produire les processions de la
châsse de saint Honoré, qu'il ordonna de porter dans toutes
les paroisses de son diocèse, pour y recueillir même les
oboles des pauvres, et les (aire concourir à l'avancement du
grand œuvre de la cathédrale. Ce fait honorable pour la
mémoire du successeur de Geoffroy d'Eu, autant que pour
celle des habitants du diocèse d'Amiens , méritait bien d'être
relevé. P. R.
ETIENNE DE BRANCION,
MORT le I^'
XXII' ABBÉ DE CLUNY. novembre nl6.
rLxiENNE DE Brancion OU DE Berzé ( dc Berziaco ou de Ber-
seio ) succéda à Barthélémy F'', dans le gouvernement de Ribi-ciuniac,
l'abbaye de Cluny, après avoir été d'abord prieur de Savi-
gny. Il fut élu au mois d'août ia3o, sur la démission de son
devancier. Il est nommé dans quatre chartes consenties entre
des particuliers et le monastère de Cluny. La première est
datée de l'an laSo, la seconde de l'an i233, et les deux au-
tres de l'an i234 Ces actes qui n'ont rien de remarquable
se trouvent dans la Bibliotheca cluniacensis. Etienne gou- 1,1 ,, ,5^,3
verna son abbaye pendant six ans, puis il la résigna, et «;«■•
mourut peu de temps après, le i*^"^ novembre ly.'SG. ^'^■,v- «626.
Dans l'article de Barthélémy, prédécesseur d'Iltienne, ce
dernier se trouve cité comme auteur de quelques serinons ci-detsus, p.
qui se lisent à la suite de ceux de Barthélémy, et quoique 124,125
ces productions soient peu nombreuses et peu considérables
en elles-mêmes, nous avons cru devoir en faire mention,
pour justifier la place accordée à leur auteur dans cette His-
toire httéraire.
D'après la note qu'on lit au manuscrit, et qui fixe à
soixante-dix le nombre des sermons de l'abbé Barthélémy,
on est en droit de conclure que les vingt-six pièces qui ter-
minent le volume sont de la composition de l'abbé Etienne,
et de quelques autres désignés généralement dans le prolo-
gue. On est d'autant plus autorisé à maintenir cette division
entre les productions des deux abbés, que le recueil des dis-
cours de l'abbé Barthélémy comprend celui du 26* dimanche
Ta
XIII SIECLE.
i48 ETIENNE DE BRANCÏON,
après la Pentecôte, au lieu que le premier discours de l'abbé
Etienne et ceux qui suivent ne présentent que des sujets d'ho-
mélies intercalaires à la série complète du cours des homélies
qui remplissaient l'année. C'est donc de la supputation atten-
tive de toutes les pièces du manuscrit que doit résulter le
témoignage incontestable du sens de la rubrique placée à la
fin de la table des matières qui est en tête du volume; et
si Casimir Oudin y eût donné plus d'attention, il n'aurait
pas privé, comme il l'a fait, l'abbé Etienne du droit d'oc-
cuper une place dans son recueil des écrivains ecclésiastiques.
Il était assez naturel que le premier discours de notre
abbé fût par lui consacré à son patron : aussi dans l'ordre
de ceux qui doivent lui être attribués , le premier qu'on ren-
contre a-t-il été prononcé en l'honneur de saint Etienne; le
îi* sur la Nativité de saint Jean l'évangéliste; le 3^ sur la fête
des saints Innocents; le 4*^ sur llntiocence; le 5^ sur la Pu-
rification de Marie; le 6« sur son Annonciation; le 7«, De
Sacramento , sur le symbole des trois jours saints; le 8* sur
le jour de la Résurrection de Jésus-Christ ; le 9^ sur la céré-
monie des Rogations; le 10'' sur le prophète Elisée; le 1 1«
sur la fête du jour de la Pentecôte; le 12* est une suite du
même sujet; le i3«sur l'octave de la Pentecôte; le i4^ est
un discours sur la Nativité de saint Jean-Baptiste , ainsi que
le i5*^; le 16® est sur la fête de saint Pierre et de saint
Paul; le 17^ sur celle de saint Pierre-ès-liens; le 18* sur la
Transfiguration de Jésus-Christ à la montagne; le 19^ sur
l'Assomption de la Vierge ; le 20* est une suite du précédent ;
le 21* est sur le règne du Sauveur, et le 22* en est une
suite; le 23*^ traite des vices en. général, sous la figure des
sept nations; le 24*^ est destiné aux fêtes du commun des
confesseurs; le 26* traite du combat de Goliath; le 26*^ et
dernier, de l'onction d'Elisée, considérée dans son allusion
spirituelle.
Tous ces discours ont été faits en forme d'homélies fort
courtes; la dernière, par exemple, n'ayant que dix lignes
d'étendue, paraît, ainsi que quelques autres qui sont d'une
dimension également abrégée, n'avoir été que le thème de
quelques discours dont les développements n'auront point
été écrits. Pour donner quelque idée du style et de la com-
j)Osition de notre abbé , il nous suffira de transcrire le
commencement de son discours sur la Pentecôte, et de re-
produire sa comparaison des sept dons de l'Esprit-Saint avec
XXIIe ABBÉ DE CLUNY. i49
XIII SIÈCLE.
les sept cordes du psaltërion , dont l'usage était très-commun
au xiii^ siècle. Ce discours commence ainsi :
Factus est de ccclo sonus , ex cujus consonantid , mira
procedit melodia-, per septem discrimina. Septem, siint enini
chordœ in hâc musicd, in quitus tam. recto ascensu etdescensu,
quam alternatione consonaris compago repletur. Rectum
descensuni habes in Isaid, qui à spiritu sapientiœ inchoans,
ad spuitura timoris descendit. In Evangelio ascensum habes
à timoré usque ad gapientiam. In Itbro Sapientiœ habes al-
ternationem Et sic cum suavi dulcedine reddit melo-
diam Hœ quatuor chordœ circa actionem versantur ,
très reliquœ circà contemplationem. Spiritus consilii circa,
dilectionem proximi acutum facit ; oui superveniens spiritus
intellectûs subtiliter examinât et judicat quid meliiis propo-
natur. Quod ergb adinvenit illius acuitas , examinât hujus
subtilitas. Spiritus sapientiœ stahilis est , versatur enim circà
cognitionem Dei , ubi statio fit.
On remarquera dans ce morceau quelques mots employés
dans un sens peu commun: le mot acuitas entre autres, qui
ne se trouve pas dans les dictionnaires ordinaires, est ex-
pliqué par Du Gange en ces termes : acumen styli vel inge-
nii , etc.
En lisant le discours de notre abbé sur là fête de la Nativité
de saint Jean -Baptiste , on trouve une expression dont
l'emploi surprend au moyen âge, c'est le mot république. .
Voici le passage: Joannes cœli perlustrat rempublicam. Res-
publica cœli est communis sanctorum cœtus. Est itaque tan-
quam angélus inter angelos ; Ecce, inquit , mitto angelum
MEUM. Est propheta inter prophetas. Est apostolus , id est
missus à Deo ; est martyr, est conj'essor, quia confessus est
QUOD NON ESSET Christus. Est vïrgo. In omni ergb ordine
sanctorum habet aliquani dignitatem ; perlustrat itaque rem-
publicam. P. R.
GUILLAUME.
ABBÉ DE CITE AUX. «o»t vers 1237,
Lje religieux dont nous faisons ici mention fut le 21'' abbé
de Cîteaux, le 3* du nom de Guillaume. Le lieu et le temps
1 3
i5o GUILLAUME,
XIII SIÈCLE. , . •' ^ •..,-.. ,
ne sa naissance sont ignores. On croit quil était moine de
Manriq. , An- Clairvaux, quand le chapitre général des Cisterciens l'élut
I. cislerc, .ir- ■ • - . -^
1227 , C. VIII,
na . cisierc, ann. poQp guccéder à l'abbé Jacques , mort le 28 avril 1227. Guil
3, 5, t. iv.'p! laume remit en vigueur d'anciens statuts -monastiques , et
341. 342- on peut lui attribuer ceux qui émanèrent des chapitres gé-
' ■' *""■ néraux de son ordre, présidés par lui depuis 1227 jusqu'en
1227, ex, n. I. oc n .r ' X . ' -, 1 • » ■' • 1
— i228,c. IX, n. 1 2 JD. Le sont la ses principaux écrits : ils n ont pas une grande
».2.3.— 1233, importance. Il ordonne de célébrer solennellement la fête
c ^"n'i''i3V — ^^ sainte Elisabeth, la fête et l'octave de l'Assomption de la
i235,c. n,n. I. sainte Vierge, d'ouvrir les chapitres par une messe du Saint-
— i236,c. »iii, Esprit; de prier pour le pape, pour les rois de France et
\',l'Vii~^-i^^' d'Angleterre. Il recommande de n'élire pour abbés que des
466, 490, 5i4, nommes sages, lettres et a un âge mur; de maintenir plus
532. soigneusement la distinction établie entre les frères convers
et les autres moines, en joignant toujours cette dénomina-
tion de com'ers a celle de frère, lorsqu'il s'agit d'un religieux
de cette classe. Réformer les abus, extirper les désordres qui
se sont introduits dans les monastères cisterciens de l'un et
de l'autre sexe, voilà le but de ses constants efforts. Il veut
qu'à l'avenir, les religieuses n'aient d'entretien avec les per-
sonnes étrangères, même avec leurs confesseurs, qu'à travers
des grilles ou fenêtres convenablement préparées pour cet
usage. Nec detur licentia loqiiendi cuiquam , nisi per fe-
ncstram ad hoc decentiàs prœparatam ; et per eamdem
fenestram loquatur etiani de confessione. Puisqu'elles ont
renoncé aux parures mondaines , il leur prescrit de porter la
cuculle ou coulle sans manteau, ou le manteau sans cuculle,
et de se servir de voiles noirs: Moniales haheant cucullam
sine mantello , vel mantellum sine cuculld, et velaminibus
nigris . . . utanlur. Un autre article déclare que les religieuses
excommuniées ne pourront être absoutes que par leur pro-
pre abbé, ou par le commissaire qu'il aura délégué à cet
effet.
En i22q, l'abbé Guillaume reçut du pape Grégoire IX
des lettres qui le chargeaient de travailler à la réconciliation
des rois de France -et d'Angleterre. Il avait des titres à la
ibid. , ann. vénératioii (le l'un et de l'autre; mais sa mission était plus
1229,0. 11,11. 1, facile à remplir auprès du premier : la récente fondation d'un
V-' î'-e' '*' '^ monastère cistercien à Royaumont l'avait mis en rapport
' ' ' avec Louis IX et la reine Blanche, qui, à mesure qu'ils le
connaissaient mieux, l'estimaient et l'aimaient davantage.
Quoiqu'il n'eût pas les mêmes moyens de succès auprès de
ABBÉ DE CITEAUX. i5i
XIII SIÈCLE.
l'autre monarque, il jouissait d'une telle autorité, et il la
savait employer avec tant de prudence, qu'il parvint à déta-
cher le prince anglais du parti du duc de Bretagne. En la
même année, Guillaume fut un des trois juges commis par
ami.
le pape pour la réparation des dommages et des outrages ibid.
que l'archevêque de I..yon avait soufferts. Ce fut aussi en 1229, c. vin, n.
1229 que l'abbé de Cîteaux fonda l'abbaye de la Pitié, de 3'„o'3' ,'' '"'^'
Pietate Dei , au diocèse du Mans. lùd. ,n. la,
Grégoire IX, dans une lettre qu'il écrivait en laSi à l'abbé P- ^g*-
de Cîteaux , témoignait une grande bienveillance pour cet
ordre, auquel Guillaume affiliait alors un monastère de filles ^ ^ n lo'^paV
qui venait d'être établi près de Troyes. Trois ans après, 475'.— c.viii,n.
quelques évêques ayant entrepris d'exercer sur les élections ï-7.p-43i,4^2.
des abbés une influence illégitime, Guillaume s'en plaignit ,33^'^ ', „""-
au pape, qui s'empressa d'assurer la liberté des élections 10, p! 468, 469,
claustrales , et accorda même, à cette occasion , de nouveaux 420.— c. n, n.
privilèges aux Cisterciens. En 1 286, Guillaume, par ordre de La.— c'^viVô'
Grégoire IX, se rendit à Prémontré, y prononça la destitu- 9, 10, p. 487.'—
tion de l'abbé Hugues, en le déclarant intrus, et rétablit c. xi,n. 6, n,
celui dont Hugues avait usurjié la place. C'est le dernier ^^'gl* ' ''^''''
acte public de Guillaume qui, en 1 287, abdiqua les fonctions ibid. , ano.
d'abbé de Cîteaux, qu'il remplissait depuis 10 ans, et se re- ''-'5^' f'-^^> °-
tira dans son premier monastère de Clairvaux , où il mourut '"ibij. *^ ann
simple moine. On lit à ce sujet dans une chronique cister- 1227, c. vm,
cienne, écrite en vers : "• ^' '• '^' P-
' 341.
Guilielmus sequitur, sed clara valle potitus,
Ascendens moritur illic , intusque sepultus.
De Visch et Fabricius le disent auteur de quelques ser- BibUoih.
CIS-
mons, particulièrement d'un discours mystique sur l'Assomp- 'erc, în. Bibi.
tion de la sainte Vierge. Nous n'avons aucun document positif l"^^, *' ■"'^^ '»'•
sur i époque précise de sa mort. Mais 1 histoire ollre peu
d'exemples de personnages qui aient survécu long-temps à
l'abdication d'une éminente dignité. La solitude profonde qui
succède subitement à des relations si nombreuses, à une ac-
tivité si continuelle , devient presque toujours plus difficile à .
supporter qu'on ne l'a présumé au moment où l'on s'y con-
damnait. Or un abbé de Cîteaux était, au xiii^ siècle, un très-
haut et puissant prélat , gouvernant les 5oo religieux de sa
propre communauté, et supérieur-général de plus de 25o
autres monastères de l'un ou de .l'autre sexe.
Le P. Ange Manrique, à qui nous avons emprunté les
XIII SIECLE.
i52 GILLES DE LEWES,
détails biographiques relatifs à l'abbé Guillaume, termine ses
Annales cisterciennes à l'an 1 236, et par conséquent va bien-
tôt cesser de nous fournir de pareilles notices. 11 nous a été
souvent utile dans tout le cours de cette Histoire littéraire.
A la vérité, sa critique n'est pas très-sévère, et sa crédulité
peut quelquefois sembler excessive. Mais on doit de la recon-
naissance à ses recherches laborieuses : il a rassemblé , dis-
posé, mis en ordre des matériaux sans nomJjre. Ce moine
espagnol , né à Burgos vers 1677, courut évêque de Badajoz,
en 1649, ^ l'époque où l'on achevait à Lyon l'édition de son
ouvrage , en 4 volumes in-folio. D.
MOBT en 1237.
GILLES DE LÈWES,
PRÉMONTRÉ,
SURNOMMÉ LE BLANC-GENDARME.
(jii.LESDE LÈWES, Originaire de Zérieb-Zée dans l'île de Wal-
chren , ayant fait profession à l'abbaye de Middelbourg au
interSacraan- jj^^^j;^ d'Utrccht, v fut Ordonné prêtre, et reçut la mission
liquilatis Monu- 1 "^ I |- • ' r' ' J 13 II
menia, L II, p. daller prêcher la parole divnie a I.ewes, près de Bruxelles.
ii^.Biampinius, Lg succès de sa mission le fit élire pasteur de la ville où il
innotisadChro- jj f.jjj ggg prédications. C'est de là que, connu précédem-
nicam VicoDien- i , i \ 1 .^
sera. ment sous le surnom de Walckeren, A^gidius de f aiacria,
il ne le fut plus dans la suite que sous celui de Lèwes ou
de Lèvres, jusqu'à ce que ses exploits guerriers lui eussent
valu celui de Blanc-Gendarme, surnom qui correspondait
très-bien à sa haute stature, à la couleur de son costume
de Prémontré et à sa vaillance. Il s'était d'abord acquis une
grande réputation littéraire par son érudition en divers gén-
ies, par ses connaissances dans les lois, et il avait été reçu
docteur en droit civil et canonique. Cette réputation qu'il
s'était déjà faite avant d'être élu pasteur de la ville de Lèwes,
fait présumer qu'il avait environ quarante ans, à la date de
Annal, orciin. cette dernière circonstance. On peut donc conjecturer qu'il
prainonsirat I. paq^it yg^s l'an II 74 , et qu'il avait atteint en 1287, année
|iinius,utsuprà. de sa mort, I âge approxunalii de oo a 70 ans.
La première chronique où paraît le nom de Gilles de
Lèwes, est celle de Baudouin, chanoine-diacre de l'abbaye
PREMONTRE. i53
XIII SIECLE.
de Ninove, ordre de Prëmontré. Il s'y trouve marque sous
l'an i2[4i que Gilles prêcha la croisade d'outremerà Bruxel-
les, et qu'il enrôla pour cette expédition plusieurs milliers
d'hommes : Hoc tempore cœpit prœdicare JEgidius de Lewes Baiduiaus
plebanus juxtà BruxeUatn , qui signavit signo crucis multa chronic.,p. i8a.
millia hominum. La qualification de plebanus nous fait
assez connaître qu'il n'était pas d'extraction noble, quelque
ennobli qu'il ait été d'ailleurs par sa science, son courage et
les autres qualités, qui lui méi itèrent deux fois les honneurs
de la préiature élective. Le même chroniqueur retarde le p. 184.
départ de ce croisé pour la Terre-Sainte jusqu'à l'an 1227;
mais il y a ici nécessairement quelque transposition de fait,
et voici les raisons qui la font présumer.
Il paraît d'abord peu probable que le prédicateur de la
croisade à Bruxelles, en 1214, ait tardé treize ans à accom-
plir son propre vœu. Ensuite la date de 122^, assignée au
départ de Gilles par la chronique de Baudouin, est précisé-
ment celle de son élection comme V« abbé de Middelbourg,
suivant les annales de l'ordre de Prémontré. Ici l'on remar-
quera avec surprise que Blampigny, annotateur de la chro-
nique précédente et de celle de Vicogne, n'ait rien dit sur
la contradiction qui devait exister entre la date de cette
élection et celle du départ de Gilles pour la Terre-Sainte.
Cependant Blampigny, qui accompagne la page de notes
beaucoup moins essentielles à la critique historique, aurait pu
faire observer, pour expliquercettecontradiction, que l'article
de la chronique qui marque ce départ, ne commence pas
comme les autres par des chiffres , mais par ces mots
eodem anno , expression dont le rapport avec les mots qui
la précèdent peut faire supposer avec raison que la date
1227 n'appartient au départ de Gilles de Lèwes que par
l'effet d'une intercalation peu réfléchie de la part du chro-
niqueur.
Les particularités qui concernent la vie de Gilles de Lèw^es
se relèvent de divers faits dispersés dans la chronique du
même Baudouin, qui nous a fourni les dates précédentes;
ensuite dans celle de Godefroy, et enfin dans la relation du
siège de Damiette rédigée par Olivier, écolâtre de Cologne.
Ces deux derniers chroniqueurs ne nomment, il est vrai ,
nulle part Gilles de Lèwes; mais comme ils rapportent
uniformément divers exploits auxquels le cardinal- légat Pe-
lage tut présent, il doit s'ensuivre qu ayant été son pénitencier,
Tome XV m. V
1 3 .
i54 GILLES DE LEWES,
Xm SIÈCLE. ^.,, , _, . .„..,..,
Gilles de Lewes avait eu part aux mêmes taits militaires dont
Pelage dirigeait les entreprises.
Après avoir fixé la date certaine de sa prédication à
Bruxelles en I2i4» et ^^ sa nomination à la cure pastorale
de Lèwes, il est naturel de conjecturer que notre chanoine
régulier dut partir pour la croisade en même temps qu'An-
Rer" Germanie! ^ré , roi de Hongrie; Léopold, duc d'Autriche; Guillaume,
Script. , t. I , p. comte de Hollande; George, comte de Wide; et le grand
^^^- nombre de 'croisés d'Allemagne qui s'embarquèrent sur la
Meuse le 29 de mai 1217, ayant leurs vêtements marqués
de cette inscription : Rex rcgum et Dominus dominantnvn.
Il est tout aussi naturel de supposer que la division conduite
par les comtes de Hollande et Wide était celle dont leur
compatriote Gilles de Lèwes a àù faire partie, avec l'escouade
des Blavotins et des frères convers prémontrés, dont il sera
bientôt parlé avec détail. En conséquence, partout où ces
comtes sont nommés, Gilles de Lèwes remplissait très-pro-
bablement un service à la fois apostolique et guerrier, suivant
l'usage de ces temps-là. Il les aura donc suivis successivement
en Angleterre, en Bretagne, et arrivé avec eux à Lisbonne,
il aura participé en Portugal aux exploits de ces seigneurs
oiiverii, Hisi. contrc Ics Sarrasius, et notamment au siège du château d'Al-
Damiatina, pag. cazar, qui fut pris le 21 octobre 121 7, après trois mois de
'^Fi'eui-v Hist résistance, par les Teutons et les Frisons que commandaient
eccles., li'b. 78, cu cbcf Ics comtcs dc Hollande et de Wide. Les croisés de
p- 45i. cette expédition ayant hiverné à Lisbonne, Gilles de Lèwes
en sera reparti avec le comte de Wide, son plus proche com-
patriote, et après avoir partagé les dangers de la tempête
Godefridi,An- qui dispcrsa la flotte à la vue de Ceuta, le jour de Pâques,
nai.,p. 387. Gilles de Lèwes aura enfin abordé avec ce comte au rivage
de Damiette, trois jours après la fête de l'Ascension, l'an
1218.
Cependant l'Espagnol Pelage, cardinal-évêque d'Albano,
qui avait déjà rempli les fonctions de légat auprès de Henri,
empereur de Constantinople, fut envoyé sous le même titre
vers la Palestine, en vertu d'une lettre d'Honorius datée du
18 mai 12 18. Il paraît donc, d'après l'enchaînement de toutes
Fleiirv , pag. CCS datcs consécutivcs , que c'est alors que le légat aura atta-
461. ché à sa mission et à sa personne Gilles de Lèwes en qua-
lité de pénitencier, et que ce dernier en aura commence les
fonctions vers le mois de septembre de la même année, à
laquelle ce cardinal, parti de Brindes, aborda en Syrie ; car
PREMONTRE.
i55
c'est en cette qualité de pénitencier que notre croisé écrivit
la lettre aux Brabançons, dont il sera question à la fin de cet
article.
On ne doit point s'étonner que la chronique de Godefroy,
et surtout que l'histoire de Damiette, écrite par l'écolâtre
de Cologne, n'aient cité nulle part Gilles de Lèwes, parmi
les nombreux détails qu'on y trouve relativement au siège
de cette ville; car il est à remarquer qu'Olivier ne nomme
dans sa relation aucun croisé, quelque rang qu'il ait occupé,
et quelque illustration qu'il ait acquise par ses exploits. Bien
différent en cela de Ville-Hardoiiin et de Henri de Valen-
ciennes, qui nomment presque toujours ceux qui s'étaient
distingués par leurs actions, Olivier a omis le nom même
du jeune soldat frison qui combattait armé d'un fléau, ei
qui s'en servait si adroitement, qu'il abattit à ses pieds le
porte-étendard du Soudan, et rapporta au camp français cet
étendard couleur de safran. C'est qu'en effet, dans les chro-
niques qui viennent d'être citées, tous les succès demeu-
rant en commun, ne sont ' rapportés nommément qu'au
Seigneur, Dieu des armées. Telle est la différence de l'esprit
qui dirigeait la croisade politique de Constantinople, et celui
qui animait la croisade positivement religieuse delà Terre-
Sainte. Cette différence se manifeste par le style même de leurs
chroniques; et c'est une remarque échappée au littérateur qui
a, dans ces derniers temps, entrepris de caractériser les divers
points de vue des expéditions des croisades d'outremer. Ce
n'est donc que par incident que la chronique de Vicogne , en
relevant nommément les hauts faits de Gilles de Lèwes, a
suppléé au silence des deux autres, et particulièrement de
celle qu'Olivier rédigea sur les lieux mêmes; mais il faut ici
reprendre les récits de plus haut.
Nous apprenons dans la chronique de Vicogne qu'un des
premiers actes de la vie canoniale du Blanc-Gendarme fut
la conversion de cinq des vingt brigands qui infestaient de
meurtres et de rapines les environs de l'abbaye de Middel-
bourg , dont il était profes, et qu'après être parvenu à per-
suader à leur chef même, qui se nommait Ornand, d'entrer
dans son ordre en qualité de frère convers, ainsi qu'aux
quatre autres, il employa les mêmes dons de persuasion et
de zèle pour éteindre les guerres civiles qui s'allumaient
alors entre les Ysengriens, c'est-à-dire les loups, suivant
Du Cange, et les Flaventins ou Blavotins, populations si-
V 2
XIII SIECLE.
Chronic. Vi-
con., p. ai 4-
VIII
ann
i56 GILLES DE LÈWES,
1 tuées sur les conBns de la Hollande, de la Zélande, de la Flan-
dre, et dont les haines mutuelles étaient exaltées à tel point
que, dans toute rencontre, le père et le fils même se jetaient
1 un sur l'autre pour s'étouflér à qui mieux mieux. L'anna-
Meyer, Flan- Hste de Flandre rapporte qu'en l'année i56i , où il rédigeait
drise Annal, lib. ses annales, on appelait encore lundi rouge l'anniversaire
, p. 64, ad jy premier de ces combats qui eut lieu en laoG. Gilles de
Lèwes , alors probablement âgé de trente-deux ans environ,
ayant réuni les principaux instigateurs de ces discordes ci-
viles, leur représenta dans ses prédications combien il était
horrible de verser ainsi le sang de ses parents et de ses pro-
ches , mais que ce serait une guerre vraiment glorieuse , s'ils
tournaient leurs armes contre les ennemis des chrétiens. La
chronique n'offre pas le développement du discours dont
nous venons de donner la substance, mais elle ajoute, pour
en faire connaître l'issue, qu'après l'avoir entendu, les chefs
ysengriens et blavotins s'embrassèrent mutuellement, et
qu'ils firent aussitôt leurs préparatifs pour accompagner
Gilles de Lèwes à la croisade de la Terre-Sainte. C'est donc
ainsi qu'à l'aide de la chronique de Vicogne, on peut sup-
pléer au silence des autres qui ont été citées ci-dessus, et
qu'on peut relever spécialement les noms de ceux qui accom-
pagnaient plus immédiatement notre Blanc-Gendarme, et
qui combattaient fidèlement à ses côtés. Entre autres exem-
ples, ce sont ces Blavotins avec les frères convers dont il est
parlé précédemment, que, sous la dénomination générale
de Teutons et de Frisons, la chronique d'Olivier et celle de
Baudouin font combattre à la prise d'un pont de bateaux
qui était occupé par les musulmans. Il faut ici se borner à
traduire, le plus littéralement qu'il se pourra, le latin de la
chronique de Viccgne.
Gilles de Lèwes, dit le chroniqueur, armé de son cas-
que et de sa cuirasse recouverte de son camail à capuchon,
s'avança vers le pont à la tête de sa brigade; mais voyant
qu'il n'était suivi de personne, il se retourne vers ses com-
patriotes, qu'il trouve effrayés à la vue de la multitude
d'ennemis dont le pont était couvert, et il leur adresse ce
discours: « Frères, ce n'est pas de la multitude des soldats
„ que dépend le succès d'une attaque, c'est par-dessus tout
(c de l'assistance du Dieu qui la protège. Marchez hardiment
« à ma suite , et s'il en doit être ainsi , mourons en-
« semble; car c'est ici la guerre du Seigneur. Quant à moi,
XIII SIECLE.
PREMONTRE. 167
« après avoir rempli auprès de vous le devoir d'un pas-
« teur, je vais faire le sacrifice de ma vie pour la vôtre. »
Voyant, après avoir ainsi parlé, que sa compagnie n'e'tait
point encore ébranlée par ce premier discours, il reprend,
et somme nommément le chet Ornand et les quatre autres
convers , autrefois brigands et routiers, de le suivre à l'atta-
que. « Mes enfants, leur dit-il , ce sera donc vous qui mar-
« cherez sur mes pas; vous, du moins, qui naguère dirigiez
« les vôtres dans la voie du crime et des remords; vous qui
« ne connaissiez j)as alors le prix d'une seule bonne action,
« mourez donc aujourd'hui pour votre salut. La mort est
« courte, mais bien longue est la vie qui succède à un acte
« si court; et quelque petit que soit le mérite du sacrifice,
« la rémunération en est immense. Si vous êtes de vrais
« frères convers, convertissez- vous donc entièrement ici
« avec moi; car ce n'est pas assez d'avoir commencé, on
« n'obtient rien dans aucune affaire, si l'on cesse de la pour-
« suivre, la récompense et la couronne n'étant destinées qu'à
« la seule persévérance. »
Après ces paroles, Gilles de Lèwes se recommande à Dieu,
pique son cheval, et s'élance sur l'ennemi, suivi d'Ornand
et de ses quatre autres frères convers. Mais les Frisons
3ui restaient encore en arrière, rougissant bientôt d'être
emeurés témoins oisifs du combat engagé par six moines
seulement, se demandèrent l'un à l'autre ce qu'était devenu
leur courage accoutumé, et se joignant aussitôt aux premiers
combattants, ils remplirent si bien leur devoir, qu'ils tuè-
rent ou mirent en fuite les Sarrasins jusqu'alors maîtres du
pont. C'est en cette occasion que le pénitencier du cardinal
Pelage s'est acquis le titre de Miles , et sans doute le surnom
de Blanc-Gendarme qu'on lui a toujours conservé, ainsi que
le portaient d'autres documents cités comme ayant été re-
cueillis à l'abbaye de Vicogne, par Blainpigjiy, éditeur pré- liiam
montré de la chronique. H est ajouté c|ue c'est à l'abbaye ''^''' '^'"'- l'^î
même de Vicogne que la relation précédente fut faite de vive
voix par l'écuyer de Gilles de Lèwes, lequel avait combattu
à ses côtés dans cette action; et le clironiqueur Mcntégny,
qui nous fournit ces détails, assure qu'il avait vécu avec des
chanoines (|ui avaient entendu cette relation de la bouche
même de l'écuyer, lorsqu'il était venu à l'abbaye pour visiter
Gilles de lèwes, don», il ignorait la mort alors toute récente.
Or, Montégny ayant vécu jusque vers l'an i3o3, auquel
JIIIIIS ,
pag
i58 GILLES DE LEWES,
XIII SIÈCLE. . • >•,
sa chronique se termine, on conçoit quil a pu converser
avec des contemporains de Gilles de Lèwes qui mourut en
1237, et avec recuyermême qui avait rapporté ces faits très-
peu de temps, sans doute, après cette année; car l'espace
qui sépare les deux dates de la mort de l'abbé et de celle du
chroniqueur n'est que de soixante-six ans.
On serait tenté de traiter, au premier abord , ces relations
de romancières, mais la critique judicieuse remarquera sans
doute que rien ici ne tient du merveilleux; car pour peu
qu'on soit familiarisé avec la lecture de Ville -Hardouin et
des autres chroniqueurs des croisades, on n'ignore pas l'a-
vantage qu'a toujours eu un moindre nombre de chevaliers
français sur une nombreuse armée de musulmans. N'en
avons- nous pas eu dans notre histoire contemporaine des
exemples assez marquants.'' Mais ce qui prouve plus direc-
tement qu'on doit avoir toute confiance dans les détails don-
Godefridi.An- nés par l'écuycr (le Gilles de Lèwes, c'est que la chronique
nai., p. 389. (Ju bénédictin Godefroy et celle d'Olivier, ecolâtre de Colo-
gne qui, comme nous l'avons déjà fait remarquer, ne citent
jamais nommément les auteurs des hauts faits d'armes qui
ont eu lieu dans cette guerre, s'accordent uniformément sur
celui de la prise du j)ont par des Teutons et des Frisons,
au nombre de dix au plus. Voici comment ce fait est rapporté
dans la chronique d'Olivier :
Oliver., Hist. « Lcs Teutons et les Frisons indignés envahirent le pont
Daiiiiat.,p.i/,o7. « à l'aide de Dieu et avec un grand courage, et l'on vit alors
tf ceux de cette nation, réunis au nombre de dix au plus,
« combattre contre toutes les forces des Babyloniens, mon-
« ter sur le pont , s'en emparer, le rompre et retourner vers
« nous triomphants, avec les quatre navires sur lesquels le
« pont avait été jeté, nous laissant par-là libre la navigation
« supérieure du fleuve. Undè Teutonici et Frisones indig-
a nati , auxiliante Deo , pontem viriliter invaserunt. Pau-
a ciores autem viri quam decem de gente prœdictâ , contra
a ûmnem Jbrtitudinem Dahyloniorum , pontem ascendentes,
ti fregerunt eunideni , et sic cuni quatuor navibus super quas
n pons eFat fundatus reversi sunt cuni triumpho , liherarn
« viani et apertam surshm velificantibus relinquentes. » Ce
fait est le seul de ce genre qui soit rapporté dans les chroni-
ques depuis l'arrivée du cardinal-légat au mois de septembre
12 18, et il est fixé au 3o novembre de la même année. L'effet
en fut tellement lié au dénoûment du siège, que dès le jour
XIII SIECLE.
PRÉMONTRÉ. i5g
même de cette victoire, la ville de Damiette fut investie de
tout côté par l'armée des croisés. id., ibid.
On doit donc naturellement supposer qir'il y avait unifor-
mité de sentiments entre le légat, qui était le général en
chef de cette expédition , et Gilles de Lèwes, son pénitencier;
et ce qui est rapporté touchant l'attaque définitive qui rendit
les croisés maîtres de Damiette, en fournit une nouvelle
preuve. Le légat, contre l'avis de beaucoup de chefs, avait
résolu secrètement, avec un petit nombre de ses plus intimes
confidents, de faire de nuit cette attaque; les chroniques de
Godefroy et d'Olivier disent que la ville se rendit sans dé-
fense, et suivant le style de leur rédaction accoutumée, ces
chroniques n'ont point spécifié le nom du chef qui se pré-
senta le premier à ses portes; mais d'après la relation faite à
l'abbaye de Vicogne, par l'écuyer témoin oculaire dont il a
été parlé précédemment, la chronique rapporte que ce fut
le Blanc-Gendarme, lequel, après une courte exhortation à
sa compagnie, ayant poussé son cheval en avant, et mis sa
lance en arrêt, avait à peine touché les portes de la ville,
qu'elles s'ouvrirent pour livrer sans défense aux croisés une
population accablée à la fois par la famine et les maladies
contagieuses. L'état horrible où ils trouvèrent la ville de
Damiette a été décrit à l'article d'Olivier de Cologne , qui en
fut aussi témoin , et avec les paroles mêmes de cet historien,
que nous ne répéterons pas ici. A|irès le long siège qu'il
avait soutenu dans ses murs, le soudan avait pris la fuite,
et l'avait abandonnée, son armée ayant été détruite en partie
dans les divers combats qu'il avait livrés.
Ce fut à cette occasion que Gilles de Lèwes écrivit aux
fidèles du Brabant et de la Flandre une lettre qui se trouve
dans l'undes recueils de Martène, d'après un manuscrit du
monastère d'Aulnes. Cette lettre, dont nous allons donner
ici en partie la traduction, peut être considérée comme
une pièce officielle de cette époque, et l'original peut donner
une idée du style latin du Blanc-Gendarme.
« A tous les fidèles chrétiens du Brabant et de la Flandre Manène/riif-
« à qui ces lettres parviendront , frère Gilles de Lèwes, pé- «ai" Anecdot.,i.
tt nitencier du seigneur légat du saint-siége apostolique dans ' ^' ' ''
« les régions orientales, salut et prières dans le Seigneur.
« Dieu du haut de son sanctuaire a exaucé les supplica-
« lions de ses serviteurs, en ne permeltant pas que tant de
« dépenses aient été inutilement prodiguées par les chré-
i6o GILLES DE LEWES,
XIII SIECLE.
« tiens pour le siège de Damiette, et que le carnage qu'ils
(c ont souffert demeurât impuni; mais sa providence pleine
« de clémence et de miséricorde a rempli en grande partie
a les vœux de son armée. Cette ville était si bien fortifiée,
« qu'elle ne pouvait être attaquée avec succès, ni par eau,
« ni par terre, et l'armée chrétienne désespérait presque de
« .jamais la réduire par lemploi seul du courage et de la
« force humaine. La réduction de cette place était donc ré-
« servée au seul bras du Seigneur qui combattait pour nous.
« C'est ce que personne de l'armée ne connaissait, excepté
« le légat, et ce qu'ont exécuté quelques-uns de sa maison,
« ainsi que de ceux qu'il tenait à sa solde, et auxquels il
« avait secrètement confié son dessein. C'est ainsi qu'aux
« nones de novembre, et durant le silence de la nuit, la
« ville a été prise par ruse, sans violer cependant la justice,
a ou plutôt par l'aide miraculeuse de Dieu, et surtout si
« merveilleusement, que dans cet exploit nous n'avons pas
« eu un seul homme de tué, pas même de blessé, excepté
« celui qui reçut une flèche au pied, et dont la blessure n'é-
« tait pas plus grave que celle d'une saignée, prœter iinum
« qultanquainjlehotomiœ, ictum sagittœ recepit inpede. Mais
« du coté des Sarrasins, il en est tombé sous le tranchant du
« glaive un si grand nombre , que nous en avons conçu nous-
« mêmes du regret, tôt ceciderunt ed die in are gladii quod
« etiam nobis displicuit , etc. » Cette dernière expression,
bien différente de celle qu'employait Pierre de Vaux-Cernai
en pareille circonstance, nous fait connaître les sentiments
d'humanité qui tempéraient le caractère guerrier de notre
Blanc-Gendarme.
La suite de sa lettre donne des détails sur la quantité d'or
et d'argent, de soieries, de pierres précieuses et de muni-
tions de tout genre dont, suivant l'expression de Gilles de
Lèwes, les Egyptiens furent dépouilles en cette circonstance.
Oliver., Hist. Il est dit dans la chronique d'Olivier, que le clergé de l'ar-
Damiai. p. 1/119. xiïée cut part à la distribution de l'or et des pierres pré-
cieuses qui furent prises dans Damiette; et comme, à cette
occasion, l'écolàtre de Cologne se plaint que la part que l'on
fit à Dieu, dans la personne de ses ministres, fut la plus pe-
tite, celle que le Blanc-Gendarme rapporta, et dont nous
verrons bientôt l'emploi, ferait penser qu'il sut, en qualité
sans doute de commensal du légat, obtenir une meilleure
part du butin que ne le put l'écolàtre de Cologne.
PREMONTRE. i6i
XIII SIÈCLK.
Si, comme il paraît assez probable, le Blanc-Gendarme a
continué de rester attaché à la personne du cardinal Pelage,
il aura passé avec lui à Rome, après que les Sarrasins eurent
repris Damiette, le vingt-huit septembre 1221 , et sans doute
il aura accompagné ce cardinal au congrès tenu à Vérone
pour les affaires de la croisade, vers la Saint-Martin de l'an
1222. On ne sait aucune autre particularité de sa vie publi-
que, si ce n'est qu'ayant été admis à l'audience du pape, il y
fut accueilli si honorablemetit, que le pontife ne voulut pas
qu'il s'agenouillât en l'abordant; mais il lui dit en l'embras-
sant, qu'un homme qui faisait tant d'honneur à l'Eglise ne
devait pas être assujéti à l'étiquette commune. Blampigny
note en marge que ce pape était Grégoire IX; mais comme \.lpag. ai';,
ce pontife ne fut proclamé qu'au 20 mars 122^, et que Gilles de
Lèwes dévint abbé de Middelbourg en 1226, il paraît plus
que probable que le pape qui le reçut à Rome fut Hono-
rius III, qui ne mourut que le 18 mars 1227.
Elu ensuite abbé de Vicogne vers la fin de l'an i22p, après
avoir gouverné près de trois ans sa première abbaye, il em-
ploya une partie du butin qu'il avait fait à Damiette, à aug-
menter le vestiaire et la pitance de ses prémontrés; et comme
les abbés généraux de son ordre s'o[)posaient à ce qu'il fît
distribuer par tête, chaque jour, une pinte de vin, semilotum, voit Du Can
Gilles de Lèwes leur répondit ainsi: « Gouvernez -vous à fie,Gioss smcf
« votre gré dans l'usage du produit de vos vignes ; car si vous
a possédez des vignobles, j'ai acquis, moi, d'assez grandes
« sommes d'argent pour en user suivant ma volonté. «Néan-
moins, d'après la remarque du chroniqueur, quel qu'ait été
le bien dont le Blanc-Gendarme avait comblé ses chanoines,
ils ne !e payèrent qued'ingratitude; saisissant, par exemple,
l'occasion de l'accuser auprès des généraux de l'ordre, parce
que, dans une circonstance où un évéque, son ancien com-
pagnon de croisade, était venu le visiter, il avait décidé que
tout le chapitre irait à sa rencontre jusqu'à la porte de l'ab-
baye, les chanoines avaient prétendu dans leur plainte, que
cet honneur était indu pour la réception d'un évêque étranger
au diocèse.
Les dernières particularités de la vie de cet abbé, rappor-
tées dans la chronique de l'abbaye de Vicogne, sont les
prédications éloquentes qu'il faisait à Gand contre la rapacité
des usuriers dont cette vili'e était remplie. Enfin après avoir
gouverné cette abbaye pendant l'espace de huit années, il
Tome A Vin. \
mot. Cliionic.
Vicoii. , p. ii'\.
i62 JEAN HALGRIN,
XIII SIÈCLE. o 1 1 1 1-1
mourut en 12J7, le f) de mars, regrette de ses chanoines, la
Anoai.pia;m., clironinue Ic uit du moins; mais est-elle véridique sur ce
t II l> lO"" •
" point, comme elle paraît l'être sur tout le reste ?
Gilles de Lèwes eut pour successeur Gérard de Cirvia, qui
avait partagé avec lui le gouvernement de l'abbaye comme
prieur. Il parait que c'était un homme beaucoup trop tolé-
rant, si l'on en juge d'après une anecdote que le chroni-
chionic. Vi- queur Montégny raconte dès le commencement àe l'article
Lon., p. 216. qui concerne cet abbé.
Autant qu'on en peut juger d'après le seul monument qui
nous soit resté du style latin de Gilles de Lèwes, on y re-
connaît une composition sage et sans enflure ; partout le sens
en est clair, nonobstant l'enjambement de quelques phrases.
Tous les termes en sont d'une latinité pure, excepté celui de
\oiri)uCan- rckabere , qui paraît être un gallicisme tiré de notre ancien
vei'b * °*^ niot rehavoir. I /orthographe même du vnot flebotomia n'est
point barbare, suivant les exemples reproduits dans nos
meilleurs lexiques. Sa lettre ne contient rien d'ailleurs qui
soit rédigé dans l'intention de relever son propre mérite, et
il a fallu réunir et comparer beaucoup de détails épars et de
rencontres fortuites, qui ont été consignés de son temps,
pour avoir pu donner une idée assez étendue d'un person-
nage justement historique, courageux et éloquent, dont le
portrait n'était complet dans aucune de nos anciennes
chroniques, et dont le nom même ne se trouve pas dans la
Biographie universelle. P. R.
JEAN HALGRIN D'ABBEVILLE,
, , DOYEN DE L'ÉGLISE D'AMIENS, PUIS ARCHEVÊQUE DE
MORT le 2 3 sep-
lembre 123-. BESANÇON, ET DEPUIS GARDINAL-ÉVÈQUE DE SABINE.
,,. ,,. V^E prélat, plus connu sous le nom de Jean d'Abbeville que
.lAi.beviiie.pa"^! sous cclui d'Halgriu ou d'Alegrin, naquit à Abbeville en
520. Picardie. Il appartenait à la famille desHalgrins, qui jouissait
d'une assez grande illustration, puisque l'un des frères de
notre prélat était revêtu de la charge de chancelier de France
en laijo, sous le règne de Louis IX, et que Nicolas Haï-
DOYEN DE L'ÉGLISE D'AMIENS, etc. i63
, . . , r '^"^ SrtCLE.
grin, autre membre de cette famille, était titré en 1268 de
mayeur d'Abbeville. On ne connaît pas la datede la naissance
de Jean; et tout ce que l'on peut dire de ses premières an-
nées, c'est que ses parents trouvant en lui d'heureuses dis-
positions, le destinèrent aux études, et l'envoyèrent à Paris Hist. univ.Pa-
où il fit des progrès si rapides, qu'il y reçut bientôt le titre "^ '' '^'^ ^
de docteur, et que par suite il obtint une chaire de théologie q^j^;„ , m
dans l'Université. Oudin assigne à l'année de son doctorat la p. 43.
date de 1220.
Les supérieurs de l'ordre de Cluny, dans le collège des- i^'^i- ciuniac
quels il avait fait ses études et acquis sa célébrité à Paris, le i""*'P-
mirent à la tête du prieuré de Saint- Pierre d'Abbeville,
poste qu'il ne garda pas lotig-temps; car il devint bientôt après
chanoine et chantre de l'église de Saint-WIfrand dans la
même ville. Sa réputation ayant fait désirera Evrard, évê-
que d'Amiens, de le rapprocher de lui, il le nomma doyen ç.^^^ ^^^ ,
de son chapitre, dignité qu'il occupa jusqu'à l'année 1225, x,col.2i8.'
en laquelle il fut appelé à l'archevêché de Besançon.
Oudin ayant assigné l'année 1220 pour celle de son doc-
torat, il faudrait de là conclure que de 1220 à 1226, Jean
Halgrin aurait été professeur de théologie, aurait eu le temps
d'acquérir sa réputation de prédicateur, aurait été prieur de
Saint-Pierre, chanoine et chantre de Saint-WIfrand, et enfin
doyen de l'église d'Amiens. Ces emplois successifs semble-
raient exiger un plus grand espace de temps, et montreraient
déjà qu'Oudin a commis ici une erreur, si du reste nous
ne la trouvions ailleurs relevée. En effet, les rédacteurs de
la Gallia christiana disent que notre prélat fut doyen de loco cit.
l'église d'Amiens de l'an 1218 a l'an i225. Or si, comme cela
paraît probable, il y a une faute d'impression dans le texte
d'Oudin, et que ce soit l'an 1210 qu'il faille entendre, au
lieu de 1220, l'espace qui s'écoula de la première de ces
dates à l'année 1218, sera suffisant pour justifier l'exercice
des différentes fonctions qu'on fait remplira Jean Halgrin;
et alors, en supposant qu'il eiît vingt-cinq ou trente ans en-
viron quand il fut reçu docteur, on aura pour date approxi-
mative de sa naissance les années 1 180 ou 1 185.
En 1225, le légat du saint -siège, Romain, cardinal de
Saint-Ange, le sacra à Reims archevêque de Besançon, non ^ [^""^./g' '
par l'ordre de Grégoire IX, comme le dit Ciaconius, mais
par celui d'Honorius III , puisque Grégoire ne fut élu qu'en ,'?"'''Vî?.7r"
1 227. En cette dernière année , Honorius l avait désigne pour p -g^
X2
Hisl. ercl.a'A-
heville, p. 5>o.
i64 JEAN HALGRIN,
XIII SIÈCLE. , . , ^ . , .
• le patriarcat de Constantinople; mais ce pape étant mort
Ciacon.,1. II, (Jans la même conjoncture, Grégoire IX qui lui succéda, et
' ' fjui, selon l'Iiistoiien d'Abbeville, faisait le plus grand cas
des conseils de ce personnage, parce que, dit du Boulay, il
l'avait connu dans les écoles de Paris, ne consentit point à
son départ; mais il l'éleva à la dignité de cardinal-évêque
Hisi.univ.Pa- du titre de Sabine, en septembre laay, dans I intention de
lis.t. lil.pag. l'employer aux affaires du saint-siége. Ce prélat n'occupa
^!^'' ainsi que deux ans le siège de Besançon.
• V En laaS, Grégoire IX, sollicité par Jacques, roi d'Aragon,
.soniio, p. 261. ayant ordonné une croisade contre les Sarrasins, le cardinal-
évêque de Sabine fut envoyé en Espagne pour la prêcher.
Ciacon.' t. II Cette mission, qui l'occupa trois ans, lut couronnée du plus
p. 79. grand sucres, dit Ciaconius. A son retour en Italie et à son
passage à Barcelone, il fit la connaissance du célèbre Ray-
• . mond de Pennafort, qui dans la suite devint prieur-général
des Frères-prêcheurs, et qui recueillit en cinq livres les dé-
crétales des papes. Halgrin l'attacha à sa personne en qualité
de pénitencier, et l'emmena en Italie. Il était à peine rentré
à Rome, que le pape le choisit pour son légat en Allemagne,
OudiD, t. III, avec mission d'engager l'empereur Frédéric II à se récon-
cilier avec l'Eglise, plutôt par zèle et par, conviction, que
contraint par les armes des confédérés. Halgrin s'acquitta de
cette légation avec tant de succès, que Frédéric, renonçant à
Eli. du Pin , ses projets de désordre et de schisme, fit sa paix avec le saint-
xiirs., chap.j. siège, vint à Anagni recevoir l'absolution de son excommu-
nication , et conclut avec le pape un accommodement, lequel
n'eut qu'une bien courte durée.
Les affaires de sa légation en Allemagne étant finies , notre
prélat revint à Rome, et il y mourut le aS septembre 1287,
et non 1240 comme le disent Ciaconius et avec lui quelques
Moieri, Veib. historieus français. En effet, sa mort est fixée en lai^,
Aiegrin. d'abord par Ughelli , qui assigne à la même année la no-
mination du successeur de Jean Halgrin au titre de cardinal-
Ugheiii, liai, évêque de Sabine ; en second lieu, par le cartulaire de
.Sacr., r. x,p. l'église d'Amiens, où cette mort est marquée à la même
'^9- date; enfin par une lettre que Jean de Columna , cardinal,
x.c'oi l'îi'o ' écrivait à Ottoboni , légat en Angleterre, et dans laquelle,
après lui avoir fait part du chagrin que lui donnait la
Oudin , loco scission des Grecs, qui avaient paru pendant quelque temps
«^'i- vouloir rentrer dans le sein de l'Eglise, et de la confu-
sion qui régnait en ce moment à la cour de Rome, proba-
Xni SIECLE.
DOYEN DE L'ÉGLISE D'AMIENS, etc. i65
blement à cause des démêlés qui avaient lieu entre le pape
et l'empereur, il lui parle ensuite de notre prélat en ces ter-
mes : « Ce qui met le comble à notre douleur, c'est que cette
« colonne illustre qui soutenait avec tant de gloire l'édifice
« de l'Église, je veux dire le vénérable cardinal de Sabine,
« a été enlevé subitement du milieu de nous. En proie d'a-
« bord à un mal violent qui se changea en une lente agonie,
« il nous a quittés pour se rendre dans le royaume du Sei-
« gneur, laissant à l'Eglise, sa mère, la douleur de sa perte,
« qui est pour elle un sujet de gémissements et de deuil. »
Après avoir fait remarquer l'erreur de Ciaconius et de
ceux qui placent la date de la mort de Jean Halgrin en 1240, |^ p."4q4 *'^*'"
il convient de faire remarquer de même, que Guill. Cave la Triihèm., cap.
place en 1 286 et Trithème en 1 233. coxm.
Ce personnage, distingué d'abord par sa naissance et par
le rang que sa famille occupait dans le monde, parait cepen-
dant n'avoir dû son illustration particulière et son élévation
qu'à ses qualités et à ses talents. Deux de ses frères, qui Gali. chr.,T.
comme lui entrèrent dans la carrière de l'Eglise, restèrent, x.col. laig.
l'un chanoine et l'autre doyen de l'église d'Amiens.
On attribue communément à Jean Halgrin quatre ouvrages
qui doivent à présent faire le sujet de noire examen. Le pre-
mier a pour titre : Magistii Joannis de Abbevilla Summa
sermonum. Le deuxième est intitulé : Ejusdem semiones per ^„ , ...
^ , ^ •', . ' EH. dn PiD .
annum. « Les deux ouvrages sont restes manuscrits, parce loc
« que, dit EUies Dupin, on ne les a pas crus dignes d'être
« donnés au public. » Mais si ces sermons n'ont pas été im-
primés, il en a été fait du moins de nombreuses copies; car
la Bibliothèque royale de Paris possède vingt-cinq manu-
scrits de Jean d'Abbeville, dont vingt-trois reproduisent ses
sermons, et les deux autres contiennent des commentaires
sur le livre des psaumes, et enfin une exposition sur le
cantique des cantiques. Outre ces manuscrits, il s'en trouve
encore quel(|ues exemplaire à la Bibliothèques de l'Arsenal,
à la Mazarine et ailleurs.
L'ordre que nous avons adopté pour parler de ces ouvra-
ges nous fait placer les sermons en premier lieu; ensuite les
homélies, puis les commentaires, et enfin l'exposition du
cantique. Nous nous croyons quant à cela fondés sur la remar-
que suivante. Un manuscrit du recueil des sermons porte en
quelques endroits, à côté du titre, les noms des églises
de Paris oii ils ont été prononcés. Ce sont celles de Saint-
1 4
ciL
i66 JEAN HALGRIN,
XUI SIECLE.
Gervais , de Saint-Victor, de Notre-Dame, de Saint-Jacques
pro scholaribus , de Saint-(iermain-des-Prés, de Saint-Denis,
de Saint- Julien , et le plus souvent de i'abbaye des reli-
gieuses de Saint- Antoine, rt^ moniales apud Sanctum An-
tonium. Quelques-uns de ces sermons étaient prononcés en
langue vulgaire, in vulgari , comme porte le titre, surtout
quand ils étaient destinés au public de Saint- Gervais, de
Notre-Dame, etc.; mais l'auteur, après les avoir prononcés
en français, les écrivait en latin. Ceux qui étaient prêches à
Saint-Jacques, à Saint-Victor et à l'abbaye de Saint-Antoine,
l'étaient en latin, ce qui montre que les religieuses de ce
dernier monastère n'étaient pas étrangères à cette langue.
On peut conclure de cette remarque que Jean Halgrin
commença à se faire connaître à Paris comme prédicateur,
pendant qu'il y professait la théologie, ainsi qu'il a été dit
plus haut. Le troisième ouvrage, qui est le commentaire sur
les psaumes, et probablement le second, qui est le recueil
des homélies, auront été composés pendant que leur auteur
était doyen de l'église d'Amiens , ce qui dura sept ans. Le
loisir que cette fonction lui laissait, le ton qu'il prend ordi-
nairement dans les homélies en s'adressant à ses auditeurs,
qui paraissent avoir été des prêtres et des religieux , aux-
quels il parle avec autorité; enfin une note écrite sur un
manuscrit qu'il a légué à la maison de Sorbonne, voilà
les motifs qui nous ont engagés à en fixer la date à cette
époque. Enhn le dernier ouvrage, qui est l'exposition sur
le cantique, a été composé en i233, comme le porte le
manuscrit; et alors l'auteur était devenu cardinal-évêque
de Sabine.
Tous ces ouvrages peuvent être considérés sous le même
point de vue, c'est-à-dire qu'ils ne sont à proprement
parler que des commentaires de l'Ecriture- Sainte. Dans
ses sermons , l'auteur ne s'élève guère au-dessus de l'ex-
plicalion et de la glose sur les nombreux passages du texte
sacré qu'il cite. Dans les homélies, il suit encore pas à pas
l'Écriture, dont il explique presque chaque parole, et dont il
cherche à faire connaître le sens à l'aide des citations tirées
Hcmic.Gauiies. dcs uutrcs parties des livres sacrés. Henri de Gand, archi-
cap.xxxviii. diacre de Tournay, qui vécut dans le même siècle que Jean
Halgrin, mais un peu plus taixl que lui, en porte le jugement
suivant: « Il a écrit, dit-il, des sermons tant pour les di-
« manches que pour les fêtes , dans lesquels il expose d'abord
DOYEN DE L'ÉGLISE D'AMIENS, etc. 167
« les paroles evahgéliques et apostoliques ; puis il y ajoute
« des explications si prolixes, si remplies des témoignages
« de l'Écriture-Sainte, qu'ils ne peuvent qu'avec beaucoup
« de peine être appris par cœur.» En faudrait- il conclure
qu'il était alors reçu de prêcher les sermons des prédicateurs
qui étaient devenus célèbres.'^ Jean Trithème dit à son tour :
« Ce fut un homme d'une très -grande érudition dans les
« divines écritures, un interprète très -célèbre des lettres
« sacrées , qui enseigna plusieurs années avec gloire dans
« l'Université de Paris, et qui avait un talent extraordinaire
« pour annoncer la parole divine au peuple. » Mais après cet
éloge pompeux, Trithème répète les paroles de Henri de
Gand , et il ajoute que ses sermons sont tombés dans l'oubli
à mesure qu'il en a paru de meilleurs.
On remarquera qu'après avoir loué l'auteur des sermons
sur son savoir et sur son éloquence, après avoir dit même
que ce fut son grand talent oratoire qui le fit élever sur le
siège de Besançon, Trithème détruit lui-même cet éloge,
au point de trouver que ces sermons ont été condam-
nés justement à l'oubli. Jean Halgrin ne méritait peut-être
ni les grands éloges qu'il lui donne, ni le jugement sévère
qui les suit. J^a lecture que nous avons faite des sermons,
des homélies, et des commentaires sur le psautier, nous a
fait reconnaître dans leur auteur un homme d'un jugement
sain , d'un raisonnement juste, d'une morale éclairée qui ne
va jamais au-delà des justes limites de la sévérité évangé-
lique. On y trouve, il est vrai, comme dans presque tous les
orateurs de ce siècle , des interprétations sophistiques , dé-
tournées du vrai sens, quelquefois des puérilités et des ex-
pressions dont saint Bernard même n'était pas exempt ;
mais Jean Halgrin n'est sujet à ces défauts que rarement,
et moins souvent qu'on ne l'était encore au temps de Tri-
thème; car la chaire chrétienne n'a vu disparaître tous ces
défauts qu'aux approches du grand siècle de la littérature
française.
S'il est vrai que l'orateur chrétien ne doive faire entendre
dans la tribune sacrée que les paroles de l'Evangile, qu'il doive
endévelopperauxpeupleslesensorthodoxe, leurfaireconnaî-
tre les obligations qu'elles leur imposent, les secours qu'elles
leur fournissent, et les promesses qu'elles leur font, notre
orateur a rempli assurément le ministère dont il était chargé;
car il ne prêche que l'Evangile et- les leçons apostoliques.
Xni SIÈCLE.
Loco cit. "
XIU SIÈCLE.
Dante, Parad.
XXII, st. 3g.
i68 JEAN HALGRIN,
qu'il appuie constamment des passages de l'Ancien Testa-
ment. Il est vrai, et c'est le reproche qu'on lui fait, que les
citations en sont si fréquentes que son discours n'en est pres-
que qu'un tissu continuel, dont les parties ne sont pas toujours
adaptées avec choix; mais ce défaut montre, au moins, qu'il
possédait et savait, pour ainsi dire, par cœur toute la Bible.
Ce qui lui a manqué, c'est d'avoir su s'approprier les paroles
sacrées pour les fondre dans ses discours, au lieu de les
citer continuellement et de les développer tour à leur; ce
qui rend la lecture de ses sermons aride, fatigante, et ce
qui prive son style de toute espèce de vigueur. Nonobstant
ces défauts, desquels l'auteur convient dans son prologue,
les homélies et les sermons de Jean Halgrin . par le ton
décent et religieux qui règne dans leur composition , sur-
tout par l'absence de toute réflexion étrangère à la religion ,
méritent d'être remarqués- à une époque où les discours
prononcés dans la chaire n'étaient souvent que des disserta-
tions subtiles et sans utilité, sur des matières scholastiques ;
souvent aussi sur des sujets plus faits pour amuser que pour
édifier, ainsi que l'exprime ce passage du grand poète du
moyen âge, qui avait été témoin de la continuation de cette
éloquence de mauvais goût :
Ora si va con motti e con iscede
A predicare , e pur che ben si rida,
Gonfia 1 cappuccio , e più non si richiede.
On est assez surpris quand on compare le style traînant,
sans liaison, sans intérêt, des sermons de notre prélat, avec
quelques ouvrages des hommes de son temps, par exemple,
avec les lettres de Gervais le prémontré, ou bien avec les
histoires des rois de Jérusalem et de Damiette, que nous de-
vons à la plume de l'écolâtre de Cologne. Ces deux écrivains
contemporains d'Halgrin,et dontles articles sont réunis dans
ce volume , écrivaient d'une manière simple , naturelle et qui
n'est pas dénuée d'agréments. Or, si rien ne s'y ressent du
mauvais goût, ni du style de l'école, c'est apparemment parce
que ceux qui péroraient en chaire se croyaient obligés de
suivre l'exemple commun, et qu'ils étaient retenus par des
entraves auxquelles n'étaient pas assujétis ceux qui écri-
vaient l'histoire positive en style le plus souvent épisto-
laire ?
Les homélies de notre prélat sur les épîtres et les évangiles
DOYEN DE L'ÉGLISE D'AMIENS, etc. 169
sont de deux sortes. La première est une explication litté-
rale de l'epître et de l'ëvangile, où se trouvent interprétés
les noms d'hommes et de lieux, les usages, les cérémonies; et
cette homélie est très -courte. La seconde est une explica-
tion morale dans laquelle l'orateur développe les préceptes
qui, dans l'epître ou l'évangile, sont prescrits pour vivre chré-
tiennement. Cette dernière homélie est d'une demi -heure
de lecture environ. Les sermons ont à peu près la même
étendue. Mais l'explication des psaumes est plus diffuse, et
le manuscrit qui la contient est d'un volume égal à celui
des homélies et des sermons réunis. Ce dernier ouvrage
n'a rien de plus remarquable que ce que nous en avons
dit plus haut. Nous traduisons ici deux morceaux des ho-
mélies, afin que le lecteur puisse se faire une idée posi-
tive du style de notre auteur. La première composition,
qui est le prologue de l'ouvrage, commence en ces ter-
mes :
« Comme l'Eglise, notre sainte mère, éclairée par le Saint-
« Esprit, a voulu, non sans quelque raison, que certaines
« parties de l'Ecriture-Sainte, diverses^ selon les temps, fus-
« sent lues au milieu des prières qui composent la liturgie
<t de la messe, soit qu'en les adaptant à chaque époque, elle
« ait voulu les faire servir à régler les mœurs, ou à fortifier
« la foi , nous avons entrepris d'en rechercher les motifs, et
« de mettre sous les yeux de la jeunesse ce que le Saint-
« Esprit daignera nous inspirer. C'est une entreprise à la-
ce quelle nous ne nous livrons qu'avec appréhension , et après
« avoir long-temps hésité, nous rendant aux instantes solli-
« citations qui nous ont été faites, et à celles surtout de celui
« à qui nous ne pouvons rien refuser. Nous ne promettons
« donc pas ici un ouvrage en style travaillé, et tel qu'il puisse
« charmer les oreilles délicates des savants; ce ne sont que
(t des homélies simples, et s'il est permis de s'exprimer ainsi,
a offertes à des auditeurs simples, en style simple. Nous
<c commencerons ainsi par le temps de l'Avent du Seigneur,
« comme étant le crépuscule de la grâce qui va bientôt appa-
« raître.
« On saura donc que le temps de l'Avent du Seigneur, que
« l'Eglise célèbre, est distribué en quatre semaines à cause
« des quatre apparitions du Christ. L'une, l'apparition d'hu-
« milité, est celle qu'il a faite comme homme; l'autre, l'ap-
« parition de majesté, est celle qui sera accompagnée d'effroi ;
Tome XVUl. Y
1 <, *
XIII SifeCLE.
Xm SIÈCLE.
170 JEAN HALGRIN,
a la troisième, il la fait quand il nous apparaît par sa grâce
« qui éclaire les aines; et enfin il fait la quatrième quand il
« vient frapper aux portes de la chair, scruter la maison du
« père de famille, comme le ferait un voleur. C'est pourquoi
« dans les lectures qui composent l'office de ce premier
« dimanche de l'apparition du Christ dans la chair, nous
« voyons exprimés les désirs des anciens prophètes, surtout
a dans ces paroles d'Isaïe : Utinam dirumperes cœlos et des-
« cenderes ! c. lxiv, comme s'il disait: Si vous descendiez,
« le monde jouirait de trois avantages , et les montagnes
«c qui s'abaisseraient à votre aspect, comme un incendie,
« s'enflammeraient et se détruiraient par le feu qui sortirait
a de vous. En effet, c'est ce qui s'est opéré à l'arrivée du Fils
« de Dieu dans la chair; quand l'orgueil humain s'est abaissé
« par l'humilité; quand ce qui était compacte et endurci par
« l'obstination , s'est fondu en présence du feu de la charité;
« quand ce qui élait froid par la malice, s'est enflammé de
(c pénitence devant le feu du Saint,-Esprit. C'est donc de la
« première apparition du Seigneur qu'il est question dans
a l'évangile de ce jour, c'est-à-dire de l'incarnation du
or Christ. Mais dans son épître, l'apôtre nous excite à sor-
a tir de notre inertie; il nous presse de nous parer de
« vertus , afin d'aller au devant du Christ qui arrive et qui
« frappe à la porte , et il nous dit : Hora est jam nos de
a soinno surgere.yi Après ces paroles commence l'homélie sur
l'épître.
Voici comment Halgrin termine l'exposition littérale de
l'évangile du jour de Pâques : « Mais de même que la mort
« avait été annoncée au monde par une femme , afin que ce
" e que la v
« annoncée. Allez, leur dit l'ange, annoncez cela a ses dis-
« fût encore par la femme que la vie de la résurrection fût
« ciples et à Pierre. Pierre est nommé par son nom , de
a crainte que son reniement ne le porte au désespoir. Car,
ce si l'ange n'avait pas désigné nommément celui qui avait
« renié son maître, il n'aurait pas osé reparaître avec les
« autres disciples. Il ne faut pas passer sous silence le motif
« que le Seigneur semble avoir eu de permettre que celui
« qu'il devait donner pour chef à son Eglise, le reniât à la
« voix d'une servante. Ce fut donc par une disposition ad-
« mirable de sa charité, pour que celui qui devait être le
« pasteur de toute l'Eglise, apprît de sa propre faute, corn-
er ment il devrait se conduire relativement aux fautes des
DOYEN DE L'EGLISE D'AMIENS, etc. 171
y-. 7-7' Xni SIÈCLE.
« autres. Dites-leur : H vous précédera en Galilée ; cela, se
a dit avec vérité de notre Rédempteur, Galilée signifiant
« transmigration. En effet, il venait de passer de la passion
« à la résurrection, de la mort à la vie, de la souffrance à
« la gloire. De même qu'après sa résurrection ce fut en Ga-
ie lilée qu'il apparut à ses disciples, de même il nous sera
« donne de voir la gloire de sa résurrection, si de la bassesse
« de nos vices, nous passons à la grandeur des vertus. Mais
n que nous est -il montré dans le sépulcre qui aide à ce
« passage.'' Que celui qui a été vu dans la mortification de
« la chair, sera vu aussi dans la transmigration des es-
« prits. »
Il ne nous reste plus maintenant à parler que de l'ouvrage
intitulé : Exposilio in Cantica Canticorani , dont le manu-
scrit ne se trouve plus guère que dans un recueil oh hont
rassemblées plusieurs autres compositions qui ne sont pas
de notre Halgrin, et parmi lesquelles la sienne n'occupe que
quarante -deux pages de format in-4°. C'est la seule de cet
auteur qui ait été publiée par la voie de l'impression, mais
morcelée en fragments intercalés au commentaire, bien
plus étendu, que Thomas le cistercien avait laissé du même
cantique. On ne distingue les deux différents commeittaires, Captica can-
dans l'édition qu'en donna Badius Ascensius en lôai , que "^0^"™ , cum
par les mitiales CAR. pour cardmalis, et IHO. pour 1 ho- tar., Fr. Thoma-
mns; ce qui est d'autant moins clair au premier coup d'œil, cisterc. et j. Hai-
que, dans l'état d'imperfection où se trouvait encore à Paris gr">', •jp'sJo<^<>-
l* . 1 • \ / 1 1 ' ■ • 1 ' ciBadii Ascensii,
la typographie a cette époque, les abréviations sont placées ,5^2, in-foi.
de telle sorte qu'on les prendrait pour la signature de l'article
qui les précède, quand elles ne sont que l'indication de l'au-
teur de l'article qui les suit.
Les deux commentaires que réunit l'édition aujourd'hui
très- rare qu'en a donnée Josse Badius Ascensius, ayant été
jugés fort sévèrement dans l'article de Thomas le cistercien,
au tome XV de notre Histoire littéraire, nous userons du .^^
droit de mitiger cette censure dans l'article de Jean Halgrin,
que nous publions quinze ans plus tard , après un nouvel
examen de son ouvrage.
Or, pour s'assurer les moyens de juger sainement du vrai
sens dans lequel il faut prendre l'un et l'autre commentaire
du Cantique, il suffit de lire d'abord, dans l'article de saint
Bernard de notre tome XIII, l'analyse des quatre-vingt six p is^.iyi
sermons tjue i'abbé de Clairvaux a composés sur ce livre
Y2
XIII SIECLE.
172 JEAN HALGRIN,
sacre. Alors on ne sera plus tenté de supposer que des ex-
pressions, qui doivent surprendre au premier coup-d'œil,
quiconque n'est pas familiarisé avec la naïveté du style orien-
tal, n'aient eu qu'une signification en apparence beaucoup
trop naturelle. Le philosophe de Ferney avait précédé de
plus d'un demi-siècle le rédacteur de l'article desaint Bernard,
dans le jugement semblable qu'il a porté sur le vrai sens des
passages du cantique sacré; et il suffit pour se convaincre
de l'unanimité de la saine critique à ce sujet, de relire la
Voiiaire'Txir^ lettre du poète traducteur. Mais afin d'effacer entièrement
p. 272,'cdit. de l'impression que laisserait le passage cité dans l'article Tlio-
1785. mas, et qui commence par ces mots : Tria in osculis no-
tant ur , et qui se termine par ceux-ci, comparticipatio fit
passionum , il faut lire la suite immédiate du commentaire
de Thomas, qui est ainsi conçue : Naturaruni, scilicct ho-
minis et Verhi ; Spirituuni diviiii et huniani ; Passionum ,
Christi et christiani. Les quatre lignes qui suivent dans le
commentaire conduiront alors naturellement à l'interpréta-
tion circonspecte que Thomas le cistercien donne des fonc-
tions des lèvres dans le baiser du cantique, car c'est ainsi
qu'il s'exprime : Moraliter lubia si/nt instrumentuni sernio-
num ; ideb designatur in eorum conjunctione rnutua vicissi-
tudo Jraternarum orationum ; in conspirations anheîitûs ,
unaniniitas voluntatum ; in conjunctione corporum , suppor-
tatio onerum.
Le Cantique des Cantiques est l'expression d'une ame
remplie d'un céleste enthousiasme; les pensées n'y sont pas
coordonnées les unes aux autres; l'auteur inspiré paraît les
avoir écrites avec l'intention d'en conserver le sens complet
pour lui seul; aussi peut -on les interpréter de plusieurs
manières , qui seront plus ou moins vraies ou vraisem-
blables. Saint Bernard y a vu le mystérieux tableau de
l'alliance de Jésus -Christ avec l'Eglise entière; Thomas le
cistercien y a aperçu un colloque entre Dieu et lame fidèle;
avant eux , le vénérable Bède, saint Grégoire, Origène , y
avaient trouvé un de ces sens ou tous les deux ensemble; et
différent d'eux tous, le cardinal-évèque de Sabine y a vu un
chant d'amour filial de Jésus pour Marie, et d'amour mater-
nel de Marie pour Jésus, caché sous le voile transparent
du chant d'amour de deux amants. C'est en suivant conti-
nuellement cette première idée, qu'Halgrin met tour à tour
les paroles du Cantique dans la bouche du fils ou de la mère,
XIII SIECLE.
DOYEN DE L'ÉGLtSE D'AMIENS, etc. 178
selon que l'exige le but qu'il s'est proposé. Et ce qui est aussi
remarquable qu'ingénieux , c'est que le commentateur ne
s'écarte jamais du sentier qu'il s'est tracé, et que , s'aidant
des divers passages des autres écrivains sacrés qui peuvent
contribuer à son explication , il trouve moyen d'appliquer
toutes les paroles <iu Cantique au Christ et à la sainte
Vierge, et de donner à toutes les expressions du texte un
sens conforme à cette première idée. C'est ainsi que 'le roi
dont parle le cantique est le même que l'amant, et l'amant
est le Christ; l'amante est la Vierge; (es jeunes gens sont les
anges qui composent la suite de l'amant, les jeunes (illes
sont lésâmes fidèles qui accompagnent la Vierge comme
leur dame.
Dans un court prologue, le commentateur fait avant tout
l'aveu de son insuffisance pour s'acquitter dignement de la
tâche qu'il s'impose. Il invoque la Mère, afin qu'elle lui ob-
tienne des expressions dignes du Verbe éternel. Il supplie le
Fils de lui accorder le don de parler convenablement de
celle dans le sein de qui il a reçu sa vie mortelle. Puis il
exprime ainsi l'objet de son explication : Continet hoc can-
ticuni matris et Jilii, heatœ scilicet Virginis et Doinini
Jesu-Christi applausuni jucundum et mutuutn. Hic enini
applaudit mater fdio , hic fdius jucundat in niatrc. Hic ma-
tris prii'ilegia describit filius , h'ic excellentiam Jilii describit
mater.
Après ce court préambule, commence le commentaire qui,
dans le manuscrit, forme un morceau d'un seul trait, oii la
séparation des chapitres du Cantique n'est pas marquée.
Les passages du texte, placés au commencement de chaque
alinéa, en font seuls distinguer les divisions. Nous n'entre-
prendrons pas de reproduire ici ce commentaire depuis son
début jusqu'à sa fin; mais quelques morceaux que nous
en analysons, en donneront, nous le pensons, une idée
suffisante.
« Osculetur me oscnlo oris sui. C'est la Vierge qui com- Camic. (an-
« menée; elle invoque l'Esprit de Dieu, et lui demande de '"^' Saiomoms ,
a s'unir à la nature humaine pour la réconcilier avec son
o divin auteur. Les âmes fidèles viennent se joindre à elle,
« elles l'accompagnent de leurs saints empressements; elles
« louent ses vertus el ses grâces, figurées par ses mamelles v>rs. 2.
« plus enivrantes que le vin, plus suaves que les parfums,
« par son nom, qui est de l'huile répandue.
XIII SIFXLE.
Vers. 3.
174 JEAN HALGRIN,
« Trahe me; post te curremus in odorem unguentorum
a tuorum. Déjà la Vierge entrevoit de loin son assomption
a. glorieuse; elle veut être délivrée de ses entraves, et s'élever
a avec ses compagnes vers celui qu'elle contemple assis à
« la droite de son Père. Mais elle entrevoit aussi les tribu-
ce lalions qu'elle doit éprouver avant d'obtenir l'accomplisse-
Vers. 4 ei S. « ment de ses vœux. I\igra siini , je suis décolorée et tombée
« dans le mépris. Elle gémit sur la mort de sou fils, elle est
« la mère de douleurs; mais elle n'a pas cessé d'être l'élue
tt du Seigneur.
a Filii tnatris rneœ pugnaverunt contra me. La synagogue
<c n'a reconnu ni elle, ni son fils; c'est pourquoi voyant qu'ils
a avaient renié les maîtres de la vigne, elle n'a plus voulu
« en être la gardienne. () mon fils! s'écrie-t-elle , montre-
« moi où est ton véritable héritage, afin que j'en fasse l'objet
Vers. 6. „ de mcs soins empressés : Indica mihi , quem diligit anima
ff mea , ubi pascasP
Vers. 7. " Si ignoras te, u pulcherrima inter mulieres! Vous ne
« savez pas quelle est votre puissance, ô ma mère; vous
« jiouvez tout obtenir de votre fils, vous êtes l'étoile des
ce mers accordée aux navigateurs pour les conduire au
« port.
« Egrcdere et abi post vestigia gregwn. S'il en est ainsi,
« ô mon fils, sors donc du sanctuaire de ta justice, étends
« au loin ta miséricorde, et appelle tous les hommes à ton
« bercail.
Vers. 8. (c Equitatui meo in curribus Pharaonis assimilavi te,
ce arnica mea. Je vous ai choisie pour vous opposer à la
ce malice de l'esprit de ténèbres. La pudeur orne votre
'" '^ a visage, la modestie est dans vos paroles. Nous vous en-
\.rs. 10. tt ricliirons de toutes les vertus, murœnulas aureas facie-
ce mus t.ibi.
j j «T»- n , 12, ^^ Diim esset rex in accubitu siio. Mon fils était encore dans
« sa gloire céleste, quand mon humilité seule a attiré ses
ce regards sur moi. Mon bien-aimé sera abreuvé d'amertume,
a. et ce qu'il souffrira, je le souffrirai avec lui, parce qu'il
ce m'est impossible de ne pas compatir à ses maux. Mais il
ce redeviendra glorieux , et je serai glorifiée en lui , et ma
ce douleur sera changée en joie.
ce Ecce tu pulchra es, arnica mea. Votre humilité fait toute
<c votre beauté, ô mère chérie; vous êtes pleine de simplicité
R et d'innocence , oculi tui columbarum.
\cr.
DOYEN DE L'ÉGLISE D'AMIENS, etc. 176
XIII SIECLE.
Cap. II, vers i .
Vers. 2.
Vers. i.
« Ecce tu pulcher es, dilecte mi, et decorus. Et toi,
« mon fils, tu es admirable dans ta divinité et dans ton Vers. 1 5
« humanité; lame qui t'aime, m'aime aussi, et nous trou-
« vons en elle nos délices, lectulus noster Jloridus.hà aont
« toutes les grâces et toutes les vertus qui grandissent Vers, iti
« comme le cèdre, parce qu'elles sont protégées par l'hu-
a milité, qui, semblable au bois de cèdre, demeure incor-
a niptible.
« Egojlos canipi et liliuni com'alliiim. Je n'étais qu'une
« simple fille de la Judée, et j'habitais inconnue la vallée de
« mes pères.
« Sicut lilium inter spinas, sic arnica mea interfilias. Mais,
« ô ma mère, ainsi que le lis diffère des ronces, telle je vous
« vis au milieu de vos compagnes, les éclipsant par votre
« éclat.
« Sicut malus inter ligna syharum. Mon bien-aimé parmi
« les autres hommes est semblable à un arbre chargé de fruits,
« placé au milieu d'une forêt d'arbres sauvages. I! a comblé
« mes désirs; il a rempli mon ame de délices; il m'a intro- Vers. 4.
« duite dans la plénitude de ses grâces et de son amour. O
« mes compagnes! venez à ma suite, devenez-moi semblables
« par vos bons désirs et par vos bonnes œuvres; car ma ten- vers 5
« dresse pour vous est pleine de sollicitude ,ya/«Ve nie Jlo-
« ribus , stipate me malis , quia amore langueo. Mon fils m'a
a donné les biens, les vertus et les grâces, et une place m'est vers. 6.
« réservée à sa droite.
« Adjuro vos, filiœ Jérusalem, percapreas cen'osque cam- vers -.
« porum. Ames fidèles , si ma mère n'a pas encore exaucé vos
« prières, si elle ne vous a pas encore donné des marques de
o sa puissance, je vous en conjure par vos vertus, ne vous
« troublez pas, ne vous plaignez pas; attendez dans la pa-
« tience les effets de sa protection.
« Vox dilecti mei, ecce iste venit salions in montibus. O
« mes compagnes! écoulez la voix de mon bien-aimé, le voilà
a qui vient à votre secours, foulant sous ses pieds les puis-
a sances de l'enfer. Il découvre leurs pièges, il déjoue leurs
a complots. Le voilà , il est près de vous, il vous regarde, il ^*'*
« vous protège. Mais j'entends sa voix, il me parle, il m'ap-
« pelle : Levez-vous , ô mère chérie ! Vierge sans tache , venez ^'^"
« dans mon séjour éternel. Jam hiems transiit , imber abiit \
« et recessit. Le temps des humiliations est passé, les souf-
« frat)ces sont finies; le ciel vous montre déjà ses joies ra-
V'ers. 8
■ ers [ 1 .
XIII SIECLE.
\>I*. 12 , i3,
176 JEAN HALGRIN,
« vissantes; le moment de la récompense est arrivé ; les sons
« de l'harmonie céleste se font entendre, et les approches du
« séjour glorieux exhalent des parfums. Levez-vous, ô ma
« mère! ma bien-aimée, et venez avec moi. Columba rnea
« in foraniinihus peine , in caverna niaceriœ , ostcnde inihi
V. faciem titain. Je verrai votre visage éclatant de vertus;
« j'entendrai votre voix à travers les plaies de mes rtiem-
<c bres et la blessure de mon côté, et cette voix sera toute
« puissante à mes oreilles pour obtenir miséricorde pour le
<f monde.
\ns. i5 « Capite riobis vidpes paivulas qiiœ demoliuntiir vineas.
« O vous qui nous êtes fidèles! veillez sur notre Eglise; op-
« posez-vous aux elforts de ceux qui cherchent cà en renverser
« les fondements. Que cette vigne, plantée par nos mains,
« fleurisse et porte son fruit.
Vers. 16. « Dilectus meus niihi, et egoilliqui pasciturintcrlilia.^Xou
« bien aimé est à moi pour toujours, et je suis toute à celui
« qui trouve ses délices dans les âmes vertueuses qui défen-
'c aent sa vérité jusqu'à ce que le jour baisse , et que les om-
« bres de la nuit surviennent. <
^^,^ « Recertere ; similis esto , dilecte m,i , capreœ. Mais, ô mon
« fils! le jeune cerf n'abandonne pas pour toujours les lieux
« qu'il a quittés une fois: jette encore un regard sur les ha-
« bitants de la Judée, qui dans leur orgueil ont refusé de te
« connaître, revertere siij)er montes Bether. »
Telle est la manière dont notre auteur a envisagé et ex-
pliqué l'esprit de ce canti(|ue sacré. Nous nous arrêtons à la
fin du second chapitre du texte, pensant avoir assez fait
connaître le style du commentateur.
Nous avons dit qu il se trouvait à la Bibliothèque royale
vingt-cinq manuscrits des œuvres de Jean Halgrin d'Abbe-
ville. Dans ce nombre, quatorze appartenaient au fonds de
cette bibliothèque, ce sont les numéros 25i4) 25i5, ajifi A ,
20 1 7, 25 1 8 A , 26 1 8 B , 2618 0,2619, 2909, 29 1 o , 29 r I ,
291 1 A , 3577 , 3733. Cinq y sont venus de l'ancienne Biblio-
thèque de Sorbonne, les numéros 81 1 , 812, 8i3, i655, 1662;
quatre de celle de Saint-Germain-des-Prés, les numéros 5i i,
733, 889, 1337; un de celle de Saint-Martin-des-Champs ,
le numéro 42; un de celle de Saint-Victor, le numéro 749.
Quatre manuscrits des mêmes ouvrages se trouvent à la Bi-
bliothèque Mazarine, entre autres une copie faite au xvi^
siècle, dont l'écriture est belle et d'une lecture facile.
DOYEN DE L'ÉGLISE D'AMIENS, etc. 177
L'historien d'Abbevi lie, cité au commencement de cet arti-
cle, rapporte qu'il avait entendu dire au P. Jean de la Haye,
savant cordelier, que ce dernier préparait une édition com-
plète des œuvres du cardinal d'Abbeville, et il ajoute que la
mort de ce religieux, arrivée en 16G1 , l'empêcha de mettre
son projet à exécution. P. R.
XUI SIÈCLE.
ÉMON,
ABBÉ DE VERUM.
MORT le lî dé-
cembre 1287.
JCjMon, né en Frise, y fit ses premières études, et se montra
de bonne heure avide d'instruction. Le temps que ses con-
disciples perdaient à jouer et à courir, il l'employait, nous
dit un de ses contemporains, à lire Ovide, Virgile, Arator Menco, ApuJ
Sedulius, les grammaires de Priscien et de Pierre Hélie.et '^''sS Ant.Mo-
d' 1 i* i ■ ¥ -vil r ■! ** num., I. I, pap
es traites de dialectique. Le goût des lettres sacrées et pro- 5o5. — Hug^
fanes l'attira bientôt en France. Il suivit à Paris les leçons Pr^f.xxn-xxiv'.
des théologiens, à Orléans celles des jurisconsultes, et passa ~0"^'"'.Coii»-
ensuite en Angleterre, où il fréquenta l'école d'Oxford, dès ^d.', t.^ii, éoL
lors renommée. Rentré dans sa patrie, il embrassa l'état «61,162.
ecclésiastique; et l'évêque de Munster, Otto, lui confia la
direction de la paroisse de Husdeiige, dans le territoire par-
ticulier qui portait le nom d'Omelande. Emon se distingua
par son zèle à remplir tous les devoirs d'un curé; mais il
s'appliquait surtout à inspirer l'amour de l'étude à la jeu-
nesse, et même à tous ceux de ses paroissiens qui pouvaient
encore s'y livrer. Cependant il aspirait à vivre solitaire et
il ne tarda point à saisir l'occasion de cédera ce penchant.
Un de ses parents, appelé comme lui Emon, et surnommé
de Romeswers, venait de se retirer du monde et de consa-
crer un riche patrimoine à la fondation d'un monastère.
L'exerrtple et les sollicitations de ce pieux personnage dé-
terminèrent le curé de Husdenge à quitter ses fonctions
pastorales, pour embrasser la vie cénobitique. Ils entrèrent
d'abord l'un et l'autre dans l'ordre de Saint-Benoît, à Fild-
wert; mais pendant leur noviciat, ils résolurent de se vouer
Tome XV m. Z
xm SIÈCLE.
178 ÉMON,
à celui de Prémontré. C'était à cet ofûre que devait se ratta-
cher le couvent qu'Emon de Romeswerf ou Rheomers-werf
avait doté, et qne désignaient les noms de Nouveau cloître,
de Jardin de la sainte Vierge : ISovitm claustrum , Hortus
Beatœ Firginis. Cet établissement , quoique approuvé par
Otto, évêque de Munster, donna lieu à des contestations
qui obligèrent Émon à faire, en 1211 , un voyage à Rome.
Il partit accompagné d'un ami , nommé Henri , et passa par
Voyez ci-des- Prémontré , oii l'abbé Gervais l'accueillit avec bienveillance.
sus.p. Ai-So. Il continua sa route par Troyes, Bar-sur-Seine, Lyon, la
Maurienne, Suze, Plaisance, Lucques et Viterbe; il obtint, à
ce qu'il semble, pour son monastère la protection du saint-
siége, et revint de Rome par Bologne, Milan, Côme, Bàle,
Mayence, Strasbourg et Cologne. De retour d'un si long
voyage qu'il avait fait à pied, il acheva d'établir dans son
Noi'iini claustrum la règle monastique de Prémontré. Le
nombre de ses religieux s'accrut, et bientôt même des vierges
et des veuves formèrent, sous sa direction, une communauté
de femmes qui resta, jusqu'en i-2i5, adhérente à celle des
hommes. A cette époque, Emon les transféra l'une et l'autre
à Verum, et mit entre elles assez de distance pour prévenir
les inconvénients que trop de voisinage entraînait ailleurs.
Verum ou VVerum était situé dans le diocèse de Groningue,
entre cette ville et Damm : le monastère d'hommes y reçut
le nom de Jardin Fleuri, Hortus floridus , et le couvent de
femmes celui de Champ des Roses , Campus rosarum.
Il se tint en cette même année un chapitre général à
Prémontré; Émon yassista, et soit alors, soit dès 121 1, à son
passage en ce lieu en allant à Rome, il prit des notes ou des co-
pies de tous les statuts et de tous les livres de l'ordre, afin d'y
conformer exactement les pratiques claustrales et liturgiques
des religieux et religieuses de Verum. Mais il eut à soutenir, en
i^af), d'assez violents démèlésavecHçrdric, prieur deSkhil-
wold ou Skeldwald, qui, protégé par l'évèque de Munster,
Thierry, commettait, dit-on, d'énormes iniquités, inultas
Menco,)). J08 coiumittehat cnormitates. Il fallut que l'abbé de Prémontré,
que le légat du saint-siége, Conrad, évêque de Porto, et le
pape Honorius III intervinssent dans cette affaire; elle se
termina par l'excommunication d'Herdric et par un accord
auquel Thierry souscrivit. Emon n'avait eu jusqu'alors que
le titre de prieur de Verum; Thierry lui conféra solennelle-
ment la dignité d'abbé, le 23 mai laaS, ainsi que le rapporte
ABBE DE VERUM. 179
XIII SIÈCLE.
Emon lui-même, en ces termes : Theodoricus tertius nionas ^
teriensis episcopus . . . decinio kalcndas junii , in hebdomadà ^ aTu M^on "^t
Pentecostes , apud Floridum Hortum sicut aniicus , honoii- \,y,.l^%l^.
ficè susceptus . . . Eodem die Enio, prœpositus Floridi Horti,
per nianus impositionem prœlati venerabilis antistitis , ex
miseratione divind , astaniihus fratribus suis , nomen et offi-
ciumabbatis suscepit. Ubbo Emmius, en faisant mention de Hist m. Fiii.
cette cérémonie, la date, sans doute par erreur, du 21 fé- »<*""" '*»5
vrier, ad ix halcndas mardi. L'humble modestie d'Emon ne
l'empêchait pas de défendre avec énergie les droits ou les
intérêts de son monastère; il sut le maintenir en possession
des paroisses d'Emetha et de Schiramme ou Skirame, qu'on
voulait enlever à l'ordre de Prémontré. Les réclamations
adressées par lui à la cour de Rome, au légat apostolique,
au synode de Cologne, obtinrent en plus d'une occasion,
un plein succès. Sa prudence et son habileté déconcertaient
la malveillance. Il prévoyait l'avenir avec une telle sagacité,
qu'on ne manqua point de lui attribuer des visions et des
révélations nocturnes. Il n'excellait pas moins à exhorter
les faibles, à consoler les affligés, à encourager tous les efforts
honorables; et ses discours avaient d'autant plus d'ascendant,
qu'il donnait l'exemple de la plus laborieuse activité.
Nous devons surtout remarquer ici les soins qu'il pre-
nait de l'instruction de ses jeunes confrères, et les progrès
que lui durent les études au sein de sa communauté. Sa
santé s'élant fort affaiblie durant l'automne de laJj, quoiqu'il
ne fût point, à ce qu'il semble, très -avancé en âge, et la
fièvre l'ayant saisi vers la Toussaint, il pressentit sa fin pro-
chaine, et l'on assure qu'il désira vivement de mourir le jour
de Sainte-Luce, pour laquelle il avait eu une dévotion par-
ticulière. Il expira en effet le i3 décembre, et fut enterré,
comme il l'avait demandé, dans le chapitre de son abbaye.
Corpore ejiis sacerdotalibus indumentis , ut deciiit et mos est
de prœlatis , i/wo/uto , et in ecclesiam proccssionaliler delato,
post lecta psalteria et missas celebratas , sororibus extiii
portas cum cantu exequiali prosequentibus , et fratribus qui
aderant, coniitantibus , in navi corpus est collocatum et ad
abbatiam dedu^tum , ubi complètes psalteriis post nocturnas
vigilias, et ojficio divino, et mis sis, in capitula claustri , ubi Mtnco.p. 5i(
ipse sibi sepulturani clegerat , est sepultus. L'iiistorien con-
temporain qui s'exprime ainsi, ajoute que des miracles s'o-
pérèrent sur le tombeau du saint abbé, qu'une femme aveugle
Z2
iSo ÉMON,
XUI SIÈCLE. , , , ,
y recouvra la vue, une muette la parole, une pauvre paraly-
tique l'usage de ses membres. Emon n'a pourtant pas été
canonisé; mais les Bataves et les Belges lui ont décerné le
Foppens Bibi. titre de bienheureux. Il eut pour successeur, comme abbé
Beig., 1. I, p. de Verum,un religieux nommé Paul, qui mourut en 1242,
*'^'- et qui Fut remplacé par Mencon, dont la carrière se prolongea
jusqu'en 1276.
Nous n'avons pas encore indiqué le principal fait de la
vie d'Emon , celui qui a pu nous autoriser à retracer les
autres; la composition d'une chronique de son temps, et
surtout de son monastère, depuis l'an i2o4 jusqu'en I234;
ouvrage continué jusqu'en 1276 par Mencon, et jusqu'en
1297 par un anonyme. Cette troisième partie a peu de va-
Hug.s.Aoïiq. leur; elle n'occupe que 16 pages à la suite des précédentes,
Monum.,t.l,p. et la rédactiou Cil est peu méthodique. Elle est, au surplus,
552-566. ^Q^j. étrangère au sujet que nous traitons ; et la seconde
ibid.,p. 5o4- même, quoiqu'elle ait trois fois plus d'étendue, n'aurait point
^^'- attiré notre attention, sans les i4 premières pages où la vie
et la mort d'Emon sont racontées. Nous en avons extrait la
plupart des détails biographiques qu'on vient de lire. La
chronique' d'Emon lui-même nous en a immédiatement
fourni plusieurs; car il s'y nomme assez fréquemment en
tierce personne, et il y expose avec soin les iaits auxquels il
a pris part. Son livre, qui n'embrasse que trente années, rem-
Ibid.,p.4i9- plit 76 pages in-folio. Nous avons déjà donné un précis des
5'>3- dix premières qui aboutissent à l'année 12 14- L'auteur insère,
sous cette date, des lettres de Gervais, abbé de Prémontré,
qui prescrivent de suivre à Verum toutes les observances de
l'ordre. Il fait mention d'Olivier, l'écolâtre de Cologne, qui
prêchait la croisade aux Frisons ; des anathèmes prononcés par
Innocent III contre l'empereur Othon, et contre le roi de
France Philippe-Auguste; de l'introduction du christianisme
en certains pays du Nord ; de la prise de Constantinople par
les croisés; de la défaite du comte de Toulouse, Raymond,
protecteur des hérétiques; de la victoire remportée en Es-
pagne sur les Sarrasins et leur chef Rliraroolin. L'an i2i5
amène quelques détails relatifs au 4* concile de Latran ;
à la mort d'Emon de Romeswers, le cousin de l'auteur; aux
actes et aux usages des chapitres généraux de Prémontré.
En 1 2 1 7, l'armée chrétienne arrive devant Saint-Jean-d'Acre :
à cette occasion , Emon transcrit un itinéraire qu'un croisé
de ses amis lui a communiqué, et ou sont marqués les lieux
ABBÉ DE VERUM. 18 1
XUI SIÈCLE.
par lesquels les Frisons viennent de passer, depuis leur
pays jusqu'à la Terre-Sainte. Comme ils ont parcouru péni-
blement diverses côtes de la Batavje, de l'Angleterre, de
la France, de l'Espagne, de l'Italie, de l'Afrique, cette
notice contient les noms et indique la situation d'un assez ibid., p. 445-
grand nombre de ports, , d'îles et de promontoires : on *^*-
la compte au nombre des documents qui peuvent jeter
quelque lumière sur la géographie du moyen âge. Il y est
dit que Lisbonne , frontière des nations et de l'Église ,
terminus gentium et Ecclesiœ , a été bâtie par Ulysse et
par Achille, ainsi que le prouvent d'anciens édifices, et
un village voisin aui a retenu le nom ai Achelç. Mais ces
descriptions topographiques , fort incomplètes en elles-
mêmes , sont d'ailleurs interrompues par le récit des
combats dans lesquels une partie des croisés frisons se laissa
engager en Espagne contre les Sarrasins. L'accueil bien-
veillant que la protection du pape leur valut dans les villes
d'Italie, occupe aussi un bien long espace. Après avoir trans-
crit cette relation qui pouvaiç être plus instructive, et qui
n'est pourtant pas dénuée d'intérêt, Emon se prescrit de re-
venir à des affaires claustrales qui en ont moins conservé.
Et hcec ad gentis Frisonum gloriam dixisse sufficiet ; nunc
ad intermissa revertamur.
Les pages suivantes sont remplies de réflexions purement
morales ou ascétiques, tout-à-fait étrangères à l'histoire. La
chronique ne recommence réellement que parle tableau de
l'inondation désastreuse qu'essuya la Frise au commence-
ment de 1220. Mais l'auteur, toujours enclin à sortir des su-
jets qu'il traite, se met à disserter ici sur les noms et l'ordre
des jours de la semaine, sur les limites des connaissances
humaines, sur les rapports des positions célestes avec les
destinées des mortels, sur les possessions et les immunités
ecclésiastiques, sur les limites de la puissance séculière. Il
cite Virgile et saint Augustin , la Bible et les décrétâtes. De
nouvelles inondations en 1221 et aux deux années suivantes
le rengagent en des digressions du même genre. Il arrive
enfin à l'année 1225, l'une des plus mémorables dans l'his-
toire de sa propre vie. C'est l'époque de sa querelle avec
Herdric. Emon en fait un fort long récit, dans lequel il insère
des lettres de l'abbé de Prémontré, du chapitre de Colo-
gne, d'Olivier l'écolâtre; de l'évêque de Munster, Thierry}
du légat Conrad et du pape Honorias. L'abbé de Yerum y
1 5
i82 EMON,
Xm SIÈCLE. , . „ 1 ' • ,
joint ses plaintes personnelles, et il ne ménage point les ter-
mes, en parlant de son adversaire. Cette année laaS occupe
ibid.,p. 471. ainsi environ quinze pages, un cinquième de toute la chro-
nique, y compris toutefois quelques articles étrangers aux
affaires d'Herdric et d'Emon. liCS voyages et les succès d'Oli-
vier, prédicateur de la croisade, y sont succinctement retraces.
Il est y aussi question des accidents atmosphériques, des
mauvaises récoltes, de la cherté des vivres, de la mortalité
des bestiaux; et le tableau de ces calamités, quoique trop
resserré , et malgré les idées superstitieuses que le chroni-
queur y entremêle, peut avoir encore quelque valeur.
Un concile tenu à Cologne par le légat du saint-siége, la
mort de saint François, et celle du roi Louis VIII, sont les
événements qu'Emon nous fait remarquer en 1226; il dit que
Louis mourut empoisonné chez les Albigeois, obiit veneno
apnd Alhigenses ; deux erreurs dont il n'avait pas les moyens
de se préserver. Il fait mention , sous l'année i22'7, du retour
des croisés bataves, de la mort d'Honorius III, de l'installa-
tion de Grégoire IX; et soiis les trois années suivantes, de
queUjues faits d'une très-mince importance, même dans l'his-
toire monastique à laquelle ils appartiennent. Ce que nous
y voyons de plus digne d'être observé, c'est l'usage que
l'auteur fait, comme en plusieurs autres endroits, de cer-
taines ères spéciales : 1280 est l'an 4 du jiontificat de Gré-
goire IX, 821 de la conversion de saint Augustin, ^o4 de
celle de saint Benoît, 610 de l'avènement du pape Grégoire-
le- Grand, 5o5 de la passion de saint Boniface, 4o de la
prise de Jérusalem par Saladin , Œ de la translation des rois
mages à Cologne, i4o de l'établissement des Chartreux, i32
des Cisterciens, 1 iode Prémontré, etc. Ces dates accumulées
ne sont pas toujours exemptes d'erreurs, et peuvent néan-
moins éclairer quelques détails de la science chronologique.
L'église de Skirame reçoit une donation en i23i, en même
temps que des troubles civils et religieux s'élèvent dans le
territoire dq Groningue. Ils se prolongent en I232, et l'inon-
dation de 1233 achève de désoler cette contrée. Par surcroît,
deux moirtesde Brème viennent, en 1234, prêcher une croi-
sade contre les Stadingues, demi -sauvages qu'on déclarait
les ennemis de Dieu et .des hommes. Ces deux premiers
missionnaires obtinrent peu de succès; mais on en vit arri-
ver bientôt plusieurs autres qui volaient , dit l'auteur, comme
des nuées, quaû nubes ■volabant , sur les rives du Rhin, suf
ABBE DE VERUM. i83
Xni SIÈCLE.
la Westphalie, la Hollande, la Flandre et le Brabant. A leur
voix , les peuples s'armèrent, et sous la conduite du duc de
Brabant, du comte de Hollande, du comte d'Oldenburgh
et de bien d'autres princes, exterminèrent la tribu proscrite.
Ce fut, ajoute Emon, la troisième guerre de'clarée aux infi-
dèles ;Ja première avait été dirigée contre les Sarrasins, la
seconde contre les Albigeois ; on prit la troisième croix contre
les Stadingues.
Les dernières pages du livre ne présentent que des consi-
dérations morales, et des dissertations philosophiques ou
théologiques sur l'ame et le corps, sur la résurrection , l'enfer Ibid. , p. 496-
et le purgatoire. Ces sujets ont été mieux traités par d'au- ^°^'
très écrivains; mais nous avons distingué, dans les parties
réellement historiques de l'ouvrage d'Ëmon, des articles
originaux plus ou moins instructifs. C'est encore parmi les
chroniques rédigées dans la première moitié du xiii« siècle,
l'une de celles ou il est possible de recueillir çà et là d'utiles
documents, au milieu de beaucoup de récits arides, stériles
ou fabuleux. Elle aurait pu hous arrêter un peu plus long-
temps, si elle avait mieux appartenu à l'histoire littéraire
de la France. Nous n'avons pas cru devoir la passer tout-à-
fait sous silence, les écoles de Paris et d'Orléans étant du
nombre de celles que l'abbé de Verum a fréquentées dans
sa jeunesse, et les Pays-Bas tenant d'ailleurs de fort près à
nos provinces. Cette chronique a été, d'après les manuscrits
conservés en Frise, imprimée pour la première fois dans le
tome troisième des Analectes d'Antoine Matthieu. Le pré-
montré Hugo en a donné, après de nouvelles recherches, leciaT^B^'eqq
une autre édition en 172.5 , dans le premier tome de ses Mo- in 8°'.Hagaecoin!
numents d'antiquité sacrée. L'ouvrage est suivi, dans l'ua et '7io, 10 tom.,
l'autre recueil, de ses deux continuations, celle de Mcncon et sac^aDiinoi-
celle de l'anonyme. ^ tatis Monumen.,
Fabricius demande si Emon , abbé de Verum, est le même ^'"'«g''» 'v^S ,
qu'Emmo, auteur d'un livre sur la vie future : De qualitate i^^ZioZ ' ''
vitœfutune, cité par Sander parmi les manuscrits conservés Bibiioih.med.
en Belgique.** Il y a peu d'apparence, à moins pourtant que <=' '"f- 'a'- , «• H,
cet opuscule ne soit une copie des dernières pages de la ** BaiiioiJi rass'
chronique, qui traitent principalement de l'immortalité de Beig.p. 271.
l'ante. C'était peut-être cet Emmo ou un troisième Emon
qui avait rédigé trois livres d'extraits de la Bible et des saints
Pères : Lihri très expratis SS. Scripturanim et Patruni sen-
tentiis excerpti. On n'en connaît que la préface, qui a été pu-
i84 PHILIPPE DE GREVE,
bliee par Dom Martene, d après un manuscrit du xiii siècle.
Thesaur. nov. Elle est adrcssée au très-révërend père en J. C. Guillaume
^^"^c«a ^'*^'''" ( If^illelmo ), qui n'est pas autrement désigné. On voit seu-
lementquilsagitd un personnage qu> avait renonce aux biens
et aux honneurs de ce monde pour se vouer à la piété, et que
c'était afin de lui obéir ou de lui complaire, que ces extraits
avaient été entrepris. Cette préface est d'ailleurs fort courte;
elle annonce trois livres dont le premier concernera la patrie
céleste: Qualitatem cœlestis patriœ ; le second, les saintes œu-
vres par lesquelles s'acquiert l'éternelle félicité; et le troisième,
les supplices des damnés : De qualitate suppUcii. C'est bien le
même sujet que celui qu'indique d'une manière plus générale,
le titre transcrit par Sander : De qualitate vitœ Juturœ ; c'est
même à peu près l'objet des réflexions qui terminent les récits
d'Emon de Verum. Mais il est ici question de trois livres com-
posés de sentences ou pensées, extraites des docteurs de l'Eglise
et des Saintes Ecritures; par conséquentd'un recueil qui devait
avoir plus d'étendue et d'autres formes que les ouvrages ou
opuscules précédents. D.
PHILIPPE DE GREVE,
CHANCELIER DE L'ÉGLISE DE PARIS.
noRT en 1237.
Chron.
Lj'annÉe où naquit Philippe de Grève n'est indiquée nulle
part ; mais Albéric de Trois-Fontaines dit qu'il était de Paris
iiaî*^"" "'" t't neveu de Gauthier l'Ancien, qui avait rempli l'office de
camérier. Philippe devint, en 1218, chancelier de l'église
de Paris, après maître Etienne, successeur immédiat de Jean
de Candelis. Nous avons parlé des démêlés de Jean avec
la Fi'*' t'xvii^ l'Université parisienne : ils se rallumèrent sous Philippe,
p. uoï. ' qui , s'autorisant d'un règlement du légat Octavien , et ne
tenant aucun compte de celui de Robert de Courçon , me-
naçait d'excommunier les étudiants et les maîtres , s'ils
osaient former des associations et contracter des obligations
communes, sans son consentement ou celui de l'evêque.
L'Université demandait communication du statut d'Octa-
vien, et, n'obtenant rien du chancelier, elle eut recours au
pape. Philippe méprisa cet appel : soutenu par les vicaires de
CHANCELIER DE L'ÉGLISE DE PARIS. i85
„ , , ., • «• ^™ SIÈCLE.
levêque, alors absent, il excommunia en effet les maîtres
des arts libéraux et leurs écoliers, suspendit les professeurs
de leurs fonctions, et fit emprisonner plusieurs étudiants.
L'évêque de Senlis , Guérin ; le doyen et plusieurs chanoines
de Paris s'employèrent en vain pour le fléchir: il fallut
qu'Honorius III intervînt. Une bulle pontificale réprima en
1219 l'entreprise, ou, comme il est dit, Xinsolence du chan-
celier et de ses complices, cancellarii ipsius ac sociorum inso-
/e«fi(3m. Personnellement offensé de ce qu'on avait témoigné
si peu d'égards pour un appel au saiiit-siége, le pape se
déclarait le protecteur de cette Université parisienne', qui,
disait-il , répandait les eaux salutaires de la doctrine, arrosait
et fécondait les terres de l'Eglise catholique : Studium pari"
siense quod doctrinœ suœfiuenta usquequaquam diffundens,
universalis Ecclesiœ terrant irrigat et fœcundat. Il chargeait
l'évêque, le doyen et le chantre de Troyes, de proclamer
l'aniiulation de la sentence prononcée par le chancelier, et
de toute excommunication qu'on oserait lancer à l'avenir
contre l'Université, sans un mandat spécial du siège aposto-
lique. Il était enjoint à Phihppe de Grève et à ses consorts
de comparaître, le premier en personne, les autres par pro-
cureurs, devant la cour de Rome, au jour de l'octave de
saint Michel , pour se justifier ou pour subir les peines qu'ils
avaient méritées. Injungatis cancellario et sociis ejus, ut ipse
cancellarius- personaliter , complices verb ejus per procura-
tores idoneos , in octavis beati Michaelis proximis, quas eis
diem peremptorium assignavius , apostolicœ sedis conspectui
se reprœientent , ut super prœdictœ temeritatis excessu , si
potuerint , se excusent, aut meritam sentiant ultionem. Nous Du BouUy ,
ne voyons cependant pas que Philippe ait été si sévèrement HistUniv. Paris,
iueé. Peut-être dut-il les ménagements qu'on eut pour lui à '" l^ '"'."^ „^^."
1 intercession de labbe de Premontre, Gervais, qui écrivit del'Univ., 1. 1,
en sa faveur à Honorius et à un cardinal. Ces deux lettres p- 287-291.
supposent que le chancelier part pour Rome, et sont les ,j Monùm "'
seuls indices que nous ayons de la réalité de ce voyage : Ger- i, p. 14, 1 5, 78.
vais à'étonne qu'un théologien si savant, si dévoué à l'E-
glise, si digne de la bienveillance du souverain pontife, soit
obligé de l'entreprendre pour répondre aux calomnies de
quelques pervers. Ce qui est surtout à remarquer, c'est que
l'évêque et le chancelier de Paris continuèrent de s'attribuer
les mêmes pouvoirs sur les maîtres et sur les écoliers de l'U-
niversité.
Tome XFIII. A a
1 5 *
i86 PHILIPPE DE GREVE,
XJII SIÈCLEi ^, .,• , . , . A ,, • Tr r ••
Philippe s attira bientôt d autres ennemis. Vers 1224, 11
déclara la guerre aux moines mendiants qui avaient ouvert
des écoles publiques : il entreprit de les exclure du corps
enseignant, et de ne leur laisser d'autres disciples que leurs
jeunes confrères au sein de leurs communautés. Ces nou-
veaux ordres religieux jouissaient alors d'une grande faveur:
la cour de Rome les protégeait; Grégoire IX, en 1227, première
année de son pontificat, recommanda par une bulle spéciale
Oudin, Corn. Ics prédicatious et les leçons des dominicains. A cette même
.k- scr. cccies. , époquc , ce papc accueillit une réclamation des chanoines
1 iii.p. '2"^— réiiuliers de Sainte-Geneviève, que Philippe de Grève avait
l>iiBoulay,t.III, o _ , , ^ T rr ,
p. 123, 114. aussi mécontentes, en ordonnant aux proiesseurs en théo-
logie et en droit canon de s'obliger par serment à n'enseigner
qu'entre les deux Ponts, et non sur la Montagne ni en d'autres
lieux. Grégoire IX chargea l'abbé de Saint-Jean des Vignes
et l'archidiacre de Soissons d'examiner cette affaire, et an-
nonça, tant à ces deux commissaires qu'au chancelier de la
cathédrale de Paris, l'intention de maintenir les genovéfains
en possession de tous les droits que réclamaient l'honneur
et les intérêts de leur monastère. On voit par le détail de ce
nu Boulay , démêlé, qu'il y avait dès lors deux chanceliers, celui de
■b'd., pag. 124- Sainte-Geneviève qui donnait la permission d'enseigner sur
la Montagne, et celui de la Cathédrale qui entendait se réser-
ver à lui seul le droit d'instituer ou d'autoriser les professeurs
de droit canon et de théologie, et qui d'ailleurs ne voulait
permettre ces deux enseignements qu'errtre les deux Pont*.
Ces restrictions n'avaient pas lieu à l'égard des deux facultés
de la médecine et des arts. Nous ignorons s'il intervint un
jugement pour affranchir les théologiens et les décrétistes
des entraves que prétendait leur imposer Philippe; mais les
Hist. de lu- f^its prouvent, ainsi que Crevier l'observe, que cette entre-
lliv., t. I,p. 2f,3. ' ^ 1 • ' ^
' ■' prise n eut pas un plein succès.
On sait quels troubles éclatèrent en 1229 au sein de l'Uni-
chioii. deFé- vcrsité de Paris. Les étudiants avaient comtois, durant les
delvimufort^d" i^^^^ g^'^s, d'impardounablcs délits; mais la reine Blanche
Bern. Guido'nis, prit coutre CCS jcuncs gens des mesures si sévères , que plu-
ann. nîfj— M. sicurs d'cutrc eux ayant été emprisonnés, blessés, noyés,
massacrés, presque tous les auti'es s'enfuirent et se dispersè-
rent en diverses parties du royaume, quelques-uns même
en des pays étrangers. Les maîtres épousèrent la cause des
disciples, interrompirent leurs leçons, et pour la plupart dé-
sertèrent aussi la capitale. Ce fut 1 occasion de l'établisfiemetit
Paris, etc.
CHANCELIER DE L'ÉGIJSË DE PARIS. 187
ou de l'accroissement des Universités d'Orléans, d'Angers,
de Poitiers, de Reims et d'Oxford. Les dominicains profitè-
rent de ces conjonctures pour se créer à Paris des chaires de
théologie; une première, en i23o,en l'absence du chancelier
Phiiippequi lui-même avait pris la fuite; une seconde, en is3i,
après que la pacification générale des écoles eut amené un
accord particulier entre ces religieux et lui. Il ne tarda point
à se repentir decette réconciliation; il redevint plus que jamais
leur ennemi, et resta exposé, ])endant les six dernières années
de sa vie, à leurs implacables ressentiments.
L'Université parisienne, après deux ans d'exil, reparaît
et refleurit en i23i : elle obtient de Grégoire IX une bulle
de réformation et des garanties nouvelles contre les entre-
prises soit du chancelier soit de l'évêque. Le pape écrit
au roi Louis et à la reine Blanche, pour leur recommander
les intérêts des maîtres et des étudiants. Ces pièces et quel-
ques autres actes pontificaux relatifs aux écoles de Paris,
contiennent des détails, desquels Du Boulay crqit pouvoir Hisi.Univ.Pa-
conclure qu'on distinguait des lors les grades de bachelier, ','/3.'_ cre?ier'
de licencié et de docteur; qu'il était défendu d'exiger des hIsi. de runiv. |
candidats ou postulants aucune sorte de rétribution; que la • ii p- 345-Î49-
division en nations s'appliquait aux facultés de droit canon
et de théologie comme aux deux autres; qu'entre les statuts
de l'Université, les uns concernaient le régime intérieur de
l'enseignement, les autres la conduite des étudiants hors des
écoles.
Cependant Philippe de Grève [)ersistait à défendre ses
droits de chancelier et ceux de son évèque contre l'Université,
contre les genovéfains, surtout contre les moines mendiants,
auxquels le pape octroyait de nouveaux privilèges, en laSa; „.^^",'[ "°"'^^ '
et, quoique ces querelles dussent occuper assez son activité, p 1/,7-14'g'
il lui restait du zèle encore pour combattre et poursuivre les
hérétiques. Lorsqu'on en brûla quelques-uns à Châlons-sur-
Marne, en i235, il assistait à leur supplice avec le frère Ro-
bert; l'un et l'autre peut-être en qualité de commissaires. Aiber., chron.
Mais cette année i235 est encore plus remarquable dans ^^^- '*^-* '?=•?•
l'histoire de sa vie, par la vivacité qu'il mit à défendre la
pluralité des bénéfices. Cette question, qui s'agitait depuis
quelques mois, fut solennellement décidée dans une assem-
blée de docteurs séculier^ et réguliers, qui se tint à Paris,
et au sein de laquelle la pluralité des bénéfices ecclésiasti-
ques ne trouva que deux partisans, le chancelier et Arnold,
A a 11
i88 PHILIPPE DE GREVE,
xni siÈcu.. , . , » 1. . • T^i •!•
depuis eveque d Amiens. Philippe est a ce sujet amèrement
DeÂpibus,!. ccnsuré , non seulement par Thomas de Cantimpre, mais
I,c.i9, D. 5. aussi par Albert-le-Grand , et d'après celui-ci par Jean
mentis * ""*' Raulin. Un chapitre de dominicains , tenu en 1 238, réprouva
Doctrinale Mor- pareillement, et avec encore plus de sévérité, l'opinion du
tis.,trac. 3,c. 3. chancelier de Paris; mais il était mort le aS décembre 1287,
ia38*"n ^is"— ^^ ^'^^ ^^ pourrait placer son décès en laSS, qu'en faisant
FUI. de la Chaise, Commencer l'année à Noël. On raconte que, malgré la sen-
viedeSt.-Louis, tcncc dcs doctcurs , Philippe garda obstinément tous ses
aiq 's5o' ' '' bénéfices; et qu'à sa dernière heure, lorsque son évêque
l'exhortait à n'en conserver qu'un seul pour ne pas com-
' promettre son salut éternel, il répondit qu'il était bien aise
Thomas Can- d'en faire l'expérience, experiri se velle. Sa damnation est
timp., loc. cit. affli-m^e, racontée même par Thomas de Cantimpre. « Peu
— Meyer.Ajinal. . . ^ ,, ri'i j- ,..«
Fiand.,1. VIII. " de jours après le 2D décembre, dit cet ecrivam, une om-
« bre noire apparut à l'évêque de Paris, Guillaume, qui lui
« demanda qui elle était. «Je suis, répondit-elle , votre mi-
« sérable chancelier, damné pour trois causes, ma dureté
« envers les pauvres, le grand nombre de mes bénéfices et
« le dérèglement scandaleux de ma conduite. Tertia est et
« illa gravissima omnium , quod abominabiU carnis vitio in
« multorum scandatum miilto tempore laboravi. » Nous de-
vons dire qu'il ne subsiste aucun autre témoignage , aucun
autre indice de ce dernier fait, qui sans doute serait le plus
grave; et nous pensons que la vraie cause pour laquelle Phi-
lippe est damné par Thomas, est celle dont Thomas s'ab-
stient de parler ici; l'inimitié mortelle qui avait éclaté entre
le chancelier et l'ordre des frères prêcheurs. Les contes que
nous venons de rapporter, et qui conviennent tropà l'esprit du
moyen âgepourqu'il nous ait été permis de les omettre, peu-
vent sembler démentis parle soin que prit l'évêque Guillaume
de faire inscrire une épitaphe sur le tombeau ae Philippe de
Aiber. chron. Grève, enterré, dit- on, chez des franciscains. Toutefois il
n'est question, dans les six vers rimes de l'épitaphe, que des
richesses, des dignités, des honneurs du défunt, et nulle-
ment de ses vertus :
ann. \-i!\- , pa
S61
Census , divitiae vivent! quid profuêre.*'
Si caream requie, nil possunt ilia valere.
Me modo terra tegit, leget et te, te precor, ora
Ut mihi sit requies ; sit et haec tibi raortis in horà.-
Gran e ron. q^j ^^^ novisfi , nunc hîc sois membra recondi ^
^j', Dicere qui potens , sic transit gloria mundi.
XIII SIKCLE.
CHANCELIER DE L'ÉGLISE DE PARIS. 189
Ses ouvrages n'ont pas joui, même de son temps, d'une
réputation fort brillante; ils sont aujourd'hui presque ignorés.
C'étaient principalement des sermonset descommentairessur
des livres de la Bible. Quelques manuscrits de ses sermons ont
été vus par Montfaucon au Vatican et au Mont-Saint-Michel. Bibi.biiji.mss.,
Il s'en conservait de pareils en plusieurs abbayes cistercien- '-''P; 'oj.i h.
nés. La Bibliothèque de Saint-Germain-des-Prés en possédait "' ' ''^'
un sous lenuméro 677. Il en existe à la Bibliothèque du Roi, Oodin.Comm.
avec le titre de Sumrna sermonum , sous les numéros 2843, «'«Smpi.eccies.,
3282, 3543, 354'J. Une grande partie de ces discours corres- •?■'*'
pond à la série des dimanches et des fêtes de l'année ecclé-
siastique : Sermones dominicales et festivi ; c'était le titre
d'un manuscrit de l'abbaye de Jumièges, ainsi que de celui Montf.,Bibl ,
qui à Saint-Victor était coté QQ. 21, et auquel un biblio- ijibi. mss., 1. 11,
tnécaire avait attaché fort mal à propos le nom de l'évêque "' '^'*'
Guillaume, qui n'a jamais été chancelier, et dont on a les
sermons très- différents de ceux-là. Un manuscrit in-folio, ^ „ ..
sur vélin, du monastère de Vauluisant, contenait, aprèsune comm. s'èripi.'
longue table alphabétique des matières, les sermons de Phi- eccies.,t. m, p.
lippe de Grève, depuis le premier dimanche de l'A vent jus- 'M;,.',*^' ...
. !• 1 1 r» 1 • • » /p f •• • telibien.Hist.
qu au dimanche des Hameaux : la suite, jusqu au a4 dimanche de Paris, t. i,p.
après la Pentecôte, remplissait un autre volume qui se ter- »9a-
minait par la formule : Explicit secunda pars Omeliarum
cancellarii. Ces prédications portent aussi le nom d'homélies
dans quelques manuscrits de la Belgique, indiqués par San- Bibi mss.Beig.,
der , et dans un manuscrit de la cathédrale d'York. Celui qui part, i , p. 1 1 1 ,
est numéroté 3544, à la Bibliothèque du Roi, a pour titre : part. 11, p. 238.
ctermones Jestivales. il y a souvent deux ou trois sermons Angi.,partiv
pour un seul dimanche ou pour une seule fête de saint ; nous p- 3?
n'en déterminons pas le nombre total qui ne paraît pas être
le même dans toutes les copies. Sander en cite une particulière
du discours sur saint Jean-Baptiste.
Le chancelier Philippe a laissé de plus 336 sermons sur
le psautier, deux ou trois sur chaque psaume. On en con-
naissait des copies manuscrites à Saint-Martin de Tournav,
à Camberon, à Vauluisant, à Saint-Évroul, à Saint-Germain- sander ti
des-Prés, chez les dominicains de Clermont en Auvergne; p. 92, 134, 36a!
mais ils ont été imprimés deux fois, d'abord à Paris, chez FéUbien, lo..
Bade,en i533,in-8°;«puisàBre8cia,chezMarchetti,en 1600, "^"^lonif uji,!
dans le même format. Ils consistent en explications mysti- bibi msi.', 1. 11!
ques, qui n'éclaircissent jamais les textes; et quoique Henri p «333, 1354.
de Gand les ait autrefois déclarés fort utiles aux prédicateurs, ^^^^ ^"^^ "'
illl SIECLE.
190 PHILIPPE DE GRÈVE,
la vérité est qu'on ne saurait y puiser aujourd'hui aucune
instruction réelle. On leur pourrait donner presque indiffé-
remment le nom de sermons ou le nom de commentaires; et
il en est de même à l'égard de ce que Philippe a écrit sur les
évangiles, manuscrit du Roi, fonds de Colbert; manuscrit
Cataiog. inss. de Cambridge, numéro io3.
Angi part. III, Philippe de Grèvc a aussi commenté les lamentations de
1). 1703. ,.rr, . .,, ..... ,
Sand.'.p. I, p. Jeremie; c est du moins ce qui resuite des indications don-
r)î,(jî,i 11,362. nées par Sander, de certains manuscrits conservés en Bel-
Appar. sac. , giqug. Posscvin et Leiong lui attribuaient une explication du
Jîibl. saci., p livre de Job, déposée dans la Bibliothèque de la cathédrale
753. de Cambrai; mais M. Le Glay en examinant ce manuscrit,
Calai. des mss. ^ rccounu i'ouvra£îa du prêtre Philippe, disciple de saint
lie Cambrai, p. .^ m . 7 • • 1 • • r ? f? ■
H,, Jérôme : Philippi presbyteri m nistonani Job ^ lion trcs ; ou-
Fabrio., Bibi. vrage imprimé à Baie, en iSaj, in-folio; inséré depuis dans
med^tt in . al., | ^,,pyçji j^g œuvrcs de saint Jérôme, et avec des variantes,
111-4 , I. > , pag. 1 ' L 1 >
■xij-, 198. parmi celles de Béda : le véritable texte n en est peut-être pas
Bibl.n.ss.Beig, eucorc bien établi.
pait. ,p. iM Sander est, à notre connaissance, le seul qui ait cité un
traité du chancelier Philippe sur la manière d'exhorter et de
traiter les moribonds : Libellas de modo exhortandi et fa-
ciendi de Ulis qui in agone et articido mortis laborant. Mais
on a indiqué plusieurs copies d une Somme de théologie
composée par cet auteur : il s'en trouvait dans les bibliothè-
ques de l'abbaye des Dunes, de Saint- Antoine de Padoue, de
Sander t. i,p. j^ Sorboiuic, ct du Collège de la Madelaine à Cambridge.
.Suppi~ p."^^"' Cette compilation scholastique est du grand nombre de celles
'\T,- qui n'ont pas été jugées dignes de voir le jour,
chion ann. Albéric dc Trois-Fontaiiics nous apprend qu'en i233, le
r,^3 ' ''■ ' ''■ chancelier Philippe écrivait l'histoire du saint clou que
possédait l'abbaye de Saint-Denis, et des prodiges qui s'ac-
complirent lorsque , ayant été perdu, il fut miraculeusement
retrouvé. Dom Félibien dit (|ue Tillemont, dans sesMémoires
manuscrits. sur la vie de saint Louis, parle avec éloge de
cette relation dont il existait des copies en quelques biblio-
Hisi. de l'ab- thèqucs; mais Félibien avoue qu'il n'a pu fa découvrir nulle
baye de St.-De- p,irt, quoiqu'il l'ait soigneusement recherchée.
OIS, p. 2 2, note. jj jjçjyg reste à faire mention d'un livre que, sur la foi de
caiaiog. mss. dcux manuscrit» d'Angleterre, on a voulu attribuer à Phi-
.4n^i , p.iii. I, p. ijppg jg Grève; c'est celui qui dans les œuvres d'Albert-le-
Grand a pour titre : Spéculum astronomicum in quo de libris
licitis et illicitis. Ce traité porte le nom d'Albert dans un bien
CHANCELIER DE L'ÉGLISE DE PARIS. 191
XIII SIÈCLE.
plus grand nombre de manuscrits, et nous n'hésitons point
à dire qu'il appartient en effet à ce théologien célèbre,
comme l ont cru Pignon, Valleoleti, Gerson, et d'après eux
les auteurs de l'histoire des écrivains de l'ordre des frères script. ordin.
prêcheurs. Prœd., 1. i, p.
On vient de voir que le seul ouvrage imprimé de Philippe '^'' ''"'
de Grève est le recueil de ses discours sur les psaumes. Ce
n'est pas un titre littéraire d'une haute valeur. Cependant le
chancelier a passé, durant sa vie, pour un personnage très-
savant. Ses sermons surtout avaient de la vogue; il figure
dans la liste des prédicateurs de cet âge, avec l'évêque Guil-
laume, Hugues de Saint-Cher, Nicolas Byart, Guilbert de
Tournay, Robert Sorbon et Guiard de Laon qui, en laSr»,
devint, après Philippe, chancelier de l'église de Paris, et fut
depuis évêque de Cambrai. Philippe de Grève ne saurait être
confondu avec Philippe, archidiacre de Bourges, l'un des
■docteurs qui signèrent la condamnation du Thalmud; car ce
décret est de l'an 1248, et le chancelier Philippe était mort
en laSy. D.
PHILIPPE,
FRÈRE PRÊCHEUR.
Lje frère prêcheur Philippe est l'un des premiers qui ait fait
profession dans cet ordre religieux. On ne sait ni en quel
temps ni en quel lieu il était né. On peut le supposer Ita-
lien ; car il est probablement le Philippe que les dominicains
de Bologne et leur prieur Ventura chargèrent, en i233, de
faire comparaître devant les commissaires délégués par le
f>ape Grégoire IX, les témoins de la vie et des miracles de
eur fondateur Dominique qu'il s'agissait de canoniser. Phi-
lippe s'acquitta parfaitement de cette commission : les dépo-
sitions des 9 témoins qu'il produisit ont été recueillies par
Bernard Guidonis , et publiées par Quétif et Échard , d'anrès c
■ ■ l ,. ^ r< r 0/ "H»c3 Script, ordin.
un manuscrit qui existait a Larcassonne. En i234, «n cha- Fr. pridic. 1. 1,
pilre général tenu à Paris nomma Philippe provincial des P- 't4-56-
maisons que l'ordre commençait à posséder dans la Terre-
Sainte. Il a exercé cette fonction jusqu'en 1288, époque où
Vers u38.
iqa PHILIPPE, FRÈRE PRÊCHEUR.
XHl SIÈCLE.
il vint l'abdiquer au sein d'un chapitre à Bologne. C'est ce
qui fait que nous le plaçons ici sous cette année; et la men-
tion que nous faisons de lui, n'a d'autre motif ou d'autre
excuse qu'une épître qu'il adressait en laSy à Grégoire IX;
elle nous a été conservée par Albéric de Trois -Fontaines,
et avec des variantes et une addition par 3Iatthieu Paris,
ibid. ,p. io3- Quétif et Echard l'ont reproduite avec son intitulé : Litterœ
''^^- Tïiirabiles fratris Philippi, prions transmarini, de fide Ja-
cobitanorum , et niultis aliis , et de septuaginta provinciis
patriarchœ Jacobitanorurn subjectis. C'était ^ aux yeux des
dominicains, un monument précieux des rapides progrès de
leur ordre, dès son premier âge, du zèle et du succès avec
lesquels leurs plus anciens confrères accomplissaient des
missions lointaines. Mais cette épître concerne aussi l'état
des églises d'Orient; seulement on ne sait trop quelles
sont les 70 provinces que Philippe place sous la juridiction
du patriarche des Jacobites, à moins qu'il n'applique ce mot
de provinces à des diocèses ou même a de grandes paroisses.
Quoi qu'il en soit, il annonce la conversion de ce patriarche,
qui va, selon lui, entraîner celle de tous les schismatiques
auxquels il est préposé. Ces félicitations étaient prématurées :
soit que le patriarche n'ait pas vécu assez long-temps pour
tenir toutes ses promesses, soit qu'elles fussent mensongère
ou dictées seulement par le besoin d'être défendu contre les
Sarrasins; il est trop sûr que les Jacobites persévérèrent,
après 123^, dans leurs erreurs et dans leur schisme. D.
SIBRAND,
HORT.i. n38. ABBÉ DE MARIE-GARDEN.
Lje monastère dont Sibrand fut abbé s'appelait Hortus~
«ii!i Bef"^ Sanctœ-Marice , ou en langue ordinaire Marie-Garden , selon
808. ' Valère André; il appartenait à l'ordre des prémontrés. Saint
Boiiand.mart,, Frédéric Hallem le fonda en 1 163, dans la Frise occidentale,
< i,p 289. ^ ^^ mille et demi de la ville de Leuwardes, dans le diocèse
d'Utrecht, et, après l'avoir administré treize ans, il mourut.
Sibrand, qui fut le sixième abbé de ce monastère, était un
homme très-savant et d'une grande piété. La Bibliothèque
SIBRAND, ABBÉ DE MARIE-GARDEN. igS
j -. , , ,,.,..,. XIII SIECLE.
desPremontres nous apprend qu il avait attire dans son mo-
nastère un autre Frédéric qui s'était acquis une grande repu- Lepaige.Libi.
-,,!,.. ^ " ' ., ord. pia-m., Iib
tation par sa profonde érudition , et que par son moyen il j^ p.3,,6.
avaitétabli dans sa maison unesorted'académie, dans laquelle
on étudiait, le matin , les poètes, les historiens et les autres
auteurs profanes, et l'après-midi les livres saints et les écri-
vains ecclésiastiques. Cette petite académie devint très-floris-
sante, et elle attira à Marie-Garden une nombreuse jeunesse,
qui venait y puiser l'érudition. Sibrand, après avoir ainsi
partagé sa vie entre les exercices de piété et l'étude des lettres,
mourut en 1288.
Cet abbé a laissé deux opuscules, savoir: la vie de saint Oudin,i. m,
Frédéric Hallem, dont nous avons parlé, et celle de saint p- «06.
Siard, cinquième abbé de Marie-Garden et prédécesseur de
Sibrand. Siard était mort en laSo; ce qui nous apprend que
Sibrand gouverna huit ans son abbaye.
La vie de saint Frédéric Hallem, qui se trouve dans le Boiiand., lor.
Recueil des Bollandistes, et qui y remplit huit pages, est f"
divisée en trois chapitres. Dans le premier, l'historien fait
connaître la jeunesse du saint, son sacerdoce, son zèle pas-
toral, ses miracles; dans le second, il dit ce qui donna lieu
à son entrée en religion , les monastères qu'il fonda , celui de
Marie-Garden pour les hommes, et celui de Bethléem pourles
femmes. Le troisième expose l'histoire de sa mort, de sa sépul-
ture et de ses miracles posthumes. Cette petite biographie,
écrite avec clarté et simplicité, pourrait être renfermée en ce
peu de mots: « Le bienheureux Frédéric, premier abbé et fon-
« dateur du monastère de Marie-Garden, de l'ordre des pré-
ce montrés, après s'être fait remarquer par ses vertus et par
« ses miracles, après avoir attiré et affermi bien des âmes dans
« la religion , rendit avec joie sa belle aine à Dieu au milieu
« du chant des hymnes et des psaumes; et son intercession
« auprès de Dieu opéra plusieurs miracles. » ^.^ " ■'^*'g-.'o<^
La vie de saint Siard, que Sibrand a écrite, et que lui at- oudin , ,d(
tribuent Valère-André , Oudin, Vossius, le P. Lepaige, etc., Script., loc. cit.
n'a pas pu venir à notre connaissance, parce qu'elle était ,, y°ri"^' P^
destineea taire partie du recueil des Bollandistes que cesecri- Bibi. pra.m. ,
vains ont laissé incomplet. Elle devait être placée au treize '"^' cit.
de novembre, mais leur ouvrage s'arrête à la fin d'octobre. . "''"'■' J""
/". • / • "1 1 1 M 1- 1 > i f>i''s,t. I, p.967.
Cette vie est restée manuscrite dans quelque bibliothèque de c.
la Belgique; lesBollandistes l'ont promise en deuxendroitsde «oiiand., lu
leur recueil. P. R. S f ''"'''
Tome XV m. B b
XIII SIECLE.
MORT vers ii4o.
CÉSAIRE D'HE[STERBACH.
Heisterbach est le nom du monastère cistercien où Cësaire
Oudin, Com. a cmbrassé la vie religieuse. Il avait étudié à Cologne, et
de Script, ecci. , peut-être y était-il né; on manque de renseignements précis
t III, p. 80.— j jjgjj g^ ]yg encore sur l'époque de sa naissance. Mais
Manriq. , Annal. 11 ■ - "I » •» 1 • • o
tisterc.,«D.ii99, il uous apprend lui-meme qu il était bien jeune encorecu 1102,
r V, n. I. lorsqu'il entendit le cardinal Henri prêcher la croisade, et
Dialog., 1. IV, j^ ^j^ distribuer des croix dans l'église de Saint- Pierre de
Cologne : Tandem in ecclesiâ S. Pétri Coloniœ , adhuc puer
audivi crucetn prœdicantem et plurinios ibidem vidi signan-
ibid., I. x,c. tcm. Il raconte ailleurs comment, en 11 99, étant encore éco-
44- lier, adhuc scholaris parvulus , il fut subitement guéri d'une
maladie grave. « Ma tante maternelle , dit-il , avait acheté une
« petite paysanne que l'on baptisa, parce qu'elle était âgée
« d'environ dix ans; et ma mère m'ayant enveloppé dans le
« linge encore mouillé qui venait de servir à ce baptême, dès
« le premier contact, une sueur abondante me rendit la
« santé. » Contigit ut quœdam puella quam matertera mea
pecunià comparaverat , haptisaretur : habebat enim circà
deceni annos œtatis. Suasum est matri meœ ut eodem lintea-
mine guo illa de baptismo exierat , me invoh'eret. . . Attacta
illius mox in sudorem erupi et convalui. INous citons ces pa-
roles, moins comme un exemple de la pieuse crédulité de ce
temps, qu'à raison des notions qu'elles peuvent fournir sur
l'état des personnes et sur la manière dont le baptême s'ad-
ministrait. En cette même année 1199, Césaire, en allant à
Cologne avec Gérard, abbé du Mont Saint- Valburge, apprit
de ce religieux la vision dont la sainte Vierge , sainte Anne
et sainte Marie-Madeleine, avaient favorisé des moines oc-
cupés aux travaux de la moisson. Elles étaient venues dans
la vallée essuyer leurs sueurs, et agiter l'air autour d'eux,
monachorum sudorcs terserunt ,JlabelUs manicarum suarum
Ibid., 1. 1 f. ventum admoverunt. Il ne fallut que ce récit pour opérer ou
17. ' ' achever la conversion du jeune Césaire, c'est-à-dire (car tel
est le plus souvent le sens de ce mot dans ses écrits) la réso-
lution d'embrasser l'état monastique. Il renonça donc au
monde et à un canonicat qu'il possédait, et entra comme
novice à l'abbaye d'Heisterbach dans le diocèse de Cologne.
CESAIRE D'HEISTERBACH. ig5
1 , n . , • ,0 I r X"I SIÈCLE.
il nomme deux de ses confrères de noviciat, Godeiroy et
Bénécon, loue la persévérance d<i premier, et déplore l'in- ibid.,1. iv ,
constance du second, qui mourut abandonné de ses proches, c. 49.
parce qu'un vent violent et une nuée de corbeaux avaient J'^''^-.'- 1. '
effrayé et dispersé tous les autres assistants. Selon Manrique, Àdann. 1 199,
Césaire devait être âgé de ao à aS ans en 1 199 , puisque ap- <=. v, n. 3.
paremment il en avait dix à douze en 1 188, lorsqu'il assistait
aux prédications du cardinal Henri. Cependant il ne s'est
donné que pour un petit écolier, scholaris pan'ulus, au mo-
ment de sa maladie; et c'est laisser bien assez de latitude à
cette qualification, que de l'étendre jusqu'à 18 ou jg ans
Dans cette hypothèse, il serait né vers 1 180.
Il paraît qu'il ne tarda point à passer du monastère d'Heis-
terbach dans celui de Villiers en Brabant, et même à y rem-
plir la fonction de prieur. 11 l'exerçait en 1201 , suivant une
chronique de Villiers citée par Aubert-le-Mire. C est iiar ce Auciar. ccc
séjour en lielgique qu u peut avoir quelque droit a une men- j^i3„,.\„ ^ , m
tion dans l'Histoire littéraire de la France ou tie la Gaule. Il ann. 1201, t. t,
appartient davantage à celle de l'Allematrne, et doit peut-être "• 6— Voss., de
' ' 111 -l 'il- His» lat. Opei. ,
y occuper plus de place qu il ne nous sera permis de lui en , jj 5.
donner ici II avait composé à Villiers, pour l'instruction des
religieux, quelques sermons et deux livres sur ces mots de
l'Apocalypse : iV?^«i/m niagnuTn appariât in cœlo , lorsqu'il
obtint, en 1210, la permission de retourner à Heisterbach ,
où on le chargea de la direction des novices et des frères
convers. U fit pour eux des homélies et d'autres opuscules
qu'il refusait de mettre au jour, persuadé, écrivait-il à son
abbé, qu'ils n'en étaient pas dignes, et qu'il ne convenait
point à un jeune homme tel que lui d'aspirer à instruire des
religieux d'un âge plus avancé. Mais il se soumit aux ordres Mam., t. i\,
de labbé qui exigea la publication de ces écrits. On a remar- "^ ^^^'^ ■^'^•'
que un grand éloge du nouvel ordre des frères prêcheurs,
dans un sermon prononcé par Césaire vers I2i5. Il entre- Diaiog, 1. u,
•^ , . , ' . . I , 1 ^ 1 C. I o et I 1 .
prit, en 1221 , ses dialogues ou récits de miracles : des lors, Manr.t. m, ad
ou du moins en 1222, il n'était plus maître des novices; car ann. nS^, r. u,
il dit que Geoffroy occupait cette place , Godefridus mafrister " ^' ' '^ ' "*
. r^ ■' .r ' . , ^ p •^ , , o ann. laai.c. t,
noi'itiorum nostrorum. Ayant termine ou tort avance la com- n. i.
position des dialogues en 122^, il reprit le travail des ho- Diaiog.,i. x,
mélies, et le continua durant les deux années suivantes. '^' ^f"'
/-, ,. r /• '1 1. j n • , . , Manr., t. IV,
Ce tut en 122,1 ou 1^20 quil reçut 1 ordre décrire la vie de ad ann. i22 5,c.
saint Engelbert. Fleury préfère la seconde de ces dates, et il 3,n. i-5.
raconte que le nouvel archevêque de Cologne, Henri, fut , "'**' *'^'^'"'
T T o 1 ' "• I nxix, n. 20.
Bb2
XIII SIECLE.
sac
na
196 CÉSAIRE D'HEISTERBACH.
sacré dans son église métropolitaine le vingtième jour de
septembre 1226; qu'étant devant l'autel, il ordonna à Césaire,
moine d'Heisterbach, d'écrire la vie de l'archevêque Engel-
bert; que Césaire s'en défendant, Henri commanda à son
prieur, qui était présent, de le faire obéir; que Césaire la
rédigea, dès la même année 1226. Elle était achevée en i22y,
Sandius.Not. j^^gj „yp les.dialogues sur les miracles, l^'auteur les retou-
n yoss..p. 157. , . T o -1 • • r ■
chait en 1207, et, quoique les années suivantes ne fournissent
aucun fait à placer dans sa vie, on peut supposer qu'elle s'est
prolongée jusque vers 1240.
Plusieurs de ses écrits n'ont jamais vu le jour. On ne con-
naît que par des témoignages ou par de simples mentions
^*'°"/'?'''' son livre sur les i5 psaumes appelés graduels, parce qu'ils
:ra, 660, 661. , . i r- i - j ^. i ■^
Trithem.,An- sc chantaient sur les iD degrés du temple; ses 22 sermons sur
1. Hirsaug.t.i, le psaume 118, Deati immaculati in via; ses huit ou neuf
p. 53o, 53t.De ijypg^ sjyp l'Ecclésiastique; ses deux livres sur un texte de
43o. ' ' ' V t>ii^ocA\yi^se\ses Quœstionesquodlibeticœ.\]n m^xwiscTÏX. des,
Psai. cxx- jésuites de Cologne contenait dix pièces dont la seconde,
cxxxiv. intitulée Nomina et actus pontificum coloniensinm , finissait
hist. de la Fr., t. 3 Hcnri de Molenark, mort en 1 207 : si Lesaire en est 1 auteur,
I, pag. 582, D. comme il est permis de le croire, on voit (ju'il a pu vivre
8653. 2. jusqu'en 1240, ou même au-delà. Une vie de sainte Elisabeth
de Schonauge lui a été quelquefois attribuée, ainsi qu'une ré-
futation des hérésies de son temps, et un dialogue sur la station
du soleil, Dialogus modicus philosophicè scriptus de statione
solis sub Josue, et de régressa solis siib Ezecinâ, et de ob-
scuratione solis in passione Christi. On a de lui trois ouvrages
imprimés, savoir: un Recueil de sermons , des Dialogues ou
récits de miracles , et la vie de saint Engelbert.
L'éditeur des sermons est le dominicain Jean André
Coppenstein , qui leur a donné pour titre : Homiliœ super
dominicis acfestis totius anni, sive fasciculus moralitatis. Ils
ont paru à Cologne , chez Henning , en 1 6 1 5 , en trois parties
in-4°i précédés d'une épître oii Césaire présente lui-même
une notice de ses propres écrits. Les homélies ne sont remar-
quables que par les faits miraculeux qu'elles retracent à
1 appui des dogmes et des leçons de morale religieuse.
Entraîné par un goût presque exclusif pour ce genre de
récits, l'auteur s'est donné une bien plus libre carrière dans
les douze livres qui portent le nom de Dialogues. Cette forme
de rédaction n'y est pas réellement employée; mais, ainsi
Ue Script. ec- qyg \q remarque Trithème, Césaire, en leur imposant ce
XIII SIECLE.
CÉSAIRE D'HEISTERBACH. 197
titre, imitait le pape saint Grégoire qui a nommé Dialogues
ses 4 livres sur les prodiges opérés par les saints. La critique
moderne, qui s'est fort exercée sur cet ouvrage de Grégoire,
et qui n'a pas craint d'accuser ce pontife ou d'artifice
ou de superstition , avait assurément plus de prise en-
core sur les prétendus dialogues du moine d'Heisterbach.
Oudin n'y voit qu'un fatras de fables puériles et ridicules : Comm.deScr.
Quàm siinplex fuerit Cœsarius incredendo , quam Jacilis in «ccles. , t. m , p.
Jabidis scripto consignandis , nullus negabit qui' ejusmodi
monachalem farraginem legerit ; nullus leget qui non im-
pense ad tantas fabulas riserit. Les 12 livres sont précédés
d'un prologue qui commence par le texte évangélique : Col-
ligite quœ superaverunt fragmenta. Ce nom de livres est
remplacé dans l'édition de Tissier par celui de distinetions ,
qu4 au xiii^ siècle a été souvent appliqué aux sections d'un
ouvrage.
Chaque division est partagée en chapitres dont le nombre
total est de ^35 : c'est à peu près le nombre des prodiges
racontés par Césaire, comme accomplis de son temps en
Allemagne, principalement dans les monastères cisterciens
de l'un et de l'autre sexe. Nous en avons déjà cité des' exem-
ples , et inséré des extraits dans le précis historique de la vie
de l'auteur. La première distinction traite de la conversion ,
ou, comme nous l'avons dit, des vocations soudaines et mi-
raculeuses à la vie monastique. La contrition et la confession
sont les sujets du second et du 3« livre: on y lit, entre
autres histoires, celle d'une femme dont l'intercession obtint
le don des larmes pour Walter, abbé de Villiers; et celle
d'une autre femme qui fit en mourant l'aveu des relations
qu'elle avait eues avec un démon , se cum dœmone incuba
peccasse. Césaire y parle des hérétiques brilles à Spire, et
trouve que c'était leur rendre bonne ']\xsl\ce , juste actutn est
cum mis.
Il s'agit des tentations et des de'mons dans les livres IV
et V : les possessions, les obsessions et toutes les œuvres
de la sorcellerie s'y présentent comme des faits positifs et
parfaitement avérés. L'auteur y saisit aussi l'occasion d'ap-
plaudir au supplice que des mécréants subirent à Paris.
La sixième distinction est intitulée De simplicitate , et ren-
ferme, au milieu de beaucoup de contes, un article qui
pourrait à toute force passer pour historique ; c'est celui qui
concerne Maurice de Sully s'élisant lui-même évêque de
1 6
igS CÉSAIRE D'HEISTERBACH.
XIII SIÈCLE.
Paris. Nous avons traduit ce récit de Césaire dans la notice
1 c .TV relative a Maurice, mais en exposant les motifs que 1 on a de
la Fr. , t. XV, p. , j^ t .•' r . ^ ' - i
149, i5o. le révoquer en doute. Le septième livre est consacre a la
J^ierge Marie, et raconte ses apparitions. Visions diverses est
le titre du livre huitième; et le suivant a pour objet X Eucha-
ristie, ou plutôt les prodiges auxquels la célébration des
saints mystères a donné lieu : on y voit, par exemple, com-
ment, par un mouvement miraculeux de l'hostie, Jésus-Christ
détourna sa face des yeux d'un prêtre. La dixième distinction
ne s'annonce que comme un recueil de miracles, de mira-
ciilis; c'est le nom qui convient à l'ouvrage tout entier: l'un
de ces miracles est le brisement du soleil, qui un jour se
partagea en trois morceaux. Les deux derniers livres portent
l'un et l'autre le titre : De morientibus ; ils comprennent plu-
sieurs histoires de revenants et d'accidents merveilleux arri-
vés à (les cadavres dans le sein de la terre. Nous n'avons pas
besoin d'ajouter qu'il ne règne aucune méthode dans cet
amas de narrations : la seule succession des titres a suffi pour
le montrer. On a pu juger aussi du fond, des caractères et
Montf., Bibl. du •'tyle de l'ouvrage. Les bibliographes en citent quelques
bibl., 1177 A. copies manuscrites; mais elles méritent peu d'être recner-
'^° ^' chées depuis qu'il en existe d'imprimées. La première édition
a été publiée en i48i , à Cologne, chez Jean Koelhoff,
Panzer, Ann. in-folio. Fabricius en cite une non datée, dont l'existence
typogr.,t. I, p. jjQus paraît fort douteuse , et deux in -8° données à Cologne
288, n. 92. ^1 r 1 I I I - II "
Bihiioiii.mc.i. en I )(^i et 1099- La plus connue et la dernière, est celle que
ri iiif. lat, 1. 1, Bertrand Tissier a fait entrer, en 167a, dans la Bibliothèque
^' ^\^,' . T^ (les Pères de Cîteaux : le tome second de ce recueil est rempli
nihliolll. Pa- .... i r^ ■ ' •
hum cisicrc, I. l>ar ks i-j. dialogues, livres ou distinctions de Lesaire, qui
II- occupent 358 pages, suivies de six pages de notes et appen-
dices.
Les trois livres du moine d'Heisterbach sur la vie, la pas-
sion et les miracles de saint Engelbert, se lisent imprimés
dans les Vies des Saints , de Surius, au 7 novembre. Gilles
Devitissancto .r-. i • i i ■.. J •. j i i ■ /^
ruin Col. 1618. Gelenms lésa reproduits avec des notes dans le volume in^",
qu'il a mis au jour, à Cologne, sous ce titre : P index liber-
tatis ecclesiasticœ et martyr sanclus Engelbertus , cuin an-
nalibus suœ œtatis ex archivis depromptis. Baillet en a extrait
Les vies des cc qu'il a écHt Concernant ce saint personnage. Né au sein
sainis, in-s", t. ci'unc famille noble et opulente, Engelbert, tils du comte de
xi>p- i97-'-»o4- Beppy^ annonça dès l'enfance les plus heureuses dispositions.
Ses parents le destinèrent à l'état ecclésiastique , et lui prO'
CESAIRE D'HEISTERBACH. 199
curèrent, dès qu'il eut commencé d'étudier, un bénéfice dont
il ne faisait pas, de l'aveu de son historien, un très -bon
usage; il se laissait prendre, dit Césaire, aux filets du démon,
et celait l'effet nécessaire de la mauvaise éducation qu'on
lui donnait. Cependant il eut la sagesse de refuser l'évêché
de Munster, s'excusant sur sa jeunesse et sur son incapacité.
L'archevêque Adolphe, qui gouvernait en i2o5 l'église de Co-
logne, ayant abandonné le parti d'Othon de Saxe, pour
s'attacher à celui de Philippe de Souabe, Innocent III ex-
communia et fit déposer ce prélat, qui fut remplacé par
Brunon et peu après par Thierry. Celui-ci tenait pour Othon,
même après que cet empereur eut encouru la disgrâce et
les anathèmes- du souverain pontife. On essaya de rétablir
Adolphe, mais Engelbert qui s'était déclaré contre Othon,
et pour le jeune Frédéric II, convint mieux à la cour de
Rome, et de prévôt du chapitre de Cologne, devint arche-
vêque en 121 5.
Le comte de Clèves et le duc de Limbourg prirent les
armes contre lui : il sut se défendre à la fois par les armes,
selon les habitudes allemandes de ce siècle , et par une
prudence peu commune* En même temps qu'on le repré-
sentait comme un autre Machabée, employant le glaive
séculier au soutien des droits spirituels, on rendait hommage
à sa piété, à l'intégrité de ses mœurs, à ses vertus religieuses,
remarquables encore dans l'appareil magnifique et fastueux
de sa prélature. Frédéric II, qui, en 1220, avait fait procla-
mer roi des Romains son fils aîné Henri, passa peu de temps
après en Italie, et confia la tutelle du jeune prince et la
régence de l'empire à Engelbert. Césaire nous dépeint l'ar-
chevêque de Cologne armé des deux glaives, excommuniant
ou exterminant les rebelles, assurant ainsi le règne de la
justice, recouvrant les domaines et les fiefs dérobés à sa
métropole, l'enrichissant de plusieurs autres biens, con-
struisant des routes , des châteaux , de grands édifices ; levant
des impôts sur le peuple, parce qu'il n'était possible de
maintenir la paix qu'avec de l'argent; achetant pendant la
famine de 1224, des blés qu'il distribuait aux pauvres et sur-
tout aux monastères ; favorisant les deux nouveaux ordres
des frères prêcheurs et mineurs, et les protégeant au besoin
contre les résistances et les plaintes du clergé séculier.
Engelbert avait un cousin nommé Frédéric, comte d'Issem-
bourg, qui, abandonnant son canonicat de Cologne etrepre-
Xni SIÈCLE.
XIII SIECLE.
200 CÉSAIRE D'HEISTERBACFL
nantl'épée, s était (ail a\oué(adi'ocatus) d'une abbaye de fem-
mes. Au lieu d'être le défenseur de ces religieuses, Frédéric
exerça contre elles des violences que l'archevêque eut la fai-
blesse de tolérer. Obligé enfin de les réprimer pour obéir
aux ordres de l'empereur et du pape Honorius III, Engelhert
exhorta vivement son cousin de mettre fin à de si révoltants
désordres, et promit de lui payer de ses propres deniers
une forte pension, s'il consentait à se conduire avec plus
de sagesse. Le comte d'Issembourg ne tenant aucun compte
de ses conseils ni de ses offres , l'archevêque le menaça d'une
répressio.n rigoureuse, en lui donnant toutefois un rendez-
vous à Zoest en Westphalic. Le comte s'y rendit au com-
mencement de novembre laaô, et feignit d'entrer dans des
voies d'accommodement. Quoique averti de se défier de cette
prétendue résipiscence, Engelbert voulut rester à Zoest;
seulement il lit, à tout événement, aux pieds de l'évèque de
jMinden , sa confession générale, comme à l'article de la mort.
A peine était- elle aclievée, qu'il reçut la visite des évè-
(jues de Munster et d'Osnabruck, frères et complices du
comte d'Issembourg. Ils devaient l'un et l'autrcà l'archevêque
tous les avantages dont ils jouissaient dans l'Eglise et dans
le monde; mais ils venaient, sous des formes de civilité, se
mettre au fait des démarches qu'il avait projetées pour les
journées suivantes. Il alla d'abord conférer avec le comte
Frédéiic, et leur entrelien fut si pacifique et, en apparence,
si cordial , qu'ils promirent de se revoir comme de bons pa-
rents et d'excellents amis, à la diète de Nuremberg. Engel-
bert (.levait le lendemain aller à Swelme dédier une église:
le comte qui le savait, posta sur la route une embuscade.
L'archevêque reçut en chemin une lettre qui l'avertissait de
cet imminent péril, et n'en persista pas moins dans la réso-
lution de gagner Swelme: bientôt enveloppé d'une troupe
d'assassins, il expira sous 47 coups d'épée et de baïonnette,
le vendredi 7 novembre 1226. Son corps fut porté au mo-
nastère de Berg, et de là dans l'église métropolitaine de
Cologne.
Chargé, comme nous l'avons dit, d'écrire l'histoire de la
vie et de la mort de ce prélat, Césaire d'Heisterbach en a
composé trois livres, dont les deux premiers sont à nos yeux
ses plus recommandables productions. Ils contiennent les
détails des faits que nous venons de retracer sommairement,
et offrent une instruction véritablement historique. On doit
CÉSAIRE D'HEISTERBACH. 201
Xni SIÈCLE.
savoir gré à l'auteur de n'avoir, en général, ni exagéré les
mérites de l'archevêque, ni trop dissimulé les fautes qui peu-
vent lui être reprochées. C'est même, selon l'historien, parce
que la sainteté d'Engelbert n'avait pas été très -éclatante
pendant sa vie, qu'il a fallu qu'elle fût manifestée par des
miracles après sa mort. Ces procliges fournissent la matière
du troisième livre, auquel nous ne sauriens étendre l'éloge
dû aux deux premiers, et qu'on pourrait plutôt considérer
comme le treizième de l'ouvrage De MiracuUs. Dans ce long
récit des merveilles opérées par l'intercession d'Engelbert,
Fleury ne trouve que deux faits remarquables, l'un que les Hisi. ecdcs.,
laïcs ignorants croyaient leurs vœux plus stricts quand ils ' »i"x,n. ao.
les faisaient en plein air, que sous un toit; l'autre, que dès
lors c'était l'usage d'offrir aux tombeaux des saints des figu-
res en cire, représentant les parties du corps guéries par
leur entremise. Césaire n'hésite point à décerner à Engelbert
le titre de martyr; il l'égale à Thomas Becket; il le préfère
à deux saints évêques de Cologne, Evergille et Agilolphe,
tués par des brigands. On doit observer néanmoins qu'En-
gelbert, malgré son dévouement au saint-siége, n'a jamais
été solennellement canonisé. Mais sa mémoire obtenait à
Cologne quelques honneurs religieux; et les réviseurs du
martyrologe y ont inséré son nom , en ajoutant qu'il n'a pas
fait difficulté de souffrir le martyre pour défendre la liberté
ecclésiastique, et pour obéira l'Eglise romaine. Tout ce qui
résulte du récit de sa mort, c'est qu'il a été la victime des
aveugles fureurs de son cousin Frédéric, et de la perfidie de
deux prélats, ses parents au même degré.
Son historien , Césaire d'Heisterbach , n'en mérite pas
moins une place dans l'Histoire littéraire du xiii* siècle. A la
vérité, il a été peu distingué par ses contemporains; Henri
deCand n'a pas fait mention de lui; mais Trithème, au xv^,
a loué ses mœurs et ses écrits en des termes par lesquels ^^^"'P' *=*
. , . 1.1 des., n. 4j"-
uous terminerons cet article. Cœsanus , monachus in Heis-
terbach , ordinis cisterciensis , natione Teutoniciis , colo-
niensis Agrippinœ diœcesis , vir devotus et in disciplina
regidari prœcipuus , atque in divinis scripturis longd exerci-
tatione stndiosus , composait ad instructionem novitioriini
quorum institutor erat , simplici et aperto sermone nonnuUa
opuscula , quorum lectio devotis et siniplicioribus fratribus
non est spernenda. D.
Tome XVIII. Ce
1 6 «
ÏIIISIÈOLE.
ALEXANDRE DE VILLEDIEU,
.o.„.„,.4«. GRAMMAIRIEN ET POÈTE.
De tous les écrivains qui ont fleuri dans le xiii^ siècle, il en
est peu dont le nom ait été si long-temps répété dans les
écoles. Nous dirons bientôt ce qui lui a mérité une si longue
renommée.
On ne connaît l'année, ni le lieu où il naquit, ni l'époque
précise de sa mort; mais diverses circonstances rapportées
Heorii. Gan- par d'aucieus biographes , qui citent les dates de la publica-
dav de Script. ^-^^^^ ^^ g^g ouvragcs , nous autorisent à croire qu'il avait vu
deStript.eccies! le ]Our dans les trente dernières années du xii siècle, et
— Cas. Oudin, qu'il ccssa de vivre vers l'an i24o. Plusieurs auteurs qui lui
Comm.deScrip. Jo^nent le surnom de Dolensis, d'après quelques manuscrits,
vin, Apparat. sac. lui assignent pour patrie la petite ville de Dol en Bretagne;
— Wadding, An- d'autrcs, d'après le nom de Villa Dei, sous lequel il est bien
nai. minor. pj^g souvcut cité , ct quc portent un plus grand nombre de
manuscrits, pensent qu'il était de Ville-Dieu , dans la Basse-
Normandie.
La même incertitude existe sur les titres qu'il conviendrait
d'ajouter à son nom. Les uns le font religieux de l'ordre de
Saint-François, d'autres de l'ordre de Saint-Dominique, d'au-
tres enfin de l'ordre de Saint-Benoit , et de plus docteur en
théologie.
Mais qu'il ait été Breton ou Normand, cordelierou béné-
dictin , toujours est-il , et c'est ce qu'on ne peut révoquer en
doute, qu'il professa, pendant la plus grande partie de sa
vie, les belles-lettres à Paris, et qu'il y composa la plupart
Poiycarp. Ley- de SCS ouvragcs. Polycarpc Leyser , dans son Histoire des
seri, Hist. poe- poètcs et dcs poèmcs du moyen âge , répète une note qui se
mar medii aev. , (.j-^^yg ^jgj^g j^ bibUothèquc d'Hclmsladt ; note importante
en ce qu'elle contient à peu près tout ce que l'on sait de la
vie d'Alexandre de Villedieu.
D'après ce document, il y aurait eu à Paris, au commen-
cement du XIII* siècle, trois maîtres fort instruits dans les sept
arts libéraux , in septem artibus liberalibus subtiliter instructi
et promoti. La misère les força d'établir des écoles particu-
lières; mais ils n'avaient qu'une même demeure, vivaient
Idem. Ibid.
ALEXANDRE DE VILLEDIEU , GRAMMAIRIEN. 2o3
• n J 7 7 T^ . '^ï SlfîCtE.
ensemble. Lun se nommait liodolplie, un autre rson, et il
était Anglais; le troisième était Alexandre de Villedieu. Il
paraît que ce ne furent point \e&sept arts libéraux dans les-
quels pourtant, suivant la note qui nous sert de guide, ils
étaient sigrands maîtres, qu'ils professèrent en commun, mais
seulement la grammaire, et encore en avaient-ils divisé entre
eux les diverses parties. Rodolphe enseignait les étymolôgies;
l'Anglais Yson, la diasynthétique ou syntaxe; Alexandre de
Villedieu, l'orthographe et la prosodie. L'un d'eux , Rodol-
phe, devint évèque, Yson mourut, et Alexandre resta le
seul maître de l'école, et hérita des manuscrits, de tous les
matériaux de leçons qu'avaient rassemblés ses deux collègues.
Alors il imagina de mettre en vers ces trois différents cours,
d'en faire un seul poème qu'il divisa en trois livres, et auquel
il donna le titre de Doctrinale. Telle est l'origine du plus
grand ouvrage qu'ait composé Alexandre de Villedieu; et
l'époque où il le publia est parfaitement connue par ces trois
vers qu'on lit dans le manuscrit d'Helmstadt :
Anno milleno ducentenoque noveno,
Doclor Alexander egregius atque magister.
Doctrinale suum dédit in commane lêgendum.
Ainsi ce fut bien en 1209 que parut le poème d'Alexandre
de Villedieu; et depuis ce temps, nous ne trouvons plus rien
de relatif à la vie de l'auteur. On peut supposer qu'il conti-
nua de professer à Paris, où son poème eut, dès qu'il parut,
une grande réputation; que même il y composa d autres ou-
vrages dont nous allons bientôt nous occu{>er.
Arrêtons-nous d'abord sur le Doctrinale puerorum , qui
ne porte pas ce titre dans les nombreuses copies manuscrites
3ui en existent, mais le titre qui nous parait plus explicite
e Grammatica versibus descripta.
C'est, en effet, une grammaire en vers que ce prétendu
doctrinal; et l'auteur y a suivi dans la dispoation de ses
matériaux, l'ordre qu'avaient adopté, pour leurs leçons, ses,
deux anciens collègues et lui-même. Au reste, comme nous
l'avons remarqué dans notre discx)urs préliminaire Sur l'état ,^ Franc"*^rôm^
des lettres au xm^ siècle, la base de la grammaire d'Alexandre xvi.'p. 143.
de Villedieu , et aussi de. toutes celles qui parurent en ce
temps, soit en vers, soit en prose, se trcruve dans les écrits de
Priscien, grammairien de Gésarée au vi* siècle. Elles en sont
tantôt une copie, tantôt une paraphrase.
Cca
Xllt SIECLE.
2o4 ALEXANDRE DE VILLEDIEU,
Voici le début aussi modeste que pieux du Doctrinal
d'Alexandre de Villedieu:
Scribere clericulis paro Doctrinale novellis ,
Pluraque doctoruni sociabo scripta meorum.
Praesens huic operi sit gratia pneumatis almi !
Me jiivet el faciat coniplere quod utile fiat!
Si piieri primo nequeant attendere plenè
Hic tameii attende! qui doctoris vice fungens,
Atque legens pueris îaicâ linguà reserabit;
Et pueris etiam pars raaxima plana patebit.
On voit qu'Alexandre de Villedieu sentait, par avance, que
des préceptes généraux, resserrés dans des vers que la con-
trainte imposée par le mètre rend souvent obscurs, presque
inintelligibles, avaient besoin de l'interprétation, du com-
mentaire d'un maître habile. On en pourrait dire autant de
tous les poèmes didactiques, en quelque langue qu'ils soient
écrits, et qu'ils soient anciens ou modernes.
Il serait aussi superflu que fastidieux de suivre l'auteur du
Doctrinal dans les leçons en vers qu'il donne, sur l'emploi
des lettres de l'alphabet, sur les déclinaisons dans la langue
latine, les accents, la quantité , etc. , etc. Dans les trois livres
de son poème ( si l'on peut donner ce nom à un ouvrage de
cette espèce), il est toujours froid, sec, ne réveille jamais
l'imagination par quelque métaphore, par quelque brillante
comparaison. Il est vrai que la plupart de ses vers sont du
genre de ceux que l'on appelle léonins. C'est une inutile dif-
ficulté de plus que l'auteur s'était imposée, et que s'impo-
saient assez généralement les auteurs de ce siècle.
Par un passage du Doctrinal , on voit que dès lors on avait
établi en système que l'on pouvait ne pas accentuer les mots,
à la manière des anciens; et il ne faut plus être étonné que
les poètes latins du moyen âge violent si souvent les règles
de la prosodie.
Accenti'is nornias legitur posuisse vetustas :
Non tamen bas credo serrandas tempore nostro.
Si sit naturà monosyllaba dictio longa ,
Circumflectatur, sibrevisest, acuatur;
Si teneat primam dissyllaba diciio longam
Sitque suprema brevis, veterum si jussa sequaris ,
Circumflectatur, prior in reliquis acuatur.
Servabit legem polisyllaba dictio talem ,
Si sit correpta penultima quœpreeit illi, etc.
XIII SIECLE.
Henr. Gan(Ja\
GRAMMAIRIEN ET POETE. 2o5
Alexandre de ViUedieu termine son poème aussi pieuse-
ment qu'il l'avait commencé, par des actions de grâces à la
Divinité. C'était alors un usage dont on retrouve des traces
dans la plupart des productions de ce temps.
Doctrinale, Dei virtute juvante, peiegi.
dates reddo tibi, Genitor Deus, et tibi, Cliriste,
Nate Dei Deus, atque tibi, Deus alitusalnie,
Quos très personas in idem credo deitatis.
Il paraît que le succès du Doctrinal , à l'époque même de
sa première publication, fut prodigieux; que tous les éta-
blissements scholastiques s'empressèrent de l'adopter; et que
bientôt aussi on y ajouta des notes, des commentaires, et
même des suppléments en vers et en prose. Henri de Gand,
qui fut contemporain de l'auteur, puisqu'il est mort en lagS,
à l'âge de n6 ans, a écrit, que de son temps, on faisait dans
les écoles un usage continuel du Doctrinal d'Alexandre, à dê'scripT'éfci
qui il donne le surnom de Doleiisis , et non celui de Villa '^ ^g.
Dei. Alexander Dolensis , dit-il , scripsit metrice lihruni quem
Doctrinale vacant. Cujus libri in scholis grammaticoriim
niagnus usus est temporihus hodiernis.
Et ce n'était pas seulement en France que le Doctrinal Suppiem. n
était accueilli avec tant de faveur; les écrivains d'Italie et Twèfu^mlZl
d'Allemagne le citent sans cesse avec éloges, comme un livre nurnSFrandsci,
nécessaire dans les écoles. Il en est fait une mention très- °P"* posth. Fr.
honorable dans la pièce de vers que Beccari, poète ferrarais, ^aie»^^ Rom!^*
ami de Pétrarque, composa sur le bruit de la mort de ce iSos'p.n, 22!
prince des poètes italiens (1). Possevin, Trithème, et une
foule d'autres auteurs de biographies et de catalogues d'ou-
vrages anciens, non seulement n'ont point oublié l'auteur
du Doctrinal, mais lui attribuent plusieurs autres poèmes et
même des écrits en prose. Nous verrons plus tard quels sont
de tous ces ouvrages, ceux qui sont véritablement de lui.
De cette vogue qu'eut dès l'origine le Doctrinal d'Alexan-
dre de Villedieu , de l'emploi que l'on fit de ce livre dans
toutes les écoles , il est résulté qu'il s'en trouve aujourd'hui
(i) Dans un Mémoire compris dans le Recueil de l'Académie des inscrip-
tions et belles-lettres, on trouve une singulière méprise. M. de La Bastie,
auteur de ce Mémoire, cite la pièce du poète ferrarais qui mentionne le
Doctrinal, et, trompé par ce mot, il pense que c'est Vincent de Beauvais
que Beccari a voulu désigner. Voyez Mém. de l'Acad. des inscript., tom.
XVII, p. 460, note.
ao6 ALEXANDRE DE VILLEDIEU,
XHI SIÈCLE. , , • . , L . 1
des manuscrits en nombre presque incalculable dans toutes
lès bibliothèques de l'Europe; que presque tous sont sur-
chargés de notes et d'additions. Dans la seule Bibliothèque
Bibiioth roy., royale de Paris, on possède ce poème dans neuf à dix ma-
mss.7/iio,7477, nuscrlts au moins, et toujours avec des gloses et des notes.
l^V o,'^ *. ' A l'époque de l'invention de l'imprimerie, ce fut aussi un
des premiers ouvrages dont on multiplia les copies par ce
moyen alors nouveau. Il serait difficile de compter toutes les
éditions qui en parurent, presque à la fois, en Italie, en
Allemagne et en France. On en cite une de 1470 1 comme
Brunei Ma- ^^^^'i Celle de Veuisc ( 1473, in-folio), indiquée par quelques
nuei du libraire bibliographes, estdouteuse; mais on en compte deux autres
qui sont recherchées des amateurs, l'une de Baie, i486, l'autre
Panier Annal ^^ NuTcmbcrg, 1 490. De toutes ces éditions et de plusieurs
tvpograp!, I. v! autres qui les ont suivies, et que nous négligeons de nien-
p. 83. — Braun. (jonncr, il en est deux qui nous paraissent mériter plus par-
part II p 125- ticulierement de nxer 1 attention. La première est celle que
1 58 , etc donna , en 1 5o4 à Paris , Josse Badius , en y joignant un grand
nombre d'explications et d'autres écrits relatifs à la gram-
maire; mais la plus intéressante est celle que publia, tant à
T'.oyes qu'à Rouen, Foucaud-Monier qui paraît avoir été
enthousiaste du talent de l'auteur, si l'on en juge par la pièce
de vers qui remplit le premier feuillet. Il y compare Alexan-
dre de Villedieu à Alexandre-le-Grand; et voici comme il
s'exprime :
Major Alexandre debetur gloria nostro
Quam stbi qui cunctas subdidit orbis opes :
Ille aliéna vorans antris exciyit Erynnim
Tartareis, mundo quae horrida bella daret.
lUe airtem scabrani nostris de iinibus arcet
Barbariem ; tenebras luce mirante ftigat.
Ille quidem innumeros infesta clade peremit :
' Hic adolescentes instruit, omat, alit, etc.
Cette espèce d'engouement des professeurs de grammaire
et belles-lettres pour le Doctrinal d'Alexandre de Villedieu,
dura jusqu'en i5i4i année où des docteurs assemblés à Ma-
lines, ayant décidé que l'on expliquerait désormais dans les
écoles, les Rudiments de Despautère, le Doctrinal perdit
toute prééminence dans les établissements scholastiques.
Et cependant il en parut encore plusieurs éditions posté-
rieures à cette date; et l'on en trouve même qui contiennent
réunis , et les rudiments du grammairien flamand et la
XIII SIÈCLE.
GRAMMAIRIEN ET POÈTE. 207
grammaire versiBée du Breton ou Normand Alexandre de
Villedieu.
Si l'on en juge d'après les autres ouvrages qui nous restent
de l'auteur du Doctrinal , sa manie fut toujours de choisir
pour sujet de ses vers, des matières auxquelles répugne
ordinairement la poésie. C'est ainsi qu'il s'avisa de res-
treindre les sujets de chacun des chapitres de la Bible en
212 vers hexamètres, qui seraient inintelligibles, si l'on ne
plaçait au-dessous de chaque mot du vers, le véritable som-
maire en prose dont ce mot ne donne qu'une indication
imparfaite. Dans le Discours sur l'état des lettres au xiii*
siècle, nous avons donné un exemple de ce travail ingrat
autant qu'inutile , ce qui nous dispense de nous arrêter plus "'" ''"" - "
long-temps sur l'ouvrage. . . . p ' 9-
Cette espèce de poème n'en fut pas moins très-vanté dans
son temps; et Jean de La Haye crut devoir en enrichir l'édi-
tion qu'il donna de la Bible, en 1660. C'est là qu'on peut le
trouver sous le titre de Dà'inœ Scripturœ compendiuni 21a
versihus hexametris comprehensum.
Un troisième poème d'Alexandre de Villedieu, qui a pour
ùtre: Massa conipoti{i\ a dû être d'un travail moins difficile;
mais il n'offre guère plus d'intérêt que le précédent. L'auteur
y traite des douze mois de l'année , et commence ainsi :
Prima diesjani qui janua dicitur anni
Ternarium retinet , etc.
Suivent dans leur ordre, les fêtes mobiles et autres de toute
l'année. Dans cette description froide et aride de nos fêtes
religieuses, on ne découvrira rien qui rappelle les Fastes du
poète de Sulmone.
Le poème d'Alexandre de Villedieu n'a qu'un livre qui
finit par ce vers :
' Libro finito reddatur gratia Christo.
La Bibliothèque royale de Paris en possède trois copies Mss'^'r'io "a !
au moins qui paraissent être du xiii* siècle. 74aoB, 7177.
(i) On voit par l'explication que donne Ducange du mot compotus, de
quelle importance était alors le comput ecclésiastique. C'était une vraie
science qui, avec la musique et la grammaire, entrait dans la catégorie
des études prescrite» aux clercs. Il en était ainsi dès le temps de Charle-
tnagne, comme le prouvent divers capituiaires cités par Ducange. Voy. le
Glostarium nted. et infim. latinit. , t. II, p. 904.
XIII SIECLE.
208 ALEXANDRE DE VILLEDIEU,
Deux autres ouvrages, toujours en vers, méritèrent à
Alexandre de Villedieu les qualifications de philosophe, d'as-
tronome, de mathématicien, que lui prodiguent d'anciens
biographes. Ce sont ses poèmes De Sphœra et De yirte riu-
vierandi. Dans l'un ni dans l'autre, il ne se montre plus
habile en astronomie et en arithmétique qu'on ne l'était de
son temps; et il n'a d'autre mérite que de surmonter quel-
(jucfois assez heureusement les difficultés d'un tel travail.
Nous ne croyons pas que ces deux poèmes aient jamais été
publiés |)ar la voie de l'impression.
C'est en considéra tionde ces trois derniers ouvrages d'Alexan-
dre de Villedieu , que Vossius a cru devoir lui donner place
parmi \esniat/icifiaticiens ; mais, ajoute-t-il : Nullo œquè cla-
riiit qiuiDi Doctiiuali puerorum, sivè arte grarnniaticd , qiue
ante sesqid secuhim rcgnare in scholis solet. — Gérard. Joan.
Vossii, De qudluor artibus popularibus, \\h. de scientus ma-
theinaticis, § 8, p. l^o.
Enfin, on lui attribue une traduction en vers des Actes
des apôtres , qui commence ainsi :
Si vis transacta apostolica noscere facta,
Hœc tibi postilla tractabit versibus iila.
Casimir Oudin prétend que cette traduction n'est point
d'Alexandre de Villedieu, mais bien de Pierre de Riga.
On lui a répondu que la traduction de Riga est entièrement
ilif'férente, et on a cité le premier vers que voici :
Tiberii nono clecimo regnantis in anno.
Cette remarque ne résout pas entièrement la question. Une
foule de poètes, autres que Pierre de Riga, ont mis en vers
au xiu*^ siècle les Actes des apôtres, et il se pourrait que la tra-
duction que l'onattribueà Alexandre fût de l'un de ces poètes.
Ce que nous pouvons dire, c'est que dans cet ouvrage nous
n'avons point retrouvé la manière ordinaire, \e faire de l'au-
teur du Doctrinal ; et, d'accord avec Casimir Oudin , nous le
retrancherons du nombre de ses poèmes.
Sans doute Alexandre de Villedieu, par tant de travaux,
tant de vers péniblement fabriqués, méritait la célébrité dont
ses ouvrages ont joui pendant plusieurs siècles ( depuis le
commencement du xiu^ jusqu'au xvi^). C'était une raison
pour qu'il ne fût pas oublié par les auteurs de nos biographies
modernes; et cependant nous croyons que Moréri est à peu
JACQUES DE VITRY, HISTORIEN.
209
près le seul qui lui ait consacré quelques lignes dans son
grand Dictionnaire liistoricjue. On ne trouve point son nom,
même dans la Biographie universelle. A. D.
Xni SIECLE
JACQUES DE VITRY ,
HISTORIEN.
MORT !e 3o
avril 12^0.
01 Jacques de Vitry tient son surnom du lieu de sa nais-
sance, comme on a le droit de le supposer, il faut qu'il soit
né à Vitry-sur-Seine, près de Paris, ou à Vitry-sur-Marne,
en Champagne; et lorsqu'on reconnaît qu'il n'a eu aucune
relation avec cette dernière province, dans tout le cours de
sa vie, la première hypothèse paraît de beaucoup la plus
probal)le. Cependant plusieurs biographes le disent natit
d'Argenteuil , opinion qui a au moins contre elle le surnom
qu il |)orte; car, à partir (\\\ xiii^ siècle, il est constamment
appelé Jacohus de Vitryaco ou de 1 itreyo.A la vérité, ce der-
nier nom pourrait convenir à ^itré en Bretagne; mais le per-
sonnage dont il s'agit n'ayant jamais passé pour Armoricain,
pas plus que pour Champenois , tout nous invite à croire que
c'est à Vitry, dans le diocèse de l'aris, qu'il a vu le jour. Du
reste nous manquons de tout renseignemetit sur sa famille :
aucun témoignage authentique ne confirme ni ne dément
l'assertion des auteurs modernes, qui lui donnent pour père
un pauvre paysan, et s'ils ajoutent qu'il na(|uit entre les
années 1160 et 1170, c'est encore une simple conjecture,
uniquement fondée sur ce que, selon les apparences, il fré-
quentait les écoles de Paris dans les premières années du
règne de Philippe-Auguste, c'est-à-dire de i 180 à 1 190, ainsi
que le croit Du Boulay. Il faut avouer pourtant que jusqu'en
12 10, époque où il aurait eu 4o à 5o ans, on*a bien peu de
faits à placer dans l'histoire de sa vie. Son contemporain
Vincent de Beauvais se borne à dire qu'avant de passer en
Belgique, Jacques de Vitry avait été prêtre paroissial à Ar-
genteuil près de Paris : Ante fuerat in villa propc Parisios ,
quœ dicitur Argentoliuni, preshyter purochialis. On a conclu
de ces paroles que Jacques a été curé d'Argenteuil ; d'autres
ajoutent, et de Vitry-sur-Seine. Mais il va bientôt nous être
Tome XV m. D d
l. s* ME.
Fi'. Duchcsiie,
Hisl. des taidin.
franc, t. I , p
2o3.
Hiït. Univ. Pa-
risiens, t. Il , |i.
5io.
Spccul. Hisld-
riale, 1. xxx , c.
lo.
Nat. Alcxan.
Hist.cccl.,t.XX,
p. 53i. Omiin ,
Comni. (le Scr.
eccl. I. IH, p.
46.1,e|)riif, Hist.
de la ville et du
210 JACQUES DE VITRY,
xiiisiECï.E. ^jj ^^jg l'ordre de la prêtrise ne lui fut conféré qu'après sa
dioc.de Paris, t. retraite dans Un monastère du Brabant;et il s'ensuivra que
iv,p. i7.Biogr. la fonction indiquée par les termes de preshyter parochialis
uni», t. XLix, jjg pouvait être tout-à-fait celle qu'exprime aujourd'hui
le mot de curé; il la faudra réduire à une simple cléri-
cature.
Félibien.Hisi. Q j-yj. ygj,g j.^j^ J2JQ g Jacques de Vitry s'exila subite-
de Pans, t.I, I. , , j ^r« • ^ l .. ■ J
VII, p. 320. ment, loin des écoles de Pans, ou il avait acquis du renom,
et des paroisses voisines au service desquelles il s'était atta-
ché. Les récits qu'on lui avait faits des éminentes vertus de
Marie d'Oignies lui inspirèrent la résolution d'aller se sanc-
ciacon viiae t'^cr auprès d'elle. Docile aux conseils de cette bienheu-
poni. etcaid. i. Tcuse , il embrassa l'état de chanoine réjjulier, d'abord à
II, p. 8^ Villebrouck en Brabant, puis à Oignies sur la Sambre. Marie
bant'Ti'iëe^^p" l'ayant aussi pres.sé de recevoir l'ordre de la prêtri5e, il fit
Vossius.deHisi. un court voyagc à Paris, où son évèque diocésain le lui con-
lat. t. II, p. 5?. fera. Quand il rentra sur le territoire d'Oignies, la sainte
— Manuscr. eue gc^o^rut à Sa rcncoutre, baisa les traces de ses pas, et se»
par Possev. Ap- . ■ c- i . • i "^
par. S. in calai maiiis nouvellement consacrées, ai ces détails sont exacts,
mss. p. ia3. ce n'était donc pas un sacerdoce proprement dit qu'il avait
Spond. ann. auparavant excrcé à Vitry ou à Argeiiteuil : il n'a pu devenir
liii.n.v.Man- .'. ,, ^ , -< "^ix; • ' c\ ■ « • •
riq. , Annal. cis- Véritablement cure qua Wasiers ou a (Jignies même, ainsi
terc. ann. nii, que le dlscnt certaines chroniques.
I. i,t. III, p. i; Cependant son principal ministère depuis laio iusqu'à la
iai7, t. III, p. r . ri r J i ,
(i. mort de Marie, en 121J, et dans le cours des quatre années
Hist. belli Al- suivantes, a été de prêcher la croisade contre les Albigeois :
big.c. 58 Scrip jj ^j.^jj. alors un de leurs plus ardents ennemis, et son zèle
reium gallic. et . ^, . , pl- • u- i
iranc. XIX. exterminateur est tort préconise par I historien Pierre de
Aib. chron. Vaux-SeMiay. Jacques finit par se croiser lui-même, et suivit
iai6, P. II, p. Languedoc les cohortes qu'il avait armées. La réputation
viia B. Lui- que lui acquirent son éloquence et son activité ayant retenti
gardis apudBoi- jusqu'eu Orient, le clergé de Ptolémais ou Saint-Jean-d'Acre
Jand_ 16 jiin., j-i^^ évêquc de Cette ville, dès 1216 selon Albéric de Trois-
p. 217. . T , , ■ . ,
Lepaige.Bibl. rontiiiiies , Cil 121^ seloii les autres cnroniqueurs; et le pape
pracmonsir. t. I, Hoiiorius III lui doiiua, pour la Palestine, une mission à
^'ix^'r- j r> laquelle le prémontré Hélin était associé. Le nouveau prélat
H. Gand. De ^ V . J- < -a
Scripi. eccies. i. sc prcssa daller prendre possession de son diocèse d Acre
3;. et non d'Aricône; car c'est j)ar erreur que Henri de Gand et
Nonsouma - ,j'.m(^,.^jj après lui écrivent episcopus Anconitanus, au lieu
luil sed cliam . r . ' o • ' i ta •
piaeruii , dit le f\ /i cconilunus. Il assista en 1210 au siège de Damielte, et
Mire,Auciai 62. coritiiiua depuis de 'prendre part aux affaires de l'Orient,
Dut. hisi.ciii. |j ecclésiastiques, soit militaires. En louant son habileté,
l. II, p. OIÏ. T ' '
HISTORIEN.
211
Xril SIÈCLE.
on se plaignait quelquefois de son humeur impérieuse: il se
plaisait à dominer les conseils de guerre; et les seigneurs
croisés, qu'il prétendait soumettre à ses avis ou à ses volontés,
attribuaient à son entêtement une partie des revers que les
chrétiens essuyaient en ces contrées. C'est l'année 1220 qui ciaruitabanno
est indiquée par les biographes comme l'époque de sa célé- circHer uio :
brité. Mais la vérité est que de i2iQà 1227, on connaît assez "'''"'' ".P-
peu les détails de sa conduite. Un sait du moins qu il recom- Hipp Maracc.
mandait particulièrement la dévotion à la sainte Vierge; et '" P"''P- Mar.
l'on a lieu de penser qu'il a composé plusieurs de ses écrits ^nt '*e*t°cird"*
dans cet intervalle. Au commencement de l'année 1227, 11, p. 83.
avant la fin du pontificat d'Honorius III, il se rendit à Aiberici , chr.
Rome, y séjourna peu, et en partit pour son ancien mo- 5""' l!^c' '''^'
nastère d'Oigiiies, chargé, à ce qu'on croit, de réprimer t. il, p. 84.
en Belgique la secte albigeoise qui semblait y faire des
progrès.
Honorius eut pour successeur Hugolin d'Anagni , nui d ■, .
prit le nom de Grégoire lA. Jacques de Vitry le connaissait xxil, col. 671.
depuis long-temps, et l'avait, dit-on , délivré d'une tentation '^'«^"'"y , Hist. ec-
périlleuse, par le moyen d'une relique de la bienheureuse ^? ','' ^^"'
»« • 1'/^- • l^ ' - "'2) llV. LXXXI,
Marie d Oignies. Pouvant, a ce titre ou a tout autre, compter u. 40.
sur la bienveillance du nouveau pontife, l'évèque d'Acre re- pciih ^,5,
vint à Rome en 122g au plus tard, et ne dissimula point de Paiis,i. i, p.
l'intention d'abdiquer une prélature, que lui rendait fort ^*°-
peu regrettable le mauvais état où il avait laissé les alfaires
et les mœurs des chrétiens d'Orient. Grégoire consentit à
le décharger de ce fardeau , et ne tarda point à l'appeler à de
plus hautes et de moins pénibles dignités. Un historien
contemporain, qui a continué en français les récits de Guil-
laume de Tyr, résume en peu de lignes l'histoire de l'épis-
copat de Jacques à Ptolémaïs. « il ot en France un clerc qui
« prêcha de la crois , qui avoit nom maistre Jacques de
« Vitrv; cil en croisa mult. Là où il estoiten la prédication, „ ... ,
,,,,•'', , . ,, . ^ ,v ', ,, , DanslAmpI.ss
« leluient les chanoines d Acre , et mandèrent a I apostole coii.deMaitène,
a qui lor envoia pourestreévêque d'Acre; et sachiezs'il n'en ' ^.I' C81.
« eust eu le commandement l'apostole, il ne l'eust mie reçu.
« Mes toutesvoies passa il outre mer et fust évêcjue grant
« pièce, et iist mult de biens en la terre; mes puis résigna
« il et retorna en France et puis fu il cardinal de Rome. » ^''* '"""' "
Sa promotion au cardinalat et à l'évêché de l'usculum ou sî"^ ' ' **
Frascati e.st de l'an 1228 selon Ciaconius, de i23o selon
Panvini. Diverses missions ou légations apostoli(|ues en '\"'*""- ^*"^""
* ' p 5 10 , 5 1 1
Dda
2(2 JACQUES DE MTR Y,
XIII SIÈCLE.
France, en Allemagne, mais dont les objets ne sont pas dis-
Fieuiy.Hist tinctement indiqués, lui furent confiées jusqu'en i23q,
eccles. t. XVII, , > , / .. l »• I I ' l ^ - ^
p. 289, 200,1. époque ou le patriarcat latin de Jérusalem, vacant après la
Lxxxi , n. 40. mort de Gérold, lui (ut déféré par les suffrages du clergé de
Script. orti. pra- ^^ pays. Il v a des auteurs (lui avancent de plusieurs années
<lic, t. I, p. 257, '^ -^'i .• • Il ' r- .. I I i I' cr . I
col. 2. cette élection ; mais quelle qu en lut la date,leilet en de-
Ciacon., viiae mcura nul , soit parce qu'il ne la voulut point accepter, soit
',?"' o',*^''^'^ ' parce que Gréproire IX avait résolu de le retenir auprès
II, p. 83. 'l 1 • r,', ri I T7-. /-•. O / ^
Chron. S. Me- de lui. 1 outciois Jacques lie \ itry lit , en i2jf)ou iy.40, avant
dardi suession. Pàques,un dcmicr voyagc en France, en qualité de légat du
"' '*''"]^''^°' '■ saint-siége : il y arriva vers l'Epiphanie et en repartit à la
Âiber.'^Chron. Chandeleur; l'affaire qui l'y appelait , et qui n'est pas connue,
ann. i2/,o,part. n'cxigcait apparemment qu'un court examen. La qualité
ii,p. 575. Bol- (j'évèque de Préneste lui est donnée dans Id chronique qui
land.jnn. l. III, ,. . ^ . , n . l - . i ' •■ *
die 23, p. 258. lait mention de ce voyage, il touchait au terme de sa carrière;
Heiiiy, I. Lxxxi, il mourut à Rome le 3o avril 1:^40; c'est par erreur que cer-
" ,^°' -^ , tains auteurs ont dit 1244, et Vossius 1260. Par son testament,
Henri Gandav. , i. i • ■ i ^ i - n n >
de Script, ecci. !« Cardinal prescrivait de transporter sa dépouille mortellea
c. 37. Triiiiem. Oignics: il y fut, en effet, reconduit en 1241, et inhumédans
c. 43i. Oudin, l'^^iis^. Jq monastère qu'il avait autrefois habité. Dom Mar-
t. m, p. Aq. , «-> • • ' 1- ^ I-. I .. i I T 1
Biogr. univ. t. tcue , qui a visite ce heu, dit que le tombeau de Jacques de
XLix,p. 319. Vitry, en marbre noir, se voit encore d.ins le sanctuaire du
Voss.DeHist. ^^^ j l'épître , ct quc son missel, son pontifical, sa crosse
lat. 1. II, c. 57. ,,. ,' j » . p I'- • p ^ 1
Alber. ann. oivoirc, dcux dc SCS mitrcs , 1 uue d ivoire, 1 autre plus pre-
la.'ii, p. 579. cieuse, se conservent dans le trésor de cette même église.
Moianus, Natal, francois Duchcsue transcrit dcux vers qui, dit-il, s'y lisent
ss. Belgu ,23 " ' • L ^ ^ T J
jun. folio. 127 comme epitaphe :
verso.
., '.. ,, Vitriacus iacet liîc, romanacolunina, Jacobus:
Martene.Vova- . J , • i- , • i
gelittér. t II n Queiii vivumcoluit, colitorbis uterque sepultum.
Duch. Hist. Ce prélat avait eu, en Belgique, en Orient, à Rome, des
des card. franc, ilisciplcs dont le plus famcux , Thomas de Cantimpré, nous
' Script ordtn foumirait d'assez longs suppléments à sa vie, s'ils n'étaient
pr*dic. t. I, p! trop peu dignes de confiance et même d'attention. Par exem-
a5o-254. pie, on y verrait comment, au moyen des ferventes prières
vit^'s^LuTar- *'<^ Sainte Lutgarde, Jacques fut miraculeusement guéri d'un
dis,i.ir,c. I, n. attachement qui n'était pas encore criminel, mais qui pou-
3,p.a44.— Bol- yait le devenir; et comment il apparut, le quatrième jour
iT^'-iSs^"" ' ^ après sa mort, à cette même bienheureuse pour lui annoncer
Hoiiis , vita qu'il venait de passer deux jours et trois nuits dans le pur-
Jacobi de'vitr. gatoire. Lutgardc en fit part aussitôt à sa communauté; et
c'était sans doute un prodige, qu'à une distance de 3oo lieues,
HISTORIEN. 2i:
XIII SIKCLE.
elle put savoir, le 3 mai , que le cardinal avait, le 3o avril,
rendu à Rome le dernier soupir ; prodige qui, selon Thomas
de Cantimpré, doit confondre l'impiété nés gentils et des
juifs. On apprend ailleurs que, depuis iai3, Jacques portait Duchesne.H.
un anneau de Marie d'Oignies, auquel de très-hautes vertus 'if^ coi <i. franc.
demeuraient attachées; que saint Saturnin lui apparut on ' i- P^" '•
songe, et lui enjoignit de prêcher contre le peuple toulou-
sain; qu'en 1227, dans sa navigation d'Acre à Rome, il s'en-
dormit au plus fort d'une horrible tempête, et qu'il eut, .
pendant son paisible sommeil, une vision céleste qui l'aver-
tissait d'aller consacrer les cinq autels de la nouvelle église
d'Oignies. Mais la critique moderne écarte de pareils récits,
ou ne les conserve que comme des monuments de la crédulité
de cet âge.
Sans recourir à ces dons surnaturels, et fi ne considérer
dans Jacques de Vitry que le prédicateur, le prélat et l'écri-
vain, il est encore l'un des personnages les plus distingués
de son temps, digne, à beaucoup d'égards, des hommages
que les auteurs des siècles suivants s'accordent à lui rendre.
Son éloquence est magnifiquement louée dans un traité Scripi. oïdin.
manuscrit des Sept dons du Saint-Esprit, ouvrage d'Etienne ''^'^'*"^njj '' •*■
de Borbon, l'un des plus anciens docteurs de Sorbonne.
On y lit même que jamais orateur, ni avant lui, ni après lui,
n'a ému si puissamment la multitude: Vir sanctns et littera-
tus. . . prœdicando per regnwn Franciœ et utens exemplis in chr. Belg. —
sermonibiis suis , adeo totam commovit Franciam , quod non Oudin, t. m, i».
putat memoria aliquem, ante vel post sic movisse. Des chro- '
niques de Brabant le qualifient Egregius sermonuni decla-
mator, esrresiœ doctrinœ et famœ cardinalis. Trithème parle r. c .
de lui en termes non moms honorables : yirin divmis scrip- des. c. 432.
turis eruditus et secularium litterarum non ignarus , moribus
et vitd spectabilis , in declamandis sermonibus ad populum
excellentis ingeniifuit , et crucem cQntra Alhienses hereticos
gloriosè prœdicans, multos fidèles in eos apostolicâ auctoritate Bongars,Pr3ef
firmavit. Scripsit non spernendœ lectionis opuscula. D'autres n. xn.
ajoutent qu'il savait parfaitement le latin, le grec et l'arabe, '^^"^ ^'^^°°-
r .■ y * » 7-v j , c » I » .. .. M. H, p. 85. Du
latine, grœce, arabice doctus. bes talents et ses vertus ont Bouiay,t. m n
été célébrés en vers par Moschus, curé d'Armentière, et par 690, 691
Hoius, professeur à Douai. Le premier lui a composé une
épitaphe en 4^ vers, dont nous ne transcrirons que les neuf
premiers :
1 7
XIII srtCLE.
UansDu Bou-
lay, ibid. p. 691,
691 ; et dans les
Prélim. des 2 li-
tres de Jacq. de
Vilnr , Douai ,
1597.
II.SESOUVKACES.
H. GandaT. c.
1t. — Jacq.Ber-
goin. ad ann.
1240. — Trilh.
«le Scr. eccl. c.
Thesaur. nov.
A^nerdol. I. III,
p a8«-1o5. —
MichauJ , Bibl.
des dois. I. I ,
p. 427-430.
2i4 JACQUES DE VITRY,
Doctrinâ et pietate cluens hâcconditur urnâ
Vitriacus, mystes quondam hîc columenque popelli.
Siib modio liaud latuit tanlum jubar : exerit ille
Egregias animi dotes , linguâque disertà ,
Summo pontifice isthaec inunia demandante,
Pugnat in Albigeos , cruce in illos plunma signans
Millia, queis Cbristi causain victricibus armis
Ingens ardorerat mentis studiiimque tueri.
Tantum ilexanimae potiiit facundia vocis.
Hoius, vers la fin du xvi* siècle, retraçait l'histoire de la
vie de Jacques de Vitry , en adoptant l'opinion qui lui donne
pour patrie Argenteuil.
Vitriaci ô magni mânes et nobilis umbra !
Ne grave sit decics septem post lustra moveri.
Natales Argentolei puer editiis auras,
Seqnana quam liquidis argenteus alluit undis,
.Hausisti; etMariae Nivigellidis iiiclyta famà
Gloria, et egregii vitœ cœlestis amores
Parisiis movêre scholis. . . .
Hugo olim tibi longo conjunctissimus usu ,
Osiia oui nomen dédit et decus ordinis ingens
Cardinei , summâ Ronise jani sede potitus,
Te quoque purpurea; veslis donavit amictu,
Telegonique urbem patri commisit babendam. . . .
Nous n'aurons plus à nous occuper maintenant que des
ouvrages de Jacques de Vitry, et, avant d'examiner le plus
important, qui consiste en trois livres d'Histoire orientale
et occidentale, nous commencerons par prendre tineidée de
ceux qui ont moins d'étendue, mais qui sont en assez grand
nombre. On peut les distribuer en quatre classes: épîtres,
sermons, traités théologiques, livres historiques.
Henri de Gand et Philippe de Bergame disent qu'il a écrit
à plusieurs personnes des lettres diverses, mais principa-
lement relatives aux afliiires de l'Orient, et Trithème les
désigne comme recueillies en un livre ou volume : Episto-
laruiii ad diversos , l. I. Ce livre n'a point été publié, et s'il
subsiste manuscrit, on ignore en quels lieux il est déposé.
Il demeure donc inconnu, à moins que les épîtres dont il se
compose ne soient les mêmes que celles qui vont être indi-
quées.
Dom Martène a imprimé quatre lettres adressées , en iai8
et i2ig, par Jacques de Vitry, au pape Honorius III, sur le
siège et la prisede Damiette. La première commente par une
HISTORIEN. ai5
1 . . 1 n / , . , , ^^^^ SIÈCLE.
description de 1 armée chrétienne, reunie à Ptole'maïs sous les
ordres des roisde Jérusalem, deChypre, de Hongrieet du duc
d'Autriche: jamais encore on n'avait vu, en un même Heu, tant
de guerriers, d'armes et de chevaux. Les croisés se dirigèrent
vers Damas, en causant aux Sarrasins de grands dommages,
et néanmoins en perdant plus de monde qu'ils ne faisaient de
prisonniers. La multitude soupçonnait quelque trahison se-
crète: il fallut retourner à Ptolémaïs; les rois de Hongrie et
de Chypre et le comte de Tripoli se retirèrent. Mais les
Templiers élevèrent une forteresse, et Olivier, chanoine de
Cologne , survint à la tête d'une flotte. On résolut de se porter
sur l'Egypte; on arriva devant Damiette, et l'on s'empara
d'une tour bâtie sur les eaux du Nil. Jacques, dans la seconde
lettre, revient sur la prise de cette tour, expose les détails
d'un si heureux événement et en fait valoir l'importance.
Mais avant de traiter ce sujet, il s'est plaint amèrement de la
désertion de plusieurs croisés, et il s'est efforcé de justifier
le parti qu'on a pris d'attaquer l'Egypte, au lieu de marcher
vers Jérusalem. L'Egypte est une contrée fertile: beaucoup
de chrétiens l'habitent; c'est aussi une terre sainte, la seule
où se trouve la vigne du baume qui sert à faire le saint
chrême. D'ailleurs ceux qui sont partis pour Damielte avec
l'évêque d'Acre, avaient eu soin d'emporter un morceau de
la vraie croix : aussi leur voyage a-t-il été heureux et
rapide. Toutefois en décrivant l'Egypte, le prélat ne dissi-
mule point la mauvaise qualité des eaux, et avoue que des
milliers de croisés sont morts de la dyssenterie pour en
avoir bu.
Les cruels ravages de l'épidémie sont racontés plus au long
dans la troisième épître, qui offre en termes allégoriques, un
tableau de l'état déplorable de l'Ej^lise d'Orient La retraite
soudaine des musulmans, miraculeuse aux yeux de plusieurs
historiens , est expliquée plus naturellement par Jacqut^s de
Vitry : elle avait pour cause la nécessité où se voyait le sultan
d'aller défendre son royaume contre le roi d'Arménie et
d'autres princes ennemis qui 1 inondaient de leurs iimom-
brables soldats. La quatrième épître annonce la prise de Da-
miette. Il y est dit que, de l'aveu des musulmans, Dieu avait
combattu pour les chrétiens, quoiqu'il y eût parmi ceux-ci
bon nombre d'orgueilleux, d hommes avides et même de
voleurs ( multifures et raptorcs ).
Dachery a inséré dans le Spicilége une autre lettre de 373-383. '^'*
2i6 JACQUES DE VITRY,
IIII SIÈCLE. „, , ,,^ , „ ■ TTT ' • cil
1 eveque d Acre a Honorius 111, ecnte en 12 19. Elle contient
aussi des détails sur la conquête de Damiette et de la forte-
resse de Thanis, ainsi que sur les crimes dont plusieurs
croisés s'étaient rendus coupables, et que Dieu leur faisait
expier pardes malheurs personnels. Multiex nostris ,tantorum
beneficioruni ininietnores etingrati, Dominum ad iracundiam
provocaverunt , variis crirninibus animas suas ohligantcs , et
maxime spoliis paganorum et thesauris civitatis f'urto et ra-
piiid communitatem exercitûs defraudando. Quibus iratus
Dominas. . . ultione manifesta in mari et in terra eos peri-
clitariperniisit. Le pape apprend ici à combien d'angoisses les
défections, les trahisons, l'indiscipline ont condamné l'armée
chrétienne. En général, il y a plus à puiser, pour l'histoire
détaillée du siège, dans cette épître que dans les quatre pré-
cédentes. Nous excepterions pourtant ce qui concerne un
astrologue sarrasin dont les prophéties, toujours, dit- on,
justifiées par les événements, obtiennent pleinement la con-
fiance ou même le respect de Jacques de Vitry. La lettre est
terminée par la mention, non moins étrange, d'un livre en
langue sarrasine, contenant les révélations de l'apôtre saint
Piene, recueillies par son disciple Clément. I -à sont prédites
toutes les choses arrivées jusqu'à la prise de Damiette inclu-
sivement, et toutes celles qui doivent s'accomplir jusqu'à la
Bihi oiieoi venue de l'Antéchrist et à la fin du monde. Assemani indique,
I I, 'iS'i en effet, un volume arabe de ce genre, qui se conserve ma-
„,, , nuscrit à la Bibliothèque du A'^atican, et un autre manuscrit
I III, jint I, p sur |)apier de soie, intitulé les Secrets , dans le même dépôt :
"•"^■» c'est un recueil qui s'annonce comme rédigé par le pape saint
Clément, et qui est divisé en 8 livres, dont les quatre pre-
miers retracent l'histoire du monde depuis la création jusqu'à
Jésus-Christ, et les suivants contiennent les révélations de
saint Pierre. Ce volume a été fourni à la Bibliothèque du
Vatican par un maronite, sous le pontificat d'Innocent XIIL
Le siège et la prise de Damiette sont encore le sujet d'une
lettre adressée par l'évêque d'Acre à Jean de Nivelle et à
d'autres religieux belges, après la Chandeleur de 1220. Elle
i' 114G ii/jg. se lit dans la collection de Bongars,et ajoute quelques par-
ticularités à l'histoire de ces événements. Nous y apprenons
quelles manœuvres les musulmans avaient employées pour
séduire les chrétiens, et les disposer à lever le siège; com-
ment, desoixante mille Sarrasins enfermés dans la place en
février 1219, il en restait à peine trois mille en novembre;
HISTORIEN. 217
combien de malheurs cependant, et combien de désordres
avaient affaibli, durant ces neuf mois, l'arme'e des croisés;
quels guerriers et quels autres persormages éminents elle
avait perdus. Jacques de Vitry la recommande instamment
aux prières de ses anciens confrères.
Une épître adressée par lui à Foulques , évêque de
Toulouse, est d'un autre temps et diffère des précédentes
par la matière : c'est la préface ou la dédicace de la vie de
Marie d'Oignies. Nous la rattacherons à l'ouvrage qu'elle „ vmc^ Beiiov
b 1 ' ■ Spec. Hislor. t.
annonce. Au rond, toutes les lettres de Jacques, ou du moins xxx.p.io, n.
toutes celles qui nous sont connues, ont un caractère histo- — Boiiaud. ^■^
rique, et les six sur lesquelles nous venons de jeter les yeux, Ju^P 6^0^77
pourraient être rapprochées de ses trois livres sur les affaires
de l'Occident et de l'Orient: elles en sont des appendices;
mais nous avons cru à propos de le considérer comme au-
teur épistolaire, avant de parcourir ses productions dans les
autres genres.
Prédicateur fort renommé de son temps, il a laissé beau- , t°rf p. 4*10"
coup de sermons; et l'on en peut lire, au moins une partie,
dans un volume in-folio de 93 1 pages, imprimé en iSyS, à
Anvers , par Théodore Lyngam , pour la veuve et les héritiers
de Jean Stelsius. Le titre en est conçu en ces termes: Reve-
rendissimi D. Jacobide Vitiiaco S. R. E. cardinalis, episcopi
Tuscidani, theologi et concionatoris eruditissimi et diser-
tissimi, sermones in epistolas et evangelia dominicalia totius
anni , ab ipso authore à trecentis quinquaginta et ampUiis
annis conscripti , nunc autem prinihm surnmâ diîigentiâ in
lucem editi. Quoique ce titre n'annonce que des sermons sur
les épîtres et les évangiles, il y a trois discours pour chaque
dimanche : le troisième sur l'évangile, le second sur l'épître
et le premier sur l'introït. Dans la préface de ce recueil,
Jacques de Vitry rend compte de son propre travail : il a
étudié, médité assidûment l'Écriture sainte, les écrits des
saints pères et des interprètes : c'est dans ces sources qu'il a
puisé les documents et les détails qui lui ont paru convenir
à chaque sujet; il les a fidèlement recherchés, il les expose
avec la même sincérité: son but, en les rassemblant, a été
de se rendre utile aux ministres de la parole de Dieu, de
les dispenser de recourir à beaucoup de livres , qui le plus
souvent leur manquent. Afin de leur faciliter l'exercice de
leurs fonctions, il a écrit d'un style simple et familier; car il
s'agit , non de satisfaire la curiosité des savants, mais de
Tome XV m. E e
17.
Xin SIÈCLE.
2i8 JACQUES DE VITRY,
préparer une instruction qui soit à la portée des auditeurs
vulgaires. Les prédicateurs qui feront usage de son travail,
y choisiront avec discernement ce qui conviendra le mieux
aux circonstances de temps et de lieux, aux personnes devant
lesquelles ils auront à parler; ils réserveront le surplus pour
des occasions moins communes. Dans tous les cas, ils se
garderont de provoquer, par de trop longs discours, les dé-
goûts de leur auditoire. Quanta lui, il n'a pas dû craindre
de s'étendre sur chaque sujet, son dessein étant de fournir
tous les matériaux susceptibles d'être employés, de n'omet-
tre aucun des détails vulgaires auxquels on a souvent besoin
de recourir lorsqu'on instruit des laïcs, et qui ne sont su-
perflus que dans les sermons adressés en langue latine à
des clercs ou à des religieux. Voilà pourquoi il a extrait de
l'Ancien et du Nouveau Testament, des docteurs de l'Eglise,
des commentaires et des histoires, toutes les leçons, tous
les exemples dont il est possible de profiter ; il n'a pas négligé
de joindre aux sentences divines les raisonnements et les
similitudes qu'il y a lieu de tirer, soit de la nature des ani-
maux, soit aussi des propriétés de plusieurs choses inanimées.
JacquesdeVitry ne dit pas expressément qu'on prêchait le
peuple en langue vulgaire; mais c'est la conséquence presque
nécessaire de plusieurs endroits de cette préface , et surtout
de celui où il est dit que les prédications se font en latin
dans les assemblées monastiques ou cléricales: In com'entu
et congregatione latino idiomate loqiàmur. Il annonce que
son ouvrage est divisé en 5 parties qui correspondent à
celles de l'année ecclésiastique: la i'*^ à l'A vent, la 2* aux
semaines comprises entre la Septuagésime et Pâques, la 3*
de Pâques à la Pentecôte, la 4* au temps du pèlerinage ou
du combat, c'est-à-dire de la Pentecôte à l'A vent. L'intervalle
de Noël à la Septuagésime est omis dans cette énumération.
La cinquième partie se rapporte aux fêtes des saints. Les
quatre premières renferment la série presque complète des
prédications ordinairement intitulées Sermones de tempore :
il n'y manque que le dimanche qui précède immédiatement
l'Epiphanie et ceux qui la suivent. La préface fait mention
des trois discours composés pour chaque messe dominicale,
et avertit que le troisième, destiné à l'explication de l'Evan-
gile, est celui où le sujet sera traité avec le plus d'étendue
et de soin. L'auteur ajoute qu'il complétera son recueil par
une sixième partie, contenant des instructions spécialement
XIII SifecLË.
HISTORIEN. 219
appropriées aux états on conditions de certaines personnes,
telles que les prélats et les prêtres réunis en synodes, les
moines et les religieuses , les écoliers , les pèlerins , les
croisés, les gens de guerre, les marchands, les laboureurs,
les mercenaires, les serviteurs, les servantes, les vierges, les
veuves, les femmes mariées et leurs époux; car il faudra,
dit-il, varier seloa les diverses conditions le fond et les
formes de l'enseignement apostolique.
Cette sixième partie n'est point comprise dans l'édition
de 1575; mais on en possédait des copies manuscrites, et
le lecteur est averti que l'imprimeur Bélier se propose de
mettre bientôt sous presse ces sermons spéciaux : Sermones
spéciales secundàm diversitatem personarum à se invicem
officiis , gradibus et moiibus discrepantium. Un manuscrit Sander, Mss.
de Louvain en contenait quatre pour les infirmeset les affli- Be^>P»''U'P-
gés, ad infirmas et affiictos. L'éditeur de 15^5, qui n'a pu-
blié que les sermons des dimanches, était un dominicain
d'Anvers, nommé Damianus à Ligno, apparemment Damien
Dubois. Il a misa la tête du volume une épître dédicaloire
à l'évêque de Liège, Girard de Groesbeeck, et un avis au
lecteur, où il fait observer, que personne, avant Jacques de
Vitry, n'avait songé à expliquer les introïts des messes domi-
nicales. Du reste, il avoue que ces discours et Ceux qui con-
cernent lesépîtres et les évangiles sont un peu diffus, qu'ils
contiennent des interprétations plus ou moins forcées, qu'ils
ne sont pas toujours conçus, disposés, écrits avec tout le
soin désirable. Le lecteur est prié d'excuser les défauts de
l'édition qu'il a fallu entreprendre d'après une seule copie
écrite sur papier vers i445, si pleine d'incorrections et
d'abréviations indécises, que le texte n'a pu être quelquefois
établi que par conjecture. Cependant Damien Dubois a eu
communication et a fait usage, dès qu'il l'a pu, d'un autre
manuscrit, en deux tomes et sur parchemin, conservé dans
ta bibliothèque des chanoines réguliers de Rougeval. Les
deux copies comparées offraient des variantes, dont on se
promettait de tirer un meilleur parti dans une seconde édi-
tion; mais ce recueil n'a jamais été réimprimé, et, à vrai dire,
il n'est pas d'un assez haut intérêt pour l'être. Si les sermons
de Jacques de Vitry étaient à distinguer dans la foule de ceux
du même âge, ce serait parce qu'on y trouve un peu moins
d'argumentations scolastiques, et un peu plus d'exemples
empruntés des chroniqueurs et des légendaires. Du reste, les
E e 2
220 JACQUES DE VITRY,
XIII SIÈCLE. ,. . II ' • Il 1.
explications mystiques et allegonques y abondent, et Ion
y remarque bien peu de ces traits des mœurs contempo-
raines , qui se rencontrent chez les sermonaires du xiv« siècle
et surtout du xv*.
Tous les autres sermons de l'évêque d'Acre et de Tusculum
Voy. Liiiér. gont icstés manuscrits. Martène en a vu chez les chartreux
i*' de Liège quatre ou cinq tomes, échappés seuls à l'incendie
qui avait consumé la bibliothèque de ce monastère. Sander
indique les couvents et les églises de la Belgique où se con-
Saudei , Mss. servaient des copies de ces diverses prédications, de celles
Beig. part 1,1». j concernaient les saints, les différentes professions ou
/,5, 359. Part, conditions, I œuvre des six jours, et d autres sujets plus va-
11, p. 2.',4. guement désignés. Montfaucon en cite aussi des manuscrits.
'^l!f' ?.'''';.'!?■ Mais de tous ces serinons, ceux dont on avait le plus de
1280, ohm Colb. . ,.',., . ' , .
V28/,,oiimCoib. copies de ce genre , étaient précisément ceux qui ont ele pu-
— Calai, m, p. liliés en iSjSiCtce sont les seuls qui soient bien connus; ils
^î^y. 77 ^'"py" n'invitent truère à rechercher ceux que l'on ne connaît pas.
aussi .Monllauc. . 1 1 • • ' 01 1 • i> 1 ■> i
ijiiil. Bii.l. mss. Lin article désigne pnr aander, sous le titre d Art de prêcher,
t. II, p. 928, Jacohi de J'itrlaco dearte predicandl , n'est peut-être que la
'^^"■~^",'"' préface des sermons sur lesintroïts, les épîtres et les évan-
ile îjcript eccles. • , , , . , ' r
I. ili.p. 46-5o. gues. 11 se pourrait aussi qu un commentaire manuscrit sur
— Sciipi. ord. les quatre évangiles, attribué à ce prélat par Lelong daprès
^ss^'isè ^''' '-'''"'S Jacob, et inconnu aux autres bibliographes, ne dif-
.sànder , Bibi. fcriit poiut de ccs mêmcs sermons.
inss. Beig. part. Pgs écrits théologiqucs forment une troisième classe dans
"ici 'Biblioth ''' ''^'^^ ^^^ productions de Jacques de Vitry. C'est probable-
sana.i. II, p. mcnl à la théologie polémique qu'appartient le livre contre
ioo5. II. 2. les Sarrasins, que lui attribuent 'Trithème et Jacques de
■iiitb.DeSci. ]}ertrame, et qui paraît bien ne pas différer de celui que
lacq.Bcrg.Ad Hciiri de Gaiid avait indique en ces termes : hxposuit ctiam
itnn. i2',o. ddii^enter {Jacobus de Fitreyo) crrorem dliim qiiein induxit
genti Arahwn perditus ille Mahomas , in quo errore infelix
lUagens usque hodiè pertinaciter persévérât. «Réfutation des
erreurs dont le perfide Mahomet a imbu la nation arabe qui
a jusqu'à présent le malheur d'y persévérer avec opiniâtreté u
On aurait lieu de prendre aussi pour un livre de controverse
Appar. s. I , le dialogue entre un chrétien et un juif, sur les sacrements
p. 123, iiicatai. QU sup je sacrcmcnt de l'autel, qui. selon Possevin, existait
manuscrit dans une bibliothèque de Cambrai. On ne sait trop
cependant si Possevin veut dire que ce livre a été composé
par l'évêque d'Acre , ou seulement qu'il lui a jadis appartenu,
quand il était curé de Wasiers, qui fait Jacohi de Vitriaco
HISTORIEN. 2^1
XIII SIKCI-K.
P. 45, 11. 2 >i.
cuvati de JVasiers. Mais M. Le Glay, dans le catalogue des
manuscrits de Cambrai , qu'il a publié en i8'Ji , énumère les
articles que comprend le volume numéroté abi ; et l'un de
ces articles a pour titre : Sermo Jacohi de f itriaco de Sa-
crainento Altaris. Ce sermon est-il le môme opuscule que
Possevin a qualifié dialogue? C'est un point que nous n'avons
pas le moyen d'édaircir.
Plusieurs autres écrits théologiques de Jacques de ^ itry
ne nous sont connus que par la mention qu'en fait Possevin, ApiMi ■.. 1..
comme de manuscrits conservés en diverses bibliothèques "^"''
des provinces belgiques : Moralizationes , à l'abbaye de Rou-
geval ; De confessione , chez les guillelmites de Nivelle;
Sumnid de com-ersione pcccatoris , à Saint-Martin de Tour-
nay ; De ^ratià speciali qidbiisdarn data , à Sept-Fontaines
près de Bruxelles; Des pro\'erbes ou maximes religieuses,
chez les Chartreux de Liège.
Restent les conqjositions historiques de notre auteur, au
nombre desquelles nous aurions à compter celle qui est in-
titulée: Exeinpla^ si c'était réellement un recueil d'exeniples
ou de récits instructifs, qu'il eût disposé lui-même. Des Catal iii3o.,Vii-
manuscrits de Kenelme Di^bv et de Jean Hobv, en Aimie- '^, •""'" J\,''
terre; de Notre-Dame d'Anvers et de labbaye de Hasiion en p. 3794. 10.
Belgique, sont annoncés sous ce titre iX Kxempla ; et le frère SamUi , ai,s.
prêcheur Etieime de Belleville dit que [)our composer son ^|i'' •'"'"'' i'
ouvrage De dii>ersis materiis prcedicabi/iùus, il s'est servi de ce .Sciipi. „,,],„.
livre, <Ye libro quodam ejcemplorumvulgdiiunietalioriun i)ia~ l'i^fii'^. t. 1, p.
fristvi Jacobi de J itriaco , Tusculani ei)isiopi, cardinalis. IMais '"' ,'. "' ,','
u autres manuscrits intitules Cierrnones et ea:emj)la , et surtout "iiMHoii.M Coii,.
les mots qui se lisent à la tête de celui de Saint-Martin de — <^"'^' ^''l'i
Tournay, Exempta qiiœ narrât Jacobus de Vitriaco iii sa- "t '"''''•'•''''
monibussuis, permettraient de penser que ce livre d exemples Sinnin , ak,.
ne consiste qu'en extraits des sermons de Jac(jues de Vitry. 'i^'g , pan 1, p
On aurait à peu près les mêmes raisons de soupçonner (lue ' ',',' ", V'
c est un fragment ou une partie de son Histoire orientale, 1. i.
Îui a été quelquefois indiquée comme un ouvrage particulier, -^ !)6(^j,oiini
)e reruni naturd et notabilibus rébus nuœ in Oriente sunt: '■'"'„ 7/ ,'!""''■
et Ion est pleinement autorise a en dire autant des vrag- t. iv, p. 14.^, .!.
menta de moribns et viribus y/garenorum , compris dans un K^g. 1. ! . p.
manuscrit de la Bibliothèque du Roi. ^J^: —\f'''-
CI» ' 11' • ' 1.' I- 1 X Bibl. iiied. Liliu.
ai Ion écartait, de plus, un traite sur l église de 3otre- t. iv, p. ■!>,.—
Dame-de-Lorette, trop vaguement désigné par deux ou trois ciac<,ii 11
bibliographes, comme un ouvrage particulier de l'évêque ly'coVs/ "
iblor.
I. t.
222 JACQUES DE VITRY,
XIII SIÈCLE. ,, , _ , j • • 1 1 • 1 .
(1 Acre et de Tusculum, on réduirait les productions histo-
riques de cet écrivain à trois articles : ÏEloge de quelques
Liégeoises, la Vie de Marie d'Oignies , X Histoire de l'Orient
et de l'Occident. Le livre de Mulieribus Leodiensihus est
adressé à Foulques, évêque de Toulouse, qui, chassé de son
siège par les Albigeois, s'était réfugié au pays de Liège. Le
récit ou le tableau des actions et des pratiques par lesquelles
ces femmes se sont sanctifiées, a été inséré par Vincent de
viiic. Bciiov. Beauvais dans le 3o* livre du Miroir historial, à la suite de
Spec. histor. 1. [g notice sur Jacques de Vitry, que nous avons citée au com-
iis'' li '!s — mencement de cet article Sans doute les Liégeoises qui re-
SaiîticManusc. çoiveut ici des hommages , accomplissaient tous leurs devoirs
Beig part. II, j^> fiHes, d'épouses et de mères; mais ce mérite n'est pas
^ '^' celui qui leur vaut ces éloges; leurs vertus domestiques n'y
sont qu'accessoirement recommandées : il s'agit surtout de
leur piété fervente, de leurs austérités, de leurs extases, de
leurs ravissements mystiques, nous dirions presque de leur
quiétisme : Extra se tanta spiritus ebrietate capiehantur qubd
in ipso beato silentio fere per totum diem quiescentes , dum
ernt rex in accubitu suo , non erat eis vox neque sensus ad
alitna exteriora, etc. Ce que peuvent nous apprendre ces
))ages de Jacques de Vitry et oe Vincent de Beauvais, c'est
qu'au xiii^ siècle, comme en bien d'autres, la dévotion des
femmes prenait aisément un caractère contemplatif, et des
teintes affectueuses qui avoisinaient quelquefois ou la non-
chalance ou le délire. Nous ne croyons pas qu'il y ait lieu de
s'arrêter plus long-temps à ces merveilleux récits, où l'on ne
rencontre aucun autre détail biographique, ni même aucun
nom propre.
De Script, ec- La vic de Marie d'Oignies est beaucoup plus étendue : elle
des. II. 43i. ggj. fjjyjg^jj en deux livres, et même en trois , selon Trithème;
loppeiis.Bibi. mais le 3« est de Thomas de Cantimpre. Vincent de Beauvais
543. ^ en a lait aussi des extraits qui remplissent 36 chapitres
c. i6-5i. du livre xxx du Spéculum historiale. L'ouvrage entier se lit
.Suiius , Act. dans Surius , et plus complètement dans le recueil des Bollan-
^s. 23 jun., p. distes au ^3 juin, jour de la mort de Marie d'Oignies, en
''•'•„ . , i2i3. François Moschus en a donné une édition particulière,
Bolhnil. 23 . ^ ,?,. ., .. 1-1 •» IL
jiin.,p.63o-677. in-8°, en ibooa Arras, en y joignant la vie de saint Arnulpne
Leion},', Bibl. de Villiers: yita beatœ Mariœ Oigniacensis beghinœ , auc-
hisi. de u Fi. t. ^^^^ Jacobo de Vitriaco , cardinali, . . . unà cum vitd sancti
i472o.^^' " Arnulphi f'illariensis.he cordelier David Herrera en a pu-
blié une version flamande, à Louvain, chez Masius, in-8®.
HISTORIEN. 223
, . ,.. iM 1 • ■ c ■ XIIISIKCLE
Arnauld ciAndilly, en traduisant cette vie en français, a
retranché les articles qui prêtaient le plus à la critique. Baillet Recueil de»
l'a réduite à huit pages, où sont contenus les faits les plus vies des saimsii.
admissibles, les notions les plus positives. Bernard Mouchet "^g' ^'
et François Giry ont reproduit aussi l'histoire de cette bien- viesdessaims,
heureuse. En général, les auteurs modernes se sont permis t. \i,in-8%23
d'y faire beaucoup de retranchements. Jacques de Vitry """'vies/muadcs
prévoyait bien que ses récits n'obtiendraient pas une pleine et translation de
confiance. « Vous m'avez demandé, écrit-il à Foulques, une *'* ^^^"'^ '"^'"
dm . ii/^-w- ., . , , j u '■ •' .. snies (par Bcrn.
e Marie d Oignies : j ai résolu de vous obéir; j entre- Mouchet) , Lou-
« prendrai cet ouvrage, bien que je m'attende aux censures vain , Rivius ,
« des langues médisantes. Non, la malveillance de ces hom- '^7". in-S".
I • ^ • U I rv- Fr. GiiY,Rec.
« mes sensuels qui ne comprennent rien aux choses de Uieu, j^ ^i^^ de saims.
« ne m'empêchera pasd'olfrir aux fidèles une instruction qui i^ juin.
B doit leur être profitable. Je le sais trop, il est des hommes
« charnels qui s'estiment sages, parce qu'ils n'admettent que
« ce qui est intelligible à la raison humaine. Ils méprisent ce
« qu'ils n'entendent pas; et, selon le langage de l'Ecriture,
« ils éteignent , autant qu'il est en leur pouvoir, l'esprit divin
« et rejettent les prophéties. Ils traitent de fous et d'insensés
« les hommes spirituels, de songes ou de chimères les révé-
« lations des saints. Mais la main de Dieu n'est pas raccourcie,
« et depuis la création , il n'y a eu aucun temps où le Saint-
ce Esprit n'ait opéré, en public ou en secret, des choses ad-
« mirables dans ses élus. »
Le P. Touron applaudit à ce» sentiments du pieux viede.s. uo-
cardinal qui, éclairé par des lumières supérieures et par sa niiniq. Piei. p.
tendre piété, se mettait au-dessus de la critique vulgaire. ^''^
Mais Nicole, l'auteur des Essais de morale, n'en a pas tout- Kss. de mo..
à-fait jugé de même. «Le cardinal Jacques de Vilry, dit-il, '^ii,ietire/,5.
« homme de poids et de mérite, fait, dans la vie de Marie ^' ''^ ' '^'
« Dogni ( d'Oignies ), le récit des choses extraordinaires ar-
« rivées à une sainte fille encore vivante de son temps, que
« l'on appelait Christine l'admirable. Il était confesseur d'un
« monastère où elle était, et apparemment le sien; et, sur
« cela, il s'est imaginé que l'on l'en croirait. Cependant de
« quelque poids que soit son autorité, ce qu'il en dit est si
« extraordinaire, que l'on s'en moque quand on le rapporte;
n et M. d'Andilly s est cru obligé de le retrancher de la vie de
a Marie Dogni , qu'il a donnée en français. Si ce cardinal eût
« fait autrement, et qu'au lieu de nous payer de son témoi-
« gnage, il eût pris la peine de bien vérifier les faits par de
XIII SIKCLE.
224 JACQUES DE VITRY,
« bons témoins et de bien circonstancier les choses, on en
« jugerait tout autrement, et ses histoires ne seraient pas
« iimtiles à FK^lise, comme elles le sont présentement. »
Marie de VV illenbroeck était née en 1177, à Nivelle, de
parents assez riches, quoique d'une classe moyenne. A i4
ans, on lui fit épouser un jeune homme estimable, qu'elle
entraîna p.ir ses conseils et par ses exemples à ne plus vivre
que pour Jésus -Christ. Ils donnèrent tous leurs biens aux
pauvres, et se vouèrent au service des lépreux. Les railleries
des f^ens du monde n'ébranlèrent point leurs résolutions
pieuses La jeunesse de Marie fut un long cours de pénitences,
d'abstinences, de mortifications, toutes, à vrai dire, exces-
sives. Elle savait pourtant joindre l'activité à la contempla-
tion, le travail fies mains à la prière. Chaque année, elle
faisait un pèlerinage à Notre-Dame d'Oignies, église située
à une petite lieue de Nivelle. Mais elle ne tarda point à se
confiner dans ce village, afin d'échapper à la multitude qui
venait la visiter et l'admirer à Willenbroeck. Oignies, lieu
écarté des routes publiques, lui offrait une retraite plus pro-
fonde. Nous avons dit comment y fut attiré Jacques de Vitry.
Il y était établi, quand une maladie longue et douloureuse
termina les jours de la sainte recluse. Elle n'a point été cano-
nisée; mais son corps fut levé de terre en 160Q, par ordre du
pape Paul V, et renfermé dans une châsse d argent qu'on a
élevée sur l'autel de l'église d'Oignies. On a composé en son
honneur un office qui a été approuvé par l'évêquede Namur,
en HM9. Ce sont, en général, des faits naturels et croyables
comme ceux-là, que Baillet a recueillis pour rédiger une vie
abrégée de Marie d'Oignies: il a laissé les visions, les pro-
phéties, les miracles dans les livres de Jacques de Vitry, de
Vincent de Beauvais et de Thomas de Cantimpré. Nous nous
abstiendrons de les en extraire, persuadés avec Nicole que le
récit en est devenu inutile, ou du moins qu'il ne servirait
qu'à faire déplorer l'extrême crédulité du moyen Age, assez
attestée par d'autres exemples.
Il ne nous reste donc à examiner qu'un seul ouvrage de
Jacques de Vitry, son histoire d'Orient et d'Occident ; nous
croyons avoir parcouru tous les autres, quoique nous n'y
ayons compris aucune production en vers. A la vérité, Pos-
sevin,en parlant du volume manuscrit qui , selon lui, ren-
ferme le Dialogus christiani et judœi de Sacramento Altaris,
dit qu'on y trouve aussi multa carniina de diversis ; mais
XIII SIECLE
HISTORIEN. 225
une indication si vague, si suspecte d'inexactitude, ainsi que
nous l'avons déjà remarqué, ne nous semble pas suffire pour
attribuer à l'évêque d'Acre des poésies diverses, dont il n'est
fait ailleurs aucune sorte de mention.
L'ouvrage historique , généralement considéré comme le
principal ou même l'unique titre littéraire de Jacques de
Vitry, se compose d'une préface et de trois livres. La préface
a été imprimée pour la première fois en 1608 , dans les --^n-
tiquœ lectiones de Canisius. Elle ne précédait point les livres , ,3^';',"*^ '
I et II qui avaient paru a Douai, en 1097, sous ce titre: liasnag. p. 27 ei
Jacohi de f itriaco primiim ylcconensis , deinde Tusculani 28.
episcopi , et Sanctœ Ecclesiœ romance cardinaUs sedisque
apostolicœ in Terra Sanctd, in Imperio , in Francid olini
legati , libri duo, quorum prior orientalis sive hierosolynii-
tanus : altcr occidentalis historiœ noniine inscribitur. Omnia
nunc primiim studio et opéra D. Francisci Moschi Nii'i-
gellatis jurisc^nsulti , . . . . è tenebris et situ in lucem édita.
Duaci, ex ofjicind typographicd Balthazaris Belleri. C'est
un volume petit in-8° de 479 pages, outre 24 feuillets de
préliminaires. L'éditeur Moschus n'y a compris ni la préface
ni le 3*^ livre , qui apparemment ne se trouvaient point
dans les manuscrits dont il pouvait faire usasre. Il est , ^ ''**•.''« Hisi
même douteux, selon certams auteurs, quil existe aucune Michaud , Lii>i
coj)ie authentique du 3*^ livre. Cependant Grctser l'a mis au des crois. 1. i,
jour en 1608, et Bongars l'a reproduit en 161 1 , à la suite V}^°-
du livre \^^ : Jacobi de V itriaco Historiœ orientalis liber ter- lO
tius , qui potissindim de capta à cruce signatis Damiatd agit.
Les livres I et III occupent ainsi les pages 1047 à 114^ du
tome i^' de la collection connue sous le nom de Gesta Dei
per Francos. Bongars n'y a point admis le livre second, le
jugeant étranger à l'histoire des croisades; il renvoyait ceux
qui le voudraient lire à l'édition de Douai : Librum secundum
petat qui volet ex cditione Duacensi ; neque enim hîic facit.
Le livre III se lit aussi, mais fort différemment, dans le tome
troisième du Thésaurus noi'us Anecdotorum de Martène et Coi. 267-287.
Durand; il y a pour titre: Narratio patriarchœ hierosolymi-
tani coram summo pontifice de statu Terrœ Sanctœ, sive
Jacobi de V itriaco , episcopi Acconensis et posteà S. R. E.
cardinaUs episcopi Tusculani , Historiœ orientalis liber Hl
ab editis diversus , ex mss. codice bigotiano, nunc Bibliothecœ
regiœ. Ce livre, qui a 21 pages in-folio dans le recueil de
Bongars, n'en remplit guère que neuf dans celui de Mar-
Tome XVHI. F f
ILiH.
22G JACQUES DE VITRY,
XIII SIÈCLE. ., ... , , „ . „T
tene: li y est suivi des quatre lettres a Hononus III, que
nous avons dëja lait connaître. Telles sont les éditions du
principal ouvrage de l'évèque d'Acre : on voit qu'il n'y en
a point de complète.
On n'a point de description assez précise de deux manu-
scrits de cet ouvrage qui se conservent au Vatican et qui pro-
Sa.n^^p'aUye, i. viennent de la reine Christine. A Paris, la Bibliothique du
X, Il zaa'î , Roi en possède trois, numérotés 22()3, 3284, 55 lo ( fonds de
^*4^ Colbert). Le i^"^ est conforme à l'édition de Bongars, les deux
3uqVi iv, p autres offrent des variantes. Oudin en cite un qu'il a vu entre
,26. les mains de Homniey, qui l'avait emprunté à la Bibliothèque
Commrnt. de ^^ Sorbonuc. Le même Oudin assure qu'il existe deux copies
m'^p v-'/iQ' manuscrites de l'Histoire orientale à Saint -Victor, et deux
autres à Oxford. Chronicon vel descriptio Terrœ Sanctœ est
„ , , , , , le titré d'un manuscrit de Naples, indiqué par Montt'aucon,
B:bl.hibl. rass. .... . i i • • ' '^ > t-'i
t. i,p. 23o. B., qui tait aussi mention de celui qui se conserve a r lorence
37» A. et qui renferme la préface, ailleurs omise. L'une des copies
les plus remarquables est celle qu'Isaac Vossius a possédée :
ibid*.T*^['rpag! ell'^ présente, a-t-on dit, beaucoup de leçons nouvelles. Il
678. Cal.' msl s'en faut que les éditeurs de Jacques de Vitry aient pu faire
Angiii, part. d. gsscz d'usagc de ces manuscrits divers qui peut-être ne sont
* ** ■ pas les seuls qu'on puisse découvrir.
La préface de l'ouvrage n'occupe que deux pages dans
p 2 ei 28 l'édition de Canisius, non plus que dans celle de Bongars;
P.io47,io/j8. et de part et d'autre c'est le même texte, sauf quelques va-
riantes légères. L'auteur dit qu'après la prise de Damiette, il
s'est appliqué, afin d'éviter l'oisiveté, à l'étude des livres
latins, grecs et arabes ; et que, voyant avec quel soin y étaient
recueillis tous les souvenirs des faits mémorables, il a résolu
de travailler aussi à conserver la mémoire des entreprises et
des triomphes du peuple chrétien. Encourage dans ce des-
sein par l'exemple des apôtres et des plus anciens docteurs
de l'Eglise , il va payer son tribut à la cause commune. Quand
on construisait le temple, les uns apportaient de l'argent ou
de l'or, les autres des peaux ou des poils d'animaux. Il n'a
que le denier de la veuve à offrir; mais il espère que sa bonne
volonté lui obtiendra le pardon de son insuffisance, insuffi-
cientiœ rnece veniam. Son ouvrage sera divisé en trois livres.
Le i"^ retracera sommairement l'histoire de Jérusalem,
décrira les lieux et les mœurs, racontera les événements
récemment accomplis en ces contrées orientales. Le second
traitera de l'Occident, des ordres séculiers et réguliers, enfin
HISTORIEN. 227
de la religion des croisés et de l'utilité de leurs expéditions :
De ordine et religione cruce signatorum et utilitate pcregri-
nationis pleniiis in fine disserens. On voit déjà que ce
deuxième livre ne doit pas être aussi étranger a l'histoire
des croisades que l'a pensé Rongars. Dans le 3^, l'auteur
retournera en Orient, et dira ce qu'il y a vu de ses propres
yeux, depuis la clôture du concile de Latran jusqu'à la prise de
Da miette : In tertio libro , ah Occidente in Oriente regredicns,
de his quœ post générale conciliuni lateranense Dominus in
populo suo et in exercitu christianorum usque ad captioneni
Damiatœ operari dignatus est, sicut propriis oculis vidi ,
tradere ccepi. Il est donc certain que Jacques de Vitry a écrit
un 3*^ livre, et la seule question qui peut rester à discuter
est de savoir si c'est bien celui qui se lit aujourd'hui , soit
dans les manuscrits , soit dans les éditions de Bongars ou de
Martène.
Le nombre des chapitres du 1*"'^ livre est de 210 dans l'é-
dition de Moschus, de cent dans celle de Bongars, qui est
néanmoins complète et, à quelques variantes près, conforme
à la précédente. Les deux premiers chapitres concernent
l'ancien élat de la Terre-Sainte et les peuples qui l'avaient
habitée avant l'époque de Mahomet. Les i3 suivants retra-
cent les destinées de ce pays, depuis le septième siècle de
l'ère vulgaire jusau'au temps de Pierre l'Hermite. Le surplus
correspond aux dernières années du onzième siècle, au dou-
zième et aux premières années du treizième; mais cette
partie, qui forme le principal corps du livre, contient beau-
coup plus de descriptions que de récits proprement dits.
L'auteur parle avec assez d'exactitude de l'entreprise de
Mahomet, de sa doctrine, des progrès de l'islamisme, et de
quelques peuples orientaux qui ne s'étaient point soumis à
la loi du prophète de la Mecque. Les uns conservaient leurs
anciennes idoles; les autres adoraient des animaux, des
plantes, le premier objet que le hasard leur offrait chaque
matin. Quelques-uns jetaient en l'air du pain, des viandes
ou toute autre offrande en l'honneur du véritable Dieu qu'ils
avouaient ne pas connaître. Jacques de Vitry distingue entre
ces peuples, lesTurcomans, les Bédouins, les Assassins. On
lit au chapitre la que les Bédouins, Arabes d'origine comme
Mahomet, persuadés que rien ne peut avancer ni retarder
l'instant fatal où chaque être animé doit mourir, ne se cou-
vrent jamais d'armes défensives. Ils font usage d'épées et de
Ff2
XIII SIECLE
228 JACQUES DE VITRY,
XIII SIECLE, lances, mais non d'arcs et de flèches. C'est à leurs yeux une
lâcheté que de tirer de loin des traits et des javelots. Du reste,
ils prennent volontiers la fuite, quand le combat devient
périlleux, et s'attachent au parti le plus fort. Menteurs, dis-
simules, inconstants, avides, ils manquent de foi aux mu-
sulmans comme aux chrétiens. Ils portent sur la tète des
voiles et des bonnets rouges, se revêtent de peaux de chèvre
et de mouton, et couchent sur d'autres peaux dans leurs
tentes. N'ayant pas d'habitations fixes, ils marchent par
tribus, et s'arrêtent çà et là dans les plaines, dans les pâtu-
rages, avec les troupeaux qu'ils traînent à leur suite. Le lait
est leur principale nourriture, et l'oisiveté leur plus douce
jouissance: ils chargent leurs femmes du soin de leurs brebis,
de leurs bœufs, même de leurs chevaux.
Au chapitre i4 , l'évêque d'Acre porte à 4o mille le nombre
des Assassins qui, près de la Phénicie, occupent un territoire
entouré de montagnes et de rocs inaccessibles. Dix villes,
que la nature et 1 art ont fortifiées, leur servent d'asiles, et
sont environnées de belles campagnes fertiles en toute espèce
de fruits. Leur chef, qui tient son pouvoir de l'élection et non
d'un droit héréditaire, porte le nom de Vieux ou Seigneur,
moins à cause de son âge qu'à raison de sa prudence et de
son mérite, Prœjîciunt auteni sibi capitaneuni non successione
hœveditarid , sed meritorid prerogativd , quem ipsi fêtèrent
seu senem appellant non tàni provectce œtatis ratione quàm
Mémoire sur prudeuticc et dignitatis prœeminentid.\^e Vieux de la Monta-
la dynastie des g^ic prend un soiu particulier de l'éducation des enfants :
siKeTt'"de^Sacî qu^ud ils Ont appris différentes langues, ils vont, armés de
Classe d'hist. et poiguards, assussiucr des princes chrétiens ou musulmans,
de litiér. anc. de gelou les passious , Ics capriccs ou les intérêts de leur maitre.
p "Ig" ' ' Pour remplir ces missions, ils savent au besoin se déguiser
Mém. de M. en marchands, en clercs, en religieux. Jacques de Vitry est
F.t. Quatremère (jy nombrc dcs hisloricnS orientaux qui ont éclairé les
ruin^es*^ de l'o*- rcchcrches des savants modernes sur les Assassins, parti-
rieot. culièrement celles de MM. Silvestre de Sacy, Etienne Qua-
Lettiedejou.. tremèrc et Jourdain.
(lain a M. Mi- m ■ . i pr i* . i» J**.
chaud, t. II de Tout Ic Tcstc du I livrc cst , commc nous lavons dit,
l'hist. des Croisa- consacré à l'histoirc des croisades. L'auteur la commence en
des, p. 549-577. racontant le voyage de Pierre l'Hermite en Palestine, son
lêsNo'tfœse^tex*- TCtour et SCS prédications en Euroj)e. Les récits sont rapides,
traits des mss. souvcnt incomplcts , quclqucfois uu peu confus; les descrip-
t. IX, p. 143- tiens, au contraire, presque toujours attachantes et instruc-
Xni SIÈCLE.
Adversar. I. V,
c. i4-
HISTORIEN. 339
tives. Après avoir retracé le départ et les mouvements des
croisés, le siège et la prise d'Antioche, de Jérusalem et de
plusieurs autres places, l'établissement et les exploits des rois
chrétiens de la Terre-Sainte, l'évêque d'Acre distingue quatre
grandes principautés dans lesquelles s'étaient distribuées les
colonies européennes : le comté d'Edesse, la province d'An-
tioche, celle de Tripoli, et le royaume de Jérusalem qui
comprenait avec cette cité, Naplouse, Acre, Tyr, d'autres
villes, bourgs et villages. Ces détails sont suivis d'une vive
peinture des progrès de l'Eglise d'Orient, de ce nouveau
peuple de Dieu rétabli dans les contrées saintes. Barthius a
particulièrement recommandé ce qui est dit du cours du
Jourdain, au chapitre 63: Qui Jordani fluvii cursum utili-
tatemque nosse cupit, légat historiam orientalem Jacohi de
Vitriaco , capite 53 , qui scriptor ante annos 4oo midta no-
tahilia consignavit. On a aussi remarqué dans ce même cha-
pitre la mention d'un miel fort semblable au sucre de cannes.
Mellis autem ex calamellis maximam in partibus illis vidimus
abundantiam. Sunt autem calamelli calami pleni melle , id
est succo dulcissimo, ex quo quasi in torculari compressa et ad
ignem condensato, priits quasi mel, post hœc quasi zuccura
efficitur. Vocantur autem. alio nomine , cana-melles , quod
nomen ex canna et melle componitur , eo quod cannis siue
arundinibus huj'us modi calami sunt similes. Nous citerons
dès ce moment deux lignes du 3^ livre sur le même sujet :
Sunt ibi cannœ ex quibus jluit fructus dulcissimus , et vocan- Manène, xhes
tur cana-melli zachariœ. A.necd.,i.iii, c
Le premier livre se continue par des descriptions du
Mont-Thabor, des villes de Sébaste, Tibériade, Béthanie,
Nazareth , Hébron , Lydda , Bethléem , et Jérusalem sur la-
quelle l'auteur reporte souvent ses regards. Il visite le saint
sépulcre, le Calvaire, la montagne de Sion, celle des Oliviers,
le temple de Salomon, la vallée de Josaphat. Il rencontre
dans ces lieux vénérables les nouveaux ordres militaires et
religieux , les frères hospitaliers de Saint-Jean , les Templiers,
les chevaliers Teutoniques. Il remonte aux origines de ces
institutions et en esquisse l'histoire. La Terre -Sainte lui
apparaît comme un paradis de volupté, velut paradisus vo-
luptatis Jlorehat ; elle exhale les parfums des roses et des lis.
Les déserts viennent de s'y transformer en riches campagnes;
les repaires des dragons et des serpents se sont couverts de
moissons. L'Italie, l'Allemagne et la France y ont versé une
279-
Xra SIECLE.
23o JACQUES DE VITRY,
population nouvelle. L'historien fait un grand ëloge des Gé-
nois, des Vénitiens, des Pisans : il loue la politesse de leur
langage, la maturité de leurs résolutions et l'activité avec
laquelle ils les exécutent, leur industrie commerciale, les
services qu'on obtient d'eux pour le transport des personnes
et des marchandises, leur habileté et leur bravoure dans les
expéditions maritimes, leur sobriété à laquelle ils doivent
de vivre en Orient plus long-temps que les autres Occiden-
taux. L'esprit de liberté qui anime les Italiens reçoit aussi
les hommages de l'évêque d'Acre: ils défendent leur indé-
pendance, n'abandonnent à personne le droit de leur im-
poser des lois; ils les font eux-mêmes, et ils n'en confient
l'exécution qu'aux chefs qu'ils ont choisis. In re sud publicâ
procurandâ diligentes et studiosi ; . . . aliis subjici renuentes,
anteomnia libertatem sihi defendentes , suh uno aueni eligunt
capitaneo , conimunitati suœ jura et instituta dictantes. Les
Allemands, les Français, les Bretons, les Anglais sont moins
circonspects et plus impétueux, moins sobres et plus prodi-
gues, moins prévoyants, mais plus dévots, plus charitables,
plus courageux dans les combats sur terre, plus adroits à
manier l'épée, la lance et les chevaux. Aussi passent-ils, les
Bretons surtout, pour le peuple d'Occident le plus utile à la
défensedes lieux saints, quoique l'intempérance et la légèreté
de plusieurs d'entre eux aient mérité de graves reproches.
Au milieu des nouveaux habitiiiits de la Palestine, le nom de
VovAams, Pollani ovL Pullani , distinguait ceux qui étaient nés
dans ce pays depuis la conquête, et dont la plupart avaient pour
mères des femmes qu'on avait fait venir de la Pouille : il reste
incertain si ce mot de Pullani vient de Pullus ou (X ylpulia.
L'auteur discerne aussi dans ces colonies des Syriens, des
Grecs, des Jacobites, des Maronites, des Nestoriens, des
Arméniens, des Géorgiens, différentes sectes religieuses,
diverses classes d'agriculteurs, de vignerons et d'artisans.
Il expose ensuite comment le démon et avec lui les sept
péchés capitaux se sont introduits dans l'Église orientale,
comment l'enfer y a préparé des logements pour tous les
vices, pour tous les crimes : Injemus . . . singulis criniinihus
et vitiis singula prœparavit hospitia. La corruption a com-
mencé par les pasteurs : négligeant le soin des âmes de leurs
brebis, ils n'ont songé qu'à s'approprier leur lait et leur
laine : & Ah ! pourtant le Seigneur leur avait recommandé de
les nourrir, et nous ne trouvons nulle part qu'il eut prescrit
HISTORIEN. 23 1
XUl SIÈCLE.
de les tondre.» Lanam et lac ex ovibus quœrentes , de ani-
mabus autem non curantes; . . . càm tamen dixerit Dominiis
Petro , Pasceoves meas, nunquhm Tonde oves vc^GA?,^ipsuni
dixisse reperimus. La contagion a gagné les ordres monasti-
ques : scandaleux par leur opulence, ils le sont devenus plus
encore par leurs dissentions violentes, et par l'usurpation
des droits du clergé séculier. Chez les laïcs, la dépravation
a suivi les progrès de la puissance : une génération perverse
est sortie de ces premiers croisés si recoinmandables par
leurs sentiments religieux et par leur bravoure. Héritiers de
leurs conquêtes et non de leurs vertus, les Pollani ou Pou-
lains ne sont plus qu'une race impure et lâche, méprisée de
ces Sarrasins qui tremblaient devant ses aïeux : elle traite
avec les Turcs, compromet les intérêts des chrétiens, et ne
sait soutenir de querelles que celles qui la divisent et la
déchirent elle-même.
Ici les censures de l'évêque d'Acre s'étendent aux Véni-
tiens, aux Pisans, aux Génois, aux Syriens surtout, anciens
habitants de la Palestine. Il s'arrête long-temps à combattre
les hérésies de ces Syriens, puis celles des Jacobites, des
Nestoriens, des 3Iaronites , des Arméniens : les chapitres
76-79, qui concernent ces différentes sectes, appartien-
nent plus à la théologie polémique qu'à l'histoire. On
aurait à recueillir un peu plus de faits dans les 3 suivants
qui sont relatifs aux Géorgiens, aux Mosarabes, aux Esséens,
aux Saducéens , aux Samaritains et aux autres Juifs. La
conclusion de ces détails est que tous les vices de l'Europe,
que des générations impies et monstrueuses ont envahi la
Terre - Sainte : Flagitiosi et pestiferi homines , scelerati et
inipii, sacrilegi, fares et raptores , homicidœ , parricidœ ,
perjuri, adulteri et proditores, . . . monstruosi homines. Ce
tableau est si horrible que M. Michaud. le déclare exagéré, Bîbiioth. des
tracé par un écrivain passionné. Jacques de Vitrv demeure Croisades, 1. 1,
cependant un zèle partisan des croisades, et son enthou-
siasme pour ces expéditions donne malheureusement trop
de poids à son témoignage, quand il en expose les déplo-
rables effets. On est bien tenté de croire que la vérité seule
a pu lui arracher de si pénibles aveux.
Les chapitres 84-93 décrivent l'état physique de la Judée
et des contrées voisines ; les pluies , les neiges et les autres
accidents atmosphériques; les fontaines, les rivières, la mer
Rouge, les quatre fleuves qui ont leurs sources au paradis
p. 177-179.
lUI SIECLE.
232 ' JACQUES DE VITRY,
terrestre; les arbres et leurs fruits, les herbes et les parfums,
les animaux féroces ou venimeux, le phénix et d'autres oi-
seaux rares, les poissons peu connus, enfin les pierres pré-
cieuses. Sur ces divers objets, l'auteur joint à ses propres
observations, qui ne sont pas considérables, ce que les
traditions et les croyances populaires peuvent lui fournir de
plus merveilleux. Il croit fermement que la vigne du Baume
demeure stérile lorsqu'elle est cultivée par des Sarrasins; il
parle d'un peuple oriental qui ne s'alimente que de l'odeur
de certains fruits. L'article le plus digne d'attention est celui
oi> il s'agit de l'aiguille aimantée : c'est l'un des témoignages
qui nous apprennent que la boussole était inventée et em-
ployée avant \^io. Acusferrca, postquamadamantem conti-
gerit, adstellani septentrionalem quœ velut axis firmcnnenti,
aliis vergentibus, non movetur, semper convertitur ^ undè valdè
necessariuni est navigantibus in mari. Mais Jacques de Vitry
retombe dans les fables, quand il nous entretient des Ama-
zones, de quelques peuples barbares et monstrueux, des
vertus miraculeuses de plusieurs substances.
Dans les sept derniers chapitres de son premier livre, il
reprend l'histoire des croisés, il raconte, mais toujours som-
mairement, les révolutions du comté d'Edesse, qui finit par
tomber au pouvoir de Saladin; les exploits guerriers et les
querelles domestiques des princes latins de Jérusalem , de-
puis Godefroy de Bouillon jusqu'à Guy de Lusignan; le
formidable armement de Saladin , sa victoire éclatante sur les
chrétiens affaiblis et presque vaincus par leurs dissentions,
sa marche rapide à travers le royaume de Jérusalem où il
s'empare de aS villes; les succès qui le rendent maître de la
Palestine, de l'Arabie, de toutes les parties de la Syrie; la
désolation des Occidentaux à la nouvelle de la prise de Jéru-
salem; l'expédition qu'entreprennent l'empereur Frédéric, le
roi de France Philippe-Auguste, le roi d'Angleterre Ricl>ard ,
avec eux une multitude de seigneurs et de prélats; le siège
d'Acre par les croisés sous la conduite de Guy de Lusignan
et de son frère Geoffroi, puis par les Français et les Anglais
qui s'en font ouvrir les portes et dont les triomphes ne sont
ralentis que par la discorde qui éclate entre leurs rois;
le brusque retour de Richard en Europe et sa détention en
Allemagne , la retraite de Saladin et sa mort en 1 1 93, l'atTai-
blissement presque égal des chrétiens et des Sarrasins, les
divisions intestines des uns et des autres.
HISTORIEN. 233
XIII SifeCLE.
Ce premier livre de l'histoire orientale de Jacques de Vitry
est quelquefois designé sous les noms d'histoire de Jérusalem,
d'histoire ahrésée, ( Historia hierosolvmitana, ahhreviata)^ de „.,^°°'*^*"'j?.'î,,'
, 1 I ^ ■ • Il m o • ^ ¥1 V ' Bibhoth. Bibl.
chronique, de description de la lerre-oainte. Il a ete con- .^ss, ,.i,p.a3o-
sulté, mis à contribution par tous les auteurs modernes qui 3';î — Bongars,
ont publié des tableaux de cette contrée, particulièrement ^"'^ p|î^^f •""
par Adrichomius dans son Theatrum Terrœ sanctœ ; e\. , à ^^^'
vrai dire, le moyen âge ne nous a laissé aucun livre où l'on
puisse recueillir autant de notions vraies ou fausses, autant
de détails exacts ou chimériques, sur la topographie et la
statistique de la Palestine, sur les habitudes et les opinions
des habitants indigènes ou européens. Nous souscrivons sans
réserve au jugement qu'en a porté M. Guizot. « Quant aux Coll. des Mé-
« faits, la narration de Jacques de Vitry est très-rapide, et moires relatifs à
« incomplète pour les temps antérieurs à son arrivée dans ^'^^ jacq de
« la Terre -Sainte; et d'autres historiens offrent, sur cette viiry, Piéf. , x.
« première époque, beaucoup plus de détails et d'intérêt.
« Mais en revanche aucun d'eux ne nous a transmis sur les
« divers peuples de l'Orient, chrétiens ou infidèles, sur leurs
« mœurs, leurs croyances, sur l'état matériel et l'histoire
« naturelle du pays, tant et de si curieux renseignements. Il
« est même évident que Jacques de Vitry se proposa bien
« moins de raconter les croisades, que de faire connaître
« l'Orient et tout ce qu'il en avait vu ou appris. C'est là le
« caractère.particulier du livre i*"" de son ouvrage; l'historien
a y tient bien moins de place que le voyageur; et malgré
« l'ignorante crédulité de celui-ci, malgré les fables qu'il
o répète, le nombre et la variété des récits et des faits qu'il
<f a recueillis, son exactitude aies rapporter, tels du moins
« qu'ils sont parvenus à ses oreilles, donnent à son travail
« une haute importance. L'idée seule d'étudier et de décrire
« une contrée, non dans un but spécial et borné, mais sous
« tous les rapports et dans un intérêt scientifique, est, au
« xiii^ siècle, un mérite très-peu commun. »
Le second livre, ou l'histoire occidentale, n'a que 38 cha-
pitres , et ne contient guère que la censure des mœurs euro-
péennes. Le premier chapitre est un aperçu général de la
dépravation des peuples. Leurs dérèglements ont provoqué
les fléaux qui affligent le monde entier: Dieu, pour punir
tant de péchés, a permis les progrès des Maures en Espagne,
de l'hérésie en Provence et en Lombardie, du schisme en
Grèce, de la trahison partout, et la prise de Jérusalem en
Tome XV m. G g
XUI SIECLE.
