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JUN 27 1987,
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EXTRAIT DU RAPPORT
L’'HISTOIRE NATURELLE DES OISEAUX,
DES REPTILES ET DES POISSONS,
Fait au Conseil royal de instruction publique.
Dans une introduction, dont les idées nous ont
paru justes, l’auteur établit une comparaison entre
la méthode artificielle et la méthode naturelle; et,
sans dédaigner les services rendus par la première,
il donne , avec raison , la préférence à la seconde,
en regrettant toutefois d’y trouver encore tant de
lacunes et d'anomalies.
Les changements qu'ila cru devoir introduire
dans quelques parties de la classification nous ont
semblé judicieux ; mais nous regarderions comme
une témérité de nous prononcer sur leur mérite
absolu.
Les descriptions sont exactes; 1l y a de l'intérêt
dans les détails que l’auteur a recueillis sur l’in-
stinct, les mœurs et l'utilité des animaux dont il
parle dans son livre: 1l a évité le défaut de trop
1
6 EXTRAIT DU RAPPORT, ete.
multiplier les termes techniques et les dissertations
sur l’histoire de la science. Nous devons louer
l'auteur d'avoir su prendre un parti et d’avoir re-
connu que les discussions doivent être bannies des
ouvrages élémentaires. Nous ajouterons qu'il a
trouvé que l’histoire naturelle était assez attrayante
par elle-même pour ne pas y ajouter ces récits
merveilleux où romanesques dont la véritable
science à fait depuis longtemps justice.
L'histoire naturelle des oiseaux , des reptiles et
des poissons, est un ouvrage instructif, intéressant,
qui peut servir pour l’enseignement dans les écoles
normales et qu'on peut distribuer dans les écoles
primaires supérieures, soit comme prix, Soit
comme ouvrage de bibliothèque.
INTRODUCTION.
Les sciences d'observation offrent à l'esprit de celui qui les
cultive une longue série de principes, el surtout une iminense
collection de faits. Par les travaux continuels et les recherches
actives des hommes versés dans leur étude, ces faits se mul-
tiplient sans cesse, bientôt ils s’accumuient, et par leur isole-
ment, ils présentent l'image du chaos où tous les éléments
les plus hétérogènes en apparence gisent confondus. Qui vien-
dra d’un souffle puissant dissiper les ténébres épaisses qui
pèsent sur Lant de matériaux stériles par leur éparpillement,
et n'altendant qu'un germe vivifiant pour manifester leur
merveilleuse fécondité?
Quand on aborde l'étude d'une science dans de telles cir-
constances, l'esprit le plus hardi se trouve embarrassé dés les
premiers pas. Il a beau se débattre au milieu des entraves qui
gênent sa marche, si son intelligence n’est douée de facultés
éminemment philosophiques, malgré toute l'aptitude qui
semble le porter vers ces connaissances, il ne possèdera ja-
mais rien de solide : la mémoire sera surchargée, et l'esprit
sera toujours dans l'obscurité.
Tel à été primitivement l’état des sciences naturelles, telle
a été dans l’origine la position des anciens naturalistes. Les
plus distingués possédaient une grande quantité de faits joints
à quelques principes de philosophie zoologique ; maisla masse
de Ieurs connaissances n’était pas fécondée par ces aperçus
profondément philosophiques, qui dans ces derniers temps ont
fait de l'étude des sciences naturelles une étude éminemment
intéressante et utile. Ces premiers amis de la nature semblaient
ignorer que pour se prêter une mutuelle force et produire
8 INTRODUCTION.
d'heureux résultats, les principes de ja science devaient s’u—
nir en faisceau serré et s'enchainer étroitement.
Les sciences naturelles en général et la zoologie en parti-
culier manquaient donc de cette vie qui devait les animer
plus Larä et leur communiquer cette active énergie qui les
caractérise aujourd’hui. Elles ne présentaient qu'une réunion
d'ossements épars qui n’attendaient qu'un ordre puissant pour
se revêtir de muscles et de tous les organes qui par leurs phé-
nomènes constants et variés constituent la vie. Quel est donc
ce principe vilai qui manquail aux premières Connaissances
physiques ? C'était la méthode.
La méthode en effet est appelée à vivifier toutes les scien-
ces qui forment le domaine de l'esprit humain. Bans l'état de
dégradation où lintelligence humaine est tombée, il lui est
impossible d'embrasser d'un coup d'œil sûr un large horizon;
elle se perdrait dans le labyrinthe des mille Gistinctiors orga-
nographiques ct éthographiques des naturalistes. Pour que
l'étude soit facile et fructueuse, il faut que les différents objets
se succédent suivant toutes les lois de$ harmonies naturelles
et les conelusions d’une méthode sévére.
Quelle méthode doit-on adopter dans l'étude des scien-
ces naturelles ? Doit-on donner la préférence aux méthodes
artificielles où aux méthodes naturelles ? I y a déjà long-
temps que cette question a été résolue, ct pour le plus grand
nombre des hommes versés dans les sciences il ne reste plus
la moindre incertitude. Cependant je sais quelques naturalis-
tes éclairés et savants qui regrettent sincèrement de voir
tomber entiérement les principes des anciens méthodistes.
Ils sont péniblement affectés du profond mépris que certains
naturalistes jeunes et sans expérience veulent déverser sur
des systèmes qui ont rendu d’éminents services à la science
en général. Cette opinion nous semble respectable, mais
nous devons sans balancer donner la préférence aux métho-
des naturelles établies sur des fondements plus rationnels.
Pour bien faire apprécier la différence qui existe entre les
deux méthodes, nous dirons que la méthode naturelle &
pour but de traduire le plus exactement possible l’ordre
établi par la nature dans la série animale, et de faciliter
la connaissance et le souvenir de cet ordre. La méthode
artificielle prend pour point de départ quelques organes ex-
INTRODUCTION. 9
térieurs, quelques habitudes, et même quelquefois des ca-
ractères secondaires ou tertiaires, et range tous les animaux
d’après ces données si superficielles.
Dans la méthode natureile il faut bien distinguer la techni-
que de la classification organographique : la première est
toute externe et ne sert qu’à aider la mémoire dans son tra-
yail ; on peut l'appeler la partie mnémonique de la méthode.
La seconde, au contraire, descend, si Fon peut s'exprimer
ainsi, dans les entrailles du sujet pour placer tous les objets
d’après leurs relations à un point de comparaison. La tech-
nique a été admirablement comprise des premiers classifica-
teurs. Linnée peut nous en fournir le type; la classification
organographique a été créée par les naturalistes modernes, el
peut serésumer dansles grands etadmirables travaux de Cuv:er.
Malgré Lous les services rendus par la méthode naturelle,
et malgré la perfection qu'elle a reçue dans ces derniers
temps dans son application au régne animal, nous ne pou-
vons nous empêcher de reconnaitre encore bien des lacunes.
Pour que cette méthode naturelle fût complétement irrépro-
chable dans son application, il serait nécessaire qu’elle fût
toujours la traduction fidèle et sévère des dégradations orga-
niques , en suivant une série descendante du type jusqu'aux
derniers individus. Or, il existe plusieurs classes dans le
règne animal que nous pouvons dire n'être pas l'expression
exacte des rapporis organiques au Lype pris pour moyen {er-
me. Sans parler de l’embranchement des articulés chez les-
quels la distribution en ordres, familles et genre semble
presque entièrement artificielle, nous jetterons un léger coup
d'œil sur l’ornithologie, qui va nous occuper bientôt.La classe
des oiseaux est sans contredit la classe la mieux caractérisée
de toutes celles composant le rêégne animal, mais les ordres,
es familles el les genres offrent de grandes difficullés dans
leur placement distributif. Cuvier, dans son grand et immor-
tel ouvrage, le Règne animal distribué d'après son orga-
nisation , les a presque toutes heureusement vaincues. Néan-
moins quand nous considérons certains genres des rapaces,
et surtout l'ordre si bizarrement circonscrit des passereaux ,
nous ne pouvons voir sans répugnance quelques classements
qui nous semblent violer les lois harmoniques qui font les
principes nécessaires de toute classification.
10 £ INTRODUCTION.
Nous venons de dire qu'il était nécessaire d'établir une
série descendante d'individus de même classe comparés à
un type. Si nous voulons classer les rapaces , il parait évident
qu'on devra prendre pour point de départ et centre de com-
paraison celui qui joindra les armes offensives et défensives à
un caractère féroce el à des mœurs sanguinaires propres à
tous ces oiseaux en général. L’aigle pourrait être donné
comme type primordial des oiseaux rapaces, puisque ses
paites services par des muscles nombreux el puissants, sont
armées à leur extrémité d'ongles crochus et redoutables, et
que son bec est fortement recourbé et terminé en pointe acé-
rée. Il présente toujours un caractère fier et indomptable , et
quoique nommé oiseau ignoble, parce que, différent du
faucon appelé oiseau noble, il a toujours refusé de se plier
aux caprices el aux plaisirs des grands , nous verrons toujours
dans l’aigle, avec les anciens naturalistes et Buffon, le type
de la noblesse, de la grandeur, et avec les naturalistes mo-
dernes le type de la force et de la rapacité.
Nous sommes donc convaineu que l’ordre des rapaces doit
commencer par le genre aigle, devant servir de type: vien-
drait ensuite le genre faucon, etc., et la famille des diurnes
se continuerait par le genre vautour, et se terminerait par le
genre messager ou secrétaire. Enfin viendraient les rapaces
nocturnes dans l’ordre généralement adopté.
En abordant laclasse des passereaux il est impossible de se
dissimuler toutes les difficuliés qui surgissent à chaque in-
stant quand on veut établir les couples génériques. Cet ordre,
en effet, est composé de tous les genres qui ne peuvent être
rapportés aux ordres mieux déterminés des rapaces, des
grimpeurs, des échassiers, elc. On y remarque un grand
nombre d'éléments hétérogènes n'ayant entre eux qu’une
faible affinité : ces animaux se trouvent rapprochés par des
caractères purement négatifs. La classification de Cuyier, en
commençant par les pies-griéches, à bec légèrement arqué,
aux mœurs indépendantes et carnassières , indique une tran-
sition assez naturelle d'un ordre à un autre ordre *. Plusieurs
* Plusieurs naturalistes pensent que les pies-grièches , comme
genre, devraient former une pelite tribu à la suite des rapaces
diurnes.
INTRODUCTION. 41
des autres dentirosires suivent sans brusque interruption,
mais les derniers conirostres, comme le corbeau, la pie, le
geai, paraîtraient devoir se rapprocher un peu plus des pre-
miers genres des passercaux.
Nous pourrions étendre nos observations sur une foule de
genres répandus dans plusieurs autres ordres, mais ces dé-
tails nous entraineraient trop loin du but que nous nous
sommes proposé. En jetant ces réflexions qui demanderaient
certainement de plus amples développements, nous avons
voulu seulement mettre au jour une pensée qui nous occupe,
et justifier quelques modifications que nous avons l'intention
d'introduire dans la classification des oiseaux.
Nous dédions ce travail à la jeunesse chrétienne pour la-
quelle nous travaillons spécialement depuis plusieurs années.
Notre but principal a été, en cherchant à lui inspirer le goût
de l’histoire naturelle, de faire naitre dans son cœur quel-
ques sentiments envers Dicu, l’auteur de la nature. Nous
cherchons constamment la glorification de Dieu par ses œu-
vres, et nous tâchons de faire admirer sa bonté, sa gran-
deur , sa puissance, son immensité, sa providence jusque
dans les moindres êtres qu'il a bien voulu appeler à l’exis-
tence. Peut-on présenter aux yeux de l'homme un livre écrit
en plus beaux caractères, et illustré plus magnifiquement que
celui que la nature déroule sans cesse à nos regards ? Chaque
page nous offre de riches matériaux pour le cœur et pour
l'esprit. Puissions-nous toujours faire un noble et légitime
usage de nos connaissances en bénissant, en adorant celui
qui fut le principe et qui doit être la fin de toute chose !
Avant d'entrer en matière nous devons à nos lecteurs de
leur faire connaitre les sources auxquelles nous avons puisé.
Pour l’ornithologie nous avons toujours suivi le grand tra-
yail de Cuvier, Règne animal, à quelques exceptions près,
pour la distribution des ordres, familles et genres. Dans la
12 INTRODUCTION.
description des mœurs, des habitudes, des instincts, nous
avons consulté les oiseaux de Buffon, ou de son continua-
teur, Guénaud de Montbeiïllard; nous avons encore profité
des travaux de Temming, de Lesson , de Milne-Edwards, etc.
En passant aux reptiles nous avons encore suivi la classifica-
lion de Cuvier, en introduisant cependant une légère modli-
ficalion dans la distribution des chéloniens. Notre guide, pour
l'histoire naturelle proprement dite de tous les animaux qui
composent la classe des reptiles, a été principalement le
comte de Lacépède, dans son magnifique ouvrage, les quadru-
pèdes ovipares, les serpents el les poissons; nous ne devons
pas oublier l’ouvrage &@e Latreille et Sonnini, et quelques mé-
moires comme celui de M. Alex. Brongniart, etc. Enfin pour
les poissons, dans les courtes explications que nous donnons,
nous avons usé des notes recueillies par nous-même aux
cours de M. Duméril , au Jardin du Roi, et nous nous sommes
aidé encore du travail de M. Lacépède , précédemment cité.
HISTOIRE NATURELLE
DES
OISEAUX.
ORNITHOLOGIE.
La branche de l'Histoire naturelle qui a pour
but de nommer les oiseaux, de décrire leurs
mœurs, leurs habitudes, d'établir leurs rapports
génériques et spécifiques d’après les lois de leur
organisation, prend le non d’ornithologie. Les
oiseaux sont définis des animaux ovipares , à cir-
culation double et complète, dont les membres
antérieurs ont éprouvé une modification organique,
spéciale, qui les rend propres au vol, et dont le corps
est protégé par un systèmetégumentaire particulier.
Ces animaux forment la classe la mieux déter-
minée et la plus facile à caractériser, soit que lon
considère seulement les formes extérieures, soit
que l’on descende plus profondément dans leur
structure intérieure ou qu'on veuille apprécier les
mystères de leurs fonctions physiologiques. Mais
c'est aussi dans cette classe que l’on trouve Îles dé-
gradations organiques les plus difficiles à appré-
44 HISTOIRE NATURELLE
cier, et, par conséquent, les plus grands obstacles
pour préciser les différences qui constituent les
caractères distinctifs des genres et des espèces.
Avant d'entrer dans l’étude des ordres et des
genres, nous devons exposer auparavant quel-
ques réflexions sur l’organisation , les habitudes et
les mœurs communes des oiseaux.
L'ostéologie des oiseaux nous offre quelques
modifications que, du reste, il était facile de pré-
voir, à cause de la faculté qu’ils ont reçue de se
soutenir au milieu de l'air. Le tissu des os est
dense et compacte, et, par conséquent, peut offrir
une bien plus grande solidité sous un moindre vo-
lume. Tous les os longs, au lieu de renfermer cette
substance adipeuse, connue sous le nom de moelle,
dans les os longs des mammifères , se trouvent rem-
plis d'air. Tout tend à diminuer la pesanteur spé-
cifiqne des ciseaux , comme nous aurons occasion
de nous en convaincre pleinement par: la suite.
La tête des oiseaux est, en général, peu déve-
loppée; et composée d'os si intimement soudés
ensemble, que toute trace de suture à disparu ex-
térieurement. Ces os du crâne sont très-peu épais,
et ordinairement également développés dans le
sens de la longueur et de la largeur. La partie su-
périeure du bec des oiseaux, formée prineipale-
ment par les analogues des intermaxillaires, se
prolonge en arrière en deux arcades composées
desos palatins, ptérygoidiens et maxillaires, qui
s'appuient sur un os tympanique mobile, vulgaire-
ment dit os carré. La matière cornée , qui revêt
extérieurement les deux mandibules, remplace
les dents par sa solidité, et offre quelquefois des
dentelures acérées ou des bords tranchants qui peu-
DES OISEAUX. 15
vent les représenter avantageusement. Ce bec varie
à l'infini dans ses formes chez la plupart des oi-
seaux, et il a présenté aux naturalistes de bons
caractères pour grouper un grand nombre de ces
animaux. Ces variations ont été appropriées au
genre de vie de chaque espèce; celui qui, comme
l'aigle, doit vivre de rapine et de carnage , a reçu
des mandibules aiguës et fortement recourbées ; ce-
lui qui, comme le colibri, doit puiser sanourriture
au fond de la corolle des fleurs, a obtenu un bec
long et grèle ; le héron possède un long bec pour
saisir sa proie dans les eaux ; le cygne et surtout
la spatule présentent un bec très-aplati pour cher-
cher dans la vase des ruisseaux et des marécages
les larvesd’insectes qui s’y développent ; enfin le pie
nous offre un bec très-solide et en forme de coin pour
percer les arbres et chercher les larves de xylo-
phages * qui forment sa nourriture.
La colonne vertébrale est composée d’un nom-
bre variable de pièces. Le cou prend un allonge-
ment considérable dans certaines espèces, comme
autruche, la cygogne, le cygne, et offre un plus
grand nombre de vertèbres cervicales, que celui
des passereaux, des rapaces et des gallinacées.
Les vertèbres cervicales sont toujours très-mo-
biles les unes sur les autres, parce que le bec est
toujours l'unique organe de préhension. Le perro-
quet seul nous offre sur ce point une remarquable
exception. Les vertèbres dorsales n’ont au contraire
presque aucune mobilité, et les vertèbres lombai-
res deviennent complétement immobiles , comme
soudées entre elles. Faisant suite au sacrum, on
* Les xylophages forment une famille de cléopières qui se
développent dans le bois.
16 HISTOIRE NATURELLE
remarque les vertèbres coccygiennes ou caudales
assez développées qui possèdent un certain mou-
vement de haut en bas qu’elles communiquent
aux pennes de la queue. La dernière vertèbre coc-
cygienne est plus développée que les autres, et
présente deux expansions latérales pour linsertion
des pennes rectrices.
Le thorax, ou la partie osseuse de la poitrine,
est composé des côtes grêles, se prolongeant jus-
qu'au sternum sans l’intermédiaire de cartilages
costaux, et d’un sternum d’une structure admi-
rable. Les muscles de laile devaient avoir une
grande puissance pour que l’organe du vol pût
frapper fortement sur l'air environnant, et le ster-
num devait leur fournir un point d'insertion en
rapport avec cette puissance. C'est pour augmen-
ter son étendue qu’on remarque une ligne osseuse,
saillante sur la partie médiane, et deux surfaces
planes postérieures offrant une échanerure plus
ou moins profonde pour lextension de toute la
surface. L’ossification plus où moins parfaite des
échancrures, la solidité plus ou moins grande de
la lame moyénne, indiquent la vigueur des oiseaux
pour le vol.
Quoique le membre supérieur soit appelé chez
les oiseaux à remplir des fonetions particulières,
néanmoins sa composition ostcologique présente
une analogie complète avec le membre thoracique
des mammifères. L’omoplate a acquis une modi-
fication des plus singulières, au lieu d’être apla-
tie, comme chez les animaux vertébrés de là pre-
mière classe, elle s’est allongée et a pris tous les
caractères des os longs. Elle reste suspendue dans
LD
les chairs, et vient se fixer au sternum par un vi-
DES OISEAUX. 17
goureux arc-boutant résultant du développement
de l’apophyse coracoïde. Cette disposition si anor-
male est destinée à maintenir les épaules écartées
convenablement , malgré les efforts continuels du
vol qui tendent à les rapprocher. Les clavicules,
en se soudant , forment ce qu’on appelle vulgaire-
ment la fourchette, et sont d'autant plus fortes
et plus ouvertes que l'oiseau possède une puis-
sance de vol plus énergique. L'humérus, le ra-
dius et le cubitus, ont les plus grands traits de
ressemblance avec les os correspondants chez les
mammifères; mais la main nous offre un carpe
modifié selon son usage. Il est destiné à donner
insertion à un doigt bien développé et à deux au-
tres plus petits presque rudimentaires. Ainsi le
membre supérieur n’est muni que de trois doigts,
comme le membre inférieur dans un grand nom-
bre d'espèces.
Le membre inférieur dans les parties les plus
essentielles n'offre que d’assez légères modifica-
tions; le tarse et le métatarse sont représentés
par un seul os terminé inférieurement par trois
poulies ou trochlées. Ces trois poulies servent à
larticulation äes doigts, ordinairement au nombre
de trois ou de quatre (lautruche par exception
n'en a que deux). Quand il existe quatre doigts,
il ÿ en a un dirigé en arrière qui porte le nom de
pouce. Quelquefois, comme chez les grimpeurs,
le doigt externe se dirige également en arrière,
et cette conformation caractérise les oiseaux de
cet ordre; et d’autres fois ces doigts sont réunis
ensemble par de larges membranes ou palmures
qui en font une rame solide , ainsi que nous le ver-
rons dans l’ordre des palmipèdes. Les ongles qui
48 HISTOIRE NATURELLE
terminent les doigts sont plus ou moins forts et
acérés suivant les genres et les espèces ; très-dé-
veloppés dans l'aigle où ils prennent la dénomi-
nation de serres , ils sont presque réduits à rien
dans les petites espèces des passereaux, dans cer-
tains échassiers et dans la plupart des palmipèdes.
Le système musculaire est doué d’une extrême
irritabilité provenant de l’énergie de la respiration
et de l’activité de la circulation. L’organe de la
respiration communique avec l'air extérieur par
le moyen des narines ouvertes à la base au bec.
Cette ouverture se trouve percée chez les rapaces
diurnes dans une membrane jaunâtre qu’on a nom-
mée cire. La trachée-artère ou conduit de l’air,
est composée d’anneaux entiers et complets, et
acquiert quelquefois un développement considé-
rable en s’enroulant sur elle-même avant de péné-
trer dans la poitrine. Les poumons ne présentent
point de lobes distincts, sont fixés aux côtés et
enveloppés d’une membrane séreuse, percée de
grands trous qui laissent pénétrer l'air dans plu-
sieurs cavités de la poitrine, de l'abdomen, des
régions axillaires, et même de l’intérieur des os,
en sorte que le fluide atmosphérique baigne non-
seulement la surface des vaisseaux pulmonaires,
mais encore celle d’une infinité d’autres vaisseaux
artériels où veineux du reste du corps. Ainsi les
oiseaux respirent en quelque sorte par les ra-
meaux de l'aorte, comme par le tissu vacuolaire
des poumons. La température de leurs corps se
trouve en proportion avec la quantité de leur res-
piration, et s'élève jusqu'à 35° ou 40° de Réau-
mur, tandis que celle de l'homme ne s'élève que
de 30° à 32°.
DES OISEAUX. 419
La circulation est parfaitement en rapport avec
le degré de leur température interne, ei d’une ac-
tivité supérieure à celle que nous remarquons chez
les mammifères.
La principale fonction nutritive ou la digestion
doit être en proportion avec l’activité de leur vie
et la force de leur respiration. Le tube digestif a
pris certaines modifications dans sa partie supé-
rieure. L’estomac se compose de trois parties, le
jabot, le ventricule succenturié et le gésier. Ces
parties ne sont pas également développées dans
tous les oiseaux , car les rapaces et les piscivores
ont un gésier presque membraneux. Chez les gra-
nivores, au contraire, nous les voyons parfaite-
ment conformées. Le jabot n’est autre chose
qu’une dilatation latérale de lœsophage ou con-
duit des aliments destiné à retenir quelque temps
les substances alimentaires ingérées. Le ventri-
cule succenturié est une poche membraneuse gar-
nie dans son épaisseur d’une multitude de cryptes
ou glandes folliculaires , destinées à sécréter un Hi-
quide propre à ramollir un peu les matériaux de
la digestion. Le gésier est l organe propre de chi-
mification et se trouve armé de deux muscles vi-
goureux, réunis entre eux par deux tendons
rayonnés et tapissés à leur intérieur d’un cartilage
solide. Le gésier est un organe puissant de tritu-
ration ; les aliments s’y broient d'autant plus faci-
lement, que l'oiseau a coutume d’avaler de petits
cailloux comme la poule domestique, et même des
morceaux de fer comme l’autruche, pour faciliter
son action.
Le système de l’innervation est peu développé,
ce que nous avions déjà prévu par le peu d’am-
20 HISTOIRE NATURELLE
pleur de la boîte cérébrale. Les hémisphères
n'offrent point de circonvolutions à leur surface ni
de corps calleux pour les réunir. Les lobes opti-.
ques ont pris un accroissement notable et se mon-
trent toujours à découvert derrière les lobes céré-
braux. Le cervelet est bien développé par rapport
aux autres parties de lencéphale et traversé de
rainures parallèles et convergentes.
Après avoir ainsi jeté un coup d’œil rapide sur
le principe matériei de la sensibilité organique,
nous allons examiner les sens et leurs organes.
En comparant les sens qui sont les premières
puissances motrices de Pinstinct dans tous les
animaux, dit Buffon dans son discours sur la na-
ture des oiseaux, nous trouverons que le sens de
la vue est plus étendu, plus vif, plus net et plus
distinct dans les oiseaux en général que dans les
quadrupèdes ; je dis en général parce qu'il pa-
rait y avoir des oiseaux qui, comme les hiboux,
voient moins qu'aucun des quadrupèdes ; mais
c’est un effet particulier que nous apprécierons
plus tard quand nous parlerons des rapaces noc-
turnes. Ce qui tend encore à prouver que l'œil
est plus parfait dans l'oiseau, c’est que la nature
Va travaillé davantage. Il ÿ a deux membranes de
plus que dans ceux des mammifères, l'une exté-
rieure et l’autre intérieure. La première est pla-
cée dans le grand angle de l'œil, et au moyen d’un
appareil musculaire particulier peut couvrir le
devant de l'œil comme un rideau; la seconde est
vasculeuse et plissée, placée au fond du globe
oculaire ; elle se dirige vers le cristallin sur lequel
elle exerce une certaine action qui tend à varier
DES OISEAUX. 21
le cerele de la vision probablement en déplaçant
cette lentille.
Chez quelques oiseaux la portée de la vue est
extrèmement longue. Un épervier voit, d’en haut
et de vingt fois plus loin, une alouette sur une
motte de terre, qu’un homme ou un chien ne peu-
vent l’apercevoir. Un milan, qui s'élève à une hau-
teur si grande, que nous le perdons de vue, voit
de là les petits lézards, les mulots, les oiseaux,
et choisit ceux sur lesquels il veut fondre. Cette
grande étendue de la vision se trouve encore ac-
compagnée d’une justesse et d’une précision re-
marquables.
L'homme, supérieur à tous les êtres organisés ,
a le sens du toucher et peut-être celui du goût
plus parfaits qu'aucun des animaux, mais 1l est in-
férieur à la plupart d’entre eux par les trois au-
tres sens; et en ne comparant que les animaux
entre eux, il parait que la plupart des quadrupè-
des ont l’odorat plus vif et plus étendu que ne
l'ont les oiseaux ; car, quoi qu’on dise de l’odorat
du corbeau, du vautour , etc., il est bien inférieur
à celui du chien ou du renard. On peut en juger
par la conformation elle-même de l'organe. Caché
dans la base du bec, il n’a d’ordinaire que des
cornets cartilagineux , au nombre de trois, va-
riant en complication. Quelquefois 1l n’est point
ouvert à l'extérieur par les narines, mais mis en
communication avec l'air, véhicule des odeurs,
par une fente longitudinale située à l’intérieur du
bec. Cette conformation si peu favorable à l’exer-
cice de cette fonction, jointe au peu de dévelop-
pement du nerf'olfactif, porte à conclure que
généralement les oiseaux ont l’odorat très-impar-
29 HISTOIRE NATURELLE
fait. Nous pouvons en dire tout autant du goût,
car la langue chez ces animaux a peu de substance
musculaire, et ne présente que des papilles fort
rares à sa surface.
Il n'en est pas de même de l’ouie. L’organe est
beaucoup moins compliqué que dans les mammi-
fères : la partie osseuse est extrêmement simple.
L'ouverture extérieure très-petite chez les oiseaux
diurnes, très-grande chez les nocturnes, est re-
couverte toujours par les plumes. Du reste la sen-
sation parait très-développée, comme il est aisé
de s’en convaincre par la perfection et l’étendue
du chant dans la plupart des espèces, par la fa-
cilité avec laquelle ils retiennent les airs qu'on
leur apprend, et la promptitude avec laquelle 1ls
s'éveillent quand on les approche même avec les
plus grandes précautions.
Le plus obtus de tous les sens de loiseau est
sans contredit le toucher, et cela dépend entière-
ment de la nature des téguments qui recouvrent
tout le corps. Nous savons que la perfection de
ce sens dépend entièrement de la structure de la
peau et de ses diverses dépendances. Les oiseaux,
ayant tout le corps recouvert de plumes, et les
extrémités inférieures revêtues d’une substance
cornée qui les enveloppe entièrement, doivent par
conséquent ne recevoir que des impressions très-
légères.
Nous étudierons ici les dépendances du sys-
tème tégumentaire. Ce système est tout particu-
lier aux oiseaux et constitue leurs plumes ; 1l est
très-propre à garantir le corps de l'animal des ef-
fets des rapides variations de température du mi-
lieu dans lequel ils vivent. On distingue trois
DES OISEAUX. 93
espèces de plumes; les unes duvetées et lanugi-
neuses sont placées immédiatement sur la peau et
dominent principalement sous l’abdomen et au
cou des palmipèdes; les autres d’une structure
plus serrée et d’une consistance plus ferme ser-
vent à recouvrir les premières et sont les plumes
proprement dites, appelées couvertures à l'aile
à la base des pennes; ces dernières diffèrent de
toutes les autres par leur force, leur grandeur et
leurs usages. On rencontre les pennes aux ailes
et à la queue, celles qui sont adhérentes à la main
se nomment primaires; et il y en a toujours dix ;
celles qui tiennent à l’avant-bras s'appellent se-
condaires, leur nombre est variable; d’autres
moins fortes fixées sur l’humérus portent le nom
de scapulaires ; enfin los rudimentaire qui re-
présente le pouce porte encore quelques pennes
nommées bétardes. Toutes les pennes de Paile
ont reçu la dénomination commune de rémiges,
tandis que celles de la queue, ordinairement au
nombre de 42, de 44 et même de 18 chez les
gallinacés, sont désignées par le nom de rec-
trices. Ce sont ces pennes rectrices qui en s’éta-
lant soutiennent l’oiseau et surtout servent à le
diriger, comme un gouvernail par ses différentes
inflexions dirige un vaisseau sur les flots. Toutes
les plumes, et surtout les pennes, sont composées
d’une tige creuse à la base, qui porte supérieu-
rement les barbes et les barbules. Cette tige est
remplie d'air, ainsi que les nombreuses vacuoles
qu’on trouve dans le tissu du reste de la plume.
Le plumage des oiseaux présente des différen-
ces assez marquées, non-seulement selon les dif-
férences d'âge et de sexe, mais encore suivant les
24 HISTOIRE NATURELLE
saisons. En général, la femelle diffère du mâle
par des teintes moins vives, etles petits dans leur
jeune âge ressemblent à leur mère. Quand les
deux sexes ont le même plumage, les petits ont
une livrée qui leur est propre; enfin il est un cer-
tain nombre d'oiseaux qui ont un plumage d’hi-
ver et un plumage d'été. Ce sont «es différentes
variations dans le même individu à différentes
époques de sa vie ou de Pannée, qui ont fait, dans
les commencements, multiplier les espèces à l’in-
fini par les anciens ornithologistes. Dans les col-
lections soignées on tient beaucoup à réunir les
variétés de sexe et de plumage.
Mais pour que ces changements s’opèrent, 1l
faut que les plumes tombent et soient remplacées
par d’autres; e’est cette chute périodique qu'on
désigne sous le nom de mue. La plupart des oi-
seaux éprouvent deux fois par an, au printemps
et à l’automne, ce renouvellement des plumes.
Une affection morbide plus ou moins intense ac-
compagne toujours ce changement: loiseau est
triste, silencieux , apathique ; il mange peu et se
tient caché, comme s’il avait peur d’être vu; pres-
que toujours immobile à la même place, on dirait
qu’il redoute la fatigue, tandis que lorsqu'il est
bien portant le repos lui semble pénible. Cet état
de maladie dure jusqu’à ce que les nouvelles plu-
mes s'étant développées, l’oiseau ait repris avec
son habit ordinaire, l’activité qui fait le fond de
son naturel. Ce temps est assez long, attendu que
les plumes tombent les unes après les autres, afin
que le corps de l’animal ne se trouve point trop
exposé aux injures de l'air.
De tout temps l’homme a recherché la dépouille
DES OISEAUX. 25
des oiseaux : le duvet est cher aux paresseux , les
plumes ornent la tête du sauvage et de l'homme
civilisé , et depuis longtemps déjà les pennes ai-
dant à fixer la pensée servent d’instrament au
génie.
OXSTEO
MOEURS ET HABITUDES COMMUNES A TOUS
LES OISEAUX.
La faculté de sentir, l'instinct qui n’est que le
résultat de cette faculté, et le naturel qui n’est
que l'exercice habituel de l'instinct, ne sont pas
à beaucoup près les mêmes dans tous les êtres.
Ces qualités intérieures dépendent de lorganisa-
tion en général et en particulier de celle des
sens, Nous pouvons dire encore que linstinct est
développé en raison inverse de l'intelligence , en
sorte que plus lintelligence est parfaite, comme
chez l’homme, moins il y a d’instinct, tandis que
chez les êtres placés aux derniers degrés de lé-
chelle animale, comme les abeilles, les guêpes,
les fourmis, etc., nous voyons un instinct très-
- remarquable. Les oiseaux en général ont fort peu
d'intelligence et beaucoup d’instinet.
Cet instinct brille surtout dans la construction
du nid. C’est dans les premiers jours du printemps,
quand toute la nature semble posséder une sura-
bondance de vie, que les oiseaux travaillent à se
construire un nid. Les uns le placent sur des ar-
bres, d’autres dans le creux d’un rocher, quel-
26 HISTOIRE NATURELLE
ques-uns dans lherbe, les buissons ou sur la terre,
d’autres sur de vieilles tours, dans les fentes des
murailles démantelées. Quel art et quelle pré-
voyance admirables président à la construction
de ce nid! Un lieu solitaire, une branche touffue,
sera toujours préférée pour le soustraire aux re-
gards de l’homme , à la rapacité des oiseaux des-
tructeurs, ou aux rayons brûlants d’un soleil trop
ardent. Combien d'images riantes, de comparai-
sons charmantes , le nid des petits oiseaux n’a-t-l
pas offertes à l'imagination des poëtes et des litté-
rateurs !
Quand on examine attentivement le nid d’un oi-
seau, on observe d’abord un tissu lâche d'herbes
sèches et quelque fois de crins qui servent à le
fixer sur la branche qui lui sert de point d'appui.
La construction devient ensuite de plus en plus
serrée, et enfin l’intérieur se trouve garni d’un
léger duvet que l'oiseau a su trouver dans la cam-
pagne, ou qu’il s’est arraché de dessous la poitrine,
comme cela a lieu chez leider. On doit reconnaitre
que Dieu à donné aux petits oiseaux un talent ad-
mirable. Guidé par un instinct irrésistible, l'oiseau
construira toujours un nid semblable à celui qui
l'a vu naître, et aucune circonstance ne pourra
l’obliger à le modifier. Qui à appris à la tour-
terelle à placer son nid dans les bois épais où
règne une constante fraicheur? Qui a enseigné à
l'hirondelle à se maçonner si élégamment et si
solidement sa demeure? Qui a dit à l’autruche
que le sable du désert pouvait recevoir assez com-
modément ses œufs et que la chaleur du soleil
suffirait pour les faire éclore? N'est-ce pas celui
qui prend soin des passereaux , et qui donne la
DES OISEAUX. pr À
nourriture aux oiseaux qui envoient leurs cris vers
leciel ? |
Après avoir admiré l’étonnante construetion du
nid des oiseaux, nous allons examiner la forma-
tion de l'œuf, puis le phénomène de lincubation.
L'œuf commence à se former dans une poche
particulière qu’on nomme ovaære. C’est là que
tous les vitellus, vulgairement jaunes de l'œuf,
sont placés comme les grains d’un raisin sont at-
tachés à leur grappe, et disposés de manière que
ceux plus développés se trouvent à la partie infé-
rieure. Chaque vitellus a un pédicule ou pétiole
particulier qui le fixe à un centre commun longi-
tudinalement étendu. Quand un de ces vitellus est
parvenu à son entier accroissement, 1l se détache
de son pétiole et glisse par un canal particulier
désigné par le nom d’oviductus. Les parois in-
ternes de ce canal sont enduites d’une Iymphe
blanchâtre qui s'attache au vitellus et constituera
plus tard lalbumen ou blanc de l'œuf. Quand
l’albumen se trouve réuni en quantité suffisante,
il s’enveloppe d’une pellicule qui n’est formée que
d'albumine épaissie. Enfin rendu à l'extrémité
inférieure de l’oviductus , l'œuf se recouvre d’une
seconde enveloppe solide, composée principale-
ment de carbonate calcaire et de substance ani-
male, qui prend le nom de coquille. I arrive
quelquefois que l'œuf parvenu à l’extrémité du
canal de l'ovaire est émis subitement avant que
l'enveloppe calcaire se soit formée. Il arrive en-
core qu'on trouve parfois deux vitellus sous la
même coquille: il est très-facile d'expliquer cette
anomalie. Deux vitellus également développés se
séparent en même temps de leur pédicule, glis-
28 HISTOIRE NATURELLE
sent simultanément dans l’oviductus, et parvenus
ensemble à sa partie inférieure, ils sont enfermés
sous une enveloppe calcaire commune.
I ne paraîtra peut-être pas inutile d'indiquer
ici en quélques mots les procédés employés pour
la conservation des œufs. Aussitôt qu’un œuf est
émis au dehors , il perd continuellement quelques-
unes de ses parties par lévaporation de celles
qui sont plus volatilles. Peu après il contracte une
mauvaise odeur et finit par se gâter compléte-
ment. Pour prévenir cet inconvénient, 1l suffit de
mettre un obstacle à cette évaporation continuelle
par une couche de matière grasse qui ferme en-
tièrement tous les pores dont la coquilie est eri-
blée. On peut les placer dans de la cendre fine
famisée, ou mieux étendre sur la surface externe
une huile ou un vernis quelconque; avec cette
seule précaution on pourra garder pendant plu-
sieurs mois et même pendant plusieurs années
des œufs bons à manger et possédant toutes les
qualités des œufs frais.
Quand l'oiseau a pondu un nombre d'œufs va-
riable suivant sa taille, il répond aux vœux de la
nature en les couvant. Le phénomène de l’imcuba-
tion dure de dix à quarante jours suivant les
espèces. L'autruche laisse à la chaleur solaire à
faire éclore l'embryon renfermé dans l'œuf, mais
les autres oiseaux ont besoin, pour arriver à ce
résultat, de se placer sur leurs œufs pour déve-
lopper un degré de chaleur suilisant. Pendant
tout le temps que dure l’incubation, les oiseaux,
oubliant presque leur propre vie et négligeant de
prendre leur nourriture, se tiennent sur leurs œufs
avec une constance admirable. L'effet de l’incu-
DES OISEAUX. 29
bation est de développer l'embryon qui se trouve
dans la cicatricule de lœuf fécondé. Dès que
l'œuf a été couvé pendant cinq ou six heures, on
voit déjà distinctement la tête du petit oiseau
joint à l'épine du dos nageant dans la liqueur
dont la bulle qui est au centre de la cicatricule est
remplie; sur la fin du premier jour, la tête s’est
déjà recourbée en grossissant.
Dès le second jour on voit les ébauches des
vertèbres, qui sont comme de petits globules dis-
posés sur les parties latérales de l’épine; on voit
aussi paraitre le commencement des ailes et des
vaisseaux ombilicaux remarquables par leur cou-
leur obscure : le cou et la poitrine se débrouil-
lent, la tête grossit toujours, on y aperçoit les
premiers linéaments des yeux; déjà on distingue
le cœur qui donne des pulsations et le sang qui
circule.
Le troisième jour tout est plus distinct parce
que tout a grossi. On voit tout le corps du fœtus
-comme enveloppé d’une partie de la liqueur en-
Vironnante qui a pris plus de consistance que le
reste.
Les yeux sont déjà fort avancés le quatrième
jour ; on y reconnait fort bien l'iris, le cristallin
et humeur vitrée. Les ailes croissent, les cuisses
“commencent à paraitre et le corps à prendre de la
chair.
Les progrès du cinquième jour consistent en
ce que tout le corps se recouvre d’une chair onc-
tueuse.
Le sixième jour, la moelle de l’épine continue
de s’avancer le long du tronc. Le foie qui était
blanchâtre auparavant est devenu de couleur
2
30 HISTOIRE NATURELLE
obscure ; le cœur bat dans ses deux ventricules,
le corps est recouvert de la peau , et déjà l’on voit
poindre les plumes.
Le bec est facile à distinguer le septième jour;
le poumon parait à la fin du neuvième. Toutes
les parties se développent lentement jusqu'à ce
que le petit casse sa coquille avec une pointe os-
seuse caduque dont son bec est armé pour ce
seul usage et qui tombe quelques moments après.
Toute cette suite de phénomènes qui forme un
spectacle si intéressant pour l'observateur philo
sophe est l'effet de lincubation opérée par un
oiseau, et l’industrie humaine n’a pas trouvé qu’il
fût au-dessous d'elle d'en imiter les procédés :
c’est ce qu'on appelle lincubation artificielle.
D'abord de simples villageois d'Egypte, puis des
naturalistes, sont parvenus à faire éclore un très-
grand nombre de petits poulets à la fois; tout le
secret consiste à tenir ces œufs dans une tempé-
rature qui réponde à peu près au degré de cha-
leur de la poule, et à les garantir de toute humi-
dité et de toute exhalaison nuisible. On emploie
pour cela la chaleur d'un four ou d’une étuve
sèche, dans l’intérieur duquel on dispose conve-
nablement plusieurs corbeilles dans lesquelles on
place les œufs. On doit maintenir la chaleur du
four d’incubation à 30° ou 32° Réaumur, et pour
entretenir cette chaleur constanie on distribue
plusieurs thermomètres en différents endroits, en
observant qu’il y a toujours de grands inconvé-
nients à élever trop la température, et que les
poussins souffriront moins dans une atmosphère
un peu au-dessous du degré que nous venons
d'indiquer. Tous les corps qui développent une
L
DES OISEAUX. 31
certaine quantité de calorique peuvent servir à
l'incubation artificielle des œufs; on en a fait
éclore avec du fumier où du tan qui, par la fer-
mentation putride, font naître une chaleur assez
considérable. Pour les autres détails relatifs à
l'éducation des poussins qu'on s’est procurés par
l’incubation artificielle, nous renvoyons aux mé-
moires si intéressants de Réaumur, auquel nous
avons emprunté les notions précédentes.
Les migrations et les longs voyages sont aussi
rares parmi les quadrupèdes, qu’ils sont fréquents
parmi les oiseaux. Le quadrupède semble attaché
à la motte de terre qui l’a vu naître, tandis que
l'oiseau peut changer de climat avec une facilité
incroyable. C’est ordinairement sur la notion an-
ticipée des changements de l'atmosphère et de
l'arrivée des saisons qu’il se détermine à partir.
Dès que les vivres commencent à manquer, dès
que le froid ou le chaud l’incommode, il médite
la retraite; d’abord les oiseaux semblent se ras-
sembler de concert pour entrainer leurs petits et
leur communiquer ce même désir de changer de
climat, que ceux-ci ne peuvent encore avoir ac-
quis par aucune notion, aucune expérience pré-
cédente. Les pères et mères rassemblent leur fa-
mille pour la guider dans la traversée , et toutes
les familles se réunissent, non-seulement parce
que tous les chefs sont animés du même désir,
mais parce qu'en augmentant les troupes, ils
se trouvent en force pour résister à leurs en-
nemis.
Ce désir de changer de climat, qui commu-
nément se renouvelle deux fois par an, c’est-
à-dire en automne et au printemps, est une espèce
5 HISTOIRE NATURELLE
de besoin si pressant qu'il se manifeste dans les
oiseaux captifs, par les inquiétudes les plus vives;
on a vu des cailles, élevées dans des cages pres-
que depuis leur naissance , et qui ne pouvaient ni
connaitre, ni regretter la liberté, éprouver régu-
lièrement deux fois par an des agitations singu—
lières durant le temps du voyage. Lorsque le temps
de la migration approche, on voit les oiseaux li-
bres, non-seulement se rassembler en familles,
se réunir en troupes, mais encore s'exercer à faire
de longs vols, de grandes tournées, avant d’en-
treprendre leur plus grand voyage. Au reste, les
circonstances de ces migrations varient dans les
différentes espèces; tous les oiseaux voyageurs
ne se réunissent pas en troupes, 11 ÿ en a qui par-
tent seuls, d’autres qui marchent par petits déta-
chements, etc.
L'époque à laquelle les oiseaux voyageurs arri-
vent dans nos pays ou le quittent varie suivant les
espèces, dit M. Milne-Edwards dans sa Zoolo-
gie descriptive; ceux qui sont originaires des
contrées les plus septentrionales de l'Europe nous
viennent à la fin de l’automne ou au commence-
ment de l'hiver; et dès les premiers beaux jours,
fuyant la chaleur comme ils avaient fui l'excès du
froid , retournent vers le nord pour y faire leur
ponte; d’autres oiseaux qui naissent toujours dans
nos contrées, et qui doivent par conséquent être
considérés comme étant essentiellement indi-
gènes , nous quittent en automne, et, après avoir
passé l'hiver dans les climats chauds , reparaissent
parmi nous au printemps, ou bien, évitant au con-
traire la chaleur de notre été, émigrent alors vers
les régions arctiques; il en est d’autres encore
DES OISEAUX. 33
qui, natifs des pays méridionaux, s'élèvent vers
le Nord pour échapper à l’ardeur du soleil d'été,
et nous arrivent au milieu de la belle saison. En-
fin on en voit aussi qui ne séjournent jamais dans
nos contrées, et qui, dans leurs migrations an-
nuelles, ne font qu'y passer. L'époque de l’arrivée
et du départ de ces voyageurs est, en général , dé-
terminée d’une manière très-précise pour chaque
espèce, et l'expérience à appris que, dans certai-
nes localités, les chasseurs pouvaient compter sur
l’arrivée de tels ou tels oiseaux , comme sur une
rente dont les termes écherraient à jour fixe. L'âge
y apporte cependant quelque différence; on voit
ordinairement les jeunes ne se mettre en route
que quelque temps après les adultes, et cela pa-
rait dépendre de ce que la mue ayant lieu plus
tard chez eux que chez ces derniers, ils re sont
pas encore rétablis de l'espèce de maladie qui ac-
compagne ce phénomène, au moment où ceux-
ci sont déjà en état de supporter les fatigues du
voyage.
Certains genres parmi les oiseaux ont reçu avec
leur instinct si remarquable un penchant marqué
vers la sociabilité. Je citerai d’abord les associa-
tions si singulières des gros-becs qui se construi-
sent une habitation commune et qui vivent pres-
que en république. Les faits que je vais rapporter
sont extraits du voyage de M. Vaillant en Afrique.
Plusieurs centaines de ces oiseaux se réunis-
sent pour construire en commun, sur un arbre,
une sorte de toiture tissue avec de grandes her-
bes, et tellement serrée qu’elle est impénétrable
à la pluie. Il parait que la forme de cet abri dé-
pend des branches qui le supportent. Lorsque ce
34 HISTOIRE NATURELLE
travail est terminé, l'espace est distribué pour y
placer des nids attachés à la surface inférieure
du toit; et il faut qu’un instinct particulier dirige
les constructeurs de ces nids, car ils sont tous de
même grandeur, tous contigus l’un à l’autre. Ces
habitations privées sont à une certaine distance
du bord du toit et chacune a son ouverture; ce-
pendant il arrive assez souvent qu'ane même porte
donne entrée dans trois nids, l’un au fond et les
autres de chaque côté; quelquefois aussi deux
voisins ont établi entre eux cette sorte d'intimité.
Ainsi, après avoir laissé entre le bord du toit et
les nids assez d'intervalle pour que la pluie ne
puisse atteindre les minces parois des habitations
privées, chaque oiseau se loge avec très-peu de
travail, car il profite des habitations mitoyennes.
Les nids, d'environ trois pouces de diamètre,
sont faits avec des herbes plus fines que celles de
la toiture, également bien serrées et garnies inté-
rieurement de duvet. Lorsque la population aug-
mente, les nouvelles habitations ne peuvent être
placées que sur les anciennes, et dans ce cas
quelques-unes de ces cases particulières , délais-
sées par leurs propriétaires, sont converties en
voie publique pour arriver à ces nouvelles con-
structions. Vaillant se fit apporter un de ces édi-
fices tout entier, toit et chambres ; il y compta
trois cent vingt nids.
Nous pourrions rapporter beaucoup d’autres
traits de la sociabilité des oiseaux, nous nous
bornerons à établir en principe que la plupart
des espèces granivores aiment à vivre en société ,
semblent trouver du plaisir à vivre en commun;
tandis que les rapaces, les tyrans des airs , vivent
DES OISEAUX. 35
toujours solitaires. Nous pourrions établir ici une
analogie complète de mœurs entre les oiseaux et
les mammifères suivant leur régime nutritif. Le
lion, le tigre, ne vivent que de sang et de meur-
tre: la présence d’un être de leur espèce leur porte
-ombrage, ils voient en lui un rival, et il faut né-
cessairement qu’il s'éloigne ou que l’un des deux
-suecombe sous les griffes du plus puissant. Chez
les ruminants, au contraire, qui sont tous herbi-
vores, nous voyons des mœurs douces , des habi-
tudes de sociabilité ; ils paissent tranquillement
l'herbe que la terre fournit abondamment à leurs
besoins. L'aigle qui vit en dominateur sur Îles
sommets des montagnes ne peut souffrir qu'un
autre vienne s'établir dans son empire, tandis que
la douce colombe trouve des charmes dans la so-
ciété de ses semblables.
L’éducabilité forme un des traits les moins sail-
Jants du caractère des oiseaux. Malgré tous les
soins qu’on leur prodigue journellement, il est dif-
ficile d’apercevoir dans ceux qui en sont l’objet le
moindre germe d’affection. On remarquera tou-
jours une énorme différence entre l'attachement,
la fidélité , l'amitié sincère du chien pour son mai-
tre, et les caresses fugitives d’un étourneau,
d’une perruche ou d’un serin.
