HARVARD UNIVERSITY.
LIBRARY
OF THE
MUSEUM OF COMPARATIVE ZOOLOGY
LlBEARY OF
SAMUEL GARMAN
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JAN 2 2 1929
HISTOIRE NATURELLE
DES POISSONS.
HISTOIRE NATURELLE
DES POISSONS,
avec les figures dessinées d'après nature
PAR BLOC H.
Ouvrage classé par ordres , genres et espèces ,
d'après le système de Linné;
AVEC LES CARACTERES GENERIQUES;
Tar RENÉ-RICHARD CASTEL , auteur du poème
des Plantes.
TOME PREMIER.
DE L'IMPRIMERIE DE CRAPELET.
A PARIS,
Chez Deterville, rue du Battoir, n° l6.
AN IX. { jy fi
C
AVIS DU LIBRAIRE,
L'histoire naturelle des Pois-
sons par Bloch , est trop connue
pour en faire ici l'éloge ; elle est
généralement estimée des Français
et des étrangers : aucun ouvrage
n'est plus propre à faire suite aux
écrits de Buffon , et c'est jusqu'à
présent le seul traité complet que
l'on connoisse sur cette grande par-
tie des productions de la nature.
Malheureusement pour beau-
coup de lecteurs , c'est un ouvrage
de luxe 9 puisqu'il est de format
grand in-folio _, et qu'il coûte neuf
cents livres. Nous avons cru rendre
service au public, en reproduisant
cette Histoire sous un format cora-
Poissons. I. a
ij AVIS DU LIBRAIRE
mode, portatif, d'une très-belle
exécution , à un prix très-modi-
que. Toutes les planches ont été
dessinées de nouveau par J« E.
Deseve, dont le talent est connu,
et gravées avec un soin particulier
sous sa direction ; de sorte que ,
sans en excepter une seule , elles
se retrouvent dans notre édition ,
au même nombre et aussi précieu-
sement terminées que dans l'ori-
ginal.
L'ouvrage de Blocli ayant paru
partie à partie , l'auteur n'a pu
y mettre Tordre qu'il desiroit.
C'est un inconvénient attaché aux
grands ouvrages sur la nature, pour
lesquels on ne peut réunir tous les
matériaux à-la-fois. Bloch a suivi
le système de Linné ; mais par une
suite de l'inconvénient dont nous
A Y I S DU LIBRAIRE. ii j
parlons , donnant les espèces à me-
sure qu'elles lui arri voient , il s'est
Vu souvent forcé de les placer loin
de leur genre , et de recourir à la
ressource des supplémens.
René Richard Castel , auteur
du Poëme des Plantes , et éditeur
de V Histoire naturelle de Biiffbn _,
classéepar ordres, genres et espèces
d'après le système de Linné, a bien
voulu se charger de revoir cet ou-
vrage, et d'en distribuer réguliè-
rement les parties suivant la mé-
thode linnéenne et l'intention de
Bloch.
Ainsi le désordre et les transpo-
sitions de l'original se trouvent
entièrement réparés dans cette
édition. Bloch n'avoit point donné
l'histoire du Narval, des Baleines,
ÎV AVIS DU LIBRAIRE.
des Cachalots, des Dauphins, c'est-
à-dire , des plus gros animaux des
mers , nous l'avons ajoutée, pour
qu'il ne manque rien à la curiosité
ou à l'instruction de ceux qui veu-
lent connoître les poissons.
INTRODUCTION.
Ce n'est pas pour les savans seuls
que j'ai composé cet ouvrage 5 j'ai
songé en même temps à l'instruc-
tion de ceux qui s'appliquent à
l'économie rustique. Il est clone
nécessaire , avant que d'entrer en
matière , de donner une explica-
tion des termes de l'art, de déter-
miner l'usage des différentes par-
ties du corps des poissons , de dire
quelque chose sur la pêche et les
instrumens qu'on y emploie ; en-
fin d'enseigner les moyens géné-
raux et les précautions nécessai-
res pour transporter les poissons
d'un endroit dans l'autre.
Je commencerai pat' donner
quelques notions générales sur les
qualités des poissons. Je les place
VJ INTRODUCTION.
ici, afin de n'y plus revenir dans
la suite, et d'éviter des répétitions
ennuyeuses.
Le corps de la plupart des pois-
sons paroît comprimé des deux
côtés , c'est-à-dire plus haut que
large , comme dans le hareng et
le saumon -, quelques-uns sont ap-
pîatis dessus et dessous et plus lar-
ges que hauts, comme la sole et la
raie^ d'autres sont ronds comme
l'anguille , la murène et la lam-
proie.
Dans la plupart des poissons,
l'ouverture de la bouche est pla-
cée sur le devant de la tète y dans
d'autres , comme l'esturgeon , le
barbeau , etc. , elle en occupe la
partie inférieure; dans quelques-
uns, tels que le raspecon et la vive,
elle est en haut. Dans quelques
espèces , telles que les carpes , les
INTRODUCTI O X. vij
lèvres sont mobiles et garnies d'os
particuliers. Les poissons voraces ,
comme l'a truite et l'éperlan , ont
ordinairement les mâchoires, le
palais et la langue garnis de dents.
La mâchoire supérieure de l'es-
padon avance de beaucoup sur la
mâchoire inférieure , et les deux
mâchoires de l'orphie se termi-
nent en longues pointes ; quel-
ques-uns, comme le silure et le
goujon , ont la bouche garnie d'ap-
pendices vermifoLines, qu'où nom-
me cirrlies*
L'œil est composé delà prunelle,
de l'iris et du cristallin \ ce dernier
est rond, afin que le poisson puisse
mieux voir au milieu de l'eau.
Les poissons n'ont pas proprement
des paupières ; mais a,u lieu de
cela t la nature a donné à plusieurs
espèces ? telles que la lotc > une
Viij INTRODUCTION*
peau qui en tient lien. La parti©
qui est au-dessus des yeux et qui
joint la tête au tronc , se nomme
la nuque. Les opercules des ouies
sont des deux côtés. Dans les pois-
sons à écailles , ils sont ordinaire-
ment composés de deux ou trois
lames osseuses ; et dans d'autres ,
tels que l'anguille , ils sont mem-
braneux. La membrane des ouies
est composée de rayons osseux ou
cartilagineux, et placéeàla gueule.
Quelquefois elle est couverte en-
tièrement par les opercules comme
dans les soles $ d'autres fois seule-
ment à moitié , comme dans la
plupart des poissons, ou enfin elle
est totalement nue comme au scor-
pion de mer. Sous ces opercules ,
on trouve de cbaque côté les qua-
tre ouies qui consislent. en tin are
osseux ou cartilagineux 3 et un
INTRODUCTION. ix
double rang de franges, entre les-
quels le sang circule dans des vais-
seaux très-déliés.
Intérieurement , les ouies sont
attachées de chaque côté à deux
osselets du palais. C'est par le
moyen des ouies que les poissons
respirent. Ils attirent Peau par la
bouche et ferment en même temps
l'ouverture des ouies. De cette ma-
nière, les ouies sont dans les pois-
sons , relativement à la circula-
tion du sang , ce que les poumons
sont dans les autres animaux pour
l'inspiration de l'air. Si le poisson
ouvre aussi-tôt après les opercules
des ouies , l'eau en sort à l'instant
et de la même manière que l'air
sort des poumons par le moyen de
l'expiration. Il y a des poissons qui,
outre les ouies , ont aussi des es-
pèces de poumons -, tels sont la
X INTRODUCTION.
lamproie, la raie et le requin. Ces
deux organes communs de la res-
piration donnèrent à Linné l'idée
d'en faire une classe particulière
d'amphibies. Ces espèces ont à la
place une ouverture de chaque cô*
té. La partie située en bas , entre
la membrane des ouies et l'ouver-
ture de la bouche , se nomme
gueule.
Le poisson n'a point de cou , sa
lête est unie immédiatement au
tronc. Le tronc de la plupart des
poissons est couvert de petites pla-
ques brillantes et de la nature de
la corne, qu'on nomme écailles.
Quelques espèces , telles que le liè-
vre marin , le turbot et l'estur-
geon , ont au lieu d'écaillés , des •
protubérances osseuses ou cartila-
gineuses ; d'autres sont couverts
de boucles comme les épinoches ;
INTRODUCTION. xj
d'autres enfin ont la peau entière-
ment lisse et sans écailles , mais
enduite d'une matière visqueuse
et gluante ; telles sont la loche et
le silure.
La carpe à miroir à grandes
écailles , dont le tronc n'est cou-
vert qu'en partie , semble tenir le
anilieu entre ces deux extrémités.
Le tronc comprend la poitrine,
le ventre et la queue. La poitrine
est courte, parce que les poumons
sont dans la tête ; elle est séparée
du ventre par une membrane blan-
che et brillante nommée dia-
phragme. On appelle ventre la par-
tie située entre la poitrine et la
queue ; et celle qui termine le
tronc en se rétrécissant, se nomme
queue.
Dans quelques espèces , le ven-
tre est épais *? dans d'autres , il est
XÎj INTRODUCTION»
mince ou tranchant. Chez quel-
ques-uns , le dos est entièrement
rond ; chez d'autres , il ne l'est
qu'en partie , et dans la plupart ,
il est terminé par une espèce de
tranchant.
On désigne sous le nom de cotés
l'espace compris entre le ventre et
le dos. Dans la plupart des pois-
sons, on remarque sur les côtés
une ligne qui va depuis la tête jus-
qu'aux nageoires de la queue : on
la nomme ligne latérale.
Les nageoires prennent leur
nom des parties auxquelles elles
sont attachées ; ainsi J'on dit les
nageoires dorsales, pectorales, les
nageoires du ventre , de l'anus et
de la queue. Les nageoires dorsales
sont tantôt simples comme dans le
genre des brochets , tantôt dou-
bles ; comme celles de la perche et
INTRODUCTION. xiij
du sandre; tantôt triples, comme
celles de l'aigrefin et de la morue.
Quelques espèces, comme les sau-
mons , ont une seconde nageoire,
qui n'est qu'une membrane alon-
gée, qu'on nomme nageoire adi-
peuse. Les nageoires de la poitrine
sont toujours au nombre de deux.
Elles sont placées près des ouver-
tures des ouies ; et le poisson s'en
sert en guise de rames pour avan-
cer dans l'eau. Dans un petit nom-
bre, elles sont tellement alongées,
que le poisson peut , avec leur
secours , s'en servir comme de
deux ailes pour se soutenir pen-
dant quelque temps en l'air. Il y a
diverses espèces qui n'ont point
de nageoires au ventre ; et par
cette raison , on les nomme apo-
des, ou sans pieds, telles sont l'an-
guille , le tobie et l'espadon. Mais
Poissons. I. b
xiv INTRODUCTION.
dans ceux qui en ont , on en trouve
toujours deux. Ces nageoires sont
pour les poissons des espèces de
pieds dont ils se servent pour s'ap-
puyer au fond de l'eau. Situées
sous la partie inférieure du corps ,
leur place n'y est pas toujours fixe
et déterminée. On les trouve tan-
tôt à la gueule 3 tantôt à la poitrine
ou au ventre. Dans le premier cas ,
les poissons se nomment jugulai-
res : ce sont la merluche , l'aigre-
fin et la lote ; dans le second, on
les appelle thorachiques , telles que
la perche et l'épinoche ; dans le
troisième , ils prennent le nom
à' abdominaux. On compte entre
autres, dans cette dernière classe,
le brochet, le saumon et la carpe.
La nageoire de l'anus placée entre
le ventre et la queue , est ordinai-
rement simple ; elle contribue avec
INTRODUCTION. XV
celle du dos à tenir le poisson eu
équilibre. La nageoire delà queue
termine les parties externes du
poisson : les poissons s'en servent
pour avancer , tourner et diriger
leurs mouvements. Elle est ronde
dans quelques uns, comme le car-
relet, et droite dans d'autres, com-
me la tanche. Quelquefois on y re-
marque une échancrure formant
un croissant lorsqu'elle n'est pas
profonde , et une espèce de four-
che lorsqu'elle l'est , comme ou
peut le voira l'espadon et à la brè-
me. Toutes ces différences sont
autant de marques distinctives qui
servent à ranger les poissons en
classes , en genres et en espèces.
Les nageoires en elles-mêmes sont
formées d'une peau soutenue par
plusieurs rayons osseux ou carti-
lagineux , et unies au corps par I©
XVJ INTRODUCTION.
moyen de certains os particuliers.
Elles sont traversées par divers
muscles par le moj^en desquels le
poisson peut les mouvoir en dif-
férens sens. Le nombre des rayons
est très -varié et fournit un des
principaux caractères qui servent
à distinguer les espèces et les gen-
res. Dans quelques-uns, ils sont
durs et pointus , et dans d'autres ,
mous et plians.
.Les poissons dont les parties les
plus solides ne sont que cartilagi-
neuses, comme la lamproie et le
lièvre marin , ont aussi des ravons
de même nature. Outre les nageoi~
res, il y a des poissons qui ont des
appendices particulières qui, lors-
qu'elles sont situées à la poitrine ,
prennent le nom de doigts comme
dans le rouget. Il y en a d'autres
qui ont immédiatement au-dessus
INTRODUCTION, xvi)
des nageoires du ventre , une par-
tie pointue et séparée de la peau ,
que l'on nomme appendice ven-
trale ; elle est cartilagineuse et à
moi tié couverte d'écaillés. Elle sert
probablement à soutenir d'une ma-
nière particulière la nageoire du
ventre.
La conformation des parties in-
térieures des poissons est différen-
te , à bien des égards , de celle des
autres animaux. La langue du pois-
son est cartilagineuse; et dans quel-
ques espèces voraces , telles que
les éperlans et les truites , elle est
même garnie de deuts; d'autres,
comme les carpes , n'en ont point
du tout; ce qui fait croire que cet
organe, chez les poissons, est plu-
tôt destiné à retenir la nourriture
qu'à faire éprouver à l'animal le
sentiment du goût.
