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Full text of "Histoire naturelle des poissons : avec les figures dessinées d'après nature"

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HARVARD    UNIVERSITY. 


LIBRARY 

OF  THE 

MUSEUM  OF  COMPARATIVE  ZOOLOGY 

LlBEARY    OF 

SAMUEL  GARMAN 


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JAN  2  2 1929 


HISTOIRE    NATURELLE 


DES    POISSONS. 


HISTOIRE  NATURELLE 
DES  POISSONS, 

avec  les  figures  dessinées  d'après  nature 
PAR    BLOC  H. 

Ouvrage  classé  par  ordres ,  genres  et  espèces , 
d'après  le  système  de  Linné; 

AVEC    LES    CARACTERES    GENERIQUES; 

Tar  RENÉ-RICHARD  CASTEL ,  auteur  du  poème 
des  Plantes. 

TOME    PREMIER. 


DE  L'IMPRIMERIE  DE  CRAPELET. 

A     PARIS, 

Chez  Deterville,  rue  du  Battoir,  n°  l6. 

AN    IX.     {  jy    fi 

C 


AVIS  DU  LIBRAIRE, 


L'histoire  naturelle  des  Pois- 
sons par  Bloch  ,  est  trop  connue 
pour  en  faire  ici  l'éloge  ;  elle  est 
généralement  estimée  des  Français 
et  des  étrangers  :  aucun  ouvrage 
n'est  plus  propre  à  faire  suite  aux 
écrits  de  Buffon  ,  et  c'est  jusqu'à 
présent  le  seul  traité  complet  que 
l'on  connoisse  sur  cette  grande  par- 
tie des  productions  de  la  nature. 

Malheureusement  pour  beau- 
coup de  lecteurs ,  c'est  un  ouvrage 
de  luxe  9  puisqu'il  est  de  format 
grand  in-folio  _,  et  qu'il  coûte  neuf 
cents  livres.  Nous  avons  cru  rendre 
service  au  public,  en  reproduisant 
cette  Histoire  sous  un  format  cora- 

Poissons.  I.  a 


ij         AVIS   DU    LIBRAIRE 

mode,  portatif,  d'une  très-belle 
exécution  ,  à  un  prix  très-modi- 
que. Toutes  les  planches  ont  été 
dessinées  de  nouveau  par  J«  E. 
Deseve,  dont  le  talent  est  connu, 
et  gravées  avec  un  soin  particulier 
sous  sa  direction  ;  de  sorte  que  , 
sans  en  excepter  une  seule  ,  elles 
se  retrouvent  dans  notre  édition  , 
au  même  nombre  et  aussi  précieu- 
sement terminées  que  dans  l'ori- 
ginal. 

L'ouvrage  de  Blocli  ayant  paru 
partie  à  partie ,  l'auteur  n'a  pu 
y  mettre  Tordre  qu'il  desiroit. 
C'est  un  inconvénient  attaché  aux 
grands  ouvrages  sur  la  nature,  pour 
lesquels  on  ne  peut  réunir  tous  les 
matériaux  à-la-fois.  Bloch  a  suivi 
le  système  de  Linné  ;  mais  par  une 
suite  de  l'inconvénient  dont  nous 


A  Y  I  S  DU  LIBRAIRE.  ii  j 
parlons ,  donnant  les  espèces  à  me- 
sure qu'elles  lui  arri voient ,  il  s'est 
Vu  souvent  forcé  de  les  placer  loin 
de  leur  genre  ,  et  de  recourir  à  la 
ressource  des  supplémens. 

René  Richard  Castel  ,  auteur 
du  Poëme  des  Plantes  ,  et  éditeur 
de  V Histoire  naturelle  de  Biiffbn  _, 
classéepar  ordres,  genres  et  espèces 
d'après  le  système  de  Linné,  a  bien 
voulu  se  charger  de  revoir  cet  ou- 
vrage, et  d'en  distribuer  réguliè- 
rement les  parties  suivant  la  mé- 
thode linnéenne  et  l'intention  de 
Bloch. 

Ainsi  le  désordre  et  les  transpo- 
sitions de  l'original  se  trouvent 
entièrement  réparés  dans  cette 
édition.  Bloch  n'avoit  point  donné 
l'histoire  du  Narval,  des  Baleines, 


ÎV        AVIS    DU    LIBRAIRE. 

des  Cachalots,  des  Dauphins,  c'est- 
à-dire  ,  des  plus  gros  animaux  des 
mers  ,  nous  l'avons  ajoutée,  pour 
qu'il  ne  manque  rien  à  la  curiosité 
ou  à  l'instruction  de  ceux  qui  veu- 
lent connoître  les  poissons. 


INTRODUCTION. 


Ce  n'est  pas  pour  les  savans  seuls 
que  j'ai  composé  cet  ouvrage  5  j'ai 
songé  en  même  temps  à  l'instruc- 
tion de  ceux  qui  s'appliquent  à 
l'économie  rustique.  Il  est  clone 
nécessaire  ,  avant  que  d'entrer  en 
matière  ,  de  donner  une  explica- 
tion des  termes  de  l'art,  de  déter- 
miner l'usage  des  différentes  par- 
ties du  corps  des  poissons  ,  de  dire 
quelque  chose  sur  la  pêche  et  les 
instrumens  qu'on  y  emploie  ;  en- 
fin d'enseigner  les  moyens  géné- 
raux et  les  précautions  nécessai- 
res pour  transporter  les  poissons 
d'un  endroit  dans  l'autre. 

Je  commencerai  pat'  donner 
quelques  notions  générales  sur  les 
qualités  des  poissons.  Je  les  place 


VJ  INTRODUCTION. 

ici,  afin  de  n'y  plus  revenir  dans 
la  suite,  et  d'éviter  des  répétitions 
ennuyeuses. 

Le  corps  de  la  plupart  des  pois- 
sons paroît  comprimé  des  deux 
côtés ,  c'est-à-dire  plus  haut  que 
large ,  comme  dans  le  hareng  et 
le  saumon  -,  quelques-uns  sont  ap- 
pîatis  dessus  et  dessous  et  plus  lar- 
ges que  hauts,  comme  la  sole  et  la 
raie^  d'autres  sont  ronds  comme 
l'anguille  ,  la  murène  et  la  lam- 
proie. 

Dans  la  plupart  des  poissons, 
l'ouverture  de  la  bouche  est  pla- 
cée sur  le  devant  de  la  tète  y  dans 
d'autres  ,  comme  l'esturgeon  ,  le 
barbeau  ,  etc. ,  elle  en  occupe  la 
partie  inférieure;  dans  quelques- 
uns,  tels  que  le  raspecon  et  la  vive, 
elle  est  en  haut.  Dans  quelques 
espèces ,  telles  que  les  carpes  ,  les 


INTRODUCTI  O  X.         vij 
lèvres  sont  mobiles  et  garnies  d'os 
particuliers.  Les  poissons  voraces , 
comme  l'a  truite  et  l'éperlan  ,  ont 
ordinairement  les  mâchoires,   le 
palais  et  la  langue  garnis  de  dents. 
La  mâchoire  supérieure  de  l'es- 
padon avance  de  beaucoup  sur  la 
mâchoire  inférieure  ,  et  les  deux 
mâchoires  de  l'orphie    se  termi- 
nent en  longues   pointes  ;  quel- 
ques-uns, comme  le  silure  et  le 
goujon ,  ont  la  bouche  garnie  d'ap- 
pendices vermifoLines,  qu'où  nom- 
me cirrlies* 

L'œil  est  composé  delà  prunelle, 
de  l'iris  et  du  cristallin  \  ce  dernier 
est  rond,  afin  que  le  poisson  puisse 
mieux  voir  au  milieu  de  l'eau. 
Les  poissons  n'ont  pas  proprement 
des  paupières  ;  mais  a,u  lieu  de 
cela  t  la  nature  a  donné  à  plusieurs 
espèces  ?   telles  que  la  lotc  >   une 


Viij  INTRODUCTION* 
peau  qui  en  tient  lien.  La  parti© 
qui  est  au-dessus  des  yeux  et  qui 
joint  la  tête  au  tronc ,  se  nomme 
la  nuque.  Les  opercules  des  ouies 
sont  des  deux  côtés.  Dans  les  pois- 
sons à  écailles  ,  ils  sont  ordinaire- 
ment composés  de  deux  ou  trois 
lames  osseuses  ;  et  dans  d'autres  , 
tels  que  l'anguille  ,  ils  sont  mem- 
braneux. La  membrane  des  ouies 
est  composée  de  rayons  osseux  ou 
cartilagineux,  et  placéeàla  gueule. 
Quelquefois  elle  est  couverte  en- 
tièrement par  les  opercules  comme 
dans  les  soles  $  d'autres  fois  seule- 
ment à  moitié  ,  comme  dans  la 
plupart  des  poissons,  ou  enfin  elle 
est  totalement  nue  comme  au  scor- 
pion de  mer.  Sous  ces  opercules  , 
on  trouve  de  cbaque  côté  les  qua- 
tre ouies  qui  consislent.  en  tin  are 
osseux  ou  cartilagineux  3    et   un 


INTRODUCTION.  ix 

double  rang  de  franges,  entre  les- 
quels le  sang  circule  dans  des  vais- 
seaux très-déliés. 

Intérieurement ,  les  ouies  sont 
attachées  de  chaque  côté  à  deux 
osselets  du  palais.  C'est  par  le 
moyen  des  ouies  que  les  poissons 
respirent.  Ils  attirent  Peau  par  la 
bouche  et  ferment  en  même  temps 
l'ouverture  des  ouies.  De  cette  ma- 
nière, les  ouies  sont  dans  les  pois- 
sons ,  relativement  à  la  circula- 
tion du  sang  ,  ce  que  les  poumons 
sont  dans  les  autres  animaux  pour 
l'inspiration  de  l'air.  Si  le  poisson 
ouvre  aussi-tôt  après  les  opercules 
des  ouies  ,  l'eau  en  sort  à  l'instant 
et  de  la  même  manière  que  l'air 
sort  des  poumons  par  le  moyen  de 
l'expiration.  Il  y  a  des  poissons  qui, 
outre  les  ouies  ,  ont  aussi  des  es- 
pèces de  poumons  -,    tels  sont  la 


X  INTRODUCTION. 

lamproie,  la  raie  et  le  requin.  Ces 
deux  organes  communs  de  la  res- 
piration donnèrent  à  Linné  l'idée 
d'en  faire  une  classe  particulière 
d'amphibies.  Ces  espèces  ont  à  la 
place  une  ouverture  de  chaque  cô* 
té.  La  partie  située  en  bas  ,  entre 
la  membrane  des  ouies  et  l'ouver- 
ture de  la  bouche  ,  se  nomme 
gueule. 

Le  poisson  n'a  point  de  cou  ,  sa 
lête  est  unie  immédiatement  au 
tronc.  Le  tronc  de  la  plupart  des 
poissons  est  couvert  de  petites  pla- 
ques brillantes  et  de  la  nature  de 
la  corne,  qu'on  nomme  écailles. 
Quelques  espèces ,  telles  que  le  liè- 
vre marin  ,  le  turbot  et  l'estur- 
geon ,  ont  au  lieu  d'écaillés  ,  des  • 
protubérances  osseuses  ou  cartila- 
gineuses ;  d'autres  sont  couverts 
de  boucles  comme  les  épinoches  ; 


INTRODUCTION.  xj 

d'autres  enfin  ont  la  peau  entière- 
ment lisse  et  sans  écailles  ,  mais 
enduite  d'une  matière  visqueuse 
et  gluante  ;  telles  sont  la  loche  et 
le  silure. 

La  carpe  à  miroir  à  grandes 
écailles  ,  dont  le  tronc  n'est  cou- 
vert qu'en  partie  ,  semble  tenir  le 
anilieu  entre  ces  deux  extrémités. 

Le  tronc  comprend  la  poitrine, 
le  ventre  et  la  queue.  La  poitrine 
est  courte,  parce  que  les  poumons 
sont  dans  la  tête  ;  elle  est  séparée 
du  ventre  par  une  membrane  blan- 
che et  brillante  nommée  dia- 
phragme. On  appelle  ventre  la  par- 
tie située  entre  la  poitrine  et  la 
queue  ;  et  celle  qui  termine  le 
tronc  en  se  rétrécissant,  se  nomme 
queue. 

Dans  quelques  espèces  ,  le  ven- 
tre est  épais  *?  dans  d'autres ,  il  est 


XÎj         INTRODUCTION» 

mince  ou  tranchant.  Chez  quel- 
ques-uns ,  le  dos  est  entièrement 
rond  ;  chez  d'autres  ,  il  ne  l'est 
qu'en  partie  ,  et  dans  la  plupart , 
il  est  terminé  par  une  espèce  de 
tranchant. 

On  désigne  sous  le  nom  de  cotés 
l'espace  compris  entre  le  ventre  et 
le  dos.  Dans  la  plupart  des  pois- 
sons, on  remarque  sur  les  côtés 
une  ligne  qui  va  depuis  la  tête  jus- 
qu'aux nageoires  de  la  queue  :  on 
la  nomme  ligne  latérale. 

Les  nageoires  prennent  leur 
nom  des  parties  auxquelles  elles 
sont  attachées  ;  ainsi  J'on  dit  les 
nageoires  dorsales,  pectorales,  les 
nageoires  du  ventre  ,  de  l'anus  et 
de  la  queue.  Les  nageoires  dorsales 
sont  tantôt  simples  comme  dans  le 
genre  des  brochets  ,  tantôt  dou- 
bles ;  comme  celles  de  la  perche  et 


INTRODUCTION.       xiij 
du  sandre;  tantôt  triples,  comme 
celles  de  l'aigrefin  et  de  la  morue. 
Quelques  espèces,  comme  les  sau- 
mons ,  ont  une  seconde  nageoire, 
qui  n'est  qu'une  membrane  alon- 
gée,  qu'on  nomme  nageoire  adi- 
peuse. Les  nageoires  de  la  poitrine 
sont  toujours  au  nombre  de  deux. 
Elles  sont  placées  près  des  ouver- 
tures des  ouies  ;  et  le  poisson  s'en 
sert  en  guise  de  rames  pour  avan- 
cer dans  l'eau.  Dans  un  petit  nom- 
bre, elles  sont  tellement  alongées, 
que  le  poisson   peut  ,    avec  leur 
secours  ,    s'en   servir  comme  de 
deux  ailes  pour  se  soutenir  pen- 
dant quelque  temps  en  l'air.  Il  y  a 
diverses  espèces   qui  n'ont  point 
de  nageoires  au  ventre  ;   et   par 
cette  raison  ,   on  les  nomme  apo- 
des,  ou  sans  pieds,  telles  sont  l'an- 
guille ,  le  tobie  et  l'espadon.  Mais 
Poissons.  I.  b 


xiv  INTRODUCTION. 
dans  ceux  qui  en  ont ,  on  en  trouve 
toujours  deux.  Ces  nageoires  sont 
pour  les  poissons  des  espèces  de 
pieds  dont  ils  se  servent  pour  s'ap- 
puyer au  fond  de  l'eau.  Situées 
sous  la  partie  inférieure  du  corps , 
leur  place  n'y  est  pas  toujours  fixe 
et  déterminée.  On  les  trouve  tan- 
tôt à  la  gueule  3  tantôt  à  la  poitrine 
ou  au  ventre.  Dans  le  premier  cas , 
les  poissons  se  nomment  jugulai- 
res :  ce  sont  la  merluche  ,  l'aigre- 
fin et  la  lote  ;  dans  le  second,  on 
les  appelle  thorachiques ,  telles  que 
la  perche  et  l'épinoche  ;  dans  le 
troisième ,  ils  prennent  le  nom 
à' abdominaux.  On  compte  entre 
autres,  dans  cette  dernière  classe, 
le  brochet,  le  saumon  et  la  carpe. 
La  nageoire  de  l'anus  placée  entre 
le  ventre  et  la  queue  ,  est  ordinai- 
rement simple  ;  elle  contribue  avec 


INTRODUCTION.         XV 

celle  du  dos  à  tenir  le  poisson  eu 
équilibre.  La  nageoire  delà  queue 
termine  les  parties  externes  du 
poisson  :  les  poissons  s'en  servent 
pour  avancer  ,  tourner  et  diriger 
leurs  mouvements.  Elle  est  ronde 
dans  quelques  uns,  comme  le  car- 
relet, et  droite  dans  d'autres,  com- 
me la  tanche.  Quelquefois  on  y  re- 
marque une  échancrure  formant 
un  croissant  lorsqu'elle  n'est  pas 
profonde  ,  et  une  espèce  de  four- 
che lorsqu'elle  l'est  ,  comme  ou 
peut  le  voira  l'espadon  et  à  la  brè- 
me. Toutes  ces  différences  sont 
autant  de  marques  distinctives  qui 
servent  à  ranger  les  poissons  en 
classes  ,  en  genres  et  en  espèces. 

Les  nageoires  en  elles-mêmes  sont 
formées  d'une  peau  soutenue  par 
plusieurs  rayons  osseux  ou  carti- 
lagineux ,  et  unies  au  corps  par  I© 


XVJ        INTRODUCTION. 

moyen  de  certains  os  particuliers. 
Elles  sont  traversées  par  divers 
muscles  par  le  moj^en  desquels  le 
poisson  peut  les  mouvoir  en  dif- 
férens  sens.  Le  nombre  des  rayons 
est  très -varié  et  fournit  un  des 
principaux  caractères  qui  servent 
à  distinguer  les  espèces  et  les  gen- 
res. Dans  quelques-uns,  ils  sont 
durs  et  pointus ,  et  dans  d'autres  , 
mous  et  plians. 

.Les  poissons  dont  les  parties  les 
plus  solides  ne  sont  que  cartilagi- 
neuses, comme  la  lamproie  et  le 
lièvre  marin ,  ont  aussi  des  ravons 
de  même  nature.  Outre  les  nageoi~ 
res,  il  y  a  des  poissons  qui  ont  des 
appendices  particulières  qui,  lors- 
qu'elles sont  situées  à  la  poitrine  , 
prennent  le  nom  de  doigts  comme 
dans  le  rouget.  Il  y  en  a  d'autres 
qui  ont  immédiatement  au-dessus 


INTRODUCTION,  xvi) 
des  nageoires  du  ventre  ,  une  par- 
tie pointue  et  séparée  de  la  peau  , 
que  l'on  nomme  appendice  ven- 
trale ;  elle  est  cartilagineuse  et  à 
moi  tié  couverte  d'écaillés.  Elle  sert 
probablement  à  soutenir  d'une  ma- 
nière  particulière  la  nageoire  du 
ventre. 

La  conformation  des  parties  in- 
térieures des  poissons  est  différen- 
te ,  à  bien  des  égards  ,  de  celle  des 
autres  animaux.  La  langue  du  pois- 
son est  cartilagineuse;  et  dans  quel- 
ques espèces  voraces  ,  telles  que 
les  éperlans  et  les  truites  ,  elle  est 
même  garnie  de  deuts;  d'autres, 
comme  les  carpes  ,  n'en  ont  point 
du  tout;  ce  qui  fait  croire  que  cet 
organe,  chez  les  poissons,  est  plu- 
tôt destiné  à  retenir  la  nourriture 
qu'à  faire  éprouver  à  l'animal  le 
sentiment  du  goût. 


Xvilj    INTRODUCTION. 

Pline  a  soutenu  que  les  poissons 
éprouvent  la  sensation  de  louie  ; 
et  quoiqu'il  se  soit  élevé  dans  la 
suite  plusieurs  doutes  à  ce  sujet, 
la  chose  paroît  cependant  assez 
bien  démontrée  de  nos  jours. 

Quant  aux  sens  de  l'odorat  et  du 
toucher  ,  on  n'a  jamais  douté  que 
les  poissons  n'en  fussent  pourvus; 
quelques-uns  même,  comme  le 
scorpion  marin  ,  poussent  un  cri 
quand  on  les  touche. 

Le  cœur  des  poissons  est  trian- 
gulaire ,  n'a  qu'une  oreillette  ,  et 
ne  forme  que  du  sang  froid.  Le  ca- 
nal des  intestins  est  le  plus  sou- 
vent court,  sur-tout  dans  les  pois- 
sons voraces  ;  et  dans  un  grand 
nombre  ,  l'estomac  n'est  point  sé- 
paré des  intestins,  comme  dans  les 
carpes.  Le  saumon,  la  perche  ,  ci 
plusieurs  autres  ,  ont  près  de  l'es- 


I  N  T  R  O  D  U  C  T  I  O  N'.        Xlï 

tomac  de  petits  intestins  ou  appen- 
dices, destinés  à  retenir  plus  long- 
temps la  nourriture  dans  le  corps, 
et  qui  sont  par  conséquent  les  prin- 
cipaux organes  de  la  nutrition. 

Le  poisson  étant  un  corps  com- 
pacte ,  est  plus  lourd  que  l'élément 
dans  lequel  il  est  porté  :  il  reste- 
roit  par  conséquent  toujours  au 
fond ,  si  le  Créateur  ne  Favoit  pour- 
vu d'une  vessie  qu'il  peut  remplir 
d'air  à  son  gré.  En  effet ,  on  re- 
marque dans  les  poissons  un  canal 
qui  va  de  la  vésicule  aérienne  à 
l'estomac,  et  qui  sert  à  introduire 
et  à  rejeter  l'air.  Il  peut  aussi,  par 
le  moyen  de  cette  vésicule  _,.  se  ren- 
dre, à  son  gré^  plus  ou  moins  pe- 
sant que  l'eau  ,  ou  rester  en  équi- 
libre avec  cet  élément,  et  cela,  en 
y  introduisant  plus  ou  moins  d'air» 

Les  oeufs  des  poissons  sont  très- 


xx        INTRODUCTION. 
petits  en  comparaison  de  ceux  des 
autres  animaux  ;  il  n'y  a  que  les 
truites  et  les  saumons  où  j'en  aie 
tu  delà  grosseur  d'un  pois 5  au  lieu 
que  dans  un  silure,  qui  pesoit  plus 
de  cent  livres,  je  ne  les  ai  trouvés 
que  de  la  grosseur  d'un  grain  de 
juillet.  Il  n'en  est  pas  de  même  de 
la  quantité  5  les  poissons  surpas- 
sent ,  à  cet  égard  ,  les  autres  ani- 
maux ;  ils  en  pondent  tous  les  ans 
un  très-grand  nombre  ;  et  j'en  ai 
souvent  compté  cent  mille  et  plus 
dans  un  poisson  qui  ne  pesoit  pas 
plus  d'une  demi-livre.  On  admire 
ici  la  sage   disposition    du    Créa- 
teur ,  qui  considéra   sans   doule, 
en  cela,  et  la  manière  dont  les  œufs 
sont  fécondés,  et  les  dangers  con- 
tinuels auxquels  ils  sont  exposés  , 
soit  par  les  inondations  et  les  tem- 
pêtes ;  soit  par  la  quantité  d'ani- 


INTRODUCTION.       xxj 

maux  voraces  ,  qui  sont  avides  et 
des  œufs  et  des  petits.  Les  oeufs  des 
poissons  ne  sont  pas  fécondés  com- 
me ceux  des  autres  animaux  dans 
le  ventre  de  la  mère  :  lorsque  la 
femelle  les  a  jetés  ,  le  mâle  la  suit, 
pour  y  répandre  la  liqueur  sémi- 
nale qui  sort  de  ses  laites  ;  mais 
comme  il  n'y  a  que  la  plus  petite 
partie  qui  reçoive  cette  liqueur, 
la  plupart  restent  stériles.  D'ail- 
leurs les  poissons  jettent  leurs  œufs 
sur  toutes  sortes  de  corps  ,  qui 
souvent  portés  hors  des  bords  par 
les  tempêtes  ou  l'agitation  des  va- 
gues laissent  le  frai  sur  le  rivage  : 
les  œufs  et  les  petits  périssent  la 
plupart  quand  les  eaux  se  retirent. 
Un  froid  subit  empêche  aussi  sou- 
vent la  femelle  de  frayer ,  ou  glace 
le  sang  dans  les  petits  nouvelle- 
ment éclos.  Une  partie  des  œufs 


xxij      INTRODUCTION. 

devient  aussi  la  proie  des  épinc- 
clies  ,  de  l'anguille  et  des  autres 
poissons  voraces.  Les  oiseaux  aqua- 
tiques même  ne  dédaignent  pas 
cette  nourriture.  Le  défaut  de  cha- 
leur fait  aussi  souvent  qu'une  par- 
tie des  œufs  reste  au  fond  de  l'eau 
sans  éclore.  En  général ,  on  trouve 
que  dans  les  poissons  ,  les  espèces 
voraces  sont  non  -seulement  plus 
nombreuses  que  parmi  les  animaux 
terrestres  et  les  oiseaux ,  mais  aussi 
qu'elles  sont  plus  avides  et  plus  in- 
satiables ,  en  ce  qu'elles  n'épar- 
gnent pas  même  leur  propre  es- 
pèce ;  ce  que  les  autres  ne  font  que 
lorsqu'ils  y  sont  forcés  par  une 
très-grande  faim.  Ajoutez  à  cela  , 
la  quanti  té  de  moyens  quel'homme 
a  imaginés  pour  s'emparer  des 
poissons ,  et  vous  conviendrez  que 
des  animaux  exposés  à  tant  de  daa^. 


INTRODUCTION.     XXiV) 

gers,seroient  disparus  depuis  long- 
1emps  ,  si  la  prévoyance  du  Créa- 
teur n'eût  prévenu  la  perle  des  es- 
pèces par  la  quantité  innombrable 
d'œufs  dont  il  a  fécondé  les  femel- 
les. Les  oeufs,  dans  quelques  pois- 
sons ,  sont  renfermés  dans  un  ,  et 
chez  la  plupart ,  dans  deux  espè- 
ces de  sacs  qu'on  nomme  ovaires  } 
situés  devant  la  vésicule  aérienne  ; 
et  l'on  voit  auprès  de  l'anus  une 
ouverture  particulière,  nommée 
nombril ,  qui  sert  à  leur  passage. 
La  laite  du  mâle  est  toujours  dou- 
ble. Si  l'on  en  met  sur  un  morceau 
de  verre  autant  qu'il  en  peut  tenir 
sur  la  pointe  d'une  aiguille,  ei 
qu'après  l'avoir  délayée  dans  une 
goutte  d'eau ,  on  la  regarde  au  mi- 
croscope ,  on  y  découvre  une  gran- 
de quantité  de  petits  corps  orga- 
niques. La  liqueur  séminale  sort 


Xxiv  INTRODUCTION. 
aussi  par  le  nombril.  On  trouve 
des  poissons  qui  sont  vivipares, 
tels  que  l'anguille  ,  l'ascite  ,  la 
loche  de  Surinam,  la  lote  vivipare 
et  quelques  autres.  Les  autres  vis- 
cères qui  concourent  à  la  diges- 
tion des  poissons  et  à  la  forma- 
tion du  chyle  ,  sont  le  foie  et  la 
vésicule  du  fiel.  Il  y  a  quelque 
temps  que  M.  Guillaume  Henson 
a  découvert  aussi  des  vaisseaux 
lymphatiques. 

Dans  les  poissons  ,  Furine  est 
filtrée  par  les  reins  et  sort  parle 
nombril. 

Les  parties  les  plus  solides  des 
poissons  sont  osseuses  dans  les  uns , 
cartilagineuses  dans  d'autres.  Ils 
ont  à  l'épine  du  dos  plus  d'articu- 
lations etd^e  vertèbres  que  les  qua- 
drupèdes et  les  oiseaux.  Dans  quel- 
ques-uns y  comme  l'anguille,  j'en 


INTRODUCTION.  XXV 
ai  compté  jusqu'à  quatre-vingt- 
dix  ,  ce  qui  ne  contribue  pas  peu 
à  la  légèreté  de  leurs  mouvemens. 

Quand  les  poissons  sont  bien 
nourris ,  ils  croissent  prompte- 
ment ,  et  parviennent  à  un  âge 
très  avancé.  L'épinoche  est  la  seule 
espèce  qui  ait  une  vie  fort  cour  le: 
elle  vit  rarement  plus  de  deux  ans. 
Les  diverses  espèces  de  poissons  se 
plaisent  dans  des  endroits  différens. 
Les  uns,  comme  la  baleine,  res- 
tent toujours  en  pleine  mer. 

Dans  le  temps  du  frai ,  quelques 
poissons ,  comme  l'aigrefin  ,  cher- 
chent les  côtes  et  les  rochers  5  d'au- 
tres, comme  le  saumon,  quittent 
alors  la  mer ,  et  remontent  les  fleu- 
ves. Il  y  a  quelques  espèces  qui  ne 
peuvent  vivre  que  dans  les  eaux 
douces  et  coulantes  :  telles  sont  les 
loches  ,  etc.  •,  d'autres  ne  peuvent 

Poissons.  I.  C 


XXV)     INTRODUCTION 

souffrir  que  l'eau  des  lacs,  comme 
le  corassin.  La  plupart  cherchent 
leur  nourriture  pendant  le  jour  ; 
quelques  espèces  ,  comme  l'an- 
guille ,  ne  la  cherchent  que  pen- 
dant la  nuit.  Il  y  a  plusieurs  espè- 
ces qui  vivent  dispersées,  comme 
3e  brochet  ;  il  y  en  a  d'autres  qui 
aimentà  aller  en  troupes,  sur-tout 
dans  le  frai  :  telles  sont  les  rosses 
et  les  brèmes  ;  d'autres  enfin ,  com- 
me le  hareng  et  le  saumon,  entre- 
prennent des  voyages  considéra- 
bles. 

.Les  poissons  étant  une  partie 
considérable  de  notre  nourriture, 
ont  formé  dans  tous  les  temps  une 
branche  de  commerce.  A  cet  égard, 
ils  méritent  assurément  l'attention 
des  économistes.  Les  digues ,  les 
chaussées  et  les  autres  ouvrages 
que  l'on  construit  sur  les  rivières  r 


INTRODUCTION»    Xxvij 

ne  contribuent  pas  peu  à  diminuer 
le  nombre  des  poissons.  D'un  au- 
tre côté,  le  luxe  et  l'avidité  des 
riches  engloutit  de  plus  en  pins  les 
espèces.  Cependant  on  n'a  presque 
pas  encore  pensé  jusqu'ici  à  les 
transporter  ,  pour  les  faire  multi- 
plier dans  d'autres  contrées.  Les 
poissons  qui  trouvent  toujours  dans 
les  eaux  une  température  confor- 
me à  leur  nature  ,  sont  bien  moins 
sensibles  au  changement  de  cli- 
mat que  les  quadrupèdes  et  les  oi- 
seaux. 

Qu'on  transporte  un  poisson  d'un 
pays  chaud,  où  les  eaux  ne  gè- 
lent jamais,  dans  un  pays  froid  où 
leur  surface  est  couverte  de  glace, 
il  évitera  en  partie  les  inconvé-» 
niens  de  ce  changement  et  de  la 
rigueur  du  climat  ,  en  se  tenant 
toujours  au  fond.  Toutes  les  co.iv. 


xxviij  INTRODUCTION, 
trées  offrent  aussi  dans  certaines 
saisons,  aux  poissons,  une  certaine 
température  assez  chaude  pour  fa- 
voriser leurs  amours  et  leurs  pon- 
tes,  et  pour  faire  éclore  heureuse- 
ment leurs  œufs.  Avantage  que  la 
nature  semble  avoir  refusé  aux 
quadrupèdes  et  aux  oiseaux  :  c'est 
ce  que  l'expérience  a  suffisamment 
confirmé.  Ainsi  les  carpes  se  sont 
naturalisées  en  Danemarck  ,  en 
Suède  ,  en  Hollande  et  en  Angle- 
terre. 

Le  sterlet  s'est  accoutumé  au 
climat  de  la  Suède  et  de  la  Porné- 
ranie  ;  la  carpe  dorée  de  la  Chine, 
à  Londres,  à  Amsterdam  et  à  Ber- 
lin. Mais  pour  réussir  dans  le  trans- 
port des  poissons  ,  il  faut  considé- 
rer s'ils  aiment  les  eaux  courantes 
ou  dormantes  ,  s'ils  sont  accoutu- 
més à  un  fond  de  marne,  de  pierre, 


T  \T  T  R  O  D  U  C  T  I  OX.     XXlX 

de  sable,,  de  glaise,  ou  à  un  fond 
couvert  d'herbages.  En  général  , 
toutes  les  espèces  de  poissons  se 
plaisent  dans  des  lacs  d'une  pro- 
fondeur considérable,  oùilse  trou- 
ve des  sources  ou  des  eaux  couran- 
tes qui  les  traversent ,.  et  dont  le 
fond  est  diversifié  par  du  sable , 
de  la  glaise  et  des  herbages*  Les 
lacs  dont  les  bords  sont  élevés,  ne 
sont  pas  si  propres  a  recevoir  de 
nouveaux  poissons  que  ceux  dont 
le  rivage  est  bas  et  uni.  L'éléva- 
tion des  bords  empêche  les  rayons 
du  soleil  de  porter  dans  le  fond 
assez  de  chaleur  pour  faire- éclore 
heureusement  les  œufs.  On  peut 
cependant  mettre  aussi  des  pois- 
sons dans  ces  sortes  de  lacs  _,  pour- 
vu qu'on  ait  soin  d'y  construire, 
près  desbords ,  des  viviers  de  plan- 
ches* Ces  sort  es  de  viviers  doivent 


XXX     INTRODUCTION* 

être  larges,  plats  et  découverts.  Les 
cloisons  des  côtés  doivent  être  po- 
sées de  manière  qu^onpuisselesôter 
après  le  temps  du  frai.  Le  fond  et 
les  cotés  seront  garnis  de  brous- 
sailles de  sapin  ,   où  les  poissons 
pourront  se  frotter  et  déposer  leurs 
œufs.  Le  temps  le  plus  favorable 
pour  transporter  des  poissons,  est 
celui  où  ils  sont  sur  le  point  de 
frayer.  Si  Ton  veut  faire  multi- 
plier plusieurs  espèces  à  la  fois ,  il 
est  prudent  de  donner  à  chacune 
un  réservoir   particulier  ,  où  les 
poissons  aient  un  espace  propor- 
tionné  à  leur  grosseur  et  à  leur 
nombre.  Après  le  frai ,  on  tire  les 
poissons  du  vivier  avec  un  éper- 
vier  ou  autre  filet  ,   et  on  les  met 
ailleurs.  Alors  on  écarte  les  brous- 
sailles, afin  d'exposer  autant  qu'il 
est  possible  a  aux  rayons  du  soleil  > 


INTRODUCTION,      xxx) 

les  œufs  fécondés  ,  et  de  leur  pro- 
curer la  chaleur  qui  doit  les  faire 
éclore.  Cette  manière  de  multi- 
plier les  poissons  dans  de  nouvelles 
eaux  ,  pouvant  en  produire  une 
quantité  prodigieuse,  parle  moyen 
de  quelques  individus  seulement  , 
on  doit  sur-tout  l'employer  à  l'é- 
gard des  poissons  rares  ,  ou  qu'on 
trouve  dans  des  contrées  éloignées* 
On  y  réussiroit  bien  plus  aisément 
de  la  manière  suivante  :  Il  faut 
prendre,  peu  de  temps  après  le  frai , 
des  herbages  ou  des  pierres  contre 
lesquels  les  poissons  ont  déposé 
leur  frai  ,  et  les  transporter  dans 
d'autres  eaux  pour  y  éclore.  J'ai 
fait  éclore  de  cette  manière  plu- 
sieurs œufs  de  poissons  dans  ma 
chambre.  Ce  ne  son  t  pas  seulemen  t 
les  lacs  profonds  et  à  bords  unis 
dans  lesquels  on  peut  mettre  de 


XXxij     INÏROÛ  ACTION. 

nouveaux  poissons  :  les  eaux  trorr- 
blés  el  bourbeuses  recevront  aussi 
des  gibèles  et  des  tanches.  Il  faut 
aussi  avoir  égard  à  la  saison  dans 
le  transport  des  poissons.  Le  prin- 
temps et  l'automne  sont  les  plus 
favorables.  En  été  ,  la  chaleur  et 
les  orages  qui  peuvent  survenir, 
font  mourir  les  poissons.  Il  faut 
aussi  faire  attention  à  l'espèce  des 
poissons  qu'on  veut  transporter. 
Ceux  qui  ont  la  vie  dure,  comme 
l'anguille ,  la  brème  et  la  carpe  , 
n'exigent  pas  tant  de  précautions 
que  ceux  qui ,  comme  le  sandre  , 
l'éperlan  et  Tablette,  meurent  quel- 
que temps  après  être  sortis  de  l'eau. 
Quelques-uns  ,  comme  les  loches 
et  les  truites,  ont  si  peu  de  vie , 
qu'ils  meurent  dès  que  l'eau  dans 
laquelle  on  les  met  est  un  peu  tran- 
quille. Ainsi  il  est  nécessaire  que- 


INTRODUCTION.  XXxiij 
les  vaisseaux  dans  lesquels  on  les 
transporte  soient  toujours  en  mou- 
vement, même  lorsque  la  voiture 
qui  les  porte  est  arrêtée  ;  et  il  est 
aussi  fort  prudent,  dans  les  gran- 
des chaleurs  ,  de  ne  voyager  que 
de  nuit.  Une  autre  précaution  qu'il 
est  encore  bon  de  prendre  ,  c'est 
de  ne  point  trop  remplir  les  ton- 
neaux ,  afin  qu'ils  ne  se  blessent 
pas  la  tête  lorsqu'ils  montent  pré- 
cipitamment vers  le  haut.  Pour 
transporter  environ  un  quintal  de 
poisson  ,  il  faut  un  tonneau  qui 
contienne  au  moins  vingt  seaux 

d'eau. 

Dans  les  voyages  de  long  cours, 
il  faut  de  temps  en  temps  changer 
l'eau  courante,  sur-tout  lorsqu'on 
transporte  des  poissons  tels  que  les 
truites  et  les  loches  ,  qui  sont  ac- 
coutumés à  ces  eaux.  Il  faut  aussi 


XXxiv    INTRODUCTION. 

avoir  soin  ,  en  été ,  de  ne  mettre 
dans  les  tonneaux  que  moitié  moins 
de  poissons  qu'on  n'en  mettroit  en 
hiver;  parce  que  dans  les  grandes 
chaleurs,  ils  ont  plus  que  jamais 
hesoin  d'air  frais.  En  général  ,    il 
faut,  dans  toutes  les  saisons  ,  lais- 
sera l'air  une  libre  entrée  dans  les 
vaisseaux.  Cependant  en  laissant 
le  trou  du  bondon  ouvert ,  il  faut 
prendre  garde  qu'un  mouvement 
trop  violent  n'en  fasse  jaillir  l'eau  > 
©u  ne  lui  communique  trop  d'agi- 
tation ;  car  dans  ces  deux  cas  ,  les 
poissons  poussés  les  uns  contre  les 
autres,  peuvent  être  blessés  et  pé- 
rir. On  peut  prévenir  la  tropgran- 
de  agitation  de  l'eau  ,  en  mettant 
dans  les  tonneaux  une  couronne 
de  paille,  ou  quelques  petites  plan- 
ches minces.  On   empêche  aussi 
l'eau  de  jaillir,  en  adaptant  au  trou 


INTRODUCTION.  XXXV 
du  bondon  un  tuyau  quarré  de 
bois.  Ce  tuyau  d'environ  un  pied 
et  demi  de  long  ,  doit  finir  en 
pointe  par  le  haut,  être  assujetti  au 
trou  du  bondon  par  de  petites  lat- 
tes, et  avoir  par  le  haut  plusieurs, 
petits  trous  ,  afin  de  laisser  à  l'air 
une  voie  de  communication.  D'ail- 
leurs ,  on  n'a  pas  besoin  de  dire 
qu'en  prenant  les  poissons,  il  faut 
prendre  garde  de  les  heurter  ou  de 
les  presser  trop  fort  dans  les  mains. 
En  général,  il  vaudroit  mieux, 
quand  l'éloignement  n'est  pas  trop 
considérable,  porter  les  poissons, 
que  de  les  voiturer.  Pour  empois- 
sonner, il  faut  prendre  des  pois- 
sons qui  soient  un  peu  grands ,  ou 
qui  soient  âgés  de  trois  à  quatre 
ans ,  et  mettre  deux  mâles  pour 
une  femelle.  Les  poissons  d'un  an 
font  encore  trop  jeunes  pour  cet 


XXXVJ     INTRODUCTION. 

usage.  Quand  on  veut  faire  frayer 
des  poissons  voraces  ,  il  faut  y 
joindre  ceux  qui  leur  servent  or- 
dinairement de  nourriture  ;  et  on 
préfère ,  pour  cet  usage ,  ceux  dont 
on  fait  peu  de  cas  pour  les  tables  ; 
tels  que  les  poissons  blancs  ,  la 
rosse  ,  la  bordelière  et  la  gibèle. 
On  y  met  aussi  l'éperlan  et  le  gou- 
jon, qui  se  plaisent  dans  les  mêmes 
eaux  que  les  poissons  voraces. 

I?istrumens  de  la  pêche. 

Comme  il  est  important  à  l'éco- 
nomiste de  connoître  les  instru- 
mens  dont  on  se  sert  pour  la  pè- 
che ,  nous  en  traiterons  dans  la 
suite  ,  en  parlant  des  différentes 
espèces  de  poissons.  Mais  comme 
nous  n'avons  encore  aucun  livre 
sur  la  manière  de  pécher  dans  l'eau 


INTRODUCTION.  XXxvij 
douce  ,  je  vais  commencer  d'en 
donner  ici  une  idée  à  mes  lecteurs 
par  une  courte  description. 

L'anguillière  est  une  espèce  de 
nasse  ou  panier  fait  de  jonc  ,  d'o- 
sier, ou  d'autres  branches  flexi- 
bles ,  dont  les  baguettes  sont  plus 
ou  moins  serrées,  selon  la  gros- 
seur du  poisson  qu'on  veut  pren- 
dre. Les  meuniers  placent  ordinai- 
rement cet  instrument  au-dessous 
de  l'auge  du  moulin.  C'est  ainsi 
qu'ils  prennent  ordinairement  les 
anguilles  que  le  courant  de  l'eau  y 
entraîne. 

Le  carrelet  est  une  espèce  de  filet 
en  quarré.  Les  mailles  du  milieu 
sont  plus  serrées  que  celles  du  bord. 
On  le  borde  d'une  petite  corde 
forte  et  unie.  Les  quatre  coins  de 
ce  filet  sont  attachés  à  des  perches 
courbes  et  pliantes  ;  de   manière 

Poissons,  I.  d 


XXxviij    INTRODUCTION. 

qu'il  forme  un  creux.  Ou  attache 
ces  perches  à  une  autre  grande 
perche  qui  sert  de  manche  au  filet. 
On  plonge  ce  filet  dans  l'eau  5  et 
dès  qu'on  voit  des  poissons  qui  na- 
gent au-dessus,  on  le  relève  promp- 
tement.  Le  poisson  appercevant  le 
mouvement ,  plonge  vers  le  fond, 
se  précipite  sur  le  filet ,  et  devient 
ainsi  la  proie  du  pécheur.  11  faut 
observer  que  plus  la  maille  de  ce 
filet  est  grande,  plus  il  est  aisé  de  le 
tirer  de  l'eau  :  commodité  qui  n'est 
pas  à  négliger  ;  car  si  le  carrelet  se 
tire  lentement ,  les  gros  poissons 
sauteront  par-dessus. 

Le  coleret  est  un  grand  filet  qui 
ressemble  en  tout  à  la  seine,  si  ce 
n'est  qu'il  est  ordinairement  tiré 
par  des  hommes  ;  au  lieu  que  la 
dernière  l'est  par  des  bateaux. 

11  y  a  des  colère I  s  de  différentes 


INTRODUCTION,  xxxix 
espèces  qui  diffèrent  par  la  gran- 
deur. 

Les  hameçons  dormans  se  font 
de  la   manière  suivante  :  Prenez 
nue  corde  longue  à  proportion  de 
la  largeur   de  la  rivière  où  vous 
voulez  pécher*  attachez  y  de  dis- 
tance en  distance ,  environ  de  deux 
pieds  chacune,    de  petites  ficelles 
armées  par  le  bout  d'un  hameçon 
long  d'un  pouce  ;  amorcez  l'hame- 
çon avec  des  achées  ,  soit  de  cha- 
touilles ,   ou  autres  ;  ensuite  atta- 
chez un  des  bouts  de  la  corde  à  un 
des  bords  de  la  rivière  où  vous  vou- 
lez pêcher  ;  puis  après  avoir  atta- 
ché une  corde  ou  un  plomb  à  l'au- 
tre bout,  lancez -le  vers  l'autre 
bord  le  pi  us  loin  que  vous  pourrez. 
L'hameçon  ou  ligne  est  un  ins- 
trument fort  connu,  et  qui  sert 
plutôt  d'amusement  aux  personnes 


xl  INTRODUCTION, 

qui  aiment  la  pèche,  que  d'instru- 
ment pour  les  pêcheurs  de  profes- 
sion. C'est  une  espèce  de  crochet 
de  fer,  plus  ou  moins  grand,  dont 
l'extrémité  qui  soutient  l'appât  est 
formée  en  dard  ,    de  manière  que 
s'il  arrive  au  poisson  goulu  d'ava- 
ler l'hameçon  avec  l'appât  qu'on 
lui  présente,  les  efforts  qu'il  fait 
ensuite  pour  le  rejeter,  et  le  coup 
de  poignet  que  donne  le  pêcheur  > 
ne  servent  qu'à  l'engager  dans  les 
chairs.  L'autre  extrémité  de  l'ha- 
meçon est  plate ,  et  s'attache  à  une 
ficelle  ou  fil  qui  pend  d'une  lon- 
gue perche,  qu'on  appelle  ligne. 

Le  havenet  est  un  filet  monté 
sur  deux  perches  croisées  de  hois 
léger ,  qui  le  font  ouvrir  et  fermer 
au  gré  du  pêcheur.  Il  se  traîne ,  et 
n'est  chargé  ni  de  plomb  ,  ni  d'au- 
tre chose  lourde,  afin  qu'on  puisse 


INTRODUCTION.  xlj 
le  relever  plus  facilement.  Les  per- 
ches sont  tenues  ouvertes  par  une 
petite  traverse  ,  qui  s'emboîte  à 
mortaise  d'un  bout,  et  qui  est  four- 
chue de  l'autre  :  elle  est  placée  en- 
viron à  trois  pieds  sur  la  longueur 
des  perches  du  côté  du  pêcheur, 
qui  pousse  cet  instrument  devant 
lui.  Le  reste  du  sac  est  amarré  sur 
les  côtés  de  la  perche,  et  fermé 
d'un  petit  filet  qui  retient  le  pois- 
son, 

La  ligne  flottante  consiste  en  un 
hameçon  que  l'on  attache  au  bout 
d'une  ficelle  longue  de  cinq  à  six 
brasses  :  on  attache  l'autre  bout  de 
la  ficelle  à  un  petit  paquet  dejonc, 
afin  que  la  ligne  flotte  sur  l'eau  et 
qu'on  puisse  la  retrouver.  Cette  li- 
gne se  jette  le  soir ,  et  se  lève  le 
matin. 

La  ligne  volante  ou  turlotte  est 


xlij       INTRODUCTION. 

une  espèce  de  ligne  qui  se  fait  de- 
la  manière  suivante.  Il  faut  avoir 
un  hameçon  et  un  bout  de  fil  d'ar- 
chal  jaune  ,  de  la  grosseur  d'une 
fine  épingle  qu'on  plie  en  deux,  et 
qu'on  tortille  de  manière  qu'il  fasse 
un  petit  chaînon. ,  au  bout  duquel 
on  laissera  un  petit  anneau.  A  l'é- 
gard des  deux  bouts  du  fîl  d'archal 
qui  resteront  du  chaînon,  on  doit 
les  attacher  à  la  queue  de  l'hame- 
çon avec  de  la  soie  ou  du  fil  ,  en 
sorte  que  ce  qui  sera  attaché  ne 
descende  pas  plus  bas  que  l'endroit 
vis-à-vis  le  crochet  de  l'hameçon. 
Cela  fait  ,  il  faut  faire  un  cornet 
d'un  gros  carton,  ou,  si  l'on  veut, 
de  terre  à  potier  ,  dont  le  dedans 
ne  soit  pas  plus  large  que  la  gros- 
seur du  tuyau  d'une  grosse  plume 
à  écrire  ,  et  de  la  longueur  envi- 
ron du  petit  doigt  ^  ensuite  passer 


INTRODUCTION,  xîiij 
au  travers  du  cornet  l'hameçon 
attaché  au  fil  d'archal;  puis  faire 
en  sorte  que  toute  la  queue  de  l'ha- 
meçon ,  depuis  l'endroit  vis-à-vis 
le  crochet,  et  environ  la  longueur 
d'un  travers  de  doigt  du  chaînon, 
soit  cachée  dans  le  cornet  \  et  em- 
plir ledit  cornet  de  plomb  fondu  y 
en  tenant  l'hameçon  par  le  bout 
du  chaînon  ,  afin  que  ce  qui  doit 
être  enchâssé  se  trouve  dans  le  mi- 
lieu el  enveloppé  également  par- 
tout y  après  quoi  on  arrondit  les 
deux  extrémités  du  plomb.  L'ha- 
meçon ainsi  accommodé ,  il  faut 
avoir  un  fer  de  la  longueur  de  qua- 
tre pouces  ou  environ,  qui  soit  fait 
de  manière  qu'on  puisse  faire  en- 
trer dans  la  queue  le  bout  d'un  bâ- 
ton de  la  longueur  d'une  canne,  et 
qu'il  y  ait  au  bout  un  peut  anneau 
par  lequel  il  soit  aisé  de  faire  pas- 


xliv  INTRODUCTION» 
ser  la  ficelle  %  on  tient  le  bâton  de 
la  main  droite,  et  de  la  gauche  le 
paquet  de  ficelle  ,  qu'on  détortille 
autant  qu'il  est  nécessaire  pour  je- 
ter dans  la  rivière  l'amorce  ,  qu'il 
faut  laisser  aller  à  fond,  et  faire 
sautiller  en  retirant  la  ligne  par 
petits  bonds.  Quelques  pécheurs 
mettent  un  goujon  à  cette  ligne  ; 
d'autres  se  contentent  de  mettre 
au-dessus  de  l'hameçon  une  petite 
plaque  de  cuivre  luisante  ,  qui  at- 
tire le  poisson  ,  et  ils  la  font  bril- 
ler dans  l'eau ,  en  la  tirant  de  des- 
sus un  bateau  qui  va  avec  beau- 
coup de  rapidité. 

La  louve  est  un  filet  fait  en  ma- 
nière de  coffre  long  et  rond,  garni 
de  trois  ou  quatre  cerceaux  ,  un  à 
chaque  bout  5  et  l'autre  ,  ou  les 
deux  autres  ,  dans  le  milieu.  On  y 
met  deux  perches,  de  la  longueur 


INTRODUCTION.  xîv 
du  filet,  fourchues  par  les  deux 
bouts,  afin  d'assujettir  les  deux  cer- 
ceaux des  extrémités  et  de  les  te- 
nir tendues.  Les  deux  entrées  du 
iilet  sont  ouvertes  et  garnies  d'une 
espèce  de  poclie  qui  va  toujours  en 
diminuant.  Ces  poches  sont  atta- 
chées l'une  à  l'autre  au  milieu  du 
filet  par  des  ficelles  qui  se  croisent. 
Quand  ce  filet  est  tout  monté  , 
et  qu'on  est  arrivé  à  l'endroit  de 
la  rivière  où  l'on  veut  pêcher,  qui 
doit  être  pour  l'ordinaire  rempli 
de  joncs  ou  autres  herbes ,  on  prend 
une  faulx  ou  autre  instrument  sem- 
blable, pour  faucher  les  herbes  ou 
joncs.  Plus  l'espace  fauché  aura 
d'étendue ,  plus  on  aura  lieu  d'es- 
pérer qu'il  viendra  du  poisson  dans 
le  filet.  Cela  fait ,  on  prend  quatre 
grosses  pierres  qu'on  attache  aux 
bâtons  de  la  louve ,   afin  qu'elle 


xlvj       INTRODUCTION. 

aille  au  fond  de  l'eau  ;  ensuite  on 
met  à  ce  filet  une  corde  assez  lon- 
gue pour  qu'elle  aboutisse  sur  le 
bord  de  l'eau ,  où  on  l'attache  à  un 
piquet  :  elle  sert  à  tirer  la  louve 
quand  le  poisson  est  pris.  Ensuite, 
après  avoir  accommodé  la  louve 
en  Té  ta  t  qu'elle  doit  être ,  on  prend 
de  ces  herbes  ou  joncs  dont  on  la 
couvre ,  faisant  néan  moi  us  en  sorte 
de  n^cn  point  mettre  à  l'entrée  du 
filet  ;  car  elles  empècheroient  le 
poisson  d'y  entrer. 

La  manche  est  un  grand  sac  ou 
verveux  sans  cercles  ,  monté  sur 
mie  corde  :  un  côté  de  l'ouverture 
est  assujetti  dans  le  fond  par  une 
pierre;  le  côté  opposé  est  attaché 
à  un  bateau.  Le  pécheur  fait  aller 
le  bateau  dans  l'eau  jusqu'à  ce  que 
Ion  sente  qu'il  y  a  du  poisson. 

La  nasse  est  une  espèce  de  cage 


INTRODUCTION,     xlvij 

d'osier  qui  finit  en  pointe,  an  fond 
de  laquelle  on  met  un  appât.  On 
laplaceaufond  de  l'eau  sur  le  côlé. 
Vers  le  milieu  ,  il  y  a  des  bouts 
d'osier  mobiles  ,  qui  laissent  une 
entrée  libre  au  poisson  ;  mais  qui 
se  réunissant  lorsqu'il  est  entré  , 
l'empêchent  de  sortir. 