Rien n’est plus merveilleux dans l’histoire des
oiseaux que leur voix et leur chant. Il n’est per-
sonne qui n'ait entendu le ramage du rossignol et
la voix du perroquet. Chez les oiseaux, le larynx
inférieur, où se forment les sons, est d’une
grande complication , et la trachée, par ses di-
verses inflexions et ses mouvements, contribue
beaucoup à les modifier. Les ligaments de la
36 HISTOIRE NATURELLE
glotte par leur resserrement et leur extension ser-
vent à moduler l'air expulsé des poumons avec
une très-grande force. Il est difficile de pouvoir
apprécier rigoureusement comment il se fait que
des êtres si petits et si faibles donnent à leur chant
tant de force et d'éclat. Un rossignol a la voix plus
étendue que l’homme, et les vibrations qu’elle
produit daus l'air seront sensibles à l’ouie à une
distance plus grandé que celles produites par la
voix de beaucoup de mammifères.
Tous les oiseaux qui ont la langue épaisse et
charnue peuvent par une éducation prolongée
parvenir à prononcer plus où moins distinctement
quelques paroles. Tout le monde connait le jase-
ment importun du perroquet et de la pie, et a en-
tendu parler le geai et le corbeau. Cette faculté
doit nous paraître bien étonnante, et il n’y a parmi
les animaux que les seuls oiseaux qui en soient
doués. Les grimaces du singe nous étonnent, mais
la parole du perroquet exeite une très-vive sur-
prise et presque de l'admiration.
RERO
DIVISION DE LA CLASSE DES OISEAUX EN ORDRES.
(Règ. an. tom. I.)
La distribution des oiseaux se fonde, comme
celle des mammifères, sur les organes de la man-
ducation, ou le bec, et sur ceux de la locomotion,
c’est-à-dire les pattes et les ailes. D’après ces con-
DES OISEAUX, AT.
sidérations , on a partagé la classe des oiseaux en
six ordres: les rapaces, les passereaux, les
grimpeurs, les gallinacés, les échassiers et les
palmipèdes.
Les rapaces qu'on appelle encore oiseaux de
proie ont le bec crochu, à pointe recourbée vers
le bas, et les narines percées dans une membrane
qui revêt toute la base de ce bec; leurs pieds sont
armés d'ongles vigoureux. Ils vivent de chair et
poursuivent les autres oiseaux ; aussi ont-ils pour
la plupart le vol puissant. Aigle, faucon , vautour.
Les passereaux comprennent beaucoup plus
d'espèces que les autres ordres , mais leur organi-
sation offre tant d’analogies, qu’on ne peut les sé-
parer, quoiqu'ils varient beaucoup pour la taille
et pour la force. Leurs deux doigts externes sont
unis par la base et quelquefois par une partie de
leur longueur. Rossignol, colibri.
On a donné le nom de grimpeurs aux oiseaux
dont le doigt externe se porte en arrière comme le
pouce, parce qu'en effet le plus grand nombre
emploie une conformation si favorable à la posi-
tion verticale pour grimper le long des trones des
arbres. Leur bec varie, et, dans quelques espè-
ces, 1l est cunéiforme. Le pic, le perroquet.
Parmi les oiseaux vraiment terrestres, les gal-
linacés ont, comme notre coq domestique, le
port lourd, le vol court, le bec médiocre à man-
dibule supérieure voûtée, les narines en partie re-
couvertes par une écaille molle et renflée, et
presque toujours les doigts dentelés au bord. Ils
vivent principalement de grains. Le faisan, le
paon , le coq et la poule dou.
= Dans quelques oiscaux , nous observons de pe-
‘
38 HISTOIRE NATURELLE
tites palmures aux doigts, mais surtout des tarses
élevés , des jambes dénuées de plumes vers le bas,
une taille élancée; en un mot, toutes les disposi-
tions propres à marcher à gué le long des eaux,
pour y chercher leur nourriture. Tel est, en effet,
le régime du plus grand nombre, et quoique quel-
ques-uns vivent dans des terrains secs, on les
nomme oiseaux de rivage, ou échassiers. Héron,
autruche. |
Enfin on est frappé des larges palmures qui
existent entre les doigts d’une nombreuse famille
qu’on distingue quelquefois par le nom d’oiseaux
nageurs. La position de ces pieds en arrière, la
longueur du sternum, le cou souvent plus long
que les jambes pour atteindre dans la profondeur
des eaux , le plumage serré, poli, imperméable à
l'eau, s'accordent avec les pieds pour faire des
palmipèdes de bons navigateurs. Cygne, canard.
Chacun de ces ordres se divise en familles et
en genres, principalement d’après la conforma-
tion du bec. Mais ces différents groupes passent
souvent les uns aux autres par des nuances pres-
que imperceptibles; en sorte qu'il n’est aucune
classe où les genres et les sous-genres soient plus
difficiles à limiter.
l'Aigke.
am
SE
Je Roi des Vautours.
DES OISEAUX. 39
SSSeSe
PREMIER ORDRE DES OFSEAUX,
LES RAPACES, OU OISEAUX DE PROIE.
On pourrait dire absolument parlant que pres-
que tous les oiseaux vivent de proie, puisque
presque tous recherchent et prennent les insectes,
les vers et les autres petits animaux vivants; mais
on entend par oiseaux de proie ceux qui se nour-
rissent de chair et qui font la guerre aux autres
oiseaux.
Ces oiseaux ont tous pour habitude naturelle et
commune le goût de la chasse et l'appétit du sang,
le vol très-élevé, l'aile et la jambe fortes, la vue
très-perçante , la tête grosse, la langue assez
charnue, l'estomac simple et membraneux , les
intestins moins amples et plus courts que les au-
tres oiseaux ; ils habitent de préférence les lieux
solitaires, les montagnes désertes, et font com-
munément leur nid dans les trous des rochers ou
sur les plus hauts arbres; enfin ils ont encore pour
caractères généraux le bec crochu et les quatre
doigts bien séparés er armés d'ongles redoutables.
Tous les oiseaux de proie ont plus de dureté
dans le naturel et plus de férocité que les autres
oiseaux ; non-seulement 1ls sont les plus difficiles
de tous à priver, mais encore ils ont presque tous
habitude dénaturée de chasser leurs petits hors
du nid bien plus tôt que les autres, et alors qu’ils
+
A0 HISTOIRE NATURELLE
leur devraient encore des soins et des secours pour
leurs subsistance. Cette cruauté, comme toutes les
autres duretés naturelles, n’est produite que par
un sentiment encore plus dur, le besoin pour
soi-même et la nécessité. Comme ce n’est qu’en
détruisant les autres qu'ils peuvent satisfaire à
leurs besoins, et qu'ils ne peuvent les détruire
qu’en leur faisant continuellement la guerre, ils
portent une âme de colère qui influe sur toutes
leurs actions, détruit tous les sentiments doux
et affaiblit même la tendresse maternelle. Trop
pressé de son propre besoin, l'oiseau de proie
n'entend qu'impatiemment et sans pitié les cris de
ses petits, d'autant plus affamés qu'ils deviennent
plus grands. Si la chasse se trouve difficile, et que
la proie vienne à manquer, il les expulse, les
frappe , et quelquefois les tue dans un accès de
fureur causée par la misère.
L'ordre des rapaces se divise en deux grandes
familles , les rapaces diurnes et les rapaces noc-
lurnes.
CRSSRC
RAPACES DIURNES.
LES AIGLES.
Les aigles ont pour caractères généraux d’avoir
le bec droit à la base, fortement recourbé à sa
pointe. Leur tarse est emplumé jusqu’ à la racine
des doigts, leurs ailes sont aussi longues que la
queue, leur vol aussi élevé que se et leur
courage surpasse celui de tous les autres oiseaux.
C'est à cause de cette dernière considération que
DES OISEAUX. AA
les Romains, et avant eux les Perses, l'avaient pris
pour leur enseigne militaire.
« L’aigle, dit Buffon, a plusieurs convenances
physiques et morales avec le lion; la ‘force, la
magnanimité, la tempérance: quelque affamé
qu'il soit , il ne se jette jamais sur des cadavres. Il
est encore solitaire comme le lion, habitant d’un
désert dont il défend l'entrée et l'usage de la
chasse à tous les autres oiseaux. L’aigle a les
veux étincelants comme le lion, lhaleine tout
aussi forte et le cri également effrayant. Nés tous
deux pour le combat et la proie, ils sont égale-
ment ennemis de toute société, également féroces,
également fiers et difficiles à réduire ; on ne peut
les apprivoiser qu'en les prenant tout petits, et
encore conservent-ils toujours quelque trace de
leur naturel indomptable. C’est de tous les oiseaux
celui qui s'élève le plus haut, et c’est par cette rai-
son que les anciens ont appelé l'aigle l'oiseau cé-
leste, et qu'ils le regardaient dans les augures
comme le messager de Jupiter. Il possède une vue
excellente , mais il n’a que peu d’odorat en compa-
raison du vautour. Il enlève aisément les oies, les
grues , les lièvres et même les petits agneaux et
les chevreaux.
« On appelle aire son nid qui est, en effet, tout
plat et non pas creux comme celui de la plupart
des autres oiseaux ; 1l le place ordinairement en-
tre deux rochers, dans un lieu sec et inaccessible,
On assure que le même nid sert à l'aigle pendant
toute sa vie; c’est réellement un ouvrage assez
considérable pour n'être fait qu'une fois, et assez
solide pour durer longtemps. Il est construit à
peu près comme un plancher avec de petites per-
42 HISTOIRE NATURELLE
ches ou bâtons de cinq ou six pieds de longueur,
appuyés par les deux bouts et traversés par des
branches souples, recouvertes de plusieurs lits
de jones , de mousse et de bruyère. Ce plancher ou
ce nid est large de plusieurs pieds et assez ferme ,
non-seulement pour soutenir l'aigle et ses petits,
mais encore pour supporter le poids d’une grande
quantité de vivres. »
Nous sommes forcés d’avouer que quelques-uns
des beaux caractères attribués aux aigles par les
anciens et par Buffon ne sont pas mérités. L’aigle
se jette quelquefois sur les charognes, et s’il n’at-
taque pas d'ordinaire les petits oiseaux, c’est qu’ils :
lui échappent facilement au milieu des buissons
et n'offrent pas à sa voracité un assez riche butin.
On trouve plus communément en Europe l'aigle
royal où l'aigle brun dont le plumage acquiert
des nuances plus foncées à mesure qu'il vieillit.
On le trouve fréquemment dans les Pyrénées, les
Alpes, les montagnes de l'Auvergne; on l’a vu
quelquefois en Touraine et jusque dans la forêt de
Fontainebleau.
L’aigle impérial diffère du précédent par sa
taille qui est moins considérable, et par la diffé-
rence de sa couleur. Sa voix est sonore, son ar-
deur excessive, et sa force musculaire peut-être
plus grande que dans l'aigle brun; aussi est-il
plus redoutable , et c’est à lui que se rapportent
les fables et les récits exagérés que débitaient les
anciens sur leur aigle doré. I habite le midi de
l'Europe, l'Égypte, ete. Les autres espèces d’aigle
sont : l'aigle criard ou le petit aigle, l'aigle botté,
l'aigle malois, l'aigle tyran, l'aigle à queue éta-
gét, etc.
ane
DES OISEAUX. A3
LES AIGLES PÉCHEURS.
Ces oiseaux se distinguent des précédents en
ce que leurs tarses ne sont emplumés que dans
leur moitié supérieure et à demi écussonnés sur
le reste. L’orfraie et le pygarque ne forment
qu'une seule et même espèce qui a recu deux noms
à cause de la variété du plumage aux deux prin-
cipales périodes de sa vie. Il se tient volontiers
sur les bords de la mer, et assez souvent dans
l’intérieur des terres, mais toujours à portée des
grands lacs, des grands fleuves et des rivières
poissonneuses. Il chasse principalement au pois-
son, sur lequel il se précipite avec la rapidité de
la foudre, et cherche aussi du butin parmi les
quadrupèdes et les autres oiseaux. Comme il est
très-fort, sa table est toujours richement servie ;
il enlève facilement les lièvres, les oies, et même
les agneaux et les daims. Le pygargue a l’œil dis-
posé de manière à pouvoir chasser la nuit aussi bien
que le jour. La cornée transparente se trouve re-
couverte d’une légère membrane, qui semble em-
pêcher les rayons solaires de frapper la rétine
avec trop de vivacité. C’est de lui qu’Aristote
disait qu'il regardait fixement le soleil, et qu’il for-
çait ses petits à en supporter l’éclat. Cette fable
qu'on à voulu ensuite étendre à tous les aigles a
disparu comme bien d’autres, depuis que les
sciences naturelles sont devenues plus positives.
Cet oiseau est commun dans le nord de l’Europe;
on le trouve abondamment sur les côtes de France
et d'Angleterre. On rapporte encore à ce genre
l'aigle à tête blanche et le petit aigle des Indes
ÂA HISTOIRE NATUPRELLE
qui, dans la religion des Brames, est consacré à
Whisnou.
LES HARPIES.
Ces oiseaux sont des aigles pêcheurs à ailes
courtes, propres au nouveau continent. Quoi-
qu'on leur ait donné un nom hideusement célèbre
dens l’antiquité classique, ces animaux partagent
entièrement les mœurs et les habitudes des oi-
seaux de la même tribu. Leurs tarses sont très-
gros, très-forts et à moitié emplumés; leur bec
et leurs serres sont des armes extrêmement redou-
tables et plus terribles que dans le grand aigle lui-
même. On a dit que d’un coup de bee il pouvait
fendre le crâne d’un homme , et que dans ses ser-
res il enlevait un faon ou d’autres animaux d’une
taille considérable. Les plumes qui environnent
le crâne par un mouvement musculaire particu-
lier peuvent se diriger un peu en avant, et donnent
à cet oiseau la physionomie extérieure de la
chouette. Les voyageurs ont mêlé plusieurs fa-
bles à son histoire, et ont exagéré certains traits
de son caractère, comme ils sont toujours portés
à le faire quand ils rapportent des faits qui les
ont frappés. L'espèce la mieux connue est la
grande harpie d'Amérique, appelée quelque-
lois aigle destructeur ou grand aigle de la
Guiane.
L'AUTOUR.
Ce genre a pour caractère d’avoir les ailes plus
courtes que les pennes de la queue, le bec courbé
cs ie Er
ns
DES OISEAUX. 45
dès sa base, et les tarses écussonnés et un peu
courts. Cet oiseau, dit Buffon , est féroce , méchant
et difficile à priver. Quand on veut le saisir, 11
commence par se défendre de la griffe, se ren-
verse sur le dos en ouvrant le bec, et cherche
beaucoup plus à déchirer avec ses serres qu’à
mordre avec le bec. Son naturel est si sanguinaire,
que si on le laisse seul avec plusieurs faucons, 11
les égorge tous les uns après les autres ; il se Jette
avec avidité sur la chair saignante , et refuse con-
stamment la viande cuite. Son cri est fort rauque,
et finit toujours par des sons aigus d'autant plus
désagréables qu’il les répète plus souvent. Son
vol est rapide, mais peu élevé, et il fond sur
sa proie avec une extrême rapidité. On place dans
ce genre l’autour proprement dit, notre épervier
commun et l’épervier chanteur.
L'autour ordinaire se trouve communément en
France, dans toute l’Europe et jusque dans les
climats glacés de la Sibérie. Le plumage de cet
oiseau est brun en dessus, blanc en dessous avec
des bandes étroites brunes se dirigeant transver-
salement chez l'adulte, et se modifiant en mou-
chetures longitudinales dans le jeune âge. Cet
oiseau aime à se fixer auprès des montagnes boi-
sées où 1l se procure une proie plus facile et plus
abondante. Sa nourriture la plus commune con-
siste en petits oiseaux , jeunes pigeons, écureuils,
levrauts et souris. Dans l’ancienne fauconnerie on
parvenait à le dresser à la chasse du canard, du
lapin et de la perdrix.
L’épervier diffère très-peu de l’autour; son plu-
mage offre les mêmes couleurs, mais sa taille est
réduite de deux tiers. Il offre aussi à peu près les
A6 HISTOIRE NATURELLE
mêmes habitudes que le précédent , et se contente
de faire la chasse aux plus faibles animaux. Il se
nourrit de souris, de petits oiseaux, de lézards,
et même quelquefois de colimaçons. Il se trouve
dans toutes les contrées de l'Europe, et on l’em-
ployait anciennement dans la fauconnerie. L’éper-
vier chanteur offre une robe différente de celle
de lépervier ordinaire: elle est généralement
blanche, rayée de roux en dessous, recouverte
d’un manteau gris. Cet oiseau se trouve en Afri-
que ; il est remarquable en ce qu’il est la seule
espèce d'oiseau de proie dont le chant soit
agréable.
LE MILAN ET LES BUSES.
Les caractères génériques du milan sont d’avoir
les ailes extrêmement longues , la queue fourchue,
des tarses courts, des ongles faibles et un bec
moins fortement arqué que chez les précédents. Les
buses s’en distinguent par les tarses emplumés
jusqu'aux doigts, et par leur bec courbé dès la
base. Leurs mœurs sont à peu près semblables.
Les milans et les buses, oiseaux immondes,
ignobles et lâches , se rapprochent des vautours
par le naturel et les mœurs. Ils fréquentent de
près les lieux habités, et restent rarement dans
les déserts; ils préfèrent les plaines et les collines
fertiles aux montagnes stériles. Comme toute
proie leur est bonne, que toute nourriture leur
convient, et que plus la terre produit de végétaux,
plus elle est en même temps peuplée d'insectes,
de reptiles, d'oiseaux et de petits animaux, ils
établissent ordinairement leur domicile au pied
DES OISEAUX. AT
des montagnes, dans les terres les plus vivantes,
les plus abondantes en gibier de toute espèce.
Sans être courageux , ils ne sont pas timides; 1ls
ont une sorte de stupidité féroce, qui leur donne
l'air de l’audace tranquille, et semble leur ôter la
connaissance du danger. On les approche, on les
tue bien plus facilement que les aigles ou les au-
tours. Détenus en captivité, ils sont encore moins
susceptibles d'éducation : de tout temps on les a
proscrits, rayés de la liste des oiseaux nobles et
rejetés de l’école de la fauconnerie.
Le milan a le vol très-aisé, aussi passe-t-il sa
vie dans l'air; il ne se repose presque jamais et
parcourt chaque jour des espaces immenses; et
ce grand mouvement n’est point un exercice de
chasse ni de poursuite de proie, mais il s:mble
que le vol soit son état naturel, sa situation favo-
rite. On ne peut s'empêcher d'admirer la manière
dont il l’exécute, ses ailes longues et étroites pa-
raissent immobiles; c’est la queue qui semble di-
riger toutes ses évolutions , et elle agit sans cesse;
son action ne semble coûter aucum effort , 1l s’a-
baisse comme s’il glissait sur un plan incliné, il
semble plutôt nager que voler; 1l précipite sa
course , 1l la ralentit , s'arrête et reste comme sus-
pendu ou fixé à la même place pendant des heu-
res entières sans qu'on puisse apercevoir aucun
mouvement dans ses ailes.
I n’y a dans notre climat qu’une seule espèce
de milan, qu'on a nommé milan royal, parce
qu'il servait aux plaisirs des princes qui lui fai-
saient donner la chasse et livrer combat par le
faucon ou l’épervier. On voit en effet avec plaisir
cet oiseau lâche refuser de combattre , et fuir de-
48 HISTOIRE NATURELLE
vant l’épervier beaucoup plus petit que lui, tou-
Jours en tournoyant et s’élevant, comme pour se
cacher dans les nues, jusqu’à ce que celui-ci l’at-
teigne, le rabatte à coups d’ailes, de serres et de
bec, et le ramène à terre, moins blessé que battu,
et plus vaincu par la peur que par la force de son
ennemi. |
Sa vue est aussi percante que son vol est ra-
pide; il se tient souvent à une si grande hauteur,
qu'il échappe à nos yeux, et c’est de là qu’il vise
sa proie ou sa pâture, et se laisse tomber sur tout
ce qu'il peut dévorer ou enlever sans résistance ;
c'est surtout aux jeunes poussins qu'il s'attaque,
mais la colère de la mère poule suffit pour le re-
pousser et l’éloigner.
Nous n’avons dans notre climat que la buse pat-
tue et la buse commune , oiseaux de proie les plus
nuisibles dans nos contrées. Ces oiseaux demeu-
rent toute l’année dans nos forêts, tombent sur
leur proie du haut d’un arbre ou d’une butte, et
détruisent beaucoup de gibier.
LES BONDRÉES ET LES BUSARDS.
Les bondrées et les busards ont avec le bec fai-
ble du milan , l'intervalle entre l’œil et le bec cou-
vert de plumes bien serrées et coupées en écailles ;
leurs tarses sont à demi emplumés vers le haut
et réticulés. Il ne se trouve chez nous qu’une seule
espèce de bondrée, celle appelée bondrée com-
mune, qui se nourrit principalement d'insectes ,
et surtout de ceux de l’ordre des hyménoptères,
comme les guêpes et les abeilles.
Les busards sont plus agiles et plus rusés que
DES OISEAUX. A9
les buses, mais moins audacieux que les faucons,
dont nous allons parler bientôt, et 1ls saisissent
leur proie à terre, jamais au vol. On les rencontre
en général dans les jones et les marais; nous en
possédons en France trois espèces, que de sim-
ples variations de plumage ont fait singulièrement
multiplier par les nomenclateurs. La soubuse qui
se trouve aussi en Afrique et en Amérique est
brune dessus, fauve, tachetée longitudinalement
de brun dessous, l’extrémité caudale blanche.
L'oiseau saint-martin cendré, à pennes des ai-
les noires , n’est que le mâle de la seconde année.
Cette espèce niche par terre, se tient beaucoup
dans les champs, vole près de terre, chasse sur
le soir, aux rats, aux Jeunes perdreaux, ete. Les
deux autres espèces sont le busard cendré et la
harpaye où busard des marais. Ces deux oi-
seaux se rencontrent presque toujours sur le
bord des eaux , où ils chassent aux poissons, aux
reptiles, aux grenouilles.
LE FAUCON.
L'homme n’a point influé sur la nature du fau-
con ; quelque utile aux plaisirs, quelque agréa-
ble qu'il soit pour le faste des princes chas-
seurs, Jamais on n'a pu en élever, en multiplier
l'espèce ; on dompte à la vérité le naturel féroce
de ces oiseaux , par la force de l’art et des priva-
tions. On leur fait acheter leur vie par des mou-
vements qu'on leur commande, chaque morceau
de leur subsistance ne leur est accordé que pour
un service rendu. On les attache, on les garrotte,
on les affuble, on les prive même de la lumière et
50 HISTOIRE NATURELLE
de toute nourriture, pour les rendre plus dépen-
dants, plus dociles et ajouter à leur vivacité natu-
relle limpétuosité du besoin. Mais ils servent par
nécessité, par habitude et sans attachement ; ils
demeurent captifs, sans devenir domestiques ; l’in-
dividu seul est esclave, l'espèce est toujours li-
bre, toujours également éloignée de l'empire de
l’homme.
Le faucon est peut-être l'oiseau dont le courage
est le plus france, le plus grand , relativement à ses
forces : 1l fond sans détour et perpendiculaire-
ment sur sa proie; au lieu que l'autour et la plu-
part des autres arrivent de côté : aussi prend-on
l’'autour avec des filets dans lesquels le faucon ne
s'empêtre jamais. Il tombe à plomb sur l'oiseau
victime, exposé au milieu de l'enceinte des filets,
le tue, le mange sur le lieu, et se relève perpen-
diculairement. S'il y a quelque faisanderie dans
son voisinage, 1l choisit cette proie de préférence.
On le voit fréquemment attaquer le milan, soit
pour exercer son courage, soit pour lui enlever
sa proie; mais il lui fait plutôt la honte que la
guerre; 1l le traite comme un lâche, le chasse,
le frappe avec dédain , et ne le met point à mort,
parce que le milan se défend mal, et que proba-
blement sa chair répugne au faucon encore plus
que sa lcheté ne lui déplait.
Les espèces du genre faucon les plus remar-
quables et les mieux connues sont le faucon or-
dinaire, le lanier, V'émérillon, la crécerelle
et le gerfaut le plus estimé dans l’école de la fau-
connerie.
Nous allons extraire du Spectacle de la nature
de l’abbé Pluche quelques détails sur la chasse
Ce 6 mé
DES OISEAUX. 51
au faucon, et sur la manière de dresser et d’in-
struire cet oiseau. ( Sp. nat. Entr. XT).
La manière dont on dresse les faucons et dont on
lesmet en œuvre est fort agréable. Ceux qu'on élève
à cet exercice sont ou des oiseaux mniais ou des
oiseaux hagards. On appelle oiseaux niais ou bé-
. jaunes ceux qui ont été pris dans le nid et qui ne
sont pas encore sortis. On appelle oiseaux ha-
gards ceux qui ont joui de la liberté avant d’ê-
tre pris: ceux-ci sont plus difficiles à appri-
voiser, mais avec un peu de patience et d'adresse
on parvient, comme on dit en termes de fauconne-
rie, à les rendre gracieux et de bonne affaire.
Quand ils sont trop farouches, on les empêche
de dormir pendant trois ou quatre jours et au-
tant de nuits; on est toujours avec eux, de cette
sorte ils se familiarisent avec le fauconnier, et
font enfin tout ce qu’il veut. Son principal soin
est de les accoutumer à se tenir sur le poing, à
parür quand il les jette, à connaître sa voix, son
chant, ou tel autre signal qu’il leur donne , et à
revenir à son ordre sur le poing. On les attache
d’abord avec une filière ou une ficelle qu’on al-
longe jusqu’à cinquante ou soixante pieds, pour
les empêcher de fuir lorsqu'on les réclame, jus-
qu'à ce qu’ils soient assurés et ne manquent plus
de venir au rappel. Pour amener l'oiseau à ce
point, 1lle faut leurrer, et voici en quoi consiste
le leurre.
Le leurre est un morceau d’étoffe ou de bois
rouge, garm de bec, d'ongles et d’ailes. On y at-
tache de quoi paître l'oiseau. On lui jette le leurre
quand on veut le réclamer ou l’appeler, et la vue
d'une nourriture qu’il aime, jointe à un certain
52 HISTOIRE NATURELLE
bruit, le ramène bientôt. Dans la suite la voix
seule suffira. Veut-on accoutumer le faucon à la
chasse du milan, du héron ou du perdreau, on
change le plumage du leurre suivant le but qu'on
se propose. Pour affriander l'oiseau à son objet,
on attache sur le leurre de la chair de poulet,
mais cachée sous les plumes du gibier qu’on a en
vue. On y ajoute du sucre, de la cannelle, de la
moelle et autres choses propres à échaulffer le fau-
con à une chasse plutôt qu'à une autre, de sorte
que par la suite quand il s'agira de chasser tout
de bon, il tombe sur sa proie avec une ardeur
merveilleuse. Après trois semaines où un mois
d'exercice à la chambre ou au jardin, on com-
mence à essayer l'oiseau en pleine campagne. On
lui attache des sonnettes ou des grelots aux pieds
pour être instruit de ses mouvements. On le tient
toujours chaperonné, c’est-à-dire la tête cou-
verte d’un cuir qui lui descend sur les yeux , afin
qu'il ne voie que ce qu'on veut lui montrer; et
sitôt que les chiens arrêtent ou font voler le gi-
bier que l’on cherche, le fauconnier déchape-
ronne l'oiseau et le jette en l’air après sa proie.
C’est alors une chose divertissante que de le voir
ramer, planer, voler en pointe, monter et s'élever
par degrés et à reprises jusqu’à le perdre de vue
dans la moyenne région de lair. Il domine ainsi
sur la plaine : il étudie les mouvements de sa
proie que l'éloignement de l'ennemi a rassurée,
puis tout à coup il fond dessus comme un trait et
la rapporte à son maitre qui le réclame. On ne
manque pas, dans les commencements surtout, de
lui donner gorge-chaude quand il est retourné
sur le poing, c’est-à-dire qu'on lui abandonne
|
|
.
DES OISEAUX. 53
certaines parties de la proie qu'il a rapportée. Ces
récompenses et les autres caresses du fauconnier
animent l'oiseau à bien faire, à n’être pas liber-
tin ou dépiteux , Surtout à ne pas emporter ses
sonnelles, c'est-à-dire à ne pas s'enfuir pour ne
plus revenir, ce qui leur arrive quelquefois.
On peut dresser les faucons à la chasse du
lièvre, du lapin, et même du chevreuil, du san-
glier et du loup.
On accoutume de bonne heure les jeunes fau-
cons à manger ce qu'on leur a préparé dans le
creux des yeux d’un loup, ou d’un sanglier ou
d'une bête fauve. Or garde pour cela la peau d’un
de ces animaux, et on la fait empailler de ma-
nière que l’animal parait vivant; et ces faucons
n'ont à manger que ce qu'ils vont prendre par
l'ouverture des yeux dans le vide de la tête. En-
suite on commence à faire mouvoir peu à peu
cette figure, tandis que le faucon y mange. L’oi-
seau apprend à s’y affermir, quoiqu'on fasse avan-
cer ou reculer la bête à pas précipités. Il per-
drait son repas S'il lchait prise, ce qui le rend
industrieux et attentif à se bien eramponuer sur
le crâne pour introduire son bec dans l’œil, mal-
gré le mouvement. Quand on mène à la chasse
l'oiseau ainsi exercé, il ne manque pas de fondre
sur la première bête qu’il aperçoit, et de se planter
d'abord sur la tête pour lui becqueter les veux. Il
la désole, l’arrète, et donne ainsi le temps au chas-
seur de venir et de la tuer sans risque , lorsqu'elle
est plus occupée de l’oiseau que du chasseur.
La chasse au faucon était un des principaux
exercices des seigneurs au moyen âge, et un de
leurs nombreux priviléges. Seuls ils avaient le
5)
54 HISTOIRE NATURELLE
droit d'élever des faucons et de les porter en pu-
blic sur le poing. Cet usage est tombé aujourd'hui
en désuétude par toute l'Europe. Dans quelques
cantons de la Belgique on trouve encore des gens:
qu élèvent et instruisent des faucons pour les
vendre aux seigneurs allemands, parmi lesquels
quelques-uns sont jaloux de voir régner comme
aux anciens jours ce ridicule privilége.
LES VAUTOURS.
Les vautours ont pour caractères généraux les
yeux à fleur de tête, les tarses réticulés, e’est-à-
dire couverts de petites écailles ; le bec allongé,
recourbé seulement au bout, et une partie plus
ou moins considérable de la tête ou même du eou,
dénuée de plumes. La force de leurs serres ne
répond pas à leur grandeur, et 1ls se servent plu-
tôt de leur bec que de leurs griffes. Leurs ailes
sont si longues, qu'en marchant ils les tiennent à
demi étendues. Les vautours proprement dits
ne se trouvent que dans l’ancien continent,
On a donné aux aigles le premier rang parmi
les oiseaux de proie, non parce qu’ils sont plus
forts et plus grands que les vautours, mais parce
qu'ils sont plus généreux, c’est-à-dire moins bas-
sement cruels ; leurs mœurs sont plus fières, leurs
démarches plus hardies, leur courage plus no-
ble, ayant au moins autant de goût pour la guerre
que d’appétit pour la proie. Les vautours, au
contraire, n'ont que l'instinct de la basse gour-
mandise et de la voracité; ils ne combattent guère
les vivants que quand ils ne peuvent s’assouvir
sur les morts. L’aigle attaque ses ennemis ou ses
DES OISEAUX. 55
victimes corps à corps; seul il les poursuit, les
combat, les saisit; les vautours, au contraire,
pour peu qu’ils prévoient de la résistance, se réu-
nissent en troupes comme de lâches assassins, et
sont plutôt des voleurs que des guerriers; car
parmi les oiseaux rapaces 1l n'y à qu'eux qui se
mettent en nombre et plusieurs contre un; il n’y
a qu'eux qui s’acharnent sur les cadavres jusqu’à
les déchiqueter jusqu'aux os; l'infection les attire
au lieu de les repousser. Les éperviers, les fau-
cons, et jusqu'aux plus petits oiseaux montrent
plus de courage, car 1ls chassent seuls, et pres-
que tous dédaignent la chair morte et refusent
celle qui est corrompue. Dans les oiseaux com-
parés aux quadrupèdes, le vautour semble réunir
la force et la cruauté du tigre, avec la lâcheté et
la gourmandise du chacal, qui se met également
en troupes pour dévorer les charognes et d ‘terrer
les cadavres , tandis que laigle a, comme nous
l'avons dit, le courage, la noblesse, la magnani-
mité et la munificence du lion.
Le vautour fauve est paresseux à la chasse,
pesant au vol, toujours criant, lamentant , tou-
jours affamé et cherchant des cadavres. En géné-
ral cet oiseau est d’une vilaine figure, et dégoû-
tant par l'écoulement continuel d’une humeur
fétide qui sort de ses narines. Il a le jabot proé-
minent et formant une grosse saillie au-dessus de
la fourchette. Cette espèce se trouve dans les AI
pes, les Pyrénées et en Grèce,
Les autres espèces sont le vautour brun, l’ori-
cou , le roi des vautours, et le condor. Ce dernier
est devenu très-célèbre par les récits des voya-
geurs et par les exagérations de sa taille. Il a dix
56 HISTOIRE NATURELLE
à douze pieds d'envergure, le bec et les serres:
proportionnés. Il est d’une telle force, qu'il ra-
vit et dévore une brebis entière, qu’il n’épargne
même pas les cerfs, et qu'il renverse un homme.
Il a le bec si fort, qu'il peut percer le cuir épais
qui recouvre le bœuf, et que deux de ces oiseaux,
disent les voyageurs, peuvent en tuer et en manger
un. Ils ont les serres grosses, fortes et crochues
et les Indiens d'Amérique assurent qu’ils saisissent
et emportent une biche ou une génisse comme ils
feraient un lapin. Leur chair est coriace et sent la
charogne. On trouve ces oiseaux sur les sommets
de la Cordilière des Andes dans l’Amérique Méri-
dionale.
LE PERCNOPTÈRE.
Le perenoptère est beaucoup moins gros et
moins fort que les vautours propres, aussi est-il
encore plus acharné sur les cadavres et dévore-
t-il toutes les espèces d’hnmondices qui Pattirent
de fort loin. Le percnoptère d'Egypte vit par
troupe dans les terres stériles et sablonneuses qui
avoisinent les Pyramides. Cet oiseau, comme li-
bis, rendait de très-grands services en dévorant
les serpents et autres bêtes immondes qui, à la
suite des inondations, infestent l'Égypte. Aussi les
premiers peuples de ces contrées lui accordaient-
ils une part dans l’encens qu'ils offraiènt à tous les
animaux qui leur rendaient quelques services , et
l'ont-ils représenté très-souvent sur leurs monu-
ments. De nos jours encore le percnoptère, connu
sous le nom de poule de Pharaon, est en grande
vénération chez les Musulmans; il vient quelque-
fois par troupes dans l'enceinte des villes qu'il pu-
le Perenoptère.
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DES OISEAUX. 57
rifie de leurs immondices; non-seulement on ne
lui fait aucun mal, mais encore on voit des dévots
musulmans qui lèguent de quoi en entretenir un
certain nombre.
Nous ne saurions passer outre sans faire re-
marquer 1e1 l’action d’une providence toute pater-
nelle qui veille sans cesse sur ses œuvres. Dans
tous les climats ardents , où l’action de la chaleur
développe plus promptement la décomposition
putride de tous les corps , nous trouvons quelques
animaux dont le but unique est de faire dispa-
raître ces substances en décomposition qui lais-
sent échapper dans l’air des émanations délétères,
Nous voyons dans la classe des insectes plusieurs
familles nombreuses, celle des coprophages, des
nécrophages , ete., employées à purger la surface
de la terre des ordures qui la souillent, et à ren-
dre plus promptement à la masse générale des élé-
ments les matériaux qu’elles renferment. Parmi
les quadrupèdes, le chacal, lhyène et plusieurs
autres sont chargés de faire disparaitre les plus
gros cadavres , et les vautours, les perenoptères,
viennent les aider ou les remplacer dans certaines
contrées. C’est dans cette tribu des oiseaux ra-
paces qu'on remarque le sens de l’odorat le plus
développé: aussi ces animaux sont attirés de fort
loin par les émanations qui sortent des corps en
putréfaction. Tout en eux est organisé dans des
rapports parfaits avec la fonction qu’ils devaient
accomplir.
MESSAGER OU SECRÉTAIRE.
Le messager est un oiseau de proie d'Afrique
58 HISTOIRE NATURELLE
qui a les tarses extrêmement développés, par com-
paraison avec ceux que nous avons étudiés pré-
cédemment, ce qui la fait placer dans l'ordre
des échassiers par quelques naturalistes. Mais
ses Jambes entitrement couvertes de plumes, son
bee crochu et fendu, ses sourcils saillants, et
tous les détails de son anatomie, le rapprochent
des rapaces. On a donné à cet oiseau le nom de
secrétaire, parce qu'il porte de longues plumes
derrière la tête, et plus souvent le nom de mes-
sager, parce qu'il a pour habitude de marcher à
grands pas à la poursuite des reptiles, et surtout
des serpents dont il fait sa principale nourriture.
M. Cuvier a proposé le nom de serpentaire, plus
en rapport avec ses instincts de chasse. Ses ongles
sont usés par la marche, aussi en fait-il peu usage
pour saisir sa proie; mais ses ailes sont munies
à leur partie antérieure d’un assez fort éperon,
dont 1l se sert pour étourdir sa proie et la dévo-
rer ensuite avec moins de danger. Il détruit ainsi
un grand nombre de serpents venimeux ; il habite
ies lieux secs et arides des environs du Cap de
Bonne-Espérance. On a essayé de le multiplier à
la Martinique, où il pourrait rendre les plus
grands services en détruisant la vipère jaune ou
trigonocéphale fer de lance.
CRSSAO
RAPACES NOCTURNES.
Les oiseaux de proie nocturnes ont la tête
grosse, quoique stupides, de très-grands yeux
dirigés en avant, entourés d’un cercle de plumes
dé -
DES OISEAUX. 59
effilées, dont les antérieures recouvrent la cire du
bec, et les postérieures le conduit auditif. Leur
crâne épais, mais d’une substance légère, a de
grandes cavités qui communiquent avec loreille
et renforcent probablement le sens de louie;
mais l'appareil relatif au vol n’a pas une grande
force; leur fourchette est peu résistante; leurs
plumes à barbes douces, finement duvetées, ne
font aucun bruit en volant.
Les yeux de ces oiseaux sont d’une sensibilité
si grande, qu'ils paraissent être éblouis par la
clarté du jour, et entièrement offusqués par les
rayons du soleil; il leur faut une lumière plus
douce, telle que celle de l’aurore naissante ou du
crépuscule tombant; c’est alors qu'ils sortent de
leurs retraites pour chasser ou plutôt pour cher-
cher leur proie, et ils font cette quête avec
grand avantage, car ils trouvent dans ce temps
les autres oiseaux ou les petits animaux endormis
ou prêts à l'être. Les nuits où la lune brille sont
pour eux les beaux jours, les jours de plaisirs, les
jours d’abondance, pendant lesquels 1ls chassent
durant plusieurs heures de suite et se pourvoient
d'amples provisions. Les nuits où la lune fait dé-
faut sont beaucoup moins heureuses; 1ls n’ont
guère qu'une heure le soir et une heure le matin
pour chercher leur subsistance. I ne faut pas
croire que la vue de ces oiseaux qui s'exerce sl
parfaitement à une faible lumière, puisse se pas-
ser de toute lumière, et qu'elle perce en effet
l'obscurité la plus profonde; dès que la nuit est
bien close, ils cessent de voir, comme les autres
animaux. La vue de ces oiseaux est si fort offus-
quée pendant le jour, qu’ils sont obligés de se te-
60 HISTOIRE NATURELLE
nir dans le même lieu sans bouger , et que quand
on les force à en sortir, ils ne peuvent faire que
de très-petites courses, des vols courts et lents de
peur de se heurter; les autres oiseaux , qui s’aper-
coivent de leur crainte ou de la gêne de leur si-
tuation, viennent à l’envi les insulter ; les mésan-
ges, les pinsons, les rouge-gorges, les merles,
les geais, les grives, etc., arrivent à la file: loi-
seau de nuit, perché sur une branche, immobile,
étonné, entend leurs mouvements, leurs cris qui
redoublent sans cesse, parce qu'il n’y répond que
par des gestes niais, en tournant sa tête, ses yeux
et son corps d’un air ridicule. Il se laisse même
assallir et frapper, sans se défendre; les plus pe-
tits, les plus faibles de ses ennemis sont les plus
ardents à le tourmenter, les plus opiniâtres à le
huer. Quelques chouettes, celles dont la tête lisse
et la queue courte, arrondie, est dépassée par les
ailes, voient au contraire assez bien en plein
jour pour guetter alors leur proie dans lépais-
seur des forêts ou la poursuivre à tire-d’aile. Le
cri de tous ces oiseaux est lugubre, et cette eir-
constance, jointe à l'heure où 1! se fait ordinaire-
ment entendre, y a fait attacher par le vulgaire
des idées superstitieuses. Dans nos campagnes les
chouettes sont encore généralement un sujet d’ef-
froi, et cependant loin d’être nuisibles, elles ren-
dent réellement des services à l’agriculture par la
destruction qu'elles font des mulots et des rats.
La classification des rapaces nocturnes présente
de grandes difficultés, parce que tous ces oiseaux
se ressemblent parfaitement, et que des nuances
presque insensibles peuvent établir une transi-
tion non interrompue d’un genre à un autre genre.
DES OISEAUX. 61
Quelques chouettes ont la tête ornée d’aigrettes.
Les plumes qui environnent les Yeux varient d’é-
paisseur, et, dans l'étendue du cercle qu'elles for-
ment, la conque auditive offre des grandeurs
différentes ; c’est sur ces caractères fugitifs que
M. Cuvier a établi ses coupes génériques,
LE GRAND-DUC.
C’est le plus grand des oiseaux de nuit, il est
généralement fauve, avec une mèche et des poin-
tillures latérales brunes sur chaque plume; ses
aigrettes sont presque toutes noires.
Les poëtes ont dédié laigle à Jupiter et le duc
à Junon. C’est en effet l'aigle de la nuit, et le roi
de cette nombreuse tribu d'oiseaux qui craignent
la lumière du jour, et ne volent que quand elle s’é-
teint. Il n’habite que les rochers et les vieilles
tours abandonnées situées au-dessus des monta-
gnes ; il descend rarement dans les plaines et
ne se perche pas volontiers sur les arbres, mais
sur les églises écartées et sur les vieux châteaux.
Il chasse le plus ordinairement les jeunes lèvres,
les lapins, les taupes, les mulots, les souris, qu’il
avale tout entiers, dont il digère la substance char-
nue , et vomit le poil, les os, la peau , en petites
pelotes arrondies; il mange aussi les chauve-
souris , les serpents, les lézards, les grenouilles,
et en nourrit ses petits. Il chasse alors avec tant
d'activité , que son nid regorge de provisions; il
en rassemble plus qu'aucun autre oiseau de proie.
En général, tous les oiseaux nocturnes exposés à
la lumière du jour font des gestes ridicules; ces
gestes se réduisent à une contenance étonnée, à
62 HISTOIRE NATURELLE
de fréquents tonrnements de cou, à des mouve-
ments de tête, en haut, en bas et de tous côtés, à
des craquements de bee, à des trépidations de
jambes. Le grand-duc se trouve principalement
dans les vastes forêts du nord de l'Europe.
LE HIBOU.
Les hiboux proprement dits ont sur le front
deux aigrettes de plumes qu'ils relèvent à volonté ;
leurs pieds sont garnis de plumes jusqu'aux on-
gles. Le hibou commun ou le moyen-duc de Buf-
fon est assez répandu en France; on le trouve
ordinairement dans les lieux garnis de bois, ou
aux environs des vieilles masures en ruines, où
il fait entendre, pendant la nuit, un cri gémissant
qui effraie beaucoup les gens des campagnes. Il
s'empare quelquefois des nids abandonnés dés
corbeaux et des pies. La chouette est beaucoup
plus répandue que l'espèce précédente ; on l’a re-
trouvée presque sur tout le globe. Cette espèce
se fait distinguer en ce que les huppes sont très-
petites, et se relèvent si rarement, qu'elles n’ont
presque jamais été remarquées par les naturalis-
tes. On connait un grand nombre d'espèces dans
le genre hibou; les hiboux les plus remarquables
sont le grand-hibou d'Afrique, le hibou à joues
blanches et le hibou à gros bec.
L'EFFRAIE.
L'effraie, qu'on appelle communément la chouette
des clochers, effraie en effet par ses soufflements,
ses cris âcres et lugubres et sa voix entrecoupée
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DES OISEAUX. 4 63
qu’elle fait souvent retentir dans le silence de la
nuit. Elle est pour ainsi dire domestique, et habite
au milieu des villes les mieux peuplées : les tours,
les clochers, les toits des églises et des autres
bâtiments élevés lui servent de retraite pendant
le jour, et elle en sort à l'heure du crépuscule;
son soufflement qu’elle réitère sans cesse ressem-
ble au souffle d’un homme qui respire pénible-
ment. Elle pousse encore, en volant et en se
reposant, différents sons aigres, tous si désa-
gréables, que cela, joint à l’idée du voisinage des
cimetières, et encore à l'obscurité de la nuit, in-
spire de lhorreur et de la crainte aux enfants,
aux femmes et même aux hommes soumis aux
mêmes préjugés. [ls regardent leffraie comme
l'oiseau funèbre, comme le messager de la mort;
ils croient que quand il se fixe sur une maison et
qu'il y fait entendre une voix différente de ses
cris ordinaires, c’est pour appeler quelqu'un au
cimetière.
L'effraie a le plumage piqueté très-finement
de blane sur un fond fauve brunâtre. Elle parait
répandue dans toutes les contrées de la terre.
LE CHAT-HUANT.
Les chats-huants diffèrent très-peu extérieure-
ment des effraies; leur corps est couvert partout
de taches longitudinales brunes, déchirées sur
les côtés en dentelures transverses; on trouve
des taches blanches aux scapulaires et vers le
bord antérieur de Paile. Le chat-huant se tient
pendant l'été dans les bois dans quelque trou d’un
arbre creux; mais pendant l'hiver il s'approche
(671 HISTOIRE NATURELLE
quelquefois de nos habitations. Il chasse et prend
les petits oiseaux et plus encore les rats, les sou-
ris et les campagnols. On donne quelquefois au
chat-huant le nom de hulolte ou de chouette des
bois.
SES
DEUXIÈME ORDRE DES OINEAUX,
LES PASSEREAUX.
L'ordre des passereaux est le plus nombreux
de toute la classe. Son caractère semble d’abord
purement négatif, car 1} embrasse tous les oiseaux
de petite et & moyenne taille qui ne peuvent être
rapportés aux rapaces, aux gallinacés, aux grim-
peurs , etc. Cependant nous retrouvons dans tous
les détails de leur organisation de grands rap-
ports de ressemblance. Nous voyons aussi que les
pieds et le bec, qui sont toujours pour nous
les deux parties caractéristiques, ont de grands
traits de conformité dans leurs dispositions es-
sentielles.
Is n’ont ni la violence des oiseaux de proie, ni
le régime déterminé des gallinacés ou des palmi-
pèdes; les insectes, les fruits, les grains , fournis-
sent à leur nourriture : les grains, d'autant plus
exclusivement que leur bec est plus gros; les in-
sectes, qu'il est plus grêle. Ceux qui l'ont fort,
comme les pies-grièches, poursuivent même les
petits oiseaux. Les passereaux ont en général des
DES OISEAUX. 65
formes élancées et légères et le vol d’une puis-
sance variable, suivant que le sternum a son
échancrure postérieure plus ou moins ossifée.
Leur canal digestif est en général d’une structure
simple, et leur estomac est en forme de gésier
musculeux. Le larynx inférieur présente une plus
grande complication que dans tous les oiseaux des
autres ordres, aussi c’est parmi les passereaux
que nous trouvons tous les oiseaux chanteurs. Ce
dernier privilége, le plus beau talent que leur ait
accordé la nature, parait leur être si exclusive-
ment attribué, que plusieurs naturalistes désignent
l’ordre entier par le nom d'oiseaux chanteurs.
Nous devons néanmoins convenir que quelques-
uns n’ont pas reçu le don du chant, et que leur
voix ne consiste qu’en un eri monotone et désa-
gréable , comme nous avons eu occasion de le re-
marquer chez le corbeau et la corneille.
Nous avons déjà dit qu’on trouvait de grands
obstacles à vaincre pour établir dans cet ordre
des coupes génériques bien tranchées et irrépro-
chables suivant les principes des harmonies natu-
reles. M. Cuvier a partagé ces oiseaux en cinq
familles : les dentirostres les conirostres , les fis-
sirostres, les ténuirostres et les syndactyles. Les
quatre premières divisions ont le membre infé-
rieur dans de grands rapports de ressemblance,
tandis que la dernitre offre cette particularité
que leurs deux doigts externes sont réunis par une
membrane spéciale dans presque toute leur lon-
gueur. |
LL
“
66 2 HISTOIRE NATURELLE
ESRo
Je FAMILLE DES PASSEREAUNX.
LES DENTIROSTRES.
Les passereaux dentirostres ont le bec un peu
recourbé vers son extrémité, et présentant quel-
ques légères échancrures près de sa pointe. Nous
remarquons de genre à genre quelques fugitives
modifications, qui ont servi néanmoins à préciser
des caractères génériques. C’est dans cette fa-
mille que se trouvent spécialement les oiseaux in-
sectivores ; presque tous cependant mangent éga-
lement des baies et des fruits.
LES PIES-GRIÈCHES.
Ces oiseaux, quoique petits, quoique délicats
de corps et de membres, devraient néanmoins par
leur courage, par leur large bec, fort et crochu , et
par leur appétit pour la chair, être mis au rang
des oiseaux de proie, même des plus fiers et des
plus sanguinuires. On est toujours étonné de lin-
irépidité avec laquelle une petite pie-grièche com-
bat contre les pies , les corneilles, les cresserelles,
tous oiseaux beaucoup plus grands et plus forts
qu'elle; non-seulement elle combat pour se dé-
fendre, mais souvent elle attaque, et toujours
avec avantage, surtout lorsque le couple se réu-
nit pour éloigner de ses petits les oiseaux de rapine.