Xvilj INTRODUCTION.
Pline a soutenu que les poissons
éprouvent la sensation de louie ;
et quoiqu'il se soit élevé dans la
suite plusieurs doutes à ce sujet,
la chose paroît cependant assez
bien démontrée de nos jours.
Quant aux sens de l'odorat et du
toucher , on n'a jamais douté que
les poissons n'en fussent pourvus;
quelques-uns même, comme le
scorpion marin , poussent un cri
quand on les touche.
Le cœur des poissons est trian-
gulaire , n'a qu'une oreillette , et
ne forme que du sang froid. Le ca-
nal des intestins est le plus sou-
vent court, sur-tout dans les pois-
sons voraces ; et dans un grand
nombre , l'estomac n'est point sé-
paré des intestins, comme dans les
carpes. Le saumon, la perche , ci
plusieurs autres , ont près de l'es-
I N T R O D U C T I O N'. Xlï
tomac de petits intestins ou appen-
dices, destinés à retenir plus long-
temps la nourriture dans le corps,
et qui sont par conséquent les prin-
cipaux organes de la nutrition.
Le poisson étant un corps com-
pacte , est plus lourd que l'élément
dans lequel il est porté : il reste-
roit par conséquent toujours au
fond , si le Créateur ne Favoit pour-
vu d'une vessie qu'il peut remplir
d'air à son gré. En effet , on re-
marque dans les poissons un canal
qui va de la vésicule aérienne à
l'estomac, et qui sert à introduire
et à rejeter l'air. Il peut aussi, par
le moyen de cette vésicule _,. se ren-
dre, à son gré^ plus ou moins pe-
sant que l'eau , ou rester en équi-
libre avec cet élément, et cela, en
y introduisant plus ou moins d'air»
Les oeufs des poissons sont très-
xx INTRODUCTION.
petits en comparaison de ceux des
autres animaux ; il n'y a que les
truites et les saumons où j'en aie
tu delà grosseur d'un pois 5 au lieu
que dans un silure, qui pesoit plus
de cent livres, je ne les ai trouvés
que de la grosseur d'un grain de
juillet. Il n'en est pas de même de
la quantité 5 les poissons surpas-
sent , à cet égard , les autres ani-
maux ; ils en pondent tous les ans
un très-grand nombre ; et j'en ai
souvent compté cent mille et plus
dans un poisson qui ne pesoit pas
plus d'une demi-livre. On admire
ici la sage disposition du Créa-
teur , qui considéra sans doule,
en cela, et la manière dont les œufs
sont fécondés, et les dangers con-
tinuels auxquels ils sont exposés ,
soit par les inondations et les tem-
pêtes ; soit par la quantité d'ani-
INTRODUCTION. xxj
maux voraces , qui sont avides et
des œufs et des petits. Les oeufs des
poissons ne sont pas fécondés com-
me ceux des autres animaux dans
le ventre de la mère : lorsque la
femelle les a jetés , le mâle la suit,
pour y répandre la liqueur sémi-
nale qui sort de ses laites ; mais
comme il n'y a que la plus petite
partie qui reçoive cette liqueur,
la plupart restent stériles. D'ail-
leurs les poissons jettent leurs œufs
sur toutes sortes de corps , qui
souvent portés hors des bords par
les tempêtes ou l'agitation des va-
gues laissent le frai sur le rivage :
les œufs et les petits périssent la
plupart quand les eaux se retirent.
Un froid subit empêche aussi sou-
vent la femelle de frayer , ou glace
le sang dans les petits nouvelle-
ment éclos. Une partie des œufs
xxij INTRODUCTION.
devient aussi la proie des épinc-
clies , de l'anguille et des autres
poissons voraces. Les oiseaux aqua-
tiques même ne dédaignent pas
cette nourriture. Le défaut de cha-
leur fait aussi souvent qu'une par-
tie des œufs reste au fond de l'eau
sans éclore. En général , on trouve
que dans les poissons , les espèces
voraces sont non -seulement plus
nombreuses que parmi les animaux
terrestres et les oiseaux , mais aussi
qu'elles sont plus avides et plus in-
satiables , en ce qu'elles n'épar-
gnent pas même leur propre es-
pèce ; ce que les autres ne font que
lorsqu'ils y sont forcés par une
très-grande faim. Ajoutez à cela ,
la quanti té de moyens quel'homme
a imaginés pour s'emparer des
poissons , et vous conviendrez que
des animaux exposés à tant de daa^.
INTRODUCTION. XXiV)
gers,seroient disparus depuis long-
1emps , si la prévoyance du Créa-
teur n'eût prévenu la perle des es-
pèces par la quantité innombrable
d'œufs dont il a fécondé les femel-
les. Les oeufs, dans quelques pois-
sons , sont renfermés dans un , et
chez la plupart , dans deux espè-
ces de sacs qu'on nomme ovaires }
situés devant la vésicule aérienne ;
et l'on voit auprès de l'anus une
ouverture particulière, nommée
nombril , qui sert à leur passage.
La laite du mâle est toujours dou-
ble. Si l'on en met sur un morceau
de verre autant qu'il en peut tenir
sur la pointe d'une aiguille, ei
qu'après l'avoir délayée dans une
goutte d'eau , on la regarde au mi-
croscope , on y découvre une gran-
de quantité de petits corps orga-
niques. La liqueur séminale sort
Xxiv INTRODUCTION.
aussi par le nombril. On trouve
des poissons qui sont vivipares,
tels que l'anguille , l'ascite , la
loche de Surinam, la lote vivipare
et quelques autres. Les autres vis-
cères qui concourent à la diges-
tion des poissons et à la forma-
tion du chyle , sont le foie et la
vésicule du fiel. Il y a quelque
temps que M. Guillaume Henson
a découvert aussi des vaisseaux
lymphatiques.
Dans les poissons , Furine est
filtrée par les reins et sort parle
nombril.
Les parties les plus solides des
poissons sont osseuses dans les uns ,
cartilagineuses dans d'autres. Ils
ont à l'épine du dos plus d'articu-
lations etd^e vertèbres que les qua-
drupèdes et les oiseaux. Dans quel-
ques-uns y comme l'anguille, j'en
INTRODUCTION. XXV
ai compté jusqu'à quatre-vingt-
dix , ce qui ne contribue pas peu
à la légèreté de leurs mouvemens.
Quand les poissons sont bien
nourris , ils croissent prompte-
ment , et parviennent à un âge
très avancé. L'épinoche est la seule
espèce qui ait une vie fort cour le:
elle vit rarement plus de deux ans.
Les diverses espèces de poissons se
plaisent dans des endroits différens.
Les uns, comme la baleine, res-
tent toujours en pleine mer.
Dans le temps du frai , quelques
poissons , comme l'aigrefin , cher-
chent les côtes et les rochers 5 d'au-
tres, comme le saumon, quittent
alors la mer , et remontent les fleu-
ves. Il y a quelques espèces qui ne
peuvent vivre que dans les eaux
douces et coulantes : telles sont les
loches , etc. •, d'autres ne peuvent
Poissons. I. C
XXV) INTRODUCTION
souffrir que l'eau des lacs, comme
le corassin. La plupart cherchent
leur nourriture pendant le jour ;
quelques espèces , comme l'an-
guille , ne la cherchent que pen-
dant la nuit. Il y a plusieurs espè-
ces qui vivent dispersées, comme
3e brochet ; il y en a d'autres qui
aimentà aller en troupes, sur-tout
dans le frai : telles sont les rosses
et les brèmes ; d'autres enfin , com-
me le hareng et le saumon, entre-
prennent des voyages considéra-
bles.
.Les poissons étant une partie
considérable de notre nourriture,
ont formé dans tous les temps une
branche de commerce. A cet égard,
ils méritent assurément l'attention
des économistes. Les digues , les
chaussées et les autres ouvrages
que l'on construit sur les rivières r
INTRODUCTION» Xxvij
ne contribuent pas peu à diminuer
le nombre des poissons. D'un au-
tre côté, le luxe et l'avidité des
riches engloutit de plus en pins les
espèces. Cependant on n'a presque
pas encore pensé jusqu'ici à les
transporter , pour les faire multi-
plier dans d'autres contrées. Les
poissons qui trouvent toujours dans
les eaux une température confor-
me à leur nature , sont bien moins
sensibles au changement de cli-
mat que les quadrupèdes et les oi-
seaux.
Qu'on transporte un poisson d'un
pays chaud, où les eaux ne gè-
lent jamais, dans un pays froid où
leur surface est couverte de glace,
il évitera en partie les inconvé-»
niens de ce changement et de la
rigueur du climat , en se tenant
toujours au fond. Toutes les co.iv.
xxviij INTRODUCTION,
trées offrent aussi dans certaines
saisons, aux poissons, une certaine
température assez chaude pour fa-
voriser leurs amours et leurs pon-
tes, et pour faire éclore heureuse-
ment leurs œufs. Avantage que la
nature semble avoir refusé aux
quadrupèdes et aux oiseaux : c'est
ce que l'expérience a suffisamment
confirmé. Ainsi les carpes se sont
naturalisées en Danemarck , en
Suède , en Hollande et en Angle-
terre.
Le sterlet s'est accoutumé au
climat de la Suède et de la Porné-
ranie ; la carpe dorée de la Chine,
à Londres, à Amsterdam et à Ber-
lin. Mais pour réussir dans le trans-
port des poissons , il faut considé-
rer s'ils aiment les eaux courantes
ou dormantes , s'ils sont accoutu-
més à un fond de marne, de pierre,
T \T T R O D U C T I OX. XXlX
de sable,, de glaise, ou à un fond
couvert d'herbages. En général ,
toutes les espèces de poissons se
plaisent dans des lacs d'une pro-
fondeur considérable, oùilse trou-
ve des sources ou des eaux couran-
tes qui les traversent ,. et dont le
fond est diversifié par du sable ,
de la glaise et des herbages* Les
lacs dont les bords sont élevés, ne
sont pas si propres a recevoir de
nouveaux poissons que ceux dont
le rivage est bas et uni. L'éléva-
tion des bords empêche les rayons
du soleil de porter dans le fond
assez de chaleur pour faire- éclore
heureusement les œufs. On peut
cependant mettre aussi des pois-
sons dans ces sortes de lacs _, pour-
vu qu'on ait soin d'y construire,
près desbords , des viviers de plan-
ches* Ces sort es de viviers doivent
XXX INTRODUCTION*
être larges, plats et découverts. Les
cloisons des côtés doivent être po-
sées de manière qu^onpuisselesôter
après le temps du frai. Le fond et
les cotés seront garnis de brous-
sailles de sapin , où les poissons
pourront se frotter et déposer leurs
œufs. Le temps le plus favorable
pour transporter des poissons, est
celui où ils sont sur le point de
frayer. Si Ton veut faire multi-
plier plusieurs espèces à la fois , il
est prudent de donner à chacune
un réservoir particulier , où les
poissons aient un espace propor-
tionné à leur grosseur et à leur
nombre. Après le frai , on tire les
poissons du vivier avec un éper-
vier ou autre filet , et on les met
ailleurs. Alors on écarte les brous-
sailles, afin d'exposer autant qu'il
est possible a aux rayons du soleil >
INTRODUCTION, xxx)
les œufs fécondés , et de leur pro-
curer la chaleur qui doit les faire
éclore. Cette manière de multi-
plier les poissons dans de nouvelles
eaux , pouvant en produire une
quantité prodigieuse, parle moyen
de quelques individus seulement ,
on doit sur-tout l'employer à l'é-
gard des poissons rares , ou qu'on
trouve dans des contrées éloignées*
On y réussiroit bien plus aisément
de la manière suivante : Il faut
prendre, peu de temps après le frai ,
des herbages ou des pierres contre
lesquels les poissons ont déposé
leur frai , et les transporter dans
d'autres eaux pour y éclore. J'ai
fait éclore de cette manière plu-
sieurs œufs de poissons dans ma
chambre. Ce ne son t pas seulemen t
les lacs profonds et à bords unis
dans lesquels on peut mettre de
XXxij INÏROÛ ACTION.
nouveaux poissons : les eaux trorr-
blés el bourbeuses recevront aussi
des gibèles et des tanches. Il faut
aussi avoir égard à la saison dans
le transport des poissons. Le prin-
temps et l'automne sont les plus
favorables. En été , la chaleur et
les orages qui peuvent survenir,
font mourir les poissons. Il faut
aussi faire attention à l'espèce des
poissons qu'on veut transporter.
Ceux qui ont la vie dure, comme
l'anguille , la brème et la carpe ,
n'exigent pas tant de précautions
que ceux qui , comme le sandre ,
l'éperlan et Tablette, meurent quel-
que temps après être sortis de l'eau.
Quelques-uns , comme les loches
et les truites, ont si peu de vie ,
qu'ils meurent dès que l'eau dans
laquelle on les met est un peu tran-
quille. Ainsi il est nécessaire que-
INTRODUCTION. XXxiij
les vaisseaux dans lesquels on les
transporte soient toujours en mou-
vement, même lorsque la voiture
qui les porte est arrêtée ; et il est
aussi fort prudent, dans les gran-
des chaleurs , de ne voyager que
de nuit. Une autre précaution qu'il
est encore bon de prendre , c'est
de ne point trop remplir les ton-
neaux , afin qu'ils ne se blessent
pas la tête lorsqu'ils montent pré-
cipitamment vers le haut. Pour
transporter environ un quintal de
poisson , il faut un tonneau qui
contienne au moins vingt seaux
d'eau.
