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Full text of "Histoire naturelle des oiseaux, des reptiles et des poissons"

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JUN 27 1987, 
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EXTRAIT DU RAPPORT 


L’'HISTOIRE NATURELLE DES OISEAUX, 


DES REPTILES ET DES POISSONS, 


Fait au Conseil royal de instruction publique. 


Dans une introduction, dont les idées nous ont 
paru justes, l’auteur établit une comparaison entre 
la méthode artificielle et la méthode naturelle; et, 
sans dédaigner les services rendus par la première, 
il donne , avec raison , la préférence à la seconde, 
en regrettant toutefois d’y trouver encore tant de 
lacunes et d'anomalies. 

Les changements qu'ila cru devoir introduire 
dans quelques parties de la classification nous ont 
semblé judicieux ; mais nous regarderions comme 
une témérité de nous prononcer sur leur mérite 
absolu. 

Les descriptions sont exactes; 1l y a de l'intérêt 
dans les détails que l’auteur a recueillis sur l’in- 
stinct, les mœurs et l'utilité des animaux dont il 
parle dans son livre: 1l a évité le défaut de trop 

1 


6 EXTRAIT DU RAPPORT, ete. 


multiplier les termes techniques et les dissertations 
sur l’histoire de la science. Nous devons louer 
l'auteur d'avoir su prendre un parti et d’avoir re- 
connu que les discussions doivent être bannies des 
ouvrages élémentaires. Nous ajouterons qu'il a 
trouvé que l’histoire naturelle était assez attrayante 
par elle-même pour ne pas y ajouter ces récits 
merveilleux où romanesques dont la véritable 
science à fait depuis longtemps justice. 

L'histoire naturelle des oiseaux , des reptiles et 
des poissons, est un ouvrage instructif, intéressant, 
qui peut servir pour l’enseignement dans les écoles 
normales et qu'on peut distribuer dans les écoles 
primaires supérieures, soit comme prix, Soit 
comme ouvrage de bibliothèque. 


INTRODUCTION. 


Les sciences d'observation offrent à l'esprit de celui qui les 
cultive une longue série de principes, el surtout une iminense 
collection de faits. Par les travaux continuels et les recherches 
actives des hommes versés dans leur étude, ces faits se mul- 
tiplient sans cesse, bientôt ils s’accumuient, et par leur isole- 
ment, ils présentent l'image du chaos où tous les éléments 
les plus hétérogènes en apparence gisent confondus. Qui vien- 
dra d’un souffle puissant dissiper les ténébres épaisses qui 
pèsent sur Lant de matériaux stériles par leur éparpillement, 
et n'altendant qu'un germe vivifiant pour manifester leur 
merveilleuse fécondité? 

Quand on aborde l'étude d'une science dans de telles cir- 
constances, l'esprit le plus hardi se trouve embarrassé dés les 
premiers pas. Il a beau se débattre au milieu des entraves qui 
gênent sa marche, si son intelligence n’est douée de facultés 
éminemment philosophiques, malgré toute l'aptitude qui 
semble le porter vers ces connaissances, il ne possèdera ja- 
mais rien de solide : la mémoire sera surchargée, et l'esprit 
sera toujours dans l'obscurité. 

Tel à été primitivement l’état des sciences naturelles, telle 
a été dans l’origine la position des anciens naturalistes. Les 
plus distingués possédaient une grande quantité de faits joints 
à quelques principes de philosophie zoologique ; maisla masse 
de Ieurs connaissances n’était pas fécondée par ces aperçus 
profondément philosophiques, qui dans ces derniers temps ont 
fait de l'étude des sciences naturelles une étude éminemment 
intéressante et utile. Ces premiers amis de la nature semblaient 
ignorer que pour se prêter une mutuelle force et produire 


8 INTRODUCTION. 


d'heureux résultats, les principes de ja science devaient s’u— 
nir en faisceau serré et s'enchainer étroitement. 

Les sciences naturelles en général et la zoologie en parti- 
culier manquaient donc de cette vie qui devait les animer 
plus Larä et leur communiquer cette active énergie qui les 
caractérise aujourd’hui. Elles ne présentaient qu'une réunion 
d'ossements épars qui n’attendaient qu'un ordre puissant pour 
se revêtir de muscles et de tous les organes qui par leurs phé- 
nomènes constants et variés constituent la vie. Quel est donc 
ce principe vilai qui manquail aux premières Connaissances 
physiques ? C'était la méthode. 

La méthode en effet est appelée à vivifier toutes les scien- 
ces qui forment le domaine de l'esprit humain. Bans l'état de 
dégradation où lintelligence humaine est tombée, il lui est 
impossible d'embrasser d'un coup d'œil sûr un large horizon; 
elle se perdrait dans le labyrinthe des mille Gistinctiors orga- 
nographiques ct éthographiques des naturalistes. Pour que 
l'étude soit facile et fructueuse, il faut que les différents objets 
se succédent suivant toutes les lois de$ harmonies naturelles 
et les conelusions d’une méthode sévére. 

Quelle méthode doit-on adopter dans l'étude des scien- 
ces naturelles ? Doit-on donner la préférence aux méthodes 
artificielles où aux méthodes naturelles ? I y a déjà long- 
temps que cette question a été résolue, ct pour le plus grand 
nombre des hommes versés dans les sciences il ne reste plus 
la moindre incertitude. Cependant je sais quelques naturalis- 
tes éclairés et savants qui regrettent sincèrement de voir 
tomber entiérement les principes des anciens méthodistes. 
Ils sont péniblement affectés du profond mépris que certains 
naturalistes jeunes et sans expérience veulent déverser sur 
des systèmes qui ont rendu d’éminents services à la science 
en général. Cette opinion nous semble respectable, mais 
nous devons sans balancer donner la préférence aux métho- 
des naturelles établies sur des fondements plus rationnels. 

Pour bien faire apprécier la différence qui existe entre les 
deux méthodes, nous dirons que la méthode naturelle & 
pour but de traduire le plus exactement possible l’ordre 
établi par la nature dans la série animale, et de faciliter 
la connaissance et le souvenir de cet ordre. La méthode 
artificielle prend pour point de départ quelques organes ex- 


INTRODUCTION. 9 


térieurs, quelques habitudes, et même quelquefois des ca- 
ractères secondaires ou tertiaires, et range tous les animaux 
d’après ces données si superficielles. 

Dans la méthode natureile il faut bien distinguer la techni- 
que de la classification organographique : la première est 
toute externe et ne sert qu’à aider la mémoire dans son tra- 
yail ; on peut l'appeler la partie mnémonique de la méthode. 
La seconde, au contraire, descend, si Fon peut s'exprimer 
ainsi, dans les entrailles du sujet pour placer tous les objets 
d’après leurs relations à un point de comparaison. La tech- 
nique a été admirablement comprise des premiers classifica- 
teurs. Linnée peut nous en fournir le type; la classification 
organographique a été créée par les naturalistes modernes, el 
peut serésumer dansles grands etadmirables travaux de Cuv:er. 

Malgré Lous les services rendus par la méthode naturelle, 
et malgré la perfection qu'elle a reçue dans ces derniers 
temps dans son application au régne animal, nous ne pou- 
vons nous empêcher de reconnaitre encore bien des lacunes. 
Pour que cette méthode naturelle fût complétement irrépro- 
chable dans son application, il serait nécessaire qu’elle fût 
toujours la traduction fidèle et sévère des dégradations orga- 
niques , en suivant une série descendante du type jusqu'aux 
derniers individus. Or, il existe plusieurs classes dans le 
règne animal que nous pouvons dire n'être pas l'expression 
exacte des rapporis organiques au Lype pris pour moyen {er- 
me. Sans parler de l’embranchement des articulés chez les- 
quels la distribution en ordres, familles et genre semble 
presque entièrement artificielle, nous jetterons un léger coup 
d'œil sur l’ornithologie, qui va nous occuper bientôt.La classe 
des oiseaux est sans contredit la classe la mieux caractérisée 
de toutes celles composant le rêégne animal, mais les ordres, 
es familles el les genres offrent de grandes difficullés dans 
leur placement distributif. Cuvier, dans son grand et immor- 
tel ouvrage, le Règne animal distribué d'après son orga- 
nisation , les a presque toutes heureusement vaincues. Néan- 
moins quand nous considérons certains genres des rapaces, 
et surtout l'ordre si bizarrement circonscrit des passereaux , 
nous ne pouvons voir sans répugnance quelques classements 
qui nous semblent violer les lois harmoniques qui font les 
principes nécessaires de toute classification. 


10 £ INTRODUCTION. 


Nous venons de dire qu'il était nécessaire d'établir une 
série descendante d'individus de même classe comparés à 
un type. Si nous voulons classer les rapaces , il parait évident 
qu'on devra prendre pour point de départ et centre de com- 
paraison celui qui joindra les armes offensives et défensives à 
un caractère féroce el à des mœurs sanguinaires propres à 
tous ces oiseaux en général. L’aigle pourrait être donné 
comme type primordial des oiseaux rapaces, puisque ses 
paites services par des muscles nombreux el puissants, sont 
armées à leur extrémité d'ongles crochus et redoutables, et 
que son bec est fortement recourbé et terminé en pointe acé- 
rée. Il présente toujours un caractère fier et indomptable , et 
quoique nommé oiseau ignoble, parce que, différent du 
faucon appelé oiseau noble, il a toujours refusé de se plier 
aux caprices el aux plaisirs des grands , nous verrons toujours 
dans l’aigle, avec les anciens naturalistes et Buffon, le type 
de la noblesse, de la grandeur, et avec les naturalistes mo- 
dernes le type de la force et de la rapacité. 

Nous sommes donc convaineu que l’ordre des rapaces doit 
commencer par le genre aigle, devant servir de type: vien- 
drait ensuite le genre faucon, etc., et la famille des diurnes 
se continuerait par le genre vautour, et se terminerait par le 
genre messager ou secrétaire. Enfin viendraient les rapaces 
nocturnes dans l’ordre généralement adopté. 

En abordant laclasse des passereaux il est impossible de se 
dissimuler toutes les difficuliés qui surgissent à chaque in- 
stant quand on veut établir les couples génériques. Cet ordre, 
en effet, est composé de tous les genres qui ne peuvent être 
rapportés aux ordres mieux déterminés des rapaces, des 
grimpeurs, des échassiers, elc. On y remarque un grand 
nombre d'éléments hétérogènes n'ayant entre eux qu’une 
faible affinité : ces animaux se trouvent rapprochés par des 
caractères purement négatifs. La classification de Cuyier, en 
commençant par les pies-griéches, à bec légèrement arqué, 
aux mœurs indépendantes et carnassières , indique une tran- 
sition assez naturelle d'un ordre à un autre ordre *. Plusieurs 


* Plusieurs naturalistes pensent que les pies-grièches , comme 
genre, devraient former une pelite tribu à la suite des rapaces 
diurnes. 


INTRODUCTION. 41 


des autres dentirosires suivent sans brusque interruption, 
mais les derniers conirostres, comme le corbeau, la pie, le 
geai, paraîtraient devoir se rapprocher un peu plus des pre- 
miers genres des passercaux. 

Nous pourrions étendre nos observations sur une foule de 
genres répandus dans plusieurs autres ordres, mais ces dé- 
tails nous entraineraient trop loin du but que nous nous 
sommes proposé. En jetant ces réflexions qui demanderaient 
certainement de plus amples développements, nous avons 
voulu seulement mettre au jour une pensée qui nous occupe, 
et justifier quelques modifications que nous avons l'intention 
d'introduire dans la classification des oiseaux. 


Nous dédions ce travail à la jeunesse chrétienne pour la- 
quelle nous travaillons spécialement depuis plusieurs années. 
Notre but principal a été, en cherchant à lui inspirer le goût 
de l’histoire naturelle, de faire naitre dans son cœur quel- 
ques sentiments envers Dicu, l’auteur de la nature. Nous 
cherchons constamment la glorification de Dieu par ses œu- 
vres, et nous tâchons de faire admirer sa bonté, sa gran- 
deur , sa puissance, son immensité, sa providence jusque 
dans les moindres êtres qu'il a bien voulu appeler à l’exis- 
tence. Peut-on présenter aux yeux de l'homme un livre écrit 
en plus beaux caractères, et illustré plus magnifiquement que 
celui que la nature déroule sans cesse à nos regards ? Chaque 
page nous offre de riches matériaux pour le cœur et pour 
l'esprit. Puissions-nous toujours faire un noble et légitime 
usage de nos connaissances en bénissant, en adorant celui 
qui fut le principe et qui doit être la fin de toute chose ! 


Avant d'entrer en matière nous devons à nos lecteurs de 
leur faire connaitre les sources auxquelles nous avons puisé. 
Pour l’ornithologie nous avons toujours suivi le grand tra- 
yail de Cuvier, Règne animal, à quelques exceptions près, 
pour la distribution des ordres, familles et genres. Dans la 


12 INTRODUCTION. 


description des mœurs, des habitudes, des instincts, nous 
avons consulté les oiseaux de Buffon, ou de son continua- 
teur, Guénaud de Montbeiïllard; nous avons encore profité 
des travaux de Temming, de Lesson , de Milne-Edwards, etc. 
En passant aux reptiles nous avons encore suivi la classifica- 
lion de Cuvier, en introduisant cependant une légère modli- 
ficalion dans la distribution des chéloniens. Notre guide, pour 
l'histoire naturelle proprement dite de tous les animaux qui 
composent la classe des reptiles, a été principalement le 
comte de Lacépède, dans son magnifique ouvrage, les quadru- 
pèdes ovipares, les serpents el les poissons; nous ne devons 
pas oublier l’ouvrage &@e Latreille et Sonnini, et quelques mé- 
moires comme celui de M. Alex. Brongniart, etc. Enfin pour 
les poissons, dans les courtes explications que nous donnons, 
nous avons usé des notes recueillies par nous-même aux 
cours de M. Duméril , au Jardin du Roi, et nous nous sommes 
aidé encore du travail de M. Lacépède , précédemment cité. 


HISTOIRE NATURELLE 


DES 


OISEAUX. 


ORNITHOLOGIE. 


La branche de l'Histoire naturelle qui a pour 
but de nommer les oiseaux, de décrire leurs 
mœurs, leurs habitudes, d'établir leurs rapports 
génériques et spécifiques d’après les lois de leur 
organisation, prend le non d’ornithologie. Les 
oiseaux sont définis des animaux ovipares , à cir- 
culation double et complète, dont les membres 
antérieurs ont éprouvé une modification organique, 
spéciale, qui les rend propres au vol, et dont le corps 
est protégé par un systèmetégumentaire particulier. 

Ces animaux forment la classe la mieux déter- 
minée et la plus facile à caractériser, soit que lon 
considère seulement les formes extérieures, soit 
que l’on descende plus profondément dans leur 
structure intérieure ou qu'on veuille apprécier les 
mystères de leurs fonctions physiologiques. Mais 
c'est aussi dans cette classe que l’on trouve Îles dé- 
gradations organiques les plus difficiles à appré- 


44 HISTOIRE NATURELLE 


cier, et, par conséquent, les plus grands obstacles 
pour préciser les différences qui constituent les 
caractères distinctifs des genres et des espèces. 

Avant d'entrer dans l’étude des ordres et des 
genres, nous devons exposer auparavant quel- 
ques réflexions sur l’organisation , les habitudes et 
les mœurs communes des oiseaux. 

L'ostéologie des oiseaux nous offre quelques 
modifications que, du reste, il était facile de pré- 
voir, à cause de la faculté qu’ils ont reçue de se 
soutenir au milieu de l'air. Le tissu des os est 
dense et compacte, et, par conséquent, peut offrir 
une bien plus grande solidité sous un moindre vo- 
lume. Tous les os longs, au lieu de renfermer cette 
substance adipeuse, connue sous le nom de moelle, 
dans les os longs des mammifères , se trouvent rem- 
plis d'air. Tout tend à diminuer la pesanteur spé- 
cifiqne des ciseaux , comme nous aurons occasion 
de nous en convaincre pleinement par: la suite. 

La tête des oiseaux est, en général, peu déve- 
loppée; et composée d'os si intimement soudés 
ensemble, que toute trace de suture à disparu ex- 
térieurement. Ces os du crâne sont très-peu épais, 
et ordinairement également développés dans le 
sens de la longueur et de la largeur. La partie su- 
périeure du bec des oiseaux, formée prineipale- 
ment par les analogues des intermaxillaires, se 
prolonge en arrière en deux arcades composées 
desos palatins, ptérygoidiens et maxillaires, qui 
s'appuient sur un os tympanique mobile, vulgaire- 
ment dit os carré. La matière cornée , qui revêt 
extérieurement les deux mandibules, remplace 
les dents par sa solidité, et offre quelquefois des 
dentelures acérées ou des bords tranchants qui peu- 


DES OISEAUX. 15 


vent les représenter avantageusement. Ce bec varie 
à l'infini dans ses formes chez la plupart des oi- 
seaux, et il a présenté aux naturalistes de bons 
caractères pour grouper un grand nombre de ces 
animaux. Ces variations ont été appropriées au 
genre de vie de chaque espèce; celui qui, comme 
l'aigle, doit vivre de rapine et de carnage , a reçu 
des mandibules aiguës et fortement recourbées ; ce- 
lui qui, comme le colibri, doit puiser sanourriture 
au fond de la corolle des fleurs, a obtenu un bec 
long et grèle ; le héron possède un long bec pour 
saisir sa proie dans les eaux ; le cygne et surtout 
la spatule présentent un bec très-aplati pour cher- 
cher dans la vase des ruisseaux et des marécages 
les larvesd’insectes qui s’y développent ; enfin le pie 
nous offre un bec très-solide et en forme de coin pour 
percer les arbres et chercher les larves de xylo- 
phages * qui forment sa nourriture. 

La colonne vertébrale est composée d’un nom- 
bre variable de pièces. Le cou prend un allonge- 
ment considérable dans certaines espèces, comme 
autruche, la cygogne, le cygne, et offre un plus 
grand nombre de vertèbres cervicales, que celui 
des passereaux, des rapaces et des gallinacées. 
Les vertèbres cervicales sont toujours très-mo- 
biles les unes sur les autres, parce que le bec est 
toujours l'unique organe de préhension. Le perro- 
quet seul nous offre sur ce point une remarquable 
exception. Les vertèbres dorsales n’ont au contraire 
presque aucune mobilité, et les vertèbres lombai- 
res deviennent complétement immobiles , comme 
soudées entre elles. Faisant suite au sacrum, on 


* Les xylophages forment une famille de cléopières qui se 
développent dans le bois. 


16 HISTOIRE NATURELLE 


remarque les vertèbres coccygiennes ou caudales 
assez développées qui possèdent un certain mou- 
vement de haut en bas qu’elles communiquent 
aux pennes de la queue. La dernière vertèbre coc- 
cygienne est plus développée que les autres, et 
présente deux expansions latérales pour linsertion 
des pennes rectrices. 

Le thorax, ou la partie osseuse de la poitrine, 
est composé des côtes grêles, se prolongeant jus- 
qu'au sternum sans l’intermédiaire de cartilages 
costaux, et d’un sternum d’une structure admi- 
rable. Les muscles de laile devaient avoir une 
grande puissance pour que l’organe du vol pût 
frapper fortement sur l'air environnant, et le ster- 
num devait leur fournir un point d'insertion en 
rapport avec cette puissance. C'est pour augmen- 
ter son étendue qu’on remarque une ligne osseuse, 
saillante sur la partie médiane, et deux surfaces 
planes postérieures offrant une échanerure plus 
ou moins profonde pour lextension de toute la 
surface. L’ossification plus où moins parfaite des 
échancrures, la solidité plus ou moins grande de 
la lame moyénne, indiquent la vigueur des oiseaux 
pour le vol. 

Quoique le membre supérieur soit appelé chez 
les oiseaux à remplir des fonetions particulières, 
néanmoins sa composition ostcologique présente 
une analogie complète avec le membre thoracique 
des mammifères. L’omoplate a acquis une modi- 
fication des plus singulières, au lieu d’être apla- 
tie, comme chez les animaux vertébrés de là pre- 
mière classe, elle s’est allongée et a pris tous les 
caractères des os longs. Elle reste suspendue dans 


LD 


les chairs, et vient se fixer au sternum par un vi- 


DES OISEAUX. 17 


goureux arc-boutant résultant du développement 
de l’apophyse coracoïde. Cette disposition si anor- 
male est destinée à maintenir les épaules écartées 
convenablement , malgré les efforts continuels du 
vol qui tendent à les rapprocher. Les clavicules, 
en se soudant , forment ce qu’on appelle vulgaire- 
ment la fourchette, et sont d'autant plus fortes 
et plus ouvertes que l'oiseau possède une puis- 
sance de vol plus énergique. L'humérus, le ra- 
dius et le cubitus, ont les plus grands traits de 
ressemblance avec les os correspondants chez les 
mammifères; mais la main nous offre un carpe 
modifié selon son usage. Il est destiné à donner 
insertion à un doigt bien développé et à deux au- 
tres plus petits presque rudimentaires. Ainsi le 
membre supérieur n’est muni que de trois doigts, 
comme le membre inférieur dans un grand nom- 
bre d'espèces. 

Le membre inférieur dans les parties les plus 
essentielles n'offre que d’assez légères modifica- 
tions; le tarse et le métatarse sont représentés 
par un seul os terminé inférieurement par trois 
poulies ou trochlées. Ces trois poulies servent à 
larticulation äes doigts, ordinairement au nombre 
de trois ou de quatre (lautruche par exception 
n'en a que deux). Quand il existe quatre doigts, 
il ÿ en a un dirigé en arrière qui porte le nom de 
pouce. Quelquefois, comme chez les grimpeurs, 
le doigt externe se dirige également en arrière, 
et cette conformation caractérise les oiseaux de 
cet ordre; et d’autres fois ces doigts sont réunis 
ensemble par de larges membranes ou palmures 
qui en font une rame solide , ainsi que nous le ver- 
rons dans l’ordre des palmipèdes. Les ongles qui 


48 HISTOIRE NATURELLE 


terminent les doigts sont plus ou moins forts et 
acérés suivant les genres et les espèces ; très-dé- 
veloppés dans l'aigle où ils prennent la dénomi- 
nation de serres , ils sont presque réduits à rien 
dans les petites espèces des passereaux, dans cer- 
tains échassiers et dans la plupart des palmipèdes. 

Le système musculaire est doué d’une extrême 
irritabilité provenant de l’énergie de la respiration 
et de l’activité de la circulation. L’organe de la 
respiration communique avec l'air extérieur par 
le moyen des narines ouvertes à la base au bec. 
Cette ouverture se trouve percée chez les rapaces 
diurnes dans une membrane jaunâtre qu’on a nom- 
mée cire. La trachée-artère ou conduit de l’air, 
est composée d’anneaux entiers et complets, et 
acquiert quelquefois un développement considé- 
rable en s’enroulant sur elle-même avant de péné- 
trer dans la poitrine. Les poumons ne présentent 
point de lobes distincts, sont fixés aux côtés et 
enveloppés d’une membrane séreuse, percée de 
grands trous qui laissent pénétrer l'air dans plu- 
sieurs cavités de la poitrine, de l'abdomen, des 
régions axillaires, et même de l’intérieur des os, 
en sorte que le fluide atmosphérique baigne non- 
seulement la surface des vaisseaux pulmonaires, 
mais encore celle d’une infinité d’autres vaisseaux 
artériels où veineux du reste du corps. Ainsi les 
oiseaux respirent en quelque sorte par les ra- 
meaux de l'aorte, comme par le tissu vacuolaire 
des poumons. La température de leurs corps se 
trouve en proportion avec la quantité de leur res- 
piration, et s'élève jusqu'à 35° ou 40° de Réau- 
mur, tandis que celle de l'homme ne s'élève que 
de 30° à 32°. 


DES OISEAUX. 419 


La circulation est parfaitement en rapport avec 
le degré de leur température interne, ei d’une ac- 
tivité supérieure à celle que nous remarquons chez 
les mammifères. 

La principale fonction nutritive ou la digestion 
doit être en proportion avec l’activité de leur vie 
et la force de leur respiration. Le tube digestif a 
pris certaines modifications dans sa partie supé- 
rieure. L’estomac se compose de trois parties, le 
jabot, le ventricule succenturié et le gésier. Ces 
parties ne sont pas également développées dans 
tous les oiseaux , car les rapaces et les piscivores 
ont un gésier presque membraneux. Chez les gra- 
nivores, au contraire, nous les voyons parfaite- 
ment conformées. Le jabot n’est autre chose 
qu’une dilatation latérale de lœsophage ou con- 
duit des aliments destiné à retenir quelque temps 
les substances alimentaires ingérées. Le ventri- 
cule succenturié est une poche membraneuse gar- 
nie dans son épaisseur d’une multitude de cryptes 
ou glandes folliculaires , destinées à sécréter un Hi- 
quide propre à ramollir un peu les matériaux de 
la digestion. Le gésier est l organe propre de chi- 
mification et se trouve armé de deux muscles vi- 
goureux, réunis entre eux par deux tendons 
rayonnés et tapissés à leur intérieur d’un cartilage 
solide. Le gésier est un organe puissant de tritu- 
ration ; les aliments s’y broient d'autant plus faci- 
lement, que l'oiseau a coutume d’avaler de petits 
cailloux comme la poule domestique, et même des 
morceaux de fer comme l’autruche, pour faciliter 
son action. 

Le système de l’innervation est peu développé, 
ce que nous avions déjà prévu par le peu d’am- 


20 HISTOIRE NATURELLE 


pleur de la boîte cérébrale. Les hémisphères 
n'offrent point de circonvolutions à leur surface ni 
de corps calleux pour les réunir. Les lobes opti-. 
ques ont pris un accroissement notable et se mon- 
trent toujours à découvert derrière les lobes céré- 
braux. Le cervelet est bien développé par rapport 
aux autres parties de lencéphale et traversé de 
rainures parallèles et convergentes. 


Après avoir ainsi jeté un coup d’œil rapide sur 
le principe matériei de la sensibilité organique, 
nous allons examiner les sens et leurs organes. 


En comparant les sens qui sont les premières 
puissances motrices de Pinstinct dans tous les 
animaux, dit Buffon dans son discours sur la na- 
ture des oiseaux, nous trouverons que le sens de 
la vue est plus étendu, plus vif, plus net et plus 
distinct dans les oiseaux en général que dans les 
quadrupèdes ; je dis en général parce qu'il pa- 
rait y avoir des oiseaux qui, comme les hiboux, 
voient moins qu'aucun des quadrupèdes ; mais 
c’est un effet particulier que nous apprécierons 
plus tard quand nous parlerons des rapaces noc- 
turnes. Ce qui tend encore à prouver que l'œil 
est plus parfait dans l'oiseau, c’est que la nature 
Va travaillé davantage. Il ÿ a deux membranes de 
plus que dans ceux des mammifères, l'une exté- 
rieure et l’autre intérieure. La première est pla- 
cée dans le grand angle de l'œil, et au moyen d’un 
appareil musculaire particulier peut couvrir le 
devant de l'œil comme un rideau; la seconde est 
vasculeuse et plissée, placée au fond du globe 
oculaire ; elle se dirige vers le cristallin sur lequel 
elle exerce une certaine action qui tend à varier 


DES OISEAUX. 21 


le cerele de la vision probablement en déplaçant 
cette lentille. 

Chez quelques oiseaux la portée de la vue est 
extrèmement longue. Un épervier voit, d’en haut 
et de vingt fois plus loin, une alouette sur une 
motte de terre, qu’un homme ou un chien ne peu- 
vent l’apercevoir. Un milan, qui s'élève à une hau- 
teur si grande, que nous le perdons de vue, voit 
de là les petits lézards, les mulots, les oiseaux, 
et choisit ceux sur lesquels il veut fondre. Cette 
grande étendue de la vision se trouve encore ac- 
compagnée d’une justesse et d’une précision re- 
marquables. 

L'homme, supérieur à tous les êtres organisés , 
a le sens du toucher et peut-être celui du goût 
plus parfaits qu'aucun des animaux, mais 1l est in- 
férieur à la plupart d’entre eux par les trois au- 
tres sens; et en ne comparant que les animaux 
entre eux, il parait que la plupart des quadrupè- 
des ont l’odorat plus vif et plus étendu que ne 
l'ont les oiseaux ; car, quoi qu’on dise de l’odorat 
du corbeau, du vautour , etc., il est bien inférieur 
à celui du chien ou du renard. On peut en juger 
par la conformation elle-même de l'organe. Caché 
dans la base du bec, il n’a d’ordinaire que des 
cornets cartilagineux , au nombre de trois, va- 
riant en complication. Quelquefois 1l n’est point 
ouvert à l'extérieur par les narines, mais mis en 
communication avec l'air, véhicule des odeurs, 
par une fente longitudinale située à l’intérieur du 
bec. Cette conformation si peu favorable à l’exer- 
cice de cette fonction, jointe au peu de dévelop- 
pement du nerf'olfactif, porte à conclure que 
généralement les oiseaux ont l’odorat très-impar- 


29 HISTOIRE NATURELLE 


fait. Nous pouvons en dire tout autant du goût, 
car la langue chez ces animaux a peu de substance 
musculaire, et ne présente que des papilles fort 
rares à sa surface. 

Il n'en est pas de même de l’ouie. L’organe est 
beaucoup moins compliqué que dans les mammi- 
fères : la partie osseuse est extrêmement simple. 
L'ouverture extérieure très-petite chez les oiseaux 
diurnes, très-grande chez les nocturnes, est re- 
couverte toujours par les plumes. Du reste la sen- 
sation parait très-développée, comme il est aisé 
de s’en convaincre par la perfection et l’étendue 
du chant dans la plupart des espèces, par la fa- 
cilité avec laquelle ils retiennent les airs qu'on 
leur apprend, et la promptitude avec laquelle 1ls 
s'éveillent quand on les approche même avec les 
plus grandes précautions. 

Le plus obtus de tous les sens de loiseau est 
sans contredit le toucher, et cela dépend entière- 
ment de la nature des téguments qui recouvrent 
tout le corps. Nous savons que la perfection de 
ce sens dépend entièrement de la structure de la 
peau et de ses diverses dépendances. Les oiseaux, 
ayant tout le corps recouvert de plumes, et les 
extrémités inférieures revêtues d’une substance 
cornée qui les enveloppe entièrement, doivent par 
conséquent ne recevoir que des impressions très- 
légères. 

Nous étudierons ici les dépendances du sys- 
tème tégumentaire. Ce système est tout particu- 
lier aux oiseaux et constitue leurs plumes ; 1l est 
très-propre à garantir le corps de l'animal des ef- 
fets des rapides variations de température du mi- 
lieu dans lequel ils vivent. On distingue trois 


DES OISEAUX. 93 


espèces de plumes; les unes duvetées et lanugi- 
neuses sont placées immédiatement sur la peau et 
dominent principalement sous l’abdomen et au 
cou des palmipèdes; les autres d’une structure 
plus serrée et d’une consistance plus ferme ser- 
vent à recouvrir les premières et sont les plumes 
proprement dites, appelées couvertures à l'aile 
à la base des pennes; ces dernières diffèrent de 
toutes les autres par leur force, leur grandeur et 
leurs usages. On rencontre les pennes aux ailes 
et à la queue, celles qui sont adhérentes à la main 
se nomment primaires; et il y en a toujours dix ; 
celles qui tiennent à l’avant-bras s'appellent se- 
condaires, leur nombre est variable; d’autres 
moins fortes fixées sur l’humérus portent le nom 
de scapulaires ; enfin los rudimentaire qui re- 
présente le pouce porte encore quelques pennes 
nommées bétardes. Toutes les pennes de Paile 
ont reçu la dénomination commune de rémiges, 
tandis que celles de la queue, ordinairement au 
nombre de 42, de 44 et même de 18 chez les 
gallinacés, sont désignées par le nom de rec- 
trices. Ce sont ces pennes rectrices qui en s’éta- 
lant soutiennent l’oiseau et surtout servent à le 
diriger, comme un gouvernail par ses différentes 
inflexions dirige un vaisseau sur les flots. Toutes 
les plumes, et surtout les pennes, sont composées 
d’une tige creuse à la base, qui porte supérieu- 
rement les barbes et les barbules. Cette tige est 
remplie d'air, ainsi que les nombreuses vacuoles 
qu’on trouve dans le tissu du reste de la plume. 
Le plumage des oiseaux présente des différen- 
ces assez marquées, non-seulement selon les dif- 
férences d'âge et de sexe, mais encore suivant les 


24 HISTOIRE NATURELLE 


saisons. En général, la femelle diffère du mâle 
par des teintes moins vives, etles petits dans leur 
jeune âge ressemblent à leur mère. Quand les 
deux sexes ont le même plumage, les petits ont 
une livrée qui leur est propre; enfin il est un cer- 
tain nombre d'oiseaux qui ont un plumage d’hi- 
ver et un plumage d'été. Ce sont «es différentes 
variations dans le même individu à différentes 
époques de sa vie ou de Pannée, qui ont fait, dans 
les commencements, multiplier les espèces à l’in- 
fini par les anciens ornithologistes. Dans les col- 
lections soignées on tient beaucoup à réunir les 
variétés de sexe et de plumage. 

Mais pour que ces changements s’opèrent, 1l 
faut que les plumes tombent et soient remplacées 
par d’autres; e’est cette chute périodique qu'on 
désigne sous le nom de mue. La plupart des oi- 
seaux éprouvent deux fois par an, au printemps 
et à l’automne, ce renouvellement des plumes. 
Une affection morbide plus ou moins intense ac- 
compagne toujours ce changement: loiseau est 
triste, silencieux , apathique ; il mange peu et se 
tient caché, comme s’il avait peur d’être vu; pres- 
que toujours immobile à la même place, on dirait 
qu’il redoute la fatigue, tandis que lorsqu'il est 
bien portant le repos lui semble pénible. Cet état 
de maladie dure jusqu’à ce que les nouvelles plu- 
mes s'étant développées, l’oiseau ait repris avec 
son habit ordinaire, l’activité qui fait le fond de 
son naturel. Ce temps est assez long, attendu que 
les plumes tombent les unes après les autres, afin 
que le corps de l’animal ne se trouve point trop 
exposé aux injures de l'air. 

De tout temps l’homme a recherché la dépouille 


DES OISEAUX. 25 


des oiseaux : le duvet est cher aux paresseux , les 
plumes ornent la tête du sauvage et de l'homme 
civilisé , et depuis longtemps déjà les pennes ai- 
dant à fixer la pensée servent d’instrament au 
génie. 


OXSTEO 


MOEURS ET HABITUDES COMMUNES A TOUS 
LES OISEAUX. 


La faculté de sentir, l'instinct qui n’est que le 
résultat de cette faculté, et le naturel qui n’est 
que l'exercice habituel de l'instinct, ne sont pas 
à beaucoup près les mêmes dans tous les êtres. 
Ces qualités intérieures dépendent de lorganisa- 
tion en général et en particulier de celle des 
sens, Nous pouvons dire encore que linstinct est 
développé en raison inverse de l'intelligence , en 
sorte que plus lintelligence est parfaite, comme 
chez l’homme, moins il y a d’instinct, tandis que 
chez les êtres placés aux derniers degrés de lé- 
chelle animale, comme les abeilles, les guêpes, 
les fourmis, etc., nous voyons un instinct très- 
- remarquable. Les oiseaux en général ont fort peu 
d'intelligence et beaucoup d’instinet. 

Cet instinct brille surtout dans la construction 
du nid. C’est dans les premiers jours du printemps, 
quand toute la nature semble posséder une sura- 
bondance de vie, que les oiseaux travaillent à se 
construire un nid. Les uns le placent sur des ar- 
bres, d’autres dans le creux d’un rocher, quel- 


26 HISTOIRE NATURELLE 


ques-uns dans lherbe, les buissons ou sur la terre, 
d’autres sur de vieilles tours, dans les fentes des 
murailles démantelées. Quel art et quelle pré- 
voyance admirables président à la construction 
de ce nid! Un lieu solitaire, une branche touffue, 
sera toujours préférée pour le soustraire aux re- 
gards de l’homme , à la rapacité des oiseaux des- 
tructeurs, ou aux rayons brûlants d’un soleil trop 
ardent. Combien d'images riantes, de comparai- 
sons charmantes , le nid des petits oiseaux n’a-t-l 
pas offertes à l'imagination des poëtes et des litté- 
rateurs ! 

Quand on examine attentivement le nid d’un oi- 
seau, on observe d’abord un tissu lâche d'herbes 
sèches et quelque fois de crins qui servent à le 
fixer sur la branche qui lui sert de point d'appui. 
La construction devient ensuite de plus en plus 
serrée, et enfin l’intérieur se trouve garni d’un 
léger duvet que l'oiseau a su trouver dans la cam- 
pagne, ou qu’il s’est arraché de dessous la poitrine, 
comme cela a lieu chez leider. On doit reconnaitre 
que Dieu à donné aux petits oiseaux un talent ad- 
mirable. Guidé par un instinct irrésistible, l'oiseau 
construira toujours un nid semblable à celui qui 
l'a vu naître, et aucune circonstance ne pourra 
l’obliger à le modifier. Qui à appris à la tour- 
terelle à placer son nid dans les bois épais où 
règne une constante fraicheur? Qui a enseigné à 
l'hirondelle à se maçonner si élégamment et si 
solidement sa demeure? Qui a dit à l’autruche 
que le sable du désert pouvait recevoir assez com- 
modément ses œufs et que la chaleur du soleil 
suffirait pour les faire éclore? N'est-ce pas celui 
qui prend soin des passereaux , et qui donne la 


DES OISEAUX. pr À 


nourriture aux oiseaux qui envoient leurs cris vers 
leciel ? | 

Après avoir admiré l’étonnante construetion du 
nid des oiseaux, nous allons examiner la forma- 
tion de l'œuf, puis le phénomène de lincubation. 

L'œuf commence à se former dans une poche 
particulière qu’on nomme ovaære. C’est là que 
tous les vitellus, vulgairement jaunes de l'œuf, 
sont placés comme les grains d’un raisin sont at- 
tachés à leur grappe, et disposés de manière que 
ceux plus développés se trouvent à la partie infé- 
rieure. Chaque vitellus a un pédicule ou pétiole 
particulier qui le fixe à un centre commun longi- 
tudinalement étendu. Quand un de ces vitellus est 
parvenu à son entier accroissement, 1l se détache 
de son pétiole et glisse par un canal particulier 
désigné par le nom d’oviductus. Les parois in- 
ternes de ce canal sont enduites d’une Iymphe 
blanchâtre qui s'attache au vitellus et constituera 
plus tard lalbumen ou blanc de l'œuf. Quand 
l’albumen se trouve réuni en quantité suffisante, 
il s’enveloppe d’une pellicule qui n’est formée que 
d'albumine épaissie. Enfin rendu à l'extrémité 
inférieure de l’oviductus , l'œuf se recouvre d’une 
seconde enveloppe solide, composée principale- 
ment de carbonate calcaire et de substance ani- 
male, qui prend le nom de coquille. I arrive 
quelquefois que l'œuf parvenu à l’extrémité du 
canal de l'ovaire est émis subitement avant que 
l'enveloppe calcaire se soit formée. Il arrive en- 
core qu'on trouve parfois deux vitellus sous la 
même coquille: il est très-facile d'expliquer cette 
anomalie. Deux vitellus également développés se 
séparent en même temps de leur pédicule, glis- 


28 HISTOIRE NATURELLE 


sent simultanément dans l’oviductus, et parvenus 
ensemble à sa partie inférieure, ils sont enfermés 
sous une enveloppe calcaire commune. 

I ne paraîtra peut-être pas inutile d'indiquer 
ici en quélques mots les procédés employés pour 
la conservation des œufs. Aussitôt qu’un œuf est 
émis au dehors , il perd continuellement quelques- 
unes de ses parties par lévaporation de celles 
qui sont plus volatilles. Peu après il contracte une 
mauvaise odeur et finit par se gâter compléte- 
ment. Pour prévenir cet inconvénient, 1l suffit de 
mettre un obstacle à cette évaporation continuelle 
par une couche de matière grasse qui ferme en- 
tièrement tous les pores dont la coquilie est eri- 
blée. On peut les placer dans de la cendre fine 
famisée, ou mieux étendre sur la surface externe 
une huile ou un vernis quelconque; avec cette 
seule précaution on pourra garder pendant plu- 
sieurs mois et même pendant plusieurs années 
des œufs bons à manger et possédant toutes les 
qualités des œufs frais. 

Quand l'oiseau a pondu un nombre d'œufs va- 
riable suivant sa taille, il répond aux vœux de la 
nature en les couvant. Le phénomène de l’imcuba- 
tion dure de dix à quarante jours suivant les 
espèces. L'autruche laisse à la chaleur solaire à 
faire éclore l'embryon renfermé dans l'œuf, mais 
les autres oiseaux ont besoin, pour arriver à ce 
résultat, de se placer sur leurs œufs pour déve- 
lopper un degré de chaleur suilisant. Pendant 
tout le temps que dure l’incubation, les oiseaux, 
oubliant presque leur propre vie et négligeant de 
prendre leur nourriture, se tiennent sur leurs œufs 
avec une constance admirable. L'effet de l’incu- 


DES OISEAUX. 29 


bation est de développer l'embryon qui se trouve 
dans la cicatricule de lœuf fécondé. Dès que 
l'œuf a été couvé pendant cinq ou six heures, on 
voit déjà distinctement la tête du petit oiseau 
joint à l'épine du dos nageant dans la liqueur 
dont la bulle qui est au centre de la cicatricule est 
remplie; sur la fin du premier jour, la tête s’est 
déjà recourbée en grossissant. 

Dès le second jour on voit les ébauches des 
vertèbres, qui sont comme de petits globules dis- 
posés sur les parties latérales de l’épine; on voit 
aussi paraitre le commencement des ailes et des 
vaisseaux ombilicaux remarquables par leur cou- 
leur obscure : le cou et la poitrine se débrouil- 
lent, la tête grossit toujours, on y aperçoit les 
premiers linéaments des yeux; déjà on distingue 
le cœur qui donne des pulsations et le sang qui 
circule. 

Le troisième jour tout est plus distinct parce 
que tout a grossi. On voit tout le corps du fœtus 
-comme enveloppé d’une partie de la liqueur en- 
Vironnante qui a pris plus de consistance que le 
reste. 

Les yeux sont déjà fort avancés le quatrième 
jour ; on y reconnait fort bien l'iris, le cristallin 
et humeur vitrée. Les ailes croissent, les cuisses 
“commencent à paraitre et le corps à prendre de la 
chair. 

Les progrès du cinquième jour consistent en 
ce que tout le corps se recouvre d’une chair onc- 
tueuse. 

Le sixième jour, la moelle de l’épine continue 
de s’avancer le long du tronc. Le foie qui était 
blanchâtre auparavant est devenu de couleur 

2 


30 HISTOIRE NATURELLE 


obscure ; le cœur bat dans ses deux ventricules, 
le corps est recouvert de la peau , et déjà l’on voit 
poindre les plumes. 

Le bec est facile à distinguer le septième jour; 
le poumon parait à la fin du neuvième. Toutes 
les parties se développent lentement jusqu'à ce 
que le petit casse sa coquille avec une pointe os- 
seuse caduque dont son bec est armé pour ce 
seul usage et qui tombe quelques moments après. 

Toute cette suite de phénomènes qui forme un 
spectacle si intéressant pour l'observateur philo 
sophe est l'effet de lincubation opérée par un 
oiseau, et l’industrie humaine n’a pas trouvé qu’il 
fût au-dessous d'elle d'en imiter les procédés : 
c’est ce qu'on appelle lincubation artificielle. 
D'abord de simples villageois d'Egypte, puis des 
naturalistes, sont parvenus à faire éclore un très- 
grand nombre de petits poulets à la fois; tout le 
secret consiste à tenir ces œufs dans une tempé- 
rature qui réponde à peu près au degré de cha- 
leur de la poule, et à les garantir de toute humi- 
dité et de toute exhalaison nuisible. On emploie 
pour cela la chaleur d'un four ou d’une étuve 
sèche, dans l’intérieur duquel on dispose conve- 
nablement plusieurs corbeilles dans lesquelles on 
place les œufs. On doit maintenir la chaleur du 
four d’incubation à 30° ou 32° Réaumur, et pour 
entretenir cette chaleur constanie on distribue 
plusieurs thermomètres en différents endroits, en 
observant qu’il y a toujours de grands inconvé- 
nients à élever trop la température, et que les 
poussins souffriront moins dans une atmosphère 
un peu au-dessous du degré que nous venons 
d'indiquer. Tous les corps qui développent une 


L 


DES OISEAUX. 31 


certaine quantité de calorique peuvent servir à 
l'incubation artificielle des œufs; on en a fait 
éclore avec du fumier où du tan qui, par la fer- 
mentation putride, font naître une chaleur assez 
considérable. Pour les autres détails relatifs à 
l'éducation des poussins qu'on s’est procurés par 
l’incubation artificielle, nous renvoyons aux mé- 
moires si intéressants de Réaumur, auquel nous 
avons emprunté les notions précédentes. 

Les migrations et les longs voyages sont aussi 
rares parmi les quadrupèdes, qu’ils sont fréquents 
parmi les oiseaux. Le quadrupède semble attaché 
à la motte de terre qui l’a vu naître, tandis que 
l'oiseau peut changer de climat avec une facilité 
incroyable. C’est ordinairement sur la notion an- 
ticipée des changements de l'atmosphère et de 
l'arrivée des saisons qu’il se détermine à partir. 
Dès que les vivres commencent à manquer, dès 
que le froid ou le chaud l’incommode, il médite 
la retraite; d’abord les oiseaux semblent se ras- 
sembler de concert pour entrainer leurs petits et 
leur communiquer ce même désir de changer de 
climat, que ceux-ci ne peuvent encore avoir ac- 
quis par aucune notion, aucune expérience pré- 
cédente. Les pères et mères rassemblent leur fa- 
mille pour la guider dans la traversée , et toutes 
les familles se réunissent, non-seulement parce 
que tous les chefs sont animés du même désir, 
mais parce qu'en augmentant les troupes, ils 
se trouvent en force pour résister à leurs en- 
nemis. 

Ce désir de changer de climat, qui commu- 
nément se renouvelle deux fois par an, c’est- 

à-dire en automne et au printemps, est une espèce 


5 HISTOIRE NATURELLE 


de besoin si pressant qu'il se manifeste dans les 
oiseaux captifs, par les inquiétudes les plus vives; 
on a vu des cailles, élevées dans des cages pres- 
que depuis leur naissance , et qui ne pouvaient ni 
connaitre, ni regretter la liberté, éprouver régu- 
lièrement deux fois par an des agitations singu— 
lières durant le temps du voyage. Lorsque le temps 
de la migration approche, on voit les oiseaux li- 
bres, non-seulement se rassembler en familles, 
se réunir en troupes, mais encore s'exercer à faire 
de longs vols, de grandes tournées, avant d’en- 
treprendre leur plus grand voyage. Au reste, les 
circonstances de ces migrations varient dans les 
différentes espèces; tous les oiseaux voyageurs 
ne se réunissent pas en troupes, 11 ÿ en a qui par- 
tent seuls, d’autres qui marchent par petits déta- 
chements, etc. 

L'époque à laquelle les oiseaux voyageurs arri- 
vent dans nos pays ou le quittent varie suivant les 
espèces, dit M. Milne-Edwards dans sa Zoolo- 
gie descriptive; ceux qui sont originaires des 
contrées les plus septentrionales de l'Europe nous 
viennent à la fin de l’automne ou au commence- 
ment de l'hiver; et dès les premiers beaux jours, 
fuyant la chaleur comme ils avaient fui l'excès du 
froid , retournent vers le nord pour y faire leur 
ponte; d’autres oiseaux qui naissent toujours dans 
nos contrées, et qui doivent par conséquent être 
considérés comme étant essentiellement indi- 
gènes , nous quittent en automne, et, après avoir 
passé l'hiver dans les climats chauds , reparaissent 
parmi nous au printemps, ou bien, évitant au con- 
traire la chaleur de notre été, émigrent alors vers 
les régions arctiques; il en est d’autres encore 


DES OISEAUX. 33 
qui, natifs des pays méridionaux, s'élèvent vers 
le Nord pour échapper à l’ardeur du soleil d'été, 
et nous arrivent au milieu de la belle saison. En- 
fin on en voit aussi qui ne séjournent jamais dans 
nos contrées, et qui, dans leurs migrations an- 
nuelles, ne font qu'y passer. L'époque de l’arrivée 
et du départ de ces voyageurs est, en général , dé- 
terminée d’une manière très-précise pour chaque 
espèce, et l'expérience à appris que, dans certai- 
nes localités, les chasseurs pouvaient compter sur 
l’arrivée de tels ou tels oiseaux , comme sur une 
rente dont les termes écherraient à jour fixe. L'âge 
y apporte cependant quelque différence; on voit 
ordinairement les jeunes ne se mettre en route 
que quelque temps après les adultes, et cela pa- 
rait dépendre de ce que la mue ayant lieu plus 
tard chez eux que chez ces derniers, ils re sont 
pas encore rétablis de l'espèce de maladie qui ac- 
compagne ce phénomène, au moment où ceux- 
ci sont déjà en état de supporter les fatigues du 
voyage. 

Certains genres parmi les oiseaux ont reçu avec 
leur instinct si remarquable un penchant marqué 
vers la sociabilité. Je citerai d’abord les associa- 
tions si singulières des gros-becs qui se construi- 
sent une habitation commune et qui vivent pres- 
que en république. Les faits que je vais rapporter 
sont extraits du voyage de M. Vaillant en Afrique. 

Plusieurs centaines de ces oiseaux se réunis- 
sent pour construire en commun, sur un arbre, 
une sorte de toiture tissue avec de grandes her- 
bes, et tellement serrée qu’elle est impénétrable 
à la pluie. Il parait que la forme de cet abri dé- 
pend des branches qui le supportent. Lorsque ce 


34 HISTOIRE NATURELLE 


travail est terminé, l'espace est distribué pour y 
placer des nids attachés à la surface inférieure 
du toit; et il faut qu’un instinct particulier dirige 
les constructeurs de ces nids, car ils sont tous de 
même grandeur, tous contigus l’un à l’autre. Ces 
habitations privées sont à une certaine distance 
du bord du toit et chacune a son ouverture; ce- 
pendant il arrive assez souvent qu'ane même porte 
donne entrée dans trois nids, l’un au fond et les 
autres de chaque côté; quelquefois aussi deux 
voisins ont établi entre eux cette sorte d'intimité. 
Ainsi, après avoir laissé entre le bord du toit et 
les nids assez d'intervalle pour que la pluie ne 
puisse atteindre les minces parois des habitations 
privées, chaque oiseau se loge avec très-peu de 
travail, car il profite des habitations mitoyennes. 
Les nids, d'environ trois pouces de diamètre, 
sont faits avec des herbes plus fines que celles de 
la toiture, également bien serrées et garnies inté- 
rieurement de duvet. Lorsque la population aug- 
mente, les nouvelles habitations ne peuvent être 
placées que sur les anciennes, et dans ce cas 
quelques-unes de ces cases particulières , délais- 
sées par leurs propriétaires, sont converties en 
voie publique pour arriver à ces nouvelles con- 
structions. Vaillant se fit apporter un de ces édi- 
fices tout entier, toit et chambres ; il y compta 
trois cent vingt nids. 

Nous pourrions rapporter beaucoup d’autres 
traits de la sociabilité des oiseaux, nous nous 
bornerons à établir en principe que la plupart 
des espèces granivores aiment à vivre en société , 
semblent trouver du plaisir à vivre en commun; 
tandis que les rapaces, les tyrans des airs , vivent 


DES OISEAUX. 35 


toujours solitaires. Nous pourrions établir ici une 
analogie complète de mœurs entre les oiseaux et 
les mammifères suivant leur régime nutritif. Le 
lion, le tigre, ne vivent que de sang et de meur- 
tre: la présence d’un être de leur espèce leur porte 
-ombrage, ils voient en lui un rival, et il faut né- 
cessairement qu’il s'éloigne ou que l’un des deux 
-suecombe sous les griffes du plus puissant. Chez 
les ruminants, au contraire, qui sont tous herbi- 
vores, nous voyons des mœurs douces , des habi- 
tudes de sociabilité ; ils paissent tranquillement 
l'herbe que la terre fournit abondamment à leurs 
besoins. L'aigle qui vit en dominateur sur Îles 
sommets des montagnes ne peut souffrir qu'un 
autre vienne s'établir dans son empire, tandis que 
la douce colombe trouve des charmes dans la so- 
ciété de ses semblables. 

L’éducabilité forme un des traits les moins sail- 
Jants du caractère des oiseaux. Malgré tous les 
soins qu’on leur prodigue journellement, il est dif- 
ficile d’apercevoir dans ceux qui en sont l’objet le 
moindre germe d’affection. On remarquera tou- 
jours une énorme différence entre l'attachement, 
la fidélité , l'amitié sincère du chien pour son mai- 
tre, et les caresses fugitives d’un étourneau, 
d’une perruche ou d’un serin. 