Les  parcs  sont  une  sorte  de  pê- 
cherie particulière  ,  qui  se  fait  de 
la  manière  suivante.  Les  pêcheurs 
forment  une  grande  enceinte  ou 
parc  en  fer  à  cheval":  le  fond  en 
est  exposé  à  la  mer.  A  chaque  bout_, 
ils  pratiquent  un  retour  en  crochet 
d'environ  six  pieds  de  long  :  ce 
crochet  est  fait  avec  des  piquets  de 
trois  à  quatre  pieds  de  hauteur.  Au 
centre,  il  y  a  une  ouverture  de 
quinze  à  dix-huit  pouces  de  lar- 
geur, qui  sert  d'issue  an  poisson 
qui  suit  les  convolutions  du  retour 


XÎviij     INTRODUCTION, 
en  crochet ,   et  qui  va  se  rendre  à 
ce  cul  de  sac ,  où  la  marée  ,  en  se 
retirant,  le  laisse  à  sec. 

Le  retour  en  crochet  est  rond 
ou  quarré  ;  c'est  à  la  volonté  du 
pêcheur.  Pour  ne  pas  tendre  inu- 
tilement ,  les  pêcheurs  s'assurent 
si  le  poisson  donne  à  la  côte  ,  par 
les  traits  ou  sillages  qu'il  laisse  im- 
primés sur  le  sable  lorsqu'il  se  re- 
tire avec  la  marée. 

L'enceinte  du  crochet,  garni  de 
rets  de  bas-parcs  et  de  piquets ,  est 
montée  d'une  pièce  de  trente  à 
trente-cinq  brasses  de  chaque  côté. 
Pour  la  continuer  ,  on  se  sert  do 
hautes  perches  de  quatorze  à  quin- 
ze pieds  ,  qui  suivent  immédiate- 
ment les  rets  de  bas-parcs.  Le  pied 
des  grandes  perches  est  du  côté  de 
la  mer  :  on  les  penche  un  peu  vers 
la  terre  ;  et  c'est  là-dessus  que  l'on 


INTRODUCTION,     xlix 
place  les  rets  de  jets,  qui  ont  près 
de  trois  brasses  de  haut.  Les  pê- 
cheurs ne  les  tenden  t  point  de  mer 
basse  ;  ils  se  contentent  de  les  ar- 
rêter seulement  par  le  pied  sur  le 
bas  des  perches.  Ainsi  les  jets  sont 
en  paquets  le  long  de  ces  perches: 
ils  son  t  cou  verts  d'un  peu  de  sable , 
ainsi  que  les  flottes.  Pour  les  rele- 
ver à  la  marée  ,   on  a  mis  au  haut 
de  chaque  perche  une  petite  pou- 
lie ,  sur  laquelle  passe  un  cordage 
frappé  sur  la  tête  des  jets.  On  a  re- 
couvert les  filets  de  sable  ,  afin  que 
le  poisson  plat  passe  dessus  aisé- 
ment lorsqu'il  monte  dans  la  baie 
avec  la  marée.  Les  perches  qui  ser- 
vent aux  rets  de  jets  sont  toujours 
dans  les  bassures  entre  les  bancs  : 
l'enceinte  se  continue  ,  en  y  met- 
tant alternativement  des  rets  de 
bas-parcs  sur  les  piquets  ou  pen- 

Paissons.  I.  e 


1  INTRODUCTION, 

chans.  Ces  rets  tendent  à  demeure  , 
parce  que  la  marée  qui  survient  , 
les  couvre  facilement ,  et  laisse 
passer  le  poisson  sans  le  gêner  :  ce 
qui  n'arriveroit  pas  s'ils  étoient 
tendus  sur  les  liantes  perches.  Sur 
celles-ci  ,  ils  placent  des  filets  \ 
après  ces  filets  placés  sur  les  hau- 
tes perches,  ils  pratiquent  des  bas- 
parcs  jusqu'à  ce  que  l'enceinte  soit 
toute  formée  ,  observant  que  les 
crochets  ou  retours  ,  soient  de  rets 
de  bas-parcs  montés  sur  leurs  pe- 
tits piquets.  Lorsque  la  marée  est 
sur  le  point  de  s'en  retourner,  les 
pêcheurs  hissent  les  lignes  des  pou- 
lies, dégagent  les  jets  du  sable  qui 
les  couvre  ,  et  les  tiennent  élevés 
à  fleur  d'eau,  taudis  qu'ils  sont  ar- 
rêtés au  pied  des  perches ,  et  qu'ils 
calent  par  des  plombs.  Ils  restent 
ainsi  tendus  jusqu'à  ce  que  la  ma- 


INTRODUCTION.  ]j 

réè  se  soit  retirée.  Ces  sorles  de- 
parcs  ne  prennent  rien  qu'au  re- 
flux de  marée  montante.  Le  fond, 
exposé  à  la  mer  ,  est  couvert  par 
la  distance  des  perches  de  jets;  et 
les  crochets  des  deux  bouts  regar- 
dent la  terre. 

On  prend  quelquefois  beaucoup 
à  cette  sorte  de  pêcherie,  sur-tout 
de  poisson  rond. 

La  seine  est  un  filet  Ion  g  de  plus 
de  cent  brasses,  avec  des  ailes  de 
douze  toises.  Au  fond  est  une  es- 
pèce de  sac  ou  verveux  simple  sans 
goulet  et  sans  cercle >  qui  est  plus 
ou  moins  long  suivant  la  longueur 
des  ailes.  La  partie  destinée  à  res- 
ter sur  l'eau  est  garnie  de  bois;  et 
l'autre  est  tirée  au  fond  par  le 
moyen  des  pierres  qui  y  sont  atta- 
chées. Lorsque  le  fond  est  vaseux, 
on  enveloppe  les  pierres  dans  de  la 


lij  INTRODUCTION. 

paille,  afin  qu'elles  ne  s'enfoncent 
pas  trop  avant.  Les  pêcheurs  se 
mettent  ordinairement  sur  deux 
baleletspour  tirer  ce  filet;  on  s'en 
sert  dans  les  grands  lacs  pour  pê- 
cher sous  la  glace. 

Le  tramail  est  un  filet  composé 
de  trois  rangs  de  mailles  les  unes 
devant  les  autres ,  dont  celles  de 
devant  et  de  derrière  sont  fort  lar- 
ges etfaites  d'une  petite  ficelle.  La 
toile  du  milieu,  qui  s'appelle  la 
nappe,  est  faite  d'un  fil  délié  :  elle 
s'engage  dans  les  grandes  mailles 
qui  en  bouchent  l'issue  au  poisson 
qui  y  entre.  11  y  a  des  tramails  de 
différen  tes  espèces. 

La  truble,  qu'on  appelle  en  quel- 
ques endroits  étiquette  ,  est  un  pe- 
tit filet  qui  a  à-peu-près  la  figure 
d'un  grand  capuchon  à  pointe  ron- 
de ,  dont  l'ouverture  est  attachée 


INTRODUCTION.        liij 

à  un  cerceau  ,  ou  à  quatre  bâtons 
suspendus  au  bout  d'une  perche. 

De  la  manière  de  faire  éclore  des 
œufs  de  poisson. 

Le  transport  des  poissons  dans 
d'autres  eaux  ,  est  non-seulement 
coûteux ,  mais  en  traîne  aussi  beau- 
coup de  difficultés.  D'un  côté,  on 
ne  trouve  pas  toujours  les  poissons 
dans  les  temps  les  plus  favorables 
au  transport;  de  l'autre  ,  ils  meu- 
rent souvent  en  route  ,  sur-tout 
lorsque  la  distance  des  lieux  est 
considérable.  Divers  poissons  y 
comme  la  truite,  périssent  au  mo- 
ment où  on  les  pèche;  d'autres, 
comme  les  loches  ,  meurent  lors- 
que la  voiture  s'arrête  après  avoir 
été  en  mouvement:  un  grand  nom- 
bre souffrent  beaucoup  quand  ils 


li  V  INTRODUCTION. 

sont  maniés  et  secoués.  On  peut , 
selon  moi,  éviter  tous  ces  incon- 
véniens,  en  faisant  éclore  dans  des 
étangs  ou  des  lacs  les  œufs  fécon- 
dés. Comme  je  n'ai  point  de  lacs  à 
ma  disposition ,  j'ai  fait  ces  expé- 
riences dans  ma  chambre.  M.  Lund 
combat  la  possibilité  de  cette  mé- 
thode ;  mais  mes  expériences  prou- 
vent le  contraire. 

Je  fis  prendre  dans  la  Sprée  des 
herbages  où  il  y  a  voit  des  œufs  de 
perche  ,  de  brème  ,  de  rotengle  , 
de  bordélière  ,  de  rosse  ,  d'able  et 
de  plusieurs  autres.  Je  les  fis  ap- 
porter dans  un  peu  d'eau  ;  je  les 
mis  ensuite  dans  un  vase  de  bois 
plein  d'eau  de  rivière  ,  que  je  fis 
renouveler  d'un  jour  à  l'autre;  et 
au  bout  de  sept  jours ,  j'eus  le  plai- 
sir de  voir  mon  eau  peuplée  de  plu- 
sieurs milliers  de  petits  poissons» 


INTRODUCTION.  W 

Comme  le  vase  éloit  resté  dans  une 
chambre  exposée  à  la  chaleur  du 
soleil ,  et  que  les  eaux  dans  les- 
quelles on  veut  faire  éclore  des 
œufs  ne  jouissent  pas  toujours  de 
cet  avantage  ,  j'ai  fait  les  expé- 
riences suivantes  :  Je  fis  mettre 
dans  quatre  vases  les  herbes  où. 
étoient  les  œufs  ;  j'exposai  l'un  au 
soleil  du  midi;'le  second  au  soleil 
du  matin  ;le  troisième  au  soleil  du 
soir  ,  et  je  fis  porter  le  quatrième 
dans  un  endroit  où  le  soleil  ne 
donnoit  jamais.  Le  septième  jour? 
je  vis  de  petits  poissons  dans 
le  premier  ;  dans  le  second  et  le 
troisième,  ils  ne  parurent  que  le 
huitième  jour,  et  dans  le  quatriè- 
me _,  le  neuvième  (1).  J'ai  remar- 


(t)  C'est  avec  d'autant  plus  de  confiance 
%ue  je  marque  ici  précisément  les  jours, 


Ivj  INTRODUCTION, 
que  plus  haut,  que  tous  les  œufs 
n'étoieut  pas  fécondés  par  le  mâle. 
Il  arriva  de-là  ,  que  de  cent  œufs 
qui  étoient  sur  une  plante,  je  n'en 
voyois  pas  éclore  un  seul  \  au  lieu 
qu'une  petite  branche  que  j'avois 
mise  dans  une  tasse,  fit  éclore 
soixante  petits  poissons.  Par  le 
moyen  d'une  loupe ,  on  peut  s'as- 
surer si  les  oeufs  sont  fécondés  ou 
non.  Dans  le  premier  cas  ,  ils  pa- 
roissent  toujours  plus  clairs,  plus 
transparens  et  plus  jaunes.  Ces  si- 
gnes deviennent  toujours  plus  sen- 
sibles après  le  second  ou  le  troi- 
sième jour,  de  sorte  que  les  jours 
suivans  on  peut  remarquer  cette 

que  ]e  suis  certain  que  les  pêcheurs  ,  dont 
j'avois  reçu  les  œufs  fécondés,  n'avoient 
vu  dans  leur  nasse  le  jour  d'auparavant ,  ni 
poisson  de  cette  espèce  ,  ni  œufs  aux  plan- 
tes. 


INTRODUCTION.       lvi  j 

différence  à  la  simple  vue.  Ceux 
qui  ne  sont  pas  fécondés  devien- 
nent de  jour  en  jour  plus  troubles, 
plus  épais  ,  plus  opaques  \  ils  per- 
dent tout  leur  éclat  ,  et  ressem- 
blent bientôt  à  un  petit  grain  de 
grêle  qui  commence  à  fondre.  Je 
mis  des  œufs  fécondés  à  part  dans 
des  verres  de  montre ,  où  il  y  avoit 
de  l'eau  ,  afin  de  pouvoir  observer 
]e  développement  du  poisson. 

L'oeuf  de  poisson  a  une  forme 
parfaitement  ronde ,  et  on  y  re- 
connoît  le  jaune,  le  blanc,  et  en- 
tre l'un  et  l'autre  ,  une  place  claire 
en  forme  de  croissant.  Le  jaune  , 
qui  est  ordinairement  environné 
de  blanc  ,  est  rond  ,  et  n'est  pas 
placé  dans  le  milieu,  mais  toujours 
vers  un  côté.  Entre  le  jaune  et  le 
blanc  ,  on  apperçoit  cette  place 
claire ,  et  ces   parties  se  remar- 


Iviij  INTRODUCTION, 
quent  aussi  dans  les  œufs  qui  ne 
sont  pas  fécondés  :  la  différence 
qu'il  J  sl  j,  c'est  que  le  jaune  est 
moins  foncé.  On  ne  peut  décou- 
vrir extérieurement  sur  les  œufs 
fécondés  aucune  trace  de  féconda- 
tion. 

La  laite  est  placée  le  long  de 
l'épine  du  dos,  tantôt  dans  un  sac , 
tantôt  dans  deux.  Elle  consiste  en 
une substanceblan clie  qui,  dans  le 
temps  du  frai,  devient  aussi  claire 
que  du  lait,  et  jaillit  par  le  trou 
ombilical ,  dès  qu'on  presse  tant 
soit  peu  le  poisson.  J'en  pris  un 
peu  avec  la  pointe  d'une  aiguille  , 
et  je  la  mis  sur  un  morceau  de 
verre  ;  je  la  délayai  dans  un  peu 
d'eau  claire  ,  et  je  l'observai  avec 
la plusfortelentille  sous  un  micros- 
cope composé  :  j'y  remarquai  une 
fourmilière    de    petits    animaux 


INTRODUCTION.         liK 

ronds  de  grandeur  inégale  ,  con- 
nus chez  les  autres  auteurs  sous 
le  nom  à.' animaux  spermatiques  3 
et  que  M.  de  Bufïbn  nomme  molé- 
cules organiques»  Quelque  temps 
après  la  mort  du  poisson ,  je  vis 
disparoître  tout  mouvement  dans 
la  semence  ou  laite. 

En  général ,  les  principes  de  la 
génération  sont  encore  couverts 
d'un  nuage  épais  ;  mais  cela  a  lieu 
sur-tout  chez  les  poissons  où  la  fé- 
condation se  fait  hors  de  la  mère 
et  dans  un  élément  froid.  Il  est  in- 
compréhensible comment  des  ani- 
maux infiniment  tendres  et  déli- 
cats ne  sont  pas  détruits  ,  sur-tout 
dans  les  endroits  profonds  où  Feau 
coule  avec  le  plus  de  rapidité ,  et 
où  un  grand  nombre  de  poissons 
déposent  leurs  œufs.  La  manière 
dont  les  œufs  éclosent  n'est  pas 


ÏX  INTRODUCTION, 
moins  étonnante.  Quelques  pois- 
sons fraient  en  hiver,  comme  la 
lote,  etc.  Chez  les  poissons,  il  n'y 
a  point  de  copulation  entre  les 
sexes.  La  femelle  pond  les  œufs 
inféconds,  et  les  mâles  qui  la  sui- 
vent, les  fécondent  ensuite,  en 
laissant  couler  sur  eux  leur  laite 
ou  semence.  Je  dirai ,  en  parlant 
de  divers  poissons  ,  la  raison  pour 
laquelle  les  femelles  quittent  les 
fonds  dans  le  temps  du  frai ,  pour 
venir  déposer  leurs  œufs  dans  les 
endroits  unis  et  couverts  d'herba- 
ges. C'est  par  la  même  raison  que 
les  mâles  quittent  leur  retraite 
d'hiver,  et  accompagnent  les  fe- 
melles. La  laite,  telle  que  les  tes- 
ticules des  animaux  _,  est  enfermée 
dans  deux  sacs  ,  et  à  peine  visible 
après  le  temps  du  frai  ;  de  même 
que  les  testicules  des  oiseaux  après 


INTRODUCTION.         lx} 

la  couvée.  Après  le  long  sommeil 
des  poissons  ,  durant  l'hiver  ,  la 
laite  commence  à  augmenter ,  s'en* 
fie  j  presse  les  entrailles,  étend  les 
parues  extérieures  du  bas-ventre; 
ce  qui  lui  cause  une  douleur  dont 
il  cherche  à  se  débarrasser ,  comme 
la  femelle,  en  se  frottant  contre 
les  herbes  ou  les  pierres.  Comme 
le  gonflement  est  bien  plus  consi- 
dérable dans  les  femelles ,  elles  sont 
aussi  les  premières  à  tâcher  à  se 
soulager,  età  chercher  des  endroits 
propres  à  déposer  leurs  œufs.  Les 
oeufs  qui  sont  imprégnés  d'une  ma- 
tière gluante,  restent  attachés  aux 
plantes,  aux  pierres  et  aux  autres 
corps  durs,  et  sont  ensuite  fécon- 
dés par  les  mâles  de  la  manière  que 
nous   avons   dile.    Cette   matière 
gluanle  ne  se  trouve  point  sur  les 
œufs   lorsqu'on   les    a  fait   sortir 
Poissons.  I.  f 


îxij        INTRODUCTION. 

avant  le  temps,  en  pressant  le  ven- 
tre de  la  femelle. 

Dans  les  animaux  tels  que  nous 
les  connoissons ,  les  deux  sexes  sont 
ordinairemen  t  en  proportion  (  1  ),  si 
Ton  en  excepte  cependant  les  vers 
des  intestins,  oùlesfemelles  sont  en 
beaucoup  plus  grand  nombre  que 
les  mâles.  Chez  les  poissons,  au  con- 
traire ,  on  a  remarqué  que  les  mâ- 
les sont  au  moins  une  fois  aussi 
nombreux  que  les  femelles.  La  rai- 
son de  cette  différence  vient  sans 


(1)  Il  est  vrai  que  dans  quelques  espèces 
d'oiseaux,  telles  que  les  faisans  et  les  per- 
drix ,  on  trouve  plus  de  mâles  que  de  fe- 
melles ;  mais  cette  inégalité  est  nécessaire 
pour  la  conservation  de  l'espèce.  Les  mâles 
sont  plus  hardis  que  les  femelles  ,  et  par 
conséquent  plus  exposés  aux  embûches  des 
hommes  et  des  animaux  carnassiers  ;  au  lieu 
que  les  dernières  plus  timides  ,  se  cachent 
et  échappent  à  leurs  poursuites. 


INTRODUCTION.  Ixiij 
doute  de  la  manière  dont  ces  ani- 
maux se  reproduisent;  car  comme 
les  œufs  sont  fécondés  hors  de  la 
femelle  _,  si  le  nombre  des  mâles 
n'étoit  pas  plus  considérable ,  la 
plupart  d'entr'eux  resteroient  in- 
fécondés. 

L.e  développement  du  poisson 
dans  l'œuf  n'est  pas  moins  mer- 
veilleux. J'en  parlerai  en  peu  de 
mots.  J'ai  dit  plus  haut  ce  qu'on 
remarque  dans  un  œuf  le  premier 
jour.  Le  second ,  la  place  en  forme 
de  croissant  ?  dans  laquelle  on 
remarque  de  temps  en  temps  un 
point  qui  se  meut,  devient  un  peu 
trouble.  Le  troisième  jour  ,  on  re- 
marque en  cet  en-droit  une  masse 
plus  épaisse,  qui  d'un  côté  est  for- 
tement attachée  au  jaune  ,  et  de 
l'autre  ;  est  libre  ,  fig.  5  3  y.  A  un 
hout  de  la  partie  qui  touche  au 


Ixiv  INTRODUCTION. 
jaune  ,  on  apperçoit  le  contour  du 
cœur  ,  dont  le  mouvement  s'aug- 
mente alors;  la  masse  elle-même, 
ou  l'embryon ,  se  remue  de  temps 
en  temps  du  côté  qui  est  libre; 
c'est-à-dire  de  la  queue.  Le  qua- 
trième jour,  on  voit  augmenter  les 
battemens  du  pouls,  de  même  que 
le  mouvement  de  tout  le  corps. 
Le  cinquième  jour  ,  dans  une  cer- 
taine position  que  prend  le  poisson 
dans  ses  divers  mouvemens,  on 
apperçoit  la  circulation  des  hu- 
meurs dans  les  vaisseaux.  Le  sixiè- 
me jour,  on  distingue  J'opine  du 
dos  et  les  côtes  qui  y  sont  atta- 
chées. Le  septième ,  on  découvre 
à  la  simple  vue  dans  l'œuf,  deux 
points  noirs,  fig.  6 3  y ,  qui  sont 
les  yeux  :  alors  on  apperçoit  déjà 
toute  la  forme  du  poisson  ,  et  les 
vertèbres  et  les  côtes  sont  si  dis- 


INTRODUCTION.       Ixv 

tinctes,  qu'on  peuLles  compter  sans 
beaucoup  de  peine  à  l'aide  d'une 
loupe  ordinaire.  Quoique  le  jaune 
diminue  à  proportion  que  l'em- 
bryon augmente,  le  poisson  n'a  pas 
pourtant  assez  de  place  pour  se 
tenir  dans  une  ligne  droite  ,  et  il 
fait  une  courbure  avec  sa  queue  , 
fig.  y*  Alors  les  mouvemens  sont 
si  vifs,  que  lorsqu'il  tourne  le  corps 
de  côté  et  d'autre,  le  jaune  tourne 
en  même  temps;  et  ces  mouve- 
mens  augmentent  à  proportion 
qu'ils  approchent  du  moment  de  sa 
naissance,  qui  arrive  entre  le  sep- 
tième et  le  neuvième  jour.  Les 
coups  répétés  de  la  queue  contre  la 
peau  de  l'œuf,  la  rendent  si  mince, 
qu'elle  crève  à  la  fin  :.a!ors  le  pois- 
son sort  la  queue  la  première  , 
jig*  8  ,  en  redoublant  sesmouve- 
mens  ,  afin  de  dé  tac  lier  sa  tète  qui 


Ixvj      INTRODUCTION. 

tient  au  jaune,  et  de  se  mettre  en 
liberté.  Bientôt  après,  il  se  réjouit 
de  son  existence  dans  le  nouvel 
élément  qu'il  habite  ,  et  court  çà 
et  là  dans  l'eau.  Comme  les  pois- 
sons éclosent  par  le  moyen  de  la 
chaleur  du  soleil ,  et  que  dans  le 
temps  du  frai ,  ses  rayons  n'échauf- 
fent pas  toujours  également  les 
eaux,  le  développement  du  poisson 
n'a  pas  toujours  lieu  dans  le  même 
temps;  et  l'on  peut  voir  les  choses 
que  j'ai  indiquées  un  jour  plutôt  ou 
plus  tard. 

Outre  les  œufs  des  poissons  dont 
j'ai  parlé  plus  haut,  j'ai  fait  éclore 
aussi  ceux  de  quelques  autres  pois- 
sons ,  et  j'ai  fait  les  mêmes  obser- 
vations. Il  est  remarquable  que 
dans  l'œuf  même  ,  on  peut  distin- 
guer d'abord  la  brème  de  la  bordé- 
lière,  parce  que  dans  cette  der- 


INTRODUCTION.  Ixvij 
rrière  l'iris  jaune  est  déjà  sensible 
clans  l'œuf .  C'est  un  spectacle  fort 
amusant ,  de  voir  se  remuer  avec 
tant  de  vivacité  dans  l'eau  ,  plu- 
sieurs petits  animaux  de  cette  es- 
pèce ,  extrêmement  délicats  ,  et 
tels  qu'on  les  voit  fig.  g,  a. 

D'ailleurs  ,  quoique  le  poisson 
grossisse  assez  lentement ,  son  ac- 
croissement devient  cependant  vi- 
sible les  huit  premières  heures. 
Dans  ce  court  espace,  son  corps 
acquiert  tout  d'un  coup  la  gros- 
seur marquée  à  \&fig.  g  ,  b.  Mais 
après  cela  .  il  croît  d'une  manière 
si  peu  remarquable  ,  qu'au  bout 
de  trois  semaines  il  n'est  que  de  la 
grandeur  marquée  k  la.  fig.  g,  c. 
De  neuvième  jour  ,  outre  les  deux 
points  noirs  ,  on  en  remarque  un 
troisième  qu'on  apperçoit  à  l'aide 
du   microscope  ;    c'est  l'estomac 


Ixviij  introduction:. 

avec  la  nourriture  qu'il  contient, 
Jig.  10 y  a.  Le  même  jour,  j'ai  comp- 
té  soixan  le  battemens  rie  pouls  dans 
une  minute  ;  au  lieu  que  le  coeur 
de  l'embryon  n'avoit  que  trente  à 
quarante  articulations  dans  le 
même  espace.  Les  petits  globes 
sont  rouges  tant  qu'ils  sont  dans  le 
cœur; mais  dès  qu'ils  passent  dans 
d'autres  vaisseaux  ,  ils  prennent 
une  couleur  blanche.  Le  second 
jour,  ceux  du  cœur  deviennent 
plus  rouges,  et  ceux  des  vaisseaux 
jaunes..  Le  troisième  jour ,  ils  sont 
entièrement  d'un  rouge  clair.  Dans 
les  veines  ,  ils  prennent  un  rouge 
pâle  ,  et  forment  alors  ce  fluide  , 
auquel  on  donne  le  nom  de  sang* 
Outre  cela  ,  on  reconnoît  dès  le 
premier  jour  les  nageoires  de  la 
poitrine;  mais  les  autres  nageoi- 
res sont  invisibles  3  aussi  bien  que 


INT  RODUCTION.  lxix 
les  intestins;  parce  qu'étant  extrê- 
mement tendres  ,  ils  laissent  pas- 
ser les  rayons  de  lumière.  Ce  n'est 
que  le  troisième  jour  qu'on  apper- 
çoit  la  nageoire  de  la  queue  ,  qui 
est  encore  droite,^,  to 3  b.  Celle 
du  dos  paroît  le  cinquième  ;  celles 
du  ventre  et  de  l'anus  se  décou- 
vrent le  huitième  jour  à  l'aide  d'un 

microscope. En viron  vers  ce  temps, 
on  découvre  sur  le  corps,  avec  un 
bon  microscope,  des  points  noirs, 
Jîg.  il,  bb  ,  les  uns  ronds  ,  les  au- 
tres alongés,  tels  qu'on  les  voit  à 
lajig.  i5 ,  a  ,  b ,  c.  Ce  sont  les  pre- 
miers contours  des  écailles  dont  le 
poisson  doit  être  couvert.  Ceux  de 
la  tète  sont  les  plus  petits,  ceux 
du  dos  les  plus  grands,  et  ceux 
des  côtés  tiennent  le  milieu  entre 
les  premiers  et  les  seconds.  On  re- 
marque aussi  déjà  à  la  queue  une 


Ixx  INTRODUCTION. 

éehancrure  en  forme  de  croissant? 
fig.  11 }  c.  Ces  parties  offrent  déjà 
à  l'oeil  un  spectacle  fort  agréable  y 
mais  il  est  bien  plus  amusant  en- 
core de  considérer  la  circulation 
du  sang  et  des  autres  liqueurs.  Ici 
se  présentent  des  jets  d'une  cou- 
leur rouge  ,  composés  de  petits 
globes  extrêmement  délicats. Près 
de  la  tête  ,  on  remarque  le  coeur  , 
qui  consiste  en  un  sac  membra- 
neux et  mince,  fig,  i4- ,  a3  qui 
verse  le  sang  dans  une  artère  en 
forme  de  sac  ,  fig.  12  ,b  ,  i4-,  b  , 
qui  dès  qu'elle  l'a  reçu  ,  se  resserre 
pour  le  faire  passer  dans  l'aorte  y 
fig.  i4- ,  c.  Pendant  que  l'artère  se 
comprime,  la  veine  cave  porte  de 
nouveau  sang  au  coeur  qui  étoit 
sans  action  ,  fig.  i4- ,  i  ;  et  alors  le 
cœur  le  fait  jaillir  dans  les  veines, 
qui  pour  lors  sont  aussi  sans  action» 


INTRODUCTION.      lxx  j 

Comme  les  poissons  ont  la  poi- 
trine très-courte,  et  point  de  cou, 
ces  animaux  n'ont  point  d'artères 
carotides  ;  mais  l'aorte  passe  tout 
d'un  coup  aux  ouies,  qui  sont  fort 
près  ;  et  de-là  dans  les  autres  par- 
ties du  corps.  Comme  dans  les  jeu- 
nes poissons  ,  les  ouies  ne  sont  pas 
encore  visibles,  j'ai  vu  les  artères 
monter  immédiatement  à  la  tète  , 
revenir  derrière  l'oeil  ,  et  descen- 
dre ensuite  le  long  de  l'épine  du 
dos ,  fig.  i4> „  c.  J'en  ai  remarqué 
une  autre  sur  le  devant ,  qui  des- 
cendoit  le  long  du  ventre  jusqu'à 
la  queue,  fig.  i4- ,  dd ,  qui  cora- 
mençoit  près  de  la  tète ,  et  tiroit 
son  origine  de  l'aorte.  De  la  pre- 
mière sort,  en  angle  droite  à  cha- 
que vertèbre,  une  artère,  fig.  i4-, 
ff,  qui  prend  sa  direction  le  long 
de  la  côte.  lie  sang  qui  passe  dans 


Ixxij    INTRODUCTION, 
les  artères,  qui  sont  extrêmement 
délicates,   se  rassemble  en  partie 
dans  la  veine   cave   ascendante  , 

figm  i4-  3g  _,  en  partie  dans  la  des- 
cendante ,  fig.  t4  3  h.  Ces  deux 
veines  se  touchent  en  angle  obtus  , 

fig.  i4-  3i ,  derrière  la  vésicule  aé- 
rienne  ,  et  conduisent  de  nouveau 
le  sang  vers  le  cœur.  Dans  les  pois- 
sons nouveaux  nés,  la  tète  est  pe- 
tite en  comparaison  des  autres  ani- 
maux, et  la  vésicule  aérienne  est 
grosse  ;  ce  qui  tient  l'animal  en 
équilibre  quand  il  est  dans  une  si- 
tuation droite. 

Une  chose  qu'il  est  encore  bon 
de  dire  ici,  c'est  qu'il  faut  écarter 
les  mouches  aquatiques  (1),  parce 
qu'elles  mangent  les  petits.  «Pavois 
trente  petits  poissons  dans  un  vase, 

(0  Phr}rganaea  grandis.  L. 


INTRODUCTION.  Ixxii] 
où  les  plantes  a  voient  déposé  des 
vers  et  d'autres  insectes  aquati- 
ques ;  mais  au  bout  de  quelques 
jours  ,  les  poissons  disparurent 
tout-à-fait,  sans  qu'on  pût  remar- 
quer la  moindre  trace  de  leurs 
corps.  Ayant  ensuite  trouvé  un, 
petit  limaçon  à  la  gueule  d'une  fri- 
gane  ,  cela  me  fit  croire  que  cet 
insecte  avoit  aussi  mangé  mes  pois- 
sons. 

D'après  ce  petit  nombre  d'expé- 
riences ,  je  crois  pouvoir  tirer  des 
conclusions  utiles  pour  l'économie 
et  la  physiologie. 

i°.  On  peut  empoissonner  les 
lacs  et  les  étangs  à  très-bon  mar- 
ché et  d'une  manière  très- com- 
mode, en  observant  le  temps  pré- 
cis du  frai  de  chaque  espèce.  Com- 
me les  poissons  de  la  même  espèce 
ne  fraient  pas  à-la-fois  ?  mais  en 

Poissons.  I.  g 


ÎXXÎV  INTROU  UCTION. 
trois  périodes ,  selon  la  différence 
de  leur  grosseur;  et  comme  d'ail- 
leurs il  y  a  un  intervalle  de  neuf 
jours  après  chaque  époque,  et  que 
les  œufs  restent  encore  huit  à  neuf 
jours  avant  que  d'éclore,  on  a  as- 
sez de  temps  pour  se  pourvoir  des 
plantes  où  ils  déposent  leurs  œufs. 
2°.  Par  le  moyen  de  cette  mé- 
thode ,  on  se  trouve  à  l'abri  des 
tromperies  des  marchands  de  pois- 
son, et  on  ne  risque  pas  d'acheter 
des  carassins  ou  des  gibèles  pour 
des  carpes  3  et  de  confondre  le 
nourrain  de  la  brème  ,  de  la  bor- 
délière ,  du  rotengle,  de  la  rosse 
et  de  l'ablette,  qui  sont  très-difh- 
ciles  à  distinguer  les  uns  des  au- 
tres tant  qu'ils  sont  petits. 

3°.  Les  expériences  décident 
avec  assez  de  certitude  la  ques- 
tion agitée  tant  de  fois  ,  et  sur  la- 


INTRODUCTION,      lxxv 

quelle  les  philosophes  de  nos  jours 
sont  encore  partagés;  savoir,  si  le 
mélange  de  la  semence  du  mâle  et 
de  la  femelle  est  nécessaire  pour  la 
fécondation  :  car  on  peut  assurer 
du  moins  que  chez  les  poissons  ce 
mélange  n'a  pas  lieu. 

4°.  On  voit  que  la  femelle  four- 
nit le  germe  on  le  corps,  et  que  le 
mâle  lui  donne  la  vie  ou  le  mou- 
vement :  car  on  remarque  aussi 
l'endroit  transparent  clans  les  œufs 
qui  ne  sont  pas  fécondés  ,  et  c'est 
la  semence  du  mâle  qui  commu- 
nique au  cœur  le  premier  mouve- 
ment. Je  laisse  à  d'autres  à  exami- 
ner si  cette  vapeur  légère  qui  se 
manifeste  dans  la  plupart  des  ani- 
maux par  une  odeur  désagréable  , 
passe  de  la  laite  dans  l'œuf  pour 
mettre  le  cœur  en  mouvement; 
ou  si  ce  sont  les  animaux  sperma- 


Ixxvj    INTRODUCTION. 

tiques  qui  y  pénètrent  et  produi- 
sent cet  effet  par  leur  mouvement 
rapide.  La  dernière  opinion  me 
paroît  très-vraisemblable  \  car  je 
n'ai  pas  remarqué  la  moindre 
odeur  à  la  laite  des  poissons.  Ces 
particules  volatiles  paroissent  plu- 
tôt propres  aux  autres  espèces  d'a- 
nimaux ,  à  qui  la  nature  a  donné 
un  aurait  invincible  pour  la  pro- 
pagation de  leurs  semblables.  Ce 
penchant  n'est  pas  nécessaire  chez 
les  poissons  ;  la  naturese  sert,  pour 
les  multiplier,  d'un  autre  moyen, 
c'est-à-dire  du  gonflement  des  lai- 
tes qui  pressent  les  autres  intes- 
tins ,  et  causent  ainsi  dans  le  bas» 
ventre  une  tension  désagréable. 
Cette  manière  paroît  aussi  propre 
aux  oiseaux.  Je  n'ai  remarqué  non 
plus  aucune  odeur  dans  leur  se- 
meucej  et  clans  le  temps  de  la  pou  te 


INTRODUCTION,  lxxvij 
les  testicules  leur  enflent  considé- 
rablement; de  sorte  que  dans  quel- 
ques espèces,  ces  testicules,  qui 
étoient  à  peine  visibles  aupara- 
vant ,  deviennent  aussi  gros  et 
même  plus  gros  qu'une  noisette. 

5°.  On  peut  aussi  expliquer  par- 
là  ,  pourquoi  parmi  les  mâles  des 
poissons  il  ne  se  manifeste  point  de 
jalousie  dans  le  temps  des  amours; 
car  on  voit  plusieurs  mâles  suivre 
les  femelles  tranquillement  et  dans 
la  meilleure  intelligence.  Et,,  en- 
tre les  femelles  ,  on  ne  remarque 
pas  non  plus  le  moindre  signe  par 
lequel  elles  excitent  les  mâles  à 
l'amour. 

6°,  Le  cœur  dilate  les  vaisseaux 
sanguins,  et  opère  par  ce  moyen 
le  développement  général. 

70.  Le  germe  et  l'embryon  qui  en 
provient  ;  sont  enveloppés  avec  le 


lxxviij     INTRODUCTION. 

jaune  dans  une  membrane  com- 
mune :  et  ils  sont  si  intimement 
unis  par  le  moyen  des  viscères  du 
poisson  et  des  vaisseaux  du  jaune, 
qu'ils  ne  sont  pas  encore  séparés, 
même  lorsque  le  poisson  est  à  moi- 
tié sorti  de  l'œuf. 

8°.  Les  poissons  ne  viennent  pas 
au  monde  par  la  tète  comme  les 
autres  animaux,  mais  par  la  queue. 

90.  Le  temps  nécessaire  pour  la 
formation  et  la  naissance  n'est  pas 
déterminé  comme  dans  les  autres 
animaux  ,  parce  que  cette  opéra- 
tion peut  être  accélérée  ou  retar- 
dée par  le  plus  ou  le  moins  de  cha- 
leur. 

io°.  Le  jaune  qui  diminue  tou- 
jours à  proportion  que  l'embryon 
grossit,  est  destiné  à  la  nourriture 
du  germe  ;  le  blanc ,  au  contraire , 
a  la  liberté  des  mouvemens ,  de 


INTRODUCTI  O  N.    lxxix 

même  que  l'eau  contenue  dans  la 
matrice  des  vivipares. 

ii°.  Le  germe  préexiste  dans 
l'oeuf,  et  toutes  les  hypothèses  con- 
traires à  cette  préexistence  tom- 
bent d'elles-mêmes* 

12°.  Les  animaux  spermatiques 
des  poissons  sont  différens  de  ceux 
des  autres  animaux. 

i5°.  11  ne  faut  pas  plus  de  temps 
pour  faire  éclore  les  œufs  des  gros 
poissons  que  ceux  des  petits  ;  car 
ceux  de  la  brème  et  de  l'ablette  ont 
éclos  le  même  jour.  Au  lieu  que 
chez  les  oiseaux  et  les  quadrupè- 
des ,  le  temps  nécessaire  au  déve- 
loppement est  proportionné  à  la 
grosseur  de  l'animal. 

i4*.  Autant  le  développement 
du  poisson  dans  l'œuf  est  prompt, 
autant  son  accroissement  après  sa 
naissance  est  lent.  Dès  le  second 


Ixxx    INTRODUCTION. 

jour  après  la  fécondation  ,  j'ai  vu 
remuer  le  cœur,  et  le  corps  re- 
muoit  au  troisième  ;  au  lieu  qu'un 
poisson  de  deux  ans  avoit  à  peine 
quatre  à  cinq  pouces. 

i5°.  Les  nageoires  pectorales, 
qui  sont  les  principaux  instrumens 
de  la  natation  ,  commencent  les 
premières  à  se  former ,  et  doivent 
par  conséquent  se  trouver  à  tous 
les  poissons. 

1 6°.  La  circulation  du  sang  dans 
3  "embryon  est  beaucoup  plus  lente 
qu'après  la  naissance. 

17°.  Dans  un  jeune  poisson  ,  le 
sang  circule  beaucoup  plus  lente- 
ment que  dans  les  autres  jeunes 
animaux. 

18°.  Le  cœur  ne  pousse  pas  im- 
médiatement le  sang  dans  les  ar- 
tères ;  mais  elles  le  reçoivent  par 
le  mouvement  de  compression  du 


INTRODUCTION,    lxxxj 
sac  artérien.  Enfin  il  y  a  entre  ces 
deux  j  un   mouvement  alternatif 
de  compression  et  de  dilatation. 

190.  Les  globules  sanguins  qui 
paroissent  rouges  au  troisième  jour 
dans  le  coeur ,  et  blancs  dans  les 
auties  vaisseaux  ,  prouvent  que 
cette  couleur  du  sang  vient  de  la 
compression  du  cœur  qui  ,  déjà 
formé,  a  plus  de  tension  (i). 


(1)  On  peut  tirer  de-là  des  conclusions 
importantes  pour  la   médecine.  Dans  une 
saignée,  lorsque  le  sang  est  d'un  rouge  clair, 
c'est  preuve  d'une  tension  trop  forte  dans 
les  parties  solides,  et  il  est  bon  alors  de 
prescrire  desémolliens,  commedenouvelles 
saignées,  des  boisions  chaudes,  des  bains, &c. 
Lorsqu'au  contraire  le  sang  est  peu  rouge  , 
c'est  une  preuve  que  les  parties  solides  sont 
relâchées,  et  il  faut  alors  emplo}rer  une  mé- 
thode contraire  à  celle  que  nous  venons  de 
prescrire.  On  voit  aussi   par-là  la  grande 
influence  de  l'histoire  naturelle  sur  l'éco- 
nomie et  la  médecine, 


Ixxxij    INTRODUCTION. 

J'ai  fait  graver  sur  cette  planche 
les  objets  suivans  ?  qui  sont  assez 
remarquables  : 

Fig.  i3.  Des  œufs  de  truite  for- 
més. 

Fig.  16.  Un  morceau  d'ovaire 
de  saumon  dont  les  œufs  sont  en- 
fermés par  couches  dans  des  mem- 
branes particulières  arrangées  les 
unes  sur  les  autres  en  forme  de 
plis. 

Fig.  iy.  Une  petite  masse  de  six 
œufs  attachés  ensemble  ,  formant 
une  figure  à  six  côtés  ,  comme  on 
le  remarque  à  l'aide  d'une  loupe. 

Fig.  18.  Des  œufs  de  perche  en 
forme  de  filets. 


p,rçé>  z.xxx/rr.         .Introduction 


7'om  .  J . 


S. 

-s' 


7)etr<t><>    (fi-/. 


L»>  Fiffain    <  fc?tfy> 


INTRODUCTION,   lxxxiij 
EXPLICATION  DE  LA  PLANCHE. 
Ft>.  /.  De  riierbe  avec  des  œufs  fé- 


"6  e 

coudés. 


Fig.  2.  De  l'herbe  avec  des  œufs  qui 

ne  sont  pas  fécondés. 
Fig.  3.  Un  œuf  vu  au  microscope. 

a.  Le  jaune. 

b.  Le  blanc. 

Fig.  4.  Œuf  dans  lequel  on  remarque  , 

le  quatrième  jour,  le  mouvement 

de  l'embryon. 
Fig.  5.  (Euf  de  la  même  espèce  vu  au 

microscope  ,  où  Ton  remarque  déjà 

l'épine  du  dos. 
Fig.  6.  (Eufdu  septième  jour,  où  l'on 

remarque  les  yeux  de  l'embryon. 
Fig.  7.  (Euf  de  la  même  espèce  vu  au 

microscope. 
Fig.  8.  (Eut  où  la  queue  de  l'embryon 

est  déjà  sortie. 
Fig.  g.  a.   Une  brème  nouvellement 
née  ,  de  grandeur  naturelle. 

b.  La  même,  de  huit  heures. 

c.  La  même,  de  trois  semait;  es. 
Fig.  io.  Une  blême  d'un  jour  couchée 

sur  le  ventre ,  vue  au  micros- 
cope. 
a.  L'estomac. 


îxxxiv   INTRODUCTION. 

Fig.  4 1 .  Le  même  poisson  de  deux  jours 
couché  surle  côté,  vu  au  microscope. 

a.  L'estomac. 

b.  b.  Les  écailles. 
Fig.  4  2.  a.  Le  cœur. 

b.  Le  sac  artériel. 
Fig.  4 3.  (EEufs  de  truite. 

Fig.  4  4.  Une  brème  de  quatre  jours  cou  * 
chée  sur  le  côté ,  vue  à  un  microscope. 
a.  Le  cœur. 
&.  Le  sac  artériel. 

c.  L'aorte. 

d.  <2.  L'artère  antérieure. 

e.  e.   L'artère  postérieure. 
f.f.  Les  artères  intercostales. 
g.  La  veine-cave  inférieure. 
h.  La  veine-cave  supérieure. 
i.  Réunion  de  ces  veines. 

k.  La  vésicule  aérienne. 
Fig.  4  5.  Les  écailles  vues  à  un  bon 
microscope. 

a.  Ecaille  de  la  tête. 

b.  Ecaille  du  dos. 

c.  Ecaille  du  côté. 
Fig.  46.  (Eufs  de  saumon. 

Fig.  4  y.  (Eufs  de  perche  unis  ensemble. 
Fig   4  8.  Morceaux  de  laites  de  perche. 
Fig.  4g.  Animaux  spcrmaticm.es  de  la 
carpe. 


Piitjre  /. 


7b  m    J  ■ 


f>c.rtt>e  de/ ■  -Le    I i//ain     >.>cnh>- 

i.l. A  MUHKNK  tachetée    %  .  L  A  IVIUllKNK  . 


3  .LE  CONGRU 


HISTOIRE  NATURELLE 


DES   POISSONS. 


"  ■  ■      ■  v 


PREMIERE   CLASSE. 

Les  Apodes ,  ou  Poissons  privés  dô 
nageoires  jsur  le  ventre. 

PREMIER    GENRE. 

LA  MURÈNE,  m  u  rjbfa. 

Caractère  générique  :  les  ouvertures  des 
ouies  ou  branchies  aux  côtés  de  la 
poitrine. 

LE  CONGRE,  murjëka  conger. 

La  ligne  latérale  blanche,  et  la  réu- 
nion des  nageoires  de  l'anus,  du  dos  et 
de  la  queue  ,  sont  les  caractères  dis- 
Poissons.  I.  î 


2  HISTOIRE    NATURELLE 

tinctifs  de  ce  poisson.  Je  compte  dix 
rayons  à  la  membrane  des  ouies  ;  dix- 
neuf  à  la  nageoire  pectorale;  trois  cent 
six  aux  nageoires  réunies  de  l'anus 
de  la  queue  et  du  dos. 

Le  corps  est  rond  ,  ressemble  en 
grande  partie  à  l'anguille  ,  et  est  cou- 
vert de  mucosité   comme   cette  der- 
nière. Il  est  gris  depuis  le  dos  jusqu'au- 
delà  de  la  ligne  latérale  ;  plus  bas  et  au 
ventre  ,  il  est  tacheté  de  blanc  et  de 
gris.  La  tête  est  applatie  du  haut  en 
bas  ;  mais  le  tronc  est  rond.  A  l'ex- 
trémité de  la  mâchoire  supérieure,  on 
trouve  deux  cylindres  ,  et  tout  près 
des  yeux  deux  cavités.  L'ouverture  de 
la  bouche  est  grande.  Les  deux  mâ- 
choires sont  armées  de  dents  pointues 
et  séparées.  Au  menton,  on  voit  de 
petites  ouvertures  qui  étant  pressées, 
rendent  une  mucosité.  Les  yeux  ont 
une  prunelle  noire  dans  un  iris  argen- 
tin :  ils  sont  beaucoup  plus  gros  que 
ceux  de  l'anguille.   L'ouverture  des 


DU     CONGRE.  3 

ouies  est  étroite,  placée,  comme  à  l'an- 
guille ,  sous  les  nageoires  pectorales. 
La  ligne  latérale  règne  au  milieu  du 
corps,  et  consiste  en  une  raie  de  points, 
La  queue  est  terminée  en  pointe  ,  et 
l'anus  en  est  un  peu  plus  éloigné  que 
de  la  tête.  Les  nageoires  pectorales 
sont  grises;  celles  du  ventre,  du  dos  et 
de  l'anus  jaunâtres,  et  garnies  d'une 
bande  étroite  d'un  brun  noir. 

Nous  trouvons  ce  poisson  dans  la 
mer  Méditerranée ,  aux  Antilles ,  dans 
la  mer  du  Nord  ;  mais  sur-tout  vers  les 
côtes  d'Angleterre.  Il  parvient  à  une 
grosseur   très  -  considérable.    On    en 
trouve  dans  la  Méditerranée  depuis 
trente  jusqu'à  soixante  livres,  et  dans 
la  mer  du  Nord  de  beaucoup  plus  gros 
encore.   On   a   assuré    M.    Pcnnant  > 
qu'auprès  de  Scarborougli,  on  en  avoit 
péché  un  qui  étoit  long  de  dix  pieds  et 
demi,  et  qui  avoit  dix-huit  pouces  de 
circonférence.    Gesner   raconte   aussi 
qu'on  en  a  pris  de  quatre  à  cinq  aunes 


4  HISTOIRE    NATURELLE 

de  long,  et  de  la  grosseur  de  la  cuisse 
d'un  homme.  Tant  que  ce  poisson  est 
petit ,  il  ressemble  beaucoup  à  l'an- 
guille ;  cependant  on  peut  le  distin- 
guer aisément  aux  marques  suivantes: 
3°.  les  dents  de  l'anguille  sont  plus  pe- 
tites et  plus  mal  rangées.  '2°.  La  lèvre 
supérieure  du  congre  est  beaucoup  plus 
forte  qu'à  l'anguille.  3°.  La  couleur  du 
congre  est  beaucoup  plus  blanche  ,  ou 
du  moins  il  a  de  grandes  taches  blan- 
ches. 4°.  La  ligne  latérale  est  garnie 
de  points  blancs.  5°.  La  longue  na- 
geoire a  une  bordure  noire.  6".  Il  vit 
ordinairement  dans  l'eau  salée,  et  ne 
passe  qu'un  temps  très -court  dans 
l'eau  douce  ;  au  lieu  que  l'anguille 
reste  la  plupart  du  temps  dans  cetto 
dernière.  Pendant,  l'hiver  ,  le  congre 
se  cache  dans  la  vase  ,  pour  se  garan- 
tir du  froid  ;  et  il  n'en  sort  qu'au  prin- 
temps. Une  partie  reste  continuelle- 
ment au  fond  de  la  mer  ,  et  une  autre 
se  tient  vers  le  rivage  et  les  embou- 


DU     CONGRE.  5 

cbures  des  fleuves.  Les  derniers  ont 
le  dos  noirâtre  ;  les  premiers  sont  par- 
tout d'une  couleur  argentine.  Dans  la 
Saverne,  en  Angleterre,  on  trouve 
une  quantité  incroyable  de  jeunes  con- 
gres. Les  pèclieurs  ne  font ,  pour  ainsi 
dire,  que  les  en  tirer  comme  d'un  ré- 
servoir ,  et  se  servent  pour  cela  d'une 
poclie  dont  le  filet  est  de  crin.  Le  mois 
d'avril  est  sur- tout  le  temps  où  ils  pa~ 
roissent.  Vers  ce  temps ,  les  pêcheurs 
se  placent  vers  le  bord  de  l'eau  pen- 
dant le  flux ,  et  les  tirent  des  trous  où 
ils  sont  restés.  Un  seul  pêcbeur  peut 
en  prendre  un  boisseau  à  ebaque  ma- 
rée. Ces  poissons  ont  la  ebair  de  bon 
goût.  Les  gros  congres  ont  aussi  la  ebair 
blancbe  et  douce;  mais  comme  ils  sont 
tres-gras,  il  faut  un  bon  estomac  pour 
les  digérer. 

Il  y  a  encore  un  grand  nombre  de 
doutes  sur  la  manière  dont  ce  poisson 
se  reproduit.  Aristote  dit  que  dans  les 
uns  on  ne  trouve  que  de  la  graisse  ;  et 


l>  HISTOIRE   NATURELLE 

que  dans  les  autres,  les  oeufs  sont  mê- 
lés dans  la  graisse,  et  qu'il  suffit  de 
frotter  cette  graisse  entre  les  doigts 
pour  sentir  de  petits  corps  durs  ,  qui 
ne  sont  autre  chose  que  les  oeufs.  Selon 
Rondelet ,  les  œufs  doivent  être  ca- 
chés dans  la  graisse  en  rangées  ;  et 
quand  on  fait  fondre  cette  dernière  an 
feu  ,  ils  paroissent  alors  entièrement. 
On  sentira  bien,  sans  que  je  le  dise  , 
qu'il  est  toujours  douteux  si  ce  poisson 
est  ovipare  ou  vivipare  ;  sur- tout  parce 
qu'aucun  de  ces  auteurs  ne  parle  de  ses 
laites.  On  ignore  aussi  le  temps  où  ils 
multiplient.  Selon  Oppian ,  ils  s'ac- 
couplent comme  les  serpens. 

Le  congre  est  extrêmement  vorace, 
et  n'épargne  pas  même  sa  propre  es- 
pèce. Il  vit  de  polypes  et  de  poissons, 
mais  il  cherche  sur- tout  les  crabes 
quand  ils  se  sont  défaits  de  leur  dure 
écaille.  Il  s'attache  aussi  à  la  charogne , 
et  on  en  trouve  des  quantités  auprès 


DU      CONGRE.  7 

des  animaux  morts.  Ses  ennemis  sont 
la  murène  et  les  autres  poissons  vora- 
ces.  Il  a  la  vie  dure  ;  et ,  selon  Ronde- 
let ,  il  vit  encore  après  que  la  murène 
lui  a  arraché  la  queue. 

On  le  prend  en  Angleterre  dans  des 
anguillières  ;  en  Sardaigne  ,  dans  des 
nasses  que  l'on  enfonce  fort  avant  clans 
la    mer  ;  aux  Antilles  ,  on  s'y  prend 
différemment  :  on  cherche  près  du  ri- 
vage un  fond  de  pierre  ,  ou  bien  une 
place  où  il  y  a  des  rochers  bas-,  on  ôte 
quelques  pierres  -,  on  creuse  un  trou  , 
on  y  verse  un  peu  de  sang,  et  on  garnit 
la  place  d'hameçons,  amorcés  de  mor- 
ceaux de  polypes  ou  de  crabes.   Ces 
deux  choses  les  attirent  bientôt.  Ce- 
pendant il  faut  être  habile  à  les  tirer, 
de  peur  que  le  poisson  ne  s'attache  avec 
la  queue  à  quelque  corps;  car  alors  il 
s'y  attache  si  ferme,  qu'il  perd  la  mâ- 
choire-plutôt  que  de  céder.  Le  père  du 
Tertre  assure  en  avoir  fait  lui-même 
l'expérience. 


8  HISTOIRE    NATURELLE 

On  nomme  ce  poisson  : 

ISleeraal  ,  en  Allemagne. 

Kongeraal ,  en  Hollande. 

Conger  on  Conger-Eel .  en  Angleterre. 

JMilwel ,  à  Cornouaille  ; 

"Elwers  ,  quand  ils  sont  encore  jeunes. 

Congre  ,  en  France. 

Broncho,   en  Italie. 

Grongo }  en  Sardaigne. 

Imsella ,  à  Pile  de  Malte. 

Fammo  ,  au  Japon. 

LA  MURÈNE  TACHETÉE^ 

JHURjENA    ophis. 