234 JACQUES DE VITRY,
Orient, catastrophe depuis laquelle les enfants ont en Europe
deux ou trois dents de moins qu'auparavant -.Ita ad nume-
rum confregit Dominus dentés nostros quod. . . . quotquot
piieri in mundo nati sunt , duos vel très dentés minus aliis
qui jàm procreati fuerant , habuerunt. Les chapitres suivants
signaient les divers genres de crimes et d'iniquités : l'avarice
et l'usure, les rapines et les exactions des hommes puissants ,
les mensonges des médecins, les fourberies des avocats, les
artifices des femmes, la négligence et l'inconduite des pas-
teurs : Non pastores , sed dissipatores ; non prœlati , sed
Pilati. . . Nocte in lupanari, manè in altari; filiam Veneris
nocte tangentes , filium f irginis Mariœ manè contrectantes.
L'auteur oppose à ces scandales lesbonsexemplesde quelques
saintes filles, mais en mêlant des prodiges au tableau de leur
piété. L'une d'elles a passé plusieurs années sans prendre
a'autre nourriture que le corps du Seigneur, qu'un pigeon
lui apportait tous les vendredis dans son bec, en lui disant :
Recois la vie éternelle.
Pour guérir les plaies de l'Eglise d Occident, Dieu suscita
le prédicateur Foulques qui, afin de mieux remplir sa mis-
sion, voulut acquérir l'instruction qui lui manquait encore,
et se mit à fréquenter les écoles de Paris : il y recueillait sur
ses tablettes des autorités et des documents : Erubescens
quod idiota et iiliteratus esset et divinas scripturas ignoraret,
profectus est Parisiis ut in scholis theologorum aliquas auc-
toritales et moratia documenta in tabulis suis. . . scribendo
colligeret. Paris, en ces jours mauvais et nébuleux, était en
proie, comme les autres villes, aux plus impurs dérègle-
ments. Quand les clercs résistaient aux séductions et aux
violences des courtisanes, elles les accusaient d'un vice plus
odieux, alors si commun, selon Jacques de Vitry, qu'on
n'en évitait le soupçon qu'en se livrant a une moins horrible
licence. Les mêmes maisons renfermaient à la fois, des écoles
et des lieux de débauche. On donnait en haut des leçons
de théologie, en bas de prostitution; et des disputes de na-
ture fort diverse s'agitaient en même temps aux deux
étages : In und autem et eddem domo scholœ erant superiiis,
prostibula inferiiis : in parte superiori niagistri legebant , in
inferiori meretrices officia turpitudinis exercebant ; ex und
parte meretrices inter se et cum lenonibus Utigabant , ex
aliâ parte disputantes et contentiosè agentes cierici procla-
mabant.
HISTORIEN. a35
Xni SIÈCLE.
L'historien, après une mention honorable de Pierre le
Chantre, revient à Foulques, et décrit les merveilleux effets Voy. Histoire
des sermons qu'il débitait dans la place des Champeaux. On ''|«éraire, ci-de$-
se pressait autour de lui pour arracher des portions de ses 283-3o3 ' ''
rêtements. Il lui en fallait de neufs presque chaque jour, et
quelquefois il courait le risque d'être étouffé par la foule.
Ne venant pointa bout d'éloigner ces importuns, en les
frappant de son bâton, il s'avisa de s'écrier que son habit
n'était point bénit, mais qu'il allait bénir celui de l'un d'eux.
Il le fit; et, à l'instant, l'habit de cet homme fut déchiré en
mille pièces par ses pieux voisins. Foulques , dont les paroles
opéraient d'éclatantes conversions, finit par entraîner les
princes, les chevaliers, les personnes de toute condition, à
secourir la Terre-Sainte. On le chargea de recueillir les au-
mônes qui devaient être distribuées aux pauvres croisés. Cet
argent lui porta malheur; son autorité décrut, la fièvre le
prit, il mourut à Neuilly, et fut inhumé dans l'église parois-
siale qu'il régissait. Apres lui s'élevèrent dans la chrétienté
d'autres prédicateurs qui continuèrent dignement son œuvre,
et parmi lesquels Jacques de Vitry nomme Etienne Langton , Ci-dessu», t.
Robert de Courçon, surtout Jean de Nivelle, apôtre humble Xviii,p.5o-66,
et timoré, orné de toutes les vertus comme de pierres pré- ** »P- 9 •
cieuses, omnium virtutum niargaritis ornatus; et quoiqu'il
y eût encore plus de faux prophètes, rusés renards, loups' •
déguisés, ministres et cabaretiers de satan, satkanœ caupo-
nes , d'heureuses réformes commençaient à s'introduire dîans
l'Église occidentale.
Le chapitre la et les yingt suivants concernent les diffé-
rents ordres monastiques établis en Eufope ; les ermites qui
se condamnent à la solitude, les cénobites qui vivent eu
commun , les cisterciens qui ont changé l'habit noir en gris,
nigrum habitum in griseum commutantes , et qui se sont
interdit l'usage des viandes : saint Bernard, l'ornement et
l'honneur de cet ordre, reçoit ici de grands hommages. En
Espagne, les frères de Calatrava se dévouent à combattre les
Sarrasins et à défendre les chrétiens. A l'extrémité méridio-
nale de la Bourgogne, les chartreux observent des lois aus-
tères, etfont profession du plus pacifique désintéressement :
ils consentent à souffrir des dommages et des injures, plutôt
que dç soutenir des procès et d'employer des avocats. Les
moines de Grandmont, au contraire, ont de fréc^uents dé-
mêlé avec les frères laïcs attachés à leur institut. Les cha-
236 JACQUES DE VITRY,
XIII SIÈCLE. . I « 1 1 • * A
nomes réguliers qui vivent sous la règle de saint Augustin ,
ne la suivent pas tous avec une égale fidélité : quelques-uns
d'entre eux ressemblent aux sépulcres blanchis qui recèlent
des immondices et des cadavres. Toutefois la ferveur reli-
gieuse s'est maintenue dans plusieurs communautés de cet
ordre; par exemple, dans celles de Saint-Jean-des-Vignes à
Soissons, de Saint-Obert à Cambrai , de Sainte-Marie à Blois,
de Saint-Nicolas à Oignies. Les prémontrés, fondés par saint
Norbert, ont acquis de riches possessions, et n'en demeurent
pas moins recommandables, surtout depuis qu'un de leurs
chapitres généraux leur a défendu, quoique un peu tard, de
recevoir des femmes dans leur ordre.
Un rang éminent est décerné aux chanoines de Saint-
\ictor, à cause de la science profonde cju'ils joignent à des
mœurs irréprochal)les : de leur sein s'est élevé Huguesi l in-
strument par lequel l'Esprit Saint a fait entendre ses accents :
Voy. iiisioiie Iutcv qiios nominallssUmis et prœcipuus extitit , citli(û'ist(^
litiéi, i.Xli, p. Domini, organuniSpiritiîs Sancti, magister Hugo. hc& frères
'"^ de la Trinité, clercs et laïcs, font trois parts de leurs l)ieiis,
dont la dernière seule est destinée à leur s propres besoins; les
deux autres sont employées à la rédem])tion deS captifs déte-
nus chez les Sarrasins, et au soulagement des pauvres inaU-
Voï Histoire ^^^^- U'historicn no nomme point leur instituteur Jean de
litiir.,'t. XVII, Matlia; mais il fait mention de trois congrégations moins
P 1/, ■,- jUu- connues, les frères de Spatha en Espaj^ne, les chanoines ré-
guliers de Bologne, et les humiliés de l^ombardie. Ces derniers
vivent du travail de leurs mains, et demeurent pauvres: ils ont
des sœurs converses, dont les habitations sont séparées de
celles des hommes. Leshos])italiers de l'un et de lautresexe se
sont voués au soin des malades et particulièrement des lépreux :
Jaccpies de Vitry les accuse d'avoir dégénéré de leur sainteté
j)rimitive, et d'abuser scandaleusement des aumônes déposées
entre leurs mains; il désigne' néanmoins dix communautés
(]ui n'ont pas mérité ces reproches. Il ne dit rien du tout des
frères prêcheurs ou dominicains; omission d'autant plus
étrange, que ce nouvel ordre était alors celui qui jetait le
plus vif éclat. Au contraire, il consacre aux franciscains ou
frères mineurs un chapitre dont Fleury donne un extrait et
I. Lxxviii 1) presque une traduction, en ces termes : « Ils s'efforcent de
28. « ramener la pauvreté et Ihumilité de la primitive Eglise,
« en accomplissant non seulement les préceptes, mais les
« conseils de l'Evangile. Le pape a confirmé leur règle, et
HISTORIEN. a37
« leur a donné l'autorité de prêcher partout , mais du consen-
« tement des prélats. On les envoie deux à deux : ils ne por-
« tent ni sac, ni pain, ni argent, ni souliers; car il ne leur
« est permis de rien posséder. Ils n'ont ni monastères, ni
« églises, ni maisons, ni terres, ni bestiaux. Ils n'usent ni
« de fourrures ni de linge, mais seulement de tuniques de
a laine où tient le capuce, sans chapes ou manteaux, ni
« aucun autre habillement. Si on les invite à manger, ils
<r mangent ce qu'ils trouvent; si on leur donne quelque
« chose, ils n'en gardent rien pour le lendemain. Ils s'assem-
« blent une fois ou deux Tannée pour leur chapitre général,
« après lequel le su|)érieur les renvoie deux ensemble, ou
« j)lus,en différentes provinces. Leur prédication , et encore
« plus leur exemple, attirent au mépris du monde non seu-
« lement des gens du commun, mais des nobles, qui, laissant
a les villes, leurs terres et leurs grands biens, se réduisent
« à l'habit des frères mineurs, c'est-à-dire à une pauvre tu-
« nique et à une corde pour ceinture. Ils se sont tellement
« multipliés en peu temps, qu'il n'y a point de province en
tt la chrétienté où ils n'aient de leurs frères; car ils nt; refu-
« sent personne, s'il n'est engagé dans le mariage ou en
o quelque autre ordre religieux ; et ils les reçoivent d'autant
« plus facilement, qu'ils laissent à la providence divine le
« soin de leur subsistance. Aussi ceux-là s'estiment heureux
« dont ils veulent bien recevoir Ihosjjitalité ou les aumônes.
« Les Sarrasins mêmes, admirant leur humilité et leur per-
« feçtion , It^s reçoivent volontiers quand ils vont prêcher
a l'Evangile. rSous avons vu le fondateur et supérieur général
« de cet ordre, homme simple et sans lettres, aimé de Dieu
« et des hommes, nommé frère François, tellement enivré de
« la ferveur de l'esprit, qu'étant arrivé à l'armée des chrétiens
« devant l^amiette, il alla au camp du sultan. . . . Tous les
a Sarrasins écoutent volontiers les frères mineurs parler de
« Jésus-Christ et de sa doctrine, jusqu'à ce qu'ils attaquent
tt Mahomet, le traitant de menteur et d'inhdèle; car alors
« ils les frappent et chassent de leurs villes, et les tueraient
« si Dieu ne les protégeait. »
Ce long exposé de l'état des divers ordres monastiques au
commencement du xiii* siècle est terminé par des réflexions
pieuses sur les bons usages et les abus que l'on fait de ces
institutions. L'auteur jette aussi quelques regards sur le clergé
séculier; et d'abord il trouve fort mauvais que les chanoines
XIII SIÈCLE.
XUa SIÈCLE.
a38 JACQUES DE VITRY,
de plusieurs cathédrales aient cessé de virre en commun , et
borné leurs devoirs religieux à la récitation des prières de
l'office divin, distribuées par heures : leur nom même de
chanoines, canonici, devrait les rappeler à la règle fondamen-
tale de leur institution. Il se plaint non moins amèrement
de l'établissement des chanoinesses, nobles demoiselles qui
ne veulent pas être appelées moinesses, moniales , comme
les chanoines rejiousscnt le nom de moines. Il décrit l'élégant
costume de ces demi-religieuses : Purpura et bysso et peÙibus
griseis et aliis jucunditatis suce vestihus induuntur, circum.'
aatœ varietatibus cum tords crinibus, et ornatu pretioso cir-
cumamictœ, ut similitudo teinpli. Nous apprenons ici qu'en
certaines églises un côté du chœur était occupé par les
chanoines séculiers, et l'autre par les susdites demoiselles,
à voix de sirènes : Sunt auteni in eisdem ecclesiis pariter
canonici seculares, . . . ex altéra parte chori cum prœdictis
domicellis canentes et earum modulationibus œquipollenter
respondere studentes. Ipsœ verv velut sirènes . . . . On voyait
pareillement dans les processions un rang de chanoines
correspondre à un rang de dames: Similiter in processionibus,
canonici ex unâ parte et dominœ ex alid parte concinentes
procédant.
Le chapitre 34 traite assez au long des fonctions sacerdo-
tales', de la prière, des heures canoniales et de la messe ; mais
il tient plus à la morale et aux doctrines religieuses qu'à
l'histoire; et quelque nombreux que soient les détails litur-
giques qu'il renferme, nous n'en remarquons aucun qui
ne soit généralement connu. Le principal usage de ces do-
cuments serait de faire retrouver dans la liturgie du xiii*
siècle tout ce qu'il y a d'essentiel dans les ritra actuels de
l'Église. IjCS quatre derniers chapitres ont pour objet les
évêques, les archevêques, l'administration des sept sacre-
ments, et en particulier du baptême, de la confirmation et
de l'eucharistie : ce n'est pas non plus une instruction histo-
rique qu'on y peut recueillir. II s'y rencontre beaucoup
d'explications mystiques des ornements pontificaux et des
cérémonies sacrées. On peut s'en servir pour établir la tra-
dition des pratiques et des croyances. Malgré de légères
inexactitudes, que l'éditeur Moschus fait remarquer, les
dogmes sont énoncés avec toute la précision et toute la clarté
que la matière comporte. De sacramento altaris sive euchu'-
risticB subtilis et scholastica tractatio , est l'intitulé du 38* et
HISTORIEN. a39
dernier chapitre, aui est le plus long de tous et forme à lui L
seul un quart du livre. Serait-ce l'opuscule que des biblio-
graphes nous ont indiqué sous le titre de Dialogus judœi et Ci-dessm p.
christlani de sacramentis? On pourrait être tenté de le **°
présumer; mais la forme du dialogue y manque, et il n'y
intervient point de juif. Du reste, ce chapitre et les quatre
[jrécédents sont en effet étrangers à l'histoire. Nous sommes
oin de porter le même jugement de ceux qui concernent
les communautés religieuses. C'est un tableau fort instructif
et presque complet des institutions monastiques qui, au
xin* siècle, occupaient une si grande place dans le système .
général de la société, et qui exerçaient une si grande in-
fluence sur les affaires de l'Occident, et même de l'Orient,
sur les mœurs et sur les lettres. Les hospitaliers de Saint-
Jean , les chevaliers teutoniques , les templiers , ordres
militaires dont l'auteur a parlé dans son premier livre, sont
par cette raison omis dans le deuxième, qui tient néan-
moins encore à l'histoire des croisades par les articles relatifs
à quelques autres religieux et aux prédications de Foulques
de Neuilly.
On a révoqué en doute l'authenticité du 3« livre : avant cestaDei
d'examiner cette question, nous prendrons une idée de ce Francos.t. i, p.
Su'il contient, dans l'édition la plus ample, qui est celle de "*^ et seqq.
ongars. Il y est intitulé : Jacobi de Vitriaco Histonœ orien-
talis liber tertius qui potissimiim de capta à cruce signatis
Damiatâ agit. Les premières lignes annoncent que le pape
Innocent III ayant demandé au patriarche de Jérusalem des
renseignements positifs sur l'état des Turcs, sur les forces
des Sarrasins, on s'empresse d'obéir aux ordres de sa sain-
teté. L'auteur, quel qu'il soit, commence par exposer qu'après
la mort de Saladin, qui laissait onze fils, son frère Saphadin
régna, fit mourir tous ses neveux, excepté le seul Noradin,
eut lui-même 1 5 fils, dont sept furent institués par lui héritiers
de ses états, qui consistaient en plus de deux cents villes,
domaines ruraux , châteaux et places fortes. Au milieu des
détails relatifs à ces princes, il est parlé du cabat ou calife
qui habite Bagdad, et qui occupe chez les Sarrasins la même
place que chez nous l'évêque de Rome. Bagdad est la capitale
de la race et de la loi des Sarrasins, comme l'est Rome pour
le peuple chrétien. Baudas ubi est papa Saracenoruni qui
vocatur Cabatus sive Caliphas, qui colitur, adoratur ettenetur
in lege eorum tanquam romanus episcopus apud nos ....
XIII SIÈCLE.
240 JACQUES DE VITRY,
Bandas civitas est caput totius gentis et legis Saracenorum,
ut Roma est in populo christiano.
Une seconde section du livre se compose de notions topo-
graphiques sur Jérusalem , sur le territoire qu'habitent entre
Damas et Antioche, les Assassins, ici tous appelés Vieux de
la montagne, Veteres montani ; sur la cité de Damas, située
oîi fut jadis Edom , non loin du lieu où Caïn tua son frère;
sur les villes de Sidon, patrie de Didon ; de Tyr, métro-
pole de la Phénicie; d'Antioche, où siégea pendant sept ans
lapôtre saint Pierre; sur les monts Liban, Thabor, Carmel,
Sion, Sinai; sur les eaux du Jourdain et les sables du désert;
sur Nazareth, Joppé , Ascalon , Acre,. Césarée; enfin sur
l'Egypte, son fleuve et ses villes, particulièrement Alexandrie
et Damiette.
On peut considérer comme une 3^ section, la partie his-
torique, qui s'ouvre par ces mots : « L'an de grâce 1:217, ^
« l'expiration de la trêve entre les chrétiens et les Agariens
« ( ou Agaréniens ), et à la suite de l'expédition générale qui
« eut lieu après le concile de Latran, l'armée du Seigneur
« se rassembla dans la ville d'Acre, armée commandée par
« les trois rois de Jérusalem, de Hongrie et de Chypre, qu'ac-
« compagnaient les ducs d'Autriche et de Bavière, beaucoup
« de seigneurs et de prélats, et les quarante chevaliers laissés
« par Gautier d'Avesnes, qui continuait de les entretenir. »
Dans une seconde expédition, les croisés se rendirent au pied
du mont Thabor. L'évèque d'Acre, qui est toujours nommé
ainsi en troisième personne dans ce livre, baptisa plusieurs en-
fants de Sarrasins. L'armée se divisa en quatre corps : le récit
de leurs mouvements est un peu confus, et entremêlé de
détails merveilleux, surtout d'apparitions de croix dans le
ciel. On en vit une près d'Anvers le jour anniversaire du
martyre de saint Boniface: Nous Vavons contemplée nous-
mémc , dit l'auteur; elle allait s'avançant lentement du nord
au midi.
L'année 12 18 fournit la matière d'une quatrième section,
où sont exposés, non sans quelques embarras, les prépa-
ratifs, les progrès et les vicissitudes du siège de Damiette.
On voudrait, dans une relation de cette importance, moins
de miracles et plus de méthode. Toujours voit-on que les
assiégeants essuyaient des revers souvent attirés par leurs
propres iautes. « La nonchalance et la lâcheté de certains
« personnages, dont le Seigneur connaît les noms, dit l'his-
HISTORIEN. a4i
ÎIII SIÈCLE,
torien , firent que les ennemis , reprenant leurs forces et
leur courajTe, et secondés par Noradin, qui survint avec
les gens d'Alep et une suite innombrable , s'emparèrent
du point par lequel nous avions traversé le Nil. Ainsi,
tandis que nous investissions la ville, enveloppés nous-
mêmes, nous étions livrés à d'imminents périls; et si la
sagesse divine ne nous eût inspiré d'avance la resolution
de faire garder notre camp, entre la mer et le fleuve, par
les Teutons et les Frisons , notre entreprise se trouvait
sérieusement compromise.
Une 5*^ section correspond à l'an 1219, et décrit avec plus
ou moins d'exactitude les combats qui amenèrent la prise
de Damiette par les croisés ; succès qui se lit attendre jusqu'au
5 novembre. Olivier, clianoine de Cologne, n'est point
nommé en ce livre; mais les services des guerriers qu'il avait
conduits en Orient sont célébrés en ces termes : Lœtare ,
provincia coloniensis , etc. «Réjouis-toi, province de Colo-
gne, les cantiques et les transports de l'allégresse te sont
permis , puisque , par les bras de tes citoyens , par tes
guerriers et tes armes, par tes convois et tes trésors, seule
tu as plus secondé cette expédition que tous les autres
Teutons enseitdjle. Cologne, ville des saints, pépinière oii
croissent les lis des vierges, les roses des martyrs, les vio-
lettes des confesseurs , prosterne - toi devant le Seigneur
pour lui rendre grâces de la piété de tes iilles et de la
vaillance de tes soldats. » Cette a|iostrophe est suivie de la
mention d'un livre arabe où ces événements étaient prédits,
de plusieurs autres observations qui tendent à les présenter
comme miraculeux, de (juelques détails topogiaphiques,
enlin du récit de la prise de la ville et de la citadelle de Thanis,
en novembre i:^ 19.
Il serait possible de compter pour une sixième, mais très-
courte section du livre, les articles relatifs à l'année 1220,
par lesquels il est terminé : destruction du château de Japhet,
par ordre de Conradin; départ de Jean, roi de Jérusalem,
qui abandonne le camp des fidèles; arrivée de nouveaux
croisés, des archevêques de jVlilan et de Crète, des évêques
de Gênes , de Reggio et de Brescia , de beaucoup de chevaliers
italiens; des députés de Frédéric, apportant des lettres de
ce prince; du comte Mathieu de la Pouille, amenant huit
galères, y compris les deux qu'il venait d'enlever à des pi-
rates ennemis des chrétiens.
Tome XV ni. H h
242 JACQUES DE VITRY,
-_^ rp^^l ^gj. j^ y livre (le Jacques de Vitry dans l'édition de
Thcsnur nov. Boni;ars. Bien moins long dans celle de Martène, il y est di-
Ancc.i I. II, |). visé en af) petits chapitres, dont les 8 premiers reproduisent,
1G8-287. saufd'assez légères dillérences, la première et la deuxième
section rpie ce livre vient de nous otCrir; mais pour tout le
surplus, les deux textes sont essentiellement dissembables.
Celui (pie donne iMartène ne contient rien (jui corresponde
aux années laiy, 1218, laïf), 1 220 : il se compose, à |)artir
du chapitre ou iiombre c), d'un mélange de notions topo-
graphicpies et histori(pies, donL(juel(pus-unes seulement se
retrouvent, mais moins étendues , et tout autrement dispo-
sées et exprimées, dans le texte publié par Bongars. Les faits
que retrace ou (pie rappelle celui de Martène, sont en général
antérieurs à l'ouverture du xiii^ siècle. Le chapitre 24 ou.
avant -dernier commence par ces mots : y-lnjio dominicœ
incarnatioiiis \/C \C f //, Henrico itupcnitore prociLvante.
Le seul chapitre 2") arrive à un temps ])ostéri(ur au concile
de Latran, et voici l'idée très-sommaire (ju'il donne dans
ses derinères lignes, des exploits des croisés après cette
assemblée : Facto concilia applicuerunt multi /îleintinni in
tend promissionis , et itx Unua;ariœ et rex Cypri et dux
y^ustriœ et cornes (icorgiiis et infiniti Frisones et Latini cœpe-
runt equitare per ternira, et Jractœ treuc^œ quas rex Johannes
hahehat curn Saraceni.i , et chriatiani depopulaverunt tnulta
casalia^ usque ad mare Galileœ et mare Tyberiadis pro-
fecerunt.
Bongars n'affirmait point l'authenticité du livre qu'il pu-
i)e iiisioiicis bliait; Gérard-Jean Vossius l'a niée; Maitène l'avait d'abord
laiinis, 1. n,c. trouvée tort suspecte; et J\L JNIichaud la juge insoutenable.
'fiiblioth. des ^" *?lf*"l^i dit-on, cet écrit s'annoncte comme une réponse du
CroisaiJes,'i I, patriarche de Jérusalem à Innocent 111; révê(jue d'Acre n'y
p. 180, 181. figure que comme acteur, à la troisième personne. 11 était en
Palestine en 121 7, quand l'auteur de ce livre voyait près
d'Anvers une croix miraculeuse apparaître dans les cieux.
On ajoute que les véritables ouvrages de Jacques de Vitry,
ses lettres à Honorius III et à ses amis en Belgique, sur ces
mêmes affaires d'Orient, sont d'un tout autre style. On veut
que la production dont il s'agit appartienne à Olivier le
Corpus hisio- scholastique, chanoine de Colngne, puis évêque de Pader-
lic. medii <c\i , bofti ; car elle est, poursuit-on, presque littéralement con-
°'r"^ t II '^~ ^'^' '"G, du moins en plusieurs articles, <à celle qui existe dans
,355.' ' les collections d'Eccard et de Thomas Gale, sous le nom de
HISTORIEN. 243
11 • 1 T>w ^"' SIFCLE.
cet Olivirr, et sous le titre d Histoire de la prise de l)a-
miette, (^e'st Olivier qui adresse à sa patrie ra])Ostroi)l]e Historia- angl.
La:tare,j)rovincia coloriiensis, ete. Il s'abstient par modestie pa'xh°'GJirî'r
de se nommer lui-même, quoiqu'il eût assisté au siège et ir.
contribué au succis tant i)ar les guerriers qu'il y avait
conduits que par les machines qu'il avait inventées ou per-
fcetioiiriées.
Ces observations ne sont pas toutes d'un égal poids. Celle
qui concerne le style est si ])eu fondée, que l)om .Martène,
au contraire, en imprimant les lettres de Jacfjucs de Vitry à
Honorius, à la suite de ce ^ livre, n'Iiésite point à recoiuiaître
de part et d'autre la même manière d'écrire et de raconter:
Propteieà qiiod qiKitiior ejnsdein Jacoln V itrincensis epis-
tolœ qnœ huic luirriitioni . . . suhjici'uitur , cjusdcm riaira-
tioitis styluni ad vivum n'jn-trscnterit. ()uc l'évéepie d'Acre ne
se soit nommé qu'à la troisième personne, bien d'autres
historiens en ont usé de même. Qu'Innocent III ait demandé
des renseignements sur la Terre -Sainte au patriarche de
Jérusalem , apparemment à Pivrre de Palu, il ne s'ensuit pas
que la réponse soit faite |)ar un patriarche ; car elle est écrite
après les années 12 17, laiS, \->.i(), 1220, dont elle retrace
les événements. Innocent , mort en i2i(), y est qualifié pon-
tife de bonne mémoire, bonœ memoricr ; et ce n'est qu'à son
successeur que l'auteur de cette narration la peut adresser. ^ Commpm. lU
Par ces motifs, Oudiii, Papebrock, Dominique Mansi sou- i'Ji'i'"',' T''*^'
tiennent contre Vossius l'authenticité de ce livre. Cependant a<i s.nntior.
nous devons avouer que l'apparition d'une croix céleste près J""- ' 1^', i>
d'Anvers, que l'exclamation en l'honneur de la province de '',,,, , ,
Cologne, (ju'un grand nombre d'autres articles se retrouvent inf. ht. t. iv,
dans le récit d'Olivier l'écoiàtre. 11 est certain que des deux v ^^
auteurs, l'un a copié l'autre, et tout porte à croire (jue
Jacques de Vitry , qui a survécu environ i3ans à Olivier, est
l'emprunteur ou , si l'on veut, le plagiaire. Les écrivains du
xiu^ siècle ne se font pas scrupule de ces emprunts, et le plus
souvent n'en avertis.sent point le lecteur. Plusieurs de leurs
ouvrages ne sont que des compilations, des tissus d'aiticles
extraits ou transcrits de plus anciens livres, tantôt littérale-
ment, tantôt avec des modilieations quelconques. Nous ver-
rons que Vincent de lieauvais a laigement usé de cette licence;
et dès ce moment, nous pouvons remarquer que les ciiapitres
i.xxi-xcM du trentième livre de son Miroir liistorial ne sont
qu'une nouvelle copie d'une grande partie du troisième livre
H h 2
XIII SlàCLE.
244 JACQUES DE VITRY.
de l'évêque d'Acre, ou bien de la relation du s\ég;e et de la
prise de D.imiette, par Olivier de Cologne, à l'exception
Edit. Duac. seulement du chapitre lxxxv, où Vincent, par une sorte de
liCs'. ^ " " digi'ession, parle de la mort de Simon de Montfort et delà
guerre des Albigeois.
Jacques de Vitry, dans la préface de son ouvrage liisto-
ri(|ue, l'a lui-même divisé en trois livres, et nous croyons
pouvoir prendre pour le troisième celui que Bongars a im-
primé, quoi(jue des six sections que nous avons distin-
guées, les quatre dernières appartiennent plus réellement
à Olivier. L'évêque d'Acre s'est permis de se les appro-
prier. Ce qui remplace ces quatre sections dans l'édition de
Martèiie et Durand ne nous paraît pas correspondre aussi
bien au plan tracé dans le préambule des trois livres.
Quant à un prétendu abrégé de toute cette histoire par un
anonyme, il est tort probable que c'est une indication fausse,
à laquelle auront donné lieu les manuscrits oii l'ouvrage
même de Jacques de Vitry est intitulé : Historia jerosoly-
mitana ahhreviata.
Il n'existait point de traduction française de ces 3 livres:
Coll. de Mé- M. Guizot en a publié une en iSaS. Elle comprend la préface,
moires relatifs à jg jCr |iy{.g entier, Ics ouze premiers chapitres du second,
t'xxu '^^"""' le y d'après le texte donné par Bongars, et la lettre à des
religieux belges. Les 27 derniers chapitres du deuxième livre
ont été omis comme étrangers à l'histoire; ce que nous
n'avons reconnu qu'à l'égard du chapitre 34 et des 4,suivants.
Nous regrettons d'autant plus que la traduction ne soit pas
complète, qu'elle est fidèle et bien écrite. H nous semble
aussi qu'il n'eût pas été inutile de joindre à l'épitre aux
Belges, les 5 lettres adressées au pape Honorius par Jacques
de Vitry.
Tout en recommandant les productions de cet écrivain ,
et spécialement celles qui tiennent au genre historique,
Advers. I. V. Barthius avoue qu'elles décèlent une profonde ignorance :
i- i4- Apud Vitriacuin fatendum non pauca bonœ frugis legi,
multa verb alla quœ profundam ignorantiam antiquitatis
in eo argnunt. La crédulité y est portée à un excès remar-
quable même au xiii® siècle, et ne laisse apercevoir aucune
trace des études sérieuses et des méthodes sévères auxquelles
nous donnons le nom de critique. On a dit que Jacques de
Vitry était savant en latin, en grec, en arabe. Ses écrits ne
supposent nulle part la connaissance des deux dernières de
HISTORIEN. 245
ces langues, mais ne montrent pas non plus qu'il les ignorât.
Il écrit en latin avec facilité, même avec assez de correction ,j
sauf quelques-unes des altérations que le vociibulaire et la
syntaxe avaient depuis long-temps .subies, comme l'emploi
de quod au lieu de ut. Il a lu des livres classiques: il en em-
prunte au besoin, sans les citer, des expressions qu'il sait
fondre dans sa propre diction. Il faiî beaucoup plus fre(juem-
ment le même usage des textes bibliques, et l'on rencontre
chez lui des pages qui n'offrent qu'une suite de centons des
livres saints. L'étude des écrits de quelques docteurs de
l'Eglise latine ne lui est pas restée étrangèie, et il n'a point
négligé d'acquérir des notions d'histoire sacrée et profane;
mais son instruction en ce dernier genre est, comme chez
presque tous ses contemporains, superficielle et inexacte. II
est mieux au fait des affaires de son temps, et n'était son
goût pour les récits merveilleux, il nous en donnerait Oifts
idées assez justes.
On s'est fort récrié contre l'amertume de ses censures;
on les a taxées d'exagération ; et il est bien vrai que le
tableau qu'il trace des mœurs du moyen âge doit déplaire
à ceux des auteurs modernes qui paraissent avoir résolu
de les admirer, et de nous les offrir pour modèles.' Son
témoignage a cependant quelque valeur; car il a vu de
près, dans toutes les conditions de la société, les hommes
qu'il accuse, et ce qu'il dit de leurs vices peut sembler d'au-
tant plus croyable, qu'il partage tous leurs préjugés. Ce n'est
point dans l'intérêt d'un système ou d'une secte qu'il dévoile
cette dé[jravation générale. Au fond, les habitudes perverses
qu'il décrit, loin d'être incompatibles avec l'ignorance gros-
sière et crédule de cet âge, en étaient les effets naturels ou
même nécessaires : les mœurs des peuples ne se sont nulle
part amendées que par les progrès de l'instruction ; et l'on
a partout une mesure assez exacte des vices , en prenant celle
des erreurs et des mensonges. Jacques de Vitry a rempli ho-
norablement de hautes fonctions : il a joui de son vivant d'une
renommée brillante, qu'il n'a pas encore tout-à-Iait perdue.
Sa célébrité n'est point celle qu'on obtient quelquefois en
éclairant ses contemporains, en dissipant leurs préjugés, en
étendant leurs connaissances; c'est, au contraire, celle qui
s'acquiert, plus facilement, parle talent d'exprimer et de
propager les opinions dominantes. Jacques de Vitry a été
l'un des organes de celles de son siècle : il les a servies par
•1 9
XIII SIECLE.
Xni SIÈCLE.
246
JACQUES DE VITRY,
ses travaux, et honorées par ses qnalite's morales. Voilà
comment il nous a paru digne d'occuper, entre les années
121 o et iil^o, une assez grande place dans l'histoire des
lettres. D.
HOBTle 6 juil-
let 1240.
HENRI DE DREUX
ou DE BRENNE,
ARCHEVÊQUE DE REIMS.
Gallia chris
liana, t. IX
1118.
Rec.
ann. 1227.
(jruiLLAUME DE JoiNviLLE , archevêque de Reims, qui avait
P- pris parti dans la guerre contre les Albigeois, étant mort à
Saint-Flour, en Auvergne, pendant que se faisaient les pre'-
paratiis du sacre du roi Louis IX, et le siège métiopolitain
étant vacant, la cérémonie fut faite à Reims par levèque de
Soissons, Jacques de Bazoche, vers la fin du mois de novem-
bre 1 226. Au mois de février de l'année suivante, on élut pour
_ des hist archevêque de Reims, Henri, fils de Robert II, comte de
de France, lom! Drcux ct de Brcnne, lequel ayant été d'abord trésorier de
xvm, p. 58o- l'église deBeauvais, avait été sacré évêque de Châlons l'année
^°Aiberic ad précédente. Ce nouveau métropolitain, d'un caractère ferme
et actif, voyant que les droits de son église étaient de moins
en moins respectés, tint à ce sujet successivement trois
conciles provinciaux, dans lesquels il fut décidé que quel-
ques-uns de ses suffragants seraient députés à Rome, pour
défendre auprès du souverain pontife les droits de leur église
métropolitaine.
C'est à cette occasion qu'Henri de Dreux adressa au pape
Grégoire IX la lettre qui motive la mention que son auteur
obtient dans notre Histoire littéraire. Elle fera connaître,
d'après le témoignage des pièces originales, les effets mal-
heureux de la réunion, fréquente alors, des droits féodaux et
des droits épiscopaux sur une seule et même personne.
L'objet de cette lettre était d'exposer au souverain pontife
que, dans un concile tenu depuis peu à Noyon, l'évêque de
lîeauvais s'était plaint de l'injustice qu'il avait éprouvée de
la part du roi Louis IX, lorsque, au mépris dune charte
accordée par un de ses prédécesseurs, et en vertu de laquelle
Mari. Anecd
f. I, col. 975.
ARCHEVÊQUE DE REIMS. M?
. .... , . XIII SIÈCLE.
revenue de Beauvais exerçait toute juridiction sur les ci-
tovens de cette ville, le roi, néanmoins, à l'occasion d'un Ourange.Gios-
mèfait commis par quelques habitants, s'était approché de ^nf'"^aiir*verto
la ville à la tête d'un corps d'année, auquel se joignirent Communè,com-
plusieurs communes, quoique l'évêque se fût montré tout """"a, coi. 863.
disposé à faire juKer les coupables par ses baillis. Mais j ,}? ,^}"^ *•
r, ,'". «'. ..' I .£. . L.ua. régis , aon.
toutes les représentations turent mutiles; le roi tit prison- laiS.pro epU-
niers plus de quinze cents citoyens de Beauvais, en bannit <=°P° RemeDsi.
beaucoup d'autres, abattit leurs maisons, mit à l'encan qûod^dveTR"
les biens {catalla) des serviteurs de l'évêque, le dépouilla mensesjnonde-
lui-même de tous ses droits seigneuriaux, et après avoir •'^ban'baberesi-
gillum, cumnon
... ... ••i~i'. habeant com
frais de ce séjour, quatre-vingts livres pansis des deniers niam.intert
avec sa troupe passé cinq jours à Beauvais, il exigea pour habeTiit commu
rcom-
de l'évoque, quoique celui-ci eût prié le roi de lui accorder muoi^juraprae.
seulement un jour pour consulter son chapitre sur celte de- "n^s<lh\ll^
mande : Et licet episcopus brevcni diem peter et tanquam de Coiiegium, Ma-
re gravi et penitiis inauditd , ut super hoc cuni suo capitulç Jora'us.S'giiium,
pertractaret , idem tamen Dominus rex hoc facere dene- iT^^\[jmw-
gans , etc. diciio.
Le roi ayant donc refusé de consentir à ce délai, et fait Exarresioseu
sortir l'évêque de sa ville épiscopale, le dépouilla de tous pu|"hri da^P»!
ses biens, à l'exception de ses meubles, et s'empara des re- ruiUaDD. i3aa.
venus de l'église. L'évêque Milon de Châtillon étant venu
demander à son métropolitain ce qu'il devait faire en cette
circonstance, l'archevêque avait, de l'avis de son synode,
envoyé les évêques de Soissons, de Laon et deChâlons, vers
le roi, et à Beauvais, pour prendre toutes les informations,
bien que tous ces faits fussent assez publiquement connus.
Les témoignages de ceux mêmes qui administraient tant
au nom du roi qu'en celui de la ville, ayant été présentés
au synode, revêtus de leurs sceaux, «nous vîmes alors
Œ (continue dans sa lettre l'archevêque de Reims ) que le
a roi avait , contre toute justice , dépouillé l'évêque et
« l'église de Beauvais. Nous le fîmes supplier et nous le
« suppliâmes nous - mêmes plusieurs fois de réparer de
s tels torts. C'est sur son relus que nous convînmes, mes
« suffragants et moi, de jeter un interdit sur toute la pro-
« viiice, si de là à l'époque des vendanges, le roi n'avait pas
« tout rétabli. Nous nous rendîmes encore auprès de lui
« pour le prier de réparer le mal qu'il avait fait; mais il ne
« voulut rien entendre. Réduits à cette extrémité, nous ré-
« solûmes d'attendre encore la fête de la Toussaint pour
XIII SIECLE.
1008
248 HENRY DE DREUX,
« lancer l'intenJit, si le roi persistait à ne pas se laisser flé-
« eliir. » (Mais les droits de l'évêque n'ayant pas été rétablis,
le métropolitain, usant alors de l'autorité (jue lui avaient
donnée les prélats du synode, interdit en leurs noms et au
sien tous les sujets du roi qui habitaient l'arrondissement
de Reims. « Tous nos frères, les évèques de notre province
« ( continue la lettre de l'archevêque ) ont fait mettre à exé-
Gail. christ, i. " cutiou celtc seiiteuce, cxcepté l'évècjue de Noyon fde Laon)
IX, p. 109,537, « qui refusa de se soumettre au décret, auquel il avait cepen-
M dantconsenti.Alorsplusieurschapitres d'églises cathédrales
« en ayant appelé à votre siège apostolique, nous avons de
« nouveau convoqué un synode pour y traiter et du refus
a de l'évêque de Noyon et des représentations des chapitres.
« Quelques-uns de nos confrères, malgré les lettres qu'ils
« avaient reçucsde votre sainteté, et qui auraient du soutenir
« leur courage, nous parurent désirer de voir la lin de la
« mesure rigoureuse que nous avions prise, l'évêcpie de
« Beauvais lui-même |)ressentant que tôt ou tard l'interdit
« sciait levé sans que les maux qu'il a soufferts eussent été
ce réparés; sur les instances des uns et des autres, nous nous
« sommes relâchés de notre sentence. » Unde sanctitati
vestrœ, IminilUcr suppUcamus quatenus desolationi Belva-
censis ccclcsiœ, (/uœ in partibus nostris manifesta est, paterno
conipiiticnte ajjcctu , céleri reniedio salubritcr digneinini pro-
vidcre , scientes pro certo quod non potest oppressioni dictœ
ecrlcsicc , nisi per suprcnium -vestrœ sanctiLatis re médium ,
sidn'eniri. yJctuni apiid sanctiun Quintinuni Doininicà ante
Natale Domini, ann. Doni. 1233.
Gaii. christ., I-'^ rcfus qu'avait fait l'évêfjue de Laon de soumettre son
t. IX, p. 109, diocèse à l'interdit, lui mérita la faveur du roi ou plutôt de
la reine-mère, car elle îe choisit pour célébrer le mariage
du jeune prince et couronner la reine Marguerite de Pro-
vence; mais les conséquences de la lettre adressée au pape
furent funestes à l'archevêque de Reims, en ce qu'elle fournit
prétexte à la révolte des habitants contre ce prélat et contre
les chanoines, qu'ils chassèrent aussi de la ville, et dont ils
pillèrent les maisons.
Dans une autre lettre, Henri de Dreux se plaignait au
pape des injures qu'il avait reçues des Rémois, ses diocé-
sains et ses sujets tem[)orels; mais cette lettre ne nous est
X ^^TiiisiT toi P''^ parvenue. On en peut cependant conjecturer la teneur,
60 d'après celle que le pape écrivit à l'archidiacre de Paris et à
lit. B
Gall. chr., I.
ARCHEVÊQUE DE REIMS. 249
XIII SIECLE.
maître Ferrie, chanoine de Langres, qu'il nomma commis-
saires, à l'effet de ramener les révoltés à l'obéissance.
De son côté, le roi craignant que les troubles de Reims ne
prissent de l'extension, rendit une ordonnance par laquelle ibui.ioi. 'îi.
il enjoignit aux Rémois d'indemniser leur archevêque de
tontes les pertes que leur révolte lui avait causées, d'abattre
les fortifications derrière lesquelles ils s'étaient retranchés, de . , „. .
, , I li' 1 1 ■ Il 'I II- J Anselmc,Hisl.
se soumettre a demander I absolution de leur rébellion, de généai. et chion.
faire rentrer l'archevêque dans l'exercice de ses droits; enfin, •■ ii> p- 6
f)0ur réconcilier les partis et faire exécuter son ordonnance,
e roi nomma Odon , abbé de Saint- Denis, et Pierre de Col-
lemieu , prévôt de Saint-Omer. Ces deux commissaires s'étant
rendus à Reims rétablirent l'ordre, et par un acte public
réglèrent tout ce qui avait jusque-là servi de prétexte à la
révolte. Cet acte est daté de février 12.35.
Il n'est plus question d'Henri de Dreux dans l'histoire de Aiberic.aiian.
son siècle, si ce n'est dans la chronique d'Albéric, qui le fait '^^9-
assister avec ses suflVagants au supplice de cent quatre-vingts
Bulgares qui furent brûlésvifs, en présence du roi de Navarre
et des barons de la Champagne. Mais ce qui pourrait faire
douter de la réalité du fait , indépendamment du nombre des
victimes qui paraît bien exagéré, c'est que les historiens qui
le rapportent en placent le théâtre en trois lieux différents,
savoir : montent Cornutuni , montent ff^odemari , montent Gall. chi. t.
Hismeriint. IX , col . 1 il.
Il est assez remarquable , au sujet des faits principaux qui
sont cités dans cet article, qu'à leur date, Louis IX n'était
âgé que de 18 ans et que la reine Blanche en avait 46- Ces
considérations jointes à ce que ce fut le roi qui pacifia les
troubles que les habitants de Beauvais avaient excités, et qui
fit réparer tous les dommages que la guerre avait fait souffrir
au clergé de Reims, montrent assez que le principe de ces
dissensions tenait à celui de l'affaiblissement désiré de la
puissance des vassaux de la couronne , dont le clergé ne
défendait les "droits temporels qu'à raison des concessions
3ui lui avaient été faites par les rois mêmes. Ainsi , comme
ans beaucoup d'autres discussions du même genre, les deux
partis avaient raison.
Henri de Dreux mourut le 6 juillet de l'an 1240, et reçut la oaii.chi.ibiJ.
sépulture dans l'église de l'abbaye de Vaucelles. Aiberadami.
P. R. '««o.
Tome XVIIL I i
1 9 «
XIII SIECLE.
GUILLAUME DE BEAUMONT,
MORT le ï sep- ÉVÊQUE D'ANGERS.
leinbre 1240.
Gaiiia christ ^^ prélat était de l'illustre famille des vicomtes de ce nom,
Tet. i.ii.p. i36. qui s'étaient déjà lait remarquer au xi*^ siècle, dont quelques-
uns figurèrent aux croisades de la Terre-Sainte ; et elle fournit
presque consécutivement deux prélats au siège épiscopal
id ibid d'Angers entre les années 1 178 et 1202. Celui dont nous ré-
i35. digeons ici la notice était neveu de Raoul , lequel était fils de
Richard et d'une fille naturelle d'Henri P'^, roi d'Angleterre.
Il fut élevé en 1202 sur le siège qu'avait occupé son oncle, et
n'étaitalors âgé quede vingt-cinq ans, comme nous l'apprend
le huitième vers de l'épitaphe latine que nous lirons bientôt.
Les annales de son église le présentent comme un prélat
magnifiquement libéral envers sa cathédrale, dont il fit con-
struire le chœur et le maître -autel , ayant même voulu
que la table en fiJt d'argent, ce qui ne lui assurait pas sans
doute une perpétuité très-durable. Après avoir gouverné son
diocèse durant l'espace de trente- huit ans, il mourut le a
septembre de l'an 1240.
L'histoire ne nous ayant transmis rien de plus sur la vie
de ce personnage, il est à croire qu'il ne s'immisça que très-
peu dans les affaires du siècle. Ses titres littéraires ne sont
point importants; car il ne nous en reste guère qu'un acte
par lequel il publia f hommage qu'il rendit au roi de France,
et qui spécifie que, tout en se reconnaissant pour vassal de
Louis VJII,il déclarait à ses diocésains qu'il se tenait pour
exempt de suivre le roi à l'armée , et même de s'y faire repré-
senter. A cette restriction il ajoute qu'aucune charge ne
devait lui être imposée, ni à son église, soit dans les cir-
constances de guerre, soit à raison du serment de fidélité;
qu'ainsi lui et son église devaient conserver toutes les libertés
dont ils jouissaient sous les rois d'Angleterre Henri et Ri-
chard. Guillaume stipulait dans le même acte que ses suc-
cesseurs seraient tenus de jurer fidélité au roi de France,
sous peine de voir saisir leurs régales; mais que si le comté
d'Angers venait à être séparé de la France , l'évêque serait
GUILL. DE BEAUMONT, ÉVÊQUE D'ANGERS. aSi
XIII Sli^'CLE
exempt de ce serment envers le comte qui succe'derait au — -■ -
droit du roi. Dans cette même circonstance, Louis VIII ManèneThe-
souscrivit aussi un acte qui recevait et proclamait le serment saur. Anecdot. t.
de fidélité de Guillaume, avec les conditions dont il était ^«P-S'^-
modifié ; cet acte nous a été transcrit par Dom Martène.
Les statuts réglementaires de Guillaume de Beaumont
sont les plus anciens de ceux qti'a conservés le diocèse d'An- c. . . j j-
-, r A 1 r» 1 II' /-n Statntsdudio-
gers. Ils se lisent en tête du Recueil publie en looo par un cèsed'Angersre-
des successeurs de cet ancien prélat, et ils occupent trente cueiiiu par Hen-
pages du volume qui les comprend. Il y est traité des ma- bii^^eT'i'eSo
tières concernant l'administration des sacrements, le gou- in-4°.
vernement des églises, la prédication, les péchés, les vertus.
Les pénitences qui s'y trouvent imposées aux pécheurs tien-
nent encore quelque chose de l'ancienne discipline, qu'avait
beaucoup affaiblie la vie errante des croisades. Dans ces
statuts, Guillaume décide que les pénitences peuvent se
compenser ou se racheter par la prière, l'aumône, la disci-
pline, l'abstinence, et sans doute il n'y joint les pèlerinages
que pour obtempérer à l'esptit du siècle où il vivait.
Dans rénumération qu'il fait des sept péchés capitaux , on
peut remarquer qu'il les dispose suivant un ordre différent
de celui qui est usité de nos jours. La gourmandise y est
nommée la première, ensuite la luxure, l'avarice, la paresse, la
colère, l'orgueil, et en dernier lieu l'envie. Il descend jusqu'aux
détails les plus minutieux quand il prescrit d'attacher au
livre du missel un mouchoir pour l'usage du prêtre célébrant.
Ces statuts ont été sans doute composés peu de temps après
le concile de Latran, car on y trouve cités plusieurs articles
de ce concile. Dans la recommandation que Guillaume fait
aux prêtres de son diocèse de prêcher la fuite des occasions
de pécher, on remarque, parmi les pages latines de ce prélat,
les mots aise Jait larron, que notre langue aretnpiacés dans
la suite par ce proverbe : {'occasion fait le larron.
On croit devoir encore ne pas négliger de remarquer que
Christophe de Beaumont, qui fut archevêque de Paris sous
les règnes de Louis XV et de Louis XVI , était de la même
famille que Raoul et Guillaume de Beaumont qui furent Gaiiu chmi.
presque successivement évêques d'Angers; ce qui paraît »««•« ï> P- '^5.
confirmé par l'analoeie de leurs armoirie» comparées. Celles ^ . .„ ^
, „ ... r . o ' j f »■ ., Gui Allard ,
de Guillaume étaient un semé de trance au lion a or. Nobiiiaiie de
Celles de Christophe, qui fut notre contemporain, étaient Dauphiné. Gre-
de gueules à une fasce d'argent oliargée de trois fleurs de "°^'* '^''' '"'
lia "'''
XIU SIKCLE.
aSa GUILLAUME DE BEAUMONT.
lis d'azur. Cette différence a dû s'introduire au temps de
Charles VI, lorsqu'il réduisit le semé de France au nombre
lixe de trois fleurs de lis; et c'est ainsi qu'on les voit alignées
sur la fasce d'argent de l'écusson des Beaumont de cette
branche.
Il ne nous reste plus qu'à transcrire ici l'épitaphe de Guil-
laume. La voici dans tout le négligé de sa versification
latine:
Belliniontensis Guillelmus et AnJegavensis
Praesul in !»ac tiiinbà tuinulatiir, vera columba ,
Cujus erat pietas sibi nescia ponere nietas.
Si numeres numeris quaterX cum mille dticentis,
Scire obituin poteris tumulo praesente jacentis.
Si septem luslris annum des ter replicatuin ,
Tôt pater illustris bunc rexit poniificatuni ,
Queiii cum viceno quinloquecœperat anno.
Dat se divinis per lustra quater duo rébus,
Sublatis binis annis tredecimque diebus.
Gallia chn'sl.
On est porté à conjecturer que cette épitaphe aura été
probablement composée par le chapelain de Guillaume de
Beaumont, Nicolas (ieslent, qui fut élu évêque d'Angers l'an
1260, et qui, mort en 1290, fut inhumé aux pieds de son
maître. Cet évèque eut aussi pour successeur son chapelain,
Guillaume Lemaire , qui n'était pas non plus d'extraction
noble, mais qui était très-renommé pour sa science. Or, de ce
que cesdeux noms, presque seuls, interrompent, du xii*^ au
XYii*^ siècle, la série des autres évêques d'Angers qui furent
tous d'une haute naissance, on en conclura, sans doute, que
vei*^!. 1% "i38. Guillaume de Beaumont, ainsi que Nicolas Geslent, ont su
judicieusement discerner et employer les hommes de mérite
quelle que fût leur naissance, puisque, après la mort de l'un
et de l'autre, ceux qu'ils avaient attachés au service de leurs
personnes ont obtenu les suffrages qui les ont portés au siège
épiscopal. Christophe de Beaumont suivait de notre temps
le sentiment de ces exemples, lorsqu'il ne déterminait jamais
le nombre des bourses qu'il payait dans les maisons d'édu-
cation cléricale , pour quiconque obtenait au concours une
note d'examen satisfaisante. Ce trait méritait d'être ajouté
dans la Biographie universelle. P. R.
MU SlKCU..
SAINT EDMOND OU EDME,
ARCHEVÈQLE DE CAINTORBÉRY. „ ,nbre IV/o""
Ee personnage qui fait le sujet de cet article appartient à
l'Angleterre par sa naissance et par le haut rang qu'il y oc-
cupa; mais la France a le droit de le comprendre dans l'iiis-
toire des hommes qui l'ont illustrée par leurs écrits, puisque
après y avoir passe la plus belle partie de sa jeunesse, soit à
s'instruire, soit à enseigner dans l'Université de Paris, il y
revint vers la fin de sa vie, et y composa deux des ouvrages
qui nous sont restés de lui.
Edmond Rich ou Richius naquit à Abrington , bourg tlu Mamn. Aii*<
comté de Barks en Angleterre, d'une famille peu distinguée 'i":"-.. viiu. BeU
par son rang et par sa fortune. Son père, Edouard Rich , qui io\. S|ic iiisi.
exerçait le négoce, et sa mère Mabilia, relevèrent dans la i''» xxxi, cap.
plus grande piete. Il eut un trere plus jeune que lui, qui , xxv, p. :',i(,.
s'appelait Robert. Pendant qu'ils faisaient l'un et l'autre leurs lialaus, p. 281.
premières études à l'Université d'Oxford , leur père quitta le i>'^^wis(h,p.8^.
monde, et se retira dans le monastère d'Eivesham. Leur mère, u" ^î"H■^g su-
qui restait seule pour gérer leur tutelle, les envoya achever liusad .wi nov.
leurs études dans l'Université de Paris, de crainte, disait- ' ^\' P- ''''*
Il .. I .,. . .• • 1-1 t.| Annal. tisUTr.
elle, que par suite de hnstruction moins solide qu ils , jy^ ., ^yy
auraient reçue à Oxford, ils ne fussent exposés à tomber wiiaiion Auj;!.
un jour dans l'erreur. Edmond conserva fidèlement à Paris *'"• ' •' P '"
toutes les habitudes pieuses que sa mère lui avait fait
contracter, entre autres celle de lire le dimanche et les fêtes
tout le psautier, avant son repas. Il s'était fait faire, très-jeune
encore, un anneau sur lequel il avait fait graver la Salutation
angélique, et il le porta à son doigt jusqu'à sa mort. Après
quelques années de séjour à Paris, il repartit pour Abrington,
afin d'assister aux derniers moments de sa mère. Cette pieuse
femme lui recommanda , comme à l'aîné de la famille , d'exer-
cer une vigilance paternelle sur son frère et ses sœurs; ses
sœurs principalement, qui, selon ses biographes, étant fort
belles, se trouvaient exposées à bien des dangers au milieu du
monde. Edmond, de leur consentement, s'occupa du soin
de les placer dans un monastère; mais ne trouvant partout
i54 SAINT EDMOND,
XIII SIKCLE.
que des maisons dont l'entrée ne pouvait leur être ouverte
fine par une dot, il renonça à ce projet par la cr.iinte de
tomber dans la simonie, et désirant que ses sœurs pussent
entrer en religion , sans acheter cette faculté à prix d argent.
Queî(jue temps après, comme il visitait par hnsard le mo-
nastère de Kètehy, il y apprit qu'elles pourraient y faire
profession sans apporter de dot, et aussitôt il les y plaça.
Elles Y devinrent tour à tour prieures du monastère, et
après s'être fait remarquer par leurs grandes vertus, elles
Maiih. Paris mourureiit en l'iSj, selon Alatthieu Paris; l'une s'appelait
ad an. la";- Marguerite et l'autre Aclitie.
Après avoir terminé tout ce que demandait de lui le soin
Anecd.loc.cit. de SU famille, Edmond revint à Paris, et reprenant ses études,
il s'y adonna avec tant de zèle et de succès, qu'il étonna
bientôt ses condisciples et ses maîtres, et que reçu maître-
ès-arts, il se livra à l'instruction publique. On a remarqué
qu'il fut un des premiers à faire contracter à ses disciples
l'habitude d'entendre la messe chaque jour avant de s'appli-
quer à l'étude. Les attaques que ses premiers historiens disent
qu'il eut à repousser de la part de quelques femmes, sem-
blent indi(]uer qu'il avait reçu de la nature, comme le reste
de sa famille, les grâces extérieures de la beauté.
En laiy, dit Vincent de Beauvais, étant sorti des années
xxriicap'-4. de la jeunesse, et parvenu à l'âge viril, il y avait six ans
' ' qu'il enseignait dans l'Université de Paris les sciences hu-
maines, entre autres l'arithmétique et la géométrie. Une
nuit, il crut voir en songe sa mère qui lui demandait ce que
siirniHaient les diverses Kgures qu'il traçait; Edmond lui en
ayant donné l'explication , sa mère traça aussitôt trois
cercles, dans chacun desquels elle écrivit ces mots, le Père,
le Fils, le Saint-Esprit, lui disant que c'était à ces figures qu'il
devait désormais s'occuper. Edmond , qui avait toujours eu
pour cette mère l'amour le plus tendre, pensant quelle n'é-
tait venue que pour l'avertir directement de se livrer aux
choses de Dieu, s'adonna aussitôt à l'étude de la théologie,
et dè.s lors il porta le mépris de l'argent que ses leçons lui
avaient valu, justju'au point de le laisser dispersé dans sa
chambre, en disant : Terra terrœ et puh'is puh'eri meritb
débet commendari.
Il demeurait à Paris dans le voisinage de l'église de Saint-
Méderic , oii il assistait toutes les nuits aux offices que les
chanoines de cette église célébraient, après quoi, il mé-
.Spec. Iii»l. lof
cil.
ARCHEVÊQUE DE CANTORBÉRY.
255
XIII SIECLE.
Anccd. loc.rit
ditait et priait devant l'autel de la Sainte-Vierge jusqu'au
moment oii il se mettait à l'étude dès l'aube du jour. VValter,
archevècjue d'York, avant appris qu'il s'était livré aux études
théolof^iques, lui olfrit de lui faire écrire une Bible à ses irais;
mais Edmond la refusa, de crainte de surcharger les moines
qu'on aurait employés à ce travail; bien plus, il vendit
même le peu de manuscrits qu'il avait, pour en donner la
valeur à de pauvres écoliers.
Après quelques années d'application dans cette nouvelle
carrière, il fut reçu docteur en théologie, et dès ce moment
il se dévoua à l'instruction publique avec le plus entier aban-
don. Habile dans la controverse, éloquent dans la chaire, édi-
fiant dans ses leçons de théologie, il était partout écouté avec
le plus grand intérêt; et de son école sortirent des hommes
qui s'illustrèrent dans le monde. Quand approcha le temps
où il devait être j)romu au sacerdoce, il redoubla ses austérités
et ses travaux, et hors les moments inrlispensables aux be-
soins de son corps, sa vie était un exercice continuel. Ses
biographes, dans les détails de sa vie particulière et de ses
habitudes privées, nous apprennent qu'après comme avant
son élévation au sacerdoce, il portait ordinairement des habits
de couleur grise ou cendrée, Pestes ut plurimhrii habuit co-
lore cineiitio, nec tihjectas valdc , nec valdc pretiosas ; ce
qui montre qu'à cette épo'que, le clergé n'avait pas encore
cru devoir, hors des églises, se distinguer du reste des
citoyens par un costume particulier.
Edmond quitta Paris après s'y être fait remarquer par ses i.ingard Hisi.
vertus autant que par son savoir, et retourna en Angleterre, «l'Angi. t. m,
dit l'historien Lingard, pour enseigner publiquement à ()x- P^""
iord. Plusieurs bénéfices lui furent offerts; mais il ne consentit
jamais à en posséder plus d'un, et cela dans le lieu même où il
résidait ; ce qui ne dut pas lui concilier l'affection de plusieurs
de ses confrères, qui alors même n'en refusaient aucun.
Cependant, afin de pouvoir exercer son ministère sans être à
charge à ceux qu'il instruisait , il accepta le titre de chanoine
trésorier de l'église de Sarum ou Salisburv. Sa réputation
s'étant répandue jusqu'à Rome, le pape le choisit pour prê-
cher la croisade, non pas en France, comme le dit Baleus,
mais en Angleterre, selon plusieurs autres historiens ; il s'ac-
quitta de ctîtte mission avec un très-grand succès.
Dans ces circonstances, le siège archiépiscopal de Cantor- Annal, cisici.
béry vaquait, et ce siège étant le plus important de l'église ' i^' p ^"^i
■Suri us , lor.
Anecd. loc< it.
Anetd. t. III,
179''-
Baient
cil.
256 SAINT FDMOND,
XIII SIKCLK.
jinglaise, on cherch.iit avec soin l'homme le plus capable de
l'occuper. Ce fut sur Edmond que tomba l'élection du clergé
Wariiioii.ioc. (le Cantorbcry, faite en i233. Le pape y donna son appro-
nt.pt|.. o'.. })ation, et l'année suivante, le prélat élu fut sacré à Can-
torbéry ])ar Roger, évêque de Londres, assisté de treize
autres évècjues. Baléus dit que le pa])e l'avait choisi comme le
sujet qui lui paraissait devoirétre le plus soumis àses volontés,
et le plus complaisant à remplir ses vues intéressées; mais
l'erreur dans laquelle l'esprit de parti entraîne cet auteur,
est rectifiée par Warthon , qui dit dans ses annales : Anno
1*233, ludgister Edniundus , thesaurar'ms Saruni , electus est
in archiepiscopurn cantiiarienseni , et à domino papa confir-
inatus ; et |)ar ce passage du manuscrit cité par Martène :
, ,,, Celebnità de eo electione communiter , canonicè et concor-
Aiiccd I. III, /-w I ' • ' ' 1 I 1 ■
cul, i8o^ diter, etc. Quels qu aient ete les auteurs de ce choix, ceux
cjui le firent, élevèrent à une grande prélature un de ces
vrais chrétiens, un de ces hommes éminents en mérite qui
font honneur à leur dignité. Loin de ressembler à ces ambi-
tieux qui s'empressent de s'ingérer dans la vigne du Seigneur,
disent ses biographes, per fas et nefas , per lites et jurgia ,
per pronnssa vcl mimera , per conspirationes et siniulationes,
per quoscunique serpentines anfractus , il répondit aux en-
voyés du chapitre qui l'avait élu, « qu'il était incapable de
« remplir une aussi haute charge: Ego siini vermis et non
« homo , non suni tanti meriti , nec tantœ litteraturœ ut
« vos creditis , vos fallimini et erratis. » Refusant de con-
sentir à cette élection , tous les efforts des envoyés furent
inutiles; et quand, quelques jours après, l'ordre de son
évèque vint lui arracher son consentement, il dit : iSovit
ille qui nihil ignorât quod nisi me mortaliter peccare crede-
rem , electioni de mefactœ nullateniis consentirem.
Une particularité qui nous a été conservée, peint bien son
humilité et combien il était loin d'avoir jamais eu aucune
vue ambitieuse. Quand les envoyés du chapitre de Cantor-
bérv furent arrivés à Salisbury, la nouvelle de l'élection
d'Eclmond se répandit bientôt dans sa maison : tout le monde
y était au comble de la joie, et le domestique chargé d'aller
lui annoncer l'arrivée des envoyés, entra dans sa chambre
et lui dit : Ecce, domine , Cantuarienses venerunt monachi ,
déférentes vobis electionem de persona vcstra in archiepis-
copurn ejusdem ecclesiœ , factani voluntate consond et com-
miini. Ce serviteur fut regardé par son maître comme un
XIII SIFXIE
ARCHEVEQUE DE CANTORBERY. 257
homme qui voulait se jouer de lui ; il en fut si mal accueilli
et il sortit de sa présence si confus, que les clercs n'osèrent Anecd. t m,
pas entrer, et que restés immobiles près de la porte de sa '^^°i 'î*"^,
*i 1 -1 1 1- i<i - 1 ' ,, .. r Suriusjoc.cit
chambre, ils attendirent I heure a laquelle il avait coutume
d'en sortir.
Devenu prélat métropolitain île l'Angleterre, il ne changea
rien à ses premières coutumes. Il ne se couvrait point comme
les autres évêques d'habits de soie et de pourpre, mais un
habit blanc ou cendré de peu de prix lui suflisait; et si dans
quelques circonstances, il était vêtu comme les autres, c'était,
disait-il, pour ne pas heurter de front les usages. Il se faisait
tout à tous et recevait avec affabilité tout homme qui réclamait
son ministère. Ses gens visitaient les maisons des malheu-
reux , et leur portaient des secours. Il employait à marier les
filles pauvres les amendes qui étaient payées à son tribunal,
et son propre argent, quand ces amendes étaient moindres.
Ces amendes étaient alors désignées par le mot anierciamenta.
Piiellas nubiles , dit un de ses biographes, prœsertini paii- -wiilelm Wasii
pères de suis adjuvitjacultatihiis ut traderentur matrimonio, i" Glossar. v«rl)
bonuni esse arbilrans juniores nubere , proîein procrcare sub '^'"^'''^""'e-
coiijtigii sacramento.
De son temps, il existait en Angleterre un usage suivant
lequel, quand un père de famille mourait, le seigneur avait
droit de s'adjuger la meilleure de ses bètes de somme, en
signe de droit seigneurial pour l'un , et de soumission comme
vassal pour l'autre. Dans ces occasions , les veuves, connais-
sant la bonté de son cœur, venaient le prier d'ordonner à ses
baillis de leur rendre leurs bestiaux, et le prélat avait cou-
tume de leur répondre dans la langue du pays : « Bonne
a femme, telle est la loi du pays, où la coutume veut que
n le seigneur choisisse et prenne ce qu'il y a de mieux dans
<( le mobilier du défunt. » S'adressant ensuite à ses officiers,
il leur disait dans une langue inconnue à la plaignante, en
latin ou en français : Veraciter hœcinstitiitio legis est diabo-
licce , non dii'inœ ; postquam captiva virant su uni perdidit ,
aufertur ab eâ id niclius quod ei vir ntorièns dereliquit; non
bona consuetudo hœc. Puis il disait à la suppliante: «Bonne
o femme, si je vous laisse votre bète, vous me la garderez
« bien.^» Et la femme ré[)ondant : « Elle sera, seigneur, gardée
« comme votre propre bien », alors Edmond ordonnait à son
bailli de lui rendre aussitôt ce qu'elle réclamait.
Il avait en horreur toute action faite par faveur ou par
Tome XVlll. K k
258 SAINT EDMOND,
'■ — intérêt, et ces paroles, qu'il redisait souvent en gémissant,
conviennent à tous les temps: Muneribus prœter jus etfas
datis et acceptis , hodie corruptus est orbis christianus , peri-
bitqiie etiam prias quant id percipiant christiani, nisi hanc
pestem à se extirpare et projligare conentur. Il ne cessait
en conséquence de recommander aux hommes chargés de
rendre la justice de repousser loin d'eux les présents, et il
blâmait avec la plus grande sévérité ceux qui en recevaient,
leur redisant toujours ce proverbe qu'il avait appris en France.-
« Prendre et pendre non différant nisi unâ litterâ. »
Le saint archevêque ne resta que huit ans dans l'exercice
d e sa prélature , car il quitta son siège avant la fin de sa vie.
Sa vertu et son amour du devoir lui attirèrent toute sorte
d'ennemis. D'un côté, voulant s'opposer aux envahissements
du roi et des seigneurs sur les droits de son église , il s'attira
leur haine et les coups de leur vengeance; d'un autre côté,
Anf.d I 111, le clergé de son église, dont il voulait réprimer les désordres,
p. 1809. tout en s'efforçant d'assurer ses privilèges, l'accusa de ren-
verser les droits du chapitre. Magnâtes terrce illi injariaban-
Matih Paris ^^^^, undique , nec non et Jratres ecclesiœ suce lites ei inferebant
ï.iann la alias ùidiscretè. Il fut même accusé par ses prêtres devant le
souverain pontife. V.e saint prélat se rendit alors à Rome,
où le prieur de son chapitre l'avait précédé pour être son
accusateur. Les faits et les plaintes furent de part et d'autre
exposés, et les clercs ayant été trouvés coupables sur plusieurs
points, le prieur confus se retira dans un monastère de
chartreux, et le prélat, revenu dans sa ville épiscopale, re-
trouva son clergé plus mal disposé qu'avant son départ. Mais
Anecd loc.cii j| ^'efforça d'adoucir ces prêtres, allant au devant d'eux, et
traitant avec bonté ceux qu'il connaissait pour être le plus
acharnés contre lui. Ses amis lui disaient : « Ou nous nous
« trompons bien , ou cette trop grande douceur en excitera
c d'autres à se révolter contre vous. — Laissez faire, leur
a répondait-il, vous ne savez ce que vous dites; ignorez-vous
« queleSeigneur ne s'est pas opposé à ceux qui lui donnaient
« la mort; mais que l'acceptant, il a supplié et intercédé
« pour eux .*' La vengeance doit être réservée à Dieu et
« non à l'homme. Loin de moi la pensée, quelque mal qu'ils
I paraissent me faire, de tourner contre eux soit la poutre,
c soit le brin de paille qu'ils me supposent dans l'œil.
« S'ils m'arrachaient les yeux de la tête, s'ils me coupaient
« les deux bras, je n'en garderais pas moins pour eux le cœur
xiii siècLï.
ARCHEVÊQUE DE CANTORBERY. 269
a et le regard de quelqu'un qui les aime. Car je ne veux pas
<t faire un péché, ni me nuire à moi-même à cause des dë-
1 fauts des autres. »
Enfin convaincu que rien ne pouvait faire fléchir ces es-
prits rebelles, accable par les vexations, affligé de la plus
grande tristesse, à la vue des coups que le roi et les grands
portaient à l'église; considérant que le pape ne le soutenait
que faiblement, et qu'il souffrait que la noblesse romaine
vînt s'emparer des bénéfices de l'église anglaise, le dégoût de
sa patrie le prit au milieu de tant de maux : craignant enfin
de paraître approuver tant d'abus ou les tolérer, s'il restait
à son poste, il aima mieux s'en éloigner; et s'exilant vo- Guili. Cav«
lontairement d'Angleterre, il vint chercher un asile en ' •• p ^s^
France.
« L'intégrité d'Edmond, dit Guillaume Cave, et son grand
c amour de la justice, lui attirèrent d'abord l'inimitié de
« Henri HI et d Othon, légat du pape en Angleterre; ensuite
c étant allé à Rome, il déplut au pape en disant librement
c son avis sur les mœurs corrompues de sa cour; et ce pape
« lé renvoya en Angleterre, après l'avoir condamné à une
« amende. »
L'élection et la fuite de ce prélat sont jugées dans les termes
suivants par l'historien Lingard : « Il n'accepta cette haute
« dignité qu'avec une répugnance qui ne parut pas feinte; il
€ sentait que sa conscience timorée ne lui permettrait pas
« de consentir aux désordres du siècle, et que la douceur
a de son caractère ne le rendait pas propre aux fonctions
« de réformateur. L'expérience justifia ses craintes; plusieurs
« désapprouvèrent son zèle ; et les moines de sa propre
« église, les ministres de la couronne, les pontifes eux-
« mêmes, s'opposèrent souvent, et nuisirent quelquefois à
« ses sages efforts. Il lutta plusieurs années contre ces diffi-
c cultes, et à la fin il y succomba. Craignant de paraître
« approuver par sa présence les abus que son autorité ne
o pouvait combattre, il s'exila volontairement d'Angleterre,
« et choisit pour sa résidence le monastère de Pontigny. »
Cette abbaye, située dans le diocèse d'Auxerre, avait été
précédemment l'asile oii deux prélats de Cantorbéry, Thomas Anecd.ioc.cit
Becket et Etienne Langton , forcés de quitter leur pairie,
étaient venus terminer leur carrière. Noire saint archevêque
y vint aussi avec quelques-uns de ses clercs qui lui étaient
restés fidèles, et durant deux ans environ, il s'y livra aux exer-
Kka
Lingard, t. III,
p. a70.
■26o SAINT EDMOND,
XIII SIÈCLE.
cices de piétë , prêchant dans les villages d alentour, et y com-
posant les deux petits ouvrages dont nous avons à parier. Il
éprouva bientôt à Pontigny l'influence d'un climat trop chaud
Maiih, Paris, pouF lui; et parti de là pour aller chercher une température
H ^^^- |)lus favorable à sa santé dans le monastère de Soisy, prieuré du
même diocèse, il y mourut après quelques mois de séjour, ré-
pétant souvent dans les derniers jours de sa vie: O quàinmeliùs
esset mori , quàni videre mata gentls sikv et sanctorum super
terrain! Pour consoler les religieux de Pontigny qui l'avaient
vu avec peine se séparer d'eux, il leur avait dit en partant :
Ad proximas beati Edinundi régis et martyrisferias revertnr
ad vos, tiunenini sol à nobis tongiàs recédons , hiemis frigoiu
adducet. Sa promesse s'accomplit au jour marqué; mais ces
religieux ne reçurent de lui que sa dépouille qui, selon les
dernières volontés du saint prélat, devait être enterrée chez
eux. L'abbé de Pontigny était allé à Soisy pour y recevoir
ses restes, mais voyant le grand concours de fidèles qui étaient
venus les visiter avec un zèle extraordinaire de dévotion , et
craignant de ne pouvoir les taire transporter en siireté dans
son monastère, il s'approcha du cercueil et signifia au défunt
ses ordres en ces termes: Pater bone , pro eo quod frater es
Pontiniacensis ecclesiœ , mihidebes, sidignaris, hiiniUiterobe-
dire : volo igitur et rogo ut nullum facias niiraculwn , donec
(id locumpervenias sepeliendo tuo corporl destinatum. Les mi-
racles nombreux que les biographes disent qu'il avait opérés,
avaient attiré ce concours de peuple qui voulut accompagner
ses restes à Pontigny.
Les historiens fixent d'un commun accord le jour de la
mort d'Edmond au i6 novembre, mais ils ne s accordent
pas de même sur l'année où elle arriva ; Nicolas Trivet,
Matthieu Paris, Surms, Baléus, Fabricius, l'historien Lin-
gard, la mettent en 1240; Wharton en 1241 ; Guillaume Cave
et de Wisch, suivis en cela par la Biographie universelle ,
la placent en 1242; Baronius, la Bibliotheca Patrum, EUies
Dupin en 1246; Du Boulay en 1247; et Molatms, dans ses
notes sur le martyrologe d'Usuard, en 1248. Nous croyons
devoir la fixer en i24o, avec le plus grand nombre de ceux
Mar(. Anecd. qui ont fait mcutiou du saint prélat, et dont quelques-uns
I IV, col. 1575. ont été ses contemporains. Cette date se trouve encore ap-
puyée par un pasagede la vie de Gaultier de Cornut, arche-
vêque de Sens, ou il est dit que ce prélat alla à Pontigny,
vers la tin de i24o, pour y visiter les restes du saint prélat
ARCHEVÊQUE DE CANTORBÉRY. 261
, , ,, „ , Xm SIÈCLE.
avant qu'on leur donnât la sépulture; elle 1 est encore par la
date du chapitre général de Cîteaux tenu en 1 24' 1 où l'on
décida que vu les fréquents miracles opérés au tombeau du
prélat, on demanderait sa canonisation. Elle fut en effet pro-
posée au concile de I^yon en 124^ , et le pape Innocent IV la
publia en 1247- Or, cette dernière date est peut-être celle que
quelques historiens ont prise pour l'époque de sa mort. Ne ç^i ,\_'^ "
trouvant rien de précis sur l'âge auquel il parvint, nous ne Malth. Paris ,
pouvons le fixer qu'approximativement. Il a été dit qu'eu adaun. 1147.
12 19, où il prit la résolution de se livrera l'étude de la théo-
logie, il était sorti des années de la jeunesse et avait atteint
l'âge viril. En fixant à quarante ans environ l'âge indiqué ici
vaguement, il aura eu cinquante-quatre ans en i233, quand il
fut élevé sur le siège de Cantorbéry, et soixante à soixante-
cinq ans au moment de sa mort. Ce calcul approximatif torer,^p'Vo/,"''
se trouve appuyé par ce que dit Baléus de Robert Bacon, Spiciiegium ;
qu'il cite comme compagnon d'Edmond dans ses premières ••vm.p-îS?.
études à Oxford, ce qu'attestent aussi Trivet et le moine t. iii,coi. 1^-4
de Pontigny copié par Martène; or ce Robert Bacon mourut Eccardus,' t.
en 12/18, à l'âge de soixante-dix ans, et par conséquent plus *'?• "*•
. , -i^j- ^ DeWisch.p.
âge que notre prélat de six ou sept ans. 85 "^
La vie de saint Edmond a été écrite par son frère Robert Usaardi Mar-
Richius; par le même Robert Bacon, de l'ordre des prédica- 'y- "•* '^ ""-
' T» 1 • J T-» . • -1 ' I • vemb.
teurs; par Bertrand, prieur de Pontigny, qui la rédigea en xhes. Anecd.
1247, et c'est celle que Martène a transcrite dans son The- iiii.coi. 1753.
sauras ^ necdotorum ; par Vincent de Beauvais; en partie ,..^£^"l!, '^'*'
par Matthieu Pans ; et, d après eux, par burius qui n a fait que 67.
copier celle de Robert Richius. Martène donne, à la suite
de la vie de saint Edmond , l'histoire de sa canonisation et
de la translation de ses reliques : tout ce qu'il a d'ailleurs
recueilli sur ce saint prélat se trouve dans le tome 3^ de son
Thésaurus^ de la page lyôS à la page 1874.
Ayant maintenant à parler des ouvrages qui nous sont
restés de saint Edmond , nous devons placer ici le récit d'une
démarche mémorable qu'il fit l'année même de son élection,
avant d'avoir été sacré. Le ministère de Pierre des Roches et
de Pierre de Rivalles avait suscité un mécontentement général
dans tout le royaume d'Angleterre. « Un ministère aussi Hume , Hi»t.
« violent que celui de l'évêque de Winchester ne pouvait •*''*"6i- ' u. p-
« pas être de longue durée, dit Hume; il tomba enfin, non
« par les efforts de la noblesse, mais par ceux du clergé.
« Edmond, qui était alors primat, se rendit à la cour, accom-
2 3
a62 SAINT EDMOND,
XIIISièCLE. ', » 1 ' »
« pagne de beaucoup d autres prélats; il représenta au roi
« les mesures désastreuses qu'avait prises Pierre des Roches,
« le mécontentement du peuple, la ruine des affaires, etc. »
Le discours que les prélats tinrept au roi dans cette circon-
stance avait pour but de rétablir entre le monarque et son
peuple la concorde qu'avaient détruite des ministres qui ne
travaillaient qu'à s'agrandir et à se fortifier aux dépens de
Maiiii. Paris, l'u" ct dc l'autre. Ce discours, rapporté par Matthieu Paris,
p. »7i et 171. ne paraîtra sans doute pas déplacé dans la vie du président
de ces prélats, qui viennent plaider les droits des peuples , et
menacer le monarque des châtiments de l'Eglise, s'il manque
à ses obligations. Ces évêques, qui ne devaient pas leur élé-
vation au choix intéressé du pouvoir royal, mais qui étaient
sortis de l'élection libre, sinon du peuple, du moins du
clergé, conservaient la faculté de résister aux ministres de
cette puissance, quand l'égoïsme et l'ambition les égaraient.
Le discours suivant est donc un acte d'accusation en forme
contre les ministres de Henri IIL
« Seigneur roi , dit l'orateur, nous qui sommes vos sujets
« fidèles, nous venons vous dire au nom de Dieu que les
« hommes qui forment votre conseil, Pierre, évêque de Win-
« chester, Pierre de Rivalles, et leurs consorts, ne promettent
a ni salul ni sécurité; mais que, tout au contraire, leur pré-
« sence annonce des maux etdes périls pour vous et pour votre
« royaume, d'abord à cause de la haine et du mépris qu'ils
« montrent envers le peuple anglais, qu'ils appellent et font
a appeler traître; enlevant parce moyen à votre peuple l'af-
« fection de votre cœur, et à nous , comme au reste de vos
« sujets, l'amour que nous avions pour vous. Le maréchal (1)
« en est un exemple; lui, l'homme le plus précieux pour ce
« royaume, perdu parleurs calomnies, dans votre esprit et
« éloigné de votre personne. C'est en se laissant conduire par
a ces ministres, que le roi Jean, votre f>ère, perdit d'abord
« les cœurs de ses sujets, puis se vit enlever la Normandie et
a plusieurs autres provinces; que son trésor fut entièrement
c épuisé , qu'il se trouva au moment de perdre même l'An-
Œ gleterre , et que depuis il n'a jamais plus joui de la paix. Ce
« sont ces mêmes ministres qui, dans des temps plus voisins
« de nous , ont mis le trouble dans ce royaume , lui ont attiré
(ij Le comte Richard de Strangbowe était alors grand-maréchal du
royaume.
ARCHEVÊQUE DE CANTORBÉRY. a63
« un interdit, et enfin l'ont rendu trihutaire ^ et princeps pro-
« vinciarum factaesi , proh dolor! ignohilihus (sic) sub trihuto.
« La guerre commença, elle dura long-temps, votre père mou-
« rut presque en exil, dans un état aussi malheureux que 1 était
o son royaume, et c'est à eux qu'il dut cette mort déplorable.
a C'est par la faute de ces mêmes ministres, que le château
a de Bedfort vous a été enlevé, et avec lui les trésors et les
« hommes valeureux qu'il renfermait, et qu'enfin vous avez
« perdu la Rochelle : ce qui seul fera le déshonneur de votre
a règne. Ce sont leurs conseils iniques qui ont excité les
« troubles qui tourmentent maintenant ce pays, et causent
« sa ruine; car si vos sujets avaient été traités avec justice
<t et équité, ces troubles n'auraient pas eu lieu, vous possé-
« deriez encore les terres que vous avez perdues, et votre
« trésor n'aurait pas été épuisé.
« Item la fidélité que nous vous devons nous force à vous
« dire que votre conseil , loin d'être jamais un moyen de
« paix pour ce pays, n'y suscitera que la discorde; car vos
a ministres voulant accroître leur fortune, et ne le pouvant
a pas pendant que la paix règne, comptent y parvenir en
« troublant ce royaume, et en pillant ceux qui s'opposent à
<t leurs desseins. Item ils tiennent en leur puissance vos
« châteaux forts et vos troupes, comme si vous deviez vous
« tenir sur vos gardes à l'égard de votre peuple. Item ils se
( sont emparés de votre échiquier, de toutes vos réserves
« et de Vos plus grands revenus seigneuriaux, et vous verrez
« comment ils vous répondront de tout cela , s'il vous plaît
« d'attendre la fin. Itetn rien d'important ne peut s'exécuter
4 dans ce royaume, sous votre sceau ou votre ordre, sans
« le sceau de Pierre de Rivalles, comme s'ils ne vous te-
« naient pas aussi pour leur roi. Item, ces mêmes ministres
« ont éloigné de votre cour des hommes que leur naissance
« attachait à ce pays; ce qui nous inspire des craintes autant
« sur vous que sur votre royaume, puisque ces ministres
« semblent être moins sous votre puissance, que 'vous sous
« la leur, ainsi que plusieurs exemples l'ont montré. Item,
a ils se sont rendus maîtres de la princesse de Bretagne ,
« de votre sœur, de plusieurs autres filles nobles et nubiles,
« qu'ils ont prises cum vuardis et m.aritagiis , lesquelles ils
a marient ensuite avec leurs parents, les faisant ainsi dis-
« parager ( mésallier). Item, ils foulent aux pieds fa loi de ce
it pays, loi jurée, confirmée, affermie par l'excommunica-
Xm SIÈCLE.
264 SAINT EDMOND,
IIII SIÈCLE. .... , I 1 • •
« tion ; ils ne tiennent pas plus compte de la justice, ce
« qui fait craindre qu'ils ne soient excommuniés, et que
« vous ne le soyez aussi en communiquant avec eux. Jtem
« ils violent leurs promesses, leur foi , leurs serments; ils
« nient même ce qu'ils ont certifié par leur signature; ils
« méprisent l'excommunication ; et s'étant éloignés de la
« vérité, ils vivent en désespérés dans la méfiance et dans
« la crainte.
« iSotre fidélité seule nous inspire ces paroles, et ici, en
« présence de Dieu et des hommes, nous vous conseil-
« Ions, nous vous prions, nous vous avertissons d'éloigner
« de vous de pareils conseillers, et, comme c'est l'usage
« dans les autres royaumes, de vous aider, dans l'adminis-
« tration du vôtre, des lumières de vos fidèles sujets et des
« jurés de l'Angleterre. Du reste, la vérité nous oblige à vous
« faire savoir que, si d'ici à peu de temps vous n'avez pas
« apporté un remède à ces maux , nous procéderons contre
« vous et contre les autres adversaires du bien public par
« les censures de l'Eglise , n'attendant pour cela que la consé-
« cration de notre vénérable père l'archevêque élu de Can-
« torbéry. »
P 272 Le roi ayant entendu ce discours, dit Matthieu Paris,
demanda humblement qu'on lui accordât un court délai,
disant qu'il ne pouvait pas renvoyer si promptement son
conseil, ayant à lui faire rendre compte du trésor confié à sa
garde. Sur cela l'assemblée fut dissoute, et chacun se retira
avec la confiance de voir bientôt renaître la concorde.
Au mois d'avril de l'an I234, flit le même historien, Ed-
mond, après sa consécration, réunit tous ses suffragants et
plusieurs autres prélats, et s'étant rendu avec eux auprès du
roi, il lui renouvela ses représentations, et il lui dit expres-
sément que s'il ne mettait pas fin à la désolation de son
DrWisch.ioc. royaumc, el s'il ne rentrait pas en union avec ses fidèles su-
Acia conriiior j^'t* > il prononcerait SUT lui la sentence d'excommunication.
I. l,p a66. lie roi écouta avec docilité ces paroles, reconnut les injustices
de ses ministres, les renvoya , et rappela des conseillers plus
favorables au bien de la nation.
Libbe.Sacroi. L'archcvêque de Cantorbéry, avait pendant sa prélature
eonc. , p. j.gfjjggj^sj>Q,,jjtitQ^iQP5 provinciales; et quoique les ouvrages
de ce genre fussent pour la plupart discutés dans les synodes
provinciaux, qui dans ce siècle furent si nombreux, ils sont
toujours attribués à celui sous le nom duquel ils ont paru.
cil
Xni SIECLE.
ARCHEVÊQUE DE CANTORBÉRY. ^65
Ces constitutions portent la date de l'an ia36 ; elles sont di-
visées en quarante-un chapitres, tous assez courts, et sont
renfermées en cinq pages in-folio. Elles roulent en général
sur le rituel, la discipline, l'incontinence des clercs, les
maisons religieuses, le gouvernement des biens ecclésiasti-
ques. Les deux morceaux qu'on va lire feront connaître l'es-
prit de ces constitutions.
Le premier traite de l'obligation qui est imposée aux pas-
teurs de maintenir la paix entre leurs paroissiens. «Un grand
a devoir nous est imposé, très-chers fils, celui de maintenir
« la paix, puisque Dieu lui-même a établi et aime la paix,
<r lui qui non seulement a pacifié le ciel, mais qui est venu
« tout pacifier sur la terre. Or, comme l'on ne peut parvenir
a à la paix de l'éternité que par la paix du temps et par celle
« du cœur, nous vous recommandons, et nous vous ordon-
a nons expressément de garder la paix avec tout le monde,
« autant que cela vous sera possible; d'avertir vos paroissiens
« de ne faire qu'un corps en J.-C. , dans l'unité de la foi et
a le lien de la paix; apaisez avec zèle les inimitiés, s'il s'en
« élève dans votre paroisse; faites naître les liaisons; détour-
« nez de la discorde ceux qui y sont tombés, et, autant qu'il
« est en vous, ne permettez pas que le soleil se couche sur
« la colère de vos paroissiens. »
Le second traite de la garde des enfants nouveau -nés :
« Qu'on avertisse les femmes, dit-il, d'allaiter leurs enfants
a avec précaution , de ne pas les coucher près d'elles pendant
a la nuit, quand ils sont encore dans l'âge tendre, de peur
o de les étouffer; qu'elles ne les laissent jamais seuls dans
« une chambre où il y a du feu, et auprès de l'eau, sans une
« garde. Et que ceci leur soit recommandé tous les diman- pa.r'i'"xxv 7.
a ches. » 3i6. '
Saint Edmond, durant son exil volontaire à Pontigny,
composa deux petits ouvrages; le premier, qui se trouve
dans la Bibliotlièque des Pères, remplit onze pages de ce
recueil , et y est distribué en trente chapitres. Il porte en
titre: Sancd Edmundi, theologi parisiensis , et cantuariensis
archiepiscopi , ad Cistercienses Pontiniacensis mqnasterii mo-
nachos, libellus , qui dicitur SPECULUM ECCLE SIM ,
christianis omnibus utilis apprimè et necessarius. A ce titre
donné par l'éditeur, il faut ajouter celui que l'auteur lui-
même a mis à la tête de son ouvrage: In nomine dulcissimi
Domini noslri Jesu Christi, incipiunt capitula librisequentis.
Tome XV III L 1
2 0 •
.XIII siixLr..
266 SAINT EDMOND,
simplici stylo dictati ad evitandam curiositatem , et ne qnis
dimittat interiorein snnctitalem.
Les relifjieux de Pontigiiy désirant que le saint prélat,
qui était venu chercher un asile parmi eux, leur donnât
quelques-unes de ces leçons que lui-même avait mises en
pratique dans sa sainte carrière, il composa pour eux ce
petit traité, doiit le titre, Spcculum Ecclesiœ , indique le
sujet, et dont l'inscription, telle que l'a rédigée l'auteur, fait
connaître dans quelle intention il fut composé. En effet, cet
ouvrage renferme tout ce qui concerne les ri'gles par les-
quelles l'Eglise conduit les chrétiens à la perfection évangé-
lique. La simplicité y règne dans le style, ainsi que dans les
pensées et les préceptes. Dans le prologue, l'auteur recher-
che à quoi l'homme est appelé : il est appelé à être parfait;
mais qu'est-ce que la perfection? Laissons- le parler lui-
même : Perfectè vwere, sicut sanctus Bemardus nos docet ,
est Divere nmicahiliter, htiniiliter, honorahiliter. Humiliter
quantiini sit ad te ipsuni , amicabiliter quantum adproximum,
honorahiliter quantiini ad Deiini, sic ut ponas totam inten-
tionem tuani ad facicndam voluntatem divinani , hoc est
dictii, in omnibus quœ dehes cogitare corde, vel loqui ore,
vel facere opère per aliqucm quinque sensuum tuorum
Cogita sempcr in principio si illa sit voluntas Dei vel non.
Si sit voluntas sua , foc tune secundàni potentiam tuam ,
et si non , nefeceris illiid pi opter mortem tolerandam. Sed
modo quirreret aliquis à me ^ quœ est voluntas Dei? Dico
quod voluntas sua non est aliud quant nostra sanctificatio ;
nam ita dicit apostolus : Flœc est -voluntas Dei sanctificatio
vestra ; quod est die ère , voluntas Dei est quod vos sancti
sitis.
Recherchant ensuite les moyens par lesquels l'homme peut
parvenir à la sainteté, le sage prélat, d'accord en cela avec
tous les grands maîtres de la vie spirituelle , place la per-
fection dans les actes les plus communs et les plus simples
de la vie. «Deux choses, dit- il, et rien de plus, font un
« homme saint; ces choses sont la connaissance et l'amour :
« la connaissance de ce qui est vrai, l'amour de ce qui est
« bon »
Il lait connaître Dieu par ses bienfaits, afin de le faire aimer;
il le montre agissant dans les créatures; il fait ressortir la
grandeur de Dieu par les Eci itures. Il parle successivement
de l'emploi du temps, des péchés mortels, des vertus chré-
ARCHEVÊQUE DE CANTORBÉRY. 267
XIII SIÈCLE.
tiennes, des donstlu Saint-Esprit, du décalogue, du symbole,
des sacrements, des quatre vertus cardinales, des œuvres
de miséricorde, de l'oraison dominicale. Cette prière lui
fournit plus de réflexions que les autres articles; il montre
comment on y trouve la source et l'idée de tous les biens,
et le remède de tous les maux; elle surpasse en dignité et
en utilité toute autre prière. « Celui qui la néglige pour se
« compo.ser des prières rhythiniques et curieuses, commet
« une irrévérence envers Jésus-Christ. » Igitur centum millia
hoininum decipiuntur per m ultipUcationein orationum. Chm
enini putant se habere dcvotioneui, hahent unam vilem et
carnalein affectionem , quia omnis carnatis aninnis delec-
tatur in tati loqueld curiosd. Ideb sis providus et discretus^
nain certissimè tibi dico qiiod est una turpis luxuria ità de- Bibi.Miei.Pa-
lectariin tali modo guliardiœ. « Je ne blâme pas, continue- ''^- ' ^^^' f-
« t-il , saint Augustin et saint Grégoire, ni les autres saints
« qui faisaient des prières selon les afflictions diverses qui
« les accablaient; mais je blâme ceux qui négligent la prière
<i que Dieu a faite, pour le prier avec celle de tel ou tel saint.»
Cette divine pYière semble retenir le pieux auteur par les
cliarmes qu'il y trouve; il termine ses réflexions par ces mots :
Nec cures multiplicare sœpius Pater Noster. Melius est se/nel
dicere Pater Noster cum intellectu bono et attentione , quàm
millesies sine intellectu et dei'Otione.
Dans les chapitres suivants, le saint prélat expose ses ré-
flexions sur les mystères de la vie et de la mort du Sauveur.
II montre comment on peut contempler Dieu dans sa divinité;
comment Dieu est une substance et trois personnes; comment
il y a pour l'ame trois degrés de contemplation. Et, bien que ces
matières soient peu susceptibles d'explications précises, elles
satisfotiten quelque sorte l'esprit par la manière simple dont
elles sont exposées, et par l'attention que l'auteur a de tout rap-
porter à la pratique. Il y a quelque chose d'ingénieux dans son
explication du mystère de la sainte Trinité : «Aucun bien,
« dit-il, ne peut manquer à Dieu; mais comme la société est
« une chose agréable et bonne, Dieu n'a pas pu être sans ce
a bien; il faut donc qu'il y ait eu pluralité de personnes en
« Dieu qui est le souverain bien; et comme une société ne
« peut passe composer de moins de deux personnes, il faut
« qu'il y ait en Dieu au moins deux personnes; et comme une
« société mériterait peu ce nom, s'il n'y avait ni union, ni
« amour, il faut qu'il y ait en Dieu -une troisième personne,
1. 1 -1
XIII SIKCI.E.
268 SAINT EDMOND, ARCHEVÊQUE.
« qui soit l'union et l'amour des deux autres. Ainsi l'unité
« étant un bien , et la pluralité en étant un aussi , il faut né-
a cessairement qu'ils soient l'un et l'autre en Dieu. »
A la suite du Miroir de l'Eglise se trouve le petit traité de
la contemplation. De variis modis content plandi , et ailleurs
De contcmplanda Deitate. Cet opuscule, qui n'est pas com-
pris dans la Bibliothèque des Pères ,^ oii se trouve le premier
ouvrage , a été imprimé par Henri Etienne avec le Spéculum
Eccle.siœ^ dans un petit volume qui renferme un ouvrage de
Humbertde Romans. Le rédacteur de la Bibliotlièque cister-
cienne dit qu'il fut composé en français, et que c'est un reli-
gieux carmélite, Guillaume Beuféu, qui l'a traduit en latin.
De VViscli a copié en cela Baléus ; mais l'un et l'autre disent que
cet opuscule commence par ces mots : I idete ad quid , etc.,
qui sont les premiers mots du Spéculum Ecclesiœ ; tandis que
l'autre commence par ceux-ci: indiens et legens quantus
.î/V,etc.Lesaint prélat y expose les moyens qu'il employait pour
méditer ou contempler avec fruit. Comme toutes ses idées se
rapportaient essentiellement à la pratique, et qu'il ne se li-
vrait que rarement à des pensées hors de l'ordre des choses
simples et profitables, c'est par des comparaisons prises dans
les objets sensibles, qu'il s'élève vers les objets spirituels et
divins. Il se parle à lui-même en ces termes : «Quand j'ap-
a prends ou je lis combien est grand le fruit que l'on retire
o de la méditation des choses divines; voulant par mes efforts
« parvenir à considérer ce que c'est que Dieu , je me forme
« pour cela une échelle, dont je me figure ainsi le premier
« échelon ; je pense à la vertu d'une certaine pierre qu'on
tt appelle aimant, qui attire le fer. Je pense ensuite à une
« autre pierre qui aurait la vertu d'attirer non seulement le
« fer, mais qui soulèverait les montagnes les plus pesantes;
a puis je m'en figure une autre qui les écraserait, les détrui-
Œ rait, les anéantirait; enfin une autre qui de rien produirait
« quelque chose, de la terre, une pierre, etc. .. . Cette vertu
<c que mon esprit peut comprendre, n'est autre que la puis-
« sance divine et Dieu lui-même. »
Ainsi commence cet opuscule dans lequel l'auteur continue,
par des comparaisons simples, mais non toujours claires, à
s'aider dans la méditation des mystères de la religion.
Mari. KntvA. Martène a recueilli dans ses Anecdotes un acte portant la
t.lll,col. laSo. Jate de ia38, par lequel Edmond léguait aux religieux de
Pontigny un revenu annuel de dix marcs d'argent, pour
xin siEci.F.
ETIENNE DU GUAf.. 269
reconnaître leurs bons offices envers lui, ainsi que l'avaient
fait Thomas et Etienne, ses prédécesseurs, qui avaient payé
l'asile qu'ils avaient reçu à Pontigny, par une rente de cin-
quante marcs d'argent.
La Bibliothèque cistercienne dit que saint Edmond avait DcWischio.-.
encore écrit: Commentaria in 12 prophetas minores^ et Spé-
culum religiosorum. Ces ouvrages, si jamais ils ont existé,
se sont perdus. P. R.
eu.
ETIENNE DU GUAL.
APBES 1240.
Ci-dessui {I.
A. l'article de Guérin, évêque de Senlis, chancelier de France, ^
nous avons fait mention cle son clerc ou chapelain, Etienne 4o.
de Gual ou duGual, qu'il associait quelquefois à ses travaux,
particulièrement à ceux qui avaient pour objet le rétablisse-
ment des archives du royaume, la conservation des monu-
ments de notre histoire. Ce clerc rédigea en l'année 1200, par
ordre de notre prélat, une chronique sommaire, indiquée en
ces termes dans la Bibliothèque historique de la France : Brève '^'}\"r'' ' ''^'
Chronicon à Pharamundoaaannuni 1200 quoscriptum est hoc
registrwn per mandatuni R. P. Guarini, SiU'ancctensis cpis-
copi, à Stephano Du Gual, clerico suo. Dom Estiennot a inséré
cet opuscule dans le second volume ( page 89 ) des fragments
manuscrits d'histoire qu'il a recueillis dans la Bibliothèque
de Saint-Germain-des-Prés. Mais ce n'est qu'une liste des
rois de France, avec indication des années où commence et
finit chaque règne: ce tableau, qui peut avoir servi à mettre
en ordre ce qui restait de leurs archives, ne saurait être
aujourd'hui d aucun usage. Un travail plus précieux d'E-
tienne Du Gual est un registre écrit de sa main en 1220,
encore par ordre de Guérin , et contenant les actes de Phi-
lippe-Auguste : c'est celui qui a passé, comme nous l'avons
dit, du Trésor des chartes à la Bibliothèque du Roi. Il est
remarquable par la beauté de l'écriture, et par l'intitulé ou
prologue en prose et en vers que l'habile copiste y a joint : jyj^^ j^ b^.
Incipiunt capitula registri compilati de feodis , eleemosinis , narr,y sur le Tré-
coTicessionibus , munificentiis , et aliis negotiis excellentissimi *°'" d^scharfes;
viri Philippi , Dei gratiâ Francorum régis illustrissimi , anno , xxx^' '"s^r.,
Domini millesimo ducentesimo uicesimo , regni verb ejusdem
XIII SIECLK.
370 ETIENNE DU GUAL.
domini régis qundragcsi/no primo , scripti de mandata reve-
rendi patris Guarini, Si/vanectensis episcopi , per manum
Stephani Du Gual, clerici sui , sic in sui lahoris initia, illius
gui totius creaturœ initiuni sit et finis , à cujus nomine^ ut
quidam vir sanctus asserit. operis est expeclanda félicitas ^
auxilium huniiliter invocantis.
Scribere, Rex qui cuncta régis, regale registrum
Me (loceas, liiijitos articiilosqiu' ic^'ens.
Et tu, Virgo païens, qurt, fons pietatis, egenis
Succurris, Stepliaiio pracsidiare tuo.
Qui de te fisus , niittens ad fortia dextrani,
Aggreditur praesens , indigns artis, opus.
Régis prœclari cujus de noniine liber
Dicitur, etc.
Lëpoque de la mort d'F.tienne Du Gual n'est fixée par
aucun flocuinent. Nous supposons qu'il a pu survivre treize
ans à Guérin , décédé en iy.27. D.
MORT |p
ivnl IIJ^ I .
Oallici rlirist
I XII, col. 60
GAUTIER DE CORNUT,
ARCHEVÊQUE DE SENS.
Gautier de Cornut (i) appartenait à une famille qui avait
acquis une grande illustration, du côté surtout de sa pa-
renté maternelle. Sa mère, Marguerite d'Aubusson, était
Sc"rVpi'"ienim petitc-fiHe de Robert Clément, à qui les oncles maternels du
gaii. I. xviii, jeune roi Philippe- Auguste confièrent la tutelle de ce prince,
**D^Auieuii,Hist. n'ayant pu s'entendre entre eux pour en remplir la fonction,
des Minis.' pag. Robcit Clément, déjà avancé en âge, fut donc tuteur ou
303,3^5, 3/,9. gouverneur du jeune roi; et comme il eut en mcme temps
l'administration du royaume, il prit aussi le titre de régent.
Quelques historiens prétendent que Louis-le-Jeune ayant
déjà confié à ce seigneur l'éducation de son fils, ce motif
engagea les princes à lui en confier de plus la tutelle. Il
mourut en 1182, et Philippe-Auguste, qui n'avait que dix-
sept ans, éprouvant encore le besoin d'un tuteur, voulut
que Gilles Clément remplaçât son frère auprès de sa per-
sonne, et dirigeât comme lui les affaires de l'état. Robert
(1) Gntterus Cornuti , ainsi nommé par les auteur» contemporains.
GAUTIER DE CORNUT, ARCHEVÊQUE. 271
avait laissé en mourant deux iils et une nlle. Lame de ses
fils, Albéric Clément, fut maréchal de France, et sa grande
valeur a été célébrée par Guillaume le Breton dans la Plii-
lip|)ide,et par Rigord dans sa Chronique. H mourut au siège
d'Acre en 1 ipc). Le roi voulut alors que son frère, Henri
Clément, occupât la même dignité, non à titre de succession,
dit l'historien, mais par la seule considération de sa vertu.
On l'appelait le petit maréchal, à cause de la médiocrité de
sa taille. Les deux auteurs contemporains que nous avons
cités, exaltent aussi beaucoup ses grandes actions. Il mourut
de maladie l'an lai/f, en Anjou, au milieu des exercices mi-
litaires ; et le roi transféra son titre et sa dignité à son fils
Jean Clément, qui , étant encore en bas âge, remplissait les
fonctions de sa charge par l'intermédiaire d'un tuteur. A
cette époque, dit d'Auteuil, il n'y avait en France qu'un di-
gnitaiie qui portât le titre de maréchal militaire ou de ma-
réchal de France, et Albéric Clément fut le [)remier qui en
fut honoré, tant à cause de sa valeur personnelle, cjue des
grands services que .ses parents avaient rendus à l'état. La
fille de Robert Clément, sœur de ces deux maréchaux, fut
Marguerite d'Aubusson , mère de notre prélat.
La famille paternelle de Gautier est moins connue. Son Ta"Tpiius,Vii;r
père, Simon de Cornut, était seigneur de Villeneuve des ^''"""- anhirp.
Cornuts, près de Montereau sur l'Yonne, et non près de ''h^'^ Maihoud.
Montreuil, comme le dit Moréri. ciaL p. ri:
Gautier eut deux frères, qui, comme lui, occupèrent des MorénadMib.
sièges épiscopaux; Albéric de Cornut , qui fut évèque de °["^l\ ^hr i.
Beauvais de laSG à 1243; Gilles ou Gilon de Cornut, qui viii,coi. uStj
succéda à son frère aîné, et fut archevêque de Sens jusqu'en
1254- Après la mort de ce dernier, Henri de Cornut, neveu
de ces trois prélats, promu comme eux par l'élection , occupa
le siège de Sens, jusqu'en 1267, où il mourut de mort
violente, à la fleur de son âge, ayant été empoisonné par
son cuisinier.
A une grande naissance notre prélat joignit des talents qui ii<iieus u>y\
n'avaient i)as moins d'éclat : il avait acquis de bonne heure ^"1" 'a"'^'
dans l Université de Pans la réputation de docteur distingue eu. du via .
dans le droit civil et canonique; il fut chapelain des rois xm* sièc ciup.
Philippe-Auguste et Louis VIII, et fut élevé, soit durant le '^
même temps, soit après, à la dignité de doyen de l'église de
P;iiis.
Vers le commencemetit de l'an i2'.iO, le clergé de Paris t;aii. thr t.
VII, roi. 90,
Xin SIECLE.
i72 GAUTIER DE CORNUT,
s'ëtant réuni pour élire un évêque à la place de Pierre de
Nemours, qui venait de mourir sous les murs de Damiette,
on convint de nommer le doyen de l'église, Gautier de
Cornut. Philippe-Auguste, à qui ce choix fut très-agréable,
s'empressa d'écrire à Honorius III pour lui en demander la
confirmation; mais ce pape refusa de donner son consente-
ment à cette demande, et dans sa réponse , qui est datée du
ay avril 1220, voici comme il s'exprime :
« La modestie de votre circonspection royale nous est
« assez connue pour penser que vous supporterez avec éga-
« lité dame, que nous ne condescendions pas à vos prières,
Script rerum ^^ qQ^nd la iusticc s'v oppose. Vous savez que dans toute
sali. I. XIX, p. M J. . \ ia' ' r j -^ ^ • 1 -
695. « aitaire litigieuse c est Uieu que l on doit considérer et non
« les hommes ; car on ferme toute voie à la grâce quand
« on exige un devoir de justice. Disposés, autant que notre
« conscience nous le permet, à faire pour vous tout ce qui
« est en notre puissance, en considération de la mansuétude
« de votre grandeur, cependant, pour ce qui concerne notre
« fils bien-aimé, maître Gautier, auquel nous ne pouvons
« accorder la grâce que vous nous demandez pour lui à titre
« de justice; car tout en convenant que ce même maître se
« fait remarquer par l'éininence de son savoir et par d'autres
« qualités, le procédé de son élection et de sa confirmation
a a été vicié de plusieurs manières. »
Après cette sentence souveraine, le pape mettant de côté
le droit qu'avait le chapitre de Paris d'élire et de s'imposer
lui-même celui qui devait être son chef, selon les anciens
usages de l'Eglise, s'arrogeant à lui-même un droit qui ne
lui appartenait pas, nomma à l'évêché de Paris Guillaume de
Seignelay, alors évêque d'Auxerre.
L'irrégularité de l'élection de Gautier fut le prétexte dont
le pape se servit pour refuser son approbation au choix du
clergé de Paris et à la demande du roi de France; mais
Hug.Mathoud d'autrcs disent que le motif secret qui le faisait agir, était
Cataiog. p. i37. que, quelques années auparavant, Gautier avait pris parti
Sciipf. reium pour le roi , dans le démêlé qu'il avait eu avec le pape.
774. '^' Cette conduite d'Honorius III déplut à Philippe-Auguste,
comme on le voit dans le poème de Guillaume le Breton,
et il eut pour l'élu rejeté d'autant plus d'estime, qu'il soup-
çonnait la raison cachée du refus qu'il avait éprouvé.
La même année selon quelques-uns, en 1221 ou en 1222,
ou même en 1223 selon d'autres, Gautier de Cornut fut élu
ARCHEVÊQUE DE SEi\S.
273
XIII SIECLE.
par le clergé de Sens, pour occuper le siège de cette ville.
Cette nouvelle élection, dont la Gallia christiana assiene c
, , . ,, o 1-1 1- ■ b ^ Script, ii'iuiu
la date a I an i2i<o, est placée plus orcirnafrement en 1221, gall. t. XMIl,
par les chroniqueurs contemporains : cependant Albéric la P 7>'*>72.'i
met en laa'i. En apprenant son élection. Gautier crut de-
voir aller se iirésenter à Rome, et le pape llonorius, satisfait
de sa première résistance, lui dit, en lui confirmant la di-
gnité à laquelle on venait de l'élever : Per nos ecclesiam Beatœ
Mariœ lunisisti^ sed beat us Stephanus te suscepit ^ et nos te
confirniamus ; virilité?- a lie.
Le refus du pa|)e relativement à, levéché de Paris, et son
consentement à l'élévation de Gautier au siège métropolitain
de Sens, ont donné lieu aux vers suivants de Guillaume le
Breton, dans sa Plnlij)|jide.
At , (jaltere, tihi cum tonfiiiiiala f'iiisstt
Paiisiari apicis flctlid, ni()x Scnonenseni
Ad catliedrani lapciis , lit, tliim te linsjua lualoriiiii
lnsec[iutur, prosit tilii nescia, quà iiiediaiite,
riiiiilms ut pifpsis, ratliodrà privatiis es iinà;
Oiiique tii)i fieri non eiuljiière rebelles,
Kunc tiL)i subjectos prcinit indii,'natio major,
Afiirit et gravior eoiifusio, cimi videaiit le
Sic sublimatiim, sic Chrislo adore poteiitem ,
lllos ut majore queas distrinneie (reuo,
Quàm si Parisius specialis epicopus esses.
A son retour de Rome, l'archevêque de Sens se rendit a
Paris pour |)rendre paît au synode qui y avait été indique
contre les Albigeois. Le roi Phi lippe- Auguste, qu'on v atten-
dait, mourut en revenant vers cette ville; et dans les céré-
monies de sa pompe funèbre, Gautier de Cornut tenait le
premier rang avec l'archevêque de Reims, et Conrad, arche-
vêque de Porto , légat en France. Guillaume le Breton en
fait ainsi mention dans ces vers :
Nec minus arcliipater Remorum cum Senonensi
Galtero Guillelnius adest , qui régis in aidâ
Praecipui, clarum genus alto à sanguine durnni.
En la même année laaS, Gautier reçut une lettre d'Mo-
norius III, par laquelle «'e pape lui dit quAmaury de Montfort
se trouvait dans une situation malheureuse, et que si l'on ne
venait pas à son secours, il se verrait forcé d'abandonner la
guerre qu'il soutenait contre les Albigeois; le pontife recom-
mande à l'archevêque d'emprunter sans délai la somme de
Tome XV m. M m
r.uill. Biilo
l'hilippidos, lil)
XII, ^ers ^%k-
lier (les lin;
de France , liiin
XIX, X<.')\)
274 GAUTIER DE CORNUT,
XIII SIÈCLE. ... ,. , ,,
Cinq mille livres, et de l envoyer au même comte de Mont-
lort. Honorius n'exigeant pas que Gautier fasse cet emprunt
à ses dépens, l'autorise à se rembourser sur le produit du
vingtième que doit payer le clergé de sa province , mais à con-
dition qu'après le remboursement, la partie de ce vingtième
qui n'aura pas été employée, sera envoyée au comte , si celui-ci
se trouve encore à cette époque dans la terre des Albigeois.
Cette lettre est du 1 1 décembre laaS. L'impôt du vingtième
dont il est ici question avait été rais sur toutes les per-
sonnes de profession religieuse, par le pape Innocent ÏII,
pour fournir aux frais de la croisade dans la Terre-Sainte,
ainsi qu'on le voit dans la CXVI^ lettre de Gervais, abbé de
Hugo.Sac an- Prémontré.
ûq. mon i. I, Gauticr de Cornut souscrivit, vers la fin de juin 1224,
^ '°^' avec plusieurs autres prélats et grands seigneurs de France,
à un acte par lequel il était déclaré que trois évêques de
Marlène, Col- i • i ivi j- • • .. •..,. ' p ' i
lec ampi t I '^ provincc de ÎNormandie, qui avaient quitte 1 armée de
c. 1188. ' Louis VIII, se regardaient comme libérés envers le roi, s'il
reconnaissait que ces prélats ne lui devaient pas le service en
personne; mais que s'il se croyait en droit de les réclamer,
eux et leur contingent d'hommes, ils se soumettraient à lui
envoyer des hommes , et à payer une amende pour s'être
dispensés eux-mêmes d'aller guerroyer.
Labbe, Sacros Le même prélat fit partie d'une assemblée de prélats et de
àqo'^ ' '^' ^ barons que Louis VIII convoqua à Tours, afin de'se con-
certer avec eux sur les moyens à prendre pour réformer le
traité de paix qu'il avait fait avec le roi d'Angleterre. On n'y
décida rien sur l'objet qui avait donné lieu à la convocation,
ni sur l'affaire albigeoise dont on parla ; mais les évêques
demandèrent d'un commun accord au roi et à ses barons,
d'être investis de la juridiction sur les biens meubles, au
sujet desquels les hommes de leurs églises en appelleraient
à leurs tribunaux. Le roi résista à leurs prétentions, en disant
que cet objet n'avait jamais appartenu au for ecclésiastique,
mais qu'il était de la compétence des tribunaux séculiers.
On se sépara donc sans avoir rien arrêté. Cette assemblée eut
lieu au commencement de novembre 1226.
Gaii cbr t j mort de Louis VIII étant survenue, l'archevêque de
XII, col. Qi. , . . , , . ' ,, '■
Sens écrivit de concert avec plusieurs autres prélats et comtes
une lettre circulaire pour faire connaître que ce roi, mort
inopinément à Montpensier , avait à ses derniers moments
^ -Maiiene.Anec déctaré, cu Icur préscncc , et ordonné que son fils, pendant
XIII SIECLE.
ARCHEVÊQUE DE SENS. 276
sa minorité, resterait sous la tutelle de sa mère. L'usage
étant, dans la monarchie française, que la reine-mère fût
tutrice du roi mineur, cette expression de la volonté royale
n'était pas nécessaire. La lettre convoquait en outre les sei-
gneurs auxquels elle était adressée, à Reims pour assister au
sacre du jeune roi, fixé au«dimanche qui précédait la fête de
saint André.
Au mois d'août de l'année 1227, Gautier et Albéric son
trère, évèque de Chartres, voulant coopérer aux desseins du
roi Louis IX et de la reine-mère, relativement à la guerre Martènc, Coi-
albigeoise, leur promirent, par un acte public, de leur four- le^'- ampiiss. t.
nir , comme subsides, la somme annuelle de quinze cents ''«^ '^'^
livres parijis pendant quatre ans, en supposant que cette
guerre se prolongeât jusque-là. Entre les motifs que les
f)rélats allèguent pour lever cet impôt sur les chapitres de
eurs églises, on trouve spécifiés les suivants : /"ro ulilitate
ecclesiarum uostrarum , pro consen>anda pace et indemnitate
ipsarum , et ne impediatur succursus negotii pacis etfidei in
terra alhigensi.
Dans le, courant de l'an 1228, l'archevêque de Sens reçut Gaii.chr inc
une lettre du roi d'Angleterre, dans laquelle ce prince le "^""
pressait de travailler, conformément aux ordres qu'il en
avait reçus de Grégoire IX, à faire consentir le roi de France
à une trêve. Gautier s'occupa efficacement de cet objet, et
fit connaître à Henri III, par une lettre, le résultat de ses
démarches. Cette trêve entre les deux rois, que la Gallia
christiana fait ici demander par le roi d'Angleterre, était
reçue avec peine par ce même roi, selon l'annaliste de
Cîteaux, comme il sera dit à l'article de Guillaume de Don-
delberg. Quoi qu'il en soit, les lettres que s'adressèrent le roi
et le prélat ne nous ont pas été conservées.
Le dessein qu'avait conçu Gautier d'établir quatre cano- j>ia'i«-i'e, Coi
nicats nouveaux dans son église métropolitaine, et d'y affec- j*^*^,, ^^d* ' '
ter les revenus de quelques paroisses, donna occasion à un
acte de Louis IX, daté du 9 août laap, par lequel ce roi
approuve les vues du prélat. Ayant été admis, dans le
courant de la même année, à la table du monarque, lors
de son passage à Villeneuve -Saint- George, Gaultier crut
devoir déclarer publiquement que cette faveur ne lui donnait oaii. .h t.
aucun privilège, ni aucun droit différent de ceux qu'il devait '^"' "^ '''
à son rang. Il tint en cette année urt synode provincial à Sens,
dans lequel les maîtres et les écoliers de l'Université de Paris,
M m 2
27^ GAUTIER DE CORN UT,
XIII SIÈCLE. . ... . , • j 1 ' M ' I
qui avaient tui de cette capitale au sujet des démêles dont on
a lu ailleurs le détail, turent privés, les uns de leurs béné-
BuUus.Hisi. fices, et les autres excommuniés.
iiiiiv. ,1. III, p Bientôt après, notre prélat, taisant partie de l'assemblée
' Martène Coii ^^^ évéques et (les comtes qui se tint près d'Ancenis pour
im|ji , t. I, col. examiner la conduite politicjue de Pierre Maiiclerc , comte
■2î'j. de Bretagne, signa l'acte par lequel ce comte était déclaré
avoir perdu ses ilroits à la Bretagne, et ses barons jléliés de
leur serment de fidélité. Cet acte est du mois de juin i23o.
Les religieux de Saint-Dominicjue et de Saint-François
d'Assise, qui , peu d'années après leur institution , s'étaient
déjà assez multipliés pour se répandre dans toute l'Europe,
furent reçus à Sens par Gautier de Cornut en i23o et laSi,
à peu près dans le temps ou on les voyait s'introduire
dans toutes les villes épiscopales. En ces mêmes années, et
iiiig.Maiiioud, durant les deux suivantes, ce prélat agrandit et embellit
" ^ "" P ' 9- son palais, dans l'enceinte duquel il lit construire une prison.
Il s'occupa aussi de quelques actes d'administration relatifs
à des monastères.
Le mariage du jeune roi de France avec Marguerite, tille
aînée de Raymond Bérenger, comte de Provence et de Tou-
louse, qui venait d'être décidé, donna occasion à la régente
d'envoyer une députation à la cour du comte Raymond.
Gautier de Cornut et Jean de Nesle en turent nommés les
Hi»i. lie saint chefs. «Ils allèrent chercher la princesse, comme le dit La
rh'xx'n'* ' Chaise, et l'amenèrent à Sens, suivie fie Guillaume de Savoie,
évêque commendataire de Valence, son oncle maternel, et
d'une foule de Provençaux, la phipart poètes; car le pays en
abondait.» Le roi de son côté .s'étant rendu en cette ville avec
sa mère, ses frères et plusieurs grands seigneurs, l'arche-
vêque Gautier maria les deux époux le 27 mai i234- Le
Heuiv Hist. lendemain, qui était un dimanche, le même prélat couronna
eici. I. Lxxx, I3 reine en présence de toute la cour et du roi revêtu de ses
' ''"'■ ornements royaux. Ce mariage avait été préparé par Romée ,
pèlerin, qui allant fi Rome, et se trouvant à la cour du comte
Bérenger, fut employé comme ministre parce prince, rétablit
ses affaires délabrées, et travailla à établir ses quatre tilles.
M. Artaud . dans une de ses remarques sur le Paradis du
I „ . , , Dante, donne des détails très -intéressants sur ce Romée;
Uanre, 1. 1 , |.. nous y rcuvoyous le lecteur.
'9*-»96, édii. Vers ce temps, Gautier,à la prière du roi d'Angleterre,
I o,in-i8. travailla à consolider la paix, et à proroger les trêves qui
ARCHEVÊQUE DE SENS. 277
, ,c ■ I ■ 1 T- 1-v '^"ï SIÈCLE.
avaient ete faites entre ce roi et celui de v rance. Uevons-nous
faire mention ici de deux actes que notre prélat sous-
crivit en 1237? Ces deux pièces, qui n'ont rien de littéraire,
concernent, l'une, la translation d'un chapitre de chanoi-
nes de l'église de Saint-Quiriac à celle de Saint- Jacques, -xJ?*"/*'.'^' ''
et l'autre la fondation de l'abbaye de Sainte -Marie près de col. es! "^^
Provins.
En laSg, Gautier se trouve au nombre des grands per-
sonnages qui composent le cortège du roi allant à la ren- j,^^,, ^^^ ,
contre de la couronne d'épines, à Villeneuve-l' Archevêque, xii.col. 6a.
Quand cette relique eut été apportée et déposée dans la
chapelle royale de Saint-Nicolas, qui dans la suite fut appelée
la Sainte -Chapelle, le roi donna ordre au prélat de Sens
d'écrire l'histoire de cette cérémonie. L'opuscule que Gau-
tier composa à cette occasion se trouve datis le Recueil des
historiens de France de Du Chesne, et y occupe cinq pages. H'st- francor.
Du Chesne l'a tiré d'un manuscrit du couvent de Saint-Pierre ^"'P'' '■ ^' P'
de Sens, ainsi intitulé : Histqria susceptionis Càronœ spineœ
Jesu Chrlsti, quant Ludovicus rexa Balduino imperii Con-
stantinopolitani hœrede obtinuit , ac Parisiis reportavit ,
anno MCCXXXIX. L'auteur commence cette histoire par
une allocution aux fidèles; il leur fait connaître le prix du
trésor dont il va les entretenir, puis il raconte avec simpli-
cité par quels motifs l'empereur de Constantinople se vit
forcé de céder cette précieuse relique, comment elle tomba
entre les mains des Vénitiens, comment le roi de France
obtint de l'empereur la permission de la racheter, et enfin
avec quelle pompe le pieux monarque et son frère le comte
Robert la transportèrentde Villeneuve-l'Archevêqueà Paris,
au milieu du concours de toutes les populations des lieux
environnants.
La même année que cette cérémonie fut célébrée, Gautier Manène, Coi-
tint un synode provincial à Sens, dont les statuts sont di- y^ £""^3!'' *'
visés en quartorze articles. On y porte des peines contre les
abbés et les prieurs qui ne se rendent pas aux synodes; on
y ordonne des précautions pour prévenir les scandales fré-
quents qui avaient lieu dans les monastères de femmes ; on
y recommande de ne pas abuser de l'excommunication , afin
de ne pas la faire mépriser ; on y excite le zèle pour la célébra-
ti;on des offices; on y prescrit des règles sur l'administration
des abbayes; on y enjoint aux ordinaires de faire tondre et
raser totalement les clercs ribauds , surtout ceux qui se di-
a 1
XJU SIECLE.
278 GAUTIER DE CORNUT.
iaient de la famille de Golia. Statuimus quod clerici ribaldi,
maxime qui vulgb dicuntur de familia Goliœ , londeri vel
etiam radi, ita quod eis non remaneat tonsura clericalis ,
ita iamen quod sine periculo et scandalo ista fiant.
Maith. Paris Un historien contemporain dit qu'on donnait en France
cité par Du Can- le nom de Ribauds à des hommes qui, à cause de leurs crimes
VaU' '*'*' ^^ ^* ^^ leurs larcins, fuyaient d'un pays dans un autre, frap-
pés partout des peines de l'excommunication. Cette classe
d'hommes désignés sous le nom de Rihaldi ou Ribaudi
paraît avoir été très-nombreuse dans les temps dont nous
parlons : ils sont aussi nommés Trutanni, Truands, par la
MabiiloD, Ana- Chronique de Geoffroy de Loudun, qui raconte à quelle
ecta.p. 4- occasion ils se réunirent en une espèce de société qui se don-
nait des lois.
DuCange.Glos. Le prélat de Sens nous fait distinguer entre les clercs-
nov. ad ïerb. Go- ribauds , ceux qui se disaient de la famille de Golia. Golia
ou Goliardia signifie le métier d'histrion, de bouffon, de
charlatan, qu'allaient exerçant partout les ribauds clercs ou
laies qui se disaient de cette famille.
L'ordre donné aux ordinaires, dans ce synode, de faire
disparaître la tonsure cléricale de la tête de ces clercs-ri-
bauds, ne l'était sans doute qu'afin que ces derniers ne
pussent jouir des privilèges attachés à ce signe.
Vers la fin de l'an 1240, notre prélat alla au monastère
de Pontigny, pour y visiter le corps de saint Edmond, ar-
chevêque de Cantorbéry, qui venait d'y être transféré du
Gaii. ciii. I. monastère de Soisy. Il voulut voir les restes de ce person-
XII, c. 62. nage, dont le haut rang et la sainteté avaient fait beaucoup
de bruit, avant qu'on en eiit fait la sépulture; et la date de
cette démarche de Gautier confirme celle que nous avons
assignée à la mort d'Edmond.
Gautier de Cornut mourut à Sens en i24i , le xu des
calendes de mai ( le 20 avril ) , et fut enseveli dans le chœur
de son église métropolitaine. Sur sa tombe de cuivre on grava
l'épitaphe suivante :
Praesul Galterus jacet hic in pulvere , verus
Cultor justitiae, clen pater, arca sophiae.
Non parcunt generi, nec honori fata , nec aeri.
Traditur hic cineri fax moiio, praesul heri.
M scribe ad bis C, quater X addens, quoque scribe I,
)n summa apposita , sic finitur sacra vita.
ALBÉRIC, MOINE DE TROIS-FONTAINES. 279
/-»•*' I J • . ' 1 Xm SIÈCLE.
On ajoute a ces vers les deux suivants graves aussi sur la
pierre au chœur : . Matiiond,ioc.
Dum viguit tua, dum valuit, Galtere, potestas,
Fraus latuit, pas magna fuit, regnavit honestas.
P. R.
ALBÉKIC,
MOINE DE TROIS-FONTAINES, ORDRE DE CITE AUX,
AUTEUR d'une CHRONIQUE QUI FINIT EN I24>-
Ljeibnitz est le premier qui ait fait imprimer la Chronique ^ ,.
attribuée par l'opinion commune à Albëric de Trois-Fon- 1. ii,p. agq
ion qu'il en donna à Leipzig, en i6q8, remplit *"."'
le tome secon
taines. L'édition qu'il en donna à Leipzig, en 1698, remplit fabric. Bibi.
second de ses Accessiones historicœ. Il ne trouva dans "„■ *•.''•*■ ^'
la bibliothèque d'Auguste , <iuc de Wolfenbiittel , et ne livra pan. rv.p^jSi-
d'abord à l'impression que la seconde partie de la Chroni- 5*4.
3ue, commençant à l'an 960 après Jésus-Christ , et finissant, ^"'^'rt Mi-
après 1 indication du livre, a ian 1241. o étant plus tard Bibi. cister.
{)rocuré un manuscrit de la chronique entière, il publia P- »fi-
a première partie, commençant à la création du monde et . ^"'"* O"»"-
s arrêtant a Ian 959. Dans sa pretace, Leibnitz annonce la '
succession de ses deux découvertes; et il sullit d'ouvrir son
édition, pour se convaincre que les deux parties, replacées
du reste dans leur ordre chronologique, ont été imprimées
séparément. La première, s'arrêtant à l'an 969, occupe 292
pages. Au-delà de cette année et de cette page, commence
pour la seconde partie une nouvelle pagination. Chacune des
deux parties porte un titre différent. Voici le titre de la
première : Incipit Cronica ( sic ) Alherici monachi Trium
Fontium Leoaiensis dijocesis. La seconde partie a pour
titre : Chronicon Alherici monachi Trium Fontium. Leibnitz
n'a pas respecté la première loi imposée à tout éditeur : il
s'est permis des interpolations et des corrections quelquefois
erronées. Par exemple, dans le corps du texte, qui s'arrête au
milieu du treizième siècle , il cite Aubert-le-Mire, historien
du seizième. Sous les années i2o5 et 1289, où la chronique
XIII SIEC1£.
280 ALBÉRIC,
. mentionne Nargoldo de Tocccio et de Toceia , il corrige le
premier en Torceio et le second en Corceio. D'abord la cor-
rection est extrêmement malheureuse ; car il s'agit bien
réellement dans le texte de Narjaud de 'Touci ou Toci , per-
sonnage appartenant à une maison de bannière et de croi-
sade; et non pas d'un Narjaud de Torcy et de Courcy : le corps
de l'histoire de l'empire franc ou latin de Constantinople ne
laisse aucun doute à cet égard (1). Ensuite les parenthèses
dont Leibnitz a entouré les deux mots nouveaux de Torceio
et Corceio, n'avertissant pas suflisamment le lecteur qu'il
s'agit de corrections et de conjectures de l'éditeur, l'on est
tenté de croire que ce sont des variantes fournies par l'un
des manuscrits qu'il consultait. Cette observation s'applique
à son édition tout entière. Après les manuscrits, les éditions
premières faisant le plus de foi, nous avons dii signaler, dans
celle de Leibnitz, les défauts, qui, sans porter atteinte au
mérite de ce grand liomme, pourraient induire en erreur,
et amener plusieurs méprises.
Nous allons donc examiner successivement, 1" le contenu
général de la chronique; 2° la méthode suivant laquelle elle
fut originairement composée , les auteurs qui eu ont fourni
les matériaux, la manière dont ils ont été mis en œuvre,
l'esprit qui a présidé à sa rédaction , sou mérite et son uti-
lité; 3° nous rechercherons en dernier lieu quelles additions
ou interpolations elle a reçues postérieurement à l'époque
où elle a été composée et publiée pour la première fois; quel
est l'auteur véritable de l'ouvrage; enfin quelle part y a prise
AlbéricdeTrois-Fontaines, sous le nom duquel'elle nous est
restée.
Entre la création du monde et l'année 6'74 après Jésus-
Christ , la chronique ne contient presque autre chose qu un
petit nombre de dissertations chronologiques, et des indi-
cations sur la naissance, la mort, la famille de quelques-uns
des personnages de l'antiquité; sur la succession et la durée
de leurs règnes, de leurs magistratures ou de leurs pontificats.
(i) Narjaud, frère d'Ithier de Toucy, était à Constantinople en 1214,
comme on le voit par une sentence arbitrale que rendit eo cette année
Manassès, évêque d'Orléans, concernant les intérêts de cette famille ( Gali.
christ.). L'an larjS, après la mort de Robert de Cîourlenay , Narjaud fut
créé bailli ou tuteur de l'empire, et mourut en 11^1 (Hist. des emper. de
C. P.). La cbronique le qualifie àe même: NargoUlus, balivds....
hoc anno ( 1241 ) decessit.
MOINE DE TROFS-FONT AINES. 281
Dans les temps les plus reculés, ces indications sont souvent
séparées entre elles par d'assez longs intervalles. Elles de-
viennent plus précises et plqs suivies depuis la seconde guerre
punique, et surtout depuis la naissance de Jésus-Christ jus-
qu'à l'an 674- A partir de cette année, et y compris lan
1241 , la méthode du chroniqueur change. Aux indications il
substitue un récit succinct des événements arrivés chaque
année dans les diverses parties de l'Europe. Rarement il
déroge à cet ordre chronologique : on pourrait cependant
citer quelques passages dans lesquels l'analogie et l'étroite
connexilé des faits l'ont amené à les grouper (i). Son récit se
termine réellement à l'année i24i- A la vérité, il fournit sur
quelques hommes et quelques ouvrages des documents qui
se rapportent à des temps un peu postérieurs. C'est ainsi que,
sous l'an 1239, il renvoie à une histoire des Tartares, com-
posée par Jean, de l'ordre des frères mineurs, dont la publi-
cation n'a pu avoir lieu avant l'année 1249 i ce religieux
n'ayant été envoyé par le saint-siége chez les Tartares qu'a-
près Pâques I245, vieux style. Mais des indications partielles
ne constituent, en aucune manière, un récit continu et régu-
lier; et ce récit s'arrête à l'année i24'-
Dans 'Son ensemble, et sauf un petit nombre d'interpo-
lations dont nous nous occuperons plus tard , la chronique
est l'ouvrage d'un seul auteur et non de plusieurs : un
chronographe n'a point succédé à un autre; un continuateur
n'a pas repris à l'endroit où son prédécesseur avait (juitté
la plume. Avec un peu d'attention, on reconnaît d'abord,
dans la rédaction, un plan arrêté d'avance, une méthode
suivie. L'auteur Ht d'abord des extraits de 56 écrivains, qui
avaient raconté les événements dont il voulait présenter le
résumé. Il consigna ces extraits sur des feuilles séparées ,
s'attachant, autant que possible, à reproduire les expressions
mêmes des historiens qu'il soumettait à ce dépouillement. Il
classa ensuite et coordonna ces extraits, forma son cadre,
puis en dernier lieu s'occupa de la rédaction. La communi-
cation confidentielle, ou la publication de son travail, donna
lieu, de la part de quelques critiques, à des observations et à
des objections qu'il réfute, et amena la révision et la cor-
rection de son ouvrage.
(i) On trouve quelques exemples de ces accumulations : nous n'en ci-
terons qu'un seul qui se rapporte à la Pologne, sous l'an iiij. L'auteur
ajoute : " Haec oninia infrà sex annos causa continuationis explevimus. •>
Tome XVUI. N n
2 1*
Xni SIECLE.
Xm SIÈCLE.
282 ALBÉRIC,
Nous allons prouver maintenant par quelques citations la
vérité de chacune des précédentes assertions. Et d'abord,
lorsque dans un livre on trouve, pour des événements arrivés
l'an 86(), des renvois à l'année 1096; et pour des faits qui
commencent à l'an 8y8, des renvois à l'an 1 223 où ils finis-
sent, etc , etc., i! est bien évident, d'abord, que le chroniqueur
a vécu jusqu'en laaD; ensuite , que c'était le même chroni-
queur qui racontait les événements de ces diverses années;
enfin, (jue l'auteur, par une longue étude, par une connais-
sance approfondie des sujets qu'il avait à traiter, indiquait
par anticipation les destinées diverses, tantôt d'un livre,
tantôt d'un établissement religieux , dans un espace de deux,
et de trois siècles et demi. Or, tous ces caractères d'identité
dans la personne du rédacteur, de réflexion et de suite dans
la composition, d'ordre et de classification dans les maté-
riaux, se trouvent précisément dans la Chronique qui nous
occupe. Par exemple, sous l'an 858, après avoir raconté que
Charles (le Chauve) créa Robert (le Fort) comte d'Anjou
et tics pays environnants, l'auteur ajoute: « Yves, évoque de
« Chartres, témoigne dans une lettre que ce Robert était de
« la noble race des Saxons (i). » Or Yves ayant été élu évê-
que de Chartres en logi , le chroniqueur, pour éclaircir la,
généalogie, pour constater la noblesse de Robert -le -Fort,
invoque donc un témoignage postérieur de 233 ans. Sous
l'année Sficj, il s'exprime de la sorte : « Glanfeuil ( Saint-
a Maur-sur-Loire ) resta près de trois cents ans sous la juri-
a diction du monastère de Saint-Pierre-des-Fossés, depuis le
<r temps de Louis-le-Débonnaire jusqu'à l'an logS, comme
a on le voit dans le privilège (2). » Ce fait remonte évidem-
ment à l'époque où Louis-le-Débonnaire avait été chargé par
Charlemagne du gouvernement de l'Aquitaine : le complé-
mtMit du fait a lieu en lOfp: ainsi, par la mention qu'il en
fait sous l'an 8O9, l'annaliste porte ses regards en arrière de
70 ans environ, et en avant de 226 ans. Sous l'an 878, il
parle de la célébrité de Jean Scot, et il annonce, par une
anticipation de plus de 3oo années, que son livre, après avoir
fait autorité pendant un si long espace de temps, fut ana-
(i) HuncRobertum fuisse de nobili génère Saxonuin, Yvo Carnotensis
episcopus iii quâdani epistolà testatur.
(3) Glanafoiium à tenipore Ludovici Pii par annos fere CGC fuit sub
jure Fossatensis cœnobii usque ad MXCV, sicut liabetur in privilégia.
MOINE DE TROIS-FONTAINES. 283
XIII SIÈCLE.
thématisé et brûlé. Parvenu à l'année laaô, il fait mention
de la lettre du pape Honorius, de la censure des opinions de
Scot, et revient ainsi après 3^y ans à la condamnation du
livre qui les contient. Si l'identité d'auteur perce dans les
détails que nous venons de rapporter, elle se montre évidem-
ment dans le fait suivant. Entre 674 et i2o3, on trouve
120 années sous lesquelles le compilateur cite Gui de Bazo-
ches. Parvenu à l'an i2o3, époque de la mort de ce Gui, il
parle une dernière fois de cetécrivain,et dit quil a transporté
ses paroles dans son propre ouvrage, aussi souvent que l'oc-
casion s'en est présentée (i). 11 est évident, parce passage,
que la narration des faits compris entre G74 et i2o3, durant
un espace de 629 ans, a été composée par le même homme,
lequel a pris très-souvent pour guide, et cité sans cesse (jui
de Bazoches.
On peut donc conjecturer avec vraisemblance que l'auteur,
avant de mettre la dernière main à sa Chronique, en aura donné
communication pourconsulter des juges capables de l'éclairer
de leurs conseils. Mais ce qui est surtout hors de doute, c'est
que, sur certains points de chronologie, il se trouva en dis-
sentiment avec plusieurs de ses amis, et qu'après avoir publié
son ouvrage, il se vit en butte aux critiques et même aux
sarcasmes de quelques-uns de ses contemporains. Il fixe à sa
manière les temps écoulés entre la construction et le renver-
sement du temple, entre la création du monde et l'incarna-
tion de Jésus- Christ, et il ajoute immédiatement après :
« Nos amis ont voulu se former une opinion sur ces points ;
« nous sommes prêts à répondre, selon notre pouvoir, à
« quiconque voudra nous contredire (2).» Sous l'an 4oo, à
propos de la date de la mort de saint Martin de Tours , il dit
« qu'il est prêt à défendre contre tous les chroupgraphes
« 1 opinion à laquelle il s'arrête», et il nous apprend que
ses détracteurs affectaient de ne considérer son livre que
« comme une paille et un chaume méprisable (3). » Ces
contradictions et ces injures l'engagèrent à se livrer à de
nouvelles recherches , à vérifier et à fortifier ses preuves. Son
(i) Anno i2o3. . . . Guido frater Nicolai viri nobilis de Bazochiis. . . .
cujus dicta, suis ia locis, in hoc opère annotavimus.
(a) Première partie, pages 2, 3.
(3) Cum ergo liber iste computetur à talibus inter paleas , vel reputetur
pro paleis.
Nna
XI ir siK.f:i,i,.
284 ALBERIC,
travail fut donc retouché à plusieurs reprises, et son livre
corrige et augmenté dans quelques parties (i).
Nous allons nous occuper maintenant des éléments dont
la Ciironique se compose, de son contenu, de sa valeur, de
l'esprit et des principes qui ont présidé à sa rédaction.
La Clironique atteint l'année ia4i- Jusqu'à l'an i2'>,o en-
viron , lauteur n'a pas vu les événements qu'il raconte. Il ne
publie j)as non plus des faits vus et observés par d'autres,
mais encore inconnus de son temps, et pour lesquels il aurait
recueilli , comparé, laborieusement discuté des témoignages
contemporains. Il ne les présente pas non plus sous un point
de vue nouveau, et n en tire aucune conséquence jusqu'alors
inaperçue. En un mot, dans l'ensemble, il n'a rien de neuf,
rien d'original. Son travail n'est qu'une compilation. Il em-
prunte à 5G auteurs qu'il nomme souvent, que souvent aussi
il meta contribution sans les citer, la presque totalité de sa
narration. A partirdel'an Gy4i il cherche à rendre l'histoire
de chatjue année pleine et complète, autant que possible,
en puisant les divers faits ou les diverses circonstances d'un
même fait dans les chroniqueurs qui l'ont précédé. C'est à
cela qu'il se borne, et ce n'est que rarement et à de longs
intervalles, qu'entre les années 647 et 1 1 1 1 , il ajoute quelque
chose à ses garants, d'après des documents ou des traditions
dont il a eu le premier connaissance. Dans ce cas, il indique
orciinaireincnt au lecteur ce qui lui appartient en propre,
par le mot Aiictor placé au commencement du passage (2).
Dans les vingt dernières années seulement, c'est-.à-dire de
1220 à 124' 1 l'i Chroni(jue peut passer pour originale, et
elle peut être considérée ciinme une autorité nouvelle pour
cette période, l-à, les citations, partout ailleurs continuelles,
cessent presque entièrement. L'auteur semble parler de lui-
même , raconter des faits dont il a eu une connaissance per-
sonnelle, soit parla commune renommée, soit par des actes
publics non encore enregistrés dans d'autres annales.
Le com|)ilateur ne manque pas de discernement et de cri-
tique. Ainsi l'an 770, après avoir indiqué les fables dont les
romanciers avaient déjà , de son temps, chargé l'histoire de
( i) La citation précédente appartient à un passage qui évidemment a été
ajouté après la première composition de l'ouvrage.
(2) Voyez les années 647, 678,717,748,750,755,1095,1097-1100,
1106, 1 1 1 i.A cette dernière année s'arrêtent les additions peu nombreuses
du compilateur.
MOINE DE TROIS-FONTAIINKS. "M
Charlemagne, il ajoute : « Ces détails amusent et provoquent
« tantôt le rire, tantôt les larmes du lecteur; mais il est
« prouvé qu'ils s'éloignent de la vérité de l'histoire (i). » Ail-
leurs il traite de contes {caiitilriiœ) les récits incroyables
des auteurs qu'il a sous les yeux. Dans certaines périodes, il
emploie sagement les écrivains contemporains. Par exemple,
il fait usage pour le règne de Philippe-Auguste, de lligoici
et de Guillaume le Breton {'2)\ mais le choix des matériaux
qu'il emploie n'est pas toujours aussi judicieux. Souvent
encore sa critique n'est ni assez éclairée ni assez sévère. Ayant
à choisir, pour le règne de Charlemagne, entre des biogra-
phes et des historiefis, dont les uns sont contemporains, les
autres postérieurs de plusieurs siècles, non seulement il m-
forme pas son récit principal sur les témoignages rassemblés
et coordonnés des premiers, mais il accorde presfjue partout
la préférence aux plus récents. Il consulte à peine l'.ginhard;
il n'emploie pa5 du tout le poète .saxon, ni d'autres chroni-
queurs qui écrivirent, soit du vivant de l'empereur, soit peu
de temps après sa mort. Il s'en réfère |)resque exclusivement a
Sigebert, Othon de Frisingue, Gui de B.izoches , Hélinand,
dont les ouvrages datent du douzième siècle et du commence-
ment du treizième. 11 a commis une faute plus grave en ne
comprenant pas, parmi les écrits apocryphes et mensongers
qu'il rejette comme indignes de croyance, le récit du pseudo-
nyme Turpin; et, en prenant ce roman pour une chronitjue
positive, il a, sur un tel témoignage, étendu bien au-delà
de la vérité les guerres et les conquêtes de Charlemagne en
Espagne (3).
D'une autre part, il se montre d'une excessive crédulité
dans ce qui touche, soit à des miracles évidemment suppo-
.sés, soit à l'astrologie et ii la magie. Il raconte sérieusement
que Gerbert avait appris des Aiabes d'Espagne à connaître
(i) Prem. part. , pages io5 , io6 : « Qiiae oninia, quanivis délectent , et
" ad risiim moveant audientes, vel ad lacrymas , tanien à vcritate liistoriae
« comprobantur nimis recedere. >■
(2) Seconde partie, page 36o : " Itaque quœ de eo ( Philippe ) lialjcntur
« in chronica sancti Dionysii annolata , secundiim niagistriiin Iligordum
« et Giiillelmum britannicuni presbyteruni , vitam ipsius régis et oninia
« praeclarè gesta in hoc opuscuîo nostro annotare decreviiims. •
(3) An. 778, prem. part., pag. i i4 : " Seqnitiir TurpiniKS. . . . Karolus
■■ Galicianos qui baptizati non eiaiit per nianus Turpini arcliiepiscopi rege-
« neravit. deinde ivit per totam Hispaniam. •
Xni Sil ( 11.
XIII SIECLE.
286 ALBÉRIC,
tout ce que la curiosité humaine poursuit d'utile et de nuisi-
ble tout ensemble, à deviner l'avenir par le vol et le chant des
oiseaux, à évoquer les âmes de l'enfer ; qu'après avoir dérobe
le grimoire de son maître, il se sauva; que pressé danssa fuite
par l'Arabe dépouillé et furieux, il arriva sur le bord de la
mer; que là il appela le diable |)ar une conjuration magique, et
lui proposa de se donner à lui pour toujours, s'il voulait le
dérober au danger, en le transportant au-delà de la mer; que
le marché fut accepté et exécuté de part et d'autre; qu'enfin,
Cjerbert , devenu téal de satan, mourut frappé de sa main
dix ans |)lus tard (1). Outre ce manque de jugement et de
raison sur certains sujets, on peut reprocher au chroni-
queur un défaut d'attention et d'examen dans quelques par-
ties. Sa chronologie n'est pas toujours irréprochable : il lui
arrive de placer des faits sous des dates qui ne leur appar-
tiennent pas.
Ces défauts ne doivent pas nous autoriser à méconnaître les
qualités du compilateur, non plus que le mérite et l'utilité de
son ouvrage, l^e livre est unique par sa forme et par l'abon-
dance des matières qu'il contient. 11 présente année par année
l'histoire svnchronique des prin«'ipaux états de l'Kurope: de
l'Italie, de l'Espagne, de la Fiance, de l'Allemagne, de la
Hongrie, de la Pologne, de l'empire grec, de l'Angleterre.
Il y ajoute, dans leur temps, le tableau des croisades et les
révolutions des états fondés en Orient par les croisés. Il y
joint la succession des papes, des évêques des villes les plus
importantes, des seigneurs des grands fiefs; dételle sorte
que l'histoire ecclésiastique et féodale marche sans cesse de
iront avec l'histoire politique. On trouve, à chaque page,
sur la généalogie des familles alors placées au premier rang
dans Tordre social, des documents tout ensemble clairs et
précis, qu'on chercherait vainement ailleurs. Non moins utile
pour Ihistoiie littéraire, la Chronique fournit, sur beaucoup
d'anciens historiens parvenus jusqu'à nous, des éclaircisse-
ments qu'eux-mêmes ne donnent pas. De plus , elle constate
l'existence d'autres écrits qui, sans ses indications, seraient
demeurés inconnus. Ce que l'ouvrage a coûté de temps, d'ef-
forts pénibles et persévérants, excite à la fois l'étonnement
et la reconnaissance ; surtout quand on considère que l'auteur
n'a travaillé que dans l'intérêt de la vérité, dans le but d'être
fi' .\n. 988 et 998, seconde part., p. 29, 3o, 36.
MOINE DE TROIS-FONTAINES -iH-
/
utile, sans être soutenu par l'espoir de se faire un nom et
d'acquérir de la gloire. En effet, comme nous le verrons
bientôt, le rédacteur de l'ensemiile, de la pres(juc totalité de
cette instructive compilation , a voulu i^^ardcr un anonyme
impénétrable; et l'on ne (-«iinaît (jue l'interpolateur, auquel
on est à peine redeval)le d'une viiii^taiiie d'additions qui uv
sont que d'une imi)ortance très-médiocre.
Le chroniqueur se recommaiide par un autre mérite bien
plus précieux, que l'on était à peine en droit d'attendre de
lui. Au milieu de l'ignorance du moyen ài;e, au milieu du
grand conflit entre le pouvoir politicjue et le pouvoir reli-
gieux, qui ébranla tous les i)rincipes et toutes les convictions,
en même temps qu'il agita rEuro|)e sur ses fondements; mal-
gré les préjugés de son état; malgré l'apjirobation qu'il de-
vait, en qualité de moine, à la conduite des papes, il conserve
une liberté d'esprit, une droiture et une générosité de sen-
timents qui lui font le plus grand lionneur. Il juge la querelle
du sacerdoce et de l'empire, non d'après lus règles nouvelles
aue l'emportement aveugle et l'ambition de Gre-goire VII et
'Innocent III ont tracées, mais d'api es les lois divines et
humaines, que sa conscience et sa raison lui ont appris à
respecter et à maintenir, ]>arce qu'il n'a^laissé fausser ni l'une
ni l'autre. Il suit Othon de Frisinguc de préférence aux his-
toriens qui ont embrassé sans examen la cause du saint-siége.
Il signale avec lui, comme un acte inouï, l'excommunication
et la déposition de l'empereur d'Allemagne par Grégoire VII.
A ses yeux, le prince Henri révolté contre son père, les
seigneurs armés contre leur souverain, ne sont pas les pieux
exécuteurs d'ordres sacrés: le premier est un fils parricide;
les autres, des sujets coupables qui trafiquent de la religion
pour satisfaire leur ambition et leurs vengeances. «Par le
« conseil du marquis Thibault et du comte Bérenger, le
a prince Henri se révolte contre son père (Henri IV). II
« couvre son entreprise du prétexte de la religion, parce que
« l'empereur avait été excommunié par les pontifes romains...
« Funestes, déplorables pré[)aratits! Contre les lois de la
tt nature, un fils s'en prend à son père; contre la règle de
« la justice, un soldat attaque son roi, un sujet son sei-
« gneur (i). » Enfin le chroniqueub excite au plus haut degré
(i) Anti. lo^j", p. 121 . seconde part. — Aiin. i lo:' , p. ig?> , 194 '■ • ^ulj
• specie leligionis, eo quod pater c-jus à runiariis pontiticibus excuiumuni-
XIIl SIECLE.
XKI SIKCLF
288 ALBERIC,
l'intérêt pour l'excommunie Henri IV, en rapportant textuel-
lement la Ic'ttre déchirante clans laquelle ce prince apprend
au roi de France, Philippe, comment les menées hypocrites
et les violences de son propre fils et du légat l'ont dépouillé
de l'autoiité (i).
Nous nous sommes occupés d'abord de la composition, du
méiite, de l'esprit de la Chronique, et parce que ces points
sont les plus importants pour l'histoire, la littérature, la
criti(|uc, et parce qu'on peut établir sur chacun d'eux une
opinion certaine, la Chronique entière se trouvant dans
toutes les graniles bibliothèques, et pouvant être soumise à
l'examen et au jugement de quiconf]ue voudra la consulter.
Nous allons maintenant porter nos recherches sur la per-
sonne, l'état, la patrie et la résidence, l'âge enfin de l'auteur
principal et de l'interpolateur. Ces questions, plusieurs fois
controversées avant nous, pourraient bien l'être encore après,
malgré le soin (jue nous apporterons à les résoudre.
L'auteur ne paraît pas Français, et, en effet, sous l'an
8^2, ayant à rendre compte de la bataille de Fontenai entre
les (ils de Louis-le-Débonnaire , après avoir cité plusieurs
autorités, étant arrivé au témoignage de Gui de Bazoches,
il l'accuse d'emphase et d'exa;:ération, et il lui reproche de
chausser, selon sa coutume, le cothurne français. Guido au-
teni more siio gai.licano cotiil'RNO incedit. On trouve déjà
dans ces paroles, sinon une preuve irrécusable, du moins
une indication qui autorise à présumer que l'auteur de la
Chronique n'est pas compatriote de Gui, et qu'il n'appar-
tient pas comme lui à la France. D'autres passages établissent,
d'une manière plus précise et [)Ius claire, que le compilateur
suivait la règle de saint .\ugustin, qu'il était chanoine régu-
lier de Neumoutier près la ville de Huy , diocèse de Liège,
et qu'il résidait dans cette abbaye sous l'année ii3o. Il se
reconnaît disciple de saint Augustin. « Hugues de Saint-
a Victor, dit-il , a exposé dans un excellent ouvrage la règle
« de saint Augustin notre père (2). » Il s'occupe de Huy jus-
•. catus essei. . . . Videres lacryinabiles ac miserabiles apparatus, . . . qiiod
•< scilicet contra legein naturœ ï\\\\xs in patrem assurgeret , contra normam
. justitiœ miles regem , servus doniinum impugnaret. •
(1^1 Ann. 1106, pag. 200-204.
(2} Édition de Leibnitz, seconde partie, pages 263, 264 : » Hue usquc
• niagister Hugo de sancto Victore chronicam suani digessit. . . Exponit
« etiam hiculento sermone Régulant beati pnlris nosln A ugustini. »
MOINE DE TROIS FONTAINES. 289
qu'à dix -neuf fois, depuis l'an 62.6 jusqu'à l'an i^io, et
souvent avec un intérêt et des désignations que l'habitation
et la connaissance parfaite des lieux peuvent seules four-
nir (i). Mais voici qui est plus précis encore. Sous l'an 1287,
il raconte un débordement de la Meuse, qui lit refluer les
eaux de l'Hoiole vers la ville que baigne cette rivière, et il
s'exprime en ces termes : Dominicd die , in conversione Pauli,
Mosa mapius adeb extitit quodnuUa œtas recordari poterat
unquam à priscis temporibiis tam magnum ex ti tisse ;fuitcnini
APUD Nos/ere œqualis planitiei claustri nostki novi monaste-
Rii ( JNeumoutier ) (■2). Dans cette phr;ise, les mots chez nous
et notre cloître de Neumoutier indiquent clairement et posi-
tivement que celui qui tient la plume est l'un des religieux
de l'abbaye de Neumoutier. II résulte une preuve non moins
forte du rapprochement des deux passages suivants. L'an
1208, il dit que Neumoutier de Huy , fondé cent sept ans
auparavant, est resté sous le titre de simple prieuré pendant
tout ce temps, et il nomme les prieurs ou prévôts qui l'ont
gouverné. Il ajoute qu'en cette année 1208, Neumoutier, de
prieuré fut changé en abbaye par Hugues, évèque de Liège,
et que le premier abbé fut Alexandre. Arrivé à l'an 1236, il
mentionne en ces mots la mort d'Alexandre : Quarto ca-
lendas aprilis.... ohiit doniinus Alexander, primus abbas
NOSTR^ ecclesi.ï:novi MONASTERii Leodiensis (3). Or, puisque
Alexandre était abbé de Neumoutier de Huy dans le diocèse
de Liège, et que le compilateur l'appelle sonahhé, le chro-
niqueur était donc lui-même chanoine de Neumoutier. Il ne
se nomme pas une seule fois dans tout le cours de son travail,
et il ne se désigne de loin en loin que par le terme général
de Auctor.
Passons maintenant au temps où il vécut. Sous Tan 998,
il dit : « Je n'ai vu, ni entendu, j'ai luseulement les faits que je
o transcris (4). » Ainsi sa naissance est postérieure à l'an 998.
Sous l'an II 06, on trouve ces paroles : « L'évêque Othon
« (de Frisingue ) va jusqu'ici. . , . Les faits qui suivent sont
« d'une mémoire récente: ils nous ont été transmis par des
(i) Voyez les années 626, 899, io35 , 1047, 1066 , loyS , 1091 , 1 101,
ii3o, iau8, 1329, laSo, i235, 1240. Dans l'année i23o, ilest trois fois
question de Huy.
(a) Seconde partie, page 56 1.
(3) Seconde partie, pages 448, 567.
(4) Seconde partie, page 37.
Tome XVI IL 0 o
Mil .SIECLK.
XIII SIECLE
2f)o ALBÉRIC,
« hommes dignes de foi , ou bien ont e'té vus et entendus par
« nous-mêmes (i). » On est tenté de croire, à la lecture de
ce passage, que le compilateur parle de lui , et qu'il écrivait
par conséquent au commencement du xii* siècle: mais en
ouvrant Othon de Frisingue, on voit que la phrase citée
appartient à cet auteur, non pas au compilateur, et que c'est
Othon qui vivait en 1 106. A l'an 1 1 16, l'auteur de la Chro-
nique se manifeste comme non contemporain, dans ce pas-
sage : « Sur quoi nous parlerons dans notre temps (2). » Il
s'annonce, au contraire, comme contemporain , Van lîSa,
quand il s'exprime ainsi : « On rapporte que le roi d'Angle-
« terre est fort attaché à la religion, que dernièrement à
« Londres, il a ordonné de transformer en église dédiée à la
a bienheureuse Vierge Marie , une belle maison que de riches
« juifs avaient élevée dans l'intention d'en faire une syna-
« gogue ... Il se montre aussi bienveillant et généreux envers
« les pauvres. Il recommande de subvenir avec les deniers
« royaux aux besoins des juifs qui ont reçu le baptême, et,
« par sa bienveillance, il engage les autres à se faire baptiser.
« Sa charité reçoit de jour en jour un nouvel accroisse-
« ment (3). »
On peut élever contre ce passage une difficulté : l'emploi
du verbe au présent, dira-t-on, ne prouve qu'une chose,
c'est que la dernière partie de la Chronique, la partie où se
trouvent les phrases citées, est l'ouvrage aun contemporain;
mais si le contemporain fut un continuateur, il en résulte
que le corps de la Chronique a pu être composé par un ou
plusieurs compilateurs, antérieurs d'un ou de plusieurs siè-
cles : or, la lecture suivie de l'ensemble de la Chronique
détruit cette objection. Avant le treizième siècle, l'auteur
cite sans cesse les chroniqueurs auxquels il emprunte les
faits qu'il raconte, les jugements sur les personnages dont il
parle. Ce n'est qu'à partir de i232 qu'il invoque comme ga-
rants, les bruits de la commune renontmée, les rapports des
voyageurs. Cette différence tout-à-fait remarquable prouve,
selon nous, d'un côté, que le même auteur a rédigé l'ensemble
delà compilation; d'un autre côté, qu'il n'était pas contem-
(i) Seconde partie, page. 199.
(2) De quo nostris tenipoiibus dicemus.
(3) Seconde partie, page 543 : • De rege Anglise dicitur. . . . nuper in
« Londoniis. . . se beiievolum exhibet . . . praecipit. . . provocat. . . ista
• humanius de die in diem accipit increoientum. •
MOINE DE TROIS-FONTAINES. 291
porain avant le treizième siècle, et qu'il est contemporain
au treizième siècle.
II ne reste plus qu'à rechercher quelle part Albéric a prise
à l'ouvrage dont nous nous occupons. Il aura été possesseur
de la Chronique du chanoine anonyme deNeumoutier, et, soit
pour son usage particulier, soit pour en préparer une copie
plus complète, il aura inscrit en marge de son exemplaire
des éclaircissements sur certains événements, des observa-
tions sur certains passages, des objections contre quelques
assertions dont il n'admettait pas la certitude. Ainsi, comme
le chanoine avait signalé ce qu'il ajoutait au.\ historiens dont
il faisait l'extrait, en plaçant le mot ^uctoren tête des pas-
sages qui lui appartenaient, de même Albéric aura indiqué
ses interpolations par le mot Albericus. Les notes de celui-ci
ne s'élèvent pas, d'ailleurs, au-delà de vingt-une, entre les
années 1 163 et laaa. Voici quelques exemples par lesquels on
connaîtra la nature de ses additions.
Sous l'année ii63, le chanoine deNeumoutier insère dans
sa Chronique un magnifique éloge des vertus et des actions de
Henri , comte de Champagne : Albéric s'inscrit en faux contre
ce panégyrique. Albericus monachus : sed ô exclamatio prœ
dolore! quid nos ad hœc dicemus? quod lantam in dicta prin-
cipe laudeni perfamam publicam denigra^'it , quœ adhuc re-
sonat quœdam lues importuna , lues pestijera , et licet ipse
pœnituerit, ut posteà dicemus, tamen multi ex iis non pœnitue-
runt qui per ejus exemplum et opus à via deviarunt ( i ). L'an
I 2 13, l'auteur de la Chronique parle de la pénitence du comte
de Namur. Il appuieses assertions du témoignage d'un certain
frère Césaire, contemporain du fait raconté. Albéric inter-
rompt le témoignage du frère Césaire pour y ajouter un dé-
tail a lui personnellement connu. Quand sa digression est
finie, il avertit que le frère Césaire reprend la parole, par ces
mots Sequitur frater Cœsarius. Enfin, plus bas, il indique
l'endroit où recommence la narration du chanoine de Neu-
moutier par ces autres mots : Sequitur in eddem C hronicâ (2).
Les deux Sequitur frater Cœsarius, Sequitur in eddem Chro-
nj'mseraient complètement inutiles, si Albéric n'avait rompu
la suite de la citation et de la narration par son intercalation.
Ce passage est l'un de ceux où l'on aperçoit le plus claire-
(i) Seconde partie, page 341 ■
(a) Seconde partie, pages 468 , 469-
Ooa
XIII SIECLE.
2c)i ALBÉRIC , etc.
Xlll SIECLE ,.,,.. ,. ,.. ,
ment quAlberic n est que l annotateur, 1 interpolateur, et
non l'auteur de la Chronique. Cependant l'opinion erronée
qui la lui attribue a tellement prévalu, qu'on ne peut plus
songera le déposséder de cette propriété usurpée. Albéric de
Trois- Fontaines était, selon toute apparence, religieux du
Val de Saint-Lambert, ordre deCîteaux,à un mille de Liège,
et à six ou sept lieues de Huy.
On lit, sous l'an i loo : llrbanus papa moritur. — Sigeher-
tus — Guihertus et llrbanus de papatu roniano contendcntes,
morieridn iiterque fincni facinnt. suœ contcntionis. — Âuctor
— Indiscrète ioqidtnr et confuse ( Sigehcrtus ) .• Guihertus
niortuus est schisniaticus, et, ut dicit episcopus Otto, horribili
schismati , tanquani densissiniis /Egypti tenebris finem mo-
riendo iinposuit. Dico auteni quod Llrbanus mortuus est catho-
licus et in niultis laudandus , cui tantuni honorem contulerit
Dominus ut ejns dicbus recuperarcntur .^ntiochui et Hieroso-
lynid et fièrent illa oninia quœ supra memoravinius. Insuper
et de PRiNciPio nostri cisterciknsis ordinis idem Llrbanus
mémo rabile per pet uuni seniper habebit. Ce surcroît inattendu
d'éloge, précédé de l'adverlje insuper, et dicté par un motif
auquel on n'était pas préparé ; la répétition du nom d'Urbain,
quoique encore présenta la pensée du lecteur, décèlent dans
la dernière phrase une autre plume, et une reconnaissance
personnellement sentie. Le blanc qui sépare les mots suprci
memoravimus du mot insuper indique encore que la dernière
phrase n'a point été composée par l'autrur du reste du pas-
sage. Enfin, sous l'an i i3o, l'auteur de la Chronique nous
avertit qu'il vit sous la règle de saint Augustin ( regulam beati
patiis .^ugustini), et dans la phrase en question, l'auteur
parle de son ordre de Cîteaux; d'où il résulte que la phrase
commençant par Insuper est nécessairement une interpola-
tion. Et comme, selon toute apparence, elle appartient à Al-
béiic, on est en droit d'en conclure qu'Albéric était cistercien.
Cette opposition entre les deux ordres de saint Augustin et
de Citeaux établit d'une manière palpable une différence
marquée entre le chanoine anonyme de Neumoutier, auteur
de la Chroinque,et Albéric de Trois - Fontaines , interpo-
lateur. P- ^-
XllI SIECLE.
GUILLAUME DE DONDELBERG,
XI' ABBÉ DE VILLIEKS, PUIS XVIir ABBÉ DE
CLAIRVAUX. »ioiiT*er5im.
(^ET abbé était de la noble famille des Dondelberg de
Bruxelles, dont un des membres, lui-même peut-être, signa, m/p/sse!*
en 1194» avec d'autres seigneurs de ce pays, un traité fait Reo. des hist.
entre Henri , duc de Lorraine, et Baudouin , comte de Flan- ^^ ^' '• ^^m,
dre. Ce traité est rapporté dans la chronique de Gislebert '^'
de Mons. Ce qui peut faire penser que Guillaume fut au
nombre des signataires, c'est qu'en supposant qu'il ait eu
vingt -cinq ans à l'année précédente, il n'aurait été âgé
que de soixante-treize ans lorsqu'il mourut vers 1242. Entré
dans l'ordre de Cîteaux, il fut élu en i22r abbé du mo-
nastère (le Villiers, au diocèse de Namur, qu'il gouverna
pendant treize ou quatorze ans. Durant cette prélature, il
fonda trois nouveaux monastères, celui de Grandpré auprès
de Namur, en i23i ; un autre sur l'Escaut et près d'Anvers,
en 1233, sous le nom de Saint-Bernard; et la même année
celui de Vaudieu, près de Louvain, à l'établissement duquel
Henri de Brabant participa le plus.
En 1236 ou I23'7, Guillaume ayant été élu abbé de Clair-
vaux, un des premiers actes de son administration dans cette ^- cbrisi. i.
abbaye eut lieu à l'occasion suivante: Thomas, comte de ' '"' **''■
Flandre, voyant avec peine que les moines de Clairvaux ,
qui faisaient valoir les domaines que l'abbaye possédait
dans sa province, s'abstenaient de dire la messe au temps
de la moisson pour aller de meilleure heure travailler aux
champs, lit demander à leur abbé qu'il leur imposât l'obli-
gation de célébrer la messe dans ce temps comme dans les
autres, et à ceux qui n'étaient pas prêtres, d'y assister avant
de commencer leurs travaux. L'abbé de Clairvaux y consentit;
et le comte, afin que cette demande, en diminuant le temps
que l'on donnait à la récolte des blés, ne fùl en rien préju-
diciable à l'abbaye, offrit de payer une somme annuelle et
perpétuelle de trente livres de monnaie de Flandre.
Guillaume, appelé en 1239 par le pape Grégoire IX au
2 2
2(j4 GUILLAUME DE DONDELBERG,
Xra SIÈCLE. ., ... • j .. » • ' T> 1,
concile gênerai qui devait se tenir a Koine 1 année suivante,
Caii.cbr.ibid. s'étaiit mis en route avec Guillaume, abbé de Citeaux, et
plusieurs autres prélats, fût arrêté et saisi avec eux sur les
confins de la Lombardie par les émissaires de l'empereur
Frédéric, en baine du pape, contre lequel ce monarque était
alors en guerre ouverte. Ces prélats, enfermés dans des pri-
sons, ne recouvrèrent leur liberté que long-temps après, et
par l'intercession du roi saint Louis auprès de l'empereur.
Guillaume ne survécut pas long-temps à sa délivrance; car
il mourut en 124^, durant la cinquième année de sa préla-
ture , et il fut inhumé à Clairvaux. On lit dans le GalUa chris-
tiana ^ que pendant sa captivité il avait reçu du pape une
lettre de consolation.
Thomas de Cantimpré , écrivain contemporain de cet abbé,
Thom. Can- ^^^ cousacrc dcux pagcs. Il en célèbre la bonne administra-
limp.iib.ii.cap. tion, laquelle, en augmentant les revenus de son monastère,
•5- lui fournit plus de moyens que n'en avaient ses prédécesseurs
pour améliorer l'entretien de ses religieux, et pour répandre
de plus abondantes aumônes. Selon le même auteur, ce
serait par la connaissance que l'empereur Frédéric avait
acquise des mérites de Guillaume, qu'il l'aurait rendu à la
liberté, et non à la prière de saint Louis. Cantimpré parle
de lui comme l'ayant connu personnellement: « Nous l'avons
« vu, dit-il, répandre des larmes abondantes au milieu de
a ses pieux entretiens avec Dieu; et ceux qui l'ont connu
« particulièrement rendent de lui ce témoignage, que le
« Seigneur opéra par lui des merveilles qui ont été écrites
« et bien constatées, b
„ , . . Le Meiiolosrium de Cîteaux loue les mœurs douces et pures
Menol. ciiter. i i « i • i - i • i
p. ,,4. de cet abbe, parle aussi de sa sainteté, de ses miracles, et
rapporte qu'il mourut dans la prison où Frédéric le retenait.
Sa vie, selon ce recueil, était restée manuscrite dans le mo-
nastère de Villiers, et elle n'est pas parvenue à notre con-
„ , naissance. Cependant l'historien de celte dernière abbaye,
Mari, aoecd. i i i i- ■ i • » ■ •
i.lli, p. 1278. qui probablement lisait le manuscrit même, en a copie un
assez long morceau qui forme le chapitre vi* du Y^ livre
de son histoire. Dans les sept pages qu'il en a rapportées,
on lit un grand détail des vertus et des merveilles qui écla-
tèrent dans Guillaume. Sa chasteté surtout excite les éloge»
de son panégyriste ; il en raconte les marques singulières qui
en apparurent même après sa mort; et l'épitaphe qui fut
gravée sur son tombeau est presque entièrement consacrée
XIIÏ SIÈCLE.
2ia.
XI" ABBÉ DE VILLIERS. 296
à les célébrer :
Pullulât insignis Victoria virginitatis ,
Yillelnio signis post fata micnnte beatis;
Inquinet ut niiila corpus p(>llulio , sexus
In dul)io ilexiis, stabili stat iii inguine bulla ,
Felicis Eunuchi pia consolatio; etc.
La Bibliothèque de Cîteaux attribue à cet abbë un petit
ouvrage sous le titre de Quelques pieuses méditations. Cet B'Wioth. cis-
"1 ' » -11- iT ■ I r-. -1 tare. p. 353.
opuscule a ete recueilli par Henriquez dans son tasciculus, Heiiriqucz,Fai-
ou il n'occupe que trois colonnes in-folio. On est surpris, ««c p«ri 11, p.
en le lisant, de trouver que c'est le même ouvrage que nous
avons rencontré parmi les écrits de saint Edmond, sous le
titre De variis modis conteinplandi. Ce n'est pas une imita-
tion, mais une copie exacte; et assurément des deux per-
sonnages auxquels il est attribué, l'un ou l'autre n'en est que
le copiste." On ne saurait dire d'une manière bien positive
lequel des deux en est l'auteur; mais il semble qu'il y aurait
plus de raisons de l'adjuger à saint Edmond, sous le nom
duquel il a été cité par Biile, par de Wisch lui-même, par
Henri Estienne, qui explique en quelle occasion l'archevêque
de Cantorbéry le composa. Et d ailleurs la Bibliothèque de
Citeaux, en l'attribuant à Guillaume, semble exprimer un
doute par ces mots : Scripto reliquit quasdam pias medita-
tiones : le mot scripto pourrait bien signifier qu'il n'a fait que
copier de sa main ces méditations, peut-être pour son usage
particulier. Ce qui a été dit de cet opuscule à l'article de saint
Edmond nous dispense d'en pmler ici plus au long. P. R.
««I» i'^^ «**« 4^ ^ «t*^«^
ENGUERRAND III,
DIT LE GR/VND, SIRE DE COUCI.
Fameux dans les annales |iôtitiqués et militaires du xiii* ■""•"'* *■
siècle, le'rtom d'Enguerratid III n'appartient tant soit peu
à l'hiàtoine des lettres et dés arts, qu'à raiéon de la part
que ce seigneur a pri.He à la promulgation dé la Coutume de
Couci et à la construction du thâteaU et' de la Tour de cette
yille. La baronnie de Couci, quoique indépendante du V'er-
mandois , n'était guère régie que par les statuts et les usagés
dece comté : Knf^ucrriind III les modifia parquelques dispo-
sitions particulières; de là, une cmjtume locale de Couci,
qui a été recueillie dans le Coutumier général en 17241 et
Oo»
296 ENGUERRAND III, SIRE DE COUCI.
XIII SIÈCLE. I I r- » • J ^r 1 • Q 1
dans le Loutumier de Vermandois en 1720 , avec le commen-
Couiumiergé- taire de J. B. Buridan. Elle est divisée en 3 titres : 1° droits
nérai, par Bour- ^^j^j, crgns mariés: 2° fiefs et droits casuels: 3° successions et
dot de Ricae- " . , , , , . , , 1 i-
bour», 3 lom. , testaments: mais le nombre total des articles n est que de dix.
4 vol. in-foi.; t. L'uii attribue au mari le droit de vendre et donner, sans le
II, p. 537,538. consentement de la femme, tous les biens acquis durant le
Coutumier de . .. , . , , A . , .
Vermandois, 2 mariage. Un autre dit que «entre nobles en ligne directe,
\oi. in-fol.; 1. 1, « l'aisné emporte tous les fiefs, réservé que les puînés em-
8a5-83a. ^^ portent un quint à vie; et ont deux filles autant qu'un fils,
a et prend un fils autant que deux filles. » En ligne collaté-
rale, le droit d'aînesse est établi entre nobles et n'est point
admis entre roturiers.
Le même Engueriand a, dit-on, relevé les châteaux de
Marie et de la Fère , agrandi et fortifié la ville de Couci, fait
bâtir ou rebâtir le château, y compris la Tour qui subsiste
encore, et qui a 172 pieds de hauteur, 3o5 de circonférence.
On a deux chartes fort peu importantes d'Enguerrand III.
L'une est un accord avec son frère au sujet du village de
. Landousies. Par l'autre, le sire de Couci ne réclame sur le
Sainî-Médardde vicomté de Morsain que uS sous de rente. A l'égard des hauts
Soissons.f. 64. faits qui lui ont valu le surnom de Grand, nous devons en
ibid.foi. 104. laisser le récit dans l'histoire civile. Il a contribué en I2i4 à
la victoire de Bouvines, et s'est distingué dans presque toutes
les guerres qui ont éclaté de son temps. Du reste, il s'en faut
Mémoires his- quc SCS luœurs et sa conduite aient été irréprochables. Après
toriques par de s'être attaché, cu 1227, à la reine Blanche, régente du royaume,
Belloy , Paris •■ , • ' ^ ' o j 111 ■
1--0 in 8° " ^^ laissa entraîner, en 1220, dans la ligue des seigneurs
armés contre elle; il a été même accusé d'aspirer au trône, ce
qui est peu vraisemblable; car on ne tarde point à le retrou-
ver dans les rangs des plus fidèles serviteurs du roi Louis.IX.
En 1242 ou 43 , il passait à gué une petite rivitre à une lieue
de Vervins : son cheval le renverse, son épée sort du fourreau,
il tombe sur la pointe, et le fer lui traverse le corps. Voilà du
moins comment sa mort est racontée. Il expira à Gersi et fut
inhumé dans l'abbaye de Foigny. Quoique le titre de comte lui
soit donné par quelques historiens, on lui attribue cette devise :
Je ne suis roi ne duc, prince ne comte aussi;
Je suis le sire de Couci (i). D.
(i) D'autres citent quatre vers au lieu de deux :
Roi ne pais- je cstre.
Duc De veux être,
Me comte aussi:
Si suis li sires de Couci.
XUI SIHCLE.
«^^««^■««'•^^
AMANIEN OU AMANEVE
DE
GRESINHAC,
ARCHEVÊQUE D'AUCH.
Les tables de l'évêché de Tarbes font mention du nom
d'Amanien de Grésinhac, aux années 1224 et I225, et elles
ne donnent d'autre connaissance de son administration que ¥°" """» »*4».
celle de deux ou trois actes de peu d'importance. Ce prélat,
natif de Rions sur Garonne , au diocèse de Bordeaux , appar-
tenait à une famille noble. Il fut docteur en droit et doyen caii. chr. 1. 1,
du chapitre d'Angoulême; on dit aussi qu'ayant été honoré p- 's^a.
de l'amitié particulière de Grégoire IX, il fut élevé successi-
vement au siège de Tarbes et à l'archevêché d'Auch. L'année
suivante, 1226, il fit plusieurs donations à l'abbaye de la ^- ^' p-99*-
Sauve-Majeure, monastère de Saint-Benoît dans le diocèse
de Bordeaux , afin de s'assurer, à lui et aux membres de sa
famille, la participation aux prières des religieux de ce mo-
nastère. En 1227, Grégoire IX accorda à notre prélat le
privilège de faire porter la croix devant lui. Dans la lettre
écrite à cette occasion, le pape dit « que la croix ayant été
«sanctifiée par le corps de Jésus-Christ, et étant devenue pg-V^"^' '
« un mystère de foi, le salut des vivants et la rédemption
« des pécheurs, c'est à juste titre que les chrétiens la vénè-
a rent comme un étendard, qui non seulement est destiné à
« servir de protection contre les puissances aériennes, contra
a potestates aereas ad munimen , mais encore d'ornement à . • ^.' '^'\k^
V,'. ,. , . I . .„ , p . adinstr. p. i65.
« lliglise; c est pourquoi le souverain pontite la tait porter
« devant lui, ainsi que lés prélats auxqueU le saint -siège
a accorde ce privilège. » Cette lettre paraît fixer au moins
une époque à laquelle les évêques firent porter la croix de-
vant eux, quand ils célébraient pontificalement, et de nos
jours encore, quand unévêque officie dans quelque église,
le clergé du lieu est précédé de la croix paroissiale, et l'é-
▼êque otliciant l'est de la croix pontificale.
Tome XyilL P p
22.
XJII SIECLE.
298 AMANIEN, ARCHEVÊQUE DAUCII.
L'ordre militaire et religieux de Saint-Jacques fut institué
sur la demande d'Amanien , pour la défense de la foi , et le
maintien de la paix dans la province de Gascogne. A ce sujet,
un acte fut dressé à la chancellerie romaine, dans lequel
il est dit que « condescendant aux saints désirs de l'arche-
« vêque d'Auch, le pape institue cette milice nouvelle pour
« arrêter l'iniquité des superbes qui s'accroît de jour en jour,
a l'orgueil des méchants qui confond la vérité avec audace,
« qui détruit la paix, en foulant aux pieds la justice. » Cet
acte est du 20 avril i23c.
La vie de ce prélat n'est remarquable jusqu'en 1239, que
par des faits relatifs à l'administration de son évêché ou des
monastères de son diocèse. En 1289, il partit pour se rendre
à Rome au concile convoqué par Grégoire IX, durant ses
débats avec l'empereur Frédéric IL Mais il fut arrêté dans
son voyage, comme beaucoup d'autres prélats, par les troupes
de l'empereur, qui voulait ainsi empêcher la convocation
du concile où il devait être déposé. Amanien, exilé de sa
patrie et privé de sa liberté, mourut captif à Capoue. On ne
fixe pas d'une manière précise l'année de sa mort; mais un
acte du monastère de Saint-Orient de Reulle, au diocèse de
Tarbes, fait connaître au moins que le siège d'Auch était
vacant au mois de juin 1242.
Le corps d'Amanien fut rapporté à l'abbaye de la Sauve-
Majeure, et il fut enterré dans le chœur de l'église, avec cette
épitaphe gravée sur son tombeau :
Félix praelatus Amaiievus qui tuniulatus
Hîcjacet, egregius estitit atque pius.
Indolis ipse piae de Burdigalae regione
Editus cnituit, jura docensque fuit.
Sede decanatns Engolismense locatus,
Ad Tarbam trahitur, pnesul et efficitur,
Hîc subliniatur , et in Auxi sede locatur,
Suprà pontifices patris agendo vices.
Cum clero reliquo Ciiptus fuit à Frederico,
Tractatusque malè cum pâtre Burdigalae.
Octavis Agatliae sub carceris asperitate
Traditur, innocuè captus , obit Gapus
Burdigalaequc pater Geraldus hic. . . .
. corpus et hic
Les deux derniers vers de cette épitaphe sont restés in-
complets. P. R.
XIII sir CLE.
PIERRE DE SEZANE,
RELIGIEUX DOMINICAIN.
Ueux religieux dominicains^ Pierre de Sézane et Hugues;
deux religieux franciscains, Aymond et Rodolphe, furent . "«"démo
envoyés en qualité de nonces par le pape Grégoire IX à Jean
Vatace ou Batatze, empereur d'Orient, et à Germain, pa-
triarche de Constantinople , afin de traiter des moyens à
prendre pour opérer la réunion des deux églises. Ces reli- Sfnpt. ordm-
'. p ^ 1 • • -1 !• • 1 11 1- .• ' min.l.I, p. 102.
gieux furent choisis parmi les disciples les plus distingues wadding, An,
de Dominique et de François: nouvelle milice qui devait nai. min. i.i, p.
remplacer les anciens ordres dans les missions des souverains ''''•
pontifes vers toutes les parties du inonde. Les travaux de
ces quatre religieux, et l'écrit qui les constate, leur furent
communs; mais les détails s'en trouvant réunis à l'article du
frère Pierre de Sézane, dans la bibliothèque des écrivains de
son ordre, on se croit fondé à parler des travaux des quatre
nonces sous le nom de ce dernier.
Ce qui donna lieu à cette entreprise est ainsi raconté par
Fleury. « Cinq frères mineurs, qui étaient allés en Natolie
« travailler à la conversion des âmes, furent pris par les
<r Turcs et retenus en prison; d'où étant sortis, ils vinrent
« à Nicée, où Germain faisait sa résidence aussi bien que Hisi. ecciés. i.
« l'empereur Jean Vatace. Les cinq frères vinrent trouver l'X^x.r. -%.%.
« le patriarche, qui les reçut humainement et fut édifié de
« leur pauvreté et de leur zèle. Etant entrés «i conver-
« sation, ils parlèrent de diverses choses, et s'arrêtèrent
a principalement sur le schisme qui divisait l'Eglise depuis
« long- temps. Ils lui proposèrent de travailler à l'union
« entre les Grecs et les Latins , et ils furent favorahle-
« ment écoutés.
a Le patriarche Germain rendit compte de la proposition
« des frères mineurs à l'empereur Jean Vatace, son maître,
0 qui avait alors intérêt de se concilier le pape, pour détour-
ci ner l'orage qui le menaçait de la part de Jean de Briénne,
« empereur latin de Constantinople. Vatace permit donc au
Pp2
3oo PIERRE DE SEZANE,
ilU SIKCLE.
Id. |). 3ii.
a patriarche d'écrire au pape pour la réunion, et il lui écrivit
« lui-même. »
Matthieu Paris nous a conservé la lettre que Germain
adressa au pape, et celle qu'il adressa aux cardinaux. Dans
la première, le patriarche manifeste son désir de réunion;
Maiih. Paris, mais il dit aussi que ce qui éloigne plusieurs peuples de
I' iog. |g soumission au pape , c'est qu'ils craignent l'oppression ,
les exactions insolentes et les redevances indues qu'il extor-
quait de ceux qui lui étaient soumis. Dans sa lettre aux car-
dinaux, il les exhorte à procurer la paix, comme étant le
conseil du pape; puis il leur dit que la division est venue de
l'oppression tyrannique qu'ils exerçaient, et des exactions de
l'Eglise romaine, qui de mère était devenue une marâtre, et
foulait d'autant plus les fidèles, qu'ils s'abaissaient davantage
devant elle.
Le pape répondit au patriarche par une longue lettre
datée de Riéti, le a6 juillet 1282, oii il promet de lui envoyer
des religieux pour lui expliquer plus amplement son inten-
iieuiy,ubi sup. tiou ct ccllc dcs cardiuaux. L'année suivante, il envoya donc
Maiih. Pans, gj^ Natolic Ics quatre religieux ci-dessus nommés, avec une
^ "* ■ nouvelle lettre où il expose au patriarche les arguments qui
établissent les deux puissances dans la personne du pontife
romain. Cette lettre est datée de Latran, le 18 mai i233.
Ces religieux, partis de Rome, arrivèrent à Constanti-
nople, d'où, au mois de janvier suivant, ils vinrent à Nicée
en Bithynie, et là, pendant quatre jours, ils soutinrent de
FtiiarJ t I gt'ands débats avec le patriarche grec sur la procession du
p. io3 ' ' Saint-Esprit, et sur le pain azyme et fermenté. Après ces
disputes, qui furent sans fruit pour les deux partis, le pa-
triarche grec prétexta que ces questions étant ardues, il
ne pouvait rien décider sans le consentement de ses frères
d'Alexandrie , d'Antioche et de Jérusalem ; il convoqua donc
un synode pour le milieu de mars suivant, où il devait écouter
les nonces et répondre au pape. Les quatre religieux étant
retournés à Constantinople , y reçurent quelque temps après
la lettre du patriarche qui les convoquait au synode, en un
lieu nommé AeV/epa. Ils firent d'abord difficulté de s'y rendre;
mais pressés plus vivement et par le patriarche et par l'em-
pereur Vatace, ayant pris conseil du clergé de Sainte-Sophie,
ils s'y décidèrent. Chemin faisant, ils furent avertis par un
message de l'empereur grec, de venir jusqu'à Nymphée en
Bithynie. Ils y arrivèrent au commencement d'avril; mai»
RELIGIEUX DOMINICAIN. 3oi
les prélats grecs alléguant que leur présence était nécessaire
dans leurs églises durant les fêtes de Pâques, le synode lut
lixéà la seconde férié après cette fête, qui était le 24 avril.
On y tint cinq séances. Dans la première, il fallut recom-
mencer les disputes sur la procession du Saint-Esprit, pour
les évêques nouvellement venus, et cette séance se passa en
altercations. Dans la seconde, qui eut lieu le jour suivant,
les Grecs trouvèrent quelques expressions à reprendre dans
la lettre de Grégoire IX, dont on fit lecture; et la dis-
pute ayant amené des paroles d'aigreur et de mépris, les
religieux demandèrent à l'empereur la permission de se re-
tirer; celui-ci, au contraire, témoigna le désir de les retenir,
et ils se rendirent à ses instances. La troisième séance eut
lieu dans le palais impérial; et comme on ne s'accordait
encore sur rien , on convint que de chaque côté on mettrait
par écrit sa profession de foi sur les articles proposés. Dans
la quatrième séance, on fit lecture des professions de foi,
on s'en donna mutuellement des copies; puis, après quel-
ques discussions, chacun se retira. Le mercredi de la se-
maine de Quasimodo, l'empereur ayant invité les nonces
à venir dans son palais, il les engagea en particulier à se
relâcher sur un des deux articles, promettant d'obtenir de
son clergé une pleine adjiésion à l'autre, et leur disant que
c'était le seul moyen d'en finir; ils répondirent avec énergie
que le pontife romain ne céderait pas un iota sur des articles
de foi. La cinquième séance ayant eu lieu, les évêques grecs
s'y firent accompagner de leur clergé et d'un peuple nom-
breux. On y fit lecture de la profession de foi romaine : la
dispute s'éleva aussitôt et s'enflamma; on se renvoya tour
à tour les épithètes de schismatiques et d'hérétiques, et tout
espoir de réunion s'évanouit.
Les religieux obtinrent de l'empereur la faculté de s'en
retourner, et ils partirent de Nymphée; mais les prélats
grecs les firent poursuivre pour se faire rendre la profession
de foi que leur patriarche avait faite et leur avait remise,
et, d'après le refus qu'ils firent de s'en dessaisir, on s'em-
para d'eux, et on leur enleva de force l'écrit ; après quoi,
ayant recouvré leur liberté, ils se dirigèrent vers Constan-
tinople, et de là vers Rome. Ainsi ces nonces apostoliques
qui, à leur arrivée à Nicée, avaient vu des commissaires
impériaux venir au-devant d'eux , leur témoigner par avance
la joie de leur maître et de sa cour; qui ensuite avaient
nu SIÈCLE.
XUl SIÈCLE.
3o2 PIERRE DE SEZANE,
été introduits dans la ville par tout le clergé, accouru pour
les recevoir; qui avaient été promenés dans les rues, au
milieu du concours de la population, et conduits avec
pompe dans la maison préparée pour eux, se virent obligés,
aux derniers jours de leur séjour en ce pays, de se sauver
à pied , à travers des chemins déserts et impraticables ,
portant sur leur dos les livres qu'ils avaient apportés pour
soutenir leurs disputes, attendu que les prélats avaient
excommunié d'avance ceux qui leur rendraient ce service.
Engagés par un cavalier envoyé à leur poursuite à se détour-
ner dans un village voisin , avec promesse de faire lever
l'excommunication lancée sur les hommes qui les serviraient,
ils y furent rejoints parle chartophylax qui les fit saisir eux,
leurs livres et leurs hardes, les fouilla, et ayant enfin trouvé
l'écrit du patriarche que les frères voulaient porter à Rome,
s en saisit, en s'écriant : J'ai ce que je cherchais, et laissa les
religieux en pleine liberté. Ceux-ci ne furent privés que de
l'original de cette pièce, en ayant fait une copie qui leur
restait; ou peut-être était-ce la traduction de ce que le pa-
triarche avait écrit en grec. Nous en dirons quelques mots,
après avoir rendu compte de l'ouvrage que les religieux
composèrent.
Cet ouvrage, intitulé Acta concilii primo apud Nicœam
t.uni apud Nympheam habiti, n'est autre chose que le récit
historique de tout ce qui arriva aux quatre envoyés du
pape, depuis leur arrivée en Grèce jusqu'au moment qu'ils
en repartirent. On y trouve racontés en détail tous les
débats qu'ils eurent à soutenir avec ceux qu'ils avaient in-
tention de réconcilier avec Rome. En lisant les disputes qui
eurent lieu à cette occasion , on croit se trouver dans le pays
natal de l'argutie scholastique.
Les Grecs demandent à disputer, ils offrent à leurs adver-
saires de prendre à leur choix l'offensive ou la défensive; ils
ne veulent pas d'abord heurter les nonces, auxquels ils sem-
blent avoir intention de ne pas donner raison, mais ils ne
peuvent se décider à faire des concessions qui les feraient
passer à la même foi que les Occidentaux , et de la même foi
à la même soumission. Aussi, dans leurs arguments, sont-
ils rusés, artificieux, féconds en prétextes et en détours.
a On découvre dans ce récit, dit l'historien des frères pré-
a cheurs, et avec évidence, d'un coté, les artifices, les
« subterfuges, l'opiniâtreté des prélats grecs et la fourberie
RELIGIEUX DOMINICAIN. 3o3
Xlll SlKCLi;.
« de leur empereur Vatace; de l'autre, l'érudition, l'habi-
o leté, la présence d'esprit, la constance et la fermeté des
« nonces. »
L'ouvracre que ces derniers écrivirent après leur entre- ^^•"l''|"r,All-
prise, rapporte en partie dans les annales des treres mi- /|f,a
iieurs, et en partie aussi dans le recueil des conciles du
P. Labbe, a été transcrit en entier dans la Bibliothèque des
écrivains de l'ordre des frères prêcheurs, d'après un ma-
nuscrit tiré du collège de Navarre, et il y est contenu en
trente-deux colonnes in-folio. Nous en traduisons ici quel-
ques passages.
A la première séance, à laquelle étaient présents l'empe- Kciuid.Scnp-
reur, le patriarche et son clergé, «on nous demanda, disent '""'^' ' '' ''
« les religieux , quels étaient nos pouvoirs ; nous répondîmes :
« La teneur des lettres du seigneur pape vous les a assez fait
« connaître; nous pouvons y ajouter, que tout ce que nous
« ferons dans cette affaire, sera trouvé bon et ratifié par
« l'Eglise romaine. Ils nous dirent: Eh bien! procédons à cette
« affaire. Et comme on faisait de part et d'autre des diffi-
« cultes pour savoir qui devait commencer, nous leur dîmes :
« Nous n avons pas été envoyés pour disputer avec vous sur
« quelque article de foi dont l'Eglise romaine, ou nous,
<r soyons peu sûrs, mais pour avoir une conférence amicale
« avec vous sur vos doutes; c'est donc à vous de nous les
a faire connaître. A cela, ils nous répondirent : Dites-nous
a vous-mêmes quels ils sont.^ Nous apercevant alors qu'ils
<r étaient très-disposés à alonger l'affaire, nous leur dîmes :
4 Quoique ce ne soit pas à nous à proposer vos ques-
« tions, cependant, pour ne pas perdre le temps en vain,
o; nous vous dirons que l'Eglise romaine voit avec étonne-
« ment que l'Eglise grecque, qui lui était autrefois soumise
« comme les autres qui sont répandues sur la surface du
« monde, se soit séparée d'elle; quelle a été la raison ou la
« cause de cette séparation.-^ Ils ne voulurent pas répondre
a à cette question , et ils nous invitaient à y répondre nous-
« mêmes. »
Mais la dispute s'envenimant, les difficultés allaient crois-
sant sur les deux sujets de la discussion, à savoir : la pro-
cession du Saint-Esprit et le pain azyme. Dans une des
séances, les nonces, fatigués des arguties des (Irecs, leur
dirent: « Nous voyons que vous ne voulez que prolonger l'af-
« faire et éviter la question , et que vous n'osez pas confesser
XIII SIKCLE.
3o4 PIERRE DE SÉZANE,
« votre foi. Nous vous dirons donc franchement ce que nous
« pensons de vous. Déjà nous nous sommes aperçus de votre
a aversion pour notre sacrement en azyme, d'abord par vos
« écrits où l'on voit vos sentiments hérétiques à ce sujet;
a en second Heu, parce que vous n'osez pas répondre à la
a question du sacrement, de peur de montrer votre hérésie.
« Troisièmement, vos actions le prouvent, car vous lavez
« vos autels quand un Latin y a célébré. Quatrièmement, si
(t quelque Latin veut s'approcher de vos sacrements, vous
a le forcez d'apostasier auparavant, et d'abjurer les sacre-
(c ments de l'Eglise romaine. Cinquièmement, vous avez
« retranché le nom du pape de vos diptyques: nous savons
a que vous n'en agissez ainsi qu'à l'égard des excommuniés
« et des hérétiques ; vous le regardez donc comme un héré-
(c tique ou excommunié. Enfin, vous l'excommuniez une fois
« tous les ans, ainsi qu'on nous l'a raconté. »
A ces mots, le chartophylax se leva et dit : Vous dites
a que noiis excommunions le pape, nous déclarons cela
« faux, et si quelqu'un le dit, nous le chassons ou nous le
« punissons. Quant au reste de notre conduite, n'en soyez
(f pas surpris: car lorsque vos Latins eurent pris Constan-
ce tinople, ils dévastèrent les églises , renversèrent les autels,
« pillèrent les châsses d'or et d'argent, en jetèrent les reli-
<c ques dans la mer, foulèrent aux pieds les saintes images,
(c et firent des églises les étables de leurs chevaux, de telle
(c sorte que l'on vit l'accomplissement de ces paroles : Deus^
« vencrunt gentes in hœreditatem tunm , polluerunt teniplum
« sanctum tuum, etc. — Après cela, le patriarche dit: Si
« vous êtes surpris que nous ayons effacé le pape de nos
« diptyques, pourquoi , je vous le demande, m'a-t-il effacé
« des siens .3 — Et nous, répondant à cette dernière ob-
« jection, nous dîmes : Le seigneur pape ne vous a jamais
a effacé de ses diptyques , parce que vous n'y avez jamais
« été. Mais si vous parcouriez la vie de vos prédécesseurs ,
<£ vous verriez si ce n'est pas vous qui , les premiers , avez
« rejeté le pape avant qu'il vous rejetât. — Ils ne répon-
« dirent rien à cela. -;- Quant aux autres accusationà que
« vous faites contre l'Eglise romaine, elles ne la regardent
« pas, parce que tout cela s'est fait sans son consentement
« et sans son ordre. Tout ce que vous venez de rapporter, si
« cela a été commis, ce fut l'œuvre des laïques , des pécheurs,
<i dea excommuniés, qui se portèrent deux -mêmes à ces
RELIGIEUX DOMINICAIN. 3o5
XIII SlICLF.,
.( excès, et vous ne pouvez pas imputer à toute l'Eglise ce
« qui a été fait par quelques hommes pervers; au lieu que
(c ce que nous vous reprochons se fait chaque jour par vos
<> patriarches, vos archevêques, vos évêcjuc.s et le reste de
a vos prélats; c'est vous qui le faites et le faites faire; vous
« n'avez point d'excuses. Trouvant chez vous tant d'abomi-
« nations, et aucune disposition à vous en corriger, nous
« prenons le parti de retourner vers celui qui nous a en-
« voyés. Et nous quittâmes ainsi rassemblée. »
Le récit des nonces est suivi de la lettre du patriarche,
de laquelle il a été question dans cet article; elle a pour
titre : Hœc est epistola patriarchœ Nicœni Grœcorimi , missa
ad sunimutn pontifîcem dominum Gregoriuui L\. C'est une
j)rofession de foi dressée avec des passages tirés des Pères
de l'Eglise grecque : il y est dit que le Fils procède du Père,
mais que le Saint-Esprit ne tient l'être que de Dieu , et qu'il
est venu à la connaissance des hommes, manifesté par le Fils.
On ne trouve rien de fixé sur la mort de Pierre de Sézane.
Le P. Echard, pour en établir la date applroximative,citeun r.ciiani, Sn ip
passage tiré des Vies des frères prêcheurs, duquel il résulte '°'"' '• ^' •'
cjue ce religieux racontait, un jour, que pendant le séjour
qu'il avait fait à Constantinople , sous le règne du pieux
empereur Jean , avec les autres frères qui avaient été envoyés
avec lui par le pape Grégoire IX, pour travailler à ramener
les Grecs, il avait été témoin de la conversion d'un Sarra-
sin. Ce passage faisant entendre que Pierre parlait quelques
années après sa mission en Grèce, on a cru devoir fixer aj)-
proximativement la date de sa mort de 1240 à 1245.
P. R.
102.
GEOFFROl DE VINESAUF '".
POETE LATIN. Vers 11,5.
A.U XIII® siècle, la langue latine avait cessé d'être la langue ?» *ie.
du peuple. Ceux qui la cultivaient encore s'efforçaient en
▼ain de contre-balancer, par des productions multipliées, la
faveur que l'on accordait aux innombrables poèmes en langue
(i) D'antres écrivent Vinisauf.
Tome XVin. Q q
îoG GEOFFROI DE VINESAUF,
XIII SIKCI.K.
romane, fabriqués par d'ignorants trouvères. Ils ne voyaient
pas sans regret leur langue favorite perdre, chaque jour, de
son influence, et l'idiome grossier, presque barbare, auquel
pourtant elle avait donné naissance , usurper l'empire qu'elle
avait seule exercé dans les Gaules, durant cinq à six siècles.
]Mais déjà le mal était sans remède : la belle langue dans la-
quelle ils écrivaient n'était plus guère en usage que dans
les écoles, ni comprise que par les prêtres, les clercs, les
jurisconsultes, les médecins. Dès le siècle précédent, les pré-
dicateurs, dans les églises, avaient été obligés de parier au
jjcuple la seule langue qu'il pût entendre.
Parmi les poètes latins qui se distinguèrent au xiii*^ siècle,
et par leur talent et par leurs nombreuses productions, il
faut placer dans les premiers rangs Geoffroi de Vinesauf,
dont les ouvrages sont bien plus coimus que la personne. On
ne sait même pas précisément son nom, qui se trouve très-
différemment écrit dans la plupart des manuscrits. On l'y
appelle tantôt Galfridus , tantôt Coffiedus , tantôt Gualtcrus
de Viiio Salvo; et ces mots de Fino Salvo ne semblent être
qu'un sobriquet qui lui fut donné parce qu'il était auteur
d'un livre sur les moyens de conserver et d'améliorer les
vins.
^ . Ouelciues biographes le disent Anglais, d'autres Normand;
iVii^l |.. 261 la plupart (et Pits entre autres) le tout naître en Angle-
terre de parents normands : c'est l'opinion que nous avons
adoptée. Était -il moine.-' Nous n'avons trouvé qu'un seul
manuscrit qui lui doime le titre àefrater : un autre le désigne
parlaqualihcation de protonolarius ; et nous admettrions plus
volontiers qu'il la mérita, car on ne peut douter, d'après l'é-
loge pompeux qu'il fait d'Innocent III, dans un de ses poèmes,
qu'il n'ait reçu des faveurs de ce pape, de cet Innocent III
qui, malgré son ambition démesurée et la tyrannie qu'il
exerça dans Rome, aimait et cultivait les lettres.
Que Geoffroi de Vinesauf ait résidé à Rome, c'est ce qui ne
paraît pas moins certain d'après ces vers du même poème :
Me transtulit Anglia Romam;
T.inqiiam de terris ai! cœliim transtulit ail vos.
De tenehris velut ad luceni.
Ce fut là qu'il composa son principal ouvrage, que nous
ferons bientôt connaître. Mais on peut douter qu'il ait en-
seigné Us belles-lettres à Bologne, comme l'ont pensé Fat-
POETE LATIN. 807
..—,.,,. , ... XIII SlKCLi:.
tonni et liraboschi, sans appuyer leur opinion de preuves —
bien convaincantes.
S'il faut en croire la plupart de ceux qui ont parlé de ce Piiseu* , Fa-
poète, il accompa{;jna Richard Cœur-de-Lion dans son expë- '"'m's, Thom.
dition à la Terre-Sainte, et il écrivit, en prose, l'itinéraire m'',' ,?'''' d^T''
de Richard, ou plutôt I histoire de cette expédition. Let ou- Leyser, et..
vrage nous est resté, et nous examinerons plus tard s'il est
bien prouvé que Geoffroi en soit l'auteur. Ce qu'on peut
dire à ce sujet, c'est qu'il eut toujours une grande admiration
pour le courage et les talents de Richard ; (ju'il l'a célébré
dans plusieurs poèmes , et, entie autres, dans un chant (u-
nèbre sur sa mort; mais il est plus que douteux, comme nous
venons de le dire, qu'il l'ait accompagné à la Terre-Sainte.
Tout est conjecture dans la vie de Geoffroi de Vinesauf : •
ses titres, les fonctions qu'il a pu exercer, ses voyages. On
ne trouve son nom placé dans aucun document diploma-
tique, ni historique, dans aucune affaire importante. 11 n'eut
de célébrité que comme poète ; et c'était sa facilité h composer
des vers, sa fécondité, que l'on dut admirer bien j)lus que
son génie, quoique Fus ait dit de lui : / ir ingcniijlorentis,
styll compti, tersi , nilidi , sU'e orationern solutam spectes , Pitscus,Siii|ii.
sivè constrictam. '^"^i i' '^C'-
Fabricius attribue à Geoffroi de Vinesauf onze à douze sesoivuagis.
ouvrages tant en vers qu'en prose, dont il cite les titres; et
à cette liste, il faudrait en ajouter bien d'autres, si l'on y Fabmins.Bii)!.
faisait entrer tous ceux qui portent Son nom en différents T!'^'','!' '"'^- '""
^ , ... .^ y. , . . lib. VII, p. in
catalogues et dictionnaires biographiques; mais ce serait et 35 ,347.',7Ô
une erreur de lui accorder une si prodigieuse fécondité. Nous
démontrerons que le même ouvrage a reçu dans les catalo-
gues, jusqu'à cinqet même six titres différents, qui en ont lait,
en apparence, autant d'ouvrages distincts. Nous citerons pour
exemple sa Poetna noi'o , le plus important de ses poèmes.
Cette Poetria (terme assez impropre, puisque l'on pou- Aiss.ddaiîihi.
vait disposer de celui de poetica ) est une espèce de rhéto- ''""oi»" 8171
J 1 J 1711 J- 82/(6, elt.
rique de plus de 2000 vers. Elle a reçu en divers manuscrits
les noms de Ars dictandi. — Artificium loquendi. — Enchi-
ridion cum medulta grammatica'. — Poetica novclla , et
peut-être aussi le titre De Rébus ethicis, qui s'éloigne plus
des autres titres et du sujet de l'ouvrage. Il y a mieux : on
trouve, et dans les manuscrits et dans plusieurs grands re-
cueils, sous des titres différents, et comme si c'étaient des
poèmes qui n'eussent aucun rapport avec la Poetria nova,
Qqa
\ [H SIECLE.
3c8 GEOFFROI DE VINESAUF,
de longs extraits de ce grand poème. Par exemple, la dédi-
cace que Geoffroi faisait de la Poctria au pape Innocent, et
qui ne cotitient qu'une cinquantaine de vers, s'est mëtaraor-
pliosëe en poème important dans les catalogues des biblio-
graphes, ou elle est mentionnée sous le titre de Carmen ad
Innoicntiuni lll paparn.
Quelques vers de cette dédicace feront tout d'abord con-
naître la manière de l'auteur, son goût pour les jeux de mots,
les antithèses. Après avoir dit qu'il est venu de l'Angleterre
à Rome, comme s'il eût été lancé de la terre au ciel, des
ténèbres à la lumière , il ajoute , en s'adressant au pape :
Lux publica mundi ,
Digneris liicere niilii , ilignissima reruin.
Dulce tuuni partire tuo. Dare grandia solus
Et potes et debes et vis et scis. Quia prudens
Si'is; quia clemens vis; quia niagnus origine debes;
Et quia papa potes, etc.
Comme le nom à' Innocent latinisé ne pouvait se placer,
sans blesser la prosodie, dans un vers hexamètre, Geoffroi
imagina de séparer en deux ce mot, et de tirer de là matière
à un compliment au pape. Nous citerions ici ces vers bizarres,
s'ils ne se trouvaient déjà dans notre Discours sur l'état des
lettres rtw xiii* siècle.
A la fin de la Poétique de Geoffroi, on trouve un épi-
logue au même pape, à qui il fait l'emphatique et singulier
compliment que nous croyons devoir répéter, quoique nous
l'ayons également cité dans le même Discours.
Nec Deus es nec bomo, quasi neuter es inter utrumque,
Queni Deus elegit sociuni.
iii»i. liitei. t. C'est dans le même style, et en leur donnant les plus
x\i,|.. i8'J. magnifiques éloges, qu'il adresse encore son poème, tant à
l'empereur, qu'au chancelier Guillaume, à qui il dit :
Quod Pap;c scripsi munus spéciale libelli
Accipe, tlos regni. Primo potiaris bonore
Hujus secreti. Nec if! uniim sume, sed unà
Do til)i me totum , Guiilerme, vir auiee, totus
Sum tuus ad votum.
Il est temps d'examiner au fond cet ouvrage capital du
poète Geoffroi. Il y passe en revue, dans un style facile et
souvent élégant, les règles qui lui semblent les plus propres
POÈTE LATIN. 3o<)
à former l'orateur ou le bon écrivain clans tous les genres.
Mais il ne se contente pas d'exposer les principes généra-
lement admis, il y joint des exemples, et c'est là ce qu'on
lit avec le plus d'intérêt. En effet, ces exemples sont quel-
quefois tirés d'événements contemporains : tel est l'exemple
qu'il donne du style que l'on doit employer dans la pein-
ture des grandes douleurs publiques : il prend pour sujet
la mort vraiment déplorable ou plutôt l'assassinat du roi
Richard.
Neustria sub dypeo régis defensa Ricardi,
Indefensa modo, gestu testare dolorem.
Exiindent oculi lacrymas, exterminel ora
Pallor; connodet digitos tortura; cruentet
Interiora dolor, et verberet aetbera clauior:
Tota péris ex morte suà; mors non fuit ejus,
Sed tua; non una sed publica mortis origo.
Peu après , le poète s'adresse à l'archer qui fit périr Ri-»
chard , et vomit, en ces termes, contre lui un torrent d'im-
précations :
Quid , miles , perfide miles,
Pcrfidiae miles , pudor orbis et unica sordes
Militia»; miles manuum factura suarum.
Ausus es hoc in eum scelus? hoc scelus? istud es ausus?
O dolor! o plus quam dolor! o mors! o truculenta
Mors! esses utinam mors mortua! Quid meministi
Ausa nefas tantum .'' Placuit tibi tollere solem
Et tenebris tenebrare solum. Scis quem rapuisti ?
Ipse fuit jubar in oculis, et ducor[i) in aure.
Et stupor in mente. Scis impia quem rapuisti.'*
Ipse fuit dominas armorum, gloria regum,
Deliciae mundi , etc.
On voit là une amplification de collège, du genre de celles
que l'on faisait dans les écoles. Cette redondance de paroles,
ce cliquetis de mots étaient alors de mode : dans tous les
poèmes de cette époque, on trouve le même défaut de goiit.
Un style concis n'est certainement point une des qualités
des écrits de Geoffroi. Il n'en donne pas moins, dans sa Poé-
tique, un exemple de précision fort singulier. C'est en deux
vers seulement qu'il répète le vieux conte de la femme qui
voulut faire accroire à son mari qu'un enfant dont elle était
(i) Ductor, ou plutôt dulcor in aur*.
2 3
XIII SIECLE.
XIII SIKCLE.
3io GEOFFROI DE VINESAUF,
accouchée pendant son absence , était provenu d'un peu de
neige qu'elle avait imprudemment avalée; femme qui n'eut
pas droit de se plaindre, quand le mari, de retour d'un
voyage, lui dit que cet enfant t^u'il avait emmené avec lui.
était fondu au soleil.
De nive conceptum queni mater adultéra fingit,
Sponsus, eum veiidens, liquefactuiii sole relingit.
Nous n'entrerons pas dans un plus long examen de «e
poème, auquel Geoffroi dut sa réputation d'orateur. Il nous
semble que nous l'avons assez fait connaître. Mais nous pas-
serons à un autre poème d'un tout autre genre , et dans lequel
l'auteur ne montre pas moins de verve et de facilité. On lui
a donné comme à l'autre plusieurs titres divers, qui ont fait
croire que c'étaient autant d'ouvrages différents. C'est un
tlialogue entre Geoffroi et yîvril , contre les détracteurs de
la cour de Rome. Quelques auteurs ont cru que c'était une
satire; mais à moins que l'on ne suppose que tout ce que
Geoffroi dit à l'avantage de cette cour et de la bonne admi-
nistration de la ville de Rome, soit une perpétuelle ironie,
on ne peut s'empêcher de convenir que c'est une véritable
apologie. Ainsi l'a bien compris Mabillon, qui l'a admis dans
Ai;ii.iii.m, Alla scs Analcctcs, SOUS Ic titre : Carmen apologeticuni contni de-
(!. j. iGy. tractores curiœ romance , tandis que d'autres ne lui donnent
que ce titre : De statu curiœ romanœ.
Geoffroi commence à expliquer à quelle occasion il a eu
un entretien avec Avril, qui venait d'Espagne, quand lui,
Geoffroi, quittait Rome.
Nuper apostolicà Gaufredus sede relictà
In patriani rediit, cuncta peracta tenens.
Obviât Aprilis, Hispanà gente profectus.
Iste locuni nonduiii romanœ viderai urbis,
Aller eral tolà co<'nitus urhc diu.
Postulat Aprilis lit se de gente locique
Moribus expédiât. Postulat, ille favet.
C'est Avril qui d'abord interpelle ainsi Geoffroi
Tu qui uuper cecinisti
Elcciesiaj lacrynias, scribe, résume stylum,
Cude novos versus, fiic carmina , conde libellos;
Kani gravis in vitio pectora torpor alit.
POÈTE LATIN. 3ii
XIII SIKCLË.
Plurimus inipugnat Romam tietractor, et ipsa
Curia multoi'um moisibus aima palet.
On sent bien qu'en ce temps, les reproches que l'on fai-
sait à la cour de Rome portaient presque uniquement sur
son ambition, ses exactions, le peu de soin qu'elle mettait à
empêcher la simonie. Geoffroi trouve réponse à tout; il ne
laisse rien sans excuse; et l'interlocuteur Avril doit rester
convaincu que la cour de Rome est sans tache et sans re-
proclie.
11 est bon de faire mieux connaître cet Jvril,f\\x\ ne paraît
pas avoir été un personnage idéal, et qui mériterait peut-
être un article dans notre Histoire littéraire. C'était un
Français très-recommandable par sa science, sa probité
et son expérience (Vans les affaires tant spirituelles que tem-
porelles. 11 fut d'abord archidiacre de Salamanque , et se
rendit ensuite à Rome, nous ne savons pour quelles affai-
res. Ce fut sans doute alors que Geoffroi le connut. Plus
tard (car il paraît avoir passé une partie de sa vie à Rome ) ,
il devint chapelain du pape Innocent; IV, qui, en 125^, le
nomma à l'évêché d'Urgel , vacant par la mort de Ponce de
Villamure. Il mourut en laGç), et fut enterré dans son église p^34*^e"ru3
cathédrale. Il survécut donc plus de vingt ans à Geoffroi de n. 521 ci Saa.'
Vinesauf.
Il nous reste à parler de deux ouvrages en prose de Geof-
froi. De l'un des deux , nous ne pouvons donner que le titre ,
parce qu'il n'y en a, nous le croyons du moins, aucun ma-
nuscrit dans les bibliothèques de Paris, et qu'il n'a point été
imprimé. On ne le trouve cité que dans les catalogues de
manuscrits anglais. C'est le traité sur les vins, lequel valut
à l'auteur, comme nous l'avons dit, son surnom de Fino
Sah'o. En voici le titre très-détaillé, qui explique assez bien
quelles matières y sont contenues:
Tractatus magistri Galfridi , continens in se breviter om-
nem rnodum insercndi arbores aromaticas , fructus conser-
i'andi, vîtes, mna cognoscendi , vinaque universa détériora ta
formandi, acetumque mutandi , et conditiones cuiusciwmue
■ ■ . . ^ .- j- j ■■' ' Catal.mss.an-
vini et cœterorum pretiosorum liquorum Del pigmentorum <,|j,.. „. |v „
faciendi , tàm pro sanis quàm injirmis. «883.
L'autre ouvrage en prose attribué à Geoffroi de Vinesauf
est intitulé tantôt Ilinerarium régis Anglorum Ricardi et
aliorum in terrant Verosolynioruni , et tantôt Historia hiero- g^j^ j^^, j
solymitana. C'est sous ce dernier t'itre que Rongars a publié p. ii5o-ii7a.
XIII SIKCLE
Th. OaU-
3r2 GEOFFROI DE VINESAUF, POÈTE LATIN.
l'ouvrage, qu'il n'a point attribué à Geoff'roi de Vinesauf,
puisqu'il ajoute qu'il est auctoris incerti. Au reste, le manu-
scrit dont Bongars a f;iit usage n'était sans doute ni exact,
ni complet. Cette histoire a été publiée avec plus de soin en
ifiSy, à Oxford, par Thomas Gale, sous le titre d'Itincrariuni
régis, etc., auctore Gaufrido Vinisauf. Dans les deux recueils
-'iT-'t»» ' que nous citons, l'ouvrage est précédé d'un prologue, qui
semble prouver que l'auteur de l'histoire avait participé à
une partie des événements qu'il raconte, puisqu'on y lit :
Nohis historiam hierosuljmitanam, tractantibns non indigné
fides debetur : quia quod mdiinus testamur, et res gestas ,
adhuc calente memoriâ, stylo duximus designandas.
Cette histoire ne rend compte que des événements qui se
sont passés de 1177 à 1 180. M. Michaud en a donné une
iiii)iioiii. des analyse intéressante dans son Histoire des Croisades. C'est
c.ûisacies I. II, j^j l'ouvragc d'un écrivain qui, de même que notre Geof-
troi , employait les descriptions brillantes, aimait le style
emphatique; mais si Geoffroi eût réellement fait le voyage de
la 'Terre-Sainte, à la suite de Richard Cœur-de-Lion , n'eùt-il
pas, dans l'un ou l'autre de ses ouvrages, rappelé ce mémo-
rable épisode de sa vie? Et comment se serait-il tout-<à-fait
oublié dans les milliers devers qu'il a composés, en différents
temps , à la gloire de Richard?
Ce qui nous détermine à attribuer, comme l'a fait Bongars,
cette histoire de Jérusalem à quelque auteur inconnu , c'est
que les événements qui y sont rapportés sont d'une époque
antérieure à celle oii Geoffroi, s'il accompagnait Richard, a
dû arriver à la Terre-Sainte, et qu'il n'aurait pu conséquem-
ment affirmer qu'il en avait été témoin. En effet , l'histoire
linit en 1 180, et cène fut qu'en 1 190 que Richard partit pour
la croisade. A. D.
ALEXANDRE DE HALES,
THEOLOGIEN.
Alexandre de Halès est un des plus célèbres théologiens
du treizième siècle; cependant on ne connaît ni sa famille,
ni l'époque ni même, d'une manière précise, leJieu de sa
Ji'jîiT Cil I ï.'| J.
AI.EX ANDRE DE HALES, THEOLOGIEN. 3i3
XiU SIÈCLE.
naissance. Fleury dit que son nom de Halès est celui du
village où il était né, dans le comté de Glocester, et où de- Hisi. ecdés. i.
puis, en 1246, Richard, comte de Cornouailles, fonda un xviî 'in-ia p
monastère cistercien. Mais Wadding, Oudin, Brucker et 141.
(fuelques autres supposent qu'il existait en ce lieu un cou- Monasiiconan-
^ I • 'Al I C •' '. J glican. I. 028.
vent plus ancien, ou Alexandre ht ses premières études, et Annal, min
que c'est seulement pour y avoir séjourné durant son enfance 1222, n. 36, 27,
et sa jeunesse, qu'il conserva le surnom de Halès, Halle, '• ^' p- ^si. —
Aies, Halensis, Alesius. Ses progrès annoncèrent des dispo- g"''' "' '"""'
sitions heureuses; il embrassa l'étal ecclésiastique, et devint Comment, tic
bientôt archidiacre d'une église d'Angleterre, qui n'est pas ^•^'"'p'- «ccies. t.
autrement désignée. Quelle que fût cette dignité obtenue de Hisi.VMioso-
si bonne heure, elle ne le fixa point dans sa patrie : le désir phia; , t. m, p.
d'acquérir une instruction plus étendue l'entraîna en France ; 778jPer.ii,pait.
il vint, comme beaucoup d'autres Anglais de ce temps, fré- sect. iî''n.^i3! '
quenter les écoles de Paris, y prit le titre de docteur, y
donna lui-même des leçons de philosophie et de théologie.
Il était déjà un professeur très-renommé en 1222, lorsqu'il Hist."univ°.Paris'.
entra subitement dans l'ordre des frères mineurs. Pour ex- «- ni, p. 200,
pliquer cette vocation, Albert Crants, chroniqueur du xv*^ ^^' ' ^'^•
siècle , raconte qu'Alexandre de Halès avait fait vœu de ne
rien refuser de ce qui lui serait demandé au nom de la Vierge Henric. Gan-
Marie, et qu'une femme bien informée de ce vœu secret, en ^"*l "■ ^!'' ■ —
instruisit d'abord les cisterciens, puis les frères prêcheurs eccies.'n 458.—
et les franciscains. Les cisterciens n'en tinrent compte : les Natal. Alex. sec.
dominicains se rendirent chez Alexandre, et le pressèrent ^'|' '^^' '^'
d'embrasser leur profession ^ mais ils prolongèrent un peu Meii'opôiis,sive
trop leur entretien, réservant pour dernier moyen celui qui Hisi. ecdes. Sa-
devait être irrésistible. Ils ne l'avaient pas encore employé, ^°°'*^' '•*"'> *^-
lorsqu'un frère mineur qui demandait l'aumône à la porte,
fut introduit, se jeta aux pieds du docteur, le conjura de se
faire franciscain pour l'amour de la sainte Vierge, et l'acquit i22""V"^i3*T
ainsi à l'ordre seraphique. Ce récit, que Manrique traite de 3. '
fable, a été reproduit par Wadding, par Du Boulay, même Annal, min.
par Gaillard, dans l'histoire de François i**", où l'on ne s'at- '^h^^', "^„^^ p^.
tend guère à le rencontrer. Wadding permet de le regarder ris, t. m, p. 200.
comme fabuleux, quoique accepté déjà par Jean Pits et G»'""d,i.viii,
d'autres biographes; mais il réclame des égards pour les re- s/^dù^'eî'sio'
lations de ce genre, et lui-même il rapporte qu'Alexandre de Deiiiust.Script.
Halès, fatigué des rigueurs du noviciat, songeait à rentrer Angiix.ad ann.
dans la vie séculière, quand saint François lui apparut en ^*^ > P- ■ ■
esprit, chargé du poids énorme d'une croix massive. Le doc-
Tome XFIII. Rr
2 3 «
XIll SIECLE.
3i4 ALEXANDRE DE HALÈS,
teur s'étant précipité pour en partager le fardeau , le saint le
repoussa, en lui adressant ces paroles : Quoi! misérable,
tu ne peux soutenir la croix légère que tu as voulu t'impo-
ser, et tu porterais celle qui m'accable! Il n'en fallut pas
plus pour raffermir le novice dans sa vocation, et pour le
prémunir à jamais contre les tentations d'inconstance.
Nous rentrerons dans sa véritable histoire, en disant que
Jean de Florence , deuxième général des franciscains , leur
avait strictement interdit le titre et les honneurs du doc-
torat, comme incompatibles avec la profonde humilité dont
Ou Bouiiiv ''^ faisaient une profession particulière. Alexandre de Halès
l'icuiy I. II, p. ne consentit pointa perdre dans le monde son titre de doc-
^•. — Creviei , ^gm- . ji ggj ]g premier frère mineur qui en ait porté le nom;
Hist. de rUniv. ii. '. i-i "r'
t. i,p. 3go. " donnait un exempieque plusieursde ses conireres se sont
empressés de suivre, malgré les avis des rigoristes de leur
ordre et les vives réclamations des professeurs séculiers de
l'Université. Les démêlés de ce corps avec les moines men-
diants tiendront une assez grande place dans les annales lit-
téraires de ce siècle; mais le franciscain dont nous parlons
ici jouissait d'une telle renommée, il acquérait dans les
écoles une telle prééminence, qu'il ne pouvait trouver d'ad-
versaires assez redoutables pour interrompre ses leçons et
lui contester son titre. Sa plus grande célébrité correspond
Dcsiamics , gy^ anuécs i23o à i24o, SOUS Ics règnes de Frédéric II en
phL.t.nî,p. Allemagne, de Henri III en Angleterre, de Louis IX en
3i2, 3i3. ' France. Alexandre de Halès devait ses éclatants succès à des
Baia-us,Sciipi. travaux assidus, autant qu'à ses talents naturels : il ne sor-
ôeiitur^3 "^^" tait jamais de son couvent; il menait, plus qu'aucun autre
Tiiiheni. n. frèrc mincur, une vie solitaire et studieuse. Parmi ses nom-
458. — voss.de breux disciples on a nommé Guillaume Guarron, saint Bo-
38^'L_^'u„ bÔu- naventure, saint Thomas d'Aquin,etDuns Scot. Avant d'exa-
iayt.iii,p.673. miners'il a réellement donné des leçons à ces personnages, il
—Waaj. Script, importe de reconnaître l'époque où il a cessé d'enseigner.
sbaiTic",Supp[ Or c'est, selon Wadding, en 1288, qu'il cède sa chaire à son
p.i/i. — Créïiei, confrère Jean de La Rochelle, qui avait été l'un de ses au-
Hist. de riiniv. fjiteurs Ics plus distingués. Lorsqu'on ajoute que le choix de
Gan'iard.Hiri.d^ cc succcsseur était déterminé par une vision où Jean avait
Fi. 1", t. V. p. apparu environné d'une éclatante lumière, aux yeux ou à
^"^^ . . ., l'imagination d'Alexandre, cela signifie apparemment que
Fabricius.Bibl. , ." . , . >-i ii ••. '«^ U II ,. I '
med. ei iiii. lai. cclui-ci prcvoyait qu il allait être honorablement remplace,
t. j, p. C4 Notre attention ne se porte en ce moment que sur la date
Annal min. j^ la^S. Lc iaboricux Alexandre, qui tenait beaucoup à sa
iiaa , II. 29.
THÉOLOGIEN. . 3i5
fonction de professeur, ne la quittait sans doute qu'à un âge as
sez avancé. Si c'était entre 5o et 60 ans, il serait ne de iinS a.
1 1 88 ; mais on est réduit sur ce point à de simples conjectures.
Guillaume Guarron, ou Varron, ou Verus, théologien an-
glais, qui ne s'est fait connaître dans les écoles de Paris que
vers c 270 , et dont la carrière a pu se prolonger jusque vers
i3oo, devait être assez jeune avant I238 : il est possible qu'il
ait entendu les dernières leçons d'Alexandre de Halès; on
manque des renseignements nécessaires soit pour le nier, soit
pour l'affirmer. Quant à Jean Fidanza , célèore sous le nom
de Bonaventure, on sait que, né en 1221, il ne prit qu'en
1243 l'habit des frères mineurs, qui l'envoyèrent d'Italie à
leur école de Paris : Oudin remarque avec raison, qu'ayant Com.deScripi.
dû faire son noviciat avant de venir en France, il n'a pu y ^'^•^'**- p- *''°-
arriver qu'après la retraite ou même qu'après la mort d'A-
lexandre. Nous avons encore plus le droit d'en dire autant.de
Thomas d'Aquin; car il naquit en 1227, se fit dominicain
en 1243, alla étudier à Cologne sous Albert-le-Grand , qu'il
suivit à Paris en i245, l'année même ou, comme nous le
verrons bientôt , Alexandre de Halès rendit le dernier soupir.
Noël-Alexandre, Quétif, Oudin, Fabricius, ont fait ces hisi eccies
rapprochements, dont la conséquence est tellement évidente, t. xx,in-8", p!
2ue nous ne- concevons pas comment on a si long-temps 55i, SSa. Secr.
isputé sur un pareil sujet. Mais les frères mineurs et les 2 „ 'j^' "''"'■
frères prêcheurs se croyaient intéressés à soutenir, les pre- Script, ordin.
miers, qu'un franciscain avait été, les seconds, qu'il n'avait ^'^'^"=- '• ^' P-
pu être le maître de l'ange de l'école; et ils débattaient un 2,8^' ' '''*
point d'honneur plutôt qu'ils ne discutaient une question Comment, de
historique. Il y a bien des difficultés encore par rapport à Script, eccies. p.
Duns Scot, décédé en i3o8 à 63 ans, par conséquent né en ' Bibi. med. et
1245 , selon Fabricius, qui néanmoins le déclare ailleurs dis- inf. lat. 1. 1, p.
ciple du professeur mort en cette année-là même. C'est une 65.— ibid.i. iv,
assez forte inadvertance, à moins qu'on ne dise que Scot,
élève de Jean de La Rochelle, doit passer aussi pour l'être
du docteur dont Jean de La Rochelle avait' reçu les leçons.
Il résulte de ces détails, que de tous les auditeurs d'Alexan-
dre de Halès , le seul bien connu est celui qui lui a succédé
en 1238.
Alexandre, et Jean, et deux autres franciscains , nommés
Richard et Robert de Bastia, composèrent, en ia4a, une
commission chargée de rédiger une déclaration ou expli- w«dd.Ano«i
cation de la règle de saint François. Ce travail, auquel min. 1241,11. a,
Rra p. 608, 609.
3i6 ALEXANDRE DE HALES,
Xm SIKCLE. .,.., r.'i-
Alexandre avait eu la principale part, tut adresse au chapitre
général qui se tenait à Bologne. Innocent IV, qui, élu pape en
Tiiiiiem. n. 1243, avait couçu uue haute idée des leçons du théologien
,',^58.— Schetiei. Je Halès , lui ordonna d'eu former un corps de doctrine à
*l™e Mire 'ad ' "^age des professeurs et des étudiants. L'auteur n'avait plus
Hem. Gami.iv., qu'ù mettre cu ordre les éléments de ce grand ouvrage, qui prit
^G. _ wadd. le nom de Somme, et fut soumis à l'examen de 70 docteurs. Il
scripi. 01. .111.11. qJj^jp^ leur approbation , et Alexandre IV, dont le pontificat
ne commence qu'en 1264, le recommanda ou l'imposa même
à toutes les écoles de la chrétienté. Alexandre de Halès était
mort le ui ou le 27 août 19.45 : DuBoulay dit le xii« jour avant
Hisi.iiiiiv.Pa- les calendes de septembre, et en un autre endroit le vi«, qui
ris, t. m, [1. 202. n'est probablement que la date des funérailles. Thomas de
iiii.i. j). 37/,. Cantimpré nous conte qu'au milieu d'une prédication, Alexan-
dre perdit tout-à-coup la parole, resta une heure entière sans
mouvement et sans voix, reprit ses sens et son visage serein,
dit adieu à ses auditeurs et expira. Il est superflu de dire que
ce récit est indigne de tout examen. L'illustre professeur fut
enterré dans l'église du couvent des cordeliers de Paris, où
Wadd. Annal, il avalt passé les 23 dernières années de sa vie; on lisait sur
min.i2/i5,n.içj- soii tombcau , Rvaut 1790, ces mauvais vers :
2ii , p. G5i-G55.
Clauditur hoc saso , famani sortitiis abundè,
Gloria doctorum, decus et flos pliilosoplioruiu,
Auctor scriptoruni, vir Alcxander, variorum,
Norma modernorum, fonsveri, lux alioruni ;
Inclytus Anglorum fuit arcliilevita, scd horum
Scriptor clerorum , frater coUega minorutn
Factus egenorum , sed doctor priinus eorum.
Si iiuis lionos iiieritis, si qui virtute colantur,
Hune aiiimo pra;fer, liunc venerare patrem.
Nec solde et culpà pigritêre per otia deses,
Nancisci studio quae miner iste refert.
Près de l'entrée du chœur, une plus simple et plus vérita-
ble épitaphe était conçue en ces termes : Hic jacet frater
Alexander de Haies qui ohiit anno Domini MCCXLV, xii
kalendas septembris. Nous ne transcrirons pas soixante vers
Pntdîc't.'iVp. du mètre élégiaque, qu'offi^ait aux regards du public un ta-
277. bleau appendu au mur voisin de la tombe. On les peut lire
Annal, minor. daus Wadding et dans Du Boulay : les fautes de diction et
u45,n. 24, t. de prosodie y fourmillent; le seul distique à remarquer ici
i,P 654,655. jyj • ^jajj- destiné à faire croire que saint Thomas
Hist. Univ. Par. .,,/!,.. i j r • •
i.ui,2oi,202. avait ete le disciple du tranciscam :
THÉOLOGIEN. 3i7
/
\in SIKCLH.
Ouo (lucc prrerHonitus in prwlia tlivus Aquinas,
Quotquot et usque legis fortiùs arma gerunt.
Ces deux mauvais vers et les 58 autres, qui leur ressem-
lilent, n'avaient ete fabriques ou mis en lumière qu'en i6u8, iNaïai. aIcx.
et ne pouvaient assurément être considérés comme un témoi- *.>"e''f, oudm ,
jçnage. Ils n'en ont pas moins été souvent allégués dans la
controverse dont nous avons fait mention.
Le principal fait de la vie d'Alexandre de Halès, et, à sEstcairs.
vrai dire , le seul mémorable , est la composition de ses
ouvrages. Nous les diviserons en 4 classes: i" Commentai-
res sur les livres saints ; 2" Traités généraux de théologie
scholastif|uc ; 3° Ecrits divers sur des matières théologiques
ou philosophiques; 4° Livres ou opuscules historiques.
I Trithème dit tiu il a commenté toute la Bible, vêtus et , i'eScn|.i. k-
„, J .,,.,,,, ^ . (les. 11. .', 58.
jiovuni lestamentuin postiilavit. En répétant cette assertion,
Wadding, DuBoulay, Lelong,J''leury,Fabricius, Gaillard lui '^''' *"pr«-
|. ^V '\, ■>-. 171 1^1 Bibi. satra, 1).
laissent a peu près la même étendue. 11 y a cependant des ç^^^ '
livres saints, par exemple, les Proverbes, la Sagesse, l'Ec-
clésiastique, Esther, Judith, Esdras, les Machabées, sur
lesquels ces auteurs ne citent aucun commentaire particulier
d'Alexandre. Wadding nomme le Pentateuque, Josué, les
Juges, Samuel, les Rois, Job et les quatre Evangiles; et
Lelong fait à peu près la même énumération ; mais nous suppi. p. i5.
n'apprenons ni de l'un ni de l'autre où se trouvent les ma- iC.
nuscrits de tant de gloses du théologien de Halès : Sbaraglia
seul en cite quelques-uns. L'explication des Psaumes qui lui
est attribuée, a été imprimée à Venise en 149^), à Leipzig
en i554,à Venise en 15^5, à Cologne en 1621. La pre-
mière de ces éditions et quelques manuscrits portent le
nom d'Alexandre, et Wadding ne manque pas de s'en au-
toriser pour le déclarer auteur de ce volumineux ouvrage,
qui appartient plus probablement à Hugues de Saint-Chcr, ç,^^. ^ ,„^|„,
ainsi que nous l'exposerons dans la notice qui concernera Prad. 1. 1 , |..
ce dominicain. Un commentaire d'Alexandre de Halès sur 'O'*-»""
l'Ecclésiaste se conservait manusci it chez les franciscains de
Mirepoix, si nous en croyons Wadding; on a parlé aussi de
notes sur Isaie,qui existent, dit-on, manuscrites à Leipzig,
et qui pourraient bien n'être encore que celles de Hugues
de Saint-Cher. C'est l'opinion de Casimir Oudin, qui en même
temps revendique pour Guillaume de Méliton, une inter- .cci'""'"!!! p
prétation inédite des 4 grands et des 12 petits prophètes, i3o.
Xm SIKCLE.
3i8 ALEXANDRE DE HALÈS,
t
Iui serait, selon les frères mineurs, une autre production
e leur coryphée. Elle se rencontre manuscrite à Milan dans
la Bibliothèque Ambrosienne , et à Paris^, dans celle du Roi,
n" 439, fonds de Colbert. L'Ambrosienne possède de plus ,
sous le nom d'Alexandre, quatre livres inédits sur les Evan-
giles, et un commentaire de toutes les Epîtres de saint Paul.
Celui de l'Apocalypse a été imprimé à Paris, en 1647, 'n-folio,
et n'a pas donné une haute idée de la science ni même de
l'imagination du commentateur, quel qu'il puisse être. On
n'indique aucune édition ni aucune copie manuscrite d'une
concorde des deux. Testaments, qui serait à compter au nom-
bre des travaux bibliques d'Alexandre de Halès. Ils se rédui-
sent à bien peu d'articles, si l'on écarte ceux dont l'authenticité
reste suspecte, ou qui appartiennent à d'autres interprètes.
II. Ce qu'il a conservé de réputation s'attache mieux à sa
Somme de théologie, entreprise, comme nous l'avons dit,
par ordre d'un pape, approuvée par 70 experts, et proclamée
classique par un autre souverain pontife. Les 4 parties qui
la composent ont été imprimées, pour la première fois, à
Venise en i475i in-folio; puis à Nuremberg en i48i et 82,
dans ce même format; à Pavie en i489,in-4°; à Venise en
1496, in-fol.; à Râle en i5o2; à Lyon en i5i5 et i5i6, en
1675 et 76, 4 vol. in-4''; à Venise en 1676, 4 vol. in-fol.; à
Cologne en 1622, etc. Il est bien reconnu qu'elle est l'œuvre
d'Alexandre, quoique Guillaumede Méliton passe pour y avoir
Fahric. Bibi. mis la dernière main, en laSa, par ordre d'Innocent IV, et
ineii. rt ini. lat. quoiqu'elle comprenne beaucoup d'articles dont on retrouve
',5','' '"' 'la substance, quelquefois même le texte, soit dans la Somme
de saint Thomas, soit dans le Spéculum momie qui porte
le nom de Vincent de Beauvais. Antérieur de plus de vingt
ans à l'un et à l'autre de c^s écrivains, Alexandre n'a pu rien
emprunter de leurs livres, qui n'étaient ni mis au jour, ni
peut-être même entrepris avant sa mort; et si l'on veut qu'il
y ait là quelque plagiat, ce n'est pas lui qu'on en doit soup-
çonner. Il en sera pleinement disculpé par les observations
que nous aurons à faire sur les ouvrages de ses successeurs.
Avant d'entreprendre l'examen de sa Somme, il est à propos
de la rapprocher de son commentaire sur les 4 livres des
Sentences^, afin de savoir si ce sont deux compositions dis-
tinctes, ou, sous deux titres différents, un seul et même
corps de doctrine théologique.
De script et- Henri de Gand, qui fait mention du commentaire ou des
ries. 11. /l'i. *
THEOLOGIEN. 3 19
I c . 1 • . J 1 c ^I" SIÈCLE
questions sur les bentences , ne parle point de la Somme;
Trithème, au contraire, ne dit rien du commentaire, et tient Trith. n «58.
note de la Somme tliëologique en quatre livres. Le Mire a. Mir.schoi.
nomme l'un et l'autre articles, qui sont aussi distingués par ^''^ "'^"' ' ^'^"
VVadding, par Fabricius et par quelques autres écrivains Stiipi ordm.
plus modernes. Du Boulay, Morhoff, Ikucker, Crévier, font min |). 9.
observer qu'avant Alexandre de Halès, personne encore n'a- /*',''' "";'• '"'
vait commente rierre Lombard. Lest un tait généralement g:,.
reconnu qu'il a donné le premier exemple de ce genre d'en- Oaiiiaiii,Hist.
seignement scholastique. Mais n'est-ce pas dans les quatre 33 J^bjo'J,^ ^
livres mêmes de la Somme que les quatre livres des Sentences imiv.t.i,|.%yK
sont expliqués.** C'est l'opinion de Noél Alexandre, d'Oudin, "'»> ^"'^- 1-
de Brucker et du petit nombre de ceux qui ont examine "V,*^!^'^
■ , • TT c -11 l'olyiiislor. I.
cette question avec quelque soin un moyen tort simple de n, i, 14, ,.
la résoudre, était de comparer entre elles les copies manu- "ist- ph''- '
scrites ou imprimées qui portent l'un et l'autre titre. Nous "!; •*,'?.?;
avons indique plusieurs éditions de la Somme : le titre de t i, j,. 389.
Commentaire est attaché à des manuscrits d'Oxford , n" 24 1 , Dissen.ansui.
de Cambridge, n° 116, de Césène, de Saint- Victor à Paris, ^'^ "''", '*'
j. <"i"i-.- ur ' ' T ;: t ^ r /" / Thomas sHulue-
et, dit-on, a 1 édition publiée a Lyon en iDib et i5io, en 4 iii?p. 89.
tomes in-4°- Mais cette édition n'est que lune de celles de la Comment, de
Somme elle-même, que nous avons déjà citées. La Biblio- Sr"pt. <^cies 1.
, < 1 o • /-. ^ • 1 n ' ' I • III, p. l3l,l32.
theque de Saint-Uermain-des-Pres en possédait un exem-
plaire, qu'Oudin a comparé et trouvé parfaitement conforme
aux éditions de Nuremberg , où la Somme seule est annoncée
et contenue. C'est même sous ce nom de Somme , Sumniœ
theologicœ, que Panzer indique lédition de i5i5 et i5i6. Annal lypog.
Noël Alexandre assure que les manuscrits de Cambridge et «vu, p. 309(1.
d'Oxford ne renferment non plus que la Somme; et celui de "'
Saint- Victor l'identifiait expressément avec l'explication des
Sentences, par les intitulés : Primus liber Sententiarum, sive
Summae theologicœ doniini Alexandri de Hidis; . . . . Tertiiis
liber Sententiarum , seu Summae theologica-, queni compostât
rnagister Alcxander deHalis, etc. L'examen de six manuscrits
de la Bibliothèque du Roi conduit au même résultat. Caïai.desinss.
Nous n'avons donc à considérer ici qu'un seul ouvrage, «leiaRiijiioih.du
divisé en 4 parties. La première, après des observations f^'"'' i"-"'"
' ' \ 11-1' • 1 1 !.. ■ la(ins, 11. 365, n.
gênera li'.s sur la théologie, traite des attributs divins et de 3o33-3o38.
la Sainte-Trinité. Elle offre un développement de la doctrine
de Pierre Lombard, relativement à la génération du Verbe,
h la proce.ssion du Saint-Esprit, à la prescience, la puissance
et la volonté de Dieu. Le second livre commence par des
Xtll SIKCLE.
3t40 ALEXANDRE DE HALÈS,
notions générales sur les causes et les effets. Il s'agit ensuite
de la création, de l'œuvre des six jours, des diverses classes
de créatures, angéliques, spirituelles, corporelles. L'auteur
s'arrête à la question de savoir s'il y a un ciel empyrée, et,
sans avoir recours aux autorités ou aux traditions, il soutient
l'affirmative par des raisonnements d'école. Les questions
suivantes concernent la nature de l'ame raisonnable , le pre-
mier état et la chute d'Adam, le mal physique et moral, le
péché, les moyens d'assurer et d'étendre l'empire des vertus
religieuses. Alexandre ne veut pas qu'on laisse les chrétiens
sous la domination des infidèles, ni qu'on tolère les héréti-
ques déclarés ; il est d'avis qu'on les dépouille de leurs biens ;
il délie de tout serment de fidélité les sujets d'un prince in-
docile aux lois de l'Eglise; et si on lui oppose l'autorité de
saint Ambroise, il répond par celle de Grégoire VIL
réincarnation est le principal sujet de latroisiemepartie.il
y est dit que la sainte Vierge a été sanctifiée avant sa nais-
sance, mais non au moment de sa conception ni auparavant.
En traitant de la loi mosaïque, de la loi évangélique, de la
foi, de la grâce, l'auteur enseigne avec Hugues de Saint-
Victor, que la puissance spirituelle qui bénit et sacre les rois,
serait par cela même supérieure à tous les pouvoirs tempo-
rels, si elle ne l'était pas évidemment par la dignité de sa
nature et par son antériorité. Elle a le droit de les instituer
et de les juger, tandis que le pape n'a que Dieu pour juge.
Ces assertions étranges sont remarquées par Fleury qui , à
XX p 3/3- Icg^fd du 4 et dernier livre, s exprime en ces termes :
l'in.' « Alexandre de Halès traite des sacrements, et, en parlant
« de l'eucharistie, il dit que presque partout les laies com-
« munient sous la seule espèce du pain. Parlant des indui-
te gences, à l'occasion de la pénitence, il dit que le pape peut
« remettre toute la peine; mais qu'il ne le doit faire que pour
« grande cause, comme pour la croisade de la Terre-Sainte.
« Sur le jeune, il préfère celui des Latins qui ne faisaient
'( qu'un seul repas, au jeûne des Grecs qui en faisaient plu-
« sieurs petits: il en marque l'heure à nones; mais il pré-
« tend que l'heure n'est pas de précepte. A l'occasion de
<( l'aumône, il traite la question de la mendicité volontaire
" des nouveaux religieux, par les mêmes raisons qui furent
<( employées depuis; ce qui montre que dès long-temps on
cf agitait celte question; on s'échauffa encore plus après sa
« mort. Et comme on disputait aux religieux mendiants la
THEOLOGIEN. 821
XllI SIECLE
« fyculté de prêcher et d'ouïr les confessions, même par
« concession du pape, il insiste particulièrement sur son au-
« torité, et soutient qu'elle est pleine, absolue et supérieure
« à toutes les lois et les coutumes, enfin que le pouvoir des
« prélats ititérieurs est émané du pape, comme du chef qui
« influe sur les membres, non seulement suivant l'ordre de
« la hiéiarcliie, mais selon qu'il juj^e à [)ropos pour l'utilité
« de rili^lise : sur quoi l'auteur allègue plusieurs chapitres
« de Gratien, la plupart tirés des fausses décrétales. »
III. Les biographes et bibliographes ont cité environ aS
traités particuliers ou opuscules d'Alexandre de Halès sur des
sujets de théologie ou de philosophie. Mais il fiaut d'abord
retrancher de cette liste les 4 articles intitulés : Lecturœ Sen-
tentiarum, llepctitiones lectionuin , Sunimula rcsolutionum,
Compeiidiuvi sacrœ theologiœ. Les deux premiers de ces
titres ne désignent probablement qu'un même recueil d'ex-
traits , et les deux derniers qu'un même abrégé des leçons ou
de la Somme d'Alexandre ; on n'a rien imprimé d'aucun des
quatre, du moins sous le nom d'Alexandre. VVadding, qui
possédait un exemplaire manuscrit du Conipcndiuni, dit qu'il ^<'"P< <»•''"
était divisé en 7 livres, Fabricius l'attribue à Prosperd'Urbin, uibi. meii. ci
frère mineur du xvi*^ siècle : selon Sbaraglia , ce serait le Com- in' 'ai 1. 1, \>
pendiiini patiperis , composé de i3i 1 à liiy par le franciscain ^^|a^,''''vi,| ,
Jean Rigauld, et publié par François Willer, en i'Joi,àBâIe, ,,i,.ni. jiag. 45:.,
in-4°. La Sunimula resolutionuin , imprimée à Urbin, in-4", 456
en i6o3,paiaît appartenir à Prosper On peuttenir pour nuls '^"' '' ^'*^
ou pour de simples extraits delà Soujme, les deux articles que
Waddmg intitule : Quesdo de theologià , Questio de charac-
tere, à l'égard desquels il ne donne aucune sorte d'éclaircis-
sement. Il ne nous instruit pas mieux de ce que pouvait être
un traité De myste)us ecclesiœ , dont il ne fait qu'une citation
vague. Peut-être mérite-t-il encore moins de confiance, lors-
qu'il parle d'un livre oii le théologien de Halès prouvait
1 immaculée conception de Marie; car l'existence, ou du
moins l'authenticité d'un tel livre, serait difficile à concilier
avec une opinion que nous venons de remarquer dans la 3*
partie de la Somme. Nos doutes s'étendraient même au Ma-
riale magnum , en six livres inédits, quoique Du Boulay en HiM.Uuiv.i'»
fasse mention, et que Sbaraglia en cite des copies manuscrites, iist. iii,p «74
Nous n'avons pas plus de renseignements sur les trois écrits ''"PP H ':^
que VVadding nomme De Sacramento pœnitentiœ, Interroga-
tonum pro animabus regendis , et De Negligentia , ni sur des
Tome XVllL S s
322 AT.EX ANDRE DE HAEES,
XIII SIÈCLE. , J 7 AI
sermons adresses au peuple , .^ermones an populnm: Alexan-
dre de Hal'S II étant compté nulle part au nombredes orateurs
sacrés de son temps, il serait permis de croire qu'il ne faisait
pas d'autres prédications que ses leçons pul)liques.
Aux treize articles qui viennent d'être écartés, comme in-
certains ou trop pi'u connus, nous croyons devoir en joindre
six dont on a cité des copies portant le nom d'Alcxaiidie de
Halès, mais qui |)araissent appartenir à d'autres écrivains.
Scripi. oiilin Waddinfij attachait une haute importance à une Somme des
minor. p. g. — vertus, Suuinia virtiiturn ou de virtiitibus , qui, selon lui, se
Anna i>',j,n. ^j,jjyy.,j(. maiiuscrite dans une bihiiothèque de Toulouse, et
avait été imprimée à Paris en l'jofj, in-folio. Waddiii^ ajou-
tait que ce grand ouvrage était au xiii*^ siècle, sinon connu
ilu commun des lecteurs, du moins assez apprécié par les
théologiens les plus habiles, pour être mis à contribution
par Vincent de Beauvais dans son Spéculum morale, par
saint Thomas dans sa Seconde Seconde. Intéressés à réfuter
Sciipt. or,iin. ce système, les dominicaiiis ont d'abord nié l'existence du
l'r.T.iK. I. I, p. manuscrit de Toulouse, (|ui en e((et ne .s'est retrouvé nulle
'.is-iio. part; on l'a vainement cherché dans la Bibliothèque de Col-
bert , où néanmoins a passé tout entière la collection tou-
lousaine dont il aurait fait partie. L'édition de 1609 n'est
pas moit)S chiméricjue; elle n'apparaît dans aucun dépôt,
dans aucun catalogue; et nous pouvons remarquer de plus
que Panzer s'est bien gardé de l'admettre dans ses Annales
typographiques. Il n'y a donc point de Summa virtutum par
Alexandre de Halès; ou si réellement il se rencontre des ma-
nuscrits ainsi intitulés, ils ne peuvent consister qu'en extraits
soit de sa Somme théologique , soit de celle de saint Thomas
d'Aquin II serait encore possible que ce livre ne fût, sous
un autre titre, que le Destnictorium vitiorum , attribué pa-
Sciipt Angi. reillement par Jean Pits au théologien qui nous occupe , mais
Apptnd. qyg |(.g franciscains eux-mêmes ont renoncé à revendiquer
Wadd. Script, pour lui. On en connaît plus de dix éditions, sans compter
or.i. min. p. 9. celle dc Nuremberg en 1476, qui serait la première, si elle
Siara.p i|), ,yjij,,jj. imaginaire. Les autres sont de Cologne en i48o et
i4^5; de Nuremberg en 1491 et i4d^; <Je Paris en i4.97i
I 5 10, i5i5 , 1617, i52i , toutes in-folio; de Lyon , in-4", en
i5ii , etc. La souscription de celles de i485, i49(ii i497i<-'tc.,
porte que l'auteur est un Anglais nommé Alexandre, fils
d'un charpentier, à quodam Alexandre nationis Angliœ ,
et cujusdain Fabri lignarii filio. La dernière de ces qualifi-
20.
THEOLOGIRN. 323
,. , , , , .,, . . Xni SIECLE.
cations a paru inapplicable a un docteur illustre qui avait
commencé par être arcliidiacre; mais Oudin ne pense pas Coimneni. de
que cette ohsprvation soit cIcm isive : il dit tiue les franciscains n,"'"' ''^j'^'"" '•
« . , 11(1111 '"' P- '^°-
ne trouvaient de novices que dans les lamilles les j)lus pau-
vres ou les plus obscures; et clierchaiit île plus surs docu-
nieiits, il lait remarquer dans les souscriptions les mots
Conijnlaùo . . . . aiiiio 1429 collecta , et, dans l'ouvrage, des
citations d'auteurs de la fin du xiii*" siècle, comme Jean Balbi
(le Gènes, ou du xiv^, comme Robert Holkot II en conclut
avec toute raison que le Destiuctorium vitioriim n'a pu être
eouiposé |)ar un théologien mort en ia/i!^- Davitl (élément, cpii liii'i'oii^ cm
adopte cette opinion, ajoute que ce livre est e<rit avec nne 'i' '-'
liberté qui la rendu tort rare, malgic le grand nombre des
éditions, et qu'Alexandre de Haies n'aurait probablement
pas prise. (,es prélats y sont traité.-> d'ouvriers iniques qui
trahissent Jésus-Christ: Seductores , Jures, mundani, rapto-
res , oj>pressores , voluptatwn ainatoies , carnalcs hypocritcv ,
tyranni maledicli, exsccvnhiles anticht isti. Ainsi, à l'exception
de Jean Pits, et de Poffsevin qui trouve la question douteuse, Appar. .s^u
11-11 I ^ ' 'I' I .. 1" „ l T» • Ain. .\iir1 .Alex
les bibliographes sont a peu près d accord sur 1 impossu)ilite jj^,
d'imputer celte |)roduction au plus ancien commentateur de
Pierre Lombard. La plupart d'entre eux estiment, et Wad-
diiigne les contredit pas non j)Ius trop expressément sur ce
i)oiiit, qu'une explication de la metiphysique d'Aristote par VeiieiiisiS;^,
' I ,' '1*1 1 .II- ^ ' in-lol.
un scholaslique ap|)ele Alexandre, est de celui qui, surnomme
d'Alexandrie ou de Lombardie, était général des frères mi-
neurs en i3i3, et qui a laissé des commentaires sur plusieurs
livres sacrés ; il a pu être confondu {juelqiiefois avec Alexan-
dre de Halès,- par ceux qui ont rédigé les listes des écrits de
l'un et de l'autre. Poiyhisior. t.
Morhof veut que le plus célèbre des deux ait fait un traité "'.''J' J/' ''
De y1 uctoritate verbi Ùei , imprimé à l'aris en i542, in-8°;et Annal l'ypog
Panzerlui donne uneépître contre un décret desévêques d'E- 1. xi, p «2
cosse, et une réponse à Jean Cochlée, publiées en 1 533 et i534.
Il y a là une inadvertance un peu forte; car Jean Cochlée est
uncontroversiste du xvi^ siècle, né en 1479, "^^'"'^ ^^ i552. Ces
trois écrits sont d'Alexandre de A les, Alexander Alesius, né à
Edimbourg en i5oo. théologien delà confession d'Augsbourg,
décédé en 1 565; celui qui a un article dans le Dictionnaire de , ^''*' v^'^'^r J'
r> 1 I 1 • ' • T rnl I- ^ 1 <• *' P- lJt)-lj8,
Bayle, et dont la Vie, écrite par Jacques 1 nomasius, se lit a latin édit. .le 1740.
du tome VII des Obsetvationes hallenses. il a commenté les oiisirv.;elect.