DES OISEAUX. 67
Les oiseaux de proie les plus braves respectent les
pies-grièches ; les milans , les buses , les corbeaux,
paraissent les craindre et les fuir plutôt que les
chercher; rien dans la nature ne peint mieux la
puissance et les droits du courage, que de voir
ce petit oiseau, qui n’est guère plus gros qu’une
alouette, voler de pair avec les éperviers, les
faucons et tous les autres tyrans de l’air, sans les
redouter, et chasser dans leur domaine sans
craindre d'en être puni. Car, quoique les pies-
grièches se nourrissent communément d'insectes ,
elles aiment la chair de préférence; elles pour-
suivent au vol tous les petits oiseaux; on en a vu
prendre des perdreaux et de jeunes levreaux. Les
grives, les merles et les autres oiseaux pris au la-
cet ou au piége, deviennent leur proie la plus or-
dinaire; elles les saisissent avec leurs ongles, leur
crèvent la tête, serrent et déchiquettent leur cou,
et, apres les avoir étranglés ou tués, elles les
plument pour les manger, les dépecer à leur aise
et en emporter dans leur nid les débris en lam-
beaux.
La pie-grièche commune est de la taille d’une
grive, cendrée en dessus, blanche en dessous,
avec les ailes et la queue noires ; elle habite pres-
que toute l’Europe. Nous possédons quelques autres
espèces qui sont plus petites, lune d’elles a reçu
le nom d'écorcheur à cause de la manière dont
elle dépèce sa proie après l'avoir accrochée aux
épines des buissons; elle détruit une grande quan-
tité d'insectes , et s'empare aussi de petits oiseaux ,
de jeunes grenouilles , etc. ; cette petite pie-griè-
che arrive chez nous au printemps et nous quitte
en automne.
68 HISTOIRE NATURELLE.
LES GOBE-MOUCHES,
Le principal caractère qui sert à distinguer ce
genre du précédent est tiré de la forme du bec, qui
est comprimé dans les pies-grièches, tandis que
dans les gobe-mouches il est aplati et déprimé.
En outre, ces derniers ont la base du bec garnie de
poils raides dont l’usage est assez difficile à appré-
cler, Mais qui contribuent à donner à la physiono-
mie de l’oiseau un air plus décidéet plus redoutable,
D'ailleurs le reste de la conformation a les plus
grands rapports avec celle des pies-grièches , aussi
nous trouvons une grande ressemblance de mœurs
et d’habitudes; leur naturel est également mé-
chant et querelleur. Les petites espèces se nour-
rissent d'insectes à téguments mous, et principa-
lement de mouches, comme lindique leur nom.
Les espèces dont la taille est plus considérable et
les mandibules plus fortes y ajoutent des orthop-
tères et des coléoptères et même des petits oi-
seaux. On rencontre les gobe-mouches surtout
dans les pays chauds, dans les endroits où une
nature féconde, vivifiée par un soleil ardent, nour-
rit un grand nombre de végétaux , et, par consé-
quent, une prodigieuse quantité de petits Insectes
qui y trouvent les circonstances propres à leur
développement et à leur existence. Ceux qui vi-
vent dans des climats tempérés vont se réfugier
sous des latitudes plus chaudes quand vient la sai-
sou rigoureuse. Ces oiseaux n’ont point les mœurs
joyeuses et vives de beaucoup d’autres oiseaux,
ils vivent solitaires et isolés sur les branches des
arbres, et ne font entendre qu’à des intervalles
DES OISEAUX. 69
éloignés un eri aigre et désagréable. Ils passent
presque toute leur vie dans Pair, occupés à pour-
suivre les insectes qui font leur nourriture.
Ces oiseaux font leur nid avec négligence, et le
placent dans des trones d'arbre ou dans des trous
de murailles. Quelques racines mal arrangées et
tapissées de laine et de duvet sont les seuls prépa-
ratifs qu'ils fassent pour déposer leurs œufs. Ils
montrent la plus grande tendresse pour leur pos-
térité naissante, et défendent leurs petits avec le
même courage et la même intrépidité que les
pies-grièches, sans redouter aucun ennemi , même
les oiseaux de proie les plus vigoureux. On trouve
quelquefois en France le gobe-mouche à collier
et le gobe-mouche gris; ces deux jolis oiseaux
nous quittent avec les beaux jours pour ne revenir
qu'avec eux.
LES COTINGAS.
La forme du bec de ces oiseaux est tout à fait
semblable à celle que nous venons d'observer chez
les gobe-mouches, mais chez eux l'organe est
moins développé, moins échancré et beaucoup
moins aigu, Quoique les cotingas soient généra-
lement d’une taille plus considérable que les précé-
dents, cependant ils vivent exclusivement de baies
et d'insectes, sais jamais chasser les petits o1-
seaux.
Il est peu d'oiseaux d’un aussi beau plumage
que ceux de ce genre; on dirait que la nature a
pris plaisir à répandre sur leur corps les plus ma-
gnifiques couleurs, sans avoir de reflets métalli-
ques comme les colibris, les oiseaux de para-
70 HISTOIRE NATURELLE
dis, etc., ils ne sont inférieurs en beauté qu’à un
petit nombre d’entre eux. Le bleu d'azur ou d’ou-
tre-mer, le pourpre, le blane et le noir purs,
forment une parure qui ne le cède à celle d’au-
cun autre oiseau. Mais leurs mœurs sont loin
d'être en rapport avec ces dehors séduisants :
tristes , défiants et même farouches , ils ne recher-
chent que les forêts profondes, où 1ls vivent d’in-
sectes, de fruits ou de jeunes bourgeons. Ils sont
presque tous voyageurs , et dans leurs migrations,
au lieu d'aller par troupes , 1ls volent presque tou-
jours isolés, où du moins par petites familles.
Jamais leur voix n’est agréable ; elle consiste en
un petit eri triste et plaintif qui n’inspire que de
l'ennui; quelques espèces même demeurent tou-
jours silencieuses.
Nous ne possédons aucune espèce de ce genre
dans nos contrées; néanmoins on en trouve dans
presque toutes les collections ornithologiques,
parce qu’on les recherche à cause de la beauté et
de la variété de leur plumage. Les voyageurs nous
en apportent toujours un nombre considérable qui
font l’ornement des cabinets des amateurs.
Les espèces les plus remarquables sont: le co-
tinga pompadour, l'ouette, le cordon bleu, et
le cotinga à gorge aurore.
LE JASEUR.
L'oiseau ainsi nommé a la tête ornée d’un
toupet de plumes un peu plus allongées que les
autres , et qui, presque tous, ont un autre singu-
lier caractère aux pennes secondaires des ailes,
dont le bout de la tige s’élargit en un disque
DES OISEAUX. 74
ovale, lisse et rouge. Nous en trouvons un en Eu-
rope appelé, on ne sait pour quelle raison, le
jaseur de Bohème. Il est un peu plus gros qu'un
moineau, porte un plumage d’un gris-vineux, la
gorge noire, la queue noire bordée de jaune à son
extrémité , l'aile noire variée de blanc. Cet oiseau
arrive dans nos contrées à des intervalles très-
longs et sans régularité, ce qui, dans la campa-
gne , l’a fait regarder longtemps comme de mau-
vaisaugure. Il est doux, sociable, facile à prendre
et à élever, et comme les caractères faciles et
aisés sont presque toujours mal appréciés et
même quelquefois calomniés, on a dit qu'il était
stupide. La nourriture du jaseur est peu bornée,
car il se nourrit généralement de tout.
LES TANGARAS.
Ces oiseaux se font distinguer par un bec co-
nique, triangulaire à sa base, légèrement arqué
à son arête, et échancré vers le bout; la cour-
bure de l'extrémité est presque nulle. Cette con-
formation nous indique quelles doivent être les
mœurs de ces oiseaux; en effet, ils ne chassent
jamais aux petits oiseaux, pas même aux insectes ;
les baies et les fruits forment le fonds de leur
nourriture.
Les tangaras vivent dans l'Amérique méridio-
nale, et, quoique présentant le plumage brillant
des cotingas, ils offrent des mœurs moins sau-
vages et moins farouches. Loin de vivre au fond
des forêts, et de rester constamment muets, ils
se rapprochent des habitations et font entendre
continuellement un petit cri assez semblable à ce-
> HISTOIRE NATURELLE
lui de nos moineaux domestiques. Ils ont des ha-
bitudes sociables et vivent ordinairement par
familles assez nombreuses, voltigeant ensemble
dans toute la campagne à la recherche des baies
et des fruits. On peut les regarder comme les
moineaux de l'Amérique, car ils en ont la taille,
la gaieté, la pétulance, et presque toutes les habi-
tudes. Les espèces les plus remarquables sont, le
tangara septicolor, dont le corps est noir, la tête
verte, le bas du dos d’une couleur de feu très-écla-
tante, le croupion jaune-orangé, le ventre vert de
béril, et la poitrine violette ; le tangara diable en-
rhumé, le tangara passe-vert, le tangara vert-
jaunet, le tangara diadème , etc.
LES MERLES.
Les merles ont le bec comprimé et arqué, mais
sa pointe ne fait pas le crochet, et ses échancrures
ne produisent point de dentelures aussi fortes que
dans les pies-grièches ; cependant , comme nous
l'avons dit, 1l y a des passages non interrompus
de l’un à l’autre genre.
Le merle adulte est encore plus no que le
corbeau ; il est d’un noir plus décidé, plus pur,
moins altéré par des reflets. Excepté le bec, le
tour des yeux , le talon et la plante des pieds qu’il
a plus où moins jaunes, il est noir partout et dans
tous les aspects: aussi les Anglais l’appellent-1ls
l'oiseau noir par excellence. Les merles ont un er
particulier et connu de tout le monde, et se lais-
sent apprivoiser facilement; au reste, ils passent
communément pour être très-fins, parce qu'ayant
la vue perçante, ils découvrent les chasseurs de
iso ed
DES OISEAUX. 79
fort loin, et se laissent approcher difficilement ;
mais en les étudiant de plus près, on reconnait
qu’ils sont plus mquiets que rusés, plus peureux
que défiants, puisqu'ils se- laissent prendre aux
gluaux , aux lacets et à toute sorte de piéges,
pourvu que la main qui les a tendus sache se
rendre invisible.
Lorsqu'ils sont renfermés avec d’autres oiseaux
plus faibles, leur inquiétude naturelle se change
en pétuiance; ils poursuivent, 1ls tourmentent
continuellement leurs compagnons d’esclavage ,
et, par cette raison, on ne doit point les admettre
dans les volières où l’on veut rassembler et con-
server plusieurs espèces de petits oiseaux.
On peut, si l’on veut, en élever à part, à cause de
leur chant, non pas de leur chant naturel , qui n’est
guère supportable qu'en pleine campagne, mais à
cause de la facilité qu'ils ont de le perfectionner,
de retenir les airs qu’on leur apprend, d’imiter
différents bruits, différents sons d'instruments , et
même de contrefaire la voix humaine.
On trouve des variétés du merle bien remar-
quables *.
Quoique le merle soit l’oiscau noir par excel-
lence, cependant on ne peut nier que son plumage
prenne quelquefois du blanc, et que même il ne
change quelquefois en entier du noir au blanc,
comme il arrive dans l'espèce du corbeau, dans
celle des corneilles et de presque tous les autres
oiseaux, tantôt par l'influence du climat, tantôt
par d’autres causes particulières et moins con-
nues. En effet, la couleur blanche semble être
* Buffon, oiseaux, tom. vi.
74 HISTOIRE NATURELLE
dans la plupart des animaux, comme dans les
fleurs d’un grand nombre de plantes, la couleur
dans laquelle dégénèrent toutes les autres, y com-
pris le noir, même brusquement et sans passer
par des nuances intermédiaires. Rien cependant
de si opposé en apparence que le noir et le blane ;
celui-là résulte de la privation, ou de l'absorption
complète des rayons de lumière, et le blane au
contraire de leur réunion la plus complète; mais
en physique, on trouve à chaque pas que les ex-
trêmes se rapprochent, et que les choses qui,
dans l’ordre de nos idées et même de nos sensa-
tions, paraissent les plus contraires, ont, dans
l'ordre de la nature, des analogies secrètes qui se
déclarent souvent par des effets inattendus.
Les espèces qu'on rencontre en Europe sont,
après le merle commun, dont nous avons donné
la description d’après Buffon, le merle à plastron
blanc, le merle de roche, le merle bleu et le
mer le solitaire.
LES GRIVES.
Les grives diffèrent peu des merles; leur plu-
mage est grivelé, c’est-à-dire marqué de petites
taches noires ou brunes. Cet oiseau voyage en
grandes troupes ; il arrive dans nos climats vers
la fin de septembre , et ne prolonge son séjour que
peu après les vendanges , mais il repasse en avril
pour disparaitre entièrement en mai. Quelques in-
dividus restent cependant chez nous et nichent sur
les pommiers ou dans les buissons. Le chant de la
grive est très-agréable, elle le fait souvent en-
tendre perchée sur le sommet d’un arbre élevé;
DES OISEAUX. 75
c’est pour cela que les naturalistes l’ont appelée
turdus musicus. Pendant l’automne, on recher-
che ces oiseaux pour leur chair, qu'on dit être ex-
cellente. Nous possédons dans nos contrées trois
espèces de grives, la grive proprement dite, la
litorne et la drenne, qui ne diffèrent entre elles
que par les nuances du plumage.
LE MOQUEUR.
Cet oiseau , suivant le rapport. des voyageurs,
est le chantre le plus harmonieux entre tous les
volatiles de lunivers, sans même en excepter le
rossignol. Il charme , comme lui, par les accents
flatteurs du ramage, et de plus il amuse par le ta-
lent inné qu’il a de contrefaire le chant des autres
oiseaux , et c’est de là sans doute que lui est venu
le nom de moqueur. Cependant, bien loin de
rendre ridicules ces chants étrangers qu'il répète,
il paraît ne les imiter que pour les embellir; on
croirait qu'en s’appropriant ainsi tous les sons
qui frappent ses oreilles, il ne cherche qu'à enri-
chir et perfectionner son propre chant, et qu’à
exercer de toutes les manières possibles son infa-
tigable gosier. Exécute-t-il avec sa voix des rou-
lements vifs et légers, son vol décrit en même
temps dans l'air une multitude de cercles qui se
croisent; on le voit suivre en serpentant les tours
et retours d’une ligne tortueuse sur laqüelle il
monte, descend et remonte sans cesse. Son gosier
forme-t-1l une cadence brillante et bien battue, il
s'accompagne d’un battement d’ailes également vif
et précipité.
Le rossignol de l'Amérique est aussi mal par-
76 HISTOIRE NATURELLE
tagé que celui d'Europe par rapport à la beauté;
son plumage est terne, sans éclat et sans nuances
variées.
LES CINGLES.
Les emgles différent très-peu des merles. Quel-
ques légères modifications dans la forme du bec
ont servi pour les caractériser zoologiquement.
Ces oiseaux sont connus vulgairement sous le nom
de merles d'eau. C’est sur le bord des ruisseaux
et en général des eaux claires et vives qu'on ren-
contre si cingle plongeur, qui fait sa nourriture
des larves d'insectes qui se développent dans les
lieux humides. L'espèce que nous possédons en
Europe a la singulière habitude de les chercher
auprès des ruisseaux et de continuer à en suivre
la pente sans nager, même lorsque la profondeur
de l’eau le force à se submerger; 11 marche ainsi
sous le liquide en conservant les mêmes allures
que s’il était à l'air, et s’y promène librement et en
tous sens.
LES LORIOTS.
Le loriot d'Europe est un peu plus grand que
le merle ; le male est d’un beau jaune, les ailes,
la queue et une tache entre l'œil et le bec noires ;
mais pendant les premières années de sa vie 1l
offre, comme toujours la femelle, une teinte oli-
vâtre foncée. C’est un oiseau très-peu sédentaire,
qui change continuellement de contrées el sem-
ble ne s'arrêter dans les nôtres que durant les
beaux jours. Il construit son nid avec une merveil-
DES OISEAUX. . 77
leuse industrie, et défend ses petits avec une intré-
pidité et un courage qu’on aurait peine à attendre
d'un oiseau si petit. Dès que les petits sont élevés,
la famille se met en marche pour voyager ; c’est or-
dinairement vers la fin d'août ou le commence-
ment de septembre.
Au printemps, les loriots font la guerre aux in-
sectes, et vivent de coléoptères, de chenilles, de
vermisseaux, en un mot de ce qu'ils peuvent sai-
sir; mais joe nourriture de choix, celle dont ils
se montrent le plus avides, ce sont les cerises, les
figues, les baies de sorbier, les pois, ete. Il ne
faut que deux de ces oiseaux pour dévaster en
un jour un cerisier bien garni, parce qu'ils ne
font que becqueter les cerises les unes après les
autres, et n'entament que la partie la plus mûre.
Les Allemands leur ont donné le nom de merles
d'or ou de merles dorés.
LES BECS-FINS.
Le genre bec-fin se compose d’une multitude
innombrable de petits oiseaux, fort communs
dans nos pays et dans toute l'Europe, et dont le
caractère distinctif se tire de la forme de leur
bec, qui est droit, grêle, en forme de poinçon,
avec une échancrure si peu profonde, qu'il faut
quelquefois avoir recours à un instrument ampli-
fiant pour l'apercevoir.
Ces timides habitants des bois * nous plaisent
non-seulement par l'élégance de leurs formes et
par la vivacité de leurs mouvements, mais sur-
* Salacroix. nouv. Élém. d’Hist. nat.
78 HISTOIRE NATURELLE
tout par leur chant sonore et mélodieux. Cachés
parmi la verdure qui les dérobe à nos regards, ce
n'est que par les concerts variés dont ils charment
nos oreilles qu'ils nous annoncent leur présence ;
leur voix retentissante anime les solitudes les plus
sombres et les bois les plus sauvages. Les espèces
qui fréquentent le bord des ruisseaux sont seules
plus silencieuses , et, si elles font quelquefois en-
tendre des sons , leur voix est sans cadence et sans
harmonie.
Tous les becs-fins vivent exclusivement d’in-
sectes ; c’est pour cela que chaque année le prin-
temps nous les amène et que lautomne nous les
ravit. Mais le temps qu'ils passent avec nous est
le plus beau de leur vie; c’est alors qu’ils sont le
plus gais et le plus agiles , et leur plumage , habi-
tuellement sombre et peu varié, prend , pendant
les beaux jours, des teintes moins tristes et moins
monotones. La seule chose qu'on pourrait dési-
rer chez eux, c’est une parure plus brillante;
car leurs couleurs sont généralement ternes et
ne prennent jamais de nuances éclatantes n1 va-
riées. Mais la nature a compensé ce désavantage,
si c'en est un, en fondant les teintes de leur
plumage avec une harmonie qui flatte presque
autant les yeux que la variété ou l'éclat des cou-
leurs.
Ce genre, qu'on pourrait considérer comme une
grande famille, renferme un grand nombre de
sous-genres auxquels les ornithologistes les plus
distingués ont peine à assigner des caractères
bien déterminés. |
S PS
DES OISEAUX. 79
LES TRAQUETS.
Nous possédons en Europe plusieurs espèces
de ces oiseaux, vivant ordinairement dans les
lieux découverts et pierreux , où 1ls se nourrissent
d'insectes qu'ils attrapent en courant. Ces oiseaux
doivent leur nom à un petit eri qu'ils font entendre
continuellement et qu'on a comparé au tic-tac d'un
moulin. Le traquet commun voltige sans cesse
autour des buissons et des haies, et se construit
un nid assez artistement fait. Il commence son
travail extérieurement en assemblant des herbes
sèches peu serrées, et il garnit l'intérieur de
laine ou de quelque autre tissu chaud et moel-
leux. Lorsque la belle saison approche de sa fin,
et que les insectes deviennent plus rares, alors 1l
nous abandonne et se retire dans des contrées
plus méridionales où les influences d’un climat
trop rigoureux ne le privent point de sa nourriture
ordinaire. Quand il voyage on lui fait une chasse
active , parce que sa chair est grasse et fort esti-
mée. Nous avons encore dans notre pays le tarier
et lemotteux où cul-blanc. Le premier est d’une
taille un peu plus considérable que le traquet
commun , et le second doit son nom à l'habitude
qu'il a de se poser sur les mottes les plus élevées
des champs nouvellement labourés ou aux plumes
blanches qui forment la partie supérieure de sa
queue ; il se plait dans les sillons nouvellement
tracés où il cherche des vers , et il se fait remar-
quer par les mouvements brusques de sa queue.
80 HISTOIRE NATURELLE
LES RUBIETTES.
Ces oiscaux forment un genre fort intéressant.
par ses habitudes. Ils vivent solitaires, mais dé—
ploient sans cesse une très-grande activité. Ils
font leurs nids dans des trous et recherchent les
insectes pour en faire leur nourriture ; ils y ajou-
tent les baies pendant l'automne et la mauvaise
saison. Nous en avons ici quatre espèces : le rouge-
gorge, gris-brun dessus, gorge et poitrine rous-
ses, ventre blanc. I est curieux 6t familier. Il en
reste quelques-uns durant l'hiver, qui, pendant
les grands froids, se réfugient dans les habitations
et S'y apprivoisent très-vite. Le gorge-bleue se
distingue du précédent, auquel il ressemble beau-
coup, par la couleur bleue dés plumes qui recou-
vrent la gorge. On le rencontre plus rarement,
et il fait son nid dans les bois ou sur le bord des
marais. Le gorge-noire où le rossignol de mu-
raille a plusieurs traits de ressemblance avee les
deux que nous venons d'examiner; la principale
différence qui le caractérise lui a valu son nom.
I niche dans les trous des vieilles murailles et
fait entendre assez souvent un chant doux qui rap-
pelle les modulations vives et brillantes du rossi-
gnol. Enfin le rouge-queue, qui se distingue du
précédent parce que sa poitrine est noire comme
sa gorge : c’est le plus rare des quatre espèces.
LES FAUVETTES.
Les fauvettes forment un petit groupe dont les
caractères zoologiques sont peu déterminés, mais
DÉS OISEAUX. , 81
dont les mœurs et les coutumes sont d’un très-
grand intérêt. Les principales espèces sont le
rossignol et les fauvettes proprement dites.
LE ROSSIGNOL,.
De tous les oiseaux que la nature a doués d’un
chant mélodieux , aucun n’a, comme le rossignol,
cette douceur, cette agréable variété dans les
sons, ces cadences brillantes et soutenues, cette
flexibilité prodigieuse dans le gosier, qui lui fait,
souvent pendant des heures entières, former toutes
sortes de belles modulations , les étendre, les gra-
duer, les varier selon toutes les combinaisons
possibles. Il suflit de l'entendre pour désirer de le
connaitre: lorsqu'on le voit, on est surpris que,
dans un corps si mince #t si délicat 1l y ait des
organes si forts et si brillants. Il se plait surtout
à chanter pendant le silence de la nuit, perché
aux environs de quelque ruisseau, où l'écho ré-
pond à ses accents. On dirait que, fier de son mé-
rite, il ambitionne les applaudissements de la na-
ture , alors plus attentive à lécouter.
Ce chantre des forêts nous annonce par ses pre-
miers accents le retour du printemps; 1l continue
‘son ramage sans interruption Jusqu'à ce que ses
petits soient éclos ; alors les soins de l'éducation
le lui font suspendre.
Les bois et les vallons solitaires sont les lieux
favoris du rossignol; il est ennemi des ardeurs
du soleil et des rigueurs de l'hiver. Il vient vers
Je mois d’avril des parties orientales de notre hé-
misphère , et s’en retourne en automne. Lorsqu'il
n'est point apprivoisé 1l est farouche et craintif.
82 ‘ HISTOIRE NATURELLE
La jalousie est un des traits distinctifs du carac-
tère du rossignol, on n’en voit jamais deux chan-
terou faire leur nid fort près l’un de l’autre. Il
fuit la société de ses semblables ; on croirait qu’il
veut jouir de sa gloire sans rivaux, et qu'un seul
suffit pour embellir les lieux qu’il habite.
La femelle du rossignol est muette; elle fait
son nid près de terre, au pied d'une haie, d’une
charmille ou dans des broussailles, avec des feuil-
les de chêne sèches, artistement rangées, mais
sans liaison entre elles: le moindre mouvement
fait écrouler le berceau de la petite famille.
Le rossignol peut nous donner le type du vrai
talent, qui est toujours modeste.
LA FAUVETTE.
Ces oiseaux, les plus nombreux comme les
plus aimables, sont d’un naturel gai, vif, agile et
léger; leurs mouvements ont l'air du senti-
ment, leurs accents le ton de la joie, et leurs
veux l'intérêt de l'affection. IIS arrivent au mo-
ment où les arbres développent leurs feuilles
et laissent épanouir leurs premières fleurs; les
uns viennent habiter nos jardins, d’autres des
champs semés de légumes, d’autres préfèrent les
avenues et les bosquets; plusieurs espèces s’en-
foncent dans les grands bois , et quelques-unes se
cachent dans les roseaux. Ainsi les fauvettes rem-
plissent tous les lieux de la terre, et les animent
par les mouvements et les accents de leur tendre
gaieté. Les mouches, moucherons, insectes, ver-
misseaux, graines de lierre, de ronces, leur ser-
vent de nourriture. C’est un de leurs plaisirs de
DES OISEAUX. 83.
courir le matin, sur les feuilles mouillées par la
rosée et les petites pluies d’été, et de se baigner
avec les gouttes d’eau qu’elles secouent du feuil-
lage. Leur nid placé près de terre est soigneuse-
ment caché; la femelle y pond ordinairement
cinq œufs, qu’elle abandonne lorsqu'on les a
touchés. Presque toutes les fauvettes partent en
même temps au milieu de l'automne; à peine en
voit-on encore quelques-unes en octobre. Plu-
sieurs semaines après que le rossignol s’esttu, on
entend les bois résonner partout du chant de ces
fauvettes. Leur voix est pure et légère; leur chant
s'exprime par une suite de modulations peu éten-
dues , agréables, flexibles et nuancées. Ce chant
semble tenir de la fraicheur des lieux où il se fait
entendre; il en peint la tranquillité, 1l en ex-
prime le bonheur. La fauvette babillarde, ainsi
nommée à cause de son chant perpétuel, est la
plus remuante et la plus leste. Nous connaissons
un très-grand nombre d'espèces différentes du
genre fauvette; nous nommerons seulement celles
que nous trouvons en France. La petite rousse-
rolle ou effarvate, la fauvette des roseaux, la
fauvette à tête noire, la fauvette rayée, la fau-
vette roussûtre, la petite fauvelte, passerinette ou
bretonne, enfin le fraine-buissons ou fauvette
d'hiver, qui arrive dans nos contrées quand toutes
Jes autres nous abandonnent.
LE ROITELET.
L'heureux caractère que celui du roitelet ! ce
petit oiseau est toujours alerte, gai, vif et plein
de feu ; jamais la mélancolie ne le gagne ; chaque
71 HISTOIRE NATURELLE
saison est pour lui la saison de la joie. I chante
soir et matin, surtout en hiver, mais plus agréa-
blement et avec plus d'éclat au mois de mai.
Comme le rossignol, il vit peu avec ses sembla-
bles, et n’en est pas moins beureux ; on dirait qu'il
porte tout son bonheur en lui-même. Il est très-
abondant dans les bois de sapins qu'avoisinent les
Vosges; on le voit voltiger en troupes nombreu-
ses et avec une agilité extrème au milieu de ces
arbres, et s’y suspendre en tous sens pour y cher-
cher les insectes dont il se nourrit. Son nid, formé
de mousse et de toiles d’araignée, est construit
avec un art admirable, et a la forme d’une boule
avec une ouverture sur le côté; la femelle ÿ pond
six où sept œufs de la grosseur d’un pois. Ces
petits oiseaux sont très-familiers , et pendant l’hi-
ver ils se rapprohent de nos habitations. On donne
le nom de pouillot à une espèce de roitelet un peu
plus grande que la précédente, dont les mœurs
sont analogues, mais qui nous quitte pendant
l'hiver.
L
LES HOCHEQUEUES OU LAVANDIÈRES.
Ces oiseaux doivent leur premier nom à la
manière dont ils agitent continuellement leur lon-
gue queue ; leur becest fort grêle, mais du reste
dans les conditions organiques que nous avons
déjà vues chez les précédents. On rencontre sou-
vent ces jolis oiseaux sur le bord des eaux, où 1ls
cherchent leur nourriture. L'espèce qui vient or-
dinairement dans les beaux jours se fixer dans
nos contrées a des formes élégantes et des mouve-
ments légers et gracieux; elle se construit un
DES OISEAUX. 85
nid composé de mousse et d'herbes desséchées
dans quelque trou voisin des eaux. Ces oiseaux
montrent le plus grand attachement pour leur
postérité naissante; leur courage s’exalte au
moindre danger, et leur fait affronter les plus
grands périls.
LES BERGERONNETTES.
Ces charmants petits oiseaux sont très-fami-
liers et viveut au milieu des pâturages, où ils pour-
suivent les insectes. Tout en eux semble la pein-
ture des mœurs douces et simples de la vie des
champs. Leurs allures sont gaies, vives et pleines
de cette gentillesse qu’on aime toujours et par-
tout. Leur caractère semble le type de la naïve
bergère qui fait patre son troupeau en fredonnant
insoucieusement sa rustique chansonnette. La
plus commune des bergeronnettes est celle qu'on
a nommée bergeronnette du printemps, parce
que c’est elle qui nous arrive aux premiers jours
de la belle saison. Elle arrive, comme une heu-
reuse et impatiente messagère, annoncer au culti-
vateur que ses troupeaux peuvent commencer à
quitter l’étable et à chercher leur pâture dans les
prairies. Une autre espèce est celle appelée pipe,
plus petite et moins remarquable que la première;
enfin une troisième espèce, qui dans quelques au-
teurs forme un genre séparé, est la farlouse ou
alouette des prés.
LES MANAKINS.
Les manakins se rapprochent un peu de la fa-
mille des syndactyles, parce que leurs deux doigts
86 HISTOIRE NATURELLE
extéricurs Sont réunis par une petite membrane
dans le tiers inférieur de leur étendue. Ces oi-
seaux sont propres aux régions chaudes de lAmé-
rique et de l'Inde. La nature, en versant ses dons
sur les êtres qu’elle anime, n’accorde jamais in-
distinctement toutes les qualités et tous les ta-
lents. À ceux qui ont reçu en partage les qualités
aimables du chant et des gentillesses elle a ordi-
nairement refusé la beauté, mais souvent à la
beauté s'unissent des défauts qui la ternissent et
la font presque mépriser. Les manakins ont reçu
une parure brillante, leurs plumes sont peintes
des couleurs les plus vives et les mieux nuancées,
les tons les plus harmonieux se fondent et se mé-
langent sur leur poitrine et sur leurs ailes; mais
aussi ces oiseaux sont tristes, mélancoliques,
solitaires et sauvages. Cachés dans les forêts les
plus profondes, ils semblent fuir l’aspect de tous
les êtres animés. Dès qu’ils se voient découverts,
ils partent à tire-d’aile et ne s'arrêtent que lors-
qu'ils se voient hors de la portée des regards. Ces
oiseaux se réunissent en troupes assez nombreuses
dans les forêts humides, où ils vivent principale-
ment d'insectes.
II: FAMILLE DES PASSEREAUX.
LES FISSIROSTRES.
Les oiseaux qui composent cette petite famille
se distinguent très-bien de tous les autres par
leur bec court, large et aplati horizontalement,
DES OISEAUX. 87
légèrement crochu, sans échancrure , et fendu
très-profondément ; ainsi leur bouche est très-
large et peut engloutir facilement les insectes
qu'ils poursuivent au vol.
. Leur régime absolument insectivore en fait des
oiseaux éminemment voyageurs qui nous quittent
en hiver.
Ces oiseaux se divisent, comme les rapaces, en
fissirostres diurnes et fissirostres nocturnes. Les
premiers renferment les hirondelles et les marti-
nels, et les seconds les engoulevents.
LES HIRONDELLES.
Les hirondelles arrivent dans nos contrées dans
les premiers beaux jours du printemps et à des
époques presque invarlablement les mêmes. Les
variations méféorologiques semblent peu influer
sur l'époque de leur arrivée, car quelquefois elles
paraissent quand la saison est encore beaucoup plus
rigoureuse que lorsqu'eiles nous ont quittés. On a
vu des hirondelles voler à travers les flocons d’une
neige assez épaisse, tandis que la chaleur préma-
turée du mois de février et de mars n’a pu faire
avancer leur apparition. Au reste cette considé-
ration, juinte à beaucoup d’autres, nous fait con-
clure que les causes des migrations générales
périodiques des animaux ne sont pas toutes clai-
rement connues. Nous n'apprécions que les faits
les plus sensibles, mais nous ne pouvons, malgré
la curiosité naturelle à l'esprit humain, pénétrer
les secrets de beaucoup de lois organiques, phy-
siologiques et éthologiques dont nous apercevons
sans cesse les résultats apparents.
88 HISTOIRE NATURELLE
* Chacun connait le vol léger, élégant et soutenu
de ces oiseaux, et a pu remarquer combien ils
aiment à planer au-dessus de l’eau et à sillonner
l'air dans toutes les directions, en ÿ poursuivant
les insectes dont ils se nourrissent et dont ils dé-
truisent un nombre immense. Les hirondelles
nous délivrent, en effet, de nuces de cousins, de
charancons ou d’autres insectes destrutteurs ou
incommodes, et les services qu’elles nous rendent
ainsi devraient leur assurer notre re onnaissance
et notre protection. Elles nous arrivent d'abord
par bandes peu nombreuses, mais bientôt les
masses dont celles-ci étaient les devancières se
répandent dans les villes et dans les campagnes;
lhirondelle de cheminée ct de fenêtre se rappro-
che de nos habitations; l’hirondelle de rivage
ne hante que le bord des rivières où le voisinage
de l’homme ne la trouble pas. Presque aussitôt
après leur arrivée on les voit s’oceuper active-
ment de la construction d’un nid ou de la répa-
ration de l’uñ de ceux abandonnés l’année précé-
dente. Ce nid est une véritable bâtisse, artistement
faconnée; il est construit avec des débris de ma-
tières végétales on animales et une espèce de ei-
ment forméede terregächée que l'oiseau étend avec
son bec, comme avec une truelle; à lPintérieur, 1l
est garni de duvet, et l'ouverture servant d’en-
trée est pratiquée à sa partie supérieure. L’en-
droit où ces oiseaux le placent varie suivant les
espèces, mais est toujours choisi de manière à
le mettre autant que possible à l'abri des attaques
de leurs ennemis. L’hirondelle de cheminée éta-
* Milne Edwars, Elem. Zoolog. descript.
RE
DES OISEAUX. 59
blit en général son domicile dans la partie la plus
élevée des tuyaux de cheminée, et doit à cette par-
ticularité le nom qui la distingue; l’hirondelle de
fenêtre attache son nid sous les encoignures des
fenêtres, enfin l'hirondelle de rivage niche dans
des trous qu’elle creuse avec son bec dans la berge
des rivières, ou s'établit dans des fentes de rochers.
Tous ces petits oiseaux se font remarquer par
des mœurs douces et par un instinct remarquable
qui les porte à la sociabilité. Quand les petits
sont éclos, leur tendresse est excessive et leur
courage énergique pour les défendre en cas d’at-
taque. On a remarqué quelquefois que les hiron-
delles du voisinage venaient au secours de celles
qui se trouvaient en danger ; elles harcèlent tou-
tes ensemble l'ennemi commun Jusqu'à ce qu'il
soit mis en fuite ou qu'il cède à leurs cris impor-
tuns. On a cru remarquer encore qu’elles s’ai-
daient mutuellement dans la construction de leur
nid, et on assure que si un moinçeau s'empare
de la demeure de quelque famille, toutes les autres
hirondelles se rassemblent autour pour chercher
à l'en expulser, ou pour ly renfermer en bouchant
avec de la terre la seule ouverture qui puisse servir
d’issue.
Nous ne dironsrien ici des migrations des hiron-
delles, car c’est à elles que peuvent s'appliquer plus
spécialement les considérations que nous avons
émises sur les migrations en général. Nous ajou-
terons seulement qu'on s’est assuré d’un fait cu-
rieux, c’est que les hirondelles savent au prin-
temps suivant retrouver les lieux qu’elles avaient
quittés. On s’est convaincu de ce fait en attachant
à la patte de plusieurs hirondelles de petits cor-
90 HISTOIRE NATURELLE
dons de soie qui indiquaient d’une manière cer-
taine l'identité des individus. L'abbé Spallanzani
a vu, pendant dix huit années consécutives , les
mêmes couples revenir à leurs anciens nids , sans
presque s'occuper de les réparer.
On doit remarquer, parmi les hirondelles étran-
gères, spécialement la salangane, petite espèce
qu'on trouve dans l’Inde sur le bord des rivières
ou de la mer, très-célèbre par la substance dont
elle compose son nid, qui est une matière géla-
tineuse très-estimée sur la table des Chinois :
il s’en fait dans ces pays un commerce Consi-
dérable.
LES MARTINETS.
On confond assez généralement les martinets
avec les hirondelles ; cependant il est assez facile
de les distinguer , parce que les premiers ont les
ailes d’une longueur beaucoup plus considérable
que les secondes. On les appelle vulgairement eri-
cri dans quelques provinces , à cause du eri qu'ils
font sans cesse retentir. Lorsqu'ils sont à terre,
ces oiseaux éprouvent la plus grande difficulté à
prendre leur élan, parce que leurs pattes sont
excessivement courtes. Aussi la vie de ces oiseaux
est-elle presque uniquement aérienne ; 1ls volti-
gent sans cesse avec une grande facilité à la pour-
suite des petits insectes qui font leur nourriture.
Ils se posent quelquefois sur la cime des arbres
ou sur le sommet des grands édifices, d’où ils se
laissent tomber pour prendre leur vol. Nous pos-
sédons en France deux espèces de ce genre, le
martinet commun, et le grand martinet ou
DES OISEAUX. 91
martinet à ventre blanc qui fréquente surtout
les hautes montagnes, comme les Alpes , et niche
dans les fentes des rochers.
LES ENGOULEVENTS.
On peut dire que les engoulevents sont dans
le même rapport avec les hirondelles, que les
chouettes avec les rapaces nobles de la tribu des
faucons, des éperviers. Leur plumage, comme
celui des rapaces nocturnes, est léger, duveté et
nuancé de diverses teintes ou taches de gris et de
brun. Les engoulevents ont le bec largement fendu
et garni d'assez longs poils sur les parties latéra-
les. Ils volent surtout au crépuscule à la poursuite
des phalènes * et autres insectes crépusculaires
ou nocturnes qu'ils engloutissent facilement dans
leur large bec. Ils doivent leur nom à la singulière
habitude qu’ils ont de poursuivre leur proie le bec :
toujours ouvert; l'air qui s’y engouffre produit
un léger bourdonnement, d’où vient le nom d’en-
goulevent qu'on leur a donné. Un préjugé vul-
gaire leur a conservé dans certaines provinces la
dénomination ridicule de tette-chèvre, parce que,
les voyant souvent mêlés aux troupeaux qui attirent
les insectes à leur suite, on a cru qu’ils suçaient le
lait de ces ruminants. Un autre nom qu’on donne
assez souvent à ces oiseaux est celui de crapaud-
volant : cette dénomination a sans doute pour
origine la laideur extérieure des formes, et peut-
être le bruit de l'air qui s’engouffre dans son bec.
* Les entomologistes donnent le nom général de phalène aux
lépidoptères nocturnes.
92 HISTOIRE NATURELLE
Ces oiseaux ayant la pupile très-dilatée ne peu-
vent supporter la lumière du jour sans en être
éblouis : ils se cachent pendant que le soleil éclaire
vivement la terre , et commencent leur vol quan
cet astre descend à lhorizon. Ils émigrent pen-
dant l’hiver, mais sans entreprendre de longs
voyages, comme les hirondelles; ils se conten-
tent d'aller du midi au nord et du nord au midi.
L'Europe n'a qu’une seule espèce de ce genre ;
c'est l’engoulevent commun , de la taille d’une
grive, d’un gris brun , marqué de taches plus fon-
cées. Les pays étrangers en nourrissent quelques
autres espèces remarquables par des ornements
extraordinaires à la queue , aux ailes ou au bee.
Nous nous bornerons à citer l’engoulevent à queue
en ciseau, remarquable par un demi-collier
d'un roux vif et par deux rectrices extérieures
qui dépassent énormément les autres, l’engou-
levent distingué et l’engoulevent moustac, ete.
IH° FAMILLE DES PASSEREAUX.
LES CONIROSTRES.
Cette famille est presque aussi étendue que
celle des dentirostres, et renferme une foule de
passereaux reconnaissables à leur bee fort, plus
ou moins conique et sans échancrure à l’extré-
mité. Cette modification dans l'organe de la mas-
tication ou plutôt de la préhension nous indique
d'avance des changements dans le régime nutri-
PEL PE TE
le Corbeau.
be 0 À À
6 =
ES —
=
A à
i}
he
4
AIT
KES
ke Colibri.
D. 93
DES OISEAUX. 93
tif; ce ne sont plus les insectes qui composent le
fond de la nourriture de ces oiseaux; ce sont les
fruits secs, les graines et mme quelquefois les
chairs en putréfaction qu’ils aiment de préférence.
Nous remarquerons dans les conirostres des nuan-
ces presque insensibles qui forment le passage
non interrompu d’un genre à un autre genre.
LE CORBEAU.
Le corbeau est le plus grand des passereaux
d'Europe. Son plumage est d’un beau noir relevé
de reflets violacés d’un moelleux agréable à Poil ;
ses tarses vigoureux supportent des doigts armés
d'ongles forts et erochus. Aussi le corbeau a un
goût prononcé pour la chair: ordinairement il
l’assouvit sur des charognes, et quelquefois il
poursuit les animaux faibles. On l’a vu attaquer
de petits quadrupèdes, comme des lapins et des
lièvres. C’est surtout dans les contrées septentrio-
nales qu'on rencontre les corbeaux réunis en
troupes nombreuses, et se promenant dans d’im-
menses plaines humides où peuvent se développer
de grosses larves d’insectes. Quand la saison de-
vient trop rude, ils abandonnent leur patrie pour
aller chercher dans des régions plus méridionales
une température moins rigoureuse et les aliments
qui leur conviennent. La défiance et la ruse sem-
blent faire le fond du caractère de ces oiseaux ;
jamais ils ne se perchent sans se placer contre le
vent et sans avancer quelques sentinelles pour
avertir de l'approche du danger. Leur odorat est
très-développé et peut percevoir les plus légères
émanations répandues dans l’atmosphère; c’est
94 HISTOIRE NATURELLE
pour cela qu’il est si difficile à l’homme de pou-
voir s'en approcher et les surprendre.
Malgré leur naturel défiant, ces oiseaux en cap-
üivité s’apprivoisent facilement et apprennent
même à prononcer quelques paroles. Mais en do-
mesticité ils sont extrêmement sales, répandent
une mauvaise odeur et perdent l'éclat de leur plu-
mage. À ces mauvaises qualités ils joignent des
défauts beaucoup plus désagréables, c’est ainsi
qu'ils ont la manie de voler et de cacher ensuite
leurs lareins : ils paraissent rechercher les objets
qui ont de l'éclat, comme l’argenterie, les pièces
de monnaie, etc.
A l’état libre le corbeau place son nid dans les
rochers, dans les fentes de hautes murailles, et
dans les tours ou clochers élevés. C'est de là
qu'on l’entend le plus souvent faire retentir sa
voix rauque et criarde qu'on appelle croasse-
ment.
Dans le temps que les aruspices étaient en
grand crédit chez les Romains , les corbeaux, quoi-
que mauvais prophètes, étaient des oiseaux fort
intéressants ; car la passion de prévoir les événe-
ments futurs, même les plus tristes, est une an-
cienne fe du genre humain.
On a répandu Re l'antiquité beaucoup de
fables sur la longévité extraordinaire du cor-
beau. Il faut de. certainement de beaucoup
ces calculs exagérés, mais nous devons convenir
néanmoins que le corbeau peut vivre ordinaire-
ment un siècle.
On connait plusieurs espèces qui se rattachent
au genre corbeau. Nous en ferons seulement l’é-
numération. Le corbeau ordinaire, la corneille,
DES OISEAUX. 95
la corneille mantelée, le freux, et: le choucas
ou corbeau des clochers.
LA PIE.
La pie qui habite l'Europe est très-commune ,
et se reconnait à son plumage d’un beau noir
chatoyant , avec des taches d’un blane pur à l'aile.
Elle s’accoutume aisément à la vue de l’homme et
s'apprivoise facilement. On peut lui apprendre à
prononcer quelques paroles et même de petites
phrases ; elle a bonne mémoire, et quand elle
est en belle humeur ou qu’on l’agace, elle répète
sans cesse avec une fatigante monotonie les mê-
mes paroles : aussi l’a-t-on appeiée oiseau babil-
lard, et de là l’origine du proverbe jaser comme
une pie.
La pie, parmi ses mauvaises habitudes , a une
inclination prononcée pour le vol: elle dérobe
tout ce qui se trouve à sa portée, bijoux , argent,
etc., et va déposer son larein ou dans quelque fente
de muraille ou quelque trou isolé. Les personnes
qui élèvent cet oiseau devront toujours s’en défier.
La pie emploie beaucoup de soins dans la con-
struction de son nid: elle maconne solidement
et l’environne de branches d’aubépine armées d’ai-
guillons acérés et redoutables. Mais tant de pré-
cautions ne suffisent point à sa tendresse, ou si
l’on veut à sa défiance, elle veille sans cesse à la
garde de ses petits, et quand approche quelque
oiseau de rapine elle déploie un grand courage.
On l’a vue poursuivre, harceler des corneilles et
les mettre en fuite ; la crainte ne la domine pas;
elle a osé attaquer des faucons et même des ai-
96 HISTOIRE NATURELLE
gles; mais sa témérité n’a pas toujours été heu-
reuse.
LE GEAI.
Le geai est encore d’un caractère plus défiant
que ceux dont nous venons de voir l’histoire ;
aussi est-il très-dificile aux chasseurs de pou-
voir lapprocher , et l'opinion vulgaire est-elle ré-
pandue qu'il sent la poudre de fort loin. Ses mœurs
et ses habitudes ont beaucoup de ressemblance
avec celles des pies; sa nourriture consiste
principalement en glands et noisettes. Les geais
ont des mœurs sociables et vivent en troupe dans
les bois ; 1ls offrent un plumage assez remarqua-
ble, tout le corps est d’un gris vineux, et l’aile
présente une large tache bleu vif rayée de bleu
foncé.
LES PARADISIERS, OÙ LES OISEAUX DE PARADIS.
Ces oiseaux sont plus célèbres par les qualités
fausses et imaginaires qui leur ont été attri-
buées , que par leurs propriétés réelles et vraiment
remarquables. Le nom d'oiseau de paradis fait
uatre encore dans la plupart des imaginations li-
dée d’un oiseau qui n’a point de pieds, qui vole
toujours même en dormant, ou se suspend tout
au plus pour quelques instants aux branches des
arbres, par le moyen des longs filets de sa queue;
qui ne vit que de vapeur et de rosée, en un mot,
qui n’a d'autre existence que le mouvement,
d'autre élément que l'air, qui s’y soutient toujours
tant qu'il respire, comme les poissons se sou-
DES OISEAUX. 97
tiennent dans l’eau , et qui ne touche la terre qu’a-
près sa mort.
Ce tissu de fables n’est qu'une suite de consé-
quences assez bien déduites d’une première er-
reur, qui suppose que l'oiseau de paradis n’a
point de pieds, quoiqu'il en ait d’assez gros, et
cette erreur primitive vient elle-même de ce que
les marchands indiens , qui font le commerce des
plumes de cet oiseau, où même les chasseurs qui
les leur vendent, sont dans l’usage de faire sécher
l'oiscau après lui avoir arraché les cuisses et les
entrailles.
Au reste, si quelque chose pouvait donner une
apparence de probabilité à la fable du vol perpétuel
de l'oiseau de paradis, c'est sa grande légèreté
produite par la quantité et l'étendue considérable
de ses plumes. Les plumes subalaires, de la na-
ture de celles que les naturalistes nomment dé-
composées, forment par leur réunion un tout
très-léger, un volume presque sans masse et
comme aérien, très-capable de diminuer sa pe-
santeur spécifique , et de l'aider à se soutenir dans
l'air.
La tête et la gorge sont couvertes d’une espèce
de velours formé de petites plumes droites, cour-
tes, fermes et serrées ; celles de la poitrine et du
dos. sont plus longues, mais toujours soyeuses et
douces au toucher. Toutes ces plumes sont de di-
verses Couleurs, et ces couleurs sont changeantes,
c'est-à-dire qu’elles prennent différents reflets sui-
vant les différentes incidences de la lumière.
Ces beaux oiseaux ne sont pas fort répandus.
Leur patrie est principalement la Nouvelle-Guinée,
où ils ivent dans les forêts les plus profondes et se
98 HISTOIRE NATURELLE
perchent sur les arbres les plus élevés. L'oiseau
de paradis émeraude et le manucode sont les
deux espèces les plus remarquables.
LES ALOUETTES.
Les alouettes ont le bec coniforme, mais faible
et plus allongé que tous les oiseaux de la même
famille. Ces oiseaux ont encore pour caractère
d’avoir l'ongle postérieur d’une longueur démesu-
rée par rapport aux autres. Leur plumage terne,
et comme terreux , peut les soustraire à la vue de
leurs nombreux ennemis. Elles ont passé con-
stamment pour le symbole de la gaicté , parce que,
durant la belle saison, elles s'élèvent verticale- :
ment vers le ciel en faisant entendre sans cesse un
chant joyeux et agréablement modulé. Les anciens
Gaulois l'avaient pris pour enseigne, et quand
César eut conquis la Gaule, il se composa une
légion gauloise à laquelle 1l donna l’alouette pour
étendard , et qu'il désigna par le nom latin de eet
o1seau *.
On trouve en France trois espèces d’alouettes :
l’'alouette des champs , qu'on mange sous le nom
de mauviettes, l'alouette huppée, ou cochevis et
l'alouette des bois, ou cujelies.
LES MÉSANGES.
Il n’est peut-être point de genre plus nombreux
que celui des mésanges; on en compte environ
vingt-cinq espèces. Ces oiseaux sont vifs, agiles,
* La légion gauloise que César avait sous ses ordres se nom-
mait l'alauda.