Rien n’est plus merveilleux dans l’histoire des 
oiseaux que leur voix et leur chant. Il n’est per- 
sonne qui n'ait entendu le ramage du rossignol et 
la voix du perroquet. Chez les oiseaux, le larynx 
inférieur, où se forment les sons, est d’une 
grande complication , et la trachée, par ses di- 
verses inflexions et ses mouvements, contribue 
beaucoup à les modifier. Les ligaments de la 


36 HISTOIRE NATURELLE 


glotte par leur resserrement et leur extension ser- 
vent à moduler l'air expulsé des poumons avec 
une très-grande force. Il est difficile de pouvoir 
apprécier rigoureusement comment il se fait que 
des êtres si petits et si faibles donnent à leur chant 
tant de force et d'éclat. Un rossignol a la voix plus 
étendue que l’homme, et les vibrations qu’elle 
produit daus l'air seront sensibles à l’ouie à une 
distance plus grandé que celles produites par la 
voix de beaucoup de mammifères. 

Tous les oiseaux qui ont la langue épaisse et 
charnue peuvent par une éducation prolongée 
parvenir à prononcer plus où moins distinctement 
quelques paroles. Tout le monde connait le jase- 
ment importun du perroquet et de la pie, et a en- 
tendu parler le geai et le corbeau. Cette faculté 
doit nous paraître bien étonnante, et il n’y a parmi 
les animaux que les seuls oiseaux qui en soient 
doués. Les grimaces du singe nous étonnent, mais 
la parole du perroquet exeite une très-vive sur- 
prise et presque de l'admiration. 


RERO 


DIVISION DE LA CLASSE DES OISEAUX EN ORDRES. 


(Règ. an. tom. I.) 


La distribution des oiseaux se fonde, comme 
celle des mammifères, sur les organes de la man- 
ducation, ou le bec, et sur ceux de la locomotion, 
c’est-à-dire les pattes et les ailes. D’après ces con- 


DES OISEAUX, AT. 


sidérations , on a partagé la classe des oiseaux en 
six ordres: les rapaces, les passereaux, les 
grimpeurs, les gallinacés, les échassiers et les 
palmipèdes. 

Les rapaces qu'on appelle encore oiseaux de 
proie ont le bec crochu, à pointe recourbée vers 
le bas, et les narines percées dans une membrane 
qui revêt toute la base de ce bec; leurs pieds sont 
armés d'ongles vigoureux. Ils vivent de chair et 
poursuivent les autres oiseaux ; aussi ont-ils pour 
la plupart le vol puissant. Aigle, faucon , vautour. 

Les passereaux comprennent beaucoup plus 
d'espèces que les autres ordres , mais leur organi- 
sation offre tant d’analogies, qu’on ne peut les sé- 
parer, quoiqu'ils varient beaucoup pour la taille 
et pour la force. Leurs deux doigts externes sont 
unis par la base et quelquefois par une partie de 
leur longueur. Rossignol, colibri. 

On a donné le nom de grimpeurs aux oiseaux 
dont le doigt externe se porte en arrière comme le 
pouce, parce qu'en effet le plus grand nombre 
emploie une conformation si favorable à la posi- 
tion verticale pour grimper le long des trones des 
arbres. Leur bec varie, et, dans quelques espè- 
ces, 1l est cunéiforme. Le pic, le perroquet. 

Parmi les oiseaux vraiment terrestres, les gal- 
linacés ont, comme notre coq domestique, le 
port lourd, le vol court, le bec médiocre à man- 
dibule supérieure voûtée, les narines en partie re- 
couvertes par une écaille molle et renflée, et 
presque toujours les doigts dentelés au bord. Ils 
vivent principalement de grains. Le faisan, le 

paon , le coq et la poule dou. 
= Dans quelques oiscaux , nous observons de pe- 


‘ 


38 HISTOIRE NATURELLE 


tites palmures aux doigts, mais surtout des tarses 
élevés , des jambes dénuées de plumes vers le bas, 
une taille élancée; en un mot, toutes les disposi- 
tions propres à marcher à gué le long des eaux, 
pour y chercher leur nourriture. Tel est, en effet, 
le régime du plus grand nombre, et quoique quel- 
ques-uns vivent dans des terrains secs, on les 
nomme oiseaux de rivage, ou échassiers. Héron, 
autruche. | 

Enfin on est frappé des larges palmures qui 
existent entre les doigts d’une nombreuse famille 
qu’on distingue quelquefois par le nom d’oiseaux 
nageurs. La position de ces pieds en arrière, la 
longueur du sternum, le cou souvent plus long 
que les jambes pour atteindre dans la profondeur 
des eaux , le plumage serré, poli, imperméable à 
l'eau, s'accordent avec les pieds pour faire des 
palmipèdes de bons navigateurs. Cygne, canard. 

Chacun de ces ordres se divise en familles et 
en genres, principalement d’après la conforma- 
tion du bec. Mais ces différents groupes passent 
souvent les uns aux autres par des nuances pres- 
que imperceptibles; en sorte qu'il n’est aucune 
classe où les genres et les sous-genres soient plus 
difficiles à limiter. 


l'Aigke. 


am 


SE 


Je Roi des Vautours. 


DES OISEAUX. 39 


SSSeSe 


PREMIER ORDRE DES OFSEAUX, 


LES RAPACES, OU OISEAUX DE PROIE. 


On pourrait dire absolument parlant que pres- 
que tous les oiseaux vivent de proie, puisque 
presque tous recherchent et prennent les insectes, 
les vers et les autres petits animaux vivants; mais 
on entend par oiseaux de proie ceux qui se nour- 
rissent de chair et qui font la guerre aux autres 
oiseaux. 

Ces oiseaux ont tous pour habitude naturelle et 
commune le goût de la chasse et l'appétit du sang, 
le vol très-élevé, l'aile et la jambe fortes, la vue 
très-perçante , la tête grosse, la langue assez 
charnue, l'estomac simple et membraneux , les 
intestins moins amples et plus courts que les au- 
tres oiseaux ; ils habitent de préférence les lieux 
solitaires, les montagnes désertes, et font com- 
munément leur nid dans les trous des rochers ou 
sur les plus hauts arbres; enfin ils ont encore pour 
caractères généraux le bec crochu et les quatre 
doigts bien séparés er armés d'ongles redoutables. 

Tous les oiseaux de proie ont plus de dureté 
dans le naturel et plus de férocité que les autres 
oiseaux ; non-seulement 1ls sont les plus difficiles 
de tous à priver, mais encore ils ont presque tous 
habitude dénaturée de chasser leurs petits hors 
du nid bien plus tôt que les autres, et alors qu’ils 


+ 


A0 HISTOIRE NATURELLE 


leur devraient encore des soins et des secours pour 
leurs subsistance. Cette cruauté, comme toutes les 
autres duretés naturelles, n’est produite que par 
un sentiment encore plus dur, le besoin pour 
soi-même et la nécessité. Comme ce n’est qu’en 
détruisant les autres qu'ils peuvent satisfaire à 
leurs besoins, et qu'ils ne peuvent les détruire 
qu’en leur faisant continuellement la guerre, ils 
portent une âme de colère qui influe sur toutes 
leurs actions, détruit tous les sentiments doux 
et affaiblit même la tendresse maternelle. Trop 
pressé de son propre besoin, l'oiseau de proie 
n'entend qu'impatiemment et sans pitié les cris de 
ses petits, d'autant plus affamés qu'ils deviennent 
plus grands. Si la chasse se trouve difficile, et que 
la proie vienne à manquer, il les expulse, les 
frappe , et quelquefois les tue dans un accès de 
fureur causée par la misère. 

L'ordre des rapaces se divise en deux grandes 
familles , les rapaces diurnes et les rapaces noc- 
lurnes. 


CRSSRC 
RAPACES DIURNES. 


LES AIGLES. 


Les aigles ont pour caractères généraux d’avoir 
le bec droit à la base, fortement recourbé à sa 
pointe. Leur tarse est emplumé jusqu’ à la racine 
des doigts, leurs ailes sont aussi longues que la 
queue, leur vol aussi élevé que se et leur 
courage surpasse celui de tous les autres oiseaux. 
C'est à cause de cette dernière considération que 


DES OISEAUX. AA 


les Romains, et avant eux les Perses, l'avaient pris 
pour leur enseigne militaire. 

« L’aigle, dit Buffon, a plusieurs convenances 
physiques et morales avec le lion; la ‘force, la 
magnanimité, la tempérance: quelque affamé 
qu'il soit , il ne se jette jamais sur des cadavres. Il 
est encore solitaire comme le lion, habitant d’un 
désert dont il défend l'entrée et l'usage de la 
chasse à tous les autres oiseaux. L’aigle a les 
veux étincelants comme le lion, lhaleine tout 
aussi forte et le cri également effrayant. Nés tous 
deux pour le combat et la proie, ils sont égale- 
ment ennemis de toute société, également féroces, 
également fiers et difficiles à réduire ; on ne peut 
les apprivoiser qu'en les prenant tout petits, et 
encore conservent-ils toujours quelque trace de 
leur naturel indomptable. C’est de tous les oiseaux 
celui qui s'élève le plus haut, et c’est par cette rai- 
son que les anciens ont appelé l'aigle l'oiseau cé- 
leste, et qu'ils le regardaient dans les augures 
comme le messager de Jupiter. Il possède une vue 
excellente , mais il n’a que peu d’odorat en compa- 
raison du vautour. Il enlève aisément les oies, les 
grues , les lièvres et même les petits agneaux et 
les chevreaux. 

« On appelle aire son nid qui est, en effet, tout 
plat et non pas creux comme celui de la plupart 
des autres oiseaux ; 1l le place ordinairement en- 
tre deux rochers, dans un lieu sec et inaccessible, 
On assure que le même nid sert à l'aigle pendant 
toute sa vie; c’est réellement un ouvrage assez 
considérable pour n'être fait qu'une fois, et assez 
solide pour durer longtemps. Il est construit à 
peu près comme un plancher avec de petites per- 


42 HISTOIRE NATURELLE 


ches ou bâtons de cinq ou six pieds de longueur, 
appuyés par les deux bouts et traversés par des 
branches souples, recouvertes de plusieurs lits 
de jones , de mousse et de bruyère. Ce plancher ou 
ce nid est large de plusieurs pieds et assez ferme , 
non-seulement pour soutenir l'aigle et ses petits, 
mais encore pour supporter le poids d’une grande 
quantité de vivres. » 

Nous sommes forcés d’avouer que quelques-uns 
des beaux caractères attribués aux aigles par les 
anciens et par Buffon ne sont pas mérités. L’aigle 
se jette quelquefois sur les charognes, et s’il n’at- 


taque pas d'ordinaire les petits oiseaux, c’est qu’ils : 


lui échappent facilement au milieu des buissons 
et n'offrent pas à sa voracité un assez riche butin. 

On trouve plus communément en Europe l'aigle 
royal où l'aigle brun dont le plumage acquiert 
des nuances plus foncées à mesure qu'il vieillit. 
On le trouve fréquemment dans les Pyrénées, les 
Alpes, les montagnes de l'Auvergne; on l’a vu 
quelquefois en Touraine et jusque dans la forêt de 
Fontainebleau. 

L’aigle impérial diffère du précédent par sa 
taille qui est moins considérable, et par la diffé- 
rence de sa couleur. Sa voix est sonore, son ar- 
deur excessive, et sa force musculaire peut-être 
plus grande que dans l'aigle brun; aussi est-il 
plus redoutable , et c’est à lui que se rapportent 
les fables et les récits exagérés que débitaient les 
anciens sur leur aigle doré. I habite le midi de 
l'Europe, l'Égypte, ete. Les autres espèces d’aigle 
sont : l'aigle criard ou le petit aigle, l'aigle botté, 
l'aigle malois, l'aigle tyran, l'aigle à queue éta- 
gét, etc. 


ane 


DES OISEAUX. A3 


LES AIGLES PÉCHEURS. 


Ces oiseaux se distinguent des précédents en 
ce que leurs tarses ne sont emplumés que dans 
leur moitié supérieure et à demi écussonnés sur 
le reste. L’orfraie et le pygarque ne forment 
qu'une seule et même espèce qui a recu deux noms 
à cause de la variété du plumage aux deux prin- 
cipales périodes de sa vie. Il se tient volontiers 
sur les bords de la mer, et assez souvent dans 
l’intérieur des terres, mais toujours à portée des 
grands lacs, des grands fleuves et des rivières 
poissonneuses. Il chasse principalement au pois- 
son, sur lequel il se précipite avec la rapidité de 
la foudre, et cherche aussi du butin parmi les 
quadrupèdes et les autres oiseaux. Comme il est 
très-fort, sa table est toujours richement servie ; 
il enlève facilement les lièvres, les oies, et même 
les agneaux et les daims. Le pygargue a l’œil dis- 
posé de manière à pouvoir chasser la nuit aussi bien 
que le jour. La cornée transparente se trouve re- 
couverte d’une légère membrane, qui semble em- 
pêcher les rayons solaires de frapper la rétine 
avec trop de vivacité. C’est de lui qu’Aristote 
disait qu'il regardait fixement le soleil, et qu’il for- 
çait ses petits à en supporter l’éclat. Cette fable 
qu'on à voulu ensuite étendre à tous les aigles a 
disparu comme bien d’autres, depuis que les 
sciences naturelles sont devenues plus positives. 
Cet oiseau est commun dans le nord de l’Europe; 
on le trouve abondamment sur les côtes de France 
et d'Angleterre. On rapporte encore à ce genre 
l'aigle à tête blanche et le petit aigle des Indes 


ÂA HISTOIRE NATUPRELLE 


qui, dans la religion des Brames, est consacré à 
Whisnou. 


LES HARPIES. 


Ces oiseaux sont des aigles pêcheurs à ailes 
courtes, propres au nouveau continent. Quoi- 
qu'on leur ait donné un nom hideusement célèbre 
dens l’antiquité classique, ces animaux partagent 
entièrement les mœurs et les habitudes des oi- 
seaux de la même tribu. Leurs tarses sont très- 
gros, très-forts et à moitié emplumés; leur bec 
et leurs serres sont des armes extrêmement redou- 
tables et plus terribles que dans le grand aigle lui- 
même. On a dit que d’un coup de bee il pouvait 
fendre le crâne d’un homme , et que dans ses ser- 
res il enlevait un faon ou d’autres animaux d’une 
taille considérable. Les plumes qui environnent 
le crâne par un mouvement musculaire particu- 
lier peuvent se diriger un peu en avant, et donnent 
à cet oiseau la physionomie extérieure de la 
chouette. Les voyageurs ont mêlé plusieurs fa- 
bles à son histoire, et ont exagéré certains traits 
de son caractère, comme ils sont toujours portés 
à le faire quand ils rapportent des faits qui les 
ont frappés. L'espèce la mieux connue est la 
grande harpie d'Amérique, appelée quelque- 
lois aigle destructeur ou grand aigle de la 
Guiane. 


L'AUTOUR. 


Ce genre a pour caractère d’avoir les ailes plus 
courtes que les pennes de la queue, le bec courbé 


cs ie Er 


ns 


DES OISEAUX. 45 


dès sa base, et les tarses écussonnés et un peu 
courts. Cet oiseau, dit Buffon , est féroce , méchant 
et difficile à priver. Quand on veut le saisir, 11 
commence par se défendre de la griffe, se ren- 
verse sur le dos en ouvrant le bec, et cherche 
beaucoup plus à déchirer avec ses serres qu’à 
mordre avec le bec. Son naturel est si sanguinaire, 
que si on le laisse seul avec plusieurs faucons, 11 
les égorge tous les uns après les autres ; il se Jette 
avec avidité sur la chair saignante , et refuse con- 
stamment la viande cuite. Son cri est fort rauque, 
et finit toujours par des sons aigus d'autant plus 
désagréables qu’il les répète plus souvent. Son 
vol est rapide, mais peu élevé, et il fond sur 
sa proie avec une extrême rapidité. On place dans 
ce genre l’autour proprement dit, notre épervier 
commun et l’épervier chanteur. 

L'autour ordinaire se trouve communément en 
France, dans toute l’Europe et jusque dans les 
climats glacés de la Sibérie. Le plumage de cet 
oiseau est brun en dessus, blanc en dessous avec 
des bandes étroites brunes se dirigeant transver- 
salement chez l'adulte, et se modifiant en mou- 
chetures longitudinales dans le jeune âge. Cet 
oiseau aime à se fixer auprès des montagnes boi- 
sées où 1l se procure une proie plus facile et plus 
abondante. Sa nourriture la plus commune con- 
siste en petits oiseaux , jeunes pigeons, écureuils, 
levrauts et souris. Dans l’ancienne fauconnerie on 
parvenait à le dresser à la chasse du canard, du 
lapin et de la perdrix. 

L’épervier diffère très-peu de l’autour; son plu- 
mage offre les mêmes couleurs, mais sa taille est 
réduite de deux tiers. Il offre aussi à peu près les 


A6 HISTOIRE NATURELLE 


mêmes habitudes que le précédent , et se contente 
de faire la chasse aux plus faibles animaux. Il se 
nourrit de souris, de petits oiseaux, de lézards, 
et même quelquefois de colimaçons. Il se trouve 
dans toutes les contrées de l'Europe, et on l’em- 
ployait anciennement dans la fauconnerie. L’éper- 
vier chanteur offre une robe différente de celle 
de lépervier ordinaire: elle est généralement 
blanche, rayée de roux en dessous, recouverte 
d’un manteau gris. Cet oiseau se trouve en Afri- 
que ; il est remarquable en ce qu’il est la seule 
espèce d'oiseau de proie dont le chant soit 
agréable. 


LE MILAN ET LES BUSES. 


Les caractères génériques du milan sont d’avoir 
les ailes extrêmement longues , la queue fourchue, 
des tarses courts, des ongles faibles et un bec 
moins fortement arqué que chez les précédents. Les 
buses s’en distinguent par les tarses emplumés 
jusqu'aux doigts, et par leur bec courbé dès la 
base. Leurs mœurs sont à peu près semblables. 

Les milans et les buses, oiseaux immondes, 
ignobles et lâches , se rapprochent des vautours 
par le naturel et les mœurs. Ils fréquentent de 
près les lieux habités, et restent rarement dans 
les déserts; ils préfèrent les plaines et les collines 
fertiles aux montagnes stériles. Comme toute 
proie leur est bonne, que toute nourriture leur 
convient, et que plus la terre produit de végétaux, 
plus elle est en même temps peuplée d'insectes, 
de reptiles, d'oiseaux et de petits animaux, ils 
établissent ordinairement leur domicile au pied 


DES OISEAUX. AT 


des montagnes, dans les terres les plus vivantes, 
les plus abondantes en gibier de toute espèce. 
Sans être courageux , ils ne sont pas timides; 1ls 
ont une sorte de stupidité féroce, qui leur donne 
l'air de l’audace tranquille, et semble leur ôter la 
connaissance du danger. On les approche, on les 
tue bien plus facilement que les aigles ou les au- 
tours. Détenus en captivité, ils sont encore moins 
susceptibles d'éducation : de tout temps on les a 
proscrits, rayés de la liste des oiseaux nobles et 
rejetés de l’école de la fauconnerie. 

Le milan a le vol très-aisé, aussi passe-t-il sa 
vie dans l'air; il ne se repose presque jamais et 
parcourt chaque jour des espaces immenses; et 
ce grand mouvement n’est point un exercice de 
chasse ni de poursuite de proie, mais il s:mble 
que le vol soit son état naturel, sa situation favo- 
rite. On ne peut s'empêcher d'admirer la manière 
dont il l’exécute, ses ailes longues et étroites pa- 
raissent immobiles; c’est la queue qui semble di- 
riger toutes ses évolutions , et elle agit sans cesse; 
son action ne semble coûter aucum effort , 1l s’a- 
baisse comme s’il glissait sur un plan incliné, il 
semble plutôt nager que voler; 1l précipite sa 
course , 1l la ralentit , s'arrête et reste comme sus- 
pendu ou fixé à la même place pendant des heu- 
res entières sans qu'on puisse apercevoir aucun 
mouvement dans ses ailes. 

I n’y a dans notre climat qu’une seule espèce 
de milan, qu'on a nommé milan royal, parce 
qu'il servait aux plaisirs des princes qui lui fai- 
saient donner la chasse et livrer combat par le 
faucon ou l’épervier. On voit en effet avec plaisir 
cet oiseau lâche refuser de combattre , et fuir de- 


48 HISTOIRE NATURELLE 

vant l’épervier beaucoup plus petit que lui, tou- 
Jours en tournoyant et s’élevant, comme pour se 
cacher dans les nues, jusqu’à ce que celui-ci l’at- 
teigne, le rabatte à coups d’ailes, de serres et de 
bec, et le ramène à terre, moins blessé que battu, 
et plus vaincu par la peur que par la force de son 
ennemi. | 

Sa vue est aussi percante que son vol est ra- 
pide; il se tient souvent à une si grande hauteur, 
qu'il échappe à nos yeux, et c’est de là qu’il vise 
sa proie ou sa pâture, et se laisse tomber sur tout 
ce qu'il peut dévorer ou enlever sans résistance ; 
c'est surtout aux jeunes poussins qu'il s'attaque, 
mais la colère de la mère poule suffit pour le re- 
pousser et l’éloigner. 

Nous n’avons dans notre climat que la buse pat- 
tue et la buse commune , oiseaux de proie les plus 
nuisibles dans nos contrées. Ces oiseaux demeu- 
rent toute l’année dans nos forêts, tombent sur 
leur proie du haut d’un arbre ou d’une butte, et 
détruisent beaucoup de gibier. 


LES BONDRÉES ET LES BUSARDS. 


Les bondrées et les busards ont avec le bec fai- 
ble du milan , l'intervalle entre l’œil et le bec cou- 
vert de plumes bien serrées et coupées en écailles ; 
leurs tarses sont à demi emplumés vers le haut 
et réticulés. Il ne se trouve chez nous qu’une seule 
espèce de bondrée, celle appelée bondrée com- 
mune, qui se nourrit principalement d'insectes , 
et surtout de ceux de l’ordre des hyménoptères, 
comme les guêpes et les abeilles. 

Les busards sont plus agiles et plus rusés que 


DES OISEAUX. A9 


les buses, mais moins audacieux que les faucons, 
dont nous allons parler bientôt, et 1ls saisissent 
leur proie à terre, jamais au vol. On les rencontre 
en général dans les jones et les marais; nous en 
possédons en France trois espèces, que de sim- 
ples variations de plumage ont fait singulièrement 
multiplier par les nomenclateurs. La soubuse qui 
se trouve aussi en Afrique et en Amérique est 
brune dessus, fauve, tachetée longitudinalement 
de brun dessous, l’extrémité caudale blanche. 
L'oiseau saint-martin cendré, à pennes des ai- 
les noires , n’est que le mâle de la seconde année. 
Cette espèce niche par terre, se tient beaucoup 
dans les champs, vole près de terre, chasse sur 
le soir, aux rats, aux Jeunes perdreaux, ete. Les 
deux autres espèces sont le busard cendré et la 
harpaye où busard des marais. Ces deux oi- 
seaux se rencontrent presque toujours sur le 
bord des eaux , où ils chassent aux poissons, aux 
reptiles, aux grenouilles. 


LE FAUCON. 


L'homme n’a point influé sur la nature du fau- 
con ; quelque utile aux plaisirs, quelque agréa- 
ble qu'il soit pour le faste des princes chas- 
seurs, Jamais on n'a pu en élever, en multiplier 
l'espèce ; on dompte à la vérité le naturel féroce 
de ces oiseaux , par la force de l’art et des priva- 
tions. On leur fait acheter leur vie par des mou- 
vements qu'on leur commande, chaque morceau 
de leur subsistance ne leur est accordé que pour 
un service rendu. On les attache, on les garrotte, 
on les affuble, on les prive même de la lumière et 


50 HISTOIRE NATURELLE 


de toute nourriture, pour les rendre plus dépen- 
dants, plus dociles et ajouter à leur vivacité natu- 
relle limpétuosité du besoin. Mais ils servent par 
nécessité, par habitude et sans attachement ; ils 
demeurent captifs, sans devenir domestiques ; l’in- 
dividu seul est esclave, l'espèce est toujours li- 
bre, toujours également éloignée de l'empire de 
l’homme. 

Le faucon est peut-être l'oiseau dont le courage 
est le plus france, le plus grand , relativement à ses 
forces : 1l fond sans détour et perpendiculaire- 
ment sur sa proie; au lieu que l'autour et la plu- 
part des autres arrivent de côté : aussi prend-on 
l’'autour avec des filets dans lesquels le faucon ne 
s'empêtre jamais. Il tombe à plomb sur l'oiseau 
victime, exposé au milieu de l'enceinte des filets, 
le tue, le mange sur le lieu, et se relève perpen- 
diculairement. S'il y a quelque faisanderie dans 
son voisinage, 1l choisit cette proie de préférence. 
On le voit fréquemment attaquer le milan, soit 
pour exercer son courage, soit pour lui enlever 
sa proie; mais il lui fait plutôt la honte que la 
guerre; 1l le traite comme un lâche, le chasse, 
le frappe avec dédain , et ne le met point à mort, 
parce que le milan se défend mal, et que proba- 
blement sa chair répugne au faucon encore plus 
que sa lcheté ne lui déplait. 

Les espèces du genre faucon les plus remar- 
quables et les mieux connues sont le faucon or- 
dinaire, le lanier, V'émérillon, la crécerelle 
et le gerfaut le plus estimé dans l’école de la fau- 
connerie. 

Nous allons extraire du Spectacle de la nature 
de l’abbé Pluche quelques détails sur la chasse 


Ce 6 mé 


DES OISEAUX. 51 


au faucon, et sur la manière de dresser et d’in- 
struire cet oiseau. ( Sp. nat. Entr. XT). 

La manière dont on dresse les faucons et dont on 
lesmet en œuvre est fort agréable. Ceux qu'on élève 
à cet exercice sont ou des oiseaux mniais ou des 
oiseaux hagards. On appelle oiseaux niais ou bé- 
. jaunes ceux qui ont été pris dans le nid et qui ne 
sont pas encore sortis. On appelle oiseaux ha- 
gards ceux qui ont joui de la liberté avant d’ê- 
tre pris: ceux-ci sont plus difficiles à appri- 
voiser, mais avec un peu de patience et d'adresse 
on parvient, comme on dit en termes de fauconne- 
rie, à les rendre gracieux et de bonne affaire. 
Quand ils sont trop farouches, on les empêche 
de dormir pendant trois ou quatre jours et au- 
tant de nuits; on est toujours avec eux, de cette 
sorte ils se familiarisent avec le fauconnier, et 
font enfin tout ce qu’il veut. Son principal soin 
est de les accoutumer à se tenir sur le poing, à 
parür quand il les jette, à connaître sa voix, son 
chant, ou tel autre signal qu’il leur donne , et à 
revenir à son ordre sur le poing. On les attache 
d’abord avec une filière ou une ficelle qu’on al- 
longe jusqu’à cinquante ou soixante pieds, pour 
les empêcher de fuir lorsqu'on les réclame, jus- 
qu'à ce qu’ils soient assurés et ne manquent plus 
de venir au rappel. Pour amener l'oiseau à ce 
point, 1lle faut leurrer, et voici en quoi consiste 
le leurre. 

Le leurre est un morceau d’étoffe ou de bois 
rouge, garm de bec, d'ongles et d’ailes. On y at- 
tache de quoi paître l'oiseau. On lui jette le leurre 
quand on veut le réclamer ou l’appeler, et la vue 
d'une nourriture qu’il aime, jointe à un certain 


52 HISTOIRE NATURELLE 


bruit, le ramène bientôt. Dans la suite la voix 
seule suffira. Veut-on accoutumer le faucon à la 
chasse du milan, du héron ou du perdreau, on 
change le plumage du leurre suivant le but qu'on 
se propose. Pour affriander l'oiseau à son objet, 
on attache sur le leurre de la chair de poulet, 
mais cachée sous les plumes du gibier qu’on a en 
vue. On y ajoute du sucre, de la cannelle, de la 
moelle et autres choses propres à échaulffer le fau- 
con à une chasse plutôt qu'à une autre, de sorte 
que par la suite quand il s'agira de chasser tout 
de bon, il tombe sur sa proie avec une ardeur 
merveilleuse. Après trois semaines où un mois 
d'exercice à la chambre ou au jardin, on com- 
mence à essayer l'oiseau en pleine campagne. On 
lui attache des sonnettes ou des grelots aux pieds 
pour être instruit de ses mouvements. On le tient 
toujours chaperonné, c’est-à-dire la tête cou- 
verte d’un cuir qui lui descend sur les yeux , afin 
qu'il ne voie que ce qu'on veut lui montrer; et 
sitôt que les chiens arrêtent ou font voler le gi- 
bier que l’on cherche, le fauconnier déchape- 
ronne l'oiseau et le jette en l’air après sa proie. 
C’est alors une chose divertissante que de le voir 
ramer, planer, voler en pointe, monter et s'élever 
par degrés et à reprises jusqu’à le perdre de vue 
dans la moyenne région de lair. Il domine ainsi 
sur la plaine : il étudie les mouvements de sa 
proie que l'éloignement de l'ennemi a rassurée, 
puis tout à coup il fond dessus comme un trait et 
la rapporte à son maitre qui le réclame. On ne 
manque pas, dans les commencements surtout, de 
lui donner gorge-chaude quand il est retourné 
sur le poing, c’est-à-dire qu'on lui abandonne 


| 
| 
. 


DES OISEAUX. 53 


certaines parties de la proie qu'il a rapportée. Ces 
récompenses et les autres caresses du fauconnier 
animent l'oiseau à bien faire, à n’être pas liber- 
tin ou dépiteux , Surtout à ne pas emporter ses 
sonnelles, c'est-à-dire à ne pas s'enfuir pour ne 
plus revenir, ce qui leur arrive quelquefois. 

On peut dresser les faucons à la chasse du 
lièvre, du lapin, et même du chevreuil, du san- 
glier et du loup. 

On accoutume de bonne heure les jeunes fau- 
cons à manger ce qu'on leur a préparé dans le 
creux des yeux d’un loup, ou d’un sanglier ou 
d'une bête fauve. Or garde pour cela la peau d’un 
de ces animaux, et on la fait empailler de ma- 
nière que l’animal parait vivant; et ces faucons 
n'ont à manger que ce qu'ils vont prendre par 
l'ouverture des yeux dans le vide de la tête. En- 
suite on commence à faire mouvoir peu à peu 
cette figure, tandis que le faucon y mange. L’oi- 
seau apprend à s’y affermir, quoiqu'on fasse avan- 
cer ou reculer la bête à pas précipités. Il per- 
drait son repas S'il lchait prise, ce qui le rend 
industrieux et attentif à se bien eramponuer sur 
le crâne pour introduire son bec dans l’œil, mal- 
gré le mouvement. Quand on mène à la chasse 
l'oiseau ainsi exercé, il ne manque pas de fondre 
sur la première bête qu’il aperçoit, et de se planter 
d'abord sur la tête pour lui becqueter les veux. Il 
la désole, l’arrète, et donne ainsi le temps au chas- 
seur de venir et de la tuer sans risque , lorsqu'elle 
est plus occupée de l’oiseau que du chasseur. 

La chasse au faucon était un des principaux 
exercices des seigneurs au moyen âge, et un de 
leurs nombreux priviléges. Seuls ils avaient le 


5) 


54 HISTOIRE NATURELLE 


droit d'élever des faucons et de les porter en pu- 
blic sur le poing. Cet usage est tombé aujourd'hui 
en désuétude par toute l'Europe. Dans quelques 
cantons de la Belgique on trouve encore des gens: 
qu élèvent et instruisent des faucons pour les 
vendre aux seigneurs allemands, parmi lesquels 
quelques-uns sont jaloux de voir régner comme 
aux anciens jours ce ridicule privilége. 


LES VAUTOURS. 


Les vautours ont pour caractères généraux les 
yeux à fleur de tête, les tarses réticulés, e’est-à- 
dire couverts de petites écailles ; le bec allongé, 
recourbé seulement au bout, et une partie plus 
ou moins considérable de la tête ou même du eou, 
dénuée de plumes. La force de leurs serres ne 
répond pas à leur grandeur, et 1ls se servent plu- 
tôt de leur bec que de leurs griffes. Leurs ailes 
sont si longues, qu'en marchant ils les tiennent à 
demi étendues. Les vautours proprement dits 
ne se trouvent que dans l’ancien continent, 

On a donné aux aigles le premier rang parmi 
les oiseaux de proie, non parce qu’ils sont plus 
forts et plus grands que les vautours, mais parce 
qu'ils sont plus généreux, c’est-à-dire moins bas- 
sement cruels ; leurs mœurs sont plus fières, leurs 
démarches plus hardies, leur courage plus no- 
ble, ayant au moins autant de goût pour la guerre 
que d’appétit pour la proie. Les vautours, au 
contraire, n'ont que l'instinct de la basse gour- 
mandise et de la voracité; ils ne combattent guère 
les vivants que quand ils ne peuvent s’assouvir 
sur les morts. L’aigle attaque ses ennemis ou ses 


DES OISEAUX. 55 
victimes corps à corps; seul il les poursuit, les 
combat, les saisit; les vautours, au contraire, 
pour peu qu’ils prévoient de la résistance, se réu- 
nissent en troupes comme de lâches assassins, et 
sont plutôt des voleurs que des guerriers; car 
parmi les oiseaux rapaces 1l n'y à qu'eux qui se 
mettent en nombre et plusieurs contre un; il n’y 
a qu'eux qui s’acharnent sur les cadavres jusqu’à 
les déchiqueter jusqu'aux os; l'infection les attire 
au lieu de les repousser. Les éperviers, les fau- 
cons, et jusqu'aux plus petits oiseaux montrent 
plus de courage, car 1ls chassent seuls, et pres- 
que tous dédaignent la chair morte et refusent 
celle qui est corrompue. Dans les oiseaux com- 
parés aux quadrupèdes, le vautour semble réunir 
la force et la cruauté du tigre, avec la lâcheté et 
la gourmandise du chacal, qui se met également 
en troupes pour dévorer les charognes et d ‘terrer 
les cadavres , tandis que laigle a, comme nous 
l'avons dit, le courage, la noblesse, la magnani- 
mité et la munificence du lion. 

Le vautour fauve est paresseux à la chasse, 
pesant au vol, toujours criant, lamentant , tou- 
jours affamé et cherchant des cadavres. En géné- 
ral cet oiseau est d’une vilaine figure, et dégoû- 
tant par l'écoulement continuel d’une humeur 
fétide qui sort de ses narines. Il a le jabot proé- 
minent et formant une grosse saillie au-dessus de 
la fourchette. Cette espèce se trouve dans les AI 
pes, les Pyrénées et en Grèce, 

Les autres espèces sont le vautour brun, l’ori- 
cou , le roi des vautours, et le condor. Ce dernier 
est devenu très-célèbre par les récits des voya- 
geurs et par les exagérations de sa taille. Il a dix 


56 HISTOIRE NATURELLE 


à douze pieds d'envergure, le bec et les serres: 
proportionnés. Il est d’une telle force, qu'il ra- 
vit et dévore une brebis entière, qu’il n’épargne 
même pas les cerfs, et qu'il renverse un homme. 
Il a le bec si fort, qu'il peut percer le cuir épais 
qui recouvre le bœuf, et que deux de ces oiseaux, 
disent les voyageurs, peuvent en tuer et en manger 
un. Ils ont les serres grosses, fortes et crochues 
et les Indiens d'Amérique assurent qu’ils saisissent 
et emportent une biche ou une génisse comme ils 
feraient un lapin. Leur chair est coriace et sent la 
charogne. On trouve ces oiseaux sur les sommets 
de la Cordilière des Andes dans l’Amérique Méri- 
dionale. 


LE PERCNOPTÈRE. 


Le perenoptère est beaucoup moins gros et 
moins fort que les vautours propres, aussi est-il 
encore plus acharné sur les cadavres et dévore- 
t-il toutes les espèces d’hnmondices qui Pattirent 
de fort loin. Le percnoptère d'Egypte vit par 
troupe dans les terres stériles et sablonneuses qui 
avoisinent les Pyramides. Cet oiseau, comme li- 
bis, rendait de très-grands services en dévorant 
les serpents et autres bêtes immondes qui, à la 
suite des inondations, infestent l'Égypte. Aussi les 
premiers peuples de ces contrées lui accordaient- 
ils une part dans l’encens qu'ils offraiènt à tous les 
animaux qui leur rendaient quelques services , et 
l'ont-ils représenté très-souvent sur leurs monu- 
ments. De nos jours encore le percnoptère, connu 
sous le nom de poule de Pharaon, est en grande 
vénération chez les Musulmans; il vient quelque- 
fois par troupes dans l'enceinte des villes qu'il pu- 


le Perenoptère. 


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DES OISEAUX. 57 


rifie de leurs immondices; non-seulement on ne 
lui fait aucun mal, mais encore on voit des dévots 
musulmans qui lèguent de quoi en entretenir un 
certain nombre. 

Nous ne saurions passer outre sans faire re- 
marquer 1e1 l’action d’une providence toute pater- 
nelle qui veille sans cesse sur ses œuvres. Dans 
tous les climats ardents , où l’action de la chaleur 
développe plus promptement la décomposition 
putride de tous les corps , nous trouvons quelques 
animaux dont le but unique est de faire dispa- 
raître ces substances en décomposition qui lais- 
sent échapper dans l’air des émanations délétères, 
Nous voyons dans la classe des insectes plusieurs 
familles nombreuses, celle des coprophages, des 
nécrophages , ete., employées à purger la surface 
de la terre des ordures qui la souillent, et à ren- 
dre plus promptement à la masse générale des élé- 
ments les matériaux qu’elles renferment. Parmi 
les quadrupèdes, le chacal, lhyène et plusieurs 
autres sont chargés de faire disparaitre les plus 
gros cadavres , et les vautours, les perenoptères, 
viennent les aider ou les remplacer dans certaines 
contrées. C’est dans cette tribu des oiseaux ra- 
paces qu'on remarque le sens de l’odorat le plus 
développé: aussi ces animaux sont attirés de fort 
loin par les émanations qui sortent des corps en 
putréfaction. Tout en eux est organisé dans des 
rapports parfaits avec la fonction qu’ils devaient 
accomplir. 


MESSAGER OU SECRÉTAIRE. 


Le messager est un oiseau de proie d'Afrique 


58 HISTOIRE NATURELLE 


qui a les tarses extrêmement développés, par com- 
paraison avec ceux que nous avons étudiés pré- 
cédemment, ce qui la fait placer dans l'ordre 
des échassiers par quelques naturalistes. Mais 
ses Jambes entitrement couvertes de plumes, son 
bee crochu et fendu, ses sourcils saillants, et 
tous les détails de son anatomie, le rapprochent 
des rapaces. On a donné à cet oiseau le nom de 
secrétaire, parce qu'il porte de longues plumes 
derrière la tête, et plus souvent le nom de mes- 
sager, parce qu'il a pour habitude de marcher à 
grands pas à la poursuite des reptiles, et surtout 
des serpents dont il fait sa principale nourriture. 
M. Cuvier a proposé le nom de serpentaire, plus 
en rapport avec ses instincts de chasse. Ses ongles 
sont usés par la marche, aussi en fait-il peu usage 
pour saisir sa proie; mais ses ailes sont munies 
à leur partie antérieure d’un assez fort éperon, 
dont 1l se sert pour étourdir sa proie et la dévo- 
rer ensuite avec moins de danger. Il détruit ainsi 
un grand nombre de serpents venimeux ; il habite 
ies lieux secs et arides des environs du Cap de 
Bonne-Espérance. On a essayé de le multiplier à 
la Martinique, où il pourrait rendre les plus 
grands services en détruisant la vipère jaune ou 
trigonocéphale fer de lance. 


CRSSAO 
RAPACES NOCTURNES. 


Les oiseaux de proie nocturnes ont la tête 
grosse, quoique stupides, de très-grands yeux 
dirigés en avant, entourés d’un cercle de plumes 


dé - 


DES OISEAUX. 59 


effilées, dont les antérieures recouvrent la cire du 
bec, et les postérieures le conduit auditif. Leur 
crâne épais, mais d’une substance légère, a de 
grandes cavités qui communiquent avec loreille 
et renforcent probablement le sens de louie; 
mais l'appareil relatif au vol n’a pas une grande 
force; leur fourchette est peu résistante; leurs 
plumes à barbes douces, finement duvetées, ne 
font aucun bruit en volant. 

Les yeux de ces oiseaux sont d’une sensibilité 
si grande, qu'ils paraissent être éblouis par la 
clarté du jour, et entièrement offusqués par les 
rayons du soleil; il leur faut une lumière plus 
douce, telle que celle de l’aurore naissante ou du 
crépuscule tombant; c’est alors qu'ils sortent de 
leurs retraites pour chasser ou plutôt pour cher- 
cher leur proie, et ils font cette quête avec 
grand avantage, car ils trouvent dans ce temps 
les autres oiseaux ou les petits animaux endormis 
ou prêts à l'être. Les nuits où la lune brille sont 
pour eux les beaux jours, les jours de plaisirs, les 
jours d’abondance, pendant lesquels 1ls chassent 
durant plusieurs heures de suite et se pourvoient 
d'amples provisions. Les nuits où la lune fait dé- 
faut sont beaucoup moins heureuses; 1ls n’ont 
guère qu'une heure le soir et une heure le matin 
pour chercher leur subsistance. I ne faut pas 
croire que la vue de ces oiseaux qui s'exerce sl 
parfaitement à une faible lumière, puisse se pas- 
ser de toute lumière, et qu'elle perce en effet 
l'obscurité la plus profonde; dès que la nuit est 
bien close, ils cessent de voir, comme les autres 
animaux. La vue de ces oiseaux est si fort offus- 
quée pendant le jour, qu’ils sont obligés de se te- 


60 HISTOIRE NATURELLE 


nir dans le même lieu sans bouger , et que quand 
on les force à en sortir, ils ne peuvent faire que 
de très-petites courses, des vols courts et lents de 
peur de se heurter; les autres oiseaux , qui s’aper- 
coivent de leur crainte ou de la gêne de leur si- 
tuation, viennent à l’envi les insulter ; les mésan- 
ges, les pinsons, les rouge-gorges, les merles, 
les geais, les grives, etc., arrivent à la file: loi- 
seau de nuit, perché sur une branche, immobile, 
étonné, entend leurs mouvements, leurs cris qui 
redoublent sans cesse, parce qu'il n’y répond que 
par des gestes niais, en tournant sa tête, ses yeux 
et son corps d’un air ridicule. Il se laisse même 
assallir et frapper, sans se défendre; les plus pe- 
tits, les plus faibles de ses ennemis sont les plus 
ardents à le tourmenter, les plus opiniâtres à le 
huer. Quelques chouettes, celles dont la tête lisse 
et la queue courte, arrondie, est dépassée par les 
ailes, voient au contraire assez bien en plein 
jour pour guetter alors leur proie dans lépais- 
seur des forêts ou la poursuivre à tire-d’aile. Le 
cri de tous ces oiseaux est lugubre, et cette eir- 
constance, jointe à l'heure où 1! se fait ordinaire- 
ment entendre, y a fait attacher par le vulgaire 
des idées superstitieuses. Dans nos campagnes les 
chouettes sont encore généralement un sujet d’ef- 
froi, et cependant loin d’être nuisibles, elles ren- 
dent réellement des services à l’agriculture par la 
destruction qu'elles font des mulots et des rats. 

La classification des rapaces nocturnes présente 
de grandes difficultés, parce que tous ces oiseaux 
se ressemblent parfaitement, et que des nuances 
presque insensibles peuvent établir une transi- 
tion non interrompue d’un genre à un autre genre. 


DES OISEAUX. 61 


Quelques chouettes ont la tête ornée d’aigrettes. 
Les plumes qui environnent les Yeux varient d’é- 
paisseur, et, dans l'étendue du cercle qu'elles for- 
ment, la conque auditive offre des grandeurs 
différentes ; c’est sur ces caractères fugitifs que 
M. Cuvier a établi ses coupes génériques, 


LE GRAND-DUC. 


C’est le plus grand des oiseaux de nuit, il est 
généralement fauve, avec une mèche et des poin- 
tillures latérales brunes sur chaque plume; ses 
aigrettes sont presque toutes noires. 

Les poëtes ont dédié laigle à Jupiter et le duc 
à Junon. C’est en effet l'aigle de la nuit, et le roi 
de cette nombreuse tribu d'oiseaux qui craignent 
la lumière du jour, et ne volent que quand elle s’é- 
teint. Il n’habite que les rochers et les vieilles 
tours abandonnées situées au-dessus des monta- 
gnes ; il descend rarement dans les plaines et 
ne se perche pas volontiers sur les arbres, mais 
sur les églises écartées et sur les vieux châteaux. 
Il chasse le plus ordinairement les jeunes lèvres, 
les lapins, les taupes, les mulots, les souris, qu’il 
avale tout entiers, dont il digère la substance char- 
nue , et vomit le poil, les os, la peau , en petites 
pelotes arrondies; il mange aussi les chauve- 
souris , les serpents, les lézards, les grenouilles, 
et en nourrit ses petits. Il chasse alors avec tant 
d'activité , que son nid regorge de provisions; il 
en rassemble plus qu'aucun autre oiseau de proie. 
En général, tous les oiseaux nocturnes exposés à 
la lumière du jour font des gestes ridicules; ces 
gestes se réduisent à une contenance étonnée, à 


62 HISTOIRE NATURELLE 


de fréquents tonrnements de cou, à des mouve- 
ments de tête, en haut, en bas et de tous côtés, à 
des craquements de bee, à des trépidations de 
jambes. Le grand-duc se trouve principalement 
dans les vastes forêts du nord de l'Europe. 


LE HIBOU. 


Les hiboux proprement dits ont sur le front 
deux aigrettes de plumes qu'ils relèvent à volonté ; 
leurs pieds sont garnis de plumes jusqu'aux on- 
gles. Le hibou commun ou le moyen-duc de Buf- 
fon est assez répandu en France; on le trouve 
ordinairement dans les lieux garnis de bois, ou 
aux environs des vieilles masures en ruines, où 
il fait entendre, pendant la nuit, un cri gémissant 
qui effraie beaucoup les gens des campagnes. Il 
s'empare quelquefois des nids abandonnés dés 
corbeaux et des pies. La chouette est beaucoup 
plus répandue que l'espèce précédente ; on l’a re- 
trouvée presque sur tout le globe. Cette espèce 
se fait distinguer en ce que les huppes sont très- 
petites, et se relèvent si rarement, qu'elles n’ont 
presque jamais été remarquées par les naturalis- 
tes. On connait un grand nombre d'espèces dans 
le genre hibou; les hiboux les plus remarquables 
sont le grand-hibou d'Afrique, le hibou à joues 
blanches et le hibou à gros bec. 


L'EFFRAIE. 
L'effraie, qu'on appelle communément la chouette 


des clochers, effraie en effet par ses soufflements, 
ses cris âcres et lugubres et sa voix entrecoupée 


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qu’elle fait souvent retentir dans le silence de la 
nuit. Elle est pour ainsi dire domestique, et habite 
au milieu des villes les mieux peuplées : les tours, 
les clochers, les toits des églises et des autres 
bâtiments élevés lui servent de retraite pendant 
le jour, et elle en sort à l'heure du crépuscule; 
son soufflement qu’elle réitère sans cesse ressem- 
ble au souffle d’un homme qui respire pénible- 
ment. Elle pousse encore, en volant et en se 
reposant, différents sons aigres, tous si désa- 
gréables, que cela, joint à l’idée du voisinage des 
cimetières, et encore à l'obscurité de la nuit, in- 
spire de lhorreur et de la crainte aux enfants, 
aux femmes et même aux hommes soumis aux 
mêmes préjugés. [ls regardent leffraie comme 
l'oiseau funèbre, comme le messager de la mort; 
ils croient que quand il se fixe sur une maison et 
qu'il y fait entendre une voix différente de ses 
cris ordinaires, c’est pour appeler quelqu'un au 
cimetière. 

L'effraie a le plumage piqueté très-finement 
de blane sur un fond fauve brunâtre. Elle parait 
répandue dans toutes les contrées de la terre. 


LE CHAT-HUANT. 


Les chats-huants diffèrent très-peu extérieure- 
ment des effraies; leur corps est couvert partout 
de taches longitudinales brunes, déchirées sur 
les côtés en dentelures transverses; on trouve 
des taches blanches aux scapulaires et vers le 
bord antérieur de Paile. Le chat-huant se tient 
pendant l'été dans les bois dans quelque trou d’un 
arbre creux; mais pendant l'hiver il s'approche 


(671 HISTOIRE NATURELLE 


quelquefois de nos habitations. Il chasse et prend 
les petits oiseaux et plus encore les rats, les sou- 
ris et les campagnols. On donne quelquefois au 
chat-huant le nom de hulolte ou de chouette des 
bois. 


SES 


DEUXIÈME ORDRE DES OINEAUX, 


LES PASSEREAUX. 


L'ordre des passereaux est le plus nombreux 
de toute la classe. Son caractère semble d’abord 
purement négatif, car 1} embrasse tous les oiseaux 
de petite et & moyenne taille qui ne peuvent être 
rapportés aux rapaces, aux gallinacés, aux grim- 
peurs , etc. Cependant nous retrouvons dans tous 
les détails de leur organisation de grands rap- 
ports de ressemblance. Nous voyons aussi que les 
pieds et le bec, qui sont toujours pour nous 
les deux parties caractéristiques, ont de grands 
traits de conformité dans leurs dispositions es- 
sentielles. 

Is n’ont ni la violence des oiseaux de proie, ni 
le régime déterminé des gallinacés ou des palmi- 
pèdes; les insectes, les fruits, les grains , fournis- 
sent à leur nourriture : les grains, d'autant plus 
exclusivement que leur bec est plus gros; les in- 
sectes, qu'il est plus grêle. Ceux qui l'ont fort, 
comme les pies-grièches, poursuivent même les 
petits oiseaux. Les passereaux ont en général des 


DES OISEAUX. 65 


formes élancées et légères et le vol d’une puis- 
sance variable, suivant que le sternum a son 
échancrure postérieure plus ou moins ossifée. 
Leur canal digestif est en général d’une structure 
simple, et leur estomac est en forme de gésier 
musculeux. Le larynx inférieur présente une plus 
grande complication que dans tous les oiseaux des 
autres ordres, aussi c’est parmi les passereaux 
que nous trouvons tous les oiseaux chanteurs. Ce 
dernier privilége, le plus beau talent que leur ait 
accordé la nature, parait leur être si exclusive- 
ment attribué, que plusieurs naturalistes désignent 
l’ordre entier par le nom d'oiseaux chanteurs. 
Nous devons néanmoins convenir que quelques- 
uns n’ont pas reçu le don du chant, et que leur 
voix ne consiste qu’en un eri monotone et désa- 
gréable , comme nous avons eu occasion de le re- 
marquer chez le corbeau et la corneille. 

Nous avons déjà dit qu’on trouvait de grands 
obstacles à vaincre pour établir dans cet ordre 
des coupes génériques bien tranchées et irrépro- 
chables suivant les principes des harmonies natu- 
reles. M. Cuvier a partagé ces oiseaux en cinq 
familles : les dentirostres les conirostres , les fis- 
sirostres, les ténuirostres et les syndactyles. Les 
quatre premières divisions ont le membre infé- 
rieur dans de grands rapports de ressemblance, 
tandis que la dernitre offre cette particularité 
que leurs deux doigts externes sont réunis par une 
membrane spéciale dans presque toute leur lon- 
gueur. | 


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66 2 HISTOIRE NATURELLE 
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Je FAMILLE DES PASSEREAUNX. 
LES DENTIROSTRES. 


Les passereaux dentirostres ont le bec un peu 
recourbé vers son extrémité, et présentant quel- 
ques légères échancrures près de sa pointe. Nous 
remarquons de genre à genre quelques fugitives 
modifications, qui ont servi néanmoins à préciser 
des caractères génériques. C’est dans cette fa- 
mille que se trouvent spécialement les oiseaux in- 
sectivores ; presque tous cependant mangent éga- 
lement des baies et des fruits. 


LES PIES-GRIÈCHES. 


Ces oiseaux, quoique petits, quoique délicats 
de corps et de membres, devraient néanmoins par 
leur courage, par leur large bec, fort et crochu , et 
par leur appétit pour la chair, être mis au rang 
des oiseaux de proie, même des plus fiers et des 
plus sanguinuires. On est toujours étonné de lin- 
irépidité avec laquelle une petite pie-grièche com- 
bat contre les pies , les corneilles, les cresserelles, 
tous oiseaux beaucoup plus grands et plus forts 
qu'elle; non-seulement elle combat pour se dé- 
fendre, mais souvent elle attaque, et toujours 
avec avantage, surtout lorsque le couple se réu- 
nit pour éloigner de ses petits les oiseaux de rapine. 