Psaumes, les Évangiles et les Épîtres de saint Paul. Un autre t'I /'''", '"",,*■
' D r VII, p. /(ig-444-
S S a
324 ALEXANDRE DE HALÈS,
XIII SIF.CLE.
Alexandre d'Alessio , domitiicain , mort en iG53, a laissé des
mf.
lat.
t. I,
p-
65.
Com
ment.
lie
Sori
pt.
eciles
t.
III,
. P
l33.
Bibi. sacra, p. Hotes SUT la Genèsc. On a besoin de quelque alU-ntioii , pour
6oi , 602. bien distinj^uer leurs écrits de ceux du docteur du xiii*^ siècle :
inf lài 7^1 p! ^-'*^ Lonp;, Fabricius, Brucker, ont averti de ne pas les con-
(io,f)i , 6/, , G5. fondre. Eabricius a indiqué, parmi les éciits du luthérien
Hist.piiiios. t. d'Edimbourg : De f^erbi aiictoritate , Epistola ndvcrsus dccre-
' P" "'' tiini episcoporuni Scotiœ, Responsio ad Cochlœi ca/u/iinias^ ce
qui devait préserver Panzer des erreurs où il est tombé.
Voilà donc if) articles que nous ne croyons pas devoir
comprendre dans la liste des traités ou opuscules divers
d'Alexandre de llalès. Il n'en reste que six ou sept qui n'ont
Sci. I oniin p^s une très-grandevaleur,etdesquelsencore nous n'oserions
min.p 9. guère alïirmer l'authenticité. VVaddingen cite deux intitulés:
De verbis exoticis ^ et Dictionariitni difjîcilium vocabulorum,
et paraît en taire deux livres distincts; car il transcrit les
premiers mots de l'un et de l'autre : In cxordio hujus Ubelli
Bibi me.i et istn siuit , et cc qui est moins intelligible, Cespitai in Pha-
laris Apptis. Eabricius ne tait mention que du traité De
verbis exoticis ^ qu'il dit être inédit ; Oudin ne cite que Y Exo-
ticon, manuscrit rangé, dans une bibliothèque de Cambridge,
parmi les livres de mathématiques et de chimie. On voit
3u'il nous est impossible d'avoir une idée précise de ces pro-
uctions; mais leur existence semble assez attestée pour (ju'il
ne nous soit pas permis de les omettre. Il y aurait lieu aussi
de tenir compte de trois livres de Questions sur l'ame, s'il
était vrai qu'il en existât, comme Wadding l'assure, une copie
manuscrite au collège de Saint-Pierre à Cambridge , et si ! on
y reconnaissait un ouvrage aussi distinct que les bibliogra-
phes le supposent, du commentaire sur la jnétaphysique
d'Aristote, par Alexandre d'Alexandrie. Mais l'identité de
ces deux articles nous paraît tort présumable; car Eabricius
Panz. Ann.iyp. tl't 1"e les trois Uvrcs sur l'ame ont été imprimés à Oxford,
I. H, p. 2/i4 en 1481, in-folio : or cette édition, décrite par Panzer, d'après
Maiit. Annal. Maittaire et Wood, ne nous offre que le commentaire des
7^77.— Append. doctrines du philosophe grec : y/lexandri de yilexandrid in
p. 564. très libros j-1 ristotelis de /lnim,d. Deux marmsçrits de la Bi-
Woo.i,Antif|. bliothèque Bodiéienne, avant pour titres: De Symbolo sanc-
0\an. p 227 i\ r' . . •' r . ^, ,
toiujn Eatriim, Lxpo.sitio preceplorum legis, ontete annonces
Gomineni de couime dcs iivrcs d'Alexandre de Halès; nous n'en pouvons
.Scripi. eccies. i. ricu dire, sinon qu'Oudin est le seul qui les cite, qu'il ne les
ni,p. n3. fait pas autrement connaître; que Wadding lui-même les
Waadmg."!!.!^. avait ignorés, que Sbaraglia ne les cite que d'après Oudin,
THEOLOGIEN. SaS
, , ,,,.., XIU SIÈCLE.
et qn aujourd nui tout jugement a porter pour ou contre leur
authenticité serait également téméraire.
Henri de Gand fait une mention expresse du Traité de la DeSciipt. »«•-
concorde du droit divin et du droit humain , composé par cics. n. 46.
notre docteur. Il avoue, à la vérité, qu'il ne saurait donner
une idée de ce que ce traité contient, et qu'il n'en parle
que sur oui-dire. Ignoscat lector si. . . . hujus opusculi. . . .
non propriè exprinio continentiam : quia non ex propriœ
leclionis experientid , sed aitditu tantîiin hic loquor. Tri-
thème ne dit rien du tout de ce livre, et aucun manuscrit
n'en a été retrouvé; mais l'ancienneté de Henri de Gand, écri-
vain du xiii^ siècle, donne assez d'autorité à cette indication,
pour que l'opuscule inconnu dont il s'agit nous paraisse un
de ceux auxquels il serait le plus permis d'attacher le nom
d'Alexandre de Halès. Cependant on est bien plus certain
que ce franciscain célèbre a rédigé, avec trois de ses confrères,
en 1242, une^léclaration de leur règle monastique. Nous
avons déjà parlé de ce travail qui fut envoyé au général de ci-dessus, p.
l'ordre et aux définiteurs assemblés en chapitre. Les rédac- 3iîet3i6.
teurs soumettaient à l'examen et à la sagesse de leurs chefs
une interprétation entreprise par obéissance aux décisions
qui l'avaient exigée. Judicio examinationis et discrcdonis
vestrœ referiinus ea quœ , domino docente, circà intellectum
regulœ, juxtà paupertatis nostrœ modiilum , percepimus, se-
cundiini injwictam nohis obedientiani in provinciali capitula^
juxtà hoc quod in prœcedenti capitula diffinitorum fuerat
ordinatum. Ils ne prétendaient pas faire une glose ou expo- Warfd.Annai.
sition nouvelle, comme ils en étaient accusés par des censeurs '"''°- la^a. «. a,
plus zélés que charitables, mais rechercher dans la lettre ^/' **■ f,?^ ~
même de la régie de .saint rrançois, les véritables disposi- des.i.xvu, in-
tions qu'il avait entendu prescrire. Novam autem expositio- •>! p- 34».
nem vel glosaturam circà régulant, non astruiinus , sicut à
quihusdani intentionis purœ damnatoribus et zelum suum ...
pervertentihus prœdicatur ; imo simpliciter et pure intellectum
ipsius tegulœ . . . nonexnostro sensu, sed ex ipsd litterd, utpo-
tuimus, extrahentes, , . . judicio vestro dirigimus judicandum.
Les autres opuscules théologiques annoncés en certains
catalogues, sous le nom d'Alexandre de Halès, doivent être
considérés comme des extraits de sa Somme ou de ses com- caïai.desmss.
mentaires siir la Bible. ViOpitsculum de peccatùs ^ manuscrit àe la Bibi. du
de la Bibliothèque du Roi , est tiré du l^"" livre déjà Somme; ?^°.'' '• "^' "*"•
et c'est au commentaire sur le i" chapitre de l'Évangile de iVio. ** "
2 t,
3a6 ALEXANDRE DE HALÈS,
XlII SII^jCLK. . «■ , , ■■If *i*'i'i i-Tk'it-
. saint Luc , qu appartiendrait i article intitule, dans la Biblio-
Catai.Bibiiot. thèque de la Minerve à Rome : Glossa super Missus est, et Ma-
casanat. 1. 1, p. g^ijif^^t. Ce fragmenta été inséré par le franciscain espagnol
Bibiioth. Tir- Pedro de Alva y Astorga dans le recueil où il a rassemblé tous
ginaiis. Mairiii , les écrits relatifs à la virginité et à la sainteté de Marie. Nous
I 148, a vo. in- remarquerons ici que cette collection volumineuse ne con-
fol. t. I, p. l66. . T 1 » I ^ ; 1 ' < » I 1 .
tient rien du Mariaie magnum attribue a Alexandre: cest
un argument de plus contre la réalité de celte composition;
car Pierre de Alva n'eût certainement pas manqué de la con-
naître et d'en faire usage.
IV. Nous n'avons plus à considérer (pi'une 4* classe d'ou-
Catal.Tesiium vragcs, ceux qu' Alexaiulie de Halès aurait composés dans le
veriiatis,|>. ii3. geufc histori(iue. Eysengrein et Vossius en indiquent trois:
II ^c" " 8*' '*'* '' '^^ ^'***^ ^^ Mahomet, la vie de Thomas de Caiitorijéry , la
vie de Richard, roi d'Angleterre. Les deux derniers n'ont
jamais été publiés, et s'il en existe des manuscrits, il n'est dit
nulle part en quel lieu ils se conservent. Né jllusienrs années
après la mort de Thomas Becket, Alexandre n'aurait écrit la
vie de ce prélat que pour avoir une occasion de subordonner
la puissance temporelle à la spirituelle, ainsi qu'il l'a fait dans
sa Somme. Mais cette doctrine lui semblait si bien établie par
les arguments des écoles, qu'on peut douter qu'il ait daigné
employer l'histoire à la soutenir. Il était bien jeune quand Ri-
chard V^ mourut en 1 199, et l'on ne voit pas d'ailleurs qu'il
se soit assez occupé des affaires politiques et militaires de
son temps, pour se mettre en devoir de les raconter. Quant
au livre de Factis Machometi ou Muhammedi, ou plutôt
de Origine, progressa et fine Mahumetis et quadruplici re-
probatione prophetiœ ejus, il a été imprimé in-8°à Strasbourg
Oudin,deScr. en 1 55o, à Cologne en iô5i; mais il a pour auteur Jean de
eccies. t. m, p. Guales ou de Wales, franciscain anglais du xiii* ou du xiv«
Fabric' Bibi-^ sièclc , dont uous pourrous parler un jour, parce qu'il a été
med. et inf. lat. professcur de théologie à Paris.
t. III, p. iio. I( résulte de tous les détails où nous venons d'entrer, que
la Somme théologique d'Alexandre de Halès est à peu près
son seul ouvrage bien authentique et bien connu. Mais il a
suffi pour lui acquérir dans son siècle une renommée littéraire,
N" 46 qui s'est prolongée durant les quatre suivants. Henri de Gand
le déclare très-habile en littérature profane et sacrée, lihe-
ralium litterarum et sacrœ scripturœ peritissimus. Ses contem-
porains l'appelaient fontaine de vie, docteur des docteurs,
quelquefois docteur séraphique, plus souvent le docteur
THÉOLOGIEN. 827
irréfragable , celui qu'il n'y a pas moyen de contredire. Ce . L.
titre d'irréfragable qui, suivant Baiîlet, ne conviendrait
qu'à un évangeliste ou à saint Paul, a continué de désigner jugements dn
Alexandre de Halès et de le distinguer des autres docteurs *"■ • ï» '"-4°,
de cet âge, surnommes le très-fondé, l'angélique, le sera- p- "*'•
phique, le très-subtil, l'admirable, etc. Trithème répète les jcandeLaRo-
éloges donnes à la sagacité de son esprit, à la profondeur de cheiie, Thoma»
sa science, à l'éloquence de ses discours, à la sainteté de ses «•'Aquin, Bona-
■ I 1 7 . ,. / . , ' J-»- \enlure, Duns-
mœurs ; il ne le trouve intérieur a personne en érudition »;,„„ ^^^^^
théologique et en |)liilosopliie séculière. Virindivinis scrip- Bacon.
turis eriiditissiinus et in secula ri philo sophia nullisuo tempore DeScr.eccles.
secundus , ingenio suhtilis et clarus eloquio. . . Ordinem paii-
perum ( hristi intravit quem sua eruditione el sanctitate mira-
biliterilliistrai-it. Du Boulay transcrit ce jugement deTrithème Hisi.Univ.Pa-
et celui de J. Baie qui n'en diffère presque pas: Ingenio et elo- "s, t. m, p. 673,
quio peracntiis.à niultisjactitabatur in anstotelicis disciplinis ''^^^^ jn ^^
«m/Zj rcr/c/e. Waddinget Sbaraglia ne pouvaient manquer de Brit.cent3.
placer Alexandre au premier rang des docteurs de l'ordre de
Saint- F rat) coi s : Propter solidissima in ornni génère doctrinœ 3^^ ^^ ^^^
fandainenta ^ et invincibileni in suis sententiis veritateni. . . p. 8. Suppl. p.
merito qnideni inter prœcipuos nostri ordinis doctores nume- '3-2o.
rari solet; nani et omnes tempore prœcucurrit et sapicntiâ
supernvit. Kleiiry, qui reconnaît en lui une des grandes lu- Hist. ecdes. l.
mières de l'ordre cfes frères mineurs, et, dans sa Somme lxxxh.u. i5.
théologique, le plus grand ouvrage qui eût paru sur cette
matière, lui reproche cependant d'avoir traité des questions
plus curieuses qu'utiles, et signale, comme nous l'avons
vu, les dangereuses opinions qu'il professe contre la supré-
matie et l'indépendance des pouvoirs civils. En rendant
hommage à la force de son. génie métaphysique, Mosheim le Hist. ecdes. l:
compte au nombre des scholastiques qui employaient les ""„' j('^" "','"
subtilités de la dialectique et de l'ontologie à expliquer les 4.'
livres saints. Selon Deslandes, son ouvrage offre beaucoup Hist.deia phi-
plus de ces vaines subtilités que de vraie science, et la mé- 3°*^ 3,3 ' •*■
thode scholastique du moyen âge en rend la lecture insuppor-
table aujourd'hui. Andrès en critique non moins sévèrement Sioria d'ogni
le fond et les formes, la roétaphysi(|ue argutieuse et le style 'eiierat.«.vi,p.
syllogistique : il condamne cette application continuelle de la ''
philosophie naturelle aux dogmes révélés; il pense que cet
amalgame a dii nuire également à l'une et à l'autre étude.
Il s'en faut donc que les doctrines d'Alexandre de Halès
aient conservé jusqu'à nos jours l'autorité dont elles jouis-
328 BERNARD DE SULLY,
Jz - saient encore au xv* siècle, quand Louis XI la proclamait
irréfrHgable , dans une ordonnance du i^^mars «473 ( i474
Rec. des or- avant Pâques. (Le nom de ce théologien y était associé à ceux
'*°""; ' J^^"' d'Averroès,desaint Thomas, de saint Bonaventnre,de Gilles
L'ancien. lois' de Romc et deScot; ses écrits et les leurs devaient présider
franc, t. X, p. à l'enseignement des écoles. Les progrès des saines études
604-672— Cré- npjjj.,r,t les trois derniers siècles ont moins alfaibli la re-
vier, Hisl. del U- r , , , ^ • .. l' i i |-
»i».i.iv,p.363. nommée de ces docteurs que restreint I usage de leurs livres :
la Somme d'Alexandre de Halès demeure un des grands faits
de l'histoire littéraire de son temps. D.
BERNARD DE SULLY,
ÉVÈQUE D'AUXERRE.
110B.T Ie6 jao
y ier n 4 5 .
Dernard appartenait à la famille des Sully en Gatinais,
Gaii. clir. t. ou à Celle des Sully en Nivernais, car on ne trouve rien
lH,p. 3o4. pour déterminer plutôt l'une que l'autre, si ce n'est le
titre de chanoine d'Auxerre, lequel indiquerait la province
qui comprenait cette ville. Ce motif n'a pas paru suCHsant
aux auteurs du Gallia, pour se prononcer plus positive-
ment. Bernard, lorsqu'il était chanoine, fit le voyage de
Jérusalem, et durant son séjour dans la Terre-Sainte, les
vertueuses qualités que l'on découvrit en lui le tirent élire
évêque de Nazareth ;noni)eurqu'd refusa. Revenu à Auxerre,
il en fut fait archidiacre, et, dans cette fonction, il in-
struisit, édifia et secourut de sa fortune le peuple de cette
ville. A la mort de son évêque, Henri de Villeneuve,
Bernard fut élu d'une voix unanime par les Auxerrois pour
lui succéder, au commencement de i234- Après son élection,
une lettre lui fut adressée par le comte deNevers, qui se sou-
mettait à lui payer un droit de vasselage. En 1235, Bernard
souscrivit un acte relatif à l'acquisition d'un nouveau bien,
dont il enrichit son évèché. En laSp, il fit une convention
avec le chantre et le chapitre de Gien sur la collation des
Îilaces de vicaires de l'église de Saint-Etienne. Un autre acte
ait connaître l'arrivée des frères prêcheurs à Auxerre, les
biens qui leur furent dotmés pour leur établissement, et les
noms des donateurs. Cet acte est de l'an i24i. Enfin, en I243,
cet évêque demanda, par une lettre à Innocent IV, la cano-
ÉVÊQUE D'AUXERRE. 829
XIII SIECLE.
nisalion d'Edmond, archevêque de Cantorbéry, dont les
restes étaient à Pontigny dans le diocèse d'Auxerre. Les
quatre premières pièces ici mentionnées ont été conservées
dans le Gall'ia christiana^ et la cinquième dans le recueil
des Anecdotes de Martène. Cet évêque fit des embellisse-
ments à son église, et fonda une rétribution manuelle pour
ceux qui assisteraient à l'olBce de la nuit, appelé alors les
nocturnes de matines.
Après neuf ans de prélature, accablé par les infirmités de Gaii.chr.ibid.
la vieillesse, et par une maladie qui le rendait incapable de
faire usage de ses jambes, il résigna sa dignité vers la fin de
i2/î4iCtse retira dans le château de Pulchro-Reditu , où il
mourut le 6 janvier \-?.l\S. Il fut inhumé dans le chœur de
la cathédrale d'Auxerre, où son tombeau portait l'épitaphe
suivante :
Praesul Bernardus niala semper ad omnia tardus.
Sic vivens domuit cum carne et daemone munduni,
Quod moriens iiieruil Christo se reddere mundum.
Anno niilleno bis centeno quadrageno
Quarto, sanctorum tnigravit luce Magorum.
Les auteurs du Gallia font remarquer que la pierre qui
couvrait le tombeau de Bernard ayant été enlevée, pour
servir de table du maître-autel, on abaissa le tombeau, et on
le couvrit d'une autre pierre qui fut placée de niveau avec
le reste du pavé, mais qu'il fut statué par le chapitre que,
par révérence pour ce prélat, personne ne marcherait sur
cette pierre. P. R.
RADULFE DE TOROTE,
ÉVÊQUE DE VERDUN.
■OBT le ai
avril ia4S.
r\ ADULPHEOuRAOULcut plusieurs frères; entreautresun appelé
Robert, évêque de Langres, et Jean, châtelain de Noyon, qui
fut gouverneur de Champagne. Ils étaientfilsde Jean, sirede AnsTimê*!.
Toroteet d'Odète de Dampierre,et ils portaient comme leur gcn; de France,
Tome XV IH. Tt '".p'*»
Gall. christ, t.
aïo.
Hist.
2 i, *
33o RADULFE,
XUI SIECLE.
père le nom du château deTorote dont ils étaient possesseurs.
Roussel, Hisi. Ce nom seigneurial s est écrit postérieurement à l'époque qui
eccies. et ciï de JJQ^g occupc Tourotc, et c'cst cc dernier nom que porte
actuellement un village de Picardie; mais nous avons con-
servé l'ancien nom , à l'exemple des historiens précédents.
Radulfe était chanoine et chantre de l'église de Laon ,
lorsque Jean d'Apremont, son parent, qui fut appelé à l'évè-
ché de Metz, le choisit pour son successeur dans celui de
Verdun en i224- La démission qu'il fit en sa faveur fut agréée
par une partie des chanoines; les autres élurent Henri , pré-
vôt de Montfaucon et archidiacre d'Argonne. Cette division
des suffrages causa des débats et des procès, auxquels mit
fin le pape Honorius 111, en se prononçant pour Radulphe,
qui alors vint avec ses troupes reprendre la ville sur celles
de son compétiteur. Dès qu'il fut paisible possesseur de
cet évèché, il le gouverna avec beaucoup de douceur, dit
l'historien de Verdun. Cependant les habitants de la ville,
excités par les premières familles, se révoltèrent contre les
officiers établis par l'évèque et contre lui-même, dès Tannée
1227. Radulfe alors se retira dans le château de Charny,
voisin de la ville, d'où appelant à son secours ses alliés et ses
parents, il tint la ville assiégée pendant quinze jours, et la
força par la famine à faire sa soumission. Mais bientôt après
les chefs de la révolte étant sortis de Verdun, se rendirent à
Aix-la-Chapelle auprès de Henri, roi des Romains, et ob-
tinrent de lui un privilège qui les soustrayait à l'autorité de
leur évèque. Radulfe en ayant eu connaissance, partit aussi
pour aller représenter à ce prince que le privilège qu'il avait ac-
cordé aux habitants deVerdun était contraire aux droitsde son
église établis par les empereurs; alors Henri rendit à l'évèque
son entière juridiction. Après quelque temps de calme, les
bourgeois se révoltèrent de nouveau , et Henri envoya Théo-
doric de Wéda, archevêque de Trêves, pour les ramener à la
soumission par tous les moyens qui seraient en sa puissance.
]Mais Radulfe ne voulant pas devoir la cessation de ces désor-
dres à des moyens violents, et sacrifiant ses droits seigneu-
riaux à l'amour de la paix, céda aux habitants de sa ville
les droits qu'il avait sur eux comme comte, moyennant la
somme de deux mille livres, qui furent payées par les trois
principales familles dans lesquelles seules le peuple pouvait
choisir ses magistrats. La chronique d'Albéric nomme ce
Aibeiicadan. prélat parmi ceux qui se rendirent à Montaimé, près de
1139.
ÉVÊQUE DE VERDUN. 33 1
XIU SIEQ^E.
Vertus en Ch:impagne, en 1239, lorsqu'on y examina et
condamna au supplice les hérétiques appelés Bulgares.
Radulfe mourut le 21 avril 124^, après avoir gouverné son
diocèse pendant vingt-un ans avec beaucoup de douceur et
de prudence, dit Roussel. Son frère, l'évêque de Liège, vint
faire ses funérailles.
Il existe de ce prélat une charte de janvier 1226, relative à ^^,1 ^.|,risi.t.
la construction de l'église et du monastère de. Saint-Nicolas- xii,adinstr.coi.
des-Prés, fondés par son prédécesseur et continués par lui, S?»,
où furent appelés des chanoines réguliers de Saint-Victor de
Paris. L'historien de Verdun donne aussi dans ses preuves Roussel au»
deux actes passés entre ce prélat et Thibaut, comte de Bar, P"*"'*"'?- '*•
relativement à des terres et des châteaux. Ces deux derniers
actes sont en vieux français, et de l'an i24o. Le premier
commence en ces termes : « Je Thiebaus, cuens de Bar, fait
« scavoir à tous ce que tels paix est faicte entre moi d'une
« part et monsignor lige et mon cousin Raol, par la grâce
« de Dieu évesque de Verdun, d'aultre, en celle manière que
« je le ai recognu et faict ligie et fauté devant tous hommes
« par tos les iiefs que mi ancessours tinrent de lui et de ces
ce ancessours, et avec ce ai je repris de lui ligement le chastel
« de Trugnon en cressance avec les aultres fiefs que je tiens
« de lui, etc. » P. R.
PIERRE, FILS dAMÉLÏ,
ARCHEVEQUE DE NARBONNE. moet le ao
mai 124S-
JriERRE, fils d'Améu, Petrus ■^melii, que l'historien des
évêques de Narbonne qualifie de vir eximius et eloquens , Caii. chr. 1. 1,
d'abord clerc de Saint- Naxaire de Béziers en 1201 , devint , P- 65.
en 1216, camérier et successivement chanoine et archi-
diacre de l'église de Narbonne. Elu pour occuper le siège de
cette ville le dix-sept des calendes d'avril i225, qui est pour
nous 1226, depuis que l'année commence en janvier, Pierre
ne tarda point à recevoir, au nom du pape et du roi de
France, plusieurs châteaux dont Raymond de Roquefeuilse ibidiJinsir.
dépossédait en témoignage de sa soumission à ces deux sou- vaisseite, t.
verains, et en pénitence de l'excommunication qu'il avait ni,p-35a.
encourue, en prenant parti pour les Albigeois. Peu de temps
Tt2
ïiii sri:ci,F:.
332 PIERRE D'AMELI,
après , il fut employé comme intermédiaire clans un ac-
cord fait entre Agnès, vicomtesse de Béziers, et le roi de
France. Vers ce même temps, la guerre albigeoise s'était
éteinte, et comme chacun s'empressait de rentrer sous 1 o-
béissance, Pierre d'Améli vint en dépulation à Paris avec
les évêques d'Alby et de Castres, pour apporter au roi les
serments de fidélité des habitants de cette dernière ville,
ainsi que la soumission des vicomtes de Béziers. Honorius III,
par une lettre adressée à ce prélat, lui fit concession des
dîmes acquises par son prédécesseur; en même temps, le
roi Louis VIII lui cédait, moyennant un tribut, tous les
biens de sa province dont les Albigeois s'étaient trouvés dé-
ibiii ad instr. pouillés après leur défaite. L'acte par lequel le prélat fait
!'■ ^9- connaître la transaction qu'il avait faite avec le roi , est daté
Vaisselle, I. du mois d'octobrc 1226. Durant le carême de l'année sui-
III, p. 365. vante, Pierre d'Améli tint un synode provincial à Narbonne,
Lai.be, Conr. (Jaus Icqucl oti rédigea des statuts en vingt chapitres. On y
I. II pari. I , p. j.gffjarqye jgs peines portées contre les juifs à cause de leurs
usures exorbitantes, et contre les chrétiens qui leur em-
pruntaient ou qui fraternisaient avec eux. Chaque famille
juive y est condamnée à payer, aux fêtes de Pâques, six de-
niers, monnaie de Melgueil.Ily estordonné d'excommunier,
tous les dimanches, les usuriers, les incestueux, les vo-
leurs, ptc On y défend de lever des tailles sur les clercs. On
y institue des hommes qui auront à rechercher les hérétiques
et les criminels publics. On y recommande aux archiprê-
tres, aux prévôts, aux abbés, à tous ceux enfin qui se trou-
vaient avoir charge d'ames, de se faire ordonner pi êtres. Ce
dernier chapitre est remarquable en ce qu'il montre com-
ment la ruseou la force portaient à envahir les biens de l'Eglise,
des laïcs qui , pour s'en assurer la possession, se faisaient en-
suite conférer les ordres sacrés.
(Wiiii.dePoJ. Pierre se trouva, en 1228, aux conférences qui se tinrent
'■»■"■■ «^-^P- 3»- à IMeaux, puis à Paris, au sujet de la paix que l'on voulait eta-
IH. cap. .',0. blir entre le comte de Toulouse et le roi de France. 11 est placé
aussi au nombre des chefs qui conduisirent des troupes pour
l'expédition qu'allait faire en Orient l'empereur Frédéric IL
i^b^e.conc. j[ j,g paraît pas cependant qu'il se soit embarqué, puisqu'il
426.' '' ' ''' assistait, en 1229, au synode que le légat Romain de Saint-
vaisseiie , i. Augc couvoqua à Toulousc, pour y prendre des mesures
m, p. 38i. contre les hérétiques; mesures qui eurent pour résultat l'éta-
blissement de l'inquisition en ce pays.
ARCHEVÊQUE DE NARBONNE. 333
Au sortir de ce synode, Pierre rciteira avec le jeune roi
Louis IX, par l'entremise du maréchal Gui de Lévis, l'accord Oaii. chrisi. t.
qu'il avait fait avec Louis VIII, concernant les biens des ^i. ««iinsir. col.
hérétiques que le roi lui concédait; et toujours occupé d eux, "
il fit, en i23o, un nouvel acte par lequel les citoyens de
Narbonne juraient au pape, en la personne de l'archevêque
de Vienne, son légat, de défendre la foi catholique, et de it>id.p. i5i.
faire la guerre aux hérétiques et à leurs adhérents.
On voit dans une charte recueillie par D. IMartène , que ce
fut ce j)rélat qui introduisit les frères prêcheurs, en i23i , Manm. (.<,ii.
à >iarbonne; qu'il leur donna un établissement, des terres, ^'"V^- ' vi, p.
et qu'il leur fit présent d'une Bible enrichie de gloses, Biblia '''*■
glossata. L'an suivant, il exigea d'Aimeric, vicomte de Nar-
bonne, un acte par lequel ce dernier fit profession d'être son
vassal. Il y est fait mention du Capitale de Narbonne, situé Vaissciip , t.
dans la partie de la ville qui était soumise au vicomte; et dans '"■ ^' ^94
l'assemblée tenue à ce sujet, Pierre confirma les coutumes de
cette ville.
Un grand débat eut lieu entre notre prélat et les religieux
d'Aletli , touchant les revenus de quelques abbayes que Pierre
réclamait pour le chapitre de son église, au détriment de
celle d'Aleth; il alla a Rome pour y plaider sa cause devant
le pape, qui la fit examiner et terminer sur les lieux par son
légat Jean de Burnin, archevêque de Vienne.
Un nouveau serment qu'il voulut exiger des habitants va,.. i m.
de Narbonne, et par lequel ils devaient se soumettre aux i' 4"»
statuts du concile de Béziers qui venait de se tenir, les sou-
leva contre lui, et le fit chasser de la ville, où les révoltés
commirent de grands désordres, en i234. Le prélat dans
cette occasion usa du droit d'excommunication , et rentra
dans la ville l'année suivante. Son retour, quoique fait avec
le consentement public , n'empêcha pas les habitants de
Narbonne d'envahir le couvent des frères inquisiteurs à
l'exemple des Toulousains , et d'expulser ces religieux de
la ville.
Ce prélat dont jusqu'à présent on a pu remarquer le zèle
contre les hérétiques, et l'empressement à défendre ses droits
seigneuriaux et episcopaux, signala aussi son ardeur guer-
rière, lorsqu'il porta secours à Jacques, roi d'Aragon qui
combattait contre les Maures. Il partit en 1 238 pour l'expé-
dition de Valence, et dans l'incertitude de l'issue qu'aurait
cette guerre, il fit préalablement son testament. Cette pièce.
334 PIERRE D'AMÉEI,
X!ll .SlkCLK. . , , , , . , . ,
qui nous a ete conservée clans son entier, mente quoique
Gaii. christ. I. attention, à raison du détail qu'elle fournit sur la fortune
in-trr (';/ " moblliaipe d'un grand [)relat de ce temps , et des objets qui
la composaient.
L'acte commence ainsi : « Au nom du Seigneur, l'an
« A1CCX.XXVIII de sa nativité, le xiii des calendes de mai ,
« nous Pierre, par la grâce de Dieu, archevêque de Nar-
i< bonne, jouissant de notre saine et bonne mémoire, et
<t voulant partirpour l'expédition contreune nation payenne,
K et en particulier pour le siège de Valence , disposant d'une
(c manière pieuse et salutaire pour le salut de notre ame, des
« biens meubles qui nous appartiennent maintenant, ou qui
« pourront nous appartenir dans la suite, nous réglons
« notre volonté dernière, et nous faisons le partage de nos
« biens ainsi qu'il suit. » Après ce préambule , le prélat offre
son ame et son corps au Seigneur Dieu et à la bienheureuse
Marie. Choisissant pour le lieu de sa sépulture l'église de
Saint-Just, il lui assigne des revenus, il y institue une œuvre
et un Maitre-de-l'œuvre, à qui il trace des obligations, dont
une est ainsi mar(]uée : « Nous voulons et nous ordonnons
« que le même iMaître-de-l'œuvre célèbre chaque année, au
« jour de notre décès, un anniversaire général dans le r^-
« fectoire, où des viandes préparées aux mêmes broches
« soient servies aux chanoines de Saint-Just , à tous les clercs
« de cette église et des autres églises de la ville; que l'on
« donne en aumône aux pauvres en ce jour, à chacun quatre
« setiers de blé et les dessertes des tables. Et quand on chan-
te tera les antiennes O sapientia , etc., que vingt-cinq cierges,
« de deux livres chacun, brillent autour de l'autel pendant
« les vêpres, et qu'il en soit fait autant durant les matines,
« la messe et les vêpres de notre jour anniversaire. Nous vou-
« Ions aussi que ce Maître donne aux clercs cloîtrés du bon
« vin après les vêpres, quand ces antiennes se chantent. »
Ce prélat institue ensuite des chapelles avec leurs chape-
lains , des offices et des processions pour le salut de son ame.
Il lègue cinq sols melgoriens à chacun des prêtres de Nar-
bonne; et ses legs, plus ou moins considérables, s'étendent
à toutes les églises, à tous les monastères, à tous les corps
religieux. Ses chapelles et ses ornements en soie sont don-
nés à l'église de Saint-Just, à l'exception d'une chape en
samit (i) rouge, réservée à l'église d'Aix. A Saint-Just est
(i) Ou damas, espèce d'étofte tissue de soie et d'or.
-\III SIFXXE.
ARCHEVEQUE DE NAUBONNE. 335
aussi destinée toute l'argenterie, pour quil en soit fait des
vases nécessaires à l'autel. Le prélat donne encore à cette
église ses anneaux, excepté le plusgrosfju il lègueà son succes-
seur. Il donne aux écoliers qu'il entretenait à Paris tous ses
livres de théologie, moins sa Bible; mais il les leur donne
avec défense de les aliéner ou de les mettre en gage. Tous
ses lits sont légués aux hôpitaux. On remarque dans cet acte
testamentaire le silence que garde le prélat sur ses parents,
dont aucun n'est nommé, et sur ses biens immeubles, dont
il n'est aucunement question.
Après avoir ainsi disposé de son mobilier, Pierre, à la
tête d'une troupe choisie de Français, alla se joindre au roi ^j •'''^^^""'•'
d'Aragon occupé au siège de Valence, et déploya un grand Mariana, lib.
courage en cette circonstance , et archiepiscojms Narhonensis ^" « ^ '"''•
strenuè diniicavit , dit la chronique d'Albéric. Valence ayant adan'Ta^c"""
été prise sur les Maures, Pierre revint sain et sauf à Nar-
bonne, et le roi d'Aragon reconnut ses services, en lui don-
nant plusieurs châteaux, dont il confirma treize ans après
la donation à Guillaume de la Broiie, son successeur au siéee , ," ','//'
, . , . , ' b ad Insli- toi. 65.
archiépiscopal.
L'année suivante, notre prélat donna une nouvelle preuve Guiii..iePod
de son courage, au service du roi de France, lorsque Ray- T,.iiii. cap. 45.
mond de Trencavel, fils du vicomte de Béziers, Olivier de
Termes et plusieurs autres seigneurs, ayant envahi Carcas-
sonne, il accourut vers cette ville avec l'évêque de Tou-
louse, et qu'à la tête de leurs gens armés, ils coml^attirent
pour soutenir les droits du roi, sous les ordres du maréchal
Gui de Lévis, et parvinrent à faire rentrer cette ville sous
l'obéissance.
Vers ce même temps, il s'éleva une grande contestation (^.,|| ^,1,,;^, ,
entre Pierre d'Améli et le vicomte Aimeric sur le droit de vi.p. 69.
faire battre monnaie, et ce dernier ayant appelé à son aide
quelques troupes de Catalogne, força son adversaire à s'éloi-
gner de Narbonne.
Peu de temps avant cette contestation , le prélat s'était
attiré l'animadversion de son chapitre, en privant quelques
chanoines de leurs bénéfices, et en voulant contraindre les
autres à administrer en personne leurs églises. La volonté
des évêques n'ayant pas alors la puissance qu'elle a acquise
depuis, ce débat ne pouvait être terminé par la seule auto-
rité du prélat; les deux partis s'en rap()ortèrent donc à
Pierre de Cotichis, prieur de Saint-Firmin de Montpellier,
336 PIERRE D'AMELI.
XIll S1ECI,E.
et celui-ci prononça en faveur des chanoines. Ce qui avait
indisposé le prélat, dit l'historien des évèques de Narhorine,
c'étaient deux lettres que son chapitre lui avait écrites,
dans l'une desquelles on lui faisait des reproches sur sa con-
duite peu cléricale; dans l'autre, il était invité à ne pas
prendre sur lui de confirmer lévèque élu de Béliers, sans
avoir pris le conseil et obtenu le consentement de son cha-
pitre. Depuis ces temps, les papes et ensuite les rois, en
privant les églises du droit d'élire leurs évèques, et en les
nommant eux-mêmes par un acte de leur volonté , ont rendu
aussi l'autorité de ces pasteurs indépendante de leur clergé.
,, . ,,, La lettre que le chapitre de Narboiine écrivit à son prélat,
Vaiss. t. m, 1 ... I , , r , '
Preuves |>. !,ob. <?n tormc de monitiou , a ete transcrite dans 1 Histoire du
Languedoc, d'après une pièce originale conservée par Ba-
luze. Elle porte la date du vingt-deux octobre I24i , et elle
mérite d'être remarquée en ce qu'elle nous a conservé un
exemple rared'un chefcensuré par. ses inférieurs, et, selon les
apparences, à juste titre. « Quoique entre le prélat et son
K église, dit le chapitre, il soit établi comme une espèce de
« mariage qui les unit l'un à l'autre, detellesorte qu'ils doivent
« s'aimer et se servir mutuellement, cependant les institu-
« tions canoniques nous avertissent que les inférieurs ne
« doivent pas porter la soumission plus loin (ju'il ne faut,
« parce que l'obéi-ssance muette peut devenir préjudiciable
« quand d y a péril pour l'ame. » Entre les différents griefs
qui sont énumérés, le chapitre dit : « Nous vous avertissons
« que très-souvent les bénéfices ecclésiastiques sont donnés
« à des personnes qui en sont indignes, et ce qui est indigne
« en soi-même, c'est qu'ils sont donnés à des idiots; que
« très-souvent vous avez refusé de rendre la justice à ceux
« qui vous l'ont demandée ; que vous avez porté injustement
« des sentences d'excommunication et d'interdit, sans avoir
« fait les monitions légales, et.c. , etc. » La lettre finit par les
paroles suivantes : « Nous vous invitons donc à vous amender
a d'une manière louable surtout ce que nous venons de vous
a dire , de telle sorte que votre changement devienne notoire
a et pour nous et pour tout le monde; vous faisant défense,
« au nom du siège apostolique et au nom de tout le chapitre,
« d'entreprendre de pareilles choses à l'avenir; mais que
« vivant selon la justice, la piété et les règles, vous tâchiez
« de réformer votre conduite et votre administration. Du
(c reste, nous en appelons au siège apostolique de tout ce
ARCHEVÊQUE DE NARBONNE. 337
Il que vous oseriez taire contre nos personnes, nos bénéfices,
« nos adhérents, nos défenseurs, nos aides, nos conseillers
(T et nos clercs. »
La deuxième lettre que le chapitre adressa à son arche-
vêque , et qui est bien moins étendue que la première , a pour
objet (le l'avertir qu'il ne doit pas prendre sur lui de confir-
mer l'évêque élu ou à élire au siège de Béziers, sans consulter
son chapitre. « Comme, est-il dit, selon les institutions ca-
« noniques, vous êtes tenu d'assembler le chapitre de Nar-
« bonne, pour la confirmation des évêques , et de demander
« son conseil, ainsi qu'il convient, vous ne devez jamais
« procéder à une pareille œuvre au mépris des droits de votre
<c cha])itre. Or l'église de Béziers étant , comme nous l'appre-
« nous, dépourvue de pasteur, nous supplions votre pater-
« nité de ne pas aller jusqu'à confirmer celui que cette église
tt aura élu, sans notre conseil et notre consentement. Si
« vous en agissiez autrement, ce que nous ne pensons pas,
« nous nous y opposons au nom du seigneur pape, autant
a que nous le pouvons, et nous faisons appel au siège apos-
« tolique de la violation que vous pourriez faire de nos
tt droits. »
Pierre eut encore occasion en I243 de donner des preuves daii. christ, t.
de sa valeur guerrière, en contribuant de sa personne et de ^''. p :"•
ses hommes d'armes à faire le siège du château de Mont- f^"i>i 'ipPod
ségur , lequel, après de violents combats, fut pris sur les hé- VaisTcuc , t.
rétiques. Peu après, il adressa une lettre circulaire à ses in.p '(47-
suffragants afin d'exciter leur zèle pour l'établissement de
l'inquisition. Il écrivit aussi, conjointement avec les autres
autorités de Narbonne, au roi Louis IX sur l'irruption
faite par les gens du bourg de cette ville dans la maison des
frères mineure, qu'ils en avaient chassés, pour la convertir en
un asile d'hérétiques.
Un synode des trois provinces de Narbonne, d'Arles et r.aii chr loc
d'Aix, fut convoqué par notre prélat et se composa des trois ^'^'
■. r» • 1 Cl- ,. 1 • • 1 1 Vaisselle , t.
métropolitains avec leurs sutlragants, sous la présidence de m, p. ^44, et
Pierre d'Améli. Les historiens ne s'accordent pas sur l'année '"><« "^x, pag-
de sa tenue. Sponde, et après lui Labbe, Fleurv et Dupin ^^^"
I I .. ■} c • I ' 1 » I y-T u. . . ' Labbe, Conc.
le placent en 1 aJb ; mais les rédacteurs du Galha chris- 1. n,coi.487.
tiana, d'après l'auteur de l'Histoire du Languedoc qui avait rieùij.t.xvn,
consulté un manuscrit de l'inquisition à Carcassonne, le P- "'•
placent en \i[\(\. L'objet de ce synode était de répondre aux ciiesdu'°ni'°il
questions qu'avaient faites les frères prêcheurs que le saint- ''«
Tome XVlll. V V
338 GUILLAUME Ilf DE MONTAIGU,
'— siège avait nommés inquisiteurs dans cette province, tou-
chant la conduite qu'ils devaient tenir envers les hérétiques.
Les statuts qui résultèrent de ce synode se trouvent dans
le Recueil des conciles, distribués en neuf colonnes et par-
tagés en vingt-neuf chapitres. On voit par les peines qu'on
y impose à ces hérétiques, par les précautions que l'on prend
[)our les découvrir, par les soins que l'on recommande de
es séparer des fidèles, de les mettre en prison ou de les
éloigner de leur pays, que ce n'était que par la rigueur et
non par la persuasion qu'on voulait les ramener. C'était
plutôt une affaire de politique qu'une affaire de religion,
et le parti qui voulait se séparer du reste de l état par ses
croyances, était forcé d'y rentrer,oudese voir anéantir. Henri
Spontianusad de Spoudc, en parlant dcs peines imposées, des précautions
mil. ia35. prises, des signes auxquels les hérétiques étaient reconnus,
dit que tout cela respirait la plus grande sévérité, conforme
du reste aux mœurs de ce temps : Suntque valdè severa ,
Fifiiry , liv. prout Jerebat praxis ejus temporis. Fleury cite ces statuts, et
Lxxx, ch. Li. en donne une analyse.
Gaii. rhr. loi. ^'^H suivaiit, 1245, Pierre fit un second et dernier testa-
tit. ment, dont l'original, disent les rédacteurs du GalUa chris-
tiana , se conservait dans les archives de l'église de Nar-
bonne. On ne nous en a fait connaître qu'un legs fait au
pape Innocent IV, et par lequel le prélat lui donne son blé,
son orge, ses porcs; ce pape en lit demander l'exécution
3uelque temps après à Guillaume de La Broiie , successeur
e Pierre, par son prélat-domestique, Matthieu de Naples.
Gaii.ciii.ioc Pierre d'Améli mourut à Narbonne le vingt mai 1246,
'if selon les nécrologes de Narbonne, de Béziers et du monas-
tère deCassan, comme ilfaisait ses préparatifs pour se rendre
au concile convoqué à Lyon. On lui donna la sépulture dans
l'église du monastère de Sainte-Marie de Cassan. P. R.
GUILLAUME III DE MONTAIGU,
„„RT le 19 XXir ABBÉ DE CITEAUX.
niai 1246.
Manrique t ijuiLLAUME DE Mo^fTA^GU, de prieUT de Claïrvaux devenu
IV, p 34a. ' abbé de La Ferté, fut élu abbé de Cîteaux en 1227. Il gou-
XXir ABBÉ DE CITEAUX. 339
XIII SIÈCLE.
verna cet ordre jusqu'en laSG, puis rési^'nant sa prélature,
il retourna à Clairvaux, où il vécut en simple religieux jus- Hmriq. iw.
qu'à sa morl^qui arriva en 1245, selon l'annaliste de Cîteaux. J,^"f,' '''■''
Mais les auteurs du Gallia christiann ne lui font résigner Hemiq Me-
son abbaye qu'en l'année qui précéda sa mort. Ils citent à "<'i p '(jG
i> ■ \ ^ p ■ • 1 1 1 -11 - .• 11.. (..ill. .brisl I.
1 appui de ce fait un article des délibérations du chapitre jy, ,,. ,,9,.
général tenu l'an 124^, qui montre que Guillaume, autrefois Man. Anecd
abbé de Citeaux, demandait qu'en considération de ce qu'il ' iv, coi. iis»).
avait soulfért pour l'i-^glise, quand il était chargé de chaînes et
mis ,en prison, il lui fût fait après sa mort un service funè-
bre dans toutes les églises de l'ordre; ce qui lui fut accordé.
Ce passage prouve, contre l'annaliste, c{ue Guillaume n'a pas
dû quitter sa dignité d'abbé de Cîteaux en laSd, puisque
l'époque à laquelle la j)rison et les chaînes se rapportent,
est l'année laSg, quand Guillaume et plusieurs autres prélats
se rendant au concile qui devait se tenir à Rome l'année
suivante, furent pris parles gens d'armes de l'empereur Fré-
déric, et mis dans les fers. Guillaume n'aurait pas pu être
appelé à ce concile, s'il n'avait été que simple moine. Ce
passage prouve de plus, contre l'annaliste et les auteurs
du Gallia christiana , que cet abbé n'a pas dû mourir en
1245, comme ils le disent, puisque le chapitre général se Anecd. t. iv,
tenait dans le mois de septembre, et que Guillaume vivait '^°AÙnarcist. t.
encore en ce même mois i245, quand il adressa sa demande iv,p.6o6,n.32.
au chapitre; il en résulte donc que sa mort doit être placée
le ip mai 1^46.
Si nous admettons cet abbé dans notre Histoire littéraire,
ce n'est pas à raison de l'importance des écrits qu'il a laissés,
puisqu'il ne nous reste de lui qu'une lettre très-courte, et ,„*""''"''•
I • . > 1 ^11 1 1- • 1 NT IV, p. 4^ 'l'I- 2.
relative a un monastère de hlles, les religieuses de JNotre-
Dame-des-Grèz dans le diocèse de Langres, qui avaient de-
mandé à entrer dans l'ordre de Cîteaux; par cette lettre,
adressée aux abbés de quelques couvents cisterciens, Guil-
laume les charge d'établir leur règle dans ce monastère.
Mais les lettres que le pape Grégoire IX lui adressa nous
restent, et elles suffisent pour nous faire connaître de quelle
nature étaient les affaires traitées dans cette correspon-
dance. Guillaume de Montaigu était un homme distingué
par son savoir et son habileté dans les affaires du monde
autant que par sa piété; ceux qui ont parlé de lui l'ont
proclame tour à tour vénérable, bienheureux, et même
saint. Sa réputation, jointe à l'éclat qui rejaillissait sur son
V va
XllI SIECLE.
340 GUILLAUME III DE MONTAIGU,
ordre, durant sa prélatun;, déterminèrent le choix du sou-
verain pontife, pour l'employer aux différentes alfairesqui
demandaient un homme de son caractère.
Les lettres de Grégoire IX à cet abbé ont rapport, soit à
ce qui concerne son ordre, soit aux différends qui s'élevaient
entre les souverains et d'autres grands personnages.
Aiiiiai. cisi. t. Guillaume ayant été élevé de l'abbaye de la Ferté à celle
IV, p. 348,11. I. (Je Cîteaux, comprit mieux, par expérience, dans ce poste
éminent, cjuelles étaient les vraies sources de l'envie qu'oa
portait généralement, et même le clergé séculier, aux ri-
chesses de son ordre. « Pourquoi , disaient les envieux, et
« nous citons ici les propres expressions de l'annaliste, ceux
« qui se sont voués à la pauvreté se sont -ils écartés de
« leur institution, après s'être séparés du monde dans celte
a unique tin.-' Les voilà maintenant plus riches que ceux
<f dont ils ont voulu se séparer. Les rois, les grands les com-
« blent de biens, dans le but de s'attirer la bienveillance de
« Dieu , peut-être aussi celle des hommes. Car ceux que cet
a ordre favorise ne sont-ils pas partout en honneur, et ceux
« qu'il ne loue pas n'enPourent-ils pas la censure de tout le
« monde.'' Les largesses des fidèles, qui autrefois se répan-
« daient sur les églises, les entretenaient toutes, et nulle
« n'avait de superflu: à présent, au contraire, tout afflue à
a Citeaux, et les autres sont dans la souffrance. Bien plus,
« les cisterciens ayant donné entrée dans leur cloître aux dé-
ce pouilles des morts, que ne se font-ils pas léguer par les
«. mourants qu'ils assistent, et même encore par des per-
« sonnes en pleine santé? »
Telles étaient les accusations que reproduisaient conti-
nuellement les adversaires des cisterciens; ils allaient encore
plus loin, en leur suscitant mille procès dont la poursuite
causait beaucoup de désordre parmi ces religieux. Guillaume
voyant que les immunités que ses prédécesseurs avaient ac-
quises à son ordre tombaient en désuétude, eut recours au
souverain pontife, et voici, selon l'annaliste, ce qu'il disait
pour sa défense : « C'est à tort, écrit-il à Grégoire, que l'envie
« nous fait le reproche de posséder des biens que nous ne
a recevons que pour les pauvres, et desquels nous ne gar-
« dons pour nous que la charge de leur distribution. Cîteaux
«. était content de ce qu'il possédait, il ne demandait rien,
« ne désirait rien. Mais si les fidèles qui veulent donner
€ leurs biens aux pauvres, choisissent les religieux de cet
XXir ABBÉ DE CITEAUX. 34 1
, -a I 1 I I ^'" SIÈCLE.
« ordre pour en. être les distributeurs, a quel titre pour-
« raient-ils se refuser à ce ministère? Parce que des clercs
« sont animes d'envie, faut-il interdire aux laïques ce que
<t leur pieté leur inspire? Et les prêtres du Christ peuvent-
« ils s'opposera ce que le Christ conseille? Et dans cette
« conduite des fidèles, que condamne-t-on ? Est-ce l'aumône?
« mais c'est une œuvre agréable à Dieu, utile à la patrie, et
« que les infidèles mêmes ont en honneur. Ou bien serait-ce.
« les ministres que l'on emploie ? assurément ils sont lespre-
c miers à reconnaître leur peu de mérite. Mais si un servi-
« teur peut être choisi par son maître pour remplir cette
« commission, doivent-ils demander eux-mêmes qu'on ne
a les en charge pas? S'ils abusent de la confiance qui leur
« est donnée, qu'on s'y oppose, à la bonne heure; mais si
« c'est parce qu'ils s'en rendent plus dignes que d'autres,
« qu'on la leur accorde, il ne faut pas faire un crime de
c cette confiance à des hommes qui ne font que l'accepter
« par obéissance. Doivent -ils résister à la volonté des do-
« nateurs , et par là frustrer les pauvres de secours? Du
« reste, il n'est pas vrai qu'ils se soient jamais rendus maî-
« très de la volonté des mourants, ni qu'ils les aient engagés
« à choisir leur sépulture chez eux, quoiqu'il n'y eût pas en
« cela de péché. Mais si des princes de qui ils ont reçu tant
B de bienfaits, la leur demandent, à quels titres peuvent-ils
« la leur refuser? Peuvent-ils repousser de leurs églises les
« corps de ceux qui les ont fondées , et refuser une place ,
« pour leur sépulture, à des hommes qui leur ont donné leurs
« terres? Enfin , quels que soient les prétextes qu'on em-
« ploie, pour les accuser, pourquoi les procès que leur cau-
« sent ces biens, sont-ils tellement interminables et dispen-
« dieux, qu'il leur en coûterait souvent moins de perdre
« leur cause que de la plaider? »
Ce fut au commencement de l'an 1228 que l'abbé de Ci- . 1 .
^^ ' • TV/- I 1 I Annal, cisl. (.
teaux adressa au pape Grégoire IX les lettres dans lesquelles iv, p. 349.
il détaillait ce que l'on reprochait à son ordre, et ce qu'il
répondait pour sa justification. Le pape lui écrivit à ce sujet
quatre lettres qui sont rapportées dans les annales de^ cis-
terciens. Dans la première, le pape consent à ce que ces reli-
gieux ne puissent être distraits de leurs monastères que de la
distance de deux jours de marche. Dans la seconde, il accorde
à cet ordre, dont il se plait à reconnaître la splendeur, que
ces mêmes religieux ne pourront être forcés à sortir de leurs
2 5
xm .si^:crE.
342 GUILLAUME III DE MONTAIGU,
cloîtres, pour aller défenrlre leurs droits devant les juges des
villes voisines, que par permission de lettres apostoliques
dans lesquelles leur ordre sera expressément désigné. Dans la
troisième, le pape s'exprime ainsi : « Comme ce que la piété
« des fidèles vous offre, vous ne le recevez que pour le trans-
ie mettre aux pauvres , nous trouvons qu'il est impie et abusif
a (|iie l'ava'rice et l'envie veuillent vous en priver, et nous
a défendons aux prélats des églises ou sont vos Lientaiteurs
« d'exiger de vous une portion de ce que vous recevez de
« ces derniers. » Enfin, dans la quatrième, le pape considé-
rant que la conduite édifiante des cisterciens ne peut qu'être
agréable à Dieu et profitable aux hommes , à raison de
l'exemple continuel de leurs vertus, L-ur accorde la faculté
de donner la sépulture dans leurs cloîtres, soit à leurs bien-
faiteurs, soit aux autres fidèles qui en feraient choix , pourvu
que les églises dans la juridiction desquelles seront ces morts,
ne soient lésées en aucune manière,
iiiid. p. 3ji. Une cinquième lettre de Grégoire IX à l'abbé de Cîteaux
a rapport à l'hérésie des Albigeois. Louis VIII était mort
depuis un an environ, et le jeune roi saint Louis, ou plutôt
la reine Blanche, régente du royaume, voulant terminer la
guerre commencée contre cette secte, demandait au pape
d'envoyer, en qualité de légat en France, le cardinal Romain
de Saint- Ange, comme étant l'homme le plus capable de
mettre fin à cette grande affaire. Ce prélat vint en France,
apportant au roi une lettre que le pape lui adressait sur la
conduire qu'il fallait tenir dans ces débats. Mais voulant
joindre à son zèle, à sa prudence et à son habileté, le secours
du ciel, le légat obtint du pape une lettre par laquelle le sou-
verain pontife enjoignait à l'abbé et aux religieux deCîteaux
d'invoquer l'assistance de Dieu pour conduire à terme cette
malheureuse guerre : « Bien qu'il soit utile , disait le pape, de
a s'aider des armes matérielles pour l'établissement et la
« conservation de la paix et de la foi, cependant il faut bien
« plus compter sur les armes spirituelles, c est-à-dire sur
« les suffrages des prières. Ce fut par le secours de celles de
« Moïse que Josué vainquit les Amalécites; ce fut la prière
« faite sans interruption par l'Eglise qui brisa les chaînes
« de saint Pierre; ce fut à la prière d'Elie que le ciel se ferma;
« et si, après une longue sécheresse, la pluie fut de nouveau
» accordée à la terre, ce fut la prière du même prophète qui
' « l'obtint. •
XXir ABBÉ DE CITEAUX. 343
XIII SIECLt.
Après que tous les préparatifs d'une nouvelle croisade fu-
rent faits, la guerre se termina d'elle-même, sans effusion
de sang, de telle sorte que tout le monde étonné, dit l'an-
naliste (le Cîteaux, attribuait à la sainteté du jetine roi la
cessation de ce fléau; il parut que Dieu avait été touché des
prières de son jeune âge, quand, à la deuxième année de son
règne, la secte des Albigeois, que jusque-là les armes n'a-
vaient pu détruire, disparut inopinément.
En cette même année 1228, Guillaume fit plusieurs statuts ib;,i. p. 3-0
pour le bon gouvernement de son ordre. Dans l'un, il était "3.
établi que les abbayes qui ne pourraient pas fournir à la
subsistance de douze religieux et de leur abbé, seraient con-
verties en granges. Cette loi salutaire, dit l'annaliste, ne put
prévaloir contre l'habitude ; les abus continuèrent, et on agit
à leur égard, ajoute-t-il, comme on en avait agi envers les
astrologues dont Tacite disait : Sernper vetantiir et semper
retinentur
Au commencement de l'an 1229, les deux jeunes rois de ibid p 3-5
France et d'Angleterre se préparaient à se faire la guerre. " t-
Louis se plaignait de ce que le roi d'Angleterre avait pris
la défense et protégé plusieurs de ses sujets rebelles, sur-
tout Pierre, comte de Bretagne, qui, dès l'année précé-
dente , troublait la paix du royaume de France. Henri, pour Oenebr.adan.
venger la défaite qu'il venait d'essuyer à la Rochelle et
dans l'Aquitaine, se préparait à reprendre ce qu'il avait
perdu.
Dans ces circonstances, dit l'annaliste, Grégoire IX voyant
les maux qui allaient de nouveau fondre sur le peuple
chrétien, voulut remplir envers les deux rois les fonctions
médiatrices d'un père commun, et plût à Dieu, ajoute-t-il,
que jamais les successeurs de Pierre ne s'écartassent de cette
règle! Il chercha pour cette fin un homme vénérable qui,
possédant l'estime des deux rois, fût capable de leur faire
entendre que, quelles que fussent les raisons de l'un et de
l'autre , leurs sujets n'avaient rien fait pour endurer les
maux d'une guerre; que les rois, même dans leur défaite,
étaient encore protégés par leur dignité, tandis que les peu-
ples, même vainqueurs, étaient accablés de maux; qu'il n'y
avait pas de victoire sans effusion de sang, et que ce sang,
de quelque côté qu'il coulât, était le sang des chrétiens ; que
si l'un des deux rois était victorieux, l'Eglise, leur mère com-
mune, ne pourraitprendre part à la joie de l'un, sans verser des
1 11-
XJII SIECLE.
344 GUILLAUME III DE MONTAIGU,
larmes sur le sort de l'autre. — Le pape trouva dans Guil-
laume l'homme qu'il cherchait, et il lui confia cette charge
importante, par une lettre qui commence en ces termes :
lipisi. Grego- « Très - cher lils en Jésus- Christ, établi, quoique indigne,
III IX, hb. II, ^^ vicaire de ce roi qui, pour réconcilier le serviteur avec le
<( maitre, a daigné se faire homme, tout Dieu qu'il était,
« nous méditons des desseins de paix sur ceux qui sont près,
« comme sur ceux qui sont loin. Avertis par l'Evangile que
(. bienheureux sont les pacifiques, puisqu'ils seront appelés
« fils de Dieu, nous mesurons la grandeur du mérite par la
« grandeur de la récompense; 'car la plus grande des béa-
'c titudes est d'être appelé fils de Dieu. » Jje pape expose
ensuite quels maux la guerre ei>tre les deux rois causerait au
peuple chrétien, quels désordres dans l'F'glise, quels périls
pour les corps et pour les âmes. « En conséquence, ajoute le
« pape , ayant la confiance que vous pouvez être un excellent
« médiateur entre de si grands princes, nous vous enjoi-
« gnons, de par noire autorité apostolique, de vous occuper
« avec toute l'afïection et l'efficacité dont vous serez capable,
« à éloigner de ces princes tout sujet de dissention , et à ré-
'< tablir entre eux la concorde, etc. »
L'abbé de Cîteaux , pour exécuter cet ordre, se rendit
d'abord à la cour du roi et de la reine Blanche. Le grand
âge du prélat, sa piété, sa prudence, son expérience étaient
connus du roi et de la reine-mère, attendu que l'un et l'autre
avaient déjà eu des relations avec lui au sujet de l'abbaye de
Gïii christ t Royaumont, que saint Louis faisait construire en ce temps-
IX, p. 849. là même, et qui fut le premier monument qui illustra le règne
de ce pieux monarque. Et comme le roi destinait cet édifice
à des religieux de Citeaux , il ne pouvait négliger les conseils
du chef de l'ordre, qui lui en avait tracé le plan, et même
d'avance envoyé des religieux. La mission de Guillaume n'é-
prouva donc aucune difficulté auprès du jeune monarque;
on abandonna tout à la prudence de l'abbé, dit l'annaliste;
on lui permitde disposer des choses ainsi qu'il l'entendrait;
on lui dit de chercher, de discerner ce qu'il y avait de plus
expédient; que l'on consentirait à tout ce qui lui aurait paru
bon, pourvu que l'honneur du royaume de France n'en souf-
frît en nulle manière.
Guillaume se rendit ensuite auprès du roi d'Angleterre, qui
lui montra d'abord des dispositions peu favorables. Le sou-
venir de sa défaite, les pertes qu'il avait éprouvées, et qui le
XX IP ABBÉ DE CITEAUX. 345
Xm SIECLE.
f)oussaientà la vengeance; la conduite injuste qu'il avait tenue
ui-ménie précédemment envers les religieux cisterciens de
ses états , dont il avait dévasté les monastères; le besoin qu'il
avait de remplir son trésor épuisé, tout le portait à refuser
la paix. Cependant les considérations pleines de sagesse que
l'envoyé du pape lui suj^géra , lui firent abandonner ses des-
seins, et il renonça aux préparatifs de la guerre.
Une nouvelle lettre fut collectivement adressée par Gré-
goire à notre abbé, à l'évêque de Paris et à l'abbé de La Ferté:
il y est enjoint à ces trois personnages de se rendre à Lyon,
pour jugei' les perturbateurs du repos public qui, profitant
du désordre qu'avait fait naître la révolte de quelques sei-
gneurs contre la régence de la reine Blanche, s'étaient portés
à des extrémités coupables envers la personne de l'arche-
vêque de I^yon.
À la fin de l'an laSo, Guillaume fit plusieurs statuts capi- Aonal. cisi. i.
tulaires, parmi lesquels on remarque celui qui ordonnait la ^^'P-^ia.n- i-
célébration de la Fête-Dieu et de la fête de la Sainte-Trinité.
Il fut ajouté cependant que le jour de cette dernière il ne
serait point fait de sermon dans les monastères de l'ordre,
parce que la grandeur et la sainteté de ce mystère se célèbrent
plus convenablement par le silence que par les plus beaux
discours qu'on pourrait faire; que de plus il est difficile
d'en parler convenablement, à cause de la difficulté d'en
développer la matière. Pendant que le chapitre de Citeaux
faisait cette défense, les écoles retentissaient néanmoins
des disputes des théologiens sur les questions du maître des
sentences, et les abbesses mêmes, ainsi qu'on le verra à l'ar-
ticle de Ida, agitaient les questions les plus relevées de la
théologie.
En 1234, l'abbé de Gîteaux porta de nouvelles plaintes Ibid. p. 469.
devant le tribunal du souverain pontife, relativementà ce que
les évêques dans les diocèses desquels étaient les monastères
de l'ordre, contrariaient l'élection des abbés, ou bien re-
fusaient de les consacrer, quand les choix ne leur convenaient
pas. Le pape , par une nouvelle lettre, délivre les cisterciens
de ces entraves , annulle tout ce que pourraient tenter contre
eux les évêques, et les autorise, en cas de refus de l'ordinaire,
à recourir à d'autres prélats. La bienveillance de Grégoire IX
envers ces religieux se montre encore dans deux lettres : par
l'une, ils sont mis à l'abri du pouvoir arbitraire des légats et
des autres supérieurs, qui leur imposaient quelquefois l'obli-
Tome Xyni. X x
2 5 *
X.UI SIÈCI^.
346 GUILLAUME DE MONTAIGU.
gation d'excommunier les lieux et les personnes clans le voi-
sinage de leurs monastères ; l'autre fait droit aux rérlaniations
ibid. p. 471 , de l'abbé qui se plaignait que les seigneurs, sous prétexte de
"■ •>■ ' patronage ou de protection, prétendaient avoir droit d'entrer
dans les cloîtres, même avec leurs femmes et leur suite , de
telle sorte que la paix de ces maisons était troublée et la disci-
pline souvent enfreinte. Le pape en ferme l'entrée à tous les
étrangers, afin que les instituts des fondateurs se conservent
dans leur pureté. Ici l'annaliste fait observer que durant tout
le temps où l'ordre cistercien resta dans la pauvreté de son
origine, il n'attira l'envie de personne, qu'il ne fut pas visité
par les seigneurs, et qu'il put se conserver en paix; mais que
quand une fois il eut accucnnlé des richesses, soit ])ai- les tra-
vaux de ses membres, soit par la bonne administration et
l'économie de ses chefs , soit par les dons des fidèles, il excita
la jalousie des uns, la rapacité des autres: ces richesses éveil-
lant partout l'envie , devaient causer sa perte prochaine.
Les trois dernières lettres de Grégoire IX à cet abbé ont
pour objet des affaires d'administration: dans la première,
le pape finvite à recevoir sous sa règle les religieuses du
monastère de Notre-Dame au diocèse de Troyes. La se-
conde enjoint de rétablir la discipline dans le rafonastère de
Ibid. p. 491, Saint - Sauveur de Montaigu, au diocèse de Pérouse, et de
"■ ^- le soumettre à la règle de Cîteaux. Par la troisième, le
pape lui ordonne d'envoyer des religieuses dans un mo-
nastère qu'un riche particulier belge venait de construire
Ibid. p. ,92, près de Bruxelles, sur lejmont Sainte-Marie; mais le pape
n. II veut qu'auparavant Guillaume examine si ce séjour est
convenable, et qu'on obtienne le consentement de l'évêque
diocésain.
Après avoir gouverné pendant l'espace de douze à seize ans
un ordre -qui s'étendait sur toute l'Europe, avoir secondé
les desseins du pape pour établir la paix entre les rois , avoir
jugé les perturbateurs publics, discipliné, enrichi son ordre,
et lui avoir obtenu de nombreux privilèges, Guillaume alla
passer les dernières années de sa vie à Clairvaux , en qualité
de simple religieux, ainsi qu'il a été dit au commencement
de cette notice. P. R-
XIU SIÈCLE.
ROBERT DE TOR(3TTE,
OU DE TOUROTTE,
. . MORT le 16
ÉVEQUE DE LANGUES, PUIS DE LIEGE. octobre 1246.
R Anselme, Hist.
OBERT, fils de Je;in , châtelain de Noyon et de Torotte, et génëai. t. 11, p.
d'Odette de Dampierre, eut huit frères ou sœurs, entre autres '^°"
Rfidulphe ou Raoul de Torotte, évêque de Verdun, dont il xiii col. 1 210!
a été fait mention à la date du 21 avril 12.^5, dans cette His- Ci-dessus p.
toire littéraire. Robert fut d'abord chanoine de Beauvais; en ^*?^?^V
1226, une partie du chapitre de Chartres voulut le nommer j^jg. '
successeur de Guillaume du Perche; mais n'ayant pas réuni Gaii. christ. t.
cette fois un assez grand nombre de suffrages, il eut plus de ïV>'""'-6°^-
succès aux élections que fit six ans après le chapitre de Lan-
gres, qui l'éleva en laSa sur le siège de cette ville. Aiberic.adan.
Ce prélat , qui donna des preuves fréquentes de son i^^i.
énergie, de sa vigilance et de sa bienfaisance, suivant un
chroniqueur , ne nous est guère connu que par la lettre
pastorale qu'il adressa à son clergé à l'occasion de l'institu-
tion de la fête du Saint -Sacrement, et parles actes admi-
nistratifs que nous lisons dans quelques chartes qu'on a
conservées de lui. Les ordres mendiants, peu d'années après ,y^*"|' g*""*'' ''
leur institution, ayant pris un accroissement rapide, Robert
établit les franciscains dans la ville de Châtillon vu 1227,
et il achetait en même temps à Dijon des biens d'Alix, du-
chesse de Bourgogne, pour ouvrir un établissement aux
dominicains. Alberic.adan.
L'évêque de Langres ayant été envoyé par Louis IX, avec
Adam, chevalier de son conseil, vers le pape et vers Fré-
déric 11, afin de travailler à calmer les animosités de l'em-
pereur et du pontife; Grégoire avait convoqué les évêques
en concile pour y faire déposer l'empereur, et Frédéric avait
fait arrêter et garder prisonniers ces mêmes évêques qui
arrivaient de toutes parts en Italie pour y prononcer sa dé-
position. On ne trouve rien de bien détaillé sur ce que firent
ces deux envoyés, ni quels succès obtinrent leurs efforts.
X X 2
laîg.
348 ROBERT DE TOROTTE,
' Guillaume de Nangis, en parlant d'une mission toute sem-
Guiii.deNang. blable donnéc par Louis IX, la fait remplir par d'autres
ad an. 1239. personHagcs.
. . . Robert consentit en 1240 au choix que le clergé de Liéee
Gall. christ. I. • ,■ • i i ■ . , l , . *^ P,
III , col. 886. avait tait de lui pour occuper ce siège, après avoir repousse le
prévôt du chapitre d'Utrecht, qui était venu, à la tête d'hom-
mes armés, se constituer lui-même évèque. La réputation que
Robert avait acquise daiis son administration précédente, le
fit accueillir avec empressement; mais il ne tarda pas à déplaire
à raison de son ambition et de son avarice. Ce lut principale-
ment à l'occasion de la vacance du siège métropolitain de
Reims, qui se prolongea durant quelques années, après la
mort de Henri de Dreux. Robert deTorotte s'était mis sur les
rangs, ainsi que plusieurs autres; et pour arriver à son but, il
répandait de grandes largesses parmi ceux qu'il pensait pouvoir
lui être favorables; mais de plus, pour y suftîie, il accablait
Hisi. ecciés. d'exactions son peuple, son clergé et les moines; car, dit
ann. 124/,. Flcury, OH n'épargnait point l'argent en ces occasions. Un
.Egidiiis, Au- (.|^^opim,eur (lu temps semble pourtant indiquer qu'il se i)or-
reœvallis,c. ii4 . , T , i a . i ij- ■ ■ , -n i
tait a ces excès plutôt a la sollicitation de sa lainilli' (jue de
lui-même. Nonobstant ses largesses, il resta simplement
évêque de Liège comme auparavant.
Ce lut ce prélat qui appela les franciscains et les domini-
cains dans cette ville, ainsi qu'il l'avait fait à Langres; il les
V établit, les premiers en 1242, et les seconds en i244- I^e
ciiappeaiiviile, rédactcur dcs Gesta pontifïcum leodiensium , qui écrivait au
I. II, i>. 266. commencement du dix-septième siècle , tlit que de son temps
les frères prêcheurs de Liège conservaient encore l'acte ori-
ginal 'par lequel cet évêque les avait institués; le sceau qui y
était joint représentait d'un côté l'image du prélat place sur
son siège avec cette inscription circulaire : Rohertus tingo-
nensis , episcopus leodiensis ; et de l'autre côté l'image du
même évêque, agenouillé et tenant les mains jointes, avec
cette inscription : Miserere met , Deus.
Robert alla à Verdun, en 1246, pour célébrer les funé-
Gali chrisi I railIcs de son frère, et il mourut lui-même à Liège l'an suivant,
111, col. 886. le i5 octobre. Son corps fut transporté à Clairvaux, confor-
mément à ses désirs.
Robert de Torotte s'est fait remarquer dans l'histoire de
notre liturgie , par l'institution de la fête du Saint-Sacrement,
appelée dans la suite la Fête-Dieu. Il fit le premier célébrer
cette fête, dont jusqu'alors il n'avait été question en aucun
ÉVÈQUE DE LANGRES, etc. 349
XIII SIECLE.
temps, ni en aucun lieu. Ce qui le porta à faire cette innova-
tion dans les cérémonies de l'Eglise, ce furent les sollicitations
pressantes de la bienheureuse Julienne, prieure du monas-
tère de Mont-Corneille ou Cornillon , au diocèse de Liège,
appelée ordinairement JuUaiia Corneliensis du nom de ce
monastère. Cette pieuse fille, née à Liège en 1 ifjS, où elle
mourut en 1268, avait donné de bonne heure des marques
d'une grande ferveur religieuse. Dieu, disent ses biographes,
lui ayant accordé des faveurs singulières par le sacrement « ,, ,
, i.ï- , . . 1 I • • I ' 11 ' • 1 ■ ■ iiollaii<lus,Ac-
cle 1 bucharistie, il lui révéla quelle était choisie pour tra- la Sanciorum ,
vailler à l'institution d'une fête en l'honneur de ce sacrement. Aprilis, i. i, p.
Son humilité la fit résister long-temps à cette vocation: ^ ''
pendant vingt et un ans elle gard;î le secret de ce dessein;
mais pressée de plus en plus , elle se rendit enfin , et découvrit
la conduite de Dieu sur elle, d'abord à des hommes vénéra-
bles, jiuis à l'évêque de Liège, par qui fut ordonnée la célé-
bration de cette fête. Un religieux du monastère de Mont-
C.,, , , •- J T I- /•£_• Annal iisleii.
orneille composa, a la prière de Julienne, un oince pour 1. 1\, p. 398.
cette fête, lequel fut probablement chanté jusqu'à ce que Chappeauviiie.
saint Thomas d'A(|uin eût composé celui dont l'Eglise tait 'H'P-^'i^-
usage aujourd'hui. L'évêque Robert fit écrire une vingtaine
d'exemplaires de cet office du frère Jean, qu'il distribua
à ses églises. La vie de la bienheureuse Julienne, qui se
trouve en partie dans les annales cisterciennei^, a été rédigée
avec beaucoup d'étendue et de détails par les Rollandistes,
d'après divers manuscrits contemporains, et elle se trouve
dans leur recueil, au cinq avril.
L'établissement de cette fête ayant été résolu, l'évêque de
Liège adressa, à ce sujet, une lettre aux abbés, prieurs, doyens,
prêtres, etc., de son diocèse. Il y expose avant tout la cran- ...
\ • rc 1 I 1 !• • « r D Chappeamillc .
deur mettable de ce divin sacrement, et les motifs qui I ont loc.iit.
décidé à le célébrer par une fête particulière et solennelle ;
il en fixe le jour à la cinquième férié après l'octave de la
Trinité, ordonnant qu'on s y prépare par le jeûne, la prière
et l'aumône; enfin il regarde cette institution comme un
remède aux maux qui affligeaient l'Eglise. Nous traduirons
ici le morceau suivant de cette épître.
« Ce qui nous a porté à établir cette fête, dit le prélat,
« c'est aue nous avons pensé que, puisque les saints dont
« les mémoires sont rappelées dans les litanies et dans les
cf oraisons secrètes de l'Eglise, ont cependant tous leurs fêtes
« annuelles, dans lesquelles on célèbre plus particulièrement
35o ROBERT DE TOROTTE, ÉV. DE I. ANCRES.
XIU SlICLE.
« leurs mérites, il était juste, digne, équitable et salutaire que
« le Saint t!es Saints, la douceur des douceurs, eût sur la
« terre une solennité spéciale, dans laquelle des actions de
« grâces, des louanges toutes particulières, et les plus grandes
« qu'il est possible, fussent rendues au Seigneur notre Dieu,
« dont la bonté toute desintéressée, et qui ne saurait être ni
« assez bien exprimée, ni assez estimée, la porteuse donnera
« nous sur l'autel d une manière admirable, et qui, par celte
« exhibition surprenante, ne cesse et ne cessera pas d'accom-
« plir cette douce promesse qu'il nous a faite, quand il nous
G a dit : Ecce DoJnscum siiin omnibus diebus iisque ad con-
« sumiitdtionem sœculi ; en mémoire de ces paroles pronon-
« cées autrefois: Deliciœ nieœ esse cunijîliis honiiniini. «
<;aii. du isi.i. Six chartes rapportées dans les Instrumenta de l'Histoire
IV, ail mil. col. jjgg évèques de Langres, ont été écrites par ce prélat, ou lui
sont relatives. Par la première, qui est datée de novembre
la'ia, il établit un service anniversaire perpétuel en laveur
de son prédécesseur. La seconde est une sentence d'arbitrage
entre Robert de Torottc et l'abbesse du monastère de Tliard,
au sujet d'un autre monastère dont l'un et l'autre réclamaient
la juridiction; cette sentence fut prononcée par l'archidiacre
de Bar, Guillaume de Bourmont, et quelques autres. L'acte
est de 1233 Par un troisième acte, qui est de l'an I234,
Robert fait connaître qu'il est parvenu à obtenir des sei-
gneurs de Saux , qu'ils renonceraient en faveur de l'abbe de
Saint-Bénigne de Dijon aux droits qu'ils prétendaient avoir
sur les terres situées entre leurs biens et ceux de cette abbaye.
La quatrième charte est de l'arniée suivante, et concerne
encore des droits attribués à cette abbaye sur quelques fo-
rêts. Robert déclare dans la cinquième, qu'il renonce à toute
juridiction temporelle sur le monastère du Val-des-Ecoliers,
afin que les religieux puissent se livrer avec plus de liberté
à la prière et au service de Dieu. Cet acte est de i'i3G. Par
le sixième, le prélat fait connaître que le long séjour qu'il
a fait dans une des maisons de l'abbaye de Saint-Bénigne de
Dijon ne lui suppose et ne lui donne aucun droit sur cette
,,, .,, maison. Un autre acte de ce ffenre, daté de io.liO et fait à
t.nappcauMlle i-' i ll'
i.ii.p i&\ Liège, determme le rang de préséance entre deux abbes.
P. R.
^^ ^_^ ^ XIII SIECLE.
PIERRE,
MOINE DE FÉCAMP, AUTEUR D'UNE (.HRONIOUK.
4 1-r. hs iïV>-
Ljv. p. Lal)l)(i a pulilië, dans sa Nouvelle Bibliothèque dts i ihiic, w»
manuscrits, un fragment d'une clironique qui commence "'j'i'oM"i;'"5ri
avec le monde et Unit en 1246. Ce fragment a pour titre : ■''• ' '
Chronicon Jiscunense cih cinno (hristi primo ad 1-22.0, cnin
appendice Brennacensi ad \i!\^ , ex veterihus membrains
quœ peni's me siint I^abbe s'exprime ainsi dans le titre, parce
3ue les temps qui précèdent l'ère vulgaire ne sont indicjuës,
ans les premières lignes de cette chionique, que par ces
mots: « Les années depuis Adam, le premier homme, jus-
« qu'au roi Ninus, (juand Abraham naquit, sont au nombre
« de 3o84, selon tous les historiographes. Depuis Ninus ou
a depuis Abraham jusqu'à César- Auguste, ou jusqu'à la nais-
« sance du Christ, qui arriva quand ce prince eut fait la
« paix avec les Parthes, et que la paix régnait partout sur
« terre, il y a 201 5 ans, durant lesquels les écrivains placent
« tout ce qui regarde l'invention des arts et des histoires. Ce
« fut l'an y52deRome, que Notre-Dame la bieidieureuse
a Vierge enfanta Notre-Seigneur Jésus-Christ, l'an 42 d'Oc-
« tave-César. » « Ce qui vient ensuite, dit f^abbe, consiste
en choses vulgaires placées sans beaucoup d'ordre , et par un
copiste ignorant, à des dates chronologiques qui présentent
des anachronismes de dix et de vingt ans, et quelquefois
plus. On n'en extrairait que peu de chose, et l'on ne s'arrê-
tera qu'à ce qui concerne les abbés de Fécamp et l'histoire
de Normandie qui, du reste, se trouve plus en détail dans
la chronique de Rouen. »
Cette chronique n'est qu'une simple table chronologique
de cent cinq faits brièvement indiqués. I^e premier est de l'an
4i5, et le dernier de l'an 1246.
On ne sait rien de l'auteur de cette chronique; on le con-
naît à peine, il est désigné sous le nom de Pierre , moine
de Fécamp; mais Vossius dit qu'un moine du même mo- vossn.i df
nastère et du nom de Robert composa une chronique ar- iiisi. lai. iii-/,°,
rivant à l'an 1280, et qui probablement est tout autre que P ''^•
n, T^ T^ 1 1 1 • J- 1 .. ■ Bil)liolh. «le
e-ci , quoique le P. Lelong semble indiquer le contraire. France t i p
P. R. 74.. '
XIII SIECLt.
RODERIC XIMENÈS,
"""e.i 1247 ARCHEVÊQUE DE TOLEDE.
rVoDRiGUE XiMENÈs a ffëquenté les écoles de Paris durant
quelques années de sa jeunesse : c'est l'unique raison fl'in-
scrire son nom dans l'Histoire littéraire de la France; car il
est tout Espagnol : né dans le royaume de Navarre, il a été
archevêque de Tolède ; ses princi|iaux écrits concernent l'Es-
pagne, et ses cendres reposent à Huerta. Les biographes
l'appellent Bodericus Sinionis (fils de Simon ), Rodericus
Senienus ou Ximcnius. Son père et sa mère appartenaient
aux deux nobles familles de Rada et de Tison. Si à son retour
des écoles parisiennes, il ;i été, commeon l'a dit, novicechez
les franciscains de Tolède, on a lieu de croire qu'il ne s'est
point engagé dans cet ordre, qui n'a jamais paru le revendi-
quer. De bonne heure il a pris part aux affaires publiques.
Il avait négocié la paix entre les rois de Castille et de Na-
varre, lorsqu'on l'installa, en 1208, sur le siège métropoli-
tain de Tolède. Un ou deux ans après, il fonda l'université
de Palencia, transférée depuis à Salamanque ; il y attira des
professeurs de France et d'Italie Son zèle éclata surtout dans
la prédication d'une croisade contre les Maures d'Espagne.
Il assista, précédé de sa croix, à la bataille qui leur fut livrée
et qu'ils perdirent dans la plaine de Las Navas, le 16 juillet
12 12. Ce prélat fit plusieurs voyages à Rome. Il y vint sou-
tenir, en 121 5, devant le concile de Latran, la primatie de
son siège, contestée par l'archevêque de Tarragone et par
d'autres prélats espagnols. Ximenès plaida sa cause en latin et
dans toutes les langues vulgaires, italienne, française, basque,
anglaise, allemande. On admira un talent si rare; mais Inno-
cent III laissa la question indécise, et s'en réserva l'examen
ultérieur. De retour en Espagne, avec le titre de légat, l'ar-
chevêque de Tolède s'occupa de constructions d'églises,
d'établissements de chanoines, d'affaires cléricales. Les trente
années de 121 5 à I245 ne fournissent presque aucun fait à
l'histoiredesa vie. C'est apparemment le temps où il a composé
ses livres. On ne le retrouve guère qu'au concile de Lyon, con-
voqué par Innocent IV. En revenant de cette assemblée, il
RODERIC XIMENÈS, ARCHEV. DE TOLÈDE. 353
XIII SIÈCLE.
fit naufrage dans le Rhône, et y périt le lo juin, ou, selon
quelques relations, le 9 août 1247, et non i245, quoique cette
autre date se soit introduite en plusieurs noticts. Son corps
lut rajjporté à Huerta et inhumé dans un monastère cister-
cien. L'inscription qui retrace le mieux les principales circon-
stances de sa vie est conçue en ces termes : Mater JS avaria,
laitrix C a Stella y schola Parisiiis , sedes Toletuni , Hortus
[ Huerta) mamoleuin , rerjuics cœliim. Sa tombe est chargée
d'une j^lus longue épitaplie, que nous ne transcrivons point,
craignant d'en avoir déjà trop dit sur un auteur qui n'ap-
partient pas réellement à la France. ^"y Mariana,
Ses ouvrages, quel qu'en soit le nombre, quelle qu'en j'i^y^f^ul' ,iè
puisse être l'importance, ne seront ici (jue .sommairement nisior. lat. 1. h,
indiques. Il en est dont l'authenticité a [)aru tort douteuse, i- S?- o^ei. 1.
Telles sont une histoire du roi Ferdinand, eu langue espa- ^^j'^ mj,' 'aucT
gnole; une chronii|U(' latine de tous les pontifes et empereurs „. ^y^. _ An-
romains, et une com|)i!ation sans titre, à laquelle Antonio lonio, BiUioili.
donne le nom de Provinciale cathedraliwn ecclcsiarwn totius '"L' ro"'^vi '
oruis. vu article, moins apocryphe, mais non puiJiie, est n, hIsi. <:tUs.
intitule : Bvevinriutn histonœ catludicœ , en C) parties qui 1. t.xxvi.n. 10,
embrassent l'œuvre des six iouis, l'ancien et le nouveau Tes- "• ■•'^""'"
•I 1- 1 • • 1 ii'Li" .') i;i.i.xxMii, Il
tament; u en subsiste des copies nianusciites dans les biblio- ^^3; 1. ixxxm,
thèques d'Alcala f Complutum ) et de l'Escuiial. Une autre n. 9. — Fahiii.
production que l'on croit inédite, quoique citée par Mariana, ['j^'^ ")[ Tl^'
est une défense des droits de l'église de Tolède : De prima- —pope-nioum.
tiâ ecclesiœ Tolctanœ. Cens.celebr.aut.
L'ouvrage le j)lus considérable de Rodrigue Ximenès est jj^^'^f^o", ,"^.
son Historia gothica , ou Historia rerum in Hispanid gesta- snipi. iccics. 1.
rum nsque ad Ferdinandum sanctwn Castellœ regeni. Ce lil.p. i»/,, 18^
n'est plus assurément la meilleure iiistoire de l'ancienne
Espagiie; mais elle a conservé ([uelque réputation, et mérité
d'être traduite dans la langue du pays, l.es () livres qui la
composent ont été achevés en 1243; l'auteur y travaillait
depuis I23G. La première édition du texte est fort incorrecte:
elle a paru à Grenade en i545, in-folio, par les soins du lils
d'Antoine de Lebrixa. André Schott en a donné une meil-
leure dans le tome II de son Hispania illiistrata.
Comme appendices à son Histoire d'Espagne, Rodrigue
Ximenès a écrit d'autres abrégés historiques, dont elle est
accompagnée en diverses éditions : Annales romaines depuis
Romulus jusqu'à l'an de Rome 708; Annales des Ostrogoths,
des Huns, des Vandales, des Alains, des Suèves, des Arabes.
Tome XVIIL Y y
XIII SIÈCLE.
354 GL'IARD DE LAON,
Ce dernier article, qui embrasse 58o ans, de S^o à ii5o, a
été réuni par Golius à l'Histoire des Sarrasins, d'Elmacin :
Leyde, 1626, in fol. et in-40.
On attribue aussi au prélat de Tolède une relation, en es-
pagnol, (if la victoire remportée sur les iMaures. Ce ne serait
qu'une traduction faite j)ar lui-même de plusieurs chapitres
du VHP livre de son principal ouvrage. D.
GUÎAUD DE LAON,
MORT en 1247
EVEQUE DE CAMBRAI.
Voy. ci-dessus
p. 184-19'-
1:.
L/E nom de Guiard de Laon est fort diversement écrit dans
les livres qui font mention de lui: VViard , VVillard, Gilo,
(iuido , (iodefridus, Guiardinus, Guardinus, etc. On ne sait
trop quelles fonctions il avait remplies avant la'd'j; mais à
cette epo(|ue il se distingua par son zèle contre la pluralité
des bénéfices, et, l'année suivante, il devint chancelier de
l'église et de l'Université de Paris, après Philippe de Grève
qui avait si vivement soutenu l'opinion contraire. Guiard
défendit de nouveau la sienne dans une assemblée tenue en
1238; et si nous en croyons Thomas de Cantimpré, il s'ex-
Bon. univ.de primait en ces termes : «Je ne voudrais pas pour tout l'or
« de l'Arabie , passer une seule nuit revêtu de deux bénéfices,
« quand même je saurais que le lendemain matin l'un des
a deux serait donné à un sujet capable; et cela à cause de
« l'incertitude de la vie et de peur de mourir en état de
« damnation. » Il ne tarda point à être promu à l'évêché de
Cambrai; un acte souscrit par lui en cette qualité, prouve
qu'elle lui fut déférée en laSS. On ne cite aucun fait mémora-
ble de son administration épiscopale. Il mourut à Afflighem
en 1247 : e'est la date que les auteurs de la Gallia christiana
nova ont préférée. Elle est en effet beaucoup plus probable
que celles de 1248, de 1260, indiquées par d'autres écrivains.
Ceux qui ont dit 1242 se sont certainement trompés; car
Guiard siégeait au concile général de Lyon en i245. Quant
à Possevin qui le lait vivre jusqu'en lÔyy, l'erreur est par
trop grossière.
Apibus, c. i<),
paît. 8. — Cié-
vier,Hist. del'U-
niv. 1. 1, p. 38i.
T. III, p. 36,
Appar. Sac.
XIII SIECLE
ÉVÊQUE DE CAMBRAI. 355
Maintenant, si l'on nous demande comment ces détails
tiennent à nos annales littéraires, nous répondrons d'abord
que Du Boulay les a consignés, ainsi que ceux qui vont
suivre, dans son Histoire de l'Université de Paris, qu'il les
a même répétés en trois endroits de son troisième tome, et
chaque fois presque dans les mêmes termes. Nous dirons
en second lieu, que l'évèque de Cambrai, Guiard, a laissé des
écrits qui, à la vérité, n'ont jamais été im|irimés, mais dont P. i69,2i7ei
on a conservé des copies manuscrites. On en remarque un '' *
de son traité De dù'inis officiis , dans le catalogue de la Bi-
bliothèque de Leyde, rédigé par Frédéric Spanheim, et im-
primé chez les Elzcvirsen 1674'. in-4°- tle traité commence
par les mots : Quoniani scvpè me rogasti; il est cité par Jean
Garet, dans le livre De verd prœsciitid corporis Christi in
Eucharistia. Mais c'est à Godetroi des Fontaines, prédéces-
seur de Guiard sur le siège de Cambrai, qu'un historien
des prélats de cette église, Guillaume Gazet, attribue lin- Oidreet suite
struction sur les ofHces divins, quelquefois citée sous le titre T "'^'J, ^A*"^"
... . T 1 iheveq. de Cam-
de Summa de aanimistratione sacrnmentorum. brai,eic. Airas,
Secuiiduni M. Tullium sont les premiers mots d'un dia- iSg?, '"-8°.
logue sur la création du monde, que Molanus , dans sa
Bibliothèque belgique, désigne comme une production de
Guiard de Laon. Ce prélat passe aussi pour auteur de deux
sermons sur la Passion de Jésus- Christ. Colvener dit en NoiinThom.
avoir vu et copié un qui appartenait à l'abbaye de Flines. Canumpi. 1. i,
Le premier de ces discours, prononcé le vendredi saint,
commençait par les mots : Christus passas est pro nobis ,
et le second par Stabat juxta cvucem. Oudin cite, comme ^omm"" At
déposé sous le n° 194 dans la Bibliothèque de Saint-Béni- in''",2-'! " '
gne à Dijon, un manuscrit intitulé : Guiardi de Lauduno,
episcopi cameraccnsis , Suniniula ^ermonuui qnœ dicitur
duplex status de doniinlcis ,festis et aliis rébus. A la tète de
ces prédications, se lisaient ces paroles: Diffusa est gratia
in labiis tuis.
Ces écrits , presque inconnus aujourd'hui , n'ont eu aucune
vogue, même au moyen âge. Ils n'ont attiré l'attention ni
de Henri de Gand , ni de Trithème. L'auteur du xni* siècle
quia le plus parlé de Guiard est Thomas de Cantimpré, dont
les récits ne méritent pas une très-haute confiance. Nous
avons déjà rapporté les paroles qu'il lui prête au sujet de la
pluralité des bénéfices. Ailleurs , Thomas cite une réponse l. li,c. 3.
assez équivo(jue de Guiard, à la question de savoir si le
Yya
XIII SIÈCLE.
356 JEAN DE MONTLAUR,
péché de simonie peut quelquefois être commis par le pape.
L. I. c. /,. Mais l'article le plus merveilleux est l'apparition du prélat,
après sa mort, à un trëre prêcheur, pour lui apprendre qu'il
est dans le purgatoire, en expiation de sa trop grande sécu-
rité : Niniia securitas me cnlpabilein reddldit et purgandum;
3ue néanmoins sa peine doit ètrt- adoucie et abrégée , à cause
u zèle ardent dont d a été constamment animé contre les
hérétiques. D.
JEAN DE jVKWTLAUR.
MORTenn',7. ÉVÉQUE DE MAGUELONE.
Jean de Montlaub, troisième du nom, évêque de Mague-
lone , second évêque de cette ville de la famille de Montlaur,
adroit à une place dans l'Histoire littéraire de la France, à
Gariei Séries t^^usc dcs règlements qu'il donna à la faculté des arts de
Praesui. Maga- l'Académie de Montpellier en 124^- Cet évêque fut élu en
Ion. p. 343. 1234- La faculté des arts existait déjà dans l'Académie de
i vi* col 'i 66 Montpellier à cette époque, et il est à remarquer que c'est
après avoir consulté les professeurs et même les écoliers, et
avec leur assentiment, que l'évêque composa son règlement.
Ce prélat s'exprimait ainsi dans son préambule: Dilectis in
Christo jiliis , niagistris et scholaribus in gramniaticd et lo-
gicd apud Montem - PessuLanum sludentibus saluteni ....
De coniniuni ergo consensu et consiliis Ifnii'crsitatis tani doc-
toruni quàni discipuloruni . . . . constitutione perpétua ordi-
nanius , etc.
Ce règlement se composa de quatorze articles. Il y fut
statué, entre autres, que personne n'enseignerait sans avoir
été examiné par l'évêque ou par ses députés, et sans avoir
juré foi et obéissance à l'évêcpie. Les maîtres de Paris seuls
furent exemptés de l'examen. Suivant l'article V, nul maître
ne devait recevoir les écoliers d'un autre; et suivant l'article
IX, nul ne devait supplanter son confrère dans la location
de la maison qu'il aurait prise, ou qu'il voudrait prendre,
pour y donner ses leçons ; ce qui nous montre que les cours
étaient rétribués au profit du maître, et déplus, qu'il n'y
avait point encore à INIontpellier, à cette époque, de salles
ÊVÊQUE DE MAGUELONE. 357
XIII SIÈCLE
publiques fournies par l'administration municipale, où les L
professeurs fissent leurs cours , du moins pour la faculté des D'Aigrefeaiiie,
lettres. On sait que c'est seulement en 1289 que le pape Hist. de la ville
Nicolas IV réunit les divers enseignements publics de cette ''*'^ï""'p«"'"'
ville en université.
Jean de Montlaur paraît avoir été lié d'une amitié parti-
culière avec Raimond Bérenger IV, comte de Provence; il
l'assista à sa mort, arrivée en i245, et conduisit la pompe Gaii. christ. t.
funehre.funebn pompa parentavit. Nous pouvons par consé- vi,coi. vfifi.
quent supposer que ce prélat est un des personnages repré-
sentés parmi ceux dont se compose le convoi , sur le tombeau
de Bérenger, placé à Aix dans l'église de Saint -Jean de
Malte (i).
Jean de Montlaur mourut lui-même à Lyon, dans les mois
de juin ou de juillet de l'an 1247.
Un de ses oncles, nommé Jean II, de Montlaur, évêque D'Aigrefeuiiie,
de Maguelone, avait été élu en 11 48, et mourut en 1190. p-^'
C'est ce Jean II qui construisit la façade de son église. La
porte était en marbre blanc, et ornée de sculptures. Ce mo-
nument fut terminé en II 78. E. D.
GUILLAUME D'AUVERGNE,
ÉVÈQUE DE PARIS.
HOBTCU ia4<^-
(jruiLLAUME, né à Aurillac, il n'est pas dit en quelle année,
quitta fort jeune sa patrie, et conserva pourtant le surnom
d'Auvergne. Il vint étudier à Paris, où ses progrès relevèrent
bientôt au rang des maîtres. On vantait son habileté en théo- Kieur» Hist.
logie, en philosophie, et même en mathématiques. Il avait ecciés. 1. îm»,
lu des traductions de quelques livres arabes, et il passe pour °- ^*' •• ^^*'
le premier docteur qui ait fait usage des livres grecs ou tra- '"'"' P- 9 •
duits du grec, qu'on attribuait à Hermès ou Mercure trismé-
giste. Il paraît même en avoir connu qui ne se retrouvent
plus, particulièrement le Traité du Dieu des Dieux. Ce
(i) Ce tombeau, démoli en 1794, a été rétabli par les soins du marquis
de Villeneuve, préfet des Bouches-du-Rhône, et exécuté d'après l'ancien
modèle, par M. Bastiani , sculpteur.
2 6
358 GUILLAUME D'AUVERGNE,
XIU SIECLE.
n'était qu'en de mauvaises versions qu'il avait pu lire les
philosophes grecs; et nous n'avons pas besoin de dire com-
bien il était difficile qu'il puisât en de pareilles sources une
instruction saine, une véritable science. On lui a reproché
d'avoir trop néglif^é les Pères de l'Eglise; mais il avait du
moins étudié fort soigneusement les livres sacrés, et apprécié
avec assez de sagacité les scolastiques de son siècle et du
précédent. Du reste, ses travaux littéraires ou théologiques
ne remplissaient pas toutes ses journées , il en consacrait
une partie à des actes religieux. Albéric de Trois-Foiitaines
raconte, sous l'année i225, qu'il fonda une nouvelle maison
des Filles-Dieu à Saint-Denis, et y rassembla plusieurs pé-
cheresses converties par ses soins. L'évêque de Paris, Bar-
thélémy, étant mort en 1228, on élut, pour le remplacer,
Guillaume d'Auvergne qui, selon les apparences, n'avait
auparavant exercé d'autres fonctions que celles de professeur.
Chaque année de son épiscopat est marquée par des fonda-
tions ou institutions pieuses, qui sont retracées fort au long
dans la Gallia christiana , mais dont l'exposé complet ne
Gaii. ciii. no- peut appartenir qu'à l'histoire ecclésiastique. Nous remar-
va, t. VII, col. querons seulement l'établissement du prieuré de Sainte -,
fcois,HisL~ecci" Catherine en 1229, les concessions obtenues en 1280 par les
Paris, I. II, p. franciscains et par les trinitaires. On sait quels troubles
Î12-372. éclataient alors au sein de l'Université de Paris. Les maîtres
voyant que la reine Blanche méprisait leurs remontrances,
recoururent à l'évêque, qui ne les écouta pas plus favorable-
ment. Il croyait ses droits lésés par les privilèges que récla-
mait l'Université, et s'associait contre elle aux entreprises
du chancelier Philippe de Grève. « La reine appuyait sans
V oy. ci-dessus , . i'.. /-• ' • p ■ ■> j r> • /^ Ml
p. 184-19.. « doute sous main, dit Lrevier, leveque de Pans, Guillaume
Hist de ru- « d'Auvergne, qui ne se montra pas en cette occasion fort
niv. t. i,p. 342. « reconnaissant envers l'école dans laquelle il s'était formé
« et avait enseigné comme docteur. Ce prélat, au lieu de
« calmer, par la douceur, des esprits blessés, prit le ton
« de hauteur, et il les aigrit encore davantage. De concert
a avec le légat, il fulmina des excommunications contre les
« maîtres et écoliers qui s'étaient engagés par serment à
« ne point retourner à Paris qu'on ne leur eût donné satis-
« faction. »
Envoyé en Bretagne pour déjouer les manœuvres du duc
Pierre qui, s'étant allié au roi d'Angleterre, Henri III, s'effor-
çait d'entraîner ses vassaux dans sa défection, Guillaume
ÉVÊQUE DE PARIS. 35g
Xni SIÈCLE.
sut ramener les seigneurs bretons à l'obéissance ; et pour les
dégager des serments qu'ils avaient prêtés au duc, il le dé-
clara déchu de sa principauté, par un acte publié au mois
de juin 1280, à la suite d'une assemblée de prélats tenue
dans la ville d'Ancenis, En i234, l'évêque de Paris institua
une église baptismale à Crène, près de Villeneuve-Saint-
Georges. Dans le cours des 4 années suivantes, il prit une
part très-active aux resolutions qui condamnèrent la pluralité
des bénéfices, et se montra sur ce point l'un des plus zélés
adversaires de Philippe de Grève, ainsi que nous l'avons
exposé dans l'article qui concerne ce chancelier. Louis IX
ayant racheté en i238 la sainte couronne d'épines, engagée Uubois, hjm.
> 1 '. j • ■ c ■ Il f » » ' ecclés. Paris, I.
a des étrangers pai' des croises français, elle rut rapportée en n •^t- Vsi
France; et l'évêque de Paris présida aux cérémonies reli-
gieuses qui eurent lieu, le 1 1 août laSg, pour la recevoir et
la déposer dans l'église royale de Saint-Nicolas, appelée la
Sainte -Chapelle depuis sa reconstruction sous le règne de
ce même prince. Une relation de la translation de cette
relique a été composée par Gautier de Cornut, alors arche-
vêque de Sens.
Deux actes assez importants de Guillaume d'Auvergne
sant datés de l'an i243. L'un concerne la construction- de
l'église de Saint-Nicolas-du-Chardonet, et les droits réservés
à l'abbaye de Saint-Victor sur ce territoire. L'autre est une
censure de dix propositions théologiques ou métaphysiques.
Nous reviendrons sur cet article, quand nous parlerons de
ses écrits, il baptisa en i244 le fils premier-né de Louis IX;
et en.ia45, il se trouvait à Cluny, quand ce monarque et le
pape Innocent IV y eurent une entrevue. On avait conçu le
f)rojet d'une croisade: Guillaume eut la sagesse de détourner
e roi de cette entreprise. Mais, en 1248, il souscrivit à la
condamnation solennelle du Talmud, prononcée par le légat
Eudes, sur l'avis de 43 docteurs en théologie ou en droit
canon. Tels sont les principaux faits de l'épiscopat de Guil- DeApibus.i.
laume d'Auvergne, à moins que, sur la foi de Guillaume de "» •=• ^^•
Cantimpré, nous n'y ajoutions un trait honorable de désin-
téressement, le refus de profiter de la loi ou de l'usage qui
l'autorisait à revendiquer la riche succession d'un chanoine
décédé sans avoir fait de testament.
Nous transcrirons de plus le récit que fait Joinville de Hist.des.Loys.
l'entretien de ce prélat avec un théologien. Le roi saint Louis ^'*'',^* j83o,p.
dit à Jornville « que l'évesque Guillaume de Paris li avoit
XUI SIÈCLE.
36o GUILLAUME D'AUVERGNE,
« conté que un grant mestre de divinité estoit venu à II et
« li avoit dit que il vouloit parler à li, et il li dist : Mestre,
« dites vostre volenté; et quant le mestre cuidoit parler à l'é-
« vesque, commença à plorer trop fort. Et l'évesque li dit :
a Mestre, ne vous décontortës pas, car nuls ne peut tant pé-
« chier que Dieu ne peut plus pardonner. Et je vous di ,
" sire, dit li mestres, je n'en |)uis mais si je pleure; car je
« cuide estre mescréant, pour ce que je ne puis mon cuer
« ahurter ( forcer ) à ce que je croie ou sacrement de l'autel,
« ainsi comme sainte Esglise l'enseigne, et si sai bien que ce
« est des temptacions l'ennemi. Mestre, fist li évesque, or
« me dites quant l'ennemi vous envoie cette temptacion , se
« elle vous piet. Et le mestre dit : Sire, mes m'ennuie tant
« comme il me peut ennuier. Or vous demande-je, fist l'é-
« vesque, se vous prenriés or ne argent par quoy vous regeis-
« siez (profériez) de votre bouche nulle riens qui feust contre
« le sacrement de l'autel , ne contre les autres sains sacremens
« de l'Esglise. Je, sire, fist li mestres, sachiez que il n'est
« nulle riens ou monde que j'en preisse, ainçois ameroie miex
« que en m'arrachast touz les membres du cors que je le
« regeisse. Or vous dirai-je autre chose, fist l'évesque; vous
« savez que le roy de France guerroie au roy d'Engleterre ,
« et savez que le chastiau qui est j)lus en la marche de eulz ij,
« c'est la Rochelle en Poitou. Or vous weil faire une demande,
K que se li roys vous avoit baillé la Rochelle à garder, qui est en
x« la marche, et il m'eust baillé le chastel de Monlaon ( Mont-
« Ihéry ) à, garder, qui est ou cuer de France et en terre de
« paix, auquel li roys devroit savoir meilleur gré en la fin de
« sa guerre, ou à vous qui auriés gardé la Rochelle sanz per-
ce dre, ou à moi qui li auroie gardé le chastel de Monlaon
« sanz perdre? En non Dieu, sire, fist le mestre, à moy qui
« auroie gardé la Rochelle sanz perdre. Mestre, dit l'éves-
ft que, je vous di que mon cuer est semblable au chastel
« de Montlehéri ; car nulle temptacion, ne nulle doute je
« n'ai du sacrement de l'autel ; pour laquelle chose je vous
« di que pour un gré que Dieu me scet de ce ^ue je le croy
a fermement et en paix, vous en scet Dieu quatre, pour ce
« que vous li gardez vostre cuer en la guerre de tribulacion ,
« et avez si bonne volenté envers li, que vous pour nulle
a riens terrienne ne pour meschief que on feist du cors, ne
« le relenquiriés , dont je vous dis que soies tous aese, que
a vostre estât plet miex à nostre Seigneur, en ce cas-, que ne
ÉVÊQUE DE PARIS. 36 1
Xm SIÈCLE.
« fait le mien. Quant le mestre oy se , il s'agenoilla devant
« l'évesque, et se tint bien pour poiez (payé ). »
Aubert-le-lVlire dit que Guillaume d'Auvergne mourut en Auciarium,n.
1244- C'est évidemment une erreur, puisqu'on a des actes ^°'>P-73-
de ce prélat datés des quatre années suivantes. L'église de
Paris, qu'il avait gouvernée pendant 21 ans, le perdit le 3o
mars, jour du mardi saint 1249 1 ou, selon le langage usité
quand l'année ne recommençait qu'à Pâques, 1248. Il fut
enterré chez les Victorins, dans la chapelle de Saint-Denis,
où sa tombe était indiquée par quatre vers gravés sur l'airain :
Contlitiis liic recu]>at fatali sorte Guilelmus,
Parisii pastor qui gregis aptus erat.
Kepperit illustrem cœlesti miinere famam,
Qiiani neqiiit in tantu mors abolere vire.
Une épitaphe en prose se lisait sur une table de marbre,
en ces tertnes : Hic situs est Guillclnius Paris, episc. AU'ernus
patr. scriptis clarus , qui episcopatu se abdicans meliorem
oppetiturus mortem , hûc. secessit- Ohiit pridiè cal. martii,
anno Doniini MCCXLVIll. 11 y a dans cette courte inscrip-
tion plusieurs inexactitudes : il faut écrire l'avant-veille des
calendes d'avril, tertio cal. aprilis, et non la ve\\\e ., pridiè ,
des calendes de mars, ce qui désignerait le dernier jour de
février. Le mot abdicans, pris à la lettre, donnerait lieu à une
erreur plus grave. Guillaume n'a point abdiqué l'épiscopat.
On peut supposer seulement que, dans sa dernière maladie,
il s'était retiré à l'abbaye de Saint-Victor, j>our finir plus
saintement ses jours. L'article qui le concerne dans le mar-
tyrologe de l'église de Paris, commence par ces lignes : Ca-
lendis aprilis A. D. MCCXLVIll , feriâ lll post ramos
palmaruni obiit bo/iœ memorice Guillelmus Parisiensis epis-
copus qui dédit nobis , etc. Suit l'énumératioq des dons que
la cathédrale et le chapitre avaient reçus de ce prélat. Le
nécrologe de la même église identifie également le mardi
saint et les calendes d'avril, qui en 1249 étaient deux jours
bien distincts : le premier correspondait au 3o tpars, Pâques
tombant au 4 avril. Le nécrologe de Saint-Victor est moins
inexact , il fixe l'anniversaire , non du décès sans doute , mais
delà sépulture, au3i mars.
La science, les vertus , les talents de Guillaume d'.4uvergne
avaient obtenu de son vivant des hommages publics et .du- Script, renmi
râbles; par exemple, ceux de Nicolas deBraiaqui, dans son ^vil*' s'ia^
Tome XVII I. Z z
2 6 »
XIII SIEO.E.
362 GUILLAUME D'AUVERGNE,
poème sur le règne de Louis VIII , adressait à l'ëvêque de
Paris ces treize vers :
Et tu, qiiem decorat virtutuni schéma sophiae,
Gratis quem genitrix et virgo pudica pudiciim
Esse sibi gaudet famulum , qiio praeside ridet
Ârtibiis ingenuis vernans urbs Parisiensis,
Qiio festival eum Alvernia fomite felix ,
Gemma sacerdotum, cleri deciis : liùc ades, aures
Hùc advertetuas cœptis, patiare caiiiaenam,
Praesidioque tuî Rraiae Nicolaus aliimnus
Gaudeat, et robur tua gratia conférât ilb.
Plusquam Piérides, pbisquam fœcundus Apoïlo,
Conferet ingenio tua gratia sola juvamen.
Est labor iste gravis, sed te niediante, Liboris
Hujus onus leviter mea mens perferre valebit.
Henri de Gand ne fait pas mention de Guillaume d'Au-
De Script, ec- vergne ; mais les éloges que lui décerne Trithème prouvent
des. a. 43o. que sa renommée n'avait pas encore perdu son éclat au xv«
siècle : yir in divinis scripturis eruditus , et secularis philoso-
phiœ non ignarus , ingenio subtihs et apertus eloquio , nec
minus conversatione quant scientiâ venerandus , composait
non pauca eruditionis suce opéra, quitus etdoctumse osten-
dens magistrum et devotum, nominis sui memoriani reddidit
imniortalem.
Il a été non moins magnifiquement loué par quelques
écrivains du xvi^ et du xvii*^ siècle, mais surtout par ses édi-
teurs, dont les recommandations sont trop suspectes pour
être ici rapportées. C'est par,rexamen du recueil volumineux
de ses ouvrages qu'il convient de l'apprécier.
SES BCKiTs. On conservait à l'abbaye de Saint-Victor, qui avait été sa
dernière demeure, des copies manuscrites de presque toutes
ses œuvres. Il en existe de son Traité de l'univers , à Venise,
sous les numéros 3o5 et 3o6 des manuscrits latins. Le monas-
tère de Long-Pont dans le Soissonnais possédait, sous cette
même forme, ses commentaires sur l'Ecclésiaste et sur le
Cantique des cantiques. La glose sur saint Matthieu, qui lui
a été attribuée, est le n° 41^3 des manuscrits latins de la
Bibliothèque royale de Paris. Des sermons déposés dans celle
des Célestins, et en des musées d'Oxford et de Cambridge,
portaient le nom de Guillaume d'Auvergne, et se retrouvaient
sous celui d'un autre Guillaume chez les prémontrés de
Cuissy. C'était sous le premier nom que se lisait un livre
contre les exemptions ou privilèges des réguliers, dont il
Xm SIECXE.
EVEQUE DE PARIS. 363
subsistait d'anciennes copies dans les bibliothèques de deux
collèges d'Oxford. Mais ces divers manuscrits ont aujour-
d'hui peu d'importance, IfS uns parce qu'ils ont été publiés;
les autres parce qu'il est fort douteux qu'ils appartiennent
à l'auteur qui nous occupe.
Les éditions sont ou générales ou particulières, c'est-à-dire
restreintes à quelques-uns des livreâ de Guillaume. On a
ainsi imprimé sa lihetorica divina, à Gand en 1483, à Bâie ^°y- ^•'"«ri
avant i486, in-fol., et en i494 in-4"; à Paris en i5oo et i5i6, v°p'»36'^i37
in-8"; outre plusieurs éditions sans date in-8°, in-4° et in-fol. : t. xi, p. 389)
— les livres De fide , de legibus , virtutibus , moribus, etc. ,à 390,571, tu.
Ulm eu i485, à Nuremberg en 149G, et à Augsbourg sans
date, in folio : — le traité De sepleni Sacramentis Ecclesiœ,
à Paris en i48ç), in-4°; en 1492 et en i494i in-8*; à Nurem-
berg en 1496, in-fol.; à Bâle en lôoy, et à Leipzig en i5i2,
in-4"; et dans les trois formats, sans indication de lieu ni
d'année : — De collatione et pluralitate beneficiorum , à
Paris en 1490; à Strasbourg en i5oo, in-4°: — De universo ,
à Nuremberg en 1496, et sans indication d'année ni de
iieu, in-folio : — De passione Domini, à Haguenau en 1498,
in-4° : — De Trinitate et atîributis divinis , à Strasbourg
en i5o7, in-4° : — De claustro animœ, à Paris, in-4°, en
i5o7, etc. Les éditions de la glose d'un Guillaume ou d'un
Guillerin , sur les Epîtres et Evangiles, sont au nombre d'en-
viron 78, depuis celles d'Augsbourg en i475 et 1476, in-fol.,
jusqu'à celle de Bâle en 1620, in-4°. Les sermons imprimés
sous le nom de Guillaume d'Auvergne, évêque de Paris, à
Tubingeen i499i in-4°; à Paris en i638, in-folio, l'ont été
sous un autre nom à Paris en 1494» in-8°; à Lyon en 1667,
in-8°; à Cologne en 1629, in-4°. Il faut ajouter que la con-
damnation de lo propositions, prononcée par notre prélat
en 1 ^43, a été insérée en 1677 dans le toraeXXVde la grande
Bibliothèque des Pères, publiée à Lyon, in-fol.
En réunissant les 3 volumes in-folio qui ont paru chez
Koburger à Nuremberg en 1496, et qui contiennent, l'un,
les livres De fide, legibus, etc.; l'autre, le traité De Sacra-
mentis^ et le 3* l'ouvrage intitulé De universo, on aurait un
recueil presque complet des œuvres authentiques de Guil-
laume d Auvergne; et pour avoir à peu près toutes celles qui
lui sont attribuées, il suffirait d'y jomdre deux volumes
sortis des mêmes presses., eu la même année, savoir, l'in-folio
qui a pour titre : Sermones de tempore et de sanctis , et l'in-4*
Z Z2
364 GUILLAUME D'AUVERGNE,
■ intitulé Guillerini postilla in Epistolas et Evangelia ; enfin la
seconde partie des œuvres de Guillaume, publiée avec un
précis de sa vie, par Antoine Silvester, à Paris en iSi^iin-S",
Bibliotb.ined. si toutcfois Cette édition, indiquée par Eabriciusetinconnueà
ctinf. lai. t. III, Panzer, existe réellement. Quoi qu'il en soit, on a considéré
*' '^•^' cotnme la première édition générale des ouvrages de notre
Guillaume, celle que Dominique Trajani donna l'an lôgi ,
à Venise, in-folio. Elle comprend 21 articles, parmi lesquels
toutefois ne se rencontrent ni les sermons, ni les notes sur
les évangiles et les épîtres, non plus que sur aucun autre
texte sacré, ni la censure des 10 propositions, ni les livres
sur les privilèges des réguliers, ni les traités de la Trinité et
des attributs divins, ni le traité de l'ame, ni le supplément
à celui de la pénitence. L'édition de 1G741 à Orléans, en 2
tomes in-folio, due aux soins de Perron, chanoine de Char-
tres, laisse beaucoup moins à désirer, quoiqu'on n'y ait
admis aucun commentaire de livres saints, et quon en ait
encore exclu le traité de la passion de Jésus-Christ, l'opus-
cule contre les exemptions ou privilèges, et la censure pro-
noncée en 1243.
Guillaume d'Auvergne avait fixé lui-même l'ordre dans
lequel les 5g2 premières pages du tome \" de l'édition de
i6y4 nous présentent la plupart de ses écrits authentiques.
Ses préambules tendent à établir entre ces divers traités un
enchaînement, qui peut bien ne pas sembler aussi naturel
ou aussi étroit qu'il le supposait, mais que ses éditeurs
ont dii respecter. Nous verrons peut-être qu'ils s'en sont
écartés à l'égard de quelques autres articles non moins im-
portants,
r. ,-i.s De Ficie. L'auteur définit la foi , une vertu qui fortifie
l'entendement humain, et le protège contre les tentations
d'incrédulité. L'existence de Dieu, l'unité de sa nature, et la
trinité des personnes divines, sont les seuls dogmes exposés
dans ce premier opuscule,
r. 18-102. De Legibus. La loi est le devoir écrit, déclaré par les pré-
ceptes religieux : Lex nihiL aliudest quani honestas legibdis,
id est descripta religionis prœccptis. C'est principalement aux
lois de Moïse que celte définition est ici appliquée. Mais à
l'éloge des croyances et des observances judaïques, se joint
Lib.coniràasir. unc censurc sévère de la religion de Mahomet et de celle des
iiiier j. r.fison. idolâtres. Pierre d'Aillv fl fait mention de ce traité et du
!P;';'' '' f* précédent.
loa-
KJl.
EVEQUK DE PARIS. 363
De / irlutibiis. Guill.mme su|)pose que Cicéron a défini la '. 1_
vertu : Habitas mentis benè constitutœ ; et après s'être long- Guiii arv.opt
temps arrêté à critiquer cette délinition, à disserter sur les ""'^ '' >
habitudes, sur la volonté, sur les passions, il divise les vertus
en naturelles et acquises ou coutumières ; il compare les
premières aux pieds et en général aux membres du corps
humain, les secondes à des béquilles, à des jambes de bois,
en un mot aux instruments ou adminicules qui suppléent à
I iraperlection ou à la perte de nos membres, lu tûtes natu-
ralcs , SIC sti/it m atninabus sicut pedes in hominibiis , . . . et
consuetiidinales sicut ligaci pedcs aut gradiendi adininicula.
II traite ensuite des sept dons du Saint-Esprit, des sept
béatitudes , des trois vertus théologales et des quatre cardi-
nales, qu'il assimile aux quatre points cardinaux du monde
et aux quatre fleuves du paradis.
De Moribus. l'atigué lui-même des argumentations où il ic)i-a(io
vient de s'engager, l'auteur annonce qu'il va procéder par
voie de narration, ou même employer des formes drama-
tiques, en mettant successivement en scène chaque vertu,
rjui viendra produire le tableau de ses a-uvres, de ses com-
bats, de ses triomphes. Non est nobis neccssarium per vias
probationum incedere , sedniagisperviatn narrationis , qucc
unicuique legenti vel audienti per se ipsa manifesta sint ,
scribcre. Ut auteni ipsa' narratiunes lucidiores et jucundiores
pariter sint , introducennis ipsas virtutes loquentes magnifi-
centiam et mirificentiam operuni suoruin , prœlia quoqnc ac
victorias. La Foi prend donc la parole; après elle, la Crainte,
l'Espérance, la Charité, la Piété; chacune d'elles fait son
propre éloge. Mais c'est ensuite l'auteur qui parle en son
nom pour louer le Zèle, la Pauvreté, l'Hunnlité, la Patience.
Ainsi ce livre appelé, on ne sait trop pourquoi, traité des
mœurs, se compose de i3 discours, qui offrent un mélange,
souvent fastidieux, d'arguments ou de distinctions de l'é-
cole, de figures ou d'amplifications oratoires, de traits histo-
riques ou fabuleux, de textes sacrés, de textes profanes,
surtout d'Aristote ou de Gicéron , plus ou moins inexacte-
ment cités.
De Vitiis et Peccatis. Guillaume d'Auvergne, après avoir ido-i^l.
défini le vice une mauvaise habitude, et le péché un acte qui
procède d'une habitude ou d'une disposition perverse, s'ef-
force de concilier ces notions avec l'expression de pécfié
originel. Il s'engage ù ce propos en de ëi longues di»cussionSf
36G GUILLAUME D'AUVERGNE,
XIII siKCLE. qjjg |g pèche originel devient l'unique sujet des deux tiers de
cet opuscule,
293-309. De Tenta tionibiis et Resistentiis. Les tentations ne sont,
selon l'auteur, que des épreuves ou expériences, utiles en
soi, mais que notre faiblesse rend dangereuses. Il n'enseigne
que d'une manière assez vague les moyens d'y résister.
Jio-îiS. De Meritis. C'est moins un livre qu'un chapitre destiné à
expliquer cette définition du mérite : Obsequium retribntionis
obligatorium , hoc est quod recipienteni sive illum oui inipen-
ditur, efjicit retributionis obligatum.
'.ij-^îS De lietribiitionibus Sanctoruni. Chapitre plus étendu qui
se rattache au |)récedent. Pour représenter la béatitude céleste
comme un grand festin, Guillaume cite des textes sacrés:
Sntiabor cuin apparuerit gloria tua. — Homo quidam fecit
cœnani magnani. — Ego disposai vobis sicut disposait mihi
Pater regnutn , ut edatis et bibatis supra mensam meam, in
regno m,eo. Mais la nourriture des âmes saintes est la vérité,
qui a dix-sept suavités ; leur bonheur suprême est de jouir de
la vue de Dieu, et leurs joies ineffables sont égales en nombre
comme en intensité aux supplices infinis des damnés; en
sorte que l'enfer même contribue à l'entretien et aux délices
de la table des bienheureux. Quot erunt dam,nati in inferno,
tôt erunt gaudia unicuique sanctorum, . . . non soliim de uno-
quoque damnato , scd etiam de unoquoque supplicio . . . Illa
innumerabilia gaudia et inestimabilis magnitudinis , tan-
quam fercula lautissima et deliciosissima , apponit infernus
mensœ huic.
Î19-336. De Immortalitate animœ. Ce n'est encore qu'un chapitre
qui, tout rempli d'arguments scholastiques , demeure trop
au-dessous de la hauteur et de l'importance du sujet.
3Î6-406. Rhetorica divina. Ce n'est point, comme on pourrait le
croire, un traité de l'art d'annoncer la parole divine, une
rhétorique des prédicateurs; c'est un traité de la prière, des
oraisons adressées à Dieu. Les réflexions et les préceptes
s'appliquent successivement à l'exorde, à la narration, au
corps du discours, aux divers objets et aux formes des de-
mandes, aux supplications, aux invocations accessoires; à
l'intercession de Jésus -Christ, de la sainte Vierge et des
saints; aux circonstances physiques de la prière, telles que
la situation du corps, les soupirs , les gémissements, les cris,
les chants , les larmes et les sanglots. De tous les ouvrages
de Guillaume d'Auvergne, c'est le premier qu'on ait imprimé
XIII SIECLE.
ÉVÊQUE DE PARIS. 367
et Tun de ceux dont on a donné le plus d'éditions au xv* et
' au XVI* siècles. Mais depuis l'an 1600, on a cessé presque
partout d'en faire usage; les théologiens mystiques qui ont
écrit sur la raême matière, l'ont peu cité. Duguet semble
n'en avoir pas eu connaissance.
De Sacranientis in generali. A la tête de ces considérations ,',07-416.
générales sur les sacrements, l'auteur rend compte de l'ordre
et de la liaison qu'il prétend établir entre ses écrits théolo-
giques. Nous transcrirons les premières lignes de cet exposé,
afin qu'on prenne une idée de sa manière de concevoir et de
s'exprimer. Cuni inter sapientiales spiritalesque scientias
quœ dU'inœ seu divinales vocantur, scienda de verd religione
etfide, quœ Jundamentuin illius est, et de sinceritate cultûs
qui solas Deo altissimo acceptus est , ac de legil)us ne ritibus
et sacris , quintum locurn obtincat , et quinto loco sit trac-
tanda, docenda, atque discenda , Jacdc est nianifesluni tibi
fteri scientiarn de sacramentalibus atquc juslificationibus ,
inter sublimes istas nobilesque scientias, consequenteni lucuni ,
id est sextum , rectissirno ordine obtinere.
De Sacramento Baptisnii. Ce court traité n'embrasse pas, 4i6-42fi.
à beaucoup près, toutes les questions relatives au baptême;
mais on y voit que l'administration de ce sacrement aux
enfants nouveau-nés, et l'intervention des parrains, étaient
des usages bien établis au xiii« siècle: il n'est rien dit des
marraines.
De Sacramento Confirmationis . Opuscule plus succinct /,2(;-429.
encore, peu capable de servir à l'histoire soit des rites, soit
des controverses, concernant le sacrement de confirmation.
De Sacramento Eucharistiœ. Les dogmes de la présence
■ ' Il I I I ■ • ' 4'Z9-43'-
réelle et de la transsubstantiation ont paru expressément
consignés dans ce traité. En effet, nous y lisons d'une part,
Sue Jésus-Christ y est présent sous la forme humaine, afin
e remplir, au profit du peuple, la triple fonction de prêtre,
d'avocat et de médecin ; de l'autre, que la substance du pain
s'anéantit, et qu'il n'en reste que les accidents sensibles. Le
mot même Ae transsubstantiation est employé: In transsub-
stantiatione nihil omnino remanet de paneprœter novissimum
vel ultimum quod est accidentium sensibilium varietas , sive
sensibilis forma.
De Sacramento Pœnitentiœ. L'auteur commence par ré- 45,-5,1.
futer l'opinion de ceux qui soutenaient qu'il suffisait de se
confesser à Dieu ou à un laïc; qu'il n'était pas nécessaire de
XIII SIECLE.
368 GUILLAUME D'AUVERGNE,
recourir à un prêtre. 11 traite ensuite de la contrition et de
l'attrition , de la confession qui s'appelait aussi computation
ou compte rendu, de la satisfaction, et particulièrement de
la restitution ou réparation des dommages. 11 finit par lenu-
mération des devoirs d'un confesseur, en se servant du mot
latin confessor c^ui n'a point cette signification.
5i2-j28 De Sacramento Matrimordi. Ce traité parait avoir été com-
posé à une époque oîi les mœurs étaient fort déréglées.
. „ -., De Sacrmnento Ordinis. Lesiiremiers chaiiitresde ce livre
5*0-5 )i. ,. , . 1 • -1 < i>i • • 1 I 1-
peuvent fournir quelques detaits a f histoire de la liturgie.
Les suivants sont principalement destinés à soutenir la légi-
timité et lefficai'ité des excommunications et des indul-
gences.
rf, erg De Sacrameuto Extremœ Unctionis et de Socramentalibus.
Le dernier mot du titre de ce traité, ou |:»lutôt de ce cha-
pitre unique, caput unicuni , s'applique aux généralités qui
le remplissent presque tout entier. Il n'y est parlé de l'ex-
trême-onction que dans les premières lignes, où sont cités
les textes des actes des apôtres et de l'épître de saint Jacques
qui concernent ce sacrement.
555-570. Tractatus de causis car Deiis homo. En consiflérant l'état
actuel de la nature humaine, les dispositions vicieuses qui
l'entraînent au mal, qui la condamnent à la mort, l'auteur
reconnaît dans ces désordres les tristes effets du péché
d'Adam. Les principes ou éléments de ce péché et de tous
ceux qui l'ont suivi , sont aux yeux de Guillaume d'Auver-
gne, l'orgueil, l'avarice et la désobéissance. Il explique fort
au long comment le rétablissement de l'ordre moral a exigé
l'incarnation de l'une des personnes divines, et pourquoi
cette personne ne pouvant être ni le Père, ni le Saint-Esprit,
il fallait que ce fût le Verbe ou le Fils de Dieu. Dans le 9*
et dernier chapitre , il s'applique à réfuter les hérétiques et
les Sarrasins, qui prétendaient qu'après la passion de Jésus-
Christ, après une satisfaction si parfaite, il n'aurait dû sub-
sister aucun reste, aucune trace du péché originel.
570-591. Tractatus novus de Pœnitentid. Ce deuxième traité de la
pénitence eût été, ce semble, mieux placé à la suite du pre-
mier, qui est plus étendu : celui-ci n'en est qu'un supplément,
et quelquefois qu'une sorte d abrégé où les mêmes questions
sont traitées presque dans le même ordre.
Les 482 dernières pages du tome \" des œuvres de Guil-
laume d'Auvergne sont remplies par son traité De Universo,
XIII SIECLE.
EVÊQUE DE PARIS. 369
le plus considérable de ses ouvrages. Il est divisé en deux
parties principales, dont chacune a trois sections. Pour dis-
tinguer ces deux parties, on pourrait dire Cjue la première
traite de l'univers matériel, et la deuxième de l'univers spi-
rituel ; mais en étudiant la première, on reconnaît que la
totalité des êtres y est envisagée sous les aspects les plus
généraux ou les plus absolus, tandis que dans la seconde, il
s'agit spécialement des créatures intelligentes. Les 3 sections
de la première ont pour objets 1° l'auteur, les origines, les
principes ou la nature de l'univers; -i" sa durée et ses divers
états passés, présents et futurs; 3° la providence qui le con-
serve et le gouverne. Dans la deuxième partie, l'auteur
considère 1° l intelligence pure, dépouillée de la matière,
intelligentiœ spoLiatœ et abstractissirnœ à mnteriâ ; a" les
calodœmones ou les bons anges; 3" les cacodœmoites ou les
diables.
La 1'^ de ces six sections commence par ces mots: Scito 503-68».
igitur in prirnis quia universum non intelligo lue nisi univer-
sitateni creciturarum , et sive dicain universum , sive omne ,
sive mundum sinipliciter, hoc estabsque dcterniinationis ad-
jectione , una est intentio apud me trium illorum. Quare
scicntia de universo per modum istum et scientia de omni
scientiaque de mundo sinipliciter, una scientia est, et est pars
secunda prinii sapientialis et divinalis magisterii. Hoc autem
est propter duas causas , quarum altéra est honor et gloria
Creatoris qui est finis prœcipuus et ultimus totius sapientialis
ac divinalis magisterii. . . . Secunda causa est destructio er-
roruni qui sunt circa universum sive de universo errorum
quibus declinatur ii viis veritatis et semitis rectitudinis , per
■quas ad hune finem scilicet verce philosophationis venitur.
Nous avons transcrit ces lignes, non seulement parce qu'elles
peuvent donner quelque idée de la philosophie et du style
de Guillaume, mais aussi parce qu'il y déclare que tout ce
traité de l'univers, composé de six sections, n'est à ses yeux
que la seconde partie de l'enseignement sapiential et divi-
nal , c'est-à-dire, sans doute, de la théologie. On pourrait
être induit à croire que la première partie de cette science
consiste dans les 19 traités qui ont précédé; mais outre qu'il
serait difficile de leur donner un titre général qui pût les
embrasser tous , et les présenter comme un système , ou
comme la première moitié d'un système, nous reconnaîtrons
plus tard que c'est à son traité de la Trinité et des attributs
Tome XVlll, Aaa
IIIl SIECLE.
370 GUILLAUME D'AUVERGNE,
divins, que Guillaume d'Auvergne rattache, comme deuxième
partie, le traite de l'Univers. Celui-ci commence par l'exposé
des preuves de l'unité du Créateur; neuf chapitres sont em-
ployés à la réfutation du manichéisme. I/auteur établit en-
suite l'unité de l'univers même , et à l'appui de cette doctrine,
il soutient, au moins inutilement, l'impossibilité du vide. 11
enseigne comment l'univers émana d'une première cause qui
est l'intelligence divme ou le verbe éternel; et, à ce propos,
il distingue le verbe intelle(.'tuel du verbe écrit et du verbe
parlé. Verhum juxta très intention.es dicitur , et juxtà pri-
muni quidem -verhum intcllectunle quod usuahter vocant
verhum in mente, et hoc non est nisi imago vel similitudo rei
intcllcctœ et cogitatœ, resultans in effectu in spécula mentis
et hoc est cogitatio in ejfectu. Secunda intentio dicitur ipsa
designatio scripta, sive descriptio facta figura vel figuris visi-
hilibus , et vocatur usualiter verhum in scripto. Tertid inten-
tione ipsa vox audihilis quœ usualiter vocatur verhum in
ore , et manifestum est tibi quia neutra intentionum secun-
daruni juvat operantem artifîcem. En réfutant d'obscures
erreurs attribuées à Aristote ou à ses commentateurs arabes,
Guillaume se demande si toutes choses ont été créées à la
fois ou successivement, et si le Créateur n'a pas pu les faire
meilleures qu'elles ne sont. Il répond que chaque chose a
dû être créée à son tour et en son lieu, comme il compose
lui-mèmeson propre livre, en écrivant les chapitres l'un après
l'autre; que chaque créature, prise à part, [)ouvail être plus
grande et plus parfaite; mais que dans le système universel,
où les choses devaient entrer et se tenir en rapport entre
elles, aucune n'était susceptible de plus de bonté, de gran-
deur ou tle perfection : Non erant receptibiles majoris boni-
talis , aut meliores creahiles. C'était leur nature qui avait des
bornes; la puissance de leur créateur n'en avait pas. Le
surplus de la 1'^^ section concerne les cieux , leur nombre,
leur génération, leur profoïideur, et particulièrement celui
d'entre eux auquel on a donné le nom d'empyrée ; puis les
planètes, spécialement Saturne, la lune, le soleil, et les arts
magicjues qui se rattachaient à l'étude de ces astres; ensuite
la terre et les quatre éléments; enfin le lieu du paradis terres-
tre, le purgatoire et l'enfer.
683-754. La deuxième section s'ouvre par des notions ou discus-
sions sur l'éternité, la perpétuité, le temps, le siècle, l'âge,
les générations et les jours. Ces préliminaires amènent de»
ÉVÈQUE DE PARIS. 371
questions graves , surtout celle de savoir si l'univers est
éternel. L'auteur n'hésite point à déclarer qu'il a commencé,
et il s'arrête à le prouver par des témoignages historiques et
par des raisonnements. De là il passe à l'examen des opinions
relatives h l'état primitif et aux transmigrations des âmes, à
la grande année et aux rénovations cycliques du monde. Mais
le principal sujet de ses méditations doit être l'état futur et
définitif de toutes choses. Dire avec Origène que les corps
seront anéantis , est une hérésie à laquelle il oppose le dogme
de leur résurrection universelle. Peu de théologiens ont re-
cherché plus curieusement que Guillaume, quelles destinées
attendent, après le jugement dernier, les corps et les âmes
tant des bienheureux que des damnés; en quoi consisteront
les jouissjinces et la glorification des piemiers, les supplices
des seconds; les habitudes, les pensées, les sensations et le
langage même des uns et des autres. Il exclut du paradis
les chœurs, les danses, les orchestres : il substitue à cette
musique humaine, instrumentale et vocale, une harmonie
spirituelle et divine qui exprimera la beauté, la bonté, la
sagesse du Créateur, ainsi que l'ordre universel des créatu-
res : Erit quœdam resonantia Creatoris , et velut carmen
pulcherrimum . . . ineffahili arttficio modulatiim spiritualitcr ,
lit ipsis glorifîcatis hominihus anditu /ocundissimum, non fo-
rinseco strepitii ullo niodorwn sit tuniultitosum. Un chapitre
est destiné à fixer, autant qu'il se peut, le lieu du jugement
dernier dans la vallée de Josaphat; le séjour des saints dans
le ciel empyrée, et l'enfer au noyau de la terre. Guillaume
ne se dissimule pas les difficultés que ces croyances peuvent
offrir; il avoue qu'elles assignent au petit nombre des élus
un espace incomparablement plus vaste que celui où elles
resserrent l'innombrable multitude des damnés; car l'enfer
occupe moins de la moitié, moins du quart du globe ter-
restre, qui dans sa totalité n'est qu'un infiniment petit, en
comparaison du ciel des étoiles fixes, bien moins grand lui-
même que l'empyrée. Sienini totum cœluin illud ( empyreum)
quod mognitudine sud excedit cœluni stellaruni fixarum re-
pleturi sunt glorijîcandi homines , qiialiter capiet infernus
omnes damnatos? Jam enim alibi didicisti totam terrant in ul-
timitate paivitatis esse comparatione cœli stellarwn fixarum.
infernum auteni multo minorem esse terra totd dubitaii non
potest , càm manifestum sit. . . . ipsum esse in medio terrœ ,
et propter hoc partem ipsius terrœ non magnam , hoc est,
A aa2
XIII SIECLE.
372 GUILLAUME D'AUVERGNE,
Xin SIECLE.
neque medietatem , neque quartam. De multitudine verb
damnandorurn oninis lex determinatum habet apud se qiiod
multo major futura sit multitudine glorificandorum,. F/auteur
enseigne à résoudre ces difficultés, et propose ses conjectures
sur l'état éternel et plus parfait réservé, après la consomma-
tion des siècles ou à la fiti des temps, à la terre, aux quatre
éléments, au monde sublunaire et à l'univers entier. Du reste,
il nous avertit, en terminant cette section, qu'il n'y a de po-
sitif sur ces matières que ce que la Bible et l'Eglise nous en
apprennent.
754-806. La section troisième est consacrée à la providence divine,
qu'il faut distinguer de la prescience, et qui s'étend à toutes
les choses de ce monde, grandes et petites. Parmi les signes
qui la manifestent, Guillaume fait remarquer les industries
et l'instinct ingénieux des bêtes. Il ne voit dans les accidents
que nous appelons maux et douleurs, que des désordres ap-
parents et partiels qui , par les bons effets qu'ils produisent,
concourent à maintenir l'ordre réel et général. L'un des
soins qui l'occupent le plus, est de montrer que la prescience
de Dieu n'entraîne point la nécessité des événements, et que
la liberté des résolutions humaines se concilie avec la pro-
vidence suprême. Le fatalisme est repoussé sous quelque
aspect qu'il se présente, soit qu'il se donne pour le résultat
immédiat de l'action de Dieu sur les créatures, soit qu'il se
rattache à l'influence des astres sur nos penchants et nos
habitudes, ou à cet enchainement de causes que les Grecs
appelaient Imarméné ( Eiiy-apaew; ) , ou bien enfin à la puis-
sance inflexible qui porte le nom de fatum,, et que notre
auteur appelle aussiy^^(2?io. La distinction qu'il veut établir
ici entre EîfxapfAsvT) ut fatum montre qu'il n'a pas une connais-
sance très-précise des anciens systèmes relatifs au destin. Il
n'ignore pourtant pas tout-à- fait les rapports grammaticaux
et philosophiques qui peuvent exister entre \ejatum des
écoles antitjues et le verbum ou Aoyo; des chrétiens; mais il
n'a point assez étudié ces doctrines, pour les exposer avec
clarté et les apprécier avec justesse. Ce que nous voyons de
plus clair dans ce qu'il dit de l'ame du monde, c'est qu'il
condamne ceux qui la veulent identifier avec le Saint-Esprit,
ainsi que ceux qui admettent une force directrice de l'uni-
vers, distincte du Créateur.
La seconde partie de l'ouvrage est, comme nous l'avons
dit, destinée à expliquer l'Univers spirituel; science bien
ÉVÊQUE DE PARIS. 373
XIII SIECLE.
plus noble, selon l'auteur, que celles dont les créatures ma-
térielles viennent d'être l'objet. Comparatio scientiarum in
nohilitate aliarum ad alias, est secundàm comparationem
scibilium suorum. Quapropter necesse est scientiam de uni-
verso spirituali tanto nobiliorem esse scientiâ quœ est de
universo corporali sive corporeo , quanto natura spiritualis
qudcumque corporali dignoscitur esse prœstantior. Il s'agit, 807-8',/i.
dans une première section, des araes ou intelligences. Les
anciens philosophes en distinguaient neuf, qu'ils attachaient
à autant de lieux dont elles étaient les puissances motrices.
Guillaume d'Auvergne n'a pas beaucoup de peine à combattre
ce système. Il argumente ensuite contre ceux qui supposent
que les âmes séparées l'une de l'autre, quand elles habitent
les corps, n'en forment plus qu'une seule, à mesure qu'elles
se dégagent de toute matière. Pour rendre ces questions en-
core plus obscures, on a distingué lame de l'intelligence,
en les supposant unies et non identifiées, par l'amour que
l'une porte à l'autre. IVlais on a surtout recherché ce qu'était
l'intelligence agente ou active qui, en faisant abstraction de
tous les accidents sensibles, parvenait à reconnaître, à re-
trouver l'univers intelligible. En raisonnant sur cet arché-
type (le tous les êtres, notre auteur se demande si nos âmes
individuelles ont été créées par l'intelligence agente et uni-
que , si elles sont émanées d'elle , et si elles doivent retourner
dans son sein , en se séparant des corps. Il repousse ces
doctrines comme incompatibles avec Id foi chrétienne; il
n'attribue de force créatrice qu'à Dieu seul, et ne voit dans
le monde intelligible qu'un ouvrage divin, si ce n'est pas
Dieu lui-même ou son éternelle sagesse. Dicani quia niunaus
archetypus , hoc est exemplum omnium eoruni quœ facta
sunt vel creata à Créature , vel quœ fient aut etiam fieri
possunt , propriè est sapientia ah ipso Crentore œternaliter
genita, quani Deifilium et Deum lex et doctrina fidesque
christianorum verissimè nominat.
La deuxième section est beaucoup plus étendue; c'est un 8iA.,oi5
traité des anges en 34^ colonnes in-folio. On sait qu'il n'y a
de positif en une telle matière que ce qui est révélé par les
livres saints; mais Guillaume s'ouvre une bien plus vaste
carrière. Il ne lui suflQt pas d'enseigner que les anges sont de
purs esprits : il veut savoir pourquoi Dieu a discontinué de
créer de si nobles substances; s'il existe un premier ange
supérieur à tous les autres en âcienoe et en vertus ; si leur
2 7
XIII SIECLE.
374 GUILLAUME D'AUVERGNE,
nombre est détermine', s'il a pu être infini; s'ils sont tous
d'une même espèce, et quelles en sont les variétés; s'ils
peuvent avoir des corps éthérés ou aériens ; quelle est leur
science, si chacun d'eux la possède tout entière; s'il faut
admettre entre eux quelque diversité de talents et de con-
naissances; comment ils apparaissent aux hommes; s'il leur
arrive de s'incarner, s'ils font des études et des progrès , s'il
leur est fait des révélations; s'ils ont des affections et des
passions; comment ils connaissent les choses sensibles, et
comment ils reçoivent ou conçoivent les formes intelligibles;
de quelle manière ils se meuvent et impriment des mouve-
ments aux corps; quelles causes occasionelles étendent leurs
idées et leur savoir; si la cour divine qu'ils habitent au plus
haut des cieux , est le séjour réservé aux hommes sanctifiés ;
pourquoi un ange n'est pas attaché à un point de l'espace,
et de quelle expansion il est susceptible; comment le ciel
empyrée, quoique non composé d'une ame et d'un corps, par-
ticipe néanmoins ou confine aux deux natures, la matérielle
et la spirituelle; comment Dieu même est le paradis des anges
et des bienheureux, le véritable ubi des uns et des autres; s'il
est vrai qu'un ange existe à la fois dans les diverses parties
d'un royaume soumis à sa direction , ainsi que l'ame humaine
est répandue dans toutes les parties du corps qui lui appar-
tient ; si Dieu a créé les anges dans l'amplitude de son immen-
sité, avant la création des corps et des lieux corporels; par
quelles raisons il est prouvé, selon l'auteur, que les étoiles
et les planètes sont inhabitées, et qu'il n'y a point d'anges
préposés aux mouvements des signes célestes; en quoi con-
sistent les mouvements des substances abstraites et indivisi-
bles; comment les anges se transportent d'un lieu en un
autre sans passer par les milieux , et sans qu'on puisse jamais
leur attribuer l'ubiquité qui n'appartient qu'à Dieu. Guil-
laume s'engage ensuite dans l'étude des neuf ordres et des
trois hiérarchies angéliques. Il explique les trois dénomina-
tions de séraphins, de chérubins et de thrônes; les rangs,
les modes et les fonctions de ces dignités; en quel sens on
a pu donner des yeux et des ailes aux chérubins , aux
séraphins, et à d'autres purs esprits; en quoi les archanges
diffèrent des simples anges, et quelle est leur prééminence.
Il recherche encore si toutes ces dignités angéliques sont
naturelles ou adventices. Il expose comment les 3 principaux
oftices des esprits célestes sont d'éclairer , de purifier et de
ÉVÊQUE DE PARIS. 376
perfectionner ; comment ils remplissent en même temps ceux
de bénir et de louer Dieu; quelles sont leurs relations soit
entre eux, soit avec le Créateur ou les créatures; comment
s'opèrent leurs allocutions aux mortels. Il ne saurait oublier
la i'onction particulière des anges gardiens : elle est l'objet
des 7 derniers chapitres de cette section, qui en a 173. L'é-
noncé seul de toutes les hautes questions que l'auteur y
résout, aurait occupé ici trop de place; nous n'avons pu in-
diquer que les plus remarquables ou les plus accessibles.
Quoique cette seconde section soit essentiellement desti-
née aux calodœmones , c'est-à-dire aux beaux ou bons anges,
elle présente ç.î et là un assez grand nombre d'aperçus, soit
sur l'ame humaine considérée dans son essence primitive,
soit aussi sur les esprits infernaux ou malins. Voilà pourquoi
la troisième et dernière section, qui traite des cacodceinones,
tient beaucoup moins d'espace, et n'a que 24 chapitres.
Toutefois on peut encore trouver bien assez longues les dis-
cussions qui s'y entament sur les causes et les effets de la
chute de ces odieux esprits; sur ce qu'il leur reste de forces,'
d'intelligence et de science, après les pertes et les altérations
qu'ils ont subies; sur les plaisirs et les jouissances dont ils
peuvent être susceptibles; sur la manière dont ils s'emploient
a vexer ou tromper les hommes, et à torturer les damnés;
sur les supplices qu'ils endurent eux-mêmes; sur les hom-
mages divins qu'ils ont usurpés , sur leurs noms propres, sur
leur distribution en divers ordres; sur la correspondance
de leur hiérarchie avec celle des bons anges; sur l'existence,
réelle ou imaginaire, d'anti - séraphins , d'anti -chérubins,
d'anti-thrônes; sur la concorde et la subordination paisible
qu'établit entre eux, non l'affection, mais l'intérêt; sur
leur commune et constante obéissance à leur chef suprême;
sur leur intervention dans les arts divinatoires, dans les opé-
rations magiques, dans les prestiges et dans tous les désor-
dres de la nature physique et morale. L'extrême crédulité
de Guillaume rend cette troisième section et la précédente
fort utiles à l'histoire des croyances du xiii« siècle, où le
monde surnaturel, les visions diurnes et nocturnes, les reve-
nants, les fées, les démons incubes et succubes, les influences
astrales , les puissances aériennes et souterraines , occupaient
tant de place dans les esprits vulgaires , dans les études
même des clercs, et dans tous les genres de littérature. Nous
devons remarquer pourtant qu'en exposant ces doctrines.
Xin SIECLE.
Xin SIECLE.
376 GUILLAUME D'AUVERGNE,
mystérieuses, l'auteur aborde quelquefois des questions qui
peuvent sembler plus philosophiques. Par exemple, il entre-
prend de réfuter l'opinion de Platon sur l'origine des idées.
Ce philosophe enseif;ne que notre ame n'acquiert point de
connaissances nouvelles, qu'elle ne fait que retrouver celles
dont elle a été primitivement imbue, et qu'elle possédait à
son insu : Guillaume d'Auvergne croit, au contraire, que
l'ame, à mesure que les objets ou instruments sensibles se
présentent, en prend connaissance par des irradiations de la
lumière spirituelle ou fiivine. Dico igitur quod scientiœ hujus-
modi SH'e cognitiones de quibus agilur, non siint in aniniabus
humanis ante inspectionem instiumentoruni hujus niodi, sed
Jiunt in eis et de noi'o ad\'eninnt durante inspectione quant
dixi ; quapropter fiunt irradiatione lacis spiritualis subli-
mions. Le développement de ce système amène des considé-
rations sur la puissance de la musique, sur l'harmonie de
l'univers, sur la position de l'ame aux confins du monde
sensible et du monde intelligible, embrassés l'un et l'autre
dans son horizon.
Hist Philo- Brucker et d'autres historiens de la philosophie ont tenu
soph. t. m, p. peu de compte de cet ouvrage; mais Dupin, et dans ces der-
785. niers temps quelques métaphysiciens, en ont fait des éloges
Bihiioth.nouv. • ui » - ' M »1 • ' * I
I X p 6q 70 qui nous semblent exagères; car ils en ont loue jusqu au Style
Bi'ogi. ùniv. et à la latinité. Nous en avons cité assez de lignes pour qu'on
t. XIX, p. i5i, puisse immédiatement juger si la diction de Guillaume est
^^^' ^ '■ aussi élégante, aussi pure, que ses panégyristes le supposent.
A la vérité, il ne procède point par syllogismes; il use moins
qu'un autre des formes schohistiques si accréditées de son
temps : celles qu'il emploie sont-elles plus heureuses, plus na-
turelles, moins barbares? nous oserions en douter. 11 se peut
que la plupart des divisions et subdivisions de son traité lui
appartiennent ; mais il s'agit de savoir si elles sont moins arti-
ficielles, moins arbitraires que celles qu'il écarte; sil suit en
effet une méthode plus rigoureuse et plus réelle. Nous avons
retracé, aussi fidèlement qu'il nous a été possible, dans l'a-
nalyse qu'on vient de lire, la succession qu'il établit entre les
3uestions qu'il agite; et, s'il le faut avouer, il nous serait
ifficile d'y reconnaître un étroit enchaînement des idées,
et les déductions lumineuses que l'on veut admirer chez lui.
Quant au fonds de ses doctrines, peut-être n'y verrait-on,
en les examinant de près , qu'un éclectisme vague et indécis,
où s'entremêlent et se heurtent les systèmes de Platon et
XIII SIECLE.
ÉVÈQÙE DE PARIS. 377
<rAristole, la métaphysique spéculative et les croyances re-
ligieuses. Il a, dit- on, dédaigne les théories oiseuses ; c'est
encore un point sur lequel nous n'aurions à répondre que
par le tableau des six sections de son ouvrage. Il nous semble
qu'on pouvait, même au xin*^ siècle, entreprendre plus vé-
ritablement l'étude de l'univers; les livres de Roger Bacon
nous en offriront la preuve. Nous n'en demeurons pas moins
])ersuadés que Guillaume d'Auvergne, par les caractères ori-
fjinaux de son esprit et de son imagination féconde, méritait
d'uccuper, dans l'histoire de la philosophie du moyen âge,
plus de place ou d'attention qu'il n'en a encore obtenu ; il ne
ressendjle, en effet, à aucun des docteurs ses contemporains;
et comme il n'a point laissé d'école, son traité De Univcrso
est un fait piesque isolé, etparcela même plus remarquable
dans les annales de la métaphysique.
Le tome second do l'édition de ses OEuvres, publié en
1674» se compose de 34^ sermons, des traités de la Trinité
et de lame, d un supplément au traité de la pénitence, et de
la dissertation sur les bénéfices. Il n'est pas du tout certain
Sue Guillaume d'Auvergne, évêque de Paris, soit Fauteur
es sermons. ] /opinion qui les attribue à Guillaume Pérault,
Peraldus, archevêque de Lyon, est beaucoup plus probable;
Oudin l'avait d'abord embrassée, la croyant assez justifiée
par le manuscrit de Cuissy, par les premières éditions, et
par d'anciens témoignages. Il l'a depuis abandonnée, sur la
foi des manuscrits d'Angleterre, et il a incliné à penser
que le prélat lyonnais n'avait fait qu'abréger les discours
originairement composés par l'évêque de Paris. Les Domini-
cains, à l'ordre desquels Guillaume Pérault avait appartenu, Script. ordin.
ont revendiqué pour lui tout l'honneur de ces prédications. pr»d'c- t. l, p.
Ils ont invoqué en sa faveur l'autorité des historiens ou bio- •^'"'^^■
graphes, Bernard Guidonis, Sahanac, Laurent Pignon, Louis
de Valleoleti; celle de dix éditions publiées de i494 à i632;
celle surtout des manuscrits de la Sorbonne , du collège de
Navarre, de Florence, de Venise et delà Belgique. Ils ont
de plus fait observer à quel point le style de ces sermons
diffère de celui des livres authentiques de Guillaume d'Au- cuiiiei Ar»
vergne. Les discours dont il s'agit sont distribués en trois Opera, 1. 11, p.
séries : cent onze sur les épîtres des messes dominicales, de- '-'^g-
puis le i*^"^ dimanche après l'Epiphanie jusqu'au 24* après la
Trinité; cent quarante sur les évangiles des mêmes diman- ' ^~
ches ; quatre-vingt-onze sur les fêtes des saints. Il y a souvent ^^S"*'*-
Tome X FUI. Bbb
2 7
XIII SIECLE.
ao |iag.
P. 14, i5.
378 GUILLAUME D'AUVERGNE.
2 ou 3 , et quelquefois 4 ou 5 sermons pour une même
solennité. Leur étendue moyenne n'est guère que de trois
colonnes in-folio, dans l'édition de 1674, où ils remplissent
ensemble ^jS pages .j suivies de tables et de sommaires. Si
l'on veut prendre une idée du style et de la science de ce
prédicateur, quel qu'il puisse être, voici comment, au 4*^ di-
manche de l'Avent, il explique ces mots de saint Paul, 7)10-
destia vestra nota sit omnibus hominibus : « JSotaiiduin quod
triplex est modestia ; scilicet inodestia cordis, oris et operis.
Modestia in corde duplex est : quœdam restringit superflui-
tatem cogitationuni , ad quani niodestiani inducere nos débet
illud Micheœ 2 : 1 œ qui cogitatis inutile! Alla quœ restringit
superjluitateni desideriorum , ad quain moneniur prima ad
Timotheum 6 ubi dicitur : Habentcs alimenta et quibiis tega-
mur, his contenti sinius. Modestia verb oris constringit super-
Jluitatem verborum , ad quant nionemur Ecclcsiastici 25 ubi
dicitur : Non des aquœ tiue exitum ncc modicum. A quant
vocat Spiritus Sauctus verba juxtii illud Proverb . 18 : Aqua
profunda verba ex ore ejus. De qud aqud dicitur Proverb.
\n : Qui dimittit nquam caput est jurgiorum. Modestia verb
operis , excessum in opcribus restringit. De qud modestia pos-
sumus intelligere illud Ecclcsiastici 1 1 : Est qui locupletatur
parce agendo , quod de spirituali locuplctatione veruni
est. 3) On voit que tout l'art, tout le soin de l'auteur est
d'adapter des textes sacrés aux divisions et à chaque article
du sujet qu'il traite. Dans le second sermon sur l'évangile
p 24/-i'5 ^^ j^"'' ^^^ Pâques, il est parlé de la dévotion des femmes;
et ce n'est encore qu'un tissu de passages qui nous les mon-
trent assistant aux prédications, à la passion , à la sépulture
et à la résurrection de Jésus-Christ. Les discours sur les
saints ne contiennent pjesque aucun détail biographique ; ils
ne consistent pour l'ordinaire qu'en explications mystiques
de textes de la Bible. Quelquefois le saint du jour n'est pas
même nommé ; et lorsqu'il est loué, c'est en fort peu de mots,
au commencement ou à la fin du sermon. C'est ainsi qu'il
p 56/ ^st dit de saint Nicolas : Demonstratur nobis tanquàm vir
admirabilis , imitabilis , honorabilis. Admirabilis propter mi-
raculorum operationem , imitabilis propter sanctam conver-
sationeni , honorabilis propter adeptam dignitatem. In hdc
intd presenti indutus fuit stotd gloriœ sacerdotalis , nunc
indutus est stold gloriœ cœlestis. Operatio miraculorum mr-
tutem sii'e potestatem nobis ostendit, quant habuit in terra
XIII SIECLE.
EVEQUE DE PARIS. 379
existeiis, ex quâ œstimare possumus quant potestatem habcat
nunc existens in cœlis. Potestas enim non est diminuta , imo
augmentata. Nous ne croyons pas devoir nous arrêter plus
loiifî-temps aux trois parties de ce recueil, d'abord parce
qu'elles ne sont pas en elles-mêmes d'une très-haute valeur,
et en second lieu, parce qu'elles n'appartiennent réellement
pas à Guillaume d'Auvergne. S'il y a lieu d'en rendre un
compte plus étendu, ce sera plutôt à l'article de Guillaume
Pérault, vers 1260.
En imprimant, d'après un manuscrit de Chartres, les 4
traités de la Trinité, de l'ame, delà pénitence et des béné-
fices, Ferron les annonce comme inédits. Ils manquaient en
effet dans le recueil des OEuvres de Guillaume d'Auvergne,
publié par Trajani, en 1691, à Venise; maià le livre de la
Trinité avait paru , comme nous l'avons dit, à Strasbourg en
1 5on. Si l'on s'en rapporte à l'intitulé : Primus tractatus di-
vinalis niagisterii , c'était une moitié de l'enseignement que
l'auteur appelait sapienùal et divinal , et qu'il divisait en
deux grandes parties, la seconde : De Vniverso; la première:
De Trinitate , notionihus et prœdicamentis in divinis. Toute-
fois ces deux traités sont fort inégaux en étendue. Celui de
la Trinité n'a que 46 chapitres. Les propositions établies Guii.Anr.Op.
dans les i4 premiers se traduiraient littéralement en ces '' .Ig?""'"'
termes : l'être (ens) se dit de quelqu'un selon l'essence, de
quelque autre selon ( ou d'après ) la participation. Ce qui
existe d'après son essence n'a point de cause; c'est un être
tout-à-fait simple, qui n'a pas besoin d'être revêtu d'acci-
dents, à circumvestione accidentiiim alienum ; û est un et
n'admet point de communauté; il est la cause de tous les
autres êtres. Toute existence secondaire dépend nécessaire-
ment de la première, et a besoin d'elle pour devenir, de po-
tentielle, actuelle. La puissance est le principe des effets et
des opérations. Une première puissance est par elle-même
universelle; elle tient ce caractère de sa propre volonté et de
sa propre sagesse. Quoique cette sagesse, cette volonté et
celte puissance soient éternelles, il n a pas fallu qu'elle pro-
duisit quelque effet de tonte éternité. La volonté divine , en
produisant de nouvelles choses, n'en demeure pas moins
immuable. Toutes les choses proviennent de l'immense lar-
gesse du bienfaiteur suprême, employée par lui selon son
plaisir. Une dernière proposition préliminaire , que nous
présenterons dans la langoe de l'aatear, toache immédiate-
Bbba
XIII SIECLE.
38o GUirXAUMK D'AUVKSir.NE,
tnent au dogme de la Trinité divine : Tria aut très diclmus
communicare primani essentiam , quorum unum hahet eani
Jontaliter et primitive , sccundum, per generationem ah ipso,
tertium per processionem. Guillaume expose comment émaîie
par génération, le Verbe est égal et coéternel à son Père,
Dieu comme lui, un avec lui; et comment le premier père
et le premier engendré, primogenitor et primogenitus , sont
unis par l'éternel et premier amour, que nous appelons l'Ks-
prit Saint, troisième personne qui consacre l'unité des deux
premières : Itci ut prima dualitas ista sala non sit , sed nc-
cessario requirat tcrtiam unitatem quœ conimwus est sociclas
eorum, . . primœ societatis heatissimum fœdus , primi amoris
primus fructus , piimi amoris complcxus sive suai'itas , prima-
pacis vinculum , prima concordia, primum comj)lacitum ,...
Spiritus Sanctus. L'amour entre le Père et le \ erhe est avec
eux une même essence; c'est un seul et unique amour, unum
numéro amorem inter primos amantes se invicem. Dans les
développements de ces idées, nous ne remarquons aucune
explication bien précise du terme Ae procession; mais l'auteur
s'attache à trouver des images de la Trinité dans les produits
de la nature et des arts, spécialement dans le triangle cqui-
latéral, et surtout dans l'ame raisonnable qui nous oftre les
trois phénomènes de la vie, de la pensée et du sentiment,
vita , apprehensio et ajfectio. Il s'occupe aussi de la distinc-
tion des trois personnes, ainsi que des relations qu'on peut
concevoir entre elles, et qui nediflèrent pas de ces personnes
mêmes. Les relations divines, appelées ici notions , s'expri-
ment par les mots de paternité, de filiation et de procession,
auxquels certains théologiens ajoutaient Xinnascibilité du
père et le souille commun du père et du fils : Coniniunem patri
et filio spirationctn [qiid) spirant spiritum sanctum. Plu-
sieurs questions de théologie scholastique sur le sens et les
emplois de ces Aénoxa\\\2X\ons ou prédicaments , sont agitées
dans les derniers chapitres.
Le traité de l'Ame est, après celui de l'Univers, le plus long
65-128. ouvrage de Guillaume d'Auvergne. Il n'a que y chapitres,
mais dont le i*^' contient 7 parties ou sections; le 0.^ 17, le
3*" i4, le 4^ 4, 'e 5e 26, le 6' 4i, et le 7^ a4; en tout i33, oii
sont entamées, et, aux yeux de l'auteur, résolues, pres-
65--3 que autant de questions psychologiques. Les premières ne
concernent guère que la définition de l'ame, que sa sub-
stance et sa puissance le plus abstraitement considérées.
i:VKQUR DE PARIS. 38 1
XIII SIKCLE.
Les chapitres JI et III semblent n'avoir qu'un seul sujet, la
spiritualité ou l'immatérialité de lame ; mais Guillaume en- :3-8(i-ioH
treprcnd l'examen de toutes les opinions ou hypothèses qui
tendent à nier ou à modilier ce dogme. Il se récrie contre
ceux qui |)rétendent q-ue le corps humain ne demeure pas
le ruême durant la vie entière. C'est, dit-il, sa forme seule
qui change , l'individu est perpétuel. L'ame n'est point
cette individualité; elle n'est pas un nombre, ni une har-
monie, ni un corps céleste ou aérien ou igné; elle n'est au-
cunement matière, mais une substance indivisible, douée
d'une volonté libre. Ses facultés, appelées ici ses puissances,
ne sont pas flistinctes d'elle-même. Entre ces facultés, il en est
une qui éclaire les autres, c'est l'intelligence ou la raison; et une
qui leur donne à toutes des ordres absolus, c'est la volonté. La
première ne remplit <]ue l'office de conseiller d'état, la seconde
exerce un pouvoir royal. Cependant la volonté a des ccimais-
sances en même temps que des désirs, et l'intelligence des ap-
pétits aussi bien (pie des conceptions. L'ame est un tout et non
une partie de l'homme. Le chapitre IV nous enseigne qu'il 104-n.j.
n'y a pas dans un seul homme plusieurs âmes; que l'em-
tryon ne vit point par lame de sa mère; que les membres
s'organisent avant l'infusion de l'ame; que cette infusion n'a
lieu que le 4G*= jour après la conception, de même qu'il a fallu
46 ans pour achever le temple de Jérusalem xNous apprenons
dans le chapitre V, que l'ame du fds ne provient pas de no-ijc
celles du père et de la mère; que Dieu la crée et l'unit au
corps; qu'elle n'est donc pas engendrée; qu'aucun organe
matériel ne contribue à la former; qu'elle n'est pas créée
hors du corps humain, ni avant l'instant où elle commence
à l'animer; que néanmoins ses imperfections et ses vices sont
les effets du péché originel; que delle-mcme, et par sa na-
ture, elle eût été disposée à préférer les biens spirituels et
insensibles aux corporels; qu'elle n'eût acquis les idées des
choses sensibles, que pour mieux connaître et mieux aimer
le Créateur; qu'altérée par ses relations avec le corps, elle
n'en demeure pas moins immortelle; que sous la dépendance
des sens, elle est encore capable de |)rogiès continuels; qu'elle
est indéfiniment perfectible : Manifestum est igitur profec-
tum sive projicere istius non esse tenninabilem , neque habere
ultirnum sui, [sed) infinituni esse. A s'en tenir à ces expres-
iSions, on croirait trouver dans un livre du xiii^ siècle une
opinion qui semble glus nouvelle ; mais au chapitre 'VI, cette i56-2o3.
XIII SIECLE.
382 GUir.LAUME D'AUVERGNE,
perfectibilité n'est attribuée qu'à l'ame dégagée du corps et
appelée à une vie future, purement spirituelle. Plusieurs ar-
ticles de ce chapitre sont employés à prouver l'immortalité des
âmes. Aux arguments qui tendent à ce résultat, s'entremêlent
des propositions accessoires, parmi lesquelles nous remar-
'quons celle qui met au nombre des effets du péché d'Adam, le
sommeil que l'ame est condamnée à partager ici-bas avec les
sens. Selon Guillaume, il serait plus exact de dire que le
corps est dans l'ame , que de dire que l'ame est dans le corps ;
il admet pourtant cette deuxième manière de parler, pourvu
qu'il soit bien entendu que lame est infuse dans tous les or-
ganes, dans tous les membres, et même dans les os et les
autres parties qui, privées de sentiments, restent du moins
lo'i /»>• vivantes, in omni parte vivente corporis humani. \,e Vll^ et
dernier chapitre traite de l'intelligence envisagée en Dieu et
dans les créatures. L'auteur y combat, comme en son traité
De Unwerso , l'hypothèse d'une intelligence agente, inter-
médiaire entre les choses intelligibles et l'instinct. Le surplus
consiste en spéculations qu'il serait permis de trouver oiseu-
ses, quoiqu'on ait assuré que Guillaume d'Auvergne ne s'en
permettait point de telles. Celles-ci concernent la science,
la conscience, la connaissance que peuvent avoir des choses
de ce bas monde les bienheureux et les damnés. Le docteur
Guillaume sait pertinemment que les âmes des défunts font
à leurs amis vivants de fréquentes visites : Dico imprimis
quod niultoties istudfit , videlicet quud ipsœ animœ defunc-
toruni charis suis hic apparent.
Nous avons rencontré, dans le premier tome de ses Œu-
vres, deux traités de la pénitence; le second, moins étendu,
n avait que i8 chapitres, dont le dernier même n'était point
119 14: achevé. La fin de ce livre, jusqu'au chapitre 26 inclusive-
ment, occupe ig pages du second volume, et contient de
. nouvelles instructions adressées aux confesseurs.
L'édition se termine par un livre sur les bénéfices. De
j',8-260 Collntione heneficiorum. Il y est parlé d'abord des devoirs
que les prélats ont à remplir comme pères des fidèles, comme
architectes de la maison de Dieu, comme chefs de la milice
chrétienne armée contre les démons. Un évêque est de plus
le premier des pasteurs, l'intendant d'une église, le fermier
d'un domaine divin, le conducteur d'un char mystique. En
toutes ces qualités, il doit apporter la plus sérieuse attention
à la distribution des emplois, à la collation des bénéfices :
ÉVÈQUE DE PARIS. 383
Guillaume ne craint pas d'avancer que les nominations ne
sont réelles qu'autant qu'elles s'appliquent à des sujets capa-
bles de bien remplir les fonctions qu'on leur conlie, et fer-
mement décidés à n'en négliger aucune. Le 6* et dernier
chapitre condamne la pluralité des bénéfices.
Quelque nombreux que soient les articles rassemblés dans
ces deux tomes, on n'y retrouve pas tous les livres ou opus-
cules qui ont été cites sous le nom de Guillaume d'Auvergne.
Mais, à vrai dire, il n'y manque qu'un seul article bien au-
thentique, savoir la censure de dix propositions, solennelle-
ment prononcée par ce prélat. C'est une fort petite pièce
qui n'occupe qu'une colonne et demie dans le tome XXV de
la grande lïibliothèque des Pères. T^es lo erreurs , dctcstabilcs
errores , condamnées par l'évêque de Paris, consistaient à
prétendre r que la divine essence n'est et ne sera vue en elle-
même ni par les anges ni par les saints; a° que cette essence
est une dans le Père et dans le Fils, mais non dans le Saint-
Esprit ; 3° qu'en tant qu'amour et que lien , l'Esprit Saint ne
procède que du Père; 4° qu'il y a des vérités éternelles qui
ne sont pas Dieu même; 5" que le principe est distinct du
Créateur, et la création de la créature; 6" que le mauvais
ange fut mauvais dès le premier instant de sa création;
7° que les âmes et les corps des bienheureux ne seront pas
dans le ciel empyrée avec les anges, mais dans le ciel aqueux
ou cristallin, au-dessus du firmament; 8" qu'un ange peut,
quand il le veut, être à la fois en divers lieux et même par-
tout, 9° que celui qui a reçu de meilleurs dons naturels,
obtiendra une plus grande grâce, acquerra une plus grande
gloire; io° que ni le Diable ni Adam n'avaient de quoi se
maintenir dans l'état d'innocence. Guillaume énonce et dé-
clare orthodoxes, par conséquent les seules admissibles en
cette matière, les dix propositions qui contredisent celles-là.
Des écrits intitulés : Summa virtutum , de Operibus
virtutum , Summa vitiorum , de Triginta remediis tcntatio-
num, de Animabus hunianis , de CLaustro aniinœ , de Pas-
sione Domini , de Primo principio , de Bono et malo , de
Dono scientiœ , de Dœmonibus , de Professione novitiorum. ,
sont indiqués par Trithème et par quelques autres biogra-
phes, comme des productions de Guillaume d'Auvergne. Il
est aisé de reconnaître que ces titres sont applicables à des
parties, plus ou moins étendues, des traités compris dans
l'édition de 1674- Ce sont des fragments, des chapitres ,-
XIII .SIECLE.
XIII SIKCLE.
384 GUILLALME D'AUVERGNE.
des livres dont on a fait des copies ou des éditions parti-
culières.
Restent des épîtres à divers personnages : Epistolœ ad
diverses, dont Trithèrne fiiit aussi mention; un traité contre
les exemptions des réguliers, et des commentaires de la
Bible. Mais il n'existe aucun manuscrit des lettres; et l'on a
tout lieu d'attribuer le livre contre les privilèges des moines,
à Guillaume de Saint-Amour, nommé quelquefois Cuillcl-
nms Parisicnsis , plutôt qu'à un prélat qui s'est toujours
montré fort dévoué aux intérêts des religieux. (^)uant aux
commentaires sur le Psautier, sur les Proverbes, sur l'Ec-
clésiaste, sur le Cantique des cantiques, sur saint Maltliieu,
sur les E[)îtres et les Evangiles, ils ont tous paru apocryphes.
L'auteur en est fort incertain : on peut hésiter entre saint
Anselme, Pierre Babion , le dominicain Guillaume de Paris,
et le personnage moins connu appelé Guillerin en plusieurs
copies manuscrites et imprimées.
L'omission de la censure des lo propositions, la repro-
duction de 342 sermons aussi fastidieux qu'apocryphes, et
quelques interversions dans l'ordre des écrits authentiques,
tels sont les principaux reproches que l'édition de iGn^ peut
mériter. A notre avis, elle ei^it dû commencer par les trois
grands traités de la Trinité, de l'Univers et de l'Ame, en
donnant pour appendice à ce dernier l'opuscule sur l'Immor-
talité; contenir ensuite dix traités tliéologiques que nous
avons indiqués, y compris celui Decausis cur Deushonio, et la
Rhctorica divina ; puis les dix livres sur les sacrements, en
rapprochant les trois articles (|ui concernent la pénitence; et
se terminer parle traité des bénéfices, suivi du décret contre
les 10 erreurs. Ces divers ouvrages auraient pu être accom-
pagnés d'un petit nombre de notes critiques, et précédés
d'une notice historique sur l'auteur. Ce sont là des soins
qu'on ne manquerait point de prendre aujourd'hui; mais il
y a peu d'apparence qu'on réimprime Guillaume d'Auvergne.
Ses ouvrages ne peuvent plus servir qu'à l'histoire des étu-
des qui l'ont occupé. Ils montrent qu'au xni^ siècle, comme
en tous ceux oii l'esprit humain a pris quelque activité, on
a senti l'importance, beaucoup plus que la difficulté, des
questions relatives à la cause première de toutes choses, à
la formation de l'univers, aux éléments qui le constituent,
à l'ordre qui le conserve, à l'origine des idées qui le repré-
sentent, et à la nature des êtres intelligents qui aspirent à le
ROBERT DE BETHUNE. 385
connaître. Dès que le goût de l'instruction commence à se
ranimer, ces épineuses discussions se renouvellent; toujours
les mêmes, quoique sous les formes très-fliverses que leur
impriment les mœurs, les langues, les institutions politiques
et les croyances religieuses de chaque âge. S'il est vrai que
l'observation et l'expérience puissent y jeter parfois quelque
notion véritablement neuve, ce n'était point à l'époque où
écrivait Guillaume d'Auvergne qu'on pouvait tendre à ce
genre de progrès. D.
Xni SlKCt.E.
ROBERT DE BÉTIIUNE,
A^OUÉ D'ARRAS. mort en ,,48.
L/A famille de Béthune était illustre dans les fastes de la AndréDuChes-
noblesse, dès avant l'an mil de notre ère, puisque Robert, "«".Hist. gén.de
dit Faisseus, seigneur de la ville de Béthune et avoué d'Ar- |^ "'^'^""'•'^b«-
o Ihtine p. 3.
ras, vivait sous le règne de Hugues Capet, chef de la troi-
sième lignée des rois de France. La ville de Béthune en
Artois lui appartenait, et lui avait donné son nom. Les
aînés de cette famille étaient barons, et joignaient à ce
titre celui d'avoués d'Arras, c'est-à-dire de l'église et de
l'abbaye de Saint -Yaast d'Arras; car la charge d'avoué,
en latin advocatus , qui avait été introduite pour main-
tenir les droits et les biens temporels des ecclésiastiques
et des serviteurs de Dieu, contre les entreprises et les op-
pressions des puissances séculières, n'était confiée qu'à des
personnes de haut rang.
Robert VIP et dernier du nom, dont nous avons à parler „
ici, était titré de seigneur de Béthune, de Tenremonde, de
Richebourg et de Warneston, avoué d'Arras et de Saint-
Bavon de Gand. Jl était second fils de Guillaume de Béthune
et de Mahaut de Tenremonde. En 121 3, n'étant encore que
chevalier-banneret, et ayant été envoyé comme chef d'am-
bassade à Jean, roi d'Angleterre, par Ferrant, comte de
Flandre, qui venait de rompre sa paix avec Philippe-Auguste,
il harangua ce roi, et le tit consentir à envoyer du secours à
son prince. Revenu d'Angleterre avec la troupe auxiliaire
que commandait le comte de Sarisbéry, il combattit avec
Tome XVIU. G c c
Xlir SltXLE.
386 ROBERT DE BETHUNE,
elle contre celles du roi de France. Peu de temps après, le
comte de Flandre, voulant aller lui-même en Angleterre
pour y obtenir de nouveaux secours, Ht repartir ses ambas-
sadeurs pour devancer son arrivée. Le roi, les recevant à
Windsor, leur dit : « Seigneurs, vos sires le comte de Flan-
dres est arrivez en ceste terre. » A quoi Robert de Béthune,
p.issionne pour l'honneur de son prince, répondit: " Sire,
(juattendez-vous que vous n'alez à l'encontre ? » et le roi dit
en souriant : « Oez de ce Flamenc , qui cuide que ce soit grant
cose de son seigneur. » Robert repartit.- » Par le fby que je
(loy Dieux , si est-ce. » Le roi rit plus fort en entendant cela,
eL cependant montant à cheval, il alla au devant du comte
jusqu'à Cantorbéry. L'an suivant, Robert s'étant trouvé avec
son suzerain à la bataille de Bouvines, fut fait prisonnier
en même temps que lui. Un courtois chevalier, en la puis-
sance duquel il tomba, lui lendit sa liberté moyennant une
rançon; mais le comte de Flandre fut enfermé dans la tour
du Louvre alors nouvellement bâtie.
A la mort de Guillaume de Béthune, ses fils s'étant par-
tagé son héritage, Daniel, l'aîné, eut toutes les propriétés
paternelles; tandis que Robert et ses cadets n'eurent qu'en
promesse celles de Alahaut leur mère. En 1222, il ratifia la
charte que son frère aîné avait octroyée aux bourgeois de
Béthune. Ce dernier frère étant mort sans enfants en 1226,
Robert succéda à ses titres et à ceux de sa mère , morte deux
ans auparavant, a Ensuite de quoi ( dit Du Chesne), n'ayant
s point encore alors de femme, il arrêta ses pensées sur
« une dame de grande et illustre extraction , appelée Isabeau
« de Moreaumès. » Ce mariage se fit en i2'3o. Trois ans
après, la veuve du comte de Flandre ayant envoyé une
petite armée pour combattre les Stadingues, hérétiques
allemands, contre lesquels Grégoire IX avait fait prêcher
une croisade, le baron Robert en eut le commandement, et
recueillit ainsi le principal honneur de la victoire. Ce fut ce
même baron qui fit entourer la ville de Béthune de fossés
et de murailles, et qui la fortifia de nouveaux boulevarts en
1237 et 1238. Le sire de Béthune, après avoir mis ordre à
tous ses biens, et répandu ses largesses sur les églises de ses
terres, et surtout sur celle d'Arras, partit, comme c'était
alors l'usage, pour le voyage de la Terre-Sainte. Mais ayant
pris son themui par le royaume de Sardaigne, il y demeura
malade dans le château de Challes,oùil acheva le cours de
AVOUE D'ARRAS. 38;
sa vie, le deuxième jour de novembre 1248. Son corps fut
rapporté en France, inhumé dans l'église de Saint -V^iast
d'Arras, contre la clôture du cliœur, et son tombeau orné à
l'entour de trois écussons à la fasce de gueule. Pnuv.s du 1.
André Du Chesne.qui nous a fourni la vie de Robert de '",'!'•„'" """°"
111 I r> 1 • > PI lielli p. 1
Béthune, a aussi recueilli dans les Preuves relatives a 1 his-
toire de cette maison , les actes que fit ce seigneur, et qui se
trouvaient répandus dans les annales, les chroniques et les
cartulaiies du temps. Ces actes, au nondjre d'environ qua-
rante, tant en latin qu'en français, Ont rapport à des ventes,
à des dons, à des éciianges, à des privilèges, chartes, legs,
conventions, traités, etc. T.es deux suivants, que nous trans-
crivons, suffiront pour donner une idée des autres. Prcu*M,p«j;.
Voici le premier: Ego liobertus attrehatensis nd\'ocatus ,
Bethuniœ et Teneretnundœ dominus , Notum facio omtdbus
prœsentibus et futuris, quod carissimiis lionio meus Daniel de
Douidet Mnthildis uxorejus vendideriint spontaned voluntate
Eurardo Plankele et Henrico dicta C astellano , burgensi
Bethuniensi ^ etc. , omnesproventastotius tcrnv suœ de Hiiiger
clause et integj'nliter, quant tenent de domino Baldeuino de
Obrecicourt et de domino Guillietmo de Gicuenchi militibus
et honiinibus nieis , etc. Ego auteni ad\>ocatus prœdictus ad
petitionem Danielis et ejus uxoris istam coni'entionem tcneor
ipsis burgensibus , salvo meo sen'icio, tauquam dominus ga-
randire. Huic com'entioni prœ sentes fuerunt Pares de ït^ar-
neston , etc. , etc. Et ut hoc ratum et stabile permanent ,
prœsentem cartulam sigilli mei munimine roboravi , anno
Domini MCCXXXI, mense junio.
Voici le second : « Sachent tout cil ki sunt et ki à venir
« .sunt, que iou Robers, avovez d'Arras, sires de Béthune
a et de Tenremonde , ay donné al commun les canonnes del
« église Saint-Bertemieu , vingt liures de parisis cascun an, à
« prendre au toulieu et as rentes de le Halle de Béthune,
« pour Diu, et en aumosne, et pour l'ame de mi et mes an-
« cisseurs, et à prenilre cascun an après mon décès. Et pour
« chou est tenue l'église deuant dicte à faire cascun an men
« anniversaire. Chou fut fait el royaume de Sardaigne al
« castel de Châles. Et pour chou ke chou soit ferme chose et
« estaule, iou Robers deuant dis ay ces lettres confermées de
« men scel. Chou fut fait en l'an del incarnation nostre Sei-
« gneur Jésu-Christ mil deux cens et quarante-huit ans, le nist.delamais.
« jour des âmes. » deB^ih. p. >i5.
C cca
388 ROBERT DE BÈTflUNE, AVOUÉ D'ARRAS.
-v vif CI ^ C* X \À
Le savant historiographe a donné, à hi fin de la vie de notre
baron , la gravure de son mausolée, et dans les Preuves, plu-
sieurs modèles de la figure de son sceau, où il est représenté
sur un cheval richement caparaçonné, armé de pied en cap,
et lepée tirée. On y voit aussi celui d'Isabeau sa femme,
ayant une toque en tète et un lis dans la main droite.
Du Chesne, dans ce qu'il a écrit de Robert de Béthune,
n'a pas fait mention d'un acte plus important que tous ceux
qu'il rapporte de ce seigneur; nous voulons parler de la
Coutume de Tenremonde, qu'il rédigea en l'an i233, quand
les notables de cette ville tinrent leurs étals généraux, ré-
visèrent leurs coutumes, et les décrets de leurs anciens
jjrinccs , et que Robert , leur seigneur , dressa , de leur
consentement, la nouvelle Coutume, et lui donna sa sanc-
tion. Cet acte renferme trente-un articles, dont quelques-uns
sont assez remarquables. Selon l'article II, tout citoyen ac-
cusé d'un forfait doit être cité à comparaître pendant trois
jours de .«uite, et s'il ne vient pas se disculper, il ne peut être
condamné comme coupable qu'après la troisième citation.
L'article IJI porte que si un banni traite avec le seigneur de
Tenremonde pour rentrer dans ses foyers, il fie le pourra,
nonobstant le consentement de ce dernier, (ju'après avoir
payé aux bourgeois la somme de soixante sous pour l'entre-
tien de la citadelle. L'art. XX veut que celui qui sera convaincu
de viol ait la tète tranchée. Le XXF ordonne la peine du
talion envers les meurtriers. L'art. XXVIII statue que, si le
seigneur de Tenremonde ou quelque autre veut diriger une
poursuite contre un ou plusieurs échevins, la cause ne peut
être plaidée que devant les échevins d'Anvers. Le suivant
porte que si le seigneur veut faire quelque changement dans
les usages d'un bourg, il ne le pourra qu'avec le consen-
tement des échevins de ce bourg. Enfin 1 art. XXX contient
une disposition que n'ont vue chez eux que bien tard les
peuples qui se disent les plus libres : « Nous voulons, dit cet
<e article, que les bourgeois de Tenremonde ne puissent pas
« être mis en prison, s'ils ont des répondants suffisants. »
Cette Coutume a' été rapportée par David Lindanus dans
Lind.paR. r)3. gon Histoire de Tenremonde, e't par Grararriaye dans ses
Giossar. ad ^^f^q^if^^ belîTes ; Du Gange l'appelle « la Charte des libertés
de la ville de lenremonde. » r. il.
XIII SIECLE.
RAIMOND VU,
COMTE DE TOUr.OUSE. «oRxeBUiig.
J\l 'ayant parle du comte de Toulouse, Raimond VI, que
dans les articles de Simon de Montfort, d'Arnauld, abbé de
Cîteaux, et de quelques autres personnages, nous en use-
rions de même à l'égard de Raimond VII, si nous avions eu
autant d'occasions de faire mention de lui. Son nom , comme
celui de son père, appartient à l'histoire des troubles civils
et religieux, bien plutôt qu'à celle des lettres; et les événe-
ments de sa vie , racontés en divers livres du moyen âge et
des temps modernes, l'ont été plus complètement qu'ailleurs
dans le tome III de l'Histoire du Languedoc, des bénédic-
tins. Nous n'entreprendrons pas de les retracer. Nous dirons
seulement que, né en ii^yet succédant à son père Raimond
VI, en 1222, il eut aussitôt à se défendre contre Amaury de
Montfort et d'autres persécuteurs, qui le faisaient excom-
munier par le pape et par les conciles, harceler et déposséder
par les rois. Loin pourtant d'être hérétique ou fauteur de
l'hérésie, il commença par adresser à Philippe-Auguste une
déclaration formelle de catholicité. « J'ai recours à vous,
« seigneur, lui écrivait- il, comme à mon unique refuge,
o comme à mon seigneur et à mon maître, et, si je l'osais
a dire, à mon proche parent, vous suppliant d'avoir pitié de
« moi, et de me faire rentrer, en vue de Dieu, dans l'unité
tt de la sainte Eglise, afin qu'après avoir été délivré de l'op-
« probre d'une honteuse exhérédation, je reçoive de vous
« mon héritage. Seigneur, j'atteste Dieu et les saints que je
« m'étudierai à faire votre volonté et celle des vôtres. J'au-
a rais été empressé de paraître en personne devant vous;
a mais ne le pouvant faire à présent, quoique je le souhaite
« avec ardeur, je prie votre majesté d'ajouter foi à ce que lui
a diront de ma part Gui de Cavaillon et Isnard Aldegarius^
« porteurs des présentes. Donné à Montpellier le i6 de juin
« 1222. s
2 8
390 RAIMOND Vil , COMTE DP] TOULOLlSE.
XIII SIÈCLE. ^ , , , 11,.
Cette lettre, dont le texte latin et la traduction se lisent
T.iii,p.3ai; Jans l'Histoire du Languedoc, est du très-petit nombre de-
376*^ '^° "' ' ^TÏt^s portant le nom de Piaimond VII. Nous n'aurions guère
à y joindre que ledit qu'il publia le 18 février i234, contre
les Albigeois, après avoir permis à leurs ennemis d'établir
l'inquisition à Toulouse et d'investir les Dominicains de cette
terrible puissance. Cet édit, dont l'original existe dans le
Hist. des com- Trésor des chartes, a été publié par Catel et par Labbe. Il
p'*35i^t"'eq"'* ^^ compose de 21 articles trop longs pour être transcrits ici.
Concii. t. XI, Voulant purger de tout levain d'hérésie ses domaines et ceux
p. 449««s«q- de ses sujets, Raimond VII ordonne aux barons, aux che-
valiers, aux baillis, à ses autres officiers, de rechercher
scrupuleusement les hérétiques et de n'en épargner aucun,
de confisquer leurs biens, même au préjudice de leurs héri-
tiers légitimes, de raser leurs maisons, ainsi que celles où
ils auront prêché du consentement des propriétaires, celles
encore où ils auront été saisis morts ou vifs; de soumettre
à une amende d'un marc d'argent, les habitants des villes,
bourgs et villages, pour chaque mécréant découvert sur leur
territoire, etc., etc. Une si aveugle et si cruelle intolérance
affaiblit extrêmement l'intérêt que pourraient exciter les
persécutions dont elle n'a pas préservé le prince qui la com-
mandait. Dès 1235, il est frappé d'excommunication par
l'archevêque de Narbonne, par les inquisiteurs du pape. En
1241, il répudie son épouse Sanchie d'Aragon, et l'année
suivante, il se laisse engager dans une ligue contre Louis IX ;
ce fut pour le comte de Toulouse une nouvelle cause de
malheurs et d'humiliations. Il réussit, en I245, à faire casser
par le concile de Lyon, son second mariage avec Mar-
guerite de la Marche, mais non à épouser Béatrix, héritière
du comte de Provence. Après un voyage en Galice, il se
rendit à la cour de France, promit de se croiser, et retarda
son départ jusqu'au 27 septembre 1249, jour où il mourut,
âgé de 62 ans, à Milhau en Rouergue. Il fut enterré à
l'abbaye de Fontevrault, auprès de Jeanne d'Angleterre,
sa mère.
T.lii, p. 465. Selon Dom Vaissette, « Raimond VII a mérité véritablement
« d'être regretté de ses sujets, quoiqu'il ne fût pas sans dé-
« fauts.... Il était doux, affable, libéral, magnifique, et ne man-
te quait ni d'esprit ni de jugement; il avait donné des preuves
« éclatantes de sa valeur. . . On loue aussi sa circonspection;
o mais on l'accuse de légèreté et d'imprudence dans sa con-
GUILLAUME SHIRVOOD. 391
« duite. . . » Nous souscririons plus aisément à cette censure
qu'aux éloges qui la précèdent. Les récits de Vaissette lui-
même serviraient à prouver que dans presque toutes ses en-
treprises, Raimond VII adoptait le mauvais parti, et que,
lorsque. par méprise il avait embrassé le meilleur, il ne tardait
jamais à l'abandoniher. Ce n'est guère que par certaines fon-
dations pieuses qu'il s'est attiré les louanges de quelques-uns
de ses contemporains. Plusieurs églises et monastères con-
servaient des chartes par lesquelles il leur avait donné des
marques de bienveillance ou de li^jéralité, mais que nous
nous abstenons d'énumérer, parce qu'elles ne touchent eu
aucun. point à l'histoire des lettres. Ce qui peut le mieux,
justilier la mention que nous avons cru devoir faire de ce
prince , c'est qu'il est permis de le considérer comme le véri-
table fondateur de l'université de Toulouse. Il s'était engagé
à entretenir pendant dix ans dans cette ville des profes-
seurs de théologie, de droit canon, de philosophie et de
grammaire. Cet établissement s'est maintenu au-delà des
dix années, et s'est accru de chaires de droit civil et de mé-
ilecine. D^.
XIII SIÈCLE.
« « * *■%-•. «V^^w
GUILLAUME SHIRVOOD.
MOBTVD ni
(joiLLAUMK Shirvood OU ScHiRvooD , quelquefois appelé
Guillelinus de Monte ou de Montibus , si pourtant c'est bien
un même personnage, est un théologien anglais dont aucun
ouvrage n'a été imprimé. Nous avons donc plus d'une raison
de ne parler que fort succinctement de sa vie et de ses tra-
vaux. Mais il a étudié à Paris, et il est mort à Rouen : à ces
deux titres, il peut avoir droit à une mention quelconque
dans nos annales littéraires. Il était né à Durham, on ne sait
en quelle armée. Après avoir fait ses premières études à Ox-
ford , au collège dit de l'Université , il vint les achever à Paris,
la ville des lettres en ce temps-là. Henri III l'ayant rappelé
en Angleterre , Shirvood devint archidiacre de Durham, puis
chanoineet chancelier de l'église de Lincoln. On raconte qu'à
des jours et à des heures commodes, il prêchait l'Evangile-
au peuple, ou il adressait aux hommes instruits des leçons qjui
392 GUILLAl ME SHIRVOOD.
XIII SIÈCLE. , , . , T • ' - 1 I' • • '
étendaient leurs connaissances. Les intérêts de I université
d'Oxford l'appelèrent à Rome ; il y plaida la cause des écoliers
et des maîtres. Son zèle charitable, sa prudence et sa science
contribuèrent à remettre en grâce les étudiants, qu'un interdit
avait frappes. En revenant dans sa patrie, il mourut à Rouen
en i-2qi}: Obiit eodem anJio inagistcr fPlll. deDunelmo, apud
Bothomagum , rediens à Rotnana caria, dit Matthieu Paris,
■ Maj.Angl. e„ ajoutant que Shirvood, pourvu de plusieurs bénéfices,
' '"°' aspirait à de plus riches revenus, ahundans midtls reddi-
Hisl.
pag. 5i
tibus , amplioribus inhiabat ; mais qu'il tenait d'ailleurs un
rang émiiient parmi les hommes lettrés, lilteratus eniinen-
tissiinc. Un hommage plus remarquable lui a été rendu par
Roger Bacon, dans le livre De laudibus matheniaticœ artls ,
adressé, en 1266, à Clément IV. Recommandé ainsi par les
témoignages de ses contemporains, Guillaume Shirvood n'a
Collecian. Tol. ^^ manquer d'obtciiir les éloges des bibliographes anglais du
199. ' XVI* siècle, Leland, Baie et Jean Pitz.
Script. iil.Maj. Soii principal ouvrage est une explication des quatre livres
Britanniae, t. IV, ^^5 gentenccs , disposécj, dit-on , par ordre alphabétique, et
De ili.Anglia intitulée : Distinctiones tlieologicœ, ou bien aussi JSumerale,
Script, ad ann. apparemment parce que les articles en sont numérotés. Il
ia49, p. 321. jj'gii existe de manuscrits qu'en Angleterre; mais ils y sont
nombreux, surtout à Oxiord et à Cambridge. Oudin en in-
dique vingt-quatre; l'auteur y est nommé Guillaume de
Comment, de Monte , plus souvcTit de Moutibus , et quelquefois Lcycestcr.
Script, eccies. t. L'mjg de CCS copics renferme, avec le Numéral, un traité
''^ "' des similitudes, dont on a d'ailleurs des copies particu-
lières, sous le titre même de SimUitudines , ou sous celui de
Siniilitudinariuni , su'e de cognitione intellectuali. Nous n'a-
vons pas les moyens de vérifier si ce livre est distinct de
ceux qui portent les titres de Tropi et de Summa de varia
■verborum significatione per magistrum Guillelmurn de
Moutibus.
Un ou plusieurs traités manuscrits de ce même Guillaume,
relatifs au sacrement de pénitence, sont intitulés dans les
manuscrits : De Confessione liber, Spéculum pœnitentiœ , de
Pœnitentid, Quomodo religiosi inovendi sunt ad conjitendum.
On conserve aussi en diverses bibliothèques de la Grande-
Bretagne quelques copies des sermons de Guillaume du Mont
ou des Monts, chancelier de Lincoln, qualification qui tend à
l'identifier avec Shirvood. La même dignité lui est attribuée
flans les manuscrits de son traité des prêtres , Tractatus de
JEAN DE LIMOGES. SgS
, 1 r» 1 ^UI SIÈCLE.
presbytens , et de ses remarques sur les Psaumes, sur les —
Proverbes , sur d'autres textes sacrés. Mais les articles de ce
dernier genre ne sont que de simples notes recueillies par
les auditeurs de ces leçons thëologiques : Collecta ex auditis
in schold magistri If^illelmi , . . . ad memoriam quorumdam
ulilium in sacra scripturâ. Le nombre de ces divers manu-
scrits, y compris ceux du Numérale ou des Distinctiones ,
s'élève a près de soixante. D.
JEAN DE LIMOGES. — so
iMous ne savons rien de la vie de Jean de Limoges ou de
Launha, sinon qu'il a dédié son principal ouvrage à Thi-
bauld, roi de Navarre, comte palatin de Champagne et de
Brie. On suppose qu'il s'agit de Thibauld III qui avait épousé
Blanche de Navarre. Dans cette hypothèse, il semble difficile
de prolonger jusqu'en 1260 la carrière de l'auteur; mais elle
a pu s'étondre jusque-là, et plus loin même, si c'est à Thi-
bauld IV qu'il a offert son livre. Sander fait mention d'une Bibhoth. Beig.
autre production de Jean de Limoges, restée manuscrite et '*' *** '
intitulée : De stylo dictlonario , et dont il n'est guère possible
de déterminer le sujet. Mais celle qui est dédiée à Thibauld
a été mise au jour par Wagenseil en 1690, par J. Alb. Fa- Adcalcemepis
bricius en 17 13 et 1722. Elle consiste en 20 épîtres écrites '".* ^f ^J^™*"
sous les noms de Pharaon, roi dLgypte, et de Joseph, nis 4».
du patriarche Jacob. Wagenseil n'avait connu ni la XX*, ni CodeiPseude-
la XIX% ni les dernières lignes de la XVIIP. Ces supplé- P;g"'P»'»* Ve.e-
ments ont ete publies d après un manuscrit d Upsai , par Eric Hainburgii7i3,
Banzel, et depuis par Fabricius. La première des 20 lettres n'est '■ \ P- 44 1-496-
que la dédicace même des suivantes, adressée au comte de — Bibiioih.incd.
J,, ,, ,.'.,. , . , et inf. lal. t. IV,
Champagne: elle annonce les sujets qui doivent y être traites. in-4",p- 90-94.
Dans la seconde, Pharaon demandera aux magiciens l'expli-
cation de son songe. Leurs excuses pour se dispenser de la
donner seront exposées dans la 3*. Le rov adressera la 4* à ses
ministres et à ses conseillers, et leur ordonnera de cbercher
par toute la terre un plus habile interprète. Par la 5% le grand-
échanson indiquera Joseph, à qui Pharaon écrira la 6*. Une
correspondance entre Joseph et le roi remplira les 10 sui-
Tome XV ni. D d d
2 8 *
Xtll SIECLE.
394 JEAN DE LIMOGES.
vantes, et roulera principalement sur les devoirs àes princes,
La 17^, écrite par les courtisans à Joseph, laissera percer la
malveillance à travers les compliments. Joseph leur répondra
par la 18'. Les deux dernières, qui manquaient en iC>go et
1713, étaient dès lors indiquées dans la i"^* en ces termes :
m, Detractorum ad Joseph super régis reforrfiaùone ; 20, Jo-
seph ad ipsos super eorum consolatione.
Cet ouvrage, qui remplit environ 64 pages in-8', est suivi
des mots Explicit morale somniu m Pharaonis. La conception
peut en paraître originale, et le distinguer de la foule des
productions du même âge. Le songe de Pharaon demeure le
même que dans la Genèse: Enimverb , dit le roi d'Egypte
à ses mages, ut prolixitalem somnii narrative brcviloquio
coarctemus , terrificâ visione videbamur videre scpteni baves
opulentissimas à totideni ezanguihus , et septeni sjncas refer-
tissimas a totidem inanibus duplici contritione conteri et cun-
sumi. Mais les explications et les discussions que ce songe
amène sont toutes morales et mystiques. Pharaon ne manque
pas d'attacher une haute importance au nombre j. Il parle
des y planètes, des 7 parties de la philosophie, des 7 arts
libéraux, distribués en trivium et quadriviuni , comme les
étoiles du grand char céleste; des 7 branches du Nil, etc.
Ibi faniosus planetaruni septenarius septiformis philosophiœ
nwnerum prœcunizat. Ibiseptem sidéra in unumcoadunata
collegium scptem artes insinuant in idem studiuni congre-
gatas. Ibi très stellœ stellato currui prœcurrentes , triviales
artcs e/figiant , quadriviuni prœcedentes. Quand Pharaon
enjoint à ses ministres de se mettre à la recherche d'un in-
terprète, il emprunte les formules des bulles ou lettres pon.
tificales. Quocirca fidelitati vestrœ, sub regalis indignatiunis
interminatione , prœcipiendo mandamus , quateniis onini
tergiversationis , excusationis aut prorogationis impedimenta
sublato , circuire terram ac perambulare curetis, donec in-
venire mereamini viruni tantâ virtute prœditum , tanto
luniine cœlitùs illustratum , oui datum sit tantuni nosse
mysterium , etc.
Le style de ces lettres est presque toujours périodique, et
fort souvent nourri d'expressions bibliques; les antithèses
y sont fréq^uentes, et les souvenirs de latinité classique ex-
trêmement rares. Du reste Joseph n'adresse guère à Pharaon
que des leçons vagues et communes, qui , lorsqu'elles se
rattachent aux détails du songe, aux sept vaches, aux sept
GUILLAUME, MOLNE DE TOURNAI. SoS
, . , j . , f ... /^ . ,, XIIISièCLE.
epis, nen deviennent que plus tastidieuses. Cependant elles ■
excitent l'admiration du prince, qui prend la résolution d'en
profiler. Les courtisans, dont le langage n'est parfaitement
clair que lorsqu'il exprime leur servilité, prient Joseph de
modérer la sévérité de ses interprétations, la rigueur de ses
conseils. Il leur répond avec assez peu de ménagement : Jo-
seph sen'us justitiœ ( il n'est le serviteur que de la justice ),
prœpositus JEgypùœ regionis, prudentibus et iitinam prudeiu
doribus ! viris scnioribus , domini régis cotisiJiariis , sapcre,
intelligere ac novissima providere . . . . O insani ductores ,
insensati doctoresf etc. A vrai dire, il n'y a dans ces vingt
lettres que de stériles déclamations. Nous n'en avons fait
mention que parce que l'auteur, d'ailleurs peu connu, est
désigné comme Français par son surnom de Lemoviccnsis.
D.
GUILLAUME,
MOINE DE SAINT-MARTIN DE TOURNAI. tebsuSo.
U N moine de l'abbaye de Saint-Martin de Tournai , ordre
de Cîteaux, ne se voyant occupé d'aucun travail, se mit à
parcourir les écrits de saint Bernard, pour en extraire les
plus belles pensées, les plus édifiantes maximes. Cum non
esseni , dit-il, alicui exercitio magnoperè occupatus , plaçait B'Wioth. med.
mihi ut opuscula viri illustrissimi , beati Beinardi , egregii ab- ! ',"54", 55 '
bâtis Clarevallensis, diligenter inspiciendo percurrerem, etc. Comment, de
C'est à peu près tout ce que nous savons de la vie de ce reli- Scr.eccles. t.iii,
gieux, sinon pourtant qu'il s'appelait Guillaume, qu'il était ''ropp. Bibiioth.
probablement Belge, et qu'il faisait cet usage de ses loisirs Beig.t.i,p.4a4.
vers le milieu du xiii« siècle. Fabricius indique l'année 1240, Sander. bj-
Oudin 1246, Foppens 1249. On n'a point de document qui ^''°^'' "^'^^'b
fournisse une date précise. Mais le recueil dont il s'agit a Mabiilon,Ana-
paru remonter vers ces époques dans les manuscrits qu'en lecp-îïS.îig-
possédaient la Bibliothèque des bénédictins de Tournai et i7d^au«*°col!'
celle de Colbert. Les bibliographes l'annoncent sous les titres »o8.
de Bemardinum ( opus ); Flores ou libri decem Sententiarum,
excerpti ex openbus et scriptis sancti Bernardi. L'an i48a,
Ddda
396 GUILLAUME, MOINE DE TOURNAL
XTïI STFCT K
'- Jean Roelhoff de Lubeck a imprime' ces dix livres d'extraiîs,
Freyiag, Ap- en 3oo pages in-folio. Ils ont été reproduits dans le même
par. liiter. t. II, format ct CH iSs feuillcts, sans indication de lieu ni d'an-
p. 879,880. j^^g^ mais selon toute apparence à Nuremberg, avant la
Paozer, Ann. fin du XV* siècle. Frcytag dit que ce recueil est anonyme,
'^P;'""'P'*^'' parce qu'en effet le cistercien Guillaume n'est point nommé
n. 326. ', T , ., , ... . r 1 . ,
dans ces deux premières éditions; mais son noui se bt a la
tête de la 3*, exécutée par Philippe Pigouchet et Durand
ibid 32- Gerler, à Paris, en i499. in"4° • Guilelnii , Sancti Martini
n. 528. ' Tornacensis monachi henediclini , Bernardus sivc flores ex
sancti Bcrnardi operibus. Les éditions suivantes sont de
Paris, chez le même Pigouchet en i5o3, in-8°; de Lyon en
i566, in-8°; en 1670, in- 12.
Les dix livres sont précédés d'une notice sur saint Bernard :
Relatio de sancto Bernardo ahbate , terminée par ces deux
vers :
Par est in verbis id oiloriferis opus herbis;
Nempe gerit flores Beinardi nobiliores.
Le prologue, dont nous avons transcrit les premières li-
gnes : Cum non esscm , etc. , est suivi de deux autres vers du
même goiît :
Flagrat Bernardus sacer in dictis quasi nardus,
E quibus bic tractus liber est in scripta ledactus.
Les éditeurs de Paris, en i499i ont mis à la suite de cette
date un distique ainsi conçu :
Florida melliflui Bernardi prata peragrans,
Hinc tibi nectareas coUige, lector, opes.
Les pensées mémorables de l'abbé de Clairvaux sont dis-
tribuées comme il suit dans les dix livres : le 1*', qui com-
mence par les mots : Quid est Deus? traite en 28 chapitres
des trois personnes de la sainte Trinité; le 2^, en un même
nombre de chapitres, de l'homme et de l'ame; le 3*, des
prélats et des prédicateurs, en 3o chapitres; le 4^, des clercs
et des moines, en 24; le 5«, des vertus; et le 6*, des vices,
l'un en 48 chapitres, l'autre en 34- Les livres 7, 8, 9 ne
peuvent recevoir que le nom de mélanges , les questions qui
s'y trouvent résolues ou proposées étant fort diverses. Cette
variété s'étend sur une grande partie du livre dixième ou der-
nier, mais il a pour complément des éloges de la sainte Vierge :
SIGEll DE LILLE, FllÈRE PRÊCHEUR. 397
De quibtisdani scnnonibus veneiabilis patris Bcrnardi , in
quibus continentur verba quœdani mclliflua de beatissitiia
Dei génitrice Maria ; de dignitate et excellentia beatœ Mariœ
Virginis.
On voil par ces détails qu'une suite aussi considérable
d'extraits diffère essentiellement de ceux qui, sous le litre de
Flores seu Sententiœ ex sancti Bernardi operibus deproniptœ,
n'occupent que six colonnes ( i5(»f)-i574) dans le premier
volume de l'édition de saint Bernard , donnée par Ma-
l)Ulon. D.
XIII SlKCI.f.
SIGER DE LILLE,
OU
ZEGHER DE ELANDRE.
FRÈRE PRÊCHEUR.
VERS I2J0
JLe dominicain Hyacinthe Choquet, auteur de notices sur
les saints de son ordre qui ont appartenu à la Belgique, y
comprend le frère Siger ou Zegher de Flandre, dont il ce- ''^''i'' Beigii
lèbre la pieté, le savoir et le zèle ardent pour le salut des ""'S "^ "^ ^
âmes. Le seul écrit de Siger qui nous soit connu est une vie
de sainte Marguerite d'Ypres qu'il avait lui-même con-
vertie, consacrée à Jésus-Christ, et dirigée dans les voies de
la perfection, jusqu'en 1237, époque oii elle mourut. Cet
opuscule ne se retrouve que dans la vie de cette même bien-
heureuse , par le frère prêcheur Thomas de Cantimpré qui
déclare avoir fliit usage de l'écrit de Siger. Thomas, en la
dédiant à son ami Siger de Lille, Aniico et fratri in Christo
carissùno Sigero et actione et ordine prœdicatori in Insula ,
dit qu'un matin il a reçu deux petites feuilles de parchemin,
où les mémorables actions de Marguerite étaient racontées
par Siger lui même, à qui il avait demandé cette communi-
«ation : Rogante ergo me, uno mane, . . . . è diiabus mem-
hranis par\'ulis memorabilia vitœ illius, te narrante, siiscepi.
Mais Thomas a fait d'amples additions à ces deux feuilles.
La vie de Marguerite, composée par lui, a beaucoup plus
d'étendue dans l'édition que Choquet en a donnée d'après ,00'^"' '' '^^
398 SIGER DE LILLE, FRÈRE PRÊCHEUR.
XIIISIÈCLF. . . •.,..,
plusieurs manuscn»;s.iNous reviendrons sur ce sujet a I article
de Thomas de Cantimprë, (jui mourut probablement entre
Voy.Scr. ord. les années i263 et 1200. Nous plaçons vers 1260 Sigcr ou
PnEd.t.i.p. 106 ^egher de Flandre, qui, selon les apparences, était un peu
plus ancien, et sur lequel nous n'avons pas d'autres rensei-
gnements positifs; car nous ne saurions caractériser ainsi
ce qui est rapporté tie ses miracles dans le livre de Choquet.
L'aobé Montlinot, auteur d'une Histoire de Lille, imprimée
en 1764, a parlé peu respectueusement de ces prodiges et
de ceux qu'opérait Marguerite d'Ypres; et il en a été vive-
ment réprimandé par le frère prêcheur Charles Louis Ri-
chard, qui a mis au jour, en 1704, les Histoires du couvent
des Dominicains de Lille et de celui des dames Dominicaines
de la même ville. Ce nouvel historien expose, d'après Thomas
■ '^""*' de Cantimpré et Choquet, ce que le P. Zegher, que d'autres
nomment Seger, fit avec ses compagnons pour la gloire de
Dieu. « Animés tous de cet esprit de zèle qui caractérise
« l'homme apostolique, ils opéraient des conversions sans
« nombre, non seulement dans Lille, mais dans les lieux
« d'alentour et les villes voisines, par la force toute divine
« de leurs discours enflammés et soutenus de la sainteté de
« leurs exemples. L'une des plus éclatantes fut celle de la bien-
tt heureuse -Marguerite d'Ypres. Assistant un jour au sermon
o du P. Zegher, elle fut si touchée de son discours qui roulait
« sur les vains amusements du siècle, qu'elle conçut dès l'in-
« stant même le désir de renoncer au monde, pour se consacrer
a au service de Dieu, saisie de crainte à la vue du danger
« qu'elle avait couru par sa vanité et le luxe qu'elle avait
« affecté jusqu'alors dans ses habits. On la vit, dès ce mo-
« ment, se livrer tout entière aux exercices de la piété
« chrétienne. Après avoir brisé les liens, quoique honnêtes,
a qui l'attachaient à un jeune homme qu'elle devait épouser,
« ses progrès dans la vertu furent si rapides et si soutenus,
« qu'elle devint bientôt l'objet de l'estime et de la vénération
Œ des grands et des petits. . . Combien d'autres conversions
c les premiers religieux du couvent de Lille n'opérèrent-ils
« pas dans la ville et les lieux voisins, par la véhémence de
« leurs discours et la ferveur de leur pénitence? On remar-
a que du père Zegher, en particulier, qu'il faisait fondre en
« larmes et éclater en gémissements son auditoire. » Ch. L.
Richard ajoute que ce zélé prédicateur mourut en odeur de
sainteté vers l'an i25o. D.
XIII SIÈCLK.
JACQUES DE TOULOUSE,
FRÈRE PRÊCHEUR.
VFBS I 1 JO.
vJn conservait chez les Dominicains de Toulouse deux gros
volumes intitules : Dictionariuni theologicuin. La première
lettre de l'ouvrage était ornée de la figure d'un frère prêcheur
portant le plus ancien costume de cet ordre. L'écriture sem-
blait être du xiii^ siècle, et ditférer assez, de celle du xiv*',
pour qu'il y ait lieu de conjecturer que l'auteur achevait sa
carrière vers l'an i25o. Il se nomme au commencement de
l'ouvrage en ces termes : Ego f rater Tholosanus Dei et Domini
nostriJesu Chris ti et ordinisfratrum Prœdicatorum servus nii-
nimus , inutilis et indignas. Il était Toulousain et frère prê-
cheur; voilà toutce que nous savons de lui ;etson Dictionnaire
théologique n'est connu que par une note adressée de Tou-
louse à Quétif en 1715. L'auteur, pour indiquer et distinguer Script, ordio.
le sens et les divers usages de chaque mot, transcrit des textes P"^*^'"^- '• i . P-
de la Bible et des saints Pères, surtout de saint Augustin, où ^''^'
cemotestemployé.Parexemple sous le mot Excutere: Excu-
teret atque purgaret frumeata (Judic. vi, 1 1 ) ; Omnis qui teti-
gerit eum , excutiet maniis (Eccles. xxii ,2); Excutientur et
relinquentur m'ibus, — Excutit inanus suas ab omni munere ,
— Excute pulverem et consurge ( Isaïe xviii, 5 et 6, - xxxiii ,
i5, -LU, 2 ); Excutient comas veluti catuli leonum ( Jerem.
Li, 38 ); Excutite folia ejus ( Daniel, iv, u ); Excutite pulve-
rem de pedibus vestris ( Matth. x, i4; Marc, vi , 11; Luc. ix,
5 ) ; Excuticns hestiani in ignein ( Act. Apost. xxviii , 5 ), etc.
Ces séries de textes rapprochés pour la plus grande commo-
dité des professeurs et des prédicateurs, montrent qu'on
sentait le besoin de faire un plus fréquent usage de la Bible
et des saints Pères, dans les chaires des écoles et des églises;
mais le xni^ siècle, auquel remonte l'idée des concordances
bibliques, a laissé d'autres exemples mieux connus et plus Voy. l'article
importants de ce genre de travail. Quant aux définitions ""6""^''^^=''"'-
grammaticales et aux distinctions que Jacques de Toulouse
joint aux textes qu'il transcrit, telles que : Manus avuritiœ
et cupiditatis, Verba detractionis et vanitatis, Opéra iniqui-
tatis , etc., elles sont si sommaires et si vagues, que nous ne
XIII SIECLE.
4oo SIMON DE SAIJNT-QUENTIN ,
concevons pas de quelle utilité elles pourraient jamais être.
II nous serait donc impossible de partager les vœux que for-
maient les Dominicains de Toulouse pour la publication de
ce dictionnaire. Toutefois le frère Percin de MontgaiiKird fait
mention de Jacques Toulousain , dans le volume publie sous
le titre de Monurnenta conventûs tolosani Jratruin Pnvdi-
catoruni et de Acadeniid tolosand. D.
....„5„ SIMON DE SAINT-QUENTIN,
FRÈRE PRÊCHEUR.
Edit. Daac. t. f^^
iv,p. ii86. V_>i'est par Vincent de Beauvais que le frère prêcheur Simon
de Saint-Quentin est connu comme auteur d'une Relation de
la Tartarie. On lit au chapitre 2 du livre XXXI du Spéculum
historiale , qu'en 1^45 Innocent IV envoya dans cette con-
trée le frère Anselin (ou Ascelin) et trois autres Domini-
cains, porteurs de lettres apostoliques où les Tartares étaient
invités à embrasser !a religion chrétienne; et c'est, continue
Vincent, de l'un de ces quatre religieux , de Simon de Saint-
Quentin, que je tiens les détails que j'ai insérés en divers
endroits de mon ouvrage, sur l'histoire et les mœurs de ces
^1209-1215. iniidèles. On peut donc attribuer à Simon une très-grande
I*. 1265. . r 1 I f - III
partie de ce que contiennent de relatif a ces peuples les cha-
pitres 69 à 89 du livre XXIX du Miroir historial, le chapitre
95 et quelques autres pages du trentième livre. Au trente-
unième, Vincent annonce qu'il va donner des extraits du
récit de Jean de Plancarpin , pour suppléer à ce qui manque
dans celui de Simon , ad supplementum eoruin quœ desiint
in prœdictà fratris Simonis histond. En effet, le franciscain
italien Carpini, missionnaire de cette même époque, fournit
les premiers matériaux de ce dernier livre, depuis le chapitre
troisième jusqu'au vingt-cinquième qui se termine par ces
mots : Hœc. . . . eoccerpsinius ex ejusdem fratris Joannis li-
bello , ea quœ in libro fratris Simonis deerant adjiciendo ;
de cœtero autem ex utroque libello. Vincent, qui indique
p. lag/i, volontiers les sources où il puise, inscrit le nom de Simon
à la tête du chapitre a6, et cette désignation peut s'étendre
FRERE PRECHEUR. 4oi
Xlll SIKCLK
à quelques-uns de ceux qui suivent. Elle est expressément
appliquée au Sa^. On lit au commencement du 'i'5^ ^ /rater p ^ .^
Joannes; du Itl^^frater Simon ; du y^i^^frater Joannes ; du
40*^, ex libello fratris Simonis. Ensuite il n'y a plus d'in-
scription semblable; mais jusqu'au 5o^, il s'agit encore des
Tartares, et sans doute Vincent de Beauvais continue d'ex-
traire ce qu'il en dit, soit de Jean de Plancarpin , soit de
Simon de Saint-Quentin. Il nous aj)pre!Kl que ce dernier a
séjourné en Tartarie deux ans et six semaines. A la fin du
bi"^ ch.ipitre , l'auteur du Spéculum historialc passe à d'autres p. , ^,,3
sujets, et distingue par le mot author ce qu'il va dire en son
propre nom.
On a quelquefois supposé que Simon n'avait rien écrit,
mais seulement raconté de vive voix à Vincent de Beauvais
les détails de ia mission des quatre dominicains en Orient.
Cette opinion nous paraît inconciliable avec les termes dont
Vincent vient de se servir : Fratris Simonis historia, -In libro,
-Ex libello fratris Simonis. Berereron , qui en i634 a publié ,,
une version irançaise de cette relation, dans un recueil i„-H°.
réimprimé plus complètement en i735, Bergeron dit que 13113310,1735,
Vincerit, pour suppléer à ce qui pouvait manquer dans les * '""'■'"-'<
récits de IMancarpin , y a joint ce qu il avait appris de bouche sur Pianrarpin ,
du frère Simon. Nous venons de lire, au contraire, que lom. i, ei t. 11,
c'était le livre de Plancarpin qui servait de supplément à ^""' **" Tar-
^ 1 • I C I - ' . r>' 1 ^. -Il lares, p. 41.
celui de aimon lui-même; et Bergeron, en parlant ailleurs
de ce dernier religieux, dit qu'il a laissé des Mémoires des-
quels le Voyage du frère Ascelin est tiré. En effet, la Rela- t. 1, Traite d«
tion connue sous le nom d'Ascelin n'est que celle de Simon, '» navigation, p
telle que Vincent nous l'a transmise. Mais ce fait d'histoire ^9 —Voyage dr
littéraire, quoique bien facile a reconnaître, est telieme'nt
ignoré ou négligé, que Simon de Saint -Quentin n'est pas
même nommé, à l'article d'Ascelin, dans la Bibliothèque
des Voyages, de M. Boucher de la Richarderie. j. (^ y^
Les missionnaires envoyés en Tartarie par Innocent IV,
après le concile de Lyon, étaient au nombre de six; deux
frères mineurs, Plancarpin dont on a l'ouvrage, et le Polo-
nais Benoît; quatre frères prêcheurs, Ascelin, Alexandre,
Albéric et Simon de Saint- Quentin, le i*^*" Lombard, les
deux suivants Polonais peut-être, et le 4* né sans doute dans
la ville de France dont il porte le nom. Beaucoup d'histo- \i,„. \wu.
riens, cités par Altamura aans .sa Dibliotheca dominicana , Sp.. i.isi xixi.
ont recueilli ce qu'on peut .savoir de cette double mission. J^j|'^'°'*!,"hoi'à'st
Tome Xyill. Eee
4oa SIMON DE S.-QUENTIN, FRÈRE PRÊCHEUR.
XllI SIECLE.
LXXII , C.
— Nous disons double, parce que le frère Quétif et son conti-
^ ~ nuateur Echard , toujours attentifs à bien distinguer les prê-
S. Anlonin, Hist. „i i ■ ■> -ir-i "i*^
Tit. XIX c. 5, ♦^"^i^rs des mineurs ,xont soin de raire observer que les uns
§ 3./,,r,.— Paul et les autres n'ont pas fait route ensemble, en i245; que
t^c"i'vn— Ge '■^"^•'^ ^"^ Plancarpin et Benoît traversaient la Bohème, la
nebraid. chion. Silësie , la Pologne et la Russie, Ascelin, Simon et leurs
|.. en. _Aiii. deux confrères se rendaient à Saint-Jean-d'Acre, et se diri-
seii. chron. (.. geaicnt ensuite par l'Arménie, la Géorgie et la Perse. Voilà
5o. — MaUen- , ^ ' i i • i o- •
da.Ann. Piœdic. ^^ surplus tout cc que nous savons de la vie de Simon de
i245,c.3.— Fei- Saint- Quentin. Il n'est pas dit à quel âge il entreprenait
Prœd^r'î-**'!!^ ce long voyage, ni combien de temps il vécut après sa
Matthias m- 'entrée en France. Ce qu'il a raconté ou ce qu'il a écrit,
choï. de Sarma- pour parler commc Altamura et Quétif ( scripsit ) ^ se lit
n*' nV'^i^iiT P^'" extraits, dans les chapitres de Vincent de Beauvais que
lier. Polon.l. III, ' '.,., r i ■ r -^i
• 44.— Bzov.An- "ous uvons ludiqucs , et dans la traduction française de
liai. ecd. 1245, Bergeron.
" [l' *""_ Envoyés vers le prince des Tartares, Bajothnoy ( Bachin
Allam. p. 10, D u- \ A 1'^ • I •
ann. 1245. OU Dochin), Ascclin et ses trois compagnons ne lui appor-
Scri|,i. oïdin. taient point de présents : on leur en tit de graves reproches.
^rs ic. I, i,p ji^ refusèrent de t'adorer, de se prosterner devant lui: on
s'indigna de cette irrévérence, et ils allaient être mis à mort,
quand une des six femmes du prince demanda et obtint leur
grâce. Il leur fut proposé de se rendre auprès du Cham ,
souverain de la Tartarie et fils de Dieu. Ils répondirent que
c'était au pape que Dieu avait donné la puissance suprême
et le plus haut rang parmi les humains. Ils firent traduire
en persan et présentèrent à Bajothnoy les lettres d'Inno-
cent IV. Simon ne les transcrit pas, mais il donne la teneur
(le celles de Bajothnoy au pape, et du Cham à Bajothnoy.
Il décrit les souffrances des quatre missionnaires, les priva-
tions , la misère et les mauvais traitements qu'ils endu-
raient. Ce qu'il dit de cette contrée et des moeurs de ses
habitants a paru moins instructif que le récit du franciscain
Carpini. Simon de Saint -Quentin était trop superstitieux
et trop crédule pour contribuer aux progrès des véritables
connaissances géographiques et historiques. On n'a pas
d'ailleurs le texte tout entier de son ouvrage, s'il est vrai
qu'il ait laissé un ouvrage; et peut-être les articles qui lui
appartiennent, dans les trois derniers livres du Spéculum
hiitoriale , n'ont-ils pas encore été rassemblés avec assez
(l'exactitude. D.
Xm SIKCIE.
GUILLAUME DE RENNES,
FRÈRE PRÊCHEUR. vnvMaS.,
Au lieu de Guillelnnis Redonensis oii a çjuelqiiefois écrit
Celdonensis , Cerdonensis ', Cvedoncnsis , ou Geldenensis ,
comme si Geldenacuni ou Judoigne en Brabant avait été la
patrie du personnage dont il s'agit. Vincent liaiidt'llo l'appelle Deuiiiaiecou-
Metensis episcopus , et Pierre de Alva, pour corriger cette '«^i"'""''* Up»';*-
faute, substitue à Metensis , Mimatensis ; ce qui tend à con- ^'"so^ yp||,'",it
fondre ce Guillaume, assez obscur, avec le célèbre Guillaume vm\. iGî, .<iI
Durand, évêque de Mende. Fabricius et surtout Quétit" ont '^^.^
relevé ces méprises, et fait distinctement connaître Guil- ,, :'r"rl'."m
, * _ . ,, *«~v- '-«ll'l. 131,1. 111
laume ne a Rennes en Bretagne, dominicaui a Dinan vers le p. i4i.
milieu du xni^ siècle , et auteur d'un Apparatus in Summom Scnpt. orciin
sancti Raymundi de Pœnitentiâ et Matrinionio , plus d'une ,';^, "i^',' ' '*
fois imprimé avec cette somme même de Raimond de Pcg-
nafort.
Cependant l'une des éditions de cet ouvrage, celle qui a
été publiée à Rome en i6()3, in-folio, attribue \ Jpparatus
au frère prêcheur Jean de Fribourj,', dit le Lecteur ou le
Teutonique; et pour s'assurer qu'il a|)partient réellement à
Guillaume, on a besoin de reconnaître les époques oii Rai-
mond et Jean le Lecteur ont écrit. Raimond, dominicain
catalan , étant tout-à-fait étranger à fbi.stoiie littéraire de la
France, il nous suflira de dire qu'il était né en 1 176 au châ-
teau de Pegnalort; qu'il entra chez les frères prêcheurs en
1222; qu'il lit, pour l'instruction des confesseurs, un recueil
de cas de conscience, intitulé Somme de la pénitence et du
mariage; qu'en i23j, il acheva une compilation de décré-
tales, entreprise par ordre de Grégoire f\, et continuant
celle de Gratien par cinq livres oii sont distribués, selon les
matières, les décrets des papes et des conciles postérieurs à
l'an ii5o; qu'en i2'38, il fut élu troisième général de son
ordre; qu'il abdiqua cette dignité en 1240; qu'il mourut ii.ui p m'i
centenaire en 12^5; et que l'inscription de son nom dans la ""
liste des saints a contribué à donner de l'autorité à son re-
cueil de décrétales. Jean le Lecteur est beaucoup moins re-
K ee j.
4o4 GUILT.AUME DE RENNES,
XIII SIÈCLE. - ' Il .. iM U-» j J • • • I c J e
. nomme. 11 prit I habit des dominicains vers la fan du xiii
ibid. |> 5î3- siècle, et mourut eni3i4, laissant quelques écrits, au nombre
^* ' desquels on va voir que \ Apparatus in Summani Raymundi
ne doit pas être compté.
Plusieurs manuscrits, dont quelques-uns étaient reconnus
pour antérieurs à l'an 1260, appliquaient expressément le
nom de Rcdonensis à X Apparatus placé en marge de la
Somme de Raimond. Celui de la Sorbonne , légué par Robert
Sorbon, par conséquent achevé avant 1274, désignait l'au-
teur de la glose par la lettre W initiale de ff^ilhelmus. Vincent
de Beauvais, mort en 1 264 , quand Jean le Lecteur devait être
bien jeune, a inséré dans les titres IX et X de son Spéculum
doctrinale , des extraits de la Somme et de \' Apparatus ,
extraits qu'il annonce et qu'il distingue par les intitulés :
Raimundus , frater Guillelmus , If^ilhelmus ou V , en ajou-
tant quelquefois le mot Rcdonensis, reconnaissable encore
Spctui. doc- dans les syllabes llodon , que les éditeurs de Douai ont
irin. roi.go/i. inexactement imprimées. Un témoignage plus décisif est
celui de Jean le Lecteur lui-même, qui a fait pour son
propre compte une Somme des confesseurs, dans laquelle
il cite celle de Raimond et la glose de Guillaume, ainsi qu'il
le déclare par les premiers termes de son prologue : C'iim
noniinatur hîc Glossa , semper intclligendum est de Glossd
ff^illelmi super Summani Raymundi , nisi alia glossa spe-
cificetur, ut Glossa Innocentii, etc. Le seul travail qu'il s'at-
tribue relativement à cette somme et à cette glose, est d'y avoir
ajouté, outre une table alphabétique, des corrections et des
explications empruntées des docteurs qui ont écrit plus tard.
Lyi . ne prae- Prîmo tam de textu quant de glossa Summœ venerahilis P.
..plis Decaiogi. f Ralmundi , registruni sive tahulam secundiim ordinem
Il 55 ^° ^ " alphabeti cum diligentiâ ordinavi. Secundo ea quœ ad emen-
i-.Pigii. Calai, dationem vel declarationem tamtextùs quam apparatus ejus-
fratrum qui cia- dgfji Suiumcv à postcrioribus approbatis tradita doctoribus,
„^ utilia videbantur, ipsi Summœ in spatio ascnpsi. L est donc
A.Tosi.Opei. de l'dveu de Jean le Lecteur, que Guillaume de Rennes a
I. XII, p. IÎ2. (i(g' reconnu le glossateur de Raimond , par Nicolas de
suni"na iLumn '^^y^ ^" '^^'^'^ sièclc ; par Louis Valleoicti, Laurent Pignon,
'onsr Alphonse Tostat, Ange de Clavasio au i5*'; par le cardinal
Ximen.Pasio- Ximcnès au XVI*; par Altamura au xvii«, etc. Si nous lisons
Aiiam.Bibiioth ^hez Altamura Guillelmus Celdonensis , chez Pignon Aure-
Dominic p. 69. Uancnsis au lieu de Rcdonensis , ces fautes de copistes ne
sauraient interrompre la tradition, bien établie k l'égard de
XIII SIÈCLE.
FRÈRE PRECHEUR. 4o5
Guillaume de Rennes. Aucun autre nom que le sien n'avait
ligure à la tête de \y4pparatus , dans les éditions de la
Somme de Raimond de Pegnafort, avant i6o3 où l'on s'avisa
d'introduire le nom de Jean le Lecteur. Cette erreur, repro-
duite dans une autre édition publiée à Rome en 1619, in-
folio, a été réparée dans celle deLyonen 1718, et de Vérone
en 1744^ l'une et l'autre in-folio.
On demandera si ce travail de Guillaume de Rennes vaut
la peine que nous venons de prendre, pour prouver que
c'est bien à lui qu'il est dû. Nous laisserons à ceux qui fe-
raient cette question , le soin d'y répondre eux-mêmes , après
• qu'ils auront lu deux ou trois extraits de cette glose.
Quand Raimond décide que l'irrégularité est encourue par
toute participation à l'émission ou à l'exécution d'une sen-
tence de mort, le frère Guillaume ajoute qu'un clerc commet
une faute grave, et ne devient pourtant pas irrégulier, lors-
qu'il assiste par curiosité à un supplice ou à un duel judi-
ciaire, suspeasioni latronis vel ubi guis interficitur duello ,
s'il n'a concouru à ces actes ni par conseil, ni par aide, ni
par l'emploi de son autorité, sinec consilium, nec auxilium,
nec auctoritatem prœstiterit.
En traitant de la légitime des enfants, Raimond cite ces
trois vers :
Quatuor aut infrà dant natis jura trientem;
Seniissem vero dant natis quinque vel ultra :
Arbitrium sequitur substantia cetera patris.
Un père peut disposer des deux tiers de son bien , s'il n'a
que quatre enfants ou moins de quatre; de la moitié seule-
ment , s'il en a cinq ou un plus grand nombre. Guillaume de G„i)|,çim /f^/
Rennes avoue que telles sont les dispositions des lois; mais in .Sp?c «locrr.
il fait observer que les coutumes, qui prévalent en France P- 9'«°-
sur le droit écrit, limitent tout autrement la légitime, se-
cundiini consuetudinem gallicani legni, quœ ibidem prœju-
dicat juri scripto , alio modo limitatur hœc legitim.a. En
certaines provinces, le père et la mère ne peuvent donnera
des étrangers par testament ou entre vifs, que la cinquième
partie de leurs biens mobiliers; ailleurs ils en peuvent don-
ner jusqu'au tiers , mais pas davantage. Alicubi in eodem regno
ohtinet, quod pater vel m.ater non potest dare extraneis ultra
quintani partem hœreditatis suœ quœ consistit in m,obilihus,
nec in testa mento , nec causa mortis , nec inter vivos. j4libi
2 9
XIII SIECLE.
4o6 GUILI.AUME DE RENNES, FR. PRÊCHEUR.
non potest dare ultra tertlam , sed terdam potest dare , etc.
On voit que cette glose pourrait servir quelquefois à l'fiistoire
du droit coutumier des Français, au moyen âge, et que le
commentateur de Raimond en a plus de connaissance que
n'en aurait eu un dominicain de Fribourg, tel que Jean le
Lecteur ou le Teutonique.
Au milieu des discussions sur l'usure , qui occupent ici
beaucoup de place, nous lisons dans \ Apparatus , qu'il y
aurait usure si cent sous prêtés en automne, quand le blé,
le vin et l'huile sont à très-bon marché, devai(;nt être resti-
tués à Pâques par une quantité de ces denrées égale à celle
qu'on aurait eue pour les cent sous, en octobre; ou bien
encore , si vingt livres sterling empruntées en hiver devaient
être rendues, en même monnaie, en été, au moment où les
voyageurs et les croisés recherchent l'or et l'argent. Toute-
fois Guillaume veut bien ne pas traiter d'usurier le prêteur
qui aurait conservé ces espèces parfaitement intactes durant
les six mois, et laissé d'ailleurs à l'emprunteur la faculté
de se libérer dans cet intervalle, à un terme quelconque. Ces
détails et beaucoup d'autres que nous ne pouvons rapporter,
entreraient dans les notices que désigne aujourd'hui le nom
de statistique. Ils tiennent à l'histoire des relations commer-
ciales du XIII* siècle, et à des doctrines, souvent peu saines,
dont elles étaient l'objet.
Il s'en faut donc qu'il n'y ait aucune instruction à puiser
dans ce commentaire. Il a, dès l'époque de son apparition,
attiré l'attention des hommes studieux, particulièioineiit de
Vincent de lîeauvais qui en a transcrit un très-grand nombre
d'articles. Si le frère Guillaume a laissé, comme Valleoleti
l'assure, plusieurs autres livies de jurisprudence canonique
et civile, tnulta in utroque jure , ils sont ou perdus ou in-
l'.iiiiioih. iBss. connus. Seulement Sander lait mention d'un manuscrit inti-
li.iq. i.i,|i. 107. tulé : Sunima F. ff^ilhelnti lirdensis de Articulis; mais ce
pourrait bien n'être que \ Apparatus Cuillelmi Redonensis
sur la Somme de Raimond contenue dans le même volume.
D.
XIU SIECLE.
•ROBERT DE FRANCE,
COMTE D'ARTOIS;
L*Dlf MOST ed
GUI DE MELUN, '-S^l."-'-^.
CD.
CHEVALIER.
C^ES deux personnages, dont l'un était le frère d'un roi de
France , et l'autre un simple chevalier, nous ont paru mériter
une petite place dans notre Histoire littéraire. Tous deux
nous ont laissé des documents sur la première expédition
de saint Louis dans la Terre-Sainte, qui n'ont point été sans
utilité pour les historiens des croisades.
Qui ne connaît Robert de France, son caractère bouil-
lant, intrépide, et aussi son esprit opiniâtre, irréfléchi? qui
ne sait qu'ayant accompagné saint Louis dans sa première
croisade, il fut la principale cause des désastres qu'éprouva
l'armée des croisés, et périt par son imprudence.'*
Un assez grand succès obtenu dans cette expédition avait
tellement exalté le présomptueux Robert, qu'il voulut en
donner la première nouvelle à la reine Blanche sa mère. La
lettre qu'il lui écrivit à ce sujet a été conservée ( elle est
datée au mois de juin 1249, lu veille de la Saint-Jean-Bap-
tiste ). Après lui avoir dit que son cher frère le comte d'Anjou
a toujours la fièvre quarte, mais moins forte qu'auparavant,
il lui apprend que le seigneur Louis son frère, les barons
et les pèlerins ont passé l'hiver dans l'île de Chypre; mais
que s'étant réunis sur leurs vaisseaux, le soir du jour de
l'Ascension , au port de Limisso , ils décidèrent de se diriger
contre les ennemis de la foi chrétienne; que la mer leur fit
éprouver de grandes contrariétés dans leur voyage vers les
côtes d'Afrique. Il raconte ensuite, mais sans de grands
détails, comment, après un combat contre les Turcs, les
chrétiens s'étaient rendus maîtres de Damiette, et l'avaient
trouvée remplie de provisions de toute espèce et de machines
de guerre.
Il finit par annoncer à la reine Blanche que la comtesse
4o8 ROBERT DE FRANCE ET GUI DE MELUN.
XIII SIÈCLE, j, . . . . . 1, 1 1 ^,
d Anjou avait mis au jour, dans 1 île de Chypre, un fils
Matib. Pans, bien oonfomié et d'une beauté remarquable, et qu'elle l'a-
inAddiiameniis, yait donné à nouirlr à une femme de l'île. Coniitissa vei
vero
Paris' 1644 ' ^ndegaveiisis in Cjpro peperit filium valdè elegantem et
benè formatuni ; quein ibidem tradidit niitrienduni.
Ce n'est là, comme on le voit, qu'une de ces lettres de parent
à parent, dans lesquelles on s'occupe de ses affaires particu-
lières et de famille, autant pour le moins que des affaires
publiques les plus importantes.
La relation que fait le chevalier Gui de la prise de Da-
miette, est d'un tout autre genre. Voici ce qu'en dit jM. Mi-
chaud dans son Histoire des croisades : « f^e combat des
« galères musulmanes ( contre la flotte des chrétiens , combat
Œ qui précéda la prise de Damiette ) est très-bien décrit dans
« une lettre de Gui de la maison du comte de Melun. La
Hist. des croi- « même lettre donne des détails précieux sur la conduite
sades, t. II, |>. (( héroïque de Louis en cette circonstance.» Cet éloge du
'*' récit de Gui nous paraît mérité.
La lettre qui contient cette intéressante relation , est
adressée par le chevalier Gui à son cher frère utérin, son
ami, qui faisait ses études à Paris, studenti Parisiis , dit la
lettre originale. Elle est assez longue, et en voici l'analyse.
Gui, prévoyant l'inquiétude dans laquelle on devait être en
France sur l'état de la Terre-Sainte et du roi, s'empresse,
dit-il, de donner des nouvelles certaines sur les événements
dont il a été témoin , et il commence par annoncer qu'à la
suite d un conseil tenu exprès, on était parti de Chypre pour
l'Afrique. «Nous avions le projet, dit-il, d'attaquer Alexan-
« drie; mais au bout de quelques jours une tempête subite
« nous a fait parcourir une vaste étendue de mer. Plusieurs
M.itih. Paris,. « de uos vaisscaux ont été séparés et dispersés. »
m Addiiam. p. j^^ soudau du Caire ayant appris par des espions que le
projet des chrétiens était d'attaquer Alexandrie , avait réuni
dans cette place une multitude de guerriers qu'il avait ap-
Eelés tant du Caire que de Damielte. Ce fut donc un accident
eureux pour les croisés que ta tempête qui les éloigna de
la côte. Mais il paraît que lorsque la tempête eut cessé, ils
restèrent sans trop savoir où ils étaient. En effet. Gui nous
apprend qu'ils furent obligés de faire monter au haut d'un
mât un pilote qui connaissait la côte, et qu'ils regardaient
comme un guide fidèle o Après qu'il eut examiné tous les
« lieux environnants, il s'écria : Dieu nous aide! nous som-
ROBERT DE FRANCE ET GUI DE MELUN. 409
« mes eu présence de Damiette. » Dès lors il fut décidé que
l'on commencerait par attaquer cette place, en attendant
que l'on pût se présenter devant Alexandrie ou devant le
Caire. Bien que le Soudan d'Egypte eiît tiré un assez grand
nombre de troupes de Damiette, il en restait encore assez
pour s'opposer à la descente des croisés sur la côte. Mais
l'aspect des ennemis qui bordaient le rivage ne fit qu'exalter
le courage des Français. Gui de Melun met à cette occasion
dans la bouche de Louis IX., un discours plein de belles et
nobles inspirations. « Mes fidèles amis, dit-il à ses compa-
ct gnons d'armes, nous serons invincibles si nous sommes
« inséparables dans notre charité. Ce n'est pas sans une per-
te mission divine que nous sommes transportés ici, pour
« aborder dans un pays si puissamment occupé. Je ne suis
« point le roi de France, je ne suis point la sainte Eglise :
« c'est vous qui êtes l'un et l'autre. Je ne suis qu'un homme
« dont la vie s'éteindra comme celle d'un autre, quand
" Dieu voudra. Tout est pour nous, quelque chose qui nous
K arrive : si nous sommes vaincus, nous sommes martyrs;
« si nous triomphons, la gloire du Seigneur en sera plus
« grande. C'est ici sa cause, etc. » Dans ces dernières paro-
les , on voit la trace de' cette opinion généralement répandue
parmi les croisés, que le ciel était ouvert à quiconque
périssait dans ces guerres saintes. Mais en combattant pour
la cause de leur prophète, les musulmans partageaient aussi
la même opinion , se livraient à la même espérance, ou plutôt
à la même certitude du salut de leurs âmes. De là ce mépris
de la mort, ce fanatique courage qui, des deux côtés, faisait
courir les combattants au devant des dangers.
Les défenseurs de Damiette avaient expédié quatre galères
pour examiner l'état de la nombreuse flotte des croisés. On
s'empressa d'aller les combattre. Le passage suivant donne
une idée des combats sur mer de ces temps-là. « Nous lan-
« çâmes ( sur ces galères et ceux qui les montaient ) des traits
« enflammés et des pierres au moyen de nos mangonneaux ,
« qui étaient disposés de manière qu'ils envoyaient de loin
a et à la fois, cinq ou six pierres et des vases remplis de
« chaux. Les traits perçaient les ennemis et leurs vaisseaux,
« les pierres les accablaient, la chaux brûlait tout ce qu'elle
■ touchait. Aussi trois galères ennemies furent-elles tout-à-
a coup submergées. La quatrième galère s'éloigna fort en-
« dommagée. »
Tome XFIII. F f f
2 9 *
XIII SIÈCLE.
/iio ROBERT DE FRANCE ET GUI DE MELUN.
XIII SIK.CLE. . ^ r . „ , . w
Le premier succès fut suivi d une grande victoire. Les
ennemis couvraient toute la rive, d'où les vaisseaux ne pou-
vaient approcher, même les petits bâtiments, tant la mer
sur cette plage était peu profonde. Les chrétiens n'hésitèrent
point à se jeter à l'eau qui, au reste, ne les atteignait que
jusqu'à la ceinture; et ils ne tardèrent point à débusquer des
ennemis que les récits de ceux qui s'étaient échappés de la
défaite des galères avaient remplis d'effroi. Après quelque
résistance, tous se retirèrent vers la ville, que bientôt même
ils abandonnèrent. « En fuyant, dit Gui de Melun , les Sar-
« rasins lancèrent contre nous beaucoup de feu grégeois qui
« nous était très-nuisible, parce qu'il était poussé par un
« vent qui nous soufBait de la ville; mais le vent ayant tout-
« à-coup changé, reporta ce feu sur Damiette, où il brûla
« plusieurs personnes, et où il aurait consumé beaucoup
« plus de choses, si les esclaves qui étaient restés dans la
<f ville ne fassent venus l'éteindre par le procédé qu'ils con-
« naissaient, et aussi par la volonté de Dieu. »
Voilà une circonstance bien étonnante, un effet prodigieux
du feu grégeois. Aussi Gui de Melun le présente-t-il comme
un miracle. Mais les historiens arabes, d'après lesquels a
écrit l'historien des croisades, nous donnent à croire que si
le feu consuma plusieurs édifices dans la ville de Damietle,
c'est que ses défenseurs, avant de fuir, pillèrent les maisons
Micbaud.Hist. et y mirent le feu. Ils ne font nulle mention de ce feu grégeois
des croisades , repoussé par les vents sur ceux qui l'avaient lancé.
t. II, p. 241. Dans le reste de sa relation. Gui de Melun fait une
Rcinaud , Ex- ^ j> ' / • 1 1 • 1
(rails des histo- cspecc d enumcratiou de toutes les richesses que contenait
riens arabes , p. Damiette, lorsque les chrétiens y entrèrent, de la quantité
* ' infinie de vivres, d'armes, de vêtements précieux, de vases,
d'ustensiles d'or etd'argent, qu'elle renfermait. Il n'oublie pas
l'entrée triomphale de Louis dans la place, et l'empressement
qu'il mit à faire célébrer la messe dans une mosquée qu'on
avait purifiée. Fecit celebrare missam uhi quartâ die prece-
Maiiii Paris Mérite (^prout captivi nobis assertivè asserebant ) spurcissimus
iuAddiiam. p. Mahometus cuni detestabilibus immolationibus et vocibus.
'"8- altisonis, et tubarum clangorc niagnificabatur.
Ce passage prouve quelle fausse idée les croisés se faisaient
du mahoraétisme. C'était, à leurs yeux, une véritable ido-
lâtrie, un culte qui admettait des sacrifices sanglants, des
detestabiles immolationes , en l'honneur de leur spurcissimus
Mahometus. Et ce prophète, au contraire, était venu abolir le
JUHEL, 4ii
XIII SIECLE.
culte des idoles , et le nora don Dieu unique et tout-puissant
est sans cesse à la bouche des sectateurs du prophète, et ja-
mais le sangdes victimes n'a souillé le sol de leurs temples!
De grands désastres furent, comme on sait, la suite de
cette facile conquête d'une riche cité. Après plusieurs mois
passés dans les plaisirs, ou plutôt dans les plus sales débau-
ches , l'armée presque entière fut détruite près des murs de
Mansourah, dans une bataille que Robert de France avait
imprudemment engagée, et où il fut tué. Après une longue
et dure captivité , le saint roi Louis revint en France , rame-
nant à peine quelques milliers d'hommes des soixante mille
qui l'avaient suivi en Afrique.
Gui de Melun n'a pas dû être témoin de ces malheurs. Il
périt sans doute dans l'une des défaites successives qu'éprouva
l'armée des chrétiens , ou de l'affreuse maladie qui vint la
décimer. On ne trouve plus son nom cité dans aucun docu-
ment postérieur à la prise de Damictte. A. D.
JUHEL,
\
ARCHEVÊQUE DE REIMS.
JuHEL, quelquefois surnommé de Saint-Martin, était né au
sein de la famille de Mathefelon, d'autres disent de Mayenne:
c'est un point qu'il nous serait également difBcile et inutile
d'éclaircir. Tout ce que nous en savons, c'est qu'une noble
extraction fut un des titres de Juhel aux honneurs ecclésias-
tiques; Après avoir été chanoine, écolâtre, doyen au Mans,
il devint, en ;22g, archevêque de Tours, et gouverna cette
église jusqu'en i244 où il commença d'occuper le siège mé-
tropolitain de Reims, qui était vacant depuis quatre années.
Les chanoines n'avaient pu s'accorder sur le choix d'un pré-
lat : Innocent IV profita de leurs dissensions et des délais
qu'elles entraînaient , pour donner, de son autorité pontificale,
un* chef à cette église, non pourtant sans le consentement
du roi Louis IX. Juhel visita son nouveau diocèse, et fit divers
statuts, dont les moins étrangers à l'histoire des lettres sont
ceux qui soumettaient à l'écolâtre les étudiants pauvres ap-
Fffa
HonT CD dé-
cembre laSo.
Xm SIECXE.
Gallia christ.
velDs. , t. I, p.
874. — Gall.chr.
nova, I. IX , p.
111,112, I i3.
Mari. T. II,
p. 5i8- 541.
N. 425^.
(idll clir. nov
t. IX, p ii3.
^^■l JUHEL,
pelés bons enfants , et leur prescrivaient de rigoureux de-
voirs. Il assista au concile de Lyon en i245; il prit la croix
dans l'assemblée tenue à Paris en 1248, et s'abstint toutefois
de partir pour l'Orient, ou bien ne tarda point à revenir à
Reims ; car au mois de juin i 249, il y souscrivait une charte
en faveur d'un hôpital. Nous écartons ses autres chartes,
ainsi que le détail de ses démêlés avec son chapitre, avec ses
suffragants, avec l'évèque de Liège. On peut à l'égard de ces
articles, qui ne nous concernent point, recourir à l'une et à
l'autre Gallia christiana , et à Ihistoire de la métropole de
Reims par Mirlot. Il paraît que Juhel essuya quelques désa-
gréments, peut-être mérités, et (jue la cour de Rome ne se
prononça point, autant qu'il le désirait, en sa faveur. Il en
conçut un chagrin qui abrégea ses jours, si nous en croyons
un récit manuscrit qui a passé de la Bibliothèque de Baluze
dans celle du Roi. On y lit qu'un dimanche d'hiver, par un
temps froid et pluvieux, l'archevêque de Reims sortit de son
palais, revêtu de ses ornements pontificaux, la mitre en tête,
le bâton pastoral à la main, mais le tenant par l'extrémité
inférieure et traînant la supérieure dans la boue, criant Âaraw
ou haro, et donnant ainsi divers signes de douleur et de
démence. La relation ajoute qu'après avoir parcouru les rues
et les j)laces publiques, Juhcl ne voulut plus rentrer dans sa
demeure, qu'il s;; retira dans un hôpital, qu'il annonça la
résolution de se rendre à Rome, qu il partit en effet, mais
n'alla que jusqu'à l'.iris, où il mourut, en i25o, chargé d'an-
nées et accablé de tristesse : In dolore cordis et tristitiâ fi-
nivit , . . . jam in œtate décrépi ta constitutus Ace document,
qui peutnepas mériterunepleinecontiance, il convient, sinon
d'opposer, du moins de joindre quelques lignes d'un manu-
scrit de l'église du Mans, à laquelle, comme nous l'avons dit ,
Juhel avait appartenu Decinio quinto kalendas januarii
obiit piœ recordationis JuhcUus de Matejelon , vir scientid
et nobilitate prœclarus , hujus ecclesiœ quondani niagister
scholarum , postmodum decanus, et inde vocatus ad sedem
ecclesiœ Turonensis , tandem archiepiscopus Reniensis , in
qunrimi regimine laudabiliter se habuit quanidiii vixit.
Les écrits qui portent son nom ne sont ni nombreux, ni
très-importants. Nous n'en avons que trois à citer. Le pre-
mier, celui qui porte la date la plus ancienne, savoir celle
de ia34, consiste en statuts donnés par Juhel, archevêque
de Tours, à l'église de Saint- Brieuc, du consentement de
ARCHEVÊQUE DE REIMS. 4i3
KIII SIECLE.
révêque et du chapitie de cette ville. Ils sont imprimés dans
le Spicilége de Daclieri et dans la collection des conciles de
Labljc. iNous y remarquons les dispositions relatives aux ré- Spi.ii m-,",
tributions dues aux chanoines pour assistance aux offices ^ "P;.,"^"
divins. Us recevront 4 deniers pour les matines, 0 pour la m,,,. 61a.
graiid'niesse, 2 pour les vêpres; et si les revenus de l'église Labbe.tou-.
ne sulfisent point à toutes ces di.stributions, il faudra s'ar- '^i;Rardou,n,
111 > Il • • I. MI, filil. Ve-
raiiger de telle sorte qu elles ne puissent jamais manquer en net t. xiii
Avent ni en Carême. On peut, en second lieu, attribuera
Juliel une grande part aux 1 4 canons pul)liés dans un concile
de Tours qu'il piésida en la^G. Maan les a publiés, et Fleury Concilia pm
en a donné une très-bonne analyse. « Le i" article porte *."'^'*Turonf..-
« que les croises arrêtes pour crime par le juge séculier, se- meiropoiii. r>.i.
« ront revendiqués par le juge ecclésiastique, qui n'aura Turon 1 ii.p
« aucun é<ïard à leurs priviléires, et leur ôtera même la ^''v , , ,
« croix, s il les trouve coupables (1 homicide ou a autre crime i,xxx,ii ôc,
a énorme. I-e concile ajoute : Nous défendons étroitement
a aux croisés et aux autres chrétiens de tuer ou battre les
« juifs, leur ôter leurs biens, ou leur faire quelque autre
a tort, puisque l'Eglise les souffre, ne voulant pas la mort
« du pécheur, mais sa conversion. F^es évêques auront soin^
« de la subsistance des nouveaux convertis, de peur qu'ils ne
« retournent à leurs erreurs sous prétexte de pauvreté. Les
« avocats auront étudié en droit trois ans, les ofliciaux cinq.
« Les juges délégués par le saint-siége dans la province de
« Tours, prendront les précautions nécessaires contre les
a fraudes des parties qui obtiennent des rescrits en cour de
a Rome. Il fallait que ces délégations fussent bien fréquentes.
« Les testaments seront représentés à ré\êque, ou à celui
u qui exerce sa juridiction, dans dix jours après la mort du
« testateur, et il aura soin qu'ils soient fidèlement exécutés.
<t Les faux témoins seront fustigés, si le juge ne trouve à
« propos de les en dispenser par une amende. Ceux qui ont
« deux femmes à la fois seront publiquement dénoncés in-
« fames,-et mis sur l'échelle publique, puis fustigés, s'ils ne
« s'en rachètent par une amende. On punira de même ceux
« qui seront convainc^us de sortilège. »
Nous avons transcrit ces détails, parce qu'ils peuvent con-
tribuer à faire connaître les mœurs et les opinions du xin*
siècle, spécialement la paît que s'attribuait le clergé dans
l'exercice du pouvoir judiciaire, en matière tant civile que
criminelle. Le troisième et dernier écrit de Jubel n'est que le
XIII SIÈCLE
4£4 BERNARD dit LE TRÉSORIER.
règlement qui concernait les écoliers de Reims, et dont nous
avons déjà fait mention. Il est de l'an i244i <^t se lit dans
l'ouvrage de Marlot. L'archevêque assujettissait les étudiants
à des pratiques claustrales qui , ce semble , devaient peu con-
tribuer à leurs progrès. D.
BERN/VRD DIT LE TRÉSORIER,
4PBSS na8.
TRADUCTEUR ET CONTINUATEUR DE GUILLAUME
DE TYR.
Morer
Bernard.
verb.
Trithen
109.
Miraeus
ii)4-
Ljes historiens des premières années du xiii*' siècle font
mention de deux écrivains nommés Bernard , qui furent
également qualifiés du titre de trésorier. On n'avait reconnu
qu'im seul et même personnage littéraire sous ces nom et
surnom. Cette confusion a persisté si long-temps, que Moréri
paraît être le premier critique qui nous en ait fait distin-
guer deux, en destinant à chacun un article séparé. L'un,
paj; appelé Bernard de Compostelle ou le Trésorier ( sans doute
de la cathédrale de ce nom , ce qui nous le déclare Espagnol ),
'^■'^ fut un savant canoniste de la cour pontificale d'Innocent IV,
Anton Bibi. qui par Ordre de ce pape composa plusieurs recueils sur le
Hisp.vet. r i,p. droit canon, et dont on a placé communément la mort vers
'•''■ l'an i25o; l'autre, également qualifié de Trésorier, paraissait
bien avoir été Français; mais il serait difficile même d'en
commencer la preuve, d'après la seule conjecture qui naît
assez naturellement du titre de Trésorier, lequel nous est
parvenu sans être suivi du nom de la ville épiscopale où
notre compatriote aura exercé ses fonctions.
Le rédacteur des analyses récemment publiées sous le titre
de Bibliothèque des croisades, nous aurait levé toute diffi-
culté sur ce point , s'il avait marqué nommément dans quelle
chronique italienne il aura lu que Bernard était trésorier de
l'empereur Frédéric II; car alors ce titre n'aurait guère pu
concerner qu'une charge de palais impérial. Nous espérions
rencontrer là-dessus un renseignement positif dans l'analyse
de ces chroniques, comprise au Tome II du même recueil;
BibLdesriois. ^^^j^ ^^ ^ lisant, au contraire, des détails qui prouvent que
BKRNARD dit LE TRESORIER. 4i5
XIII SIECLE.