Dans les voyages de long cours,
il faut de temps en temps changer
l'eau courante, sur-tout lorsqu'on
transporte des poissons tels que les
truites et les loches , qui sont ac-
coutumés à ces eaux. Il faut aussi
XXxiv INTRODUCTION.
avoir soin , en été , de ne mettre
dans les tonneaux que moitié moins
de poissons qu'on n'en mettroit en
hiver; parce que dans les grandes
chaleurs, ils ont plus que jamais
hesoin d'air frais. En général , il
faut, dans toutes les saisons , lais-
sera l'air une libre entrée dans les
vaisseaux. Cependant en laissant
le trou du bondon ouvert , il faut
prendre garde qu'un mouvement
trop violent n'en fasse jaillir l'eau >
©u ne lui communique trop d'agi-
tation ; car dans ces deux cas , les
poissons poussés les uns contre les
autres, peuvent être blessés et pé-
rir. On peut prévenir la tropgran-
de agitation de l'eau , en mettant
dans les tonneaux une couronne
de paille, ou quelques petites plan-
ches minces. On empêche aussi
l'eau de jaillir, en adaptant au trou
INTRODUCTION. XXXV
du bondon un tuyau quarré de
bois. Ce tuyau d'environ un pied
et demi de long , doit finir en
pointe par le haut, être assujetti au
trou du bondon par de petites lat-
tes, et avoir par le haut plusieurs,
petits trous , afin de laisser à l'air
une voie de communication. D'ail-
leurs , on n'a pas besoin de dire
qu'en prenant les poissons, il faut
prendre garde de les heurter ou de
les presser trop fort dans les mains.
En général, il vaudroit mieux,
quand l'éloignement n'est pas trop
considérable, porter les poissons,
que de les voiturer. Pour empois-
sonner, il faut prendre des pois-
sons qui soient un peu grands , ou
qui soient âgés de trois à quatre
ans , et mettre deux mâles pour
une femelle. Les poissons d'un an
font encore trop jeunes pour cet
XXXVJ INTRODUCTION.
usage. Quand on veut faire frayer
des poissons voraces , il faut y
joindre ceux qui leur servent or-
dinairement de nourriture ; et on
préfère , pour cet usage , ceux dont
on fait peu de cas pour les tables ;
tels que les poissons blancs , la
rosse , la bordelière et la gibèle.
On y met aussi l'éperlan et le gou-
jon, qui se plaisent dans les mêmes
eaux que les poissons voraces.
I?istrumens de la pêche.
Comme il est important à l'éco-
nomiste de connoître les instru-
mens dont on se sert pour la pè-
che , nous en traiterons dans la
suite , en parlant des différentes
espèces de poissons. Mais comme
nous n'avons encore aucun livre
sur la manière de pécher dans l'eau
INTRODUCTION. XXxvij
douce , je vais commencer d'en
donner ici une idée à mes lecteurs
par une courte description.
L'anguillière est une espèce de
nasse ou panier fait de jonc , d'o-
sier, ou d'autres branches flexi-
bles , dont les baguettes sont plus
ou moins serrées, selon la gros-
seur du poisson qu'on veut pren-
dre. Les meuniers placent ordinai-
rement cet instrument au-dessous
de l'auge du moulin. C'est ainsi
qu'ils prennent ordinairement les
anguilles que le courant de l'eau y
entraîne.
Le carrelet est une espèce de filet
en quarré. Les mailles du milieu
sont plus serrées que celles du bord.
On le borde d'une petite corde
forte et unie. Les quatre coins de
ce filet sont attachés à des perches
courbes et pliantes ; de manière
Poissons, I. d
XXxviij INTRODUCTION.
qu'il forme un creux. Ou attache
ces perches à une autre grande
perche qui sert de manche au filet.
On plonge ce filet dans l'eau 5 et
dès qu'on voit des poissons qui na-
gent au-dessus, on le relève promp-
tement. Le poisson appercevant le
mouvement , plonge vers le fond,
se précipite sur le filet , et devient
ainsi la proie du pécheur. 11 faut
observer que plus la maille de ce
filet est grande, plus il est aisé de le
tirer de l'eau : commodité qui n'est
pas à négliger ; car si le carrelet se
tire lentement , les gros poissons
sauteront par-dessus.
Le coleret est un grand filet qui
ressemble en tout à la seine, si ce
n'est qu'il est ordinairement tiré
par des hommes ; au lieu que la
dernière l'est par des bateaux.
11 y a des colère I s de différentes
INTRODUCTION, xxxix
espèces qui diffèrent par la gran-
deur.
Les hameçons dormans se font
de la manière suivante : Prenez
nue corde longue à proportion de
la largeur de la rivière où vous
voulez pécher* attachez y de dis-
tance en distance , environ de deux
pieds chacune, de petites ficelles
armées par le bout d'un hameçon
long d'un pouce ; amorcez l'hame-
çon avec des achées , soit de cha-
touilles , ou autres ; ensuite atta-
chez un des bouts de la corde à un
des bords de la rivière où vous vou-
lez pêcher ; puis après avoir atta-
ché une corde ou un plomb à l'au-
tre bout, lancez -le vers l'autre
bord le pi us loin que vous pourrez.
L'hameçon ou ligne est un ins-
trument fort connu, et qui sert
plutôt d'amusement aux personnes
xl INTRODUCTION,
qui aiment la pèche, que d'instru-
ment pour les pêcheurs de profes-
sion. C'est une espèce de crochet
de fer, plus ou moins grand, dont
l'extrémité qui soutient l'appât est
formée en dard , de manière que
s'il arrive au poisson goulu d'ava-
ler l'hameçon avec l'appât qu'on
lui présente, les efforts qu'il fait
ensuite pour le rejeter, et le coup
de poignet que donne le pêcheur >
ne servent qu'à l'engager dans les
chairs. L'autre extrémité de l'ha-
meçon est plate , et s'attache à une
ficelle ou fil qui pend d'une lon-
gue perche, qu'on appelle ligne.
Le havenet est un filet monté
sur deux perches croisées de hois
léger , qui le font ouvrir et fermer
au gré du pêcheur. Il se traîne , et
n'est chargé ni de plomb , ni d'au-
tre chose lourde, afin qu'on puisse
INTRODUCTION. xlj
le relever plus facilement. Les per-
ches sont tenues ouvertes par une
petite traverse , qui s'emboîte à
mortaise d'un bout, et qui est four-
chue de l'autre : elle est placée en-
viron à trois pieds sur la longueur
des perches du côté du pêcheur,
qui pousse cet instrument devant
lui. Le reste du sac est amarré sur
les côtés de la perche, et fermé
d'un petit filet qui retient le pois-
son,
La ligne flottante consiste en un
hameçon que l'on attache au bout
d'une ficelle longue de cinq à six
brasses : on attache l'autre bout de
la ficelle à un petit paquet dejonc,
afin que la ligne flotte sur l'eau et
qu'on puisse la retrouver. Cette li-
gne se jette le soir , et se lève le
matin.
La ligne volante ou turlotte est
xlij INTRODUCTION.
une espèce de ligne qui se fait de-
la manière suivante. Il faut avoir
un hameçon et un bout de fil d'ar-
chal jaune , de la grosseur d'une
fine épingle qu'on plie en deux, et
qu'on tortille de manière qu'il fasse
un petit chaînon. , au bout duquel
on laissera un petit anneau. A l'é-
gard des deux bouts du fîl d'archal
qui resteront du chaînon, on doit
les attacher à la queue de l'hame-
çon avec de la soie ou du fil , en
sorte que ce qui sera attaché ne
descende pas plus bas que l'endroit
vis-à-vis le crochet de l'hameçon.
Cela fait , il faut faire un cornet
d'un gros carton, ou, si l'on veut,
de terre à potier , dont le dedans
ne soit pas plus large que la gros-
seur du tuyau d'une grosse plume
à écrire , et de la longueur envi-
ron du petit doigt ^ ensuite passer
INTRODUCTION, xîiij
au travers du cornet l'hameçon
attaché au fil d'archal; puis faire
en sorte que toute la queue de l'ha-
meçon , depuis l'endroit vis-à-vis
le crochet, et environ la longueur
d'un travers de doigt du chaînon,
soit cachée dans le cornet \ et em-
plir ledit cornet de plomb fondu y
en tenant l'hameçon par le bout
du chaînon , afin que ce qui doit
être enchâssé se trouve dans le mi-
lieu el enveloppé également par-
tout y après quoi on arrondit les
deux extrémités du plomb. L'ha-
meçon ainsi accommodé , il faut
avoir un fer de la longueur de qua-
tre pouces ou environ, qui soit fait
de manière qu'on puisse faire en-
trer dans la queue le bout d'un bâ-
ton de la longueur d'une canne, et
qu'il y ait au bout un peut anneau
par lequel il soit aisé de faire pas-
xliv INTRODUCTION»
ser la ficelle % on tient le bâton de
la main droite, et de la gauche le
paquet de ficelle , qu'on détortille
autant qu'il est nécessaire pour je-
ter dans la rivière l'amorce , qu'il
faut laisser aller à fond, et faire
sautiller en retirant la ligne par
petits bonds. Quelques pécheurs
mettent un goujon à cette ligne ;
d'autres se contentent de mettre
au-dessus de l'hameçon une petite
plaque de cuivre luisante , qui at-
tire le poisson , et ils la font bril-
ler dans l'eau , en la tirant de des-
sus un bateau qui va avec beau-
coup de rapidité.
La louve est un filet fait en ma-
nière de coffre long et rond, garni
de trois ou quatre cerceaux , un à
chaque bout 5 et l'autre , ou les
deux autres , dans le milieu. On y
met deux perches, de la longueur
INTRODUCTION. xîv
du filet, fourchues par les deux
bouts, afin d'assujettir les deux cer-
ceaux des extrémités et de les te-
nir tendues. Les deux entrées du
iilet sont ouvertes et garnies d'une
espèce de poclie qui va toujours en
diminuant. Ces poches sont atta-
chées l'une à l'autre au milieu du
filet par des ficelles qui se croisent.
Quand ce filet est tout monté ,
et qu'on est arrivé à l'endroit de
la rivière où l'on veut pêcher, qui
doit être pour l'ordinaire rempli
de joncs ou autres herbes , on prend
une faulx ou autre instrument sem-
blable, pour faucher les herbes ou
joncs. Plus l'espace fauché aura
d'étendue , plus on aura lieu d'es-
pérer qu'il viendra du poisson dans
le filet. Cela fait , on prend quatre
grosses pierres qu'on attache aux
bâtons de la louve , afin qu'elle
xlvj INTRODUCTION.
aille au fond de l'eau ; ensuite on
met à ce filet une corde assez lon-
gue pour qu'elle aboutisse sur le
bord de l'eau , où on l'attache à un
piquet : elle sert à tirer la louve
quand le poisson est pris. Ensuite,
après avoir accommodé la louve
en Té ta t qu'elle doit être , on prend
de ces herbes ou joncs dont on la
couvre , faisant néan moi us en sorte
de n^cn point mettre à l'entrée du
filet ; car elles empècheroient le
poisson d'y entrer.
La manche est un grand sac ou
verveux sans cercles , monté sur
mie corde : un côté de l'ouverture
est assujetti dans le fond par une
pierre; le côté opposé est attaché
à un bateau. Le pécheur fait aller
le bateau dans l'eau jusqu'à ce que
Ion sente qu'il y a du poisson.
La nasse est une espèce de cage
INTRODUCTION, xlvij
d'osier qui finit en pointe, an fond
de laquelle on met un appât. On
laplaceaufond de l'eau sur le côlé.
Vers le milieu , il y a des bouts
d'osier mobiles , qui laissent une
entrée libre au poisson ; mais qui
se réunissant lorsqu'il est entré ,
l'empêchent de sortir.
Les parcs sont une sorte de pê-
cherie particulière , qui se fait de
la manière suivante. Les pêcheurs
forment une grande enceinte ou
parc en fer à cheval": le fond en
est exposé à la mer. A chaque bout_,
ils pratiquent un retour en crochet
d'environ six pieds de long : ce
crochet est fait avec des piquets de
trois à quatre pieds de hauteur. Au
centre, il y a une ouverture de
quinze à dix-huit pouces de lar-
geur, qui sert d'issue an poisson
qui suit les convolutions du retour
XÎviij INTRODUCTION,
en crochet , et qui va se rendre à
ce cul de sac , où la marée , en se
retirant, le laisse à sec.
Le retour en crochet est rond
ou quarré ; c'est à la volonté du
pêcheur. Pour ne pas tendre inu-
tilement , les pêcheurs s'assurent
si le poisson donne à la côte , par
les traits ou sillages qu'il laisse im-
primés sur le sable lorsqu'il se re-
tire avec la marée.
L'enceinte du crochet, garni de
rets de bas-parcs et de piquets , est
montée d'une pièce de trente à
trente-cinq brasses de chaque côté.