DES OISEAUX. 67 


Les oiseaux de proie les plus braves respectent les 
pies-grièches ; les milans , les buses , les corbeaux, 
paraissent les craindre et les fuir plutôt que les 
chercher; rien dans la nature ne peint mieux la 
puissance et les droits du courage, que de voir 
ce petit oiseau, qui n’est guère plus gros qu’une 
alouette, voler de pair avec les éperviers, les 
faucons et tous les autres tyrans de l’air, sans les 
redouter, et chasser dans leur domaine sans 
craindre d'en être puni. Car, quoique les pies- 
grièches se nourrissent communément d'insectes , 
elles aiment la chair de préférence; elles pour- 
suivent au vol tous les petits oiseaux; on en a vu 
prendre des perdreaux et de jeunes levreaux. Les 
grives, les merles et les autres oiseaux pris au la- 
cet ou au piége, deviennent leur proie la plus or- 
dinaire; elles les saisissent avec leurs ongles, leur 
crèvent la tête, serrent et déchiquettent leur cou, 
et, apres les avoir étranglés ou tués, elles les 
plument pour les manger, les dépecer à leur aise 
et en emporter dans leur nid les débris en lam- 
beaux. 

La pie-grièche commune est de la taille d’une 
grive, cendrée en dessus, blanche en dessous, 
avec les ailes et la queue noires ; elle habite pres- 
que toute l’Europe. Nous possédons quelques autres 
espèces qui sont plus petites, lune d’elles a reçu 
le nom d'écorcheur à cause de la manière dont 
elle dépèce sa proie après l'avoir accrochée aux 
épines des buissons; elle détruit une grande quan- 
tité d'insectes , et s'empare aussi de petits oiseaux , 
de jeunes grenouilles , etc. ; cette petite pie-griè- 
che arrive chez nous au printemps et nous quitte 
en automne. 


68 HISTOIRE NATURELLE. 


LES GOBE-MOUCHES, 


Le principal caractère qui sert à distinguer ce 
genre du précédent est tiré de la forme du bec, qui 
est comprimé dans les pies-grièches, tandis que 
dans les gobe-mouches il est aplati et déprimé. 
En outre, ces derniers ont la base du bec garnie de 
poils raides dont l’usage est assez difficile à appré- 
cler, Mais qui contribuent à donner à la physiono- 
mie de l’oiseau un air plus décidéet plus redoutable, 
D'ailleurs le reste de la conformation a les plus 
grands rapports avec celle des pies-grièches , aussi 
nous trouvons une grande ressemblance de mœurs 
et d’habitudes; leur naturel est également mé- 
chant et querelleur. Les petites espèces se nour- 
rissent d'insectes à téguments mous, et principa- 
lement de mouches, comme lindique leur nom. 
Les espèces dont la taille est plus considérable et 
les mandibules plus fortes y ajoutent des orthop- 
tères et des coléoptères et même des petits oi- 
seaux. On rencontre les gobe-mouches surtout 
dans les pays chauds, dans les endroits où une 
nature féconde, vivifiée par un soleil ardent, nour- 
rit un grand nombre de végétaux , et, par consé- 
quent, une prodigieuse quantité de petits Insectes 
qui y trouvent les circonstances propres à leur 
développement et à leur existence. Ceux qui vi- 
vent dans des climats tempérés vont se réfugier 
sous des latitudes plus chaudes quand vient la sai- 
sou rigoureuse. Ces oiseaux n’ont point les mœurs 
joyeuses et vives de beaucoup d’autres oiseaux, 
ils vivent solitaires et isolés sur les branches des 
arbres, et ne font entendre qu’à des intervalles 


DES OISEAUX. 69 


éloignés un eri aigre et désagréable. Ils passent 
presque toute leur vie dans Pair, occupés à pour- 
suivre les insectes qui font leur nourriture. 

Ces oiseaux font leur nid avec négligence, et le 
placent dans des trones d'arbre ou dans des trous 
de murailles. Quelques racines mal arrangées et 
tapissées de laine et de duvet sont les seuls prépa- 
ratifs qu'ils fassent pour déposer leurs œufs. Ils 
montrent la plus grande tendresse pour leur pos- 
térité naissante, et défendent leurs petits avec le 
même courage et la même intrépidité que les 
pies-grièches, sans redouter aucun ennemi , même 
les oiseaux de proie les plus vigoureux. On trouve 
quelquefois en France le gobe-mouche à collier 
et le gobe-mouche gris; ces deux jolis oiseaux 
nous quittent avec les beaux jours pour ne revenir 
qu'avec eux. 


LES COTINGAS. 


La forme du bec de ces oiseaux est tout à fait 
semblable à celle que nous venons d'observer chez 
les gobe-mouches, mais chez eux l'organe est 
moins développé, moins échancré et beaucoup 
moins aigu, Quoique les cotingas soient généra- 
lement d’une taille plus considérable que les précé- 
dents, cependant ils vivent exclusivement de baies 
et d'insectes, sais jamais chasser les petits o1- 
seaux. 

Il est peu d'oiseaux d’un aussi beau plumage 
que ceux de ce genre; on dirait que la nature a 
pris plaisir à répandre sur leur corps les plus ma- 
gnifiques couleurs, sans avoir de reflets métalli- 
ques comme les colibris, les oiseaux de para- 


70 HISTOIRE NATURELLE 


dis, etc., ils ne sont inférieurs en beauté qu’à un 
petit nombre d’entre eux. Le bleu d'azur ou d’ou- 
tre-mer, le pourpre, le blane et le noir purs, 
forment une parure qui ne le cède à celle d’au- 
cun autre oiseau. Mais leurs mœurs sont loin 
d'être en rapport avec ces dehors séduisants : 
tristes , défiants et même farouches , ils ne recher- 
chent que les forêts profondes, où 1ls vivent d’in- 
sectes, de fruits ou de jeunes bourgeons. Ils sont 
presque tous voyageurs , et dans leurs migrations, 
au lieu d'aller par troupes , 1ls volent presque tou- 
jours isolés, où du moins par petites familles. 
Jamais leur voix n’est agréable ; elle consiste en 
un petit eri triste et plaintif qui n’inspire que de 
l'ennui; quelques espèces même demeurent tou- 
jours silencieuses. 

Nous ne possédons aucune espèce de ce genre 
dans nos contrées; néanmoins on en trouve dans 
presque toutes les collections ornithologiques, 
parce qu’on les recherche à cause de la beauté et 
de la variété de leur plumage. Les voyageurs nous 
en apportent toujours un nombre considérable qui 
font l’ornement des cabinets des amateurs. 

Les espèces les plus remarquables sont: le co- 
tinga pompadour, l'ouette, le cordon bleu, et 
le cotinga à gorge aurore. 


LE JASEUR. 


L'oiseau ainsi nommé a la tête ornée d’un 
toupet de plumes un peu plus allongées que les 
autres , et qui, presque tous, ont un autre singu- 
lier caractère aux pennes secondaires des ailes, 
dont le bout de la tige s’élargit en un disque 


DES OISEAUX. 74 


ovale, lisse et rouge. Nous en trouvons un en Eu- 
rope appelé, on ne sait pour quelle raison, le 
jaseur de Bohème. Il est un peu plus gros qu'un 
moineau, porte un plumage d’un gris-vineux, la 
gorge noire, la queue noire bordée de jaune à son 
extrémité , l'aile noire variée de blanc. Cet oiseau 
arrive dans nos contrées à des intervalles très- 
longs et sans régularité, ce qui, dans la campa- 
gne , l’a fait regarder longtemps comme de mau- 
vaisaugure. Il est doux, sociable, facile à prendre 
et à élever, et comme les caractères faciles et 
aisés sont presque toujours mal appréciés et 
même quelquefois calomniés, on a dit qu'il était 
stupide. La nourriture du jaseur est peu bornée, 
car il se nourrit généralement de tout. 


LES TANGARAS. 


Ces oiseaux se font distinguer par un bec co- 
nique, triangulaire à sa base, légèrement arqué 
à son arête, et échancré vers le bout; la cour- 
bure de l'extrémité est presque nulle. Cette con- 
formation nous indique quelles doivent être les 
mœurs de ces oiseaux; en effet, ils ne chassent 
jamais aux petits oiseaux, pas même aux insectes ; 
les baies et les fruits forment le fonds de leur 
nourriture. 

Les tangaras vivent dans l'Amérique méridio- 
nale, et, quoique présentant le plumage brillant 
des cotingas, ils offrent des mœurs moins sau- 
vages et moins farouches. Loin de vivre au fond 
des forêts, et de rester constamment muets, ils 
se rapprochent des habitations et font entendre 
continuellement un petit cri assez semblable à ce- 


> HISTOIRE NATURELLE 


lui de nos moineaux domestiques. Ils ont des ha- 
bitudes sociables et vivent ordinairement par 
familles assez nombreuses, voltigeant ensemble 
dans toute la campagne à la recherche des baies 
et des fruits. On peut les regarder comme les 
moineaux de l'Amérique, car ils en ont la taille, 
la gaieté, la pétulance, et presque toutes les habi- 
tudes. Les espèces les plus remarquables sont, le 
tangara septicolor, dont le corps est noir, la tête 
verte, le bas du dos d’une couleur de feu très-écla- 
tante, le croupion jaune-orangé, le ventre vert de 
béril, et la poitrine violette ; le tangara diable en- 
rhumé, le tangara passe-vert, le tangara vert- 
jaunet, le tangara diadème , etc. 


LES MERLES. 


Les merles ont le bec comprimé et arqué, mais 
sa pointe ne fait pas le crochet, et ses échancrures 
ne produisent point de dentelures aussi fortes que 
dans les pies-grièches ; cependant , comme nous 
l'avons dit, 1l y a des passages non interrompus 
de l’un à l’autre genre. 

Le merle adulte est encore plus no que le 
corbeau ; il est d’un noir plus décidé, plus pur, 
moins altéré par des reflets. Excepté le bec, le 
tour des yeux , le talon et la plante des pieds qu’il 
a plus où moins jaunes, il est noir partout et dans 
tous les aspects: aussi les Anglais l’appellent-1ls 
l'oiseau noir par excellence. Les merles ont un er 
particulier et connu de tout le monde, et se lais- 
sent apprivoiser facilement; au reste, ils passent 
communément pour être très-fins, parce qu'ayant 
la vue perçante, ils découvrent les chasseurs de 


iso ed 


DES OISEAUX. 79 


fort loin, et se laissent approcher difficilement ; 
mais en les étudiant de plus près, on reconnait 
qu’ils sont plus mquiets que rusés, plus peureux 
que défiants, puisqu'ils se- laissent prendre aux 
gluaux , aux lacets et à toute sorte de piéges, 
pourvu que la main qui les a tendus sache se 
rendre invisible. 

Lorsqu'ils sont renfermés avec d’autres oiseaux 
plus faibles, leur inquiétude naturelle se change 
en pétuiance; ils poursuivent, 1ls tourmentent 
continuellement leurs compagnons d’esclavage , 
et, par cette raison, on ne doit point les admettre 
dans les volières où l’on veut rassembler et con- 
server plusieurs espèces de petits oiseaux. 

On peut, si l’on veut, en élever à part, à cause de 
leur chant, non pas de leur chant naturel , qui n’est 
guère supportable qu'en pleine campagne, mais à 
cause de la facilité qu'ils ont de le perfectionner, 
de retenir les airs qu’on leur apprend, d’imiter 
différents bruits, différents sons d'instruments , et 
même de contrefaire la voix humaine. 

On trouve des variétés du merle bien remar- 
quables *. 

Quoique le merle soit l’oiscau noir par excel- 
lence, cependant on ne peut nier que son plumage 
prenne quelquefois du blanc, et que même il ne 
change quelquefois en entier du noir au blanc, 
comme il arrive dans l'espèce du corbeau, dans 
celle des corneilles et de presque tous les autres 
oiseaux, tantôt par l'influence du climat, tantôt 
par d’autres causes particulières et moins con- 
nues. En effet, la couleur blanche semble être 


* Buffon, oiseaux, tom. vi. 


74 HISTOIRE NATURELLE 


dans la plupart des animaux, comme dans les 
fleurs d’un grand nombre de plantes, la couleur 
dans laquelle dégénèrent toutes les autres, y com- 
pris le noir, même brusquement et sans passer 
par des nuances intermédiaires. Rien cependant 
de si opposé en apparence que le noir et le blane ; 
celui-là résulte de la privation, ou de l'absorption 
complète des rayons de lumière, et le blane au 
contraire de leur réunion la plus complète; mais 
en physique, on trouve à chaque pas que les ex- 
trêmes se rapprochent, et que les choses qui, 
dans l’ordre de nos idées et même de nos sensa- 
tions, paraissent les plus contraires, ont, dans 
l'ordre de la nature, des analogies secrètes qui se 
déclarent souvent par des effets inattendus. 

Les espèces qu'on rencontre en Europe sont, 
après le merle commun, dont nous avons donné 
la description d’après Buffon, le merle à plastron 
blanc, le merle de roche, le merle bleu et le 
mer le solitaire. 


LES GRIVES. 


Les grives diffèrent peu des merles; leur plu- 
mage est grivelé, c’est-à-dire marqué de petites 
taches noires ou brunes. Cet oiseau voyage en 
grandes troupes ; il arrive dans nos climats vers 
la fin de septembre , et ne prolonge son séjour que 
peu après les vendanges , mais il repasse en avril 
pour disparaitre entièrement en mai. Quelques in- 
dividus restent cependant chez nous et nichent sur 
les pommiers ou dans les buissons. Le chant de la 
grive est très-agréable, elle le fait souvent en- 
tendre perchée sur le sommet d’un arbre élevé; 


DES OISEAUX. 75 


c’est pour cela que les naturalistes l’ont appelée 
turdus musicus. Pendant l’automne, on recher- 
che ces oiseaux pour leur chair, qu'on dit être ex- 
cellente. Nous possédons dans nos contrées trois 
espèces de grives, la grive proprement dite, la 
litorne et la drenne, qui ne diffèrent entre elles 
que par les nuances du plumage. 


LE MOQUEUR. 


Cet oiseau , suivant le rapport. des voyageurs, 
est le chantre le plus harmonieux entre tous les 
volatiles de lunivers, sans même en excepter le 
rossignol. Il charme , comme lui, par les accents 
flatteurs du ramage, et de plus il amuse par le ta- 
lent inné qu’il a de contrefaire le chant des autres 
oiseaux , et c’est de là sans doute que lui est venu 
le nom de moqueur. Cependant, bien loin de 
rendre ridicules ces chants étrangers qu'il répète, 
il paraît ne les imiter que pour les embellir; on 
croirait qu'en s’appropriant ainsi tous les sons 
qui frappent ses oreilles, il ne cherche qu'à enri- 
chir et perfectionner son propre chant, et qu’à 
exercer de toutes les manières possibles son infa- 
tigable gosier. Exécute-t-il avec sa voix des rou- 
lements vifs et légers, son vol décrit en même 
temps dans l'air une multitude de cercles qui se 
croisent; on le voit suivre en serpentant les tours 
et retours d’une ligne tortueuse sur laqüelle il 
monte, descend et remonte sans cesse. Son gosier 
forme-t-1l une cadence brillante et bien battue, il 
s'accompagne d’un battement d’ailes également vif 
et précipité. 

Le rossignol de l'Amérique est aussi mal par- 


76 HISTOIRE NATURELLE 

tagé que celui d'Europe par rapport à la beauté; 
son plumage est terne, sans éclat et sans nuances 
variées. 


LES CINGLES. 


Les emgles différent très-peu des merles. Quel- 
ques légères modifications dans la forme du bec 
ont servi pour les caractériser zoologiquement. 
Ces oiseaux sont connus vulgairement sous le nom 
de merles d'eau. C’est sur le bord des ruisseaux 
et en général des eaux claires et vives qu'on ren- 
contre si cingle plongeur, qui fait sa nourriture 
des larves d'insectes qui se développent dans les 
lieux humides. L'espèce que nous possédons en 
Europe a la singulière habitude de les chercher 
auprès des ruisseaux et de continuer à en suivre 
la pente sans nager, même lorsque la profondeur 
de l’eau le force à se submerger; 11 marche ainsi 
sous le liquide en conservant les mêmes allures 
que s’il était à l'air, et s’y promène librement et en 
tous sens. 


LES LORIOTS. 


Le loriot d'Europe est un peu plus grand que 
le merle ; le male est d’un beau jaune, les ailes, 
la queue et une tache entre l'œil et le bec noires ; 
mais pendant les premières années de sa vie 1l 
offre, comme toujours la femelle, une teinte oli- 
vâtre foncée. C’est un oiseau très-peu sédentaire, 
qui change continuellement de contrées el sem- 
ble ne s'arrêter dans les nôtres que durant les 
beaux jours. Il construit son nid avec une merveil- 


DES OISEAUX. . 77 


leuse industrie, et défend ses petits avec une intré- 
pidité et un courage qu’on aurait peine à attendre 
d'un oiseau si petit. Dès que les petits sont élevés, 
la famille se met en marche pour voyager ; c’est or- 
dinairement vers la fin d'août ou le commence- 
ment de septembre. 

Au printemps, les loriots font la guerre aux in- 
sectes, et vivent de coléoptères, de chenilles, de 
vermisseaux, en un mot de ce qu'ils peuvent sai- 
sir; mais joe nourriture de choix, celle dont ils 
se montrent le plus avides, ce sont les cerises, les 
figues, les baies de sorbier, les pois, ete. Il ne 
faut que deux de ces oiseaux pour dévaster en 
un jour un cerisier bien garni, parce qu'ils ne 
font que becqueter les cerises les unes après les 
autres, et n'entament que la partie la plus mûre. 
Les Allemands leur ont donné le nom de merles 
d'or ou de merles dorés. 


LES BECS-FINS. 

Le genre bec-fin se compose d’une multitude 
innombrable de petits oiseaux, fort communs 
dans nos pays et dans toute l'Europe, et dont le 
caractère distinctif se tire de la forme de leur 
bec, qui est droit, grêle, en forme de poinçon, 
avec une échancrure si peu profonde, qu'il faut 
quelquefois avoir recours à un instrument ampli- 
fiant pour l'apercevoir. 

Ces timides habitants des bois * nous plaisent 
non-seulement par l'élégance de leurs formes et 
par la vivacité de leurs mouvements, mais sur- 


* Salacroix. nouv. Élém. d’Hist. nat. 


78 HISTOIRE NATURELLE 


tout par leur chant sonore et mélodieux. Cachés 
parmi la verdure qui les dérobe à nos regards, ce 
n'est que par les concerts variés dont ils charment 
nos oreilles qu'ils nous annoncent leur présence ; 
leur voix retentissante anime les solitudes les plus 
sombres et les bois les plus sauvages. Les espèces 
qui fréquentent le bord des ruisseaux sont seules 
plus silencieuses , et, si elles font quelquefois en- 
tendre des sons , leur voix est sans cadence et sans 
harmonie. 

Tous les becs-fins vivent exclusivement d’in- 
sectes ; c’est pour cela que chaque année le prin- 
temps nous les amène et que lautomne nous les 
ravit. Mais le temps qu'ils passent avec nous est 
le plus beau de leur vie; c’est alors qu’ils sont le 
plus gais et le plus agiles , et leur plumage , habi- 
tuellement sombre et peu varié, prend , pendant 
les beaux jours, des teintes moins tristes et moins 
monotones. La seule chose qu'on pourrait dési- 
rer chez eux, c’est une parure plus brillante; 
car leurs couleurs sont généralement ternes et 
ne prennent jamais de nuances éclatantes n1 va- 
riées. Mais la nature a compensé ce désavantage, 
si c'en est un, en fondant les teintes de leur 
plumage avec une harmonie qui flatte presque 
autant les yeux que la variété ou l'éclat des cou- 
leurs. 

Ce genre, qu'on pourrait considérer comme une 
grande famille, renferme un grand nombre de 
sous-genres auxquels les ornithologistes les plus 
distingués ont peine à assigner des caractères 
bien déterminés. | 


S PS 


DES OISEAUX. 79 


LES TRAQUETS. 


Nous possédons en Europe plusieurs espèces 
de ces oiseaux, vivant ordinairement dans les 
lieux découverts et pierreux , où 1ls se nourrissent 
d'insectes qu'ils attrapent en courant. Ces oiseaux 
doivent leur nom à un petit eri qu'ils font entendre 
continuellement et qu'on a comparé au tic-tac d'un 
moulin. Le traquet commun voltige sans cesse 
autour des buissons et des haies, et se construit 
un nid assez artistement fait. Il commence son 
travail extérieurement en assemblant des herbes 
sèches peu serrées, et il garnit l'intérieur de 
laine ou de quelque autre tissu chaud et moel- 
leux. Lorsque la belle saison approche de sa fin, 
et que les insectes deviennent plus rares, alors 1l 
nous abandonne et se retire dans des contrées 
plus méridionales où les influences d’un climat 
trop rigoureux ne le privent point de sa nourriture 
ordinaire. Quand il voyage on lui fait une chasse 
active , parce que sa chair est grasse et fort esti- 
mée. Nous avons encore dans notre pays le tarier 
et lemotteux où cul-blanc. Le premier est d’une 
taille un peu plus considérable que le traquet 
commun , et le second doit son nom à l'habitude 
qu'il a de se poser sur les mottes les plus élevées 
des champs nouvellement labourés ou aux plumes 
blanches qui forment la partie supérieure de sa 
queue ; il se plait dans les sillons nouvellement 
tracés où il cherche des vers , et il se fait remar- 
quer par les mouvements brusques de sa queue. 


80 HISTOIRE NATURELLE 


LES RUBIETTES. 


Ces oiscaux forment un genre fort intéressant. 
par ses habitudes. Ils vivent solitaires, mais dé— 
ploient sans cesse une très-grande activité. Ils 
font leurs nids dans des trous et recherchent les 
insectes pour en faire leur nourriture ; ils y ajou- 
tent les baies pendant l'automne et la mauvaise 
saison. Nous en avons ici quatre espèces : le rouge- 
gorge, gris-brun dessus, gorge et poitrine rous- 
ses, ventre blanc. I est curieux 6t familier. Il en 
reste quelques-uns durant l'hiver, qui, pendant 
les grands froids, se réfugient dans les habitations 
et S'y apprivoisent très-vite. Le gorge-bleue se 
distingue du précédent, auquel il ressemble beau- 
coup, par la couleur bleue dés plumes qui recou- 
vrent la gorge. On le rencontre plus rarement, 
et il fait son nid dans les bois ou sur le bord des 
marais. Le gorge-noire où le rossignol de mu- 
raille a plusieurs traits de ressemblance avee les 
deux que nous venons d'examiner; la principale 
différence qui le caractérise lui a valu son nom. 
I niche dans les trous des vieilles murailles et 
fait entendre assez souvent un chant doux qui rap- 
pelle les modulations vives et brillantes du rossi- 
gnol. Enfin le rouge-queue, qui se distingue du 
précédent parce que sa poitrine est noire comme 
sa gorge : c’est le plus rare des quatre espèces. 


LES FAUVETTES. 


Les fauvettes forment un petit groupe dont les 
caractères zoologiques sont peu déterminés, mais 


DÉS OISEAUX. , 81 


dont les mœurs et les coutumes sont d’un très- 
grand intérêt. Les principales espèces sont le 
rossignol et les fauvettes proprement dites. 


LE ROSSIGNOL,. 


De tous les oiseaux que la nature a doués d’un 
chant mélodieux , aucun n’a, comme le rossignol, 
cette douceur, cette agréable variété dans les 
sons, ces cadences brillantes et soutenues, cette 
flexibilité prodigieuse dans le gosier, qui lui fait, 
souvent pendant des heures entières, former toutes 
sortes de belles modulations , les étendre, les gra- 
duer, les varier selon toutes les combinaisons 
possibles. Il suflit de l'entendre pour désirer de le 
connaitre: lorsqu'on le voit, on est surpris que, 
dans un corps si mince #t si délicat 1l y ait des 
organes si forts et si brillants. Il se plait surtout 
à chanter pendant le silence de la nuit, perché 
aux environs de quelque ruisseau, où l'écho ré- 
pond à ses accents. On dirait que, fier de son mé- 
rite, il ambitionne les applaudissements de la na- 
ture , alors plus attentive à lécouter. 

Ce chantre des forêts nous annonce par ses pre- 
miers accents le retour du printemps; 1l continue 
‘son ramage sans interruption Jusqu'à ce que ses 
petits soient éclos ; alors les soins de l'éducation 
le lui font suspendre. 

Les bois et les vallons solitaires sont les lieux 
favoris du rossignol; il est ennemi des ardeurs 
du soleil et des rigueurs de l'hiver. Il vient vers 
Je mois d’avril des parties orientales de notre hé- 
misphère , et s’en retourne en automne. Lorsqu'il 
n'est point apprivoisé 1l est farouche et craintif. 


82 ‘ HISTOIRE NATURELLE 


La jalousie est un des traits distinctifs du carac- 
tère du rossignol, on n’en voit jamais deux chan- 
terou faire leur nid fort près l’un de l’autre. Il 
fuit la société de ses semblables ; on croirait qu’il 
veut jouir de sa gloire sans rivaux, et qu'un seul 
suffit pour embellir les lieux qu’il habite. 

La femelle du rossignol est muette; elle fait 
son nid près de terre, au pied d'une haie, d’une 
charmille ou dans des broussailles, avec des feuil- 
les de chêne sèches, artistement rangées, mais 
sans liaison entre elles: le moindre mouvement 
fait écrouler le berceau de la petite famille. 

Le rossignol peut nous donner le type du vrai 
talent, qui est toujours modeste. 


LA FAUVETTE. 


Ces oiseaux, les plus nombreux comme les 
plus aimables, sont d’un naturel gai, vif, agile et 
léger; leurs mouvements ont l'air du senti- 
ment, leurs accents le ton de la joie, et leurs 
veux l'intérêt de l'affection. IIS arrivent au mo- 
ment où les arbres développent leurs feuilles 
et laissent épanouir leurs premières fleurs; les 
uns viennent habiter nos jardins, d’autres des 
champs semés de légumes, d’autres préfèrent les 
avenues et les bosquets; plusieurs espèces s’en- 
foncent dans les grands bois , et quelques-unes se 
cachent dans les roseaux. Ainsi les fauvettes rem- 
plissent tous les lieux de la terre, et les animent 
par les mouvements et les accents de leur tendre 
gaieté. Les mouches, moucherons, insectes, ver- 
misseaux, graines de lierre, de ronces, leur ser- 
vent de nourriture. C’est un de leurs plaisirs de 


DES OISEAUX. 83. 


courir le matin, sur les feuilles mouillées par la 
rosée et les petites pluies d’été, et de se baigner 
avec les gouttes d’eau qu’elles secouent du feuil- 
lage. Leur nid placé près de terre est soigneuse- 
ment caché; la femelle y pond ordinairement 
cinq œufs, qu’elle abandonne lorsqu'on les a 
touchés. Presque toutes les fauvettes partent en 
même temps au milieu de l'automne; à peine en 
voit-on encore quelques-unes en octobre. Plu- 
sieurs semaines après que le rossignol s’esttu, on 
entend les bois résonner partout du chant de ces 
fauvettes. Leur voix est pure et légère; leur chant 
s'exprime par une suite de modulations peu éten- 
dues , agréables, flexibles et nuancées. Ce chant 
semble tenir de la fraicheur des lieux où il se fait 
entendre; il en peint la tranquillité, 1l en ex- 
prime le bonheur. La fauvette babillarde, ainsi 
nommée à cause de son chant perpétuel, est la 
plus remuante et la plus leste. Nous connaissons 
un très-grand nombre d'espèces différentes du 
genre fauvette; nous nommerons seulement celles 
que nous trouvons en France. La petite rousse- 
rolle ou effarvate, la fauvette des roseaux, la 
fauvette à tête noire, la fauvette rayée, la fau- 
vette roussûtre, la petite fauvelte, passerinette ou 
bretonne, enfin le fraine-buissons ou fauvette 
d'hiver, qui arrive dans nos contrées quand toutes 
Jes autres nous abandonnent. 


LE ROITELET. 


L'heureux caractère que celui du roitelet ! ce 
petit oiseau est toujours alerte, gai, vif et plein 
de feu ; jamais la mélancolie ne le gagne ; chaque 


71 HISTOIRE NATURELLE 


saison est pour lui la saison de la joie. I chante 
soir et matin, surtout en hiver, mais plus agréa- 
blement et avec plus d'éclat au mois de mai. 
Comme le rossignol, il vit peu avec ses sembla- 
bles, et n’en est pas moins beureux ; on dirait qu'il 
porte tout son bonheur en lui-même. Il est très- 
abondant dans les bois de sapins qu'avoisinent les 
Vosges; on le voit voltiger en troupes nombreu- 
ses et avec une agilité extrème au milieu de ces 
arbres, et s’y suspendre en tous sens pour y cher- 
cher les insectes dont il se nourrit. Son nid, formé 
de mousse et de toiles d’araignée, est construit 
avec un art admirable, et a la forme d’une boule 
avec une ouverture sur le côté; la femelle ÿ pond 
six où sept œufs de la grosseur d’un pois. Ces 
petits oiseaux sont très-familiers , et pendant l’hi- 
ver ils se rapprohent de nos habitations. On donne 
le nom de pouillot à une espèce de roitelet un peu 
plus grande que la précédente, dont les mœurs 
sont analogues, mais qui nous quitte pendant 
l'hiver. 


L 


LES HOCHEQUEUES OU LAVANDIÈRES. 


Ces oiseaux doivent leur premier nom à la 
manière dont ils agitent continuellement leur lon- 
gue queue ; leur becest fort grêle, mais du reste 
dans les conditions organiques que nous avons 
déjà vues chez les précédents. On rencontre sou- 
vent ces jolis oiseaux sur le bord des eaux, où 1ls 
cherchent leur nourriture. L'espèce qui vient or- 
dinairement dans les beaux jours se fixer dans 
nos contrées a des formes élégantes et des mouve- 
ments légers et gracieux; elle se construit un 


DES OISEAUX. 85 


nid composé de mousse et d'herbes desséchées 
dans quelque trou voisin des eaux. Ces oiseaux 
montrent le plus grand attachement pour leur 
postérité naissante; leur courage s’exalte au 
moindre danger, et leur fait affronter les plus 
grands périls. 


LES BERGERONNETTES. 


Ces charmants petits oiseaux sont très-fami- 
liers et viveut au milieu des pâturages, où ils pour- 
suivent les insectes. Tout en eux semble la pein- 
ture des mœurs douces et simples de la vie des 
champs. Leurs allures sont gaies, vives et pleines 
de cette gentillesse qu’on aime toujours et par- 
tout. Leur caractère semble le type de la naïve 
bergère qui fait patre son troupeau en fredonnant 
insoucieusement sa rustique chansonnette. La 
plus commune des bergeronnettes est celle qu'on 
a nommée bergeronnette du printemps, parce 
que c’est elle qui nous arrive aux premiers jours 
de la belle saison. Elle arrive, comme une heu- 
reuse et impatiente messagère, annoncer au culti- 
vateur que ses troupeaux peuvent commencer à 
quitter l’étable et à chercher leur pâture dans les 
prairies. Une autre espèce est celle appelée pipe, 
plus petite et moins remarquable que la première; 
enfin une troisième espèce, qui dans quelques au- 
teurs forme un genre séparé, est la farlouse ou 
alouette des prés. 


LES MANAKINS. 


Les manakins se rapprochent un peu de la fa- 
mille des syndactyles, parce que leurs deux doigts 


86 HISTOIRE NATURELLE 


extéricurs Sont réunis par une petite membrane 
dans le tiers inférieur de leur étendue. Ces oi- 
seaux sont propres aux régions chaudes de lAmé- 
rique et de l'Inde. La nature, en versant ses dons 
sur les êtres qu’elle anime, n’accorde jamais in- 
distinctement toutes les qualités et tous les ta- 
lents. À ceux qui ont reçu en partage les qualités 
aimables du chant et des gentillesses elle a ordi- 
nairement refusé la beauté, mais souvent à la 
beauté s'unissent des défauts qui la ternissent et 
la font presque mépriser. Les manakins ont reçu 
une parure brillante, leurs plumes sont peintes 
des couleurs les plus vives et les mieux nuancées, 
les tons les plus harmonieux se fondent et se mé- 
langent sur leur poitrine et sur leurs ailes; mais 
aussi ces oiseaux sont tristes, mélancoliques, 
solitaires et sauvages. Cachés dans les forêts les 
plus profondes, ils semblent fuir l’aspect de tous 
les êtres animés. Dès qu’ils se voient découverts, 
ils partent à tire-d’aile et ne s'arrêtent que lors- 
qu'ils se voient hors de la portée des regards. Ces 
oiseaux se réunissent en troupes assez nombreuses 
dans les forêts humides, où ils vivent principale- 
ment d'insectes. 


II: FAMILLE DES PASSEREAUX. 


LES FISSIROSTRES. 


Les oiseaux qui composent cette petite famille 
se distinguent très-bien de tous les autres par 
leur bec court, large et aplati horizontalement, 


DES OISEAUX. 87 


légèrement crochu, sans échancrure , et fendu 
très-profondément ; ainsi leur bouche est très- 
large et peut engloutir facilement les insectes 
qu'ils poursuivent au vol. 

. Leur régime absolument insectivore en fait des 
oiseaux éminemment voyageurs qui nous quittent 
en hiver. 

Ces oiseaux se divisent, comme les rapaces, en 
fissirostres diurnes et fissirostres nocturnes. Les 
premiers renferment les hirondelles et les marti- 
nels, et les seconds les engoulevents. 


LES HIRONDELLES. 


Les hirondelles arrivent dans nos contrées dans 
les premiers beaux jours du printemps et à des 
époques presque invarlablement les mêmes. Les 
variations méféorologiques semblent peu influer 
sur l'époque de leur arrivée, car quelquefois elles 
paraissent quand la saison est encore beaucoup plus 
rigoureuse que lorsqu'eiles nous ont quittés. On a 
vu des hirondelles voler à travers les flocons d’une 
neige assez épaisse, tandis que la chaleur préma- 
turée du mois de février et de mars n’a pu faire 
avancer leur apparition. Au reste cette considé- 
ration, juinte à beaucoup d’autres, nous fait con- 
clure que les causes des migrations générales 
périodiques des animaux ne sont pas toutes clai- 
rement connues. Nous n'apprécions que les faits 
les plus sensibles, mais nous ne pouvons, malgré 
la curiosité naturelle à l'esprit humain, pénétrer 
les secrets de beaucoup de lois organiques, phy- 
siologiques et éthologiques dont nous apercevons 
sans cesse les résultats apparents. 


88 HISTOIRE NATURELLE 


* Chacun connait le vol léger, élégant et soutenu 
de ces oiseaux, et a pu remarquer combien ils 
aiment à planer au-dessus de l’eau et à sillonner 
l'air dans toutes les directions, en ÿ poursuivant 
les insectes dont ils se nourrissent et dont ils dé- 
truisent un nombre immense. Les hirondelles 
nous délivrent, en effet, de nuces de cousins, de 
charancons ou d’autres insectes destrutteurs ou 
incommodes, et les services qu’elles nous rendent 
ainsi devraient leur assurer notre re onnaissance 
et notre protection. Elles nous arrivent d'abord 
par bandes peu nombreuses, mais bientôt les 
masses dont celles-ci étaient les devancières se 
répandent dans les villes et dans les campagnes; 
lhirondelle de cheminée ct de fenêtre se rappro- 
che de nos habitations; l’hirondelle de rivage 
ne hante que le bord des rivières où le voisinage 
de l’homme ne la trouble pas. Presque aussitôt 
après leur arrivée on les voit s’oceuper active- 
ment de la construction d’un nid ou de la répa- 
ration de l’uñ de ceux abandonnés l’année précé- 
dente. Ce nid est une véritable bâtisse, artistement 
faconnée; il est construit avec des débris de ma- 
tières végétales on animales et une espèce de ei- 
ment forméede terregächée que l'oiseau étend avec 
son bec, comme avec une truelle; à lPintérieur, 1l 
est garni de duvet, et l'ouverture servant d’en- 
trée est pratiquée à sa partie supérieure. L’en- 
droit où ces oiseaux le placent varie suivant les 
espèces, mais est toujours choisi de manière à 
le mettre autant que possible à l'abri des attaques 
de leurs ennemis. L’hirondelle de cheminée éta- 


* Milne Edwars, Elem. Zoolog. descript. 


RE 


DES OISEAUX. 59 


blit en général son domicile dans la partie la plus 
élevée des tuyaux de cheminée, et doit à cette par- 
ticularité le nom qui la distingue; l’hirondelle de 
fenêtre attache son nid sous les encoignures des 
fenêtres, enfin l'hirondelle de rivage niche dans 
des trous qu’elle creuse avec son bec dans la berge 
des rivières, ou s'établit dans des fentes de rochers. 

Tous ces petits oiseaux se font remarquer par 
des mœurs douces et par un instinct remarquable 
qui les porte à la sociabilité. Quand les petits 
sont éclos, leur tendresse est excessive et leur 
courage énergique pour les défendre en cas d’at- 
taque. On a remarqué quelquefois que les hiron- 
delles du voisinage venaient au secours de celles 
qui se trouvaient en danger ; elles harcèlent tou- 
tes ensemble l'ennemi commun Jusqu'à ce qu'il 
soit mis en fuite ou qu'il cède à leurs cris impor- 
tuns. On a cru remarquer encore qu’elles s’ai- 
daient mutuellement dans la construction de leur 
nid, et on assure que si un moinçeau s'empare 
de la demeure de quelque famille, toutes les autres 
hirondelles se rassemblent autour pour chercher 
à l'en expulser, ou pour ly renfermer en bouchant 
avec de la terre la seule ouverture qui puisse servir 
d’issue. 

Nous ne dironsrien ici des migrations des hiron- 
delles, car c’est à elles que peuvent s'appliquer plus 
spécialement les considérations que nous avons 
émises sur les migrations en général. Nous ajou- 
terons seulement qu'on s’est assuré d’un fait cu- 
rieux, c’est que les hirondelles savent au prin- 
temps suivant retrouver les lieux qu’elles avaient 
quittés. On s’est convaincu de ce fait en attachant 
à la patte de plusieurs hirondelles de petits cor- 


90 HISTOIRE NATURELLE 

dons de soie qui indiquaient d’une manière cer- 
taine l'identité des individus. L'abbé Spallanzani 
a vu, pendant dix huit années consécutives , les 
mêmes couples revenir à leurs anciens nids , sans 
presque s'occuper de les réparer. 

On doit remarquer, parmi les hirondelles étran- 
gères, spécialement la salangane, petite espèce 
qu'on trouve dans l’Inde sur le bord des rivières 
ou de la mer, très-célèbre par la substance dont 
elle compose son nid, qui est une matière géla- 
tineuse très-estimée sur la table des Chinois : 
il s’en fait dans ces pays un commerce Consi- 


dérable. 


LES MARTINETS. 


On confond assez généralement les martinets 
avec les hirondelles ; cependant il est assez facile 
de les distinguer , parce que les premiers ont les 
ailes d’une longueur beaucoup plus considérable 
que les secondes. On les appelle vulgairement eri- 
cri dans quelques provinces , à cause du eri qu'ils 
font sans cesse retentir. Lorsqu'ils sont à terre, 
ces oiseaux éprouvent la plus grande difficulté à 
prendre leur élan, parce que leurs pattes sont 
excessivement courtes. Aussi la vie de ces oiseaux 
est-elle presque uniquement aérienne ; 1ls volti- 
gent sans cesse avec une grande facilité à la pour- 
suite des petits insectes qui font leur nourriture. 
Ils se posent quelquefois sur la cime des arbres 
ou sur le sommet des grands édifices, d’où ils se 
laissent tomber pour prendre leur vol. Nous pos- 
sédons en France deux espèces de ce genre, le 
martinet commun, et le grand martinet ou 


DES OISEAUX. 91 


martinet à ventre blanc qui fréquente surtout 
les hautes montagnes, comme les Alpes , et niche 
dans les fentes des rochers. 


LES ENGOULEVENTS. 


On peut dire que les engoulevents sont dans 
le même rapport avec les hirondelles, que les 
chouettes avec les rapaces nobles de la tribu des 
faucons, des éperviers. Leur plumage, comme 
celui des rapaces nocturnes, est léger, duveté et 
nuancé de diverses teintes ou taches de gris et de 
brun. Les engoulevents ont le bec largement fendu 
et garni d'assez longs poils sur les parties latéra- 
les. Ils volent surtout au crépuscule à la poursuite 
des phalènes * et autres insectes crépusculaires 
ou nocturnes qu'ils engloutissent facilement dans 
leur large bec. Ils doivent leur nom à la singulière 
habitude qu’ils ont de poursuivre leur proie le bec : 
toujours ouvert; l'air qui s’y engouffre produit 
un léger bourdonnement, d’où vient le nom d’en- 
goulevent qu'on leur a donné. Un préjugé vul- 
gaire leur a conservé dans certaines provinces la 
dénomination ridicule de tette-chèvre, parce que, 
les voyant souvent mêlés aux troupeaux qui attirent 
les insectes à leur suite, on a cru qu’ils suçaient le 
lait de ces ruminants. Un autre nom qu’on donne 
assez souvent à ces oiseaux est celui de crapaud- 
volant : cette dénomination a sans doute pour 
origine la laideur extérieure des formes, et peut- 
être le bruit de l'air qui s’engouffre dans son bec. 


* Les entomologistes donnent le nom général de phalène aux 
lépidoptères nocturnes. 


92 HISTOIRE NATURELLE 

Ces oiseaux ayant la pupile très-dilatée ne peu- 
vent supporter la lumière du jour sans en être 
éblouis : ils se cachent pendant que le soleil éclaire 
vivement la terre , et commencent leur vol quan 
cet astre descend à lhorizon. Ils émigrent pen- 
dant l’hiver, mais sans entreprendre de longs 
voyages, comme les hirondelles; ils se conten- 
tent d'aller du midi au nord et du nord au midi. 
L'Europe n'a qu’une seule espèce de ce genre ; 
c'est l’engoulevent commun , de la taille d’une 
grive, d’un gris brun , marqué de taches plus fon- 
cées. Les pays étrangers en nourrissent quelques 
autres espèces remarquables par des ornements 
extraordinaires à la queue , aux ailes ou au bee. 
Nous nous bornerons à citer l’engoulevent à queue 
en ciseau, remarquable par un demi-collier 
d'un roux vif et par deux rectrices extérieures 
qui dépassent énormément les autres, l’engou- 
levent distingué et l’engoulevent moustac, ete. 


IH° FAMILLE DES PASSEREAUX. 
LES CONIROSTRES. 


Cette famille est presque aussi étendue que 
celle des dentirostres, et renferme une foule de 
passereaux reconnaissables à leur bee fort, plus 
ou moins conique et sans échancrure à l’extré- 
mité. Cette modification dans l'organe de la mas- 
tication ou plutôt de la préhension nous indique 
d'avance des changements dans le régime nutri- 


PEL PE TE 


le Corbeau. 


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A à 
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ke Colibri. 


D. 93 


DES OISEAUX. 93 


tif; ce ne sont plus les insectes qui composent le 
fond de la nourriture de ces oiseaux; ce sont les 
fruits secs, les graines et mme quelquefois les 
chairs en putréfaction qu’ils aiment de préférence. 
Nous remarquerons dans les conirostres des nuan- 
ces presque insensibles qui forment le passage 
non interrompu d’un genre à un autre genre. 


LE CORBEAU. 


Le corbeau est le plus grand des passereaux 
d'Europe. Son plumage est d’un beau noir relevé 
de reflets violacés d’un moelleux agréable à Poil ; 
ses tarses vigoureux supportent des doigts armés 
d'ongles forts et erochus. Aussi le corbeau a un 
goût prononcé pour la chair: ordinairement il 
l’assouvit sur des charognes, et quelquefois il 
poursuit les animaux faibles. On l’a vu attaquer 
de petits quadrupèdes, comme des lapins et des 
lièvres. C’est surtout dans les contrées septentrio- 
nales qu'on rencontre les corbeaux réunis en 
troupes nombreuses, et se promenant dans d’im- 
menses plaines humides où peuvent se développer 
de grosses larves d’insectes. Quand la saison de- 
vient trop rude, ils abandonnent leur patrie pour 
aller chercher dans des régions plus méridionales 
une température moins rigoureuse et les aliments 
qui leur conviennent. La défiance et la ruse sem- 
blent faire le fond du caractère de ces oiseaux ; 
jamais ils ne se perchent sans se placer contre le 
vent et sans avancer quelques sentinelles pour 
avertir de l'approche du danger. Leur odorat est 
très-développé et peut percevoir les plus légères 
émanations répandues dans l’atmosphère; c’est 


94 HISTOIRE NATURELLE 


pour cela qu’il est si difficile à l’homme de pou- 
voir s'en approcher et les surprendre. 

Malgré leur naturel défiant, ces oiseaux en cap- 
üivité s’apprivoisent facilement et apprennent 
même à prononcer quelques paroles. Mais en do- 
mesticité ils sont extrêmement sales, répandent 
une mauvaise odeur et perdent l'éclat de leur plu- 
mage. À ces mauvaises qualités ils joignent des 
défauts beaucoup plus désagréables, c’est ainsi 
qu'ils ont la manie de voler et de cacher ensuite 
leurs lareins : ils paraissent rechercher les objets 
qui ont de l'éclat, comme l’argenterie, les pièces 
de monnaie, etc. 

A l’état libre le corbeau place son nid dans les 
rochers, dans les fentes de hautes murailles, et 
dans les tours ou clochers élevés. C'est de là 
qu'on l’entend le plus souvent faire retentir sa 
voix rauque et criarde qu'on appelle croasse- 
ment. 

Dans le temps que les aruspices étaient en 
grand crédit chez les Romains , les corbeaux, quoi- 
que mauvais prophètes, étaient des oiseaux fort 
intéressants ; car la passion de prévoir les événe- 
ments futurs, même les plus tristes, est une an- 
cienne fe du genre humain. 

On a répandu Re l'antiquité beaucoup de 
fables sur la longévité extraordinaire du cor- 
beau. Il faut de. certainement de beaucoup 
ces calculs exagérés, mais nous devons convenir 
néanmoins que le corbeau peut vivre ordinaire- 
ment un siècle. 

On connait plusieurs espèces qui se rattachent 
au genre corbeau. Nous en ferons seulement l’é- 
numération. Le corbeau ordinaire, la corneille, 


DES OISEAUX. 95 


la corneille mantelée, le freux, et: le choucas 
ou corbeau des clochers. 


LA PIE. 


La pie qui habite l'Europe est très-commune , 
et se reconnait à son plumage d’un beau noir 
chatoyant , avec des taches d’un blane pur à l'aile. 
Elle s’accoutume aisément à la vue de l’homme et 
s'apprivoise facilement. On peut lui apprendre à 
prononcer quelques paroles et même de petites 
phrases ; elle a bonne mémoire, et quand elle 
est en belle humeur ou qu’on l’agace, elle répète 
sans cesse avec une fatigante monotonie les mê- 
mes paroles : aussi l’a-t-on appeiée oiseau babil- 
lard, et de là l’origine du proverbe jaser comme 
une pie. 

La pie, parmi ses mauvaises habitudes , a une 
inclination prononcée pour le vol: elle dérobe 
tout ce qui se trouve à sa portée, bijoux , argent, 
etc., et va déposer son larein ou dans quelque fente 
de muraille ou quelque trou isolé. Les personnes 
qui élèvent cet oiseau devront toujours s’en défier. 

La pie emploie beaucoup de soins dans la con- 
struction de son nid: elle maconne solidement 
et l’environne de branches d’aubépine armées d’ai- 
guillons acérés et redoutables. Mais tant de pré- 
cautions ne suffisent point à sa tendresse, ou si 
l’on veut à sa défiance, elle veille sans cesse à la 
garde de ses petits, et quand approche quelque 
oiseau de rapine elle déploie un grand courage. 
On l’a vue poursuivre, harceler des corneilles et 
les mettre en fuite ; la crainte ne la domine pas; 
elle a osé attaquer des faucons et même des ai- 


96 HISTOIRE NATURELLE 
gles; mais sa témérité n’a pas toujours été heu- 
reuse. 


LE GEAI. 


Le geai est encore d’un caractère plus défiant 
que ceux dont nous venons de voir l’histoire ; 
aussi est-il très-dificile aux chasseurs de pou- 
voir lapprocher , et l'opinion vulgaire est-elle ré- 
pandue qu'il sent la poudre de fort loin. Ses mœurs 
et ses habitudes ont beaucoup de ressemblance 
avec celles des pies; sa nourriture consiste 
principalement en glands et noisettes. Les geais 
ont des mœurs sociables et vivent en troupe dans 
les bois ; 1ls offrent un plumage assez remarqua- 
ble, tout le corps est d’un gris vineux, et l’aile 
présente une large tache bleu vif rayée de bleu 
foncé. 


LES PARADISIERS, OÙ LES OISEAUX DE PARADIS. 


Ces oiseaux sont plus célèbres par les qualités 
fausses et imaginaires qui leur ont été attri- 
buées , que par leurs propriétés réelles et vraiment 
remarquables. Le nom d'oiseau de paradis fait 
uatre encore dans la plupart des imaginations li- 
dée d’un oiseau qui n’a point de pieds, qui vole 
toujours même en dormant, ou se suspend tout 
au plus pour quelques instants aux branches des 
arbres, par le moyen des longs filets de sa queue; 
qui ne vit que de vapeur et de rosée, en un mot, 
qui n’a d'autre existence que le mouvement, 
d'autre élément que l'air, qui s’y soutient toujours 
tant qu'il respire, comme les poissons se sou- 


DES OISEAUX. 97 


tiennent dans l’eau , et qui ne touche la terre qu’a- 
près sa mort. 

Ce tissu de fables n’est qu'une suite de consé- 
quences assez bien déduites d’une première er- 
reur, qui suppose que l'oiseau de paradis n’a 
point de pieds, quoiqu'il en ait d’assez gros, et 
cette erreur primitive vient elle-même de ce que 
les marchands indiens , qui font le commerce des 
plumes de cet oiseau, où même les chasseurs qui 
les leur vendent, sont dans l’usage de faire sécher 
l'oiscau après lui avoir arraché les cuisses et les 
entrailles. 

Au reste, si quelque chose pouvait donner une 
apparence de probabilité à la fable du vol perpétuel 
de l'oiseau de paradis, c'est sa grande légèreté 
produite par la quantité et l'étendue considérable 
de ses plumes. Les plumes subalaires, de la na- 
ture de celles que les naturalistes nomment dé- 
composées, forment par leur réunion un tout 
très-léger, un volume presque sans masse et 
comme aérien, très-capable de diminuer sa pe- 
santeur spécifique , et de l'aider à se soutenir dans 
l'air. 

La tête et la gorge sont couvertes d’une espèce 
de velours formé de petites plumes droites, cour- 
tes, fermes et serrées ; celles de la poitrine et du 
dos. sont plus longues, mais toujours soyeuses et 
douces au toucher. Toutes ces plumes sont de di- 
verses Couleurs, et ces couleurs sont changeantes, 
c'est-à-dire qu’elles prennent différents reflets sui- 
vant les différentes incidences de la lumière. 

Ces beaux oiseaux ne sont pas fort répandus. 
Leur patrie est principalement la Nouvelle-Guinée, 
où ils ivent dans les forêts les plus profondes et se 


98 HISTOIRE NATURELLE 


perchent sur les arbres les plus élevés. L'oiseau 
de paradis émeraude et le manucode sont les 
deux espèces les plus remarquables. 


LES ALOUETTES. 


Les alouettes ont le bec coniforme, mais faible 
et plus allongé que tous les oiseaux de la même 
famille. Ces oiseaux ont encore pour caractère 
d’avoir l'ongle postérieur d’une longueur démesu- 
rée par rapport aux autres. Leur plumage terne, 
et comme terreux , peut les soustraire à la vue de 
leurs nombreux ennemis. Elles ont passé con- 
stamment pour le symbole de la gaicté , parce que, 
durant la belle saison, elles s'élèvent verticale- : 
ment vers le ciel en faisant entendre sans cesse un 
chant joyeux et agréablement modulé. Les anciens 
Gaulois l'avaient pris pour enseigne, et quand 
César eut conquis la Gaule, il se composa une 
légion gauloise à laquelle 1l donna l’alouette pour 
étendard , et qu'il désigna par le nom latin de eet 
o1seau *. 

On trouve en France trois espèces d’alouettes : 
l’'alouette des champs , qu'on mange sous le nom 
de mauviettes, l'alouette huppée, ou cochevis et 
l'alouette des bois, ou cujelies. 


LES MÉSANGES. 
Il n’est peut-être point de genre plus nombreux 
que celui des mésanges; on en compte environ 


vingt-cinq espèces. Ces oiseaux sont vifs, agiles, 


* La légion gauloise que César avait sous ses ordres se nom- 
mait l'alauda. 