659.
notre Bernard n'était pas plus favoraljle à Frédéric II que
ne le fut depuis Villani qui était un Guelfe bien déclaré, il
nous a fallu employer d'autres moyens pour assurer l'origine
française de notre historien; et d'après le peu de ménage-
ment avec lequel Bernard a parlé de Frédéric, nous avons id. ibid. pag.
cru devoir en conclure que ce ne fut pas de cet empereur 6i8.
3u'il aurait pu tenir le titre de trésorier, mais bien plutôt
e quelque cathédrale de France, où il aura exercé les fonc-
tions de cette dignité alors si communément cléricale. En
effet, elle fut toujours, en France, d'un usage tellement
continuel, qu'entre le second siècle et le ix* de notre ère, nous
comptons trente cathédrales où la dignité de trésorier a dû
être établie bien avant le xiii*^ siècle, puisqu'il existait La France ei-
encore trente dignitaires ainsi qualifiés en 1780, d'après le ci^'^s'iiuepou»"
I ' C -^ J l< '^ .. ' ' I J 1 ' I ' aooée 1780, I
relevé que nous avons tait de l état gênerai du cierge de vol. in- 18
cette année-là.
Muralori nous rapproche par degré du but de notre en- Smpt. remm
quête, lorsqu'il nous apprend « qu'ayant entrepris son Re- "^'- ' ^''' f
a cueil des écrivains de l'Italie, et voulant y comprendre
n l'histoire la plus complète qu'il ait pu trouver des croisades,
« il avait cru devoir préférer, parmi tous les écrivains de ces
« événements, celui dont l'ouvrage n'était pas encore im-
« primé, et dont la bibliothè(|ue de la maison d'Esté lui
« fournissait un manuscrit , pour lors ancien de quatre cefits
« ans. Il contenait la traduction latine de l'histoire écrite en
« français par Bernard le Trésorier, dont on ne connaissait
« jusqu'alors que le nom et le surnom; mais (continue le
« savant critique que nous copions ici ) ce Bernard devait
« appartenir à la nation française, puisqu'il avait traduit
« Guillaume de Tyr en français, et que sa traduction avait
« été reproduite en latin par un Italien, vers l'an i320. »
Voilà les premières lueurs qui ont éclairé nos recherches sur
l'historien français, que le titre de Trésorier d'un empereur
allemand aurait pu faire disputer à la France, s'il ne lui
avait été formellement rendu dans la page même de la Bi-
Dliotneque des croisades, qui le représente comme attache 1. 1, p. 555.
à la cour de Frédéric II.
Le second éclaircissement nous est fourni par François
Pipino de Bologne, religieux dominicain, et ce renseigne-
ment est clairement contenu dans sa traduction qu'il intitule
ainsi : Incipit historia de acquisitione Terrœ Sanctœ quam
auctor hujus operis transtulit ex gallico in latinum.
Bibl. des crois.
4i6 BERNARD dit LE TRÉSORIER.
XIII SIÈCLE.
Enfin, et pour montrer, avec plus de certitude, que notre
Bernard était Français, Muratori rappelle le sentiment que
Du Gange avait motivé dans ses observations sur la vie de
Joinviiie.Hist. Saint Louis par Joinville, lorsqu'il s'exprime ainsi qu'il suit,
de $. Louis, in- ç^, parlant de Richard, roi d'Angleterre :
' ** ' ' « Et demeura le roy Richart en la Terre-Sainte, et là fist
« de très-grans faiz d'armes sur les mescréans et Sarrazins.
a Tant qu'ilz le doublèrent si fort, ainsi qu'il est esrriptau
« livre de l'histoire du veage de la Sainte Terre, que quant
« les petiz eiifans des Siirrazins crioent, leurs mères leur
« disoient: Taisez-vous, taisez, veezci le roi Riehart qui
«r vient vous quérir. Et tantoust de la paour que iceulx petiz
« enfans sarrazins avaient seulement de oir nommer le roi
« Richart, ilz se taisoient. Et semblablement quant les Sar-
1 razins et Turcs étoient à cheval aux champs, et que leurs
a chevaulx avoient paour de quelque umbre ou buisson,
« et qu'ils s'en effraioient, ils disoient à leurs chevaulx en
« les piquant de l'esperon : Et cuides-tu que ce soit le roi
« Richart? »
, , Sur ces paroles de l'historiendesaintLouis, Du Gange fait la
lions, p. [,', réflexion suivante relativement aux historiens des croisades :
« Ils ont tous omis cette circonstance rapportée par le sire
« de Joinville qui l'avoit tirée, ainsi qu'il témoigne en cet
« endroit, de l'histoire des guerres saintes, écrite en langue
« vulgaire, que j'ai leûe manuscrite, qui rapporte la même
« chose en. ces termes : ■» et ces termes sont littéralement les
mêmes que ceux qui se lisent dans le numéro 6744 o'J nous
copions ce qui suit :
a Pour celle prouesse que le roi Richart fist illec et ailleurs
(T et au château du Daron qu'il print sur les Sarrasins fut-il
« moult doubte par toute paiennie. Et si, comme l'en dit, il
« avenoit aucune foiz que quant le petit enfant des Sarrasins
« plouroit, disoient: Tais-toy pour le roi d'Angleterre. Et
« quant aulcun Sarrasin chevaulchoit et cheval veoit ung
« buison ou ombre, et il reculoit en arrière, que le Sarrasin
a hurtoit des espérons, et lui disoit : Guides-tu que le roi
« d'Angleterre soit mucie en ce buison ou en celle ombre,
« ou en ce dont le cheval avoit paour. »
Muratori conclut judicieusement du parallèle fait ici par
Du Gange, qu'il devait exister des manuscrits français de
l'histoire dont il donnait en latin la première édition connue,
et dont l'auteur appartenait nécessairement à un temps an-
fcracle». Mss,
rcg. p. ccccmi
XIIISII.CLK
BERNARD dit LE TRÉSORIER. 417
térieur à celui de Joinville. Il est donc maintenant certain,
d'après les témoignages réunis de Joinville, de l'Italien tra-
ducteur Francesco Pipino,de Muratori , de Ducange, de
Moréri enfin, qu'il a dû exister une histoire des croisades
écrite en français; qu'elle était antérieure à celle de Joinville,
et que cette histoire, selon le dire de celui (jui l'a traduite
en latin et qui vivait en 1 3ao , aurait eu pour auteur un écri-
vain nommé Bernard le Trésorier.
Un nouveau témoignage qui vient appuyer les précédents Miiiaioii,,Sci.
est celui de la chronique attribuée à Ricobald de Fcrrare, ■"«■■• '''•' ' '^ •
laquelle commence au règne de Charlemagne et fiîiit en P' '^^
i;'.94- Cette chronique, dit Muratori, qui parut dans le liiioijaMns, p
même siècle où Bernard écrivait en français Thistoire des '•'):,'.'<, 4'8
croisades, est aussi le premier monument littéraire qui la
lui attribue nommément. Son témoignage doit donc avoir à
nos yeux d'autant plus d'autoiité, que le chroniqueur était
plus voisin du temps où Bernard écrivait, et que ce Bernard
y est souvent cité; car lorsque Ricobald ne fait qu'indiquer
les faits, il renvoie à l'histoire écrite par son devancier , ceux
qui en désireraient les détails; et quand il les donne, il traduit
presque littéralement, ou il imite librement le texte français
de Bernard. C'est ainsi , par exemple, qu'il agit en parlant du
Vieux de la Montagne, et des débats qui eurent lieu entre
Philippe-Auguste et Richard, roi d'yVngleterre. Il faut enfin ^^^^^^ ^^^ , ^^
ajo^iterà tous lesécrivains que nous venons de citer, relative- ,„(. lai 1 i, p
ment à l'enquête entreprise dans cet article, les rédactt urs de '^H;).
la Bibliothèque historique de la France , et ceux de l'Art de i.eiong, t. u,
vérifier les dates, qui font mention de Bernard et de l'histoire r '^o
qu'il avait translatée et continuée; IMontfaucon, enfin, qui cite lesdaies.p. 386,
l'ouvrage, sans en d/îsigner l'auteur, tandis que Moréri , qui é<iii. de 1770.
ne le connaissait qu'indirectement, avoue qu'il ne pourrait '''';'• ""■** ^
... ^ . . ' ' TOI. B.
(lire SI cet ouvrage existait encore. ' Morén, uhi
Avant de nous engager plus loin dans la question de savoir snpià.
quel est nommément le Français à qui l'on doit attribuer la
traduction française et la continuation de Guillaume de Tyr,
il faut donc avouer que Bernard le Trésorier n'a jamais été
unanimement considéré comme en ayant été incontestable-
ment l'auteur. FévretdeFontette, second éditeur du travail du Bibl. Iii>l. (1.
P. Leiong, attribue la traduction française à Hugues Plagon, '^ ^> « ". P^s
que nous n'avons encore pu connaître plus originairement '''"■^^^,^^ ^^^p.,^
que dans la citation suivante de Du Gange: « Hugues Pla- t.iv,p.ixx\iii
« gon en la version de Guillaume de Tyr, au tome V de la
7'orrie .Vf ///. G g g
4i8 BERNARD dit LE TRÉSORIER.
XIII SIÈCLE. . , ,, ,
« grande collection de Martene. » Dans notre Histoire litte'-
«1
Hisi. liti. de raire, à l'article de Guillaume de Tyr, on se déclare aussi
laFi. I. XIV, p. pource Plagon. L'auteur de la Bibliothèque des croisades ,
' après avoir, en 1817, dans la Biographie universelle, attribué
la traduction à Plagon, n'hésite pas, en 1829, de l'attribuer
à Bernard le Trésorier. Toutes ces vacillations auraient donc
pris leur source dans la contradiction qui règne entre les
deux citations faites par Du Cange.
Nous venons de rapporter plus haut la citation fran-
Giossai. Sup Ç^'*^ ^^ ^^ savant; voici ce qu'il écrit en htin: Berna /dus
piem. I. IV, in- Thesaurarîus , de acquisitione Terrœ Sanctœ ah anno ioq5
•***■ ad annum i23o. Ce titre, rédigé ou littéralement copié par
Du Cange, montre assez clairement que les critiques, ainsi
que Muratori, considéraient Bernard le Trésorier comme
1 auteur de la traduction française et de la continuation
de Guillaume de Tyr. Mais alors comment Du Cange a-t-il
pu inscrire, dans son catalogue des Scriptores gnllici ver-
naculi, « Hugues Plagon en la version de Guillaume de
Tyr? )) Alartenne et Durand avaient transcrit la version
Bibi.descrois. française, sans en désigner l'auteur; mais les sentiments
I ii.p 555. réunis de Ricobald de Ferrare, de Pipino, de Muratori,
suffisent bien pour détruire l'effet d'une allégation faite
transitoireinent par Du Cange, et qui ne peut infirmer
des témoignages presque contemporains au traducteur
français de Guillaume de Tyr. Ajoutons à tout cela que
Du Cange n'a fait que soupçonner l'existence des plus an-
ciens manuscrits de la traduction française, que l'auteur
de la Bibliothèque des croisades n'a pas cités, et dont l'é-
criture et les vignettes font remonter évidemment l'origine
à la fin du xin^ siècle. Le manuscrit 6744 de la Biblio-
thèque du Roi, qui est du siècle suivant, a pour titre
extérieur : « Eracles ; de la conquête de la Terre-Sainte. « Le
titre intérieur en est ainsi conçu : k Cy commence le livre
« intitulé Eracles, lequel parle de la conqueste de la Terre-
'c Sainte de Jherusalem, contenant plusieurs gueri-es et
« haulx faits d'armes faitzen icelluy royaume êtes pais voi-
« sins. Ensemble maintes merueilleusesbesoingnesaduenues
" tant de ca que oultre mer ce temps pendant, et comment
« le vaillant Godefroy de Buillion couquist à l'espee ledit
o royaume et y fut roy. »
Relativement à la composition de cette histoire, Muratori
s'exprime ainsi : « Je ne doute pas que Bernard le Trésorier
XIII SltClE.
BERNARD dit LE TRESORIER 419
<f n'ait eu sous les yeux les écrivains précédents qui avaient
« déjà écrit l'histoire des guerres sacrées, et surtout Guil-
« laume de Tyr, qu'il suit toujours, même dans les erreurs
« qui lui échappent. .. . Néanmoins; continue le critique,
« ce n'est pas un motif qui doive déprécier cet ouvrage,
K qu'on recevra avec plaisir, soit parce qu'il parait à présent
« pour la première fois, soit parce qu'il comprend la série
<f presque entière des expéditions orientnles, et principale-
« ment des dernières que peu d'écrivains ont racontées. »
Pour compléter le jugement porté par le critique italien,
nous remarquerons que la première et la plus grande partie
du travail de Bernarcf ne consiste pas en une simple imitation,
mais que c'est une traduction littérale de l'Histoire rédigée
par Guillaume de Tyr, et où le traducteur n'a fait que
Quelques suppressions, transpositions ou additions de peu
'importance. La comparaison du texte français avec le latin
de la traduction de Pipino suffirait pour prouver que c'est
au fond et en réalité l'ouvrage de l'archevêque de Tyr, si le
traducteur ne disait pas d'ailleurs clnirement qu'il n'a fait,
pour cette partie, rien autre que traduire l'histoire originai-
rement composée par son illustre devancier. Il serait inutile
de s'occuper ici du mérite et des défauts de l'histoire écrite
par Guillaume; sur quoi l'on peut recourir à l'article qui le
concerne dans notre Histoire littéraire; mais pensant que le 1 ^iv
lecteur trouvera par là plus de facilité à comparer la compo- Î87.
sition latine avec la française, nous transcrirons ici le seul
commencement de la latine, que nous ferons suivre pir un
morceau plus étendu de l'autre, et dans le dessein de mon-
trer la parfaite identité du fonds commun des deux compo-
sitions :
Tradunt ■veteres historiœ , et idipsum etiarn habent urien- \\iiiriii,u5rv
talium traditiones , quod tenipore quo HeracUus augustu.s i<m.is,ii;,i 1. i,
Homanum administrabat imperium , Mahumeth primogeniti ""■ '• "f"'' "°"
Satanœ , qui se prophetam à Domino missum inenliendo , '^^"" '' "■'
orientaliuni regiones , et maxime Arabiam sediixerat, ità
invalaerat doctrina pestilens , et disseminalus languor ità
universas occupaverat procincias , ut ejus successoresjam non
exhortationibus vel prœdicalione , sed gladiis et violentid
in suuni errorem populos descendere compellerent imitas.
Ciim enim prœdictus Augustus , victor reversas de Perside ,
undè crucem Domini cum glorid reportaverat , adhuc in
Syria moram faceret , etper Modestum , virum venerahilem,
G i; i' 2
XIII 51KCLE.
M*s, II. I
430 BERNARD DIT LE TRESORIER.
quem Hierosolymis ordinaverat episcopum , ecclesiarum rui-
nas, quas Cosdroe Persarum satrapa nequissimus hostiliter
dejecerat , in priorem statum, datis sumptibus necessariis ,
reformari prœcepisset , etc.
Nous ne prolongerons pas davantage la citation d'un texte
latin qu'on va lire traduit presque mot à mot par Bernard
le Trésorier, et l'étendue que nous donnerons aux citations
françaises nous a paru assez utile sous plusieurs points de vue;
surtout pour comparer le manuscrit français du xiii^ siècle,
soit avec ceux du xiv^, soit avec le texte de Guillaume de
Tyr, et pour faire conclure qu'entreles années i35o et i4oo,
la langue n'a presque pas cnangé de style et d'expressions.
Voici le début de Bernard :
« I,es anciennes ystoires dient que Eracles en fut moult bon
« «.'hpien (chrétien) et gouverneur de l'empire de Romme. Mais
(c en son temps, Maliommet auoit ja esté qui fut messagier
« au deable. Et il fist entendant qu'il estoit prophète enuoye
« de nostre Seigneur. Ou temps d'Eracles estoit ja la des-
a loiaute et la faulse loy qu'il sema, espandue par toutes
« les parties d'Orient, et nommément en Arabe, telement
« que les princes des terres ne se tenoient mie a ce que len
o enseignast et amonestast a croire celé malt- auenture. Ain-
« cois contregnoient par force et par l'espee tous leurs
« subgiez obéir au commandement de IMahommet et a croire
« en sa loy. Quant Eracles eut conquise Perse, et occis Cos-
<( droe qui estoit si puissant roy , il en raporta la vraie croix
« en Jherusalem que ceulx en avoient portée en Perse. Et
« demoura en la terre de Surie, et fist ordonner et eslire en
tt Jherusalem un patriarche moult sage qui auoit nom Modeste.
n Par le conseil de ceilui il fist refaire les églises et abillier les
« sains lieux et netoier que ceilui desloial prince de Perse
« Cosdroë auoit despeciezet destruiz. Moult y metoit Eracles
a grant entente et granz couz a ces choses mettre en repa-
« racion. Entretant que il entendoit a ce, soiez certains que
« Homar le filz Catap qui estoit prince d'Arabe, tiers après
« Mahommet roy et enseigneur de ses commandemens vint
K en celle terre qui a nom Palestine a si gnmt plante de
« gens que toute la terre en estoit couucrte. Et auoit ja prinse
« par force une moult forte cite de celle partie qui auoit
<( nom Jadre ( c'est-à-dire Gaza ). De la se tira vers Damas
« et asist la cite, et la print a force. Car il auoit moult grant
<( nombre de gens, si que rien ne lui pouoit résister. L'em-
BERNARD dit LE TRESORIER. 421
Xm SIECLE.
« pereur Eraclés qui demouroit encore en celle terre qui a
« nom Cilice oyt nouuelles de ces gens. Si enuoya bonnes
« espies et loyaulx esquelz il se fioit moult pour veoir et
« encerchier leur couuine {desseiru)^ car il desiroit moult
« a scavoir sil peust celé gent attendre en champ, ou ruser
« hors-et chacier des terres et des cites qui obeissoient à la
« christiente et a l'empire de Romme. Mais quant les mes-
« sagiers revindrent, il sceut certainement qu'il n'auoit mie
« gens assez a les combattre. Car ils estoient si tiers et si
« orgueilleux de la grant plante de gens qu'ils auoient que
« rien ne leur pourroit résister. Si eut auis et conseil avec-
« ques ses gens, et fut tel que moins estoit laide chose qu'il
« s'en partist et retournas! en son pays que il y alast la des-
« truire le peuple et la terre de l'empire, et jamais ne se
« pouoir amender. Ainsi sen ala de Surie pour ce que le roy
« d'Arabe et ses gens montèrent en si grant orgueil, et en
« si grant pouoir comme ceulx qui trouuerent la terre toute
« abandonnée , car ilz eurent en pou de terme tout conquis
« des la liche de Surie jusques en Egypte. Une chose qui
« estoit avenue en ces parties nauoit guaires aida moult à
« ceulx d'Arabe a croistre leur pouoir, car Cosdroe le puis-
« sant roy de Perse dont jay parle devant, estoit venu à
« grant force en Surie, et auoit destruites les cites et les
« chasteaulx, arses les villes, les églises fondues, grant partie
« du peuple occis et lautre partie menée en captivité, la
« cite de Jherusalem print à force et occist dedans la ville
« XXXVI mille hommes, la vraie croix ou notre Seigneur
« Jesus-Christ soufrit mort pour nous emporta. Le patriarche
« de Jherusalem nomme Zacharie entreina en Perse auecques
« les autres chetis {captifs). »
Celui qui comparera entièrement les deux morceaux cor-
respondants pourra juger de la conformité qui règne entre
la traduction et le texte; mais il acquerra encore plus de
certitude à cet égard, en lisant les propres paroles de Guil-
laume , lorsque rapportant comment il fut nommé chancelier
du roi de Jérusalem, il s'exprime en ces termes :
Per idem tempus , quia prœcedente œstate dominus Ra- |^" o"?»",
dulphus honœ memorice , Bethlemita episcopus , regni can-
cellarius , ex hac lues mi.graverat , ut esset qui regiarum
epistolarum curam haberet , de consilio principum suorum ,
nos ad prœdictum vocavit officium et canceÙarii nobis tra-
didit dignitatem.
0
422 BERNARD dit LE TRÉSORIER.
un SIECLE. ^ • • 1 • r, , X
l^e passage est ainsi traduit par Bernard : « Leueque
Eracies.Mss. « Raoul de Bethlecm auoit este mort en leste devant {Vété
«LT '^'^""'' " précédent')^ le roy par le conseil de ses barons fist chance-
« lier Guillaume l'archidiacre de Sur qui mit en latin ceste
« ystoire. » Il est bien à remarquer que le traducteur français
nomme ici positivement Guillaume de Tyr, pour traduire le
mot ISos que le chancelier avait employé en parlant de sa
propre personne.
Après les préambules nécessaires au développement des
causes qui amenèrent les guerres des croisades, l'histoi re écri te
par Guillaume, qui commence en 1095 avec le concile de
Clermont, et finit en i i83,à la date où Raimond, comte de
Tripoli , est investi de la régence du royaume de Jérusalem,
pendant la maladie de Baudouin IV, se termine en ces
termes : Cornes vero Joppensis cognito quod ad ejus paceni
rex animum suum noUet inclinare, adjecit pejora prioribus et
asswnens eam quam seciim hahebat militiam , versus cas-
Bongars.pag. trum , cui notnen Darum , suos direxit , et in castra quo-
'"''• rumdam Arahum, qui in partibus illis, gratiâ pascuorum ,
tentoria locavcrant sua , à rege habentes securitatern , et
sub ejus fidaciâ commorantes securi , repentinus irruit , et
impara tos reperiens , prœdam inde et manubias agens , re-
versus est Ascaloniam. Quo cognito rex iterum revocatis
principibus , Tripolitano comiti curam et generalem admi-
nistrntionem committit , in ejus prudentia siniul et magna-
nimitate spem liabens. In quo facto populi uni\>ersi et
principum, ex parte pluriinâ videbatur satisf caisse desideriis.
Unica enim et singularis videbatur omnibus salutis via , si
prœdicto comiti regionum cura committeretur negotiorum .
Voici comment Bernard reproduit le morceau précédent.
« Le comte de Japhe oyt dire que le roy ne vouloit auoir
« nulle mercy de lui, et que pour amour ne pour prière ne
« pouuoit avoir sa paix. Des lors se pourpensa comment il
^ , ., « le pourroit courroucer. Il print chevaliers auecques lui
ErJcI.Mss. .<■£;. i ., ■ r^. i i-^ i
p. cr.r.Lxxiiii. " tout commc il en peut auoir. iLt sen ala tout droit vers le
<( château de Daron; illecques sestoient logies Turcs d'Arabe
(( que len appelle Bedoins et gardoient grant quantité de
« bestes par les pastures, car ils auoient tant donne du leur
« au roy quil les ysoutfroit et auoit en son conduit, pour ce
« se tenoient tous seurs, et ne cuidoieiit rien doubler, ne
« avoir garde de nul chreptien, le conte et les chevaliers
n vindrent soudainement et le sourprindrent , aulcuns en
BERNARD dit LE TRÉSORIER. . 428
XUI SIÈCLE.
«i occirent et toute la proye emmenèrent tout tant qu'ils
« trouuerent de robes et d'avoir, emportèrent tout à Esca-
« lone. La nouuelle en vint au roy qui étoit tout plein d'ayz.
« Si manda le conte de Triple, et pour ce qu'il se fioit en
« son sens et en sa loyauté, lui bailla incontinent tout le
« pouuoir et toute la baillie de son royaume. Trop en eurent
« grant joye tous les barons et le menu pueple pour ce qu'ilz
« auoient par avant que aultrement ne pouoit la terre estre
<( en bon point pour leurs deux roys qui estoientsinon puis-
« sans se tout le fais et le gouuernement n'estoit baille au
«c conte de Triple. »
Après avoir établi par les parallèles précédents que la
première partie du manuscrit royal de l'Eracles n'est abso-
lument que la traduction de l'Histoire écrite par Guillaume
de Tyr, il faut maintenant montrer que la continuation de
cette histoire a été composée en français par Bernard le
Trésorier, qui, prenant la narration à l'époque où Guillaume
l'avait laissée, l'a poursuivie jusqu'à l'an auquel le roi de
Jérusalem, Jean de Brienne, demandé par les barons latins,
passa à Constantinople , maria sa fille au jeune empereur
Baudouin II, et gouverna l'empire pendant la minorité de
ce jeune prince; ce qui eut lieu en 1228. Cette date indi-
querait assez bien la place que Bernard, dont on ne connaît
pas plus précisément l'année de décès que l'année de nais-
sance, aiirait pu occuper dans notre Histoire littéraire; et
alors l'équivoque causée par l'homonymie des deux Bernard
cessant, on ne placerait plus, comme on l'a fait, le décès de
Bernard à l'an i25o, qui est l'année fixe de celui du Tré-
sorier de Compostelle.
La suite qui complète le contenu du manuscrit, et dont
l'étendue équivaut environ au quart du volume de Guil-
laume de Tyr, se trouve aussi dans la grande collection de Marien. Am-
Martène et Durand, mais avec une autre suite qui prolonge ''''to "*"" '' ^'
les récits de Bernard jusqu'en 1296. Les éditeurs disent
l'avoir tirée d'un manuscrit écrit à Rome dès cette année-là
même , et qui contenait l'ouvrage entier de Guillaume traduit
par notre Bernard. « Nous n'avons pas jugé convenable, di-
« sent ces savants éditeurs, de copier tout l'ouvrage traduit;
« d'abord à cause de son étendue, ensuite à raison de l'an-
« cienneté du langage dans lequel il est écrit; car il aurait
« nécessité de trop nombreuses explications; enfin, parce que
« la partie que le traducteur a ajoutée à l'ouvrage original ,
4:^4
BERNARD dit LE TRESORIER.
XIII SIECLE.
Mamiscrit
(iCCI.VXlVII.
« se trouve dans les auteurs contemporains. » En conse'-
quence, ils se sont bornés à publier la suite de l'histoire,
sans dire à qui on la devait, ni si cette suite était l'ouvrage
d'un ou de plusieurs historiens, et sans même avoir nommé
le Bernard traducteur et continuateur français.
Les raisons précédemment exposées et tirées de la chro-
nique de Ricobald, du traducteur Pipino et de l'assentiment
de iMuratori, ne permettent pas de douter qu'au moins la
première continuation ajoutée au texte de Guillaume de Tyr
ne soit de notre Bernard.
Dans son ouvrage, le continuateur de Guillaume de Tyr,
conservant l'ordre suivi par son devancier, conduit son lec-
teur de Jérusalem à Constantinople, et de là dans les autres
régions de l'empire grec, puis en Europe oîi de nouveaux
croisés se préparaient à partir. Il montre en détail la lutte
tantôt heureuse et tantôt malheureuse que les chrétiens sou-
tiennent contre le Soudan Saladin; il développe les grandes
qualités et les hauts faits de ce soudan ; puis il passe en revue
les événements principaux qui surviennent dans les divers
royaumes d'Europe. Les démêlés de Philippe-Auguste et de
Richard Cœur-de-Lion ne perdent, sous la plume du conti-
nuateur, rien de l'intérêt qu'ils causent depuis qu'ils ont été
traités par des plumes plus habiles, aidées surtout, comme
elles l'ont été, des avantages que leur fournit une langue
aussi perfectionnée que l'est celle de nos temps. Les moeurs
et les coutumes des peuples y sont peintes avec une naï-
veté quelquefois embarrassante à transcrire littéralement.
En un mot, les récits contenus dans la continuation que
nous devons à Bernard le Trésorier, sont si remplis de faits,
qu'on pourrait presque les considéier comme une histoire
générale de l'espace des quarante-cinq ans qu'elle comprend.
Or, pour montrer quel est le mérite de sa composition , de
son style et de son langage, nous transcrirons ici deux mor-
ceaux choisis entre plusieurs autres, que nous aurions pu
citer avec autant de raison. Dans le premier, pour raconter
les dérèglements, les cruautés, la fin ignominieuse d'An-
dronic I", qui régna deux années à Constantinople, Bernard
le Trésorier s'exprime en ces termes :
K Or vous dirons d'Androine qui fut empereur de Con-
te stentinoble. Il ne demouroit belle nonne en abbaye ne
« fiile a cheualier ne a bourgoys qui lui pleust quil ne pre-
< nist et feist a son plaisir, par force. Si estoit tellement hay
BERNARD dit LE TRESORIER. 425
fc pour les mauU quil faisoit quonques nul hault homme ■
« ne fut tant comme il estoit. Or avint ung iour que Lan-
« gosses vint a lui et lui dist : Sire il y a ung cheualier en
a ceste ville qui fut parent a lerapereur Manuel, se vous
K men créez, vous le manderez et le metterez en prison, ou
« vous le ferez occire, car je scay bien que se vous le laissiez.
« ainsi, il vous guerroyera, car il esx. fol et malicieux\
K Lempereur lui manda que il venist parler a lui. Ce che-
« ualier auoit nom Kyersac et auoit ung frère qui auoit
« nom Alexe. Quant Kyersac sceut que lempereur lauoit
« mande, il fut moult doulent, et dist au messaigier quil
« sen allastet quil yroit apreslui.Adoncques manda Kyersac
« son frère hastivement et ses compaignons, et leur dist com-
<c ment il lauoit mandé. Je say bien, dist-il, que je suy accusé
« a lempereur pour moy occire, quel conseil me donrez-
« vous? Son frère lui dist et ses compaignons : Nous louons
« bien que vous y ailliez, et nous yrons avecques vous , si
a scaurons quil dira. Kyersac dist : Puisque vous le me
« louez je yray doncques. Lors sarma par dessoubz ses draps
« et mist son espee et monta a cheval lui son frère et ses
(f compaignons et sen ala a Blaquerne ou lempereur estoit.
« Blaquerne est ung manoir de lempereur qui est a ung
« bout de Constentinoble deuers terre. Si comme Kyersac
« aloit a lempereur et y vint en une estroite rue , il encontra
<: Langosse qui aloit diner a son hostel, et quant Kyersac
" vist. que Langosse ne pouoit euader^ que il ne venist de
« lez lui, il tira son espee et lui coupa la teste, si quil fut
« tout sanglant et son espee, lors tourna arrière, et pic-
« qua^ son cheval des espérons, si sen ala criant lespee
« traite parmy la ville: Seigneurs venez après moy que jay
« tue le dyable. Quant le cry leua en la ville que- Kyersac
« auoit tue Langosse, si alerent tous* après lui a Bouche
« de Lyon , si le garnit et mist ses hommes dedens. Bouche
« de Lyon estoit un des manoirs a lempereur, si est sur
« mer, et la est le plus de son trésor. Lors vint Kyersac et
« print la couronne et le vestement de lempereur, si ala a
« saincte Sophie' et se fist couronner en empereur. Quant
« il avoit este couronne il manda tous ceulx de la cite pour
« aller assegier Blaquerne. Quant Androines oyt dire que
« Kyersac avoit tué Langosse et quil auoit prins Bouche de
Variantes. "Rous et deputaire. 'Trastorner. ^Brocha. *Tuit. 'Sophise.
Tome XFUI. Hhh
3 0*
XIU SIÈCLE.
XIII SllXLE.
4^6 BERNARD dit LE TRÉSORIER.
« Lyon et son trésor et quil auoit portée couronne, si ne
« sceut que faire, il fist pourtant armer ses hommes , ceulx
« quil auoit auecques lui pour soy défendre. Mais riens ne lui
« valut. Quant Kyersac vint deuant Blaquerne, et ceulx de
a dedens visrent que leur défense ne leur vauldroient rien,
« si se rendirent, adoncques vint Kyersac et fist prendre
« Androines et le fist mettre en Bouche de Lyon. Apres
(c Kyersac si sepourpensa quil le feroit de villaine mort morir
« pour cause de son seigneur droiturier quil auoit noyé
« en la mer qui auoit este fils a lempereur Manuel, et aussi
« pour les aultres mauvaisties quil auoit faictes. Lors vint
« et fist ledit Kyersac le despouillier tout nu, et fist aporter
« une tresse daulx', mais les aulx ny estoient pas, et le
« fist couronner de celle la, comme roy , et fist amener
« une asnesse, si le fist monter sus ce deuant derrière et
(c tenoit la queue en sa main comme frain , et ainsi le fist
« mener par toutes les rues de Gonstentinoble, et porter
« couronne
<c Ainsi porta Androines couronne en Gonstentinoble
« tant quil fut hors de la cite. Quant il fut hors de la
« cite, il le livra aux^ femmes, et les femmes lui cou-
(f roient sus comme les chiens famileux à la charoigne.
« Si le depecierenl tout pièce a pièce , et celle qui en
« pouoit auoir aussi gros comme une feue le mengoit
<( et lui raticoient^ les os ou les couteaulx et ostoient la char,
« si la mengoient. Ne oncques mie demoura ne osselet
<( ne joincteure* quelle ne mengassent, et disoient que
(( toutes celles qui auoient mangie de lui estoient sauuees
« pour ce quelles auoient aidie a vengier les mauvaisties quil
« avoit faictes. »
Le second morceau fait connaître une particularité hono-
Miiuusciii p. rable pour le soudan Saladin. « Or vous diray une grant
« courtoisie que Salahadin fist pour lors. Les dames, les
« femmes et les filles aux chevaliers qui furent afouies en
Jherusalem, a <|ui leurs seigneurs avoient este prins et
mors en la bataille, incontinent quelles furent rachetées
et yssues de Jherusahîm, sen allèrent devant Salahadin lui
crier mercy. Quant Salahadin les vist, si leur demanda
qui elles estoient, et quelles demandoient, et len lui dist
que cestoient les femmes et les filles aux chevaliers qui
flânantes. 'Rois .d'aulx. ' As, ' Reaient. * Ne jointure.
i:r.<:rviii
(f
XIIl SIKCLK.
BERNARD dit LK TRÉSORIER. ^27
« auoit este occis et prins en la bataille. Adonc demanda il
(( quelles vouloient, et elles dirent en plourant tendrement
« que pour Dieu il eut mercy délies qui auoient leurs maris
« et seigneurs en prison , et que leurs terres auoient perdues,
« et que pour Dieu il y meist conseil et aide. Quant Sala-
ce hadin les vist plourer, si en eust grant pitié, et dist aux
« dames de qui les maris estoient vifs quelles lui teissent
« ascavoir silz estoient en sa prison, et que tous ceulx qui
« estoient en prison il feroit délivrer, et furent délivres
« tous ceulx que len y trouua. Apres commanda que len
« donnast aux dames et aux damoiselles dont les pères et
« les seigneurs estoient mors, largement du sien, a lune
« plus a lautre moins selonc ce quelles estoient. Et len
« leur en donna tant quelles sen louèrent doulcement a
« Dieu et au siècle du bien et de lonneur que Saiahadin
« leur auoit faicte. »
Après avoir fait connaître de quel genre est la com-
position française de Bernard le Trésorier, il a paru conve-
nable de dire quelque chose de la traduction latine qui en
fut faite, vers l'an i33o, par Pipino de Bologne. On sait
que ce religieux s'est fait aussi connaître par une traduc- Muraiori.Rei.
tion latine de la Relation, en italien, que Marc Paul avait ''«i Stript.i.vii,
écrite de son voyage en Chine, et par l'Histoire du voyage 53g 9;'-ï''^.p-
<^ue Pipino avait personnellement fait en Palestine, en
Egypte, en Syrie et à Constantinople; enfin parla chro-
nique qui comprend le temps écoulé entre l'an 1176 et
l'an i3i4-
La traduction par Pipino n'est en réah'té qu'une imitation
de l'original ; car il fait de fréquents retranchements au texte
français: et quand il le trouve à propos, il y fait des addi- ,, . t,.
=>..>,, ^-^ ."^ r ' y , HeinaidiThe-
tions considérables. On en peut juger, en lisant le récit de samarii, Ueac-
la prise de Damiette, qui est copié littéralement d'Olivier de i'''^- Ter. Sanc.
Cologne, el par d'autres qui sont tirés, soit de Vincent de •^^"p- <^'"^" » '•*=•
Beauvais, soit d'autres écrivains contemporains.'
En général , on voit que Pipino a voulu donner à son tra-
vail une forme plus étudiée , employer un style plus soutenu,
mieux lié. que celui de l'original, dont il a retranché des
longueurs. Mais s'il a, de ce côté, perfectionné les récits de
son modèle, il a, d'une autre-part, diminué par ses retran-
chements l'intérêt qu'inspire la narration continue de la
composition française. Pipino n'a pas même suivi la division
des chapitres que notre Trésorier avait adoptée; il s'en est
Hhh2
XIII SIECLE.
4i>.8 . BERNARD dit LE TRÉSORIER.
fait une autre, suivant sa méthode particulière de classer les
matières. En un mot, l)ien qu'il dise dans Je titre de son
travail qu'il n'est que le traducteur de Bernard, il ne lui est
réellement fidèle que dans la généralité des faits ; au lieu que
notre Trésorier avait traduit presque littéralement Guil-
laume de Tyr, et n'avait presque rien changé à la distri-
bution des livres et des chapitres. En somme, la traduction
latine de la composition française ne peut pas tenir lieu de
l'ouvrage original. Voici deux passages qui pourront servir
à compléter la comparaison que nous ne faisons ici qu'indi-
quer. Nous les avons choisis entre ceux que le latin paraît
avoir le plus fidèlement rendus. Commençons par le mor-
ceau tiré du manuscrit français, après lequel nous don-
nerons un passage latin qui fera connaître de plus le style
de Pipino.
« Or vousdiray que Saiahadin fist quant il eut prins Jhe-
Mss.Biiil.reg. ^ rusalcm et il eut baillée la première route des chréptiens
**' ce a conduire aux Templiers. Il ne se voultoncques partir de
« deuant Jherusalem jusques a quant que les chréptiens fus-
« sent tous hors, et adonc y entra et si ne voult de la partir
« tant quil eust este dedens le temple et aoure ou temple.
« Il auoit mande eaue rose asses pour le temple lauer, et
<f si comme len dist, il en y eust encore de demourant IIII
« ou V chameaulx tous chargies. Auant quil feist le temple
« lauer de celle eaue rose ne auant quil y entrast fist -il
« abatre une moult grande croix dorée et mettre a terre.
« Et comme elle fut a terre les Sarrasins la lièrent a cordes
« el traînèrent jusques a la porte Dauid, la la despecie-
« rent et grant huerie firent les Sarrasins après la croix
« en la trainant. Je ne vous dis pas que ce fust par le com-
« mandement de Saiahadin. Quant la croix fut jus du
« temple Saiahadin fist lauer le temple et entra dedens et
« rendit grâces a Dieu de ce quil lui eut prestee seigneurie
« sur sa maison. »
Saladinns interea egressis urbe Hierusalem , ut dictum
Murait. VII, ^gf^ chnsdanis , civitatem ipsam ingressus , antequam tem-
^' "' pluin intraret, jussit crucem Domini supra illud erectam solo
dejici , quant Saraceni non sine magno ludibiio ligatis ad
eam funibus usque ad turrun David per lutum. traxerunt ,
et demum ad fapidem illiserunt. Quod autem de assensu
Salddini hoc fecerint , incognituni extitit. Post luec Saladi-
nus jussit parietes teinpli aqua rosea lavari, quant ut fertur
BERNARD dit LE TRÉSORIER. 429
quatuor caineli onusti eatn à Damasco portaverunt. Hoc
facto teniplum introivit , et pro concessa sibi potestate supra
Domini tnanslonem Deo gratias egit.
Le inanuscrir. 6y44i fol. liv, contient sur le prix des vivres
des détails qui fout bien connaître jusqu'à quel point lut
portée la famine qui eut lieu dans l'armée des Français,
durant le siège d'Antioche. Voici comment s'exprime à ce
sujet le traducteur français : « La clnerté etcit moult grant
« en lost et chascun jour croissoit la famine telement que
<i ung homme mangoit franchement pour deux soûls de pain.
« Une vache coustoit quatre marcs dargent que len avoitau
« commencement pour cinq livres. Un aigneau ou ung petit
« chevreau VI soûls que len avoit avant pour III deniers ou
« pour IV. La viande a ung cheval coutoit la nuit VIII soûls.
« Moult en y morut de fain telement que les chevaux
« qui au commencement furent estimes a LXX marcs nes-
(i toient ore guaires plus de II marcs et ceulx estoient si
« poures et si maigres qua grant peine se pouvoit len aidier
« deulx. » On a recherché en vain dans les divers traités qui
ont été composés sur les monnaies de France, leo moyens de
donner quelque idée du rapport de ces valeurs avec celles
qui ont cours de notre temps.
La Bibliothèque royale possède 22 manuscrits de Bernard
le Trésorier, dont plusieurs sont de format atlantique, pres-
que tous sur peau de vélin, ornés de miniatures, sur lesquelles
on peut observer le progrès des arts du dessin, depuis le xni*
siècle jusqu'à la fin du xiv*. On y remarquera surtout la mi-
niature qui représente le supplice d'Andronic. Le texte de ces
manuscrits est plus ou moins complété par les insertions ou
les continuations dont Bernard a fait suivre sa traduction
française. Nous en dressons ici la liste, d'après le relevé et
les remarques de M. Paris, et après l'avoir comparée nous-
mêmes avec le» principaux manuscrits qu'elle comprend, et
sur lesquels ce jeune savant a fait des observations qui pour-
ront être très-utiles à ceux qui s'occupent spécialement des
croisades.
Ce sont les numéros suivants, rangés suivant l'importance
des manuscrits: N" 6743, xni*' s. — (^744, fin tlu xiv*. —
83i4,xiv*^s. — 83 1 5 , i<3?e/re. —83 16, fin du xiii^. — 84o3,
idem. — 84o4, idem. — 6972, xiv'. — 7188', xin*. — 83i4N
idem. — 83i4S xv^ — 83i4% xIIl^ — 83i5' ', idem. —
83 1 5', idem. — 84o4^ ', idem. — 8409^ S idem.
xiiisn:ci.K.
Xdi SIECLK.
43o BERNARD dit LE TRÉSORIER.
Supplém. fr. jN" 45o, xin*^ s. — io4i idem. — 1872, xiv^.
Sorbonne. N-SSS , xm*. — 887, xiv^ — 383, idem.
Le n" 83 14 iR contient que la traduction du seul texte de
Guillaume de Tyr. Le n° 83 16 est un de ceux qu'on doit
prendre pour guide dans les recherches comparées qu'on
peut faire sur les textes originaux. Le n° <»972 contient le
récit abrégé dans toutes ses parties, et continué jusqu'au
retour de Louis I\ en France. Le n° 83 r")' ne contient
pas précisément la traduction de Guillaume de Tyr, mais
un extrait abrégé de toutes les histoires contemporaines
des croisades jusqu'au temps de Philippe-le-Hardi. Le récit
de Villehardouin s'y trouve fondu. Au Supplément des
manuscrits français, le n" 45o est précieux à consulter, sur-
tout en ce que la continuation de Guillaume de Tyr ne
paraît pas être la même traduction que celle des manuscrits
8314" et 8409^^; ce qui décrédite l'opinion des rédacteurs
de l'article inséré dans la Biographie universelle, qui attri-
buent la continuation de l'Histoire de Guillaume à Hugues
Plagon, et qui pensent qu'elle a été composée en français;
car s'il y a eu deux textes différents du récit français,
il est bien naturel d'en conclure que l'original est écrit en
latin. Cette continuation ne va pas plus loin que dans les
autres manuscrits que l'on vient de citer; d'ailleurs, entre
la traduction du texte de Guillaume et cette continuation,
on trouve trois colonnes de texte qui ne sont ni dans l'édi-
tion de Martène, ni dans la version du continuateur.
Le manuscrit de Sorbonne 387, du Roi 4^2, contient moins
le texte de Guillaume de Tyr qu'une compilation de tous les
écrits contemporains sur les croisades. Le texte en est très-
précieux. La continuation de Guillaume de Tyr, surtout,
comprend des pages du plus haut intérêt, qui n'ont pas
peut-être encore fixé l'attention. Le récit se poursuit jusqu'à
l'an 1261 , et mérite d'être lu en entier pour faire le fidèle
relevé des différences. Nous avons profité nous-mêmede ce
dernier avertissement de M. Paris, pour lire avec un grand
intérêt l'énorme et riche manuscrit de notre Trésorier.
P. R.
XI II SlfcCLE.
GILLES DE LIEGE,
MOINE D'ORVAL. MORrxe>s.25,
V^E religieux natif de Liéffe, ainsi que le fait «'oniecturer la , i, , .,. i; ,
lettre qui tient lieu de préambule a son histoire, entra dans Gesia ponniic.
l'ordre de Cîteaux, et choisit pour y faire sa profession le ^''°'' • n. p '
monastère de Sainte-Marie d'Orval, aureœ ?'<-////j, an diocèse |j|j„^,h ,1'^^' -'
de Trêves. S'étant proposé d'écrire fliistoire de l'église de
Liège, il parcourut à ce dessein les Bibliothèques de ce dio-
cèse, pour en compulser les manuscrits, et il ajouta toutes
les nouvelles acquisitions que ces recherches lui produisi-
rent, aux histoires antérieurement écrites sur le même sujet,
par Heriger et par Anselme. Durant son séjour au monastère
d'Orval , la mémoire du fondateur , le célèbre Pierre '
l'Hermite, ayant été renouvelée par l'histoire que venait
d'écrire le cardinal Jacques de Vitry, Gilles obtint que
le corps de l'Hermite fût exhumé et placé plus honora-
blement dans l'enceinte même de l'église du monastère;
ce qui eut lieu en 1242, sous la présidence de Robert de
Torote , évêque de Liège.
L'histoire écrite par notre religieux commence au LIV*^
évêque, en io48, et finit au commencement de la prélature
du LXX , en I25i. Elle a été livrée à l'impression e^^ i6i3,
par Jean Chappeauville, chanoine de l'église cathédrale de
Liège, sous le titre suivant : j^gidii aureœ vallis religiosi
gesta pontificum Leodiensium à domino Theoduino ff^a-
sonis successore , usque ad Henricum hujus nominis tertium.
L'ouvrage de notre cistercien occupe les ayo premières pages
du IP tome de ce Recueil; mais un tiers, au moins, de cet
espace est rempli par les notes dont l'éditeur a vraiment en-
richi le texte de l'auteur.
Guillaume en dédiant son histoire aux fidèles de l'église
de Liège , et nommément à Maurice , chanoine du monastère
de Hoyen, leur expose ainsi les motifs qui l'ont engagé dans
cette entreprise, et dans quel esprit il s'est proposé de l'exé-
cuter : « Contraint, dit-il, par les sollicitations fréquentes et
Xm SIKCLK.
432 GILLES DE LIEGE,
« empressées de plusieurs d'entre vous, et non moins excité
« par ce que nous impose le lien d'une affection mutuelle,
« nous vous envoyons donc, très-cher frère Maurice, cette
« troisième partie du volume des faits et gestes des évêques
« de Liège, vous suppliant humblement et dévotement d'em-
« ployer la lime de la correction, pour en faire disparaître
« tout ce que vous y trouverez de contraire à la vérité. »
Les faits rapportés par notre cistercien, et qui n'ont le
plus souvent qu'une importance locale, ne doivent pas nous
occuper dans cet article; mais nous ne pouvons nous dis-
penser de donner quelque idée de son style et de sa compo-
sition. Les histoires des seize prélats que le moine d'Orval a
écrites, se rapportent généralement à leur élection, à leurs
démêlés avec l«s seigneurs de leur voisinage, aux actes admi.
nistratifs et claustraux, enfin aux dates de leur mort. Une
des plus détaillées, des plus curieuses, comme romanesque,
est sans contredit celle d'Albert de Louvain, soixante-troi-
sième évêque de Liège, selon le biographe d'Orval , mais le
64^ suivant les auteurs du Gallia christiana.
Après la mort de lladulphe de Thuringe, le clergé, le
peuple et la noblesse ayant élu pour évêque Albert de Lou-
vain, archidiacre de Liège, qui était frère de Henri, duc de
Lorraine, ce choix déplut à Henri VI, à raison de la mésin-
telligence qui régnait entre l'empereur et le duc père de l'élu.
LiOthaire de Bonne (Bonnensis ), frère du comte de Horstade,
homme riche, puissant et ambitieux, profitant des disposi-
tions contraires de l'empereur, et sachant combien l'or et
l'argent étaient puissants, acheta par le don de 3ooo marcs
d'argent la promesse d'être élevé à l'épiscopat de Liège. En
conséquence, Henri ayant accordé sa faveur à Lothaire,
celui-ci se rendit maître de la ville de Liège, y exerça les
droits de l'épiscopat , après avoir garni de troupes la citadelle
et fait alliance avec les seigneurs voisins. Quant à l'élu du
clergé et du peuple, pour faire connaître ses aventures, nous
nous bornerons à traduire naïvement le récit que nous en
fait le cistercien d'Orval : récit qui ne déparerait pas sans
doute la biographie du troubadour le plus célèbre.
jtgiUius auiea; Albert de Louvain,dit notre cistercien, se trouva dans
vaiiis, oap. Lx. ypg situation très-pénible, lorsque ses amis les plus intimes
l'eurent abandonné, et que dominés les uns par la crainte,
les autres par les promesses de l'empereur, tous attendaient
l'issue de ces démêlés , ou bien agisssient ouvertement contre
MOINK D'ORVAL. 433
lui. Son père même ( le duc de Lorraine) ne l'aidait que
faiblement de ses conseils et de ses secours, et l'abandonnait tf^iiiius Au-
xui .sn.ci.K.
rea' \allis c. i x,
quelquefois presque entièrement. INlais plus Eff-ind que ses
A 11 V '..I '11- 1' Il ■ n ' apiKU'.liapi'avill.
revers, Albert prit la resolution daller a nome accompa^^ne i ii., ù,i
d'une suite peu nombreuse. Méprisant les périls (|ui l'envi-
ronnaient de toutes parts ( etauxcpiels il linit par succomber.
comme on le verra bientôt), il se mit en niaidie pour la
défense des libertés fie l'Efîlise et la dignité du titre dont son
élection l'avait légalement revêtu. Informé de ce des.sein,
l'empereur, par ses lettres et par ses agents , lui avait fermé
toutes les routes qui mènetit à Rome, soit par terre, soit par
mer, oubliant ainsi ce qu'il devait à scn caractire impérial,
et s'abandonnant sans réserve à toute sa fuieur.
Mais Albert, en prenant des chemins détournés, et par de
longs ciicuitsqui ])rotégeaient le secret de sa marche, arriva
en Provence près de Montpellier, où il pensait pouvoir s'em-
barquer pour Rome; ayant eu grand soin, lui et les siens, de se
travestiret de gardersur leurs afiliires le ])lus profond silence.
I/historien, a])rès avoir exposé comment Albert avait été
averti d'éviter la voie de nier, sur tous les livages de laquelle
sa persoiuie était signalée, donne les détails de sa route par les
sentiers des montagnes de Gènes, et le fait enlin arriver à
Rome. Comme il avait recueilli dans les mémoires particuliers
du temps toutes les aventures du nialheurcux élu, le moine
d'Orval nous en transmet les détails suivants, que nous tra-
duirons avec toute la naïveté qu'on s'est toujours j)ermise
dans les récits des anecdotes.
Durant ce long voyage, dit le cistercien, et partout où il
s'arrêtait pour prendre sa nourriture, le fils du due de
Lorraine se gardait bien de se faire connaître pour le maître
des gens de sa suite. 11 affectait, au contraire, de ne paraître
(Jùe comme leur valet : c'était lui qui prenait soin des che-
vaux à l'écurie, et même qui faisait la cuisine. Un des hô-
teliers les plus grossiers qu'il ait rencontrés , lui ayant
ordonné de graisser les bottes, lui adressa ces propres
paroles : « Et toi, valet paresseux, puisque tu n'as rien à "'"' l' i»
faire, prends ces chaussures, fiis-les sécher, et quand elles
seront sèches, tu les frotteras et les giaisseras. >' Albert
ne voulant pas résister directement à l'homme qui lui com-
mandait avec u!ie telle brutalité, se mit en devoir d'obéir;
mais pour n'être pas obligé de graisser ces chaussures, il
saisit le prétexte de l'occupation plus urgente qui se présen-
jTome XFIIl. I i i
434 GILLES DE LIEGE,
-Xni SIKCLE.
tait à l'instant même, où l'on entendait les chevaux qui se
battaient à l'écurie; alors il rendit, en souriant, les bottes
à l'hôtelier, et courut gourniander les chevaux pour s'en
tenir à jouer le rôle de palefrenier par lequ'el il avait com-
mencé son service, qu'ailleurs il alternait en Taisant la cuisine.
Le moine de Cîteaiix raconte une aventure d'un genre diffé-
rent, arrivée au prince dans une autre ville où l'on célébrait
les noces d'un des principaux habitants. Le marié avait in-
vité les bourgeois et même les étrangers (|ui se trouvaient
là de passage, afin que chacun contribuât aux agréments de
la fête. Albert et ses compagnons ayant été conduits par
l'hôtelier aux divertissements qri se donnaient, furent priés
d'être de la noce, et les compagnons d'Albert présentèrent
leur domestique supposé comme très-habile dans la musique.
Pauvrement vêtu, continue l'historien, le visage noirci par
le soleil, Albert n'était plus, comme auparavant, remar-
quable par sa beauté, et n'annonçait plus par ses traits la
noblesse de son sang et celle de ses ancêtres. Le marié tout
joyeux lui présenta un instrument de musique. « Albert,
« continue notre cistercien, avait suivi l'exemple de David,
« et pendant les années florissantes de son adolescence, il
Eccies. c. XI, ,ç avait cultivé l'art de la musique, sachant qu'il est écrit :
« Lœlare, juvenis, in adolesccntià tua. En effet, il ne dépassait
« pas alors encore de beaucoup le terme de l'adolescence;
« car il n'était âgé que de 25 à 3o ans, et il entrait dans l'état
« de virilité autant par son Age que par sa sagesse. »
Doclis ergo digitis , dit l'historien, temperans atque mO'
vens chordcis concordantes, musicce dulcedine, aures audien-
tium, Orphœo doctior, ipse demalcehat. Applausitniodulanti
omnis solenmitas nuptialis. Alhertus autem ( quis esset aninio
tristi in ipsis gaudiis^ reminiscens , ohlatum munus non
recipiens , fingit incumbere sibi scrvitiuni dominorum suorum,
redit ad hospitiuni sicque qiiietus latuit sibi.
Au moyen de ces stratagèmes, l'élu de Liège arriva sain
et sauf à Rome, et se présenta devant le pape, dans le même
accoutrement qu'il avait gardé pendant son voyage aventu-
reux, et que l'historien dépeint ainsi : Eratex ilinere adustus,
viiltu pulveris ac sudoris fnligine obvoluto , cum lineo capello,
nigro et effiiso , calceis grandibus , duris et obrosis, veste vili
atque grossà , balteo duro et informi , cui culter ingens ap-
îbiM. p \\\. pendebat , cum vagina scabra atque uncta , ut non honiinem
gêner osum , non pontificein electum, scd servuni eniptitium,
XIII SIECLE.
MOINE D'ORVAL. 435
et coquinœ sordibus inqninatwn œstimares. Talis ergo statim
intravit curiam et stetil ante siiminiim pontijîceni.
Albert fut accueilli avec joie par le pape, qui s'écria en
l'embrassant : Benedictus Dcus qui fdiwn de ore leonis insi-
diantis libérant. 11 fut aussitôt fait cardinal et successivement
ordonné diacre et prctre. I^e pape, après l'avoir comblé d'hon-
neurs, écriviten sa faveur aux évèques, et l'envoya prendre
possession de son siège; mais à son départ de Rome, les
poursuites de l'empereur le forcèrent à employer de nouveaux
stratagèmes pour éviter les pièges qui lui étaient tendus.
Enfin, après bien des aventures, il fut assassiné à Reims
par sept soldats allemands apostés par Henri VI. ' ' P' ''''■
Le chroniqueur Gilles de Liège n'omet pas dans ses récits
ce qui concerne l'histoire générale. C'est ainsi qu'après avoir
consigné les événements de l'an 1222, il raconte « qu'en
« 1224, l'été ayant été très-chaud et la terre très-aride, le
« jour de la fête de Saint-Jacques et de Saint-Christophe,
« notre Seigneur fit sortir de ses trésors nn vent violent qui
« fit tomber le grain des épis dans toute la Teutonie, l'Al-
« lemagne, la France et l'Espagne; ce qui causa une cherté
« si grande, que le boisseau de blé se vendait vingt-six florins
« de Liège, et que les loups, sortant des bois, s'élançaient
a sur les hommes, et venaient même arracher les enfantsdes
« bras de leurs mères, tant ils étaient poussés par la faim. »
P. R.
JEAN DE WILDESHUSEN,
DIT LE TEUTONIQUE,
GÉNÉRAL DES FRÈRES PRÊCHEURS.
MORT pn laSî.
iNous avons déjà eu occasion de distinguer quatre écrivains
du moyen âge, qui ont été appelés /e(7« le Tcutonique. Le
plus ancien est un abbé de Saiiit-Victor, qui était né à Trêves, ci dessm,
et qui mourut à Paris, en 1229 : nous avons donné une notice ^i^^^-
de sa vie et de ses écrits. Les trois autres sont des domini-
cains , et celui qui va nou.s occuper a été, après saint Domi-
nique, le bienheureux Jordan, et l'abdication de Raymond de
I ii2
436 JEAN DE VVILDESHUSEN,
Pennafort, le 4^ général de cet ordre religieux. Les deux der-
niers qui ont porté, avec le nom de Jean, le surnom de Teutoni-
que, sont Jean de Fribourg, ou le Lecteur, qui a vécu jusqu'en
i3i4, et Jean de Tambaco, qui n'est mort qu'en i3^2. Ces
quatre personnages ont été diversement confondus par plu-
sieurs biographes , tels queTrithème,Turrecremata,Gesner,
Simler,Possevin, Eysengrein,LeMire,Altamura, Noël Alexan-
dre, DuCange, Dupin,Cave, et même Oudin; écrivains dont
les erreurs ou inexactitudes n'ont été complètement rectifiées
Srr.pl. oniin quc par Quétif et Jacqucs Echard. Il résulte des recherches de
Piici.t.l,p.i 1 1- ces deux derniers auteurs, des renseignements (|ue leur four-
"?: T *'"'"'^- nissent Saianhac et. la chronique dite de Humbert, que le 4*
et inf. lat I. III, geiieral des rreres Prêcheurs serait mieux désigne par le sur-
p. î !'i. nom de Wildeshusen , que par celui de Teutonique ; que né
à Wildeshusen, au diocèse d'Osnabruk, en Saxe, proba-
blement en 1 i8o, il était d'un âge mûr ou à peu près quadra-
génaire, lorsque, renonçant à la profession d'avocat qu'il
avait commencé d'exercer, il prit l'habit des dominicains en
1220; qu'il ne tarda pointa remplir l'office de pénitentiaire
et d'autres fonctions auprès de plusieurs cardinaux ; qu'en
1227 ou 28, il fut fait provincial de Hongrie; qu'en 1282,
Grégoire IX le nomma évèque de Bosnie; qu'il abdiqua cette
prélature en 1237, et rentra dans les cloîtres des frères Prê-
cheurs; que l'année suivante, il assista au chapitre de Bo-
logne, et devint provincial de Lombardie; qu'en 1241 ,à l'âge
d'environ 60 ans, il fut élu à Paris supérieur général de
l'ordre de Saint-Dominique; qu'après avoir pendant onzeans
accompli les devoirs attachés à cette dignité, il mourut à
Strasbourg le 4 novembre i252. Cette dernière date est pré-
cise, les autres sont approximatives. On ajoute qu'en i232,
il résista le plus qu'il put au décret pontifical qui le chargeait
de gouverner l'église de Bosnie; que pourvu malgré lui de
cet évèché, il en distribuait aux pauvres tout le revenu, mon-
tant à 8000 marcs d'argent; qu'il visitait son diocèse à pied,
et sans autre équipage qu'un âne qui portait ses livres et ses
ornements épiscopaux; qu'il fallut aussi, en 1241 , un ordre
exprès du pape, pour le forcer à devenir général des frères
Prêcheurs; qu'en usant des pouvoirs dont ses confrères et le
chef de l'Église l'avaient revêtu, il exigea qu'il se tînt des
chapitres et qu'il se fît des visites en chaque province, avec
plus de régularité qu'auparavant ; qu'il savait le grec, le latin^
le français, l'allemand, le hongrois, et qu'il prêchait en
GÉNÉRAL DES FRÈRES PRÊCHEURS. 487
XllI SIECLE.
plusieurs de ces langues. Des récits de visions et d'appari-
tions s'entremêlent à l'histoire de sa vie, et l'on assure (juil
opéra des minicles avant et après sa mort : T ù'ens et moriens
fertur et creditur miraculis inclaruisse. Le seul point qui
nous intéresse est de savoir quels sont ses ouvrages : or, il
est aujourd'hui bien reconnu qu'une clironi(|ue jusqu'à l'an
i26[, une Somme à l'usage des confesseurs, une explication
des 4 livres des Sentences, lui ont été mal à propos attri- ci-dessu.
buées ; qu'elles appartiennent à Jean de Fribourg , ou à 67.
quelque autre Jean le Teutonique, ou peut-être à d'autres
compilateurs. Les seuls écrits authentiques de Jean de Wil-
deshuseu seraient les onze ou douze lettres encycliques qu'il
a écrites de I24i à laôa, à l'occasion de chaque chapitre
général des dominicains; mais elles sont perdues, à l'excep-
tion de la quatrième datée de Bologne en 1244) et de la
dixième datée de Londres en 1260 : encore cette dixième
a-t-elle été insérée par Bzovius dans ses Annaffes, sous
l'année 1220, comme étant de saint Dominique. Elle est
réellement du 4*^ général; et, du reste, elle ne concerne,
comme la quatrième, que le régime intérieur et les devoirs
religieux des frères Prêcheurs. De tels opuscules étant presque
étrangers à l'histoire littéraire proprement dite, et l'auteur
lui-même ne tenant guère à la France que pour avoir été
nommé général dans un chapitre tenu à Paris, et pour être
mort à Strasbourg, nous avons cru à propos d'abréger beau-
coup cet article. On peut consulter, sur la vie et les travaux^
de Jean de Wildeshusen, son contemporain et son confrère
Thomas de Cantimpré , qui déclare l'avoir fréquenté avant DeApïbus.i.
et pendant son épiscopat et son généralat; Jacques de Susat, i' '«;■'•'"."• 55
,r... .rr. r> I e-<i et seqq.
donnnicaui, qui rédigeait, au commencement du. XV siècle,
une chronique de son ordre; saint Antonin dans la 3*^ partie xit. -am c.
de sa Somme historiale; et quelques-uns des auteurs plus n.
modernes que nous avons cités. D.
ROBERT GROSSE-TÉTE,
ÉVÉQUE DE LINCOLN.
rVoBERT dit Grosse-Tête, en anglais Grosthead, en latin
Capito, ne tenant à l'histoire littéraire de la France que
HOBT ru la.^^.
1 1
438 ROBERT GROSSE-TÊTE,
Xm SIECLE. , ,. . , ,■ • . r. • ' J-
• par le séjour qu il a lait a Pans, comme étudiant et comme
professeur, nous ne donnerons qu'une notice fort abrégée
de sa vie et de ses ouvrages. Il était né, on ne sait en quelle
Piu. - Nie. année, à Strodbrook, village du comté de Suftblck. Ses pa-
Harpsfeid, Hist. rculs , quoiquc p^uvrcs et de très-basse condition, l'envoyë-
Aiigi. s. XIII. j.^j^j. p{ujiep à Oxford. De cette école, il passa dans celle de
uu Boiilaj , Paris, où il reçut et bientôt donna des leçons; il apprit la
Hist Univ Paris ^ i > i • "* i
t. lii, p. a6o- langue française , dont l'usage s introduisait en Angleterre.
709. De retour dans sa patrie, il devint archidiacre de Leicester,
par la protection du comte de cette ville, Simon de Mont-
M. Paris,ann. fort; et en 1235, il succéda, sur la chaire épiscopale de
.a35,p^8o.- jjncoln, à Hugues de Velles ou Wallis. Saint Edmond l'ayant
Prasuiib. Angi. sacrc a Reding, les moines de Lantorbery réclamèrent, pre-
p. 348. — Fieu- tendant que cette cérémonie devait s'accomplir dans leur
Vl^'^ ""^r '' église. L'année suivante, le roi Henri IJI conféra la charge
LXXX, n. 60. O ... , n ic I 1 ' 1 r» • 1 -^
Monasiiconan- OC haut-justicier H Hanultc, abbe de Kamesey, qui devait
iiic,t. i,p. 341. tenir les plaids avec 3 autres juges dans les comtés deBedfort
et de Buckitigham. Ce choix d'un abbé pour de pareilles
fonctions déplut à Robert , dans le diocèse duquel l'abbaye
de Ramesey était située; il en écrivit à l'archevêque de Can-
torbéry, saint Edmond, et menaça d'excommunier Ranulfe
s'il acceptait une charge qui l'exposait à prononcer des
Henr.<ieKnyg- Condamnations capitales, ou à y prendre quelque part.
ibon.Deeveniib. Mais un démêlé (Ic l'évêque de Lincoln avec le pape Inno-
Angi.ann.i553. ^^pt IV cut infiniment plus d'éclat. Innocent ayant donnéà un
enfant, son petit-neveu, un canonicat de Lincoln, Robert osa
se récrier contre cet acte de népotisme, et déclarer que jamais
il ne laisserait exercer le ministère ecclésiastique par des élèves
incapables encore de se régir eux-mêmes. JL'épître qu'il
adressa aux prélats, à ce sujet, passe pour l'un de ses meil-
p. 58i,583. leurs écrits. Matthieu Paris qui l'a transcrite, et François
DePrsesui.An- Qodwin quï la préconiso , tracent à cette occasion le tableau
''t lannisnon- de cc qu'ils appellent la tyrannie pontificale. Innocent IV,
rificia. irrité d'une si audacieuse résistance, allait s'en venger avec
une extrême rigueur, si les cardinaux ne lui eussent remontré
que la plus saine partie du clergé d'Angleterre et de France
épouserait la cause d'un prélat universellement révéré, qui,
après tout, défendait celle de la religion et des lois. Cette
querelle, que Robert soutint avec la plus honorable fermeté,
éclata dès l'an i25o; et c'est à tort que plusieurs écrivains la
Comment, de retardent de trois années. Oudin en a rétabli la véritable date
Script, eccies. 1. j'ap^j^g jes manuscrits, où elle est positivement exprimée.
ÉVÊQUE DE LINCOLN. 439
Levêque de Lincoln, cité, menacé, excommunié, resta in- ^'" sikcle.
flexible : it était alors avancé en âge, octogénaire peut-être,
puisque le pape disait de lui : Quis est iste senex delirus , *•- Paris, p.
surdus et absurdus? Attaqué d'une maladie grave en i253, ^^'"5*^'-
il attira près de lui Jean de Saint-Gilles, qui passait pour très-
habile en médecine comme en théologie, et dont nous aurons ci dessous, p.
bientôt à parler un peu plus au long. Jean et Robert eurent 444-447-
ensemble un entretien que Matthieu Paris nous rapporte, et
dans lequel le prélat se plaint si vivement de la conduite
du souverain pontife, qu'il va jusqu'à le déclarer hérélfque.
Qu'est-ce, en eflet, dit-il, que l'hérésie? Une doctrine que
l'on a choisie au mépris de celle de l'Écriture sainte et de
l'Eglise, que Ton professe ouvertement, et que l'on s'obstine
à soutenir. Or le pape, en confiant à des adolescents la di-
rection des âmes, fait un choix inspiré par des affections'
humaines, charnelles et terrestres; il désobéit à la loi évan-
géliquequi défend d'établir des pasteurs incapables de pré-
server le troupeau de la dent du loup; il publie ce système
en des bulles solennellement scellées, et il y persiste enfin ,
puisqu'il ne craint pas de contredire, de suspendre, d'ex-
communier ceux dont la conscience y résiste. Voilà donc
tous les caractères de l'hérésie proprement dite : s'y opposer
est le devoir de tout fidèle, à plus forte raison des frères
Mineurs et Prêcheurs, qui deviennent fauteurs et complices
des scandales contre lesquels ils ne tonnent pas. Tels sont
les sentiments dans lesquels mourut Robert, le 9 octobre
ia53, à Bugedon où il avait une demeure. Il léguait, par m. Pari»
son testament, sa bibliothèque aux Franciscains d'Oxford. 586.
On l'enterra dans sa cathédrale, où l'on conserva ses restes,
malgré Innocent IV qui ordonnait de les en expulser. Les
partisans de Robert n'ont pas manqué d'affirmer qu'il s'o-
pérait des miracles sur son tombeau. Ils nous racontent
même qu'un an après sa mort, il apparut la nuit à Innocent, H de Knyg-
et que lui ayant dit : Lève-toi , misérable, comparais en ju- '''°"' ^* «vemi-
geraent, Surge, miser, -veni ad judicium, il le frappa du col* ja!« ''' ''
bâton pastoral au côté gauche et jusqu'au cœur; si bien que
le lendemain matin, 7 décembre 1264, on trouva le pontife
mort et son lit ensanglanté. Malgré tant de prodiges, l'évêque
de Lincoln n'a point été canonisé; et.Fleury, en rendant
hommage à sa science, à la pureté de sa doctrine, à ses
mœurs irréprochables, blâme l'excessive amertume de son
zèle. De' plus anciens auteurs l'avaient dépeint comme un
44o IlOBEllT GROSSE-TÊTE,
iiii sik<:le.
très-honnête honimi-, dont la grosse tête était quelqiiefois
mauvaise: In iionriullis , quibusdain visas est capito fuisse
suonue nomini respondcre, quieuni ut hoininem nonnunquam
HaipsfcicUiisi. durœ, piœfracliv et prœcipitis sententiœ iiotaruiit.
ecdis. nnsii». s. j),. jjpg nonibreux ouvrages, celui qui semble avoir eon-
^'" serve le plus d'im[)ortance, est la version latine qu'il lit, en
(Irai..-, PittI. \-i[^Q.^ (Iu Testament des ii». patriarches. Robert de Lincoln
ad Testai», il savait Ihébreti; mais il n'a traduit ce livre apocryplii; que
pairiaici ^^^^ ^^ versiou grccque , attribuée quelquefois à saint Cluy-
sostôme. La version latine a eu plusieurs éditions: on en cite
Faillir. Biiii. uiic d'Augsbourg en i4S3; Panzer n'en indique point d'aiité-
iiicci.it inf. lai. i-jeurt; ;', celle de lÔSa, à Haguenau , in-8". Il en existe une
' p'aiirAn'n tï- ^^ Paris , cu i5/|f), in-i2. (]e livre a été ensuite inséré dans
|)os. vu , K»)! quelcjues recueils, particulièrement dans celui que Grabe a
liiMioropirs- pujjlié ,n i6f)8, in-8", à ().\lord ; enfin dans le C'ode.v pscu-
bjiico. — iiiOi- fi^,jji,r,.^ii,]mg'y(,fpf[s Testa menti de 5 Alb. Fabricius. Dans ces
th«iloxo;ia|)liis. " / 'r / ., n • i i ■ i •
_in ijii.iioliii- deux dernières collections, la traduction latine est accom-
lisPatnim pa'^iiée dc la grecque. On doit savoir gré à Robert d'avoir
Vod^'" 'sc'uîi' eontriluié à faire coiinaitre ui\ livre qui, sans doute, n'a
Hainb. cl Lips. aucuiie autori té , luais qui retrace d'anciennes traditions. Il
1713, -j vol. in- g^. .),.,, i qu'il ait été composé par un juif, avant 1 ère vulgaire,
* '~ ^[^,^ ,^* et (pi'uiâ cliietirn y ait lait depuis un certain nombre d'ad-
^<'' ' ditions. Ge prétendu Testament des 12 eidants de Jacob a
été connu dOrigène, comme de saint Jean Ghrysostôme.
I/évèque de Lincoln en le traduisant était aidé par un Grec,
nomme Nicolas, clerc de l'abbé de Saint-Alban. Le texte
hébreu ne se retrouve pas; mais on rencontre des copies
mi'nusc ites de l'une et de l'autre version dans les biblio-
thèques de France et d'Angleterre.
Entre les écrits qui appartiennent en propre à Robert
Grosse-Tête, les plus remarquables, à notre avis, sont c(!ux
qui concernent ses relations ou ses démêlés avec Innocent IV.
l! proiioiiça d' vaut ce pontife, au mois de mars 1260, dans
une assemblée ou un consistoire tenu à Lyon, un (îiscours
Aiil!. sana.i. (juJ ,, pour.sujet Ics abusrpii s'introduisaient dans ri"'glise: /)e
"\.''' ^'"' corriii)teUs llcclesiœ, et (ini a été publié par Warton et par
lason-, leiiiin , / ' 1 ,,.'.. • . ,, , \
i-ipit.ctiusicnd. Edouard lirown. JNous avons deja tait mention dune epitre
Appeiut plus célèbre, transcrite |Kir Matthieu Paris. Du Boulay, Oudin
IV^'^i*" .' et d'autres écrivains l'ont reproduite, ou en ont représenté la
Ilist. Uiiiv. I. t ~ 1 ' 1 ' I I T I
Ili,p. 2C0. substance, il y est dit quapies le pèche de Lucifer et de
CoiiinKiii. lie l'Antéchrist, il n'y en a [)as de plus énorme que de compro-
Scripi. ecc . co jjjgjjj.g |g galut (ics amcs i)ar le choix de pasteurs indignes ,
i4a, i4i, «44- t • o '
ÉVÊQUE DE LINCOLN. 441 xiii siècle.
dont l'unique soin sera de faire leur profit du lait et (ie la
laine des troupeaux ; que des provisions qui tendent à la
ruine de l'Église, ne sauraient être l'ouvrage du siège apos-
tolique, établi pour édifier et non pour détruire; que la résis-
tance à de paieils commandements est la meilleure manière
d'obéir à l'autorité sainte dont ils usurpent le nom.
Robert a commenté les deux livres des Secondes Analy-
tiques d'Aristote, les huit livres de Physique du même
philosophe, et la Théologie mystique de Denis l'Aréopagite.
Ce dernier commentaire accompagne les œuvres de Denis,
imprimées à Strasbourg en i5o3 ou i5o4, in-folio. Les gloses Panzer Ano
du même commentateur sur Aristote sont moins connues; lypog'- «■ vi,p.
on en désigne pourtant quelques-unes comme ayant paru à ^°' .. _..,
Venise à la tiïi du xv* siècle et au commencement du xvi*. ,ped. et inf, Ut.
Un in-folio imprimé aussi à Venise, en i5i8, renferme plu- »■ vi, p. io3,
sieurs traités abrégés de la Sphère, dont l'un est de l'évêque '°p
Panzer , Ann.
de Lincoln, et a reparu dans un recueil tout semblable, chez typ. t. vîn, p.
Luc Antoine Junte, eti i53i.ljn autre volume, publié dans ^51, aSa , n.
la même ville en i5i4-, est intitulé: Ruberti Lincolniensis , ^^?;.j
, ... ?#•-. Ibid. p. 5ai ,
bonarutn artiuin optirni interpretis, ojmsculadignissima mine 522,0. i58i.
priniiwi in luceni édita. Ce sont là , nous devons l'avouer, des
productions qui ont perdu depuis long-temps tout intérêt Fabric. t. vi,
et toute utilité. Nous en dirions volontiers autant du traité P J"4— ^odin.
De cessatione legaliuni, dont on a donné deux éditions, > «=0.140.
l'une en ifiSa, in-12, l'autre en i658, in-tS", toutes deux
incomplètes, contenant à peine le tiers de f ouvrage, à ce
qu'assure Edouard Brown. Fascic. remm
On doit à Brown lui-même la publication de plusieurs "''"'^' "^'
écrits de l'évêque de Lincoln, qu'il a placés dans le re-
cueil intitulé : Fasciculus reriini expelendarum et J'uqienda- Tom.il,inAp-
r«m. Là se lisent, outre le di.scours prononcé à Lyon et la lettre '"'"''■ *^"'" **'*"
.■•.', .ITT . - ^ cerlaliuncala de
qui a tant irrite Innocent IV, 100 autres epitres, 10 sermons fide et dociHoa
ou discours, la plupart adressés au clergé; 89 constitutions R»b- L'ocoln.
ou statuts ecclésiastiques; et p courts traités qui portent le
nom de Dicta, et qui concernent les vrais et faux pro-
phètes, la foi, la grâce, la prière, l'orgueil, l'humilité, la
médisance et la calomnie, la patience, la justice et la misé-
ricorde divine. Ces opuscules peuvent fournir d'utiles ren-
seignements sur les mœurs cléricales et les pratiques reli-
gieuses du xiii*^ siècle ; mais Brown déclare qu'ils ne
forment pas la cinquantième partie des œuvres de Robert
.Grosse-Tête, qui allaient être rassemblées par Jean Wil-
Tome XFIII. Kkk
3 1
442 ROBERT GROSSE-TÊTE,
XIII SIECLE. ,. , • r 1- • 1 • -i -
hams, en trois gros volumes in-iolio,si les guerres civiles n y
avaient mis obstacle.
Kabric. t. VI, Des copies manuscrites s'en conservent à Westminster, à
r m "^is"' Lambeth, à Oxford, à Cambridge; et les articles inédits y
i4o, i'4i, i/ig' sont en effet en très-grand nombre. Trithème indiquait
i5o, i5i. seulement une Somme thëologique, une Somme appelée
^1 ''«^^"'P'- «c- numérale, un traité du comput ecclésiastique, un calendrier
( Calendariiim pulchruni). On a de plus loo sermons, pro-
positions ou arguments (^Sermones, proposidones, themata);
72 petits discours ou Dicta, sur des objets très-divers,
tels que l'œuvre des six jours, les actions et les paroles de
"saint Anselme, le libre arbitre, les intelligences, les six dif-
férences, la vérité des futurs contingents, les impressions
de l'air, l'iris, la lumière et les couleurs, le mouvement
circulaire, la figure de la machine du monde, etc., etc. ; 21
épitres, y compris celle qui est adressée au couvent de Mis-
senden, sur l'élection de l'abbé; les constitutions données
au prieur et à la communauté de Neuvenlinm ; ensuite,
une Surntna fustitiœ , annoncée comme un grand ouvrage;
des traités du décalogue, des 7 sacrements, de la pénitence
en particulier, de la confession, des peines du purgatoire;
et des livres intitulés Teniplum Domini, de Vcritate Chrisii,
de Curd pastorali , de Conjugio, Scala voluptatis , de Pro-
gnosticatione aeris ; puis des moralités sur l'œil, la langue, le
cœur et les poisons ; des moralités encore sur les 4 Évangiles,
un commentaire de l'épître aux (lalates, un commentaire
des distiques de Caton, et enfin une Somme de philosophie.
Tous ces livres sont en latin ; mais un manuscrit de Cam-
biiilge contient plusieurs traités et sermons de Robert, en
langue anglaise. Son livre des articles de foi existe en français
à Lambeth; et c'est dans cette dernière langue que se conserve,
sous son nom, à Westminster, un manuel des règles de
l'agriculture, distribuées dans les 12 mois de l'année.
Leyser lui attribue un poème latin ayant pour titre .• Dis-
Jiiis. BiiLinn. putatio ùiter corpus et aniinam. Ce n'est peut-être qu'une
inSS. 20 B. XIV. '1 • 11 ^ c ■ I ■>
liiiiiioih Hari.n. t ' .idiu tioti, moius ancienne, d un poème français sur le même
1121.— Leiand, sujct. Mais Robcrt parait être véritablement l'auteur de 1748
<. tXiv, — lîiogr. y^., j^ français où il s'agit du i)éclié d'Adam et de la rédemp-
iiiiiï. xxxviii , 1 ■^ 1 -Il • ^ I • • 1 ' Il
51' 21 5. i\(i\\ du genre tmmaui. L n copiste les a intitules : Roman
Essais hisior. des Ilûiiiuns, ct M. De la Rue en a extrait quelques supplica-
siir les Baiiies, »i(,,|^ qm; [;, iMisericoide , plaidant contre la Justice, adresse
... les TrouMTes, . .^ r i l'i
,,, .„_ .,, a Dieu en faveur de 1 homme :
ÉVÊQUE DE LTNCOLN. 443
XIII siEcij;.
Entenusa inei,bel douls pere. Sur tûtes tes ovres nomee, ...
Et te rends a ma prière, Ne direiz quêta fille t'eusse
Pol cel dolent chetif prison Si tu de lui pitié ne eusse. . . .
Que venir poet a rançon. . . . Por lui merci ades crierai
Et jo ta fille sui ainsnee, Tant que merci lui obtiendrai.
La sainte Vierge au sein de laquelle s'incarne le rédemp-
teur, est appelée par le poète le Chastel d'amour, et ce nom
a été donné à l'ouvrage même, par Robert de Brune qui l'a
traduit en anglais au commencement du xiv*' siècle. L'évêque
de Lincoln l'avait composé en français, afin qu'il eiit plus de
lecteurs. Un Traité des péchés et des vertus , en 7000 autres
vers français, attribués aussi à ce prélat, avait semblé n'être
que le Manuel du péché, production un peu plus longue de
Guillaume de Wadington , rimée pareillement dans notre m. De la Rue,
langue; mais M. De la Rue croit avoir reconim que ce sont ibid.p.2a5-a33.
deux compositions distinctes. Celle de Robert Grosse-Tête
commence par ces lignes:
Que dites vous de la riche gant Mes de ceo kil deussent Dieu servir
Ki unt el siècle tut a talent Ne leur vient ja droit a talent
Ke assez lor sert a lor plaisir.' Fors que sen détendent sovent.
Robert de Lincoln, quand on ne lui tiendrait pas compte
de ces poésies, serait encore un des plus féconds écrivains
de son temps, quoique aujourd'hui les hommes de lettres
n'aient guère connaissance que de sa version du Testa-
ment des 12 patriarches, des pièces relatives à son démêlé
avec Innocent IV, et de celles qu'Edouard Brown a recueil-
lies. Sa laborieuse carrière justifie les éloges qu'il a reçus
de ses contemporains et de la postérité. Sa vie, écrite
en vers latins, probablement dès le xiii* siècle, par un
moine de son diocèse, Richardus Burderiensis , est insérée
en partie au Tome II de \ Anglia sacra. Ses vertus et ses 3^5' 3^, ' 345'
talents sont célébrés-dans une èpître de Giraud de Cambrie, — Gir. cambr.
et dans le grand ouvrage historique de Matthieu Paris. Roger anni^îS-nSS.
Tj 1 j- .• A \ \ II U » 1> r ' R. B.1C. ad Clem
Bacon le distujgue du vulgaire des philosophes, et l eleve a Panam. c. 27 —
un rang éminent avec Salomon et Aristote: Vulgus philoso- Tnv. an. 1253.
phorum semper est imperfeclum et pauci sapientissimifuerunt — Ki"ygtti.i253,
in perfectione philosophiœ , ut Salomon et deinde yfristoteles n.3o3— Leiand
pro tempore siui , et indiebus nostris Robertus nuper episcopus c. 269 —Baie,
Lincolniensis. Trivet et Henri de Knygthon rendent hommage lY' *"■— P"*. <^-
à l'étendue de sa science: In cunctis liberalibus artibus erat i, /,._Harpsf. s.
eruditus. Trithème dit de lui : Calculator insignis , theologo- Xiu. — Camd.
runi sui temporis facile princeps. Il -est superflu de dire que p"V *'^^"'^'■~"
Kkk2
444 JEAN DE SAINT GILI.ES,
'- '- les biographes anglais Leland , Baie et Pitz ont tenu le même
Angi. p. 34s.— lanoranre; mais Sixte de Sienne, qui pouvait être plus impar-
of Kni^iami. — ti»! , enchérit sur leurs louanges lorsqu il dit : Inter pluloso-
Uu liouiay, nr, phoset theologos sui secali primum locum adeptus est, ingénu
260 et 709 — acumine subtilissimm , eloquio brcvissimus , et sententiarum
Oudin,' t!^ii^ pondère copiosissimiis. Au xvii^ siècle, Harpsfeld , Camden ,
col. \\-^ - laS. François Godwin , Thomas Fullcr, continuent en Angleterre
_ Fieiiry , liv. |^ chaîne des panégvristes de Robert. Il avait , selon Godwin ,
LXXX, II. (>o ; I. ' 1 I j • u • j. »
Lxxxni,ii.43. parcouru tout le cercle des connaissances humaines, totam
—Lcyser. 1.996- encjclopedicp. circulum emensus , et acquis une si prodigieuse
998. — labric. h.j|ji|ej^qHeses grossiers contemporains l'accusaient de magie
Mosh!xii'l°5 _ et de commerce avec le diable, artis magicœ et execrcindi cuni
Biuik in,;86, cacodœmone consortii. En France, Du Boulay revendique pour
7**" ITlniversitéde Paris l'honneur d'avoir formé et possédé un si
grand maître. Les Anglais Warton et Cave prennent soin de
recueillir ou de rappeler tous ces hommages; et si dans le
cours du dernier siècle, Oudin , Flcury, Ley.ser, Fabricius,
Mosheim, Brucker, n'y souscrivent qu'avec plus ou moins de
réserve , ils sont loin de méconnaître les titres de celui qui les
a mérités autant qu'ils pouvaient l'être au sein des erreurs et
de la barbarie du moyen âge. D.
JEAN DE SAINT-GILLES,
«"" -^i"** MÉDECIN ET THÉOLOGIEN.
1/5"?.
,Iea>' de SAiNT-GriXES, quelquefois appelé de Saint-.AIban
li<,i.i iiiv Pa Q^ jg Saint-Quentin , est inscrit par Du Boulay dans la liste
'96a 6*3^ ^^"' (l*^s professeurs célèbres de l'Université de Paris. Le surnom
de Saint-Alban le désigne comme Anglais de naissance, et
il passe pour avoir professé les arts libéraux à Oxford , avant
de remplir la même fonction dans l'école parisienne. Ses
leçons attirèrent un grand concours d'auditeurs. Renommé
comme humaniste, il avait aussi étudié et pratiqué avec tant
de succès l'art de guérir, qu'il devint médecin ordinaire ou
même premier médecin de Philippe-Auguste, apparemment
après Rigord, de i30() à iQ.i'6. On ajoute qu'il enseigna quel-
Méa.. pour que tcmps cet art à Paris et à Montpellier. Attiré par la répu-
l'Hisi. de la Fac. tatioii de cctte dernière école , il y suivit si studieusement les
deméd.deMoni- jj^cons dcs maîtres , que bientôt il se trouva, dit .Astruc , en
pollier. >
JEAN DE SAINT-GILLES, MEDECIN. 445
état d être maître lui-même, et cl y prolesser avec éclat les .
sciences médicales. Cependant, ayant de plus acquis le titre
de docteur en théologie, il hrilla pareillement dans les
chaires ecclésiastiques, et contracta des liaisons intimes avec
les hommes qui s'étaient distiiii^ues dans cette carrière, sur-
tout avec les religieux du nouvel ordre de Saint-Dominique.
On dit que sa profession de clerc physicien l'avait tellement |,„ |j„„|^.
enrichi , qu'il eut le moyen d'acheter dans Paris l'hospice Cievici , i;io\ ,
de Saint-Jacques qui tomljait en ruine; qu'il rebâtit celte ''" > ("'^'» "'■"
maison et la donna aux Irères Prêcheurs, à qui elle a valu
en France le nom vulgaire de Jacobins. Il ne tarda point à
s'attacher à eux par des liens encore plus étroits. Lin jour, au
milieu d'une leçon ou d'un sermon qui traitait de la pauvreté
évangélique, il s'interrompit tout-à-coup pour prendre lui-
même l'habit des Dominicains, descendit de sa chaire, et >icoi. invei
revint achever son discours en ce nouvel appareil. Ce fait <•'"""" ;;An;,i
^ ' < 1. rv D I ' ù 11 I 1 in Spicil. l.\ m.
est rapporte a 1 an laaa, par Du Boulay ; a 1220, par Exhard, ,, r,,^ —c,,.^
qui met beaucoup d'importance à cette date: elle ne nous Mti.Hisi.cieii -
semblerait pas aussi certaine. Quoi qu'il en soit, Jean de Saint- '"*; ' '' '' ^'^"•
Gilles, entré chez les frères Prêcheurs, professa la théologie ^Scipi o,du<
dans leur couvent de Paris, puis dans celui de Toulouse, Pia;tiic. t. i,|,
jusqu'en i2'35 C'était sans doute avant ces époques qu'il avait '"""'"''
été doyen de l'église de Saint-Quentin, titre qui expliciue
l'un de ses surnoms. La chronologie des détails biographi-
ques cjui le concernent n'est pas très-facile à établir, quoique
Echard se soit efforcé de la débrouiller, en recueillant les
témoignages de Salanhac, de Guillaume Pelhisson , de Mat- '•''"' i "'^^■
thieu Pans, de Nicolas Trivet. Ce qu'on sait le mieux, c'est "'-^f;';'"";"" "'-
que Jean quitta la rrance, et passa les dernières années de Tiaci. (m^s.
sa vie dans la Grande-Bretagne, sa patrie. Il assista, comme "''" '';'"" "'^'*"'-
médecin du corps et de l'ame, l'évëque de Lincoln, Robert l'iT/ualV"'?.''''
Grosse-Tête, pendant la maladie qui termina les jours de m p a.i .mm>
ce prélat, en 1253. Robert, qui estimait sa science et son '^''^p- J«'
habileté, avait voulu recevoir de lui les derniers secours:
Vocavit ad se Joannem de Sancto Mt^idio , in arte peritum
medicinali et in thcologia lectorem , eleganter erudituni et
erudientem , ut ab eo corporis et animœ rcciperet consolalio-
nem. Ces paroles sont de Matthieu Paris, qui raconte ensuite
un colloque entre l'évëque et le Dominicain médecin. Robert
reprochait à Jean et aux autres frères Prêcheurs de ne pas
reprendre, de ne point dévoiler avec assez de courage les
fautes et les crimes des grands de la terre : Tu/rater Joannes^
446 JEAN DE SAINT-GILLES, etc.
XIII SIÈCLE.
et alii Prœdicatores , peccata magnatuni audacter non re-
darguitls , et facinora non detunicatis. Nous avons dit dans
l'article de Robert Grosse-Tête, sur quel autre sujet roula
cet entretien; il nous suffira de remarquer ici, qu'il est un
peu étonnant qu'un savant théologien, tel que Jean de
Saint-Gilles, ait hésité à définir l'hérésie, et qu'il ait laissé
au malade le soin de recourir à l'étymologie cle ce mot, et
d'expliquer le sens qu'il a pris dans le langage de l'Eglise :
Et cuni hœsitasset f rater Joannes non recolens authenticam
ipsius rei rationem ac definitionem , subjunxit episcopus . . .
L'évêque de Lincoln ayant vécu jusqu'au f) octobre i253,
la mort de Jean de Saint Gilles ne doit être placée qu'après
ce terme : on n'en connaît pas la date précise, non plus que
celle de sa naissance. Il a laissé plusieurs écrits , tous inédits,
dont la liste se compose de 6 articles principaux, dans la
notice qu'en donne Echard: i" Des commentaires sur les 4
livres des Sentences; 2° des opuscules concernant la sagesse
divine, la production des choses, la connaissance et la me-
sure des anges, de cognitione et mensurd angelorum , la
prédestination et la prescience, le paradis et l'enfer, la résur-
rection tles morts, et diverses matières scolastiques; 3° des
homélies et différentes interprétations morales de l'Ecriture
sainte; 4° des commentaires sur des livres d'Aristote, avec
des traités sur la matière du ci^l , sur l'être et l'essence;
5" des expériences de médecine; 6" un livre sur la formation
du corps, avec des pronostics et des pratiques médicali^s Cette
liste est à peu près la même dans Leiand, dans Fabricius,
Bil)l. med. et dans Eloy ; mais on y a quelquefois ajouté un traité du péché
iiif. lat. I. I,p. ong\ne\; un Breviloqieium super libres sententiarum, qui peut-
Dict. hist. des être uc diffère pas des commentaires sur le maître des senten-
méd. 1. 1, |>. 58- ces, ci-dessus indiqués; enfin des poèmes sur les urines et sur
6o( Alban^. |e pouls. Ces (leux derniers articles appartiennent à Gilles de
Corbeil, ainsi qu'on l'a vu dans notre tome XVI ; mais le maim-
Hist.iiii.de la ^çj.\^ yyj [es Contient se termine i)ar un traité en vers latins,
tr. I. \VI, p. ,T , . , 'il- »ï r w — < I
50JJ sur la guerison de certanies maladies : Lfe Lethargia , de
Trenwre. de Guttà oculi , traité à la fin duquel on lit : Ex-
plicit liber de Sancto vEgidio. Ces mots semblent désigner
un auteur portant le surnom de Saint-Gilles, plutôt que le
nom de (iiiles. Cependant nous avons peine à croire qu'il
s'agisse du personnage qui vient de nous occuper, et qui
ne paraît pas avoir jamais écrit en vers. Le livre du Péché
originel qu'on lui voudrait attribuer est de Gilles de Ce-
ANDRE DE LONGJUMEAU. 447
lumna , cvèque de Bourges, dont nous n'aurons à parler que
sous l'année 1 3 16, et pour lequel il y aura lieu peut-être de
revendiquer quelques autres articles inscrits dans la liste des
productions du médecin Jean de Saint-Gilles. D:
XIII SIKCLE.
ANDRÉ DE LOIN G JUMEAU,
FRÈRE PRÊCHEUR. hobt apr.s
ia53.
A.NDRÉ DE LoNGjiiMEAU tenait ce surnom du bourg où il
était né, à cinq lieues de Paris. Ceux qui écrivent André
Lonciumel , Lontumel, de Losimer, défigurent le nom de sa
patrie. On ignore la date de sa naissance et celle de son en-
trée chez les dominicains de la rue Saint-Jacques; il n'est
connu que par les missions qu'il a remplies en Orient. La scripi. oïdin.
première eut lieu en i238. Il s'agissait daller chercher à P'a-d. 1. i , p.
Constantinople la sainte Couronne d'épines que Louis IX '^o, «4i-
avait rachetée. André et son conlrère Jacques la transportè-
rent à Venise, puis à Sens, où le roi accourut à sa rencontre;
enfin à Paris, où elle fut déposée dans la Sainte-Chapelle,
qui venait d'être magnifiquement reconstruite. Ces services caheri Cor-
de Jacques et d'André expliquent pourquoi chaque année, nuii, senon. ep.
le II août, jour anniversaire de ce dépôt, les religieux de ^'■la''" Je s. co-
leur couvent venaient officier solennellement dans la Sainte- cepilonè"^Ducr
Chapelle, et y entendre un sermon débité par un des leurs. Sciipi. rer. gaii.
En 1245, .André de Longjumeau fut adjoint, probablement '-^.p- 4o7-4n-
par saint Louis, aux deux frères Mineurs et aux quatre Domi-
nicains qu'Innocent IV, après le concile de Lyon, envoyait
au prince tartare Bajothnoy ( Bachin ou Bochin), pour le
réconcilier avec les chrétiens : on sait que cette entreprise
n'eut aucun succès.
Bzovius suppose qu'en 1247, André de Longjumeau se *""•' '^At-
rendit, par ordre d'Innocent IV, auprès des primats orien-
taux qui gouvernaient les églises schismatiques des Jacobites
et des Nestoriens, et qu'il rapporta au pape cinq épîtres
contenant la profession de foi de ces prélats. Il est certain
que cette mission a été remplie par un religieux nommé
André, et fort probable qu'il était frère Prêcheur; car Wad-
di r ■ p ^ »«• -i A > I Annal, Min. I.
mg ne le tait pas trere Mineur, et il parait qu alors ces mis- i, ann. 1247, "■
sionnaires ne se prenaient guère que dans l'un de ces deux 10.
ordres. Mais qu'André de Longjumeau ait trouvé le temps de
i4« ANDRE DE LONGJUMEAU.
\nisiK.(.i.r.
faire ce voyage, entre son séjour auprès de Bajothnoy et les
missions dont nous allons parler, on a peine à le concevoir.
!>i<.Mi (ju'à toute iorc*- cela soit possible.
Quoi (ju'il en soit, on le trouve, vers la fin de l'année
12.(8 , dans l'ile de Chypre oîi passait le roi Louis IX, allant
à la Tirre-Sainte, et où arrivait aussi le nommé David qui se
disait nonce du chef des Tartares, Ercalthay ou Elche-tay
\ven. André reconnut David pour l'avoir vu dans l'armée
des Tartares, et traduisit au roi , en iarigue latine , les paroles
de cet envoyé ainsi que les lettres dont il était porteur.
Comme David annonçait (pi'Ercalthay et le grand Cham se
montraient dévoués au christianisme, qu'ils étaient même
déjà baptisés, saint Louis chargea André de Longjumeau et
six autres envoyés, dont deux appartenaient aussi à l'ordre
de Saint-Dominique , de se rendre en toute hâte auprès du
souveraiîi de la Tartarie, auquel ils avaient à olfrir de ma-
gnifi(|ues présents. lis jiartircnt le zo janvier I24g; mais
lorsqu ils arrivèrent au terme de leur long voyage, le grand
Cham, (juils nommaient Ken-Can ou Kuine, venait de mou-
rir, et s.i veuve Chauiis, cpii le remplaçait, n'était nullement
disposée à favoriser les chrétiens. André eut avec cette reine
un entretien (pai ne lui laissa aucun espoir de réussir auprès
d'elle. Jl prit le parti d'aller rejoindre Louis IX à Saint- Jean-
d'Acre ou Ptolémaïs. Il y était avec ce prince en laS'i, quand
le cordelier Guillaume de Rubruquis se disposait à remplir
une mission nouvelle en Tartarie. Guillaume, avant son
départ, reçut d'André des renseignements dont il profita,
sans cependatit néanmoins obtenir plus de succès à la cour
de Tartarie. Le nouveau Cham, appelé I\Lingu, renvoya Ru-
bruquis, en le chargeant de remettre à Louis IX des lettres
hautaines où D.ivid était traité d'imposteur et de vaurien.
Peut-être ce David n'avait-il été qu'un espion.
Nous ne savons rien de ce que devint André de Longju-
meau après I2Ô3 II peut I>ien avoir écrit des relations de*
ses voyages et de ses légations; cependant il ne reste de lui
,■,1,*^'" ' '' ' qu'une lettre à saint Louis, transmise par ce monarque à la
Duiii. Scrip. t. reine Blanche, et la tratluction latine de l'épître vraie ou sup-
y, /10I-4II, Il posée d'Ercalthay, épître dont Bergeron a inséré une version
M,-. — Spec. lus- ÎT . , -^ 11 ■ 1' ■ » • T«i
loi. I. XXXI, c. française dans sa collection d anciens voyages en Asie. Plu-
xc etseqq. sicurs autcurs du XIII* siècle, Gautier Cornut, Vincent de Beau-
„. vais, Rubruquis, Guillaume de Nangis, Bernard Guidonis, ont
,J4'8. fait mention d'André de Longjumeau. D.
Xl'Il SIECLl
V[NCENT DEBEAUVAIS,
AUTEUR DU SPECULLM MA JUS TERMINE EN ii56.
l^/uoiQUE Vincent de Be-niivais soit l'auteur de l'un des plus ^, ,,j
volumineux et des plus célèbres ouvrages du xiii*^ siècl<% il
s'en faut que l'on connaisse parfaitement l'histoire entière
de sa vie. Nous manquons surtout de renseignements positifs
sur la date de sa naissance. S'il a vécu 80 ans ou au moins
ro, comme on a lieu de le présumer, à cause de l'étendue
de ses travaux, il a dû nnître dans l'une des 20 premières
années du règne de Pliilippe-Augusle , et plus probablement
entre 1 184 et i ic)4-
I ,a qualification de Belhwacensis ou Hclvaccnsis constam-
ment attachée à son nom de Vincent, autorise ou même
entraîne à croire cju'i! était natif de lieauvais. Cependant d
est aussi appelé Bourguigtion , / incentius Burgundiis , dans
un grand nombre des notices f|ui le concernent. Le |)lus
ancien auteur qui lui ait ainsi donné pour patrie la Bour-
gogne est saint Antonin, qui écrivait vers l'an \^\o. (>'es'i là n,,,, , nm
seulement que commence cette tradition suivie depuis ]iar "i- ''' j^m'i
beaucoup de biogra[ihes et bibliographes, tels (pie Tri- ['''"',""'.''
thème, Jacques- Philippe ( Foresti ) de Bergame, Schedel , 1 , \,,i|.i .m-
J. Gér. Vossius, r^abbe, DuBoulay, Noël-Alexandre, Dupin, >''- " 'i»;
Cave, .Morhof et Brucker. Oudin laisse iiulécise la question ^■^■'ii''"""'"' '
fie savoir si liurgundiis indique le p<i}s ou Vincent est ne, sIh.i ( i,,nii.
ou si ce n'est cpi'un surnom provenant de (juelqiie autre '"' '||^'l>"
circonstance: Burmmdus nndone i^elcoiriiODiinc. Mais Lcbeuf , " ~-^"' ';'^""
veut qu'un Vincent, écolàtre de l'f-glise d'Auxeire, fon- i)....ii i,is
dateur d'une rliapelle au xiii*^ siècle, et ensuite engagé (Jans ii" <i'^'ii|>i <,-
Tordre des frères Prêcheurs, soit celui ciui est surnommé '''?,' "'''''•'
in • • ' • I ' I -Il 1 r>- 1 (Il lui Ulliv.
de Beauvais pour avoir réside dans cette ville de Picardie, p^mv m, ;i:v
ou bien pour être né en quelque lieu appelé Beauvais, en sdena iiisioi.
Nivernais ou en Bouiiroirne. Alin d'offrir au moins (luelque ';':' '"où '"'" V^r"^
indice de cette identité, liebeui lait olrserver cjue i ecolatre nupin.r.ihiioiii
a com])osé vers i2'3o une collection de légendes qui subsiste *"' ^'"'^^
manuscrite , et il rapproche ce recueil des articles du Miroir ^o,," ' ' ''■'^'
historial de Vincent, où sont célébrés dans les mêmes ter- I^.l^l. 1,^,1
TnmcMlIl. \A\
dAu
P
45o VINCENT DE BEAUVAIS.
XIIISIECLK. ... , .
. mes, et avec un som particulier, presque tous le.s saints
Hisi. |>hiios. auxerrois. Bullet explique l'ëpitliète Behacensis , en faisant
Oiidin V m "'•'^''6 Vincent à Bellevoie ou Belvoir, village de Franche-
<oi. 45i-'45-;. ' Comté; et Grappin adopte cette hypothèse.
yéiii.sui ihisi. Parmi les auteurs modernes qui refusent de le reconnaître
L^^"Jù\^^' pour Bourguignon , quelques-uns disent que Burgundus on
Buiirt.uis.s.sin Burguiidio était, au xiii*^ siècle, le nom propre d'une famille
i:ist.dtFniiKc. (leBeauvais, au sein de laquelle il sera né. C'est encore une
ciap|iin,Hist. sup[)osition dénuée de preuves et même d'indices; nous
de BoiiPb'ognc. navons, en etret, sur les j)arents qui lui ont donne le jour
M.l'ol ciiion. aucune sorte de documents. Mais si nous recourons à ses
Annal. Hisioi. çg^its, nous voyo'is qu'il y prend le titre de Bellovacensis ,
ouid.ciii. qu'il n'y substitue et n'y ajoute nulle part celui de Burgun-
( iir.oid.riiPii. dus. La première de ces qualifications est la seule que lui
—Calai fmtinm appliquent SCS coiitemporains ou ses successeurs, les chro-
qui claïucrnnt '. ' * . e .. i e ■' I n« i- J r> i t 1
doctiinà, inss uiqucuTs du XIII et du XIV siècle, Martin de Pologne, lolo-
Tabuia quo- méc de Lucques, Bernard Guidonis, et même encore au xv*,
rumdanidodoi. LauTcnt Pignou ct f.ouis de Valleoleti. Saint Antonin vient
ord. Pi-œd. ms-.. ^j-^ii i •]• i
un peu tard introduire la seconde, sans indiquer ni la source
ou il la puise, ni le motif qui la lui suggère. On est fondé à
croire que cet auteur italien n'avait qu'une notion vague et
confuse de la géographie de la France, et que vivant à une
époque où le duc de Bourgogne possédait la Belgique et ad-
ministrait la Picardie, il ne savait pas assez distinguer ces
provinces. L ordre qu'il donne, en parlant de Vincent, aux
trois dénominations Behacensis , Burgundus , Gallicus , per-
met de supposer qu'il prenait le Beauvaisis pour l'un des
districts compris dans la région bourguignone, l'une des
parties de la France. Il n'est donc pas bien certain qu'il ait
réellement attaché Vincent à la Bourgogne proprement dite.
Dans tous les cas, cet énoncé , soit inexact , soit erroné , res-
terait aujourd'hui sans autorité, quoique si souvent repro-
duit, ainsi que bien d'autres du même genre , dans les livres
Bihiioih. do- des âges suivants. Plusieurs écrivains des deux derniers
niinic.p. 2', 21 siècles ont su se préserver de cette méprise; les dominicains
Pr 1, 212-2,0. Altamura, Quetii et Jacques hchard , i historien Meury,
Hist. eccie^. 1. Loiscl, Fabricius n'hésitent pointa déclarer que Vincent
Lxxx(?, n 5 n'appartenait aucunement à la Bourgogne. A nos yeux, l'o-
vaisis, p. 2o3. ' pi'i'on la plus plausible, sinon la seule soutenable, est qu'il
Bihi ined eiinf naquit daiis la ville ou dans le territoire de Beauvais.
i^" vi,298,2.j.j. Ya tradition qui l'en faisait évêque remontait aussi au xv'
siècle, et elle n'a été com()létement abandonnée que dans le
VINCKNT DE BEAUVAIS 45i
, en- J ■ I j r 1 ■ -^I" SIECLE.
cours du XVII i . LJremond, qui la détendait encore en 1729, a ■
publié une très-longue liste des auteurs qui l'avaient adoptée B"|'"i "ici.Pr
avant lui. Il y a inscrit saint Antotiin, Trithème, Philippe de ' ^^^/.'^'
Bergame, AiberJ: Léandre, Raphaël de Volterra , Sixte de „r<i.Vi;i?i.'
Sienne, Antoine de Sienne, Possevin, Vossius, Aubert le c.inmmt. ur
Mire, Bzovius, Altamiira et d'autres biographes moins 'î'"' '.. ^^'' P
connus. Il serait possible de distinguer dans cette liste quel- '^Bii,i,^,îh.sanc-
ques noms qui n'y devaient pas figurer; mais pour bien ta, 1. iv.p. 309-
reconnaître la véritable opinion de chacun de ces écrivains, '^W
sur le prétendu épiscopat de Vincent, il faudrait s'engager prin.'i'pirs."oid'^
en de minutieuses discussions qui nous semjjlent tout-à-tait s. Uoniinici.
superflues; car, d'une part, nous ne contestons point la Apparat. Sac
longue durée de cette tradition; et de l'autre, on sait bien sd'inl.adHenr
que beaucoup d erreurs de fait ont été, comme celle-là, gé- GanHav n. l,^.
néralement admises et répétées de livre en livre, sans exa- Annal eccies.
men , pendant deux ou trois siècles. Les bénédictins, qui ont > • 1
fait imprimer à Douai, en i6a4, le grand ouvrage de Vincent,
donnaient encore à cet auteur les deux qualifications de
Burgundus et àe prœsul Bello^'acensis. Mais la première de-
vint fort suspecte avant 1700; et Casimir Oudin a vivement
réclamé en 1722 contre la deuxième, qu'avaient rejetée, dès
1720, les dominicains Echard et Quétif Fabricius et Fieury
se sont gardés de la reproduire ; et la Galliachrlstiana nova ^ ,„
• 1 • ' 1 > ir- 1 1 II 1 I T. IX , col.
na laisse aucune place a Vincent dans le taincau chronolo- 732-7/19.
gique des évèques de Beauvais , depuis 1 1 76 jusqu'en 1 3 1 2 ;
^bleau dont les éléments sont fournis par des monuments
authentiques. Là se succèdent Philippe de Dreux, Milon de
Châtillon-Nanteuil , Geoffroy de Clermont, Robert de Cres-
sonsart, Guillaume de Grez, Regnauld de Nanteuil, Thi-
bauld de Nanteuil et Simon de Clermont-Nelle, sans qu'il
reste la plus légère trace d'un prélat nommé Vincent. Il est
vrai qu'entre Geoffroy de Clermont et Robert de Cresson-
sart, il y a une vacance d'un peu plus de deux ans, du 24
août 1236 à 123^; mais on voit, par un registre de la
Chambre des Comptes, que ilurant la première de ces deux Oiii ciuibid,
années, l'évèché de Beauvais était en régale; et nulle part il ''"' "' '
n'est fait mention d'un prélat installé dans cet intervalle.
Jamais Vincent ne s'attribue cette dignité, et lors(ju'il parle
de ses titres personnels, c'est en des termes cpii ne pei met-
tent pas de supposer qu'il l'ait jamais |)ossedée. 11 ne se
donne que pour un frère Prêcheur, que pour un simple lec- i" |)"'>I'>ô'> ''
leur, tector qualiscumque , et déclare quil a toujours vécu, ne gUor 'rcJiôT
L 1 1 2
i52 VINCENT DE BEALVAIS.
xiii sikclî:
étudié, travaillé sons les ordres du supérieur général de son
ordre. Les écrivains qui, de son temps ou peu après lui, ont
iuimediatcmeiit recueilli les souvenirs qui le concernent , ne
songent pas plus que lui-même à le placer à la tète d'un dio-
r)<- sriipi. ,•..;!. cJ'se. Henri de (iaïul, Toloméede Lucques, Bernard Guidonis
"■ 'i^- ne le eoiinaisserit (lue comme un savant et laborieux Domi-
Annal. Iltsioi , / 1^ * \i i i i» i • • • . i ii -
^,.,,ipj rncaui. L est Molanus ou Le iVnrequi ajoute au texte de Henri
Annal poiiiif. dc Gaiid uiie note où il est parlé d'é[)iscopat. Nous devons
Liiiroî.ii. des. avoïKT que ccttc étraiii^c indication se rencontre dans la
clironique de Martin de Pologne; mais ce n est la qu une
des nombreuses interpolations (jue l'ouvrage de cet auteur
a hubies apiès 1:278, année où il est mort. On a lieu de croire
(jue l'article dont il s'agit n'existait pas dans la coj)ie (jue
Bernard (niidonis, continuateur de Martin, avait sous les
yeux. Car Bernard, cjui ne compte pas Vincent au nombre
des évèques jjîis dans l'ordre de Saint-Dominique, nous
assure qu il n'a omis que ceux dont la promotion lui est
restée inconnue, faute de documents et de témoignages. Or
il n'aurait pu ignorer celle de Vincent, si elle avait été con-
signée dans une chroriique dont il faisait, pour l'intérêt de
son propre travail, une étude toute particulière. Quelques
modernes, renonçant à faire de l'auteur du Spéculum niajus
un [)rélat titulaire, léclament pour lui la qualité de suffra-
gant ou plutôt de coadjuteur, et il est emore impossible de
la lui accorder, dans l'absence de tout indice de la consécra-
tion (pi'il aurait du recevoir, et de tout vestige d'une telle
adjonction à l'un des évêques de Beauvais, entre les années
1 200 et I 3oo.
Ce qu'on sait le mieux de son histoire, c'est qu'il a été
frère Prêcheur. Cet ordre, fondé en lUi "j, eut à Paris, en
12 £8, une maison professe qui, à raison du quartier où elle
était située, reçut le nom de Saint- Jacques, et valut aux
religieux institués par saint Dominitpje le nom vulgaire de
Jacobins. Il est probable (jue Vincent était avant 1:220 un des
Hisior. Univ. Hioincs de ce couvent. DuBoulay dit qu'il y vint étudier, et,
l'élis III, 71',. si nous n'en avons pas de preuves positives, rien non plus
n'autorise à rejeter cette conjecture. On attachait d'avance
les élèves delà maison de Saint-Jacques aux couvents fondés
ou à fonder dans les villes ou les diocèses au sein desquels
Sci oiiiPrs.i. ''î» étaient nés. Cet usage est attesté par plusieurs exemples,
J, >.i2, »i{. notamment par ceux de Hugues de Saint-Clier et de Hum-
beit de Romans. Voilà sans doute comment Vincent appar-
VINCENT DE BEAUVAIS. 453
XIII S!K(JJ-L
Hisl de Beau-
ais, pari. 1, r.
tint au monastère fondé à Beauvais en 1228 et 1229; et il se
peut qu'il ait élé employé, dès 122^, à préparer cet établis-
sement. Est-il le frère Vincent, sous-prieur des Dominicains
de Beauvais, qui, en I236 ou 1246, devint visiteur et pré-
posé, cognitor et prœfectus? Quétif et Jacques Echard le
supposent; mais il nous paraît vraisemblable que s'étant
voué tout entier à de longues et profondes études, il ne s'en
est laissé distraire par aucune fonction claustrale; jamais
il ne se leprésente que comme un simple religieux. Nous
voyons seulement que le légat Odon ou Eudes de Château-
roux le chargea d'opérer, avec rarchidiacre Guariu, quelque
réforme dans l'hôpital de Beauvais. Ces deux commissaires s'V. sïa
soumirent en i-j./\o les frères et les sœurs qui desservaient
cet hospice, à un règlement que Louvet et Dachery ont fait 6^-^'|'*^"
connaître. Salanhac et Bernard Guidonis n'ayant pas inscrit De glorioso
Vincent au nombre des docteurs de cet âge, on a lieu de "<>">'"« Pradic
'penser qu'il n'avait point reçu ce titre. Toutefois il est bien ™'**'
possible que ses supérieurs l'aient obligé à donner à des
novices quelques leçons de théologie; et c'est ainsi que s'ex-
pliquerait ce qu'il dit des occupations pénibles qui inter-
rompaient son travail d'écrivain, et le forçaient à employer
des copistes. C'était apparemment par des succès dans l'en-
seignement et dans la prédication, qu'il avait commencé
d'acquérir assez de célébrité pour attirer l'attention et mériter
la confiance du monarque.
En 1228, saint Louis fonda l'abbaye de Royaumont, et y
établit des religieux de l'ordre, de Cîteaux; il avait près de caiiia christ
ce monastère une demeure où il se retirait souvent avec sa ix, 84a, 843.
famille. Le dominicain Vincent de Beauvais fut appelé à
Royaumont, pour y remplir la fonction de Lecteur. Quel
était cet emploi .-* S'agissait-il d'enseigner la théologie aux
jeunes moines de la nouvelle abbaye "^ Oudin n'en doute pas; commeni de
il le fait professeur de théologie scolastique en 1260, et en Scripi. ecd. m,
conclut qu'il netait point alors très-âgé; qu'il n'avait pas '' ''^"■
encore composé son grand ouvrage. Fleury se borne à dire Hist. eccléi. l.
que Vincent a peut-être exercé cette fonction , et Touron ""'"'."• ?•
', I . ■ V cil /-i I I- j • Hist. des hom-
n ose le -nier ni I athrmer. Cependant on a lieu de croire que ^^^ iiiasir. de
s'il y avait eu dès lors, ce qui n'est pas très-probable, un l'ordre de Saîm-
cours d'études réglées dans le couvent de Royaumont, t»<»'"">'qn«- «■ 'i
l'enseignement y aurait été confié par les Cisterciens à "'''**
des maîtres qu'ils pouvaient trouver au sein de leur ordre;
saint Louis ne les eût pas forcés d'en prendre un chez les
^ 2
454 VINCENT DE BEAUVAIS.
Xill SIECLE. ^ ... X ,.
frères Prêcheurs. Les écrits mêmes ou Vincent fait mention
de son séjour à lloyauinont. ne le représentent pas comme
Epist. consolât, Qyant eu de pareilles relations avec les moines de l'abljaye.
On y voit, au contraire, qu'il n'habitait point leur monas-
tère; il dit qu'après l'inhumation du jeune prince l/ouis
dans leur église, il revint dans sa maison , sans doute voisine
du palais de saint Louis; il ne dit j)as dans sa cellule ou sa
chambre. Néanmoins il se sert ailleurs d'expressions qui
stitu*!" moraU. "' Semblent lui <lonner pour demeure le monastère même : Olim
dàm in monasterio Hegalis-Montis morani J'acereni.
Quoi qu'il en soit, on a conclu de ces diverses observa-
tions, que son principal emploi à Royaumont était proba-
blement celui de Lecteur du roi, titre qui se rencontre à bien
d'autres époques, et qui embrassait alors plus de fonctions
qu'il ne semble en indiquer. Le Lecteur devait expliquer les
textes, développer l'instruction qu'ils pouvaient renfermer,
répondre aux questions que ses auditeurs lui adressaient
sur les faits et sur les doctrines, sur les sciences sacrées et
profanes. Vincent s'attribue expressément cette qualité de
Lecteur, et s'en glorifie d'autant plus, qu'il en remplit, à ce
qu'il dit, les devoirs sous le bon plaisir et la direction du
roi lui-même. C'est une raison de plus de penser qu'il ne
s'agit point là d'un enseignement scolastique et claustral;
car il n'y a pas d'apparence que le monarque eût voulu se
réserver le soin de le diriger. Au besoin, l'office de Lecteur
s'étendait à quelques prédications domestiques. Vincent
nous apprend que le roi et la famille royale l'écoutaient
lisant, instruisant et prêchant, qu'ils lui prêtaient une atten-
tion profonde et même respectueuse. Il ajoute que le roi lisait
ses ouvrages, et fournissait aux dépenses de ses travaux
littéraires; que la reine Marguerite, le prince Philippe et
Thibaut, roi de Navarre, l'excitaient à composer des livres;
3ue sa principale occupation était de rédiger des extraits et
es abrégés pour l'instruction des princes, des princesses, de
leurs courtisans et de leurs conseillers; de tenir enfin à leur
disposition soit ses propres écrits, soit aussi les livres qu'il
avait été chargé de choisir et d'acheter pour leur usage et
De ord. Pi-s- ^^^^ ^^ ^j^j^. g,, g^^j^. ^y^. y^^y^^ pourrious lui attribuer encore
'"'AddTt. ad Sa- l'emploi de bibliothécaire. IJ était, à tous ces titres, attaché
ianh.ic.ini à la maisou royale: doniesticus, /(tmiliaris , disent Salanhac
";'ni 'l"'j et Bernard Guidonis.
""*■ ' '' Des auteurs modernes, particulièrement Du Boul^y et
VINCENT DE BEAUVAIS. 455
, r ■ 1 1 r M I IIIl SIÈCLE.
Oudin, le font instituteur, mystagogus , de la lamille royale,
précepteur des enfants de France. Mais nous apprenons de comment, de
iui-mètne qu'ils avaient des maîtres, didascalos , au nombre in'''corT5*3 '
desquels il ne se compte point; il désigne comme le pré- ploiog.deEru-
cepteur, eruditor, du prince aîné, le clerc Simon , dont il fait d'tionepueror.
l'éloge. C'est ce Simon qui présente à la reine Marguerite,
de la part de Vincent, l'ouvrage que celui-ci a composé, par
ordre de cette princesse, sur l'éducation des jeunes princes,
et dans lequel il a inséré divers matériaux pour leur édu-
cation littéraire, des sujets de composition en vers et en
prose; soit que ce travail fût com[)ris dans ses devoirs de
lecteur on de bibliothécaire, soit qu'il l'eût entrepris seule-
ment comme homme de lettres. Fleury lui accorde le titre Hist. ecdés. i.
d'inspecteur des études des enfants de Louis IX; et c'est en i-»"iv, n. 5.
effet la seule part qu'il puisse, à ce qu'il nous semble, avoir
eue à leur éducation.
Ses propres éludes et ses travaux littéraires sont les prin-
cipaux faits de sa vie, et les seuls qui nous soient parfaite-
ment connus. Avide et insatiable de lectures, iibrorum
helliio , comme disent plusieurs de ses biographes, il avait
recherché , compulsé tous les ouvrages anciens et modernes,
dont il pouvait comprendre les textes ou se procurer des
versions. Il en avait recueilli des extraits innombrables. L'im-
mensité de ses lectures serait assez attestée par ses contem-
porains, si elle n'était plus immédiatement prouvée, ainsi
que nous le verrons bientôt, par sa volumineuse compilation.
Encore nous apprend-il qu'il l'a réduite au tiers, par le Proiog. gêner,
conseil de ses amis : il avait amassé et d'abord employé trois "^^ *^'> P- '^•
fois plus de matériaux. Elle se compose, dans les éditions
qui en ont été publiées, de 4 grandes parties, y compris
celle dont l'authenticité pourra nous sembler fort douteuse.
Il est incontestablement le rédacteur des trois autres qui
comprennent ensemble 82 livres ( 9906 chapitres ), dont on
ferait aujourd'hui 5o à Go volumes in-8° ou in-12. C'est véri-
tablement l'encyclopédie dusui^ siècle: elle embrasse, dans
presque tous les genres, le système entier des connaissances
3ue l'on croyait alors acquises. Nous aurons à y joindre
ivers opuscules de Vincent, qui auraient sdTG à la renom-
mée d'un autre écrivain du même temps, et qui , s'ils étaient
ses seuls titres, lui donneraient encore une place assez dis-
tinguée dans l'histoire littéraire de cet âge. Tant de travaux
ont occupé toutes ses journées, -toutes ses veilles; il n'a
156 VINCENT DE BEAUVAIS.
Xni SIECLE.
même achevé sa vaste entreprise qu'avec le secours de quel-
ques-uns de ses confrères, qui transcrivaient les textes
dont il voulait faire usage, et quelquefois les articles qu'il
avait hâtivement rédigés. Il n'a pas été moins secondé par
le roi Ijouis IX, qui mettait à sa disposition une ])remière
Bibliothè(fue royale, déjà riche pour une le'le époque,
la fi'ntùotb X *^^ ^'^' P^y^'t les frais de copie et l'acquisition de beau-
Roi, p. 3-5. - coup de livres. Sixte de Sienne s'est avisé d'attribuer ces
Bibiioih.sam- libéralités à Philippe de Valois ; et cet anachronisme ,
cni'/^'"'^"'^' quoique si grossier, a passé en d'autres notices. Quel-
Aliamui-a.Bi- qucs biographes n'ont substitué ici à saint l^ouis que son
blioih. domini- fj[.; Philippe - le- Hardi ; ce qui est encore une erreur peu
caDa,p. ai. excusablc, car nous ne tarderons pas à reconnaître que
Vincent de Beauvais était mort avant l'avènement de Phi-
lippe III.
De Script, er- 'rritlièmc rapportc à l'année isi4oi sous l'empire de Fré-
cies.n.ASy.ed,!. ^j^^.j^, jj |^ célébrité de Vincent, et Bell.irmin a suivi cette
i-abric. p. m. .,..,.. -1 r i ii • • i
BeiLDcScripi. indication. Mais il est tort probable qu aucune partie du
<"<"<:'es. Speciduin majus n'était achevée en \:>J\vt. Vj historique ne l'a
été qu'en I244i ou même qu'en ii>.54; celle qui porte le nom
(le naturelle , que vers i25o; la doctrinale qu'im peu plus
tard ; et la partie; morale est considérée comme la dernière
en (.late, tant par ceux qui la déclarent apocryphe, que
par plusieurs de ceux qui la tiennent pour authentique. Ce
n est donc pas sans raison que bc.iucoup d'écrivains mo-
dernes prennent l'anuf'e laSd pour l'époque où ce grand
ouvrage a obtenu la renommée qu'il méritait. En retarder
la publication ju.squ'en 126'j, ainsi qu'on le fait quelquefois,
est une opinion inconciliable avec celle que nous allons
ado|)ter relativement à la date de la mort de Vincent.
Ce dernier article de son histoire personnelle n'a pas été
le moins controversé. On a propc^sé environ quinze dates
différentes prises dans l'espace d'un siècle presque entier,
savoir, de i24o à 1 j3j H n'est guère possible de s'arrêter
Fir.rii'i ni II ^ivcc Garciasau premier de ces deux points extrêmes, puis-
que les récits s'étendent au m(>ins jusqu'en i'>.44 dans le
Spéculum historialc. (^)iieiques-uns ont cru que c'était là aussi
le terlne final de la vie de fauteur; mais outre qu'il se montre
instruit de certains laits qui appartiennent aux années sui-
vantes, nous l'avons vu occuj)c, en 1 246, d'une réibrme dans
, , l'hôpital de Beauvais. Henri deSr)onde le fait donc vivre ius-
A.nn.il. ail au. 1 ., ' , , . , ^,.*
,,^s quen n^Oi t,'t sa carrière est [)roIongee jusqn en 1200 p,ir
VINCENT DE BEAUVAIS. 467
. , ,. 111. • ^'" SIÈCLE.
an assez grand nombre de ceux qui ont parle de lui : Antoine
de Sienne, Bellarmin, Du Bouhy, Du Gange, Dupin, et la pp^j''3°"',"56
Moiinoye dans le Menagiana. Belleforest indique l'année Beii. oe Scr!
1269: « En cest an, dit-il, mourut Vincent de Beauvais qui *«"'•
« a écrit de si belles et doctes oeuvres, et entre autres son „ **'*'?I^; ^"'l'
,,.-•. ., ,, ., , ... Pans. IH, 713.
c Miroir nistorial, moral, doctrinal et naturel, esquels livres Du<:ange,in-
c il montre la gentillesse de son esprit, et la variété de son ''^ aucior. c.
c savoir, et sa errande diligence à faire tant de recherches » "î^'' . _..,
/^ I 11 > n y, l>upiD, Bibl.
Cependant nous venons de le trouver a noyaumont en 1260; des auteurs ecci.
il y assistait le i5 janvier iiSç), c'est-à-dire 1260 avant Pâ- xiirsiède.
ques, aux funérailles de Louis, fils aîné du roi , et composait 385^°"^'*"*' ''
un livre pour consoler les parents de ce jeune prince. En Bdlef.Ann.de
considération de cet opuscule, on a lai.ssé Vincent dans le ^'"- '""■ '*^9'
monde jusqu'en 1261, puis jusqu'en i263,afin de lui donner ].e^o^**^"'' ^^^
le temps d'extraire de son grand ouvrage un traité sur l'in-
struction morale des princes, travail qui lui était demandé par
Thibaut, roi de Navarre, et commandé par le supérieur gé-
néral des dominicains, Humbert de Romans, qui en 1263
abdiqua cette dignité. L'opinion qui a prévalu est que Vin-
cent mourut en 1264. Elle remonte au dominicain Louis de
Valleoleti, qui écrivait en i4i3, et qui ajoutait que Thomas t. . ,
II « '• ' !• «Il I <r-i * ■ '»'°-' Tabula quo-
d Aquin avait survécu dix ans, et Albert-le-(jrarid seize, à lumdam doct.
l'auti'ur du Spéculum majus. C'était là, selon toute appa- orJi'radic.niss.
rence, une tradition conservée depuis le xiii* siècle ju.squ'au
IV*, dans le couvent de Saint-Jacques; elle s'est transmise
de Valleolefi à plusieurs écrivains de son ordre, tels que Hisioria geue-
Ferdinand de Castille, Fernandez, Altamura, Quétifet Jac- rai de sanio Do-
ques Echard. T^bbe, Gave, Simon, dans un suptîlément à ""l"^" ^ **^ '"
isi ■ ■ I T» • ■ C • !• I ' .. ordeii.
I histoire du Beauvaisis, baxius ennii et beaucoup d autres Xiatadodeia
l'ont adoptée. 11 en est qui l'ont modifiée, en substituant ordende Predi-
1 265 à 1 2(34. Ils ont supposé que Sixte de Sienne, en écrivant *^"^"-b^o,|, j
1256, avait par mégarde dérangé l'ordre des deux derniers minic. n.
chiffres; et qu'ainsi la date I256, si long-temps accréditée, Sirord.Prad.
n'était qu'une altération fortuite de la véritable, 1265. Nous '' l^'*' *'.*.,
1 • •*•' « .1 I < 11 . „ . Uiss. de Scr.
croyons devoir préférera cette hypothèse, celle qui se fonde EciI. li, 478,
sur des renseignements plus anciens et plus positifs; et la ^79-
date 1264, quoique l'exactitude n'en soit pas démontrée, _^"e.ii.*99.
nous paraît de beaucoup Ja plus probable. Onomasiic. lit-
Cependant Tolomée de Lucques, qui a précédé de près ter-'-U.p- 3o5.
d'un siècle Valleoleti, cite comme étant de Vincent de Beau- j'**'" *' ' '^'
vais, un passage où il s'agit de la vacance du saint -siège
penflant trois ans après la raprt de Clément IV, ce qui ferait
Tome AFIII. M nj m
3 2 «
458 VINCENT DE BEAU VAIS.
XllI SIÈCLE. , . . I- I AI- • 1 ■
descendre a i2ji la composition complète du Miroir histo-
rique. Mais ce texte ne s'y rencontre nullement; il est de
chion. «nu. Martin de Pologne; et la date de 127T n'a pu être introduite
'27"- ici que par une inadvertance de Tolomée. De tout autres
motifs ont entraîné les éditeurs du Spéculum quadruplex ,
en i6a4,à soutenir que l'auteur n'était mort qu'en 1274 i ^t
Comineni. de après cux , Oudin a prétendu que son décès ne devait être
*" iS**^' ' '"' P'^*^^ qu'entre 1280 et i9.go, peut-être même qu'entre
i334 et i34o. Ces systèmes , aujourd'hui abandonnés ,
tenaient à une controverse dont nous aurons à rendre
compte , et qu'avait excitée l'extrême ressemblance , la
presque identité du Spéculum morale avec une partie de
la Somme de saint Thomas. C'était pour rechercher lequel
de ces deux théologiens pouvait être soupçonné de plagiat,
ou pour les en disculper l'un et l'autre , qu'on croyait
avoir besoin de retarder ou d'allonger à ce point la carrière
de Vincent de Beauvais. Nous verrons que la critique sévère
du dernier siècle a donné de moins étranges solutions de
ces questions.
Ainsi la tradition la mieux établie est que Vincent mourut
en 1264 à Beauvais, dans le couvent des Dominicains; qu'il
fut d'abord inhumé dans leur cloître, puis transféré dans
leur église, près du maître-autel, du côté de l'évangile,
comme l'indiquaient deux peintures long- temps visibles
sur le mur voisin. Une épitaphe, destinée apparemment à
Scr.ord.Pia-d. couvnr SCS ccndres , a été découverte à Valenciennes. Elle
t.i,p. II/,. consiste en vers léonins ou rimes:
Noscat qui nesclt , Vinccntius hîc requiescit',
Qui libros egit et in uniim multa redegit;
Frater famosus, humilis, pius ac studiosus,
Corpore formosus, sapiens ac religiosus, etc.
Pertulit ille neceni posl annos mille ducentos
Sexaginta deceni, sex habe,sex niihi retentos.
Ces vers ne sont assurément pas élégants : le dernier sur-
tout n'est ni correct ni assez clair. On suppose qu'il signifie
que de 1270 il faut retrancher six, et ce serait un docu-
ment de plus à l'appui de la date 1264 , a.ssignée au décès de
Vincent.
Ses contemporains et la postérité s'accordent à louer
ses vertus cénobitiques , sa fervente piété , ses bonne»
mœurs; Valleoleti lui décerne la qualification de saint. Il
sera temps d'apprécier ses talents et sa science, quand nous
VINCENT DE BEAUVAIS. 459
,. . . 1 ' . ■ i -^111 SIÈCLE.
aurons parcouru ses livres. Auparavant il n est pas inutile
d'observer qu'il a existé un autre Vincent, frère Prêcheur,
lecteur et Français de. nation, comme celui de Beauvais, ibid. p. goS.
mais moins ancien d'environ deux siècles, et connu seule-
ment comme auteur d'une Gnomologia arithmetica , qui se
conserve manuscrite à Padoue, et dont Tomasini fait une Bibiioih. Pa-
mention trop succincte pour qu'il soit possible de se former nv.p. 95.
une idée du caractère ni même du sujet fie cet ouvrage.
N'est-ce qu'une copie, qu'un extrait de l'un des livres du Do-
minicain de Beauvais.'' est-ce une production tout-à-fait dis-
tincte des siennes ? Ce sont là des questions que nous n'avons
pas le moyen de résoudre, et qui au surplus ne sont point
d'une très-haute importance.
Le Spéculum quadruplex ou triplex de Vincent est une
composition, ou, si l'on veut, une compilation d'une si
vaste étendue et d'une telle célébrité, qu'on a tenu peu de
compte de sos autres écrits, qui seraient cependant nom-
breux, s'ils étaient tous authentiques Nous en compterons
une vingtaine, mais en distinguant ceux qu'on peut regarder
comme apocryphes ou comme nuls , ceux qui sont restés
inédits ou épars, ceux dont il a été publié un recueil, enfin
ceux que l'on a joints, quoique fort mal à propos , au grand
ouvrage de ce laborieux auteur.
Oudin lui attribue des sermons qui portent le pur et comment, de
simple nom de Vincent, dans un manuscrit d'Angleterre, et Sci- ecd. t. m,
3ui ne sont pas autrement connus. Rien n'atteste qu'ils soient "^"^ i,.' ', ,
,., , t. ■ • • j 11 • Cl . ' Biblioth. Ja-
u célèbre Dominicain de Beauvais. î> il est expressément lobeae.cod. 319.
nommé dans un manuscrit de Dublin, ayant pour titre: caui.mss.An-
Tertia pars de confessione verœfidei, ce n'est probablement gliae, pan. v, o.
que la troisième partie de la XIV^ distinction ou section du ^^'•
livre j>remier du Miroir moral; partie qui traite de la foi, la
première des vertus théologales. En ce cas, le manuscrit
dont il s'agit n'offrirait plus un opuscule particulier, mais
seulement une portion d'un long traité; et il resterait d'ail-
leurs à examiner, comme nous le ferons dans la suite, si le
Spéculum morale appartient en effet à Vincent. Il y a pareil-
lement toute apparence qu'un traité manuscrit d'Alchimie,
Vincentii hellovacensls utriusque Alchiniiœ libellas, indiqué
par Oudin comme déposé à la Bibliothèque de Leyde , ne
consiste qu'en extraits des chapitres loS, 106, 107 et i3a
du livre XI du Spéculum doctrinale. Ce.s chapitres concer-
nent la chimie ou l'alchimie; et l'on a déjà dii reconnaître
M m m a
46o VINCENT DE BEAUVAIS.
XIII SIÈCLE. , , ,,•••, . I-
que Vincent n a guère eu le loisir ni les moyens de se livrer
plus spécialement à une telle étude.
lia parlé en divers endroits de l'Antéchrist, et l'on a pu
bien aisément composer de ces textes la pièce manuscrite
Lii. A. CO.1. 7. intitulée, selon le catalogue de la. Bibliothèque Bociléienne :
"■ 5- Fratrls linccntii epistola de Antechristo , missa papœ Bene-
dicto. Comme il n'y a point eu de pape Benoît au xiii^ siècle,
ceux qui prolongent dans le xiv^ la carrière de Vincent de
Bcauvais, auraient un grand parti à tirer d'une lettre par lui
adressée à un pontife de ce nom. Mais cet écrit est d'un autre
frère Vincent, ou bien il est faussement annoncé comme
Bibl.bibl.ms5. une épître. En effet, Montfaucon indique un manusciit du
t.u,p. 1402..4. roi de Sardaigne, qui contient un livre et non une lettre de
Vincent sur l'Antéchrist et la fin du monde; et ce livre n'est
qu'une copie de certains chapitres que nous aurons occasion
de r<;marquer dans le Spéculum majus. Le même dom
p 1101. i) Montfaucon cite un manuscrit de Coislin, sous le titre de
Spéculum vel imago mundi ; mots qui autoriseraient à sup-
poser qu'Image du monde, et ailleurs Bibliothèque du monde,
n'étaient que des variantes du titre ordinaire de .Miroir. Mais
Hist. ecti. liv. Fleury et quelques autres pensent, non sans raison, que
\ Imago mundi est un Spéculum minus , un premier essai
de celui que la qualification de majui distingue. Cette idée
nous parait fort admissible; le manuscrit de Coislin la peut
suggérer; et ce double travail de Vincent, qu'à la vérité ses
plus anciens biographes n'ont point indiqué, nous le sera
bientôt par lui-même. Du reste, ce Spéculum minus n'est à
cap'z"'' " ' confondre ni avec les livres qui se rencontrent sous le titre
Gci beron , in d'ImHgc du moiidc , dans les oeuvres de saint Anselme et
rionicOptiuinS. j'fionoré d'Autun, ni avec un abrégé intitulé, en certaines
liiiéi-. (le la Fr. copics maiiuscrites : rlores nistoriarum. Cet abrège ne saurait
'ariic. d'Honoré être pris pour un ouvrage particulier de Vincent de Beau-
.1 Auiun), t. XII, y.,ig. car il commence dans quatre manuscrits par ces lignes:
Mss.' Coib. Incipiunt Flores historiorum ex historiali Spécula venerabilis
aiof),54iG, <to. 'viri fratris Vincentd de ordine Prœdicatorum , excerpti à
iiss.Navari — nias^istro Adam, clerico domini episcopi Claromontensis. Ce
hcclesiael'ans. — «^ , , ,. , ' / , , 1 i' - a
Coiberiini duo. sout cics cxtraits rcdigcs en 1 270, par Adam, clerc de 1 eveque
-V. Scr. ord. de Clcrmout. L'abréviateur dédie son travail au pape Gré-
Pia-d. 1, 240. goiie X, et déclare que s'il s'est principalement servi du
Spéculum historiale de Vincent de Beauvais, il a fait aussi
usage des livres d'Eusèbe, de Bède, de saint Jérôme et de
Sigebert. Nous devons encore faire ici mention du manuscrit
i.ixxiT, n.
VINCENT DE BEAUVAIS. 4r.,
XllI SIECLE.
3909 de la Bihliotlièque royale, annoncé dans le catalogue
sous le titre de Flores omnium scripturariim ; il contient des
fragments ou fies parties diverses du Spccitlum naturalc et
du Spéculum historiale. Quelques livres s'y retrouvent en
entier; d'autres sont tout-à l'ait omis; plusieurs sont mutilés,
et l'on remarque, en certaines pages, des additions faites
sous le règne de Philippe-le-Hardi , après la mort de l'auteur
Voilà donc sept articles que nous écarterons de la liste de
ses productions, les uns comme ne lui a[)partenant point,
les autres comme n'étant que des extraits de son principal
ouvrage. Ces articles sont les Sermons, la Confession de la
vraie foi, le 'Craité d'alchimie, l'Epître sur l'Antéchrist,
l'Image du monde, les Fleurs des histoires, et les Fleurs de
toutes les écritures.
Nous allons en indiquer sept qui paraissent plus réels,
mais qui sont inédits, ou qui n'ont été publiés qu'avec des
opuscules de quelques autres écrivains. Le premier est un
livre sur la Sainte Trinité, duquel Vincent se dit lui-même
l'auteur, au commencement de son Spéculum naturale: De L. i,c. i.
mundo quippe Archetypo sufjicientcr, ut œstimo , aliàs dis-
seruimus , in lihro videlicet qucnt de Sancta Trinitate com-
muniter ex dictis siinctorum et catholicorum doctorum nuper
compeginius. Sander indique un manuscrit de ce traité,
déposé dans la Bibliothèque de Saint-Martin de Tournay; Ribiioiii m,.,
et il en cite les premiers mots : Cwn attestante prophetd , ^'i;. \w\. i,i>
justus ex fide vi\'at , etc. "^"
Le second article est une explication de l'oraison domini-
cale. L'auteur dit dans son prologue, que puisque l'Evangile
nous ordonne de prier, et qu'il ne peut y avoir de meilleure
prière que celle qui nous a été dictée par Jésus-Christ même,
il lui a semblé fort à propos, à lui le dernier des frères Prê-
cheurs, d'étudier et d'exposer le sens de toutes les paroles
de cette divine oraison. Il se met donc à recueillir, selon sa
méthode ordinaire, ce qu'ont écrit sur ce sujet les auteurs
qui l'ont traité avant lui : son livre se compose d'extraits des
leurs; il choisit, entre leurs réflexions, les plus justes ou les
plus pieuses. Ce traité n'a point été imprimé; il était resté ma- n. gao -_str.
nuscrit dans la Bibliothèque de Saint-Victor de Paris, ainsi ""' '*'• '''5''-
que celui qui concerne la Salutation angélique, et qui est
puisé aux mêmes sources. Ces deux opuscules ont un titre
commun : Incipit expositio Orationis dominicœ et Saluta-
tionis beatœ Mariœ , per Fincentiuni qui Jecit Spéculum,
46a VINCENT DE BEAUVAIS.
XllI SIKCIE.
historiale; et le prologue du second t'ait mention du premier
en ces termes : Post (lilucidatani à nobis utcumque , juxta
humilitatis et possibilitatis nostnv modiduni , Orationem do-
Bibiioiii. R.n. minicam , plaçait eliain styluin vertere circà Salutationcm
'\i\^. Catai. — ffg(if(j, f-'ii-prinis aiifrellcani.
niss. leg. Ut. t. ,-. . ^ i> I • • ■ 1 1 • • » 1-
III, p. 387. ^'^ voit que lautlienticite de ces productions médites est
incontestable, et nous devons en dire autant d'une 4* qui,
dans un manuscrit du lloi , n" 2067 du fonds de Col-
bert, est intitulée : Liber f rat ris Vincentii de Pœnitentid ,
totus ex dictis sanctorum doctoruin collectas. A la vérité, le
Mss. MonaM. nom de Vincent n'est ici suivi d'aucune qualification; mais
Pis5iac.Scr.ord. ^^ Hvic lîrécède immédiatement, dans une autre copie, la
Consolation adressée à saint Louis par le Dominicain de
Beauvais, dont il est d'ailleurs troj) aisé de reconnaître la
méthode et le style. Le prologue annonce que ce traité de
la Pénitence comprendra icj'j chapitres : AJiki qaidein pec-
catori satis utile visam est ex sanctorum patruni sententiis,
qui de hdc materid scripserant ante nos plarima , flores pau-
calos colligendo , pœnitentiœ nioduni ordinemqae describere,
et hoc ipsuni ovusculum pcr centuni nonaginta quinque ca^
pitala sabjecta describere. Ces 196 chapitres, dont nous n'en-
treprenons pas rénumération, se trouvent distribués sous
i5 titres plus étendus : I. de la Pénitence en général; II. de
la connaissance du péché (ou de la contrition); III. de la
confession ; IV et V. de la satisfaction et de ses parties; VI. de
l'aumône; VII. de la prière à voix basse; VIII. de la prière
à voix haute; IX. de l'oraison mentale; X. de la méditation
des choses divines; XI. de la méditation des choses humai-
nes; XII. des peines à subir après la mort; XIII. des récom-
penses et de la gloire à obtenir dans la vie future; XIV. des
moyens de salut; XV. des veilles et du travail manuel. Nous
avons abrégé plusieurs de ces titres, surtout le \f\^ qui est
ainsi conçu : De arrhà animœ in prcsenti et qaoïnodo in
creaturis et moribus et scripturis débet aliquis meditari. Cet
ouvrage se retrouve, pareillement divisé en i5 parties et en
195 ch.ipitres, avec des changements, des omissions et des
additions, sans nom d'auteur, et sous un autre titre, dans le
sir ..ni Pra?.i. Mianusc^it 4524 du fouds (le Colhert, à la fin duquel on lit:
i.î'.j. Explicit liber de Fractibas P(vnitenliœ, éditas et compilatus
per qucnidani fratreni de ordine Prœdicatoruni in provinctd
Lonibardiœ. L'anonyme écrit dans un temps où il n'y avait
qu'une seule province dominicaine en Lombardie, et par
XIII SIECLE.
VINCENT DE BEAU VAIS. 463
conséquent avant l'année i3o3 où cette province fut partagée
en deux, l'inférieure et la supérieure. Pour prendre une idée
del'usagequ'il a faitdu livrede Vinrent, et des légères varian-
tes par lesquelles il a cru se l'approprier, il suffira de comparer
aux lignes que nous avons transcrites : Mihi quidern pec-
catori satis utile, etc., ces dernières lignes du prologue de
l'anonyme : Mihi satis utile visiim est ex sanctorum sententiis
patruni , qui de hàc materiâ multis in opusculis ante nos
dijfuse tractiwerunt , flores aliquos coUigendo, rnoduni pœ-
nitentiœ ordincnique describere , et hoc ipsum opnsculuni in
quindeciin portionibus dividere. L'auteur, ou, pour mieux
dire, le plagiaire lombard, en use partout de même. Il
al)rège, il allonge, il intervertit l'ordre des textes; mais il ne
fait le plus souvent qu'une véritable copie, et il n'y a là rien
qui lui appartienne, sinon un petit nombre de citations et
d'observations que Vincent avait omises.
L'institution ou instruction morale du prince est le sujet Caial.mss.An-
d'un cinquième traité qui se conserve manuscrit en Angle- f^' ' i'P="^' "•
J- \ \ \ ^T- . • ' I I n. 577;parl. m
terre, et tlans lequel Vincent a consigne quelques-uns des „. ,3^5. ,11
détails de sa propre vie. Il y parle du séjour qu'il a fait autre- pan. i, n. i5.
fois, olini, a Royaumont; ce qui montre qu il n'a composé
cet opuscule qu'après 1260, quoiqu'il lui eût été dès lors
demandé par le roi de France Louis IX, et par Thibaut, roi
de Navarre, auxquels il l'adresse. Malgré leurs ordres et ceux
de son général Humbert, plusieurs autres occupations l'ont
obligé de retarder ce travail, dont il ne peut présenter encore
qu'un premier essai: Quia pluribus aliis occupatus negotiis,
opus illud incœplum , prout vellem , accéléra re commode
non possuin , primum ejus libelluni jani editum intérim su-
blimitati vestrœ transtnitto per subjecta capitula distinctum.
Les chapitres sont au nombre de 28, et contiennent des
leçons de morale et de politique, à l'usage des princes, des
chevaliers, des conseillers, des ministres, des baillis, des
hommes de cour ou d'état. Ce sont en général des règles de
f:onduite fort communes, empruntées de divers auteurs, et
souvent même du j'" livre du Spéculum doctrinale, où nous
retrouverons les plus importantes.
En sixième lieu, on est fondé à croire que Vincent de (iir.oid.Prar.i.
Beauvais avait laissé un livre de lettres : Enistolarum ad "*-""'' (""ss.)
j. , _.. m • 1 • 1 1 • ' hall uni iiiii < la-
ai4^er.îo.s. Laurent Pignon et 1 ritheme le disent expressément, lupiuui doctri-
et il est presque impossible qu'un homme si savant et si re- l'à — Srr. ord.
nommé n'ait pas entretenu quelques correspondances. Mais 'T.!*. î' ^''";
ini SIECLE.
464 VINCENT DR BEAUVAIS
on ne cite aucun manuscrit de ces epîtres, et il y a trop
d'apparence cju'ellcs sont perdues. On n'a pas de lui d'autres
épîtres que les dédicaces qui se lisent à la tète de .ses opus-
cules. S'il a été consulté 'par plusieurs de ses contemporains,
et s'il a répondu :'i. leurs questions, comme il est assez pré-
sumable, il ne nous en est rien parvenu.
Nous compterons pour septième article le statut de ré-
forme des frères et sœurs de l'hôpital de Beauvais, en 12/^6.
Il a été imprimé par Darliery, et il occupe cinq pages fin
p. 6S-7I.— tome XII, in-4", du Spioilégt', y <>ompris rordonnanre du
i^uvet , Beau- légat qui jirovoquait la rédaction de ce règlement, et la lettre
»ais,n,5i 7-545. pontificale qui l'a confirmé. A vrai dire, on ne sait trop s'il
convient de le considérer comme une production de Vincent;
car d'un côté, l'archidiacre Garin y a eu autant et peut-être
dIus de part (lue lui; de l'autre, ce n'est guère qu'une copie
',,_ft,_ ■ de la règle inqiosee en i'>Jj, par Geoffroy, eveque d Amiens,
aux hospitaliers et hospitalières de cette ville. I^e statut de
Beauvais n'en diffère que [)ar un petit nond)re de disposi-
tions, dont les unes prescrivent la récitation de certaines
prières , et les autres concernent le costume des frères et des
sœurs: Nullus tincta haheat vcslimenta , exceptis cappis de
choro et alniuchiis de sagio qidbus in ecclesid sacerdotes
iitnntur. Nullus quoqiie fraler aut soror pelUbus siU'estiibus
indiiatnr. Fratrcs haheant scapularia loriga , tunicds clausas
ante et rétro; sorores aiitem vêla nigra grossa : poterunt
etinm hahere siiccanias talares oliqiiantulùin hirgas ad mi-
nistratiduin pauperibus. Quicumque nova vestiinenta vel
calceanienta accipere voluerit, reddnt vetera.
Voilà sept articles dont, à notre avis, on ne doit pas ré-
voquer en doute l'authenticité, non |)lus que celle de cinq
traités compris dans un volume in-foliO imprimé à Bàle, chez
Jean d'Amerbach, en i4Hi. \je premier de ces traités, intitulé
L [ ^ , de la Grâce , est annoncé par Vnicent lui-même , au commen-
Sander ,M ^ ccmcnt (lu Speculuni naturale , en ces termes: Et in alio
Beig. paît II , quodam opusculo quod de ipso Dei Filio, mundi redeniptore,
" ' sinoulariter edidimus , quem etiam Ubruin Gratiœ prœnota-
vimus. Il s'en conservait un manuscrit en Belgique. T/ou-
vrage est, dans l'édition, divisé en 4 livres. Le i*'' traite,
en 1 i(i chapitres, de la double génération du Réilempteur,
l'éternelle et la temporelle; le 2«, en i4u chapitres, de son
incarnation, de sa naissance et de sa vie au mdieu des hom-
mes; le 3^, en 82 chapitres, de sa passion; le 4*» *"" 120
p
VINCENT DE BEAUVAIS. 465
... , . , 11- ^"I SIECLE,
chapitres, de sa résurrection, de son ascension, de la mis-
sion du Saint-Esprit et de l'aveuglement des Juifs. C'est,
€omme on voit , une œuvre purement théologique ; elle
n'offre guère qu'un tissu de citations , que des séries
d'anciens textes.
Le deuxième article a les mêmes caractères. C'est un pa-
négyrique de la Vierge Marie, en i/p chapitres. Le prologue
en indique le plan en des termes que Touron traduit ainsi : Horamesiiius-
« Le saint Evanijile ne rapportant que très-peu de chose des ""deiordrede
1 1 "> I \T- ^ I rk' I HT-" !• s. Dominique, t.
« actions de la tres-neureuse Vierge; et les Feres de 1 Eglise n^ „ ,8q,
« ayant rejeté comme apocryphes quelques anciens écrits qui
« semblaient contenir l'histoire de sa naissance, de sa vie,
« de son assomption et de quelques miracles qu'on lui attri-
« buait, j'ai cru que je pourrai contribuer en quelque ma-
« nière à la gloire de la sainte mère de Dieu, ou à son culte
« et à l'édilication des fidèles, en recueillant avec soin, et
« selon la portée de mon esprit, ce qui se trouve sur ce sujet
« dans les livres des saints docteurs, dans leurs traités ou
« dans leurs sermons. » Ce panégyrique se lit dans le ma- scr.ord.Prad.
nuscrit de Colbert, numéro io'36; il s'en rencontrait des i. i,p. 238.
copies du même genre dans les Bibliothèques de la Sor-
bonne, du collège de Navarre, de l'abbaye de Saint- Victor
et de la Belgique. Il est vrai que Vincent de Beauvais n'est
pas désigné dans toutes ces copies comme l'auteur du livre, Mss. .Soibon.
et qu'il ne lui est attribué ni par Henri de Gand, ni par Sixte Navarr. s.-viti.
de Sienne. En conséquence, on a prétendu que c'était une ^^^^p / pis"
production de saint Jean Damascène, ou de Pierre Comestor, n. h, eu.
ou d'un victorin nommé Nicolas Grenier, qui, en effet, a p.deAiva(siib
publié à Paris, en ib'ig, un in-S" intitulé. Thésaurus prœ- nomineRodeiici
coniorum Deiparœ Virginis Mariœ , ex dictis authenticis ««''"g ) p'*"»,
contextus. Mais il y avait alors 58 ans que le livre de Vincent ,v,cr. ord'^PrJ7
était connu par l'édition de Bàle. Pierre le Mangeur et saint 1. 1, p. ^36 iîs.
Jean Damascène ont travaillé sur le même sujet, ils ont puisé
dans les mêmes sources , employé presque les mêmes formes ;
maisVincent de Beauvais, plus exercé que personne à rassem-
bler des extraits, a fait prendre à ce recueil une disposition
particulière qui lui appartient, ainsi que l'a prouvé, peut-
être un peu trop longuement, Jacques Échard. Il faut noter
aue Grenier ne se donnait que pour l'éditeur de ce tissu
'éloges de Marie. Il en faisait honneur à un plus ancien
yictorin qu'il ne nommait pas.
On a aussi , et non moins injustement, contesté à Vincent
Tome XV m. N n n
XIII SII'.Cl.E.
466 VINCENT DE BEAIJVAIS.
de Beauvais un panégyrique tie saint Jean l'évangéliste , 3*
ibui. article de l'édition (le i48i. 11 était contenu dans les
mêmes manuscrits que le précédent, dont il est la suite ou
ra|)pendice, ainsi que l'ainioncent ces mots du prologue :
Completo diligenter vx dictis sanctoiuni patruni , pro nio-
didu viiiiiin nostrciruni, auxdiante Domino, tractatn diffu-
sion de heatissinid P irgine Dei génitrice, pUicuit et de
becito ei'angelistd Jocinne tractatum brcveni sub eddeni
forma adjtcere.
Le volume publié en i48i , par J. d'Amerbach, nous pré-
sente, en [\^ lieu, un traité De cruditione seu modo instrnendo-
nmi filion^m regaliiim. (^e titre n'est |)as uniformément rédigé
dans toutes les copies manuscrites. On lit en (juelques-unes :
Tractatus de nobilitate et eruditione prineipmn in très libros
diiisus ; ou De Eriiddione piieroriim nobilium ; ou De infor-
matione prineipum ; ou De Institutione regularium ( regio-
rum ) pueroruni et in qiiibus libris sint potissiniiim instituendi.
On a indiqué 7 mainiscrits de ce livre, savoir le n° loSG de
Colberl, le n" 1383 de la reine de Suède, au Vaticati ; ceux
MontfMicon, j^ \^ SorbouHe et de Saint- Martin de Tournai, et trois qui
Bii)i. bibi niss. ^^ conservent en Angleteiie. Mais il se pourrait que ces
San'tl. Mss. liciK, derniers ne continssent que 1 opuscule sur l'instruction mo-
I. i,p. ii(j, i(/5, raie du prince, f/d morali priiicipis institutione , dont nous
ïïS' ett — ci- '»vo"'» '^^j''' parlé, et qu'on ne doit pas confondre avec
lal. 'mss. Aiigi. cclui qui iious occiipe en ce moment, il suffirait, pour les
part. Il, n. 577, distinguer, de lire les prologues de l'un et de l'.mtre. Une
copie des premières lignes du livre de Institutione mornli a
été envoyée d'Angleterre par le P. I>e Quien à son confrère
Ecliard . qui les a publiées en ces termes: Carissimis et
re/igiosissimis in C hristo viris , . . . . Ludovico , Dei gratiâ
régi Franciœ , ac Theobaldo , régi Navarrœ et comiti Cam-
pa niœ , F. f incentius Belvacensis de ordine Prœdicatorum,
siiluteni in omnium Salvatore. Olim duni in monasterio Re-
galis Montis ad exercenduni Lectoris ofjiciuni .... moram
Jacerem, . . . mihi cjuideni utHe visum est aliqua de multis
libris quûs aliquando legeram , ad mores prineipum et
curialium pertinentia , summatim in unum volumen , per
diversa capitula distinguendo, colligere . . . . Quod ergo tune
temporis . . . incepi , aliis prœpeditus negotiis ernergenttbus
intermisi, nune tandem, accedente vestrà petitione , domine
mi, rcx Navarrœ, non immeritb vicein jussionis apud nos
obtinente, quia videlicet postulatio vestra per vcncrabdem . . .
etc.
Scr. orJ. Pi
I. I, p. tV).
3
VINCENT DE BE AUVAIS. 467
lit *»■ J- ■ /.. ^ • XIII SIÈCLE.
Lnibeituin , totius oraims iiostri rectorem atque inngistrum,
jnihi itmotuit , opitulnnte domino , placuit consummare. Ve-
riim quia pluribus (iliis occupotus negotiis , opus illiid in-
ceptitm , prout vellcm , accelernre commode non possum ,
prinnim ejus libetluui , jam editum , intérim, sublimitati
vestrœ tninsmitto per sub]ecta capitula distinctum. On voit
u'il s'agit du i'^'^ livre d'un traité gênerai sur les devoirs
[es princes et de leurs ministres ou agents; au lieu que le
livre De Eruditione rcgiotum pueronim est seulement destine
à l'instruction des entants de la maison royale : le prologue,
imprimé en il\^\ , transcrit par Oudin, et cité en i8iq dans
un ouvrage de M. Petit-Radel, est adnssé, non plus au roi
de Eraiice ni au comte de Champagtie, mais seyiement à la T,fy^\ "" '"
reine Marguerite : Serenissimœ oc reverendissimre dominœ lia." ' '^ ' '
suœ , Francorum , Dei gratid , reginœ , Margaretœ , /rater
.Vincentius Belvacensis . . . Vt vestrœ petitioni quœ apud
nos metitb prœcepti rigorem ohtinet , citiiis satisfacerem ; . . .
partent illam . . . qua- ad puerorum regalium instructionem.
pertinet , cùmponere festinnvi , eamquc dignationi vestrce ,
per manum Simonis clerici , videlicet eruditoris Phiiippi ,
boncE indolis jilii vestri , qui etiani in hoc ipso valdè sollicitas
fuit apud me, ut opusculum istud explerem , citiiis destinavi.
Ainsi, pour ohéir aux ordres de Marguerite, et satisfaireaux
demandes du jeune Philippe, Vincent fait présenter à la
reine par Simon, précepteur de ce prince, un traité où il a
recueilli des textes sacrés et profanes, et où il a indiqué les
livres qui, selon lui, peuvent le mieux servir à l'éducation
des enfants de France. Vincent ne veut pas qu'on leur
fasse lire les poètes païens, mais seulement les chrétiens,
tels que Juvencus, Sedulius, et, j)armi les modernes, l'é-
légie de Matthieu de Saint-Denis , sur l'histoire de Tobie,
et les poésies bibliques de Pierre de liiga. Il cite aussi,
comme l'a remarque Eebenf, la Poctria ncva de (jeoffroi
d„ ï7„' „. (■ Uisserlal. sm
e Vinisaui. ,,„ . , „
, . , I Hi5l de Pans,
Lest évidemment par erreur qu un catalogue des manu- t. 11, p. 63.
scrits de la Belgique attribue à Pierre des Vignes le livre Sander, Bd)i.
de Eruditione puerorum ; le prologue ne laisse aucun doute î"'p 353" '"'"'
sur le véritable auteur. Une traduction française, restée
manuscrite, de cette production, est comprise dans l'in-
ventaire des livres de Charles V : De informatione prin-
cipum , translaté en francoys par Jehan Goulein. Ce LeUeuf, Re-
traducteur, appelé ailleurs Goulain , était Carme: mais un ''""''• ^*"'" '"
' ' ' Irad. 1 part.
N nn 2
468 VINCENT DE BEAUVAIS.
XIII SIECLE. ■ j n 1 ' •
manuscrit de Besançon désigne un Cordelier nomme Jean
dans le t. XVII OU Jacques.
des Mem , (le l'A- On ne Sait pas le nom de celui qui, en i3y4, ^ mis en
' * tri? Coi^bm f''3nçais la Consolation adressée à Louis IX, en 1260, par
^061. Vincent de Beauvais; cinquième et dernier article de ses
Œuvres diverses. Dans une ëpître dédicatoire, dont le com-
mencement ne subsiste plus, le traducteur dit à Charles V :
a .... Et pour ce afin qu'aucune portion de tristesse ne se
a puisse embattre en votre prudence très-excellente, vostre
« haulte majesté a commande et enjoint a moi, vostre humble
(t et petit servant, que je translatasse de latin en François un
« œuvre consolatoire. » La dédicace est suivie de cet intitulé :
« Cy cpmmence l'épistre consolatoire faite parfaite par Fr.
« Vincent de Beauvais de l'ordre des frères Prêcheurs, et
« envoyée a très-glorieux saint Monseigneur saint Louis, jadi
fc roi de France, a lui envoyée par ledit F. Vincent, princi-
« paiement pour le consoler de la tristesse qu'il avoit pour
« la mort de son ainsné fils , qui avoit trépasse en sa jeunesse,
« laquelle épistre fut translatée de latin en françois selon la
« fourme qui s'ensuit, l'an de grâce de l'incarnation nostre
« Seigneur MCCC soixante et quatorze. » Le texte latin a été
joint à celui du livre précédent par la plupart des copistes.
11 en est ainsi tlans les manuscrits que nous avons désignés;
„ ., on en a cité d'autres qui se conservaient à Jumiècre et à Flo-
MoDl faucon , . , T, ^ r • iv • i i-
Bibl. Bibi. mss. rence. Le titre de cette lettre a Louis IX varie dans ces di-
t. i,p. 291 ; t. verses copies : Epistola consolatoria , Liber ou Tractatus
II, p. 1210. consolatnrius pro morte amici ; De specialibiis generaUbusque
consolationis prœceptis liber unus ; Epistola consolatoria ad
Ludovicuni Francorum regem super morte filii ejus , capitibus
trcdecim,. L'édition de i48i porte : Consolatio pro morte
amici. Quel que soit l'intérêt du sujet, l'auteur ne le traite
encore qu'en rassemblant des extraits de ses lectures. Ce
qu'il y a de plus instructif pour nous dans cette épître, ce
sont quelques détails de l'histoire personnelle de Vincent.
Nous les avons déjà recueillis.
Jean d'Amerbach s'est abstenu d'insérer dans le volume
que nous venons de parcourir, des vers latins et un opuscule
sur l'élection des empereurs ; productions de fabrique
allemande, postérieures de plus de deux siècles à la mort
de Vincent, et qu'on a jointes cependant aux éditions du
Spéculum majus. Echard ne les a jugées dignes d'aucun
examen.
VINCENT DE BEAU VAIS. 469
S.III SIECLF
Tous les écrits supposés ou authentiques dont l'énumé- — .'
ration vient de se terminer! n'ont conservé, il en faut con- Scr. ord. Pr.
• • il. 'X'X
venir, qu'une bien faible importance, à côté de l'immense ' 'P'^^'-
ouvrage appelé Bibliotheca mundi, Spéculum majus, Spé-
culum quadruplex ou triplex. L'attention générale qu'il a
excitée, et le fréquent usage qui en a été fait à toutes les
époques depuis ia64, excepté peut-être aux plus récentes.»
sont assez attestés par le très-grand nombre de copies, soit
manuscrites, soit imprimées, que les Bibliothèques en pos-
sèdent. Les éditions ayant laissé peu de valeur aux manu,
scrits, il n'y a pas lieu de s'engager dans les longs détails
qu'ils exigeraient, s'il les fallait décrire ou indiquer tous
avec une parfaite exactitude. On n'en a point publié de
notice générale; mais on en a désigné d'une manière plus
ou moins précise près de quatre-vingts. Ils seraient à dis-
tribuer en plusieurs classes , selon qu'ils contiennent ou
l'ouvrage entier, ou l'un des quatre Miroirs, ou seulement caialog mss
des parties, des livres, des extraits de ce grand recueil; et Bibi. r. Ui. rv,
encore selon qu'ils en présentent ou le texte latin, ou des '5,i6;a<a.
versions françaises, ou de simples abrégés, en l'une ou en ,_ x _ As'™'*'
l'autre langue. ii-], 291 ; t. ii'
Ce travail, pour être complet, demanderait beaucoup «•• 782, 1102,
de recherches, dont les difficultés minutieuses ne seraient "Bibi'. 'fiâiuï
compensées ni par l'utilité, ni quelquefois par l'exactitude part, m, p. 7,
des résultats. Nous nous bornerons à indiquer les numé- " 3a —Caiai.de
ros 4897-4902, 4909, 6427, 6428 A, B, C, D, etc., des "Lr.'orftî:
manuscrits latins de la Bibliothèque du Roi. Montfaucon t. i,p. a34.
en fait connaître qui ont appartenu à Colbert, au monastère Sander, t. i,
du Mont Cassin , et à d'autres dépôts. Baluze et Rothelin , Içs ^^^^ 's'ia^'Ls'
abbayes de Saint-Germain, de Jumièges, de Saint-Victor, 339;t. 11' p. g^
le couvent des Augustins et le collège de Navarre, en ont ^48,256.
possédé. On en a remarqué dans les Bibliothèques de Venise KnB\.^°\ ""'
et de Padoue; il .s'en rencontre dans les catalogues des ma- i,p.i4,33';part.
nuscrits de la Belgique et de l'Angleterre. Gérard Jean ".P-^ao, i3ia,
Vossius en cite un du collège de la Trinité à Cambridge, et ' Ve'iTj^leto'
il s'en est trouvé un assez précieux parmi les livres de son' 2226, ubS; t!
fils Isaac. lI.paf">,P-597,
On a compté sept éditions de tout l'ouvrage; mais il n'y ^ vo'ss oeHist
en a que six dont l'existence nous paraisse bien vérifiée. La laiinis. 1. u.c.
1*^* est de Strasbourg, en 10 parties ou tomes in-folio, savoir : %
2 pour le Spéculum, naturale, 1 pour le doctrinale, 2 pour ,. i*^p ^33' '"
le morale , et 4 pour Xhistoriale. Cette dernière partie se
1 3
[qo VINCENT DE BEAUVAIS.
XIII SIÈCLE. . ^ ,. , 1 ,,.
termine par une souscription ou se lisent le nom do I im-
Dav. cif'm. primcur Jean Mentellin , et la date du 4 décembre \l\Vj'i.
Bil>lioth. rur. t. t . -'l. ^ «.j^'ii ■ ^
m n -7 — '^^•'' 9 tomes précédents ne sont point dates, ils avaient
Fouinitr, Orig exigé un long travail, commencé probablement dès \f\^V).
cieiiraiir. p 7i, Cette édition est célèbre dans l'histoire de l'imprimerie
8',, 8q. __Pal- .. »» I I • • -^ '.. ' ^
mei, p i8' — comme pouvant être la plus ancienne qui ait ete entreprise
Weslinger. Ai- à Stiasbourg. FiC déci'et de Gratien et les Clémentines
main, caiiioi. p. i,'ont été imprimés dans cette ville par Eggesteyn que de
ALrUypOKr.'ù '470à \\']1.
I, p. 19, «i i4r>; Nous écartons une j)rétendue .seconde édition du Specu-
i.v, p. 445,4^6. im^^ majus , publiée, dit-on, à Bâle par Jean d'Amerbach
en 1473. Panzer n'a pas jugé à propos d'en faire mention;
et jusqu'ici l'on n'a pu en indiquer d'une manière po-
sitive aucun exemplaire complet. Ce n'est qu'à partir de
i48i qu'il existe des produits bien connus de l'industrie
typographique de Jean d'Amerbach. On peut donc consi-
dérer comme deuxième édition celle de Nuremberg chez
Pan/Cl. t. II, Koburgcr, exécutée, non comme on le suppose quelquefois,
i> «95, 197, jj^^ 1473, mais dix ans plus tard. Le Spéculum historiale
198,200,101; , ' 7 1 ' ' I /0'> 1 ' 7 1 /O- 1
I. m, p. aiM, et le naturale sont dates de i4oj, le morale de il\o'y^ le
335,352,353. doctrinale de i486, et ils sont compris tous en 4 grands
— Lipen. Bibl. i
.. , '. , volumes.
ihtol. t. I , p. . ,j. . . I xr • /o/
473. Bii.i. phi- Les trois éditions suivantes sont de Venise en 1404, en
los. p. .',36.— ,^(j3 et 94i en iDgi. Elles ont été signalées par Mariana et
Konig, Bi > .vet. j|,j,jg [^ Scaligeiaiia , comme très-fautives ; le texte y est altéré
•tn. p. 840,847. p ' 1 1 "^
Mariana, De par uii grand nombrc de retranchements et de changements.
adveritu s. jaco- Les dcux premières demeurent donc les plus précieuses,
1 m ispaii. c. p^gp^g depuis 1624 où la sixième et dernière a paru à Douai,
g. — Sraligciana ir>ii •• ii
lecunda ! Colon, clicz Bellcr, CI) quatre tomes, ainsi que chacune des quatre
i6'i7i, p. 26',. précédentes. On pouvait attendre des éditeurs, Bénédictins
de Saint- Vaast d'Arras,des soins mieux entendus, des re-
cherches plus savantes, une critique plus éclairée; l'ouvrage
valait la peine qu'on y joignît des préliminaires et des éclair-
cissements dont il a quelquefois besoin. Ils n'ont rien vérifié,
rien examiné; ils ont pris l'auteur pour un Bourguignon,
peut-être évêque ou coadjuteur de l'évèque de Bcauvais; ils
n'ont joint à son texte qu'un petit nombre d'annotations
vulgaires, presque toutes erronées ou superflues. Vincent
transcrit, comme nous le verrons bientôt , une multitude véri-
tablement innombrable d'anciens textes; et il peut importer
de savoir comment il les lisait dans les manuscrits qu'il avait
entre les mains. Qu'ont fait les éditeurs de 1624? "s ont
XHI SIÈCLE.
VINCENT DE BEAUVAIS. 4^1
écarté les leçons établies ou introduites de son temps, et y
ont substitué celles qui prévalaient du leur, et qui n'étaient
pas toujours plus heureuses. Il s'ensuit que pour prendre
une connaissance exacte de cette œuvre mémorable, el pour
y puiser toute l'instruction historique ou littéraire qu'elle
renferme, il faut encore aujourd'hui recourir aux deux pre-
mières éditions, surtout à celle de Mentellin, qui est devenue
trop rare et trop chère pour être à la disposition de la plu[)art
des hommes de lettres.
Il y a bien quelques éditions particulières de chacun des
trois recueils; maisellt-s ne sont pas aussi nombreuses qu'on
le croirait, à n'en juger que par les catalogues de livres. Si,
en effet, on ne tient pas compte des volumes détachés des
éditions complètes, il n'en restera guère qu'une seule du
Spéculum natiirale , deux du morale , deux ou trois de Vhis-
toriale. Les Sa livres du i*"" remplissent un volume sans
date et sans indication de lieu , qui pourrait avoir été im- volume cité
primé chez Jean d'Amerbach, à Bàle, dans le cours des 20 i'*'' Beughem,
dernières années du xv«siècle.On a desexemplairesdumora/e ""'"" ' ^"^ '
datés de 1476, à Strasbourg chez Mentellin; c'est apparem- panènrmTuQe
ment une réimpression de l'une des parties de l'édition de édii. complète.
1473. Si cet imprimeur a reproduit les trois autres Miroirs, Panier, i.i,
s'il a donné ainsi en 1476 une deuxième édition complète, ** "' " '^'
les volumes n'en ont pu encore être retrouvés et rassemblés
nulle part. Un Spéculum morale sans date et sans nom de
ville, peut sembler sorti des presses d'Ulric Zell , à Cologne,
vers 1493 ou 94- i^historiale a été imprimé en i474i ;* Paris, Laire, ind. t.
et à Augsbourg dans le monastère de Saint- LUric et de i'>p 22 — Pan-
Sainte-Afra ; il l'a été aussi sans date, on ne sait en quel lieu, ""^j'os L^l **
Il est presque superflu d'ajouter que toutes ces éditions,
partielles ou totales, sont in-folio.
Nous croyons (]ue le Miroir historial est le seul qui ait
été traduit dans notre langue; encore n'en connaissons-
nous bien qu'une seule version française, celle de Jean de
Vignay, ou du Vignay, maître de l'hôpital de Saint- Jacques- Leb*uf,Acad.
du-Haut-Pas II l'entreprit à la demande de Jeanne de Bour- desinscrxxvii,
gogne , reine de France, épouse de Philippe de Valois, ou, dé^parisTiîi
selon La Monnoie, de Philippe-le-Long. Toujours était-ce p. 347.
au xiv« siècle et avant i35o. Lebeuf dit que du Vignay, qui i^""" '«•■La
a traduit aussi la légende dorée de Jacques de Vorages, ne ^T,\^''^T''
se piquait pas dune critique jort severe ; observation qui 6o5,6o6.
peut sembler superflue, quand il .s'agit d'une telle époque.
472 VINCENT DE BEAUVAIS.
Xm SIÈCLE. _, , ,. ,, . .„ „• .
Rolnelin possédait un m.igninque manuscrit sur velin de
Catai. de Ro- Cette version de l'IIistorial: elle a été imprimée en i^gb et
iheiin p. 3o4 , i^gG,fi Pans, chez Antoine Vérard , en cinq volumes, dont
la Bibliothèque de Sainte-Geneviève conserve l'un des plus
Edit.duxv^s. beaux exemplaires. L'édition est dédiée au roi Charles VIII,
" '"' et quoiqu'elle paraisse annoncer une version nouvelle, elle
n'offre en effet que celle de Jean du Vignay, avec quelques
changements. Un volume in-4° imprimé à Lyon, chez Bar-
Panier.t.i.p. tholomieu Buycr , en i479'! sous le titre de Mirouer his-
'"• torial , n'est qu'une tniduction du Fasciculus temporum
de Werner Rollewinck. C'est, au contraire, l'ouvrage de
Vincent qui se lit en français dans les 5 in-folio que Nicolas
Catai.deCba- Coutcau a puljHés à Paris en i53i , et la version est encore
r°V; îî'.'^^'.îî^ celle du xiv® siècle. L'existence de deux autres éditions
LaValUerp,t.llI, , t-ne r r
p./i3.Dav.ciéra. anuoncecs comme ayant paru en looo et io4i est au moins
t.IlI.p.Sg.Pan- doUtCUSe. '
"/è' ^"/' ^ Jacques Van Maerlant entreprit, dès i483, de traduire en
vers flamands le Spéculum historiale, et même de le conti-
nuer jusqu'au temps de l'empereur Rodolphe de Habsbourg,
couronné en X'i'^'i. Les deux premières parties de ce long
travail ont été publiées à Leyde, en 1784 et 1785, par les
soins deJVlM. J. A. Clignett et J. Steen Winkel ; et la 3« à
Amsterdam, en 181a, parla seconde classe de l'Institut hol-
landais, avec une préface et des remarques de M. Bilderdyk.
1/3 version de Maerlant, même en y comprenant une 4* partie
qui paraît n'avoir pas encore été imprimée, ne s'était d'abord
étendue que jusqu'au 2()^ livre de Vincent, et à l'année 1 126 ;
mais M. Hoffmann de Falleroleiben a trouvé dans la Biblio-
thèque de Breslaw un fragment de cette même traduction
flamande, correspondant à la fin du 28* livre et au commen-
cement du 29e.
Fabric. Bibi. Dcs abrégés du Miroir historique ont été rédigés vers la
med.et inf.iat.t. fin du xiii* siècIc , par Adam , clerc de l'évêque de Clermont,
!l!'scr^ord''p'' ^tp^'" J^^" 'i^ Columna, Romain. Quatre copies manuscrites
I. I,p!4i9._ fie ce travail d'Adam subsistent à la Bibliothèque du Roi.
Oudin, t. m, p. Celui de Jean de Columna n'est pas aussi bien connu, à moins
' ■* que ce ne soit la compilation intitulée Mare historiarum ^
par l'auteur de ce nom, qui a été frère prêcheur, puis évêque
de Messine. Peut-être y a-t-il eu un autre Dominicain de ce
même nom. Ce qu'on sait mieux, c'est que saint Antonin ,
au xv« siècle, a fondu \e Spéculum historiale dans sa Sumina
historialis. Au siècle précédent, un prêtre pommé Jeaq de
VINCKNT DE BEAUVAIS. 478
Hautfuney avait fait une table de ce Spéculum^ qui se —
conserve manuscrite à la Bibliothèque royale de Paris. N. 4903,4904,
On a imprimé sous diverses formes et en différentes lan- 49o5, 4906. Ca-
gues, des extraits ou des traductions partielles du Spéculum t.iv,p^ ,6. '^'
niajus, surtout de la partie historique. Nous citerons comme
exemple, le volume publié par Pierre Desrey, de Troyes,
sous ce titre : « Les faits et gestes du preux Geoffroy de
« Bouillon et de ses chevalereux frères Baudoin et Eustace,
a yssus et descendus de noble lignée du chevalier au Cigne,
« avec leur généalogie.» Paris, i449, in folio ; i5po, in-4*'; Leiong r 11
i5i I , in-folio; Lyon, 1689, in- 12. Ce sont des chapitres de p. 132,0.16595!
Vincent, que Desrev déclare, dans sa préface, avoir translatés '^'''- ^^^' •^■
j 1 »• ' r • q6, etc.
de latin en irançais. ^
Ces détails bibliographiques, trop longs peut-être, quoi-
que nous les ayons fort abrégés, n'ont d'intérêt qu'à raison
de l'étendue et de la renommée de l'ouvrage auquel ils se
rattachent, et dont le fond même doit maintenant attirer
seul nos regards. La préface générale mérite une attention
particulière, tant parce que l'auteur y expose le sujet et le
plan de son travail , que parce qu'on peut y puiser des ren-
seignements sur le nombre réel des parties dont le Spéculum
majus se compose. Ce titre de Spéculum convenait, dit Vin-
cent, à un vaste recueil où il s'agissait de rassembler tout
ce qui est digne d'être contemplé, admiré, imité dans le
monde, soit vi.sible, soit invisible; et la qualification de
maJus devait servir à le distinguer d'un abrégé, déjà rédigé
dans le même esprit : Spéculum quidem eo quod quidquid „ ,
^, ,. '., ',.i j. •' .■• •', Prolos. gêner.
jerc speculationc , id est, admiratione dignum. . . in mundo ^ 3
visibili et invisibili , . . . ex innumerahilibus fere libris colligere
potui, in uno hoc breviter continetur ; majus autem addiffe-
rentiam parvi libelli jamdudàm editi, cujus titulus est Spé-
culum vel Imago mundi. L'auteur offre donc à ses frères le
fruit de ses lectures, et il ne dissimule point qu'il ne rem-
plira fort souvent que l'office de copiste. Si l'on se plaint de
ce qu'ilentremêlebeaucoup de textes purement profanes, à de
plus respectables leçons, il répond par l'exemple des Pères
de l'Eglise et des apôtres même, qui ont cité Ménandre,
Epiménide , Aratus. Si cette entreprise encyclopédique, iwa. c. a.
Universilas scientuzrum , est taxée de présomption , de teme- ,5 33 AdTit.i
rite, il prie de considérer qu'il n'a fait que suivre les traces la. Act. Ap«st.
d'Isidore de Séville et de quelques autres théologiens, qui »7. >»
ont aspiré aussi à réunir et enchaîner toutes les sciences
Tome XF III. Ooo
3 3»
474 VINCENT DE BEAUVAIS.
XIU SIÈCLE. ... ' V j j • , .
divines et humaines : Adlwc ipsuin nostrorum stuaiis provo-
Proi. c. 7. catus sum, Isidori vidclicet Hispalensis, etc. Il recommande
spécialement les études historiques, dont il parait que la
plupart de ses contemporains méconnaissaient l'utilité; mais
lorsqu'il indique les sources où il puisera ce genre il'instruc-
tion, c'est Turpin qu'il désigne comme le principal historien
ii.iii. c. 17. de Charlemagne. Cette préface a 20 chapitres dans l'édition
de Douai, ainsi qu'en plusieurs manuscrits; et le 16*, le 17*,
le 19^, le 20* disent formellement que le Spéculum majus
a 4 parties : Opus universum in quatuor parles principales
tanquam in quatuor 'volumina perfecta et à se inviceni sepa-
rata distinxi; quaruni una continet totam historiam natu-
iiikI. i. 16. raient, alla verb totam seriem. doctrinalem , tertia verb totam
eruditionem moralem, quarta totam historiam temporalem...
[.'auteur regrette de n'avoir point assez ressefré la 4^ qui ,
de son aveu , contient un peu trop de miracles opérés par
les saints : In quarta parte. . . . vellem , si fieri posset , de
sanctorum miraculis rescidissc nonnulla.
ii.id. r. 19. Des déclarations si positives ne laisseraient aucun doute
sur la division en 4 parties; mais il s'en faut que cette pré-
face se lise dans les manuscrits antérieurs à l'an i320,
comme dans ceux des âges suivants et dans les imprimés.
Echard met au rang des plus anciens manuscrits, a'abord
celui de la Sorbonne, légué par Pierre de Limoges, con-
.Siimitias.ih. [^^.fj^porain de Ilobert Sorbon ou même de Vincent de
Mndicala — .Scr. r. ' . . i • i » • i • • ' i
ord. Pr. 1. 1, p. Beauvais; puis celui des Augustins, celui qui a passe de
.ï'5. la Bibliothèque de Colbert dans celle du Roi, et celui
que possédait le collège dit de maître Gervais. Or, eti
comparant ces copies primitives aux éditions , voici les
«lifférences que l'on remarque dans le prologue de tout
l'ouvrage.
Les copistes du xiv* siècle, après i3io ou iSao, ceux
du xv«, et, à leur exemple, les éditeurs ont retranché de ce
prologue un morceau du chapitre X, et le chapitre XI tout
entier. Vincent y répondait aux censeurs qui lui repro-
chaient, les uns une insupportable prolixité, les autres une
brièveté excessive. Il commençait par s'excuser sur l'immense
..obreperesoin- étcnduc dc son travail : Veriim operi longofas est ignoscere
num. A. poei. V. gQ^mo , Icur disait-il, en altérant un vers d'Horace pour le
^^' faire léonin. Il leur présentait ensuite des considérations
plus spéciales sur l'ordre qu'il avait établi entre les matières;
il parlait du livre consacré par lui à la morale, de Ethicd ,
VINCENT DE BEAUVAIS.
475
id est Morali, où les maximes des philosophes et des poètes
s'entremêlaient aux préceptes de la thëolofi;ie chrétienne :
Dicta philosophorum et poetarum , . . . in cddcm parie , . . .
de scientid théologie a flores sacrorum doctoruni insérai. Il
annonçait le traité des Vices et des Vertus, de Vitiis et Vir-
tutibus, comme l'un des livres du S/^cu/um doctrinale, et
le rapprochait des livres qui concernaient l'économie do-
mestique et la politique. D'un Spéculum morale, il n'en
faisait mention nulle part.
Bienaucontrairq, le chapitre XVII du prologue, devenu le
XV/^ par la suppression du XP, avait pour titre: De trifariâ
divisions totius operis , et non pas, comme aujourd'hui, qua-
drifarid. On lisait dans ce chapitre : Opus univcrsum in très
partes, . . . in tria volumina . . . distinxi. . . Prima si quidem
jirosequitur naturani et proprietatem omnium rerum, secunda
materiam et ordineni omnium artium, tertia verb seriem om-
nium temporuni. Au chapitre XVIII (depuis XVII ) il n'était
encore (juestion que de 3 parties : l'Hi.storiaie était toujours
appelée la 3* : In tertid parte. . . vellem. . . de sanctorum
miraculis rescidisse nonnulta. Les copistes ont changé par-
tout tertia en quarta , et interpolé çà et là les lignes qui
supposent un Spéculum morale, devant occuper la troi-
sième place.
Des altérations si graves ayant passé dans les imprimés,
il n'est point étonnant que la plupart des auteurs modernes
3ui ont parlé du Spéculum majus , tels que Raphaël Maffei
e Volterra, J. Gér. Vossius, Belleforêt, Labbe, Altamura ,
Fabricius, Morhof, l'aient tenu pour composé de, 4 grandes
parties. Toutefois, Henri de Gand , à la Hn du xin^ siècle,
n'en avait connu. que trois : Triplex Spéculum , historiale ,
allegoricum et morale. Ces dénominations étaietit assez peu
justes: elles ne supposent pas une connaissance bien précise
de l'ouvrage; mais elles peuvent contribuer à montrer qu'a-
vant i3oo,on ne le divisait qu'en trois parties princip;des.
l'Ieury, toujours si judicieux quand il ne se met point à
recueillir, comme Vincent de Beauvais, dçs légendes mira-
culeuses, Fleury n'admet que trois Miroirs: le ijaturel, le
doctrinal et l'hiittori^tl. Les dominicains Échard.et Touron
embrassent la même opinion, et en exposent fort au long
les preuves. D'autres, comme Bellarmin, n'ont exprimé sur
1 c sujet (jue des doutes et des conjectures : la supposition
(Iq Miroir moral leur paraissait, sinon prouvée, du moins
O 00 2
XIII SIECLE.
domm. urban.
I.XXXI.p.628.
De Histor. la-
tinis. I. II, c. Sg.
Ann. de Fr.
ami. I 259, t. 1,
fol. 689.
Dissert. Hist.
de script, eccles.
t. II, p. 481.
Bibl. domiDÏc,
p. aa.
Bibl. roed. et
inf. lat. I. VI, p.
ay8.
Polyb. I. I,
XII, aa. T. I, p.
a4i.
H. Gand. De
Scr. eccl. D. 4a.
FI. Hist. eccl.
I. Lxzxiv, n. 5.
StiDima s. Th.
viiid Scr. ord.
Praedic. I. I, p.
ai5-a3a.
476 VINCENT DE BEALVAIS.
XIII SïFr*! F
fort possible. Naudé fait mention de cette idée de Bellarmin,
Vie de s. Tho- <-'■ i> 1 -i > 1 • 1 i
mas d'Aq. I. VI, *^^ S il 06 i adopte pas expressément, il s abstient de la contre
C.8, p.6'i3 67/,. dire. Noël Alexandre croit que Vincent avait réellement com-
Beii. De Scr. p^^^i yf| Speculum THorale ; mais que cette 3^ partie de son
Naudé, Bibi rccueil est perdue, et que le tome qui la remplace n'est pas
polit, p. 19. de lui. Ce volume est traité de rapsodie par Dupin, et attri-
Sel.Hist.eccl. |)uë oar Vindiugius à un autre Vincent, moins ancien que
sect. XIII, I. IV, 1 .' 1 r» • /^' .. • • J I i i
art. "î n 5 T *^t^'ui de Beauvais. Lest amsi que dans le cours des deux
XX, 'in-8", p. derniers siècles, il a perdu par degrés le crédit que lui
536-538. donnaient les six éditions complètes du Spéculum mains,
Biblioth. des ■ 1. • I • I f • 1 ' -^ . • -
auteurs eccies S T^' I avaient admis sur la toi des manuscrits postérieurs a
XIII, p. 5. iSao ou i3to.
Epist.de SCI ip- L3 première raison de ne plus le croire authentique, est
cale ^D^c'ke'ii^ ccUe quc nous avons déjà exposée: le texte primitif de la
p. 354. ' préface générale, altéré dans les copies de lage suivant. 11
faut noter que cette préface, qui n'annonçait que 3 parties,
devait se reproduire tout entière à la tête de chacune d'elles.
Hune prologum , disait Vincent , quia pari jure correspondet
unicuique parti , totum in cujuslibct capite iiiserendum judi-
Prol. genei. cavi. Les copistcs du Speculum naturalc, du doctrinale , de
*■• '9- Xhistoriale , s'étaient conformés à une intention si expressé-
ment déclarée; mais ce prologue de tout l'ouvrage ne ligure
au commencement d'aucun manuscrit de la prétendue partie
morale. On peut remarquer de plus qu'il n'est fait mention
que des trois autres , dans les •premiers catalogues des livres
de la Sorbonne, non plus que dans la table rédigée par
Hautfuney, avant i32o; si cette table donne à la 2« partie le
nom de morale, les détails montrent assez que c'est de la
doctrinale qu'il s'agit.
L'examen intrinsèque du Speculum morale a fourni d'au-
tres preuves de sa supposition. En parlant de certains actes
d'humilité, l'auteur dit : Hoc idem faciehatheatissimus Ludo-
vicus. C'est le langage d'un homme qui écrit après la mort de
L. m, part, saint Louis, arrivée en 1270, et même après sa canoni.sation
111, disi I, edit. g[j 1207. AilIcurs, il fait allusion à la bulle Adfructus uberes
Duac. col. 992. ^^ Martin IV, publiée en 1282; ailleurs, une mention ex-
dist. a, d''e*man'- prcssc du désastie dcs croisés, de la prise de Ptolémaïs ou
di consumm. Saint-Jean-d'Acre par les infidèles, événements qui appar-
tiennent à l'an 1291 : or, nous avons vu (pie Vincent de
Beauvais était mort depuis 12G4. Nous verrons bientôt qu'il
divise son Miroir naturel en Sa livres, le doctrinal en 17,
l'historial en 3i , et chacun de ces livres eu un grand nombre
XIII SIÈCLE.
VÎNCEN r DE BEAUVAIS. 477
de chapitres; tandis que le Miroir moral est immédiatement
divisé en 3 livres, dont le i*"^ comprend 4 parties, le u« 4
encore, le 3^ dix, er) tout 18 parties, entre lesquelles se distri-
buent 347 portions élémentaires appelées Distinctions. Ce ne
sont plus du tout les mêmes formes, les mêmes procédés; le
changement de méthode est par trop sensible, s'il reste là
véritablement quelque méthode. Les arguments d'école sont
beaucoup plus prodigués, les citations moins fréquentes et
moins régulières. Ce n'est pas que les emprunts de textes
soient ici moins nombreux que dans les trois parties de l'ou-
vrage de Vincent; mais la plupart sont dissimulés, et pren-
nent ainsi le caractère de plagiats. Tout le Spéculum morale
n'est qu'un informe tissu, qu'un amas indigeste d'articles
tournis, à linsçudu lecteur, par divers écrivains, spéciale-
ment par l'auteur anonyme d'un livre De consideratione
no^'issiinorum ; par Etienne de Bourbon ou de Belleville,
mort vers 1262, ayant composé un traité des n dons du
Saint-Esprit; par Pierre de Tarentaise, commentateur des 4
livres des Sentences, depuis [)ape sous le nom d'Innocent V,
élu et décédé en layO; par Richard de ï\bddleton, dont les
travaux, dans le même genre, se prolongèrent jusque vers
l'an i3oo; mais surtout par Thomas d'Aquin. Le P. Echard
a pris la peine de vérifier ces innombrables plagiats, et d'en
citer beaucoup d'exemples; il a compté près de [\oo pages
tirées du seul Etienne de Belleville, dont le livre est inédit. Snmma vin-
Quand Etienne (\\\, j'ai vu, j'étais présent , le compilateur di< Sn. ord. Pi.
écrit : un certain coidesseur, ou inquisiteur, ou frère pré- ' i'^^'^"*^^
cheura vu, a été témoin. Quelquefois il lui arrive de ren-
voyer à des articles qu'on doit, selon lui, trouver dans son
recueil, mais qu'il a oublié d'y transcrire Lorsqu'il entremêle
dans une même section ou distinction des passages de plu-
sieurs écrivains, non seulement il ne s'inquiète pas de la
différence des styles, mais encore il ne s'aperçoit point des
contradictions entre les doctrines. Après avoir enseigné avec i.. l,i>aiMii,
saint Thoma.*, que tous les anges et le premier homme avaient '*'*' '^' " ^
été créés en état de grâce, ayant la foi, l'espérance et la
charité, par conséquent un commencement de béatitude, il
déclare, avec un autre docteur, que les démons n'avaient ni ihid. n. 4.
la loi ni la grâce avant leur chute : An^eli non habuerunt
fidem ante lapsum , quia non infunditur fides sine gratiâ
quant illi nunquam habuerunt.
Il est certain que ce plagiaire a mis particulièrement à
XIII SIKCLK.
478 VINCENT DE BEAUVAIS.
contribution le dorteiir angélique; cependant lorsqu'on re-
piésentele Spéculum morale comme un extrait, ou, peu s'en
faut, comme une co|)ie île la Somme de saint Tliomas, on
donne beaucoup trop de généralité à une observation qui a
besoin d'être restreinte pour demeurer exacte. Nous devrons
entreprendre un jour l'analyse de cette célèbre Somme: en
ce moment, il nous suftit d'en comparer le canevas à celui
du Miroir moral.
Thomas, dans la première partie de son ouvrage, traite
d'abord de la doctrine sacrée, ou des sources de la science
théologique . puis de Dieu , des anges et de l'homme. Il divise
la seconde partie en deux : la fin dernière de l'homme, le
bonheur, la volonté, les actes humains, les passions, les
habitudes, les vertus, les dons et les béatitudes; le pèche
originel; le sujet, la cause et l'effet du péché actuel; le péché
véniel; les lois naturelles et positives, divines et humaines,
la loi ancienne et la nouvelle : telles sont les matières épui-
sées dans la Prima secundœ. La seconde seconde, princi-
palement consacrée aux trois veitus théologales : la toi,
l'espérance et la charité; et aux quatre vertus cardinales :
la prudence, la justice, la force et la tempérance, embrasse
aussi, peut-être ]jar l'effet de quelque déplacement, des
enseignements relatifs aux sept pèches capitaux. La 3" et
dernière partie de la Somme a moins de rapports avec le
Spéculum, morale, sinon pourtant en. ce qui concerne la
pénitence.
Ce Spéculum est partagé, comme nous l'avons dit, en 3
livres. Le i*"^ a \ parties qui traitent : 1° des actes humains
et des passions de l'ame; 2° des lois; 3" des vertus; 4" des
dons et des fruits spirituels. Ces 4 parties contiennent en-
semble lyb distinctions ou sections. On y peut remarquer
un assez long dénombrement des passions; et à la suite du
traité des dons célestes et de leurs fruits, plusieurs considé-
rations sur l'incarnation de Jésus-Christ, sur sa passion^
sur la miséricorde divine. La matière du livre second est in-
diquée parle titre de ({uatiiar novissiniis ; les parties sont au
nombre de quatre : 1 " la mort et le purgatoire; 2° le jugement
dernier, la fin du monde et la résurrection des corps; 3*
l'enfer, les supplices des damnés; 4" It^ paradis, les félicités
spirituelles et corporelles des saints; le tout distribué en 34
distinctions.il s'en trouve 171 dans le 3^ et dernier livre, qui
se compose de dix parties : 1° les moyens de se préserver
VINCENT DE BFAUVAIS. 479
,.,,,,. , , 1 I x^. XIII SIÈCI.K.
(lu pèche, I innocence, les tentations, la parole de Uieu ;
2° les péchés : l'originel ; l'actuel, mc.itel ou véniel; 3° les 7 vices
capitaux, et d'abord l'orgueil; 4° — 9° 'es six autres; 10" la
pénitence, et, sous ce titre, la contrition, la confession, la
satisfaction , le jeûne. On voit que ces 3 livres correspondent
souvent à des articles de la piiiua secundœ, de la seconde
seconde, et aussi de la 3* partie de la Somme de Thomas
d'Aquin.
Des ii4 questions élevées et résolues dans la prima se-
cundœ , le compilateur du Miroir moral en a omis 3^ et
emprunté 77; et sur les i8q comprises dans la seconde se-
conde, il s'en est approprié i55, et a négligé les 34 autres.
Voilà 23a articles transportés de la Somme dans le Spécu-
lum; mais il n'y en a que 6 qui soient littéralement transcrits.
Les autres sont mutilés, déplacés et plus ou moins altérés.
La rédaction en est diversement modifiée, et pour l'ordinaire
plus vicieuse. La méthode de saint Thomas est de diviser
chaque question en plusieurs points, qu'en effet il traite
successivement. Son plagiaire, aj)rès avoir copié ses divisions
et promis de les suivre avec exactitude, en perd quelquefois
ja mémoire, et trouble à l'aventure l'ordre qu'il avait lui-
même annoncé.
Contre tant de preuves de supposition , il ne restait qu'une
seule objection tant spit peu sérieuse, celle qui se tirait
d'un livre écrit, vers 1278, par Etienne de Salanhac , qui Deoid.Pisd.
mourut deux ans plus tard. Il y est dit que Vincent de Beau- i"ss.— SciOrd.
vais a composé les quatre Miroirs qui existent aujourd'hui ^ ' '• '• P^^***-
sous son nom. Mais Echard a montré cjue ce n'était là qu'une
des additions très-nombreuses faites au livre de Salanhac,
après i3i I , ])eut-être après i32o, par Bernard Guidonis, qui
a vécu jusqu'en i33i.
Le Spéculum m.orale n'est donc qu'une compilation déplo-
rable, fabriquée on ne sait à quelle époque précise, mais
après i3io, par un inconnu qui, en y attachant le nom de
Vincent de Beauvais, l'a remplie d'articles dérobés à des au-
teurs du xiii« siècle, et principalement à Thomas d'Aquin.
Long-temps on a persisté à l'attribuer à Vincent, et l'on
agitait seulement la question de savoir lequel de Vincent ou
de Thomas était le plagiaire; car on voulait que ce fût l'un
ou l'autre. Ceux qui soutenaient, comme Launoi, nue ce ne ,, ^ ,
A T7- I- • ' ' ^ r- , , Vener. Eccl.
pouvait être Vincent, disaient quêtant mort en 1264, d rom. tradiiio.
n'avait eu connaissance ni de la Somme entreprise en 1266, Observ vm.
Xin SIECLE.
48o VINCENT DE BEAUVAIS.
achevée fort [)eu de temps avant le décès du saint docteur en
12-4,- ni du commentaire sur les Sentences, rédigé vers ces
mêmes temps par Pierre de Tarentaise; ni de ceux que Ri-
chard de Middleton n'a pas commencés avant 1282; ni du
livre anonyme <^e Consideratione quatuor novissimoruin , où
^^ ^ „ il est parlé de la prise de Ptolémaïs, en laqi. Des cinq ou-
opéra, I. II, ]>. ^ragcs qui ont tourni pres(|ue tous les articles du recueil
:îo2, 3o3. dont il s'agit, le traité des y dons du Saint-Esprit, par
Disseri.desci. Etienne <le Belleville, est le seul dont Vincent aurait iiu, à
cccles. t. II n > '
/i79-48i. ' toute force, faire quelque usage.
Comment, de Cependant il convenait encore moins d'accuser de plagiat
scr. ecti. i. III, l'ange de l'école. Aucun de ses contemporains ne l'en a soup-
p. 2S4 , 358, ° • 1 I- 1 - ,.',.. , r
365, 451 , ,',i''. Çonne; il en est disculpe par [)lusieurs écrivains modernes,
— Th.dePUgio, Rainaldi, Labbe, Oudin, Thomasius, surtout par les doini-
562, 57:^. nicains Noël Alexandre, J^chard et Touron. Ceux qui pren-
.Suinnia vin- , , i -c i- tv
dicata.— Sel. H. 'i^'it le plus vivemciit sa detense disent que Vincent avait
ecci. XIII, s. bien plus que lui l'habitude désemparer des pensées et des
nisseriaiio VI ppoductiotis d'aulruï. C'est trop peu tenir compte du soin
1. Wl , in-8 , ' ^j-. , . ! ' ,. ' I .
p. 783-87K ^ue Vincent prend toujours, dans ses livres authentiques,
.Scr. ord. Pijeii. d'avertir des emprunts qu'il se permet. Nul auteur de son
I. l.p. 289 323. siècle n'a fait plus de citations et moins de plagiats. On a
Vie de s. rh. , , . ...r i o
d'Aciiiin, I. VI 'le bien meilleurs moyens de prouver que la homme est
Hin.ecciés. I. incontestablement l'ouvrage de 'fhomas d'Aquin, puisqu'on
XXII, 0. 39 peut invoquer la foi des plus anciens manuscrits, les témoi-
gnages des théologiens et des historiens de son temps ;
Tolomée de Lucques , Jean de Columna, etc.; la tradition
des âges suivants, si constante et si unanime en Italie, en
France, spécialement dans lUniversité de Paris; enfin, l'auto-
rité du concile de Trente, et pour ainsi dire, le jugement de
l'Eglise même. Si tant d'arguments ne suffisaient pa.s,, il serait
possible d'en puiser d'autres dans le caractère, la méthode
et le style de cette Somme, dans ses rapports avec la plus
grande partie des œuvres du docteur angélique. Toutefois,
au milieu du xvii« siècle, lorsqu'on croyait encore que de
Thomas ou de Vincent, l'un avait usurpé le travail de l'autre,
Paris t 111, p If» question entre eux paraissait indécise a Uu Roulay : Quant
713 litem aliis diriniendani relinquo.
L'opinion généralement établie depuis 1708, époque de
la publication du livre d'Echard, iSt/mw^z vindicata, est que
saint Thomas a seul composé sa Somme, et que jamais
Vincent n'a songé à faire le Spéculum morale introduit dans
sa grande collection. Dire qu'il avait recueilli les leçons
VINCENT DE BEAUVAIS. 48i
Mil SIKCIK.
orales de Tfiomas, ou pris connaissance d'une esquisse de l;i
Somme, ce sont des hypothèses inconcihahles avec la chro-
nologie et l'histoire des travaux de ces deux personnages
Vouloir que la Somme ou quelques-unes de ses parties aient
été puisées dans le Miroir moral, c'est oublier qu'elle était
connue et citée bien avant les années où commencent à pa-
raître les manuscrits de ce Miroir. Il n'y en a point d'anté-
rieur à i3io;et, au contraire, il existe des manuscrits de
i320 où le prologue du Spéculum majus n'annonce encore
que les trois parties, naturelle, doctrinale, historique. Ce
prologue n'a été falsifié qu'entre les années i3io et iSaô : il
ne l'est dans toutes les nouvelles copies qu'à partir de i348.
Ainsi pas d'autre coupable qu'un faux Vincent, que le P'in-
centiaster, comme dit Echard, le faussaire qui s'est avisé
d'attaciier à un assez mauvais recueil un nom recomman-
dable. Quel pouvait être le motif, le but d'une telle fraude.''
Nous n'en connaissons bien que les elltts. Elle a nui long-
temps à la réputation de \incent de Beauvais et de saint
Thomas, en les exposant l'un et l'autre à l'accusation de
plagiat; plus encore au premier, en lui attribuant une com-
pilation misérable qui, à côté de la Somme du second, ne
peut conserver, quoi qu'en ait dit Echard , aucune sorte de si-. oi<i. Pr
valeur. On croit qu'elle nous vient d'un moine qui sans i. i.p.aBi.ïTv!.
doute n'était pas Dominicain , puisqu'elle devait compro-
mettre l'honneur de deux des plus illustres membres de
cette corporation religieuse. Echard ajoute que le faussaire
était probablement un Franciscain; il le conclut de certains
détails du Spéculum m,orale, qui semblent tendre à élever
les frères Mineurs au-dessus des Prêcheurs. Il eût été peut- ,, , ,
être plus sage de ne poml mêler des intérêts ou des rivalités iSi.
de corps à cette discussion. Peut-être aussi ce moine, quel
qu'il fût, n'a-t-il cru commettre qu'un de ces innocents ou
pieux mensonges qui, de son temps, n'étaient pas si rigou-
reusement condamnés. Il se sera figuré (|ue, circonscrit dans
les limites de ses trois parties authentiques, le Spéculum,
m,ajus allait demeurer incomplet, et qu on ferait une très-
bonne œuvre en y introduisant une partie purement théo-
logique. Il lui aura paru tout simple de la composer d'extraits
des cinq ouvrages que nous avons désignés., et qui obte-
naient beaucoup- de crédit au commencement du xiv* siècle.
Pouvait-il mieux faire, et surtout avoir plus tôt fait.'' Après
tout , la plupart des livres du moyen âge ne sont que des
Tome XVII L Ppp
XIII si^.ci r..
482 VINCENT DE BEAUVAIS.
recueils de cette espèce; et quand loriffinalité qui constitue
la pleine et entière propriété des compositions littéraires,
devenait de plus en plus rare, les suppositions de noms
d'auteurs pouvaient bien ne pas sembler de très-graves in-
fidélités.
Quoi qu'il en soit, nous n'aurons plus à considérer dans
le Spéculum ma/us que ses trois parties indiquées par |p
véritable prologue. L'idée générale qu'on peut prendre rie
l'ouvrage, c'est que sous les divisions et sous-divisions d'un
cours d'études, embrassant, 1° le spectacle de la nature;
2" les doctrines humaines, grammaticales et littéraires, mo-
rales et politiques, y compris la jurisprudence, mathéma-
tiques et physiques, y compris la médecine; 3" l'histoire
ancienne sacrée et profane; puis l'histoire moderne, civile,
littéraire et surtout ecclésiastique, Vincent a recueilli, dis-
posé, classé une multitude presque innombrable d'extraits
d'auteurs orientaux, grecs et latins, en y entremêlant quel-
auefois des idées ou des expressions qui lui appartiennent,
transcrit les textes latins, tels qu'il les lit ; il n emploie que
des versions latines des textes grecs et orientaux.
Fabricius a inséré dans sa Bibliothèque grecque, au tome
XIV de l'édition de 1718a 1728, une liste complètedes livres
deïoutgenre cités dans le seul Spéculum naturalc. Elle com-
prend environ 35o noms d'auteurs ou titres d'ouvrages; et
il y aurait lieu d'en ajouter près de cent autres qui, non cités
dans ce premier Spéculum,, le sont dans le doctrinale et
dans Xhistoriale. On ferait même beaucoup plus d'additions
à ce catalogue, si l'on tenait compte des textes anonymes
transcrits ou abrégés par Vincent, et des articles qu'il em-
prunte aux actes des maityrs, aux légendes hagiographi-
ques, aux actes des conciles, aux recueils de décrétales; et
cependant on serait encore loin d'avoir indiqué d'une ma-
nière assez précise toutes les sources où il a puisé; car il y
en a- plusieurs que l'insuffisance ou l'inexactitude des do-
cuments, les homonymies, les pseudonymies et d'autres ■
ambiguïtés rendent aujourd'hui fort difficiles à reconnaître.
C'était à ses éditeurs qu'il appartenait d'entreprendre sur
ce sujet un travail général , l'un de ceux qui pourraient le
mieux servir à l'histoire littéraire du xiii^ siècle, et même
aussi des précédents. On y prendrait une idée, non seule-
ment de l'étendue et de la variété des lectures de Vincent
de Beau vais, mais encore des ressources qu'un homme stu-
VINCENT DE BEAUVATS. 483
dieux pouvait trouver dans les bibiiotlieques de ce temps,
particulièrement dans celle de saint Louis, probablement
la plus riche qui ait été mise à la disposition du laborieux
Dominicain. Un relevé bien exact de tous les ouvrages et
opuscules qu'il a cités pourrait tenir lieu, comme l'a remar-
qué M. Petit lladel, d'un catalogue des livres que le saint roi
avait fait rassembler.il est à regretter que ce prince ait, par i),ij||^^,h ,"' '^
son testament, partagé une collection si précieuse entre les i3o.
frères Prêcheurs de Compiègne, ceux de Paris, les frères
Mineurs de Paris et les Bénédictins de Royaumont; et
qu'elle ne soit pas restée entière, comme premier fonds de
la Bibliothèque royale : elle y serait un très-utile monument
de l'état des plus hautes études et des richesses littéraires de
la France sous ce mémorable règne.
Le tableau sommaire que nous joigiuub ici des principaux
écrivains orientaux, grecs et latins (i), mis à contribution
(i) Lwres composés en langues orientales. ( Outre la Bible, le Talmud,
les livres des Ilabhins , etc.) — auteurs niabes : WfrA'^nn, Alljuinasar,
Ilasi, AUarabe, Alchabitius, Johannitius, Hali, Avicenne, Algazel , Alcendi,
Averrhoes
Auteurs grecs. (Livres attribués à Mercure Trismégiste, à Esculape, à
Musée, etc..) Hésiode, Homère, Alcman , Esope, Thaïes, Anaxi-
inandre, Pythagore, Alcmœon, Heraclite, Parménide, Anaxiniène, Eni-
pédocle , OccUus Lucanus, Eschyle , Anaxagoras, Protagoras, Gorgias ,
Archytas de Tarente, Hérodote, Sophocle , Euripide , Socrate , Démocrite,
Hippocrate, Xénophon , Clésias, Platon, Speusippe, Eudoxe, Pythéas ,
Aristote , Démosthène, Xénocrate , Ménandre , Théophraste, Métrodore,
Epicure , Zenon, Dioclès, Praxagoras, Erasistrate , Héraclitle , Euclide,
Ara tus , Eratosthène , Hipparqiie, Polybe , Panaetius , Nicandre , Po-
sidonius
(Après l'ouverture de l'ère vulgaire. ) Androniachus, Dioscoride , l'his-
torien Josèphe, Ptolémée , Secundus, saint Polycarpe , saint Justin,
Hégésippe, Galien, saint Irénée, Clément d'Alexandrie, Origène, Alexandre
d'Aphrodisée, Plotin , Porphyre, Eusèbe, saint Athanase, saint Ephrem,
saint Basile, Grégoire de Nazianze, Evagre, Grégoire de Nysse, Themistius,
Jean Clirysostôine , les historiens Socrate et Sozomène, Théodoret , Hé-
sychiiis, Jean Damascène, les médecins Théophile et Sérapion. ...
Auteurs latins. ( Avant l'ère vulg. ) Plaute, Ennius, Caecilius, Accius,
Térence , Caton l'Ancien, Jules-César, Cicéron , Nigidius , Cornelius-
Népos , Varron , Gallus , Tibulle , Virgile, Horace, Ovide, Manilius,
Vitruve. . . .
(Ere vulg.) Columelle, Valère-Maxirae, Phèdre (sans le nommer), Lucain,
i'erse, Sénèque, Pline l'Ancien, Mucianus, Denys l'Aréopagite, Stace, saint
Clément pape, Pline le Jeune, Juvénaj, Quintilieii, Quinle-Curce,. . . saint
Ignace , le jurisconsulte Caius, le grammairien Scaurus, Suétone, Justin,
Aulugelle, Apulée. . . . l'hérésiarque Montan. . . .
P pp a
XIIISIÈCLK.
484 VINCENT DE BEAUVAIS
par Vincent, offrira un grand nombre des noms restés cé-
lèbres dans ces trois littératures, surtout dans la troisième.
Toutefois on y remarquera l'absence de quelques auteurs
renommés par le caractère de leurs talents, par l'importance
ou l'étendue de leurs œuvres; chez les Grecs : Anacréon ,
Thucydide, Denys d'Halicarnasse, Diodore de Sicile, Stra-
bon, Lucien, Pausanias, Athénée, Dion Cassius, Procope
et les autres historiens byzantins;.... dans la littérature
latine: liUcrèce, Catulle, Tite-Live, Tacite, Mêla, Silius
Italicus;. ... au moyen âge: Hincmar, Luitprand , Fréde-
gaire , Glaber, Jean de Sarisbéry, Pierre le' Vénérable,
Othon de Frisingue, Guillaume de Tyr, Alain de Lille,
Rigord , Guillaume le Breton, Guillaume d'Auvergne, etc.
II est, au contraire, d'anciens ouvrages qui paraissent avoir
été cités pour la première fois dans le Spéculum ninjus.
iiiid. !>: iî5, M. Petit Radel désigne comme tel, le traité d'architecture
'^''- de Vitruve, et croit pouvoir y joindre les lettres de Pline le
jeune et de Symmaque, les poésies de Caipurnius et d'Avie-
Les jurisconsultes Jules Paul, Papinien, Ulpien, Modestin ; — Solin, Cai-
purnius, Gargilius-Maitialis, Tertullien, saint Cyprien,. . . Clialciilius. . .
Firmicus Maternus, saint Hilaire, le pape Ûaniase, Maraire, saint
Amhroise, Prudence, saint Paulin, Rufus, Vëgèoe, Avienus, Claudien.
Macrobe, Orose, Palladius, Symmaque, Sulpice-Sévère , saint Jérôme,
saint Augustin, Cassien, saint Léon pape, saint Prosper, Sedulius, Sidoine-
Apollinaire, Martianus-Capella, lepapeGélase, Gennade, le prophète Merlm..
Ennodius , Doèce , saint Fulgence , Fulgence-Planciadés , Uenys-le-Petit,
Cësaire d'Arles , Cassiodore , Justinien ( le Digeste , le Code ) , saint Maxime,
Arator, Grégoire de Tours, Maximieu. . . .
Saint Grégoire pape, Isidore de Séville,.... Béda. . . . Turpin . . . .
Alcuin. . . . Walafridus-Strabus, Rhaban-Maur, le pape Nicolas l*""^, Jean
Scot-Erigène, Haimon , Anastase le Bibliothécaire.
Gerbert ou le pape Silvestre II ... . Pierre Damien, Papias, Pierre Hélie,
Grégoire VII, Lanfranc, Constantin l'Africain, Platearius, l'Ecole de Salerne..
Serlon, Anselme de Cantorbéry, Hugues de Cluny, Sigebert, Yves de
Chartres, Hugues de Fleury, Hildebert du Mans, Hugues de Saint-Victor,^
Guillaume de Malmesbury, Gratien , Bernard le Chartreux, saint Bernard
de Clairvaux, Guillaume de Conches, Florin ou Thibauld , auteur du
Physiologus , Pierre Lombard , Thomas Becket , Richard de Saint-
Victor. . . . Pierre le Mangeur, Bernard de Chartres; Gauthier de Chà-
tillon , auteur de l'Alexandréide; les papes Alexandre III, Lucius III,
Célestin III , le jurisconsulte Aizo. . . .
Pierre de Riga, Geof'froi d'Auxerre , Innocent HI , Hélinand , Jacques
de Vitry, Grégoire IX, saint Thomas d'Aquin, Raimond de Pennafort,
Guillaume de Rennes, Jean de la Rochelle, Michel Scot. . . . Total 254-
Une liste complète, comprenant les livres anonym£s,ou apocryphes, ou
mal connus, serait presque double.
VINCENT DE BEAUVAIS. 485
nus, les commentaires de Clialcidius sur Platon, l«-s écrits '_
(les jurisconsultes Caius, Papinien , Ulpien, Marcien, He-
) ennius, Modestin , et le livre De siniplici Medicind de Pla-
tearius , médecin de l'ëcole de Saierne. Gilles de Corbeil aviiit j)e vinuiibn»
fait mention de ce traité; mais Vincent en a donné de longs mediraminum ,
extraits qui ont servi à en compléter les éditions. C'est lui- ^P'^'','-«'.Y'>pr. p.
même qui nous a conservé, entre autres opuscules du
moyen âge, la relation du voyage d'Ascelin et de Simon de
Saint-Quentin en Tartarie; la Vie de Marie d'Oignies, par Geit.eion r
Jacques de Vitry, et des notices sur plusieurs saintes femmes i, p. l^^■, i. ii,
(lu pays de Liège. On ne connaîtrait pas sans lui un très- P- Ai, <>:, *»
J U J I ' J '1 -1 • I ^ Hisl.liller.de
grand nombre de légendes qu ]i a pris la peine de transcrire, i^ f,. ci-jessus
<'t qui ont passé de son recueil dans celui des Bollandistes. p. 222-224.
Les productions de ce genre ou des genres les plus voisins
(le celui-là , sont, à vrai dire, à peu près les seules dont la
conservation soit due à ses soins. Il ne nous a transmis
en entier aucun opuscule classique grec ou latin. Il a du
moins donné des extraits de plusieurs livres perdus; et
l'on doit reconnaître que, par les citations considéral)Ies
qu'il a faites des versions ou des textes, il a contribué plus que
personne au moyen âge, à inspirer le goût de rechercher et
d'étudier les monuments de ces deux littératures. Mais pour
mieux apprécier les services qu'il a rendus, pour mieux dis-
cerner les sources diverses de l'instruction si vaste qu'il avait
acquise, et qu'il a entrepris de répandre, il faut examiner
dU j)arcourir au moins ses trois recueils.
Le premier est intitulé en certaines copies : Spéculum
m Hexenieron libris 32, ex dictis innumerabiliiim tam chris-
tianorum quam gentilium. Il se compose en effet de Sa livres,
et les œuvres des six jours de la création en déterminent le
plan général que Touron retrace en ces termes : « Après yj^, d^hom-
« avoir traité cle l'existence et de l'unité de Dieu, de la tri- mes iii.dei'ord.
<( nité des personnes divines, de la génération ineffable du ^^ '• Do^'oiq-
« Verbe, de la procession du Saint-Esprit, des attributs et '" ' "'P'^'*-
« des noms divins, l'auteur parle du ciel empyrée et des
(c anges. Il considère ensuite la matière informe et la création
« de ce monde visible; et en expliquant fouvrage des six
(c jours, il examine par ordre la nature et les propriétés de
« tous les êtres que la volonté souveraine du Créateur a tirés
« du néant. Il parle des forces et des puissances de l'ame ,
a des sens, des parties, de toutes les facultés du corps hu-
it main ; du travail et du repos que l'vEcriture attribue à Dieu,
1 4
Paris, 1821, iu-
486 VINCENT DE BEAUVAIS.
Xill SIECLE. I I T'i- ■ ' I ■■ Il I- ■ I
« de la lelicite du paradis terrestre, de la condition de nos
« premiers parents dans l'état d'innocence, de leur chute et
<f de la peine qui suivit leur dësobéissani e. A cette occasion,
tt il traite assez au long delà corruption du genre humain,
n de la nature du péché, de sa malice et de ses différentes
« espèces. Venant ensuite à la réparation de Ihomme par
« les mérites du Rédempteur, il ne laisse rien de ce atie la
« théologie nous enseigne touchant la grâce, la vertu, les
« dons du Saint-Esprit et les béatitudes. »
Cet exposé ne montre guère que la partie théologique de
l'ouvrage, il annonce à peine les longs détails d'histoire na-
P»n 172-174 turelle qui en remplissent plus des deux tiers. M. de Foitia,
<lii Ncmv. bvslo- , 1 . • !• I • I ' ' 1 I
mu de BibiioRi. pour les mieux indiquer, a traduit ou alirege tes titres des
ai|>ii;iiiéii.i.i''eci. 32 Uvres, et n'v a joint que le nombre des chapitres que
chaque livre contient. Une indication détaillée de ces chapi-
tres eût été interminable; car on en compte dans le volume
entier 3718, et leurs titres, réduits à la plus simple expres-
sion dans l'une des tables de l'édition de Douai , y occupent
60 colonnes in-folio.
La Bible, les Pères de l'Eglise et les théologiens fourni:;seiit
les matériaux du livre 1*"^, qui traite du Créateur, des trois
personnes divines, des anges bons et mauvais, de leur hié-
rarchie et de leurs ordres. La théologie peut revendiquer
aussi les 47 derniers chapitres du second livre, lesquels 110
concernent que les démons et l'origine du mal moral. Mais
les 87 premiers offrent une sorte de physique générale ou
génésique. Ils ont pour sujets, la création, les atomes, le
chaos, la lumière, les couleurs et les ténèbres, l'œuvre du
1*"^ jour. On a remarqué dans le chajntre yS les lignes où
il est dit que les meilleurs miroirs .sont ceux de verre et de
plomb. Intel- omnia nielius est spéculum ex vitro et plumho,
quia vitruTïi propter Ironsparentiam nieliits lecipit radios ,
plunibum non habet humidwn soluhile ab ipso , unde quandb
superfunditur plumbwn vitro calido, siccitas vitri calidiabs-
trahit ipsum , et efjicitur in altéra parte terminatuni valdè
radiosum. Ces mots , qui sans doute sont de Vincent lui-
même, puisqu'il ne dit pas qu'il les emprunte, ont donné
lieu de croire qu'il existait au xiii' siècle quelques miroirs
semblables aux nôtres.
Les livres III et IV correspondent à la seconde journée.
Création du firmament, du ciel aqueux ou cristallin, des
sphères célestes; notions d'astronomie et d'ontologie rela-
VINCENT DE BEAUVAIS. 487
XIU SIÈCLE.
tives au mouvement, au temps et à réternité, au lieu et à •
lespnce. On y peut discerner, surtout en ce, qui concerne
le temps, quelques tentatives d'analyse philosophique. Il
s'ai^it ensuite du feu , de 1 ether et de l'air, du son et de l'echo,
fies vents et des tempêtes; des pluies, de la neige, de la gelée
et de la glace, de l'éclair et du tonnerre, des étoiles tom-
bantes, de l'arc-en-ciel , de la rosée et de la manne, du
brouillard, de la fumée, des vapeurs, des odeurs et de la
température. C'est un traité assez méthodique de météoro-
logie, emprunté le plus souvent d'Aristote et des Questions
naturelles de Sénèque, mais qui finit par des considérations
sur l'atmDsphère caligineuse que les démons habitent, en
attendant qu'ils soient précipités dans le barathrum, en
exécution du jugement dernier.
Le y jour où Dieu créa les eaux et la terre, fournit seul
la matière de dix livres, savoir du 5"^ et des 9 suivants. Après
avoir recueilli dans le livre V ce qu'avaient enseigné les
philosophes et les théologiens sur la nature et les propriétés
des eaux, sur l'amertume de celles des mers, sur le flux et
reflux de l'Océan , sur les rapports de ces phénomènes avec
les lunaisons; ce qu'ils disaient des déluges, des fontaines,
des fleuves, des débordements du Nil, des lacs, des puits,
des citernes et des bains, l'auteur entreprend une plus
longue description de la terre, l'énuraération de ses richesses
minérales et de ses productions végétales. Il la représente
comme un globe placé au centre du monde, et devant avoir
25o,ooo stades de circuit, selon Eratosthène et Macrobe. Spei. nai.roi.
Le soleil qui tourne autour d'elle, à une distance exprimée ^''^■
ici par les mots quadragies octies centena millia stadio-
rum (i), parcourt dans les cieux , en une heure, un espace
qui correspond à 10,000 stades du circuit terrestre, et qui
serait de plusieurs milliers de lieues dans l'orbite solaire.
Vincent distingue les 5 zones , les 5 cercles qui les séparent ,
et les climats qu'elles comprennent. Bientôt., n'envisageant
plus que la construction physique du globe terrestre, il parl^
des monts, des vallées, des îles, des tremblenjenfcs. de terxe
et des pestes qu'ils amènent, ainsi que l'a expliqué Sénèque.
Les notions qu'il continue de rassembler appartiennent aux
genres d'études que désignant aujourd'hui les noms de
(i) 4«Soo,uoo stades , ou 3a,ooo,ooo, selon qu'on additionne quadra^ie»
et oclies , ou qu'on les multiplie l'un par l'autre : 4o+8 ou 4o X 8.
488 VINCENT DE BEAUVAIS
XlJl SiÈCLE.
géologie, d'agriculture, d'horticulture, de minéralogie, de
ibid. col /28. chimie ou d'alchimie. La transmutation des minéraux est,
à ses yeux, un art [jresque aussi positif que l'agricul-
ture : PoTTO per artem alchirniœ , dit-il, transmutantxir cor-
pora niineralia à propriis speciebus ad alius , prœcipue
metalla. Hœc auteni scientia oritur ah illâ parte naturalis
philosophiœ quœ est de mineris , sicut agricultura ab illà
qiiœ est de plantis.W admet un 5^ élément, savoir, la v.ipeur
terrestre, intermédiaire entre lair et l'eau. Quant aux opi-
nions qu'il embrasse ou qu'il rapporte, en parlant de l'or,
de l'argent, du cuivre, du fer et de bien d'autres substances
métalliques, ce sont là des détails dans lesquels nous ne
pouvons nous engager avec lui. Nous ferons seulement re-
marquer un chapitre sur les monnaies, où, après avoir rapi-
dement tracé l'histoire de celles des Romains, il regrelte les
temps où les échanges se faisaient en nature: MuUb felicius
Ibidcoi. ,62. œvunijuit cuni res ipsce permutabantur inter se. Ce qu'il dit
des p'erres, des carrières , du sable et de la chaux , cîu por-
phyre et du marbre, de l'aimant et du diamant , du 1 11x0 des
pierreries, etc. , est emprunté de Pline, d'Isidore de Séville,
et surtout d'un poëme latin du moyen âge, intitulé le Lapi-
daire. Il en transcrit plus de 3oo vers, et ne les attribue
point, comme on l'a fait depuis, sans trop de raison, à
i'évêque de Rennes, Marbode. Suit, dans les livres IX-XIV,
un traité des plantes qui se compose de quelques notions
de physiologie végétale, ou de considérations sur la géné-
ration des plantes, sur leurs sexes , sur les feuilles, les fleurs
et les fruits; puis de 8 dictionnaires, plus ou moins étendus,
de botanique. Il vaudrait mieux qu'il n'y en eîit qu'un seul,
il y aurait moins de confusion et moins de redites. Mais
l'auteur a voulu en faire un pour les végétaux incultes , un
pour ceux qui naissent dans les jardins et les champs cul-
tivés, un pour les arbres des forêts, un pour les arbres
fruitiers, etc. Il a recocnmencé l'ordre alphabétique des no-
menclatures et des descriptions, autant de fois qu'il a distin-
gué ou imaginé de classes particulières. Un des ouvrages le
plus fréquemment cités dans cette partie àw Spéculum natu-
rale , est le poème de Viribus Herbarum , qui porte le nom
de Macer, mais qui assurément ne saurait être le livre
qu'avait composé, sur ce même sujet, ALmihus Macer,
contemporain de Virgile et d'Ovide.
Créés le 4* jour, le soleil et la lune sont les objets immé-
VINCENT DE BEAU VAIS. 489
<liatstlu XV* livre de Vincent, ou il est question plus gêné
ralemeiit des astres, des étoiles, de celle qui conduisit les
trois rois mages, i\es comètes, des planètes, des éclipses, du
zodiaque, des saisons, et des divisions du temps en heures,
jours, semaines, mois, années et cycles. Ce livre est un
abrégé d'astronomie apparente, et de chronologie technique
ou de la science cultivée, au moyeu âge, sous le nom de
coin pu t.
Ees oiseaux et les poissons, œuvres du 5* jour, compa-
raissent dans les livres XVI et XVII, où des observations
générales sur l'organisation de chacune de ces deux classes
d'animaux, sur leurs sexes, Irurs œufs, leurs reproductions,
sont accompagnées des dictionnaires de leurs difierentes
espèces; d'une part, depuis l'épervier, ^"fccipiter, jusqu'au
vautour, Tiiltur; de l'autre, depuis le hareng, Halex ou
Alex, G\.\'An'i\x\\\^. .4n8:uilla, jusqu'au veau marin. Vincent
,. , ^. 'Il II Al. aiiguslo
indique la saison ou les harengs paraissent, et parle de a.i .lecembiem.
l'usage où l'on était déjà de son temps, de les saler et de les
envoyer au loin. L'article de chaque animal comprend des
avis sur les usages qu'on en peut faire en médecine; et il en a
été de même, dans les livres précédents, à l'égard de beaucoup
d'espèces végétales. Les notices de Vincent sont, ainsi que l'a „i^, jesPois-
remarqué Cuvier, plus précises et plus correctes que celles sons, t. i,j.. 35.
d'Alberl-le-Grand II a de meilleures copies de Pline; il sait
mieux tirer parti des Origines d'Isidore de Séville. Il emploie
surtout un traité anonyme de la Nature des choses, qui n'est
connu que par ses citations, et dont l'auteur paraît avoir
observé- immédiatement plusieurs faits.
Les œuvres du 6* et dernier jour furent les animaux ter-
restres et l'homme. Les quadrupèdes domestiques, auxquels
s'applique la dénomination de Pecora , sont décrits par
Vincent dans son XVIII* livre, et rangés aussi par ordre
alphabétique, à commencer par l'agneau et à finir par la
vache et le veau. Ceux qu'il a réservés pour le livre XIX, il
les appelle Bestiœ ou Ferœ, en expliquantà sa manière l'ori- •'^i'"" "»•• ™'-
gineet le sens de ces termes : Bestiarum vocabulum propriè '^**^"
convenit leonibus , parais , tigribus , lupis , vulpibus , canibus
ac simiis , ac cœteris quœ vel ore vel unguibus sœviunt , ex-
ceptis serpentibus. Bestiœ autem dictœ sunt à viquâ sœviunt;
férse vero sunt appellatœ , eo quod desiderio suo ferantur,
naturali utentes libertate : libéré enim hùc Uliic vagantur,
et quo animus duxerit , ebferuntur. On voit que les chiens
Tome Xr [II. Q (| q
1 t, ♦
49<i VINCE.NT DE BEAU VAIS
Xlll SIKCI.E
sont rangés dans cette classe, où se trouvent aussi les castors,
les éléphants, les ours, et, sous le titre particulier de minuta
bestiœ , les rats, les belettes et les taupes. Peut-être le livre
XX, qui traite des reptiles et des insectes, a-t-il été rédigé,
recommencé à diverses reprises; car les deux séries alpha-
bétiques qu'il doit présenter, sont fort irrégulières. Mais on
y peut remarquer ça et là quelcpies aperçus d'anatomie com-
l!<i<i.<. I ',62. parée : Serpentiuin intestina et interiora siinilia sunt quadru-
pedum ovantiuni , etc..
Trente-cinq chapitres sont employés à la description et à
l'histoire naturelle des abedies. Maio c'est Aristote qui fournit
les meilleurs articles de ce livre XX et des quatre précé-
dents, ainsi que du XXI*^et du XX [F, consacrés aux géné-
ralités de la science zoologique. Membres et organes des
animaux ; la tète, le cerveau, les yeux, les narines, les
oreilles, la bouche, les dents, le gosier, la poitrine, le
cœur, les poumons, l'estomac, les intestins, les pieds, les
parties génitales, la queue, les téguments, les os, le
sang, etc. Fonctions et affections animales : la nourriture
et la digestion, les sensations, la voix, le sommeil, les
appétits, les amours e( les haines, les sexes, la génération,
les sécrétions, le lait, les accroissements, les décroissements
et la mort.
Le traité de l'homme embrasse son ame et son corps, et
par conséquent se divise en deux parties: la psychologie,
qui occupe les livres XXIII à XXVII, et l'anatomie, qui est
contenue avec la physiologie dans le XXVIIP. Mais il con-
vient d'observer que plusieurs articles qui auraient pu appar-
tenir à la deuxième partie se sont rattachées à la première.
En effet, après avoir exposé les doctrines philosophiques et
théologiques relatives à l'origine de l'ame, à sa nature, à son
union avec le corps et a son immortalité, l'auteur envisage
les forces vitales dont elle est douée; il la représente comme
le principe de la vie corporelle, et lui attribue ainsi une
influence directe et constante sur la digestion et la nutrition,
sur les develo|>pements des organes et sur la reproduction
de l'espèce humaine. Le livre XXV est un méthodique et
même instructif traité des cinq sens, et du sens commun où
aboutissent et se concentrent les impressions qu'ils reçoivent.
Des questions plus difficiles, celles qui concernent la veille,
le sommeil et les songes, les visions angéliques et démonia-
ques, l'extase, le ravissement, l'esprit prophétique, sont trai-
XIU SIf.CI.K.
VINCENT DE BEAU VAIS. 49'
tées ou aboidéfs dans le livre XXVI ; et le suivant est destiné
à rendre compte des forces ou facultés intellectuelles, que
les philosophes ont appelées mémoire, raison et conscience;
puis des facultés ou affections morales qui se nomment
concupiscence, irascibilité, volonté, libre arbitre et pas-
sions. \ incent n'omet point les discussions relatives aux
espèces intelligibles et à l'intellect agent ou universel, que
certains métaphysiciens distinguaient de l'ame humaine, et
dont ils faisaient une substance angélique ou même divine.
Ce qu'il a recueilli sur ces matières obscures est principale-
ment tiré d'Albert-le-Grand et de Jean de la Rochelle: il
])arait n'avoir aucune connaissance des écrits de Guillaume ^""^l*^'"''**"
',1 . . , , . (. f r-.> . sus p. i 17- i85.
d Auvergne, qui s en était pourtant tort occupe. IJ autres
auteurs, Isidore de Séville et les médecins Dioscoride ,
Constantin l'Africain , Rasi , Avicenne, iburnissent au livre
XXVIII une description détaillée du corps humain, à peu
près en cet ordre : les membres, les os, les ligaments, les
muscles, la chair, le sang, la peau, les poils, les cheveux
et la barbe; le cerveau, les yeux et les oreilles; la bouche,
les lèvres et la langue; le cœur et le diaphragme; l'appareil
digestif, estomac, intestins, foie, fiel et rate; les organes
prolifiques et génitaux; puis la tête, le cou , les épaules , le
dos ; les bras, les mains et les doigts ; les genoux et les pieds;
les joues el la physionomie. Voilà bien des titres de chapitres;
mais nous en omettons davantage.
Toutes les œuvres des six jours ayant, été ainsi étudiées
ou expliquées, le Spéculum naturale semble fini ; mais le 7*
jour, le jour du repos, est le sujet d'un XXIX^ livre, où l'au-
teur se demande en quel sens et de quelle manière tout était
bien, si rien ne pouvait être mieux, pourquoi il avait fallu
six journées pour créer le monde, pourquoi Dieu s'est reposé
le 7*; comment les miracles s'accordent avec l'ordre constant
de la nature, le libre arbitre avec les prédestinations et les
volontés divines; quelles ont été les causes du péché originel
et de la chute des anges ; pourquoi tant de réprouvés et si
peu d'élus. Les réponses à ces questions sont empruntées
des théologiens les plus célèbres, saint Augustin , saint Jean
Damascène, saint Bernard, Pierre I^ombard , Hugues de
Fleury : ce n'est qu'une série d'extraits.
On croirait encore l'ouvrage terminé, et, à vrai dire, les
trois derniers livres ne peuvent être considérés que comme
des appendices. Il s'agit dans le XXX* de la nature des êtres
Qqq2
4^2 VINCENT DE BEzMJVAIS.
^ et surtout de celle de l'homme, de la formation d'Adam et
d'Eve, du paradis terrestre, du mariiige, de la jjolyf^amie, de
la virginité, des tentations et des suites du péclie originel;
dans le XXXI*', de la génération, de l'influence des astres sur la
conception, du fœtus, de l'infusion de lame, de l'avortement
et des monstres, de l'accouchement, de fallaitement , duse-
vrage, des quatre tempéraments, des âges, de la santé, îles
maladies et de la mort. C'est une sorte d'histoire naturelle
de la vie humaine, qui, ce semble, aurait pu trouver sa place
dans le traité de Ihomme, sous le sixième jour de la créa-
tion. Le XXXU^ livre erdin traite des lieux et des temj)s. Il
contient, d'une part, une notice des trois parties de la terre,
l'Asie , l'Europe et l'Afrique ; des mers et des îles qui les envi-
ronnent; de l'autre, un tableau des quatre âges de l'ancien
monde, un précis de l'histoire universelle jusqu'à l'an laSo;
et l'ouvrage se termine par des considérations sur le futur
avènement de l'antechrist , sur la fin et le renouvellement de
l'univers; sujet que l'auteur traitera de nouveau, et plus au
long, à la lin de son Spéculum historiale.
Nous venons de voir qu'il achevait \e naturelle en 12Ô0,
environ cent ans après la mort du cordelier Guillaume de
Conciles, fun des auteurs qu'on y trouve le plus fré-
Aupaïai.sacer. (jucmmeut cités. Posseviu attribue à ce fière Mineur une
1. 1, Wadd. Scr. explicatiou de l'œuvre des six jours en 33 livres, dit-il,
ora.Min.p. i5i. ^^ iip^ jg 3^ Sauf Cette inexactitude, ce serait le recueil
— Scr. ord.Prac- , ■ • 1 ai ■ n •
<iie. t. i.p. a35. même qui vient de passer sous nos yeux. Mais Possevin en
a jugé par des textes qui sont transcrits dans quelques-uns
de ces 32 livres, et qui appartiennent en effet à Guillaume
de Couches, dont les véritables ouvrages ont été indiqués
Hisi.iiiier.de daiis l'uH de nos volumes précédents. Le Miroir naturel n'a
laFr. I. xn,p. '3^i^ livres qu'en comptant pour un le prologue authentique
où Vincent de Beauvais s'en déclare expressément l'auteur;
fait d'ailleurs établi par tant de témoignages et de docu-
ments, que l'erreur de Possevin ne mérite pas une réfutation
sérieuse.
Nous avons maintenant à ouvrir le Spéculum doctrinale,
Tilresdes 17 qui u'cst guère égal en étendue qu'aux deux tiers du natu-
livres, ei nom- raie, ct qui n'a que 17 livres, comprenant en tout 2374
bredeschapiires chaijitres. Après avoir exposé comment l'ignorance et la
lie chaiMie livre I r rn ^ j -l'j'Ai •. 'Il
dans la Bibiiogr. concupisceoce , cttets du pèche d Adam, ont amené le besoin
aifab.de M. d« d'uuc iustruction réparatrice de tant de dommages et de
Koriia, p. 175, jj^sordres, l'auteur retrace quelques-unes des définitions et
176,177 ' T ^
Mil SlKCl.F..
VINCENT DE UEALVAIS. 4^3
flivisioiis de la philosophie ou des sciences soit théoriques
soit pratiques. II n'en fait hii-même aucune classilication
précise. C'est aussi d'une manière assez vague qu'il parle des
sectes ou écoles philosophiques : toutefois il nomme les py-
thagoriciens, les stoïciens , les académiciens, les platoniciens,
les péripateticiens. Ses réflexions sur les métliddes à suivre
dans l'enseignement et dans les études sont fort vulgaires,
c|uand elles ne sont point empruntées. Cependant il arrive à la
grammaire, la plus élémentaire des sciences, et l'inteipiète
de toutes les autres. Ce qu'il y a de plus rcmanjuable dans
ce F"" livre, c'est un dictiotniaire qui remplit -x-^. chapitres,
depuis le 4'^^'^ jusqu'au (ij'^ et dernier, et qui présente de
courtes interprétations d'environ 3î>.oo mots : Ahavus, pater
avi. . . Accola, vicinus , vel noi'us cultor, z^el alieniis ; iinde
quidam : Accola non propriam , propriam colit incola ter-
rain. . . Zoa , vita ; zodia grœcc signa , inde zodiacus. '>ijerui..iocii.
Le deuxième livre est une grammaire très-détailiee , tirée "''' '^"•^c 'H.
en grande partie de Priscien , d'Isidore de Séville et de Pierre '"'■ ^7-»"
Héiie. Elle commence par des notions relatives aux lettres
hébraïques, grecques et latines, et à l'emploi de ces lettres
pour exprimer des nombres. Les chapitres suivants concer-
nent les éléments physiques du langage, les voix et les arti-
culations, les syllabes que les unes et les autres concourent
à former; l'aspiration, l'accent, la quantité, et les autres
accidents compris sous le nom de prosodie. En expliquant
les éléments du discours ou les parties d'oraison, l'auteur les
présente dans cet ordre: noms substantifs, noms adjectifs,
verbes, pronoms, prépositions, adverbes et conjonctions. Il
distingue entre les substantifs, les noms propres et les noms
communs; dans les adjectifs, les degrés de comparaison;
dans tous, les genres, les nombres, les cas ou déclinaisons;
et parmi les nominatifs, ceux qui se terminent soit par l'une
des 5 voyelles , soit par une consonne. L'analyse du verbe
occupe 45 chapitres où sont exposées sa nature, ses espèces,
ses conjugaisons, les formes diverses par lesquelles on joint
à l'expression d'tm état ou d un acte, celle de la personne
ou des personnes, du temps absolu ou relatif, et même
des rapports à établir entre les éiionciations. Vincent et les
grammairiens qu'il cite, s'appliquent aussi à caractériser le
pronom, à reconnaître ses véiitables espèces , à le distinguer
des articles de la langue grecque et de quelques adjectifs
latins auxquels la dënomiuation de pronoms a été souvent
4o4 VINTRNT DE BEAU VUS.
VlIlSlt.CLE. ,'
ëteiirlue. A|)rès des observations du même genre sur les pré-
positions, les adverbes et les conjonctions , ce livre se termine
par une syntaxe beaucoup trop succincte, et pourtant un
peu confuse, oii il est parle de l'analogie, de la construction,
de l'orthographe, (le l'écriture, de la prononciation , du bar-
barisme et du solécisme, des figures de mots et d(î jjensées,
des tropes et de l'allégorie. A propos de l'écriture, \ incent
fait observer que le bec de la plume doit être fendu en deux ;
division qui, st^loti lai, est une image de celle de l'ancien et
du nouveau Testament : Penna m'is ciijus ncunien in duo
dwiditur; . . . ci-edo propter Diy.stci-iiini, ut in duobus apicihus,
l().,i (. ao; velus et novitni Tcstainentiim sii^naretur.
Le livre llf est une logi(pie divisée en 3 parties, la dialec-
tique, la rhétorique et la poétique; ou les arts de raisonner,
de parler vt il'écrire en prose et en vers. On n'a que trop
sépare dans les temps modernes ces arts intellectuels qu'A-
ristote avait rapprochés. Quoi qu'il en soit, la dialectique de
Vinrent est toute scolastique; elle traite en ()8 chapitres
des univcrsaux , des catégories, îles propositions, des argu-
ments à chercher ilans les lieux comtnuns, intrinsèques et
extrinsèques; des syllogismes, des définitions , des divisions
et des sophismes. La rhétorique n'a que dix chapitres, et ne
consiste qu'en not'ons vulgaires jjuisées dans Boèce et Isidore
de Séville, plus que dans Cicéron et Quintilien. Si la poé-
tique a un peu plus d'étendue, c'est parce que 1 auteur y
insère 2<) fables ([u'il attribue à Esope, et dont quelques-
"■'•' ' ^'»"- unes, onze au moins (i), se retrouvent dans le recueil publié
'^ ■ sous le nom de Phèdre, Vincent ne nomme point ce fabuliste,
et ne le copie pas littéralement; mais des variantes, plus ou
moins noudjreuses, n'empêchent pas de reconnaître beau-
coup d'expressions oiiginales d'un même texte (2). Nous
(i) Lupus et Agniis. — Léo et Socii. ^ Lupus et Grus. — Cervus ad
Fontein. — (^orvus et Vulpes. — Mons parturiens. — Graculus siiper-
bus. — Formica et Musca. — Rana rupta. — Vulpes et Uva. — Canis
et Lupus.
(2) Longèque inferior Agnus. — Turbasti niihi aquam bibenti. — A te
ad me decunit. — F.ictis partibus Léo : ego piimus {^sic ) tollo quia Léo, etc.
Sicque totaiii illaiu prsdaiii sola iniprobitas abstulit. — Ingrata est illa Grus
quœ caput imohmiis exiulit et nieneilem sibi postulat. — Cum de fenestra
Corvus occasioiie caseuiii r.iperet... O Corve , pennaruiu tuarum quàm
niagnus est nitor! Si vocem clarani liabuisses, nulla prii>r avis fuisset. . .
Dolosa Vulpes , avidiiis i.ipuit. Tuuc stupcns Corvus iiigenuiit ac deceptus
pd'iiituit. — Graiidus peiinas pavonum quae ceciderant sustulitet indè se
VINCi:.NT DE Bi: Ali VAIS. 49D
rencontrerons à peu près le même nombre rrapologucs dans
le Specu/um historiale. Ceux qui se lisent iei simt suivis de
notices peu instructives, qui ont pour objets la mytiiologie,
les compositions liistoriques, et de nouveau les iigures de
mots et de pensées.
A ces enseignements littéraires, succèdent immédiatement
des doctrines morales qui se divisent en trois sections : la
monastitpie, l'économique, la politique. Le nom de irionas-
tique désigne la science des mœurs personnelles de chaque
liomme, considéré comme chargé de sa propre conduite,
il s'agit de lui apprendre à maîtriser ses passions, à se pré-
server des vices ou à s'en guérir. On lui recommande la
pratique des quatre vertus caidinales, cpioique l'une, savoir
la justice, suppose des rapjiorts entre un homme et ses sem-
blables. Mais la monastique n'exclut que les règles qu'il peut
avoir à suivie comme chef ou administrateur soit d'une
maison soit d'une cité. Aussi est-il ici (piestion de la conduite
privée et des habitudes individuelles fies princes mêmes,
aussi bien que des sujets, des serviteurs et des esclaves.
D'autres préceptes ou conseils spéciaux sont adressés aux
enfants, aux jeunes gens, aux vieillards. Ce traité renferme
des articles sur divei s rapports sociaux , particulièrement sur
l'amitié, puis sur la bonne et la mauvaise fortune, enh'n
sur la mort et la vie future. Cette monastique est donc une
partie considérable de la morale. Elle est la matière des
livres IV et ^ où les détails, Ibrt variés sans doute, sont
trop souvent incohérents et un peu confus. Du reste, les
citations de textes en prose et encore plus en vers, rem-
plissent presque entièrement ces deux livies. Platon, Xéno-
phon , Cicéron , saint Augustin, Hoèce, cinquante autres
écrivains, y compris vingt ])oètes, nous y donnent tour à
tour de sages leçons. Il n'y a guère que la distribution des
détails, que les titres, et parfois quehpies lignes des chapi-
tres, qui appartiennent au Dominicainde Beauvais.
L'économique, c'est-à-dire 1 économie domestique et rurale,
est le sujet du VP livre. Le père de fatniHe y apprend quels
sont ses droits, ses intérêts, ses devoirs; quelles obligations
lui imposent ses qualités d'époux, de père et de maître; quels
oniavit , suosque contemnere cœpit t-t grcgi pavommi se iiiiscuit. At illi
ignoto et iiiipudenti pcnnas eripiunt. ... Ad propriiim genus redire
timuit, etc.
Mil Ml( IT.
vin sif.ci.K
496 VINCENT DE BEAUVAIS.
soins il doit prendre de son habitation et de ses propriétés;
comment il convient de régir une maison de ville, une
maison des ehamps. Des leçons d'agriculture et d'horticul-
ture se reproduisent ici avec plus de développement et de
méthode que dans les livres VI et X du Spéculum nntnrale.
Elles embrassent les praticpies à observera l'égard des grains,
des arbres, des fruits, des vignes, des eaux, des bestiaux,
des abeilles , et s'appliquent successivement, comme chez
Palladius, à chaque mois de l'année.
Les livres Vil, VIII, l\ et X du Spcculuni doctrinale
appartiennent à la politique; mais c'est en comprenant sous
ce nom la iuiisj)ru(len(e,qui en occupe la plus grande partie.
Un exposé fort incomplet de la théorie des gouvernements,
des pouvoirs et des devoirs du prince, du magistr.it, de
l'honune d'état, est principalement puisé dans le r»'gime
civil et militaire des Romains. Il se termine par la distinc-
tion (les deux puissances, la séculière, et la pontificale dont
Vincent n'hésite point a proclamer la supériorité. Sicut crgb
r I 5- potestati seculari prœcelht potestas ecclcsiaslica, .... patet
quod et prœcepta canonuin sU'e decretoruni pontijicaliuin
prafevetida sunt cdictis et legibus irnperatoruin , ut innuit
Grdtianus. Il s'engage aussitôt, et dès le chapitre 34 du livre
VII, dans l'étude des lois. Il distingue trois espèces de droit:
le naturel, le coutumier et le positif; et après avoir jeté
quelques regards sur les lois de la Grèce et de Rome, sur
celles de l'Eglise, sur les codes civils et religieux, il traite
du régime judiciaire, des fonctions qu'ont à rem[)lii- les
juges, les avocats, les procureurs; puis de l'état des per-
sonnes appelées en jugement; ensuite des choses, de la
possession des biens, des contrats, des testaments, des
échanges. Au livre Vlll, il s'agit des causes, des actions , des
procédures et des sentences en matière civile et criminelle.
Les détails sont très-multipliés; et, quoique pris dans les
livres et les lois des âges précédents, ils peuvent servir à
l'histoire de l'administration de la justice au xiu* siècle.
La simonie, l'hérésie, le parjure, les sortilèges, les sacrilèges,
les infidélités et les exactions dans le paiement des dîmes,
l'inobservation des jours de fête et des jours de jeûne; en un
mot, les offenses à Dieu ou à la religion, et les peines qu'elles
encourent, sont la matière du livre IX, essentiellement com-
posé dextîaits des décrétales et des sommes juridiques de
Raimond de Pennafort et de Guillaume de Rennes. C'^st en
VINCENT DE BEAUVAIS. 4f)7
MIISIKCI-K.
puisaii!: aux mêmes sources et a quelqties autres, que Vincent
a recueilli dans le X* livre les règles à suivre pour juger et
punir les attentats à l'ordre social, ou, ainsi qu'il l'annonce,
les crimes commis contre le prochain : Diclo de crirninihus
qiiœ coiiiiiiittuiitiif priiicipalUcr in Deiiin, restât de his quœ i'"' ">i.,s,<î^
specialitev in proxiniuni. Ces crimes sont l'Iiomicide, ses
diffiériMites espèces, y compris les duels; le rapt, l'inceste,
l'adullèn', le viol et la fornication, le vol, l'incendie, le pillage,
les extorsions et concussions, l'usure, la fraude, le faux té-
moignage, les injures et les autres actes nuisibles à autrui.
J^a monastique, l'econotniquc et la politicjue sont des
sciences prati(]ues qui enseignent à vivre avec sagesse, etsans
lesquelles l'ordre social ne se maintiendrait pas. Àlais Vincent
reconnaît ce même caractère pratique en des sciences ou
des aits d'un tout autre genre, qui contrihuetit a l'entretien,
au boidieur ou aux douceurs de la vie humaine. Il en va
parler dans le Xl^ livre, où il considère d'abord les arts
auxquels l'homme doit ses vêtements et ses parures. Il nous
entretient, en second lieu, des édifices privés ou publics,
profanes ou sacrés, civils ou militaires. I/exposé fies princi-
j)aux procédés de ces diverses architectures est suivi de la
description des meubles les plus usuels, et de plusieurs
espèces d'armes offensives et défensives. Il arrive ainsi à
l'art de la guerre, qui doit l'ariêter plus long-lenqjs; car il
veut extraire des anciens auteurs, spécialement de \ égèce ,
ce qu'ils ont dit de plus remarquable sur l'organisation et
la discipline des armées, sur les marches, les campements,
les batailles, les sièges et les machines. La mention qu'il
fait de la milice navale, le conduit à Cie^ notions plus
générales concernant l'art nautique. 11 appelle Theatrica ,
théatri(|ue, l'art de bâtir et d'orner les théâtres, les cir-
(|ues, les arènes, et de les employer à des représentations
scénirjues, à des exercices gymnastique». Après avoir em-
prunté d'Isidore île Séville queltjues notions sur la chasse
et la |)êche,il revient encore à l'agriculture, et indique, plus
qu'il ne décrit, certains instruments aratoires. Les arts chi-
miques, réunis sous le nom d'Alchin)ie, occupent les 29
derniers chapitres du livre XL L'auteur y fait une nouvelle
énumération des métaux et de plusieurs autres substances
ou produits, comme le verre , l'alun , les sels, les huiles, etc.
Ce sont des sujets qu'il a déjà traités au livre VI de son Spé-
culum naturale.
Tome XV 111. Rrr
MIISIKCI F,.