Cette  espèce  d'anguille  se  reconnoît 
à  des  taches  foncées  sur  un  fond  argen- 
tin  ,  et  à  la  queue  dépourvue  de  na- 
geoire. On  compte  dix  rayons  à  la 
membrane  des  ouies  et  à  la  nageoire 
de  la  poitrine;  soixante  et  dix-neuf  à 
celle  de  l'anus  ,  et  cent  trente-six  à 
celle  du  dos. 

Le  corps  de  ce  poisson   est  long  y 


DE  LA  MURÈNE  TACHETÉE.        9 
rond  ,  uni ,  et  couvert   de  mucilage. 
Sans  ses  nageoires  ,    il  ressernblcroit 
parfaitement  à  un  serpent.  La  tête  est 
petite  ,  et  l'ouverture   de    la    bouche 
grande.  Les  deux  mâchoires  sont  d'é- 
gale longueur  :  chacune  est  armée  de 
deux  rangées  de  dents  qui  se  terminent 
en  pointes  et  qui  s'emboitent.  l'une  clans 
l'autre ,  ce  qui  sert  au  poisson  à  tenir 
sa  proie  ferme.   A  la  superficie  de  la 
mâchoire    supérieure  ,    on    remarque 
quatre  ouvertures,  dont  les  deux  anté- 
rieures sont   cylindriques.    Les   yeux: 
sont  petits  ,  et  ont  une  prunelle  noire 
dans  un  iris  jaune.  Le  dos  a  des  taches 
brunes   de    forme    indéterminée.    Le 
ventre  est  court  ;ce  qui  fait  que  l'anus 
est  beaucoup  plus  près  de  la  tête  que 
de  la  queue.  Cette  dernière  est  terminée 
en  une  pointe  émoussée.  La  ligne  laté- 
rale qui  règne  au  milieu  du  corps  ,  est 
composée  de  points  blancs  et  ornée  de 
taches  brunes  et  rondes.  La  nageoire 
pectorale  est  petite.   Au-dessous   de 


ïO  HISTOIRE   NATURELLE 

cette  nageoire, on  trouve  l'ouverture 
des  ouies,  qui  est  semblable  à  celle  de 
l'anguille.  La  nageoire  du  dos  com- 
mence assez  près  de  la  tête,  et  finit  près 
de  la  pointe  de  la  queue.  Elle  a  ,  ainsi 
que  celle  de  l'anus ,  des  rayons  simples , 
qui  sont  unis  les  uns  aux  autres  par  une 
membrane  mince  et  claire. 

Ce  poisson  doit  habiter  les  eaux  des 
Indes  orientales.  Linné  lui  donne  pour 
patrie  les  mers  de  l'Europe ,  et  Forskaœl 
ï'a  vu  en  Arabie.  La  structure  de  sa 
bouche  prouve  qu'il  est  du  nombre  des 
poissons  voraces.  Il  se  tient  ordinaire- 
ment entre  les  plantes  marines,  où  il 
cherche  les  polypes  ou  les  petits  pois- 
sons qui  s'y  trouvent.  Cependant  je  ne 
saurois  dire  s'il  est  ovipare  ou  vivipare. 
En  général,  on  n'a  rien  d'assuré  ,  que 
je  sache  ,  sur  la  manière  dont  se  repro- 
duisent les  poissons  de  ce  genre.  Il  par- 
vient à  une  grosseur  assez  considérable. 
Celui  que  Lister  a  décrit  avoit  trois 
pieds  et  demi  de  long.  Le  père  Léguât 


DE     L'ANGUILLE,  Il 

parle  d'un  poisson  qui  pesoit  soixante, 
livres,  et  qui  paroit  être  le  nôtre.  Il  l'a 
trouvé  près  de  l'île  de  St. -Maurice  :  il 
l'a  fait  cuire  ;  mais  il  le  trouva  très- 
mauvais,  et  en  fut  même  incommodé } 
ainsi  que  ses  compagnons  de  voyage. 

Ce  poisson  se  nomme  : 
Buntaal  et  Seeserpent ,  en  Allemagne. 
Murène  tachetée ,  en  France. 
Far  et  Uuz  ,  en  Arabie. 

L'ANGUILLE,  murjena  anguilla. 

Le  corps  sans  tache  et  la  mâchoire 
inférieure  avancée,  distinguent  ce  pois- 
son des  autres  du  même  genre.  On 
trouve  dix  ravons  à  la  membrane  des 

J 

ouies  ;  dix-neuf  à  la  nageoire  de  la  poi- 
trine j  onze  cents  à  celle  de  l'anus ,  de 
la  queue  et  du  dos. 

Le  corps  de  ce  poisson  est  long  , 
étroit ,  uni,  et  couvert  d'une  matière- 
visqueuse.  La  tête  est  petite,  et  pointue 
par-devant.  A  la  mâchoire  supérieure, 


Ï2         HISTOIRE   NATURELLE 
on  voit  les  deux  narines  cylindriques  ; 
et  tout  près  de  l'oeil ,  j'ai  appcrçu  deux 
autres  ouvertures  alongées  et  rondes, 
qui  sont  probablement  les  organes  de 
l'ouie.   L'ouverture  de  la  bouche   est 
petite  •,  les  deux  mâchoires  et  le  palais 
sont  garnis  de  plusieurs  rangées  de  pe- 
tites dents,  etl'onapperçoit  de  petites 
ouvertures  ,  tant  à  la  mâchoire  supé- 
rieure   qu'à    l'inférieure  ,    desquelles 
s'exprime  une  matière  visqueuse.  Les 
yeux  sont  petits  ,  et  recouverts  d'une 
membrane  clignotante;  la  prunelle  est 
noire ,  et  l'iris  de  couleur  d'or.  Les  oper- 
cules des  ouies  se  réunissent  au  tronc 
par  le  moyen  d'une  peau  ;  la  petite  ou- 
verture des  ouies  a  la  forjne  d'un  crois- 
sant ,  et  est  placée  tout  près  de  la  na- 
geoire pectorale.    Le  tronc  ,   qui   est 
étroit  et  long  ,  est  rond  au  dos  et  au 
ventre  ,  et  un  peu  comprimé  par  le» 
côtés.  La  ligne  latérale,  qui  est  au  mi- 
lieu,a  une  directiondroite  et  despoints 
blancs.  La  couleur  de  ce  poisson  dé- 


DE  L'ANGUILLE,  1 3 
pend  ,  comme  chez  la  plupart ,  de  la 
différente  nature  des  eaux  qu'il  habite. 
Il  est  noir  lorsqu'il  habite  dans  des  eaux 
dont  le  fond  est  bourbeux ,  et  le  ventre 
seulement  est  jaunâtre.  Celui  qui  vit 
sur  un  fond  sablonneux  est  verd  on  bru- 
nâtre ,  et  a  le  ventre  argentin.  Hasel- 
quist  a  vu  une  anguille  dontledoséloit 
garni  de  petites  lignes  brunes,  qui  for- 
moient  des  taches  dans  quelques  en- 
droits où  elles  étoient  près  les  unes  des 
autres.  La  peau  est  très-souple,  et  gar- 
nie d'écaillés  longues  et  molles  ,  qui  ne 
sont  visibles  que  sur  l'anguille  sèche. 
J'en  ai  fait  représenter  deux:  l'une  de 
grandeur  naturelle ,  et  l'autre  vue  au 
microscope  ,  prises  sur  une  anguille 
longue  de  deux  pieds.  Les  nageoires  du 
dos  et  de  l'anus  sont  longues  et  étroite?. 
La  première  ,  qui  est  réunie  à  celle  de 
la  queue,  est  rougeâtrc  sur  les  bords;  la 
dernière  est  blanche.  Les  nageoires  pec- 
torales sont  petites  , rondes,  et  ont  une 
couleur  un  peu  plus  claire  que  le  corps. 
Poissons.  I.  2 


j4        histoire  naturelle 

L'anguille  forme  le  passage  des  pois- 
sons aux  amphibies  rampans  ,  sur-tout 
aux  vipères,  à  l'égard  de  la  forme  exté- 
rieure ,  du  mouvement  rampant }  du 
corps  visqueux  et  du  sommeil  dans  le- 
quel elle  est  ensevelie  pendant  l'hiver; 
et  c'est  sûrement  la  raison  pour  la- 
quelle Homère  paroît  la  retrancher  du 
nombre  des  poissons.  C'est  sans  doute 
aussi  par  la  même  raison  que  les  Groen- 
landois  ne  la  mangent  point  ,  et  ne  se 
servent  que  de  la  peau ,  dont  ils  font 
des  bourses  pour  leurs  balles  de  plomb . 
Les  Romains  n'en  faisoient  non  plus 
aucun  casselonle  témoignage  de  Juvé- 
nal.  Les  Béotiens  au  contraire  ,  l'esti- 
moient  à  tel  point ,  qu'ils  l'ornoient  de 
guirlandes  ,  et  la  sacrifioient  aux  dieux. 
Nous  trouvons  l'anguille  dans  pres- 
que tous  les  lacs  et  rivières.  Il  n'y  a  que 
deux  fleuves  en  Europe  ,  d'ailleurs 
très* poissonneux  ,  dans  lesquels  on  ne 
la  trouve  que  rarement  \  savoir ,  le 
Danube  et  le  Volga.  Selon  Pline  ,  elle 


DE     L'ANGUILLE.         l5 

habite  le  Gange  ,  et  selon  Sloan  ,  la 
Jamaïque  ;  du  moins  ne  trouve-t-il  au- 
cune différence  entre  l'anguille  de  ce 
pays  et  celle  d'Europe.  Près  de  Gibral- 
tar l'anguille  parvient  à  une  longueur 
de  quatre  pieds  sept  pouces  ,  et  pèse 
dix-sept  livres.  Sur  la  côte  de  Norfolk 
en  Angleterre,  on  a  pris  une  anguille 
qui  avoit  cinq  pieds  dix  pouces  de  lon- 
gueur ,  sur  neuf  pouces  d'épaisseur,  et 
deux  pieds  de  circonférence  ;  elle  pesoit 
cinquante  à  soixante  livres.  Aristote 
a  remarqué,  que  l'anguille  passe  des 
fleuves  dans  la  mer.  Observation  confir- 
mée par  Gronov  et  Richter.  Le  premier 
rapporte  qu'on  la  pêche  en  Hollande 
dans  la  mer  du  Nord ,  et  le  second  , 
qu'au  printemps  elle  aime  à  passer  dans 
la  mer,  et  qu'on  là  prend  non  seulement 
en  quantité  dans  la  Baltique,  mais  aussi 
que  l'eau  salée  lui  donne  un  bon  goût. 
Pendant  l'hiver,  elle  se  cache  dans  la 
bourbe  ,  et  y  reste  en  grandes  troupes. 
Au  printemps,  elle  quitte  les  lacs  }  et 


l6*  HISTOIRE  NATURELLE 
passe  dans  les  fleuves.  En  x-Ulemagne  , 
c'est  particulièrement  en  mai  qu'elle 
descend  dans  l'Oder  et  dans  la  Varte  , 
et  qu'elle  va  jusqu'au  Haf.  On  la  trouve 
aussi  dans  la  Sprée  ,  la  Havel  ,  TElbe  , 
et  dans  les  lacs  qui  y  répondent.  Le 
bruit  des  moulins  ne  l'épouvante  pas  : 
elle  suit  même  l'auge  ;  ce  qui  donne  oc- 
casion aux  meuniers  de  la  prendre  ,  par 
le  moyen  des  poches  qu'ils  placent  der- 
rière les  moulins.  Dans  celte  saison, la 
pêche  des  anguilles  est.  très-considé- 
rable, et  on  les  fume  en  plusieurs  en- 
droits pour  les  conserver.  Il  en  vient 
souvent  aux  marchés  de  Berlin  cinq  à 
six  chariots  à  la  fois.  Elles  sont  fort 
communes  dans  le  Jiïtîand  :  car  un  sa- 
vant de  ces  contrées  dit  qu'il  y  a  dans 
ce  pays  une  ammillière,  où  l'on  prend 
quelquefois  deux  mille  anguilles  d'un 
seul  coup  ,  parmi  lesquelles  il  s'en 
trouve  qui  pèsent  neuf  livres  et  plus. 
Onrapporte  aussi  que  dans  la  Garonne , 
on  en  prenoit  autrefois  jusqu'à  soixante 


DE     L'ANGUILLE,         \f 
mille  eu  un  jour  avec  un  seul  filet-,  et 
dans  1' Angleterre,lorsque  Rockingham 
fut  nommé  membre  du  parlement ,  il 
fit  mener  treize  tonneaux  d'anguilles 
pour   un  repas  qu'il  donna.   Près   de 
Workum  en  Frise,  on  en  pêche  une  si 
grande  quantité ,  que  l'on  entretient 
exprès  des  vaisseaux  ,  qui  en  mènent 
tous  les  ans  pour  près  de  cent  mille 
livres  sterlings  en  Angleterre. 

L'anguille  parvient  à  une  grosseur 
considérable.  On  en  trouve  de  deux  à 
trois  aunes  de  long  et  grosses  comme  le 
bras.  En  Albanie ,  on  en  pêclie  qui  sont 
grosses  comme  la  cuisse.  La  peau  est 
souple  et  transparente.  Les  Tartares 
des  confins  de  la  Chine ,  s'en  servent  en 
guise   de  carreaux  de  fenêtres.  Dans 
d'autres  endroits  ,  on  coupe  ces  peaux 
en  lanières  ,  et  les  paysans  s'en  servent 
pour    attacher   leurs    fléaux  ,     parce 
qu'elles  sont  plus  fortes  que  le  meil- 
leur cuir. 

L'anguille  est  vorace  :  mais  l'ouver- 


l8         HISTOIRE    NATURELLE 

tore  de  sa  bcmclie  est  si  petite  ,  qu'elle 
ne  peut  s'emparer  que  des  petits  pois- 
sons. Elle  se  contente  aussi  d'insectes, 
de  vers  et  de  charogne.  Elle  aime  sur- 
tout les  œufs  des  autres  poissons  ;  elle 
les  suit  dans  le  temps  du  frai ,  et  fait  un 
grand  tort  à  la  multiplication  des  autres 
espèces.  L'anguille  aime  aussi  les  pois  , 
et  cherche  lesendroits  où  on  en  a  semé. 
Elle  ne  va  à  la  chasse  que  pendant  la 
nuit-,  pendant  le  jour  .  elle  se  cache 
dans  la  bourbe,  dans  laquelle  elle  s'en- 
fonce profondément.  Elle  forme  deux 
ouvertures  à  cette  retraite  obscure  ? 
afin  que  si  l'une  se  trouve  par  hasard 
bouchée,  elle  puisse  échapper  par  l'au- 
tre. Ses  ennemis  sont  le  brochet  ,  les 
oiseaux  de  marais  et  la  loutre.  Elle  a  la 
vie  dure ,  et  on  peut  la  transporter  très- 
loin  dans  un  vase  où  il  y  a  de  l'eau  ,  de 
l'herbe, ou  du  jonc.  Elle  vit  aussi  deux 
à  trois  jours  hors  de  sou  élément.  Mal- 
gré son  tempérament  robuste,  l'an- 
guille est  extrêmement  sensible  à  uii 


DE     L'A  N  G  U  I  L  L  E.         19 

degré  considérable  de  froid  et  de  chaud. 
Voilà  pourquoi  elle  se  cache  de  bonne 
heure  en  automne  ,  et  ne  reparoît  au 
printemps  que  lorsque  l'eau  a  pris  une 
température  plus  douce.  Selon  Aris- 
tote  ,  si  dans  l'été  on  transporte  des  an- 
guilles d'un  lac  dans  des  réservoirs  , 
elles  meurent  toujours  ,  et  souvent 
quand  on  les  transporte  dans  une  eau 
froide.  Cela  peut  être  vrai  pour  les  pays 
chauds  ;  car  dans  nos  contrées  on  peut 
les  transporter  même  en  été.  Cepen- 
dant elles  en  deviennent  quelquefois 
malades  ,  sur -tout  dans  les  grandes 
chaleurs  :  alors  elles  ont  une  espèce 
d'éruption ,  qui  consiste  dans  des  taches 
blanches  depuisla  grandeur  d'un  grain 
de  millet  jusqu'à  celle  d'une  lentille. 
Les  remèdes  contre  cette  maladie  sont 
assez  incertains.  Cependant  on  peut 
conseiller  de  jeter  alors  du  sel  dans  les 
réservoirs,  et  d'y  ajouter  en  grande 
quantité  une  plante  de  la  famille  des 


20         HISTOIRE   NATURELLE  » 
liyrlrocarides  ou  morrènes  ,  nommée 
Stratiotes  aloides. 

L'anguille  multiplie  beaucoup ,  et 
jusqu'à  présent  on  n'y  a  pu  découvrir 
ni  laites  ni  œufs  ;  quelques  naturalistes 
seulement  ont  trouvé  des  petits  dans 
son  corps.  Ce  défaut  de  laites  et  d'oeufs 
a  beaucoup  embarrassé  ceux  qui  ont 
voulu  expliquer  la  génération  de  ce 
poisson.  J'espère  donc  faire  plaisir  à 
mes  lecteurs  ,  en  leur  communiquant 
les  différens  sentimens  que  l'on  a  eus 
sur  cet  objet  ;  on  verra  par-là  ce  qu'on 
en  a  pensé  dans  différens  temps.  Aris- 
tote  a  regardé  la  génération  de  l'an- 
guille comme  une  chose  si  remar- 
quable ,  qu'il  y  a  consacré  un  chapitre 
particulier.  Selon  lui ,  c'est  le  seul  des 
animaux  qui  ont  du  sang  qui  ne  se  re- 
produise ni  par  l'accouplement ,  ni  par 
les  œufs,  parce  qu'il  n'y  a  dans  cette 
espèce  ni  mâles  ni  femelles.  Il  croit 
que  les  anguilles  naissent  de  la  fange 
corrompue.  Car  comme  on  les  trouve 


DE     L'ANGUILLE.         21 
dans  des  marais  desséchés  ,  lorsque  la 
pluie  vient  à  les  remplir ,  il  faut  bien , 
dit- il ,  qu'elles  aient  été  produites  de 
ces  marais.  Si  ce  philosophe  avoit  ré- 
fléchi qu'elles  pouvoient  y  être  appor- 
tées par  les  débordemens  et  les  inonda- 
tions, que  d'ailleurs  l'anguille  vit  long- 
temps cachée  dans  la  bourbe  ,  il  auroit 
senti  aisément  l'incertitude  de  cette 
conséquence.    Il  faut  qu'il   n'ait   pas 
songé  non  plus  ,  que  si  c'étoit  la  va&e 
corrompue  qui  produisit  les  anguilles  , 
on  en  trouveroit  dans  tous  les  marais 
de  cette  espèce. 

Pline,  qui  refuse  aussi  à  l'anguille 
l'un  et  l'autre  sexe ,  dit  avec  un  ton 
d'assurance  ,  que  les  anguilles  ,  en  se 
frottant  contre  des  corps  durs ,  font 
sortir  de  leur  corps  de  petites  parties, 
qui  s'animent  et  deviennent  des  an- 
guilles. 

Athénée  les  fait  naître  de  la  vase 
corrompue  ;  d'autres ,  de  la  pourriture 
des  animaux.  Comme  on  trouva  quel- 


'21        HISTOIRE  NATURELLE 

quefois  plusieurs  anguilles  dans  le  corps 
des  chevaux  qu'on  avoit  jetés  dans 
l'eau  quelque  temps  auparavant ,  on 
en  conclut  qu'elles  étoient  venues  de 
leur  corruption.  Mais  on  ne  pensoit 
pas  que  l'anguille,  ainsi  que  plusieurs 
autres  poissons,  aime  à  se  repaîtrç  de 
charogne. 

Rondelet  soutient,  qu'elles  se  repro- 
duisoient  comme  les  autres  poissons 
pourvus  de  laites  et  d'oeufs.  Il  disoit , 
que  la  grande  quantité  de  graisse  dont 
la  laite  et  les  œufs  éloient  entourés  dans 
les  anguilles,  empêchoit  de  les  apper- 
cevoir,  et  il  assuroit  en  avoir  vu  en- 
trelacées l'une  dans  l'autre  ;  ce  qu'il 
regardoit  comme  un  accouplement. 

On  a  voulu  les  faire  naître  aussi  de 
la  rosée  du  mois  de  mai ,  et  on  a  tâché 
de  le  prouver  par  l'expérience  sui- 
vante. On  prend  au  mois  de  mai  deux 
morceaux  de  gazon  ;  on  les  place  l'un 
contre  l'autre,  de  manière  que  les  deux 
côtés  garnis  d'herbe  se  touchent.  On 


DE  L'ANGUILLE.  2.Î 
couvre  le  tout  d'herbe  ,  et  vers  le  soir 
on  jette  ce  paquet  dans  l'eau,  de  ma- 
nière que  l'herbe  soit  égale  à  la  sur- 
face de  l'eau.  Alors,  s'il  a  fait  une  forte 
rosée  pendant  la  nuit  ,  on  trouve  le 
matin  de  petites  anguilles  parmi  le 
gazon.  Quelque  ridicule  que  soit  cette 
opinion ,  et  quelque  peu  digne  qu'elle 
paroisse  d'arrêter  un  instant ,  Leirwen- 
hock  l'a  cependant  jugée  digne  d'une 
réfutation;  et  voici  comme  il  explique 
ce  phénomène.  On  sait  que  la  rosée  ne 
tombe  que  par  un  temps  calme  et  tran- 
quille. Les  poissons  se  tiennent  ordi- 
nairement au  fond  ;  mais  dans  un  temps 
clair,  les  jeunes  sur-tout  viennent  sur 
la  surface  de  l'eau,  qui  est  la  partie  la 
plus  chaude.  Or,  comme  les  jeunes  an- 
guilles trouvent  en  même  temps  de  la. 
nourriture  dans  le  gazon  ,  on  voit 
pourquoi  elles  s'y  trouvoient  lorsqu'il, 
tomboit  de  la  rosée  ,  et  pourquoi  elles 
ne  s'y  trouvoient  pas  dans  le  cas  con- 
traire.   LeiiAvenhock    alla'  plus   loin. 


2i  HISTOIRE    NATURELLE 

Tous  les  mois,  depuis  le  printemps,  il 
ouvrit  un  certain  nombre  d'anguilles, 
et  à  la  fin  ,  il  trouva  au  mois  d'août 
dans  la  matrice  d'une  anguille,  un  pe- 
tit ,  et  deux  dans  une  antre.  Ils  avoient , 
comme  on  le  voit  par  le  dessin  ,  la  gros- 
seur d'un  crin  de  cheval  et  la  longueur 
d'un  pouce.  Il  est  aisé  de  voir  que  ces 
expériences  pénibles  n'ont  pas  répandu 
assez  de  lumière  sur  la  génération  dc3 
anguilles;  car  une  multiplication  si  mo- 
dique ne  seroit  pas,  à  beaucoup  près, 
suffisante  pour  réparer  la  destruction 
que  les  hommes  et  les  animaux  font 
chaque  année  parmi  les  anguilles.  Ce- 
pendant ,  il   se  pourvoit   que   les  an- 
guilles fissent  leurs  petits  peu  à  peu , 
et  qu'alors  il  nen  restât  que  quelques- 
uns  dans  le  corps.  C'est  de  cette  ma- 
nière que  j'ai  aussi  expliqué  le  cas  sui- 
vant. Je  priai  quelques  personnes  de 
ma   connoissance   d'observer  attenti- 
vement en  ouvrant  des  anguilles,  s'ils 
n'appercevroient  point  les  petits  qui 


DE    L*  ANGUILLE.         1$ 

doivent  se  trouver  à  l'épine  du  dos, 
non  loin  de  l'anus.  M.  Elckncr,  habile 
mécanicien  de  Berlin,  remarqua,  en 
ouvrant  une  anguille  ,  trois  petits  ani- 
maux dans  un  sac  ,  qui  a  voient  la  figure 
de  ceux  de  Leuwenhock.  11  m'en  ap- 
porta undansdel'esprit-de-viu  ,  et  j'y 
trouvai  la  plus  grande  ressemblance 
avec  l'anguille. 

Willugliby  est  le  premier  qui  avoua 
franchement  que  la  génération  des 
anguilles  étoit  inconnue.  M.  le  docteur 
Elmer  assure,  au  contraire,  qu'une  an- 
guille a  rendu  plusieurs  petits  vivans  , 
enfermés  dans  de  petites  vessies.  Char* 
leton  assure  la  même  chose,  et  pré- 
tend avoir  trouvé  onze  petits  dans  la 
matrice  d'une  anguille.  Dans  la  suite, 
M.  Fahlberg  vit  au  mois  de  février 
1760,  dans  une  anguille  encore  vi- 
vante, un  petit  à  moitié  sorti  par  le 
trou  ombilical.  Il  l'ouvrit,  et  trouva 
dans  la  matrice  quarante  autres  pe- 
tits ,  qu'il  mit  dans  de  l'eau  \  et  ils  s'y 
Poissons.  I.  3 


26         HISTOIRE    NATURELLE 

remuèrent  pendant  six  henres  de  la 
même  manière  que  les  anguilles.  Birck- 
liollz  rapporte  aussi  que  les  vieux  pê- 
clieursexpérimentés,  en  juin  et.  juillet, 
faisoient  sortir  du  corps  des  anguilles 
vivantes  ,  en  leur  pressant  le  ventre  , 
et  que  lui-même  en  avoit  vu  ensuite 
aussi  dans  le  corps  des  mères.  Plu- 
sieurs vieux  pêcheurs  expérimentés 
de  ce  pays,  m'ont  assuré  aussi ,  que  si , 
dans  ce  temps  ,  on  presse  une  anguille- 
mère  ,  les  petits  en  sortent  sous  la 
forme  de  serpens  très-petits  et  très- 
déliés  ,  et  qu'ils  ont  aussi  souvent  re- 
marqué de  petites  anguilles  ,  quand 
leurs  bateaux  troués  sont  si  pleins  de 
grosses  anguilles  ,  qu'elles  se  pressent 
les  unes  sur  les  autres. 

Gesner  est  le  premier  qui  ait  dit 
que  l'anguille  étoit  vivipare,  et  il  s'ap- 
puyoit  sur  le  témoignage  de  deux  pê- 
cheurs expérimentés  ,  qui  avoient  vu 
sortir  d'une  grosse  anguille  une  quan- 
tité de  petites  de  la  longueur  de  trois 


»)  E     L'ANGUILLE.         27 

jpouces.  Cet  ti  assure  aussi  que  l'anguille 
est  vivipare. 

J'ai  demandé  à  plusieurs  de  mes 
amis  du  dehors,  quelques  observations 
sur  la  génération  des  anguilles;  et  voici 
ce  qu'ils  me  mandent. 

M.  de  Buggenhagen  ,  de  Buggen- 
hagen  en  Poméranie  suédoise ,  m'écrit  : 

«  Après  le  frai  de  la  brème ,  disent 
»  les  pêcheurs,  on  trouve  les  anguilles 
î)  en  grandes  troupes ,  et  ils  croient 
»  que  c'est  alors  qu'elles  s'attroupent. 
»  M.  de  Blandow ,  mon  voisin  ,  qui 
»  demeure  à  Jamitzow ,  prit  quelque 
»  temps  avant  la  fenaison  ,  une  an- 
»  guille  qui  étoit  d'une  grosseur  ex- 
i>  traordinaire.  Le  cuisinier,  en  l'ap- 
v  prêtant,  trouva  dans  son  corps  une 
»  quantité  de  vers  ;  de  sorte  qu'il  la 
»  montra  à  son  maître  ,  en  lui  disant 
»  qu'on  ne  pouvoit  la  manger.  M.  de 
»  Blandow  observa  ces  petits  vers  an 
»  microscope,  et  il  trouva  que  c'ét  oient 
)>  exactement   de    petites   anguilles  , 


28  HISTOIRE  NATURELLE 
j)  dont  quelques-unes  étoient  à  peine 
»  grosses  comme  un  Cl;  d'autres,  un 
)>  peu  davantage,  et  qui  se  remuoient 
»  déjà  vivement  dans  le  ventre  de  leur 
»  mère  ».  M.  le  conseiller  Heim  ,  qui 
demeure  à  présent  à  Berlin,  m'écrivit 
de  Spandow  ce  qui  suit  :  «  Tous  les 
))  pêcheurs  s'accordent  à  dire  que  l'an- 
»  guille  fait  des  petits.  Hier  encore, 
»  j'ai  été  chez  plusieurs  pour  m'en  in- 
)>  former  ,  et  j'ai  appris  une  chose  qui 
»  mérite  d'être  rapportée.  On  prit  un 
)>  jour  une  grosse  anguille  ,  et  on  la 
j)  mit  aussi-tôt  dans  le  bateau.  Quelque 
»  temps  après  les  pêcheurs  ,  à  leur 
»  grand  étonnement ,  virent  un  nom- 
»  bre  assez  grand  de  petites  anguilles, 
»  quin'étoient  pas  encore,  à  beaucoup 
)>  près,  aussi  grandes  que  dessang-sues, 
»  et  aucun  des  pêcheurs  ne  douta  que 
»  ce  ne  fussent  des  petits  sortis  de  la 
)>  grosse  » . 

Beckmann  raconte  aussi  que  les  pê- 
cheurs de  Writzen  prétendent  qu'ils 


DE  L'ANGUILLE.  2J 
ont  remarqué  dans  une  grosse  anguille 
des  petits  aussi  minces  qu'un  fît  fin, 
et  longs  comme  deux  phalanges. 

M.  Muller  ,  célèbre  naturaliste  de 
Copenhague,  assure  qu'il  a  trouvé  des 
œufs  dans  quatre  anguilles.  Les  ovaires 
étoient  de  la  longueur  d'un  pouce-,  ils 
étoient  remplis  d'oeufs  de  différentes 
grosseurs ,  et  placés  près  de  la  vésicule 
aérienne  et  des  reins.  Ces  œufs  n'éclo- 
roient-ils  point  dans  le  ventre  de  la 
mère,  comme  cela  arrive  dans  la  lote 
vivipare  ? 

On  prend  ce  poisson  de  différentes 
manières  ;  avec  des  filets,  nasses,  li- 
gnes de  fond  ,  anguillières ,  etc.  On 
l'attire  à  la  ligne  avec  de  petits  pois- 
sons. Il  mord  sur -tout  au  goujon  et  à 
la  loche  à  pointe.  Quand  on  n'a  point 
de  ces  poissons,  on  se  sert  d'ablette  ou 
de  rotengle.  Dans  nos  contrées,  les  pê- 
cheurs jettent  les  lignes  flottantes  vers 
le  minuit,  et  vont  les  retirer  dès  le 
grand  matin;  car  s'ils  perdent  du  temps, 


3o         HISTOIRE   NATURELLE 

le  poisson ,  à  force  de  se  débattre ,  rompt 
les  ficelles  et  s'échappe.  En  hiver,  on, 
le  prend  aussi  sous  la  glace  avec  des 
fourches.  Et  comme  il  est  ordinaire- 
ment rassemblé  en  tas  dans  la  bourbe , 
on  en  prend  quelquefois  jusqu'à  cent 
cinquante  ou  cent  quatre-vingts  dans 
un  trou  de  deux  pieds  en  quarré.  Le 
teirîps  le  plus  favorable  pour  cette 
pêche,  c'est  une  nuit  obscure  par  un 
temps  chaud. 

L'anguille  est  un  poisson  délicat  ; 
mais  comme  il  a  beaucoup  de  graisse, 
il  est  difficile  à  digérer  :  voilà  pourquoi 
Galien  n'en  conseille  pas  l'usage ,  même 
quand  il  a  été  péché  dans  une  eau 
claire.  En  effet,  les  personnes  foibles 
et  qui  digèrent  difficilement ,  doivent 
s'en  abstenir. 

Comme  l'anguille  est  un  poisson  gé- 
néralement aimé  ,  l'économiste  fera 
bien  de  le  mettre  dans  ses  étangs.  Il 
demande  un  lac  spacieux,  avec  un  fond 
de  sable  ou  de  marne,  et  un  endroit 


DE     L'ANGUILLE.         3l 

où  il  y  ait  de  la  vase ,  pour  lui  servir 
de  retraite  pendant  l'hiver.  Si  Ton  veut 
en  conserver  dans  des  étangs  par  amu- 
sement ,  ou  pour  s'en  faire  provision  y 
il  faut ,  comme  le  remarque  Aristote  , 
que  ces  étangs  soient  placés  de  ma- 
nière qu'ils  coulent  dans  un  ruisseau 
d'eau  fraîche.  Selon  Pline,  l'anguille 
peut  s'apprivoiser  au  point  de  manger 
dans  la  main. 

Le  cœur  de  ce  poisson  est  quarré  ; 
la  cavité  du  ventre  étroite ,  et  l'on  y 
remarque  rarement  de  la  graisse ,  quoi- 
que la  chair  en  soit  par-tout  mêlée.  Le 
foie ,  qui  consiste  en  deux  longs  lobes 
inégaux,  est  d'un  rouge  pâle.  La  vé- 
sicule du  fiel  est  grosse  ;  le  canal  intes- 
tinal court  et  sans  sinuosités  ni  appen- 
dices :  j'y  ai  trouvé  souvent  des  œufs 
d'autres  poissons.  La  rate  forme  un 
triangle  ;  la  vésicule  aérienne  est  sim- 
ple et  aussi  longue  que  le  ventre.  On 
trouve  à  l'épine  du  dos  cent  seize  ver- 
tèbres. 


32         HISTOIRE    NATURELLE 

L'anguille  est  connue  sous  difterens 
noms.  On  la  nomme  : 

Aal ,  en  Allemagne. 

Tobis-Jal,  Ormfla  et  Rogar-orm ,  en 
Suède  et  en  Danemarck. 

Biart-Aal ,  en  Islande. 

Nimeriak  ,  en  Groenlande. 

Aal ,  en  Hollande  ,  quand  elle  est  en- 
core petite  ; 

Palink,  quand  elle  est  grosse. 

Hel  ,  Eles  y  en  Angleterre  ; 

Silbereel  ;  celle  qui  a  le  ventre  argen- 
tin. 

Jnguilla  ,  Anguillas  ,  en  Italie  et  en 

Espagne. 
Salura  ,  dans  File  de  Malte. 
Anguille,  en  France. 
Wegora ,  en  Pologne. 
Stuttis ,  en  Livonie. 
Suszche ,  chez  les  Lettes. 
Angrias,  chez  les  Estoniens. 
In  gala  ,  en  Hongrie. 
Agi y  au  Japon. 


DE  L'ANGUILLE.  33 
Aristote  et  Pline  ont  remarqué  avec 
raison,  que  l'anguille  morte  ne  vient 
pas  sur  l'eau  comme  les  autres  pois- 
sons j  mai?  le  premier  se  trompe,  en  di- 
sant que  cela  vient  de  ce  que  le  bas-ven- 
tre et  la  vésicule  aérienne  sont  étroits. 
Presque  tous  les  poissons  alongés,  tels 
que  la  loche  ,  l'orphie,  le  papillon  de 
mer  et  plusieurs  autres  ,  ont  le  bas- 
ventre  et  la  vésicule  étroits ,  et  cepen- 
dant ils  montent  sur  la  surface  de  l'eau 
dès  qu'ils  sont  seulement  un  peu  pâ- 
més. 

Ces  deux  auteurs  se  trompent  aussi 
lorsqu'ils  soutiennent  que  ce  poisson 
ne  parvient  qu'à  l'âge  de  sept  à  liui 
ans  ;  car  il  est  impossible  que  l'anguille 
qui  croît  lentement  ,  parvienne  dans 
ce  court  espace  à  la  grosseur  que  nous 
lui  voyons.  Jean  Heiden  a  conservé 
pendant  quinze  ans  des  anguilles  dans 
son  étang. 


34         HISTOIRE    NATURELLE 


I  Ie     GENRE. 


DES  GYMNOTHORAX 

EN    GÉNÉRAL, 
GYMNOTHORAX. 

Caractère  générique.  La  poitrine  sans 
nageoire. 

On  reconnoît  les  poissons  de  ce  genre 
à  ce  qu'ils  n'ont  point  de  nageoires 
pectorales. 

Le  corps  est  étroit,  long  ou  dégagé  , 
sans  écailles  ,  visqueux  et  bigarré. 

L'ouverture  branchiale  est  étroite  , 
courte  ,  dirigée  en  longueur,  et  nae. 

La  bouche  est  armée  de  dents  for- 
tes et  pointues. 

Les  narines  sont  simples  et  en  forme 
de  tuyau. 


Tom  .  I. 


fat/e   â4>  ■ 


ULE  GYMNOTlIOKAXà  bracelets  j».IiE  GYMNOTHORAX 
L-eliciolaii'e  .  3  .U£  GYMNOTHORAX  dAfinqu*. 


DU    GYMNOTHORAX.       35 

Les  nageoires  du  clos  >  de  la  queue  et 
de  l'anus  sont  jointes  et  couvertes  par 
une  commune  peau. 

Les  rayons  des  nageoires  sont  très- 
déliés  et  mous  ,  et  on  ne  sauroit  les 
compter  ,  à  cause  de  la  peau  épaisse 
qui  les  couvre. 

Ces  poissons  font  leur  séjour  dans  la 
mer;  cependant  ;  dans  certaines  sai- 
sons ,  ils  entrent  dans  les  rivières. 

Nous  n'en  trouvons  qu'un  en  Eu- 
rope ,  et  cela  ,  dans  la  mer  Méditerra- 
née ;  c'est  la  murène ,  si  estimée  des 
Romains. 

Linné  le  compte  parmi  les  anguilles, 
peut-être  parce  qu'il  n'en  connoissoit 
que  cette  seule  espèce.  Mais  comme 
depuis  ce  temps  nous  avons  appris  à  en 
connoître  plusieurs  espèces  dans  les 
autres  parties  de  la  terre  ,  et  qu'il  leur 
manque  une  des  principales  marques, 
c'est-à-dire  la  nageoire  pectorale; 
M.  Tbunbcrg  l'a  séparée  des  anguilles, 
et  en  a  fait,  et  avec  î-aison,  un  genre 


36  HISTOIRE  NATURELLE 
séparé.  Mais  comme  M.  Thunberg  a 
donné  à  ces  poisaons  le  nom  de  murè- 
nes ,  nom  que  Linné  donne  aussi  aux 
anguilles  ,  je  leur  ai  donné  celui  de 
gyrnnolhorax ,  afin  d'éviter  toute  con- 
fusion ;  et  cette  dénomination  fait  con- 
noître  en  même  temps  la  marque  dis- 
tinctive  du  genre. 

LA  MURENE,  gtmnothorax 

M  URJE  N  A. 

On  reconnoît  la  murène  à  sa  nageoire 
épaisse  et  grasse  qui  com  menée  à  l'anus , 
entoure  la  queue  ,  et  finit  sur  le  dos  à 
une  assez  grande  distance  de  la  tête. 
Dépourvue  de  nageoires  sur  la  poitrine 
et  sur  le  ventre  ,  elle  forme  le  passage 
des  poissons  aux  serpens  ,  et ,  comme 
ces  derniers  ;  elle  ne  se  meut  que  par 
l'impulsion  de  la  partie  postérieure  de 
son  corps.  Les  jeunes  murènes  sont 
rondes  .  leur  corps  s'applatit  et  se  con- 
nrime  en  avançant  en  âge.  Ce  poisson 


DELA     MURÈNE.  7>J 

a  la  têle  petite  et  la  bouche  grande . 
Les  deux  mâchoires  sont  garnies  do 
dents  pointues  et  si  éloignées ,  qu'elles 
rengrènentles  unes  dans  les  autres.  On 
trouve  aussi  des  dents  dans  le  palais. 
Les  yeux  sont  petits,  et  ont  une  pru- 
nelle noire  entourée  d'un  iris  jaune. 
Non  loin  des  yeux  et  de  la  bouche  ,  on 
voit  deux  barbillons  creux.  L'ouver- 
ture des  onies  est  étroite ,  et  au  lieu 
d'être  placée  dans  la  largeur  du  corps, 
comme  chez  les  .autres  poissons ,  elle 
est  dirigée  sur  la  longueur.  Je  n'ai  pu 
appercevoirni  opercule,  ni  membrane 
des  ouies.  On  peut  voir  dans  la  murène 
un  exemple  de  la  variété  de  couleurs 
que  l'on  trouve  parmi  les  poissons.  J'en 
possède  une  qui  a  sur  un  fond  brun  des 
lignes  blanches  étroites  en  forme  de 
chaîne  et  dirigées  en  travers.  M.  Cetti 
remarque  que  la  murène  de  la  mer  de 
Sardaigne    est   couverte  par-tout  do 
taches  jaunes.  Catesbynous  en  a  donné 
deux  dessins,  dans  l'un  desquels  le  fond 
Poissons.  I.  4 


38         HISTOIRE    NATURELLE 

est  vert ,  et  clans  l'autre  blanc  et  par- 
semé de  points  noirs.  Dans  le  dessin  du 
père  Plumier,  je  trouve  le  fond  blanc , 
les  taches  grandes,  jaunes,  et  de  petits 
points  noirs  sur  ces  taches. 

Ce  poisson  habite  les  eaux  douces  et 
salées.  Mais  sa  principale  retraite  est 
la  mer  ;    voilà  pourquoi  Aristote   le 
met  au  nombre  des  poissons  qui  peuvent 
vivre  également  dans  les  eaux  douces 
et  dans  les  salées.  On  le  trouve  aux 
Antilles  et  dans  la  Méditerranée.  On 
en  prend  sur-tout  une  grande  quantité 
en  Sardaigne.  Pendant  l'hiver  ,  les  mu- 
rènes se  cachent  au  fond  de  l'eau  ;  au 
printemps  elles  se   montrent  sur  les 
bords ,  pour  se  rassassier  de  petits  pois- 
sons et  d'écrevisses.  Elles  aiment  sur- 
tout les  polypes ,  et  c'est  le  meilleur 
appât  dont  on  puisse  se  servir  pour  les 
prendre.  Elles  sont  si  avides, que  lors- 
qu'elles manquent  de  nourriture, elles 
se  rongent  la  queue  les  unes  les  autres, 
sans  qu'elles  en  perdent  la  vie.  Cela 


DE    LA     MURÈNE,  % 

prouve  qu'elles  ont  la  vie  dure  ;  ce  qui 
est  encore  confirmé  par  l'observation 
qu'on  a  faite  ,  qu'elles  peuvent  vivre 
plusieurs  jours  hors  de  l'eau. 

On  prend  la  murène  avec  des  ligues 
de  fond  ;  mais  sur-tout  avec  des  nasses , 
que  l'on  tend  au  fond  de  l'eau.  Sa  chair 
est  de  bon  goût  ;  voilà  pourquoi  les 
Romains  en  faisoient  un  très-grand 
cas.  Ils  n'avoient  même  pas  honte  de 
les  nourrir  avec  de  la  chair  humaine. 
Dedius  Pollion  engraissoit  les  siennes 
avec  la  chair  et  le  sang  des  esclaves 
qu'il  condamnoit  à  mort  :  il  croyoit 
qu'elles  en  devenoient  meilleures. 
L'empereur  Auguste  mangeant  un  jour 
chez  ce  Pollion  ,  un  esclave  cassa  par 
mégardc  un  plat  précieux  :  Pollion  lui 
cria  :  Aux  murènes  !  Ce  qui  signifioit 
que  ce  malheureux  étoit  condamné  à 
être  mangé  par  les  murènes.  L'empe- 
reur eut  en  horreur  une  telle  cruauté  : 
il  fit  casser  toute  la  vaisselle  précieuse 
de  Pollion ,  et  donna  la  liberté  à  l'es  • 


4o  HISTOIRE   NATURELLE 

cîave.  Hirius  fut  le  premier  qui ,  pour 
les  garder  ,  construisit  à  grands  frais 
des  réservoirs  dans  la  mer  ;  et  lorsque 
César  fut  honoré  du  triomphe  ,  il  en 
livra  six  mille  à  ses  amis  pour  régaler 
leurs  hôtes.  Selon  Pline  ,  les  Romains 
aimoient  tellement  les  murènes  ,  qu'on 
donnoit  la  forme  de  ces  poissons  aux 
pendans  d'oreilles  et  aux  autres  pa- 
rures des  femmes.  Elles  s'apprivoisent 
aisément.  Elles  venoient  à  la  voix  de 
Crassius  ,  lorsqu'il  les   appeloit  ;    et 
quand  il  leur  donnoit  quelque  chose  , 
elles  sautoientde  joie.  Il  les  aimoit  tel- 
lement ,  qu'il  pleuroit  celles  qui  mou- 
roient ,  et  leur  faisoit  faire  des  obsè- 
ques magnifiques. 

.Nous  trouvons  dans  les  anciens  écri- 
vains plusieurs  mémoires  sur  notre 
poisson  :  cependant  ils  nous  ont  appris 
peu  de  choses  certaines  sur  la  manière 
dont  il  se  reproduit.  On  voit  d'abord 
que  ce  qu'ils  en  disent  est  fondé  sur  des 
préjugés.  Selon  Aristote  ,  il  s'accouple 


DE    LA    MURÈNE.  4l 

comme  les  serpens ,  parce  que  le  mâle 
et  la  femelle  s'entortillent  l'un  l'autre , 
et  il  fait  des  petits  en  tout  temps.  Pline 
regarde  toutes  les  murènes  comme  des 
serpens  ;  et  il  pense  que  pour  s'accou- 
pler ,  elles  se  mettent  à  sec  sur  le  rivage. 
Rondelet  dit  au   contraire  ,   qu'elles 
s'accouplent    avec    les    vipères.     Les 
ichthyologistesquisontvenusaprèslm, 
ont  en  partie  répété  ce  conte.   Un  des 
plus  modernes  naturalistes  ,  M.  Cetti  , 
ne  nous  dit  autre  chose  ,  sinon  qu'il  a 
appris  des  pêcheurs  et  des  cuisiniers  , 
qu'on  ne  trouve  jamais  des  petits  vi- 
vais dans  leur  corps.  Mais  il  y  a  appa- 
rence qu'il  a  oublié  de  demander  si  Ton 
n'y  trouve  point  d'oeufs  comme  dans 
les    anguilles   ordinaires.   La  murène 
ayant  la  vie  dure, la  chair  de  bon  goût , 
et  vivant  dans  des  réservoirs,  valoit 
bien  la  peine  d'être  naturalisée  dans 
d'autres  pays.  Si  la  dorée  de  la  Chine  a 
réussi  eu  Europe  ,  le  sterlet  du  Woîga 
en  Suède'et  en  Allemagne,  pourquoi 


42         HISTOIRE    NATURELLE 
la  murène  ne  ponrroit-elle  pas  être 
transportée  avec  les  mêmes  succès  d'I- 
talie dans  le  reste  de  l'Europe  ? 

Ce  poisson  se  nomme  : 
Mourene ,  en  Allemagne. 
Murène  ,  en  France. 
Murane  ,  en  Angleterre. 
Murena .  en  Italie. 

Les  différentes  taches  et  couleurs 
qu'offre  notre  poisson, ont  donné  occa- 
sion à  Catesby  et  Gronov  d'en  faire 
mal-à-propos  deux  espèces  différentes, 
et  à  Klein  d'en  faire  trois.  La  diversité 
de  ces  couleurs  vient  de  la  nourriture 
et  de  la  différente  qualité  des  eaux. 

LE  GYMNOTHORAX  A  BRACELETS  , 

GYMNOTHORAX    CATENATVS. 

Les  taches  en  forme  de  chaînons  , 
sont  une  marque  très-distinctive  pour 
notre  poisson.  Ces  taches  sont  blanches 
et  se  distinguent  très-clairement  sur  le 
fond  qui  est  brun» 


DU  GYMNOTHORAX  ,  &.C.  43 
La  tête  et  l'orifice  de  la  bouche  sont 
petits  ;  les  mâchoires  sont  années  Je 
petites  dents  très-serrées  ,  qui  se  ter- 
minent en  pointe.  Le  palais  et  la  langue 
sont  unis.  Les  yeux  sont  petits ,  la  pru- 
nelle est  bleue  et  entourée  d'un  iris 
blanc  et  fort  étroit.  Les  narines  sont 
simples  et  fort  proches  des  yeux.  A  la 
pointe  de  la  tête  on  trouve  deux  bar- 
billons courts  et  de  la  nature  des  soies, 
L'ouverture  branchiale  est  petite  et 
découverte. 

La  ligne  latérale  est  à  peine  percep- 
tible; elle  est  descendante  et  sa  direc- 
tion parallèle  au  dos. 

Le  dos  et  le  ventre  sont  ronds  ;  les 
flancs  comprimés  ,  et  l'anus  est  plus 
proche  de  la  queue  que  de  la  tête. 
J*ai  reçu  ce  poisson  de  Surinam. 
Ce  poisson  est  nommé  : 
Par  les  Français  ;  Gymnothorax  à  bra- 
celets. 
Par  les  Allemands  ,  Keitenfisch* 
Et  par  les  Anglais ,  Chain-Fish. 


44  HISTOIRE    NATURELLE 

LE  GYMNOTHORAX  RÉTICULAIRE, 

GYMNOTHORAX   RETICVLARIS. 

Ce  poisson  se  distingue  aisément  des 
autres  poissons  de  ce  genre  ,  par  ses 
taches  réticulaires  ,  et  par  la  longue 
nageoire  dorsale  qui  commence  à  la 
nuque  du  cou. 

La  tête  et  l'orifice  de  la  bouche  sont 
petits  ;  les  yeux  sont  près  de  la  lèvre 
supérieure  ;  la  prunelle  est  bleue  et 
l'iris  est  blanc  et  fort  étroit.  Les  na- 
rines sont  simples,  tout  près  des  yeux , 
et  devant.  Près  de  la  bouche  on  trouve 
deux  barbillons  courts.  Les  ouvertures 
branchiales,  qui  sont  libres,  ou  décou- 
vertes ,  et  fort  petites  ,  se  trouvent 
proche  de  la  tête. 

Les  mâchoires  sont  armées  d'une 
rangée  de  dents  ,  pointues  et  écartées 
Tune  de  l'autre  ,  et  celles  de  devant 
sont  plus  longues  que  celles  de  derrière. 
Le  palais  et  la  langue  sont  unis. 

Le  tronc  est  blanc  et  entouré  de 


DU  GYMNOTIIORAX  ,  &c.  45 
bandes  brunes  ,  qui  ne  sont  visibles 
qu'au  dos  et  au  ventre  ;  et  non  pas  aux 
flancs  ;  parce  que  ceux-ci  sont  couverts 
de  taches  réticulaires. 

L'anus  est  un  peu  plus  proche  de  la 
pointe  de  la  queue  que  du  bec. 

La  longue  dorsale  est  brune  et  ta- 
chetée de  jaune  ,  et  a  une  infinité  de 
rayons  mous  et  très-déliés.  Les  na- 
geoires du  dos,  delà  queue  et  de  l'anus 
sont  jointes  \  et  le  nombre  des  raj^ons 
ne  peut  pas  y  être  déterminé  au  juste, 
parce  que  la  peau  est  fort  épaisse. 

Je  n'ai  pas  non  plus  pu  découvrir  la 
ligne  latérale  de  ce  poisson  ,  et  elle 
semble  être  oblitérée. 

J'ai  reçu  ce  beau  poisson  de  M.  John 
de  Tranquebar  ,  et  je  m'attends  ,  qu'à 
la  première  occasion  ;  il  m'enverra  son 
histoire  naturelle. 

On  nomme  ce  poisson  : 
En  France  ,  Gymnothorax  réticulaire. 
En  Allemagne,  Netzfisch. 
En  Angleterre ,  Netling  Bare-Breast, 


46  HISTOIRE    NATURELLE 

LE  GYMNOTHORAX  D'AFRIQUE, 

GYMNOTHORAX    A  FER. 

Le  large  orifice  de  la  bouche  ,  et  la 
nageoire  du  dos  longitudinale,  sont  les 
marques  distinctives  de  notre  poisson. 

Les  mâchoires  sont  armées  de  dents 
fortes  et  recourbées  en  arrière  ;  celles 
de  derrière  sont  petites  ,  et  celles  de 
devant  sont  grandes;  et  le  palais  est 
aussi  armé  de  grandes  dents.  La  langue 
est  unie. 

Les  yeux  sont  plus  grands  que  chez 
les  autres  poissons  de  ce  genre  ;  ils  sont 
ovales  j  la  prunelle  est  noire  ;  l'iris 
bleu. 

Les  narines  sont  simples  et  proche 
des  yeux. 

A  la  pointe  du  bec  on  trouve  deux 
barbillons. 

L'ouverture  branchiale  est  petite  ? 
et  se  trouve  proche  de  la  nageoire  du. 
dos. 


DU    GYMNOTHORAX,    &.C.       ^7 

Le  corps  est  comprimé  ,  se  termine 
en  pointe  aux  deux  extrémités,  et  est 
marbré  de  brun. 

Les  nageoires  du  dos,  de  la  queue 
et  de  l'anus  de  ce  poisson-ci ,  sont  aussi 
jointes,  et  le  nombre  des  rayons,  qui 
y  est  très  -  considérable  ,  ne  peut  se 
compter,  à  cause  de  l'épaisseur  de  la 
peau. 

L'anus  est  au  milieu  du  corps. 

Nous  trouvons  ce  poisson  entre  les 
écueils  des  côtes  de  la  Guinée. 

Eeu  le  docteur  Isert  m'écrivit  que  , 
quoique  ce  poisson  fut  un  bon  aliment , 
les  Nègres  ne  le  mangeoient  pas ,  parce 
qu'ils  le  prenoient  pour  un  serpent. 

On  nomme  ce  poisson  : 
En  Allemagne ,  Africanische  Kahlbrust. 
En  France,  Gymnothorax  d'Afrique. 
Et  en  Angleterre ,  AfrkainBare-Breast. 


48         HISTOIRE    NATURELLE 


I  I  Ie    GENRE. 


LE    SYNBRANCHE, 

SYNBRAN  C  H  U  S. 

Caractère    générique.    Une    ouverture 
branchiale  sous  la  gorge. 

LE  SYNBRANCHE  MARBRÉ , 

SYNBR /INCHUS  MARMORATUS. 

On  reconnoît  cette  espèce  de  pois- 
son au  corps  marbré. 

La  tête  est  plus  grosse  que  le  tronc  , 
voûtée  par  en  haut  ,  plate  par  en  bas, 
et  comprimée  des  deux  côtés. 