DES OISEAUX. 99 


courageux, vivent non-seulement de chenevis , de 
noix , d'amandes, de noisettes et autres graines, 
qu'ils percent à coups de bec, mais encore de 
vers, d'insectes, d’abeilles, et même de petits o1- 
seaux faibles et malades , dont ils percent le crâne 
pour avoir la cervelle. Leur méchanceté est telle 
sous ce rapport, qu'ils n’épargnent pas même les 
individus de leur propre espèce; si lun d'eux 
vient à être blessé par accident, aussitôt tous 
les autres s’élancent sur lui et le tuent à coups 
de bec. Aussi, quoique vivant en troupes, les mé- 
sanges se tiennent toujours à une certaine distance 
les unes des autres, et s’observent mutuellement 
avec une défiance inquiète. Leur front est orné 
d’une espèce d’aigrette composée de plumes qui 
peuvent se hérisser, et qui annoncent à l'extérieur 
un caractère intrépide et décidé, si ce n’est la féro- 
cité. 

Les mésanges sont toujours en mouvement ; 
elles voltigent d'arbre en arbre , sautent de bran- 
che en branche , grimpent sur l’écorce , gravissent 
contre les murailles, et se suspendent de toutes 
les manières, souvent la tête en bas. C’est dans des 
trous d'arbres, ou à l'extrémité des branches, 
qu'elles placent leur nid; elles y déposent dix-huit 
à vingt œufs, que le père et la mère défendent 
avec la plus grande intrépidité. 

Six espèces de mésanges sont répandues dans 
toutes les parties de la France, ce sont : la char- 
bonnière, la petite charbonnière, la nonnette, 
la mésange à tête bleue, la mésange huppée et 
la mésange à longue queue. On en rencontre 
quelques autres espèces dans les contrées plus 
méridionales de l’Europe; nous comptons comme 


‘ 


100 HISTOIRE NATURELLE 


plus remarquables et plus rares la moustache et 
le rémiz. 


LES BRUANTS. 


Les naturalistes ont caractérisé ce genre d’après 
la forme du bec qui est conique, court, droit, 
dont la mandibule supérieure , plus étroite et ren- 
trant dans l’inférieure, à au palais un tubercule 
saillant et dur. Ce sont des oiseaux insectivores et 
granivores , qui se réunissent quelquefois en trou- 
pes assez nombreuses et viennent dans nos cam- 
pagnes causer de grands dégats. Leur nourriture 
principale consiste en riz, en avoine et autres 
céréales. Heureusement pour les agriculteurs 
qu'ils sont très-Ctourdis, car ils se laissent faei- 
lement prendre à toute espèce de piéges, ee qui 
permet d'en détruire un grand nombre. Comme 
d’un autre côté on estime beaucoup leur chair , et 
qu'elle fait les délices des gourmets, quand ils sont 
gras , On a le double avantage, en leur faisant la 
. chasse, de détruire un-animal nuisible et de se 
procurer un mets délicat. 

Les bruants s'approchent rarement des forêts, 
ils préfèrent le voisinage des habitations de 
l’homme , parce qu'ils peuvent plus facilement se 
procurer leur nourriture. Quelques espèces ce- 
pendant aiment les bois , et tous nichent dans les 
broussailles et les haies. 

Les espèces les plus répandues en France sont : 
le bruant commun, le bruant fou, le bruant 
des haies, le bruant des roseaux , le proyer et 
l'ortolan. C’est principalement cette dernière es- 
. pèce qui est recherchée sur les tables les plus ri- 


l'Oiseau de Paradis. 


DES OISEAUX. A01 


chement servies. Ce petit oiseau de passage est 
très-commun dans les pays chauds , et lorsqu'il est 
gras, il ne faut qu’un feu tris-léger pour le cuire. 
On leur fait une chasse très-active pendant l’au- 
tomne , et on en détruit un grand nombre. 


LE MOINEAU. 


Dans quelque contrée qu'habite cet oiseau, on 
ne le trouve jamais dans les lieux déserts ni même 
dans ceux qui sont éloignés du séjour de l'homme ; 
les moineaux sont, comme les rals, attachésà nos 
habitations ; ils ne se plaisent n1 dans les bois, 
n1 dans les vastes campagnes. On a même remarqué 
qu'il y en a plus dans les villes que dans les vile. 
lages, et qu'on n’en voit point dans les ha- 
meaux et dans les fermes qui sont au milieu des 
forêts. Ils suivent la société pour vivre à ses dé- 
pens ; comme ils sont paresseux et gourmands, 
c'est sur des provisions toutes faites, c’est-à-dire 
sur le bien d'autrui qu’ils prennent leur subsis- 
tance. Nos granges et nos greniers, ncs basses- 
cours , nos colombiers , tous les lieux , en un mot, 
où nous rassemblons ou distribuons les grains, 
sont les lieux qu'ils fréquentent de préférence , et 
comme ils sont aussi voraces que nombreux , ils ne 
laissent pas de faire plus de tort que leur espèce ne 
vaut , car leur plume ne sert à rien , leur chair n’est 
pas très-bonne à manger, leur voix blesse l'oreille, 
leur familiarité est incommode, leur pétulance 
grossière est à charge; ce sont de ces gens qu’on 
trouve partout et dont on n’a que faire, si pro- 
pres à donner de l'humeur, que dans certains en- 
droits on les a frappés de proscription en mettant 
leur tête à prix. 5 


102 HISTOIRE NATURELLE 


Ce qui les rendra éternellement incommodes , 
c'est non-seulement leur très-nombreuse multi- 
plication , mais encore leur défiance , leur finesse, 
leurs ruses et leur opiniatreté à ne pas désempa- 
rer des lieux qui leur conviennent; ils sont fins , 
peu eraintifs, difficiles à tromper ; ils reconnais- 
sent aisément les piéges qu'on leur tend; 1ls im- 
patientent ceux qui veulent se donner la peine de 
les prendre , 1} faut pour cela tendre un filet d’a- 
van.e, et attendre plusieurs heures souvent en 
vain. 

Il faut à peu près vingt livres de blé par an 
pour nourrir une couple de moineaux; que lon 
juge par leur nombre de la déprédation que ces 
oiseaux font de nos grains, car quoiqu'ils nour- 
rissent leurs petits d'insectes , et qu'eux-mêmes 
en mangent quand ils en rencontrent , néanmoins 
le fond de leur nourriture est notre meilleur grain. 
Ils suivent le laboureur dans le temps des semail- 
les, les moissonneurs pendant celut de la récolte, 
les batteurs dans les granges, la fermière lors- 
qu'elle jette le grain à ses volailles; enfin, 1ls sont 
si malfaisants, si incommodes, qu'il serait à dési- 
rer qu’on trouvät quelque moyen de les détruire. 

Ce genre comprend plusieurs espèces bien dis-. 
tinctes, telles sont, le moineau domestique ou 
pierrot, le moineau des bois ou friquet, et le 
moineau cisalpin. 


LE PINSON. 
Le pinson esttrès-vif, toujours en mouvement, 


toujours gai; il commence à chanter plusieurs 
jours avant le rossignol, au printemps; mais ce 


DES OISEAUX. 103 


chant est plus agréable dans les bois que dans les 
appartements. Ces oiseaux voyagent en troupes, 
et vont passer l'hiver dans des climats plus doux. 
Comme ils volent par troupes, on en prend un 
grand nombre au filet, soit au printemps à leur 
retour, soit en automne à leur départ. Ceux qui 
passent l'hiver avec nous, près de nos habitations, 
viennent jusque dans nos basses-cours, et v vi- 
vent en parasites, se Ca hant dans ies haies four- 
rées , sur des arbres toujours verts, dans des trous 
de rocher, où on les trouve quelquefois morts de 
froid, lorsque la saison est trop rude. Le pinson 
est plus souvent posé que perché, ne marche point 
en sautillant , coule légèrement sur la terre, et va 
sans cesse ramassant; son vol est inégal. Il se 
laisse approcher de fort près, pince jusqu'au sang 
quand on veut le prendre, supporte difficilement 
la perte de sa liberté, et souvent se laisse mou- 
rir. Son nid caché avez soim sur les arbres et ar- 
bustes les plus touflus, jusque dans les arbres 
fruitiers, est construit de mousse blanche ou li- 
chens, et de petites racines en dehors, de lame, 
de crin, de fils d’araignée et de plumes en dedans. 
On à remarqué que ces oiseaux ne chantaient Ja- 
mais mieux que quand ils étaient privés de la vue, 
et c’est pour cette raison que, dans certaines con- 
trées, on a l'habitude barbare de priver de la vue, 
les pinsons qu’on élève en cage. 


LE CHARDONNERET. 
Prononcer le nom du chardonneret, c’est an- 


noncer la beauté du plumage , la douceur de la 
VOIX , la finesse de l’instinct, l’adresse singulière, 


104 HISTOIRE NATURELLE 

la docilité à l'épreuve: ce charmant petit oiseau 
réunit tout ; il ne lui manque que d’’tre rare, et 
de venir d’un pays éloigné pour être estimé ce 
qu'il vaut. 

Rien de plus gra ieux que son plumage: le 
rouge Cramoisi, le noir velouté, le blanc, le 
jaune doré, sont les principales couleurs que lon 
voit briller sur cet oiseau. Lorsqu'il est en repos, 
chacune de ses ailes présente une suite de points 
blanes d'autant plus apparents, qu'ils se trouvent 
sur un fond noir. 

Le nid de ces oiseaux est artistement fait, le tissu 
en est des plus solides, la forme agréable; il est 
composé extérieurement de mousse fine, de jones, 
de petites racines, de bourre, de chardons, le 
tout enlacé avec art; l'intérieur est matelassé 
d'herbes sèches, de crin, de laine et de duvet. 

Ce petit oiseau si Joli est doué d’un grand in- 
stinct d'éducabilité: on peut lui apprendre à 
chanter différents petits airs et à exécuter divers 
mouvements avec précision. 

Durant l'automne ces oiseaux commencent à se 
rassembler; c'est la saison où on peut les prendre 
en plus grand nombre. Pendant l'hiver ils volent 
toujours par troupes nombreuses, et on peut les 
rencontrer surtout dans les chemins creux où les 
chardons croissent en abondance. 


LA LINOTTE ET LE SERIN. 


La linotte est, comme le précédent, un des o1- 
seaux les plus universellement répandus en Eu- 
rope. C'est un de ceux dont le ramage agréable 
fait les délices des champs et de la solitude. I 


DES OISEAUX. 105 
s'apprivoise fa ilement, répète les airs qu’on lui 
apprend avec le flageolet, mue sur la fin du prin- 
temps, et se nourrit de millet, de navette, de 
mouron et de graine de lin. 

Le serin, quoique originaire des 1les Canaries, 
se plait tellement dans notre climat, qu’il s'y mul- 
tiplie tris-bien : forme élégante, t té légère et 
souple, gentil plumage, chant mélodieux, ea- 
dences fete es; gaieté, propreté, docilité, fami- 
liarité, tout enchante dans ce jo petit musicien 
de nos appartements. On écoute avec plaisir un 
serin, même lorsqu'il n’a eu d'autre maitre que la 
pature; ceux dont les accents et le ramage ont 
été modifiés par une bonne éducation , sifflent 
plusieurs airs avec goût, précision et sans les con- 
fondre. On connait un très-grand nombre de va- 
riétés dans cette dernière espèce, 1l serait impos- 
sible de les énumérertoutes sans exception. Pour 
réussir dans l’éducation de ces petits oiseaux , 1l 
faut leur accorder la propreté, de l’eau pour se 
baigner, une nourriture ni trop abondante n1 trop 
succulente, autrement on ne pourrait les préser- 
ver des maladies auxquelles ils sont sujets et qui 
sont les suites de leur esclavage, 


LE BEC-CROISÉ. 


Le bec-croisé est de tous les oiseaux de cette 
famille le plus facile à caractériser par son gros 
bec, dont les deux mandibules se croisent à leur 
extrémité. Cet oiseau fait sa demeure principale- 
ment dans les grandes forêts de pins et de sapins 
des contrées boréales. Les mandibules, si singu- 
lièrement conformées, leur servent à extraire les 


406 HISTOIRE NATURELLE 

graines cachées sous les écailles solides des pom- 
mes de pin et des autres conifères. Quand cette 
nourriture ingrate vient à leur manquer, ils man- 
gent les jeunes bourgeons et les racines tendres 
des plantes qui croissent dans les forêts qu'ils fré- 
quentent. 

Un des traits les plus frappants de l'histoire de 
ces oiseaux, C’est qu'ils ne viennent dans nos con- 
trées pour s’y reproduire que pendant les froids les 
plus rigoureux de notre hiver. Quand leur jeune 
famille commence à prendre des forces et que la 
belle saison revient nous visiter, ils s’enfuient 
vers le nord, et vont chercher des contrées gla- 
ciales qui avoisinent le pôle arctique. 


LES ÉTOURNEAUX. 


Les étourneaux sont criards et voyageurs ; 1ls 
vivent d'insectes, et aiment à se trouver en troupes 
nombreuses. Ils nichent dans les trones d'arbres 
et même sous les toits des maisons. Is sont si 
familiers, qu'ils suivent les troupeaux pour attra- 
per les insectes qui se jettent sur eux, ils fréquen- 
tent beaucoup les prairies, les jardins, les vergers, 
et en genéral tous les endroits où un appat quel- 
conque attire les insertes, dont ils sont e trê- 
mement friands. Ces oiseaux sont répandus sur 
presque toutes les parties du globe, où leurs mœurs 
ne sont pas sensiblement altérées. L'étourneau 
commun, connu vulgairement sous le nom de 
sansonnet, est revêtu d’un plumage assez brillant, 
et apprend très-facilement à siffler et à prononcer 
quelques mots. 


DES OISEAUX. 1407 


L'OISEAU-MOUCHE. 


De tous les êtres animés voici le plus élégant 
pour la forme et le plus brillant pour les cou- 
leurs. Les pierres et les métaux polis par notre 
art ne sont pas comparables à ce bijou de la na- 
ture, dont le chef-d'œuvre est le petit oiseau- 
mouche. Elle la comblé de tous les dons qu’elle 
n’a fait que partager aux autres oiseaux ; légè- 
reté, rapidité, grâces et riche parure, tout appar- 
tient à ce petit favori; l’éméraude, le rubis, la 
topase, brillent sur ses plumes, 1l ne les souille 
jamais de la poussiere de la terre, et dans sa vie 
toute aérienne, on le voit à peine toucher le ga- 
zon par instants; 1l est toujours en l'air, volant 
de fleurs en fleurs ; il vit de leur nectar, et n’ha- 
bite que les climats où sans cesse elles se renou- 
vellent. 

La colère du lion est redoutable, terrible, mais 
presque toujours juste ; celle de loiseau-mouche 
est aussi plaisante qu’elle est déraisonnable. Lors- 
qu'il ne trouve pas dans la fleur qu’il suce, le 
miel qu’il y cherchait, il devient furieux, ses plu- 
mes se hérissent, il se venge sur la fleur et la met 
en pièces à coups de bec. Rien n’égale en effet sa 
vivacité , SOn Courage, son audace ; on le voit 
poursuivre avec furie des oiseaux vingt fois plus 
gros que lui, s'attacher à leur corps, se laisser 
emporter par leur vol, les accabler de coups de 
bec, jusqu'à ce qu’il ait assouvi sa petite coitre. 
Son vol rapide et bourdonnant fait entendre un 
bruit semblable à celui d’un rouet; il n’a d'autre 
voix qu'un petit cri fréquent et répété. C’est la 


108 HISTOIRE NATURELLE 


femelle qui seule construit son nid, de la gros- 
seur et de la forme d’une moitié d’abricot ; elle 
l’attache à deux feuilles, ou à un seul brin d’o- 
ranger ou de eitronnier. Elle y dépose deux œufs 
tout blanes, comme de petits pois, qu’elle couve 
pendant douze jours ; les petits 6 los le treizième 
sont nourris par leur mère, qui leur donne à su- 
cer sa langue toute emmiellée du suc des fleurs. 
Ces oiseaux se laissent approcher jusqu’à cinq ou 
Six pas. On tire avec du sable au lieu de plomb ; 
on les prend aussi avec une verge enduite d’une 
gomme gluante; 1l suffit de les toucher lorsqu'ils 
bourdonnent autour d’une fleur; ils meurent aus- 
sitôt qu'ils sont pris. On connait un grand nom- 
bre d'espèces d’oiseaux-mouches, le plus petit 
est d’un gris violet et de la grosseur d’une abeille. 


LE COLIBRI. 


La nature, en prodiguant tant de beautés à loi- 
seau-mouche, n’a pas oublié le colibri, son voisin; 
elle l'a produit dans le même climat, et formé 
sur le même mod'le. Aussi brillant, aussi léger 
que l’oiseau-mouche, et vivant comme lui sur les 
fleurs, le olibri est paré de même de tout ce que 
les plus riches couleurs ont d’éclatant et d'enchan- 
teur. 

Ce que nous avons dit de la beauté de l’oiseau- 
mouche, de sa vivacité, de son vol bourdonnant 
et rapide, de sa constance à visiter les fleurs, de 
sa manière de nicher et de vivre, doit s'appliquer 
également au colibri. Un même instinct anime 
ces deux charmants oiseaux, et c’est leur ressem- 
blance qui les a fait longtemps confondre sous un 


DES OISEAUX. 109 


même nom ; cependant, ils diffèrent l’un de l’autre 
par un caractère évident et constant. Cette diffé- 
rence est dans le bec; celui des colibris, égal et 
affilé, n’est pas droit comme dans l’oiseau-mou- 
che, mais courbé dans toute sa longueur. De plus 
la taille svelte et légère des colibris paraît plus 
allongée que celle des oiseaux-mouches. 

Le courage et la hardiesse des colibris sont au- 
dessus de leur force. L'oiseau qu’on nomme gros- 
bec est friand de leurs œufs. Lorsqu'il s'appro- 
che du nid, le père et la mère s’élancent sur lui, 
le poursuivent; l'oiseau, quoique fort et armé d’un 
bec vigoureux, fuit, jette les hauts cris ; il sent 
qu'il a affaire à des ennemis dangereux. Si les 
colibris peuvent latteindre, ils s’attachent sur 
son corps, le percent de leur bec affilé et aigu, et 
le poignardent jusqu’à ce qu’il périsse. 

On prend les colibris de la même manière que 
les oiseaux-mouches. On les fait sécher à une 
chaleur douce, et leurs couleurs ne perdent rien 
de leur éclat. Les dames américaines les suspen- 
dent à leurs oreilles comme des diamants. On fait 
avec leurs plumes des tapisseries et des tableaux. 
On connait un grand nombre d’espèces appartenant 
au même genre. On pourra juger de la richesse 
du plumage de ces magnifiques oiseaux par les 
noms spécifiques qu'on leur a donnés : le colibri 
grenat, le colibri topaze, le rubis, le saphir, le 
rubis-émeraude, ete. 


410 HISTOIRE NATURELLE 


es à 


Ve FAMILLE DES PASSEREAUX. 
LES SYNDACTYLES. 


Nous avons maintenant à caractériser une fa- 
mille assez peu nombreuse dans l'immense série 
des passereaux. Le doigt externe et le doigt mé- 
dian se trouvent réunis par une forte membrane 
jusqu’au deux uüers de leur extrémité; les autres 
doigts sont dans des conditions normales. Quel- 
ques naturalistes considèrent cette famille comme 
formant un groupe peu naturel. Néanmoins les 
détails de l’organisation intérieure, et cette sin- 
gularité de structure de la pat!e, suffisent pour les 
réunir et les caractériser zoologiquement. 


LE MARTIN-PÉCHEUR. 


Le martin-pêcheur est un des plus jolis oiseaux 
de nos contrées; le dessus du corps est verdätre 
ondé de noiratre, une large bande du plus beau 
bleu d’aigue-marine règne le long du dos ; le 
dessous et un ruban de chaque côté du cou sont 
roussâtres. Il se nourrit de petits poissons , de 
larves aquatiques, qu’il sait prendre avec beau- 
coup d'adresse, en rasant continuellement la sur- 
face de l’eau. Quelquelois, 1l se pose sur une 
branche d’arbre placée au-dessus du courant, et 
là attend avec une admirable patience que quel- 


DES OISEAUX. 111 
que poisson vienne prendre ses ébats à la surface 
de l’eau. Il se précipite alors sur sa proie avec 
tant de justesse et de célérité qu’elle s’échappe ra- 
rement. Maitre de sa proie, 1l la mange tranquil- 
lement sur un arbre voisin. Quand par l’action de 
lestomac les parties charnues ont été digérées, il 
possède la faculté, comme les oiseaux de proie 
nocturnes, de rejeter les écailles, les épines, les 
arêtes, les nagcoires, et toutes les parties coriaces 
qui ont résisté à la puissance des surs digestifs. 
Le martin-pêcheur est si sauvage, qu’il ne se laisse 
jamais approcher, ni apprivoiser quand on a pu le 
surprendre. Sa chair a une odeur désagréable de 
musc. 


LES CALAOS. 


Nous terminons l'histoire de l'espèce des passe- 
reaux par le plus extraordinaire de ses genres, 1l 
n'a pas avec les autres syndactyles autant de res- 
semblance qu'ils en ont entre eux et pourrait fort 
bien présenter des caract?res suffisants pour don- 
ner lieu à la création d’une nouvelle famille. Les 
calaos sont de grands oiseaux d'Afrique et des 
Indes, que leur énorme bec dentelé surmonté de 
proéminences quelquefois aussi grande qu'eux 
rend très-remarquables. Mais malgré la grosseur 
de cet organe, les calaos ne sont rien moins que 
forts; la corne des mandibules de leur bec offre si 
peu de résistance que la moindre violence suffit 
pour la briser. Aussi, ces oiseaux sont-ils réduits 
à ne vivre que d'insectes, de vers, de fruits ; 
quelquefois 1ls prennent des reptiles, des oiseaux, 
de petits mammifères, mais 1ls sont obligés de les 


412 HISTOIRE NATURELLE 


froisser longtemps avec leurs mandibules pour 
les ramollir et pouvoir ensuite les avaler tout 
entiers. Leur naturel a dû recevoir une puissante 
modification de la constitution si défavorable des 
organes de la préhension et de la mastication. 
Aussi ces oiseaux sont-ils défiants, timides, ayant 
une démarche lourde, nonchalante, pénible, ils 
ne se donnent quelque mouvement que quand ils 
sont pressés par le besoin, et passent tout le reste 
du temps nonchalamment perchés sur quelque 
arbre. Comme ils ont une grande antipathie pour 
les souris, et que leur caractère n’est pas farou- 
che, les Indiens les élèvent en domestieité pour 
faire disparaitre ces petits quadrupèdes si imcom- 
modes. 


TROINIÈUE ORDRE DES OINEAUX, 
LES GRIMPEURS. 


En indiquant le caractère de l’ordre des grim- 
peurs, qui consiste en ce que deux doigts sont 
dirigés en avant et deux en arrière, nous ne pou- 
vons nous empêcher de reconnaître que si ce ca- 
ra-tère est facile à reconnaitre , 11 s’appliqne à 
un groupe d'oiseaux peu naturellement circon- 
scrit, puisqu'il ue renferme pas les individus 
qui se ressemblent ie plus par les détails de For- 
ganisation. La disposition des doigts donne à ces 
oiseaux un point d'appui très-favorable à la sta- 


DES OISEAUX. 113 


tion sur le tronc ou sur les branches des arbres 
sur lesquelles ils cherchent leur nourriture; mais 
ces oiseaux ne sont pas exclusivement doués de 
cette faculté, puisque nous la retrouvons dans 
certains genres des passereaux, et d’ailleurs quel- 
ques espèces qui appartiennent à cet ordre n’en 
jouissent pas. Le nom de grimpeurs, que les 
naturalistes ont Jusqu'ici employé pour désigner 
cet ordre par une des facultés qui semblait lui 
être exclusive, a paru aux ornithologistes de nos 
jours tout à fait impropre, et ils ont proposé de 
le remplacer par celui de zygodactyles, qui en 
effet a l'avantage de ne pas donner une idée fausse 
des habitudes de tous ces oiseaux. 

Tous les oiseaux qui sont renfermés dans l’or- 
dre des grimpeurs ont les tarses courts, et se 
posent rarement à terre, sur laquelle 1ls ne mar- 
chent que difficilement et maladroitement : comme 
d'ailleurs leur vol est peu favorisé par le dévelop- 
pement des ailes et des pennes de la queue, ils 
sont généralement attachés aux troncs et aux 
branches des arbres qu'ils parcourent dans tous 
les sens. Ils ont tous une physionomie grave et 
sérieuse, et n'offrent point dans leurs manières 
ces gentillesses qui nous charment tant dans une 
infinité d'espèces de l’ordre des passereaux : les 
perroquets seuls, par leur instinct d’éducabilité, 
font exception. 


LES PICS. 
De tous les oiseaux que la nature force à vivre de 


la grande ou de la petite chasse, il n’en est aucun 
dont elle n’ait rendu la vie plus laborieuse , plus 


114 HISTOIRE NATURELLE 


dure que celle du pic; elle la condamné au tra- 
vail et pour ainsi dire à la galère perpétuelle ; 
tandis que les autres ont pour moyens la course, 
le vol, l’'embuscade, l'attaque , exercices libres où 
le courage et l'adresse prévalent, le pie, assujetti 
à une tâche pénible, ne peut trouver sa nourri- 
ture qu’en perçant les écorces et la fibre dure des 
arbres qui la recèlent. Occupé sans relâche à ce 
travail de nécessité, il ne connait ni délassement, 
ni repos; souvent même il dort et passe la nuit 
dans lattitude contrainte de la besogne du Jour. 
Il ne partage pas les doux ébats des autres habi- 
tants de l'air , il n'entre point dans leurs concerts, 
etn'a que des cris sauvages dont l'accent plaimtif, 
en troublant le silence des bois, semble exprimer 
ses efforts et sa peine; ses mouvements sont brus- 
ques ; il a l’air inquiet, les traits de la physiono- 
mie rudes, le naturel sauvage et farouche; il 
fuit toute société, même celle de son semblable. 

Tel est l'instinet étroit et grossier d’un oiseau 
borné à une vie triste et chétive. Il a reçu de la 
nature des organes et des instruments appro- 
priés à cette desde | ou plutôt il tient de cette 
destinée même les organes avec lesquels 1l est né. 
Quatre doigts épais, nerveux , tournés deux en 
arricre , deux en av ant , armés xd oros ongles ar- 
qués , Hnlantés sur un pied très-court et puis- 
sanmment muscé, lui servent à s'attacher forte- 
ment et à grimper en tous sens autour du tronc 
des arbres ; son bec tranchant, droit, en forme 
de coin , carré à sa base, cannelé dans sa longueur , 
aplati et taillé à sa pointe comme un ciseau, est 
l'instrument avec lequel il perce Pécorce et en- 
tame profondément le bois des arbres où les in- 


DES OISEAUX. 445 


sectes ont déposé leurs œufs. Ce bec d’une sub- 
stance solide sort d’un crâne épais; de forts 
muscles dans un cou raccourci, portent et diri- 
gent les coups réitérés que le pic frappe incessam- 
ment pour percer le bois et s'ouvrir un accès 
jusqu'au cœur des arbres; 1l y darde une longue 
langue eflilée, arrondie, lombriciforme, armée 
d’une pointe dure, osseuse, comme d’un aiguil- 
lon , dont il perce dans leurs trous les larves d’in- 
sectes xylophages qui composent toute sa nour- 
riture. Sa queue, composée de dix pennes raides, 
fléchies en dedans, tronquées à la pointe, garnies 
de soies rudes , lui sert de point d’appui dans l’at- 
titude souvent renversée qu’il est obligé de pren- 
dre pour grimper et frapper avec avantage. Il 
niche dans les cavités qu’il a en partie creusées 
lui-même, et c'est du sein des arbres que sort 
cette progéniture qui, quoique ailée, est néan- 
moins destinée à ramper autour , à y rentrer pour 
s’y reproduire et ne s’en séparer jamais. 

Le pic-vert est le plus connu des oiseaux de ce 
genre et le plus répandu dans toutes nos contrées. 
I arrive au printemps et fait retentir les forêts 
de-eris aigus et durs que l’on entend de loin, et 
qu'il Jette surtout en volant par sauts et par bonds. 
Le pic-noir vit principalement en Allemagne et 
dans les grandes forêts de sapins de l’Europe sep- 
tentrionale ; nous connaissons encore en France 
le pic-cendré, le pic-tridactyle, les épeiches, 
grand , moyen et petit. 


LE TORCOL. 


Ce genre ne renferme que deux ou trois petits 
oiseaux qui tirent leur dénomination de la singu- 


416 HISTOIRE NATURELLE 


lière habitude qu'ils ont de se tordre le cou en 
différents sens, quand ils se voient saisis. On a 
imaginé diverses raisons pour rendre compte de 
mouvements si extraordinaires. Quelques natura- 
listes ont prétendu y voir seulement une ruse de 
l'animal pour se soustraire à un danger pressant, 
d'autres ont voulu y reconnaitre une véritable 
calalepsie dans laquelle tombe involontairement 
cet animal Quoi qu'il en soit, le torcol partage 
les mœurs et la manière de vivre des pies que 
nous venons d'examiner. Il ne vit que d'insectes, 
mène une vie solitaire et niche dans des creux 
d'arbres. 


LES COUCOUS. 


Les coucous sont forts nombreux , car ce nom 
ne s'applique pas seulement à l’esp'ce que nous 
désignons ordinairement ainsi, mais à tous les 
oiseaux de l’ordre qui ont la queue longue, le bec 
de grandeur médiocre, bien fendu, lég' rement 
arqué , un peu comprimé et sans échancrure à son 
extrémité. Le coucou prend son nom de son ert, 
qu'on commence à entendre dans les premiers 
jours de mai, jusqu’à la fin de juillet ; le reste de 
l'année on ne le voit plus, on ne l'entend plus, 
soit qu'il passe dans d’autres climats, soit qu'il 
soit condamné au mutisme; il est carnassier, se 
nourrit d'insectes, mange les petits oiseaux , dé- 
vore leurs œufs. Un trait singulier et presque uni- 
que, c’est que la femelle ne se construit point de 
pid , mais va déposer ses œufs dans le nid d’autres 
oiseaux , tels que les linottes, mésanges, alouet- 
tes, pinsons , fauvettes, rouge-gorges et autres. 


DES OISEAUX. 117 


LES. BARBUS. 


Les barbus ont le bec simplement conique, lé- 
gerement déprimé, l’arête mousse un peu com- 
primé au milieu. Ces oiseaux habitent les con- 
trées les plus chaudes des deux continents, où 
ils se font remarquer par leur caractère farouche , 
leurs mœurs sauvages et des mouvements sans 
énergie. Quoique leurs plumes soient ornées de 
couleurs éclatantes, on a peine à leur accorder 
le titre de la beauté. En effet , les nuances sont sè- 
chement tranchées , et ne s’harmonisent en aucune 
façon. Tout ce qui plait à l'œil semble donc leur 
avoir été refusé par l’avare nature. Le tissu des 
plumes n'offre point ce moelleux si propre à faire 
ressortir la vivacité des tons; les plumes à barbe 
sont courtes, et les barbes et les barbules mal 
unies, ce qui contribue encore à détruire l’elfet 
d’une belle coloration. Ces oiseaux paresseux vi- 
vent perchés sur les arbres touffus où 1ls cher- 
chent à éviter les regards de l’homme et la pour- 
suite de leurs nombreux ennemis. Leur genre de 
vie est presque semblable à celui des pies-griè- 
c'es; ils vivent ordinairement d'insectes et quel- 
quefois de petits oiseaux; 1ls y ajoutent encore 
les fruits sucrés qui croissent dans les climats 
chauffés par un soleil ardent. On peut rencontrer 
ces oiseaux par petites troupes dans toutes les 
parties les plus favorisées de la nature en Amé- 
rique et dans les Indes. 


LES TOUCANS. 


Ces oiseaux se reconnaissent parmi tous les 


118 HISTOIRE NATURELLE 


autres à leur énorme bec, presque aussi gros et 
aussi long que leur corps, léger et celluleux in- 
téricurement, arqué vers le bout, irrégulièrement 
denté aux bords, et à leur langue étroite et gar- 
nie de chaque côtés de barbes comme une plume. 
On ne les trouve que dans les parties chaudes de 
l'Amérique où ils vivent en petitcs troupes, se 
nourrissent de fruits et d'insectes, dévorent pen- 
dant la saison de la ponte les œufs et les petits 
oiseaux nouvellement éclos. La structure de leur 
bec, le peu de densité de la substance cornée, 
son peu de résistance aux efforts d’une mastica- 
tion laborieuse, les empêchent de pouvoir atta- 
quer une proie robuste, et ne leur permettent pas 
de résister à l'attaque de leurs ennemis. Quand 
ils ont saisi leur proie, ils sont obligés de l’avaler 
sans la macher, et pour la faire arriver jusque 
dans leur gosier ils la jettent en l'air et la recoi- 
vent dans leur énorme bouche au moment où 
elle retombe. Quand on considère attentivement 
l’organisation bizarre de la langue et du bec des 
toucans, on est obligé de confesser que l’on ignore 
les raisons qui ont déterminé la nature dans une 
grande multitude de ses œuvres. L'esprit humain 
veut pourtant sonder la profondeur de tous les 
secrets de l’organisation pour en tirer des dédue- 
tions philosophiques propres à fonder ce que dans 
ces derniers temps on a orgueilleusement appelé 
la philosophie zoologique. Les obstacles qui 
viennent entraver nos eflorts presque à chaque 
pas que nous tentons, doivent nous avertir que 
les œuvres de Dieu portent l'empreinte de sa puis- 
sance créatrice, mais aussi qu'elles sont quel- 
quefois recouvertes d’un voile que nos etfforts sont 
impuissants à soulever. 


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le Perroquet. p. 119 


| Cacetoës. 


DES OISEAUX. 119 


LES PERROQUETS. 


Non-seulement cet oiseau a la facilité d’imi- 
ter la voix humaine, 1l semble encore en avoir 
le désir ; il le manifeste par son attention à écou- 
ter et par l'effort qu'il fait pour répéter quelques- 
unes des syllabes qu'il vient d'entendre. C’est 
surtout dans ses premières années qu'il mon- 
tre cette facilité, qu'il a plus de mémoire, et 
qu'on le trouve plus intelligent et plus docile. 
Les talents des perroquets ne se bornent pas à 
limitation de la parole; 1ls apprennent aussi à 
contrefaire certains gestes et certains mouve- 
ments. Quelquelfois, quand ils voient danser, ils 
sautent aussi, mais de la plus mauvaise grâce, 
levant leurs pattes d’une manière ridicule , et re- 
tombant lourdement. 

L'espèce de société que le perroquet contracte 
avec nous par le langage , est plus étroite et plus 
douce que celle à laquelle le singe peut prétendre 
par son imitation capricieuse de nos mouvements 
et de nos gestes. si celle du chien, du cheval ou 
de l’éléphant sont plus intéressantes par le senti- 
ment, la société de l'oiseau parleur est quelque- 
fois plus attachante par l'agrément; il récrée, il 
distrait, 1} amuse ; dans la solitude 1l est compa- 
gnie, dans la conversation il est interlocuteur, 
il répond , il appelle, il accueille, il jette léclat 
des ris, il exprime l'accent de l'affection, il joue 
la gravité de la sentence; ses petits mots jetés 
par basard égaient par la disparate , ou quelque- 
fois surprennent par leur justesse. Ce jeu d’un 
langage sans idées a je ne sais quoi de bizarre et 


120 HISTOIRE NATURELLE 


de grotesque, et, sans être plus vide que beau- 
coup de propos, il est toujours plus amusant. 
Avec cette imitation de nos paroles, le perroquet 
semble prendre quelque chose de nos inclinations 
et de nos mœurs:il aime et il hait, il a des atta- 
chements et des jalousies, des préférences , des 
caprices ; il s’admire, s’applaudit, s’encourage ; 
il se réjouit et s’attriste; il semble s’attendrir et 
S'éMOuvOoIr aux caresses. 

Les perroquets et les perruches, qui viennent 
immédiatement après, forment une longue suite 
d’esp' ces propres à l'Afrique , à l mérique et aux 
Indes orientales. Les espèces les plus répandues 
sont le perroquet gris où jaco , lamazone , la per- 
ruche commune, la perruche à collier, le caca- 
toës à crête, le cacatoës violet, lara macao, 
l'ara hyacinthe , ete. 


SSXES 


UATRIEME ORDRE DEN OINEAUX, 
LES GALLINACÉS. 


Les oiseaux qui composent le quatrième ordre 
sont peut-être ceux qu'il est le plus difficile de bien 
caractériser. On a donné ce nom à tous les o1- 
seaux qui ont une affinité avec notre coq domes- 
tique, et qui, comme lui, ont en général la man- 
dibule supérieure voütée, les narines percées 
dans un large espace membraneux de la’ base du 
bec, recouvertes par une écaille cartilagimeuse. 
Les gallinacés ont le port lourd, les ailes courtes , 


DES OISEAUX. 124 


le sternum osseux diminué par deux échancrures 
si larges et si profondes, qu'elles occupent pres- 
que tous ses cotés ; sa crête est tronquée oblique- 
ment en avant, en sorte que la pointe aiguë de la 
fourchette ne s’y joint que par un ligament; toutes 
circonstances qui, en affaiblissant beaucoup les 
muscles pectoraux , rendent son vol difficile. Chez 
ces oiseaux la queue a le plus souvent quatorze et 
quelquefois jusqu’à dix-huit pennes; leur larynx 
inférieur est très-simple , aussi aucun ne chante- 
t-il agréableme-t; ils ont un jabot tris-large et 
un gésier très-vigoureux. Les gallinacés sont les 
plus granivores, et pour pouvoir digérer des ali- 
ments qu'ils avalent sans leur faire subir le travail 
de la masticauon , il était nécessaire que dans leur 
tube alimentaire il existât un appareil vigoureux 
de trituration. Le gésier, armé de deux muscles 
puissants dont les fibres tendineuses s’entre-croi- 
sent, est aidé dans son action par les petits grains 
de sable que ces oiseaux ont coutume d’ingérer en 
recuetllant leur nourriture. 

La famille qui se place le plus naturellement 
dans cet ordre est celle qui nous à fourni tous nos 
oiseaux de basse-cour; celle des pigeons semble 
n'avoir que certains rapports avec la première. 
Quelques ornithologistes les placent, dans leurs 
distributions méthodiques , avant la famille des 
gallinacés proprement dite, comme faisant une 
transition assez naturelle des ordres précédents 
à celui auquel ils appartiennent. 


LE PAON. 


Si l'empire appartenait à la beauté, et non à la 


1922 HISTOIRE NATURELLE 


force, la paon serait, sans contredit, le roi des 
oiseaux ; 1! n’en est point sur qui la nature ait versé 
ses trésors avec plus de profusion; la taille 
grande, le port imposant, la démarche fière, la 
figure noble, les proportions du corps élégantes 
et sveltes, tout ce qui annonce un être de distine- 
tion lui a été donné; une aigrette mobile et lé- 
gère, peinte des plus riches couleurs, orne sa 
tête et l'élève sans la charger ; son incomparable 
plumage semble réunir tout ce qui flatte nos veux 
dans le coloris tendre et frais des plus belles 
fleurs, tout ce qui les éblouit dans les reflets pé- 
tillants des pierreries, tout ce qui les étonne dans 
l'éclat majestueux de l'arc-en-ciel ; non-seulement 
la nature à réuni sur le plumage du paon toutes 
les couleurs du ciel et de la terre pour en faire le 
chef-d'œuvre de sa magnificence; elle les a encore 
mêlées, assorties, nuancées, fondues de son ini- 
mitable pinceau , et en a fait un tableau unique, 
où elles tirent de leurs mélanges avec des nuances 
plus sombres, et de leurs oppositions entre elles, 
un nouveau lustre et des effets de lumière si su- 
blimes , que notre art ne peut ni les imiter ni les 
décrire. 

Tel parait à nos yeux le plumage du paon, 
lorsqu'il se promène paisible et seul dans un beau 
jour de printemps; mais si quelque excitation se 
joint aux influences naturelles de la saison et lui 
inspire une nouvelle ardeur, alors toutes ses 
beautés se multiplient, ses yeux s’animent et pren- 
nent de l'expression, son aigrette s'agite sur sa 
tête et annonce l'émotion intérieure; les longues 
plumes de sa queue déploient en se relevant leurs 
richesses éblouissantes , sa tête et son cou se ren- 


le r2on. P. 121 


ke Dindon. 


DES OISEAUX. 1923 


versent noblement en arrière, se dessinent avec 
grâce sur ce fond radieux, où la lumière du soleil 
se joue en mille manières , se perd et se reproduit 
sans cesse, etsemble prendre un nouvel éclat plus 
doux et plus moelleux , de nouvelles couleurs plus 
variées et plus harmonieuses; chaque mouvement 
de l'oiseau produit des milliers de nuances nou- 
velles, des gerbes de reflets ondoyants et fugitits, 
sans cesse remplacés par d’autres reflets et d’autres 
nuances toujours diverses et toujours admirables. 

Mais ces plumes brillantes, qui surpassent en 
éclat les plus belles fleurs, se flétrissent aussi 
comme elles et tombent chaque année ; le paon, 
comme s’il sentait la honte de sa perte, craint de 
se faire voir dans cet état humiliant, et cherche 
les retraites les plus sombres pour s'y cacher à 
tous les yeux, jusqu'à ce qu'un nouveau printemps, 
lui rendant sa parure accoutumée, le ramène sur 
la scène pour y jouir des hommages dus à sa 
beauté. On prétend qu'il en jouit en effet, qu'ilest 
sensible à l'admiration, que le vrai moyen de len- 
gaser à étaler ses belles plumes, c’est de lui don- 
ner des regards d'attention et des louanges, et 
qu'au contraire, lorsqu'on parait le regarder froi- 
dement et sans beaucoup d'intérêt, 11 replie tous ses 
trésors et les cache à qui ne sait point les admirer. 

Ce superbe oiseau, originaire du nord de l'Inde, 
a été apporté en Europe par Alexandre, roi de 
Macédoine. Les individus sauvages  surpassent 
encore en beauté les individus domestiques; les 
teintes de leur plumage sont plus pures, et n’ont 
aucune de ces altérations que la domination de 
l'homme imprime sur tous les animaux qu'il se 
soumet. Il existe au Japon une autre espèce de 


424 HISTOIRE NATURELLE 

paon qu'on appelle spicifère. À côté de ce genre 
doit se placer le lophophore de l'Inde, mag su 
oiseau qui le cède peu au paon lui-même. 


LE DINDON. 


Si le coq ordinaire est l’oiseau le plus utile de 
la basse-cour, le dindon domestique en est le 
plus remarquable, soit par la grandeur de sa 
taille, soit par la forme de sa tête, soit par cer- 
taines habitudes naturelles. Sa tête, qui est fort 
petite, manque de la parure ordinaire aux oi- 
seaux, car elle est presque entièrement dénuée 
de plumes et recouverte de mamelons rougeûtres ; 
sur la base du bec supérieur s'élève une caron- 
cule charnue de forme conique , sillonnée par des 
rides transversales assez profondes. Si quelque 
chjet étranger se présente inopinément, cet o1- 
seau, qui n'a rien dans son port ordinaire que 
d'humble et de simple, se rengorge tout à coup 
avec fierté; sa tête et son cou se gonflent, la ca- 
roncule conique se déploie, toutes ces parties 
charnues se colorent d’un rouge plus vif, en même 
temps les plumes du bas du cou et du dos se hé- 
rissent, et la queue se dresse en éventail , tandis 
que ses ailes s’abaissent en se déployant jusqu'à 
trainer par terre. 

On se ferait une idée fausse de ces oiseaux, si 
l’on voulait en juger d’après ce que nous les voyons 
dans nos basses-cours. Dans les vastes plaines et 
les immenses forêts de l'Amérique septentrionale, 
leur patrie, ils déploient autant d'énergie, de no- 
blesse, de grâces, que dans nos campagnes ils 
montrent un port lourd, une démarche stupide et 


y 


DES OISEAUX. 41925 


des habitudes grossières. Quoique leurs ailes 
soient d’une médiocre étendue et que les muscles 
pectoraux n'aient pas un grand développement, 
ces oiseaux ne laissent pas que dese soustraire par 
un vol rapide et assez soutenu aux embüches et 
à la poursuite du chasseur. Le dindon sait trou- 
ver dans son instinct des ruses pour échapper à 
la mort quand ses ennemis le poursuivent de trop 
près : il se blottit dans les broussailles, reste im- 
mobile, et ne trahit sa retraite par aucun mouve- 
ment, jusqu'à ce que le péril soit dissipé. 

Les dindons sauvages de la Virginie sont cou- 
verts de plumes ornées de couleurs métalliques à 
reflets variés d'un grand effet. Ils sont le plus sou- 
vent d’un brun verdâtre glacé de cuivré. Mais par 
l'effet de la domesticité, ainsi que beaucoup d’au- 
tres animaux, ils ont perdu la brillante parure 
que leur avait accordée l’auteur de la nature. Le 
dindon fut apporté d'Amérique au XVI° siecle par 
les Jésuites, et se répandit promptement dans 
toute l’Europe à cause de la bonté de sa chair. 


LES PINTADES. 


Les pintades se font remarquer par une espèce 
de crête osseuse qui leur recouvre le sommet de 
la tête, par leur tête nue et les barbillons charnus 
qui leur pendent aux joues. Leur taille est mé- 
diocre, et leur corps arrondi leur donne quelques 
rapports de ressemblance générale avec les cailles 
et les perdrix. Les pintades sont originaires d’Afri- 
que, où elles vivent par bandes assez peu nom- 
breuses dans les taillis et dans tous les endroits 
plantés d’arbrisseaux , où elles s’occupent à la re- 

6 


426 HISTOIRE NATURELLE 

cherche des insectes, des vers et des baies, dont 
elles font leur nourriture, Ces oiseaux ont été 
transplantés en Europe et en Amérique, et jamais 
ils n’ont souffert du changement de climat. Ils ne 
se sont pas multipliés beaucoup en Europe, à 
cause des vices de leur caractère : irascibles, dé- 
fiants, jaloux , criards, ils sont en guerre perpé- 
tuelle avec les autres habitants de nos basses- 
cours, et importunent tout le monde par leurs 
cris rauques et désagréables, qu'ils font sans 
cesse retentir, On connait plusieurs espèces de ce 
genre : outre la pintade commune, on a décrit 
depuis longtemps déjà la pintade mitrée et la pin- 
tade à crête. 


LE COQ ET LA POULE. 


Le coq est le roi de la basse-cour, et son port 
fier et altier indique qu'il sent sa noblesse et son 
empire. I à du feu dans les yeux, de la liberté 
dans la démarche, de la grâce dans les mouve- 
ments , et des proportions qui annoncent la foree et 
la valeur. Il est souvent obligé de déployer toute 
l'énergie de son courage quand un rival veut lui 
disputer son petit royaume. Il ne cède qu'avec la 
vie les lieux dont ila pris possession, et c’est 
avec une fureur qu'il ne saurait maitriser qu'il se 
précipite sur son ennemi. L'homme a su tirer 
parti pour son amusement de cette antipathie 
d’un coq pour un autre coq; les anciens et les mo- 
dernes ont dressé quelques-uns de ces oisCaux à 
des combats qui acquirent quelquefois une triste 
célébrité par les gageures déraisonnables aux- 
quelles ils donnèrent lieu. Ces jeux ont à peu près 
complétement disparu. 


Mél 
3» 


p, 126 


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ce 


le Cor. 


le Faissn doré de la Chine. 


DES OISEAUX. 127 

La poule qui a montré tant d'ardeur pour cou- 
ver, qui a couvé avec tant d’assiduité, qui a soigné 
avec tant d'activité des embryons qui n’existaient 
point pour elle, ne se refroidit point quand ils 
sont éclos ; son attachement, fortifié par la vue de 
ces petits êtres qui lui doivent la naissance , s’ac- 
croit encore tous les jours par les nouveaux soins 
qu'exige leur faiblesse ; sans cesse occupée d'eux, 
elle ne cherche de la nourriture que pour eux; si 
elle n’en trouve point, elle gratte la terre avec ses 
ongles pour lui arracher les aliments qu’elle recèle 
dans son sein, etelle s’en prive en leur faveur. Elle 
les rappelle lorsqu'ils s’égarent, les metsous sesai- 
les à l'abri des intempéries , et les couve une secon- 
de fois; elle se livre à ces tendres soins avec tant 
d’ardeur et de soucis que sa constitution en est sen- 
siblement altérée, et qu’il est facile de distinguer 
de toute autre poule une mère qui mène ses pe- 
tits, soit à ses plumes hérissées et à ses ailes 
trainantes, soit au son enroué de sa voix et à ses 
différentes inflexions toutes expressives, et ayant 
toutes une forte empreinte de sollicitude et d’af- 
fection maternelles. 

Mais si elle s'oublie elle-même pour conserver 
ses petits, elle s'expose à tout pour les défendre ; 
parait-il un épervier dans l'air, cette mère st faible, 
si timide , etqui, en touteautre circonstance, cher- 
cherait son salut dans la fuite, devient intrépide 
par tendresse ; elle s'élance au-devant de sa serre 
redoutable, et par ses cris redoublés, ses batte- 
ments d'ailes et son audace, elle impose souvent à 
l'oiseau carnassier qui, rebuté d’une résistance 
imprévue, s'éloigne et va chercher une proie plus 
facile. 


128 HISTOIRE NATURELLE 
On connait plusieurs espèces de coqs sauvages 
des monts Gates dans l’Indostan et de l'ile de Java. 


LES FAISANS. 


Les faisans se font aisément reconnaitre à leur 
longue queue étagée, composée de dix-huit pen- 
nes, et à leur plumage orné de reflets éclatants. 
Le mâle est un bel oiseau dont la tête et le cou sont 
d’un vert doré, le reste du corps d’un marron ti- 
rant sur le pourpre et très-brillant , et la queue 
grisâtre mêlée de brun et de marron. Ces oiseaux , 
comme tous les gallinacés en général, sont dé- 
fiants et sauvages ; dans les contrées où ils vivent 
indépendants, on les rencontre par petites trou- 
pes courant à la recherche des insectes, des ver- 
misseaux et des baies qui composent leur nourri- 
ture. Leur défiance perpétuelle les rend très-dif- 
ficiles à approcher pour les chasseurs. La déliea- 
tesse de leur chair les fait élever en domesticité, 
mais leur éducation exige de grands soins et de 
grandes dépenses , et les faisanderies sont de nos 
jours devenues assez rares. L'espèce la plus com- 
mune et la plus anciennement connue se trouve 
abondamment à l’état sauvage dans le Caucase , et 
dans les plaines couvertes de jones qui avoisinent la 
mer Caspienne. On croit généralement que son in- 
troduction en Grèce date de l'expédition des Ar- 
gonautes aux bords du Phase. 

Nous connaissons, en outre, trois autres espèces 
originaires de la Chine: le faisan à collier, qui 
ne diffère du faisan commun que par une tache 
blanche à côté du cou; le faisan argenté, qui est 
blanc en dessous avec des lignes noires, et qui 


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DES OISEAUX. 129 
s’apprivoise plus facilement que les précédents; 
le faisan doré si remarquable par la magnificence 
de son plumage; sa tête est ornée d’une huppe 
pendante d’un jaune d’or ; son cou est revêtu d’une 
collerette orangée , maillée de noir ; son ventre est 
rouge de feu , le haut de son dos est vert, les ailes 
rousses avec une belle tache bleue, le croupion 
jaune, et sa longue queue est brune tachetée de 
gris. Cuvier pense que la description du phénix, 
donnée par Pline le naturaliste, a été faite d’après 
ce bel oiseau. 


L'ARGUS. 


L'argus est considéré par le plus grand nombre 
des ornithologistes comme faisant partie du genre 
faisan , cependant il est facile de trouver des dif- 
férences génériques pour l'en détacher. L'argus 
est un des oiseaux du midi de l’Asie les plus re- 
marquables par les changements ou les dévelop- 
pements qu'ont acquis les pennes secondaires 
des ailes. Nous les voyons, en elfet , excessive- 
ment allongées et élargies , et couvertes sur toute 
leur longueur de taches en forme d’yeux qui, lors- 
qu’elles sont étalées, donnent à l’oiseau un aspect 
tout à fait extraordinaire. C’est à l’ornement bi- 
zarre de ses plumes que cet oiseau doit son nom 
emprunté à la mythologie. Il habite les montagnes 
de Sumatra et de quelques autres contrées du 
sud-est de l'Asie. 


LES PERDRIX. 


Les perdrix se font remarquer par un grand 
développement du sens de lodorat, par le peu 


130 HISTOIRE NATURELLE 


d’étendue de leurs aïles qui ne favorisent pas un 
vol étendu, et par la force des muscles cruraux 
qui les rendent agiles à la course. Ces oiseaux ne 
se perchent jamais, se tiennent toujours à terre, 
et cherchent d’abord leur salut dans la fuite plu- 
tôt que dans la rapidité de leur vol. 