.\c)S VINCKNT DE BKAU\ AÏS.
lin abrégé des sciences métlicales commence avec le XII''
livre du Miroir doctrinal, et i^e linit cju'avec le XV. Après
avoir donné une idée générale de l'art du médecin, l'auteur
s'applique à recueillir des jnéeeptcs d'hygiène, il dit (piels
soins exige la conservation de la santé en chacune des quatre
saisons de l'année; (|uels sont Us moyens d'entretenir la
force ou l'état normal 'decha(|ue organe; tpiel régime spécial
convient à < ha(|ue âge, à charpie profession. Cette hygiène
est suivie d'une sorte de medeiine domtsticpie , guérissant
les indispositions communes parties rernèiles simples, dont
\ inceiit de Beauvais enseigne l'usage, et cpi'il t-iiumère briè-
vement par oiilie alphabétique. De là il passe à la chirurgie,
iIimI . i2",) qu'il divise en trois parties : Prima in vcnis, secunda in carne,
tertia in ossibus ; c'est-à-dire, premièrement la saignée; en
deuxième lieu, les ventouses, les cautères, et le pansement
des |jlaies; tioisièmement , la réduction d«'s fr.ictures. 11 a
laisse peut-être un peu de eonfusion flans ce qu il nomme,
au livre XIII. la metlecine théorique. Après y avoir parle
des 4 éléments, des 4 tempéiaineiits, des 4 humeurs et de
la génération, il compile des notions datiatomie, de phy-
siologie et de pathologie, oii les préceptes hygiéniques et les
pratupies médicales s'entremêlent fort souvent à la sim[)l(?
théorie. Mais le livre Xl\ présente, d'après les inéde( ins
arabes, une nosologie as^ez méthodi(jue, bien que fort in-
complète. Les fièvres de tout genre, les maladies de la tête
et de chacune de ses parties, les maladies de la poitrine et
relies des organes digestifs, 1 hydropisie, la jaunisse et beau-
coup d'autres souffrances humaines y sont énum<*rées ou
décrites avec indication de leurs causes, de leujs symp-
tômes et de leurs progrès. Là se terminerait la doctrine
médicale de Vincent , s'il n'avait étendu ce titre sur le
XV<^ livre, qu'il a consacré à la physique ou à la philosophie
naturelle considérée comme une branche de la médecine
théoricjiie. La physique est définie par lui la science qui
Ibkir 1371 révèle les causes invisibles des choses visibles. Il y a des
corps naturels et des corps artificiels : c'est des premiers
qu'elle fait ^on étude; elle recherche leurs propriétés. Pour
les reconnaître toutes, et surtout les médicales, l'auteur re-
vient à l'examen descjuatreeléments ; il se rengage mêmedans
les discussions relatives au lieu, au temps et au mouvement;
il recommence une esquisse de la figure de la terre qui ,
selon lui, avait été créée plane et ronde, sans montagnes ni
VINCENT DE BEAm Aïs. 49,^
,,,-,,.,. , " ' Mil sikci 1 .
valiees. Voulant taire usHj:,e des nouveaux renseignements
qu'il a |)uises, soit dans les récits de Jacques (le\ itry, soit en
u autres livres tomlies depuis peu entie ses mains, il reparle
des pierrrs prériinses, et en redii^e un (iictioiuiiui'e depuis
le diam.int, yt damas, jusqu'à la topaze. Suivent des obser-
vations concernant les eaux , l'air, le leu , le soleil et les pla-
nètes. Il fait remanjuer dans la luiu; dix propriétés (lui,
selon lui , conviernient |)artaitement à la sainte \ieri;eii):
Liinœ dcceni pioprictates . . . specialitercoiweniiintbcntissiDKc
I ircrini. Apiès avoir repi'oduit ce (lu'ii a dit ailh-irsdu cin- ,, ,
quieme élément, vapeur intermédiaire entre I an et I eau, il iv,",
décrit aussi dereclief les météores, les métaux, les [)lantes.
les esi)èees animales, il réappelle par ordie alpliabetKjue les
quadrupèdes, puis les reptiles, puis les i:isectes, ensuite les
poissons, enfin les oiseaux; mais en uoiinant a ces divers
détails moins d'étendue que dans le Miroir naturel. Les sept
derniers chapitres du livre XV du Doctrii al font également
reparaître l'Iionimt; envisaj^é dans ses dillerents âges, dans
l'état de veille et de sommeil , dans les vicissitudes de la vie
qui ahoutissent à la mort.
Le livre XVI traite des mathématiques et de la métapriy-
sique; rapprochement remarquable, auquel le second de ces
genres d'études aurait eu beaucoup plus à gagner que le
premier. Alfarabe distingue huit sciences mathémati(jues ;
l'arithmétique, l'algèbre, la géométrie, la perspective, l'as-
tronomie, la musique, la métrique ou la science des poids
et mesures, et la science des esprits, c'est-à-dire la métaphy-
sique. \ inceut de lîeauvais suit cet ordre, mais en omettant
l'algèbre, et en plaçant la nmsique après l'arithmétique. Il
expose la théorie des nond)res, et indique les opérations
dont ils sont les objets, y compris l'extraction des racines.
II a une ; onnaissance précise des chiffres arabes et du calcul
décimal : liwentœ siinl lun'ern Jtgunv talcs : 1,2, 'i, /|, j, 6,
y, 8, 9. Quœlibet in primo loco ad dcxtrarn posita signi- ii,,,i , , ,,„,
fîcat uiiitatcni vel unitates ; in secundo, denariuni vel de-
l^i) Ces dix propriétés sont exprimées par ces six vers :
Huinoruin mater soiisque réfrigérât x>stum.
Eeclipsim patitur, Phœl)0 faciente retessum.
Unie sol dut lumen, teiiebras de nocte relidit.
Illustrât mundum, sol pristina quando revisit.
Inter planetas inagis hase terrae propiavit.
Crescit, decrescit, candet, tempus média vit.
Xlli ^IKCI.F.
5oo VINCENT DE BEAUVAIS.
narios ; in tertio , centenariuni vcl centenanos ; in qufirto ,
rnillenartutn vel miltennrios ; et ut hre^dis (oqunr, quœlibet
figura posita in secundo loco sif^nificat .decies magis quant si
esset in primo , et decies ningis in tertio quant in secundo, et
sic in infinituni. Cependant il fiiit observer que ees iieiii
caractères ne serviraient pas à exprimer le iiomlire dix, et
il en-eif;ne l'usafife d'une dixième fii^ure, savoir <lu zéro. In-
venta est if>itur décima figura talis , se. o. iSihilque repré-
sentât, sedj'acit aliani figurant . . . decupiiint significare, etc.
Plusieurs occidentaux avaient connu et eni|)loye les cliillres
aiabes avant le milieu du xui*" siècle; mais en voilà le système
nettement exposé, ])oui' la première (ois |)eut-être, dans un
livre écrit en l'rance. (Je chapitre tlu moins n'est emprunté
d'aucun autre ouvraj;;e; il est précédé du mot auctor. Les ad
qui le suivent, concernent la musique, sa puissance, ses
effets, ses espèces; les sons, les tons, les mesures, Iharmo-
nie et la mélodie, la voix humaiîie et les instruments. La {géo-
métrie n'occu[)e que sept chapitres, (|ui renferment toutefois
les axiomes sur les(piels cette scieiict! repose; les définitions
du point , de la ligne, de la surface et des solides, de l'angle,
du triangle, du cercle, du quadrilatère, et particulièrement
du curé; puis du cube, de la sphère, du cylindre, du cône
et de la pyramide, avec quelques-uns des théorèmes qui s y
rattachent, et quelques notions, pareillement élémentaires,
sur la mesure des distances, des aires et des capacités. La pers-
pective tient encore moins de place, même en y comprenant
ce que l'auteur cfit des rayons visuels directs, refléchis ou
réfractés. Ces derniers aperçus appartiennent à l'optique,
science qui n'est point nommée dans ce livre, et qui n'y
figure pas autrement, non plus que la mécani(|ue, au
rang des mathématiques appliquées. L'astronomie arrête
un peu plus long-temps les regards de Vincent. Il ne la
confond point avec l'astrologie, dont il ne paraît pas faire un
très-grand cas, et qu'il n'efface pourtant pas absolument
du tableau des connaissances humaines. Seulement il lui
laisse assez peu de consistance , lorsqu'il refuse à chaque
planète, prise à part, toute influence sur la géfiération et
les destinées des hommes et des choses, pour n'accorder
d'efficacité qu'à l'actiou commune de tous ces grands corps.
Il réduit la métrique à un petit nombre de définitions
vagues des poids, des mesures et des monnaies; il n'établit pas
d'unité fondamentale, et ne s'applique point à déterminer
XllI SIKCLE.
VIjNCExNT de 13KAUVAIS. 5oi
rxactement les rapports. La métaphysique avait bien plus
d'attraits pour les (locU-urs dont il était le contemporain et
le disciple ou l'émule; et l'on doit leur savoir ^ré desellorts
qu'ils se sont commandés pour éclaircir les idées les plus
abstraites de l'entendement humain, pour démêler et fixer
le sens des expressions les plus générales du langaji^e : être,
substance, principe, élément, nature, puissance, acci-
dent, etc. Tel est le sujet des ai chapitres par lesfjuels se
termine le livre XVI du Doctrinal. Il n'y est point question
de Dieu ni de l'ame; le nom de métaphysique n'y corres-
pond (ju'à la science appelée ailleurs ontologie, qui serait
l'une (les plus utiles études, si elle obtenait les résultats
aux()uels elle aspire, ou même si elle y tendait par une mé-
thode rigoureuse.
I.e dix-se[>ti(me et dernier livre est purement tliéolo- n.i.i ^. ,5/
gique : J'ost metaphysicam ac cœteras injcriores scientias ,
tani practicas quant theoricas , quœ à gentilihus et paganîs
ini'entcr siint , ad ultirnitni de theologid latiùs dicendum
restât. iM.dgré la promesse ou la menace que le mot latiits
semble expi imer, ce livre est le plus court de tous. Il a deux
parties : la première est destinée à montrer la vanité de trois
théologies antiques, jadis distinguées par Varron, et depuis
léprouvées par saint Augustin; l'une fabuleuse ou poétique,
l'autre naturelle ou philosophi(|ue, la 3^ politique ou ( ivile.
La secoixle partie du livre a pour objet Ki religion véritable,
celle des juil's et des chrétiens. Vincent n'entreprend point
d'en exposer et d'en prouver les dogmes; il lui suffit d'en
montrer les sources, qui sont, d'une part, les saintes Écri-
tures; (le l'autre, les docteurs de l'Eglise qui les ont expli-
quées. Il se met donc à rédiger des notices de tous les livres de
1 ancien et du nouveau Testament; et à l'égard de l'ancien, il
ne riîanque pas de faire mention de la version grecque des
Septante, miraculeusement composée: Singuli in singulis
celluUs separati, ita omnia per Spiritum Snnctuni interpre- ibij.,- ,5,6
lati sunl , ut nihil in alicujus eorum codice inventum esset,
quod à cœteris vel in verborum ordiiie discreparet. Les dé-
tails où il entre ensuite sur 38 écrivains ecclésiastiques,
depuis le pape saint Cléraejit jusqu'à Hugues et Richard de
Saint- Victor, peuvent servir à l'histoire littéraire; car il
joint à des notes sommaires sur l'époque et la vie de chacun
d'eux, les listes des ouvrages qu'ils ont laissés, ou qui leur
sont attribués; et à la suite de ces auteurs, il en place 4(>
autres dont il ne cite que les noms.
r,o2 VINCENT DE BE\UVAIS.
XIII siÉci-t Q,i ^ pyi remarquer dans le Spéculum doctrinale plusieurs
articles déjà traités dans le naturale. Il s'en faut que les ma-
tières de l'un et de l'autre soient aussi distinctes que l'an-
nonce le prologue qui leur est commun. Le Miroir naturel
ne devait réfléchir que la nature, ne divait retracer que les
connaissances (ju'elle nous offre im^nédiatement : (elles que
nous acquérons par l'étude, et qui portent la qualilicjitioii
de scieiitiHques, étaient réservées au Miroir doctrinal. Mais
sans parler des dogines surnaturelletnent révélés, des sys-
tèmes philosophiques, des détails techniques et historicpies,
dont le Spéculum n .tiirale se trouve parsemé, le tableau
même de la nature, tel qu'il le présente, dépasse de beau-
coup la mesure dune instruction purement naturelle, ob-
teruie sans étude et sans enseignement. Il est bien vrai qu'on
peut distinguer trois ordres de connaissances humaines, et
que le premier consiste dans les faits qui frappent nos sens,
et se font en quelque sorte apercevoir d'eux-mêmes; mais
ce genre de notions directes et communes demeyre toujours
beaucoup plus resserré qu'on ne pense. Il ne se développe
aue par des observations attentives, des rapprochements,
es recherches ou analyses; deuxième ordre d'instruction
qui suppose l'emploi des facultés intellectuelles les plus
actives, et qui prend le caractère de science, ou, pour
parler comme Vincent, de doctrine. Le troisième, carac-
térisé par le nom d'art, applique la science aux besoins
et aux plaisirs de la vie; il fait aboutir les théories à des
pratiques nécessaires ou utiles ou commodes, qui bientôt
contribuent à rectitier ou à étendre ces théories elles-mêmes.
Il V a ainsi dans presque toutes les branches de nos connais-
sances, soit physiques, soit morales, trois séries distinctes
de notions, de pensées ou de concv^ptions, mais qui, par
leur nature même, tendent à s'unir et à se confondre. Il
n'est presque aucun livre, ancien ou moderne, où elles ne
s'entremêlent; et l'on ne doit pas s'étonner que Vincent
n'ait pas réussi, autant qu'il se le promettait, à les séparer
dans les siens, composés presque toujours d'extraits de
tant d'autres. C'est ainsi qu'il a dû être plus d'une fois
ramené, dans son second recueil, aux sujets qu'il avait
entaniés ou traités dans le premier.
Celui dont il nous reste à parler semble avoir une matière
plus spéciale, puisqu'il s'agit de l'histoire positive des temps
anciens et modernes, jusqu'au siècle où vivait l'auteur. Cepen-
VLNCExNT DE BEAU VAIS. 5o3.
(lant, si nous en ouvrons le I" livre, de quoi Vincent va-t-il ^"' ^'^^^cle.
nous entretenir? de l'unité de Dieu, de la trinité des per-
sonnes divines, du ministère des anges et de toutes les œuvres
(les six jouis, de l'ame immortelle, du libre arbitre et de la
I onscience, des vertus théologales et cardinales, des 7 dons
(lu Saint-Esprit et des n béatitudes, de la classification des
arts et des sciences. Ce résumé du Spéculum naturale et
d'une partie du doctrinale remplit les 55 premiers chapitres
de Xhistoriale. Les 76 suivants racontent l'histoire sainte,
depuis ,1e péché d'Adam jusqu'à la mort de Joseph. Ils cor-
lespondent au livre de la Genèse, mais en y entremêlant des
détails de géographie biblique, des notices sur les origines
de l'idolâtrie, sur les dieux Apis et Sérapis, sur certains
personnages fameux, tels que Ninus et Zoroastre; sur les
Scythes, les Egyptiens , les Assyriens, les Sicyoniens, le tout
avec force citations de livres profanes et religieux, au nom-
bre desquels figurent les testaments des douze patriarches.
Telle est la matière du I*"" des 3i livres dont le Miroir
historial se compose, et qui comprennent en tout3,7g3 cha-
pitres. « Ij'ouvrage entier contient, selon l'ordre des temps,
« dit le P. Touron, l'histoire abrégée de tout ce qui s'est „ ■ ■
, , , 111 • I ' • ■ 1 ^ Hisl. dcsnoin-
« passe de mémorable depuis la création du monde jusqu au mcsiii. deioni.
« pontificat d'Innocent IV, Vincent y décrit d'abord les *''=*• Domin. 1.
« commencements de l'Église du temps d'Abel, et ses pro- '' ** '^^' "■''■
« grès ensuite sous les patriarches, les prophètes, les juges,
<f les rois et les conducteurs du peuple de Dieu, jusqu'à la
« naissance de Jésus-Christ. Il suit le texte sacré et les écrits
« des anciens Pères, pour faire l'histoire des apôtres et des
« premiers disciples du Sauveur. Les belles actions et les
a paioles célèbres des grands hommes de l'antiquité païenne
« trouvent leurs places dans son traité historique. Il n'a
« point oublié de marquer les commencements des empires,
a des royautnes, des autres grands états, leur gloire, leur
« décadence, leur ruine, les successions des souverains, et
« ce qui les a rendus illustres, soit dans la paix, soit dans
(c la guerre. Mais, en historien" chrétien, Vincent de Beauvais
« s'étend davantage sur ce qui appartient plus particuliè-
« rement et plus directement à l'état de l'Église sous les
« empereurs romains ^ depuis Auguste jusqu'à Frédéric II,
'{ Sa grande attention est de nous faire admirer la sagesse
« de la Providence et la vertu de la grâce de Jésus-Christ,
« dans les victoires que l'Église, de siècle en siècle, a rem-
\U} SIK(:i.K.
5o4 VINCENT DE BKAUV AIS.
« portées sur tous ses ennemis. . . C'est à re sujet que notre
« écrivain rapporte les actes qui |)ar!ent des coinl);its, ries
« souifr.inces et des victoires des ni;irtyrs,et qu'il met sous
« les yeux du lecteur ce qu'il a trouvé de plus rem;u(|u;i|jle
« dans les ouvniges des docteurs. Il n'a eu j^iirde d Oiiu-ttre
« ni les canons des anciens conciles on les décrets des sou-
« verains pontifes (pii ont foudroyé les hérésies ef les auties
« sectes scliismatiques, ni les vertus et les exemples des plus
« célèbres anachorètes, les refiles et les instituts- des siinls
« Pères, les commencements des divers ordres religieux et
a leurs progrès. Tout ce grand corps d'histoire est terminé
« par les réflexions de l'auteur sm- le mélange présent des
« bons et des méchants, sur l'état des âmes sépaiées de
« leurs corps, sur le siècle à venir, sur le tem|)S et les a( lions
« de l'antechrist. fl y est enfin parlé du dernier jugement,
<f de la résurrection des morts, de la gloire des saints et du
« supplice des réprouvés.»
Ainsi, selon Touron , le Miroir historique est une œuvre
conçue et accomplie dans u:i esprit essentiellemenl théolo-
gique. Ce caractère, qu'en etïet nous avons déjà reconnu dans
le livre P*^, n'est pas moins manifeste dans le Ih', qui conduit
les annales du peu|>le juif jusqu'à la secotule captivité à Ba-
bylone, vers l'an 600 avant notie ère. C'est la lin du 4*^ des
six âges du monde qui, ayant été créé en six jouis, devait,
selon Vincent, passer par six âges. Le i*""^ a fini au déluge,
le ■2'^ à Abraham , le 3* à David , le 4* à la prise de Jérusalem ;
le 5*" s'étendra jusqu'à l'avènement de Jésus Christ, et le (J^,
ouvert avec fère vulgaire, ne doit finir qu'avec le monde.
L'histoire profane se réduit dans le second livre à un petit
nombre d'articles concernant les orii^ines des Cretois et des
xAthéniens, de Lacédémone et de Corinthe, des Macédoniens
et des Lydiens, la guerre de Troie et Homère <jui l'a chantée;
Lycurgue, Roniulus, Numa, les rois de Babylone , les sept
sages de la Grèce, et la fondation de Marseille. A propos des
Troyens, Vincent ne manque pas de rapporter comme un
fait non contesté, que les Français et les 'Turcs doivent leurs
noms et leurs établissements primitifs à deux petits-fils de
Pria m, Francon et Turcus.
Le III* livre, si l'auteur y suivait une chronologie exacte,
correspondrait à peu près à deux siècles et demi , aux années
boo à 35o avant notre; ère, qui fournissent moins de faits
aux annales sainte^ qu'aux profanes. Celles-ci dominent
VINCENT DE BEAUVAIS. 5o5
. xmsiKci.r.
tlonc en cette partie de l ouvrage. JNous y rencontrons ua —
bord , à propos d'Esope , 29 apologues , les mêmes que
nous avons déjà remarques dans le livre III du Doctrinal; ci dessus, p
ils étaient là moins dë|)lacés , puisqu'il s'agissait d'études 'i!>'i,')9'>-
litteraires. On a peine à concevoir comment Vincent se per-
met de les reproduire presque littéralement dans un cours
fl'histoire ancienne. Ici encore, on en peut distinguer onze
visiblement empruntes à quelque recueil tout semblable à
celui qui porte le nom de Phèdre; car, ainsi que nous l'avons
dit, ce sont souvent les mêmes expressions, les mêmes tours
de phrase; et c est un des indices qui autorisent à croire
qu'un texte quelconque de ces fables latines, en vers ou en
prose, existait au moyen âge. A ces citations, succèdent assez
< onfusément les récits ou les notices sommaires qui se peu-
vent attacher aux noms de Cyrus, de Craesus, de Darius et
de Xerxès, d'Artaxerxe et de Cyrus-lc Jeune, de Judith,
d'Esdras et de Néhèmie, de Pisistrale et des Pisistratides,
de Miltiade , Thémistocle, Aristide, Périclès et Alcibiade;
des Tarquins et des Décemvirs. Quelques chapitres descen-
dent jusqu'à la première guerre punique, dont l'époque est
pourtant postérieure de près tl'un siècle à celles qui sont ici
retracées. Mais ce livre renferme plusieurs articles d'histoire
littéraire. On y voit paraître les poètes Pindare, Sophocle et
Euripide, les orateurs Eschine et Démosthène, l'historien
Xénophon, le médecin Hippocrate, et une longue série de
philosophes : Pythagore, Heraclite, Démocrite, Anaxagore,
Empédocle, Parménides, Protagoras, Socrate, Platon, Dio-
gène et d'autres cyniques, Aristote enfin , avec un tableau et
des extraits de ses ouvrages. Voilà encore bien des matériaux
pour un seul livre; nous sommes loin cependant d'avoir
indiqué tous ceux qu'il rassemble.
Le quatrième a pour principal sujet le règne d'Alexandre,
mais en remontant à celui de son père Philippe, et en re-
venant sur les doctrines de Platon. Il est même question
des disciples ou interprètes que ce philosophe a trouvés
bien plus tard dans Apulée et dans Plotin. Les regards de
Vincent se portent aussi sur Xénocrate, sur Anaximène, sur
Epicure; mais ils se fixent plus long-temps sur les entre-
prises et les victoires du conquérant macédonien. Les plus
brillantes sont retracées sommairement, d'après Justin et
Quinle-Curce. On voit que l'histoire générale avance à peine
<le 4o années dans ce livre, tandis que le III* a embrassé
Tonie XV m. S 5 s
3 5 *
5o6 VINCENT DE UEAUVAIS.
XIII SIKCIK.
deux siècles et demi, et que le V^ va parcourir environ 260
ans. Il sera trop facile de remarquer entre les livres suivants
(le pareilles inégalités, qui n'auront pas toujours pour cause
ou pour excuse l'importance des matières. I/autcur étend ou
resseire les diverses parties de son recueil, selon qu'il lui pi;iit
d'y employer un plus ou moins grand nombre d'extraits (juel-
conques de ses lectures, et cette marche, véritablement (a-
pricieuse , peut sembler un des plus notables dét'aufs de
l'ouvrage; elle en défigure le plan, elle en altère ou même
en détruit l'unité.
L'idée sommaire qu'on peut prendre du livre V est qu'il
contient l'histoire des successeurs d Alexandre, des Ptolé-
mées en Egypte, d'Antiochus Epiphane et d'Antiochus
Eupator en Syrie, d'un grand nombre d'autres princes,
depuis l'an oaS jusque vers l'an 63 avant Jésus-Christ. Re-
|)renant les annales du peuple juif, Vincent parle d'Eléazar,
d'Onias, des Machabées, sans oublier le travail des traduc-
teurs nommés les Septante, quoiqu'ils fussent, dit-il, 72.
Il répète ce qu'il nous a raconté ailleurs de cette version
Ci-dessus p mifaculcuse , et y ajoute de nouvelles circonstances: Aec
5oi. sufficiebat rex admirari chartarwn tciiuitateni et conpagi-
Spct iii.ior. jiationeni qiUB oculis deprehendi non posset , qunnquatn
littera' aureœ in caadore charlanim adeb legibdes apparerent.
Les guerres et les triomphes des Romains, vainqueurs des
Samnites, des Carthaginois, de Jugurtha, des Cimbres, de
iMithridate; les personnages célèbres de ces époques , Eabius,
Annibal, les Scipions, Marias, Sylla, Pompée, tiennent ici
beaucoup de place. Il en reste néanmoins pour les j)roduc-
tions poétiques de Ménandre, pour celles de Plante, d'Ennius,
de Pacuvius,de Térence, d'Accius, entre lesquels s'intro-
duit, confondu avec Caecilius-Statius, l'auteur de laTliébaide
et de l'Achilléide, Papinius-Statius, qui n'a vécu que plus de
deux siècles après eux. Le compilateur transcrit des vers de
tous ces poètes latins; mais il s'applique surtout à continuer
le tableau historique de la philosophie, depuis Théophraste
jusqu'à Panaetius. 11 fait connaître particulièrement les deux
sectes des Académiciens et des Stoïciens. Rarthius l'a cru
xxw, c. 7, (.. auteur d'un traité spécial : De vitis philosophorwn ; mais ce
^9*- livre ne consisterait qu'en extraits des trois Miroirs, et prin-
cipalement de l'historial.
IjC dernier siècle. Ou plutôt les 60 dernières années avant
l'ère chrétienne, et les i4 premières de cette ère, forment la
tA. nuac. I. IV
p. 141
AdllTb
VINCENT DE BEAUVAIS. 607
Xlir SIECI K.
matière da livre VI, qu'on pourrait diviser en trois parties :
histoire civile, où figurent Catilina, Jules-César, Octave,
Herode; histoire sacrée, qui comprend l'annonciation, l'in-
carnation , la naissance de Jésus-Christ, les actions et les
miracles de la Vierge i\larie, les faits relatifs à saint Joseph,
à sainte Elisabeth, à saint Jean -Baptiste, aux trois rois
mages, etc.; histoire littéraire, ou notices sur huit auteurs
latins , avec des extraits plus ou moins étendus de leurs ou-
vrages. Ces huit écrivains sont Cicéron, Sâlluste, Varron,
Gallus, Virgile, Horace, Ovide, et Valère- Maxime, qui d'ail-
leurs est cite dans l'exposé des événements politiques de ce
temps, ainsi qu'Orose, Suétone et Julius-Celsus ou plutôt
Jules -César. Cette erreur de nom est expliquée dans le
iMtiuigiana : « Un grammairien nonnné Julius-Celsus-Con- y m ^j j^
« stantiiius, réviseur des Commentaires de César, y avait, 1715, p. i58,
« pour certificat de sa révision , écrit < es mots : Juliiis Celsus '^i'-
« Conslantinus V. C. legi ou recensai. Les copies. . . . faites
« d'après cette révision étaient tenues les plus correctes; et
« pour les rendre plus authentiques, les copistes y mettaient
« ce titre qu'on lit encore à la tète de quelques manuscrits :
« C. Juin Cœsaris per Juliiun Celsurn commentarii. C'est sur
« la foi de ce titre mal entendu que Gaultier Burley,...
« Vincent de Beauvais,... Jacques-le-Grand,. . . Albert
« d'Eyb, ... et plusieurs autres, citent toujours, sous le nom
« de Julius Celsus, les propres paroles des Commentaires
« de César. » Vincent termine ici le 5^ âge du monde, et ■'
croit avoir atteint l'an 690 depuis la seconde captivité à
Babylone, io65 depuis David, i5oi depuis la sortie d'Egypte,
i^Si depuis la vocation d'Abraham, 2298 depuis le déluge,
3g53 depuis la création.
Le sixième âge, ou douze siècles et demi de l'ère vulgaire,
occupent les 25 livres suivants du Spéculum historiale. Le
VIP ne correspond qu'aux deux règnes de Tibère et de Cali-
gula; mais il achève l'histoire évangélique et apostolique; il
décrit les travaux de saint Pierre, de saint Etienne, de saint
Paul ; il abonde en nouveaux détails sur les vertus, l'assomp-
tion et les miracles de la sainte Vierge. Ces prodiges, que la
critique moderne a discutés, avaient été racontés par Pierre
Damien, par Hugues de Cluny, par Pierre de Tarantaise,
par Etienne de Bourbon ; ils ont été recueillis dans le Mariale
ou Marionale magnum ; et des juges, d'ailleurs sévères, ont
pu savoir gré à Vincent d'avoir contribué à propager ces
S s s a
oo8 VINCENT DE BEAUVAIS.
XIII SIKCLK.
traditions précieuses pour les uns, curieuses du moins ans
yeux des autres. Au livre VIII, qui ne répond qu'fiux i/\ ans
de l'empire de (^laude, il transcrit des vers de Perse et de
Juvéïiiîl ; il donne de longs extraits des œuvres de Sénèque ,
y com|)ris les tragédies. D'une autre part, il continue de
retracer les actes des apôtres; il rapproche de ces récils
l'exposé de l'institution, des effets et des cérémonies du bap-
tême et des autres sacrements; il raconte des conversions
mémorables; il nous présente de plus une liste chronologique
des p;q)es,avec le nombre des années de chaque pontificat,
depuis saint Pierre jusqu'à Innocent IV qui, dit-il, a déjà
siégé deux ans : Porro Innocentius qunrtus adhiic sedet in
S|»ec. iiist p. cathedra , quijarn sedit annis duohiis ; ce qui fixe à l'année
307. 1245 la rédaction de ce huitième livre. Le IX*^ met en scène
les empereurs Néron, Galba, Othon , Vitellius, et poursuit
avec plus de détails l'histoire du christianisme, c'est-à-dire
celle des apôtres et de leurs miracles, des évangélistes saint
Marc et saint Luc, de la Madeleine, de Simon le magicien et de
plusieurs martyrs. Cinq des derniers chapitres ci'nliennent
des préceptes et des maximes de Quintilien. Ce livre et les deux
précédents ne conipiennent ensemble que 69 années; on en
parcourt dans le suivant 124, qui sont les 3i dernières du
premier siècle chrétien et Cj'i du .second, remplies les unes
et les autres par les règnes de dix empereurs: Vespasien,
Titus, Domitien, Nerva, Tiajan , Adrien, Antonin, Marc-
Aurèle, Cotnmode et Pertinax. Les écrivains [profanes dont
il est ici fait mention, avec quelques citations de leurs doc-
trines et de leurs paroles, sont les philosophes Secundus et
Taurus , le médecin Galien , et avant eux Pline-le-Jeune que
Vincent conlond avec l'ancien : Hic scripsit , dit-il, de his-
toria naturali libres 3y, . . . de cjuo ingenti ejus opère excerpla
ibiii II ioi ^^ Speculo naturali congruis locis ifiserui ; ejusdem epistolas
ad diverses circiter centum reperi. D'autres notices concer-
nent l'historien Josèphe, Denis l'Aréopagite , saint Ignace,
saint Polycarpe, Papias, saint Justin, Hégésippe, saint Iré-
née, Clément d'Alexandrie. Mais ce sont les supplices des
martyrs, à corpmencer [)ar saint Jean l'évangéliste, qui occu-
pent le plus grand nombre des chapitres, et il en sera de
même dans les livres qui vont suivre. L'auteur se reprochait,
comme nous l'avons vu, d'avoir laissé prendre trop d'étendue
à ce genre de récits, dont une partie est empruntée de la
Chronique d'Hélinand. Ils sont, en effet, si nombreux et si
Mil >!!(:] !■,.
VINCENT DE BEAUVAIS. boy
longs, que Baillet a dit qu'on aurait lieu de placer le Miroir
liistorial |);irmi les recueils d'actes des saints. ''"' ^"' '''*
Si nous écartons les articles liaj;iogia[)liic|ues , nous n'au- „ i, ^ v," '
ror.s à remarquer dans le livre XI (jue la succession des
emperenis, depuis l'avènement de Septime-Sevèie jusqu'à
celui de Dioelétien, années i()3 à 28.Î , avec un aperçu des
écrits d'Orifjène et des extraits de ceux de saint Cyprien;
dans le Xlh livre, que le règne de Dioelétien terminé en
3o5 , et resté l'un des plus odieux aux ehietiens; dans le
Xlir, que celui de Constantin, de 3cG à 3'5'j ; les relations
de ce |)rinee avec le pape Silvestre, la fameuse donation à
l'Eglise romaine, la transi. ition du siège de l'empire à Con-
stantinople, l'hérésie des Ariens, le concile de Aicée, et de
très-courtes notices des ouvrages de Lactance et d'Eusèbe.
Le livre XIV va de 33^ à 3y5, espace qui renferme les rè-
gnes de Constantin II, Constance, Constant, (-onstance II,
Julien et Jovien,^alen tin ien et^ alens. C'est le temps des papes
Libère et D.niiase, et de plusieurs écrivains ecclésiastiques
dont ce livre fait connaître les travaux : Atlianase, Ililane
de Poitiers, Didyme d'Alexandrie, llyagre, Grégoire de Na-
zianze, Grégoire de Nysse, Basile, Eplirem. La série chro-
nologique s'interrompt au X\^ livre, on l'auteur consigne
des récits auxquels il ne |ieut apj)liquer de dates, et qui en
effet n'en ont point. Il s'agit tin |)ienx roman dont les prin-
cipaux personnages sont l'ermite Barlaam et Josaphat, fils
du roi des Indes Abenner. Huet place cette histoire fabuleuse
à la suite des amours de Clitoplion et de Leucip|ie, et la croit oiij;.iie*r,om.
néanmoins composée par saint Jean Damascène que cite ici le P "
Dominicain de Beauvais. Elle est aujourd'hui reléguée parmi
les productions apocryphes; Le(|uien ne la point admise
dans le recueil des écrits authentiques de Jean de Damas.
Celui-ci a plus probablement rédige un parallèle des maxi-
mes mor.des des saints Pères avec celles de la Bible : en pro-
fitant de ce travail, Vincent i emplit les -.ii). dernieis chapitres
du livre XV, de préceptes et de conseils sur la manière de
bien vivre.
Au XW, il reprend l'ordre des temps, de 3^5 à 383,
époque de la mort de l'empereur Gratien. Mais il emploie
71 chapitres sur 97, en extraits des œuvres de saint Jérôme,
après en avoir consacré i5 premiers aux origines de neuf peu-
ples f[u'il range comme il suit: Les Romains, les Perses, les
Francs, les Anglais, les Vandales, les Lombards, les Visi-
XIII SIKCLE.
5io VINCENT DE BEAliVAlS.
goths, les Ostrogolhs et les Huns. Il doikne des catalogues de
leurs rois. A l'égard des Francs, il rappelle ce (pi'il a dit de
leur fondateur troyen , Francioii, l'un des iils tlHector. De
ce Francion descendait le Priain (pii régnait en l'année 38i,
quand se tenait à Constantinople le second concile œcumé-
niijue. A ce premier roi de France succéda Marcomir, puis
Pliaramond ; et la liste est continuée jusqu'à saint Louis,
compté pour le 4^''- L'histoire générale n'avance que de onze
ou douze ans, savoir justju'à la mort de Théodose dit le
(irand, en Sf)."), dans le livre X\ II, parsemé aussi de frag-
ments (louvrages, particulièrement de saint Ainhroise et
de saint Chrvsostôme, de Claudien et de Prudence. Saint
Augustin en fouriut beaucoup plus au livre WIII, qui se
rapporte aux règnes d'Arcade à ConstautinO|)le, et d'Hono-
rius à Rome. Entamées dans ce livre , les annales du v' siècle
se poursuivent jusque vers l'an 4^3, dans le suivant, où les
extraits des conférences de Cassien occupent i i G chapitres,
et laissent par conséquent fort peu de place à d'autres articles,
même aux actes de Théodose-le-Jeune Le vingtième livre
s'étend sur 68 années, qui comprennent, avec une partie du
régne de ce même Théodose à Byzance, avec tout le règne
de Valentinien III à Rome, ceux de leurs successeurs jusqu'à
Augustule , dernier empereur d'Occident , détrôné en 47^ ; et
en Orient jusqu'à la mort de Zenon en 491- On s'attendrait
à trouver là un abrégé des annales de presque tout le cin-
quième siècle; mais l'attention de l'auteur ne se porte ou
ne se fixe encore que sur des détails ecclésiasticjues ou litté-
raires : les vies de saint Germain - t'Auxerrois , de sainte
Geneviève, de saint Loup, de saint Rémi, de saint Pétrone
de Bologne; les écrits des papes Léon P"^ et Gélase, île saint
Prosper, de Théodoret, de saint Fulgence, et la prophétie
de Merlin : Merliniis autem milita obscura revelavit, multa
prœdixit futiira ; (iperuit enim sub fiindaniento lacuni , sub
lacu duos latere dracones quorum unus rubens populum, Bri-
tonum , aller verb albus gentein Saxonum designaret , et
• guis in conflictu suo prœvaleret . . . . Prophetav'it eliam qiihd
sub Normannorum domino ( sic) redigenda esset ^nglia, et
alia plurima .... Solet enim spiritus Dei per quos voluerit
mysteria sua loqui , sicut per sibyllam , sicut per Balaam
Spct.iiist. éd. cceterosque hujusmodi.
bnat I. IV, p Cinq empereurs byzantins, Anastase, Justin , Justinien ,
'^' Justin II, Tibère-Constantin, ont régné en tout environ 91
VINCENT Dl<: Ci'AUVAIS. Su
;iiis, de 491 ^ 582 Le livre XXI correspond à leurs règnes;
mais il paile bien moins d'eux que de saint \ a;ist,de sainte
Brigitte, de saint Benoît, de sainte Radegonde, de saint
lîrendan et saint (]olumban. Il contient d'ailUurs des arti-
( les sur les papes Symina(|ue et \'igile; de;» citations d'En-
nodius , de Cassiodore, d'Arator, de Sidoine Apollinaire. Ce
dernier avait disposé ses noms ou prénoms eu cet ordre :
Sollius AjwUinaris Sidonius : on croit qu'IIélinand et Vin-
cent de Beauvais sont les preinif^rs qui aieni écrit Sidonius
yi poil in a ris. \ incent extrait aussi de Grégoire <Je Tours
quelques textes relatifs aux premiers temps des annales de
!a France, à Clovis etàClotilde, à Clotaire, à Cliildcher t, à
Chilpéiic. Ces notions se prolongent dans le livre XXIl ; il
y est question de Gontran , de Frédegonde, de la reine
Bruneliault; mais une grande partie de ce. livre ne consiste
(ju'en morceaux des œuvres du pape saint Grégoire. Ce
pontife était contem|)orain des empereins Maurice et Pliinas,
dont les deux règnes, de l'an j82 à 610, fixent les limites
entre lesquelles cette partie du Miroir historique est ou
devait être renfermée.
En lisant le XX!!!' livre, nous parcourons l'histoire de
quatorze empereurs, à partir d'Héraclius, et nous atteignons
1 année 802 où Xicé[)hore succède à Constantin V. Entre les
personnages que \ incent de Beauvais nous montre dans cet
espace d'environ deux siècles ( le viT et le vmT île l'ère vul-
gaire), on remarque Mahomet, Pépin- le-Bref, le pape
Etienne, et trois écrivains recomm;indables : Isidore de Sé-
ville, Béda et Alcuin. A l'entrée du ix' siècle, Charlemagne
rétablit l'empire d'Occident : son règne impérial, ceux de
Louis-le-Débonnaire, de Lothaire, de Louis II, île Charles-
le-Chauve, de Charles-le-Gros , de Louis III, d'Otton-le-
Grand, dOlton II et d'Otton III mort en 1002, ont aussi
ensemble une durée de 200 ans, matière du livre XXIV.
L'histoire de Charlemagne est puisée dans les chroniques de
Turpin, de Sigebert et d'Hélinand ; Rohind et Ferragus y
figurent. Pour retracer les actions d'Alfred , de Hastings et
de Rollon , de Dunstan et d'Edgar, l'auteur a souvent recours
aux récits de Guillaume de Malniesbury, ainsi cjue l'a re-
marqué Vossius. En d'autres chapitres, il transcrit des textes
de Rhaban Maur,et il admire la profonde science du pape
Gerbert ou Silvestre IL Le livre vingt-cinquième offre une
image, mais bien imparfaite, du onzième siècle, durant
XIII SIF.CLE.
381
\n\ SiKCLF.
^^12 VINCENT DK BEA II VAIS.
lequel régnèrent les empereurs Henri II, Coiirad-le-Sali-
r|ue, Henri III et Henri IV, jusqu'en nofS. C'était dans le
cours He cet âge que Pierre Damicn , Anselme de Cantor-
héry, Hildehert du Mans, avaient achevé ou commencé les
ouvrages dont Vincent nous fait lire ici plusieurs pages. Les
événements quil retrace ou qu'il indique sont la conquête
de Guillaume de Normandie, la condamnation de l'hérésie
de Hérenger, les entreprises du pape Hildebrand ou Gré-
goire VII, et la première croisade. A ces récits fort alnrégés
se joint un assez long examen des erreurs théologiques des
Juifs et des Sarrasins.
Des six livres dont il nous reste à rendre compte, quatre
se rapportent au xiT siècle, et deux à la première moitié
du xiii'^. Ees règnes des empereurs Henri V, I.othaire II,
Conrad III, et Frédéric Barbeiousse ; l'empire disputé entre
Philippe de Souahe, Othon dç Brunswick et Frédéric II;
dix pontificats, dont les plus mémoraMes sont ceux de Pas-
cal II, d'Innocent H , d'Eugène III, d'Adrien IV, d'Alexan-
dre m ; les progrès de la France sous les rois Loui.s-le-Gros,
Louis-le-Jeune, Philippe-Auguste; en Angleterre, les démêlés
de Henri II avec l'archevêque de Cantorbéry Thomas Becket;
les expéditions à la Terre-Sainte; les écrits de Hugues du
Fouilloi, de Hugues de Saint-Victor, de Bichard de Saint-
Victor, et de saint Bernard : tels sont les matériaux des livres
XXM, WVII, XKVIII et d'une partie du X\IX^ On peut
observer qu'il n'y est rien dit cle Jean de Sarisbéry, qu'il
n'est fait (|u'une mention extrêmement succincte d'Abélard,
et même du maître des sentences; tandis que le livre XXVIII
tout entier n'est composé que d'extraits des œuvres de saint
Bernard.
L'histoire du xiu'' siècle commence au chapitre 64 du
livre XXIX, se continue dans le XXX% et atteint dans le
XXXP les années i244i ia5o, 1254- Excepté une longue
série de textes d'Hélinand, Vincent de Beauvais ne nous
offre plus que des notices historiques , et ne cite que les écrits
d'où il les tire. Elles ont pour objets la prise de Gonstanti-
nople par les croisés; les actions et aventures des empereurs
francs, Baudouin et Henri; après la mort du premier, l'ap-
parition d'un faux Baudouin; les guerres entre le roi de
France et les rois de la Grande-Bretagne, Richard et Jean-
sans-Terre; la victoire de Philippe-Auguste à Bouvines; les
revers du comte de Boulogne, Regnauld , et de Ferrand ,
VINCFAT DE BEAUVAIS. 5i3
XIII SiteLE.
comte deFlandie; la con(!ainn;ition d'Amaury de Chartres;
la croisade contre les Albigeois; les vies et les miracles de
saint nomiiiH|ue et de saint François; les deux ordres mo-
nasti(jne> (jm'iIs ont tondes; la lepudiaîion et le rétablisse-
ment de la reine Ingehiirge; l'entieprise infructueuse du
prince Louis, appelé jiar les Anglais à rt'gner sur eux; les
démêlés de Frédeiie 11 avec les papes Innocent 111 , Hono-
rius m, Giegoire 1\; les travaux apostoli(|ues et les écrits
de Jacques de Vitry, spécialement ce (pi'il a raconté de la
bicidienreuse IMarie d'Oignies; l'histoire édifiante de quel-
ques autres Liég(,'oises ; ctlle de saint Edmond, archevêque
de Cantorbery; celle de saint Pierre de Vérone ou de Milan;
le siège d'Avignon et divers détails de l'expédition de Louis
Vlll en Languedoc; la mort de ce j)rince; les troubles de
l'Université de Paris, les mouvements et les mœurs des
Tartares, d'après les réiits des missionnaires Ascelin , Simon
de Saint-Quentin, Jean de Plancarpin; la première croisade
de saint Louis; les succès et les revers des chrétiens en
Orient jusqu'en i-2Jo.
On a |ju remarquer, presque en chaque livre, des articles
qui apjjartienrient à l'histoire de France. Un volume où ils
sont réunis est indiqué dans la Bibliothèque historique du Bibi. hut. de
P. Leiong, sous ce titre : Fraismenta rerum Francicariim '*'''■ 'kcVc **'
au origine nionarcluœ ad anniiin laoo, excerptd e C)pecuio
historiali Vincentii Bclloi'acènsis. Si ce volume est imprimé,
l'édition n'en est in(li(|uée nulle part; si c'est un manuscrit, on
ne dit pas où il se trouve; et dans les deux cas, il ne nous est
pas autrement connu Nous ignorons s'il renferme un certain
chapitre dont nous n'avons point parlé, parce qu'il manque
dans les meilleurs manuscrits, et que l'authenticité en peut
sembler douteuse. Il y est question du retour de la couronne
de France à la race car lovingienne : De reditu regni Fran-
coruni ad stirpeni Caroli. Nous y apprenons que ce retour spec. hiMm
s'est opéré dans la personne de Louis Vlll, fils de Philinjie- i «i", c. 26, c d
\ l'T i II J II • I r 11 > IJ Uuac. t. IV, i>.
Auguste et d Isabelle de Ilainault, laquelle |)ar son père Bau- ^^.g ^^^^\
douin , descendait d'Ermengarde , Hlle de Charles-Ie-Simple.
Le très-court chapitre qui termine le livre XXXI mérite
plus d'attention, à raison des notes chronologiques dont il
se compose. L'auteur a sommairement décrit , dit-il , le cours
du sixième âge du monde jusqu'à l'année alors courante, la
iS^du règne de Louis IX, la •1'^ du pontificat d'Innocent IV,
la 1244' depuis l'incarnation de Jesus-Christ; la 5io5*, ou,
TomeXVlîl. T tt
xin sik i.b;
5i4 VINCENT DE BEAUVAiS.
suivant un autre calcul, la S'i/^i^ depuis la création. Il n'er»
faut pas moins retarder la <oinposiiioii ou lachèvement du
Spéculum historinle , jusqu'à l'an inôo, si l'on tient compte
de l'un des tierniers récits, expressément daté de cette année-
là : ^cta eniin sunt hœc anrio Doniini 1260, regni veto
ibid.p. 1^13. J^udo^-ici 2/|; et jusqu'à i254i si l'on a égard à ce rjui est dit
ensuite d'une canonisation proclamée par Innocent IV en
l'an lo de son pontificat: Petrus Mvdiolaiiensis quein et papa
Innocentius , hujus noniinis quartus , anno ponlijicatûs sui
deciino canonisavit . . . tertio calendas Mali.
Après ces dates, le Miroir historial ne contient plus que
l'épilogue dont nous avons déjà indiqué le sujet : Epilogus
Speculi histotialis continens tractatuni de ultimis teniporibus.
1533 "^ ' ^^ La mort des iiomrnes, la lin du monde, catastrophe (jtii, selon
sainte Hddegarde, doit arriver avant l'an 237(1 de I ère vul-
gaire; l'avènement de l'an tfclirist, (pi i naîtra dans la Bahvlonie,
au sein de la trdju de Dan, qui régneia i2<jo jours, ({ui persé-
cutera les prophètes H<*noeh et Elle, mais qui périra lui-même
exterminépar saint .Michel; la conversion des Juifs, dont i44
mille souffi iront le martyre |)our la foi chrétienne; la résur-
rectiondes corps, le jugement dernier et général; l'extinction
et le rét.ihlissement (les lumières du soleil et de la lune; le sort
des réprouvés, celui d(S élus, et le renouvellement de luni
vers, telles sont les matières des ^4 chapitres dont se com-
pose cet appendice.
Nous venons de parcourir toutes les parties d'un vaste
recueil qui, depuis la lin du xui^ siècle jusqu'au milieu du
xviu«, a été fort loué et fort critiqué. Henri de Gand y a
trouve çà et là beaucoup d'articl<^s utiles aux lecteurs stu-
dieux : Milita hinc indeinserens studiosis lectoribus profiitura.
Dr Scr. ecci. {jp Italien qui écrivait, en i38i , un traité de la hiérarchie
Bongars, Gesta sous-célcste, Comptait Vincent au nombre des plus illustres
DeipeiFi. prsef. liistorjens tiaii(_ais, avec Grégoire de Tours et Turpin de
°- ^- Reims. Cent ans plus tard , IVithèine lui décernait le premier
rang entre les auteurs : f if in divinis scrlpturis studiosus et
excrcitatus ac veterum Icctione dives , inaenio s'ihtUis et ser-
mone compositus , tantum litteris studiiun adhibuit ut nullis
unquaru lahoribus , vigiliis vel occupationibus ab earum
culturâ poliierit evocari , quin semper aut iegeret , scriberet
vel prœdicorct. Tantus itaque fuit ut post se necdian habuerit
parent, si ardua qitœ scripsit opuscula ex niidtis laboriosè
collecta, œqud lance cuni cœteris ponderentus.
l'rilli. UeSci
fcti. n. .'ifiT.
XII [ SiffCLE.
VINCENT DE BEAUVAIS. 5i5
C'est dans l'ordre même auquel il avait appartenu que
Vincent a trouvé le premier censeur sévère de son faraud
travail : nous voulons parler du Dominicain espagnol Mel-
clnorCaiio, qui mourut en i5(')0 , laissant entre autres écrits
. , T\ I ■ I / • • '1 ' • • l*e locis Ineo-
un traite De locis theologicis , ou il se recrie vivement contre i^g. | xi, c 4,
les histoires miraculeuses semées avec tant de profusion p. f)V , 541.
dans le Spcculiini inajns , surtout dans Vhistoria/e ; il se
j)laint particulièrement de la multitude de contes puériles
qu'on y débite sur la sainte Vierge; il pense, non sans
quelque f.iison, que ces tables pieuses affaiblissent la véné-
ration et la foi dues aux récits authentif|ues auxquels on
les associe. Cette critique n'est point restée sans iniluence,
tant parce qu'elle n'était pas dénuée de fondement, que
jiarce qu'elle se lisait dans un livre qui a eu long-temps du
renom et même de l'autorité. Cependant l'ouvrage de Vincent
conservait sa célébrité au temps desVossius et des Scaliger. Il
continuait d'être recherché comme renfermant beaucoup de . l^«Hisioi la-
choses qui ne se rencontr.iient point ailleurs. Il se reim- '""*' ' '"^ ^
primait, ainsi que nous l'avons vu, à Venise et à Douai.
Quoiqu'il y ait, selon Labbe, de l'exagération à tlire avec
Tritlième (jue l'auteur du Spéculum n'avait point d'égal , le Scaiigerana
cardinal Bona reproduit les éloges donnés à son érudition, ^^ ''
à sa science universelle : Fir omniscius ne phirimœ lec-
tionis. Quelques-uns ne voulaient voir en lui qu'un pla- Dissert. de Scr.
giaire : pour écarter oa atténuer ce reproche, l'iiomasius, !"'"' '' "' ^
dans son traité du Plagiat, fait observer que Vincent lui-
même présente son propre ouvrage, non comme une com-
position originale, mais comme un recueil d'extraits; et il
juge admissible l'excuse tirée d'un aveu si formel : Plagii r,?^V^i'
enim culpa solei ex eo depelli qui ipse in opeiis totius prologo
apertè se profiteatur non tractatoreni sed excerptorem , et
nos utcunque ndniittimus. Quensted ne met aucune res-
triction à l'hommage qu'il rend au hiborieux écrivain qui, De vi.is iiu.»-
|)ar un si va.^te ouvrage , s'est acquis une renommée non tiib. p. 389.
moins étendue : Qui longé latèquc nomen suum dijfudit
vasto illo et laborioso opère. Morhof est loin de professer
pour lui tant d'admiration; il lui applique pour tout éloge
le vers tl'Horace : Cum flueret hitulenius , crat quod tollere
velles. Il avoue qu'il y a dans ce fumier des parcelles d'or,
des textes et des documents qui ne nous seraient point par- ''°'^'' ' '' !
venus, sans le travail assidu et les longues recherches du "Va"! ; i. il , 1!
<ompilateur, et dont on a profité depuis en rédigeant des ii,p-''-4
T tta
DePlacio.sctI.
5i6 VINCENT DR BEAUVAIS.
XIII SIECLE.
livres du même f^enre; mais il y retrouve l'ignoranre gros-
sière et, en fait d histoire, toute la créduUté, sinon la mau-
vaise foi, des moines du nioven Age. Boeder se horne à dire
Deuiiiitaie ^"^ '*^ Miioir liistorial fourmille de futilités. Le juge qui a
l'itndii ex hisio- pour Vincent 1(> moins dimlulgence, est celui i|ui peut-être
'''^- en aurait le jilus besoin jjour lui-méfne, Adrien Baillet, qui
Disc. sur riiisi. '^ déclare en |)ro[)res tet mes un j/itoyaldc historien, « destitué
«le la \ie<ies .S.S. « de lexaclitudc et du (lisceriicrnent nécessaires pour une si
" ~'^" « importante eommis-^ion, etijui a mal ré|)ondu an choix eth
« l'intention de saint Louis.» Flciuv se g ude bien d'em[)loyer
ces ex])ressions injurieuses. Sil fiit remarcpier les défauts
du Spéculum niajus , c'est pour montrer combien les études
et surtout la critique liistori(pje étaient imparfaites en ces
temps-là. Briicker croit y trouver de plus un exemple mé-
Hist. etcles. I. morable,une preuve sen>ible de la stérilité intellectuelle qui,
ixxxiv, n. 5r suivant lui, réduisait alors les meilleurs esprits à l'industrie
de compilateurs, opinion qui, dans cette gétu-ralile, nous
Tii '*'■ o-^ot'' semblerait fort contestable, mais fine nous n'avons point à
ni, p. 783-785; ,. ■ ■ ,^ ■ r I- ■ ' 1- • T7- I I-
t. VI, p. 592- discuter ICI. (Quoique tort dispose a refusera Vnicent laquali-
593. ' fication d'o/n/iiscius que Bona lui a si libéralement décernée,
Bru( ker lui sait gré d'avoir resserré la ])l)iloso|}hie scclas-
tique en d'étroites limites, et i! reconnaît dans son ouvrage
U1K3 collection encyclopédique, utile au moins par les mor-
ceaux précieux qu'elle nous a conservés.
Les premiers rangs dans l'empire des lettres appartiennent
sans contredit aux écrivains originaux qui étendent les
connaissances humaines, qui agiandi.ssent une science, qui
enrichissent un art, qui conçoivent ou expriment des idées
nouvelles. Il serait ptrmis, (puii rpi'en ait dit Biucker, d'at-
tribuer cette gloire, jusqu'à certains degrés du moins, à
quelques auteurs du xui*^ siècle; jiar exemple, à Guillaume
le Bieton ,il.nis un genre purement littéraire; à saint l'homas
d'Aquin, dans les études théologiques; surtout à Roger
Bacon, en de plus vastes et jdus ddlieiles carrières. Quant à
Vincent (ie Beauvais, cet éuunent hoinieur ne lui est pas dû
sans doute; il n'y a point aspire. Mais si queUpie estime
est réservée aux hommes laborieux qui consacrent leur vie
entière à recueillir et à lépanJre les coiuiaissances acquises
jusqu'à réj)0(jue de leurs propres travaux, il nous paraît
l'avoir méritée, j)lus peut-être (piaueun de ses contempo-
rains. Nous n'avons plus à le di-sculper de l'accusation de
plagiat : quand on nomme , comme il le lait , tous les auteurs
VINCENT DE BEAUVAIS. 5i7
dont on va transcrire ou abréger les discours ; quand on rend
si tidèleincnt à chacun tout ce qu'on lui a emprunté, on ne
dérobe rien à personne. Ce n'était là qu'un lecueil, qu'une
compilation, si l'on veut, mais qui coordonnait et rendait
immédiatement accessibles à tous les hommes studieux de ce
tem|)s, d'innombrables notions éparses dans une multitude
de livres. Vincent leur épargnait tout le travail qu'il s'était
imposé à lui-même; il leur offrait tous les résultats de ses
longues recherches.
La classification de tant de matériaux lui appartient. Il a
cru pouvoir les comprendre tous sous les trois titres géné-
raux de Nature, de Science et d'Histoire. En suivant l'ordre
des six jours de la création, il a successivement étudié le
Créateur même, les purs esprits, les cieux, les astres, les
éléments, la terre, les minéraux, les végétaux, les animaux;
l'homme enhn, son ame et son corps. I>es sciences ont été
distribuées par lui en six classes : i° Les doctrines littéraires,
c'est-à-dire la grammaire et la logique sous-di visée en dialec-
tique, iliétorique et poétique; 2° les doctiines morales, qu'il
nomme la monastique, l'économique et la politique, en éten-
dant ce dernier titre sur lajuri.=prudence; 3" les arts mécani-
ques; V lt"s sciences physiques, rattachées à la médecine; 5° les
siiences mathématiques, sous lesquelles la métaphysique
est comprise; et en ù^ lieu, la théologie. Il a trouvé et laissé
!'hi^toire divisée eu six âges du monde, dont le ilernier cor-
respondait à l'ère vulgaire. Ce plan n'est assurément point
à l'abri de la critique; mais après tout, c'était un plan,
et le moins imparfait, ce semble, qu'on eût jusqu'alors pro-
posé. Il restait, il reste peut-être encore aux connaissances
humaines bien des progrès à faire, pour devenir susceptibles
d'une classilication exacte et com|)iète. Il est vrai aussi que
beaucoup d'articles sont omis oudclèctueux dans la collection
qui vient de passersousiiosyeux : il s'en faut qu'elle embrasse
toutes les sciences. Entre les omissions plus ou moins graves,
nous n indiquerons ici que celle des productions litt('raires
dans les deux langues d'Oc etd'Oil, productions déjà pourtant
bien nombreuses, en vers et en prose, avant i aSo. Vincent qui
a connu et fréquenté Hélinand, qui cite ses écrits, qui copie
souvent sa chronique, paraît n'avoir aucune connaissance
de ses stances sur la mort. 11 ne nomme aucun trouvère,
aucun troubadour, pas d'autre romancier que le prétendu
Turpin qu'il prend pour un historien. Les littératures en
1 6
XUI SIECLE.
5i8 VINCENT DE BEAU VAIS.
XIII SIKCLE. , , . ... ,. ,,
langue vulgaire ne semblaient pas encore dignes d entrer
dans le cours général des études.
Que Vincent ait partagé les opinions accréditées parmi
ses contemporains, y compris celles qui depuis ont été ju-
gées superstitieuses, on ne saurait le lui reprocher sérieuse-
ment, sans méconnaître l'empire qu'exercent toujours sur
les esprits les plus cultivés, les habitudes et les traditions de
leur pays et de leur siècle. Mais lorsqu'il grossit ses livres de
tant de relations fabuleuses ou mensongères, déjà incroya-
bles de son temps, il altère sans nécessité l'utile instruction
qu'il s'est chargé de pro|)ager ; et sur ce point, ni les -excuses
qu'il allègue, ni celles qu'y ajoute son apologiste Echard, ne
Scr.ord.Prad. nous paraissent admissibles. Il n'entend, dit-il , ni affirmer
i.I,p.235,a . jjj lejeter ces prodiges; et, selon lui, on les peut croire sans
péril, pui-sque après tout. Dieu a pu les opérer. 11 attribue
cette dernière maxime à saint Jérôme, qui n'est point l'auteur
du livre apocryphe où elle se rencontre. Toute altération de
la vérité estun dommage, tout abus de la confiance des lecteurs
est une infidélité; et l'histoire n'est plus une science, elle
n'est plus une étude raisonnable, quand des récits merved-
leux, qui ne sont aucunement attestés, usurpent la place des
faits positifs, rigoureusement vérifiés. Nous croyons donc
qu'à cet égard les remarques de Melchior Cano subsistent,
et (lue Vincent avait raison de regretter le temps et l'esp icc
employés à recueillir tant de fables.
Les écrits et les documents qu'on doit lui savoir gré de
nous avoir conservés, sont ceux qui tiennent à de véritables
études, à des doctrines, à des traditions, à des erreurs même
qui ont obtenu quelque crédit ou exercé quelque influence
dans le cours des âges. Ses livres nous olfrent en effet un
tableau, ou, pour conserver leur titre, un Miroir des travaux,
des progrès, des écarts de l'esprit humain. C'est par là qu'ils
se recommandent; il n'y a plus guère d'autre instruction
immédiate à y chercher aujourdhui. Us n'ont presque plus
rien à nous enseigner, mais beaucoup à raconter. Toutes les
fois qu'on voudra savoir quelles étaient en France, vers laôo,
la direction et les matières des plus hautes études, quelles
scieiicis on cultivait, quels livres, soit anciens, soit alors
modernes, étaient lus ou pouvaient l'être; quels auteurs
étaient connus ou ignorés, admirés ou négligés; quelles
questions s'agitaient, quelles controverses se perpétuaient;
quelles opinions, quelles doctrines prévalaient dans les
VINCENT DE BEAUVAIS. Sig
, , , , , 1 1 ' I- . I . "" SIÈCLK.
écoles, dans les monastères, dans les églises, dans le monde;
ce sera surtout à Vincent de Beauvais qu'il faudra le de-
mander. De tous les ouvrages du xin« siècle, le sien est
celui qui peut jeter le plus de jour sur l'ensemble et sur
plusieurs détails de l'histoire littéraire de cet âge. Nous dé-
sirons que cette considération puisse servir d'excuse à la
longueur de l'article dont il vient d'être le sujet. D.
NOTICES
SUR DES AUTEURS DONT LES OUVRAGES ONT PEU D IMPORTANCE,
OU APPARTIENNENT PEU A l'hISTOIRE LITTERAIRE DE LA
FRANCE.
I. JEAN DE LOUVAIN, dit le Précurseur, moine cister- „
,, o 1 I 1 ■ I TTii Mart. Thés.
cien , mort vers 1 an 1190. beion la chronique de Villers, aoecd. t. m , p.
moniistt're cistercien au diocèse de Namur, ce moine, d'abord »367.
sacristain de l'église de son couvent, en devint ensuite le
celléiier, ay.nit le gouvernement des irères convers : Conver-
soruni modevator ; et enfin, dans ses vieux jours, il fut
maître des novices: Càni jnni veteranus , dit la chronique,
et cnieiitœ mititiœ senex esset , inslituendoruin novilioriim
officiinn strenuè adinrplehat ; et ex lus quœ Ion go usu didi-
cerat, riidei adliuc mentes contra tripliceni funiculum carnis,
niunni ac diaholi, qui difficile rumpitur, exempUs tcim ve-
terihus , qiiàni recentionbus cou tiares adversiis vitia reddehat.
Il s'occupait en outre à écrire les actions mémorables des
saints. La chronique citée ci-dessus lui attribue quelques
ouvrages (pie la Bibliothèque ci.stercieniie dit être restés dans Bibiioih. cii-
l'nbbaye de Villers, et dont voici les titres: \° Liber de vitis •^'"'' P- '7*-
Chris ti salvatoris et B. Virgin is Mariœ ; 1° Vitœ plurimonim
religiosornm sanctitate iUustiium illiiis doniûs ; 3" Liber de vitd
boni monachi ; [\° Alii phires. — Ce moine transcrivit encore,
pour l'usage de son monastère , un recueil ayant pour titre :
Opus pium , renfermant le psautier, des oraisons et des vai Andr
litanies, pour être récitées auprès des agonisants. Valère Bibi. belg. 591.
André et Ilenri(juez parlent à peu près de même de ce Menoiog. p.iga.
religieux.
520 NOTICES
XIII SIÈCLK.
On ne peut spécifier aucune date ni de sa vie, ni de sa
mort; mais la chronique de Voiliers citant dans le chapitre
qui suit cehii de ce moine, le nom d'Ulric qui fut abbé vers
Gaii. christ. p. l^i fiu du xii^ siècle, on peut conclure de Va que Jean de
3-585. Louvain mourut avant ou pendant la prélaturp d Ubic. Si , à
cette considération , on ajoute ce que la chronique rapporte
au même endroit , en disant qu'un ancien sacristain , nommé
Jean, apparut après sa mort à l'abbé Ubic, on en déduira
a lie ce sacristain était probablement celui qui fdit le sujet
e cet article, et qu'il mourut un peu avant cet abbé, qui
mourut lui-même en 1190. P. R.
Theod Pcti. II. MARTIN DE LAON , né dans la ville de ce nom,
Bibiioih. Car- était pricur de la Chartreuse du Val Saint-Pierre, entre les
ihu». p. 238. _ années 1170 et 1 180. On ne sait pas la date de sa mort. Il
Possevin-Appar. . ' . i. i. i e •• i ^ ^
s. t. II. —Du a pu vivre jusqu a louverture du xiii siècle, et même jus-
Cangc, ind. au- qu'à l'an I ii26. Du restc, il n'est connu que par une épître
thor col i3o._ ^ ^^ novice qui sonjreait à quitter ce monastère, pour entrer
F»br. Bibl. med. , \ ". .• »i»-i- -iil
et inf. lat.v. 40. daus uu Ordre moins rigoureux. iMartin lui conseille de
— Oudin.Coni. persévércr dans sa première vocation; et ce qu'il y a de plus
''*^tr''ccV"' remarquable dans la pieuse exhortation qu'il lui adresse,
c'est qu'elle est toute composée d'expressions bibliques, de
pensées et de paroles empruntées aux livres sacrés. Un ano-
nyme a fait en 20 vers latins un pompeux éloge de cette
composition. Nul auteur, dit-il, n'a mieux connu les di-
vines écritures, et saint Bernard lui-même n'en a pas autant
profité.
Nota magis nulli doinus est sua qiiam venerando
lllius authori pagina sacra fuit.
Nulluni etenim sensuin aut dictum, vis denique verhum ,
Quod non conlineant Biblia sacra, tenet. . .
Multa quidein divus Iternardus dogniata fudit
Codice divino canonicisque libris. . . .
At nulluni legi qui sensa tôt accumulavit
E sacris verbis, ut author iste, etc. . .
Cette épître a été mise au jour par Théodore Petreius,
en iGoy, à Cologne, et réimprimée à Lyon dans le tome
XXVII de la grande Bibliothèque des Pères. C'est, sous le
titre A'Epistola sacra, un véritable traité ascétique, divisé
en 19 chapitres. P
SUR DIVERS AUTEURS. Sai
TiT inv > lU l'A I . r XmSlÈCLE.
111. IDA, première ahbesse d Argensoles, morte en 1220.
Le monastère d'Argeiisoles ("ut fondé, en 1-222, par Blanche, oaii. cir. 1.
comtesse de Cliainpagne et de Brie. Elle y appela pour ab- IX, p. 478.
besse Ida, religieuse de Saint-Léonard près de Leyde, et
ce nouveau monastère lut soumis à la règle de Cîteaux.
L'abbcsse Ida avait acquis une certaine célébrité, et un re-
. ligieux du même ordre qu'elle, Philippe, moine de la Char-
moye au diocèse de Cliàlons, avait écrit sa vie, t|ui est
restée manuscrite, et inconnue à l'auteur de la Bibiiothèciue ,S"^ '' *^*"^' ''
cistercienne. 1 iiomas de Lantimpie lui consacre deux arti-
cles tiaiis son livre des Abeilles. Dans le premier, il dit que Bibl. cisierc.
cette abbesse, qui n'avait jamais lait d'étude littéraire, p- 220.
était parvenue à comprendre non seulement les livres de .. """ •= Can-
, , ' . , 111-11 tim|).de.4pibus,
théologie, et a se rendre habile dans cette science, mais p. ^îo.
encore à saisir parfaitement les livres de saint Augustin sur
la Trinité, au point qu'elle en exposait clairement la doctrine,
et qu'elle en résolvait les (juestions les plus difficiles. Dans
le second, il laconte comment elle demanda à Dieu de
mourir en rem|)Iacement de la comtesse Blanche, et qu'elle
oljtint cette grâce. On ne sait rien de plus des faits qui
concernent sa vie, si ce n'est qu'après avoir administré son
abbave durant l'espace de quatre ans, elle mourut le i3
." ,. ' ' T. r» U3\\. chr. t.
janvier 1226. P. R. ix,p.478.
IV. ALEXANDRE NECHAMUSouNeckamestun Anglais Baieus, m, 86.
né à Hartford, peut-être vers ii5o. Ses contemj)orains
changèrent i)ar plaisanterie son nom en Nequain; depuis il
•. ' 1 C ■ I ' I IVT l'i I Brompton, vfl
a ete, par erreur, quelquetois appelé de iNuques. Elevé dans auctor chronici
le monastère de Saint-Alban, il se distingua par de rapides Joievaliensis.
progrès. On lui confia l'école de Dunestable; mais il brilla Bi>'cker,Hist.
bientôt sur un plus grand théâtre, l'iolesseur a Pans en iii,p. ^^85.
1180, il attira une foule nombreuse d'auditeurs, qui admi- Eg. Bniaei ,
raient en lui un théologien profond, un habile philosophe, ""''■ ^""'- ***"
un rhéteur disert et un fécond poète. Cependant il voulut él^^jj. '''' ''
revenir dans sa patrie : en 1 18G, il redemanda son école de Cave, Hisior.
Dunestable, qu'il reprit en effet en i 187. Après l'avoir tenue ''"';'■• Scnpt. ec-
durant une année, il désira de passer a celle de Saint- laiS, p. ^07.
Alban, et en fit la demande à l'abbé Guarin qui, dit-on, DuCange, ind.
lui répondit : Si bonus es , ■vcnias , si nequam , nequaquam. '^°';,^*:
rv- ' ,. ,, . |,, , . '. .1-1 Fabric. Bibl.
U autres disent que c était I habit monastique qu il avait de- ^gj e, inf |a,
m,andé, et que l'abbé ne lui accorda point. Neckam se 1. 1, p. 66,67.
consola de ces refus, quels qu'ils fussent; il s'en moqua ^^- Hearne,
Tome XV m. V v v
? 6 *
532 NOTICES
XIII SIECLE.
même, se fit chanoine régulier de l'ordre de Saint-Augustin,
colieri. i.iil.p. et devint en laaS ;i!)bé d'Exeester. Il mourut eu isa--, et
' Lcland c 218 ^'^^ inscrivit sur sa tombe les quatre vers suivants :
Lejser, Hist.
puera, mrd. xvi, Edipsim patitiir .sapieiitia , sol scpelitiir ;
yy2 , gfj'î. Cul sl par uiiiis, iiiinus csset llel)ile l'umis:
Oudin, Coiii- Vir belle tlisertiis et in onini more facctiis;
ment. Scr. eccl. Dictus erat Aequain , vitaiii diixit tanu-n aeqiiam.
I III, p. 4-8.
uanirT 32' ^ ^^ liste de ses écrits est fort longue; mais ils ont si peu
.SaxiiOi.oinast. d'impoftance qu'il n'en a été rien imprimé, siuon le.s courts
t.11,288. extraitsqu'en ontdonnés Lelind, Thomas Hearne, Bromp-
ton, Du Boulay, Cave et Leyser. Les poèmes de Neckam
avaient pour titres: De laudc snpientlœ ; De ojficio iiiona-
choruin ; yid viros religiosos ; De convcrsionc Mcip^dalenœ ;
Cornniendationes vini; (arminci dwersa. \\ a veisifié aussi
des fables, un nouvel E.sope, et, dit-on, un nouvel Anien;
c'est sans doute Avien qu'on veut dire. Le premier de ces
apologues conTmence par ce \ers : Ini^luvie cogente lupus
duni dei'otnt agnum. Neckam entremêle des vers à ses pro-
ductions en prose, suitout à la plus consiilérable de toutes,
à ce qu il semble, celle qui traite de la nature des choses :
De Naturis ou Laudes dà'inœ Sapientiœ , en sept livres. Il y
est dit que la culture des lettres assure la puis.sauce et la
prospérité des cités; ce que l'auteur croit assez prouvé par
les exemples d'Athènes, de Rome et de Paris : Lt patet de
Grœcià qiiando florucrunt studia Athcnis , de Roinâ , de
regno Francorum ex quo floruerunt studia in illo. l ictoria
enim militiœ et gloria philosophiœ quasi siinul concuvrerunt
et hoc merito , quia philosophia vera docet juste, etc. Plu-
sieurs de ses autres ouvrages consistent en explications
de l'Ecriture sainte, soit qu'ils concernent particulièrement
certains livres de l'ancien ou du nouveau Testament, tels
que les Psaumes, les Proverbes, le Cantique des cantiques,
Ezécliiel, les Evangiles; soit qu'ils embrassent la Bible en-
tière: J ocabidariuni bihlicum, Lectionesscripturarum, Con-
cordant iœ hibliorum , Correctiones biblicœ, Super utrumque
Testanientum. C'est à cette même classe qu'appartient le
livre de Neckam, intitulé : Eiucidatonum bibliothecœ ; car
il ne fait qu'y ëclaircir des passages difficiles de la Bible;
et ce n'est pas , au moyen âge , le seul exemple de
l'application spéciale du mot Bibliotheca à la littérature sa-
crée. On a du même auteur un grand nombre de traités
XllI SrECLE.
SUR DIVERS AUTEURS. 533
théologiques, savoir: un sur les règles de cette étude; 4 sur
les vertus, la foi, l'espérance, la chaiité, les degrés de l'hu-
milité, les préceptes du décalogue; 4 concernant le symbole,
les causes de l'incarnation, 1 avènement de Jésus-Christ
l'exorcisme ou le baptême; six sur les mérites de la Vierge
Marie, sa nativité, sa pureté, son alliance avec Joseph, son
annonciation, son assomption; un manuel de la vie et de la
mort; et 18 sermons. Alexandre Neckam a commenté les
livres dAristote sur l'ame et sur les météores, les métamor-
phoses d'Ovide, une partie de l'ouvrage de Martianus Capella-
et composé un abrégé de mythologie. Il a de plus laissé des
traites élémentaires de grammaire : hngogicumde gramnia-
ticd , Corrogntiones de tropis et figinis , Repertorium voca-
bulorum, Distùictiones verbonim , De accentu in mediis
syllahis , De nominibus utensilium ; enfin des mélanges :
Quœsdones variœ , Speculwn speculationum en quatre
livres, etc. Toutes ces compositions ou compilations de-
meurent inédites; et l'on n'en trouve des manuscrits qu'en
Angleterre, à l'exception toutefois du traité de la nature des
choses, dont il y avait des copies à Tours et à Saint-Gerraain-
des-Prés. D.
V. EUDES DE SORCY ou Sorcey , évêque de Toul. — Il
ne faut pas confondre ce prélat avec un autre Eudes, aussi
évêque de Toul, auteur de statuts contre les ravis.seurs, les
hérétiques elles apostats. Celui-ci était mort depuis vingt-un
ans, lorsque l'autre parvint au siège épiscopal. Eudes de Sorcv ,. ^ .
^ • > 1- • f -111 11^ • . ■^, D. Calmet ,
appartenait a 1 ancienne mmnWd&cenoxQ^deCiorcejoantiqud Hist. de Lorrai-
propagine natus. En iai8, il fut élu évêque de Toul, et »":,t. i, c. 180.
couverna ce diocèse pendant dix ans, et non sans avoir de . ?,*""T*'' **!*'■
y. , 1 • ' A I 1 T. deToul, p. i3o.
fréquentes altercations, tantôt avec le comte de Bar, et tantôt
avec le comte de Champagne. Les motifs de ces altercations
et les événements qui en furent la suite, sont racontés en détail
dans l'histoire de Lorraine, mais ne peuvent nous intéresser d Calmei
aujourd'hui. Illudesde Sorcy mourut en ia28,et il fut enterré Hisi. de Lorrai-
diins sa cathédrale, à laquelle il avait fait plusieurs legs •>«, t.ii.p. 286
comme on le voit par ce passage tiré des Preuves de l'histoire '^^ * '
de Lorraine : Acquiswit medietatcm pugneti {^une poignée de
grains ) hujus c'witads , et huic ecclesiœ devotus contulit; item t.i.c.clxix.
oleum nuceiim sufficiens uni lampadi nocte et die lucenti in
hâc ecclesiâ ; item acquisivit duos cereos ad missam heatœ
Mariœ Virginis in perpetuum accensos , etc. Nous ne con-
V VV2
XIII SIECLE.
524 NOTICES
naissons de ce prélat qu'une lettre ou charte en faveur du
prieuré de Mervaville. Ce titre n'a rien d important , et
n'aurait pas sutH pour que son nom eût place dans notre
galerie littéraire, si les cliroiiiqucs n'eussent f.iit 1 éloge de
son érudition et de ses qualités apostolicjues, et si des bio-
graplîes ne l'eussent rangé parmi les savants de son siècle.
A. D.
lîiUioth. Bi- VI. PIERRE DEROISSY. — MontHuicon cite deux ma-
biioih. mss. 1. 1, miscrits du Vatican, dans lesquels se trouve un IManuel
l^g '•' ■ ' '' [ Manudle) de Pierre de Roissy, chancelier de l'éj^lise de
Chartres. Comme ces manuscrits contiennent en même
temps le Pénitentiel de Richard de Saint-Victor, le traité de
Jean Beleth : De officiis ecclcsiasticis, le IJbvrclericalis disci-
plinœ de Pierre Alphonse, on a lieu de croire cjue le Manuel
de Pierre de Rnissy concerne aussi l'orfice divin, les devoirs
ou fonctions des clercs , l'administration des sacrements; et
qu'il n'a pas été rédigé très-long-temps aj)rês ceux auxquels
il est joint. C'est le seul renseignement cpie nous ayons sur
l'auteur, qui apparemment était né à lioissy, prè.sde Gonesse,
et c'est aussi runi(|ue indice cjui nous autorise à supposer que
sa carrière ne s^'est pas prolongée au-delà de iy.3o. D.
\ 11. GERARD, né à Iloraigny, village voisin de Gisors,
s'engagea dans l'ordre de Saint-Renoît, et devint, en 1212,
abbé de Saint-(jermer, au bourg de Flaix dans le diocèse de
Beauvais. Il abdiqua cette fonction dès l'année même où il
Gaii. christ, l'avait acceptée ; mais il la reprit en 121 5. Les chartes ou
nova, t. IX, p. transactions qu'il a souscrites sont tout-à-fait étrangères à
79^-7^4 l'histoire des lettres; et le seul écrit qu'on lui attribue con-
siste en statuts concernant la célébration des principales fêtes
des saints et le rétablissement de quelques antiques usages.
Il mourut en i23(">. On l'enterra dans son monast^^re , et l'on
inscrivit sur son tombeau celte épitaphe :
Quid f;icitiiiis cum negligimus peccata cnvere?
Qui jacet liîc semper stiuluit bene cuncta t'overe.
Cum nioritur, non deseritur Gerardus in inio,
Sed cœlo infertur, dono ditatus opinio. D.
„ , VIII. GUILLAUME BURELL, à qui la chronique de Sa-
Gall. chr. l. . . , , i 1^ ?/• i î*
XI, p. 484. Vigny, citée a ce sujet par la Gallia , donne le surnom
d Oslilly, succéda en 121 1 à Guillaume Tollermen sur le
XIII SIECLK.
SUR DIVERS AUTF.URS. 525
siège d'Avranclies. La même chronique dit que sa probité
grandit avec sa nouvelle dignité, et elle rapporte qu'il dé-
clara, dès le commencement de sa prélature, que ni lui ni
.^es successeurs n avaient le droit d'intervenir dans l'élection
de l'abbé du Mont-Saint-Michel, célèbre abbaye de l'ordre
des Bénédictins, fondée, dans le huitième siècle, sur un roc
avancé dans la mer, aux confins de la Bretagne et de la
Normandie, et surnommée in ou de periculo maris. Ce prélat
fut du nombre de ceux qui assistèrent aux obsèques du roi
Pliilip[)e-Auguste , en I2>'i. Il fit construire un hôpital dans
le voisinage de sa ville episcopale, au bourg de Mcadone ;
et en mémoire de ce fait, on gra\a sur le mur de cet hospice
ces deux vers qui s'y lisaient encore long-temps après :
Huic (Idimii pi iiiium Gnillclmus prjvliuit ortiuii,
Quem Doiuinus faciat cœli coiiscoiulori' porliim.
Guillaume mourut en laSO, le jour de Saint-Simon et
Saint-Judc, selon la chronique tie Savigny, c'est-ii-dire le 2(S
octobre. Les titres littéraires du prélat consistent en deux Mart. Anec.i
lettres et un a( te qui nous sont restés de lui, plus un acte • i,p 9^'
que saint Louis donna en sa faveur. La première lettre, datée
de 1225 et adressée à Radulphe de Villedieu, abbé <iu Mont-
Saint-Michel /// j)ericiilo maris, a pour but d'informer cet
abbé que, selon l'ordre du légat, le prélat excommunie toutes
les personnes qui porteraient quelque dommage, soit au
royaume , soit au roi de France qui s était croisé contre les
Albigeois : elle ordonne de recueillir les dîmes qui seront
levées en faveur de ce monarque, pendant la durée de cette
guerre. Cette lettre assez étendue ne présente rien de remar-
quable, si ce n'est l'emploi de ces mo\f< : g uerra , guerrca-
tores , glurreare, employés pour guerre , cumbattants, faire
la guerre. 1 -a seconde, citée, comme la première, par Martène, ''' i' 'J'*'^
d'après un manuscrit du Mont-Saint-Micliel , était probable-
ment adressée au même abbé. Elle est datée de 122^, et le
prélat y prononce les peines de l'excommunication contre les
ennemis des biens 1 1 des personnes ecclésiastiiiues. En i aS i , !?"'''" ^^^^
I -ni - »nlie<l. t. I. |)
le roi Louis I\ donna un acte que cite encore iMartene, ,if,i,
d'après un manuscrit de Colbert, et par lequel on voit que ce
monarque, voulant réparer les dommages qui avaient été
faits au jardin de l'évêque par la construction des fortifica-
tions de la ville d'Avranches , assigne à ce prélat douze livres
de monnaie de Tours ou Tournois, à recevoir chaque année
526 NOTICES
XIII SIF.CLF . . , , , , „ ,
des mains du prevot royal d Avranches Dans les Preuves
Gaii. chiist. I. de l'Histoire de TJ^glise d'Avranclies , se trouve un acte de
Xl^, iMfir p. l'jj,, i23(;^ fait entre l'évêque et le chapitre de cette ville,
d'une part; l'abbé et le chapitre du Mont-Saint-Mirhel de
periculo maris, de l'autre, relativement à l'administration
de leurs districts respectifs. P. R.
IX. PIERRE DE REIMS, reiif^ieux dominicain, ëvèque
d'Agen, mort en ia'|2. — Ce religieux narpiit à Reims en
Champagne dans le douzième siècle, et reçut son surnom
de sa ville natale, usage assez commun en ce tetn[)s-ià. Saint
Dominique ayant envoyé à Paris, en laiy, quehjues-uns de
ses religieux, sous la conduite du frère Matthieu, j)Our y
fonder une maison de son ordre, Pierre fut un des premiers
de cette capitale qui s'agrégèrent à son institut. I! avait acquis
de la célébrité dans les écoles de Paris, surtout parmi les
prédicateurs de cette ville; il n'avait cependant pas encore
pris le degré de maître dans la faculté de théologie, mais
seulement celui d'interprète de la sainte Ecriture. Saint Do-
minique ayant remarqué en lui une grande piété, un grand
zèle pour le salut des âmes, et de grands talents pour an-
noncer la parole de Dieu, le fit élire premier prieur de la
province de France, dans le chapitre général de l'ordre qui
se tint à Bologne en 1221 , et dans lequel on fit la division
des provinces de Tordre naissant. Il exerçait encore les
mêmes fonctions en i2a4i anné-e en laquelle il envoya quel-
ques religieux à Lille en Flandre, pour y établir une com-
munauté, à la demande des chanoines et du curé de cette
ville. Frère Matthieu, prieur de la communauté de Saint-
Jacques à Paris, étant mort en laay, Pierre lui succéda après
avoir résigné ses fonctions de provincial. Vers i23o, il fut
fait de nouveau prieur provincial de France, dignité qu'il
occupait encore en i233; car il confirma en cette année les
conventions faites entre les chanoines et le curé de \ alen-
ciennes pour l'ét.iblissement d'une communauté de son ordre
dans cette ville. Il continuait d'en remplir les fonctions,
selon les uns, ou il s'en était démis, selon les autres , lorsqu'il
fut élevé à l'évèchéd'Agen. Les rédacteurs de l'ancien ne G allia
christiana ne parlent pas de cet évêque, et laissent le siège
vacant depuis 1282 jusqu'en I245; omettant aussi un autre
évêque qui l'occupa jusqu'en 1240. Cet ouvrage paraît fautif
en cet endroit. Les rédacteurs du tiouveau recueil de Go.llia
XIII SIECLE.
SUR DIVERS AUTEURS. 627
christiana ontrcparé cette omission, en plaçant Rodulphe
de i2v.8à 1235, et Arnaud A jusqu'après i24o ; car en cette
année, cet évêque reçoit les frères prêcheurs à Agen , et la
date de sa mort, (|ui arriva peu après, n'est pas fixée. Ils
composent cnsuiLe un article sur Pierre de Reims avec des
preuves tirées des auteurs contemporains, et placent sa mort
en 1^42. P. R.
X. BERTRAND DE PONTir.NY, religieux de l'ordre de
Cîteaux , a écrit par ordre de son abbé, une relation de la
vie et des miracles de saint Edme, archevêque de Cantor-
béry, mort en 1241. H a composé de plus des antiennes et
d'autres parties de l'oriice qui se célèbre en l'honneur de
ce bienheureux, le i(i novembre. Voyez l'article de saint
Edmond de Cantorbéry, ci-dessus , p. 253-'2G9; De Viscli ,
Biblioth. cisterc, p. 54; Matthieu de Westminster, p. 33o; et
l'y^nglia sacra, tome f , p. 11 5. D.
XI. ODON CLÉMENT, ou fds de Clément, était Anglais
ou d'origine anglaise. Il est quelquefois appelé Coutier, nom
d'une ancienne famille de ce pays. Engagé dans l'ordre des
Bénédictins, il devint abbé de Saint-Denis en 122g. Deux '^""'^ '^^'^'"
ans après, à la sollicitation de la reine Blanche et du jeune -îs- 388 ^8°
roi Louis IX, il entreprit le rétablissement de l'église de ce
monastère. En i234, il assista au couronnement de la reine
Marguerite, à Sens. Une maladie régnante en laSy lui en-
leva 44 de ses religieux. Il figure, à la tète de sa com-
munauté, dans les cérémonies qui eurent lieu, en I23r), à
l'arrivée de la sainte couronne d'épines. Il fut parrain d'un
fils du roi en 1241, année oii la maladie du monarque fit
déplacer, exposer, invoquer les corps des saints martyrs.
Les autres actes de l'abbé Odon Clément sont des statuts
monastiques ou liturgiques, des concessions particulières
qui tiennent fort peu à l'histoire, et encore moins à la litté-
rature. Nommé archevêque de Rouen au mois de mars 124'\
il assista en la même année au concile de Lyon. Son épiscopat
n'a duré que 23 mois; il mourut le 5 mai 1247, <^'t fut pour , xi" r 61-66
successeur Odon Rigaud qu'il ne faut pas confondre avec
lui. IMatthieu Paris accuse Odon Clément d'ambition, d'or- j,,,,,,, ,
gueil, de simonie, d'usurpation; et veut que la mort subite Hi-m. m , ann.
de ce prélat ait été le châtiment de ses vices et de ses mé- '*''7' '' ''y-
faits Sa mémoire est, au contraire, recommandée dans le
528 NOTICES
xni SIKCI.F , 1 o ■ TA ■• <
necrologe île Sa;nt-Denis , comme celle cl un abbe vigihiiit,
que sa science et ses bonnes mœurs ont eleve sur un siéi>;e
DcviiisilluMi. métropolitain. Tritlièiiie l'a (omptéau nombre des lionunes
ord. s. INiicd I II . 1 p 1 I l: • .. I) ^.. -i i - • i- •
,v ,. ,„c illustres tle 1 orthe de Saintljenoit : il a loue son érudition,
son aptitude aux atfaires et ses vertus religieuses ; / //■ doctus
et entditus , in disporiendis ecclesiœ negotiis peridoneus , non
minus relif^ionc qnatn dignitatc vencrabilis. Mais i'ritlièine,
qui a rédige un long catalogue des écrivains e(clé->iasti(|ues,
n'y a point inséie le nom d Odon Clément qui , n'ayant
laisse en effet aucune production littt'raire, mérite à peine
la mention succincte que nous venons de faire de si-s deux
dignités. D.
XII. Si AI»\C)L L ou Arnold, élu ('vè(jue d'Amiens en
1236, avait dioit à inie mention dans 1 histoire des lettres,
ce serait pour avoir pris paît, en 1227, à la dispute sur la
pluralité des bénélices. Il était alors docteur en théologie: il
Ci-dessus p. s'associa, comme nous l'avons dit, au chancelier Phili[>pe
187, 188. de Grève, qui soutenait (pie cette cumulatiori des honneurs
ou profits ecclésiastiques n'était ni ne devait être interdite.
Aucun des actes souscrits par Arnoul , durant les onze
années de son é|)iscopat, n'a offert assez d'intérêt pour être
Gaii chr n t "iséré parmi les pièces justititatives de la Gallia cliristiana.
X- pa^'. uH', , Ils sont trop étrangers à la littérature, pour qu'il nous soit
tiSj, 1186. permis d'en indifjuer ici les objets, il mourut avant le mois
de juin 1247, et fut enterré, à ce qu'on croit, dans son église
cathédrale, dont il avait fait aihever la construction. D.
Allamina, Ri
bliotli. Domin
p. I \. — Sri ip
Xltl. RAINIER DISORliLI.A, dit le Lombard, était né
dans !e territoire de Biescia, au sein d'une famille qui tenait
un rai;g distingué. Il entra , on ne sait en quelle année, dans
ord, Piaedic. 1. 1, l'orilie dcs frcrcs prêcheurs, et ac(piit par sa piété, par sa
p. >2i, 122 — science, par son habileté dans la conduite des affaires, une
Ciac. Vitae pont. , ? r /-• • • ix^ t !• i
et Cardin, t. II , réputation SI honoiable que tiiegoire l.v le ht vice-clian-
col. 9.',. — Ga- ceiier de l'Église romaine en 1237. Il avait rem|)li cette
"^/'m'^^T ''!^ fonction pendant dix ans, lorsque Jean de Montlor, évèque
Gaii. christ, n. I. de Magucloue , iHourut à Lyon oii se trouvait liinOL-ent IV.
VI, c. 767,768. Ce pape, usant du droit que ses prédécesseurs s'( taieiit arrogé
de nommer aux évêchés vacants en cour de Rome, conféra
celui de IMaguelone à Rainier le Lombard. Le nouveau prélat
pièt.i s rnuiif au roi Lmius î\ , et entra en fonctions vers le
milieu de ju.llct 1247. Au mois de dccembrc de cette année,
SlTi DIVERS AUTEURS. 520
., , . 1 ' r 1' rr i ■ • • ■ ^"I SIÈfLE.
il érigea en l)ei)etu'e 1 oliice du sacristain ou vestiarius , et —
signa une transaction avec l'abbé de Franquevanx. Au mois
de mars suivant, il régla une permutation de biens ecclé-
siastiques. Il ])ublia (le plus des statuts synodaux qui ten-
daient à rétablir l'ancieinie discipline, pro cJeri populùiue
sui recto jvgimine ; il exigeait, ta ce cjuil semble, des réfor-
mes ligouieuses qui jirovocpièrent dos réclamations, et lui
suscitèrent des ennemis. \ oi\l\ tous les actes de son é[iiscopat,
à moins (ju'il ne soit le prélat qu'liniocent IV avait chargé ,
par un rescrit date des noues de juillet 1 -2 471 (l'cnijxVlier les
juifs de porter ties habillements pareils à ceux des clercs et
des piètres, cnpjxis lotuiidas et largasad instar clcricorum
et sciccidotiim. De tels actes ne lui dontieraient p;:s une place
dans l'histoire (les lettres; mais on le dit auteur de deux
ouvrages dont on ne cite d'ailleurs aucun maïuiscrit, et qui
étaient intitulés, l'un : Sj)eciilnni cuh'crsusJiœrcscs , l'autre :
Dictionariuni vcuicc crudltionis. Une hostie empoisonnée
causa sa mort le l'i janvier i24f): s'il est dit ailleurs 1^48,
c'est parce cju'on ne recommeiK^ût l'année qu'.à Pà(|ucs. C'est
bien 1249, puis(pi'il est reconnu que son épiscopat, com-
mencé au milieu de 1247, a duré 18 mois. On s'abstint de
recliei cher l'auteur et les complices du crime qui avait abrégé
ses jours; mais on statua que, dans la suite, l'évécpie célé-
brant ferait prendre au diacre et au sous-diacre des frag-
ments de l'hostie et des gouttes du vin. D.
XIV. RAOUL LE BRETON, Radulphus Brito , n'est
connu ()ue par un traité scolastitjue sur l'ame, <7e yi^«//??«,
dont un exemplaire , conservé dans la Bibliothèque de Saint-
Gcrmain-des-Prés, a été indirpié par Montfaucon, et cité i^iiihoiii iii-
dans un des recueils bibliograplii(|ucs de Fabricius. C'est j'j'^g' ""^' '''
par pure conjeclure que nous le plaçons au milieu du xui*^ .'iiiiiioiiinKci.
siècle. D. '^^i '"'• '■"• '• '^ '.
p. 3i.
XV. MICHEL BLAUNPAYNct HENRI D'AVRANCHES.
— C'étaient deux poètes latins qui florissaient en iûjo. L'un
( Blaunpayn ), Anglais de naissance , et c'est le plus célèbre,
fit ses premières études à Oxford et vint ensuite les terminer
en France. Utrobi, dit Pits, nniltà industrid , mirdque in- pjtseus de ii-
genii facditatc , variam coUcgit iricntiarum suppellcctileni. lusnib. ' k^^^^\.
Il s'adonna surtout à là poésie, et acquit, tant en France Sdipior.p.ia/i.
qu'en Angleterre, la réputation de l'un des meilleurs poètes
Tome XV ni. Xxx
53o NOTICES
XIII SIÈCLE. , ■ M . . ,
de son temps. On lui attribue une Histoire de Normandie ,
en un seul livre, et avec bien plus de certitude, des Recueils
de vers et de lettres. Nous ne pouvons malheureusement
juger du mérite de ces ouvrages ; car c'est en vain que nous
en avons cherché des manuscrits dans nos principales bi-
bliothèques. Il paraît qu'il n'en existe (|ue dans les biblio-
thèques d'Angleterre.
C'est par Michel Blaunpayn que nous apprenons qu'il y
avait à Avranches, vers ia5o, un poète latin du nom de
Henri. Aucun biographe, nous le croyons du moins, ne lui
a consacré le plus petit article, et nous n'avons découvert
nulle part ses ouvrages. iMais le poète Ulauiipayn fit contre
lui un poème dont voici le titre, et cpie l'on possède , d'après
Pits. r.oc. cil. Pits, dans la Bibliothèque Bodiéieime : Contra llenricum
Ahrincensem versus. I.ih. unus. Ktait-ce une satire? on serait
Baieus.Scrip- tenté de le croire. Baie en cite cette partie d'un vers qui
jy ^ j^ commence la pièce : Arckipoeta vide quod non sit. . . . INous
regrettons de n'avoir pas le poème entier sous les yeux :
peut-être nous aurait-il mieu.x fait connaître Henri d'Avran-
ches. A. D.
XVI. Quatre ouvrages sont indicpiés sous le nom de
Script, oïdin. BYARD. I.e premier est un Recueil de Distinctions ou lieux
Pr^.l. I. I, pag. communs à l'usage des prédicateurs. Il se vendait en i'3o3
113-125.— Du pj. auparavant chez les libraires de l'Université, ainsi que
Boulav, Hislor. ,, ' , i- i r> • • i i iii i-
Univ. Par. t. III l atteste le livre du Kecteur, qui se conservait dans la Biblio-
p. 6-5. thèque de Sorbonne. Cette Bibliothèque possédait d'ailleurs
deux manuscrits de ces Distinctiones. 11 en existait deux
autres au collège de Navarre, un à l'abbaye de Saint-Victor,
un à Pavie, et sans doute quelques-uns ailleurs; c'était un
manuel fort répandu. L'auteur est nommé frère Nicolas de
Bvaril, de l'ordre des frères Mineurs, et cependant il n'a
jamais été revendiqué par les Franciscains. Waddinjr, qui
n'omet aucun des personnages dont son ordre peut tant soit
peu s'honorer, ne fait aucune mention de celui-là. Un frère
Maurice, prédicateur du même temps, a été reconnu pour
le véritable auteur d'un livre de Distinctions, tout-à-fait
différent de celui dont nous venons de parler, et qui est mal
à propos attribué à Byard en (jnelques manuscrits.
Le second ouvrage de Bvard consiste en sermons pour les
dimainhes et les fêtes lis sont du nombre des articles qui
se vemlaient chez les libraires de Paris, avant le commen-
SUR DIVERS AUTEURS. 53 1
YTTT CtF/^T !•'
cernent du xiv* siècle ; et la Sorbonne en avait une très-belle '
copie manuscrite. Des sermons divers, Sermoncs varii , 3^
article des œuvres de Ryard , se trouvaient reunis à d'autres
productions semblables du xiii* siècle, dans un des volumes
manuscrits de la même Bibliothèque. En 4*^ et dernier lieu,
cet auteur a laissé une compilation, |)lusieurs fois imprimée
sous le titre de Dictlonariiim ou Dictionarius pauperuni:
à Paris en 149^-1 in-/j", et sans date, in- 12; à Cologne en
i5o4et i5o5,in-8";à Paris en i5i2, in-8° ; et dans le même
formata Strasbourg; en i5i(i. On lit au commencement de
ces éditions : Dictionarius pauperuni , omnihus prœdicato-
ribus vcrbi divini pernecessarius in qno succincte continentur
( ou niirahili artificio perstringuntur ) nuiteric seii serniunes
singulis festi^'itatibus totins anni , tam de tenipore qu(un de
sanctis accomodande ; et à la fin, a|)rès le dernier article qui
est Vita œterna : Explicit suniniuUi omnibus verbi divini
seminatoribus pernecessaria , quœ est extracta a nidgno dic-
tionario ; hinc clici potest Dictionarius pauperum. I/éditeur
de i4i8 ajoute: licet de abstincntia intituletur. En effet,
ce dictionnaire, dont le premier mot est abstinentia , est in-
titulé : Summa de Abstinentia , dans les manuscrits de Sor-
bonne, de Navarre et de Saint-Victor. Des mots français y
sont entremêlés au texte latin, ce qui indique assez le pays
de l'auteur. D'autres documents font connaître le siècle ou il
écrivait. Les libraires de l'Université continuaient en i3o3
de vendre ce manuel avec les précédents. L'exemplaire de la
Sorbonne avait été légué par Jean d'Essone, qui vivait en
I2y8 ; et Bernard Guidonis, qui mourut en i33i , fait men-
tion de ce manuel dans une chronique terminée en i3o4.
C'est, il faut l'avouer, par ce Bernard seul que nous savons
quil a été composé par Nicolas Byard; car les manuscrits ni
les éditions n'en nomment pas l'auteur; et c'est aussi sur la
foi du seul Bernard que Byard a pu être inscrit dans la liste
des écrivains de l'ordre de Saint-Dominique. I^es renseigne-
ments que nous venons de recueillir sur ce prédicateur,
suffisent pour assurer que Pits se trompe , quand il le déclare
Anglais; et Altamura, quand il Ife fait vivre en i4io. C'était Bibiioih Uo-
un Français contemporain de saint Louis; mais voilà tout minic. p. i5a.
ce que nous pouvons dire de sa vie. Il est si peu connu que
son nom est diversement écrit ou défiguré par ceux qui ont
parlé de lui : Byart , Biart , Biard , Viard , Bayard , de Briacho,
de Briatho , etc. D.
X xxa
532 NOTICES
XIII SIECLK.
XVII. JEAN DE AIAILLY. —Etienne de Bourbon, dans
le prologue de son traité manuscrit des Sept dons du Saint-
Sciipt. onlin. Esprit, nomme, entre les livres dont il a fuit usaije pour
ivcEii. I. I, paf;. composer le sien, la chronique (pie Jean de Mailly, de l'ordre
'*' des frères prèciieurs, a rédigée, et rpii s'étend juscju'aux
temps où a vécu ce religieux : /Je Chronicisfratris Joannis
de Mulliaco de ordinc Prœdicatonim , qui va j>rott'ndit
usque ad sua tetnpora. (les paroles donnent lieu de croire
que Jean de Mailly était plus ancien (prEticnne de Bourbon,
qui est mort avant laGo. On peut donc placer vers i:i5o le
chroniqueur dont il s'agit, et qui api^aremment était né à
Mailly-îe-Chàteau , à six lieues d'Auxcrre. C'est sans doute
iiiblinih. Do- par erreur qu'Altamura distingue deux Jean de Alaillv, tous
^.uiir. p. zi7 et j^y^ douiiiucains et historiens, lun veis itiyj, lautre vers
ii>f)o; et l'on ne sait trop pour((uoi il h-ur attribue des talents
distingués et renommés : ( clebris poliliofùjitc littercttuvâ satis
iiistrnctus. — / ilœ jirohitcile ac doctiuui satis ('o/is/>iri;//s ,
necnori lilstoriafuni pcrilus. il n'y en eut probablement cpi'un
seul dont l'ouvrage, inédit et ])erdu , ne nous est connu, et
ne l'était de Valleoleti , (krivain du xv'' siècle, (|ue ])ar la
mention qu'j-.tienne de Bourbon en avait faite : /'. .Joannes
de Malliaco sci Ipsit chioaicu ut patct in prologo lihri de
\.iIIlo1. i.ii). ^gpiQi^i donis. Ee catalogue des écrivains auxerrois, |)ublié
M.'moiiepoiir P'ii' l'abbé Eebcuf, contii.îit un article conçu en ces termes:
riiisi. iiAuvei- (f GuUbume l'Anxerrois, de l'ordre des Prêcheurs, à la fin
"■• '■ '' ''• ''9'^- (c du xiii'' siècle. Plusieurs des sermons qu'il débita à Saint-
« Gervais et à Saint-Antoine-des-Cliamps sont réunis dans
« un manuscrit de Sorbonne. On y voit du langage français
<( mêlé parmi le latin (j-.ii domine. Mallet tlit «pi'il fut pro-
« vincial en I2f)!j. Il est plus communément appelé de
« Mailliaco , et quehpiefois par erreur de Montiaco. Ee P.
« l'xhard juge avec fondement qu'il était natif de .Mailly au
(c diocèse d'Au.\erre. » Eebeuf avertit dans uiîe note, que
Mailly est à G lieues de cette ville, et non à ,( comme iùhard
l'a suppose. Ecliard et Ouétif ont pu se tromper sur cette
distance; mais Lebeuf comuiet une erreur plus grave, en
confondant deux personnages qu'ils ont soigneusement dis-
tingués, Jean et Guillaume de iMailly, le premier, auteur
d'une chronique qui ne se retrouve nulle part; le second,
Scr. oui. Pr. de scrmous dont trois subsistent encore. Ils ont été prêches
I i,p.207. |g jour de la Circoncision, le i*'' et le a*^ dimanche après
ri'lpiphanie. C'est à peu près tout ce que les bibliographes
SUR DIVEPxS AUTEURS. 533
J • ■ • J _J /-Il I'* • • -^ Xm SIÈCLE.
dominicains disent de ce Guillaume 1 Auxerrois , qui vivait
dans les dernières années du xni* siècle , et sur lequel nous
ne reviendrons pas. D.
XVIII. ETIENNE D'AUXERRE. Les Dominicains de la
rue Saint-Jacques possédaient un manuscrit du livre des
Proverbes avec glose, sur les marges duquel se lisaient des
notes précédées à la première page du nom de F. Stephanus
Altissiodorensis. Le même nom est appliqué à quatre sermons
entremêlés à ceux de Hugues de Saint-Cher, de Geoffroy de
Elèves , de Guerric de Saint-Quentin, dans un manuscrit
qui se conservait chez les Augustins voisins du Pont-Neuf;
et à l'un de ceux dont se composait un recueil du même
genre dans la Bibliothèque de Sorbonne. Etienne d'Auxerre
se trouve ainsi indiqué comme fauteur de cinq sermons qui
correspondaient au 3^ dimanche et à un jour du carême, au
\^ dimanche après Pâques, au 21* après la Pentecôte, et à
la fête de saint Barnabe. Mais il devait la célébrité dont il a
joui de son temps, et qui ne lui a pas survécu, bien moins
à ses prédications qu'à ses leçons de théologie dans lécole
de Saint-Jacques, oh il eut, dit-on, pour disciples Albert-
le-Grand et saint Thomas d'Aquin. Il est un des docteurs
• qui ont condamné le Talmud en i24o. Toutefois Du Boulay
ne le nomme nulle part, et nous manquons de tout docu-
ment sur les époques de sa naissance et de sa mort. Son script. ordin.
surnom de Varnesia a donné lieu de penser qu'il était né Prad. t. i,pag.
dans un village, ainsi appelé près d'Auxerre. Mais l'Auxerrois ""' ~ fabric.
Tifi-,°.'i. '^'1 ' 1' .... Bibl.med.et inf.
Lebeur dit qu il n y a dans ce diocèse aucun endroit ainsi ui.t.vLp. 2i3
appelé, à moins que ce ne soit le nom de quelques maisons Mém. concer-
de la paroisse d'Apoigny, près d'un petit bois de Vernes, qui
subsiste encore. Il ajoute que Varnesia pourrait être une al- p.'/joT
tération de Vannosia, nom d'un clos qui existait, soit dans
l'enceinte même d'Auxerre, soit à Ecoulives dans le lieu
appelé Vannoire. Cette secondie hypothèse est peu plausible.
Il y avait bien en i25o un chanoine d'Auxerre nommé Ste-
phanus de Vannosia ; mais de l'aveu de Lebeuf, il n'est guère
possible que ce soit le frère prêcheur qui avait enseigné,
prêché et dogmatisé à Paris. D.
XIX. On n'a point imprimé les notes de GEOFFROY Leiong.Bibi.
DE BLEVES sur le psautier et sur les épîtres de saint Paul, «cra, p. 641.
Les extraits qu'en donnent Jacques Quétif et Jacques Échard, j^*^""' *"^^' V-
nant l'Histoire
d'Auxerre, t. II,
534 NOTICES
Xm SIÈCLE. „ , , • 1 1 o L 1 1- 11
d après les manuscrits de la ISorbonne et des l^euillants,
n'ont aucune sorte d'importance. Si Geoffroy de Blèves, ou
Blevex, ou Blaviaux, de Bievello ou Bravello ou Blavemo, a
quelque droit à une mention succincte dans l'Histoire litté-
raire de la France, c'est pour avoir professé avec distinction
la théologie au couvent des frères prêcheurs de la rue Saint-
Jacques, vers 1236 et pendant les années suivantes. Son nom
cepenilant ne se rencontre point dans l'histoire de l'Univer-
T.IlI,p.675. site, par du Boulay , où il est p.irlé, on ne sait trop pourquoi,
de Nicolas Byart. Geoffroy de Blèves, en i238, était l'un des
dominicains rassemblés pour condamner la pluralité des
Phii°de G^ève*^ bénéfices. On le retrouve en i24o a" nombre des docteurs
ci-dessus p. 184- qui Censurèrent et firent briller le Talmud ; il assista même
»9«- à cette exécution. Il se rendit au concile de Lyon en i2^5;
il se trouvait auprès du pape Innocent IV, en 1248; et l'on
sait qu'il mourut à Paris en laSo, par l'épitaphe qui se
lisait sur sa tombe dans la maison des frères prêcheurs de
cette ville: yinrio Domini MCCL, xvni kal. augasti , obiit
F. Gaufridus de Blavemo., qui rexit Parisius in theologiâ. D,
XX. PIERRE DE ALBENATIO, et non de Alhingano
comme ont écrit des auteurs liguriens, était né, non à Al-
benga, mais à Aubenas dans le Vivarais. Il alla pratiquer la
raéAecine^in physicâ practicabat , à Gênes, et non à Ge-
nève, et fut fort tenté d'embrasser les opinions des Vaudois,
séduit par l'austérité de leurs mœurs, qui contrastait avec
la dissipation et le luxe de leurs adversaires. Heureusement il
eut deux visions qui l'affermirent dans ses croyances ortho-
doxes, et l'entraînèrent même à prendre l'habit des domi-
nicains. Il repassa dans la France méridionale, et y mourut,
on ne sait trop en quel couvent, le 24 septembre 1260. Ces
particularités ne sont pas très -rigoureusement vérifiées;
mais nous nous abstenons de les éclaircir, parce qu'après
tout il n'existe aucun écrit de ce religieux. Quétif et Jacques
Échard ne lui ont donné place dans leur Bibliothèque des
Scr. oïd. Tr. frèrcs prêcheurs, qu'à raison de ses deux visions, insérées,
1. 1, p. 117,118. conformément à ses propres récits, dans les vies des pre-
viijc fr. ord. micrs saints personnages de cet ordre , par Gérard de Fra-
Prsed. part. IV, chctO. D.
C. XI, S 5, c.
"'' XXI. Un chanoine et archidiacre de l'église de Paris,
nommé ADAM, fut élu en 121 3 évêque de Térouane, ou
SUR DIVERS AUTEURS. 535
,, . 7 • ,^ • • T. ' ,. Sn SIÈCLE,
des Morins, ecclesue Morinensis. H gouverna cette église
lusqu en i aaq, époque ou, deia fort avance en acre, il abdiqua ChromconAn-
\ b ,- • ' r ' , ' J , v, F »• drense,iD Spicil.
les tonctions episcopales pour embrasser letat monastique ^ ix An-A")
à Clairvaux. l>a Gallia christiana fait un long exposé des 6o5-66o.
actes qu'il a souscrits ou confirmés en chaque année de son Gaii. chris. h.
épiscopat. Ce sont des donations, des concessions, des con- 5/ sV-etimer
ventions, tout-à-fait étrangères à l'histoire littéraire; et instrumenta, p.
nous ne faisons ici mention de ce personnage que parce que '••^•
Ferréol de Locres et, d'après lui, Foppens, disent qu'il a caïai. Script.
écrit une Histoire de l'ordre de Çîteaux. Ce fait nous paraît Anes. ad calcem
fort douteux: car cette histoire ne se retrouve pas, et elle ^*![.'î'!!*^',^^i^.
> . ' 1 m • 1 • « ^i> , Bibliolh.Belg.
n a pas ete connue de JVlanrique, auteur lui-même d un grand t. l,p. 3,4.
corps d'Annales cisterciennes, où il parle de la retraite de
l'évêque Adam à Clairvaux, sans lui attribuer aucun ou- Annal. cisterc.
vrage. Malhrancq, qui a recueilli ce qu'on sait des détails de '^A^'^-*. "• 4,
sa vie, et qui lui donne de grands éloges, ne dit pas qu'il ' De' ''M^rinis.
ait composé de livres. Adam est encore nommé évêque des « m, p. 416,
Morins dans une charte de i23o. On attendit qu'il eiit fini 459,461,463,
son noviciat à Clairvaux, pour sacrer et installer son suc- 477*484. '
cesseur à Térouane. Il mourut moine en 1260. Le jour de
son décès est diversement indiqué : 28 juin, 22 juin, 23
mars; nous préférerions cette dernière date, marquée dans
la chronologie de Malbrancq, d'après l'obituaire de l'église Chron. t. m,
des Morins. Suivant Foppens, il était natif d'Arras, et avait ^""- '*^°-
été chanoine de la collégiale de Lillers, ayant de l'être de la
cathédrale de Paris. D.
XXII. GAULTIER ou WALTER DE MARVIS, né de Gaii. chr. t.
parents pauvres, fut enfant de chœur de l'église de Tournay. ^^^' p- *''•
Ses talents, ses vertus, l'élévation de ses sentiments le firent
parvenir par degrés à la prélature de l'église, à laquelle il
fut élu en 1219. Sa piété fut surtout relevée par le soin
personnel qu'il avait pour les pauvres, par de bonnes œu-
vres continuelles, et par son intégrité dans le choix des
sujets les plus digijes d'occuper les places et les bénéfices.
Il établit dans son diocèse de nombreux mona.^tères tant
d'hommes que de femmes, et il mourut en 1261 , dans la
trente-troisième année de sa prélature. Il a écrit, de concert
avec quehjues autres prélats, une lettre pastorale sur la
translation des reliques de saint Tliéodoric. L'épitaplie sui-
vante se lisait sur son tombeau dans l'église de Tournay :
XIII SIECLE.
536 NOTICES
Walteri nieritum commendant sobria vita ,
Mens immilis, siniplex ociilus, devotio puia,
Larga manus, doctrina frequens, afllictio jugis,
Vota crucis, pastoris opus, legatio plena.
Ipse bonos pueros, moniales, ac seniores
Fundat presbytères, beguinas atque minores,
Kl Comminenses ad se vocal ac OEnenses.
En 1G80, on trouva dans le chœur de l'église catliédiale
de Tournay, une feuille de plomb sur laquelle était une
inscription où les mêmes choses étaient exprimées en prose,
avec la date du jour de la mort de cet évêque, le xiii des
calendes de mars 1261. P. R.
XXIir. ANSELME RIGAUD, doyen du chapitre de Lyon,
a présenté des statuts ou constitutions de cette église, qui
ont été approuvés, au mois de juin I25i , par l'archevêque
P. 71-77. Philippe, et que Dachery a insérés au tome I\ du Spicilége ,
en les divisant en ^3 articles. Nous y apprenons qu'on dis-
tinguait dans ce chapitre, de grands chanoines , de moindres
prébendiers et de simples chapelains. Les statuts déter-
minent les rétributions dues aux prêtres , diacres, sous-
diacres et clercs de ces trois ordres, les fonctions qu'ils ont
à remplir, la manière dont ils doivent assister aux offices,
et d'autres détails de discipline intérieure. Anselme, qui les
- „ , a rédigés ou recueillis, vivait encore en 1252; c'est ce qui
IV, col. 20/1. resuite d un acte ou les auteurs de la ualua christiana ont
remarqué son nom. Les statuts dont il vient d'être parlé se-
raient le seul titre littéraire de l'archevêque Philippe de
Savoie, qui les a seulement confirmés et publiés. Nous nous
abstiendrons de faire une plus ample mention de ce prélat,
dont l'histoire personnelle présenterait d'ailleurs des diffi-
cultés chronologiques tout-à-fait étrangères à notre travail :
il a été sur le siège métropolitain de Lyon le prédécesseur
ibid.coi. i/i4- immédiat de Pierre de Tarentaise. D.
149
XXIV. HERBERT, Hébert ou Aubert, avait été, selon
», Lebeuf, archidiacre de l'église d'Auxerre avant d'en devenir
Mémoires sui- "-'■-»^^" i r-j .1 • • -i
l'Hist. d'Auxer- doyeu. Eu 1247, Il autorisa des anniversanes; il consentit,
re, 1. 1, p. 738, gji 1249, à l'augmentation du revenu de l'écolàtre; il fit des
— ^Di"'.mt?oY l^gs pieux en 1262. Ces actes, étrangers à l'histoire des lettres,
dansiesM^m.de ne scrvcnt ici qu'à marquer les temps où il a vécu; mais on
lirtér. et d'bist. ^ |jeu jg croirc qu'il est le maître Herbert, auteur d'une
SUR DIVERS AUTEURS. 537
c »u ' I • I ^ • Xni SIÈCLE.
Somme theologique sur ic^ sacrements, qui se conservait
manuscrite à Clairvaux, en Sorbonne, dans la Bibliothèque «leOesmoiets, t.
de Colbert et dans celle de Bodley. La seconde de ces copies ^'l| •*"'• "'•'■
donnait pour titre à l'ouvrage: Summa niagistri ff^ilhelmi wM.meà'^y\n(.
Altissiodorensis ahhreviata à magistro Heherto ; et la troi- Iai.t.lil,p.a3/i.
sième : Conimentarius Herberti in Suniniani Guillelmi yiltis- vo ci-dessus
siodorensis. Lebeuf en conclut qu'Herbert n'a fait qu'abréger p. nS-iaa.
ou commenter la Somme de Guillaume d'Auxerre. Cepen-
dant d'autres manuscrits portent : Herberti Autissiodorensis
Summa, libris iH; Magistri Aiiberti Altiss. Summa, libris
quatuor. A vrai dire, la plupart des théologiens du xiii* siècle
n'ont guère écrit que des abrégés ou des gloses; et rien n'an-
nonce que les travaux d'ilerbert aient été d'un ordre plus
distingué. Il parait avoir, comme tant d'autres, commenté
les quatre évangiles; car un manuscrit de l'abbaye de Lyra
était intitulé : Magistralia super 4 Evangelistas ah O. priore
de Valle excerpta secundiim lectiones magistri Pétri Mandu-
catoris et magistri Herberti. On ne connaît aucun autre de
ses écrits, sinon une lettre adressée à Renaud de Vichier
commandeur des chevaliers du Temple, et conservée dans le
cartulaire de l'église d'Auxerre. Il est fait mention d'Herbert
dans le Nécrologe des Chartreux de Bellary et dans celui de
Saint-Laurent près de Cône, au aa juillet; c'est sans doute
le jour de sa mort, arrivée on ne sait en quelle année après
1262. D.
XXV. Le seul écrit qui porte le nom de PIERRE DE
COLMIEU consiste en statuts synodaux , intitulés Pré-
ceptes. Dom Pommeraye les a insérés dans son recueil des
Conciles de Normandie; ils n'y occupent qu'assez peu d'es-
pace, et ne présentent que des règles communes de dis- P-ai3,ni,
cipline ecclésiastique. La patrie de ce personnage a été un **'■
sujet de controverse. La qualification de Campanus que lui
donnent ses contemporains, a été traduite en France par
Champenois; on a supposé qu'il était né en Champagne ou
en Brie. Mais il existe en Campanie un lieu nommé CoUis ^Ui «celés 1
médius : c'était un motif de le déclarer Italien, et cette opi- lzxxh, n. a, i.
nion a prévalu; Fleury l'a préférée. Pierre de Colmieu a été xvil, in-n, p.
sacristain des papes Honorius III et Grégoire IX. Il fut en- 'i^jj 3,8
voyé en Angleterre auprès du légat Pandolfe dont la mission 319.
se termina en 1 221, et il fit ensuite quelque séjourà Paris. On t'acon. vu»
l'employa en Languedoc contre les Albigeois, en lui accor- n"I."orVi*6*' '
Tome XVHI. Yyy
1 7 «
538 NOTICES
XIII SIÈCLE. , , ..,,,, 1. • 1
— dant., a ce qu il semble, beaucoup d estime el de confiance.
Le titre de lëgat du saint -siège lui est donné dans deu.x
Spicii. t. m, lettres que Grégoire IX lui adresse. Après avoir rempli les
(•• '7», '7 ■ fonctions d'écolâlre à Cambrai, de chanoine à Térouane, il
Gall. chr. n. devint prévôt ou doyen à Saint-Omer. Il occupait cette place
64 65*^° 'en 1234, quand le pape le constitua médiateur entre l'évèque
' de Beauvais et le roi de France; et en I236, lorsque, avec
Lxxx, n. 17,'t! l'abbé de Saint-Denis , il jugea une contestation entre l'arche-
xvii,iu-ia,p. vêque et les bourgeois de Reims. Fatigué de tant d'attaires,
9*- ilsefit chanoine régulier au Mont-Saint-Éloy près d'Arras. Eu
178. vain lui offrit;on l'archevêché de Tours, l'évêché de Térouane;
ibid.l.Lixxu, il lesrefusa. Elu métropolitain de Rouen le 4 avril I236, ilré-
n. 1, p. 3i8. sista vivement, ne céda qu'à l'ordre exprès du pape, et ne fut
sacré que le 2 1 mars 1 237. Le fait le plus mémorable qui eut
lieudurantsonépiscopatest l'incendie qui consuma une partie
delaville de Rouen, l'an ia38. 1-/es actes émanés de lui ne tien-
nent qu'à l'histoire de son église. Appelé à Rome pour assister
à un concile, il fut pris avec d'autres prélats par les agents de
l'empereur, et n'obtint sa délivrance que par l'intervention
du roi Louis IX. A Rome, il fit au pape un don considérable,
dont il ne s'était procuré les fonds qu'en contractant d'énor-
ibid.i.Lxxxii, mes dettes. Innocent IV, en I244i 'e créa cardinal-évêque
■-22, p. 358. d'Albano. Il paraît que Pierre de Colmieu ne retourna plus
en France; mais son ancienne église de Rouen reçut encore
de lui plusieurs bienfaits. Il mourut subitement en 1253, et
non , comme on l'a dit quelquefois , en 1 254 î car on voit par
une épître d'Innocent IV que févêché d'Albano était vacant
au mois de novembre i253. Les Franciscains, avec lesquels
il avait eu quelques démêlés, publièrent que sa mort était un
châtiment de son injustice, prédit depuis plusieurs mois
par l'un d'eux : Wadding répète ce conte après Thomas de
Cantimpré. Quoi qu'il en soit, notre unique excuse pour
avoir parlé de lui consiste dans ses statuts synodaux, dont
nous avons d'abord fait mention, et qui ne sont pas, il le
Aiiiiïi. min. I. faut avouer, d'une très-haute importance. On lit dans l'église
If, ann. iï54. dc Roucu huit vcrs qui le concernent, et dont les deux
Cm. Lor. cit. derniers rappellent sa promotion au cardinalat :
Mors rapax nurdi tulit hune; papa et sibi cardi-
Nalem fecit eum , viduae rapiens YiÀsœum.
Le partage du mot cardinalem entre les deux vers léonins
est à remarquer comme une des pratiques ou licences de la
versification de ces temps-là. D.
XIII SIECLE.
SUR DIVERS AUTEURS. 689
XXVI. YVES BRETON ou le Breton n'est tant soit peu
connu que par la mention que les Pères Quëtif et Jacques
Echard ont faite de lui, et que Fabricius n'a répétée qu'en Scr. ord. Pi.
l'abréeeant. Yves a été un des premiers frères prêcheurs. Un •• ^P- '^*-
" •. •• .. I • J I • r • j Bibliolh. med.
manuscrit qui contient les vies des plus anciens religieux de gji„f i^, , y,
cet ordre, loue son humilité, sa sainteté, son habileté à p. 33o.
prêcher en diverses langues. Il remplissait les fonctions de
provincial à la Terre-Sainte, lorsque Louis IX y arriva. Ce
prince et son épouse Marguerite accueillirent le frère Yves
avec une bienveillance singulière. Ses titres littéraires sont
deux relations qui n'ont jamais vu le jour, dont on ne cite
même aucun manuscrit, et qui sont, selon Fabricius, d'une
mince importance, exigui momenti. L'une a pour sujet la
mort d'un dominicain , et l'autre un miracle obtenu à Tripoli
par les mérites de saint Dominique. D.
XXVII. JEAN DE SAINT-ÉVROUL, chancelier de l'église
de Paris en i252, mourut doyen du chapitre de Lisieux le
20 mars i255. Les chartes qu'il a souscrites en la première
de ces deux qualités, ne concernent point l'Université pari-
sienne, et ne tiennent aucunement à l'histoire des études
publiques ou privées. Du Boulay et Crevier ne font nulle
mention de lui; mais les auteurs de la Gallia christiana lui t. xi,p.8o9.
attribuent des sermons inédits, de sanctis et de tempore,
dont ils n'indiquent aucun manuscrit. Il est nommé dans le
Nécrolçge de Lisieux; il n'est recommandé dans celui de
Saint-Evroul que pour avoir donné aux moines une Bible
complète avec glose, et fait d'autres largesses à leur maison :
xii calendas aprilis ohiit magister Joannes de Sancto Ebrulfo,
decanus Lexoviensis , qui totum corpus Bibliœ glossdtum
nohis contulit et de bonis suis domui nostrœ largissimè ero-
gavil. D.
XXVIII. PIERRE, fils de Milon, seigneur de Cuisy au ^.f/" ^^^
d,,, ^„ , ' '»^l■^l VIII, p. i6a3.
locese de Meaux, et dune dame nommée Agnes, dont la du Piessis ,
famille est inconnue, avait sept frères qui , selon le rang où Hist. de l'égiue
les avait placés leur naissance, furent les uns .seigneurs , les ^^ Meaux, 1. 1 ,
autres abbés ou évêques. Pierre était archidiacre de Meaux
en 1221 , et deux ans après il en fut élu évêque. Sa longue
prélature, qui se prolongea jusqu'en 1 245, fut remplie d'un
grand nombre d'actes administratifs qui sont racontés avec
détail par la Gallia christiana et par l'historien de l'église
Yyya
54o NOTICES
XI IF SIECLE.
de Meaux. Des églises ou des chapelles fonde'es, des reli-
gieux appelés dans le diocèse ou seulement augmentés en
nombre, des transactions faites avec les chefs des monas-
tères ou avec des seigneurs voisins, des débats sans cesse
renaissants avec Thibaud VI, comte de Champagne; des
luttes pour le soutien de sa juridiction contre les religieuses
de Jouarre, qui voulaient s'y soustraire; des Hôtels-Dieu
ou des léproseries déjà établies dans plusieurs endroits de
son diocèse; des translations de reliques de saints; de nou-
velles acquisitions de biens pour son évêché ; des démêlés
sur le recouvrement des dîmes; des excommunications lan-
cées à l'appui de ses règlements: tel est en somme l'abrégé
de plusieurs longues pages. Ce prélat mourut le g de mai
1255, selon le JNécrologe de son église; et le chapitre élut,
pour le remplacer, Aleaume de Cuisy, son frère, qu'il avait
fait chantre de l'église de Meaux en 1237. Aleaume remplit
sa prélature sans que l'histoire ait eu à rapporter de lui rien
de remarquable , et mourut en 1 267.
ibiil. I. Il, p. L'administration longue et active de Pierre de Cuisy ayant
ni- donné lieu à un grand nombre d'actes, il s'en trouve cent
dix dans les pièces justificatives de l'Histoire de l'Eglise de
Meaux, depuis l'an \ 2.2.3 jusqu'à l'an i255; et dans ce nom-
bre il y en a quarante de notre prélat, la plupart en latin,
et quelques-uns en français. Cette dernière langue aurait été
écrite assez correctement et clairement par Pierre, si l'on en
jugeait d'après cet acte de l'an i25o :
Ex cod. mss (( p. par la misération divine, humble menistre de l'église
iciat. Coisiinian. ^, j^ Mcaulx , à tous cculx qui ces présentes lettres verront,
« salut en N. S., sçavoir faisons que nous par l'autorité de
« nostre S. P. le pape Honoré tiers, du consentement et. . . .
« avons institué ou prioré d'icelles de Noefort ou diocèse
« de Meaulx, pour la povreté d'iceluy prioré, certain nom-
« hre de nonnains. C'est assavoir XXV, en telle manière
« (lue nulle nonnain ne soit faite ilà mesmes doresnavant
« jusques à tans que tans de normains soient trépassées ,
« que le dit nombre, c'est assavoir de XXV nonnains, ne
« excède point en aucune manière; sinon que les revenues
« du dit lieu soient tellement ascrues par aucune espasses
« de temps, que plusieurs y puissent proufîtablement estre
(i substantées. Nous avons autrefois commendé, et encore
« commendons estroitement le status dessus dit gardé invio-
(( lableraent. Et affin que aucune chose ne soit faicte contre
l'tbi. p. I 54.
XIII SIECLE.
SUR DIVERS AUTEURS. 54 1
« les dits statuts, ou corrompe ces présentes, ou aucun
« recelé sur peine de excommunication , le commandons
« plus estroitement. Donné l'an de grâce MCCL, ou mois
« d'aoust.» Le style de cet acte aura sans doute été rajeuni par
le copiste du manuscrit de la Bibliothèque de Coislin, et l'on
n'en peut douter pour peu qu'on le compare avec un autre
acte rapporté à la page i55 dans la même histoire de Meaux.
On a aussi de ce prélat les Statuts synodaux de l'église de
Meaux , qu'il publia en i24'J, et qui sont précédés de quel-
ques règlements que fît Odon , évêque de Tusculum et légat
en France, pour la réformation du chapitre de Meaux. Les
statuts de Pierre de Cuisy se trouvent dans le Thésaurus t iv n 801
anecdotorum de Martène, d'après un manuscrit du monastère
de Saint-Féron de Meaux, et à la suite du Pcnitenciel de
Saint-Théodore. Tout ce qui concerne le gouvernement des
églises, l'administration des sacrements, la conduite des et» '*' ■'''^'
clercs, la célébration des offices, etc., y est exposé avec un
grand détail dans CXVII canons, où nous n'avons rien re-
marqué qui soit différent de toutes les oeuvres de ce genre
P. R.
XIII SIECLE.
TROUBADOURS.
jLa période que nous allons parcourir dqns nos recherches
sur l'histoire des troubadours, renferme ceux de ces poètes
qui moururent ou qu'on peut supposer être morts de l'an
1226, époque du siège d'Avignon et de la perte prématurée
de Louis VIII, à l'an i255 ou peu de temps après. Ces poètes
durent naître par conséquent vers les années 1 160 ou 1 170.
La plupart d'entre eux passèrent vingt années de leur vie
dans le trouble et dans le malheur. Depuis l'an 1209 jusqu'à
l'an 1229, la guerre des croisés français contre les Albigeois
et contre Raimond VI, guerre dévastatrice dont la religion
était le prétexte et la spoliation le but, ayant étendu ses
ravages depuis Beaucaire jusque dans le comté de Foix et
sur les confins de l'Aragon, les exercices des troubadours se
trouvèrent presque entièrement interrompus dans les états
de l'infortuné Raimond et de ses vassaux.
Au milieu de tant de ravages, quelle eût été en effet la
place des jeux d'esprit, des cours d'amour et des ingénieux
essais de l'art dramatique ? Nous avons vu dans la vie de Gui
d'Uissel , que déjà un peu avant 1209, un des légats du pape
défendit à ce troubadour et à ses frères de composer descnan-
sons : c'étaient sans doute les chansons satiriques contre le
pape et le clergé, qui excitaient l'animadversion du légat;
mais le mot de chanson embrassait tout. Autant d'ailleurs eût
valu défendre à des troubadours la galanterie, que de leur
prohiber la satire.
A dater de cette époque, la plupart des poètes langue-
dociens de naissance, tels que Miraval , Faidit, Hugues
Brunet, s'exilèrent de leur patrie, allèrent mourir en Espa-
gne, en Provence, en Palestine, ou terminèrent leurs jour»
TROUBADOURS. 543
dans des monastères. Il en est de même de ceux dont nous
allons maintenant nous occuper. Nous les rencontrerons
presque tous dans les cours des seigneurs provençaux , dans
l'Italie supérieure, dans l'Auvergne, le Limousin, le Poitou,
la Catalogne. Quelquefois on entendit le courageux sirvente
d'un poète patriote qui, au milieu de la guerre et à côté
même des bûchers, maudissait la ligue et ses chefs, appe-
lait les barons et les peuples aux armées , déplorait la
perte d'un seigneur mort pour le maintien de l'indépendance
nationale : tels furent les chants de Guillaume Anelier et
de Guillaume Figuières de Toulouse. Quelquefois aussi un
f)oète fanatique invoquait les torches des croisés , célébrait
es excès du despotisme clérical; mais ces exemples sont
rares; nous ne manquerons pas de les signaler. La galan-
terie était toujours, en général, le sujet le plus ordinaire des
chansons. E— D.
XIll SIECLK,
DEUX DAMES ANONYMES.
JMous plaçons deux dames au commencement de la série
actuelle des troubadours. Leurs noms sont inconnus, et les
manuscrits ne leur assignent aucune époque ; mais la naïveté
et la grâce de leurs compositions semblent nous autoriser à
les placer au temps de Raimond VI , comte de Toulouse ; d'Al-
phonse II, et de Raimond Bérenger IV, comtes de Provence,
où florissaient les Giraud de Borneilh, les Miraval, les Ca-
denet, les Faidit, les Rambaud de Vachères : ces dames appar-
tiennent assez évidemment à la même école. Nous trouvons
en elles le même esprit et la même grâce, relevés encore par
une ingénuité particulière.
Peut-être est-il permis de supposer que des troubadours
auront attribué ces jolies compositions à des femmes pour
les faire paraître plus piquantes et plus originales. Quoi qu'il
en soit, il ne reste de ces dames ou prétendues dames poètes
que deux pièces dont une de chacune d'elles. I^a première
est une yiubade oh la dame, après avoir passé la nuit avec
son amant, se plaint de voir l'aube amener le moment de
544 DEUX DAMES.
XIII SIF.CI.F.
la séparation. Ce sujet traité bien des fois a pris ici , dans
la bouche d'une femme, un charme tout particulier. Nou.s
suivons, sans y rien changer, la traduction littérale que
M. Raynouard a donnée de cette pièce:
En un vergier, sdtz fuelha d'albespi ,
'l'enc la dompiia son nmic costa si,
Tro la gayta crida que l'alba vi.
Oy Dieus ! oy Dieus! de l'alba tan tost ve !
En un verger, sous feuille d'aubépine
Tient la dame son ami contre soi.
Jusqu'à ce que la sentinelle crie que l'aube elle voit.
Oh Dieu ! oh Dieu ! que l'aube tant tôt vient!
Plagucs a Dieu ja la nueitz non falbis,
Ni I niieus aniicz lonc de mi no s partis ,
Ni la gayta jorn ni alba no vis!
Oy Dieus! oy Dieus! de l'alba tan tost ve !
Plût à Dieu quejamais la nuit ne cessât.
Et que le mien ami loin iJe moi ne se séparât,
Et que la sentinelle jour ni aube ne vît!
Oh Dieu! oh Dieu! etc.
Bels dous aniicz , baïzem nos ieu e vos
Aval els pratz on cbanto'ls auzellos,
Tôt o fassani en despieg del gilos.
Oy Dieus ! oy Dieus ! de l'alba tan tost ve !
Beau doux ami, baisons-nous moi et vous
Là bas aux prés où chantent les oiselets,
Tout ce faisons en dcpit du jaloux.
Oh Dieu ! oh Dieu! etc.
Bel dous amicz, fassani un joc novel
Ins el jardi on chanton li auzel ,
Tro la gayta toque son caramel.
Oy Dieus! oy Dieus, de l'alba tan tostve!
Beau doux ami , faisons un jeu nouveau
Dans le jardin où chantent les oiseaux,
Jusqu'à ce que la sentinelle touche son chalumeau.
Oh Dieu ! oh Dieu! etc.
Per la doss 'aura qu'es venguda de lay
Del mieu amie belh e cortes e gay,
Del sieu alen ai begut un dous ray.
Oy Dieus! oy Dieus! de l'alba tan tost ve!
DEUX DAMES. 545
XIII SIK.CLE.
Par le doux soufflf qui est venu de là
Du mien ami beau et courtois et ijai ,
De son lialeine j'ai bu un doux rayon.
Oh Dieu ! oh Dieu ! etc.
La (loinpna es agradans e plazens; Msi.dc lalîibl
Per sa beutat la gardon niantas cens, royale, 722G, f
Et a son cor en aniar leyalmens. Toa,-
Oy Dieus ! oy Dieus ! de l'alba tan tost ve !
M.Raynouard,
Choix, etc., t. H,
p. 236, 237
La dame est agréable et plaisante ;
Pour sa beauté la regardent maintes gens,
Et elle a son cœur en aimer loyalement.
Oh Dieu! oh Dieu! que l'aube tant tôt vient!
Dans la seconde pièce, le personnage est une jeune femme
mariée contre son gré, qui craint d'être déjà devenue amou-
reuse. Elle s'avoue ingénument à elle-même la peur qu'elle
a d'être vaincue, si l'homme qu'elle aime s'aperçoit de sa
faiblesse; elle ne dissimule point le projet qu'elle forme de
se venger par un autre amour, si ce premier amant la trahit;
et finit par avouer l'abandon qu'elle va lui faire de sa per-
sonne. Cette pièce est du genre de celles qu'on appelait des
ballades , vraisemblablement des rondes de danse. Quatre
couplets de sept vers, oiiles mêmes rimes reviennent dans le
même ordre, et ayant tous le même refrain , sont précédés
par un couplet de neuf vers dont les deux premiers riment
avec lavant-dernier de chacun des couplets suivants. Cette
addition de deux vers au commencement du premier couplet
avait peut-être quelque rapport avec \& figure de la danse.
M. Raynouard a cité cette pièce comme un exemple des
compositions de ce genre. Nous suivons encore sa traduction,
en suppléant seulement à quelques ellipses qu'il a respectées
dans son fidèle mot-à-mot. Nous avons eu déjà occasion de
faire remarquer combien les troubadours aimaient ce style xvi'i p "i»
elliptique, qui exerçait, disaient-ils, la sagacité du le teur. /r»!.
Coindeta sui , si cum n'ai greu cossire
Per mon marit, quar no '1 voill , ni'l désire,
Qu'ieu be us dirai per que soi aissi drusa,
Coindeta sui ;
Quar pauca soi , joveneta e tosa ,
Coindeta sui;
E degr 'aver marit don fos joyosa ,
Ab cui tes temps pogues jogar e rire :
Coindeta sui.
Tome XV m. Z z z
546 DEUX DAMES.
XIII SltelE
Gentille suis, et ainsi .ii-je grief chagrin
Par mon mari, car je ne le veux ni le ilésire ;
Que bien vcius dirai pour quoi, (c'est) que je suis aiiiauli
Gentille suis ;
Car petite suis , jeunette et (illette,
Gentille suis ;
Et devrais avoir mari dont je fusse joyeuse,
Avec qui en tout temps je pusse jouer et rire ,
Gentille suis.
Ja Deus mi sal, si ja siii amorosa ,'
Coiiideta siii ;
De lui amar niia sui < iibito&a ,
Coindeta sui ;
Ans quan lo vei, ne soi tan vergoignosa ,
(^u'en prec la mort ije'l venga tost aucire;
Cuinileta siii.
Jamais Dieu me sauve si jamais je suis amoureuse
Gentille suis;
De l'aimer ne suis |)omt convoiteuse.
Gentille suis ;
Mais quand je le vois , j'en suis tant honteuse
Que j'en prie la mort qu'elle le vienne tôt occire;
Gentille suis.
Mais d una ren m en soi ben acordada,
Coindeta sui,
Sel meu amie m'a s'auior emendada ,
Coindeta sui :
Ve 1 bel esper a cui me soi donada;
Plang e sospir, quar iio I vei ni'l remiie;
Coindeta sui.
Mais d'une chose j'en suis bien consentante.
Gentille suis,
Si le mien ami m'a sou amour détournée,
Gentille suis r
Voyez le bel espeiir à qui je me suis donnée :
Je gémis et soupire , parce que je ue le vois , m ne le (Oiilempli
Gentille suis.
En aquest son fas coindeta balada,
Coindeta sui ;
E prec a tut que sia loiiig cantada,
Coindeta sui ,
E que la chant tota domna enseignada
Del meu amie q eu tant am e désire,
Coindeta sui.
P1I-:RRE de BERGERAC. 547
xm sikcLt.
£11 cet air je fais gentille bahade,
fleiitillf suis;
Et je prie a tons qu'elle soit an loin chantée,
Gentille suis,
Et que la chante tonte dame enseignée
Du mien ami que tant j'aime et désire.
Gentille suis.
E dirai vos de que siii acordada ,
Coindeta sui ;
Q'el ineu amie m'a longamciit ainadu,
Coindeta sui;
Ar 11 sera ni amor aljandonada ,
El bel esjier q'eu tant ani e désire
Coindeta sui.
Kt il- vous (lirai de quoi je suis consentante.
Gentille su' s; _ M.s.de 1, H,hl
\ u que le luien ami m'a longuement année , lucaïUi, ins-,. u
Gentille suis; \^tua...u^i2oO.
Maintenant lui sera mon amour abandonnée llaMi. loix,
F.t le bel espoir que tant i'aimc et désire, * ■' ' ' '"'''^
,. .11 î/ii et sMi\
Gentille suis. • '
Il V a dans ce petit drame à un seul personnage, expo-
sition, intrigue, péripétie, dénouement. E— D.
PIERRE DE RERGERAC.
LjRescimbeni a soupçonné que Pierre de Bergerac pouvait
être le même personnage que Pierre de Bargeac. Nos prédé- ncîîTstol^ri'là
cesseurs ne paraissent pas en avoir porté le même jugement; voigarpoesia, t.
car Ginguené, dans son article sur Pierre de Bargeac, ne "'i> '^°^
parle point de cette identité supposée, et quoiqu'il ne subsiste u Fr 'i. xv, p*
qu'une seule pièce de Pierre de Bergerac, elle est d'une trop A '17
grande importance, pour qu'il eiàt omis d'en faire mention
si Bargeac et Bergerac lui eussent paru n'être qu'une seule
personne.
Z zz 2
548
PIERRE DE BERGERAC.
XIII SIECLE.
U. Vaisselle
Hisl. du Lan
D. Vuisselte
Ihid. p. aa5.
Guillaume VIII, vicomte de Montpellier, qui mourut au
mois de novembre de l'an 1202, institua pour son héritier
à la seigneurie de Montpellier, Guillaume, fils aîné d'Agnès,
parente du roi d'Aragon , après avoir répudié Eudoxie Com-
nène, sa première femme. Il paraît que ce testament reçut
d'abord son exécution. Le jeune Guillaume était alors âgé
de quatorze ans. Le pape Innocent III, pressé par Guil-
laume Mil de reconnaître la légitimité des enfants de son
^"l • •• ' P- second mariage, avait suspendu sa décision. Marie, fille
d'Eudoxie, mariée à lîernard , comte de Cominges, appa-
remment ne réclama point. Alais en 1204, Pierre II, roi
d'Aragon, ayant épousé Marie, répudiée par le comte de
Cominges, s'empara des états de Montpellier, et il en jouit
paisiblement jusqu'en 1212. A cette époque, Guillaume, fils
d'Agnès, ayant réclamé auprès d'Innocent III, ce pontife
reconnut sa légitimité, ordonna aux habitants de Montpel-
lier (le lui restituer leur ville, et à la reine Marie de la lui
céder. Cet ordre aurait pu amener une collision ; mais dès le
mois de janvier i2i3,le roi d'Aragon, au contraire, donna
en fief à Guillaume la ville de Montpellier et toutes les terres
qui dépendaient de cette seigneurie.
Marie partit aussitôt pour Rome, et obtint une décision
toute contraire à la précédente. Guillaume fut déclaré fils
adultérin. Marie mourut à Rome en 1 2 i3 , peu de jours après
avoir obtenu ce jugement. Alors la ville de Montpellier s'é-
rigea en république; et enfin, en 1216, elle reconnut pour
son seigneur Jacques P"", roi d'Aragon, fils de Marie et de
Pierre II.
C'est pendant ces révolutions que Pierre de Bergerac
publia le sirventc qui nous reste de lui. A laquelle des crises
de la seigneurie de Montpellier se rapporte-t-il ? C'est là tout
ce qui paraîtra douteux. Les deux princes contendants y
sont nommés; ce sont Guillaume, fils d'Agnès, qui est un
homme méchant, dit le poète, car es savais, et le roi d'Ara-
gon, connu par sa bonté, e/ bos reis d'y^rago. Par conséquent
il ne s'agit pas de la première prise de possession où Guil-
laume n'avait que quatorze ans, et ou Pierre II n'éleva
Miilot.i.iii, aucune difficulté. Millot suppose que le roi d'Aragon est
p-4»4 .[arques I*'', et que le sirvente se rapporte à l'époque de 12 13
où Guillaume tut condamné par le pape. Cette opinion ne
paraît pas admissible, puisque Jacques n'était alors qu'un
enfant de cinq^ ans. D'après cela, la pièce doit appartenir à
U. Vaisselle
Ibiil. p. !îoa.
PIERRE DE BERGERAC. 549
. , xrasiÈcxE.
l'an I2I2, où Guillaume rentra dans la possession de sa
seigneurie. Voici trois strophes de ce sirvente :
Bel m'es cant aug lo resso
Que fai l'ausbercs ab l'arso,
Li bruit et il crit e il masan
Que il corn e las trombas fan,
Et aug los retins e'is lais
Dels sonails, atîoncs m'eslais ,
E vei perpoinz e ganbais
Gitatz sobre garnizos,
E m plai refrims ilels penos. . . .
Il m'est beau quand j'entends le retentissement
Que font le haubert et l'arçon.
Les bruits, le cri et le tumulte
Des cors et des trompettes,
Quand j'eutends les résonnantes chansons
Des grelots, alors je me réjouis,
Et quand je vois les pourpoints et les cottes d'arm.
Jetés sur les cuirasses;
Et me plaît le frémissement des panonceaux.
Oimais sai qu'auran saza
Ausberc et elm e blezo ,
Cavaill e lansas e bran
E bon vassaill derenan.
Pois a Monpeslier s'irais
Lo reys, soven veiretz mais-
Torneys , cochas et essais •
Âls portais, maintas sazos
Feiren colps, voidan arsos.
Désormais je sais que seront de saisons
Hauberts, haumes et blisons.
Chevaux et lances et épées
Et braves vassaux dorénavant.
Bientôt à Montpellier se courrouce
Le roi , et vous verrez- encore
Mêlées, chocs et assauts
Aux portes, et en grand nombre
Nous frapperons des coups, et ferons vider des arçons;
E si'l bos reis d'Arago
Conquer en breu de sazo,
Monpeslier, ni fai deman ,
Eu non plain l'anta ni'l dau
D'en Guillem , car es savais , •
Ni 'n tem lo seignor del Bais
Ans eu mov contr'el tal ais; • Bayn. Choix,
Per la fe que dei a vos, i. iv. p. 189.
No sai si l'er danz o pros.
' 8
XIII SIF.CLK.
55o GUILLAUME DE BÉZIERS.
Et si le bon roi d'Aragon
Con<|iiiprt en peu île temps
Montpellier et en fait la demande.
Je ne plains ni la lionte, ni le dommage
Du seigneur Guillatimc, car il est méchant.
Point ne crains le seigneur d'Anbais,
Au contraire, je me soulève contre un tel secours,
A cause de la foi (]n'il doit à vous (roi).
Et ne sais si ce sera pour lui dommage ou profit.
Tout cela est parfaitement clair; le roi d'Aragon vientlra
conquëiir Montpellier; on se battra; le seigneur Guillaume
sera vaincu , et le poète s'en réjouira.
il n'en arriva pas ainsi. On ne se battit poiiU. car les
historiens nous l'auraient appris. Mais nous voyons dans
cette pièce que Guillaume s'était préparé au combat. L'affaire
se termina pour cette fois par la donation que Pierre 11 fit à
Guillaume du fief de Montpellier et de toutes ses dépen-
dances. K — D.
GUILLAUME DE BEZIERS
I
Li'histoire de ce poète est entièrement inconnue, et nous
devons regretter cette omission des biographes, attendu tjue
sa carrière poétique paraît se lier à un fait d'une grande
importance.
Guillaume est connu par deux pièces. I/unedes deux est
une déclaration d'amour, que fauteur se suppose faire à une
dame qu'il n'a jamais vue. Ce n'est point une chanson divisée
en strophes ou cou|)lets. 11 est vraisemblable qu'elle n'a point
été faite pour être chantée. Les rimes y sont placées sans
ordre. C'est un jeu d'esprit où le poète s'abandoiuie à la
bizarrerie de sa pensée, et une pièce du genre de celles que
\ovez Rayn jgs troubadours appelaient un vers.
choix , I. II, p.
«7
Erra n sa,
Pezansa,
Me destrenh e m i)alansa ,
Res no sai on me lansa.
Esniansa ,
Seniblansa,
Me tolh e m'eiiaiisa;
E m dona alegransa
Xlll SIECLK.
GUILLAUME DE BEZIERS. 55i
Un messatgier que nie venc l'autre di;i,
Tôt en vellan, mon verai cor emblar.
Etant- pueysas no fuy ses gelosia,
E res no sai vas on lo m an cercar. ...
Également ,
Chagrin,
M'oppresse ot me pèse ,
Point ne sais où me lance.
Pensée,
Apparence
M'enlève et me transporte;
Et me donne joie
Un messager (pii me vint l'autre hier,
Klant bien éveillé, mon tendre cœur ravir;
Et jamais depuis n'ai été sans jalousie, r
Et point ne sais où j'irai le reprendre. . . .
Per inerre us prec , bella doiisset'amia,
Si r:ini ie us ani , vos me viilbatz amar ;
Quar ie us ain mais que nulba res que sia ,
lù .:nc no us vi, mas au^it n'ai parlai'. . . .
Par merci je vous prie, belle doucette amie.
Que connne je vous aime, vous me vcuiiliez aimer;
Car je vous aime plus que chose qui soit au ntonde; Rayn. Choix ,
Et ne vous ai vue jamais, mais seulement ouï parler de vous. . . •• I" ' P- '^^■
L:i seconde pièce est une complainte sur la mort d'un
vicomte de Béziers, assassine, dit le poète, p?ir des renégats
de la race traîtresse de Pilate. Cette pièce porte dans un Mss.ddaBibi.
manuscrit de la Bibliothèque royale le nom de Guillaume, |^oy- "y^iS, i.
moine de Bëziers, et dans le manuscrit dit de Diuj'c celui Mss.ieDurfr
de Guillaume Ogiers ou Augier Niella , natif de Saint-Donat, 27oi,n..b.8i5.
bourg du Viennois, poète qui demeura long-temps dans la
Loiubardic. Nos prédécesseurs, ainsi que l'abbé Millot, l'ont
attribuée à ce dernier; et comme Augier, contemporain de crestimbeDi .
l'empereur Frédéric 1*^% florissait vers le milieu du douzième Deiiavoigarpoe-
, siècle, il suit de là que le vicomte de Bezicrs à qui se rap- »", t. n,p.20ï.
porte la complainte, serait Raimond Tranquavel F', tué par uFr^t. xm i*
des bourgeois de Béziers, en 1 167, pour avoir paru prendre 419
parti contre eux en taveur d'un noble. Si, au contraire, la com- , M'""' • Hi»i.
plainte se rapporte à la perte de Raimond-Roger, mort dans / [ " uî" t
les fers, prisonnier de Simon de Montfort, ;ït)/i ja«j soupçon m, p. 409.
qu'on eût avancé SCS jours, dit Vaissetle, et de mort violente, '^ Vaissetie ,
' > • 1 'f 1 "d ' • i /^ Hisl. du Lan-
apres avoir deiendn Beziers et Garcassoune avec un courage gued. 1. in, ■..
liéroique, comme cet événement est du 10 novembre i'20{), 17,18.
552 GUILLAUME DE BEZIERS.
XIII SIÈCLE. j f> ■„ 1 r» ■
la complainte peut être 1 ouvrage de Guillaume de Ceziers ,
D. Vaisselle , et cUc scft aloTs elle-même à fixer l'époque de sa vie.
ibid. p. i83. ]yj Raynouard l'a donnée à ce poète; mais rien n'est assez
IV p^'Àé."^ positif sur cette question, pour nous décider à combattre
l'opinion de nos confrères. Quoi qu'il en soit, voici des frag-
ments de cette pièce :
Quascus plor e planb son dampnatge,
Sa malanansa e sa ilolor,
Mas ieu , las ! n'ai en mon coratge
Tan gran ira e tan gran tristor
Que ja , mos jorns , planh ni plorat
Non aurai lo valen prezat
Lo pros vescomte , que mortz es ,
DeBezers, l'ardit e'I cortes,
Lo gai e'I mielh adreg e'i bon ,
E'I nielhor cavadier del mon.
Chacun frémit et déplore sa propre perte,
Sou infortune et sa douleur,
Mais moi, hélas! j'ai dans mon cœur
Si grande indignation et si grande tristesse
Que jamais de mes jours assez regretté et pleuré
Je n'aurai le vaillant, l'estimé.
Le Seigneur preux vicomte , qui est mort ,
De Bézicrs, le hardi , le courtois ,
Le gai , le plus adroit , le bon,
Le meilleur chevalier du monde.
Mort l'an , e anc tan gran otratge
No vi boni, ni tan gran error
Mais far, ni tan gran estranbatge
■ . De Dieu et a nostre senhor,
Cum an fag li can renégat
Del fais linhatge de Pilât
Que l'an mort ; e pus Dieus mort près
Per nos a salvar, semblans es
De lui , qu'es passatz al sieu pon
Per los sieus estorser laon.
Tué ils l'ont, et jamais si grande injure
Ne vit homme, ni si grand forfait
Jamais commettre, ni si grande barbarie
Envers Dieu et envers notre Seigneur,
Comme ont fait les chiens de renégats ,
De la traîtresse race de Pilate ,
Qui l'ont tué; et puisque Dieu a reçu la mort
Pour nous sauver, il semble
De lui qu'il ait passé sou pont
J*our les siens retirer en haut.
GUILLAUME ANELIER. 553
IIII SIECLE.
Mil cavallier de gran linhatge
E mil dampnas de grau valor
Iran per la sua mort a ratge ;
Mil borzes e mil servidor
Que totz foran gent heretat
Si 'Ih visquet, e rie e honrat. . . .
Ar es mortz , ai Dieus , quais dans es !
Caitieu, cum em tug a mal mes!
Val quai part tenrem , ni ves on
Penrem port, lot lo cor m'en fon. . . .
Mille cavaliers de haut lignage
Et mille dames de grand prix
Iront par sa mort à l'abandon;
Et mille bourgeois, et mille serviteurs.
Qui tous eussent été enrichis,
Puissants et honorés, s'il eût vécu. . . .
Maintenant il est mort! ô Dieu! quelle perte!
Malheureux! comme nous sommes tous mis à mal!
De quel côté nous tournerons-nous , et vers où
Prendrons-nous port? tout mon cœur en est brisé.
É-D.
GUILLAUME ANÉLIER
Lje troubadour, né à Toulouse vers la fin du douzième
siècle, nous est connu par quatre sirventes, où se manifes-
tent avec énergie son amour pour son pays et son aversion
pour la guerre de la ligue dont le résultat devait être de livrer
le Languedoc à une domination étrangère. De semblables
pièces de vers sont des morceaux d'histoire où léchant d'un
seul poète peint l'esprit d'un peuple entier.
La date de ces pièces n'est pas douteuse; elles sont toutes
à peu près de la même époque. Celle c^ui commence par ce
vers,
Vera merce e dreitura sofranh,
est dédiée au jeune roi d'Aragon :
Al jove rei d'Arago qe conferma
Merce e dree, e malvestat desferma,
-,.»'' L r lass. delaBi-
Vay sirventes, quar trastot be reslenna, bliotk. Lauren-
E nuls engans dedins son cors no s ferma. tiana.
Tome XV in. Aaaa
3 8,
Mss. de la Bi-
554 GUILLAUME ANÉLIER.
XIII SIECLK. „ , • • j.A
Vers le jeune roi d Aragon qui protège
Miséricorde et droit, et injustice repousse,
Va, Sirveiite; car tout ce qui est bon il le renferme en soi,
Et nulle troDiperie en son cœur n'habite.
La pièce commençant par ce vers,
Msf.delaltibl. £j „qj^ j^ Dieu qu'es paire oitinipotens ,
roj. n. 7116, f. 1 • X '
Ra»n. ciioii, fait mcntion du jeune roi d' An gleteTre ^j'oves Engles , lequel
I. V, p. 1 7«j. yjj gg^g doute chercher à reconquérir ses domaines de France.
Or, pour rencontrer une époque où un roi d'Aragon et un
roi d'Angleterre fussent jeunes tous deux , il faut se placer à
l'an 1324 011 I22(). Jacques 1*'', roi d'Aragon, né le premier
février 1208, roi en I2i3, était alors âgé en effet de
17 à rSans; et Henri III, fils de Jean -Sans -Terre, né en
1207 et roi en 1216, avait à peu près le même âge : c'est
par conséquent de l'an 1224 à l'an 1226 qu'ont été composés
les deux sirventes dont nous parlons; époque désastreuse
pour le Languedoc, où la reprise de la guerre et la reddition
d'Avignon ouvraient aux croisés la route de Toulouse , et
où la couronne de llaimond VII tendait visiblement à sa
chute. Quand on considère ces circonstances, les pièces de
vers d'Anélier acquièrent un grand intérêt. Alors on ne dit
plus : a Ces pièces ne contiennent que de vagues déclama-
a tions contre le clergé, les moines et les Français. » On
admire, au contraire, le courage et le dévouement du poète
qui défend autant qu'il est en lui son prince et son pays, et
s'oppose, avec les armes aiguisées de la satire, au déborde-
ment des mœurs.
Celui de ces sirventes qui commence par
Ara farai no m puesc tener,
date des premiers temps de la majorité de Jacques d'Aragon.
Mas us enfans cobra poder
Qu'es a paratge lums e ray.
C'est en ce jeune prince que le poète espère; c'est pour
lui qu'il demande les faveurs du ciel :
Doue prec Jeshu Crist que poder
Li don e quel garde , si i play.
Que ciercx no '1 puescan dan tener
Ab fais preziicx lotz pies d'esglay,
GUILLAUME ANÉLIER. 555
Quar tant es grans lur trichamen XIIISgCIiE.
Quel fuecx infernals plus preon
Ardran , quar volon tant argen
Qu'hom peccaire fan cast e mon. . . .
Donc je prie Jésus-Christ que, pouvoir
I! lui donne, et qu'il le préserve, s'il lui plaît.
Que clercs ne puissent lui porter dommage
Par leurs prédications menteuses, pleines de terreur;
Car si grande est leur fourberie
Qu'au feu d'enfer le plus profond
Ils brûleront (eux) si avides d'argent
Que l'homme pécheur ils rendent innocent et pur.
A. la gleisa falh son saber,
Quar vol los Frances mètre lay Rayn. Choii,
On non an dreg per nulh dever, '• IV, p. 271.
E gieton cristiais a glay
Per lengatge sens cauzimen .....
A l'Église faillit son ^voir
Quand elle veut les Français établir là
Où ils n'ont droit par aucune obligation ;
Et ils jettent les chrétiens au désespoir
Par an langage sans ménagement.
Le quatrième sirvente n'est pas moins remarquable quant
au fond, et il e&t.plus poétique:
Ar faray, sitôt no m platz
Chantar verses ni chansos,
Sirventes en son joyos ,
E say qu'en seray blasmatz ;
Mas del senhor suy servira
Que. per nos suferc raartir
Et en crotz deynhet morir,
Per qu'ieu no m tem de ver dire.
Maintenant je ferai, quoique ne .nie plaise
Chanter couplets ni chansons,
Un sirvente sur un air vif;
Et sais que j'en serai blâmé ;
Mais de Dieu je suis serviteur.
Qui pour nous a souffert martyre,
Et en croix a daigné mourir ;
C'est pourquoi je ne me retiens, de la vérité dire.
Quar yej qu'el temps es camjatz
E'is auzelletz de lors sos;
E paratges que chai jos ,
E vilas coutz son prezatz ,
A aa a a
556 GUILLAUME ANELIER.
XIII SIECLE. „, „
. . Clercx e irances cuy azire,
Qu'ieu per ver vey dregz delir
E merces e pretz venzir;
Dieus m'en do so qu'ieu n dexire.
Car je vois que les temps sont changés
Et les oiselets (même) dans leur chant;
Et les nobles familles sont jetées à terre
Et les pins vils tenus à estime,
Et les clercs et Français que je déteste (i) ;
Et en vérité je vois les droits anéantir,
La bienfaisance et le mérite avilir :
Que Dieu m'en donne ce que j'en désire!
Tant es grans lur cobeytatz
Que dreytura n'es al jos ,
Et enjans et tracios
Es dretz per elhs apellatz ,
Don pretz , dos , solatz et rire
Franh , e vezem car tenir
Los malvatz que ges servir
Non podon Dieu ni ver dire ....
Tant est grande leur avidité
Que droiture en est par terre;
La ruse et la trahison ,
C'est là le droit ce qu'ils appellent;
Aussi le mérite, le savoir, les amusements, le rire,
Ils les brisent, et nous voyons estimer
Les méchants qui servir
Ne peuvent Dieu , ni la vérité dire.
Dans cette peinture passionnée des mœurs , le poète ne
pouvait pas oublier le refroidissement que la guerre avait
inspiré pour les troubadours.
Joglars ben son desamatz
La flor dels valens baros
Cuy cortz, domneyars e dos
Plazion joys et solatz ;
Qu'er, si re als voletz dire,
Vos pessaran descarnir,
Rayn. Choii , Quar ja no Is pot abellir,
t. IV, p. 171. Qu'aver, aver lur tolh rire.
(i) Nous publions ce passage à regret; mais il exprime un sentiment
particnlier à l'époque dont nous parlons, et que l'histoire doit faire
connaître.
ARNAUD DE COMMINGES. 55;
Les troubadours bien sont négligés^ XIII SlhCI K.
Et la fleur des vaillants barons
A qui les cours, la galanterie, le savoir
Plaisaient, et les joyeux ébats et les divertissements;
Que maintenant si vous leur en voulez parler
Ils penseront vous vilipender,
Car rien de cela ne peut leur plaire,
Avoir, avoir leur Ole le rire.
Toutes ces pièces ayant dû prtîcéder de peu l'établisse-
ment définitif des Français dans le Languedoc , et la vie
d'Anélier n'étant d'ailleurs pas connue, nous plaçons cet
auteur à la date qui paraît convenir à la plus récente de ses
productions, qui est l'année 1228. E — D.
ARNAUD DE COMMINGES
Lje troubadour que Mlllot croit avoir été un seigneur de la Miiioi, t. iji,
j „ T . , o . p. 60.
maison de Lomminges, n est connu que par un sirvente Rajn. cùoiT,
contre les désordres qui avaient lieu de son tempj, dans la « v, p. 2
manière d'acquérir et de transporter la propriété des do- ^
maines. « La violence fait tout, dit -il, les plus forts ont pi,
Pièce coniiiim-
çant par /,V //;
'ai us ii^acii.
«
toujours raison; ils se font acheteurs ou ravisseurs, si on Mss. d.- mo
ne veut leur vendre
dt-np
Enans se fan comprador
O toledor qui nos los ven.
« Qui perd d'un côté va comme un joueur chercher profit
dans une autre affaire :
«
E puois ab pauc d'argen
Qu'ill reman, vai jogar aillor.
Millot pense avec raison que cette peinture ne peut appar-
tenir qu'au temps de la guerre des Albigeois ou à l'époque
qui suivit immédiatement. E — D.
XIII SIECLE.
DEUDES DE PRADES.
Ueudes ou Dieu-Donné, surnomme de Prades, parce qu'il
naquit au bourg de ce nom , dans le Rouergue, à quelques
lieues de Rhodez, e'tait chanoine à Maguelone. Homme de
sens et lettré, dit son historien, il composait bien les vers;
mais ses chansons n'exprimaient pas l'amour avec assez de
chaleur , e Jet cansos per sert, de trohar, mas no movian ben
d'amor; on n'y trouvait pas toute la vivacité désirée dans les
productions de ce genre; aussi, ajoute son historien, ne
furent-elles ni beaucoup chantées, ni fort goûtées, per que non
avian sabor entre la gen, ni no Joron cantadas ni grazidas.
Il peut y avoir quelque exagération dans l'énoncé de ce
dernier fait; mais nous voyons en effet dans les chansons de
Deudes de Prades plus d'esprit que de sentiment, et même
plus de cynisme que de galanterie. Quoique ce poète parle
quelquefois de souffrir et de mourir, il ne meurt point; il
jouit, ou du moins il espère, si déjà il n'a obtenu. Le cha-
noine de Maguelone est un sybarite qui fait des vers pour
remercier ses maîtresses ou pour lesseduire. Il a de la gaîté,
des pensées fines et riantes; mais ses tableaux vont juaqulà
la nudité; et si, comme il y a apparence, c'est ce qui em-
pêcha le succès de ses chansons dans la bonne compagnie,
entre la gen, c'est une preuve de plus que dans un siècle où
les mœurs étaient très corrompues ,' on exigeait cependant
encore à l'extérieur de la décence et de la pudeur.
En fait d'amour, Deudes veut deux choses, jouir et changer
quelquefois de maîtresse.
Ab lo dous temps que renovelha,
Vuelh far ar novelha chanso ,
Qu'amors novelha m'en somo
D'un novelh joy que mi capdelha ;
E d'aquest joy autre joy nais,
£ s'ieu non l'ai non poirai mais ;
Mas ades azor e sopley
A lieys cui am de cor, e vey.
Avec le temps doux qui se renouvelle
Je veux faire aujourd'hui chanson Douvelle,
Car nouvelle amour m'en sollicite
Far nouvelle joie qui nie domine;
DEUDES DE PRADES.
Et de cette joie naît autre joie,
Que j'obtiendrai ou rien n'y pourrai;
Mais maintenant j'adore et supplie
Celle que j'aime de cœur et que je vois.
Tan mi par m'esperanza belha
Que be ni \al una tenezo ;
E pus espers nii i'ai tal pro,
Ben serai riez, si ja ni'apelha,
Ni m dis : « Dels dous amie?, verais,
Be vuelli que per nii sias gays,
£ ja no s vir per nulli esfrey
Vostre fis cors, del mieu dompney. . . .
Tant mon espérance me paraît belle,
Que bien me vaut une possession;
Et puisque l'espoir tant me fait de plaisir,
Combien scrai-je heureux, si jamais elle m'appelle,
Et me dit : «Beau, doux ami, sincère,
Bien je veux que pour moi soyez gai
Et qu'il ne m'échappe par nulle crainte,
Votre gentil cœur, de mon service. «
559
XIII SIECIK
£ qui ren sap de drudaria
Leu pot conoisser e chauzir
Que 'i beili semblant e'I dous sospir
No son messatge de fadia ;
Mas talant a de fadeyar
Qui so que te vol demandar;
Per qu'ieu cosseih als fins amans
Qu'en prenden fasson lur deraans.
Uayn. Clmi»,
»tc. i. m, pag.
416.
Et qui se connaît un peu en galanterie,
Bientôt peut voir et juger
Que beau semblant et doux soupir
Ne sont message d'indifférence.
Mais plaisir il trouve à niaiser
Qui ce qu'il tient veut demander.
C'est pourquoi je conseille aux amants passionnel
Qu'en saisissant ils fassent leur demande.
Une autre pièce n'est pas moins expressive et moins gaie.
En un sonet gai e leugier
Comens canso gai 'e plazen ,
Qu'estiers non aus dir mon talen ,
Ni descubrir mon dezirier.
Dezir ai que m ve de plazer,
E'I plazer 111014 del bon esper,
M. Paynouard
.'«traduit élégam-
ment celle stro-
phe. Choix , ele.
t. II, p. 33.
Mss. de la lii-
blioth, roy. u.
2701 , th. a!»7.
Parnasse ocrit.
p. 86.
56o DEUDES DE PRADES.
X1[!MK( LE. „,, , ... ,
h 1 bon esper de joi novel ,
El joi novel de tal castel
Qu'eu no volh dir, mas a rescos,
A cels cui amers ten joios.
Sur un air gai et léger
Je commence chanson gaie et riante;
Car autrement je n'ose déclarer mon intention ,
Ni découvrir mon désir.
Désir j'éprouve qui me vient de plaisir,
Et le plaisir naît de bon espoir,
Et le bon espoir de joie nouvelle,
Et la joie nouvelle d'un tel caslel
Que je ne veux nommer, sinon tout bas
A celui qu'amour tient en joie.
Il dit dans la même pièce :
Ja no i man letre ni sagel,
Ni mi don cordon ni anel;
Mas dehne me dir : Amies dos,
Aissj m'avetz com ieu ai vos.
Je ne lui envoie lettre ni pli cacheté,
Et ne me donne cordon ni anel,
Pourvu qu'elle daigne me dire : Doux ami.
Ainsi vous me possédez comme je vous possède.
Cette chanson du chanoine de Maguelone fut adressée au
troubadour Gui d'Uissel, chanoine de Brioude.
« Va, dit l'envoi, va, ma chanson, sans craindre aucun
K mauvais augure, jusqu'à ce que tu sois auprès de Gui
« d'Uissel, et dis -lui : M'adresse ici à vous un mauvais
« conseil, car il est amoureux,
E di l'Aissi m trasmet a vos
Fois cosselhs , quar es amoros. »
, Une des pièces les plus intéressantes de Deudes de Prades,
XVII, p 56/i. ^^^ ^^ complainte sur la mort du troubadour Hugues Brunet,
dont nous avons parlé dans le volume précédent. C'est là
qu'il fait l'éloge du langage choisi, lingua issernida d'Hugues
Brunet, mérite dont il offrait lui-même un excellent modèle.
Son ouvrage intitulé : Dels Auzels cassadors est d'un
tout autre genre. C'est un poème de trois mille six cents vers
de huit syllabes, que le poète appelle un roman, sur l'art
de nourrir et d'élever les oiseaux de chasse. Après avoir ex-
posé son plan, l'auteur traite des différentes classes d'oiseaux,
d'abord de l'autour, ensuite de l'épervier, du faucon dont il
BLACAS. 56 1
1- • V , ,■ . -Il 11-1, Xlll SIF.CLF..
tlistingue sept espèces, de leinenllon; de lart de dresser
ces oiseaux , de s'en servir, de les guérir de leurs maladies.
Son style est eénëralement vif, poétique, souvent animé par
des descriptions et des comparaisons brillantes. Le laucon , \ ,, ,^{, ,.
de Barbarie, qu'il nomme Sitrpunic, ressemble, dit- il, à sun
l'aigle blanc par son plumage, au gerfaut par son œil, ses
ailes , son bec , son orgueil ; tout oiseau tremble à son aspect,
auzel quel ve de paor trembla. Il compare le faucon britan-
nique à un roi, à un comte riclie et puissant, à un preux de
grand pouvoir; c'est lui , dit-il , qui réjouit le plus constam-
ment le seigneur; il est 1g |)rinre des faucons, le maître des
oiseaux, de totz aurels es lo maistre.
Il est difficile de croire qu'avec tant d'esprit et des talents
si variés, Deudes de Pratles, malgré le ton trop libre de ses
poésies, ne se fit pas ouvrir plus d'un château. On voit en
effet qu'il fut accueilli clic/ le seigneur d'Anduze, chez Guil-
laume IV, prince d'Orange, et dans d'autres grandes maisons.
L'année de sa mort n'est pas connue ; mais ses liaisons avec
Guillaume IV, prince d'Orange, mort en 1218, et avec Gui
d'Uissel , mort de 1222 a 1280, nous autorisent suffisamment
à placer sa mort vers 1228 ou 1229. E — D.
BLACAS.
i^E troubadour nous offre un brillant modèle du caractère mort en 122^
des seigneurs provençaux, languedociens et catalans du xii«
siècle. Nous voyons en lui un de ces hauts barons, braves,
galants, fastueux, s'honorant de cette fleur de bon ton qu'on
appelait de leur temps courtoisie, qui tenaient dans leurs
châteaux des cours nombreuses, accueillaient avec magnifi-
cence les chevaliers, les dames, les poètes; leur faisaient de
riches présents, et composaient eux-mêmes des vers pour
ne pas se montrer inférieurs à leurs illustres hôtes. Blacas ne
fut pas sans talent, comme troubadour; mais sa réputation
paraît s'être fondée bien plus encore sur la noblesse de
ses manières, que sur le mérite de ses poésies. «Blacas,
« dit l'auteur de sa vie écrite en provençal, fut un barorr
« puissant, généreux, bien fait, adroit, qui aimait les fem-
Tome XVIIL B b b b
Xlll SIKCLK.
562 BLACAS.
« mes, la galanterie, la guerre, la dépense, les cours, la
u magnificence, le bruit, léchant, le plaisir, et tout ce qui
« donne du relief et de la considération. Personne n'eut
<f jamais autant de satisfaction à recevoir qu'il en avait à
« donner. Il fut le protecteur des faibles et le soutien des
<r délaissés; e fo aquel que mantenc lo desmantenguts , et
i< amparcl lo clesaniparats. Plus il avança dans la vie, plus
u l'aimèrent ses amis et le craignirent ses ennemis : On plus
« venc de temps e plus l'ameren li amie , e II enemic lo ten-
« sen plus. Plus aussi il vécut, plus s'accrurent sa sagesse,
« son savoir, et même son penchant à la galanterie : E crée
« SOS sens , c sos snhcrs , e sa f;adlardia, e sa dnidaria. »
Ce portrait, tracé dans le style du temps, nous peint un
genre de gloire tout chevaleresque. Plusieurs troubadours
reproduisirent successivement le même éloge comme à l'envi.
L'aïeul ou le bisaïeul de Blacas, originaire de la Catalogne,
vint se fixer en Provence, à la suite de Raimond Bérengerl""
ou de quelqu'un des premiers successeurs de ce prince. Il
dut lui-même naître à Aix , où les [comtes de la maison de
Barcelone faisaient leur résidence ordinaire, à moins qu'il
n'ait vu le jour à Aulps, gros bourg dont un des premiers
Bérenger avait donné la seigneurie à sa famille. Le nom de
Blacas , Dlaccas ou Blancatz, paraît être venu de Elanças
(Blanc), surnom donné apparemment à quelqu'un de ses
aïeux.
On voit, en 1176, un Blacas, seigneur d'Aulps, prêter
serment de fidélité à Alphonse F"", comte de Provence, fils
de Raimond Bérenger II. Ce Blacas pouvait être le père du
poète, mais ce peut bien être aussi le poète lui-même; car
déjà, à cette époque, celui-ci était parvenu à l'âge d'homme.
Sa vie connue se renferme entre cette année 1 176 et l'année
laaq, époque de sa mort; ce qui permet de placer sa nais-
sance vers 1 160 ou environ.
La ])lus ancienne pièce de vers que nous connaissions de
lui est sa tcnson avec Peyrols, et cette pièce est antérieure
à la croisade de l'an 1 190, puisque Peyrols se croisa lors de
cette expédition , et qu'à son retour, il alla vivre à Mont-
])cllicr et s'y maria. Sa liaison avec Cadenet, dont nous avons
parlé à l'article de ce dernier poète, date du temps où Bo-
iiifacc. Tuarquis d'e Montferrat, venait de succéder dans ce
inarfjuisnt à son frère Conrad, et par conséquent des années
1 193 ou 1 194- I-a (hanson où il déclare à Folquet de Romans
xiiisiK II;
BLACAS. 5G3
qu'il ne se croisera point, est de i igS. Sa tenson avec Pierre
Vidal doit appartenir aux années i ij)6 ou i igy, époque où
Pierre Vidal vint en Provence pour la seconde fois , au
retour de la croisade, car il était déjà vieux, ya viels , et
Blacas lui reproche ses actes de démence, tous postérieurs à
la croisade.
La complainte de Sordel sur la mort de ce seigneur, où il
partage son cœur entre les princes qui lui paraissent man-
quer d'activité ou de courage, semble supposer qu'il avait
rempli un rôle éclatant dans quelque guerre importante.
C est ce que l'histoire ne nous apprend point : cependant il
faut admettre qu'un éloge donné avec tant de pompe dut
être fondé sur quelque fait réel.
Il se glorifie lui-même de sa bravoure et de son illustra-
tion militaire, dans une pièce galante où, en mettant à dé-
couvert son propre caractère, il peint les mœurs de son
temps.
Per merce il prec c'en sa nierce mi prenda
Liei cui om soi, per aital convinen h.nii. CIkmx,
Si troba aman que m venza ni m contenda ' ^'. I i"'i
Ab tan cor (l'armas, ni dnrdinien,
Mi tan lare sia ab tan pauc de renda.
Ni tan sotil en parlar avinen,
A lui s'autrei e de mi se defenda,
Que ben es drec c'il am.lo plus valen
Aissi com il es la gensor que port benda (i j.
Par merci je la prie qu'en sa merci me pienne,
Celle de qui l'homme je suis sous cette condition
(Que) si trouvu amant qui me surpasse ou me le dispute
Avec tant de cœur en armi's et tant d'ardeur.
Aussi magnifique avec si peu de rentes ,
Aussi élégant dans un gracieux langage,
Qu'à lui elle s'octroie et de moi se défende.
Car bien est droit qu'elle aime le plus méritant ,
Ainsi qu'elle est la plus belle qui porte ceinture.
On dirait, à lire ces vers, que Blacas ait offert lui-même
à Sordel le thème de sa complainte, par ce mot :
Ab tan (gran) cor d'armas ni d'ardimen.
La générosité de ce seigneur avec les troubadours a été
(i) Il y a dans cette pièce plusieurs incorrections, sans doute par le
fait dei copistes: nous les respectons, comme M. Raynouard les a res-
pectées.
B bbb:2
XIll SIKCLE.
Ahnl
1 issic ,
Msi. tiil
lie Diir-
f«. Bibl.
l'OV. M.
^701.
Ravn
. Choix ,
<. V,p.
Z!,r>.
564 BLACAS.
célébrée par Pierre Vi(Jal, dans une pièce où, feignant de
donner des instructions à un jongleur, il prend de là occasion
de louer les mœurs des chevaliers du temps de sa jeunesse,
et d'illustrer ceux dont il a reçu un honorable accueil. « De
« ce côté de l'Espagne, lui dit-il, vous visiterez le généreux
« roi Alphonse; en Lombardie, le preux marquis.... En
(c Provence sont des hommes qui ne connaissent pas l'ava-
« rice : n'allez pas y oublier Blacas. »
Et en Proensa homs non avars. . . .
En Blacas no y fai a laissar.
Elias de Barjols disait pareillement :
D'en Blacas no m tuelh ni m vire,
Ni de son pretz enantir;
Que tan no piusc île ben dir
Qu'ades mais no i truep a dire (i).
Désire Blacas ne in'ôtc ni me détourne.
Ni de son prix cclcljrer,
Car tant ne puis de bien en dire,
Que toujours plus n'en trouve à dire.
Dans ses tensons avec Peyrols, Pierre Vidal, Rambaud de
Vachères, Guillaume de S. Grégori , Guillaume Pélissier,
Bonate ou Bonnefoi , Blacas se peint comme plus avide du
physique de l'amour que du moral. Point ne le fâche que ses
amours fassent quelque bruit, et s'il le fallait, il préférerait
même une conquête qu'on lui prêterait faussement, mais
éclatante, à des faveurs sans réserve , mais ignorées. Tels sont
du moins ses jeux desprit. On voit aussi dans ses pièces un
assez vif penchant à la satire.
Il disait à Pierre Vidal : « De votre doctrine je ne veux
« point auprès de ma dame, j'entends la servira toujours.
al.
« mais en eg;
E d'ela m platz que m fassa guizardon
Et a vos lais lo lonc atendamen
Senes jauiir, qti'ieu vuoill lo jauzinien :
Car loncs atens senes joi , so sapchatz,
Es jois perdutz, qu'anc uns non fon cohratz.
l'i) M. Raynouardxite ces vers comme un exemple de la liberté dont
usaient les troubadours, de maintenir ou de supprimer i'E à l'infinitif des
verbes en ER, en RE, en IR et en IRE. Gram. de la lang. des Troub.
p. 195.
BLACAS. 565
XIII SIÈCLE.
Et d'elle il me plaît qu'elle nie fasse don ( mutuel ),
A vous je laisse la longue attente
Sans jouissance; je veux jouir.
Car longue attente sans jouissance, sachez-le bien.
Ce sont joies perdues, dont aucune ne se recouvre.
Vidal répondait :
Blacatz, ges ieu sui d'aitnl faisson
Cuin vos autres , a cui d'amor non cal j
Gran giornctia vuqill far per bon ostal ,
E ionc servir per recebre gent_ don ;
Non es fis drutz cel que s canja soven,
Ni bona domna relia qui lo cossen ;
Non es amors, ans es engans proatz
S'uoi enquerets , e deman o laissatz.
Blacas, point ne suis de cette façon
Comme vous autres à qui d'amour ne chaut guères;
Longue journée je veux faire en bon logis, Rajrn. Choix,
Et long servir pour obtenir précielix don; I. IV, p. iZ.
N'est amant vrai qui souvent .se déplace.
Ni bonne dame celle qui le souffre.
Point n'est amour, mais claire tromperie^
Si demandez aujourd'hui et demain délaissez.
Blacas demande à Rambàud de Vachères : « Rambaud ,
« sans qu'on le sache, bonne dame vous fera jouir d'amour
« accomplie, ou bien, pour vous donner àe la gloire, elle
(c fera croire à la gent, sans rien de plus, qu'elle est votre
« amie : qu'aimez-vous mieux? — Rarabaua , en amant dë-
« licat , aime mieux, dit-il, jouissance toute suave et sans
« bruit , que vaine opinion sans plaisir : »
Mais Tueill aver jauzimen
Tôt suavet e ses bruda ,
De ma domna cui dezir.
Que fol creire ses jauzir.
Blacas prétend que les connaisseurs tiendront ce sentiment
à folie , à sagesse les niais :
En Rairabaud , li connoissen
Vos o tenran a follor,
Et a sen li sordeior.
Rambaud ne trouve rien de si charmant que de jouir en
secret de la femme qu'il adore :
1 9
566 BLAGAS.
XIII SIÈCLE. Blacatz tan m'es avinen
Quant , ab mi dons cui azor
Puoscjazer sotz cobertor
Ren als no m'es tan plazen.
Blacas réplique par une strophe que terminent ces jolis
R«yn Choix, .
t. IV, y>. a5. ^^" •
Parnasse oc-
"^f "9 Hon pretz honor escunduda ,
Ni carboucle ses luzir,
Ni colp que no'l pot auzir,
Ni oill cec, ni lengua muda.
Point n'estime honneur caché,
Ni escarboucle saos luisant.
Ni coup ( frappe ) que je ne puis entendre,
Ni œil aveugle, ni langue muette.
Dans sa tenson avec Guillaume de S. Grégori, il aime
mieux obtenir d'une dame de haut parage toutes les faveurs
hors une seule, que de la plus belle suivante de cette dame,
tous les témoignages d'amour sans en excepter aucun :
„ „, Que maint fruit pot penre laire,
Rayn. Choix , Jï i^ ' i
t IV p 2- ^^^ "**" ^ *^" doussa sabor
Qui'i pren bas com aut , ni doussor.
Car maint fruit peut prendre un larron,
Qui n'a pas si agréable saveur,
S'il les cueille en bas, qu'en haut, ni tant de douceur.
Cependant dans une pièce erotique , la seule qu'on lui
attribue, ce poète se montre passionnément amoureux, et
il ne manque ni d'élégance ni d'harmonie.
Le belh dout temps mi platz
E la gaya sazos
E'I chans dels auzellos;
E s'ieu fos tant amatz
Com sui enamoratz,
Fera gran cortezia
Ma bella douss' amia.
E pus nulh be no m fai,
^. . Las! e doncx que farai ?
, ,„•' », ' iant atendrai aman
» III, p. 337. ™
Iro morrai merceyan,
Pus ilh Tol qu'aissi sia.
BLACAS. 567
Le doux et beau temps me plaît,
Et la gaie saison
Et le chant des oiseaux;
Et si j'étais autant aimé
Que je suis amoureux.
Me ferait grande courtoisie,
Ua belle, douce amie.
Mais puisque nul bien ne me fait.
Hélas! eh donc que devicndrai-je?
Tant j'attendrai en aimant
Jusqu'à ce que je meure en ■suppliant.
Puisqu'elle le veut ainsi.
Cette pièce est composée de cinq strophes de douze vers ,
conservant toutes les mêmes rimes disposées dans le même
ordre; plus, d'un envoi de six vers sur les mêmes rimes que
le dernier si2ain des strophes.
Blacas ne se croisa point. Le troubadour Folquet de Ro-
mans, vraisemblablement son hôte à cette époque, lui ayant
demandé dans une chanson s'il prendrait la croix dans le cas
où l'empereur commanderait l'armée (il s'agissait de l'em-
pereur Henri VI , et par conséquent de la croisade de 1 igS ),
il répondit qu'il n'en ferait rien.
En Folquet, be sapchatz
Q'eu sui amatz
Et am ses cor vaire
En lei cui es (ina beutatz
E gais solatz :
XUl SIÈCLF.
En farai ma penedenza Msi. du Vaii-
Sai entre mar e durenza, taii,i). ï.370, 1
Apres del seu repaire. 5i.
Seigneur Folquet, bien sache»
Que je suis aimé
Et «Jue j'aime sans cœur changeant
Dame en qui résident exquise beauté
Et spirituelle gaieté,
Et je ferai ma pénitence
De ce côté, entre mer et Duraoce,
Auprès de sa demeure.
]-.'époque de la mort de ce poète nous est indiquée d'une
manière indubitable par la complainte de Sordel. Quand
celui-ci, par exemple, donne une portion du cœur de Blacas
à Louis IX, roi de France, lequel, dit-il, en a besoin, car il
n'ose rien entreprendre qui puissç déplaire à sa mère, on
XIII SIKCLE.
niifli.ilist. (le
568 ARNAUD D'ENTREVENES. BONNEFOI.
voit par ces mots que Louis IX était sorti de sa minorité;
ce qui eut lieu vers la fia de l'année 1228; et l'on voit aussi
qu'il en était sorti depuis peu de temps, car quelques années
plus tard , il n'eiit plus mérité le reproche que lui adressait
Sordel. Quand ce poète dopne une portion du cœur de Blacas
à Jacques I^"^, roi d'Aragon , aiiii qu'il lave l'affront qu'il a
reçu à Marseille, il n'est pas moins visible que cet affront
prétendu est la cession faite par ce roi aux Marseillais, de
trois cents maisons, d'une mosquée et de quelques terres
dans la ville et le territoire de Maîorque; cession à laquelle
Jacques se trouva obligé à cause des secours que les Mar-
Mai^'oine''*na-*^ scillais lui avaient donnés lors de l'attaque de celte île: or,
ii3 ' "la conquête de Maîorque appartient à l'an i29,g. Quand
Sordel veut enfin que le comte de Toulouse, Raimond VII,
reçoive une grancfe portion de ce cœur, afin qu'il puisse,
dit-il, rentrer dans ses domaines, il est également clair que
Sordel fait allusion au traité de paix qui dépouilla Raimond
du tiers au moins des états de son père, et ce traité est du
19. avril I9.2(). Il suit de ces rapprochements que la mort de
Blacas doit être placée au commencement de l'an 1229 ou à
la lin de l'année 1228.
Blacas laissa un fils nommé Blacasset ou Blacas le jeune ,
poète comme lui , dont nous parlerons quand il s'agira des
troubadours qui fréquentèrent la cour de Béatrix de Savoie,
femme de Raimond Bérenger IV, comte de Provence. E— D.
ARNAUD D'ENTREVENES.
RONNEFOI.
rSous plaçons ces deux troubadours ensemble, attendu
qu'ils ne sont connus l'un et l'autre que par des vers adressés
à Blacas, ou par des tensons composées avec lui.
Arnaud d'Entrevènes, que Papon croit né en Provence et
.ir' Provence'"! ^^ '^ maisou d'Agout, charmé apparemment de quelque
u", P™vX" pièce de vers de Blacas, lui adressa une épître en forme de
chanson, divisée en strophes de douze vers, et sur des rimes
qui se correspondent d'une strophe à l'autre ; seule pièce de
ARNAUD D'ENTREVÈNES. BONNEFOI.
569
lui qui nous ait été conservée. La première strophe était ainsi
conçue :
XUl SIECLE.
Del sonet (I'en Blaculz
Siii tant fort envcios
Que (lescort?. e chansos
E letroeiizas i t,iz,
F. quar vei qu'a lui platz,
Sirveutes i laria.
Si faire l'i sabia;
F. pos far no l'i sai ,
Dna (lanza i farai
(".oiiuleta e l)en estan
Que clianto ill (in aman,
E niuva de coindia.
M. Rayn. a
donné trois stro-
phes de cette
pièce. Choix, t.
V, p. 40; t. II,
P- 297.
Du clinnt de Blaratz
Tint je suis ainoiireux
Que lUscors et rhamons
Et rctroenccs ']c lui fais,
Kt CDuinie je vols qu'à lui je plais
Sinintes lui ferais.
Si fane à lui savais;
Et puisijue faire je ne sais,
L'ne fliinsc lui fi'rai
Gracieuse et bien conçue
Que cliaiitent les gentils amans ,
Et qui se meuve avec élégance.
Le poêle ajoute , apparemment pour tourner en ridicule
plus d'un versificateur de son temps, que la chanson de
Blacatz aurait été meilleure, s'il y eût fait entrer des prés et
(les fleurs, des vergers feuilles, les longs jours du mois de
mai, Pâques et l'herbe de la Saint-Jean, sorte de critique
dont il avait pu faire souvent l'application.
Arnaud d Etitrevennes fait dans la même pièce une assez Mss. dciaBi-
loncue énumération de héros de romans connus de son ^''"'J"- ™y; "•
■ ■ Tîi^ CD DTft
temps, tels «|ue Floris , Raoul de Cambrai , Perceval. 11 parle 673. ' '
aussi des contes souvent répétés par les jongleurs, d'Isingrin
( le loup ) , de Belin ( le mouton ) , etc.
BoNNEFoi ou Bonnafe n'est cité dans les manuscrits que .
pour deux tensons, où, mécontent apparemment de Blacas",
il lui dit des injures grossières, et ou ce poète répond sur
le même ton. Ces vers d'ailleurs peu poétiques ne valent pas
la peine qu'on les répète. É — D.
Tome XV m.
1 9 «
C ccc
Xin SIÈCLE.
LA DAME TI BERGE.
i^A TiBORS, dame provençale, habitait un château apparte-
nant à Blaoas et nommé Sarreiiom^ aujourd'hui Sera/mon.
C'était, dit le biograplie, une personne courtoise, instruite,
aimable, fort habile, et (jui composait des vers: Cortesa Jo
et enscignada y a\'inens et fort niaistra, et saup trohar. Elle
fut amoureuse, fort aimée d'amour et fort estimée par les
hommes distingués de sa contrée, redoutée et ménagée par
les grandes dames : E per totas las valens dompnas moût
tensuda e moût obedida. Il ne reste d'elle que le fragment
. suivant :
Mss. du Vati- n 1 I -, i
can n SaoT oous amies, l)en vos piiesc en ver dir
Ravn. Choix Que anc no t'o q'eu estes ses dcsir
t. V, p. 447. Pus vos conveiT e. . . . per fin aman;
Ni anc no fo q'eu non agues tahin,
Bel (louz amies, q eu soven no us vezes
Ni anc no fos sasons que m'en pentis,
Ni anc no fos, si vos n'anes iratz,
Q'eu agues joi tro que fosselz tornatz (i).
Beau doux ami, bien vous puis dire a\cc vérité
Que jamais il n'a été que je ne vous aie désiré,
Depuis que je vous ai leronnu pour sincère amant;
iVi jamais il n'a été que je n'aie eu inclination,
Beau doux ami , (|ne je vous visse souvent;
IVi jamais il n'a été un moment que je m'en sois repentie;
Ni jamais il n'a été, si vous êtes parti chagrin.
Que j'aie eu joie jusqu'à re que vous soyez revenu.
É— D.
(1) Ce texte est tronqué et corrompu; mais l'application que donnaient
lesi dames de cette époque à l'art des vers, est une particularité historique
dont nous ne devons pas négliger de rapporter des exemples.
w« Xm SIECLE.
HUGUES DE MATAPLANA
pen ra»9.
rluGUES OU HuGiJET DE Mataplana ëtai't utî des plus jgrands hoet«
seigneurs de la Catalofjne. Sa famille se faisait descendre
d'un des barons que Charleinagne envoya dans cette pro- Bastero , L»
vince pour y établir des colonies, et à qui la terre de Ma- """a proveo-
taplana échut en partage. Il se plaisait, conformément aux "'^' '" *' ^^'
mœurs de son temps, à rassembler dans son château des
chevaliers, des dames, des troubadours, à leur donner des
festins, à les' amuser de cha.sses , de poésie, de musique,
et il s'était fait une haute réputation de courtoisie et de
galanterie.
Pierre Vidal dépeint cette cour, et fait le portrait du
maître dans la pièce que nous avons déjà citée au sujet de
Blacas , où il raconte ses voyages, en feignant de donner des
instructions à un jongleur. Il avait visité Hugues avant que
le roi Richarfl ])artît pour la croisade, par conséquent avant
l'an 1190. «Ensuite, dit-il , j'allai dioit à Mataplana ; là je
« trouvai mon seigneur Hugues, homme prévenant, franc, Kavn.^cw *t!
« doux , écoutant avec connaissance tout bon savoir; là je v, p. 345.
« trouvai des dames qui , en vérité , me rappelèrent mon
« père et le bon siècle qu'il m'a retracé. »
E trobey l;iy donas, per ver.
Que m fero renibrar mon paire,
El segle bos (ju'eii a fag traire.
Le seigneur Mataplana faisait aussi des vers. Nous avons
dit, dans l'article de Miraval , que lorsque celui-ci fut en
même temps joué par une coquette et abandonné par sa „ iir" ^ '
femme, Mataplana, quoique lié d'amitié avec lui, se moqua
de son aventure dans une chanson, où il lui reprocha de
s'être attiré son malheur par défaut de galanterie. On ne
connaît pas cette chanson de Mataplana avec certitude,
attendu que celle qui commence par D'un sirventes m'es près
talens , et qui pourrait être celle-là, a été aussi attribuée à
Pierre Durand (i). Mais, quoi qu'il en soit, la réponse de
(i) M. Raynouard s'est décidé pour cette opinion (Choix, t. V, p. 3i2 ).
Nous avons suivi ceUe autorité, dans le tome XVH, p. 467-
C ccca
Xni SIECLE.
572 HUGUES DE MATAPLANA
Miraval à Mataplana ne laisse pas lieu de douter qu'il n'ait
existe en effet un sirveute quelconque de ce seigneur. Celui
de Miraval commence par ces vers :
Grans mestiers m'es razonamenz,
Qi'eu a Mataplana envi,
Mss de Mo- Pois ^- u j n,^, ^^^ ei' cami.
dene, fol. lia.
Mss. du Vati-
can n SaBi Grand besoin jai d'une défense
p jQg Qu'à Matnplnna j envoie,
Puisque le scijjneiir Huguet ma mis sut la voie.
Cette pièce est adressée à la dame Sancie, femme de Ma-
taplana, que Miraval invite à punir son mari du reproche
qu'il lui a fait d'avoir péchë contre la galanterie, et des
autres folies qu'il lui a dites.
Blacasset, fils de Blacas, poète commeson père, ayant in-
spire de la jalousie à Mataplana dans quelque liaison d'amour,
il s'ensuivit un duel littéraire; ou bien peut-être Mataplana
feignit d'être jaloux pour donner sujet à une tenson. Le cartel
de Mataplana fut conçu en ces termes :
Mss. de la Bi- 17 m . ■ 1 •.
... . , tn Blacasset, eu sui de noit
blioln. Lauren-
tiana.
Vengut a vos, jter combattre ades :
E vos del tôt oblularez
L'amor et la hellat de celia
Che vostrc co) s encob cliap délia,
E metterez la a non m'en cal.
L'un prenez cli al nien vos desplai ,
Crcunien, chien non voill délai;
Per que reiifern sens mi men val.
E voill sacliaz clie soi el diable
Lo plus crudel e 1 plus penable.
.Seigneur Blacasset , je suis de nuit
Venu à vous, pour combaltre sur le clianip :
Ou bien entitTinient vous oublierez
L'amour et l.i beauté de celle
Dont votre cœur convoitcux raffolle d'elle,
Et la nielliez à non m'en soucie.
L'un prenez ( des deux partis ) tpii moins vous Jtplalt,
Promplcment , car je ne veux délai,
Vu que l'enfer sans moi moins vaut.
Et veux sachiez (|ue je suis le diable
Le plus Cl uel et le plus impitoyable.
Mataplana semble avoir choisi un thème difficile pour
embarrasser son adversaire, et ses vers n'ont guère d'au-
HUGUES DE MATAPLANA. ^jS
tre mérite que celui de la difficulté vaincue. Blacasset J :
répondit :
En Diables, vos es per dar e noit
As homes, an e giorn e mes;
E per aiso vengut vos es
A mi de noit sens luni d'cstella.
Mas eu non tem nienaza fella ,
Ne ai paor d esput vénal;
Per clie a vos mi cond)attrai.
Sil per cui eu vif, senes mai,
Me defcnilra d ira e de mal ;
E poi t:ir il es ma desf'ensable ,
Eu vos desli sens dir plus fable.
Seigneur Diable, vous êtes (fiilt pour doiinei- it iiuil
Adx koniines, cl an et jour et mois;
Et pour cela venu vous êtes
A moi lie nuit, sans la lumière des étoiles.
Mais je ne crains point menace fclonne
iN'i n'ai peur de crachat vénal.
C'est ponrqnoi contre vous je me battrai.
V. 1.3L IIUKIIIIIV'I ^Ulllll viill^ II. Illl,- iftllliai.
Celle pour ipii je tis, ïaiis autre,
BIc ilélc mira de \otre colère, et de (tout)
Kt puisipielle est mon défenseur,
Je vous délie sans plus de paroles.
mal :
Mataplana non seulement cultivait la poésie, et se livrait namiond Vi-
aux divers amusements des troubadours, mais il se plaisait dai, inece tom-
aussi à reproduire dans les réunions de son château, les '"'^^'"^'" p^i i;«
cours d'amour plus j)articulières à la Provence proprement '^Mis. 'dft de
dite. Le troubadour Raimond Vidal de Be'/.audun, dont nous umie, Bibi. roy.
parlerons plus tard , nous raconte une aventure réelle ou sup- " *""' ■ ^- '*'•
' ' m .. 1 f .. • • J' ;.• P col. 3 et 4.
posée , ou .Mataplana tut pris pour juge d une question d a-
mour élevée, disait-on, entre deux dames du Limousin.
Qu'il y ait quelque chose de vrai dans ce récit, ou que
tout soit imaginaire, il ne nous montre pas moins les ha-
bitudes et les goûts du seigneur de Mataplana.
« J'étais présent, dit le poète; le seignetn- Mi;gues de
« Mataplana était paisiblement dans sa maison. Auprès de lui
« se trouvaient réunis de puissants barons, (|ui se livraient
« à toutes sortes déplaisirs, de divertissements et de festins;
« çà et là , dans la salle , cette compagnie la plus noble qu'on
« puisse voir, jouait aux dames et aux échecs, sur des tapis
« et des coussins verts, rouges, violets et bleus; là étaient
« aussi des dames douces et courtoises. »
IIII SIECLE.
574
HUGUES DE MATAPLANA.
E'I senlier N'Uc de ÎMataplana
Estei siiaii 011 sa niayzo,
E car y a niaii rie baro,
Ades lay troberatz luarijan,
Ab gang, ab ris el ab boban ;
Per la sala e say e lay,
Per so car mot pus gen n'estny,
DeJDC (le taiii.is e d escacx .,
Per tapitz e per aliiiatiaex
Vcitz e veriiullis, iiidis e lilaus,
E douas lay foro suaus. . . .
« /
Arrive un jongleur jeune, svelte, bien vêtu, qui se présente
« au seigneur Hugues, et chante des chansons fort goûtées
«. de toute l'assemblée; et il dit au seigneur Hugues : Ra-
te cevez les nouvelles que je vous apporte : votre réputation
« qui a pénétré au loin a engagé deux darnes à vous prendre
(c pour juge dans une question d'amour. Il s'agit d'un cava-
le lier qu'une des dames accuse d'avoir failli envers elle, et
« que l'autre veut rete?iir. 11 cont(> alors le différend. Rcposez-
<c vous, lui dit le seigneur Hugues, je veux que vous obteniez
<f un jugement mûrement médité sur la question qui m'est
« soumise (1). »
Vuilli (pi'eii portes a la razos
Que m avelz dicbas 1110 seniblans.
Le lendemain, à la fraîcheur du matin, assis sur le gazon,
Hugues prononce son jugement. Le cavalier, dit-il , doit
revenir vers la première dame, malgré ses longues rigueurs,
et renoncer <à la seconde, malgré ses bontés pour lui.
« Il est bien vrai, ajoute Mataplana, qu'un cavalier fort
« amoureux veut enlin obtenir merci. La première dame a
« fait une épreuve indiscrète de la constance de son amant.
« Elle a failli, cela est vrai, mais sa faute n'est point impar-
« donnable.
Faillie la dona, so es vers. . . .
Mas no"l forfetz per quel perdos
]No y ai loc.
a. C'est pourquoi je dis que le cavalier doit pardonner,
« selon les lois de l'amour. »
(i) On peut voir le sujet du différend raconté plus au long dans Millet,
toni, ill, p. 277.
XIII SIECLE.
HUGUES DE MATAPLANA. 676
Per (ju if u vos die que perdonar
Fay à la dona son faillir,
Segon amors.
Tel fut le jugement, ^lataplana l'autorisa par beaucoup
de passages de troubadours, tels que fiiraud de Borneilh ,
Faiditz, Miraval. Il semble que les lois mêmes de la galan-
terie sanctionnaient à cette époque le principe de la fidélité
sur lequel reposait le gouvernement féodal [".tre fidèle à sa
dame et fidèle à son suzerain, ces deux obligations étaient
presque également sacrées; l'une était l'appui de l'autre :
aussi les troubadours disent-ils souvent qu'ils se sont donnés
en fief à leur dame.
Au nombre des voisins de Hugues était un autre seigneur,
poète comme lui, nommé Guillainne de Bergédan , homme
méchant, cruel, avili par ses débauches, et de qui nous
allons palier tout à l'heure. Bergédan composa un sirvente
contre Mata|)lana, où il l'accusait d'êlre sans foi et sans
honneur. Mais ce seigneur étant mort au siège deîMaiorque,
Bergédan composa une complainte sur cet événement, et
désavoua ses calomnies. Piececon.m.n-
rant par Costi-
ros crint. Itoclie-
Marques, s'ieu dis do vos foloi gixle, Parnasse
Ni iTiots vilens ni mal après, ocm. p. i55.
De tôt ai mentit e nicspies.
Qii'anc pos Dieus basti IMataplana
Ko i ac vassal que tant valgues,
Ni que tan fos pros ni valens,
Ni tan onraiz sohr'ls anssors ,
Ja fosso rie vostr'aneessors :
E non o die ges per uiaiia.
Bergédan dit dans cette pièce que les païens ont tué Ma-
taplana , Pai;ûns l'an mort. Ce mot confirme la tradition
conservée dans un manuscrit cité par Millot, laquelle porte
que ce seigneurpérit au siège de Maïorque, où il avait accom-
pagné le roi d'Aragon, Jacques I*"", et de là il siait qu'il mourut
en 1229. É — D.
XIII SIECLE
GUILLAUME DE BERGÉDAN.
xjiviu.wME DE Bergédan OU Berguédan appartenait à une
Bastcio , la ancienne famille de Goths (i) qui avait possède de vastes
Ciubca i>io\ !.. ^ ' * . r' <' I II 1 T^
I i, 85. domaines, et qui notamment tenait en net la ville de Berga.
ciescimbtiii , C'était uu homme hautain , audacieux, turbulent, extrème-
Uei \ois. pocs t ment dangereux pour ses voisins. En guerre avec un seigneur
Miiioi, t II, nommé Raimond l'oulques de Cardona, et moins puissant
I' "'• que lui, il lattaqua en traître, le surprit et le tua. Poursuivi
et dépouille de ses fiefs par le roi d'Aragon à cause de ce
crime, il fut d'abord accueilli chez ses parents, et ne tarda
pas à être renvoyé de partout, attendu (ju'il attentait à la
pudeur des femmes et des filles de toutes les maisons où il
recevait l'hospitalité. Dans un duel avec Mataplana , de r[ui
nous venons de parler, il fut grièvement blessé malgré ses
rodomontades; et enfin, dit son historien, après maintes
aventures de guerres et de femmes, et maintes rencontres
fâcheuses, il fut tué par un simple p'xélon ^ pois l'aucis uns
peons ; fait que ce biographe relève, estimant apparemment
qu'un seigneur de cette importance ne- devait être tué que
dans un combat à cheval.
Cet homme était poète, et il ne manquait point d'une
certaine verve; mais toutes ses chansons portent l'empreinte
de son caractère : il y a autant d'obscénité dans ses vers qu'il
y avait d'arrogance et de cynisme dans ses mœurs.
La dame qu'il a le plus célébrée est la dame de Berga, femme
de son beau-frère : c'est pour lui une grande joie d'avoir,
dit-il, posé des cornes sur le chaperon du sire de Berga.
Geii li pausei los cornz el capeirori.
Il n'oubliera jamais, dit-il encore, le cordon de la jupe jaune
que sa belle-sœur lui a donné. Cette liaison amena un duel
entre son beau-frère et lui. Il se van te d'à voir fait dans ce combat
maintes belles attaques : il n'y fut pas le plus heureux; mais
(i) Cette qualité ile Goth mérite d'être remarquée, quoique Tauthen-
ticité n'en soit pas parfaitement établie. On voit des Golhs en France
désignés par leur origine nationale, non seulement dans les rangs élevés
de la société, mais encore parmi les ouvriers , jusqu'au sixième et au
septième siècle. Les auteurs citent des monnmenls conslimis manu gothica.
GUILLAUME DE BERGËDAN.
577
se chagrine qui voudra, il réussit mieux la nuit suivante,
car tout le profit fut pour lui :
Per quel marritz et en niesclem de guerra,
Don eu n'ai faitz man bons envazimenz;
Mieus fo 1 gazains la nueg; qui s vol s'esnerga.
Entre les pièces galantes de Bergédan , nous citons celle-ci
de préférence comme une des moins obscènes.
La chanson de ce poète contre Mataplana, cause ou suite
de leur duel, est, au contraire, méchante et parfois ordu-
rière; mais elle est gaie et spirituelle.
Cansoneta leu e plana
Leugereta ses afana,
Faray e de mo marques,
Del traclior de Mataplana,
Qu'es d'engans frazitz e pies,
Ah! marques, marques, marques,
D'engans etz i'razilz e pies.
Chansonnette courte et facile,
Légère et sans apparat,
Je ferai de mon marquis.
Du fourbe de Mataplana ,
Qui de tromperies est plein et farci.
Ah! marquis, marquis, marquis,
De tromperies vous èlcs plein et farci.
Marques, qui en vos se fia,
N'i a amor ni paria,
Gardar se deu totas ves
Com que s'anc de clar dia;
De nueg ab vos non an ges.
Ah! marques, etc.
Toutes les strophes offrent les mêmes rimes et répètent le
même refrain.
Bergédan se livre particulièrement à la satire; c'est là son
goût. « Il m'a pris envie, dit-il dans une autre pièce, de
< chansonner le marquis, non pour lui faire honte, ni lui
c dire du mal, mais par un désir naturel qui m'en vient
e dans le cœur. Que si je chante ainsi, il serait dur pour
« moi qu'on pensât que <;e soit très-sérieux, et que je dise
« vilenie, par méchanceté et félonie. Mais qui sait faire des
« vers tous d'un égal mérite et d'une exquise courtoisie? Il
Tome XVIII, Dddd
IIII SIÈCLE.
Pièce commen-
tant par Trop ai
estât. Msi. de la
liiblioth. l'oy, n.
:ii5, f. 19a, ».
Pièce romrocn-
çant par Chan-
sonela. Mss. de
la Bibl. roy. n.
7**5, f. 193 V.
Rocbegudc ,
Parnasse occit.
p. i54.
Voy. ci.dcf-
fus, Mataplana,
p. 570.
578 GUILLAUME DE BERGED \N.
iiu SIECLE. ^ ^.^^ ^^^ aucun en nulle terre qui ne chante d'amour et de
« euerre. Je n'en ai pas ( moi) assez appris pour n'avoir pas
<f Desoin de sel, etc., etc. >
Pièce commen-
çant par Talant
m'es près. Mss.
de la Bibl. roy.
.ûl. 2.
Talans mes près d'En marques ,
Ko pt'i- aiil.i ni per mal ,
Mas pcr (Itsir n,mir;il
Que m'en ven e jier corat^jc.
Quieu clian c .si m'es salvatge
Qu'on pes de mon per cabal;
Que ja diga vilania
Per mal cor ni per teunia.
Mas (jui sap far aitals motz
Aissi eiigals toti
Maèstrati tle cortezia.''
Non os hom en nulla terra,
Pos chan d'amor ni de guerra.
Pero non ai tant après
Qu'encar no i agues obs sal.
. , etc.
La chanson satirique est en effet le vrai talent de Bergë-
dan. Celles de ce genre qu il a composées contre- l'évèquc
d'Urgel sont des plu.s libres et des plus sales qu'on puisse ima-
giner ; mais il y a de la gaité, de la verve et de l'originalité.
Il raconte dans unede ses chansons un différend élevé entre
une jeune fille et lui; il adresse cette pièce à un seigneur
pour qu'il juge la question , et celui-ci donne sa décision
dans une clianson qui fait suite à la première. Ces dcu.K nîor-
ceaux servent à prouver lusage si fréquent des troufjadours,
de choisir des juges pour prononcer sur les questions éroti-
aues. M. Raynouard a cité à cet effet ce trait de la vie de
l'jergédan dans ses recherches sur les cours d'amour.
L'époque de la mort de Bergédan n'est pas connue d'une
manière précise; mais nous vo\ons que lorsqu'il eut été dé-
pouillé de ses liefs par le roi d'Aragon, et que, chassé de
partout, il n'eut d'asile, suivant ce qu'il dit, ni dans les
,,801 par L'ai ^,r- plaines m dans les montagnes, il trouva un retage auprès
ventes ai enrar (jg Richard-Cœur-dc-Lioii , alors roi d'Angleterre; et d'un
abastl^.i,Ui.<^<t .^^^^^ côté, Sa Complainte sur la mort de Mataplana nous
R«yn. Choii,
t. II, p. m.
Piècecommen-
la Bibl
7ii5, fol
Terso.
ro» n. ,.,..- £?• 1 1 " • ' '
19» montre quil vivait encore en 1229. ai donc le premier évé-
nement aate de l'an 1 189, ou de l'an 1 19I, ce qui est vrai-
semblable, il suit de ces deux faits qu'en 1229 il pouvait
être âgé d'environ soixante-dix ans. C'est cette considération
PISTOLETTA. 679
qui nous le fait placer immédiatement après Mataplana. Sa
carrière poétique ne dut pas s'étendre beaucoup au-delà.
É-D.
XIII SIÈCLE.
PISTOLETTA.
C^E troubadour naquit en Provence; on ne dit point dans
quel pays : e fo de Proensa. Il commença par accompagner
Arnaud de Mareuil en qualité de jongleur; ensuite il composa
lui-même des chansons dont les airs étaient fort govités, mais
dont on estimait moins les paroles. Il paraît que dans ses
voyages, il se porta à la cour de Montferrat, chez Boni-
face II. C'est là qu'il dut connaître le prince Thomas, comte
de Savoie, né en 1177, beau-lrère de Boniface, et qu'on crut
prêt il se croiser avec ce seigneur en 1201. Quoi qu'il en
soit, le prince Thomas prit pour Pistoletta beaucoup d'at-
tachement; ce qui prouve que ce troubadour demeura
long-temps auprès de lui à Turin, contribuant aux divertis-
sements d'une cour brillante, où furent élevées notamment
les six jeunes princesses, filles de Thomas , dont une, la belle
Béatrix, épousa Baimond Bérenger IV, et vint faire l'orne-
ment de la cour d'Aix.
Pistoletta nous fait connaître lui-même l'affection que le
prince Thomas lui portait, dans un sirvente commençant
par ce vers : Manta gentfas maravelhar, contre les moeurs
des seigneurs de sor» temps.
Mas lo coms de Savoya m'a
Per amie, e tos temps m'aura, M^s.drU Bibl.
(^uar el es savis e membratz, ,j,.
Et ama pretz et es amatz ,
Et es de totz Los ayps complitz.
Mais le coiptc de Savoie m'a
Pour ami, el toujours il m'aura ,
Car il est sage et plein de rnisim,
Il aime le mérite et il est aimé;
En toutes bonnes qualités il est accompli.
On ne peut douter qu'après avoir été honorablement ac-
cueilli à la cour du prince Thomas, Pistoletta n'ait été admis .
Dddda
58o PISTOLETTA.
XIII SIÈCLE.
à celle de Raimond Bérenger, son gendre. Jl eut aussi des
rapports avec Jacques F"^ ou Jaymes, roi d'Aragon, jeune
prince, dit-il, qui renouvelle la gaîté dans sa cour. L'envoi est
en ces termes :
« En Aragon va sans délai, ma chanson, là où ont pris
<c leur demeure toutes les nobles actions qui doivent honorer
« un roi; et salue de ma ])art, de Perpignan en haut, tous
" les cavaliers et toutes les dames qui ont du penchant pour
(c l'amour. »
Après avoir long-temps fréquenté les cours, Pistolefta
s'en retira, e lai^sct danar pcr corts ; il se maria à Marseille,
ce qui peut taire croire qu'il y était né, et il se livra au
commerce.
Thomas de Savoie mourut en i233. En j)Iacant la mort
de Pistoletta vers la même époque, nous ne croyons pas nous
éloigner beaucoup de la vérité. II reste quatre pièces de lui;
M. Raynouard en a publié deux entières et des fragments
d'une autre; la quatrième est celle qui est adressée au comte
de Savoie. E — D.
LA DAME CASTELLOZE
La. vie de cette clame n'est connue que par l'amour qu'elle
éprouva pour un seigneur aujourd'hui inconnu lui-même.
« La dame Castelloze , dit le Biographe provençal , fut d'Au-
« vergne, noble dame, femme de Truc de Rlairona; elle
a aima le seigneur Armand de Bréon, et composa ses chan-
« sons à son sujet; c'était une dame fort gaie, bien enseignée
« et très-belle: Et era una domna niout gaia , nicnit ense-
« gnada, et mouthella. « Nous avons eu déjà plusieurs fois
occasion de faire remarquer cet éloge d'être bien enseignée,
(jue les historiens des troubadours se plaisent à accorder
aux dames du douzième et du treizième siècle. Cet ensei-
gnement des dames ne consistait guère que dans la lecture
'le quelques romans, dans l'art des vers et de la musique,
et surtout dans le talent de la conversation et le ton de la
bonne compagnie : nous le verrons encore rappelé dans des
])ièces composées avec l'intention pariiculière d'en donner
des leçons; mais c'était déjà beaucoup que l'enseignement
LA DAME CASTELLOZE. 58 1
des dames pour parvenir à polir les mœurs des chevaliers eux-
mêmes, et pour hâter les progrès de la civilisation générale.
La dame Castelloze paraît n'avoir composé des vers que
pour exprimer la passion amoureuse qui la dominait. Trois
chansons, ou plutôt trois odes erotiques, qui nous restent
d'elle, peignent toutes trois le même sentiment, et s'adres-
sent évidemment au même cavalier. Toutes trois sont pleines
de poésie . parce que le coeur qui les a dictées était apparem-
ment plein d'amour. Castelloze gémit sur l'abandon qu'elle
tremble d'éprouver; elle prie, elle sollicite son amant, et se
demande sans cesse à elle-même quel nouveau sacrifice elle
[)ourrait lui faire pour le captiver.
Ja de chantar non degr' aver talan ,
Car on mais chau
E piet/, ini vai d'amor;
Que plaing e plor
Fan eu mi lor estatge.
Car en mala merce
Ai mes mon cor e me,
K s' en breu no nie rete,
Trop ai fag long badatge.
Jamais de chanter ne devrais avoir désir,
Car plus je chante
Et pire me va d'amour;
Que plaintes et pleurs
Font eu moi leur demeure :
Car en méchante merci
J'ai mis mon cœur et moi .
Et si dans peu je ne me reliciis
Trop j'aurai fait longue attente.
Ai ! bels amies , sivals un IjcI seinblan
Me faitz enan
Qu'eu muoira de dolor;
Que rama<Ior
Vos tenon salvatge
Qu'a joia no m'ave ,
De vos don no m recre,
D'aniar per bona fe ,
Tots temps, ses cor volatge. . . .
G bel nmi , du moins un beau semblant
Faites-moi avant
Que je meure de doulfur;
Car les amoureux
4 0
XIII SIECLK.
582 LA DAME CASTELLOZE.
XIII SIÈCLE.
— — ^^— — . Vous tiennent pour barbare ,
Qu'à joie ( rien ) ne m'arrivo
De vous que je ne me lasse
D'aimer de bonne foi ,
A toujours, sans cœur volage.
Si pro i agues , be us membri en chantan
Q'aic vostre gan
Qu'enblei ab gran teraor,
Pueis aie paor
Que i aguessetz clampnatge
D'aicella que us rete.
Amies, per qu'ieu tlese,
Li torniei , ear ben cre
Que no i ai poderatge.
Si j'y eusse avantage, bien vous rappelle en chantant
Que j'i-iis votre gant
Que je dérobai avec grande frayeur,
Puis j'eus pfur
Que vous n'en eussiez dommage
De ccll-! qui vous captive,
Anii, c'est pour<pioi siir-le-ciiamp
Je le lui lenvovai, car bien je crois
Que je n'y ai seigneurie.
On retrouve dans toutes les strophes, avec l'expression
de la même passion, des sentiments également délicats;
toutes sont écrites avec la même grâce, versifiées avec la
même facilité.
Dans une autre de ces pièces, la dame Castelloze dit à
son ami :
Amies , s'ie us trobes avinen ,
Humil e franc e de bona nierce,
Be U9 amera , quant era m'en sove
Qu'ie us trob vas mi e mal e fel e trie ;
E fauc chansons per tal que fass' ausir
Vostre bon pretz , don eu no m puesc sofrir
Qu'eu no us fassa lauzar a tota gen,
On plus mi faitz mal et asiramen.
Ami, si je vous trouvais gracieux,
Doux et loyal, et de bonne merci,
Bien je vous aimerais, quand maintenant je songe
Que je vous trouve envers moi dur, félon et traître ,
Et que je fais des chansons, afin de célébrer
Votre mérite, dont je ne puis cesser
Que je vous fasse louer de tout le inonde ,
Tandis que vous me faites toujours plus de mal et de tourment.
ÏIII SIÈCLF.
SUIT.
Parnasse orr.
BERNARD. 583
La troisième pièce qui commence par ces deux vers :
Moût avetz fac lonc estatjc.
Amies, pos de mi us partitz,'
se termine par l'expression de ce sentiment tendre ; « Si
« jamais vous avez fait envers moi quelque manquement, je
<t consens à votre pardon de bonne foi, et je vous prie que
« veniez auprès de moi, dèà que vous aurez entendu ma
<c chanson, et je vous fais assurance que vous y trouverez
« bon visage. )>
De pois qu'eus auretz auzida „ , , ■ ., ,
-, " • ,. ,. Ms9. (lelaUiLI.
Ma chanso; queus fatz hansa roy. n. yaaS,,!,.
Sai troLetz hclla ^emblansa. jjg
Nous voudrions donner ces trois pièces en entier, mais «,,„. choix,
elles occuperaient trop de place. D'ailleurs le texte de la 'iii, p. 368«i
troisième est très-corrompu en plusieurs endroits. M. Ray-
nouard a publié les deux premières. M. de Rochegude les a p. ',45
données aussi dans son Parnasse occitanien.
On placera incontestablement la dame Castelloze à côté de
la célèbre comtesse de Die. Leurs poésies sont sans contredit
les chefs-d'œuvre des dames troubadours. E — D.
BERNARD.
I^E troubadour nommé Bernard ou Bernart, sans autre
désignation, n'est connu que par deux tcnsons, lune avec
Faidit, l'autre avec Elias d'Uissel.
Dans sa tenson avec Faidit, il défend les femmes en gé-
néral contre les déclamations que son adversaire s'était per-
mises.
Gausselm , no m pucsc estener
Qu'ab vos iratz no ni contenda, Rayn. Choi»
Que talan ay que defenda '• ''■ P- '9-
Las domnas a mon poder.
Que vos aiig descaptener;
Qu'iina m rent cortez'esmenda
Que m'avia fag doler;
Per qu'ieu en lor captener
Tanh que nios l)els ditz dcspénda. . , .
^84 BERNARD.
XIII SIECLE.
Gansselm, je ne me puis retenir
Qu'avec vous, irrité, je ne dispute;
Je me sens porté à défoiidie
Les dames, selon mon pouvoir,
Que je vous entends déprécier;
Car une d'elles me rend courtoise réparation,
Qui m'avait fait souffrii ;
C'est pourquoi à leur service
II convient que j'emploie mes (plus) belles paroles
Faidit repond que les femmes vendent souvent leur
amour; eussiez-vous, dit-il à Bernard, mille marcs de rente,
vous pourriez bien vous y ruiner,
Que ben poiratz dechazer
S'aviatz mil marcx de renda.
Bernard réplique :
Gausselm, no us detz plus paor
De mi qu'ieu eys ni teincnsa;
Qu'en lai domn'ay m'entendensa ,
Cui ser e prec e azor,
Que sap vaier part valor :
Mas vos y faitz gran falhensa,
Quar descaptenes amor;
Qu'amar melhura el melhor,
Et l'aut auss , e'I gensor gensa.
Gausselm , ne vous donnez pas plus de crainte
De moi, que je n'en ai moi-même, ni de peur ;
Car à telle dame j'ai donné mon cœur,
Que je sers, que je prie, que j'adore,
Qui sait valoir plus que la valeur (ordinaire):
Mais vous y faites j;rande erreur,
Quand vous dépréciez l'amour;
L'amour améliore les meilleuis ,
II élève les parfaits, il donne ans plus gracieux plus de grâces.
Faidit ajoute qu'il a de l'expérience, et qu'il connaît les
fourberies des femmes.
Fan lo for de! brezador,
E tôrnon hom en folor.
Elles font le jeu de l'oiseleur.
Et eatraîncDt l'bomroe dans la folie.
BERNARD.
585
Bernard continue
Xni SIECLE.
Gausselm, e com'auzatz dir
Qu'eiijans sia en amor fina
Vas cui tôt lo nions aciina?
Qu'ela fai gent esbaudir
L'irat , e'I paubr' enrequir
AI) una cuenda nietzina ;
Que ja pueis, al mieu albir,
Hom no pot dolor sentir,
Mas ela'l sia vezina.
Gausselm, comment osez-vous dire
Qu'à pur amour s'allie fourberie,
( A pur amour) à qui l'univers est sonmis?
C'est lui qui fait doucement se réjouir
L'affligé, et enrichir le pauvre
Par un agréable remède :
Que plus jamais, à mon avis,
Homme douleur ne peut ressentir,
Que seulement ce remède approche de lui.
Cette pièce est, comme on voit, également remarquable
par la délicatesse des pensées et par la grâce du langage.
Nous relèverons encore ici ce vers :
Tanh que mos bels ditz despenda ,
Il convient que j'emploie mes ( plus ) belles paroles.
Il ne faut point y voir un aveu échappé à l'orgueil du
poète : c'est bien plutôt une preuve du soin qu'il apportait
a épurer sa langue et à élever son style. Ce mérite est celui
dont les troubadours se vantent le plus souvent.
Dans sa tenson avec Elias d'Uissel , Bernard demande
Iiii ^-i- J JI-- PieceeommeD-
equel de deux amants aime le mieux sa dame, de celui qui ranipariV'.ffûa»
parle d'elle à tout le monde, ou de celui qui, au contraire, dedosamadon.
n'en parle jamais, et resserre tous ses sentiments dans son Mss.deUBibi.
cœur. Elias répond que le plus amoureux est celui qui ne
peut captiver son secret. Bernard pense, au contraire, que
c'est celui qui cache son amour en lui-même, et garde son
secret par ménagement et par respect pour sa dame.
Les historiens ne nous ont transmis aucune notion sur la
vie du poète Bernard ; mais ces deux tensons nous indiquent »■ ïv. p
suffisamment l'époque où il florissait. Faydit étant mort vers
l'an 1218, et Elias d'Uissel ayant promis au légat du pape,
Tome XVUI. E eee
4 0 *
roj.n. 7316, ch.
aoa.
Ra^D.
Cboii,
•9
XHI SIKCLi:.
Vov.l. XVII,
p. 555.
586 AZÉMAR LE NOIR.
avant l'an 1209, de ne |j1us composer de vers, il s'ensuit que
les deux tensons de Bernard datent à peu près de ces époques;
et nous supposons d'après cela que sa mort peut avoir eu
lieu vers 1227 ou i23o. E — D.
AZÉMAK LE NOIR.
A-ZÉMAR OU Azimar le Noir doit être distingué d'avec Guil-
T<,iM \i\ , '''unie Adhémar, célébré par le moine de Monlaudon, et dont
ùth. il a été question dans le tome XIV, du présent ouvrage.
Azémar dit le A'oir na([nit à Chàleau-Vieux-d'Alhin. Ce fut,
dit son hio£;iaplie , un homirie courtois et parlant bien,
cortex honi Jo e gcn parlans. On remarquera combien cet
éloge d'avoir été un homwxe j)a riant bien, parlant un lan-
gai^c choisi , lengua iswrnida , revient fréquemment dans les
biographies des troubadours. Un langage élégant, des vers har-
monieux, c'était là une (les principales parties de leur mérite.
Azémar fut très-estimé des gens de qualité, efo heu honrat
entre la honas gens. Pierre H, roi d'Aragon, et le comte de
Toulouse, Raimond VI [aqiiel que fon dczeretatz)^ lui té-
moignèrent particulièrement leur estime. Ce dernier l'enri-
rhit, en lui donnant des maisons et des_ terres à Toulouse et
dans les contrées environnantes.
Il subsiste quatre pièces de ce troubadour. L'une est une
fenson entre Perdigon, un interlocuteur nommé llambaud
et lui. Les trois autres sont des chansons d'amour.
Dans la lenson, c'est Rambaud, vraisemblcment Rambaud
I , ,-, de Vachères, qui propose la question, et c'est par cette
raison qu'elle est portée sur son nom dans les maiiusciits.
Seigneur Azémar, dit ce poète, choisissez entre trois barons
celui que vous estimez le plus; Perdigon répondra après
vous. L'un des trois barons est gai, généreux, mais orgueil-
leux ( ef ufaniers). Le second est adroit, bon guerrier, gé-
néreux, mais pas autant que le premier. Le troisième tient
grande table, manie bien la lance, et se fait admirer par la
magnilicence de ses habillements. Azémar donne le prix au
second, Perdigon au premier, Rambaud au troisième. Cette
pièce n'aurait rien de remarquable, si Rambaud ne semblait
M=
is.le
laBil)!.
rov.
11. 7
>l'>. 1.
IJ9;
inss.
■:<k)^,
XII [ SIF.CLK.
Paillasse oc-
AZEMAR I.E NOIR. 687
donner dans son choix la préférence aux seigneurs français.
Perdigon lui en fait un reproclie :
En Raimbautz, niantenga sels de Fransa,
Car mas crei a totz lor cossiriers.
Que le seigneur RnmbnucI di^fcnde ceux de France,
Car il prélcre en toute tliose li-iii- sentiinriit.
Ce même Perdigon changea ensuite de parti.
Les trois autres pièces d'Azémar sont des chansons d'amour.
Ce poète est du nombre de ceux qui , en chantant, semblent
célébrer ou du moins prévoir leurs jouissances. Il s'explique
là -dessus dans des termes qui n'ont rien d'équivoque;
c'est ce qu'on peut voir dat)s une pièce commençant par De
solatz. Lhie de ses chansons, écrite avec facilité et avec grâce,
a été traduite en entier en vers par ]\I. de Rochegude. Nous
nous bornons par cette raison a en donner la première cit. p. 35y-3f)i.
strophe.
Ja ogan pel temps florit
Ni per b sazon «l'abril, Mss.de la Bibl.
No fera mon cant auzir, loy. n. 7325, f.
Ma cella que s fai grazir i38 verso.
A tôt lo mont et a Deu ,
M'a mes en sa seingnoria
E -vol que totz temps mais sia
Totz mos afars en son fieu.
Plus désormais au temps fleuri
Et dans la saison d'avril ,
Ne ferai mon chant ouir;
Mais celle qui sait paraître aimable
A tout le monde et à Dieu,
M'a mis en sa seigneurie ;
Elle veut qu'à toujours de plus en plus soit
Tout ce qui m'appartient en son fief.
Il n'est pas besoin de dire que les rimes des deux premiers
yers^ florit , abril, se trouvent dans les vers correspondants
de chacune des strophes suivantes.
L'envoi de la chanson commençant par Era m vai est
, . • • j r^ ..•II Mss. delaBibl.
adresse au jeune roi de Castilie. ^oy n -aas f
.39. ■ ' ['
Chansos l'enfant me saluda Rayn. Choix,
De Castella qu'eu enten '• ^' P- ^7-
C'om no'l val de son joveii.,
E eee 2
XIII SlèCLE.
MORT rn 11^1
588 FOLQUET DE MARSEILLE.
chanson (va, ctl salue-moi l'infant
De Castille, lc<|ucl je maintiens
Que nul homme ne le vaut des son jeune âge.
Ce prince est évidemment Henri I", monté sur le trône,
en i2i4, âgé de dix ans, à la mort d'Alphonse IX, son père,
et mort en laiy, à l'âge de treize ans. Le troubadour Ram-
haud est, comme nous l'avons dit, Rambaud de Vachères,
(jui quitta la cour d'Orange pour aller en Italie en 1 198 ou.
1 ig4- Ce dernier poète, Perdigon et Azémar se seront ren-
contrés chez Guillaume IV, prince d'Orange; c'est là qu'aura
eu lieu leur tenson. La carrière poétique d'Azémar s'étend
par conséquent, en ce qui nous est connu, de l'an i icjo ou
environ à l'an 1217. Ce poète est un de ceux qui s'illustrèrent
avant la guerre des Albigeois, et qui moururent peu après
cette guerre ou pendant sa durée. Toutes ces considérations
nous permettent de placer sa mort vers l'an i23o. E — D.
FOLQUET DE MARSEILLE.
J ANDis que des troubadours distingués en général par leur
talent, tels que Raimond de Miraval , Bernard de la,Barthe,
Rainols, Richard de Tarascon , Sicard de Marjevols, To-
miers et Palazis, Guillaume Anélier, et d'autres dont nous
ferons bientôt mention, savoir: IMontagnagout, Durand de
Pernes, Guillaume Figuières, publiaient d'énergiques sir-
ventes contre la guerre des Albigeois, il y en eut aussi quel-
(|ues-uns, toutefois en petit nombre, qui se jetèrent dans
le parti contraire. A la tête de ces derniers, se signala par
ses excès le poète Folquet, connu d'abord sous le nom de
Folquet de Marseille, et ensuite plus célèbre sous celui de
Foulques, archevêque deToulouse, lorsqu'il eut étéélevé aux
fonctions épiscopales. Il faut le supposer de bonne foi dans
son zèle religieux; mais en ce cas on est obligé de recon-
naître que la hauteur et la violence de son caractère l'empor-
tèrent bien au-delà des bornes où la raison et, du moins, la
reconnaissance envers Raimond VI, son bienfaiteur, auraient
dû le retenir. Après avoir donné la moitié de sa vie à la
galanterie, il livra sans retenue l'autre moitié à la c;iuse de
roy. II. U7C1.
FOLQUET DE MARSEILLE. 689
, . j 1 I I- ■ ti '^"l SIKCIF
la tyrannie, du meurtre et de la spoliation; et malheureu-
sèment pour sa renommée, il en profita. Il faut ajouter que la
nature l'avait doué d'un talent poétique assez remarquable.
Amant passionné des dames, apôtre fougueux de l'inqui-
sition , il ne cessa de composer des vers qui portèrent l'em-
preinte (Je ses passions successives.
Foiquet, nommé quelquefois Foulques, en latin Fulco ,
et communément , surtout comme troubadour, Foiquet de
Marseille, naquit dans cette ville vers l'an 1160. Son père, Piite.oinm.n-
nommé Amphoux ou Alphonse, négociant, natif de Gênes, -rampariWror
mourut ieune, et lui laissa une fortune suffisante pour qu'il P "S"''>''^"'v^
■ •" 1 1. • TA • ' I A , ' T ., lîayo Chou,
put vivre dans I aisance. Domine par le goût des vers, il t. m, p ibu,
se fit troubadour. Les amusements et l'éclat de la cour d'AI- »^:
phonse F', comte de Provence, la munificence de ce prince,
et son amour pour la poésie, attiraient alors auprès de lui,
dans la ville d'Aix, un grand nombre de ces poètes qui en
augmentaient la célébrité. « J'ai vu, disait Pierre Vidal , celte j,„,,^^ ^ ,j,,
« cour du roi Alphonse, père du prince qui règne aujour- .-thninur.
« d'Iiui, et iV ai reçu tant de bons exemples, que j'en suis m<.s.<i, i.iu,i.i
<( devenu meilleur. . . . On voulait bien y écouter ce que
« je savais. Si vous y aviez été , vous y auriez vu ce siècle
« lieureux dont v is a parlé votre père, où brillaient les
« hommes généreux et amoureux. Vous y auriez entendu,
« comme moi, les troubadours conter comment ils étaient
<t fêtés et entretenus dans les cours qu'ils visitaient. Vous y
« auriez vu tant de brillants équipages, tant de palefrois
« portant des brides dorées et tles selles ornées de flocons,
« que vous en auriez été dans l'admiration. Il y venait des
;c seigneurs d'outre-mer, il en venait d'Espagne; le roi Al-
« phonse les recevait tous avec joie et les comblait de inar-
« (jues de sa générosité. Vous y auriez trouvé Diego dit le
n bon, Juufi et de Gambérès dit le courtois, le comte Ferrand,
« et son frère, qui savait plus de choses que je ne pourrais
« vous le dire, etc. » C'est dans cette cour, auprès de Pierre
Vidal , de Faidil , de Pierre d'Auvergne , du |)remier Bertrand
d'Allamanon et de beaucou|) d'autres poètes, que Foiquet
dut faire les premiers essais de son talent;
Il reçut un accueil également bieiiveillant chez Barrai
des Baux , vicomte de IMarseille. La femme de ce scigceur,
Alazais ou Adélaïde de Iloquemai tine, de la maison des
Porcelets, était d'une rare l)cauté,si nous en croyons Pierre
Vidal, qui païaît avoir été passionnément amoureux d'elle.
Xril SIKCLE.
J90 FOLQUET DE MARSEILLE.
Folquet, à qui elle inspira aussi une vive passion, fit beau-
coup de vers pour elle; et c)uoiqu'il fût très-gèné dans l'ex-
pression de SCS sentiments, attendu que, suivant les lois tie
cette époque, c'était un acte de félonie que de tenter de
séduire la femme de son seigneur, il lui laissa voir jusqu'où
allaient ses prétentions. Alazais, femme vertueuse, aimait
sincèrement son mari. Elle avait fait chasser de sa maison
Pierre Vidal qui, l'ayant trouvée endormie, s était mis à
genoux auprès d'elle, et lui avait dérobé un baiser sur la
bouche. Folquet était bel homme, dit son historien proven-
çal, e molt fo (n'ineiis de la persona ; mais pour cette fois
cet avantage lui fut inutile. Il essaya d'inspirer de la jalousie
à la vicomtesse. Deux sdurs de Barrai, l'une nommée Laure
de Saint-Julien, l'autre iMabile de Pontevès, étant venues à
Marseille, il feignit d'être amoureux de ces deux dames, et
fit des vers pour toutes deux. Cette tentative produisit un
mauvais effet. Soit rigidité de principes, soit dépit de voir
adresser à d'autres 1 hommage poétique qui lui avait été
consacré jusqu'alors exclusivement, Alazais courroucée fit
défendre à Folquet sa présence.
Il jura alors'dans son chagrin qu'il ne ferait plus de vers,
et cependant il se porta auprès de Guillaume VIII, vicomte
de iNIontpellier, dont la cour était une des plus fréquentées
des hommes de talent de cette époque. Eudoxie Comnène,
fille de l'empereur Manuel, première femme du vicomte, se
trouvait encore auprès de lui. Cette princesse, (jue les trou-
I) V:ii:,scHp, badoursdisaient le chef de toute courtoisie et de tout enseigne-
iiut (In Langue- ment , n'eut pas de peine à le faire renoncer à son serment
de ne plus rimer. Elle lui demanda des vers pour elle-même,
et c'est alors qu'il composa la chanson qui commence par
ces mots :
Tan mov de corteza razo
.Mss.delnBibl. Mon chan , per que no i dei falhir.
loy. n. •x~o I .
Tant se meut par f oiirloise raison
Mon cliant, que raison n'y doit faillir.
C'est encore auprès d' Eudoxie qu'il paraît avoir composé
la pièce qui commence par ce vers :
Sitôt Tne soi a tart aperceubutz,
OÙ il disait, au sujet de sa passion pour Alazais : « Quoique
■.lo, , I. m, p
' '.I
Parnasse oc-
rit p. f)i.
Ilavn C!hoii,
I. m, p. i53.
FOLQUET DE MARSEILT.E.
5«)i
<. je sois trop tard devenu sage, semblable à un joueur qui
u ayant tout ])erdu jure de s'abstenir du jeu , je dois aujour-
« d'Iiui me confier à ma bonne aventure, car je reconnais
(c la tromperie que m'a faite amour, qui, avec de beaux sem-
'I blants, m'a tenu en espérance plus de dix ans, tel qu'un
" méchant débiteur qui maintenant promet, et jamais rien
<' ne paierait :
Ou'al> bel scnihlan m'a teiiirut en fadia
IMus (le (lelz ans, a lei de mal deiitor
Qii'adcs promet , mas le non pagaria.
i; Par le beau semblajit que faux amour amène, le fol
« amant est entraîné vers lui et captivé; comme le papillon
« de si folle nature, qu'il se précipite dans le feu par la
<i clarlé qui luit : c'est pourquoi je m'en sépare, et suivrai
« une autre route, mal payé (pie je suis, moi qui autrement
« ne m'en serais jamais séparé; j'imiterai l'iiommc patient
" qui s'attriste fort, autant que fort il s'iiumilie.
Al) l)el seniblaii que fais' amnis adutz "
S'atrai ves leis fols amans <■ satura
Col parpaillos qu'a tan l'iilli natuia
Que s fer al foe per la clarùa (jue lutz ;
l'er qu ieu ni\ii part, c segiai aiitia via ;
Soi mal pagatz. qu estieis no m'en partiia,
T. scgrai laip de tôt bon soliidor
Oue s'irais fort si com fort s'nmilia,
XIII siFcr.r
C'est en parlant à Alazais qu'il disait auparavant, dans la
jolie chanson qui comtncnce par 'Jhn in'dbcUis :
E s'a vos plalz qu'en allia part me vire
Ostatz de vos la beltat e'I gen rire,
\'.\ dolz parlar que m'alolis mon sen ;
J'ois partir m'ai de vos, mon eseien.
li.iv!!. (.hoii
I. m, I'. iV).
r.t si à vous plaît qu'on nuire part me tourne,
Otcz de vous la beauté et le geut rire,
Kt le doux parler <]ui m'afolic luoii sens :
l'uis, sp/xiici nie ai [ Diciiuiui ) de vous, à limn eseien l.
Dans la chanson commençant par Taninov de cortcza
Kizo, il apj)elle la vicomtesse de Montpellier, ïiuipvvatricc ,
à cause de l'usage de cette éj)oque de donner aux femmes le
titre de leur père.
t'iml .le 31
KiiMi. ('■laiMiii
luin.iti. M. '>i2 (
XIII SIECLE.
592 FOLQUET DE MARSEILLE.
a Je chanterai , dit-il , puisque l'impératrice m'en requiert,
« car il ne convient point qu'à son ordre mon savoir soit
rt paresseux et nonchalant.
Il se plaint dans cette pièce de ce que les jaloux prétendent
Mi» .le a 1 . g g^ dame l'a abandonné, et qu'il a lui-même porté ses
roy. Il 3701 , I. T .',."., „ , r
il; n -jaiS, cil. aiioctions aiileurs , ce qui est, dit-il, une fausseté.
A/ 4 ; n. 761)8, f.
I »erso. Qunr an dig , so que Ters no fo ,
Pjrnasse oc- Que' l bella cui ieu obedis
"i I' ''» Me relinquis,
E cuja qu'alhors ai aissis
Mon pensamcn.
Ce passage se rapporte au couplet que le moine de Mon-
taudon avait fait contre lui dans sa satire sur des trou-
badours de son temps, dont nous avons parlé au volume
Hist. litiér. t. précédent.
XVII, p. 566. Oubliera-t-il sa dame? Non certes, quoiqu'en songeant
à elle, il se tourmente de plus en plus ;
Qu'en pensan remir sa faisso,
Et en remiran ieu languis,
Quar ela m dis
Que no ni dara so qu'ieu l'ai quis
Tan longamen.
Il jure, au contraire, qu'il ne cessera jamais de l'aimer,
quoiqu'il l'ait si long-temps adorée sans voir s'accomplir le
plus ardent de ses vœux. Il l'aimera comme un larron ; il la
tiendra en prison, cachée en lui-même, qu'elle le veuille
ou non.
Il y a dans l'expression de l'amour de Folquet de la viva-
cité , de l'imagination , de la variété. La coupe de ses strophes
a du mouvement et de la grâce. Il est plus ou moins
amoureux; mais, du moins, il donne à l'expression de son
amour des formes spirituelles.
En chantan m'aven a membrar
So qu'ieu cug chantan oblidar;
E per so chant qu'oblides la dolor
E'i mal d'anior;
Mas on plus rlian plus m'en sove;
Qu'a la boca nulha res no m'ave
Mas lie merce :
Kaju. C.hoi». Per qu'es vertaU, e sembla be
t. Ill.p iSg. Qu'ins el cor port, domna, vostra £ais9Q
Que m chastia qu'ieu no vir ma razo.
FOLQUET DE MARSEILLE.
593
En chantant me revient à l'esprit
Ce quVn chantant je crois oublier;
El pour cela je chante , pour oublier la douleur
Et le mal d'amour;
Mais plus je cliaiile plus il m'en souvient ,
Car à la bouche rien ne me vient
Sinon (le mot) de merci :
Tant il est vrai et me semble bien
Que je porte dans mon cœur, dame, votre image
Qui me tourmente (et Dieu veuille! que je n'en perde la raison.
XIII SIECLE.
D. \'aisi«tle ,
Les dix années de l'amour de Folquet pour Alazaïs nous
donnent très-approximativement la chronologie de la pre-
mière moitié de sa vie ; car Eudoxie, mariée à Guillaume VIII ,
en 1 174, ayant été répudiée en i i8y, époque où déjà Alazaïs ,og ''' ' ^'
était morte, il est plus que vraisemblable que la visite de ce RuIû, Hisi.de
poète à Montpellier eut lieu entre les années i 180 et 1 184; ce Marseille, ^i. ;(>.
qui place sa naissance vers l'an ii55, même en admettant
quelque exagération sur la durée de son premier amour.
Après son séjour à Montpellier, Folquet alla visiter le roi
Richard Cœur-de-Lion ; Raimond V, comte de Toulouse;
Alphonse II, roi d'Aragon, le même prince qui régnait en
Provence sous le titre d'Alphonse V^ , et Alphonse IX, roi
de Castille.
Richard était déjà à cette époque roi d'Angleterre, ce qui
n'eut lieu qu'au mois de septembre de l'an 1 189, et il n'était
pas encore parti pour la croisade, puisqu'il ne s'embarqua
qu'en 1 1 90. C'est par conséquent à la fin de l'année 1 1 89 ou au
commencement de 1 190 que Folquet se trouvait à Poitiers.
Le légat du pape avait excommunié Richard , sur ce qu'après
avoir prêté serment de partir pour la Terre-Sainte, il n'avait
point encore pris la croix. Folquet, dans une chanson d'amour,
disculpe ce prince , et la chanson , grâces à sa forme , devient
un manifeste qui va , chez tous les seigneurs et même parmi le
peuple, faire connaître les vrais sentiments du roi Richard.
Telle était alors la puissance de la chanson.
Mas qu'el bon rey Richart , de cui ieu chan ,
Blasmet per so quar non passet desse,
Ar l'en defen , si que casfus o ve
Qu'areire s trais per miels salhir enan :
Qu'el era coms , ar es ricx reys ses fi ,
Quar bon secors fai dieus al bon voler;
E parec ben al croxar qu'ieu die ver.
Et ar vei boni per qu'adonc no menti.
Mss. 7»»6, f.
1 veno. Pièce
commençant pir
Jh! quanigeni.
Raya. Cboii,
t. m, p. 16.,
16a.
Tome XVIII.
Ffff
XIII SIKCLE.
594 FOLQUET DE MARSEILLE.
« Et ce l)on roi Richaril |)our qui je chante, quiconque
« jamais l'a blâmé de n'avoir pas passé la mer sur-le-champ,
rt est aujourci liui son défenseur, quand chacun voit quil
'( s'est retiré en arrière pour se mieux lancer en avant : il
(( était comte, il est roi, jouissant, et erniemi du repos. A
« bon vouloir, Ditu tlonne bon secours. On voit bien que
'( sur son embarquement je dis la vérité, et aujourd'hui tout
'( homme juge que lui-même n'a jamais menti. »
A Toulouse régnait encoie Raimond V, mort seulement en
1194, et (jue les troubadours appelaient le hon Raimond.
Cepiince accueillit Fol(|uet avec bienveillance, et goiita son
talent, Efoii fort grazitz per lo bon comte liainion de Toloza.
Une de ses pièces signale son séjour auprès du roi d'A-
ragon. C'est celle qui commence ])ar Ben an mort, où il
remercie ce prince, son seigneur, de l'avoir retiré de son
affliction.
Son séjour auprès d'Alphonse IX, roi de Caslille, fut
iQ^rqué par un grand événement; ce fut la bataille d'Alarcos
QÙ ce prince fut défait par les Maures, avec une perte im-
mense, le 18 juillet 1195. Celte fameuse bataille sembla
menacer la sûreté de toutes nos provinces méridionales.
Folquet, alois auprès du roi Alphonse, était devenu son
ami: I^rtf, niolt amicx del rei de Castela. 11 ne lui fut pas
inutile dans cette pénible circonstance. Un énergique sir-
vente.» tout à la fois politique et religieux, reprocha aux
princes, aux barons et aux peuj)!cs leur léthargie, et les
soCTcna de venir à la iléR-iise de la chrétienté. L'historien
provençal appelle justement cette ])ièce de vers une prédi-
cation, ; si fes wifi prezicansa /ter conjortar los haros e la
bond gen (JUS dcguessoa socorre al bon rei de Castela.
a Désormais, s'écriait le ])oète en débutant, il n'est plus
« de prétexte dont nous puissions nous couvrir, si nous
« voulons enfin servir Dieu. Notre propre intérêt nous ap-
(, pelle autant que le dommage que Dieu lui-même peut
a souffrir. Nous avons d'abord perdu le saint-sépulcre, et
a maintenant nous abandonnons l'Espagne qui va.se pér-
it d.int. Contre le voyage de par de là , on trouvait une
« excuse; mais de ce coté, du moins, nous ne craignons
« mer ni orage : hélas! comment recevrions -nous plus
« forte semonce, à moins que Dieu ne vienne mourir pour
« nous une seconde fois!
FOLQUET DE MARSEILLE. 596
Hueimais no y conosc razo
Ab que nos poscam cobrir,
XIII SIFCLE.
î»i a Uieu volem servir; ,
T, loyale, n. i-oi,
Fos tant enquer nostre pro ,1,' -^
Que son dam eu vole sufrir; Rayn {Jhoii
Qu'el sépulcre (>€rdenn prenieirainen, i. IV,' p. no.
Va ar suefre (|u Espaiiba s vai perdeii : l'amasse occit.
Per so quar lai trobavori ocbaizo, |> 56.
]\Iais sai sivals no teinem niar ni ven.
Las! cum no s pot plus fort avcr somos ,
Si doncz no fos lornalz niorir pet nos!
Toutes les strophes respirent le même sentiment exprimé
avec la même force. Cette énergique prédication ne demeura
pas sans effet. Déjà le roi à' kvix^on^ qui ne peut Jaillir, dit le
poète, avait promis des secours. 11 en vint dans la suite de
plus considérables. Mais ces guerres ne sont point de notre
sujet.
Le sirvente de Folquet forme, par l'époque à laquelle il
appartient, comme par son caractère, une transition entre la
vie mondaine de ce poète et sa vie apostolique. Vers la fin
de l'année 1 196, temps où nous sommes parvenus, Folquet
avait perdu plusieurs des illustres personnages auxquels il
paraît avoir été le plus attaché. Alazais, Barrai, mari de
cette dame, Raimond V, comte de Toulouse, Alphonse, roi
d'Aragon et comte de Provence, n'existaient plus. Son bio-
graphe pense que c'est la douleur causée par ces pertes réi-
térées qui le détermina à quitter le monde, don el per tristeza
abandunec lo mon. Quoi qu'il en soit, de retour à Marseille
vers cette époque, il obligea sa femme à se faire religieuse,
dans l'ordre de Cîteaux , il y entra lui-même, et y consacra
ses deux fils avec lui.
On voit par là qu'il était marié. C'est vraisemblablement
la dame Azimans , celle qui aime , à laquelle sont adressées
plusieurs de ses chansons, qui était sa femme. Ce fait di-
minue beaucoup l'intérêt qu'aurait pu faire éprouver son
amour pour Alazaïs, et celui qu'il eût inspiré lui-même.
A cette époque, tout homme qui se vouait à l'Église,
s'il se rendait célèbre par quelque talent particulier, soit
qu'il fût poète, théologien, peintre, sculpteur, architecte,
manquait rarement de parvenir à des grades élevés; on le
voyait évêque, chanoine, abbé, prieur du moins de son
couvent. L'avancement de Folquet ne se fit pas long-temps , ''"i"'"' "'"
.» I r> 1-^ • l. .*. J'AI L ."i ''"^ i'i"v«nct, I.
attendre. Papon dit avoir vu une charte dAlphonse II, ii,p. 3ys
Ffffa
596 FOr.QUET DE MARSEILLE.
xin SIÈCLE. ■ , ^ , .... , .
comte de Provence, du mois de janvier 1 197, signée par lui
on qualité d'abbé (lu Thoronet (i), abbaye de l'ordre de Cî-
teaux, située dans le diocèse de Fréjiis; ainsi, à peine entré
dans cet ordre, il y jouissait déjà d'un rang distingué.
Peu de temps après, les troubles religieux qui amenèrent
la guerre des Albigeois ayant commencé, il arriva, par une
circonstance singulière, que les deux légats du pape Inno-
cent IH, chargés de la direction des alVaires ecclésiastiques
dans le lianguedoc, étaient l'un et l'autre moines de Cîteaux.
lui i2()5, Raimond de Rabastens, évêque de Toulouse, connu
pour son attatliemeiit à Rainioiid VI, ayant été dé|)Osé par ces
deux légats, aussitôt après le chapitre élut Fol(|uet à sa place.
Il ne pouvait faire un choix plus conforme aux vues de la
cour de Rome. Foiquet, par son caractère passionné, hautain,
atrabilaire, comme par ses talents, était un des hommes les
plus propres à servir la cause à laquelle il allait se vouer :
aussi, quand le légat Pierre de Castelnau, près d'expirer,
apprit son élection, s'écria-t-il en levant les mains au ciel,
qu'il mourait content.
Peu de temps après l'installation de ce nouveau prélat, les
évêquesdes états de Raimond V'I, voyant cjue le nombre des
missionnaires était fortdmiinuédans leur pays depuis la mort
de Castelnau et du trère Raoul, légats du pape, et celle de
l'évéquedOima , amené en France par saint Dominique, en-
voyèrent une députa tion au saint-siége pour demander de nou-
veaux secours spirituels et temporels : les députés furent Foi-
quet et Navarre, évèque de Conserans, auxquels s'adjoignirent
Guillaume IV, prime d'Orange, et le troubadour Perdigon.
Dès ce moment, Foiquet ou plutôt Foulques (c'est ainsi
que nous l'appellerons dorénavant, attendu qu'il est ainsi
nommé dans les histoires ecclésiastiques ), dès ce moment,
disons-nous, FouUjues chassa de son esprit tous les témoi-
gnages de bienveillance et d'amitié dont Raimond V et Al-
phonse l*"^ l'avaient honore; il ne vit dans Raimond VI et
dans Pierre II, roi d'Aragon, leurs fils, que des princes qui
se refusaient à l'extermination des hérétifjues , que des rebel-
Papoii , Hi^i. jgs qui lie se soumettaient pas implicitement à la domination
Eenér. île Pro- , 1 , , i i • ^ I 1 i ' i i
\eucc I. II, p. "U cierge, et il devint le plus acliarne de leurs ennemis.
395. ' « Son zèle outré, dit Papon, lui fit souvent oublier ce qu'il
(i) On lit dans la Gallia christicina qu'il prit l'iiabil de religieux en
1199 (tom. XIII, col. 25). Cette assertion n'est pas exacte.
FOLQUET DE MARSEILLE. 597
, . , 'IL i- - • I 1- • ... XIIISIECLK.
B devait a son prince, a la bonne toi et a la religion, qu il
a croyait servir, parce qu'il n'en connaissait pas le vëri-
« table esprit >;
Raiinoiul VI de son côté députa auprès du pape, Bernard,
archevêque d'Aurh, (pie nous avons |)lacé dans la précédente
série de troubadours, et Rabastens, évêque dépossédé du
siège de Toulouse par les légats. Ces deux prélats ne purent
empêcher le plein succès de l'ambassade de Foulques. On
connaît la déplorable scène <le Saint-Gilles, et la croisade
formée contre Uaimond. Tandis que l'armée des croisés sac-
cageait le Languedoc, condamnait aux flammes les personnes
soupçoiuiees d'hérésie, et dépouillait peu à peu Raimond VI
de ses domaines, Foul(|Hes organisa au.ssi sa croisade parti-
culière, il établit à Toulouse, sous la forme d'une confrérie,
I •^.•Jl'.. 'I..1 Gall. christ. I.
et SOUS la protection du légat, un corps arme dont les mera- xiil col li a.
bres se distinguaient par une croix blanche attachée à leurs
vêtements; il lit prêter serment à tous les confrères de
demeurer lidèles à l'Eglise; il leur donna des commandants
militaires, et ceux-ci établirent un tribunal qui jugeait les
usuriers, et punissait les contumaces par le pillage et \â
destruction des maisons. Tout cela se passait sous les yeux
de Raimond, impuissant pour l'empêcher.
Les citoyens impartiaux ou partisans de ce prince formè-
rent de leur côté une ligue pour résister à celle-là. Cette
compagnie fut appelée /« Noire, par opposition avec celle Hist.duLTnglif"
de l'evèque qu'on nommait la Blanche. Ces deux corps doc, 1. ni, p.
se battaient fréquemment dans les rue»; le sang des deux *°"
partis ruisselait dans la ville natale.