DES OISEAUX. 99
courageux, vivent non-seulement de chenevis , de
noix , d'amandes, de noisettes et autres graines,
qu'ils percent à coups de bec, mais encore de
vers, d'insectes, d’abeilles, et même de petits o1-
seaux faibles et malades , dont ils percent le crâne
pour avoir la cervelle. Leur méchanceté est telle
sous ce rapport, qu'ils n’épargnent pas même les
individus de leur propre espèce; si lun d'eux
vient à être blessé par accident, aussitôt tous
les autres s’élancent sur lui et le tuent à coups
de bec. Aussi, quoique vivant en troupes, les mé-
sanges se tiennent toujours à une certaine distance
les unes des autres, et s’observent mutuellement
avec une défiance inquiète. Leur front est orné
d’une espèce d’aigrette composée de plumes qui
peuvent se hérisser, et qui annoncent à l'extérieur
un caractère intrépide et décidé, si ce n’est la féro-
cité.
Les mésanges sont toujours en mouvement ;
elles voltigent d'arbre en arbre , sautent de bran-
che en branche , grimpent sur l’écorce , gravissent
contre les murailles, et se suspendent de toutes
les manières, souvent la tête en bas. C’est dans des
trous d'arbres, ou à l'extrémité des branches,
qu'elles placent leur nid; elles y déposent dix-huit
à vingt œufs, que le père et la mère défendent
avec la plus grande intrépidité.
Six espèces de mésanges sont répandues dans
toutes les parties de la France, ce sont : la char-
bonnière, la petite charbonnière, la nonnette,
la mésange à tête bleue, la mésange huppée et
la mésange à longue queue. On en rencontre
quelques autres espèces dans les contrées plus
méridionales de l’Europe; nous comptons comme
‘
100 HISTOIRE NATURELLE
plus remarquables et plus rares la moustache et
le rémiz.
LES BRUANTS.
Les naturalistes ont caractérisé ce genre d’après
la forme du bec qui est conique, court, droit,
dont la mandibule supérieure , plus étroite et ren-
trant dans l’inférieure, à au palais un tubercule
saillant et dur. Ce sont des oiseaux insectivores et
granivores , qui se réunissent quelquefois en trou-
pes assez nombreuses et viennent dans nos cam-
pagnes causer de grands dégats. Leur nourriture
principale consiste en riz, en avoine et autres
céréales. Heureusement pour les agriculteurs
qu'ils sont très-Ctourdis, car ils se laissent faei-
lement prendre à toute espèce de piéges, ee qui
permet d'en détruire un grand nombre. Comme
d’un autre côté on estime beaucoup leur chair , et
qu'elle fait les délices des gourmets, quand ils sont
gras , On a le double avantage, en leur faisant la
. chasse, de détruire un-animal nuisible et de se
procurer un mets délicat.
Les bruants s'approchent rarement des forêts,
ils préfèrent le voisinage des habitations de
l’homme , parce qu'ils peuvent plus facilement se
procurer leur nourriture. Quelques espèces ce-
pendant aiment les bois , et tous nichent dans les
broussailles et les haies.
Les espèces les plus répandues en France sont :
le bruant commun, le bruant fou, le bruant
des haies, le bruant des roseaux , le proyer et
l'ortolan. C’est principalement cette dernière es-
. pèce qui est recherchée sur les tables les plus ri-
l'Oiseau de Paradis.
DES OISEAUX. A01
chement servies. Ce petit oiseau de passage est
très-commun dans les pays chauds , et lorsqu'il est
gras, il ne faut qu’un feu tris-léger pour le cuire.
On leur fait une chasse très-active pendant l’au-
tomne , et on en détruit un grand nombre.
LE MOINEAU.
Dans quelque contrée qu'habite cet oiseau, on
ne le trouve jamais dans les lieux déserts ni même
dans ceux qui sont éloignés du séjour de l'homme ;
les moineaux sont, comme les rals, attachésà nos
habitations ; ils ne se plaisent n1 dans les bois,
n1 dans les vastes campagnes. On a même remarqué
qu'il y en a plus dans les villes que dans les vile.
lages, et qu'on n’en voit point dans les ha-
meaux et dans les fermes qui sont au milieu des
forêts. Ils suivent la société pour vivre à ses dé-
pens ; comme ils sont paresseux et gourmands,
c'est sur des provisions toutes faites, c’est-à-dire
sur le bien d'autrui qu’ils prennent leur subsis-
tance. Nos granges et nos greniers, ncs basses-
cours , nos colombiers , tous les lieux , en un mot,
où nous rassemblons ou distribuons les grains,
sont les lieux qu'ils fréquentent de préférence , et
comme ils sont aussi voraces que nombreux , ils ne
laissent pas de faire plus de tort que leur espèce ne
vaut , car leur plume ne sert à rien , leur chair n’est
pas très-bonne à manger, leur voix blesse l'oreille,
leur familiarité est incommode, leur pétulance
grossière est à charge; ce sont de ces gens qu’on
trouve partout et dont on n’a que faire, si pro-
pres à donner de l'humeur, que dans certains en-
droits on les a frappés de proscription en mettant
leur tête à prix. 5
102 HISTOIRE NATURELLE
Ce qui les rendra éternellement incommodes ,
c'est non-seulement leur très-nombreuse multi-
plication , mais encore leur défiance , leur finesse,
leurs ruses et leur opiniatreté à ne pas désempa-
rer des lieux qui leur conviennent; ils sont fins ,
peu eraintifs, difficiles à tromper ; ils reconnais-
sent aisément les piéges qu'on leur tend; 1ls im-
patientent ceux qui veulent se donner la peine de
les prendre , 1} faut pour cela tendre un filet d’a-
van.e, et attendre plusieurs heures souvent en
vain.
Il faut à peu près vingt livres de blé par an
pour nourrir une couple de moineaux; que lon
juge par leur nombre de la déprédation que ces
oiseaux font de nos grains, car quoiqu'ils nour-
rissent leurs petits d'insectes , et qu'eux-mêmes
en mangent quand ils en rencontrent , néanmoins
le fond de leur nourriture est notre meilleur grain.
Ils suivent le laboureur dans le temps des semail-
les, les moissonneurs pendant celut de la récolte,
les batteurs dans les granges, la fermière lors-
qu'elle jette le grain à ses volailles; enfin, 1ls sont
si malfaisants, si incommodes, qu'il serait à dési-
rer qu’on trouvät quelque moyen de les détruire.
Ce genre comprend plusieurs espèces bien dis-.
tinctes, telles sont, le moineau domestique ou
pierrot, le moineau des bois ou friquet, et le
moineau cisalpin.
LE PINSON.
Le pinson esttrès-vif, toujours en mouvement,
toujours gai; il commence à chanter plusieurs
jours avant le rossignol, au printemps; mais ce
DES OISEAUX. 103
chant est plus agréable dans les bois que dans les
appartements. Ces oiseaux voyagent en troupes,
et vont passer l'hiver dans des climats plus doux.
Comme ils volent par troupes, on en prend un
grand nombre au filet, soit au printemps à leur
retour, soit en automne à leur départ. Ceux qui
passent l'hiver avec nous, près de nos habitations,
viennent jusque dans nos basses-cours, et v vi-
vent en parasites, se Ca hant dans ies haies four-
rées , sur des arbres toujours verts, dans des trous
de rocher, où on les trouve quelquefois morts de
froid, lorsque la saison est trop rude. Le pinson
est plus souvent posé que perché, ne marche point
en sautillant , coule légèrement sur la terre, et va
sans cesse ramassant; son vol est inégal. Il se
laisse approcher de fort près, pince jusqu'au sang
quand on veut le prendre, supporte difficilement
la perte de sa liberté, et souvent se laisse mou-
rir. Son nid caché avez soim sur les arbres et ar-
bustes les plus touflus, jusque dans les arbres
fruitiers, est construit de mousse blanche ou li-
chens, et de petites racines en dehors, de lame,
de crin, de fils d’araignée et de plumes en dedans.
On à remarqué que ces oiseaux ne chantaient Ja-
mais mieux que quand ils étaient privés de la vue,
et c’est pour cette raison que, dans certaines con-
trées, on a l'habitude barbare de priver de la vue,
les pinsons qu’on élève en cage.
LE CHARDONNERET.
Prononcer le nom du chardonneret, c’est an-
noncer la beauté du plumage , la douceur de la
VOIX , la finesse de l’instinct, l’adresse singulière,
104 HISTOIRE NATURELLE
la docilité à l'épreuve: ce charmant petit oiseau
réunit tout ; il ne lui manque que d’’tre rare, et
de venir d’un pays éloigné pour être estimé ce
qu'il vaut.
Rien de plus gra ieux que son plumage: le
rouge Cramoisi, le noir velouté, le blanc, le
jaune doré, sont les principales couleurs que lon
voit briller sur cet oiseau. Lorsqu'il est en repos,
chacune de ses ailes présente une suite de points
blanes d'autant plus apparents, qu'ils se trouvent
sur un fond noir.
Le nid de ces oiseaux est artistement fait, le tissu
en est des plus solides, la forme agréable; il est
composé extérieurement de mousse fine, de jones,
de petites racines, de bourre, de chardons, le
tout enlacé avec art; l'intérieur est matelassé
d'herbes sèches, de crin, de laine et de duvet.
Ce petit oiseau si Joli est doué d’un grand in-
stinct d'éducabilité: on peut lui apprendre à
chanter différents petits airs et à exécuter divers
mouvements avec précision.
Durant l'automne ces oiseaux commencent à se
rassembler; c'est la saison où on peut les prendre
en plus grand nombre. Pendant l'hiver ils volent
toujours par troupes nombreuses, et on peut les
rencontrer surtout dans les chemins creux où les
chardons croissent en abondance.
LA LINOTTE ET LE SERIN.
La linotte est, comme le précédent, un des o1-
seaux les plus universellement répandus en Eu-
rope. C'est un de ceux dont le ramage agréable
fait les délices des champs et de la solitude. I
DES OISEAUX. 105
s'apprivoise fa ilement, répète les airs qu’on lui
apprend avec le flageolet, mue sur la fin du prin-
temps, et se nourrit de millet, de navette, de
mouron et de graine de lin.
Le serin, quoique originaire des 1les Canaries,
se plait tellement dans notre climat, qu’il s'y mul-
tiplie tris-bien : forme élégante, t té légère et
souple, gentil plumage, chant mélodieux, ea-
dences fete es; gaieté, propreté, docilité, fami-
liarité, tout enchante dans ce jo petit musicien
de nos appartements. On écoute avec plaisir un
serin, même lorsqu'il n’a eu d'autre maitre que la
pature; ceux dont les accents et le ramage ont
été modifiés par une bonne éducation , sifflent
plusieurs airs avec goût, précision et sans les con-
fondre. On connait un très-grand nombre de va-
riétés dans cette dernière espèce, 1l serait impos-
sible de les énumérertoutes sans exception. Pour
réussir dans l’éducation de ces petits oiseaux , 1l
faut leur accorder la propreté, de l’eau pour se
baigner, une nourriture ni trop abondante n1 trop
succulente, autrement on ne pourrait les préser-
ver des maladies auxquelles ils sont sujets et qui
sont les suites de leur esclavage,
LE BEC-CROISÉ.
Le bec-croisé est de tous les oiseaux de cette
famille le plus facile à caractériser par son gros
bec, dont les deux mandibules se croisent à leur
extrémité. Cet oiseau fait sa demeure principale-
ment dans les grandes forêts de pins et de sapins
des contrées boréales. Les mandibules, si singu-
lièrement conformées, leur servent à extraire les
406 HISTOIRE NATURELLE
graines cachées sous les écailles solides des pom-
mes de pin et des autres conifères. Quand cette
nourriture ingrate vient à leur manquer, ils man-
gent les jeunes bourgeons et les racines tendres
des plantes qui croissent dans les forêts qu'ils fré-
quentent.
Un des traits les plus frappants de l'histoire de
ces oiseaux, C’est qu'ils ne viennent dans nos con-
trées pour s’y reproduire que pendant les froids les
plus rigoureux de notre hiver. Quand leur jeune
famille commence à prendre des forces et que la
belle saison revient nous visiter, ils s’enfuient
vers le nord, et vont chercher des contrées gla-
ciales qui avoisinent le pôle arctique.
LES ÉTOURNEAUX.
Les étourneaux sont criards et voyageurs ; 1ls
vivent d'insectes, et aiment à se trouver en troupes
nombreuses. Ils nichent dans les trones d'arbres
et même sous les toits des maisons. Is sont si
familiers, qu'ils suivent les troupeaux pour attra-
per les insectes qui se jettent sur eux, ils fréquen-
tent beaucoup les prairies, les jardins, les vergers,
et en genéral tous les endroits où un appat quel-
conque attire les insertes, dont ils sont e trê-
mement friands. Ces oiseaux sont répandus sur
presque toutes les parties du globe, où leurs mœurs
ne sont pas sensiblement altérées. L'étourneau
commun, connu vulgairement sous le nom de
sansonnet, est revêtu d’un plumage assez brillant,
et apprend très-facilement à siffler et à prononcer
quelques mots.
DES OISEAUX. 1407
L'OISEAU-MOUCHE.
De tous les êtres animés voici le plus élégant
pour la forme et le plus brillant pour les cou-
leurs. Les pierres et les métaux polis par notre
art ne sont pas comparables à ce bijou de la na-
ture, dont le chef-d'œuvre est le petit oiseau-
mouche. Elle la comblé de tous les dons qu’elle
n’a fait que partager aux autres oiseaux ; légè-
reté, rapidité, grâces et riche parure, tout appar-
tient à ce petit favori; l’éméraude, le rubis, la
topase, brillent sur ses plumes, 1l ne les souille
jamais de la poussiere de la terre, et dans sa vie
toute aérienne, on le voit à peine toucher le ga-
zon par instants; 1l est toujours en l'air, volant
de fleurs en fleurs ; il vit de leur nectar, et n’ha-
bite que les climats où sans cesse elles se renou-
vellent.
La colère du lion est redoutable, terrible, mais
presque toujours juste ; celle de loiseau-mouche
est aussi plaisante qu’elle est déraisonnable. Lors-
qu'il ne trouve pas dans la fleur qu’il suce, le
miel qu’il y cherchait, il devient furieux, ses plu-
mes se hérissent, il se venge sur la fleur et la met
en pièces à coups de bec. Rien n’égale en effet sa
vivacité , SOn Courage, son audace ; on le voit
poursuivre avec furie des oiseaux vingt fois plus
gros que lui, s'attacher à leur corps, se laisser
emporter par leur vol, les accabler de coups de
bec, jusqu'à ce qu’il ait assouvi sa petite coitre.
Son vol rapide et bourdonnant fait entendre un
bruit semblable à celui d’un rouet; il n’a d'autre
voix qu'un petit cri fréquent et répété. C’est la
108 HISTOIRE NATURELLE
femelle qui seule construit son nid, de la gros-
seur et de la forme d’une moitié d’abricot ; elle
l’attache à deux feuilles, ou à un seul brin d’o-
ranger ou de eitronnier. Elle y dépose deux œufs
tout blanes, comme de petits pois, qu’elle couve
pendant douze jours ; les petits 6 los le treizième
sont nourris par leur mère, qui leur donne à su-
cer sa langue toute emmiellée du suc des fleurs.
Ces oiseaux se laissent approcher jusqu’à cinq ou
Six pas. On tire avec du sable au lieu de plomb ;
on les prend aussi avec une verge enduite d’une
gomme gluante; 1l suffit de les toucher lorsqu'ils
bourdonnent autour d’une fleur; ils meurent aus-
sitôt qu'ils sont pris. On connait un grand nom-
bre d'espèces d’oiseaux-mouches, le plus petit
est d’un gris violet et de la grosseur d’une abeille.
LE COLIBRI.
La nature, en prodiguant tant de beautés à loi-
seau-mouche, n’a pas oublié le colibri, son voisin;
elle l'a produit dans le même climat, et formé
sur le même mod'le. Aussi brillant, aussi léger
que l’oiseau-mouche, et vivant comme lui sur les
fleurs, le olibri est paré de même de tout ce que
les plus riches couleurs ont d’éclatant et d'enchan-
teur.
Ce que nous avons dit de la beauté de l’oiseau-
mouche, de sa vivacité, de son vol bourdonnant
et rapide, de sa constance à visiter les fleurs, de
sa manière de nicher et de vivre, doit s'appliquer
également au colibri. Un même instinct anime
ces deux charmants oiseaux, et c’est leur ressem-
blance qui les a fait longtemps confondre sous un
DES OISEAUX. 109
même nom ; cependant, ils diffèrent l’un de l’autre
par un caractère évident et constant. Cette diffé-
rence est dans le bec; celui des colibris, égal et
affilé, n’est pas droit comme dans l’oiseau-mou-
che, mais courbé dans toute sa longueur. De plus
la taille svelte et légère des colibris paraît plus
allongée que celle des oiseaux-mouches.
Le courage et la hardiesse des colibris sont au-
dessus de leur force. L'oiseau qu’on nomme gros-
bec est friand de leurs œufs. Lorsqu'il s'appro-
che du nid, le père et la mère s’élancent sur lui,
le poursuivent; l'oiseau, quoique fort et armé d’un
bec vigoureux, fuit, jette les hauts cris ; il sent
qu'il a affaire à des ennemis dangereux. Si les
colibris peuvent latteindre, ils s’attachent sur
son corps, le percent de leur bec affilé et aigu, et
le poignardent jusqu’à ce qu’il périsse.
On prend les colibris de la même manière que
les oiseaux-mouches. On les fait sécher à une
chaleur douce, et leurs couleurs ne perdent rien
de leur éclat. Les dames américaines les suspen-
dent à leurs oreilles comme des diamants. On fait
avec leurs plumes des tapisseries et des tableaux.
On connait un grand nombre d’espèces appartenant
au même genre. On pourra juger de la richesse
du plumage de ces magnifiques oiseaux par les
noms spécifiques qu'on leur a donnés : le colibri
grenat, le colibri topaze, le rubis, le saphir, le
rubis-émeraude, ete.
410 HISTOIRE NATURELLE
es à
Ve FAMILLE DES PASSEREAUX.
LES SYNDACTYLES.
Nous avons maintenant à caractériser une fa-
mille assez peu nombreuse dans l'immense série
des passereaux. Le doigt externe et le doigt mé-
dian se trouvent réunis par une forte membrane
jusqu’au deux uüers de leur extrémité; les autres
doigts sont dans des conditions normales. Quel-
ques naturalistes considèrent cette famille comme
formant un groupe peu naturel. Néanmoins les
détails de l’organisation intérieure, et cette sin-
gularité de structure de la pat!e, suffisent pour les
réunir et les caractériser zoologiquement.
LE MARTIN-PÉCHEUR.
Le martin-pêcheur est un des plus jolis oiseaux
de nos contrées; le dessus du corps est verdätre
ondé de noiratre, une large bande du plus beau
bleu d’aigue-marine règne le long du dos ; le
dessous et un ruban de chaque côté du cou sont
roussâtres. Il se nourrit de petits poissons , de
larves aquatiques, qu’il sait prendre avec beau-
coup d'adresse, en rasant continuellement la sur-
face de l’eau. Quelquelois, 1l se pose sur une
branche d’arbre placée au-dessus du courant, et
là attend avec une admirable patience que quel-
DES OISEAUX. 111
que poisson vienne prendre ses ébats à la surface
de l’eau. Il se précipite alors sur sa proie avec
tant de justesse et de célérité qu’elle s’échappe ra-
rement. Maitre de sa proie, 1l la mange tranquil-
lement sur un arbre voisin. Quand par l’action de
lestomac les parties charnues ont été digérées, il
possède la faculté, comme les oiseaux de proie
nocturnes, de rejeter les écailles, les épines, les
arêtes, les nagcoires, et toutes les parties coriaces
qui ont résisté à la puissance des surs digestifs.
Le martin-pêcheur est si sauvage, qu’il ne se laisse
jamais approcher, ni apprivoiser quand on a pu le
surprendre. Sa chair a une odeur désagréable de
musc.
LES CALAOS.
Nous terminons l'histoire de l'espèce des passe-
reaux par le plus extraordinaire de ses genres, 1l
n'a pas avec les autres syndactyles autant de res-
semblance qu'ils en ont entre eux et pourrait fort
bien présenter des caract?res suffisants pour don-
ner lieu à la création d’une nouvelle famille. Les
calaos sont de grands oiseaux d'Afrique et des
Indes, que leur énorme bec dentelé surmonté de
proéminences quelquefois aussi grande qu'eux
rend très-remarquables. Mais malgré la grosseur
de cet organe, les calaos ne sont rien moins que
forts; la corne des mandibules de leur bec offre si
peu de résistance que la moindre violence suffit
pour la briser. Aussi, ces oiseaux sont-ils réduits
à ne vivre que d'insectes, de vers, de fruits ;
quelquefois 1ls prennent des reptiles, des oiseaux,
de petits mammifères, mais 1ls sont obligés de les
412 HISTOIRE NATURELLE
froisser longtemps avec leurs mandibules pour
les ramollir et pouvoir ensuite les avaler tout
entiers. Leur naturel a dû recevoir une puissante
modification de la constitution si défavorable des
organes de la préhension et de la mastication.
Aussi ces oiseaux sont-ils défiants, timides, ayant
une démarche lourde, nonchalante, pénible, ils
ne se donnent quelque mouvement que quand ils
sont pressés par le besoin, et passent tout le reste
du temps nonchalamment perchés sur quelque
arbre. Comme ils ont une grande antipathie pour
les souris, et que leur caractère n’est pas farou-
che, les Indiens les élèvent en domestieité pour
faire disparaitre ces petits quadrupèdes si imcom-
modes.
TROINIÈUE ORDRE DES OINEAUX,
LES GRIMPEURS.
En indiquant le caractère de l’ordre des grim-
peurs, qui consiste en ce que deux doigts sont
dirigés en avant et deux en arrière, nous ne pou-
vons nous empêcher de reconnaître que si ce ca-
ra-tère est facile à reconnaitre , 11 s’appliqne à
un groupe d'oiseaux peu naturellement circon-
scrit, puisqu'il ue renferme pas les individus
qui se ressemblent ie plus par les détails de For-
ganisation. La disposition des doigts donne à ces
oiseaux un point d'appui très-favorable à la sta-
DES OISEAUX. 113
tion sur le tronc ou sur les branches des arbres
sur lesquelles ils cherchent leur nourriture; mais
ces oiseaux ne sont pas exclusivement doués de
cette faculté, puisque nous la retrouvons dans
certains genres des passereaux, et d’ailleurs quel-
ques espèces qui appartiennent à cet ordre n’en
jouissent pas. Le nom de grimpeurs, que les
naturalistes ont Jusqu'ici employé pour désigner
cet ordre par une des facultés qui semblait lui
être exclusive, a paru aux ornithologistes de nos
jours tout à fait impropre, et ils ont proposé de
le remplacer par celui de zygodactyles, qui en
effet a l'avantage de ne pas donner une idée fausse
des habitudes de tous ces oiseaux.
Tous les oiseaux qui sont renfermés dans l’or-
dre des grimpeurs ont les tarses courts, et se
posent rarement à terre, sur laquelle 1ls ne mar-
chent que difficilement et maladroitement : comme
d'ailleurs leur vol est peu favorisé par le dévelop-
pement des ailes et des pennes de la queue, ils
sont généralement attachés aux troncs et aux
branches des arbres qu'ils parcourent dans tous
les sens. Ils ont tous une physionomie grave et
sérieuse, et n'offrent point dans leurs manières
ces gentillesses qui nous charment tant dans une
infinité d'espèces de l’ordre des passereaux : les
perroquets seuls, par leur instinct d’éducabilité,
font exception.
LES PICS.
De tous les oiseaux que la nature force à vivre de
la grande ou de la petite chasse, il n’en est aucun
dont elle n’ait rendu la vie plus laborieuse , plus
114 HISTOIRE NATURELLE
dure que celle du pic; elle la condamné au tra-
vail et pour ainsi dire à la galère perpétuelle ;
tandis que les autres ont pour moyens la course,
le vol, l’'embuscade, l'attaque , exercices libres où
le courage et l'adresse prévalent, le pie, assujetti
à une tâche pénible, ne peut trouver sa nourri-
ture qu’en perçant les écorces et la fibre dure des
arbres qui la recèlent. Occupé sans relâche à ce
travail de nécessité, il ne connait ni délassement,
ni repos; souvent même il dort et passe la nuit
dans lattitude contrainte de la besogne du Jour.
Il ne partage pas les doux ébats des autres habi-
tants de l'air , il n'entre point dans leurs concerts,
etn'a que des cris sauvages dont l'accent plaimtif,
en troublant le silence des bois, semble exprimer
ses efforts et sa peine; ses mouvements sont brus-
ques ; il a l’air inquiet, les traits de la physiono-
mie rudes, le naturel sauvage et farouche; il
fuit toute société, même celle de son semblable.
Tel est l'instinet étroit et grossier d’un oiseau
borné à une vie triste et chétive. Il a reçu de la
nature des organes et des instruments appro-
priés à cette desde | ou plutôt il tient de cette
destinée même les organes avec lesquels 1l est né.
Quatre doigts épais, nerveux , tournés deux en
arricre , deux en av ant , armés xd oros ongles ar-
qués , Hnlantés sur un pied très-court et puis-
sanmment muscé, lui servent à s'attacher forte-
ment et à grimper en tous sens autour du tronc
des arbres ; son bec tranchant, droit, en forme
de coin , carré à sa base, cannelé dans sa longueur ,
aplati et taillé à sa pointe comme un ciseau, est
l'instrument avec lequel il perce Pécorce et en-
tame profondément le bois des arbres où les in-
DES OISEAUX. 445
sectes ont déposé leurs œufs. Ce bec d’une sub-
stance solide sort d’un crâne épais; de forts
muscles dans un cou raccourci, portent et diri-
gent les coups réitérés que le pic frappe incessam-
ment pour percer le bois et s'ouvrir un accès
jusqu'au cœur des arbres; 1l y darde une longue
langue eflilée, arrondie, lombriciforme, armée
d’une pointe dure, osseuse, comme d’un aiguil-
lon , dont il perce dans leurs trous les larves d’in-
sectes xylophages qui composent toute sa nour-
riture. Sa queue, composée de dix pennes raides,
fléchies en dedans, tronquées à la pointe, garnies
de soies rudes , lui sert de point d’appui dans l’at-
titude souvent renversée qu’il est obligé de pren-
dre pour grimper et frapper avec avantage. Il
niche dans les cavités qu’il a en partie creusées
lui-même, et c'est du sein des arbres que sort
cette progéniture qui, quoique ailée, est néan-
moins destinée à ramper autour , à y rentrer pour
s’y reproduire et ne s’en séparer jamais.
Le pic-vert est le plus connu des oiseaux de ce
genre et le plus répandu dans toutes nos contrées.
I arrive au printemps et fait retentir les forêts
de-eris aigus et durs que l’on entend de loin, et
qu'il Jette surtout en volant par sauts et par bonds.
Le pic-noir vit principalement en Allemagne et
dans les grandes forêts de sapins de l’Europe sep-
tentrionale ; nous connaissons encore en France
le pic-cendré, le pic-tridactyle, les épeiches,
grand , moyen et petit.
LE TORCOL.
Ce genre ne renferme que deux ou trois petits
oiseaux qui tirent leur dénomination de la singu-
416 HISTOIRE NATURELLE
lière habitude qu'ils ont de se tordre le cou en
différents sens, quand ils se voient saisis. On a
imaginé diverses raisons pour rendre compte de
mouvements si extraordinaires. Quelques natura-
listes ont prétendu y voir seulement une ruse de
l'animal pour se soustraire à un danger pressant,
d'autres ont voulu y reconnaitre une véritable
calalepsie dans laquelle tombe involontairement
cet animal Quoi qu'il en soit, le torcol partage
les mœurs et la manière de vivre des pies que
nous venons d'examiner. Il ne vit que d'insectes,
mène une vie solitaire et niche dans des creux
d'arbres.
LES COUCOUS.
Les coucous sont forts nombreux , car ce nom
ne s'applique pas seulement à l’esp'ce que nous
désignons ordinairement ainsi, mais à tous les
oiseaux de l’ordre qui ont la queue longue, le bec
de grandeur médiocre, bien fendu, lég' rement
arqué , un peu comprimé et sans échancrure à son
extrémité. Le coucou prend son nom de son ert,
qu'on commence à entendre dans les premiers
jours de mai, jusqu’à la fin de juillet ; le reste de
l'année on ne le voit plus, on ne l'entend plus,
soit qu'il passe dans d’autres climats, soit qu'il
soit condamné au mutisme; il est carnassier, se
nourrit d'insectes, mange les petits oiseaux , dé-
vore leurs œufs. Un trait singulier et presque uni-
que, c’est que la femelle ne se construit point de
pid , mais va déposer ses œufs dans le nid d’autres
oiseaux , tels que les linottes, mésanges, alouet-
tes, pinsons , fauvettes, rouge-gorges et autres.
DES OISEAUX. 117
LES. BARBUS.
Les barbus ont le bec simplement conique, lé-
gerement déprimé, l’arête mousse un peu com-
primé au milieu. Ces oiseaux habitent les con-
trées les plus chaudes des deux continents, où
ils se font remarquer par leur caractère farouche ,
leurs mœurs sauvages et des mouvements sans
énergie. Quoique leurs plumes soient ornées de
couleurs éclatantes, on a peine à leur accorder
le titre de la beauté. En effet , les nuances sont sè-
chement tranchées , et ne s’harmonisent en aucune
façon. Tout ce qui plait à l'œil semble donc leur
avoir été refusé par l’avare nature. Le tissu des
plumes n'offre point ce moelleux si propre à faire
ressortir la vivacité des tons; les plumes à barbe
sont courtes, et les barbes et les barbules mal
unies, ce qui contribue encore à détruire l’elfet
d’une belle coloration. Ces oiseaux paresseux vi-
vent perchés sur les arbres touffus où 1ls cher-
chent à éviter les regards de l’homme et la pour-
suite de leurs nombreux ennemis. Leur genre de
vie est presque semblable à celui des pies-griè-
c'es; ils vivent ordinairement d'insectes et quel-
quefois de petits oiseaux; 1ls y ajoutent encore
les fruits sucrés qui croissent dans les climats
chauffés par un soleil ardent. On peut rencontrer
ces oiseaux par petites troupes dans toutes les
parties les plus favorisées de la nature en Amé-
rique et dans les Indes.
LES TOUCANS.
Ces oiseaux se reconnaissent parmi tous les
118 HISTOIRE NATURELLE
autres à leur énorme bec, presque aussi gros et
aussi long que leur corps, léger et celluleux in-
téricurement, arqué vers le bout, irrégulièrement
denté aux bords, et à leur langue étroite et gar-
nie de chaque côtés de barbes comme une plume.
On ne les trouve que dans les parties chaudes de
l'Amérique où ils vivent en petitcs troupes, se
nourrissent de fruits et d'insectes, dévorent pen-
dant la saison de la ponte les œufs et les petits
oiseaux nouvellement éclos. La structure de leur
bec, le peu de densité de la substance cornée,
son peu de résistance aux efforts d’une mastica-
tion laborieuse, les empêchent de pouvoir atta-
quer une proie robuste, et ne leur permettent pas
de résister à l'attaque de leurs ennemis. Quand
ils ont saisi leur proie, ils sont obligés de l’avaler
sans la macher, et pour la faire arriver jusque
dans leur gosier ils la jettent en l'air et la recoi-
vent dans leur énorme bouche au moment où
elle retombe. Quand on considère attentivement
l’organisation bizarre de la langue et du bec des
toucans, on est obligé de confesser que l’on ignore
les raisons qui ont déterminé la nature dans une
grande multitude de ses œuvres. L'esprit humain
veut pourtant sonder la profondeur de tous les
secrets de l’organisation pour en tirer des dédue-
tions philosophiques propres à fonder ce que dans
ces derniers temps on a orgueilleusement appelé
la philosophie zoologique. Les obstacles qui
viennent entraver nos eflorts presque à chaque
pas que nous tentons, doivent nous avertir que
les œuvres de Dieu portent l'empreinte de sa puis-
sance créatrice, mais aussi qu'elles sont quel-
quefois recouvertes d’un voile que nos etfforts sont
impuissants à soulever.
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le Perroquet. p. 119
| Cacetoës.
DES OISEAUX. 119
LES PERROQUETS.
Non-seulement cet oiseau a la facilité d’imi-
ter la voix humaine, 1l semble encore en avoir
le désir ; il le manifeste par son attention à écou-
ter et par l'effort qu'il fait pour répéter quelques-
unes des syllabes qu'il vient d'entendre. C’est
surtout dans ses premières années qu'il mon-
tre cette facilité, qu'il a plus de mémoire, et
qu'on le trouve plus intelligent et plus docile.
Les talents des perroquets ne se bornent pas à
limitation de la parole; 1ls apprennent aussi à
contrefaire certains gestes et certains mouve-
ments. Quelquelfois, quand ils voient danser, ils
sautent aussi, mais de la plus mauvaise grâce,
levant leurs pattes d’une manière ridicule , et re-
tombant lourdement.
L'espèce de société que le perroquet contracte
avec nous par le langage , est plus étroite et plus
douce que celle à laquelle le singe peut prétendre
par son imitation capricieuse de nos mouvements
et de nos gestes. si celle du chien, du cheval ou
de l’éléphant sont plus intéressantes par le senti-
ment, la société de l'oiseau parleur est quelque-
fois plus attachante par l'agrément; il récrée, il
distrait, 1} amuse ; dans la solitude 1l est compa-
gnie, dans la conversation il est interlocuteur,
il répond , il appelle, il accueille, il jette léclat
des ris, il exprime l'accent de l'affection, il joue
la gravité de la sentence; ses petits mots jetés
par basard égaient par la disparate , ou quelque-
fois surprennent par leur justesse. Ce jeu d’un
langage sans idées a je ne sais quoi de bizarre et
120 HISTOIRE NATURELLE
de grotesque, et, sans être plus vide que beau-
coup de propos, il est toujours plus amusant.
Avec cette imitation de nos paroles, le perroquet
semble prendre quelque chose de nos inclinations
et de nos mœurs:il aime et il hait, il a des atta-
chements et des jalousies, des préférences , des
caprices ; il s’admire, s’applaudit, s’encourage ;
il se réjouit et s’attriste; il semble s’attendrir et
S'éMOuvOoIr aux caresses.
Les perroquets et les perruches, qui viennent
immédiatement après, forment une longue suite
d’esp' ces propres à l'Afrique , à l mérique et aux
Indes orientales. Les espèces les plus répandues
sont le perroquet gris où jaco , lamazone , la per-
ruche commune, la perruche à collier, le caca-
toës à crête, le cacatoës violet, lara macao,
l'ara hyacinthe , ete.
SSXES
UATRIEME ORDRE DEN OINEAUX,
LES GALLINACÉS.
Les oiseaux qui composent le quatrième ordre
sont peut-être ceux qu'il est le plus difficile de bien
caractériser. On a donné ce nom à tous les o1-
seaux qui ont une affinité avec notre coq domes-
tique, et qui, comme lui, ont en général la man-
dibule supérieure voütée, les narines percées
dans un large espace membraneux de la’ base du
bec, recouvertes par une écaille cartilagimeuse.
Les gallinacés ont le port lourd, les ailes courtes ,
DES OISEAUX. 124
le sternum osseux diminué par deux échancrures
si larges et si profondes, qu'elles occupent pres-
que tous ses cotés ; sa crête est tronquée oblique-
ment en avant, en sorte que la pointe aiguë de la
fourchette ne s’y joint que par un ligament; toutes
circonstances qui, en affaiblissant beaucoup les
muscles pectoraux , rendent son vol difficile. Chez
ces oiseaux la queue a le plus souvent quatorze et
quelquefois jusqu’à dix-huit pennes; leur larynx
inférieur est très-simple , aussi aucun ne chante-
t-il agréableme-t; ils ont un jabot tris-large et
un gésier très-vigoureux. Les gallinacés sont les
plus granivores, et pour pouvoir digérer des ali-
ments qu'ils avalent sans leur faire subir le travail
de la masticauon , il était nécessaire que dans leur
tube alimentaire il existât un appareil vigoureux
de trituration. Le gésier, armé de deux muscles
puissants dont les fibres tendineuses s’entre-croi-
sent, est aidé dans son action par les petits grains
de sable que ces oiseaux ont coutume d’ingérer en
recuetllant leur nourriture.
La famille qui se place le plus naturellement
dans cet ordre est celle qui nous à fourni tous nos
oiseaux de basse-cour; celle des pigeons semble
n'avoir que certains rapports avec la première.
Quelques ornithologistes les placent, dans leurs
distributions méthodiques , avant la famille des
gallinacés proprement dite, comme faisant une
transition assez naturelle des ordres précédents
à celui auquel ils appartiennent.
LE PAON.
Si l'empire appartenait à la beauté, et non à la
1922 HISTOIRE NATURELLE
force, la paon serait, sans contredit, le roi des
oiseaux ; 1! n’en est point sur qui la nature ait versé
ses trésors avec plus de profusion; la taille
grande, le port imposant, la démarche fière, la
figure noble, les proportions du corps élégantes
et sveltes, tout ce qui annonce un être de distine-
tion lui a été donné; une aigrette mobile et lé-
gère, peinte des plus riches couleurs, orne sa
tête et l'élève sans la charger ; son incomparable
plumage semble réunir tout ce qui flatte nos veux
dans le coloris tendre et frais des plus belles
fleurs, tout ce qui les éblouit dans les reflets pé-
tillants des pierreries, tout ce qui les étonne dans
l'éclat majestueux de l'arc-en-ciel ; non-seulement
la nature à réuni sur le plumage du paon toutes
les couleurs du ciel et de la terre pour en faire le
chef-d'œuvre de sa magnificence; elle les a encore
mêlées, assorties, nuancées, fondues de son ini-
mitable pinceau , et en a fait un tableau unique,
où elles tirent de leurs mélanges avec des nuances
plus sombres, et de leurs oppositions entre elles,
un nouveau lustre et des effets de lumière si su-
blimes , que notre art ne peut ni les imiter ni les
décrire.
Tel parait à nos yeux le plumage du paon,
lorsqu'il se promène paisible et seul dans un beau
jour de printemps; mais si quelque excitation se
joint aux influences naturelles de la saison et lui
inspire une nouvelle ardeur, alors toutes ses
beautés se multiplient, ses yeux s’animent et pren-
nent de l'expression, son aigrette s'agite sur sa
tête et annonce l'émotion intérieure; les longues
plumes de sa queue déploient en se relevant leurs
richesses éblouissantes , sa tête et son cou se ren-
le r2on. P. 121
ke Dindon.
DES OISEAUX. 1923
versent noblement en arrière, se dessinent avec
grâce sur ce fond radieux, où la lumière du soleil
se joue en mille manières , se perd et se reproduit
sans cesse, etsemble prendre un nouvel éclat plus
doux et plus moelleux , de nouvelles couleurs plus
variées et plus harmonieuses; chaque mouvement
de l'oiseau produit des milliers de nuances nou-
velles, des gerbes de reflets ondoyants et fugitits,
sans cesse remplacés par d’autres reflets et d’autres
nuances toujours diverses et toujours admirables.
Mais ces plumes brillantes, qui surpassent en
éclat les plus belles fleurs, se flétrissent aussi
comme elles et tombent chaque année ; le paon,
comme s’il sentait la honte de sa perte, craint de
se faire voir dans cet état humiliant, et cherche
les retraites les plus sombres pour s'y cacher à
tous les yeux, jusqu'à ce qu'un nouveau printemps,
lui rendant sa parure accoutumée, le ramène sur
la scène pour y jouir des hommages dus à sa
beauté. On prétend qu'il en jouit en effet, qu'ilest
sensible à l'admiration, que le vrai moyen de len-
gaser à étaler ses belles plumes, c’est de lui don-
ner des regards d'attention et des louanges, et
qu'au contraire, lorsqu'on parait le regarder froi-
dement et sans beaucoup d'intérêt, 11 replie tous ses
trésors et les cache à qui ne sait point les admirer.
Ce superbe oiseau, originaire du nord de l'Inde,
a été apporté en Europe par Alexandre, roi de
Macédoine. Les individus sauvages surpassent
encore en beauté les individus domestiques; les
teintes de leur plumage sont plus pures, et n’ont
aucune de ces altérations que la domination de
l'homme imprime sur tous les animaux qu'il se
soumet. Il existe au Japon une autre espèce de
424 HISTOIRE NATURELLE
paon qu'on appelle spicifère. À côté de ce genre
doit se placer le lophophore de l'Inde, mag su
oiseau qui le cède peu au paon lui-même.
LE DINDON.
Si le coq ordinaire est l’oiseau le plus utile de
la basse-cour, le dindon domestique en est le
plus remarquable, soit par la grandeur de sa
taille, soit par la forme de sa tête, soit par cer-
taines habitudes naturelles. Sa tête, qui est fort
petite, manque de la parure ordinaire aux oi-
seaux, car elle est presque entièrement dénuée
de plumes et recouverte de mamelons rougeûtres ;
sur la base du bec supérieur s'élève une caron-
cule charnue de forme conique , sillonnée par des
rides transversales assez profondes. Si quelque
chjet étranger se présente inopinément, cet o1-
seau, qui n'a rien dans son port ordinaire que
d'humble et de simple, se rengorge tout à coup
avec fierté; sa tête et son cou se gonflent, la ca-
roncule conique se déploie, toutes ces parties
charnues se colorent d’un rouge plus vif, en même
temps les plumes du bas du cou et du dos se hé-
rissent, et la queue se dresse en éventail , tandis
que ses ailes s’abaissent en se déployant jusqu'à
trainer par terre.
On se ferait une idée fausse de ces oiseaux, si
l’on voulait en juger d’après ce que nous les voyons
dans nos basses-cours. Dans les vastes plaines et
les immenses forêts de l'Amérique septentrionale,
leur patrie, ils déploient autant d'énergie, de no-
blesse, de grâces, que dans nos campagnes ils
montrent un port lourd, une démarche stupide et
y
DES OISEAUX. 41925
des habitudes grossières. Quoique leurs ailes
soient d’une médiocre étendue et que les muscles
pectoraux n'aient pas un grand développement,
ces oiseaux ne laissent pas que dese soustraire par
un vol rapide et assez soutenu aux embüches et
à la poursuite du chasseur. Le dindon sait trou-
ver dans son instinct des ruses pour échapper à
la mort quand ses ennemis le poursuivent de trop
près : il se blottit dans les broussailles, reste im-
mobile, et ne trahit sa retraite par aucun mouve-
ment, jusqu'à ce que le péril soit dissipé.
Les dindons sauvages de la Virginie sont cou-
verts de plumes ornées de couleurs métalliques à
reflets variés d'un grand effet. Ils sont le plus sou-
vent d’un brun verdâtre glacé de cuivré. Mais par
l'effet de la domesticité, ainsi que beaucoup d’au-
tres animaux, ils ont perdu la brillante parure
que leur avait accordée l’auteur de la nature. Le
dindon fut apporté d'Amérique au XVI° siecle par
les Jésuites, et se répandit promptement dans
toute l’Europe à cause de la bonté de sa chair.
LES PINTADES.
Les pintades se font remarquer par une espèce
de crête osseuse qui leur recouvre le sommet de
la tête, par leur tête nue et les barbillons charnus
qui leur pendent aux joues. Leur taille est mé-
diocre, et leur corps arrondi leur donne quelques
rapports de ressemblance générale avec les cailles
et les perdrix. Les pintades sont originaires d’Afri-
que, où elles vivent par bandes assez peu nom-
breuses dans les taillis et dans tous les endroits
plantés d’arbrisseaux , où elles s’occupent à la re-
6
426 HISTOIRE NATURELLE
cherche des insectes, des vers et des baies, dont
elles font leur nourriture, Ces oiseaux ont été
transplantés en Europe et en Amérique, et jamais
ils n’ont souffert du changement de climat. Ils ne
se sont pas multipliés beaucoup en Europe, à
cause des vices de leur caractère : irascibles, dé-
fiants, jaloux , criards, ils sont en guerre perpé-
tuelle avec les autres habitants de nos basses-
cours, et importunent tout le monde par leurs
cris rauques et désagréables, qu'ils font sans
cesse retentir, On connait plusieurs espèces de ce
genre : outre la pintade commune, on a décrit
depuis longtemps déjà la pintade mitrée et la pin-
tade à crête.
LE COQ ET LA POULE.
Le coq est le roi de la basse-cour, et son port
fier et altier indique qu'il sent sa noblesse et son
empire. I à du feu dans les yeux, de la liberté
dans la démarche, de la grâce dans les mouve-
ments , et des proportions qui annoncent la foree et
la valeur. Il est souvent obligé de déployer toute
l'énergie de son courage quand un rival veut lui
disputer son petit royaume. Il ne cède qu'avec la
vie les lieux dont ila pris possession, et c’est
avec une fureur qu'il ne saurait maitriser qu'il se
précipite sur son ennemi. L'homme a su tirer
parti pour son amusement de cette antipathie
d’un coq pour un autre coq; les anciens et les mo-
dernes ont dressé quelques-uns de ces oisCaux à
des combats qui acquirent quelquefois une triste
célébrité par les gageures déraisonnables aux-
quelles ils donnèrent lieu. Ces jeux ont à peu près
complétement disparu.
Mél
3»
p, 126
0
D
ce
le Cor.
le Faissn doré de la Chine.
DES OISEAUX. 127
La poule qui a montré tant d'ardeur pour cou-
ver, qui a couvé avec tant d’assiduité, qui a soigné
avec tant d'activité des embryons qui n’existaient
point pour elle, ne se refroidit point quand ils
sont éclos ; son attachement, fortifié par la vue de
ces petits êtres qui lui doivent la naissance , s’ac-
croit encore tous les jours par les nouveaux soins
qu'exige leur faiblesse ; sans cesse occupée d'eux,
elle ne cherche de la nourriture que pour eux; si
elle n’en trouve point, elle gratte la terre avec ses
ongles pour lui arracher les aliments qu’elle recèle
dans son sein, etelle s’en prive en leur faveur. Elle
les rappelle lorsqu'ils s’égarent, les metsous sesai-
les à l'abri des intempéries , et les couve une secon-
de fois; elle se livre à ces tendres soins avec tant
d’ardeur et de soucis que sa constitution en est sen-
siblement altérée, et qu’il est facile de distinguer
de toute autre poule une mère qui mène ses pe-
tits, soit à ses plumes hérissées et à ses ailes
trainantes, soit au son enroué de sa voix et à ses
différentes inflexions toutes expressives, et ayant
toutes une forte empreinte de sollicitude et d’af-
fection maternelles.
Mais si elle s'oublie elle-même pour conserver
ses petits, elle s'expose à tout pour les défendre ;
parait-il un épervier dans l'air, cette mère st faible,
si timide , etqui, en touteautre circonstance, cher-
cherait son salut dans la fuite, devient intrépide
par tendresse ; elle s'élance au-devant de sa serre
redoutable, et par ses cris redoublés, ses batte-
ments d'ailes et son audace, elle impose souvent à
l'oiseau carnassier qui, rebuté d’une résistance
imprévue, s'éloigne et va chercher une proie plus
facile.
128 HISTOIRE NATURELLE
On connait plusieurs espèces de coqs sauvages
des monts Gates dans l’Indostan et de l'ile de Java.
LES FAISANS.
Les faisans se font aisément reconnaitre à leur
longue queue étagée, composée de dix-huit pen-
nes, et à leur plumage orné de reflets éclatants.
Le mâle est un bel oiseau dont la tête et le cou sont
d’un vert doré, le reste du corps d’un marron ti-
rant sur le pourpre et très-brillant , et la queue
grisâtre mêlée de brun et de marron. Ces oiseaux ,
comme tous les gallinacés en général, sont dé-
fiants et sauvages ; dans les contrées où ils vivent
indépendants, on les rencontre par petites trou-
pes courant à la recherche des insectes, des ver-
misseaux et des baies qui composent leur nourri-
ture. Leur défiance perpétuelle les rend très-dif-
ficiles à approcher pour les chasseurs. La déliea-
tesse de leur chair les fait élever en domesticité,
mais leur éducation exige de grands soins et de
grandes dépenses , et les faisanderies sont de nos
jours devenues assez rares. L'espèce la plus com-
mune et la plus anciennement connue se trouve
abondamment à l’état sauvage dans le Caucase , et
dans les plaines couvertes de jones qui avoisinent la
mer Caspienne. On croit généralement que son in-
troduction en Grèce date de l'expédition des Ar-
gonautes aux bords du Phase.
Nous connaissons, en outre, trois autres espèces
originaires de la Chine: le faisan à collier, qui
ne diffère du faisan commun que par une tache
blanche à côté du cou; le faisan argenté, qui est
blanc en dessous avec des lignes noires, et qui
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DES OISEAUX. 129
s’apprivoise plus facilement que les précédents;
le faisan doré si remarquable par la magnificence
de son plumage; sa tête est ornée d’une huppe
pendante d’un jaune d’or ; son cou est revêtu d’une
collerette orangée , maillée de noir ; son ventre est
rouge de feu , le haut de son dos est vert, les ailes
rousses avec une belle tache bleue, le croupion
jaune, et sa longue queue est brune tachetée de
gris. Cuvier pense que la description du phénix,
donnée par Pline le naturaliste, a été faite d’après
ce bel oiseau.
L'ARGUS.
L'argus est considéré par le plus grand nombre
des ornithologistes comme faisant partie du genre
faisan , cependant il est facile de trouver des dif-
férences génériques pour l'en détacher. L'argus
est un des oiseaux du midi de l’Asie les plus re-
marquables par les changements ou les dévelop-
pements qu'ont acquis les pennes secondaires
des ailes. Nous les voyons, en elfet , excessive-
ment allongées et élargies , et couvertes sur toute
leur longueur de taches en forme d’yeux qui, lors-
qu’elles sont étalées, donnent à l’oiseau un aspect
tout à fait extraordinaire. C’est à l’ornement bi-
zarre de ses plumes que cet oiseau doit son nom
emprunté à la mythologie. Il habite les montagnes
de Sumatra et de quelques autres contrées du
sud-est de l'Asie.
LES PERDRIX.
Les perdrix se font remarquer par un grand
développement du sens de lodorat, par le peu
130 HISTOIRE NATURELLE
d’étendue de leurs aïles qui ne favorisent pas un
vol étendu, et par la force des muscles cruraux
qui les rendent agiles à la course. Ces oiseaux ne
se perchent jamais, se tiennent toujours à terre,
et cherchent d’abord leur salut dans la fuite plu-
tôt que dans la rapidité de leur vol.