L'orifice  de  la  bouche  est  large  ;  les 
mâchoires  sont  armées  de  plusieurs 
rangées  de  dents  ,  petites  et  en  forme 


To/n  .  J . 


Pat/e   £8, 


D&re&e  (/<>/■  Zo  Fi/Iarn   <fa/tp. 

il.F.  SWT.RWCHK  marW.A.TJH  SYNBRANCUIv 

iumiacnle.   3.XH  COLI.llYKAN  CHK  • 


— V 


DU  SYNBRANCHE  MARBRÉ.  49 
de  cône.  Le  palais  et  la  langue  sont 
unis,  et  les  lèvres  charnues.  Les  na- 
rines sont  simples  ,  et  proches  des 
yeux  ,  ceux-ci  sont  bleus. 

La  peau  qui  entoure  le  corps  est 
épaisse  et  fort  relâchée  ;  dans  ce  cas- 
ci  ,  ce  poisson  ressemble  au  diable  de 
mer.  Laligne  latérale  est  droite;  l'anus 
est  deux  fois  plus  éloigné  de  la  tète  que 
de  la  pointe  de  la  queue. 

Le  dos  est  de  couleur  olive -foncé; 
le  ventre  et  les  flancs  sont  d'un  vert- 
jaunâtre  ,  marbré  de  taches  violettes. 

L'estomac  est  long  ,  et  la  peau  en 
est  mince. 

Je  n'ai  trouvé  dans  ce  poisson  ni 
laite  ,  ni  résure. 

J'ai  trouvé  dans  son  estomac  une 
sorte  de  souris  à  demi-digérée  .  ce  qui 
fait  voir  qu'il  est  vorace. 

On  m'a  envoyé  de  Surinam  deux  de 
ces  poissons. 

Ce  poisson  habite  les  eaux  douces 
de  Surinam.  On  le  trouve  principale- 
Poisons.  I.  5 


5o  HISTOIRE  NATURELLE 
ment  dans  les  endroits  bourbeux  ,  et  sa 
chair  se  ressent  de  sa  demeure  :  voilà 
pourquoi  les  Européens  ne  l'estiment 
guère  ;  mais  les  Nègres  trouvent  sa 
chair  délicate ,  parce  que  le  poisson 
est  gras. 

Ce  poisson  est  nommé  : 

Par    les     Allemands  ,      Surinamische 

Halslcieme. 
Par  les  Français  ,  Synbranche  marbré. 
Et  par  les  Anglais,  Marble-Symbrank. 

LE  SYNBRANCHE  IMMACULÉ, 

SFNBRANCHUS  IM3IACULATUS. 

Il  est  très-facile  de  distinguer  co 
poisson-ci  des  précédens,  par  son  corps 
sans  taches ,  et  par  la  peau  ,  qui  y  est 
plus  attachée. 

Il  paroît  rond ,  parce  qu'il  est  charnu. 

Quant  au  reste  de  ses  parties ,  il 
est  très- semblable  au  synbranche  mar- 
bré. 


DU SYNBRANCRE IMMACULÉ.  5l 

Il  m'en  est  venu  de  Surinam  et  du 
Tranquebar. 

On  nomme  ce  poisson  : 
En  Allemand,  Ungefleckte  Halskieme. 
En  Français  ,  Synbranche  immaculé. 

Et  en  Anglais,  Spotless-Symbrank. 


25         HISTOIRE    NATURELLE 


I  Ve     G  E  N  R  E. 


LE  SPHABRANCHE, 

SPHAGEBRANCHUS. 

Caractère    générique.    Des    ouvertures 
branchiales  à  la  gorge. 

LE  COLLIBRANCHE, 

SPHAGEBRANCHUS    RO  STRAT  US. 

La  tête  terminant  en  pointe,  fait 
le  caractère  distinctif  de  ce  poisson. 

Le  tronc  a  la  forme  d'un  ver  ;  l'ori- 
fice de  la  bouche  est  au-dessous  de  la 
tête  ,  et  l'anus  au  milieu  du  corps.  Les 
mâchoires  sont  armées  de  sept  petites 
dents. 

Quand  on  élargit  l'ouverture  bran- 


DU    COLLIBRANCHE.       53 

cliiale,  on   apperçoit  de  chaque  côté 
quatre  branchies. 

A  l'exemplaire  que  je  possède  ,  et 
qui  m'est  venu  des  Indes  orientales,  je 
n'ai  pu  reconnoître  ni  écailles  ,  ni  na- 
geoires. 

On  nomme  ce  poisson  : 
En  Allemand  ,  Doppelte  Halskieme. 
Eu  Français,  Collibranche. 
Et  en  Anglais  ,  Douhle-Chin-Gilt. 


54  HISTOIRVE   NATURELLE 


Ve     GENRE. 


LE  GYMNOTE,  gymnotus. 

Caractère  générique.  Dos  sans  nageoires. 

LE  GYMNOTE  ÉLECTRIQUE, 

ou  L'ANGUILLE  TREMBLANTE, 

GYMNOTUS     JE  LE  C  TRI  CUS» 

On  reconnoît  l'anguille  tremblante  à 
sa  queue  obtuse. 

Le  corps  est  long  ,  uni ,  couvert  de 
mucilage,  et  noir  en  grande  partie.  On 
voit  sur  le  tronc  diverses  taches  claires. 
Il  y  en  a  aussi  qui  sont  rougeâtres  ;  et 
ceux  là  ont  une  vertu  électrique  plus 
forte  que  les  autres.  Nous  parlerons 
bientôt  de  cette  qualité.  La  tète  est 
courte,  un  peu  plus  large  que  le  corps, 


'/'(>//!    f. 


!'<!</<•  -y 


7)e<rcve    del .  Le  /îflain    tlcv/p- 

i    LE  CARAPO  a  queue  courte  .  a.  .ILE  CARAPO 
a  queue  louo«ue.  3  L  ANGUILLE  TREMBLANTE. 


C»  t.Ôjw 


Ï)U  GYMNOTE  ÉLECTRIQUE.     55 

et  applalie  de  haut  en  bas.  L'ouver- 
ture de  la  bouche  est  large  -,  les  lèvres 
sont  épaisses  et  mobiles.  Les  deux  mâ- 
choires ,  dont  la  supérieure  est  un  peu 
plus  longue  que  l'inférieure,  sont  gar- 
nies d'un  grand  nombre  de  petites 
dents  aiguës.  La  langue  est  large  et 
pleine  de  verrues,  ainsi  que  le  palais. 
Non  loin  du  bord  de  la  mâchoire  supé- 
rieure ,  on  remarque  quatre  petites 
ouvertures.  Les  yeux  qui  sont  situés 
à  la  surface  supérieure  de  la  tête ,  sont 
très-petits,  ont  une  prunelle  noire  dans 
un  iris  jaune  ,  et  sont  pourvus  d'une 
membrane  clignotante.  De  tons  côtés, 
sur  le  corps,  on  remarque  de  petites 
ouvertures  capillaires,  d'où,  il  sort  ,  à 
la  pression  ,  un  mucilage  épais  ,  qui 
tient  lieu  d'écaillés,  et  sert  probable- 
ment à  préserver  le  corps  des  blessures. 
Les  ouvertures  des  ouiessont  étroites, 
ont  une  direction  oblique,  et  sont  pla- 
cées tout  près  des  nageoires  pectorales. 
La  cavité  du  ventre  est  courte ,   et 


56  HISTOIRE    NATURELLE 

l'anus  se  trouve  tout  près  du  menton. 
"La  ligne  latérale  est  double  :  l'une  passe 
près  du  dos,  et  l'autre  près  de  la  na- 
geoire de  Panus.  Les  nageoires  de  la 
poitrine  sont  petites;  la  nageoire  de 
l'anus  est  longue  ,  et  celle  de  la  queue 
obtuse.  Toutes  les  trois  sont  garnies  de 
rayons  mous  et  simples ,  mais  dont  on 
ne  sauroit  donner  exactement  le  nom- 
bre ,  à  cause  de  la  membrane  épaisse 
dans  laquelle  ils  sont  enveloppés. 

On  trouve  ce  poisson  en  Guinée  ,  à 
Surinam  ,  à  Cayenne  ,  au  Pérou,  sur 
les  rives  africaines  du  fleuve  Sénégal, 
et  en  général  dans  les  contrées  brû- 
lantes. Il  aime  beaucoup  l'eau  claire  y 
et  se  tient,  par  cette  raison,  vers  les 
bords  pierreux  de  la  mer  et  à  l'embou- 
chure des  fleuves.  Il  remonte  aussi  dans 
les  fleuves  et  dans  les  lacs  qui  y  com- 
muniquent. Il  vient  souvent  à  la  sur- 
face de  l'eau  pour  prendre  l'air;  et  là 
il  rejette  une  bulle  d'air.  Il  meurt  ai- 
sément quand  il  ne  peut  pas  respirer 


DU  GYMNOTE  ÉLECTRIQUE.     5j 

souvent  un  air  frais;  c'est  ce  qui  ar- 
rive, lorsqu'il  reste  trop  long -temps 
dans  les  fonds  pris  dans  les  filets  ou  la 
nasse  ,  ou  attaché  à  l'hameçon.  Sa  chair 
est  grasse  et  de  bon  goût.  Celle  du  dos 
est  ferme  et  pleine  d'arêtes;  mais  celle 
du  ventre  est  molle  et  gluante.  Les 
blancs  et  les  noirs  le  mangent  égale- 
ment. La  propriété  de  ce  poisson  de 
faire  éprouver  une  commotion  à  celui 
qui  le  touche  ,  a  excité  avec  raison 
l'attention  des  physiciens. 

Richer,  qui,  en  1671  ,  fut  envoyé  à 
Cayenne  par  l'académie  de  Paris,  pour 
faire  des  observations  mathématiques, 
parle  d'une  espèce  d'anguille  qui  cause 
une  commotio  n  considérable ,  soit  qu'on 
la  touche  médiatement  ou  immédia- 
tement. Ce  poisson  est  probablement 
notre  anguille  tremblante,  comme  on 
peut  le  voir  par  le  passage  que  nous 
rapportons  ici  :  «  Je  fus,  dit-il,  fort 
î)  surpris  de  voir  un  poisson  long  de 
«  trois  à  quatre  pieds ,  semblable  à  une 


58  HISTOIRE    NATURELLE 

)>  anguille  grosse  comme  la  jambe,  et 
»  telle  que  celle  de  mer  que  les  pê- 
»  cheurs  appellent  congre ,  lequel  étant 
)>  touché  non-seulement  avec  le  doigt, 
))  mais  même    avec  l'extrémité   d'un 
«  bâton,  engourdit  tellement  le  bras 
»  et  la  partie  du  corps  qui  lui  est  la 
))  plus  proche,  que  l'on  demeure  pen- 
)>  dant  un  demi  -  quart -d'heure  sans 
»  pouvoir  le  remuer ,  et  cause  même 
)>  un  éblouissement  qui  feroit  tomber, 
w  si  on  ne  prévenoit  pas  la  chute  en 
))  se  couchant  par  terre,  et  ensuite  on 
))  revient  au  même  état  qu'auparavant. 
»  J'ai  été  témoin  de  cet  effet ,  et  je  l'ai 
)>  senti,  ayant  touché  ce  poisson  avec 
)>  le  doigt ,  un  jour  que  je  rencontrai 
»  des  sauvages  qui  en  a  voient  un  encore 
)>  vivant ,  lequel  ils  avoient  blessé  d'un 
»  coup  de  flèche  ,  et  tiré  de  l'eau  avec 
»  la  flèche  même.   Je  n'ai  pu  savoir 
»  d'eux  le  nom  de  ce  poisson  :  ils  disent 
»  qu'en  frappant   les   autres   poissons 
))  avec  sa  queue,  il  les  endort,  et  les 


DU  GYMNOTE  ÉLECTRIQUE.     59 

)>  mange  ;  ce  qui  est  aisé  à  croire , voyant 
j)  l'effet  qu'il  produit  sur  les  hommes 
))  lorsqu'ils  le  touchent  j>. 

Il  se  passa  près  de  soixante-quinze 
ans  avant  qu'on  apprît  quelque  chose 
de  plus  sur  ce  poisson;  car  ce  n'est  que 
vers  le  milieu  de  ce  siècle  que  M.  de  la 
Condamine  parle  dans  ses  voyages  en 
Amérique  d'un  poisson  qu'il  nomme 
puraque ,  qu'on  trouve  dans  la  rivière 
des  Amazones  ,  et  qui  produit  le  même 
effet.    C'est   sans  doute  encore  notre 
poisson.  Mais  Ingram  ,  dans  une  lettre 
de  Towerhill  ;  du  mois  de  février  1  j5oy 
nous  a  donné  des  connoissances  cer- 
taines   sur    ce  poisson.  Il   le  nomme 
torpédo  ;  mais  il  est  évident ,  par  la  des- 
cription qu'il  en  donne,  qu'il  avoit  une 
anguille  tremblante  sous  les  yeux.  Il 
nous  apprend  en  même  temps  que  ce 
poisson   avoit  probablement  une  at- 
mosphère électrique  autour  de  lui  ;  car, 
lorsqu'il  vouloit  le   toucher  avec  un 
morceau  de  fer ,  son  bras  ressentoit , 


Go         HISTOIRE   NATURELLE 

même  avant  l'attouchement,  une  com- 
motion si  forte  ,  qu'il  étoit  obligé  de 
lâcher  le  fer. 

M.  Gravesand  découvrit  le  premier 
que  cette  commotion  venoit  d'une  ma- 
tière électrique.  Il  dit  dans  une  lettre 
de  Rio  Issequebo  ,  du  22  novembre 
1755,  qu'il  écrit,  à  M.  le  professeur 
Allemand  :  «  Ce  poisson  fait  le  même 
;»  effet  que  l'électricité  que  j'ai  éprou- 
»  vée  chez  vous  en  touchant  la  bouteille 
»  de  Leyde  j  mais  avec  cette  différence  , 
»  qu'on  ne  remarque  aucune  étincelle, 
»  quoique  la  commotion  soit  beaucoup 
»  plus  forte  ;  car  ,  quand  le  poisson  est 
))  un  peu  gros  ,  elle  renverse  infailli- 
)>  blement  ceux  qui  le  touchent ,  et  on 
»  ressent  le  coup  par  tout  le  corps  ». 

Bientôt  après  Gronov  publia  des  ex- 
périences qu'une  personne  de  sa  con- 
noissance  avoit  faites  en  Amérique  sur 
une  anguille  de  cette  espèce  ;  et  elles 
nous  prouvent  d'une  manière  incon* 
testable   l'électricité    animale-   de   ce 


DU  GYMNOTE  ÉLECTRIQUE.  6l 
poisson.  Nous  voyons  aussi  par  ces  ex- 
périences ,  que  le  fluide  électrique  se 
communique  à  plusieurs  personnes  ,  si 
la  première  touche  la  tête  du  poisson  , 
pendant  que  la  dernière  ,  à  une  cer- 
taine distance ,  tient  une  main  dans 
l'eau ,  et  que  cette  matière  est  inter- 
rompue lorsqu'on  touche  ce  poisson 
avec  des  corps  électriques,  tels  que  de 
la  cire  d'Espagne  ou  de  la  soie. 

Musschembroeck,  qui  reconnut  l'é- 
lectricité animale  ,  en  donna  avis  à  son 
ami  Nollet.  Cependant  l'auteur  de 
l'Histoire  de  l'Académie  des  Sciences 
de  Paris,  doute  encore  de  l'existence 
de  cette  matière  ,  et  attribue  J'effet  à 
certains  muscles  ,  que  Réaumur  pré- 
tend avoir  trouvés  dans  la  torpille. 
M.  le  professeur  Allemand  étoit  aussi 
de  cet  avis. 

Peu  de  temps  après,  van  der  Lott 
confirma  davantage  encore  par  ses  ex- 
périences l'électricité  animale  ,  en  re- 
montrant qu'en  touchant  ce   poisson 

Poissons    I.  6 


6'2         HISTOIRE    NATURELLE 

avec  différens  métaux  ,  on  ressentoit 
une  commotion  considérable ,  et  qu'on 
n'en  ressentoit  aucune  en  le  touchant 
avec  de  la  cire  d'Espagne  ,  etc.  Fermin 
alla  plus  loin  encore  ;  il  éprouva  que 
quatorze  esclaves  qui  se  tenoient  les 
uns  les  autres,  ressentoient  le  coup  en 
même  temps,  lorsque  le  premier  tou- 
clioit  le  poisson  avec  un  bâton ,  et  que 
le  dernier  tenoit  la  main  dans  l'eau. 
Les  expériences  de  Bancroft  mettent 
aussi  cet  effet  hors  de  doute. 

D'autres  expériences  ont  été  faites 
par  Williamson  et  Garden.  Le  pre- 
mier en  parle  dans  sa  lettre  à  Walsh, 
datée  de  Philadelphie  le  3  septembre 
1773;  le  dernier  dans  une  lettre  à 
Ellis,  datée  de  Charletown,  le  i4  août 
1774.  Il  seroit  inutile  de  rapporter  par 
ordre  toutes  les  épreuves  de  chacun 
d'eux  ;  je  ne  rendrai  compte  que  de 
celles  de  Williamson,  parce  qu'elles 
montrent  clairement  l'existence  de 
l'électricité  animale.  L'anguille  qu'il 


DU  GYMNOTE  ÉLECTRIQUE.  63 
choisit  avoit  trois  pieds  sept  pouces  de 
long,  et  étoit  épaisse  de  deux  pouces 
vers  la  tête.  On  l'avoit  apportée  de  la 
Guiana  à  Philadelphie ,  où  étoit  M. 
Williamson. 

ire  expérience.  Eu  touchant  l'anguille 
avec  le  doigt ,  il  ressentit  dans  les  ar- 
ticulations des  doigts  une  commotion 
aussi  vive  que  s'il  eût  touché  la  bou- 
teille de  Leyde. 

11e  expérience.  Il  la  toucha  très-fort, 
et  il  ressentit  une  douleur  égale  qui  se 
communiqua  jusqu'au  coude. 

ine  expérience.  Il  la  toucha  avec  un 
long  fil  d'archal,  et  il  sentit  le  même 
effet  dans  les  articulations  du  pouce  et 
des  doigts  ,  avec  lesquels  il  tenoit  le  fil 
d'archal. 

ive  expérience.  Pendant  qu'une  autre 
personne,  qu'il  touchoit,  frottoit  lé- 
gèrement le  poisson,  il  mit  une  main 
dans  l'eau ,  à  une  distance  de  trois 
pieds,  et  il  éprouva  au  bout  des  doigts 
ce  qu'il  auroit  éprouvé  s'il  l'avoit  tou- 


6i  HISTOIRE   NATURELLE 

ché  lui-même  ;  mais  pourtant   avec 
moins  fie  douleur. 

v?  expérience.  Il  jeta  près  de  l'an- 
guille quelques  petits  poissons,  qu'elle 
tua  et  avala  sur-le-champ. 

vie  expérience.  Il  lui  jeta  aussi  un 
chat  marin,  silurus  catus ,  qui  avoit  au 
moins  un  pouce  et  demi  d'épaisseur  : 
elle  le  tua  aussi ,  et  voulut  l'avaler  ; 
mais  elle  ne  put  en  venir  à  bout ,  parco 
qu'il  étoit  trop  gros. 

vne  expérience.  Pour  s'assurer  si  les 
poissons  qu'on  jetoit  auprès  de  l'an- 
guille étoient  tués  par  l'influence  de  la 
matière  électrique,  il  mit  une  main 
dans  l'eau,  à  quelque  distance  de  l'an- 
guille, et  on  jeta  un  autre  chat  marin 
dans  la  même  eau.  L'anguille  nagea 
vers  le  poisson  ;  mais  elle  retourna  bien- 
tôt. Peu  de  temps  après,  elle  se  re- 
tourna, lui  lança,  pendant  quelques 
secondes,  des  regards  pleins  de  feu,  et 
lui  fit  éprouver  une  telle  commotion  , 
qu'il  fut  retourné  sur  le  dos,  et  resta 


DU  GYMNOTE  ÉLECTRIQUE.     65 

sans  mouvement.  L'observateur  res- 
sentit au  même  instant ,  dans  les  doigts , 
une  douleur  semblable  à  celle  de  la  qua- 
trième expérience. 

viiic  expérience.  L'anguille  donna 
une  telle  commotion  à  un  troisième 
chat  marin  qu'on  mit  dans  l'eau  ,  qu'il 
se  mit  sur  le  côté;  mais  il  continua  à 
donner  quelques  signes  de  vie.  L'an- 
guille parut  le  remarquer  ;  elle  re- 
tourna ,  et  acheva  de  le  tuer.  Il  put 
sentir  aisément  que  le  second  coup 
étoit  plus  fort  que  le  premier.  L'an- 
guille n'essaya  plus  d'avaler  ces  pois- 
sons, quoiqu'elle  continuât  à  les  tuer. 
Il  remarqua  constamment  que,  lors- 
qu'elle vouloit  en  tuer  un,  elle  avan- 
çoit  droit  vers  lui ,  comme  pour  le  man- 
ger ;  que ,  lorsqu'elle  en  étoit  près,  elle 
restoit  tranquille  pendant  quelques 
momens,  avant  que  de  donner  le  coup  ; 
que  quelquefois  aussi  le  coup  partoit 
dès  qu'elle  en  approchoit.  Quand  nous 
portions  un  de  ces  silures  ?  qui  parois- 


66  HISTOIRE   NATURELLE 

soit  mort,  dans  un  autre  vase  plein 
d'eau,  il  revenoit  à  la  vie  comme  les 
poissons  que  l'on  a  étourdis  par  l'élec- 
tricité. 

ixe  expérience.  Quand  il  touchoit 
l'anguille  avec  la  main ,  de  manière  à 
l'irriter,  et  qu'il  avoit  l'autre  main 
dans  l'eau  ,  à  une  petite  distance  ,  il 
ressentait  dans  les  deux  bras  un  coup 
aussi  violent  que  celui  que  produit  la 
bouteille  de  Leyde. 

xe  expérience.  Il  enfonça  dans  l'eau 
un  bâton  qu'il  tenoit  à  la  main ,  et  tou- 
cha de  l'autre  l'anguille,  et  il  ressentit 
le  coup  dans  les  deux  bras ,  comme  dans 
l'expérience  précédente. 

xie  expérience.  Pendant  qu'il  tenoit 
par  la  main  un  de  ses  compagnons  de 
voyage,  qui  touchoit  l'anguille  ,  il  mit 
l'autre  main  dans  l'eau,  et  tous  deux 
éprouvèrent  une  commotion. 

xne  expérience.  Il  prit  doucement  le 
poisson  dans  la  main ,  et  pendant  qu'une 
autre  personne  lui  toucha  fortement  Ja 


DU  GYMNOTE  ÉLECTRIQUE.     6/ 

têle  ,  l'un  et  l'autre  sentirent  une  forte 
commotion. 

xme  expérience.  Huit  à  dix  per- 
sonnes formèrent  un  rond  en  se  pre- 
nant par  la  main.  La  première  mit  la 
main  dans,  l'eau  à  une  petite  dislance 
du  poisson  ,  et  dès  que  la  dernière  tou- 
cha la  tête  ,  toutes  ressentirent  une 
foibïe  commotion. 

xive  expérience.  La  même  expérience 
fut  répétée,  avec  cette  différence  que 
la  première  personne  toucha  la  tête  , 
et  la  dernière  la  queue  ,  et  toutes  res- 
sentirent une  forte  commotion. 

xve  expérience.  Il  tint  avec  une  autre 
personne  le  bout  d'une  chaîne  de  cuivre. 
L'un  d'eux  mit  la  main  libre  dans  l'eau, 
pendant  que  l'autre  excit oit  fortement 
l'anguille ,  et  tous  deux  ressentirent  la 
commotion. 

xvf  expérience.  Il  s'enveloppa  la 
main  dans  une  étoffe  de  soie  ,  et  toucha 
l'anguille  ;  mais  il  ne  ressentit  aucune 
commotion,  pendant  que  son  compa- 


68  HISTOIRE    NATURELLE 

gnon  qui  dans  le  même  temps  tenoitîa 
main  dans  l'eau  ,  à  une  petite  distance 
de  l'anguille  ,  reçut  la  commotion. 

xvne  expérience.  On  fit  une  quantité 
d'autres  expériences  avec  deux  per- 
sonnes ,  dont  l'une  tenoit  la  main  dans 
l'eau  ,  à  une  petite  distance  de  la  queue , 
ou  même  la  touchoit , et  l'autre  prenoit 
la  tête.  Avec  les  deux  autres  mains  , 
elles  tenoient  un  charbon  de  bois  ,  un 
fil  de  fer  ou  d'autre  métal ,  un  morceau 
de  bois  lourd  ou  léger  ,  du  verre  ,  de  la 
soie,  etc.  Le  résultat  fut  que  tous  les 
corps  qui  conduisent  l'électricité  ordi- 
naire ,  le  firent  aussi  ,  et  que  ceux  qui 
l'arrêtent  ,  l'arrêtèrent  aussi.  Mais  la 
chaîne  de  métal  ne  donnoit  la  commo- 
tion que  quand  elie  étoit  tendue. 

xvmp  expérience.  Une  personne  de 
la  compagnie,  qui  se  plaça  sur  une  bou- 
teille de  verre  ,  reçut  quelques  coups 
provenus  de  l'attouchement  de  l'an- 
guille -,  mais  elle  ne  donna  plus  aucun 
signe  d'électricité.  L'électromètre  ne 


DU  GYMNOTE  ÉLECTRIQUE.  69 
marqua  plus  l'électricité  ni  quand  il 
ctoit  au-dessus  du  dos  de  l'anguille, ni 
quand  il  étoit  arrêté  sur  la  personne 
qui  recevoit  le  coup. 

xixe  expérience.  Une  personne  tint 
dans  une  main  une  pliiole  préparée 
pour  des  expériences  électriques ,  et 
posa  l'autre  sur  îa  queue  du  poisson  ; 
pendan  l  que  son  compagnon  tenoit  dans 
une  main  un  court  fil  d'archal  qui  com- 
muniquoit  avec  la  phiole.  De  l'autre 
main  ,  elle  prit  le  poisson  par  la  tête  , 
et  reçut  une  vive  commotion  dans  la 
main  et  dans  le  bras  ;  mais  l'autre  ne 
sentit  rien. 

xxe  expérience.  Il  prit  deux  fils  de 
métal  de  la  grosseur  d'une  plume  de 
corbeau  ,  et  arrondis  par  les  bouts.  On 
les  posa  sur  du  bois,  tellement  vis- à-vis 
l'un  de  l'autre,  qu'ils  n'en  étoient  éloi- 
gnés que  d'un  tiers  de  pouce.  Il  tint  un 
bout  du  til  dans  une  main  ,  et  pendant 
que  son  compagnon  prenoit  dans  la 
main  le  bout  de  l'autre  fil ,  l'un  d'eux 


70  HISTOIRE   NATURELLE 

mit  la  main  dans  l'eau  près  de  l'an- 
guille ,  et  l'autre  toucha  l'anguille  avec 
sa  main  libre.  Ce  dernier  reçut  un 
coup  ,  et  le  premier  ne  sentit  rien.  Il 
répéta  la  même  expérience  jusqu'à 
quinze  ou  vingt  fois  ,  et  toujours  avec 
le  même  effet.  Mais  lorsque  ces  mêmes 
fils  étoient  à  la  distance  de  l'épaisseur 
de  deux  feuilles  de  papier  à  lettre  ,  la 
commotion  se  communiquoit  vivement 
à  l'un  et  à  l'autre.  Dans  ce  dernier 
cas ,  les  étincelles  électriques  avoient 
sans  doute  passé  d'un  fil  dans  l'autre  ; 
mais  on  ne  put  parvenir  à  rendre  ces 
étincelles  visibles.  Vers  la  fin  de  ces 
expériences  y  il  remarqua  que  l'anguille 
ne  se  laissoit  pas  irriter  ,  et  paroissoit 
être  malade  ;  car  il  lui  avoit  souvent 
passé  la  main  sur  le  dos  et  sur  les  côtés 
de  la  tête  à  la  queue  ;  il  avoit  même 
sorti  de  l'eau  une  partie  de  son  corps  > 
sans  que  le  poisson  opposât  la  moindre 
résistance. 

ïl  résulte  de  ces  expériences  5 


DU  GYMNOTE  ÉLECTRIQUE.     J\ 

1°.  Que  cette  anguille  peut  faire 
éprouver  un  sentiment  douloureux  à 
toutes  les  créatures  qui  s'approchent 
d'elle. 

2°.  Que  cet  effet  dépend  de  la  vo- 
lonté de  l'anguille  ;  de  sorte  qu'il  peut 
être  plus  ou  moins  fort ,  selon  l'état  où 
se  trouve  le  poisson. 

3°.  Que  le  coup  ou  la  douleur  qu'elle 
fait  éprouver  n'est  point  un  effet  im- 
médiat du  mouvement  des  muscles  de 
l'anguille ,  puisqu'elle  produit  cet  effet 
à  un  certain  éloigneraient  d'elle ,  et 
puisqu'on  peut  le  propager  parle  moyen 
de  certaines  substances  ,  tandis  qu'on 
ne  ressent  rien  par  d'autres  corpsd'une 
dureté  et  d'une  tension  égales. 

4°.  Que  le  coup  provient  d'une  cer- 
taine matière  fluide ,  qui  sort  du  pois- 
son. 

5°.  Que  cette  émanation  de  l'an- 
guille fait  sur  les  corp  humains  le 
même  effet  que  la  matière  électrique  , 
et  produit  la  même  sensation  j  et  qu'elle 


72         HISTOIRE    NATURELLE 

tue  ou  étourdit  les  animaux  de  la  même 
manière  que  nous  le  voyons  dans  l'élec- 
tricité ordinaire.  Enfin  ,  que  tous  les 
corps  qui  conduisent  la  matière  élec- 
trique ,  produisent  ici  le  même  effet  ; 
et  qu'au  contraire  tous  les  corps  qui  ar- 
rêtent la  matière  électrique  ,  l'inter- 
rompent aussi  dans  les  expériences 
faites  sur  ce  poisson.  D'où  l'on  peut 
conclure  avec  assurance  que  cette  an- 
guille est  pourvue  d'une  matière  élec-< 
trique. 

Cependant,  il  y  a  plusieurs  expé- 
riences qui  paroissent  se  contredire. 
Par  exemple  ,  Ingram  raconte  qu'il  a 
reçu  la  commotion  avant  que  de  tou- 
cher l'eau;  M.  de  la  Condamine  ,  qu'il 
l'a  éprouvée  en  la  touchant  avec  un 
bâton.  Le  premier ,  au  contraire  ,  as- 
sure qu'on  n'éprouve  aucune  secousse 
en  la  touchant  avec  un  bâton  ,  et  van 
der  Lott ,  qu'il  n'en  a  éprouvé  aucune 
avec  du  plomb  et  du  fer-blanc;  "VVil- 
liamson;Heiden  et  un  jeune  Nègre  ont 


DU  GYMNOTE  ÉLECTRIQUE.     ^ 

pu  le  tirer  de  Peau  sans  rien  ressentir. 
Mais  toutes  ces  contradictions  dispa- 
roissentjsinous  considérons  attentive- 
ment ce  poisson  ;  nous  verrons  alors  : 

1°.  Que  quand  il  est  tranquille  ,  il 
ne  cause  aucune  commotion. 

2°.  Que  lorsqu'il  est  en  colère ,  il  en 
produit  une  d'autant  plus  vive  ,  qu'il 
est  excité  davantage  par  l'attouche- 
ment. 

3°.  Qu'un  poisson  frais  produit  cet 
effet  d'une  manière  beaucoup  plus  forte 
que  celui  qui  est  depuis  long-temps 
dans  un  vase. 

4°.  Qu'il  ne  produit  cet  effet  que  par 
les  corps  qui  servent  ordinairement  de 
conducteurs  à  la  matière  électrique  ; 
et  qu'il  ne  le  produit  point  par  ceux 
qui  sont  électriques. 

5°.  Que  ce  poisson  ,  dans  un  certain 
éloignemeut  ,  sans  être  touché  immé- 
diatement, peut  produire  une  commo- 
tion. 

6°.  Que  lorsqu'on  prend  le  poisson 
Poissons.  I.  7 


74         HISTOIRE    NATURELLE 
par  le  dos  avec  les  deux  mains  en  même 
temps  ,  et  qu'on  le  serre  ,  il  ne  cause 
aucune  commotion. 

7°.  Que  quand  ce  poisson  est  malade, 
il  ne  produit  que  foiblement  ou  point 
du  tout  cet  effet  ;  et  qu'il  cesse  toujours 
dès  qu'il  est  mort. 

8°.  Qu'il  peut  tuer  ou  étourdir  les 
poissons  sans  les  toucher. 

On  peut  conclure  de-là  avec  certi- 
tude : 

I.  Que  la  matière  qui  cause  la  com- 
motion est  d'une  nature  électrique. 

II.  QuePémanation  de  cette  matière 
dépend  de  la  volonté  et  de  la  santé  du 
poisson  i  ce  qui  cause  les  différens  effets 
que  l'on  a  remarqués  dans  diverses 
expériences. 

III.  Que  la  matière  électrique  ani- 
male est  d'une  autre  nature  que  la  ma- 
tière électrique  ordinaire  ,  sans  quoi 
elle  devroit  suivre  en  tout  temps  les 
corps  propres  à  la  conduire.  De  plus  , 
que  le  temps  humide  et  les  corps  mouil- 


DU  GYMNOTE  ÉLECTRIQUE,  y 5 
lés  augmentent  l'effet  de  cette  électri- 
cité ;  au  lieu  qu'ils  nuisent  à  celui  de 
l'électricité  ordinaire. 

IV.  Que  le  poisson  produit  en  lui- 
même  la  matière  de  l'électricité  ,  puis- 
qu'elle n'existe  plus  dans  ceux  qui  sont 
morts  ou  malades. 

V.  Que  pour  l'émanation  de  cette 
matière  ,  il  est  nécessaire  qu'il  y  ait  un 
mouvement  des  muscles,  sur-tout  de 
ceux  du  dos  ;  car  dès  qu'on  empêche 
leur  mouvement  en  serrant  le  poisson 
au  dos  ,  il  n'y  a  nulle  commotion. 

VI.  Comme  la  torpille  produit  tons 
ces  phénomènes,  ils  viennent  aussi  sans 
contredit  d'une  électricité  animale  ;  ce 
qui  détruit  toutes  les  hypothèses  que 
l'on  a  imaginées  depuis  deux  mille  ans 
pour  les  expliquer. 

Cette  propriété  électrique  sert  pro- 
prement au  poisson  pour  se  procurer 
de  la  nourriture  et  pour  se  défendre 
contre  ses  ennemis.  Dans  le  premier 
cas ,  il  étourdit  les  petits  poissons  ,  et 


j6         HISTOIRE   NATURELLE 

s'en  empare  dans  cet  état  ;  et  dans  le 
second  cas ,  il  étourdit  aussi  les  gros 
poissons  voraces  qui  veulent  l'attaquer, 
et  se  met  par-là  en  sûreté. 

Quoique  les  expériences  que  nous 
"venons  de  rapporter  prouvent  l'exis- 
tence de  la  matière  électrique  ,  plu- 
sieurs naturalistes  ont  été  cependant 
contraires  à  cette  opinion ,  parce  qu'on 
ne  voyoit  aucune  étincelle.  M.  "Walsh , 
qui ,  par  ses  expériences  faites  à  la  Ro- 
chelle ,  prouva  l'électricité  de  la  tor- 
pille ,  ne  put  produire  non  pins  des 
étincelles.  M.  Ravendiscli  tâcha  de 
montrer  par  des  expériences  ,  que  par 
la  bouteille  de  Leyde  on  pouvoit  aussi 
produire  une  commotion  dont  les  étin- 
celles seroient  très-foibles.  Cela  ne  suf- 
fit pas  pour  lever  les  doutes;  car  on 
voit  toujours  une  foible  étincelle  ;  et 
l'on  n'en  apperçut  point  dans  les  expé- 
riences de  M.  Walsh  ,  quoique  la  tor- 
pille fut  très  -  grosse.  Après  cela  , 
M.  Walsh  fit  venir  de  Surinam  quel- 


DU  GYMNOTE  ÉLECTRIQUE.     VJ 
ques  anguilles  tremblantes  ,  mais  elles 
moururent  en  chemin  ,  ainsi  que  celles 
que  Musschembroeck  avoit  demandées. 
Pour  s'en  procurer  ,  il  proposa  une  ré- 
compense assez  considérable  pour  cha- 
que poisson  de  cette  espèce  qu'on  lui 
remcttroit  vivant.  On  prit  plus  de  soin 
pour  les  apporter;  et  il  eut  le  plaisir  de 
recevoir   à  Londres  quatre  anguilles 
tremblantes  toutes  vivantes.  On  voit 
par  une  lettre  qu'il  écrivit  à  M.  le  Roi  , 
qu'il  a  rendu  visibles  les  étincelles  élec- 
triques delà  manière  suivante  :  Il  posa 
une  feuille  de  métal  sur  un  disque  de 
verre  ;  il  la  fendit  par  le  milieu  ;  et 
lorsqu'il  tira  le  poisson  de  l'eau  ,  et 
qu'il  l'excita  ,  il  vit  passer  les  étin- 
celles électriques  d'une  feuille  de  mé- 
tal à  l'autre.  On  n'a  aucune  raison  de 
douter  de  l'exactitude  de  cette  expé- 
rience ;    car  le    chevalier  Pringle   et 
M.  Magellan  ont  assuré  M.  le  Roi  qu'ils 
avoient  vu  le  passage  des  étincelles  , 
ainsi  que  plusieurs  autres  savans  j  et 


78  HISTOIRE   NATURELLE 

que  l'expérience  avoit  été  répétée  dix 
ou  douze  fois  avec  le  même  succès. 
M.  Magellan  ajoute  encore  que  vingt- 
sept  personnes  delà  compagnie  s'étant 
prises  par  les  mains  ,  en  formant  un 
cercle  ,  et  la  première  ayant  touché 
l'anguille  ,  toutes  reçurent  un  coup 
semblable  à  celui  que  fait  éprouver  la 
bouteille  de  Leyde. 

On  prend  l'anguille  tremblante  au 
filet;  et  lorsque  les  pêcheurs  en  ont 
pris  une  grosse  ,  ils  l'assomment  avec 
une  massue ,  pour  ne  pas  s'exposer  à  la 
commotion.  A  Surinam ,  on  conserve 
les  jeunes  dans  de  larges  huches  faites 
exprès,  et  on  les  nourrit  avec  de  petits 
poissons  ,  ou  au  défaut ,  avec  des  vers 
de  terre.  Les  insectes  sont  ce  qu'elles 
aiment  le  mieux;  car  elles  les  avalent 
avec  beaucoup  d'avidité  ,  dès  qu'on  les 
leur  jette  dans  l'eau.  Comme  la  peau 
de  ce  poisson  jette  une  matière  vis- 
queuse fort  considérable ,  il  faut  chan- 
ger l'eau ,  au  moins  d'un  jour  à  l'autre. 


DU  GYMNOTE  ELECTRIQUE.  79 
On  met  à  la.huche  une  canule  ,  par  où 
on  fait  écouler  l'eau.  A  cette  occasion , 
on  laisse  souvent  le  poisson ,  pendant 
quelques  heures,  à  sec  et  sans  mouve- 
ment ;  et  quand  on  le  touche  dans  cet 
état ,  il  cause  une  commotion  aussi  forte 
qu'auparavant. 

La  manière  dont  ce  poisson  se  re- 
produit est  incertaine.  Il  passe  pour 
être  de  bon  goût;  et  les  Indiens  le 
mangent  aussi  bien  que  les  Euro- 
péens. 

M.  Hunter  a  fait  graver  sur  trois 
planches  les  muscles  et  les  neifs  de  co 
poisson.  Il  a  apperçu  trente  -  quatre 
muscles  qui  régnent  depuis  la  tête  jus- 
qu'à la  queue  ,  et  qui  sont  attachés  à 
l'os  vertical.    Fermin    prétend  aussi 
avoir  trouvé  deux  différentes  espèces 
de  muscles.  Mais  on  ne  peut  conclure 
de-là  avec  certitude  ,  que  ce  poisson 
ait  une  direction  de  muscles  qui  lui 
soit  particulière ,  jusqu'à  ce  que  l'on 
ait  disséqué  aussi  exactement  plusieurs 


80         HISTOIRE   NATURELLE 
poissons  de  ce  genre  ,  et  qn'on  les  ait 
comparés.  Cependant  ,   comme   per- 
sonne ne   nous  a  encore  rien  dit  des 
intestins  ,  je  me  crois  obligé  de  les  dé- 
crire tels  que  je  les  ai  trouvés  dans  le 
poisson  que  j'ai  disséqué.  Ce  poisson 
avoit  deux  pieds  et  demi  de  long;  la 
cavité  du  bas-  ventre  étoit  de  quatre 
pouces  ;  la  peau  étoit  épaisse  ,  dure  et 
de  la  nature  du  cuir.  Non  loin  du  men- 
ton ,   on  trouvoit  l'anus  et  l'uretère. 
Tous   les  deux   prenoient  leur  cours 
entre  la  peau  et  le  péritoine  ,  dans  la 
longueur  d'un  pouce  ,  avant  que  d'en- 
trer dans  l'abdomen.  Le  gosier  étoit 
large,  musculeux  et  garni  de  plusieurs 
plis.  L'estomac  forniGit  une  bourse  du 
côté  droit  :  il  avoit  aussi  de  gros  plis  , 
et  je  pouvois  y  appcrcevoir  également 
l'étranglement  supérieur  et  inférieur. 
Le  canal  intestinal  qui  commençoit  au 
haut  de  l'estomac  ,  s'étcndoit  en  direc- 
tion droite  ;  du  côté  droit,  il  formoit 
une  courbure  en  angle  obtus,  toujnoit 


DU  GYMNOTE  ÉLECTRIQUE.     8l 
vers  le  bas  ,  s'cntortilloit   autour  de 
l'estomac,  rcmontoit  ensuite  du  même 
côté  de  l'estomac  ,   et  redescendoit; 
après  cela  ,  il   formoit  une  nouvelle 
courbure ,  se  retiroit ,  et  alloit  se  ter- 
miner à  l'anus.  Le  foie  consistoit  en 
deux  lobes ,  dont  l'un  étoit  placé  au- 
dessus  des  boyaux  ,  et  l'autre  au-des- 
sous. Le  premier  étoit  court  et  large  ; 
le  dernier  long  ,  étroit  par  en  haut  et 
large  par  en  bas  :  l'un  et  l'autre  lobe 
étoient  attachés  par  plusieurs  liens  par 
en  haut  au  diaphragme  ,  et  par  en  bas 
au  canal  intestinal.  La  rate  qui  étoit 
bleuâtre ,   entouroit   le   duodène  ,   et 
étoit  attachée  par  un  grand  nombre 
de  petits  liens.  Les  reins  étoient  pe- 
tits ,  et  je  n'ai  point  trouvé  de  vési- 
cule aérienne. 

Ce  poisson  se  nomme  : 

Zitteraal  ,   Befaal  ,  elektrischer  Aal  et 

betaubender  Aal  ,  en  Allemagne. 
Beef-Aûl  ;  Sidder-Aal  ,  en  Hollande, 


82  HISTOIRE    NATURELLE 

Electrik-Eel   etTorporfic-Eel  ,   en  An- 
gleterre. 
Anguille      tremblante  ,     Anguille      de 
Cayenne  et  Anguille  de  Bœuf ,  en 
France. 
Naki-Fischi ,  à  Surinam. 

L'anguille  tremblante  et  la  torpille 
ne  sont  pas  les  seuls  poissons  auxquels 
la  nature  a  donné  cette  qualité  ;  car  le 
père  du  Tertre  fait  mention  d'un  petit 
poisson  que  l'on  trouve  aux  îles  An- 
tilles ;  Nieuhoff,  d'un  paille-en-cul  , 
et  M.  Broussonet,  d'un  silure,  qui  pro- 
duisent des  effets  de  la  même  nature. 

LE  CARAPO  A  QUEUE  LONGUE, 

GYMNOTUS     CARAPO. 

La  mâchoire  supérieure  avancée  et 
la  queue  longue  ,  rendent  ce  poisson 
reconnoissable.  On  compte  cinq  rayons 
à  la  membrane  des  ouies;  dix  à  la  na- 
geoire pectorale ,  et  deux  cent  trente  à 
celle  de  l'anus. 


DU    CAR  A  PO,    &C.  83 

La  tête  est  comprimée  des  deux  cô- 
tés ;  la  langue  est  comte  ,  épaisse  , 
large,  et  garnie  ,  comme  les  deux  mâ- 
choires ,  d'un  grand  nombre  de  petites 
dents  pointues.  Les  yeux  sont  extrê- 
mement petits  ,  ont  une  prunelle 
noire  ,  entourée  d'un  iris  argentin, 
Au-devant  ,  on  apperçoit ,  ainsi  que 
sur  les  autres  parties  du  corps  ,  un 
grand  nombre  de  petites  ouvertures 
rondes.  L'opercule  des  ouies  consiste 
en  une  grande  et  une  petite  plaque. 
Les  rayons  de  la  membrane  des  ouies 
sont  larges ,  et  ont  une  direction  courbe. 
La  cavité  du  ventre  est  courte,  et 
l'anus  est  étroit  et  placé  non  loin  de  la 
tète.  La  ligne  latérale  commence  au- 
delà  de  l'opercule  des  ouies  ,  et  conti- 
nue en  ligne  droite  jusqu'à  la  queue. 
Le  dos  est  arrondi  et  noir.  Les  côtés 
et  le  ventre  ont  une  couleur  brûne- 
rouseâlre.  Partout  on  voit  des  taches 
brunes  d'une  forme  irrégulière.  La 
queue  est    terminée  en  une   pointe 


84  HISTOTRE  NATURELLE 
étroite.  Des  trois  nageoires  que  ce 
poisson  possède  ,  les  deux  pectorales 
sont  courtes  ,  et  celle  de  l'anus  très- 
longue.  Elle  commence  non  loin  de  la 
tête,  tout-à-fait  derrière  l'anus  dans 
les  mâles  ,  et  seulement  derrière  le 
ventre  dans  les  femelles.  Toutes  les 
nageoires  sont  brunes ,  et  ont  des 
rayons  simples. 

Ce  poisson  habite  les  eaux  de  l'Amé- 
rique ,  et  sur-tout  celles  du  Brésil  et 
de  Surinam.  Marcgraf  dit  qu'il  ne  par- 
vient qu'à  la  longueur  d'un  pied  ;  mais 
j'en  possède  un  qui  en  a  deux;  et  il  y 
en  a  un  dans  la  collection  de  M.  Gril , 
qui  a  trois  pieds  de  long ,  une  palme  de 
large,  et  qui  pèse  dix  livres.  On  peut 
voir  par  la  bouche  qui  est  armée  de 
dents  ,  que  c'est  un  poisson  vorace  ; 
mais  en  même  temps  la  bouche  est  si 
petite ,  qu'il  ne  peut  guère  attaquer 
que  les  tout  petits  poissons  et  les  jeunes 
crabes  ;  et  cependant  il  ne  laisse  pas 
d'être  fort  gras. 


DU    CARAPO,  &c.         85 

La  cavité  du  ventre  est  très- courte  ; 
le  péritoine  est  blanc.  Ce  n'est  que 
sous  ce  dernier  qu'on  commence  à  voir 
le  boyau  cuiller.  Le  foie  est  mince  ,  et 
consiste  en  un  seul  lobe  :  l'estomac  est 
court ,  épais  ,  et  pourvu  de  deux  ap- 
pendices. J'y  ai  trouvé  des  écailles  et 
des  arêtes . 

Ce  poisson  se  nomme  : 

Langschwanz  ,  Fin-Aal ,  Surinamscher~ 
Aal  ,  Brasilianischer-Aal ,  en  Alle- 


magne. 


Fet-Kulsa ,  en  Suède. 

Carapo  à  queue  longue ,  en  France. 

Carapo  ,  au  Brésil. 

LE  CARAPO  A  QUEUE  COURTE, 

G  Y  M  N  OT  US    BRA  C  HIURUS. 

L  A  queue  courte  et  l'avancement  de 
la  mâchoire  inférieure,  sont  les  carac- 
tères distinctifs  de  ce  poisson.  On 
compte  cinq  rayons  à  la  membrane  des 

Poissons.  I.  S 


86         HISTOIRE   NATURELLE 
ouies,  treize  à  la  nageoire  de  la  poi- 
trine ,  et  cent    quatre-vingt-treize  à 
celle  de  l'anus. 

La  tête  est  petite  et  comprimée  du 
haut  en  bas  :  les  deux  mâchoires  sont 
garnies  de  petites  dents.  L'opercule 
des  ouies  consiste  en  deux  petites  pla- 
ques -,  l'ouverture  des  ouies  est  étroite. 
Le  tronc  est  couvert  d'écaillés  tendres. 
Au  dos ,  on  voit  un  sillon ,  qui  com- 
mence à  la  nuque,  et  s'étend  jusqu'au 
milieu.  Le  fond  de  la  couleur  est  un 
jaune-clair  ,  sur  lequel  on  apperçoit 
des   ondulations  en  forme  de  lignes 
brunes  sur  quelques-uns  ,  rougeâtres 
sur  d'autres  ,  et  blanches  sur  quelques 
autres.  La  queue  est  terminée  en  une 
pointe  courte.  Sur  les  nageoires  ,  qui 
sont  de  la  même  nature  que  celles  du 
précédent ,  on    voit    aussi  un   grand 
nombre  de  petits  points.  lia  ligne  laté- 
rale commence  près  de  la  nuque ,  con- 
tinue non  loin  du  dos,  et  finit  près  do 
la  queue.  Nou  loin  de  la  nageoire  de 


DU     C.UAPO,  &C.  87 

l'anus ,  on  remarque  aussi  une  ligne 
enfoncée. 

Ce  poisson  habite  les  mêmes  eaux 
qua  le  précédent  5  mais  j'ignore  s'il 
parvient  à  la  même  grosseur.  Celui  que 
je  possède  n'est  pas  plus  grand  que  le 
dessin  que  j'en  donne.  D'après  ce  qu'en 
disent  Marcgraf  et  Piso  ,  sa  chair  est 
meilleure  que  celle  du  précédent  ;  mais 
les  parties  internes  sont  de  la  mémo 
forme. 

Ce  poisson  se  nomme  : 
Kurzschwanz,  en  Allemagne. 
Putaol ,  en  Suède. 
Carapo  à  queue  courte ,  en  France. 
Carapo ,  au  Brésil. 

Artédi  et  Linné  le  regardent  com  me 
lamême  espèce quele  précédent.  Voici 
les  raisons  qui  m'ont  engagé  à  en  faire 
deux  espèces  avec  les  ichthyologistes 
modernes. 

1  °.  Le  dernier  a  la  queue  courte  ,  et 
le  premier  l'a  longue. 

2°.  Celui-ci  a  la  mâchoire  supérieure 


88  HISTOIRE   NATURELLE 

avancée ,  et  l'autre  la  mâchoire  infé- 
rieure. 

3°.  Le  carapoà  queue  courte  n'a  que 
cent  quatre-vingt-treize  ravons  à  la 
nageoire  de  l'anus;  au  lieu  que  celui  à 
queue  longue  en  a  deux  cent  trente. 

4°.  Enfin,  le  premier  a  des  taches 
brunes  ,  et  le  second  seulement  des 
lignes  de  la  même  couleur. 


Paye  ai). 


To/n   J. 


Drseve  (M.  Jiiici/w    t'c////:>. 

î.IiE  PAILLE  EN  CVI,.  a.  LA  DONZELLE. 
S.USXiOUF    MARIN. 


DU     TRIKIURE.  89 


V  Ie    G  E  N  R  E. 


LE    TRIKIURE, 
ou  PAILLE-EN-CUL,  trichiurus. 

Caract.  génér.  Queue  sans  nageoire. 


LE   PAILLE  -  EN  -  CUL  ,    traciiilrvs 

LEPTl'RUS. 


•■^-:?/     .••! 


.L'avancement  de  la  mâchoire  infé- 
rieure et  la  grosseur  des  dents ,  sont  les 
marques  distinctives  de  ce  paille- en- 
xul.  On  compte  sept  rayons  à  la  mem- 
brane des  ouies  ;  onze  à  la  nageoire 
dorsale ,  et  cent  dix-sept  à  celle  du  dos. 
Ce  poisson ,  qui  est  terminé  en  tran- 
chant en  haut  et  en  bas  ,  est  long  et 
mince ,  et  a  le  corps  brillant  comme  s'il 
étoit  couvert  d'une  feuille  mince  d'ar- 


go         HISTOIRE   NATURELLE 
gent.  La  tête  est  étroite,  comprimée 
des  deux  côtés ,  et  un  peu  large  par  en 
haut.  L'ouverture  de  la  bouche  est 
grande.  Les  deux  mâchoires  sont  ar- 
mées de  dents  pointues,  dont  les  unes 
sont  longues  et  les  autres  courtes.  Les 
premières  sont  pourvues  d'un  ou  de 
deux  crochets.  La  langue  est  unie,  et 
dans  le  gosier ,  on  trouve  deux  os  rudes 
et  longs.  Les  yeux  sont  placés  près  du 
sommet,  et  ont  une  prunelle  noire  dans 
un  iris  doré,  qui  est  bordé  extérieu- 
rement de  blanc.  Au-devant ,  on  voit 
une  ouverture  assez  longue.  L'ouver- 
ture des  ouies  est 'large;  la  membrane* 
des  ouies  a  sept  rayons  courbes ,  et 
l'opercule  est  bordé  d'une  peau.   La 
ligne  latérale  est  jaune ,  commence  au- 
dessus  de  l'opercule  des  ouies,  continue 
le  long  du  corps,  et  se  perd  dans  la 
pointe  de  la  queue.  La  cavité  du  ventre 
est  longue  ,  l'anus  étroit ,  et  plus  près 
de  la  tête  que  de  l'extrémité   de  la 
queue.  Cette  dernière  est  terminée  en 


DU     TRIKIURE.  91 

pointe  et  sans  nageoire.  En  général,  ce 
poisson  n'a  que  trois  nageoires ,  dont 
deux  sont  à  la  poitrine  et  une  au  -dos. 
Les  premières  sont  petites-,  la  dernière 
est  longue.  Elle  commence  derrière  la 
tête ,  et  ne  finit  qu'à  un  éloignement 
de  quelques  pouces  de  la  poiute  de  la 
queue.  Ses  rayons  mous  et  simples ,  sont 
réunis  par  une  peau  tendre  et  transpa- 
rente. Derrière  l'anus  ,  au  lieu  d'une 
nageoire  ,  on  trouve  de  petits  piquans 
éloignés  les  uns  des  autres  ;  les  anté- 
rieurs sont  dirigés  en  arrière  ,  et  les 
autres  en  avant.  Du  reste,  les  écailles 
manquent  à  ce  poisson. 