Eli 1211, le nombre des croisés de l'armée dite de la foi
étant diminué, l'abbé de Cîteaux envoya Foulques en France,
solliciter de nouveaux secours, qu'il obtint en effet. C'est
dans cette mission qu'il se lia avec Jacques de Vitry, liaison
qui amena la correspondance dont nous parlerons tout à
I heure.
Lorsque les croisés assiégeaient Lavaur, ce qui eut lieu
aussi en 1211, après le retour de Foulques, il détacha cinq u. Vaisjrcie.
mille hommes de sa compagnie blanche, les fit partir de la Ibîd. p. 107.
ville enseignes déployées, malgré la défense de Raimond, et
les envoya renforcer l'armée des assiégeants.
Bientôt après, Raimond voulant l'éloigner de Toulouse,
il refusa d'en sortir. « Ce n'est pas le comte qui m'a fait évê-
« que, dit-il aux agents qui lui intimaient l'ordre du prince;
4 1 . '
XIII SIECLE.
I>. Vaisselle,
t. III, p. 108.
D. ^'^^ssetle,
t. III, p. 2l3.
598 FOLQUET DE MARSEILLE.
a ce n'est ni par lui ni pour lui que je suis sur le siège de
« Toulouse. Je ne sortirai point à cause de lui. Que ce tyran
« vienne, s'il l'ose, avec ses satellites; il me trouvera seul et
« sans armes; j'attends ma récompense, et ne crains rien des
« hommes. » Malgré cette fierté que soutenaient une forte
atraée et toute la puissance du pape, le prélat, de son propre
mouvement, sortit de la ville quelques jours après, et alla
8e réunir à l'armée des croisés.
Depuis ce moment, sa fureur ne connut plus de bornes.
Tous les moyens lui furent bons, même la perfidie. Dans la
même année, comme .Montfort voulait s'emparer de Tou-
louse, l'évêque et les légats font déclarer aux habitants qu'on
ne vient point assiéger leur ville pour quelque faute qu'ils
aient commise, mais par la raison seulement qu'ils sont
fidèles à Raimond , et que s'ils veulent renoncer à leurs ser-
ments, on les sauvera. Ils se refusent à cette lâcheté. Alors
Foulques mande à tous les ecclésiastiques l'ordre de quitter
la ville. Ils en sortent effectivement, mais en procession, pieds
nus, et portant le saint-sacrement.
Au concile de Lavaur, Foulques est un de ceux qui s'op-
posent à ce que Raimond soit admis à se purger du crime
d'hérésie ; et aussitôt après le concile , il retourne en France
prêcher une nouvelle croisade contre ce prince.
„, c En 12 13, au combat de Muret, pendant que les deux ar-
t. III,p. aSi. , ' ,. i*^ r -^ I 1/
Gaiiia christ, mees sont aux prises, remplissant les lonctions de vice-legat,
i. xin,coi. a3, il se tient en prières avec d'autres évêques, dans l'église de
^ Maret, invoquant Dieu contre Pierre II.
Rentré dans Toulouse , il s'empare du château , et il
oblige Raimond, son- fils et les deux princesses leurs fem-
mes, à se retirer dans la maison d'un simple particulier.
Raimond n'exerce plus aucune autorité, c'est l'évêque seul
qui règne.
En 121 5, Montfort étant entré dans cette capitale, déli-
bère sur la manière dont il traitera les habitants. Foui,
ques est d'avis de mettre le feu aux quatre coins de la ville.
Montfort , moins violent , se contente de détruire les
fortifications.
Dans la même année, Foulques et le comte de Foix
assistent au concile de Latran. Le comte de Foiit accuse
l'évêqoe d'avoir livré la ville épiscopale au pillage, et d'y
avoir fait périr plus de dix raille habitants , de concert
arec le légat et Mont£ort. Un cardinal, un abbé vfittlent
U. Vaisselle ,
FOLQUET DE MARSEILLE. 699
adssi défendre Raimond : Foulques se lève, et pour toute ^
re'ponse accuse ce prince et le comte de Foix de faire tuer
les croisés.
L'année suivante, Montfort voulant se venger des Tou-
lousains, qu'il croit d'intelligence avec l'armée de Tarascon
et de Beaucaire, Fçulques lui offre d'aller persuader aux
habitants de venir au devant de lui : « Par ce moyen , lui
a dit-il, vous ferez mettre en prison les plus rebelles, et les
« dépouillerez de leurs biens.» Ce projet s'exécute: les ci-
toyens les plus riches et les plus marquants, tombés dans le
piège, sont arrêtés. Foulques fait mettre la ville au pillage.
Le peuple en fureur se barricade. Montfort met le feu dans
trois quartiers à la fois. Il est repoussé. Alors Foulques
et l'abbé de Saint-Sernin parcourent les rues , en annonçant
que Montfort pardonne, et que si les habitants veulent re-
mettre leurs armes et livrer les tours de leurs maisons, les
biens enlevés dans le pillage seront rendus et les prisonniers
mis en liberté. La majorité des habitants accède à ces propo-
sitions, malgré les conseils d'un petit nombre qui se méSent
de la fourberie de l'évêque. Montfort rentre alors dans la y„^ j, y^j^..
ville, il fait mettrq aux fers les principaux habitants, les setie.'i. ill, p.
disperse au loin dans le pays, et oblige les autres à se ra- ^9*i*9''> »9<-
cheter par une somme énorme; ce qui les réduit au dernier
désespoir.
La carrière politique de Foulques n'était point encore
terminée. Raimond étant rentré dans Toulouse au mois de
septembre 1217, et l'armée de Montfort se trouvant consi-
dérablement aftaiblie, le prélat repartit pour la France, t). Vaisseiif,
accompagné de plusieurs prédicateurs, alla prêcher une nou- *'''••• P^s- ^oo,
velle croisade, et revint au camp devant Toulouse avec des J^' „■ . • ,
„ • 1 ' 1 1 »« <■ ' ' 7 Gallia christ.
renforts considérables. Montfort, pour recompenser tant de t. xiii.coi. 24,
zèle, lui fit alors donation du château d'Urefeil et de vingt *•
villages qui en dépendaient; donation, dit DomVaissette, qui
accrut considérablement le domaine temporel des évéques
de Toulouse.
Depuis cette époque jusqu'à la paix définitive , qui eut lieu
le 12 avril 1229, Foulques vécut dans les camps, auprès des
chefs de la croisade. L'augmentation de sa fortune lui don-
nait le moyen d'y figurer avec éclat. Le roi Louis VIII étant
venu à l'armée, l'évêque, par un faste difficile à comprendre, d. Vaissenc ,
le défraya et fournit à la subsistance de ses troupes, tout le II»'»*- P- î^»-
temps qu'il séjourna dans le Toulousain, et, en 1217, il
XIII SIECLE.
B
Ci-<lessus
600 FOLQUET DE MARSEILLE.
commandait lui-même une division dans les troupes du
connétable Humhert de Beaujeu.
II.1.1. p. 387. La paix de 1229, dont il fut un des signataires, io fit
rentrer dans son siège épiscopal, sans le ramener à des sen-
timents modérés envers llaimond qu'il ne cessa d'inquiéter
et de menacer. Deux années environ se passèrent d;ins cet
état de rancune et d'hostilité. Sa vie enfin s'éteignit, il
r.tUia ihrisi. mouTUt le jouT de Noël de l'an I23i , et fut inhumé, conf'or-
«. XIII, col. aS, mément à sa demande, dans le monastère de Grand-Sel ve,
abbaye de l'ordre de Cîteaux.
La liaison qu'il avait formée avec Jacques de Vilry, lors
de sa première mission dans le nord de la France, donna
lieu à la lettre que celui-ci lui écrivit en l'année I2i3, pour
M.Fo'riia dUr- l"' Tcndre compte de la mort de Marie d'Oignies, décédée
ban, Not. sur les à Liège le 2,3 juitt (le la même année, et que Foulques avait
Annales de liai- yisitée dans son voyage fait en ces contrées en ii> i i , et à la
Gu'lse ^t.*xiv*' dédicace qu'il lui adressa delà Viede cette sainte tille écrite
p. io6et suiï. par lui. Jacques de Vitry rappelle à Foulques dans cette dédi-
Surius, Acia ^^g^g ^^ mot quc cc prélat lui avait dit en arrivant à Liège, où
.Sanct. i3 iun. . . ^ A i • • » t- •
P 63oseqq. Vivaient a cette époque plusieurs samts personnages. « J ai
a laissé l'Egypte à Toulouse, disait Foulques; j'ai traversé le
« désert ( la France), et j'ai trouvé dans le duché de Liège la
a terre promise. »
D. Vaisselle, Entre les actes de l'épiscopat de Foulques, un des plus
t. III, p. 276. , , , ,, ' j !• j 1 ^r ' ¥^ A I "^
Gaiiia christ, mémorables est 1 institution de 1 ordre des treres Prêcheurs,
t. XIII, col. a3, fondé à Toulouse par saint Dominique, en i2i5, sous la
protection et par les soins de l'évêque. C'est là que le tribunal
de l'inquisition jeta ses premières racines.
C'est par cette suite d'événements que fut remplie la vie du
troul)a<lour Foiquet, dit Folquet de ^ia^sellle. Poète, homme
de cour, moine, évèque , missionnaire, guerrier; toujours
passionné, turbulent, ambitieux, fanatique, il oublia les
devoirs de l'humanité, et il eut la faiblesse de s'enrichir, en
croyant accomplir des devoirs qu'il jugeait apparemment
plus sacrés que la justice et la charité.
Le faste qu'il déployait tant dans son palais que dans
son église ne fut point inutile aux arts. Catel cite parmi les
i^aiei , nient. .. " i, • .• ' j i'- » • i
pour servir à picccs d argenterie mentionnées dans I inventaire de son
ihisi. du Lan- mobilier, deux cuvettes enrichies d'émaux de Limoges,
juedoc, p. 901. ^^ ^^^^ lemovitico.
Si nous considérons uniquement Folquet sous des rap-
ports littéraires, il ne saurait être placé au premier rang
n.
Calel , Mém.
XinsiKCI.K
FOLQUET DE MARSEILLE. Goi
parmi les troubadours, dans aucun genre de poésie. Les
Bernard de Ventadour, les Rambaud de Vachères, Bertrand
de Born , Pierre Vidal, Faidit.lui sont bien supérieurs.
On ne lui doit aucune de ces pastourelles où plusieurs
de ses contemporains offrent tant de grâce et de naïveté;
mais il a de la variété, des pensées heureuses, de l'énergie. Les
écrivains italiens lui ont fréquemment accordé des éloges.
Pétrarque prétend qu'en se nommant lui-même Foiquet de
Marseille, il a illustré cette ville et privé celle de Gênes d'un
honneur qui lui était dû.
Folchetto, eh'a Marsiglia il nome ha dato, Pctrarcli. Del
E(l a Genova toltoçed airestrcmo trionfod'Aniorc,
Cangiô per niiglior patria abito e stato. <ap. IV.
Le Dante l'a placé dans le Paradis. Il le fait naître à Bugia
dans les états de Gênes, ce qui ne peut se rapporter qu'à
son père.
Buggia. ... e la terra ond'io fui.
"*■ Dante, Il Pa-
e Dans ma jeunesse, lui fait dire ce poète, j'ai été plus radiso, cant.ix,
< amoureux que la fille de Bélus, que Rhodope trahie par j^j
€ Démophon , qu'Alcide quand il tenait lole renfermée
« dans son cœur. Ici on ne pense plus à se repentir de ses
I fautes; elles ne reviennent pas dans la mémoire. ... Ici
e on voit les effets admirables de la Providence, et l'a-
e mour qui règne sur la terre s'épure et se change en amour
« divin. »
Le Berabo, cité par Crescimbeni, pense que Foiquet est
un poète non moins suave qu'aucun autre troubadour :
E quello che dolcissimo poeta fu , e forse non meno que î;,'^**'""''''!"' '
alcuno degli altri di quella lingua , piacevolissimo Fol- voiga'r*p^ia%*
chetto. ... Le Varchi , le Tassoni, François Redi l'ont cité ii, parM,p.35.
avec éloges. " '''''*• p'«-
Crescimbeni a traduit plusieurs fragments de ses poésies ^ Basicm , \»
erotiques; Bastero un fragment de ses poésies religieuses. crusca proTen-
Celles-ci sont au nombre de deux pièces; l'une est une ^^le, i. i,p. 8î.
confession oii il témoigne le repentir de sa conduite passée,
commençant par ce vers:
Senher Dieus , que fezist Adam.
Le poète reconnaît le devoir que lui impose la religion n^ „ cboii
d'avouer ses fautes : i. iv, p. 594 «•!
Tome XVllI. Gggg '""•
4 1 *
XIII SIÈCLF.
t>oa FOLQUET DE MARSEILLE.
Hueimais I>e s tanh qu'ieu nie descobra ;
Tant ai estât en mala obra.
Après avoir avoué que ses péchés sont si énormes qu'il ne
saurait presque en faire l'aveu , il s'adresse à Dieu :
Glorios Dieus, per ta merce,
Dressa ta cara devan me ,
£ remii-a lo gran trebulh
C'aissi m tensoiia e ni'assalh.
Le poète s'adresse à Dieu à diverses reprises, pour lui
demander successivement toutes les fjraces qui peuvent le
conduire à se faire pardonner ses péchés. M. Raynouard, qui
range cette pièce parmi les Epîtres des troubadours, a traduit
une de ces invocations :
Rayn ( Imli Veray Dieu , dressa tas aiirelhas ,
I. II, u. s-s. ' Enten nios clams e mas qiierelhas;
T.IV.p. 398. Aissi t niovrai tenson e guerra
De ginolbos , lo cap vas terra ,
La mas juntas e'I cap encii.
Tan tro t prenda merce de rai , etc.
Vrai Dieu , diri{;e tes oreilles.
Entends mes cris et mes lamentations;
Ainsi je te ferai querelle et guerre,
Agenouillé, le chef vers terre.
Les mains jointes et le chef incliné ,
Tant jus(|ii'à ce qu'il te prenne merci de moi ;
Et je laverai souvent mcm visage.
Pour ainsi qu'il soit frais et clair.
Avec l'eau chaude de la fontaine
Qui naît du coeur là sus au front.
Car larmes et plaintes cl pleurs
Ce sont à l'ame fruits et fleurs.
L'autre pièce est une hymne adressée à la Vierge, au lever
de l'aurore; petit ouvrage plein de poésie et un des meilleurs
de Folquet. Elle se compose de cinq strophes, chacune de
quinze vers, dont les quatre derniers forment un refrain qui
revient à chaque strophe.
jj ..; Vers Dieus, el vostre nom e de Sancta Maria
:5-„ ' M'esvelbarai hueimais, pus l'estela de! dia
Ven daus Jberusalem que ns essenha quec dia.
Estatz sus e ievatz,
Senhors que Dieu amatz,
Qu'el jorns es apropchatz,
£ la nueg ten sa via ;
£ sia Dieus lauzatz
FOLQUET DE MARSEILLE. 6o3
Per nos e adoratz ,
E'I preguem que iis don patz
A tota iiostra via.
Refrain : La nueg -vai e'I jorns ve
Ab clar temps e sere,
E l'alba no s rete,
Ans va belh' e coniplia.
Traduction italienne de Bastero :
Vero Dio, nel vosiro nome e di Santa Maria
Mi svegliei'ô omai, poi la Stella del porno
Viene da Gerusulem che ci mostra ch'e giorno.
Stale su, e veyiiatc,
Si^nori che Iddio ainate,
Che'l di s'appressa ,
E la notte fa sua via,
£ lodato ne sia Iddio
Da noi e adoratn;
Ë il pre{;hiamo che ci dia paca
A tutta nostra vita.
Refrain : La notte va , e il giorno viene
Con tempo chiaro e sereno,
£ l'alba non si ditiene,
Anzi viene bella e compila.
Bastero, après avoir traduit cette strophe , fait remarquer
que Ptîtrarque en a imité le refrain.
Il semble que Folquet ait voulu composer dans cette pièce
un pendant aux aubades des autres troubadours, et appli.
quer à la religion une forme poétique inventée pour la ga-
lanterie. Cette hymne est de toutes les compositions de ce
poète celle qui paraît avoir obtenu le plus de célébrité. Catel
l'a imprimée.
Il subsiste en tout vingt-cinq pièces de Folquet, dont quel-
ques-unes sont attribuées à d'autres troubadours. M. Ray-
nouard en a publié onze; M.dé Rochegude, deux,dontune
est aussi dans le Choix de M. Raynouard. On en retrouve deux
dans le recueil intitulé : les Poètesfrançais depuis le douzième
siècle jusqu'à Malherbe, publié par M. P. R. Auguis.
E— D.
XUI SIECLE.
Bastero , loc.
cit. p. 83.
Ibid.
Catel , Mém.
pour l'hisl. du
Ijng. p.
899
Parnasse occit.
1. 62-6/1.
PERDIGON.
v_/N trouvedansla vie dece troubadourun singuher exemple
des revers qui peuvent atteindre dans les temps de parti
Gggga
Mil SIKCl K.
6o4 PERDIGON.
l'homme ambitieux et iudifTerentsur les devoirs de la recon-
naissance Il naquit dans un bourg du Gévaudan nommé
l'Espért)!!. Il paraît que son nom était Pierre, et que celui de
Perdigon en était un diminutif. Fils d'un pauvre pécheur qui
ne put lui donner aucune instruction , il se trouva heureuse-
ment doué par la nature, d'une voix aj^réable et d'un talent
facile pour composer des airs de musique. A une époque où
chacun Taisait des vers, il en fit aussi, et parvint à jouer de
plusieurs instruments. Muni de ces talents, qui sulfisaietit alors
pour conduire à la fortune, le jeune Perdij^onse livra d'abord
à la profession de jotif^leur, et bientôt après sentant eu lui-
même ({u'it était poète, il se plaça parmi les troubadours.
C'était alors la lin du douzième siècle, temps où florissaient un
grand nombre de poètes du premier ordre en ce genre, et
il sut se laire distinguer au milieu de ses habiles concurrents.
Robert, dauphin d'Auvergne, troubadour lui-mrme, et de
qui nous allons parler tout à l'heure, ayant eu occasion de
connaître son mérite, l'appela auprès de lui, voulut se l'at-
tacher, et le combla de biens. Son affection et sa prodigalité
s'étendirent jusqu'à lui donner des terres , et enfin jusqu'à
l'armer chevalier. Le poète demeura longtemps à la cour de
ce prince, et de là lui vint le nom de Pcrdigon d\4m'crgne,
poèsia, t. ii.^p que lui ont quelquefois donné les historiens, et qu'on ren-
s^- contre dans plusieurs manuscrits.
Le goût des voyages lui ayant fait quitter son bienfai-
teur, il alla chez Guillaume des Baux, prince d'Orange,
r.XMi,|.. ,8'.. troubadour ainsi que le dauphin d'Auvergne, et dont il a
été question dans notre volume j)récedent. On voir dans une
de ses pièces, (ju'il se rendit ensuite à la cour d'Alphonse II,
comte de Provence. Nostradamus veut qu'il se soit marié
Mo-iIlKlIaiillls, 1 ■ Il I I • J o I
u<, Yies ikr, I».;- a Aix avec une demoiselle delà maison ne aanran, nommée
irs|>ro\.p 19',. Saura. (Test là un conte dénué de toute vraisemblance;
mais ce prétendu mariage contribue à prouver le .sc'iour
de Perdigon à Aix, sous le règne d'Alphonse II, et par
conséquent avant l'année laog, époque de la mort de ce
prince.
De la cour d'Aix ou de celle d'Orange, Perdigon se rendit
auprès de Pierre II, roi d'Aragon. Pierre, naturellement
magnifique, le combla de présents. 11 ne lui donna pas seu-
lement des armes, des chevaux, de riches habillements,
objets que les grands offraient le plus communément aux
troubadours, mais il paraît qu'il lui fit des dons encore plus
(Ji'csciinlu'iii
Délia viilirai'
XIIl MK ! r.
PERDIGON. 6o5
considérables : Lo quai lo vestie , (iif le biograplie, cl dm'a
SOS dos. Tant de témoignages d'intérêt ne pijrerit attacher
sincèrement le poète à ce prince. « Parmi les troubadours,
« dit Dom Vaissette, un de ceux (jui eurent le plus de part d. v.u^.nr
« à sa laveur, lut un nommé Perdigon, qui le paya d'ingra- ' "'-i' '"'i
« titudc. »
La croisade contre les Albigeois étant survenue, il se lia
avec Foiquet, alors évèfjue de Toulouse , et se jeta avec lui
dans le parti des croises. Après la bataille de iMuret où,
comme on sait, Pierre II (ut tué, il roinposa un sirvente
pour remercier Dieu de cet (-vénement : En fctz lau-
zors a Dieu , car los l'yanccs m-ia/i mort e descojit lo rci
d' Ara^o. Aussitôt après il alla à Rome avec FoIquet, le prince
d Orange et l'abbé de Cîteaux, p(>ur .solliciter de nouveaux
secours, et pour parvetiir, ajoute 1 historien, à la ruine en-
tière (h' Raimond : E per adordvnar crozada , e pcr deseretar
lo Ion comte llainion. lin même temps, dit encore le bio-
graphe, il prêchait en charitiint au sujet d(;s événements
publics, et f.iisait lever des croisés : i. a rotz aquest faitz
J ai son Perdigos, en fes picztcansa en contan , per que se
crozeron. Ce mot de pn'clicr en chantant sera sans doute
remarqué. 11 nous montre la chanson dans tonte sa puissance
au milieu des troubles et des malheurs publics; le trouba-
dour devient par ses chants un des apôtres de la guerre et
de la j)aix.
Cette conduite indigna les anciens amis de Perdigon.
Malgré les victoires de Moiufort. l'esprit général du Lan-
guedoc protégeait la mémoiicde Pierre il, et défendait les
intérêts du comte lîainioiid. Le trouhadour , totalement
déconsidéré dans lOpinion publique, jxrdit , suivant l'ex-
pression tlu biographe, ses amis, ses atnies, sa réputation,
son honneur, sa foi tune : Pcrdct los amies e las amigas, e'I
prcfz , e l'honore iaver. Aucune des persotmes éclia[)pées
aux massacres ne voulut le voir ni l'ententlre : Tug silh que
remuzan vieu negus ndl vogran vezer ni auzir.
Le dauphin d'Auvergne lui retira toutes les terres qu'il
lui avait apparemment doruiées en liel. Le lils du pêciieur,
dépouillé, redevint aussi pauvre qu'il l'était en commençant
sa c;<rrière. 11 n'osait plus se montrer nulle [)art : I\'on auzet
anar ni venir. En 1218, Montlort et Guillaume, princ(;
d'Orange, ayant été tués, il ne lui resta de ressource que
dans la protection de Lambert de Monteilh , gendre du prince
6o6 PERDIGON.
XIII Slf,CI.E. ,,^ /^ . , ,. j 1
d Orange. Ce seigneur le ht entrer dans le couvent de
Silvebelle, abbaye tie l'ordre de Cîteaux. Perdigon y prit
l'habit de l'ordre et il y mourut.
Si l'on en croyait Nostrailamus, il aurait vécu jusqu'en
126g; mais cette assertion est peu vraisemblable, puisqu'il
se serait écoulé cinquante six ans entre la bataille de Muret
et sa mort, et que son séjour à Clermont et ses rapports avec
Faidit sont bien antérieurs à cet événement. Il en est de
même de l'opinion de cet écrivain, lorsqu'il veut que Per-
digon ait composé une histoire des guerres du comte de
Provence, Raimond Bercnger IV; car il faudrait pour cela
qu'il eût vécu à la cour de ce prince, à la fin de son règne,
c est-à-dire vers l'an i-2^5, tandis qu'il dut entrer au monas-
tère (le Silvebelle, déjà avancé en âge, eti 1219. Nous plaçons
ce poète immédiatement après Foiquet, par la raison qu'ils
paraissent avoir été parfaitement contemporains.
Les sirventes que Perdigon composa en faveur de la croisade
M.Ravnouaid, coutrc les Albigeois, ne se retrouvent plus. Ce sont seschan-
( hoii ," t. ni, sonsd'amour, sa tenson avec Faidit, et une hymneà la Vierge,
p. 344 <•> su'v. ; qui peuvent nous iaire connaître son talent. Ces pièces sont
Parnasse occlt. ^u uombre de douze environ. M. naynouard en a publie cinq,
p. ii5. auxquelles il a joint plusieurs fragments. M. de Rochegude
Pièce tomnien- ^^ ^ douiié uuc qui lie fait poiut partie de celles de M. Ray-
era/ri ^(iuzrf<. nouard. «C'est, dit ce poète, avec le chant des oiseaux que
Mss. de la Bibi. a commcuce uia chanson; je chante quand j'entends le cri
my. n. »7oi , f. , jg l'aiglc et de la grue, quand je vois le lis reverdir dans
Mss. dit de « nos jardins, le bluet reparaître parmi les buissons, et les
MazanguLs , ch <t clairs ruisscaux couler sur le sable, là où sont répandues
''^11 " ^^ blanches fleurs. »
^^^ . o , . ,p ji j^jjj^jj. (J3JJ5 la même pièce quelques caractères de
l'amour :
Ben pauc ama drut que non es gilos,
E pauc ama qui non es adziros ,
E pauc ama qui non es t'olletis,
E pauc ama qui non fay trassios ;
Mais val d'auior cant liom es enveios;
Un doh plorar no fan XIIII ris.
Aime bien peu l'amnnt qui n'est jaloux;
Aime bien peu qui n'éprouve pas la haine;
Aime hiiu peu (pii ne fait d s folies.
Aime bien peu qui ne commet des trahisons;
Plus vaut l'amour ([unnd l'amant est envieux;
Un doux pleurer ne valent quatone ris.
Xin SlKCl.K.
ROBERT, DAUPHIN D'AUVERGNE. 607
Perdigon est de ces troubadours qui aiment les larmes et
qui comptent sur la puissance de (e moyen. «Quand à genoux
a devant ma dame, je lui demande merci, quand elle me repro- Mmic i^or.
« che mes manqnements,et qiievoyant mes larmes couler sur
« mon visage, elle me regarde tendrement et me pardonne,
« c'est pour moi la joie du paradis.» Peintre et poète, le
troubadour s'est peint ici lui-même dans son tableau.
Qiint eu li quier merre en genoillos,
Ela mi colpa et mi met («liaisos,
E I aiga ni cur aval pt-rnust lo vis,
Et ela m fai un regard amoros,
Et eu li bais la liuciia e'is ois anilxios,
Adonc me par un joi de paradis.
Sa prière à la Vierge est une hymne où, en célébrant les
louanges de Marie, il la supplie de lui faire obtenir le pardon
de ses péchés : « Leur nombre, dit le poète, je ne le dis, ni ne
« lésais; faites qu'à ma mort ils ne tournent pas à ma perte.
Q'i l'Is peccatz iju'ieu ay
Falz, ni ditz,ni say ,'
No m puescan mal faire ,
Quan del segl'irai. E — D.
ROBERT,
DAUPHIN D'AUVERGNE.
ROBERT,
ÉVÊOUE DE CLF.RMONT.
MORTS \ nu vu
OBERT, dauphin d'Auvergne, dit Robert F*", était fils de >a^:',ia.nie ».■
Guillaume VIII qui avait succédé en ii43 à Robert III, '^uâiuzc, h.m.
son père. Un frère de Robert III, nommé aussi Guillaume, de la in.iis"ii
s'étant emparé en 1 155 de la plus grande partie des états de <i' *"'■«'§"'=' '"
la maison (J'Auvergne, prit le titre de Guillaume IX, quoique p.'iss'— ». 6j!
Guillaume VIII, son neveu, fût vivant. Un arrangement C6.
étant survenu, ces deux seigneurs conservèrent leurs titres; u. Vaissetit,
mais Guillaume VIII joignit au sien celui àe Dauphin, i::^u'û 25^ • ■ y •
tirait de Gui III, comte de Vienne, son beau-père, et fut Andeveritin
le premier seigneur d'Auvergne qualilié de Dauphin. Ce '/o''^'"'^'' '""
• ^ /^ O I r, , ' nt 0 , 1818 aprtj
seigneur, mort en 1 1 oq , eut pour successeur Robert , son nis, j .^ , x , pas
le troubadour déjà majeur, qui se fit appeler Robert F"" en i/i>->58.
XlilSlKl.l
608 ROBKRT. DAUPHIN f) AUVERGNE.
tant que tlaiiplnn , quoiqu'il fût petit-fils de Robert III.
Guillaume I\,<lit /." vk/lv, grand oncle de Robert F"", eut
pour sneeessfur Hobcrt \\\ (|ui tut quatre fils, savoir: Guil-
laume qui réiijna sous le titre de Guillaume \ ; (iui (lui suc-
céda à ce Guillaume en 1 \<)^) . et se Tiomma (iui III; Kobert,
évêque de Glermon' , autre troubadour dont nous allons
parler; et un ([u.itrieine noiiuiié aussi Robert.
Ainsi Robert, (laui»lii 1 l"'^, et Robert, évêque de Clermont,
étaient proches parents et conterrqiorains , (juoique remon-
tant â Robert nia des degrés dillerents. Leurs la md les avaient
partaj:;(' après bien des contestations le domaine de l'Auvergne
en deux portions inégales; la ville de Clermont appartenait
|)ar moitié au daupinn et au comte Guillaume, ou ii son Irère
Gui III, et de |)lus Robert en était évê(jue. C'était là bien des
causes de jalousie ou de division entre 1 evtqucet le dauphin. A
ces causes, il s en joignit d'autres : c'est que tousdeux compo-
saientdes vers, et (jue tous deux aussi avaient l'esprit vivement
porté à la satire; il taut ajouter que leurs mo'urs étaient fort
relâchées, et que révè(|ue [)ariiculièremcnt était un homme
turbulent, audacieux, capable des entreprises les plus injustes
et les plus violentes.
Le dauphin accueillait les troubadours avec bienveillance,
et les comblait de présents. Il reçut successivement à sa cour
Peyrols, Pierre d'Auvergne, Pierre Vidal, Faidit, Hugues
Brunet , Perdigon, Hugues de Saint-Cyr. La présence de
tous ces poètes auprès de lui est attestée par des tensons
u'il composa avec eux, et qui subsistent encore. Plusieurs
'entre eux, tels (jue Peyrols, Pierre d'Auvergne, Perdigon,
ne recurent pas de lui seulement, suivant l'usage, des ha-
billements, des armes, des chevau.\, il leur donna encore
des rentes et même des terres. Cette munificence, et surtout
son goût dans l'appréciation des vers, lui ont valu de grands
éloges. « Le dauphin était, dit-on, un des chevaliers les plus
( courtois, les plus généreux du monde; il était un des plus
c braves, des plus experts en fait de guerre, d'amour, de ga-
re lanterie et de tous genres de convenances, un des connais-
<c seursles plus délicats, etdes meilleurs poètes pour composer
« des sirventes, des chansons et des tensons, et un des hoin-
« mes parlant le plus élégamment qui fût jamais, sur des
K choses sérieuses ou de pur agrément : E que plus snup
f^ d'amor e de doinnei , e de guerra e de totz faits avinens. . .
■ E'I plus gen parlans honi que anc fos a sert et a solatz. »
a
xiii su (i.K.
( l-tl( sM. ^ ,
ET ROBERT, KVÈQUE DE CLI-.RMONT. 609
Ce portrait semble peindre plus fidèlement le chevalier ac-
compli (lu siècle aïKpu'l il se r.ippotte, (|uc l'Iiomme à qui il
appartient; toutefois il donne uiie brillante idc-edu prince (pii
])rolcj^'ea I\yrols, I'cr(Hjj;on et une foule d'autres trouhadouis.
Pierre Vulal n'oublie pas le dauphin dans le voyage littè-
rain- dont il trace le plan| à un jongleur, ouvrage (jue nous
avons dcja cite « Je suis venu , lui dit-il, en Auvergne, chez
« le dauphin. Jamais datne ni demoiselle, page ni chevalier,
« d'une grâce plus franche, d'une éducation plus soignée : »
Ps'iiii y ;ic (lona ni donzcla
IVo lo pus (V.iiici d'iiii aizflo,
Ni cavayer m don/rlo l'inic \ id.il .
Coin ajrues noirit en sa nian. .4int mit . M
" Kayn. t. V, ],
Ces progrès de l'éducation n'annonçaient pas toujours
ujie épuration réelle dans les mo'urs. Pour le daupliin ,
comme pour un grand nombre de seigneurs de son siècle,
la galanterie devenait souvent un passe-temps d'autant plus
amusant (pie les aventures en étaient plus singulières, n'im-
porte les personnes et les moyens. Une sd'ur du dauphin,
nom.mée madame Assalide de Claustre, femme de Réraud
de Mercœur, recevait , sous les yeux de son frère, les hom-
mages assidus du troubadour Peyrols. F^e dauphin trouva
plaisant de favoriser lui-même cette intrigue; il se décida
e:.fin à renvoyer Peyrols de chez lui, mais <e fut seulement
lorscpi'il y eut été forcé par les éclats de la jalousie du sei-
gneur de iMercœur.
iNous ne parlerons point de ses tensons. (.rescimbeni en
cite plusieurs (pii se trouvent dans les manuscrits du Vatican.
Celui du dauphin et de Perdigon se lit dans le manuscrit H'H
7225 de la Bibliothècjue royale de France. L'intérêt de ces
pièces est bien faible; mais il n'en est pas de même de celui
que font éprouver les sirvcntes de Richard Cœur-de-Lion
contre le dau|»liin, et de ce seigneur contre Richard. C'est
ici un des exemples les plus singuliers de l'usage de cette
é[)0(jue, de s'attacjuer réciproquement par des satires dans
les sujets les plus graves, de mettre en vers et en chan-
sons les (juerelles de la politicpie, les droits de la propriété,
les disputes dt; la religion. Tout, ainsi que nous l'avons
dit, se traitait en vers, ou du moins les vers se mêlaient à Lu,gi.,|.(i. .1.1
tout. Kiili.thaiil M»s
J^e roi Richard et Philippe- Auguste s'étant déclaré la
Tome XVlll. H h h h
Cn
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m lit III .
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.le l;i liibl. niv.
n. -i•i^, I 18).
6io ROBERT, DAUPHIN D'AUVERGNE,
XIII SIÈCXE.
guerre au sujel de la suzeraineté de l'Auvergne, Rirhard
entraîna dans son parti le dauphin et le comte Gui II qui
venait de succéder, en i ig5, à Guillaume X son frère. Phi-
lippe fit entrer des troupes dans l'Auvergne, ravagea le pays
et s'empara d'une partie des terres de ces deux seigneurs.
Vainement ceux-ci recoururent à Richard , il les abandonna
et passa en Angleterre. Les monarques firent la paix entre eux,
au moyen d'un échange où Richard céda l'Auvergne , et
Philippe le Quercy , et les deux comtes sacrifiés perdirent
lesterres conquises, notamment la ville ou le bourg d'Issoire.
Peu de temps après, la guerre ayant recommencé, Richard
appela de nouveau les deux comtes à son aide; mais pour
cette fois ces seigneurs, indignés de son manque de parole,
et liés avec Philippe, lui refusèrent tout secours. C'est alors
que Richard publia contre eux son sirvente en mauvais
français, commençant par ce vers : Daiifia ieu voilL de-
M i I R 1 1 fn,ander.
roy. n. 761/i, f. H leur rcprochc dans cette pièce de lui avoir manqué de
ii5,ch. 198. foi, comme Isengrin au renard , de lui avoir préféré Philippe,
Mss. 72ï5, f. p.,,.(,ç qu'ils le croient plus riche ou plus brave que lui : d'être
i85,ch.Hog. 1, • n ' 1 1 - 1 1 7 1 •
devenus avares; u avoir abandonne les dames, la galanterie,
les cours et les tournois, pour employer leurs revenus à
bâtir des forteresses. « Vous me prenez apparemment, leur
« dit-il, pour un riche couart, e ie sui riche coart ; mais nous
« nous reverrons : bon guerrier à l'éteudart, vous trouverez
« le roi Richard :
Bon gerricr a l'estendart
Tiouveretz le roi llichart.
Cette pièce n'étant point en langue provençale, ne saurait
être com[)rise |)armi les ouvrages des troubadours.
Le dauphin réponflit par \\n siivente provençal où, sans
blesser aucune convenance, il dit à Richard avec autant de
dignité que de fermeté, (pi'il ne l'a abandonné que parce
qu'il est lui-même inconstant, et que, malgré son courage,
il défend mal ses propriétés et ses amis.
Reis , pus vos de nii chantatz
,,.,_.,, Trolj.itz avetz chantador:
Ms>. delaBilil. ,, ,1
„<;., t Mas tan me faiz (le paor,
I r6 ch. iqg. » T H"^ ""^ U<vn a vos lursatZ,
Rayn. Choix , E plazentiers vos en son :
t. IV, p. i56. Mas d'aitan vos ocliaizun ,
ET ROBERT, ÉVÉQUE DE CLERMONT. 6ii
S'iieymais laissaiz vosire fieus,
No m mandetz querre lo niieus.
« Roi, puisque vous chantez à mon sujet, vous avez trouvé
« chanteur; mais vous m'inspirez une telle crainte que je ne
« me présente à vous que forcément. Je suis toujours votre
« serviteur; de ceci cependant je vous donne avis, c'est que
« si jamais vous abandonnez votre fief , vous n'envoyiez pas
ft quérir le mien,
Qu'ieu no soy reis coronatz,
Ni horn de tan gran ricor
Que piiesc à mon for, senhor,
DefVndre mas heretalz;
Mas vos , que li Turc félon
Temioii mais que lion ,
Reis e ducs , e conis d'Angieus,
Sufretz que Gisors es sicus!
« Je ne suis point roi couronné, ni homme de si grande
« puissance, que je puisse à ma guise, seigneur, défendre
a mes héritages; mais vous que les Turcs félons redoutaient
« plus que lion, vous, roi, duc, comte d'Anjou, vous souf-
€ frez que Gisors demeure au roi Philippe!
Be me par que vos diziatz
Qu'ieu soli aver valor,
Que m layssassetz ses honor,
Pueys que bon me layssavatz;
Pero Dieus m'a fag tan bon
Qu'entre el Puey et Aibusson
Puesc remaner entr'els mieus,
Qu'ieu no soi sers nijuzieus.
« Bien me semble que vous disiez que j'avais coutume
« de montrer de la valeur, et que vous me laissiez sans fief,
« parce que heureux vous me laissiez. Dieu vraiment m'a
a tant accordé de bonlieur, que du Puy jusqu'à Aubusson,
« je puis habiter au milieu des miens, sans être ni serf
ni juif.
Mil SIECLE
c
Senhor valens et honratz,
Que m'avetz donat alhor.
Si no ni sendiles camjador,
Ves vos m'en fora tornalz;
Mas nostre reis de saison
Rend Issoir e lais Usson ;
Hhhha
1111 siKii.r.
;i2 ROBERT, nAUPUÎN D'AUVERGNE,
Kl cobiar t"s ni<^ mot liens,
( )u ii'U Fiai sai a-Mil sos liricus...
« Seip^neur vailhiiit et honort', qui m'avez Hiit lU'S, dons
n autretois, si vous ne vous fussiez niontK' eliaiij^eant , vers
« vous je serais retourne; mais notre roi d aupiird liui me
« ren(l Issoire et me laisse Usson; ii m est tort aise du lesre-
n couvrcr, et deja chez moi j'en ai reçu ses lettres.
K l\oi , ajoute le poète dans son envoi, à jamais vous me
'< trouverez brave, car telle danu' m'en re(|iiieir à ([ui j ap-
« parliens si sincèrement (jue tous ses commandements me
« sont doux. »
On aime à voir associes de cette manière, au sentiment
(lui anime le porte, un ton noble, un laii^aj^e pui', une ha-
bileté remarrjuable dans lait de la versili» ation, et un sou-
venir de galanterie f|ui donne su chant du troul)adour la
couleur de son époque. Eedaupinn montri- ici un talent qui
le place à côté des poètes les plus distingués du même âge.
Cette pièce a six strophes et un envoi «le (juafre virs.
La tenson de l'évéque et du dau|)liiu, et le sirvente du
daui^hin contre l't'vètjue, sont d'un genre tout différent. Le
dauj)hin cherche encore à v manitenir le ton de dignité
qu'il appelle sa courtoisie , mais des sujets ignobles l'oljligent
malgré lui à déchoir.
Il avait pour maîtresse à une certaine époque une dame,
sans doute ilini bas étage, nonmiée Maurin, Maurinn Cette
dame lit un jour demander a l nitendant du lard j)our cuire
des œufs. L'intendant crut se montrer niagniti(jue en en-
voyant la moitié d'un jambon. Lévèque, instiuit de ce fait,
trouva mauvais (ju'on n'eût pas donné un jambon tout entier,
et sa poétique indignation s'exprima aussitôt en ces vers :
Per l-iist, si'l servens fos meus
Mss. du ^ ati- ,,• .111 I
, U un cotfl II ilaii al coi'
c»n, n. 3207. „ ,. , 1 , . 1
„ f, Can kz ilol bacon narlula
Rayn. Choii:, t
, y p jj5 a lei que 1 il qneri tan gen.
Ben saup del daltin lo taien,
Que s'en plus ni nien no i meses ,
A la ganta Ii dera très ;
IVl.is pose en ver dire
Petit ac laïc Maurina als eus frire.
a Par le Christ , si ce serviteur fiît à moi , je lui donnerais
a d'un couteau dans le cœur, comme il a partagé le jambon
Xm SIKOLF.
ET ROBERT, ÉVÊQUE DE CLERMONT. 6i3
« à celle qui le lui demandait si gentiment. Bien sais du
rt dauphin le caractère , nue si plus ou moins il en eût donné,
« sur la joue il lui en eut appliqué trois; mais en vérité je
« puis dire que c'est bien peu de lard à Maurine pour des
« œufs frire. »
La réponse du dauphin offrit, suivant l'usage, les mêmes
rimeset la même coupe de vers. L'évêquecourlisait une belle
femme dont le mari se nommait Chautar de Caiilec , et
habitait un lieu dit Pescadairas, lieu où l'on pêche. De plus,
la réputation de la dame de Caulec avait souffert de l'assi-
duité de lévêque; cette dame avait été tuée dans l'opinion.
Tout cela donna lieu à des jeux de mots entre les choux,-
caulec , la pèche et la dame tuée, qui purent être piquants
du vivant des personnages, mais qui ont aujourd'hui peu
d'intérêt. Le sens épigrammatique était que le poisson était
frais et gentil, mais que mal lui en advenait; car il s'était
laissé occire par le prêtre qui ne faisait qu'en rire :
E'I peissos es gais e cortes, M. Kavn.ilid.
Mas d'una re l'es trop mal près.
Car s'es laissatz ausire
Al preveire qne tio fais mas lo rire.
Un grave différend élevé entre ce prélat et le comte Gui,
son frère, en i igy, donna lieu à un sirvente du dauphin qui
se lie par son sujet aux affaires publiques. L'évêque dans
cette ()uerelle excommunia le comte, mit ses états en inter-
dit, leva des troupes, entra sur ses terres, et les livra au
pillage et à l'incendie. Gui finit par faire .son frère prisonnier,
ce qui amena la paix. Les troubles s'étant renouvelés en
i2ot), l'évêque fut fait prisonnier une seconde fois. Alors le
pape Innocent III et Philippe- Augu.ste interposèrent leur
autorité, et opérèrent une réconciliation. En 121 1, nou-
veaux désordres. Il paraît que c'est en laia que le sirvente
fut composé. Le dauphin y trace le tableau des excès commis
par l'évêque, et rappelle que ce prélat et lui se sont déjà
attaqués plusieurs fois réciproquement avec les mêmes armes.
Le légat dont le dauphin attend l'arrivée, est l'archevêque
de Narbonne, lo legatz de Narbona , sacré le 2 mai iai2.
Vergogna aura breument nostre evesque cantaire, Ravn rh '
Sol veigna lo legatz que non tarzara gaire, t IV p' a58
£ farem denan lui los siirentes retraire.
4 2
6i4 ROBERT, DAUPHIN D'AUVERGNE,
XIII SIÈCLE. rk I • 1 I J 1- I
O peis mieiis o pels sieus lo ciig de I orilen traire ;
Qu'anc miels non o conquis lo saigner rie Helcaire,
Sol Dieus gart lo légat que per aver no s vaire.
Honte aura bientôl notre évêqiie poète ,
Seiili-mcnl vienne le \é^al (jui ne tardera guère,
Et ferons devant Ini les sirventes exposer,
Ou par les miens ou par les siens, je le crois f;iire déposer.
Que jamais mieux je n'ai conquis le seifjneur de Beaucaire;
Seulement Dieu garde le légat que pour argent ne se tourne.
Si no s vaira'l legatz e vol gardar dreitura,
Ades nos ostara sa falsa crealura.
Alverne, be ns garnie île gran mal'aventura ,
Qu'il fetz gobernaiior de la sainta Escriptura.
Be s pot ineravillar qui concis sa figura
Cossi s'ausa vestir de sainta vestidura.
Si ne se tourne le légat et veut garder droiture.
Bientôt il nous ôtera sa fausse rrealure.
Auvergne, bien te chargea de grande mésaventure.
Qui le Ct gouverneur de la sainte Écriture.
Bien se peut étonner qui connaît sa ligure
Qu'il s'ose ainsi vêtir de sainte vestiture.
li vestiment son saint, mas fais' es sa persona, etc.
Les vêtements sont saints, mais fausse est sa personne, etc.
Le poète reproche à l'ëvêque les ravages qu'il commet à
la tête de ses soldats, ses liaison.s galantes avec la comtesse
d'Artona; il lui reproche de ne vouloir enterrer personne,
même sou ami, sans être paye.
Que nuills hom son amie ses aver non sosterra.
« Ami de l'Angleterre, il est félon envers son roi ,
Englaterra ama elben e fai gran fellonia;
c Et c'est avec l'argent des morts qu'il prolonge au roi sa
« guerre,
Et ab deniers dels mortz alonga al rei sa guerra.
« Je pourrais bien en dire davantage, ajoute-t-il enfin,
1 mais il perdrait son évêché et moi ma courtoisie.
ET ROBERT, EVEQUE DE CLERMONT. 6i5
MI , j- 1 • ^"' siÈcu-:.
Mas s leu ilir en volgiies so qu leii air en sabia ,
El penlria l'eveseat et ieu ma cortesia.
Indépendamment des reproches que le dauphin adresse à
l'évêque, nous voyons ici une autre particularité historique;
c'est que le dauphin se lifjua contre les Albigeois et le comte
de Toulouse, dès l'entrée de Montfort dans le Languedoc.
Il suivit en cela l'exemple du comte Gui II, qui s'unit à la
ligue des le mois d'avril de l'an 120Q. ^ ^*'**5"'"'
Leveque tut translere a 1 archevêché de Lyon en I22y, et caii christ. 1.
mourut en laSa. Le dauphin mourut âgé de près de 90 ans, 11, <-oi. i:3,
le 22 mars 1234- *'^"
On a (lit de lui qu'en avançant en âge, il était devenu avare
et même rapace et dur envers ses vassaux. Nous avons fait
sentir une des causes de ce changement de son caractère.
C'est ce reproche d'avarice plus ou moins fondé qui devint
le sujet (les tensons dont il va être question à l'occasion de
Pélissieretde Bertrand de la Tour. Il ne subsiste de lui que
les pièces dont nous venons de parler et les deux tensons
suivantes. E — D.
BERTRAND DE LA TOUR.
PIERRE PÉLISSIER.
IJERTRAND DE LA TouR paraît avoir été un gentilhomme
auvergnat, d'une fortune médiocre, vivant paisiblement sur
ses terres, et s'amusant quelquefois à composer des chan-
sons. Le dauphin d'Auvergi:e, au service duquel on voit
qu'il était attaché à un titre quelconque, lui adressa un cou-
plet de huit vers, où il lui fit un reproche de ce qu'après
s'être montré vaillant et magnifique, il avait cessé de fré-
quenter les cours, s'était renfermé dans son château et vivait
seul avec ses faucons et .ses autours; sitôt, dit-il, qu'il a chez
lui vingt personnes, il croit fêter Pâques ou Noél :
E sojorna a la Tor,
E ten faucon et aiistor,
E cre far Pasca o Nadal, Rayn. Choix,
Quant son XX dinz son estai. •• ^> P- '"i-
Bertrand répondit à ce couplet par un autre sur les
XIII SIECLE.
6i6 BERTRAND DE LA TOUR,
mêmes rimes, suivant l'usage, où il adressait la parole à son
jongleur :
Mauret, al dalfin agrada
Qu'en digan qu'eu son malvatz ;
E"l reproiers es vertatz,
Del cal seignortal niainada;
Que fui bon tant quant aie bon seignor;
Que a lui plac ni so tenc ad lionor,
Et aras, Mauret, pos el no val.
Si era bon, tenria so a mal.
Maiiret, au dniiphin il plaît
Qu'on dise que je suis humme de peu.
Le proverbe est donc vérité,
De tel mnilre tel valet.
Je fus bon tant que j'eus bon seigneur;
Plii>( ne j lui plait ni le tient à honneur.
Maintenant ( donc) Mauret, puisqu'il est sans mérite ,
Si j'étais bon, il le prendrait à mal.
Nous avons déjà rencontré de ces tensons à deux seuls
couplets, doiit l'un est la réponse à l'autre. Ce ne sont là, à
proprement parler, que tles épigrammes, mais régularisées
par l'unilormitéde la rime et le plus souvent par le nombre
égal des vers. Le mérite de la réponse est dans la concision
de l'expression unie à la vivacité du trait.
Le poète Elias de Birjols, pour être un homme accompli,
désirait avoir entre autres qualités la droiture de Bertrand
de la Tour. C'est dire assez que celui-ci était né au plus tard
p«poi, Misi. ygj,^ |g milieu du douzième siècle. Il se trouve sept pièces
,8.). de lui dans le manuscrit 0204 du Vatican.
L'iiistoire de Pélissier est associée à celle de Blacas et à
celle du dauphin.
Ce tioubailour naquit à Marcel, bourg situé dans la
vicomte de Turenne. C'était un simple bourgeois, mais
riche, honorable,. courtois et généreux : Borges Jb valens e
pros e lares e cortes. Il se fit tellement estimer, dit son bio-
graphe, que le vicomte de Turenne le fit bailli de toutes ses
terres. Sa tenson avec Blacas mérite peu de nous arrêter;
mais il arriva, continue le biographe, que le dauphin d'Au-
vergne comtisa une dame, tille du vicomte de Turenne, et
quand il allait à Marcel, Pélissier lui faisait des politesses, et
même lui prêtait de l'argent. Nous avons dit précédemment
que le dauphin d'abord s'était montré généreux jusqu'à
entamer sa fortune , E per larguesa soa perdet la meitat e
XIII SIECLE.
PELISSIRR. 617
plus de tôt lo sieii comtat ; et nous avons ajoute qu'il devint
ensuite avide, tyratinique, et même sans foi relativement à ses
moyens d'acquérir. La diUVrenee survenue dans sa |)osition
politique pouvait avoir occasioné ce changement de mœurs;
mais, quoi qu'il en soit, ce seigneur se montre, dans ses rap-
ports avec Pelissier, sous un jour peu favorable. Pêlissier lui
ayant dt-mandé le remboursement des sommes qu'il lui avait
prêtées, il refusa de payer, discontinua ses visites à Marcel, ou
peut-être même abandonna sa dame , et aùandonet la domna .
de vezer. Le bailli voyant (c'est ce que dit le biographe) que
ses sollicitations étaient inutiles, fit sa demande en vers; ce
qui lui donnait le moyen de la rendre publique. Elle devint
le sujet dé la première strophe d'une tensonoùil disait:
Al dalfin man qu'estei dinz son hostal jj^^ j Vai'-
E ni;mj,'e pni e s gart (J'csinagresir, „„ 3jj,^_ f ^_
Cotn picz no sap a son amie gandir
Qiian n'ac tôt trait lo gasaing et capdalj
Reniansut son li messatg' e 'i correu,
Que lonc temps a non vi carta ni breu.
E nulls liom piechs so que ditz non aten ;
ftlas joves es e castiara s'en.
Au dauphin je mande qu'il demeure dans sa maison,
Et manye bien , et se garde de maigrir.
Car pire ne sais ( qu' ) à son ami échapper
Quand on en a retiré tout le capital et l'intéréL
Sont demeurés Jsans réponse) mes messages et mes courriers ,
Que long-tenq>s y a je n'ai vu papier ni lettre.
Nul homme |iire ( que celui qui) ce qu'il dit n'exécute;
Mais il est jeune, et il s'en corrigera.
S'il y eut quelque hardiesse dans cette attaque, il y eut
bien de la hauteur dans la réponse. Lo dalfins respondet a
Peire Pelissier vilananien. e cotn iniquitat :
Vilan cortes , l'avetz tôt mes a mal
So qu'el paire vos laissai al morir;
Cuiilatz vos donc ab lo nieu enrequir,
Malgrat de Dieu que us tetz fol natural?
Ja, per ma te, non auretz ren del meu.
Vilain courtois, vous l'avez mis à mal |
Ce que votre père vous laissa en mourant ;
Vous croyez donc avec le mien vous enrichir
Malgré ( la volonté ) de Dieu qui vous a fait de folle nature?
Jamais , par ma foi , vous n'aurez rien du mien.
Tome XVni. I i i i
<. 2 •
Xm SIECLE.
618 PELISSIER.
La chose est claire, le dauphiii doit et ne paiera point,
parce qu'il ne veut pas payer. Ce n'est là que l'abus de la
force; mais le mot de vilaii cartes est bien |)lus dij^ne dat-
tenticn. Le dauphin semble voir avec déplaisir qu'un vilain
polisse ses manières , s'élève au ton delà haute compagnie,
devienne un homme courtois. T^e mot de vilain et ctlui de
courtois lui semblent ne pouvoir s'allier l'un avec l'autre.
L'habitant des villes et le familier des cours ne peuvent
avoir, suivant lui, rien de semblable dans leurs habitudes.
Nous voyons ici pourquoi ce seigneur ennoblit Pcrdigon , et
nous pouvons remarquer en même temps combien la cour-
toisie, dont tant de troubadours offrirent le modèle et don-
nèrent même des leçons, fut utile à la civilisation.
É— D.
PIERRE DE MAENSAC.
r lERRE DE Maensac et son frère Austors étaient deux pau-
vres chevaliers, propriétaires en commun d'une très-petite
terre où se trouvait le château dit de Maensac, lacjuelle
formait leur unique héritage. Tous deux faisaient des vers
et tiraient profit de leur talent. Cette ressource ficilita le
partage de leur mince fortune. Par un arraiigometit assez
singulier, ils convinrent qu'Austor posséderait la terre, et
que le produit de leurs vers, donné tout entier à Pierre,
formerait sa part dans les biens communs : EJoron anidui
en concoidi que l'uns dels agues la castel , c l autre to trohar.
C'était de la part de Pierre compter beaucoup sur son propre
talent, ainsi que sur le talent et surtout sur la loyauté de
son bère.
Heureusement leur petit domaine était situé dans les états
du daiipliin d'Auvergne f|ui les protégea, et sans doute les fit
particij)iraux bien faits qu'il répandait sur beaucoup de poètes.
Pierre (hantait dans ses vers la femme d'un seigneur nommé
Bernard de Tierci. Ses chansons eurent une telle puissance
.sur le cœur de cette dame, qu'elle se laissa enlever par le
poète, le([uel la conduisit dans un château appartenant au
dauphin. Vainement le mari demanda sa femme, fit grand
XIII SIECLE.
PIERRE DE MAENSAC. 619
bruit , entra même en campagne avec des hommes de
guerre; la protection du dauphin mit le poète et sa dame
en sûreté, et Maensac ne la rendit jamais : E'I daljins lo
niantenc si que mais no li la rendet. Tel était alors l'abus de
la force.
On ne connaît de ce poète que deux chansons , l'une com-
menç;nit par Estât aurai de cantar, l'autre, par Longa sazon
ai estât vas anior. Par une fatalité, dont la transcription
des ouvrages des troubadours olfre de nombreux exem-
ples, la première de ces deux pièces, insérée dans le manu-
scrit ^225 de notre Ribliothèque royale, sous le nom de
Pierre de Maensac, s'y trouve une seconde fois sous celui
de Gui d'Uissel ; et la seconde pièce, copiée aussi dans le Biss.dciaBibi.
manuscrit 7225, se lit dans le manuscrit 7226, sous le nom """y- "• 7"5, r.
de Cadenet ; d'où il pourrait suivre que nous n'aurions '°7*'9'-
aucune production authentique d'un poète assez distingué, jj ^^g |.^|
et de qui le biogra|)he dit (|u'il montra autant de talent pour iSg.
les vers que pour la musique : EJez avinens cansos de sons e
de motz. Mais ces pièces se trouvent l'une et l'autre dans le
manuscrit 32o4 du Vatican, sous le nom seul de Pierre de
Maensac ; de sorte qu'on peut les regarder avec conGance Mss. duVati-
comme des ouvrages de ce trouijadour. can,n. 3ao4,f.
<t Long-temps, dit le poète dans la première pièce, j'ai ^ '
a demeuré sans chanter, aucun sujet ne m'y excitait; mais
« aujourd'hui mon cœur me porte à essayer décomposer de
<r bonnes paroles et un air gai ; car il est bien convenable, si
« je connais un peu l'art de parler, que je peigne gentiment
« celle de qui je suis le serviteur.
Mas ar ai cor que m n'assai
De far bos molz ab son gai,
Quar ben estai
Si saup ab pauc de dire,
Gen razonar leis cui es obezire. . ..
Il finit en disant à sa dame : « Depuis qu'avec un doux
« regard lancé sur moi par votre œil conquérant, vous
« m'êtes venue ravir mon cœur, jamais je ne vous ai fait
<t olfense; et puisque vous tenez mon cœur vers vous, j'es-
« père que vous ne le tuerez point désormais; mais bien je
c sais que si le tuer vous voulez, il ne saurait mourir d'un
« si glorieux martyre.
T • • •
xni siECi^.
6-20 PIERRE DE MAENSAC.
E pos mon cor tenetz lai ,
No cug l'auciatz oiniai;
l'ero he sai
Que , si '1 volerz aiicire,
No pot iiiorir ab tan honrat niartiie.
Ce n'est là que de l'esprit, mais ce sont des mots arrangés
du moins avec grâce.
D.ins la seconde chanson, il dit qu'il a aimé lon^^-temps
iov''n.''7J25',''f.' loyalement et en liane serviteur une dame de haut parafe,
107, ch. 4^2.' qiii aujourd'hui le joue et l'ahandonno. Il pourrait se venger
d'elle. « De même, dit-il, que j'ai su faire valoir son mérite,
« je saurais bien opérer son dommage:
Qu'aissi com sap cnantir sa valor,
Li sauhria percassar son dainnaige;
« mais je n'en ferai rien ; toute ma vengeance sera de la
a quitter. »
1! paraît qah l'époque des différends de l'évèque de Cler-
mont avec le dauphin d'Auvergne, Pierre de Maensac prit
l'iJcecommen- parti pour cc dernier. L'évèque s'en est vengé par un sir-
..ani par Pecre yg,,te oîi il lui rcprochc d'être pauvre, de le devenir chaque
Mss.duVa'i- jour davantage, et de navoirpas même un cheval pour le
.an, n. 3207. r. scrvicc militaire. On voit dans cette pièce que Pierre de
^" !Maens«e avait reçu quelques bienfaits du roi Philii^pe-Au-
Vatican. 3ïo', , gustc, cu sa quahtc de poète. Leveque veut lui en oter le
loi. 2i.c>erso.' mérite. « Le roi ne serait pas aussi sage qu'on le dit, s'il
« retenait la paie des cavaliers à qui il confie sa persoime,
a pour salarier des jongleurs. Si jamais il vous a tenu à son
« service, c'est par courtoisie et pour l'amour de Dieu, car
« il vit que vous étiez dans le besoin.
E s'anc jorn vos i tenc , felz o per cortosia
E per amor de Deu , car vit cops vos avia.
Pierre de Maensac se vantait aussi d'avoir ^-.uivi le roi dans
riuelqu'une de ses expéditions: «Cela ne se peut, lui dit à
a ce sujet l'évèque, à moins que vous n'ayez suivi le roi à
« pied. »
On voit enfin dans cette pièce que Philippe-Auguste pro-
tégeait le dauphin et ses adhérents : « Il y a, dit l'evêque, je
a ne sais combien de sots, no sai qan nesci, qui tous les
XIII SIECLE.
•5o.',.
FOLQUET DE ROMANS, itc 621
« jours disent des folies contre moi ; m;iis si le bon roi
« Philippe ne s'en mêlait , tel chante aujourd'hui de moi qui
ft alors en pleurerait.
Mas sel Los reis Plielijis no s'en entremotia , Rajii. C.noii ,
Tais chante er de nii , q'ailonc en pluiai ia, ' , ' ^' ' .
' ' Paru, on 11 [I
•).
Ces traits sont moins à remarquer pour l'histoire de Pierre
de Maensac que pour celle de PiMli|)pe-Au^uste , puisqu'ils
nous apprennent que, soit politique ou amour des lettres,
ce prince versait ses hientaits sur des troubadours.
]\I. Raynouard a publie le premier couplet de la pièce
commençant par Estât aurai ; Al. de Rochegude l'a donnée
tout entière. , E — D.
FOLQUET DE ROMANS
BAUDOUIN IX,
COMTE DE FLANDRE.
r oi.QUET dit DE PvOMANS naquit au bourj^ de Romans ou
lîotuians , dans le Viennois, vraisemblal)lcmeMt vers les
années 1170 ou iiyS. Domii.é j)ir l'amour des vers, il se
livra à la profession de troubadour, quitta son pays, et se
mit à visiter les cours, espérant y faire briller son talent.
Apres avoir sans doute |)orté ses hommages dans Aix, à Al-
phonse I^*", comte de Provence, il se rendit chez RIacas. C'était
alors le moment où se préparait la croisade de l'an iig5.
Ce fait nous est indiqué par la tenson dont nous avons parlé
dans l'article de RIacas, où FoUpiet dem.inde k ce seigneur
s'il se croisera, en supposant que l'empereur Henri VI com-
mande l'armée, et où RIacas ré|)ond qu'il est tendrement
aimé d'une dame en qui est beauté accomplie, et qu'il fera
sa pénitence /?ar deçà, entre mer et Diimncc.
Du château de Riacas, Foiquet se rendit chez le marquis
du Carret, mari de Réatrix de Montferrat , et forma avec ce
seigneur une liaison qui subsista pendant toute la vie du
poète.
lui SIECLE.
riècerommen-
<;ant par Pois
vczein. Mss. du
Vatican, n. 3207,
fol. Si verso.
Même manu-
scrit, ibid.
Rajrn. Choix ,
(. V, p. I 5a.
6a2 FOLQUET DE ROMANS,
En 1201 et i2oa, on le voit à la cour de Montferrat. Bo-
niface II y régnait, et allait partir pour la croisade de l'an
iao2. C'est auprès de ce prince, ou chez quelque seigneur
des environs, que Foiquet fut connu du comte de Flandre,
Baudouin IX, qui pirtit pour la Syrie avec Boniface, et de-
vint peu de temps après empereur de Constantinople. Ce
prince, instruit dans la langue provençale, mais apparem-
ment peu accoutumé aux fan\iiiarités des troubadours avec
les grands, l'attaqua par la première strophe d'une tenson,
où il semblait lui faire un reproche de quelque somme d'ar-
gent qu'il avait déjà amassée, et l'invitait à suivre droit sa
route, et à ne pas prendre des tons au-dessus de son rang.
« Je vois ici , ajoute-t-il , les gens disant que pour cinq cents
o marcs d'argent il ne faudrait vous mettre gage. »
Pero conseill li darai gen
Et er fols s'fl no l'enten ,
C'ades tegna son viatge
Dreit lai vas son estatgej
Que sai vei la gent disen
Que per cinq cent marcs d'argen
No iii calria mètre gatge.
Le poète répondit avec assez de noblesse et un peu de
causticité :
Aissi com la clara stela
Guida las naus e condui,
Si guida Los preiz selui
Q'es valens, francs e servire,
E sel t'ai gran Faillinien
Que fo pros e s en repen
Per Hac avol coratge;
Qu'en sai ta! qu'a mes en gatge
Prez e valor ejoven,
Si que la tebres lo repren
Qui l'enquer, tan l'es salvatge.
Ainsi comme la brillante étoile
Guide les nefs et les conduit,
Se dirij;e vers bon prix celui
Qui est homme d'honneur, franc et serviable,.
El celui- là fait grand /aillinie/t
Qui fut preux et .s'en npent
Par mollesse et n)ani|ue de courage.
Je connais tel qui a mis en gage
Mérite, valeur et jeunesse,
Si bien que la fièvre le reprend
Qui ( que ce soit qui j l'attaque, tant il lui est efCrayant.
BAUDOUIiN IX, COMTE DE Ff ANDRE. 6^3
IIIISIRCLE.
Elevé en Italie, et plus familier que Baudouin avec les
habitudes des poètes provençaux , l'empereur Frédéric II
accueillit Folquet avec plus d'altabilité. Placé d'abord ,
comme on sait, sur un trône qu'Othon IV lui disputait, il
ne fut délinitivement couronné empereur qu'en I2i5. C'est
visiblement à cette époque que Folquet, qui avait éprouvé
ses largesses auparavant, lui adressa son sirvente commen-
çant par le vers
' Ms».ilelanil)l
., . voy. n. 7698, p.
ïar voill un non sirventes, ^2^
Mss. n. 79.a5.
où , après quelques reproches contre les grands , en général , foi. 189 verso,
qui ne se montrent pas aussi généreux, que ceux des temps
précédents, il parle ouvertement de Frédéric. «Que jamais
«aucun de mes amis puissant ne devienne, puisque le
« seigneur Frédéric, qui sur tous règne, était généreux avant
« qu'il fût puissant, et que maintenant il lui plaît retenir la
« terre et l'avoir : ceci m'ont conté comme vrai tous ceux qui
« en viennent.
Jamais nucill de mos amies
No viioill licx (levenha,
Pos mon senher Fredericx
Que sobre totz renlia, etc.
On voit déplus, dans une des strophes suivantes , que
Frédéric vient en effet d'être définitivement reconnu pour
empereur.
E lau Dieu que sus l'a mes
E ill a dat corona.
Le sirvente enfin est adressé à Frédéric lui-même, à qui
le poète ne craint pas de dire ouvertement sa pensée. Il y a
dans cette pièce un assez lieureu\ mélange de respect et de
familiarité. Tel était le ton décent et libre auquel nos poètes
méridionaux avaient habitué leurs souverains. La conduite
compi'.rée de Frédéric et de Baudouin nous fait jugir des
bons effets de la manière de parler et de se conduire avec
les grands, ado|)tée par les troubadours les plus estimables ,
et des services que leurs talents rendaient à la société.
Un autre sirvente de Folquet contre les mauvaises mo'urs
de son siècle date de l'époque où Frédéric venait de prendre
XIIISEECI.E.
624
FOLQUET DE ROMANS,
la croix, par conséquent de l'an 1228. Le poète s'élève d'a-
bord contre le clergé :
It'iiinl:. et ,
>lsi. (le la liilil.
io\ 11. 270 I , ( 11.
40J.
lia Ml. Clioi» ,
I. IV, p. 19.6.
l'.iiiinsse 01,-
lit. |). 121.
Msï. tlil de
Ma/.aiiguesoude
Picresc , pièce
i55.
Tornatz es en pane de valor
Lo segles qui ver en vol ilir,
El elergue son ja li [njor
Q.it
clfiTan los lies iiiantenir.
Une strophe de cette pièce mérite p;irliculièrement d'être
citée :
Ben voli^ra acsem un senhor
Ah tan (le poder e d aihir
Quais avols tolgues la ricor
E iio'ls laisses terra tenir,
E dones l'eretat^e
A tal (jue fos pros e pre/alz;
Quaissi 11» I segles conieusatz,
E no y •gardes liidiatge ,
E ni'.ides lotz los ii{z nialvatz,
Si <'oni fan Lonibartz poestalz.
Bien voudrais eussions un seigneur
Avec assez de pouvoir et de resolution
Qu'aux méchiiuts il ravît leurs richesses
Kl ne les laissât teri es tenir,
Et doiuiàl les héritages
A tel (pli fut preux et estimé;
Qu'ainsi fût le si(>cle présent;
Kt sans regarder aux descendances ( des familles ) ,
Qu'il changeât tous les riches m(^chants.
Comme changent Lonibartz leurs podestats.
Cette strophe frappait contre la tyrannie des possesseurs
de fiefs, et attaquait le principe de l'hérédité.
Esprit chagrin et un peu froid, F'olquet de Romans ne
montre pas beaucoup plus de chaleur dans ses chansons d'a-
mour que dans ses sirventes. Une de ses meilleures pièces
erotiques est celle qui commence par le couplet suivant :
Ma bella dopna per vos dei esser gais
Cal départir me dones un dolz bais,
Tan dolzamen lo cor del cors me trais.
Lo cor avez , dopna , que lo vos lais ;
Per tal eoven (['eu no'l voill cobrar mais.
Que meill non pies a Raol de Cambrais
Ne a Flori qan poget al palais
Corn fez a mi, cai-soi fins e verais,
I\la bella dopna.
BAUDOUIN IX, COMTE DE FLANDRES. 6^5
Ma belle dame, à call^c de vous je dois è(re gai, SIl.CLE.
Qui au départ («'avez donné un doux baiser, — — ^— — — _
Et si doucement mon cœur avt'z de mon sein retiré;
Mon cœur vous le tenez, dame, et je vous le conlie
A telle condition que je ne le reprenne jamais;
Car mieux n'advint à Raoïd de Cambrai,
Ki à Floris, (jiiand il monta au palais.
Que n'avez lait pour moi qui suis loyal et vrai,
Ma bonne dame.
Il y a plus de vivacité dans la pièce qui commence par
ces vers :
Mss. du Vat!-
Auzels no truob chantan, can, n. 32o6 ,
Ni non vei flors novella , pièce 60.
Mais ieii no m lais de chan
Ni de joi
Oiseaux je ne trouve chantant,
Ni ne vois fleur nouvelle,
Mais je ne suspends ni mon cliant
Ni ma joie , etc.
Vers l'an 1228, à IVpoque sans doute du de'part de Fré-
déric Il pour la Syrie, un poète français, que le mai!us( rit du
Vatican, Sao-jCt Crescimbeni qui l'a suivi, nomment Hugues
de Bersie, et que le manuscrit de Modène i 179 dit, par une
erreur évidente, êtie Ebles d'Uissel, invitait Fulquet a partir Mss.duVaii-
pour la Palestine : n Conseille-lui, disait-il à Bernard, son ^^"' "• 2*07, f.
« jongleur, de ne pas employer tout son esprit et) folies; mss. de Mo-
« rrous avons lui et moi grande part de notre âge, grant part ^ène.n. 1179.
a de nostre eage; il ferait bien d'amender sa vie, car à la lin Crescimbem ,
il est hors dt: jonglerie , car a la fin es for de joglaria.
Folquet ne suivit pas ce conseil. Il paraît avoir passé la
plus grande prirtie de sa vie, tantôt dans son pays natal,
tantôt chez le marquis de Montlerrat, le marquis du Carret,
celui de Malespine, à Vérone, chez les princes d'Est, et dans
d'autres cours de la Haute-Italie. On ne trouve plus de traces
de son histoire après les années 1228 ou 1229.
On voit dans la pièce attribuée à Hugues de Bersie, qu'en
1228 il était déjà avancé en âge. Nous supposons sa mort
arrivée entre i2ioet 1240.
Nous avons de lui seize pièces, dont quelques-unes sont Pamas occit
attribuées à d'autres troubadours. M. de Rochegude en a p. 121.
publié une ; IVI. Raynouard , deux , dont une est la même que "^ï"- ^''"'^ '
celle de M. de Rochegude, et un fragment d'une troisième, jy p ''ni làe
É— D.
Tome XFlir. Kkkk
xm su CLK
JEAN D'AUl'.USSON.
NI(]OLET DE TURIN
JLii.s détails de la vie de ces deux troubadours sont peu
Mjs.tieiaBii.i c-oiitius; on sait seuleiiieiit (jue Jean d'Aul)ussoii a composé
.lu Vatican ii tcnsoii avec Soidcl ; Nicolet de Turin, une avec Folquet
3207, loi. !)o il ' t c ■ / ^ r\< \
54. de Romans, une autre avec Hugues de Saint-l^yr. I) Au-
Mss.iieiaiiiiii. biisson a aussi adressé à une dame de Provence une chanson
Laurenliaua, tli. ^
I ^. commençatit parce vers:
Donn;i de cliaiitiir ni talon.
Mais, de plus, ils ont composé ensemble une tenson singu-
lière, oui appelle ici notre attention.
OtJ ne peut guère douter (|ue ?^icolet ou Nicoictto di Tu-
rino ne fût né à Turin, ou ijue du moins il n'eût habité
long -temps cette ville, l^e lieu de la naissance de Jean
d'Aubusson est inconnu. Les auteurs italiens semblent se
plaire à le croire leur compatriote. Dans le manuscrit du
, ,, . Vatican, n" 8207, au titre de sa tenson avec Sordel, il est
3l5s. du \ali- .1 'lin- r- ■ \ ■ v W / -
cil) , :i. iîo;, I nomme Joanez dcd uiicion. Lrescimueni [appelle Uiovani
''•" (i Jlbuzone , nom qu'il croit dérivé de Gianrùdal Buscione
(rescimiirm , ^ G/afinï dcl Bosco. La chausou que nous venons de
Ist'ir. délia \ok;. ni' !f -i i- i
pooi. t. H. p.ig citer ( Donna de cli(intar) détruit ou attaiblit beaucoup ces
'»8. conjectures, et montre assez évidemment qu'il était ne dans
la Provence orientale. « Va chanson, dit l'auteur dans l'en-
te voi , auprès des meilleures dames que je connaisse, en
« Provence et non ailleurs, et là, salue-moi de ma part toutes
(t les personnes les plus estimées, et surtout mon stigneur
a Blacas.
Chanson, entre Is meillors q'eu sai,
E vas nulla autra part t'en vai ,
Mss. de la Bi £„ Proensa , salu.la m lai ,
, , De ma part, toz los plus presaz,
|jana,cnans. 1 i-. , r ' . r r
boure totz mon seisnor ulacaz.
Mais quelle que puisse avoir été sa patrie, ce poète
J. ITAUBUSSON, NICOLET DE TURIN. Ga;
Xm SIECLE.
éprouva, ainsi que Nicolet de Turin, les passions politiques
qui aniniaietit de son temps les iiabitauts de la T-omljaidie.
'lousdeux étaient (liùeliiis ; cest leur admiration enthou-
siaste pour Frédérie II qui forme le sujet de leur tenson.
Frédéric, en i235, ayant appris la lévolte de Henri, son Muraiori, ,^/j-
iils, roi des Romains, partit aussitôt de ses états d(; Naples ""'' 'i'^'"''",*-
jjour l'Allemagne, aKn de le soumettre, et il l'eut bientôt fait ' ' ''
prisonnier. Pendant son absence, la ligue lombarde se re-
noua. Milan, Brescia , Mantouc, Bologne, Plaisance et d'au-
tres villes relevèrent leurs étendarts contre le prince qu'elles
appelaient le tyran de l'Italie; tandis, au contraire, que
Oémone, Bcrgamo , Parme , Reggio, Alodène se déclarèrent
(le nouveau pour lui. Au mois de mai de l'an I2'36, comme ïi"<'- p 3G^-
l'empereur se [)résenta aux marches de l'Italie avec son armée, ''
les villes guelfes fermèrent leurs |)ortes. Il les assiégea; les
succès furent difiérents Vérone fut piise, le territoire de
^■lantoue ravagé, Milan résista et garda la défensive.
C'est dans ce moment que deux troubadours publient en
langue provençale une tenson oii ils proclament la grandeur
de l'empereur, et prédisent ses victoires; et cette tenson va
être chantée dans les villes en armes de l'un et de l'autre
parti.
C'est Jean d'Aubusson qui interroge: « Seigneur Nicolet, Mss.dciaBMii.
Œ dit-il, d'un songe merveilleux qui me frappait une nuit l.aurcni.aiia,.ii.
« dans mon sommeil , je désire que vous me donniez l'expli- '^'^
a cation , car il m'effrayait beaucoup. Devant un aigle venant
« de Salerne, et volant de ce côté dans les airs, s'enfuyaient
K tous les aigles autant qu'il en paraissait. Si bien , qu'il en
n eiit pris autant qu'il eût voulu, et que devant lui nul nomme
« n'aurait pu se défendre.
En Nirolt't , d'un songe qu'ieu sognava
Maravillios, una noii quan dorniia,
Voill m'esplani'z, quf niolt m rspaventava ;
Tôt los aigles d'un aigla que vcriia
Devers Salern sa per faire volan,
Et tôt quant es fugia li denan . . .
Nicolet répondait : « Jean d'Aubusson , l'aigle re|)résentait
c l'empereur entré dans la Lombardie; son vol si élevé était
a le signe de sa grande valeur, pour laquelle chacun fuyait
( de ceux qui ont envers lui toit ou faute; car déjà contre
€ lui ne pourraient empêcher ni terre, ni homme, ni autre
Kkkka
MU SIÈCLE.
028 J. D'AUBUSSON, NICOLET DK TURIN.
« chose ( puissance ) existante, qu'il ne soit, ainsi qu'il con-
« vient, maître de tout.
Jo.'iii (lAlhiizon, l'aii^la dcmostrava
L empci.iilor (jut- vcii per F.omljjrciia ,
E lo vcilar tant haut si"ni(icava
Sa giati valor ptr (jiie cliasfun fugia
De tôt aicels (jik- toit ni colpa li an;
Que ja fie lui iltfciidie 110 s poiran
Tfiia ni oms ni .iiitre riii qne sia ,
Qix'aissi corn taing tiel tôt seignor non sia.
D'Aubusson continuait : « Nicolet, si grande tempête me-
« nait cet aigle (|iie tout en retentissait; et une nef de
« Cologne arrivait plus grande que le dire je ne pourrais,
<t plein de feu, |)ar les terres naviguant; et l'aigU; par la grande
« tempête souillait le feu; et le feu allumait et embrasait
'( tout de toutes parts là où l'aigle volait.
E\ JNicolt't , tan gran aura tncnava
Afjuest 'aigla que tôt quant es brugia ;
Et nna naii de Cologna arivava
Maiers asaz que dir non o porria ,
l'iena de foc , per terra navigan ;
E liuffa ! foc l'aigla ab aura gran ,
Si (jiie lo fors ardea et aluninava
Vas lotas para lai on l'aigla volava.
Nicolet répliquait : « Le vent qui soufflait si fort est le
« grand trésor que l'empereur conduit en T>ombardie, et la
« nef qu'il poussait est la giaiide armée des bans allemands,
« auxquels il donnera du trésor si grande quantité que cette
« armée montrera partout sa bravoure; et bien me plaît que
« les ennemis il châtie , et qu'aux amis il soit meilleur et bon.
Jean, l'aura (1) que tan fort ventava
Es gran tesaur que mena en Lombardia
L'eniperaire , e la naus que portava
Es la grans ost dels Alamans bandia
A cui dera de lo gran tesaur tan
Que 1 bst fara per toz loc son talan;
Et plaz nii foi t qu'els enemicx castia ,
E quais aniicx meilhor e bon lur sia.
(i) Nous substituons le mot mira au mot aigla que porte le manuscrit
de la Bibliothèque Laurentienne de Florence. La signification donnée au
mot aigla y dans tout le cours de cette pièce, nous semble nécessiter ce
ihangenient.
J. D'AUBUSSON, NICOLET DE TURIN. 629
, , , , ... , .' Xm SIECLE.
rretleric qui, dans cette espèce de guerre civile, voulait
s'attacher Boniface III, inarf|uis de jMontferrat, comme il. Benvenuto di
avait voulu s'attacher Guillaume, son père, respecta ses ^--^'orgio, Hist.
, . ,. „ , • . ' . ' M. Ferrali, apud
possessions, et lui ht même des concessions importantes. Muraiori.Script.
Frédéric dans toute sa conduite favorisa constamment les etc. t. xiii,ioi.
mar(|uis de Montferrat. C'est apparemment pour lui témoi- 5*"-58» «eqq.
gner la reconnaissance de ce prince, que les deux poètes
ajoutent les strophes suivantes, où ils promettent à l'empe-
reur de nouvelles victoires, et le proclament le bienfaiteur
de l'univers :
« Nicolet, il éteignait tout ce feu sur le Montferrat, cet
<c aigle, et il répandait une lumière si éclatante que le monde
« entier s'en réjouissait, et il jetait encore sa lumière sur
« tant d'autres contrées, que tout allait s'en félicitant. Puis
« l'aigle s'asseyait au haut des airs, dans une région si élevée
« qu'il veillait de là sur toute la terre.
En Nicolet, tôt lo foc amorzava
Aquest aigl:i, et un gran luni metia
En MontVrrat, que tan fort esclarava
Que lo scgles per tôt s'en esbaudia;
E metia d'autre luni per locs tan
Que tôt quant es s'en anava allegran;
Pueis 1 aigla sus en l'aire s'aseilia
En tant ait loc que tôt lo mon vezia.
Nicolet répond que la lumière qui brillait sur le .^lont-
ferrat représentait les bienfaits de l'empereur envers ce pays
et envers son prince, et que l'aigle sasseyant au haut des
airs, était l'image de Frédéric goûtant enfin dans le repos
les fruits d'une domination universelle.
Les deux envois méritent aussi d'être rapportés. « A notre
« empereur, honoré, puissant, plein de mérite, dit d'Au-
« busson; puisse Dieu, seigneur Nicolet, lui donner la force
« et la volonté nécessaires pour qu'il rétablisse la valeur et
« la courtoisie, comme il accroît chaque jour son pouvoir!
« Jean d'Aubusson , dit à son tour Nicolet, les bienfaits
« de l'empereur m'empêchent de douter du bien qu'il doit
a encore faire : de même qu'il étend sa seigneurie sur le
<( monde, de même il fera ressentir partout le prix de son
« commandement. »
L'intention que nous supposons à ces deux poètes, d'ac-
quitter la dette de Boniface III , diminue sans doute le mérite
4 3
XIII SIKCLE.
63o GUILT>AUME DE LA TOUR.
ou le tort qu'ils peuvent avoir eu à tant exalter l'empereur
sur son projet de dominer l'Italie; mais nous n'examinons
point cette pièce dans ses rapports politiques ou moraux;
nous ne nous arrêtons pas même à son mérite poétique, à
l'élévation du style, à la noblesse du langage; une autre idée
nous paraît mériter encore plus d'attention, c'est le choix
même de cette langue des troubadours dans un sujet qui
intéressait si vivement la masse de la nation italienne. Une
grande querelle s'est élevée entre des villes lombardes qui
dcicndcnt leur liberté, et le monarque (\m prétend les asser-
vir; les peuples sont divisés d'intérêts ou du moins d'opi-
nion; toutes les passions sont en mouvement; la guerre est
partout, une guerre populaire à laquelle tous les individus
preinient part; deux poètes s'élancent entre les camps en-
nemis; ils célèbrent la cause qu'ils croient la plus propre à
amener le bonheur public : qu'ils soient Italiens ou Proven-
çaux, n'importe; le fait à remarquer c'est qu'ils chantent en
langue romane- provençale; c'est dans cette langue qu'ils
espèrent être entendus de Frédéric, de Roniface, du peuple
de Milan, de celui de Mantoue, de Rologne, de Parme, de
Modène! Tous ces peuples comprennent donc cette langue;
et elle est, 'encore à cette époque, la plus propre à exprimer
parmi eux des idées poétiques. C'est là un fait capital dont
cette tenson, qui dut avoir de son temps une grande célébrité,
nous donne une preuve. Cette remarque est trop importante
pour ne pas mériter une place dans l'histoire des langues mo-
dernes. Ajoutons que nous sommes en laSG ou i^Sy, et que
le Dante naquit seulement en 12G5. Du reste, l aigle de
d'Aubusson n'aurait pas mal figuré parmi les créations du
génie d'Aliglneri. E — ^^D.
GUILLAUME DE LA TOUR.
PIERRE IMBERT.
r.iesrimi>oni , (juiLi.AUME DE LA TouR , commc Jean d'Aubussou, habita
Délia voij; pots, gj long-tcmps en Italie, qu'il a été pris comme lui pour un
' "''' '^^ Italien. Crescimbeni, qui le reconnaît pour Français, cite
XIII SIFXLE.
GUIT.LAUME DE LA TOUR. 63 1
cependant les auteurs du journal De Litterati d' Italia , qui
disent avoir de fortes raisons de le croire d'origine italienne,
s'il n'était pas Italien de naissance. Né à un château nommé
la Tour dans le Périgord-, vers l'époque cm la poésie et la
musique étaient obligées de s'exiler des cours de ce pays,
dont elles avaient tait si long-temps les plaisirs, il alla en
Lombardie, et s'établit à Milan. Il avait assez de talent pour
obtenir de brillants succès chez les princes: E sahia cansoz
assatz , e s'enlendia e. chantava e hen e gcn , e trobava. On
lui reprochait seulement de faire des préambules un peu
longs, lorsqu'il exposait le sujet de ses chansons avant de
lès chanter; ce qui nous peint un usage des jongleurs. Mais
l'amour l'enchaîna de bonne heure. Il se passionna à Milan
pour la femme d'un perruquier, l'enleva et alla vivre à Côme
avec elle.
Peu de temps après , cette femme étant morte , il en conçut
un si violent chagrin qu'il en perdit la raison. Il se persuada
qu'elle avait feint d'être morte, afin de se séparer de lui.
Pendant dix jours, il la conserva au-dessus du tombeau où
elle devait être renfermée; chaque soir, ouvrant le cercueil,
il l'en retirait, l'embrassait, l'appelait par son nom , lui de-
mandait si elle était morte ou vivante, la conjurait de ne pas
l'abandonner. Les habitants de Côme, instruits de sa folie,
l'obligèrent à quitter leur ville. Alors il alla cherchant des
devins qui pussent lui faire espérer que sa femme lui serait
rendue. Il s'en trouva un qui lui promit qu'elle revivrait
dans un an , si chaque jour il récitait à jeun un grand nom-
bre de prières. Le malheureux troubadour se soumit à cet
ordre, et, à la fin de l'année, voyant son attente déçue, il se
livra au désespoir et se laissa mourir ; Ese desesperet e laisset
se morir.
On voit dans une de ses pièces, qu'à l'époque où il jouis-
sait de sa raison, il fréquentait la cour d'un marquis d'Est.
Ce marquis, dit-il, lui avait donné en fief ledroil de dire du
mal de la gent méchante et perverse.
Del marques d'Est m'en c!am que m det per feu Pièce commen-
Qu'eu dixes mal del avol gent tafura. '^T^"^^^"'V
Modène, f i88
Une autre de ses chansons est adressée à une princesse ^*""-
Jeanne d'Est, à laquelle il dit:
Xm SIECLE.
Pièce commeo-
çanl par Canson
ah gais.
Mss.de la Bibl.
rojf. n. 7225, ch.
557, fol. l3l V.
632 GUILLAUME DE LA TOUR.
El pretz bos
Qu'es de vos
Fai io nom d'Est cabalos.
« Votre grand prix rend le nom <ÏEst de plus en plus
« honorable. •»
On connaît de lui treize pièces dont onze sont des chan-
sons d'amour, et deux des tensons , l'une avec Sordel , l'autre
avec un poète nommé Imhert (vraisemblablement Pierre
Imbert), toutes deux sur (\es sujets galants.
La chanson adressée à Jeanne d'Est se compose de si.x
strophes chacune de seize vers, dont huit de sept syllabes
et huit de trois.
Canson , ah gais mbtz plazens ,
Aviiiens,
Entendens,
Vol qu'en retrai nios sens;
En que m plaing als fins amans
Dels alfntis
E dels dans
Que ni don' aniors trop pesanzj
Don nii fai assi languir
E ilelir;
One 'Miiir
Nom vol, ni i.iissar morir.
Doncs s'ieu meii part, aissi fatz,
Coni senatz,
Mai sapchatz
Non si com enanioratz.
Rava. Choix ,
i.V,p.3i7.
Rayn. Cboix .
•.V, p. 212 ; I
IV, p. 33.
a Chanson , par des mots gais, agréables, expressifs, je
o veux rappeler ma raison; je me plains par tes vers aux
« tendres amants, des peines, des soûl Iran ces quemedonne
« amour trop pesant, qui me l'ait languir et perdre la raison ;
« car me guérir il ne le veut , ni me laisser mourir. Que si je
« m'en sépare, ce sera en homme de sens ; mais sachez que
« ce ne sera point en homme pa.ssionné. »
Pierre Imbert est auteur d'une chanson où il invoque
l'amour.
Nous venons de voir que Guillaume de la Tour était
contemporain de Sordel ; mais il dut mourir avant lui , puis-
que sa démence abrégea sa vie.
M. Raynouard a publié des fragments de deux de ses
chansons, et sa tenson entière avec Sordel. E — D,
, ^_ XIU SIECLE.
RAIMOND VIDAL
DE BEZAUDUN.
Cje troubadour, né à Bezaudun , petite ville de Provence,
etcomui sous la dénomination de Raimond Vidal de Bezau-
dun , fst auteur de quatre pièces de vers. Deux sont des
chansons erotiques d'un mérite assez médiocre. Dans l'une
de ces chansons , il célèbre sa dame, à l'époque où la saison
nouvelle ramène des jours plus doux, entre le .signe du P'tiecommao-
Taureau et celui des Gémeaux, et, en témoignage de sa T"^ ?V, fV,'^''
. ... I < nv- ' " . ° ,. . " l'iur e Idoblesi-
tendresse, u la recommande a Uieu créateur, qui a lait la gnc.yiK. de u
lumière, le mois de mai et toutes les merveilles de la nature. ^''''- """y ^7»^,
Cl- poète est plus digne d'attention dans ses deux autres *^°'' '***■
pièces, qui sont des contes en vers de huit syllabes, d'un
style naif, rimes avec facilité, dans le genre des Nouvelles
de Borcace quanta la nature des anecdotes. Ràimond Vidal
a écrit en vers des contes .semblables à ceux que les jongleurs
récitaient. On peut le considérer comme un jongleur qui a
écrit ses récits, et il nous donne en cela une idée de cette
espèce de comédiens qui, par la forme de récits donnée à leurs
drames, et quelquefois par leurs gestes, représentaient tour
à tour chacun des personnages qu'ils mettaient en action.
L'un de ces contes, commençant par En aquel temps, est
celui qui ht naître la question u amour que I auteur dit avoir roy. ^701, fol.
été soumise à la décision de Hugues de IMataplana, et dont laS.chans. 944.
nous avons parlé à l'occasion de ce troubadour. C'est dans Supra, p. 573
ce conte que l'auteur cite les troubadours Bernard de Ven-
tadour, Arnaud de Mareuil, Raimond de Miraval , Faidit,
Giraudde Borneilh, Ramhaud de Vachères, Hugues Brunet
Foiquet ( de Marseille), Perdigon; ce qui, d'une part, nous
montre l'autorité que ces poètes ava ent acquise par leurs
opinions en fait d'amour, et de l'autre nous indique l'époque
ou Raimond Vidal florissait.
Le second de ces contes commriue par ces vers :
Mss.delâBibl.
Unas novas vos vuelh contar tôt. 2701 fol.
Que auzit dir a un joglar 137, cb. 945.
En la cort del pus savi rey
Que anc fos de neguna ley,
Del rej de Castela n'Amfos.
Tome XV m. LUI
4 3 ,
XIII Sl^XI.E.
634 RAIMOND VIDAL.
M. Raynoiiard l'a publié en entier. Millot en a donné une
traduction par extraits. On voit dans le récit du poète, que
\c roi de Castille, devant qui il dit avoir raconté sa nouvelle,
Choi». etr. t. est Alphonse IX, car il est le mari d'Eléonore, fille d'Henri II,
III, p. 398. roi d'Angleterre; par conséquent ce conte a été composé
MiUot,! m, avant l'année i2i4i qui ^'St celle de la mort d'Alphonse.
Le poète raconte qu'un seigneur d'Aragon, nommé Al-
phonse de Bdbastre, avait une femme nommée Alvire, belle
et agréable. Cette dame était aimée d'un seigneur nommé
Basrol, fjui tenait en fief une terre donnée par Balb;istre. Elle
était fort affligée de cet amour; mais , en femme très-sage,
elle aimait mieux le souffrir que d'en instruire .son mari,
de crainte de le chagriner:
Don ilh n'avia al cor gi-an ira;
PtTO mais amava sofrir
Sos nrecx , que a son niarit dir
lies per que el fos issilhatz.
Cependant le seigneur Baibasire ayant conçu de la jalou-
sie, imagina de feindre un voyage, et vint la nuit frappera
la porte de sa femme , se donnant pour Bascol. La dame , qui
le reconnut à sa voix, feignant d'être persuadée que c'était
Bascol , le repoussa , le frappa , lui arracha Us cheveux , sortit,
le laissa meurtri et l'enferma dans la chambre. En même
temps elle courut à l'appartement de Bascol, l'appela; main-
tenant, mon ami, lui dit-elle, je ne te refuse plus rien.
Dès qu'elle voit venii le jour, Alvire sort; elle appelle les
voisins, dit que Bascol est renfermé chez elle, qu'il faut
l'assommer; on court, on s'élance dans la chambre; le mari
■^f sauve à peine en se faisant leconnaître, et il parvient
enfin à désarmer sa femme, à force de supplii;i lions
La moralité de ce conte est celle-ci : « Roi loyal, dit le
a poète à Alphon.'-e, et vous, reine, dont la vertu et la beauté
« sont le cortège, défendez la jalousie à tous le.s li.,mmes
« mariés de vos états, car les femmes ont tant de ru.se et tant
'< de puissance que, dès quelles le veulent, elles donnent au
« mensonge l'apparence de la vérité, et à la vérité l'aii du
« mensonge :
Elas an be tant gian poder
Que messonja fan scmblar ver
E ver nirssonja eissaraen ,
Can lor plai , tan an soiil scn.
Ce conte, ajoute le poète, fit tant de plaisir à la ( our d'Aï-
ARNAUD PLAGUÉS. 635
phon^e , qu'il n'y eut personne, dame ou chevalier, baron
on demoiselle, qui ne fût empressé de l'apprendre par cœur;
on l'appela le Châtie jaloux , ou le Châtiment du jaloux :
E que cascus no fos cochos
D'apenre Castia. gilos.
Il fait le sujet d'une des Nouvelles de Boccace. E — D.
ARNAUD PLAGUÉS
CiE troubadour n'est connu que par une tenson avec Hugues
de Saint-Cyr, et deux chansons erotiques, l'une dédiée à un
roi de Castille, l'autre adressée concurremment à une dame
Éléonore et à Béatrix de Savoie, femme de Raimond Béren-
ger IV, comte de Provence. La tenson d'Arnaud avec Hugues
de Saint-Cyr nous indique seulement que ce poète florissait
dans la première moitié du treizième siècle. Les deux envois
simultanés à Eléonore et à Béatrix nous donnent des rensei-
gnements plus positifs; car cette dernière princesse n'ayant
été mariée qu'en 1219, la première ne peut être ni Eléonore
d'Aragon , femme de Raimond VI , tombée dans les derniers
malheurs avant cette époque; ni Eléonore d'Angleterre,
femme d'Alphonse IX, roi de Castille, veuve en 1214, et
descendue du trône en laiy, par la mort d'Henri V^, son
fils. La dame à qui le poète adresse ses vers est visiblement
Eléonore de Castille, mariée, en 1321, avec Jacques I"", roi
d'Aragon, et sœur de Blanche, reine de France, femme de
notre roi Louis VIII. Ces deux princesses, savoir Éléonore
et Béatrix, dans tout l'éclat de la jeunesse et de la beauté,
entre les années 1221 et iaa3, purent obtenir concurrem-
ment l'encens du poète.
Quant au roi de Castille, il s'agit assez évidemment d'Al-
phonse IX, père de Blanche et d'Eléonore, mort en I2i4,
protecteur de Folquet de Marseille et de plusieurs autres
troubadours.
La chanson qui lui est dédiée n'est guère qu'un jeu d'es-
prit, à l'occasion du mot plagues, qu'il plût. «Bien vou-
« drais, dit le poète, que madame connikt mon cœur comme
« je le connais moi-même, et qu'il lui plût que je fusse là
« oii se trouve sa personne courtoise et gaie :
Lin a
XIU SIECLE.
636 ARNAUD PLAGUÉS.
Xm SIÈCLE. „ .
Ben volgra nii dons saubes
, , _ , , Mon cor aissi com ieu'l sai,
ro,. n. 7608. p. ^-t I'"" ' /"'«^"« qi' 'en f»S 1m
„, eoi. a. On es sos gais rois cortes....
a Chanson, en Castille tiens ta route, vers le roi qui repare
« les malheurs, etc.
Canso en (lastella ten via,
Al rei qu'ailoba Is lieslrics, etc.
î.a pièce dédiée à Eléonore et à Béatrix est une déclaiiitioii
d'amour, qu'on voit bien s'adresser à une persoinie d'un
rang élevé. Elle commence par ces ver.s :
Ben es razos qu'ieu retraya
Mén.. mss. ro«- Una chansonela gaia-,
«epage, col. i E Soi c'a ma dona plaia ,
De oui soi liom e servira :
Gen nii sera près
Car après ai que res ,
Si bon non es ,
No'l platz ni'l agensa.
Bien if est raison que je dise
Une chansonnottp yiiie,
Et il suffit qu'à ma d.iinc elle plaise
De qui je suis homme et serviteur;
Agréable nu- sera la récompense.
Car j'ai appris que rien,
.S'il n'est bien ,
Ne lui plait et ne lui convient.
Après l'éloge d'Éléonore , le poète dit, en parlant de
Béatrix :
Proensa, bel m'es,
Car a mes
Savoya en vos totz bas
Ab pros dona gaia.
Provence, cela est beau pour moi
Que a mis
La Savoie en lui tous les biens
Avec une dame honorable et gaie.
Ces trois dédicaces au roi de Castille, à la comtesse de
Provence, à la reine d'Aragon , nous montrent Arnaud Pla-
gués comme connu et protégé dans ces trois souverainetés ,
y ayant apparemment voyagé, et ayant par consé(|uent
GUILLAUME DE SAINT-GREGORL 63-
x[[i sii^ciA
tliaiitéses vers en langue provençale à Barcelone et à Rurgos, ^ '■ '-
tandis que d'autres troubadours parlaient la même langue à
Milan et à Mantôue.
Dans le manuscrit dit de Dudé, la dernière de ces chan- Mss.deOurfe,
sons est transcrite sous le nom d'Arniaul (Catalan. Cette ^'^^- '"ï- '7o».
confusion a pu venir de ce que ce dernier poète a dédié "' ''"* ''''
plusieurs de ses pièces à Béatrix de Savoie. On peut le re-
j^arder comme le poète de cette illustre comtesse de Provence.
Mais la même pièce se trouve sous le nom de Plagnés, dans Mss.deiaBii.i
ie manuscrit dit de Mazaugites , et dans celui de la Biblio- 3Y '** '"'
tiièque loyale, qui porte le numéro y.>,2G.
M. de Rochegude a publié en entier la pièce commencent „
par Ben volgrn, et adressée au roi de Castille. M. Raynouard p. 357.
a donné le couplet adressé à la reine lîléonore. E — D. choix, i. v,
p. 5o.
GUI.LLA.UME DE S. GRÉG(3R[
i^E troubadour est connu par (juatre pièces dont une est sa
tenson aveeBlacas, de lacpielle nous avons parlé à l'article Ci-desms, p.
de ce dernier. Deux antres.sont des cliansons d'amour, et la ^^î. ., .
-, , ' . RavD. (.Iioii ,
quatrième est une satire eciitic un eveque nomme Aimar, t. iv, p. a-,
accompagnée de l'éloge de Prebo.^t, oncle de cet évèque, où
l'auteur joue par des épigrammes sur l'intime union de la pièceconimeu-
chair et de l'o/z:;/^, à propos de la parente de l'evêcjue avec ï""' P"' ^''"
son oncle. M. Raynouard a imprimé les deux premiers ^"'^■^^^ d^Mo-
couplets de cette pièce. dètie.f. ly».
Une cinquième fêtait plus li honneur à son talent que Choix, t. v,
toutes celles-là , si ellepouvait luielre alti'ibuée avec sûreté.
C'est celle qui commence par ce vers : Be ni platz la gais
temps de pascor.
Le retour du j)rinteinps enchante le poète; mais ce n'est
pas seulement par ses teuilies et ses fleurs, c'est par les
guerres, les sièges, les batailles, dont cette saison annonce
le retour « Bien me plaît quand je vois par les prairies tentes
« et pavillons plantés..,, quand les coureurs font fuir
« devant eux gens et troupeaux... Mon cœur se réjouit
« quand je vois les forts châteaux assiégés, les remparts en-
« foncés et renversés, quand je vois la troupe dans le camp
310
XIII StkCLE.
638 (;UILLAUME DE SAINT-GRÉGOIU.
« garni tojit autour de barrières et de fosses, et la lisse Cor met-
« de gros pieux serrés les uns contre les autres ;
E plaz mi qand H corredor
Fan las gens e laver fugir. . . .
E plaz mi a mon coratge
, Qand vei fortz chastels assegali
E'Is barris rotz et csfondratz,
E vei l'ost el rihaJge
Q'es tôt en torn clauz de fossatz ,
Ab lissas de fortz pals serratz.
Le poète ne se plaît pas moins à voir le ciief commencer l'at-
taque , les chevaux s'élancer, les escadrons se mêler, les ar mis
brisées, les blessés et les morts tombant de leurs chevaux,
traversés de lances sur lesquelles flottent des banderoles
Cette pièce, pleine de poésie et d'harmonie, honore son
M»j. -»»6, f. auteur quel qu'il soit. Le manuscrit 7226 de notre Biblid"-
J45 thèque royale la donne à Lanfranc Cigala, et le manuscrit
Mss de Cau- jjj. ^^^ Caumont à Bertrand de Born : mais celui de la
BlOtit, loi. 173. !• 1 - n f \' ■! ' /^ Il
Mss 7614,1'. Bibliothèque royale, n° 7614, lattribue a Gunlaume de
^o*» Saint-Grégori, et l'envoi confirme cette tradition, car il est
adre.->sé à la comtesse Béatrix, de haut lignage, la meilleure
et la plus belle dame du monde ; désignation qui se rapporte
assez évidemment à Béatrix, comtesse de Provence, femme
de Kaimond Béranger IV. Or Bertrand de Born mourut vers
l'an 1208, et difficilement Lanfranc Cigala, qui était Italien,
aurait -il pu s'exalter de cette manière sur le mérite de Béatrix.
La tenson de Guillaume de Saint-Grégori avec Blacas, et
réloji;e de Béatrix, indiquent les époques où ce poète vivait.
E— D.
DIVEKS TROUBADOURS
LjE nombre des troubadours est si considérable, que pour
en omettre le moins possible, et renfermer cependant ces
notices dans un nombre de pages modéré, nous sommes
obligés de parler de (juelques-uns de ces poètes d'une ma-
nière très-sommaire, et d'en grouper même plusieurs en-
semble. Ce sont veux donL il siibsis'e le moins d'ouvrages,
Xm SIECLE.
DIVERS TROUBADOURS. G39
ou qui n'ont occupé par leurs talents que des rangs secon-
daires, et de qui en même temps les vers n'ont aucun rapport
avec les affaires i)ubliques de leur époque.
I.RAIMOND DE SALAS est du nombre de ces derniers. Ce
troubadour, que Crcscimbeni appelle Raimondo (ti Sala, et
qu'il dit être nomme dans un des manuscrits de la Biblio-
tlii'que Lduienziana de Florence, Raymon de la Sala , était
un bourgeois de Marseille, qui fit seulement de l'art des
vers son amusement. Son biographe, qui a renfermé sa no-
tice en tiois lignes, dit qu'il ne fut ni très-connu, ni très-
estimé : IVoJb moût conogut , ni nwut prezatz. Ce pass.ige
pourrait bien ne pas sigiiifier autre chose sinon que Raimond
de Salas ne voyagea point, et ne chercha sa renommée (|ue
dans le cercle de ses amis et de ses concitoyens. On voit dans
une de ses chansons, qu'il offrit ses hommages poétiques à
une dame Rambaude (les Baux, de la fimillc des vicomtes
de Marseille.
On cotinaît de lui quatre pièces. Deux sont des phiintes
contre l'amour, qui le rend plus malheureux qu'un .serf ou
un Sarrazin,
Quez (1 ) ano nuls Sarnzins Pièce cotiiDim-
Non soifri tan de pcna ni d'aian, çam par A» m
puosc ftiiilir.
di '•! • 1 '1 Mss. (le Moiit'iic,
e la passion quil éprouve pour une dami; qu li foi. h-,
adore sans en être aime : Edecui sui tôt dezamntz amans.
C'est cette ])ièce qui est dédiée à la dame des Baux. Piiceconunen
Une troisième chanson est un dialogue entre une dame V';' pa'^"""'»
de haut parage et lui, ou il déclare a cette dame qu il est z<i. Ms« <Ic la
amoureux d'une personne d'un rang beaucoup plus eievé Hibl. rov. -aiS,
que le sien, et qu'il meurt faute d'oser déclarer sa passion, ^' '°^' ^'' '' ^
et cil cette dame lui répond qu'en amour il faut de la haï- .J!?" ''""^r '
diesse, et qu'elle lui conseille de faire connaître ses senti- '^ ""'^
meiits. Cette chanson paraît être une imitation de la scène
de Rambaud de Vachères avec Béatrix de Montferrat.
La (luatrième pièce enfin est un dialogue où la , dame lui ^' '" f"^i>""
'1.1 .' / . 11 , ^ ... ziu. Même ni»-
avoue qu il e.st aime, et quil ne peut y avoir de joie pour nuscm 71-25, i.
elle qu'en l'aimant : Car gaug entier no puosc ses vos ai'e/: iq8, ch. 43».
(i) La lettre Z est placée là pour l'euphonie, et particulirrenienl pour
(ju'on n elide pas le avec l'a. Celte observation trouverait :ouvent son
^ipplication.
o iMvi:i;s TKOUinnouRS.
rapon place ce poète a 1 an 1190, sans donner aucune
l'apoii, Hisr. preuve à l',ippui de son opinion. Limitation qu'il a faite de
dcProv I. H, p. l'aventure de Rambaud de Viichères le rapproche davantage
*"^ de nous. La dame des Baux n'est pas connue.
Chou. t. V, ' i^L Raynouard a publié des Fraginents de deux pièces de
p- ^!)*- ce poète.
ru n. fïlIGUES DE BRRSIE. — Ce noèr.- et le trouvère
loc.cit.p. 220. nomme Hugues de liersil , auteur du poème satmcpu- appelé
la Bible , et dont il sera parle tout à l'heure à l'occasion des
poètes français, ne sont très-vraisemblablement (ju'mi seul
personnage. En eflet, le prétendu tioubadour et le trouvère
s'étaient rendus tous deux dans le Montfrrrat, à l'époque du
départ pour la croisade de 1202; l'un, sur le point de partir,
Cl iiessin, p. invita Folquet de Romans à l'accompagner; l'autre alla réel-
*' lement en Syrie, ainsi qu'on le verra ci -après, dans le
texte de son propre ouviage. Ces rapprochements nous don-
nent déjà une forte présomption de leur identité. Mais ce qui
complète la conviction, c est le mauvais langage, plus français
que provençal , de la pièce de vers où le poète veut engager
Folquet de Romans à prendre la croix. Hugues dit à son
jo
iigicur :
Rernnrt, di ma l'aiiqct qdm tint por sagr,
IMss. lin V.-iii- Qe n'use pas lot son seii en folia ,
(•an, ',±n-j , fol. Qg j^^j aveni gran paît de nostie atge.
* ' E je e el usiei en lecaria,
E del siegle avein ja tant apiis
Qe liieii s.ivoni qe <aqi- jor vaut pis.
Por(je Feroit l)on esniciuliT sa via,
Qar a la lin es for do JMglaria.
Nous copions le manusi iit du Vatican 8207. Si nous sui-
vions le raanusciit de Modène, apparemment plus conforme
au texte original, nous y trouverions bien plus de formes
et de mots français; tels setaient ceux-ci : Qe n ernpleit pas
>iss .le Mo- ^^^ ^^^^ ^^^ ^^ folie; — qe hen savons qe chascun ioni vaut
pis. Dans un autre couplet, \\ dit que lorsque quelqu'un a
sa mason hen plena e hen garnie , qui ne cuide soit autre
paradis; et il ajoute : Ne pensez pas ainsi, Folquet ; Non o
pensez, Folqet , biaus dolz amis, mas faites nos outramer
compaignie , qe tôt se faut , mas Dieus no faudra mie.
On voit que le poète français, en s'appliquant à rimer en
provençal , a mêlé malgré lui les deux langues.
XIU SIÈCLE.
I. ni,3<.3.
DIVERS TROUBADOURS. 64i
II est donc à peu prèa démontre que le trouvère Hugues
de Bersil et le troubadour désigne' par Crescimljciii sous Crescimbeni ,
les noms de Ui^o de Dersia , detto N'uc de Bersie , ne sont '"•■••" ' "-r
qu'une seule personne. On parlera plus tard des poésies
françaises de ce trouvère.
III et IV. BERTRAND DE GORDON. PIERRE RAI-
MOND. — Ces deux troubadours sont auteurs d'une tenson
où Gordon attaque Raimond sur son esprit, son jugement, Mss.deUBibi.
son talent, son instruction, ses mœuis ; et où Raimond accuse 'e^a^a^eng"
cet écrivain satiriquede lâcheté, de dissimulation etd'avarice.
Rayn. Cboii ,
Tolz tos afars es niens, •• Vi p- io«-
Peire Ilairaon, e'I sens frairis , etc.
M illot suppose que Bertrand de Gordon était un seigneur ,..„
1 y-v • ' I n ' 1 »« r - . 1 Millol, t. II ,
du Querci servant dans I armée de Montiort , au siège de p ^^i.
Toulouse, en 121^. Cette supposition n'a rien d'impossible, d. Vaisseitc ,
Mais ce qui est plus curieux , c'est de reconnaître qui est
Pierre Raimond, afin de savoir si l'illustre troubadour de ce
nom, homme sage et spirituel, savis homs e subtils, qui
passa la plus grande partie de sa vie auprès de Raimond V,
comte de Toulouse, mort en i i<)4i •i'^'p''0"se H, roi d'Ara-
gon , et (le Guillaume VIII, vicomte de Montpellier, morts,
le premier en iirjB, le second en 1202, aurait pu être
accusé, même dans une mauvaise satire, d'être un esprit vil
et chétit", sens frairis , un homme sans consistance et dénué
de tout.
Dom Vaissette a soupçonné l'existence dedeux troubadours
nommés Pierre Raimond, tous deux natifs de Toulouse. Notre ,. ni,p"96!
prédécesseur Ginguené a eu la même pensée. Cette conjec- Hisi. \Mir 1.
ture devient une certitude, quand on voit le biographe de ^^' P ''^"
Pierre Raimond , du troubadour courtisan de R.dmond V
et de Guillaume. VIII, l'appeler Pierre Raimond le vieux,
lo viells , ce qui aiuionce l'existence d'un Pierre Raimond le
jeune. Nostradamus piouve lui même sans s'en apercevoir,
qu'il a existé deux poètes de ce nom, nés tous deux à Toulouse,
quand après avoir dit que celui dont il écrit la vie mourut en
1 225, il ajoutequ'il alla dans la Syrie avec l'empereur Frédéric;
ce qui ne pourrait concerner que Frédéric II, croisé en 1229.
Jamais d'ailleurs Raimond le vieux ne se croisa, car un fait
aussi important n'eût point été omis par son biographe. C'est
Tome XV m. Mmmm
D. Vaisselle ,
xm siÈCLi
6',2 DIVERS TROUBADOURS.
le jeune qui fut appelé Raimond le preux ; c'est lui qui
composa, si le récit de Nostradamus est fidèle, un écrit contre
les Albigeois pour la défense de la foi catholique; et c'est
lui qui, de retour de la croisade, devint amoureux de la
dame de Codollet. Mais tout cela suppose qu'il vécut encore
long-temps a])rès l'année laar). Le surnom de /?rt'ux qui
pouvait lui venir de la croisade, montre qu'il ne méritait
en aucune manière les injures rassemblées contre lui par
Gordon. \ous plaçons sa mort entre 12l\o et i25o.
Ms,.72»5,f. ^- l^ALMENZ BISTOKS, d'Arles. — Ce troubadour,
148, ih. Ci:', nommé Ratnicnz Bistortz dans le manuscrit de notre Riblio-
Mss. (lu vati- thè(|ue royale, n° 72!i5, et dans celui du Vatican, '):j.o4,
\"ù ^"' " porte le nom de Ramonz Bistortz d'^lrle, dans le manuscrit
Mss.iieiaBibi. dit de Ckigl, de la Bil)liotlièque Ricardi. C'est là qu'on
Riiariii.ch. 1^7, voit qu'il était natif d'Arles. Il est auteur de cinq chansons,
toutes h. la louange d'une dame Constance d'Est, apparem-
„. ment Constance, fdle d'Azon VI. « Oui veut voir réunis,
çantpai o«/j)o/ '; dit-d, une parfaite beauté, une noble prestance, un air
vezer.Mss chigi „ décent et qui se fait respecter, la grâce avec la jeunesse,
^ • '^9- (t la vertu avec l'esprit, vienne voir ma dame, la dame
« Constance.
Vegria vezer ma dompna, Na Costansa.
Ce passage nous indique que Ramons ou Raimons d'Arles,
lorsqu il composait ces vers à la louange de la princesse
d'Est, se trouvait auprès d'elle, en Italie. Le poète arlésien
est par conséquent un des troubadours qui ont séjourné en
Italie dans le treizième siècle. « Que ne puis-je, ma chère
c dame, dit-il ailleurs, posséder un seul jour votre beauté,
a et que ne pouvez-vous un seul jour éprouver ma passion
a et mes souffrances!... Je recevrais bientôt de vous le
a secours que j'ambitionne.
u- „ ,„„ Ar a<jues eu, dompna, vostra beutatz,
■ anl par Ar u- ^ ^O'' aguetz totas mas voluntatz. . ..
"ues eu. Même K pois be sai que m fariatz secors.
mss. ch. 140.
Crescimhei
loc. cil p. 208.
Crescimbeni présume que ce poète avait pris part à une
Crescimheni , (.poisadc, et que SOU nom de Ralmenz avait pu venir de
Ramiero , titre quon donnait aux pèlerins revenant de la
Terre-Sainte, à cause de la palme dont ils se paraient en
DIVERS T110L"BAI)QIJJ;S. 643
, , , /^ ■•.,-,, X'" SIKCLE.
figne (!<' leur heureux retour. Lette opinion nest fondée sur '
rien de solide; mais elle peut nous faire supposer que
Raimond florissait ou en 1202 ou en 1229, et que sa mort
est postérieure à l'une ou à l'autre des croisades de ces deux
époques.
VI. PUJOLS ou POJOLS dans deux pièces de vers, les
seules qui restent de lui , déplore la perte que le monde a
faite par la retraite de deux sœurs, princesses de la maison
des Baux, entrées au couvent de Saint-Pons, près de Gémenos,
au diocèse de Marseille, pour s'y faire religieuses. « Hélas!
<t dit le poète, Blacas pleure, et moi aussi, Pujols. . . . Vous
« m'avez laissé veuf de toutejoie, belle Iluguète, votre sœur
a ( Etiennettc ) et vous. . . . Blacas en perdra la vie ; et si la
« douleur le fait mourir, ce sera pour Sordel une grande
« affliction. » Le poète finit par se représenter ces deux jeu-
nes filles montant au ciel, portant des couronnes et chantant
des hymnes avec les anges.
t? . Il I Ravn. Clioix,
h montaran al> los anjrels aiissnrs, . , ' te
o ' I. V p. jO''
E portanin corona lesplanilens , ogu ' ' *
E cliaiitaian un verset de jilazeiisa. Mss. delaBibl
roy. 7326, fol.
Ces deux pièces sont pleines de grâce et d'esprit. M. Ray-. ^55.
nouard les a publiées presque en entier.
VII et VIII. EBLES DE SIG^E, N'Fùlcs de Saignas.
GUILLAUME GASM AR. — Ebles de Signe était un seigneur
du village de ce nom, situé dans le diocèse de Marseille.
Il n'est connu que par une tensoii qu'il a composée avec
Guillaume Giismar. C'est Guillaume qui interroge: « Ebles, >i>^ -i' I'B.1,1
« choisissez, lui dit-il, lequel a plus de souci et de tourments, Ij/^, ^ ' ' '"'
« ou celui qui doit payer une grosse somme et ne le peut,
« et de (|ui le créancier ne veut point attendre; ou celui qui
« a renfermé dans une dame son c<Kur et sa pensée, et n'en
« peut rien obtenir : JS'Ebles cauzctz la meil/or. . .
Ebles répond que la douleur il'amour est le pire de tous
les maux : « J'ai éprouvé, dit-il, l'une et l'autre peine; cela
« ne peut se comparer.
Per qii'ieu sai coin per eisaiar,
Que non se fai a comparar
Dolors d'amor. Papou, Hr»i
n f -^ ' . • •^ ''Il •!! 1 •'•' Pro"- I m ;
Fapon tait remarquer quau treizième siècle, le village de p. 4G3.
M m m m 2
644 DIVERS TROUBADOURS.
XIIISlteLE. . , ,,,,,.,
higne appartenait a une l)rancne cadette de la maison de
Marseillt'; ce qui peut l'aire croire qu'Ebles était un seigneur
CrMcimbeni , Je la uiaison des Baux. Crescimbeni présume (|ue Gasmar
'""p '55- "^ ^^^ '*^ même (jue Ckiillaume Adhémar, de (|ui il a été ques-
tion au tome XIV du présent ouvrage. Cette supposition
rbo.T, I. r, est [)urement gratuite. M. Ilaynouard a distingué ces deux
p ':S-«'J9- poètes.
IX. PONS B.ABBA. — Ea patrie et l'histoire de ce trou-
badour sont enti''rement inconnues. Il ne reste de lui cjue
deux pièces, dont l'une est uîi sirvente contre les rois qui
ne récompensent pas dignement le mérite; l'autre unechan-
Ms» (lelaBibl. so'i éroti(jue. « Un sirvente est déloyal, dit le poète, s'il
roy. 7275, fol. « n'ose dire également la vérité aux petits et aux grands. »
''^ïi '' 1*^^,, Appuyé sur ce principe, il se plaint de ce que les grands
ii.iiL-, iul. aOo. repoussent l'homme de mérite (pii les reprend de leurs fautes,
et élèvent les flatteurs qui les trompent,
Car loingnoii lus cliastiailors,
E vei ricx los cossoiitidnrs,
Car faillir laissan lor si^mirs.
Appliquant sa morale à un roi Alpiionse, il s'écrie: « Tout
« est retourné sens dessus dessous dans sa cour; lui qui était
« notre chef et la source de tous les do;is , nous voyons qu'il
« est devenu (pour nous) inutile et en pure perte.
Que vout es de sus en jos,
Qu'en la cort del rei N'Anfos,
Caps de nos, en fons de dos,
Vezeni qu'es vengut en peidos.
« Roi d'Aragon, ajoute-t-il , enfin nous revenons à vous,
s car vous êtes le chef de tout bien et le nôtre.
Reis d'.\ragon , tornem a vos,
Car etz capz de lies et de nos.
Mm. (le Mo- La chaiison erotique s'adresse sans doute à une haute
dène, fol. 160. jja,|^e^ modèle de sagesse autant que de grâce. Elle se termine
par cette pensée délicate : « Votre charme s'accroît par votre
a instruction et votre esprit ; c'est par là que vous récom-
« pensez vos amants; vous obtenez avec d'aimables |)aroIes
« et des promesses dillérées, plus de reconnaissance que
a celles qui accordent davantage.
xmsiKt:LF,.
DIVERS TROUBADOURS. 645
Ar aisso us fai socors , sahers e sens,
Ab que pagatz aissi los entendens,
Qu'ab plazens ditz et ah faits alongan,
N'avez mais grat que cellas que plus dan.
Il est assez visible que ces vers appartiennent à l'e'poque
heureuse des troubadours, c'est-à-dire aux temps antérieurs
à la guerre de la ligue. Mais il n'est pas nécessaire de re-
monter avec Millot jusqu'à Alphonse II, roi d'Anigon mort
en I igG. Cet écrivain nous semble n'avoir pas remarqué que
le roi Alphonse qui était la source des dons, era fons de
dos , n'est pas la même personne que le roi d'Aragon, auprès
de qui les poètes doivent revenir, parce qu'il est ( vous êtes )
le chef de tous les biens, car etz capz de hes. Nous suppo-
sons que le roi d'Aragon est Pierre II , et le roi sur qui frappe
la critique, Alphonse IX, roi de Castille, de qui les guerres
ruineuses modérèrent la générosité.
RI. Raynouard a publié des fragments des deux pièces de Rayn. cimi»,
ce poète. '• ^'i' ^'*'-
X. RAMBAUD DE BEAUJEU.— Fatigué de voir que toutes
les prospérités sont pour les méchants, ce poète veut , dit-il
courir le monde, pour savoir si le mérite se maintient avec
honneur quelque part. Il ira bientôt chez les Lombards voir
de ses yeux le vaillant roi des Allemands ( Frédéric II), afin
de juger s'il est dignede l'éloge qu'on fait de lui, et auquel le
poète est disposé à croire.
Et ira m'en entr'els Lombards breuraen,
A l'on rat rei presat, pros e valen ,
Ueis Alemans en cui crcis que pretz sia.
Celte pièce est adressée à un seigneur nommé Pierre. C'est R«yo. Choi«,
la seule (jui soit restée de ce troubadour. M. Raynouard en t-V, p. 400.
a publié des fragments.
XI. BERTRAND DE PARIS EN ROUERGUE.-Ce trou- w^deraBiM.
badour, vraisemblablement natif de Paris dansleRoueneue. ^1' 1'*"' 5*''
et dit uertrana de fans, ne nous a laisse quune seule pièce;
c'est un sirvente adressé à Gordon , où il veut rabaisser les
connaissances et le talent de ce poète, et où il se place lui-
même fort au-dessus de lui. «Vous ne savez faire, lui dit-il,
« ni chansons, ni sirventes , ni discours , compositions auX'
4 4
XIIISIÈCXK.
646 DIVERS TROUBADOURS.
« quelles cependant vous vous livrez dans les cours; vous
« ne savez aussi bien que moi , ni les histoires d'Absalon, de
« \abucliodonosor, du roi Priam , d'Achille , d'Alexandre,
a de Charlemagne, etc. , ni les aventures de Tristan , du roi
« Marc, du géant que Dieu enleva de son château, de Gé-
« rard, de Dariel le courtois, etc. » Ce qu'on peut supposer
de plus vraisemblable, c'est que l'auteur de cette pièce voulut
tourner en ridicule les jongleurs de son temps, qui tiraient
encore vanité de posséder ces histoires, à une époque où la
poésie et les connaissances liltéiaires avaient déjà lait tant
de nroerès. Nous avons placé l'âge moyen de Gordon, dans
•^ '^ notre notice ci -dessus, au temps ou Mention assiégeait
Clm,., .. V, Toulouse.
j. i.... JM. Ivaynouard a publié un long fragment de ce sirventc.
\ll. JEAN D'AGllILA ou D'ANGUILEN est auteur d'une
chanson erotique où il demande pardon à l'amour du mal
qu'il a dit de lui.
S'ieu .Tnc per fol' eiitt-ndensa
M-s <ii>la Bibl. FiiV contra 1 voler (Ici seti ,
roy II. -2701 , f. Aniois , aras ni'fii rcpren. . . .
i7,i'li 175.
Cette chanson a deux envois, le premier au seigneur de
Montpellier, qui se trouvait alors dans cette ville, lequel ne
peut être que Jacques V^, roi d'Aragon ; le second , au comte
de Toulouse, seigneur de la terre d'Argense :
Pueys (clianso) di ni al conte prezan
Ciiy es Tolozan et ,\rgeii.sa ....
D. Vaisselle, Or, la terre d'Argense, située entre Beaucaire et la mer,
in, p 2(18, le long de la rive droite du Rhône, n'ayant été rendue à
Raimond VU qu'en i24ii époque où Jacques P'' eut une
entrevue avec lui à Montpellier, la chanson de Jean d'An-
guilen porte par cela même sa date. Elle a été composée
très-vraisemblablement en Tannée ia4i,etpar conséquent
adressée à Raimond VII, a[)rès sa rentrée dans ses états:
oette particularité peut lui donner quelque intérêt. Nous y
voyons que les troubadours avaient repris leurs chants à
cette époque dans le Toulousain.
Cette pièce a été attribuée à Arnaud Catalan ; mais le long
Choix, I. V, séjour de ce poète en Italie rend cette opinion peu vrai-
V '"^S. semblable.
M. Raynouard en a publié un fragment. E — D.
IbiH. p. /|7.4.
Mss. d<!laBII>l.
roy. 7698
XIU SIECLE.
MONTANT SARTRE.
CjE troubadour, simple tailleur, nous ramène vers les affaires
publiques. Montant , surnommé ty^z-^/e, ou. le tailleur, est
différent dé Montant sans surnom dont il sera question dans
notre volume prochain. Passionné pour les intérêts de Rai-
mond VI, voyant l'invasion de la ligue faire de nouveaux
progrès, et apparemment vers les années 1212 ou 12 [5, il
adressa un sirvente à ce prince, où il lui reprocha la mol-
lesse de sa défense. « Comte de Toulouse, lui dit le poète,
« il n'est plus temps que je vous cache ma pensée. Je vois la
ce guerre que vous fait le roi des Français, prendre de nou-
o velles forces. Si, dès ce moment, votre valeur ne se préci-
o pite , c'est qu'elle n'est ni franche ni impétueuse, et je ne
« vous tiens plus pour homme de cœur. Mss. <1u Vaii-
<an , 3794, fol.
Coms de Tolsan, ja non er qu'ie us o priva, Rayn. Choix,
Veiaire m'es que'l guerra recaliva 1. v, p. 268.
Del rei franses , e s'ara no s'abriva Piècecoinmen-
Vostra Talors, non es veira ni viva, çani par Comr
Ni us en ten ''« Tottan.
De pi'eï valen . . .
Après une strophe contre les Français qui, dit-il, sont
ivres jour et nuit, le poète continue : « Si vous ne déployez
« vos enseignes contre les Français qui désolent vos états ,
a personne n'aura plus confiance en vous; puis ils se diront
« ( ce qu'on disait des Sarrasins ) : Pire que Richard l'em-
a porte et plus honteusement.
Pueis diran s'en
Pieg que Richartz l'emporta
Ë plus aunidamen.
Il finit par dire au prince : « Ils attendent un autre Artus,
a les peuples deBeaucaire; et tous, le père, le fils, les frères,
(c pleurent de ce que vous allez à eux si lentement.
Ar atendon Artus cil de Belcaire,
E ploran s'en
Lo pair' e'I fils e'I fraire
Quar i anatz tan len.
É— D.
Xin SIKCI.K.
PIERRE DE LA CARAVANE.
r lERRE de la Caravane, ou Pietro délia Caravana , était
vraisemblablement Italien ; mais Italien ou Provençal , il
était Guelfe, et c'est en langue provençale qu'il a exprimé le
sentiment passionné qui l'attachait à ce parti politique. Cres-
loc^ch Tii'"»* cin^l'^ni dit avoir vu plusieurs sirventes de lui dans le manu-
Ï04. ' scrit32o4du Vatican. La copie de Sainte-Palaye n'en renferme
.Mj.s. <Iii Vaii- qu'un seul, mais c'est précisément celui que Crescimbeni cite
çjn, 204, o. çQfjj^^g l'ayant particulièrement observé; ce qui doit faire
présumer qu'il est en effet le plus remarquable.
L'auteur veut, dit-il, composer un sirvente qu'on puisse
réciter en peu d'instants, par conséquent un sirvente popu-
laire. Pour cela, il le fait en vers de cinq syllabes, et il
termine chaque strophe par un refrain de quatre vers sur les
mêmes rimes, où est renfermée la pensée aont il veut péné-
trer les peuples. Il est excité, dit-il, par les nouveaux arme-
ments de l'empereur qui rassemble de grandes forces.
D'un sirventes faire
Es nios pessamenz,
Qu'el pogues reiraire
Vialz e breumenz;
Qu'el nostr' emperaire
Ajosta grans genz.
Refrain : Lombarl, he us gardatz
Que ja non siatz
Peler que coiiipralz.
Si f'erni non estalz. . .
Refrain: «Lombards, ayez à vous bien défendre, que
« bientôt vous ne deveniez pire que des esclaves ( achetés ) ,
< si fermes vous n'êtes.
n Ressouvenez-vous de la Pouille et des grands barons à
e qui rien ne reste qu'il leur puisse ravir, si ce n'est leurs
« maisons. Lombards , ayez à vous bien défendre, etc.
a La gent d'Allemagne gardez -vous d'aimer, et sa com-
« pagnie n'allez pas rechercher. Le cœur me soulève quand
« j'entends leur rauque jargon. Lombards, ayez, etc.
Quar cor mi'n fai laigna
Ab lor sargotar.
■ LoDibart , be us gardatz , etc.
XUI SIECLE.
GUILLAUME FIGUIÈRES. 649
« Que Dieu protège la Lombardie, Bologne, Milan , Bres-
<t cia, Mantoue et leurs alliés; qu'aucune de ces villes ne
« devienne esclave, ni aucun des bons marauisats (de la
« maison d'Est ). . . . »
On voit que c'est en ia36 ou laSy que cette pièce toute
en faveur des Guelfes dut être composée. Nous venons de
rapporter lesirvente de d'Aubusson et de Nicolet, fait, au '""'P" p- fi»--
contraire, pour le parti des Gibelins. Les poètes étaient di-
visés entre eux de passions et d'intérêts , comme les peuples.
Mais au milieu de cette contention des esprits, la littérature
s'enrichissait des productions des partis opposés. Les oreilles
italiennes goûtaient de plus en plus le rhythme et l'harmonie
desvers provençaux; et la langue des poètes toscans, épurée
par l'exemple, perfectionnée par l'émulation , allait bientôt
acquérir le mérite que celle des troubadours ne tarderait
pas à laisser décliner, et qu'elle devait perdre peu à peu
presque entièrement. .
M. Raynouard a publié en totalité le curieux sirvente de p. 197. ' " '
la Caravane. E — D.
GUILLAUME FIGUIÈRES.
BERTRAND D'AUREL LAMBERT
PAVÉS
(joiLLADME FiGDiÈRES cst UD de CCS génies inventifs et in-
dépendants, poètes par la puissance de leur naturel, qui,
dominés par leurs penchants, bravent l'opinion dans leurs
compositions comme dans leur conduite morale, et à qui l'on
pardonne d'autant moins de honteuses habitudes, qu'on se
sent plus disposé à reconnaître leur talent. Il naquit à Tou-
louse vers la fin du douzième siècle. Fils d'un tailleur, et
attaché d'abord à la profession de son père, il fit des vers, les
chanta, en composa fa musique, tout en se livrant aux travaux
de son métier, et par refTetae la disposition innée qui l'avait
fait poète; mais, si nous en croyons son biographe, des goûts
ignobles le ravalèrent au-dessous même du rang oii il était
Tome XV m. Nnnn
4 ^ *
65o GUILLAUME FIGUIÈRES.
Xlll SIÈCLE. , _^ . , ,,,,,, . ,
ne. Devenu jongleur, et appelé a briller parmi les trouba-
dours, non seulement il ne sut point, malgré son talent,
prendre place et se maintenir dans la haute société, Nonfo
hojti que saubes caher entr'ls baros nientre la bonagen , mais
il se fit en outre le poète des tavernes, des catins et des ri-
bauds, Mas moût se fez grazir als arlots , et als putans , et
als hostes et als taverniers .
Son génie le porta d'abord vers la poésie erotique. Il nous
reste de lui une pastourelle pleine de naïveté et de grâce,
qui fut vraisemblablement un ouvrage de sa jeunesse. C'est
la bergère qui parle la première, en se plaignant d'un amant
ingrat :
Pièce coDimen- L'autr'ier cavalgava
.;anl par L'au- g,,^ ^^^^^ palafre,
/r (pr ; mss. de U »i i
D,, Au clar temps sere,
Bibl. roy. 2701, i- • 1 *^
fol. .6, ch. 161. Evidenanme
Mss.delaBiLl. Una pasloreln ,
roy. 7ia6, fol. Ab color fresqu'e novela
■i^g. Que cliantt't mot gcn ,
Rayn. Choix , E dizia en pianlien,
t. V, p. 198. Lassa! mal vieu qui pert son jauzimen.
Le poète qui entend ce chant de la bergère, se plaint à
elle à son tour d'avoir aussi été abandonné par une amante
infidèle. Bientôt un heureux accord s'établit entre eux, et la
jeune fille finit par avouer qu'elle a totalement oublié son
chagrin.
Senhcr, ses falhida,
Estorta m'a e garida
Vostramor tant fort
Que de nul mal no m reçoit,
Tan gen m'avez tôt mon mal talan mort.
Sfigncur, sans tromperie
M'a sninée et guérie
VoIre nmoiir si bien
Que de mil mal ne me souvient.
Si gentiment vous m'en avez ôté la pensée.
On attribue à Figuières deux autres pièces erotiques. Celle
des deux qui commence par,
Ms9.dc la Bibl. Pel joy de bel comensamen
roy. 1701, f. 35, D'estieu comensi ma chanso ,
Msi. de Mo- est adrcsséc à Blacas, soit qu'elle ait été composée lorsque
dèoe, fol. «59. Figuières traversa la Provence pour se rendre en Italie, soit
Xin SIÈCLE.
GUILLAUME FIGUIERES. 65 1
qu'elle ait été écrite de l'Italie même. L'envoi est à peu près
semblable à celui de la chanson de Jean d'Aubusson, que
nous avons rapporté à l'article de ce poète. Voici cet envoi :
Ci-d«5us , i>.
Chanso , entre la melhor gen 6a6.
Qu'ieu conosc e miels lay t'en vay
En Proenza, e saluda m lay,
De nia part totz los pus prezatz
E part tutz mo senher Blacatz.
Il y a en tout une grande ressemblance entre ces deux
pièces. Toutefois les premiers vers et beaucoup d'autres
sont différent^, ainsi que le premier de l'envoi qui, dans la
version donnée à d'Auîausson, rime en ay, et, dans celle de
Figuières, en en. S'il n'existe pas dans cette confusion une
grave erreur de copiste, il y a du moins de la part d'un des
deux poètes l'intention bien évidente d'employer des vers
de l'autre.
Mais la renommée de Guillaume Figuières ne doit pas
dépendre de ses chansons d'amour. Ses dispositions natu-
relles le portaient vers la satire; c'est là que se déploie tout
son talent. Nous avons dit précédemment qu'en l'année 121 1, ci-dessu», p.
Raimond VII, obligé de se défendre contre les entreprises ^9'-
de Folquet, évêque de Toulouse, fut réduit à le chasser de
cette capitale de ses états. C'est vraisemblablement la ré-
bellion de l'évêque qui, excitant la verve de Figuières, lui
inspira son premier sirvente contre les prêtres ambitieux ,
qu'il appelle le faux clergé. « Je ne m'interdirai point, dit-il.
a par detaut de courage, de torger un sirvente comme une „y ,6,^^ ^i
« arme contre le faux clergé; et quand il sera fabriqué, le 114, ch. 197.
o monde connaîtra la fourberie et la félonie qu'engendrent RayD.cboix,
« ces faux prêtres qui, là où ils ont le plus de pouvoir, *' '"*' °''
« causent le plus de mal, et le plus de douleurs.
No m laisserai per paor
C'un sirventes non labor,
En servizi dels fais clergats ;
E quant sera laborats,
Connoisseran li plusor
L'engan e la felonia
Que moT de falsa clerzia ,
Che lai on an mais de poder
Fan plus de mal e plus de desplazer.
« Prédicateurs hypocrites, ils ont jeté le siècle en erreur;
N nnna
XIU SIKCLI-:.
652 GUILLAUME FIGUIÈRES.
<f ils prêchent couverts de péohés mortels; ensuite ceux qui
« entendent leurs prédications, font ce qu'ils leur voient
« faire, et tous suivent fausse route; donc si un aveugle en
<( conduit un autre, ne vont-ils pas tous deux tomber dans
« la fosse ? C'est ce qu'ils font : je ne le sais , mais Dieu l'a dit.
E tuit segon orba via ;
Doncs, si l'uns orbs l'autre guia,
Non van amdui en la fossa cazer?
« Il est trop vrai, continue le poète, que nos pasteurs
« sont devenus des loups ravisseurs. » Puis il ajoute :
Pois fan autre desonor
Al segle et a Dieu major;
Que s'uns d'els al) femna jatz ,
Lendeiiian lotz orrejatz
Tenra '1 cors nostre Seignor;
Et es niorials eretgia,
Que nuls preire no denria
Ab sa putan orrejar aquel ser
Que lendenian deia'l cors Dieu tener. . . .
L'envoi est en ces termes : « Va, sirvente, tiens ta route,
« et dis-moi à ce faux clergé, que celui-là est mort qui se
« met en son pouvoir; à Toulouse ils le savent bien : Qu'a
« Tolosa en sa h Iwm ben lo ver. ■»
Après une semblable levée de bouclier, il devint impos-
sible à Figuières de demeurer à Toulouse, dès que cette
ville fut tombée au pouvoir des croisés. Il suivit alors la co-
lonie des troubadours qui se réfugiaient dans la Lombardie;
E quant li Francfs a^ron Tolosa , dit le biographe, el s en
■venc en Lonihardia Ce fait dut avoir lieu au commencement
de l'année I2i5, lorsque l'évêque Foulques, rentré dans
D. Vaisseue, Toulousc, y usuppa l'autorité du comte Kaimoud.
I. III, p. 267. C'est apparemment dans ce voyage que Figuières visita
Blacas; car malgré l'assertion du biographe, il est difficile de
croire qu'il se soit toujours refusé à voir des seigneurs.
Arrivé en Italie, et voulant y pourvoira sa sûreté, il se
prononça pour le parti des Gibelins, vers lequel il était porté
naturellement; et, en 1220, la ville de Milan, principal bou-
levard des Guelfes, ayant fermé ses portes à l'empereur
Frédéric II, il publia son sirvente contre cett^e ville répu-
blicaine. Nourri, comme la généralité des Toulousains, dans
GUILLAUME FIGUIÈRES. 653
l'habitude d'un généreux dévouement pour Raimond VI, ^"' *>iFf^Lf
Figuières avait peine à romprendre la conduite des Milanais.
Cet étonnement se manifeste dès la première strophe. « Pour
« composer, dit-il , un nouveau sirvente , il ne me faut nul
« autre maître (que mon expérience ), car j'ai tant vu et tant m^, .uiaiiibi
« appris, et bien et mal, et raison et folie, que je connais ce roy. a7oi,f. is,
<t qui mérite le blâme ou la louange, la honte ou l'honneur, '^^ '^^•
« et je vois que mauvaise action font les Lombards envers , jy ■„ ^„^" "
n leur prince.
Ja de far un nou sirventes
No quier autre ensenhador,
Que ieu ai tan vist et après
Ben e mal, e sen e folhor,
Qu'ieu conosc blasnie e lauzor,
E conosc anta et lioiior ;
E conosc que nialvdt labor
Fan Lonibart de l'eniperador.
L'expression de ce sentiment se soutient dans les trois
strophes suivantes : « Car ils ne le tientient point pour sei-
« gneur, dit le poète, ainsi qu'ils le devraient; et s'il ne rétablit
« bientôt sa puissance contre eux, pour venger ses affronts;
« s'il laisse ravir ou restreindre les droits qu'il doit ratfermir,
'< l'empire se plaindra de lui et de son commandement.
Qiiar no lo tenon per senhor
En aissi coni deurian tar,
E si lli non repaira enves lor,
En breu per sas ;;ntas vetijar,
L'eniperi s'en poiru claniar
Delb e di'l sieu emperiar,
Se laissa tobe ni nierniar
Lo dreyt qu'elb deu adreyturar.
Après ce que nous avons dit précédemment sur l'emploi de
la langue provençale dans les chants populaires de l'Italie,
au treizième ,siè(lL', il est inutile de faire remarquer que ce
sirvente en olIVe un nouvel exemple. On s'apercevra toutefois
qu'il est anterit^ur à plusienisdes pièces que nousavotis déjà
citées. La nécessité de classer les poètes suivant Tordre de
leur mort nous oblige Iréquemment à des renversements de
chronologie entre leurs premiers ouvrages.
La piincip lie pièce de Figuières, celle qui commence par
Sirventes vuelhfar, porte des dates qui ne permettent pas
de douter de l'époque à laquelle elle appartient. C'est en
654 GUILLAUME FIGUIÈRES.
XllISI^.CLE. T 1- . 11 f - .
Italie quelle tut composée; cest par conséquent au sein
même de l'Italie, mais, il faut aussi le dire, protège par les
Gibelins, que Figuières publia une des diatribes les plus au-
dacieuses qui aient été faites contre Home, contre les vices
et les abus de puissance du clergé. Ambition, despotisme,
esprit de rapine, corruption des mœurs, abus des sacrements,
rien de ce qui pouvait paraître odieux ne fut supprimé. Il faut
que l'image de la désolation de sa patrie fût bien profondé-
ment gravée dans l'esprit du poète, pour qu'il ait essayé de la
venger avec tant d'énergie.
Cette pièce se compose de vingt-trois strophes, chacune
de onze vers , dont sept masculins de cinq syllabes, et quatre
féminins de sept. Les quatre vers féminins de chaque strophe
riment entre eux, et les trois premiers vers masculins ri-
ment avec les quatre derniers vers masculins de la strophe
précédente. Ce croisement et ces répétitions de sons durent
produire un effet piquant dans un chant destiné à saisir
l'oreille d'un peuple éminemment sensible au mérite de
l'harmonie. Le rhythme poétique y servait de fondement à
la mélodie; aussi le poète dit-il lui-même qu'il a assorti le
chant avec les paroles (i).
« Un sirvente je veux faire sur cet air qui me convient;
« plus ne veux attendre, plus ne veux différer. Et je sais sans
a. en douter qu'il m'en adviendra malveillance; car je fais
« ce sirvente des faussetés adroites de Rome, chef de la dé-
« cadence où se détruit tout bien.
M^b.delaBibl.
. oy. 270 , , f. 90, Sirventes vuelh far
fil. 7QO. „
M -6 ' f En est son que m agensa,
. i i,"h',9v' Nol vuelh plus tarzar,
Urtvn. Choix, Ni far longu 'atendensa.
t I\,p '>o9. E sai , ses duptar,
Quen aurai malvolensa,
Car fauc sirventes
Deis fais d'enjans pies ,
De Roma que es
Caps de la dechasensa
On dechai totz bes.
« Rome , je ne m'étonne point que les peuples soient dans
« l'erreur , car vous avez jeté le siècle en fermentation et en
(i) M. Villemain, dans son Cours de littérature française, publié en
i83o, a rendu hommage au talent du troubadour Guillaume Figuières.
Il a donné une traduction de treize strophes de ce sirTente contre Rome.
GUILLAUME FIGUIERES. 655
<■ guerre; mérite et vertu sont par vous tués et mis sous
n terre. Rome fallacieuse, de tout mal le chef, le sommet et
'I la racine; le bon roi d'Angleterre par vous fut trahi.
No m nieravilh fjes,
Ronia, si la gens erra,
Qu'fl scgl' avelz mes
En trebal et en guerra ,
Car prctz e merces
Mor piT vos e sosterra.
HoMia ensaiiairitz,
Qii etz (le tôt/, mais guitz
E sinis e razitz;
Le bon reys d'Anglaierra
Fon per vos traliitz.
« Rome traîtresse, votre avidité vous trompe, car à vos
« brebis vous tondez trop la laine. . .
Roma tricliairitz,
Cobeitas vos engana. . . .
« Rome, aux hommes stupides vous rongez la chair et les
« os. . . Trop vous passez les bornes posées par le ciel ; car
c tant est grande votre avarice nue pour argent vous par-
ti donnez les péchés. De trop fâcheux fardeau, Rome, vous
« vous chargez.
Quar vos penlonatz
Per deniers peccatzj
De trop mala tradossa,
Roma , vos cargatz.
« Rome, bien sachez que par votre méchante fraude et
« votre folie, vous avez fait perdre Damiette.
Roma , be sapcbatz
Que vostr' avols barata
E vostra foldatz
Fetz perdre Damiata.
(Allusion aux prétentions du cardinal Pelage, qui furent
cause de la reprise de Damiette par les Musulmans en 1218.)
<c Rome, vraiment nous savons sans doutance que, par
« l'appât d'une fausse indulgence vous avez livré à la déso-
« lation la noblesse de France et la gent de Paris; et le bon
'( roi Louis a été par vous occis, c|uand par trompeuse pré-
« dication vous l'avez jeté hors de son pays.
El bon rey Loys
Per vos fon aucis,
Qu'ab falsa prezicansa
Lo gitez del pays.
XUl SIFCI F..
XIII SIECLE.
656 GUILLAUME FIGUIÈRES.
« Rome, aux Sarrasins vous faites peu de dommage ; mais
« Grecs et Latins vous menez au carnage. En bas, au fond
« de l'abîme, Rome, là est votre place, dans la perdition.
« Mais que jamais Dieu ne me donne, Rome, une part aux
« indulgences ni au pèlerinage que vous avez fait à Avignon.
Roma, als Sarra.sis
Faitz petit de daninatge,
Mas Grecx e Latis
Geratz a carnatge.
Ins el foc (I abis
Roma, avetz vostr' estatge
E'n perdicio.
Mas ja Dieus no m do,
Roma, (lel perdo
Ni del pellerinatge
Que fetz d'Avinho.
« Rome, il est visible que vous éprouvez le remords de la
« perfide prédication que vous avez faite contre Toulouse.
« Telle qu'un serpent lurieux , vous y rongez les propriétés
« des petits comme celles des grands; mais si notre comte
<f vaillant vit encore deux ans , la France gémira de vos
a machinations.
Roma, vers es plas
Que trop etz angoissoza
Dels prezicx trefas
Que faitz sobra Toloza.
Lag rozetz las mas
A ley de cer rabiosa
Als paucs et als grans :
Mas si'l coms presans
Viu encar dos ans,
Fransa n'er doloirosa
Dels Tostres enjans.
« Rome, tant est grande votre forfaiture, que Dieu et ses
« saints vous jetez à l'abandon; votre règne est si vicieux,
« Rome menteuse et perfide, qu'en vous se rassemble, s'a-
« baisse et se confond toute la fourberie de ce monde, tant
'< vous faites grande injustice au comte Raimond!. . .
Roma, tan es grans
La vostra forfaitura.
Que Dieus e sos sans
En gitatz a non cura;
Tant etz mal renhans,
Roma falsa e tafura,
GUILLAUME FFGUIERES 657
XIII SIÈCLE.
Per qu'en vos s'escon
E s baissa e s cofon
L'engan d'aqiiest mon ,
Tant faitz gran desniezura
Al comte Raimon ! . . . .
On voit que cette pièce porte en elle-même sa date. Elle
est postérieure à la mort ue Louis VIII, qui eut lieu le 8
novembre de l'an iq.'a6; et elle précède le traité de paix
conclu entre Raimond VII et saint Louis, le 12 avril 1229:
elle appartient donc à un temps intermédiaire entre ces deux
époques; c'est par conséquent vers la première année du
pontificat de Grégoire IX, au moment de la plus grande
puissance des papes, que Guillaume Eiguières s'élevait avec
tant d'audace et de force contre leur despotisme.
Après avoir reproché au gouvernement romain d'aspirer
à la seigneurie du monde entier,
Tan voletz aver
Del mon la senlioria,
le poète lui dit encore : « Rome, tant vous serrez le grappin
« ( la griffe ), que ce que vouS tenez vous échappe diflici-
« lement. Si bientôt votre pouvoir ne s'anéantit, le monde
« est tombé, vaincu, égorgé, en fatale trappe. Rome, de
« votre papauté, voilà les hauts faits!
Roma, tan tenetz
Estreg la vostra giapa,
Que so que potletz
Tener, greu vos escapa.
Si'n breu non pertietz
Poder, a mala tiapa
Es lo mon cazutz
E mort e vencutz.
Roma, la vostra papa
Fai aitals vertutz!
Une autre pièce que nous devons citer est un sirvente
en l'honneur de l'empereur Frédéric II, espèce de panégy-
rique composé, à ce qu'il paraît, à la fin de l'année 1229
ou au commencement de l'année 1280, lorsque ce prince,
revenu de la Syrie , eut recommencé la guerre à l'effet de
ressaisir le territoire que Jean de Brienne lui avait enlevé
pendant son absence, au nom du pontife. Il y eut peut-être
autant de courage de la part du poète dans la publication
de cette pièce, qu'il y en avait eu dans son attaque contre la
Tome XF III. Oooo
XIII sito.E.
G58 GUirXAUME FIGUIÈRES.
cour de Rome; car Frédéric, ennemi delà moitié de l'Italie,
objet d'une guerre acharnée de la part de Grégoire IX, et sous
le poids d'une excommunication , était même regardé comme
un traître et un sacrilège, dans presque toute l'Europe, à cause
de la paix qu'il venait de conclure avec le sultan du Caire.
Les actes qu on lui reprochait furent précisément ceux que le
Mss.ieiaBibi. ^^jg élcva le dIus haut. « J'ai dans le coeur, dit-il en commen-
roy. ^701,1. '». • ^ , t^ .. » J 1- J
th. 18',. « çant, de composer un nouveau sirvente et de l adresser a
K l'empereur, car je veux dès ce moment me vouer à son
<( service, l^a non sirventes ai en cor, etc. Nul homme n'est
« plus généreux que lui ; il retire les pauvres de la pauvreté, il
<■( améliore le sort des riches. » Après ce début, le poète loue
l'empereur de l'énergie qu'il a apportée au recouvrement de
« ses États, et notamment de la reprise de la ville de Gaéte.
« Bien fou qui avec lui dispute. . . I! s'est glorieusement vengé
« du faux clergé. . . et du pape, mieux que ne fit son aïeul.
Fols qui ah luy tensona
, Car mot be ses venjat de la falsa clersia
E del papa miels que son avi non fes.
a II force les villes de la liombardie à lui restituer les
1 droits de sa couronne. . . 11 a fait outre-mer mainte oeuvre
« honorable et pure; Jérusalem et Ascalon ont été conquis
« sans employer ni arc ni flèche, et avec le Soudan il a fait
« une glorieuse et bonne paix.
Mot fes otramar onrail' obra e neta,
Que Jhrlem conques et Ascalona ,
Que anc no y près colp darc ni de sageta,
Can li fe'l Soudan ondrada patz e bona.
Puis il loue l'empereur de ce qu'étant allé à l'île de Chypre,
il l'a rendue avec une noble courtome , per gentil cortezia ,
à la dame de Rarut qui seule avait droit d'en hériter; car ce
prince , ajoute-t-il , est exempt et net de tout sentiment
sordide, e noyt e lavât de tota vilenia.
c Que Dieu, dit enfin le poète, lui conserve toutes %^&
" possessions, et à moi , Figuières, la joie que me donnent
« mes amis et mes amies !
Lo sans Dieu li gart tota sa manentia. . . .
. ....
Et a mi don Dieus gaug d'amie e d amia !
La pièce est adressée au bon ami Taurel.
GUILLAUME FIGUIÈRES. 65g
T » ' U r L- -J 1 »■ . J I i^ '^I" SIÈCLE.
Les avantages multiplies que b rederic obtint dans les Ltats
de Naples, à son retour de Jérusalem , ayant donne de l'in- MuratoH.aun.
quiétude au pape, on commença à traiter de lapaix. Les pour- '^^ '«'-^'iag,!.
parlers durèrent lonj^-temps, et le traité fut enfin conclu le '
9 juin de l'an laSo. Dans le temps employé aux préliminaires
parut un nouveau sirvente du troubadour, par lequel il
voulut témoijiner le vœu des peuples pour la cessation des i'"** p î^s
malheurs publics. Le ton de cette pièce n'eut plus l'âcretédes
sirventes précédents: le sujet était tout différent; il'ailleurs,
dans l'intervalle, la tranquillité ayant été rendue à la patrie
du poèîu, parle rétablissement du comte llaimond dans ses
Etats, son esprit n'éprouvait plus la même irritation qu'au-
T parnvanr f Entre le soiîverain pontife et l'empereur, ievou- „.
« (Irais, ;lil il, voir rctabin' la paix, car ainsi le lurc et I Arabe , -.mii^r Del nre-
'< seraient vaincus. Mais avec trop d'amertume chacun d'eux 'f'><"'n7or..Mss.
« d((énd sa cause, et ils se tourmentent ainsi l'un l'autre ''" Y'""- ''7!>'i.
• 1 I IM 1 . P '^'^
" pour iieii, car veiitai)lement touli<Mjiie 1 iiommc recherche
" n'est rien, à côté de ce que ravciiir lui destine.
Del preveire major
E ilfl crnpenulor
Volgra paz entre lor,
Qii'aissi foian marrit
Li Turc e RIarabit ;
Mas trop amaramen
Rlena cliascuns zo qe ten,
Et trebailhon si tle nien ,
Qar niens es tôt zo q'oni pot cliauzir,
Segon aqo qe es a devenir.
L'auteur regrette de ne pouvoir aller lui-même à l'armée
des croisés; mais il est trop pauvre pour se transporter avec
honneur au-delà des mers, et il demeure tristement de
ce côté.
Mas non hai gran ritlior
De passar al) lionof;
Ueinanc sai ah tristor.
La pièce est adressée au comte de Toulouse redevenu
j)uissant, et par conséquent, comme nous l'avons dit, après
le traité du mois d'avril de l'an i2v.(). « \n chez le vaillant et
« honorable comte de Toulouse, et dis-lui que si Dieu a
i< voulu l'élever au-dessus des autres hommes, c'est afin qu'il
« aille le servir aux lieux mêmes où il naquit.
O oooa
XIII SIÈCLE.
660 GUILLAUME FIGUIERES.
Al pro comte valen
De Tolosa digaz breumen
Estiers q'el sapcha veramen
Qe per so I vol Dieus part totz enantir
Qe lai on elh nascet l'ane servir.
Jusqu'ici nous avons vu clans Figuières un sujet fidèle des
deu.\ Rainionil,un partisan dévoué de Frédéric, un ardent
ennemi des abus de la puissance de la cour de Koine, et de
tous les vices des mauvais prêtres, qu'il appelle le faux
cleii^é , et nous avons eu peine à comprendre comment son
biographe dit qu'il a été le poète des catins et des ribaud».
Mais il taut avouer que quelques pièces échappées à ses
amis ou à ses émules décèlent en lui des habitudes peu élevées,
dont il est possible aussi qu'on ait exagéré le tableau.
Aiméric de Péguilain , troubadour de qui nous allons
parler tout à l'heure, avait, dans un séjour de cinquante ans
en Italie, amassé quelque fortune. Cette aisance choquait
Figuières, et il écrivit à son ami Bertrand d'Aurel : « Ber-
trand d'Aurel, s'il mourait le seigneur Aiméric avant la
tar"j'2o''-"/5'2' " Toussaint, dites-moi à qui il laisserait les richesses qu'il
Kayn. Choix, « a acquises en Lombardie, en supportant froid et langueur.
t. V,p. 198
liertram d'Aurel, si moria
N'.\imeiics , ans de martror,
Digatz a cuy laissaria
Son aver e sa ricor
C'a conques en Lombardia,
SuJïretan freit e langer. ...
Aiméric répondit par un autre couplet adressé pareille-
ment à Taurel , et sur les mêmes rimes que le précédent, en
forme de tenson. « Bertrand d'Aurel, s'il mourait Figuières
l'endetté, dites-moi à qui il laisserait son cœur faux et
traître, plein de rancune et de folie, de honte et de dés-
honneur; qui serait le chef des catins, et qui les ribauds
et les buveurs prendraient pour roi.
Mss. du Vati-
Digatz a cuy laissaria
Le seu fais cor traidor,
Pien d'enjan e de bauzia
E de noiz e de folor.
D'an ta e de deshonor;
Ni putans qui menaria ,
Ni arlotz e bevedor
Qi farian de seignor.
XIII SIECLE.
Même mss. mê-
me feuillet.
GUILLAUME FIGUIERES. 66 1
Bertrand d'Aurel paraît avoir été un militaire servant dans
les armées de l'empereur Frédéric. Il était lié avec Figuières
qui l'appelait, ainsi que nous venons de le voir, son bel ami.
Cependant il ne prit point sa défense, en répondant à Pégui-
lain ; il dit, au contraire, à ce dernier : « Aiméric, il pourrait
« laisser à Coanet le Jeune la ruse et la tromperie ; car il
« ( celui-là ) vit de tel labeur ; les querelles et la folie à Auzet
« le menteur; à Lambert, ses liaisons avec les catins.
N'Aimeric, laissar poria
An Coanet lo nienor
L'engan e la tricharia , Mêmemss.ibid.
Car el viu il'aital labor; Rayn. Choix ,
El noiz et la folia '• ^> P- "i^-
A N Auzet lo f'eignedor.
Et a'i<f Lambert la putia. . . .
Ce Lambert , poète ou jongleur, personnage aujourd'hui
inconnu, ne prend point pour une injure ce que Bertrand
d'Aurel dit de lui; bien loin de là, il répond : « Seigneur,
« celui qui me laisse la connaissance des catins, s'en fait
« honneur; quantàmoi je tiens à jouissance et à richesse ce
« dont on me fait gloire et largesse, et jamais nul jour de
« ma vie, je ne veux faire autre labeur. . .
Mêmemss.ibid.
Seigner, sel qui la putia Rayn. Choix,
M'en laissa s'en fai honor, t. Y, p. 143.
Qu'eu ni'o teing a manentia
Qui m'en fai prez ni largor,
Cane a nul jorn de ma via
No voill far autre labor. . . .
Ces couplets réunis forment une tenson à quatre person-
nages, dont il n'existe peut-être point d'autre exemple.
Un autre rimeur, nommé Pavés, attaqua Figuières par un
couplet non moins mordant. Il prétend que jamais on n'a
raconté de Roland ni d'Olivier un plus beau coup d'épée que
celui dont un capitaine a frappé, l'autre jour à Florence, Mêmemss.ibid.
Guillaume le querelleur. Rayn. Choix,
Coni sels que fetz capitan l'antr'hier
A Florenca a NGuillelm' l'enoios, . .
I. V, p. 378.
Aiméric de Péguilain raconte à son tour que jamais plus
beau coup d'épée que celui dont le seigneur Auzers a frappé Mêmemsi.ibid.
au visage GuillaumeyoMe marquée.
4 S
XIII SIÈCLE.
662 GUILLAUME FIGUIÈRES.
Ane tan bella espasada
No cuit qe liom vis ,
Com det nAuzeis sus el vis
A'îN Guillelni Ganta seignada . . . .
Figuières répond que jamais, au contraire, Joconde n'a
porte un coup |)lus brillant que celui dont Jacobis a frappe'
l'autre jour Guillaume J'eifeyoe/ee.
Ane tan bel eolp de Joconda
No cuit qe lioni vis
Com det 1 antr' liier Jacobis
A'n Guillelni Testa peladd. . . .
Ces disputes, très-rares heureusement chez les troubadours,
nous font descendre bien loin de la hauteur où nî)us avait
élevé Figuières, quand il attaquait le despotisme de Rome.
Elles semblent prouver qu'en effet il se mêlait quelquefois
avec les arlots et les taverniers. Nous y voyons de plus qu'il
continuait à habiter en Italie.
Ce poète a été soupçonné, peut-être à cause de son éner-
iï ' ' " g'<^î de partager fhérésie des Albigeois; Millot l'a vengé de
ce reproche, en montrant dans ses vers plusieurs opinions
incompatibles avec les erreurs de cette secte.
Les manuscrits contiennent onze pièces sous son nom;
AIrss. 'lasso- ut n If".. .. • I •>
ni Coiisiiiria- ^1- Kiiynouard a lait remarquer que trois de ces onze pièces
zioni sopia le Ont été attribuécs à d autres troubadours. Il en a publié
mue <ici Pciiar quatre et des fragments de deux autres. M. de Rochegiide a
ta. In A eiiczia , \ , 1 ° ,x v ■ ! • . •
.-',« ,n '" .. donne dans son ramasse occitanien le sirvente qui com-
•iiz. aj8,i77, mence par ISdni lalssarai per paor. Le Tassoni, dans ses
i»7, eic. cominentaires sur Pétrarque, cite en plusieurs endroits des
vers du sirvente contre Rome. E — D.
Millol, I. II
LA DAME GEKMONDE
^5[ , dans des temps de parti, quelque écrit publié par un
homme de talent obtient de la célébrité, une réponse,
quelle qu'elle soit, ne se fait pas long-temps attendre. C'est
ce qui arriva après la publication de l'énergique sirvente de
Guillaume Figuières. \]\\^ dame de Montpellier, nommée,
dit-on, Germonde, personnage qui n'est connu par aucune
autre production, entreprit de le réfuter. On conçoit qu'elle
LA DAME GERMONDE. 663
dut accuser l'auteur d'impiété, d'hérésie, de mauvaise foi ; ce ^'" siècle.
devait être là le fond de la réponse; mais ce qui est remar-
quable, et ce qui appartient essentiellement à l'histoire litté-
raire des troul:)adours, c'est la forme que le poète, homme
ou femme, n'importe, sut donner à sa réfutation; c'est l'art
qu'il dut posséder à un haut degré, de fabriquer le vers; ce
sont les ressources que lui offrait une langue déjà façonnée
par les Arnaud de Mareuil , les Pierre Vidal, les Bertrand
de Born, les Faidit, les Rarnbaud de Vachères, et quel-
ques autres dignes de se placer à leurs côtés. Le sirvente
de la dame Germonde est entièrement calqué sur les
formes de celui de Figuières. Toute la différence consiste
en ce que la pièce de Figuières renferme vingt-trois stro-
phes, et celle de Germonde vingt seulement. Mais chacune
de ces vingt strophes est parfaitement semblable à la strophe
de celle de Figuières, à laquelle elle correspond, quant à
leur ordre successif. Même nombre et même coupe de
vers, mêmes rimes ou du moins mêmes désinences, et par
conséquent autant et plus de difficultés à vaincre que dans
la pièce originale. Il s'en faut que cette réponse égale ,
pour le mérite littéraire, la composition de Figuières; ce
n'est ni la même verve, ni la même facilité dans la versifi-
cation; mais il faut tenir compte à l'auteur de sa hardiesse
et de la différence des deux sujets.
« Il m'est difficile, dit le poète, d'endurer la mécréance MssdeiaBibi
« que j'entends semer autour de moi; elle ne me plaît ni ne loy. a7oi,f. gsj
(c me convient; car on ne saurait aimer l'homme qui aban- =••"•"■ 8î«.
<t donne ainsi la source d'où émanent, et par qui se main- , rv^p 5,""'
« tiennent toute croyance , tout salut et tout bien ; c'est
« pourquoi je manifesterai ma pensée, en montrant combien
« cela me pesé.
Greu m'es a durar,
Quar aug tal descrezensa
Dir ni semenar ;
£ no m platz ni m'agensa;
Qu'om non deu amar
Qui fai desmantenensa
A so don totz bes
Ven e nais et es
Salvamens e fes :
Per qu'ieu tarai parvensa'
En semblan que m pes.
« Ne vous étonnez si je déclare la guêtre à un menteur
XIII SIECLE.
664 LA DAME GERMONDE.
« mal enseigné qui , autant qu'il le peut, dérobe, cache,
« dissimule toute action loyale et bienfaisante ; trop il
« prend de hardiesse; car de Rome il dit du mal, de
« Rome, le chef et le guide de tous ceux qui sur la terre
« ont un bon esprit. . .
No us meravilhes
Negiis, si eu muov guerra
Ab fais mal après
Qu'a son poder sosterra
Totz Los f'aitz cortes,
E'is encauss e'is enserra ;
Trop se fenli ardilz
Quar de Roma ditz
Mal , qu'es caps e guitz
De totz selhs qui en terra
An Los esperitz. . . .
<i Rome yraiment, je sais et je crois sans doutance,
« qu'à son véritable salut vous conduirez toute la France,
« oui, et les autres peuples qui vous prêtent secours. Mais
« ce que Merlin dit en prophétisant du bon roi Louis, qu'il
« mourra à Montpensier, maintenant s'éclaircit.
Roma, -veranien
Sai e cre ses duptansa
Qu'a ver salvanien
Adurelz tola Fransa ,
Oc , e l'autra gen
Que us vol far ajudansa.
Mas so que Merlis
Proplietizan dis
Del Iton rey Loys
Que morira en Pansa
Ara s'esclarzis. . . .
•
(I Rome, entreprend œiivi e insensée celui (jui dispute avec
o vous, et si l'empereur ne se soumet, je dis que grand dés-
a honneur en viendra à sa couronne, et ce sera raison. Mais
u aussi auprès de vous trouve bientôt son pardon, qui avoue
« lovalement ses fautes, et s'en montre repentant.
Roma , folh labor
Fa qui ah vos tensona ;
De l'emperador
Die, s'ab vos no s'adona.
Qu'en gran deshonor
Ne venra sa corona,
E sera razos.
Xn£ SIÈCLE.
DURAND DE PERNES. 665
Mas pero ab vos
Leu troba perdos
Qui geii SOS tortz razona
Ni n'es angoisses. . . .
Nous nous persuadons difficilement que l'auteur de cette
pièce soit une femme. Ce sera peut-être quelque moine , tel
que le frère Izarn , de qui nous parlerons plus tard , ou
quelque autre partisan de la ligue, qui aura voulu se déro-
ber sous un nom supposé aux vengeances des Toulousains
et des Avignonnais. Quoi qu'il en soit, on voit que cette
pièce est antérieure au rétablissement de Raimond VII
dans ses états, et à la paix de l'empereur avec le pape. Sa
publication suivit par conséquent de très-près celle du sir-
vente de Figuières. É — D.
DURAND DE PERNES.
Lje troubadour, natif de Pernes, petite ville du marquisat de
Provence, appelé aujourd'hui comtat Venaissin , exerçait la
profession de tailleur, ainsi que le troubadour Montant,
ou du moins était fils d'un artisan exerçant cet état. Le
manuscrit du Vatican , ^noâ , lui donne le titre de tailleur; il "' , ^f'I'
y est appelé Uarantz sartor de faernas. Le manuscrit ren- ,^3.
ferme deux pièces inscrites sous son nom. L'une est un sir-
vente commençant par Guerra e trehals, où l'auteur, après
avoir exprimé sa passion pour la guerre, se félicite de voir la
trêve rompue entre les esterlins et les tournois; mais M. Ray-
nouard a attribué cette pièce à Bertrand de Born,et ce doit
être avec raison , car elle convient parfaitement à ce poète
énergique, par le style et par le sujet.
T ' ? •> » • .. . I ir ' I . D • Même inss. roè^
L autre pièce est un sirvente contre les allies de Kai- ^^ ^i
mond VII, à l'occasion du traité de paix conclu en 1229,
entre saint Louis et ce prince, où ce dernier perdit un tiers
de ses états, et notamment le marquisat de Provence , con-
fisqué au profit du pape Grégoire IX. L'auteur, sincèrement
attaché à Raimond, soti souverain, reproche à Jacques P*",
roi d'Aragon, et à Henri III, roi d'Angleterre, d'avoir laissé
opérer une si criante spoliation. Ce sirvente est généralement
écrit en vers secs et rocailleux, sans manquer toutefois d'i-
mages poétiques ; mais il s'y manifeste surtout un sentiment
Tome XV m. PpPP
4 5*
XIII SIECLE.
666 DURAND DE PERNES.
de colère et une audace qu'on ne peut s'empêcher de remar-
quer, quoique les exemples n'en soient pas rares dans les
temps et chez \vs poètes dont nous parlons.
Cette chanson se compose de six strophes de huit vers,
chacune sur une seule rime.
« Je sens en moi , dit le poète, le désir de forger un sirvente
« pour le lancer contre ceux qui ont mis l'honneur au rebut,
« et qui, après avoir dit hoc (oui), disent no (non), manquant
« ainsi à leur promesse. Et puisque je tiens l'arbalète et le
« croc, j'enfoncerai les éperons deleur côté, pour ra'éleverau
K plus haut lieu , jusqu'au roi anglais lui-même, que chacun
« tient pour un niais , de ce qu'il souffre honteusement
« qu'on le chasse de ses propres domaines; c'est poiinjuoi
« j ai dans le cœur de le frapper un des premiers.
Brocarai lai , per trair al major loc ,
Al rei engles que hom ten per bailoc
Qar sueir'aunitz q'oni del sieu lo descoc,
Per q'en cor ai que als primiers lo toc.
« A jamais je serai ennemi du roi Jacnies, qui tient mal
« ses promesses et met ses serments au néant. Mieux les
« remplit, à mon avis, le seigneur de Narbonne, aussi suis-je
a de ses amis. I! s'est conduit comme un homme d'un vrai
« mérite , et lui , au contraire ( Jacques ) , comme les rois
« débiles de cœur, et me plaira, s'il lui advient dommage
« et malheur.
E el aissi com reis de cor mendies ,
Per qe m plaira si'l ven danz e destrics. . .
« Si leurs secours eussent été puissants et valeureux, les
« Français déconfits seraient prisonniers et tués.
F. desconlig Frances e près e mort.
l/auteur finit par se réjouir du mal qui arrive à la Erance,
et notamment de ce que par-delà les mers, dans la Syrie et la
terre d'Alep, les Turcs ont fait pousser aux Français maints
cris et maints japements.
Lur feron far Turc mant ont e mant Jap.
M. Raynouard a publié un long fragment de cette pièce.
Rayn. Choix, C'cst unc dcs plus singulières qu'on puisse citer, pour mon-
V, p. lî? trer la rivalité obstinée qui a long-temps divisé les habitants
(lu nord de la France et ceux du midi. E — D.
XIH SIKCLE.
BERNARD DE ROVENAC
Il ne subsiste aucune tradition sur les événements de la
vie de ce poète. Nous le connaissons seulement par quatre
sirventes. L'une de ces pièces est adressée à un jongleur
nommé Raynier, de qui le poète se moque; les trois autres
sont des satires singulièrement hardies contre des princes
de son temps. Celles-ci nous apprennent qu'il vivait sous
Jacques l"^ roi d'Aragon, fils de Pierre II, et qu'il était plus
âgé que ce prince, né en 1207 et mort en 1276.
Le premier de ces trois sirventes est dirigé contre
Henri III, né aussi en 1207, devenu roi d'Angleterre en
1 216; et contre Jacques P"", roi d'Aragon. Le poète reproche
au roi d'Angleterre de se laisser dépouiller de ses provinces
françaises, sans se défendre, par les rois de France Louis VIII
et Louis IX. Il reproche à Jacques I" son inaction contre les
empiétements de Louis IX , qui s'empare de ses propriétés
du Languedoc pour en doter Alphonse, son frère. On voit
qu'à l'époque où cette pièce fut composée, Jacques était
sorti de sa minorité, mais qu'il était encore jeune, puisque
Bernard de Rovenac l'appelle F Enfant. Cette pièce doit dater
par conséquent de l'année 1229, c'est-à-dire de l'époque où
fut convenu le mariage du jeune Alphonse avec Jeanne, fille
de Raimond VII. Le poète s'exprime ainsi :
<c Je ne veux ni bienfaits ni reconnaissance des grands, tous ^j^ deiaBibi
« orgueilleux de leur fausse sage-sse, car j'ai dans le cœur de roy. lyoï.f. 34,
a leur reprocher leur conduite vile et mal entendue. Je ne «^h. 319.
a demande point que mon sirvente soit agréable parmi les , iv'^p 203.'^
« lâches, les indolents, pauvres de cœur, puissants par leurs
« richesses.
Ja no vuelh do ni esmenda,
Ni grat retener
Dels ricx ab lur falz saber,
Qu'en cor ay que los repreuda
Dels vils fatz mal yssemitz;
K no Tuelh sia grazitz
Mos sirventes entr'els flacx nualhos,
Paupres de cor et d'aver poderos.
« Je prie le roi anglais de m'entendre; car le peu de prix
P ppp 2
XIII SIECLE.
668 BERNARD DE ROVENAC.
« qu'il avait, il le fait déchoir par excès de timidité, lui à
c qui il ne plaît de défendre ses sujets, et, au contraire, si
f< lâche et si vil qu'on le croirait endormi, quand le roi
« français lui enlève impunément Tours et Angers, et Nor-
« mands et Bretons.
Rey engles, prec que entenda,
Quar fa dechazer
Son pauc pretz per trop temer,
Quar no'l play qu'els sieus defenda,
Qu'ans es tan flacz e marritz
Que par sia adurmitz,
Quel reys frances li tolh en plas perdes
Tors et Angieus e Nomians e Bretos.
rt Le roi d'Aragon sans contredit mérite bien son nom
« de Jacmes [quijacet, jacenteni), tant il aime à demeurer
« couché; et qui que ce soit qui lui enlève sa terre, il est si
« mou et si talonneur, qu'il ne s'en plaint seulement point,
« il se contente de faire payer aux Sarrasins félons la
« honte et le dommage qu'il reçoit de ce côté, vers Limous
« ( dans ses propres états ).
Rey d'Arago, ses contenda
Deu ben nom aver
Jacme, quar trop vol jazer,
E qui que sa terra s prenda ,
El es tan flacz e chauzilz
Que sol res no y contraditz,
E car ven lay ais Sarrazis feilos
L'anta e'I dan que pren say vas Limos.
« Jusqu'à ce qu'il ait chèrement vengé son père, il ne
c peut trop valoir ; et qu'il ne croie pas que je lui dise des
« choses agréables, tant qu'il n'aura pas embrasé le feu, et
« frappé de grands coups. Ensuite son mérite sera accompli,
« si du roi français il restreint les domaines, car des siens
« propres Alphonse veut hériter.
Ja tro son payre car venda
No pot trop vaier,
Ni s cug qu'ieu li diga plazer
Tro foc n'abran e n'essenda
E 'n sian grans colps feritz ;
Pueys er de bon pretz complitz
S'al rey frances merma sos tenezos ,
Quar el sieu fieu vol heretar w'Anfos ....
Le second sirvente s'adresse d'abord aux hommes puis-
BERNARD DE ROVENAC. 6G9
XIII SIECLt.
sants et lâches en général, et ensuite d'une manière parti-
culière aux deux mêmes rois, Henri III et Jacques F"", sur
ce qu'ils laissent en paix les états de Louis IX, tandis que ce
prince est dans la Syrie. « Grand désir m'a pris, dit le poète, Ms,..idaBii)i.
« de composer un nouveau sirvente, hommes riches et sans !,"^_ ^:*"' "'
« vigueur, et je ne sais dans quels termes je dois vous parler, iuyn. choix',
« car peu vaut le sirvente qui loue, quand il devrait blâmer; • iv, p. ao5.
« et j'aime mieux vous reprendre en disant vrai, que si, par
« un mensonge, je vous disais des choses gracieuses.
D'un sirventes m'es grans voiontatz preza,
Ricx homes flacx , e non sai que us disses. . . .
A me platz mais que us blasnie dizen ver.
Que si menten vos dizia plazer.
L'ironie remonte plus haut que les barons dans les stro-
phes suivantes. « Tous deux, les rois, ont arrêté une même
« chose, celui d'Aragon et celui des Anglais ; c'est que nulle
« terre par eux ne soit conquise, et que nul mal ne soit fait
« à qui leur en fit; ils se conduisent avec merci et courtoisie,
« car ils laissent le roi qui soumet la Syrie, jouir en paix de
« leurs fiefs; de quoi sans doute Notre-Seigneur doit leur
« savoir gré.
Amdos los reys an una cauz' empressa
Selh d'Arago et aisselh dels Engles,
Que no sia per elhs terra defeza
Ni faisson mal ad home quel lur fes;
E fan merces e cortezia ,
Quar al rey que conquer Suria
Laisson en patz lur fieus del tôt tener :
Nostre Senher lur en deu grat saber.
a Honte me prend quand je vois une nation conquise (1)
« nous tenir ainsi tous vaincus et conquis; et ce sentiment
« devrait bien pénétrer dans l'ame du roi d'Aragon et de
« celui qui perd la Normandie. . . .
Vergonha m pren quant una gens conqueza
Nos ten aissi totz vencutz e conques;
E degr' esser aitals vergonha prezza
Quom a me pren , al rey aragones
Et al rey que pert Normandia. ...
Cette pièce se compose de six strophes, toutes sur leméme
ton. L'envoi est en ces termes mordants et ironiques :
(i) Il appelle la France une nation conquise, apparemment à canse de
l'agrandissement successif des possessions anglaises.
670 RAIMBAUD D'HIÈRES.
XIU SIÈCLE.
« Hommes puissants mal avises, si j'avais sujet de vous
« donner des louanges, volontiers je le ferais; mais ne
« croyez pas que je passe mon temps à mentir; je ne dè-
« mande de vous ni reconnaissance ni presens.
Ricx nialastrucx , s ieii vos sabia
Lauzor, volontiers la lis tiiria;
IMas 110 us possc'tz iiicntcn mi alezer,
Que voslie giat 110 vuelli ni vostr aver.
C'est ici un exem|)lc de plus du regret avec lequel les
] languedociens et les Provençaux virent leur pays passer sous
la domination des rois de France, leur nationalités'anéantir.
Nous aurons encore lieu de remarquer de vives expressions
de ce sentiment partagé parles citoyens de toutes les classes.
Cette pièce étant postérieure au départ de saint Louis
pour sa première croisade, doit dater à peu près de l'an
1260. Rien ne prouve que Bertrand de Rovenac ait vécu
encore long-temps après cette dernière époque. E — D.
RAMCAUrj D'HIÈRES
Ljorsque Raimond Vil eut conçu le projet de faire casser son
mariage avec Sancie d'Aragon, et de se remarier, afin d'échap-
])er à la clause du traité de paix de l'an 1229, par lequel ses
États devaient appartenir après lui à Jeanne, sa fille unique,
s'il mourait sans enfant mâle, Sancie trouva un refuge auprès
de Raymond Bérenger IV, comte de Provence, son neveu.
Mais après que ces princes furent convenus entre eux que
Raymond VII épouserait la troisièmeJille de Bérenger, Sancie
d'Aragon dut être entièrement sacrifiée à ces combinaisons
()olitiques. Bérenger consentit à s'en séparer , et son mari lui
assigna pour demeure le château de Pernes dans le Venaissin.
Les Provençaux s'intéressaient à cette princesse; ils la virent
quitter la cour d'Aix avec regret. « Le comte de Provence,
(c dit Papon, qui s'était couvert de gloire en recevant sa
(c tante dans ses états, se fit un tort infini par ce traité, i* Un
Papou , Uiit. popj^g nommé Rambaud, natif d'Hières, exprima directement
Siô."^"' '^ a Bérenger le sentiment du public, avec autant de noblesse
que de naïveté. « Comte de Provence, lui dit-il, si la dame
SAVARIC DE MAULEON. 671
XllI SIECLE.
I. V, p ',1"-
<( Sanclie nous quitte, nous ne vous tiendrons plus pour
« aussi bon et aussi preux que nous le ferions si elle de- ., , .. .
« meurait ici avec nous, et abanaonnait 1 Aragon pour la ran 3207, f. 55,
« Provence. Cette dame est belle, gracieuse et franche; elle Uayn. choix,
ic embellira tout le pays. Béni soit l'arbre d'où naît si belle
« branche; qu'il se maintienne tel qu'il est, avec une saison
« favorable !
Coms provensals, si s'en vai dona Sanza,
No vos tenrem tan valen ni tan pro
Com fariam se sai ab nos s'estanza. . .
Qu'ill domna es bella, plaizens e iranza,
E gensara tota nostra reio.
Ben aia arbres don nais tan bella brancha!
Qe tal's containg ad avinen saizo!. . .
Cette pièce ne renferme en tout que huit vers, et elle est
la seule que l'on connaisse de Rambaud d'Hières, mais elle
suffit pour montrer qu'il n'était pas sans talent.
Le fait auquel elle se rapporte est du mois de juin de l'an
124 1 ; elle fut par conséquent composée à la même époque,
puisque la comtesse Sancie n'avait point encore quitté la
Provence au moment où le poète la composait.
Ni les détails de la vie de l'auteur, ni la date de sa mort
ne sont connus : il suffira de sa pièce pour le classer chrono-
logiquement dans la nombreuse suite des troubadours.
E— D.
SAVARIC DE MAULÉON
PREVOT DE LIMOGES.
OAVARic DE Maui.éon, riche baron du Poitou, guerrier et
poète , a de plus grands droits à sa renommée a cause de
ses talents militaires et de la part qu'il prit aux événements
politiques de son temps, que par le mérite de ses vers,
mais les historiens des troubadours le représentent comme
un seigneur si courtois, si instruit, si empressé d'accueillir
et d'honorer chez lui les hommes de talent, si généreux
enfin et si magnifique, qu'on ne saurait s'étonner du rang
672 SAVARIC DK .AlAULEON.
Xllt SIF.CLF.. ,...,.,„ , . Il
distingue ou ils iont place parmi les hauts personnages qui
s'amusaient de poésie au commencement du treizième siècle.
Savaric était fils de Raoul de Mauléon, vicomte de Thoars,
et d'Alipse, fille d'Hugo de Podio-Fagi , seigneur de la
maison de l/usignan. D'autres disent que son père se nom-
mait Ebles. Son aicul paternel était Gui, comte de Thoars,
et son aïeule , Constance , tille de Geoffroi , duc de Bretagne,
que Gui avait épousée après la mort d'IIadellia , sa première
femme (i).
Sa carrière politique, en ce que nous en connaissons,
commence à la mort de Richard Cœur-de-Lion , arrivée en
I iqq. A cette époque, Jean-sans-Terre ayant manifesté l'in-
tention de dépouiller le jeune Arthur, fils de Geoffroi, son
frère aîné, des états a|)partenants aux rois d'Angleterre sur
le sol français, les hauts barons de la Bretagne, du l'oitou,
de l'Anjou, de la Touraine, se liguèrent pour soutenir les
droits de leur jeune souverain. Les seigneurs de la maison
de Lusignan, et avec eux Savaric de .Mauléon, se mirent à
la tète de cette ligue Savaric, fait prisonnier à Mirebaud
en 1202, avec le prince Arthur, Hugues Le Brun de Lusi-
gnan, le com'.e d'Eu et tl'auties seigneurs, fut conduit en
Normandie et de là en Angleterre. Renfermé dans une for-
teresse, il parvint à s'en échapper. Ce dernier fait eut lieu
peu de temps après la mort d'Arthur, égorgé, comme Ion
sait, de la propre main du roi son oncle. Soit que Jean,
après avoir commis ce meurtre, eût favorisé l'évasion de
Savaric, afin de se l'attacher; soit que celui-ci, après la perte
d'Arthur, jugeât la domination d'un prince étranger moins
Mss desiiou- dangereuse pour l'indépendance de son pays que celle de
i.aii. lie la Bii.i PhiHppe-Auguste, il entra dans le parti de Jean, qui le nomma
lov. n 7Î1J, f. commandant des provinces qu'il possédait vers le Midi de la
tSj.arl. de Bcr- , .r \ ir ' 1 1 J' 4 ■ ■
II. de Boro, !« Irance, avec le titre de CienechaL a Aquitaine.
(il'. Mais se livrant à son indolence ordinaire , ce prince l'aban-
lîayii. Choix, donna à ses propres forces dans ce poste difficile. Bientôt
Philippe-Auguste 1 attaqua, seconde par une partie des sei-
jMOme mss giicurs dc la Bretagne. Vainement Savaric demanda des
Miiili. Pans, secours, Jean ne lui envoya ni hommes ni argent : JSi non
liée, des hi>i. ^^,,^^j,^ socors ni ai'uda d'aver ni de een. Les conquêtes de
d» rrance, lotii. / • i r\ i i
xviii, p. 6H5. Philippe-Auguste turent rapides. Dans peu de temps, il ne
(i) Fragiii. Chronic. coni. Pictav. et Aquitan. dite. Rec. des liist. Jcs
Gaules, tom. XVIII, pag. a43.
XllI SIECLE.
Mss.delaliibl.
SAVARÏC DE MALILÉON.. 673
resta au roi d'Angleterre, de ses domaines de la Gascogne
et du Poitou, que les villes de La Rochelle, Thouars et
Niort.
Il paraît que c'est dans ces circonstances, et par consé-
quent en i2o4ou i2o5, que Bertrand de Born, le hls, attaché
à Philippe-Auguste, composa le sirvente contre le roi Jean ,
qu'il adressa à Savaric pour l'engager à abandonner la cause
d'un prince qui ne connaissait, disait-il, ni honneur ni bonne
foi. Il a déjà été parlé dé Bertrand de Born, le fils, à l'oc-
casion de son père; mais le sirvente dont il s'agit est trop
curieux pour que nous ne devions pas y revenir.
« Quand je vois le temps se renouveler, dit le poète, ^^ „ r ^ ,
« quand la feuille et la fleur reparaissent, l'amour me rend 18/i, ch. So'v.
« l'impatience , la hardiesse et l'habileté de chanter; et donc, R")"- f^^oix ,
<t puisque le sujet ne me manque point , je composerai un ' '^' P' '■''■^
<f sirvente cuisant, que j'enverrai publiquement outre-mer,
« au roi Jean afin qu'il en ait honte.
Quant vei lo temps renovellar,
E pareis la fueill' e la Hors ,
Mi dona ardimen amors
E cor e saber de chantar;
E doncs, pueis res no m'en sofraing ,
Farai unsirventescozen
Que trametrai lai per presen
Al rei Joan que s n'a vergoing.
« Et il devrait bien rougir , s'il se rappelait ses an-
">c cêtres, de laisser de ce côté le Poitou et la Touraine
<( au roi Philippe, sans les réclamer. C'est pourquoi toute
« la Guienne regrette le roi Richard , qui employa à la dé-
« fendre maint et maint argent ; mais quant à celui-ci, je ne
« vois pas qu'il en ait cure.
E deuria s ben vergoignar
S'il membres de sos ancessors,
Com laissa sai Peitieus e Tors ,
Al rei Felip ses demandar;
Per que tota Guiana plaing
Lo rei Richart , qu'en deffenden
En mes mantaure niant argen ;
Mas acest no m par n'aia soing.
o Mieux il aime la pêche, la chasse, braques, lévriers,
« vautours, mieux surtout le repos, parce que l'honneur lui
« manque, et il se laisse dépouiller tout vivant. , .
Tome XVllL Q q qq
674 SAVARIC DE MAULEON.
VIII SIECLE. ... ,, , ,. ,,
Mais ama I hordir e 1 cassar,
E bracs e lel)riers e austors
E sojorn , por que il faill honors ,
E s laissa vius deseretar. . . .
Après avoir ensuite reproché leur aveuglement et leur
folie aux seigrieurs qui défendent sa cause, sans craindre les
conséquences d'une si imprudente détermination, l'aureur
s'adresse à Savaric de Mauléon. « Savaric , lui dit-il, roi à
« qui le cœur manque, difficilement obtiendra une heureuse
a conquête, et puisqu'il est mou et lâche, que jamais sur lui
0 nul homme ne s'appuie.
Savarics , reis oui cors sot'raing
Greu fara bon envasimen ;
E pois a flac cor recrezen ,
Jamais nuls hom en el non poing.
Cette pièce est un monument historique d'un assez grand
intérêt. Si Bertrand de Born n'y montre pas tout le talent de
son père, on y voit du moins qu'il en avait tout le courage et
toute l'énergie. Elle est, du reste, la seule qu'on puisse lui
attribuer avec certitude. Un sirvente qui se trouve sous son
nom dans le manuscrit 32o8du Vatican, p. 96, commençant
par Pos sai es vengutz Cardaillac , est donné ailleurs au
Rayn. Choix, daupliln d'Auvergne. On suppose que ce seigneur fut tué à
' v.p 99 la bataille de Bouvines, où il combattait dans l'armée de
Philippe-Auguste. '
Le roi Jean, venu en France en 1206, sur l'invitation
chionit an- ^^^ grand nombre de seigneurs du Poitou, loin de travailler
deg Recueil des avec vigucur à rccouquérir ses états, borna ses exploits à
hisi.de France incendier la ville d'Angers, et aussitôt après, effrayé par
£,^3^7 A *" * l'approche de Philippe- Auguste, il repartit pour l'Angle-
terre, heureux d'obtenir une trêve de deux ans. Cette trêve
étant expirée, et Savaric, ainsi que le vicomte de Thoars ,
tenant toujours pout le parti de ce prince , Philippe-Auguste
ii.td'l'Tvm '^s fit attaquer par le maréchal Henri Clément, Guillaume
p. 77^. ' des Roches et Dreux de Mello Savaric fut réduit à faire sa
.MarièneetDu pgjx particulière. Le traité en fut signé à Paris, aux fêtes de
amfi'^côik"i'''! -^<^^^' ''^ '^" x-xof). Il y fut couvcnu que Savaric se tiendrait
i.roi 1088 pour homme lige du roi, et que si Philippe prenait I>a Ro-
chelle ou Coignac, il lui donnerait ces villes en fief.
Ce traité n'ayant jîoint prohibé à Savaric de combattre
1). Vaisselle , d'autrcs ennemis que Philippe, il conduisit à Raimond VI,
aifi'eic ^''^' ^" 121 1 , un sccours de deux mille Basques, et aidés de ce
SAVARIC DE MAULÉON. 676
renfort, ils assiégèrent ensemble le comte de Montfort dans • 1—
Castelnaudary. Cette entreprise n'ayant pas réussi, ils levè-
rent le siège, et attaquèrent d'autres places du Languedoc
avec des succès différents. Le courage et le dévouement de Sa-
varic furent en dernier résultat peu utiles à llaimond , contre
des forces beaucoup trop supérieures. On voit seulement que
ce chef avait inspiré quelque terreur aux croisés: car l'histo- .^*'.'".'.^^' ,'?'""
r»- J Tr 1' • I • I- . nui, Hisl. all)i-.
rien Pierre de Vaux-Sernai lui prodigue avec amertume, a Kec. des hisi. de
l'occasion de cette guerre, les épitliètes de détestable apostat, J"""- '■ ^ix, \>.
d'opprobre du genre humain, de ministre de l'antechrist, de ^'r
,^1 ' 1 1- 11 '•! ' I AI I' I I I ■ - . Leilied Iniio-
nls du diable, su n est plutôt le diable lui-même tout entier, ceniiii, ii,id.|..
imb totiim diabolum. 75.
En I2i4, il était en Angleterre auprès du roi Jean, et au i'"_''^'Xviii,
commencement de l'année 121 5, tandis qu'il commandait ch,'onic.aii..i
l'armée que ce roi avait rassemblée contre les barons, il fut Rec des hi^t. de
grièvement blessé aux approches de [iOndres. Alais la publi- *'■ '• ^^i"- P
•ji 11 I- I I ^ '/ i"7-
cation de la grande charte , qui eut lieu dans la même année, ibid. m.
et la mort de Jean , arrivée au mois d'octobre 12 16, mirent
fin à cette guerre, et Savaric demeura attaché au service du . , ,.,
rr • rTT > ' i i r Annal. \Va-
jeune Henri 111, âge seulement de neut ans. veri.ibid.p.aoO
En 121Q, il partit pour la Syrie, en compagnie de plu-
U V \ *f • V> •► .. I 1 ^ ^ Chion. AU,.
sieurs chevaliers anglais et français. L était alors le moment „.ju,„ (o,,, ii.jj
où les croisés assiégeaient Dainiette. Le secours de quelques p-tS^
vaisseaux que Savaric et ses compagnons leur amenèrent,
produisit une grande joie dans le camp. Le pape Honorius III
appelait à cette occasion Sii varie, son cher fils. L'historien
Matthieu Paris ajoute que les croisés élevaient leurs mains j^jg,,,, p^,,|
vers le ciel, en actions de grâces, et croyaient n'avoir plus Majoi Angi.iiisi!
rien à redouter depuis son arrivée. ''^j''- ' ^^ u. p
En I2a4 ) il exerçait les fonctions de sénéchal d' Aquitaine '^°
pour le roi d'Angleterre son seigneur. Il est même vraisem-
blable qu'il n'avait pas cessé de remplir cette place depuis i, V'in"'^?"!
bien (les années, car, en 121 3, les Pères du concile de Lavaur, t. xix, p. 75.
dans une lettre qu'ils écrivirent à Innocent III , le désignaient cinon. de .s
par cette qualité. ^^'^^' ''';,''^; '
En cette année 1224, Louis VllI , décidé à rentrer dans cinôn.Tuion.
tous les fiefs mouvants de la couronne , qui restaient au roi ■''''^ t- xviji,
d'Angleterre sur le sol français, mit le siège devant Niort, ''j";*',
Savaric tenta d'abord de défendre cette place. Trop infé- Hisi.de Ha^au?
lieur en forces , il obtint quelques jours après, par une capi- Ann.de Hain.mi,
tulation , la faculté d'en sortir à la tête de sa troupe, et avec P"i>ipa> m Foi-
toutes ses armes. Il alla alors s'enfermer à La Rochelle. Le xiv'i, lo^-"
Q q q q 2
XIll SIFXLE.
Chron. PiclJtv.
Rec. hist. Fr. t.
XVIII. () 2 VV
D. Vaisselle ,
I. IH, p. 35o.
Chron. Tuion.
loc.cil.lXVIII,
|). 3i8.
Chron. Tiiron
ibid. pag. 3i9 ,
.3ao.
67G SAVARIC DE MAULÉON.
roi l'y suivit. Des machines furent aussitôt dressées; le siège
dura dix-huit jours. Réduit encore une fois à capituler, Sa-
varic emmena ses soldats en Angleterre, après avoir obtenu
pour les bourgeois la faculté de traiter de leur côté , et le
maintien de leurs franchises.
Arrivé auprès d'Henri III, il sollicita de nouveau des
secours; ce fut inutilement; il eut même la douleur de re-
connaître que, malgré la glorieuse défense par lacjuelle il
venait de s illustrer, les Anglais ne se fiaient point entière-
ment à lui; il soupçonna même qu'on voulait le faire arrêter.
Alors il revint en France, traita avec Louis VIII, et lui fit
hommage de tous ses fiefs. Ce traité eut lieu en la même
année 1 224 ; et , en 1 226 ,' on le voit s'engager avec I.-ouis VIII
à faire la guerre aux Albigeois : ce nouveau traité est; du 28
janvier.
Ija prise de La Rochelle ayant facilité à Louis VIII la
conquête de tous les pays voisins, un grand nombre de sei-
gneurs du Périgord , de la Guyenne et du Poitou, se soumi-
rent. La mort de ce prince changea encore une fois la face
des affaires. Rien ne pouvait dissuader les grands de ces
provinces de l'opinion où ils ét.àient, que la suzeraineté d'un
roi séparé d'eux par la mer, était la forme de gouvernement
la plus favorable à l'indépendance de leurs fiefs. Aussitôt
après la mort de Louis, ils formèrent entre eux une nouvelle
ligue en faveur d'Henri III , et l'invitèrent à passer en France,
espérant que la minorité de Louis IX favoriserait leur entre-
prise. Savaric, entré dans cette union, se rangea sous les
étendards de Richard, frère du roi d'Angleterre, lorsque
celui-ci débarqua à Rordeaux. Mais bientôt ce prince, battu
sur divers points, ayant été contraint de se rembarquer, il
ne resta plus d'autre parti au seigneur français que de se
soumettre définitivement à Louis IX : c'est ce qu'il fit par un
acte du mois de mai ou de juin de l'année 1227. Cet acte
est indiqué par les historiens, seulement comme une trêve
qui devait durer jusqu'à la Saint-Jean; mais il est vraisem-
blable que la trêve fut convertie en un autre accommodement
à perpétuité. Après ce dernier fait, on ne découvre plus rien
de relatif à l'histoire politique de Savaric de Mauléon. Si
nous admettons qu'il fût âgé de trente ans environ à la mort
du roi Richard, il en avait à peu près soixante à l'époque de
ce dernier traité fiait avec le roi de France. Nous supposons ,
d'après cela, que sa mort ne doit pas s'éloigner beaucoup des
SAVARIC DE MAULÉON. 677
XIII SIKCLE.
années la/foou i245(i).LetroubadourHuguesdeSaint-Cyra
écrit la notice historique où est racontée son histoire galante.
C'est au milieu d'une carrière si agitée que Savaric de
Mauléon trouva des moments pour composer des vers. Nous
l'avons vu, dans la vie d'Hugues de la Bachélerie , amoureux
de la dame Guillemette de Bénagués, femme du seigneur de
Langon. Comme il se trouvait un jour chez elle, en com-
pagnie d'Elias Rudel, seigneur de Bergerac, et de Geoffroi
Rudel, seigneur de Blaye, et que tous trois la priaient d'a-
mour, cette dame espiègle et coquette, qui déjà les avait
retenus tous pour ses chevaliers, chacun à l'insçu des deux
autres, sut les satisfaire en les trompant tous trois. A Geoffroi
Rudel , assis en face, elle lança un regard amoureux ; prenant
la main de Bergerac, elle la lui serra vivement; et de son
pied, elle pressa le pied de Savaric, avec un sourire mêlé
d'un soupir. Et ela , com la plus ardida dona c'oni anc
vis , coinenset ad esgardar En Jaufre Rudelh de Blaya amo-
rozamen, car el sezia denan ; et a ji' Elias Rudelh de Bra-
gairac prcs la mari, et estreis la fort amorozamen ; et de ino-
senher E\ Savaric causiget lo pe rizene sospiran. Les deux Raju. choix,
Hudel, en sortant, se contèrent mutuellement leur bonne tii.p 44<>
fortune. Savaric n'osait avouer la faveur qu'il avait obtenue,
attendu qu'il se croyait le plus favorisé; cependant il proposa
la question à Gauselm Faidit et à Hugues de la Bachélerie.
Cette question donna lieu à la tenson de trois interlocuteurs
( Torneyamen ) , dont nous avons déjà cité des fragments à Snprà.t.xviii,
l'occasion de Hugues de la Bachélerie. Savaric compo.sa le p^''«-
_ • 1 . ' Ravn Choix ,
premier couplet: ..ii,,.. .98
Gauselnis, très jocx enamoratz
Partisc a vos et a N'Ugo,
E quascus prendetz lo plus bo,
E layssatz nie quai que us vulhatz:
Qu'una domn'a très preyadors,
E destrenh la tan lor amors
Que, quan tug trey li son denan ,
(i) Nous écri-vions ceci en i834, avant de connaître la Notice iiistorique
publiée par M. l'abbé de La Rue, sur Savaric de Mauléon , dans ses Essais
historiques sur les Bardes, les Jongleurs et les Trouvères, ouvrage im-
primé à Cren , en i834 (tom. III , pag. 121 et suiv.). Ce savant écrivain
prouve par des instructions qu'il a puisées aux archives de Ja Tour de
Londres, que Savaric mourut en i236 (pag. 124). Il le classe parmi les
trouvères, mais par une pure présomption. Du reste, le travail de M. de
La Rue confirme par des dates les époques de quelques-uns des faits que
nous avons recueillis.
4 6
678 SAVARIG DE M AU LEON.
Xlll SlfcCI-B. ^ quascun fai d'amor semhlan ;
L'un esgard' amorozamen ,
L'autre estrenh la man doussanien^
Al terz caiissiga lo pes rizen :
Digatz al quai, pus aissi es ,
Fai major amor de totz 1res.
Gausclm, trois jeux amoureux
Je propose à vous et au seij!;neur Hugues;
Et chacun prenez le meilleur,
Et laissez -moi quel que vous veuilliea.
Car une dame a trois solliciteurs.
Et si bien elle resserre leur amour
Que quand tous trois sont devant elle,
A chacun fait d'amour semblant.
L'un elle regarde amoureusement,
A l'autre serre la main doucement.
Au troisième elle presse le pied en riant :
Dites auquel, puisqu'ainsi est.
Elle fait plus grande amour de tous trois.
Faidit préfère l'œillade, Hugues le serrement de main.
Suvaric reprend :
N'Ugo, pus lo mielhs mi laissatz,
Mantenrai lieu ses dir de no :
Donc die qii'el causigat que fo
Faitz del pe fo fin amistatz
Celada de iauzenjadois;
E par ben , pois aitals secors
Près 1 amies rizen, jauzian ,
Que l'amors fo ses tôt enjan :
E qui'l tener de la man pren
Per major amor, fai non sen.
E d'EN Gauselm no m'es parven
Que l'esguart per meilhor prez es
Si tan com ditz d'amor saubes.
Seigneur Hugues, puisque le mieux vous me laissai,
Je le maintiendrai sans dire non :
Donc je dis que le presser qui fut
Fait du pied fut line amitié
Dérobée au.\ médisants;
Va il paraît bien, puisque tel moyen
Prit l'amie riant, jouissant,
Que l'aniour fut sans aucune tromperie :
Et qui prend le serrement de main
Pour plus grande amour, fait non-sens;
Et du seigneur Gauselm ne me paraît
Que l'oeillade pour meilleur il prisât.
Si autant qu'il le dit en amour il savait.
Faidit soutient que les yeux sont messagers d'amour, et
que le prcssement de pied n'est souvent qu'une moquerie.
SAVARIC DE MAULÉON. 679
„ • . • 1 . j • XIIISIKCLE.
Hugues persiste a croire que le serrement de main annonce
plus de sincérité.
Le nombre des six strophes voulues par l'usage se trouvant
rempli, Savaric ne peut plus répliquer; il ajoute seulement
dans l'envoi , qui est une strophe de cinq vers :
Gauselms, vencutz etz el conten
Vos et EN Ugo certamen,
E viielh (Ju'en t'assa'l jutjamen
Mos Garda-Cors que m'a conques,
E NA Maria on bon pretz es.
Gauselin, vaincu vous êtes dans la dispute.
Vous et le seignegr Hugues certainement;
Et je veux qu'en fasse le jugement
Mon Garde-Corps qui m'a conquis,
Et la dame Marie où bon prix est.
Faidit désigne pour troisième juge la dame de Bénagués
elle-même, et il veut que la décision soit prononcée en
présence des trois amoureux courtois; ce qui est faire en-
tendre fort clairement que la question ne doit jamais être
jugée.
Rlalgré l'espérance que le pressement de pied avait fait
concevoir à Savaric, la dame de Bénagués, qui l'appelait
souvent auprès d'elle du Poitou en Gascogne, par mer et
par terre, le trompait chaque fois par quelque invention
nouvelle ; E mantas vezfes lo venir de Peitieus en, Gascuenha
per mar e per terra; e cant era vengutz gen lo sabia enga-
nar abjalsas razos, que no'lfazia plazer d'atnor. Las appa-
remment de cet amour sans succès, Savaric fit choix d'une
autre dame jeune, belle, aimable et désireuse de célébrité,
femme de Guiraut, comte de Mansac. Cette dame, charmée
d'attirer à elle un amant de si grand renom, l'agréa pour son
chevalier , et lui accorda bientôt le plus tendre rendez-vous; -
E la doua per la gran valor que vi en el, retenc lo per son
cavayer, et det lijorn quel vengues a leys per penre so que
demandava. Il y eut en ceci quelque tromperie , ou bien il
fut commis de la part- de Savaric une grande indiscrétion; M»i.d«iaBibi.
quoi qu'il en soit, la dame de Bénagués, informée du rendez- ™b*^°''.
vous donné à Savaric, lui manda sur-le-champ de venir chez ,. vf°p. 366 [
elle en secret, lui faisant espérer une complaisance sans 44».
réserve , per aver d'ela tôt son plazer, et cela pour le jour
même où la comtesse de Mansac l'attendait.
XIII SIKCLE.
680 SAVARIC DE MAULEON.
Le troubadour Prévost de Limoges , ayant reçu de Savaric
la confidence de l'embarras où il se trouvait, lui demanda
à laquelle de ces dames il allait offrir ses vœux , ne doutant
pas que la préférence ne fût due à la dame de Mansac. Sa
demande et la réponse de Savaric devinrent le sujet d'une
tensoii. « Seigneur Savaric, dites-moi en chantant ( ce que
« vous pensez) d'un brave chevalier qui a aimé long-temps
a une dame d'un grand prix, et l'a mise en oubli, puis il en
« prie une autre qui devient son amie, et (celle-ci ) lui as-
(f signe un jour ( pour ) qu'il vienne vers elle et jouisse selon
» ses désirs: et quand l'autre vient à le savoir, elle lui mande
« que le même jour elle lui accordera le prix qu'il deman-
« dait : d'égal mérite, d'égale beauté sont les deux dames;
« choisissez suivant votre inclination.
En Savaric, ie us demaii
Que m diatz en chantan ,
D'un cavayer valen
C a amat lonjanien
Una dona prezan ,
Et a'I mes en soan;
Pueys preya n'autra
Que en deven s'amia ,
E mandai jorn c'am leys vaza
Per penre tôt son voler;
E can l'autra n sap lo ver, etc.
« Seigneur Prévost, répond Savaric, les vrais amants ne
« vont point changeant leurs affections , et ils ne cessent
« point d'aimer, quand bien même ils feignent d'aller priant
« ailleurs. Car nullement, pour un refus, un homme ne doit
« déplacer son cœur; au contraire, il attend tout avec bon
« espoir de celle qu'il aime. Qu'il se tienne auprès d'elle et
« garde sa route, elle ne le trompera point.
En Prebot, li tin ayman .
No van lur cor camian ,
Desaraan lialmen ,
Sitôt si fan parven
Canon alhors preian. . . .
Car ges per la fadia
Non deu hom son cor mover.
Ans atend ab bon esper. . . .
Prévost réplique que dans ce cas le chevalier reconnaîtra
bien mal les bontés de la seconde dame , qui s'est mise en
son pouvoir de si bonne grâce.
SAVARIC DE MAULEON. 68 1
,, . . , , . , , . XIll SIECLE
Savane ajoute qu une dame qui cède si promptemerit ne .
sait pas bien aimer, et manque de prudence autant que
d'amour.
On a peine à croire qu'un chevalier aussi courtois que
Savaric se soit expliqué avec tant d inconvenance sur une
femme qu'il avait lui-même priée d'amour, quelque galante
qu'elle pût être. Cette anecdote nous peindrait des mœurs
par trop dégradées. Le rendez-vous donné par la dame de
Mansac, et l'existence même de cette dame, étaient peut-
être *des suppositions, et la coquette Guillemette fut prise
au piège.
La date de cette tensou est indiquée par l'envoi. Prévost
prend pour juges la dame de Benagués elle-même, Marie t. xvii, p
de Ventadour, et la dame de Montferrat, savantes en amour; 56..
Savaric adhère à ce choix. Or, nous avons montré précédem-
ment, à l'article de Marie de Ventadour, que cette dame
mourut entre I2i5 et 1218. La pièce est par conséquent
antéiieure au moins à cette dernière année, et elle peut
l'avoir précédée de beaucoup.
Prévost n'est connu que par cette tenson; on sait seule-
ment qu'il était de Limoges.
Une pièce plus remarquable de Savaric, mais dont il ne
subsiste qu'un fragment , appartient évidemment à l'an Pièce comineii-
1211; et elle est entièrement politique, quoique sous la T"la?\i,"'"dù
forme d'une déclaration d'amour. «Désormais, madame, Vatican, 3107,
s dit le guerrier poète, il serait bien juste que je parvinsse '"' 55.
« à vous conquérir, puisque tant d'autres vous ravissent
(( par la violence et le brigandage. J'ai si bien fait que j'ai
« rassemblé Basques et Brabançons. Si belle est ia récom-
'c pense, que nous sommes cinq cents prêts en tout à exécuter
« vos commandements. Mandez-nous votre volonté; aussitôt
" à cheval, car tous nous avons sellé.
E mandatz ia vostra volontat,
Car montarem , que lots avern selat.
Le sens de cette pièce n'est pas difficile à reconnaître. La
dame à qui Savaric offre son hommage est la malheureuse
reine Eléonore, femme de Raimond VI; les brigands sont
les soldats de la ligue; la conquête à faire est celle du Lan-
guedoc. On aime à voir Savaric prendre le ton de la galan-
terie en annonçant à une reine tombée dans l'infortune,
les exploits qu'd va tenter pour son service. Le treizième
Tome XF III. Rrrr
4 6 *
XUI SIÈCLE.
682 BERTRAND DE SAINT-FÉLIX.
siècle se montre ici dans toute sa grandeur chovalerosque.
Tel fut Savaric de Mauléon , né dans la plus haute noblesse
de son temps, homme politique, guerrier. Anglais ou Fran-
çais suivant son intérêt, aventureux, galant, magnifique,
poète, protecteur des troubadours, type des héros de la
féodalité. É — D.
Mss. du Valî
can , 3208 , 1>
BERTRAND DE SAINT-FÉLIX
v.iE poète, quelle que fût sa position sociale, paraît avoir
été lié avec Hugues de la Bachélerie, de qui nous avons
T. XVII, |. parlé précédemment. Nous supposons, d'après cela, qu'il
^74- fut admis comme lui à la cour de Marie.de Ventadour et à
celle de Savaric de Mauléon, ainsi que les troubadours les
plus estimés de cet âge, du Limousin et du Poitou : c'est ce
motif qui nous fait placer sa notice à la suite de celle de
Savaric. Il n'est connu que par une seule pièce; ce qui sem-
ble annoncer qu'il ne faisait pas son état de l'art des vers.
Cette pièce est une tenson entre Hugues de la Bachélerie
85 et lui. Lest Hugues qui propose la question.
Rajn. Choix, « Dïtcs, Bertrand de Saint-Félix, ce que vous préféreriez
t. IV, p. 3o. „ éprouver de la part d'une dame de grand prix, franche,
« courtoise, agréable dans ses manières, qui jamais n'aurait
(c aimé personne à titre de galanterie, ignorante de toute
« ruse et de toute tromperie ? Choisissez, ou que vous l'alliez
M priant, ou qu'elle vous prie elle-même, vous aimant jus-
« qu'à ce point.
Digatz, lîerlranil de san Félix,
Ia» quai teni'iaz per nieillor,
D'una doniiia île gran valor,
Franca , cortcza , ab bel senibiau ,
Qu'anc non amet per nom de drudaria.
Ni ren sap d'engan , ni de Lauzia.''
Era chauzetz, que vos l'anetz preian ,
O qu'ela us prêt-, c que us am afrctan.
Bertrand répond: « Seigneur Hugues, vous poseriez agréa -
a blement les jeux partis, si vous eussiez trouvé un bon
« choisisseur; mais je vous procurerai peu d'honneur, car
« je vois que vous faites le partage sans ruse, ^'ous qui de
BERTRAND DE SAINT-FELIX. 683
'( prier avez le talent, je veux que vous priiez ; quant à moi,
« il me semblerait folie de dédaigner un don si précieux et
« si grand, si elle me connaît bien celle qui est empressée
'c de me plaire.
N'Ugo, ben fazetz jocs partitz,
Si trobassetz bon chauzidor;
Mas ieu non farai tan d'onor.
Car vei que partetz ses engan.
Vos , que avetz de preiar maestria,
Voill/|ue preietz, car foudatz semblaria
Qu'ieu soanes tan rie don ni tan gran,
Si be m conosc qu'el grazirs a af'an.
Hugues réplique : « Bertrand , vous n'avez point choisi
« selon l'esprit des amants délicats; car, au jugement d'a-
« mour, mieux vaut (la récompense) quand on l'obtient
« par la prière. . . .
Bertrans , ges aissi non chauzilz
A guisa de fin ainador,
Que, segon jutjanien d'anior.
Val mais quan la prec merceian ....
Après une slrophe où Bertrand soutient qu'une dame est
loin de commettre une faute, si elle requiert un ami sans
tromperie et sans vouloir s'en faire un serviteur, il dit enfin :
« Seigneur Hugo, ma jouissance est accomplie sans crainte
« des envieux , et vous, vous demeurez dans l'erreur; car je
« tiens et vous allez musant : ce que je veux, je le possède,
« et ma dame a ce qu'elle désirait. Donc, je serais bien fou,
« si je demandais davantage au temps , car jamais il n'arriva
« mibux à nul fidèle amant; je puis rire quand l'autre va
« pleurant.
So qu'ieu voll ai, et il so que voila;
Doncs sui ben fols s'al segle ptusquerria,
Qu'anc non anet miels a nuill fin aman;
Qu'ieu pose rire quan l'autre va ploran. •
Nous donnons de longs fragments de cette pièce , en faveur
de l'esprit avec lequel Bertrand de Saint-Félix défend sa
cause. M. Raynouard l'a publiée en entier. É — D.
XIII SIECLB.
Rr
r r 2
Xm SIKCLE.
AIMÉRIC DE PÉGUILÂIN.
MOBTvcisiaii {^/^ vie d'Airaëric de Puyguilan ou de Pëguilain n'est qu'une
'^ ^' suite de plaisirs et de galanteries, mais elle a été longue; ce
troubadour Ht des vers pendant plus de cinquante années; il
composa des tensons avec un grand nombre d'autres poètes,
depuis Faidit et Bergédan jusqu'à Guillaume Figuières, et
fréquenta les cours les plus illustres du midi de la France et de
l'Italie supérieure, dans des temps féconds en grands événe-
ments : ce sont là des raisons pour que nous nous attachions
avec soin à la chronologie des faits auxquels se rapportent
Pa|.i.ii, voya- |)lusieurs de ses pièces de vers , d'autant que cet ordre chro-
.i;.-.ie Pioveiice, nologiquc & été totalement bouleversé par un écrivain re-
,„j^ ' "" "^ commandable ( Papon) , qui s'est trop confié au romancier
Nostradamus.
Aiméric surnommé de Péguilain naquit à Toulouse; il était
fils d'un marchand de draps. Son surnom de- Péguilain a été
écrit de diverses manières ; mais comme il diffère essentiel-
lement de ceux des autres troubadours nommés Aiméric, il
est impossible de les confondre. Devenu de bonne heure
amoureux d'une dame de son voisinage, femme d'un bour-
geois, il renonça à la profession de .son père, et se mit à
composer des vers. Il chantait mal; mais, quoique ce fut là
un grand défaut relativement aux habitudes de son temps,
il obtint de brillants succès. L'amour, dit son biograpiie,
le fit poète : Et aquela amors li mostret trobar. Ses assi-
duités auprès de sa voisine ayant excité lajalousie du mari,
il s'ensuivit un duel où ce dernier fut blessé d'un coup
d'épée à la tête. Obligé de s'expatrier, le jeune troubadour
se réfugia dans la Catalogne, auprès de Guillaume de Ber-
gédan, de qui nous avons parlé précédemment , lequel goûta
son talent, lui donna , suivant l'usage, un palefroi et de riches
habillements, tan quel li donet son palafre et son vcstir, et
l'introduisit à la cour du roi de CastiUe ( Alphonse IX ), qui
le combla de présents et d'honneurs.
Ceci se passait nécessairement avant que Bergédan eût
été dépouille de ses biens et se fût réfugié, en état de ruine
totale, chez Richard Cœur-de-Lion ; or Richard partit pour
XIII SIECI.K.
AIMÉPxIC DE PKGUILAIN. 085
la Syrie, le i4 septembre 1190, ne rentra en France qu'en
iir)4, t't mourut le 6 avril i 199 ; il suit de là que le séjour
d'Aiméric de Péguilain chez Bergédan est antérieur à la
fin de l'année 11 90, ou du moins à l'année 1 199. Par consé-
quent, s'il avait vingt ou vingt-cinq ans quand il quitta Tou-
louse, il était né vers l'an i ijS, et il était âgé de soixante-
dix ou soixante-douze ans, quand il écrivit sa complainte
sur la mort de Raimond Bérenger IV, arrivée en ia45.
C'est pendant son séjour dans la Catalogne, ou auprès du
roi de Castille, qu'il a dû composer sa tenson avec Bergédan, Mss .)f ubin.
commençant T^ar : Eîi Berguedan. '^^.^ ^""''
« Il s'agit de savoir lequel vaut mieux , d'être aimé d'une
« dame sans l'aimer, ou cle l'aimer sans obtenir son amour.
C'est Aiméric qui interroge.
(( Ne croyez pas , répond Bergédan , que ce soit pour
« muzer que je fasse l'amour; je ne suis point un homme
« désœuvré; avec les dames, comme au jeu des dés, il faut
« que je gagne.
C'ang en anior no vengui per niuzar,
Ni anc no fuy d'aquels desfazedatz ;
Que gazenhar vuelh de dona e de datz.
Aiméric ayant soutenu la proposition contraire, Bergédan
finit par lui dire : « Ne cherchez pas à vous jouer de nous;
« si vous eussiez aimé avec les sentiments dont vous vous
« vantez, vous ne vous seriez pas tant éloigné de Toulouse.
Bar N'Aimeric, ja no us cuidetz gabar,
Que s'amassetz tan cant aysi eus vanatz,
No us foratz tan de Tholiiza lunhatz.
La mort d'Alphonse II, roi d'Aragon, dit Alphonse I**^,
comme comte de Provence, arrivée en 11 96, devint pour
lui le sujet d'une complainte qui n'existe plus, mais qu'il a
rappelée dans celle où il a célébré la mémoire de Raimond
Bérenger IV.
Après un séjour de plusieurs années dans les cours de Cas-
tille et d'Aragon , curieux de visiter celles de la Provence
proprement dite, et de l'Italie, il se mit en route pour ces
contrées, où il devait trouver des protecteurs non moins géné-
reux que ceux qui l'avaient accueilli auparavant. Sa passion
pour la dame de Toulouse n'était point éteinte. Ayant appris
XIIISIECIE.
686 AIMERIC DE PEGUILAIN.
que le mari allaiten pèlerinage à Saint-Jacques deCumpostelle,
il résolut tle profitei de son absence, et d'arriver à Toulouse,
inconnu, afin de voir sa inaitiesse sans la compromettre.
Le roi Alphonse de Castilie, qui s'était engage à fournir
à tous les frais du voyage jusqu'à Montferrat, s'amusa de
cette intrigue. Ils imaginèrent ensemble une mascarade où
Peguilain devait figurer comme un prince de (bastille. Le roi
lui composa un cortège de gardes et de chevaliers suppo-
sés, qui durent l'accompagner jusqu'à IMontpellier. Entré à
Toulouse, la nuit, dans cet équipage, Peguilain se fit an-
noncer chez, la dame comme un cousin du roi Alphonse,
allant eu pèlerinage, et c|ui demandait l'hospitalité. Cette
dame s'empressa d'offrir son plus bel appartement. Le soi-
disant prince se fit coucher par ses gens, et le lendemain
matin, en s'excnsant auprès de la dame de la maison, de ce
qu'une indisposition l'empêchait de se présenter chez elle,
il la fit prier de venir le voir. Arrivée sur-le-cliamp, elle le
reconnut, et feignant de rajuster le drap de lit, elle s'inclina
et lui donna un baiser; c la donna fes parven quel cabres
dels draps , e baizet lo. Je ne sais , continue le naïf historien,
ce qui put se passer ensuite, mais le seigneur Aimèric de-
meura dix jours auprès de sa dame, sous le prétexte de sa
maladie, ^f/' ochaizo d'esser malautes. Ainsi se vérifia le mot
de Bergedan : « Si vous eussiez agi comme vous vous en
<c vantez, vous ne vous seriez pas tant éloigné de Toulouse. »
Après avoir quitté son cortège à Montpellier, le poète se
rendit à Aix , où il ne put manquer d'être bien reçu du comte
de Provence, Alphonse II, et de (iarsende de Sabran,sa
femme, ne fut-ce qu'en considération de sa pièce de vers à
la louange d'Alphonse i^'^, père du comte. Il se lia avec
Blacas, soit à Aix, soit à Aups, fait dont la preuve existe
dans les envois qu'il lui adressa de plusieurs de ses pièces
[)ostérieures.
C'est après ces différentes stations qu'il arriva à Mont-
lerrat, chez Boniface III. L'Italie supérieure était alors oc-
cupée des préparatifs de la croisade de laoa, dont Boniface
fut le chef Peguilain s'annonça sur-le-champ par un sirvente
dont rol)jet était d'exciter les peuples à la conquête des
lieux saints. D;ins cette pièce, écrite en provençal, comme
une foule d'autres, quoique faite pour des Italiens, il félici-
tait le marquis Guillaume de iMalaspina de s'être croisé un
(les premiers, et invitait le marquis de Montferrat à se
Xni SiECLli.
AIMERIC DE PEGUILAIN. G87
couvrir de la gloire qui avait déjà illustré sa famille dans ces
guéries sacrées. 11 eut un iiioinent le projet de prendre lui-
même la croix; « le bon pape Innocent, disait- il, sera notre
gnide^ Nos guizara lo bon papa Iniioct'iis ; ^y mais il y renonça.
Nous voyons dans tout ceci qu'il s'agissait bien en effet
de la croisade de 1202, et que par conséquent le poète était
arrivé en Italie vers l'an 1201; car Innocent III, mort en
1216, n'eut pour successeur un pape de son nom qu'en
124^, et aucun des marquis de iMontferrat, successeurs de
Boniface III, ne paraît s'être croisé. Quand ces princes
se portèrent dans l'Orient, ce fut pour s'occuper de leur
royaume de Thessalonique , et non pour conquérir la Syrie.
De la brillante cour de IMontferrat, Aiméric se rendit
auprès des seigneurs de la maison d'Est. Le chef de cette
famille était alors Azon V[, célèbre Guelfe, tantôt podestat
de Ferrare, de Crémone, de Vérone, de Modène; tantôt
chassé de ces mêmes pays par le paiti des Gibelins. Aiméric,
en suivant sa cour, chantait ainsi ses vers de ville en ville
dans la Haute-Italie et y faisait entendre un langage familier
aux personnes instruites, et entendu même du peuple.
Bientôt ses liaisons s'étendirent de la maison d'Est à celle
de Malaspina, qui en était une brandie. C'est surtout avec
Guillaume, neveu d'Albert le troubadour, de qui nous
avons parlé précédemment, qu'il se lia d'une manière par- xv]'/' '"5" '
ticulière.
Parti de Toulouse dans des temps de tranquillité et de
bonheur, il n'y retourna point, du moins pour y demeurer,
quand les troupes de la ligue y eurent porté la dévasta-
tion. Il continua néanmoins une honorable correspondance
avec Alphonse IX, Pierre II, roi d'Aragon, llaimond VI
et Eléonore d'Aragon sa femme; c'est ce qu'on reconnaît,
notamment en ce qui concerne Pierre II , dans un sir-
vente sur le pervertissement de la noblesse et sur les mal-
heurs de son temps, adressé à ce roi et à une dame que le
poète nomme N' Agradwa^ la à-AVSXQ gracieuse . Cette pièce est
nécessairement antérieure à l'an 121 3, époque de la mort
de Pierre II. Nous y reviendrons tout à Iheure.
A la mort d'Azon VI, qui eut lieu à Vérone en 12 12, Aimaioii diik
Aiméric de Péguilain composa une complainte , commençant amidi Ksiensi ,
par ce vers : Ane non cugey que m pogues oblidar. Il"" ' > v- s?** ,
Le personnage qu'il célèbre est Azon VI, quoiqu'il lui '^
doime seulement le titre de Marquis d'Est; il ne saurait y
688 AIMERIC DE PEGUILAJN.
Mil SIK.CLE
R;i\ii. Cliiiix .
avoir d'équivoque, car les qualités qu'il attribue à ce seigneur
ne pourraient convenir ni à Aldovrandin, ni à Azon VII,
ses deux fils, l'un à peine adolescent, l'autre encore enfant
lors de la mort de leur père, et qui lui succédèrent l'un à
la suite de l'autre, dans l'espace de trois ans.
Le jeune Frédéric II, né en Italie, élevé à Naplcs, ayant
attaqué, eti lai-i, Othon I\ , son rival, qui s'était fait cou-
ronner empereur à Rome, et l'ayant chassé de l'Italie, Pé-
guilain, charmé de la bravoure de ce prince à peine âgé de
dix-sept ans, lui adressa, dans le courant des années sui-
vantes, un sii:vente oîi il témoignait son admiration pour
I. i",!.' lo'î "' '^ grand caractère qu'il lui voyait déployer. Le poète, en
déplorant la perle de plusieurs hommes illustres, morts
récemment, témoigne l'espoir de voir Frédéric les rem-
placer tous, rétablir l'honneur et la vertu par son cou-
rage, sa sagesse , son instruction, son éloquence, et guérir
le monde ( ce sont ses expressions ) des blessures quelui ont
faites tant de pertes réitérées coup sur coup.
Il semble qu'en I2i4, la hiort d'Alphonse IX, le plus
ancien des protecteurs du troubadour, ait amené aussi l'ex-
pression de ses regrets. Le sirvente dont il s'agit commence
par ce vers : Totas honors e tuigfaig benestan. Toutefois on
ne saurait lui attribuer cette pièce avec certitude.
Vers l'an i22j, il eut à déplorer la mort de Guillaume de
Malaspina. Point de doute sur ce personnage, attendu qu'il
paraît avoir été, de tous les nombreux amis de Péguiiain,
celui de qui l'attachement pour ce poète fut le plus sincère
et le plus durable. D'ailleurs ce Guillaume de Malaspina,
préfet de Rome, fils d'Obizzon, frère de Conrad et neveu
d'.Albert le troubadour, est le seul seigneur de la branche
régnante de cette maison, nommé Guillaume, pendant deux
M-, .ll-luilll;!
I <»\ - /'2.» , fol
OU trois générations.
En 1245, la mort de Raimond Bérenger IV, comte de
Provence, fut l'occasion d'une nouvelle complainte.
Enfin, vers la même année, ou peut-être plus tard, la
mort d'une princesse de la maison d'Est renouvela et aggrava
les anciennes douleurs de Péguiiain. Son chagrin se mani-
festa dans une pièce de vers dont nous allons bicrtùt parler.
Rien n'indique d'une manière positive qui était cette prin-
cesse ; mais il est facile de voir qu'il s'agit de Béatrix, femme
de Guillaume de Malaspina , honorable protectrice que le
])oète api>cllc dans ses envois Belh paragon [beau modèle).
aimkhk; de pkgijilain. 689
Il nous dit lui-môme que cette dame mourut la dernière de
tous les hauts pcrsonnat^es qui lui avaient témoigné un
véritable intérêt. Alais, dans tous les cas, la mort de llai-
niond Bérenger donne une époque certaine, éloignée de
cinquante - cinq ans environ de l'arrivée d'Aiméric chez
Bergédan.
Beaucoup d'autres pièces produites dans les intervalles
que laissèrent entre elles ces com|)iaintes liistoricjues, n'illus-
trèrent pas moins la longue carrière de ce jioète.
C'est par l'amour, nous dit-il dans une de ses pièces,
(ju'il Se plaît à commencer sa chanson, plutôt qu.e par des
peintures de toute autre sciericc; car, sans l'amour, il ne
saurait rien. Il est vrai (pie ce maître, avec de beaux sem-
blants, lui a traîtreusement fait payer cher ses leçons; à la
bouche d'aborti il lui sut adoucir ce que de[)uis à son cœui'
il a rendu si amei ; mais il ne cesseia [joint d'aimer, car il
lui reste du moins toujours l'espérance.
\IHSlEt:i.F..
De fin aiiior comenza ma cliansos,
■Plus que non l'ai île nul! 'aiitra scienza,
Queu no sajjria nient s'ainfirs no fbs ;
El anc tan car no conipii'i conoisscn/a
C'alj l)el semblan, aissi coni fais liaire,
Me vai iloblan cascun jorii lo niarlire, etc. . . .
Cette pièce est adressée au roi d'Aragon.
Ce poète aime les comparaisons : malheureux dans son
amour, tantôt il se compaie au joueur qui croit d'abord
pouvoir jouer sagement , et qui , se passionnant peu à peu,
s engage tellement, s'il vient à periire , qu'il ne peut plus se
retirer; c'est ainsi qu'il a fait en amour.
Atressi m pren coni fai al jiigatlor,
Qu'ai coniensar joga maistiaiiiicn
Al petit jog, pois s'esralfa perden , etc. . . .
Tantôt il se compare au chasseur (jui poursuit un lièvre, et
voit un autre chasseur l'enlever devant lui.
Pièce comineii-
lant par Di' fin
nmor. Mss.de la
liibl. loy. 71126,
loi. ./A.
iviss. (lit (le
l'circsc , chans.
97-
Picrctoninien-
tant par AtressL
m picn. Mss.
7226, f. ()i.
Mss. lie Pei-
lesc , ili. ()g.
Aissi com selli qii'a la lebre cassaila
E pois la pert , e autre la rote;
Tôt atressi es avengut a me. . . .
11 aime pour le plaisir d'autrui, semblable à l'oiseau de
Tome XVI II. Ssss
Aisiicomsel/i.
Mss. 7226 , fol.
<jo.
Mss. 72ï5, f.
i'i9-
690 AIMERIC DE PEGUILAfN.
XIIISIÈCLF.. , ' , . Il • ,
bon naturel qui gazouille tristement (Jans sa cage, sachant
bien (|u'il est prisonnier et c|ue son chant ne lui sert à rien.
Per solatz. d autrui chaut soven . .
Si cotn l'auzels de bon aire
7«i'j,f.oi.Ms5. ^ 1 ■ «
7614 f -8 Que sab qu es près, e per so no s recre,
C'ades mon chant atretal es de me.
Il aime malgré lui tendrement une dame qu'amour lui a
tait choisir parmi les plus belles; il eût mieux fait de porter
son choix ailleurs, car mieux vaut gagner en argent que
perdre en or; mais je fais en cela, dit-il, comme un sincère
amant, je fuis mon bien et vais suivant mon mal.
Mas i«u o tatz a Icv de fin nnian ,
(Ju'ieu t'ug uioii pro, e \,iui sfi;uen uimi daw.
Ces deux dernières pièces sont adiessèes par un double
envoi à Guillaume de Malaspina et à la comtesse Béatrix
d'Est, sa femme; ce qui nous montre que le prétendu amour
du poète n'est qu'une forme galante et convenable à l'usage
du temps, pour dire des choses agréables aux deux époux,
l'rois autres pièces de Péguilain sont pareillement adres-
sées par de doubles envois à Guillaume de Malaspina et à
Béatrix.
„ , . „,, Dans la première, commençant par ce vers : En anior
Mss. de la Bilil r ' o i i • 1
roy. 7226, 1. 87. trob alques en que m reftaing , le troubadour se plaint de sa
Mss.ditili l'i'i- dame, qui refuse constamment d'accomplir ses promesses; et
'•■^C' ' ' y cependant il ne peut lui-même se détacher de l'amour; car
s'il croit lui échapper, il suflit d'un regard pour le ressaisir
et rallumer ses feux.
D'aniar ni) ni puosc partir, caniornii pren ,
(^ue (jiian m en cuit 1 nd)lar, plus nii repren
Ab un esgard
Dans la seconde, commençant par Lonjanien m'a treha-
Mss.driaRii.i Ihat , il dit (|ue l'amour l'a entièrement soumis , que la ja-
lousie le tue, et qu'il est réduit à ne pas oser se plaindre, tant
il craint de déplaire à sa dame.
La troisième de ces pièces est celle où le poète examine
si, dans la poétique des troubadours, il y a une différence
entre ce qu'ils nomment un vers , et ce qu'ils appellent une
chanson.
lOV. /"O I , ( I
AIMÉRIC DE PÉGUILAIN. 691
Xm SIECLE.
Mantas vetz sui enqueritz
En rort, cossi vers no t.itz,
Per au'u'U vuelli si anelatz, ^'^". ''^^ '
c I I 1 . th. iSa.
E sia urs lo tli.mzitz , „ , ,
(.HAXSo 0 \ Elis aqiu'st clian ; <(„
E resDon als (l'Mnaiidan
Qu'oni non troba ni sap ilevczio
Mas sol lo non» entre Veiis e Chanso.
Maiiilci fois je suis ciifiuis
En coin-, coiiiilKiil VKRS je iir f.iis,
C't'Sl ixiiiKiiioi il' vi'MX (iiic soit appi-le,
Etsokà Jxk-clMMx, ' •' Trad. do M.
Cl.a.ison uu vers . .■ <l.a>il; Rajin.voy.Choii,
El je npoiids aii\ deinaïuhints , ""^ I II , p. 1 77
Qu'lioininc ne Ikiuvc ni ne sait division
Extipti- seuil Mit lit le nom eiilie vers et chanson.
L'auteur termine sa pièce eu lui disant dans le premier
envoi: «Va , mon chant, vers le preux (iuillaume de Malas-
« pina ; demande-lui qii il apprenne de toi les paroles et l'air,
a soit qu'il veuille te pientire pour vers ou pour chanson.
Qu'el aprenda de te los motz e I son,
Cals que s voiila per vers o per chanson.
Il dit dans le second envoi: « DameBéatrix,dequiles!ouan-
« ges sont dans la houi lu^ des hommes les plus excellents,
« avec vous (je dore) j orne mon vers du nom de chanson.
Per qu'ien al) vos daiiri mon vers chanson.
Il semble suivre de ces derniers passages, qu'on traitait
indistinctement dai\s le vers des sujets de divers genres, et
que le nom de chanson se dottnait plus particulièrement
aux chants d amoui.
Nous avons déjà fait remarquer cet usage fréquent des
poètes, de prêter les (ormes d'une passion amoureuse et sans
espoir, aux -sentiments d'amirié, de respect, de dévouement,
que leur inspirait une d.ime d'un haut rang ou d'une haute
vertu; mais il est bon d'y revenir quelquefois, pour con-
naître pleinement les mœurs du treizième siètrle, et les divers
caractères des poésies eroliques des troubadours.
Nous venons de parlei- de la complainte inspirée à Pégui-
lain par la mort de Guillaume de Mal.ispina. Nous avons
dit tju'il eut encore, (juclques années après, la douleur
de voir mourir Bt'.itrix d Mst , femme de ce seigiu-ur Le'
complainte qu'il com[)usa sur cet événement, nous prouva
S ss:ia
A[MERIC DE Pl.GUILAIN.
Xin SIECLE.
69 a
qu'il en fut réellement inconsolable (i). Nous ne voyons pas
dans ce clinnt funèbre lu désespoir de llambaud de \ achères,
à \n mort de la femme dévouée à qui leucliaîiiait une passion
réciproque; ce sont les gémissements de l'amitié, c'est le
sentiment déchirant de lisolement d'un vieillard qui perd,
à la fin de sa carrière, le dernier objet de ses plus chères
affections.
K De jour en jour, elle m'a abandonné, cette joie même
Dr >ot rri tôt. « qui m'était restée! Sivez- vous bien pourcjuoi je suis ainsi
Mis. de la tiM. „ Jaus le dc'sespoir? Cesl à cause de la comtesse Béatrix, la
w> ■'^'^ ' "■ ' plus aiinablo . la plus estimable <lcs femmes, morte aujour-
' r.iyn riioi\ . « d'Iiui. Dieu! quelle cruelle séparation! Elle et si dure, si
t. ni, i> .47.8. ,( intolérable; j'en éprouve une si grande doulcu:, que mon
« cœur est prêt à s'ai r.icher de mon sein quand j'y songe.
De tôt en tôt es :ii lio ini partit/,
Aijuelh evs joys tjiie m er;i remiiziitz.
Sal)ctz ptT que suy aissi espeidiitz;'
Per la l)ona conitessa Deatrix,
Por la gensor c per la plus valen
Qu es mort' uei. Dieiis! qiian estran partimeii!
Tan fer, tan dur, don ai tal dol al) nie
Qu al) paue lo eor nu m jiart quan m en sove.
« Oîi est maintenant ce beau corps, si bien façonné, si
a précieux , si cher aux hommes les plus distingués?. . .
On es aras sos belhs cors gen noiritz ,
(hic fos pels l)OS aniatz e car tengulz:'. . . .
<( Que sa conversation t-tait gaie et choisie , son accueil
t( gracieux et prévenant, son langage pur et !>ien conçu! Que
« ses réponses étaient aimables et laites pour plaire! Que
ff SCS regards étaient doux et sagement riants, ses politesses
« élevées et di.stinguées! De tous charmants attraits et de
« beauté, elle possédait plus à elle seule, qu'aucune autre
« femme du monde , j'en suis persuadé.
Quel siens solatz era gays e cliauzitz,
t l'aenllurde ben siatz vengiitz,
E SOS parlars fis et apcrceubutz,
F. 1 respondre plazeiis et abelliitz,
(i) Papon a été induit en erreur, (juand il a cru que cette pièce se lap-
Papon , Ilîst. pQj(;,ji à la niort de Béatrix de Savoie, femme de Rainiond Bérenger IV.
del 104. t. II, p. (■ç,j,p princesse ne mourut que veis l'an iî>.6-.
«
«
AIMÉRIC DE PËGUTLAIN. 6g5
E SOS esgars dous uil pauc en rizen,
E SOS onrars plus oiirats d'onramen !
De totz Los ayps avia mais ab se,
Qu'autra ciel mon e de beutat, so cre.
« Qui honorera et protégera comme elle l'homme de
a talent? Qui appréciera comme elle les beau\ ouvrages des
« troubadours? Qui retirera plus noblement un indigent du
« malaise? Qui goiitera et accueillera comme elle de belles
« chansons? Qui composera comme elle de beaux airs et si
bien d'accord avec les paroles? Et qui connaîtra si bien
ec le véritable esprit de la galanterie? Dites-le moi, et dites-
moi comment et pourquoi cela était; quant à moi, je ne
« le sais, et jamais mon cœur n'a vu rien de semblable.
Per cui er hom mais onratz e servitz?
Ni per cui er bos trobars entendutz?
Ni per cui er hom tan gent ereubutz?
Ni per cui er belhs molz ris ni grazilz?
Ni, per cui er belhs cbans fagz d'avinen?
Ni per cui er donineys en son enlen?
Uigatz per cui, ni cum si, ni per que?
Icu non o sai, ni mos cors non o ve.
En reconnaissant ici la finesse des pensées et l'élégance
du langage où s'est élevé notre troubadour, le lecteur re-
marquera sans doute le portrait qu'il a tracé d'une dame
accomplie des hauts rangs de la société du treizième siècle.
Noble maintien, grâce prévenante, accueil riant et réservé,
pureté du langage, conversation spirituelle, instruction,
finesse du tact, art de juger les vers et d'y adapter une mu-
sique expressive, générosité, bienfaisance, sagesse, vertu,
voilà ce qu'exigeait le goût sévère d'un excellent troubadour.
Les modèles d'une semblable réunion de qualités exquises
durent être rares, comme le dit Péguilain , mais il s'en trou-
vait, et il faut sans doute accorder aux poètes l'honneur
d'avoir amené la civilisation jusqu'à ce haut degré, du sein
de l'ignorance et de la barbarie qu'ils voulaient dissiper par
leurs chansons.
Mais de toutes les pièces d'Aiméric de Péguilain , la plus
curieuse pour l'histoire de son temps, c'est sa complainte
sur la mort de Raimond Bérenger IV. La princesse Margue-
rite , fille aînée de ce prince, ayant épousé Louis IX, roi de
France, et Béatrix , la plus jeune, ayant été unie à Charles
d'Anjou , frère de ce roi , ces deux mariages faisaient passer
4 7
XUI SIKCLE.
XIII SIECLE.
'694
AIMERIG DE PÉGUILAIN.
Mb mariineni
angoissas . Ms».
7»»5, fol. 198,
ch. 8:6.
la Provence inévitablement et pour toujours sous la puissance
de la maison de France : c'est là ce qui excitait les regrets,
pour ne pas dire la colère du poète. Il gémit à la fois sur la
perte qu'il éprouve lui-même, par la mort de Raimond Bé-
renger, et sur le malheur public qu'il regarde comme une
suite infaillible du mariage de Béatrix. « Dans la tristesse et
tf dans les pleurs , dit- il, je supporte malgré moi la vie,
a puisque la mort ne veut pas m'en délivrer. Désormais ils
« vivront dans la douleur les Provençaux; car, au lieu d'un
« bon seigneur, ils vont' avoir un sire.
Oimais viuran Provensals a dolor,
Carde valen seijjnor tornen en sire,
rt Ah, Provençaux, en quelle grave désolation vous êtes
« maintenant restés, et en quel déshonneur! Divertisse-
« ments, jeux, plaisirs, joie, rire, honneur, gaîté , sent
« perdus pour vous, et vous êtes tombés dans les mains de
a ceux de France. Mieux vous viendrait être tout à fait morts,
a Et celui par qui vous pourriez être relevés, ne trouve en
« vous ni loyauté ni confiance!
Ai, Pit)veiiçals, er en grieu desconori
Elz remangut et en quai desonianza!
Perdutz avetz sulalz, juec et déport.
Et elz vengut en ma de cel de Franza !
Meils Tos vengra que fossiatz del tôt mort.
E cel per qui pogratz esser estort
Non irob' en vos leulatz ni Ëanza (i).
o Hélas! mal pourvus de seigneur et de fiefs (de seigneurs),
« qui jamais ne vous bâtiront village, ni château fort, serfs
« des l'Vançais, ni par droit ni à tort, vous n'oserez porter
« écu ni lance.
Ai, mal astrucs de seigner ed'onranza.
Qu'us faran mais villa ni castel fort,
Sers dels Frances, que per dreg ni per tort,
No auzeretz portar escut ni lanza.
Nous avons déjà rencontré plusieurs fois la preuve de
cette répugnance poui' le gouvernement des Français, qu'é-
prouvaient, à l'époque dont nous parlons, les habitants du
midi de la Loire. L'idée de perdre leur n itioiialité, leurs
lois, leur régime politique, leurs fêtes, leur langue, leur
(i) Apparemment le fils de Jacques F', roi d'Aragon, qui avait demanda
la main de' Béatrix.
AIMERIC DE PEGUILAIN. 696
musique, blessait des affections profondes, et portait quel-
quefois les esprits jusqu'à l'exagération. Pour reconnaître
la cause de ce sentiment, qu'avaient aggravé les persécutions
exercées contre les Albigeois, il faudrait peut-être remonter
jusqu'aux guerres des Francs contre les Goths, ce qui est
hors de notre sujet.
Quand Aiméric de Péguilain célébrait ainsi les hautes
qualités de Raimond Bérenger et de Béatrix d'Est, il était
plus que septuagénaire, et sa verve, comme on voit, n'avait
rien perdu du leu de la jeunesse. Sa carrière avait été heu-
reuse et brillante. A quelques étourderies de jeune homme,
avait succédé une conduite sage et réglée, li s'était acquis
l'estime des princes dont il avait fréquenté lescours. On peut
dire qu'Alphonse IX, roi de Castille, Pierre, roi d'Aragon,
llaimond Bérenger I\ , Guillaume de Malaspina, étaient deve-
nus ses amis ; il avait même acquis quelque fortune, comme
nous l'apprennent les épigrammes de Figuières; ce qui nous
montre <^ue la profession de troul)adour pouvait devenir lu-
crative, surtout lorsqu'elle était relevée, ce qui arrivait fré-
quemment, par des habitudes honorables. Si nous en croyons
Nostradamus, il mourutchez une dame de Malaspina en 1 260.
Il est vraisemblable que cet écrivain commet ici une légère
erreur, puisque le poète survécut à sa noble amie Béatrix d'Est,
veuve du marquis Guillaume. Nous acceptons donc la tra-
dition de Nostradamus, seulement comme approximative, et
nous supposons la mort de ce poète arrivée vers l'an laSj,
époque où il était âgé de plus de quatre-vingts ans.
Ce troubadour a joui, de son vivant et long-temps encore
après sa mort, d'une grande célébrité. Pétrarque a fait men-
tion de lui, dans des vers que nous devons répéter à l'oc-
casion de chacun des troubadours qu'ils concernent. C'est
dans le quatrième chant de son Triomphe de V Amour ,
lorsqu'il peint, à la suite du char sur lequel est monté le
jeune dieu, les poètes qui ont le plus dignement honoré son
culte. Je vis, dit- il, Pindare, Anacréon, Virgile, Ovide,
Tibulle; ensuite, parmi les nombreux troubadours, je vis à
leur tête Arnaud Daniel , grand maître en amour, Rambaud,
l'amant de Béatrix de Montferrat , Aiméric (de Péguilain),
Bernard ( de Ventadour). . . .
Amerigo , Bernardo , Ugo et Anseimo,
Et mille uitri ne vidi a cui la lingua
Lancia e spada tu sempre , et sriido et elino.
XUl SlKCLt.
GgG AIMERIC DE PÉGUrLAIN
Matfre Ermeiigaud de Béziers, troubadour lui-même, qui
florissait au commencement du quatorzième siècle, a inséré
un g^rand nombre de fragments de ses poésies, dans son
Recueil intitulé : Z>e Bréviaire d'amour [Breviari (famor).
Il subsiste dans divers manuscrits cincjuante pièces envi-
ron d'Aiméric de Péguilain. M. Raynouard en a publié six;
plus, des fragments de huit autres, dont il a traduit plusieurs
en français.
Mais une remarque plus imj)ortante doit nous occuper,
au moment où nous terminons la série actuelle de l'histoire
des troubadours, comme elle a frappé |)lusieurs auteurs des
Histoires littéraires de l'Italie. La longue carrière d'Aiméric
de Péguilain marque l'époque la plus brillante du règne de
la langue des troubadours. Déjà avant son arrivée en Italie,
fait qui eut lieu en 1201, on y chantait les vers d'un grand
nombre de troubadours languedociens et provençaux, et ils
y étaient compris et goûtés, comme nous l'avons fait voir,
non seulement des personnes d'un rang distingué, mais
Danif ,iiPui- encore du peuple. Ces poètes étaient notamment Arnaud
satoiio , cani. Daniel , « le plus excellent fahricaleur dans sa langue
'^^Péiiai la "^ maternelle, dit le Dante, meglior fabro ciel parlar ma-
Tiiomf.d'Amoi! « temo ; n Amaud Daniel , disons- nous, qui, suivant l'ex-
cap. IV. pression de Pétrarque, avait honoré son pays natal par un
langage nouveau et brillant, che alla sua terra ancor Jd
onor col suo dir nuovo e bel la ; Arnaud de Mareuil, Pierre
d'Auvergne , Raml)aud d'Orange , Giraud de Borneil ,
Augier et beaucoup d'autres dont on avait recueilli les
ouvrages.
Sous le règne de Boniface III, dans le Montférrat; d'A-
7,011 VI , dans les domaines de la maison d'Esl ; d'Albert et de
(juillaume de Malaspina, dans le duché de Massa, on y vit
arriver,;» j)eu près en même temps que Péguilain, Pierre
Vidal, Cadenet, Guillaume Faidit, Rambaud de Vachères,
Albert de Sisteron , Arnaud Catalan, Folquet de Romans,
Jean d'Aubusson , Guillaume de la Tour, Hugues de Saint-
Cyr, Aiméric de Bellenvei; et pendant la guerre des Albi-
geois, Guillaume Figuières, Bertrand d'Aurel , Lambert,
Pavés , Pierre Brémond de Ricas Novas , Ralmentz Bistors,
Rambeau de Beaujeu , et d'autres dont nous parlerons plus
tard.
La langue et le chant des troubadours sympatnisaient trop
bien avec les dispositions naturelles des peuples de l'Italie,
AlMÉRIC DE PÉGUILAIN. 697
Xm SIKCLH.
pour qu'ils n'y trouvassent pas des imitateurs. Pendant les
cinquante années du séjour de Péguilain dans ces contrées,
s'élevèrent de tontes parts des poètes qui, charmés des pro-
ductions de leurs hôtes, chantèrent dans la même langue,
sur les mêmes rhythnies, et sur des sujets entièrement sem-
blables, soit galants, satiriques ou politiques. Ce furent
Albert de Malaspina, dans la Lunegiana ; le marquis Lanza,
à jMilan; Nicoletto de Turin, de qui nous avons déjà parlé;
Barthélémy Zorgi , natif de Venise; Lantranc Cigala, Boni-
face Calvo , Simon Doria , Jacques Grillo, tous originaires de
Gênes; la dame Guillelma de'Rosieri, vraisemblablement
de la même ville; Paul Lanfranc de Pistoie, d'autres disent
de Pise; Sordel de Mantoue, comptés tous parmi les trou-
badours, et de qui nous [larlerons dans le volume suivant.
L'Italie, qui commençait à peine à pressentir le génie de sa
langue nationale , semblait chercher à s'approprier celle des
poètes aragonais, languedociens et provençaux, dont les
éléments étaient les n^êmes que ceux de la tienne propre.
Rt comment ne pas remarquer quec'est en ce moment même
que se forme ce nouvel instrum nt donné au génie, cette lan-
gue douce , sonore, riche d'images, si heureusement disposée •
il s'unir avec la musique la langue du Dante et de Pétrarque.^
Et comment douter aussi de l'influence qu'ont exercée sur
cette heureure création , les prédécesseurs de ces deux poètes.»*
Le Bembo a parlé clairement de cette influence des trou- B.mbo UPro-
badours sur l'Italie, et il ajoute : « Plus de cent poètes se, lib. i, p. 20,
a provençaux se lisent encore aujourd'hui parmi nous;che «^Vencu 1675.
« piu di cento suol poeti ancora si leggono. »
Le Varchi dans son traité sur les langues, en forme de B.Varchi,rEr-
dialogue, intitulé Ercolano. se fait demander par son inter- '^^'''""- ^^- f''
locuteur : Diteini di quante e quali lingue voi pensate che sia ^"^ p.' ^uti '
principalmente composta la Volgar? Et il vé\^o\\à: Di due,
delta Latina , e délia Provenzale.
Le Tassoni, qui avait fait une étude particulière des ouvra- . *'"'• t»sso-
ges des troubadours, cite des passages recueillis dans des "j'^J,; ""''ra"*û
vers d'environ trente-six de ces poètes, comme des sources, rime di Kr. po-
soit de mots, soit de formes de la langue italienne (1). «r«rch«.
François Redi , dans ses notes sur son propre dithyrambe Fiam_. Redi,
intitulé: Bacco in Toscana, a puisé des passages semblables Bacco m Tosca-
, , j 1 I "^ ^ • I > 1 • » . na , t. I , opp. p.
dans plus de trente troubadours, et u sexplique a ce sujet ,6y, ed Milan,
1809, '\a-V.
(i) Aiméric de Péguilain est souvent cité danj ce travail.
Tome XVUL T ttt
4 7 «
698 AIMÉRIC DE PÉGUILAIN.
XIII SIÈCLE.
en ces termes : / qunh ( Trovato riprovenzali ) ne' tempi che
fiorirono misero in cosi gran lustra e prcgio la loro lingua,
che ella era intesa e adopernta quasi fia tutti coloro che pro-
fessa^'ano con le lettere gentilezza di cavalleria , e di carte,
non salamente ne' paesi délia Francia, maaltresi nella Ger-
ma nia , neV Inghitelterra e nelV Jtalia.
Kniin lu langue italienne essaya son vol dans les poésies
de Guiftone d'Arfzzo,de Guido Gninizzelli, de Guido Caval-
Gin6uené,Hist. canti. Bientôt après, le Dante parut, et nul mieux que lui,
liit. d'itniie , ch. parmi les auteurs italiens, si ce n'est Pétrarque, ne s est plu
Îd'paris''i8'i ' ^ reconnaître l'influence que les troubadours ont exercée sur
D«Die,Purga- I» langue et la poésie de son pays. On sait que ce poète ren-
ior.c»ni.xxvi, contraiit Amaud Daniel, dans sa fiction du Purgatoire , écrit
■ '^*'' lui-même en huit vers provençaux, la prière que lui adresse
Crescim. Deir ce patriarche des Muses provençales (1).
'*'^''''n''"'^ Tous ces faits ont paru à Crescimbeni si bien constatés,
qu'en publiant sa traduction des Fies des troubadours , de
Nostradamus, enrichie de ses notes, et faisant suite à son
Istoria délia volgar poesia , il a placé au frontispice ces mots
relatifs à ces poètes provençaux , chefurano Padri délia detta
poesia volgare. E — D.
(i) Une preuve que la langue des troubadours était non seulement
familière aux écrivains italiens tiu treizième siècle, mais encore à toutes le»
personnes qui fréquentaient les cours , c'est que le Dante a écrit en pro-
vençal très-pur. I^ics vers dont nous parlons, ayant été défigurés jusqu'à
devenir presque inintelligibles , par les copistes et ensuite par les éditeurs
• de la Divina Commedia, dans des temps où la langue provençale ne leur
était presque plus connue, il a suffi à M. Raynouard, si profondément
versé dans la connaissance de cette littérature, de rapprocher les différents
manuscrits pour rétablir le langage du Dante dans sa correction primitive.