Leur nourriture consiste en grains de toute es-
pèce, en bourgeons tendres des jeunes arbris-
seaux , en insectes, etsurtout en fourmis, dont elles
se montrent très-friandes. Nous les rencontrons
par familles dans les climats tempérés, où elles re-
cherchent de préférence les plaines et les champs
cultivés. C’est ordinairement dans les sillons
qu’elles déposent leurs œufs dans un nid grossie-
rement préparé. Aussitôt que les petits sont
éclos , ils quittent leur berceau pour suivre leur
mère et chercher avec elle leur nourriture. C'est
dans cette circonstance que s’exalte chez la per-
drix l'affection maternelle, et que nous la voyons
quelquefois déployer toutes les ruses d’un instinct
très-développé pour mettre en défaut les nom-
breux ennemis qui ont juré sa perte. Elle n'hésite
point alors à exposer sa vie pour sauver celle de sa
progéniture, et souvent son dévouement a triom-
phé du danger; elle revient joyeuse et fière retrou-
ver ses petits pour leur prodiguer de nouveau les
soins les plus actifs et les plus intelligents.
On connait plusieurs espèces de perdrix: la
perdriæ grise est la plus répandue, elle est très-
féconde, et nous procure surtout une nourriture
délicate; la perdrix rouge se distingue de la pré-
cédente par son bec et ses pattes rouges, et par sa
gorge blanche encadrée de noir; elle se üent plus
souvent dans les endroits élevés et solitaires; la
, DES OISEAUX. 131
bartavelle ou perdrix grecque ne diffère de la
dernière que par une taille un peu plus grande ;
on la trouve dans les montagnes.
LES CAILLES.
Ces oiseaux ont beaucoup de ressemblance ex-
térieure avec les perdrix ; mais plus petits , 1ls ont
encore des mœurs un peu différentes, et quel-
ques habitudes particulières. Tout le monde con-
nait la caille commune si répandue dans nos cli-
mats pendant la plus belle saison de l’année; elle
dépose ses œufs à terre, dans les blés, et se nour-
rit principalement de grains et d'insectes. Quoi-
que cet oiseau soit fort lourd et qu’il paraisse
mal conformé pour le vol, cependant chaque an-
née 1l nous quitte pour traverser la Méditerranée
et passer l'hiver en Afrique. Les cailles se réunis-
sent alors en troupes nombreuses et volent de
concert, le plus souvent au clair de la lune ou
pendant le crépuscule. Quand elles rencontrent
sur leur route une 1le où quelque rocher, elles en
profitent pour s’y reposer, et, en automne, elles
S’abattent en si grand nombre dans différents
points de larchipel du Levant, que le produit de
leur chasse est d’un revenu considérable. Excepté
aux époques du voyage, elles vivent isolées. Le
goût que ces oiseaux ont pour les voyages parait
inné en eux, et se manifeste, même dans les in-
dividus captifs, par des mouvements singuliers.
Nous avons déjà eu occasion de parler de cet ins-
tinct extraordinaire, en émettant, dans notre in-
troduction, quelques réflexions sur les migrations
en général.
132 HISTOIRE NATURELLE
LES PIGEONS.
Les pigeons forment à la suite des gallinacés
proprement dits une famille peu nombreuse, mais
bien distincte. Ils se trouvent à l’état sauvage ‘dans
les forêts et les rochers de l’Europe, où on les
désigne par le nom de ramiers. Il a été difhcile
de subjuguer et de rendre domestiques des o1l-
seaux légers, indépendants, amis de la liberté,
tandis qu'il n’a fallu presque aucune peine pour
réduire à l’esclavage des oiseaux lourds , pesants,
et qui dans nos basses-cours ne semblent pren-
dre aucun souci de la perte de leur liberté. Les
pigeons ne sont réellement ni domestiques, n1
prisonniers comme les poules, ce sont plutôt des
captifs volontaires, des hôtes fugitifs, qui ne se
tiennent dans le logement qu’on leur offre qu'au-
tant qu'ils S'y plaisent, qu'ils y trouvent une
nourriture abondante, un gite agréable et toutes
les commodités nécessaires à la vie. Quelques es-
pèces, même dans nos colombiers, se montrent
plus indépendantes que d’autres. Les premières
abandonnent quelquefois le toit qu’on leur avait
préparé pour aller nicher dans les trous de vieilles
murailles ou des fentes de rochers, tandis que
d’autres ne s’en écartent presque Jamais, et vont
chercher leur rourriture sans le perdre de vue.
Ces oiseaux se multiplient beaucoup et offrent
sur nos tables une nourriture saine et recherchée.
Nous possédons en France quatre espèces sau-
vages de ce genre, le ramier, qui est le plus
grand de ees oiseaux, le colombin ou petit ramier,
le biset ou pigeon de roche, et la tourterelle, un
DES OISEAUX. 133
des plus aimables oiseaux que nous puissions
élever dans nos habitations. On conserve quelque-
fois en volière pour l'agrément la fourterelle
rieuse où à collier, qui parait originaire d’A-
frique.
SRE
CINQUIÈME ORDRE DES OISEAUX,
LES ÉCHASSIERS.
Nous trouvons dans cet ordre un type d’organi-
sation dont nous n’avons eu aucun exemple dans
les oiseaux que nous avons examinés précédem-
ment, et que nous allons voir bientôt se modifier
profondément dans l’ordre qui va suivre. Les o1-
seaux que nous avons étudiés ont coutume de
poursuivre leur proie dans les airs ou sur la terre ;
ceux qui s'offrent maintenant à notre examen sont
les tyrans des eaux. Les palmipèdes et les échas-
siers font la guerre à la nombreuse tribu d'êtres
vivants qui ont reçu en partage les ruisseaux, les
rivières, les fleuves et tous les lieux aquatiques.
Les uns ont recu de larges rames pour frapper
l’eau, et un corps constitué en forme de vaisseau
pour fendre facilement le milieu sur lequel ils
doivent passer leur vie; les autres, et ce sont ceux
qui nous occupent spécialement, ont eu de longues
jambes, des tarses élevés, qui leur permettent de
courir le long des eaux et dans les endroits où le
sol est amolli par l'humidité, deux circonstances
434 HISTOIRE NATURELLE
qui leur permettent d'entrer dans l’eau jusqu'à
une certaine profondeur, sans se mouiller les
plumes, d'y marcher à gué et d’y pêcher, au moyen
de leur long bec emmanché d'un long cou, les
poissons et les reptiles qui forment leur nourri-
ture. On leur a donné souvent le nom d'oiseaux
de rivage, à cause de leurs habitudes; mais la
dénomination d’échassiers, moins exclusive, con-
vient beaucoup mieux , parce qu'on a réuni dans
cet ordre tous les oiseaux qui se trouvaient mon-
tés sur de longues pattes, comme lautruche, qui
ne s'approche Jamais des eaux. Nous sommes obli-
gés de répéter encore la réflexion que uous avons
déjà exprimée plusieurs fois au sujet des transi-
tions insensibles que la nature à établies dans ses
œuvres, qui font Fadmiration du philosophe , de
l’anatomiste et du physiologiste, mais qui font le
désespoir du classificateur qui veut traduire dans
sa méthode l’ordre précis de la nature dans la série
ascendante ou descendante des êtres organiques.
Ici, comme souvent ailleurs, nous trouvons des
difficultés à trancher nettement le groupe que
nous avons voulu caractériser par de longs tarses
et des jambes dénuées de plumes. Quelques gen-
res, en effet, ont des tarses ordinaires, presque
courts, mais les jambes nues; quelques autres
ont de véritables palmures entre les doigts, mais
des tarses très-allongés, ete. Admirons l’auteur de
la nature qui a répandu tant de variétés dans les
êtres qu’il a appelés à la vie, et qui a su néan-
moins enchainer par des anneaux étroits toutes
les parties de la création.
DES OISEAUX. 435
L'AUTRUCHE.
L’autruche est le plus grand des oiseaux , mais
elle est privée, par sa grandeur même, de la prin-
cipale prérogative des oiseaux, je veux dire la
puissance de voler. Quelle force énorme ne fau-
drait-il pas en effet dans les ailes et dans les mus-
cles pectoraux pour élever et soutenir en Fair
une masse de soixante-dix à quatre-vingts livres !
Du reste les pennes des ailes et de Ja queue sont
du genre de celles que les ornithologistes nom-
ment décomposées, c’est-à-dire que la tige est
garnie d'espèces de longues soies moel'euses et
isolées. C’est principalement à cause de ses plumes
que les Arabes font une guerre acharnée à l'au-
truche d'Afrique ; on emploie ces plumes à faire
des ornements très-recherchés et très-précieux ,
comme des plumets, des panaches, ete. Certains
peuples élèvent même des autruches en domesti-
cité pour leur enlever périodiquement ces plumes.
L'autruche est tellement agile à la course , que le
meilleur cheval arabe ne saurait l’atteindre ; il
faut donc recourir à la ruse pour pouvoir s’en em-
parer. Comme lautrucbe dans sa course décrit
un immense cercle, les chasseurs arabes suivent
un cercle concentrique beaucoup moins étendu
pour la fatiguer, marchent en ligne droite vers le
point où 1ls présument qu’elle doit aboutir, et la
renversent d’un coup de fusil.
On a prétendu que, par Peffet d’une stupidité
extrême , l’autruche sur le point d'être prise, se
cachait la tête, et se croyait hors de danger parce
qu'elle n’apercevait plus ses ennemis. 1l est pro-
136 HISTOIRE NATURELLE
bable que l’autruche cherche ainsi à protéger la
partie la plus faible, et la plus essentielle.
Les autruches ne font jamais de nid ; elles dé-
posent à terre, dans des trous creusés dans le sa-
ble, une quinzaine d'œufs, très-gros et très-bons
à manger, dont un seul suffit pour le repas d’un
homme. Sous la zone torride , ces œufs n’ont pas
besoin d’être couvés, la chaleur solaire suffit
pour développer l'embryon sous sa coquille cal-
caire ; mais dans les climats moins ardents les
autruches ont soin de les réchauffer de temps en
temps, surtout pendant la nuit et lorsque l’atmos-
phère se refroidit un peu. Les petits mettent en-
viron six semaines à éclore et sont assez forts
pour marcher après avoir rompu la coquille.
Les autruches vivent principalement de matiè-
res végétales, et ont un gésier très-fort, muni de
muscles vigoureux, comme nous l’avons vu déjà
chez les gallinacés. On a trouvé quelquefois dans
l'estomac de ces grands échassiers des morceaux
de fer, de cuivre, des pièces de monnaie, etc., et
on a demandé s'ils avaient un liquide particulier
dans leur estomac pour dissoudre des matières
si rebelles par elles-mêmes au travail digestif. Ces
substances métalliques se trouvent dans l'estomac
des autruches, comme les petits grains de quartz
que nous rencontrons dans celui des gallinacés ,
qui ont pour but d'aider la trituration des maté-
riaux digestifs.
On connait deux espèces d’autruches, celle
d'Afrique, et le nandou ou autruche d’Améri-
que. Celle-ci diffère de la précédente parce que
sa tête est recouverte entièrement de plumes, et
que ses pieds sont munis de trois doigts , tandis
DES OISEAUX. 437
que l’autruche d'Afrique n’en a que deux. Ses
plumes raides et moins soyeuses ne sont pas em-
ployées comme ornement, et ne servent qu'à fa-
briquer ces plumeaux avec lesquels on époussette
les meubles.
LE CASOAR.
Le casoar et l’autruche, les deux plus grands
oiseaux connus, semblent s'être réservé les lati-
tudes les plus chaudes de l'Afrique et de l'Asie.
Tous deux ils sont attachés à la terre qu’ils par-
courent laborieusement, sans pouvoir prendre
leur essor avec leurs ailes garnies simplement de
plumes effilées. Cette modification du plumage
est bien autrement profonde dans le casoar que
dans l’autruche : on dirait le premier recouvert
de longs poils semblables à ceux du sanglier. Si
ses ailes ne peuvent le soustraire à la poursuite de
ses ennemis, elles portent des armes offensives
et défensives assez puissantes pour le protéger
contre leurs attaques : ce sont des piquants cour-
bés en arc de longueur variable, mais bien ai-
guisés et très-vigoureux. Malheur à l’animal té-
méraire qui vient sans précaution fondre sur le
casoar !
On connaît deux espèces du genre : le casoar à
casque ou émeu qui habite les îles du grand
océan Indien. Il se distingue par une caroncule
cornée qui lui recouvre le sommet du erâne et
qui lui à valu sa dénomination. La seconde es-
pèce est le casoar de la Nouvelle-Hollande, qui
a le bec déprimé, la tête dépourvue de caroncule,
des plumes plus barbues, et les ailes dépourvues
138 HISTOIRE NATURELLE
d’éperons. On lui fait une chasse active pour sa
chair qu’on estime à l’égal de celle du bœuf.
Le casoar confie ses œufs aux sables échauffés
par les rayons du soleil, sans en prendre plus de
soin que l’autruche.
LES OUTARDES.
L’outarde est un des plus gros oiseaux que la
chaleur modérée de nos étés attire dans nos cli-
mats. Cet oiseau a des mœurs farou hes et un na-
turel sauvage. Il fixe sa demeure dans les grandes
plaines, dans les blés, et dans les campagnes
couvertes de broussailles, où il cherche sa nour-
riture , qui consiste en grains, fruits, insectes,
grenouilles , souris, mulots, et même quelque-
ini il y ajoute les petits oiseaux. Son caractère
défiant le tient sans cesse en alerte, et au moin-
dre bruit suspect, 1! prend son essor, ou s’en-
fuit en courant à terre avec une très - grande
célérité. Ces oiseaux, pendant lhiver, vivent en
troupes , et on dit qu'ils en choisissent un pour
faire sentinelle et les avertir de lapproche du
moindre danger.
Nous avons en France la grande outarde qui
est beaucoup plus grosse qu'un dindon, et la
cannepelière où petite outarde, qui est moitié
moindre. Elles sont de passage en été et font leur
ponte dans nos champs, parmi les blés et les sel-
gles déjà mûrs ; leurs s petits courent dès leur nais-
sance. Dans certaines provinces de France, quand
un chasseur à été assez heureux pour tuer Pou-
tarde , 1l réunit tous ses amis pour participer au
banquet de famille dont elle fait le principal orne-
ment.
DES OISEAUX. 139
L'AGAMI.
Ce genre ne renferme qu'une seule espèce bien
connue, c’est l’oiseau que les naturels du pays
nomment l’oiseau-trompette. Cet oiseau habite
l'Amérique méridionale, et par ses mœurs se rap-
proche autant des gallinacés que des échassiers.
Ses ailes sont peu développées et ses doigts telle-
ment conformés, qu’. peut courir avec une très-
grande agilité; aussi lorsqu'il est effrayé a-t-il
plutôt recours à ses pattes qu’à ses ailes. Il ne
vole que lorsqu'il veut se percher au sommet de
quelque arbre peu élevé.
Les agamis vivent en troupe de trente à qua-
rante individus dans les forêts les plus sombres et
les plus épaisses du Nouveau-Monde. Malgré leur
naturel farouche et sauvage, les agamis s’habi-
tuent facilement à la vie domestique ; ils s’atta-
chent même à leur maitre et lui rendent d’im-
portants services, en surveillant les autres oiseaux
de basse-cour et même, dit-on, les quadrupèdes
domestiques. On prétend qu’ils conduisent les
volailles et les moutons aux champs, les protégent
contre leurs ennemis, et les ramènent tous les
soirs au logis. Cet intrépide oiseau se fait distin-
guer par sa fidélité et son affection qui Pont fait
comparer au chien avec beaucoup de justesse.
L'organisation intérieure de l’agami présente
un fait particulier dans la disposition de la tra-
chée-artère, qui se recourbe plusieurs fois avant
de pénétrer dans la poitrine , et donne à cet oiseau
la faculté de produire un son sourd et rauque qui
semble provenir des cavités abdominales, et lui
a valu son nom d’oiseau-trompette.
140 HISTOIRE NATURELLE
LES GRUES.
Les grues sont connues depuis la plus haute
antiquité par leur instinct voyageur. Nous avons
eu déjà l'occasion de remarquer précédemment
que la plupart des fonctions physiologiques in-
fluaient puissamment sur la nature et les ressour-
ces instinctives de chaque individu. Les animaux
sont déterminés dans leur régime par leur or-
ganisation physique, et réciproquement. Ce
principe peut nous expliquer en partie le phéno-
mène constant des migrations périodiques des oi-
seaux de ce genre. Les grues habitent pendant
une grande partie de l’année les contrées septen-
trionales, où elles se nourrissent de plantes, de
graines et surtout de reptiles et de petits animaux
recouverts de téguments peu solides. Quand l’hi-
ver glace les étangs et les rivières, et suspend
toute végétation, les grues sont obligées de quit-
ter leur patrie pour aller sous un ciel moins
rigoureux, chercher les substances dont elles se
nourrissent. Elles voyagent en troupes assez
nombreuses, et dans leur vol élevé elles forment
un angle dont le sommet semble être d’abord oc-
cupé par le chef de la bande. Comme cette posi-
tion est très-fatigante à cause des efforts con-
tinuels que nécessite l’action de fendre lair,
chaque individu occupe cette place à son tour.
Dans leur vol, elles font entendre un eri si per-
çant qu'on l’entend souvent sans les apercevoir ;
ce Cri parait être une espece de réclame pour
s'appeler mutuellement, car on observe qu’il est
répété avec une régularité parfaite. Il faut re-
; aff
Lens tort
À, à
pe phs
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PT
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l
140
Oiseau roy. p. fi
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DES OISEAUX. AA
marquer que ces oiseaux ne volent guère que
pendant la nuit, parce que le jour ils s’abattent
dans les plaines découvertes , où ils vivent de
graines , d'herbes , d'insectes et de reptiles. En
général, ils se rassemblent pour dormir la tête
sous l'aile, et on assure qu’alors l’un d’eux veille
toujours la tête haute pour avertir ses compa-
gnons, par un eri d'alarme, si quelque danger
les menace. Les grues remontent vers le Nord au
commencement des beaux jours, et y nichent
dans les jones, les bruyères, quelquefois sur les
vieux murs et les tours démantelées. On rencontre
assez souvent en France la grue commune , haute
de quatre pieds, cendrée, à gorge noire, à som-
met de la tête nu et rouge, et à plumes noires et
crépues relevées sur les parties coccygiennes.
L'oiseau royal ou grue couronnée est d’une
taille svelte, aussi haute que le précédent , et re-
marquable par une touffe de plumes effilées qui
couronnent agréablement le sommet de la tête.
Ce bel oiseau , dont la voix ressemble au son écla-
tant d’une trompette , nous vient de la côte ocei-
dentale d'Afrique, où il est souvent élevé dans les
cases et s’y nourrit de grains. Dans l’état sauvage,
il fréquente les lieux inondés et y prend de petits
poissons.
LES HÉRONS.
Les hérons ont pour caractère spécial le bec
fort, et fendu jusque sous les yeux ; les jambes
sont écussonnées, les doigts assez longs, et l’on-
gle de celui du milieu tranchant et dentelé sur le
bord interne. Ces oiseaux vivent sur le bord des
149 HISTOIRE NATURELLE
rivières, des lacs et des marais, et se nourrissent
principalement de poissons, de grenouilles, de
mollusques et d'insectes. Souvent on les voit im-
mobiles sur le bord des eaux, le corps droit, le
cou replié et la tête presque cachée entre les
épaules, et leur aspect semble indiquer un mé-
lange de tristesse et de stupidité. On connait un
grand nombre d'espèces appartenant à ce genre
qu'on ne peut distinguer que par quelques détails
de plumage.
Le héron commun est un grand oiseau gris-
bleuâtre, avec le devant du cou blane, parsemé
de larmes noires, et l'occiput orné d'une huppe
noire. Son corps est grêle, ses ailes très-grandes
et fort concaves , et son vol si puissant, que sou-
vent la hauteur à laquelle il s'élève le rend invi-
sible à nos yeux. Pendant le jour il se tient isolé
et à découvert sur le bord des eaux dans l'attente
de sa proie. La nuit il se retire dans les bois de
haute futaie du voisinage, et en revient avant le
jour. Il place, en général, son nid sur le sommet
des arbres les plus élevés, et pond trois ou quatre
œufs d’un beau vert de mer. On le trouve en Europe
et dans plusieurs autres parties du monde, mais
il n’est jamais commun dans les lieux habités.
Dans certaines contrées 1} est stationnaire, tandis
qu'il ne parait dans d’autres qu’à l'époque de ses
migrations. On connait encore le héron pourpré,
la grande aigrette et la pelite‘aigrelte, célèbres
par les jolies plumes qu’elles fournissent pour
orner avec tant de grâce la tête des dames et les
chapeaux des guerriers.
On range dans ce genre le butor d'Europe,
assez grand oiseau, fauve-doré, tacheté et poin-
p. 122 V'Aigrette,
PL
ST
le Cigogie.
DES OISEAUX. 143
tillé de noirâtre, qui se tient ordinairement dans
les roseaux, d’où il fait entendre une voix terrible;
dans l’état tranquille, sa position est très-singu-
lière , il tient son bec verticalement levé vers le
ciel.
LES CIGOGNES.
Parmi les oiseaux de rivage, l’espèce de la
cigogne est la plus célèbre, quoique d’autres
l’'emportent beaucoup sur elle par létendue des
régions qu'elles occupent, et par le nombre d’in-
dividus qui les composent. Le nom de la cigogne
est consacré par des proverbes, des expressions
populaires, des fables que tout le monde sait, des
comparaisons qui se reproduisent fréquemment.
Quoique cet oiseau devienne rare dans certains
pays, il est un de ceux dont on parle le plus sou-
vent, et dont on parlera longtemps encore après
son entière disparition, s’il doit cesser de fré-
quenter les lieux qu'il habite encore aujourd’hur.
Comme c’est des eaux qu'il tire une grande partie
de sa subsistance, il lui faut des parages mariti-
mes ou des rivières, des étangs, des marais; une
culture bien dirigée lui enlève une partie des res-
sources dont 1l ne peut se passer. Il n’y a point de
clgognes en Angleterre; elles abondent en Hol-
lande, et sont plus rares en France, surtout dans
les départements dont le territoire est entièrement
desséché ; il parait que le milieu de l'Europe leur
convient mieux que la France, car on les y trouve
en bien plus grand nombre. Ce sont des oiseaux
de passage qui se rapprochent du Nord lorsque la
température de l’air y est un peu réchauffée, et qui
AAA HISTOIRE NATURELLE
retournent vers le midi longtemps avant que les
froids puissent les atteindre.
Ce genre renferme deux espèces bien distinctes
par une opposition de mœurs aussi remarqua-
ble que celle de leurs couleurs ; la première
est blanche et la seconde noire ; la blanche est
beaucoup plus répandue, ne fuit pas l’homme,
s'établit volontiers près des habitations, pose son
nid sur les édifices, chasse aux limaces et aux
reptiles dans les jardins, prend du poisson dans
les rivières sous les yeux des pêcheurs; partout
elle est bien reçue et protégée.
La cigogne noire est d’une humeur contraire ;
elle n’approche point de nos demeures, cherche
des retraites solitaires, pénètre dans les forêts, se
perche sur les arbres. Quoique dans lune et lau-
tre espèce la forme, la grandeur et la nature des
aliments soient absolument les mêmes, la pre-
mire jouit des avantages de la sociabilité et d’une
sorte de civilisation.
Les mœurs aimables de ces oiseaux, observées
par les Orientaux, et les services qu'ils leur ren-
dent en les débarrassant des animaux immondes
et nuisibles qui pullulent dans les pays chauds,
leur ont mérité une sorte de respect et de recon-
naissance, qui leur donne une sécurité à l’abri de
tout péril.
Vers le temps du retour dans les pays chauds,
les préparatifs du départ sont bruyants et en quel-
que sorte solennels; les bandes se forment et
s’exercent, des évolutions s’exécutent, et enfin les
troupes émigrantes s'élèvent si haut dans les airs,
qu'on les perd de vue; dès que le signal du dé-
part est donné, un grand silence règne partout.
DES OISEAUX. 145
Parmi les espèces étrangères, on remarque sur-
tout les cigognes à sac, ainsi nommées à cause
de l’appendice charnu qui est suspendu sous le
milieu du cou; leur bec est encore plus gros que
celui des autres cigognes. Ces oiseaux sont d’une
laideur extrême, et semblent porter dans tout leur
extérieur la marque d’une stupidité décidée. Ils
nous fournissent cependant ces beaux panaches
si légers que l’on appelle marabouts, formés de
plumes déliées placées sous l'aile. On connait deux
espèces de ces cigognes; l’une vit dans l'Inde et
l’autre au Sénégal.
L'IBIS.
Les ibis sont faciles à reconnaitre, au premier
conp d'œil, à leur tête dénuée de plumes, à leur
bec long et légèrement arqué, et aux légères pal-
mures qui se trouvent entre tous les doigts. Ils
sont tous d'assez grande taille, et partagent le ré-
gime que la nature semble avoir donné à tous les
échassiers ; leur nourriture ordinaire consiste en
vers, mollusques et autres animaux inférieurs, se
développant dans les endroits humides. L’anti-
quité a beaucoup jeté de traits fabuleux dans
l’histoire qu’elle nous a laissée des mœurs et des
habitudes de l’ibis. L'espèce la plus célèbre est
l’ibis sacré, que les anciens Égyptiens honoraient
d’un respect tout spécial. Ces peuples supersti-
tieux lui avaient même accordé les honneurs di-
vins, el après avoir brûlé de l’encens en son hon-
neur dans les temples où on l’élevait, on lui
rendait après sa mort les mêmes devoirs qu'aux
autres animaux sacrés, on l’embaumait avec tou-
446 HISTOIRE NATURELLE
tes sortes de précautions, et on le déposait dans
les souterrains situés au-dessous des édifices re-
ligieux. C’est ainsi que nos collections en possè-
dent qui ont été momifiés et conservés dans les
nécropoles de la Thébaide. C’est à l'aide de ces
ibis antiques que M. Cuvier a pu déterminer po-
sitivement quelle était la véritable espèce qui jadis
reçut les honneurs divins. Cet oiseau est de la taille
d’une poule, à plumage blanc, excepté le bout
des pennes alaires, qui est noir. On trouve en
Amérique l’ibis rouge, d’une belle couleur pour-
prée, qu'on à confondu longtemps avec l’espèce
d'Égypte; en Europe nous possédons l’ibis vert,
que les anciens appelaient bis noir.
LA BÉCASSE.
Les bécasses sont des oiseaux très-répandus ,
et que tout le monde connait. Leur plumage est
gris rayé de brun, et leur tarse court, comparé
aux types principaux de l’ordre auquel elles ap-
partiennent. Deux gros yeux très-saillants et pla-
cés fortement en arrière leur donnent une phy-
sionomie singulitrement stupide, que du reste
leurs habitudes ordinaires sont loin de démentir.
Ces oiseaux se trouvent dans les bois ou dans les
plaines marécageuses, où ils cherchent, pour
en faire leur nourriture, les vers, les larves, les
limaces, et d’autres animaux à téguments mous.
La plupart ont des goûts voyageurs , émigrent
presque sans cesse, tandis que quelques autres
espèces sont sédentaires. Pendant les beaux jours,
les bécasses remontent vers le nord , ou se reti-
rent dans les montagnes; pendant l'hiver, elles se
Re ra NN A
les Bécesses.
le Jacana.
DES OISEAUX. AAT
dirigent vers des climats plus méridionaux , ou
descendent dans les plaimes et les prairies. On
leur fait partout une chasse très-active, parce que
leur chair forme un mets très-recherché. Nous
avons en France quatre espèces de ce genre, la
bécasse commune, la double bécassine , presque
de la taille de la bécasse, la bécassine ordinaire ,
de la grandeur d’un merle, et la sourde ou la pe-
tite bécassine, qui est encore moins grande.
LES TOURNE-PIERRES.
Aux mœurs ordinaires que nous avons déjà ob-
servées chez presque tous les échassiers, ceux-ci
joignent la singulière habitude de tourner toutes
les pierres qui se rencontrent en leur chemim
pour y chercher des larves, ou les insectes par- :
faits, qui ont coutume d'y chercher un refuge.
Ces oiseaux fréquentent les bords des eaux et
les prairies souvent inondées. On n’en connait
qu'une seule espèce plus commune dans les ré-
gions voisines du pôle septentrional, mais qui
vient assez souvent sur nos côtes.
LES POULES D'EAU.
Les poules d’eau ont les doigts fort longs et
garnis d’une bordure très-petite. On les voit sou-
vent à terre; mais elles vivent en général sur les
eaux dormantes. Elles nagent et plongent très-
bien; pendant le jour elles restent cachées au
milieu des roseaux, et ne se hasardent à la chasse
que le soir et la nuit ; leur vol n’est ni élevé, ni
rapide, ni soutenu; enfin leur nid est composé
148 HISTOIRE NATURELLE
de jones grossièrement entrelacés, et lorsque la
mere est obligée de quitter ses œufs pour cher-
cher sa nourriture, elle les couvre avec des brins
d'herbe; les petits courent dès qu’ils sont éclos.
Notre poule d'eau commune est répandue dans
presque toute l'Europe, et ne parait pas différer
spécifiquement de celle qu'on trouve en Afrique,
en Amérique, etc.; elle est d’un brun foncé des-
sus, gris d’ardoise dessous, avec du blanc aux
cuisses , au ventre et au bord de l'aile. En automne
elle quitte les pays montueux et froids pour des-
cendre dans les plaines basses.
LES FLAMANTS.
On voit quelquefois, mais non tous les ans, ar-
river sur les côtes de nos provinces méridionales
un oiseau, le plus grand de tous ceux qui visitent
la France, et le plus remarquable, pent-être, de
tous ceux qui y viennent de leur plein gré, par :
la bizarrerie de ses formes et par l'éclat de son
plumage. Le bec de cet oiseau est singulièrement
conformé en soc de charrue, et lui sert à labou-
rer le limon des plages en cherchant les insectes et
les mollusques dont il se nourrit. |
Les flamants sont, par leur organisation, sé-
parés de la manière la plus tranchée des oiseaux
auprès desquels ils ont été placés dans les classi-
fications ornithologiques. En raison de la nudité
de leurs jambes et de la longueur de leurs tarses,
on les a fait entrer dans l’ordre des échassiers ;
mais la disposition de leur bec, présentant quel-
ques rapports d’analogie avec celui des canards,
et surtout les larges membranes qui réunissent
148
D.
le Pluvier à collier d'or.
DES OISEAUX. 4149
les doigts entre eux, pourraient, avec peut-être
plus de raison, les faire ranger parmi Îles palmi-
pèdes, que nous allons étudier bientôt. En con-
servant la distribution zootechnique de la plu-
part des ornithologistes , nous voyons dans ce
genre une transition parfaite entre cet ordre et le
suivant.
Les flamants vivent de coquillages, du frai des
poissons et d'insectes. Pour se saisir de leur nour-
riture, ils appuient la partie plate de la mandi-
bule supérieure sur la terre, et remuent en même
temps leurs pieds, afin de porter dans leur bec
avec le limon, la proie que la dentelure de ce bec
sert à y retenir. Ils vivent en troupes nombreuses,
et ont l’habitude d'établir des sentinelles pour
la sûreté commune; soit qu'ils se reposent ou
qu'ils pêchent, l’un d'eux est toujours en vedette,
la tête haute ; si quelque danger menace la sûreté
commune , 1l pousse le cri d'alarme qui s'entend
de très-loin et qui fait fuir toute la troupe.
Les anciens avaient nommé cet oiseau le phé-
nicoptére, à cause de la belle couleur de pourpre
qui revêt toutes ses plumes; et ils avaient placé
sa langue au nombre des mets les plus délicats.
Les historiens rapportent que l’empereur Hélio-
gabale entretenait constamment des troupes char-
gées de lui procurer en abondance des langues
de flamant. La chair de l'oiseau conserve un goût
de marécage assez désagréable, et n’a jamais été
recherchée pour la table.
L'espèce commune, le flamant rose, est haut
de trois à quatre pieds. Dans le jeune âge le plu-
mage est cendré; 1l prend du rose aux ailes à la
seconde année; enfin à trois ans une belle couleur
7
450 HISTOIRE NATURELLE
de pourpre teint toute la région dorsale, tandis
que les ailes demeurent roses. Les pennes des
ailes sont noires, le bec jaune et noir au bout,
les pieds bruns. On connait quelques autres es-
pèces, telles que le phénicoptére à manteau de
feu, le petit phénicoptère , qui n’ont rien de parti-
culier dans leurs habitudes.
XSL ESX
SE
SIXIÈME ORDRE DES OISEAUX,
LES PALMIPÉDES.
Les palmipèdes forment un des ordres le mieux
circonscrits et le plus nettement caractérisés de
l’ornithologie. Nous n’aurons pas à voir dans cette
classe des espèces très-éloignées par la nature de
leur organisation, mal à propos rapprochées par
les théories des classificateurs. Tous ces oiseaux
ont pour caractère général d’avoir les doigts réu-
nis par de larges membranes et les pieds placés
à la partie postérieure du corps. Ces circonstances
favorisent extrêmement la natation, et font de ces
oiseaux de parfaits nageurs, et on pourrait dire
avec plus de raison encore, de parfaits navigateurs.
Leur corps, en général, conformé inférieurement
comme la carène d’un navire, leurs pattes aplaties
comme des rames, leur cou avancé qui fend les
flots comme la proue d’un vaisseau, tout indique
le but et les intentions du créateur. En outre, les
DES OISEAUX. 151
palmipèdes ont un plumage ferme, serré, lustré,
imbibé d’un sue huileux qui le rend imperméable
à l’eau, et qui protège puissamment le corps contre
les variations de l’atmosphère et ia température
souvent très-basse des eaux.
On peut regarder l’eau comme l'élément des
palmipèdes ; c’est dans son sein en effet qu'ils
cherchent leur nourriture, et à sa surface qu'ils
passent la plus grande partie de leur vie. Is ne
s'en écartent un peu que pour faire leur ponte,
et encore ont-ils la précaution de ne pas trop s’é-
loigner de leur séjour favori. Leur nid est placé
dans les jones, les grandes herbes qui croissent
sur les plages humides, les fentes des rochers
qui avoisinent le rivage, et ils ont soin d’en gar-
nir attentivement l’intérieur d’un duvet moelleux,
que leur courageux instinct d'amour leur fait ar-
racher de dessous leur corps. C’est dans ces nids que
l'on recueille en abondance le précieux édredon
que l’eider prodigue dans le berceau de sa jeune
postérité.
On remarque que généralement les palmipèdes
ont un long cou qui se balance avec grâce au-
dessus des flots qu’ils traversent en se jouant. On
y compte un très-grand nombre de vertèbres
cervicales, tellement articulées les unes avec les
autres, que les deux mouvements de flexion et
d'extension ne sont nullement gènés. Cette par-
tie a pris chez ces oiseaux un développement si
considérable pour que l’animal pût attemdre dans
la profondeur des eaux les larves d'insectes aqua-
tiques qui s’y dévelcppent et les autres aliments
dont il se nourrit.
On divise cet ordre en quatre grandes familles :
152 HISTOIRE NATURELLE
les brachyptères, les longipennes, les totipalmes
et les Lamellirostres.
(62
re FAMILLE DES PALMIPÈDES.
LES BRACHYPTÈRES.
Les oiseaux de cette famille sont encore plus
nécessairement aquatiques que tous les autres; les
modifications profondes de leur organisation leur
rend le séjour des eaux tout à fait indispensable.
La disposition de leurs pattes si favorable pour
la natation, les empêche de pouvoir marcher fa-
cilement à terre, et ces pattes sont implantées tel-
lement à la partie postérieure du corps, que,
quand ils veulent en faire usage, ils sont obligés
de prendre la station verticale. D'ailleurs le séjour
habituel qu’ils font sur les eaux rend leurs pale
mures si impressionnables, qu'ils trébuchent aux
moindres inégalités du sol et qu'un vent un peu
violent les culbute à chaque pas. Mais quand ils
sont sur leur élément, leurs mouvements ont une
aisance et une facilité qu'on ne trouve pas même
dans le cygne, le pélican, etc.
Is nagent à la surface et plongent avec une agi-
lité si extraordinaire, qu'on prétend qu'ils échap-
pent au plomb mis en mouvement par la poudre,
en plongeant aussitôt qu’ils ont aperçu la lumière
du fusil.
Ces oiseaux ont été ainsi nommés à cause de
l'excessive brièveté de leurs ailes, qui les empêche
_
DES OISEAUX. 153
de se soutenir longtemps dans l'air, et même qui
- les empêche quelquefois de pouvoir se soulever.
LES GRÈBES.
Les grèbes semblent se rapprocher des poules
d’eau par la disposition des palmures festonnées
des doigts. Ces oiseaux passent leur vie sur les
lacs et les étangs, et on les voit rarement sur les
bords de la mer; ils préfèrent la tranquillité des
eaux douces à la perpétuelle mobilité de l’onde
amère ; on ne les y observe que momentanément
dans leurs migrations. Pendant leurs voyages, ils
nagent continuellement sur toutes les eaux qui
coulent dans la direction qu'ils ont choisie, leurs
ailes ne leur servent qu’à faciliter et à accélérer
leur natation. Leur plumage est tellement serré et
lustré, qu'il a presque l'éclat de l'argent , surtout
à la gorge, et comme tout leur corps est immé-
diatement recouvert d'un duvet très-épais, il est
très-peu sensible aux différentes variations de la
température extérieure. On leur fait une chasse
active, non point à cause de leur chair qui con-
serve toujours un goût huileux et désagréable,
mais à cause de leurs plumes argentées qui ser-
vent à faire de légères fourrures, comme des pa-
latines.
Les grèbes sont beaucoup plus communs dans
les contrées tempérées que dans les climats méri-
dionaux et septentrionaux; 1ls vivent d'insectes,
de mollusques, de plantes aquatiques. Ils con-
struisent leur nid au milieu des jones, ont soin de
l’attacher solidement , et le laissent flotter sur les
eaux.
454 HISTOIRE NATURELLE
Nous possédons en France quatre espèces de ce
genre: le grébe huppé, le grèbe cornu, le jou-
gris et le castagneux.
LES PLONGEONS.
Les plongeons suivent très-bien les précédents
dans une transition naturelle: comme les grèbes,
leur plumage est serré et lustré, leurs pattes sont
fortement reculées en arrière; mais la palmure
des doigts non interrompue et bien entière suffit
pour les trancher nettement. La disposition de ces
organes, tout en facilitant la natation, favorise
Surtout l’action de plonger, et leur a fait donner
le nom qu’il portent en français. Ils ne quittent
jamais l’eau , et se dérobent à nos regards en S'y
plongeant tout entiers ; de temps en temps ils
montrent seulement la tête au-dessus des flots pour
satisfaire au besoin de la respiration. Ils ont som
de placer leur nid dans les fentes des rochers les
plus inaccessibles, et le plus près possible des
eaux, pour s’y réfugier en cas de surprise. Ces o1-
seaux sont très-maladroits à marcher sur la terre ;
ils se soutiennent avec leurs ailes , ce qui ne les
empêche pas de tomber souvent à plat ventre,
surtout quand on les poursuit.
Les plongeons se nourrissent de poissons, de
mollusques, de reptiles, de petits crustacés et de
larves aquatiques. Ils sont plus nombreux dans le
nord que dans les autres contrées, où ils ne pa-
raissent qu'à l’époque de leurs migrations an-
nuelles.
On connait trois espèces de ce genre : le grand-
plongeon , le lumme ou moyen-plongeon, et le
cat-marin ou petit-plongeon.
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la Sartelle.
DES OISEAUX. 455
LES PINGOUINS,
Avec les dispositions organiques des premiers
palmipèdes, les pingouins ont un bee modifié
d’une manière extraordinaire et le plus singulier
que l’on connaisse ; il est excessivement déprimé
latéralement, et devient tranchant sur le dos pres-
que comme une lame de couteau. Du reste, les
pingouins sont de beaux oiseaux aquatiques, à na-
tation puissante , à mœurs libres et sauvages ; ils
ne paraissent que rarement à terre comme les
précédents , et font leur nourriture de tous les ani-
maux inférieurs qui se développentau sein des eaux.
LES MANCHOTS,.
Ce sont de tous les palmipèdes les plus curieux
par les modifications que leurs habitudes aquati-
ques ont fait éprouver aux organes de locomotion
aérienne. Ce sont encore les oiseaux les plus né-
cessairement aquatiques ; leurs pieds largement
palmés, et leur plumage extrêmement abondant,
favorisent parfaitement leurs goûts, mais leurs
ailes modifiées profondément en espèces de na-
geoires ou de rames puissantes les aident singu-
lHièrement à fendre la surface des eaux dans tou-
tes les directions. Au lieu de plumes normalement
développées, on ne voit sur les ailes que des es-
pèces d’écailles destinées à préserver la peau
de l'effet du contact perpétuel de l’eau. Rien de
plus singulier que l'aspect et la physionomie de
ces grands oiseaux du nord. Ils ne peuvent mar-
cher sur la terre que dans une position entière-
456 HISTOIRE NATURELLE
ment verticale, et ils le font de la manière la plus
gauche qu'on puisse imaginer. Du reste ces ma-
nières ne démentent pas leurs qualités instinc-
tives ; ce sont des oiseaux stupides qu’on rencontre
par bandes immenses dans les îles désertes des
mers antarctiques au moment de Ja ponte. A cette
époque, 1ls abandonnent la mer par troupes in-
nombrables, et se mettent à circonscrire un grand
espace carré qu’on appelle camp. Is choisissent
une position avantageuse et un terrain bien nivelé
pour qu'ils puissent ÿ marcher facilement et sans
douleur. La quantité de manchots qui viennent
ainsi déposer leurs œufs dans ce vaste carré est
tellement considérable , au rapport des voyageurs
et des matelots , qu’on a pu charger plusieurs cha-
loupes de ces œufs.
Les principales espèces de ce genre sont: le
grand-manchot , le gorfou sauteur , et le sphénis-
que du Cap.
SH
Ie FAMILLE DES PALMIPÉDES.
LES LONGIPENNES.
Quoique les longipennes nous offrent une orga-
nisation du membre antérieur bien développée, ils
sont néanmoins attachés aux eaux de même qne
les brachyptères. Mais au lieu de fendre toujours
les flots et de consumer avec monotonie leur exis-
tence sur la surface de la mer, ils aiment à par-
courir l'immense étendue de l'Océan et à se trans-
ks Manchots.
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DES OISEAUX. 457
porter constamment à des distances considérables
des plages habitées. Le grand développement des
pennes alaires et la belle disposition des rectrices,
leur rend le vol très-facile et leur a fait donner par
les marins le nom de grand-voiliers. Bien diffé-
rents des brachyptères qui ne peuvent résister aux
mouvements des flots, les longipennes semblent
braver l’inconstance et la fureur de cet élément
terrible qui fait pàlir l’homme le plus intrépide.
C’est pour cela que les navigateurs leur ont encore
donné le nom d'oiseaux de tempête.
Les deux genres les plus remarquables sont
les pétrels et les mouettes.
LES PÉTRELS.
Les pétrels se distinguent des autres palmipè-
des par leur bec crochu , leurs narines réunies
en un tube couché sur le dos de la mandibule su-
périeure, et par leur pied qui n’a point de pouce,
mais simplement un ongle implanté dans le talon.
Les pétrels sont de tous les oiseaux ceux qui se
rencontrent le plus loin des terres dans toutes les
parties du vaste Océan. Partout où l’homme a pu
pénétrer, sous toutes les latitudes, dans les mers
les plus pacifiques comme dans les mers les plus
orageuses et les plus terribles, partout il a ren-
contré les pétrels qui semblaient se jouer des périls
de la tempête. Quand ils sont fatigués d’une action
trop longtemps prolongée, ils descendent à la
surface de la mer, sur laquelle ils semblent mar-
cher et courir à l’aide de leurs pieds largement
palmés. Ils nichent dans les fentes des rochers
les plus inaccessibles, sur les écueils les plus
458 HISTOIRE NATURELLE
inabordables, et 1l est d'autant plus dangereux
de venir les inquiéter dans leurs retraites qu’au
moment où l’on parvient à la hauteur de leur re- :
fuge , ils lancent aux yeux de l’observateur impru-
dent un liquide huileux qu’ils ont toujours en ré-
serve, et qui, l’aveuglant momentanément, peut
le faire tomber sur les pointes des rochers qui hé-
rissent cesendroits de toutes parts. Ces oiseaux sont
peu féconds; ils ne pondent, dit-on, jamais qu'un
œuf. Cette observation ne peut s'appliquer qu'aux
espèces qu’on à pu considérer et étudier plus fa-
cilement.
Les espèces les plus remarquables sont: le pé-
trel géant ou briseur d'os, le pétrel du Cap ou
damier; nous voyons quelquefois sur nos côtes
le pétrel gris-blanc ou falmar, appelé encore
quelquefois pétrel de Saint-Kilda , qui va nicher
sur les côtes escarpées des îles britanniques et
de tout le nord.
LES MOUETTES OU GOÉLANDS.
Les mouettes ont le bec allongé, pointu, et
simplement arqué vers le bout; leurs doigts sont
entièrement palmés , le pouce est libre et réguliè-
rement développé. Ces oiseaux sont voraces et
criards ; on peut les regarder comme les vautours
de la mer; ils la nettoient des cadavres de toute
espèce qui flottent à sa surface ou qui sont rejetés
sur ses rivages. Aussi lâches que gourmands, ils
n’attaquent que les animaux faibles, et ne s’achar-
nent que sur les cadavres. Leur naturel sangui-
naire et leur gloutonnerie insatiable, secondés
par la force de leur bec, trouvent un sujet de dis-
DES OISEAUX, 459
pute dans la moindre proie que le hasard leur
présente. On les voit se battre avec acharnement
entre eux pour la eurée, et même lorsqu'ils sont
renfermés et que la captivité aigrit leur caractère
féroce, ils se blessent sans motif apparent, et le
premier dont le sang coule devient la victime
desautres. Cet excès de cruauté ne convient guère
qu'aux grandes espèces; mais toutes, grandes et
petites, étant en liberté, s’épient, se guettent sans
cesse pour se piller et se dérober réciproquement
leur nourriture Le poisson frais ou gâté, la chair
sanglante, récente ou corrompue , les écailles , les
os même, tout se digère et se consume dans leur
estomac toujours avide; 1ls avalent l’amorce et le
bamecon, et se précipitent avec tant de violence,
qu'ils s’enferrent eux-mêmes sur une pointe que le
pêcheur place sous le hareng ou la pélamide qu’il
leur offre en appât.
Les mouettes se réunissent ordinairement en
grandes troupes sur les bords de la mer; là elles
attendent que le flot rejette sur le rivage les ca-
davres qui font leur nourriture. Quelquefois ee-
pendant elles s’éloignent des côtes, et à l’aide de
leurs ailes longues et puissantes elles s’écartent
jusqu’à cent lieues en pleine mer. D’autres fois aussi
elles suivent en pêchant le courant des fleuves.
On en rencontre ainsi quelquefois en Touraine
qui remontent la Loire et qui s’écartent ensuite
du fleuve en suivant les sinuosités des ses affluents
nombreux.
On à donné le nom de goélands aux espèces les
plus grandes, comme le goéland bourgmestre ,
le goéland à manteau noir, et on a réservé celui
de mouettes où de mauves aux espèces plus pe-
160 HISTOIRE NATURELLE
tites, comme la mouette blanche, la mouette à
pieds bleus , la mouette à capuchon noir. Toutes
ces espèces sont nombreuses sur nos côtes. J'ai
eu occasion d’en observer des légions innombra-
bles sur les rochers à fleur d’eau qui bordent
l'Océan.
CRIS RO
He FAMILLE DES PALMIPÉDES.
LES TOTIPALMES.
Les oiseaux qui composent cette famille sont
les palmipèdes par excellence , car ceux que nous
avons examinés jusqu'à présent ont le pouce libre,
tandis que chez ceux-ci la membrane qui s'étend
entre tous les doigts par un développement parti-
culier, embrasse encore le pouce. Leur patte
forme par conséquent une rame plus parfaite et
plus étendue, mais par une habitude singulière
avec une semblable organisation, ils sont les seuls
qui perchent sur les arbres. Tous d’ailleurs ont
les ailes bien développées, l'énergie musculaire
considérable , et sont bons voiliers. Les genres
principaux sont les pélicans, les cormorans et
les frégates.
PÉLICANS.
Les pélicans sont très-connus de tout le monde
à cause de la fable qui en fait l'emblème de la-
mour maternel et du sacrifice entier de soi. On
DES OISEAUX. 461
croyait anciennement que le pélican se perçait la
poitrine pour nourrir ses petits de son sang ei
leur donner ainsi une seconde fois la vie. Mais
ces récits fabuleux ont disparu, comme bien d’au-
tres, devant l'observation exacte de la nature. Les
naturalistes modernes , en tombant dans une er-
reur opposée, ont avancé que le pélican ne ma-
nifestait pour ses petits qu’une tendresse douteuse,
et que même quelquefois il les abandonnait au
ravisseur sans chercher à les défendre.
Il est facile de connaitre les pélicans aux ca-
ractères suivants. On trouve à la base du bec un es-
pace dénué de plumes; leurs narines sont des fentes
dont l’ouverture est à peine sensible. La peau de
leur gorge est plus ou moins extensible, et leur
langue fort petite. Leur bec est remarquable par
sa grande longueur, sa forme droite, son apla-
tissement longitudinal et le crochet qui le ter-
mine; enfin la mandibule inférieure est compo-
sée de deux branches flexibles qui soutiennent
une membrane nue et dilatable ou un sac assez
volumineux.
Le pélican ordinaire, auquel on a donné en-
core le nom d’onocrotale , à cause de son cri
rauque qu’on à comparé au braiment de l’âne,
est un grand oiseau de cinq ou six pieds de long,
et ses ailes déployées présentent une envergure
de douze pieds. Dans le jeune âge il_est plus ou
moins blanc , et prend plus tard du noir aux ré-
miges et du rouge au bec. Il vole fort bien et s’é-
lève quelquefois très-haut, mais en général il se
balance seulement au-dessus des eaux , attendant
sa proie pour se précipiter dessus avec la rapidité
d’une flèche. On assure que les pélicans se réu-
162 HISTOIRE NATURELLE
nissent quelquefois en troupes pour pêcher de
concert. Souvent ils conservent le produit de leur
travail dans la poche membraneuse située au-des-
sous du bec, et vont ensuite le partager avec leurs
petits, ou le digérer plus à l'aise sur quelque pointe
de rocher ou dans quelque réduit solitaire.