Pour la continuer , on se sert do
hautes perches de quatorze à quin-
ze pieds , qui suivent immédiate-
ment les rets de bas-parcs. Le pied
des grandes perches est du côté de
la mer : on les penche un peu vers
la terre ; et c'est là-dessus que l'on
INTRODUCTION, xlix
place les rets de jets, qui ont près
de trois brasses de haut. Les pê-
cheurs ne les tenden t point de mer
basse ; ils se contentent de les ar-
rêter seulement par le pied sur le
bas des perches. Ainsi les jets sont
en paquets le long de ces perches:
ils son t cou verts d'un peu de sable ,
ainsi que les flottes. Pour les rele-
ver à la marée , on a mis au haut
de chaque perche une petite pou-
lie , sur laquelle passe un cordage
frappé sur la tête des jets. On a re-
couvert les filets de sable , afin que
le poisson plat passe dessus aisé-
ment lorsqu'il monte dans la baie
avec la marée. Les perches qui ser-
vent aux rets de jets sont toujours
dans les bassures entre les bancs :
l'enceinte se continue , en y met-
tant alternativement des rets de
bas-parcs sur les piquets ou pen-
Paissons. I. e
1 INTRODUCTION,
chans. Ces rets tendent à demeure ,
parce que la marée qui survient ,
les couvre facilement , et laisse
passer le poisson sans le gêner : ce
qui n'arriveroit pas s'ils étoient
tendus sur les liantes perches. Sur
celles-ci , ils placent des filets \
après ces filets placés sur les hau-
tes perches, ils pratiquent des bas-
parcs jusqu'à ce que l'enceinte soit
toute formée , observant que les
crochets ou retours , soient de rets
de bas-parcs montés sur leurs pe-
tits piquets. Lorsque la marée est
sur le point de s'en retourner, les
pêcheurs hissent les lignes des pou-
lies, dégagent les jets du sable qui
les couvre , et les tiennent élevés
à fleur d'eau, taudis qu'ils sont ar-
rêtés au pied des perches , et qu'ils
calent par des plombs. Ils restent
ainsi tendus jusqu'à ce que la ma-
INTRODUCTION. ]j
réè se soit retirée. Ces sorles de-
parcs ne prennent rien qu'au re-
flux de marée montante. Le fond,
exposé à la mer , est couvert par
la distance des perches de jets; et
les crochets des deux bouts regar-
dent la terre.
On prend quelquefois beaucoup
à cette sorte de pêcherie, sur-tout
de poisson rond.
La seine est un filet Ion g de plus
de cent brasses, avec des ailes de
douze toises. Au fond est une es-
pèce de sac ou verveux simple sans
goulet et sans cercle > qui est plus
ou moins long suivant la longueur
des ailes. La partie destinée à res-
ter sur l'eau est garnie de bois; et
l'autre est tirée au fond par le
moyen des pierres qui y sont atta-
chées. Lorsque le fond est vaseux,
on enveloppe les pierres dans de la
lij INTRODUCTION.
paille, afin qu'elles ne s'enfoncent
pas trop avant. Les pêcheurs se
mettent ordinairement sur deux
baleletspour tirer ce filet; on s'en
sert dans les grands lacs pour pê-
cher sous la glace.
Le tramail est un filet composé
de trois rangs de mailles les unes
devant les autres , dont celles de
devant et de derrière sont fort lar-
ges etfaites d'une petite ficelle. La
toile du milieu, qui s'appelle la
nappe, est faite d'un fil délié : elle
s'engage dans les grandes mailles
qui en bouchent l'issue au poisson
qui y entre. 11 y a des tramails de
différen tes espèces.
La truble, qu'on appelle en quel-
ques endroits étiquette , est un pe-
tit filet qui a à-peu-près la figure
d'un grand capuchon à pointe ron-
de , dont l'ouverture est attachée
INTRODUCTION. liij
à un cerceau , ou à quatre bâtons
suspendus au bout d'une perche.
De la manière de faire éclore des
œufs de poisson.
Le transport des poissons dans
d'autres eaux , est non-seulement
coûteux , mais en traîne aussi beau-
coup de difficultés. D'un côté, on
ne trouve pas toujours les poissons
dans les temps les plus favorables
au transport; de l'autre , ils meu-
rent souvent en route , sur-tout
lorsque la distance des lieux est
considérable. Divers poissons y
comme la truite, périssent au mo-
ment où on les pèche; d'autres,
comme les loches , meurent lors-
que la voiture s'arrête après avoir
été en mouvement: un grand nom-
bre souffrent beaucoup quand ils
li V INTRODUCTION.
sont maniés et secoués. On peut ,
selon moi, éviter tous ces incon-
véniens, en faisant éclore dans des
étangs ou des lacs les œufs fécon-
dés. Comme je n'ai point de lacs à
ma disposition , j'ai fait ces expé-
riences dans ma chambre. M. Lund
combat la possibilité de cette mé-
thode ; mais mes expériences prou-
vent le contraire.
Je fis prendre dans la Sprée des
herbages où il y a voit des œufs de
perche , de brème , de rotengle ,
de bordélière , de rosse , d'able et
de plusieurs autres. Je les fis ap-
porter dans un peu d'eau ; je les
mis ensuite dans un vase de bois
plein d'eau de rivière , que je fis
renouveler d'un jour à l'autre; et
au bout de sept jours , j'eus le plai-
sir de voir mon eau peuplée de plu-
sieurs milliers de petits poissons»
INTRODUCTION. W
Comme le vase éloit resté dans une
chambre exposée à la chaleur du
soleil , et que les eaux dans les-
quelles on veut faire éclore des
œufs ne jouissent pas toujours de
cet avantage , j'ai fait les expé-
riences suivantes : Je fis mettre
dans quatre vases les herbes où.
étoient les œufs ; j'exposai l'un au
soleil du midi;'le second au soleil
du matin ;le troisième au soleil du
soir , et je fis porter le quatrième
dans un endroit où le soleil ne
donnoit jamais. Le septième jour?
je vis de petits poissons dans
le premier ; dans le second et le
troisième, ils ne parurent que le
huitième jour, et dans le quatriè-
me _, le neuvième (1). J'ai remar-
(t) C'est avec d'autant plus de confiance
%ue je marque ici précisément les jours,
Ivj INTRODUCTION,
que plus haut, que tous les œufs
n'étoieut pas fécondés par le mâle.
Il arriva de-là , que de cent œufs
qui étoient sur une plante, je n'en
voyois pas éclore un seul \ au lieu
qu'une petite branche que j'avois
mise dans une tasse, fit éclore
soixante petits poissons. Par le
moyen d'une loupe , on peut s'as-
surer si les oeufs sont fécondés ou
non. Dans le premier cas , ils pa-
roissent toujours plus clairs, plus
transparens et plus jaunes. Ces si-
gnes deviennent toujours plus sen-
sibles après le second ou le troi-
sième jour, de sorte que les jours
suivans on peut remarquer cette
que ]e suis certain que les pêcheurs , dont
j'avois reçu les œufs fécondés, n'avoient
vu dans leur nasse le jour d'auparavant , ni
poisson de cette espèce , ni œufs aux plan-
tes.
INTRODUCTION. lvi j
différence à la simple vue. Ceux
qui ne sont pas fécondés devien-
nent de jour en jour plus troubles,
plus épais , plus opaques \ ils per-
dent tout leur éclat , et ressem-
blent bientôt à un petit grain de
grêle qui commence à fondre. Je
mis des œufs fécondés à part dans
des verres de montre , où il y avoit
de l'eau , afin de pouvoir observer
]e développement du poisson.
L'oeuf de poisson a une forme
parfaitement ronde , et on y re-
connoît le jaune, le blanc, et en-
tre l'un et l'autre , une place claire
en forme de croissant. Le jaune ,
qui est ordinairement environné
de blanc , est rond , et n'est pas
placé dans le milieu, mais toujours
vers un côté. Entre le jaune et le
blanc , on apperçoit cette place
claire , et ces parties se remar-
Iviij INTRODUCTION,
quent aussi dans les œufs qui ne
sont pas fécondés : la différence
qu'il J sl j, c'est que le jaune est
moins foncé. On ne peut décou-
vrir extérieurement sur les œufs
fécondés aucune trace de féconda-
tion.
La laite est placée le long de
l'épine du dos, tantôt dans un sac ,
tantôt dans deux. Elle consiste en
une substanceblan clie qui, dans le
temps du frai, devient aussi claire
que du lait, et jaillit par le trou
ombilical , dès qu'on presse tant
soit peu le poisson. J'en pris un
peu avec la pointe d'une aiguille ,
et je la mis sur un morceau de
verre ; je la délayai dans un peu
d'eau claire , et je l'observai avec
la plusfortelentille sous un micros-
cope composé : j'y remarquai une
fourmilière de petits animaux
INTRODUCTION. liK
ronds de grandeur inégale , con-
nus chez les autres auteurs sous
le nom à.' animaux spermatiques 3
et que M. de Bufïbn nomme molé-
cules organiques» Quelque temps
après la mort du poisson , je vis
disparoître tout mouvement dans
la semence ou laite.
En général , les principes de la
génération sont encore couverts
d'un nuage épais ; mais cela a lieu
sur-tout chez les poissons où la fé-
condation se fait hors de la mère
et dans un élément froid. Il est in-
compréhensible comment des ani-
maux infiniment tendres et déli-
cats ne sont pas détruits , sur-tout
dans les endroits profonds où Feau
coule avec le plus de rapidité , et
où un grand nombre de poissons
déposent leurs œufs. La manière
dont les œufs éclosent n'est pas
ÏX INTRODUCTION,
moins étonnante. Quelques pois-
sons fraient en hiver, comme la
lote, etc. Chez les poissons, il n'y
a point de copulation entre les
sexes. La femelle pond les œufs
inféconds, et les mâles qui la sui-
vent, les fécondent ensuite, en
laissant couler sur eux leur laite
ou semence. Je dirai , en parlant
de divers poissons , la raison pour
laquelle les femelles quittent les
fonds dans le temps du frai , pour
venir déposer leurs œufs dans les
endroits unis et couverts d'herba-
ges. C'est par la même raison que
les mâles quittent leur retraite
d'hiver, et accompagnent les fe-
melles. La laite, telle que les tes-
ticules des animaux _, est enfermée
dans deux sacs , et à peine visible
après le temps du frai ; de même
que les testicules des oiseaux après
INTRODUCTION. lx}
la couvée. Après le long sommeil
des poissons , durant l'hiver , la
laite commence à augmenter , s'en*
fie j presse les entrailles, étend les
parues extérieures du bas-ventre;
ce qui lui cause une douleur dont
il cherche à se débarrasser , comme
la femelle, en se frottant contre
les herbes ou les pierres. Comme
le gonflement est bien plus consi-
dérable dans les femelles , elles sont
aussi les premières à tâcher à se
soulager, età chercher des endroits
propres à déposer leurs œufs. Les
oeufs qui sont imprégnés d'une ma-
tière gluante, restent attachés aux
plantes, aux pierres et aux autres
corps durs, et sont ensuite fécon-
dés par les mâles de la manière que
nous avons dile. Cette matière
gluanle ne se trouve point sur les
œufs lorsqu'on les a fait sortir
Poissons. I. f
îxij INTRODUCTION.
avant le temps, en pressant le ven-
tre de la femelle.
Dans les animaux tels que nous
les connoissons , les deux sexes sont
ordinairemen t en proportion ( 1 ), si
Ton en excepte cependant les vers
des intestins, oùlesfemelles sont en
beaucoup plus grand nombre que
les mâles. Chez les poissons, au con-
traire , on a remarqué que les mâ-
les sont au moins une fois aussi
nombreux que les femelles. La rai-
son de cette différence vient sans
(1) Il est vrai que dans quelques espèces
d'oiseaux, telles que les faisans et les per-
drix , on trouve plus de mâles que de fe-
melles ; mais cette inégalité est nécessaire
pour la conservation de l'espèce. Les mâles
sont plus hardis que les femelles , et par
conséquent plus exposés aux embûches des
hommes et des animaux carnassiers ; au lieu
que les dernières plus timides , se cachent
et échappent à leurs poursuites.
INTRODUCTION. Ixiij
doute de la manière dont ces ani-
maux se reproduisent; car comme
les œufs sont fécondés hors de la
femelle _, si le nombre des mâles
n'étoit pas plus considérable , la
plupart d'entr'eux resteroient in-
fécondés.
L.e développement du poisson
dans l'œuf n'est pas moins mer-
veilleux. J'en parlerai en peu de
mots. J'ai dit plus haut ce qu'on
remarque dans un œuf le premier
jour. Le second , la place en forme
de croissant ? dans laquelle on
remarque de temps en temps un
point qui se meut, devient un peu
trouble. Le troisième jour , on re-
marque en cet en-droit une masse
plus épaisse, qui d'un côté est for-
tement attachée au jaune , et de
l'autre ; est libre , fig. 5 3 y. A un
hout de la partie qui touche au
Ixiv INTRODUCTION.
jaune , on apperçoit le contour du
cœur , dont le mouvement s'aug-
mente alors; la masse elle-même,
ou l'embryon , se remue de temps
en temps du côté qui est libre;
c'est-à-dire de la queue. Le qua-
trième jour, on voit augmenter les
battemens du pouls, de même que
le mouvement de tout le corps.
Le cinquième jour , dans une cer-
taine position que prend le poisson
dans ses divers mouvemens, on
apperçoit la circulation des hu-
meurs dans les vaisseaux. Le sixiè-
me jour, on distingue J'opine du
dos et les côtes qui y sont atta-
chées. Le septième , on découvre
à la simple vue dans l'œuf, deux
points noirs, fig. 6 3 y , qui sont
les yeux : alors on apperçoit déjà
toute la forme du poisson , et les
vertèbres et les côtes sont si dis-
INTRODUCTION. Ixv
tinctes, qu'on peuLles compter sans
beaucoup de peine à l'aide d'une
loupe ordinaire. Quoique le jaune
diminue à proportion que l'em-
bryon augmente, le poisson n'a pas
pourtant assez de place pour se
tenir dans une ligne droite , et il
fait une courbure avec sa queue ,
fig. y* Alors les mouvemens sont
si vifs, que lorsqu'il tourne le corps
de côté et d'autre, le jaune tourne
en même temps; et ces mouve-
mens augmentent à proportion
qu'ils approchent du moment de sa
naissance, qui arrive entre le sep-
tième et le neuvième jour. Les
coups répétés de la queue contre la
peau de l'œuf, la rendent si mince,
qu'elle crève à la fin :.a!ors le pois-
son sort la queue la première ,
jig* 8 , en redoublant sesmouve-
mens , afin de dé tac lier sa tète qui
Ixvj INTRODUCTION.
tient au jaune, et de se mettre en
liberté. Bientôt après, il se réjouit
de son existence dans le nouvel
élément qu'il habite , et court çà
et là dans l'eau. Comme les pois-
sons éclosent par le moyen de la
chaleur du soleil , et que dans le
temps du frai , ses rayons n'échauf-
fent pas toujours également les
eaux, le développement du poisson
n'a pas toujours lieu dans le même
temps; et l'on peut voir les choses
que j'ai indiquées un jour plutôt ou
plus tard.