Leur nourriture consiste en grains de toute es- 
pèce, en bourgeons tendres des jeunes arbris- 
seaux , en insectes, etsurtout en fourmis, dont elles 
se montrent très-friandes. Nous les rencontrons 
par familles dans les climats tempérés, où elles re- 
cherchent de préférence les plaines et les champs 
cultivés. C’est ordinairement dans les sillons 
qu’elles déposent leurs œufs dans un nid grossie- 
rement préparé. Aussitôt que les petits sont 
éclos , ils quittent leur berceau pour suivre leur 
mère et chercher avec elle leur nourriture. C'est 
dans cette circonstance que s’exalte chez la per- 
drix l'affection maternelle, et que nous la voyons 
quelquefois déployer toutes les ruses d’un instinct 
très-développé pour mettre en défaut les nom- 
breux ennemis qui ont juré sa perte. Elle n'hésite 
point alors à exposer sa vie pour sauver celle de sa 
progéniture, et souvent son dévouement a triom- 
phé du danger; elle revient joyeuse et fière retrou- 
ver ses petits pour leur prodiguer de nouveau les 
soins les plus actifs et les plus intelligents. 

On connait plusieurs espèces de perdrix: la 
perdriæ grise est la plus répandue, elle est très- 
féconde, et nous procure surtout une nourriture 
délicate; la perdrix rouge se distingue de la pré- 
cédente par son bec et ses pattes rouges, et par sa 
gorge blanche encadrée de noir; elle se üent plus 
souvent dans les endroits élevés et solitaires; la 


, DES OISEAUX. 131 


bartavelle ou perdrix grecque ne diffère de la 
dernière que par une taille un peu plus grande ; 
on la trouve dans les montagnes. 


LES CAILLES. 


Ces oiseaux ont beaucoup de ressemblance ex- 
térieure avec les perdrix ; mais plus petits , 1ls ont 
encore des mœurs un peu différentes, et quel- 
ques habitudes particulières. Tout le monde con- 
nait la caille commune si répandue dans nos cli- 
mats pendant la plus belle saison de l’année; elle 
dépose ses œufs à terre, dans les blés, et se nour- 
rit principalement de grains et d'insectes. Quoi- 
que cet oiseau soit fort lourd et qu’il paraisse 
mal conformé pour le vol, cependant chaque an- 
née 1l nous quitte pour traverser la Méditerranée 
et passer l'hiver en Afrique. Les cailles se réunis- 
sent alors en troupes nombreuses et volent de 
concert, le plus souvent au clair de la lune ou 
pendant le crépuscule. Quand elles rencontrent 
sur leur route une 1le où quelque rocher, elles en 
profitent pour s’y reposer, et, en automne, elles 
S’abattent en si grand nombre dans différents 
points de larchipel du Levant, que le produit de 
leur chasse est d’un revenu considérable. Excepté 
aux époques du voyage, elles vivent isolées. Le 
goût que ces oiseaux ont pour les voyages parait 
inné en eux, et se manifeste, même dans les in- 
dividus captifs, par des mouvements singuliers. 
Nous avons déjà eu occasion de parler de cet ins- 
tinct extraordinaire, en émettant, dans notre in- 
troduction, quelques réflexions sur les migrations 
en général. 


132 HISTOIRE NATURELLE 


LES PIGEONS. 


Les pigeons forment à la suite des gallinacés 
proprement dits une famille peu nombreuse, mais 
bien distincte. Ils se trouvent à l’état sauvage ‘dans 
les forêts et les rochers de l’Europe, où on les 
désigne par le nom de ramiers. Il a été difhcile 
de subjuguer et de rendre domestiques des o1l- 
seaux légers, indépendants, amis de la liberté, 
tandis qu'il n’a fallu presque aucune peine pour 
réduire à l’esclavage des oiseaux lourds , pesants, 
et qui dans nos basses-cours ne semblent pren- 
dre aucun souci de la perte de leur liberté. Les 
pigeons ne sont réellement ni domestiques, n1 
prisonniers comme les poules, ce sont plutôt des 
captifs volontaires, des hôtes fugitifs, qui ne se 
tiennent dans le logement qu’on leur offre qu'au- 
tant qu'ils S'y plaisent, qu'ils y trouvent une 
nourriture abondante, un gite agréable et toutes 
les commodités nécessaires à la vie. Quelques es- 
pèces, même dans nos colombiers, se montrent 
plus indépendantes que d’autres. Les premières 
abandonnent quelquefois le toit qu’on leur avait 
préparé pour aller nicher dans les trous de vieilles 
murailles ou des fentes de rochers, tandis que 
d’autres ne s’en écartent presque Jamais, et vont 
chercher leur rourriture sans le perdre de vue. 
Ces oiseaux se multiplient beaucoup et offrent 
sur nos tables une nourriture saine et recherchée. 
Nous possédons en France quatre espèces sau- 
vages de ce genre, le ramier, qui est le plus 
grand de ees oiseaux, le colombin ou petit ramier, 
le biset ou pigeon de roche, et la tourterelle, un 


DES OISEAUX. 133 


des plus aimables oiseaux que nous puissions 
élever dans nos habitations. On conserve quelque- 
fois en volière pour l'agrément la fourterelle 
rieuse où à collier, qui parait originaire d’A- 
frique. 


SRE 


CINQUIÈME ORDRE DES OISEAUX, 


LES ÉCHASSIERS. 


Nous trouvons dans cet ordre un type d’organi- 
sation dont nous n’avons eu aucun exemple dans 
les oiseaux que nous avons examinés précédem- 
ment, et que nous allons voir bientôt se modifier 
profondément dans l’ordre qui va suivre. Les o1- 
seaux que nous avons étudiés ont coutume de 
poursuivre leur proie dans les airs ou sur la terre ; 
ceux qui s'offrent maintenant à notre examen sont 
les tyrans des eaux. Les palmipèdes et les échas- 
siers font la guerre à la nombreuse tribu d'êtres 
vivants qui ont reçu en partage les ruisseaux, les 
rivières, les fleuves et tous les lieux aquatiques. 
Les uns ont recu de larges rames pour frapper 
l’eau, et un corps constitué en forme de vaisseau 
pour fendre facilement le milieu sur lequel ils 
doivent passer leur vie; les autres, et ce sont ceux 
qui nous occupent spécialement, ont eu de longues 
jambes, des tarses élevés, qui leur permettent de 
courir le long des eaux et dans les endroits où le 
sol est amolli par l'humidité, deux circonstances 


434 HISTOIRE NATURELLE 


qui leur permettent d'entrer dans l’eau jusqu'à 
une certaine profondeur, sans se mouiller les 
plumes, d'y marcher à gué et d’y pêcher, au moyen 
de leur long bec emmanché d'un long cou, les 
poissons et les reptiles qui forment leur nourri- 
ture. On leur a donné souvent le nom d'oiseaux 
de rivage, à cause de leurs habitudes; mais la 
dénomination d’échassiers, moins exclusive, con- 
vient beaucoup mieux , parce qu'on a réuni dans 
cet ordre tous les oiseaux qui se trouvaient mon- 
tés sur de longues pattes, comme lautruche, qui 
ne s'approche Jamais des eaux. Nous sommes obli- 
gés de répéter encore la réflexion que uous avons 
déjà exprimée plusieurs fois au sujet des transi- 
tions insensibles que la nature à établies dans ses 
œuvres, qui font Fadmiration du philosophe , de 
l’anatomiste et du physiologiste, mais qui font le 
désespoir du classificateur qui veut traduire dans 
sa méthode l’ordre précis de la nature dans la série 
ascendante ou descendante des êtres organiques. 
Ici, comme souvent ailleurs, nous trouvons des 
difficultés à trancher nettement le groupe que 
nous avons voulu caractériser par de longs tarses 
et des jambes dénuées de plumes. Quelques gen- 
res, en effet, ont des tarses ordinaires, presque 
courts, mais les jambes nues; quelques autres 
ont de véritables palmures entre les doigts, mais 
des tarses très-allongés, ete. Admirons l’auteur de 
la nature qui a répandu tant de variétés dans les 
êtres qu’il a appelés à la vie, et qui a su néan- 
moins enchainer par des anneaux étroits toutes 
les parties de la création. 


DES OISEAUX. 435 


L'AUTRUCHE. 


L’autruche est le plus grand des oiseaux , mais 
elle est privée, par sa grandeur même, de la prin- 
cipale prérogative des oiseaux, je veux dire la 
puissance de voler. Quelle force énorme ne fau- 
drait-il pas en effet dans les ailes et dans les mus- 
cles pectoraux pour élever et soutenir en Fair 
une masse de soixante-dix à quatre-vingts livres ! 
Du reste les pennes des ailes et de Ja queue sont 
du genre de celles que les ornithologistes nom- 
ment décomposées, c’est-à-dire que la tige est 
garnie d'espèces de longues soies moel'euses et 
isolées. C’est principalement à cause de ses plumes 
que les Arabes font une guerre acharnée à l'au- 
truche d'Afrique ; on emploie ces plumes à faire 
des ornements très-recherchés et très-précieux , 
comme des plumets, des panaches, ete. Certains 
peuples élèvent même des autruches en domesti- 
cité pour leur enlever périodiquement ces plumes. 
L'autruche est tellement agile à la course , que le 
meilleur cheval arabe ne saurait l’atteindre ; il 
faut donc recourir à la ruse pour pouvoir s’en em- 
parer. Comme lautrucbe dans sa course décrit 
un immense cercle, les chasseurs arabes suivent 
un cercle concentrique beaucoup moins étendu 
pour la fatiguer, marchent en ligne droite vers le 
point où 1ls présument qu’elle doit aboutir, et la 
renversent d’un coup de fusil. 

On a prétendu que, par Peffet d’une stupidité 
extrême , l’autruche sur le point d'être prise, se 
cachait la tête, et se croyait hors de danger parce 
qu'elle n’apercevait plus ses ennemis. 1l est pro- 


136 HISTOIRE NATURELLE 


bable que l’autruche cherche ainsi à protéger la 
partie la plus faible, et la plus essentielle. 

Les autruches ne font jamais de nid ; elles dé- 
posent à terre, dans des trous creusés dans le sa- 
ble, une quinzaine d'œufs, très-gros et très-bons 
à manger, dont un seul suffit pour le repas d’un 
homme. Sous la zone torride , ces œufs n’ont pas 
besoin d’être couvés, la chaleur solaire suffit 
pour développer l'embryon sous sa coquille cal- 
caire ; mais dans les climats moins ardents les 
autruches ont soin de les réchauffer de temps en 
temps, surtout pendant la nuit et lorsque l’atmos- 
phère se refroidit un peu. Les petits mettent en- 
viron six semaines à éclore et sont assez forts 
pour marcher après avoir rompu la coquille. 

Les autruches vivent principalement de matiè- 
res végétales, et ont un gésier très-fort, muni de 
muscles vigoureux, comme nous l’avons vu déjà 
chez les gallinacés. On a trouvé quelquefois dans 
l'estomac de ces grands échassiers des morceaux 
de fer, de cuivre, des pièces de monnaie, etc., et 
on a demandé s'ils avaient un liquide particulier 
dans leur estomac pour dissoudre des matières 
si rebelles par elles-mêmes au travail digestif. Ces 
substances métalliques se trouvent dans l'estomac 
des autruches, comme les petits grains de quartz 
que nous rencontrons dans celui des gallinacés , 
qui ont pour but d'aider la trituration des maté- 
riaux digestifs. 

On connait deux espèces d’autruches, celle 
d'Afrique, et le nandou ou autruche d’Améri- 
que. Celle-ci diffère de la précédente parce que 
sa tête est recouverte entièrement de plumes, et 
que ses pieds sont munis de trois doigts , tandis 


DES OISEAUX. 437 


que l’autruche d'Afrique n’en a que deux. Ses 
plumes raides et moins soyeuses ne sont pas em- 
ployées comme ornement, et ne servent qu'à fa- 
briquer ces plumeaux avec lesquels on époussette 
les meubles. 


LE CASOAR. 


Le casoar et l’autruche, les deux plus grands 
oiseaux connus, semblent s'être réservé les lati- 
tudes les plus chaudes de l'Afrique et de l'Asie. 
Tous deux ils sont attachés à la terre qu’ils par- 
courent laborieusement, sans pouvoir prendre 
leur essor avec leurs ailes garnies simplement de 
plumes effilées. Cette modification du plumage 
est bien autrement profonde dans le casoar que 
dans l’autruche : on dirait le premier recouvert 
de longs poils semblables à ceux du sanglier. Si 
ses ailes ne peuvent le soustraire à la poursuite de 
ses ennemis, elles portent des armes offensives 
et défensives assez puissantes pour le protéger 
contre leurs attaques : ce sont des piquants cour- 
bés en arc de longueur variable, mais bien ai- 
guisés et très-vigoureux. Malheur à l’animal té- 
méraire qui vient sans précaution fondre sur le 
casoar ! 

On connaît deux espèces du genre : le casoar à 
casque ou émeu qui habite les îles du grand 
océan Indien. Il se distingue par une caroncule 
cornée qui lui recouvre le sommet du erâne et 
qui lui à valu sa dénomination. La seconde es- 
pèce est le casoar de la Nouvelle-Hollande, qui 
a le bec déprimé, la tête dépourvue de caroncule, 
des plumes plus barbues, et les ailes dépourvues 


138 HISTOIRE NATURELLE 


d’éperons. On lui fait une chasse active pour sa 
chair qu’on estime à l’égal de celle du bœuf. 

Le casoar confie ses œufs aux sables échauffés 
par les rayons du soleil, sans en prendre plus de 
soin que l’autruche. 


LES OUTARDES. 


L’outarde est un des plus gros oiseaux que la 
chaleur modérée de nos étés attire dans nos cli- 
mats. Cet oiseau a des mœurs farou hes et un na- 
turel sauvage. Il fixe sa demeure dans les grandes 
plaines, dans les blés, et dans les campagnes 
couvertes de broussailles, où il cherche sa nour- 
riture , qui consiste en grains, fruits, insectes, 
grenouilles , souris, mulots, et même quelque- 
ini il y ajoute les petits oiseaux. Son caractère 
défiant le tient sans cesse en alerte, et au moin- 
dre bruit suspect, 1! prend son essor, ou s’en- 
fuit en courant à terre avec une très - grande 
célérité. Ces oiseaux, pendant lhiver, vivent en 
troupes , et on dit qu'ils en choisissent un pour 
faire sentinelle et les avertir de lapproche du 
moindre danger. 

Nous avons en France la grande outarde qui 
est beaucoup plus grosse qu'un dindon, et la 
cannepelière où petite outarde, qui est moitié 
moindre. Elles sont de passage en été et font leur 
ponte dans nos champs, parmi les blés et les sel- 
gles déjà mûrs ; leurs s petits courent dès leur nais- 
sance. Dans certaines provinces de France, quand 
un chasseur à été assez heureux pour tuer Pou- 
tarde , 1l réunit tous ses amis pour participer au 
banquet de famille dont elle fait le principal orne- 
ment. 


DES OISEAUX. 139 


L'AGAMI. 


Ce genre ne renferme qu'une seule espèce bien 
connue, c’est l’oiseau que les naturels du pays 
nomment l’oiseau-trompette. Cet oiseau habite 
l'Amérique méridionale, et par ses mœurs se rap- 
proche autant des gallinacés que des échassiers. 
Ses ailes sont peu développées et ses doigts telle- 
ment conformés, qu’. peut courir avec une très- 
grande agilité; aussi lorsqu'il est effrayé a-t-il 
plutôt recours à ses pattes qu’à ses ailes. Il ne 
vole que lorsqu'il veut se percher au sommet de 
quelque arbre peu élevé. 

Les agamis vivent en troupe de trente à qua- 
rante individus dans les forêts les plus sombres et 
les plus épaisses du Nouveau-Monde. Malgré leur 
naturel farouche et sauvage, les agamis s’habi- 
tuent facilement à la vie domestique ; ils s’atta- 
chent même à leur maitre et lui rendent d’im- 
portants services, en surveillant les autres oiseaux 
de basse-cour et même, dit-on, les quadrupèdes 
domestiques. On prétend qu’ils conduisent les 
volailles et les moutons aux champs, les protégent 
contre leurs ennemis, et les ramènent tous les 
soirs au logis. Cet intrépide oiseau se fait distin- 
guer par sa fidélité et son affection qui Pont fait 
comparer au chien avec beaucoup de justesse. 

L'organisation intérieure de l’agami présente 
un fait particulier dans la disposition de la tra- 
chée-artère, qui se recourbe plusieurs fois avant 
de pénétrer dans la poitrine , et donne à cet oiseau 
la faculté de produire un son sourd et rauque qui 
semble provenir des cavités abdominales, et lui 
a valu son nom d’oiseau-trompette. 


140 HISTOIRE NATURELLE 


LES GRUES. 


Les grues sont connues depuis la plus haute 
antiquité par leur instinct voyageur. Nous avons 
eu déjà l'occasion de remarquer précédemment 
que la plupart des fonctions physiologiques in- 
fluaient puissamment sur la nature et les ressour- 
ces instinctives de chaque individu. Les animaux 
sont déterminés dans leur régime par leur or- 
ganisation physique, et réciproquement. Ce 
principe peut nous expliquer en partie le phéno- 
mène constant des migrations périodiques des oi- 
seaux de ce genre. Les grues habitent pendant 
une grande partie de l’année les contrées septen- 
trionales, où elles se nourrissent de plantes, de 
graines et surtout de reptiles et de petits animaux 
recouverts de téguments peu solides. Quand l’hi- 
ver glace les étangs et les rivières, et suspend 
toute végétation, les grues sont obligées de quit- 
ter leur patrie pour aller sous un ciel moins 
rigoureux, chercher les substances dont elles se 
nourrissent. Elles voyagent en troupes assez 
nombreuses, et dans leur vol élevé elles forment 
un angle dont le sommet semble être d’abord oc- 
cupé par le chef de la bande. Comme cette posi- 
tion est très-fatigante à cause des efforts con- 
tinuels que nécessite l’action de fendre lair, 
chaque individu occupe cette place à son tour. 
Dans leur vol, elles font entendre un eri si per- 
çant qu'on l’entend souvent sans les apercevoir ; 
ce Cri parait être une espece de réclame pour 
s'appeler mutuellement, car on observe qu’il est 
répété avec une régularité parfaite. Il faut re- 


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DES OISEAUX. AA 


marquer que ces oiseaux ne volent guère que 
pendant la nuit, parce que le jour ils s’abattent 
dans les plaines découvertes , où ils vivent de 
graines , d'herbes , d'insectes et de reptiles. En 
général, ils se rassemblent pour dormir la tête 
sous l'aile, et on assure qu’alors l’un d’eux veille 
toujours la tête haute pour avertir ses compa- 
gnons, par un eri d'alarme, si quelque danger 
les menace. Les grues remontent vers le Nord au 
commencement des beaux jours, et y nichent 
dans les jones, les bruyères, quelquefois sur les 
vieux murs et les tours démantelées. On rencontre 
assez souvent en France la grue commune , haute 
de quatre pieds, cendrée, à gorge noire, à som- 
met de la tête nu et rouge, et à plumes noires et 
crépues relevées sur les parties coccygiennes. 
L'oiseau royal ou grue couronnée est d’une 
taille svelte, aussi haute que le précédent , et re- 
marquable par une touffe de plumes effilées qui 
couronnent agréablement le sommet de la tête. 
Ce bel oiseau , dont la voix ressemble au son écla- 
tant d’une trompette , nous vient de la côte ocei- 
dentale d'Afrique, où il est souvent élevé dans les 
cases et s’y nourrit de grains. Dans l’état sauvage, 
il fréquente les lieux inondés et y prend de petits 
poissons. 


LES HÉRONS. 


Les hérons ont pour caractère spécial le bec 
fort, et fendu jusque sous les yeux ; les jambes 
sont écussonnées, les doigts assez longs, et l’on- 
gle de celui du milieu tranchant et dentelé sur le 
bord interne. Ces oiseaux vivent sur le bord des 


149 HISTOIRE NATURELLE 


rivières, des lacs et des marais, et se nourrissent 
principalement de poissons, de grenouilles, de 
mollusques et d'insectes. Souvent on les voit im- 
mobiles sur le bord des eaux, le corps droit, le 
cou replié et la tête presque cachée entre les 
épaules, et leur aspect semble indiquer un mé- 
lange de tristesse et de stupidité. On connait un 
grand nombre d'espèces appartenant à ce genre 
qu'on ne peut distinguer que par quelques détails 
de plumage. 

Le héron commun est un grand oiseau gris- 
bleuâtre, avec le devant du cou blane, parsemé 
de larmes noires, et l'occiput orné d'une huppe 
noire. Son corps est grêle, ses ailes très-grandes 
et fort concaves , et son vol si puissant, que sou- 
vent la hauteur à laquelle il s'élève le rend invi- 
sible à nos yeux. Pendant le jour il se tient isolé 
et à découvert sur le bord des eaux dans l'attente 
de sa proie. La nuit il se retire dans les bois de 
haute futaie du voisinage, et en revient avant le 
jour. Il place, en général, son nid sur le sommet 
des arbres les plus élevés, et pond trois ou quatre 
œufs d’un beau vert de mer. On le trouve en Europe 
et dans plusieurs autres parties du monde, mais 
il n’est jamais commun dans les lieux habités. 
Dans certaines contrées 1} est stationnaire, tandis 
qu'il ne parait dans d’autres qu’à l'époque de ses 
migrations. On connait encore le héron pourpré, 
la grande aigrette et la pelite‘aigrelte, célèbres 
par les jolies plumes qu’elles fournissent pour 
orner avec tant de grâce la tête des dames et les 
chapeaux des guerriers. 

On range dans ce genre le butor d'Europe, 
assez grand oiseau, fauve-doré, tacheté et poin- 


p. 122 V'Aigrette, 


PL 
ST 


le Cigogie. 


DES OISEAUX. 143 


tillé de noirâtre, qui se tient ordinairement dans 
les roseaux, d’où il fait entendre une voix terrible; 
dans l’état tranquille, sa position est très-singu- 
lière , il tient son bec verticalement levé vers le 
ciel. 


LES CIGOGNES. 


Parmi les oiseaux de rivage, l’espèce de la 
cigogne est la plus célèbre, quoique d’autres 
l’'emportent beaucoup sur elle par létendue des 
régions qu'elles occupent, et par le nombre d’in- 
dividus qui les composent. Le nom de la cigogne 
est consacré par des proverbes, des expressions 
populaires, des fables que tout le monde sait, des 
comparaisons qui se reproduisent fréquemment. 
Quoique cet oiseau devienne rare dans certains 
pays, il est un de ceux dont on parle le plus sou- 
vent, et dont on parlera longtemps encore après 
son entière disparition, s’il doit cesser de fré- 
quenter les lieux qu'il habite encore aujourd’hur. 
Comme c’est des eaux qu'il tire une grande partie 
de sa subsistance, il lui faut des parages mariti- 
mes ou des rivières, des étangs, des marais; une 
culture bien dirigée lui enlève une partie des res- 
sources dont 1l ne peut se passer. Il n’y a point de 
clgognes en Angleterre; elles abondent en Hol- 
lande, et sont plus rares en France, surtout dans 
les départements dont le territoire est entièrement 
desséché ; il parait que le milieu de l'Europe leur 
convient mieux que la France, car on les y trouve 
en bien plus grand nombre. Ce sont des oiseaux 
de passage qui se rapprochent du Nord lorsque la 
température de l’air y est un peu réchauffée, et qui 


AAA HISTOIRE NATURELLE 


retournent vers le midi longtemps avant que les 
froids puissent les atteindre. 

Ce genre renferme deux espèces bien distinctes 
par une opposition de mœurs aussi remarqua- 
ble que celle de leurs couleurs ; la première 
est blanche et la seconde noire ; la blanche est 
beaucoup plus répandue, ne fuit pas l’homme, 
s'établit volontiers près des habitations, pose son 
nid sur les édifices, chasse aux limaces et aux 
reptiles dans les jardins, prend du poisson dans 
les rivières sous les yeux des pêcheurs; partout 
elle est bien reçue et protégée. 

La cigogne noire est d’une humeur contraire ; 
elle n’approche point de nos demeures, cherche 
des retraites solitaires, pénètre dans les forêts, se 
perche sur les arbres. Quoique dans lune et lau- 
tre espèce la forme, la grandeur et la nature des 
aliments soient absolument les mêmes, la pre- 
mire jouit des avantages de la sociabilité et d’une 
sorte de civilisation. 

Les mœurs aimables de ces oiseaux, observées 
par les Orientaux, et les services qu'ils leur ren- 
dent en les débarrassant des animaux immondes 
et nuisibles qui pullulent dans les pays chauds, 
leur ont mérité une sorte de respect et de recon- 
naissance, qui leur donne une sécurité à l’abri de 
tout péril. 

Vers le temps du retour dans les pays chauds, 
les préparatifs du départ sont bruyants et en quel- 
que sorte solennels; les bandes se forment et 
s’exercent, des évolutions s’exécutent, et enfin les 
troupes émigrantes s'élèvent si haut dans les airs, 
qu'on les perd de vue; dès que le signal du dé- 
part est donné, un grand silence règne partout. 


DES OISEAUX. 145 


Parmi les espèces étrangères, on remarque sur- 
tout les cigognes à sac, ainsi nommées à cause 
de l’appendice charnu qui est suspendu sous le 
milieu du cou; leur bec est encore plus gros que 
celui des autres cigognes. Ces oiseaux sont d’une 
laideur extrême, et semblent porter dans tout leur 
extérieur la marque d’une stupidité décidée. Ils 
nous fournissent cependant ces beaux panaches 
si légers que l’on appelle marabouts, formés de 
plumes déliées placées sous l'aile. On connait deux 
espèces de ces cigognes; l’une vit dans l'Inde et 
l’autre au Sénégal. 


L'IBIS. 


Les ibis sont faciles à reconnaitre, au premier 
conp d'œil, à leur tête dénuée de plumes, à leur 
bec long et légèrement arqué, et aux légères pal- 
mures qui se trouvent entre tous les doigts. Ils 
sont tous d'assez grande taille, et partagent le ré- 
gime que la nature semble avoir donné à tous les 
échassiers ; leur nourriture ordinaire consiste en 
vers, mollusques et autres animaux inférieurs, se 
développant dans les endroits humides. L’anti- 
quité a beaucoup jeté de traits fabuleux dans 
l’histoire qu’elle nous a laissée des mœurs et des 
habitudes de l’ibis. L'espèce la plus célèbre est 
l’ibis sacré, que les anciens Égyptiens honoraient 
d’un respect tout spécial. Ces peuples supersti- 
tieux lui avaient même accordé les honneurs di- 
vins, el après avoir brûlé de l’encens en son hon- 
neur dans les temples où on l’élevait, on lui 
rendait après sa mort les mêmes devoirs qu'aux 
autres animaux sacrés, on l’embaumait avec tou- 


446 HISTOIRE NATURELLE 

tes sortes de précautions, et on le déposait dans 
les souterrains situés au-dessous des édifices re- 
ligieux. C’est ainsi que nos collections en possè- 
dent qui ont été momifiés et conservés dans les 
nécropoles de la Thébaide. C’est à l'aide de ces 
ibis antiques que M. Cuvier a pu déterminer po- 
sitivement quelle était la véritable espèce qui jadis 
reçut les honneurs divins. Cet oiseau est de la taille 
d’une poule, à plumage blanc, excepté le bout 
des pennes alaires, qui est noir. On trouve en 
Amérique l’ibis rouge, d’une belle couleur pour- 
prée, qu'on à confondu longtemps avec l’espèce 
d'Égypte; en Europe nous possédons l’ibis vert, 
que les anciens appelaient bis noir. 


LA BÉCASSE. 


Les bécasses sont des oiseaux très-répandus , 
et que tout le monde connait. Leur plumage est 
gris rayé de brun, et leur tarse court, comparé 
aux types principaux de l’ordre auquel elles ap- 
partiennent. Deux gros yeux très-saillants et pla- 
cés fortement en arrière leur donnent une phy- 
sionomie singulitrement stupide, que du reste 
leurs habitudes ordinaires sont loin de démentir. 
Ces oiseaux se trouvent dans les bois ou dans les 
plaines marécageuses, où ils cherchent, pour 
en faire leur nourriture, les vers, les larves, les 
limaces, et d’autres animaux à téguments mous. 
La plupart ont des goûts voyageurs , émigrent 
presque sans cesse, tandis que quelques autres 
espèces sont sédentaires. Pendant les beaux jours, 
les bécasses remontent vers le nord , ou se reti- 
rent dans les montagnes; pendant l'hiver, elles se 


Re ra NN A 


les Bécesses. 


le Jacana. 


DES OISEAUX. AAT 
dirigent vers des climats plus méridionaux , ou 
descendent dans les plaimes et les prairies. On 
leur fait partout une chasse très-active, parce que 
leur chair forme un mets très-recherché. Nous 
avons en France quatre espèces de ce genre, la 
bécasse commune, la double bécassine , presque 
de la taille de la bécasse, la bécassine ordinaire , 
de la grandeur d’un merle, et la sourde ou la pe- 
tite bécassine, qui est encore moins grande. 


LES TOURNE-PIERRES. 


Aux mœurs ordinaires que nous avons déjà ob- 
servées chez presque tous les échassiers, ceux-ci 
joignent la singulière habitude de tourner toutes 
les pierres qui se rencontrent en leur chemim 
pour y chercher des larves, ou les insectes par- : 
faits, qui ont coutume d'y chercher un refuge. 
Ces oiseaux fréquentent les bords des eaux et 
les prairies souvent inondées. On n’en connait 
qu'une seule espèce plus commune dans les ré- 
gions voisines du pôle septentrional, mais qui 
vient assez souvent sur nos côtes. 


LES POULES D'EAU. 


Les poules d’eau ont les doigts fort longs et 
garnis d’une bordure très-petite. On les voit sou- 
vent à terre; mais elles vivent en général sur les 
eaux dormantes. Elles nagent et plongent très- 
bien; pendant le jour elles restent cachées au 
milieu des roseaux, et ne se hasardent à la chasse 
que le soir et la nuit ; leur vol n’est ni élevé, ni 
rapide, ni soutenu; enfin leur nid est composé 


148 HISTOIRE NATURELLE 


de jones grossièrement entrelacés, et lorsque la 
mere est obligée de quitter ses œufs pour cher- 
cher sa nourriture, elle les couvre avec des brins 
d'herbe; les petits courent dès qu’ils sont éclos. 
Notre poule d'eau commune est répandue dans 
presque toute l'Europe, et ne parait pas différer 
spécifiquement de celle qu'on trouve en Afrique, 
en Amérique, etc.; elle est d’un brun foncé des- 
sus, gris d’ardoise dessous, avec du blanc aux 
cuisses , au ventre et au bord de l'aile. En automne 
elle quitte les pays montueux et froids pour des- 
cendre dans les plaines basses. 


LES FLAMANTS. 


On voit quelquefois, mais non tous les ans, ar- 
river sur les côtes de nos provinces méridionales 
un oiseau, le plus grand de tous ceux qui visitent 
la France, et le plus remarquable, pent-être, de 
tous ceux qui y viennent de leur plein gré, par : 
la bizarrerie de ses formes et par l'éclat de son 
plumage. Le bec de cet oiseau est singulièrement 
conformé en soc de charrue, et lui sert à labou- 
rer le limon des plages en cherchant les insectes et 
les mollusques dont il se nourrit. | 

Les flamants sont, par leur organisation, sé- 
parés de la manière la plus tranchée des oiseaux 
auprès desquels ils ont été placés dans les classi- 
fications ornithologiques. En raison de la nudité 
de leurs jambes et de la longueur de leurs tarses, 
on les a fait entrer dans l’ordre des échassiers ; 
mais la disposition de leur bec, présentant quel- 
ques rapports d’analogie avec celui des canards, 
et surtout les larges membranes qui réunissent 


148 


D. 


le Pluvier à collier d'or. 


DES OISEAUX. 4149 


les doigts entre eux, pourraient, avec peut-être 
plus de raison, les faire ranger parmi Îles palmi- 
pèdes, que nous allons étudier bientôt. En con- 
servant la distribution zootechnique de la plu- 
part des ornithologistes , nous voyons dans ce 
genre une transition parfaite entre cet ordre et le 
suivant. 

Les flamants vivent de coquillages, du frai des 
poissons et d'insectes. Pour se saisir de leur nour- 
riture, ils appuient la partie plate de la mandi- 
bule supérieure sur la terre, et remuent en même 
temps leurs pieds, afin de porter dans leur bec 
avec le limon, la proie que la dentelure de ce bec 
sert à y retenir. Ils vivent en troupes nombreuses, 
et ont l’habitude d'établir des sentinelles pour 
la sûreté commune; soit qu'ils se reposent ou 
qu'ils pêchent, l’un d'eux est toujours en vedette, 
la tête haute ; si quelque danger menace la sûreté 
commune , 1l pousse le cri d'alarme qui s'entend 
de très-loin et qui fait fuir toute la troupe. 

Les anciens avaient nommé cet oiseau le phé- 
nicoptére, à cause de la belle couleur de pourpre 
qui revêt toutes ses plumes; et ils avaient placé 
sa langue au nombre des mets les plus délicats. 
Les historiens rapportent que l’empereur Hélio- 
gabale entretenait constamment des troupes char- 
gées de lui procurer en abondance des langues 
de flamant. La chair de l'oiseau conserve un goût 
de marécage assez désagréable, et n’a jamais été 
recherchée pour la table. 

L'espèce commune, le flamant rose, est haut 
de trois à quatre pieds. Dans le jeune âge le plu- 
mage est cendré; 1l prend du rose aux ailes à la 
seconde année; enfin à trois ans une belle couleur 

7 


450 HISTOIRE NATURELLE 


de pourpre teint toute la région dorsale, tandis 
que les ailes demeurent roses. Les pennes des 
ailes sont noires, le bec jaune et noir au bout, 
les pieds bruns. On connait quelques autres es- 
pèces, telles que le phénicoptére à manteau de 
feu, le petit phénicoptère , qui n’ont rien de parti- 
culier dans leurs habitudes. 


XSL ESX 
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SIXIÈME ORDRE DES OISEAUX, 


LES PALMIPÉDES. 


Les palmipèdes forment un des ordres le mieux 
circonscrits et le plus nettement caractérisés de 
l’ornithologie. Nous n’aurons pas à voir dans cette 
classe des espèces très-éloignées par la nature de 
leur organisation, mal à propos rapprochées par 
les théories des classificateurs. Tous ces oiseaux 
ont pour caractère général d’avoir les doigts réu- 
nis par de larges membranes et les pieds placés 
à la partie postérieure du corps. Ces circonstances 
favorisent extrêmement la natation, et font de ces 
oiseaux de parfaits nageurs, et on pourrait dire 
avec plus de raison encore, de parfaits navigateurs. 
Leur corps, en général, conformé inférieurement 
comme la carène d’un navire, leurs pattes aplaties 
comme des rames, leur cou avancé qui fend les 
flots comme la proue d’un vaisseau, tout indique 
le but et les intentions du créateur. En outre, les 


DES OISEAUX. 151 


palmipèdes ont un plumage ferme, serré, lustré, 
imbibé d’un sue huileux qui le rend imperméable 
à l’eau, et qui protège puissamment le corps contre 
les variations de l’atmosphère et ia température 
souvent très-basse des eaux. 

On peut regarder l’eau comme l'élément des 
palmipèdes ; c’est dans son sein en effet qu'ils 
cherchent leur nourriture, et à sa surface qu'ils 
passent la plus grande partie de leur vie. Is ne 
s'en écartent un peu que pour faire leur ponte, 
et encore ont-ils la précaution de ne pas trop s’é- 
loigner de leur séjour favori. Leur nid est placé 
dans les jones, les grandes herbes qui croissent 
sur les plages humides, les fentes des rochers 
qui avoisinent le rivage, et ils ont soin d’en gar- 
nir attentivement l’intérieur d’un duvet moelleux, 
que leur courageux instinct d'amour leur fait ar- 
racher de dessous leur corps. C’est dans ces nids que 
l'on recueille en abondance le précieux édredon 
que l’eider prodigue dans le berceau de sa jeune 
postérité. 

On remarque que généralement les palmipèdes 
ont un long cou qui se balance avec grâce au- 
dessus des flots qu’ils traversent en se jouant. On 
y compte un très-grand nombre de vertèbres 
cervicales, tellement articulées les unes avec les 
autres, que les deux mouvements de flexion et 
d'extension ne sont nullement gènés. Cette par- 
tie a pris chez ces oiseaux un développement si 
considérable pour que l’animal pût attemdre dans 
la profondeur des eaux les larves d'insectes aqua- 
tiques qui s’y dévelcppent et les autres aliments 
dont il se nourrit. 

On divise cet ordre en quatre grandes familles : 


152 HISTOIRE NATURELLE 
les brachyptères, les longipennes, les totipalmes 
et les Lamellirostres. 


(62 
re FAMILLE DES PALMIPÈDES. 


LES BRACHYPTÈRES. 


Les oiseaux de cette famille sont encore plus 
nécessairement aquatiques que tous les autres; les 
modifications profondes de leur organisation leur 
rend le séjour des eaux tout à fait indispensable. 
La disposition de leurs pattes si favorable pour 
la natation, les empêche de pouvoir marcher fa- 
cilement à terre, et ces pattes sont implantées tel- 
lement à la partie postérieure du corps, que, 
quand ils veulent en faire usage, ils sont obligés 
de prendre la station verticale. D'ailleurs le séjour 
habituel qu’ils font sur les eaux rend leurs pale 
mures si impressionnables, qu'ils trébuchent aux 
moindres inégalités du sol et qu'un vent un peu 
violent les culbute à chaque pas. Mais quand ils 
sont sur leur élément, leurs mouvements ont une 
aisance et une facilité qu'on ne trouve pas même 
dans le cygne, le pélican, etc. 

Is nagent à la surface et plongent avec une agi- 
lité si extraordinaire, qu'on prétend qu'ils échap- 
pent au plomb mis en mouvement par la poudre, 
en plongeant aussitôt qu’ils ont aperçu la lumière 
du fusil. 

Ces oiseaux ont été ainsi nommés à cause de 
l'excessive brièveté de leurs ailes, qui les empêche 


_ 


DES OISEAUX. 153 


de se soutenir longtemps dans l'air, et même qui 
- les empêche quelquefois de pouvoir se soulever. 


LES GRÈBES. 


Les grèbes semblent se rapprocher des poules 
d’eau par la disposition des palmures festonnées 
des doigts. Ces oiseaux passent leur vie sur les 
lacs et les étangs, et on les voit rarement sur les 
bords de la mer; ils préfèrent la tranquillité des 
eaux douces à la perpétuelle mobilité de l’onde 
amère ; on ne les y observe que momentanément 
dans leurs migrations. Pendant leurs voyages, ils 
nagent continuellement sur toutes les eaux qui 
coulent dans la direction qu'ils ont choisie, leurs 
ailes ne leur servent qu’à faciliter et à accélérer 
leur natation. Leur plumage est tellement serré et 
lustré, qu'il a presque l'éclat de l'argent , surtout 
à la gorge, et comme tout leur corps est immé- 
diatement recouvert d'un duvet très-épais, il est 
très-peu sensible aux différentes variations de la 
température extérieure. On leur fait une chasse 
active, non point à cause de leur chair qui con- 
serve toujours un goût huileux et désagréable, 
mais à cause de leurs plumes argentées qui ser- 
vent à faire de légères fourrures, comme des pa- 
latines. 

Les grèbes sont beaucoup plus communs dans 
les contrées tempérées que dans les climats méri- 
dionaux et septentrionaux; 1ls vivent d'insectes, 
de mollusques, de plantes aquatiques. Ils con- 
struisent leur nid au milieu des jones, ont soin de 
l’attacher solidement , et le laissent flotter sur les 
eaux. 


454 HISTOIRE NATURELLE 


Nous possédons en France quatre espèces de ce 
genre: le grébe huppé, le grèbe cornu, le jou- 
gris et le castagneux. 


LES PLONGEONS. 


Les plongeons suivent très-bien les précédents 
dans une transition naturelle: comme les grèbes, 
leur plumage est serré et lustré, leurs pattes sont 
fortement reculées en arrière; mais la palmure 
des doigts non interrompue et bien entière suffit 
pour les trancher nettement. La disposition de ces 
organes, tout en facilitant la natation, favorise 
Surtout l’action de plonger, et leur a fait donner 
le nom qu’il portent en français. Ils ne quittent 
jamais l’eau , et se dérobent à nos regards en S'y 
plongeant tout entiers ; de temps en temps ils 
montrent seulement la tête au-dessus des flots pour 
satisfaire au besoin de la respiration. Ils ont som 
de placer leur nid dans les fentes des rochers les 
plus inaccessibles, et le plus près possible des 
eaux, pour s’y réfugier en cas de surprise. Ces o1- 
seaux sont très-maladroits à marcher sur la terre ; 
ils se soutiennent avec leurs ailes , ce qui ne les 
empêche pas de tomber souvent à plat ventre, 
surtout quand on les poursuit. 

Les plongeons se nourrissent de poissons, de 
mollusques, de reptiles, de petits crustacés et de 
larves aquatiques. Ils sont plus nombreux dans le 
nord que dans les autres contrées, où ils ne pa- 
raissent qu'à l’époque de leurs migrations an- 
nuelles. 

On connait trois espèces de ce genre : le grand- 
plongeon , le lumme ou moyen-plongeon, et le 
cat-marin ou petit-plongeon. 


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la Sartelle. 


DES OISEAUX. 455 
LES PINGOUINS, 


Avec les dispositions organiques des premiers 
palmipèdes, les pingouins ont un bee modifié 
d’une manière extraordinaire et le plus singulier 
que l’on connaisse ; il est excessivement déprimé 
latéralement, et devient tranchant sur le dos pres- 
que comme une lame de couteau. Du reste, les 
pingouins sont de beaux oiseaux aquatiques, à na- 
tation puissante , à mœurs libres et sauvages ; ils 
ne paraissent que rarement à terre comme les 
précédents , et font leur nourriture de tous les ani- 
maux inférieurs qui se développentau sein des eaux. 


LES MANCHOTS,. 


Ce sont de tous les palmipèdes les plus curieux 
par les modifications que leurs habitudes aquati- 
ques ont fait éprouver aux organes de locomotion 
aérienne. Ce sont encore les oiseaux les plus né- 
cessairement aquatiques ; leurs pieds largement 
palmés, et leur plumage extrêmement abondant, 
favorisent parfaitement leurs goûts, mais leurs 
ailes modifiées profondément en espèces de na- 
geoires ou de rames puissantes les aident singu- 
lHièrement à fendre la surface des eaux dans tou- 
tes les directions. Au lieu de plumes normalement 
développées, on ne voit sur les ailes que des es- 
pèces d’écailles destinées à préserver la peau 
de l'effet du contact perpétuel de l’eau. Rien de 
plus singulier que l'aspect et la physionomie de 
ces grands oiseaux du nord. Ils ne peuvent mar- 
cher sur la terre que dans une position entière- 


456 HISTOIRE NATURELLE 


ment verticale, et ils le font de la manière la plus 
gauche qu'on puisse imaginer. Du reste ces ma- 
nières ne démentent pas leurs qualités instinc- 
tives ; ce sont des oiseaux stupides qu’on rencontre 
par bandes immenses dans les îles désertes des 
mers antarctiques au moment de Ja ponte. A cette 
époque, 1ls abandonnent la mer par troupes in- 
nombrables, et se mettent à circonscrire un grand 
espace carré qu’on appelle camp. Is choisissent 
une position avantageuse et un terrain bien nivelé 
pour qu'ils puissent ÿ marcher facilement et sans 
douleur. La quantité de manchots qui viennent 
ainsi déposer leurs œufs dans ce vaste carré est 
tellement considérable , au rapport des voyageurs 
et des matelots , qu’on a pu charger plusieurs cha- 
loupes de ces œufs. 

Les principales espèces de ce genre sont: le 
grand-manchot , le gorfou sauteur , et le sphénis- 
que du Cap. 


SH 


Ie FAMILLE DES PALMIPÉDES. 
LES LONGIPENNES. 


Quoique les longipennes nous offrent une orga- 
nisation du membre antérieur bien développée, ils 
sont néanmoins attachés aux eaux de même qne 
les brachyptères. Mais au lieu de fendre toujours 
les flots et de consumer avec monotonie leur exis- 
tence sur la surface de la mer, ils aiment à par- 
courir l'immense étendue de l'Océan et à se trans- 


ks Manchots. 


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DES OISEAUX. 457 


porter constamment à des distances considérables 
des plages habitées. Le grand développement des 
 pennes alaires et la belle disposition des rectrices, 
leur rend le vol très-facile et leur a fait donner par 
les marins le nom de grand-voiliers. Bien diffé- 
rents des brachyptères qui ne peuvent résister aux 
mouvements des flots, les longipennes semblent 
braver l’inconstance et la fureur de cet élément 
terrible qui fait pàlir l’homme le plus intrépide. 
C’est pour cela que les navigateurs leur ont encore 
donné le nom d'oiseaux de tempête. 

Les deux genres les plus remarquables sont 
les pétrels et les mouettes. 


LES PÉTRELS. 


Les pétrels se distinguent des autres palmipè- 
des par leur bec crochu , leurs narines réunies 
en un tube couché sur le dos de la mandibule su- 
périeure, et par leur pied qui n’a point de pouce, 
mais simplement un ongle implanté dans le talon. 
Les pétrels sont de tous les oiseaux ceux qui se 
rencontrent le plus loin des terres dans toutes les 
parties du vaste Océan. Partout où l’homme a pu 
pénétrer, sous toutes les latitudes, dans les mers 
les plus pacifiques comme dans les mers les plus 
orageuses et les plus terribles, partout il a ren- 
contré les pétrels qui semblaient se jouer des périls 
de la tempête. Quand ils sont fatigués d’une action 
trop longtemps prolongée, ils descendent à la 
surface de la mer, sur laquelle ils semblent mar- 
cher et courir à l’aide de leurs pieds largement 
palmés. Ils nichent dans les fentes des rochers 
les plus inaccessibles, sur les écueils les plus 


458 HISTOIRE NATURELLE 


inabordables, et 1l est d'autant plus dangereux 
de venir les inquiéter dans leurs retraites qu’au 
moment où l’on parvient à la hauteur de leur re- : 
fuge , ils lancent aux yeux de l’observateur impru- 
dent un liquide huileux qu’ils ont toujours en ré- 
serve, et qui, l’aveuglant momentanément, peut 
le faire tomber sur les pointes des rochers qui hé- 
rissent cesendroits de toutes parts. Ces oiseaux sont 
peu féconds; ils ne pondent, dit-on, jamais qu'un 
œuf. Cette observation ne peut s'appliquer qu'aux 
espèces qu’on à pu considérer et étudier plus fa- 
cilement. 

Les espèces les plus remarquables sont: le pé- 
trel géant ou briseur d'os, le pétrel du Cap ou 
damier; nous voyons quelquefois sur nos côtes 
le pétrel gris-blanc ou falmar, appelé encore 
quelquefois pétrel de Saint-Kilda , qui va nicher 
sur les côtes escarpées des îles britanniques et 
de tout le nord. 


LES MOUETTES OU GOÉLANDS. 


Les mouettes ont le bec allongé, pointu, et 
simplement arqué vers le bout; leurs doigts sont 
entièrement palmés , le pouce est libre et réguliè- 
rement développé. Ces oiseaux sont voraces et 
criards ; on peut les regarder comme les vautours 
de la mer; ils la nettoient des cadavres de toute 
espèce qui flottent à sa surface ou qui sont rejetés 
sur ses rivages. Aussi lâches que gourmands, ils 
n’attaquent que les animaux faibles, et ne s’achar- 
nent que sur les cadavres. Leur naturel sangui- 
naire et leur gloutonnerie insatiable, secondés 
par la force de leur bec, trouvent un sujet de dis- 


DES OISEAUX, 459 


pute dans la moindre proie que le hasard leur 
présente. On les voit se battre avec acharnement 
entre eux pour la eurée, et même lorsqu'ils sont 
renfermés et que la captivité aigrit leur caractère 
féroce, ils se blessent sans motif apparent, et le 
premier dont le sang coule devient la victime 
desautres. Cet excès de cruauté ne convient guère 
qu'aux grandes espèces; mais toutes, grandes et 
petites, étant en liberté, s’épient, se guettent sans 
cesse pour se piller et se dérober réciproquement 
leur nourriture Le poisson frais ou gâté, la chair 
sanglante, récente ou corrompue , les écailles , les 
os même, tout se digère et se consume dans leur 
estomac toujours avide; 1ls avalent l’amorce et le 
bamecon, et se précipitent avec tant de violence, 
qu'ils s’enferrent eux-mêmes sur une pointe que le 
pêcheur place sous le hareng ou la pélamide qu’il 
leur offre en appât. 

Les mouettes se réunissent ordinairement en 
grandes troupes sur les bords de la mer; là elles 
attendent que le flot rejette sur le rivage les ca- 
davres qui font leur nourriture. Quelquefois ee- 
pendant elles s’éloignent des côtes, et à l’aide de 
leurs ailes longues et puissantes elles s’écartent 
jusqu’à cent lieues en pleine mer. D’autres fois aussi 
elles suivent en pêchant le courant des fleuves. 
On en rencontre ainsi quelquefois en Touraine 
qui remontent la Loire et qui s’écartent ensuite 
du fleuve en suivant les sinuosités des ses affluents 
nombreux. 

On à donné le nom de goélands aux espèces les 
plus grandes, comme le goéland bourgmestre , 
le goéland à manteau noir, et on a réservé celui 
de mouettes où de mauves aux espèces plus pe- 


160 HISTOIRE NATURELLE 


tites, comme la mouette blanche, la mouette à 
pieds bleus , la mouette à capuchon noir. Toutes 
ces espèces sont nombreuses sur nos côtes. J'ai 
eu occasion d’en observer des légions innombra- 
bles sur les rochers à fleur d’eau qui bordent 
l'Océan. 


CRIS RO 


He FAMILLE DES PALMIPÉDES. 


LES TOTIPALMES. 


Les oiseaux qui composent cette famille sont 
les palmipèdes par excellence , car ceux que nous 
avons examinés jusqu'à présent ont le pouce libre, 
tandis que chez ceux-ci la membrane qui s'étend 
entre tous les doigts par un développement parti- 
culier, embrasse encore le pouce. Leur patte 
forme par conséquent une rame plus parfaite et 
plus étendue, mais par une habitude singulière 
avec une semblable organisation, ils sont les seuls 
qui perchent sur les arbres. Tous d’ailleurs ont 
les ailes bien développées, l'énergie musculaire 
considérable , et sont bons voiliers. Les genres 
principaux sont les pélicans, les cormorans et 
les frégates. 


PÉLICANS. 
Les pélicans sont très-connus de tout le monde 


à cause de la fable qui en fait l'emblème de la- 
mour maternel et du sacrifice entier de soi. On 


DES OISEAUX. 461 


croyait anciennement que le pélican se perçait la 
poitrine pour nourrir ses petits de son sang ei 
leur donner ainsi une seconde fois la vie. Mais 
ces récits fabuleux ont disparu, comme bien d’au- 
tres, devant l'observation exacte de la nature. Les 
naturalistes modernes , en tombant dans une er- 
reur opposée, ont avancé que le pélican ne ma- 
nifestait pour ses petits qu’une tendresse douteuse, 
et que même quelquefois il les abandonnait au 
ravisseur sans chercher à les défendre. 

Il est facile de connaitre les pélicans aux ca- 
ractères suivants. On trouve à la base du bec un es- 
pace dénué de plumes; leurs narines sont des fentes 
dont l’ouverture est à peine sensible. La peau de 
leur gorge est plus ou moins extensible, et leur 
langue fort petite. Leur bec est remarquable par 
sa grande longueur, sa forme droite, son apla- 
tissement longitudinal et le crochet qui le ter- 
mine; enfin la mandibule inférieure est compo- 
sée de deux branches flexibles qui soutiennent 
une membrane nue et dilatable ou un sac assez 
volumineux. 

Le pélican ordinaire, auquel on a donné en- 
core le nom d’onocrotale , à cause de son cri 
rauque qu’on à comparé au braiment de l’âne, 
est un grand oiseau de cinq ou six pieds de long, 
et ses ailes déployées présentent une envergure 
de douze pieds. Dans le jeune âge il_est plus ou 
moins blanc , et prend plus tard du noir aux ré- 
miges et du rouge au bec. Il vole fort bien et s’é- 
lève quelquefois très-haut, mais en général il se 
balance seulement au-dessus des eaux , attendant 
sa proie pour se précipiter dessus avec la rapidité 
d’une flèche. On assure que les pélicans se réu- 


162 HISTOIRE NATURELLE 


nissent quelquefois en troupes pour pêcher de 
concert. Souvent ils conservent le produit de leur 
travail dans la poche membraneuse située au-des- 
sous du bec, et vont ensuite le partager avec leurs 
petits, ou le digérer plus à l'aise sur quelque pointe 
de rocher ou dans quelque réduit solitaire. 
Quand la pêche est facile et abondante, ces oi- 
seaux sont tellement voraces qu'ils se gorgent 
entièrement de nourriture, et tombent dans une 
espèce de torpeur et de léthargie dont ils ne sor- 
tent que quand le travail digestif est terminé. 