Le  paille-en-cul  est  naturel  à  l'Amé- 
rique méridionale ,  où  il  habite  les  lacs , 
les  rivières  et  les  ruisseaux.  Il  parvient 
à  la  longueur  de  trois  pieds  et  un  quart  ; 
mais  sa  largeur  ne  passe  jamais  deux 
pouces.  Il  nage  très-rapidement ,  et  est 
extrêmement  vorace  \  car  dès  qu'il  a 
une  fois  saisi  quelque  chose  avec  ses 
dents  ;  il  ne  le  lâche  plus ,  à  cause  des 


92  HISTOIRE  NATURELLE 
crochets  dont  elles  sont  garnies.  Comme 
il  est  fort  étroit ,  il  ne  peut  guère  s'em- 
parer que  des  petits  poissons.  11  saute 
si  haut  au-dessus  de  l'eau,  qu'il  tombe 
quelquefois  dans  les  canots  des  pê- 
cheurs. On  le  prend  avec  des  filets  ,  et 
aussi  à  l'hameçon.  Les  habitans  de  ce 
pays  le  mangent. 

Ce  poisson  se  nomme  : 
ChinesischerAal  et  Spitzschwanz ,  en 

Allemagne. 
Silver-Skiœrel ,  en  Suède. 
Schword  Fisch,  en  Angleterre. 
Paille-en-cul ,  Trikiure  et  Anguille  de  la 

Jamaïque ,  en  France. 
Fammo  ,  au  Japon. 
Mucu ,  au  Brésil. 

Klein  se  trompe  en  faisant  deux  es- 
pèces de  notre  poisson  et  du  muai  de 
Marcgraf.  On  n'a  •  qu'à  comparer  les 
dessins,  et  on  verra  que  le  mucu. de  cet 
auteur  n'est  autre  chose  que  notre 
paille-en-cul. 


DU     LOUP     MARI  N.       9,3 


VIT     GENRE. 


LE    LOUP    MARIN, 

AN  ARHICHAS, 

Caractère  générique.  Dents  de  devant 
coniques  divergentes. 

LE  LOUP  MARIN  ,  anarhichas  lupus. 

La  substance  osseuse  dont  les  dents 
sont  formées,  distingue  suffisamment 
cette  espèce  de  la  seconde  ,  anarJiichas 
minor ,  qui  les  a  cartilagineuses.  On 
trouve  six  rayons  à  la  membrane  des 
ouies ,  vingt  à  la  nageoire  de  la  poi- 
trine,  quarante-six  à  celle  de  l'anus, 
seize  à  celle  de  la  queue,  et  soixante- 
quatorze  à  celle  du  dos. 

Le  corps  de  ce  poisson  est  alongé  3 


g4  HISTOIRE  NATURELLE 
uni  et  comprimé  des  deux  côtés  :  la 
peau  est  épaisse  et  dure  ;  la  tête  est 
grosse  et  tronquée  par  le  devant.  L'ou- 
verture de  la  bouche  est  large  ,  et  la 
langue  de  la  même  conformation  que 
celle  des  quadrupèdes  ;  les  lèvres  sont 
fortes  y  les  mâchoires  sont  garnies  par- 
devant  de  longues  dents  séparées  les 
unes  des  autres  ,  et  engrenées  les  unes 
dans  les  autres.  Chaque  mâchoire  con- 
siste en  deux  os  ,  qui  sont  unis  par  un 
cartilage  :  chaque  os  supérieur  a  cinq 
rangées  de  dents ,  et  les  inférieurs  trois. 
Les  quatre  dents  de  derrière,  qui  sont 
intérieures  ,  sont  aussi  les  plus  grosses  : 
le  nombre  des  dents  molaires  et  de 
devant  n'est  pas  égal  dans  tous  les 
poissons  de  cette  espèce.  Des  trois  que 
j'ai  examinés,  l'un  avoit  six  rangées 
de  dents  molaires  en  haut  et  six  en 
bas;  un  autre  six  en  haut  et  quatre 
en  bas  ;  le  troisième  ,  cinq  en  haut  et 
trois  en  bas.  Les  os  de  la  mâchoire  su- 
p  érieure  ont  chacun  une  longue  épi- 


DU    LOUP     MARIN.         g5 

pLise  osseuse  dirigée  vers  le  haut.  On 
voit  par  la  structure  de  la  bouche ,  que 
ce  poisson  sait  s'assurer  de  sa  proie. 
Selon  le  témoignage  uuanime  des  pê- 
cheurs ,  quand  il  est  pris  ,  il  mord  tout 
autour  de  lui ,  et  il  ne  lâche  point  ce 
qu'il  a  une  fois  saisi  ;  de  sorte  qu'ils 
prennent  bien  garde  d'en  être  blessés, 
et  tâchent  de  le  tuer  aussi-tôt  qu'il  est 
possible.  Schonevcld  dit  même  que 
lorsqu'il  mord  une  ancre  ,  il  y  laisse  les 
marques  de  ses  dents.  La  langue  est 
courte ,  émoussée  et  unie  ;  l'œil  alongé  ; 
la  prunelle  noire ,  et  l'iris  argentin. 
Sous  l'œil ,  aussi  bien  que  sur  l'oper- 
cule des  ouies  et  à  la  mâchoire  infé- 
rieure ,  on  apperçoit  de  petites  ou- 
vertures rondes  -,  la  tête  ,  l'opercule 
des  ouies ,  le  dos  et  les  nageoires  de  la 
poitrine  sont  d'un  gris  foncé;  les  côtés  , 
les  nageoires  de  l'anus  et  de  la  queue 
sont  de  couleur  d'acier-,  le  ventre  ,  qui 
est  fort  saillant ,  est  blanchâtre  ;  l'anus 
est  large,  et  plus  près  de  la  tête  que  de 


96  HISTOIRE  NATURELLE 
la  queue.  Sur  les  côtés  et  sur  les  na- 
geoires du  dos,  on  apperçoit  des  taches 
qui  s'étendent  en  large  ,  et  sont  tantôt 
obscures,  et  tantôt  claires  :  les  écailles 
sont  minces  et  éloignées  les  unes  des 
autres.  J'en  ai  fait  représenter  deux  : 
l'une  de  grandeur  naturelle  ,  et  l'autre 
vue  au  microscope. 

Ce  poisson  ,  que  l'on  trouve  dans  la 
mer  du'Nord,  dans  la  Baltique  et  dans 
l'Océan  septentrional  ,  a  sans  doute 
reçu  son  nom  de  ses  morsures  cruelles, 
qui  le  rendent  assez  semblable  au  loup. 
Il  est  certainement  aussi  redoutable 
pour  les  habitans  des  eaux,  que  le  loup 
pour  ceux  de  la  terre.  Cependant  le 
lièvre  de  mer  ,  qui  est  beaucoup  plus 
petit ,  sait  le  vaincre.  Il  le  saisit  par  la 
nuque  ,  et  le  tourmente  jusqu'à  ce  qu'il 
meure.  Il  vit  de  poissons,  sur-tout  de 
coquillages  ,  d'escargots  ,  d'écrevisses 
et  de  crabes  ,  dont  il  casse  aisément  les 
coquilles.  Mais  comme  ces  coquilles  no 
peuvent  se  digérer  dans  son  canal  in- 


RU  LOUP  MARIN.  97 
testinal  ,  qui  est  fort  court  ,  il  est 
pourvu  d'un  large  anus ,  pour  leur  pro- 
curer un  libre  passage.  Il  ne  se  remue 
que  lentement ,  et  rampe  à  la  manière 
des  anguilles. 

Ce  poisson  se  tient  ordinairement 
dans  les  fonds.  Il  paroît  au  printemps 
non  loin  des  côtes  ,  et  vient  déposer 
sur  les  plantes  marines  ses  œufs,  qui 
sont  de  la  grosseur  des  pois.  Son  frai 
tombe  en  mai  et  juin  ,  et  c'est  dans  ce 
temps  sur-tout  qu'on  peut  le  prendre 
plus  aisément.  Par  un  temps  clair  ,  il 
se  place  dans  un  fond  pierreux  ,  entre 
des  fentes  ,  dans  une  posture  recour- 
bée. Il  parvient  à  une  grosseur  consi- 
dérable. J'en  possède  trois  :  le  premier 
m'a  été  envoyé  des  environs  de  Péters- 
bourg  par  M.  le  baron  d'Asch,  médecin 
de  sa  majesté  impériale;  le  second,  du 
voisinage  de  Lubec  par  M.  le  docteur 
"Walbaum  ,  et  le  troisième  a  été  pêclié 
près  de  Heiligeland.  Celui  d'après  le- 
quel on  a  fait  le  dessin,  avoit  plus  de 

Poissons.  I.  ,    9 


HISTOIRE  NATURELLE 
trois  pieds  et  demi  de  long  ,  six  pouces 
de  large  ,  et  pesoit  près  de  six  livres  : 
mais  ce  poisson  devient  beaucoup  plus 
gros.  Sur  les  côtes  de  Hollande ,  il  a 
ordinairement  trois  ou  quatre  pieds  de 
long.  Selon  Gronov  ,  on  en  trouve  en 
Ecosse  qui  ont  sept  pieds  et  plus.  Les 
pétrifications  qu'on  nomme  pierres  de 
crapaud,  et  qui  ne  sont  autre  chose  que 
les  dents  de  ce  poisson  ,  nous  prouvent 
qu'il  y  en  avoit  aussi  autrefois  d'une 
grosseur  considérable. 

On  prend  le  loup  marin  avec  des 
filets  et  à  la  ligne  :  cependant  il  mord 
rarement  à  l'hameçon.  Les  Norvé- 
giens le  prennent  aussi  au  trident  , 
lorsqu'ils  l'apperçoivent  sur  le  sable 
occupé  à  manger  leshomars.  Quoique 
sa  chair  soit  ferme  et  grasse  ,  sa  figure 
hideuse  fait  qu'il  n'y  a  guère  que  les 
pêcheurs  ou  les  gens  du  peuple  qui  le 
mangent  :  lesGroenlandaisle  mangent 
frais  et  sec ,  et  font  de  sa  peau  des  bour- 
ses ;  où  ils  gardent  leur  empelron }  plant© 


DU    LOUP    MARIN.         99 

nommée  par  Linné  empetrum  nigrum. 

Le  cœur  est  triangulaire  et  petit  ; 
le  foie  est  gros  ,  et  consiste  en  deux 
lobes ,  dont  l'un  est  d'un  rouge  pâle  , 
et  l'autre  d'un  ronge  foncé  et  bleuâtre; 
la  vésicule  du  fiel ,  l'estomac  et  la  rate 
sont  grands  ;  le  canal  intestinal  est  court 
et  large  ;  la  laite  et  l'ovaire  sont  doubles. 

Ce  poisson  est  connu  sous  différens 
noms.  On  le  nomme  : 
Seewolf ,  en  Allemagne. 
Zeewolf,  en  Hollande. 
JVoolfish ,  Seawolf ,  en  Angleterre. 
Steenbid  ,  See-Ulv ,  en  Danemarck. 
Hav-katj  en  Norvège. 
Steinbitr ,  en  Islande. 
Kigutilik  ,  Nepisa  ,  Angusedlok  ,    et 

Anardlok,  en  Groenlande. 
Loup  marin  y  en  France. 

Gesner  a  tort  de  croire  que  ce  pois- 
son grimpe  sur  les  rochers  ,  et  de  le 
nommer ,  par  cette  raison ,  klippfisch 
en  allemand  ,  scansor  en  latin  }  et  en 
grec  anarhichas ,  grimpeur. 


lOO      HISTOIRE   NATURELLE 


VIIIe     GENRE. 


LE  LANÇON,  ammodytes. 

Caractère  générique.  La  tête  plus  mince 
que  le  corps. 

LE  LANÇON,  ammodytes  tobianvs. 

La  mâchoire  inférieure  terminée  en 
pointe  ,  est  un  caractère  suffisant  pour 
faire  reconnoître  le  lançon.  On  trouve 
sept  rayons  à  la  membrane  des  ouies  ; 
douze  à  la  nageoire  de  la  poitrine  ; 
vingt- huit  à  celle  de  l'anus;  seize  à 

celle  de  la  queue  ,  et  soixante  à   celle 

du  dos. 

La  tête  est  alongée ,  comprimée  des 

deux  côtés  ,  et  plus  mince  que  le  tronc. 

La  bouche  n'a  point  de  dents,  et  l'on 


Tom   I. 


J>(r</e  joo 


Deseoe   deî-  A 'trente   ifcuip- 

i    LA  EIATOLE  dbreo    2  .  LE  LANÇON 
3  •  L'EMPEREUR. 


D  V     LANÇON.  loi 

voit  dans  le  gosier  deux  os  oblongs  et 
rudes,  destinés  à  retenir  la  proie.  L'ou- 
verture des  ouies  est  large.  Les  joues  , 
les  côtés  et  le  ventre  sont  argentins. 
Les  opercules  des  ouies  consistent  en 
quatre  plaques.  Les  narines  sont  dou- 
bles et  placées  entre  les  yeux  et  l'ou- 
verture de  la  bouche  ,  dans  le  milieu. 
Les  yeux  sont  petits,  et  ont  une  pru- 
nelle noire  dans  un  iris  argentin.  Le 
dos  est  rond  et  gris.  On  y  remarque 
une  fente  destinée  à  contenir  la  longue 
nageoire  dorsale,  et  sur  le  ventre,  on 
voit  des  lignes  transversales.  L'anus 
est  près  du  bout  de  la  queue ,  et  la  ligne 
latérale  a  une  direction  droite  au  mi- 
lieu du  tronc.  Outre  cela,  on  en  re- 
marque encore  une  près  du  dos  ,  et 
une  autre  au  ventre  vers  le  bas.  Les 
rayons  de  toutes  les  nageoires  sont 
mous,  et  la  membrane  qui  les  unit  est 
tendre.  Us  sont  simples  aux  nageoires 
du  dos  et  de  l'anus,  et  divisés,  vers 
l'extrémité  ;  à  celles  de  la  poitrine  et 


102       HISTOIRE   NATURELLE 

de  la  queue  :  cette  dernière  nageoire 
est  fourchue- 

Ce  poisson  appartient  aux  contrées 
septentrionales  de  l'Europe.  Nous  le 
trouvons  dans  la  nier  du  Nord  et  dans 
la  Baltique.  Il  s'enfonce  ordinairement 
dans  le  sable ,  près  des  côtes  ,  à  la  pro- 
fondeur d'un  ou  deux  pieds.  Il  vit  de 
vers  aquatiques ,  qu'il  cherche  avec  son 
bec  pointu.  Il  dévore  aussi  les  petits 
de  sa  propre  espèce.  J'ai  trouvé  dans 
deux  de  ces  poissons  un  petit  de  deux 
pouces  de  long.  Il  se  tient  toujours  au 
fond ,  et  on  ne  le  voit  que  rarement 
venir  sur  la  surface  de  l'eau.  Par  le 
beau  temps ,  on  le  trouve  couché  en 
forme  circulaire  ,  comme  un  serpent , 
la  pointe  de  la  tête  enfoncée  dans  le 
sable.  Il  a  pour  ennemis  les  poissons 
voraces,  et  sur-tout  le  maquereau.  Il 
fraie  en  mai,  et  dépose  alors  ses  œufs 
dans  le  sable  ,  non  loin  des  bords.  On 
le  prend  dans  le  sable  pendant  le  flux, 
en  fouillant  avec  des  pointes  ou  cro- 


jy  V     LANÇON.  io3 

chets  faits  exprès.  Comme  il  est  fort 
maigre  ,  il  n'y  a  que  le  peuple  qui  le 
mange.  Les  Groenlandois  le  mangent 
frais  et  sec  :  mais  le  plus  grand  usage 
qu'on  en  fasse ,  c'est  de  le  faire  servir 
d'appât  aux  lignes  ,  pour  prendre 
d'autres  poissons. 

Le  péritoine  est  noirâtre,  à  cause  de 
la  quantité  de  points  noirs  dont  il  est 
couvert  :  le  foie  ,  la  rate  et  l'estomac 
sont  alongés  et  sans  division.  Le  pre- 
mier est  simple  ,  et  on  trouve  au  der- 
nier une  grande  appendice.  Le  canal 
intestinal  est  mince  ,  et  a  beaucoup  de 
sinuosités;  la  laite  et  l'ovaire  sont  unis 
par  en  haut  et  séparés  par  en  bas  -,  la 
vésicule  aérienne  manque.  On  trouve 
soixante -trois  vertèbres  à  l'épine  du 
dos. 

Ce  poisson  est  connu  sous  différens 
noms.  On  le  nomme  : 
Tobias  ,  Sandaal ,  en  Allemagne. 
Sandgrœling ,  Tobis ,  Tobiesen ,  en  Da- 

nemarck. 


104      HISTOIRE   NATURELLE 

Sill  ,  SolvFisk  ,  Sand  -  Sild ,  en  Nor- 
vège. 
Sïd  )  Tranusile  ,  en  Islande. 
Putsrotok,  en  Groenlande. 
Rissup  ,  an  Japon. 

Sand-Launce  ,  Sand-Eels  et  Launces  9 
en  Angleterre. 

Tous  les  ichthyclogistes  ,  excepté 
Artédi  ,  ont  refusé  sans  fondement  les 
écailles  à  notre  poisson  ,  et  Klein  en  a 
fait  mal  à  propos  deux  différentes  es- 
pèces. 


DE    LA     D  ONZE  L  LE.       ÎOO 


I  Xe     GENRE. 


LADONZELLE,  ophidium. 

Caractère  générique.  Le  corps  alongé 
en  serpent  ,  les  ouies  larges. 

LADONZELLE,  ophidium  bareatvm. 

Xjes  quatre  barbillons  que  l'on  trouve 
au  menton  de  ce  poisson  ,  le  distin- 
guent des  autres  espèces  du  même 
genre.  On  compte  sept  rayons  à  la 
membrane  des  ouies  ;  dix- sept  à  la  na- 
geoire pectorale  ,  et  deux  cent  cin- 
quante à  celles  de  l'anus  ,  de  la  queue 
et  du  dos. 

La  tête  est  petite  et  dépourvue  d'é- 
cailles.  Des  deux  mâchoires,  la  supé- 
rieure est  avancée.   Les  lèvres  sont 


ÎOG       HISTOIRE   NATURELLE 

fortes,  tant  aux  mâchoires  qu'au  pa- 
lais y  et  dans  le  gosier ,  on  trouve  un 
grand  nombre  de  petites  dents  :   les 
yeux  ont  une  prunelle  noire ,  entourée 
d'un  iris  argentin  ,  et  sont  recouverts 
d'une  membrane  clignotante  transpa- 
rente. Entre  les  yeux  et  l'ouverture 
de  la  bouche ,  on  trouve  quatre  petites 
ouvertures.  La  langue  est  étroite  et 
courte-,  l'ouverture  des  ouies  est  large; 
le  corps  un  peu  comprimé  de  chaque 
côté  ;  et  l'on  y  remarque  des  écailles 
séparées  ,  alongées  et  minces  ,  qui  sont 
fortement  attachées  à  la  peau.  Le  dos 
est  rond   et  de  couleur  bleuâtre;  la 
ligne  latérale  est  droite  ,  et  près  du 
dos  ;  le  ventre  est  blanc,  et  l'anus  plus 
près  de  la  tête  que  de  la  queue  :  les 
nageoires  pectorales  sont  petites  ,  bru- 
nes dans  le  milieu  ,  et  grises  vers  les 
bords  ;  les  nageoires  du  dos  ,  de  la  queue 
et  de  l'anus  sont  réunies,  étroites  et 
blanches,  avec  une  bordure  noire. 
Nous  trouvons  ce  poisson  dans  la 


DE    LA    DONZELLE.       107 

Mer  Rouge  et  dans  la  Méditerranée.  Il 
parvient  à  la  longueur  de  douze  à 
quatorze  pouces.  Sa  chair  est  blanche, 
grasse  et  de  bon  goût.  Selon  Belon , 
les  Romains  en  faisoient  grand  cas  : 
on  le  prend  avec  des  filets  ;  il  mord 
aussi  à  l'hameçon ,  auquel  on  met  unv 
ver  pour  appât. 

Le  foie  est  blanchâtre  ;  l'estomac 
long  et  mince  5  le  canal  intestinal  a 
deux  courbures  ;  la  vésicule  aérienne 
a  une  forme  particulière  ;  elle  est 
large  au  milieu  ,  et  étroite  aux  deux 
extrémités. 

Ce  poisson  se  nomme  : 
Bartmanchen   et   Graubart ,  en  Alle- 
magne. 
Donzelle ,  en  France. 
Corudgiao ,  à  Marseille» 
Abugudda  ,  en  Arabie. 

LA  TROMPE,  ophivium  acvleatvm. 

O  n  recoimoît  ce  poisson  à  sa  trompe 
pointue.  On  compte  seize  rayons  à  la 


lo8       HISTOIRE   NATURELLE 
nageoire  de  la  poitrine  ;  cinquante- 
trois  à  celle  de  l'anus  ;  quatorze  à  celle 
de  la  queue ,   et  cinquante-un  à  celle 
du  dos. 

Le  corps  est  alongé  et  comprimé  des 
deux  côtés  ;  la  tête  est  petite  et 
étroite  j  la  mâchoire  supérieure  est 
plus  longue  que  l'inférieure  :  l'une  et 
l'autre  sont  dépourvues  de  dents.  La 
lèvre  supérieure  ?  qui  est  fort  alon- 
gée  ,  forme  la  trompe ,  de  la  même  ma- 
nière que  chez  l'éléphant  ;  les  yeux 
sont  petits,  ont  une  prunelle  noire  et 
un  iris  blanc  •  l'opercule  des  ouies 
consiste  en  une  seule  petite  plaque  ; 
l'ouverture  des  ouies  est  large  ,  et  la 
membrane  des  ouies  est  dégagée  •,  le 
tronc  est  alongé  ;  et  l'anus  près  de  la 
nageoire  de  la  queue.  Le  dos  est  ar- 
rondi ;  les  côtés  tirent  sur  le  rouge 
vers  le  haut ,  et  sur  l'argentin  par  en 
bas.  Le  ventre  est  blanc  ,  et  terminé 
en  tranchant  ;  la  cavité  du  ventre  est 
longue  ;  la  ligne   latérale  lègue  non 


DE    LA    TROMPE.         109 
loin  du  dos ,  et  va  toujours  dans  une 
égale  distance;  les  nageoires  pecto- 
rales sont  courtes  ,  brunes  au  milieu  , 
et  violettes  aux  autres  parties  ;  la  na- 
geoire du  dos  ,  qui  est  placée  vis-à-vis 
de  celle  de  l'anus  ,   est  marbrée  de 
rouge  et  de  brun.  Sur  cette  nageoire  , 
on  voit  deux  taches  noires   dans  un 
iris  jaune.  Nieuhoff,  qui  en  a  apperçu 
cinq  sur  son  poisson,  lui  donna  le  nom, 
de  cinq-yeux  ,  à  cause  de  la  ressem- 
blance de  ces  taches  avec  des  yeux.  La 
nageoire  de  la  queue  est  marbrée  de 
bleu  et  de  noir  ;  la  nageoire  de  l'anus 
estrougeâtre,  avec  une  bordure  noire* 
Au-devant ,  on  remarque  deux  poin- 
tes ,  et  avant  la  nageoire  dorsale ,  011 
en  trouve  quatorze  autres  qui  sont  re- 
courbées en  arrière  et  séparées. 

Nous  trouvons  ce  poisson  dans  les 
eaux  douces  des  Indes  orientales  :  les 
habitans  de  ces  contrées  en  font  un 
mets  délicat.  Sa  nourriture  consiste  en 
vers  et  terre  grasse.  Il  parvient  à  la 
Poissons.  I.  i<> 


HO       HISTOIRE   NATURELLE 
longueur  de  six  à  huit  pouces  :  on  le 
prend  au  filet  et  dans  des  nasses. 

Ce  poisson  se  nomme  : 
Rood  Dregdetje  ,  parmi  les  Hollandais 

qui  habitent  les  Indes  orientales. 
Goya ,  au  Japon. 
Kahlbart  etElephantenrùssel ,  en  Alle- 


magne. 


Trompe,  en  France. 


DU     PARU    DORE.        1 1 1 


Xe    G  E  N  R  K 


LE  STROMATE,  stromatevs. 

Caractère  générique.  Le  corps  ovale. 
LE  PARU  DORÉ,  stromateus  paru. 

Ij  a  couleur  uniforme  du  corps  de  ce 
poisson  ,  le  distingue  de  celui  qui  est 
rayé.  On  compte  deuxrayons  à  la  mem- 
brane des  ouies ,  vingt-quatre  à  la  na- 
geoire pectorale ,  quarante-deux  à  celle 
de  l'anus  ,  dix-huit  à  celle  de  la  queue, 
et  cinquante  à  celle  du  dos. 

Le  corps  entier  est  couvert  de  pe- 
tites écailles  tendres  qui  se  détachent 
aisément.  La  tête  est  de  moyenne  gros- 
seur ,  tronquée  ,  et  brunâtre  par-de- 
vant. Les  mâchoires  sont  d'égale  Ion- 


112       HISTOIRE   NATURELLE 
gueux,  armées  d'un  grand  nombre  de 
petites  dents  pointues  ,  et  pourvues  de 
grosses  lèvres  mobiles.  Le  palais  et  la 
langue  sont  unis.  La  dernière  est  large 
et  libre.  Dans  le  gosier  ,  on  remarque 
quelques  os  rudes  qui  servent  à  retenir 
la  proie.  Les  yeux  sont  grands ,  ont  une 
prunelle  noire ,  avec  une  double  bor- 
dure blanche  et  jaune-  Entre  les  yeux 
et  la  bouche ,  on  trouve  deux  ouver- 
tures. L'opercule  des  ouies  consiste  en 
une  seule  plaque  qui  est  entourée  d'une 
peau  mince.  L'ouverture  des  ouies  est 
irès-large.  La  ligne  latérale  ,  qui  est 
plus  près  du  dos  que  du  ventre  ,  est 
large  et  argentine.  Les  côtés  brillent 
par  en  haut  comme  de  l'or  ?  et  par  en 
ibas  comme  de  l'argent  ;  ce  qui  a  fait 
donner  à  ce  poisson  l'épithète  de  doré. 
Le  ventre  et  le  dos  forment  un  arc  ,  et 
l'anus  est  plus  près  de  la  bouche  que  de 
l'extrémité  de  la  queue.  Toutes  les  na- 
geoires sont  longues ,  blanches  au  mi- 
lieu; bleues  vers  les  bords  ;  et  elles  ont 


DU     PARU     DORÉ.        Il3 

des  ra)rons  mous  et  ramifiés.  Comme 
ils  sont  par-tout  couverts  d'écaillés, ils 
sont  très-roides.  La  nageoire  de  la 
queue  est  très-fourchue. 

Sloan  a  trouvé  ce  poisson  au  Brésil. 
Celui  dont  je  donne  le  dessin  m'a  été 
envoyé  par  M.  Koenig,  docteur  en  mé- 
decine à  Tranquebar.  Il  est  plus  gros 
que  le  dessin  que  j'en  donne.  Sa  chair 
est  tendre  et  blanche,  et  on  en  fait 
grand  cas.  On  le  prend  avec  des  filets; 
il  mord  aussi  à  l'hameçon.  Il  est  du 
nombre  des  poissons  voraces,  et  vitd» 
polypes  et  de  jeunes  poissons. 

Le  foie  consiste  en  deux  lobes  étroits, 
dont  le  droit  est  le  plus  long. L'estomac 
est  rond, et  le  canal  intestinal  a  cinq 
courbures. 

Ce  poisson  se  nomme  : 
Einfarbiger  Breitfisch  et  Golddecke ,  en 

Allemague. 
Paru  doré  ,  en  France. 
Pumpus  ,  en  Amérique. 

Si  le  dessin  que  nous  donne  Sloan  de 


It4  HISTOIRE  NATURELLE 
son pamp us  est  fidèle,  je  regarderai  le 
mien  comme  une  variété  de  ce  poisson  *, 
car  dans  le  premier  ,  je  trouve  le  dos 
dans  une  direction  presque  droite  ;  au 
lieu  que  le  mien  est  arqué.  Il  dit  aussi 
que  la  ligne  latérale  forme  en  avant  un 
arc  ;  au  lieu  qu'elle  est  droite  à  mon 
poisson. 

LE   STROMATE  GRIS, 

S  TRO  M  AT  E  U  S     C  I  N  E  R  E  U  S. 

Le  stromate  gris  se  distingue  des 
autres  poissons  de  ce  genre  par  la  lon- 
gue partie  inférieure  de  sa  nageoire  de 
la  queue ,  et  par  la  couleur  grise  de  son 
corps. 

Dans  la  membrane  branchiale  on 
compte  sept  rayons  ;  dans  la  nageoire 
pectorale  et  dans  celle  de  la  queue ,  dans 
chacune  vingt  ;  dans  celle  de  l'anus 
vingt-neuf;  et  dans  celle  du  dos  trente- 
cinq. 

La  tête  est  petite  et  se  termine  en 


Tarn  .7. 


-Page-  u^- 


Df.cpite   de/.  Jortrt/an   Sm/f . 

i.£B  STROAlATE   e^s  •  a.EE  STROMATE 
argenté.   3.  IxE    STROMATE   noir. 


DU  STROMATE  GRIS.  Ïl5 
«ne  pointe  obtuse.  La  bouche  est  petite 
et  les  os  des  lèvres  sont  étroits.  Les 
mâchoires  sont  de  même  longueur  ; 
elles  sont  armées  d'une  rangée  de  dents 
en  forme  de  soies  ,  et  tout  proche  l'une 
de  l'autre.  La  langue  est  courte  et 
grosse  ,  et  le  palais  uni.  Les  ouvertures 
branchiales  sont  fort  étroites  à  ce  pois- 
son-ci et  au  suivant, parce  que  les  oper- 
cules ,  en  haut  et  en  bas ,  sont  attachés 
à  la  peau.  Les  narines  sont  doubles. 

La  ligne  latérale  forme  un  arc,  et  sa 
direction  est  plus  proche  du  dos  que  du 
ventre. 

L'anus  est  tout  aussi  éloigné  de  la 
tête  que  de  la  nageoire  de  la  queue. 

Tout  le  corps  du  poisson ,  ainsi  que 
toutes  ses  parties  ,  à  l'exception  des 
pectorales  ,  est  couvert  de  petites 
écailles ,  et  de  couleur  grise  ;  les  pecto- 
rales sont  rougeâtres. 

Les  rayons  sont  ramifiés  ,  mous  et 
cependant  si  cassans,  qu'ils  se  rompent 
au  moindre  toucher  ;  voilà  la  raison 


Il6       HISTOIRE   NATURELLE 
pourquoi   il   est  très  -  rare    que   l'on 
en  voie  un  exemplaire  entier  sur  la 
côte. 

Tant  plus  grand  et  tant  plus  vieux 
le  stromate  blanc  ailé  devient  (  ce 
sont- là  les  propres  paroles  de  M.  John  ) 
tant  plus  sa  chair  est  délicate  j  et  plus 
d'âge  ou  plus  de  grosseur ,  ne  rend  pas 
sa  chair  dure  et  coriace  ,  comme  il  ar- 
rive chez  les  autres  poissons.  Les  plus 
gros  ont  rarement  plus  d'un  pied  de 
longueur  et  de  largeur,  sur  deux  pouces 
d'épaisseur. 

On  prend  ce  poisson  pendant  toute 
l'année  ;  en  février  et  mars  il  est  le 
plus  gras  ,  et  sa  chair  est  la  plus  succu- 
lente; et  depuis  janvier  jusqu'en  mars, 
la  pêche  en  est  très- abondante. 

Il  est  presque  tout-à-fait  cartilagi- 
neux ,  et  n'a  que  très-peu  d'are  les.  La 
tête  sur-tout ,  doit  être  un  morceau 
très-délicat. 

On  sèche  aussi  ce  poisson ,  et  alors  il 
se  nomme  K.arawade  et  doit  être  fort 


DU  STROMATE  GRIS.  1 1  7 
délicat.  Voici  comment  ce  Karawade 
se  fait  : 

On  conpe  le  poisson  en  minces  tran- 
ches ,  que  l'on  incise  et  que  l'on  poudre 
de  sel  ;  après  cela  on  met  ces  tranches 
ensemble  et  on  les  presse  entre  deux 
planches  ;  le  lendemain  on  les  lave  et 
on  les  fait  sécher  à  l'air  ou  à  la  fumée. 

Ces  poissons  n'entrent  jamais  dans 
les  rivières  ;  on  les  prend  avec  de 
grands  filets  ,  à  quelques  lieues  des 
côtes.  On  dit  qu'ils  n'ont  point  de 
temps  fixe  pour  la  fraye, et  en  toute 
saison  on  en  trouve  qui  sont  prêts  à 
poser  leurs  oeufs.  On  les  fait  cuire  et  on 
les  apprête  à  toute  sauce  -,  on  en  mange 
beaucoup  aux  jours  maigres ,  et  de  telle 
façon  qu'on  les  apprête  ,  ils  donnent 
toujours  un  fort  bon  plat.  Pour  les 
conserver  on  les  fait  frire,  et  on  les  met 
dans  du  vinaigre  avec  du  poivre,  (\u 
poivron  et  de  l'ail  ;  mais  de  cette  fa- 
çon ,  ils  ne  se  conservent  que  quinze 
jours  ,    alors  ils  deviennent  mous  et 


Il8  HISTOIRE  NATURELLE 
perdent  leur  goût.  Pour  les  conserver 
plusieurs  mois ,  on  les  coupe  en  tra- 
vers, en  tronçons  d'un  pouce  d'épais- 
seur ,  onles  sale ,  et  on  les  presse  dans  un 
ustensile  large  ,  pendant  vingt-quatre 
heures  ;  puis  on  les  nettoie  et  on  les  met 
dans  une  marinade  de  vinaigre  de  ca- 
cao avec  du  tamarin  ,  dans  un  usten- 
sile bien  fermé ,  d'où  on  les  retire ,  pour 
les  laver  et  les  faire  frire. 

Le  plus  gros  pample  ou  stromate  se 
vend  un  silber-fam  ,  ou  deux  gros  ; 
quand  ils  sont  à  foison ,  on  en  reçoit 
jusqu'à  trois  ,  de  moyenne  taille  ,  pour 
un  fam. 

On  nomme  ce  poisson  : 
En  français ,  Stromate  gris. 
En  allemand  ,  graue  Deche. 
En  anglais,  the  gray  Scromate. 

LE  STROMATE  ARGENTÉ, 

ST  RO  M  ATEU  S     ARG  EN  TE  US. 

Les  pointes  de  la  nageoire  de  la 
queue  de  même  longueur,  cette  mémo 


DU  STROMATE  ARGENTE.  H<) 
nageoire  en  forme  de  fourche ,  et  la 
couleur  argentine  qui  couvre  tout  le 
corps  de  ce  poisson ,  en  font  le  carac- 
tère distinctif. 

Il  a  sept  rayons  dans  la  membrane 
branchiale  ,  vingt- quatre  dans  la  na- 
geoire de  la  poitrine ,  trente-huit  dans 
celle  de  l'anus  ,  dix-neuf  dans  celle  de 
la  queue ,  et  trente-huit  dans  celle  du 
dos. 

Outre  ces  marques-ci ,  ce  poisson  se 
distingue  encore  du  précédent  par  les 
écailles  fines  ,  petites  et  d'une  blan- 
cheur éclatante  ,  dont  tout  son  corps 
est  couvert ,  et  qui ,  dès  qu'on  le  tou- 
che ,  s'en  détachent.  De  -  là  vient , 
comme  me  le  marque  M.  John,  que 
quand  on  l'apporte  du  marché  au  logis , 
il  n'y  a  plus  d'écaillés  à  voir. 

Le  corps  est  large  ,  mince  par  en 
haut ,  et  plus  mince  encore  par  en  bas. 
La  ligne  du  dos,  ainsi  que  celle  du 
ventre  ,  forme  un  arc. 

La  tête  est  petite,  et  le  bec  a  la 


120  HISTOIRE  NATURELLE 
forme  d'un  nez.  L'orifice  de  la  bouche 
est  petit ,  les  os  des  lèvres  sont  étroits , 
et  les  mâchoires  sont  armées  d'une 
rangée  de  petites  pointes.  La  prunelle 
est  noire  ,  et  l'iris  est  large  et  argentin. 
Les  narines  sont  placées  au  milieu  , 
entre  les  yeux  et  la  pointe  du  bec;  elles 
sont  simples,  et  partagées  dans  leur 
longueur  par  une  membrane. 

La  ligne  latérale  forme  un  arc  qui 
est  proche  du  dos ,  et  sa  direction  est 
parallèle  avec  la  ligne  du  dos. 

La  nageoire  de  l'anus  est  en  forme 
de  faucille,  de  même  que  celle  du  dos  ; 
la  nageoire  pectorale  n'a  qu'une  pointe, 
et  celle  de  la  queue ,  comme  il  a  été  dit 
plus  haut ,  en  a  deux.  Toutes  les  na- 
geoires sont  blanches  vers  la  base  ,  et 
bleues  vers  la  pointe  ,  et  n'ont  toutes 
que  des  rayons  mous. 

L'anus  est  plus  proche  de  la  tête  que 
delà  queue. 

Comme  ce  poisson  a  d'ailleurs  un  as- 
sez juste  rapport  avec  le  précédent. 


DU    STROMATE    NOIR.    121 

tant  par  ce  reste  de  la  structure  du 
corps  ,  que  par  la  quantité  qu'on  en 
prend,  et  par  la  qualité  de  sa  chair , 
je  me  contenterai  de  renvoyer  le  lec- 
teur à  la  description  précédente. 

Les  habitans  de  la  côte  de  Coro- 
mandel  nomment  ce  poisson  :  Wallei- 
Wawal. 

Les  Français  ,Stromate  argenté. 
Les  Allemands,  Silberdecke  ou  Silber- 

pampel. 
Les  Anglais  ,  Silver-Pampel. 

LE   STROMATE  NOIR, 

STROMATEUS    NIGEB.. 

Là  couleur  noire  ,  et  la  longueur 
égale  des  deux  mâchoires  ,  font  le  ca- 
ractère distinctif  de  ce  poisson. 

Dans  la  membrane  branchiale  on 
compte  sept  rayons  ;  à  la  nageoire  de 
la  poitrine  ,  seize  ;  à  celle  de  l'anus , 
trente-six-,  à  celle  du  dos,  quarante- 
six  ;  et  à  la  queue  ;  vingt. 

Poissons.  I.  ïi 


12'2      HISTOIRE    NATURELLE 

L'orifice  de  la  bouche  est  plus  large , 
les  dents  sont  plus  fortes ,  les  os  des 
lèvres  plus  larges  ,  les  écailles  plus  atta- 
chées ,  et  la  chair  est  moins  succulente 
que  chez  le  précédent  :  pour  cette  der- 
nière raison  ,  il  est  aussi  moins  estimé. 

Le  corps  est  large  ,  délié ,  et  tout 
couvert  d'écaillés. 

La  tête  est  petite ,  les  narines  sont 
doubles ,  la  prunelle  est  noire  ,  et  l'iris 
argentin.  L'ouverture  branchiale  est 
large ,  et  sa  membrane  couverte. 

La  ligne  latérale  forme  un  arc  plat , 
et.  est  plus  proche  du  dos  que  du  ventre. 

L'anus  est  plus  d'une  fois  plus 
éloigné  de  la  queue  que  de  la  tête. 

Les  nageoires  ont  presque  la  même 
forme  que  celles  du  poisson  précédent , 
et  les  rayons  ont  aussi  les  mêmes  qua- 
lités. 

Selon  que  M.  John  me  le  marque  , 
on  en  a  de  l'aversion ,  parce  que  l'on 
trouve  quelquefois  dans  sa  bouche  un 
cloporte.  Ces  poissons ,  comme  on  peut 


DU  STROMATE  NOIR.  l'-i'S 
le  conclure  par  leurs  dents  foibles ,  et 
le  petit  orifice  de  leur  bouche  ,  ne  doi- 
vent se  nourrir  que  de  vers  et  d'alevi- 
nage ,  et  alors  il  est  très-naturel  que  le 
cloporte  soit  un  de  leurs  alimens.  Cette 
aversion  susdite  n'est  donc  fondée  que 
sur  un  préjugé  ,  puisque  la  plupart  des 
poissons  se  nourrit,  non-seulement  de 
créatures  vivantes,  mais  encore  de  la 
charogne  de  ces  créatures. 

Comme  ce  poisson-ci  a  au  reste  beau- 
coup de  rapport  avec  les  précédens  ,  je 
me  contenterai  de  rapporter  ses  diffé- 
rentes dénominations. 

Il  se  nomme  : 
En  langue  malabare ,  Karu-Wawal. 
En    allemand  ,    schwarze    Decke    ou 

schwarze  PampeL 
En  français  Stromate  noir. 
En  anglais ,  Black-Pa*npel, 


124      HISTOIRE    NATURELLE 


X  Ie     GENRE. 


L'ESPADON,  xiphias. 

Caractère  générique.  La  mâchoire  supé- 
rieure alongée  et  applatie  comme 
une  lame  d'épée. 

L'EMPEREUR  ou   L'ESPADON, 

XIPHIAS    GLADIUS. 

Ea  longue  nageoire  dorsale  basse  au 
milieu,  distingue  cet  empereur  de  mer 
de  celui  de  l'Amérique.  On  trouve  sept 
rayons  à  la  membrane  des  ouies  ,  dix- 
sept  à  celle  de  la  poitrine ,  dix-huit  à 
celle  de  l'anus ,  vingt-six  à  celle  de  la 
queue ,  et  quarante-deux  à  celle  du 
dos. 

Le  corps  est  alongé  ,  rond,  uni  et 
couvert  d'une  peau  mince.  La  tétc  est 


DE    L'EMPEREUR.        125 

applatie ,  et  grosse  à  cause  du  prolon- 
gement de  la  mâchoire  supérieure. 
L'ouverture  de  la  bouche  est  large  ,et 
la  mâchoire  inférieure  finit  en  pointe, 
de  même  que  la  supérieure ,  qui  se  ter- 
mine en  forme  d'épée.  Cette  épée  est 
plate  en  dessus  et  en  dessous ,  tran- 
chante par  les  côtés  ,  et  finit  en  devant 
en  pointe  obtuse.  A  sa  racine,  qui  est 
au  bout  de  la  tête  ,  intérieurement  , 
elle  est  composée  de  quatre  couches 
d'une  substance  osseusse  légère ,  bou- 
clée et  cylindrique.  La  direction  des 
cylindres  placés  en  haut  et  en  bas ,  va 
du  fond  en  avant  ;  ceux  des  côtés  vont 
vers  le  milieu  ,  et  ceux-ci  sont  beau- 
coup plus  larges  et  plus  grands  que  les 
premiers.  En  avançant ,  la  substance 
devient  plus  osseuse  ,  et  la  peau  qui 
l'entoure  est  unie  et  de  la  nature  du 
cuir.  Au  milieu  de  la  surface  supé- 
rieure est  une  ligne  enfoncée  ,  et  on  en 
voit  trois  semblables  en  dessous.  La 
langue  est  dégagée  et  forte.  Dans  le 


126  HISTOIRE  NATURELLE 
gosier ,  on  trouve  quelques  os  rudes. 
Les  narines  et  les  trous  del'ouie  sont 
près  des  yeux.  Ces  derniers  sont  sail- 
lans,  et  ont  une  prunelle  noire ,  entou- 
rée d'un  iris  blanc  tirant  sur  le  verd. 
L'opercule  des  ouies  consiste  en  deux 
petites  plaques  ,  et  l'ouverture  des 
ouies  est  large.  L'épée  et  la  tête  sont 
d'un  bleu  d'acier.  Le  dos  est  violet.  Le 
ventre  et  les  côtés  sont  blancs  au-des- 
sous de  la  ligne;  et  la  ligne  latérale  , 
qui  est  assez  près  du  dos  ,  est  formée 
par  des  points  noirs  alongés.  Le  tronc 
est  couvert  d'une  peau  mince  et  ten- 
dre ,  sous  laquelle  on  trouve  une  mem- 
brane graisseuse  et  épaisse.  La  nageoire 
du  dos  est  brune  ,  celle  de  la  poitrine 
jaunâtre  ,  et  celles  de  l'anus  et  de  la 
queue  jaunes.  Les  nageoires  du  dos  et 
de  l'anus  ont  au  commencement  et  à  la 
iin  de  longs  rayons.  Toutes  les  na- 
geoires ont  la  figure  d'une  faucille  , 
excepté  celle  de  la  queue  qui  forme  un 
croissant. 


DE  L'EJirEREUR,  1^7 
Nous  trouvons  ce  poisson  dans  la  mer 
du  Nord  et  dans  la  Baltique,  mais  en 
petite  quantité.  En  revanclie  ,  on  le 
trouve  en  grande  quantité  dans  la  Mé- 
diterranée. Il  habite  sur-tout  l'Océan 
méridional ,  dans  les  profondeurs  du- 
quel il  se  tient  en  pleine  mer  pendant 
l'hiver  et  en  grande  quantité.  Au  prin- 
temps, il  va  vers  les  côtes  de  Sicile  ,  où. 
il  dépose  sur  le  fond  les  œufs  qu'il  pond 
en  grande  quantité.  Cependant  ,  à  ce 
que  m'a  dit  le  célèbre  chevalier  Ha- 
miltcn  ,  on  n'en  voit  paroître  dans  ces 
contrées  que  de  trois  à  quatre  pieds  de 
long.  Les  gros  au  contraire,  qui  pèsent 
assez  souvent  quatre  à  cinq  cents  livres, 
et  qui  ont  dix-huit  à  vingt  pieds  de 
long ,  vont  vers  les  côtes  de  la  Calabre , 
où  ils  n'arrivent  qu'au  mois  de  juin  et 
juillet.  Pline  avoit  déjà  remarqué  que 
ce  poisson  surpase  quelquefois  le  dau- 
phin en  grosseur. 

Divers  écrivains  parlent  de  l'empe- 
reur de  mer  ,  que  l'on  prend  dans  la  . 


128  HISTOIRE  NATURELLE 
Baltique.  Celui  que  décrit  SchoncvelcL 
étoit  si  lourd,  qu'on  eut  de  la  peine  à 
le  tirer  à  terre  avec  deux  forts  che- 
vaux. Le  corps  avoit  onze  pieds  de  long 
sans  l'épée  ,  et  l'épée  en  avoit  trois. 
!Les  yeux  étoient  aussi  gros  que  des 
œufs  de  poule  ,  et  la  nageoire  de  la 
queue  avoit  deux  pieds  de  large.  Des 
quatre  empereurs  que  M.  le  professeur 
Koelpin  a  vus  pendant  son  séjour  à 
Greifswalde  ,  l'un  avoit  à  l'endroit  le 
plus  gros  trois  pieds  et  demi  de  circon- 
férence ;  l'épée  avoit  trois  pieds  et  un 
quart  de  long ,  et  l'animal  entier  dix 
pieds  et  demi.  Klein  parle  d'un  empe- 
reur de  huit  pieds  ,  et  "YVillughby  as- 
sure en  avoir  vu  en  Angleterre  de  six 
aunes  de  long. 

Ces  poissons  ,  à  ce  que  me  dit  le  che- 
valier Hamilton  ,  s'avancent  toujours 
vers  Messine  par  paires  ,  un  mâle  et 
une  femelle  ensemble.  Voici  la  manière 
dont  on  les  prend  :  Un  homme  placé 
en  sentinelle  sur  un  rocher  avancé,  ou 


DE    L'EMPEREUR.        129 

sur  un  mât  élevé  ,  épie  l'arrivée  de  ces 
poissons  ;  dès  qu'il  s'en  apperçoit ,  il  en 
donne  avis  aux  pêcheurs  par  un  signe , 
et  leur  indique  le  côté  vers  lequel  ils 
doivent  ramer.  Comme  ce  poisson  s'a- 
vance paire  à  paire  ,  les  pêcheurs  ont 
toujours  deux  bateaux  à  côté  l'un  de 
l'autre  ,  dans  chacun  desquels  sont 
deux  d'entr'eux.  Le  plus  habile  ;  placé 
sur  un  mât  un  peu  bas  ,  lance  sur  le 
poisson  un  harpon  attaché  au  bout  d'un 
bâton.  En  même  temps  ,  les  autres 
tâchent  de  s'emparer  du  second  de  la 
même  manière.  Cependant  ,  il  faut 
qu'ils  aient  attention  jusqu'à  ce  que  le 
poisson  soit  mort  ;  car  ils  risquent  de 
voir  renverser  leur  bateau.  Comme 
l'harpon  est  attaché  avec  une  corde 
mince ,  qui  coule  sur  une  roulette ,  ils 
suivent  le  poisson  de  loin  ,  jusqu'à  ce 
qu'il  soit  assez  affoibli  :  alors  s  il  est  pe- 
tit ,  on  le  tire  dans  un  bateau  ;  s'il  est 
gros  ,  on  l'amène  à  terre. 

Ce  poisson  vit  de  plantes  marines  et 


l3o      HISTOIRE    NATURELLE 

de  poissons.  Comme  il  a  une  terrible 
arme  défensive  ,  les  autres  poissons  vo- 
races  ne  peuvent  pas  l'attaquer  aisé- 
ment. Selon  Aristote  et  Pline  ,  il  est 
tourmenté  de  même  que  le  thon  dans 
la  canicule  ,  par  un  insecte  ,  et  la  dou- 
leur le  fait  non-seulement  sauter  fu- 
rieux au-dessus  de  la  mer ,  mais  même 
dans  les  vaisseaux.  Selon  Statius  Mill- 
ier,  sa  peau  est  phosphorique  pendant 
la  nuit.  Quoique  ces  gros  poissons 
n'aient  pas  ordinairement  un  bon  goût, 
cependant  celui-ci  passe  pour  un  bon 
mets.  On  estime  sur-tout  les  morceaux 
du  ventre  et  de  la  queue;  et  par  cette 
raison  ils  sont  chers.  On  sale  les  na- 
geoires ,  et  on  les  vend  ,  comme  un  bon 
mets ,  sous  le  nom  de  callo. 

Le  coeur  est  triangulaire  ,  et  l'oreil- 
lette large.  Le  péricarde  est  mince , 
transparent  et  uni  au  diaphragme. 
Dans  l'œsophage ,  on  remarque  de  cha- 
que côté  une  ouverture  qui  conduit  à 
un  canal  qui  aboutit  à  l'intestin.  L'es- 


DE  L'EMPEREUR.  l3l 
tomac  est  large  ;  le  canal  intestinal 
long,  et  a  sept  sinuosités.  Le  foie  est 
gros,  et  la  vésicule  du  fiel  en  est  sépa- 
rée. La  vésicule  aérienne  est  simple  et 
l'ovaire  double. 

Ce  poisson  est  connu  sous  différens 
noms.  On  le  nomme  : 
Hornfisck ,  en  Prusse. 
Schirerdtfisch ,  en  Poméranie. 
Zwaardvfisch ,  en  Hollande. 
Grand-Espadas ,  en  Portugal. 
Pesce-Spada  ,  Emperador ,  en  Italie. 
Imperator ,  à  Gênes. 
Spada ,  à  Venise. 
Epée  de  mer  ,  Empereur ,  Espadon  ,  en 

France. 
Pisci-Spat ,  à  Malte. 

JE\ia.n  se  trompe,  en  disant  que  notre 
poisson  passe  aussi  dans  l'eau  douce , 
et  en  le  mettant  au  nombre  des  pois- 
sons du  Danube. 

Oppian  et  Ovide  le  mettent, à  cause 
de  l'épée  qu'il  porte  ,  au  nombre  des 
plus  terribles   liabitans  des  eaux.   Il 


l32  HISTOIRE  NATURELLE 
n'est  point  du  tout  vraisemblable  , 
comme  le  dit  Pline  et  plusieurs  autres 
iclithyologistes  après  lui  ,  qu'il  perce 
les  vaisseaux  avec  son  épée  ,  et  qu'il 
les  fasse  couler  à  fond  ;  car  cet  instru- 
ment n'est  pas  assez  dur  pour  cela. 


DE   LA   PETITE   TÊTE.     i33 


X  I  Ie    GENRE. 


LA  PETITE-TÊTE,  lepto  cephalus. 

Caractère  générique.  Point  de  nageoires 
pectorales. 

Jj  a  petite  -  tête  ,  leptocephalus  mor- 
risiif  n'a  pas  plus  de  quatre  pouces  de 
longueur.  Son  corps  long  et  étroit  est 
si  comprimé ,  qu'il  en  est  presque  trans- 
parent. On  l'a  découvert  depuis  peu 
sur  les  côtes  d'Angleterre  ,  où  la  peti- 
tesse de  sa  tête  lui  a  fait  donner  le  nom 
qu'il  porte.  Il  est  le  seul  connu  dans  son. 
genre. 


Poissons.  I.  22 


»»%>^^»%»%»<W^<%i'^'%>^«^i^i^#%»^'^%«%»%»^'^nm»^'^«1fc'^  ^^."V 


SECONDE   CLASSE. 


LES  JUGULAIRES. 

Les  poissons  dont  les  nageoires  ven- 
trales sont  placées  à  la  gorge  ,  et  par 
conséquent  plus  près  de  l'ouverture  de 
la  Louche  que  les  nageoires  pectorales, 
sont  connus  sous  le  nom  de  jugulaires  : 
la  plupart  vivent  dans  les  eaux  de 
l'Europe. 