Outre les œufs des poissons dont
j'ai parlé plus haut, j'ai fait éclore
aussi ceux de quelques autres pois-
sons , et j'ai fait les mêmes obser-
vations. Il est remarquable que
dans l'œuf même , on peut distin-
guer d'abord la brème de la bordé-
lière, parce que dans cette der-
INTRODUCTION. Ixvij
rrière l'iris jaune est déjà sensible
clans l'œuf . C'est un spectacle fort
amusant , de voir se remuer avec
tant de vivacité dans l'eau , plu-
sieurs petits animaux de cette es-
pèce , extrêmement délicats , et
tels qu'on les voit fig. g, a.
D'ailleurs , quoique le poisson
grossisse assez lentement , son ac-
croissement devient cependant vi-
sible les huit premières heures.
Dans ce court espace, son corps
acquiert tout d'un coup la gros-
seur marquée à \&fig. g , b. Mais
après cela . il croît d'une manière
si peu remarquable , qu'au bout
de trois semaines il n'est que de la
grandeur marquée k la. fig. g, c.
De neuvième jour , outre les deux
points noirs , on en remarque un
troisième qu'on apperçoit à l'aide
du microscope ; c'est l'estomac
Ixviij introduction:.
avec la nourriture qu'il contient,
Jig. 10 y a. Le même jour, j'ai comp-
té soixan le battemens rie pouls dans
une minute ; au lieu que le coeur
de l'embryon n'avoit que trente à
quarante articulations dans le
même espace. Les petits globes
sont rouges tant qu'ils sont dans le
cœur; mais dès qu'ils passent dans
d'autres vaisseaux , ils prennent
une couleur blanche. Le second
jour, ceux du cœur deviennent
plus rouges, et ceux des vaisseaux
jaunes.. Le troisième jour , ils sont
entièrement d'un rouge clair. Dans
les veines , ils prennent un rouge
pâle , et forment alors ce fluide ,
auquel on donne le nom de sang*
Outre cela , on reconnoît dès le
premier jour les nageoires de la
poitrine; mais les autres nageoi-
res sont invisibles 3 aussi bien que
INT RODUCTION. lxix
les intestins; parce qu'étant extrê-
mement tendres , ils laissent pas-
ser les rayons de lumière. Ce n'est
que le troisième jour qu'on apper-
çoit la nageoire de la queue , qui
est encore droite,^, to 3 b. Celle
du dos paroît le cinquième ; celles
du ventre et de l'anus se décou-
vrent le huitième jour à l'aide d'un
microscope. En viron vers ce temps,
on découvre sur le corps, avec un
bon microscope, des points noirs,
Jîg. il, bb , les uns ronds , les au-
tres alongés, tels qu'on les voit à
lajig. i5 , a , b , c. Ce sont les pre-
miers contours des écailles dont le
poisson doit être couvert. Ceux de
la tète sont les plus petits, ceux
du dos les plus grands, et ceux
des côtés tiennent le milieu entre
les premiers et les seconds. On re-
marque aussi déjà à la queue une
Ixx INTRODUCTION.
éehancrure en forme de croissant?
fig. 11 } c. Ces parties offrent déjà
à l'oeil un spectacle fort agréable y
mais il est bien plus amusant en-
core de considérer la circulation
du sang et des autres liqueurs. Ici
se présentent des jets d'une cou-
leur rouge , composés de petits
globes extrêmement délicats. Près
de la tête , on remarque le coeur ,
qui consiste en un sac membra-
neux et mince, fig, i4- , a3 qui
verse le sang dans une artère en
forme de sac , fig. 12 ,b , i4-, b ,
qui dès qu'elle l'a reçu , se resserre
pour le faire passer dans l'aorte y
fig. i4- , c. Pendant que l'artère se
comprime, la veine cave porte de
nouveau sang au coeur qui étoit
sans action , fig. i4- , i ; et alors le
cœur le fait jaillir dans les veines,
qui pour lors sont aussi sans action»
INTRODUCTION. lxx j
Comme les poissons ont la poi-
trine très-courte, et point de cou,
ces animaux n'ont point d'artères
carotides ; mais l'aorte passe tout
d'un coup aux ouies, qui sont fort
près ; et de-là dans les autres par-
ties du corps. Comme dans les jeu-
nes poissons , les ouies ne sont pas
encore visibles, j'ai vu les artères
monter immédiatement à la tète ,
revenir derrière l'oeil , et descen-
dre ensuite le long de l'épine du
dos , fig. i4> „ c. J'en ai remarqué
une autre sur le devant , qui des-
cendoit le long du ventre jusqu'à
la queue, fig. i4- , dd , qui cora-
mençoit près de la tète , et tiroit
son origine de l'aorte. De la pre-
mière sort, en angle droite à cha-
que vertèbre, une artère, fig. i4-,
ff, qui prend sa direction le long
de la côte. lie sang qui passe dans
Ixxij INTRODUCTION,
les artères, qui sont extrêmement
délicates, se rassemble en partie
dans la veine cave ascendante ,
figm i4- 3g _, en partie dans la des-
cendante , fig. t4 3 h. Ces deux
veines se touchent en angle obtus ,
fig. i4- 3i , derrière la vésicule aé-
rienne , et conduisent de nouveau
le sang vers le cœur. Dans les pois-
sons nouveaux nés, la tète est pe-
tite en comparaison des autres ani-
maux, et la vésicule aérienne est
grosse ; ce qui tient l'animal en
équilibre quand il est dans une si-
tuation droite.
Une chose qu'il est encore bon
de dire ici, c'est qu'il faut écarter
les mouches aquatiques (1), parce
qu'elles mangent les petits. «Pavois
trente petits poissons dans un vase,
(0 Phr}rganaea grandis. L.
INTRODUCTION. Ixxii]
où les plantes a voient déposé des
vers et d'autres insectes aquati-
ques ; mais au bout de quelques
jours , les poissons disparurent
tout-à-fait, sans qu'on pût remar-
quer la moindre trace de leurs
corps. Ayant ensuite trouvé un,
petit limaçon à la gueule d'une fri-
gane , cela me fit croire que cet
insecte avoit aussi mangé mes pois-
sons.
D'après ce petit nombre d'expé-
riences , je crois pouvoir tirer des
conclusions utiles pour l'économie
et la physiologie.
i°. On peut empoissonner les
lacs et les étangs à très-bon mar-
ché et d'une manière très- com-
mode, en observant le temps pré-
cis du frai de chaque espèce. Com-
me les poissons de la même espèce
ne fraient pas à-la-fois ? mais en
Poissons. I. g
ÎXXÎV INTROU UCTION.
trois périodes , selon la différence
de leur grosseur; et comme d'ail-
leurs il y a un intervalle de neuf
jours après chaque époque, et que
les œufs restent encore huit à neuf
jours avant que d'éclore, on a as-
sez de temps pour se pourvoir des
plantes où ils déposent leurs œufs.
2°. Par le moyen de cette mé-
thode , on se trouve à l'abri des
tromperies des marchands de pois-
son, et on ne risque pas d'acheter
des carassins ou des gibèles pour
des carpes 3 et de confondre le
nourrain de la brème , de la bor-
délière , du rotengle, de la rosse
et de l'ablette, qui sont très-difh-
ciles à distinguer les uns des au-
tres tant qu'ils sont petits.
3°. Les expériences décident
avec assez de certitude la ques-
tion agitée tant de fois , et sur la-
INTRODUCTION, lxxv
quelle les philosophes de nos jours
sont encore partagés; savoir, si le
mélange de la semence du mâle et
de la femelle est nécessaire pour la
fécondation : car on peut assurer
du moins que chez les poissons ce
mélange n'a pas lieu.
4°. On voit que la femelle four-
nit le germe on le corps, et que le
mâle lui donne la vie ou le mou-
vement : car on remarque aussi
l'endroit transparent clans les œufs
qui ne sont pas fécondés , et c'est
la semence du mâle qui commu-
nique au cœur le premier mouve-
ment. Je laisse à d'autres à exami-
ner si cette vapeur légère qui se
manifeste dans la plupart des ani-
maux par une odeur désagréable ,
passe de la laite dans l'œuf pour
mettre le cœur en mouvement;
ou si ce sont les animaux sperma-
Ixxvj INTRODUCTION.
tiques qui y pénètrent et produi-
sent cet effet par leur mouvement
rapide. La dernière opinion me
paroît très-vraisemblable \ car je
n'ai pas remarqué la moindre
odeur à la laite des poissons. Ces
particules volatiles paroissent plu-
tôt propres aux autres espèces d'a-
nimaux , à qui la nature a donné
un aurait invincible pour la pro-
pagation de leurs semblables. Ce
penchant n'est pas nécessaire chez
les poissons ; la naturese sert, pour
les multiplier, d'un autre moyen,
c'est-à-dire du gonflement des lai-
tes qui pressent les autres intes-
tins , et causent ainsi dans le bas»
ventre une tension désagréable.
Cette manière paroît aussi propre
aux oiseaux. Je n'ai remarqué non
plus aucune odeur dans leur se-
meucej et clans le temps de la pou te
INTRODUCTION, lxxvij
les testicules leur enflent considé-
rablement; de sorte que dans quel-
ques espèces, ces testicules, qui
étoient à peine visibles aupara-
vant , deviennent aussi gros et
même plus gros qu'une noisette.
5°. On peut aussi expliquer par-
là , pourquoi parmi les mâles des
poissons il ne se manifeste point de
jalousie dans le temps des amours;
car on voit plusieurs mâles suivre
les femelles tranquillement et dans
la meilleure intelligence. Et,, en-
tre les femelles , on ne remarque
pas non plus le moindre signe par
lequel elles excitent les mâles à
l'amour.
6°, Le cœur dilate les vaisseaux
sanguins, et opère par ce moyen
le développement général.
70. Le germe et l'embryon qui en
provient ; sont enveloppés avec le
lxxviij INTRODUCTION.
jaune dans une membrane com-
mune : et ils sont si intimement
unis par le moyen des viscères du
poisson et des vaisseaux du jaune,
qu'ils ne sont pas encore séparés,
même lorsque le poisson est à moi-
tié sorti de l'œuf.
8°. Les poissons ne viennent pas
au monde par la tète comme les
autres animaux, mais par la queue.
90. Le temps nécessaire pour la
formation et la naissance n'est pas
déterminé comme dans les autres
animaux , parce que cette opéra-
tion peut être accélérée ou retar-
dée par le plus ou le moins de cha-
leur.
io°. Le jaune qui diminue tou-
jours à proportion que l'embryon
grossit, est destiné à la nourriture
du germe ; le blanc , au contraire ,
a la liberté des mouvemens , de
INTRODUCTI O N. lxxix
même que l'eau contenue dans la
matrice des vivipares.
ii°. Le germe préexiste dans
l'oeuf, et toutes les hypothèses con-
traires à cette préexistence tom-
bent d'elles-mêmes*
12°. Les animaux spermatiques
des poissons sont différens de ceux
des autres animaux.
i5°. 11 ne faut pas plus de temps
pour faire éclore les œufs des gros
poissons que ceux des petits ; car
ceux de la brème et de l'ablette ont
éclos le même jour. Au lieu que
chez les oiseaux et les quadrupè-
des , le temps nécessaire au déve-
loppement est proportionné à la
grosseur de l'animal.
i4*. Autant le développement
du poisson dans l'œuf est prompt,
autant son accroissement après sa
naissance est lent. Dès le second
Ixxx INTRODUCTION.
jour après la fécondation , j'ai vu
remuer le cœur, et le corps re-
muoit au troisième ; au lieu qu'un
poisson de deux ans avoit à peine
quatre à cinq pouces.
i5°. Les nageoires pectorales,
qui sont les principaux instrumens
de la natation , commencent les
premières à se former , et doivent
par conséquent se trouver à tous
les poissons.
1 6°. La circulation du sang dans
3 "embryon est beaucoup plus lente
qu'après la naissance.
17°. Dans un jeune poisson , le
sang circule beaucoup plus lente-
ment que dans les autres jeunes
animaux.
18°. Le cœur ne pousse pas im-
médiatement le sang dans les ar-
tères ; mais elles le reçoivent par
le mouvement de compression du
INTRODUCTION, lxxxj
sac artérien. Enfin il y a entre ces
deux j un mouvement alternatif
de compression et de dilatation.
190. Les globules sanguins qui
paroissent rouges au troisième jour
dans le coeur , et blancs dans les
auties vaisseaux , prouvent que
cette couleur du sang vient de la
compression du cœur qui , déjà
formé, a plus de tension (i).
(1) On peut tirer de-là des conclusions
importantes pour la médecine. Dans une
saignée, lorsque le sang est d'un rouge clair,
c'est preuve d'une tension trop forte dans
les parties solides, et il est bon alors de
prescrire desémolliens, commedenouvelles
saignées, des boisions chaudes, des bains, &c.
Lorsqu'au contraire le sang est peu rouge ,
c'est une preuve que les parties solides sont
relâchées, et il faut alors emplo}rer une mé-
thode contraire à celle que nous venons de
prescrire. On voit aussi par-là la grande
influence de l'histoire naturelle sur l'éco-
nomie et la médecine,
Ixxxij INTRODUCTION.
J'ai fait graver sur cette planche
les objets suivans ? qui sont assez
remarquables :
Fig. i3. Des œufs de truite for-
més.
Fig. 16. Un morceau d'ovaire
de saumon dont les œufs sont en-
fermés par couches dans des mem-
branes particulières arrangées les
unes sur les autres en forme de
plis.