Il parait que, malgré ses mauvaises habitudes, le 
pélican peut sentir la puissante action de l’homme 
et s’apprivoiser. On dit même qu'on peut en tirer 
parti pour Ja pêche, en lui attachant un anneau 
autour du cou pour l'empêcher d’avaler le pois- 
son qu’il rapporte à son maitre dans le sac qu'il a 
sous le bec. Les Chinois , dit-on, s’en servent 
souvent pour cet usage. 

Le pélican ordimaire est commun dans les par- 
ties orientales de l’Europe , mais abonde surtout 
en Afrique. Il se trouve aussi en Asie et en Amé- 
rique. 


LES CORMORANS. 


Le plus ancien des naturalistes, Aristote, dans 
son histoire des animaux , donne à cet oiseau le 
nom de corbeau aquatique, hydrocoraæ, qui lui 
a été conservé par Pline le naturaliste. I semblerait 
que la même idée aurait donné naissance au nom 
du cormoran, formé par corruption de corbeau 
marin. Du reste cette dénomination des anciens 
et l'appellation vulgaire ne manquent nullement 


DES OISEAUX. 163 


de justesse, car le cormoran a tout le corps d’une 
couleur très-sombre, et qui se rapproche beau- 
coup de celle du corbeau. Les cormorans sont 
bons nageurs et poursuivent leur proie au sein des 
eaux avec une agilité et une vélocité incroyables. 
Cependant l’eau n’est pas tellement leur élément, 
qu'ils ne prennent souvent leur essor dans les airs. 
La disposition favorable de leurs ailes et la force 
musculaire de l'appareil pectoral, les rendent 
assez bons voiliers, et leur donnent la faculté de 
parcourir des espaces assez étendus. Ces oiseaux 
ont des rapports assez marqués dans leurs habi- 
tudes et leur régime avec ceux que nous venons 
d'examiner. Quand ils se sont repus abondam- 
ment, ils se tiennent immobiles, et comme dans 
une somnolence stupide, jusqu’à ce que le travail 
de la digestion soit entièrement achevé. C’est 
quand les cormorans sont plongés dans cet état 
d'inertie qui paralyse entièrement toutes leurs fa- 
cultés qu'ils sont quelquefois saisis par leurs en- 
nemis, Sans pouvoir opposer la moindre résis- 
tance. 

Les deux espèces les plus connues sont: le cor- 
moran ordinaire, de la taille d’une oie, et le 
nigaud où le petit Cormoran, d'une taille un peu 
moindre. Cette seconde espèce est plus rare que 
la première. 


LES FRÉGATES. 


Parmi tous les oiseaux que nous avons déjà exa- 
minés, les frégates sont ceux qui ont reçu dans leur 
plus grand développement les organes de locomo- 
tion aérienne, et les muscles moteurs les plus puis- 


164 HISTOIRE NATURELLE 


sants pour exercer leur action : aussi les frégates ne 
sont-elles point attachées péniblement aux sables 
du rivage, ntaux rochers des côtes qui les ont vues 
naître ; elles ont devant elles l’espace immense des 
airs et des mers. On les rencontre à des distances 
extrèmes des plages et des îles habitées. La lon- 
gueur excessive des pennes alaires et des pennes 
caudales, leur rend le vol très-facile , et on dirait 
que cet acte, qui demande des efforts, par consé- 
quent des fatigues, est leur état de prédilection et 
presque de repos. En effet, quand on les voit sur des 
mers inconnues se balancer gracieusement ou se 
précipiter avec la rapidité de l'éclair sur leur 
proie, on ne saurait s'empêcher de convenir que 
leur organisation semble tout à fait aérienne. C’est 
à cause de la facilité et de la vélocité de leur vol 
que les marins leur ont donné le nem de frégates. 
Ces oiseaux sont les ennemis déciarés des pois- 
sons-volants, et en détruisent un grand nombre 
en saisissant avec une dextérité merveilleuse ceux 
qui sortent de l’eau et qui se soutiennent en l'air 
à l’aide de leurs larges nageoires. On ne connait 
bien qu’une seule espèce de ce genre : la frégate 
commune, à plumage noir, plus ou moins varié 
de blanc sous la gorge. 


RERO 
IVe FAMILLE DES PALMIPÉDES. 
LES LAMELLIROSTRES. 


Les oiseaux qui composent cette famille sont 
ainsi nommés, parce que les deux mandibules de 


les Canards. 


p. 16 


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DES OISEAUX. 465 


leur bec sont aplaties dans toute leur étendue 
comme deux lames, et sont dentelées latéralement 
sur leurs bords; leurs ailes sont peu développées. 
Ces oiseaux sont bons nageurs, mais en général 
ne s’écartent pas à de grandes distances des côtes 
et des rivages. Ils aiment de préférence les eaux 
marécageuses et d’une profondeur peu considé- 
rable où leur bec puisse atteindre, dans la vase 
et le limon, les insectes et leurs laves qui s’y dé- 
veloppent. Leur régime n’est pas exclusivement 
insectivore, ils y joignent les graines et les herbes 
tendres. 

Les genres que cette famille nous présente à 
étudier sont: les cygnes, les oies, les canards, 
l’eider et les sarcelles. 


LES CYGNES. 


Le cygne, est sans contredit, le plus beau des 
oiseaux aquatiques; 1l nage avec une noblesse, 
une aisance et une grâce qui font plaisir à voir. 
Quand il a atteint un an, son plumage devient 
d’une blancheur si éclatante, qu'elle est devenue 
un terme de comparaison. 

Le cygne, qui peut avec autant de justice que 
bien d’autres se nommer le roi des oiseaux, fier 
de sa noblesse et de la force qu’il sait déployer, 
ne redoute aucun oiseau de proie; il les attend 
sans les provoquer, sans les craindre; il repousse 
leurs assauts en opposant la résistance de ses plu- 
mes qui sont très-fournies ; et les coups précipités 
d’une aile vigoureuse, qui lui sert, pour ainsi dire, 
de bouclier. Un vieux cygne domestique ne craint 
point dans l’eau l'attaque du chien le plus déter- 


466 HISTOIRE NATURELLE 


miné. Son coup d’aile pourrait casser la jambe 
d’un homme, tant il est prompt et violent. 

Cet oiseau, naturellement doux et pacifique, 
devient quelquefois féroce envers ses sembla- 
bles. Deux cygnes se battent avec acharne- 
ment; souvent un jour entier ne suffit pas pour 
terminer leur lutte. Le combat commence à grands 
coups d’aile, continue corps à corps, et souvent 
ne se termine que par la mort de l’un des deux. 

Ces oiseaux, d’une propreté exquise , font leur 
toilette tous les jours. On les voit arranger leur 
plumage, le lustrer, et prendre de l’eau avec leur 
bec pour se la répandre sur le dos, sur les ailes, 
avec un soin qui suppose le désir de plaire : aussi 
plaisent-ils à tous les yeux; on les aime, on les 
applaudit, on les admire. 

Nous en avons en Europe deux espèces : le cy- 
gne à bec rouge, et le cygne à bec noir. Le pre- 
mier, à l’état sauvage, habite les grandes mers 
de l’intérieur, surtout vers les contrées orientales 
de l’Europe. Le cygne à bec noir ressemble beau- 
coup au précédent, et se trouve dans les régions 
septentrionales des deux continents, d’où il émigre 
pendant les hivers trop rigoureux. 


LES OIES. 


Ces oiseaux ont le bec aussi long que la tête, 
les bouts des lamelles en garnissent le bord et y 
paraissent comme des dents pointues. Chez les 
Romains ils étaient mis au nombre des oiseaux sa- 
crés , en reconnaissance des services qu'ils avaient 
rendus à la république en éveillant Manlius quand 
les Gaulois assiégeaient les Romains réfugiés dans 


DES OISEAUX. 467 


le Capitole. Les autres peuples ne leur ont pas 
tant prodigué d’honneurs, ils en ont fait l'emblème 
de la stupidité, et s’ils les ont nourris en domes- 
ticité, ça été pour se nourrir de leur chair qui est 
un assez bon manger, et user de leur dépouille 
duvetée. On en élève un grand nombre dans nos 
provinces méridionales, et dans toutes les grandes 
villes de France il s’en fait une grande consom- 
mation. 

L’oie sauvage est maigre, de taille légère, et 
passe dans nos contrées dès la fin d’octobre ou les 
premiers jours de novembre. Son vol est très- 
élevé, sans bruit ni sifflement. Pour fendre Pair 
avec plus d'avantage et moins de fatigue, la troupe 
entière se range sur deux lignes obliques qui se 
réunissent , et forment un angle aigu. Le conduc- 
teur se place au sommet, et se fait remplacer 
dans son poste fatigant quand ses efforts l'ont 
épuisé. On estime leur chair meilleure que celle 
de l’oie domestique. 


LES CANARDS. 


Les canards sauvages, dont l'espèce est très- 
nombreuse, nous fuient constamment, se tien- 
nent sur les eaux, ne font, pour ainsi dire, que 
passer et repasser en hiver dans nos contrées, et 
s’enfoncent au printemps dans les régions du nord, 
sur les terres les plus éloignées de la présence de 
l’homme. Ils ont les plumes plus lisses et plus 
serrées que le canard domestique; le cou plus 
menu, la tête plus fine, les couleurs plus vi- 
ves, la forme plus élégante, plus légère, et dans 
tous leurs mouvements on reconnait la force, l’ai- 


168 HISTOIRE NATURELLE 
sance, la grâce, et l'air de vie que donne le sen- 
timent de la liberté. 

Les migrations de ces oiseaux paraissent ré- 
glées ; ils se montrent en France vers la moitié du 
mois d'octobre ; cette première bande parait être 
l'avant-garde, car en novembre on en voit arri- 
ver des quantités prodigieuses. 

En arrivant dans quelque contrée, ces ca- 
nards volent continuellement, et se portent d’un 
étang à un autre; Jamais ils ne se reposent sans 
avoir fait plusieurs circonvolutions sur le lieu où 
ils voudraient s’abattre, comme pour l’examiner, 
le reconnaitre et s'assurer s’il ne recèle aueun en- 
nemi. Lorsqu'enfin ils s’abaissent, c’est toujours 
avec précaution ; ils fléchissent leur vol et se lan- 
cent obliquement sur la surface de l’eau qu'ils ef- 
fleurent et sillonnent, ensuite ils nagent au large 
et se tiennent toujours éloignés des rivages. 

Leur nourriture ordinaire consiste en insectes 
aquatiques, en petits poissons, grenouilles , graines 
et plantes marécageuses. Ces oiseaux sont gour- 
mands et insatiables; ils mangent de tout, et leur 
corps peut se charger d’une grande quantité de 
graisse. Les canards sont très-faciles à élever, 
coûtent peu à nourrir, et fournissent une chair 
bonne à manger, quoique un peu lourde et de 
difficile digestion. 


L'EIDER. 


L’eider habite les mers glaciales du pôle et 
abonde surtout en Islande, au Groenland, au 
Spitzherg; on le trouve encore assez eommuné- 
ment en Suède. Il est de la taille de l’oie domes- 


Le) 


DES OISEAUX. 169 


tique, et est devenu célèbre par le duvet précieux 
qu'il fournit et qu’on nomme edredon. Les eiders 
nichent au milieu des rochers baignés par la mer. 
Dans les mers du nord, c’est une propriété qui se 
garde soigneusement et se transmet par héritage, 
que celle d’un point de la côte où ces oiseaux 
viennent d'habitude s'établir à l’époque de la ponte; 
car c’est là qu'on récolte l’édredon. La femelle, 
en effet, en garnit son nid, et après qu'on lui a 
enlevé cette précieuse dépouille, si utile pour 
maintenir une douce chaleur autour de ses œufs, 
elle arrache de sa poitrine une nouvelle provi- 
sion de duvet. En dépouillant les nids on s’en 
procure ainsi une quantité assez considérable, et 
l’'édredon, provenant de l'oiseau vivant, est beau- 
coup plus estimé que celui arraché après la mort. 


LA SARCELLE. 


La sarcelle se rapproche beaucoup du canard, 
non-seulement par les traits de la physionomie 
générale, mais encore par de nombreux rapports 
d'organisation et d’habitudes. En effet, on la ren- 
contre ordinairement sur les eaux dormantes plon- 
geant sans cesse son large bec dans la vase pour 
y surprendre les vers et les insectes qui y font 
leur séjour. C’est un oiseau timide, et qu'on ne 
peut approcher qu’avee peine. Le moindre bruit 
l'alarme et lui fait prendre la fuite. Ses mouve- 
ments sur l’eau ne sont pas dépourvus de grâ- 
ces , et son activité très-grande donne à toutes ses 
actions un air distingué, comme en donne tou- 
jours la nature à toutes les espèces qui jouissent 


170 HISTOIRE NATURELLE 


de l'indépendance, et qui n’ont point ressenti les 
effets de la domination de l’homme. 


FIN DES OISEAUX. 


HISTOIRE NATURELLE 


DES 


REPTILES. 


ERPÉTOLÔGIE. 


Généralités sur les animaux de la classe des reptiles. * Organes 
des sens. — Changement de peau, ou m#mnue. 


Avant de nous occuper en détail des faits par- 
ticuliers aux diverses espèces de reptiles, consi- 
dérons-les sous des points de vue généraux. Repré- 
sentons-nous ces climats favorisés du soleil, où 
les plus grands de ces animaux sont animés par 
toute la chaleur de l'atmosphère qui leur est 
nécessaire. Jetons les yeux sur l'antique Égypte, 
périodiquement arrosée par les eaux d’un fleuve 
immense, dont les rivages, couverts au loin d’un 
limon humide, présentent un séjour si analogue 


* Anal. et extr. de l’Hist. nat. des quadrup. ovip. du comte de 
Lacepéde. 


172 HISTOIRE NATURELLE 


aux habitudes et à la nature des quadrupèdes ovi- 
pares; ses arbres, ses forêts, ses monuments, 
tout, jusqu'à ses orgueilleuses pyramides, nous 
en montreront quelques espèces. Parcourons les 
côtes brülantes de l'Afrique, les bords ardents du 
Sénégal, de la Gambie, les rivages noyés du Nou- 
veau-Monde, ces solitudes profondes où les repti- 
les jouissent ‘de la chaleur, de lhumidité et de la 
paix; voyons ces belles contrées de Or ient que 
la nature parait avoir enrichie de toutes ses pro- 
ductions ; n'oublions aucune de ces 1les baignées 
par les eaux chaudes des mers voisines de la zone 
torride; appelons par la pensée tous les reptiles 
qui en peuplent les diverses plages, et réunis- 
sons-les autour de nous pour mieux les connaitre 
en les comparant. 

Gbservons d’abord les diverses espèces de tor- 
tues, comme plus semblables aux vivipares par 
leur organisation interne; considérons celles qui 
habitent les bords des mers, celles qui préfèrent 
les eaux douces, et celles qui demeurent au mi- 
lieu des bois sur les terres élevées; voyons en- 
suite les énormes crocodiles qui peuplent les eaux 
des grands fleuves, et qui paraissent comme des 
géants démesurés à la tête des diverses légions 
de lézards; jetons les yeux sur différentes espèces 
de ces animaux, qui réunissent tant de nuances 
dans leurs couleurs à tant de diversité dans leurs 
organes, et qui présentent tous les degrés de la 
grandeur, depuis une longueur de quelques pou- 
ces jusqu'à celle de vingt-‘inq ou trente pieds; 
portons enfin nos reg rards sur des espèces plus 
petites ; considérons re reptiles que la nature 
semble avoir confinés dans la fange des marais, 


DES REPTILES. 173 


afin d'imprimer partout l’image du mouvement et 
de la vie. 

Malgré leur diversité, tous ces reptiles se res- 
semblent entre eux par quelques points de leur 
conformation particulière, par quelques-uns de 
leurs appareils et par les fonctions qui en sont le 
résultat. Examinons rapidement les particularités 
les plus remarquables relatives aux sens et à leurs 
organes propres. 

Les reptiles ont tous reçu le sens de la vue; les 
plus grands de ces animaux ont même des yeux as- 
sez saillants et assez gros relativement au volume 
de leur corps. Habitant la plupart les rivages des 
mers et les bords des fleuves de la zone torride, 
où le soleil n’est presque jamais voilé par des 
nuages, et où les rayons lumineux sont réfléchis 
par les lames et le sable des rives, 11 faut que 
leurs yeux soient assez forts pour n'être pas alté- 
rés et bientôt détruits par les flots de la lumière 
qui les inonde. L’organe de la vue doit donc être 
assez actif dans les reptiles. On observe, en ef- 
fet, qu'ils aperçoivent les objets de très-loin. 
D'ailleurs nous remarquerons dans les yeux de 
plusieurs de ces animaux une conformation par- 
ticulière qui annonce un organe délicat et sensi- 
ble; ils ont presque tous les yeux garnis d’une 
membrane clignotante, comme ceux des oiseaux, 
et la plupart de ces animaux, tels que les croco- 
diles et les autres lézards , jouissent, ainsi que les 
chats, de la faculté de contracter et de dilater 
leur prunelle, de manière à recevoir la quantité 
de lumière qui leur est nécessaire, ou à empê- 
cher celle qui leur serait nuisible d'entrer dans 
leurs ÿeux: par là ils distinguent les objets au 

8 


174 HISTOIRE NATURELLE 


milieu des nuits, et lorsque le soleil le plus bril 
lant répand ses rayons ; leur organe est très-exercé , 
et d'autant plus délicat qu nl n'est Jamais ébloui 
par une clarté trop vive. 

Si nous trouvions dans chacun des sens des 
reptiles la même force que dans celui de la vue, 
nous pourrions attribuer à ces animaux une très- 
grande sensibilité; mais tous les autres sens pa— 
raissent presque obtus, et d’abord l’ouie semble 
bien moins parfaite que dans les autres classes 
des animaux supérieurs; en effet, leur oreille 
intcrne , siége de l’audition, n’est pas composée 
de toutes les pièces qui servent à la perception 
des sons, dans les animaux les mieux organisés. 
Les reptiles n’ont point de conques externes pour 
recueillir les rayons sonores, et n’ont à la place 
que de petites ouvertures qui ne peuvent donner 
passage qu’à une très-petite quantité d’ondulations 
sonores. On peut donc imaginer que l'organe de 
l'ouie est moins actif dans ces animaux que dans 
la plupart des le et des oiseaux. D’ail- 
leurs la plupart de ces animaux sont presque tou- 
jours muets, ou ne font entendre que des sons 
rauques, désagréables et confus. 

On ne doit pas non plus regarder leur odorat 
comme très-fin. Les animaux dans lesquels 1l est 
le plus fort ont, en général, le plus de peine à 
supporter les odeurs très-vives, et lorsqu'ils de- 
meurent trop longtemps exposés aux impressions 
de ces odeurs exaltées, leur organe s’endureit, 
pour ainsi dire, et perd de sa sensibilité. Or, le 
plus grand nombre des reptiles vivent au milieu 
de l'odeur infecte des rivages vaseux et des marais 
remplis de corps organisés en putréfaction ; quel- 


DES REPTILES. 475 


ques-uns de ces quadrupèdes ovipares répandent 
même une odeur qui devient très-forte lorsqu'ils 
sont rassemblés en troupes. Le siége de l’odorat 
est aussi très-peu apparent dans ces animaux , 
excepté chez le crocodile ; leurs narines sont très- 
peu ouvertes ; cependant comme elles sont les 
parties extérieures les plus sensibles de ces ani- 
maux, et comme les nerfs qui y aboutissent sont 
d’une grandeur extraordinaire dans plusieurs 
d’entre eux, nous regardons l’odorat comme le 
second de leurs sens. 

Celui du goût doit être bien plus faible dans les 
reptiles ; 1l est en raison de la sensibilité de l’or- 
gane qui en est le siége, et nous verrons, dans 
les détails relatifs aux espèces principales , qu’en 
général leur langue est petite ou enduite d’une 
bumeur visqueuse, et conformée de manière à-ne 
transmettre que difficilement les impressions des 
COrpS savoureux. 

À l'égard du toucher, on doit le regarder 
comme bien obtus dans ces animaux. Presque 
tous recouverts d’écailles dures , enveloppés dans 
une couverture osseuse ou cachés sous des bou- 
cliers solides, ils doivent recevoir bien peu d’im- 
pressions distinctes par le toucher. 

La faiblesse de leurs sens suflit peut-être pour 
modifier leur organisation intérieure, pour y mo- 
dérer la rapidité des mouvements, pour y ralentir 
le cours des humeurs, pour ÿ diminuer la force 
des frottements, et, par conséquent, pour faire 
décroitre cette chaleur interne qui, née du mou- 
vement et de la vie, les entretient à son tour; 
peut-être, au contraire, cette faiblesse de leurs 
sens est-elle un effet du peu de chaleur qui anime 


476 HISTOIRE NATURELLE 


ces animaux. Quoi qu'il en soit, leur sang est. 
moins Chaud que celui des mammifères et des oi 
seaux. C’est pour cela que les reptiles et les pois- 


sons , ainsi que tous les animaux inférieurs , sont 
appelés animaux à sang froid; leur corps, en 
effet, n’a point de température propre, mais se 
trouve toujours au même degré que le milieu qui 
l'enveloppe. C’est encore pour cette raison que 
dans les froids un peu rigoureux les reptiles tom- 
bent dans un engourdissement léthargique, qui 
ne cesse que quand la douce influence de la chaleur 
vient les rappeler à l'existence, Écoutons M. le 


comte de Lacépède décrire cet état de torpeur hi- 


bernale avec son style riche et puissant. « La cha- 
leur de l'atmosphère est si nécessaire aux quadru- 
pèdes ovipares que , lorsque le retour des saisons 
réduit les pays voisins des zones torrides à la 
froide température des contrées beaucoup plus 
élevées en latitude, les quadrupèdes ovipares 
perdent leur activité ; leurs sens s’émoussent, la 
chaleur de leur sang diminue , leurs forces s’affai- 
blissent ; ils s’empressent de gagner des retraites 
obscures, des antres dans les rochers, des trous 
dans la vase, ou des abris dans les jones et les 
autres végétaux qui bordent les grands fleuves. 
Ils cherchent à y jouir d’une température moins 
froide, et à y conserver, pendant quelques mo- 
ments, un reste de chaleur prêt à leur échapper. 
Mais le froid croissant toujours , et gagnant de 
proche en proche, se fait bientôt sentir dans leurs 
retraites, qu'ils paraissent choisir au milieu de 
bois écartés , ou sur des bords inaccessibles , pour 
se dérober aux recherches et à la voracité de 
leurs ennemis pendant le temps de leur sommeil 


DES REPTILES. 177 


hibernal , où ils ne leur offriraient qu'une masse 
sans défense et un appât sans danger. Ils s’en- 
dorment d’un sommeil profond ; ils tombent dans 
un état de mort apparente , et cette torpeur est si 
grande, qu’ils ne peuvent être réveillés par aucun 
bruit, par aucune secousse, ni même par des 
blessures ; ils passent inertement la saison de 
J'hiver dans cette espèce d’insensibilité absolue, 
où ils ne conservent de l’animal que la forme , et 
seulement assez de mouvement intérieur poür 
éviter la décomposition à laquelle sont soumises 
toutes les substances organisées réduites à un re- 
pos absolu. Ils ne donnent que quelques faibles 
marques du mouvement qui reste encore à leur 
sang, mais qui est d'autant plus lent que souvent 
il n’est animé par aucune expiration n1 inspira- 
tion. Ce qui le prouve, c’est qu’on trouve pres- 
que toujours les reptiles engourdis dans la vase 
et cachés dans des creux le long des rivages, où 
les eaux les gagnent et les surmontent souvent, 
où 1ls sont, par conséquent, beaucoup de temps 
sans pouvoir respirer , et où ils reviennent cepen- 
dant à la vie dès que la chaleur du printemps 
se fait de nouveau ressentir. 

« Mais comme tout à un terme dans la nature, 
si le froid devenait trop rigoureux ou durait trop 
longtemps, les reptiles engourdis périraient. La 
machine animale ne peut, en effet, conserver 
qu'un certain temps les mouvements intérieurs 
qui lui ont été communiqués. Non-seulement une 
nouvelle nourriture doit réparer la perte de la sub- 
stance qui se dissipe, mais ne faut-il pas encore 
que le mouvement intérieur soit renouvelé, pour 
ainsi dire, par des secousses extérieures, et que des 


178 HISTOIRE NATURELLE 


sensations nouvelles remontent tous les ressorts ? » 

La masse totale du corps des quadrupèdes ovi- 
pares , et des reptiles en général, ne perd aucune 
partie très-sensthle de substance pendant leur 
longue torpeur ; mais les portions les plus exté- 
rieures , plus soumises à l’action desséchante du 
froid, et plus éloignées du centre du faible mou- 
vement Interne qui resie encore, subissent une 
sorte d’altération dans la plupart des reptiles. 
Lorsque cette couverture la plus extérieure n’est 
pas une partie osseuse, comme dans les tortues et 
dans les crocodiles, elle se dessèche, perd son 
Organisation , ne peut plus être unie avec le reste 
du corps organisé , etné participe plus à ses mou- 
vements internes ni à sa nourriture. Lors donc 
que le printemps redonne le mouvement aux rep- 
iles, la première peau , soit nue, soit garnie d’é- 
cailles, ne fait plus partie en quelque sorte du 
corps animé ; elle n’est plus pour ce Corps qu’une 
substance étrangère; elle est repoussée, pour 
ainsi dire, par des mouvements intérieurs qu’elle 
ne partage plus. La nourriture qui en entretenait 
la substance se porte cependant, comme à l’ordi- 
naire , vers la surface du corps ; mais au lieu de 
réparer une peau qui n’a presque plus de commu- 
nication avec l’intérieur, elle en forme une nou- 
velle, qui ne cesse de s’accroître au-dessous de 
l’ancienne. Tous ces efforts détachent peu à peu 
cette vieille peau du corps de lanimal, achèvent 
d’ôter toute liaison entre les parties intérieures et 
cette peau altérée qui, de plus en plus privée de 
toute réparation , devient plus soumise aux causes 
étrangères qui tendent à la décomposer. Atta- 
quée ainsi des deux côtés, elle cède, se fend, et 


DES REPTILES. 179 


Tanimal , revêtu d’une peau nouvelle, sort de cette 
espèce de fourreau , qui n’était plus pour lui qu’un 
corps embarrassant. 

C’est ainsi que le dépouillement annuel des 
quadrupèdes ovipares nous parait devoir s’opé- 
rer, mais il n’est pas seulement produit par l'en- 
gourdissement. Ils quittent également leur pre- 
mière peau dans les pays où une température plus 
chaude les garantit du sommeil de l'hiver. Quel- 
ques-uns la quittent aussi plusieurs fois pendant 
l’été des contrées tempérées. Le même elfet est 
produit par des causes opposées ; la chaleur de 
l'atmosphère équivaut au froid, et au défaut de 
mouvement, elle dessèche également la peau, en 
dérange le tissu et en détruit l’organisation. 

Lorsque les reptiles quittent leur vieille couver- 
ture, leur nouvelle peau est souvent assez molle 
pour les rendre plus sensibles aux chocs des objets 
extérieurs ; aussi sont-ils plus timides, plus ré- 
‘servés, pour ainsi dire, dans leur démarche, et 
se tiennent-ils cachés, autant qu’ils le peuvent, 
jusqu’à ce que cette peau ait été fortifiée par de 
nouveaux sucs nourriciers et endurcie par les im- 
pressions de l'atmosphère. 


DIVISIONS GÉNÉRALES DES REPTILES 
EN DIFFÉRENTS ORDRES. 


Linnée , le fameux classificateur suédois, avait 
parfaitement saisi les nuances extérieures d’orga- 
nisation pour en faire les caractères de ces grou- 


180 HISTOIRE NATURELLE 


pes zootechniques. Mais, comme nous l'avons 
dit dans notre introduction, ses distributions 
d'ordres et de genres, appuyées trop souvent 
uniquement sur des différences secondaires ou 
tertiaires, n’ont pu être maintenues dans la mé- 
thode analytique sévère des naturalistes moder- 
nes. Linnée avait désigné sous le nom d’amphi- 
bies la plupart des animaux que nous appelons 
aujourd’hui reptiles ; il avait même renfermé dans 
le même groupe quelques poissons chondroptéry- 
giens qu'il nommait amphibies nageants. Cette 
dénomination d’amphibies a été peu favorable- 
ment accueillie des zoologues, et on a cherché 
immédiatement à poser les fondements d’études 
plus sérieuses pour les classer d’après les données 
invariables et les principes rationnels de l'orga- 
nisation intérieure. 

Ce fut le célèbre Daubenton qui, guidé par 
un esprit judicieux , et éclairé par le flambeau de 
l'anatomie, traça le premier la ligne de circon- 
scription de ce que nous nommons maintenant la 
classe des reptiles. 

Lacépède , dans son immortel ouvrage des qua- 
drupèdes ovipares, des reptiles et des poissons, 
suivit les distributions zooclassiques de Dauben- 
ton, qu’il perfectionna dans les distributions gé- 
nériques , et qu'il surpassa de beaucoup par ses 
descriptions netiement conçues et largement tra- 
cées. 

M. Alex. Brongniart a publié une classification 
de ces animaux bien plus naturelle que les précé- 
dentes, et qui a obtenu lassentiment des hom- 
mesversés dans cette étude; M. Cuvier l’a adoptée 
dans son grand ouvrage , le Règne animal dis- 


DES REPTILES. 181 

tribué d’après son organisation. Ce qui lui im- 
prime surtout le cachet de la stabilité, c’est qu’il a 
suivi une marche beaucoup plus rationnelle que ses 
devanciers. Les naturalistes , qui s'étaient occupés 
jusqu’à ce jour de la classification des reptiles, 
avaient eu, presque tous, plus d’égards à des ca- 
ractères extérieurs , tranchés à la vérité, mais qui 
n'avaient pas une très-grande importance. Ils 
avaient négligé ceux que leur offraient l’anatomie , 
le développement, les mœurs et les habitudes de 
ces animaux ; la base de leur méthode n’était 
presque fondée que sur la présence des pattes et 
de la queue. M. Alex. Brongniart a fait apercevoir 
sans peine le vice d’un pareil système, et prouva 
qu'il fallait, dans toute méthode, épuiser les ca- 
ractères des degrés supérieurs, tels que ceux que 
fournissent les organes les plus essentiels à la vie, 
avant de descendre aux caractères de degrés in- 
férieurs , comme ceux que lon tire des organes 
du mouvement, des téguments, etc. Ce natura- 
liste, d’après ses principes, a divisé les reptiles 
€n quatre ordres dont voici les noms et les carac- 
tères distinctifs : 

Premier ordre : Les chéloniens, ou les fortues. 

Ces reptiles n’ont point de dents enchâssées , 
mais leurs mâchoires sont enveloppées de gencives 
cornées et tranchantes, leur corps est couvert 
d’une carapace ; ils ont deux oreillettes au cœur, 
un estomac plus volumineux que celui des autres 
reptiles; 1ls pondent des œufs à coquille calcaire 
et solide ; les végétaux sont leur nourriture. 

Second ordre : Les sauriens. 

Ils répondent aux lézards de Linnée. Tous ces 
animaux ont encore deux oreillettes au cœur, des 


182 HISTOIRE NATURELLE 


côtes , un sternum et un corps couvert d’écailles. 
Les œufs sont revêtus d’une croûte calcaire , et 
les petits qui en sortent n’ont pas de métamor- 
phoses à subir. 

Troisième ordre : Les ophidiens, ou les ser- 
pents. 

IIS ont de longues côtes arquées, mais sans 
sternum , et une seule oreilleite au cœur; le corps 
est fort allongé, dépourvu de pattes. 

Quatrième ordre : Les batraciens. 

Cet ordre comprend les crapauds, les rainettes , 
les grenouilles et les salamandres. Tous ces rep- 
üles n’ont qu'une oreillette au cœur, leur sque- 
lette est dépourvu de côtes véritables ; ils ont des 
pattes et la peau unie. Les petits ont, dans les 
premiers jours de leur existence, des branchies, 
et s’éloignent par leurs formes de leurs parents. 
Les salamandres avaient été mal à propos réunies 
avec les lézards , quoiqu’elles aient avec eux quel- 
ques rapports de conformation extérieure; ce- 
pendant le fait seul des métamorphoses de la 
première époque de leur vie devait les en séparer 
et les mettre à la place qu’elles occupent mainte- 
nan. 


PREMIER ORDRE DES REPTILES, 


LES CHÉLONIENS, ou LES TORTUES. 


Avant d'entreprendre l’histoire des mœurs de 
ces singuliers animaux, nous devons jeter en avant 


DES REPTILES. 183 


quelques traits sur leur organisation particulière. 
Il semble que l’auteur de la nature ait voulu leur 
prodiguer les marques d’une attention toute spé- 
ciale. La cuirasse forte et solide qui enveloppe le 
corps des tortues n’est pas formée d’une simple 
enveloppe composée de bandes ou d’écailles os- 
seuses, comme on peut l’observer dans quelques 
rares genres de mammifères, tels que les {atous 
et les pangolins ; c’est une vraie maison que l’a- 
mimal porte toujours avec soi , un lieu de refuge, 
un asile protecteur, où il se met à l'abri des atta- 
-ques de ses ennemis. Ni les serres des oiseaux 
de proie, ni les dents des quadrupèdes féroces ne 
peuvent l'en arracher , ou ce n’est du moins qu’a- 
vec beaucoup de peine. Le toit de cette habita- 
tion esi si solide, que le dard le plus acéré et le 
plus vigoureusement lancé , vient s’émousser con- 
tre lui, qu'il résiste à de violents efforts, et sou- 
vent à de rudes secousses. Tandis que les autres 
animaux sont obligés d'employer , suivant leur 
genre particulier d'industrie, mille stratagèmes 
pour se garantir des intempéries de l'atmosphère, 
la tortue, par un léger mouvement, une simple 
contraction de ses membres et de sa tête, peut 
subitement braver toutes les incommodités qui la 
menacaient : elle est aussi à l'abri, sous ce bou- 
clier naturel, que lanimal qui s’est creusé une 
retraite dans les lieux profonds et inaccessibles 
d’une roche. 

Cette enveloppe osseuse des tortues est com- 
posée de deux parties parfaitement distinctes , 
l'une supérieure et l’autre inférieure. Le bouclier 
qui protége le dos se nomme la carapace, et ce- 
lui qui est situé à la partie inférieure du corps 


484 HISTOIRE NATURELLE 


s'appelle le plastron. Ces deux expansions osseu- 
ses sont revêtues de lames minces et fines con- 
stituant ce qu'on désigne par le nom d’écailles 
dans le commerce. Ces écailles se fondant à un 
feu assez doux , l’industrie de l’homme en a pro- 
fité pour les réunir, les mouler , leur faire pren- 
dre différentes figures , et avec d'autant plus d’a- 
vantage que plusieurs ont des couleurs fauves 
très-belles et demi-transparentes. 

Les autres parties de l’ostéologie n’ont rien de 
très-anormal dans leur conformation. Nous devons 
seulement donner quelques détails sur le peu de dé- 
veloppement de la circulation, et de la respiration, 
et sur les conséquences qui en découlent pour dif- 
férentes fonctions organiques. La plupart des rep- 
tiles n’ont pas le cœur, moteur du sang et centre 
du système circulatoire , développé dans les eondi- 
tions que nous observons dans les animaux des 
classes supérieures. Les chéloniens ont au cœur 
deux oreillettes et un seul ventricule ; disposition 
qui ne permet pas au sang hématosé de parcourir 
seul le système artériel, mais qui, mélangeant les 
deux fluides sanguins , rend celui nutritif moins 
propre à entretenir la chaleur et la vie. Ces animaux 
peuvent même rester assez longtemps sans respirer, 
et leur sang alors passe immédiatement du cœur 
aux différentes régions du corps, sans avoir passé 
préalablement par le système respiratoire. Nous 
devons ajouter que leurs poumons sont loin d’a- 
voir acquis le même développement dans leurs 
tissus propres. Au lieu de la structure compacte 
de ces organes dans les animaux supérieurs, il 
existe de larges vacuoles et de vastes déchirures. 
qui reçoivent une assez grande quantité d'air 


DES REPTILES. 185 


comme en réserve. La température animale et 
l'irritabilité musculaire sont les deux résultats de 
la respiration et de la circulation, et se trouvent 
toujours avec ces deux fonctions importantes 
dans un rapport parfaitement exact. Aussi voyons- 
nous que la température intérieure est presque 
nulle, et que dans les abaissements de la tempé- 
rature atmosphérique, leur organes sont comme 
frappés de paralysie et sont plongés dans un en- 
gourdissement profond. L'irritabilité musculaire 
reçoit son stimulus le plus puissant de la pré- 
sence du sang artériel; et son énergie de l’abon- 
dance et de la chaleur vitale qu’il communique. 
Ces circonstances n’ayant point lieu chez les tor- 
tues, nous pouvons dire qu’en général la contrac- 
tibilité musculaire a très-peu d'énergie, et que tous 
leurs mouvements devront être d’une inexprimable 
lenteur: chacun sait le proverbe, lent comme une 
tortue. Dans les climats brûlés par un soleil ar- 
dent, la température extérieure qui enveloppe 
le corps des tortues peut lui communiquer cette 
chaleur vivifiante et puissante dont il est privé 
intérieurement. (est alors que nous pouvons 
voir quelques-uns de ces animaux doués d’une 
force, d’une agilité, d’une énergie, si rares dans 
les autres individus du même ordre moins favo- 
risés de la nature. 

S1 les tortues n’ont pas des sensations très-vi- 
ves, ni des mouvements très-variés, nous pouvons 
dire qu’elles ont recu une sorte de compensation 
dans la ténacité et la durée de leur vie. On a vu 
des tortues survivre à des mutilations extrême- 
ment cruelles, et certainement mortelles pour la 
plupart des autres animaux. C’est ainsi que Rédi 


186 HISTOIRE NATURELLE 


rapporte avoir vu une tortue vivre six mois sans 
cerveau, et un autre individu vivre encore vingt- 
trois jours après que la tête avait été séparée du 
corps; enfin, au rapport du même auteur, une 
tortue terrestre vécut dix-huit mois sans nourrt- 
ture. Quant à leur longévité, on a sans doute ra- 
conié beaucoup de fables à ce sujet, mais on à vu 
des exemples remarquables de tortues fluviatiles 
et lacustres qui ont vécu plus de quatre-vingts 
ans. 

Les toriues ont des mœurs très-variées; les 
unes vivent toujours dans la mer, les autres dans 
les eaux douces, eufin quelques-unes sur la terre 
et dans les endroits secs et arides: de là la triple 
division de l’ordre des chéloniens en trois famil- 
les, les tortues marines, les tortues d'eau douce 
et les tortues terrestres. 


HSLo 
Fe FAMILLE DES CHÉLONIENS. 


TORTUES MARINES. 


Les tortues marines sont assez faciles à recon- 
naitre au premier coup d'œil à leur carapace et à 
leur plastron très-aplatis, et à leurs pattes lar- 
gement aplaties en forme de rames. Ces ar'maux 
sont bons et parfaits nageurs; la mer form leur 
séjour favori; ils ÿ paissent dans ses profondeurs 
les algues et les autres plantes marines, et n’en 
sortent que pour déposer leurs œufs sur le sable 
des rivages. 


D. 187 
la Tortue franche. 


RS 
CRE 


DES REPTILES. 187 


LA TORTUE FRANCHE. 


Un des plus beaux présents que la nature ait 
faits aux habitants des contrées équatoriales, une 
des productions les plus utiles qu’elle ait déposées 
sur les confins de la terre et des eaux, est la grande 
tortue de mer, à laquelle on a donné le nom de 
tortue franche. L'homme emyploierait avec bien 
moins d'avantage le grand art de la navigation, 
si vers les rives éloignées, où ses désirs l’appel- 
lent, il ne trouvait dans une nourriture aussi 
agréable qu'abondante un remède assuré contre 
les suites funestes d’un long séjour dans un espace 
resserré, et au milieu de substances à demi putré- 
fiées, que la chaleur et l'humidité ne cessent 
d’altérer. Cet aliment précieux lui est fourni par 
les tortues franches, et elles lui sont d’autant plus 
utiles qu'elles habitent surtout ces contrées ar- 
dentes où une chaleur plus vive accélère le déve- 
loppement de tous les germes de corruption. On 
les rencontre, en effet, en très-grand nombre 
sur les côtes des îles et des continents de la zone 
torride, tant dans l'Ancien que dans le Nouveau- 
Monde. Les bas-fonds, qui bordent ces îles et ces 
continents, sont revêtus d’une grande quantité d’al- 
gues et d’autres plantes que la mer recouvre de ses 
ondes, mais qui sont assez près de la surface des 
eaux pour qu'on puisse les distinguer facilement 
lorsque le temps est calme. C’est sur ces espèces 
de prairies qu’on voit les tortues franches se pro- 
mener paisiblement. Elles se nourrissent de 
l'herbe de ces pâturages. Elles ont quelquefois 


188 HISTOIRE NATURELLE 
six ou sept pieds de longueur, à compter depuis 
le bout du museau jusqu’à l'extrémité de la queue, 
sur trois ou quatre de largeur, et quatre pieds ou 
environ d'épaisseur dans l’endroit le plus gros 
du corps: elles pèsent alors près de huit cents 
livres. Elles sont en si grand nombre, qu'on se- 
rait tenté de les regarder comme une espèce de 
troupeau rassemblé à dessein pour la nourriture 
et le soulagement des navigateurs qui abordent 
auprès de ces bas-fonds, et les troupeaux marins 
qu'elles forment le cèdent d'autant moins à eeux 
qui paissent l'herbe de la surface du globe, qu'ils 
joignent à un goût exquis et à une. chair succu- 
lente et substantielle une vertu des plus actives 
et des plus salutaires. 

On fait des bouillons de tortue franche, que 
l’on regarde comme excellents pour les. pulmoni- 
ques , les cachectiques , les scorbutiques, ete. La 
chair de cet animal renferme un suc adoucissant, 
nourrissant , Incisif et diaphorétique. 

Les tortues franches, après s'être repues au 
fond de la mer, se rapprochent de embouchure 
des grands fleuves, et viennent y chercher l’eau 
douce, dans laquelle elles paraissent se, com-. 
plaire, et où elles se tiennent paisiblement la 
iète hors de l’eau, pour respirer un air dont la 
fraicheur semble leur être de temps en temps né- 
cessaire. Mais n’habitant que des côtes dange- 
reuses pour elles, à cause du grand nombre d’en- 
nemis qui les y attendent, et de chasseurs qui les 
y poursuivent, ce n’est qu'avec précaution qu'’el- 
les goûtent le plaisir de humer Pair frais et de se 
baigner au milieu d’une eau douce et courante. 
À peine aperçoivent-elles l'ombre de quelque ob- 


DES REPTILES. j 189 


jet à craindre, qu’elles plongent et vont chercher 
au fond de la mer une retraite plus sûre. 

La chaleur du soleil suffit pour faire éclore les 
œufs des tortues dans les contrées qu'elles habi- 
tent. Vingt ou vingt-cinq jours après qu'ils ont été 
déposés, on voit sortir du sable les petites tor- 
tues, que leur instinct conduit vers les eaux voi- 
sines, où elles doivent trouver la sûreté et lali- 
ment de leur vie. Elles s'y traînent aves lenteur ; 
mais trop faibles encore pour résister au choc des 
vagues, elles sont rejetées par les flots sur le 
sable du rivage, où les grands oiseaux de mer, 
les crocodiles , les tigres ou les couguars se ras- 
semblent pour les dévorer; aussi n’en échappe- 
t-il que très-peu. L'homme en détruit d’ailleurs 
un grand nombre avant qu’elles soient dévelop- 
pées; on recherche même dans les îles où elles 
abondent, les œufs qu’elles laissent sur le sable, 
et qui donnent une nourriture aussi agréable que 
saine. On prend aussi les petites tortues qui vien- 
nent de naître, pour les renfermer dans un pare 
sur le bord de la mer, où on les laisse croître pour 
en avoir au besoin. Cest à l’époque de la ponte 
que les pêcheurs prennent les grandes tortues fe- 
melles, dont la chair est plus estimée que celle 
des mâles. Dès l'entrée de la nuit, et surtout lors- 
que la nuit leur prête une lumière favorable, 1ls 
se rendent sur le rivage où les tortues ont cou- 
tume de pondre: là ils attendent dans le silence 
qu’elles sortent de l’eau ou qu’elles y reviennent; 
dès qu'ils les apercoivent, ils les assomment à 
coups de massue, les retournent avec rapidité, 
sans leur donner le temps de se défendre, en lan- 
çant une grande quantité de sable, qu’elles font 


190 HISTOIRE NATURELLE 


quelquefois jailir sur les assaillants avec leurs 
nageoires. Plusieurs hommes se réunissent pour 
cette pêche , et emploient même le secours des le- 
viers lorsque les individus sont très-grands. La 
carapace des tortues marines, étant presque plate 
ou du moins peu convexe, ne leur permet pas de 
se remettre sur les pattes; et une fois renversées 
ou chavirées, suivant l’expression des pêcheurs, 
elles périssent dans cet état. 

Les amateurs de fables pourront nous dire que 
les tortues, ne pouvant pas se défendre, jettent 
des c’is plaintifs et versent des torrents de lar- 
mes. Nous n'ajouierons point foi à ce mer- 
veilleux, et nous penserons seulement que la 
crainte, le sentiment de la douleur peuvent faire 
produire à cet animal une espèce de gémisse- 
ment. 

Si les matelots sont en assez grand nombre, 1ls 
retournent dans l’espace de trois heures qua- 
rante à cinquante tortues qui renferment une 
grande quantité d'œufs : ils trainent dans les pares , 
et renversées, celles qu’ils veulent conserver; les 
autres sont mises en pièces; la chair, les intes- 
tins mêmes , les œufs en sont salés; la graisse leur 
fournit une huile jaune et verdâtre, employée 
dans les aliments, lorsqu'elle est fraiche, et qui 
sert toujours à brûler ; les grandes tortues en don- 
nent Jusqu'à trente-trois pintes. 

Si l'on ne veut point saler la tortue afin de la 
manger fraiche ; on enlève le plastron, la tête, les 
pattes, ainsi que la queue, et on fait cuire la chair 
dans la carapace. La portion contiguë au plas- 
tron est la plus estimée. Les sucs de là chair, 
ainsi que les œufs, conviennent particulièrement 


DES REPTILES. 191 


dans les maladies où la masse du sang a besoin 
d’être épurée. 

Lacépède termine son intéressante histoire de 
la tortue franche dont nous venons de faire l’ana- 
lyse, en émettant le vœu qu’on fasse des essais 
pour acclimater les tortues franches sur toutes les 
côtes tempérées. L'acquisition d’une espèce aussi 
féconde serait certainement une des plus utiles. 


LE CARET. 


Le philosophe mettra toujours au premier rang 
la tortue franche, comme celle qui fournit la nour- 
riture la plus agréable et la plus salutaire ; mais 
ceux qui ne recherchent que ce qui brille , préfère- 
ront la tortue à laquelle on donne le nom de caret. 
C’est principaiement cette tortue que l’on voit re- 
vêtue de ces belles écailles qui, dès les sièeles Les 
plus reculés, ont décoré les palais les plus somp- 
tueux : effacées dans des temps plus modernes 
par l'éclat de l’or et par le feu que la taille a donnés 
aux pierres dures et transparentes, on ne les em- 
ploie presque plus qu’à orner les bijoux simples, 
mais élégants, de ceux dont la fortune est plus 
bornée , et peut-Ctre le goût plus pur. Mais si les 
écailles de la tortue caret ont perdu de leur va- 
leur par leur comparaison avec des substances 
plus éclatantes, et parce que la découverte du 
Nouveau-Monde en a répandu une grande qnan- 
tité dans l’ancien, leur usage est devenu plus 
général: on s’en sert d’autant plus qu’elles coû- 
tent moins. 

Il est aisé de reconnaitre la tortue caret au lui- 


192 HISTOIRE NATURELLE 


sant des écailles placées sur la carapace, et sur- 
tout à la manière dont elles sont disposées: elles 
se recouvrent comme les ardoises qui sont sur nos 
toits. Elles sont d’ailleurs communément au nom- 
bre de treize sur le disque, et elles y sont placées 
sur trois rangs. 

On rencontre le caret dans les contrées chaudes 
de l'Amérique, mais on le trouve aussi dans les 
mers de l'Asie. C’est de ces dernières qu’on ap- 
portait surtout les écailles fines dont se servaient 
les anciens, même avant le temps de Pline, et que 
les Romains devaient d'autant plus estimer qu’el- 
les étaient plus rares et qu’elles venaient de plus 
loin; car 1l semble qu’ils n’attachaient de valeur: 
qu'à ce qui était pour eux le signe d’une plus grande 
puissance et d’une domination plus étendue. 

Les œufs du caret sont plus délicats que ceux 
des autres tortues, mais sa chair n’est point du 
tout agréable; elle a même, dit-on, une forte 
vertu purgative, ét cause des vomissements vio- 
lents. 


So 
Ile FAMILLE DES CHÉLONIENS. 
LES TORTUES D'EAU DOUCE. 


Les tortues d’eau douce se distinguent des pré- 
cédentes par la forme des membres qui ne sont 
plus largement aplatis en nageoires, mais qui ont 
les doigts bien distincts et réunis par des palmu- 
res pour faciliter la natation. Leur enveloppe est 
généralement plus aplatie que celle des tortues de 
terre. 


DES REPTILES, 193 


LA BOURBEUSE, OU LA TORTUE D'EAU DOUCE 
D'EUROPE. 


La bourbeuse est une des tortues que l’on ren- 
contre le plus souvent au milieu des eaux douces 
d'Europe, elle est de beaucoup plus petite qu’au- 
cune tortue marine, puisque sa longueur, depuis 
le bout du museau , jusqu’à l'extrémité de la queue, 
n'excède pas ordinairement sept ou huit pouces, 
et sa largeur trois ou quatre. 

On la trouve non-seulement dans les climats 
chauds et tempérés de l'Europe, mais encore en 
Asie, au Japon, dans les grandes Indes, etc. 
Elle s’engourdit pendant l'hiver, même dans les 
climats tempérés. Sa retraite, durant cette sai- 
son , consiste en un trou de six pouces de profon- 
deur qu'elle creuse dans la terre vers la fin de 
l'automne, et qui exige d’elle un travail de la du- 
rée d’un mois. Le printemps la ranime et lui fait 
changer de demeure: elle passe la plus grande 
partie de cette saison dans l’eau, s’y tenant sou- 
vent à la surface lorsqu'il fait chaud et que le so- 
leil luit. L'été elle est presque toujours à terre. 

La tortue bourbeuse multiplie beaucoup en 
plusieurs endroits aquatiques des départements 
les plus méridionaux de la France, auprès du 
Rhône, dans les marais d’Arles, etc. On trouva 
une année, dans un marais des plaines de la Du- 
rance , une si grande quantité de ces animaux, 
qu'ils suffirent pendant plus de trois mois à la 
nourriture des habitants de la campagne des en- 
vIrons. 


494 HISTOIRE NATURELLE 


Son goût pour les limaçons, les insectes et les 
vers, la rend utile dans les jardins , et soit par 
cette raison , soit parce que sa chair est employée 
en médecine, on en fait un animal domestique 
que l’on conserve dans des bassins pleins d’eau, 
en ayant soin d'y placer une planchette inclinée 
pour qu'il puisse sortir de l’eau à volonté. 

Si cette tortue est utile dans les jardins , elle est 
nuisible dans les étangs ; elle saisit, à ce que l'on 
rapporte, des poissons même assez gros sous le 
ventre, leur fait perdre le sang par des blessures 
cruelles, et les entraine au fond de l’eau pour les 
y dévorer, ne laissant que lesarêtes et les parties 
les plus cartilagimeuses. Leur vessie aérienne est 
quelquefois rejetée , et sa présence, sur la sur- 
face des eaux, décèle le terrible destructeur de 
ces poissons. 


LA TORTUE A BOÎTE. 


La tortue à boîte a pour patrie l'Amérique sep- 
tentrionale. Elle est longue de quatre pouces trois 
lignes , et large de trois pouces. La carapace est 
très-bombée, le plastron n’est point échancré ; 
mais ses parties antérieures et postérieures for- 
ment deux espèces de battants qui jouent sur une 
charnière cartilagineuse, couverte d’une peau 
élastique et placée à l'endroit où le plastron se réu- 
nit à la couverture supérieure où carapace. La 
tortue peut ouvrir ou fermer à volonté ces deux 
battants en les appliquant contre les bords de la 
carapace , de manière à être alors renfermée comme 
dans une boite , d’où lui vient son nom. 