Quand la pêche est facile et abondante, ces oi-
seaux sont tellement voraces qu'ils se gorgent
entièrement de nourriture, et tombent dans une
espèce de torpeur et de léthargie dont ils ne sor-
tent que quand le travail digestif est terminé.
Il parait que, malgré ses mauvaises habitudes, le
pélican peut sentir la puissante action de l’homme
et s’apprivoiser. On dit même qu'on peut en tirer
parti pour Ja pêche, en lui attachant un anneau
autour du cou pour l'empêcher d’avaler le pois-
son qu’il rapporte à son maitre dans le sac qu'il a
sous le bec. Les Chinois , dit-on, s’en servent
souvent pour cet usage.
Le pélican ordimaire est commun dans les par-
ties orientales de l’Europe , mais abonde surtout
en Afrique. Il se trouve aussi en Asie et en Amé-
rique.
LES CORMORANS.
Le plus ancien des naturalistes, Aristote, dans
son histoire des animaux , donne à cet oiseau le
nom de corbeau aquatique, hydrocoraæ, qui lui
a été conservé par Pline le naturaliste. I semblerait
que la même idée aurait donné naissance au nom
du cormoran, formé par corruption de corbeau
marin. Du reste cette dénomination des anciens
et l'appellation vulgaire ne manquent nullement
DES OISEAUX. 163
de justesse, car le cormoran a tout le corps d’une
couleur très-sombre, et qui se rapproche beau-
coup de celle du corbeau. Les cormorans sont
bons nageurs et poursuivent leur proie au sein des
eaux avec une agilité et une vélocité incroyables.
Cependant l’eau n’est pas tellement leur élément,
qu'ils ne prennent souvent leur essor dans les airs.
La disposition favorable de leurs ailes et la force
musculaire de l'appareil pectoral, les rendent
assez bons voiliers, et leur donnent la faculté de
parcourir des espaces assez étendus. Ces oiseaux
ont des rapports assez marqués dans leurs habi-
tudes et leur régime avec ceux que nous venons
d'examiner. Quand ils se sont repus abondam-
ment, ils se tiennent immobiles, et comme dans
une somnolence stupide, jusqu’à ce que le travail
de la digestion soit entièrement achevé. C’est
quand les cormorans sont plongés dans cet état
d'inertie qui paralyse entièrement toutes leurs fa-
cultés qu'ils sont quelquefois saisis par leurs en-
nemis, Sans pouvoir opposer la moindre résis-
tance.
Les deux espèces les plus connues sont: le cor-
moran ordinaire, de la taille d’une oie, et le
nigaud où le petit Cormoran, d'une taille un peu
moindre. Cette seconde espèce est plus rare que
la première.
LES FRÉGATES.
Parmi tous les oiseaux que nous avons déjà exa-
minés, les frégates sont ceux qui ont reçu dans leur
plus grand développement les organes de locomo-
tion aérienne, et les muscles moteurs les plus puis-
164 HISTOIRE NATURELLE
sants pour exercer leur action : aussi les frégates ne
sont-elles point attachées péniblement aux sables
du rivage, ntaux rochers des côtes qui les ont vues
naître ; elles ont devant elles l’espace immense des
airs et des mers. On les rencontre à des distances
extrèmes des plages et des îles habitées. La lon-
gueur excessive des pennes alaires et des pennes
caudales, leur rend le vol très-facile , et on dirait
que cet acte, qui demande des efforts, par consé-
quent des fatigues, est leur état de prédilection et
presque de repos. En effet, quand on les voit sur des
mers inconnues se balancer gracieusement ou se
précipiter avec la rapidité de l'éclair sur leur
proie, on ne saurait s'empêcher de convenir que
leur organisation semble tout à fait aérienne. C’est
à cause de la facilité et de la vélocité de leur vol
que les marins leur ont donné le nem de frégates.
Ces oiseaux sont les ennemis déciarés des pois-
sons-volants, et en détruisent un grand nombre
en saisissant avec une dextérité merveilleuse ceux
qui sortent de l’eau et qui se soutiennent en l'air
à l’aide de leurs larges nageoires. On ne connait
bien qu’une seule espèce de ce genre : la frégate
commune, à plumage noir, plus ou moins varié
de blanc sous la gorge.
RERO
IVe FAMILLE DES PALMIPÉDES.
LES LAMELLIROSTRES.
Les oiseaux qui composent cette famille sont
ainsi nommés, parce que les deux mandibules de
les Canards.
p. 16
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DES OISEAUX. 465
leur bec sont aplaties dans toute leur étendue
comme deux lames, et sont dentelées latéralement
sur leurs bords; leurs ailes sont peu développées.
Ces oiseaux sont bons nageurs, mais en général
ne s’écartent pas à de grandes distances des côtes
et des rivages. Ils aiment de préférence les eaux
marécageuses et d’une profondeur peu considé-
rable où leur bec puisse atteindre, dans la vase
et le limon, les insectes et leurs laves qui s’y dé-
veloppent. Leur régime n’est pas exclusivement
insectivore, ils y joignent les graines et les herbes
tendres.
Les genres que cette famille nous présente à
étudier sont: les cygnes, les oies, les canards,
l’eider et les sarcelles.
LES CYGNES.
Le cygne, est sans contredit, le plus beau des
oiseaux aquatiques; 1l nage avec une noblesse,
une aisance et une grâce qui font plaisir à voir.
Quand il a atteint un an, son plumage devient
d’une blancheur si éclatante, qu'elle est devenue
un terme de comparaison.
Le cygne, qui peut avec autant de justice que
bien d’autres se nommer le roi des oiseaux, fier
de sa noblesse et de la force qu’il sait déployer,
ne redoute aucun oiseau de proie; il les attend
sans les provoquer, sans les craindre; il repousse
leurs assauts en opposant la résistance de ses plu-
mes qui sont très-fournies ; et les coups précipités
d’une aile vigoureuse, qui lui sert, pour ainsi dire,
de bouclier. Un vieux cygne domestique ne craint
point dans l’eau l'attaque du chien le plus déter-
466 HISTOIRE NATURELLE
miné. Son coup d’aile pourrait casser la jambe
d’un homme, tant il est prompt et violent.
Cet oiseau, naturellement doux et pacifique,
devient quelquefois féroce envers ses sembla-
bles. Deux cygnes se battent avec acharne-
ment; souvent un jour entier ne suffit pas pour
terminer leur lutte. Le combat commence à grands
coups d’aile, continue corps à corps, et souvent
ne se termine que par la mort de l’un des deux.
Ces oiseaux, d’une propreté exquise , font leur
toilette tous les jours. On les voit arranger leur
plumage, le lustrer, et prendre de l’eau avec leur
bec pour se la répandre sur le dos, sur les ailes,
avec un soin qui suppose le désir de plaire : aussi
plaisent-ils à tous les yeux; on les aime, on les
applaudit, on les admire.
Nous en avons en Europe deux espèces : le cy-
gne à bec rouge, et le cygne à bec noir. Le pre-
mier, à l’état sauvage, habite les grandes mers
de l’intérieur, surtout vers les contrées orientales
de l’Europe. Le cygne à bec noir ressemble beau-
coup au précédent, et se trouve dans les régions
septentrionales des deux continents, d’où il émigre
pendant les hivers trop rigoureux.
LES OIES.
Ces oiseaux ont le bec aussi long que la tête,
les bouts des lamelles en garnissent le bord et y
paraissent comme des dents pointues. Chez les
Romains ils étaient mis au nombre des oiseaux sa-
crés , en reconnaissance des services qu'ils avaient
rendus à la république en éveillant Manlius quand
les Gaulois assiégeaient les Romains réfugiés dans
DES OISEAUX. 467
le Capitole. Les autres peuples ne leur ont pas
tant prodigué d’honneurs, ils en ont fait l'emblème
de la stupidité, et s’ils les ont nourris en domes-
ticité, ça été pour se nourrir de leur chair qui est
un assez bon manger, et user de leur dépouille
duvetée. On en élève un grand nombre dans nos
provinces méridionales, et dans toutes les grandes
villes de France il s’en fait une grande consom-
mation.
L’oie sauvage est maigre, de taille légère, et
passe dans nos contrées dès la fin d’octobre ou les
premiers jours de novembre. Son vol est très-
élevé, sans bruit ni sifflement. Pour fendre Pair
avec plus d'avantage et moins de fatigue, la troupe
entière se range sur deux lignes obliques qui se
réunissent , et forment un angle aigu. Le conduc-
teur se place au sommet, et se fait remplacer
dans son poste fatigant quand ses efforts l'ont
épuisé. On estime leur chair meilleure que celle
de l’oie domestique.
LES CANARDS.
Les canards sauvages, dont l'espèce est très-
nombreuse, nous fuient constamment, se tien-
nent sur les eaux, ne font, pour ainsi dire, que
passer et repasser en hiver dans nos contrées, et
s’enfoncent au printemps dans les régions du nord,
sur les terres les plus éloignées de la présence de
l’homme. Ils ont les plumes plus lisses et plus
serrées que le canard domestique; le cou plus
menu, la tête plus fine, les couleurs plus vi-
ves, la forme plus élégante, plus légère, et dans
tous leurs mouvements on reconnait la force, l’ai-
168 HISTOIRE NATURELLE
sance, la grâce, et l'air de vie que donne le sen-
timent de la liberté.
Les migrations de ces oiseaux paraissent ré-
glées ; ils se montrent en France vers la moitié du
mois d'octobre ; cette première bande parait être
l'avant-garde, car en novembre on en voit arri-
ver des quantités prodigieuses.
En arrivant dans quelque contrée, ces ca-
nards volent continuellement, et se portent d’un
étang à un autre; Jamais ils ne se reposent sans
avoir fait plusieurs circonvolutions sur le lieu où
ils voudraient s’abattre, comme pour l’examiner,
le reconnaitre et s'assurer s’il ne recèle aueun en-
nemi. Lorsqu'enfin ils s’abaissent, c’est toujours
avec précaution ; ils fléchissent leur vol et se lan-
cent obliquement sur la surface de l’eau qu'ils ef-
fleurent et sillonnent, ensuite ils nagent au large
et se tiennent toujours éloignés des rivages.
Leur nourriture ordinaire consiste en insectes
aquatiques, en petits poissons, grenouilles , graines
et plantes marécageuses. Ces oiseaux sont gour-
mands et insatiables; ils mangent de tout, et leur
corps peut se charger d’une grande quantité de
graisse. Les canards sont très-faciles à élever,
coûtent peu à nourrir, et fournissent une chair
bonne à manger, quoique un peu lourde et de
difficile digestion.
L'EIDER.
L’eider habite les mers glaciales du pôle et
abonde surtout en Islande, au Groenland, au
Spitzherg; on le trouve encore assez eommuné-
ment en Suède. Il est de la taille de l’oie domes-
Le)
DES OISEAUX. 169
tique, et est devenu célèbre par le duvet précieux
qu'il fournit et qu’on nomme edredon. Les eiders
nichent au milieu des rochers baignés par la mer.
Dans les mers du nord, c’est une propriété qui se
garde soigneusement et se transmet par héritage,
que celle d’un point de la côte où ces oiseaux
viennent d'habitude s'établir à l’époque de la ponte;
car c’est là qu'on récolte l’édredon. La femelle,
en effet, en garnit son nid, et après qu'on lui a
enlevé cette précieuse dépouille, si utile pour
maintenir une douce chaleur autour de ses œufs,
elle arrache de sa poitrine une nouvelle provi-
sion de duvet. En dépouillant les nids on s’en
procure ainsi une quantité assez considérable, et
l’'édredon, provenant de l'oiseau vivant, est beau-
coup plus estimé que celui arraché après la mort.
LA SARCELLE.
La sarcelle se rapproche beaucoup du canard,
non-seulement par les traits de la physionomie
générale, mais encore par de nombreux rapports
d'organisation et d’habitudes. En effet, on la ren-
contre ordinairement sur les eaux dormantes plon-
geant sans cesse son large bec dans la vase pour
y surprendre les vers et les insectes qui y font
leur séjour. C’est un oiseau timide, et qu'on ne
peut approcher qu’avee peine. Le moindre bruit
l'alarme et lui fait prendre la fuite. Ses mouve-
ments sur l’eau ne sont pas dépourvus de grâ-
ces , et son activité très-grande donne à toutes ses
actions un air distingué, comme en donne tou-
jours la nature à toutes les espèces qui jouissent
170 HISTOIRE NATURELLE
de l'indépendance, et qui n’ont point ressenti les
effets de la domination de l’homme.
FIN DES OISEAUX.
HISTOIRE NATURELLE
DES
REPTILES.
ERPÉTOLÔGIE.
Généralités sur les animaux de la classe des reptiles. * Organes
des sens. — Changement de peau, ou m#mnue.
Avant de nous occuper en détail des faits par-
ticuliers aux diverses espèces de reptiles, consi-
dérons-les sous des points de vue généraux. Repré-
sentons-nous ces climats favorisés du soleil, où
les plus grands de ces animaux sont animés par
toute la chaleur de l'atmosphère qui leur est
nécessaire. Jetons les yeux sur l'antique Égypte,
périodiquement arrosée par les eaux d’un fleuve
immense, dont les rivages, couverts au loin d’un
limon humide, présentent un séjour si analogue
* Anal. et extr. de l’Hist. nat. des quadrup. ovip. du comte de
Lacepéde.
172 HISTOIRE NATURELLE
aux habitudes et à la nature des quadrupèdes ovi-
pares; ses arbres, ses forêts, ses monuments,
tout, jusqu'à ses orgueilleuses pyramides, nous
en montreront quelques espèces. Parcourons les
côtes brülantes de l'Afrique, les bords ardents du
Sénégal, de la Gambie, les rivages noyés du Nou-
veau-Monde, ces solitudes profondes où les repti-
les jouissent ‘de la chaleur, de lhumidité et de la
paix; voyons ces belles contrées de Or ient que
la nature parait avoir enrichie de toutes ses pro-
ductions ; n'oublions aucune de ces 1les baignées
par les eaux chaudes des mers voisines de la zone
torride; appelons par la pensée tous les reptiles
qui en peuplent les diverses plages, et réunis-
sons-les autour de nous pour mieux les connaitre
en les comparant.
Gbservons d’abord les diverses espèces de tor-
tues, comme plus semblables aux vivipares par
leur organisation interne; considérons celles qui
habitent les bords des mers, celles qui préfèrent
les eaux douces, et celles qui demeurent au mi-
lieu des bois sur les terres élevées; voyons en-
suite les énormes crocodiles qui peuplent les eaux
des grands fleuves, et qui paraissent comme des
géants démesurés à la tête des diverses légions
de lézards; jetons les yeux sur différentes espèces
de ces animaux, qui réunissent tant de nuances
dans leurs couleurs à tant de diversité dans leurs
organes, et qui présentent tous les degrés de la
grandeur, depuis une longueur de quelques pou-
ces jusqu'à celle de vingt-‘inq ou trente pieds;
portons enfin nos reg rards sur des espèces plus
petites ; considérons re reptiles que la nature
semble avoir confinés dans la fange des marais,
DES REPTILES. 173
afin d'imprimer partout l’image du mouvement et
de la vie.
Malgré leur diversité, tous ces reptiles se res-
semblent entre eux par quelques points de leur
conformation particulière, par quelques-uns de
leurs appareils et par les fonctions qui en sont le
résultat. Examinons rapidement les particularités
les plus remarquables relatives aux sens et à leurs
organes propres.
Les reptiles ont tous reçu le sens de la vue; les
plus grands de ces animaux ont même des yeux as-
sez saillants et assez gros relativement au volume
de leur corps. Habitant la plupart les rivages des
mers et les bords des fleuves de la zone torride,
où le soleil n’est presque jamais voilé par des
nuages, et où les rayons lumineux sont réfléchis
par les lames et le sable des rives, 11 faut que
leurs yeux soient assez forts pour n'être pas alté-
rés et bientôt détruits par les flots de la lumière
qui les inonde. L’organe de la vue doit donc être
assez actif dans les reptiles. On observe, en ef-
fet, qu'ils aperçoivent les objets de très-loin.
D'ailleurs nous remarquerons dans les yeux de
plusieurs de ces animaux une conformation par-
ticulière qui annonce un organe délicat et sensi-
ble; ils ont presque tous les yeux garnis d’une
membrane clignotante, comme ceux des oiseaux,
et la plupart de ces animaux, tels que les croco-
diles et les autres lézards , jouissent, ainsi que les
chats, de la faculté de contracter et de dilater
leur prunelle, de manière à recevoir la quantité
de lumière qui leur est nécessaire, ou à empê-
cher celle qui leur serait nuisible d'entrer dans
leurs ÿeux: par là ils distinguent les objets au
8
174 HISTOIRE NATURELLE
milieu des nuits, et lorsque le soleil le plus bril
lant répand ses rayons ; leur organe est très-exercé ,
et d'autant plus délicat qu nl n'est Jamais ébloui
par une clarté trop vive.
Si nous trouvions dans chacun des sens des
reptiles la même force que dans celui de la vue,
nous pourrions attribuer à ces animaux une très-
grande sensibilité; mais tous les autres sens pa—
raissent presque obtus, et d’abord l’ouie semble
bien moins parfaite que dans les autres classes
des animaux supérieurs; en effet, leur oreille
intcrne , siége de l’audition, n’est pas composée
de toutes les pièces qui servent à la perception
des sons, dans les animaux les mieux organisés.
Les reptiles n’ont point de conques externes pour
recueillir les rayons sonores, et n’ont à la place
que de petites ouvertures qui ne peuvent donner
passage qu’à une très-petite quantité d’ondulations
sonores. On peut donc imaginer que l'organe de
l'ouie est moins actif dans ces animaux que dans
la plupart des le et des oiseaux. D’ail-
leurs la plupart de ces animaux sont presque tou-
jours muets, ou ne font entendre que des sons
rauques, désagréables et confus.
On ne doit pas non plus regarder leur odorat
comme très-fin. Les animaux dans lesquels 1l est
le plus fort ont, en général, le plus de peine à
supporter les odeurs très-vives, et lorsqu'ils de-
meurent trop longtemps exposés aux impressions
de ces odeurs exaltées, leur organe s’endureit,
pour ainsi dire, et perd de sa sensibilité. Or, le
plus grand nombre des reptiles vivent au milieu
de l'odeur infecte des rivages vaseux et des marais
remplis de corps organisés en putréfaction ; quel-
DES REPTILES. 475
ques-uns de ces quadrupèdes ovipares répandent
même une odeur qui devient très-forte lorsqu'ils
sont rassemblés en troupes. Le siége de l’odorat
est aussi très-peu apparent dans ces animaux ,
excepté chez le crocodile ; leurs narines sont très-
peu ouvertes ; cependant comme elles sont les
parties extérieures les plus sensibles de ces ani-
maux, et comme les nerfs qui y aboutissent sont
d’une grandeur extraordinaire dans plusieurs
d’entre eux, nous regardons l’odorat comme le
second de leurs sens.
Celui du goût doit être bien plus faible dans les
reptiles ; 1l est en raison de la sensibilité de l’or-
gane qui en est le siége, et nous verrons, dans
les détails relatifs aux espèces principales , qu’en
général leur langue est petite ou enduite d’une
bumeur visqueuse, et conformée de manière à-ne
transmettre que difficilement les impressions des
COrpS savoureux.
À l'égard du toucher, on doit le regarder
comme bien obtus dans ces animaux. Presque
tous recouverts d’écailles dures , enveloppés dans
une couverture osseuse ou cachés sous des bou-
cliers solides, ils doivent recevoir bien peu d’im-
pressions distinctes par le toucher.
La faiblesse de leurs sens suflit peut-être pour
modifier leur organisation intérieure, pour y mo-
dérer la rapidité des mouvements, pour y ralentir
le cours des humeurs, pour ÿ diminuer la force
des frottements, et, par conséquent, pour faire
décroitre cette chaleur interne qui, née du mou-
vement et de la vie, les entretient à son tour;
peut-être, au contraire, cette faiblesse de leurs
sens est-elle un effet du peu de chaleur qui anime
476 HISTOIRE NATURELLE
ces animaux. Quoi qu'il en soit, leur sang est.
moins Chaud que celui des mammifères et des oi
seaux. C’est pour cela que les reptiles et les pois-
sons , ainsi que tous les animaux inférieurs , sont
appelés animaux à sang froid; leur corps, en
effet, n’a point de température propre, mais se
trouve toujours au même degré que le milieu qui
l'enveloppe. C’est encore pour cette raison que
dans les froids un peu rigoureux les reptiles tom-
bent dans un engourdissement léthargique, qui
ne cesse que quand la douce influence de la chaleur
vient les rappeler à l'existence, Écoutons M. le
comte de Lacépède décrire cet état de torpeur hi-
bernale avec son style riche et puissant. « La cha-
leur de l'atmosphère est si nécessaire aux quadru-
pèdes ovipares que , lorsque le retour des saisons
réduit les pays voisins des zones torrides à la
froide température des contrées beaucoup plus
élevées en latitude, les quadrupèdes ovipares
perdent leur activité ; leurs sens s’émoussent, la
chaleur de leur sang diminue , leurs forces s’affai-
blissent ; ils s’empressent de gagner des retraites
obscures, des antres dans les rochers, des trous
dans la vase, ou des abris dans les jones et les
autres végétaux qui bordent les grands fleuves.
Ils cherchent à y jouir d’une température moins
froide, et à y conserver, pendant quelques mo-
ments, un reste de chaleur prêt à leur échapper.
Mais le froid croissant toujours , et gagnant de
proche en proche, se fait bientôt sentir dans leurs
retraites, qu'ils paraissent choisir au milieu de
bois écartés , ou sur des bords inaccessibles , pour
se dérober aux recherches et à la voracité de
leurs ennemis pendant le temps de leur sommeil
DES REPTILES. 177
hibernal , où ils ne leur offriraient qu'une masse
sans défense et un appât sans danger. Ils s’en-
dorment d’un sommeil profond ; ils tombent dans
un état de mort apparente , et cette torpeur est si
grande, qu’ils ne peuvent être réveillés par aucun
bruit, par aucune secousse, ni même par des
blessures ; ils passent inertement la saison de
J'hiver dans cette espèce d’insensibilité absolue,
où ils ne conservent de l’animal que la forme , et
seulement assez de mouvement intérieur poür
éviter la décomposition à laquelle sont soumises
toutes les substances organisées réduites à un re-
pos absolu. Ils ne donnent que quelques faibles
marques du mouvement qui reste encore à leur
sang, mais qui est d'autant plus lent que souvent
il n’est animé par aucune expiration n1 inspira-
tion. Ce qui le prouve, c’est qu’on trouve pres-
que toujours les reptiles engourdis dans la vase
et cachés dans des creux le long des rivages, où
les eaux les gagnent et les surmontent souvent,
où 1ls sont, par conséquent, beaucoup de temps
sans pouvoir respirer , et où ils reviennent cepen-
dant à la vie dès que la chaleur du printemps
se fait de nouveau ressentir.
« Mais comme tout à un terme dans la nature,
si le froid devenait trop rigoureux ou durait trop
longtemps, les reptiles engourdis périraient. La
machine animale ne peut, en effet, conserver
qu'un certain temps les mouvements intérieurs
qui lui ont été communiqués. Non-seulement une
nouvelle nourriture doit réparer la perte de la sub-
stance qui se dissipe, mais ne faut-il pas encore
que le mouvement intérieur soit renouvelé, pour
ainsi dire, par des secousses extérieures, et que des
178 HISTOIRE NATURELLE
sensations nouvelles remontent tous les ressorts ? »
La masse totale du corps des quadrupèdes ovi-
pares , et des reptiles en général, ne perd aucune
partie très-sensthle de substance pendant leur
longue torpeur ; mais les portions les plus exté-
rieures , plus soumises à l’action desséchante du
froid, et plus éloignées du centre du faible mou-
vement Interne qui resie encore, subissent une
sorte d’altération dans la plupart des reptiles.
Lorsque cette couverture la plus extérieure n’est
pas une partie osseuse, comme dans les tortues et
dans les crocodiles, elle se dessèche, perd son
Organisation , ne peut plus être unie avec le reste
du corps organisé , etné participe plus à ses mou-
vements internes ni à sa nourriture. Lors donc
que le printemps redonne le mouvement aux rep-
iles, la première peau , soit nue, soit garnie d’é-
cailles, ne fait plus partie en quelque sorte du
corps animé ; elle n’est plus pour ce Corps qu’une
substance étrangère; elle est repoussée, pour
ainsi dire, par des mouvements intérieurs qu’elle
ne partage plus. La nourriture qui en entretenait
la substance se porte cependant, comme à l’ordi-
naire , vers la surface du corps ; mais au lieu de
réparer une peau qui n’a presque plus de commu-
nication avec l’intérieur, elle en forme une nou-
velle, qui ne cesse de s’accroître au-dessous de
l’ancienne. Tous ces efforts détachent peu à peu
cette vieille peau du corps de lanimal, achèvent
d’ôter toute liaison entre les parties intérieures et
cette peau altérée qui, de plus en plus privée de
toute réparation , devient plus soumise aux causes
étrangères qui tendent à la décomposer. Atta-
quée ainsi des deux côtés, elle cède, se fend, et
DES REPTILES. 179
Tanimal , revêtu d’une peau nouvelle, sort de cette
espèce de fourreau , qui n’était plus pour lui qu’un
corps embarrassant.
C’est ainsi que le dépouillement annuel des
quadrupèdes ovipares nous parait devoir s’opé-
rer, mais il n’est pas seulement produit par l'en-
gourdissement. Ils quittent également leur pre-
mière peau dans les pays où une température plus
chaude les garantit du sommeil de l'hiver. Quel-
ques-uns la quittent aussi plusieurs fois pendant
l’été des contrées tempérées. Le même elfet est
produit par des causes opposées ; la chaleur de
l'atmosphère équivaut au froid, et au défaut de
mouvement, elle dessèche également la peau, en
dérange le tissu et en détruit l’organisation.
Lorsque les reptiles quittent leur vieille couver-
ture, leur nouvelle peau est souvent assez molle
pour les rendre plus sensibles aux chocs des objets
extérieurs ; aussi sont-ils plus timides, plus ré-
‘servés, pour ainsi dire, dans leur démarche, et
se tiennent-ils cachés, autant qu’ils le peuvent,
jusqu’à ce que cette peau ait été fortifiée par de
nouveaux sucs nourriciers et endurcie par les im-
pressions de l'atmosphère.
DIVISIONS GÉNÉRALES DES REPTILES
EN DIFFÉRENTS ORDRES.
Linnée , le fameux classificateur suédois, avait
parfaitement saisi les nuances extérieures d’orga-
nisation pour en faire les caractères de ces grou-
180 HISTOIRE NATURELLE
pes zootechniques. Mais, comme nous l'avons
dit dans notre introduction, ses distributions
d'ordres et de genres, appuyées trop souvent
uniquement sur des différences secondaires ou
tertiaires, n’ont pu être maintenues dans la mé-
thode analytique sévère des naturalistes moder-
nes. Linnée avait désigné sous le nom d’amphi-
bies la plupart des animaux que nous appelons
aujourd’hui reptiles ; il avait même renfermé dans
le même groupe quelques poissons chondroptéry-
giens qu'il nommait amphibies nageants. Cette
dénomination d’amphibies a été peu favorable-
ment accueillie des zoologues, et on a cherché
immédiatement à poser les fondements d’études
plus sérieuses pour les classer d’après les données
invariables et les principes rationnels de l'orga-
nisation intérieure.
Ce fut le célèbre Daubenton qui, guidé par
un esprit judicieux , et éclairé par le flambeau de
l'anatomie, traça le premier la ligne de circon-
scription de ce que nous nommons maintenant la
classe des reptiles.
Lacépède , dans son immortel ouvrage des qua-
drupèdes ovipares, des reptiles et des poissons,
suivit les distributions zooclassiques de Dauben-
ton, qu’il perfectionna dans les distributions gé-
nériques , et qu'il surpassa de beaucoup par ses
descriptions netiement conçues et largement tra-
cées.
M. Alex. Brongniart a publié une classification
de ces animaux bien plus naturelle que les précé-
dentes, et qui a obtenu lassentiment des hom-
mesversés dans cette étude; M. Cuvier l’a adoptée
dans son grand ouvrage , le Règne animal dis-
DES REPTILES. 181
tribué d’après son organisation. Ce qui lui im-
prime surtout le cachet de la stabilité, c’est qu’il a
suivi une marche beaucoup plus rationnelle que ses
devanciers. Les naturalistes , qui s'étaient occupés
jusqu’à ce jour de la classification des reptiles,
avaient eu, presque tous, plus d’égards à des ca-
ractères extérieurs , tranchés à la vérité, mais qui
n'avaient pas une très-grande importance. Ils
avaient négligé ceux que leur offraient l’anatomie ,
le développement, les mœurs et les habitudes de
ces animaux ; la base de leur méthode n’était
presque fondée que sur la présence des pattes et
de la queue. M. Alex. Brongniart a fait apercevoir
sans peine le vice d’un pareil système, et prouva
qu'il fallait, dans toute méthode, épuiser les ca-
ractères des degrés supérieurs, tels que ceux que
fournissent les organes les plus essentiels à la vie,
avant de descendre aux caractères de degrés in-
férieurs , comme ceux que lon tire des organes
du mouvement, des téguments, etc. Ce natura-
liste, d’après ses principes, a divisé les reptiles
€n quatre ordres dont voici les noms et les carac-
tères distinctifs :
Premier ordre : Les chéloniens, ou les fortues.
Ces reptiles n’ont point de dents enchâssées ,
mais leurs mâchoires sont enveloppées de gencives
cornées et tranchantes, leur corps est couvert
d’une carapace ; ils ont deux oreillettes au cœur,
un estomac plus volumineux que celui des autres
reptiles; 1ls pondent des œufs à coquille calcaire
et solide ; les végétaux sont leur nourriture.
Second ordre : Les sauriens.
Ils répondent aux lézards de Linnée. Tous ces
animaux ont encore deux oreillettes au cœur, des
182 HISTOIRE NATURELLE
côtes , un sternum et un corps couvert d’écailles.
Les œufs sont revêtus d’une croûte calcaire , et
les petits qui en sortent n’ont pas de métamor-
phoses à subir.
Troisième ordre : Les ophidiens, ou les ser-
pents.
IIS ont de longues côtes arquées, mais sans
sternum , et une seule oreilleite au cœur; le corps
est fort allongé, dépourvu de pattes.
Quatrième ordre : Les batraciens.
Cet ordre comprend les crapauds, les rainettes ,
les grenouilles et les salamandres. Tous ces rep-
üles n’ont qu'une oreillette au cœur, leur sque-
lette est dépourvu de côtes véritables ; ils ont des
pattes et la peau unie. Les petits ont, dans les
premiers jours de leur existence, des branchies,
et s’éloignent par leurs formes de leurs parents.
Les salamandres avaient été mal à propos réunies
avec les lézards , quoiqu’elles aient avec eux quel-
ques rapports de conformation extérieure; ce-
pendant le fait seul des métamorphoses de la
première époque de leur vie devait les en séparer
et les mettre à la place qu’elles occupent mainte-
nan.
PREMIER ORDRE DES REPTILES,
LES CHÉLONIENS, ou LES TORTUES.
Avant d'entreprendre l’histoire des mœurs de
ces singuliers animaux, nous devons jeter en avant
DES REPTILES. 183
quelques traits sur leur organisation particulière.
Il semble que l’auteur de la nature ait voulu leur
prodiguer les marques d’une attention toute spé-
ciale. La cuirasse forte et solide qui enveloppe le
corps des tortues n’est pas formée d’une simple
enveloppe composée de bandes ou d’écailles os-
seuses, comme on peut l’observer dans quelques
rares genres de mammifères, tels que les {atous
et les pangolins ; c’est une vraie maison que l’a-
mimal porte toujours avec soi , un lieu de refuge,
un asile protecteur, où il se met à l'abri des atta-
-ques de ses ennemis. Ni les serres des oiseaux
de proie, ni les dents des quadrupèdes féroces ne
peuvent l'en arracher , ou ce n’est du moins qu’a-
vec beaucoup de peine. Le toit de cette habita-
tion esi si solide, que le dard le plus acéré et le
plus vigoureusement lancé , vient s’émousser con-
tre lui, qu'il résiste à de violents efforts, et sou-
vent à de rudes secousses. Tandis que les autres
animaux sont obligés d'employer , suivant leur
genre particulier d'industrie, mille stratagèmes
pour se garantir des intempéries de l'atmosphère,
la tortue, par un léger mouvement, une simple
contraction de ses membres et de sa tête, peut
subitement braver toutes les incommodités qui la
menacaient : elle est aussi à l'abri, sous ce bou-
clier naturel, que lanimal qui s’est creusé une
retraite dans les lieux profonds et inaccessibles
d’une roche.
Cette enveloppe osseuse des tortues est com-
posée de deux parties parfaitement distinctes ,
l'une supérieure et l’autre inférieure. Le bouclier
qui protége le dos se nomme la carapace, et ce-
lui qui est situé à la partie inférieure du corps
484 HISTOIRE NATURELLE
s'appelle le plastron. Ces deux expansions osseu-
ses sont revêtues de lames minces et fines con-
stituant ce qu'on désigne par le nom d’écailles
dans le commerce. Ces écailles se fondant à un
feu assez doux , l’industrie de l’homme en a pro-
fité pour les réunir, les mouler , leur faire pren-
dre différentes figures , et avec d'autant plus d’a-
vantage que plusieurs ont des couleurs fauves
très-belles et demi-transparentes.
Les autres parties de l’ostéologie n’ont rien de
très-anormal dans leur conformation. Nous devons
seulement donner quelques détails sur le peu de dé-
veloppement de la circulation, et de la respiration,
et sur les conséquences qui en découlent pour dif-
férentes fonctions organiques. La plupart des rep-
tiles n’ont pas le cœur, moteur du sang et centre
du système circulatoire , développé dans les eondi-
tions que nous observons dans les animaux des
classes supérieures. Les chéloniens ont au cœur
deux oreillettes et un seul ventricule ; disposition
qui ne permet pas au sang hématosé de parcourir
seul le système artériel, mais qui, mélangeant les
deux fluides sanguins , rend celui nutritif moins
propre à entretenir la chaleur et la vie. Ces animaux
peuvent même rester assez longtemps sans respirer,
et leur sang alors passe immédiatement du cœur
aux différentes régions du corps, sans avoir passé
préalablement par le système respiratoire. Nous
devons ajouter que leurs poumons sont loin d’a-
voir acquis le même développement dans leurs
tissus propres. Au lieu de la structure compacte
de ces organes dans les animaux supérieurs, il
existe de larges vacuoles et de vastes déchirures.
qui reçoivent une assez grande quantité d'air
DES REPTILES. 185
comme en réserve. La température animale et
l'irritabilité musculaire sont les deux résultats de
la respiration et de la circulation, et se trouvent
toujours avec ces deux fonctions importantes
dans un rapport parfaitement exact. Aussi voyons-
nous que la température intérieure est presque
nulle, et que dans les abaissements de la tempé-
rature atmosphérique, leur organes sont comme
frappés de paralysie et sont plongés dans un en-
gourdissement profond. L'irritabilité musculaire
reçoit son stimulus le plus puissant de la pré-
sence du sang artériel; et son énergie de l’abon-
dance et de la chaleur vitale qu’il communique.
Ces circonstances n’ayant point lieu chez les tor-
tues, nous pouvons dire qu’en général la contrac-
tibilité musculaire a très-peu d'énergie, et que tous
leurs mouvements devront être d’une inexprimable
lenteur: chacun sait le proverbe, lent comme une
tortue. Dans les climats brûlés par un soleil ar-
dent, la température extérieure qui enveloppe
le corps des tortues peut lui communiquer cette
chaleur vivifiante et puissante dont il est privé
intérieurement. (est alors que nous pouvons
voir quelques-uns de ces animaux doués d’une
force, d’une agilité, d’une énergie, si rares dans
les autres individus du même ordre moins favo-
risés de la nature.
S1 les tortues n’ont pas des sensations très-vi-
ves, ni des mouvements très-variés, nous pouvons
dire qu’elles ont recu une sorte de compensation
dans la ténacité et la durée de leur vie. On a vu
des tortues survivre à des mutilations extrême-
ment cruelles, et certainement mortelles pour la
plupart des autres animaux. C’est ainsi que Rédi
186 HISTOIRE NATURELLE
rapporte avoir vu une tortue vivre six mois sans
cerveau, et un autre individu vivre encore vingt-
trois jours après que la tête avait été séparée du
corps; enfin, au rapport du même auteur, une
tortue terrestre vécut dix-huit mois sans nourrt-
ture. Quant à leur longévité, on a sans doute ra-
conié beaucoup de fables à ce sujet, mais on à vu
des exemples remarquables de tortues fluviatiles
et lacustres qui ont vécu plus de quatre-vingts
ans.
Les toriues ont des mœurs très-variées; les
unes vivent toujours dans la mer, les autres dans
les eaux douces, eufin quelques-unes sur la terre
et dans les endroits secs et arides: de là la triple
division de l’ordre des chéloniens en trois famil-
les, les tortues marines, les tortues d'eau douce
et les tortues terrestres.
HSLo
Fe FAMILLE DES CHÉLONIENS.
TORTUES MARINES.
Les tortues marines sont assez faciles à recon-
naitre au premier coup d'œil à leur carapace et à
leur plastron très-aplatis, et à leurs pattes lar-
gement aplaties en forme de rames. Ces ar'maux
sont bons et parfaits nageurs; la mer form leur
séjour favori; ils ÿ paissent dans ses profondeurs
les algues et les autres plantes marines, et n’en
sortent que pour déposer leurs œufs sur le sable
des rivages.
D. 187
la Tortue franche.
RS
CRE
DES REPTILES. 187
LA TORTUE FRANCHE.
Un des plus beaux présents que la nature ait
faits aux habitants des contrées équatoriales, une
des productions les plus utiles qu’elle ait déposées
sur les confins de la terre et des eaux, est la grande
tortue de mer, à laquelle on a donné le nom de
tortue franche. L'homme emyploierait avec bien
moins d'avantage le grand art de la navigation,
si vers les rives éloignées, où ses désirs l’appel-
lent, il ne trouvait dans une nourriture aussi
agréable qu'abondante un remède assuré contre
les suites funestes d’un long séjour dans un espace
resserré, et au milieu de substances à demi putré-
fiées, que la chaleur et l'humidité ne cessent
d’altérer. Cet aliment précieux lui est fourni par
les tortues franches, et elles lui sont d’autant plus
utiles qu'elles habitent surtout ces contrées ar-
dentes où une chaleur plus vive accélère le déve-
loppement de tous les germes de corruption. On
les rencontre, en effet, en très-grand nombre
sur les côtes des îles et des continents de la zone
torride, tant dans l'Ancien que dans le Nouveau-
Monde. Les bas-fonds, qui bordent ces îles et ces
continents, sont revêtus d’une grande quantité d’al-
gues et d’autres plantes que la mer recouvre de ses
ondes, mais qui sont assez près de la surface des
eaux pour qu'on puisse les distinguer facilement
lorsque le temps est calme. C’est sur ces espèces
de prairies qu’on voit les tortues franches se pro-
mener paisiblement. Elles se nourrissent de
l'herbe de ces pâturages. Elles ont quelquefois
188 HISTOIRE NATURELLE
six ou sept pieds de longueur, à compter depuis
le bout du museau jusqu’à l'extrémité de la queue,
sur trois ou quatre de largeur, et quatre pieds ou
environ d'épaisseur dans l’endroit le plus gros
du corps: elles pèsent alors près de huit cents
livres. Elles sont en si grand nombre, qu'on se-
rait tenté de les regarder comme une espèce de
troupeau rassemblé à dessein pour la nourriture
et le soulagement des navigateurs qui abordent
auprès de ces bas-fonds, et les troupeaux marins
qu'elles forment le cèdent d'autant moins à eeux
qui paissent l'herbe de la surface du globe, qu'ils
joignent à un goût exquis et à une. chair succu-
lente et substantielle une vertu des plus actives
et des plus salutaires.
On fait des bouillons de tortue franche, que
l’on regarde comme excellents pour les. pulmoni-
ques , les cachectiques , les scorbutiques, ete. La
chair de cet animal renferme un suc adoucissant,
nourrissant , Incisif et diaphorétique.
Les tortues franches, après s'être repues au
fond de la mer, se rapprochent de embouchure
des grands fleuves, et viennent y chercher l’eau
douce, dans laquelle elles paraissent se, com-.
plaire, et où elles se tiennent paisiblement la
iète hors de l’eau, pour respirer un air dont la
fraicheur semble leur être de temps en temps né-
cessaire. Mais n’habitant que des côtes dange-
reuses pour elles, à cause du grand nombre d’en-
nemis qui les y attendent, et de chasseurs qui les
y poursuivent, ce n’est qu'avec précaution qu'’el-
les goûtent le plaisir de humer Pair frais et de se
baigner au milieu d’une eau douce et courante.
À peine aperçoivent-elles l'ombre de quelque ob-
DES REPTILES. j 189
jet à craindre, qu’elles plongent et vont chercher
au fond de la mer une retraite plus sûre.
La chaleur du soleil suffit pour faire éclore les
œufs des tortues dans les contrées qu'elles habi-
tent. Vingt ou vingt-cinq jours après qu'ils ont été
déposés, on voit sortir du sable les petites tor-
tues, que leur instinct conduit vers les eaux voi-
sines, où elles doivent trouver la sûreté et lali-
ment de leur vie. Elles s'y traînent aves lenteur ;
mais trop faibles encore pour résister au choc des
vagues, elles sont rejetées par les flots sur le
sable du rivage, où les grands oiseaux de mer,
les crocodiles , les tigres ou les couguars se ras-
semblent pour les dévorer; aussi n’en échappe-
t-il que très-peu. L'homme en détruit d’ailleurs
un grand nombre avant qu’elles soient dévelop-
pées; on recherche même dans les îles où elles
abondent, les œufs qu’elles laissent sur le sable,
et qui donnent une nourriture aussi agréable que
saine. On prend aussi les petites tortues qui vien-
nent de naître, pour les renfermer dans un pare
sur le bord de la mer, où on les laisse croître pour
en avoir au besoin. Cest à l’époque de la ponte
que les pêcheurs prennent les grandes tortues fe-
melles, dont la chair est plus estimée que celle
des mâles. Dès l'entrée de la nuit, et surtout lors-
que la nuit leur prête une lumière favorable, 1ls
se rendent sur le rivage où les tortues ont cou-
tume de pondre: là ils attendent dans le silence
qu’elles sortent de l’eau ou qu’elles y reviennent;
dès qu'ils les apercoivent, ils les assomment à
coups de massue, les retournent avec rapidité,
sans leur donner le temps de se défendre, en lan-
çant une grande quantité de sable, qu’elles font
190 HISTOIRE NATURELLE
quelquefois jailir sur les assaillants avec leurs
nageoires. Plusieurs hommes se réunissent pour
cette pêche , et emploient même le secours des le-
viers lorsque les individus sont très-grands. La
carapace des tortues marines, étant presque plate
ou du moins peu convexe, ne leur permet pas de
se remettre sur les pattes; et une fois renversées
ou chavirées, suivant l’expression des pêcheurs,
elles périssent dans cet état.
Les amateurs de fables pourront nous dire que
les tortues, ne pouvant pas se défendre, jettent
des c’is plaintifs et versent des torrents de lar-
mes. Nous n'ajouierons point foi à ce mer-
veilleux, et nous penserons seulement que la
crainte, le sentiment de la douleur peuvent faire
produire à cet animal une espèce de gémisse-
ment.
Si les matelots sont en assez grand nombre, 1ls
retournent dans l’espace de trois heures qua-
rante à cinquante tortues qui renferment une
grande quantité d'œufs : ils trainent dans les pares ,
et renversées, celles qu’ils veulent conserver; les
autres sont mises en pièces; la chair, les intes-
tins mêmes , les œufs en sont salés; la graisse leur
fournit une huile jaune et verdâtre, employée
dans les aliments, lorsqu'elle est fraiche, et qui
sert toujours à brûler ; les grandes tortues en don-
nent Jusqu'à trente-trois pintes.
Si l'on ne veut point saler la tortue afin de la
manger fraiche ; on enlève le plastron, la tête, les
pattes, ainsi que la queue, et on fait cuire la chair
dans la carapace. La portion contiguë au plas-
tron est la plus estimée. Les sucs de là chair,
ainsi que les œufs, conviennent particulièrement
DES REPTILES. 191
dans les maladies où la masse du sang a besoin
d’être épurée.
Lacépède termine son intéressante histoire de
la tortue franche dont nous venons de faire l’ana-
lyse, en émettant le vœu qu’on fasse des essais
pour acclimater les tortues franches sur toutes les
côtes tempérées. L'acquisition d’une espèce aussi
féconde serait certainement une des plus utiles.
LE CARET.
Le philosophe mettra toujours au premier rang
la tortue franche, comme celle qui fournit la nour-
riture la plus agréable et la plus salutaire ; mais
ceux qui ne recherchent que ce qui brille , préfère-
ront la tortue à laquelle on donne le nom de caret.
C’est principaiement cette tortue que l’on voit re-
vêtue de ces belles écailles qui, dès les sièeles Les
plus reculés, ont décoré les palais les plus somp-
tueux : effacées dans des temps plus modernes
par l'éclat de l’or et par le feu que la taille a donnés
aux pierres dures et transparentes, on ne les em-
ploie presque plus qu’à orner les bijoux simples,
mais élégants, de ceux dont la fortune est plus
bornée , et peut-Ctre le goût plus pur. Mais si les
écailles de la tortue caret ont perdu de leur va-
leur par leur comparaison avec des substances
plus éclatantes, et parce que la découverte du
Nouveau-Monde en a répandu une grande qnan-
tité dans l’ancien, leur usage est devenu plus
général: on s’en sert d’autant plus qu’elles coû-
tent moins.
Il est aisé de reconnaitre la tortue caret au lui-
192 HISTOIRE NATURELLE
sant des écailles placées sur la carapace, et sur-
tout à la manière dont elles sont disposées: elles
se recouvrent comme les ardoises qui sont sur nos
toits. Elles sont d’ailleurs communément au nom-
bre de treize sur le disque, et elles y sont placées
sur trois rangs.
On rencontre le caret dans les contrées chaudes
de l'Amérique, mais on le trouve aussi dans les
mers de l'Asie. C’est de ces dernières qu’on ap-
portait surtout les écailles fines dont se servaient
les anciens, même avant le temps de Pline, et que
les Romains devaient d'autant plus estimer qu’el-
les étaient plus rares et qu’elles venaient de plus
loin; car 1l semble qu’ils n’attachaient de valeur:
qu'à ce qui était pour eux le signe d’une plus grande
puissance et d’une domination plus étendue.
Les œufs du caret sont plus délicats que ceux
des autres tortues, mais sa chair n’est point du
tout agréable; elle a même, dit-on, une forte
vertu purgative, ét cause des vomissements vio-
lents.
So
Ile FAMILLE DES CHÉLONIENS.
LES TORTUES D'EAU DOUCE.
Les tortues d’eau douce se distinguent des pré-
cédentes par la forme des membres qui ne sont
plus largement aplatis en nageoires, mais qui ont
les doigts bien distincts et réunis par des palmu-
res pour faciliter la natation. Leur enveloppe est
généralement plus aplatie que celle des tortues de
terre.
DES REPTILES, 193
LA BOURBEUSE, OU LA TORTUE D'EAU DOUCE
D'EUROPE.
La bourbeuse est une des tortues que l’on ren-
contre le plus souvent au milieu des eaux douces
d'Europe, elle est de beaucoup plus petite qu’au-
cune tortue marine, puisque sa longueur, depuis
le bout du museau , jusqu’à l'extrémité de la queue,
n'excède pas ordinairement sept ou huit pouces,
et sa largeur trois ou quatre.
On la trouve non-seulement dans les climats
chauds et tempérés de l'Europe, mais encore en
Asie, au Japon, dans les grandes Indes, etc.
Elle s’engourdit pendant l'hiver, même dans les
climats tempérés. Sa retraite, durant cette sai-
son , consiste en un trou de six pouces de profon-
deur qu'elle creuse dans la terre vers la fin de
l'automne, et qui exige d’elle un travail de la du-
rée d’un mois. Le printemps la ranime et lui fait
changer de demeure: elle passe la plus grande
partie de cette saison dans l’eau, s’y tenant sou-
vent à la surface lorsqu'il fait chaud et que le so-
leil luit. L'été elle est presque toujours à terre.
La tortue bourbeuse multiplie beaucoup en
plusieurs endroits aquatiques des départements
les plus méridionaux de la France, auprès du
Rhône, dans les marais d’Arles, etc. On trouva
une année, dans un marais des plaines de la Du-
rance , une si grande quantité de ces animaux,
qu'ils suffirent pendant plus de trois mois à la
nourriture des habitants de la campagne des en-
vIrons.
494 HISTOIRE NATURELLE
Son goût pour les limaçons, les insectes et les
vers, la rend utile dans les jardins , et soit par
cette raison , soit parce que sa chair est employée
en médecine, on en fait un animal domestique
que l’on conserve dans des bassins pleins d’eau,
en ayant soin d'y placer une planchette inclinée
pour qu'il puisse sortir de l’eau à volonté.
Si cette tortue est utile dans les jardins , elle est
nuisible dans les étangs ; elle saisit, à ce que l'on
rapporte, des poissons même assez gros sous le
ventre, leur fait perdre le sang par des blessures
cruelles, et les entraine au fond de l’eau pour les
y dévorer, ne laissant que lesarêtes et les parties
les plus cartilagimeuses. Leur vessie aérienne est
quelquefois rejetée , et sa présence, sur la sur-
face des eaux, décèle le terrible destructeur de
ces poissons.
LA TORTUE A BOÎTE.
La tortue à boîte a pour patrie l'Amérique sep-
tentrionale. Elle est longue de quatre pouces trois
lignes , et large de trois pouces. La carapace est
très-bombée, le plastron n’est point échancré ;
mais ses parties antérieures et postérieures for-
ment deux espèces de battants qui jouent sur une
charnière cartilagineuse, couverte d’une peau
élastique et placée à l'endroit où le plastron se réu-
nit à la couverture supérieure où carapace. La
tortue peut ouvrir ou fermer à volonté ces deux
battants en les appliquant contre les bords de la
carapace , de manière à être alors renfermée comme
dans une boite , d’où lui vient son nom.