XII  F     GENRE. 
LE    CALL  YONIME, 

CALLYONIMU  S. 

Caractère  générique.   L'ouverture  des 
ouies  à  la  nuque. 

LE  LACERT  ,  callionvmus  lyra. 

L  Alongueur  extraordinaire  des  rayons 
de  la  première  nageoire  du  dos ,  est  le 


HISTOIRE  NATURELLE  ,  &C.  l35 
caractère  dislinctif  de  ce  poisson.  On 
compte  six  rayons  à  la  membrane  des 
ouies ,  dix-huit  à  la  nageoire  pectorale , 
six  à  celle  du  ventre ,  dix  à  celle  de 
l'anus,  neuf  à  celle  delà  queue,  quatre 
à  la  première  du  dos,  et  dix  à  la  se- 
conde. 

La  tête  est  oblongue  , large,  voûtée 
par  en  haut  et  plate  par  en  bas.  L'ou- 
verture de  la  bouche  est  large.  Les 
deux  mâchoires ,  dont  la  supérieure  est 
'la  plus  longue ,  sont  garnies  d'un  grand 
nombre  de  petites  dents.  La  langue  est 
courte  ',  les  lèvres  sont  grosses ,  et  le 
poisson  peut  les  avancer  à  son  gré.  Les 
ouvertures  des  narines  qui  sont  à  peine 
visibles  ,  sont  placées  entre  les  yeux 
et  la  bouche ,  au  milieu.  Les  yeux  sont 
oblongs ,  placés  l'un  près  de  l'autre ,  re- 
couverts d'une  membrane  clignotante , 
et  ont  une  prunelle  noire  dans  un  iris 
doré.  L'opercule  des  ouies  est  atta- 
chée ,  et  la  membrane  des  ouies  se 
trouve  an  menton.  La  tête  est  brune 


l36       HISTOIRE   NATURELLE 
par  en  haut,  et  ornée  sur  les  côtés  de 
taches  bleues ,  dont  les  unes  sont  gran- 
des et  les  autres  petites.  Le  tronc  est 
alongé  et  arrondi.  Le  dos  est  brun  -,  les 
côtés  sont  jaunes  ,  blancs  en  appro- 
chant du  ventre  ,  et  ornés  de  deux  li- 
gnes bleues  qui  sont  entrecoupées.  On 
voit,  par  la  description  de  M.  Brun- 
niche  et  de  Duhamel,  que  les  couleurs 
diffèrent  aussi  beaucoup  dans  ce  pois- 
son ;  car,  dans  la  mer  Méditerranée, 
on  en  trouve  qui  out  tantôt  des  taehes 
brunes  et  bleues ,  tantôt  des  taches  rou- 
geàlresj  et  s'il  en  faut  croire  les  pê- 
cheurs, les  maies  sont  distingués  par 
plusieurs  couleurs,  et  les  femelles  n'en 
ont  que  deux,  la  brune  et  la  rouge.  La 
cavité  du  ventre  est  courte  ,  et  l'anus 
est  peu  éloigné  de  la  tête.  La  ligne  la- 
térale est  en  grande  partie  droite  ,  et 
se  trouve  au  milieu.  Parmi  les  rayons 
de  la  première  nageoire  du  dos ,  les 
trois  premiers  avancent  beaucoup  au- 
delà  de  la  membrane  qui  les  unit.  Cette 


DU     LACER  T.  l3j 

dernière  est.  brunâtre  vers  le  bas  , 
jaune  aux  autres  parties  ,  et  garnie  de 
lignes  bleues  qui  vont  en  serpentant. 
La  seconde  nageoire  du  dos  est  bleue 
et  rayée  de  jaune.  Quelquefois,  au  lieu 
de  raies  bleues,  elle  a  des  lignes  de  la 
même  couleur.  Les  nageoires  de  la 
queue  ,  de  la  poitrine  et  du  ventre  , 
sont  j  aunes ,  et  les  rayons  des  deux  der- 
nières ramifiés.  La  nageoire  de  l'anus 
est  bleuâtre.  Tous  les  rayons  ,  excepté 
ceux  de  la  poitrine,  sont  plus  longs  que 
la  membrane  qui  les  unit.  Les  rayons 
simples  des  nageoires  du  dos  et  du 
ventre  ,  sont  durs  vers  le  bas  ,  et  mous 
aux  extrémités. 

Nous  trouvons  ce  poisson  aussi  bien 
dans  les  eaux  du  midi  que  dans  celles 
du  nord.  Le  comte  de  Querhoent  vient 
de  m'écrire  qu'on  en  pêche  à  Croisic 
en  Bretagne.  Il  parvient  à  la  longueur 
de  douze  à  quatorze  pouces.  Sa  chair 
est  blanche  et  de  bon  goût.  Rondelet  la 
compare  à  celle  du  goujon.  On  prend  le 


*38  HISTOIRE  NATURELLE 
lacert  avec  des  filets,  sur-tout  dans  te 
temps  de  la  canicule.  Dans  l'Amérique 
septentrionale  ,  on  le  prend  en  même 
temps  que  le  hareng.  Il  vit ,  comme 
l'assure  Frédéric  Miiller,  de  petites 
sang-sues  et  d'étoiles  de  mer. 

Ce  poisson  se  nomme  : 
Grosser  Spinnenfisch ,    Wimpelfîsch  et 

fliegender  Teufel  ,  en  Allemagne. 
Flœy-Fish ,  Flyvende-Fisk  et  Fiœsing  ? 

en  Norwège. 
Blastrimiga  Blastalen  ,  en  Suède, 
Schelvîsduyvel ,  en  Hollande. 
Lacert,  en  France. 
Moulette,  à  Marseille. 
Vandière  ,  à  Fécamp  et  à  Caen. 
Souris  de  mer,  sur  les  côtes  de  la  haute 

Normandie. 
Yemmeous ,  Dragonet  et  Yellow  Gur- 

jiard,  en  Angleterre. 

Pontoppidan  raconte  que  ce  poisson 
s'élève  en  troupes  à  quelques  coudées 
de  hauteur  au-dessus  de  la  surface  de 


i'at/e    j3<;  . 


Totn     /. 


Dtvtvedel.  JUemt*  t/émH 

i.XE  DOUCET.  a.]LE  I.ACKRÏ.  S.XE  BŒtjJ 


DU    DOUCET.  l3o, 

la  mer,  et  qu'il  peut  voler  à  quelques 
portées  de  fusil.  Mais  les  nageoires  de 
la  poitrine  et  du  ventre  sont  trop  pe- 
tites ,  en  comparaison  de  celles  des 
autres  poissons  -volans  ,  pour  qu'avec 
leur  secours,  il  puisse  se  soutenir  quel- 
que temps  en  l'aii.  D'ailleurs,  Pontop- 
pidau  ajoute  lui-même  qu'il  n'en  avoit 
jamais  vu  de  vivant  ;  de  sorte  qu'on  ne 
sauroit  ajouter  foi  à  ce  qu'il  en  dit. 

LE  DOUCET  ou  DRAGONNEAU, 

CALLIONYMUS    DRACUNCULUS. 

L-ES  quatre  rayons  courts  de  la  pre- 
mière nageoire  du  dos,  distinguent  ce 
poisson  du  précédent  ,  et  leur  petit 
nombre  le  distingue  de  la  lyre  des  Indes. 
On  compte  six  rayons  à  la  membrane 
des  ouies  ,  dix-neuf  à  la  nageoire  de  la 
poitrine,  six  à  celle  du  ventre,  neuf  à 
celle  de  l'anus ,  dix  à  celle  de  la  queue  , 
quatre  à  la  première  du  dos,  et  neuf  à 
la  seconde^ 


l4o       HISTOIRE   NATURELLE 

Le  corps  est  large  par-devant,  et  se 
rétrécit  en  allant  vers  la  queue.  La  tête 
est  plate,  plus  large  que  le  tronc,  et 
est  terminée  en  pointe  émoussée.  Les 
deux  mâchoires  sont  garnies  de  dents 
tendres;  la  supérieure  est  un  peu  plus 
longue  que  l'inférieure.  Les  narines 
qui  sont  peti  !  es,  sont  placées  entre  l'ou- 
verture de  la  bouche  et  les  yeux,  au  mi- 
lieu. Ces  derniers  sont  grands,  ovales, 
saill ans,  et  placés  au  sommet  près  l'un 
de  l'autre  :  ils  ont  une  prunelle  noire 
dans  un  iris  rougeâtre  ;  la  tête  et  le  dos 
sont  d'un  jaune  brun  ;  le  menton,  le 
ventre  et  les  côtés  sont  argentins.  Le 
long  du  dos  ,  on  apperçoit  un  sillon  ; 
entre  la  tête  et  la  première  nageoire 
du  dos,  on  voit  quatre  petites  ouver- 
tures, dont  les  deux  antérieures  se 
trouvent   à   l'angle  de   l'opercule  des 
ouies ,  et  les  deux  postérieures  à  la  nais- 
sance de  la  nageoire  dorsale.  De  toutes 
les  quatre ,  le  poisson  fait  jaillir  de  l'eau 
chaque  fois  qu'il  respire.  La  ligne  la- 


DU    DOUCE  T.  l4l 

térale  ,  qui  est  à  peine  visible,  a  sa  di- 
rection le  long  du  milieu  du  corps. 
Entre  cette  ligne  et  le  ventre  ,  on  re- 
marque une  ligne  jaune  qui  va  en  ser- 
pentant. L'anus  est  plus  près  de  la  tête 
que  de  la  queue  :  cependant,  les  cou- 
leurs de  ce  poisson  varient  comme  chez 
plusieurs  autres  ;  c'est  ce  qu'on  peut 
voir  par  les  descriptions  que  nous  en 
ont  données  Frédéric  Miiller  et  M.  Pen- 
nant.  Celui-ci  lui  donne  pour  couleur 
un  jaune  sale,  avec  des  taches  blanches 
et  brunes ,  et  le  premier  dit  qu'il  est 
cendré.  Il  dit  aussi  que  la  nageoire  de 
la  queue  est  jaune  ,  et  que  quelquefois 
on  en  a  trouvé  qui  sont  ornées  par-der- 
rière de  deux  bandes  noires.  Les  na- 
geoires de  la  poitrine  et  de  l'anus  sont 
verdatres;  celles  du  ventre  jaunes,  avec 
des  rayons  verds.  La  première  nageoire 
dorsale  est  d'un  brun  noir;  la  seconde 
d'un  jaune  pâle  ,  avec  des  raies  d'un 
jaune  foncé  :  et  la  nageoire  de  la  queuo 
qui  est  ronde ,  a  des  raies  brunes  et  d'un 


l42  HISTOIRE  NATURELLE 
verd  tirant  sur  le  jaune.  Les  rayons  de 
la  nageoire  du  ventre  sont  ramifiés, 
ceux  de  la  nageoire  de  la  queue  et  de 
■la  poitrine  fourchus,  et  ceux  des  autres 
nageoires  simples.  Les  seuls  rayons  de 
la  première  nageoire  du  dos  sont  pi- 
quans. 

Selon  Linné  ,  nous  trouvons  ce  pois- 
son dans  les  environs  de  Rome ,  do 
Gênes  et  de  Lisbonne.  Pennant  le  met 
parmi  les  poissons  anglais;  Frédéric 
Miiller  parmi  les  danois-,  et  Duhamel 
l'a  trouvé  sur  les  côtes  de  Normandie. 
On  peut  dire  de  ce  poisson  ce  qu'on  a 
dit  des  précédens  à  l'égard  de  la  pêche 
et  de  la  bonté  de  la  chair.  Si  l'on  en  croit 
les  pêcheurs  français,  ce  poisson  est  la 
femelle  du  précédent. 

La  peau  du  ventre  est  si  mince,  que 
malgré  toutes  les  précautions  que  j'ai 
prises  en  l'ouvrant,  j'ai  coupé  en  même 
temps  l'estomac  qui  est  aussi  très- 
mince.  Il  étoit  si  long,  qu'il  s'étendoit 
jusqu'à  l'anus.  Le  canal  intestinal,  au 


DU     DOUCET,  l45 

contraire ,  étoit  court.  Le  foie  étoit 
placé  au  dessous  du  diaphragme  :  il  étoit 
court  et  d'un  brun  jaune.  Je  n'ai  pu  y 
remarquer  ni  vésicule  aérienne ,  ni 
laites,  ni  oeufs. 

Ce  poisson  se  nomme  : 

Seedrache  ou  kleiner  Spinnenfisch ,  en 

Allemagne. 
Schelvisduyvel ,  Pitvisch  ou  Draakje,  en 

Hollande. 
Sordid  Dragoned  ,  en  Angleterre. 
Doucet  et  Doucet  femelle }  en  France. 
Mouleite ,  à  Marseille. 

Pline  parle  d'un  poisson  sous  le 
nom  de  dracunculus  ;  mais  la  courte 
description  qu'il  en  donne,  empêche 
de  décider  avec  certitude  s'il  faut  en- 
tendre par-là  un  des  deux  dont  nous 
venons  de  parler.  Il  lui  donne  à  la  vé- 
rité aux  ouies  des  piquans  qui  sont 
tournés  vers  la  queue  ;  mais  comme 
les  grondins,  la  vive  et  plusieurs  antres 
ont  des  piquans  à  ces  parties  du  corps, 


l44       HISTOIRE   NATURELLE 

il  peut  bien  avoir  eu  en  vue  un  de  ces 
poissons. 

Comme  la  plupart  des  naturalistes 
ont  regardé  ces  poissons  comme  un© 
seule  espèce  ,  il  ne  sera  pas  superflu  de 
remarquer  les  caractères  qui  les  dis- 
tinguent l'un  de  l'autre. 

1°.  La  tête  du  lacert  est  applatie 
par  en  haut  ;  celle  du  doucet  voûtée. 

2°.  Au  lacert,  le  premier  rayon  de 
la  nageoire  du  dos  est  aussi  long  que 
tout  le  corps  ;  le  doucet  l'a  seulement 
de  la  longueur  de  la  tête. 

3°.  Cette  nageoire  est  noirâtre  chez 
le  dernier,  et  chez  le  premier  tachetée 
de  jaune  et  de  bleu. 

4°.  JLe  lacert  parvient  à  la  longueur 
de  douze  à  quatorze  pouces ,  au  lieu 
que  le  doucet  n'en  a  jamais  plus  de 
huit. 

5°.  Chez  celui-ci  les  couleurs  ne  sont 
pas  si  variées  que  chez  le  premier. 


DU     B  A  ï  K  A  L.  l45 

LE    BAIKAL, 

CALLION  Y  M  US    BAÏKALENSIS. 

Cette  espèce  n'a  point  de  nageoires 
sur  le  ventre  :  la  première  du  dos  est 
très-petite  -,  les  autres  sont  terminées 
par  des  filamcns. 

C'est  à  M.  Pal  las  que  l'on  doit  la 
connoissance  de  ce  callionyme  ,  parti- 
culier jusqu'à  présent  au  lac  Baïkal. 
Les  Russes  qui  habitent  les  bords  de 
ce  lac  ,  ont  donné  au  poisson  qui  nous 
occupe  le  nom  de  Solomiianka  :  on  le 
pêche  depuis  peu  d'années.  Il  étoit 
probablement  connu  avant  cette  épo- 
que ,  et  la  négligence  seule  a  pu  priver 
ces  peuples  des  avantages  que  l'on  a 
retirés  de  sa  découverte.  Ce  poisson 
ressemble  à  un  peloton  de  graisse  :  lors- 
qu'on le  met  sur  le  gril  ,  la  graisse 
huileuse  dont  il  est  rempli  se  fond  ,  de 
manière    qu'il  ne   reste  plus  que  les 

Poissons.  I.  l5 


146      HISTOIRE    NATURELLE 
arêtes.  On  ne  le  prend  jamais  dans  les 
filets,  et  jamais  on  ne  l'a  vu  vivant  : 
on  présume  qu'il  ne  se  tient  que  dans 
les   gouffres    du  Baïkal.    Ces  gouffres 
existent  dans  le  centre  du  lac  ,  et  dans 
plusieurs  places  de  ses  rives  escarpées 
situées  au  nord ,  où  l'on  a  sondé  en  vain 
à  trois  et  quatre  cents  brasses  ,  sans 
trouver  de  fond.  Il  seroit  difficile  de 
définir  les  causes  qui  jettent  ces  pois- 
sons à  la  surface  des  eaux.  C'est  ordi- 
nairement en  été  ,  pendant  les  gros 
vents  qui  viennent  des  montagnes  ,  ou 
dans  les  ouragans  qui  partent  du  nord  ; 
ces  poissons  sont  alors  poussés  sur  le 
rivage.  Lorsque  le  lac  a  été  agité  par 
des  tempêtes,  on  les  voit  surnager  sur 
l'eau  en  telle  quantité  qu'ils  forment  , 
en  de  certaines  années ,  un  parapet  sur 
la   côte.   C'est  une  excellente  récolte 
pour  les  liabitans.  Ils   en  tirent  une 
huile  qu'ils  vendent  aux  Chinois.  Lors- 
que ce  poisson  est  jeté  sur  la  cote,  on 
ne  voit  point  les  mouettes  ,  ni  les  cor  - 


DU      B  A  ï  K  A  L.  147 

neilles  s'y  acharner.  Cette  répugnance 
est  due  probablement  à  l'aversion  de 
ces  oiseaux  pour  la  graisse  huileuse  : 
ces  poissons  sont  restés  à  peine  deux 
heures  sur  les  bords  de  l'eau  ,  qu'ils  se 
fondent  en  huile  ,  pour  peu  qu'on  les 
presse  dans  les  mains. 


l48       HISTOIRE    NATURELLE 


X  I  Ve    GENRE. 


LE    RASPEÇON, 

URANOSCOPUS. 

Caractère  générique.  Un  barbillon  dans 
la  bouche. 

LE  RASPEÇON   RUDE, 

URANOSCOPUS    SCJBER. 

Tj  a  rudesse  de  la  tête  est  un  caractère 
snffisant  pour  distinguer  ce  poisson.  On 
compte  cinq  rayons  à  la  membrane  des 
ouies  ,  dix-sept  à  la  nageoire  de  la  poi- 
trine ,  six  à  celle  duvenlre,  treize  à 
celle  de  l'anus,  douze  à  celle  de  la 
queue  ,  quatre  à  la  première  du  dos, 
et  quatorze  à  la  seconde. 

La  tête  est  grosse  ?  carrée ,  et  ca- 


DIT     RASPEÇON.        l49 

cliée  dans   une    cuirasse    rude  garnie 
d'une  quantité  infinie  de  petites  ver- 
rues qui  la  rendent  rude  au  toucher  ; 
ce  qui  a  engagé  Linné  à  donner  à  ce 
poisson  le  nom  de  scaber.  Par  le  haut , 
cette  cuirasse  se  termine  par  deux  pi- 
quans ,  et  par  le  bas  ,  par  cinq  autres 
plus  petits.  Le  postérieur  de  ceux  qui 
sont  en  haut  est  le  plus  fort  ,  et  il  est 
entouré  d'une  peau  :  la  bouche  s'ouvre 
par  en  haut.  ;  et  quand  la  mâchoire  in- 
férieure  est   ôtée  ,   on  apperçoit  une 
large  ouverture  ,  dans  laquelle  paroît 
la  langue  qui  est  épaisse,  forte  ,  courte 
et  garnie  de  petites  dents  qui  la  ren- 
dent rude  au  toucher.  Au  côté  inté- 
rieur de  la  mâchoire  inférieure,  il  y  a 
une  membrane  terminée  par  un  long 
filament.  Lorsque  la  bouche  du  pois- 
son est  ouverte  ,  il  agite  cette  partie  , 
attire  par-là  les  petits  poissons ,  qui  sont 
avalés  au  moment  où  ils  croient  s'en 
saisir  -,  les  deux  barbillons  dont  chaque 
lèvre  est  garnie  ,  lui  servent  aussi  au 


l5o  HISTOIRE  NATURELLE 
même  usage.  Ce  poisson  se  cache  ordi- 
nairement jusqu'à  la  tête  dans  les 
plantes  marines  ,  afin  d'attraper  plus 
sûrement  les  petits  poissons  en  se  déro- 
bant à  leurs  regards.  A  la  mâchoire 
.supérieure,  on  remarque  en  haut  deux 
ouvertures  ovales  ,  et  à  l'inférieure 
beaucoup  de  petits  barbillons.  Non  loin 
de  chaque  œil,  on  apperçoit  une  ou- 
verture ronde  :  les  yeux  sont  placés 
sur  la  surface  supérieure  de  la  tête  tout 
près  l'un  de  l'autre  ;  ils  sont  saillans  , 
et  ont  une  prunelle  noire  dans  un  iris- 
jaune. 

Nousconnoissons  plusieurs  poissons, 
outre  les  soles  et  les  raies  ,  dont  les 
yeux  sont  à  la  surface  et  près  l'un  de 
l'autre.  Chez  ces  dernières  ,  ils  sont 
situés  de  manière  ,  qu'ils  peuvent  plus 
regarder  de  côté  qu'en  haut  ;  mais  chez 
notre  poisson  ,  ils  sont  dirigés  droit  en 
haut  :  voilà  pourquoi  les  Grecs  lui  ont 
donne  le  nom  à'uranoscope.  Les  Gé- 
nois, qui  croient  apparemment  voir 


DU     R  A  S  P  E  ç  O  X.  l5l 

dans  ce  poisson  le  regard  de  la  dévo- 
tion ,  lui  ont  donné  le  nom  de  prêtn. 
Entre  les  yeux,  on  remarque  une  ca- 
vité sémi-lunaire,  et  nonloin  de  chaque 
nageoire  pectorale  ,  un  piquant  long 
et  un  court  :  l'ouverture  des  onies  est 
très  -  large;  l'opercule  des  ouies  con- 
siste en  un  seul  os  fort,  qui  est  en- 
touré d'une  peau  dentelée  ;  la  mem- 
brane des  ouies ,  qui  est  cachée ,  est  gar- 
nie de  cinq  os  recourbés  -,  le  tronc  est 
pourvu  d'écaillés  très-petites.  Jusqu'à 
l'anus  et  à  la  seconde  nageoire  dorsale, 
il  est  presque  quarré  ;  de -là  jusqu'à  la 
fin  ,  il  est  rond.  Les  lignes  latérales  , 
qui  ne  sont  formées  que  de  petites  ou= 
vertures  rondes,  prennent  naissance  à 
la  nuque,  forment  un  petit  arc  vers  les 
côtés,  s'approchent  ensuite  des  na- 
geoires dorsales,  s'étendent  le  long  du 
dos  jusqu'à  la  nageoire  de  la  queue,  où 
elles  forment  une  courbure  en  dessous, 
et  s'y  perdent  dans  le  milieu.  Les  na- 
geoires ventrales  sont  placées  près  de 


l52       HISTOIRE   NATURELLE 

la  gorge  ,  et  terminées  en  rayons  à  plu- 
sieurs branches  ;  les  nageoires  pecto- 
rales ont  les  rayons  partagés  à  l'extré- 
mité 5  ceux  des  nageoires  de  l'anus  et 
du  dos  sont  simples,  et  ceux  de  la  na- 
geoire de  la  queue,  qui  est  ronde  ,  sont 
ramifiés.  La  première  nageoire  du  dos 
a  une  couleur  brillante  et  des  rayons 
osseux  y  les  rayons  des  aui  res  nageoires 
sont  mous  et  jaunes.  Nofre  poisson  est 
brun  sur  le  dos  ,  gris  aux  côtés  ,  blanc 
au  ventre  ,  et  l'anus  est  presque  placé 
au  milieu  du  corps. 

Le  raspeçon  habite  la  Méditerranée, 
et  se  tient  près  du  rivage  dans  le  fond. 
Aristote  a  par  conséquent  eu  raison  de 
le  placer  parmi  les  poissons  de  rivage. 
Quoiqu'on  n'en  trouve  pas  de  plus 
d'un  pied  de  long  ,  cependant  sa  forme 
singulière  ,  dont  nous  avons  parlé  , 
a  excité  l'attention  des  naturalistes 
grecs.  Il  vit  de  petits  poissons  et  d'in- 
sectes aquatiques  :  on  dit  qu'il  dort 
pendant  le  jour  ?  et  qu'il  rôde  pendant 


DU     II  A  S  P  E  Ç  O  N.  1 53 

la  nuit.  Voilà  pourquoi  Oppian  lui  a 
donné  le  nom  de  rôdeur.  Sa  chair  est 
blanche  ,  à  la  vérité  ,  mais  dure  et 
maigre  ;  et  par  cette  raison  ,  on  n'en 
fait  aucun  cas.  Selon  Rondelet  ,  il  doit 
rendre  une  mauvaise  odeur  ;  cepen- 
dant AVillughby,  qui  a  examiné  notre 
poisson  en  Italie,  ne  lui  en  a  point 
trouvé  :  on  le  prend  au  filet,  et  il  mord 
aussi  à  l'hameçon. 

Le  foie  est  d'un  jaune  pâle  ;  l'esto- 
mac large  et  fort  ;  son  extrémité  infé- 
rieure est  entourée  de  huit  appendices  : 
la  vésicule  du  fiel  est  large,  et  le  fiel 
d'un  vert  foncé;  la  vésicule  aérienne 
est  petite. 

Ce  poisson  se  nomme  : 
Sternseher  et  Warzenkopf ,   en   Alle- 


magne. 


Stargatzer,  en  Angleterre. 
Sterre-kvker,  en  Hollande. 
Raspeçon  ou  Tapeçon,  en  France. 
Rasquassa  blanco  ,  à  Marseille. 
Mecsoro  et  Pesce  prête  ,  en  Italie. 


3  54       HISTOIRE   NATURELLE 

Pesce  prête  et  Cuccu,  en  Sardaigne. 

Preve  et  Prête,  à  Gênes. 

Bec  in  cano  ,  à  Venise. 

Kurba  ,  chez  les  Tares. 

Batrachos  ,  parmi  les  Grecs  qui  habi- 
tent à  Constantinople. 

Buphos  et  Tuchinos,  à  Smyrne. 

Pline  dit  que  le  fiel  de  ce  poisson  est 

un  souverain  remède  dans  plusieurs 

maladies  des  yeux. 


Tom  .1- 


J^u/e  v.i^ . 


Deseve  i/t'/.  fW^^^^^^mm  Joitrifati    Jlw/r 

i.liAVIVK.  a    I/AIGRKFIN.3  IiA  HOIISK. 


DE    LA     VIVE.  l55 


X  V*    GENRE. 


LA  VIVE,    TRACHINUS. 

Caractère  générique.  L'anus  près  de  la 
poitrine. 

LA   VIVE  ,    TRACHINUS    DKACO. 

L'avancement  de  la  mâchoire  infé- 
rieure ,  et  les  cinq  rayons  de  la  pre- 
mière nageoire  dorsale ,  sont  les  carac- 
tères distinctifs  de  ce  poisson.  On 
trouve  six  rayons  à  la  membrane  des 
ouics  ,  quatorze  à  la  nageoire  de  la 
poitrine,  six  à  celle  du  ventre,  vingt- 
cinq  à  celle  de  l'anus  ,  dix-sept  à  la 
queue, cinq  à  la  première  nageoire  du 
dos , et  vingt-quatre  à  la  seconde. 

La  tête  est  de  moyenne  grandeur  ; 
l'ouverture  de  la  bouche  large ,  et  la 


l56       HISTOIRE   NATURELLE 

mâchoire  inférieure  est  dirigée  de  baa 
en  haut.  Les  deux  mâchoires  sont  gar- 
nies de  dents  pointues.  La  langue  est 
unie,  étroite  ,  et  finit  en  pointe.  Les 
yeux  sont  au  sommet,  près  l'un  de  l'au- 
tre ,  peu  éloignés  de  l'ouverture  de  la 
bouche  -,  entre  l'un  et  l'autre  ,  on  re- 
marque en  dessus  un  enfoncement.  La 
prunelle  est  noire  ,  et  l'iris  jaune  ,  ta- 
cheté de  noir.  A  l'opercule  des  ouies  , 
on  remarque  un  piquant  fort.  L'ouver- 
ture des  ouies  est  large  ;  le  dos  droit , 
d'un  jaune  brun  ,  et  aux  côtés  ,  qui 
sont  argentins  sous  la  ligne  latérale  et 
au  ventre,  on  remarque  des  lignes  bru- 
nâtres et  transversales.  La  première 
nageoire  du  dos  est  noire  et  garnie  de 
cinq  piquans  roides,  auxquels  on  peut 
aisément  se  blesser.  Mais  il  est  douteux 
qu'ils  soient  venimeux  comme  le  dit 
Pline,  et  comme  le  soutiennent  plu- 
sieurs ichtbvologisles.  Car  on  n'use 
pour  se  guérir  que  des  remèdes  em- 
ployés contre  la  piqûre  des  autres  corps 


DE     LA     VIVE.  167 

pointus  ;  c'est-à-dire  ,  qu'on  cherche  à 
dilater  la  partie  blessée.  Les  pêcheurs 
anglais  ont  coutume  d'arroser  la  pi- 
qûre avec  de  l'urine  chaude  ,  et  l'enve- 
loppent dans  du  sable  mouillé.  Les 
Français, au  contraire, se  servent  pour 
cela  des  feuilles  de  lenlisque.  Les  faits 
que  rapporte  Linné  à  ce  sujet  n'ont 
rien  de  probable. 

Toutes  les  nageoires  sont  petites  , 
excepté  celles  de  la  poitrine  et  de  la 
queue  ,  et  ont  des  rayons  ramifiés. 
Comme  ce  poisson  n'a  pas  la  vie  dure  , 
et  qu'il  se  débat  beaucoup  quand  il  est 
pris,  il  faut  prendre  garde  de  ne  pas  se 
laisser  piquer  par  ses  pointes,  qui  peu- 
vent encore  blesser  après  la  mort  du 
poisson.  C'est  ce  qui  a  donné  lieu  en 
France  à  une  ordonnance  de  police, 
qui  défend  de  vendre  ce  poisson  avec 
les  piquans. 

Ce  poisson ,  qui  n'a  pas  plus  d'un  pied 
de  long,  se  trouve  en  grande  quantité 
aux   environs  de  la  Hollande   et   de 

Poissons.  I.  i4 


158  HISTOIRE  NATURELLE 
POstfrise,  de  même  que  dans  la  Médi- 
terranée et  dans  plusieurs  contrées  de 
l'Océan.  Ordinairement  il  séjourne 
dans  le  fond  ,  et  paroît  en  juin  dans  les 
endroits  unis.  C'est  dans  ce  mois  et 
dans  le  suivant  qu'on  le  prend  en  quan- 
tité ,  sur-tout  en  Hollande  ,  dans  des 
filets  et  des  nasses.  Ainsi  Aristote  le 
met  avec  raison  au  nombre  des  pois- 
sons de  rivage. 

La  chair  de  la  vive  est  de  très-bon 
goût ,  aisée  à  digérer ,  et  les  Hollandais 
en  font  un  très-grand  cas. 

Ce  poisson  vit  d'insectes  aquatiques, 
des  petits  des  autres  poissons ,  d'escar- 
gots et  d'écrevisses.  Quand  il  est  encore 
jeune  ,  il  a  pour  ennemis  toutes  les  es- 
pèces voraces. 

L'estomac  est  large;  la  vésicule  du 
fiel  grande  ;  le  canal  intestinal  court , 
et  a  huit  appendices  à  son  commence- 
ment. 

Ce  poisson  est  connu  sous  différons 
noms.  On  le  nomme  : 


DE    LA     VIVE.  l5g 

Velermœnnchen ,  en  Allemagne. 
Schwerdtfisch ,  à  Heiligeland. 
Fiaersing  ,  Suerd-Fisk  ,   Steen-Blkker  , 

Muller  ,  enDanemarck. 
Petermand  ,  Soe-Drage,  en  Norwège. 
Fiœrsing  ,  Fiassing  ,  en  Suède. 
Pietermann ,  en  Hollande. 
Weever ,  Seadragon  ,  en  Angleterre. 
Vive  ,  ou  Dragon  de  mer,  en  France. 
Ârangio  ,  à  Marseille. 
Trascina  ,  Pesce  Ragna  ,  en  Italie, 
Tragina,  à  Rome. 
Ragana ,  en  Sardaigne. 
Mojuro  ta  rocca  ,  à  Malte. 
Pesce  Arano ,  en  Espagne;. 


160       HISTOIRE   NATURELLE 


X  V  Ie     GENRE. 


LE   GADE,  gadus. 

Caractère  générique.  Les  nageoires  du 
ventre  finissant  en  pointes. 

L'AIGREFIN,  gadus  mglzfinus. 

Xj  a  ligne  latérale  noire,  et  un  seul  bar- 
billon au  menton  ,  distinguent  ce  pois- 
son des  autres  poissons  du  même  genre. 
On  trouve  sept  rayons  à  la  membrane 
des  ouïes,  dix-neuf  aux  nageoires  pec- 
torales, six  aux  ventrales, vingt-deux 
à  la  première  de  l'anus,  vingt-un  à  la 
seconde ,  vingt-sept  à  celle  de  la  queue , 
seize  à  la  première  du  dos  ,  vingt  à  la 
seconde  ,  dix-neuf  à  la  troisième. 
La  tête  est  cunéiforme  ;  la  mâchoire 


D  E     L'A  IGREFIN.         ïfil 

supérieure  est  plus  longue  que  l'infé- 
rieure ,  à  laquelle  on  voit  le  barbillon. 
Les  yeux  qui  sont  grands  ,  ont  la  pru- 
nelle noire  ,  et  l'iris  argentin.  Les 
écailles  de  ce  poisson  sont  petites  , 
rondes,  et  plus  attachées  à  la  peau  que 
dans  les  autres  espèces.  Le  dos  est  bru- 
nâtre ,  peu  arqué  ,  et  épais.  Le  ventre 
et  les  côtés  sont  argentins ,  et  on  apper- 
çoit  une  tacbe  noire  près  de  la  nageoire 
pectorale. 

Ce  poisson  habite  la  mer  du  Nord  , 
où  on  le  prend  en  grande  quantité  en 
automne  près  de  Heiligeland,  d'où  on 
l'amène  à  Hambourg.  Il  est  remar- 
quable que  l'aigrefin  ne  passe  point  par 
le  Sund  dans  la  mer  Baltique ,  et  que  le 
dorse,  qui  est  un  habitant  de  la  Bal- 
tique ,  ne  passe  point  par  la  Manche 
dans  la  mer  du  Nord  ,  quoiqu'on  les 
trouve  en  quantité  près  l'un  de  l'autre 
dans  ces  deux  mers.  On  le  trouve  aussi 
autour  de  la  Hollande  ,  de  l'Ostfrise  et 
dans  la  Manche  3  mais  sur-tout  en  An- 


162  HISTOIRE  NATURELLE 
gleterre  ,  où  il  paroît  en  grandes  trou- 
pes, et  qui  passent  ordinairement  d'une 
côte  à  l'autre  :  de  manière  cependant 
qu'ils  ne  s'assemblent  que  dans  un  es- 
pace large  de  trois  quarts  de  mille  et 
long  de  six  mi  Iles.  Si  les  pêcheurs  jettent 
leurs  lignes  hors  de  cet  espace  ,  ils  ne 
prennent  rien.  Ils  paroissent  quelque- 
fois en  troupes  si  nombreuses  ,  selon 
M.  Pennant ,  que  dans  l'espace  d'un 
mille  d'Angleterre,  trois  pêcheurs  peu- 
vent remplir  leurs  canots  deux  fois  par 
jour.  Aussi  ce  poisson  est  à  si  bon  mar- 
ché ,  qu'on  en  donne  vingt  des  plus  gros 
pour  vingt-quatre  sous  de  France  ,  et 
autant  de  petits  pour  quatre  ,  et  quel- 
quefois même  pour  moitié  moins.  On 
voit  ordinairement  les  plus  gros  depuis 
novembre  jusqu'en  janvier,  et  depuis 
ce  temps  jusqu'en  mai ,  paroissent  les 
plus  petits.  Dans  le  Groenland ,  ils  ha- 
bitent les  fonds,  et  viennent  vers  le 
soir  sur  la  surface  de  l'eau  ,  sur-tout 
lorsqu'elle  est  agitée  j  etc'est-là  que  les 


DE    l'aigrefin.      i63 

pêcheurs  les  épient.  Quelquefois  aussi 
ils  saulcnt  hors  de  l'eau  ,  pour  éviter  la 
poursuite  fies  chiens  de  mer.  Ceux-ci 
les  prennent  avec  leurs  pattes  entre  les 
fentes  de  la  glace  ,  où  ils  se  tiennent 
pour  prendre  l'air. 

La  grandeur  de  ce  poisson  est  ordi- 
nairement d'un  pied,  et  alors  il  pèse 
une  livre  et  demie.  Quelquefois  on  en 
trouve  aussi  qui  ont  deux  ou  trois  pieds 
et  plus  ,  et  qui  pèsent  quatorze  livres. 
Il  fraie  en  février  :  alors  les  femelles 
viennent  en  grandes  troupes  déposer 
leurs  œufs  entre  l'algue  ,  non  loin  du 
rivage.  Ensuite  les  mâles  y  viennent 
séparément  ,  et  fécondent  les  œufs. 
L'aigrefin  se  nourrit  d'écrevisses  et 
d'autres  insectes  de  mer.  Il  poursuit 
sur-tout  le  hareng  ,  dont  il  s'engraisse 
pendant  tout  l'été  ;  au  lieu  que  dans 
l'arrière-saison  ,  il  est  maigre  ,  parce 
qu'il  ne  vit  que  de  vers  de  mer.  Dans 
les  temps  orageux  ,  il  se  cache  dans  le 
sable  ou  entre  les  herbages ,  où  il  se 


î64  HISTOIRE  NATURELLE 
tient  tranquille  jusqu'à  ce  que  le  calme 
soit  revenu.  Dans  ces  temps  ,  les  pê- 
cheurs n'en  prennent  point ,  et  ceux 
qui  paroissent  ensuite  ,  sont  couverts 
de  mal-propretés  et  de  plantes  qui  in- 
diquent leur  séjour.  La  chair  de  ce  pois- 
son est  blanche ,  ferme  et  de  bon  goût  ; 
elle  est  feuilletée  et  facile  à  digérer. 
Outre  le  chien  de  mer ,  il  a  encore  pour 
ennemis  les  autres  gros  poissons  vo- 
races. 

On  le  prend  sur-tout  avec  des  lignes 
de  fond.  Les  pêcheurs  de  la  Frise  en 
jettent  plusieurs  vers  le  soir,  qui  sont 
de  la  longueur  de  quelques  brasses  ,  et 
y  mettent  de  petits  poissons  pour  ap- 
pât. Quand  ils  les  tirent  le  matin  ,  ils 
trouvent  ordinairement  un  poisson  à 
chaque  hameçon, sur-tout  par  un  beau 
temps.  De  sorte  qu'un  pêcheur  re- 
tourne souvent  chez  lui  avec  une  pêche 
de  cent  poissons  et  plus  ,  suivant  le 
nombre  de  lignes  qu'il  a  tendues.  Nous 
rapporterons  ici  une  coutume  louable, 


D  E  L'A  IGREFIN.  1 6*5 
c'est  que  chaque  pêcheur  est  obligé  de 
tendre  une  ligne  pour  les  veuves  des 
pêcheurs  du  village  ,  et  de  leur  en  en- 
voyer la  pêche.  Les  Groenlandais  les 
prennent  à  la  main,  dans  des  trous 
qu'ils  font  dans  la  glace ,  et  où  les  pois- 
sons se  pressent  les  uns  sur  les  autres  , 
pour  prendre  l'air. 

Le  foie  de  ce  poisson  est  blanchâtre, 
et  consiste  en  deux  lobes  de  différente 
longueur.  La  rate  est  triangulaire  et 
placée  sous  l'estomac  ,  qui  est  long  , 
épais  et  entouré  d'un  cercle  de  plu- 
sieurs petites  appendices.  Le  canal  in- 
testinal a  trois  sinuosités ,  et  est  large 
par  en  bas.  La  vésicule  aérienne  est 
longue  ,  simple  et  enduite  d'une  ma- 
tière gluiineuse.  Les  reins  ,  la  laite  et 
l'ovaire  sont  doubles ,  et  les  œufs  jaunes. 
J'ai  trouvé  quinze  côtes  de  chaque  côté, 
et  trente-cinq  vertèbres  à  l'épine  du 
dos. 

Ce  poisson  est  connu  sous  différens 
noms.  On  le  nomme  : 


l66      HISTOIRE    NATURELLE 
Kuller ,  en  Danemarck. 
Kollie ,  Hyse  ,  en  Norwège. 
Isa ,  en  Islande. 

Diuckso  ,  en  Laponie. 
Misar  Kornuck  et  Ekalluack ,  en  Groen- 
land. 
Kaljor  ,  en  Suède. 
Schelvis  y  en  Hollande. 
Aigrefin  ou  Eglefin  ,  en  France. 
Aaou  ,  en  haute  Normandie. 
Haduc:,  en  Angleterre. 
D  a  guet  ou  Guellekens ,  en  Flandre. 

LE    DO.USE,    GADUS    CALLARIAS. 

La  ligne  latérale  large  et  tachetée  , 
est  le  caractère  distinclif  de  cette  es- 
pèce. On  compte  sept  rayons  à  la  mem- 
brane des  ouies , dix  sept  aux  nageoires 
de  la  poitrine  ,  six  à  celles  du  ventre , 
dix-huit  à  la  première  de  l'anus,  et  dix- 
sept  à  la  seconde  ,  vingt-six  à  la  queue 
quatorze  à  la  première  nageoire  du 
dos,  quinze  à  la  seconde,  et  dix- huit  à 
la  troisième, 


DU     DORSE,  167 

La  tête  est  plus  petite  que  dans  l'ai- 
grefin ;  elle  est  d'une  couleur  grise ,  sur 
laquelle  on  voit  des  taches  brunes  en 
été  ,  et  noires  en  hiver.  L'ouverture 
de  la  bouche  est  grande.  La  mâchoire 
supérieure  est  plus  longue  que  l'infé- 
rieure, et  a  plus  de  rangées  de  dents  : 
à  l'inférieure,  on  trouve  un  barbillon  , 
et  elle  n'a  qu'une  rangée  de  dents.  Le 
palais  est  aussi  armé  de  dents.  Les  yeux 
sont  ronds  -,  la  prunelle  est  noire  ,  et 
l'iris  d'un  blanc  jaune.  Le  tronc  qui  est 
gris  et  tacheté  de  brun  jusqu'au  ventre, 
est  couvert  d'écaillés  minces  ,  petites 
et  molles.  Les  taches  du  tronc  sont  dans 
quelques  jeunes  d'un  ronge  clair  ,  ti- 
rant sur  le  jaune.  La  ligne  latérale  est 
près  du  dos,  et  forme  une  courbure  en 
dessous  vers  la  première  nageoire  de 
l'anus.  Le  ventre  est  épais  ,  mêlé  de 
blanc  et  de  brun.  Chez  quelques-uns  , 
il  est  rougeâtre.  Toutes  les  nageoires 
sont  blanches  ,  et  quelquefois  rouges. 
Ce  poisson  connu  en  Prusse  sous  le 


168      HISTOIRE    NATURELLE 

nom  de  pamuchel ,  et  dans  nos  con- 
trées sous  celui  de  dorsch,  se  trouve  en 
quantité  dans  la  Baltique  et  dans  l'O- 
céan septentrional.  Il  avance  dans  les 
fleuves  tant    que  les  eaux  de  la  mer 
se  mêlent  avec  leurs  eaux.  On  le  prend 
en  Poméranie    près  de  Rugenwalde 
pendant  tonte  l'année  ,  mais  sur-tout 
en  juin  :  on  en  prend  aussi  une  quan- 
tité près  de  Travcmunde  ,  Oehland  , 
Gothland  ,    Bornholm  ,    Lubek  ,    en 
Prusse  ,    et  en  Livonie.   Eu  Groen- 
land, le  printemps  et  l'automne  sont 
les  saisons  les  plus  favorables  à  cette 
pêche.  Plus  loin  vers  le  nord,  dans  le 
golfe  de  la  Fine,  et  vers  Saint-Péters- 
bourg ,  on  n'en  trouve  presque  plus  : 
on  prend  ce  poisson  dans  des  rades  , 
sur  les  côtes  ,  et  vers  les  embouchures 
des  fleuves  ,  non  -  seulement  avec  des 
lignes   que    l'on  tend    ordinairement 
vers  le  soir ,  mais  encore  avec  des  filets  ; 
on  se  sert  de  toutes   sortes  de   petits 
poissons  pour  appât.  Les  Groenlandais 


DU     DORSE.  169 

se  servent  pour  cela  du  scorpion  de 
mer  en  automne  et  au  printemps.  En 
hiver  ,  ils  font  des  trous  dans  la  glace  , 
et  attirent  le  poisson  par  des  morceaux 
de  plomb  brillans  ,  ou  par  de  petites 
boules  de  verre  :  leurs  lignes  se  font 
avec  des  morceaux  de  baleine  ,  ou  avec 
de  la  peau  de  veau  marin  ,-phoca  bar- 
bâta. 

Le  dorse  a  la  chair  tendre  et  meil- 
leure que  celle  de  tous  les  autres  pois- 
sons de  ce  genre  :  on  peut  la  donner 
sans  danger  aux  personnes  foibles  et 
valétudinaires. 

Il  vit  d'autres  poissons  ,  d'insectes 
aquatiques  et  de  vers.  M-  Otto  Fabri- 
cius  a  trouvé  dans  le  corps  de  ce  pois- 
son le  scorpion  de  mer,  cottusscorpio,  des 
ammodites,  ammodytes  tobianus ,  des 
écrevisses  et  différens  vers  marins.  Or- 
dinairement il  ne  pèse  pas  plus  d'une  à 
deux  livres  :  cependant  on  en  trouve 
auprès  deîtugenwalde,  qui  pèsent  jus- 
qu'à sept  à  huit  livres  ;  et  quelquefois 

Poissons.  I.  i5 


I70      HISTOIRE    NATURELLE 
quatorze.  Sclioueveld  parle  d'un  dorse 
qui  avoit  quatre  pieds  de  long. 

Il  fraie  en  janvier  et  en  février  :  les 
Islandais  le  salent  et  le  sèchent ,  et  lui 
donnent  alors  le  nom  de  titieling. 

Les  parties  intérieures  ressemblent 
à  celles  des  préccdens  ,  si  ce  n'est  que 
le  canal  intestinal  n'a  que  deux  sinuo- 
sités :  on  trouve  dix  -  huit  côtes  de 
chaque  côté,  et  cinquante  -  trois  ver- 
tèbres à  l'épine  du  dos. 

Ce  poisson  est  connu  sous  différens 
noms.  On  le  nomme  : 
Vorsch,  en  Allemagne. 
Pamuchel ,  en  Prusse. 
Pamuchel ,  à  Dantzig  ; 
Jœgerchen,  quand  il  est  maigre  ; 
Graspamuchel ,  quand  il  a  une  couleur 

jaune. 
Scheibendorsch ,  à  Hambourg. 
Torsk  ,  en.  Suède. 
Graa ,  Guulagtig  ,   Smaa   Torsk  ,  en 

Danemarck. 
Vorssh ,  en  Courlande. 


V».  ,   .. 


Pape.  ijj. 


■    LA  MOIVUE.  « X'QFITICEÉR.  3.LE  TA1T . 


DE     LA     MORUE.  I71 

Menza  et  D'ùrska ,  chez  les  Lettes. 

Tursk,  en  Estonie. 

Tare-Torsk  ,  Titling  ,  en  Norwège. 

Tare-Torsk  etRod-Torsk,  en  Laponie. 

Saraulick ,  en  Groenland. 

Tittling ,  Tyrsklingur ,  en  Islande. 

Dorse  ,  en  France. 

LA   MORUE  ,  g  ad  us  m  or  h  u  a. 

Les  écailles  proportionnellement 
plus  grandes,  distinguent  la  morue  des 
autres  poissons  de  ce  genre.  On  trouve 
sept  rayons  à  la  membrane  des  ouies , 
seize  aux  nageoires  pectorales ,  six  aux 
ventrales,  dix- sept  à  la  première  de 
l'anus  ,  seize  à  la  seconde ,  trente  à  la 
queue  ,  quinze  à  la  première  nageoire 
du  dos,  dix  -  neuf  à  la  seconde  ,  et 
vingt-un  à  la  troisième. 

La  tête  ,  le  dos  et  les  côtés  sont  gris 
et  parsemés  de  taches  jaunâtres.  Quand 
les  )eunes  poissons  de  cette  espèce  ha- 
bitent un  fond  de  rochers  ,  leur  ventre 


172      HISTOIRE    NATURELLE 
est  d'une  couleur  rougeâtre  ,  avec  des 
taches  jaunes  :  mais  cette  couleur  se 
J)erd,  quand  ils  deviennent  plus  vieux 
et  qu'ils  quittent  ces  fonds;  et  alors  ils 
reprennent   leur    couleur    naturelle. 
L'ouverture  de  la  bouche  est  grande  ; 
la  mâchoire  supérieure  avancée  ,  et  on 
trouve  un  petit  barbillonà  l'inférieure; 
la  prunelle  de  l'œil  est  noire  ;  l'iris  jau- 
nâtre, et  le  ventre  blanc.  Les  nageoires 
du  dos  et  de  la  queue  sont  parsemées 
de  jaune  ;  celles  du  ventre  et  de  l'anus 
sont  grises ,  et   celles   de  la  poitrine 
jaunes.  Tous  les  rayons  sont  mous  et 
ramifiés  ;  l'anus  est  plus  près  de  la  tête 
que  de  la  queue. 

Ce  poisson  est  un  habitant  de  l'O- 
céan ,  où  il  se  tient  entre  le  quaran- 
tième et  le  soixante-sixième  degré  de 
latitude  septentrionale  :  on  le  trouve 
bien  aussi  à  un  plushaut  degré ,  comme 
en  Groenland  ;  mais  il  n'y  est  pas  de  si 
bonne  qualité  ,  et  ne  s'y  trouve  qu'en 
petit  nombre.  On  le  trouve  en  très- 


DE     LA     MORUE.  170 

grande  quantité  près  de  Terre-Neuve, 
du  Cap  Breton ,  de  la  Nouvelle-Ecosse, 
de  la  Nouvelle  -  Angleterre  ,  sur  les 
côtes  de  laNorwège  et  de  l'Islande  ;  de 
même  que  vers  le  banc  de  Dogger  et 
dans  les  environs  des  îles  Orcades. 

La  morue  est  pour  plusieurs  nations 
une  branche  considérable  de  nourri- 
ture et  de  commerce  :  elle  est  sur-tout 
une  grande  source  de  richesses  pour  les 
Anglais.  Elle  nourrit  les  Islandais ,  rap- 
porte par  an  aux  Norwégiens  quelques 
tonnes  d'or  ,  et  occupe  une  grande 
quantité  de  marins  anglais,  hollandais 
et  français ,  comme  nous  le  verrons 
dans  la  suite. 