DES REPTILES. 495 


CRSERO 


Ie FAMILLE DES CHÉLONIENS. 
LES TORTUES DE TERRE. 


Les tortues terrestres ont la carapace beaucoup 
plus bombée que dans les espèces que nous venons 
de parcourir; leurs jambes, comme tronquées, à 
doigts fort courts et réunis de très-près jusqu'aux 
ongles, peuvent se retirer entièrement sous la ca- 
rapace. Les pieds antérieurs ont cinq ongles, et 
les postérieurs n'en ont que quatre, tous gros et 
coniques. 


LA TORTUE GRECQUE. 


On nomme ainsi la tortue terrestre la plus com- 
mune dans la Grèce et dans plusieurs contrées 
tempérées de l'Europe. On la rencontre dans les 
bois et dans les terres élevées : il n’est personne 
qui ne l'ait vue ou qui ne la connaisse de nom. 
Depuis les anciens jusqu’à nous, tout le monde a 
parlé de sa lenteur; le philosophe s’en est servi 
dans ses raisonnements , le poëte dans ses images, 
le peuple dans ses proverbes. La tortue terrestre 
peut en effet passer pour le plus lent des quadru- 
pèdes ovipares. 

Les tortues grecques ressemblent, à beaucoup 
d’égards, aux tortues d’eau douce. Leur taille va- 
rie beaucoup suivant leur âge et les pays qu’elles 
habitent. Il parait que celles qui vivent sur les 
montagnes sont plus grandes que les tortues de 


196 HISTOIRE NATURELLE 


plaines. On en trouve qui ont environ quatorze 
pouces de longueur totale sur près de dix pouces 
de largeur. 

La tortue grecque se nourrit d'herbes, de 
fruits et même de vers , de limaçons et d'insectes ; 
mais comme elle n’a pas l'habitude d'attaquer des 
animaux d’une taille plus considérable , ses mœurs 
sont extrêmement douces; elle est aussi paisible 
que sa démarche est lente, et la tranquillité de 
ses habitudes en fait aisément uu animal domes- 
tique , que l’on voit avec plaisir dans les jardins, 
où elle détruit les insectes nuisibles. 

Comme toutes les autres tortues , elle peut se 
passer de manger pendant très-longtemps. Gé- 
rard Blasius garda chez lui une tortue de terre 
qui, pendant dix mois, ne prit aucune nourriture 
ni aueune boisson. 

La tortue grecque peut vivre longtemps, et un 
naturaliste en a observé une en Sardaigne qui se 
trouvait dans une maison depuis quatre-vingts 
ans , comme un vieux domestique. 


STE 


DEUXIÈME ORDRE DES REPTILES, 


LES SAURIENS. 


L'ordre des sauriens renferme tous les reptiles 
qui, par leur conformation générale, se rappro- 
chent le plus des lézards. Tous ces animaux ont 
le corps allongé, porté sur quatre pattes, et ter- 


DES REPTILES. 497 


miné par une assez longue queue. Cet ordre, as- 
sez mal circonserit pendant longtemps, est ren- 
fermé maintenant par la méthode dans des limites 
naturelles et bien tranchées. On avait fait entrer 
dans cette série des lézards toutes les salaman- 
dres, d’après leur aspect extérieur, mais sans 
nulle considération des mœurs, des habitudes, 
de l’organisation intérieure , et surtout des méta- 
morphoses complètes que subissent toutes les sa- 
lamandres, et qui les ont fait ranger avec beau- 
coup de raison parmi les batraciens. 

La peau de ces animaux est revêtue d’une cou- 
che épidermique assez épaisse et inégale, qui 
forme des espèces d’écailles ou de laque plus 
ou moins grandes. La bouche, largement fendue , 
n’est pas munie de lèvres chiarnues : mais est ar- 
mée de dents , en général de forme conique, qui 
servent à saisir et à retenir la proie, mais rare- 
ment àbroyer les aliments. La nourriture des 
sauriens consiste essentiellement en matières ani- 
males , et leur estomac, ainsi que tout le reste du 
tube digestif, est en rapport avec ce régime. 

La conformation extérieure des sauriens offre 
de nombreuses variétés, leurs habitudes n’en pré- 
sentent pas moins. Les plus grands, teis que les 
crocodiles, habitent les fleuves et les marais : les 
autres vivent, les uns au milieu des bois, dans 
les déserts , les autres dans les lieux habités sous 
les pierres, dans les murs. Les dragons se tien- 
nent sur les arbres, et s’élancent de branche en 
branche, en se soutenant en l’air, à l’aide d’une 
large membrane latérale en forme d’aile. 

Les lézards ont la vie très-dure , 1ls supporten 
des diètes de plusieurs mois, et malgré ces longs 


9 


198 HISTOIRE NATURELLE 


jeûnes, ils subissent leur mue, comme s’ils avaient 
été nourris pendant ce temps. Les époques aux- 
queiles 1ls prennent une robe nouvelle, sont le 
printemps et l’automne. La saison de l'hiver ve- 
nant à détruire ou à faire disparaitre les insectes , 
les vers dent ils s’alimentent , on les voit se retirer 
dans des trous, où 1ls s'engourdissent jusqu'à ce 
que le soleil les ranime avec la nature. Les lé- 
zards de nos contrées commencent à sortir de 
leurs retraites vers la fin de février. Les premiers 
essais de leur liberté consistent à sortir la tête 
hors de la fente de la muraille qu'ils habitent, et 
à recevoir la chaleur bienfaisante de lastre du 
jour. Ils le chargent bientôt après du soin de vi- 
vifier et de faire éclore leurs œufs, qui ont une 
coquille calcaire, de même que ceux des tortues, 
et qu'ils enfouissent dans la terre ou dans le sable. 


LE CROCODILE. 


Ce genre renferme un bien plus grand nombre 
d'espèces qu'on l'avait cru d’abord; les natura- 
listes, ne s'étant décidés que sur des caractères 
superficiels, avaient rangé ensemble le crocodile 
du Nil, le cayman de l'Amérique et le gavial des 
bords du Gange. Des observateurs plus clair- 
voyants ont cherché à dissoudre une société aussi 
informe, et à placer tous ces animaux suivant 
leurs rapports naturels. 

Le crocodile , en général, est parmi les lézards 
ce qu'est le lion dans la classe des quadrupèdes 
vivipares, ce qu'est l'aigle aux autres OISEAUX ; 
tous sont autant de maîtres redoutables; l'un a 


DES REPTILES. 199 


pour son domaine les vastes solitudes de la zone 
torride , l’autre celui des airs. Habitant de la terre 
et des eaux , le erocodile semble étendre plus loin 
sa puissance ; elle est d'autant plus terrible , que 
ses forces, à raison de la température de son 
sang , s’affaiblissent moins vite, qu’il vit plus long- 
temps, et que sa cuirasse le rend plus impéné- 
trable. 

Incapable par la nature de son tempérament de 
violents désirs, le crocodile n'est cruel que par 
besoin. Aristote l’avait depuis longtemps disculpé 
du reproche de férocité. 

Le crocodile pond un assez grand nombre d'œufs 
qu’il dépose dans le sable, et if laisse à la cnaleur du 
soleil le soin de les faire éclore. La femelle du 
cayman met un peu plus desollicitude dans la ma- 
nière dont elle fait sa ponte : elle prépare assez 
près des eaux qu’elle habite une espèce de nid 
dans le creux de quelque terrain élevé, en y ra- 
massant des feuilles ou des débris de végétaux, 
dont la fermentation accélere le développement 
du germe de l'œuf. Suivant Caterby, l'œuf du cro- 
codile de la Caroline, Palligator , n’est pas plus 
grand que l’œuf d’une poule d'Inde; mais ceux du 
crocodile sont bien plus grands: ces œufs sont 
ovales, blanchâtres, et leur coque d’une substance 
crétacée , semblable à celle des œufs de poule. 

Les petits crocodiles sont repliés sur eux-mê- 
mes dans l’œuf, et n’ont que six à sept pouces 
de long lorsqu'ils sortent de la coque. La chaleur 
vivifiante de l’astre du jour fait seule éclore les 
œufs du crocodile. Dès que les petits sont nés , ils 
vont se Jeter dans l’eau pour y chercher leur nour- 
riture et leur sûreté ; mais à un âge aussi tendre 


200 HISTOIRE NATURELLE 


ils deviennent souvent la proie des poissons vo- 
races , des crocodiles mêmes. . 


C’est sur les rives des grands fleuves , et qui of- 
frent une grande quantité de testacées, de tor- 
tues , de poissons , de grenouilles, près des lieux 
où 1l est facile de se mettre en embuscade, au 
milieu des lacs marécageux et des savannes 
noyées, que les crocodiles les caymans , établis- 
sent leur demeure. C’est à qu'ils attendent dans 
le silen e l'instant favorable pour tomber sur leur 
proie. Les béliers, les pores, les bœufs mêmes, 
sont quelquefois attaqués. Élevant la partie supé- 
rieure de leur tête au-dessus de la surface de 
l'eau , ilsguettent les animaux qui viennent boire ; 
dès qu’ils en aperçoivent un, ils plongent, vont 
jusqu'à lui en nageant entre deux eaux, le saisis- 
sent par les jambes et lentrainent pour le noyer. 
Pressés par la faim , 1ls se jettent sur l’homme. 


Quoique le crocodile soit lourd et d’un volume 
considérable , il se remue cependant avec agilité, 
et dans l’eau, spécialement , 1l est d'autant plus 
dangereux qu’il y jouit de toute sa force; 1l se 
précipite avec rapidité sur l’objet dont il veut faire 
sa proie, le renverse d’un coup de queue , le sai- 
sit, et le déchire aussitôt avec les armes redouta- 
bles dont il est muni. 


Ses mouvements sont gènés quand 1l est à terre, 
mais il est encore bien à craindre, marchant très- 
vite dans les terrains plats et unis; ne pouvant se 
tourner avec promptitude , on lévite en faisant 
beaucoup de détours. I! faut se tenir constamment 
sur ses gardes lorsqu'on se trouve sur le bord 
des eaux peuplées de crocodiles; on en a vu 


DES REPTILES. 201 
grimper sur des canots dans le temps que les pas- 
sagers se livraient au sommeil. 

Ces grands quadrupèdes ovipares ne muent 
point, leur corps conserve toujours la puissante 
armure qui le protége. Les plaques écailleuses 
qui recouvrent la partie supérieure du corps des 
crocodiles sont si dures et si solides, qu’eiles ré- 
sistent facilement à la balle, et repoussent leffort 
des armes tranchantes. Les téguments qui recou- 
vrent l'abdomen sont moins solides , et cèdent fa- 
cilement au fer de la lance et de tout autre in- 
Strument aigu. C’est là seulement qu'on cherche 
à les percer quand on les poursuit; mais cette 
chasse offre toujours les plus grands dangers. En 
Egypte on cherche à l’effrayer à grands cris pour 
le faire tomber dans un fossé profond couvert de 
branches, et qu'on a ouvert sur son passage près 
du bord de l’eau. 

Le crocodile du Nil, importuné par la présence 
de l’homme, a fui la basse Égypte, et s’est retiré 
dans la haute. Le cayman, ou le crocodile de 
l'Amérique méridionale, habitant des pays moins 
populeux , s'y est multiplié à un tel point, qu'il y 
remplit les lacs, les rivières, et qu’il gêne la na- 
vigation; on peut les écarter à coups de rames 
iorsqu'ils ne sont pas très-grands. 

Le gavial des bords du Gange atteint quelque- 
fois jusqu’à trente pieds de long : ses mœurs 
sont analogues à celles du crocodile du Nil. Il a 
même. trouvé sur les bords du grand fleuve des 
Indes les mêmes honneurs superstitieux que le 
crocodile sur les bords du fleuve fécond qui fer- 
tilise les campagnes d'Égypte. 


L1 


202 HISTOIRE NATURELLE 


LE MONITOR, OU TUPINAMBIS. 


Le genre des monitors se reconnait à des écailles 
petites et nombreuses sur la tête et les membres, 
sous l’abdomen et autour de la queue. Lacépède 
dit que le tupinambis doit une sorte de beauté à 
la manière dont sont colorées ces écailles dont 
nous venons de parler. Le corps présente de 
grandes taches ou bandes irrégulières d’un blanc 
assez éclatant qui le font paraitre comme marbré, 
et forment même sur les côtés une espèce de den- 
telle. En le revêtant de cette parure agréable, la 
nature lui a fait un présent funeste; car ces cou- 
leurs le font distinguer plus facilement du croco- 
dile, son ernemi le plus acharné. Le monitor, 
trop faible pour lutter avec un ennemi si puissant, 
cherche son salut dans la fuite, en faisant enten- 
dre un sifflement aigu produit par la frayeur. Ce 
sifflement d’effroi est un avertissement infaillible 
de la présence du terrible crocodile aux hommes 
qui se baigneraient dans les environs où qui se 
trouveraient par hasard dans ces endroits. C'est 
de cette particularité que vient son nom de moni- 
tor, de sauve-garde ou de sauveur, qu'on lui 
donne quelquefois. M. Cuvier s'étonne avec rai- 
son qu’on ait donné par une distraction inconce- 
vable le nom de fupinambis , propre à une espèce 
de l’Amérique méridionale, à ces sauriens propres 
à l’ancien continent. Les espèces du genre moni- 
tor les plus remarquables sont : le monitor du 
Nil, de cinq à six pieds de long, le momtor ter- 
restre d'Égypte, commun dans les déserts qui 
avoisinent l'Égypte, et dont se servent les bate- 


, DES REPTILES. 203 
leurs pour amuser le peuple, après lui avoir ar- 
raché les dents ; enfin, le monitor à deux ru- 
bans, qui n’atteint que trois pieds de longueur. 


LE LÉZARD GRIS *. 


Le lézard gris parait être le plus doux, le plus 
innocent et l’un des plus utiles des lézards. Ce joli 
petit animal, si commun dans les pays où nous 
vivons et avec lequel tant de personnes ont joué 
dans leur enfance, n’a pas recu de la nature un 
vêtement aussi éclatant que plusieurs autres ani- 
maux de la mème famille; mais elle lui a donné 
une parure élégante : sa petite taille est svelte, 
son mouvement agile, sa course si prompte, qu’il 
échappe à l'œil aussi promptement que loiseau 
qui vole. Il aime à recevoir la chaleur du soleil; 
ayant besoin d’une température douce, 1l cherche 
les abris, et lorsque dans un beau jour de prin- 
temps une lumière pure éclaire vivement un gazon 
en pente ou une muraille qui augmente la chaleur 
en la réfléchissant, on le voit s'étendre sur ce 
mur ou sur l'herbe nouvelle avec une espèce de 
volupté. Il se pénètre avec délices de cette cha- 
leur bienfaisante ; il marque son plaisir par de 
molles ondulations de sa queue déliée; 11 fait 
briller ses yeux vifs et animés , il se précipite 
comme un trait pour saisir sa petite proie ou pour 
trouver un abri plus commode. Bien loin de s’en- 
fuir à l'approche de l’homme, il parait le regar- 
der avec complaisance; mais au moindre bruit 
qui l’effraie, à la chute seule d’une feuille, il se 


* Extrait de Lacépède. 


204 HISTOIRE NATURELLE è 


roule, tombe et demeure pendant quelques ins- 
tants comme étourdi par sa chute; ou bien il s’é- 
lance, disparait, se trouble, revient, se cache de 
nouveau , reparait encore, décrit en un instant 
plusieurs circuits tortueux que l'œil a de la peine 
à suivre, se replie plusieurs fois sur lui-même, et 
se retire enfin dans quelque asile jusqu’à ce que sa 
crainte soit dissipée. 

Sa tête est triangulaire et aplatie; le dessus 
est couvert de grandes écailles, dont deux sont 
situées au-dessus des yeux, de manière à repré- 
senter quelquefois des paupières fermées. Son 
petit museau arrondi présente des contours gra- 
cieux , les ouvertures des oreilles sont assez 
grandes; les deux machoires égales et garnies de 
larges écailles, les dents fines, un peu crochues, 
et tournées vers le gosier. 

Tout est délicat et doux à la vue dans ce petit 
lézard. La couleur grise que présente le dessus 
de son corps est variée par un grand nombre de 
taches blanchâtres, et par trois bandes presque 
noires qui parcourent la longueur du dos. 

Il a ordinairement cinq ou six pouces de long 
et un demi-pouce de large. Ne voit-on pas tou- 
jours avec intérêt le petit lézard gris jouer inno- 
cemment parmi les fleurs avec ceux de son espèce, 
et, par la rapidité de ses agréables évolutions, 
mériter le nom d’agile que Linnée lui a donné? 
On ne craint point ce lézard doux et paisible : on 
l'observe de près. Il échappe communément avec 
rapidité, quand on veut le saisir : mais lorsqu'on 
l'a pris, on le manie sans qu’il cherche à mordre ; 
les enfants en font un jouet, et par une suite de 
la grande douceur de son caractère , 1l devient 


DES REPTILES. 205 


familier avec eux. On dirait qu’il cherche à leur 
rendre caresse pour caresse; il approche inno- 
cemment sa bouche de leur bouche; il suce leur sa- 
live avec avidité. Les anciens l’ont appelé l'ami de 
l'homme, il aurait fallu l'appeler l'ami de l’en- 
fance. Mais cette enfance souvent ingrate, ou du 
moins trop inconstante, ne rend pas toujours le 
bien pour le bien à ce faible animal; elle le mu- 
tile, elle lui fait perdre une partie de sa queue 
très fragile, et dont les tendres vertèbres peuvent 
aisément se séparer. 

Le tabac en poudre est presque toujours mor- 
tel pour le lézard gris : si lon en met dans sa 
bouche, il tombe en convulsions, et le plus sou- 
vent 1] meurt bientôt après. Utile autant qu'agréa- 
ble, il se nourrit de mouches, de grillons, de 
sauterelles, de vers de terre, de presque tous les 
insectes qui détruisent nos fruits et nos grains. 

Pour saisir les insectes dont ils se nourrissent, 
les lézards gris dardent avec vitesse une langue 
rougeñtre, assez large, fourchue et garnie d’as- 
pérités à peine sensibles, mais qui suffisent pour 
les aider à retenir leur proie. Comme les autres 
reptiles, ils peuvent passer un temps considéra- 
ble sans manger ; on en a vu qui pendant six mois 
n'ont pris aucune nourriture. 


LE LÉZARD VERT 


Quoique Linnée, dans ses classifications des am- 
phibies et des reptiles, ait confondu le lézard vert 
avec le précédent dans les caractères génériques , 
et n'en ait fait qu'une simple variété, la plupart 
des erpétologistes en ont fait une espèce bien dis- 


206 HISTOIRE NATURELLE 


tincte : sa couleur verte, sa taille constamment 
plus grande, ses habitudes particulières, semblent 
l’exiger. 

On trouve un grand nombre de variétés dans 
l'espèce déterminée du lézard vert, mais nous ren- 
controns fréquemment dans toute la France un 
lézard qu’on peut regarder comme le vrai type de 
l'espèce : sa tête a des points blancs bordés de 
brun, le dessus de son corps est d’un vert tirant 
sur le bleu et piqueté de noir. 

Le lézard vert est remarquable par la beauté 
et l'éclat de son vêtement; 1l court avec beaucoup 
de rapidité, et la promptitude avec laquelle 1l 
s’élance au milieu des broussailles ou des feuilles 
sèches, excite un bruit qui fait naître, parce que 
souvent on ne s’y attend pas, une émotion de 
trouble ou de frayeur : 1l saute très-fort, se dé- 
fend très-hardiment contre les chiens qui Fatta- 
quent, se jette même à leur museau, qu'il mord 
avec tant d’opinitreté, qu'il se laisse tuer plutôt 
que de lâcher prise; mais sa morsure n’est pas 
venimeuse , comme on le croit vulgairement. Ses 
habitudes générales, sa manière de vivre ressem- 
blent beaucoup à celles du lézard gris; 1l se bat 
quelquefois contre les serpents, mais le combat 
se termine rarement à son avantage ; les Afri- 
cains se nourrissent de sa chair ; les habitants du 
Kamschatka les regardent comme des envoyés des 
puissances infernales , ets’empressent de couper en 
morceaux ceux qu'ils rencontrent et qu'ils peuvent 
saisir ; s’ils les laissent échapper, leur frayeur aug- 
mente , et ils croient continuellement être sur le 
point de mourir. 

On trouve encore en France, outre le lézard 


DES REPTILES. 207 


vert ordinaire, le grand lézard vert ocellé, le 
vert piqueté, le vert et brun des souches. 


LE DRAGON. 


À ce nom de dragon, l'on conçoit toujours une 
idée extraordinaire. La mémoire rappelle avec 
promptitude tout ce qu'on a lu, tout ce qu'on a 
oui dire sur ce monstrueux animal; mais sans 
nous arrêter à de vaines chimères, enfantées par 
les illusions de l’imagination, examinons les faits. 
À la place d’un être fantastique, que trouvons- 
nous dans la réalité? Un animal aussi petit que 
faible, un lézard inuocent et tranquille, un des 
moins armés de toute la tribu, et qui, par une 
conformation singulière , a la facilité de se trans- 
porter avec agilité, et de voltiger , pour ainsi dire, 
de branche en branche dans les forêts qu’il ha- 
bite. Ces espèces d'ailes, ou membranes alaires, 
sont soutenues par les six premières fausses côtes 
qui n’entourent pas l'abdomen, mais qui s’éten- 
dent horizontalement en ligne droite. Ces appen- 
dices ne dépendent point des membres et ont un 
mouvement spécial, indépendant du leur, à laide 
d’un appareil musculaire particulier. L'animal 
s'en sert comme d’un parachute destiné à le sou- 
tenir en l'air pendant quelques instants , plutôt 
qu’à le transporter à quelque distance. 

Bien différent du dragon de la fable, il passe 
innocemment sa vie sur les arbres, où il vole de 
branche en branche, cherchant les fourmis, les 
mouches, les papillons et les autres insectes qui 
font sa nourriture. 


208 HISTOIRE NATURELLE 


L'IGUANE. 

Les caractères génériques des iguanes sont 
ainsi tracés par Cuvier, dans sa classification des 
reptiles : Les iguanes ont le corps et la queue cou- 
verts de petites écailles redressées , comprimées 
et pointues, et sous la gorge un fanon comprimé 
et pendant, dont le bord est soutenu par une pro- 
duction cartilagineuse de l'os hyoïde. Chaque mâ- 
choire est armée de dents aplaties, triangulaires , 
à tranchant denticulé; 1l y en a aussi deux petites 
rangées au bord postérieur du palatin. 

L’iguane a des mœurs très-douces, et ne cher- 
che jamais à nuire; 1l ne se nourrit que de végé- 
taux et d'insectes. Dans les premiers jours du prin- 
temps 1l aime surtout à manger les fleurs et les 
jeunes feuilles des arbres; plus tard son régime 
devient plus exclusivement insectivore. 

Les iguanes se retirent dans des creux de ro- 
cher ou dans des trous d'arbre. On les voit s’é- 
lancer avec une agilité surprenante jusqu’au plus 
haut des branches, autour desquelles ils s’en- 
tortillent de manière à cacher leur tête au milieu 
des replis de leur corps. Lorsqu'ils sont repus, 
ils vont se reposer sur les rameaux qui avancent 
au-dessus de l’eau. C’est ce moment qu’on choisit 
au Brésil pour leur faire la chasse. Leur dou- 
ceur naturelle, jointe peut-être à l'espèce de tor- 
peur à laquelle les lézards sont sujets, ainsi que 
les serpents, lorsqu'ils ont avalé une grande quan- 
tité de nourriture, leur donne cette sorte d’apa- 
thie et de tranquillité remarquée par les voya- 
geurs , et avec laquelle ils voient approcher le 


DES REPTILES. 209 
danger, sans chercher à le fuir, quoiqu’ils soient 
naturellement très-agiles. On a de la peine à les 
tuer, même à coups de fusil; mais on les fait pé- 
rir très-vite en enfonçant un poincon ou seule- 
ment un tuyau de paille dans leurs nasaux ; on 
en voit sortir quelques gouttes de sang , et l'animal 
expire. 

La stupidité que l’on a reprochée aux iguanes, 
ou plutôt leur confiance aveugle, presque toujours 
le partage de ceux qui ne font point de mal, va si 
loin, qu'il est très-facile de les prendre en vie. 
Dans plusieurs contrées de l'Amérique , on les 
chasse avec des chiens dressés à les poursuivre ; 
mais on peut aussi les prendre aisément au piége. 
Ce qui prouve bien que la stupidité de l’iguane 
n’est pas si grande qu’on le dit, c’est que, lors- 
que sa confiance est trompée et qu’il se sent pris, 
il a recours à la force, dont il ne voulait pas user. 
Il s’agite avec violence, 1l ouvre la gueule, roule 
des yeux étincelants; 1l gonfle sa gorge; mais ses 
efforts sont inutiles, le chasseur parvient bientôt 
à lui attacher les pattes, et à lui lier la gueule de 
manière que ce malheureux animal ne puisse ni se 
défendre n1 s'enfuir. 

On peut le garder plusieurs jours en vie sans 
lui donner aucune nourriture. La contrainte sem- 
ble d’abord le révolter ; il est fier; 1l paraît mé- 
chant; mais bientôt il s’apprivoise. Il demeure 
dans les jardins, il passe même la plus grande 
partie du jour dans les appartements. Il vit parfai- 
tement tranquille et devient familier. 

On ne doit pas être surpris de l’acharnement 
avec lequel on poursuit cet animal doux et paei- 
fique, qui ne cherche que quelques feuilles inu- 


M0 HISTOIRE NATURELLE 


tiles où quelques insectes malfaisants, qui n’a 
besoin pour son habitation que de quelques trous 
de rocher, ou de quelques branches presque sè- 
ches, et que la nature a placé dans les grandes 
forêts du Nouveau-Monde : sa chair est excellente 
à manger, et dans certaines contrées où l’animal 
est plus rare, on la sert sur les meilleures tables. 

Les principales espèces sont, outre l’iguane or- 
dinaire d’4mérique, dont nous venons de tracer 
l'histoire , l’iguane ardoisé, l’iguane à col nu, 
l’iguane cornu de Saint-Domingue et l'iqguane à 
queue armée, de la Caroline. 


LE BASILIC. 


L’imagination des hommes a représenté le basi- 
lice sous les formes les plus terribles, et la doué 
des facultés les plus étonnantes. C’est ainsi qu'on 
le représentait avec un corps de serpent, des 
membres bizarrement attachés au tronc, des yeux 
si perçants qu'ils donnaient la mort. Mais l’ob- 
servation à fait disparaitre tous ces êtres fabuleux 
qui existaient partout excepté dans la nature. 

Le lézard basilic habite l'Amérique méridio- 
nale ; il se distingue par une espèce de capuchon 
qui couronne sa tête; et c’est de là que lui vient 
son nom de basilic, qui signifie petit roi. Ce sau- 
rien parvient quelquefois à une taille assez consi- 
dérable : il a plus de trois pieds de longueur, en 
comptant depuis le museau jusqu'à l'extrémité de 
la queue. 11 vit ordinairement sur les arbres, et 
comme tous les lézards dont les doigts sont bien 
séparés et terminés par des ongles aigus, :1l 
grimpe avec une incroyable facilité. On dirait 


DES REPTILES. 211 


qu'il voltige de branche en branche, tant ses 
mouvements sont vifs et précipités. 

Bien loin de tuer par son regard l’homme im- 
prudent qui tomberait sous sa vue, on prétend qu'il 
aime à être regardé; 1l témoigne alors une sorte 
de satisfaction, se pare, pour ainsi dire, de sa 
couronne , agite mol'ement sa belle crête, la 
baisse, la relève, et par les différents reflets de ses 
écailles, renvoie aux yeux de celui qui l’examine 
de doux reflets de lumière. 


LE CAMÉLÉON. 


Le nom du caméléon est devenu très-célèbre. 
Depuis longtemps déjà 1l était l'emblème de la 
basse et vile flatterie, le miroir fidèle de l’in- 
trigant et du courtisan. Les poëtes, qui savent si 
bien s'emparer de tout ce qui est du domaine de 
l'imagination, se sont saisis de toutes les images 
fournies par des rapports qui, n’ayant rien de réel, 
pouvaient facilement être étendus. Écartons de 
l’histoire de cet animal toutes les qualités fabuleuses 
qu’on lui a attribuées, et faisons-le voir tel qu'il est. 

On trouve des caméléons de plusieurs tailles 
assez différentes les unes des autres. Les plus 
grands n’ont guère plus de quatorze pouces de 
longueur totale. La peau du caméléon est parse- 
mée de petites éminences comme le chagrin : 
elles sont très-lisses, plus marquées sur la tête, 
et environnées de grains presque imperceptibles. 
Ses yeux sont gros et très-saillants, et ce qui les 
distingue de ceux des autres quadrupèdes, c’est 
qu'au lieu d'une paupière qui puisse être levée et 
baissée à volonté, ils sont recouverts par une 

s 


2192 HISTOIRE NATURELLE 


membrane chagrinée, attachée à l’œil et qui en 
suit tous les mouvements. Cette membrane est 
divisée par une fente horizontale, au travers 
de laquelle on aperçoit une prunelle vive, bril- 
lante , et comme bordée de couleurs d’or. 

Non-seulement le caméléon a les yeux enve- 
loppés d’une manière qui lui est particulière, 
mais ils sont mobiles indépendamment l'un de 
l’autre: quelquefois il les tourne de manière que 
l’un regarde en arrière et l’autre en avant. La dis- 
position de ses doigts lui rend la station à terre 
très-pénible, mais favorise au contraire l’action 
de grimper et de parcourir les branches des ar- 
bres. C’est ce qui fait que le caméléon vit de pré- 
férence dans les haies et sur les arbres, sur les- 
quels il peut encore se maintenir solidement à 
l’aide d’une queue prenante assez fortement mus- 
clée, comme celle des sapajous ou des singes du 
nouveau continent. 

Le caméléon ne possède nullement cette acti- 
vité et cette énergie que nous avons déjà eu loc- 
casion de remarquer dans plusieurs genres des 
sauriens. Il ne parcourt pas les rameaux des ar- 
bres sur lesquels il vit avec cette promptitude et 
cette surprenante vivacité qui semble caractéri- 
ser tous les animaux chasseurs. Blotti apathique- 
ment sous une feuille où sous une branche, il 
attend patiemment que les insectes qui forment 
sa proie, viennent à sa portée. Ce naturel indo- 
lent et paresseux ne peut pas s'allier avec des 
mœurs cruelles; le caméléon est complétement 
inoffensif, et ne cause jamais aucun dégât sur les 
arbres qu'il habite. 

La couleur naturelle du caméléon, lorsqu'il est 


“ 


DES REPTILES. 213 


libre, sans inquiétude et se portant bien, est 
d’un beau vert, excepté dans quelques parties qui 
offrent une nuance mêlée de brun rougeûtre ou 
de blane gris. Mais son corps est susceptible d’a- 
voir, suivant les circonstances, des modifications 
dans la couleur dominante qui peut passer au vert 
de Saxe, au vert foncé, en tirant sur le bleu et 
au vert jaune. Voici comment on explique les 
changements de couleur dans la peau du camé- 
léon. Son sang est d’un bleu violet, et sa peau 
ainsi que les tuniques de son corps sont jaunes. 
Il en résulte que, suivant que la passion ou une 
impression quelconque fait passer plus de sang 
du cœur à sa surface et aux extrémités, le mé- 
lange du bleu, du violet et du jaune, produit plus 
ou moins de nuances différentes à travers lépi- 
derme qui est transparent. 

Le caméléon jouit à un très-haut degré du pou- 
voir d’enfler les différentes parties de son corps, 
de leur donner par là un volume plus considéra- 
ble. Il peut ensuite faire disparaitre à volonté 
l'air qui distendait la peau de toutes les régions 
de son corps. Il paraît alors dans un état de mai- 
greur si considérable, que l’on peut compter ses 
côtes, et que l’on distingue les tendons de ses 
pattes, et toutes les parties de l’épine du dos. 

Cet animal, ainsi que les autres sauriens, peut 
vivre près d’un an sans manger, et c’est vraisem- 
blablement ce qui a fait dire aux anciens qu'il ne 
se nourrissait que d’air. 


LES SEPS, LES BIPÈDES ET LES BIMANES. 


En terminant cet ordre des sauriens, nous trou- 


214 HISTOIRE NATURELLE 


vons des genres bien remarquables par les pro- 
fondes modifications qu'ils ont reçues dans leurs 
organes de locomotion. Les véritables lézards 
nous ont offert ces organes assez bien dévelop- 
pés, munis d'un appareil musculaire assez com 
pliqué et doué d’une vive énergie, comme le 
prouvent la vivacité et la multiplicité extrême de 
leurs mouvements. Les reptiles qui nous restent 
à examiner pour finir l’ordre des sauriens, for- 
ment une transition admirablement continue avec 
les ophidiens, quicomposent l’ordre suivant. Leurs 
pieds disparaissent presque entièrement, et leurs 
corps, s’allongeant, leur donnent de grands rap- 
ports de ressemblance avec les vrais serpents. 
Les mœurs dépendent toujours de l’organisation , 
et en sont la traduction extérieure parce que les 
besoins sont nécessités par des appareils organi- 
ques qui les produisent. Les habitudes de ces sin- 
guliers reptiles doivent tenir des sauriens et des 
ophidiens , et c’est en effet ce que l'observation 
nous à fait reconnaitre. 


STE 


TROISIÈME ORDRE DES REPTILES, 
LES OPHIDIENS, ou LES SERPENTS. 


Les ophidiens forment un ordre parfaitement 
caractérisé extérieurement par l'absence des mem- 
bres et par la forme allongée du corps; ce sont, 
de tous les animaux que nous examinons , ceux 


DES REPTILES. 215 


qui méritent le mieux le nom de reptiles, parce 
que leur locomotion ne peut avoir lieu que par la 
reptation au moyen des ondulations que le corps 
trace sur le sol. Ces animaux ont un appareil mo- 
teur particulier doué d’une vive énergie , puisque 
les serpents glissent sur la terre avec une très- 
grande rapidité , et se lancent quelquefois, avec la 
promptitude d’une flèche lancée vigoureusement, 
sur leur proie ou sur leurs ennemis. 

De tous les reptiles ce sont certainement ceux 
qui sont le plus à craindre , et ce sont de tous les 
animaux ceux qui inspirent à l’homme le plus de 
frayeur. La seule pensée de la vipère, le léger 
bruit que fait naître un serpent qui glisse furti- 
vement sur des feuilles desséchées suffit pour faire 
tressaillir le plus courageux. Tous les serpents 
cependant ne sont pas dangereux, car tous n’ont 
pas reçu ce venin terrible qui rend si redoutables 
ceux qui le possèdent; le plus grand nombre 
même en ont été dépourvus. Nous examinerons 
l'appareil sécréteur du venin, en étudiant les ca- 
ractères propres des vipères en général. 

On a partagé l’ordre des ophidiens en trois fa- 
milles principales, les orvets ou les anguis , les 
couleuvres el les vipères. 


RERO 
Ier FAMILLE DES OPHIDIENS. 


LES ORVETS, OU ANGUIS. 


Ces ophidiens ressemblentaux derniers que nous 
avons vus : ce sont des sauriens auxquelson aurait 


216 HISTOIRE NATURELLE 


retranchéles pattes.Ils sont caractérisés à l'extérieur 
par des écailles imbriquées qui les recouvrent en- 
tièrement. 

L'orvet est commun dans beaucoup de pays ,eta 
donné lieu à plusieurs fables assez répandues dans 
le peuple. On a dit qu'il était aveugle et très-mé- 
chant ; ces deux défauts cependant lui ont été attri- 
bués mal à propos , car l'orvet a des veux très-bril- 
lants, quoique plus petits que ceux des autres ser- 
pents, et des mœurs très-douces et tout à fait inno- 
centes. Les dents qui garnissent ses machoires sont 
peu développées, dirigées versle gosier, etnullement 
propresàinoculer duvenin.Lesexpériencesque quel- 
ques naturalistes ont faites à ce sujet ne laissent plus 
aucun doute surl’innocuité parfaite de ces reptiles. 

Lorsque la crainte ou la colère contraignent 
l’orvet à se raidir en tendant tous les muscles de 
Son Corps, celui-ci devient cassant au moindre 
choc et se sépare facilement en plusieurs por- 
tions; c’est ce qui lui a valu le nom de fragile 
(anguis fragilis) , que Linnée lui a donné. 

L'orvet se nourrit de vers, d'insectes, de gre- 
nouilles, de petits rats et même de crapauds; il 
les avale le plus souvent sans les mâcher, en dis- 
tendant outre mesure les ligaments élastiques qui 
attachent les deux mâchoires. Malgré leur avi- 
dité naturelle, les orvets peuvent rester un très- 
grand nombre de jours sans prendre de nourri- 
ture ; un naturaliste en a conservé un vivant pen- 
dant cinquante jours sans lui donner à manger. 

L’orvet habite ordinairement sous terre, dans 
des trous qu’il creuse ou qu’il agrandit avec son 
museau; mais comme il a besoin de respirer l'air 
extérieur , il quitte souvent sa retraite. 


le Boa. os L 


le Serpent à sonnettes. 


VAT 0 à 
PAT RU 1 
L La 


DES REPTILES. 917 
OKZS Ko 
Ie FAMILLE DES OPHIDIENS. 


LES COULEUVRES , OU SERPENTS NON VENIMEUX. 


Les principaux caractères de ces ophidiens 
sont tirés de la disposition et de la conformation 
des écailles et des dents. Leur bonche est armée 
de deux rangées de dents aiguës et recourbées, 
mais non percées pour inoculer du venin, et leurs 
écailles sont modifiées sous l'abdomen et la queue 
en espèces de plaques de formes et de dimen- 
sions variables. Les distinctions spécifiques et 
même génériques appuyées sur ces caractères 
sont très-difficiles à saisir. 

On distingue deux genres principaux , les boas, 
et les couleuvres proprement dites. 


LES BOAS. 


Les plus grands serpents connus appartiennent 
à ce genre ; certaines espèces atteignent trente et 
même quarante pieds de longueur, et parviennent 
à avaler des cerfs , etmême , à ce que l’on assure, 
des bœufs. Ils sont dépourvus de venin, mais ils 
n’en sont pas moins à craindre , à cause de leur 
agilité et de leur force prodigieuse. Tapi sous 
l'herbe, ou suspendu par la queue aux branches 
des arbres dans un lieu de passage, ou sur le 
bord d’un ruisseau , le boa attend à l'affût l’occa- 
sion de saisir sa proie, qu’il entoure de ses re- 


218 HISTOIRE NATURELLE 

plis et serre si fortement , que l’animal est bientôt 
étouffé et ses os broyés. Quand le serpent a, 
pour ainsi dire, pétri sa victime , il l’enduit de sa 
bave, et, dilatant énormément ses màchoires , il 
l’avale lentement. On assure qu'il lui faut quel- 
quefois plusieurs jours pour avaler en entier 
l'animal dont il se repait ainsi, et qu'une portion 
de celui-ci est déjà digérée avant que le tout soit 
entré dans la gueule du reptile. Après un repas 
semblable, les boas demeurent immobiles dans 
quelque endroit écarté, et exhalent une odeur f6- 
de. Il est alors facile de les tuer , et il paraît que 
leur chair n’est pas un aliment désagréable, car 
certaines peuplades indiennes s’en nourrissent. 
Pendant longtemps , la plus grande confusion a 
régné dans l’histoire de ces grands serpents, que 
lon confondait avec quelques autres grandes es- 
pèces; le boa, le plus célèbre, a été nommé devin 
ou divin, à cause des honneurs que les peuples 
sauvages lui rendaient ; on l’appelle encore bo 
constrictor, à cause de la coutume que nous 
avons fait connaitre. Sa patrie est le Nouveau- 
Monde ; d’autres espèces habitent l'Afrique et 
l'Asie. 


LA COULEUVRE A COLLIER. 


La couleuvre à collier se trouve dans toute 
l'Europe , et se plaît surtout dans les lieux humi- 
des, ainsi qu’au milieu des eaux; c’est ce qui lui 
a fait donner par plusieurs naturalistes les noms 
de serpent d’eau, de serpent nageur, d'anguille 
de haie. Ce serpent parvient quelquefois à la lon- 
gueur de trois ou quatre pieds. Il est tres-facile 


DES REPTILES. 219 


de distinguer cette couleuvre de la vipère, à la 
tache jaunâtre qui enveloppe le cou en guise de 
collier , et qui a fait donner le nom à cette espèce. 

La couleuvre à collier ne renfermant aucun 
venin , On peut la manier sans danger; elle ne fait 
aucun effort pour mordre, elle se défend seule- 
ment en agitant rapidement sa queue , et elle ne 
refuse pas de jouer avec les enfants. On la nour- 
rit dans les maisons, où elle s’accoutume si bien 
à ceux qui la scignent, qu'au moindre signe elle 
s’entortille autour de leurs bras, de leur cou, et 
les presse mollement, comme pour leur témoi- 
gner une sorte de tendresse et de reconnaissance. 
Elle s'approche avec douceur de la bouche de 
ceux qui la caressent , elle suce leur salive , et aime 
à se cacher sous leurs vêtements. 

Il arrive cependant quelquefois que lorsque la 
couleuvre à collier est devenue très-forte, et 
qu'au lieu d’avoir été élevée en domesticité elle a 
vécu dans les champs et à l’état sauvage, elle perd 
un peu de sa douceur, et que si on l'irrite elle 
anime ses yeux , agite sa langue , se redresse avec 
vivacité, fait claquer ses mâchoires, et serre for- 
tement avec ses dents la main qui cherche à la 
saisir. 

La couleuvre à collier rampe sur la terre avec 
une très-grande vitesse; elle nage aussi, mais 
avec plus de difficulté qu'on ne l’a cru. Pendant 
que l'été règne, ce serpent vit souvent dans les 
endroits humides, ainsi que nous l'avons déjà dit ; 
mais on le trouve quelquefois dans les buissons ; 
d’autres fois il se place sur les branches sèches et 
élevées des chênes, des saules, des érables, sur 
les saillies des vieux bâtiments, sur tous les en- 


220 HISTOIRE NATURELLE 


droits exposés au midi, et où le soleil donne avec 
le plus de force; il s’y replie en divers : ontours, 
ou s’y allonge avec une sorte de volupté, toujours 
cherchant les rayons de l’astre de la lumière, 
toujours paraissant se pénétrer avec délices de 
sa Chaleur bienfaisante. Mais lorsque la fin de 
l'automne arrive, il se rapproche des lieux moins 
froids, se blottit dans quelque trou pour passer 
l'hiver dans l’'engourdissement. 

La couieuvre à collier se nourrit d'herbes, d’in- 
sectes, et quelquefois de lézards, de grenouilles 
et de petites souris. 


He FAMILLE DES OPHIDIENS. 


LES VIPÈRES , OÙ SERPENTS VENIMEUX. 


Les serpents venimeux, ou à crochets isolés, 
ont reçu une structure très-particulière dans leurs 
organes de la manducation. 

Leurs os maxillaires supérieurs sont fort pe- 
tits, portés sur un long pédicule , et très-mobiles ; 
il s’y fixe une dent aiguë, percée d’un petit canal, 
qui donne issue à une liqueur sécrétée par une 
glande considérable placée sous l'œil. C'est cette 
liqueur qui, versée dans la plaie par la dent, 
porte le ravage dans le corps des animaux, @t y 
produit des effets plus ou moins funestes , selon 
l'espèce qui l'a fournie. Cette dent se cache dans 
un repli de la gencive quand le serpent ne veut 
pas s’en servir, et il y a derrière elle plusieurs 


DES REPTILES. 291 


germes destinés à se fixer à leur tour pour la rem- 
placer, si elle se casse dans une plaie. Les natu- 
ralistes ont nommé les dents venimeuses crochets 
mobiles, mais c’est proprement l'os maxillaire 
qui se meut ; 1l ne porte point d’autres dents, en 
sorte que, dans cette sorte de serpents malfai- 
sants, On ne voit dans le haut de la bouche que 
les deux rangées de dents palatines. 

Toutes ces espèces venimeuses dont on connaît 
bien le mode de reproduction, font des petits vi- 
vants, parce que les œufs éclosent avant d’avoir 
été émis au dehors ; c’est ce qui leur a valu en gé- 
néral le nom de vipéres, contraction de vivi- 
pares. 

On distingue dans cetiè famille surtout deux 
genres , les crotales et les vipères. 


LE CROTALE , OU SERPENT A SONNETTES. 


Le serpent à sonnettes parvient quelquefois à 
la longueur de six pieds, et sa circonférence est 
alors de dix-huit pouces. Ce qui distingue le mieux 
ce reptile, c’est linstrument bruyant qu’il porte 
au bout de la queue , et qui lui a valu sa dénomi- 
nation. Get instrument est formé de plusieurs cor- 
nets écailleux emboités lichement les uns dans les 
autres, qui se meuvent etrésonnent quand l’ani- 
mal rampe ou qu'il remue la queue. Ii parait que 
le nombre des cornets croit avec l’âge et qu’il en 
reste un de plus à chaque mue. Le bruit des son- 
nettes du crotale peut s’entendre à une distance 
de soixante pieds , et il serait à désirer qu’on püt 
l'entendre de plus loin encore, afin que son ap- 

10 


992 HISTOIRE NATURELLE 


proche étant moins imprévue fût aussi moins 
dangereuse. Ce serpent est en effet d'autant plus 
à craindre , que ses mouvements sont souvent très 
rapides; en un clin d'œil il se replie en cercle, 
s'appuie sur sa queue, se précipite comme un 
ressort qui se débande, tombe sur sa proie, la 
blesse, et se retire pour échapper à la vengeance 
de son ennemi. 

Ce funeste reptile habite presque toutes les 
contrées du Nouveau-Monde, depuis la terre de 
Magellan jusqu’au lac Champlain, vers le 45° degré 
de latitude septentrionale. Il régnait pour ainsi 
dire au milieu de ces vastes contrées où les an- 
ciens Américains, retenus par une crainte super- 
stitieuse, redoutaient de lui donner la mort; mais, 
encouragés par l’exemple des Européens, ils ont 
bientôt cherché à se débarrasser de cette espèce 
terrible. Chaque jour les arts et les travaux , pu- 
rifiant et fertilisant de plus en plus ces terres nou- 
velles , ont diminué le nombre des serpents à son- 
nettes, et l’espace sur lequel ces reptiles exer- 
çaient leur funeste domination se réduit à mesure 
que l'empire de l’homme s'étend par la culture. 

Le crotale se nourrit de lombrics, de gre- 
nouilles, de lièvres et d’autres petits quadrupèdes. 
On a répandu au sujet de l'éclat de ses yeux et de 
la fixité de son regard des récits fabuleux de fas- 
cination et de charme ; on a dit que le serpent à 
sonnettes avait la faculté d’enchanter lanimal 
qu'il voulait dévorer , que par la puissance de son 
regard il le contraignait de s'approcher peu à peu 
et de se précipiter dans sa gueule, que l’homme 
ne pouvait résister à la force magique de ses yeux 
étincelants, et que, plein de trouble, il se pré- 


DES REPTILES. 223 


sentait à la dent empoisonnée du reptile, sans 
pouvoir l'éviter. 

Pendant l'hiver des contrées un peu éloignées 
de la ligne, les crotales se retirent en grand nom- 
bre dans des cavernes, où ils sont presque engour- 
dis et dépourvus de force; c’est alors que les na- 
turels du pays osent pénétrer dans leur repaire 
pour les détruire. Lorsque , dans les premiers 
jours du printemps , le soleil darde des rayons 
vifs et purs , les crotales sortent de leurs retraites 
pour s’exposer à sa chaleur bienfaisante pendant 
le jour, et ils regagnent leur retraite pendant la 
nuit. C’est encore quand ces animaux quittent 
leurs cavernes pour venir se chauffer et se rani- 
mer au soleil, qu'on en fait une grande des- 
truction. 

Mais quand la chaleur brûlante de l’été a rendu 
au crotale sa vigueur et sa vivacité ordinaires, 
malheur à ceux qui se présentent imprudemment 
à sa rencontre ! malheur encore à ceux qui navi- 
guent sur de petits bâtiments auprès des plages 
qu'il fréquente ! 11 s’élance sur les ponts peu éle- 
vés avec la rapidité d’une flèche; et quel état 
affreux que celui où tout espoir de fuir est inter- 
dit, où la moindre morsure de l'ennemi que l’on 
doit combattre donne la mort la plus prompte , où 
il faut vaincre en un instant ou périr dans des 
tourments horribles ! Ce terrible reptile renferme 
en effet un poison mortel, et il n’est peut-être 
aucune espèce de serpent qui contienne un venin 
plus actif. 

Le premier effet du poison est une enflure gé- 
nérale ; bientôt la bouche s’enflamme et ne peut 
plus contenir la langue, devenue trop gonflée ; 


29/4 HISTOIRE NATURELLE 


une soif dévorante consume, et si l’on cherche à 
l’étancher, on ne fait que redoubler les tourments 
de son agonie ; les crachats sont ensanglantés , 
les chairs qui environnent la plaie se corrompent 
et se dissolvent en pourriture, et surtout si c’est 
pendant lardeur de la canicule; on meurt quel- 
quefois en cinq ou dix minutes, dans les convul- 
sions les plus effravantes. Les Indiens ont décou- 
vert un remède contre la morsure de ce terrible. 
animal, mais la mort survient trop souvent avant. 
qu’on puisse y avoir recours. 


LA VIPÈRE COMMUNE. 


La vipère commune est longue d'environ ur 
pied sur un pouce de diamètre; le fond de sa 
couleur varie ; il est en général d’un gris brun, ou 
d’un cendré bleuâtre sur la partie supérieure du 
corps. Le dos est couvert d’une double rangée de 
taches noirâtres transversales, et sur la tête on voit. 
ordinairement une tache brune en forme de V, 
ouvert aux deux bouts. 

La vipère commune se trouve dans toutes les 
contrées de l'Europe, mais principalement dans 
les pays montagneux ; elle se trouve en plus 
grande quantité dans les départements méridio- 
naux de la France que dans ceux du nord. 

On confond ordinairement la vipère avec las- 
pic, qui ne parait en être qu’une simple variété ; 
du reste, l’aspie commun de nos contrées diffère 
essentiellement de l’aspic des anciens, ou de la 
vipère d'Égypte. 

Le poison de la vipère est contenu dans une vé- 
sicule placée de chaque côté de la tête, au-des- 


DES REPTILES. 295 


sous du muscle de la mâchoire supérieure ; le mou- 
vement du muscle pressant cette vésicule , en fait 
sortir le venin, qui arrive par un conduit à la 
base de la dent, et est versé dans la plaie par le 
canal qui la traverse. Comme cet animal fait sou- 
vent sortir sa langue fourchue , surtout lorsqu'il 
est irrité, qu’il l’agite et la darde avec beaucoup 
de vivacité, on a cru qu’elle était le siége du ve- 
nin, et une partie molle incapable de nuire a été 
transformée en une fièche empoisonnée; ses gros- 
ses dents sont les seules armes que l’on doit ap- 
préhender. 

Dans quelques animaux , il sort de la blessure, 
aussitôt qu'elle est faite, un sang noir et livide ; 
dans d’autres, au contraire, le sang qui sort con- 
serve sa couleur rouge, quelquefois aussi le venin 
‘sort avec le sang. Cet écoulement est toujours à 
souhaiter, car quoiqu'il ne guérisse pas toujours 
radicalement, il soulage beaucoup, et diminue 
considérablement l'intensité du venin. La mor- 
sure de la vipère, surtout quand elle est parvenue 
à un âge assez avancé et qu’elle est vivement ir- 
ritée , peut devenir mortelle pour l’homme même. 
Mais dans les circonstances ordinaires , son venin 
n'est pas assez abondant pour causer la mort, et 
cause seulement des troubles plus ou moins gra- 
ves, suivant la partie qui a été blessée, et suivant 
d’autres circonstances particulières. On a cherché 
beaucoup de remèdes pour guérir un mal si ter- 
rible et si dangereux , mais on n'a pu encore en 
trouver d’infaillible. On peut faire une ligature 
fortement serrée au-dessus de la plaie du côté du 
tronc, et verser quelques gouttes d’alcali volatl , 
étendu d’eau, sur la blessure, et en prendre à 


296 HISTOIRE NATURELLE 


l'intérieur cinq ou six gouttes dans un verre d’eau. 
Il paraît qu’on à obtenu souvent de bons résultats 
de ce traitement très-simple. 


QUATRIÈME ORDRE DES REPTILES, 


LES BATRACIENS, ou LES GRENOUILLES. 


Ce quatrième ordre des reptiles termine très- 
naturellement la elasse qui nous occupe mainte- 
nant, et forme une transition non interrompue 
avec les poissons, parce que, dans le jeune âge, 
les batraciens respirent tous par des branchies 
analogues à celles des poissons. Ces reptiles su- 
bissent dans les premiers temps de leur existence 
de véritables métamorphoses , et c’est en passant 
de leur première forme à celle qu'ils devront 
conserver pendant le reste de leur vie, qu’ils per- 
dent leurs branchies pour prendre des poumons, 
et une organisation plus en rapport avec celle de 
tous les autres reptiles. Dans leur premier état, 
les batraciens sont désignés sous le nom de té- 
tards. 