Fig. iy. Une petite masse de six
œufs attachés ensemble , formant
une figure à six côtés , comme on
le remarque à l'aide d'une loupe.
Fig. 18. Des œufs de perche en
forme de filets.
p,rçé> z.xxx/rr. .Introduction
7'om . J .
S.
-s'
7)etr<t><> (fi-/.
L»> Fiffain < fc?tfy>
INTRODUCTION, lxxxiij
EXPLICATION DE LA PLANCHE.
Ft>. /. De riierbe avec des œufs fé-
"6 e
coudés.
Fig. 2. De l'herbe avec des œufs qui
ne sont pas fécondés.
Fig. 3. Un œuf vu au microscope.
a. Le jaune.
b. Le blanc.
Fig. 4. Œuf dans lequel on remarque ,
le quatrième jour, le mouvement
de l'embryon.
Fig. 5. (Euf de la même espèce vu au
microscope , où Ton remarque déjà
l'épine du dos.
Fig. 6. (Eufdu septième jour, où l'on
remarque les yeux de l'embryon.
Fig. 7. (Euf de la même espèce vu au
microscope.
Fig. 8. (Eut où la queue de l'embryon
est déjà sortie.
Fig. g. a. Une brème nouvellement
née , de grandeur naturelle.
b. La même, de huit heures.
c. La même, de trois semait; es.
Fig. io. Une blême d'un jour couchée
sur le ventre , vue au micros-
cope.
a. L'estomac.
îxxxiv INTRODUCTION.
Fig. 4 1 . Le même poisson de deux jours
couché surle côté, vu au microscope.
a. L'estomac.
b. b. Les écailles.
Fig. 4 2. a. Le cœur.
b. Le sac artériel.
Fig. 4 3. (EEufs de truite.
Fig. 4 4. Une brème de quatre jours cou *
chée sur le côté , vue à un microscope.
a. Le cœur.
&. Le sac artériel.
c. L'aorte.
d. <2. L'artère antérieure.
e. e. L'artère postérieure.
f.f. Les artères intercostales.
g. La veine-cave inférieure.
h. La veine-cave supérieure.
i. Réunion de ces veines.
k. La vésicule aérienne.
Fig. 4 5. Les écailles vues à un bon
microscope.
a. Ecaille de la tête.
b. Ecaille du dos.
c. Ecaille du côté.
Fig. 46. (Eufs de saumon.
Fig. 4 y. (Eufs de perche unis ensemble.
Fig 4 8. Morceaux de laites de perche.
Fig. 4g. Animaux spcrmaticm.es de la
carpe.
Piitjre /.
7b m J ■
f>c.rtt>e de/ ■ -Le I i//ain >.>cnh>-
i.l. A MUHKNK tachetée % . L A IVIUllKNK .
3 .LE CONGRU
HISTOIRE NATURELLE
DES POISSONS.
" ■ ■ ■ v
PREMIERE CLASSE.
Les Apodes , ou Poissons privés dô
nageoires jsur le ventre.
PREMIER GENRE.
LA MURÈNE, m u rjbfa.
Caractère générique : les ouvertures des
ouies ou branchies aux côtés de la
poitrine.
LE CONGRE, murjëka conger.
La ligne latérale blanche, et la réu-
nion des nageoires de l'anus, du dos et
de la queue , sont les caractères dis-
Poissons. I. î
2 HISTOIRE NATURELLE
tinctifs de ce poisson. Je compte dix
rayons à la membrane des ouies ; dix-
neuf à la nageoire pectorale; trois cent
six aux nageoires réunies de l'anus
de la queue et du dos.
Le corps est rond , ressemble en
grande partie à l'anguille , et est cou-
vert de mucosité comme cette der-
nière. Il est gris depuis le dos jusqu'au-
delà de la ligne latérale ; plus bas et au
ventre , il est tacheté de blanc et de
gris. La tête est applatie du haut en
bas ; mais le tronc est rond. A l'ex-
trémité de la mâchoire supérieure, on
trouve deux cylindres , et tout près
des yeux deux cavités. L'ouverture de
la bouche est grande. Les deux mâ-
choires sont armées de dents pointues
et séparées. Au menton, on voit de
petites ouvertures qui étant pressées,
rendent une mucosité. Les yeux ont
une prunelle noire dans un iris argen-
tin : ils sont beaucoup plus gros que
ceux de l'anguille. L'ouverture des
DU CONGRE. 3
ouies est étroite, placée, comme à l'an-
guille , sous les nageoires pectorales.
La ligne latérale règne au milieu du
corps, et consiste en une raie de points,
La queue est terminée en pointe , et
l'anus en est un peu plus éloigné que
de la tête. Les nageoires pectorales
sont grises; celles du ventre, du dos et
de l'anus jaunâtres, et garnies d'une
bande étroite d'un brun noir.
Nous trouvons ce poisson dans la
mer Méditerranée , aux Antilles , dans
la mer du Nord ; mais sur-tout vers les
côtes d'Angleterre. Il parvient à une
grosseur très - considérable. On en
trouve dans la Méditerranée depuis
trente jusqu'à soixante livres, et dans
la mer du Nord de beaucoup plus gros
encore. On a assuré M. Pcnnant >
qu'auprès de Scarborougli, on en avoit
péché un qui étoit long de dix pieds et
demi, et qui avoit dix-huit pouces de
circonférence. Gesner raconte aussi
qu'on en a pris de quatre à cinq aunes
4 HISTOIRE NATURELLE
de long, et de la grosseur de la cuisse
d'un homme. Tant que ce poisson est
petit , il ressemble beaucoup à l'an-
guille ; cependant on peut le distin-
guer aisément aux marques suivantes:
3°. les dents de l'anguille sont plus pe-
tites et plus mal rangées. '2°. La lèvre
supérieure du congre est beaucoup plus
forte qu'à l'anguille. 3°. La couleur du
congre est beaucoup plus blanche , ou
du moins il a de grandes taches blan-
ches. 4°. La ligne latérale est garnie
de points blancs. 5°. La longue na-
geoire a une bordure noire. 6". Il vit
ordinairement dans l'eau salée, et ne
passe qu'un temps très -court dans
l'eau douce ; au lieu que l'anguille
reste la plupart du temps dans cetto
dernière. Pendant, l'hiver , le congre
se cache dans la vase , pour se garan-
tir du froid ; et il n'en sort qu'au prin-
temps. Une partie reste continuelle-
ment au fond de la mer , et une autre
se tient vers le rivage et les embou-
DU CONGRE. 5
cbures des fleuves. Les derniers ont
le dos noirâtre ; les premiers sont par-
tout d'une couleur argentine. Dans la
Saverne, en Angleterre, on trouve
une quantité incroyable de jeunes con-
gres. Les pèclieurs ne font , pour ainsi
dire, que les en tirer comme d'un ré-
servoir , et se servent pour cela d'une
poclie dont le filet est de crin. Le mois
d'avril est sur- tout le temps où ils pa~
roissent. Vers ce temps , les pêcheurs
se placent vers le bord de l'eau pen-
dant le flux , et les tirent des trous où
ils sont restés. Un seul pêcbeur peut
en prendre un boisseau à ebaque ma-
rée. Ces poissons ont la ebair de bon
goût. Les gros congres ont aussi la ebair
blancbe et douce; mais comme ils sont
tres-gras, il faut un bon estomac pour
les digérer.
Il y a encore un grand nombre de
doutes sur la manière dont ce poisson
se reproduit. Aristote dit que dans les
uns on ne trouve que de la graisse ; et
l> HISTOIRE NATURELLE
que dans les autres, les oeufs sont mê-
lés dans la graisse, et qu'il suffit de
frotter cette graisse entre les doigts
pour sentir de petits corps durs , qui
ne sont autre chose que les oeufs. Selon
Rondelet , les œufs doivent être ca-
chés dans la graisse en rangées ; et
quand on fait fondre cette dernière an
feu , ils paroissent alors entièrement.
On sentira bien, sans que je le dise ,
qu'il est toujours douteux si ce poisson
est ovipare ou vivipare ; sur- tout parce
qu'aucun de ces auteurs ne parle de ses
laites. On ignore aussi le temps où ils
multiplient. Selon Oppian , ils s'ac-
couplent comme les serpens.
Le congre est extrêmement vorace,
et n'épargne pas même sa propre es-
pèce. Il vit de polypes et de poissons,
mais il cherche sur- tout les crabes
quand ils se sont défaits de leur dure
écaille. Il s'attache aussi à la charogne ,
et on en trouve des quantités auprès
DU CONGRE. 7
des animaux morts. Ses ennemis sont
la murène et les autres poissons vora-
ces. Il a la vie dure ; et , selon Ronde-
let , il vit encore après que la murène
lui a arraché la queue.
On le prend en Angleterre dans des
anguillières ; en Sardaigne , dans des
nasses que l'on enfonce fort avant clans
la mer ; aux Antilles , on s'y prend
différemment : on cherche près du ri-
vage un fond de pierre , ou bien une
place où il y a des rochers bas-, on ôte
quelques pierres -, on creuse un trou ,
on y verse un peu de sang, et on garnit
la place d'hameçons, amorcés de mor-
ceaux de polypes ou de crabes. Ces
deux choses les attirent bientôt. Ce-
pendant il faut être habile à les tirer,
de peur que le poisson ne s'attache avec
la queue à quelque corps; car alors il
s'y attache si ferme, qu'il perd la mâ-
choire-plutôt que de céder. Le père du
Tertre assure en avoir fait lui-même
l'expérience.
8 HISTOIRE NATURELLE
On nomme ce poisson :
ISleeraal , en Allemagne.
Kongeraal , en Hollande.
Conger on Conger-Eel . en Angleterre.
JMilwel , à Cornouaille ;
"Elwers , quand ils sont encore jeunes.
Congre , en France.
Broncho, en Italie.
Grongo } en Sardaigne.
Imsella , à Pile de Malte.
Fammo , au Japon.
LA MURÈNE TACHETÉE^
JHURjENA ophis.
Cette espèce d'anguille se reconnoît
à des taches foncées sur un fond argen-
tin , et à la queue dépourvue de na-
geoire. On compte dix rayons à la
membrane des ouies et à la nageoire
de la poitrine; soixante et dix-neuf à
celle de l'anus , et cent trente-six à
celle du dos.
Le corps de ce poisson est long y
DE LA MURÈNE TACHETÉE. 9
rond , uni , et couvert de mucilage.
Sans ses nageoires , il ressernblcroit
parfaitement à un serpent. La tête est
petite , et l'ouverture de la bouche
grande. Les deux mâchoires sont d'é-
gale longueur : chacune est armée de
deux rangées de dents qui se terminent
en pointes et qui s'emboitent. l'une clans
l'autre , ce qui sert au poisson à tenir
sa proie ferme. A la superficie de la
mâchoire supérieure , on remarque
quatre ouvertures, dont les deux anté-
rieures sont cylindriques. Les yeux:
sont petits , et ont une prunelle noire
dans un iris jaune. Le dos a des taches
brunes de forme indéterminée. Le
ventre est court ;ce qui fait que l'anus
est beaucoup plus près de la tête que
de la queue. Cette dernière est terminée
en une pointe émoussée. La ligne laté-
rale qui règne au milieu du corps , est
composée de points blancs et ornée de
taches brunes et rondes. La nageoire
pectorale est petite. Au-dessous de
ïO HISTOIRE NATURELLE
cette nageoire, on trouve l'ouverture
des ouies, qui est semblable à celle de
l'anguille. La nageoire du dos com-
mence assez près de la tête, et finit près
de la pointe de la queue. Elle a , ainsi
que celle de l'anus , des rayons simples ,
qui sont unis les uns aux autres par une
membrane mince et claire.
Ce poisson doit habiter les eaux des
Indes orientales. Linné lui donne pour
patrie les mers de l'Europe , et Forskaœl
ï'a vu en Arabie. La structure de sa
bouche prouve qu'il est du nombre des
poissons voraces. Il se tient ordinaire-
ment entre les plantes marines, où il
cherche les polypes ou les petits pois-
sons qui s'y trouvent. Cependant je ne
saurois dire s'il est ovipare ou vivipare.
En général, on n'a rien d'assuré , que
je sache , sur la manière dont se repro-
duisent les poissons de ce genre. Il par-
vient à une grosseur assez considérable.
Celui que Lister a décrit avoit trois
pieds et demi de long. Le père Léguât
DE L'ANGUILLE, Il
parle d'un poisson qui pesoit soixante,
livres, et qui paroit être le nôtre. Il l'a
trouvé près de l'île de St. -Maurice : il
l'a fait cuire ; mais il le trouva très-
mauvais, et en fut même incommodé }
ainsi que ses compagnons de voyage.
Ce poisson se nomme :
Buntaal et Seeserpent , en Allemagne.
Murène tachetée , en France.
Far et Uuz , en Arabie.
L'ANGUILLE, murjena anguilla.
Le corps sans tache et la mâchoire
inférieure avancée, distinguent ce pois-
son des autres du même genre. On
trouve dix ravons à la membrane des
J
ouies ; dix-neuf à la nageoire de la poi-
trine j onze cents à celle de l'anus , de
la queue et du dos.