La  morue  devient  ordinairement 
longue  de  deux  à  trois  pieds,  et  pèse 
quatorze  à  vingt  livres  :  cependant  on 
en  trouve  de  beaucoup  plus  grosses.  Il 
n'y  a  pas  long  -  temps  qu'on  en  a  pris 
une  en  Angleterre  ,  longue  de  cinq 
pieds  huit  pouces,  qui  avoit  cinq  pieds 
de  circonférence  à  la  partie  la  plus 


lfb  HISTOIRE  NATURELLE 
grosse  du  corps,  etquipesoit  soixante- 
dix-huit  livres.  Elle  habite  ordinaire- 
ment les  profondeurs  de  la  pleine  mer, 
et  vient  sur  les  bancs  et  vers  les  côtes 
dans  le  temps  du  frai.  Elle  se  nourrit 
"  d'écrevisses  ,  de  polypes,  de  harengs  et 
d'autres  espèces  de  poissons  ,  et  elle  est 
si  avide,  qu'elle  n'épargne  pas  même 
ses  propres  petits.  Elle  a  ,  comme  les 
oiseaux  de  proie  ,  la  faculté  de  rejeter 
par  le  vomissement  les  corps  qu'elle  ne 
sauroit  digérer.  Selon  Anderson,son 
estomac  digère  avec  tant  de  célérité , 
que  les  pêcheurs  de  Heiligeland  ont 
trouvé  qu'au  bout  de  six  heures  ,  les 
aigrefins  qu'ils  leur  avoient  donnés 
pour  appât ,  étoient  digérés  dans  leur 
estomac.  Le  temps  du  frai  est  différent 
comme  dans  les  autres  poissons ,  sui- 
vant leur  âge ,  le  plus  ou  moins  de  froi- 
deur du  fond  qu'ils  habitent ,  la  nature 
de  l'air  et  la  température  des  saisons. 
Eu  Angleterre  ,  elles  fraient  ordinai- 
rement au  mois  de  janvier ,  et  parois- 


DE    LA     MORUE.         Ij5 

sent  alors  vers  les  côtes  jusqu'au  mois 
suivant  ;  ensuite  elles  disparoissent,  et 
il  en  vient  à  la  place  de  plus  petites  , 
qui  fraient  jusqu'à  la  fin  d'avril  ;  car  on 
leur  trouve  des  œufs  jusqu'à  ce  temps. 
En  Islande ,  elles  ne  paroissent  qu'au 
mois  de  février  ,  et  au  banc  de  Terre- 
Neuve,  en  avril.  Elles  déposent  leurs 
œufs  dans  les  fonds  inégaux  ,  entre 
les  pierres.  La  pêche  à  l'hameçon  dans 
la  mer ,  pendant  le  temps  du  frai,  a  un 
succès  tout  différent  de  celle  des  eaux 
douces  avec  des  filets  et  des  nasses:  là, 
l'ardeur  de  l'amour  les  fait  aller  sans 
crainte  dans  les  pièges  qu'on  leur  a 
tendus  -,  et  c'est  par  conséquent  le  temps 
le  plus  favorable  pour  les  pêcheurs;  au 
lieu  que  ce  même  amour  les  empêche 
de  manger;  et  comme  elles  ne  peuvent 
être  attirées  par  l'appât , on  n'en  prend 
pas  un  grand  nombre  de  cette  manière. 
Mais  après  ce  temps,  la  faim  les  oblige 
à  se  jeter  avec  d'autant  plus  d'ardeur 
sur  la  nourriture  ,  et  elles  mordent 


176       HISTOIRE    NATURELLE 
alors  à  tous  les  corps  brillans,  comme 
crochets  ,   pierres  ,   etc.    et    dans   ce 
temps,  on  trouve  ces  choses  dans  leur 
estomac.  Par  cette  raison  ,  les  Islandais 
se  servent  avec  succès ,  pour  appât ,  des 
morceaux  de  coquillages  et  de  fausses 
perles  :  les  lignes  ne  pendent  du  bateau 
que  de  sept  à  huit  brasses.  Il  y  a  dans 
chaque  bateau  deux  pêcheurs  ,   dont 
l'un  rame,  et   l'autre   épie  quand  un 
poisson  a  mordu.  De  cette  manière,  on 
remplit  souvent  le  bateau  deux  à  trois 
fois  par  jour.   Comme  ce  poisson  ne 
mord  pas  beaucoup  pendant  le  temps 
du  frai  ,   les  Norwégiens  et  les  autres 
nations  jettent  dans  les  endroits  où  il 
y  en  a  une  grande  quantité  de  rassem- 
blés ,des  hameçons  à  trois  crochets;  et 
il  arrive  souvent  qu'ils  en  tirent  un  ou 
plusieurs  qui  s'y  trouvent  pris.  Depuis 
quelque  temps ,  on  se  sert ,  sur  quelques 
côtes  de  Norwège  ,  de  filets  à  pointes. 
Ils  sont  ordinairement  de  vingt  brasses 
de  long  et  d'une  de  haut  :  les  mailles 


BE    LA     MORUE.         177 
ont  trois  pouces  en  carré  ,  et  on  les 
laisse  tomber  clans  une  profondeur  de 
soixante-dix  brasses.  Un  bateau  monté 
de  six  hommes,  porte  ,  dans  un  temps 
orageux ,  dix-huit  filets  de  cette    es- 
pèce, et  vingt-quatre  parle  calme  :  ce- 
pendant il  arrive  assez   souvent  qu'il 
s'en  perd  quelques  -  uns  ,  parce  qu'ils 
sont  entraînés  parles  tempêtes  ou  par 
les  gros  animaux  marins.  On  tend  ces 
filets  le  soir ,  et  on  les  lève  le  matin 
ordinairement  avec  une  proie  de  trois 
à  cinq  cents  poissons.  Quelqu'avanta- 
geuse  que  parût  cette  pêche  dans  les 
comraencemens,  on  s'apperçut  bientôt 
qu'elle  étoit  réellement  très-désavan- 
tageuse-, car  les  poissons  ont  entière- 
ment quitté  les  endroits  où  on  les  a 
péchés  ainsi  ,  et  les  habitans  de  plu- 
sieurs côtes  les  ont  perdus.  Telle  est  , 
par  exemple  ,  la  paroisse  de  Roeden 
près  de  Trœnen  -,  il  y  avoit  autrefois 
une  pêche    si  considérable  ,    qu'on   y 
venoit  de  plusieurs  contrées  du  Nord  f 


178      HISTOIRE   NATURELLE 

et  qu'un  bateau  rrionté  de  quatre  hom- 
mes ;  rapportoit  quatre  à  six  mille 
poissons  ;  au  lieu  qu'à  présent  un  pa- 
reil bateau  en  rapporte  à  peine  six  à 
sept  cents.  La  raison  de  cette  diminu- 
tion vient  sans  doute  de  ce  que  les 
poissons  sont  interrompus  dans  leur 
frai ,  et  que  les  filets  détruisent  les 
poissons  avec  les  millions  de  petits 
qu'ils  devroient  produire.  Les  Norwé- 
giens  ont  éprouvé,  dans  la  pèclie  de  la 
morue  ,  les  mêmes  dommages  que  la 
pêche  des  filets  étroits  a  fait  éprouver 
dans  certains  endroits  aux  Suédois  et 
aux  Prussiens  pour  la  pêche  des  ha- 
rengs. Il  n'en  est  pas  de  même  de  la 
pêche  à  l'hameçon  ;  elle  n'empêche  pas 
le  poisson  de  reproduire  tranquille- 
ment son  espèce. 

Les  bateaux  dont  on  se  sert  pour  cette 
pêche  ,  sont  de  différentes  grandeurs. 
Les  côtiers  se  servent  ordinairement 
de  canots  ,  où  l'on  peut  mettre  trois  à 
quatre  hommes.  Mais  ceux  qui  vieil- 


DE  LA  MORUE.  1 79 
nent  des  contrées  éloignées  pour  faire 
cette  pêche,  ont  des  bâtimens  depuis 
quarante  jusqu'à  cent  cinquanle  ton- 
neaux, sur  lesquels  sont  depuis  quinze 
jusqu'à  trente  hommes.  Selon  l'éloi- 
gnement  des  lieux  d'où  ils  viennent , 
ils  sont  pourvus  de  vivres  pour  deux 
jusqu'à  huit  mois,  et  ont  une  provision 
suffisante  de  sel  de  mer  pour  saler  le 
poisson ,  de  tonnes  pour  le  mettre  et 
pour  garder  le  foie  ;  de  petits  barils  pour 
mettre  les  oeufs,  la  vésicule  aérienne 
et  la  langue  ,  et  du  bois  pour  la  prépa- 
ration de  la  morue  sèche.  Un  vaisseau 
de  quatre-vingt-dix  tonneaux  ou  lasts 
porte-  dix -neuf  personnes,  et  un  de 
cent  cinquante,  vingt -cinq  à  trente 
personnes.  Ceux  des  Hollandais  et  des 
Français  sont  ordinairement  de  soi- 
xante-dix jusqu'à  cent  vingt  tonnes  ; 
leurs  lignes  sont  plus  courtes  et  moins 
fortes  que  celles  dont  se  servent  les 
Norwégiens.  Ceux-ci  les  font  de  chan- 
vre fin ,  afin  de  les  rendre  plus  fortes  y 


180      HISTOIRE    NATURELLE 
et  qu'elles  ne  soient  pas  si  difficiles  à 
diriger.  Lorsque  les  crochets  des  hame- 
çons sont  d'acier,  ils  entrent  plus  aisé- 
ment dans  le  poisson  ;  mais  ils  cassent 
aussi  d'autant  plus  aisément  lorsqu'ils 
tombent  sur  un  fond  de  rocher  :  voilà 
pourquoi  on  se  contente  de  les  acérer. 
On  prend  pour  appât  toutes  sortes 
de  petits  poissons,  sur-tout  le  hareng 
et  le  capelau  à  Terre-Neuve.  Au  défaut 
d'appât  frais ,  on  prend   des  harengs 
salés  ,  des  maquereaux  et  des  orphies. 
Cependant  on  fait  bien  de  les  faire  des- 
saler auparavant.  On  se  sert  aussi  pour 
le  même  usage  de  la  viande  gâtée  dans 
le  bateau.  La  morue  mord  sur -tout 
aux  poissons  fiais,  aux  coquillages  de 
moules,  écrevisses,  et  aux  morceaux 
de  crabes.  Par  cette  raison  ,  les  Anglais 
entretiennent  toujours  à  Terre-Neuve 
quelques   bateaux   pour  prendre  des 
poissons  frais  destinés  à  servir  d'appât. 
On  emploie  sur -tout  aussi  pour  cela 
les  petites  morues ,  à  cause  de  leur  peu 


DE    LA    MORUE.  l8l 

de  valeur.  Faute  d'appât,  ou  se  sert 
d'un  poisson  de  plomb  fondu  ,  de  drap 
rouge,  et  de  poissons  à  moiLié  digérés, 
que  l'on  trouve  dans  l'estomac  de  ceux 
que  l'on  a  pris.  Quand  la  pêche  ne 
réussit  pas ,  il  faut  sacrifier  quelques 
morues  j  parce  que  ce  poisson  est  très- 
avide  de  chair  fraîche  et  encore  sai- 
gnante. Les  Islandais  prennent  aussi 
pour  cela  le  cœur  des  oiseaux  aqua- 
tiques ,  et  les  Norwégiens  l'éperlan  de 
mer  et  la  sèche  ;  car  ,  quand  l'éperlan 
et  la  sèche  vont  vers  les  bords  pour 
frayer,  ils  sont  toujours  suivis  .d'une 
grande  foule  de  morues.  Il  en  est  do 
même  en  Amérique  lorsque  le  capelan 
paroît  dans  la  même  intention;  car  la 
morue  poursuit  ces  poissons  par -tout  : 
voilà  pourquoi  on  les  prend  aussi  pour 
appât.  Lorsqu'un  bateau  est  suffi- 
samment fourni  d'appât ,  et  qu'il  ren- 
contre par  un  beau  temps  une  contre© 
poissonneuse  ,  ce  qui  arrive  ordinaire- 
ment vers  les  bancs ,  où  l'on  trouve 
Poissons,  I.  16 


lS'J  HISTOIRE  NATURELLE 
beaucoup  de  moules  et  d'écrevisscs  ;  un 
tel  bateau,  dis -je,  monté  de  quatre 
hommes,  peut,  dans  l'espace  de  vingt- 
quatre  heures,  faire  une  pêche  de  qua- 
tre à  six  cents  morues  ;  et  quand  le 
tempsestbeaupendantl'espacededeux 
ou  trois  semaines  ,  on  peut  compter 
sur  une  prise  de  cinq  à  six  mille. 

On  pêche  ce  poisson  presque  pendant 
toute  l'année  en  Norwège,  en  Angle- 
terre et  en  Amérique.  Mais  le  temps 
où  on  le  prend  en  plus  grande  quantité 
sur  les  côtes  de  Norwège  et  d'Islande, 
c'est  depuis  février  jusqu'à  la  fin  de 
mars,  etmême  jusqu'au  milieu  du  mois 
d'avril.  En  Amérique,  la  plus  grande 
pèche  se  fait  en  mai  et  juin.  Depuis  le 
mois  de  juillet,  ildisparoît,  etreparoît 
en  septembre.  Mais  comme  dans  ce 
temps,  les  eaux  de  ce  pays  sont  cou- 
vertes de  glaces,  la  pêche  est  incertaine 
pour  les  Européens. 

Dans  le  Nord,  il  s'assemble  pour  la 
pêche  de  la  morue ,  quatre  à  cinq  mille 


DE     LA     MORUE.  l83 

hommes,  composés  de  Normands,  Da- 
nois ,  Suédois  ,  Hambourgcois  ,  Hol- 
landais et  Français.  Les  Hollandais 
sont  ceux  qui  en  tirent  le  plus  de  profil  ; 
car,  comme  ils  préparent  et  mettent 
leurs  morues  dans  les  tonnes  avec  plus 
de  soin ,  elles  sont  toujours  meilleures 
que  celles  des  autres  nations.  Mais 
comme  il  est  défendu  à  eux,  aussi  bien 
qu'aux  autres  nations,  de  faire  sécher 
Je  poisson  dans  le  pays,  ils  en  salent  une 
grande  partie ,  et  n'en  pendent  que  peu 
à  des  perches ,  qui  sont  sur  les  vais- 
seaux ,  pour  les  faire  sécher. 

La  manière  de  préparer  ce  poisson 
pour  le  conserver,  consiste  en  partie 
à  le  faire  sécher  à  l'air,  en  partie  à  le 
saler ,  ou  faire  l'un  et  l'autre.  La  pre- 
mière manière  fait  ce  qu'on  appelle  au 
Nord  stockfisch  (morue  sèche)  ;  la  se- 
conde ?  laberdan  (morue  salée  )  ;  et  la 
troisième,  klippfischs  (morue blanche). 
Les  Islandais,  dont,  le  poisson  est  pres- 
que la  seule  nourriture  ,  tâchent  d'en 


l84  HISTOIRE  NATURELLE 
prévenir  la  disette  lorcqu'ils  l'ont  en 
abondance  :  ils  le  font  sécher ,  et  le  don- 
nent alors  sons  le  nom  commun  de 
stockfisch.  Voici  comme  ils  l'accommo- 
dent. Lorsque  les  hommes  ont  débar- 
qué avec  leur  prise ,  ils  la  jettent  sur  le 
rivage.  Les  femmes  coupent,  aussi- tôt 
la  tête  du  poisson  ,  lui  ouvrent  le  ven- 
tre ,  et  après  en  avoir  tiré  les  entrailles , 
elles  fendent  le  dos  en  dedans,  et  ôtent 
l'épine  du  dos  ,  excepté  les  trois  der- 
nières vertèbres.  Ensuite  elles  font 
cuire  les  têtes  pour  les  manger,  et  les 
hommes  prennent  les  ouies  pour  leur 
servir  d'appât.  On  fait  sécher  les 
arêtes ,  et  on  s'en  sert  pour  faire  dufeu, 
ou  on  les  donne  à  manger  aux  bestiaux. 
Ils  amassent  les  foies  à  part ,  pour  en 
faire  de  l'huile.  Lorsque  les  hommes  se 
sont  reposés  et  récréés  en  buvant  de 
l'eau-de-vie  ,  ils  portent  les  poissons 
ainsi  fendus  dans  des  endroits  où  il  y 
a  des  rochers  ;  là  ,  ils  les  étendent,  et 
les  laissent  jusqu'à  ce  que  le  vent  les 


DE    LA    MORUE.         l85 

ait  tout-à-fait  sécliés  ;  ce  qui  arrive  or- 
dinairement dans  l'espace  de  trois  se- 
maines ou  un  mois.  Mais  quand  il  souffle 
un  grand  vent  du  nord ,  il  ne  faut  que 
trois  à  quatre  jours. 

Dans  les  endroits  où  il  n'y  a  point  de 
rochers  ,  et  où  le  terrein  est  un  peu 
sablonneux  ,  ils  font  un  lit  de  pierres, 
qu'ils  assemblent  les  unes  près  des  au- 
tres; ensuite  ils  y  mettent  les  poissons 
tournés  sur  le  côté  intérieur ,  afin  que 
la  chair  soit  à  l'abri  de  la  pluie  ,  qui  la 
gâte.  On  assemble  en  tas  les  poissons 
sécliés  de  cette  manière  ,  et  on  les  laisse 
à  l'air  jusqu'à  ce  qu'on  trouve  occasion 
de  les  vendre. 

La  préparation  de  ce  poisson  chez 
les  Norwégiens  diffère  de  celle  des  Is- 
landais ,  en  ce  quJils  y  ajoutent  du  sel. 
Après  leur  avoir  Ôté  la  tête  et  les  avoir 
vidés  ,  ils  les  mettent  dans  un  grand 
tonneau  garni  de  sel  de  France  •,  et  huit 
jours  après  ils  les  mettent  par  tas  sur 
un  gril,  pour  faire  écouler  la  saumure 


1 86      HISTOIRE    NATURELLE 

et  le  sang.  Après  cela  ,  ils  les  frottent 
de  sel  d'Espagne  ;  puis  ils  les  pressent 
fortement  dans  un  tonneau  pour  les 
vendre  sous  le  nom  de  laberdan  ,  ou  ils 
les  font  sécher  sur  les  rochers,  et  ce 
sont  alors  les  klippfischs.  On  fend  les 
gros  j  afin  que  le  sel  y  pénètre  mieux; 
mais  ou  ouvre  seulement  le  ventre  aux 
petits.  Ils  les  font  aussi  sécher  sur  des 
perches.  Toutes  ces  espèces  sont  por- 
tées à  Bergen  ,  d'où  on  les  envoiedans 
toutes  les  contrées  de  l'Europe.  Les 
têtes  se  mangent  dans  le  ménage,  et 
dans  les  contrées  où  le  fourrage  man- 
que, on  les  donne  aux  animaux.  Les 
habitans  du  Nord  font  sécher  ces  tètes 
sur  le  rivage ,  et  les  mêlent  ensuite  avec 
des  plantes  marines  ,  qu'ils  donnent  à 
leurs  bestiaux.  Les  vaches  qui  man- 
gent cette  nourriture ,  donnent  infini- 
ment plus  de  lait  que  celles  qu'on  nour- 
rit de  paille  et  de  foin. 

Comme  la  vésicule  aérienne  de  ce 
poisson  est  très-gluante,  les  Islandais 


DE    LA     MORUE.  187 

en  font  une  colle  qui  approche  beau- 
coup pour  la  qualité  de  la  colle  de 
Russie.  Ils  la  font  de  la  manière  sui- 
vante. Après  avoir  laissé  en  tas  les  épi- 
nes du  dos  avec  les  vésicules  aériennes 
quiy  sont  attachées,  jusqu'à  ce  qu'elles 
soient  près  de  se  corrompre ,  on  les  met 
sur  un  bloc ,  et  on  bat  les  vertèbres 
jusqu'à  ce  que  les  vésicules  se  déta- 
chent, aussi  bien  que  les  bandes  qui  les 
attachent  aux  vertèbres  ,  et  qu'on  ap- 
pelle poches.  Ensuite  on  coupe  les  vé- 
sicules ,  on  les  met  sur  une  table  ou  un 
bloc ,  sur  lequel  on  a  cloué  une  brosse 
rude  ,  qui  sert  à  nettoyer  le  couteau 
dentelé  dont  on  se  sert  à  gratter  la  pre- 
mière peau  des  vésicules  et  des  bandes. 
Les  vésicules  étant  alors  nettoyées,  on 
les  met  pour  un  certain  temps  dans 
de  l'eau  de  chaux,  afin  d'en  détacher 
entièrement  les  parties  graisseuses  qui 
pourroient  y  être  restées  encore  ;  en- 
suite on  les  rince  dans  de  l'eau  claire  -, 
puis  on  les  fait  sécher  j  après  quoi  on 


188      HISTOIRE    NATURELLE 
peut  s'en  servir  comme  de  l'autre  colle 
de  poisson.  A  Terre-Neuve  ,  on  a  tâché 
de  faire  la  même  chose  ;  mais  comme 
on  manquoit  de  temps  et  de  place  pour 
toutes  ces  préparations  ,  on  sale  les  vé- 
sicules ,  et  on  les  garde  pour  l'occasion , 
ou  bien  on  les  mauge.  Quand  on  veut 
en  faire  de  la  colle,  il  faut  les  dessaler 
dans  de  l'eau.  Les  vésicules  les  plus 
épaisses  sont  les   plus  propres   à  cet 
usage ,  quoique  la  colle  qu'on  en  tire  ne 
soit  pas  si  claire  que  celle  des  vésicules 
minces.  Les  Norwégiens  mangent  la 
vésicule  aérienne  fraîche  ,  ou  la  font 
sécher  pour  la  vendre  :  ils  la  nomment 
sunde-maver ,    c'est-à-dire  stomacale  , 
parce  qu'ils  croient  qu'elle  est  saino 
pour  l'estomac.  Outre  cela,  à  Terie- 
Neuve  ,  on  tire  encore  parti  de  la  lan- 
gue; on  la  mange  fraîche  ou  on  la  sale, 
et  on  l'emporte  pour  la  manger  comme 
un  morceau  délicat. 

Les  Norwégiens,  les  Islandais  et  les 
autres  nations  font  de  l'huile  avec  le 


DE  LA  MORUE.  189 
foie  :  car  quand  il  est  parvenu  à  un 
certain  degré  de  corruption  ,  les  par- 
ties huileuses  s'écoulent  d'elles-mêmes 
peu  à  peu.  On  préfère  cette  huile  à 
celle  de  baleine,  parce  qu'elle  conserve 
le  cuir  plus  long-temps  souple  ,  et  que 
lorsqu'elle  est  clarifiée  et  qu'on  la 
brûle  ,  elle  donne  moins  de  vapeur. 

On  rassemble  avec  soin  les  œufs;  on 
les  sale  ,  on  les  met  dans  de  petits  ton- 
neaux ,  et  on  les  vend  aux  Hollandais 
et  aux  Français.  Ces  derniers  ,  aussi 
bien  que  les  Espagnols ,  ne  peuvent 
s'en  passer  pour  prendre  les  sardelles 
et  les  anchois.  Ils  en  garnissent  les  filets 
destinés  à  prendre  ces  poissons.  On  ex- 
porte annuellement  de  Bergen  qua- 
torze à  seize  cargaisons ,  ou  vingt  à 
vingt-deux  mille  barils  de  ces  œufs. 
Chaque  baril  se  vend  à-peu-près  huit 
à  neuf  francs. 

Les  vaisseaux  qui  vont  en  Norwège 
et  à  Terre-Neuve  ,  partent  ordinaire- 
ment en  mars  ;  quelquefois  aussi  plutôt 


190  HISTOIRE  NATURELLE 
ou  plus  tard ,  selon  le  chemin  qu'ils  ont 
à  faire  ;  et  ils  reviennent  chez  eux  vers 
la  fin  de  septembre.  Dès  qu'ils  sont  ar- 
rivés à  l'endroit  de  la  pêche  ,  ils  font 
sur  le  vaisseau  une  galerie  qui  va  du 
grand  mât  jusqu'à  la  pouppe,  et  quel- 
quefois d'un  bout  à  l'autre  du  vaisseau. 
Cette  galerie  extérieure  est  garnie  de 
tonneaux  défoncés  par  un  bout ,  dans 
lesquels  les  matelots  se  mettent  ,  pour 
être  à  l'abri  des  injures  du  temps,  et 
leur  tête  est  couverte  d'un  toitassujetti 
aux  tonneaux.  Dès  qu'ils  détachent 
une  morue  de  l'hameçon,  ils  lui  coupent 
la  langue  j  ensuite  ils  la  donnent  à  un 
mousse  ,  qui  la  porte  au  videur.  Celui- 
ci  lui  coupe  la  tête,  lui  arrache  le  foie 
et  les  entrailles  ,  et  la  laisse  ensuite 
tomber  par  un  trou  sur  le  faux  tillac , 
où  le  préparateur  lui  ôte  l'épine  du 
dos ,  et  la  laisse  ensuite  tomber  par  un 
autre  trou  dans  un  endroit  où  on  la 
sale  et  la  met  en  tas.  Le  saleur  prend 
bien  garde  qu'il  y  ait  assez  de  sel  entre 


DE    LA    MORUE.  191 

les  couches  que  forment  ces  tas  ,  afin 
que  le  poisson  ne  vacille  point  ;  mais  il 
ne  faut  pas  qu'il  y  en  ait  trop.  Le  trop 
ou  le  trop  peu  de  sel  sont  également 
nuisibles  :  tous  les  deux  diminuent  la 
bonté  et  le  prix  de  la  morue. 

Dans  les  temps  anciens  comme  dans 
les  nôtres  ,  les  nations  étrangères  al- 
loient  sur  les  côtes  de  Norwège  et  d'Is- 
lande ,  pour  prendre  des  morues.  En 
ï368  ,  la  ville  d'Amsterdam  a  reçu  de 
la  couronne  de  Suède  ,  la  permission  de 
formera  cet  effet,  un  établissement  sur 
l'î!e  deSclionen.  Les  Anglais  pèchent 
aussi  la  morue  depuis  long-temps:  car 
nous  voyons  qu'en  i4i5  ,  Henri  V  fit 
faire  satisfaction  par  le  roi  de  Dane- 
marck  ,  à  quelques-uns  de  ses  sujets  , 
auxquels  on  avoit  fait  quelques  vio- 
lences dans  ce  royaume.  Dans  la  suite  , 
les  Anglais  perdirent  le  droit  dépêcher 
dans  ces  contrées  :  car  Elisabe  th  racheta 
de  la  couronne  de  Danemarck ,  pour 
ses  sujets  ?  la  permission  d'y  pêcher, 


ig'2       HISTOIRE    NATURELLE 

Mais  son  successeur  ayant  épousé  un© 
princesse  de  Danemarck  ,  les  Anglais 
usèrent  tant  de  cette  permission ,  qu'ils 
y  envoyèrent  annuellement  environ 
quinze  cents  vaisseaux. 

Les  Français  et  les  Hollandais  en- 
voient aussi  un  grand  nombre  de  vais- 
seaux à  cette  pêche  ;  et  cependant 
toutes  ces  nations  laissent  encore  assez 
de  poisson  pour  que  les  Islandais  en 
tirent  la  plus  grande  partie  de  leur  en- 
tretien, et  que  leslSorwégiens,  comme 
nous  l'avons  dit ,  en  tirent  tous  les  ans 
quelques  tonnes  d'or. 

Quelque  considérable  que  soit ,  dans 
le  Nord  ,  la  pêche  de  la  morue ,  elle 
n'est  pourtant  pas  comparable  à  celle 
qu'on  fait  dans  l'Amérique  septentrio- 
nale ,  et  sur-tout  sur  le  grand  banc  de 
Terre-Neuve  (a).  Cette  pêche  doit  être 


(1)  Ce  banc  a  cent  soixante  milles  d'Alle- 
magne de  long ,  quatre-vingt-dix  de  large  et 
*st  situé  entre  le  quarante-troisième  et  le 


DE     LA     MORUE.         1  q3 

bien  importante  pour  les  Anglais  puis- 
qu'ils y  emploient  quinze  à  vingt  mille 
marins  ,  sans  compter  ceux  qui  s'oc- 
cupent de  la  construction  des  vais- 
seaux ,  desinstrumens,  etc.  Un  autre 
avantage  que  cette  nation  en  retire  , 
c'est  qu'ils  gagnent  encore  des  sommes 
considérables  par  les  exportations  qu'ils 
font  en  Portugal  ,  en  Espagne  et  en 
Italie.  Outre  cela  ,  ces  matelots  ne  lais- 
sent pas  que  de  faire  de  bons  soldats  en 
temps  de  guerre. 

On  voit  par  une  requête  que  les  mar- 
chands anglais  présentèrent  en  1763 
au  gouvernement ,  quel  étoit  alors  l'état 


quarante-cinquième  degré  de  latitude  sep- 
tentrionale. Mais  les  bancs  où  se  fait  par- 
ticulièrement la  pêche,  ont  cent  lieues  de 
long  et  soixante  de  large.  La  profondeur 
varie  depuis  quinze  jusqu'à  soixante  bras- 
ses. Le  fond  est  couvert  de  rochers  ,  et  l'eau 
y  est  dans  une  agitation  continuelle  ,  à 
cause  de  la  diversité  de  la  direction  descou- 
rans  qui  s'y  trouvent. 

Poissons.  I.  17 


194      HISTOIRE   NATURELLE 
brillant  de  la  pêche.  Selon  eux,  on  y 
employoit   cent  cinquante   vaisseaux 
d'autant  de  tonnes  chacun  ,  et  quinze 
cents  plus  petits,  sans  compter  les  trois 
cents  bâtimens  marchands  qui  portent 
l'huile  et  le  poisson  dans  le  royaume 
d'une  ville  à  l'autre.  Un  schoner  de 
cinquante  à  soixante-dix  tonnes  ,  con- 
tient  ordinairement   huit    cent   cin- 
quante quintaux  ;  une  chaloupe  trois 
cents  ,  et  les  plus  petits  bâtimens  deux 
cents.  Ainsi  l'on  peut  compter  que  ces 
bâtimens  mènent  l'un  portant  l'autre 
quatre  cent  cinquante    quintaux.   Le 
quintal  du  meilleur  poisson  ,  pris  sur  la 
place,  coûte  environ  i4  liv.  de  France  -, 
de  la  moyenne  qualité,  10  liv.,  et  le 
rebut  6  liv.  Or  la  pèche  produit  deux 
cinquièmes  de  grands  poissons,  autant 
de  moyens  ,  et  un  cinquième  de  petits. 
Le  quintal  de  ce  poisson  l'un  portant 
l'autre  ,  coûte  9  liv. 

Ainsi  le  prix  de  quinze  cents  petits 


DE    LA    MORUE.         iq5 
vaisseaux  seroit   de.  .  .     8,080,080  1. 

Les  foies  de  cent  quin- 
taux de  poisson  donnent 
une  pipe  d'huile ,  qui  vaut 
ordinairement  124  liv. 
Ainsi  quinze  cents  vais- 
seaux à  quatre  cent  cin- 
quante quintaux  chacun , 
font  soixante-sept  mille 
cinq  cents  tonneaux 
d'huile  ;  ce  qui  monte  à.       833,ooo  I. 

La  cargaison  d'un  vais- 
seau de  cent  cinquante 
tonnes,  vaut  7200  liv. 

Ainsi  la  valeur  de  cent 
cinquante  de  cette  espèce 
est  de 10,800,000  1. 


Lntout 19,713,0801. 

Mettons  l'un  portant  l'autre  dix 
hommes  sur  les  petits  bâlimens  ,  et 
vingt  sur  les  plus  grands  ,  nous  avons 
un  nombre  de  dix-huit  mille  marins; 
et  si  l'on  y  joint  ceux  qui  sont  sur  les 


lt)6  HISTOIRE  NATURELLE 
trois  cents  petits  vaisseaux  marchands, 
on  peut  compter  vingt  mille  hommes 
qui  servent  à  cette  pêche.  Et  tout  cela 
sans  compter  l'avantage  considérable 
que  les  Anglais  tirent  de  cette  pêche 
sur  leurs  propres  côtes. 

Tel  étoit  à-peu-près  en  Amérique 
l'état  de  la  pèche  avant  la  rupture  des 
colonies.  Mais  comme  celles-ci  font  ac- 
tuellement un  état  à  part;  qu'elles  ont 
non-seulement  la  liberté  de  pêcher  sur 
les  bancs  de  Terre-Neuve ,  et  qu'on  a 
aussi  cédé  à  cette  fin  aux  Français  une 
contrée  dans  l'Amérique  septentrio- 
nale ,  cette  branche  de  commerce  ne 
doit  plus  tant  rapporter  aux  Anglais. 
Les  Américains  y  gagnent  beaucoup  *, 
car  la  seule  ville  de  Boston  prend  an- 
nuellement dans  le  golfe  de  Massachu- 
set  cinquante  mille  quintaux  de  ces 
poissons. 

La  pêche  de  Terre-Neuve  est  aussi 
très  -  avantageuse  aux  Français.  En 
1768,  ils  y  envoyèrent  cent  quatorze 


DE    LA     MORUE.         197 
vaisseaux  ,  qui  portent  en  tout  quinze 
mille     cinq  cent   quatre-vingt-dix 
tonnes.  Chaque  vaisseau contenoit  l'un 
portant  l'autre  six  mille  poissons  \  de 
sorte    que  toute  la  pêche   montoit  à 
vingt-quatre  millions   et  soixante-six 
mille  poissons  ,  ou  cent  quatre-vingt- 
douze  mille  cinq  cent  vingt-huit  quin- 
taux. Or  en  comptant  que  le  quintal  se 
vend  en  France    au  prix  moyen   de 
16  liv.  9  sous  et  9  deniers  ,   le  tout 
monte  à  3,i74,3o5  liv.  8  sous.  Si  ces 
poissons    fournissent  outre  cela  dix- 
neuf  cent  vingt-cinq tonneauxd'huile, 
le  tonneau   compté  à    120  liv.  ,   cela 
monte  à  23 1,000  liv.  Et  comme  outre 
cela ,  les  Français  pèchent  sur  les  côtes 
d'Islande  et  dans  la  Manche  ,  on  peut 
juger  le  profit  que  ce  poisson  procure 
à  ce  royaume.  Cependant  cette  grande 
quantité  ne  suffit  pas  pour  les  Français 
dans  le  carême  ;car  les  Hollandais  leur 
en  vendent  encore  considérablement. 
Selon  Anderson  ,  c'est  en  i53o  que 


ig8  HISTOIRE  NATURELLE 
les  Français  envoyèrent  le  premier 
vaisseau  à  la  pêche  de  Terre-Neuve  ; 
et  en  1578  ,  ils  y  en  envoyèrent  déjà 
un  très- grand  nombre.  Il  s'en  trouva 
cent  de  l'Espagne  qui  portoient  en- 
semble cinq  à  six  mille  tonnes  \  du  Por- 
tugal cinquante  à  trois  mille  tonnes  ; 
de  la  France  cent  cinquante  à  sept 
mille  tonnes ,  et  de  l'Angleterre  trente 
à  cinquante  tonnes.  Mais  lorsque  les 
Anglais  se  furent  de  plus  en  plus  éten- 
dus dans  les  provinces  septentrionales 
du  Nouveau-Monde  ,  ils  détournèrent 
insensiblement  les  autres  nations  de 
cette  pêche  ,  et  ils  firent  tant  que  les 
Espagnols  même  ,  qui  ne  sauroient  se 
passer  de  ce  poisson  ,  à  cause  de  la 
grande  quantité  de  monastères  qui 
sont  dans  le  royaume ,  se  virent  obligés 
de  renoncer  eux-mêmes  au  droit  de 
la  pêche.  Ils  ne  la  permirent  qu'aux 
Français  seuls;  mais  comme  ils  avoient 
peu  de  place  pour  faire  sécher  leurs 
poissons  sur  terre,  ils  se  virent  obligés, 


DE    LA    MORUE.         199 

pour  les  garantir  de  la  corruption  ,  d'y 
mettre  une  fois  autant  de  sel  que  les 
Anglais  ]  ce  qui  les  a  rendus  moins  bons. 
Les  Anglais  ,  au  contraire ,  font  trem- 
per pendant  quelque  temps  leurs  pois- 
sons dans  une  forte  saumure  ,  et  les 
mettent  ensuite  à  terre  pour  les  faire 
sécher  à  l'air  ;  de  sorte  qu'avec  moitié 
moins  de  sel  ,  ils  se  gardent  bien 
mieux  que  ceux  des  Français. 

On  s'étonne  avec  raison  de  la  pro- 
digieuse quantité  de  morues  ,  qui  ,  de- 
puis plusieurs  siècles  ,  ont  été  prises 
par  les  hommes.  Celle  qui  est  dévorée 
par  les  poissons  voraces  et  par  les  mo- 
rues elles-mêmes  ,  est  assurément  aussi 
grande  ,  et  peut-être  plus  grande  en- 
core. Selon  Horebow  ,  les  Islandais 
trouvèrent  dans  l'estomac  d'une  ba- 
leine six  cents  morues  vivantes,  sans 
compter  les  autres  animaux.  Mais  si 
nous  considérons  la  quantité  d'oeufs 
que  le  créateur  a  donnée  à  cette  es- 
pèce ?  nous  ne  devons  pas  craindre  de 


200      HISTOIRE    NATURELLE 

la  voir  détruire, tant  qu'on  se  bornera 
à  la  pêche  à  l'hameçon.  Levenhoek  fait 
monter  à  neuf  millions  trois  cent  qua- 
rante-quatre mille  le  nombre  des  œufs 
d'une  morue  moyenne  :  Brandley  n'en 
compte  que  quatre  millions;  mais  cette 
quantité  est  bien  suffisante  pour  répa- 
rer ce  que  la  pêche  enlève  ,  si  l'on  con- 
sidère la  grande  quantité  de  poissons 
qui  frayent  tous  les  ans. 

La  morue  n'a  pas  la  vie  dure  ;  elle 
meurt  dès  qu'elle  sort  de  l'eau  salée, 
ou  qu'on  la  fait  passer  dans  une  eau 
douce.  Comme  elle  est  d'un  bien  meil- 
leur goût  quand  on  la  mange  fraîche  , 
les  pêcheurs  hollandais  tâchent ,  par 
le  moyen  de  vaisseaux  troués ,  de  la 
mener  en  vie  dans  les  grandes  villes 
maritimes.  Les  matelots  anglais  savent 
percer   avec  une   épingle  la  vésicule 
aérienne  ;  ce   qui  oblige  le  poisson  à 
se    tenir    dans   le    fond   du   vaisseau 
troué,  et  lui  conserve  la  vie  plus  long- 
temps. 


DE    LA     MORUE.         20  L 

Ce  poisson  est  connu  sous  différens 
noms.  On  le  nomme  : 
Kabeljau ,  en  Allemagne  et  en  Dane- 

marck  -y 
Stockfisch  ,  quand  il  est  séché  ; 
Laberdan ,  quand  il  est  salé  ; 
Klippfisch  ,  quand  il  est  salé  et  séché. 
Klabbe-TorsketBolch ,  Cabliau,  Skrey, 

Sild-Torsk  ,    Vaar-Torsk ,  en  Nor- 

wège. 
Torskur  et  Kahlau  ,  en  Islande. 
Saraudlirksoak  et   Ekalluarksoak  }    en 

Groenland. 
Vaar-Torsk  ,  Skrey ,  en  Lapouie. 
Kabbelja ,  en  Suède. 
Cabiljau  ,  en  Hollande. 
Cabillaud  ,  Bacaillou  ,  en  Flandre. 
Codfish  ,   Keeling  ,    Melwel ,   Stokfish  , 

Haberdine  ,  Greenfish  et  Barrel-Cod , 

en  Angleterre. 
Morue  ou  Molue  ,  en  France. 

L'estomac  de  la  morue  est  grand  ,  et 
il  y  a  au  commencement  du  canal  in- 
testinal six  appendices  qui  se  divisent 


202  HISTOIRE  NATURELLE 
en  plusieurs  branches.  Le  foie  est  d'un 
rouge  pâle  ,  et  consiste  en  trois  lobes. 
La  rate  est  d'une  couleur  noirâtre  ,  et 
est  alongée.  Les  rognons  sont  à  l'épine 
du  dos ,  le  long  de  la  cavité  du  ventre  , 
et  finissent  en  une  vessie  longue.  La 
laite  et  l'ovaire  sont  doubles.  Baster  a 
trouvé  parmi  ces  poissons  des  herma- 
phrodites. Je  conserve  dans  mon  cabi- 
net une  carpe  et  une  petite  perche  , 
qui  ont  la  laite  d'un  côté  et  l'ovaire 
de  l'autre. 

LE  MERLAN,  gadus  merlangus. 

La  couleur  argentine  qui  brille  sur 
tout  le  corps  de  ce  poisson,  excepté  sur 
le  dos  ,  l'avancement  de  la  mâchoire 
supérieure  et  le  manque  de  barbillons 
à  la  mâchoire  inférieure,  sont  des  ca- 
ractères sufïisans  pour  distinguer  ce 
poisson  des  autres  du  même  genre.  On 
trouve  sept  rayons  à  la  membrane  des 
ouies,  vingt  à  la  nageoire  de  la  poitrine. 


J'o/n  .  1 . 


JJ<{</e    102 . 


1  /LK.  MURI  AN  .  2  .  LE  COLTN  -  3  JLEIJEU 


\aj.  >... 


DU     MERLAN.  2o3 

six  à  celle  du  ventre  ,  trente  à  la  pre- 
mière nageoire  de  l'anus  ,  vingt  à  la 
seconde  ,  trente-uu  à  celle  de  la  queue, 
seize  à  la  première  du  dos  ,  dix-huit  à 
la  seconde  et  dix-neuf  à  la  troisième. 

Le  merlan  a  le  corps  alongé ,  et  cou- 
vert de  petites  écailles  rondes,  minces 
et  argentines.  La  tête  finit  en  pointe  , 
et  les  yeux  dans  le  voisinage  desquels 
se  trouvent  les  narines  ,  sont  ronds  et 
ont  une  grosse  prunelle  noire ,  entou- 
rée d'un  iris  argentin.  La  mâchoire  su- 
périeure est  garnie  de  plusieurs  ran- 
gées de  dents ,  dont  les  antérieures  sont 
les  plus  longues  ,  et  l'inférieure  n'a 
qu'une  rangée  de  dents.  Dans  le  palais , 
en  devant,  on  trouve  de  chaque  côté 
un  os  triangulaire ,  dans  la  gorge  ,  deux 
os  ronds  en  bas,  et  en  haut ,  deux  os 
longs  et  raboteux.  "A  la  mâchoire  infé- 
rieure ,  on  apperçoit ,  de  chaque  côté , 
neuf  à  dix  points  enfoncés.  Le  dos  qui 
est  olivâtre,  a  une  forme  ronde  comme 
le  ventre.  Les  côtés  sont  un  peu  com- 


204  HTSTOÏRE  NATURELLE 
primés ,  et  l'anus  est  plus  près  de  la  tête 
que  de  la  queue.  La  ligne  latérale  a  une 
direction  droite,  et  l'on  remarque  une 
tache  noire  au  commencement  des  na- 
geoires pectorales.  Toutes  les  nageoires 
sont  blanches  ,  excepté  celles  de  la  poi- 
trine et  de  la  queue  qui  ont  une  cou- 
leur noirâtre. 

Ce  poisson  habite  la  mer  Baltique  et 
celle  du  Nord  ;  cependant  on  ne  le 
trouve  qu'en  petite  quantité  dans  la 
première  :  mais  il  paroît  en  abondance 
sur  les  côtes  de  Hollande  ,  de  France 
et  d'Angleterre.  11  est  ordinairement 
long  d'un  pied  :  on  n'en  trouve  que  fort 
peu  qui  ait  un  pied  et  demi,  et  très- 
rarement  de  deux.  Cependant,  sur  le 
banc  de  Dogger ,  on  en  prend  qui  pè- 
sent depuis  quatre  jusqu'à  huit  livres. 
Ce  poisson  se  tient  dans  le  fond  de  la 
mer,  et  vit  de  petites  écre visses,  de 
vers  et  de  jeu  nés  poissons.  On  trouve 
sur-tout  dans  son  estomac  des  sprats 
et  de  jeunes  harengs.  Les  pêcheurs  se 


DU     MERLAN.  205 

servent  aussi  de  ces  poissons  en  guise 
d'appât;  et  au  défaut  de  petits  pois- 
sons ,  ils  prennent  des  morceaux  de 
hareng  frais  ou  dessalé  ;  et  un  seul 
suffit  pour  garnir  huit  à  dix  hameçons. 
Comme  ce  poisson  se  tient  sur -tout 
dans  le  fond,  la  ligne  de  fond  est  le 
principal  instrument  dont  on  se  serve 
pour  le  pêcher  ;  elle  a  ordinairement 
soixante-quatre  brasses  de  long,  et  est 
garnie  de  cent  à  deux  cents  hameçons. 
Un  vaisseau  qui  va  à  la  pêche,  jette 
vingt  lignes  de  cette  espèce,  garnies 
de  quatre  mille  hameçons ,  et  on  les 
laisse  au  fond  pendant  l'espace  de  deux 
à  trois  heures.  La  plus  grande  pêche 
se  fait  sur  les  côtes  de  France,  depuis 
décembre  jusqu'en  février  ;  mais  sur 
celles  de  Hollande  et  d'Angleterre , 
elle  se  fait  dans  l'été.  Ce  poisson  paroît 
en  si  grande  quantité  sur  les  côtes  bri- 
tanniques ,  qu'on  le  voit  en  troupes 
longues  de  trois  milles  d'Angleterre , 
et  larges  d'un  et  demi.  Comme  on  lo 
Poissons.  I.  18 


20  a      HISTOIRE     NATURELLE 
prend  sur   ces  côtes  en  trop  grande 
quantité   pour  pouvoir  le  consommer 
dans  le  pays  ,  on  le  sale  ;  mais  comme 
alors  il  perd  beaucoup  de  la  délicatesse 
de  son  goût ,  on  le  garde  pour  le  man- 
ger dans  les  vaisseaux ,  et  alors  on  le 
nomme  buckthorn.  Outre  cela,  on  peut 
l'avoir  toute  l'année  ;    et    comme  il 
poursuit  ordinairement  le  hareng ,  il 
se  trouve  souvent  dans  les  filets  avec 
ce   dernier.    C'est  dans    le   temps  de 
cette  pêche  qu'il  est  le  meilleur ,  parce 
qu'il    s'engraisse    de   jeunes   harengs. 
En,  octobre  ,  les  oeufs  et  les  laites 
commencent  à  grossir ,  et  le  merlan 
fraie  depuis  la  fin  de  décembre  jus- 
qu'au commencement  de  février.  Vers 
ce  temps ,  sa  chair ,  qui  est  ordinaire- 
ment tendre,  blanche  et  de  bon  goût, 
devient  molle ,  fade  et  maigre.  La  chair 
de  ce  poisson ,  que  l'on  préfère  à  celle 
de  tous  les  autres  de  ce  genre  que  l'on 
trouve  dans  la  mer  du  Nord  ,  offre  une 
nourriture  fort  saine  aux  personnes 


DU     M  E  R  L  A  N.  207 

foibles  et  maladives.  Les  ennemis  du 
merlan  sont  tous  les  animaux  voraces 
qui  habitent  les  eaux  et  qui  peuvent 
le  prendre  :  cependant  il  multiplie 
beaucoup. 

Le  foie  est  blanchâtre ,  gros  dans  les 
poissons  gras,  petit  dans  les  maigres. 
Il  consiste  en  trois  lobes,  dont  l'un  est 
petit ,  et  l'autre  aussi  long  que  la  ca- 
vité du  ventre.  Le  canal  intestinal  a 
quatre  sinuosités,  et  plusieurs  appen- 
dices au  commencement.  La  rate  est 
triangulaire ,  et  est  placée  au-dessous 
de  l'estomac.  La  laite  et  l'ovaire  sont 
doubles.  On  trouve  cinquante- quatre 
vertèbres  à  l'épine  du  dos. 

Ce  poisson  est  connu  sous  différens 
noms.  On  le  nomme  : 
JVittling ,  en  Allemagne. 
Gadden ,  à  Heiligeland. 
Huidling ,  en  Danemarck. 
Blege ,   Vitling)  Bleiker,  Huitllng,  en 

Norwège. 
Whitinj* ,  en  Hollande  ; 


208      HISTOIRE    NATURELLE 
Molenaar ,  quand  il  est  encore  j  eune. 
Whiting)  en  Angleterre  ; 
Buckthorn ,  quand  il  est  séché. 
Merlan,  en  France. 

LE    COLIN,     G  AI)  US    CARBON ARIUS. 

La  bouche  noire,  la  ligne  latérale 
droite ,  étroite  et  blanche  ,  sont  les  ca- 
ractères distinctifs  de  cette  espèce.  On 
trouve  sept  rayons  à  la  membrane  des 
ouies ,  vingt-un  à  la  nageoire  de  la  poi- 
trine ,  six  à  celle  du  ventre  ,  vingt-cinq 
à  la  première  de  l'anus,  vingt  à  la  se- 
conde, vingt- six  à  la  queue,  quatorze 
à  la  première  nageoire  du  dos ,  dix- 
neuf  à  la  seconde ,  et  vingt  à  la  troi- 
sième. 

La  tête  est  étroite.  Aux  opercules 
des  ouies  et  au  ventre,  la  couleur  ar- 
gentine ressort  de  dessous  le  fond  noir, 
et  le  ventre  est  comme  entouré  d'un 
filet  de  points  noirs.  Les  autres  parties 
du  corps  et  de  la  tête  sont  d'un  noir 


DU     COLIN.  209 

luisant  \  couleur  d'où  il  tire  son  nom 
allemand  kœliler  (  charbonnier  ).  Ce- 
pendant on  ne  peut  le  dire  que  des 
vieux;  car  les  jeunes  sont  olivâtres  ou 
brunâtres  :  couleur  qui  tire  sur  le  noir 
avec  l'âge,  et  qui  enfin  devient  de  plus 
en  plus  foncée  ,  à  mesure  que  le  pois- 
son vieillit.  Le  manque  de  couleur  noire 
clans  les  jeunes,  estapparemment  cause 
des  différens  noms  qu'on  leur  donne  en 
Angleterre  suivant  leur  âge.  On  ap- 
pelle les  petits  paars  ,  et  ceux  d'un  an 
billets.  L'ouverture  de  la  bouche  est 
petite ,  et  les  deux  mâchoires  qui  sont 
garnies  de  dents ,  finissent  en  une 
pointe.  L'inférieure  est  la  plus  longue. 
La  langue  brille  d'une  couleur  argen- 
tine ;  l'iris  est  blanc,  et  on  trouve  une 
tache  noire  sur  chaque  côté.  Le  tronc 
est  couvert  d'écaillés  minces ,  rondes 
et  en  losange.  Sous  les  nageoires  de  la 
poitrine ,  on  trouve  une  tache  noire 
comme  du  charbon,  et  l'anus  est  plus 
près  de  la  tête  que  de  la  queue. 


210      HISTOIRE    NATURELLE 

Ce  poisson  habite  la  Baltique  et  la 
mer  du  Nord  ;  mais  aussi  on  le  trouve- 
en  très -grande  quantité  vers  la  partie 
septentrionale  de  l'Angleterre  et  les 
îles  Orcades,  où  il  reste  dans  les  fonds 
et  sur  les  côtes  de  rochers.  Ce  poisson 
parvient  à  la  grandeur  de  deux  pieds 
et  demi,  à  la  largeur  de  quatre  à  cinq 
pouces,  et  pèse  jusqu'à  trente  livres  et 
plus.  Son  frai  tombe  en  janvier  et  en 
février-,  car  j'ai  reçu  celui  que  je  décris 
ici  à  la  fin  du  mois  de  janvier.  Ses  œufs, 
de  la  grosseur  des  grains  de  millet ,  te- 
noient  si  peu,  qu'en  remuant  tant  soit 
peu  le  ventre ,  ils  sortoient  par  le  nom- 
bril. Les  petits  colins  paroissent  en 
grandes  troupes  sur  les  côtes  d'Angle- 
terre ,  au  commencement  de  juillet  ; 
et  alors  ils  sont  longs  d'un  pouce  et 
demi.  En  août ,  ils  ont  trois  pouces  et 
plus.  Alors  on  les  prend  à  la  ligne ,  et 
aussi  avec  un  filet  fin,  lorsqu'ils  vieii1- 
nent  sur  la  surface  de  Peau.  A  cet  âge  , 
ils  passent  pour  un  mets  délicat;  mais 


DU     COLIN.  211 

(jiiaiidils  ont  un  an  et  plus,  leur  chair 
est  dure  et  coriace ,  et  il  n'y  a  que  les 
gens  du  commun  qui  les  mangent.  On 
les  prépare  de  la  même  manière  que  la 
morue  ;  mais  comme  ils  n'ont  pas  un  si 
bon  goût,  on  les  donne  à  meilleur  mar- 
ché. Les  Islandais  ont  des  merlans  en 
si  grande  quantité  ,  qu'ils  méprisent 
celui-ci.  En  Norwège  ,  il  n'y  a  que  les 
pauvres  qui  le  mangent  ;  mais  on  fait 
de  l'huile  avec  son  foie. 

On  pêche  ce  poisson  en  grande  quan- 
tité pendant  toute  Tannée,  mais  sur- 
tout en  été  dans  le  temps  qu'il  poursuit 
le  sprat  ;  et  ce  poisson  est  le  meilleur 
appât  pour  l'attirer.  Outre  cela ,  on  se 
sert  aussi  de  la  peau  d'anguille  ,  que 
l'on  coupe  en  travers  de  la  largeur  de 
quatre  doigts.  On  en  prend  aussi  en 
grande  quantité  vers  le  cap  Nord,  où 
étant  poursuivi  par  la  baleine ,  il  vient 
se  rendre  tout  près  des  terres. 

On  sale  et  on  sèche  ce  poisson  comme 
la  morue.  Les  parties  intérieures  sont 


212      HISTOIRE    NATURELLE 

de  la  même  nature  que  celles  des  pré- 
cédera. 

Le   colin   est   connu  sous  différens 
noms.  On  le  nomme  : 
Kohler  et  Kohlmund,  en  Allemagne. 
Kollemisse,Kollemoder,  en  Danemarek. 
Kulmund  ,  Guld-Lax  ,  Kule-Mule  ,  en 

Norwège. 
Sey,  Graasey ,  Stifisk,  en  Islande. 
Coal-FishjRaw-Polack ,  en  Angleterre  , 
Paars,  quand  il  est  petit  ; 
Billet ,  quand  il  a  un  an. 
Colin  et  Morue  noire ,  en  France. 

LE  CAPELAN  ou  L'OFFICIER  , 

G  A  VU  S      MIN  U  TU  S. 

Ce  poisson,  qu'i  ne  devient  pas  plus 
long  que  six  à  sept  pouces  ,  diffère  des 
autres  poissons  de  ce  ^enre,  en  ce  que 
son  ventre  est  noir  en  dedans.  On 
trouve  sept  rayons  à  la  ûiembfané  des 
ouies  ,  quatorze  à  celles  de-  la  poitrine, 
six  à  celles  du  ventre  y  ving.t-cinq  à  la 


DU     C  A  F  E  L  A  N.  2 1  5 

première  de  l'anus,  dix-sept  à  la  se- 
conde ,  dix-huit  à  la  queue ,  douze  à  la 
première  nageoire  du  dos,  dix-neuf  à 
la  seconde  ,  et  vingt  à  la  troisième. 

Le  corps  du  capelaii  est  alongé  ;  sa 
tête  est  cunéiforme.  La  mâchoire  su- 
périeure est  plus  longue  que  l'infé- 
rieure, et  a  un  plus  grand  nombre  de 
rangées  de  dents  pointues  On  voit  à  la 
mâchoire  inférieure ,  un  barbillon  et 
divers  points  enfoncés.  Les  yeux  ronds 
ont  une  prunelle  noire  placée  dans  un 
iris  argentin,  et  sont  recouverts  d'une 
membrane  clignotante.  Les  joues  ,  les 
côtés  et  le  ventre  sont  argentins,  et 
garnis  de  points  noirs.  Le  dos  est  d  un 
jaune  brun;  la  ligne  latérale  est  étroite 
et  droite  ,  et  l'anus  est  au  milieu  du 
corps.  Les  écailles  sont  minces,  très- 
petites,    et  se  détachent   facilement. 
J'en  ai  fait  représenter  quelques-unes 
dans  leur  grandeur  naturelle,  et  une 
plus  grande   que   nature.   Tontes  les 
nageoires   sont    d'un   gris   blanc  ,   et 


4i2  HISTOIRE  NATURELLE 
celle  de  la  queue  est  un  peu  fourchue. 
Nous  trouvons  ce  poisson  dans  la  mer 
Baltique  et  la  mer  du  Nord  ;  mais  sur- 
tout dans  la  mer  Méditerranée.  Quand 
il  paroît  dans  la  première,  il  excite  la 
joie  des  pêcheurs,  parce  qu'il  leur  an- 
nonce une  pêche  abondaute  de  mo- 
rues ,  de  dorses  et  d'aigrefins;  de  sorte 
qu'ils  l'appellent  poisson- conducteur. 
Car ,  comme  il  est  petit  et  qu'il  va  en 
troupes ,  ces  animaux  voraces  le  sui- 
vent de  près,  et  deviennent  eux- 
mêmes  la  proie  des  hommes  qui  les 
épient.  L'officier  vit  dans  les  fonds  de 
petits  poissons,  de  coquillages,  d'escar- 
gots ,  d'écrevisses  et  de  vers  de  mer. 
Pour  frayer,  il  vient  dans  les  endroits 
unis ,  et  dépose  ses  œufs  entre  les  cail- 
loux et  les  plantes  marines.  Comme  ce 
poisson  est  petit ,  il  a  plusieurs  enne- 
mis dangereux  :  voilà  pourquoi  on  ne 
remarque  pas  qu'il  multiplie  beaucoup 
dans  nos  contrées. 