Comme le système circulatoire se trouve dans 
des rapports intimes avec celui de la respiration , 
il éprouve les mêmes modifications que les pre- 
miers. C’est dans cet ordre que nous verrons les 
véritables animaux amphibies, c’est-à-dire pou- 
vant également respirer dans l’air atmosphérique 
et dans l’eau; en effet, les sirènes conservent 


k Grenouille. P. 227 


la Salamandre, 


DES REPTILES. 997 


toujours leurs branchies au moyen desquelles 
elles peuvent séparer de l’eau loxygène qui S'y 
trouve dissous, et qui est indispensable au renou- 
vellement du sang , et elles possèdent en même 
temps de véritables poumons pouvant respirer 
l'air ordinaire, et par ce moyen hématoser leur 
sang veineux avec la même facilité dans quelque 
milieu que les circonstances les portent. Nous 
pouvons voir 161 que la dénomination d’amphi- 
bies, conservée encore vulgairement à un grand 
nombre d'animaux, est dénuée de fondement , et 
peu rationnelle, puisque tous ceux auxquels on 
l'a appliquée peuvent seulement respirer l'air at- 
mosphérique , et sont asphyxiés dans l’eau plus ou 
moins promptement. 

Les batraciens des régions tempérées, soumises 
à un froid assez Intense, s’engourdissent profon- 
dément , et passent toute la saison rigoureuse 
dans le sommeil hibernal, cachés dans la vase 
des marécages. Aux premières lueurs d’un soleil 
plus ami, ils secouent ce pesant sommeil, et 
viennent reprendre la vie et la légèreté à son in- 
fluence bienfaisante. 

On divise cet ordre en plusieurs genres dont les 
plus remarquables sont les grenouilles, les cra- 
pauds , les raines où rainettes , les salamandres 
et les sirènes. 


LES GRENOUILLES. 


Si les grenouilles ont plusieurs points de res- 
semblance avec les crapauds, ces êtres qui nous 
inspirent une horreur dont souvent nous ne pou- 


298 HISTOIRE NATURELLE 


vons nous défendre, elles ont cependant plu- 
sieurs caractères qui les en éloignent, et elles ne 
doivent point partager leur disgrâce. On cher- 
cherait en vain dans les crapauds cette forme 
svelte et élancée , ces membres déliés et souples , 
ces couleurs variées et comme brillantes que la 
nature à accordées aux grenouilles. Les grenouil- 
les, loin d’être bassement accroupies dans la 
boue , ne vont que par sauts très-élevés, leurs 
pattes postérieures se pliant et se débandant 
comme un ressort. L’élasticité et la sensibilité de 
ces animaux sont telles, qu'on ne peut les saisir 
sans que leur corps prenne toutes les courbures , 
fasse tous les mouvements nécessaires pour se 
débarrasser; elles cherchent lélément de l’air, 
et Îeur plus grand plaisir est de jouir de la 
lumière, surtout lorsqu'elles y sont invitées par 
la clarté brillante et pure de Vastre du jour. 
« Qu'est-ce qui pourrait donc faire regarder avec 
« peine, dit M. de Lacépède, dans son Histoire 
« des reptiles, un être dont la taille est légère, 
« le mouvement preste, l'attitude gracieuse ? Ne 
« nous interdisons pas un plaisir de plus; et lors- 
« que nous errons dans nos belles campagnes, 
« ne soyons pas fâchés de voir les rives des ruis- 
« seaux embellies par les couleurs de ces animaux 
« innocents, et animées par leurs sauts vifs et lé- 
« gers; contemplons leurs petites manœuvres ; 
« suivons-les des yeux au milieu des étangs pai- 
« sibles dont ils diminuent si souvent la solitude, 
« sans en troubler le calme; voyons-les montrer 
« sous les nappes d’eau les couleurs les plus agréa- 
« bles, fendre en nageant ces eaux tranquilles, 
« souvent même en rider la surface, et présen- 


DES REPTILES, 299 


« ter les douces teintes que donne la transparence 
« des eaux. » 

Ces animaux sont voraces ; ils avaient souvent 
des animaux plus considérables qu'eux , de petits 
oiseaux , de jeunes souris, ete. ; mais leur nourri- 
ture ordinaire consiste en larves d'insectes aqua- 
tiques que leur langue retient facilement, parce 
qu'elle est enduite d’une mucosité gluante. 11 pa- 
rait cependant qu’elle a encore, malgré sa vora- 
cité, son ardeur à se jeter sur sa proie, une sorte 
de délicatesse dans son goût, ne saisissant que les 
corps en mouvement , ou les animaux dont les ca- 
davres ne sont pas puiréfiés. 

Dès que le printemps est de retour, la gre- 
nouille se plait, surtout la nuit, à jeter un cri 
souvent répété , composé de tons rauques, de sons 
discordants, et d'autant plus désagréables, qu’ils 
sont produits par plusieurs de ees animaux à la 
lois ; ces clameurs rudes et fatigantes sont con- 
nues sous le nom de coassement. 

Les grenouilles doivent vivre assez longtemps ; 
on peut tirer cette induction de la ténacité de leur 
vie. 

Outre les serpents d’eau, plusieurs poissons, 
les oiseaux de rivage, différents quadrupèdes, les 
grenouilles ont pour ennemi l’homme, auquel leur 
chair fournit un mets assez estimé de quelques 
personnes. 

Les principales espèces de grenouilles sont, la 
grenouille commune , la grenouille rousse, la 
grenouille mugissante, la grenouille grognante , 
la grenouille criarde , etc. 


230 HISTOIRE NATURELLE 


LES RAINES OU RAINETTES. 


Les raines , connues plus communément sous le 
nom de rainettes, ont plusieurs points de ressem- 
blance avec les grenouilles que nous venons d’exa- 
miner; mais outre que leur corps est moins al- 
longé, presque de forme triangulaire, que leurs 
pattes postérieures sont plus développées et ren- 
dent ces animaux plus agiles, elles présentent un 
caractère net et tranché dans la disposition des 
doigts aux quatre membres; les doigts ne finissent 
jamais en pointe, mais sont terminés par une es- 
pèce de ventouse visqueuse destinée à favoriser 
leur station sur les branches des arbres. Les pattes 
antérieures ont seulement quatre doigts, tandis 
que les postérieures en ont cinq. 

Les rainettes sont très-agiles, et ont des mou- 
vements très-prompts et très-déliés. Elles passent 
la belle saison au milieu des bois, dans les Jardins 
.ombragés , posées sur une branche, et même 
quelquefois sur la surface inférieure d’une feuille. 
Elles sautent de rameau en rameau, s’élancent 
très-rapidement sur les insectes qui sont à leur 
portée, les saisissent et les retiennent avec leur 
langue. Considérées sous quelques rapports, les 
raines sont dans cette section des batraciens ce 
que sont les iguanes , les caméléons dans celle des 
sauriens ; elles fréquentent comme eux les haies, 
les arbres , et s’y tiennent tranquilles, soit pour se 
soustraire aux regards de leurs ennemis, soit 
pour y attendre patiemment leur proie. 

Les développements ou métamorphoses des 
rainettes diffèrent peu de celles des grenouilles. 


DES REPTILES. 231 


Les rainettes ne vivent dans les bois que ;pen- 
dant les saisons chaudes ou tempérées de l’année. 
L'hiver leur commande la retraite. Elles se tapis- 
sent au fond des eaux , dans le limon des maréca- 
ges, et y demeurent engourdies jusqu’à l’arrivée 
du printemps. Dès le mois d'avril et de mai, on 
commence à entendre les sons rauques et coupés 
de leur voix étrange. 

Les espèces les plus remarquables sont , la rai- 
nelle verte où commune , la rainette patte d'oie, 
la rainette bicolore , et la rainette à tapirer. 


LE CRAPAUD. 


On ne peut prononcer le nom du crapaud sans 
retracer le souvenir d’une image dégoütante, sans 
produire une espèce d'horreur. On le regarde 
comme un être vicié dans toutes ses parties , que 
la nature a traité de la manière la plus défavora- 
ble. S'il a des pattes , elles n’élèvent pas son corps 
disproportionné au-dessus de la fange qu’il ha- 
bite; s’il a des yeux, ce n’est point, en quelque 
sorte , pour recevoir une lumière qu’il fuit ; man- 
geant des herbes puantes ou vénéneuses, caché 
dans la vase, tapi sous des tas de pierres, retiré 
dans des trous de rochers, sale dans son habita- 
tion, dégoûtant par ses habitudes, difforme dans 
son corps, obscur dans ses couleurs, infect par 
son haleme, ne se soulevant qu'avec difficulté; 
ouvrant lorsqu'on l'attaque une gueule hideuse, 
n'ayant pour toute puissance qu’une grande ré- 
sistance aux coups qui le frappent, que l’inertie 
de la matière , que l’opiniâtreté d’un être stupide, 
n'employant d’autres armes qu’une liqueur fétide 


232 HISTOIRE NATURELLE 


qu’il lance, que paraît-il avoir de bon, si ce n’est 
de chercher , pour ainsi dire, à se dérober à tous 
les yeux , en fuyant la lumière du jour ? 

Les crapauds ont le corps ramassé , globuleux, 
couvert ordinairement de pustules, et n'ayant 
presque toujours que des teintes sombres et obs- 
cures. Leur peau est assez dure pour résister 
quelque temps à l'effort des corps aigus avec les- 
quels on cherche à la percer. Ses yeux sont vifs 
et craignent la lumière du jour. 

Les crapauds se nourrissent de vers, d’insec- 
tes, de limaces, de colimaçons , etc. ; mais c’est 
la nuit principalement qu'ils rôdent et vont à la 
poursuite de leur proie. On prétend qu'ils aiment 
la sauge et surtout la ciguë, qu’on a quelquefois 
appelée, à cause de cette particularité, le persil 
des crapauds. 

Dans les climats dont la température est froide, 
ils passent l'hiver engourdis et cachés dans des 
trous ou sous des pierres ; ils s’y rassemblent 
même quelquefois plusieurs. Is font entendre dès 
les premiers jours du printemps, et vers le cou- 
cher du soleil, un cri répété souvent et assez doux. 
Ils ont le sens de l’ouie si fin, que, pour peu qu’on 
approche du lieu d’où est parti le son, ils gardent 
sur-le-champ le silence. 

La grandeur des crapauds varie suivant les es- 
pèces et suivant les climats ; ils sont beaucoup 
plus grands dans les pays chauds. On en trouve à 
la Côte-d'Or de si gros, qu’on les prendrait pour 
des tortues de terre. La chaleur paraît aussi don- 
ner plus d’âcreté à la liqueur qu’ils éjaculent en se 
défendant. On a quelquefois regardé cette liqueur 
comme très-venimeuse , mails c’est une erreur ; 


DES REPTILES. 933 


elle est seulement corrosive et caustique, et ne 
cause de douleur très-sensible que quand elle 
parvient dans les parties du corps où le tissu 
épidermique , manquant sur la peau, devient plus 
facilement irritable. 

Les principales espèces de crapaud sont, le 
crapaud commun , le crapaud des joncs, le 
crapaud brun, le crapaud variable , le crapaud 
cornu, et le crapaud à ventre jaune, si commun 
dans toutes les eaux croupissantes. 


LES SALAMANDRES. 


La salamandre terrestre est assez répandue 
dans presque toutes les parties de la France, où 
elle porte différents noms que le peuple lui a im- 
posés, d’après les observations qui l’ont le plus 
frappé. Dans quelques contrées on la nomme plu- 
vine, parce qu'elle se montre au dehors particu- 
lièrement quand il pleut, ou quand l'atmosphère 
est chargée d’une abondante humidité; et dans la 
plupart sourd, parce qu’elle semble privée de la 
faculté d'entendre. 

L'histoire de la salamandre terrestre se trouve 
mêlée d’un grand nombre de traits fabuleux. C’est 
ainsi que les anciens prétendaient que la salaman- 
dre marche impunément au milieu des flammes, et 
qu’elle les éteint même sur son passage. Quelques 
auteurs ne se sont pas contentés d’une propriété 
déjà si merveilleuse, ils ont ajouté que la sala- 
mandre vivait dans le feu comme dans son élément 
propre. 

On croyait encore que c’était un animal très-re- 
doutable; sa morsure donnait, disait-on, la mort 


"AL 


934 HISTOIRE NATURELLE 


comme celle de la vipère; et quelques auteurs 
n’ont pas craint d'écrire qu’un homme mordu par 
la salamandre devait, s’il voulait conserver quel- 
que espoir de guérison, appeler autant de méde- 
cins que le reptile a de taches. Les auteurs qui 
donnaient de si salutaires conseils étaient sans 
doute médecins. 

Toutes ces erreurs , enfantées par une Imagina- 
tion égarée, se sont transmises d'âge en âge, et 
n'ont disparu qu’au siècle dernier devant les ex- 
périences souvent réitérées de quelques natura- 
listes éclairés. 

La salamandre terrestre est un animal innocent, 
doux, extrêémement craintif, dont l'amour du mer- 
veilleux à fait mal à propos un être extraordinaire 
par des qualités qui semblaient tenir du prodige, 
et par l’effroi qu’elle inspirait ; ses sensations sont 
obtuses, parce que les organes dont elles éma- 
nent sont imparfaits. Quoique ses yeux soient as- 
sez gros, la salamandre voit mal ; aussi sa marche 
est-elle trainante , et elle se met rarement en mou- 
vement. On ne voit point au dehors d’oreilles ap- 
parentes ; on remarque seulement de chaque côté, 
derrière les yeux, un groupe de petits trous sem- 
blables à des piqûres d’épingle qui, suivant toute 
probabilité, tiennent lieu des organes extérieurs de 
l’'ouie. Une peau nue, tantôt sèche, tantôt enduite 
d'une humeur épaisse et visqueuse, des pattes de 
crapaud , des doigts mousses , dénués d’ongles 
préservateurs, et presque sans mouvement, sont 
des moyens bien faibles de protection et de défense. 

C'est dans les lieux frais et humides qu’elle fixe 
le séjour de son existence triste et peu active; on 
la trouve dans les caves où règne l'humidité, 


DES REPTILES. 235 


dans les masures, les décombres, et sous les tas 
de pierres amassées depuis longtemps au milieu 
des champs. 

Outre la salamandre terrestre, dont la peau est 
couverte de grandes taches nombreuses, on trouve 
encore dans nos contrées, au milieu des eaux dor- 
mantes , la salamandre aquatique, où triton à 
crête (triton cristatus. Guv.) 


LA SIRÈNE. 


La sirène est très-célèbre par la singulière pro- 
priété que nous avons déjà fait connaître d’avoir 
des organes doubles de respiration, des poumons 
et des branchies. Du reste, on ne connaît point les 
mœurs de cet animal qu’on à observé dans les 
marais de la Caroline. 


FIN DE LA CLASSE DES REPTILES, 


» 


eh sx. 


HISTOIRE NATURELLE 


DES 


POISSONS. 


ICTHYOLOGIE. 


Les poissons forment la quatrième et dernière 
classe des animaux vertébrés. Ces animaux étant 
destinés à passer leur vie dans un milieu particu- 
lier, ont recu dans toute leur organisation de 
profondes et intimes modifications en rapport 
avec les circonstances indispensables à la vie ani- 
male, la respiration et la circulation. Ce sont les 
deux appareils servant à l’accomplissement de ces 
deux grands phénomènes, qui doivent être exami- 
nés en premier lieu. Les poissons ont besoin de 
respirer pour hématoser le sang veineux devenu 
impropre à la nutrition, c’est-à-dire qu’il est néces- 
saire que l’oxygène vienne dans un organe spécial 
se mettre en contact avec le liquide sanguin pour 
lui rendre les qualités artérielles. Le milieu qui 
presse et enveloppe les poissons renferme en dis- 
solution une certaine quantité d’air atmosphé- 


238 HISTOIRE NATURELLE 


rique , et les poissons ont recu des appareils 
conformés de manière à pouvoir l’en extraire fa- 
cilement. Les branchies et vulgairement les ouies, 
constituent les organes de la respiration; elles 
consistent en feuilles suspendues à des arceaux 
qui tiennent à l’os hyoïde et recouverts d’un tissu 
d'innombrables vaisseaux sanguins. Leur cœur 
n’a qu’une seule oreillette et n’envoie que du sang 
veineux aux organes respiratoires, le sang qui 
a subi l’hématose dans les branchies entrant im- 
médiatement dans un long vaisseau dorsal, où il 
ne reçoit aucune impulsion nouvelle, pour aller 
arroser tous les membres. 

Cette circulation imparfaite fait que les pois- 
sons , de même que les reptiles, ont le sang froid, 
et en général Pirritabilité organique musculaire 
bien moins développée que tous les autres verté- 
brés. 

Le squelette des poissons a participé aux au- 
tres changements de structure, et admet de nom- 
breuses variations dans la nature même de ses 
pièces, suivant les différentes espèces. C’est ainsi 
que chez la plupart le squelette devient ordinaire- 
ment osseux, tandis que chez un certain nombre 
il reste fibro-cartilagineux , ou même purement 
cartilagineux ; enfin quelques espèces ont cette 
charpente beaucoup moins solide et simplement 
membraneuse : nous remarquerons ici en passant 
que cette structure anormale des os nous donne 
un passage bien naturel vers les animaux mous 
et invertébrés; tant il est vrai de dire que tout 
dans la nature forme une chaine non interrompue! 

Le squelette des poissons est très-compliqué, 
au moins dans certaines de ses parties. Nous 


DES POISSONS. 239 


n’entrerons dans aucun détail à ce sujet, et nous 
dirons que les os sont en général flexibles par le 
peu de matière calcaire qu’ils renferment dans 
leurs tissus, que les tendons s’ossifient quelque- 
fois, et constituent ce que vulgairement on ap- 
pelle les arêtes. Nous considèrerons rapidement 
le système tégumentaire particulier à ces ani- 
maux, et les nageoires, dont la disposition sert 
de point de comparaison pour établir les carac- 
tères distributifs des genres et des espèces. 

La peau est nue quelquefois, mais presque tou- 
jours elle est couverte d’écailles. Quelquefois ces 
écailles ont la forme de grains rudes ; d’autres 
fois ce sont des tubercules très-gros, ou des pla- 
ques d’une épaisseur considérable ; mais en gé- 
néral elles prennent l’aspect de lamelles fort 
minces, se recouvrant comme les tuiles d’nn toit 
par imbrication, et enchâssées dans les replis du 
derme. On peut les comparer aux ongles de 
Vhomme, mais leur tissu renferme beaucoup plus 
de sels calcaires. Les écailles des poissons parais- 
sent souvent ornées des couleurs métalliques les 
plus brillantes, et des tons les plus moelleux : cet 
effet est dû au pigmentum sécrété par le derme, 
et visible au dehors par la transparence des écail- 
les. C’est: avec le pigmentum argenté ou nacré 
des ablettes, qu’on nomme quelquefois essence 
de perles, que l’on fait les fausses perles. 

Quelques poissons sont privés de nageoires, et 
ne peuvent exécuter que quelques mouvements de 
reptation au fond des eaux; mais la plupart en 
ont reçu de bien conformées et dans des disposi- 
tions si permanentes , qu’on en a tiré d'excellents 
caractères méthodiques. Des nageoires, les unes 


240 HISTOIRE NATURELLE 


sont placées sur la ligne médiane du dos ou de 
l'abdomen, et par conséquent impaires; les autres 
sur les parties latérales et disposées par paires. 
Ces dernières représentent les membres des au- 
tres animaux vertébrés ; les membres antérieurs 
qui correspondent au bras de l’homme et à l’aile 
de l'oiseau , sont fixés de chaque côté du tronc, 
immédiatement derrière la tête et sont appelés 
nageoires  pectorales. Les membres abdomi- 
naux peuvent varier beaucoup pour leur position 
depuis le dessus de la gorge jusqu’à la région 
anale : on les nomme nageoires ventrales. Les 
nageoires impaires occupent, comme nous ve- 
nons de le dire, la ligne médiane inférieure et 
supérieure du corps, et se distinguent en nageoi- 
res dorsales, anales ou caudales , suivant leur 
position. Du reste, toutes les nageoires ont à peu 
près la même structure; elles consistent dans un 
repli de la peau soutenu par des rayons osseux 
ou cartilagineux, à peu près de la même manière 
que les ailes membraneuses des chauves-souris et 
des dragons sont soutenues par les doigts ou par 
les côtes de ces animaux. 

Une particularité bien remarquable dans l’orga- 
nisation des poissons, et qui leur rend la natation 
beaucoup plus facile, c’est l'existence d’une ves- 
sie natatoire, placée dans l’abdomen, sous l’épine 
dorsale. Ce réservoir à air communique avec l’œso- 
phage par un large canal par où l'air peut s’écha- 
per à l'extérieur suivant la volonté de l’animal. La 
présence de l'air dans l’intérieur de cette vésicule 
a donné lieu à plusieurs expliquations qui sont ve- 
nues successivement se remplacer les unes les 
autres. Aujourd’hui on pense que les parois de 


DES POISSONS. ZE | 


l'organe offrent un tissu glandulaire et qui a la 
propriété de sécréter de l'air *. Cette propriété 
semble bien extraordinaire, et, réunie à d’autres 
faits non moins surprenants qui résultent de l’ac- 
tion de la vie dans d’autres circonstances et chez 
d’autres animaux , elle peut donner lieu à réfléchir 
sur plusieurs principes de la chimie, touchant les 
corps gazeux réputés simples. 

En passant à l'étude des sens et de leurs organes 
chez les poissons, nous sommes forcés de conve- 
nir que ces animaux ne doivent posséder que des 
sensations bien obtuses , parce que leurs organes 
sont lort imparfaits. A l’exception de l'appareil 
de là vision, qui est parfaitement disposé dans 
les rapports convenables avec le milieu qu’habi- 
tent les poissons, tous les autres organes des sens 
sont presque réduits à rien. 

Toute la vie des poissons étant employée à 
pourvoir à leur nourriture, et à fuir leurs enne- : 
mis, leurs facultés intérieures paraissent bien 
bornées et ne donnent extérieurement lieu à au- 
cune particularité de mœurs intéressantes. Ce sont 
de tous les animaux vertébrés incontestablement 
les plus stupides. 

Quelques genres de poissons pourraient nous 
présenter des migrations et de longs voyages 
aussi Curieux que ceux des oiseaux. Nous aurons 
occasion d'en parler spécialement à l’article du 
hareng. 

Le nombre des poissons est immense, et comme 
ils fournissent à l’homme un aliment agréable et 


* La vessie nalatoire des poissons ne renferme pas de Pair at- 
mosphérique pur ; mais ordinairement de l'azote presque sans 
mélange, 


242 HISTOIRE NATURELLE 


sain, leur pêche est une branche d'industrie im- 
portante chez les peuples les plus sauvages , 
comme chez les nations les plus civilisées. À une 
époque qui n’est pas encore bien éloignée de celle 
où nous vivons, cette branche d’industrie oceu- 
pait un cinquième de la population totale de la 
Hoïlande , et pour la pêche des harengs seule- 
ment, ce pays couvrait de ses bâtiments les mers 
du Nord. En Angleterre elle fait subsister aussi 
un nombre considérable de bons et hardis mate- 
lots , et même en France, où elle a moins d’impor- 
tance, on compte de trente à quarante mille pé- 
cheurs, dont près du tiers s’aventure jusque sur 
les côtes d'Islande et de Terre-Neuve. 


CRSSAO 


DISTRIBUTION DES POISSONS EN DIFFÉRENTS 
ORDRES. 


La classe des poissons est de toutes , celle qui 
offre le plus de difficultés quand on veut la subdi- 
viser en ordres, d’après des caractères fixes et 
sensibles. Après bien des efforts, Cuvier s’est dé- 
terminé pour la distribution suivante, qui dans 
quelque cas, pèche contre la précision , mais qui 
a l'avantage de ne point couper les familles natu- 
relles. 

Les poissons forment deux séries distinctes, 
celle des poissons proprement dits, et celle des 
chondroptérygiens, autrement dits poissons car- 
hilagineux. 


DES POISSONS. 243 
La dernière série se partage en trois ordres : 


Les cyclostomes, dont les mâchoires sont sou- 
dées en un anneau immobile et les branchies ou- 
vertes par des trous nombreux ; ex. lamproie. 

Les sélaciens, qui ont les branchies des pré- 
cédents et non leurs mâchoires; ex. squalere quin. 

Les sturéoniens, dont les branchies sont ou- 
vertes comme à l'ordinaire par une seule fente 
garnie d’une opercule ; ex. esturgeon. 


L'autre série ou celle des poissons ordinaires 
offre d’abord une première division dans ceux où 
los maxillaire et l’arcade palatine sont engrenés 
au crâne: c’est l’ordre des plectognathes , divisé 
en deux familles: les cymnodontes et les scléro- 
dermes ; ex. triodons et coffres. 

On trouve ensuite des poissons à mâchoires 
complètes, mais où les branchies, au lieu d’avoir 
la forme de peignes, comme dans toutes les au- 
tres, ont celle de petites houppes , c’est l’ordre 
des lozobranches ; ex. pégase. 

Alors 1l reste une quantité innombrable de 
poissons auxquels on ne peut plus appliquer d’au- 
tres caractères que ceux des organes extérieurs 
du mouvement. Après de longues recherches, le 
savant naturaliste dont nous avons cité le nom 
précédemment, a trouvé que le moins mauvais 
de ces caractères est encore celui qu'ont employé 
Rai et Artedi, tiré de la nature des premiers 
rayons de la nageoire dorsale et de la nageoire 
anale. On divise ainsi les poissons ordinaires en 
malacoptérygiens, dont tous les rayons sont 
mous, et en acanthoptérigiens , qui ont toujours 
la première portion de la dorsale, ou la première 


241 HISTOIRE NATURELLE 


dorsale quand il y en a deux, soutenue par des 
rayons épineux. 

Les premiers peuvent être subdivisés sans in- 
convénient d’après la position de leurs ventrales, 
tantôt situées en arrière de l’abdomen , tantôt sus- 
pendues en arrière de l'épaule, ou enfin manquant 
tout à fait. On arrive ainsi aux trois ordres des 
malacoptérygqiens abdominaux , subbrachiens et 
apodes. 

Cette base de division est absolument imprati- 
cable avec les acanthoptérygqiens, et on ne peut 
qu'y laisser subsister les familles naturelles assez 
précisées, 1l est vrai, par des caractères qui 
pourraient presque suflire pour déterminer des 
ordres. 

Au reste on ne peut assigner aux familles des 
poissons des rangs aussi marqués qu’à celles des 
mammifères et des autres vertébrés supérieurs. 

Notre intention n’est point d'entrer dans de 
longs détails sur l’histoire des poissons. Ces dé- 
tails pourraient paraitre fastidieux à un grand 
nombre de personnes ; nous nous bornerons sim- - 
plement à faire connaître les espèces les plus re- 
marquables. 


LES MULLES. 


Les muiles se distinguent facilement par les 
deux longs barbillons suspendus sous la machoire 
inférieure. Ces poissons sont propres aux mers 
d'Europe et sont appelés vulgairement rougets- 
barbets. Leur chair est délicieuse, et ce sont des 
poissons célèbres par le plaisir puéril que les Ro- 
mains prenaient à voir les changements de cou- 


ls Poiscons volents. 


DES POISSONS. 245 


leur qu'ils présentent en mourant. Pour mieux 
jouir de ce spectacle, et pour être bien certains 
d’avoir ces poissons le plus frais possible, ils 
les faisaient venir dans de petites rigoles, jusque 
sous les tables où l’on mangeait, et les faisaient 
mourir dans des vases de verre, que les convives 
se passaient de main en main. Cette passion pour 
les mulles fut portée an point de faire payer à 
des prix exorbitants ceux qui dépassaient la 
taille ordinaire. Sénèque raconte l’histoire d’une 
muile , pesant quatre livres et demie, qui fut pré- 
sentée à Tibère, et que ce prince, ridiculement éco- 
nome , fit vendre au marché; Apicius et Octavius 
se la disputèrent, et ce dernier l’emporta au prix 
de einq mille sesterces, qui dans ces temps-là va- 
lient 974 francs de notre monnaie, Pline parle 
d'un de ces poissons qui, du temps de Caligula, 
fut acheté par Asinius Céler pour huit mille ses- 
terces (1,558 francs) , et Suétone nous apprend 
que sous Tibère trois mulles d’une grande taille 
furent payées trente mille sesterces (5,844 francs). 

Nous possédons dans nos mers deux espèces : 
la plus estimée est le rouget proprement dit, qui 
est d’un rouge vif; la seconde est le surmulet, 
qui atteint une plus grande taille, mais qui est 
moins recherchée. 


. 
DACTYLOPTÈRES , OU POISSONS VOLANTS. 


Parmi les traits remarquables qui distinguent 
ce grand poisson volant et les autres qui jouis- 
sent de la même faculté, il faut examiner spécia- 
lement les dimensions de ses nageoires pectorales. 
Elles sont assez étendues pour qu’on ait pu les 

41 


246 HISTOIRE NATURELLE 


distinguer sous le nom d’ailes ; et ces instruments. 
de natation et principalement de vol, étant compo- 
sés d’une large membrane soutenue par de longs 
rayons articulés que l’on a comparés à des doigts ; 
comme les rayons des pectorales de tous les pois- 
sons, les ailes du dactyloptère ont beaucoup derap- 
port dans leur eonformation avec celles des chau- 
ves-souris, dont on leur a donné le nom dans quel- 
ques contrées : on les appelle encore quelquefois 
faucons de mer, hirondelles de mer, ete. 

Lorsque le dactyloptère est poursuivi par ses 
ennemis au milieu des flots, il s’élance avec force: 
hors de leur sein, se soutient quelque temps en 
Vair en frappant l’atmosphère de ses larges mem-— 
branes, et s’en va retomber à une grande distance 
de son point de départ. Il traverserait dans lat- 
mosphère des espaces bien plus considérables 
encore, Si la membrane de ses ailes pouvait con- 
server sa souplesse au milieu de l'air chaud et 
quelquefois brûlant des contrées où 1l se trouve; 
mais le fluide qu'il traverse a bientôt desséché ses 
ailes membraneuses, et rendu leurs mouvements 
très-difficiles et très-pénibles. Alors le dactylop- 
tère, perdant sa faculté distinctive, retombe vers 
les eaux au-dessus desquelles 1l s'était soutenu , 
et ne peut plus s’élancer de nouveau dans lat- 
mosphère que quand il a plongé ses ailes dans 
une eau réparatrice. 

Les dactyloptères usent d'autant plus souvent 
du pouvoir de voler qui leur a été départi, qu'ils 
sont poursuivis dans le sein des eaux par un 
grand nombre d’ennemis; plusieurs gros pois- 
sons voraces , tels que les scombes et les dorades, 
cherchent à les dévorer; et telle est la malheu- 


sit es 


DES POISSONS. 247 


reuse destinée de ces animaux qui , poissons et o1- 
seaux , sembleraient avoir un double asile, qu’ils 
n’échappent aux périls de la mer que pour être 
exposés à ceux de l'atmosphère, et qu’ils n’évitent 
la dent des habitants des eaux que pour être sai- 
sis par le redoutable bec des frégates , des mouet- 
tes et de plusieurs autres oiseaux marins. 

On rencontre ces poissons dans la Méditerra- 
née et dans presque toutes les mers des climats 
tempérés ; mais c’est principalement aupres des 
tropiques qu'ils vivent en grand nombre. 


LES MAQUEREAUX. 


Les maquereaux appartiennent à la division des 
scombéroïdes, et se distinguent parce que tout 
leur corps est couvert de petites écailles fines et 
lisses. 

Le maquereau vulgaire ou commun est un 
poisson de passage sur nos côtes; sa pêche est 
très-productive, et donne lieu à des salaisons et à 
des envois presque aussi considérables que les ha- 
rengs. Comme ces poissons paraissent sur les 
côtes de nos mers à des époques invariables , on 
a débité plusieurs fables pour expliquer ces mi- 
grations fixes et périodiques. On a dit que les 
maquereaux passaient l'hiver dans les mers du 
Nord, et qu’ils en descendaient au commencement 
du printemps pour trouver le long des rivages une 
nourriture plus abondante, et des endroits plus 
favorables pour y déposer leur frai. Cette opinion 
ne s'appuie pas sur des données assez certaines, 
et il parait beaucoup plus vraisemblable que les 
maquereaux vivent ordinairement au fond des 


248 HISTOIRE NATURELLE 

eaux, et qu'à certaines époques leurs légions in- 
nombrables sont appelées vers les rivages par 
les deux raisons que nous venons d'indiquer pré-- 
cédemment. Quoi qu’il en soit, les pêcheurs en 
saisissent un très-grend nombre qui se consom- 
ment ensuite dans les pays plus éloignés dans 
les terres. Ce poisson a une chair plus délicate 
que celle du hareng, et est en général plus re- 
cherché. 


LE THON. 


Le thon ressemble assez au maquereau par la 
forme générale de son corps , mais ilest moins al- 
longé et atteint une taille bien plus considérable ; 
en général sa longueur est de trois ou quatre pieds; 
mais il paraît que quelquefois il en a plus de 
quinze. On assure que sur les côtes de Sardaigne, 
il n’est pas rare d’en prendre dont le poids s’é- 
lève à plus de mille livres; ceux de cent à trois 
cents livres n’y sont appelés que des demi-thons ; 
enfin un auteur, qui a fait une histoire naturelle 
de cette île, assure qu'on en a vu de dix-huit 
cents livres. 

Les attributs qu’ils ont reçus de la nature leur 
donnent une grande prééminence sur le plus 
grand nombre des autres poissons. C’est presque 
toujours à la surface des eaux qu’ils se livrent au 
repos, ou qu'ils s’abandonnent à l’action des di- 
verses causes qui peuveut les déterminer à se mou- 
voir. On les voit réunis en troupes très-nombreuses 
bondir avec agilité, s’élancer avec force, cingler 
avec la vélocité d’une flèche. La vivacité avec la- 
quelle ils échappent , pour ainsi dire, à l'œil de 


p. 249 


{s. 


[ 


les Broch 


. LE ps 7 
FRE EVE 


DES POISSONS. 249 


Vobservateur, est principalement produite par 
une queue très-longue, qui frappe londe sa- 
lée par une face très-élendue, ainsi que par une 
nageoire très-large ; cette queue est animée par 
des museles vigoureux, et soutenue de chaque 
-côté par un cartilage qui accroît son énergie. 

Ce poisson se montre quelquefois dans Océan, 
mais c’est surtout dans la Méditerranée qu'il 
abonde. On lui a fait, depuis ies temps les plus 
anciens, une chasse très-active , et de nos jours 
cette chasse donne des produits très-considéra- 
bles, et exerce l’industrie d’un grand nombre de 
pêcheurs. 


LES CYPRINS. 


La tribu des cyprins se distingue par ses mâ- 
choires dépourvues de dents, et des ouïes soute- 
nues seulement par trois rayons plats. Ce sont 
des poissons d’eau douce peu carnassiers, qui vi- 
vent en grande partie de graines, de plantes aqua- 
tiques et même de Himon. Les animaux les plus re- 
marquables de cette tribu sont: les carpes, les 
barbeaux, les goujons, les tanches, les brèmes, 
les ables ou ablettes. 

La carpe habite les lacs, les étangs, les riviè- 
res; de la nature des eaux et des aliments dépend 
le plus ou moins de délicatesse de sa chair. Les 
carpes peuvent atteindre une taille très-considé- 
rable; on en a vu qui pesaient jusqu’à cinquante 
ou soixante livres. Ce poisson, dit-on, est si fin 
et si rusé qu'on le pêche difficilement, à moins 
de mettre la rivière à sec. A l’approche du filet, il 
enfonce sa tète dans la bourbe, laisse passer le 


250 HISTOIRE NATURELLE 


filet, et ne reparaît que lorsqu'il n’y a plus de dan- 
ger. La reproduction est proportionnée à la des- 
truction: en a trouvé dans le corps d’une carpe 
du poids de dix livres jusqu’à sept cent mille 
œufs, mais une grande partie de ces œufs et des 
petits qui en naissent deviennent la proie des 
poissons voraces. 


Les barbeaux ressemblent à la carpe commune 
par plusieurs traits de leur conformation. Les 
épines et les barbillons ont beaucoup d’analogie ; 
mais les barbeaux ont les nageoires dorsale et 
anale fort courtes. Ces poissons ont une chair 
moins estimée et moins recherchée que celles des 
carpes. 

Les goujons ne parviennent jamais à une taille 
moyenne; leur longueur ne dépasse guère huit 
pouces. ils vivent en grandes troupes dans toutes 
nos eaux douces; mais dans lhiver, on les ren- 
contre principalement dans les marais, les lacs, 
et toutes les eaux tranquilles. Ces petits poissons 
ont une chair assez délicate, surtout dans les 
premiers jours du printemps. 

Les tanches ont encore des traits nombreux de 
ressemblance avec les précédents, mais elles 
n’ont que de très-petites écailles et des barbil- 
lons très-courts. La {anche vulgaire est courte, 
grosse et d’une couleur brune, jaunâtre et même 
dorée: elle se plaît surtout dans les eaux sta- 
gnantes. 

Les brèmes n’ont ni rayons épineux ni barbil- 
lons; leur nageoire dorsale est courte et placée 
en arrière des ventrales. Nos eaux douces en 
nourrissent deux espèces: la brème commune et 


DES POISSONS. 251 


la bordelière ou petite brème, moins estimée que 
la première. 

Les ables sont de petits poissons très-blancs 
et très-répandus dans tous nos ruisseaux. L'a- 
blette ou able ordinaire acquiert sept ou huit 
pouces de long , et se fait remarquer par ses écail- 
les brillantes , qui se détachent aisément et qui 
sont argentées ou nacrées. On s’en sert, comme 
nous avons déjà eu occasion de le dire, pour faire 
l'essence des fausses perles. Une autre espèce de 
ce genre , le véron, est le plus petit de nos pois- 
Sons. 


LE BROCHET. 


Ce poisson est fort estimé sur nos tables, mais 
dans les étangs et les viviers il est très-redouta- 
ble et cause de grands désordres. Il est très-vo- 
race et toujours affamé; il se précipite sur tous 
les poissons qui s'offrent à sa rencontre; on le 
“voit encore se mettre en embuscade contre le cou- 
rant de l’eau , prêt à fondre sur l'imprudent qui 
tentera le passage. C’est le fléau destructeur de 
tous ceux à qui la nature n’a pas donné d'armes 
offensives et défensives. 

La croissance de ces poissons est rapide. Il 
n’est point rare dans le nord de l’Europe de trou- 
ver des brochets de quatre à cinq pieds de long 
et d’un poids fort considérable. Leur longévité pa- 
rait être très-grande. 


LE MALAPTÉRURE ÉLECTRIQUE. 


De tous les poissons, celui-ci est peut-être le 


9259 HISTOIRE NATURELLE 


plus remarquable par les singulières propriétés 
qu'il a reçues de la nature. Linnée l’avait nommé 
silure électrique, et les Arabes l’appellent raasch 
ou tonnerre, parce qu'il donne à la main impru- 
dente qui le touche d'assez violentes commotions 
électriques. On a fait d’assez grandes recherches 
anatomiques pour connaître et décrire parfaite- 
ment l’organe qui était le siége de cette faculté si 
extraordinaire , et on n’est arrivé qu'à de simples 
conjectures. Il paraît, dit Cuvier, que le siége de 
cette faculté est un tissu particulier situé entre la 
peau et les muscles, et qui présente l’apparence 
d’un tissu cellulaire graisseux , abondamment 
pourvu de nerfs. 


LE SAUMON. 


Ce poisson d’une chair nourrissante et délicate 
atteint quelquefois une taille assez considérable ; 
il pèse jusqu’à trente et quarante livres. Il habite 
tantôt les mers, et tantôt les eaux douces en re- 
montant dans les fleuves et les rivières qui Sy 
déchargent. C’est un des plus beaux poissons que 
nos pêcheurs rencontrent quelquefois dans les 
rivières poissonneuses de la Touraine et d’autres 
provinces. Il est si fortement musclé, et possède 
des mouvements si énergiques, qu'il remonte con- 
tre le courant de l’eau avec la rapidité d’un trait, 
surtout lorsque les rivières sont enflées par 
l'abondance des pluies. C’est depuis le mois de 
novembre jusqu’au printemps que les saumons 
quittent la mer pour entrer dans les fleuves. Si en 
nageant à la surface de l’eau ils rencontrent une 
digue , ils s’élancent au delà, eût-elle cinq ou six 


DES POISSONS. 253 


pieds de haut. On en voit remonter de cette ma- 
nière dans le Rhin, la Garonne, la Tamise , et au- 
tres fleuves et rivières jusqu’à la distance de cent 
lieues. Les saumons se nourrissent de vers, de 
petits poissons, et s’engraissent dans l’eau douce. 

La chair du saumon est très-estimée, et dans 
certaines localités, dans les rivières du nord de 
l'Europe surtout, la pêche de ce poisson est une 
branche d'industrie des plus productives et des 
plus importantes. 

La truite de mer, la truile saumonée et la 
truite commune se rapprochent de la forme du 
saumon , et offrent à nos tables une nourriture as- 
sez délicate. 


LES HARENGS. 


Tout le monde connait le hareng commun, de- 
venu célèbre par la pêche dont il est l’objet , et par 
l'abondance qui en estrépandue dans le commerce. 
Il fait sa demeure dans les mers du Nord, et ar- 
rive chaque année en légions innombrables sur 
diverses parties des côtes d'Europe, d’Asie et 
d'Amérique. Quelques icthyologistes ont pensé 
que les harengs se retirent périodiquement sous 
les glaces des mers polaires, et qu’ils partent de 
là en immenses colonnes qui vont se répandre en 
diverses régions du globe." Cette opinion est loin 
d’être démontrée positivement , et quelques don- 
nées sembleraient prouver le contraire. Les ha- 
rengs viennent sur nos côtes déposer leurs œufs, 
et ensuite 1ls remontent dans les mers arctiques 
pour y trouver les petits mollusques et les petits 


254 HISTOIRE NATURELLE 


crustacés qui forment leur nourriture. C’est au 
printemps qu'ils se rapprochent du rivage, et 
qu'ils viennent chercher des eaux plus chaudes et 
moins profondes. En général ces poissons arri- 
vent dans les mêmes parages à jour nommé , pour 
ainsi dire ; quelquefois aussi des circonstances 
particulières les en éloignent pendant plusieurs 
années. Ils voyagent en nombre incalculable, et 
en formant des banes serrés , qui couvrent quel- 
quefois la surface de la mer, dans une étendue 
de plusieurs lieues, et dans une épaisseur de plu- 
sieurs centaines de pieds. C’est alors qu'on leur 
fait une pêche très-avantageuse et qu’on en prend 
des quantités prodigieuses. Cette pêche emploie 
chaque année des flottes entières, et jadis elle était 
poursuivie avec encore plus d'activité. 

Une autre espèce du genre des harengs donne 
également lieu à des pêches importantes : c’est la 
sardine , célèbre par l’extrême délicatesse de sa 
chair. Elle habite l’océan Atlantique, la mer Bal- 
tique et la Méditerranée. Pendant l'hiver elle se 
tient dans les profondeurs de la mer; mais vers 
le mois de juin, elle se rapproche des côtes, réu- 
nie en légions immenses. On a vu des bateaux 
prendre jusqu'à quarante et même jusqu'à cin- 
quante mille de ces poissons. La pêche de la sar- 
dine se fait à peu près de la même manière que 
celle du hareng, mais avec des filets à mailles 
plus petites, et les pêcheurs, afin d’y attirer plus 
de poisson, ont soin d'y jeterun appât particulier. 
Depuis l'embouchure de la Loire jusqu'à lextré- 
mité de la Bretagne, ce poisson abonde chaque 
été et donne lieu à des pêches très-productives: 
aussi existe-t-il sur cette côte un grand nombre 


DES POISSONS. 955 


d'établissements appelés presses, dans lesquels 
on s'occupe de la salaison de la sardine. 


LES MURÈNES. 


Les murènes ont le corps très-allongé et en 
général ophimorphe ; elles ont des nageoires pec- 
torales et par-dessous l'ouverture des branchies. 

Les murènes proprement dites sont devenues 
très-célèbres par les extravagances des Romains 
à leur égard. La murène commune atteint Jjus- 
qu’à trois pieds de long, et se trouve abondam- 
ment répandue dans la Méditerranée. Les Ro- 
mains en élevaient un grand nombre dans leurs 
magnifiques viviers. 

Les anguilles communes appartiennent à cette 
division : elles varient de couleurs suivant une 
foule de circonstances extérieures. Elles sont 
très-voraces et d’une agilité extrême; elles na- 
gent également bien en avant et en arrière, et 
leur peau couverte d’une mucosité visqueuse est 
si glissante, qu'il est très-difficile de les saisir. 
Quand la saison est très-chaude et. que l’eau sta- 
gnante desétangs commence à se corrompre, les 
anguilles quittent le fond et se cachent sous les 
herbes du rivage, ou même se mettent en voyage 
pour aller, à travers les terres, chercher une de- 
meure plus favorable. C’est ordinairement pen- 
dant la nuit qu’elles font ces voyages singuliers , 
et quand la sécheresse est extrême , elles s’enfon- 
cent dans la vase, pour y rester enfouies jusqu’à 
ce que l’eau soit revenue. On a vu de ces animaux 
passer ainsi privés d’eau un temps assez long , et 
reprendre leur agilité quand leur élément leur 
était rendu. 


256 HISTOIRE NATURELLE 


La gymnote où anguille éiectrique a le corps 
allongé comme les précédents, mais s’en distin- 
gue par une faculté bien extraordinaire, qu’elle 
partage avec la mélaptérure électrique. Ce  pois- 
son atteint cinq ou six pieds de long, et décharge 
à volonté et dans la direction qui lui plaît de vio- 
lentes commotions électriques assez fortes pour 
terrasser un homme et les animaux les plus vi- 
goureux, comme le bœuf et le cheval. 


LES COFFRES. 


Les coffres ont dans la structure de leurs tégu- 
ments une particularité que nous ne voulons pas 
passer sous silence. Les écailles se soudent, se so- 
lidifient, et donnent naissance à de véritables 
plaques cornées d’une dureté et d’une résistance 
à toute épreuve. Quelques autres écailles subis- 
sent une altération peut-être encore pl's profonde 
en se raidissant en piquants et en épines mobiles 
au gré de l’animal. Les coffres sont done munis 
ainsi d’une cuirasse protectrice contre les atta- 
ques de leurs ennemis , et vivent à l'abri de leurs 
attaques, ordinairement dans les mers chaudes 
voisines de l'équateur. 


LES REQUINS. 


Le formidable requin parvient jusqu’à une lon- 
sueur de tre te pieds, et pèse quelquefois plus 
de mille livirs. Mais la grandeur n’est pas son 
seul attribut ; il a recu aussi la force et des ar- 
mes meurtritres : féroce autant que vorace , 
impétueux dans ses mouvements, avide de sang 
et insatiable de proie, il est véritablement le tigre 


p. 256 


7 
fn Un = 
. ail net qi 


ke Requin. 


DES POISSONS. 257 


de la mer. Recherchant sans crainte tout ennemi, 
poursuivant avec plus d’obstination, attaquant 
avec plus de rage, combattant avec plus d’achar- 
nement que les autres habitants des eaux ; rapide 
dans sa course, répandu dans tous les climats, 
ayant envahi, pour ainsi dire, toutes les mers ; 
paraissant souvent au milieu des tempêtes ; aperçu 
facilement par l’éclat phosphorique dont il brille 
au milieu des ombres des nuits les plus orageu- 
ses; menaçant de sa gueule énorme et dévorante 
les infortunés navigateurs exposés aux horreurs 
du naufrage, leur fermant toute voie de salut, 
leur montrant, pour ainsi dire, leur tombe ou- 
verte, et plaçant sous leurs veux le signal de la des- 
truction , il n’est pas étonnant qu’il ait reçu le nom 
sinistre qu'il porte, et qui réveille le souvenir de 
la mort. Le nom du requin vient par corruption 
du mot latin requiem. 

Le corps du requin est très-allongé, et la peau 
qui le recouvre est garnie de petits tubercules 
très-serrés les uns contre les autres. Comme cette 
peau tuberculée est très-dure, on l’emploie dans 
les arts à polir différents ouvrages de bois et d’i- 
voire; on s’en sert aussi pour faire des liens et 
des courroies , ainsi que pour couvrir des étuis et 
d’autres meubles ; la peau de requin porte ordi- 
nairement dans le commerce le nom de peau de 
chien de mer, où peau de chagrin. La dureté 
de cette peau est très-utile au requin, et sert à le 
protéger contre la morsure de plusieurs animaux 
assez forts et armés de dents meurtrières. 

L'énorme gueule du requin est garnie d’une 
sextuple rangée de dents tranchantes, blanches 
comme de livoire , et mobiles au gré de l'animal. 


95S HISTOIRE NATURELLE DES POISSONS. 


LES RAIES. 


Les raies forment une nombreuse tribu facile à 
reconnaitre à la forme orbiculaire du corps, et aux 
nageoires ordinairement très-développées. Nos 
mers nourrissent quelques espèces de raies re- 
cherchées pour la bonté et la légèreté de leur 
chair. La plus commune est la raie bouclée, ainsi 
nommée à cause de gros tubercules, garnis cha- 
cun d’un aiguillon recourbé , qui hérissent irré- 
gulièrement les deux surfaces de son corps. 


FIN DES POISSONS. 


DES MATIÈRES. 


Les hérons. 141 
Les cigognes, 143 
L'ibis. 145 
La bécasse, 146 


261 


Les tourne-pierres. 147 
Les poules d’eau. 1b. 
Les flamants. 148 


VIe ORDRE DES OISEAUX. 


Les palmipèdes. 150 


Ie Famille des palmipédes. 


Jre Famille des palmipèdes. p us totipaimes. 160 
—Les brachyptères. 152 1. ve ib. 
Les grébes. 153 2. LR 162 
Les plongeons. 154 . Fe Re LA 163 
Les pingouins. 155 Se edes palmipèdes. 
Les manchots. ib. — Les lamellirostres. 164 
Les cygnes. 165 
Ile Famille des palmipèdes. Les oies. 166 
—Les longipennes. 156 _ Les canards. 167 
Les pétrels. 157 L'eider. 168 
Les mouettes ou goélands. 158 La sarcelle. 169 
CASTRO 


HISTOIRE NATURELLE DES REPTILES, 


Erpétologie. 171 
Divisions générales des 


reptiles en différents or- 
dres. 179 


I ORDRE DES REPTILES. 


Les chéloniens, ou les tor- 


—tues. 182 
Jre Famille des chéloniens. 

— Tortues marines. 156 
La tortue franche. 187 
Le caret. 191 


11e Famille des chéloniens. 


—Les tortues d’eau douce.192 
La bourbeuse, ou la tortue 


d’eau douce d'Europe. 193 
La tortue à boite. 194 
lile Famille des chéloniens. 

—Les tortues de terre. 195 
La tortue grecque. ib. 


II: ORDRE DES REPTILES. 


Les sauriens. 196 

Les crocodiles, 198 

Le Monitor , ou tupinam- 
bis. 202 


Le lézard gris. 203 
Le lézard vert. 205 
Le dragon. 207 


L’iguane. 208 
4 


* 


e 


262 
Le basilic. 210 
Le caméléon. 211 


TABLE DES MATIÈRES. 


Les seps, les bipèdes et les 
bimanes. | 213 


lle ORDRE DES REPTILES. 


Les ophidiens , ou les ser- 
pents. 214 
Z'< Famille des ophidiens. 
—Les orvets, ou anguis. 215 
Ile Famille des ophidiens. 
— Les couleuvres ou les 
serpents non venimeux. 217 


Les boas. 1b. 


La couleuvre à collier. 218 
Ïiic Famille des ophidiens. 
—Les vipères, où ser- 


pents venimeux. 220 
Le crotale, ou serpent à 

sonnettes. 221 
La vipére commune. 224 


IVe ORDRE DES REPTILES. 


Les batraciens ou les gre- Le crapaud. 231 
nouilles. 226 Les salamandres. 233 
Les grenouilles. 227 La sirène. 235 
Les raines ou raimettes. 230 
CKZSRO 


HISTOIRE NATURELLE DES POISSON. 


Icthyologie. 237 
Distribution des poissons 

en différents ordres. 242 
Les mulles. 244 
Dactyloptères ou poissons 

volants. 245 
Les maquereaux. 247 
Le thon. 245 
Les cyprins. 249 


Le brocher. 251 
Le .alaptérure électrique. 1b. 
Le saumon. 202 
Les harengs. 253 
Les murènes. 255 
Les coffres. 256 
Les requins. 1b. 
Les raies. 258 


FIN DE LA TABLE. 


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