Le corps de ce poisson est long ,
étroit , uni, et couvert d'une matière-
visqueuse. La tête est petite, et pointue
par-devant. A la mâchoire supérieure,
Ï2 HISTOIRE NATURELLE
on voit les deux narines cylindriques ;
et tout près de l'oeil , j'ai appcrçu deux
autres ouvertures alongées et rondes,
qui sont probablement les organes de
l'ouie. L'ouverture de la bouche est
petite •, les deux mâchoires et le palais
sont garnis de plusieurs rangées de pe-
tites dents, etl'onapperçoit de petites
ouvertures , tant à la mâchoire supé-
rieure qu'à l'inférieure , desquelles
s'exprime une matière visqueuse. Les
yeux sont petits , et recouverts d'une
membrane clignotante; la prunelle est
noire , et l'iris de couleur d'or. Les oper-
cules des ouies se réunissent au tronc
par le moyen d'une peau ; la petite ou-
verture des ouies a la forjne d'un crois-
sant , et est placée tout près de la na-
geoire pectorale. Le tronc , qui est
étroit et long , est rond au dos et au
ventre , et un peu comprimé par le»
côtés. La ligne latérale, qui est au mi-
lieu,a une directiondroite et despoints
blancs. La couleur de ce poisson dé-
DE L'ANGUILLE, 1 3
pend , comme chez la plupart , de la
différente nature des eaux qu'il habite.
Il est noir lorsqu'il habite dans des eaux
dont le fond est bourbeux , et le ventre
seulement est jaunâtre. Celui qui vit
sur un fond sablonneux est verd on bru-
nâtre , et a le ventre argentin. Hasel-
quist a vu une anguille dontledoséloit
garni de petites lignes brunes, qui for-
moient des taches dans quelques en-
droits où elles étoient près les unes des
autres. La peau est très-souple, et gar-
nie d'écaillés longues et molles , qui ne
sont visibles que sur l'anguille sèche.
J'en ai fait représenter deux: l'une de
grandeur naturelle , et l'autre vue au
microscope , prises sur une anguille
longue de deux pieds. Les nageoires du
dos et de l'anus sont longues et étroite?.
La première , qui est réunie à celle de
la queue, est rougeâtrc sur les bords; la
dernière est blanche. Les nageoires pec-
torales sont petites , rondes, et ont une
couleur un peu plus claire que le corps.
Poissons. I. 2
j4 histoire naturelle
L'anguille forme le passage des pois-
sons aux amphibies rampans , sur-tout
aux vipères, à l'égard de la forme exté-
rieure , du mouvement rampant } du
corps visqueux et du sommeil dans le-
quel elle est ensevelie pendant l'hiver;
et c'est sûrement la raison pour la-
quelle Homère paroît la retrancher du
nombre des poissons. C'est sans doute
aussi par la même raison que les Groen-
landois ne la mangent point , et ne se
servent que de la peau , dont ils font
des bourses pour leurs balles de plomb .
Les Romains n'en faisoient non plus
aucun casselonle témoignage de Juvé-
nal. Les Béotiens au contraire , l'esti-
moient à tel point , qu'ils l'ornoient de
guirlandes , et la sacrifioient aux dieux.
Nous trouvons l'anguille dans pres-
que tous les lacs et rivières. Il n'y a que
deux fleuves en Europe , d'ailleurs
très* poissonneux , dans lesquels on ne
la trouve que rarement \ savoir , le
Danube et le Volga. Selon Pline , elle
DE L'ANGUILLE. l5
habite le Gange , et selon Sloan , la
Jamaïque ; du moins ne trouve-t-il au-
cune différence entre l'anguille de ce
pays et celle d'Europe. Près de Gibral-
tar l'anguille parvient à une longueur
de quatre pieds sept pouces , et pèse
dix-sept livres. Sur la côte de Norfolk
en Angleterre, on a pris une anguille
qui avoit cinq pieds dix pouces de lon-
gueur , sur neuf pouces d'épaisseur, et
deux pieds de circonférence ; elle pesoit
cinquante à soixante livres. Aristote
a remarqué, que l'anguille passe des
fleuves dans la mer. Observation confir-
mée par Gronov et Richter. Le premier
rapporte qu'on la pêche en Hollande
dans la mer du Nord , et le second ,
qu'au printemps elle aime à passer dans
la mer, et qu'on là prend non seulement
en quantité dans la Baltique, mais aussi
que l'eau salée lui donne un bon goût.
Pendant l'hiver, elle se cache dans la
bourbe , et y reste en grandes troupes.
Au printemps, elle quitte les lacs } et
l6* HISTOIRE NATURELLE
passe dans les fleuves. En x-Ulemagne ,
c'est particulièrement en mai qu'elle
descend dans l'Oder et dans la Varte ,
et qu'elle va jusqu'au Haf. On la trouve
aussi dans la Sprée , la Havel , TElbe ,
et dans les lacs qui y répondent. Le
bruit des moulins ne l'épouvante pas :
elle suit même l'auge ; ce qui donne oc-
casion aux meuniers de la prendre , par
le moyen des poches qu'ils placent der-
rière les moulins. Dans celte saison, la
pêche des anguilles est. très-considé-
rable, et on les fume en plusieurs en-
droits pour les conserver. Il en vient
souvent aux marchés de Berlin cinq à
six chariots à la fois. Elles sont fort
communes dans le Jiïtîand : car un sa-
vant de ces contrées dit qu'il y a dans
ce pays une ammillière, où l'on prend
quelquefois deux mille anguilles d'un
seul coup , parmi lesquelles il s'en
trouve qui pèsent neuf livres et plus.
Onrapporte aussi que dans la Garonne ,
on en prenoit autrefois jusqu'à soixante
DE L'ANGUILLE, \f
mille eu un jour avec un seul filet-, et
dans 1' Angleterre,lorsque Rockingham
fut nommé membre du parlement , il
fit mener treize tonneaux d'anguilles
pour un repas qu'il donna. Près de
Workum en Frise, on en pêche une si
grande quantité , que l'on entretient
exprès des vaisseaux , qui en mènent
tous les ans pour près de cent mille
livres sterlings en Angleterre.
L'anguille parvient à une grosseur
considérable. On en trouve de deux à
trois aunes de long et grosses comme le
bras. En Albanie , on en pêclie qui sont
grosses comme la cuisse. La peau est
souple et transparente. Les Tartares
des confins de la Chine , s'en servent en
guise de carreaux de fenêtres. Dans
d'autres endroits , on coupe ces peaux
en lanières , et les paysans s'en servent
pour attacher leurs fléaux , parce
qu'elles sont plus fortes que le meil-
leur cuir.
L'anguille est vorace : mais l'ouver-
l8 HISTOIRE NATURELLE
tore de sa bcmclie est si petite , qu'elle
ne peut s'emparer que des petits pois-
sons. Elle se contente aussi d'insectes,
de vers et de charogne. Elle aime sur-
tout les œufs des autres poissons ; elle
les suit dans le temps du frai , et fait un
grand tort à la multiplication des autres
espèces. L'anguille aime aussi les pois ,
et cherche lesendroits où on en a semé.
Elle ne va à la chasse que pendant la
nuit-, pendant le jour . elle se cache
dans la bourbe, dans laquelle elle s'en-
fonce profondément. Elle forme deux
ouvertures à cette retraite obscure ?
afin que si l'une se trouve par hasard
bouchée, elle puisse échapper par l'au-
tre. Ses ennemis sont le brochet , les
oiseaux de marais et la loutre. Elle a la
vie dure , et on peut la transporter très-
loin dans un vase où il y a de l'eau , de
l'herbe, ou du jonc. Elle vit aussi deux
à trois jours hors de sou élément. Mal-
gré son tempérament robuste, l'an-
guille est extrêmement sensible à uii
DE L'A N G U I L L E. 19
degré considérable de froid et de chaud.
Voilà pourquoi elle se cache de bonne
heure en automne , et ne reparoît au
printemps que lorsque l'eau a pris une
température plus douce. Selon Aris-
tote , si dans l'été on transporte des an-
guilles d'un lac dans des réservoirs ,
elles meurent toujours , et souvent
quand on les transporte dans une eau
froide. Cela peut être vrai pour les pays
chauds ; car dans nos contrées on peut
les transporter même en été. Cepen-
dant elles en deviennent quelquefois
malades , sur -tout dans les grandes
chaleurs : alors elles ont une espèce
d'éruption , qui consiste dans des taches
blanches depuisla grandeur d'un grain
de millet jusqu'à celle d'une lentille.
Les remèdes contre cette maladie sont
assez incertains. Cependant on peut
conseiller de jeter alors du sel dans les
réservoirs, et d'y ajouter en grande
quantité une plante de la famille des
20 HISTOIRE NATURELLE »
liyrlrocarides ou morrènes , nommée
Stratiotes aloides.
L'anguille multiplie beaucoup , et
jusqu'à présent on n'y a pu découvrir
ni laites ni œufs ; quelques naturalistes
seulement ont trouvé des petits dans
son corps. Ce défaut de laites et d'oeufs
a beaucoup embarrassé ceux qui ont
voulu expliquer la génération de ce
poisson. J'espère donc faire plaisir à
mes lecteurs , en leur communiquant
les différens sentimens que l'on a eus
sur cet objet ; on verra par-là ce qu'on
en a pensé dans différens temps. Aris-
tote a regardé la génération de l'an-
guille comme une chose si remar-
quable , qu'il y a consacré un chapitre
particulier. Selon lui , c'est le seul des
animaux qui ont du sang qui ne se re-
produise ni par l'accouplement , ni par
les œufs, parce qu'il n'y a dans cette
espèce ni mâles ni femelles. Il croit
que les anguilles naissent de la fange
corrompue. Car comme on les trouve
DE L'ANGUILLE. 21
dans des marais desséchés , lorsque la
pluie vient à les remplir , il faut bien ,
dit- il , qu'elles aient été produites de
ces marais. Si ce philosophe avoit ré-
fléchi qu'elles pouvoient y être appor-
tées par les débordemens et les inonda-
tions, que d'ailleurs l'anguille vit long-
temps cachée dans la bourbe , il auroit
senti aisément l'incertitude de cette
conséquence. Il faut qu'il n'ait pas
songé non plus , que si c'étoit la va&e
corrompue qui produisit les anguilles ,
on en trouveroit dans tous les marais
de cette espèce.
Pline, qui refuse aussi à l'anguille
l'un et l'autre sexe , dit avec un ton
d'assurance , que les anguilles , en se
frottant contre des corps durs , font
sortir de leur corps de petites parties,
qui s'animent et deviennent des an-
guilles.
Athénée les fait naître de la vase
corrompue ; d'autres , de la pourriture
des animaux. Comme on trouva quel-
'21 HISTOIRE NATURELLE
quefois plusieurs anguilles dans le corps
des chevaux qu'on avoit jetés dans
l'eau quelque temps auparavant , on
en conclut qu'elles étoient venues de
leur corruption. Mais on ne pensoit
pas que l'anguille, ainsi que plusieurs
autres poissons, aime à se repaîtrç de
charogne.
Rondelet soutient, qu'elles se repro-
duisoient comme les autres poissons
pourvus de laites et d'oeufs. Il disoit ,
que la grande quantité de graisse dont
la laite et les œufs éloient entourés dans
les anguilles, empêchoit de les apper-
cevoir, et il assuroit en avoir vu en-
trelacées l'une dans l'autre ; ce qu'il
regardoit comme un accouplement.
On a voulu les faire naître aussi de
la rosée du mois de mai , et on a tâché
de le prouver par l'expérience sui-
vante. On prend au mois de mai deux
morceaux de gazon ; on les place l'un
contre l'autre, de manière que les deux
côtés garnis d'herbe se touchent. On
DE L'ANGUILLE. 2.Î
couvre le tout d'herbe , et vers le soir
on jette ce paquet dans l'eau, de ma-
nière que l'herbe soit égale à la sur-
face de l'eau. Alors, s'il a fait une forte
rosée pendant la nuit , on trouve le
matin de petites anguilles parmi le
gazon. Quelque ridicule que soit cette
opinion , et quelque peu digne qu'elle
paroisse d'arrêter un instant , Leirwen-
hock l'a cependant jugée digne d'une
réfutation; et voici comme il explique
ce phénomène. On sait que la rosée ne
tombe que par un temps calme et tran-
quille. Les poissons se tiennent ordi-
nairement au fond ; mais dans un temps
clair, les jeunes sur-tout viennent sur
la surface de l'eau, qui est la partie la
plus chaude. Or, comme les jeunes an-
guilles trouvent en même temps de la.
nourriture dans le gazon , on voit
pourquoi elles s'y trouvoient lorsqu'il,
tomboit de la rosée , et pourquoi elles
ne s'y trouvoient pas dans le cas con-
traire. LeiiAvenhock alla' plus loin.
2i HISTOIRE NATURELLE
Tous les mois, depuis le printemps, il
ouvrit un certain nombre d'anguilles,
et à la fin , il trouva au mois d'août
dans la matrice d'une anguille, un pe-
tit , et deux dans une antre. Ils avoient ,
comme on le voit par le dessin , la gros-
seur d'un crin de cheval et la longueur
d'un pouce. Il est aisé de voir que ces
expériences pénibles n'ont pas répandu
assez de lumière sur la génération dc3
anguilles; car une multiplication si mo-
dique ne seroit pas, à beaucoup près,
suffisante pour réparer la destruction
que les hommes et les animaux font
chaque année parmi les anguilles. Ce-
pendant , il se pourvoit que les an-
guilles fissent leurs petits peu à peu ,
et qu'alors il nen restât que quelques-
uns dans le corps. C'est de cette ma-
nière que j'ai aussi expliqué le cas sui-
vant. Je priai quelques personnes de
ma connoissance d'observer attenti-
vement en ouvrant des anguilles, s'ils
n'appercevroient point les petits qui
DE L* ANGUILLE. 1$
doivent se trouver à l'épine du dos,
non loin de l'anus. M. Elckncr, habile
mécanicien de Berlin, remarqua, en
ouvrant une anguille , trois petits ani-
maux dans un sac , qui a voient la figure
de ceux de Leuwenhock. 11 m'en ap-
porta undansdel'esprit-de-viu , et j'y
trouvai la plus grande ressemblance
avec l'anguille.