DES REPTILES. 495
CRSERO
Ie FAMILLE DES CHÉLONIENS.
LES TORTUES DE TERRE.
Les tortues terrestres ont la carapace beaucoup
plus bombée que dans les espèces que nous venons
de parcourir; leurs jambes, comme tronquées, à
doigts fort courts et réunis de très-près jusqu'aux
ongles, peuvent se retirer entièrement sous la ca-
rapace. Les pieds antérieurs ont cinq ongles, et
les postérieurs n'en ont que quatre, tous gros et
coniques.
LA TORTUE GRECQUE.
On nomme ainsi la tortue terrestre la plus com-
mune dans la Grèce et dans plusieurs contrées
tempérées de l'Europe. On la rencontre dans les
bois et dans les terres élevées : il n’est personne
qui ne l'ait vue ou qui ne la connaisse de nom.
Depuis les anciens jusqu’à nous, tout le monde a
parlé de sa lenteur; le philosophe s’en est servi
dans ses raisonnements , le poëte dans ses images,
le peuple dans ses proverbes. La tortue terrestre
peut en effet passer pour le plus lent des quadru-
pèdes ovipares.
Les tortues grecques ressemblent, à beaucoup
d’égards, aux tortues d’eau douce. Leur taille va-
rie beaucoup suivant leur âge et les pays qu’elles
habitent. Il parait que celles qui vivent sur les
montagnes sont plus grandes que les tortues de
196 HISTOIRE NATURELLE
plaines. On en trouve qui ont environ quatorze
pouces de longueur totale sur près de dix pouces
de largeur.
La tortue grecque se nourrit d'herbes, de
fruits et même de vers , de limaçons et d'insectes ;
mais comme elle n’a pas l'habitude d'attaquer des
animaux d’une taille plus considérable , ses mœurs
sont extrêmement douces; elle est aussi paisible
que sa démarche est lente, et la tranquillité de
ses habitudes en fait aisément uu animal domes-
tique , que l’on voit avec plaisir dans les jardins,
où elle détruit les insectes nuisibles.
Comme toutes les autres tortues , elle peut se
passer de manger pendant très-longtemps. Gé-
rard Blasius garda chez lui une tortue de terre
qui, pendant dix mois, ne prit aucune nourriture
ni aueune boisson.
La tortue grecque peut vivre longtemps, et un
naturaliste en a observé une en Sardaigne qui se
trouvait dans une maison depuis quatre-vingts
ans , comme un vieux domestique.
STE
DEUXIÈME ORDRE DES REPTILES,
LES SAURIENS.
L'ordre des sauriens renferme tous les reptiles
qui, par leur conformation générale, se rappro-
chent le plus des lézards. Tous ces animaux ont
le corps allongé, porté sur quatre pattes, et ter-
DES REPTILES. 497
miné par une assez longue queue. Cet ordre, as-
sez mal circonserit pendant longtemps, est ren-
fermé maintenant par la méthode dans des limites
naturelles et bien tranchées. On avait fait entrer
dans cette série des lézards toutes les salaman-
dres, d’après leur aspect extérieur, mais sans
nulle considération des mœurs, des habitudes,
de l’organisation intérieure , et surtout des méta-
morphoses complètes que subissent toutes les sa-
lamandres, et qui les ont fait ranger avec beau-
coup de raison parmi les batraciens.
La peau de ces animaux est revêtue d’une cou-
che épidermique assez épaisse et inégale, qui
forme des espèces d’écailles ou de laque plus
ou moins grandes. La bouche, largement fendue ,
n’est pas munie de lèvres chiarnues : mais est ar-
mée de dents , en général de forme conique, qui
servent à saisir et à retenir la proie, mais rare-
ment àbroyer les aliments. La nourriture des
sauriens consiste essentiellement en matières ani-
males , et leur estomac, ainsi que tout le reste du
tube digestif, est en rapport avec ce régime.
La conformation extérieure des sauriens offre
de nombreuses variétés, leurs habitudes n’en pré-
sentent pas moins. Les plus grands, teis que les
crocodiles, habitent les fleuves et les marais : les
autres vivent, les uns au milieu des bois, dans
les déserts , les autres dans les lieux habités sous
les pierres, dans les murs. Les dragons se tien-
nent sur les arbres, et s’élancent de branche en
branche, en se soutenant en l’air, à l’aide d’une
large membrane latérale en forme d’aile.
Les lézards ont la vie très-dure , 1ls supporten
des diètes de plusieurs mois, et malgré ces longs
9
198 HISTOIRE NATURELLE
jeûnes, ils subissent leur mue, comme s’ils avaient
été nourris pendant ce temps. Les époques aux-
queiles 1ls prennent une robe nouvelle, sont le
printemps et l’automne. La saison de l'hiver ve-
nant à détruire ou à faire disparaitre les insectes ,
les vers dent ils s’alimentent , on les voit se retirer
dans des trous, où 1ls s'engourdissent jusqu'à ce
que le soleil les ranime avec la nature. Les lé-
zards de nos contrées commencent à sortir de
leurs retraites vers la fin de février. Les premiers
essais de leur liberté consistent à sortir la tête
hors de la fente de la muraille qu'ils habitent, et
à recevoir la chaleur bienfaisante de lastre du
jour. Ils le chargent bientôt après du soin de vi-
vifier et de faire éclore leurs œufs, qui ont une
coquille calcaire, de même que ceux des tortues,
et qu'ils enfouissent dans la terre ou dans le sable.
LE CROCODILE.
Ce genre renferme un bien plus grand nombre
d'espèces qu'on l'avait cru d’abord; les natura-
listes, ne s'étant décidés que sur des caractères
superficiels, avaient rangé ensemble le crocodile
du Nil, le cayman de l'Amérique et le gavial des
bords du Gange. Des observateurs plus clair-
voyants ont cherché à dissoudre une société aussi
informe, et à placer tous ces animaux suivant
leurs rapports naturels.
Le crocodile , en général, est parmi les lézards
ce qu'est le lion dans la classe des quadrupèdes
vivipares, ce qu'est l'aigle aux autres OISEAUX ;
tous sont autant de maîtres redoutables; l'un a
DES REPTILES. 199
pour son domaine les vastes solitudes de la zone
torride , l’autre celui des airs. Habitant de la terre
et des eaux , le erocodile semble étendre plus loin
sa puissance ; elle est d'autant plus terrible , que
ses forces, à raison de la température de son
sang , s’affaiblissent moins vite, qu’il vit plus long-
temps, et que sa cuirasse le rend plus impéné-
trable.
Incapable par la nature de son tempérament de
violents désirs, le crocodile n'est cruel que par
besoin. Aristote l’avait depuis longtemps disculpé
du reproche de férocité.
Le crocodile pond un assez grand nombre d'œufs
qu’il dépose dans le sable, et if laisse à la cnaleur du
soleil le soin de les faire éclore. La femelle du
cayman met un peu plus desollicitude dans la ma-
nière dont elle fait sa ponte : elle prépare assez
près des eaux qu’elle habite une espèce de nid
dans le creux de quelque terrain élevé, en y ra-
massant des feuilles ou des débris de végétaux,
dont la fermentation accélere le développement
du germe de l'œuf. Suivant Caterby, l'œuf du cro-
codile de la Caroline, Palligator , n’est pas plus
grand que l’œuf d’une poule d'Inde; mais ceux du
crocodile sont bien plus grands: ces œufs sont
ovales, blanchâtres, et leur coque d’une substance
crétacée , semblable à celle des œufs de poule.
Les petits crocodiles sont repliés sur eux-mê-
mes dans l’œuf, et n’ont que six à sept pouces
de long lorsqu'ils sortent de la coque. La chaleur
vivifiante de l’astre du jour fait seule éclore les
œufs du crocodile. Dès que les petits sont nés , ils
vont se Jeter dans l’eau pour y chercher leur nour-
riture et leur sûreté ; mais à un âge aussi tendre
200 HISTOIRE NATURELLE
ils deviennent souvent la proie des poissons vo-
races , des crocodiles mêmes. .
C’est sur les rives des grands fleuves , et qui of-
frent une grande quantité de testacées, de tor-
tues , de poissons , de grenouilles, près des lieux
où 1l est facile de se mettre en embuscade, au
milieu des lacs marécageux et des savannes
noyées, que les crocodiles les caymans , établis-
sent leur demeure. C’est à qu'ils attendent dans
le silen e l'instant favorable pour tomber sur leur
proie. Les béliers, les pores, les bœufs mêmes,
sont quelquefois attaqués. Élevant la partie supé-
rieure de leur tête au-dessus de la surface de
l'eau , ilsguettent les animaux qui viennent boire ;
dès qu’ils en aperçoivent un, ils plongent, vont
jusqu'à lui en nageant entre deux eaux, le saisis-
sent par les jambes et lentrainent pour le noyer.
Pressés par la faim , 1ls se jettent sur l’homme.
Quoique le crocodile soit lourd et d’un volume
considérable , il se remue cependant avec agilité,
et dans l’eau, spécialement , 1l est d'autant plus
dangereux qu’il y jouit de toute sa force; 1l se
précipite avec rapidité sur l’objet dont il veut faire
sa proie, le renverse d’un coup de queue , le sai-
sit, et le déchire aussitôt avec les armes redouta-
bles dont il est muni.
Ses mouvements sont gènés quand 1l est à terre,
mais il est encore bien à craindre, marchant très-
vite dans les terrains plats et unis; ne pouvant se
tourner avec promptitude , on lévite en faisant
beaucoup de détours. I! faut se tenir constamment
sur ses gardes lorsqu'on se trouve sur le bord
des eaux peuplées de crocodiles; on en a vu
DES REPTILES. 201
grimper sur des canots dans le temps que les pas-
sagers se livraient au sommeil.
Ces grands quadrupèdes ovipares ne muent
point, leur corps conserve toujours la puissante
armure qui le protége. Les plaques écailleuses
qui recouvrent la partie supérieure du corps des
crocodiles sont si dures et si solides, qu’eiles ré-
sistent facilement à la balle, et repoussent leffort
des armes tranchantes. Les téguments qui recou-
vrent l'abdomen sont moins solides , et cèdent fa-
cilement au fer de la lance et de tout autre in-
Strument aigu. C’est là seulement qu'on cherche
à les percer quand on les poursuit; mais cette
chasse offre toujours les plus grands dangers. En
Egypte on cherche à l’effrayer à grands cris pour
le faire tomber dans un fossé profond couvert de
branches, et qu'on a ouvert sur son passage près
du bord de l’eau.
Le crocodile du Nil, importuné par la présence
de l’homme, a fui la basse Égypte, et s’est retiré
dans la haute. Le cayman, ou le crocodile de
l'Amérique méridionale, habitant des pays moins
populeux , s'y est multiplié à un tel point, qu'il y
remplit les lacs, les rivières, et qu’il gêne la na-
vigation; on peut les écarter à coups de rames
iorsqu'ils ne sont pas très-grands.
Le gavial des bords du Gange atteint quelque-
fois jusqu’à trente pieds de long : ses mœurs
sont analogues à celles du crocodile du Nil. Il a
même. trouvé sur les bords du grand fleuve des
Indes les mêmes honneurs superstitieux que le
crocodile sur les bords du fleuve fécond qui fer-
tilise les campagnes d'Égypte.
L1
202 HISTOIRE NATURELLE
LE MONITOR, OU TUPINAMBIS.
Le genre des monitors se reconnait à des écailles
petites et nombreuses sur la tête et les membres,
sous l’abdomen et autour de la queue. Lacépède
dit que le tupinambis doit une sorte de beauté à
la manière dont sont colorées ces écailles dont
nous venons de parler. Le corps présente de
grandes taches ou bandes irrégulières d’un blanc
assez éclatant qui le font paraitre comme marbré,
et forment même sur les côtés une espèce de den-
telle. En le revêtant de cette parure agréable, la
nature lui a fait un présent funeste; car ces cou-
leurs le font distinguer plus facilement du croco-
dile, son ernemi le plus acharné. Le monitor,
trop faible pour lutter avec un ennemi si puissant,
cherche son salut dans la fuite, en faisant enten-
dre un sifflement aigu produit par la frayeur. Ce
sifflement d’effroi est un avertissement infaillible
de la présence du terrible crocodile aux hommes
qui se baigneraient dans les environs où qui se
trouveraient par hasard dans ces endroits. C'est
de cette particularité que vient son nom de moni-
tor, de sauve-garde ou de sauveur, qu'on lui
donne quelquefois. M. Cuvier s'étonne avec rai-
son qu’on ait donné par une distraction inconce-
vable le nom de fupinambis , propre à une espèce
de l’Amérique méridionale, à ces sauriens propres
à l’ancien continent. Les espèces du genre moni-
tor les plus remarquables sont : le monitor du
Nil, de cinq à six pieds de long, le momtor ter-
restre d'Égypte, commun dans les déserts qui
avoisinent l'Égypte, et dont se servent les bate-
, DES REPTILES. 203
leurs pour amuser le peuple, après lui avoir ar-
raché les dents ; enfin, le monitor à deux ru-
bans, qui n’atteint que trois pieds de longueur.
LE LÉZARD GRIS *.
Le lézard gris parait être le plus doux, le plus
innocent et l’un des plus utiles des lézards. Ce joli
petit animal, si commun dans les pays où nous
vivons et avec lequel tant de personnes ont joué
dans leur enfance, n’a pas recu de la nature un
vêtement aussi éclatant que plusieurs autres ani-
maux de la mème famille; mais elle lui a donné
une parure élégante : sa petite taille est svelte,
son mouvement agile, sa course si prompte, qu’il
échappe à l'œil aussi promptement que loiseau
qui vole. Il aime à recevoir la chaleur du soleil;
ayant besoin d’une température douce, 1l cherche
les abris, et lorsque dans un beau jour de prin-
temps une lumière pure éclaire vivement un gazon
en pente ou une muraille qui augmente la chaleur
en la réfléchissant, on le voit s'étendre sur ce
mur ou sur l'herbe nouvelle avec une espèce de
volupté. Il se pénètre avec délices de cette cha-
leur bienfaisante ; il marque son plaisir par de
molles ondulations de sa queue déliée; 11 fait
briller ses yeux vifs et animés , il se précipite
comme un trait pour saisir sa petite proie ou pour
trouver un abri plus commode. Bien loin de s’en-
fuir à l'approche de l’homme, il parait le regar-
der avec complaisance; mais au moindre bruit
qui l’effraie, à la chute seule d’une feuille, il se
* Extrait de Lacépède.
204 HISTOIRE NATURELLE è
roule, tombe et demeure pendant quelques ins-
tants comme étourdi par sa chute; ou bien il s’é-
lance, disparait, se trouble, revient, se cache de
nouveau , reparait encore, décrit en un instant
plusieurs circuits tortueux que l'œil a de la peine
à suivre, se replie plusieurs fois sur lui-même, et
se retire enfin dans quelque asile jusqu’à ce que sa
crainte soit dissipée.
Sa tête est triangulaire et aplatie; le dessus
est couvert de grandes écailles, dont deux sont
situées au-dessus des yeux, de manière à repré-
senter quelquefois des paupières fermées. Son
petit museau arrondi présente des contours gra-
cieux , les ouvertures des oreilles sont assez
grandes; les deux machoires égales et garnies de
larges écailles, les dents fines, un peu crochues,
et tournées vers le gosier.
Tout est délicat et doux à la vue dans ce petit
lézard. La couleur grise que présente le dessus
de son corps est variée par un grand nombre de
taches blanchâtres, et par trois bandes presque
noires qui parcourent la longueur du dos.
Il a ordinairement cinq ou six pouces de long
et un demi-pouce de large. Ne voit-on pas tou-
jours avec intérêt le petit lézard gris jouer inno-
cemment parmi les fleurs avec ceux de son espèce,
et, par la rapidité de ses agréables évolutions,
mériter le nom d’agile que Linnée lui a donné?
On ne craint point ce lézard doux et paisible : on
l'observe de près. Il échappe communément avec
rapidité, quand on veut le saisir : mais lorsqu'on
l'a pris, on le manie sans qu’il cherche à mordre ;
les enfants en font un jouet, et par une suite de
la grande douceur de son caractère , 1l devient
DES REPTILES. 205
familier avec eux. On dirait qu’il cherche à leur
rendre caresse pour caresse; il approche inno-
cemment sa bouche de leur bouche; il suce leur sa-
live avec avidité. Les anciens l’ont appelé l'ami de
l'homme, il aurait fallu l'appeler l'ami de l’en-
fance. Mais cette enfance souvent ingrate, ou du
moins trop inconstante, ne rend pas toujours le
bien pour le bien à ce faible animal; elle le mu-
tile, elle lui fait perdre une partie de sa queue
très fragile, et dont les tendres vertèbres peuvent
aisément se séparer.
Le tabac en poudre est presque toujours mor-
tel pour le lézard gris : si lon en met dans sa
bouche, il tombe en convulsions, et le plus sou-
vent 1] meurt bientôt après. Utile autant qu'agréa-
ble, il se nourrit de mouches, de grillons, de
sauterelles, de vers de terre, de presque tous les
insectes qui détruisent nos fruits et nos grains.
Pour saisir les insectes dont ils se nourrissent,
les lézards gris dardent avec vitesse une langue
rougeñtre, assez large, fourchue et garnie d’as-
pérités à peine sensibles, mais qui suffisent pour
les aider à retenir leur proie. Comme les autres
reptiles, ils peuvent passer un temps considéra-
ble sans manger ; on en a vu qui pendant six mois
n'ont pris aucune nourriture.
LE LÉZARD VERT
Quoique Linnée, dans ses classifications des am-
phibies et des reptiles, ait confondu le lézard vert
avec le précédent dans les caractères génériques ,
et n'en ait fait qu'une simple variété, la plupart
des erpétologistes en ont fait une espèce bien dis-
206 HISTOIRE NATURELLE
tincte : sa couleur verte, sa taille constamment
plus grande, ses habitudes particulières, semblent
l’exiger.
On trouve un grand nombre de variétés dans
l'espèce déterminée du lézard vert, mais nous ren-
controns fréquemment dans toute la France un
lézard qu’on peut regarder comme le vrai type de
l'espèce : sa tête a des points blancs bordés de
brun, le dessus de son corps est d’un vert tirant
sur le bleu et piqueté de noir.
Le lézard vert est remarquable par la beauté
et l'éclat de son vêtement; 1l court avec beaucoup
de rapidité, et la promptitude avec laquelle 1l
s’élance au milieu des broussailles ou des feuilles
sèches, excite un bruit qui fait naître, parce que
souvent on ne s’y attend pas, une émotion de
trouble ou de frayeur : 1l saute très-fort, se dé-
fend très-hardiment contre les chiens qui Fatta-
quent, se jette même à leur museau, qu'il mord
avec tant d’opinitreté, qu'il se laisse tuer plutôt
que de lâcher prise; mais sa morsure n’est pas
venimeuse , comme on le croit vulgairement. Ses
habitudes générales, sa manière de vivre ressem-
blent beaucoup à celles du lézard gris; 1l se bat
quelquefois contre les serpents, mais le combat
se termine rarement à son avantage ; les Afri-
cains se nourrissent de sa chair ; les habitants du
Kamschatka les regardent comme des envoyés des
puissances infernales , ets’empressent de couper en
morceaux ceux qu'ils rencontrent et qu'ils peuvent
saisir ; s’ils les laissent échapper, leur frayeur aug-
mente , et ils croient continuellement être sur le
point de mourir.
On trouve encore en France, outre le lézard
DES REPTILES. 207
vert ordinaire, le grand lézard vert ocellé, le
vert piqueté, le vert et brun des souches.
LE DRAGON.
À ce nom de dragon, l'on conçoit toujours une
idée extraordinaire. La mémoire rappelle avec
promptitude tout ce qu'on a lu, tout ce qu'on a
oui dire sur ce monstrueux animal; mais sans
nous arrêter à de vaines chimères, enfantées par
les illusions de l’imagination, examinons les faits.
À la place d’un être fantastique, que trouvons-
nous dans la réalité? Un animal aussi petit que
faible, un lézard inuocent et tranquille, un des
moins armés de toute la tribu, et qui, par une
conformation singulière , a la facilité de se trans-
porter avec agilité, et de voltiger , pour ainsi dire,
de branche en branche dans les forêts qu’il ha-
bite. Ces espèces d'ailes, ou membranes alaires,
sont soutenues par les six premières fausses côtes
qui n’entourent pas l'abdomen, mais qui s’éten-
dent horizontalement en ligne droite. Ces appen-
dices ne dépendent point des membres et ont un
mouvement spécial, indépendant du leur, à laide
d’un appareil musculaire particulier. L'animal
s'en sert comme d’un parachute destiné à le sou-
tenir en l'air pendant quelques instants , plutôt
qu’à le transporter à quelque distance.
Bien différent du dragon de la fable, il passe
innocemment sa vie sur les arbres, où il vole de
branche en branche, cherchant les fourmis, les
mouches, les papillons et les autres insectes qui
font sa nourriture.
208 HISTOIRE NATURELLE
L'IGUANE.
Les caractères génériques des iguanes sont
ainsi tracés par Cuvier, dans sa classification des
reptiles : Les iguanes ont le corps et la queue cou-
verts de petites écailles redressées , comprimées
et pointues, et sous la gorge un fanon comprimé
et pendant, dont le bord est soutenu par une pro-
duction cartilagineuse de l'os hyoïde. Chaque mâ-
choire est armée de dents aplaties, triangulaires ,
à tranchant denticulé; 1l y en a aussi deux petites
rangées au bord postérieur du palatin.
L’iguane a des mœurs très-douces, et ne cher-
che jamais à nuire; 1l ne se nourrit que de végé-
taux et d'insectes. Dans les premiers jours du prin-
temps 1l aime surtout à manger les fleurs et les
jeunes feuilles des arbres; plus tard son régime
devient plus exclusivement insectivore.
Les iguanes se retirent dans des creux de ro-
cher ou dans des trous d'arbre. On les voit s’é-
lancer avec une agilité surprenante jusqu’au plus
haut des branches, autour desquelles ils s’en-
tortillent de manière à cacher leur tête au milieu
des replis de leur corps. Lorsqu'ils sont repus,
ils vont se reposer sur les rameaux qui avancent
au-dessus de l’eau. C’est ce moment qu’on choisit
au Brésil pour leur faire la chasse. Leur dou-
ceur naturelle, jointe peut-être à l'espèce de tor-
peur à laquelle les lézards sont sujets, ainsi que
les serpents, lorsqu'ils ont avalé une grande quan-
tité de nourriture, leur donne cette sorte d’apa-
thie et de tranquillité remarquée par les voya-
geurs , et avec laquelle ils voient approcher le
DES REPTILES. 209
danger, sans chercher à le fuir, quoiqu’ils soient
naturellement très-agiles. On a de la peine à les
tuer, même à coups de fusil; mais on les fait pé-
rir très-vite en enfonçant un poincon ou seule-
ment un tuyau de paille dans leurs nasaux ; on
en voit sortir quelques gouttes de sang , et l'animal
expire.
La stupidité que l’on a reprochée aux iguanes,
ou plutôt leur confiance aveugle, presque toujours
le partage de ceux qui ne font point de mal, va si
loin, qu'il est très-facile de les prendre en vie.
Dans plusieurs contrées de l'Amérique , on les
chasse avec des chiens dressés à les poursuivre ;
mais on peut aussi les prendre aisément au piége.
Ce qui prouve bien que la stupidité de l’iguane
n’est pas si grande qu’on le dit, c’est que, lors-
que sa confiance est trompée et qu’il se sent pris,
il a recours à la force, dont il ne voulait pas user.
Il s’agite avec violence, 1l ouvre la gueule, roule
des yeux étincelants; 1l gonfle sa gorge; mais ses
efforts sont inutiles, le chasseur parvient bientôt
à lui attacher les pattes, et à lui lier la gueule de
manière que ce malheureux animal ne puisse ni se
défendre n1 s'enfuir.
On peut le garder plusieurs jours en vie sans
lui donner aucune nourriture. La contrainte sem-
ble d’abord le révolter ; il est fier; 1l paraît mé-
chant; mais bientôt il s’apprivoise. Il demeure
dans les jardins, il passe même la plus grande
partie du jour dans les appartements. Il vit parfai-
tement tranquille et devient familier.
On ne doit pas être surpris de l’acharnement
avec lequel on poursuit cet animal doux et paei-
fique, qui ne cherche que quelques feuilles inu-
M0 HISTOIRE NATURELLE
tiles où quelques insectes malfaisants, qui n’a
besoin pour son habitation que de quelques trous
de rocher, ou de quelques branches presque sè-
ches, et que la nature a placé dans les grandes
forêts du Nouveau-Monde : sa chair est excellente
à manger, et dans certaines contrées où l’animal
est plus rare, on la sert sur les meilleures tables.
Les principales espèces sont, outre l’iguane or-
dinaire d’4mérique, dont nous venons de tracer
l'histoire , l’iguane ardoisé, l’iguane à col nu,
l’iguane cornu de Saint-Domingue et l'iqguane à
queue armée, de la Caroline.
LE BASILIC.
L’imagination des hommes a représenté le basi-
lice sous les formes les plus terribles, et la doué
des facultés les plus étonnantes. C’est ainsi qu'on
le représentait avec un corps de serpent, des
membres bizarrement attachés au tronc, des yeux
si perçants qu'ils donnaient la mort. Mais l’ob-
servation à fait disparaitre tous ces êtres fabuleux
qui existaient partout excepté dans la nature.
Le lézard basilic habite l'Amérique méridio-
nale ; il se distingue par une espèce de capuchon
qui couronne sa tête; et c’est de là que lui vient
son nom de basilic, qui signifie petit roi. Ce sau-
rien parvient quelquefois à une taille assez consi-
dérable : il a plus de trois pieds de longueur, en
comptant depuis le museau jusqu'à l'extrémité de
la queue. 11 vit ordinairement sur les arbres, et
comme tous les lézards dont les doigts sont bien
séparés et terminés par des ongles aigus, :1l
grimpe avec une incroyable facilité. On dirait
DES REPTILES. 211
qu'il voltige de branche en branche, tant ses
mouvements sont vifs et précipités.
Bien loin de tuer par son regard l’homme im-
prudent qui tomberait sous sa vue, on prétend qu'il
aime à être regardé; 1l témoigne alors une sorte
de satisfaction, se pare, pour ainsi dire, de sa
couronne , agite mol'ement sa belle crête, la
baisse, la relève, et par les différents reflets de ses
écailles, renvoie aux yeux de celui qui l’examine
de doux reflets de lumière.
LE CAMÉLÉON.
Le nom du caméléon est devenu très-célèbre.
Depuis longtemps déjà 1l était l'emblème de la
basse et vile flatterie, le miroir fidèle de l’in-
trigant et du courtisan. Les poëtes, qui savent si
bien s'emparer de tout ce qui est du domaine de
l'imagination, se sont saisis de toutes les images
fournies par des rapports qui, n’ayant rien de réel,
pouvaient facilement être étendus. Écartons de
l’histoire de cet animal toutes les qualités fabuleuses
qu’on lui a attribuées, et faisons-le voir tel qu'il est.
On trouve des caméléons de plusieurs tailles
assez différentes les unes des autres. Les plus
grands n’ont guère plus de quatorze pouces de
longueur totale. La peau du caméléon est parse-
mée de petites éminences comme le chagrin :
elles sont très-lisses, plus marquées sur la tête,
et environnées de grains presque imperceptibles.
Ses yeux sont gros et très-saillants, et ce qui les
distingue de ceux des autres quadrupèdes, c’est
qu'au lieu d'une paupière qui puisse être levée et
baissée à volonté, ils sont recouverts par une
s
2192 HISTOIRE NATURELLE
membrane chagrinée, attachée à l’œil et qui en
suit tous les mouvements. Cette membrane est
divisée par une fente horizontale, au travers
de laquelle on aperçoit une prunelle vive, bril-
lante , et comme bordée de couleurs d’or.
Non-seulement le caméléon a les yeux enve-
loppés d’une manière qui lui est particulière,
mais ils sont mobiles indépendamment l'un de
l’autre: quelquefois il les tourne de manière que
l’un regarde en arrière et l’autre en avant. La dis-
position de ses doigts lui rend la station à terre
très-pénible, mais favorise au contraire l’action
de grimper et de parcourir les branches des ar-
bres. C’est ce qui fait que le caméléon vit de pré-
férence dans les haies et sur les arbres, sur les-
quels il peut encore se maintenir solidement à
l’aide d’une queue prenante assez fortement mus-
clée, comme celle des sapajous ou des singes du
nouveau continent.
Le caméléon ne possède nullement cette acti-
vité et cette énergie que nous avons déjà eu loc-
casion de remarquer dans plusieurs genres des
sauriens. Il ne parcourt pas les rameaux des ar-
bres sur lesquels il vit avec cette promptitude et
cette surprenante vivacité qui semble caractéri-
ser tous les animaux chasseurs. Blotti apathique-
ment sous une feuille où sous une branche, il
attend patiemment que les insectes qui forment
sa proie, viennent à sa portée. Ce naturel indo-
lent et paresseux ne peut pas s'allier avec des
mœurs cruelles; le caméléon est complétement
inoffensif, et ne cause jamais aucun dégât sur les
arbres qu'il habite.
La couleur naturelle du caméléon, lorsqu'il est
“
DES REPTILES. 213
libre, sans inquiétude et se portant bien, est
d’un beau vert, excepté dans quelques parties qui
offrent une nuance mêlée de brun rougeûtre ou
de blane gris. Mais son corps est susceptible d’a-
voir, suivant les circonstances, des modifications
dans la couleur dominante qui peut passer au vert
de Saxe, au vert foncé, en tirant sur le bleu et
au vert jaune. Voici comment on explique les
changements de couleur dans la peau du camé-
léon. Son sang est d’un bleu violet, et sa peau
ainsi que les tuniques de son corps sont jaunes.
Il en résulte que, suivant que la passion ou une
impression quelconque fait passer plus de sang
du cœur à sa surface et aux extrémités, le mé-
lange du bleu, du violet et du jaune, produit plus
ou moins de nuances différentes à travers lépi-
derme qui est transparent.
Le caméléon jouit à un très-haut degré du pou-
voir d’enfler les différentes parties de son corps,
de leur donner par là un volume plus considéra-
ble. Il peut ensuite faire disparaitre à volonté
l'air qui distendait la peau de toutes les régions
de son corps. Il paraît alors dans un état de mai-
greur si considérable, que l’on peut compter ses
côtes, et que l’on distingue les tendons de ses
pattes, et toutes les parties de l’épine du dos.
Cet animal, ainsi que les autres sauriens, peut
vivre près d’un an sans manger, et c’est vraisem-
blablement ce qui a fait dire aux anciens qu'il ne
se nourrissait que d’air.
LES SEPS, LES BIPÈDES ET LES BIMANES.
En terminant cet ordre des sauriens, nous trou-
214 HISTOIRE NATURELLE
vons des genres bien remarquables par les pro-
fondes modifications qu'ils ont reçues dans leurs
organes de locomotion. Les véritables lézards
nous ont offert ces organes assez bien dévelop-
pés, munis d'un appareil musculaire assez com
pliqué et doué d’une vive énergie, comme le
prouvent la vivacité et la multiplicité extrême de
leurs mouvements. Les reptiles qui nous restent
à examiner pour finir l’ordre des sauriens, for-
ment une transition admirablement continue avec
les ophidiens, quicomposent l’ordre suivant. Leurs
pieds disparaissent presque entièrement, et leurs
corps, s’allongeant, leur donnent de grands rap-
ports de ressemblance avec les vrais serpents.
Les mœurs dépendent toujours de l’organisation ,
et en sont la traduction extérieure parce que les
besoins sont nécessités par des appareils organi-
ques qui les produisent. Les habitudes de ces sin-
guliers reptiles doivent tenir des sauriens et des
ophidiens , et c’est en effet ce que l'observation
nous à fait reconnaitre.
STE
TROISIÈME ORDRE DES REPTILES,
LES OPHIDIENS, ou LES SERPENTS.
Les ophidiens forment un ordre parfaitement
caractérisé extérieurement par l'absence des mem-
bres et par la forme allongée du corps; ce sont,
de tous les animaux que nous examinons , ceux
DES REPTILES. 215
qui méritent le mieux le nom de reptiles, parce
que leur locomotion ne peut avoir lieu que par la
reptation au moyen des ondulations que le corps
trace sur le sol. Ces animaux ont un appareil mo-
teur particulier doué d’une vive énergie , puisque
les serpents glissent sur la terre avec une très-
grande rapidité , et se lancent quelquefois, avec la
promptitude d’une flèche lancée vigoureusement,
sur leur proie ou sur leurs ennemis.
De tous les reptiles ce sont certainement ceux
qui sont le plus à craindre , et ce sont de tous les
animaux ceux qui inspirent à l’homme le plus de
frayeur. La seule pensée de la vipère, le léger
bruit que fait naître un serpent qui glisse furti-
vement sur des feuilles desséchées suffit pour faire
tressaillir le plus courageux. Tous les serpents
cependant ne sont pas dangereux, car tous n’ont
pas reçu ce venin terrible qui rend si redoutables
ceux qui le possèdent; le plus grand nombre
même en ont été dépourvus. Nous examinerons
l'appareil sécréteur du venin, en étudiant les ca-
ractères propres des vipères en général.
On a partagé l’ordre des ophidiens en trois fa-
milles principales, les orvets ou les anguis , les
couleuvres el les vipères.
RERO
Ier FAMILLE DES OPHIDIENS.
LES ORVETS, OU ANGUIS.
Ces ophidiens ressemblentaux derniers que nous
avons vus : ce sont des sauriens auxquelson aurait
216 HISTOIRE NATURELLE
retranchéles pattes.Ils sont caractérisés à l'extérieur
par des écailles imbriquées qui les recouvrent en-
tièrement.
L'orvet est commun dans beaucoup de pays ,eta
donné lieu à plusieurs fables assez répandues dans
le peuple. On a dit qu'il était aveugle et très-mé-
chant ; ces deux défauts cependant lui ont été attri-
bués mal à propos , car l'orvet a des veux très-bril-
lants, quoique plus petits que ceux des autres ser-
pents, et des mœurs très-douces et tout à fait inno-
centes. Les dents qui garnissent ses machoires sont
peu développées, dirigées versle gosier, etnullement
propresàinoculer duvenin.Lesexpériencesque quel-
ques naturalistes ont faites à ce sujet ne laissent plus
aucun doute surl’innocuité parfaite de ces reptiles.
Lorsque la crainte ou la colère contraignent
l’orvet à se raidir en tendant tous les muscles de
Son Corps, celui-ci devient cassant au moindre
choc et se sépare facilement en plusieurs por-
tions; c’est ce qui lui a valu le nom de fragile
(anguis fragilis) , que Linnée lui a donné.
L'orvet se nourrit de vers, d'insectes, de gre-
nouilles, de petits rats et même de crapauds; il
les avale le plus souvent sans les mâcher, en dis-
tendant outre mesure les ligaments élastiques qui
attachent les deux mâchoires. Malgré leur avi-
dité naturelle, les orvets peuvent rester un très-
grand nombre de jours sans prendre de nourri-
ture ; un naturaliste en a conservé un vivant pen-
dant cinquante jours sans lui donner à manger.
L’orvet habite ordinairement sous terre, dans
des trous qu’il creuse ou qu’il agrandit avec son
museau; mais comme il a besoin de respirer l'air
extérieur , il quitte souvent sa retraite.
le Boa. os L
le Serpent à sonnettes.
VAT 0 à
PAT RU 1
L La
DES REPTILES. 917
OKZS Ko
Ie FAMILLE DES OPHIDIENS.
LES COULEUVRES , OU SERPENTS NON VENIMEUX.
Les principaux caractères de ces ophidiens
sont tirés de la disposition et de la conformation
des écailles et des dents. Leur bonche est armée
de deux rangées de dents aiguës et recourbées,
mais non percées pour inoculer du venin, et leurs
écailles sont modifiées sous l'abdomen et la queue
en espèces de plaques de formes et de dimen-
sions variables. Les distinctions spécifiques et
même génériques appuyées sur ces caractères
sont très-difficiles à saisir.
On distingue deux genres principaux , les boas,
et les couleuvres proprement dites.
LES BOAS.
Les plus grands serpents connus appartiennent
à ce genre ; certaines espèces atteignent trente et
même quarante pieds de longueur, et parviennent
à avaler des cerfs , etmême , à ce que l’on assure,
des bœufs. Ils sont dépourvus de venin, mais ils
n’en sont pas moins à craindre , à cause de leur
agilité et de leur force prodigieuse. Tapi sous
l'herbe, ou suspendu par la queue aux branches
des arbres dans un lieu de passage, ou sur le
bord d’un ruisseau , le boa attend à l'affût l’occa-
sion de saisir sa proie, qu’il entoure de ses re-
218 HISTOIRE NATURELLE
plis et serre si fortement , que l’animal est bientôt
étouffé et ses os broyés. Quand le serpent a,
pour ainsi dire, pétri sa victime , il l’enduit de sa
bave, et, dilatant énormément ses màchoires , il
l’avale lentement. On assure qu'il lui faut quel-
quefois plusieurs jours pour avaler en entier
l'animal dont il se repait ainsi, et qu'une portion
de celui-ci est déjà digérée avant que le tout soit
entré dans la gueule du reptile. Après un repas
semblable, les boas demeurent immobiles dans
quelque endroit écarté, et exhalent une odeur f6-
de. Il est alors facile de les tuer , et il paraît que
leur chair n’est pas un aliment désagréable, car
certaines peuplades indiennes s’en nourrissent.
Pendant longtemps , la plus grande confusion a
régné dans l’histoire de ces grands serpents, que
lon confondait avec quelques autres grandes es-
pèces; le boa, le plus célèbre, a été nommé devin
ou divin, à cause des honneurs que les peuples
sauvages lui rendaient ; on l’appelle encore bo
constrictor, à cause de la coutume que nous
avons fait connaitre. Sa patrie est le Nouveau-
Monde ; d’autres espèces habitent l'Afrique et
l'Asie.
LA COULEUVRE A COLLIER.
La couleuvre à collier se trouve dans toute
l'Europe , et se plaît surtout dans les lieux humi-
des, ainsi qu’au milieu des eaux; c’est ce qui lui
a fait donner par plusieurs naturalistes les noms
de serpent d’eau, de serpent nageur, d'anguille
de haie. Ce serpent parvient quelquefois à la lon-
gueur de trois ou quatre pieds. Il est tres-facile
DES REPTILES. 219
de distinguer cette couleuvre de la vipère, à la
tache jaunâtre qui enveloppe le cou en guise de
collier , et qui a fait donner le nom à cette espèce.
La couleuvre à collier ne renfermant aucun
venin , On peut la manier sans danger; elle ne fait
aucun effort pour mordre, elle se défend seule-
ment en agitant rapidement sa queue , et elle ne
refuse pas de jouer avec les enfants. On la nour-
rit dans les maisons, où elle s’accoutume si bien
à ceux qui la scignent, qu'au moindre signe elle
s’entortille autour de leurs bras, de leur cou, et
les presse mollement, comme pour leur témoi-
gner une sorte de tendresse et de reconnaissance.
Elle s'approche avec douceur de la bouche de
ceux qui la caressent , elle suce leur salive , et aime
à se cacher sous leurs vêtements.
Il arrive cependant quelquefois que lorsque la
couleuvre à collier est devenue très-forte, et
qu'au lieu d’avoir été élevée en domesticité elle a
vécu dans les champs et à l’état sauvage, elle perd
un peu de sa douceur, et que si on l'irrite elle
anime ses yeux , agite sa langue , se redresse avec
vivacité, fait claquer ses mâchoires, et serre for-
tement avec ses dents la main qui cherche à la
saisir.
La couleuvre à collier rampe sur la terre avec
une très-grande vitesse; elle nage aussi, mais
avec plus de difficulté qu'on ne l’a cru. Pendant
que l'été règne, ce serpent vit souvent dans les
endroits humides, ainsi que nous l'avons déjà dit ;
mais on le trouve quelquefois dans les buissons ;
d’autres fois il se place sur les branches sèches et
élevées des chênes, des saules, des érables, sur
les saillies des vieux bâtiments, sur tous les en-
220 HISTOIRE NATURELLE
droits exposés au midi, et où le soleil donne avec
le plus de force; il s’y replie en divers : ontours,
ou s’y allonge avec une sorte de volupté, toujours
cherchant les rayons de l’astre de la lumière,
toujours paraissant se pénétrer avec délices de
sa Chaleur bienfaisante. Mais lorsque la fin de
l'automne arrive, il se rapproche des lieux moins
froids, se blottit dans quelque trou pour passer
l'hiver dans l’'engourdissement.
La couieuvre à collier se nourrit d'herbes, d’in-
sectes, et quelquefois de lézards, de grenouilles
et de petites souris.
He FAMILLE DES OPHIDIENS.
LES VIPÈRES , OÙ SERPENTS VENIMEUX.
Les serpents venimeux, ou à crochets isolés,
ont reçu une structure très-particulière dans leurs
organes de la manducation.
Leurs os maxillaires supérieurs sont fort pe-
tits, portés sur un long pédicule , et très-mobiles ;
il s’y fixe une dent aiguë, percée d’un petit canal,
qui donne issue à une liqueur sécrétée par une
glande considérable placée sous l'œil. C'est cette
liqueur qui, versée dans la plaie par la dent,
porte le ravage dans le corps des animaux, @t y
produit des effets plus ou moins funestes , selon
l'espèce qui l'a fournie. Cette dent se cache dans
un repli de la gencive quand le serpent ne veut
pas s’en servir, et il y a derrière elle plusieurs
DES REPTILES. 291
germes destinés à se fixer à leur tour pour la rem-
placer, si elle se casse dans une plaie. Les natu-
ralistes ont nommé les dents venimeuses crochets
mobiles, mais c’est proprement l'os maxillaire
qui se meut ; 1l ne porte point d’autres dents, en
sorte que, dans cette sorte de serpents malfai-
sants, On ne voit dans le haut de la bouche que
les deux rangées de dents palatines.
Toutes ces espèces venimeuses dont on connaît
bien le mode de reproduction, font des petits vi-
vants, parce que les œufs éclosent avant d’avoir
été émis au dehors ; c’est ce qui leur a valu en gé-
néral le nom de vipéres, contraction de vivi-
pares.
On distingue dans cetiè famille surtout deux
genres , les crotales et les vipères.
LE CROTALE , OU SERPENT A SONNETTES.
Le serpent à sonnettes parvient quelquefois à
la longueur de six pieds, et sa circonférence est
alors de dix-huit pouces. Ce qui distingue le mieux
ce reptile, c’est linstrument bruyant qu’il porte
au bout de la queue , et qui lui a valu sa dénomi-
nation. Get instrument est formé de plusieurs cor-
nets écailleux emboités lichement les uns dans les
autres, qui se meuvent etrésonnent quand l’ani-
mal rampe ou qu'il remue la queue. Ii parait que
le nombre des cornets croit avec l’âge et qu’il en
reste un de plus à chaque mue. Le bruit des son-
nettes du crotale peut s’entendre à une distance
de soixante pieds , et il serait à désirer qu’on püt
l'entendre de plus loin encore, afin que son ap-
10
992 HISTOIRE NATURELLE
proche étant moins imprévue fût aussi moins
dangereuse. Ce serpent est en effet d'autant plus
à craindre , que ses mouvements sont souvent très
rapides; en un clin d'œil il se replie en cercle,
s'appuie sur sa queue, se précipite comme un
ressort qui se débande, tombe sur sa proie, la
blesse, et se retire pour échapper à la vengeance
de son ennemi.
Ce funeste reptile habite presque toutes les
contrées du Nouveau-Monde, depuis la terre de
Magellan jusqu’au lac Champlain, vers le 45° degré
de latitude septentrionale. Il régnait pour ainsi
dire au milieu de ces vastes contrées où les an-
ciens Américains, retenus par une crainte super-
stitieuse, redoutaient de lui donner la mort; mais,
encouragés par l’exemple des Européens, ils ont
bientôt cherché à se débarrasser de cette espèce
terrible. Chaque jour les arts et les travaux , pu-
rifiant et fertilisant de plus en plus ces terres nou-
velles , ont diminué le nombre des serpents à son-
nettes, et l’espace sur lequel ces reptiles exer-
çaient leur funeste domination se réduit à mesure
que l'empire de l’homme s'étend par la culture.
Le crotale se nourrit de lombrics, de gre-
nouilles, de lièvres et d’autres petits quadrupèdes.
On a répandu au sujet de l'éclat de ses yeux et de
la fixité de son regard des récits fabuleux de fas-
cination et de charme ; on a dit que le serpent à
sonnettes avait la faculté d’enchanter lanimal
qu'il voulait dévorer , que par la puissance de son
regard il le contraignait de s'approcher peu à peu
et de se précipiter dans sa gueule, que l’homme
ne pouvait résister à la force magique de ses yeux
étincelants, et que, plein de trouble, il se pré-
DES REPTILES. 223
sentait à la dent empoisonnée du reptile, sans
pouvoir l'éviter.
Pendant l'hiver des contrées un peu éloignées
de la ligne, les crotales se retirent en grand nom-
bre dans des cavernes, où ils sont presque engour-
dis et dépourvus de force; c’est alors que les na-
turels du pays osent pénétrer dans leur repaire
pour les détruire. Lorsque , dans les premiers
jours du printemps , le soleil darde des rayons
vifs et purs , les crotales sortent de leurs retraites
pour s’exposer à sa chaleur bienfaisante pendant
le jour, et ils regagnent leur retraite pendant la
nuit. C’est encore quand ces animaux quittent
leurs cavernes pour venir se chauffer et se rani-
mer au soleil, qu'on en fait une grande des-
truction.
Mais quand la chaleur brûlante de l’été a rendu
au crotale sa vigueur et sa vivacité ordinaires,
malheur à ceux qui se présentent imprudemment
à sa rencontre ! malheur encore à ceux qui navi-
guent sur de petits bâtiments auprès des plages
qu'il fréquente ! 11 s’élance sur les ponts peu éle-
vés avec la rapidité d’une flèche; et quel état
affreux que celui où tout espoir de fuir est inter-
dit, où la moindre morsure de l'ennemi que l’on
doit combattre donne la mort la plus prompte , où
il faut vaincre en un instant ou périr dans des
tourments horribles ! Ce terrible reptile renferme
en effet un poison mortel, et il n’est peut-être
aucune espèce de serpent qui contienne un venin
plus actif.
Le premier effet du poison est une enflure gé-
nérale ; bientôt la bouche s’enflamme et ne peut
plus contenir la langue, devenue trop gonflée ;
29/4 HISTOIRE NATURELLE
une soif dévorante consume, et si l’on cherche à
l’étancher, on ne fait que redoubler les tourments
de son agonie ; les crachats sont ensanglantés ,
les chairs qui environnent la plaie se corrompent
et se dissolvent en pourriture, et surtout si c’est
pendant lardeur de la canicule; on meurt quel-
quefois en cinq ou dix minutes, dans les convul-
sions les plus effravantes. Les Indiens ont décou-
vert un remède contre la morsure de ce terrible.
animal, mais la mort survient trop souvent avant.
qu’on puisse y avoir recours.
LA VIPÈRE COMMUNE.
La vipère commune est longue d'environ ur
pied sur un pouce de diamètre; le fond de sa
couleur varie ; il est en général d’un gris brun, ou
d’un cendré bleuâtre sur la partie supérieure du
corps. Le dos est couvert d’une double rangée de
taches noirâtres transversales, et sur la tête on voit.
ordinairement une tache brune en forme de V,
ouvert aux deux bouts.
La vipère commune se trouve dans toutes les
contrées de l'Europe, mais principalement dans
les pays montagneux ; elle se trouve en plus
grande quantité dans les départements méridio-
naux de la France que dans ceux du nord.
On confond ordinairement la vipère avec las-
pic, qui ne parait en être qu’une simple variété ;
du reste, l’aspie commun de nos contrées diffère
essentiellement de l’aspic des anciens, ou de la
vipère d'Égypte.
Le poison de la vipère est contenu dans une vé-
sicule placée de chaque côté de la tête, au-des-
DES REPTILES. 295
sous du muscle de la mâchoire supérieure ; le mou-
vement du muscle pressant cette vésicule , en fait
sortir le venin, qui arrive par un conduit à la
base de la dent, et est versé dans la plaie par le
canal qui la traverse. Comme cet animal fait sou-
vent sortir sa langue fourchue , surtout lorsqu'il
est irrité, qu’il l’agite et la darde avec beaucoup
de vivacité, on a cru qu’elle était le siége du ve-
nin, et une partie molle incapable de nuire a été
transformée en une fièche empoisonnée; ses gros-
ses dents sont les seules armes que l’on doit ap-
préhender.
Dans quelques animaux , il sort de la blessure,
aussitôt qu'elle est faite, un sang noir et livide ;
dans d’autres, au contraire, le sang qui sort con-
serve sa couleur rouge, quelquefois aussi le venin
‘sort avec le sang. Cet écoulement est toujours à
souhaiter, car quoiqu'il ne guérisse pas toujours
radicalement, il soulage beaucoup, et diminue
considérablement l'intensité du venin. La mor-
sure de la vipère, surtout quand elle est parvenue
à un âge assez avancé et qu’elle est vivement ir-
ritée , peut devenir mortelle pour l’homme même.
Mais dans les circonstances ordinaires , son venin
n'est pas assez abondant pour causer la mort, et
cause seulement des troubles plus ou moins gra-
ves, suivant la partie qui a été blessée, et suivant
d’autres circonstances particulières. On a cherché
beaucoup de remèdes pour guérir un mal si ter-
rible et si dangereux , mais on n'a pu encore en
trouver d’infaillible. On peut faire une ligature
fortement serrée au-dessus de la plaie du côté du
tronc, et verser quelques gouttes d’alcali volatl ,
étendu d’eau, sur la blessure, et en prendre à
296 HISTOIRE NATURELLE
l'intérieur cinq ou six gouttes dans un verre d’eau.
Il paraît qu’on à obtenu souvent de bons résultats
de ce traitement très-simple.
QUATRIÈME ORDRE DES REPTILES,
LES BATRACIENS, ou LES GRENOUILLES.