« J'y suis parvenu, dit-il à ce sujet, sans aucun déplacement ni cfîangement
• de mots, parle simple chois des variantes.» On peut voir à ce sujet l'article
qu'il a inséré dans le Journal des Savants ( février i83o). M.Artaud, dans
sa précieuse édition de la Dimna Commedia, s'est conformé aux corrections
de ce savant littérateur ( Paris , i83o, Purgat. tom. III , p. 80 ).
XIU SIECLE.
TROUVÈRES.
Li\ plus brillante période de la littérature française du moyen
Age commença vers le milieu du xii' siècle, et ne finit qu'à
la (in du xiii*. C'est ce que uous croyons avoir suffisjimnient
exposé dans notre Discours préliminaire (tome XVI); ce que
nous avons prouvé, ce que nous prouverons encore mieux
dans ce tome-ci et ceux qui le suivront, par nos notices sur
le nombre, vraiment prodij^ieux , d'auteurs dans tous les
genres, qui ont fleuri dans cette même période.
Mais de toutes les brandies de la littérature qui furent cul-
tivées en ce temps avec zèle et succès, aucune ne se montra
plus féconde que la poésie. La poésie semblait être deverme
un besoin de la société. Il fallait Atis jjoëmes pour toutes
les classes de la nation : des romans en vers, des chants
d'amour et de chevalerie dans les châteaux; des légendes ri-
mées dans les couvents, dans les villages et les hameaux; des
fabliaux, des contes ordurierset des chan.sons de même espèce
dans les villes, pour les artisans et les villains. C'était en vers
qu'on traitait de physique, d'agriculture, de religion, de mo-
rale. Tout s'écrivait en vers: les actions héroïques comme les
événements les plus vulgaires; les moralités conwne les anec-
J^l I A \ ^ \ ■ '•! I VoirlcFâbliM:
dotes les plus scandaleuses; tout, jusqu a des observations sur ^a Baiaiiiedet
le mérite des vins de divers «-rus, et des quolibets sur des W/i.,- le Fabliau:
noms de rues, sur les crisde Paris, etc., etc. Les mes de Pa-
Ce fut le beau temps de la menestrellerie et de la jonglerie, faùiau» de Bar
I.'art de rimer sur toutes sortes de sujets, et l'art moins ho- baxan. «dit.- de
iiorable de réciter ou de chanter ces compositions poétiques, *'«^"-
en y joignant des tours d'adresse et des boulfonneries, atti-
rèrent long-temps, sur ceux qui les cultivaient, de la consi-
dération et des bienfaits. Mais \e^ jongleurs se multiplièrent
à l'excès, se formèrent en corporations nomades (pii pai cou-
raient les diverses contrées de la France, avec femmes et en-
fants, comme les parcourent encore aujourd'hui quelque»
bandes de saltimbanques. La licence de leurs mœurs devint
telle qu'il fallut tantôt les as.sujettir à des règlements, taniôt
chercher, mais vainement, à les expulser du pays. Ce fut alors
qu'ils se dispensèrent le plus souvent de recourir aux me-
Tltta
700 TROUVÈRES.
XIII SIKCLE.
nestrels pour se procurer des poèmes; ils en composaient
eux-mêmes. Il paraît que dès le commencement du xiv^
sièc\f ^ ménestrels el jongleurs n'étaient plus distingués les
uns des autres par la diversité de leurs emplois. La menes-
trellerie et la jonglerie ne faisaient plus qu'un métier que
ménestrels et jongleurs exerçaient en commun. En etiet,
nous voyons qu'à Paris ils habitaien): ensemliie un même
quartier, une même lue. C'est ce qui nous semble démontré
Bii.i.oy.niss. par uue ordonnance d'un garde de la prévôté de Paris, pro-
fouds.ieSorbou- mulguéc cu Septembre de l'an iSai ; ordonnance qui nous a
Be. n. 7,9. été conservée, du moins en partie. C'était dans cette rue
même et non ailleurs que l'on devait se rendre pour engager
ceux des jongleurs ou jongleresses dont on voulait employer
les talents dans une fête quelconque. JNous avouons hundile-
ment que nous ne comprenons pas bien les motifs de la plupart
des di.spositions que contient ce vieux document ; mais il est
du moins une preuve de l'état de dégradation dans lequel était
tombée l'institution de la menestrellerie. Ce n'était plus le
temps où les Taillefer et les Berdic marchaient avec les rois
à la tête des armées; ce n'étaient plus ces chantres de la gloire
et de l'amour que les princes, les châtelains appelaient, rete-
naient près d'eux, à qui ils distribuaient de l'or, des habits pré-
cieux, à (jui même ils donnaient des terres et des fit'fs nobles
en récompense. Mais il faut dire aussi qu'à cette époque de
décadence, les mœurs, l'esprit général delà nation française
avaientsubi une révolution. Elleétait passée l'époque héroïque
des croisades; les âmes avaient perdu beaucoup de leur en-
thousiasuie, de leur vigueur; il ne leur était guère resté que
de l'ignorance et fies préjugés religieux. Rien d'étonnant si la
poésie, que l'on avait cultivée avec tant d'affection, était alors
négligée , presque méprisée, et si l'on s'empressait de remettre
en prose les productions poétiques que naguère on avait le
plus admirées.
Dans le document que nous venons de citer, il est fait
mention de nienestrelles et de jongleresses. Ainsi nul doute
qu'au commencement du xiv* siècle, des femmes, et en très-
grand nombre, exerçaient cette profession. Pourquoi donc
ne trouvions-nous dans les deux siècles précédents aucune
trace de jongleresses ni de menestrelles }
Une femme poète (Marie de France), une seule s'était il-
lustrée par des lais et des fables, dans le xiii^ siècle; mais
il nous eût répugné de la ranger parmi ces jongleurs nomades
TROUVÈRES.
JO]
et de mœurs dissolues, elle qui nous paraît avoir toujours
vécu dans les cours, et dont les écrits sont remarquables
par leur décence et leur délicatesse.
C'était donc pour nous une question que celle de l'exis-
tence de véritables jongleress€i\i dans les deux beaux siècles
de la jonglerie. Grâce aux recherches qu'a bien voulu faire,
sur notre invitation, M. Paris, si bien connu par les éditions
qu'il publie des ouvrages de nos plus anciens poètes, nous
pouvons prouver par un monument, par un seul monument,
il est vrai , qu'il y avait, au moyen âge, des jongleresses qui
allaient, comme les jongleurs, de châteaux en châteaux, de
villes en villes, chantant et récitant des fabliaux, des lais,
des romances (i).
Une question plus importante divise, en ce moment,
deux savants académiciens , qui s'occupent depuis long-temps
de recherches actives sur la langue , la poésie et les poètes au
moyen âge.
(i) Voici la note qui nous a été communiquée par M. Paris.
« Dans le roman de Bernées de Hanstorie, qui semble avoir été composé
vers le milieu du xiii' siècle, Josiane, la première maîtresse de Beuves ,
ayant appris que son amant, en épousant la fille du roi de Séville, a pro-
mis de ne jamais retourner à Hanstone, prend la résolution de se rendre
à Séville, déguisée en jongleresse. Quand elle est arrivée, elle aperçoit
Beuves qui, monté sur son bon cheval Arondel, allait chasser dans une
forêt voisine :
Kle sospire et Beuves chevalca
Tant que li plot, e il s'en retorna.
Et Josi:ine bien {;aiile s'en donna
D'unes fenestres hautes où ele esta.
Quant ele voit que la vile aprocha ,
Prent sa viele, <Je l'ostel s'en torna.
Vient as eslaus > où ele s'asiéia;
Tote la gent enlor lui aiina.
Quant voit Buevon, à canter comenchii
Si faitement com je vos dirai jà
Des aventures qui lor avient piechà :
« Oies, signer, por Dieu qui ne menti,
« Boine caiichon dont li vers suiit furoi,
" C'est de Buevon un chevalier ardi;
0 La soie mère en qui flans il nasqui
K Li porracha mortel plait et basti;
Il Vendre le fist, che sa-je bien de fi,
• Al roi Hermin que soèf le norri.
« Cil daraoiseus à sa fille servi,
• Si, li garda un destrier arabi,
« Moult bien rcsamble celui que je voi cbi,
« C'est Arondel, onques millor ne vi ,
« Si l'appeloient cil qui l'orent norri.»
Xni SIK'l 1
■ Sm l>
publique.
plïcf
XIUSIECLK.
702 TROUVÈRES.
L'un(M. Raynouard) pense que la langue fies trouvères est
une émanation, une tille de la lanj^ue des troubadours^ la-
quelle était formée et perfectionnée long-temps avant l'autre.
11 en induit, par une conséquence assez juste, que les pre-
mières chansons en langue romane ont été composées par
des Provençaux , et il fait entendre , s'il ne le dit pas explici-
tement, que les trouvères n'ont été que des imitateurs et
souvent des traducteurs des poètes du Midi.
L'autre savant (M. de la Rue), après avoir recherché quelle
a été lorigine de la langue française, l;i fait naître directe-
ment et sans intermédiaire de la langue latine, altérée et cor-
rotnpue; il re|)ousse toute idée de communauté primitive
de la langue des trouvèies avec celle des troubadours. Enfin,
il n'accorde nullement à ces derniers la gloire d'avoir été les
maities îles trouvères dans la poésie tant lyrique qu'épique
ou héroïque.
Ces deux opinions si opposées ont été soutenues des deux
part.-) avec chaleur et talent. Chacun s'est ;ippnyé sur des
monuments qu'il regarde comme incontestables : tous deux
combattent pour la gloire de leurs pays respectifs (l'un est
provençal, l'autie normand), avec un zèle très-louable. Avant
d'exprimer notre opinion particulière, nous lais.serons la
lutte durerencore queU|ue temps, lien ré.sulte poui tiousun
avantage, c'est de profiter des recherches que font- les deux
athlètes pour se procurer des arguments, ou, si l'on veut,
des armes. Darjs l'état actuel de bi(juestion, que |)ourrions-
nous mettre dans la balance pour la faire pencher de l'un ou
de l'autre côté.-' des conjectures. On n'en admet que trop
souvent dans les discussions littéraires.
Tout ce que nous nous pe>mettrons d'observer, c'est que si
l'on jugeait du mente des poètesdescontrée.ssituéesaunordde
la Loire, sur le nombre, la variété, I intérêt de leurs produc-
tions comparées à celles des poètes des autres pays, à la
même époque , on ne pourrait refuser aux premiers sans
injustice, la palme, la prééminence.
Quelle fécondité, et souvent que d'imagination et de ta-
lent ne remarque-t on pas dans les trouvères qui ont fleuri
pendant la période séculaire de la poésie romane! Il en est
plus d'un qui a pu se vanter, à la fin de sa vie, d'avoir composé
j)lusdecin(^ à six cent mille vers. Les poèmes cpn nous restent
d'eux forment une partie notable des «olltclions île manu-
scrits du moyen âge. Et si l'on jette un coup d'œil sur les
TROUVERES. 7o3
catalogues des bibliothèques tant de l'Angleterre que de
diverses contrées de TAliemagnc, sur ceux de la Suisse, de
l'Italie, surtout de Rome, on sera surpris du nombre presque
incalculable de productions poétiques, en langue romane,
que contiennent ces vastes dépôts littéraires.
On doit sentir qu'il nous serait impossible de faire connaître
en détail tant de poètes et tant d'ouvrages. Nous avons dû
notis borner à rechercher ceux de ces poètes qui se sont le
plus distingués, et à examiner, le plus brièvement possible, les
productions qui leur ont acquis le plus de célébrité, et celles
surtout dont les auteurs, inconnus jusqu'à présent, méritent
de sortir de leur obscurité. La tâche sera moins pénible, mais
assez longue encore; car en considérant le nombre de ces
trouvères et des poèmes sur lesquels il nous reste à publier
des notices , nous prévoyons que la poésie occupera une
place très-considérable dans les volumes qui doivent com-
pléter l'histoire littéraire du xiil' siècle (i).
A. D.
(i) En avouant ici qu'il ne nous sera possible d'analyser que les ou-
vrages les plus importants de nos anciens poètes , nous devons ajouter
que nous n'en ferons pas moins connaître ceux de ces poètes auxquels
nous n'aurons pu accorder d'amples notices.
Notre projet est de former une liste, aussi complète que possible, de
tous ceux dont il nous est parvenu quelque production. Celte liste, déjà
commencée, contiendra le nom du poète, et, si nous parvenons à les
connaître, l'époque et le pays où il a vécu ; le titre et le sujet de ses com-
positions ; enfin l'indication des blbliotbèques, tant publiques que parti-
culières, qui possèdent de lui quelque ouvrage- Nous espérons que les
bibliothécaires de tous les pays , que tous les possesseurs d'anciennes
poésies françaises manuscrites , voudront l)ien nous donner des rensei-
gnements propres à rendre notre travail moins difficile et plus complet.
Cette liste générale, ou ce tableau , terminera l'Histoire littéraire du
XIII* siècle.
xni SIECLE
Mil SIK( I.K.
ANONYME
AUTEUR DU VOYAGE DE CHARLEMAGNE A JERUSALEM
ET A CONSTANTINOPLE.
U NE notice sur cet ancien poëme aurait précédé celles que
nous avons publiées jusqu'ici sur des romans en vers, d'une
époque trés-postericure , si nous eussions pu le connaître au-
trement que par le titre; mais il n'en existait de manuscrits
que dans les bibliothèques d'Angleterre, et il ne nous en
était parvenu que d'informes fragments. Aujourd'hui , on
l'imprime à Londres, et même à Paris; et notre confrère,
M. Ravnouard, s'en est procuré d'avance une copie qu'il a
bien voulu nous communicpier.
I.e Faynge de Charleinagnc est plutôt un lai qu'un ro-
man , plutôt une épopée comique qu'un,c/ifl/// héroïque ou
de s:^estes. Voici comme il est intitulé dans les manuscrits:
Cï commence te Uveré conimerït Charels de France voiet in
Jcrhiisaiern et pur parois sa Jenie a Constantinolile pur vere
roy Hugon. — Ainsi, d'après ce titre, l'illustre empereur
voulait d'abord visiter Jérusalem, et voir ensuite le roi de
Constintinople. Mais il faut dire pourtant que, d'après le
début du poéiue, on est tenté de croire qu'il n'entreprend ce
long voyagé que sur un i^ropos de sa femme, laquelle, très-
outrageusement, avait osé lui dire qu'elle connaissait un
prince qui portait avec plus de majesté que lui le sceptre et
la couronne C'est par celte scène entre Charlemagiie et sa
feiumc (jue commence le poème.
Kntouré de ses barons et chevaliers, Charlemagne reve-
nait de Saint-Denis, la couronne en tête, son épée au côté,
sou epee dont la poignée était d'or wt?r (d'or pur) ! Il regai>
dait avec satisfaction sa femme (le poëme ne la nomme point),
comme pour lui faire admirer sa prestance fière et majes-
tueuse; mais croyant s'apercevoir qu'elle n'en paraissait pas
Soiii un oir- émerveillée,
\ lei . — ■ Un ol
. , c . , il la piist par le nom desuz un oliver ,
..erpresarSamI- ri r ... '
^jgjjj^i n« >a pleine parole la piist a reisuner ;
'A nui sircni • l^a'''^, véistes iinkes liunie nul de dessuzceil
iDieux l'épe'c ri • Tant bien seist espée ne la corone ei chef*.''
U couronne.
VOYAGE DE CHARLEMAGNE. 705
.... Xm SIÈCLE.
« Lncore cunquerrei jo ciiez ot mun espeez. »
Celé ne fud pas sage, folement respondeit : 'Avec.
" Einperère, dist-eîe, trop vus poez preiser*. 'Tropvouspou-
« Uncore en sa-jo un ki plus se fait leger^ \e/\ous estimer.
« Quant il porte corune entre ses clievalers. 'Alerte, aisé
« Kaunt ii la met sur teste, plus bêlement lui set. »
dans ses maniè-
rei.
Un tel propos, tenu devant les barons français dont il était
entouré, olfensa extrêmement le fier et irascil)le empereur.
En vain cherche-t-elle à s'excuser, en assurant qu'elle n'a
voulu faire qu'une plaisanterie ; il exige qu'elle nomme le roi
qui porte mieux que lui la couroime et l'épée. Il y va de sa
tête, si elle refuse de parler :
« Emperère , dist-ele , ne me tenez à foie.
« Del rei Hugun le fort ai mult oï parole :
« Emperère est de Grèce et de Gonstantinoble ,
« Il tent tute l'erse tresque en Capadoce,
« N'at tant bel chevaler de ci en Antioche,
« Ne fut tel barnez cum le sun senz le vostre. »
Charlemagne , à cet aveu , se détermine à aller voir par lui-
même en quoi ce roi Hugon l'emporte sur lui, et n'en pro-
met pas moins îi sa femme de lui faire trancher la tête, si
elle a trop évalué son rival en majesté.
« Se vus me avez mentid, vus le camperez cher' : 'Vous I* p«ie-
« Trencherai vus la teste od me espée d'acer. » ^^^ ^ji^r
Il rassemble aussitôt les barons, les pairs (le poète les
nomme tous) qui doivent l'escorter dans le grand voyage
qu'il a entrepris. Mais dans le discours qu'il leur adresse
avant le départ, il leur fait entendre que son principal objet
est de visiter la Terre-Sainte, et d'aller adorer le saint sé-
pulcre et la croix.
«Seignors, dist l'emperère, un petit m'entendez.
«En un lointain réaume, si Deu pleist, en irrez.
«Jérusalem requeire e la mère Dame-Deu,
« La croix e le sépulcre voil aler aiuer.
» Jo'l ai trei feiz sunged : moi i covent aler;
« E irrai un rei requerre dount ai oï parler.»
Sur cette invitation de Charlemagne, tous les pairs se dé-
cident à partir. Mais auparavant, ils se réunissent à Saint-
Denis, pour y prendre l'écharpe des mains de l'archevêque
Turpin, qui, lui-même, doit les accompagner. La reine, qui
se repent d'avoir blessé, à un si haut point, l'orgueil de son
Tome XF III . Vvvv
xni SIF.CLE.
706 AUTEUR ANONYME.
ëpoux, reste à Paris dans un cruel abandon : doloruse et plii-
rant[\).
En moins de seize vers l'auteur conduit Charlemagne et sa
nombreuse escorte par vingt pays divers, qui ne sont pas
placés sur la carte comme dans son p<iëme : et les voilà déjà
arrives à Jérusalem. Leur premier soin est de se rendre à
l'église, où ils voient treize chaires vides, dans lesquelles se
placent Charlemagne et ses pairs; et ils restent là silencieux,
admirant toutes les beautés de l'église. Ce fut en ce moment
qu'un juif y entra et fut tellement frappé de la fierté du
visage de Charlemagne et du spectacle de ses douze pairs
assis à ses côtés, qu'il crut voir en eux le Dieu des chrétiens
et la cour céleste. Aussitôt il s'empresse d'aller annoncer au
patriarche qu'il demande le baptême, et le conjure tie venir
préparer pour lui les fonts baptismaux (2).
Le patriarche, à cette nouvelle, rassemble tout son clergé,
et se rend à l'église, en grande cérémonie, à la tète de la
procession.
Charlemagne, en le voyant entrer, se lève, se découvre;
le patriarche lui demande de quel pays il vient, et comment
il a osé s'asseoir dans un temple ou jamais homme, sans sa
permission, n'était entré. Voici la réponse de l'empereur:
' Par mes ba- " Sire, jo ai nun Karles, si sui tie France neez,
rons, ma iiolilev « Duze reis ai conquis par force et par harnez ',
sr n Le treiziine vois querre' ilunt ai 01 parler,
'Jen<ii-iher- . Vinc en Jérusalem par lamistet de ))eu,
^^"- „ La croix e le sépulcre sui venuz aurer^ «
'Adorei.
Et il lui demande presque aussitôt des reliques pour en
enrichir la France. Le patriarche n'a rien à lui refuser; il lui
promet le bras de saint Siméon, la tête de Laz.ire, du sang de
saint Etienne, un des clous qui perça les pieds de Jésus, le
^i) A .Saint-Denis de France li riis s'esrrcpe prent.
Li arclievt'Stiiie Tnrpin li seiynat gontiineni
E si prisl-il la suc e franens eiiNcnii'iit,
E niiinicnt as miil/. «pi'il orcnl forz e .irnlWanz;
De la cilC7. en isircnt si s'en lnurnent hroch.mnt.
Dès ore s'en irrat raies à ilannc-tleii U- cnnitiiant.
La réinc remeint doloruse e |)liirant.
l'a) •■ Alez, sire, al uinster pur les fiinz aprester.
n Oreindreit me frai baptiser cl le\ er.
« Diizc cuntcs vi ore en cel niiisler entrer,
™ Ovcoc culs le trcizinic. linc. ne vi si formct.
• Par le nicn cscicntrc! ro est nicinics Dcus.
'\ ousMoniicnl. . Il e 11 duze aposlle vus venent' visiter. »
VOYAGE DE CHARLHMAGXE. -q^
calice dans lequel il but , le couteau dont il se servait à table. - —
de la barbe et des cheveux de saint Pierre : et. ce qui était bien
plus précieux encore, du lait de la \ lerge et sa chtrnise.
• Del leTt sainte Marie dont ele alertât Jhesus ,
• l^um fuil primes en terre entre nus dect-ndut,
« De U sainte chemise que ele out reTestut. »
Karlemaines l'en rend aniistet e saluz.
[."empereur ne se montra pas moins généreux que le pa-
triarche.
Le reis fait faire une fertère . unkes meldre ne fud,
Del plus fin or d Arabie i out mil mars fundud.
Il la fait seiler, a force e à vertuz,
A grant bendes de argent U fait-il lier menuz.
Et ce fut l'archevêque Turpiii qu'il chargea de présenter
cette superbe ttrtère f au patriarche.
Cliarletnagne et ses douze pairs, après avoir séjourné
3uatre mois à Jérusalem, et après y avoir fait élever l'église
e Saiiitc-Aîarie . songent à s'en retourner, en passant tou-
tefois par Constantinople. autre objet de leur vosage. C'est
là que les attendaient de merveilleuses aventures." Lorsqu'ils
prirent ccnge du patriarche, il leur recommanda surtout
de combattre les Sarrasins qui voulaient détruire la sainte
cristientc.
• Volcntères , ço dist Karles ; sa fâ si l'en plérit : ' ^' "'* *""
• Je manderai mes liâmes . quantque en pourrai arer urder.
• E irrai en Espaine , ne purat remaner'. »
C'est annoncer assez explicitement l'expédition de Char-
lemagne en Espagne, expédition qui a fourni le sujet d'un
autre poème Ju bataille de Ronce^au-x . dont l'auteur est un
trouvère anglo-normand, du nom de Turold. On pourrait,
sans trop d'invraisemblance, attribuer à ce même "Turold le
roman dont nous nous occupons en ce moment.
Ce>t encore en quelques vers seulement que l'auteur décrit
le voyage vers Constantinople. de Charlemagne et de sa noble
escorte. Mais U y a quelque sentiment de poésie dans cette
courte description :
(i) de mot ne se troure point dans les glossaires de la langue romane.
Dans Du Gange, au mot fertonum. on voit que Ion appveiaiC ainsi une
chaise pcrtatiie; mais c est plutôt ôttjerrtrum , cercueil, châsse , que vient
le mot dey«»-/«rr.
y V \ V a
XIH SIECLE.
708 AUTEUR ANONYME.
Chevalchet H einperère oJ sa rumpanie grant,
E passent monteles et les puis il'Abilaiit
La roche tlel Guitunie et les plaines avant,
Virent Constantinoble une ritez vaillant,
Les cloches et les egles e punz le lusant;
Destre part la citet de une truve grant
Trovent vergers plantez de pins et de lorers faeaus.
La rose i est floiie, li alburs et li glazaus.
Vint-niil chevalers i trovèrent séant ,
E sunt vestuz de pailes' e de heremins blans
'Deiti.inicaux. £ jg granz peus' de martre jokez as pes ' trainanz,
'Peaux. ^^ esches e as tables se vunt esbaneant *
iisqu .uix -g portent iur falcuns^ e lur osturs asquanz:
pieds. _ I . ., Il - i- ■ ^ \.
ic> , E treis mue pucellcs a or freis reinsant,
*3 .imusanl. ' 1 -i ■
^I.cuis faucons Vestues sunt de pailes e ount les cors avenanz
e: louis autours. E tenent lur amis, si se vunt déportant.
A peine Charlemagiie est-il arrivé qu'il demande oîi il
trouvera le roi Hugon. On lui indique une tente dans la
plaine, et il vit en effet le roi qui labourait son champ avec
une charrue d'or.
Truvat lu rei Hugun à sa carue arant.
Les cuningles en sunt à or fin reinsant,
Li essues e les roes e li cultres arant.
L'entrevue des deux princes a lieu sous la tente. Le roi
Hugon est frappé de la fière contenance de Charlemagne;
il commence par lui demander s'il est connu de lui. L'empe-
reur lui répond qu'il se nomme Cliarlemagne, et que Roland
est son neveu(i); que, revenant de Jérusalem, il a désiré de le
voir, ainsi que toute sa cour. Hugon l'accueille alors avec une
(i) Voici le discours de Charlemagne à Hugon, et la réponse de ce roi :
,( Jo sui de France net,
Il Jo ai à nuii Carleinaiiu-s , Rolland si est mis nés;
« Venc de Jérusalem, si m'en voil retorner,
« Vus e vostre bai na|,'e voil voer volenters! >.
E dist Hiigiin li forz : « Ben ad set anz e melz
«Qu'en ai oir parler estrarge soldeers
<i Ke si tarant bariiagts ait nul rei suz cel.
n Un .in vus rerendrai , si estre i volez;
II Tant vus durrai avcir, or e argent tnisset,
.1 Tant en porlerunt Fianceis ciiiu il en voderunt charger (*)
'1 Or déjundrai mes beos |nir la vostn amistet.
(*) Ce vers parait êlre de 1 5 syllabes. Mais les poètes ne romptaient que les syllabes
que l'on pronon<;ait, quand toutefois cela leur convenait ainsi. Ce vers de i5 syllabes
devait donc se prononcer de celte manière :
" Tant en port'rout Francès, k'il en vod'rODl charger. »
VOYAGE DE GHARLEMAGNE. 709
extrême politesse ; il fait dételer les bœufs de sa charrue, et
il dit aux illustres voyageurs que , s'ils veulent rester tout
un an dans ses états, ils en sont bien les maîtres; que rien
ne leur manquera.
Les procédés du roi Hugon envers ses hôtes répondirent
à la bienveillante réception qu'il leur avait faite. Rien n'é-
galait la magnificence du palais où il les invita à souper.
Charles vit le palais et la richesse grant.
A or fin sunt les tables, e chaires e li banc , etc.
Mais ce qu'il y avait de plus extraordinaire dans ce grand
édifice, c'est qu'il pouvait tourner à tous les vents. Un orage
étant survenu , les Français, à leur grande surprise, se sen-
tirent changer de place, et né pouvaient se tenir sur leurs
jambes. Charlemagne lui-même se vit obligé de s'asseoir sur
le plancher. Le roi Hugon les rassura, leur dit : Ne vus dé-
confortez.et il leur expliqua la cause de cet apparent prodige.
Aussitôt que le vent cessa de souffler,le palais resta immobile,
et les Français s'étant remis sur pied , se placèrent à la table
du roi.
Tut fiit prest li supers.
Caries s'assist e sis ruiste barnez (i),
Li rois Hugun li fôrz e sa muiiler tlelez'.
Sa fille od le crin bloi' que ad le vis bel e cler
E ont la char tan blanche comme flur en ested.
Oliver l'esgardet , si la prist à amer :
« Plust al rei de glorie, de sancte majestet,
■I Que la.tenise en France- u à Dun la citet,
" Ka jo en freie pus tûtes mes voluntez! »
Entre ses denz le dist, que bon n'el pot esculer.
Nous noterons ici cet amour si subit d'Olivier pour la fille
du roi ; car ce n'est pas, comme on le verra dans la suite de l'his-
toire, une circonstance indifférente. Rien ne manqua dans
ce splendide festin: les mets les plus délicats, des vins de
toute espèce et en abondance, de la musique et des jongleurs :
E cantent e vicient e rotent cil juglur.
Après le souper, dans lequel les Français n'avaient pas
( I ) Ses grossiers ou , si l'on veut , ses rustiques barons. — Nous ne voyons
pas pourquoi le poète donne cette épithète à la noblesse d un peuple qu'il
avait d'abord trouvé très-civilisé, couvert de riches manteaux, jouant aux
échecs et aux tables, etc.
4 8
XIII SIECLE.
' Sa femme à
ses côtés.
'Aux cheveux
blonds.
mu SIECLE.
710
AUTEUR ANONYME.
'.louent entre
épargné le vin de leur hôte, le roi Hugon les conduit lui-
même dans une vaste salle où treize lits sont préparés. L'un
de ces lits, plus magnifique encore que les autres , était des-
tiné à Charlemagne, les autres à ses douze pairs. Le bon roi
Hugon-le-Fort retourne ensuite vers sa femme, et les Français
se couchent. Mais ce roi, que nous venons de nommer bon^
ne l'était pas autant qu'on pourrait le croire. Près de la
chambre à coucher des Français, il avait fait cacher un
escut (un espion) chargé d'observer ce qu'ils feraient, d'é-
couter ce qu'ils diraient pendant la nuit.
Or les Français ne crurent pas devoir s'endormir sans ga-
Z^er quelque temps, c'est-à-dire sans faire des contes plaisants,
des railleries. C'était alors l'usage, et rien d'ailleurs n'était
plus dans le caractère des Français de ce temps-là , et peut-
être du nôtre. Charlemagne encouragea lui-même ses douze
pairs à gaber à qui mieux. Chacun, à son tour, fit un gab ;
et c'était toujours une de ces forfanteries que n'oseraient pro-
noncer aujourd'hui les plus déhontés fanfarons.
Presque tous les gabs des douze pairs étaient outrageants
pour le roi Hugon; celui d'Olivier surtout. Ce brave pair avait
dit , mais en d'autres termes que nous ne le répétons , que s'il
tenait, une nuit seulement, dans ses bras la fille du roi Hu-
gon , on ne citerait plus comme prodigieuse l'aventure d'Her-
cule avec les cinquante filles de Thestius, qu'il en ferait moitié
plus qu'Hercule.
Ce gab et tous les autres furent fidèlement rapportés par
l'espion au roi Hugon, qui en fut cruellement offensé. Dans
sa colère, il fait les plus sanglants reproches à Charlemagne,
et jure que si les douze pairs n'exécutent pas, dans le jour
même, ce dont ils se sont si follement vantés, il leur fera
couper la tête à tous. Le cas était fort embarrassant; car, en
vérité, il n'était pas possible de penser qu'une seule de ces
fanfaronnades, de ces extravagantes vanteries, fiit exécuta-
ble. C'étaient des propos d'hommes très-braves, il est vrai,
mais de héros dans 1 ivresse. En vain Charlemagne repré-
senta au roi Hugues que de tels propos ne méritaient pas
Jouent entre ,, . • . • t • i. •!
puv. se gaudis- ^u^ 1 OU S en souvmt ; en vam lui dit-il
■cm.
'Des hâbleries, " Er-sair nus hebergastes ,
•les siittlses. « De vin e de el assez nus en donastes.
'Des mois pi- « Si est tel costume en France, à Paris e à Cartres ,
i|iiaiiu, des rail- „ Quant Franceis sunt culchiez, que se guiunt' et gabent
'*"'""'*■ " E si dient ambure' e saver^ et folage; >•
XIII SIECLE.
VOYAGE DE CHARLEMAGNE. 711
l'opiniâtre Hugon ne veut écouter aucune excuse , et jure
par sa barbe blanche que les Français ne gaberont plus dé-
sormais personne :
« Quant de mei partirez, jà ne gaberez mais altre. »
Chfirlemagne retourne vers ses pairs, et leur annonce le
danger qui les menace tous; car tous ils ont fait des gabs
tout-à-fait déraisonnables.
« Seignurs, tlist l'emperère, mal nus est avenud.
<■ Del vin e del claret tant eûmes béud
'< E desinies tele chose que estre ne dust. »
Dans le danger imminent où ils se trouvent tous, le sage
empereur ne voit point de meilleur parti à prendre que de
taire apporter devant lui les fameuses reliques dont l'avait
gralitié le patriarche de Jérusalem. Tous les chevaliers se
prosternent, se frappent la poitrine, et prient Dieu avec fer-
veur pour qu'il les sauve de la colère du roi Hugon. O vertu
admirable des reliques! un ange descend du ciel qui promet
à Charlemagne que Jésus les protégera, et que les douze pairs
peuvent avec assurance tenter d'accomplir tous leurs gabs.
'Vous dites.
n Carlemain, ne t'esmaer, ço te mandet Jhésus. 'Aucunne/ajV-
« Des gas (gabs) que er-sair désistes ' grant folie fud. lira.
« Ne gabez mes hume , ço te cumandet Christus.
• Va si fas comencer : jà n'en faldrat uns'. »
Bien sûrs désormais de la protection du ciel , les chevaliers
gabeurs se présentent avec conBance au roi pour subir les
épreuves auxquelles on veut les soumettre.
C'est le comte Olivier qui doit d'abord entreprendre les
rudes travaux qu'il s'est imposés par son gab. Le roi fait ap-
peler sa fille aux blonds cheveux, et la livre au présomp-
tueux Olivier. JNous reij[voyons au texte du poëme ceux qui
voudront savoir comment Olivier accompHt son gab, et ce
qu'en raconta la princesse.
Le roi fort irrité n'en crut pas moins aux paroles de sa
fille; et, en effet, quel autre témoin aurait-il pu appeler.''
Tout ce qu'il pouvait faire , et ce qu'il lit, ce fut d'attribuer à
quelque sorcellerie cette espèce de prodige; et il se promit
bien de se venger sur un autre des gabeurs.
C'était le tour de Guillaume, fils du comte Aimery, de
remplir son gab. Il s'était fait fort de lancer à une grande
XllI SlEa.E.
712 AUTEUR ANONYME.
distance une énorme boule de métal , d'une pesanteur ex-
traordinaire, qui était dans le palais. Il se présente à l'essai,
lève la boule d'une seule main, et la jette d'une telle force
qu'il abat quarante toises des murs du palais. Le poète dit
à ce sujet :
Ne fu mie par force, mais par Deu vertud ,
Par amur Carlemain chi's i out acunduit.
Ce pauvre roi Hugues, tout centriste de voir son palais
ainsi ébranlé par des hôtes qu'il prend pour des sorciers ,
n'en persiste pas moins à essayer si un autre gabeur aura le
même succès.
Le comte Bertrand s'était vanté de faire sortir de son lit
le torrent qui tombait dans le vallon , et d'inonder de ses
eaux la contrée tout entière. Il se met aussitôt à l'œuvre.
Deu i fist miracles, li glorius del cel,
i |.-3„_ Que tute la grant ewe ' fait isir de sun bied,
Aspandre les camps, que tuz le virent ben ,
Entrer en la citez e remplir les celers,
La gent lui rei Hugun et moiller e guacr.
En la plus halte tiir li reis s'en fuid à ped.
Montés aussi sur un grand pin, Gharlemagne et ses com-
pagnons entendaient les doléances du roi Hugon qui leur
criait merci. L'empereur en a pitié , et supplie Dieu de faire
cesser un tel désastre. L'eau, sans plus tarder, sort de la
ville, et traversant la plaine, va retrouver le lit ordinaire du
fleuve . Le roi Hugon reconnaît enfin qu'il a follement agi
en cherchant querelle à de tels favoris de Dieu. Il offre à
Gharlemagne cle tenir de lui son royaume, de devenir son
vassal. Gharlemagne accepte; et, content d'avoir humilié ce
prince, il lui propose de célébrer ce grand jour par des fêtes.
Il veut de plus qu'il remette sur sa tête sa couronne d'or : lui-
même prend la sienne, et ils se promènent ainsi dans la
plaine suivis de tous leurs barons. Gharlemagne était plus
grand A' un pied trois pouces , dit le poète; et tous les Fran-
çais, en regardant les deux princes, ne pouvaient concevoir
que la femme de Gharlemagne eût pu même le comparer à
1 autre. Ils se disaient :
Ma dame la reine dist folie e tord.
Les Français se préparent enfin à partir de Gonstanti-
VOYAGE DE CHARLEMAGNE. 718 xiu siÈa.E.
nople pour retourner en Fnince; et le roi Hugon leur offre
de puiser abondamment dans ses trésors. Non ,
Dist le emperère .•" Tut iço lasser estet'. 'Il me ron-
« Jà n'en prendrai del vostre un tiener miineed*. *"'"' J^ laisser
" Jà unt-il tant del inen' que il ne puent porter. '""•■
^ r r 'Moiinay.'.
Au moment du départ des Fra?içais, la Glle du roi Hugon
court npiès son clier Olivier, et lui dit :
« A vus ai-jo turnet ma amistet et ma amur.
" Que m'en porterez en France, si m'en irrai od vus.
Mais l'ingrat Olivier répond assez durement à tant de ten-
dresse :
" Bêle, dist Oliver, m'amur vus abandun.
« Je m en irrai en France od mun seignur Carleun. »
Ce fut ainsi que Charlemagne conquit tout un royaume
sans livret- une seule bataille (1). il faut croire que le trou-
vère était las de conter, car voici comme il termine brusque-
ment son poëme, sans décrire comment s'cflectua le retour
de ses héros :
(i) L'histoire si bizarre des Gnbs a été reproduite dans un autre roman
[^le Gallicii resttiute), postérieur au poème du Voyage de Cliai'leniagne. Mais,
comme il arrive toujours, elle y a elé alléiée et surtout amplifiée. Dans son
opuscule sur /es Romans Irancais , M. J. Lhénier dit en parlant du Gallien ,.,. ,
, car il ne pouvait connaître alors notie roman du Voyage de Lharle- jjaiie j^c Ché-
inagne ) : «On y trouve l'aventure des Gabs. (Test une suite de gageures „jer | jv p
'< faites par plaisanterie, dans la chaleur de l'ivresse, et qu'il faut tenir lîo.
'•ensuite connue des gageures faites sérieusement. Là surtout, l'arche-
'• vêque Turpin est représenté coiiiine un buveur intrépide. Ogier, Ro-
lland, Charlemagne lui-même n'y jouent guère des rôles plus sensés.
" Le jeurie et tiiiilre Olivier, de la maiscn d'Aquitaine, est sans contredit
"le mieux part.igé. Cette aventure, dont nous ne croyons pas devoir
■■tenter l'analyse , est rapportée f»)rt librement par La Mon noyé, dans
•■ la seconde partie du Meuagiana. La Chaussée, et non Grécourt, l'a mise ,. ,, ,
r _ o _ ' t I OIIIC V l:C8
« en vers plus licencieux que bien tournés. Récemment elle a été versifiée OK livres d<- 1 ji
"de noiiv<'au avec la relenue convenable. Les amours d Olivier et de (:|,aJssée Sup-
'< Jacqueline, fille d'Hugon, roi musulman, n'offrent pas la longueur re- iilém. n. 66--1.
« prochée à quelques anciens romans; et la manière dont cette aimable
'< princesse est ct>nverlic, n'est pas ce qu'il y a de moins piquant, ni de
• moins difficile à raconter. ■■
L'auteur qui, suivant Chénier, a versifié l'aventure avec une retenue
conveiinbU , est Clu-nier lui-même. Il en a fait le joli conte des Miracles ,
qu'on peut lire dans le tome lil de ses œuvres, p. 23g-a85.
Tome XV m. X ^ x x
48 .
7i4 TUROLD.
XIII SIÈCLE. ,, .11.
Il passent les p.tis, les estrange régnez ,
'Rovauraes. Venus siint à Paris, à la Lone citet,
'Seprosteroa. E *unt à Saint-Denis, al nuister sunt entrez.
'Le!»aron(le Karlemaines se culcget' à oreisuns, li Ler'.
ii'è^-puissaiit). Quant il ad Deu preiet , si s'en est relevet,
'I.'autel. Le clou e la corune si ad mis sur l'aiitor*,
Paiiagedans j7 |gj altres reliques départ par soti regnet'
son royaume. i^^^^ f^^j ^^ ^-^^^ 3, -^ ,; ^^^ ^.^j^^o
' Est tombée à
Sun mautalent li ad li reis tut pardunet
. . Sun mautalent u ati ii reis tut p;
ses piecis. • '
'Adoré ^"'^ l'amur del sépulcre que il ad aùret'.
Pour peu que l'on se livre à la lecture de nos anciens
poètes français, on remarquera que ce roman sur Charleinagne
diftèrede presque tous les romans sur le même héros, qui ont
été composés dans le cours des xii et xiii* siècles; on n'y re-
trouve ni le même style, ni la même orthographe dans la
plupart des mots. Ce ne sont pas de véritables rimes qui se
rencontrent à la fin des vers , inais de simples assonances.
Tout cela semblerait prouver la haute antiquité de la com-
position. Mais cette orthographe, ces rimes par assonances
se retrouvent aussi dans quelques compositions qui datent
très-certainement du xiii* siècle , et de la fin même de ce
siècle. Nous ne nous croyons donc pas fondés à faire re-
monter jusqu'au xii*", à l'exemple de <|uelques écrivains de
vies de poètes, l'existence de l'auteur du Voyage de Char-
lemagne en Orient.
Il y a certes de l'imagination dans ce poème; mais quel
étrange mélange d'idées superstitieuses, chevaleresques, fan-
tastiques, grossières ! Telles n'étaient pas les conceptions des
poètes grecs les plus anciens. L'Odyssée est au.ssi le récit
du voyage d'un guerrier; elle contient aussi beaucoup de
fables et de prodiges. Qui oserait comparer entre eux les deux
poëmes ! A. D.
TUROLD,
AUTEUR DU POEME DE lA BATAILLE DE RONCEVAUX.
I iv, poème dont le sujet est la défaite de l'arrière-garde de
l'armée de Charleinagne à Roncevaux, et la mort du brave
Roland qui commandait cette arrière-garde, est un des plus
anciens romans du cycle carlovingien qui nous soit parvenu.
TlIROLD. 7i5
XIII SIÈCLE
Nous ne connaissons guère de composition en ce genre qui -
lui soit antérieure, si ce n'est le Voyage de Charlemagne à
Constantinople et a Jérusalem , poëme que nous avons ana-
lysé dans la notice précédente.
Les deux manuscrits du roman de Roncevaux, que l'on
possède à la Bibliothèque royale, ne portent aucun nom
d'auteur; mais les derniers vers d'un manuscrit de ce poëme
qui se trouve dans la bibliothèque d'Oxford, vers que nous
citerons plus tard, désignent le trouvère Turold comme son
unique auteur. •
M. De la Rue nous apprend qu'un Turold figure sur la
tapisserie de Baveux, représentant la conquête de l'Angle-
» » -1 J- »• • • » ■ i;i ' 1„U * M M. Tabbë De
terre, et qu il se distingua , ainsi que ses trois rils , a la Dataille ,^ ^^^ ivo\y
de Hastings; mais pour nous convaincre que ce Turold est vèrès normands,
le trouvère qui a composé le poëme de la Bataille de Ronce- ' "-.p- **•
vaux ou des Douze Pairs ( car c'est aussi le litre que le poëme ' ' **■ '"
prend quelquefois ) , il faudrait des preuves plus concluantes j^jj g,
que celles qu'a présentées dans son grand ouvrage, le bio-
graphe des trouvères anglo-normands. Ajoutons que, dans
un autre ouvrage, il ne témoigne pas beaucoup de consi-
dération pour le Turold qui accompagnait Guillaume- le-
Conquérant dans son expédition en Angleterre. «Je trouve
des chartes normandes, dit-il, qui donnent à Turold le titre
àe connétable. lien remplirait assez les fonctions sur la tapis-
serie (dite de la reine Mathilde)', mais il est habillé comme
un jockei , il a toute la taille et la figure d'un nain, et je M.DeiaP.ue,
crois qu'il n'est pas autre chose : dans ces temps romanti- Recherches sur
ques, on avait de la manie pour ces avortons, qui jouaient '" '"P"»*^"^ «■«
T • 1 -1 I 1 ' Il i^- ■' Baveux. Caeu ,
aussi un grand rôle dans les romans de chevalerie.» i8i5,in-;i".
Quoi qu'il en soit, on ne peut nier que cette famille des
Turold, fixée en Angleterre après la conquête, n'y ait pos-
sédé un grand nombre déterres; ce qui est prouvé par diffé-
rentes chartes et pièces authentiques du xii"" siècle. Que le
trouvère Turold ait été de celte famille, c'est ce que nous
croyons sans peine. Mais quand est-il né.** De quelle époque
est son poëme.'' Ce sont des questions auxquelles nous nous
garderons de répondre, quoique nous ayons sous les yeux
le livre de M. De la Rue.
Nous avons toujours répugné à reconnaître pour de véri-
tables épopées ces vastes compositions du moyen âge, qui,
bien que demi-historiques et demi-fabuleuses, ne ressemblent
aux épopées des anciens qu'en ce qu'elles sont en vers; mais
X X xxa
XIII SIÈCLE.
roman >le (larin
leT.iilipraiii pas
ii'H.
716 TUROLD.
s'il est un de ces romans, où les règles et les formes du
poëine é|)i(|ue se trouvent assez exactement observées, s'il en
est un qui mérite le nom (l'éj)o[)ée, c'est, il faut en conve-
nir , le roman «le ta Bataille de IloncevaiiJC,
On ne peut douter que Tnrold n'ait pris le sujet de son
poëme dans quel(|ues-unes de <cs chansons que, depuis la
mort de Cliarlema{(ne, des j<m{;leurs ambulants allaient
clianter dans tous les pays, sur des rôles ou sur des violes,
et dans lesquelles ses exploits étiient racontés avec des cir-
constances le plus souvent fabuleuses. Notre opinion est que
tous les grands romans qui ont pour héros ou Charlemagne
on Arthur, tirent leur origine de ces chansons vulgaires; que
les poètes ne firent que les étendre, les embellir par des
épisodes, des descriptions, par des détails de toute espèce.
Ces chants populaires ne seraient-ils point ces cliansons de
gestes , dont il est si souvent fait mention dans notre histoire
vi J'auiiiiPa- <J" moyen âge.'' Lfn jeune écrivain qui s'occupe, avec succès,
lis, Piéfaui du de recherches sur notre ancienne poésie lran(jaise,a cru pou-
voir doiMier ce nom aux romans eux-mêmes, et pense qu'on
chantait aussi ces longues compositions, du moins par frag-
ments. C'est ce que nous ne saurions admettre; ils n'étaient
que récités par les jofigleurs. Au reste, nous développerons
ailleurs cette idée. Quarit aux chansons sur Charlemagne et
ses pairs, nous avons la preuve que, pendant plusieurs siè-
cles, et avant que cet empereur devînt le héros favori d'une
foule de trouvères en France et en Allemagne, elles étaient
continuellenïent dans la boni he ûvs, plus misérables jon-
gleurs, et conséquemment dans celle du peu|)le des villes et
des campagnes. C'est ce que nousap|)rend un poète latin du
XII' siècle, Gilles de Paris, dont nous avons fait connaître le
ii.>i niici. t. Carolinus, dans un précédent volume. Voici comme il s'ex-
^ V" . !> .'l'î- prime en parlant des hauts faits de Charlemagne :
Décantât a per orbem
Gesta soient mclitis aures sopire viellis.
Mais revenons à l'auteur de la Bataille de lioncevaux.
Charlemagne a conquis l'Espagne entière.
Fors Saragoce au chef d'une moniaigne.
Là est Mai-silles, qui la loi Deo ne dagne;
Mahomet seit.
Ce roi Marsile, sentant bien qu'il ne pourrait résister seul
TUROLD.
717
aux armes du conquérant, se décide à lui envoyer une am-
bassade cl m rj^ée de lui dcmanrier un chevalier entre les m;iins
dui|ucl il nincttra ses états C'était une proposition perfide,
comme on le verra bientôt : cei)endanf le maj^nanime Cliar-
lemagiie n'Késite pas à y acquiescer. Il nomme pour ambas-
sadeur près de Marsile, le M;iyencais Gauelon , (|ui, dans
les poèmes du cycle carlovingien, est aussi lâche que de mau-
vaise loi. G.inelon part pour S;iragosse avec l'envové de
Marsile; et le trop contiant Charlcmaf^ne, regardant comme
entièrement finies les affaires d'Espiigne, se détermine à
revenir avec son armée ou doux pays de France.
Le br.ive Roland reste chargé de la conduite de l'arrière-
garde , à la tête de laquelle se trouve aussi l'élite des guerriers
de Cliaricmagne.
Pendant le voyage de Ganelon vers Saragosse, l'envoyé de
Marsile le séduit sans peine parles plus brillantes promesses.
Ganelon tieteslait Roland; il travadiait rle|)uis long-temps à
sa ruine, et à celle de tous les chevaliers qui l'accompa-
gnaient.
L'armée fie Charlemagne a passé les défilés qui conduisent
de l'Lspagne en France; et lloland se trouve à quelque dis-
tance des troupes avec vingt mille hommes et les plus braves
guerrieisde l'armée, les Olivier, lesTurpin, les Garnier, etc.
Dans ce nombre étaient les douze pairs de Charlemagne.
Charlemagne, qui marche toujours en avant, est assailli
des plus tristes |)ressenliments, et troublé par des visii us
qui lui présagent des désastres. Le vityl empereur
Plore des oils, tire sa barbe bliince,
Sor son in.intel enfuit sa connoissanoe.
De clerrier lui cbevaurhe li dus Nayme;
Si (li>tau roy : ■■ De ciii avez pesance?»
("diarles respond : "Tort a qui le demande.
Tel tlolofai, ne puis muer ne planj^e.
Par guene sert tieserte tôle France!
L'annuit me vint par la vision d'un angle,
Entre mes poinz me debrisait ma lance
Graii poor ai mes niez' Reliant remaigne.
Dex, se jel pertjja n'en aurai escaigne'. •■
Mil SIECLE.
' <)ut; mon w
Te II.
' Écheveaii At
(il .' CK qui vetil
fine s»iis doute:
Il ne me leslera
nemarquons, en passant, qu il ny a ici, comme dans rKni].iiaitquei-
presque tout le poëme, que des rimes simplement asso- M<'e valeur ).
nantes, et que la conjonction que y est presque partout
supprimée. Nous avons lait la même observation en parlant
XIII SIECLE.
718 TUROLD.
du poëme sur le f^^oyage de Charlemagne. Les deux compo-
sitioHS nous paraissent à peu près du même temps. — Nous
revenons au poëme de Turold.
Les craintes de Charlemagne n'étaient que trop fondées.
Par les conseils du traître Ganelon j Marsilc, le roi païen,
avait réuni une très-forte armée, et s'apprêtait à surpren-
dre l'arrière -garde de l'armée de l'empereur à l'instant
où le principal corps aurait eu franchi les défilés. Roland
voit le danger. Il n'aurait qu'à sonner de son fameux
cor d'ivoire pour être secouru par Charlemagne, qui n'est
éloigné de lui que de quelques lieues; mais c'est ce qu'il
regarderait comme une impardonnable làcl;eté. En vain
Olivier le presse, le conjure d'appeler Cliarletnagne à son
secours : le héros lui répond assez durement que sa bonne
épée Durandal lui suffit pour dissiper la gent païenne.
» Ainsi ferrai de Diirandart assez,
Ma bonne espee qui me pend à mon lez.
Touz en sera mes brans enseinglantez.
Mieux ains mourir que face tex viltez. •
Mais Rolaml avait trop compté sur son courage et sur la
fortune. La vaillante troupe à laquelle il commande succombe;
lui-même périt, ainsi qu'Olivier et une foule d'autres braves.
Rien de plus touchant que les dernières paroles du héios, et
que les derniers moments d'Olivier et de Garnier.
Là ne finit pas le poëme, et c'est dommage. .Mais le poète
aura pensé qu'il ne fallait pas laissersans punition le traître
à qui l'on devait attribuer la défaite d'une partie île l'armée
des Français. Sur la tin du combat, Roland s'était enfin dé-
cidé à sonner de son oliphant (son cor), et Charlemagne
l'ayant entendu avait arrêté la marche de ses braves. L'em-
pereur se dirige aussitôt contre l'armée des Sarrasins, tra-
verse le chamj) de bataille oîi gît Roland avec ses vingt mille
compagnons d'armes. Il s'élance avec fureur sur les Sarrasins
vainqueurs, qui s'apprêtaient à passer l'Ebre. Presque aucun
n'échappe au fer des l'^rançais : le roi .Alarsile lui-même perd
un bras dans la bataille. Les corps de Roland et des autres
pairs sont repris sur l'ennemi , et on ordonne, en leur hon-
neur, des cérémonies funèbres. — Quant à Ganelon, il est
fait prisonnier, et condamné à être écartelé ; ce qui s'exécute,
et ce qui est décrit avec des détails repoussants.
Tel est l'aride extrait d'un |ioëme qui brille surtout par
TUROLD. 719
... , ' • r r. XI" SlÈCLt.
les descriptions et par un style énergique et tranc. l'our
en faire sentir le mérite, il aurait fallu en citer de plus , L)'*seiiat sur
, Al • • 1' 1 A I'' loman de la
longs morceaux. lAhiis si ion veut mieux le connaître, on uaudiie de Ron-
peut recourir à l'opuscule qui a ëtë publié, il y a quelques rfcnur.pai m
années, sous le titre de Dissertation sur le Roman de Hon- ^'°""' P'""" •
!nï|ninirne T'Ot.
cevaux. . , . m»", i83.. '
L'auteur de cette dissertation n'avait eu sous les yeux ,
comme nous-même, que les deux manuscrits de la Bibliothè-
que royale(n"' y 222, et 264), dont le premier est bien réel-
lement du xiii*^ siècle, et dont le second n'est qu'une copie assez
moderne et même abrégée de quelque autre manuscrit de la
bibliothèque d'Oxford, qu'il regarde, avec assez de vraisem-
blance, comme le manuscrit original. Et, en effet, le style du
poëme dénote une plus grande ancienneté: il a plus de ru-
desse et d'énergie ; l'orthographe n'est pas la même que celle
des manuscrits français. Voici comme le poëme se termine,
et rien ne ressemble moins aux vers de la fin qu'on lit dans
les manuscrits de la bibliothèque de Paris :
Quand leniperere ad faite sa justise', ' Alailsnppli-
Cesclargiez' est la sue grant ire. . . tier Gamloii.
Passet li juin, la nuit est aserie, 'Est calmép.
Ciilcez' se es en sa eliani])re vullice. 'Coiuhe.
Saint Gabriel de part Deu li vient dire: *PieMens,«ïer-
« Caries suminunses les os' de tiin empir " a""»"" ^
Pc I . 1 I) -5 '"" eniniip nue.
ar force iras en la terre de liir . , ,. ,',,, '
... Ue I Ilommc-
A la citet (jue payen unt asise, U,^,,,, inlaTfr-
Le crestien te reclainient et crient.»' le-Sainii).
Li einperere ni volsist aller mie;
■< Dens, dist li reis , si penuse est ma vie! »
Pluret des oilz, sa barbe blanclie tiret.
Ci fait lo geste que Turoldus declineL
Ce dernier vers nous révèle le nom de l'auteur; et les
vers qui le précèdent prouvent qu'à l'époque où ils ont été
écrits, l'opinion générale était que Charlemagne était allé en
Orient : ce qui le [irouve mieux encore , c'est le très-ancien
poëme sur son voyai^^e à Jérusalem et à Constantinople. .
Quant à son expédition en Espagne, en l'an 77H, et à sa
défaite à Roncevaux, sujet du poëme de Turold ,on ne peut
douter de ces deux faits. Les historiens, comme les poètes,
n'ont cessé, depuis le xii' siècle, de les célébrer dans leurs
écrits comme dans leurs chants; et même aujourd'hui, la
tradition s'en conserve encore, tant en Espagne que dans
la partie des Pyrénées que coupent les fameux défilés où
VIII SIECLE.
-M^ TUROLD.
Cliarlemagne perdit une paitie de son armée. On n'appren-
dra pas peut-être, sans quelque surprise, cpie, dans ces
contrées si romantiques, si riches en souvenirs, les lialjitants,
de simples paysans absolument illettres, jouent encore,
chaque année, et en plein air, des pièces dont Cliarle-
inajj;ne et ses pairs sont les plus importants |)ersonnages. Le
style, quoi(jue bien |)lus moderne que le [)nëme de la bataille
de Roncevaux, est très inférieur en tnérite; mais le théâtre
sur lequel se joue le drame, s'élève sur les lieux mêmes té-
moins (les événements qui y sont retracés : il a pour déco-
rations les montagnes qui virent déliter l'armée de Charle-
ma^ne, et le fameux rocher que fendit en deux , d'un coup
de son épée, Roland désespéré de sa défaite (i). A. D.
^i) En i833, M. Joninrd , de l'Académie des inscriptions et I)elles-Iettres,
pend.int son voyaj,'e dans les Pyrénées, s était arrêté dans un petit village
du département des J$asses-Pyrenées, dont la situation lui pai. tissait le-
mar(|ud)le. Ce villaj;e, dont le nom est Cas/et, s'élève sur la rive droite
du Gave dOssau, dans le canton d'Arudy, et contient ^i^ liabilanis. Là,
certes, notre voyageur ne devait pas s'attendre à jouir des plaisirs du
ihiàlie, et pourtant il fut invité, «lès le lendi-inain de son arri\ée, à la
représentation d'une espèce <!e tragédie ou drame intitule: Les Dctize Pairs
(le France. La pièce l'ut joiiee par des villageois, à midi et en plein air. La
scène était en planches, bordées de grandes draperies Manches, et recou-
vertes par d autres qui servaient à intercepter les rayons du soleil et les
regards des curieux du dehors. L orchestre était composé d un tambour,
de deux violons, d un galoubet et d'un tambouiin { c est le nom que Ion
donne dans le pays à une espèce de caisse longue à 6 et 7 coides, que l'on
frappe a laide d'une baguette en bois ). C'est au bruit de cette musique que
s'exécutaient les marches ( et il y. avait mmibre d'évolutions militait es dans
la pièce), ainsi que les chants , car on y chantait une longue ballade. Tous
les instruments jouaient à I unisson. Dans lesaiis, qui 11 étaient pas sans
mélodie, ^L Jornard crut découvrir des traces de notre très-ancienne mu-
sique. Au reste, il paraît cjii'a Castet, comme à Rome, les femmes ne doivent
point monter sur le théâtre : c était un c harpentier du pays (jui jouait le rôle
d'une princesse, un autre paysan celui de la suivante. 1 ont cela élait bur-
lesque, trivial, et persoime n'était tenté cle rire. — Mais il est temps de nous
occuper du sujet de la pièce. Nous y retrouverons, à quelques modifica-
tions près, le sujet du Boinnri de Roncevaujc. Comme dans le romap , la
pièce commence par une entrevue d un envoyé du roi maure avec l'einpe-
reur chrétien Chailemagne. jNLiis ce n'est pas iWarj/Z/c^j que s'appelle le roi
maure, on le nomme Balan clans la pièce, et il a pour fils le vaillant
Vier-a-hras. L ambassadeur du roi païen (clans la pièce comme dans le
roman , les mahométans sont des païens ) porte un défi à Cliarlemagne et
même aux douze pairs. Ce défi est, comme on le pense, accepté avec
empressement. Le o.mbat commence. Fier-à-bras est vaincui, blessé et
reste prisonnier d'Olivier, vainciueur. Mnigié le baume si renomnié avec
XIIISIRCLE.
HUON DE VILLENEUVE.
1 EUT-ÊTRE ce poète, auteur d'un très-grand nombre de
romans en vers, que l'on doit ran}:;;er dans la classe de ceux
que l'on appelle Romans de Charlemagne , serait encore in-
connu si Fauchet n'eût découvert son nom tians un de ses
poèmes qu'il possédait. Le passage où se trouve ce nom est
d'autant plus intéressant à citer, qu'on y voit toutes les pré-
cautions que prenaient les trouvères pour cai)tiver, autant que , ''«"«''«'. Ot 'g
.,,',,' . , , ,. ' ' . , , .' (le la poésie fran-
f)ossible, lattention de leurs auditeurs, et^au^sujuels étaient laise.p. 56».
es présents que faisaient les seigneurs, en habits et en ar-
gent, lorsqu'ils étaient contents et du poème et du trouvère.
Que la paix soit avec vous! commence par dire Huon ,
par la bouche de son jongleur (si toutefois ce n'était pas Huon
lui-même qui récitait), au seigneur qui l'avait appelé, et il
le prie ensuite de veiller à ce qu'il ne s'élève ni cri , ni rixe
parmi les autres auditeurs :
lequel il croit guérir toutes les blessures qu'il reçoit, Fier-à-bras allait
peut-être périr, si Olivier ne lui ent conseillé de recourir aux eaux plus
saliilaires du baptécue. Ll s'y résigne, on l'emporte, et il guérit.
Balan apprend à la fois la défaite et l'api^stasie de son fils. 11 livre, en
désespéré, la bataille, et remporte à son tour la victoire. Olivier tombe
aux mains des Maures avec deux chevaliers. Qui les délivrera? La fille
même <le Balan , la ']Knne Floripes. Elle avait admiré la haute valent des
chevaliers chrétiens, et elle aime en secret l'un d entre eux , Guy de Bour-
gogne. Aussi se sent-elle très-disposée à changer de religion.
Arrivons promptement au dénoûment. Le malheureux roi Balan , trahi
par Fier-à-bras et par sa fille Floripes, succombe enfin, après plusieurs
alternatives de succès et de revers. Rien n'a résisté à la terrible épée de
Roland, le neveu de Charlemagne. Balan est amené devant (Jharlemagne,
qui le menace de le faire brûler vif, s'il ne consent à embrasser la religion
chrétienne. Balan préfère la mort. On voit que c'est lui qui joue le plus
beau rôle, au milieu de tous ces fanatiques pal.idins. .
C'est d'apiès une notice écrite pai' M. Joniard , le soir même de la repré-
sentation de < e drame, et qu'il a bien voulu nous communiquer, que nous
avons pu faiie connaître à nos lecteurs, et prouver, du moins par un
exemple, que les souvenirs des hauts faits dont (ut le théâtre cette partie
des Pyrénées, n'y sont point éteints. M. Joinard C(»njc'cture que la pièce
des Douze Pairs, écrite aujourd'hui en plats vers français, n'est qu'une
traduction d une pièce très-ancienne écrite dans la langue du pays, ou du
moins l'imitation d'un ancien Uoman dialojrué.'il fait faire en ce moment
des recherches, pour découvrir Cet original, qui serait un assez curieui
monument.
Tome Xr III. Yyyy
XIII SIF.CLK..
-j-x-y. HUON DE VILLENEUVE.
Gardez qu'il ni ait noise, ne tabor, ne criée :
Il est ensiiic loustunie en la vostre contrée,
Quant un chanterres vient entre gent honorée
Et il a endroit soi sa vielle atrempée,
' l'se«, cleclii Ja tant n'aura niantel ne cotte desraniée '
'*•'■ Que sa première laisse' ne soit bien escoutée;
Tache ^dehiil p^j^ f^j^j chanter avant se de riens' lor agrée ,
du poème). /-v . . i ■ . w • . • i
.', .' , Ou tost sans vilen;e peut recoillir S estree '.
l,a L-nose Ir ,..,.'., ,
> Je vos en dirai duiieuui niolt est henoree,
1"""""^ ^ TTl 1 1? ' II ■ 1 •
•Son rhfmin I^' royaume de rrance na nulle si loee,
peut rriirenilre Huon de Villenoeue l'a niolt estroit gardée,
sa loiiie -. N'en vol prendre cheval ne la mule at'eltrée^,
' Ihiiiiacht'p. Peliçon vair ne gris, niantel, chape torée",
'Fouiréc. ]\e de bueris paresis une grant henepée';
Unvaspiileiii. Or en ait il maulgrez qii'ele li est emblée',
Une molt riche pièce vos en ai aportée.
Sousliaile
ilérnhec
Kauchel, iliid.
Il semblerait que par ces mots : maulgrez qii'ele li est em-
blée, le jongleur annonce, comme le remarque Fauchet,
que le roman qu'il va chanter, avait été dérobé à son auteur
Huon de Villeneuve; aussi n'en promet-il qu'un morceau,
mais une molt riche pièce. Les vois de poèmes devaient sans
doute être assez communs dans un temps où cette espèce de
denrée avait une valeur réelle, était payée, comme nous le
voyons dans les vers que nous avons cités, par de bons pari-
sis, des rnantels , des chapes fourrées.
Ces vers nous apprennent aussi que de ces énormes
romans on ne récitait que des fragments, de riches pièces, ap-
paremment quelques épisodes. C'est ainsi que, dans la Grèce
antique, les rhapsodes ne récitaient ou, si l'on veut, ne chan-
taient que des fragments de l'Iliade et de l'Odyssée.
Quelques passages des romans de Huon de Villeneuve,
faisant allusion à des événements qui se sont passés tant
à la fin du xii' siècle qu'au commencement du xnT, on
en a conclu qu'il florissait sous le lègne de Philippe -Au-
guste. Mais voilà tout ce qu'on sait de lui; et l'on remarque,
non sans surprise, qu'aut un poète, qu'aucun écrivain de cette
longue période, ne fait mention d'un trouvère dont l'extrême
fécondité , sans parler de son talent qui peut n'être pas géné-
ralement reconnu, lui donnait droit à (|uelque célébrité.
Nous allons jeter un coup d'œil rapide sur les romans qui
lui sont attribués.
1° Regnaut de ÎMontauban ( c'est le roman d'où Fauchet a
tiré les vers où l'on trouve le nom de Huon de Villeneuve).
L'auteur commence ainsi :
HUON DE VILLENEUVE. naS
Seignor, or escoutez, que Dieu vos soit amis, ' ^*-^-
Jhesus de Sainte Gloire, li rois de paradis.
Si vos dirai cliançon qui bien doit esire empris.
Aine n'oïstes nieillor, por oïr ce vos plevis.
Dès le début, on voit Charlemagne, qui a re'uni ses ba-
rons à Paris, le jour de la Pentecôte , leur déclarer, du h;iut
de son trône, qu'il va faire la guerre, en Gascogne, à Re-
gnaut de IMontauban,
Qui contre lui recelé ses mortels anemis,
Les quatre fils Ayuion que toz-jors a liais.
Et Maugis leur cousin.
Il leur déclare qu'il assiégera Montauban, et que si quel-
qu'un peut prendre Régnant, il lui fera un grant don. Doon
de Nanteuil prentl la parole pour représenter à Charlema-
gne que ses barons sont fatigués ties courses continuelles
qu'il leur commande; et il lui signifie, au nom de tous,
3u'ils ne prendront aucune part à l'expédition. Un tel
iscours fait bien voir qu'au temps où vivait l'auteur, c'est-
à-dire dans le xui' siècle, les hauts barons et autres grands
seigneurs tranchaient déjà du souverain; que déjà parmi
eux fermentait ce germe d'insurrection contre l'autorité
qu'ils avaient jusque-là respectée, germe qui acquit son entier
développement au xv' siècle, et produisit de si funestes évé-
nements.
Nous nous dispenserons d'autant plus de raconter les com-
bats qui suivent cette déclaration de guerre , que les autres
romans, dont nous allons nous occuper, ramènent les mêmes
événements. Ce ne sont pour ainsi dire que des branches i\e
la même épopée.
. Le roman de Régnant se termine par ces vers :
Ci définist l'estoire de Renaut le poissant
Et de ses bons amis et de Maueis le Franc.
Dex garisse tous cens par son commandement.
Et moi qui l'ai cbantée ne mi oblie noient.
Et alons trestoz boire, qar il en est bien tamt.
Presque tous ces romans finissent toujours par l'invitation
Sue le jongleur fait à ses auditeurs de venir boire avec lui.
était une espèce de formule obligée; et nous pensons que le
plus souvent elle n'était pas de l'auteur du poème, mais du
jongleur qui le chantait, ou plutôt le psalmodiait, et qui de-
Yyyya
XUl Sito.E.
724 HUON DE VILLENEUVE.
vnit, en effet, avoir besoin de se rafraîchir après un si pé-
nible exercice.
B«»u ms:, d -2" Les quatre fils Aymox. Ce poëme-ci est encore une
la «ibiioih. roy. gujte , une brandie principale de Reenaut de Montauban.
COI f 718a, orné i-v ^ 1 | /->i '1 1 . ....•■»
<ie vigneiifs co- '-'^ '^^^'^ '^"^ romans de Cnarlemagne, il n en est point qui ait
i»ri«es. été plus répandu dans toute l'Europe. Le souvenir des quatre
héros du poéine s'est toujours conservé dans la mémoire du
peuple, f.eurs aventures ont fourni dos sujets aux poètes ,
comme aux peintres des siècles postérieurs au temps où
parut le roman original. — JNous citerons d'abord, comme
c'est notre coutume, le prologue de ce poème:
Seigneurs, or faites pais, chevaliers et barons
Et rois et dus et contes et princes de renons,
Et prélats et bourgois, gens de religion,
Danies et demoiselles et petits enfançons,
Clers et lais toutes gens vivans fois et raisons.
Que nostre sire Diex qui souffry passions
En l'arbre de la crois pour nous remissions
Nous vuelle tous et toutes garvler de mesprisons,
Et si vivre en ce siècle que quant trespasserons
Nous otienne la gloire, et facile vray panions.
Or faites pais, seigneurs, ne faites cris ne sons,
Et je vous chanteray une bonne chansons,
• Car c'est des vaillans hoirs du preux conte Doons,
Cil qu'on dist de Mayence, qui tant fu vaillan; hoDS.
D'un de ses douze tils qu'on apella Aymons
Issy quatre biaus frères desquels orres les noms :
Regriault fu le premier, Allais fu le seconds,
Et Giiichars e Richars aussi furent les noms.
Richars fu le plus fier des quatre fils Aymons,
Aussi que en l'estoire tout partout le trouvons.
Bien aparut es guerres qu'orent les enfançons,
Aussi que si après nous vous recorderons.
Il nous en coûte de reproduire ici d'aussi plates lignes
rimées,qui nous rappellent le style des vieilles chroniques
en vers des xiv et xv* siècles. Et cependant nous continue-
rons encore, parce que, dans ce qui va suivre, nous trouvons
l'analyse exacte de tout le roman des Quatre 6U Aymon ,
faite par l'auteur lui-même, et sans doute reproduite avec
des alléralions par quelque copiste de l'âge suivant.
Des quatre fils Aymon je vous voudray conter,
De leur commenchement jusqu'au definiinent,
Si comnie ils guerroyèrent Cbarleniaine le bec
Pour l'amour J3ertouler que Regnault voult tuec,
Comment grant povretéleur convint endurée
HUON DE VILLENEUVE. 725
En es forés d'A.rdenne, et voiirray recorder
Comme ils vinrent à Dordonne à leur mère parler,
Et au lion duc Aymon qui les voult engenrer.
CoHjmeiit Maugis y vint pour eulx reconforter,
Puis se voulirent partir et en Gascougne aler
Servir au roy Yon qui depuis voult doner
Sa suer en mariage à Regnault le lion ber,
Clarice, ou au gré duc voult en lui engenrer
Douze hoirs maies que Dieux voult depuis honourer.
C'est Aymon et Yvon , on les puest bien nomer;-
Et puis recorderay et vouray deviser
Comment Karle les fist de Casgongnie semer,
Comment réurent leur païs, comme Karle passa mer,
Jherusalem cunquist, comment voult raporter
Les trois clous, la couronne dont Dieu du trosne cler
Fust ça jus coronnés , et ses membres fichier
Pour tout humain lignaige hors d'enfer racheter;
De coy Karle voult puis aimer et honourer
Regnault de Montauban et le voult pardonner
Sa yre et son mal-talent, sans rien plus relever;
De quoy moult resjoy furent duc, conte et per
Chevaliers et bourgois, escuier et bacheler.
Et tous bons chrestiens de la et de ca mer
Ainsi que vous pourrés oïr et raconter
Ens ou noble romant qui moult fait à loer.
Voilà le sujet du roman annoncé, peu claireinent peut-
être , mais assez pour que l'on puisse juger de sa connexité
avec Regnaut de Montauban, et plusieurs autres romans
dont les auteurs ont pris leurs héros dans cette famille.
Après l'exposition que nous venons de citer, l'auteur en-
tame son récit en commençant à la naissance de ses quatre
héros, fils, comme on sait, duduc ^ymonetde sa femme au
corps gent. Il décrit toutes leurs aventures, et finit par le
récit de la victoire que le roi Yvon , Ogier et le duc de Mae-
mond remportèrent, à Mont-Laon, sur l'empereur Charle-
magne, qu'ils vinrent assiéger en France; victoire après
laquelle le roi Yvon retourna en sa ville de Jérusalem.
Le roman se termine par les vers suivants :
Enssi li rois Yvon guerroya roy Karlon
Pour ses trois vaillans oncles et chevaliers de non,
Et pour son cousin Maugis chieux d'Aigremont
Qui furent rais à mort par très grant traïson.
Moult très bien les venga le noble roy Yvon ;
Ensi l'avez oï en la bonne canchon.
Chi fine la matera de Regnault le baron.
Qui tout-jour guerroya l'empereur Karlon ,
XIII S1KCI,E.
4 9
XUl SIKCLE
Biblinlh.
mss. 7183.
Ils n'en sa-
\^'iil pas la valeur
d'un lioulon ^11$
nensaventrien^.
' Au\ {«-Ile»
inouslaclies.
'l'cul-êlie ce
mot, très claire-
ment écrit dans
le rasi- , ^eut-il
dire ; tl' accord
mec liti?
726 HUON DE VILLENEUVE.
Oncqiies plus vaillant prinche ne viesti haubregon,
Que fu li bers Ilegnault qui tant estoit preudon.
Et le chanterre ou jongleur a peut-être ajouté les vers sui-
vants; car nous ne saurions les attribuer à l'auteur même
du poënie :
Or prions tous à Dieu par grant devocion
Qu'il nous ottroit sa gloire par son sauitisnie nom,
Et celui qui l'a escript vieille Dieu doner en don
Or et argent assez, car il en a bon beson
Pour (louner aux filletes et maint bon conipaignon,
Car tout che qu'il ayme que vous celeroit-on ?
3° Maugis d'Aigremont. — Le jongleur nous fait d'abord
connaître ( après toutefois le prélude d'usage, ou l'espèce
d'invocation à Dieu) que le sujet de son roman est pris dans
l'histoire, ce qui n'a ni vérité ni vraisemblance.
Et je vous chanterai d une bonne chanson
Faite est de bon estoire. . . .
Mais il paraît que d'autres trouvères s'étaient plu à peindre
son héros, Maugis, sous des couleurs défavorables, et il
leur en fait aussi reproche.
Cil jugleor vous chantent de Maugis le larron
Comment il gnerroia 1 empereour Karlon
Pour aider ses cousins les quatre fils Aymon,
Dont ils ne savent mie la monte d'un bouton '.
Pour lui, il connaît mieux Maugis. Aussi commence-t-il
par nous donner sa généalogie.
Il est vrai que Maugis fu assez gentis hon :
Ses pères lu dus Bues, li sire d'Aigremont,
La Duchoise sa mère à la chère façon.
Fille Hernaud du Montel à le fleuri "guernon '.
Cil fu aieus Maugis qui ot cuer de lion
De police* ert ses oncles li riches rois Oton
Et Doon de IVantuel, Girars de Roussillon
Et Naimes de Dordone à le flori guernon,
Si furent ses cousin li quatre fils Aymon :
Miilt furent né et esirait de bonne nation.
Il n'est pas un des personnages, nommés dans la généalogie
de Maugis , qui n'ait fourni matière à quelques romans. Nous
possédons encore presque entièrement ces productions poéti-
ques; mais on sent bien qu'il nous serait impossible de les
analyser toutes.
HUON DE VILLENEUVE. 727
T J M • C •. 1 • J' XHl SIÈCLE.
Le roman de Maugis nnit par la conversion d un païen ,
ou plutôt d'un mahoraëtan, Vivien Xaumaçor (mot arabe M.Roquefort,
que i'on peut rendre exactement par celui de connétable, p'°*^""*^ ^^ ''
^ . 7 7\ r" . ' « -l ^- ^ J I langue romane
cornes stabuli). Lest a peu près ce qu il contient de plus vez-^oAumaçor.
remarquable. Le jongleur finit par la recommandation or-
dinaire.
Seignors or aies hoire, li Roman est fine.
4° A ce roman succède dans le manuscrit de la Bibliothè-
que 7,188, celui- de Bue/ on Beuvks d'Aigremont, père de
Maugis. Il est sans titre, el n'est distingué du premier que
par une lettre historiée : peut-être aurait -il dii le précéder,
si vraiment Buef était père de Maugis.
Dans ce roman , comme dans presque tous les autres, on
voit, dès le début, l'empereur Charles rassembler ses sei-
gneurs , le jour de la Pentecôte, et leur exposer ses projets t
Ce fu à Pentecoste à un jour honoré,
Que Karles tint sa court à Paris sa cité.
Quatre archevêques, quatorze abbés, Girard de Roussillon
et un grand nombre de chevaliers assistèrent à cette fête.
Cependant il y en eut qui refusèrent de s'y rendre , entre
autres :
Le dus Bues d'Aigremont qui le poil ot molle.
L'empereur Charlemagne, assis surson trône, une baguette
à la main, harangue l'assemblée. Il s'agit toujours, dans cette
harangue et dans tout le roman, d'aller combattre les sei-
gneurs qui se révoltaient contre l'autorité de Charlemagne.
5° DooLiN DE Mayence. — C'est encore un roman du genre Biblioih.
de ceux dont nous venons de rendre compte. Il est écrit en ">» 7635.
vers, et divisé en morceaux, souvent très-longs, sur une
même rime.
L'auteur, après avoir donné une idée succincte du sujet, ne
cache point la source oii il a puisé.
Les sarges clers adont par leur signifiance
En firent les chronicques qui sont de grant vaillance
Et sont en l'abbaye de saint Denis en France,
Puis ont été estraites par moult belle ordonnance
Du latin en romant pour donner congnoissance
Des erans fais aprouvés et parfaicte créance
Que tous bons à l'ouyr doit avoir plaisance.
Seigneurs or faictes pais, franche gent et honourée,
l'oy.
XIII SIÈCLE.
728 HUON DE VILLENEUVE.
Et vous orrei chancon bien faicte et devisée ,
C'est du bon Doolin qui tant ot regnoniée,
Le seigneur de Mayence qui tant feri d'espée.
Par qui la gent payenne fut durement grevée
Et la loi Jhesu-Christ exhaultée, augmentée,
Mais-hui pourres ouir en la chancon riniée
De qui la geste vient qui tant fut honnourée.
Ce héros paraît avoir été le père du perlide Ganelon ou
Guenelon, archevêque de Sens, connu par ses trahisons sous
lerègnedeCharles-le-Chauve, etdont les romanciers ont fait
un assez vilain portrait. Il paraîtra fort singulier que l'au-
teur ait choisi son paladin, qui vivait pendant les premières
années du règne de Charlemagtie, dans cette race si décriée.
Au reste ce roman est d'un style comique et nait. L'auteur
a diversifié les <Jétails des batailles; et ces récits ne t,ont pas
aussi ennuyeux que dans la plupart des ouvrages du même
genre. Mais on n'y trouve ni suite, ni bon sens, 111 vraisem-
blance. L'auteur fait intervenir Dieu et ses anges dans
quelques étranges événements; et Doolin y joue souvent le
personnage d'un bouffon plutôt que celui d'un héros.
Ce roman de Doolin a été imprimé plus d'une fois au
commencement du xvi*' siècle. Nous citerons les diverses édi-
tions qu'on en a faites, en rendant compte, d.ms une note
à la fin de cet article, de celles qu'on a publiées de la plupart
des autres romans dont nous venons de faire mentiun.
6° CiPERis DE ViNEAUX, OU plutôt de Fignevaux. Il est
très-douteux que ce roman soit de Huon de Villeneuve , bien
que divers auteurs le lui attribuent. Ce n'est |)oiiit un roman
de la catégorie de ceux qu'on nomme carlovingiens ; les évé-
nements qui en font le sujet sont d'une tout autre époque.
Mais dans le seul manuscrit qu'en possédait Fau<.het (et cest
probablement celui que l'on possède aujourd'hui à la Biblio-
thèque royale), il était à lasuite de Regnaud de Montauban;
ce qui a pu faire croire, sans trop de raison, que tous les deux
étaient du même auteur. Au reste, Cïperis de Fiiieaux n'est
pas même complet dans ce manuscrit, le seul que nous ayons
pu examiner; ce n'est qu'un grand fragment d'une longue
pièce de vers, qui n'aide nullement à en faire reconnaître le
véritable auteur. On ne range pas raoins'le poème de Cïperis
parmi les lomatis carlovingiens,maisc'està tort, comme lere-
marcpicti es- justement le nouvel éditeur de plusieurs ancieus
romans qui doivent dans la suite attirer notre attention.
HUON DE A'ILLENEUVE.
7^-9
Xi 11 SIFCLE.
lion (le Gaiin le
Lolteriiiit , p. x.
PiK'sic finn-
].
5G:iv.
« Le titre de Romans carlovingicns, dit-il, est très-inexact.
Les chansons de gestes comprennent une foule de poèmes qui m. Pàiis, Pré-
ne se rapportent ni aux princes delà race de Charlemagne, '"'•" «lesonédi
ni aux barons français contemporains de ces princes. Dans
re nombre, je citerai Partlienopex de Biais, Florent et Octa-
\'ien, Ciperis de P ignei'aux, dont les récits remontent aux rè-
gnes de Clovis et de Dagobert; Hues Capet, le Chevalier an
Cygne, Baudoin de Sehourg, et le Bastard de Bulliorif, dont
les héros appartiennent tous au temps de la troisième race
royale. »
Fauchet a remarqué avec raison que l'auteur du roman de
Ciperis, quel qu'il soit, a dû ne vivre que dans lexni' siècle,
puisqu'il est fait mention , dans son poème, de la clôture du
bois de Vincennes, clôture qui ne fut exécutée, parles ordres
de Philippe- Auguste, que vers l'an 1200. Il cite ensuite un
assez graîid nombre de vers de ce poème, qui sembleraient
prouver que l'auteur aimait à s'exprimer en maximes ou
proverbes. En voici quelques exemples :
Tel cuide bien avoir de sa cliair engendré
Des enfants en sa femme qui ne lui sont un dé.
— Pis vaut péché couvert, ce disent li lettré,
Que ce que chacun sait et qu'on a mie celé.
— Et cil est bien bastardz qui n'a cuer ne pensé
Fors de mauvaistié, fere laidure et fauceté.
— Car tielz est bien armez qui po de povoir a.
Et tielz est mal vestus qui a« corps bon cuer a.
— Le cuer n'est mie es armes, mais est où Dieu mi» l'a.
— On porte plus d'honneur à un baron meublé
Chi'on ne tait à preudhom vivant en pauvreté.
— Ce qui doit advenir on ne puet nullement
Destourner qu'il n'advienne, ce dit-on bien souvent.
— Souvent fait-on grant joye encontre son tourment.
— Hardenienl' ne vient mie de noble garnement',
Aius vient de gentil cuer où proesse se prend, etc.
'Ei|uipagc.
Il nous reste à rechercher si les romans de Huon de Ville-
neuve eurent , dans leur temps , le succès dont il paraît qu'ils
ont joui à une époque plus récente. Ce n'est passans surprise
que nous avons remarqué qu'aucun des poètes ses contempo-
rains ne lui donne d'éloges, ne cite même son nom. Lui-
même, il est vrai, garde sur ses rivaux en poésie, un sjlencc;
constant. Et pourtant, il a bien fallu que ses nombreux ouvra-
ges aient eu, dans le xni* siècle, une grande réputation, puisque
lorsque, dans le xiv^ et le suivant, la mode ou la manie ayant
Tome XFIIl. Zzzz
4 9 *
XIII SIECLE.
73o HUON DE VILLENEUVE.
pris de translater de rimes en prose presque tous les romans,
ceuxdeHuon de Villeneuve furent des premiers qui subirent
cette métamorphose; des premiers aussi que publièrent les
presses françaises peu après la découverte de l'imprimerie.
Mais toutes ces traductions en prose diffèrent considérable-
ment des originaux en vers (i). A. D.
(i) Nous citerons ici au moins les principales éditions de ces traduc-
tions en vulgaire français, les rangeant, autant que possible, dans leur
ordre chronologique.
Les deux plus anciennes éditions du Roman des Quatre fils Âymon
sont de Lyon, 149^ et i497; ' ""«^ «î' l'autre in-folio.
Viennent ensuite: i. iLe livredes quatre fils Aymon, ducs àe Dordonne,
avec leur cousin Maugis. Paris, Alain Lotrian, in-4°, gothique. Sans date.
2. Histoire singulière et fort récréative contenant les faits et gestes des
quatre fils Aymon et de leur cousin Maugis, lequel fut pape de Rome;
semblaljlement la Chronique du chevalier Mabrian, roy de Jherusalem.
Paris, Denys Janot, in-4'', gothique. Sans date.
3. Le^ quatre fils Aymon , ducs de Dordonne , c'est à savoir, Regnault,
Alart, Guichard et Richard, avec leur cousin Maugis. Paris, Jehan Bon-
fous, in-4°, gothique. Sans date.
4- La Chronique et Histoire des conquêtes du chevalier Mabrian , lequel
par ses prouesses fut roy de Hierusalen; commençant à la teste des faiz
et ports d'armes des quatre fils Aymon; avec la mort d'iceulz, et de Maugis,
lequfl fut pape de Rome, etc., etc., réduite du vieil langaige en bon
vulgaire français, par Guy Bounay, licentié es loix, et Jehan Lecueur,
seigneur de Mailly. Paris, in-fol., Jacques Niverd, i53o.
5. Histoire des nobles et vaillans chevaliers les quatre fils Aymon ,
revue et remise en bon langage. Lyon, François Arnoult, iSjS, in-4''.
— La même, à Lyon, Rigaud , i58i, n° 4o33 de La Vallière.
6. Les prouesses et vaillances des quatre fils Aymon, etc. Troyes, Ni-
colas Oudot, 1625, in-4°.
— Réimpression en 1704, in-4°.
— Et en 1780, in-4".
7. L'Histoire de Maugis d'Aigremont et de Vivian son frère. Paris ,
Pierre Bonfons, iii-4°. Sans date.
— Paris, Jehan Treperel, 1527, in-4".
— Rouen , veuve Coste , 162 1 , in-4°.
8. La fleur des batailles, Doolin de Mayence.
— Paris, Ant. Vérard, i5oi, in-fol.
— id., Nicolas Donfons, in-4". Sans date.
— id., Alain Lotrain, in-4". Sans date.
Ajoutez beaucoup d'autres éditions à Troyes dans la Bibliothèque bleue.
XIU SièCLE.
ANONYME, AUTEUR
DU ROMAN OU LAI D'HAVELOC LE DANOIS.
JLes lais sont, comme les romans, ou historiques, ou allé-
goriques, ou satiriques ; il y a des lais, comme il y a des ro-
mans, de chevalerie et d'amour. Mais, dans notre opinion,
les lais historiques précédèrent les romans. Les exploits
d'Arthur et des chevaliers de la Table- Ronde furent
chantés par les successeurs des bardes gaulois, sur des
harpes et des rotes, avant d'être retracés de nouveau en
d'énormes compositions romanesques, par des trouvères,
et récités ensuite en fragments, plus ou moins longs, par
des jongleurs.
Si les Inis^dans la partie occidentale de la Gaule,dans celle
oùsontsiluees la Bretagne et la Normandie, furent le type ou
plutôt legeimedesromansd'ArthuretdeiaTable-Rondf,dans
la partie orientale (sur les bords du Rhin), les chansons de
gestes^ que l'on devrait peut-être appeler cantilènes ou chants
historiques et populaires, ont été aussi l'origine de ces grands
roin;ins du cycle de Charlemagne, qui inondèrent l'Kurope
au xiii* siècle. Nous répéterons ici ce que nous avons ailleurs
avancé, que ces immenses romans carlovingiens ne furent
jamais chantés, pas plus ces derniers que ceux de la
Table- Ronde Kn vain commencent-ils presque tous [)ar ces
mots : f-^ous allez air une chanson. Homère aussi disait :
Chante, Mme , la colère (Ty^chille: c'est qu'avant Homère,
il avait existé, dans la Grèce, des lais ou des chansons de
gestes, qui avaient célébré Agamemnon, Achille, Ajax et les
guerrieis du long siège de Troie.
Le lai dont nous allons nous occu|)er est du genre de ceux
que nous avons nommés historiques; aussi le range-f-on sou-
vent parmi les romans; et il a fourni , à un ancien poète an-
glais, le sujet d'un roman en vers.
L'aiitt'ur (lu lai français d'Haveloc est un trouvère a ngio-
normand ; et le manuscrit qui contient son cuiviage ne se
trouve que dans les bibliothèques d'Angleterre. Mais un éru-
dit anglais (M. Madden) l'a publié en y joignant une préface,
Z zzzu
732 AUTEUR ANONYME
xiu sièclî:.
UIH
dans laquelle il parvient à prouver par des monuments, par
The an. lent des fragments de cliToniques et des actes même irrécusables,
Homancc- o! Ha- q^, \ç poëme Hvait uu fondement historique. Un savant fran-
vilok Ine Diine, -i' i i r ■ i iii
ar.ompanird b^ Ç^'^1 Charge par le gouvernement de laire des recherches dans
iiii- french iex\ , les bibliothèqucs de Londres , a donné récemment une nou-
witiianiiiirodiK- yellc édition de ce poëme, et une traduction de la préface de
Gins'sa'iy !)Y Fi'e^- ^^- j^I^iddeu. EuGn , M. De la Rue, plus récemment encore,
«loiirk Macidcii. fait mention , en trois endroits différents de son grand ou-
Loiuion, vv. Ni- vrage sur les twuvcres anelo-nomiands ^ du lai d'Haveloc,
roi., 1828,111-4". P . . rr 1 !• '^ I' • 1 • j I
M. Fi..n(isf|ue QUI mente en etiet de n.xer 1 attention de tout partisan de la
MkiKi,i.aid'Ha- littérature du moyen âge. En voici l'analyse exacte.
veioc ip Uanois; \ ^^ famcu.x Foi breton Arthus ou Arthur a passé en Dane-
,«•^5 marck a la tête d une armée, et y a détrône le roi Gunter :
Bai'cUsetTrou-
vèics aiiglo-nor- Le roi meismes y fut occis ,
nds, etc. Et plusurs autres de! pais.
I cccrur Hoduif l'occist par trahison
Qui tout jours out le queor' félon.
Ce fut cet Hoduif qu'Arthus laissa en Danemarck pour son
lieutenant, lorsqu'il retourna en Angleterre avec tous ses
Bretons. Et cette espèce de tyran persécuta , comme de rai-
son, la famille du roi auquel il succédait, et tous ses partisans,
^lais le feu roi avait prévu la fatale issue qu'aurait sa guerre
avec Arthus; il avait confié sa femme et son fils, âgé de sept
ans, au fidèle Grim, en lui recommandant de veiller sur-
tout à la sûreté de son fils :
Sur toutes riens ii commanda
Son fils que il forment ama ;
Que si de lui (Gunter) mesavenoit
En bataille se il morroit
Q'a son poeir le garantist
E fors del pais le méist,
Qu'il ne fust ne pris , ne trovez
N'a ses eneniis liverez.
Grim s'était retiré dans un château lointain avec la fa-
mille de son roi. Dès qu'il eut appris sa mort, il ne son-
gea plus qu'à s'enfuir du pays. Il équipa secrètement un
vaisseau, y fit monter la reine et sa suite, et y entra lui-
même avec le jeune fils du roi.
Le vaisseau quitte le rivage, et, à quelque distance, est
assailli par des pirates qui pillent le bâtiment, et tuent non-
seulement la reine, mais tous ceux qui s'y étaient réfugiés,
DU ROMAV D'HAVELOC rS3
à l'exception de Grim et du royal entant qu'il avait sous sa
garde. Seuls dans le vaisseau, ils le laissent vogner à l'aven-
ture. Le sort les jette sur une plage de 1 Angleterre, non loin
de Lincoln. C'était alors un pays désert, quoique fertile. Grim.
avec les débris du vaisseau, se construit une habitation, y
établit des relations avec les habitants de la contrée voisine,
et s'allie bientôt avec eux. La contrée se peuple, et c'est là
l'origine du bourg de Grimdy. qui est encore aujourd'hui
l'un des plus considérables du Lincolnshire.
Cependant le jeune fils du roi Gunter, Haveloc, grandit
sous les yeux de son tuteur dont il se croyait le fils. Sa force
était extraordinaire; dés son adolescence, pas un habitant
de la contrée n osait lutter avec lui.
Einz qu il enst gûres de éé%
SI troTast-il hom£ bardé,
S'enconrre lui liuter Tousisl,
Qe li emfes ne labatist.
Mais le prudent Grim sentit qu'un fils de roi devait savoir
autre chose que lutter, et il résolut de l'envoyer chercher
fortune ailleurs. 11 lui dit:
Va-t'-en , beau fils , en Engkterre
Aprendre sens et avoir querre;
Tes frères les fils de Grim ; meîne ensemble od toi :
£o la curt a an ricfae roi
Te met , beau fils, soaz ks serganz.
Ils partent. Mais notre fils de roi, Haveloc ne peut par-
Tcnir . dans ce monde nouveau pour lui . à aucun emploi
plus brillant que celui de quùtron marmiton dans les cui-
sines d'ALsi , roi du Lincolnshire. Il se distingua dans cet
emploi :
Merrdllous fès' poscit lever,
Busche tailler, ewe' porter.
Les esquielcs ' recevoit ,
Et après manger les lavoit ;
Et quant qa~il poeit purcfaa^ser,
Pièce de char oa pain eater,
Muh le donoit volentïers
As valez et as esquiers.
Ce qui n'empêchait pas qu'on n'eût de lui une très-pauvre
opinion:
XIIÎ SIF.CI.E:
'iriçc.
Fard
XIII sricLE.
734 AUTEUR ANONYME
Entre eus le tenoient pur sot;
De lui fesoient lur déduit;
Cuaran (i) Tappelloient luit.
Nous devons faire conniulre le roi Alsi, ce patron deCuaran-
Haveloc. C'était un assez méchant personnage, qui avait
épousé la sœur d'un autre roi voisin, Eltemhrigt. Ce der-
nier roi avait légué en mourant à Alsi sa tille Argentille
et tous ses biens, mais à cotjdition que, lorsqu'elle serait
en âge, il lui donnerait pour époux, en lui rendant toute
sa fortune , l'homme le plus fort du royaume. Alsi avait
juré que
Quant la pucelle seit granz
Par le conseil de ser tenanz,
Au plus fort homme la Jorroit
Qe el reaume troveroit;
Que il li buillast ses citez,
Ses chasteus et ses fermetez.
A l'époque indiquée par un père si bienveillant pour sa
fille, les b.irons vassaux du feu roi Eltembrigt vinrenr trou-
ver Alsi et le sommèrent d'être tidèle à son sertnent. Alsi ré-
pugnait à se dessaisir des bieiis de sa nièce, et sachant bien
qu'il allait irriter tous ces liers barons, il leur répond qu'il
est tout prêt à donner, comme il l'a juré, la jeune prin-
cesse au plus fort de tous les hommes; qu'il lui réserve
Cuaran, un de ses marmitons.
Un valet ai en ma quisine
A qui jeo dorrai lu meschine.
Cuaran ad cil .i non.
Li dis' plus fort (le ma maison
, , 1 Ne se poeiit à lui tenir.
Les du. r
Les barons ne peuvent supporter qu'on avilisse à ce
point U lillo lie leur ancien roi. De là un combat entre
eux et les g'US du roi Alsi. Ceux-ci l'emportetit; et, pour
mieux Itravi-r les barons, Alsi fait venir sa niète, et la
remet à l'instant même, et sans cérémonie, dans les bras
de Cuaran- Haveloc :
()) Ndus ii^MioiDMi f,([ue re mot signifie en breton. Ne semit-re point
balourd, iiiepl'-? — Le vii-iix mot fiançais eoMf/«/ est le mot breton cuaron,
très-peu allric.
DU ROMAN D'HAVELOC. y35
c I f . Xm SIÈCLE,
aa niece lur tel amener _________
Et à Ciiaran esposer;
Pur lui" aviler et hoiiir 'Elle.
La fist la nuit lez lui gisir.
Argentine fut d'abord humiliée, comme on le pense bien,
de l'hymen peu convenable que son oncle l'avait forcée de
contracter; mais pourtant elle nu tarda pas à s'accommoder
de son mari, dont elle reconnut le mérite. Et encore ne dé-
couvrit-elle pas, dès les premiers jours, une merveilleuse
faculté qu'd devait sans doute à sa vigoureuse organisation,
et dont nous n'avons point fnit mention jusqu'ici. C'est que
le poète ne l'avait indiquée qu'une seule fois, et sans en pa-
raître émerveillé, quoiqu'il ne soit pas très-ordinaire de ren-
contrer des hommes qui jettent des flammes dans leur som-
meil. Quant à Haveloc , qu'il ne faut plus appeler Cuaran ,
Toutes les houres qu'il dormoit
Une flambe <le lui issuit;
Par la bouche li venoit fors ,
Si grant chaleur avoit el cors.
tLa flambe rendoit tiel odour,
One ne sentit nul hom nieillour.
Voici comment Argentille s'aperçut de cette étrange qua-
lité, ne devrions-nous pas dire de cette infirmité de son mari.''
Une nuit, elleeut un rêve assezextraordinaire. Il lui semblait
u'elle était avec Haveloc dans une forêt au milieu d'une foule
lions, qui jetaient sur eux des
yeux menaçants. Haveloc, pour la mettre à l'abri de leur
3-
a<
fureur, la fit monter sur un arbre où lui-même monta après
elle. Argentille ne fut pas peu surprise de voir les lions
et les autres bêtes féroces s'agenouiller autour de l'arbre,
se prosterner devant Haveloc. Pleine d'admiration, elle s'é-
veille; mais quel n'est pas son effroi en voyant des flammes
sortir de la bouche de son mari!
Elle quidoit que tut son cors
Fust allumé, pur ceo cria.
Cuaran la réconforta.
De ma bouche soelt feu issir
Quant jeo dorme, no sais pur queî.
Le songe et le phénomène dont elle vient d'être témoin
Xni SIKCI.E
736 AUTEUR ANONYME
troublent tellement I esprit d'Argentille, qu'elle se tléterinine
a se rendre auprès d un sage ermite dont la cellule n'est pas
loin, pour lui demander l'explication de tout cela. L'ermite
lui repond :
Be!e, ftt-il, ceo qc sungé as
De ton !),iron, tu le verras.
Il est ne de real lignage,
OtKore avéra grant héritage,
flrant gent fera vers li encline,
11 serra roi y tu rëyne.
De retour près de son mari , Argentilie , d'après les
conseils de l'ermite, demande à Haveloc quel est son père,
et Haveloc lui répontl qu'il n'en connaît point d'autre
qu'un pauvre pêcheur du bourg de Grimesby. Elle forme
alors le projet d'aller au plus tôt, avec lui, près de ce pé-
cheur pour avoir de plus amples renseignements. Ils partent,
(irim le pêcheur était mort; mais sa Hlle, qui avait épouse
un marchand, tenait de la bouche même de son père que
Haveloc était fils d'un roi de Danemarck, dont HoduU occu-
pait le trône. Le marchand, mari de la hlle de Grim,oifre aus-
sitôt de conduire Haveloc et Argentilie en Danemarck, pays
avec lequel il avait des relations continuelles de commerce,
f.àils pourront trouver des partisans du téu roi Gunter qui
aideront Haveloc à remonter sur le trône de son père. L'en-
treprise lui paraît d'autant plus facile que le tyran Hodulf
est généralement détesté.
Ils acceptent avec joie la proposition du marchand , passent
en Danemarck, et descendent chez un vieux sénéchal du pays,
qui avait été ami du feu roi Gunter. Il reconnaît le hls de ce
malheureux prince, dès qu'il a appris de lui comment Grim
l'avait sauvé ; comment il lui sortait, en dormant, une flamme
de la bouche. Mais, de plus, Haveloc ressemblait parfaite-
ment à son père, par ses traits et sa force prodigieuse. Grâce
aux soins du sénéchal, les principaux seigneurs de l'endroit
se réunissent pour soutenir les prétentions au trône du nou-
veau débarqué. Devant eux , Haveloc se soumetà une dernière
épreuve. On apporte un cor dont nul ne pouvait tirer de son ,
s'il ne descendait du roi Gunter. Le sénéchal
De son trésor fait aporter
Le corn que nul ne poet soner
Si (Ireit héir n'est de lignage
Sur les Danois par héritage.
XIII SIECLK
DU ROMAN DHAVELOC. 7:57
Haveloc se lève et portant le cor à sa bouche,
Hautement et liien le sonna.
A giant merveille le tenoient
Tuit cil q'en la sale estoient.
Voilà bien Haveloc reconnu pour roi légitime; mais on
pense bien que Hodulf ne se laissa pas dépouiller impuné-
ment. II rassiMïible une armée. Mais Haveloc It" provoque à un
combat singulier; et Hodult iiepeut refuser. L'issue n'en était
pas douteuse. Hodulf est tué, et Haveloc est proclamé héri-
tier du trône de son père.
Après un règne heureux de quatre années, il se souvint
qu'il avait aussi à léclamer l'héritage de sa lèmme Argentille.
Il revient avec elle en Angleterre à la tète d'une asst z forte
armée de Danois. D'abord il somme, par ambassadeur,
Aisi de rendre à Argentille les biens du feu roi Ekembrigt.
La réponse d'Alsi est cuiieuse:
« Merveille , fet-il, ai oi
De (>()aran eel mien qnistron,
Qe jeo niirri en ma maison,
Qi me vient terre demander.
Mes keus' ferai à lui jn.sler 'Mesiuisîmer»
0<l trepez' et od chaudrons, ' A vtr trépied»
0(1 paèls et od ploms. »
Mais il reconnaît bientôt la nécessité pour lui de réunir
une armée plus formidable pour combattre celle des Danois.
La fortune ne favorise pas d abord Haveloc: il perd, tians un
premier combat, une paitie de ses défenseurs, et la bataille
doit recommencer le lendemain. Sa femme lui conseille de
fjcher, pendant la nuit, sur des pieux, les corps de tousses
Danois qui couvrent encore la terre, et de mettre entre
chaque rang des giierrieis vivants et bien armés. Quand
le jour renaît, les vainqueurs de la veille sont épouvantés
du grand iiotnbrede Danois qti'ils vont avoir à combattre de
nouveau, et ils refusent d aller les attaquer AIsi se voit obligé
de demander la jiaix, et il consent à restituera Argentille
tous ses biens. Quinze jours aptes, il mourut de regret, et Ha-
^veloo fut choisi pour lui succéder au tiône. Ce fut ainsi que
De Hulancle desq'en Gloucestre
Furent Danois seignuret inestre.
Tous ces nombreux événements, et plusieurs autres que
nous n'avons pas cru nécessaire de rapporter, sont racontés
Tome XV m A a a a a
738 JEHAN DE FLAGY.
1111 SILCLK.
I' ' '9
avec rapidité clans le roman, qui ne contient que 1 1 1 î vers.
Le trouvère GelTroi (laiinar les avait dc'ja consignés, dès le
commencement du xii*^ siècle, dans son histoire en vers des
rois anglo-saxons, où ils forment un épisode intéressant.
Mais il ne paraît |)ns que ce soit là quo l'auteur du lai d'Have-
loc ait puisé son sujet, (juoicpie chj lai soit incontestablement
|)0stérieur à l'ouvrage de Gellroi Gaimai.Tant de chroniques,
tant de vieilles traditions rappelaient lessinguliers moyens par
lesquels un Danois, du nom d'Haveloc, était parvenu au trône
dans le Danemarck et dans 1,1 Grande-Bretagne. En fallait-il
plus à un poète pour l'exciter à chanter.^ Quel besoin pour
lui de répéter en d'autres mots ce qu'avait dit un autre poète
plus ancien.'^ Mais c'est à tort aussi que M. Madden pense que
c'est dans le lai de notre anonyme que Gaiinar est venu
prendre le sujet de l'épisode (ju'il a inséré dans son grand ou-
vrage. M. De la Rue a très bien réfuté cette opinion. Il suffit
De la Rue , d'observer que la langue dans laquelle a écrit l'anonyme est
TiouNtrcsangio- |,ig,j jy français du xiii* siècle ; tandis que le stylede Gaimar
noiman s,i.l I, ^^^ dernières années du xn^. L'un et l'autre poètes, au
reste, avouent, comme le dit presque en toute occasion
Marie de France, qu'ils imitent ou même traduisent 6' anciens
lais bretons. L'anonyme auteur du lai d'Haveloc, après avoir
prévenu le lecteur de l'intérêt que devait offrir l'histoire du
héros qu'il a choisi, ajoute :
Pour ceij vus vuil de lui conter
Et s'aventure renienibrer;
Q'un lai en firent li lireton.
Si l'appelèrent «le son non
Et Haveloc et Cuarant.
AD.
JEHAN DE FLAGY.
Le nom de l'auteur d'un grand roman en vers, qui a pour
titre : Garin le Loherens ( le Lorrain ), a long-tem|iS échappé
aux recherches des bibliographes. L'ouvrage était connu du
moins par son titre et par quelques fragments publiés en
divers recueils, mais l'auteur était ignoré. Et pourtant l'au-
teur Jehan de Flagy y était nommé, mais seulement dans
un vers que voici :
« Ci faut li chant de Jehan de I lagy. •
JEHAN DE FLAGY. 739
f^ . ^ , 1 I 1 •.• ' J ••' XIIISIFXLE.
Le vei's, qui se trouve a un peu plus de la moitié du poème,
ne permet pas d'attribuer à Jehan de Flagy l'honneur de
l'avoir composé tout entier. Mais le continuateur ne se fait
point connaître.
De ce qui précède il résulte que D. Calmet s'est trompé
lorsqu'il a avancé, dans son Histoire de Lorraine, que l'au-
teur du poème de Garin le Lohereiis était Hugues Metel ' "'H '^'
ou Metetlus , chanoine régulier de Saint-Léon-de-Toul , qui
florissait vers le milieu thi xii*^ siècle. On pourrait tout au
plus regarder ce Metellus comme le continuateur du roman;
et encore cette opinion manquerait -elle de preuves posi-
tives. Disons plus : elle a été combattue avec avantage par
nos prédécesseurs (jui, dans un long artide sur Hugues
Metel { voyez tome \1I de cette Histoire, pages 49^ à 5 10),
ont cité deux vers du poème dans lesquels il est (ait mention
de la commune de IMetz; or, de l'aveu même de Dom Cal-
met ( flistoiie de Lorraine, p. cclv), Metz ne fut établit;
en commune qu'en 11791 c'est-à-dire près de trente ans
après la mort de Hugues Métel. Au reste, puisque les au-
teurs de la notice sur Hugues IMetcl avaient pris !a peine de
rendre compte des lettres et A^is, j)oésies qui nous restent de
cet auteur, et qui sont toutes empreintes d'affectation et de
mauvais goût, ils auraient pu faire observer qu'il ne pou-
vait avoir écrit un poème d'un tout autre style, et qui pré-
sente des défauts d'un tout autre genre.
On pense bien que nous n'avons rien à dire de la vie de
Jehan de Flagy ,d'uti auteur dont le nom n'est pas cité, du
moins nous le croyons, ailleurs que dans le poème qu'il
avait entrepris. Nous ignorons quelle était sa profession, et
nous ne le voyons figurer dans aucune chronique ni histoire.
Mais si nous ne pouvons prendre intérêt à sa personne, il
n'en sera pas de même de son ouvrage (1).
Le poème a près de 3o,ooo vers, et l'on en possède un
assez grand nombre de manuscrits, qui tous contiennent
des variantes multipliées. Une foule d'auteurs modernes en
ont cité des passages plus ou moins longs; et, entre autres,
Dom Calmet, Ducange, Loysel, Goujet et surtout Sinner
(i) C'est La Monnoye qui, dans ses Notes sur la Bibliothèque de Du-
verdier, a nommé , le premier, Jehan de Flagy. Avant lui Borel, dans son
Trésor des recherches et antiquités gauloises , avait pris le nom du poème
pour celui de l'auteur.
Aaaaaâ
74o JEHAN DE FLAGY.
XIII SIKCLE. ' . , . • , e •■ I N rr.
(Extraits des poésies des xii, xiii et xiv siècles ;. 1 ous en
Hist. lie Lor- font lemoiiter l;i composilioii à i i5o, sous le règne de
lainc. t. I, ).. j^ouis-le Jeuiie, bisaïeul de saint Louis. En effet, si l'on en
f IX-I,XX1II. . . III I I •
Voie>,siuAnne jug^^'t par le Style, (le (jueiijues passaj^es du moins, on
foiiinène .dans pourrait le croire de la lin du xii^ siècle; et d'ailleurs on le
\nie-^nardoii.ii, ^p^^yg ,Jar)s plusieurs manuscrits c|ui paraisseiit appiocher
viein. sur le «Je Cette epocjue - là. La plus grande partie vient d'en être
iJeauvaisis, pa-. publiée, pour la première fois, avec un soin tout particulier,
'^* , une excellente ptét'aceet des notes. C'est un vrai service qu'a
Sii|.|)li-in. .VI 1 . 1 , ' c ■ I • ' I- '
Moif.i, 1. 1, part rendu a la littérature trançaise le jeune et savant éditeur
II, ,>. i5. (IVÎ. Paris).
LiUo.nansdf j^^ Moèmc - roinau de Garin le Lolierain contient une
«.arin li Lohe- .'1,1 1 i- i-.- 1/^1 1 m 1 1
iain,pubiiépoiir partie tle l histoire de l expédition de Lliarles-.Martel et de
1.1 pieinieie lois soii lils le Toi Pcpiii contre les Sarrasins et autres peuples,
r' '^i;.!!'""' Jehan de Ela"V y retrace les hauts laits d'armes de Hervis,
.«33', 1 >ai in- <iuc (le Metz, lils du duc Pierre et peie de Garin le Loherain,
aussi duc de Metz et de Brabant; de Bègue, comte de Châ-
teau-de-Belin, et d'une lille qui
1)0111 Calinel
litst. de Lor. p
Ibid
.. Devint mère du valet Malvesiii ,
Qui tant aid.i à ses germains cousins. ^
L'auteur suppose cpie ces princes de Lorraine vivaient
sous les règnes de Pépin et de Charles-Martel, et il raconte
des uns et tles autres maintes aventures.
Dam Calmet retnarcpie que tous les historiens, Sympho-
rien Champier, Edmond Duboulay, Meurisse, Hugues de
Toul, cités par Wassebourg (Antiquités de la Gaule bel-
gique ) , liv. HI, pag. 157, donnent à ce roman rautorité
Wasschouitc. d'une véritable histoire, au moins quant au fond; car,
il.f. ci.j,»^ aioute-t-il, il est impossible d'ajouter foi à toutes les cir-
constances qui accompagnent les faits princi[)aux. Wasse-
bourg, qui en ra|)porte des fragments, ne doute nullement
que Gueiin le Lorrain n'ait été père de Gerbert , comte de
Metz, lequel ne laissa que des filles, et qu'alors le comté de
Metz ne soit retourné aux enfants de Charlemagne. Il ajoute
que les ducs de Lorraine du siècle dernier ne descendaient
point, il est vrai, en ligne directe de Garin le Loherain,
mais seulement en ligne collatérale, et que le duc Raoul
fonda à S<iint-(jeorges de Nancy quatre anniversaires, dont
l'un était pour Guèrin le Lorrain, qu'il disait être un des
chefs de son lignage.
JEHAN D"E FLAGY. -4i
xm siKci f.
Ce même Wassebourpf, toujours cité par Dom Calmet,
rapporte encore qu'Atuelin, comte de Verdun, tenant cette , L.ll,p.cxx.\
•11 i^ • /-.i 1 M 1 f. XVII verso, I.
Ville sous une dure oppression, Lnarles-lVIartel y envoya cxxviij.
Guérin le Lorrain, comte de Metz, qui réprima Ancelin, et
qui lit élire sans obstacle pour évéque Rlagdalneus, parent
de Charles-ÎMartel; mais qu'ensuite Ancelin tua Garin , par
trahison, dans une chapelle assez près de Metz. Ailleurs cet
historien ci!e Turpin qui nomme Garin le [x>rrain parmi „»;•*' " ''
les guerriers tle Cliarlemagne, à la fameuse bataille de Ron-
cevaux ; et Dom Calmet, d'un autre côté, assure qu'il a „ . , ,
trouve dans 1 ancien taitulaire de I abbaye de baint-Arisou loc. cit.
de Metz, que Hervis, duc de Metz, était inhumé dans la
vieille église de ce monastère. Voici le passage (pi il a tiré
du cartulaire : In veCeri nionasterio sancd yjrnuljl , in loco
qui nunc dicitur Paivulus, a latere sinislro , in parte yiqiu-
lonan, in angulo , sub arcu lapideo , scpultus est Hervinus ,
du.c jMctemis.
On ne peut guère douter, d'a|)rès tant d'autorités, cyue
les héros du poème de Jehan de Flagy n'aient existé; que -
ce poète n'ait, comme tant d'autres, et l'on pourrait dire
comme tous les poètes, bâti sa fable sur des fondements
historiques. Nous ajouterons même que, sous le rapport de
renchainement des faits, de la vraisemblance des détails,
de la rigoureuse exactitude des indications géographiques,
Jehan de Flagy est intiniment plus estimable que tous ses
contemporains en poésie vulgaire. Malheureusement, pour
l'honneur de ce poète remarquable, on a confondu son ou-
vrage avec celui d'un romancer postérieur, qui, suivant un
usage assez général, a, plus tard, pris pour sujet de ses in-
ventions, les ancêtres (l'un héros que le talent d'un autre
poète plus habile avait auparavant rendu célèbre. Ce poète
à la suite a composé le roman û'//en'iz de Metz, dont il nous
reste deux copies, l'une à la Bibliothèque du roi , l'autre
dans celle de l'Arsenal. Or, c'est à l'auteur (\e ce poème
* A' Hervis, et non pas à Jean de Flagy qu'appartiennent les
citations données par Dom Calmet, et par conséquent les
nombreuses invraisemblances qu'on n'a pas manquéd'y aper-
cevoir;et en effet, la fable du roman d'Hervis portegrandement
atteinte aux vérités qui lui servent de base. Et nous pouvons
avancer que le poète pèche à la fois contre l'histoire et les
généalogies connues, contre la chronologie et la géographie.
Il dit, par exemple, que Béatrix ,Jépouse de Hervis, père de
5 0
7 «2 JEHAN DE ELAGY.
XIII SIKCLE.
Garin. était fille d'Eustache, roi de Tyr et de Constanti-
nople; que de Metz ta Tyr il y avait trois journées de cheval,
et qu'on y allait par terre: que Elore, frère de Béatrix, fut
père de Berthe ou Bertaine, de laquelle naquit Pépin, père
de Cliarlemagne , etc. Il appelle les Sarrasins, IVendres
( Vaiulales), etc. , etc.
Quant à Jean de l' lagy, il nous raconte simplement que
Hervis, i\nc do .Met/,, après avoir aidé Charles-Martel contre
les Sarrasins, épousa la liîle d'un vaillant baron français
nommé Godiii. Il appelle cette femme j4elis, et rien , dans
le récit de son mariage et dans les aventures d'Hervis, ne
fîépasse le degré tie vraisemblance des histoires les plus
sérieuses.
Le roman prouve d'ailleurs qu'au temps où il fut écrit,
on ne doutait nullement (jue les ducs de Lorraine ne des-
cendissent des anciens comtes de Metz; qu'ils n'eussent été
autrefois très-puissants; que leur duché ne fût héréditaire;
que les comtes de Bar ne fussent leurs proches parents;
que leur cour ne fût composée tle ces comtes de Bar et de
ceu.\ d'Aspremont, de Mont-Royal, de Riste, de Beaupré et
Hisî. de i.oi. de Mont-Belliard. Enfin, le roman, à l'exemple de beaucoup
I, l,p twy d'autres, il est vrai, flésigne les tournois comme les exercices
ordinaires de la noblesse de ce temps, et les voyages d'ou-
tremer comme l'acte de dévotion qui était le plus en usage
chez les personnages d'un haut rang.
Ils'agit maintenant de faire mieux connaître l'ouvrage par
quelques citations. Voici comme débute le poète :
.y^ajp «Vielle chancon voire' volez oïr
M.es Vaiula- Rc l)()iie estoire vos (lirai sans mentir
i-j.. Ce sont Ic.-i Si com li wancire' par nierveilleiis air
Sarra.siiis que le Viiidrent en France cretiens envair ;
poêle tlcsignc Maint home i firent de nialc mort morir .
*'"'" Il arlrent Reins trestot à lor loisir,
Puis alerent (ieremant asaillir
Et .saint Niguesse font la vie tolir,
Et Saint Minus clecoper et laidir,
Et Saint Morise de Chamhloy defenir,
Et avec euls mille cretians morir
Qui por Jliesu furent veraï martir.
'Aceiieiitiire, Huiinès^ comance la chencon à venir,
raainterant. Clialle Martel ne les pot plus sofrir
'Il y en eiii Qui pou ot* hommes (jui le puissent servir
peu dont il put Poi en i ot qui se piiist enforcir,
augmenter ses Mort sont li père, li fill sont a venir,
forces.
JEHAN DE FLAGY.
7Î3
Dans cette pénurie d'hommes et d'argent, Charles-Mai ici
a recours au pape; et le pape se rend à Lyon, où se tient une
assemblée nombreuse d'eveques dont les riches habits an-
nonçaient l'opulence, et de seigneurs dont les costumes et
même les armes attestaient la détresse.
XIII SIKCLE.
Clialles Marliaz fut forment apovris :
A l'Apostoille en avoit un jor pris :
Droit à Lyons, où Uosne est asis,
Vint l'Apustoille, comme clerc bien apris,
Encontre Karles qui moult iert ses amis.
Clers les enirent' assez, ce vos plevis.
De chevaliers i ot plein le porpris,
Tiex qui n'avoient palefrois ne roncis,
Haubert, n'escus , ne hiaume desenstis ',
Petit i ot de vex hommes floris
Qui le conseiil donnassent au petis (i).
Charles se lève, et, s'adressant à l'assetnblée , il lui expose
les malheurs et les besoins de l'état. F^e pape, se levant à soft
tour, est d'avis que le clergé doit contribuer aux frais de la
guerre contre les Sarrasins. L'archevêque de Reims ( i\ se
nommait Henri) s'y oppose en objectant que si une fois les
ecclésiastiques se soumettent à payer des impôts, et même
à accorder des dons gratuits, le souverain pourra leur faire
sans cesse de nouvelles demandes, les pressurer à son gré.
C'est alors que l'on voit se lever et parler le duc de Lorraine
Hervis, l'un des personnages du poëme.
A-dont parole li Loherans Hervis :
«Sire Apostoille que est-ce que tu dis.'
Ci a vingt mil de chevaliers gentis
Dont li clerc ont les bois et les larris :
Si est bien droiz q'aut^e conseil soit pris,
Ou se ce non bien puet torner cm pis. »
'LesTàihèieiil,
les courroucè-
rent.
'Non niS9é<>.
(i) Cette tirade et toutes les citations de ce roman que nous ferons dans
la suite sont très ditTérentes , mais pour le style seulement, du texte pu-
blié par M. Paris. Il aura copié sur un autre manuscrit. Nouvelle preuve
des notables altérations que subissaient les productions littéraires de tout
genre, en passant par la main des copistes. Quand ils ne changeaient que
le style, peut-être pouvait-on leur pardonner; mais souvent ils faisaicnten
outre des suppressions ou des additions: et c'est ce qui rend aujourd'hui
si difficile la rédaction d'une histoire des ouvrages en langue vulgaire an-
térieurs à la découverte de l'imprimerie.
\ Ul SJECLE.
^ùiii
744 JEHAN DE FLAGY.
A ces vifs et justes reproches adressés au clergé, l'arche-
vêque de Reims fait la curieuse réponse que voici :
Dist l'arcevesque : «J'ai bien oï vos dis;
Nos sommes clerc et à Deu à demis,
Proierons Deu por Irestot nos amis
Qui les delfande des meins as ennemis.
Chevaliers estes de par Deu establis
Por ciers deft.indie contre les Arrabis,
Et sainte Eglyse leiiser et garaiitirs.
Ou celeioit foi qe (loi saint Félis
Je ni metroi vaillant deux parisis. »
I.'abhé de Cluny se joint au duc Hervis pour engager
i'arciievèque à se départir de ses prétentions. Il lui repré-
sente que le salut de l'élat exige une contribution; qu'il est
juste que le clergé, riche cor.une il l'est, n'en soit pas exempt;
enlin qu il vaut mieux sacriiier une partie de ses biens que
de s'exposer à tout perdie, etc.
Et l'arcevesque par ire reipondi:
« Eins me leioie traîner à ronci
Que ge i mesie la meit(' d un espi. »
Et l'Apostoile duremant s'en marri:
Envers Karlon sa main dextre tendi :
«Par saint S<-pucre n ira niia isi '
Challe Martiau , traez vous ça vers mi;
Prenez lavoir dont clerc sont revesli;
« Je vous accorde l'or et l'argent dont ils se sont emparés,
ajoute le pape; vous recevrez les dîmes du clergé pendant
sept ans pour vous indemtiiser des frais de la guerre. Allez,
aj)pehz vos chevaliers, attirez-les par l'appât des faveurs,
distribuez- leur des récompenses, et faites (|ue par leurs
efforts et votre courage, les Sarrasins soient chassés de vos
états. »
Cette conférence entre le pape, Charles-Martel , les évê-
ques et les chevaliers français, nous a paru mériter quelque
attention. EUe est, il en faut convenir, de l'invention de
l'auteur du poëme : aucune léiinion de ce genre n'eut lieu
dans la ville de Lyon, au temps du moins où il l'a placée; mais
cela même nous semble indiquer que, dès lépoque où écrivait
Jehan de Flagy, l'opinion générale n'était pas favorable au
clergé; que l'oti s'était aperçu de son insatiable avidité, de
l'obstination avec laquelle il se refusait à venir au secours
de l'Etat, même dans les plus urgentes circonstances.
XIIISIKCLE
JEHAN DE FLAGY. ^45
Au reste, il est certain, d'après l'histoire, que Charles-
Martel prit en effet les revenus des gens d'église pour payer
ses armées; et un passage de la Chronique de Saint-Denis,
passage cité par Sinner, semble insinuer que les prélats
y consentirent, ce qui motive suffisamment l'épisode de la
prétendue réunion du clergé et des grands dans la ville de
Lyon. «Les Sarrasins, dit cette chronique, murent pour
« aller à la cité de Tours , pour détruire l'église Saint-
K Martin.... Là, leur vint au devant li glorieux prince
<c Charles. . . Pour la raison de cette nécessité prist-il les
« dixmes des églises, pour donner aux chevaliers qui défen-
« dirent la foy chrétienne et le royaume, par le conseil et „ ''''""^''* ^^
« la volonté des prélats , et promist que si Uieu h donnoit siècles.
« vie, il les rétabliroit aux églises. »
Revenons au roman. Quand Charles- Martel eut ainsi
trouvé d'importantes ressources, il se mit en marche avec
l'armée qu'il était parvenu à réunir.
(iliarle Martiau fet ses gens assembler, 'Mener con-
Du q'à Paris a fet ses ost guier". duii.: son aimée.
Le duc Hervis se met à leur tête, et fait lever le siège de la
capitale.
A saint Denis en vont li Vendemer' 'Sarrasins
Por le Mostier brisier et violer;
Mes li abés fist le Mostier garder ;
Por le deffandre fist ses moines armer.
Un mes' s'en vient droit à l'abé parler .„
. ^ ' xfl cssascr.
Que Karle vient por la terre agiter.
Et, en effet, Charles arrive avec ses troupes : alors com-
mence une bataille terrible; Hervis et ses Lorrains y font
des prodiges de valeur. Les Sarrasins vaincus sont forcés de
se retirer du combat : ils se réfugient
Au Pont-Gerbert si com il est asis,
De là Langni si com dit li escris.
Là ils sont encore battus. Hervis marche de succès en
succès , et délivre toute la Champagne des Sarrasins.
Après tous ces exploits de Charles et de ses généraux, Jehan
de Fiagy, si ce n'est son continuateur, raconte que Charles,
blessé dans un combat, près de Soissons, mourut bientôt après
de sa blessure; qu'il avait rendu les dîmes au clergé ; qu'il fut
enterré à Saint-Denis; et il ajoute qu'immédiatement après.
Tome A FI//. Bbbbb
5 0*
XIII SIECLE.
746 JEHAN DE FLAGY.
Pépin fut couronné. Ce genre de mort et ce couronnement
ne s'accordent point avec les récits que nous ont I.iisscs les
historiens. Suivant eux, Charles-Martel jouit paisiblement,
dans ses dernières années, de sa puissance et de sa gloire, et
mourut le 22 octobre 741, à Cressi-sur-Oise. Mais ce en quoi
ils sont d'accord avec notie pcète, c'est lors(ju'ils ajoutent
que, sous ce conquérant, le clergé lut dépouillé, au moins
pour un temps, de ses immenses richesses.
On s'apercevra, sans (|ue nous le lassions plus longuement
observer, qu'à travers beaucoup de faits curieux , le poète a
semé un grand nombre de fables dans son ouvrage. Il
conioiid souvent les personnages, les temps et les lieux.
I*ar exemple, il fait comparaître dans l'assemblée tenue à
[^yon, un abbé de Cluny ; et le monastère de Cluny ne fut
fonde que deux siècles après la mort de Charles -ÎMartel;
il décrit, comme s'étatit livrées près de Paris ou dans la
Champagne, des batailles dont la Provence et le Poitou ont
été le vrai théâtre, et fait combattre ses héros contre des
Vandales, quand ils n'ont pu avoir que des Sarrasins pour
adversiiires.
Malgré ces énormes fautes de l'auteur, ce poème, presque
inconnu jusqu'à nos jours, est un monument assez prérieux
de notre ancienne littérature. On y voit comment, après
qtielcpies siècles, les faits historiques les plus importants
s'îltèrent, se transforment bizarrement dans l'esprit des peu-
ples; comment le poète prolite de ces inexactes traditions,
poi.r y ajouter des fables souvent absurdes. Ainsi en ont usé
les poètes de la plus haute antiquité, comme les poètes du
moyen âge, et l'on pourrait dire comme en usent les poètes
même de notre temps. Cependant l'histoire, mieux connue
de nos jours, conservée en des livres que l'imprimerie mul-
tiplie sans cesse, qui se répandent en tout pays, et se trouvent
dans toutes les mains, I histoire devrait être aujourd'hui plus
scrupuleusement respectée. Reste à savoir si l'imagination
de l'homme qui aime à se repaître de fantômes, d'illusions,
ne regretterait pas les fables <qui autrefois Jui servaient d'a-
liment.
L'auteur du poëme dont nous avons tâché de donner au
moins une idée, finit en rappelant tous les personnages qu'il
a mis en scène. Dans cette longue nomenclature, parmi des
noms obscurs <au inconnus, on en pourra irou^ver d'hiêto-
riques.
JEHAiN DE FI-AGY.
Ci faut l'cstoire «leu Lolieranc Garin
Et (le lîuej^on qui fii liois fu occis
Et «le Ui^jiiut, le l)on vassal >;eiitis.
Et (I Erneis , de Jelfioi l'An'jeviii ,
Et (le lldoii (|iii fu (le Caniliroisi,
Et (Icii Ixm (lue (jiii «t nom Auheri,
Et du viliiin (jiii ot à noiii Hervi ,
De ses eiit.mz Tliion et Morantin,
De l'Aleniaiit qui ot ù iioiii Orri,
Et (le l)()(iu (jui en Ixiis fu ocis.
Et (le riautier et (Ib.ruaiit l'orphelin,
El (ie Giiartl leconvers, le haidi,
Et (le Ilei:i()ii qu'ocislieiit Sairazins ,
Qi aidiiit roi Gil>eit le gentis
Et (le Eroilon qui ot Deu retanqiii,
Et (le (ludlauine lOriinelens de Moueliiis,
Et de Fidinont (jiii fu en buis ucis
('); ;
Qui vost Gi!)ei t le Lolieranc niurtrir.
Allez vos en, li Itoinans est iiniz.
De l.cdierans ne |)<iez plus oïr
Si on ne les V(jlt controvcr et mentir.
7'!i7
XIII SIECL».
Par ces mots nlle:^-voits-en , on pourrait croire que ce
romnii ('tait du iioinhre de ceux qu'on lisait, soit à des fa-
milles diins k's châteaux, soit au peuple asst-mhle sur des
places. Mais, en vérité, il faudrait su;)poser une iiifiligalile
patience à l'aiidifoiie (|ue ne reliuterait pas la lecture ou le
récit de 3o,ooo vers du };eure de ceux dont on a pu voir
quelques échantillons dans cet extrait. Ce qtii paraît plus
vraisemMable, c'est qu'on ne lisait, en psalmodiant, que des
fragments du |)()ëme, qui-hpieepi.sode, par exemple, qtielque
aventure d'auiour ou t'e j^ueire, «-te C'est ainsi que dans la
Grèce antique, les rapsodes allaient chantant des épisodes
tirés de l'Iliade ou de l'Odyssée.
La Bd)li;)llièque royale possède plusieurs manuscrits du
roman de Garin le Loherain. Le plus ancien porte le n°7533;
la preinièie feuille en a été refaite dans le xiv*' siècle. On
peut y joindre le iuarui.->crit n" ^Go8, et celui du foruls de
La Vallièie, sous le n° 2^2(S. — Dans l'un de ces manuscrits,
on lit à la (in , Pnrignon m'a Jet ( c'est sans doute là le nom
de celui Cjui l'a co|)ié ).
Ducange, qui a cité dans son glossaire, en mainte occasion,
des vers du roman de Garin, observe, en rapportant deux ^^ été'' fir."
Glossaire , l.
i) Il paraît qu'il manque ici un vers.
Bbbbba
XIII SIKCI.!:.
748 AUTEUR ANONYME
vers que nous répéterons, que les vaisseaux remplis de ma-
tières combustibles que nous nommons aujourd'hui brûlots,
s'appelaient alors chalans , et que, si l'on en croit le poète,
on peut éteindre le feu grégeois avec du sable , du vin et du
vinaigre.
Mes li sablons, et li vins, et l'esil'
! <■ \iii.ir^rc I/eust esteint (le feu grégeois) si s'en f'ust entremis.
Nous croyons devoir dire encore quelques mots du ma-
nuscrit de ce poème, qui se trouve à la Bibliothèque royale
sous le n° 7608. Il contient une addition qui ne se trouve
pas dans les autres manuscrits; addition peu importante,
puisque ce n'est guère qu'une description des noces et du
couronnement de Girbert, fils de Garin. Ce manuscrit,
d'une écriture du xui" siècle, est terminé par ces mots de la
même écriture : Ci finist lai chanrons de Girbert le fils
( Tarin, et d'Ernaut cl de Gern (i). A. D.
ANONYME, AUTEUR
DU ROMAN DE BEUVES DE HANSTONE.
l je poème offre de l'intérêt et contient des situations tou-
chantes. Le sujet principal a plus d'un rapport avec une
fable célèbre de l'histoire héroïque de l'ancienne Grèce; et
ce n'est pas un reproche que nous prétendons faire à l'au-
teur jusqu'à présent inconnu. Est-il un seul fait, tant soit
peu romanesque, dont on ne puisse trouver le type ou du
moins un exemple dans ces antiques et fabuleuses annales
de la société européenne?
Comme Oreste, Beuves, fils d'un autre Agamemnon , est
proscrit par sa mère, autre Clytemnestre, et trouve un
sauveur dans celui qui devait le ÏAne périr. Après de nom-
breuses aventures dans les pays étrangers, il revient venger
le meurtre de son père et reprendre ses états , c'est-à-dire
son duché de Hanstone (si c'était un duché).
(i) Le récit de tous ces mariages aura sans doute inspiré de la gaîté à
quelque lecteur ou copiste du manuscrit; car on lit sur la dernière feuille,
niais d'une écriture bien moins ancienne , ce ridicule vers latin :
Qui bona vina bibit paradiso tutius ibil.
XIII Sli.Cl.K.
DU nOMAN DE BELjVKS DE HANSTONE. 7/19
Ces événements sont annoncés, du moins en partie, par
le poète, dès le commencement.
Oïès, sigiU)!-, por Dieu le cmitmir ,
Hoirie canclion; ainz n'oïsles inillor :
Ch'est de Guyon à la (ière vii^cnii
Qui lie Aiistone tient la terr«- et lonour.
Vieu/. fu li Dus : Si list niult i,'iaiit folour,
C.ir belle tlame prist et jovenc à oiseur'; rinr «ix.i.,.
Puis eu luouiut à deul et à dolour.
r>euves ses fiex , qui tant ot giant valour,
Eu fu nienc's en terc paieuoi-;
Car de sa nicre tu pris en tel haom
'Sa mort juia, c'oireut li plusor : <;>;/c x.ii- ci;
F.Ue Aoluit prendre autre Signour irmlu.
Enanic ot ini félon traitoiu-,
Oo de niaienclie lui niavais hoiseour '. rioiii|ii ui
lOlI'îl''
\ oici le portrait que fait le ]>oète de Beuves, son héros :
Ains Daniel-de ' nul plus Lel ne forma,
IVe plus cortois del jovent (jue il a;
Larges et preus , et volenlicrs doua;
Sur toute riens sainte église honora.
La criminelle témme que ce jjeau et généreux jeune
liomme avait pour mère, jura sa |ierte. Nous avons vu par
le dernier vers du fragment Cjue nous avons d'abord cité,
(ju'elle était éprise du fameux Doon de "Mayence, person-
nage qui joue presque toujours un rôle odieux dans nos
anciens romans français. Tous deux se réunirent pour se
débarrasser de l'héritier du bon duc Guyon. Le maire {ma-
gister)^ gouverneur du jeune homme, fut chargé de le tuer;
mais il n'exécuta point un tel ordre. Beuves, par ses soins,
passa en Espagne, où il épousa la fille du roi de Séville.
Une note que Ton trouvera dans notre présent volume
( page 701 ) apprend comment Josiane, sa première mai-
tresse, vint à Séville, déguisée en jongleresse, et se fit recon-
naître de Beuves. Il serait trop long de raconter tout ce qui
s'ensuivit, et tout ce que Beuves entreprit et exécuta pour
faire expier aux coupables la mort de son père, et se venger
des persécutions qu'il avait éprouvées dans sa jeunesse.
Il paraît que le roman de Beuves de Hanstone eut un
long succès. On en trouve des manuscrits dans nombre de
bibliothèques, et les Anglais le traduisirent dans leur langue,
mais en changeant le théâtre des événements, le lieu de la
llaiii-liii'i
ill SIK( l.E.
;,-K) AUTEUR ANONYME
stÎMiu, OU plntùl en s';ij)propriaiit tout le sujet. Beuves. dans
leur tricluctioii , n'est plus seignrur yuzftjun ùc Haiistone,
mais hien de Soutli;inii;t(.n d.uis le Hantsliire.
l*eul-ètre on nous dematulera où nous pl.içons, nous, le
duclié de Hanstone, ce duclie que le ;-otJiaii français appelle
/(7 terre, les états de Beuves. Mous répondrons (juon peut
choisir entre ^-Jiitonne , ilans le département de l.i liotdo^ne,
près de Péiigueux, et quatre à cinq autres villes et bourgs
d'un nom à peu jirès send>lal>!e dans les anciennes piovinces
du Daupliiné, du Perche, et nièiue de l'Oileanais.
Comme la plupait des romans célèbres i!u xiii*^ siècle,
notre poëme (le Beuves lut traduit en prose dans le xiv^,
mais avec de notables altérations qu il serait à peti près
inutile d'indiquer ici. Nous citerons seulement les éditions
qui eti ont été données 3() ans api es rpie lart de l'nnjjri-
merie l'ut cnimu. Voici le titie du roiniu dans ces écliticms:
i" Le lii're de l>eiij\'es rie fldiitnrme et de Id belle Josicnne.
Paris, Mithel Eenoir, i5o>, in-4° t'.olhicpie.
a" L histoire du che^nilicr lieii/i'es de Ihintnnue et de la
belle Josienne. P.iris, Jehans Boutons > in-4" i,'otii!(jue.
Il existe aussi dans les manuscrits de la Bihliothèque
royale, n° y^iVi, un Beuves de Hanstone, en jxose riançnse,
«pii poinrait bien être une traduction de la traduction ou
de l'imitation anglaise en vers. C'est nn petit v(jlume in-tol.
d'une écriture du xvi^ siècle II commence ainsi : « En An-
« gleterre (pi'on souloit jadis appeller Grande-Bretagne,
« i)our le tem])s cpie les chevaliers errans y (pieircuent les
" adventures, en advint une, depuis ledit temps, d'un che-
a valier moult aagé «pu en si>n temps (pie jeunesse le gou-
« vernoit , esloit t'oit liihe, et se nommoit iceluy ( hevalier
<x Guy de Hantonne. » On y raconte ensuite (jue très-vieux
il se maria avec une jeune (hmie dont il eut un (ils (pii tut
nommé Beul've.s de Hantonne. La jeune dame, peu satisfaite
de son vi^il époux, labandonna |iour un autre, etc. I^e ro-
man linit |)ar le récit de la mort du vieux Biulves de flan-
tonne, lequel fut fort reg.etté de Charles-Martel et autres
grands personnages Apiès l'avoir fait enterrer dans une
(■glise (ju'on nomme S.iint-Eustache, « ils .s'en retoutnèrent
" à Londres, et |)rindrent chacun en droit soy congie du
■i roi Thierry, et s'en retourna chacun en son pays. Des fayz
n du roi Cliarles M arfel en trouve l'en assez èz chrcmiques
- des enl'ans de lî ufves d Hantonne et adleurs, comme à
DU ROMAN DE BEUVES DE HANSTONE. 7:)!
€ Snint-Oinys, là où tout t-st clironinné; mais n'en Hiit
c rii!>toirf (le iH' i)( ion. — Airu ois dt- (luie lu vie du bon clie-
H vilier Beiives de Hanloinie dont l^ieu veuille avoir l'anie
« et de fois aiities bo.is et loyaux citîioliques. Anun. »
D.His cette citation, nous cioyoris apercevoir d'abord qu'il
existait une liis-toiie de Charles-Martel (ju'on qualiii(; Jîoi,
et ensu'te que le'te histoire ou plutôt ce roman se trouvait
avec be.auoup d'autres à Saint - D.'uis ; ce qui seinblerair.
indiquer (ju'a cette ép(^que la Bibliotliècpie ilt; ce monastère
était bien Iburnie en livres liistoricpies et en romans.
Au reste, c'est, comme on l'a vu, l'histoire de Guy, père
de lîeuves, et non le roniati de Beuves de Hanstone qui se
trouve en prose dans la Bibliothèque royale de Paris. Pour
bien (onnaîtie le véritable iciuian en vers de ce lils d'un mal-
heinxu\ père, il faut recourir au manuscrit n° 2.^52, qui est
très-certainemeiit du xiii'= siècle. D'ailleurs le style ne per-
met ])is de douter que le roman m; soit (h; cette époque, et
peut-être des premteies aimées de ce siè< le.
Ce manusciil contient trois autres |)oëmes :
1° Le roman de Julien de Saint-Gille el de son fils Elye.
— j6 teuiilets.
a° Le lom.in d'Aiol et de Alirabel sa femme. — q6 fenillet.s.
3" Le rouiaii de Robert-le-Diable , duc de Normandie.
174 feuillets (i). A. D.
(i) Nous ij^norons s'il nous sera possible de rendre compte de ces
trois ri)n;iins, (|iii ne peuvent ètie pl.ices (pien seconde lij,'ne dans l'im-
mense c.ilé;<>rie des prodiu lions de ce j^ente. INlais , en attendant, nous
croyons devoir taire connailie an moins le style île celui dont le héros
jouit encore de nos jours de lu plus grande célébrité ( Uoberl-le-Diabie ).
Le puenie conitnence ainsi :
Or Piilendés grani el meiior.
Jailis al lains aiichienor
Avoit lin duc en Normandie,
Dont bien est druls que je vous die.
Le duc, qui avait épousé une femme extrêmement belle, n'en avait point
d'enfants. La femme en gémissait. Lasse d'en demander vainement à Dieu
elle s'adressa un jour au diable.
Dialile, fat' elle, je le proi
Que lu enif nges ja v«'i!> moi.
Que lu me <lunes un enfant:
Che te proi dès ure en avaut.
Apres «es mots, elle tomba pâmée sur son lit. C'est dans cet état que
la trouva le duc son époux qui revenait de la chasse. Elle lui parut S'
XIII sltri.i».
- IIISIKCIK.
AUTEUR ANOiNYME
DE [/OPxDKNE DE CflEVALERIE (i).
Il faut entendre pnr les mots Ordene de cJievalerie le
règlement (|ui prescrivait les cérémonies que l'on devait
exécuter pour ia réception des chevaliers dans l'ordre. Et le
poème que nous allons examiner a cela d intéressant, (jue
son auteur semble s'être l:iit un devoir de récapituler et de
décrire ces cérémonies.
Il a donné à son nuvre une forme dramatique, en y liant
un fait vraisemblable , s'il n'est vrai.
Mais d'abord en quel temps vivait l'auteur? Rien dans le
poëme n'aide à faire reconnaître ni l'époque de sou exis-
tence, ni son état dans le monde. Mais le fait qui sert de
base au poème a dû être nécessairement de la fin du xci*"
siècle. On peut donc supposer que l'auteur écrivait peu de
temps après; et son style d'adieurs ne permet pas qu'on
l'é'oigne beaucoup de cette date. Enfin, comme il cite quel-
quefois la Bible, on ne peut guère se tromper en le mettant
au nombre des moines qui, en ce temps, cherchaient à di-
minuer l'ennui du cloître, en entassant des rimes sur des
rimes, pour paraphraser et souvent falsifier l'écriture sainte
ou l'histoire.
atti'ayante, qd il ne put résister au désir de tenter encore de la rendre
mère. Cette fois , il fut plus heureux , grâces au pouvoir bienveillant du
dial)le. La ducliesse devuit enceinte,
Et un tel oii' engendra
Dont ja ben ne li avenJia.
bien (|ue les aventures de ce méchant Robert soient très-connues, peut-
être n'était-il pas indiflérent de rappeler l'aventure à laquelle sans doute
il devait son terrible surnom, telle du moins que la rapportent les ro-
manciers du XIII* siècle.
(l'î Barbazan, Méon et d'autres écrivains ont nommé comme auteur
(le rOrdène de chevalerie, un chevalier (Hue de Tabarie ) qui figure
dans le poème parmi les principaux personnages. ( Voyez notre Discours
sur 1 état des lettres au xiii* siècle, T. XVI, p. 220). Mais comme ce
n'etait-là qu'une conjecture, et que le chevalier Hue n'indique point quelle
p.)rt il a pu prendre à la composition du poème, nous n'avons pas cru
devoir lui conserver ici le titre d'auteur.
AUTEUR ANONYxME, etc. 753
xni siicu
Dès le (iëbiit, notre auteur fait preuve u ignorance , en —
appelant pàicns , les Sarrasins, sectateurs de la loi de Maho-
met, de ce Mahomet, le plus zélé persécuteur du paganisme.
IMùs (les-ore me convient retrain-
A l'inioier et à conter
Un conte c'ai oi conter
D'un rois qu'eu lerre paienic
Fu jadis de grand sigiiourie
E moul fu lx)iaus Sarrazin
Il ot à non Salehadins.
Ce Saladin , que l'auteur nous présente comme le prin-
cipal personnage du poème, est ce grand homme, ce héros
qui, n'étant point né pour occuper un trône, finit par de-
venir sultan de l'Egypte et de la Syrie. Les croisés n'eurent
point dans l'Orient il'ennemi plus redoutable, ni en même
temps |)lus magnanime. S'il se montra maintes fois cruel,
implacable, ce fut moins par caractère ou pai lanatisme,
que par la haine assez naturelle tju'il devait ressentir pour
ces hordes d'étrangers qui, par des motifs dont certes il ne
pouvait comprendre l'importance, étaient venus envaliir
des pays sur lesquels ils n'avaient aucun droit. Mais, en
plusieurs occasions, et au milieu de ses triomphes, il leur
l)rouva qu'il connaissait les lois de l'humanité, qu'il savait
honorer les hautes vertus partout oii il en rencontrait.
On serait tenté de croire que c'est pour fournir un témoi-
gnage de plus de la générosité, de la grandeur d'ame de
Saladin, qu'a été composé VOrdène de chevalerie. En effet,
le poète nous le montre vainqueur dans une des plus grandes
batailles qui aient été livrées dans la Terre -Sainte. Il ne
désigne pas cette bataille; mais c'était sans doute celle que
gagna Saladin , le i*''^ mai 1 187, où tant de princes chrétiens,
qui s'étaient formé des états dans l'Orient, périrent ou fu-
rent faits prisonniers; bataille dont un des plus funestes
résultats fut pour les chrétiens la perte de Jérusalem.
Parmi les prisonniers se trouvait le prince Hugues ou
Hue, seigneur de Galilée et prince de Tibériade, ou, par
corruption de ce mot, de Tabarie. Saladin connaissait sa
bravoure. Il le fit appeler :
« Hues, moût suis Ue' quant vous tien ,,
Che dist li Rois', par Mahoumet. 'Saladin
Et une tcxse vous promet,
Que il vous convenrra morir,
Tome XV m. C cccc
XIII SIECLE.
754 AUTEUR ANONYME
Ou à irrant raenchon venir. ^
'Laissé l'altei- Li prinches Hues respondit :
native. « Puisque m'avez le giu parti ',
•La r.mroii. Je prenderai ilonl le laienilire*
Si j'ai de quoi jcl' puisse rendre. »
La rançon que lui demandait Saladin était de cent mille
besans(i), et Hugues représenta que, même en vendant ses
terres, il ne pourrait trouver une telle somme.
Ha, sires, attaindre ni porroie.
Si toute ma terre vendoie.
Saladin lui réplique qu'il n'aura sans doute i)Csoin de rien
vendre; que les chrétiens, estimant son courage , s'empres-
seront siirement d'acheter sa liberté; qu'il lui permet de
partir dès le jour même pour aller recueillir l'argent néces-
saire, pourvu qu'il lui promette que, si dans deux ans, il
n'a pu se procurer la somme entière, il viendra se remettre
entre les mains du vainqueur. ïlues de Tabarie s'y engagea
par serment.
Il se disposait h partir. Mais Saladin le conduit dans un
appartement particulier, et là il le prie de lui conférer la
dignité de chwalier. Hues s'en excuse comme il peut : ce
serait profaner le saint ordre que d'y introduire un infidèle
qui n'a point reçu le baptême.
Biaussire, dist-il,non ferai.
Porquoi sire, jel' vous dirai :
Saint ordre de chevalerie
Seroit en'.vous mal emploiie ,
Car vous estes de mal loi ,
Si n'avez haptesme ne foi ,
Kt grant folie entreprendroie
Se un fumier de dras de soie
Voloie vestir et couvrir,
Qu'il ne peûst jamais puir.
Un tel refus , en termes si inconvenants , irrite Saladin
qui lui fait observer, qu'étant en son pouvoir, il faut qu'il
obéisse. Hues sent qu'il lui est impossible de résister plus
long-temps;
(i) Le besan était une monnaie qui valait 8 sous de la monnaie de
France. Mais ces sous, dont on ne taillait que cinquante-huit dans un marc
d argent, ne peuvent se comparer aux nôtres. Chaque besan , qui contenait
8 sous, valait plus de 10 francs. Ainsi c'était plus d'un million que Saladin
demandait à Hues pour sa rançon.
XIII SIECLE.
DE L'ORDÈNE DE CHEVALERIE. 755
Lors li t'ommenclie à ensignier
Tout chou que il li coviciit faire.
Nous dirons, en suivant pas à pas le poëme, quelles fu-
rent les cérémonies auxquelles il fallut que se soumît le
Soudan , et nous laisserons l'auteur expliquer en sa lan-
gue (i) quel est le sens qu'il attachait à chacune.
Hues, pour première cérémonie, exigea que Saiadin se
lavât le visage, se fit couper les cheveux, et raser la barbe.
Ce ne fut sans doute pas sans quelque déplaisir que le sultan
se vit privé de sa barbe; car les musulmans, à cette époque,
tenaient à lionneur de la porter dans toute sa longueur. Hues
le fit en outre mettre dans un bain.
Lors li commenche à demander
Li soudans, que che senetie?
Hues respont de Tabarie :
• Sires, cil bains où vous baingniez,
Si est à chou senefiez,
Tout ensenient comme l'enfechons
Nés de pechie ist ' hors des tons -Soit.
Quant de baptesme est aportei,
Sire, tout ensement devez
Issir sanz nule vilounie,
Et eslre plain de courtoisie
Baignier devez en honesté,
En courtoisie et en bonté.
Le Soudan est très-content et surtout édifié de cette ex-
plication. Au sortir du bain, Hues le couche dans un beau lit
Qui estoit fez par gran délit,
et il lui explique ainsi cette cérémonie :
Sire, cis lis vous senefie
C'en doit par sa chevalerie
Conquerre lit en paradis,
Ke Diez otroie à ses amis.
Quand il l'eut laissé quelque temps au lit, il le revêtit
d'abord d'une robe blanche, et par-dessus d'une rouge, et
enfin il lui mit une chaussure de couleur noire. Et voici ,
suivant notre chevalier instructeur, le sens caché de ces em-
(i) Le poëme dit en son latin. C'était d'abord le nom de notre langue;
mais quand le latin fut tellement corrompu qti'on put avec raison le re-
garder comme un idiome tout à fait distinct de celui d'où il émanait, on
l'appela plus souvent roman que latin.
C cccca
-56 AUTEUR ANONYME
_ '- — — blématiques vêtements. D'abord par la robe blanche , il faut
entendre
Que chevaliers doit adès tendre
'Sa chair. A Se car' nettement tenir
Se il à Diu velt pervenir :
par la robe rouge,
Que ja ne soiez sans douner
Pour Diu servir et hounourer,
Et pour Sainte dise deffendre,
Que nus ne puist vers li mesprendre ,
Car tout chou doit chevaliers faire
S'il veut à Dieu de noient plaire.
Chest entendu par le vermeil.
Quant à la chaussure noire ,
11 li dist : Sire , sans faillanche ,
Taut chou vous doune ramenbranche
Par cheste chauchement noire,
C'ayez tout adès en mémoire
La mort et la terre où girrez
Dont venistes, et où irez.
Saladin, ainsi accoutre', se leva, et Hues lui mit aussitôt
sur les reins une ceinture
Blanche et petite de feture,
et il lui dit :
Sire, par cheste chainturette,
■ Voiie chair. Est entendu que vo car' nete.
Voire corps. Vos rains, vos cors' entirement
Devez tenir tout fermement
Ainsi com en virginité,
Vos cors tenir en netéé ,
Luzure despire et blasmer ;
Car chevaliers doit moult amer
Son cors a netement tenir
Qu'il ne se puist en chou hounir ;
Car Diex het moul itel ordure.
Hues lui attache ensuite deux éperons :
Senfient chist esperon
Qui doré sont tout environ ,
Que vous ayez bien en corage
De Diu servir tout vostre eage ;
Car tuit li chevalier le font
Qui Diu aiment de cuer parfont.
\IiI SIECLE.
DE L'ORUÈNE DE CHEVALERIE. 757
Il lui ceint une épée, ou plutôt un sabre, un branc , comme
on disait alors.
Sire, fet-il , chou est garant
Contre l'assaut deranerai;
Tout ensenient com véés ci
Doi trenchant ki vous font savoir,
C'adès doit chevaliers avoir
Droiture et léauté ensanle,
Chou est à dire, che me sanle,
K'il doit ja povre gent garder
Ke II riches nel' puist t'oler,
Et le léble doit soustenir
Que li fors ne le puist hounir.
Enfin Hues lui couvre la tête d'une coiffe blanclw ; il faut
entendre sans doute ce bonnet ou calotte que les chevaliers
j)ortaient sous le casque et le chaperon.
Sire , fait-il , or esgardez ,
Tout ensement com vous savez
Que cheste coife est sans ordure.
Et blanche et bêle, nete et pure, •
Et est deseur vo chief assise ,
Ensement au jour dou juise' 'Jugement.
Des grans péchiez que fais avons,
Devons l'anie rendre, à estrons', , Tout à coup,
Et pure et nete des folies à l'improtisie.
Que li cors a tozjors basties,
A Dieu pour avoir le mérite
De paradis qui nous délite.
Il ne restait plus à exécuter qu'une cérémonie; mais Hues
ne sait comment il proposera à Saladin de s'y soumettre.
a Qu'est-ce que cette cérémonie.''» dit Saladin. — x C'est la
colée, » lui répond Hues, non sans quelque crainte. Or, il faut
savoir que cette colée, que l'on a quelquefois prise pour une
acolée (une embrassade ), était un soutHet que le chevalier
en titre {le parrain d'armes) appliquait au chevalier qu'il
admettait dans l'ordre. Le poète ne dit pas que Saladin reçut
le soufflet; il se contenta de donner la signifiance d'une telle
cérémonie :
Sire, chou est li ramenbranche
De chelui qui l'a adoubé" 'Ajusté, pré-
A chevalier, et ordené. p«ré.
Ainsi c'était par un soufflet que le parrain d'armes im-
primait au nouveau chevalier le souvenir de son adoption,
5 1
758 . ADTELIR ANONYME
XIU SIÈCLE. ' 1 I ,.,,,,• T^ , .
comme membre de I ordre de chevalerie. Dans la suite, on
remplaça le soufflet par trois coups du plat de l'épée sur les
épaules et sur le cou.
Il y avait quelques autres cérémonies eu usage dans les
réceptions de chevaliers, et dont ne parle imllement notre
poète : c'étaient la veille d'armes dans une église, la confession
par laquelle le récipiendaire devait se préparer à cette espèce
de sacrement , et la communion enfin qu'il devait recevoir
le jour même. ?Mais on sent bien que Hues de Tabarie ne
pouvait proposer à un prince infidèle de se soumettre à de
tels actes préparatoires.
Et pourtant dans les enseipiements qu'il lui donne à la
suite des cérémonies, il ne laisse pas de lui déclarer que le
code de la chevalerie contient quatre préceptes fondamen-
taux, dans lesquels on aperçoit autant les traces du catho-
licisme le plus ardent qu'un esprit de morale et de politique;
et c'est r de ne point mentir ni porter de faux jugement;
2° de ne point séduire les femmes, mais de les aider et
secourir;
Car femes doit-l'en hoiiourer
Et por lor droit grans fez porter;
3" de jeûner le vendredi,
Por cette sainte remenbranche
Que Jhesu fii de la lanche
Férus pour no redenipcion ,
Nom de celui Et que à Longis' fist pardon;
■ |iii, romine on
le croyait alors, ^^ d'entcndre la messe tous les jours, et de faire à l'église
..erraiccùiede fjgs offrandes ;
lesus-(.lirisl
Car meut est bien l'offrande assise
Qui à la table Diu est mise.
Il est un autre précepte du code de chevalerie que Hues
ne cita pas à Saladin, mais qui n'en existait pas moins; c'é-
tait celui qui exigeait de tout chevalier qu'il défendît les
saints mystères, et empêchât, même par les moyens les plus
violents, les impies d'insulter au culte du Fils de Marie.
Aussi les chevaliers avaient-ils le privilège de se présenter
en armes dans l'église.
Car je vous dit par vérité
Que li chevaliers a pooir
De toutes ses armes avoir
DE L'ORDÈNE DE CHEVALERIE. 759
xm sitcLÉ.
Et en sainte glise aporter
Quant il vient la messe écouter,
Que nus mauves ne contreclie
Le serviche le Fill de Rlarie ,
Ne le Saint digne Sacrement
Parqoi nous avons sauvement;
Et se nus le voloit desdire
Il a pooir de l'occire.
C'est cette autorisation ou plutôt ce pouvoir dont jouis-
saient les chevaliers d'occire quiconque ne pensait pas
comme eux, en matière de religion, qui explique comment
tant de milliers de Vaudois, d'Albigeois, etc., furent exter-
minés sans répugnance, sans remords, et la facilité que
trouva saint Dominique à instituer partout l'inquisition.
Saint Louis paraît même avoir étendu à tout chrétien, sans
distinction, ce devoir de tuer les hérétiques, qui semblait
n'être d'abord qu'une attribution des chevaliers. « Homme yjgjeg Louis
« lai (laïc), disait-il à Joinville, quand il entend médire de parJoinviiie,éa.
«la loi chrétienne, ne doit la défendre que de l'épée; de auLouvie,pag
« quoi il doit donner parmi le ventre dedans, tant comme ''pàssj„eciiépar
« elle y peut entrer.')) Cette maxime, devenue précepte chez he^rand, Conter
tous les peuples catholiques, ne reçut quelque modification ei FabUauj.,t.\,
qu'à l'époque où le protestantisme se montra redoutable; et ^' ''*^'
ce n'est guère que de nos jours, que les gouvernements,
plus éclairés sur leurs propres intérêts, y ont substitué des
maximes de tolérance et d'humanité.
Saladin , devenu chevalier, de la façon de Hues de Tabarie,
professa, si l'on en croit notre poème anonyme, une grande
admiration pour l'institution de la chevalerie, et fut on ne
peut plus satisfait des cérémonies qui l'avaient initié à
l'ordre. Pour témoigner à son parrain d'armes toute sa re-
connaissance, il lui accorda la liberté de dix chevaliers, à
son choix, parmi les prisonniers du soudan. S'il ne lui fit
point remise de la forte rançon qu'il avait d'abord exigée de
lui, il l'acquitta lui-même et de ses propres deniers, et en
y faisant contribuer cinquante de ses amiraux. Et quand la
somme fut complète, il la remit à Hues en l'autorisant à
partir. ,, , ...
Les historiens orientaux , ceux du moins que nous con- p ^„,^
naissons, ne disent rien de cette admission de Saladin dans - Gesu Dei pu
l'ordre de chevalerie; mais on trouve dans nos historiens ^"'"^- "" ^^-"
, rr 1 ,. r' I L I • grand -il Aussi,
quen eitet ce sultan se ht conférer la chevalerie, non par comes et fa-
Hues, mais par un Homfroi de Toron qu'il avait fait pison- biiam, t. i , p.
xril SIF.CLE.
7G0 AUTEUR ANONYME, etc.
nier à la bataille de Tibériade. Il importait peu à notre poète
que le chevalier instructeur portât le nom de Hue ou celui
lie Humfroy; il ne voulait sans doute que trouver un cadre
où il piit faire entrer l'éloge de la chevalerie et l'explication
des cérémonies qui précédaient l'admission dans l'ordre.
Au reste, Saladin n'est pas le seul des chefs musulmans
qui, à cette époque, désiraient vivement de devenir cheva-
liers. On trouve des émirs cjui ont sollicite comme une fia-
veur, leur admission dans l'ordre, et l'on peut citer entre
autres, ce chef musulman qui entra dans la tente de saint
Louis, le sabre levé, et en lui criant : « Fai.s-moi chevalier
ou je te tue. )> Ce à quoi l'intrépitlc et pieux roi répondit :
« Fais-toi chrétien et je te ferai chevalier.» Il n'est pas ex-
traordinaire que les musulmans, témoins constants de la
rare intrépidité , et souvent de la loyauté des chefs de nos
armées, aient pensé dans leur ignorance, que ces étrangers
devaient leurs vertus et toutes les hautes qualités qui bril-
laient en eux. à leur titre de chevaliers; que ce titre avait
toute l'influence d'un talisman magique.
Il existe à la Bibliothèque du roi plusieurs manuscrits
de YOrdène de chevalerie en vers, mais qui n'offrent pas
entre eux de notables différences, et un autre Ordène de
chevalerie en prose ( manuscrit de Notre-Dame, M. 7 ) , qui
n'est guère qu'un extrait assez imparfait de l'autre. Tous
deux ont été publiés dans la nouvelle édition des fabliaux et
contes de Barbazan. . A. D.
GIliERT DE MONTREUIL.
KiV. trouvère, auteur de l'un des meilleurs romans d'amour
et de chevalerie qui nous soient parvenus , ne jouissait
pas, à ce qu'il semble, de toute la célébrité qu'il méritait.
On chercherait vainement son nom et quelques renseigne-
ments sur sa personne dans les poètes et même dans les
chroniqueurs ses contemporains. Heureusement il s'est fait
connaître lui-même à la fin de l'ouvrage qui, après plus de
ciuq siècles écoulés, nous offre la preuve de son mérite et de
ses talents.
GIBERT DE MONTREUIL. 761
Gyrbers de Mottercel define
Ue la Violette son conte;
N'en veit plus faire lono aconte.
Tant a rimé k'il est arrive.
C'est aussi par quelques vers de la dédicace de ce même
roman de la l iolette à une Marie, comtesse de Ponthieu,
rjue l'on a pu fixer à peu près l'époque où il fut écrit. Cette
Marie, fille utiicjue de (luillaume III, comte de Ponthieu,
épousa, en 1208, Simon de Dammartin, comte d'Aumale, et
depuis, en secondes noces, un Matthieu de Montmorency,
sire d'Atrichy. On en a conclu que le poëme ne pouvait
guère être postérieur aux aS premières années du xni* siècle;
mais on ne saurait lui assigner une date bien certaine.
Par les vers que nous avons cités, on voit que Gerbert ou
Gibert de Montreuil ne donnait d'autre titre à son poëme
que celui de Za A^Vo/ef^e; mais dans quelques manuscrits,
on le trouve sous le titre de Gérard de Nevers. Et le cheva-
lier de ce nom en est, en effet, le héros.
Il n'y a rien d'historique dans ce roman. Les noms mêmes
des personnages qu'y introduit le poète sont controuvés :
on ne connaît point de comtes du nom de Gérard, et, bien
que le nom de l'héroïne (elle s'appelle Euriaut ou Oriaut,
nom qui pourrait être |)lus sonore) se rencontre dans quel-
ques chansons, il ne se retrouve point dans l'histoire. Gibert
ne nous dit même pas sous quel règne se passèrent les évé-
nements extraordinaires qu'il raconte : c'était bien , s'il faut
l'en croire, au temps oii régnait un roi de France du nom
de Loeys. M<iis quel était ce Louis? Il y a des rois de France
de ce nom, à dater des premières années du ix' siècle.
Il ot en Franche .j. roi jadis
Qui molt fu biais, preus et hardis,
Jouenes hoin fu et entendans ,
Hardis as armes et aidans;
Des sages Est ses consilUers ,
Consel crei , consel ania
Aine consel ne mesaesma;
Bien estoit ensai^niés et sa^es
Et molt estoit hoins ses usages.
Dames, pucieles tenoit chières ,
Souvent lor faisoit bieles chières
Molt fu preus et de grant renon :
Loéys ot li rois à non.
Un jour de Pâques, suivant l'usage, ce roi si accompli
Tome XV II L Ddddd
5 1 .
XIII SlECLt.
lia SIECLE.
762 GIBERT DJ: MONTREUIL.
avait réuni une cour brilhmte. On n'y voyait que comtes et
ducs, que châtelaines maguitiqueineiit parées.
Puis ce fli que Noes fist l'arche
Ne fu cours ou tant eiist "cns.
hi rois, qui tan fu biais et gens,
Molt l)ielenient les conréa.
Après niangier les envia
Tous ensanihle île carojer.
Qui ilonc veist dames aler
En chambres por aparillier.
Chascune prent .j. thevalier
Pour commeneier l'envoisement.
Conimenclie tout premièrement
A chanter ma dame Airole;
I.mcoln. Suer fu l'evesque de Nicole",
Contesse estoit tie IJesancon;
Lors commence ceste cbançon ;
yàllès bielement que d'amer me dueil.
Nous ne voyons là que le premier vers d'une chanson qui
sans doute était alors en vogue. Mais en d'autres occasions,
l'auteur cite un ou plusieurs couplets de chansons. Tout le
roman est parsemé de ces couplets. En diverses circonstances,
et même dans les plus critiques, au milieu des plus grands
dangers, les personnages se mettent à chanter; et ce sont
des chansons que l'on retrouve encore presque toutes parmi
celles des chansonniers du xii* et des premières années du
xm*' siècle; ce qui peut fournir un indice de plus sur l'épo-
que où fut composé l'ouvrage.
C'était un usage a.ssez général chez les trouvères de par-
semer leurs poèmes de chansons. Les jongleurs trouvaient
là une occasion de soulager l'attention de leurs auditeurs,
de les distraire agréablement du monotone récit de plusieurs
milliers de vers.
De tous les chevaliers réunis à la fête que donnait le roi
Louis, il n'y en avait aucun ([ui égalât en beauté et en bon-
nes manières le jeune comte Gérard de Mevers, qui, déplus,
avait le talent de chanter :
Et si vous di outreément
Que chou estoit li miels cantans
Qui oncques mais fust à son tans;
Grant terre avoit et biele amie.
Cette amie-là n'était pointa la cour, et il eut l'imprudence
GIBERT DE MONTREUIL. 763
d'en faire un éloge passionné. Oui, dit-il en finissant, j'ose
dire
Que plus m'aimnie que nul rien
Celé de cui nie siii v.intés
Qui tant a sens cl loiautes.
Ce propos fut entendu par un chevalier nommé Lisiard,
qui était comte et sire de Forez. Le poète en fuit un très-
vilain portrait :
Lons f'u et dur et ses et maigres,
Et molt estoit ardis et aijries.
Ce Lisiard ne craint pas de proclamer hautement que
c'est à tort que Gérard se croit tant aimé de sa mie; et il
offre de gager sa terre contre celle de ce trop confiant che-
valier, qu'avant huit jours, pour [)eu qu'il séjourne auprès
de cette beauté, il en aura fait une infidèle. Tout cela n'est
pas dit dans le roman en termes aussi pudiques. Gérard,
dans son indignation , accepte la gageure. Le roi voudrait
en vain s'y opposer. On le prend, au contraire, de part et
d'autre, pour garant des conditions.
Chascun requiert de plégéure
Le roi; et il les a plégiés.
Lisiard part aussitôt pour le château de la belle Euriaut,
qui l'accueille avec empres.seinent. Mais à peine lui tient-il
des propos d'anjour, à peine lui fait-il entrevoir quels sont
ses projets sur elle , qu'elle le rebute avec hauteur :
• Ha, sire, merchi pour pitié
Se jou or vostre dit eniluie
Et je ne vous res])onc laidure.
Sachiez c'est par me courtoisie.
Le séducteur ne tarde pas à se convaincre de la folie de
son entreprise, et frémit en pensant qu'il risque de perdre
sa terre.
Tant fu pensis , ne sait que faire.
De penser ne se puct retraere.
Il y avait dans le château d'Euriaut une méchante vieille
du nom de Gondrée qui, sous le nom de maîtresse, rem-
plissait auprès d'elle l'office des femmes de chambre de nos
jours. Voici sous quelles couleurs le poète nous la repré-
Ddddda
XIII. SIÈCLE.
XIII SIÈCLE.
764 GIBERT DE MONTREUIL.
sente : fille d'une béguine, elle avait eu d'un moine deux
enfants qu'elle avait tués. Lisiard n'eut pas de peine à en
faire une complice de ses projets sur la châtelaine. Par des
présents et surtout par des promesses, il la Ht s'engnger, sinon
à le rendre possesseur des charmes d'Euriaut, du moins à
les lui faire si bien connaître (|ue nul ne piit douter de ses
succès auprès d'elle. Dès le lendemain, ayant placé Lisiard
dans une cachette, Gondrée lui fait voir par un trou la belle
Euriaut nue dans un bain.
La vielle le prent, si i'adrèce
Au partais qu'elle fait avoit.
Le prince y met son oel et voit
Desor sa destre nianielete ( d'Euriaut)
■Bleuir, ou plu- Indoier ' celé violette,
loi ressortir en
iluT^ùûieéi^h Or, cette violette, placée sur le sein d'Euriaut , était un
Tioiet. signe de naissance, qui n'était connu que de son cher Gé-
rard; et Gérard en partant l'avait menacée de l'abandonner
à jamais, si un autre homme pouvait se vanter d'avoir vu
ce signe.
Riche de la précieuse découverte qu'il doit à la perfidie
d'une suivante, Lisiard .s'empresse de retourner vers le roi,
qui pour lors était à Melun, et qui devait prononcer entre
Gérard et lui. Le roi fit appeler Gérard, qui arrive plein de
confiance.
Environné de ses conseillers et de ses courtisans, le roi
s'assied sur son trône pour écouter les deux parties. Mais
Lisiard demande que la belle Euriaut soit présente, qu'elle
entende elle-même ce qu'il va dire. Il n'y avait rien de plus
juste : on expédie à Nevers un messager qui emmène en
toute hâte à Melun , Euriaut toute joyeuse de venir retrouver
l'ami qu'elle aime tant.
Mais quelle est sa honte quand elle entend Lisiard déclarer
devant le roi et toute sa cour, qu'elle a trahi pour lui son
amant, et en donner pour preuve qu'il connaît la violette
qu'elle porte au-dessous du sein!
Par foi , sire , dist li trichère ,
Desour sa destre mamelete
A une biele violete;
'Quand jecou- Et si me dist, quant à li gui',
clui avec elle. 5J qyg certains et fins en sui,
Q'ue Gérars li biau, ses amis,
Ot ses convens envers li mis
GIBERT DE MONTREUIL. 765
Que se nus, fors il, le savoit ,
Que ses bons de li fais aroit.
Dite vous ai la vraie enseigne?»
Il n'y avait rien à répondre contre de pareilles preuves.
Gérard lui-même reste confondu, et il confesse qu'il a perdu
son enjeu, c'est-à-dire son comté de Nevers. .Mais il se pro-
mit bien de se venger sur son amie, du cruel affront qu'elle
lui faisait subir. Vous rae ravissez mon comté , lui dit-il ;
Mais tel loier com vous deves
Avoir, aurez prochainement.
Et il la force aussitôt de monter à cheval et de le suivre
jusque dans une forêt lointaine. Là il se dispose à la poi-
gnarder. Ces détails sont racontés avec trop de précision,
peut-être, par le poète :
Atant s'en tornent sans déduit
Gerars et Euriaut ensamble,
Puis ont tant erré , che me samble,
Qu'il vinrent en une foriest.
Gérars li biaus sans nul arest
Descend desous .j. feu' molt haut,
Puis a mise jus Euriaut,
Chi à tort estoit encoupée.
Gérars trait dou fouerre l'espée,
Euriaut prent à soi le tire.
Puis dist : « Vés ci vostre martyre.
Honni sui par vostre folie. ■
A l'instant OÙ il va la frapper, Euriaut aperçoit un énorme
serpent qui, le feu dans les yeux, s'apprêtait à s'élancer sur
Gérard. Elle a la générosité de l'avertir du pressant dangçr
dans lequel il se trouve.
Euriaut dist : « Sire, merchi!
Pour Diu , fuiés-vous-ent d'ichi ,
Que je vois venir .j. Dyable ;
Vérités est , n'est mie fable.
Mors estes , se ne vos gardés. »
Gérard se retourne et voit le monstre. Il ne songe plus
qu'à le combattre , et le tue de la même épée dont il allait
percer le sein d'Euriaut. Mais dès lors il ne lui est plus pos-
sible d'ôter la vie à la femme qui l'a sauvé d'un danger si
imminent; il se décide à l'abandonner seule dans la forêt.
XHI SIECLE.
l 11 bètr«.
XIIISlKf.I.E.
"66 GIBERT DE MONTREUIL.
Lors li a dit ; ■■ ]\\v\f Euriaut,
Diez li peie ki iiiainl cii liant
Vous (loirist (II! ses liiens! je vous laif. •
Ataiit s'en tourne à j^raiis eilais
El Ëiliiaut iein:'<int dolente;
■Che»fu«. Sescuviaus' trait, ses mains detorl-.
Et bientôt elle tombe évanouie au pied d'un arbre.
C'est dans cet état f|ue la trouva le duc de Metz qui , reve-
nant d'un voyage à Saint- Jacques en Galice, accornpaj^né de
vingt chevaliers, traveisait la forêt. Frappés de la richesse
de ses vêtements et surtout de sa beauté , les voyaj^eurs s'arrê-
tent, lui prodiguent des soins et la rappellent à la vie. En
vain elle leur demande de la laisser mourir dans ce désert; le
duc, qui n'a jamais vu de femme si belle, la force de monter
en eroupe et l'tmmène à Metz.
Là le poète abandonne l'infortunée Euriaut pour conter
les aventures du beau (iérard de Nevers tpii, n'ayant plus ni
terre ni amie, ne trouve rien de mieux à faire que de courir
le monde et de clieicher des aventures.
Mais d',d)ord il lui prend envie d'aller voir, par ses yeux,
comment: Lisiard se comporte dans le comté de Nevers que
ce traître lui avait ravi. Pour n'être point recoimu, il se
déguise en jongleur, et chemine à pied vers le château, où
Lisiard veut bien lui donner l'hospitalité. C'est là que, sans
êtrf; aperçu de persvMnie, il entend une conversation de la
vieille Gondrée avec Lisi.u'd; conversation de laquelle il ré-
sulte que le perlide n",i jamais possédé la belle Euriaut,
qu'au contraire il en avait été toujours rebuté.
IMein de colère et <le rea^ords , Gérard se décide à cher-
cher la malheureu.se cju'il a abandonnée; et il ajourne sa
vengean e jusqu'à ce qu'il l'ait retrouvée.
Il quitte furtivement Nevers, reprend ses habits de che-
valier, et court par monts et par vaux, s'enquérant sans cesse
de la fennue (ju'i! a perdue.
Ouoiipi d ne se fisse reconnaître nulle part pour ce qu'il
est, notre chevalier errant est partout accueilli et fêté. C'est
que partout il trouve d^is châteaux à défendre, des torts à
redresser, des méchants à punir; c'est que partout, grâces à
la force de son bras, et surtout à son adresse, il sort victo-
rieux des plus rudes ronibits. Est-il blessé par hasard .-'les
châtelaines, ics plii^ ^élites purfllcs pansent ses blessures,
se prennent d'aT'tur pour lui; m,us il ne répond jamais à la
passion qu'il inspire.
GIBKRT DE MONTREUIL. 767
Toulos ces aventures épisodiques lemplissent plus de 1 1
moitié (lu roman, et lui donnent la couleur et la forme de
ces romans fie chevalerie dont s'est si spirituellement moqué
l'auteur de Don Quichotte.
Quand Gérard eut pourfendu nombre de chevaliers fé-
lons, et sauvé les châteaux et l'honneur de maintes dames,
le hasard lui fait rencontrer une troupe de chevaliers qui se
rendaient à Metz pour assister à l'exécution d'un jugement
rendu contre une femme que le due avait trouvée dans une
forêt, il y avait à peu près deux ans; qu'il avait généreuse-
ment recueillie, et qui, pour prix d'une telle génécosité,
avait lâchement assassirié la sœur du duc. Gérard , présu-
mant avec raison que la coupable est son Kuriaut, suit avec
anxiété les chevaliers, bieii résolu de la défendre, de la
sauver s'il était possible.
Il arrive à l'instant même où l'on se disposait à mettre
le feu au bûcher où elle devait être jetée. Nue en chemise
près du bûcher, elle faisait sa prière. Cette situation est
intéressante, dramatique; mais la prière est d'une énorme
longueur. C'est toute l'histoire de Jésus-Christ, telle qu'on
la lit dans les évangiles, et même dans des évangiles qui
sont rejetés aujourd'hui des livres canoniques. Dans ce siècle
guerrier et dévot, il fallait qu'un auteur de romans, tout
en racontant de hauts faits d'armes, fît preuve en même
temps de sentiments religieux; et, jusque-là, Gibert de
Montreuil n'avait point trouvé occasion de mêler la religion
aux récits de guerre et d'amour.
A peine Euriaut avait fini sa prière, que Gérard se pré-
sente devant le duc, et déclare qu'il veut combattre quicon-
que ose accuser cette femme de meurtre. Un chevalier sort
des rangs et accepte le défi. Grand combat en présence du
duc et des chevaliers ses vassaux. On se doute bien que cette
fois encore le brave Gérard est vainqueur. Il tue le cheval
de son adversaire qui, renversé par terre et ne pouvant plus
échapper au glaive de Gérard, lui cric merci, et demande à
f>arler au duc. C'est alors qu'il déclare hautement que c'est
ui qui a tué la sœur du duc, comme elle dormait tranquil-
lement couchée auprès d'Euriaut. Après avoir entendu ce
tardif aveu,
Li dus a juré saint Amant,
Quant il ot ces mos entendus,
Qu'il ert trahinés et pendus.
Xlll .S1KCI>:
Xlll SlècLE.
' C'est le nom
(lu meurtrier.
Aui norts.
V.dansleniss.
lie la Bibl. roy.
Ir m^s. forxis de
Siuhoii. n. 4^'i-
Journal Jes
Savants, juillet
'68 GIBERT DE MONTREUIL.
Lors fait li tlus Gérard drechier,
Mëliatir' fait attachier
A la keue d'une jument ;
Trahitier le fait vilement
Dusch'à forches, puis le pendirent.
C'est ainsi que Gérard de Nevers reprend possession de
sa femme; il ne lui restait qu'à recouvrer son comté de JNc-
vers : et c'est ce qui ne tarda point. Il alla à Nevers combattre
le traître Lisiard, le défit et le força, avant de lui donner le
dernier coup, d'avouer sa trahison en présence du roi et de
ses barons. Quant à la vieille Gondrée, sa complice, elle fut
briilée vive.
La même semaine, Gérard épousa sa mie Euriaut.
Li rois et li baron plus haut
Furent as nueclies' clii tlurerent
.Viij. jors que onques ne finèrent;
Plus plenières ne vit jamais nus.
.Ains meuestreus n'i fu venus
A pie, ca cheval n'en alast
Et reube vaire n'enmalast
En sac ou en boge ou en niale,
Mais joie et solas et déduit
Et sons et notes et conduit
l furent canté maintes fois;
IN'i furent pas mis en defois
Les caroles , les espringales.
Onques li rois .\rtus en Gales
A IVntecouste n'a Noël
Ne tint oncques si riche ostel.
La fable de ce poéine est, comme on voit, développée et
suivie avec assez d art et de talent. Nous doutons que, de
nos jours, on pût tirer un meilleur parti du sujet. Mais
faut-il tiiire honneur de l'invention à Gibert de MontreuiL**
Il existe dans nos bibliothèques deux autres poèmes qui ne
différent du roman de la Violette que par le style et queUjues
circonstaiicts dans les événements, très-peu importantes:
l'un est le roman dou roi Flore et de la biele Jehane, qui
paraît être des premières années du xiii* siècle; l'autre, qui
est à peu près du même temps, est intitulé, Le comte de
Poitiers. AI. Raynouard , dans le Journal des Savants ( de
juillet iS'îi ),a donné un extrait intéressant de ce poème
qui venait d'être publié par un jeune et zélé littérateur
(^ M. Francisque Michel); et il le regarde comme postérieur
au roman de Gibert de Montreuil. Dans le roman du comte
XIII Sl^.CLT.
Ibnl.
3
OIÊKRT DE MONTREUIL. 769
(le Poitiers , les évéïietnents du moins ont une date. Ils se
passent sous le rè<^ne de Pépin. M. Paytiouard, d.ins cet ar-
ticle, remarque avec raison que si tel ou tel trouvère entre-
prefiait de traiter un sujet dont un autre s'était emparé, il
n'y avait pas là de véritable plagiat. «Quand je réfléchis,
dit-il, qu'à une époque où l'imprimerie n'existait pas, les
ouvrages n'étant connus le plus souvent que par les récita-
tions qu'en faisaient les jongleurs devant des assemblées
nombreuses, on ne |)ouvait giière en retenir les détails. C'é-
tait quehjuefois d'après l'indication d'un auditeur, que le
trouvère traitait un sujet qu'il savait avoir intéressé; et alors
il ne pouvait pas piofiter de l'art que le premier auteur avait
mis à cond)iiier son plan ou <à l'exécuter. »
Quoi qu'il en soit, que Gibert de Montreuil soit ou non
l'inventeur de l'intéressant sujet qu'il a traité dans son ro-
man de la Violette, toujours paraît-il constant que c'est son
poème qui a été, sinon traduit, du moins imité dans pres-
ue toutes les langues de l'Europe. On le retrouve, sous
es titres différents et sous diverses formes, en Italie, en
Angleterre, en Allemagne. Boccace en n fait une nouvelle, bokhc» De..
Sliakspeare en a tiré sa pièce de Cymbelinr , et madame miion, 3"jom
Helmina de (]liézy, un opéra allemand qui a été représenté "**'•
à Vienne en i8'.^.3.
Dans le xv« siècle, il fut traduit en prose française ( c'était
alors l'usage de mettre en prose les ouvrages en vers les
plus estimés des siècles précédents); un peu plus tard, au
xvi*^ siècle, cette traduction fut plusieurs fois imprimée. Au
xviii% il en parut dans la Bibliothèque des Romans un extrait
ou plutôt une imitation par le comte de Tressan. Et enfin oKuvrw u.-
l'original en vers de toutes ces traductions et imitations vient Tie»san,i i\,
d'être publié tout récemment, avec des notes, par M. Fran- ''^^ ''^^
cisque Michel, à qui l'on doit la publication du roman Dou
comte de Poitiers , et de plusieurs autres ouvrages des xii et
xin^ siècles.
Au roman de la Violette, ce jeune (crivain a ajouté un
petit poème en vers intitulé : De Groignet et de Petit , qu'il
attribue à Gibert de Montreuil. C'est une assez plate satire
contre l'avarice des grands qui ne récompensaient plus les
trouvères avec asset de largesse. Nous ne pouvons croire que
l'auteur de la Violette ait jamais produit cette pièce insigni-
fiante, et qui ne mérite pas l'attention des lecteurs.
Dans le roman de la Violette, il se troure un passage qu«
Tome XV m. Eeece
lui SIÊCI.F
-^o GFBERT DE MONTREUIL.
/ /
nous ne devons point omettre de citer, parce qu'il donne
nne idée et du costume des jongleurs à cette époque, et de
l'accueil assez froid qu'on leur faisait déjà dans quelques
châteaux.
Gérard voulant, comme nous l'avons dit, visiter le châ-
teau de Never.i, qui ne lui appartenait plus, se déguise
en jongleur.
Lors vesti un viex garnement
Et penil à son col une vielle;
Car Girars \u\ el bien viéle...
Il aloit à pic, sans cliev:il.
Tant a niarilii»' plaiii et val
Qu'à la cité de Nevers vint.
Qui tiisoienl tout en riant :
•■ Cist jongleres vient por noiant.
Que toute jor porroit clianter
Que nuls ne l'alast escouter. »
Il ne s'en présente pas moins à la porte du château de
Nevers, perte qu'on ne se hâta pas de lui ouvrir.
A la porte tant attendi
Qu'iins chevaliers ens l'apela
Qui par la cour tr.iiant, ala.
En la salle l'enimene à mont
Et de vieler le semont.
Lors commence, si com moi semble,
Com cil qui niout iert senes ,
Ces vers de Guillaume au cornés ,
A clere vois et à dous son.
Msj de la Bi- Le passage que chante Gérard se retrouve en efTet dans le
biioih. roy, , n. roman de Guillaume nu court-nès. Il contient aS vers endé-
* ' "*^'"- casyllabes dans le roman de la Violette, tous sur une seule
rime en on. C'était là ce qu'on ap])elait verset, ou couplet, ou
simplement un vers , et Gérard chanta ainsi aux chevaliers
qui l'avaient admis près d'eux jusqu'à quatre de ces mor-
ceaux ou vers, comme dit Gibert de Montreuil.
Ensi lor dist vers dusch'à quatre
Pour iaus solacliier et esbattre.
Par là se trouve confirmée cette observation que nous
avons déjà faite en diverses occasions, que les jongleurs ne
chantaient que des passages de romans, et, de préférence,
ceux que le poète avait mis en vers monorimes; qu'ils ne les
récitaient pas, mais les chantaient en s'accompagnant de
CALENDRE. 771
. . , XmSlECLK.
(|uelque instinment, et enlm (|ue dans une même séance, ils ■
en chantaient plusieurs pris dans divers poëmes.
Nous ne connaissoi:s d'autre ouvrag<; de Gibert de Mon- J'-"^'* ^istor.
treuil que ce cliaimatit poënie de la Violette, que nous avons ["s'jongieuVs.etV
cru devoir analyser. IMais iNI. l'abbé De la Rue lui en attribue t ni,p. i56
un autre : Lti J ie de saint Eloy, en manuscrit, et qu'on ne
trouve que dans la bibliothèque de M. Douce à Londres.
Nous regrettons qu'il n'en ait cité aucun fragment. A. D.
CALENDRE,
AUTEUR D'UNE HISTOIRE EN VERS DES EMPEREURS
DE ROME.
Aucun biographe, nous le croyons du moins, n'a parlé de
ce poète, et pourtant nous possédons de lui un poème de
plus de sept mille vers, dont il se trouve un exemplaire
pai mi les manuscrits de la Bibliothèque du roi ( fonds de
Cangé, n° 7 '3 ).
C'est à la lin de son poëme que l'auteur ( Calendre ou
Qunlandre ) se nomme. Il avait dit d'abord qu'il traduisait
l'ouvrage du latin; il le répète encore en finissant. Mais on
sait que la plupart des auteurs de ce temps, pour inspirer
sans doute plus de conliance à leurs lecteurs, affirmaient
que leurs livres étaient traduits du latin. Calendre avoue
assez explicitement que c'est pour donner plus d'autorité
aux événements dont il se promet de faire le récit, qu'il se
donne comme simple traducteur.
Quat.indre qui cest livre fist
Et (le Litiii en romans mist,
N'an piiet or plus rimer ne faire
Car il n'a mes de l'essanplaire ;
Et ce qu'il en a translaté ,
Doit estre en tel autorité,
Nel doit avoir sorz ne tnuiax'.
Li Empereres Manuiax'
Qui cest livre ot en compaignie, ■l'eut-<irrM«-
La queronique reongnie' nuel.
Clanioit cest livre, et disoit tant ^Chroniquea-
Nel doit avoir qui ne l'antant. Inégée ' ^ognée^
Eeeeea
.Sourd
muet.
77i CALENDRË.
XIII SifeCLE. r L • i • ' 1 1 I
La chronique abre£>eo dont il est mentien dans ce pas-
sage est précisément V f lis taire des empereurs romains, que
Galendre av;iit entreprise sur l'invitation de Ferri \" ^ duc
de Lorraine, son protecteur, comme on le voit par ces vers :
En l'eiior tlel bon duc l'erri
Qui tnnt (lolteiiinut lue norpi,
Vuel un rnnian oiicoiiiancitT
Et del latin enromancier.
<ii,i. x.Htip. Ce duc Ferri mourut en 1207; et Calendre travaillait alors
^ /('. ' Doiiî ^ ^*^" poëtne; ce que prouvent les vers que nous allons citer,
caiiiiri, iiisi .i< et tlans lesquels il déplore son malheur.
f.orraait», (. 1 , (>
' I <i|. Dus Ferris , sarhiez, sanz dotance,
Encore vos ploie en a.isniance...
Que Dex de ses pecliie/. si délivre
Celui por cui je fa/, cest livre;
Jaiiiés n'ieit jois que je nel plaigne.
Ausi fet Voije et .■Meniaij^jne ,
Ui-'.lioui);. Si tet Marlit, si t'et d Auboii',
Htsse Ausi (et Esse' et Saleljcus'
■'^l'l"""S- Ausi fet Auhe , c'est la Voire',
■(.esi b \it- Qj, ]j, plorent clerc et provoire
Et gcnt de religion, etc.
Mais il paraît que notre poète n'eut pas autant & se louer
du fils qui succéda au duc Ferri.
Un oir i a del dus Ferri
Qui Lien le devroit aruander,
Aies ne li os rien coiiuindei'.
Et il accuse cet /^oZ/duduc d'être faible, sans courage, f-t
surtout fort avare. H maudit ceux qui ont été chargés de
l'éducation d'un prince qui , ma^gré sa jeunesse et le coui t
espace de temps cju'il a régné,
Si a Loheraine doniairé.
On voit par ce vers, et il est facile de croire que ce ne fut
qu'après la mort d'un prince qu'il traitait si défavorablement,
que Calendre mit son poème en lumière. Or, ce Ferri II
mourut à Nancy, le lo octobre de l'an I2i3.
IjC poème de Calendre contient l'histoire abrégée de Rome
depuis sa fond.ition jusqu'à la prise de cette ville par Alaric.
Ce n'est, à vrai dire, qu'une chronique; mais on y trouve
des passages où se montre queJ<|iie génie poétique. L'auteur
M. n«laRuF,
Tiouvèrfii iior-
tti.
JEHAN RENAX oo RENAULT. -73
se plaît surtout à faire des comparaisons. Veutril o^prinjer " " "
comment les soldats de Popripée furent dissipés par l'^rmép
de César, il dit :
Mes toute autresi com les pailles
' Volent au vant ansus du grain,
Tôt altresi le premerain ( les soldât* de Pompée )
Foirerit contre Juliqs.
Son style, au reste, est partout clair et concis. II est éton-
nant que ce poète soit resté inconnu jusqu'à ce jour. A. D.
JEHAN RENAX ou RENAULT.
V^E trouvère est Normand, si l'on en veut croire M. l'abbé
De la Rue qui lui assigne le Ressin pour patrie, mais qui
onne aucune raison plausible de son opinion. La vérité muncUei augio
est que l'on ne sait pas bien où notre trouvère est né; ce "»'™" •• '".k
qui, au reste, importe asse^ peu. Ce qu'il serait plus intér
ressaut de connaître, c'est l'époque précise qù il florissait.
Dans les derniers vers de l'un de ses lais , il semble faire une
distinction entre les Poitevins et les Français; ce qui porte
à supposer, avec quelque vraisemblance, qu'il écrivait lors-
que le comté de Poitou n'^v^it point encore été réuni à la
France, c'est-à-dire avant i;2o5.
Quoi qu'il en soit, Jehan Renault parait avoir été un
pofte très-fécond. Il PjOUS reste (de liji trois poëme§, dont
I'mP «3t un roman en vers de plus de 3o,ooo vers. Mais de
C€ grand poëme, qui 9 pour litre Ls cheva|.ier au Cxgjïe,
il ne composa que la première partie. Le reste ( les deux
tiers au moins) est l'ouvrage de Gandor ou Graindor de
Douay, auteur d'un autre roman bien connu : Anseis de
Cartilage, Nous ne nous o/ccuperop.9 du Chevalier au Cygne
que lorsqu'il nous sera possible de parler dp ce Graindor,
qui a composé la plus grande parti)? du poëme; qu'il nous
suffise d'annoncer d'avance, que c'e^t unp hi;^oire romanes-
que de la Conquête de Jérusalem par Godefroy de Rouillon,
et que l'on n'en connaît que deux manuscrits, dont l'un à
la Bibliothèque royale, n° V'Q^; l'autre à la Bibliothèque de
l'Arsenal , n" i65, M. De I9 Bue qou* fipprçnd que la pre-
3 2
774 JEHAN RENAX ou RENAULT.
XIII SIÈCLE
mière partie, qui n'a pas plus de 6,000 vers, et qu'il faut
probableraent attribuer à Jean Renault , se trouve dans les
manuscrits du roi d'Angleterre ( 1 5. E. vi ).
Laid'ignaurès, Un autre ouvrage du trouvère Renault est le Lai d'Ignau-
eic. Paris, Sil- p^g „^g j'^^j vient tout récemment de publier, et qui déjà
vesire, lOJî, 111- /. . * ,,„ . , . ' , - w /^ i
«o était connu par I Extrait qu en avait donne I^e Grand-
Le Grand- d'Aussy; mieux encore par l'examen qu'en avait fait M.-J.
H'Aussy, Coiiics Cliénicr dans une Leçon sur les Fabliaux. Le premier de ces
et fabliaux, t. ni, ... < î'- \n ■ j i
p. 265. écrivains, grâces a d importantes modifications et dans les
M.-J.Chcnipi-, faits et dans le style, l'a métamorphosé, pour ainsi dire, en
Œuvres, t. IV, y^^ conte tout moderne. L'autre critique le juge peut-être
^^ ■ avec trop de rigueur. « Il est dilficile de concevoir, dit-il,
^ « comment une imagination dépravée et l'excès du mauvais
lot- oil. |i. g& , • • I • i I «
« gout ont pu parvenir a rendre si aiisurde, et en même
« temps si glacial, un sujet dont la catastrophe est horrible,
« mais qui intéresse au plus haut degré lorsqu'il n'est point
a travesti; tant la véritable passion sait tout embellir! »
La catastropheest horrible, sans nul doute; on en va juger.
La scène se passe en Bretagne dans le château d'Ariel
( et aussi Ouriol quand la rime le demande), château qui
devait être grand et beau, car douze barons y demeuraient
avec leurs douze femmes.
Pedans le chastel Wriol
Avoit xij. pers a estage;
Chevalier erent preu et sage,
Riche erent de terre et de rente;
Chascuns ot femme biele et gente
De haut linage, de grant gent.
Dans ce château était admis ( le conteur né dit pas à quel
titre) le plus beau, le plus brave des chevaliers bretons,
Ignaurès qui à tout son mérite unissait l'art de chanter
à ravir :
SotaignnI. Femmes l'apielent lousignol'.
Aussi notre beau chevalier inspira-t-il de l'amour aux douze
femmes des barons; et bientôt il eut douze maîtresses. Mais
aucune d'elles ne se doutait qu'elle cul une rivale, tant il se
comportait avec adresse.
Ignaurès si très-biel s'acointe
.\ chascune, quant il i vient.
Que de l'autre ne li souvient,
Ne nui saniblant k'il l'ait envie'.
l>(»»iie«.
XIII SIÈCLE.
JEHAN RENAX ou RENAULT. 776
Il en fut une pourtant qui voulut, pourson malheur, savoir
quels étaient les amis que s'étaient donnés ses compagnes,
fl faut croire qu'elle était tourmentée de quelques jaloux
soupçons. Un jour (|ue toutes ensemble folâtraient dans un
verfrer voisin du château, elle leur propose de jouer au
confesseur. L'une d'elles sera le prêtie, et chacune viendra
lui dire en confidence quel est l'ami, le dru, qu'elle a
choisi.
Toutes respondent : » Bien a dit ,
' Nous l'ôtrions' sans contredit. 'Octravotu.
« Vous nieisnies prestres serés,
•' Les confiesses escouterés.
La dame confesseur va s'asseoir aussitôt à part sous une
ente' florie , et reçoit de chacune d'elles une révélation qui, 'Al■blYà^lul.
h chaque fois qu'elle l'entend, la pénètre de la plus vive dou-
leur. C'est le nom à'Ignourès qui sort toujours de la Louche
de ses compagnes, c'est toujours lui que chacune dit aimer
avec la plus vive passion. Toutes ont Ignaurès pour amant
et pour amant favorisé.
C'est ce qu'elles apprennent bientôt avec douleur et rage,
de la bouche du confesseur féminin. D'un commun accord,
elles jurent de se venger cruellement du traître : l'une d'elles
lui donnera un rendez-vous dans le même verger; elles s'y
seront cachées d'avance; chacune portera un poignard dans
son sein , et elles immoleront le traître. ( Le Grand-d'Aussy
leur met des rasoirs dans les mains, et fait entendre que ce
n'est point le sein d'[gnaurès qu'elles voulaient atteindre.
On ne trouve rien de cela dans l'original. L'auteur qui a
changé les poignards en rasoirs n'a pas fait preuve de goût ).
Ignaurès se tire de ce mauvais pas avec adresse. Il flatte
toutes ses maîtresses qu'il voit le bras levé sur lui; il leur
jure qu'il les a toutes aimées, les aime encore, sans pouvoir
dire qu'elle est celle qu'il préfère. Cet aveu les désarme; et
la seule punition qu'on lui inflige, c'est que désormais il se
contentera d'une seule amie. Force lui est de prendre l'une
d'entre elles: c'est la dame confesseur qu'il choisit.
C'est ainsi qu'Ignaurès échappa à la fureur des femmes;
mais il ne put obtenir la même indulgence des douze maris,
à qui un ijidiscrct, un méchant avait appris leur commune
mésaventure. Ils guettèrent l'imprudent Ignaurès, le surpri-
rent dans les bras de la dame aux faveurs de laquelle il avait
bien voulu se réduire. Leur vengeance fut terrible; ils le
776 lËHAN RENAX où RENAULT.
*riisif:cLr. ' .,. ,, , . , , . ,
mutilèrent cruelleinent, lui arrachèrent ensuite le cœur, et,
du tout, firent phépnrerun mets qui fut servi dans un ban-
tiuet à leuf-s douze tèmmes. Elles trouvèrent à ce mets , dit
1 auteur du fabliau,
t)ouche saveur et bonne et biele.
Mais quand elles surent de quoi était composé ce plat si
délicieux ( cette fois, Le Grand-d'Aussy n'a fait entrer dans
la composition du mets que le cœur), elles se livrèrent au
plus violent désespoir, et' jurèrent toutes ensemble de ne
rien manger jusqu'à ce qu'on leur présentât un mets aussi
précieux.
A Diu fii-ertl toUtfes Un yeu
K'elles jamais ne mangeroient
'Ainoiiisquc... Ne' si presieus mes n'avoient.
clle« n'eussent
Elles tinrent parole. Toutes moururent de faim, en «e
rappelant et proclamant la beauté et les ràrfife mérite» de
leur ami.
Li une plaignoit sa biauté.
Tant hiembrés biaus et bien rtidlé
'lj,i,U_ Que lait' frenl tout li plus biel :
Ënsi (lisent du damoisieî.
Lautre plaignoit son grand barnage
Et son grant cors et sa largeche,
Et la quarte les iex , les flans,
K'ii ot si vairs et si rians.
C'est en finissant ce triste récit que le poète se nomme.
Ensi, comme tesmoigne Renaus,
Morut l^uisure li bons vassatis.
Et celés qui lor drues furent
Pour l'amisté de lui morurent.
Et il nous fait aussi connaître que ce lai , qu'il a traduit du
breton, était déjà célèbre dans plusieurs pays :
Franrhois, Poitevin et Breton
L'apielent le La)^ del Prison.
Je n'en sai plus ne o ne noil :
Si fu por Ignaure trouvés
Ki por amours fu desmembrés.
Les critiques qui ont publié des observations sur ce
monument de notre ancienne littérature, n'ont point oublié
de fappelef Combien la catastrophe qui termine le lai
JEHAN RENAX ou RENAULT. 777
<ri};naiiiès a de rapport avec relie qu'on lit dans les histoires
de Cabestaiii^, de Raoul ou Riiiaud de Coucy, de Gabrielle
de Ver<;y, etc. Mais eî>t-«e la lable bretonne qui est de
la date plus ancienne, sont- ce les iiistoiies.*' Nous som-
mes bien tentés d'accorder ranfériorilé à la lable bretonne.
Au. reste, on ne trouve j)eut-êtKe tant de n-sseinblance
entre tous ces fabuleux récits, que parce que l'on n'a pas
osé répéter une eircocstance, rapportée dans le lai seideinent,
^t que rappelle le dernier vers du poëine de Jean Renault;
vers que nous venons de citer.
Un second lai de ce trouvère, qui nous est aussi parvenu, est
d'un genie'touf différent, et ne send>le pas a|)partenir, du
moins par le .sujet, au siè«-le où cept-ndant il a été produit.
En ellet, ce n'est point dans les trouvères de cet âi^e qu'il
faut chercher des senriinents délicats, une pdanterie ralfinée;
et c'est là i)ourtant ce que l'on trouve dans le lai de I'Ombke
ET DE l'AiNNEAU.
Nous en donnons une courte analyse :
Un chevalier dont le poète décrit, un peu longuement
peut-être, la bonne giace et vante la richesse, aime une belle
dame, en apparence très insensible; car elle ne récompense
pas de la moindre faveur tous les soins qu'il lui rend. Le
jeune chevalier aurait voulu obtenir du moins quelque
chose qui lui eût appartenu , son anneau, par exemple, et
elle le lui rrluse. Mais il parvient par ruse à le lui enlever,
et met à sa place un très beau rubis. Dès que la dame s'en
aperçoit, elle exige impérieusement du chevalier qu'il lui
restitue son anneau, et elle lui rend en même temps le
rubis. Le chevalier le reçoit, en disant qu'il va le donner à
l'objet qu'après elle il aiinele plus. La dame, un peu surprise
et ne voyant personne autour d'eux, le questionne. Mais
lui se dirigeant aussitôt vers nn puits peu profond et dont
l'eau était hmpi'de, I invite à venir regarder dedans. A peine
elle a avancé la tète sur le bord, que le chevalier jette le
rubis dans I eau , en lui disant que puisqu'elle ne voulait
pas le g.irder, il en faisait pré.seiit k son ombre. La dame
est si touchée de ce ti'iaoignage d'une sincère allection ,
qu'elle ne craint plus de laisser voir toute la passion qu'il
lui inspire, et lui dit :
lOnqiies hom si bien ni si bel
fie ('(jiiijiiist aiuur |)ur anel,
Tome Xrin. Fffff
5 2 *
XIII SIEClii:.
' Ne feint, ne
UiuiiBule point.
' Moins (vous
ne l'aimerez pas
fnoinsqitf le v6-
lie I.
■ Ils se repa-
rent.
•Dehors , loin
d'eux.
"Ounioias.
Oc n'avoir
plua rien à dé-
sirer.
.Tous deux.
778 JEHAN RENAX ou RENAULT.
Ne taiej. ne dut avoir amie.
Sachiés qu"ele n'enblcca" mie
Quant ele dist : biaus dous amis,
Tout ont mon cuer el vostre mis
Cist dous mot et li plesaut fet
A mon ombre en l'onor de moi;
Or metez le mien en vo doi ,
Tenez, i el vous doingcome amie:
Jà cuit vous ne l'amerez mie
Mains' del vostre, encor soit-il pire.
L'auteur fait ensuite entendre que la dame donna au che-
valier, outre son anneau, des preuves plus sensibles de son
amour.
Moult si sont andui anvoisié
Sor le puix de tant come ils peinent
Des besiers dtint ils s'enircpeurent'
Vait chasriin la douçor au ciier,
Lor bel œil ne gétent par puer*,
Lor part ce est ore del mains ^
De tel geu coni l'en fait des mains
Estoit ele dame et il meistre
Fors de celui qui ne puet estre.
De celui lor cnuvendra bien
Ni covient mes baer' de rien.
C'est alors que l'auteur, qui se voit à la fin de son récit,
se nomme, tout en continuant de parler des plaisirs que
goûtent les deux amants.
Jehan Renard à lor afère,
S'il a nule autre chose à faire,
Bien puet son pensse nietre aillors ,
Puisque lor sens et lor aniors
Et qu'il ont mis lor cuers ensamble.
Del geu qui rmiiaint, ce me samble,
Vendront il bien à chief andui'.
Il or uie l.iis a tant ineshui.
Jà fenist le lai de l'ombre ,
Contez, vous qui savez de nombre.
Les idées^ le style même de l'auteur, en plusieurs en-
droits, rappellent une période de la littérature italienne,
postérieure de quatre siècles au moins, période ou floris-
saient les Guariiii, les AJariniet leurs nombreux imitateurs.
C'était le siècle de la fade galanterie, de l'afféterie, des spi-
rituels, mais insi[)i(les concctti ; goût qui envahit plus tard
la France, et que Molière frappa d'un ridicule ineffaçable
xni siia E.
JEHAN RENAX ou RENAULT. y^^
dans plus d'une de ses come'dies. Il faut remarquer pourtant
que Jehan Renault a plus de naturel que ces poètes alarabi-
quës qui vinrent si long-temps après lui. S'il semble avoir
avec eux un incontestable rapport, c'est par le choix qu'il
a fait d'un sujet plus ingénieux qu'intéressant.
Tout ce que nous avons voulu faire observer ici , c'est que
dans la littérature des xii*' et xni* siècles, on ne rencontre
pas seulement des exemples de poésies dans tous les genres,
mais que l'on peut même en citer de genres que l'on croyait
bien plus récemment inventés.
On trouve le lai de l'Ombre dans deux manuscrits de la
Bibliothèque royale, n" 7616 et yai8.
Le Grand-d'Aussy en a dit quelques mots dans le premier p. 181
volume de son Recueil, et même eu a donné, à sa manière,
une espèce d'extrait. ^ A. D.
ANONlfME,
AUTEUR DU ROMAN DE LA CHASTELAINE DE VERGI.
V oici encore un petit poëme roman qui , par la délicatesse
des sentiments, et la décence du style, contraste singuliè-
rement avec ces productions poétiques en bien plus grand
nombre où de brutales passions sont exprimées dans le plus
grossier langage. Sans doute des compositions si diverses
entre elles n'étaient pas faites pour être récitées devant une
même classe d'auditeurs. Ceux qui pouvaient entendre sans
rougir les fabliaux de la Saineresse , de la Damoiselle qui
tonjoit , des Trois Meschines , de la Grue, de cent autres,
dont on ne peut même avec pudeur répéter les titres, au-
raient trouvé fort insipides les romans ou plutôt les lais de
y Ombre et de cette Châtelaine de Vergi , qui ( comme le
porte le titre) mori por loialment amer son ami.
Nous serions bien tentés, vu l'analogie du style, d'attri-
buer cette dernière composition à ce Jehan Renault qui s'est
avoué auteur du lai de \ Ombre. Toutes deux sont, à ce qu'il
nous semble, du même temps, c'est-à-dire des premières
années du xiii* siècle; de cette époque où la langue romane
saivail encore^ sans trop s'y astreiudce pourtant), les règles
Fffffa
ySo ANONYME, AUTKUR DU ROMAN
Xni SIÈCLE. .,,,,.. ,, .' , ^
■ grammaticales qu elle s était si nouvellement imposées. Ces
règles que, de i.os jours, iM. Raynoîiaicl a le premier reeon-
nues,les trouvères ne paraissent pas les avoir long-temps
respectées ; car, avaiit même le milieu <iii xiii*' siècle, à peine
en voit-on des traces dans leurs écrits. Il faut croire aussi que
les mœurs générales s'altérèrent , se corrompirent comme la
langue, et <jue les tabliaux orduriers s'introduisirent alors dans
les châteaux et les cloîtres. En edet, dans les manuscrits qui
ont passé «les vieilN-s archives des couvents et des châteaux
dans nos hililiothècpies., les contes les plus li<encieux se trou-
vent accolés à des productions morales, religieuses, et même
à des légendes, lesquelles, il est vrai, l'einj^orlent souvent en
indécence et en immoralité sur les contes auxtpiels elles ser-
vent d'escorte. Qut^lle idée cet étrange aniiilgame doit -il
donner des mœurs et de la littérature de l'épofpie!
Le but de l'auteur du roman de la Châtelaine de Vergi
a été de prouver par un exemple, combien il importe qu'un
amant heureux soit discret et prudent.
Qnar tant cnm l'amors est plus grans,
Sont pins iiiarri II lin amans
Quant li uns <l'<ix de l'antre croit
(^u'il ait tlit ce que celer doit.
La scène du roman se passe à la cour d'un duc de Bour-
gogne. Parmi tous les chevaliers dont était entouré ce duc,
il en était un qu'il préférait, qu'il aimait particulièrement,
et qui méritait bien celte laveur, car il était aussi brave que
beau. Mais sa noble é|)Ouse , la dijches.se, avait, aussi elle,
reconnu tout le mérite du chevalier. Laduchoisse fenama,
dit le poète,
£t li fist tel saniblant d'amors
Que, s'il n'eust le cuer aillurs.
Bien se pouist aparcevoir
•Vr«i. Par saniblant qu'ele l'aniast por voir'.
FjC chevalier feignait de ne point s'apercevoir des avances
que lui Taisait l'amoureu.se duchesse. Elle fut obligée d'en
venir à un aveu bien formel de ses sentiments pour lui. Cette
scène est on ne peut mieux racontée par le trouvère, et nous
douions que nos meilleurs auteurs dramatiques eussent pu
la retracer avec plus d'art et d'esprit.
C'est en vain que la duchesse s'est si clairement exprimée :
le chevalier lui fait enleudre ( l'auteur ne le nomme en au-
DE LA CHATKLAINE DE VERGI. 78 t
cune occasion) qu'il respecte trop le duc, son d'oit sis^nor
natural, |)our jiiiniiis le trahir. \jA duc liesse humiliée, irritée,
jure (le se venj^er, et elle se veni^e comme antrelois la femme
de Putiphar du <haste Joseph. Elle l'accuse auprès du duc
d'avoir osé lui déclarer toute la passion que depuis long-
temps il avait pour elle. Mais il ne lui restait pas, comme à
l'Ej^yptiemij?, entre les mains un fnanteau accusateur. Le
duc, bien que très-irrité de l'audace du chevalier dont il
avait fait son ami, veut avoir avec lui une explication.
Dans cette autie scène où l'auteur montre encore un vrai
talent, le duc apprend, non sans une secrète joie, que sa
femme s'est étiangtinent ajjuséesur les sentiments du che-
valier pour elle; qu'il a une maîtresse. Après avoir long-temps
résisté avant de la nommer, le chevalier se voit obligé de
dire au duc , non sans verser un torrent de larmes :
Sire, jou vous dirai ainsi,
J'aim vostre nièce de Vergy,
Et ele niui, tant cuni puet plus.
Le duc ne se sent nullement blessé de cet aveu du cheva-
lier; et comme il n'était peut-être pas encore parfaitement
convaincu de sa véracité , il exige de lui qu'il explique com-
ment ses amours avec sa nièce ont pu rester si long-temps
inconnues dans une cour telle que la sienne : il veut enfin
que le chevalier entre dans les détails les plus circonstanciés
sur une intrigue qu il ne désapprouve nullement; et pour
mieux le déterminer à lui (aire cette confidence, il s'engage
de lui-même et sous le sceau du serment, à n'en dire un
seul mot à qui que ce soit :
Je me lairois avant sanz faute
Traire les dtnz l'un après l'autre.
Le chevalier, rassuré par les paroles du duc, lui apprend
que s'il a toujours pris tant de précatitions pour cacher ses
amours, c'est que sa dame lui avait fait jurer que s'il com-
mettait la moindre indiscrétion, il devait renoncer à elle
pour toujours : il avait solennellement promis
A l'eure et au jor
Que par lui seroit découverte
Lor anior, qu'il auroit la perte
Et de l'amor et de l'otroi
Qu'ele li ot laite de soi.
XlIlSIKCLi:
Xm SIÈCLE
782 ANONYME, AUTEUR DU ROMAN
Il lui explique ensuite comment il se rendait la nuit dans
le vergier (le parc) du château de Vergi ; qu'il s'y tenait
caché jusqu'à ce qu'un petit chien que faisait sortir sa daine
vînt l'avertir que sa porte était ouverte, et que pour lui
sonnait l'heure du berger. «S'il en est ainsi, dit le duc, je
vous demande de me laisser vous accompagner à votre pre-
mier rendez-vous,
Car je Veil savoir sans aloingne
Se ainsis va vostre hesoigne ;
Si n'en saura ma nièce rien. "
Le chevalier consent à tout. \j& nuit venue, ils se rendent
ensemble au jardin.
Où li (lus ne fii pas grant pièce
Kanl il vit le cliienet sa nièce
Qui s'en vitit ;iu bout du vergier,
Où il trouva le chevalier
Qui grant joie a fait au cliienet.
Le duc reste caché sous un arbre épais d'où il peut voir
avec quelle tendresse sa nièce accueille l'heureux chevalier.
Répétons ici ce que se disent les deux amants, ne fût-ce que
Eour montrer quel était en ce temps que l'on nomme bar-
are, le langage de l'amour et de la galanterie.
D'un arbre niolt grant et molt large
( Le duc ) s'estolt couvers com d'une targe ,
Et molt ententl à lui celer.
D'ileuc vit en la chambre entrer ,
Le chevalier, et vit issir
Sa nièce et contre li venir
Hors de la chuiid)re en un praël,
Et vit et 01 tel apel.
Coin cle li fit p.ii' solaz,
De salus <le bouche et de braz;
C;ir de ses biax bras l'accola.
Et |)lus de cent l'oiz le baisa
Aiii.s que feist longue parole.
Et cil la rebaise et accole,
Et li dit : ' Ma dame, m'amie,
M'amor, nson cuer, ma diuerie,
M'espérance et tout quanques j'ain ,
Sachiez que j'ai eu grant fain
Destre à vous si coiupie ore i sui,
Despui l'ore que je n'y fui. •
Elle responl : > Mon dous signor,
Mun dous amis, ma douce araor.
DE LA CHATELAINE DE VERGL 783
Ains puis ne fu ne jor ne eure SIRCLK.
Que ne m'anuiast la demeure; ^— — — _
Mais ore de riens ne me deul,
Car j'ai o moi ce que je veul.
Le bon duc a la patience de rester dans la cachette tant
Que la dame et li chevaliers
Dedans la chambre en un lit furent
Et sans dormir ensamble jurent.
Il fut même témoin de leurs tenrlres adieux quand vint
l'heure du départ. Le chevalier sVn retournait; mais le duc
s'empressa de le rejoindre, et, loin de lui montrer le moin-
dre ressentiment, il l'embrassa
' Ccniftc.
Et ii a fait joie molt grant
Puis li a dit : -Je vos créant'
Que toujors niais vos amerai,
Ne jamais ne vous mécroirai ,
Car vous m'avez dou tout voir dit,
Et la duchesse m'a mentit. »
Tout allait au mieux jusque-là ; mais de grandes infortunes
menacent nos amants. Cette duchesse, qui avait menti, fut
fort étonnée de voir qu'au lieu de chasser le chevalier qu'elle
avait calomnicusement dénoncé, son mari redoublait pour
lui de soins et d'amitié. Elle se promit bien de découvrir la
cause de cet inexplicable procédé. Une nuit que son époux
lui témoignait encore plus d'amour que de coutume, elle
employa tant d'art, quelle lui arracha le secret qu'il avait
juré de ne conlier à personne. Il est vrai qu'avant de parler,
le duc la menace de la mort, si elle témoigne à qui que ce
soit au monde, qu'elle sait les amours du chevalier et de la
comtesse de Vergi. Il lui raconte ensuite
De sa nièce trestout le conte
Comment l'aprint du chevalier,
Et comment il fu ou vergier
En l'ainglet' où il net qu'el» deox, «liu ,
Comment li chienès vint à eux,
Et de l'issue et de l'entrée
Li a la vérité contée.
Que nule rien ni a téu* j-jH
Que il ait oï ne véu.
On juge du dépit de la duchesse en apprenant quelle est
celle qu'on lui préfère.
7«4 ANONYME, AUTKL'R DU ROMAN
x.msiècij;. m ■ i 1 1 . • « .
______^___ Mais am.sadonc sainhlant n en nst
Ains otria iiiolt et proiiiist
Au iluc celer si liieii eest œvre
Que se set qu ele le desijueuvre,
Que il la penile à une hait.
Elle ne fut point fidcle à s;i promesse ; et il ne pouvait guère
en être autrfinent. Un j'iur de Penteiôte, le duc tenait une
cour pic I lie re , à i;icjut'lle il avait appelé les sei^^iieursjet les
dames de sa terre (du duché de Bourgogne ). C'était le devoir
de la comtessede Vergi d'y venir, et elle y vint. La duchesse
pâlit en la voyant, mais elle sut dissimule)-, et loin de lui té-
moigner la uioitidie froideur, elle l'accahla d^ caresses.
Après le spiendide repas qui se donnait toujours en ces
grandes fêtes, la duchesse fit entrer, suivant l'usage, les
dames dans une salle, pour faire une nouvelle toilette et se
préparer aux danses qui devaient suivre le repas (i). Ce fut
là (lue la duchesse, cessant de se contraindre, adressa à sa
rivale un mot ])i(ju;int, (pii ne lui permit pas de douter que
son intrigue avec le chevalier ne lïït bien connue. Elle lui
lit complimi-nt de son adresse à cacher ses amours, et sur
le talent qu'elle avait pour bien dresser Xe^^ petits chiens.
Ces paroles pénétrèrent comme un coup de poignard
dans l'amede la comtesse. Elle resta muette et, en a|)parence,
insensible à tout ce (jui se passait autour d elle. Dès qu'il
lui fut possible, elle se retira dans une chambre obscure
(dans \ine garderoi)e, dit Ie|)oëme) où, dans son trouble,
elle n'aperçut mètne pas une servante qui y était assise. Elle
se jetîe sur un lit, et après bien des larmes et des sanglots,
elle prononce dans le poème un long discours, trop long
peut- être, mais bien touchant. Elle y accuse son ami
d'indiscrétion, mais c'est avec douceur et sans colère. Et
cependant l'émotion qu'elle éprouve est si forte qu'elle se
pàtne et meuit.
Son chevalier qui ne la voit point dans les salles de
danse, la cherche dans toutes les autres chambres, et la
trouve enfin étendue sur le lit où elle vient de reiulre le
dernier soupir.
Tout maintenant l'aoole et baize,
Car bien en ot et lieu et aise;
fi) Les liâmes, en Angleterre, ont conservé l'usage de se retirer dans
tine chambre pariiculièie , aussitôt après le dernier service.
XIII SIÈCl E.
DE LA CHATELAINE DE VERGL 786
Mais la bouche a trouvée froide,
Et partout bien pâle et bien roide,
Et au samblant que H coi-s moustre
Voit bien qu'ele est morte tout outre.
La servante qui, sans le vouloir, avait été témoin des der-
niers moments de la comtesse, explique alors au chevalier
que cette dame est morte de la douleur que lui causait un
propos de la duchesse de Bourgogne, qui l'avait raillée au
sujet d'un chiénet ,
Qui d'un chienet la rampona.
Il en fallait moins pour que le chevalier eût la certitude que
la confidence qu'il avait faite au duc était la cause de la mort
de la châtelaine de Vcrgi. Et, dans son désespoir, il se perce
le cœur et va tomber sur le corps inanimé de son amie. A ce
spectacle, la servante effrayée court dans la salle du Ijal où
était le duc, et lui apprend et la mort des deux amants, et les
discours que chacun a prononcés avant de mourir. I^e duc
court aussitôt vers la fatale chambre où gisent sur le même
lit les deux morts; il ôte de la jjoitrine du chevalier l'épée
dont il s'est (rappé, et rentre aussitôt dans la salle du bal. Là,
sans mot dire, il s'approche de la duchesse, et de l'épée encore
fumante qu'il tient à la main, il lui fait tomber la tête au
milieu des danses. Ce n'est qu'alors qu'il explique aux spec-
tateurs effrayés , pourquoi il a puni si cruellement sa femme.
Mais quand ses sens furent plus calmes, il paraît qu'il se re-
pentit, car il alla mourir (;n Palestine.,
Mais de l'aventure et tel ire
Conques puis ne l'oit-on rire :
Errant prist la croix d'outre mer
Où il ala sans retorner,
Si fu illeuc ospiteliers.
Ainsi finit ce très-ancien roman, qui en a produit beaucoup
d'autres. Parmi ceux qui l'ont les premiers imité, il faut sur-
tout signaler l'Italien Bandello. La Nouvelle qu'il en a tirée,
n'est pas une des moins intéressantes de son recueil : Bel-
leforest, à son tour, l'a placée dans ses Histoires tragiques;
et, enfin, on la trouve dans les contes de la reine Marguerite ^pj^ ,„ ' ''°"'
de Navarre Dans le dernier siècle, on fit sur le même sujet
un roman intitulé Lacomtesse de f^ergy. L'auteur y a inséré
des faits historiques du règne de Philippe-Auguste, ce qui
diminue l'intérêt du sujet principal, au lieu de l'augmenter.
Tome XVllL Ggggg
Xm SIECLK.
•jSa PxAOL'L DE IIOUDAN.
Dans le précèdent volume de cette Histoire littéraire, nous
Hist. lidei. lie avons dit (juelques mots tle l'ancien poëme-roman, origme
• France loin, j^ toutes ces imitations, et nous avons cherché à expliquer
XMI,1). 0,6. ' .^ I '^ ^ I
comment on avait pu, sans motit aucun, donner le nom de
Châtelaine de Vergy à li malheureuse épouse du barbare
Fayel. Il n'y a rien de commun entre les aventures de ces
deux femmes; et cependant nous retrouvons cette erreur
dans de récentes bio:;raphies. C'est ainsi que très -souvent
le roman devient de l'iiistoire. A. D.
Nous avions préparé un bien plus ^rand nombre de no-
tices sur une foule d'autres trouvères qui ont composé, dans
la première période du xiii^ siècle , des romans du genre que
l'on nomme historique ; mais nous sommes obligés de les ré-
server pour le volume suivant Et comme il entre dans notre
plan de faire connaître les poètes qui , à cette même époque,
travaillaient en des genres différents, nous terminerons no-
tre xviu^ volume par des notices sur des poètes dont il nous
reste soit des allégories, soit des satires, soit des pièces fugi-
tives telles que chansons, sirventes, etc., etc.
TROUVÈRES
AUTEURS DE ROMANS ALLEGORIQUES; DE
SATIRES; DE POÉSIES RELIGIEUSES.
RAOUL DE TTOUDAN.
(_>(£ poète florissait dans les premières années du xiii* siècle.
Contemporain du célèbre Chrestien de Troyes, il eut une
réputation presque égale; mais il fut moins fécond : nous
devons le supposer du moins; car nous ne possédons de lui
que trois ouvrages , dont deux ne sont pas très-volumineux ;
et quant au troisième, nous ne le connaissons que par des
fragments qu'en ont cités Fauchet, qui l'avait lu en en-
XIII siècut.
RAOUL DE HOUDAN. 787
tier, et les auteurs des catalogues des bibliothèques de Berne
et du Vatican.
Ce troisième ouvrage, que nous avons en vain cherché dans
hi Bibliothèque royale de Paris , était un roman dont le titre
est Merangis de Porlesquez. Je l'ai lu, dit Fauchet; il est en
vers de huit syllabes, et finit ainsi :
Cist conte faut, si s'en délivre Fauchet des
Raoul (Je Hoiidanc, qui (est livre anciens poètei.
Commença île ceste niatire. p. 058.
Se nus i trove plus que dire
Qu'il n'y a dit, si die avant,
Que Raoul s'en taira atant.
Ce roman, dont nous ne pouvons connaître le sujet, se
trouvait parmi les manuscrits de la reine de Suède.
Borel, dans son Trésor de Recherches, dit que Raoul de Momfaucon .
u , , 1. 1 Bibliolh. Bihl. I
Houdan le composa vers lan 1200. i p 3o B
D'après Borel, il comj)osa aussi à la même époque, le Borel.Tiésor
poème des Aesles (ailes) de (Courtoisie; et celui-ci se trouve rfes Recher«hes
dans la Bibliothèque royale, n" 7218, f" 54.
Il commence par ces vers :
Tant me suis de dire tenuz
Que je me suis aperceu
De trop parler et de trop tere
Ne porroit nus à bon chief trère.
Suit une longue allégorie, où, selon le poète,
on porroit prendre
Example et cortoisie apprendre. •
Quelques traits satiriques et moraux peuvent seuls faire
supporter la lecture de ce poëme sans intérêt, dont nous ne
croyons pas devoir plus long-temps nous occuper.
Mais le même manuscrit contient le poème auquel Raoul j^,, jelait 1,1
de Houdan doit aujourd'hui sa réputation : c'est i,a voye ou du Roi. 0.71.8
i,E SONGE d'enfer. Il cst signalé par tous les écrivains qui ont M"»*''^". Dc hi
porté leurs recherches sur notre ancienne poésie; et Le Grand ^3'^^ p""' ^
d'Aussy, dans son recueil de fabliaux, en a donné un assez Le Giand
long extrait. d'Auîsy.Re.nul
C'est une vraie satire que ce poëme. L'auteur, en racon- "^ * i«"* ' ' •
tant un songe dans lequel il s est cru transporté en enfer,
trouve occasion d'attaquer et les vices qui dominaient de
son temps, et aussi quelques Parisiens qui vivaient alors, et
dont il avait à se plaindre.
Ggggga
!'• »7-
788 RAOUL DE HOUDAN.
Xm SIKCLF ,r . - , M
Voici son début :
Un songe doit fables avoir
'^''*'- Et songe peut devenir voir'.
Dont sai-je bien que il ni'avint
Qu'en soiijant un sons^e me vint.
Il raconte aussitôt comment il s'achemina, en songe,
vers la Cité d'Enfer; et il croit devoir dire d'abord ce qu'il
trouva sur la route.
Plesant chemin et belle voie
Treuve cil ijui va enfer guerre.
Quant je sui paiti Je ni.i terre,
Por ce (jue li contes n'.innuit,
Je m'en vif<.s la première nuit,
A Convoitise !a cité.
En terre de Des/oiaasU'
Est la cité (pic je vos di ;
Quand je vins à un nierciedi
Que me lieberjai chez Envie;
Plesant ostel et ht le vie
Mesnasnies; et sachiez, sans guille
Que c'est la dame de la ville
Qu'Envie, et bien me hchreja.
En lostel avoec nous nienia
Tricherie , sa suer Rnpiiie ;
Et Avarixe SA cousine
Vint avoec li , si coui moi sand)le j
Por moi veoir toute? e.isemble :
Et vinrent et grant joie fiient
De ce qu en lor pais uie vireiit.
Ce sont, comme on voit, des personnages allégoriques,
des vices persoiniifiesque le poète rencontre sur la route qui
conduit à l'enter. Cette peinture est, à ce qu'il nous semble,
ingénieuse et juste. Il continue sur le même ton dans tout
le reste du poetne. On le voil tour à tour dans la P ille-7a-
verne où il trouve 1 tvevjt; avec son (ils né en Angleterre , et
ensuite chez Fornication dont la maison s'appelle du nom
que nous donnons aux mauvais lieux sur terre. Quand il est
chez Filouserie , il trouve moyen , dans ses réponses à la
dame du logis, de lancer d'injurieux sarcasmes à nombre
d'habitants de Paris, qui duretiten être très-offensés. Parmi
les fripons de ce temps-là, il place ini poète dont il nous
reste beaucoup de vers, et qui était connu dans le monde
sous le nom du Bossu d Arras. C'était apparemment un rival
en talent et en gloire.
XdlMKCIK..
RAOUL DE HOUDAN. ^89
C'est ainsi que Raoul de Houdon arrive à la porte H(
l'enfer, laquelle est gardée par Meurtre, Désespoir eX Mort-
Subite. W pénètre dans l'intérieur, malgré la garde. Ce jour-
là le roi d'enCer faisait la revue de tous ses vassaux : aussi
le poète voit-il défiler devant lui force clercs, évêques et
abbés.
En enfer, d'après notre poète, on mange aussi bien que
sur la terre; car, dès en entrant, il avait vu des tables toutes
préparées et bien servies. Beizébut fait asseoir à ces tables
ses nombreux sujets, et entre autres, notre poète Raoul, à
qui il (ait servir de la chair d'usurier et de moine noir; très-
gras , l'un du bien d'autrui , l'autre de fainéantise. Au sujet
du moine noir que l'on sert en ragoût. Le Grand d'Aussy Lc Grmd
remarque (|ue dans la plupart des poésies de ce temps, la J'Anssy , f».
classe des moines noirs (c'étaient ceux qui suivaient la règle ''''^"'''' '.l''9
de Saint-Renoît ) est beaucoup plus souvent attaquée que
les moines blancs, qui étaient soumis à la règle de Saint-
Augustin. Il ne peut expliquer les motifs de ce singulier
acharnement contre le premier de ces deux ordres.
Tout ce conte se termine d'une manière un peu brusque,
mais assez piquante. Vers la fin du repas, Beizébut se fait
apporter son grand livre noir sur lequel sont écrits tous les
péchés faits et a faire. 11 le met dans les mains du voyageur ibid. p. n,
(le poète Raoul), qui l'ouvre, et tombant sur le chapitre des "°"'-
ménétriers, y trouve écrite la vie de chacun d'eux. « Je l'ai
« retenue par cœur, dit le poète, et suis en état de vous
en réciter quelcpies traits curieux. » Mais tout à coup il
s'éveille, et ce conte finit. C'est dommage; car le satirique
Kaoul aurait pu faire de plaisantes révélations sur la vie de
ces hommes qui , en effet, étaient alors et décriés et recher-
chés ; de ces hommes qu'il aurait pu appeler ses confrères.
Les manuscrits de la Bibliothèque royale qui contiennent
ce poëme satiricjue, offrent entre eux des différences remar-
quables. « Dans le manuscrit n° yOio, dit Le Grand d'Aussy, ]i,ij. „ ^^
les démons, après s'être bien divertis, montent à cheval, et
vont sur la terre chercher de nouvelles proies. Dans le ma-
nuscrit f!e Saint-Germain, tous les détails sont différents :
personne n'est nommé; ce sont les péchés des hommes en
général que le voyageur voit dans le livre noir, et il n'est
fait nulle mention des ménétriers. »
Quel est le vrai texte, le texte te! qu'il est sorti de la plume
de Raoul de Iloudan? C'est ce qu'il est aujourd'hui impos-
3 3
yoo ANONYME, AUTEUR
XIII SIKCLE. .' , .
sible de deviner. Les uns auront retranché du poëme les
personnalités ; d'autres y en auront ajouté de nouvelles. Dans
ce temps où l'imprimerie n'était point encore connue, cha-
que copie que l'on faisait d'un ouvrage s'éloignait toujours
plus ou moins de l'original. Et l'on ne pouvait bientôt plus
distinguer quelle était l'édition la plus exacte. Comment^
après six siècles, la reconnaître.**
Il ne nous paraît nullement invraisemblable que ce poëme
du Song;e ou de la f oie d'enfer Ait fourni à Dante la première
idée de sa DU'ine Comédie , de ce poëme dont l'Italie s'honore
à si juste titre. Aux xiii et xiv* siècles, les Italiens recher-
chaient avec empressement les productions littéraires de la
France. C'étaient pour eux des modèles : Dante Alighieri
devait s'être nourri, comme tous ses compatriotes lettrés,
de la lecture de nos poètes tant provençaux que français.
Dans la satire de Raoul de IJoudan n'a-t-il point aperçu le
sujet de la grande, de la sublime satire qu'il devait bientôt
présenter à ses ingrats concitoyens.'' D'un bloc informe il sut
tirer un superbe monument. C'est là le privilège du génie;
et ce fut ainsi que, plus taid, Milton, en voyant représenter
en Italie un mystère ab.surde, conçut l'idée de son bizarre,
mais imniortei poëme an Paradis perdu. A. D.
ANONYME,
AUTEUR DE LA VOYE DE PARADIS.
A_ ce dernier poëme de Raoul de Houdan , il faut joindre, à
ce qu'il nous semble, la l oye de Paradis, autre poëme très-
M*s. ii.7ai8, court qui , dans un manuscrit de la Bibliothèque royale, suit
immédiatement la f oye d'Enfer. Et, en effet, c'en est une
annexe, ou plutôt une continuation, comme on le voit par
ces vers qui en forment le début :
Or, escoiitez un autre songe
Qui croisl no niatere et alonge.
Je vous dirai assez briefment,
Si je puis et je sai, cornent
En sonjant fui en paradis.
Je dorniois en mon lit jadis
Et i me prist talent que j'iroie
DE LA VOYE DE PARADIS. 791
En paradis la droite voie. >^lll Sii^.d.E.
En sonjant me suis estnicusj
Mes ne fui mie decéus.
Qar au niovoir priai à Dieu,
Le gluriez, le doux, le prcu,
Qu'il m'eiiseignast la voie droite,
Et il nie dist ; Va si œsploitc
Et pren conseil à Notre Dame;
A li servir met cors etame,
Tout tiroit par li t'avoieras.
Et li droit chemin troveras.
La Vierge l'accueille très- courtoisement; mais il a oublié
de nous en faire le portrait; c'était pourtant une belle occa-
sion. Il se borne à dire :
Moult doucement me conseilla j
Elle me dit et enseigna
Que si j'avoie Dieu amor',
Que je serois sans demor ■I...inmir .le
El comencement de la voie uieu.
Où je dis qu'aler dévoie.
Si dans le chemin de l'enfer, on ne trouve, comme nous
l'avons vu, que des vices, on ne rencontre, comme cela de-
vait être, que des vertus sur le chemin de paradis : c'est l'o-
béissance, la piété, etc., etc.
Le poëme n'en est pas moins tant soit peu satirique. Par
exemple, on demande au voyageur ce que font les béguines
dans l'autre monde. Il fait d'abord leur éloge.
Je repondi qu'elles servoient
Nostre Seigneur et moult étoient
Plaines de très-grand pacience,
Et gardoient bien obédience
A lor sens et à lor pooir,
Et sevent moult très-bien voloir
L'avantage et le sens d'autrui
Tout sans pesance et sans annui.
Mais bientôt il ajoute :
Teles i a por lor folies
Et par lor laides vilonies
Que les foies font coiement :
Ainsi est-il tout vraiment
Avec les sages sont les foies
Aiisamble aus fais et aus pa.roles. ....
79^ ANONYME, AUTEUR DU POEME :
XIII SIKCLF.
Elles sesoillenl en l'ortlure
De Leclierie et de Luxure
Et des aut;'es vilains pécliiés
Dont tôt li nions est entichie's.
Nous ne citons là que le commencement île la diatribe qu'il
lance contre les bej^uiiies. Ce n'est pas sur ce ton que, cent
ans après, le Dante, qui visitait aussi le paradis, faisait la sa-
tire des mœurs de ses concitoyens.
Fabliaux , I. Le Grand d'Aussy a compris, dans son recueil, l'extrait
II, p. 22. d'un poème tpii porte également le titre de ( heiiiin de Pa-
radis, et qu'il attribue, sans en fournir aucune preuve, à
llutebeuf". Mais, si cet extrait est fidèle, c'est tout un autre
poc'ine que celui dont nous venons de rendre compte. Dans
celui-là, ce sont des vices que l'on trouve sur le chemin :
l'orgueil, l'avarice, l'envie, la paresse habillée en chanoine,
la gourmandise malade d'une indigestion, etc. Ce n'est qu'a-
près avoir passé au milieu de tous ces vices <|ue le voyageur
iirrive dans le séjour des vertus. Et là encore il trouve la li-
béralité (|ui se meurt, la franchise dont la maison est pres-
que déseite, etc. Eniin, -il parvient chez la confessioti, où il
voulait aller.
Il paraît que plusieurs poètes satiriques du même temps
s'étaient approprié le cadre dont s'était servi, le premier,
Raoul de Huudan, pour oftrir la censure des mœurs. A. D.
ANONYME,
AUTEUR DU POEME : lA COUR DE PARADIS.
Lje manuscrit de la Bibliothèque royale, coté 2718, con-
Msj. n. 2718. tient un poème de 64^ vers, qui a pour titre l.a cort de Pa-
radis. C'est le tableau naïf d'une fête que Dieu le père donne
à tous les saints, le jour même qu'on les fête aussi tous en-
semble sur terre (i).
(i) rSarhazan a publié ce petit poème, qui ne contient que six à sept
cents vers; mais il avait copié sans doute un manuscrit un peu diltérent
de celui que nous avons consulté, car nos citations ne sont pas toujours
semblables aux siennes. Voyez la nouvelle édition de Barbazan par Méon ,
t. m, p. 128-148.
LA COUR BE PARADIS. 793
L9 fête qui se célèbre au ciel est absolument du genre de
ces fêtes |OU les rois réunissaient autour d'eux les seigneurs
leurs vassaux, et même des étrangers. A cette époque, les
rois n'avaient point une cour; ils vivaient dans leurs domai-
nes, au sein de leurs familles : ce n'était que dans ces fêtes
(ju'ils paraissaient avec quelque éclat, qu'ils tenaient vrai-
ment une Cour; et elles avaient ordinairement lieu aux trois
grandes fêtes ^Je l'année.
Ces cours ou fêtes étaient indiquées long-temps d'avance;
les invitations se faisaient par des hérauts; chacune durait
pour l'ordinaire trois jours. On y était défrayé, nourri et
amusé pendant tout ce temps; c'étaient pour les trouvères,
les ménestriers, les jongleurs de toute espèce, de belles oc-
casions de déployer leurs talents et leur savoir-faire. Ils s'y
préparaient, les uns en composant, les autres en s'essayant à
réciter des poèmes ou gais ou héroïques ou moraux ; et ils
choisissaient le spectacle à donner, d'après la connaissance
qu'ils avaient du caractère et des goûts de celui qui donnait
la fête, ou, ce qui est la même chose, tenait la cour. Les
seigneurs riches, les possesseurs de grands fiefs, à l'imitatioa
du roi, tenaient aussi des cours particulières, dans lesquel-
les ménestrels et jongleurs étaient également appelés. Il en
résultait que leur muse était excessivement active, et que le
métier devait être assez profitable : on ne doit donc plus
être étonné du grand nombre de noms d^ trouvères que
nous fournit cette période de notre histoire, ni de l'effrayante
multitude de poèmes de tout genre en langue vulgaire que
contiennent nos bibliothèques et surtout la Bibliothèque
royale de Paris.
Le trouvère anonyme, auteur de la Cour de Paradis, nous
représente Dieu agissant dans le ciel, absolument comme
eiît agi sur terre un roi qui aurait voulu tenir une cour plé-
nière. Les convocations se font là-haut comme elles se fai-
saient ici-bas : les plaisirs y sont de même espèce, on y chante,
on y danse; et même, ce qu'il y a de singulier, les refrains
des chansons célestes sont les mêmes que ceux de plusieurs
chansons du temps, plus qu'erotiques, que nous possédons
encore. On serait tenté de croire que le poète a voulu tourner
en ridicule les croyances de son siècle, si dans maint passage
de son œuvre, et surtout dans le début, on ne voyait qu'il a
écrit très-sérieusement, et qu'il se figurait Dieu et le Paradis
tels qu'il les dépeint.
Tome Xrin. Hhhhh,
s 3 •
XIIISIÈCLK.
Xin SIECLK.
794 ANONYME, AUTEUR DU POEME :
Après un préambule assez long, dans lequel il rappelle
l'extrême bonté de Dieu pour l'homme dont il devint le
frère, lorsqu'il prit la forme humaine
Els flans de la Virge Marie ,
voici comment le poète entre dans son sujet (i): Un jour Dieu
appela à haute voix saint Simon, et lui dit : « Allez, dans
les dortoirs, dans les chambres, enfin dans tout le paradis,
inviter, de ma part, les saints et saintes, sans en oublier
aucun, à se rendre près de moi avec leur compagnie. Je veux
tenir une cour plénière un mois après la Saint-Remi. » Saint
Simon répondit : « Seigneur, j'exécuterai vos ordres dès sa-
medi. »
Saint Simon part aussitôt , muni d'une escalette (crécelle),
et emmenant saint Jude avec lui.
Il entra d'abord dans la chambre des anges, qui jouaient
ensemble :
Si vont jouant par ces biaus lieux.
Il les rassemble au bruit de sa crécelle, et leur fait part
des ordres dont il est chargé : tous répondent qu'ils obéiront
avec joie. Delà il passa chez les patriarches, qui le recon-
nurent de loin, et dirent : « Je crois que voilà saint Simon ;
voyons ce qu'il nous veut. » Ils l'attendirent, et ils acceptè-
rent volontiers sa proposition. A quelques pas plus loin, il
aperçut les apôtres ses camarades et leur cria de venir à la
cour de Dieu.
Qu'il viengnent à la Cort-Jhesu.
Ils répondent, comme les autres, qu'ils sont à ses ordres.
Les martyrs qu'il rencontra lui firent la même réponse par
la bouche de saint Etienne. Saint Simon, toujours courant
pour obéir à son maître, se présente à saint Martin, qu'il
trouve à la tête de ses confesseurs. Il sonne trois fois de sa
crécelle pour les faire venir autour de lui. Quand il a expli-
qué le sujet de son message.
Saint Martin H dist « Biaus contpains ,
Sachiez sans faille q'i irai
Et tous les confès i menrai.
(i) M. le comte de Caylus avait trouvé ce poéinesiintéressant, qu'il en
avait fait un Extrait dont le manuscrit est sous nos jeux. Après en avoir
vérifié l'exactitude , nous avons cru devoir l'adopter, du moins en quelques
endroits.
LA COUR DE PARADIS. 795
II invite ensuite les innocents, qui, dans leur naïve sim- -
plicité, assurent qu'on ne pouvait leur faire plus de plaisir.
Saint Simon entre dans une salle magniBque occupée par
les pucelles. L'auteur assure que leur beauté et l'éclat des
couronnes qu'elles portaient sont au -dessus de toute descrip-
tion. On pense bien qu'elles acceptèrent avec empressement
l'invitation. II en fut de même des veuves (de celles seulement
qui ne s'étaient point remariées). Entin, il n'y eut saints ni
saintes dont il éprouvât un refus. Il vint ensuite rendre compte
de sa mission. Jésus-Christ, très-satisfait, lui dit: « C'est bien:
je verrai si quelqu'un manque à la fête. »
Quand le jour fut arrivé, le premier qui parut fut Gabriel,
suivi de tous ses anges, archanges et cnérubins : ils se pré-
sentèrent enveloppés de leurs ailes et chantant le Te Deum.
Puis se prenant par la main, ils montèrent, comme de rai-
son , au plus haut étage du paradis. En passant devant Jésus-
Christ, qui séoit devant sa mère, ils ne manquèrent point de
le saluer.
Et li clous Dieu a respondu :
« Seignor, bien puissiez vous venir
A ma feste que vueil tenir
Où je veuil fère de grans miracles. •
L'auteur a négligé de nous apprendre quels furent les mi-
racles que Dieu opéra : on ne voit pas trace de miracles dans
tout le reste du poëme. Vinrent ensuite les patriarches. Dieu
embrassa Moïse, Abraham et le prophète saint Jean, qui se
trouve, on ne sait pourquoi, parmi les patriarches; et tous
se mirent à chanter avec ceux qui les suivaient :
Je vis d'amors
ETn bone espérance.
C'est là un de ces refrains de chansons d'amour, qui se trou-
vent, comme nous l'avons dit, intercalés dans ce poëme reli-
gieux. Arrive saint Pierre à la tête des apôtres, qui chantaient
avec lui :
Ne vous repentez mie
De loiaument amer;
Car de bien amer vient solaz.
Etleurjoie fut si grande en approchant de Dieu, que, se pre-
nant parles mains, ils formèrent une ronde et chantèrent:
Tout ainsi va qui d'amors vit
Et qui bien ame.
Hhhhhi
XIII SIÈCLB.
Xm SIÈCLE.
796
ANONYME, AUTEUR DU POEME
'Gaimeal.
Saint Etienne se présente à la tête des martyrs en chantant :
«
Cil doit bien joie démener
Qi« joie attend
Des iÂaux qu'il sent.
Les confesseurs dirent à leur tour:
Je ne fiii oncques sans amer,
Ne ja n'ère en ma vie.
Les milliers d'innocents qui suivaient les martyrs, disaient,
dans leurs chansons , qu'ils ne devaient leur bonheur qu'à
Dieu seul.
On vit ensuite paraître la Madeleine, qui précédait une
troupe de belles femmes. Elle chantait que c'était toujours
avec passion qu'elle allait trouver son ami ,
Envoiséement' i vois à mon ami.
Les veuves s'avancèrent. Elles étaient exlraordinairement
parées, se tenaient par la main, et chantaient les unes haut,
les autres plus bas :
Se j'ai amé folement,
Sage sui si me repent.
Les femmes qui étaient restées fidèles à leurs maris ve-
naient après les veuves; leurs robes étaient de la plus écla-
tante blancheur,
Plus blanc que flor sur branche.
Elles chantaient de cœur joli, se tenant toutes par la main.
En passant devant la sainte Vierge, elles la saluèrent d'un
^i>e Maria, et la Vierge leur donnait sa bénédiction. Ce fut
vers le haut du paradis qu'elles allèrent se placer; et Jésus
leur dit qu'elles étaient les bien-venues. Elles se mirent à
genoux , pour lui exprimer avec quel plaisir elles s'étaient
rendues à ses ordres. Et Jésus
Lors lor a dit : « Or sus , amies ,
Si soiez joiaux et lies,
■ El si fête haitie entière. •
Toutes ces réceptions finies, Dieu appela saint Pierre et
lui recommanda de ne laisser plus entrer personne. Saint
Pierre l'assura qu'il pouvait être tranquille ; et tout aussitôt
Xm SIECLE.
LA COUR DE PARADIS. 797
il se mit à chanter : « Que ceux qui aiment soient de ce côté,
et ceux qui n'aiment point, passent de l'autre. »
Vos qui amez, traïez ça,
En là qui n'amez mie.
Ici commence la fête. Jésus-Christ conseille à sa mère d'ou-
blier ses peines passées, et de ne plus songer qu'à se bien
divertir. La Vierge répond qu'elle est de cet avis; et elle ap-
pelle aussitôt la Madeleine, qu'elle prend par la main; et toutes
deux font le tour de la salle en chantant :
Tuit cil qui sont enamouraz
Viengnent danser, li autre non.
Les vierges, les dames, les veuves accourent sur cette in-
vitation, et sont suivies des martyrs, des confesseurs et des
autres saints qui chantent ensemble :
Je gart le bos' que nus n'emport ,j ,. j„,j,
Chapel de flors s'il n'aime.
Les quatre évangélistes, qui avaient eu soin d'apporter de
bruyants instruments de musique, sonnaient du cor; et,
pendant ce temps-là, les anges répandaient de l'encens et des
parfums sur la compagnie. Enfin, Jésus-Christ, bien content
de voir tant de joie, se leva, et, tenant par la main sa mère,
il chantait aussi ce refrain :
Qui suis-gedont, regardez moi
Et ne me doit-on bien amer?
L'auteur assure qu'il n'y eut jamais une si belle fête; et
ce qui n'en fut pas un des moindres agréments, c'est que la
Vierge elle-même retroussant sa robe fit le tour du bal en
chantant : Embrassez-vous , de par amour embrassez.
Prist les pans de sa vesture
Et va chantant très tout entor :
« Agironnez, de par amor agironnez. •
En voyant le Sauveur qu'elle avait tant aimé prendre part
à la fête, la Madeleine sentait renaître en elle ses vifs et an-
ciens sentiments, et se met à chanter:
Fins cuers amourous et joli ,
Je ne vous vueil mètre en oubli.
Après quoi, les apôtres, les martyrs, les confesseurs re-
XIII SIKCI-E
7p8 ANONYME, AUTEUR DU POEME :
commencèrent les danses de plus belle. Et Jésiis-Chi ist ,
charmé de tout ce qu'il voyait,
Si prist sa mère par les dois,
La Mnj^delaiiie, tl autre part,
A cui il list le dous regart
Quant ses pecliiez lui pardonna,
Tout doucement respondu a :
" Je tieng par les dois ma mie
J'en vois plus joliment. »
Tous les saints et saintes crurent devoir, à la fin de la fête,
8i; réunir pour chanter en chœur :
Tos li cuers me rit de joie
Quant Dieu voi.
Mais tandis qu'ils chantaient ainsi , les âmes du purgatoire
qui les entendaient, criaient, pleuraient et demandaient
grâce avec de si grandes instances que saint Pierre en fut
louché, et vint exposer leurs peines. Les vierges se joigni-
rent à lui pour intercéder en leur faveur ; la Vierge elle-même
se leva en pied, et représenta que ces malheureux qui se la-
mentaient étaient, comme elle avait été, des mortels ses
frères et sœurs, et elle finit par dire :
La teste n'est mie plenière
Se niiez n'en est aus souffretous ,
Aus povres et aus disetous.
Jésus lui répondit qu'il chérissait trop sa mère pour lui
rien refuser :
Douce mère, dist notre sire,
Je ne vous vuei! mie desdire
Que je vo volenté ne face.
A cest mot la bese en la face ,
Les iez, la bouche et la maissele
Que ele avoit et tendre et belle
Plus que ne n'est rose espanie.
Aussitôt que Dieu eut accédé à la demande de sa mère, le
feu du purgatoire devint plus doux que lait.
La pénitence de plusieurs âmes se trouvait finie. Saint
Pierre leur ouvrit, a ver grand plaisir, la porte du paradis.
Ainsi se termina la fête, et il ne faut pas douter, dit l'au-
teur, que le jour de la Toussaint et les deux jours qui le
suivent, les âmes du purgatoire n'aient joui du repos et même
de quelque satisfaction.
LA COUR DE PARADIS. -5,9
Nous nous sommes arrêtés trop long-temps peut-être sur '^"' ''''^•'^^-
cette ridicule production : c'est qu'elle nous a paru donner
une idée exacte de l'esprit du siècle (quelques critiques l'ont
crue du xii*", nous présumons qu'elle est du xni* et peut-être
(le la fin). Non seulement elle offre, comme nous l'avons dit
au début , un tableau des cours plénières, alors si fréquentes,
mais elle signale le genre, et, si l'on peut s'exprimer ainsi,'
la couleur des idées religieuses de l'époque. Dieu, comme on
se le figure dans l'enfance des sociétés, et comme les classes
inférieures persistent à le croire, même lorsque les sociétés
ont avancé dans la civilisation, n'est qu'un seigneur un peu
plus puissant que les autres, mais qui a leurs besoins, leurs
passions et souvent leurs vices.
Dans le poème de la Cort de Paradis, Dieu ne procure pas
à ceux qui habitent le ciel et qu'il réunit autour de lui , d'au-
tres plaisirs que ceux qu'offraient, dans leurs châteaux, au
temps des cours plénières, les rois et les hauts seigneurs. On
y chante, on y danse, et voilà tout. Nous remarquons même
que ce trouvère. ci n'y a pas , comme l'auteur de la Voie de
Paradis, fait dresser des tables splendides, couvertes de
mets excellents. Dieu et ses saints n y mangent, n'y boivent
pas. Est-ce oubli, ou un juste sentiment de convenances.'
Nous pensons que c'est oubli.
Au reste, on a fait, depuis long-temps, une observation
qui nous paraît de toute justesse : c'est que s'il n'a pas sem.
blé très-difficile de décrire les peines de l'enfer, on se trouve
assez embarrassé lorsqu'on veut retracer les plaisirs du pa-
radis. Les hommes, dans tous les temps et dans tous les pays,
n'ont jamais pu parvenir qu'à transporter dans le ciel leurs
jouissances de la terre.
L'Elysée des anciens était un lieu délicieux oii les âmes des
sages, des hommes vertueux, s^entretenaient sous de frais
ombrages; Mahomet fit, de cet Elysée, un jardin de l'Orient, ^''""'*' "^''^
qu'il peupla de houris; les Scandinaves placèrent les ombres J„ed,a!'— in-T-
de leurs guerriers morts en combattant, dans un vaste camp lad.so
où ils continuaient de lutter entre eux et de boire de l'hy- M.iieciwieau-
dromel ; nous avons vu ce qu'était le paradis , dans le moyen mITÙts,!!»' ii?
âge; un peu plus tard, le Dante plaça les bienheureux dans
les planètes; mais quand il arriva au-delà de cette neuvième
sphère, dans le séjour où réside la Divinité, il fut tellement
éoloui , qu'il avoue ne pouvoir plus raconter sa vision. Un
de nos célèbres écrivains modernes a tenté, aussi lui, de
XIII SIECLE.
800 HUON DE MERI.
nous faire, à sa guise, un nouveau paradis; mais, malgré la
noblesse, la majesté de sa description, on sent qu'il rentre
dans les idées des trouvères du xm^ siècle, lorsqu'il fait par-
ler Dieu et chanter les anges. Il valait mieux dire comme le
Dante : « Je ne puis exprimer ce que j'ai vu dans ce lumineux
<c séjour où réside le Tout-Puissant. Semblable à celui (jui
« conserve l'impression d'un songe plein d'intérêt, sans pou-
ce voir dire quel en était l'objet principal , il ne me reste du
« spectacle qu'un souvenir vague, incertain, mais plein de
« charme (i). »
Concluons que la Cort de Paradis est un assez mauvais
poème; mais que l'on sera pourtant porté à l'indulgence si,
en le comparant à la plupart des poèmes sur le même sujet,
on ne les trouve guère plus satisfaisants pour la raison.
Toute la ditïérence entre eux n'est que dans le style. Et il
faut avouer que notre auteur n'a pas fait preuve de goût, en
semant son récit d'une multitude de refrains de chansons
vulgaires, qui contrastent singulièrement avec la gravité
qu'il affecte dans tout le reste. A. D.
HUON DE MÉRI.