La  chair  de  ce  poisson  est  blanche 


DU     C  A  P  E  L  A  N.  2 1 5 

et  de  bon  goût.  Celui  que  je  repré- 
sente ici  m'a  été  donné  par  mon  ami 
M.  le  docteur  Walbaum ,  de  Lubec  : 
on  le  prend  comme  les  autres  pois- 
sons du  même  genre,  avec  la  ligne  de 
fond  et  les  filets. 

Le  péritoine  de  l'officier  est  noir  , 
et  l'extrémité  inférieure  de  l'estomac 
est  pourvue  de  plusieurs  appendices  : 
les  autres  intestins  sont  comme  ceux 
des  précédens. 

Ce  poisson  est  connu  sous  différens 
noms.  On  le  nomme  : 
Zwergdorsch  ,    Krumstert  ,    en    Alle- 


magne. 


Leitfisch ,  à  Sclileswig. 
Jœgerchen,  à  Dantzig. 
Ulfs-Skreppe  ,  enNonvège. 
Poor ,  en  Angleterre. 
Officier }  en  France. 
Capelan  ,  à  Marseille. 
Munkana  ;à  Malle. 


2l6       HISTOIRE    NATURELLE 

LE     T  AU  ,    G  A  D  U  S     TAU. 

Les  petits  barbillons  qui  sont  en 
quantité  à  la  mâchoire  inférieure  , 
font  le  caractère  distinctif  de  ce  pois- 
son. On  trouve  six  rayons  à  la  mem- 
brane des  ouies ,  vingt  à  la  nageoire  do 
la  poitrine  ,  six  à  celle  du  ventre  7 
quinze  à  celle  de  l'anus  ,  douze  à  la 
queue  ,  trois  à  la  première  nageoire  du 
dos,  et  vingt  à  la  seconde. 

La  tête  de  ce  poisson  est  grosse  , 
large  ,  et  applatie  du  haut  en  bas  ;  la 
mâchoire  inférieure  avance  sous  la  su- 
périeure ,  et  les  barbillons  dont  elle 
est  garnie  ,  forment  un  demi-cercle  ; 
les  deux  mâchoires  sont  armées  de 
dents  pointues  de  différente  longueur. 
A  la  mâchoire  inférieure  ,  elles  for- 
ment deux  rangées  ,  et  un  plus  grand 
nombre  à  la  supérieure.  Au  palais,  on 
remarque  aussi  deux  rangées  de  dents 
de  chaque  côté  j  la  langue  est  courte  , 


DU     TA  U.  217 

finit  en  pointe  ,  et  consiste  en  un  car- 
tilage  dur  -,   les    yeux    sont   grands  , 
avancent  hors  du  sommet  de  la  tête  , 
et  sont  recouverts  jusqu'à  moitié  d'une 
membrane  clignotante  :  la  prunelle  est 
noire,  et  l'iris  doré.   Entre  les  yeux, 
on  remaque  à  la  nuque  un  enfonce- 
ment  et  une  ligne  jaune  en  travers. 
Des  deux  côtés  des  yeux  ,  on  trouve 
deux  raies  de  petites  verrues,  qui  ont 
leur  direction  vers  le  menton  :  l'oper- 
cule des  ouies  consiste  en  deux  petites 
lames ,  qui  se    terminent    par    trois 
pointes.  La   membrane   des  ouies  est 
dégagée  ;  elle  est  grande  et  soutenue 
par  six  rayons  ;  la  tête  est  brune  ;  la 
tronc  et  les  nageoires  sont  de  la  même 
couleur,  avec  des  taches  blanches,  et 
le  ventre  est  d'un  blanc  sale  ;  l'anus  est 
un  peu  plus  près  de  l'ouverture  de  la 
bouche  que  du  bout  de  la  nageoire  de 
laqueue-,  le  tronc  couvert  d'un  limon, 
est  uni  ,   et  les   écailles  sont  molles  , 
minces  et  si  petites  ,  qu'on  ne  sauroit 
Poissons.  I.  19 


2i8       HISTOIRE    NATURELLE 

les  distinguer  à  la  simple  vue.   Elles 
sont   rondes  ,  brunes  et    bordées  de 
blanc.   Les   nageoires  de    la  poitrine 
sont    terminées  en  pointe,  de  même 
que-  celles   du   ventre-,  les  dernières 
sont  placées  en  bas  de  la  gorge  ,  et  le 
premier  rayon  est  fort  ,  roide  ,  et  en 
même  temps  le  plus  long  ;  la  première 
nageoire  du  dos  est  courte,  et  consiste 
en  trois  rayons  piquans;  la  seconde  na- 
geoire du  dos ,  de  même  que  celle  de 
l'anus  ,  a  des  rayons  simples,  qui  avan- 
cent beaucoup;  mais  la  nageoire  de  la 
queue,  qui  est  ronde,  aussi  bien  que  celle 
de  la  poitrine  ,  a  des  rayons  fourchus. 
Ce  poisson  est  naturel  dans  la  Caro- 
line ;  et  selon  le  docteur  Gard  en  ,  on 
l'y  nomme  toald-jîsh.  Comme  ce  sa- 
vant n'a  pas  déterminé  la  grosseur  de 
Ce  poisson  .  je  ne  saurois  la  détermi- 
ner non  plus.  Celui  que  je  possède  n'est 
pas  plus  grand  que  le  dessin  que  j'en 
ai  donné  dans  l'édition  in-fol.  où  je  l'ai 
représenté  vude  côté  et  d'en  haut.  San* 


DU     LIEU.  2lt) 

contredit,  ce  poisson  est  du  nombre  des 
issons  voraccs  ;   car  il  a  la  bouche 


po 

grande  et  bien  armée. 

C'est  à  Gai  den  que  nous  devons  la 
connoissance  de  ce  poisson  ;  mais  il 
nous  manque  le  dessin. 

LE    LIEU,   GADUS    POLLACHIUS> 

L'avancement  de  la  mâchoire 
inférieure  ,  les  trois  nageoires  dorsales  , 
et  la  courbure  de  la  ligne  latérale  ,  dis- 
tinguent le  lieu  des  autres  poissons  du. 
même  genre.  On  trouve  sept  rayons  à 
la  membrane  des  ouies  ,  dix-neuf  à  la 
nageoire  de  la  poitrine ,  six  à  celle  du 
ventre  ,  dix-huit  à  la  première  de  l'a- 
nus ,  dix-neuf  à  la  seconde ,  quarante- 
deux  à  la  queue  ,  treize  à  la  première 
nageoire  du  dos,  dix-huit  à  la  seconde  , 
et  dix-neuf  à  la  troisième. 

La  queue  de  ce  poisson  finit  en 
pointe,  et  est  d'un  noir-brun  ,  de  même 
que  le  dos  )  la  mâchoire  inférieure  est 


220      HISTOIRE    NATURELLE 

la  plus  longue  ,  et  les  deux  mâchoires 
sont  armées  comme  dans  le  poisson 
précédent  ;  la  langue  est  courte  ,  poin- 
tue ,  et  rude  vers  la  partie  postérieure. 
Les  yeux  sont  grands;  ils  ont  la  pru- 
nelle noire  ,  entourée  d'un  iris  jaune  , 
parsemé  de  points  noirs.  Le  corps  est 
couvert  de  petites  écailles  minces, 
oblongues  et  bordées  de  jaune  :  la  cou- 
leur  obscure  du  dos  se  perd  peu  à  peu 
dans  la  couleur  blanche  des  côtés  ,  qui 
sont  parsemés  de  points  bruns,  aussi 
bien  que  le  ventre,  dont  le  fond  est  ar- 
gentin. Les  nageoires  de  la  poitrine  sont 
jaunâtres  et  petites  ;  celles  du  ventre 
sont  orangées  ,  et  celles  de  l'anus  sont 
olivâtres,  parsemées  de  points  noirs. 

On  trouve  également  ce  poisson 
dans  la  Baltique  et  dans  l'Océan  sep- 
tentrional. Il  s'y  tient  dans  les  fonds 
formés  par  des  rochers,  et  dans  les  en- 
droits où  la  mer  est  le  plus  agitée  :  on 
en  trouve  quelquefois  dans  la  Baltique 
près  de  Lubec,  et  dans  la  mer  du  Nord 


BU     LIEU.  221 

près  de  Heiligeland  ,  mais  seulement 
dispersés  et  un  à  un.  En  Norwège  ,  au 
contraire,  et  en  Angleterre  ,  ils  sont 
très-communs ,  et  ils  y  arrivent  en 
été  par  grandes  troupes.  J'ai  aussi  reçu 
trois  de  ces  poissons  de  mon  ami  M.  le 
docteur  Walbaum  ,  de  Lubec.  Ces 
poissons  restent  vers  la  surface  de 
l'eau  ,  et  sautent  quelquefois  au-des- 
sus ,  en  prenant  diverses  formes ,  et  at- 
trapant tout  ce  qui  nage  sur  les  va- 
gues. Dans  ce  temps-là  ,  on  les  épie 
avec  des  hameçons  ,  auxquels  on  at- 
tache des  plumes  d'oie.  Le  lieu  par- 
vient ordinairement  à  la  longueur 
d'un  pied  et  demi,  et  pèse  alors  deux 
à  trois  livres.  Biais  on  en  trouve  aussi 
qui  sont  longs  de  trois  à  quatre  pieds  , 
et  larges  de  huit  à  dix  pouces.  Sa  chair 
est  blanche  ,  ferme  ,  meilleure  que 
celle  du  colin  ,  et  inférieure  à  celle  du 
dorseetdu  merlan.  Il  vit  de  petits  pois- 
sons, et  sur-tout  de  lançons ,  que  l'on 
trouve  ordinairement  dans  son  esto- 


222      HISTOIRE   NATURELLE 

mac  :  on  prend  ce  poisson  à  la  ligne, 

et  en  Norwège  avec  des  filets. 

Le  foie  est  d'un  rouge  pâle ,  et  com- 
posé de  trois  lobes,  dont  l'un  est  petit  ; 
la  rate  est  alongée  et  d'un  bleu  foncé  ; 
les  autres  intestins  sont  comme  dans 
les  précédens. 

Le   lieu    est  connu  sous   différens 
noms.  On  le  nomme  : 
Follack  et  Weisser  ou  Gelber  Kohlmaul , 

en  Allemagne. 
Lyrblecr<  ,  Zaï ,  Lerbleking ,  en  Suède. 
Lyr,  Lysse ,  en  Norwège. 
Follack ,  en  Angleterre. 
Lieu ,  en  France. 

LE  LINGUE,  g  ad  us  molva. 

L'avancement  de  la  mâchoire  supé- 
rieure ,  et  les  deux  nageoires  du  dos  , 
sont  les  signes  caractéristiques  du  lin- 
gue. On  trouve  sept  rayons  à  la  mem- 
brane des  ouies,  dix- neuf  à  la  nageoire 
de  la  poitrine  ,  six  à  celle  du  ventre  , 


DU     LINGUE.  '223 

cinquante  -  neuf  à  celle  de  l'anus  , 
trente  huit  à  la  queue. quinze  à  la  pre- 
mière nageoire  du  dos ,  et  soixante- 
trois  à  la  seconde. 

Le  lingue  est  le  pins  étroit  et  le  plus 
long  de  tous  les  poissons  de  ce  genre  : 
forme  qui  lui  a  fait  sans  doute  donner 
le  nom  qu'il  porte.  La  tête  est  grosse  , 
appïatie  de  haut  en  bas  ;  elle  est  ter- 
minée en  pointe  emoussée ,  et  est  brune 
comme  le  dos.  Les  yeux  sont  oblongs  ; 
la  prunelle  est  noire  ,  et  l'iris  blanc  , 
dans  lequel  on  voit  une  tache  d'un 
jaune  verd.  L'ouverture  de  la  bouche 
est  large  ;  la  langue  blanche,  mince  et 
terminée  en  pointe.  Le  tronc  est  étroit, 
long  et  rond  ,  jaunâtre  sur  les  côtés  , 
et  d'un  blanc  sale  sur  le  ventre.  La 
ligne  latérale  a  une  direction  droite. 
L'anus  est  un  peu  plus  près  de  la  tête 
que  de  la  queue.  Les  écailJes  sont 
oblongues  et  fortement  attachées  à  la 
peau.  Les  nageoires  de  la  poitrine  et 
celles  du  dos  sont  d'an  gris  foncé.  Les 


224      HISTOIRE   NATURELLE 

dernières  ont  vers  l'extrémité  une 
tache  noire  ,  qu'on  apperçoit  aussi  à  la 
nageoire  de  l'anus, qui  est  grise.  Toutes 
les  trois  sont  bordées  de  blanc ,  aussi 
bien  que  la  nageoire  de  la  queue  ,  qui 
est  noire. 

Le  lingue  habite  l'Océan  septentrio- 
nal, et  sur-tout  la  mer  du  Nord.  Celui 
dont  je  donne  ici  un  dessin ,  m'est  venu 
de  Hambourg  ,  où  les  pêcheurs  l'ap- 
portent de  Heiligeîand  :  lieu  où  on  le 
pêche  assez  souvent  à  l'embouchure  de 
l'Elbe.  Il  avoit  quatre  pieds  de  long  , 
sept  pouces  et  demi  de  large,  cinq  et 
demi  d'épaisseur  ,  et  pesoit  dix-huit 
livres.  Mais  on  en  trouve  aussi  qui  ont 
six  à  sept  pieds  de  long.  11  se  tient  dans 
les  fonds  ,  vit  d'écrevisses ,  de  crabes 
et  de  poissons  :  car  j'ai  trouvé  dans 
son  estomac  non-seulement  des  gour- 
neaux ,  mais  aussi  des  plies  à  moitié 
digérées. 

Ce  poisson  fraie  en  juin,  et  dépose 
ses  œufs  dans  les  fonds  fangeux  au  mi- 


DU    LINGUE.  225 

lieu  des  herbages.  Sa  chair  est  de  très- 
ton  goût,  sur-tout  depuis  février  jus- 
qu'en mai  ;  et  alors  on  le  préfère  à  la 
morue.  Dans  ce  temps ,  son  foie  est 
blanc  et  si  imbibé  d'une  huile  de  bon 
goût ,  qu'on  en  tire  en  grande  quan- 
tité à  un  feu  léger.  Mais  ensuite  cette 
couleur  blanche  se  change  en  rouge  j 
le  foie  devient  plus  petit  et  rend  peu 
d'huile.  Différence  que  l'on  trouve  aussi 
dans  les  autres  espèces  de  poissons  , 
mais  d'une  manière  moins  sensible  que 
dans  celui-ci. 

Après  le  hareng  et  la  morue ,  ce  pois- 
son est ,  à  cause  de  sa  grande  multipli- 
cation ,  le  plus  important  pour  le  corn- 
merce  de  plusieurs  nations.  En  Angle- 
terre ,  on  le  sale  en  grande  quantité ,  et 
on  le  consomme  dans  le  pays  :  on  l'ex- 
porte aussi  dans  les  pays  étrangers. 
Celui  qui  a  vingt-six  pouces  de  lon- 
gueur est  vendable  ;  celui  qui  est  au- 
dessous  ,  est  mis  au  rebut  ;  et  n'est  que 
d'un  bas  prix. 


225      HISTOIRE    NATURELLE 

On  en  exporte  tous  les  ans  de  la 
Norwège  environ  900,000  livres  par  an. 
En  Angleterre  ,  on  le  prépare  comme 
la  morue  :  il  est  plus  propre  que  cette 
dernière  à  se  conserver  pour  les  voyages 
de  long  cours.  On  fait  aussi  de  l'huile 
avec  son  foie  ;  et  avec  sa  vésicule 
aérienne ,  une  colle  qui  approche  de  la 
colle  de  Russie. 

En  Norwège,  le  temps  de  la  pêche 
est  le  printemps  ;  et  les  endroits  les 
plus  favorables  pour  cela  sont  les  bancs 
de  sable  près  de  Storregen.  De  petites 
bulles  qui  s'élèvent  sur  la  surface  de 
l'eau  ,  annoncent  l'endroit  où  ils  se 
tiennent  au  fond.  Outre  cela  ,  on  en 
prend  encore  près  de  Spitzberg  et 
Terre-Neuve;  mais  ils  ne  sont  pas  aussi 
bons.  Il  y  en  a  aussi  dans  le  Groenland 
et  la  Laponie.  Ceux  d'Islande  sont  si 
mauvais, que  les  habitans  du  pays  sont 
obligé,}  de  les  manger  eux-mêmes, 
faute  de  pouvoir  les  vendre  aux  étran- 
gers. Les  meilleurs  se  pèchent  en  grande 


DU     LTNGUE.  227 

quantité  au  mois  d'août  près  de  Hitt- 
land,  et  on  les  y  sèche  comme  la  morue. 
Pour  prendre  ce  poisson  ,011  se  sert  de 
lignes  de  fond  delà  longueur  de  soixante 
brasses  ,  qu'on  appâte  avec  des  harengs 
ou  d'au  Ires  poissons. 

On  mange  le  linoue  frais  ,  séché  et 
préparé  d'autant  de  manières  diverses 
que  la  morue. 

Le  gosier  de  ce  poisson  est  large,  et 
garni  de  longs  plis  qui  ont  leur  direc- 
tion en  longueur.  L'estomac  est  mince 
et  en  forme  de  sac.  A  sa  partie  supé- 
rieure est  la  naissance  du  canal  intesti- 
nal y  qui  se  recourbe  quatre  fois.  Au 
commencement  de  ce  canal  on  trouve 
trente-quatre  appendices  fort  longues. 
La  peaude  la  vésicule  aérienne  est  aussi 
épaisse  que  du  maroquin.  Le  foie  est 
rond  ,  le  fiel  d'un  verd  foncé  ,  la  rate 
oblongue  et  brune.  J'ai  compté  vingt 
côtes  de  chaque  côté. 

Ce  poisson  est  connu  sous  diîTérens 
noms.  On  le  nomme  : 


228      HISTOIRE    NATURELLE 
Lœnge  et  Leng ,  en  Allemagne  ,  Da- 

nemarck,  Norwège  et  Islande* 
Lœnga ,  en  Suède. 
Juirksoah ,  en  Groenland. 
Ling,  en  Angleterre. 
Lingue ,  en  France. 

LA    LOTE,    g  ad  us    LOT. 4. 

L'égalité  des  mâchoires  et  les  deux 
nageoires  au  dos  ,  distinguent  suffisam- 
ment la  lote  des  autres  poissons  de  ce 
genre.  On  trouve  sept  rayons  à  la  m  cm  - 
brane  des  ouies ,  vingt  à  la  nageoire  delà 
poitrine ,  six  à  celle  du  ventre,  soixante- 
sept  à  celle  de  l'anus  ,  trente-six  à  la 
queue ,  quatorze  à  la  première  nageoire 
du  dos ,  et  soixante-huit  à  la  seconde. 

La  tête  est  grosse  ,  large  et  applatio 
par  le  bas.  L'ouverture  de  la  bouche 
est  grande  ;  les  deux  mâchoires  sont 
garnies  de  sept  rangées  de  petites  dents 
pointues,  et  l'inférieure  a  un  barbillon. 
Cependant  quelquefois  auprès  du  grand 
on  en  remarque  un  plus  petit.  La  langue 


'J'o/n  .7. 


/'<Ç</1'    21 3- 


a.LAMlIRirCHE.i.I.\L0T1v3.LAMl)STEU^:. 


DE     LA     LOTE.  229 

est  large  ,  et  l'on  trouve  clans  le  palais 
divers  os  raboteux.  Les  narines  sont 
doubles  ,  et  les  antérieures  sont  cou- 
vertes d'une  membrane.  Les  yeux  sont 
petits  ,  et  ont  une  prunelle  bleuâtre  , 
entourée  d'un  iris  jaune.  La  membrane 
des  onies  est  placée  en  travers  et  est 
large.  Le  tronc  est  comprimé  des  deux 
côtés  ,  marbré  noir  et  jaune  ,  quelque- 
fois aussi  brun  ,  avec  des  taches  d'un 
jaune  pâle ,  selon  la  qualité  des  eaux 
où  il  a  séjourné.  Il  est  couvert  d'une 
matière  gluante  ,  de  petites   écailles 
molles  et  minces.  Comme  plusieurs  au- 
teurs ont  négligé  d'observer  ces  écail- 
les (  r) ,  j'en  ai  fait  représenter  une  ici 
de  grandeur  plus  que  naturelle.  Comme 
la  tête  a  beaucoup  de  rapport  avec  celle 
de  la  grenouille  et  le  tronc  avec  celui 
de   l'anguille  ,  les  Hollandais  lui  ont 
donné  le  nom  de  putael  ;  et  cela  avec 
autant  de  raison  que  les  Anglais  celui 

(1)  Edit.  in- fol-, 
Poissons.  I.  2« 


23o       HISTOIRE   NATURELLE 

à'eelpout.  La  ligne  latérale  est  droite  *, 
le  ventre  blanc  et  la  nageoire  de  la 
queue  ronde.  L'anus  est  plus  près  delà 
tête  que  de  la  queue.  Les  nageoires  de 
l'anus  et  du  dos  sont  étroites  et  mar- 
brées comme  le  reste  du  corps. 

Parmi  ce  genre  nombreux  ,   la  lote 
est  le  seul  poisson  qui   vive  en  eau 
douce  ,  et  également  dans  les  rivières 
et  les  lacs.  Elle  est  naturelle  non-seule- 
ment à  l'Allemagne  et  autres  pays  de 
l'Europe,  mais  encore  aux  Indes  orien- 
tales. Ce  poisson  aime  particulièrement 
une  eau  claire  ,  et  se  caclie  au  fond  dans 
les  creux  formés  par  les  pierres  ,  d'où 
il  épie  les  poissons  qui  passent  avec  ra- 
pidité :  d'ailleurs,   il  vit  aussi  de  vers 
et    d'insectes   aquatiques.   Au   défaut 
d'autre  nourriture,  les  lotes  se  dévorent 
mutuellement ,  et  s'attaquent  même  à 
l'épinoclie ,  où  elles  perdent  souvent  la 
vie  :  car  l'épinoclie  en  se  débattant  , 
enfonce  son  aiguillon  dans  le  gosier  de 
la  lote.  J'en  ai  vu  une  dont  un  aiguillon 


DE    LA     LOT  E.  2^1 

de  cette  espèce  passoit  au-dessus  de  la 
tête.  Ses  ennemis  sont  le  brochet  et  le 
silure  ,  et  elle  en  devient  souvent  la 
proie.  Quand  elle  est  bien  nourrie,  elle 
croit  promptement ,  et  parvient  à  la 
longueur  de  deux  à  trois  pieds  ,  et  pèse 
jusqu'à  dix  à  douze  livres.  Comme  elle 
a  la  vie  dure ,  on  peut  la  conserver  pen- 
dant quelque  temps  en  vie ,  en  lui  don- 
nant des  coeurs  de  bœuf,  ou  de  petits 
poissons. 

Le  temps  du  frai  de  ce  poisson  tombe 

vers  la  fin  du  mois  de  décembre  et  de 

janvier.  Alors  il  sort  des  creux  de  la 

mer, -et  vient  dans  les  fleuves  chercher 

les  endroits  unis  ,  pour  y  déposer  son 

frai.  Il  multiplie  beaucoup.  Sa  chair  est 

blanche,  garnie  d'arèles  et  d'un  bon 

goût.  Comme  elle  n'est  pas  grasse ,  elle 

n'estpas  contraire  aux  estomacs  foibles. 

On  regarde  sur-tout  le  foie  comme  un 

morceau  fort  délicat.  Une  comtesse  de 

Beuchlingen,enThuringe,aimoittant 


232       HISTOIRE   NATURELLE 

ce  mets ,  qu'elle  y  employoit  une  grande 
partie  de  ses  revenus. 

Le  foie  suspendu  dans  un  verre  ,  et 
placé  auprès  d'un  poêle  chaud  ou  à  l'ar- 
deur du  soleil ,  donne  une  huile  qu'Ai- 
drovande  regarde  comme  unremède  ef- 
ficace contre  les  durillons.  C'est  ce  qui 
a  été  aussi  confirmé  par  Haen  et  par 
plusieurs  autres. 

On  prend  ce  poisson  au  filet ,  à  la 
ligne  flottante  et  à  la  ligne  de  fond. 
Autrefois  cette  pêche  étoit  si  abon- 
dante aux  environs  de  l'Oder,  que  les 
pêcheurs  ne  pouvant  se  défaire  de  tout 
le  poisson  qu'ils  prenoient ,  coupoient 
les  plus  gras  en  morceaux  étroits ,  les 
faisoient  sécher  ,  et  s'en  servoient  au 
lieu  d'alumettes. 

L'oesophage  et  le  gosier  sont  larges, 
et  ont  de  grands  plis  comme  dans  le 
brochet.  Le  canal  intestinal  a  deux  si- 
nuosités ,  et  on  y  trouve  trente  appen- 
dices de  différente  longueur ,  dans  les- 
quelles Richter  a  trouvé  des  vers  soli- 


DE    LA    L  O  T  E.  233 

taires.  Le  foie  est  grand  et  d'un  rouge 
pâle.  La  laite  et  l'ovaire  sont  doubles. 
Le  dernier  contenoit  cent  vingt-huit 
mille  petits  œufs  d'un  blanc  jaunâtre. 
Le  foie  passe  pour  un  manger  très- 
délicat  ,  et  les  œufs  pour  venimeux.  On 
trouve  cinquante-huit  vertèbres  à  l'é- 
pine du  dos,  et  dix-huit  côtes  de  chaque 
côté. 

Ce  poisson  est  connu  sous  différens 
noms.  On  le  nomme  : 
Quappe  ,  en  Poméranie  ,  en  Prusse  et 

dans  la  Marche-Electorale. 
Àalquappe  ,  Aalraupe ,  en  Livonie  ,  en 

Silésie  et  en  Saxe. 
Rutte  et  Aalrutte  ,  en  Autriche. 
Trusche ,  dans  l'Empire. 
Ruffolck ,  dans  les  contrées  du  Haut- 
Rhin. 
Ruzych  j  Rutten  et  Menyhal ,  en  Hon- 
grie. 
Mininck ,  en  Bohême. 
Nient ,  en  Pologne. 
Vegorella ,  en  Esclavônie. 


234      HISTOIRE    NATURELLE 

Nalim  ,  en  Russie. 

Lote  ,  hoche ,  en  France. 

Strinzo  et  Bottatrise  ,  en  Italie. 

Botta  ,  à  Milan. 

jfutael  ,  en  Hollande. 

Burbot ,  Eelput,  en  Angleterre. 

Dsjoo  ,  au  Japon. 

LA     MERLUCHE, 

GADUS    MERLU  CCIUS. 

Les  deux  nageoires  du  dos,  et  la 
mâchoire  inférieure  qui  n'a  point  de 
barbillon,  sont  des  signes  suffisans  pour 
distinguer  la  merluche  des  autres 
poissons  du  même  genre.  On  compte 
sept  rayons  à  la  membrane  des  ouies, 
douze  à  la  nageoire  pectorale  ,  sept  à 
celle  du  ventre  ,  trente-sept  à  celle  de 
l'anus,  vingt  à  celle  de  la  queue  ,  dix 
à  la  première  du  dos ,  et  trente-neuf 
à  îa  seconde. 

Ce  poisson  est  aîongé  ;  sa  tête  est 
longue,  large  par  en  haut, et  compri- 


DF,  LA  MERLUCHE.  235 
mée  des  deux  côtés.  L'ouverture  de  la 
bouche  est  large  ;  les  deux  mâchoires 
sont  armées  de  deux  rangées  de  dents 
pointues.  Comme  les  plus  petites  sont 
placées  entre  les  grandes,  et  que  les 
supérieures  sont  recourbées  en  arrière, 
les  poissons  qu'il  a  une  fois  saisis,  ne 
peuvent  plus  lui  échapper.  Le  palais 
est  aussi  garni  d'une  rangée  de  dents 
de  chaque  côté;  la  mâchoire  inférieure 
est  plus  longue  que  la  supérieure.  Non 
loin  des  yeux,  on  remarque  quatre  pe- 
tites ouvertures  :  les  yeux  ont  une 
prunelle  noire  placée  dansun  iris  doré; 
mais  il  faut  que  la  couleur  de  cette 
partie  même  soit  aussi  surjette  à  varier; 
car  Duhamel  dit  qu'elle  est  jaune  ,  et 
M.  Biiïnniche  argentine.  L'opercule 
des  ouies  se  termine  en  une  pointe 
émoussée  ;  l'ouverture  des  ouies  est 
large  ;  la  membrane  branchiale  n'est 
recouverte  qu'à  moitié  et  garnie  de 
gros  rayons  osseux.  Au  tronc  ,  on  ap- 
perçoit  de  petites  écailles  :  la  ligne  la- 


236  HISTOIRE  NATURELLE 
térale  est  garnie,  à  l'extrémité  de  la 
tête  ,  de  six  à  neuf  petites  verrues  ,  et 
s'étend  près  du  dos ,  depuis  la  nuque 
jusqu'au  milieu  de  la  nageoire  de  la 
queue.  Le  dos  est  arrondi;  la  cavité 
du  ventre  courte  ,  et  l'anus  plus  près 
de  la  bouche  que  de  la  nageoire  de  la 
queue  :  le  dos  est  gris ,  et  les  côtés , 
ainsi  que  le  ventre ,  sont  d'un  blane 
sale.  C'est  cette  couleur  qui  fit  naître 
aux  Grecs  l'idée  de  l'appeler  âne{0'v  oç) 
Les  nageoires  de  la  poitrine  et  du 
ventre  sont  terminées  en  pointe  ;  la  se- 
conde nageoire  du  dos  et  celle  de  l'anus 
sont  plus  basses  au  milieu  qu'aux  deux 
extrémités  -,  la  nageoire  de  la  queue 
est  grise  et  émoussée  aux  extrémités. 
Tous  les  rayons  sont  mous  et  four- 
chus ,  excepté  ceux  de  la  nageoire  de 
l'anus  et  de  celles  du  dos. 

Ce  poisson  habite  aussi  bien  la  Mé- 
diterranée que  la  mer  du  Nord.  Sa 
pêche  est  considérable.  Il  a  un  pied, 
un  pied  et  demi ,  et  jusqu'à  deux  pieds 


DE    LA    MERLUCHE.      2^7 

de  long.  Il  est  très-vorace  ,  et  poursuit 
particulièrement  le  hareng  et  le  ma- 
quereau. Sa  chair  est  blanche,  feuille- 
tée ,  mais  un  peu  molle  et  de  mauvais 
goût ,  ce  qui  fait  qu'en  général  on  n'en 
fait  pas  grand  cas.  Cependant  les  Es- 
pagnols le  trouvent  trcs-bon  quand  il 
est  frais.  Peut-être  que  chez  eux,  il 
habite  des  endroits  rocailleux  :  car  en 
France  même  on  le  trouve  bon  ,  lors- 
qu'il a  été  péché  dans  de  tels  endroits. 
Les  Anglais ,  qui  ont  beaucoup  d'au- 
tres poissons  meilleurs ,  n'en  font  au- 
cun cas  :  ils  le  font  saler  et  sécher,  et 
l'envoient  dans  d'autres  pays ,  et  sur- 
tout en  Espagne  au  port  de  Bilbao.  En 
général ,  on  le  pêche  en  trop  grande 
quantité  pour  pouvoir  le  manger  frais: 
voilà  pourquoi  on  en  sèche  la  plus 
grande  partie.  Comme  on  le  met  sur 
des  bâtons  pour  le  faire  sécher ,  les  Al- 
lemands lui  ont  donné  le  nom  de  Stock' 
fisch  (poisson  à  bâton).  Mais  on  vend 
aussi  sous  ce  nom  un  grand  nombre 


238  HISTOIRE  NATURELLE 
d'antres  poissons  secs.  On  le  prend  en 
partie  avec  des  filets,  en  partie  avec 
des  lignes.  A  Brest,  on  préfère  les  der- 
nières ,  on  met  pour  appât  des  sardines  y 
des  lançons  ,  ou  d'autres  petits  pois- 
sons. On  se  sert  pour  cela  de  bateaux 
de  deux  à  cinq  tonnes,  montés  par  cinq 
à  sept  hommes  :  la  plus  grande  pêche 
de  ces  poissons  se  fait  dans  les  environs 
de  la  Bretagne,  où  Ton  emploie  des 
bateaux  un  peu  pins  grands,  qui  por- 
tent neuf  à  dix  matelots  ;  la  pêche  se 
fait  à  une  distance  du  bord  de  trois  à 
quatre  milles.  On  la  fait  pendant  la 
nuit  avec  des  lignes  et  avec  des  filets  , 
dont  les  mailles  ont  un  pouce  à  un 
fonce  et  demi  de  large.  Deux  matelots 
entretiennent  le  bateau  dans  un  mou- 
vement continuel  ,  parce  que  sans 
cela  ils  ne  preudroient  rien.  Ce  pois- 
son se  tient  ordinairement  dans  le 
fond  ;  ce  qui  fait  qu'il  faut  disposer 
les  lignes  et  les  filets  ,  de  manière 
qu'ils  aient  trente  brasses  de  profon- 


DE    LA    MERLUCHE.      2?g 
deur.  Cette  pêclie  dure  depuis  le  mois 
de  novembre  jusqu'au  mois   de  mai  : 
elle  est  sur-tout  considérable  sur  les 
côtes  d'Angleterre   et  d'Irlande   :  lo 
banc  de    Nyrnphen    sur    les  côtes  de 
Watherford ,  en  fournit  deux  fois  par 
an  une  quantité  prodigieuse.  Selon  le 
rapport  de  M.  le  comte  de  Querhoent , 
de   Croisic   en    Bretagne  ,    depuis  le 
combat  naval  de   1 769  ,  on  en  trouve 
une  quantité  considérable  dans  les  en- 
virons de  Belle-lsle.  Peut  être  qu'ils  y 
ont  été  attirés  par  les  corps  morts:  on 
les  y  trouve   pendant  toute  l'année  , 
et  ils  y  parviennent  à  la  longueur  de 
six  à  sept  pieds.  Ce  naturaliste  m'a  ap- 
pris en  même  temps  que  pendant  l'hi-*- 
ver,  vers  les  bords,  il  en  meurt  uno 
quantité  sous  la  glace. 

La  première  troupe  paroît  en  A  n- 
gleterre  au  mois  de  juin,  pendant  la 
pêche  des  maquereaux  ,  et  la  seconde 
en  septembre ,  pendant  celle  des  ha- 
rengs, £,a    merluche    poursuis ; ,  s^ns 


1. 


24o  HISTOIRE  NATURELLE 
doute  ,  ces  poissons  pour  s'en  rassasier. 
Il  n'est  pas  rare  que  six  hommes  en 
prennent  un  millier  dans  une  nuit  , 
sans  une  quantité  de  poissons  d'au- 
tres espèces  :  les  pêcheurs  anglais  se 
servent  pour  cet  effet  seulement  de 
la  ligne. 

En  Angleterre,  ce  poisson  change 
son  cours  ;  il  quitte  les  côtes  dont  nous 
avons  parlé  ,  et  se  rend  vers  d'autres, 
apparemment  pour  chercher  sa  proie  : 
cependant  on  l'y  retrouve  après  quel- 
ques années  ,  même  lorsqu'il  a  été  tiré 
de  son  asyle  par  une  pêche  opiniâtre. 
On  remarque  la  même  chose  dans  les 
autres  pays  à  l'égard  du  hareng,  de  la 
morue  et  du  saumon.  Cependant  les 
requins  et  d'autres  poissons  voraccs 
peuvent  contribuer  pour  beaucoup  à 
ce  que  les  poissons  se  réfugient  sur  la 
première  côte  qui  se  présente.  Proba- 
blement la  merluche  cherche  le  fond 
auprès  des  côtes  ,  pour  se  rassasier  de 
poissons,  d'écrevisses  et  de  polypes 5  et 


DE     LA    MERLUCHE.      24 1 

elle   en  sort  quand  elle  n'en  trouve 
plus. 

A  Pensance,  dans  le  duché  de  Cor- 
nouailles,  de  même  qu'entre  Walils  et 
l'Irlande  ,  on  prend  aussi  ce  poisson  en 
quantité. 

Le  foie,  qui  est  gros  et  d'un  jaune 
pâle,  passoit  chez  les  anciens  pour  un 
mets  délicat,  et  on  l'estimoit  autant 
que  celui  du  surmulet.  Le  fiel  est  vert  ; 
l'estomac  grand  ,  large  ,  et  au  lieu  d'ap- 
pendices ,  il  est  pourvu  d'un  large  cae- 
cum. Le  canal  intestinal  n'a  que  deux 
courbures  :  la  vésicule  aérienne  n'est 
point  divisée;  elle  est  forte  ,  attachée 
eux  côtés  et  à  l'épine  du  dos.  Les  reins 
sont  longs  ,  gros,  et  vont  se  terminer 
l'un  et  l'autre  par  les  uretères  dans  la 
vessie  :  la  laite  et  l'ovaire  sont  doubles  ; 
le  dernier  contient  une  grande  quan- 
tité d'oeufs  orangés  de  la  grosseur  des 
grains  de  millet. 

On  nomme  ce  poisson  : 
Stockfisch  et  Meeresel  ,  en  Allemagne. 
Poissons.  I.  21 


U&2       HISTOTRE   NATURELLE 

Lysing  ,  Kulmund  et  Kol  -  Fish  ,  en 
Norwège. 

Akullialitsock  ,  dans  le  Groenland. 

Hake  f  en  Angleterre. 

Merlu ,  Merluche  ,  grand  Merlu  de  Bre- 
tagne, Merlan  de  la  Méditerranée ,  eu 
France. 

Merlan ,  à  Marseille. 

Merluzo ,  en  Italie. 

Merlucius ,  à  Gênes. 

Nasello,  en  Sardaigne  et  à  Rome. 

Merluza  7  en  Espagne. 

LA  MUSTELLE,  gadus  mustela» 

On  distingue  ce  poisson  des  autres 
du  même  genre ,  par  les  trois  barbil- 
lons qu'il  a  à  la  bouclie.  On  compte 
cinq  rayons  à  la  membrane  des  ouies  , 
dix-huit  à  la  nageoire  de  la  poitrine  , 
six  à  celle  du  ventre  ,  quarante -six  à 
celle  de  l'anus ,  vingt  à  celle  de  la  queue, 
et  cinquante  -  six  à  la  seconde  du  dos. 
I*es  rayons  de  la  première  du  dos  sont 


DE  LA  MUSTELLE.  245 
beaucoup  trop  tendres  ,  pour  qu'on 
puisse  déterminer  exactement  leur 
nombre  :  cependant  j'en  ai  compté  plus 
de  cinquante. 

La  tête  est  petite  et  applatie  du 
haut  en  bas  ;  le  palais  est  rude  ;  les 
deux  mâchoires  ,  dont  la  supérieur© 
est  la  plus  longue ,  sont  garnies  d'une 
rangée  de  petites  dents  très-pointues; 
la  langue  est  dégagée  et  étroite.  On 
trouve  un  barbillon  à  l'extrémité  de 
la  mâchoire  inférieure,  et  deux  à  la  su- 
périeure. Derrière  cette  dernière  ,  on 
voit  deux  ouvertures  rondes.  Les  yeux; 
ont  une  prunelle  noire  dans  un  iris 
doré;  les  côtés  de  la  tête  sont  d'une 
couleur  argentine  tirant  sur  le  violet  ; 
le  dos  et  les  côtés  sont  d'un  jaune- 
bru  n  parsemé  de  taches  noires  ;  le  ven- 
tre est  blanc  ,  court  et  saillant;  l'anus 
se  trouve  au  milieu  du  corps.  Les  cou- 
leurs de  ce  poisson  varient  beaucoup  , 
comme  on  peut  le  voir  par  les  auteurs 
suivans.  Willughby  en  a  vu  qui  res- 


244      HISTOIRE    NATURELLE 
sembîoieul à  l'anguille,  et  qui  étoient 
garnis  de  lignes  composées  de  points 
blancs  ,  d'autres  rougeâtres  avec  des 
taches  noires ,  et  d'autres  encore  qui 
n'avoient   point    du   tout   de  taches. 
M.  Pennant  dit  qu'il  est  d'un  jaune- 
rougeâtre ,  et  garni  de  larges  taches 
noires  au-dessus  de  la  ligne  ;  que  les 
nageoires  du  dos  sont  brunes,  et  celles 
du   ventre    d'un    rouge   clair.    Selon 
M.  Briinniche  ,  le  sommet  de  la  tète 
est  violet  ,  et  les  côtés  sont  bleuâtres 
au-dessous  de  la  ligne.  La  ligne  latérale 
forme  une  courbure  derrière  la  na- 
geoire pectorale  ;  puis  elle  va  en  direc- 
tion droite   au  milieu  de  la  nageoire 
de  la  queue.  Les  nageoires  de  la  poi- 
trine et  du  ventre  sont  rougeâtres  j  la 
première  nageoire  du  dos  est  basse,  et 
composée  de  rayons  extrêmement  ten- 
dres et  mous  ,  dont  le  premier  seule- 
ment est  grand  :  les  autres   nageoires 
sont  d'un  brun  clair  ;  celles  du  dos  et 
de  l'anus  sont  ornées  de  longues  taches 


DE    LA    MUSTELLE,     245 

brunes.  Celle  de  la  queue  a  des  taches 
rondes  de  la  même  couleur.  A  toutes  les 
nageoires,  les  rayons  sont  mous.  Tout 
1  e  poisson  est  couvert  d'un  mucilage ,  et 
le  tronc  d'écaillé  très-tendres. 

La  mustelle  appartient  également 
aux  poissons  de  la  Méditerranée  et  à 
ceux  de  la  mer  du  Nord.  On  la  voit 
sur-tout  paroître  en  grande  quantité 
dans  la  mer  Adriatique  et  près  de  Cor- 
nouailles.  Celle  dont  je  donne  ici  le 
dessin,m'a  été  communiquée  de  l'excel- 
lente collection  du  duc  de  Brunswick. 
Elle  n'étoit  pas  plus  grande  que  (  1  ) 
le  dessin  ne  l'indique.  Selon  M.  Biiïn- 
niche ,  elle  n'a  pas  plus  d'une  palme  de 
long  dans  la  Méditerranée  ;  mais  selon 
M.  Pennant ,  elle  a  dix  -  neuf  pouces 
dans  la  mer  du  Nord.  Cependant,  avec 
cette  longueur,  elle  ne  pèse  pas  plus 
de  deux  livres.  Elle  a  la  chair  molle  et 
de  mauvais  goût.  Ce  poisson  fraie  en 

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(1)  Edit.  in- fol. 


246  HISTOIRE  NATURELLE 
automne  ;  mais  il  ne  multiplie  pas 
beaucoup  ,  parce  que  les  maquereaux 
et  les  morues  dévorent  la  plus  grande 
partie  de  ses  petits.  On  le  prend  au 
filet  et  à  la  ligne.  Il  vit  de  coquillages 
et  de  petites  écrevisses. 

Le  foie  est  gros  ,  jaune  pâle  ,  et  con- 
siste en  deux  lobes.  L'estomac  est 
large ,  et  l'extrémité  inférieure  est 
entourée  de  huit  appendices.  Le  canal 
intestinal  est  court  ;  la  vésicule  aé- 
rienne est  grande  ,  épaisse  par  en  haut , 
mince  et  tranchante  par  en  bas. 

Ce  poisson  se  nomme  : 
Meertrusche  et  Meerquappe ,  en  Alle- 


magne. 


Ouwquappe  ,    Krullquappe ,    dans    le 

Holstein. 
Kroll-Quabbe  ,  Moer-Quabbe ,  en  Da- 

nemarck. 
Rodbrùne  ,    Tang  -  Brosme  ,  en  Nor- 

wège. 
Rockling    et    Three-Beardet-Cod  ,    en 

Angleterre. 


- 


Pat/e    a^y 


Tarn.  I. 


; 


De<teve  de/.  Cetaust  Jcu//> ■ 

i .  IJS  MOLI  Jt  .  a  .  I.A  PELEE .  Tome  2  ./>*,/.*$, 

3  . EE  l^O  TAC  AN  TE  . 


DU     MOLLE.  247 

Whistlefish,    dans   la  comté  de  Cor- 

xiouailles. 
SeaLoche ,  dans  celle  de  Chester. 
JMustelle  et  Mustelle  vulgaire,  en  France . 
Mustela ,  en  Italie. 
Sorghe  marina  et  Donzellina  ,  chez  les 

Vénitiens. 
Djelindsjik  baluk  ,   en  Turquie. 
Galea  ,  parmi  les  Grecs. 

LE  MOL  L  E,  qajjus  barbatus* 

La  largeur  du  corps  sert  à  distin- 
guer ce  poisson  des  autres  du  même 
genre.  On  compte  six  rayons  à  la 
membrane  des  ouïes  ,  dix-huit  à  la  na- 
geoire pectorale  ,  six  à  celle  du  ventre, 
vingt-cinq  à  la  première  de  l'anus, 
dix-sept  à  la  seconde  ',  trente  à  celle 
de  la  queue  ,  treize  à  la  première  du 
dos ,  dix-neuf  à  la  seconde  et  dix-huit 
à  la  troisième. 

La  tête  est  petite ,  l'ouverture  de 
la  bouche  grande.  La  mâchoire  supé- 


248      HISTOIRE   NATURELLE 

rieure  avance  sur  l'inférieure  :  l'une 
et  l'autre  sont  armées  de  petites  dents. 
Dans  le  gosier  ,  on  trouve  deux  os  en 
forme  de  lime.  A  la  mâchoire  infé- 
rieure ,  au-devant,  on  remarque  un 
barbillon  ,  et  de  chaque  côté  six  à  sept 
petites  ouvertures.  Les  lèvres  sont 
fortes,  et  consistent  en  plusieurs  pièces 
cartilagineuses  qui  sont  réunies  par 
une  membrane  commune  ,  que  le  pois- 
son peut  avancer  et  retirer  à  son  gré» 
La  langue  est  courte ,  épaisse  et  rude 
en  arrière.  Les  narines  sont  doubles 
et  placées  non  loin  des  yeux.  Ces  der- 
niers sont  grands  ,  saillans  ,  et  pour- 
vus d'une  membrane  clignotante.  La 
prunelle  est  noire,  et  l'iris  argentin. 
Comme  Duhamel  dit  que  l'iris  est  cou- 
leur de  citron  ,  il  faut  que  la  couleur 
de  cette  partie  soit  aussi  variable.  L'o- 
percule des  ouies  est  composé  de  plu- 
sieurs plaques.  L'ouverture  des  ouies 
est  large ,  et  la  membrane  branchiale 
n'en  est  recouverte  qu'en  partie.  Au 


DU     M  O  L  L  É.  s4<j 

tronc,  on  voit  de  petites  écailles  qui 
sont  fortement  attachées  à  la  peau.  La 
ligne  latérale  qui  commence  à  la  nu- 
que ,  est  noire  ,  forme  une  courbure 
vers  le  ventre  à  l'extrémité  de  la  se- 
conde nageoire  du  dos  ,  et  se  perd  dans 
le  milieu  de  la  nageoire  de  la  queue. 
Le  dos  est  d'un  brun  verdâtre,  rond 
et  charnu  ;  le  ventre  court  et  blanc  y 
les  côtés  sont  d'un  blanc  qui  tire  sur  le 
rouge  ,  et  l'anus  n'est  pas  beaucoup 
éloigné  de  la  tête.  Des  trois  nageoires 
dont  le  dos  est  pourvu  ,  la  première 
est  courte,  haute  et  en  forme  de  faux. 
Au  milieu  de  la  nageoire  pectorale  , 
on  voit  une  tache  noire  :  cependant 
M.  Otto  Fabricius  n'a  pu  la  remarquer 
aux  poissons  du  Groenland.  Toutes  les 
nageoires  sont  composées  de  rayons 
mous  et  d'une  peau  épaisse.  Elles  sont 
olivâtres,  excepté  celle  de  la  queue 
qui  est  rouge.  Elle  aune  bordure  noire 
comme  la  plupart  des  autres  nageoires, 
Nous  trouvons  ce  poisson  dans  plu- 


%5o     Histoire  naturelle 

sieurs  contrées  de  l'Océan  septentrio- 
nal ,  le  long  de  la  Hollande ,  en  Irlande, 
en  Angleterre,  en Laponie  ,  enGroen- 
land  ,  dans  le  Sund  ,  sur  les  côtes  sep- 
tentrionales de  la  France.  M.  le  comte 
de  Querhoent  qui  a  eu  la  bonté   de 
m'envoyer  le  dessin  que  j'en  donne  , 
me  marque  qu'àCroisic,  en  Bretagne  , 
on  trouve  pendant  toute  l'année  ce 
poisson  en  pleine  mer,  et  que  ce  n'est 
que  dans  le  temps  du  frai,  c'est-à-dire 
en  août ,  qu'il  s'approche  des  endroits 
rocailleux ,  pour  y  déposer  son  frai. 
Dans  le  Groenland  au   contraire ,  il 
fraie  en  février  et  mars  ,  selon  M.  Otto 
Fabricius  ,  et    dépose  alors  ses  œufs 
dans  l'algue  marine  ,  dans  des  endroiti 
où  le  soleil  donne.  Au   mois  de  juin, 
les  petits  paroissent.  LesGroenlandais 
les  nomment  Ogarkat  et  Ovarak.  On 
les  voit  en  grande  quantité  vers  le  ri- 
vage de  la  grosseur  de  nos  épinoches. 
Sans  doute  que  ces  petits  ont  alors  un 
an  y  ou  il  faudroit  dire  qu'ils  croissent 


DU     MOLLE.  a5l 

prodigieusement  en  peu  de  temps:  car 
quiconque  sait  comme  le  poisson  croît 
lentement  ,  s'imaginera  bien  que  de- 
puis février  jusqu'en  juin ,  ils  ne  peu- 
vent parvenir  à  la  longueur  de  deux 
pouces  au  moins.  Ces  poissons  parvien- 
nent à  la  longueur  de  quinze  à  dix- 
huit  pouces  ,  et  ne  pèsent  alors  guère 
plus  de  trois  livres.  En  Angleterre , 
ils  ont  rarement  plus  d'un  pied.  On 
les  prend  en  grande  quantité.  M.  le 
Roi  mande  à  M.  Duîiamel ,  que  dans 
les  environs  de  Brest ,  tous  les  ans  pen- 
dant un  certain  temps  ?  on  en  prend 
jusqu'à  cent  à  cent  cinquante  d'un  seul 
coup. 

Le  molle  est  du  nombre  des  pois- 
sons voraces,  et  se  nourrit  particuliè- 
rement de  lançons  et  de  poissons  du 
genre  des  perce-pierres.  Dans  le  Groen- 
land ,  il  vit  à'angmarsets ,  salmo  arcti- 
cas.  Au  défaut  de  poissons  ,  il  se  con- 
tente de  jeunes  écrevisses.  Ce  poisson 
a  la  chair  blanche  ,  molle  et  feuilletée  9 


252  HISTOIRE  NATURELLE 
et  elle  se  corrompt  aisément.  C'est  de- 
puis le  mois  d'octobre  jusqu'à  celui  de 
janvier  qu'il  est  le  meilleur  :  cepen- 
dant comme  il  est  alors  maigre  et  sec  , 
on  n'en  fait  pas  grand  cas  en  France  ; 
mais  en  Angleterre  ,  où  il  est  gras, on 
le  regarde  comme  nn  bon  mets.  Les 
Groenlandais  le  mangent  partie  frais, 
partie  séché  ,  et  même  lorsqu'il  est  un 
peu  corrompu.  Ils  rassemblent  les  œufs 
de  ceux  qui  sont  séchés  ,  et  les  font 
cuire  pour  les  manger.  Ils  apprêtent  le 
foie  avec  des  bayes  noires  d'empetrum 


ninrum. 

a 


Le  foie  est  d'un  rouge  pâle,  et  consiste 
en  deux  lobes  longs  et  minces.  La  rate 
est  rouge  ,  très-petite  ,  triangulaire  et 
attachée  à  l'estomac  par  en  bas.  Ce 
dernier  est  large  et  fort.  La  vésicule 
aérienne  est  grosse  ,  et  attachée  à  l'é- 
pine du  dos  comme  aux  morues. 

Ce  poisson  se  nomme  : 
Breiter  Schellfisch,  Steinbolk  et   Blod- 

augt  j  en  Allemagne. 


DU     MOLLE.  253 

Steenbolh  ,  Gullak  ,  en  Hollande. 

Pout ,  en  Angleterre. 

JVhithing  et  Pout ,   à  Londres  ; 

Whithing Mops  ,  quand  il  est  petit. 

Kle?  ,   à  Scarborougli. 

Bib  et  Blind  ,  à  Cornouailles. 

Molle ,  en  France. 

Tacaud ,  à  la  Rochelle. 

Baraud-gode ,  au  Havre  et  à  Dieppe. 

Poule  de  mer  ,   à  Fécamp. 

Petite  Morue  fraîche  ,  à  Paris. 

Malcotj  à  Brest. 

Guiteau ,  en  Bretagne. 

Ogak  et  Om<2&  ,  en  Groenland  ; 

Ogarkœtet  Ovarak^  dans  le  même  pays, 

quand  il  n'a  qu'un  an. 
Smaafiskur ,  Tharafiskur  ,  en  Islande. 
Gakran  et  Rudnok  >   en  Laponie. 
Smaa-Tork  ,   en  Danemarck. 
Rodagtig  Smaa-Torsk  et  Kroppung,  en 

Norwège. 
Sma-Torsk  ,  en  Suède. 

FIN    DU    TOME    PREMIER. 

Poissons.  I.  22 


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