Ce quatrième ordre des reptiles termine très-
naturellement la elasse qui nous occupe mainte-
nant, et forme une transition non interrompue
avec les poissons, parce que, dans le jeune âge,
les batraciens respirent tous par des branchies
analogues à celles des poissons. Ces reptiles su-
bissent dans les premiers temps de leur existence
de véritables métamorphoses , et c’est en passant
de leur première forme à celle qu'ils devront
conserver pendant le reste de leur vie, qu’ils per-
dent leurs branchies pour prendre des poumons,
et une organisation plus en rapport avec celle de
tous les autres reptiles. Dans leur premier état,
les batraciens sont désignés sous le nom de té-
tards.
Comme le système circulatoire se trouve dans
des rapports intimes avec celui de la respiration ,
il éprouve les mêmes modifications que les pre-
miers. C’est dans cet ordre que nous verrons les
véritables animaux amphibies, c’est-à-dire pou-
vant également respirer dans l’air atmosphérique
et dans l’eau; en effet, les sirènes conservent
k Grenouille. P. 227
la Salamandre,
DES REPTILES. 997
toujours leurs branchies au moyen desquelles
elles peuvent séparer de l’eau loxygène qui S'y
trouve dissous, et qui est indispensable au renou-
vellement du sang , et elles possèdent en même
temps de véritables poumons pouvant respirer
l'air ordinaire, et par ce moyen hématoser leur
sang veineux avec la même facilité dans quelque
milieu que les circonstances les portent. Nous
pouvons voir 161 que la dénomination d’amphi-
bies, conservée encore vulgairement à un grand
nombre d'animaux, est dénuée de fondement , et
peu rationnelle, puisque tous ceux auxquels on
l'a appliquée peuvent seulement respirer l'air at-
mosphérique , et sont asphyxiés dans l’eau plus ou
moins promptement.
Les batraciens des régions tempérées, soumises
à un froid assez Intense, s’engourdissent profon-
dément , et passent toute la saison rigoureuse
dans le sommeil hibernal, cachés dans la vase
des marécages. Aux premières lueurs d’un soleil
plus ami, ils secouent ce pesant sommeil, et
viennent reprendre la vie et la légèreté à son in-
fluence bienfaisante.
On divise cet ordre en plusieurs genres dont les
plus remarquables sont les grenouilles, les cra-
pauds , les raines où rainettes , les salamandres
et les sirènes.
LES GRENOUILLES.
Si les grenouilles ont plusieurs points de res-
semblance avec les crapauds, ces êtres qui nous
inspirent une horreur dont souvent nous ne pou-
298 HISTOIRE NATURELLE
vons nous défendre, elles ont cependant plu-
sieurs caractères qui les en éloignent, et elles ne
doivent point partager leur disgrâce. On cher-
cherait en vain dans les crapauds cette forme
svelte et élancée , ces membres déliés et souples ,
ces couleurs variées et comme brillantes que la
nature à accordées aux grenouilles. Les grenouil-
les, loin d’être bassement accroupies dans la
boue , ne vont que par sauts très-élevés, leurs
pattes postérieures se pliant et se débandant
comme un ressort. L’élasticité et la sensibilité de
ces animaux sont telles, qu'on ne peut les saisir
sans que leur corps prenne toutes les courbures ,
fasse tous les mouvements nécessaires pour se
débarrasser; elles cherchent lélément de l’air,
et Îeur plus grand plaisir est de jouir de la
lumière, surtout lorsqu'elles y sont invitées par
la clarté brillante et pure de Vastre du jour.
« Qu'est-ce qui pourrait donc faire regarder avec
« peine, dit M. de Lacépède, dans son Histoire
« des reptiles, un être dont la taille est légère,
« le mouvement preste, l'attitude gracieuse ? Ne
« nous interdisons pas un plaisir de plus; et lors-
« que nous errons dans nos belles campagnes,
« ne soyons pas fâchés de voir les rives des ruis-
« seaux embellies par les couleurs de ces animaux
« innocents, et animées par leurs sauts vifs et lé-
« gers; contemplons leurs petites manœuvres ;
« suivons-les des yeux au milieu des étangs pai-
« sibles dont ils diminuent si souvent la solitude,
« sans en troubler le calme; voyons-les montrer
« sous les nappes d’eau les couleurs les plus agréa-
« bles, fendre en nageant ces eaux tranquilles,
« souvent même en rider la surface, et présen-
DES REPTILES, 299
« ter les douces teintes que donne la transparence
« des eaux. »
Ces animaux sont voraces ; ils avaient souvent
des animaux plus considérables qu'eux , de petits
oiseaux , de jeunes souris, ete. ; mais leur nourri-
ture ordinaire consiste en larves d'insectes aqua-
tiques que leur langue retient facilement, parce
qu'elle est enduite d’une mucosité gluante. 11 pa-
rait cependant qu’elle a encore, malgré sa vora-
cité, son ardeur à se jeter sur sa proie, une sorte
de délicatesse dans son goût, ne saisissant que les
corps en mouvement , ou les animaux dont les ca-
davres ne sont pas puiréfiés.
Dès que le printemps est de retour, la gre-
nouille se plait, surtout la nuit, à jeter un cri
souvent répété , composé de tons rauques, de sons
discordants, et d'autant plus désagréables, qu’ils
sont produits par plusieurs de ees animaux à la
lois ; ces clameurs rudes et fatigantes sont con-
nues sous le nom de coassement.
Les grenouilles doivent vivre assez longtemps ;
on peut tirer cette induction de la ténacité de leur
vie.
Outre les serpents d’eau, plusieurs poissons,
les oiseaux de rivage, différents quadrupèdes, les
grenouilles ont pour ennemi l’homme, auquel leur
chair fournit un mets assez estimé de quelques
personnes.
Les principales espèces de grenouilles sont, la
grenouille commune , la grenouille rousse, la
grenouille mugissante, la grenouille grognante ,
la grenouille criarde , etc.
230 HISTOIRE NATURELLE
LES RAINES OU RAINETTES.
Les raines , connues plus communément sous le
nom de rainettes, ont plusieurs points de ressem-
blance avec les grenouilles que nous venons d’exa-
miner; mais outre que leur corps est moins al-
longé, presque de forme triangulaire, que leurs
pattes postérieures sont plus développées et ren-
dent ces animaux plus agiles, elles présentent un
caractère net et tranché dans la disposition des
doigts aux quatre membres; les doigts ne finissent
jamais en pointe, mais sont terminés par une es-
pèce de ventouse visqueuse destinée à favoriser
leur station sur les branches des arbres. Les pattes
antérieures ont seulement quatre doigts, tandis
que les postérieures en ont cinq.
Les rainettes sont très-agiles, et ont des mou-
vements très-prompts et très-déliés. Elles passent
la belle saison au milieu des bois, dans les Jardins
.ombragés , posées sur une branche, et même
quelquefois sur la surface inférieure d’une feuille.
Elles sautent de rameau en rameau, s’élancent
très-rapidement sur les insectes qui sont à leur
portée, les saisissent et les retiennent avec leur
langue. Considérées sous quelques rapports, les
raines sont dans cette section des batraciens ce
que sont les iguanes , les caméléons dans celle des
sauriens ; elles fréquentent comme eux les haies,
les arbres , et s’y tiennent tranquilles, soit pour se
soustraire aux regards de leurs ennemis, soit
pour y attendre patiemment leur proie.
Les développements ou métamorphoses des
rainettes diffèrent peu de celles des grenouilles.
DES REPTILES. 231
Les rainettes ne vivent dans les bois que ;pen-
dant les saisons chaudes ou tempérées de l’année.
L'hiver leur commande la retraite. Elles se tapis-
sent au fond des eaux , dans le limon des maréca-
ges, et y demeurent engourdies jusqu’à l’arrivée
du printemps. Dès le mois d'avril et de mai, on
commence à entendre les sons rauques et coupés
de leur voix étrange.
Les espèces les plus remarquables sont , la rai-
nelle verte où commune , la rainette patte d'oie,
la rainette bicolore , et la rainette à tapirer.
LE CRAPAUD.
On ne peut prononcer le nom du crapaud sans
retracer le souvenir d’une image dégoütante, sans
produire une espèce d'horreur. On le regarde
comme un être vicié dans toutes ses parties , que
la nature a traité de la manière la plus défavora-
ble. S'il a des pattes , elles n’élèvent pas son corps
disproportionné au-dessus de la fange qu’il ha-
bite; s’il a des yeux, ce n’est point, en quelque
sorte , pour recevoir une lumière qu’il fuit ; man-
geant des herbes puantes ou vénéneuses, caché
dans la vase, tapi sous des tas de pierres, retiré
dans des trous de rochers, sale dans son habita-
tion, dégoûtant par ses habitudes, difforme dans
son corps, obscur dans ses couleurs, infect par
son haleme, ne se soulevant qu'avec difficulté;
ouvrant lorsqu'on l'attaque une gueule hideuse,
n'ayant pour toute puissance qu’une grande ré-
sistance aux coups qui le frappent, que l’inertie
de la matière , que l’opiniâtreté d’un être stupide,
n'employant d’autres armes qu’une liqueur fétide
232 HISTOIRE NATURELLE
qu’il lance, que paraît-il avoir de bon, si ce n’est
de chercher , pour ainsi dire, à se dérober à tous
les yeux , en fuyant la lumière du jour ?
Les crapauds ont le corps ramassé , globuleux,
couvert ordinairement de pustules, et n'ayant
presque toujours que des teintes sombres et obs-
cures. Leur peau est assez dure pour résister
quelque temps à l'effort des corps aigus avec les-
quels on cherche à la percer. Ses yeux sont vifs
et craignent la lumière du jour.
Les crapauds se nourrissent de vers, d’insec-
tes, de limaces, de colimaçons , etc. ; mais c’est
la nuit principalement qu'ils rôdent et vont à la
poursuite de leur proie. On prétend qu'ils aiment
la sauge et surtout la ciguë, qu’on a quelquefois
appelée, à cause de cette particularité, le persil
des crapauds.
Dans les climats dont la température est froide,
ils passent l'hiver engourdis et cachés dans des
trous ou sous des pierres ; ils s’y rassemblent
même quelquefois plusieurs. Is font entendre dès
les premiers jours du printemps, et vers le cou-
cher du soleil, un cri répété souvent et assez doux.
Ils ont le sens de l’ouie si fin, que, pour peu qu’on
approche du lieu d’où est parti le son, ils gardent
sur-le-champ le silence.
La grandeur des crapauds varie suivant les es-
pèces et suivant les climats ; ils sont beaucoup
plus grands dans les pays chauds. On en trouve à
la Côte-d'Or de si gros, qu’on les prendrait pour
des tortues de terre. La chaleur paraît aussi don-
ner plus d’âcreté à la liqueur qu’ils éjaculent en se
défendant. On a quelquefois regardé cette liqueur
comme très-venimeuse , mails c’est une erreur ;
DES REPTILES. 933
elle est seulement corrosive et caustique, et ne
cause de douleur très-sensible que quand elle
parvient dans les parties du corps où le tissu
épidermique , manquant sur la peau, devient plus
facilement irritable.
Les principales espèces de crapaud sont, le
crapaud commun , le crapaud des joncs, le
crapaud brun, le crapaud variable , le crapaud
cornu, et le crapaud à ventre jaune, si commun
dans toutes les eaux croupissantes.
LES SALAMANDRES.
La salamandre terrestre est assez répandue
dans presque toutes les parties de la France, où
elle porte différents noms que le peuple lui a im-
posés, d’après les observations qui l’ont le plus
frappé. Dans quelques contrées on la nomme plu-
vine, parce qu'elle se montre au dehors particu-
lièrement quand il pleut, ou quand l'atmosphère
est chargée d’une abondante humidité; et dans la
plupart sourd, parce qu’elle semble privée de la
faculté d'entendre.
L'histoire de la salamandre terrestre se trouve
mêlée d’un grand nombre de traits fabuleux. C’est
ainsi que les anciens prétendaient que la salaman-
dre marche impunément au milieu des flammes, et
qu’elle les éteint même sur son passage. Quelques
auteurs ne se sont pas contentés d’une propriété
déjà si merveilleuse, ils ont ajouté que la sala-
mandre vivait dans le feu comme dans son élément
propre.
On croyait encore que c’était un animal très-re-
doutable; sa morsure donnait, disait-on, la mort
"AL
934 HISTOIRE NATURELLE
comme celle de la vipère; et quelques auteurs
n’ont pas craint d'écrire qu’un homme mordu par
la salamandre devait, s’il voulait conserver quel-
que espoir de guérison, appeler autant de méde-
cins que le reptile a de taches. Les auteurs qui
donnaient de si salutaires conseils étaient sans
doute médecins.
Toutes ces erreurs , enfantées par une Imagina-
tion égarée, se sont transmises d'âge en âge, et
n'ont disparu qu’au siècle dernier devant les ex-
périences souvent réitérées de quelques natura-
listes éclairés.
La salamandre terrestre est un animal innocent,
doux, extrêémement craintif, dont l'amour du mer-
veilleux à fait mal à propos un être extraordinaire
par des qualités qui semblaient tenir du prodige,
et par l’effroi qu’elle inspirait ; ses sensations sont
obtuses, parce que les organes dont elles éma-
nent sont imparfaits. Quoique ses yeux soient as-
sez gros, la salamandre voit mal ; aussi sa marche
est-elle trainante , et elle se met rarement en mou-
vement. On ne voit point au dehors d’oreilles ap-
parentes ; on remarque seulement de chaque côté,
derrière les yeux, un groupe de petits trous sem-
blables à des piqûres d’épingle qui, suivant toute
probabilité, tiennent lieu des organes extérieurs de
l’'ouie. Une peau nue, tantôt sèche, tantôt enduite
d'une humeur épaisse et visqueuse, des pattes de
crapaud , des doigts mousses , dénués d’ongles
préservateurs, et presque sans mouvement, sont
des moyens bien faibles de protection et de défense.
C'est dans les lieux frais et humides qu’elle fixe
le séjour de son existence triste et peu active; on
la trouve dans les caves où règne l'humidité,
DES REPTILES. 235
dans les masures, les décombres, et sous les tas
de pierres amassées depuis longtemps au milieu
des champs.
Outre la salamandre terrestre, dont la peau est
couverte de grandes taches nombreuses, on trouve
encore dans nos contrées, au milieu des eaux dor-
mantes , la salamandre aquatique, où triton à
crête (triton cristatus. Guv.)
LA SIRÈNE.
La sirène est très-célèbre par la singulière pro-
priété que nous avons déjà fait connaître d’avoir
des organes doubles de respiration, des poumons
et des branchies. Du reste, on ne connaît point les
mœurs de cet animal qu’on à observé dans les
marais de la Caroline.
FIN DE LA CLASSE DES REPTILES,
»
eh sx.
HISTOIRE NATURELLE
DES
POISSONS.
ICTHYOLOGIE.
Les poissons forment la quatrième et dernière
classe des animaux vertébrés. Ces animaux étant
destinés à passer leur vie dans un milieu particu-
lier, ont recu dans toute leur organisation de
profondes et intimes modifications en rapport
avec les circonstances indispensables à la vie ani-
male, la respiration et la circulation. Ce sont les
deux appareils servant à l’accomplissement de ces
deux grands phénomènes, qui doivent être exami-
nés en premier lieu. Les poissons ont besoin de
respirer pour hématoser le sang veineux devenu
impropre à la nutrition, c’est-à-dire qu’il est néces-
saire que l’oxygène vienne dans un organe spécial
se mettre en contact avec le liquide sanguin pour
lui rendre les qualités artérielles. Le milieu qui
presse et enveloppe les poissons renferme en dis-
solution une certaine quantité d’air atmosphé-
238 HISTOIRE NATURELLE
rique , et les poissons ont recu des appareils
conformés de manière à pouvoir l’en extraire fa-
cilement. Les branchies et vulgairement les ouies,
constituent les organes de la respiration; elles
consistent en feuilles suspendues à des arceaux
qui tiennent à l’os hyoïde et recouverts d’un tissu
d'innombrables vaisseaux sanguins. Leur cœur
n’a qu’une seule oreillette et n’envoie que du sang
veineux aux organes respiratoires, le sang qui
a subi l’hématose dans les branchies entrant im-
médiatement dans un long vaisseau dorsal, où il
ne reçoit aucune impulsion nouvelle, pour aller
arroser tous les membres.
Cette circulation imparfaite fait que les pois-
sons , de même que les reptiles, ont le sang froid,
et en général Pirritabilité organique musculaire
bien moins développée que tous les autres verté-
brés.
Le squelette des poissons a participé aux au-
tres changements de structure, et admet de nom-
breuses variations dans la nature même de ses
pièces, suivant les différentes espèces. C’est ainsi
que chez la plupart le squelette devient ordinaire-
ment osseux, tandis que chez un certain nombre
il reste fibro-cartilagineux , ou même purement
cartilagineux ; enfin quelques espèces ont cette
charpente beaucoup moins solide et simplement
membraneuse : nous remarquerons ici en passant
que cette structure anormale des os nous donne
un passage bien naturel vers les animaux mous
et invertébrés; tant il est vrai de dire que tout
dans la nature forme une chaine non interrompue!
Le squelette des poissons est très-compliqué,
au moins dans certaines de ses parties. Nous
DES POISSONS. 239
n’entrerons dans aucun détail à ce sujet, et nous
dirons que les os sont en général flexibles par le
peu de matière calcaire qu’ils renferment dans
leurs tissus, que les tendons s’ossifient quelque-
fois, et constituent ce que vulgairement on ap-
pelle les arêtes. Nous considèrerons rapidement
le système tégumentaire particulier à ces ani-
maux, et les nageoires, dont la disposition sert
de point de comparaison pour établir les carac-
tères distributifs des genres et des espèces.
La peau est nue quelquefois, mais presque tou-
jours elle est couverte d’écailles. Quelquefois ces
écailles ont la forme de grains rudes ; d’autres
fois ce sont des tubercules très-gros, ou des pla-
ques d’une épaisseur considérable ; mais en gé-
néral elles prennent l’aspect de lamelles fort
minces, se recouvrant comme les tuiles d’nn toit
par imbrication, et enchâssées dans les replis du
derme. On peut les comparer aux ongles de
Vhomme, mais leur tissu renferme beaucoup plus
de sels calcaires. Les écailles des poissons parais-
sent souvent ornées des couleurs métalliques les
plus brillantes, et des tons les plus moelleux : cet
effet est dû au pigmentum sécrété par le derme,
et visible au dehors par la transparence des écail-
les. C’est: avec le pigmentum argenté ou nacré
des ablettes, qu’on nomme quelquefois essence
de perles, que l’on fait les fausses perles.
Quelques poissons sont privés de nageoires, et
ne peuvent exécuter que quelques mouvements de
reptation au fond des eaux; mais la plupart en
ont reçu de bien conformées et dans des disposi-
tions si permanentes , qu’on en a tiré d'excellents
caractères méthodiques. Des nageoires, les unes
240 HISTOIRE NATURELLE
sont placées sur la ligne médiane du dos ou de
l'abdomen, et par conséquent impaires; les autres
sur les parties latérales et disposées par paires.
Ces dernières représentent les membres des au-
tres animaux vertébrés ; les membres antérieurs
qui correspondent au bras de l’homme et à l’aile
de l'oiseau , sont fixés de chaque côté du tronc,
immédiatement derrière la tête et sont appelés
nageoires pectorales. Les membres abdomi-
naux peuvent varier beaucoup pour leur position
depuis le dessus de la gorge jusqu’à la région
anale : on les nomme nageoires ventrales. Les
nageoires impaires occupent, comme nous ve-
nons de le dire, la ligne médiane inférieure et
supérieure du corps, et se distinguent en nageoi-
res dorsales, anales ou caudales , suivant leur
position. Du reste, toutes les nageoires ont à peu
près la même structure; elles consistent dans un
repli de la peau soutenu par des rayons osseux
ou cartilagineux, à peu près de la même manière
que les ailes membraneuses des chauves-souris et
des dragons sont soutenues par les doigts ou par
les côtes de ces animaux.
Une particularité bien remarquable dans l’orga-
nisation des poissons, et qui leur rend la natation
beaucoup plus facile, c’est l'existence d’une ves-
sie natatoire, placée dans l’abdomen, sous l’épine
dorsale. Ce réservoir à air communique avec l’œso-
phage par un large canal par où l'air peut s’écha-
per à l'extérieur suivant la volonté de l’animal. La
présence de l'air dans l’intérieur de cette vésicule
a donné lieu à plusieurs expliquations qui sont ve-
nues successivement se remplacer les unes les
autres. Aujourd’hui on pense que les parois de
DES POISSONS. ZE |
l'organe offrent un tissu glandulaire et qui a la
propriété de sécréter de l'air *. Cette propriété
semble bien extraordinaire, et, réunie à d’autres
faits non moins surprenants qui résultent de l’ac-
tion de la vie dans d’autres circonstances et chez
d’autres animaux , elle peut donner lieu à réfléchir
sur plusieurs principes de la chimie, touchant les
corps gazeux réputés simples.
En passant à l'étude des sens et de leurs organes
chez les poissons, nous sommes forcés de conve-
nir que ces animaux ne doivent posséder que des
sensations bien obtuses , parce que leurs organes
sont lort imparfaits. A l’exception de l'appareil
de là vision, qui est parfaitement disposé dans
les rapports convenables avec le milieu qu’habi-
tent les poissons, tous les autres organes des sens
sont presque réduits à rien.
Toute la vie des poissons étant employée à
pourvoir à leur nourriture, et à fuir leurs enne- :
mis, leurs facultés intérieures paraissent bien
bornées et ne donnent extérieurement lieu à au-
cune particularité de mœurs intéressantes. Ce sont
de tous les animaux vertébrés incontestablement
les plus stupides.
Quelques genres de poissons pourraient nous
présenter des migrations et de longs voyages
aussi Curieux que ceux des oiseaux. Nous aurons
occasion d'en parler spécialement à l’article du
hareng.
Le nombre des poissons est immense, et comme
ils fournissent à l’homme un aliment agréable et
* La vessie nalatoire des poissons ne renferme pas de Pair at-
mosphérique pur ; mais ordinairement de l'azote presque sans
mélange,
242 HISTOIRE NATURELLE
sain, leur pêche est une branche d'industrie im-
portante chez les peuples les plus sauvages ,
comme chez les nations les plus civilisées. À une
époque qui n’est pas encore bien éloignée de celle
où nous vivons, cette branche d’industrie oceu-
pait un cinquième de la population totale de la
Hoïlande , et pour la pêche des harengs seule-
ment, ce pays couvrait de ses bâtiments les mers
du Nord. En Angleterre elle fait subsister aussi
un nombre considérable de bons et hardis mate-
lots , et même en France, où elle a moins d’impor-
tance, on compte de trente à quarante mille pé-
cheurs, dont près du tiers s’aventure jusque sur
les côtes d'Islande et de Terre-Neuve.
CRSSAO
DISTRIBUTION DES POISSONS EN DIFFÉRENTS
ORDRES.
La classe des poissons est de toutes , celle qui
offre le plus de difficultés quand on veut la subdi-
viser en ordres, d’après des caractères fixes et
sensibles. Après bien des efforts, Cuvier s’est dé-
terminé pour la distribution suivante, qui dans
quelque cas, pèche contre la précision , mais qui
a l'avantage de ne point couper les familles natu-
relles.
Les poissons forment deux séries distinctes,
celle des poissons proprement dits, et celle des
chondroptérygiens, autrement dits poissons car-
hilagineux.
DES POISSONS. 243
La dernière série se partage en trois ordres :
Les cyclostomes, dont les mâchoires sont sou-
dées en un anneau immobile et les branchies ou-
vertes par des trous nombreux ; ex. lamproie.
Les sélaciens, qui ont les branchies des pré-
cédents et non leurs mâchoires; ex. squalere quin.
Les sturéoniens, dont les branchies sont ou-
vertes comme à l'ordinaire par une seule fente
garnie d’une opercule ; ex. esturgeon.
L'autre série ou celle des poissons ordinaires
offre d’abord une première division dans ceux où
los maxillaire et l’arcade palatine sont engrenés
au crâne: c’est l’ordre des plectognathes , divisé
en deux familles: les cymnodontes et les scléro-
dermes ; ex. triodons et coffres.
On trouve ensuite des poissons à mâchoires
complètes, mais où les branchies, au lieu d’avoir
la forme de peignes, comme dans toutes les au-
tres, ont celle de petites houppes , c’est l’ordre
des lozobranches ; ex. pégase.
Alors 1l reste une quantité innombrable de
poissons auxquels on ne peut plus appliquer d’au-
tres caractères que ceux des organes extérieurs
du mouvement. Après de longues recherches, le
savant naturaliste dont nous avons cité le nom
précédemment, a trouvé que le moins mauvais
de ces caractères est encore celui qu'ont employé
Rai et Artedi, tiré de la nature des premiers
rayons de la nageoire dorsale et de la nageoire
anale. On divise ainsi les poissons ordinaires en
malacoptérygiens, dont tous les rayons sont
mous, et en acanthoptérigiens , qui ont toujours
la première portion de la dorsale, ou la première
241 HISTOIRE NATURELLE
dorsale quand il y en a deux, soutenue par des
rayons épineux.
Les premiers peuvent être subdivisés sans in-
convénient d’après la position de leurs ventrales,
tantôt situées en arrière de l’abdomen , tantôt sus-
pendues en arrière de l'épaule, ou enfin manquant
tout à fait. On arrive ainsi aux trois ordres des
malacoptérygqiens abdominaux , subbrachiens et
apodes.
Cette base de division est absolument imprati-
cable avec les acanthoptérygqiens, et on ne peut
qu'y laisser subsister les familles naturelles assez
précisées, 1l est vrai, par des caractères qui
pourraient presque suflire pour déterminer des
ordres.
Au reste on ne peut assigner aux familles des
poissons des rangs aussi marqués qu’à celles des
mammifères et des autres vertébrés supérieurs.
Notre intention n’est point d'entrer dans de
longs détails sur l’histoire des poissons. Ces dé-
tails pourraient paraitre fastidieux à un grand
nombre de personnes ; nous nous bornerons sim- -
plement à faire connaître les espèces les plus re-
marquables.
LES MULLES.
Les muiles se distinguent facilement par les
deux longs barbillons suspendus sous la machoire
inférieure. Ces poissons sont propres aux mers
d'Europe et sont appelés vulgairement rougets-
barbets. Leur chair est délicieuse, et ce sont des
poissons célèbres par le plaisir puéril que les Ro-
mains prenaient à voir les changements de cou-
ls Poiscons volents.
DES POISSONS. 245
leur qu'ils présentent en mourant. Pour mieux
jouir de ce spectacle, et pour être bien certains
d’avoir ces poissons le plus frais possible, ils
les faisaient venir dans de petites rigoles, jusque
sous les tables où l’on mangeait, et les faisaient
mourir dans des vases de verre, que les convives
se passaient de main en main. Cette passion pour
les mulles fut portée an point de faire payer à
des prix exorbitants ceux qui dépassaient la
taille ordinaire. Sénèque raconte l’histoire d’une
muile , pesant quatre livres et demie, qui fut pré-
sentée à Tibère, et que ce prince, ridiculement éco-
nome , fit vendre au marché; Apicius et Octavius
se la disputèrent, et ce dernier l’emporta au prix
de einq mille sesterces, qui dans ces temps-là va-
lient 974 francs de notre monnaie, Pline parle
d'un de ces poissons qui, du temps de Caligula,
fut acheté par Asinius Céler pour huit mille ses-
terces (1,558 francs) , et Suétone nous apprend
que sous Tibère trois mulles d’une grande taille
furent payées trente mille sesterces (5,844 francs).
Nous possédons dans nos mers deux espèces :
la plus estimée est le rouget proprement dit, qui
est d’un rouge vif; la seconde est le surmulet,
qui atteint une plus grande taille, mais qui est
moins recherchée.
.
DACTYLOPTÈRES , OU POISSONS VOLANTS.
Parmi les traits remarquables qui distinguent
ce grand poisson volant et les autres qui jouis-
sent de la même faculté, il faut examiner spécia-
lement les dimensions de ses nageoires pectorales.
Elles sont assez étendues pour qu’on ait pu les
41
246 HISTOIRE NATURELLE
distinguer sous le nom d’ailes ; et ces instruments.
de natation et principalement de vol, étant compo-
sés d’une large membrane soutenue par de longs
rayons articulés que l’on a comparés à des doigts ;
comme les rayons des pectorales de tous les pois-
sons, les ailes du dactyloptère ont beaucoup derap-
port dans leur eonformation avec celles des chau-
ves-souris, dont on leur a donné le nom dans quel-
ques contrées : on les appelle encore quelquefois
faucons de mer, hirondelles de mer, ete.
Lorsque le dactyloptère est poursuivi par ses
ennemis au milieu des flots, il s’élance avec force:
hors de leur sein, se soutient quelque temps en
Vair en frappant l’atmosphère de ses larges mem-—
branes, et s’en va retomber à une grande distance
de son point de départ. Il traverserait dans lat-
mosphère des espaces bien plus considérables
encore, Si la membrane de ses ailes pouvait con-
server sa souplesse au milieu de l'air chaud et
quelquefois brûlant des contrées où 1l se trouve;
mais le fluide qu'il traverse a bientôt desséché ses
ailes membraneuses, et rendu leurs mouvements
très-difficiles et très-pénibles. Alors le dactylop-
tère, perdant sa faculté distinctive, retombe vers
les eaux au-dessus desquelles 1l s'était soutenu ,
et ne peut plus s’élancer de nouveau dans lat-
mosphère que quand il a plongé ses ailes dans
une eau réparatrice.
Les dactyloptères usent d'autant plus souvent
du pouvoir de voler qui leur a été départi, qu'ils
sont poursuivis dans le sein des eaux par un
grand nombre d’ennemis; plusieurs gros pois-
sons voraces , tels que les scombes et les dorades,
cherchent à les dévorer; et telle est la malheu-
sit es
DES POISSONS. 247
reuse destinée de ces animaux qui , poissons et o1-
seaux , sembleraient avoir un double asile, qu’ils
n’échappent aux périls de la mer que pour être
exposés à ceux de l'atmosphère, et qu’ils n’évitent
la dent des habitants des eaux que pour être sai-
sis par le redoutable bec des frégates , des mouet-
tes et de plusieurs autres oiseaux marins.
On rencontre ces poissons dans la Méditerra-
née et dans presque toutes les mers des climats
tempérés ; mais c’est principalement aupres des
tropiques qu'ils vivent en grand nombre.
LES MAQUEREAUX.
Les maquereaux appartiennent à la division des
scombéroïdes, et se distinguent parce que tout
leur corps est couvert de petites écailles fines et
lisses.
Le maquereau vulgaire ou commun est un
poisson de passage sur nos côtes; sa pêche est
très-productive, et donne lieu à des salaisons et à
des envois presque aussi considérables que les ha-
rengs. Comme ces poissons paraissent sur les
côtes de nos mers à des époques invariables , on
a débité plusieurs fables pour expliquer ces mi-
grations fixes et périodiques. On a dit que les
maquereaux passaient l'hiver dans les mers du
Nord, et qu’ils en descendaient au commencement
du printemps pour trouver le long des rivages une
nourriture plus abondante, et des endroits plus
favorables pour y déposer leur frai. Cette opinion
ne s'appuie pas sur des données assez certaines,
et il parait beaucoup plus vraisemblable que les
maquereaux vivent ordinairement au fond des
248 HISTOIRE NATURELLE
eaux, et qu'à certaines époques leurs légions in-
nombrables sont appelées vers les rivages par
les deux raisons que nous venons d'indiquer pré--
cédemment. Quoi qu’il en soit, les pêcheurs en
saisissent un très-grend nombre qui se consom-
ment ensuite dans les pays plus éloignés dans
les terres. Ce poisson a une chair plus délicate
que celle du hareng, et est en général plus re-
cherché.
LE THON.
Le thon ressemble assez au maquereau par la
forme générale de son corps , mais ilest moins al-
longé et atteint une taille bien plus considérable ;
en général sa longueur est de trois ou quatre pieds;
mais il paraît que quelquefois il en a plus de
quinze. On assure que sur les côtes de Sardaigne,
il n’est pas rare d’en prendre dont le poids s’é-
lève à plus de mille livres; ceux de cent à trois
cents livres n’y sont appelés que des demi-thons ;
enfin un auteur, qui a fait une histoire naturelle
de cette île, assure qu'on en a vu de dix-huit
cents livres.
Les attributs qu’ils ont reçus de la nature leur
donnent une grande prééminence sur le plus
grand nombre des autres poissons. C’est presque
toujours à la surface des eaux qu’ils se livrent au
repos, ou qu'ils s’abandonnent à l’action des di-
verses causes qui peuveut les déterminer à se mou-
voir. On les voit réunis en troupes très-nombreuses
bondir avec agilité, s’élancer avec force, cingler
avec la vélocité d’une flèche. La vivacité avec la-
quelle ils échappent , pour ainsi dire, à l'œil de
p. 249
{s.
[
les Broch
. LE ps 7
FRE EVE
DES POISSONS. 249
Vobservateur, est principalement produite par
une queue très-longue, qui frappe londe sa-
lée par une face très-élendue, ainsi que par une
nageoire très-large ; cette queue est animée par
des museles vigoureux, et soutenue de chaque
-côté par un cartilage qui accroît son énergie.
Ce poisson se montre quelquefois dans Océan,
mais c’est surtout dans la Méditerranée qu'il
abonde. On lui a fait, depuis ies temps les plus
anciens, une chasse très-active , et de nos jours
cette chasse donne des produits très-considéra-
bles, et exerce l’industrie d’un grand nombre de
pêcheurs.
LES CYPRINS.
La tribu des cyprins se distingue par ses mâ-
choires dépourvues de dents, et des ouïes soute-
nues seulement par trois rayons plats. Ce sont
des poissons d’eau douce peu carnassiers, qui vi-
vent en grande partie de graines, de plantes aqua-
tiques et même de Himon. Les animaux les plus re-
marquables de cette tribu sont: les carpes, les
barbeaux, les goujons, les tanches, les brèmes,
les ables ou ablettes.
La carpe habite les lacs, les étangs, les riviè-
res; de la nature des eaux et des aliments dépend
le plus ou moins de délicatesse de sa chair. Les
carpes peuvent atteindre une taille très-considé-
rable; on en a vu qui pesaient jusqu’à cinquante
ou soixante livres. Ce poisson, dit-on, est si fin
et si rusé qu'on le pêche difficilement, à moins
de mettre la rivière à sec. A l’approche du filet, il
enfonce sa tète dans la bourbe, laisse passer le
250 HISTOIRE NATURELLE
filet, et ne reparaît que lorsqu'il n’y a plus de dan-
ger. La reproduction est proportionnée à la des-
truction: en a trouvé dans le corps d’une carpe
du poids de dix livres jusqu’à sept cent mille
œufs, mais une grande partie de ces œufs et des
petits qui en naissent deviennent la proie des
poissons voraces.
Les barbeaux ressemblent à la carpe commune
par plusieurs traits de leur conformation. Les
épines et les barbillons ont beaucoup d’analogie ;
mais les barbeaux ont les nageoires dorsale et
anale fort courtes. Ces poissons ont une chair
moins estimée et moins recherchée que celles des
carpes.
Les goujons ne parviennent jamais à une taille
moyenne; leur longueur ne dépasse guère huit
pouces. ils vivent en grandes troupes dans toutes
nos eaux douces; mais dans lhiver, on les ren-
contre principalement dans les marais, les lacs,
et toutes les eaux tranquilles. Ces petits poissons
ont une chair assez délicate, surtout dans les
premiers jours du printemps.
Les tanches ont encore des traits nombreux de
ressemblance avec les précédents, mais elles
n’ont que de très-petites écailles et des barbil-
lons très-courts. La {anche vulgaire est courte,
grosse et d’une couleur brune, jaunâtre et même
dorée: elle se plaît surtout dans les eaux sta-
gnantes.
Les brèmes n’ont ni rayons épineux ni barbil-
lons; leur nageoire dorsale est courte et placée
en arrière des ventrales. Nos eaux douces en
nourrissent deux espèces: la brème commune et
DES POISSONS. 251
la bordelière ou petite brème, moins estimée que
la première.
Les ables sont de petits poissons très-blancs
et très-répandus dans tous nos ruisseaux. L'a-
blette ou able ordinaire acquiert sept ou huit
pouces de long , et se fait remarquer par ses écail-
les brillantes , qui se détachent aisément et qui
sont argentées ou nacrées. On s’en sert, comme
nous avons déjà eu occasion de le dire, pour faire
l'essence des fausses perles. Une autre espèce de
ce genre , le véron, est le plus petit de nos pois-
Sons.
LE BROCHET.
Ce poisson est fort estimé sur nos tables, mais
dans les étangs et les viviers il est très-redouta-
ble et cause de grands désordres. Il est très-vo-
race et toujours affamé; il se précipite sur tous
les poissons qui s'offrent à sa rencontre; on le
“voit encore se mettre en embuscade contre le cou-
rant de l’eau , prêt à fondre sur l'imprudent qui
tentera le passage. C’est le fléau destructeur de
tous ceux à qui la nature n’a pas donné d'armes
offensives et défensives.
La croissance de ces poissons est rapide. Il
n’est point rare dans le nord de l’Europe de trou-
ver des brochets de quatre à cinq pieds de long
et d’un poids fort considérable. Leur longévité pa-
rait être très-grande.
LE MALAPTÉRURE ÉLECTRIQUE.
De tous les poissons, celui-ci est peut-être le
9259 HISTOIRE NATURELLE
plus remarquable par les singulières propriétés
qu'il a reçues de la nature. Linnée l’avait nommé
silure électrique, et les Arabes l’appellent raasch
ou tonnerre, parce qu'il donne à la main impru-
dente qui le touche d'assez violentes commotions
électriques. On a fait d’assez grandes recherches
anatomiques pour connaître et décrire parfaite-
ment l’organe qui était le siége de cette faculté si
extraordinaire , et on n’est arrivé qu'à de simples
conjectures. Il paraît, dit Cuvier, que le siége de
cette faculté est un tissu particulier situé entre la
peau et les muscles, et qui présente l’apparence
d’un tissu cellulaire graisseux , abondamment
pourvu de nerfs.
LE SAUMON.
Ce poisson d’une chair nourrissante et délicate
atteint quelquefois une taille assez considérable ;
il pèse jusqu’à trente et quarante livres. Il habite
tantôt les mers, et tantôt les eaux douces en re-
montant dans les fleuves et les rivières qui Sy
déchargent. C’est un des plus beaux poissons que
nos pêcheurs rencontrent quelquefois dans les
rivières poissonneuses de la Touraine et d’autres
provinces. Il est si fortement musclé, et possède
des mouvements si énergiques, qu'il remonte con-
tre le courant de l’eau avec la rapidité d’un trait,
surtout lorsque les rivières sont enflées par
l'abondance des pluies. C’est depuis le mois de
novembre jusqu’au printemps que les saumons
quittent la mer pour entrer dans les fleuves. Si en
nageant à la surface de l’eau ils rencontrent une
digue , ils s’élancent au delà, eût-elle cinq ou six
DES POISSONS. 253
pieds de haut. On en voit remonter de cette ma-
nière dans le Rhin, la Garonne, la Tamise , et au-
tres fleuves et rivières jusqu’à la distance de cent
lieues. Les saumons se nourrissent de vers, de
petits poissons, et s’engraissent dans l’eau douce.
La chair du saumon est très-estimée, et dans
certaines localités, dans les rivières du nord de
l'Europe surtout, la pêche de ce poisson est une
branche d'industrie des plus productives et des
plus importantes.
La truite de mer, la truile saumonée et la
truite commune se rapprochent de la forme du
saumon , et offrent à nos tables une nourriture as-
sez délicate.
LES HARENGS.
Tout le monde connait le hareng commun, de-
venu célèbre par la pêche dont il est l’objet , et par
l'abondance qui en estrépandue dans le commerce.
Il fait sa demeure dans les mers du Nord, et ar-
rive chaque année en légions innombrables sur
diverses parties des côtes d'Europe, d’Asie et
d'Amérique. Quelques icthyologistes ont pensé
que les harengs se retirent périodiquement sous
les glaces des mers polaires, et qu’ils partent de
là en immenses colonnes qui vont se répandre en
diverses régions du globe." Cette opinion est loin
d’être démontrée positivement , et quelques don-
nées sembleraient prouver le contraire. Les ha-
rengs viennent sur nos côtes déposer leurs œufs,
et ensuite 1ls remontent dans les mers arctiques
pour y trouver les petits mollusques et les petits
254 HISTOIRE NATURELLE
crustacés qui forment leur nourriture. C’est au
printemps qu'ils se rapprochent du rivage, et
qu'ils viennent chercher des eaux plus chaudes et
moins profondes. En général ces poissons arri-
vent dans les mêmes parages à jour nommé , pour
ainsi dire ; quelquefois aussi des circonstances
particulières les en éloignent pendant plusieurs
années. Ils voyagent en nombre incalculable, et
en formant des banes serrés , qui couvrent quel-
quefois la surface de la mer, dans une étendue
de plusieurs lieues, et dans une épaisseur de plu-
sieurs centaines de pieds. C’est alors qu'on leur
fait une pêche très-avantageuse et qu’on en prend
des quantités prodigieuses. Cette pêche emploie
chaque année des flottes entières, et jadis elle était
poursuivie avec encore plus d'activité.
Une autre espèce du genre des harengs donne
également lieu à des pêches importantes : c’est la
sardine , célèbre par l’extrême délicatesse de sa
chair. Elle habite l’océan Atlantique, la mer Bal-
tique et la Méditerranée. Pendant l'hiver elle se
tient dans les profondeurs de la mer; mais vers
le mois de juin, elle se rapproche des côtes, réu-
nie en légions immenses. On a vu des bateaux
prendre jusqu'à quarante et même jusqu'à cin-
quante mille de ces poissons. La pêche de la sar-
dine se fait à peu près de la même manière que
celle du hareng, mais avec des filets à mailles
plus petites, et les pêcheurs, afin d’y attirer plus
de poisson, ont soin d'y jeterun appât particulier.
Depuis l'embouchure de la Loire jusqu'à lextré-
mité de la Bretagne, ce poisson abonde chaque
été et donne lieu à des pêches très-productives:
aussi existe-t-il sur cette côte un grand nombre
DES POISSONS. 955
d'établissements appelés presses, dans lesquels
on s'occupe de la salaison de la sardine.
LES MURÈNES.
Les murènes ont le corps très-allongé et en
général ophimorphe ; elles ont des nageoires pec-
torales et par-dessous l'ouverture des branchies.
Les murènes proprement dites sont devenues
très-célèbres par les extravagances des Romains
à leur égard. La murène commune atteint Jjus-
qu’à trois pieds de long, et se trouve abondam-
ment répandue dans la Méditerranée. Les Ro-
mains en élevaient un grand nombre dans leurs
magnifiques viviers.
Les anguilles communes appartiennent à cette
division : elles varient de couleurs suivant une
foule de circonstances extérieures. Elles sont
très-voraces et d’une agilité extrême; elles na-
gent également bien en avant et en arrière, et
leur peau couverte d’une mucosité visqueuse est
si glissante, qu'il est très-difficile de les saisir.
Quand la saison est très-chaude et. que l’eau sta-
gnante desétangs commence à se corrompre, les
anguilles quittent le fond et se cachent sous les
herbes du rivage, ou même se mettent en voyage
pour aller, à travers les terres, chercher une de-
meure plus favorable. C’est ordinairement pen-
dant la nuit qu’elles font ces voyages singuliers ,
et quand la sécheresse est extrême , elles s’enfon-
cent dans la vase, pour y rester enfouies jusqu’à
ce que l’eau soit revenue. On a vu de ces animaux
passer ainsi privés d’eau un temps assez long , et
reprendre leur agilité quand leur élément leur
était rendu.
256 HISTOIRE NATURELLE
La gymnote où anguille éiectrique a le corps
allongé comme les précédents, mais s’en distin-
gue par une faculté bien extraordinaire, qu’elle
partage avec la mélaptérure électrique. Ce pois-
son atteint cinq ou six pieds de long, et décharge
à volonté et dans la direction qui lui plaît de vio-
lentes commotions électriques assez fortes pour
terrasser un homme et les animaux les plus vi-
goureux, comme le bœuf et le cheval.
LES COFFRES.
Les coffres ont dans la structure de leurs tégu-
ments une particularité que nous ne voulons pas
passer sous silence. Les écailles se soudent, se so-
lidifient, et donnent naissance à de véritables
plaques cornées d’une dureté et d’une résistance
à toute épreuve. Quelques autres écailles subis-
sent une altération peut-être encore pl's profonde
en se raidissant en piquants et en épines mobiles
au gré de l’animal. Les coffres sont done munis
ainsi d’une cuirasse protectrice contre les atta-
ques de leurs ennemis , et vivent à l'abri de leurs
attaques, ordinairement dans les mers chaudes
voisines de l'équateur.
LES REQUINS.
Le formidable requin parvient jusqu’à une lon-
sueur de tre te pieds, et pèse quelquefois plus
de mille livirs. Mais la grandeur n’est pas son
seul attribut ; il a recu aussi la force et des ar-
mes meurtritres : féroce autant que vorace ,
impétueux dans ses mouvements, avide de sang
et insatiable de proie, il est véritablement le tigre
p. 256
7
fn Un =
. ail net qi
ke Requin.
DES POISSONS. 257
de la mer. Recherchant sans crainte tout ennemi,
poursuivant avec plus d’obstination, attaquant
avec plus de rage, combattant avec plus d’achar-
nement que les autres habitants des eaux ; rapide
dans sa course, répandu dans tous les climats,
ayant envahi, pour ainsi dire, toutes les mers ;
paraissant souvent au milieu des tempêtes ; aperçu
facilement par l’éclat phosphorique dont il brille
au milieu des ombres des nuits les plus orageu-
ses; menaçant de sa gueule énorme et dévorante
les infortunés navigateurs exposés aux horreurs
du naufrage, leur fermant toute voie de salut,
leur montrant, pour ainsi dire, leur tombe ou-
verte, et plaçant sous leurs veux le signal de la des-
truction , il n’est pas étonnant qu’il ait reçu le nom
sinistre qu'il porte, et qui réveille le souvenir de
la mort. Le nom du requin vient par corruption
du mot latin requiem.
Le corps du requin est très-allongé, et la peau
qui le recouvre est garnie de petits tubercules
très-serrés les uns contre les autres. Comme cette
peau tuberculée est très-dure, on l’emploie dans
les arts à polir différents ouvrages de bois et d’i-
voire; on s’en sert aussi pour faire des liens et
des courroies , ainsi que pour couvrir des étuis et
d’autres meubles ; la peau de requin porte ordi-
nairement dans le commerce le nom de peau de
chien de mer, où peau de chagrin. La dureté
de cette peau est très-utile au requin, et sert à le
protéger contre la morsure de plusieurs animaux
assez forts et armés de dents meurtrières.
L'énorme gueule du requin est garnie d’une
sextuple rangée de dents tranchantes, blanches
comme de livoire , et mobiles au gré de l'animal.
95S HISTOIRE NATURELLE DES POISSONS.
LES RAIES.
Les raies forment une nombreuse tribu facile à
reconnaitre à la forme orbiculaire du corps, et aux
nageoires ordinairement très-développées. Nos
mers nourrissent quelques espèces de raies re-
cherchées pour la bonté et la légèreté de leur
chair. La plus commune est la raie bouclée, ainsi
nommée à cause de gros tubercules, garnis cha-
cun d’un aiguillon recourbé , qui hérissent irré-
gulièrement les deux surfaces de son corps.
FIN DES POISSONS.
DES MATIÈRES.
Les hérons. 141
Les cigognes, 143
L'ibis. 145
La bécasse, 146
261
Les tourne-pierres. 147
Les poules d’eau. 1b.
Les flamants. 148
VIe ORDRE DES OISEAUX.
Les palmipèdes. 150
Ie Famille des palmipédes.
Jre Famille des palmipèdes. p us totipaimes. 160
—Les brachyptères. 152 1. ve ib.
Les grébes. 153 2. LR 162
Les plongeons. 154 . Fe Re LA 163
Les pingouins. 155 Se edes palmipèdes.
Les manchots. ib. — Les lamellirostres. 164
Les cygnes. 165
Ile Famille des palmipèdes. Les oies. 166
—Les longipennes. 156 _ Les canards. 167
Les pétrels. 157 L'eider. 168
Les mouettes ou goélands. 158 La sarcelle. 169
CASTRO
HISTOIRE NATURELLE DES REPTILES,
Erpétologie. 171
Divisions générales des
reptiles en différents or-
dres. 179
I ORDRE DES REPTILES.
Les chéloniens, ou les tor-
—tues. 182
Jre Famille des chéloniens.
— Tortues marines. 156
La tortue franche. 187
Le caret. 191
11e Famille des chéloniens.
—Les tortues d’eau douce.192
La bourbeuse, ou la tortue
d’eau douce d'Europe. 193
La tortue à boite. 194
lile Famille des chéloniens.
—Les tortues de terre. 195
La tortue grecque. ib.
II: ORDRE DES REPTILES.
Les sauriens. 196
Les crocodiles, 198
Le Monitor , ou tupinam-
bis. 202
Le lézard gris. 203
Le lézard vert. 205
Le dragon. 207
L’iguane. 208
4
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262
Le basilic. 210
Le caméléon. 211
TABLE DES MATIÈRES.
Les seps, les bipèdes et les
bimanes. | 213
lle ORDRE DES REPTILES.
Les ophidiens , ou les ser-
pents. 214
Z'< Famille des ophidiens.
—Les orvets, ou anguis. 215
Ile Famille des ophidiens.
— Les couleuvres ou les
serpents non venimeux. 217
Les boas. 1b.
La couleuvre à collier. 218
Ïiic Famille des ophidiens.
—Les vipères, où ser-
pents venimeux. 220
Le crotale, ou serpent à
sonnettes. 221
La vipére commune. 224
IVe ORDRE DES REPTILES.
Les batraciens ou les gre- Le crapaud. 231
nouilles. 226 Les salamandres. 233
Les grenouilles. 227 La sirène. 235
Les raines ou raimettes. 230
CKZSRO
HISTOIRE NATURELLE DES POISSON.
Icthyologie. 237
Distribution des poissons
en différents ordres. 242
Les mulles. 244
Dactyloptères ou poissons
volants. 245
Les maquereaux. 247
Le thon. 245
Les cyprins. 249
Le brocher. 251
Le .alaptérure électrique. 1b.
Le saumon. 202
Les harengs. 253
Les murènes. 255
Les coffres. 256
Les requins. 1b.
Les raies. 258
FIN DE LA TABLE.
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