C,
.^E n'était point un de ces trouvères en titre qui ne pou-
vaient vivre que de l'art qu'ils exerçaient, cet Huon ou Hu-
gues de Méri^ dont il nous reste un long et bizarre poème in-
titulé/e Tournoiement du Christ. Il nous apprend lui-même
qu'il fut moine à Paris dans l'abbaye de Saint-Germain-des-
Prés.
Religion proi' quel mi meine
,jj p^jp Qui m'a là mené par la main ,
Jusqu'à l'église saint-Germain
Des-prez, lès les murs de Paris.
Et c'est à peu près là tout ce que l'on sait de sa vie. L'époque
(i) Quale è colui che sonniando vede ,
E dopo 'I sogno la passione impressa
Rimane, e l'altro alla mente non riede :
Cotai son io, che quasi tutta cessa
Mia visione, ed ancor mi distilla
Ne! cuore il dolce che nacque di essa.
// ParnJiso, canto XXXIII, v. 58 et seq.
HUON DE MERI. 8oi
où il floussait se trouve indiquée dans le niêmepoëme, par une
tirade sur un fait assez important de notre histoire: la guerre
de Bretagne pendant la minorité de saint Louis. De ce qu'il
rapporte de cet événement, comme s'il en avait été témoin,
on a inféré qu'il vivait dans les trente premières années du
xdi^ siècle.
Dans son poème du Tournoiement (Tournoi) de l'Anté-
christ, il se présente comme le successeur, et non le rival de
Raoul de Houdan, dans l'art de conter les affiiires de l'autre
monde. Et, en effet, si déjà l'un des deux nous a conduits
en enfer, en compagnie de tous les Vices, et nous y a fait
trouver quelques-uns de ses contemporains que sans doute
il n'aimait pas, l'autre nous transporte en paradis et nous
montre le sauveur des hommes luttant avec l'Antéchrist, et
les Vertus se mesurant avec les Vices, mais finissant par en
triompher. Ce sont, comme on voit, deux jjoëtnes de même
genre, de même couleur, de vérita!)les conceptions de moi-
nes du xni^ siècle, bien qu'il ne soit pas prouvé que Raoul
de Houdan ait jamais été moine.
Dans le début de son poème, le moine de Saint-dermain-
des-Prés semble avoir peu de confiance dans son talent.
On dirait que c'est le premier ouvrage qu'il entreprend, et
qu'il craint de ne pas bien manier la langue dans iatpielle
il se propose d'écrire : aussi regrette-t-il que Chrestien de
Troies soit mort, ce poète, ajoute-il, qui m'ait tant de prix,
et qui, sans doute, aurait tiré un bien meilleur parti du
merveilleux sujet qu'il avait choisi.
Pour cou ke mors est Crestiens
De Troies ki tant ot de pris.
De trouver ai hardenient pris.
De mot à mot mètre en escrit
Le Tournoiement de Antetrist.
Or, voici quand et comment arriva le grand événement
qu'il va raconter :
11 avilit après cet emprise
Ke li François eurent emprise
Contre le comte de Champaigne,
Ke rois Loeys en lîretaigne
Mena son est, sans point daloigne
Lor ne pot me tenir perece
D'aler en l'osl le roi de France.
Tome XF ni. liiii
XIII SIÈCLE.
)iiu siÈcr.F.
802
HUON DE MÉRI.
L.1 chaise.
>C.hies(ien de
Troyes, dans le
Roman du che-
valier au Lion.
A peine Huon de Méri etait-il à l'armëe du roi I^ouis, qui,
comme le disent les vers que l'on vient de citer, se trouvait
en Bretagne, qu'il voulut proliter de son séjour en ce pays
pour en visiter le plus curieux monument. Et aussitôt il se
met en marche ver.s la forêt de Breccli.ifide; cette forêt si
célèbre dans les romans de la Table-Ronde, par \a périlleuse
fontaine qu'elle couvre de son ombre. Il s'avance , armé
d'une épée, vers la fontaine.
Ke 1,1 trouvai par aventure.
La fontaine n'ieit pas oscure
Ains ert clere coin fins arirens
Le bacliin , le iieiron île niaihre
Et le veid pin el la ciiere'
Trouvai en icelle manière
Corne la tiescrit Oestiens'.
' I.e monde.
'Gobelets.
A peine a-t-il puisé de l'eau avec le hachin (la tasse) que
s'élève la plus violente tempête , à 1 i suite de laquelle le ciel
s'ouvre, et le poète peut voir le paradis;
Et tout cil k'en paradis sont
Porent bien veoir tout le mont'
Sans couverture celé nuit.
Bientôt après, il aperçoit tin chevalier maure qui traver-
sait en toute hâte la campagne, armé comme s'il se rendait
à un tournoi. C'était Bras-de Fer, chambellan de l'Antéchrist.
II parvient à l'atteindre, et ils font route ensemble. Ils ne
tardent pas à découvrir un pays couvert de prairies, de ri-
vières, de villes, de châteaux à tours crénelées.
C'est dans l'un de ces châteaux que se rassemblent les
partisans de l'Antéchrist. Avant d'aller au tournoi , ils jugent
à propos de se restaurer par un bon repas.
Des napes ki ne sont pas sales
Veissiës les tables couvrir,
Et veissiés coffres ouvrir;
De pos et (Je hanas ' tl argent
Moult servirent et bel et gent.
Antecrist, quand il fu assis
Aveiic un jongleour massis
Qui trop savoit sons portevin.
De divers mes, de divers vins
Fumes pleiiièrement servi
Bien saehies tout conques n'i yi
Fèves ne pois , oès ne herens.
HUON DE MÉRI. 8o3
Tous les mes Raoul de Houdain *'^' SIÈCLK.
Eusnies sans faire riot ', etc (i).
Rixe , sank
Il est bon de connaître ceux qui composaient cette réunion 1"*""*
de convives : c'étaient Jupiter, Saturne, y4 pullon le preux ,
Merciirius , enfin tous les dieux de la mythologie, et même
Cerbère aux trois têtes. Le poète leur applique à tous de
bizarres épithètes. Mais on y voyait aussi les vices personni-
liés; la Paresse, la Gourmandise,
La vaine gloire et vantcrie
Qui est dame de Aormandie; etc.
Nous croyons devoir passer la description beaucoup
trop longue que fait le poète, non seulement des armures
de tous les Vices, ainsi que des figures caractéristiques et
emblématiques qui couvraient ces armures, mais aussi des
cortèges de divers genres dont les Vices étaient suivis. Il est
temps d'en venir au tournoi. Il y avait nécessité qu'après
avoir si minutieusement détaillé toute l'armée de l'Anté-
christ, le poète dît au moins quelque chose de Dieu son
adversaire : il le décrit, monté sur un cheval magnifique
ayant pour escorte des anges et des Vertus de toute espècel
Dans ses mains est une lance :
C'estoit la lance dont Longijs
Le feri el coste jadis ;
Si en issi et eue et sanc.
Moult sist hien sour le cheval blanc
Qui nés estoit de la Surie;
Nule Leste qui fust en vie
N'estoit plus bêle à esgarder.
Il se perd encore dans les descriptions des différentes ar-
mes que portaient les partisans du Christ : et cependant il
avait dit :
De descrire ne sui pas dignes
Les armes c'orent ceste gent:
Tuit estoient d'or et d'argent.
On pourra trouver peu convenable que la sainte Vierge
soit spectatrice de l'espèce de combat qui se prépare ; ce-
(i) Voyez l'article sur Raoul de Houdan. Les mets qu'on lui servit en
enl'er furent du moine-noir , etc. Comment se trouvent-ils être les mêmet
en paradis ? Il est vrai que nous sommes ici à la table de J'Antechrist.
I iiiîs
Xlll SIECLE.
80 i HUON DE MÉRI.
pendant notre poète l'introduit sur la scène. Elle y paraît
avec une robe aussi éclatante que le soleil, les pieds posés
sur la lune.
Et sa main tient en liii de septre
La verge Aaron bien flourie;
Moult avoit liele ci)nipai<^nie
Devirges, d'angles enpenés, etc.
Après quelques centaines de vers dans lesquels le poète
décrit minutieusement les Vertus qui etitourent Jésus-Christ,
et les armes qu'elles portent, le combat commence enfin.
Chaque Vertu combat a outrance le Vice qui lui est contraire:
la Prouesse la Coardise, la l'einpcrance la Gourmandise,
Largesse Vilenie, Courtoisie Mensonge, Fir^inite' Fornica-
tion, etc., etc. On devine d'avance quelle fut l'issue du com-
bat : les Vertus triomphèrent.
On ne devrait pas s attendre à trouver dans un poème de
ce genre, des peintures prescjue aiiacréontiques; et cepen-
dant en voici une. L'auteur décrit Vénus et l'Amour qui font
succomber la virginité.
Elle ( la Virginité ) fut prise et retenue
Par Cupido sans reteniif ;
Li a lanclié maint dart félon
Maintes fois fu près du talon
A ma dame Virginité,
Venus li a main cop douné;
La mère Fornicalion
Qui tint l'arc de temptacion
C'Amours encorda d une corde
Qui corde ert par grant descordé
Od des treces as damoiseles;
Venus qui virges et puceles
Asauttendi sans atendue
D'arc amoureux a destendue
Une saete barbelée
Qui estoit d'amours empenée;
Si vola liaut en l'air orrement:
Virginités qui vait fuiant
Eust par un le cors navrée;
Mais la dame s'est destornée,
Espoentée et esbahie,
Et se mist en une abéie
Pour son pucelage garder.
Mais voici un aveu bien singulier que fait notre poète
moine. La flèche que Vénus lançait à la virginité, s'est dé-
tournée et est venue le frapper au cœur.
HUON DE MÉRI. 8o5
T^. ♦ j •» - 1 1 ' XIH SIÈCLE,
lout droit vers moi a la volée
Et parmi les ex ' m'est volée , yeut.
Dedans le cuer dus c'al * penons. > Jusqu'aax
T 1 I ri /> plames ( de la
Le combat dure encore fort long-temps. Mais enfin Dieu flèche).
fait voir sa toute-puissance.
Lors veissiez Vertus accoure
Pour prendre Antéchrist tout entour,
Et il plus fiers que une tour
Ere si es archons affichiés
Com s'il y fust nés et fichiés.
Mais trop a soufTert longuement;
Ja fust li rois du firmament
Venus à saint Michiel aidier;
Mais ja avoit fait fianchier
Michiel à Antecrist prison.
Nous avons déjà vu, au commencement de cet article, que
Huon de Méri semblait se défier de son talent; nous trou-
vons une preuve bien plus frappante de sa modestie dans
une courte tirade de son poëme, que nous citerons d'autant
plus volontiers qu'il ne craint point de placer bien au-dessus
de lui deux autres poètes, Chrétien de Troie et Raoul de
Houdan.
, 1 » Fragmant cité
Y m'aid Diex, Huon de Mery, aussi parDaVei^
Qui a grant peine a fait ce livre : dierà l'article de
Il n'ausa pas prendre à délivre Huon de Merj.
Li bel François à son talent; Biblioth. Fr.t.
Car cil qui trouvèrent avant 'V, p. 274, a4"-
Prindrent avant tout à l'eslite.
Pour ce c'est œuvre meins eslite
£t fu plus fort à achever.
Moult mis grant peine à eschiter" .E3qai»er,<ti-
Les dis Raoul et Christian. •*''■
Onque bouche de Christian
Ne dit si bien corne ils disoient;
Mes quant qu'ils dirent prenoient
Li bel François trestot à plein ,
Si com il leur venoit à main;
Si qu'après eux n'ont rien guerpi'. 1 N'ont rien
Si j'ai trouvé aucun espi laissé après eai.
Après la main as metiviers
Je l'ai glané moult volontiers.
Ce poëme de tournoiement de l'Antéchrist, dans lequel
t'auchet ne trouvait pas de grands traits de poésie (ce sont
Ses expressions) , a cependant eu nombre de lecteurs , puis->
5 <,
XIH SIFCLE.
806 GUIOT DE PROVINS
qu'il y a peu de grandes bibliothèques qui ne le possèdent
en manuscrit. On le voit orne de miniatures, dans la Biblio-
thèque (lu roi de Sardaigne (n°G, i, i()); dans la Bibliothè-
<|ue du Vatican parmi les manuscrits de la reine de Suède
( n" 1 3() i ) , etc. La Bibliothèque royale à Paris a le manuscrit
qui appartenait à Fauchet {11° 'jGi5), où il est mêlé à une
toule (ie contes orduricrs; mais le manuscrit 218 en offre un
texte très exact et bien écrit. Nombre d'auteurs, Pasquier,
Ducange , Fauchet , de Paulmi , etc. , ont cite l'auteur et l'ou-
vrage; mais Le Grand-d'Aussi n'a pas jugé à propos de l'ad-
mettre dans son recueil.
Nous concevons que, dans ie siècle où nous vivons, on
doive éprouver un véritable dégoût, du mépris même pour
des poètes qui ont employé leurs veilles sur des sujets où
l'absurde le dispute au ridicule, qui nous représentent Dieu
comme un seigneur de fief qui n'a guère plus de puissance
et de bon sens que les autres seigneurs de leur temps. Mais
le spiritualisme, base de la religion chrétienne, n'était point
encore compris. Cette religion avait succédé à celle qu'y
avaient apportée les Romains, à celle où les dieux avaient
les mêmes goûts, les mêmes passions que les hommes, et
tombaient dans les mêmes erreurs. Quelques siècles ne suf-
fisent pas toujours pour arracher de la tête de tout un peu-
ple des opinions, des préjugés qui y sont fortement enra-
cinés. A. D.
GUIOT DE PROVINS
ET
Hl GUES DE BERSIL 00 de BERZE.
Il nous reste de ces deux poètes deux satires en vers, qui
portent lune et l'autre le titre de Bible. Ce titre assez sin-
gulier, peut-être nos poètes ne le choisirent-ils que par
l'impossibilité où ils se trouvaient de désigner leurs produc-
tions par le mot de satires, qui n'était point encore passé
du latin dans leur langue; bien qu'à cette époque rien ne
ET HUGUES DE BERSIL. 807
f, , , . . . XIII SIKCI.K.
lut moins rare que les poésies satiriques, comme nous au-
rons à le prouver par des exemples quand il faudra nous
occuper de Rutebeiif et d'un grand noml)re d'autres poètes
du même temps. Peut-être aussi Guiot de Provins, qui Kt
paraître le premier sa Bible, ce que nous démontrerons
bientôt, void;iit-il seulement indi(|uer par ce nom que son
livre ne contenait que des vérités En effet, il déclare, dès
en commençant, que sa bible n'est en rien losengicr-e ( men-
songère ), m»\s> fine , vraie et droiturière. Hugues de Bersil,
3ui n'écrivit qu'après, témoin du succès qu'avait eu la Bible
e Guiot, crut devoir sans doute donner le même titre à
son ouvraçe, qui lui paraissait à peu près du même genre.
Quoi qu'il en soit, ce titre, devenu commun à deux pro-
ductions différentes, a donné lieu à beaucoup d'erreurs.
Bien des savants et, entre autres, Etienne Pasquier et l'abbé
Massieu, n'ont fait des deux auteurs qu'un seul, auquel ils
ont attribué la composition des deux poèmes. Il ne leur i, \\."Jè Ijh
fallait pour cela que transformer le nom de Hugues en de r^Mis. le;"?.
celui de Cuyot, métamorphose qu'ils trouvaient toute natu- ^ '"'
relie, et que nous ne saurions approuver; car les deux mots
n'ont pas la même étymologie. Le comte de Caylus, dans
un mémoire dont on trouve un extrait dans le recueil de
l'Académie des inscriptions et belles-lettres, n'a pas eu de
peine à réfuter une telle opinion. Aux arguments qu'il em-
' 1 • . • I • • . 11 Mémoires de
ploie pour soutenir la sienne, nous en ajouterons d autres lAcad. roj. des
que nous a suggérés une lecture attentive des deux Bibles, iiscripi. 1. xxf.
Mais nos lecteurs peuvent dès à présent regarder comme cer-
tain que nous les devons, l'une et l'autre, à deux auteurs
différents.
Les poètes provençaux ont eu des biographes; l'histoire
s'est souvent occupée d'eux : c'est que la plupart furent
nobles, riches, puissants, et qu'ils remplirent plus d'une
fois des rôles importants dans les affaires politiques. Il
n'en est pas de même des poètes français, qui furent cepen-
dant très-nombreux, plus féconds, et dont les productions
variées, intéressantes, substantielles enfin, auraient dû procu-
rer à leurs auteurs plus d'estime et de considération. Leurs
actions, l'époque même où ils ont vécu, sont ignorées, omnes
ignoti urgentur longâ nocte. A force de patience, de soins, Faudiei u.
le président F'auchet parvint à recueillir les noms et à indi- la langue et poé-
quer quelques ouvrages d'un assez grand nombre de ces ^''^ française,!.
poètes; mais, si l'on en excepte quelques-uns, qui, par ha-
Xni SIÈCLE.
808 GUIOT DE PROVINS
sard , se sont trouves pinces dans des circonstances mémo-
rables, ou ont exercé des fonctions éminentes, il n'a pu rien
découvrir de leur vie. Ce n'est donc (jue dans leurs ouvrages
que l'on rencontre quelquefois des notions sur leurs personnes
ou leurs professions.
Aussi ne chercherons-nous point ailleurs que dans les
Bibles de Guiot et de Hugues, ce qu'ont été ces deux poètes.
Occuj)ons-nous donc d'abord de celle qui nous parait la plus
ancienne en date.
I. DE LA BIBLE DE GOIOT DE PROVINS.
Le poëme qui porte ce titre ne contient pas moins de 2691
vers. On le possède manuscrit dans plusieurs l)ibliothèques,
Ms.de Notre- et dsux fois au moiiis dans la Bibliothèque du roi. Il a paru
Dam«,a6,et n. jj^prinié cu entier dans la nouvelle édition des. fabliaux et
1707 du Catal. • i i ■ ' r> 1
dé lavallière, contes publies par Jîarbazan.
C'est une longue et véhémente satire dans laquelle le poète
Contes et fa- attaque vivement, non pas tous les états et toutes les condi-
biiaux, édit. de lions de la société, comme le dit l'abbé !\lassieu, et comme
Meon, t. Il, p. i'(,„t répété tant d'autres après lui, mais quelques princes, le
"'' pape et le haut clergé, beaucoup d'ordres religieux, et, enfin,
les devins et les médecins,
11 n'a placé son nom dans aucun de ses vers; mais
on le lit à la tête de tous les manuscrits de son poëme. Le
Grand d'Aussy prétend que Guyot de Provins fut d'abord
Notices des ménétrier; mais d ne le prouve par aucune autorité. Il est
vrai qu'on peut conjecturer qu'il exerçait en effet ce métier,
d'après ce qu'il dît dans sa Bible, des présents magnifiques
qu'il reçut de tous les princes qui assistaient, à Alayence,
à la cérémonie du couronnement, comme roi des Romains,
de Henri , fils aîné de Frédéric Barberousse. Ceci nous ser-
vira du moins à fixer une date. Le couronnement se fît en
1181. Notre poète florissait donc dans les dernières vingt
armées du XII'' siècle. D'autres passages de son poëme, que
nous ferons remarquer, semblent prouver qu'il ne l'écrivit
que dans les pi emièrcs années du XIIF.
Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il fut moine à Clairvau^
pendant quatre mois seulement; lui-même le dit :
Quatre mois fiii-je à Clerraux,
Ce ne fu mie trop granz iiiax ;
Je nien parti molt iranchement ,
manuscrits de la
Bibl. du roi, t.
V, p. 279.
ET HUGUES DE BERSIL. 809
XIII SœCLE.
Travail i oi et paine grant ,
I lessai trop et grande envie
E grant dùrté et félonie, BibledeGoiot,
Ypocrisie et murmuire. t. i3oa-iao8.
Il est à présumer qu'en quittant Clairvaux, il se rendit à
Cluny, où il prit, sérieusement cette fois, l'habit de moine;
car il dit lui-même qu'à l'époque où il écrit, il y a douze ans
passés qu'il est dans les noirs draps.
Sor moi chierra trestot li gas,
Por ce que je port les nûirs dras;
II a plus de doze ans passez
Qu'en noirs dras fui envelopez.
On a cru , sur un passage de son poëme , qu'avant de se faire
moine , il avait été de quelque croisade; que même il s'était
trouvé à Jérusalem. Il semble dire, il est vrai, qu'il a vu dans
cette ville des chevaliers de grand prix et de grand sens (i).
Mais n'emploie-t-il point là une espèce de forme oratoire,
pour amener la satire qu'il veut faire de tous ces guerriers
d'outre-mer? Nous aurions peine à reconnaître un crowedans
un poète qui, peu avant de parler de croisades, se vante de
sa poltronnerie, qui assure que, s'il était de l'ordre des Tem-
pliers, il se garderait bien de combattre avec eux.
S'en lor ordre rendus estoie , « « .
lant sai-je bien que je tuiroie;
Je n'i attendroie les coux,
De ce ne suis-je mie foux.
Trop se combatent fièrement,
Jà por pris , ne por harderaent
Ne serai , se Dex plest, oeis :
Miex vucil estre courz et vis,
Que mors li plus prisiez du mont.
Et plus loin :
Et lor vie et lor contenance
Aim-je molt et lor accroissance.
Et lor hardement lor octroi ;
Mes il se combatront sanz moi.
( I ) Voici ce passage :
Molt revi les Hospitaliers
Oullr* mer orgoeilloui et fen;
Molt les vi ea ihernsalem
Et dt graat pris et de grant i«a.
V. 179s at suiT.
Tome XV m . Kkkkk
5 k «
auiT.
Xtll SIECLE.
Ibid. T. 1-17.
V. i8-i;>.
■Tels.
Ibid. V
suiv.
73 et
810 GUIOr DE PROVINS
Voilà tout ce que dans le poëme de Guyot de Provins nous
avons pu recueillir de relatiià sa personne et à sa vie. Exami-
nons maintenant son ouvrage.
Son début est vif, animé : le poète y expose clairement son
projet.
Dou siècle puant et orrible
M'estiiet comniencier une Bible
Por poindre et pour aguilloner
Et por grant essaniple doner
Ce que je vueil contet" et dire
Est sanz félonie et sans ire,
Voldrai le siècle molt reprendre
Et assaillir et reson rendre.
Et diz et essamples mostrer
Où tuit cil se porront mirer
Qui entendue et créance ont.
il commence ensuite la revue qu'il se propose de faire de
tous les ordres qui sont et qui pourront se mirer àdins ses hiaux
diz (ce sont ses expressions) , par les philosophes anciens, ce
qui n'était pas trop dans son sujet; et, par une singulière
méprise, il place dans sa liste de philosophes, des poètes et
d'autres personnages qui seraient fort surpris de se trouver
dans cette catégorie.
Tiex' en fu lor généraux nons :
Therades en f u et Platons ,
. Et Seneques et Aristotes,
Virgile sen refu et Othes,
Cleo li viels et Socratès
Et Lucans et Diogenès ,
Precieus et Aristipus
En furent et Cleobulus ;
S'en furent Ovides et Estaces
Et Tulles li Granz et Oraces,
Et Cligers et Pitagoras , etc.
Ibid. V.
suiv.
95 et
Li philosophe tel estoient
Que a nul rien n'entendoient
Fors qu'à bien dire et à reprendre
Les malvès vices : qui entendre
Voldroit et lor moz et lor diz ,
Il ne seroil jà desconfiz,
S'il les avoit en remembrance;
Mes tôt est torneiz à enfance,
Les siècles est anoiantiz.
Des philosophes, dont il fait, comme on voit, une espèce
ET HUGUES DE BERSIL.
8ii
d'éloge, il passe aux princes, aux grands-, et ceux-ci, il les
attaque violemment. Mais que leur reproche-t-il en réalité?
Qu'ils ne sont pas généreux , qu'ils ne donnent point de bril-
lantes fêtes. Et, pour cela, il est tenté de croire qu'ils ne sont
pas les vrais descendants de leurs aïeux. Il ne voudrait pour-
tant pas dire quf lies furent déloyales les forges où ils furent
forgés; mais, dit-il,
Je ne me fierai jamais
En nule forgo n'en nule hueTre
Puisque malvès ovrier i huevre.
Je ne voldroie estre blâmez
Des dames, sauves lor ennors
Tout di, mes des engéreors
Me pleing, ce ne pui-je lessier,
Que trop furent nialvés ovrier.
Il regrette amèrement les magnifiques palais où les seigneurs
tenaient leurs cours. Tout lui paraît mesquin et ridicule dans
les fêtes que l'on donne de son temps.
Bien sont perdu li biau repaire
Li grant paies , dont je sospir,
Qui furent fait por Cors tenir.
Les Cors tinrent li ancessor,
Et as festes firent honor
De biau despendre et de doner.
Et des chevaliers anorer.
Mes li roi , li duc et li conte
As hautes festes font grant bonté :
Il n'aiment pas paies ne sales,
Mes en maisons ordes et sales
Se reponent, et en boschages;
Les cors' sont povres et ombrages*.
Xin SIECLK.
Ibid.v. i3ii.
Ibid. V. iSi.
Ibid. V. 149.
' Les court.
'Obscures (m n>
C'est alors qu'il met en opposition et exalte avec emphase **'"'•)
la magnificence des fêtes dont il fut témoin au couronnement
du fils de l'empereur Frédéric, dont nous avons parlé plus
haut. Il fait une longue énumération de tous les rois, princes,
ducs et comtes qu'il vit rassemblés à ces fêtes ; et cette énu-
mération pourrait n'être pas à dédaigner par les historiens.
Il joint les épithètes les plus flatteuses aux noms de ces
cent grands personnages et plus, qu'il met en scène; per-
sonnages que, depuis, la postérité n*a pas toujours jugés
aussi favorablement. Mais ce qui ôte beaucoup de prix aux
Kkkkka
XIII SlF.CLi:.
Ibid. V. 4()s.
V. 5ii.
812 GUIOT DE PROVINS
éloges qu'il en fait, c'est qu'ils furent tous, d'après son aveu,
ses bienfaiteurs.
Jà ne vos ai baron nommé
Qui ne m'oit véu oii doné;
Que ce furent li plus eslit {/es plus éminents) :
Por ce sont en mon livre escrit.
Aussi ce qui le chagrine le plus, et allume sa bile, c'est
que li riche
Sont ore ou siècle li plus chiche.
On voit que Guyot avait conservé dans son cloître toute
l'avidité et la bassesse des sentiments de sa profession de
ménétrier, si toutefois on doit admettre que telle fut sa
première profession.
Le morceau le plus piquant, sans doute, de la Bible de
Guyot, est celui dans lequel il fait la censure de Rome et de
tout le haut clergé. Il n'épargne pas même le pape; et,
peut-être, que de nos jours on n'oserait écrire aussi libre-
ment en cette matière que l'a fait un moine obscur du XIIT
siècle.
Il voudrait que le pape fût comme l'étoile polaire, autour
de laquelle tournent toutes les autres; mais il n'en est pas
ainsi, dit-il :
Molt est l'estoile et bêle et clere ;
Tiex devroit estre nostre père.
Clers devroit-il estre et estables ,
Que jà pooir n'eust dëables
En lui, n'en ses commanilemenz.
Quant li pere ocist ses enfanz.
Grand pechié fet. Ha! Rome! Rome,
Tlml. V. 656 Encor ociras-tu maint home,
^* *""'• Vos nos ociez chascun jour;
Grestientez a pris son tour.
C'est dans ce morceau sur le pape que se trouvent les vers
si souvent cités, qui prouvent que dès le XII* siècle, on fai-
sait usage de la boussole. Si ces vers ne venaient nous détrom-
per invinciblement , nous continuerions, nous modernes, de
regarder comme bien plus récente une découverte à laquelle
on doit le perfectionnement de la navigation et la connaissance
du Nouveau-Monde. Ces vers qui sont d'une grande impor-
tance pour l'histoire des inventions, nous n'hésiterions pas à
XHISIKCl-E.
ET HUGUES DE BERSIL. 8i3
les transcrire, si nous ne les avions déjà cités dans notre Dis-
cours préliminaire , tome XVI. Nous y renvoyons le lecteur.
Nous observerons seulement qu'il n'est plus permis d'at'
tribuer l'importation de la boussole en Europe au Vénitien
Marco-Paolo, qui ne voyageait qu'au XIIP siècle, ni son in-
vention au Napolitain Gioia, qui ne naquit qu'en i3oo.Sans
doute, cette machine, telle que la décrit le poète Guiot, était
de son temps bien grossière et imparfaite ; elle ne pouvait
même être employée que très-rarement; car il fallait que la
mer fût bien calme, le bâtiment bien tranquille pour qu'une
aiguille, soutenue sur l'eau d'un vase par un brin de paille,
ne fiît pas détournée de sa direction naturelle vers le pôle.
Ce n'était donc qu'une invention naissante. Mais le plus grand
pas était fait : il n'était plus dès lors très-difficile de trouver
un moyen de suspendre l'aiguille aimantée sur un pivot solide,
et de la renfermer dans une boîte : et c'est là tout au plus la
part que peuvent s'attribuer dans cette grande découverte,
les Italiens qui répètent sans cesse que la ho\xsso\e {bossola ,
boîte) porte un nom qui a été de leur langue, et qu'elle leur
doit conséquemment son origine.
Après le pape, Guiot de Provins fait comparaître devant
son tribunal, les cardinaux, les légats, les archevêques, les
évêques, et il les admoneste sévèrement.
Tout est perdu et confundu
Qant li cliardonal {les cardinaux) sont Tenu;
Qui viennent ça tuit alunié
Et de convoitise embrasé.
Ça viennent plein de symonie,
Et comble de malveise vie ;
Ca viennent sanz nule reson,
Sanz toi et sanz religion
Rome nos suce et nos englot, V. CCS.
Rome destruit et ocist tôt.
Rome est la doiz de la malice
Dont sordent tuit li malvès vice;
C'est un viviers pleins de vermine :
Contre l'Escripture divine
Et contre Deu sont tuit lor fet.
Il serait fastidieux peut-être pournos lecteurs de suivre le
poète dans ses continuelles déclamations contre tout le haut
clergé. Mais on ne sera peut-être pas fâché de savoir com-
ment il attaque les abbés, les moines et les nonnes.
Aux premiers, il reproche d'avoir délaissé trois pucelles
V.770 elsniT,
XIII SIECLE.
8t4 GUIOT DE PROVINS
nettes et belles, qu'ils avaient épousées à leur entrée dans
les ordres; et ces pucelles sont : la charité, la vérité, la
droiture.
En lieu de ces trois nos ont mises
Trois vielles ordes et assises;
Molt sont et laides et cruax
Ces trois vielles et desloiax.
Des trois vielles sai bien les nons :
La première a non 'Fraisons
Et la seconde Ypocrisie ,
V. 1144 cl Et la tierce a non Symonie.
tUIV.
SUIT.
V.
SIIJT.
Nous ne devons pas omettre qu'en parlant des religieux de
l'ordre de Grand-Mont, il leur reproche, entre autres vices,
une coquetterie assez singulière : c'est d'avoir un soin tout
particulier de leur barbe.
La nuit quand ils doivent couchier,
Se t'ont bien laver et pingnier
.''• '•'4-* *■' Les barbes et envoleper,
Et en trois parties bender,
Por estre bêles et luisanz.
Des moines des divers ordres qu'il passe en revue dans
plusieurs centaines de vers, ce sont les templiers qu'il traite
avec le plus de modération. Il ne les reprend guère que sur
leur orgueil et leur avarice.
Convoitous sont, ce dient tuit.
Et d orgueil r'ont-il molt grant bruit :
^- C'est tous li maux que g'en puis dire,
' Lor afaires de plus n'empire.
Quant aux nonnes, il ne sait trop s'il doit en parler jet voici
ses raisons :
Des converses et des noneins
Ne cuit-je pas estre certeins
Que j'en saiche dire vertex :
Li plus sage en sont esgaré
De famé jugier et reprendre;
Por ce dout-ge moût à emprendre
V. «096. De ,lj,.e l^Jr vie et lor estre
Famé est lou jor de faut talens,
Plus est legiere que n'est vens :
Molt mue souvent son coraige,
Tost a decéu le plus saige :
' Le vieux. Car Irtu vie ' fait-elle suer,
'Lejeuiir £t lou jone' sens froit tiambler,
ET HUGUES DE BERSIL. SiS
Et lou cowart fait-elle herdi :
Il est ensi coin je vos dis. V
iui\.
XIII srKCLï.
'/1 32
Au reste, quoiqu'il dise en commençant le chapitre des
lionnes :
Qui fist nonain, qui fist converse,
Molt fist ordre fiere et enverse, ^'- '^'54.
il paraît qu'il savait assez peu de choses sur cet ordre; car
il seborneà reprocher aux nonnes de ne pas maintenir la pro-
preté dans leurs couvents , et d'imiter en cela les pigeons.
Les coloni -
V. ai66.
Une costume sanz raison tes.
Ont les nonains et H colon':
Ne tienent pas lor maison nete.
Après les devins, dont il blâme l'hypocrisie et l'imposture,
le poète s'occupe des gens de loi, qu'il appelle des légitres ,
Qui devienent fax plaidëor \ 240 ">
El de bone huevre trichéor.
Les reproches qu'il leur adresse sont ceux qu'on leur
a faits de tout temps, sur leur cupidité, leur mauvaise
foi, etc.
Il termine sa Bible par une diatribe violente contre les fist-
ciens ( médecins ).
Maint oinguement font et maint baing
Où il n'a ne sanz ne raison.
Cil eschape d'orde prison
Qui de lor mains puet eschaper.
Qui bien set mentir et guiler,
Et faire noble contenance.
Tout ont trové, fors la créance
Que les genz ont lor fet à bien.
Tiez mil se font fisicien
Qui n'en sevent voir ne que gié ;
Li plus mestre sont molt changié
De grand envie, n'il n'est mestiers
Dont il soit tant de mençongiers.
A- ..
En voilà bien assez pour que l'on puisse juger du mérite
et des défauts de cette grande production poétique, remar-
quable sous plus d'un rapport : et parce qu'elle nous offre
quelques traits de la physionomie générale de la société au
XIII* siècle, et parce qu'elle prouve jusqu'où avaient été por-
tés dès lors les désordres du clergé. On ne verra pas non plus
XIII SIECLE.
8i6 GUIOT DE PROVINS
sans quelque surprise, avec quelle liberté les écrivains com-
battaient les abus de tout genre,et surtout les éternelles pré-
tentions de la cour de Rome.
Le style de Guiot de Provins est vif, original, mais âpre et
dur : on s'aperçoit, en lisant sot» poème, que c'est la pro-
duction d'un moine irrité contre le monde au milieu duquel
il ne peut plus vivre. Quel contraste il présente avec le style
et le ton de l'auteur dont nous allons nous occuper!
II. DE LA BIBLE AU SEIGNOR DE BERZE.
Le seigneur de Berze , ou de Bersil, porte de plus dans les
manuscrits le titre de cAr7.r/e/rtm; ce qui seul aurait dii le faire
distinguer du moine Guiot de Provins : son style le distingue
encore plus. C'estsansdouteunesatirequ'ila voulu composer;
mais elle n'a rien d'âpre, d'austère; elle n'offre aucune trace
de mauvais goût ; elle n'a rien de monacal enfin. En la lisant,
on croit s'apercevoir que l'auteur est un homme du monde.
Bible (le Hii- ^^ liommc qui vivait clans la haute société de son siècle, qui
gu«s de Berz», n'a peut-être pas l'habitude d'écrire, mais qui ne manque
"• '*^' point de talent. Lui-même avoue qu'il se met en essai àe bien
dire et de bien trouver.
Il déclare aussi qu'avant de chercher à réprimander les
autres dans sa Bible, il aurait bien mérité qu'on le répri-
mandât; qu'il avait fait en sa vie
Mainte oiseuse , mainte folie.
Sa conduite, ses déportements , quels qu'ils aient été, on les
ignore , à moins, toutefois , qu'on ne veuille en voir au moins
Mi» deiaB.bi. quelques traces dans plusieurs chansons qui nous restent de
Cd»-é inVt * ^^'' ^^ que possède la Bibliothèque du Roi. Mais ces chansons
ne contiennent, comme la plupart des pièces de ce genre,
que des plaintes amoureuses. Voici comme Fauchet analyse,
avec sa naïveté ordinaire, deux chansons qu'il connaissait de
lui: « Il ( Hugues de Berze) y dict que , quand il sera mort,
sa dame connoistra quelle perte elle aura faite; et combien
qu'il n'accomplist jamais son vouloir d'elle, il est délibéré
mourir sur l'escu, plustost que se confesser vaincu : encore
qu'elle lui aye deux ou trois fois mentis, et qu'il se doute qu'elle
aye autre ami, si a-t-il tant chassé qu'il doive bien achever.
Toutefois, sa destinée est qu'il n'aura jamais bien d'aimer,
ET HUGUES DE BERSIL. 817
,., , • , . ,. I ^■" SIECLE.
uisqu H ne peut plus voir sa datne , ne trouver occasion d al-
P
lerensonpais. Encore fera-t-il une chanson perdue, puisqu'à Faudiet, Des
perdre sont tournés tous ses chants. Mais possible que celle- "■"■•«•ns poèip»
ci aura telle vertu qu'elle lui fera droiture des autres. » f^'ançais, 1. 11
Voilà, sans doute, un galant trouvère. Et notre surprise
est grande, en songeant qu'on a pu le confondre avec le har-
gneux et peu délicat auteur de la satire Guiot.
Mais il est temps de passer à l'examen de sa Bible, qui,
d'ailleurs, nous apprendra quelques autres particularités sur
sa personne.
Elle ne contient que 838 vers, se trouve dans le manu-
scrit de la Bibliothèque du roi , n° yaiS, et a été impri- Mss.delaBibi.
mée à la suite de l'autre Bible, dans la nouvelle édition des i",'^'',V!î: '*'^'
/. 1 |. ' ilela Valliere. —
laDliaUX. Barbazan.Nouv.
Tout l'ouvrage est un vrai sermon. L'auteur , qui avait am- ^'^'' P^"" Méoo,
plement usé, peut-être abusé, de son heureuse jjosition dans '' ^'' ''" '*^'
le monde, se repent très-sincèrement, à ce qu'il semble, et
invite les autres à l'imiter, à faire pénitence. Il débute par
de graves réflexions sur la brièveté delà vie, sur l'incertitude
du moment oii il faudra en sortir. Il raconte aussitôt après
comment le péché est vertu sur la terre par une suite de la
désobéissance de nos premiers parents aux ordres de Dieu.
Leur faute fit le malheur de toute leur postérité. C'est ce que
le poète raconte en nombre de vers d'une extrême naïveté, Voyez le pis-
que nous avons cités ailleurs. Dieu, voyant le siècle perdu , des"iettre5"au
comme dit le poète, songea à réparer le mal. On sait quel xm* siècle, 1.
fut le moyen auquel, dans son extrême bonté, il lui plut de ^^^ deiHistoi-
• •* ' re lilcéraire , p.
recourir: a, 5 ' ^
Li convint grand paine endurer
Ainz que il nous venist requerre:
Qar il en vint du ciel en terre
En ma dame sainte Marie,
Où il prist char et sanc et vie
Por recoivre la mort après.
Et quand Dieu eut ainsi retiré les hommes de l'abîme,
voici les commandements qu'il leur donna; commandements
qu'il faut répéter ici , car c'est de leur inobservance que l'au-
teur prend Xg\Iq pour gourraander ses contemporains :
Quant Dieu nous ot d'enfer rescous,
S'ordena trois ordres de nous.
La première fu , sanz mentir,
Tome XV m. Lllll
V. 160.
XIII SIKCLF..
•■^V-
818 GUIOT DE PROVINS
De prnvoire, por Diez servir,
Es clinpelles et fs tiioiistiers :
Et r.iutre fu dos chevaliers
Por justifier les rolieors :
L'autre lu des labeorors.
Dieu commanda aussi la cliasteté
Aux gens lais e' aux chevaliers,
(t leur ordonna de n'avoir que des enfants leiritimes.
iMais tous ces coinni.indements étaient transgresses, sui-
vant notre poète , dans le siècle où il vivait. Par exemple, les
chevaliers qui devaient
Deffendre de cels qui roboient
Les nuTiiies gens et les garder,
• AviH«!i. Sont or plusengrant' de ruber
Que li autre, et plus angoisseus.
Et quant aux laboureurs, il nous apprend
Que li uns conquiert volentiers
' Kn II ■^ (li-i'i- Sor son con)pagnon deux quartiers
'•ml De terre, s'il piiet en cnibiant',
'""''"'■• Et boute ades la bone' avant.
Pour remédier à tous ces maux, les ordres monastiques
furent établis. Et ce fut là où vinrent se réfugier li bon clerc
et li saint homme. Tout serait allé au mieux
Se les ordres fussent tenues;
Mes eles sont si corrompues.
Que petit en tient nului ores
Ce qui lor fu commande lores.
De là, il part pour entreprendre, à l'imitation de son de-
vancier Guiot, une excursion rapide en différentes commu-
nautés de moines; mais il ne fait que glisser, pourainsidire,
sur les reproches qu'il aurait à leur adresser : il veut moins
les outrager que leur donner des conseils.
Et même, comme Guiot encore, il fait presque l'éloge
des ordres militaires du Temple tX.\' Ospital, dont les chevaliers
livrent lor cors ii martire ,
Por deffendre le doux pais
Ou Dame Diez fu murs et vis.
Tout ce qu'il trouve à reprendre en ces ordres, c'est qu'ils
jouissent d'un droit de franchise , qui multiplie les meur-
'•9
M.
XIII SIECLE
ET HUGUES DE BERSIL. 819
trierset les voleurs, toujours sûrs de trouver un asile inviola-
ble dans leurs maisons. ISlais pourquoi trouve-t-il tant à re-
dire il ce droit de franchise? c est uniquement parce que les
chevaliers, lorsquils guerroient dans la Terre Sainte, ne
peuvent battre a leur i'ise leurs sergents et leurs écuyers,
sans qu'aussitôt ceux-ci, [)ar l'e>|)oir de 1 impunité, ne les
menacent de les tuer, ce qu'ils t'ont souvent.
Qar en la terre tl'oiitrenipr
^i'ose pas l)atre uns clicvaliers
Ses serjaiits ne ses esciiiers,
Que ne (lient qu il loccira,
Et qu'en i Ospital s enfuira ,
Ou au Temple, s il puet aiiirois :
Ainsi ne puet-il estre mais
Qci il n'en i ait au mains ocis
Ou trois ou quatre ou cinq ou sis. ^ • •^"
On voit que, dans tout ceci, perce un peu d'humeur de
seigneur, de chevalier croi.^é. Aussi notre Hugues paraît-il
avoir été l'un et l'autre, comme le prouvera bientôt une autre
citation.
Ouant aux religieuses de son temj)s,il les traite peut-être
avec plus de sévérité que sou devancier Guiot. Il en dirait,
déclare-t-il , moult de bien
S'eles tenissent cliasteée
Si cc.mnie ele esioit ordenée;
Aies eles oi;t mesons pliisors
Ou 1 en parole et fet <l aiiiors
Plus c'on ne fet de Dieu servir.
\\ continue ainsi sa réprimande contre divers abus qu'il
croit apercevoir dans les ordres religieux. Mais à j)eine at-
il cité quelques désordres dans ces communautés, qu'aussitôt
il s'en excuse et dit que dans toutes il n'en est pas de même,
qu'il V en a de sages et de bien ordonnées. Certes ce n'est
pas là le ton de Guiot de Provins.
Au reste , il déclare que bien qu'il ne soit ni clerc , ni lettré,
il n'en a pas moins le droit desei-n.oner le monde, parce que
ce monde il la bien connu, et pour nous servir de ses|jro-
pres expressions, qu'il a long-temps aimé \es joies du siècle,
avant de se convaincre qu'elles vcdoient Lien peu. Aussi pré-
tend-il qu'on doit bien plus le croire que les prêtres ou les
Jierniiles , (jui n'ont point son expérience.
Llllla
V. 2 fil
'yj
X'IIl SIKCLE.
820 GUIOT DE PROVINS
Et si m'en devroit l'en mies croire
C'un hermite ne c'un provoire;
Qar j'ai le siècle plus parfont
Cerchié et veu que il n'ont.
Et c'est alors, c'est lorsqu'il veut prouver combien il faut
mettre peu de prix à ce qu'on appelle le bonheur dans le
monde, à la puissance, par exemple, et aux richesses, qu'il
parle de son voyage à Constantiiiople, et des terribles événe-
ments dont il tut témoin. Nous citerons ce passage parce
qu'il semble justifier nos conjectures sur sa double qualité de
chevalier et de croise'.
Et qui verroit ce que je vi
Com pou (Jevroit richece amer,
Et coni pou s'i lievroit fier!
Qar je vis en Constantinoble
Qui tant est hcle et riche et noble,
Que dedenz un an et demi
Quatre empereres, puis les vi
Dedens un terme toz morir
De vil mort; qar je vi murtrir
L'un de napes et estrangler,
Et l'autre saillir en la mer,
Et li tiers fu deseritez,
Qui valut pis que mort assez,
Et mené en chetivoiion :
E cil, cni Diex face pardon
Et amaint à port de salu,
V. /(Oj. Fu mort en bataille et vaincu.
On ne peut guère douter, d'après ces vers, que notre
Hugues de Berze ne fît partie de l'armée des croisés français et
vénitiens qui prit Constaiilinople en i2o3 (le 18 juillet).
Quatre empereurs se succédèrent alors sur le trône de Con-
slantinople (de i2o3 à i2o4) : Isaac Lange, que les croisés
tirèrent de prison; Alexis IV, son fds; Ducas Murtzuphle,
qui le détrôna et ne régna que trois mois ; et enfin Baudouin,
comte de Flandre, que les Latins élurent à la place de Murt-
zuphle, et qui lui Ht crever les yeux. Ces quatre empereurs
périrent tous d'une mort cruelle et tragique en un an et demi,
à peu près , comme le dit le poète.
Ce fut probablement au retour de ses voyages à la Terre-
Sainte que Hugues devint repentant et dévot. Mais, de tous
les péchés qu'il avait commis, il en était un dont lesouvenir
même lui paraissait un autre péché.
ET HUGUES DE BERSIL. 821
D'un pechié c'on apele amor
Me prent sovent molt grant paor.
Qar il est péchiez de pensser.
Et de l'uevre et du remembrer,
Qar puis c'on a du tout partie
S'amor de sa très-l>ele amie,
Si s'en delite-on plus sovent
En remembrer son biau cors gent,
Quant l'en jà pensser n'i devroit.
Vers la fin de sa Bible , il se nomme; et cela seul aurait dû
empêcher de le confondre avec Guiot de Provins.
HnGDEs DE Bersil qui tant a
Cerchié le siècle cà et là ,
Qu il a véu qu il ne vaut rien ,
Préesche ore de fere bien;
Et si sai bien que li plusor
Tenront mes sermons à folor :
Qar il ont véu que j'avoie
Plus que nus d'aus solaz et joie,
Et que j'ai aussi grand mestier
Que nus d'aus de moi préeschier.
Mais il s'excuse par une espèce de proverbe :
Et tels ne set conseillier lui
Qui donc bon conseil autrui.
Il finit par adresser ses vers à un certain Jaqiu. j'il ap-
pelle hiaus frère , hiaus amis, et qui nous est parfaitement
inconnu. Il l'invite à persévérer dans les bonnes résolutions
qu'il prit quand il séloi-gna du siècle. Ce qui semble annon-
cer que ce Jacques était moine.
La Bible de Hugues de Bersil nous paraît être la produc-
tion d'un esprit mélancolique et tendre, qui déplorait, à la fin
de sa carrière, les erreurs de sa jeunesse. On y doit remar-
quer plus de goût et de délicatesse que dans la plupart des
productions du même temps. Nous conjecturons qu'elle parut
dans les dix premières années du XIII' siècle , peu de temps
après la Bible de Guiot de Provins (i). A. D.
(i) SI, comme nous le croyons, le trouvère Hugues de Bersil n'est
autre que le poète désigné par Crescimbeni sous les noms de Ugo de Bersia,
il faut ajouter aux ouvrages de Hugues, que nous avons indiqués dans cet
article, une pièce en vers provençaux ( ou à peu près provençaux), par
laquelle il invite le troubadour Foiquet de Romans à prendre la croix et
à l'accompagner à la Terre-Sainte. Voyez ce que nous disons à ce sujet,
dans un article précédent , p. 640 de ce volume, et par occaision , p. 645.
S S
XIU SIECLE.
V. 739.
.771.
V. 787.
Xlll SIECU,.
SIMON DE l'RESNE.
y_jE. poète, d'origine normande, naquit en Angleterre vers \a
fin du XII* siècle; il fut chanoine de Herefort dans le pays de
Galles. Il est bien connu comme poète latin; mais on ignorait
qu'il s'était aussi distingué comme poète français: ce n'est
que depuis quelques années que M. l'abbé de la Rue nous
a fait connaître un assez long poëme français, dont il est
incontestablement auteur.
. , .„ „ Leland, Baie, Leyser et l'évêque Tanner ont fait mention
vol. i,p. io6.— t'e ses poésies latmes, les uns en latinisant, les autres en
Script. Briian. I. anglicisaiit son nom. Ici on l'appelle Siino Fraxinus , et là
I, p.î'îj — Lpy- ^(inQn ^/ish. Ce n'est point dans cette liartie de notre ou-
ser, H.poet. me- , ' , ' , . , .
dii ivi, p. 760. vrage que nous devons nous arrêter sur ses poésies latines;
Tanner, Bibi. i| nous Suffira d'en citer les titres. On a de lui i^Une apo-
Bnian. biber. p. Jq^jç p^, yppg jg l'historicn Silvestre Giiaud , sous ce titre:
Pro Giraldo adversus Adamiim cisterciencis ordinis mona-
chuni et abhatem dorenseni ; 2° Super innocentia ejusdem ,
lib. I; 3° y4d ma^istrarn Giralduni, lib. I; 4° Carmina , etc.
On voit , par leurs titres seulement, que la plupart de ces
ouvrages n'avaient été composés qu'en faveur et pour la dé-
fense de Silvestre Giraud, il'abord professeur, tant dans
l'Université de Paris (ju'à Oxford, et qui ensuite fut élu,
en I i(j8, évêque de Saint-David, dans le comté de Papem-
Bio!;iaphie brock. Lc savaut évêquc ( i ), dout Simon de f'resne était l'ami
iiniv t. m, p. et le défenseur, mourut peu après 1220, ce qui fixe tiès-ap-
426-^28, article ,3, f, j; j ,T,ativcment l'époque où florissait notre Simon.
lîiKBY l(»irald 1 « ' 1 , 1 ■• f • 1'
Orcupons-r.ous a prcsent (\\\ seul poème traiiçais que Ion
puisse avec certitude attribuer à Simon de Ficsne. C'est
une imitation, en 1600 vers, du plus célèbre ouvrage de
Biiéce; et l'auteur se nomme dès en commençant. Les lettres
initiales des vingt premiers vers donnent cette [flirase : Si-
mun de Freisne mefisL « C'est, je crois, le plus ancien de
fi) Eiiti'e aiitfos ouvrages tic lui, que Ion trouve dans \AngUa sacra ,
on cite sa Descrijitiou <lu pays de Galles, impriuiée séparément à Loti-
(Iris, en i585, un vol. in-S". Nous avons fait mention de ce poète latin
dans lîotrc Discours sur l'état des lettres au xiu* siècle. — Voir notre toiue
XVI , p. iBî).
XIII SIECLE.
SIMON DE FRESNE. SaS
nos poètes, dit M. de la Rue, qui ait employé l'acrostiche
pour se faire connaître. »
Dans ce poëme, l'auteur retrace avec intérêt toutes les
vicissitudes de la fortune. Ses principes sont d'une pure
morale, d'une sage philosophie. Il fait preuve en quelques
endroits, de connaissances peu communes, et dans un pas-
sage entre autres, où il parle positivement et avec assez
d'étendue de la quatrième partie du monde. D'autres écri-
vains du même temps ont aussi fait mention de cette qua- .
trième partie du monde, comme nous le verrons plus tard,
dans l'analyse que nous ferons du célèbre roman des Sept
Sages de Rome ou le Dolopathos.
Mais ce qu'il y a de plus remarquable dans le poëme de
Simon, c'est son style d une grande clarté et qui n'est point
dépourvu d'images poétiques. Veut-il peindre l'inconstance
de la fortune, voici comme il s'exprime :
Plus bien de li ne sai dire
For que dolor fet et ire.
Matin donne et toit le seir.
Après joie t'et doleir ;
Ki de li prent un veel ,
Sur espine lèche le niel.
Home de guster est engrès ,
Mes que chier l'achate après !
Prenez garde de la lune,
' Issi vet il de fortune :
Kant la lune est runde et pleine,
Dune descret dedanx quinzeine,
Ore en avant, ore arere,
Ore oscure et ore clere.
De fortune est enseinent.
Primes donne et puis reprent,
Primes donne granz honurs,
Puis après sospirs et plours.
C'est par des images de même genre, ou à peu près, qu'il
cherche à prouver la vanité des choses d'ici-bas :
,_...,.,.. ' I Salisfailî ,
fuit icil qui heittes' sont joyeux.
Por hautene de cest mond,
Heittés sont de chose veine
Et qui corte joie ameine.
Ceo n'est pas durable chose . .'
Que la coleur de la rose : ^
Fresche et par matin la fleur
Et al seir per sa coleur :
8^4 THIBAUD DE MAILLI.
XIII SIÈCLE. „ • , , ,
, Maint hault nom par matin
Tent le seir sa tente enclin.
Haultese ressemble bien
Fumée plus que altre rien ;
Fume cous plus monte en haut
Plus descret et plus défaut,
Del home est tout ensement,
Plus est haut, plulost descent.
Ce ne doit pas être sans quelque etonnement que l'on
trouve ce style et ces ide'es dans les vers d'un poète qui
appartiendrait autant au xii« qu'au xin* siècle; mais puis-
que M. l'abbé de la Rue nous assure qu'il les a copiés sur le
manuscrit original de Londres, nous devons l'en croire; en
avouant plus que jamais combien il est difficile d'assigner
une date certaine à une production poétique du moyen âge,
si l'on n'en juge que par le style, que par les formes du langage
employées par l'auteur. A. D.
THIBAUD DE MAILLI.
I^E poète doit être placé inmédiatement après les trois
satiriques sur lesquels nous venons d'attirer l'attention du
lecteur (et peut-être, en suivant l'ordre chronologique, au-
rions-nous dii le placer le second). Comme eux il a fait ua
ouvrage où il attaque, non les personnages de son temps,
mais les mœurs générales. Peu de biographes ont cherché
à le tirer de l'oubli; et il serait probablement inconnu, si
dans un volume manuscrit que possédait Fauchet, il ne se
fût trouvé un assez long poëme satirique qui suivait la Bible-
Guiot , sous ce titre : ÏEstoire de monseignor Thiébault de
Fauchet, Des MudU.
anciens poêles Ainsï notrc Doète était gentilhomme -et même, à ce qu'il
français, I. II, D. semble, possédait un fief, la terre de Mailli. D'après quel-
ques vers de lui que cite Fauchet, et dans lesquels sont
nommés quelques personnages de la fin du douzième siècle,
on peut supposer qu'il existait à cette époque; ce que son
style, an reste, indique assez.
C'est sans doute parce que ces vers ont une couleur som-
bre, que toutes les idées en sont tristes, effrayantes, qu'on
Hélinand.
THIBAUD DE MAILLI. 825
, . .. , , , ,, - XIII SIÈCLE.
lui attribue dans quelques ouvrages les Mances sur la mort.
On ne (Joute guère aujourd'hui qu'elles ne soient d'Hélinand, v. ci-dessus, p.
auteur d'un tout autre mérite. 87-103, lanicie
Le poëme de Thibaud de Mailli commence par des ré-
flexions morales sur la création du monde, la chute d'Adam,
l'avénemerit du Christ. Il y damne de sa pleine autorité les
Arabes, les Persans, les Turcs, et tous ceux qui ne veulent
pas croire à cet étonnant mystère d'un Dieu qui s'est fait
homme.
Et si ne volent pas croire le sueii avènement,
Moult en auront grant duel au jor del jugement,
Qui iront en enfer, ge'l sai certainement.
C'est des mœurs du siècle qu'il prétend ensuite s'occuper;
du siècle auquel on se repentira bien un jour de s'être trop
attaché.
Du siècle vos vois dire ce que j'ai empensé
Molt est cliascuns dolenz qui tant l'aura amé,
Cil qui melt se délitent cil sont maiëuré.
Quelques professions, parmi lesquelles on remarqua celle
des avocats, deviennent l'objet de ses censures. Mais il se
borne toujours à menacer des peines de l'enfer quiconque
ne veut pas s'amender. En général, ce poëme est plutôt un
sermon qu'une satire. Voici ce qu'il dit des ducs et des
comtes :
Cil qui plus donne à cort si a meillor valor,,
Et qui miex sçait trahir on le tient à meillor.
Pour effrayer sans doute ceux qui mentent et se parjurent,
il rapporte une anecdote populaire et très - probablement
fabuleuse. Un jour il prit fantaisie au fils d'un certain Raoul
de Crespi de faire déterrer le corps de son père. Simon
(ainsi sappelait le fils de Raoul) ne vit pas sans horreur
qu'un serpent (c'est un crapaud dans un autre manuscrit)
mangeait la langue de son père , la langue dont jura et men-
tit. Ce spectacle convertit Simon, qui abandonna tous ses
biens et alla vivre dans un désert. Voici comme est racontée
cette aventure fausse ou vraie :
Ce que je vons vueil dire et ce qu'avez oi
Sachiez que ce n'est pas d'Aulchier et de Landri (i);
[i) Ce sont deux noms de héros de romans qui nous sont inconnus.
Les aventures que contenaient les poèmes où ils figuraient étaient sans
doute tellement incroyahles, que, par les titras seuls de ces poèmes, on
exprimait alors tout ce que l'on peut concevoir <le plus fabuleux, peiu-
ètre même de plus absurde.
Tome XVIII. M m m m m
5 5 ♦
nu SIECLE.
' Déterra.
'Un serpent.
Détraisil.
816 THIBAUD DE MAILLI.
Ains vos viieil amentoivre de Simon de Crespi
Qui le comte Raoul son père defoui '
Et trouva en sa bouche un froit' plus que demi
Qui li mengoit la langue dont jura et menti.
Li cuens vît la merveille, moult en fu esbaï.
« Es-ce donc mes pères qui tant cliastiax broi'?
Jà n'avoit-il en France nuz prince si hardi
Qui osast vers li fère une guerrre ne eslri. »
Quant qu'il avait au siècle laissa et en haï :
Bien le lessa véoir que sa terre en guerpi ;
Dedans une forest en essil s'enfoui ;
Là devint charbonniers , itel ordre choisi.
S'il faut en croire Fauchet, ce Simon de Crespi dont il est
fait mention dans ces vers, était bâtard de Raoul , comte de
Vermiindois, fils de Hugpes-le-Grand , frère de Philippe I**",
roi de France. Et ce Simon vivait en ii3o. Thibaud de
Mailli a-t-il raconté un événement arrivé de son temps? Il
faudrait alors reporter la composition de son poëme à une
date plus ancienne que celle que nous lui avons assignée.
Quoi qu'il en soit, voici les vers qui terminent le poëme.
On y voit que l'auteur n'est préoccupé que d'une seule idée,
la crainte de la mort et de l'enfer.
Qui Dei aura maudit n'i a que corrocier ;
Deables le corront es cheaines lier,
En l'engoisseux enfer le feront trebuchier.
C'est dans le manuscrit de la Bibliothèque royale, coté
ySyi , que nous avons trouvé le poëme entier de Thibaud
de Mailli, dont Fauchet n'avait cité que des fragments.
A. D.
ADAM DE SUEL,
ADAM DE GUIENCI,
ET QUELQUES AUTRES TRADUCTEURS DES DISTIQUES
DE CATON.
il DUS devons croire qu'aux xii* et xiii^ siècles, les Distiques
de Dionysius Cato, faussement attribués à Catou le censeur,
ADAM DE SUEL, etc. 827
. . . ^ J »• J » T^ I Xin SIÈCLE.
étaient fen grande estime dans notre France : nous les trou-
vous sans cesse traduits, paraphrasés, commentés par divers
auteurs; et on était si loin de penser qu'ils fussent l'ouvrage
d'un écrivain postérieur d'environ cinq siècles à Caton l'An-
cien, que parmi les poètes qui les ont mis en vers, il en est
peu qui n'aient placé en tête de la traduction un prologue
contenant un éloge pompeux du grand personnage que l'on
en croyait l'auteur, ainsi que de quelques autres moralistes
de l'ancienne Rome. „i„ ,j„^^ ,
Déjà dans le tome XIII de notre Histoire littéraire, nous xiii.p. 67.
avons parlé d'un certain moine Evrard qui donna, dès l'an
1145, une traduction en vers de ces fameux Distiques,
remarquable en ce que les rimes de ses vers, qu'il a par-
tagés en strophes , sont croisées. C'est peut-être le premier
poète qui se soit astreint à la gêne du croisement des
rimes (i).
Un autre traducteur des Distiques aurait dû trouver place
aussi dans l'histoire des poètes français du xii* siècle, car
si l'on en juge par son style, il est au moins de cette époque,
et même du commencement du siècle. C'est Adam de Suel
qu'il s'appelait, et il n'est connu que par un passage de
Barbazan que nous allons répéter ici : « Adam de Sue!, qui Recueil de r
nous a donné, au commencement du xii* siècle, une traduc- biiaux, éAw. de
lion des distiques de Caton , traduit ainsi le trentième Dis- Méon, t. i, p.
tique du livre IV :
i5.
Demissos animo et tacitos vitare mémento :
Quodjlumen tacitum est forsan latet altiiu unda.
•Ceux.
De tous chaus' qui sont coi' et moistes^ 'Tranquilles.
Te gaites' c'on * ne peut conoitre. 'Tièdes.
Chi mos ' ne fut mie dit en bades : ' Donne - toi
Pire est coie iaue que la rade '. » g"™^-
Parce qu'on
« 1 • ««A I • I "* peut les con-
Ce langage paraît bien, en effet, être celui du commen- naître,
cément du xii^ siècle. Mais ne serait-il point possible que ce "^^ """ (**
fût aussi là l'idiome ou plutôt le patois de quelqu'une de p^^Ju^i ™n°*
nos provinces, et qu'Adam de Suel ait écrit dans cet idiome.»* 'Pireest tran-
Nous remarquerons que l'on ignore absolument le pays où q"'"e «u que u
■i ^ ' ^ "' rapide. — rade,
d est ne. (rapida)..IIn-est
pire eau que
(i) M. l'abbé de la Rue a consacré aussi un article assez étendu à cet ^ " ''"' ^' *
Evrard. — V. ses Trouvères anglo-normands , tome ii , p. 124-128- .«j 1^1
Mmmmma ^*'
XIII SIECLE.
828 ADAM DE SUEL, etc.
Mais a-t-il même existé? il est permis d'avoir à cet ('gard
quelque doute.
Nous avons vainement cherché dans la Bibliothèque
royale, parmi les très- nombreux manuscrits qui contien-
nent des traductions en vers des Distiques, celle du pré-
tendu Adam de Suel , et nous n'y avons trouvé qu'un seul
poète du nom d'Adam; mais il ne prend aucun titre, et il
est très-vraisemblable que c'est Adam de Guienci , auteur
bien connu d'une traduction en vers des Distiques. Voici
comment il a traduit ce même distique que Barbazan attri-
bue à Adam de Suel :
De ceus qui coy suirt et seneistre
Te gaites quer ne sies cogneistre.
Un fleuve plesant, coy et herbeus
A l'aventure est parfont, péreileus.
On peut voir combien cette traduction diffère de l'autre.
Au reste, l'auteur se nomme à la fin :
Adans vous dit, qui se repose,
En un soûl mot à la parclose :
Se il parole folement
Et en maint lieu obscurément.
Il dit ne vous merveiller mie. Etc.
Le manuscrit dont nous avons tiré ces citations est coté
aSqS, et est le plus vieux, en apparence, de tous ceux qui
coiitiennent les Distiques; et cependant le style est certai-
nement bien plus moderne que celui qu'a employé le tra-
ducteur cité par Barbazan.
Dans le manuscrit 80 14, on trouve une autre traduction
en vers, mais bien moins ancienne, des Proverbes àe. Caton.
L'auteur se nomme dans le prologue:
Je suis Fevre. Si say bien le mistère
Que Dieu peut forgier d'une matière ,
Et ample met du vieux fer qu'on l'en forge:
Qui de rechief le remet adens la forge ,
Il revient neuf au forgier sur l'enclume.
Prenés en gré le dit de cest volume. Etc.
Il se nomine une seconde fois à la fin , et joue encore sur
son nom de Lefèvre.
Caton finist qui fu saiges et pretis
Ces nobles vers accomplit deus et deus;
Mais si Fevre qui ne sais le fer batre
En ce ditié en ai fait de deus quatre.
XllI SIECLE.
ADAM DE SDEL, etc. 829
Ce sont en effet par des quatiains qu'il rend les distiques.
Témoin ce quatrain-ci :
Supplie à Dieu; ton père et mère ayme;
Tes cousins hante et tes omisses claime;
Garde le don que ton ami te donne
A ton pouoir le lui lenz et guerdonne.
Nous trouvons une autre traduction de ce même distique,
dans le manuscrit 632.
Primes doiz à Deii soploier
Et umblement merci proier.
Aime ton p>ère , aime ta mère :
Qui te ne fait il lo compère".
Tes parans hante et si les aime
Et amis et coisins les claime.
Garde la chose qu'en te donne
Qex qu'ele soit o povre o bonne (i).
Les biographes ont tous oublié de faire mention de ce est l'inn^^ ^'"
Lefièvre. H est pourtant auteur de plusieurs ouvrages que
l'on possède dans la Bibliothèque royale, et entre autres
d'une traduction de la pièce De vetulâ , que l'on attribuait
à Ovide.
Voici les vers par lesquels il termine cette traduction :
J'ai tant (brgié que j'ai parfait'
Cest œuvre par dit et par fait.
Je en rens grâce au Créateur
Qui de ce m'a fait translateur.
Ces vers ont un air de fainille avec ceux qui terminent
les Proverbes de Caton. Il n'est guère possible de douter
(i) Dans le manuscrit de la Bibliothèque de l'Arsenal, n" 90, on trouve
au folio 175, une traduction des Distiques de Caton qui paraît à peu près
la même que celle du manuscrit 632 de la Bibliothèque royale. Mais, pour
démontrer comment les copistes de manuscrits altéraient les textes qu'ils
auraient dû fidèlement copier, nous répéterons ici, en les transcrivant sur
le manuscrit de la BibliothèqUiC de l'Arsenal, les vers que nous citons
plus haut :
Premiers doiz à Deu sosplier
Et simplemeot lo doiz prier
Aime ton père, aime la mère
Qui ce ne fait-il lo compère.
Tes parans aide et &i 1rs aime,
Et amis et cosins les claime.
Garde la cbose q'Ion te done
Quex qiiale soil ou povre ou boMe.
Ce manuscrit nous paraît être d'une date moins ancienne que l'autre.
83o LE PRÊTRE HERMAN.
Xni SIÈCLE. . • , , T^ ,
3ue ces deux traductions ne soient du même auteur. De plus,
ans le prologue de sa traduction du poëme De l'etuld , i!
se fait bien mieux connaître. Après avoir vante le mérite et
l'utilité des traductions, il ajoute: «Je Jehan Lefevre qui ne
say forgier, néz en Bessons-sur-le-Mas vers Compiègne,
procureur en parlement du roy notre sire, me suis entremis
de translater et rimer en françois cest livre du poète Ovide.»
Cet avertissement nous indique que Lelèvre est un des
plus modernes translateurs des Distiques. En effet, il n'a
guère pu porter le titre àfi procureur en parlement que lors-
que le parlement fut sédentaire, c'est-à-dire en i3o2, suivant
quelques historiens. Ce serait donc un poète du xiv^ siècle;
et nous nous serions abstenus d'en parler si tôt , si nous
n'eussions voulu réunir dans un seul article les principaux
traducteurs des Distiques de Caton. A. D.
LE PRÊTRE HERMAN.
oi cet Herman a réellement composé tous les ouvrages en
vers que lui attribuent divers auteurs, il faut le proclamer
le trouvère le plus fécond de son temps. Et comment expli-
quer, après cela, louUli qu'en ont fait tous les biographes?
Son nom ne se trouve, à notre connaissance, en aucun dic-
tionnaire historique.
Dans quelques vers que nous citerons plus tard , il nous
M De la Rue ^'^^ qu'il était prêtre et chanoine : c'est tout ce que nous
Destrouvèresan- avous pu découvrir dc sa vie. Il nous y apprend de plus
glo-norraands, t. qy'}! ^^gj^ pg à Valencieniies; et cependant M. de la Rue le
' ^' ^° range parmi ses trouvères anglo-normands : peut-être parce
que les personnages à qui Herman dédie quelques poèmes
oja à la sollicitation desquels il les composait, portent des
noms connus dans les fastes de la Grande-Bretagne; ceux
de la comtesse Mathilde, par exemple, d'un roi Henri, etc.;
et c'est par ce motif encore qu'il en fait un poète du xn^
siècle. Nous ne le croyons pas si ancien; mais nous recon-
naissons qu'd est assez difficile de fixer, dans le xiii* siècle,
l'époque où il écrivait. La lecture de ses principaux ouvrages
ne nous a fourni à cet égard aucune indication.
Nous citerons ici , et les ouvrages dont M. de la Rue le dit
auteur, et ceux que M. de Sainte-Palaye lui attribue; mais
LE PRÊTRE HERMAN. 83 1
nous nous arrêterons plus long-temps sur les ouvrages dont
il s'est lui-même avoué l'auteur.
Voici (l'abord les titres des se[)t poëmes d'Herman que
mentionne M. de la Rue dans son article sur ce poète :
1° Une Vie de Tobie , en i4o8 vers. C'est en partie une
traduction du texte de la Bible; mais le poète y a mêlé des
allégories. — a° Les Joies de Notre-Dame, en i i5a vers. L'au-
teur paraît avoir puisé dans quelques ouvrages apocryphes,
lorsqu'il raconte la naissance de Jésus- Glirist. « IMais, dit
M. de la Rue, il y a de l'érudition dans les détails qu'il donne
sur l'ancienne Rome, sur ses temples, ses théâtres, ses pa-
lais. " — 3° Les trois mots de ïé^'cque de Lincoln, en 844
vers. Alexandre, évêque de Lincoln , avait donné à Herman
pour sujet d'un poème, ces trois Tno\.?>: fumée , pluie, femme.
De ces trois mots Herman tire d'ingénieuses et morales dé-
ductions. La fumée, c'est l'orgueil; la pluie, la convoitise;
la femme, la luxure. L'usage (les mots donnés date, comme
on voit, d'un peu loin. — 4° L'Histoire de la Madeleine ,
■en rxi vers. — 5° La mort de la sainte Vierge , et sa sépul-
ture dans la vallée de Josaphat par les douze apôtres. Ces
deux derniers ouvrages contiennent des fiaits très-bizarres,
tirés des fausses légendes, et racontés avec une remarquable
naïveté. — 6° Une espèce de Drame allégorique , dans lequel
on voit la Vérité et la Justice plaidant contre le coupable
devant le trône de Dieu, et la INIiséricorde et la Paix qui
prennent sa défense. — y" L'Histoire des sibylles, en 2496
vers de six syllabes. Le poète, pour traiter ce grand sujet, a
puisé, à ce qu'il semble, dans les anciens auteurs latins, et
surtout dans les Pères de l'Église. Il y fait preuve de quelque
érudition.
Les manuscrits de ces deux derniers poèmes ne se trou-
vent que. dans les bibliothèques d'Angleterre.
Voici à présent les titres des ouvrages que d'autres auteurs,
et surtout M. de Sainte-Palaye, attribuent encore au prêtre
Herman:
r Le poème intitulé Genesis , et quelques autres parties
de la Bible. 2° L'Assomption de Nostre-Dame. 3° Les mi-
racles de Nostre-Dame , d'un prestre , d'un usurier et d'une
vieille (ces deux poëmes se trouvent l'un après l'autre dans
le manuscrit de la Bibliothèque du Roi, n° 7534). 4° f^ie
de saint Alexis , et Vie de sainte Agnes. 5° La Passion de
Jésus-Christ , l'Histoire du précieux sang , la Vie de saint
XIII SIÈCLE.
\'III SIECLE.
83a LE PRÊTRE HERMAN.
Sébastien (même manuscrit). 6° L'Unicorne ou la Licorne,
espèce de fable en vers, dans le manuscrit yôgS. 7" Lxi Vie
de saint Jehan Paulus ( même manuscrit ).
Des nombreux ouvrages compris dans ces deux listes, et
de plusieurs autres dont nous aurions encore pu les aug-
menter, il n'en est peut-être pas une moitié qui soit sortie
de la |>lume d'Herman. On sait que les mêmes productions
reparaissent souvent en divers manuscrits, portant des titres
différents; quelquefois aussi les copistes ne prenaient d'un
grand ouvrage que des morceaux , à chacun desquels ils at-
tachaient un titre particulier : et c'est par là que tel auteur
d'un ou de deux poëinesaii plus, passe pour en avoir composé
un nombre prodigieux. Et, par exemple, que de poèmes
attribués à Herman ont été évidemment détachés du poème
qu'il a intitulé Genesis.
Cette Genesis, le plus grand ouvrage d'Herman, se trouve
dans la Bibliothèque royale, manuscrit n" 'jS'M\. Et c'est là
f[ue le poète, dès en commençant, se nomme et dit ses qua-
ités. En lisant ce début, on ne l'accusera pas de vanité,
car il se proclame \\xi-mème pam>re de sens.
Signor, or escotés , entendes iria r.iison :
Je ne vos tli pas fable, ne ne vos tli cançon :
Clers sui, povres de sens si siii, moult povres hon ,
Nés sui de Valencienes, Herman m'apiele-on.
De persoiie Dex cure ne prend s est grande u non;
On a savent grant aise en petite maison;
De petite fontaine tôt son saol boit-on.
rPouixrai. lot ce di-je por voir', je suis moult petit hon,
Canonts sui et prestre par grant élection.
Dans ce grand poème, qu'il n'aurait pas dii intituler Ge-
nesis, titre qui semble en restreindre le sujet, Herman avait
pour but de mettre en vers les principaux événements re-
tracés dans toute la Bible. Le premier chapitre contient une
analyse de la Genèse; les trois suivants, l'histoire de la
destruction du peuple d'israèl. Au cinquième chapitre, il
commence le Nouveau-Testament, et ce sujet s'étend exces-
sivement sous sa plume. On y trouve, non seulement d'après
les évangiles, mais d'après nombre de livres apocryphes,
l'histoire du mariage de saint Joachim et de sainte Anne,
la naissance de la Vierge , la vie de sainte Elisabetli , de saint
Joseph, de saint Jean, et enfin celle de Jésus-Christ, ses
voyages, ses miracles, etc.
LE PRETRE HERMAN. 833
L'auteur raronte (et peut-être aurions- nous dû le dire
plus tôt) comment il entreprit un ouvmge si considérable.
Ce fut à la suite et par l'eUet d'une vision. Un jour de Noël
qu'un de ses clercs l'avait ofierîsé, son emportement contre
I offenseur fut tel qu'il prit à la main un tison ardent pour
tomber sur lui. Dans sa fureur, il ne sentit pas d'abord
que le tison le brûlait. Mais le lendemain, il éprouva à
son réveil une vive douleur aux doigts; une douleur qui
augmenta chaque jour. Les médecins ne pouvaient calmer
le mal. Il fit venir son confesseur et sed'sposaà mourir. ]Mais
la sainte Vierge qu'il invoqua, lui apparut une nuit de la
Tiphanie (Epiphanie), et lui promit une entière guérison
.s'il translatait en Ronuin ce ((u'il trouverait dans la Bible de
l'histoire de sa naissance, de sa présentation au temple, de
la salutation angélique qu'elle reçut, de son mariage avec
saint Josej)!), de l'accoucliement qu'elle fit à Bethléem de
son fils Jésus-Christ, de la visite des trois rois, de la mort
de son fils et de sa propre mort à elle-même. Il répondit
que jamais il ne s'était essayé dans le métier de poète; mais
la Vierge lui promit de l'assister dans l'entreprise. Et peu
après, se sentant guéri, il se livra avec ardeur au travail qui
lui était imposé.
D'après cela, on ne doit plus être surpris des développe-
ments, très-souvent bizarres, qu'il a donnés aux histoires
contenues dans le Nouveau-Testament.
On nous a communiqué un manuscrit très-curieux dans
lequel, au milieu de la Bible en vers d'Herman, se trouve
un étrange poëme dont nous allons donner l'analyse (i). Ce
poëme manque dans les manuscrits de la Bibliothèque royale
de Paris; mais en lisant l'article que M. l'abbé de la Rue a
consacré au prêtre Herman, il nous a semblé que ce savant
l'a découvert dans les manuscrits de Londres, bien qu'il ne
le dise pas explicitement , et qu'il n'en ait rien extrait.
La Bible d'Herman e.st en vers dits alexandrins; le poëme
qui la divise par moitié à peu près, est en vers de huit syl-
labes, et a pour titre : De JSolre-Dame sainte Marie. Son
auteur commence, à l'exemple de tous les trouvères, par
faire un appel à l'attention des lecteurs.
(i) D'après ce que nous a dit l'homnle de lettres possesseur de ce petit
trésor littéraire, le manuscrit provient de l'ancienne bibliothèque de
Cluny.
Tome XVlll. N n n n n
XIII SIECLE.
834 LE PRÊTRE HERMAN.
X.1I1 SIKCLK.
Se vos volez que je vos die
De Dieu et de sainte Marie,
Or laites pais, si ni'escotës
Je vos «lirai se vos voles
Coninieni noslres sires nasqui
Et qui sa mère engenui;
Ainsi coin sainte Anne fu née
Qui aine ne fu d'omnie engenree,
Lefrollemeni, Mais par le terdre' d'un coutel
le neuoiemeni £„ |,, puisse saint Fanouel
Là fu sainte Anne engenu
Qui fti mère sainte Marie
Voici ensuite ce que le poète raconte on ne peut plus
gravement :
Mille ans après la désobéissance du premier homme,
Dieu transporta l'arbre de vie dans le jardin de saint Abra-
ham; et un ange vint prévenir le patriarche que sur cet
arbre le Fils de Dieu serait crucifié; que la fleur de cet arbre
donnerait le jour à un chevalier qui mettrait au monde,
sans le concours d'aucune femme, la mère d'une vierge que
Dieu choisirait pour mère. Malgré la difficulté qu'il y avait
à rendre bien clairement ces détails généalogiques, notre
poète s'en tire assez bien.
Aniis, dist-il (dit Tange), enten à mi :
Tu as un arbre planté ci
Où Dex sera crucefiés.
Ses cuers perciés et atachiés.
Et si sera covers de sanc ,
Et colera aval son flanc;
Et de ceste flor naistra
La mère a icele pucèle
Dont Damel-Dieu fera s ancèle :
Mère sera nostre Signor
Le roi del ciel , le créator.
Le grand prodige arriva tel qu'il était annoncé. Abraham
avait une fille qui respira les parfums de la fleur de l'arbre,
et qui devint enceinte. Pour prouver son innocence devant
les juifs qui l'accusaient d'inconduite, elle consentit à entrer
dans le feu nue en chemise. Les flammes, respectant la jeune
fille, se changèrent en fleurs.
Onques ni ot un sol tison
Qui fust enpris de vif charbon
Qui ne fust rose de rosier,
Ou flors de lis et d'aiglantier.
LE PRÊTRE HERMAN. 835
Un tel miracle, on le pense bien, rétablit l'honneur de
la jeune fille Elle n'en donna pas moins le jour à un enfant
qui devint chevalier, puis roi, puis empereur, et possesseur,
sans qu'il en connût toutes les propriétés, de \ arbre de vie.
Il fallait pourtant qu'il soupçonnât quelque vertu à l'arbre;
car, pour guérir des malades , il en coupa un fruit qu'il divisa
en différentes parties, et il essuya ensuite sur sa cuisse le
couteau dont il s'était servi. O prodige! le suc générateur
de l'arbre s'introduisit dans sa cuisse.
Quant il vit le coutel moillié
De son bon fruit qu'il ot taillié,
A sa cuisse le ressiia.
Que la cuisse s'en empraingna
D'une niolt gente damoisele
Conques nus hons ne \it plus lièle :
Ce fut saiticte Anne dont je chant
Que Dainel-Diez parama tant.
La cuisse de l'empereur Fanoucl ( c'est le nom qu'il a dans
le poème) grossissait chaque jour outre mesure: en vain
consultait-il les médecins les plus célèbres, et les clercs les
plus lettrés , nul ne pouvait trouver remède à son mal.
Aine n'i vint mires tant sénés
Fisiciens , ne clers letrés
Qui seust dire la dolor
De la cuisse l'empereor.
Il lui fallut attendre neuf mois avant d'être délivré; et
alors il accoucha par la cuisse d'une charmante petite fille.
Le pauvre Fanouel n'en fut pas moins honteux d'être de-
venu ainsi père, quoiqu'il eût pu s'appuyer de l'exemple de
Jupiter et de quelques autres dieux. 11 appelle ^aussitôt près
de lui un chevalier de confiance, et lui ordonne de porter
au milieu des bois sa progéniture, et de la tuer sans misé-
ricorde. Le chevalier obéit; mais au moment oii il allait
frapper la victime, une colombe descend du ciel et lui dit :
Chevalier, frère, or te tien quoi;
Rctiea ton coup, parole à moi.
tf occire pas cette mescKinej
De li istra une virgine
Ou Dex char et sanc prandera
Quant en terre descendera.
Le chevalier écoute avec soumission l'ordre divin , il dé-
N nnnna
Xm SiLCLt.
XIII SIECI.E.
836 LE PRETRE HERMAN.
pose la jeune fille dans un nid de cygnes qu'il aperçoit près de
là. Dieu se chargea de pourvoir aux besoins de la jeune tille,
tant ([u'elle resterait dans ce nid.
Puis fu Dex garde de l'enfant;
Par le sien saint commandement
Si li envoia sa piovende
Par un cerf (jiii ert en la lande
'Vif, alerte. Qui midt esloit parans et biax
Et durement estoit isniax'
Cornes avoit niult assises,
'I.e nicf Flors i avoit de maintes guises ;
Chascun jor est desor le ni';
Quant li eiifesjeloit un cri,
D'un 3 lies flors le repaisoit,
Tant que li enfes s'endormoit.
Ainsi élevé, l'enfant grandit vite : à l'âge de dix ans, c'était
déjà une fille accomplie.
Un jour Fanouel chassait; il rencontre le cerf miraculeux,
le poursuit, le blesse, et le pauvre animal se réfugie sous
le nid de la jeune fille qui reconnaît son père, et lui ordonne
d'épargner le cerf, sa nourrice.
Sains Fanoiax voit son enfant,
Si a parlé mult doucement;
Courtoisement le salua
Et bêlement li demanda :
« Bêle, tlist-il, et qui ies-tu?»
« Sire, dist-ele, ne ses-tu?
Je suis celé que tu portas,
Par ta cuise t'en délivras :
Li chevaliers ici me mist
Cui conmianda que m'occist. •
Fanouel très-étonné emmène sa fille et la marie à Joa-
chim, chevalier de son empire. De cette union naquit la
vierge Marie mère de Dieu.
Après cette légende viennent les aventures de la mère de
la Vierge, telles ou à peu près telles qu'elles sont racontées
dans les livres apocryphes ; mais nous ne croyons pas qu'au-
cun de ces livres contienne l'histoire de Fanouel, qui a
toute l'apparence et la couleur d'un conte oriental. En quel
auteur Herman ( s'il faut lui attribuer ce bizarre poème )
est-il allé puiser son sujet (i).''
(i) Il ne faudrait pas croire que la légende en vers de la Naissance de
sainte Anne , par la vertu d'une fleur, n'ait été l'objet d'aucune critique.
LE PRÊTRE HERiMAN. 83-
X1IIS1F.(XE.
Le poète raconte encore la naissance du Christ, la fuite
en Egypte, etc., etc.; il ne s'arrête qu'aux circonstances apo-
crypliestlu massacre des Innocents. Là recommence la Bible
en vers alexandrins (i).
Nous aurions voulu parler encore de l'histoire des Si-
bylles, autre poëme dans lequel Herman se nomme, et
qui serait du xii*" siècle, si, comme l'assure M. de la Rue,
1 auteur y travaillait en 11(^7, quand mourut l'impératrice M.nei.,i!„e,
MatliiUJe; mais n'ayant point trouvé l'ouvrage parmi les Tiouvèresansi...
manuscrits de la Bibliothèque du roi, nous ne pouriions """"""••^. ;• ".
que repeter ce qu en dit le savant historien des trouvères
anglo-normands (a). A. D.
Dans le siècle même où elle parut, un poète n'hésita point à la déclarer
t.ilmleuse. lîti nianuscrit de la Bibliothèque royale contient un poeuie J«/-
la Conception où se lisent les vers suivants :
Anne de Bethléem fu nëe.
Vie /luur ne Cu pas engenrée.
Ce saicliiés vous eerlainement,
Mais d'omine conseue charnellemeat.
Celles et cil soient confondu
Qui noient un riiiiian qui fu ,
Qui disi que de flour ierl venue
Saiute Anne et engenuue.
Ces vers ont été copiés clans le manuscrit jSj^, qui est de la fin du xiii'
siècle. — Deux autres manuscrits du poème de la Conception, antérieurs
à celui-ci, et conservés dans la même HiLliothèque, ne les contiennent
point. C'est donc une interpolation qu'il faut attribuer au copiste du
manuscrit jSy^.
(1) Le manuscrit dont nous nous sommes servis est du xiii' siècle, et
contient : i" \^ Image du monde ^ par Osmont; 2° une Chronique depuis le
commencement du monde jusqu'en 1279; 3° un poëme moral intitulé :
Les Questions ; 4" "n poème intitulé Le livre de preuves (c'est une espèce
de calendrier génethliaque où l'on prédit à chacun ce qui doit lui arriver,
suivant le signe sous lequel il est né); 5" enfin la Bible en vers d' Uerniany
au milieu de laquelle se trouve intercalée, comme nous l'avons dit, 1 His-
toire de l'empereur Fanouel.
(2) Dans un manuscrit de la Bibliothèque du roi ( fonds de l'église de
Paris , n° 5 ), il existe au folio 160, un poëme en vers de six syllabes dont
le titre est : Sybille hic incipit Prologus Régine. Peut-être est-il le même
que celui dont M. De la Rue fait mention dans son ouvrage.
3 6
XIII siECu:.
BÉRENGIERS.
V oici encore un traducteur en vers de la Bible. Son poëme
ou plutôt ses poëmes (car il est probable que plusieurs
productions attribuées à Herman lui appartiennent ) se trou-
vent presque toujours mêlés, confondus avec ceux de cet
Herman. Au reste, ces deux poètes travaillaient dans le
même genre et sur les mêmes sujets : même ffoût, même
style dans leurs œuvres. Vivaient-ils dans le même temps?
c'est ce que nous n'avons pu découvrir. Bérengiers , qui se
nomme souvent dans ses vers, donne bien , comme nous le
verrons, quelques renseignements sur les lieux, mais non
sur le temps où il les écrivit.
Dans ses traductions envers des livres saints , il s'écarte
peut-être un peu moins qu'Herman du texte, et y intercale
moins de fables; il a.ssure même qu'il a fait tout son travail
sur le Nouveau -Testament d'après les évangiles de saint
Matthieu, dé saint Jean, de saint Marc et de saint Luc.
Et tous les amis Dieu ki vie ont permanant
Ms. de la Bi- Trestous les en pri-jou par dévotion ^rant,
lilioih. du loi , Quel roi de maîsté me soient tout aidant,
n. ■;534i f"^- 'il Que ces viers me laist faire issi à son commant,
re<io. roi -i. Que miels m'en soit à l'ame et al cors en avant ^
Et cliaus qui volentiers i seront entendant
Facile Deus qu'il lor doist la vie permanant,
El deprient por moi; car mestier en ai grant :
Bérengiers ai a non , s'il est ki le demant.
Suit une longue histoire de la passion, de la mort appa-
rente de Jésus-Christ. Après sa mort, le sauveur des hommes
entre en Infer, et en géte hors ses amis; il ressuscite, appa-
raît aux trois Maries, à deux de ses disciples, au mont de
Galilée, au mont de Sion à portes closes; et» fin il apparaît
douze fois aux siens. L'auteur décrit de plus l'ascension du
Christ, l'avènement du Saint-Esprit, s'occupe assez longue-
ment de la prédication des apôtres, de la venue de l'antechrist,
des quinze signes avant le jugement dernier, du jour du
jugement; et il termine par ces vers :
,,,,,• Ici fait Bereneiers fin d'iceste raison
I Et prent autre raatere a taire son sermon.
AUTEURS DE CHANSONS, etc. 83g
r>^.. . »^ ^ 7- ., , .V Mil SIÈCLE.
LiCtte autre matere est u sermons au puile ( au peuple ), -
qu'il finit encore en se nommant. ibia.f.6i,ï»,
col. 2.
Or fine Berengien les vers de haute estanne ', 'Estime.
Que frères Baudicius H fist faire an Pulanne', jm 'T^'
Qui jadis habita ens el tos de Melàdhe', . „! ?• ,
r . r • - - ■ i . . *Meine(el(ut
tt fu prive a tous neis' a genl estranne. j.^^, „,„^^ j„
/~i • j- I • élraiigei-s .
Les vers indiquent bien quelques circonstances de la vie
du poète, mais ne suHisent point pour dissiper l'obscurité
qui jusqu'ici s'est attachée à sa personne. A. D.
TROUVÈRES,
AUTEURS DE CHANSONS, SIRVENTES, ET AUTRES
OPUSCULES.
Lja fécondité des trouvères n'est pas moins remarquable
dans le genre de la chanson que dans tous les autres genres
de poésie. Il serait difficile de calculer le nombre des re-
cueils de pièces légères, d'opuscules lyriques de toute espèce,
que contiennent les manuscrits des xii*^ et xiii* siècles. Et
que serait-ce, si l'on pouvait y joindre les chansons, sir-
ventes , etc. , qui, depuis des siècles peut-être , se chantaient,
se chantent encore dans les anciennes provinces de la France,
et que des amateurs de notre vieille littérature prennent
quelquefois la peine de recueillir! Mais écrites en des idio-
mes qui ne sont point la véritable langue romane, elles ne
doivent nous occuper que par occasion, que lorsqu'elles
nous offriront le moyen d'appuyer une conjecture histori-
que, ou de prouver l'étymologie, la vraie signification de
quelques mots.
Nous ne rangeons point parmi les chansons en langue
romane, comme l'ont fait tant d'autres, les lais, et surtout
les lais historiques, intégralement tirés ou seulement imités
des poésies galliques ou bretonnes. Ces lais sont de vérita-
bles romans abrégés, ou, si on l'aime mieux, les germes de
la plupart de nos grands romans en vers. Mais les petits-
84o TROUVERES,
XIIISIKCLE.
poëmes dans lesquels les trouvères racontent en quelques
coupitts, UFie petite aventure d'amour, de générosité, de
couiage, une de ces petites actions dramati(jues dont le
dénoùment ne se fait point attendre, ces opuscules que
nous nommons aujourd'hui romances, nous les avons clas-
sés dans les chansons, et ce ne sont pas celles qui offriront
le moins d'intérêt.
Vietnient ensuite les chansons satiriques, les sirventes. On
en possède dans les grandes bibliothèques, de très-mordan-
tes, d injurieuses pour des personnages puissants. Plusieurs
sont des matériaux pour l'histoire; toutes prouvent que,
dans tous les temps, notre nation a su combattre les abus,
la violation des lois, non seulement |)ar une résistance ou-
verte, mais eti s'armant aussi de l'arme du ridicule.
Il est assez extraordinaire qu'on ne trouve presque aucune
chanson bachique dans nos anciens recueils. Et pourtant
nos pères étaient intempérants et grands buveurs. Comment,
au milieu de leurs banquets, de leurs fêtes qui duraient
quel(|ut'fois plusieurs jours, ont-ils pu négliger de célébrer
le dieu des vendanges? Nous ne croyons pas qu'on puisse
leur adresser un tel reproche, ou plutôt leur faire honneur
d'un tel oubli. Ils auront chanté le vin et les plaisirs de la
table, plus souvent peut-être, et non avec autatit d'esprit et
de talent qu'on l'a fait en des temps plus rapprochés de ceux
où nous vivons; mais, dans les siècles antérieurs, les pro-
ductions de ce genre étaient probablement improvisées, les
auteurs ne les destinaient pas à une durée plus longue que
celle du festin oii ils les chantaient. Elles n'ont pas survécu
à l'ivresse qui les avait inspirées.
11 n'en a pas été de même des chansons d'amour et de
galanterie. Combien il nous en est parvenu qui même au-
jourd hui nous étonnent , soit par l'énergie de la passion,
soit par la délicatesse des sentiments qui y sont exprimés!
Nous ne saurions donc approuver ce qu'en a dit un écrivain
qui pourtant s'est fait un nom par ses connaissances éten-
dues dans la langue romane. « La plupart des anciennes chan-
M. de r.oquc- « SOUS, obscrvc-til , ne sont remplies que de lieux commtms
fon.Deia poé- (c d'une fade galanterie, de tristes supplications des auteurs
siefrançaisetian, ^^ -^ Umips maîtresscs Dour Ics attendrir, de plaintes éter-
les xir el XIII ,',. 1 I 'I • • 1 I
iiècles.p, 211. « nelles contre les médisants; ledebuten est trivial, et on le
« prendrait pour une formule, tant il est fréquemment em-
« ployé. En voici quelques exemples : La verdure renaît ;
AUTEURS DE CHANSONS, etc. 84 1
XIII SIECLE.
<c le printemps revient ; le rossignol chante , je veux chanter
a aussi; etc. •» Ce que l'auteur dit là des chansons des trou-
vères pourrait s'appliquer aux chansons d'amour de tous les
poètes et de tous les pays. Depuis Tibulle et Catulle jusqu'à
Pétrarque, et depuis Pétrarque jusqu'à Bertin et Parriy, les
poètes erotiques ont employé les mêmes images, mais non
les mêmes couleurs, ('hez tous, le sentiment est le même au
fond : il serait diilicile qu'ils n'usassent pas, pour le pein-
dre, des mêmes imajjes; mais que de nuances différentes,
pour qui sait les apercevoir, dans les couleurs de leurs
palettes! Il n'est pas si difficile qu'on le pcnse.de découvrir
dans les chansonniers du moyen âge, quelle est la manière
qui distingue chacun d'eux. Avec un peu d'habitinle de les
lire, on ne confondra point, par exemple, malgré leur ap-
parente ressemblance, les chansons du sire de Couci avec
celles du roi de Navarre.
On a fait une remarque : c'est qu'un nombre considérable ... ^ Z ~
1 II 1 I i- 1 ^ 1 • 1 aAus»)- , Fa-
de noljles, (le ciievaliers, de comtes, de pruices, sont les bUauj ei cvoies.
auteurs de l.i plus grande partie des chansons qui nous sont ' "^p ^i"'
parvenues , mais quey?<7J un seul n'a composé de contes. Il y
a bien quelque chose à dire sur cette remarque : il ne nous
semble pas certain qu'aucun de ces grands-là n'ait composé
de cotites. Dans la suite de cet ouvrage , il se présentera plus
d'une occasion de prouver qu'il est une foule de lais, de
fabliaux même qu'on ne peut attribuer qu'à des nobles, qu'à
de hauts personnages. Mais, au reste, dans aucun temps,
dans aucun ])ays, les vastes compositions poétiques n'ont été,
ne peuvent être l'ouvrage de ces hommes dont le teinp.sest
absorbé par des affaires et des jouissances, par des soins qui
leur paraissent d'une tout autre importance. Homère, pas
plus que Virgile, n'était gentilhomme, et le Tasse et Milton
n'ont jamais vécu dans l'opulence.
Ce sofjt des seigneurs, des nobles que nous allons d'abord
appeler à la revue que nous nous proposons de faire de nos
anciens chansonniers; et cela parce qu'ils nous ont paru
devancer tous les autres par la date soit de leur naissance,
soit 'de leur mort. D'ailleurs il faut convenir que, dans ce
genre de poésie légère, ils se sont distingués, et qu'ils ont
sur leurs rivaux une incontestable sujjériorité.
LUC DE LA BARRE. —Ce poète anglo-normand flo-
rissait vers !a moitié du X(i' siècle; et peut-être nos prédé-
Tonie XFIII. Ooooo
5 6 *
842 TROUVERES,
Xin SIKCI-K. . ., , , c • ■ ■ ,,. . .
cesseiirs aur;i!eiit-il:> (lu en taire mention , puisque I histoire
n'a point neglii^é de nous apprendre combien son talent lui
devint funeste. Nous allons réparer cette omission.
On (ixe ordinaiiement l'orif^irie du j-m'fwfe ou sin'entois,
es[>èce de chanson le plus souvent satirique , aux dernières
années du xi<^ siècle; et, si l'on en croit M. l'abhe De
la Rue, ce fut en Picardie que prit naissance ce genre de
poème, qui se propajrea avec ra|)i(hié en Normandie et en
Airii;io!(.yia Angleterre. Mais quelque nom qu'ait porté la salire, n'at-elle
iîiit.iii. \()i. \n, pas dû paraître en même temps que la poésie elle-même?
•' '""' ce fut en tous temps, et ce sera toujours l'arme la plus
usuelle des poètes.
Quoi qu'il en soit, le chevalier Eue de la Barre ne fit
que trop usat^e, pour son malheur, de cet art, ancien ou
nouveau, de poursuivre un eniuîni. C'est ce que nous a|)-
,, , oreiid un historiiMi , son contemporain, Orderic VifaI qui le
iiisioi. Oans !.• f>te avcc homieur en deux ou trois endroits de ses chroni-
ii< jcii.leshisto- ques, et lui donne aussi le titre de Miles; ce cpii nous
ri. n>.:. No, mail- ,^m(j,.isg J, l'appeler chevalier. ¥a en effet il possédait le lief
ilir,<lrl)ii(liesn<', ■ ■ r» i i - • I !■
p. 8S.>,8.Si de la Barre, dans la vicomte d Evreux.
\iLiiioiics ici Ees seigneurs normands , au commencement du xu*" siècle,
■iiiiif|..an^s .le j^j^. sout(i;,j(.|it p;is tous avcc lésigiiation le iou};; que leur
>i)iiiiaii(iif . 11. . -Il • ipr • !• i I II • I '■ r '
•>f5n imposait Henri 1, roi d Angleterre. Ils se révoltaient fré-
quemment; mais presque toujours le puissant monarque les
soumettait sans beaucoup d'efforts, et quelquefois, aprèsleur
défaite, exerçait sur eux. comme on va le voir, d'atroces
vengeances
En liai, il battit et lit prisonr.iei's nombre de seigneurs
rebelles, dont les principaux étaient (j; ofïroy de Tourville,
Odoard Dupiii, et I^uc de la Banc cjui, outre le délit de
rébellion, était accusé d'avoir tourné <n ridicule le monar-
que dans plusieurs sirventcs. Henri rtsolut de faire compa-
raître (levant lui, à Rouen , ces tr(;is prisonniers, quelques
jours après la Pàque de l'an 1 124, et il les condamna à perdre
les veux. Hex , post Pascha, judiciuin de reis qui capti fue-
runt , Ilotoinagi tentât^ ibique l'ioijfredum de TorvUia, et
Odoardum de Pino, pro perjurii reatii oculis privavit. Lucam
quoqiie de Barra pro derisoriis cantionibus et temerariis ni-
sibus orbari luminibus imperavit.
Charles, marquis de Flandre, qui assistait à ce juge-
ment, osa , cœteris audacior, comme dit Orderic Vital , plain-
dre le sort des condamnés, et représenta au roi que c'était
AUTEURS DE CHANSONS, etc. 843
une chose monstrueuse, inusitée, de punir par la perte d'un
meinl)re, les chevaliers que "le sort de la {guerre avait remis
dans ses mains, niililcs bello caplos. lienn lui répondit : « Je
vais vous prouver qu'en ceci je ne fais que justire. Codefroy
et Odoard étaient m(\s hommes, Aw«f//ejA»eoj. Ils ont rompu
leur loi, violé leur serment de fidélité : et voilà pourquoi ils
méritent eu la mort ou au moins d'être [junis par la perte
d'un membre. Etidcirch nece seuprivatione'nicmbrorum pa-
niri mcruevunt. Quant à Lue de la lîarre, il ne m'avait point,
:l est viai, laif hommage; mais à Pont-Audemer, il a com-
battu contre moi; à la paix, j'usai d'indulgence envers lui,
je lui permis de s'en aller en liberté, et d'emmener ses clie-
vaux et tout ce qu'il possédait. Et depuis il a pris parti pour
mes ennemis, il a aigri les haines qu'ils me portaient. Il a
fait plus, il a composé contre moi des chansons, joué d'ou-
trageantes panloun'mes, et a chanté publiquement d'inju-
rieux sirventes. (Juinetiani indécentes ad nie cantinelas ,
facetus coraula (i) coniposuit, ad injurlam mei palam
cantavil. »
Apres cette apologie de la sentence qu'il venait de rendre,
Henri ordonna qu'on l'exécutât dans toute sa rigueur.
Mais Luc de la Barre se donna lui-même la mort, avant
que les bourreaux lui arrachassent les yeux. Il se brisa la
tête contre les murs. Porro Lucas, ut œ ternis in hac vitd
tenehris condeinnatuni se cognovit, miser niori quant fus-
catiis vivere maluit ; et lanistis perurgentibiis in quantum
potuit , ad detrimentum sut ohstitit. Tandem inter manus
eoruni , parietiblis et saxis , ut amens, caput suum illisit, et
sic, multis mœrenlibus qui probitates ejus atque facetias no-
verant , miserabiliter animain extorsit.
Et voilà comme fut traité au xn^ siècle un poète distingué,
par un roi qui, d'après toutes les biographies, aimait et
cultivait les lettres, ce qui lui avait fait donner le surnom
de beau clerc!
(i) Coraula, et quelquefois caraula. — Dans la traduction abrégée qui
cette citation, nous n'avons précèilepas explique, comme le fait le glossaire
(Je Ducangc, le luotcnrnu/a par celui «le sorti7i'é(rs , parce qu'il nous paraît
signifier ici tout autre chose. Cornu/a ne sigiiilierait-i! point «les panto-
mimes ou danses dérisoires dans lesquelles on contrefaisait les gesles, la
figure lie tels ou tels personnages , ce que nous ajipelons enfin , d'apiès les
Italiens, caricatures? Peut-être aussi les mots Juretiis co'niila sont-ils
employés dans le texte comme qualification personnelle -facétieux pan-
tomime y farceur?
OoOOO 2
XUl SIECLE
XI U SIECLE.
844 TROUVERES
Nous ne connaissons en France aucune des poésies de Luc
de la Barre; mais il est viais«mblaljle qu'on en trouverait
dans les bibliothèques de l'Anj^leterre.
Faucliet remarque que, dans une de ses cliansons, le
poète Richard de Fournival (nous en parlerons plus tard )
« introduit une vieille dame qui se vant'e que le li ci irais d
plorè pour elle.» Ce Barrois ne serait il point notre Lue
de la Barre, « clievalier fort estimé du t«m|)s de Philippe-
Auguste? » ajoute Fauchet. Cila nous paraît impossible.
Hugues de la Barre n'existait plus avant le règne de l'hilippe-
Auguste. A. D.
MAURICE DE CRAON et PIERRE DE CUAON, son iils.
— Ces deux .st-igneurs se distinguèrent, l'un dans le xn^,
l'autre dans les premières annt'es du xni* siècle, par leurs
grandis richesses et par leurs talents en poésie.
Quflques l)iographes ont cru que cette iamille de Craon,
qui n'est pas sans illustration dans notre histoire, était ori-
ginaire <lu Maine ou de l'Atijou; mais M. De la Rue a très-
M i'ai>i ù lie ijjen prouvé que si les Craon ont possédé des terres dans
,iie,^ inuxt- ^^^ niovinces, que s'ils y ont exercé de hautes fonctions, ce
ni..i.<is, lin, p. furent les rois d'Angleterre qui, a dater de i'epotjue même
'y- delà conquête, en 106G, les comblèrent d'honneurs et de
richesses.
Dans un précédent article ( p. 84i ), nous avons fait ob-
server que la plupart des chansons du xni^ siècle avaient
été composées par des seigneurs, des chevaliers qui, s'ils
n'entreprenaient jamais de longs poèmes, voulaient bien
quelquefois se doinier la peine de (hanter leurs amours,
leurs plaisirs. Leurs chansons nous sont parvenues, tandis
que nous ne possédons plus celles de tant de chansonniers
vulgaires. La raison n'en est pas diflicile à trouver. Les poètes
de haut parage conservaient avec le plus grand soin les
productions de leur génie poétique; ils en multipliaient les
copies, eu faisaient probablement des dons. De là tous ces
élégants recueils de chansons et de poésies galantes en lan-
gue romane.
Elle:.sont toutes du genre erotique, comme on doit faci-
lement le croire, les chansons des deux seigneurs de Craon,
Maurice et Pierre son fils. Ce dernier dit avec raison dans
l'une de ses pièces, qu'il chante Xamouv par droit d'héritage.
On trouve leurs très -légères productions à la Bibliothèque
AUTEURS DE CHA^SONS, etc. 845
XHISIKCLE.
loyale, mêlées à celles de plusieurs autres seigneurs d'une
é[)0(jue moinsancieiitie. Ellesofirent pHifoisdela délicatesse,
1 1 quelque sentiment tle l'iiarnionie poétique; ce qui les rap-
proche des chansons de ces troubadours grands seigneurs
(jui , tout en guerroyant sans cesse, s'amusaient à chanter
leurs amours.
On reconnaît la manière des troubadours dans la chanson u,,,M'i)j!iaHu!.
de Maurice de Craon, qui commence par ce couplet : Tioiuèiesansio-
nurmaiids, I. III,
Al enirant del doiiz termine p. 194.
Del temps nouvel,
Que naist la flour en l'espine,
El cist oisel
Chantent parmi la traiidine'
c j , 1 1 'Lesbosciuels
aen et liel , ^^ , \
Donc me lassant' amours fine
D'un très-doux ni.il, etc.
I.es autres chansons de ces seigneurs de Craon sont de
ce genre et de ce goût. A. D.
'Oaiinent.
' .M'.illiK|iieilc
nouveau re\iciit
QIIESNES ou COESNE DE BJ'THUNE et HUES D'OISY.
— Nous croyons devoir accoler ici ces deux clievaliers, qui
l'ureiil l'un et l'autre poètes distingués et liraves guerriers.
Hues d Oi^y avait été le maître de Quesnes de Béthune
dans l'art <l'."s vers; mais si nous en jugeons par les chansons
(jui nous restent de l'un et de l'autre, l'élevé surpassait le
maîtie.
Qtiesnes de Béthune naquit, vers le milieu du xii*" siècle,
d'une l'aînille déjà illustre. Son frère aîné, Guillaume, fut
avoue dé la. viile de l'ethune, ville qui était comprise dans
les (lc!nai:ies de la lamille. Le titre d'avoué était alors aussi
lionorahle (ju'iinpoilant : on pounait traduire aujourd'hui
ce mot ancien par celui de représent.int , de protecteur ou
défenseur de la ville. Or ce titre appartenait de plein droit
à l'aîné de la famille des Béthune. En 1248, nous trouvons
encore un Béthune, du nom de Robert, avoué de la ville
d'Arras; et ce Robert a mérité une place dans ce volume de
notre Histoire littéraire. On peut voir ci-dessus, page 385,
l'article que nous lui avons consacré.
Un des plus grands ministres qu'ait eus la France, Sully, .Me,noiii, ■!',
se fait gloire, dans ses Mémoires, de descendre de Qucsnes Sully, i.l".
de Béthune qui , en effet, s'illustra à la fin du xu*" siècle, par
son courage plus encore que par ses vers. Deux fois, il fit le
846 TROUVERES,
XIII SIKCLK j 1 ^' C • . » ' I in . . l
voyage de la 1 erre-aaiiite , et a la prise de Lonstantmople,
en I;^o'^, il fut des |)r«Mniers qui aihorèrent sur It-s murs
de cette capitale l'étendard des croisés.
Si l'on excepte ces deux épo(|ues de sa vie où il guerroya
contre les Sarrasins, on le trouvera gaus cesse ou à la cour
de Philip|)e-Auguste, ou à la cour du comte de Champagne.
Ces deux cours, et surtout la dernière, étaieîit alors le
rendez-vous habituel des trouvères et des ménestrels. Là.
Qucsnes de Rethune, (jui n'était ni trouvère ni ménestrel
de piolession, se livrait à tous les plaisirs, faisait des chan-
sons et (les maîtresses. Marie, comtesse de Champagne, fut
la première à (jiii il adressa ses hommages et ses chants
d'amour, l^a veuve de Louis Vi[, Alix, voulut l'entendre,
et il chanta en présence de cette reine, de Philippe-Auguste
encore' très jeune, et de la dame de ses pensées, Marie de
(Champagne. Mais il eut peu de succès. La reine Alix se
mêlait elle-même de poésie, et avait d'autres poètes pour
protégés : elle trouva (jue les vers de Quesnes se sentaient
trop du langage de l'Artois son pays; qu'ils péchaient par le
choix des expressions et le peu de délicatesse des idées; (jue
rien enfin n'y rappelait la politesse et la pureté du langage
Lan """'■"g'"' de l'Ile de France.
lançais, p i Cette mésaventurc irrita grandement notre poète, et fit
ëclore en lui un certain goût pour la satire, qui se manifesta
en plus d'une occasion. Il se vengea surtout de la reine Alix,-
par une chanson dont voici un des couplets.
,,. La roine ne fit pas fine courtoise'
Laiiinu rpiir- ,. • • n i' i ■■
jiij^p Qui nie reprist , elle et ses tiex. li rois;
Encoir ne soit ma parole tiançoise,
Si la puet-on l)ien entendre en trancois.
j\'e cil ne sont l)ien appris ne ( oilois
Qui mont reprist, se jai dit mot d Artois.
Car je ne lus pas norriz à l'ontoise.
Ces vers nous apprennent une chose assez importante :
c'est (jue dès L' xii*^ siècle, on ne reconnaissait comme bon
langage français que celui des habitants de l'Ile de Fiance;
que les autres dialectes usités dans les Gaules étaient ré-
putés jargons.
Ce fut en ce temps, en i i88, qu'arrivèrent de la Terre-
Sainte les plus désastreuses nouvelles. Saladin avait repris
à peu près toutes les conquêtes qu'avaient faites jusque-là
Al TKITIIS DE CHANSONS, etc. 847
1 • • Il I- 11 1 .1-., , ^"l SliCLE.
It's croises. Il fallut tjue les puissances de 1 hurope s enten- .
dissent de nouveau pour porter secours aux cliretiens qui
restaient encore en Syrie. i\ic!iard Cceur-de-Lion et Phi-
!ippe-Aut;uste se croisèrent des premiers. Mais combien il
fallut de temps et d'efVorts pour former cette nouvelle croi-
sade; ])()ur engaf:;er les chevaliers à entreprendre encore le
pénible voyaç[e d'outremer ! Cependant Ouesnes <le Bethune
les encourageait par ses vers et par son exemple; car il
s'était croisé, et c'était la comtesse Marie de Cham|)agne
qui l'avait surtout décide à prendre la croix, il découvrit
bientôt quel avait été en cela le motif de la perlide : elle
lui était inlidèle. Dans son dépit, il fulmina contre toutes
les femmes des couplets dith\ rambicpics , qui causèrent
un vrai scandale dans cette cour où l'on professait, du
moins en appartnce, un grand respect j)Our les dames en
généra!, et surtout |)ùur les daines de haut par.ige. Il chercha
à s'excuser dans une chanson, où il avouait qu'il avait eu
?brt de comprendre toutes les (énimes dans la maledicticvn
qu'une seule méritait. Voici un couplet de cette espèce de
palinodie, qui n'en est pas une :
Por mie ■qu'en ai h;iie,
Ai (lit aux autres folie,
(lonie irous.
iM.ii ait vos cuers ' convoitous , ,, ,.
. , c ■ I -Mjii.hl s.iil
IJui III envola eu bui le 1 .,,,,,.,. ,.,^,„. ,]
Faus.se estes, voir plus que pie, Viulrcsscii i jmui
Ne mais por vous inridi-le'.
N'aver.ri j:'i iex ploious.
\ os estes de 1 a()l)aie
.\s s'offre à tous ,
Si ne vos noiuiiieiai mie.
Quesnes de Béthune n'en partit pas moins avec la croisade
que conduisaient deux jeunes princes destinés à jouer de
grands rôles daiis l'histoire : Philippe-Auguste et Richard.
On sait combien fut de courte durée l'union de ces deux
princes, ainsi que l'expédition que d'accord ils avaient en-
treprise. Philippe, malade de la fièvre et plus encore de sa
jalousie contre Richard, s'empressa de revenir en France
avec la plupart des chevaliers qui l'avaient suivi. Quesnes
de Béthune était du nombre. Partout en France, on fut
indigné de ce retour si prompt; on les accusa d'abandonner
lâchement la cause de Dieu. Quesnes de Béthune qui, |)lus
qu'aucun autre, avait excité par maintes chansons les sei-
XIII SIECLE.
848 TROUVERES,
gneurs à prendre part à l'expédition, fut l'objet des plus
oulraj^eants s;n-casines. Messire Hues d'Oisy composa contre
lui une chanson satirique.
Tout ce que nous savons de ce poèfe Hues d'Oisy, c'est
qu'il était chev;dier; qu'il avait été, comme nous l'avons dit
ailleurs, le maître de Quesnes de Béthiine dans l'art de
rnner, et (jud avait la réputation de bon poète. Nous alloi;s
citer le commencement de la chanson ou satire (|u"il (\t
courir contre Quesnes, chanson dans laquelle le roi Phi-
lipjie n'est pas plus épargné que le chevalier revenu trop
promptement de ta Terre-Sainte.
Maugré ions sains et niaiigré Dieu aussi,
Revient Quenes, et ni;il soit-il vegnans!
Honis soil-i! et ses prééclienients,
Et lionnis soit qui de lui neditli!
Q(i:;nt Diex verra que ses besoins est grans ,
Il li faudia, quur il li a failli.
Ne chantés mais , Quenes , je vous en pri ,
Qiiar vos chanson ne sont mèsavenans;
Or menrcz vo; honteuse vie ci.
Ne volsistes por Dieu niorir joians.
Si vos conte-on avoec les recréans.
Et remanrés, avoec vos roi , failli.
Jà dame Diex qui seur tons est puissans
Du roi avant et de vous n'ait merci.
On ne sait point si Quesnes souffrit patiemment cet ou
trage. Il est plus étonnant que Philippe , qui ne devait pas
se trouver moins insulté, n'en ait pas tiré vengeance.
Quesnes de Béthune prouva bientôt après combien peu
il méritait les reproches que lui avait adressés Hues d'Oisv.
Il repartit pour la Terre-Sainte , et se signala dans presque
tous les grands événements qui rendirent si celèl)re la qua-
trième croisade. Nous ignoions la date pirâcise de sa mort,
mais, en laa^i '' n'existait plus; ce que l'on voit par ces
deux vers du chroniqueur poète Philippe Mouskes :
La terre fu pis en c'est an ( 1224);
Car li viens Quesnes estoit mors.
M. P. Paris, dans son Romancero français , a publié sept
ou huit des phts intéressantes chansons de Que-.nes de Bé-
thune, et les a accompagnées de notes historiques où l'on
remarque autj.nt d'érudition que de goiit. A. F).
AUTEl RS DE CHANSONS, etc. 84f)
\I1DI<FR()Y LKRASTARD.- Est-ce parce qu'il n'ct.-iit _''-'!i-^l^'"—
pas ne (l'iiiio uiiidii lcf;;itime qu'AiulcfVoy portait le nom de ^M.P.Paris.Ro-
Biilarcl? (Test ce (praucun écrivain ne nous ap|)rencl , et ce '"■^"'■''"' ''*•""
qu'il serait au reste peu important desavoir. Fauchet, qui ''^"''''
nous a donné des notices sur un si gr.ind nombre de nos
anciens poètes, ne le nomme pas : même silence de la part
des Pasquier, Lacroix du iMaine, Gouj^et, etc. l't ])ourtant il
ne méritait pas cet oubli. C'est incontestablement le meilleur
de nos anciens chansonniers, le plus digne de la palme du
talent.
Si l'on ne sait cpiel état il exerça dans le monde, et s'il y fit
autre chose (pie des chansons, on peut, du moins par con-
jecture, dire en (piel temps il vivait. IVl. J^aris a remarqué
que plusieurs chansons d'Audef'roy sont envoyées par lui à
un seii^neur de ISesle. Il suppose que c'est ce Jean de Nesle , , . ,
châtelain de Bruges, qui se croisa, le 2'3 février 1200, le
même jour et dans la même assemblée que Quesnes de Bé-
thune. Audefruy serait donc contemporain de ce Quesnes
dont nous avons parlé dans la notice précédente, et, comme y f,.,iessus
lui, appartiendrait aux xii*^ et xiii'= siècles. 1..S45-847.
Il nous est parvenu d'Audef'roy le Bastard des chansons
amoureuses et des romances , mot qui n'était pas connu du
temps d'Audefroy, mais tpie nous n'avons pas l)esoiii d'ex-
pliquer, parce que personne n'ignore ce qu'il signifie. Ces
romances ne sont point des lais , comme l'i cru le (irand- 1,. c.iaml-
d Aussy. Nous avons dit ailleurs en quoi différaient ces deux 'i An^-sy Coniei,
geines (voyez ci-dessus, p. j'ii ). C'est par ses romances ',|, '"','''',''(^8 ' ''
surtout que notre poète mérite une distinction particulière.
Le Grand-d'Aussy a donné de cinq de ces petits poèmes, des ,,^|,| .(„,_
extraits en prose; mais M. Paris a fait mieux, il en a publié 177.
le texte en y joignant des notes intéressantes.
La première de ces romances est intitulée JJe/e Isabeaiis, M.Tiaynoiiai<l.
et c'est une des meilleures, de l'avis même de M. Raynouard, J""'"'' ''" ^''"
qui ne se hasarde pas fréquemment à louer des ouvrages de "gv^',,' ,','1, '
trouvères. En voici le début :
' r.t lui elle.
Hele Isalu'aus, pucèle bien aprise,
. „ ■', ,• , ' ■ Nous 11 avons
Ama Gérait et il h , en tele giiise l,^.,„ ,,, „,„,
Qiiainc' de folour' par 11 ne fu n^qiiise; conesuoudanl.
Ains' lama de si bonne amour M. l'aris l'expli-
Que mieus de H garda s'onour'. qui; par amoii-
Et joie atent Gerars. reme merci.
♦Mais.
Tome XI III. P p p p p ^Sonl.onne.n
8-30 TROUVKRES,
XII[ SIÈCLE. /-..■■ I •. . ' . 1 ^^ n ' t..
Lette /6)/f que le poète |)roniet a cet lionnete Geiars, kit
long-temps retarilee; car les parents d'Isabeau racrordéient
en mariage, et contre son gré, à un riche Vatasseur. Dans
une entrevue qu'elle a avec son amant, la vertueuse Isabeau,
tout en lui laissant apercevoir qu'il est toujours aimé d'elle,
lui demande de l'abandonner.
" Amis Gernrs , faites iiir» cominantlise,
'Vous mon- R'alez-voiiseii , si terez grant franchise '.
lierez de la gêné- Moric maniiez s 0(i ' vous estoie prise;
losité. Franchi- JMais metez-voiis lost el retour :
ir, oiiioi, con- Je vous comnKiiit au créatour. »
«•«■isinii. Et joie atout Gérais.
Ce refrain, qui revient à la Hn de chaque couplet, laisse
toujours l'espoir d'un heureux dénoùment.
Kt (•e|)en(lant (iérani, clatisson désespoir, s'est déterminé
à se croiser pour la Terre-Sainte. Avant de partir, il fait
demander à Isabeau, par son écuver, la faveur de la voir
encore une fois. Le rendez-vous est accordé, et le lieu choisi
est un verrier ( un parc).
La (lame est jà par la verJoiir,
Eu un verijier cueillant la llour.
Laissons désormais le poète terminer seul son récit. On
jugera mieux de la naïveté, du naturel de son style.
« Dame por Dieu, fait Gerars sans faintise,
" D'outremer ai por vous la voie emprise. ■
,, ,. La dame l'ot', mieux vausist estre otise.
'Lenlfndil. c- • . i ■ . i
bi s entiehaisent par «iocoiir,
Qu'amdui ' chairent eu l'erbour.
'■ro.-.sle.<leux. 1£( —^ ^j^j,j Gérars.
Ses maris voit la folour entreprise;
Pour voir' cuitia la dame morte gise
'l'oiir vrai. Lès* son ami! Tant se het et desprise
'l'iès de. (ju il pert sa force et sa vigour.
Et meurt de tleul eu tel erreur.
Et joie atent Gerars.
De pamison lievent, par tel devise
Qu'il tirent faire ati mort tôt son servise.
M.c iiinps du Li Deus it'iuaiut", Gérars par sainte Eglise
fleiid ii.isse. \ lait de sa dame s'oissour''
'■S.iliimnc DIS- (jf témoignent li ancissour.
5uiii,d uxor. Et joie atent Gérars.
AUTEURS DE CHANSONS, etc. 85 1
Il faut convenir que les événements se pressent un peu
dans ce dernier couplet. A peine les amants sont-ils revenus
de leur douce pâmoison , qu'ils songent à enterrer le mari
mort, puis vont se marier, et justifier ainsi le refrain : Joie
attend Gérard.
C'est dans cette manière que sont composées les autres
romances d'Audefroy le Bastard : La bêle Idoine ; Argentine;
Bêle Emmelos ; Hcatris , etc. Dans toutes, on trouve des
refrains bien adaptés aux sujets, de l'intérêt, même du sen-
timent, et rarement du mauvais goût. Il en est j)lusieurs
qui, si l'on y eliangcait quelques tournures, que!{{ues ex-
pressions qui sont vieillies et souvent inintelligibles, seraient
écoutées avec plaisir dans nos salons. Il est vrai quil fau-
drait en renouveler la musique. Nous ne croyons pas que
l'on ait pu jus(]u'ici reconnaître la vraie modulation, le
caractère des chants (jue l'on trouve souvent notés (iatis nos
anci<?ns maïuiseiits, et entre autres dans le beau manuscrit
de la Bibliothèque du roi, n" E. (ii.
Nous ferons connaître dans le volume suivant une foule
d autres chansonniers, la plupart princes, ducs ou comtes
qui se distinguèrent au commencement et dans le cours du
xiii*^ siècle, par leurs talents comme poètes et leur courage
comme guerriers. Tels furent le vidame de Chartres, le
comte de Bretagne, Jean de Brienne, Hues de !a Ecrié, le
fameux Thibaud, roi de Navarre, etc., etc. A. D.
XIII SIKCLK.
Fh\ DU TO>lli DIX-lU;iTIEMK.
TABLE
DES AUTEURS
ET DES MATIERES.
A.cADéMiE de Belles-Lettres, établie dans dd
noiuistère, page 193.
Adam ^ clerc de Tévèque de Cïerraonl, ré-
dige nn abrégé do Miroir historique de Viocent
de Beauvais, \t. ^7*2.
ADiM,évê((ne de Térouanne, aDparavant
doyen et archidiacre de l'église de Paris ; ab-
dique son é\èchc en 12^9, et embrasse iViat
luuna&tique à Cbirvauic II nieort en ir>5u.
On ne retrouve nulle part l'Histoire de l'ordre
de Cileaux, qui lui a été attribuée, 534 , 535.
Adam de Suel et Aham de (ioiEKCT tra-
duisent en vers français les Distiques de D. Ca-
tOD, 826-830.
Aise fait larron ^ proverbe cité dans nn re-
cueil de slalols ecclésiastiques du commeoce-
■lent du treizième siècle, sif.
ÀiHÉnic oe PÉGUiLAiH, troubadour, né à
Toulouse. Il blesse en duel le mari d'une Jarae
qu'il courtisait, 685. Obligé de s'expatrier, il
est accueilli par le troubadour GoilLiuoie de
Bergédau. Sa lensou avec re troubadour, 6Hfi.
Sa complainte sur la mort d* Alphonse I ,
comte de Pi"ovence , ibid. Son séjour dans les
cours de Castdie et d'Aragon. Il rentre à Tou-
louse déguisé, et se rend à Mnntferral aux frais
do roi de Casiille, B87. Il habite en Italie de*
puis Tan iioi jusqu'à sa mort, 088. Sa com-
plainte sur la mort de Guillaume de Malaspioa ,
i^d. Autre complainte sur la mort de Béalrix
d'Est, femme de ce seigneur , 691 , 697. Autre
sur la mort de Kaimond Béreoger lY, tromle
de Provence. Sentiments patriotiques qn*îl ma-
nifeste à celte occasion. Sa répugnance pour le
gouTememeut des Ki-ancais, 694. Menlîoa que
Pétrsfqne fait de lui, 69$. Sa mort ve^ l'an
1^55,4 l'àge de plus de 80 ans, /(/^.
Ar.BENic, moine de Trois- Fontaine*, ordre
de Citeiinx, auteur d'une chronique qui finit en
1 14 * 4 ^79- I^i' nîtr. a, le premier, lait imprir*
Tome XFllL
mer cette cbroDÎqae; correctioiu et interpola-
tions de cet éditeur, ihid. Contenu général de
la chronique, 280. Elle est l'ouvrage d'un seul
auteur, 381. Citatitms qui le prouvent, i%i.
Jusqu'à l'an 1 2-jo, elle nVst qu'une compilation
qui n'a rien de neuf, a84- De laio à ia4i,
elle fournit des faits dont Tauteor avait la con-
nuissâoce personnelle, tbid. Il ne manque pas de
discernement et de critique, ibid. Mais il est
d'une excessive crédulité pour ce qui regarde
l'ustrologie et la magie, 285. Mérite et utilité
de cet ouvrage, 286. Recherches sur la patrie
de l'dutenr, a88. Sur le temps on il a vécu, 289.
Part qa'Âlbérîc a prise à l'ouvrage, 391. Cita-
tions à ce sujet , ibid.
Albert de Louvain, élu évéqne de Liège; ses
aventures romanesques, 43a-435.
Albigeois, Passage d'un auleor contemporain
sur les excès auxquels ils se portaient, 2.
Atejcand-e ly recommande, ou même impose
aox écoles la somme théologiqae d'Alexandre
de Haies, 3i6.
Alexahdke de Halês , élevé dans le cou-
vent de ce nom, an comté de GIncester, vient
étudier et professer à Paris. Il se fait frère mi-
neur; récit fabulent de sa vocation. Il conserve,
malgré les statuts de son ordre , le titre de doc-
teur. Éc)at de ses leçons. Ses disciples, au nom-
bre desquels on ne doit compter ni saint Booa-
venture, ni saint Thomas d'Aquiu. Il est, en
1142, nn des qnntre commissaîses chargés de
rédiger une explication de la n^Ie de Saint-
Krancuis. Innocent IV loi ordonne de recueillir
ses leçons et d'en fotmer un corps de doctrine.
Ce travail , qui a pris le nom de Somme , fut
soumis à rexainen de 70 docteurs, approuvé par
eux, et recommandé aux écoles par Alexandre IV.
En I ) 38, Alexandre de Hdlèa cède sa chaire à
Jean de la Kochelle, son disciple et son confrère.
Mort d'Alexandre en I2'|5,sa sépulture dans le
couvrnl des Cordeliers de Paris, 3ia-3i7. Ses
ouvrages : 1^ Corofueotatrrs sur des livres sa-
crés, 3i7,3i8; »* «a Somme ihéologique «n
Qqqqcj
854
TABLE DES AUTEtRS
qnatre parties : elle n'est pas distincte da cnm-
iDentaiie des quatre livres des SenienoeSf qui lui
est attribué : Kibliogniphie et analyse de celte
Somme, 3 1 8-32 1 ; S'îTrailés particuliers uu
opuscules de théologie; ils sont à écartercoiunie
n'étant que des parties oo fragments de la
Somme, on comme appartenant à d'autres au-
tenra indication de six on sept autres articles
qui ont peu de vjjear ou qai ne spnl pas trè-S-
authentiques, 321-326; 4° Compositions his-
toriques: Vies de Mahomet, de Thomas llecket,
du loi Richiird ; elles sont apocryphes. Juge-
ments portés sur la Somme, seul ouvrage bien
authentique d'Alexandre, 32*i-3'28.
Alexand'^e de Aies ^ né à Édirahonrg, théo-
logien du seizième siècle et de la confession
il'Augsbourg , auteur d'un livre , de Attctoritate
'verbi Pri ^ attribué par une inadvertance de
Morhofà Alexandre de Halès, docteur du trei-
zième siècle, 323 , 324.
Alexandre d' Alessin^ dominicain, mort en
i653, cttmmentateur de la Genèse, est à dis-
tinguer au!»si du théologien célèbre sous le nom
d'Alexandte de Halès, 324*
ALEXANDRE DE ViLLEDicu , religicux frao-
ciscain , d'autres disent dominicain on bénédic-
tin ; grammairien contemporain et collègue de
Rodolphe et d'Yson. Il met en vers ses leçons
graminatirjjes , et les înliinle Doctrinale. Suc-
cès de ce livre; usage qa*on en lit dans les
écoles ; éditions qu*on en publia âu quinzième
.siècle. Auties poèmes d*Alexandre : Abrégé de
la liible; Trailéji du conipnt ecclésiastique, dn
calcul, de la sphère; traduction en vers des
actes des jpôtres. Il est mort vers ii4o, 202-
aoy.
AiiAHiEit on Amanève de Orésinhac, arche-
vêque d'Auch , 297. Détails snr sa vie ; le pape
lui accorde le droit de faire porter la croix de-
vant lui , ibid. Le pape institue à sa demande
l'ordri:' militaire de Saint Jacques, 298 II meurt
prisonnier de Frédéric II. Son épilaphe, ibid.
Amniiry de Chartres. Coodamnation et sup-
plice de ses disciples, 34-
Ame humaine, comparée à la lune, 129.
AitDRÉ DE LoivGJL'HEAO ( près dc Paris), frère
prêcheur. Ses missions en Orient, i" par ordre
de Louis IX en 1 238 , pour aller chercher la
saillie couronne d'épines; 2° en 1245, auprès
du prince tartare Bajolhnoy. A-t-il été envoyé
p:r Innocent IV, en i247fanprès des primats
orientaux, scbïsmatiqnes ? Il était, en 124S,
dans l'ile de Clivpre, on passait saint Louis , où
arrivait David qui se disait nonce du chef des
Tartares, Ercalthay. Le roi de France envoie
André et six antres religieux enXarlarie : à leur
arrivée , ils trouvent le gi'and cham mort en
1249 , et n'obtiennent rien de sa veuve (Iharois.
Renseignements fournis par .André de Lnngjn-
meau à Guillaume de Ruhruqnis. Lettre d'An-
dréà Louis IK, et traduction latine par le même
dominicain , d'une épilre vraie ou sopposée
d'Ercaltbay, 447, 448.
>^«<//-ort/c, empereur de Constanlinople. De-
scription de son supplice, 4a4-
AnÉLtCH (Guillaume), troubadonr, né à
Toulouse, 5.îJ. Ses sirventes contre la croi-
sade qui tendait à dépouiller Riiimond VII de
ses Etals, 554 * ^^^- U se plaint du refroidisse-
ment que la guerre faite par les ciuisés à Rai-
niund VII inspire pour les troubadours, 55b. Sa
haine c<*»l<e les Franc;ws, ibid.
Ahohyhls ( c/r/ix dantes)^ qui composaient
des poésies provençale!) , iiii temps de Raimoud
VI , comte de Toulouse, 543.
.\sonYME auteur d'un poème sur le voyage
de Cbarlemagne à Jérusalem et à Coostanti-
oople. Notice de cet ancien poème, 704-714.
Ano:vyhe, auteur du roman de Rcuves de
Hanstoue, 748-751.
Ahuhyme auteur du roman de la Chaste-
laine de Veigy, 779-7S6.
Anohyme auteur du poème de la cour de
Paradis, 792-800.
Ahohyme auteur du romao ou lai d'Hate-
loc le Danois. Analyse de cepoeiue; notice qts
éditions qui en ont été recemmeut publiées,
731-738.
AnoifTHE aateor de FOrdene de chevalerie,
poème où S;iladin est fait chevalier par Hue de
l'abarie, à qui l'ouvrage uièiue a été attribue.
Analyse de ce puéiiie qui a servi à l'histoire dei
instilulioiis t-be\alereMjues, 752-760.
Antaredos ou Turtosc, ville d'Orient on, se-
lon ane vieille tradition, saint Pierre ;:vait
élevé une église en l'honneur de la sainte
Vierge, 20.
Atitoitin (Saint) est le premier qui ait fait
Vinrent de l'eauvais Ruiirguignon. Propagation
de celte erreur, -449, 460.
Archivrs de Funce, rétablies par les soins
de Gautier de Vilbbéon , d'Étieune du Gaal,
et surtout de Guérin , evêque de Senlis, 38-41,
Arkaiid DE ( oMiflGES, iToubadour. Son sir-
ventp contre la guerre dite des A/bigtois , et
contre les désordres qu'elle avait introduits
dans la manière d'acquérir et de transporter la
propriété des domaines, 557.
AsHAUD n'EiTTREvÈifES, Iroubadour. Papon
le croit de la maison d'Agout, 568. Son épitie
à RIacas en forme de chanson, 669. Romans
connus de son temps , ibid.
Arnaud Plaguês, troubadour. Sa chanson
adressée simultanément à Béatrix de Savoie,
femiue de Raimoud Bérenger IV, comte de
Provence , et à Éleonore de Casiille, femme de
Jacques I", roi d'Aragon, 635.
AanocL ou Arrold, associé à Philippe de
Grèves, ponr soutenir la pluralité des bénéfi-
ces, évêque d'Amienseu 1*34. m. en 1247, SaS.
Aspre.*, bourg de rarrondi&sement dc Gre-
noble, où Olivier dc Cologne aurait exercé lea
fonctions pastorales, i5.
Aaassi/is. Passage sur les mœuri de cette
Iribn , ao. Leur chef, le Vieux de la Montagne ;
ce qu'en dit Jacque* de Vitry, 22S.
ET DES MATIÈRES.
855
ÀitembUes de Nicée el de Nymphée, on les
Grec» et les Latini dispuieut sur la rcDoioa de»
deux église» , 3oo-3o3 , etc.
Assonances, teDant lieu de rimes, dau les
poème» des troanère», 714, 717.
yfiièadcs , pièces de Ter» de» trnabadoors,
qu'on supposait élre chaulées au lever de l'au-
rore, 543.
AcDErRoi LE BiTiau, troufère; sa romance
la Bêle Isateau, 848.
AtÉittR (dit Li Non), ironbadoor. Soio
qu'il prend de parler un langage choisi, 586.
Croisement de se» rime». Mort ver» i»3o, 488.
B.
Rajothnoy, prince des Tartares; U lettre qu'il
reçoit da cbain et celle qu'il écrit au pape,
Iranscriies par Simon de Sdiot-Qoentio. 403.
André de Longjumeau envoyé à Bajoihnoj, 447.
Ballades ou Rondes de danse des trooba-
dotiis; pièces de vers à refrain, propres à être
chantées eo dansant, 545.
Babthéleht, premier du nom, XX' abbé de
Cluny, n3. Particularités sur l'état des mœurs
des bénédictins an temps de cet abbc,i^r</.
Recueil de sermons mantucrits de Baribclemy ,
134. Notice sur cet ouvrage, passages cités et
traduits, ibid. et suiv.
BaudoihIX (comte dk Flàndkb). Fait des
vers en langue proTencrdle. Choqué du Ion de
familidrité qne prend avec lui le troubadour
Folqoet de Romans, 63a.
Beaumont (Cbristophe et Guillaume de).
VOyei GUILLADME,
BÉREiTGiERs, tradactenr de la Bible en vers
français, 83;, 838.
Beroédas (GciLLACMK db)« tronbadoUf.
D'une ancienne famille de Golhs. Cynisue de
ses mœurs. Son duel avec MatapUna; son duel
avec son beau-frère, 676. Sa di^iposition à Li
satire. Sa chanson contre MatapUna, 577. Mort
vers l'an H29, 57S.
Bergerac (Pierre), troubadour. Esl-il le
même qne Pierre de Bar^eac ? 547. Son sir-
vente sar la guerre que Pierre II, roi d'Ara-
gon, fait à GuJlliiume, fds de GnilUume TIII,
vicomte de Montpellier, 549.
Berhard Dorna , archidiacre de Bourges, jo-
riscoDsnUe, 137. Il étudia le droit sons le cé-
lèbre Aion; courte notice sur ce dernier juris-
consulte, /*/(/. Bernard Uorn» professa probi-
bleroeul à Bourges; célebriré de l'école de cette
ville , ibid. Jugement de Trilhème sur Bernard ,
et sur l'ouvrage manuscrit qui est resté de lui ,
t38. Examen de cet ouvrage qui m intitulé:
de hbeUorum Coficeptiombns ; citalions ^ iéid.
et snir.
Bernard fe Pénitent. Histoire de sa vie, de
•es voyages, de ses miracles, par Jean d'Tpres,
110,111.
BcKVARD DE RoTF.iVAc, tfonbadoor. Sou sJr-
vCDle contre Henri III, roi d'Angleterre, et
5 ? •
Jacques I", roi d*Aragon, qui se laissent dé-
pouiller de leurs propriétés par Louis YIH et
Louis IX, rois de France, 668, 669. Antre sîr-
vente contre ces princes, sur le même sujet,
670,
Bebvaro de SDI.1.T, cvèque d*Auxerre, 3i$.
N*a laissé que Aes actes relatifs à l'ailminislra-
tion de son diocèse, ibid. Son épitaphe, 329.
Berhaio dit I.R Taésorier , tratlucfenr et
coutinualeur de Guillaume de Tyr, 414. Dis-
tinction des deux personnages appelés des mê-
mes nom et surnom, ibid. Il nVsi pas probable
que Bernard ait été trésorier de Frédéric II ,
comme l'a avancé on écrivain moderne, ibid.
Passage de Muralori qui le déclare Français ,
4>5. Opinions de Pipîno de Bologne et de Du
Gange, qui appuient le sentiment de Mura-
lori, ibtd. et suiv. Témoignage de la chronique
de Ricobald de Ferrare en faveur de ce senti-
ment, 4>7- Quelques savants attribuent à Hu-
gues Plagon la traduction française de Guil-
laume de Tjr, ibtd. Une allégation non pronvée
de Du Cange a causé celte tireor, ^tH, Juge-
ment de Muratori sur la composition de l'his-
toire de Bernard, ibid. et sniv. La plus grande
partie de cette bîstttire est la traduction com-
plète de celle de Guillaome de Tyr; citations
de Tune et de l'autre qui le prouvent, 419 et
suiv. Passage de Bernard qui le dit positive-
ment, 4'* ■ ^' suiv. Citation do morcean qui ter-
mine rhîsioire de Guillaome, accompagnée de
la traduction de Bernard , \ii. Ce dernier a
continué l'hisluîre écrite par son devancier, de
l'an fi83 à l'an iïa8, 4^3. Les religieux bé-
nédictins Martène et Durand , en imprimant
celte coulinnalion , n'ont pas pu dire qui en
était raolenr,t^û/. Aperçu sommaire des matières
contenues dans cet ouvrage, 4^4- Morcean tex-
tuel de rilistoire de Bernard, /a fin ignomi-
nieuse tT À ndronic, ibid. et suiv. Autre morcean
relatif au sultan Sa ladite ^ 436. Pipino de Bo-
logne a retraduit en latin l'histoire que Bernard
avait en grande partie traduite du latin de Guil-
lanme de Tyr; Qualités de la nouvelle traduc-
tion , 4^7 <■* »oIt. Citation d'un passage de
Bernard relatif an prix des denrées, 419. Nom-
breux manuscrits de THisloire de Blérnard-Le-
Trésorier, ibid.' c\ sniv,
BeRif ARD , troubadour. Ses lensons avec
Faidit et avec Elias dTJissel , 583 , 884. Soin
qu'il prend dVpnrer isa langue et dVIever son
sryle, 585. Mort Ver» Xtn tii')\ 586.
BerThard de Goitnoif, troubadour. Il est
peijt-rire le même qne Gordon du Qnerci, qni
servait dans Tannée de Monlfort en i-z 17, 64 i.
Bbbtrabd bE i^ TooR, gentilhomme ao-
vergnat , troubadour. 5>a tenson avec Robert,
dJnphin d*Anvergne, espèce d'épigraimme on
les denx in ter locateurs s'attaquent et se répoi^
dent chacnn par nn seul couplet , 6 1 5.
Bretkabo dk Paris m Rottergue ^ Irouba-
donK Son sirrente contre le Uoobadoor Gor-
don, 645.
Qqqqrja
856
TABLE DES AUTEURS
BeEiKA>'0 DE PosTiGST, cistercien , mon
en 124 I , auteur d'ui:»- rfl.iïion de la vie el des
miracles de iaiol Eiliuoud de Caiitorbéry, 527.
Bertrasd de Sai!it- l'ÉLix , troubailouf ,
contemporain de Savarit- Je Manléon , 6KS, Sa
teoson avec Hugues de la Rachelfrïe, 6S3.
Bibitothè'ftirs du cardinal Galon , 3n ; de
Rol>erl Grosse-lêlc, e% rquc de I.inculii , léguée
par lui aux franciscains d'Oxford, 439; de
saint Louis , 436, 483 ; de la Soibuue , 53o,
53i.
Bli^cas , trtinliadoiir. Sa renommée , 56 t.
Origine de sa famille. Éivaioloï^ïe- de son nom.
Né à AJx ou à Aolps Ddies de qurlijups-unes
de ses pièces de vers, 5^2. Sa jjenerusilé envers
les troubadours. Accueil qu'il leur fail , 5fi3 ,
564. Son caractère, 5fiC. Ne se croise point,
567. Mort en 1229, 5fîa.
Blanche, coinirsse de Champagne, fuuda-
irice du raouaslêre d'ArgrnsoIrs , 52 1.
Bl*.o:ïPath (JWicAc/;, poêle latin vers laSo,
An-^Iaîs de naissance; on lui attribue une His-
toire de Normandie, 529, 53o.
bonaventme (Saini ] n'a pu être le disciple
d'Alexandre de Halê», 3t4* 3i5.
BussEFOi, troubadour. Sa teoson avec Bla-
cas, 5'Î9.
Boussole f indiquée par Jacques de Vilry ,
233.
Bonvines ( bataille de ). Part qu'y prend
Gaériu, élu é\èi|oe de Srnlîs, 35, 36.
BcRELL y^GiûHaunie] dOitilly. é^è■|ue d'A-
vrancbes, mort en isiti. On a de lui deux let-
tres el urie charte, 5^4-526.
I'tard, auteur d'un recueil de lieux com-
mons à l'usage des [>redicaleurs ; de sermons
puui les dimaurbes ei fèirs; de sermrms diver>,
«t d'un dictionnaire des jiaoviés, 53o, 53 1.
CALfHDRE, trou'ere, noieor dune histoire
en vers des empereurs eie Korae, 771-773.
Cantique des canUfiies ^ inirrpréle par Jean
H.ilgiin d'Abbeville, 173-176.
Curlepont cbâleau de ), bâti par Etienne de
Nemours , 3.
Castelloze ( LA DAïiE ), troubadouf. Née
dans l' Auvergne. Ne compose des veis queponr
exprimer la passion que lui fait éprouver Ar-
mand de Breoo, 58o. Mérite de ses poésies .
58i, 582.
C.ÉSAiRED'HxisTEBBAra. Etudie à Cologne, Cé-
rémonies, gHeris«ms el visions qui deleriiiinent
sa vocation à l'éiat iiinnasii(|ne. Il pas^e du uio-
nastère cistercieu d'Hrislrihach à celui de Vil-
liers , où il est prieur en i am. Rrnlié à Hrîster-
barb, il v est charge de la direct iim des novices
et des frères convers. Il ompuse des sermnns,
des opn&cules mysritjues, douze livres intitules
Dialogues el contenant les recils d'enviiun sept
cent trenle-cinq prodiges; trois livres sur la vie ,
la passion H les miracles de saint Eogribeit.
Analyse de ces écrite, 194 201.
Chanceilciie de Pmnte. VoTez Goérin.
Chansons de gestr ,716, 732.
Charltrmagne^ poème anonyme sor son prc-
tenilo voyage -^ Jerusdlem et à Ct-nslanlinople,
7o;-7i4. Poème de Torold sur la défaîle de
l'arrière-ganle de Cbarlemagne à Roncevanx,
7 14-720.
Ch<:stelaine de FergY ( /« ) - 779-786.
Chifp-es arabes. Vmceni de Htauvais en trace
les Ggorcs et en expliiine l'usage , 499 « ^^O.
Cisterciens. Accuses d'êrre trop riches; com-
meut ils se defendmt ,3^0, 341.
Clergé. Hds^age qui iiiuutre qu'an treizième
siècle le clergé séculier u'.Maïl point de costnmr
particulier htif; des églises, 2.Î5.
(.'(inRAn DE ZvREsr.EH, religieux cistercien ,
caid nal évèqne de l'tirio . 6. Sj fjnirile , son
éilucaiiun, 7. H est fait abbé de ViJliers, pois
de (. îleaax , ihid. Ses rappniis avec Hono-
rine m , ibtd. II devient cardinal en i 2 19 , 8.
Citation liller.il'- d'un fragment de sa lettre sor
les excès des Albigeois, ihid. Il convoque on
concile, ibid. Sa Irilre circulaire aux evêqne»
tie Krance, ibid. Mort do roi Philippe -Auguste
qui se midait à ce concilr, 9. (Àjnr.»d préside
aux funérailles de ce monartpie, ibid. Vers de
C>iiiilaume le-l'rrlon à ce siijrl, ibid, Conrad
visiie les premier*) dominicains établira Pans,
el approuve leor ordre, ibtd. Il sijjne un diplôme-
relatif aux prémonlies, 10. Il rédige des consli-
t niions dans un contile tenu à Mayence , tbid.
On apporte an mîtieu de ce concile le cadavre
irEugelbert, archevêque de Cologne, trouve
.sur un grand chniiîti , 11. Pari»l«-s mémorable»
de Conrad en favt-ur îles fieres prêcheurs, ibtd.
Il lient lin svnode à Leytie p«iur veriper le
meurtre dTn°elliert . \i. Il retourne en Italie;
■ léplorable étal dans lequel il trimve la ville de
Porto, I 3. 11 rpfuse la p.ipanie; il menrl, ibid.
Couronne d épines. Sa traiisb*iion de \ ille-
neuve-rv\icbevêque a Paiis, 277.
Cnti'ume de TenrMmmde, redtpce en 1235 .
par Robert de heibune; articles remarquable»
de cet acte, 388.
Craob ( Macrice et Pierre de), irou-
vèrt-s, auteurs t!e chanst>ns. 844*845.
Crnisade contre /es y4/bffenis , 3i. Prêchee
par Jacques de Yilry , 210, 389-391.
Croisadrs en Orient , 4S-5o ; 2 i 4"^ » 7- Mœurs
des croisés et des Sarrasins; descripiion delà
Palestine, de la Syrie , de 1" Egypte, dans le pre-
mier livre d'histoire orientale de Jacques de Y i
iry, 224-2.33 ; et d,in5 son 3* livre, 239-244.
Croit.Xje pape accorde a quelques prélats le
droit de se faire précéder de la croix, 397-
D.
Dames de qualité du treizième siècle. Ce qoî
constituait Iror même « soivaot les mœon de
celle épcM^ae , 693.
ET DES MATIERES.
857
Oamiene , piis* par 1^ crois«, i5 ; repris
par lc5 Sarrasins , afi. iSg, i''0. Sîrye et pri>e
Je ce tle \i]lf en i 3 i H, lacuuira dans ]«^ IrCres
fie Jacqors de ViuT , ïi4-'i7, et dans «on
trnUième lÎTre d*bUioîrrs, a4o, 241.
Danlf. Quelques ver» de ce poêle sar U ma-
nière de prêcber an nniT'-n â^e, 161.
Dofid f preleudo uome du rhef des Tartarrs,
iinpo&leur, od rspino proi-rlrr; irailé de ^au-
rteo dans aoe Iriire da cbam Manga , rappor-
tée par Rubruqais. ki^-
ÛECDES DE PBAnts, cluQoioe de Magoe-
lt>ae, troabadotjr ( ynisiue de ses cbao>uns.
Ce defaot est un ub^r^rlc â srs sacrés, 558. Pu
compLainle sur la mort du iruubstloor I/u^nes
ffruitet {tojez tlRt'ritT HcGcas}, tom. XVII.
jiag. 56o). — Son uu>r.i^r inlilulê: Utu Acze.u
Ca^sadors, piieiuc Je iniis mille six rcols vers,
que le poète appf II? an rvtnan , 56o.
D'Sti^'ies de L). (laïun, iraduitJ ro *er» fran-
çais par Adam de Suel, Adam de Goieticj, etc..
Domaines du Lnngurdnc. Désordres înlro-
da.ts dans la luaiiiere J^acquértr rt de traospu;'-
ter la propriété Je ces douuiues, par la gaerre
dite des ^Ibigeuif, 557.
Domuiicciifu. L^ur première niaisno à l'ar:s;
lears établissemenis approu^e^ p^r lelet^ai apo»-
totiqiie, 10. Ils Uaur}»erit les rniicliuos do clrr^e
séculier, avec rjppr<-baliuD du Ir^at, I 1. Leurs
écoles à P^ris niniat ers rt eninvérs par Phi-
lippe de Grève. Ils pniiileot des troubles de
1339 , pour se créer drox chaires de ibéologie,
187.
Donoîi, Oblaii. Ce que signifiaient ces ap-
pellatiooft, 10)$.
D'Orléans le P.';. jësoîte , aotear d^one bis-
loîre des revoloiioas u'Ao^leicrre, accuse le car-
djnal GaluD d'exattiuns et de rapacité, 3 1 , 3a.
DcBAflo OE pLRîiLs, truubadoar, né à Pemes,
ville do marquîui <le Pro^eare, appelé aojoar
d biii le cuailat Veudi>sia. lâitlrar. Son sir^ruie
contre les aliies de Kaiuioad VII, à l'occasion
da traité de 1239, 666.
E.
Ebles ob Sigïte , troohadoor, paraît avoir
ete an seigoear dr la niaixin des Baux , de la
braocbe des vicoiuin de Marsrille, 643.
EcoLâcte et »< bolasiique ; distinclioa entre
ces deox appelUiîi>as, 14.
Edmosd ou Ld"c [Sa'nt), arcbevêqoe de
f^jDtOfbcrT, a53. fnurqnuî il est compris dans
j-{jistoire littéraire de Fiance, i&u/. .Sa bœiile;
^^^ preouères etoJt-s a Ox 01 d et à Paris; le suin
qa'il pi'ccd de 5«-s »œurs. il»d. En L319, îl eo-
•eignait *^*P°'* six jnslrsscimcrkpni&oe» à Fa-
rÏA, 354. A qaelle Occasion il ae lirra aux études
tbeologlqacfl , ibuJ. H rrçi'it les ordres sacrés;
sa manière de se vêtir, j55. Itreioaroeen An-
glelerre, et enseigne a Oxford, ibuL II est élu
archevêque de Caotorbérj en i333; ses pard^s
rçmarnuables à celte occasion, 356. Sa tcanîrre
de ïAre; sa cbarîtc, 25;. Ce qu'il pensait du
droit de main roï-rle , ib'd. Son aversion pour
rruxqniachelaiei.t â prix d'argent les dignités,
00 les sentcocrs des jngf*s, ibd. Causrs de la
haine que cuocurenl conlrr loi les gn*nds et son
cierge, a58. 11 sVnfuit ponr ne fias paraître
approuver, par sa présence, le^ désordres qu'il
ne pouvait pas coinger, a5y. Il roearl an mo-
iia>>ieie de Soîsy. 260. Opinions diverses des bis-
Iftrifn» sur la date de ^a muri ; elle doit être
Hiee à r»n Iî^o, tbd. et snîv. Anleurs qui
ont t-crit sa vit , 26 i. Discuors adrcai&e par Ed-
njond ao roi Henri III, contre srs ministres,
traduit et cité, a6a. Cunsi totions provinciale»
dTJuiond; leur e=prit , 3H4. Fas^a^es cités,
365. 11 composa à Huniij;ny son S^ et u/nni ec
cirsttr ^ ihtd. Idée et examen de ce pi lit livre,
p<>ssages cités. 366 et suiv. De tyariif .%Judis coti-
^rm/7//>//i//, opuscnle sur la ra^in^éie Je méditer,
a6^. Saint Ediuoud sacre lévrque de Lincoln.
Robert , à Rediug: ié<.Umaiiun des imiines de
Caniorbéry, qui pretendMit que celle cérrmunie
duit se faire dans leur ej;!i>e, 438. RrUtiou dr
La vie et des miracles J*LJuKiiid , par l^rtrand
de PonlignT, 537.
Émos, né eu Frise, étudie à Paris, à Or-
léjn>, à Oxford, devient curé de Hnsflen^a ,^
abandonne la direcliun de celle p.ir(>isse, ponr
piiihrjsser l'eut rcUj;ienx. Entré dans Tordre de
Fréiuonlré, il fonde à Vorms, Jjn* Ir diocèse
lie Cronîn;:ue , nn ntonas:ère d'numturs et un
couvent de femmes. Ses ftéuiêirs avec lirrdric ;
son £ele poi.r les îniérêis de sa cumutnnanté et
pour nnatrudiun de ses jennes confiéres. S»
muri en ia37; sa chronique depuis l'an 1304
jus'.ju'en 1334, continuer par Alrncon et par on
anonyme. EUe comprend fliinéraire d'uncroiAe,-
177-184.
Etnprunt de cinq mille livres qn'Honorios III
retroinmande à Tarchevéque de Sens de fa<re en
faveur des croisés qui coo^ltaient les Albi-
geois, 273.
Encyclopédie du irnzième siècle , composé*
par Vincent de Heanvais, 469 et si.i>.
EngcWerty né an sein d'une &m Ile noble et
Opulente, rrabrasAc Teiôt rcclèsîasique , refuse
l'évèche de Munster, se dei-Iare contre Olbon de
Saxe , pour Ir jeune Fiéderic II ; devient arcbe-
vê*-joe Je Culo^ne en i3 i 5. En griprre avec le
comte de Cle>es et le doc de Limbourg , il
s'arme des deux glaives; il favorise les deux
nouveaux ordres des frères prêcheurs et mi-
neuis. Trahi par les évêqoes de Mun>ter et
d'Osuabruck , Engeiberl tombe dans les em-
bâches de son cousin, le comie dTs^emboorg ,
frère de ces deux prélats; il expiie en lasS ,
sous qnarante-sept coups d'épée et de baïon-
nette. Histoire de sa vie, de sa mort, de ses
miracles, par Césaire d'Hetsietbach , 199, aoo.
Engeiberl assassiné sur nn grand rbemio ,11.
ËBCCk-RRABn m, dit le Grand, sire cfe
Couc^. Conlome et Toor de Coaci , a^S, 396.
858
TABLE DES AUTEURS
Ercaîthay f prince des Tarijres. Le nomme
David se dit nonce de ce prince, auprès doqacl
André de Loagjiirueao el d'aotres moines sont
envoyés par saint Louis : ils le trooTent mort
en 1^49. Lettre vraie oa sopposêe d'Ercallfaay,
traduite en blin par André, \^%.
Erkembodon ( Saint ) , abbé de Sitbieo , évc-
qae de Téroiumne ; sa légende par Jean dTpres,
m.
Étierhe d*Auxerse, antear d'ane glose sar
le livre des Proverbes, et de plosiears sermons,
inédits comme la glose, 533.
ËTiEifitE DE Krahcior, Xll' abb« de Cla-
ny, 147. P^D de détails sor sa vie, ibid. W reste
de lai vingt-six sermons manascrits, (£/</. Titres
de ces sennons , citations , 148.
Étierre de Nemoues, évêque de PJoyon, i.
Sa famille, ibid. Le premier acte qni le fait con-
naître , 1. Mission qn'il exécute en Danemark
pour le roi Pbilippe-Augasie; il y va demander
en mariage pour ce prince la fille de Canot II ,
ibid. Il rédige des statuts municipaux , 3. IJ écrit
un règlement pour l'Hôtel-Diea de Noyon , ibid.
Ses longs démêlés avec les religieux prémontrés,
ibid. Sa mort , 4*
ËcsTACHE DE Leks, abbé de Tordre de Pré-
moDtré, aoreur d'une cosmograpbie d'après
Moïse, d'un lexique bibUque, d*Dn livre sur la
règle de Saint- Augustin , d'an traité snr la Tri*
nilé , etc., 4 * 5,6.
F.
PcU-Dieu. A qarlle occasion instîtoce, 349.
FicuiÈRES ( Guillauiée), iroobadour, ne i
Toulouse, 6U d'nn taiUmr. Ses babiludcs tri-
viales. Son génie indépendant , 649. Ses dispo-
sitions natarelles poor la satire. Son sirvente
contre le clergé de Tooloose, 65 i. Il va habi-
ter en Italie, et embrasse le parti d« Gibelins,
fi53. Son sirvente contre les Milanais, ikid.
Antre sirvente contre le gonvemement romain,
654etsuiv. Autre en l'boDneor de l'empereur
/rédéric 11,657. Antre en fàveor de la paix,
659. Sa tenson avec Bertrab» d'Adskl, contre
AïKÉKic ne PÉGGiLiiB, 660. Soupçonné faus-
sement de partager l'bérésie desAlbigeois, S^i.
Flagt ( Jean de ) , auteur du roman de
Garin le Loherain, 738-748.
FoLQOiT DE MAiisEii.i.E, dit aussi Foulques ,
588. Fils d'un négociant de Marseille, natif de
Gènes , 5S9. Son amonr poor la dame Adélaïde
de Roqoemartine , femme de Barrai des Baux ,
vicomte de Marseille, ibid. (^ssé de la maison
de ce seigneur, il va à la conr de Giàllaume y III,
vicomte de Montpellier. Fait des vers poor En-
doxie Coninène, femme de ce vicomte, 590,
59 t. Son séjour anprès de Richard Cœur de
lÀon. Son sir\enle en faveur de ce prince, 593.
Son séjour auprès d'Alphonse W , roi de Cas-
tille. Son sirvente pour appeler les seigneors lan-
guedociens et provençaux ao secours de ce roi,
594.11 se fait moine daiu l'ordre de Cileaux,
en II 96, SgS. — Nommé évêque de Toulouse
en iio5; il te dévoue à la ligne formée contra
Raimond VI. Nommé dépisté auprès du pape In-
nocent III. Ses liaisons avec saint Dominiqne,
5g6. II organise une croisade partîrtilière dans
Toulouse, contre Raimond 'VI, 597. Dépoté
en France pour appeler des secours. Chassé de
Toulouse par Raimond TI, ibid.— Sa conduite
an combat de Muret. Il rentre dans Toulouse.
Continnation de sa condniie avec Raimond VI,
598. Il accepte la donation que lui fait Mont-
fort, de vingt villages dépendants du château
d Urefeil, Spg. Il coram.inde nne division dans
l'armée de Humbeit de Beanjeu Sa liaison avec
Jacques de Viiry ( voyez Jacques de Vitry ).
II menrt en 123 1 , fioo. Mérite de ses poésies.
Le Dante ,Ie Benibo, Crescimbeni font mention
de lui, 601. Son hymne à la Vierge, 601, 60Î.
FoiQuiT DE RoMAKs, Iroubadoor. Né à Ro-
mans dans le Danphiné, 6ï 1. Il était en noi
à la conr de Moniferrat. Baudoin IX, comte
de Flandre, est choqué du ton de familiarité
que ce troubadour prend avec lui. Tensou où
Folquet répond à ce prince, (ii'i. — Sirvente
qu'il adresse à Frédéric II contre le peu de gé-
nérosité des grands. Affabiliié de l'empereur
envers lui, 623, 624. Son sirvente contl'e l'hé-
rédité des 6efs, 634. Il passe la plus grande
partie de sa vie enlt.<lie. Mort de ii3nà 1240.
Poulyiies (de Neuilly ). Ses prédications;
histoire abrégée de sa vie, par Jacques de Vi-
try. »34, iJ5.
Frédéric II , empereur. Mission dti cirdinal
Galon auprès de ce prince, 3i. Lettre on la
conduite de Frédéric en Orient est accusée ,
lo5. Innocent IIÏ et l'an'hevêque de Cologne,
Eagelben, se déclarent pour lui contre Othon
de Saxe , 199.
Frova (Joseph ), anteur d'une Vie du cardi-
nal Galon, 3o.
G.
Oaimar ( Geffroi ) , trouvère dn treizième
siècle; auteur d'une histoire en vers des rois
anglo-saxons , 7 3 8 .
Galoh ou Ouala de Bicberiii, né À Verceil
vers ii5o; cardinal, légal en France, en An-
gleterre, en Allemagne; fondateur du monas-
tère de Saint-André, dans sa vitle nalale. Il y
attire des professeurs français, entre autres Tho-
mas Gallo ou Oallus. Il lègue sa bibliothèque k
cette communauté. Il fait un règlement poor
l'Université de Paris. Il contribue au succès de
la croisade contre les Albigeois, et aaxf revers
du prince français Louis en Angleterre. Ex-
communication qu'il prononce contre ce prince.
ExécalJoos et rigueurs qo^il exerce contre les
prélats qoi ont favorisé l'entreprise de Louis.
Le P. d'Orléans l'accuse de rapacité : la cour
de Rome ne Ten punit pas. Rappelé de la
Orande-Pretagne, il est chargé d'une mission
auprès de l'eniperenr Frédéric II. Meut A^ Ga-
lon en 1317, et sa sépulture dans le monastère
ET DES MATIERES.
85.9
tir Sdint-André. Sa rie par Jos. Frova. Autres
personnages du nom de Galon , 2<)'33.
Garin le Loherain ^ rumao en vers, par Jean
de Flagy, 73«-:4».
Gasmar ( Guillaume ) , troubàdoor. Sa
tcDiton avec Èblcs de Signe, 645.
Gaultier ou ^VALTER de Marvis, évoque
de Toarnai , mort en lîSi. Son èpitaphe. II j
écrit une lettre pastoule sur la translation des
reliques de saint Ibêodorit , 535 » 536.
Gauthier d'Oi Bits , abbé de Cil eaux , et
auparavant de Lonppont , auteur d'un Récit de
la vie et des miracles dn bîenbeureuL Jean de
Moiitmirail cju'il iÉvait rrcu parmi les religieux
de son ordre. I. étires que lui adresse et loni-
luissions ijue lui confie llonorius III. Embarras
dans rbistoire des dernières années de son gé-
néralat , i34-i36.
Cauûuer de f'ili'eêéortj grand cbarubellan
après son pèie, contribue à rétablir les ancien-
iies archives royales, 39.
Gautier de Corwut, archevêque de Sens,
370, Neveu par sa mère d'Albéric Clément et
de Henri Clément , les pins anciens maréchaux
de l-'rance, 271. Ses frères et son neveu, è\è-
qoes , i6itf. Il est chapeldîn des rois Philippe-
Auguste et Louis VIII, ibiJ, Ilunuiius III relusc
d'approuver l'élection de G;iulier à l'éxêché de
P.'iris ; passage de la lettre d'Honorius au roi,
372. <jdutier e;.! élu jiL-hevècjue de Sens, rèid.
Citation de quelques veis de la Fbilippide re-
latifs à cette élection, 273. Le pape lui enjoint
de faire on emprunt pour secourir Aniaury de
Montfort , ibîJ. Gautier (ait paitie de quelques
assemblées d"e\èques et de scij^neuis, 2 7 4 ■ H
fournit des subsides an roi pour la gnerre al-
bigeoise, 275. H signe avec les autres prélats
et comtes l'acte qui déclare Pierre Mauclerc
déchu de ses dioits au comté de Bretagne,
376. Il reçoit les dominicains et les francis-
cains, ibiJ. Il va clieicher en Provence Mar-
guerite, fille de Raîniond Bérenger, fiancée à
Louis IX, et il célèbre à Sens ce mariage royal,
ibtd. Il accompagne le mi à Villeneuve l'Arche •
véqoe , où ce piince alUit prendre la cobronne
d'épines apportée d'Orient; il fait l'historique
de cette translation, 377- H rédige des statuts
pour son diocèse, i&iJ. Il défend aux clercs-
n'baads déporter la tonsure, 278. Quelques
mots sur les ribaods ou truands, ibi<i. Date de
la mort de saint Edmond confirmée par un
voyage que fit Gautier en 1240, ibtd. Sa mort,
•on êpitjpbe , ib/d.
Grofvrot iiE Blftes, commentateur des
psaumes, et des épitres de saint Paul; domini-
cain, profeuenr de théologie vers i236, mort
ca i25o, 533, 534.
Geoffroy d'Eu , évèqae d'Amiens, 14 5. Sa
famille, ses études, son élection, etc., ib'd^. Il
•'exempte de suivre Louis IX à la guerre, en
payant cent livres parisis, 146. II piiursuît la
construction de la cathédrale jcluelle d'Amiens,
, selon les plans d« rarcbitccl« Robert de Lu-
zarcbes, ibid. Il n'a laissé qae quelques actes
ibid.
Groffrot de Vinesauf, né probablement
en Angleterre, a résidé à Home, mais n'a point
accompagné Richard Cœor-de-Lion à la Terre-
Sainte. Les ouvrages de Geoflrov sont la Poe-
tna ^ poétique, ru plus de 2000 vers latins-
une Apologie, pareillement \ersifiée, delà cour
de Rome. Il a écrit en prose un Traité snr tes
vins. On lut attribue aussi un Itinéraire histo-
rique de Jérnsalem. II est mort vers ia45,
3o5-3 I 2.
GÉRARD DE HoRAiGBT, abbé de SatDt-Ger-
roer, mort en I236, auteur de statuts sur la
cétébi-alion des féles, 52^.
Gérard de Mrvers , héros dn roman (lui purte
son nom , et qu'on a aussi intitulé la À'iulttte ,
760-77 I. ( V. Gibert de Montreuil.)
Gerberl [ depuis le pape Silvestre II ). Pacte
qu'il fait avec le diable selon la chronique d'Al-
béric , 285, 286.
Germon DE ( la dame ), Ironbadonr, native da
Montpellier. Son sirvente contre Guell^uma
Ki<;uiiRES pour la défense du clergé, 663. {.€
poêle était-il bien une femme? 606.
GÉBOLD ou G'/ra/J, abbé de Mulesme, puis
de Cluny, ensuite évèque de Valence, cn(iu
patiiaiche de Jérusalem, io3. Il est élu ubbe
de Molesme en 1208, et meurt à Jéru%alem tn
i23o, ibid ^ etc. Lettre de ce prélat aux chré-
tiens d'Occident contre l'empereur Frédéric II,
105. Analyse de celle lettre, io5.
Gertais peCHiriïTER, al)bé de Premontré,
puis evèque de Seer, , assiste en 1 2 1 5 au concilt-
de Latran. ('onimîssions dont il est chargé par
Innocent III et par Honorius dont il devirnl
le pénitencier. Il meurt en 1228 , il est enterré
à Silly. On lui attribue des commentaires sur
la Bible et des homélies; il n'est conna que par
ses épitres, qui sont imprimées nu nombre de
112. Traduction de trois de ces lettres, adres-
sées à Ingelburge, à Innocent III, à Honorius
III; les deux deioièies lebitives à la croisade
pour la conquête de la Terre-Sainte, 4i-5o.
Gervai» écrit en faveur de Philippe de Grève à
Honorius III et à un cardinal, i85.
Gibert de Moivtreuil, auteur da roman en
vers de la Violette ou Gérard de Nevers , lune
des meilleiiies productions poétiques duAlii*^^
siècle. Analyse de cet ouvrage; notice des ma-
nuscrits et des éditions, 760-771.
Gilles ue Lèwes, prémoniré, sornommé le
Blanc-Gendarme, i52. Sa patrie, ses prédica-
tions , ses connaissances , ibid. Il prêche U
croisade d'ontre-œer à Bruxelles en 1314, i53.
Il part pour l'Orient en 12 17, à la suite du raidi-
Dal-légat Pelage, en quabté de son pénitencier,
1 54* Gilles de Lèwes est rarement désigné Dum-
mément dans les chroniques; raison de cela,
i55. 11 convertit cinq malfaiteurs; il met fin
par ses prédications aux guerres civiles des
Ysengrirns et des l'iaventins, ibtd. A la léte d«
ceax qu'il s'était attachés, il combat pour la
8(
)0
TABLE DES AUTEURS
piisr d'uo pont de bâtraus^ i56. Citations de
tes paroles en celte ori'UMon , ibit*. Couraj;*
reniar<|iiable ilii Blanc - GeniLirtiie et de sa
troupe, 137. II es' piubjîile que ce fut nille»
de Lcwes 'nii penéltii h* juemiei dans Ddioittte,
i5g. t.ellre qu'il écrivit aux lideles du Hrah^nt
à i'occasion de la prise de cette ville; piissaj;e
cité , ibtd. el suiv. Conjectures sur 1rs actes de
Gilles de Lewes jusqu'en i^-Ji), 161. Sa con-
duite dans suu pou* erneruenl de l'abbaye de
Vicogne , ib'd Réflexions sur son style et iur
u |K*rsqnne, 1 t\i.
Gilles ut Liège, moine d'Orval, 431. Soins
qu'il prend pour ccriic l'iiisloire de I e^ltse de
Liépe» ibid Contenu de cet ouvrape , et molif-»
qui le lui ont fait enheprendie , ibit/. el suiv.
Histoire singulière d'Albeil de Louvain, évêque
de Liège, tirée du livre de Gilles; passage» ci-
tés , 43-2^1 suiv.
Goswir» de lîossul , moine de Villiers, né en
Brabaot, a éciil en 2 livres la vie du hienheu-
reoi. Arnulphe Je Cornibout , et peut-être aussi
celle de saiut Abund, qui vivait en 1219, 68,
Grande charte d'AnpIeterre, rédigée, annu-
lée, renouvelée, 53, 5y, 60.
Grégoire /.V, pape. (Commission dont il
charge l'abbé de (ateaux, Guillaume III, i5o,
i5f. Il recommande par une bulle spéciale les
prédications et le* leçons des doniini< ains.
Il protège aussi les penovefdins contre Philippe
de Grève, 1H6 Ses relati'ius a^ec Jacques île
Vitry qu'd fait cardin.il, et qu'il charge de
plusieurs missions , 2 I t , a I 3 . Il ordonne à
Raimond de Pegnafort d'entreprendre une com-
iiilation de deirctales, pi>ur laiie suite à celle
de Gralien, 40 l. Il nomme Jean de WîlUes-
husen , èvèque de Bosnie, 4 50.
GuAL ( Éiieniie du nu de ), clerc de Guérin,
évèque de Sentis, employé par ce piélat à re-
cueillir les re*les des aui iennes archives de
Irauce, 40. Il rédige une chronique sooimaire,
GuÉnis ou GiARir* , vice- chancelier ou
carde des sceaux en laoi ou 1101 , contribue
en I loi) à la ciindaninalion des disciples d'A-
maury de Chaities. lunocenl III lui recom-
mantle en 1^12 la cause de la reine Ingi-lbui ge.
En 12 1 3 , Gueiin est employé à reprendre
Tournai sur 1rs l'Lmands. Élu e\èque de Sen-
lis , il assiste en 1-214 à la baïaîlle de Houx i nés»
et coopère à la victoire de Phli-ppe-Augusle.
Il est membre de la c<»ur <les pairs en 121 fi,
Charles , transacii"ns, arbiitages qu'il souscrit
comme é\èqur. Louis \III le fait chancelier,
et l'un des exécDienrs de sou testament. Moit
de Goérin en im'» et sa sépulture à Chaalls.
Il avait recueilli les reste . des anciennes archi-
ves rovales, en se servant du travail de Gautier
de Villebéon, et en employant à l'acheter le
clerc ou seciéiaiie Ktïenne tin (\nn\ Hommages
rendus à t'tueiiu par divers écrivains, depuis le
jiiii'sicrlc, iti-it Guerin intrrrède rn vain
pour n niveisité de Paris, auprès de Philippe
de Giéxe , i 85.
GLiARn ne Laos , zélé réprohatenr de U
jduialiié d»8 Lénéfices, chancelier de l'église
et de rUniversiie de Paris apiès Philippe de
(irève , évéc|ue de dmbiai en iit8,roort à
Afil ghero en 1247; auteur d'uu Vratté drs offi-
<es divins ,' d'un Dialogue sur la création du
monde, de deux snmons sur la passion d«
J. C. lous ces ccriis sont inédits, 354-356.
CuiUanme f'IU^ vicomte de Montpellier.
mort au mois de novembre laoa. Il institne
pour son héiilier à la seigneurie de Montpel-
lier, fiiir/Zartritr , aîn(' des ïils qu'il a eus d'A-
gnès. Guéries que ce testament occasionne ,
548.
GuiLLAiME , af.bé n'A wdres , né vers 1176.
Ses voyages à Ron;e en 1 loO , i-îoH el lail.
Sa mort eu 1^34 Sa chronique, finissant à celte
époque el remontant à io«2, l3i-i34.
GuiLLATME d'Aivkrobe , né à Aurillac, étn-
dle et enseigiie a Paiis. Il passe pnor le pre-
mier dooipur qui ait fait usage des livres
attribues à Hermès ou Meicuie Tiismégisle.
Kn 12-28, il est élu é\è«|iie de Paris. Actes
(le son épiscopat : f.md. tioos et iosiilntions
pieuses; concessions à des monastèics; excom-
iiiiinicatinn des m.tiries el des étudiants de
I l'oiversîtè, poui seconder 1rs entieprises du
charueliei Philippe île Gieve. Mission de Guil-
laume CD Bretiigne; sa participation aux actes
qui iéprou\ent la pluralité des bénéfices; sa
présidence aux crieinnnies du onze août l»38,
pour la léception de k sainte conionne d'épi-
nes. Il construit ré:ilise de Saint-Nicolas-du-
(. liai donne t ; il condamne dix proposition»
tbcologiqnes ; il baptise, en 1244, 'e f»'*
premier né de Louis IX ; il combat le projet
de la croisatle; il souscrit à la condamnalîon
du lalinud. Son eniielien a^ec on théologien,
raconté par saint Louis à Joinville. Mort de
Guillaume en 1249, ei sa sépiiliuie à Saint-
Vicloi, 357-3651, IManuscrits el éililions de sei
ouvrages, 3fi2-.ifi4. Anahse de ses Iraités d«
la foi, des lois, des vertus, des moeurs, de»
vices el du pèche, des tentations et des rèsi»-
tanccs, des mérites, des retribnlions 00 récom-
penses des saints, de l'iminot laliié de lame,
lie la prière (sous le litre de Rhttnrica dtvina),
des sacremenlH en général, du baplèrae, de It
coiiHi niatioD , de 1 eucharistie , de la pénitence,
du mai iage, de Tordre el de rexirême-onclion ;
des canses de l'incarnalion ; d'un second livre
sui la pénitence, el du grand traité (/e t/w/Ver/o,
di%isé en 2 parties, dont !■ seconde ne concerne
que l'univers spirituel. Sujets tialies spéciale-
ment dans les i sections de la i*^' pariîe, dans
les 3 sections de la 2*'. ÎC', 3-:7. Les sermons
attribués à Guillaume d'Auvergne , au nombre
de 362, apparliendiaient plutôt à Guillaume
Péiautd , archevêque de Lyon, 3"7-379- Trai-
tes lie rèvèfpie de Paiis sur la triniié, sur Tame;
f encore un** fois ) sur la pénitence , sur les
ET DES MATIÈRES.
86
béaéfîc». Le Iraité de la Triniir seinble èlie le
premier livre cruii giHiid coip!» (rouMa(;e (|;m !.e
cODlioueidil p.ir le lidiie dt Unn-ttsu, Elnidue
lia tiaile de l'inue ; (|UL:tiiun& qui y .suDl agi-
lée» , eic. , 371»- IH 1 .
GuiLLÂUMk u'Alxlrhe, arcbidîâne de Ileau-
vais, n'» jjiuji» eié c\é>(ue. Sa mon eo 1 2 iu à
Rome , tm il uvnit Miivi l'ev^que de he:iu\iii»
Milun. Ce qu'où idcuiile de ac* it-l.ilîoiiii twc
■aiiite Hilde^di de , en i 1 ôS , eai ia.idmi^biLjle.
Il est uuu-ui d iiite Sutuotc ibeul(>;;iquc , d'untr
Somme de àivttits Offuiis : oniice de l'une el
de Tautre. On Va soin eut confondu avec (îuil-
laurae de Seigiiela]?, c%èque d'Auieiie , pui» de
Paris, 1 1 5-1 22.
Guir.LAUMfc DE liEAUMOHT, évêquc d'Aogers,
aSo. lllustiuliuii de sa fjmille ; il e>i clu chèque
a rage de vnij;I-cinq au;», ibid. Ses Sitiit.ts ^ le»
plus aueiens du diucesc dAn^t-i<i, ail. Sun
opilaphe. tJiiisLnplie de Ike.tui.iunt, jnlievèquc
de l'aris , sous Its n'j:iie'. de l.oui» W ei Li-uis
XVI,é|.iil delà même ijiuillt: que ce prélat,
i5 I el suiv.
GutLLAUMK DE lUziEftS , 1 1 uubadoui', auleui
d*one pièce du génie de cetU-s que 1rs tr<jnl>a-
dours appelrtienl «./ Te'*, 5Jo. Sa comphiinie
ftur la muit d un \ii-uiule de l^czicis Qui rl;iit
ce vieouilc? 5Jl. liaj^uieiils de celle pièce,
55».
OciLLàUME , ABBÉ DE (UtEALI, le 3' de SOD
iioro , élu en 1227. Siaïuis (l.iu^li.^nx eiu.tues
des rhapilies généraux piérides par luijusqueii
1236. liieguÉiclX le » iiaii;f tii i 22y de it-cou
cilier le» luis de l'iancf rt irAiigirinie Amie»
commissions qu'd irccil de ce pwntile II abdi-
uce eu 1237, el se leriit: à *_,|.iii vaujt , mmi
premier uiunasleie. On iui allnbue des semions,
149-152.
iiutUnume de Couches eilé dans le Spéculum
naturale de Vincent de iiean\ais : c eal pac ei-
leur que l'oise\iu diuibue cel uuviagc a Guil-
laume , 4U^-
GuilUiume de Dum/e/bt-ri^ , XTabbé de Vil-
liers, puis XV m" al.be de Claiivaux, 293 taii
abbé de Vil leis en 1 22 f , d (onde de nuuveaux
uionaslèies , ihiJ. AUbe de Clan vaux, il accui de
aa comte de tiaodie que les reb^ifiix de ses
terres dit»enl la messe avant d'^llrr luxaillei
aux champs, tbid. Il esl lait ptsunuiet de I em-
pereur l'"redéiie , 2y4. Son epiiapbe, 290. On
lui attribue un npu.scule qui est de baïul Kd-
luond , ibid el adtf .
GuiLLAUMk i>E i.A TouR , troubaduUT , lié
dans le l'eiipoid. Il a ete cio luhen , i»3o. Suu
■ejour en LuuiUaidie. ;>apas!tiun pour la ieiniuc
d'un peirnquiei de iVlilau. La iluuirni que lui
cause la muit fit* cellt* temiue lui tait peidie la
laison, 63 I . Ses Unsnus avfc Sordel , lijz.
GoiLLAUMb. Db Mu.MAtcu, X X II' abbé de
Cîteaux, i3«. La dale de sa mt>il Jixe, 33y.
Il ne lesle de lui qu'une (cHic, ibiii. Lciiio du
pape Giej;oirr 1\ à c< l abbc^ ibid. Selon Man-
lique, (Jiiillaume de Muiitaigii ent a delrtiuie
Tome Xnil.
fcop ordie conir*' set envieox ; passages traduits,
340- Privilèges acroidés aux Cisteitiens par le
p:>pe , 34iGrepoiie IX luiéctil de faiie faire
des prières pour obtenir la lin de la guerre atbi-
penrse, 345. 11 fait des staiiiis ptini son ordre,
34 \. Le pape le cliarj;e d être médiateur île la
paix entre les rois de l'ianoe et d' \nj;leterTe ,
ibid. et suiv. Il ordonne (.1 célébration de la
rèle-Dieu el de la l^ie de la S.ilniel 1 iiiile dans
son ordre. 345. Nomeanx pi i\ ilé^es qu'il ob-
tient du pape pour les (ahienïens , .b'd et suiv.
fiuHlai»nte l'èrnuid y ait bevêcpie de Ltod ,
avant 1 a 60, désigne conmip auteur des fermons
qu'on a compris dans les Otuvres de l'év^jue
de Paris , Gn il hume d' Anveigne , 3-7-379.
(*uii.i.4LME PÉTRI, évèq'ie d'Albv, 106. Il
(iail un tiaite a\er RaTinond, eoniie de 'l'iiu-
louse, pnui la >ùiele des pers»»nne.s et des pro-
piicies de leurs teires, ibitl. Il accorde pai no
acte, aux boui^eois d'Alby. la f<.cn!te de dis-
poseï de lenis biens par tesiament, 107. Il fait
des statuts pour les moines de Saini-Salvien ,
ibid. O qu'on enrendail par dnntiti, loH.
GiiMAiMk DK IWnnes, fi CI e pi éclicur , vé-
litable anieiii de V ^jpurnttts l'i •^uinirurm Bny-
ittuiidi. Cette (;lose a eié mal à propon atli ibnee
à Jean de l'ribouig tlit le Letttur ^^\^ le TeutO'
nique. (Jti)ile de ce travail de (uiillaunie de
Keiiues sur la Somme jniid (jiie de Kaimond de
Pepn^lort, 402 — 406. 1 xtiails de l.i glose de
(luillaiime ilans \e Spet iiliiin doid tnaie de Vin-
ceut de r>eauvais, 496.
Gt}ii.L\tJME nESAiNi-GRFGORi, troulifldour.
Sa lenson avec Blacas, 6Î7, Cbanson \raisero-
)>lablen;eiil de lui , attribuée à dillerents poètes,
63v
Guillaume, moine de Sa'nt-iMailio-de-Tonr-
liai , a enmpilé dix livres d'extraiis des onviages
de saint Bernaid , prêt éd es d'une ^lolice sur
cet illustre abbe de Claii\aux. 395 — 397.
(hiillfiiime de Tyr : son bisloiie des C^oî^ade8,
traduite eu français dès le xiii^ siècle par Ber-
Daid le l'résoiier, 4'io.
(«L'nrr oc Provins, autenr du poëroe sali-
rif|ue appelé Ittble (,tiiot^ 80R.
Gtt de Meluh , cbe\alier, auteur d'une
KelatiOD de la prise de Daiuïette , 4otf-4iI<
H.
HALonia , voyez Jean.
Hai'Tpuhey, %oyez Jsan.
H'iveUifi /«■ Duiton; roman anonyme, 7 1 1-7 38.
}|£Lin*nu, ne a Pruner >t ou Pioiit-|r-ioi ,
dans le lteau\aiais, débuta d.itis la carrière des
letties par des cbausoiis, qu'il cbanlait quel-
ifueloitt de vaut Pbt lippe Auguste. iW'iioncant
aux exercices mondains, il triitie dans l'ordre
de 1 Jleanx , à Froidiuonl, vers i?oo II était
iiiuine (|Uaiid il composa ses quar.iiiie neol stan-
ces sui la moit, le pius célèbre de ses itu\ rages.
Il ne icste fju'iiKc p.jitie de sa cbronii^ue. On a
î\ I I r r
86::
TABLK DES AUTEURS
de lui ^8 ccnaons et des opOHcaIrs ialifalû
Fienrs. Il vivait fiimie eu l'ii^ ■, 86-iu3.
Henri lll, roi d'Aiiglelerre, couroané par
Ktienne l,anf;loii , promet d'oli.nrrver la pmniie
< barle , 59,60. Il coiiféie des f<»ncli<»na judi-
ciaires en Biaiièie iriininelle à K.inolphe, ahbé
de KameKcy : récluination de l'cvè^ue de Lio-
<:olii, Kobfil-Gio.iNe-lèle, 4^'*-
Htïvni i»'A VRAHCHE*, puètc lu'in vers 12^0,
critiqué par Mitlit-l HlaiiDpityD. î)3o.
Hiniti Di DRfrx on ne Kkenue, archevê-
que de Reims, a4**- '' ^''' ^'" ^" *2'7i '*'*^-
Se» deim'Iës aver le jrone roi Looi* I\ ; sujet
de U letlre que Heoii éciivit au pape, ibid. Le
ici dépouille ré\êque de Hoauvais de Ions ses
biens, et le- fait sorrir de sa ville epistupale,
;t47. Les Rémois se révollenl touire leur pré-
lat, el le chassent tle la ville, 248- Causes de
ce» désordres, 2 49-
HcKBEnT, doyen de l'église d'AuXerre , au-
teur d'une aonnne de llié(»togie , 536, 537.
Htrdnc^ pneur de Skhilwolil. excommunié
a la saile de ses déniélés avec Euiun, abbe de
Veaim. 178, 181.
Heuuah, p(èlre,néà Valenriennes, auteur
de poèntes sur des sujets de l'ancieo et ilu nou-
veau Testament; le piiocipal est inlilulé Gène-
j,j, 830-837.
lUuDAK (Raoul de), «oteur du Songe d'En-
fer^ 786—792.
Honorins iH. Lettre que lui écrit Gervais
de Chicpsler, 48 — 5o. Mission» doot il charge
Gauthier d'(Khies, i35. Il iniervient dan» les
démêlé» d ÉiuoM et de Herdric. et piumiDce
contre re dernier une senience d'excoinuiuni-
ralion, 178, iHi. Il irpiime, en HI9, les en-
treprise» de Philippe de Grève contre 1 Uoiver
aité, 186. Il donne une tnissioo en Palestine à
Jicques de Vilry, et au prémontré Hélin, iio.
Hue fie Tubarie, personnage el peut-étie au-
teor Ue lOrdene de chevjlerie, 760.
HuB d'Oisy, trouvère , aateui' de cbaoson»,
847,848.
HDUi't» DE Bersii, placé parmi les trouba-
dours, est vraistiublablement le même person-
nage que le trouvère Hut^ues de Btr$il , ou de
Berze, auteur d'une Bible, poèiue satirique , 640,
641 ; 816 8ai.
HuGï'ES PE TroREFFE», TOonastère de Tordre
de Piémontrc, au diocèse de Ndiuur, a écut les
vies de (rois recluses, Ida de Nivelle, Ida de
Lcuves, Ivetra de Hiiy, 86, 87.
Hugues ue Miramous, archidiacre de Ma-
eaelone, puLs chartreux, 70. Comts détails sur
sa vi« et la date de- sa mort, ibtd. Trois mss.
des œuvre» de ce religieux, ihtd. Le premier
sur le droit canon t 71. Le second sur Vttnio-
nomase et ie rtonihre <f notre , itid 1^ troisième
sur les misères de f homme » etc., 72. Citations
littérales, et ira<lactiuu d« quelques morceaux
de ce dernier ouvrage, 73.
Hvoa DE Meri, trouvère, aalear du Tonr-
outement du Christ, 800-806.
HuoH u» Vii.LBiVECVE , troovèi e auqoel plu-
sieur» romans en ver» sont aliriboés : Regnauft
de îltintauban, les Quaire-l-ils Aymon, Maa-
gis d'Aigremout, Heuve» d'Aigremont, Doolin
de Miiyeuce, Ctpeiis de Viueasx. Notice» de
ces puemes , lie» manuscrits, édition» et Irador-
tioiis qu'on en possède, 721 — t3o.
I.
Ida, première abbesse d*Argen»oles, niuilc
en t2-i6, ihéotogieoiie célébrée par 1 humas de
Canlimpre, et par Philippe , moJoe de la Char-
luoye, qui a éciit sa vie, Sit.
I^iiaiirè. (Lai d' ) , parRvnax, 773, 779.
I M SERT ( Pieiie^, troubadour. Sa teuson avec
Gtullainue de la Tnur, 63a.
In-^elburi;e y leine de l*'raDce, répudiée par
Philippe* Auguste. Sa cause recommandée par
Iimoient lU à Gnérin, 3 'i . Lettre de Gervai»
de Cbiceslei à celle piincesse, 44, 45.
Innocent lit recnniiii^nde à Guérin la reioe
liigfrlburge, 34. Letlre de Gervai» de Chicester
à ce poniife, 45 — 48. Innocent attire à Rome
Éiîenne Langton , le fait cardinal, le sacre ar-
chevêque de CHiilorbéry, après avoir cassé les
élections de Régînald ei de Jean de Gray. A ce
sujet , correspoml.inre et démêlé du pape avec
le roi Jean S.Tns-Tene, 5i — 59. Innocent »e
déclare pour Oihon de Saxe contre Philippe
de Souabc ; puis pour le jeune Frédéric II contre
O hoD, 199.
Innocent IV ordonne â Alexandre de Halé»
de recueillir ses leçons et d'en former un corp»
de doctrine, 3i*i. Il donne à son jeune nevea
on caiionical de Linci>ln. Vive réclamalioo de
revè(|ue Robert-Giosse-Tète. Violent courroux
du pape qur ordonne eu vain , npi-ès la mort de
Robeit, de retiier le corps de ce prélat de la
cathédrale de Lincolu. 'Prétendue apparition de
Robert à Innoceiit, et mort de ce pontife en 13 54,
438, 439, 440.
Jacques DE Touloo^k, frère prêcheur, rédige,
ver» le milieu du xiii* siècle, un dictioiuuure
théologique en 2 gro» volumes qui se conser-
vaient roattuscrits daa.H son couvent, 399, 4oo.
Ja( QDEk DE VrTRT, oé probablement à Vitry-
snr-Seine, étudiait à Pan» vers le commence-
méat du règne de Philippe-Auguste. KoDclioaa
cléricales exercées par lui à Aigenteail. Sa re-
iraiie en Belgique, anprès de la pieuie Marie
d'Oignies. Il revient à Paris recevoir l'ordre de
la piêtrisr, repas.^e en Brabant, devient caré de
Wasier.H oo d'Oignies, 309, 210. De laio à
19 13, il prêche la croisade contre le» Albi-
geois, et suit en Languedoc les cohortes année»
pour les exterminer. Eo I3i6 ou 1217, il est
élu évêque de Ptoléniais*ou Saint-Jean-d^Acrt.
HoQoriu» 111 lui donne une mission en Pales-
ET DES MATIÈRES.
863
tiiie , et lai associe le prérnoniré Hclin. Jacqnes
de Viti y assiste en n 18 au sicpe de Damifiic.
Son voya-je eu lai; à Rornp. puis en Bfl;;'<|ue.
Ses rehtinns avec Oir^oirr IX, (]ui li' fait car-
d:nal-évê{jiie dt* Tuisculum eu la^ft ou laio.
Missions fl legalîttns (|u'il irniplit en Prance et
ea Alien)a<;iic- juxju'en liSy. H naecej te |ioiut
le patriarcat de Itius-iUiu. Sun te^-lauifiit. Son
corps es! Iranspuite el iiiliuiue à Olj-nies Mis
toiie Miei veillriise de >a vie par son disciple
Thomas de Caoïiinpié, ïio — 714- S«^s leliips,
dun( sii concfinrot rexpedition m Orient, vt
parliculièrenirol le siège et la prise de Oaniiflle,
ai4— 2i7- Se» scnniHis et t.i préface qu'il y a
jointe , 117 — 220 Ses t rai lés tlieulogiques cf)n-
tre le!t Sairasins, sur Id cunfrï.sïon , la cuii^tr-
sion , la gr.ice, etc. , s-zm, ji t. Ses livres d'iils-
toire, au uonibre desquels on peut ne pas com-
prendre on recueil d'exemples, ni une descriji-
lion de réjiliHe de Nolre-Dauie de Lorelle; mais
il a écrit 1rs éloî;es de quflipics pieuses Lié-
geoises, et 1h vie de Maiie troî^ntes, précédée
d'une êpiire à l''oulque>, évèque de loulouse ,
aai — aa4- Le principal ouviajje de Jacques de
Vitry se compose de trois ll\res, dont le pre-
mier et le troisième sont intitules : Histoire ont n^
taie, el le .second ; Hi'^ioire occidtnliile. Itildio-
graplile el analyse de cet tmvrnpe , ^34 — 34^.
Plusieurs aritcles du hoibieine livie sont eni-
prunles d'Olivier, ecidàire deO-lo^jue, 3 43.^4 4.
ExtraitH tie la \ie de Maiie trOïpnies el des au-
très livres de J.icqne.s de Vrtrv diius le Miroir
bistorial de Viocent d'' Ifeauvais, 4Hi, 5i3.
Jean d' \(;uii.a ou D*AnGL'ii.ttf , troid>adoor,
cODtemporain de J.ic(pies I**"^. roi d'Arajïort.
Une de ses ehansuns appai lient à l'au 1 a4 1 , 646
Jeaiï D*AtJBussoi«, iKiulindour. Les histo-
riens le disent ne en Italie. Une de sfs chansons
semble prouver qu'il nacpiit clans l.i l*to\ence
orieiitdle, ^ ly. Sj chaleur pour le parti des
Gihelinn. Sa tensoti avec le troubadiuir ^ icol< l
de Tarin, ctmtrc le p.irli des fiiielfes, 6^7.
Ces deux poêles sout proie^és par Hontfjce IM ,
marquis de Monlferrai , h-it^ Utilité de leurs
chausons provei. cales pour la formation de la
langue italienne, (>A).
Jeab oeSaist-E^boll, chancelier de l'église
de Paris en 12 Si , ineuit doyen du chapitie de
Lizieuz en i355. On lui atliihue des sermons
inédits, 53t|.
Jehar d^ l*f,A.<;Y, auteur de r.arin le Lohc-
rain , rouian de Ju,imio vers, m.d à propos «iiri-
btlé par D. C^ilniet ao cliaiioirre Hugues de Toul,
Notice de ce pleine, ^ÏS.
Jran Je F'ib'-nt^, tlii le Lecteur on le Teu-
tomque ^ mor( en i ti4, n'est point l'anicur de
V Appnfattts i/i iiimmnm fiai /nnnilt ^ une des
éditeurs lui ont aitiihué, 40! — 4"^'
Jean M&i.i.rih n'ABBkvii.i.e, doyen de l'é-
glise d'Auircns, puis arc!»evrqiie de Hesancon ,
eobn cardinal-cvètjuc >le Saliirie, 163. Itiu-tra
tîon de sa (.ituitle, ihul. W l.iit ses études ;i Pa-
ris ; erreui de (>a». OuJiti sur la d.ile Je l'année
de soo doctont, 163. Il est fait archev^qae
de llesancou, enlîn cardinal evéque en iinn^
ibîd. Il est envoyé en légation ^n Espagne, cm
il s'a(l;iche Raimond de Eegnafort ; puis en
Allemagne, i(>4. Sa morl doit ètie p|;»cee à l'an
iai7, ibtd. Ouvrages qu'il à laisses, rHS el suiv.
Ses Sermons et ses Homé/tis : réflexions sur ces
ouvrages, i()G et suiv. Morceaux tradints, 169.
Ejr/>,>si(ioi/iCfintictictin ÏLomm, le seul de ses
ouvrages qui ait ete imprimé. (71. Manière
remanpiahie dont Jean trAbbevillc a intei prêté
le ctiiiiipie, 172. Tidduction libre d'une partie
de son Eupusiiion, 173 el suiv. Notice sur les
nombreux matiuscriis qui ekisient de ses ccu-
vres ,17b.
Jititt de Hnutfiiney, rédacteur d'une table du
Miroir hi^lorial de Vincent de Beauvjii, 4-2
473.
Jkah (IÎ!) d'Iprfs, abbé de Saint hertin , en
11S7, auparavant moine de Lobes. Son voy-ige
a Rome, ses liaiisaclions, les concessions et
privilèges qu'il obticni pour son mon.isiére. Sa
imul en i 2 io. Il pusse pour auteur d'une Vie
(le saiut Hernard-le-l'enitenl , el d'une Légende
de siiiiit EikeiiiLodon , 108— 11 -a.
JuN b£ l.cMOGEs dédie à lliibauld , roi de
Navarre, comte de Champagne, un recueil
d'épihes écrites sous les noms de Pluraoo, roi
d'Egypte, et de Joseph, fils de Jacob; expli-
cation morale el mystique du songe de Tharaon
37^ — 3-5.
Jean ue Loi;vain, dit h Précurseur, moine
cistercien, mort vers 1190; auteur de Vies de
Jésus-Christ, de ].i sainte Vierge, el de plusieurs
religieu\ , 5 19 , 52(1.
JtAH OE Mailly, frère prêcheur, chroni-
queur, distinct du prédicateur Guillaume de
Mailly, 53i, .^32.
JkAN Di MoNTuuR, évéque de Mnguelone,
mi»rt à Lyon en 1347; auteur d'un règlement
eu quatorze articles pour la faculté des arls de
Montpellier, 35*i, 3J7.
Jiati de NoNtmirtttl, cistercien. Relation de
sa vie tt de ses miracles, par Gauthier dOchies,
i35.
Jtan de Nesie, un des dépotés de la conr
de Iranee pour aller chercher eu Provence la
princesse Marguerite, ii.tocée au jeune roi
Louis IX , î7*i.
Jkaw Rewax ou RfNAULT, suteur du lai
(('Ig:ianres , et autres poèmes , ^73 — 779.
Jcfi/i de la Hoc h I lie f francisi'ain , disciple
d'Aiexandre de Halès qui lui cède sa chaire
en I23S, 3i4-
Je>iii'Sittii-Terre f rot d'Angleterre. Ses dé-
niêlt-s avec le pipe Innocent III, avec le car-
dinal Etienne i.aiigioii, :ivec le.s seigneurs an-
gldi.s : il signe, retiacte et léiublil la grande
charte, 5ï — 59.
Jeah pe Sa'R r-Gii.r.es, ou de S^tlnt-Alhao,
ailleurs de Saini Queniin, nicili'im el théologien,
piolesse les ;ii ts l.liei.iux à Oxloiil , prils a Pa-
ri»; la médecine a l';u->s el à Montpellier. Il a
V\ rr ira
86/;
TABLE DES AUTEURS
été on d«a raéilfcins de Philippe-Aupiisic. Doc
ïeiir en théologie, il brillait iiussî d.tnn le» rhai-
res ecclésiastîqties. Ses iel:ili«ins .'ivec 1<-b domi-
nicains; il leur donne une maison diin* la rue
Sainl-Jacques ; il inlerimnpl une de ses Ifcnns
ou (nédicjfions pour se revêtir de leur baliil. 11
profes»e la ibéolopie daus Inir couvent de Fa-
li», puis dans celui de InnluuM*. Aiiparavaul.
il avait élé duyen de S.tini-Quentin. Il passe
le» deiniêies ;innées «ie ,sn vie en Angirierie ,
444 , 44 T. Coin me mèdeiin du corps et de Ta me,
il assiste Robert-(itus>e-l êît* . m.dadr en tiM.
Son enirelien i*v<-c te pn-lar sur Ibcrf-sie d Inno-
cent IV, 43q, 445, 4/(H Ouvrables ilouS iné-
dits) de Jean de Sdini Cilles : ï** Comuit-nlaire
sur les (|aatre livres des sentences; -i" tipuscules
sur la sa^es^ divîue, sur la pindnctiun des
choses, sur les anges , etc. ; J" MoinelifS et In
terptélat'ons ntuiales de la lîibic; 4** I «uiimen-
taires sur dos livres d'Arrslo**", I railes du ciel,
de l'ètie et de l'essence; 5° Expeiiences de
BjédeciDe; 6" l'oiination du corps, pionnsrirs
et pratiques médicales. On a joint à celle liste
des poèmes sur les urines, sur le pouls, qui sont
de Gilles de Corb» il . 44H, 447.
Jean, abbé de SHÎnt Victor de Paris, né en
Allemagne, surnnrame quelquefois /e ltiitot,i-
qne, adjoint aux exeruteuis dn teslameni de
LouisVIII, meurt en 1^99. Ses beimoiis nia-
Buscrils , fifi, fiy.
Jeak de W'.i.nFSHr'iEif , dit }tr Teutottique ,
né en II 80, à Wildesbusen, au diocèse d'Osna
brurk. Il renonce à la profession d'avocat, et
prend l'habit de dominicain; il rempbl 1 fdlice
de pénitentia re anpres de phiMeors cardinaux.
Eq 1127 on aS, il e^t provincial de Hongrie.
Grégoire IX le nomme , en iî3l,évèque de
Bosnie; il abdîqne retie piélalure eu 12 t7, et
devient provincial de Lombardie. En 124», d
est éla qujlriéme géneial de son ordre H meurt
à Strasbourg en iî52. Ses vettus, son sawtir.
ses dons naturels et snmatnrels. Onzeou douze
Wtlres encTcliques sont les seols écrits ([ui
reaient de lui ; il n'est p*Hnl l'auteur d'ime
chronique et d'une somme qui lui ont été attri-
buées, 4 3. S — 437.
Jérusalem^ prise par les Sarrasins, -xi.
JortifUurs et /t>rtg/et esses ^ 701.
JouaiiAfif LE l'oREsTiER , Jordonus iVemora-
hiis, mathématicien, auteur de dix libres dVlé-
ments d'aiilhm«-iique, de treize propositions
sur les poids, etc. Incertitudes sur le lien de
sa naissance, et sur Tépoque de ses travaux,
140 — i4î.
Juges d'amour, voyez Matapianat 57 3;
voyez Baimnnd Vidal, 633.
JcHLi. DE Saint-Martis, né an «ein d'une
famille noble; cbanctine, ecoîàire - doy n au
M.tua; ;irchevcquc tle Tours en lîig, de Ileinis
en 1 244. il assi^le au concile de Lyon en 1245,
ic croise en 1 24 H, et ne p;o 1 pas pour la Tei ic-
Sainte. Ses démêles avec son chapitre , avec ses 1
sHffr.iganfs, avec l'evcque de Liège. Atléialiun
de sa raison à Reims, et sa mort à Paris eu
laôo. .Ses écrits sont i" des statuts pour Téglise
de Sainl-hrieiix ; 3" (|uatoize canons du concile
qu'il a prrside à louis en I2l*i; 3* le règle-
ment qu'il imposa aux ecobers de Keim» «■
i:j44, 4» 1 — 4 i4-
L.
Lnts , considérés comme lu typ^s 00 les ger-
mr» d»-s romans en vers. Lai d'H^velok, 73i —
73S; il'Ipnaurès, 773, 779; de YOmhve y ihid.
I.nmbert df Liriie y moine de Sainl-Ijureat
à Tuy, auteur iThymnes, d'epigrauimes , etc.,
ii3.
Lambirt. troubadour. Sa tenson avec Guil-
laume Kiguieies el Heriruad d Aurel , 661.
Langtou (Éiienne), né en Angleteire, étu-
die et professe à l'aiis; y devient chanoine de
la c.ilbedral", et ihancelicr de rnniversilé. In-
nocent III l'attire a Kome, le nomme cardinal,
le lait eliic aicbevèque de (^autoibéry, après
a^oir cnsse l'élection de Réginald et celle de
Jran de Cr;iy. (.uirespoudauce el démêlé à ce
sujet entre le p;tpe et le roi Jean-Sans-lerre,
qui refuse de reconnaître Langlon, et l'oblig*
à suiitr de Li Giande Hreiague. Excouimanica-
lion du lunnarque. Rrii.iiie i\e Langlon a Ppn-
tignv duiant six années. Sa rentrée en Angle-
tetre, en i-ii3, avec les auties preLits bannis.
II s*associe à l'enirepiise des seigneurs angUis
contre le rt>i ; il leur présente dans une assem-
blée une charte de llenii l". Il est nommé
dans le preauibute de la grande cbai le que Jean
signe en sa présence. Cet acte est cassé pur le
pape, et Langlon mandé à Home. Le retour à
Canliuliéi V , d célèbre la translation du corp«
de 1 honias Uekket; renouvelle le couronnement
du jeune Henri III; restauie, lemetible, enri-
chit le palais épis<-o|»al et Téglise niétropoli-
t.iinr; lient un concile provincial à Oxford, et
T publie des statuts. En tiily il reparaît à la
tête des giands du royaume, pour léclamer U
roiiLirmation et l'exécution de la grande charte.
Il meurt en 1228 à Slinduti ; son corps est rap-
poileà Cantorbeiy. Notices de ses commen-
taires sur la Bible, de ses scrutons, des ver»
Irancais ({u il y insérait. Auties écrits (|u'on lei
atliibue : so^ume et traites de iheuLugie; épï-
tres ; histoires de Mahomet, de Thomas Bek-
ket , du roi Richard , etc. , 5o — 66.
iMugton (Simon), fière d'Éiicnne, et arche-
vêque d'Yoïk, vécut just|nVn 134^* c^ laissa
un conimenlaiie du Cantique des cantiques. Il
ava<t, en toute circonstance, épousé la cause
et parragc les démarthes d'Éticnoe. Il s'était
aii>si dcclaié puur te piince /tançais Louis , 54>
j3, 5i). 61.
Lu Hue (M l'aîfbé de) place la mou de S«-
var:c de >iauléi>n à l'.m I2^»6, (Sq^. i\\è dan*
plusieurs des ailicles qui concernent les troa-
Tcres.
ET DES MATIERES.
865
Ltibniti, le praniCT qa! ait fait imprimer la
chronique d*Alhêric : inlcfpolaiiuas et correc-
tion» qu'il y a Faitra, 179.
Louis, prince fraliçais (depois LoailVIII),
entreprend de s'établir snr je trône de la Oiande-
Bretagne, et n'y réuuit pas : exconiiunnië par
le cardinal Oaluo, il repasse eo France, 3 1 .
Louis IX Tait saisir le temporel de l'arrhe-
Ȏqae de Rouen, 141, 14J; et celui de l'ar-
cbevèque de Reims, ^47. 148. Il raconte à
Joinville la conversation de l'evèque de Paris,
Gnillaorne d'Auvergne , avec un ibcologien ,
359 — 36ï. Missionnaires qu'il envoie en Tar-
tarie, 447,44s. Il fonde l'abiiaye de Royaa-
niont, et y allire Vincent de Beanvais dont il
emploie les taleali et favorise les travaux ,
4Sî— 456.
Loo DB La. BaaaK, trooTère, 841-844.
M.
MiensÀC (Pierre de), tmobadour. Singulier
partage qu'il fait a«cc son frère de la furluoe
paternelle. Il enlève b femine de Rernanl de
Tierci, et ne la rend jamais, 6i9. On voit H;inx
Ml vers qae l'hilippe - Auguste protégeinit le
daopbin d*AQ\ergiie ri sesadhérenls, duo.
Matiriqur. Fin de ses Annales cisterciennes à
Tan 1^36. Uiiluê de cet ouvragé, i5i, i5a.
Marie d'Oignies. Jacques de Viitr va se sanc-
tifier anprès dVIIc; elle le délerni-ne à rece-
voir Tordre de la prêirUe; quand il revient,
après l'avoir reçu, elle accuort à sa rencontie,
baise les traces de ses pas. Mort de Mjrie, en
Iii3, 310. Histoire de sa vie, par Jacques de
Vitry, aaa — 334- Dans le Miroir historial de
Vincent de Beauvais, 4^^* 5i3.
MiaTiir DE Laos, prieur de la chartreuse
du Val-Saint-Hierrey entre les anaées 1170 et
1 1 80 ; auteur d'une rpîire à dq novice , compo-
sée d*expressions bibliques, âao.
Mataplaha. (Hngnes, marquis de), tronba-
door. Sa magniâreoce, 571. Sun Duel littéraire
«vec Blacasset, iîls de Plaças, S^s. Choi» ponr
juge d'amour, 573- Mort en 1339, 575.
Maukicc, ëvèque da Mans ^ pois archevêque
de Rouen, 143. Il rédige, en 1339. des statuts
poar le diocèse du Mans, ibid. Ses démêlés a\ec
le jeune roi Louis IX; cinq lettres écrites à ce
sujet, tbid. Il rédige des statuts pour le diocèse
de Rooeo ; particularités de ces statuts, 14).
Traits particuliers de la vie de Maurice, ibid.
Notice détaillée sur le tombeau de Maurice qui
existe encore actuellement dans Téglise wélro-
polîlaine de Rouen, 144.
Èffchi-Âémel, soodande Babylone. Ses belles
qualités, m>o humanité, sa clémence, etc., dé^
criles par un des cruiftcs, 36, 37, 38.
Memeon, abbé de Vernm, continuateur de la
chronique .d'Émoo , 180.
Ménestrels, longtemps distincts des jouglears.
Ménestrellrseï jonglcresaes, 699 — 701.
Moines. Expo&é de l'état des divers ordres
mona-sliques au xiii' siècle , par Jjcqurs de
VitrY, 335—338.
Moines mendiants. Leurs démêlés avec Phi-
lippe de Crèvo. Protection qu'ils obtieDuent de
Grégoire IX, 186.
MoHTAHT Sartre, troubadour. Tailleur de
profebsion, partisan réié dp Raimond VI. Son
sîr\ente coutre les Français, adressé à ce prince,
64 7-
Mystère de la sainte Trinité. Comment saint
Edmond l'explique, 367.
N.
Neck AM, Alexander A^ecA/in»i, Anglais , ptu-
fesseur à Paris, abbé d*Ex<ester, mfuri en i 22.5,
lai^ant beaucoup d'éci its , des piienies , des
apologues, un traité dt* la nature; des commen-
taires de la Bible. d'Aiistolr, d'Ovide, de Mar-
lianus Capella; des traités on mauufls théulo-
giqoes , des sermons, des mélanges. Sun nom
tran.sfurraé salirîquement en Nequûm , 52^,53 3.
Nicolas de Bbai ou de Braiv, puèle liéioi-
qne, 80. Discussion sur 5«*ii âge approxiiitalir,
ibid. Il a fait un puëme eo vers alexandrins,
intitulé : Gesta Lttdavict flll^ qui ne duos est
P4S parvenu dans son entier, 81. Examen de ce
qui reste de ce puëme, et citations textuelles,
ibid , etc. Ses treize vers en l'hnnnenr de Goïl-
lauQje d'Auveifne, évêque de Paris, .H63.
Aicolas, cardinal-é\êqiic deTas«-uluni, légat,
en Angleterre, apiès Pandolfe, eu 1214, 28.
NicoLET UE Tuaia, trtmbadour. Partisan de
Temperenr Frédéric II, 636. Sa tenson avec
Jean d'Aubosson , rn faveur des Gibelins, com-
posée vers Tan i336, 638 , 63o.
O.
Odon CLimvT, Anglais, abbé de Saint- De-
nis en 1339, archevêque de houeu en 1346,
mort eo 1347, n'a écrit que des sl^uis litur-
giques et monastiques, 637, 538.
Olivics ou Olivititus, écolâtie de Cologne,.
cardinal-évêque de Sabine, i4- Réflt-xions sur
les noms éculâlre et sculaslique, ibid. Ses élu-
des et srs premières fonctions, i5. I.ellre du
pape Innocent III qui semblerait prouver qu'en
1209, Olivier gouvernait une petite paroisse
aux environs de Grenoble, iSid, Olivier com-
mence eu I310 à prêi-her I9 croisade contre les
Albigeois, 16. En I3i4> >1 prêche la croisade
pour la Terre-Sainte, dans la Flandre et le»
pays voisins , ibid. Il s'embarque en 1317 avec
les croisés qn'il avait réunis, tbid. Il revient CD
1333, et il est fait évêque de Paderborn , 17.
Cardinal en 133$, il meurt en 1337, ibid. Sa ,
lettre à Engelbert , archevêt|ue de Ci>logne ,.
ibid. Il a laissé deux ouvrages: V Histoire d9
la Terre Sainte et Y Histoire de Do miette , 18.
5 8
866
TABLE DES AliTEURS
Exaœrn du premier de ces onvragfs, 19. Es-
prit religieux el i;aeriier de I bislotit-n; son
instrucliuD , sa verarilé, 10. K.xauicn du second
onvrage, îi. L'aoleur y r.iconle tuul ce di>nt
il a élé léiuoin pend;irit qujire ans en Orient,
iiid. Tiadurlion du pii^isige sur la prise i!e Jé-
msalem en 1219, 12. Cilalinn» lillérales de
morceaux relalifs au siège de Daaiielle, îl.
Valeur d'an jeune Frison i|ui n'esl pas nuinnie,
el qui esl peut èlre Cilles de Lèwes, 24 et lS5.
Prise de Daniielte en lîift, lS Plainli-s de
l'bislorien sur la reprise de Damlelle par le»
Sarrasins , îbij. Lellre d'Olivier à Mccbi-kémcl,
Soudan de Baliylone, 26. Tr.iduclioii d'un pas-
sage où soni decriles les billes qualités de ce
•oodan, 27. Aulre lellre d'Olivier adressée aux
prêtres d'É^ypIe pour les couverlir au clnisli.i-
nisiue, 2S. Légère erreur de l'auleur de l'His-
toire des croisades sur ces deux lellies, 23().
Euipranis que Jajqnes de Vili7 a faits à Oli-
vier, 243 , 244.
VOrdtnc de chevalerie, 751-760. 'Voyez
Anonyme et Uue de Tatarie.
Pallitim. DitiiU «ur cet ornement de» pré-
lats, 145.
Puiidolfr ,\rpX en Angleterre après Galon,
32, établit en 12 13 Etienne Langton sur le
«iége de Catitorbéiy , et obtient du loi Jeaii-
Sans-Terre des actes de soumission à la coui de
Roiue, 56, 57.
Pnrad s ( Conr de), poëme anonyme, 792-
800. t oie de Paridis, autre pi.èinc, 790-792.
Psvfs, troubadonr. Sa tenvon avec IUb-
THA.1D u'ACRtl-et OlIlLI.il'MEKtliUlÈBES colllie
AlMÏHlC t>K PÉGniLil» , 601.
PÉLisslEU ( Pierre ). Le dauphin d'Auvergne
l'appelle par mépris bourgeois coiiilois, 616.
PERDlGlis.lmubailonr, né à VEsfiéroii, bourg
du C.evandan. l-'ils don pècbeor. hobert , dau-
phin d'Auvergne, lui duThne des terres et l'aiiue
chevalier. Pierre II, roi d'Aragon, le comble
de présents, fio^. Sou ingialilude, 6ci5. Il
s'a.ssorie à Fulqiiel pour prêcher la croisade
contre Raimond VI. Piè< he en chantant Celle
conduite loi fait perdie tous ses amis, iliid II se
fait moine à Silvebrlle, abbaye de Cile:iux,
ïers i'an 1219. Sa ddinitiun de quelques ca-
ractères de l'amour, 606.
Phèdre. Ooie fables de lui , sans son nom,
dans le livre III du Sprculiiin docliinnle de
Vincent de Beanvais; ressemblance et presque
identité d'expressions et de conslructiony , 494,
495. Reproduction de ce» apologues d.ins le
livre IIÏ du Speiiifiini hif teinte ^ 5o4 , 5o5.
Pliili/>/ic-Jii^iii'e, roi de i'rance , est excité
par Innocri'l 111 à ir.iiter Jean Sans-Tciie en
ennemi déilaré de l'Église, ."ij, 56 II appelait
à •> ooor Iléliuand , pour avoir le plaisir de
l'entendre rbnnler, 88. Dan» quelles circou-
slances arriva la nieii de l'h lippr-AugnsIe, 9.
Phil pi'e , maint- de la Churmoye , a é<ril de
la vie d'Ida , I'' abiiesse d' Aigcosotrs, 52 1.
Philippe db Grève, cliaooelier de i'eglise
de Paris depuis 1218 j s |u'eu 1237, époque
de sa mort. Ses déiiiêlet avec l'Université d«
Paris, p<iui- laquelle lloiiurius III se prononce.
Quel elle plus violente entre Philippe et les
moint'S mendiauts que (iregoire IX. protège.
Troubles au seiu de i'llni% el.sile en 1229; fuitt
du chancelier. Il revient eu ii'li, et persista
dans SCS prétentions Sou zèle à proscrire le»
hérétiques, et à suuieoir la pluia'ile des bénéli-
ces. Il garde tous les siens jusqu'à sa dernière
b4-ure, iiialgié les irpréseotatious de son evèqut
Guill.iume. .Ses sennous el ses cuiuiiientaires sur
les livres saci es , 184*191.
VmLtprt-, frèie pietliinr, l'on des premiers
qui aieot lait prulessiuii d.itis cet oïdie, l'un des
témoins devant les coiumiss.iiieb du pape Gré-
goire IX, de la vie et des miiaclis de saint
Dominique. Epitre qq'il eciii de la 'l'eire-Sainie
nu pontife romain eu 1237, 191 , 192,
Pierre u'Améli , aicbc\èquede Narbonne,
33 i. Acies des pieiuieres années de sa préla-
lure, ibid. H ledige des st. nuls syuodaux; il
prend part aux pirpaialifs des Cloi.sades, 333.
Il est force de sortir de Natbonue par la révolte
des habitants contre lui, 333. ^e préparant à
la guerre contre les Maures, il fatt sou testa-
ment ; passages de cet .icle, 334- H se fait
reman|uer par sa vailiauce, 3 3 5. Démêlés de
Pierre a*ec son chapitre , ibid. el suiv. Passage»
reinar(|Uables des leliies miniiioiies du chapitre
à l'aicbevêquc, 'i36. Pieiie iinniirc de nouvean
sa va eur gtieiriere à la prise du château de
Munt-Si-gur, 337, Il tient uu synode relatifà la
Cfiiiduile des inquisileuis envers les hérétique»,
(*<</. Singulier legs qu il lait au pape, 33g.
Pierre it'ALBtttAS, medeciu a Gènes , a écrit
le lécit de deux visions qui l'ont déterminé à
entrer dans l'ordre de» lieres piêi Leurs. 11 est
mon en 1 35o , 534.
Pierre de la Cahavane , troubadour, Italien
de naissante. Guelfe passuoiur. .Son su vente
eu langue priivenc.de coiitie l'eiupeieur Fré-
déric II, compose vers l'an 1236, 048.
Pierre de Colhieif , Itaiien , chanoine de
Térouane, doyen de Sjiiii-0:iier, archevêque
de Roueu, cardiiial-éxêque d'.^lbaiio, meurt en
I 2a t , ne laissaut pas d'aulri-s écrits, aujour-
d'hui connus, que des statuts syuodaux, 53;,
538.
Pierre de CoisT,éTêque de Meaux, mort
en 12S5, aiiieui de staïuts synodaux, et de
cliiii tes dont quelques-unes sont eu langue fran-
ça »c , 539-J4 1 .
Pierre, moine de Fécainp, auteur d'une
chrouiqne, 35i.Opiuiuu du P. Lahbe aor cell*
chronique , 3 j 1 .
Pierre de Reims, ri-ligieux dominicain,
I évêqnc d'.Ageu, ?y5. Docit ur el picdicaleur à
ET DES MATIERES.
867
PnrU; à rarrivèe des trtres prêchenrs , il entre
des preniiris (Uns lear ordre. Inceriitode sut
son épifrcopat k Aj;en. Sesouvrugcs luaDUScrits
ÎDdiqoés, 5 a .5, 5-26.
PifeRBE DB RoissY, chanccIicr de 1 église de
Chiirires, auteur d'un manuel clcriial, 524.
Pierre Darochcs et Pierre de Rtvalles ^ lui-
nistres de Henri III, roi d'An^lelerre , niîs en
accusation pjv le rlergè, 2G t , idi , 26 J.
PlERKB DE SÉu,iiE , religieux domiaicaio,
399. Il est euvnyé avpc d'autres religieux, en
légation auprès de l'empereur de Coostanlino
pie, ibid. Mulifs de cette légation, la rénoioo
des deux Éj^iise*, 3oo. DéiMi.s eolre les légats
et les Grec?, à Niiée, ibid. Débats plus solen-
nelsy mais axissx ÎDDt'Ies, à Nyniphee, 3oi. Ils
leprsDuent le cbeiiiiu de Runie, et les Grecs
l^s font pouisuivre, ibid, et suiv. Relation his-
torique de celle Je^aiion exainioée, 3o2. Tra-
duction de pinsieuis pussages, tbid. et suiv.
Date de la mon de Pierre de Sêxane, iacertaioe,
3o5.
Pierre des yignes. On lui a mal à propos
attribué le tiaite de Vincent de Reauvais sur
réducatioD des princes, 467-
PiSTOi.ETTA , troubadour. D'abord jongleur
d'Arnaud de Marcuil. Atlacbemenl qqe prend
poor lui le printe 1 borna* de Savoie , père de
Béalrtx, femme *le Raimond Bérenger IV, comte
de Provence , 579.
Plitraliiè dci bénéfices soutenue prr Philippe
de Giève et par Arnolu, dfpuis évêque d'A-
miens; condamnée par une assemblée de doc-
teurs, par nu rhapilre de dominicains et par
l'évéque de Paris. 1S7, iSS, 528.
Poifs b^ABà, troubadimr du cummeocement
du xin* siècle. Son sirvenle contre les rois qui
ne récompenoenl pas d^gnemeiil le mérite, 644<
PftÉTOST DE Limoges, troubadour. Sa tenson
avec Savaiic de Mauléon , à l'occasion d'un
double rendez-vous donné à ce seigneur, tiSo.
PujOLs ou PuiOLS, troubadour, ami de Biacas
et de Srf>rdeL, 643.
Q-
Quatre Traité de Hugues de Miramors sur
ce nombre ,71.
QcRsiVEs DE BÉTHoifB, troQvère , anteor de
«tiausoDS, 845-848.
R.
RAiMOBD TII, comte de Toulouse, né en
1197, succède à son père Ra>mond VI, en
laaiy et se défend le oiieni qu'il peut contre
AfDiury de Monifort, que protègent le pape,
Us rois, les conciles et les croisés. Déciaraiion
de catbolicisute que Raimond VII adresse à
Philippe-Auguste; édii qu'il publie contre les
hérétiques albigeois. Malgré cette intolérance ,
i^est excommunié eu ii35. U meurt en 1^49
à MiUuu dans le Roaergne. Il csteDlerré à Fon-
tevrauld, 3S9 39 1 .
Raimoho ( Pierre ), troubadour, dit le
Jeune ^ accusé d'être un esprit vil et cfaétif, ne
doit pas être confondu avec Raimohd (Pierre),
dit /e f^tttix , autre troubadour regardé comme
nu homme sage et spirituel. Il part pour la
Syrie en 1239, 641. Tensoa de Bertrand de
Gordon confie lui, 641, 64».
Raimond de Pe^najort ^ dominicain catalan,
né en 1175, doit sa première illustration au
cardinal Jean Haignii qui, pas^ot À Barce-
loue , se l'attacha en qualité de pénitencier, et
remmena à Rome, 164. Raiimnl a fait qn
recueil de cas de conscience, iniiinlé ; Somme
de la pénitence et du mariage; et une compi-
lation de décrélales pour faire snite à celle, dr
Giaiien. Eu islS, Raimond fui élu troisième
général de l'ordre des frères pr^heurs. Il abdi-
qua cette dignité en 1240, et mourut centenaire
en 1376. Sun nom a été inscrit dans la liste des
saints, 4o3- Extiails de sa Somme dans le Spc-
i^tihiin dott/ina/e àe Vincent de Beauvais, 496.
Raihoud de Salas, troubadunr, né à Mar-
seille, ne voyage poiut, BJg.
Kaikier i.e Lombard, frère prêcheur, èvéquc^
de Maguelone, mnri eu 1247- .Vs statuts , son
livre contre les hérésies, sou. dictionnaire, 5a3,
529.
RAMtEiTE Ristors (d'Aflcs), troubadour,
habite lonf>-lemps en Italie au cotcmenceineat
du xiit^ siècle, d^i.
Raubaud de Bcaujpu. tronbadour, va visiter
l'empereur Frédéric H, en Loiubardie, ^45.
Rambaud d'Hières , troubadour. Son sir-
venle contre Raimond Bèreoger IV, sur ce qn*il
souffre que. Sancie d'Arzgoo, femme de Rai"
mond VII, soit reléguée an chàtcaa de Pemcs,
dans le Vénaissin , 671, 673.
Raool le Breton, autear d'an traité aco-
liistique sur l'ame, 629.
Raoul de Hou dan, anienr de la Voye ou du
Songe d'Enfer, 786-790.
Reirer , moine de Saint-Jacques de Liège*
.né en 11.55. Ses quatre voyages à Rome. H
continue la chronique de Liège jusqu'en ii3o,
I [3 , 114, 1 15.
Renax ou Renault, auteur dn laî d'Ignaorès,
du lai de rOfiibre. 777*780.
Rf-x legiim f Dominn» duminantinm , légende
que les croisés brabançons portaient tracée sor
leurs habits, i54.
Ribuuds et Trnans. Slatola foils contre enx,
^78; pourquoi on ne voulait pas qu'ils por-
tassent la tonsore, ibid.
Richard^ roi d'Angleterre. Effroi qu'il arait
inspiré aux Sarrasins, 416.
Ricobaid de Fvrrare ^ auteur d^one cbroniqlie
qui finit en l'an 1194 t K^l-
Rigaud ( AnsxLME ), doyen du cfajipiire de
Lyon , rédartear de sialuta appronvés par Par-
cbevèque Pbil'ppe , ^36.
Rimps défectueuses des troavcrcs, 71 4*7x7.
868
TABLE DES AUTEURS
Robert ( DâHPiinr d*Autergive ) , tronba-
doiir, l'Ai Rohrrt /*"', comme éltfnt le pirioier
»f ignenr H'Auvrrpne qni ail pris le lîlre de r/a.v-
phiH , ()o-. Accueil bieiiveillaot qn'il fuir aux
truubaduurd. Allcntion qa'il apporle à pnrler
sa lan;^ue parement, fïoft 5iï. Se* tliflérends
avec Ricbard-Ccenr dr-LioD. Son sirvente con-
tre ce l'oi f 6 I 11. Sirveole de Richard contre lui.
Moil en i23j(, 6i5.
RoBfeRT (É^ÊQDE DC Clermont), ttonba-
dour, proche parent du précédent, 608. Sa
tenson j\ec Rubrri , dauphin d' \nvei:giie, ^ii.
Gneivp entre lut et le comte Gai, .son frèie.
Prisonnier de Gui, 6i3. Sirvenle de Robert,
dauphin, contre lui, 614 Transféré à Tarche-
yêché de Lvon en 1217. Mort en 1 132 , 6 15 .
RoHKRT DE KFTHOifE, avoué d'Arras, ?85.
Ancienneté de la rjmille de Kt-tlinne, thid. Pre-
mières armes de Rolieri , l'i/V/. Il est f.iit pri-
sonnier à la Itataille de Boavines, B^fi. Après
plusieui!) actes adMiiu'Stratifft dans sa haronnie,
il part pour la cmîsade d*oDlre-nier , ibitJ. Il
meurt en ronte, ibid. Un grand nombre d'actes
de ce seif^rienr ont élé recneillts par Du (^liesne,
337. Ritbrit avait rédigé, en mS'J, la Coutume
de 'renieiiionde * articles remarquables de cet
acte, 388.
Robvft Oémrnt . Inteur et gooveroenr dn
jeune roi l*bilippe-Au^U!>te , est le père d'Al-
béric ( léineiii et de Henri (llemeni, les deux
premiers marrcbanx de Fmnce , ^70, 271.
RoBKRT Dt pRAirrE. couiie d^Anois , frère de
Louis iX. Sa lettre à la reine Ëlancbe snr la
pri!.e de U;imieite, 407, 4*'8'
RoBEBT-(iriossE-l fTe, né de pauvres pnrents,
à Sliotibrook, dans le comte de Son'olck, passe
des écoles d'Oxford dans celles de Paris, t ap-
prend l.i langue fran&dse, y donne loi lu^me
d'anlies leçons. Simon de Montfurt le fait nom-
mer ai chidiacre de Leycester; en i235, .sHÎnt
Edmond le iacre évèqne de Lincoln. It réclame
contre nn acte par lequel Henri III a conféië
des font tions jiiiiîci lires en matière criminelle
à Ranuifé, abbé de Ramesey. Un démêlé plus
vif éclate en ia5o entre ré\èqne de Lincoln et
Innocfitt I V , qui a donne on canon icat Je cerie
église à un tres-jrune homme, son neveu. Epiiie
de Robei * aux piélals, quM invite à ne p;4s >o-
Icier ce népotisme. Colère d^lunocent, qot cite
l'évèque, le menace, l'exciHuniDnie. Robert, ma-
lade en 1253, ap|>eile près de lui Jean de Saint-
Gilles, médecin et théologien , auquel il veut
prouvei que le pape est béréiiqne. (Mort de Te-
Teque de Lincoln dans sadrmenre de Bugedon,
le \) ociotire de la même année. 5ia bibliorhèqoe
léguée aux franciscaios d'Oxford. Sa «épnllure
dans la r.ilhedrale oâ l'on conserve ae« reste»,
aafis égard aux ordres da pontife romain. Mi-
racles au lombean de Robert, racontés par sea
partisans. L'un de srs ouvrages est la traduction
latine du testament de» 12 patriarches, enfants
de Jacob, livre apocryphe de J^Ancieu-Teata-
^cnt. Eutre &cs aalrcs ccrils , on diklingoe ceux
qui tiennent à sa qnerrlle avec Innocent IV. H
a commenté plusîears livres d*Ari>tote et In
thétdogie mystique de Denvs rArénpagite.
Opuscules de Robert-Orusse Tête recueillis par
Ed. Ilrown. Une collection cx>mplète des œuvres
de ce prélat devait remplir trois in-folio. Co-
pies manuscrites qni en esistetit en Angleterre.
Poème latiu que lui altnboe Leyser. Poème
frJncai^,en 1748 vers . qu'il parait avoir réelle-
menl composé. Un traité dea pécl-ès, en 70,000
vers de la même langue, (ni appartient anui.
.Sa vie en vers latins, par un moîne du xiii'
siècle. Eloges de ses talents et de ses f ertos ,
par Giraud de Cambrie, Matthieu Paris, Roger
hacon, etc., etc. , 4 17 444
Rftberi de Luzeirchrsj architecte qui an xiii*
siècle éleva la cathédrale d' Amiens , 146.
R-tn*i/i : pueme de lïeudes de Prades sur
Teducation des oiseaux de citasse, auquel )«
poète donne ce nom de Roman , Sfio.
Romans. Quelques uns des romans connus
au comniencemrnl du xm*' siècle, 669. —
Romans de Rendes de Hanslone, 741*751 ; de la
Chastelaine de Vergy, 779-786; de Gaiio le
Lolieiains, par Jean de Hagy, -38-748; d«
(iérard de Nevers , on de la Violelre, par Gi-
bert de Montieoil, 7GU771; de Uavelok le
Danois, 731-73S, etc.
Roi,cev.4Mx ( Rat«ille de). Sujet d'on poème
compose par Toruld, 714-720. Dissertation
de M. Monin, 719.
R 'jaumont. La première abbaye que saint
Lonis lit bâtir, 344.
S.
Saladin. Sa conrtoisîe «itct» let damrs an
cbrvaliers croi.sé> , 4ïfi. Il fait parifirr l'églis,
de Jrrii>alefn, après b pnw dr celle ville, 418.
Dans r()ideiie de cbevaleiie, 5ialadio est fait
clievalirr par Hne de Takarie, 7C0.
Savaric de IMacléos, baruri do PoilOD,
troubdduiir 11 se ligue, à la luort de Ricbard-
Cœur de Lion, avec d jolies seigoeurs pour
si>ulenir les ftruils d*Arlbur ciinlie Jeao-Sana-
Terie, (jui veol dép>uiller ce priuce de «ei
doiiiaiDes de Krance. Prisunoier à Mirebeaa eo
1703. Cuodoil eo Angleterre, il aVcbappe de sa
priitun. Il entre dans le paili de Jeao-Sans*
Terre contre les barons augUis. Homme aéné-
chA d'Aquitaine par ce prince Attaqué "pat
PbJlippe-Auguste, 673. Siriente de Bertrand
de Hoin, If lil», pour l'eng-iger à quitter la
parti du roi d'Aogleierre, b- ^ Il ett réduit à
faire ^a paix parlicaliére avec Fbillppe-Augast*
en 1^09, ^-jS. Il condait un secours de 1000
Hasques à Raimond VI. FJeMc grièvement pré»
de Londres, en 13 i5, cumiue il conimaudait
l'arfuèe du roi Jean. Il ka dans b Syrie porter
des secouis aux croisés qui assiégeaient Da-
luielte. Séncrlial d'Aquitaine an service da
Heori lU. Assiégé dans La Rodielle par Louii
ET DES MATIÈRES.
869
VIII , ô^fi. Il cnndtiil les restes de son ariuée
«n Angïrlerre. Il iraile avec Louis VHl en
iaa4. Hf|)iciid le» «iincs [tour lleuri III, j la
iDinuiiié Je Louis IX. Se î>ouniel délinilive-
meiit à ce prince en 12^7, '*77- ^•''' ïuorr en
ii36, suivjiii M. l'alibé lie la Hue. Sa teuson
avec Canceiin Fivdii eï Hf^ina de la ttaché-
ierie j G78. .Sa tensun avec Pievdsl de Lïmojjes,
à Poccasion d'un tluublc iendt-7. voos cjui lui
av.tit été dunnc par di-ni donnes pour le même
jour, 6S0. Sa clijiisnn adressée à Eléonurc ,
feinnie de K.iiniOMd VI, |>our lui iinnoucer
qu'il loaiclie avec 2000 lt.>sq<jes au secours de
sou ui.iri , (iS 1.
Scorùtrtum. Ce qu'un doiï entendre par ce
mot, i44>
SmnvToun ( OuilLiume ), quelquefois appelé
du M oui ou des MudK , naquit à DniliJiiii ,
coninieuç^i »e> éindt-s ^ O^foid, le.sacljesa à
Paris» revint exercer en Angletene le» foncliun^
d'aichtdiai-ie de Unih^in , de clianoîne et de
chancelier de réi;tiHe de Lîncoln. Ses piédica-
lions « son voyage à Rome , sa mort à Rouen
en iï4ç*. Maimsciit.-ï dr sur !\iiinenih , expli-
cation lies 4 livres des Sentences, par article»
numérote» et p.ir ordre alph^ibetique. Il est
auteur de plu^iruis éciîtsde peu d'importance,
pareillemeni intdiis, 391-39'i.
StBHANi), ablie de Mai ie-Oarden , ip'ï. No-
tice sur le monastère de Marie-Oarden, ibrd. Si
brand y ét.iblit (Mie [leilte académie, ii/l.llaé rit
les vie» d*-» deux abbés »es prétlécesseuis , ibtd.
SiGfcH ne Lii.i.k, (Vère prêcheur, a écrit la
vie de aainte Marj^nerlle d'Ipres, qu'il avail
convertie et dîii^ee. Thomas de f.anlimpre
nous a iran.sini» relte légende, à laquelle îl a
fait de» additions, ^gvSiig.
Sinut'i ^ précepteur du jeune prince ( depuis
le roi l»hilip|'e-le-Hardi ), présente à la reine
Margueiite, épouse de loiiîs IX, le li\re de
Yinceol de B'''<u vais .sur Téducation des enfaols
de la maison royale, 4''7-
Simon o»' I-'rr^re, Anglais, chanoine d'He-
reford, auteur de poésies latines et françaises,
823-824-
SiMoH DE Saint QueHTiif, fière prêcheur.
l*on des qu;ilrr d iniiams envoyés en Tarl.irie
par Innocent IV, en ij45. La relation de Si-
mon nous a été transmise par Vincent de
Ceauvais; elle renferme les lettres du (^bam au
prince |\aj»>ihiioy, et de celui-ci au pape, 400-
403 , 4H5 . 5 I 3.
SoR«Y ou SonrtT (Eudes ue ) , évêque de
Toul . élo en I i I 8 , 7 I ans après la mort d'un
antre évêqne de T»ml nomme Eudes. Alterca-
tions de F.iides de Snrcy avec le» comtes de Bar
et de (,hini|>agne. Sa lettre ou chai le en laveur
d'au prieuré. Sa mort en laaS, 523,534*
TiirmAUT Di MAti.t.T ,aafenr d*of» poème fran-
cs ÏDlitulé Esioire ; sorte ile scruon rimé. Les
stances sur la mort qui lui ont cle qoejqueioit
atlril>uees , apparliennenl à Helinand, 824'^^^'
Thfinat d' -4 (fil in ( Si ) n"a pu être le disci-
ple d Alexandre de liâtes, 3i4,3i5 Articles
de sa Sotnme empiunlr-s en substance on tex-
tuellement par le compilateur qui a fabriqué
le Spéculum mnralt- ailiibue mal à propos à
Vincent de Iteauvais. Thoinas injustement ac-
cusé de plagiai, 477-482.
Tiiomai iitkktiy ai<Ut-vè()ne de Cantoibéry.
Translation di- son corp» et histoire de sa vie
par Etienne Langion, 5(), 6j, 6fi.
T'inrniii dv Canttminé raconte la damnation
éternelle de Philippe de Grève, 188, écrit la
vie de Jacques de Viiry dont il a été le disciple,
el la remplit de rétits merveilleux. 212, 2i3.
AdditioQs qu'il fait a la vie de .sainte Marguerite
d'Ipre». par le dfMuinicain Sig»-r, 397, ^98. Ce
<|u"il raconte de l'abbesse d'Argensoles.Ida, 5'> ï .
TiBfcRot ( r,A nAMfe), nommée aussi Na Ti-
bnifiy troubadour, balutnit an château de Sé-
ratiHvn en Pro\ence. l-'ragnient de vers de sa
composition , .S70.
Totnhi aux dans l'église raélropolitaine de
Rouen, I 44*
l'oHork (Kadulphe ou Raoci. de), évcqae de
Verdun, ^29- S.i faïuilU', ibid. Ses liénièles avec
les habitants de Veidun révollé>, 33o. Il a
lai^se queiqiifs actes ailiinnistralils, 3 W.
ToROïTt ( RoBtRT de), é\èque de Uingres,
puis de Liège , 347 1' **'*' rlurgé par Louis IX
de travailler à ramener la paix entre l'empereur
et le pape, ibid Sun ambition et -ou avarice
le font délester de sou peuple. 34S. Il a<-t ueille
le» doniiit'cains ei les ti.tnciscains; il institue
la fête du Saint Sacrement, ibid. (>on'inent il
lut excite à iii'titner celle fêle , 34o- Lettiepas-
torale ipi'il étrività ce sujet , tbid.\\ resteaussi
de Rdbert quelques acte» administratifs, 3. lU.
'7'or*/ei «mr// , lenson à trois interlocuteurs
usitée chez te» lioubatlours, 67H.
Ton t/ioif 'fient du Chrnt , poème bizarre de
Huon de Méry, fioo-So'i.
Tour sur le SSil. Suatagèine inventé par les
croises pour la prendre, 2L
Ttonb'idoiirs. Soin qiiMs prennent d'épnrer
leur langue el d'élever leur style. O im-rile est
celui d(Mil ils se vantent le pluss(m%ent, 535,
5S6. Leurs regrets sur ce que leur pays pa»s«
sous la domioatitn des rois de Kiaiicc, (J71.
Leur usage de piêtei le» formes d'une passion
amoureose aux sentiments d'amitié et de res-
pect que leur iu.spirent les dames d'un rang
élevé, <"9o , 6yi. Leur influence sur la tangue
itabenne, «9*1, ^\y. . F.loges que les auteurs ila-
lieus leui ont acciirdes, ^198.
Troubadours itn uns. Emploi qu'ils font de
la langue piovencale , ^97.
Trouvé H as, poètes fiançais du xii* et dniili
siècle. Leur langue est-elle fille de la langue des
troulwdour»? 699703. — Irouvèies, aaieurs
de chansons, sirveutes et antres opuscules,
838-851.
Sssss
870
TABLE DES AUTEURS
TuROLD, anfeiir du pneme de la P..itiiille de
Roncevaux. Notice de cepurnie, 714-7:10.
U.
i nirersicè t/e Pnrn. Rpplpment qtiVlle lecnir
du caid-iKil rfainn, It-j-ji! , 3o Deiiirl^-H f|tiVlle
souriri.t Ci>ntip Pli lippe de Grève Itulle rjuelle
obtient d'Ilrinoi iii^ III. Tioiiblen rjiii érUlent
dans son srîii en i22< • Di.ij ei \tnn de^ écoliers
et des moitiés. Elle se reconipjse et leHcmit en
I23l, ï.ie;;(iiie IX la f.ixortse piir i:ne Imlle et
par de-H letlrrs à Luuis ]X et à I.i leinc hl.in^lic,
Ï84-I.S7.
Uinvrrsitès d'(^rléans, d'Ançers, de Poitiers,
de Ueiins , d'Oxford . eijUlies ou jnrne» durant
le» lruuble<t et rnll de celle de l'aria , 1S7.
l on Mnrrlnnt ( Jacq. df ) entreprend, en
iiTÎ . de traduire en \ et~s fl.im.iiids le Miruii
fai»lr>ri;tl de \ inceut rir Hejnv.tis. Pn.'ilîcJiion
de pîllsieors p;Hti#"i de celle M-rsii-n, .472.
Vtr^r ( Lj * liàlt-liine de), 77()-7S(i.
r'trrs { lin ), pièce de vers ainsi Dominée par
le» tronbadoiifi^ 55o. Diflcrerice entre la tA(i/j-
non el le l'er* , fip i.
ViuAi. ' R*imoxd), tronli.idonr, né à Re-
zaadun , dit Hannnnd l^idiit de fitznnji.n ^ au-
teur de rontes en v^^!^ df liiiil s-\lla]i:s. Il dit
dans l'un de sfs contes cutiunct Hn-^tirs de
yttitiiplan'i ;< été choisi ponr juge d^nioiir, fi3J.
Bocace a imite nri île ses contes, 634'
V!i;naY [Jttin de ou du ), au xi\* siècle,
traduit en français le Miroir bi^luri^l de Vin-
cent de Reauvais, /,7i ,47a.
ViHrn«T ne Mt\L'v*is, né dans la ville ou
dans le duirese de ce nom ^ et non er» hourj;'i-
gne , rjuiïifpie saint An 1 un in Tait siii nommé
IJur^iiiul"S. Une autre et reui , lunp-ienips ai cré-
ditée comme celle !a , consi^lait à le faite e^è-
(itie de Urauxais : d n a été tpruo simp'e moine
dominicain . enj^agé dans cet ordre avant i 227 .
mais n'y ayant rempli aucnne (onction clans
imle, binon peut être ce le de professeur. Il
fut , en I :j46 , 1'"" des deux counnlssaires
chargés d'opérer une rd'ornie dans riiôpirnl'dc
Beauxais. Aliité par saint Louis près de la nou-
velle abiiaye cistercienne de Royaumoni , il
exerça , soil c'ans ce monastère, so>t dans la
maison du monarque, l'oflire de lecteur. Rela-
tions haliiluelles de Vincent avec la famille
royale. Ses liavanx lltieraiies : iminensiié de
ses lectnres, muliinide de ses extraits, compo-
sition lie Tencyclopédie du xiri' siècle. Diverses
dates donnefs à sa mort ; la plus probable est
I2G4, à I âj;e d'tn\iion 80 ans, dans le cou-
vent îles fièies pi»^(heriis. Sa sepubure dans le
cïoilre, pnisilans Teplise de ce monastère. Son
épitaplie, 4 4i)-4 5(). Kcrits qui Inî ont été mal
à propos attribués : des sermons , on livre sur
la cuDlessioQ de la Traie foi, un traité d'alcbi-
mre, une lettre sur rantechrîsl, une image du
monde, des lleuis bistori(|ues, des fleurs de
toutes les écritures ; ce ne seiaieut tjne des
parties ou fia;;meiils de son j^iaml recneil , 4 5y-
4'» » - Écrits plus réels, niiîis mediis , de Vincent
d*" Beauxais : urt livre sur !,i saiure Trinité, îles
e\pl!('diions <le l'Oraison dominicale el de la
Salutation an;<élr(|ue, un ttailé de la Pénitence,
en ( y5 cliapitres ; une Iiistitulînn mr>rale du
princf*, lies épitrrs, et le statut de réforme de
I hôpital de l'eauvais, 4'^'-4''i iUn\ autres
productions an I lien li' pies de Vin<ent léunies
dans un in folio publié à l'a le , en i^^i :
rr.iitr de la Cii.Tc<*; Paiiéj;M iques de la Vierge
Marie et de saint Ji an l'f vauj;el-sie; lustinrliuii
des jeunes piinces ( disiince de TEustitution
indiquée plu^ liant); Cousolation à Louis IX
apiès la mort de son iils anie,en i^Tio, 4fi4-
4OÎI. Grand ouvi.i;ie de Vincent intitule Spe-
cii/tim mrijns , ou B biioibiMpie du monde : No-
lice biblio^iapliiipie des maurrscriis, éditions,
Iradnctions. uliiei;és , t.tble> , eic. , de la totalité
ou des parT-es de lelte vaste collection, 4*^9-
473. Prélace gêner. le de Pauieur; elle n'an-
ùoocait fine trois paitles; elle a été altérét
dans les copies posteiiemes à l'an i3io, afin
d'inlrodiriie un 4* Miii»ir, le SpeLti/iim morale;
preu\es de l.i supposiiion de celte pallie; elle
n'est (|u*uu tissu de plagi-iis, de lexiesempruntés
à l'tienne «le lïelIfxiUe, .i Pierre de Tarentaise,
SU) tout à la SoMinre de >aint Thomas d'Atpiin.
Le plaf^iaire n'est ni ce dotteur ni V-menl,
mars b- compilateur rpiî i» pris le nom du second.
47'î-V'î'2. lure |;énirde des i parties authenti-
ques du Spfitihim innjm : livies anciens et
moderues ( au xiti' siècle ) , auteurs oiîenianx ,
grecs, latins, dont V.ncent a recueilli bs textes
ou bs dorirines, 48î-485. — Analyse des 3i
li\res ( J7 18 chapitres ) du Spcndrun n tinaie.
Les œuvres ties six jouis de la créatioir déler
minent le plan de ce recueil, qurtnibiasse,
autant qu'il se pouvait alors, toutes les notions
lelalives au créateur el aux créatures, aux élé-
ments, aux astres, aux trois règnes de la nature,
à l'auie et au corps de l'homme, anatoiuic .
physiuïog-e, cic , f^}i% 492. — Analyse de» 17
li\res(2 ^74 chapitres] du Speciihun dnttnnaïe.
Insiroclion nécessaire pour reparer les domma-
ges et les ilesi>nlres causés par l'ipnorance et la
cnireupisicnce , efTels du péché il' Adam, i En-
seipnenierrt litléia-re corrrpien-nl un diclioD-
iraire,une grammaire , et la logique di\ rsée en
3 sections: la dialectique, la rhétorique et la
poeiijue ; sous « e deir.îei' titre , îtj apologues .
rioiit onze arr ntoiiis piéseirten! des cxpic-ssioiis
(|u'on retiornc dans les fables qui portent le
nom de Phèdre, 4ij2-4()4. 2** Enseignement
moral di>tribr<é sous les tnus titres de ninnas-
tirjue, il'et imoniique et de politique. C est la
jnriNprndeuce tpii lerrqdîl le plus grand ntuubie
des ehaprties p'a.es sous le V de ces titres,
^m4 4u7- 3° Euseignernenl des arts qui servent
à l'entrelicn , au bonheur, aux douccors de Ta
ET DES MATIÈRES.
871
vie humaine : art vestiaire, .irrhiteciurr , art
de la guerre, milice na\ale, ait nniilique ,
théàlrir]ue, aj^iicultuie , art.s cliiniir|ues , 49?-
/i Ahrej;é dt-s scientt-s mc<li« ;i!(s, y compris
la physique, 4y8 , 499- 5" Abir^e des sciences
matbémJtif|Uc.s , y compris la iiulHphysitpir ! ou
l'ontologie ). En tiaitaut de l'ai ilhiiK-tiijue ,
Vincent de Re;iuvais liace les liyurrs et expli-
que l'nsage des chiffies acalies, 499. ^*>o, 5oi.
t)" Aperçu des sciences théologiques; notice:»
sur les livres suinis et sur les éciivaios ecclé-
siastiques, 5oi , 5oî. — Analyse des 3 1 livres
[ 3793 chapitres) du Sprct.ium hulonalt ^ qui
commence pat un icstiiué du notun.le et du
doctrinalt. Alnégé de l'hi^ioire du monde jus-
qu'au Dclu<;e, jiistju à Abraham , jusqu'à L)a\id,
jusqu'à \.\ 2*" caprivitc de liabylone; 6^ -aç^v jus-
qu'à Jcsus-(Uirisl ; Téie vulgaire est letl', Som-
niHiic des annales sacrées cl proI;jiies, niililai-
res , politiques et litléranes. A pinpos d'K»-ope,
reproduction des 99 apologues, y cotnpiis les
onze de Phèdre. ISotices sur la plupart des
écrivains clas>i jues; nombreux extraits de leurs
livres, 5o2-5o7. Sous les premiers siècles de
l'ère cbiétienne, récils de niiiarl?s, légendes,
articles hagiogr.'ipbitjiies '|ue Vincent irgietlait
d avoir l.int multipliés Détails plus instiuiiiTs
sur les Pèles du l'Kglîse , <i talions de leurs
écrits, etc., 5n--5ii. Le \ii*siee!e et les 5
suivants, dans les livres XXlII-XWï : Iuï;-
menls d'éciîls ecclésiaslu|ue>i, surionr de cenx
de sailli r.ernard,dc la chronique d'Hélïnand,
des livres de Jacques de Viirv , particulièrement
de la vie de Marie "l'Oignies; extialts des rela-
tions desmissiuniiaiies Ascelin , Siiuitn de S.iint-
Quculin , Jean de Piancarpin , etc. tihutiiologie
de Vincent : sou Miroir liisloi l(}ne iiiiit à l'an
1 :x44 I mais avec tirent io 1 de etnises atri\ ées e:i
laSo et 12:1 ', , 5 i I S 14. Épilngue sur l'aiite-
christ et la fi!i du inonde. Jugeuirois poi tés suc
Vincent de hraiivais depuis si>n siècle jns(p)'au
nôtre; considciatious générale» sur son grand
vmrrage, âi4-5i9.
Vtiileite [ La , on Gérard de Nerers, rouian
composé par (iibeil de Montieuil, 760.
yiston {/a ) Jes be'us, par Hugues de Miramors,
76, ::, :«.
' "."'i'^ ^^ Charlemagne à Jérusalem et â
Constaiiiinnple , puenie anonyme , 704-714.
f i\ye d'EnJcr^ poeine de Raoul de Hitudan,
7J<^--yo. — A ore de Paradis ^ poeiue anou\rae,
: 90-79^ -
X.
XiMtNÈs [ UoDLRir ), né dans le royaume de
Na\arrc, appelé Hndertriis Shnonis ((ils de
Simon ) , liuderiitis Semeinis ou X'tricnius. Il
vient cludierà Paris. De retour en Hspagne. il
prend part aux aHaires publiques, négocie des
Irrites, devient an hevèipie de 1 olede . Auule
l'université de Palencîa , pièche une cioi^'ade
contre le.s Maures , assiste en 1212 à la bataille
de las ISavas , nii iU sont \aincus. Il .snutrent
au coutile de I.airan la primai ie de son sîépe,
et plaide cette cause en ciriq langues. l"n
re\en;uit du comile de 1 von , il fait naufrage
dans le l;hône, et périt en 1247. Son corps est
lapporte et inbtiiné à Hueita. Le pins conslde-
lahle de ses uUMages est VHistoria f^oi/iica »»u
llvii:rii in Hisfutiia i:e\(nrnnt ^ *^^" 9 livres, aux-
quels il a donné pour appendices des abrégés
d'annales lonialiies , d'avuales des Ostiogoths ,
de» Huns, Vandales, Alains, Suèves, Arabes,
jS2 354.
Ysetii^rien^ et filavodtis. Guerres civiles en-
ire res petites populations flamandes, i55,
l.ïC.
Yvts I.E liftELON, l'un des premiers frères
prèrbeurs , auteur dé deux relations, l'une de
l.i mort d'un (himinicaîn, Paultc d\in miracle
obtenu [)ar les uiéilles de saîut Dominique,
53y.
nn nt i.a tabï.k.
Date Due
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