Willugliby est le premier qui avoua
franchement que la génération des
anguilles étoit inconnue. M. le docteur
Elmer assure, au contraire, qu'une an-
guille a rendu plusieurs petits vivans ,
enfermés dans de petites vessies. Char*
leton assure la même chose, et pré-
tend avoir trouvé onze petits dans la
matrice d'une anguille. Dans la suite,
M. Fahlberg vit au mois de février
1760, dans une anguille encore vi-
vante, un petit à moitié sorti par le
trou ombilical. Il l'ouvrit, et trouva
dans la matrice quarante autres pe-
tits , qu'il mit dans de l'eau \ et ils s'y
Poissons. I. 3
26 HISTOIRE NATURELLE
remuèrent pendant six henres de la
même manière que les anguilles. Birck-
liollz rapporte aussi que les vieux pê-
clieursexpérimentés, en juin et. juillet,
faisoient sortir du corps des anguilles
vivantes , en leur pressant le ventre ,
et que lui-même en avoit vu ensuite
aussi dans le corps des mères. Plu-
sieurs vieux pêcheurs expérimentés
de ce pays, m'ont assuré aussi , que si ,
dans ce temps , on presse une anguille-
mère , les petits en sortent sous la
forme de serpens très-petits et très-
déliés , et qu'ils ont aussi souvent re-
marqué de petites anguilles , quand
leurs bateaux troués sont si pleins de
grosses anguilles , qu'elles se pressent
les unes sur les autres.
Gesner est le premier qui ait dit
que l'anguille étoit vivipare, et il s'ap-
puyoit sur le témoignage de deux pê-
cheurs expérimentés , qui avoient vu
sortir d'une grosse anguille une quan-
tité de petites de la longueur de trois
») E L'ANGUILLE. 27
jpouces. Cet ti assure aussi que l'anguille
est vivipare.
J'ai demandé à plusieurs de mes
amis du dehors, quelques observations
sur la génération des anguilles; et voici
ce qu'ils me mandent.
M. de Buggenhagen , de Buggen-
hagen en Poméranie suédoise , m'écrit :
« Après le frai de la brème , disent
» les pêcheurs, on trouve les anguilles
î) en grandes troupes , et ils croient
» que c'est alors qu'elles s'attroupent.
» M. de Blandow , mon voisin , qui
» demeure à Jamitzow , prit quelque
» temps avant la fenaison , une an-
» guille qui étoit d'une grosseur ex-
i> traordinaire. Le cuisinier, en l'ap-
v prêtant, trouva dans son corps une
» quantité de vers ; de sorte qu'il la
» montra à son maître , en lui disant
» qu'on ne pouvoit la manger. M. de
» Blandow observa ces petits vers an
» microscope, et il trouva que c'ét oient
)> exactement de petites anguilles ,
28 HISTOIRE NATURELLE
j) dont quelques-unes étoient à peine
» grosses comme un Cl; d'autres, un
)> peu davantage, et qui se remuoient
» déjà vivement dans le ventre de leur
» mère ». M. le conseiller Heim , qui
demeure à présent à Berlin, m'écrivit
de Spandow ce qui suit : « Tous les
)) pêcheurs s'accordent à dire que l'an-
» guille fait des petits. Hier encore,
» j'ai été chez plusieurs pour m'en in-
)> former , et j'ai appris une chose qui
» mérite d'être rapportée. On prit un
)> jour une grosse anguille , et on la
j) mit aussi-tôt dans le bateau. Quelque
» temps après les pêcheurs , à leur
» grand étonnement , virent un nom-
» bre assez grand de petites anguilles,
» quin'étoient pas encore, à beaucoup
)> près, aussi grandes que dessang-sues,
» et aucun des pêcheurs ne douta que
» ce ne fussent des petits sortis de la
)> grosse » .
Beckmann raconte aussi que les pê-
cheurs de Writzen prétendent qu'ils
DE L'ANGUILLE. 2J
ont remarqué dans une grosse anguille
des petits aussi minces qu'un fît fin,
et longs comme deux phalanges.
M. Muller , célèbre naturaliste de
Copenhague, assure qu'il a trouvé des
œufs dans quatre anguilles. Les ovaires
étoient de la longueur d'un pouce-, ils
étoient remplis d'oeufs de différentes
grosseurs , et placés près de la vésicule
aérienne et des reins. Ces œufs n'éclo-
roient-ils point dans le ventre de la
mère, comme cela arrive dans la lote
vivipare ?
On prend ce poisson de différentes
manières ; avec des filets, nasses, li-
gnes de fond , anguillières , etc. On
l'attire à la ligne avec de petits pois-
sons. Il mord sur -tout au goujon et à
la loche à pointe. Quand on n'a point
de ces poissons, on se sert d'ablette ou
de rotengle. Dans nos contrées, les pê-
cheurs jettent les lignes flottantes vers
le minuit, et vont les retirer dès le
grand matin; car s'ils perdent du temps,
3o HISTOIRE NATURELLE
le poisson , à force de se débattre , rompt
les ficelles et s'échappe. En hiver, on,
le prend aussi sous la glace avec des
fourches. Et comme il est ordinaire-
ment rassemblé en tas dans la bourbe ,
on en prend quelquefois jusqu'à cent
cinquante ou cent quatre-vingts dans
un trou de deux pieds en quarré. Le
teirîps le plus favorable pour cette
pêche, c'est une nuit obscure par un
temps chaud.
L'anguille est un poisson délicat ;
mais comme il a beaucoup de graisse,
il est difficile à digérer : voilà pourquoi
Galien n'en conseille pas l'usage , même
quand il a été péché dans une eau
claire. En effet, les personnes foibles
et qui digèrent difficilement , doivent
s'en abstenir.
Comme l'anguille est un poisson gé-
néralement aimé , l'économiste fera
bien de le mettre dans ses étangs. Il
demande un lac spacieux, avec un fond
de sable ou de marne, et un endroit
DE L'ANGUILLE. 3l
où il y ait de la vase , pour lui servir
de retraite pendant l'hiver. Si Ton veut
en conserver dans des étangs par amu-
sement , ou pour s'en faire provision y
il faut , comme le remarque Aristote ,
que ces étangs soient placés de ma-
nière qu'ils coulent dans un ruisseau
d'eau fraîche. Selon Pline, l'anguille
peut s'apprivoiser au point de manger
dans la main.
Le cœur de ce poisson est quarré ;
la cavité du ventre étroite , et l'on y
remarque rarement de la graisse , quoi-
que la chair en soit par-tout mêlée. Le
foie , qui consiste en deux longs lobes
inégaux, est d'un rouge pâle. La vé-
sicule du fiel est grosse ; le canal intes-
tinal court et sans sinuosités ni appen-
dices : j'y ai trouvé souvent des œufs
d'autres poissons. La rate forme un
triangle ; la vésicule aérienne est sim-
ple et aussi longue que le ventre. On
trouve à l'épine du dos cent seize ver-
tèbres.
32 HISTOIRE NATURELLE
L'anguille est connue sous difterens
noms. On la nomme :
Aal , en Allemagne.
Tobis-Jal, Ormfla et Rogar-orm , en
Suède et en Danemarck.
Biart-Aal , en Islande.
Nimeriak , en Groenlande.
Aal , en Hollande , quand elle est en-
core petite ;
Palink, quand elle est grosse.
Hel , Eles y en Angleterre ;
Silbereel ; celle qui a le ventre argen-
tin.
Jnguilla , Anguillas , en Italie et en
Espagne.
Salura , dans File de Malte.
Anguille, en France.
Wegora , en Pologne.
Stuttis , en Livonie.
Suszche , chez les Lettes.
Angrias, chez les Estoniens.
In gala , en Hongrie.
Agi y au Japon.
DE L'ANGUILLE. 33
Aristote et Pline ont remarqué avec
raison, que l'anguille morte ne vient
pas sur l'eau comme les autres pois-
sons j mai? le premier se trompe, en di-
sant que cela vient de ce que le bas-ven-
tre et la vésicule aérienne sont étroits.
Presque tous les poissons alongés, tels
que la loche , l'orphie, le papillon de
mer et plusieurs autres , ont le bas-
ventre et la vésicule étroits , et cepen-
dant ils montent sur la surface de l'eau
dès qu'ils sont seulement un peu pâ-
més.
Ces deux auteurs se trompent aussi
lorsqu'ils soutiennent que ce poisson
ne parvient qu'à l'âge de sept à liui
ans ; car il est impossible que l'anguille
qui croît lentement , parvienne dans
ce court espace à la grosseur que nous
lui voyons. Jean Heiden a conservé
pendant quinze ans des anguilles dans
son étang.
34 HISTOIRE NATURELLE
I Ie GENRE.
DES GYMNOTHORAX
EN GÉNÉRAL,
GYMNOTHORAX.
Caractère générique. La poitrine sans
nageoire.
On reconnoît les poissons de ce genre
à ce qu'ils n'ont point de nageoires
pectorales.
Le corps est étroit, long ou dégagé ,
sans écailles , visqueux et bigarré.
L'ouverture branchiale est étroite ,
courte , dirigée en longueur, et nae.
La bouche est armée de dents for-
tes et pointues.
Les narines sont simples et en forme
de tuyau.
Tom . I.
fat/e â4> ■
ULE GYMNOTlIOKAXà bracelets j».IiE GYMNOTHORAX
L-eliciolaii'e . 3 .U£ GYMNOTHORAX dAfinqu*.
DU GYMNOTHORAX. 35
Les nageoires du clos > de la queue et
de l'anus sont jointes et couvertes par
une commune peau.
Les rayons des nageoires sont très-
déliés et mous , et on ne sauroit les
compter , à cause de la peau épaisse
qui les couvre.
Ces poissons font leur séjour dans la
mer; cependant ; dans certaines sai-
sons , ils entrent dans les rivières.
Nous n'en trouvons qu'un en Eu-
rope , et cela , dans la mer Méditerra-
née ; c'est la murène , si estimée des
Romains.
Linné le compte parmi les anguilles,
peut-être parce qu'il n'en connoissoit
que cette seule espèce. Mais comme
depuis ce temps nous avons appris à en
connoître plusieurs espèces dans les
autres parties de la terre , et qu'il leur
manque une des principales marques,
c'est-à-dire la nageoire pectorale;
M. Tbunbcrg l'a séparée des anguilles,
et en a fait, et avec î-aison, un genre
36 HISTOIRE NATURELLE
séparé. Mais comme M. Thunberg a
donné à ces poisaons le nom de murè-
nes , nom que Linné donne aussi aux
anguilles , je leur ai donné celui de
gyrnnolhorax , afin d'éviter toute con-
fusion ; et cette dénomination fait con-
noître en même temps la marque dis-
tinctive du genre.
LA MURENE, gtmnothorax
M URJE N A.
On reconnoît la murène à sa nageoire
épaisse et grasse qui com menée à l'anus ,
entoure la queue , et finit sur le dos à
une assez grande distance de la tête.
Dépourvue de nageoires sur la poitrine
et sur le ventre , elle forme le passage
des poissons aux serpens , et , comme
ces derniers ; elle ne se meut que par
l'impulsion de la partie postérieure de
son corps. Les jeunes murènes sont
rondes . leur corps s'applatit et se con-
nrime en avançant en âge. Ce poisson
DELA MURÈNE. 7>J
a la têle petite et la bouche grande .
Les deux mâchoires sont garnies do
dents pointues et si éloignées , qu'elles
rengrènentles unes dans les autres. On
trouve aussi des dents dans le palais.
Les yeux sont petits, et ont une pru-
nelle noire entourée d'un iris jaune.
Non loin des yeux et de la bouche , on
voit deux barbillons creux. L'ouver-
ture des onies est étroite , et au lieu
d'être placée dans la largeur du corps,
comme chez les .autres poissons , elle
est dirigée sur la longueur. Je n'ai pu
appercevoirni opercule, ni membrane
des ouies. On peut voir dans la murène
un exemple de la variété de couleurs
que l'on trouve parmi les poissons. J'en
possède une qui a sur un fond brun des
lignes blanches étroites en forme de
chaîne et dirigées en travers. M. Cetti
remarque que la murène de la mer de
Sardaigne est couverte par-tout do
taches jaunes. Catesbynous en a donné
deux dessins, dans l'un desquels le fond
Poissons. I. 4
38 HISTOIRE NATURELLE
est vert , et clans l'autre blanc et par-
semé de points noirs. Dans le dessin du
père Plumier, je trouve le fond blanc ,
les taches grandes, jaunes, et de petits
points noirs sur ces taches.
Ce poisson habite les eaux douces et
salées. Mais sa principale retraite est
la mer ; voilà pourquoi Aristote le
met au nombre des poissons qui peuvent
vivre également dans les eaux douces
et dans les salées. On le trouve aux
Antilles et dans la Méditerranée. On
en prend sur-tout une grande quantité
en Sardaigne. Pendant l'hiver , les mu-
rènes se cachent au fond de l'eau ; au
printemps elles se montrent sur les
bords , pour se rassassier de petits pois-
sons et d'écrevisses. Elles aiment sur-
tout les polypes , et c'est le meilleur
appât dont on puisse se servir pour les
prendre. Elles sont si avides, que lors-
qu'elles manquent de nourriture, elles
se rongent la queue les unes les autres,
sans qu'elles en perdent la vie. Cela
DE LA MURÈNE, %
prouve qu'elles ont la vie dure ; ce qui
est encore confirmé par l'observation
qu'on a faite , qu'elles peuvent vivre
plusieurs jours hors de l'eau.
On prend la murène avec des ligues
de fond ; mais sur-tout avec des nasses ,
que l'on tend au fond de l'eau. Sa chair
est de bon goût ; voilà pourquoi les
Romains en faisoient un très-grand
cas. Ils n'avoient même pas honte de
les nourrir avec de la chair humaine.
Dedius Pollion engraissoit les siennes
avec la chair et le sang des esclaves
qu'il condamnoit à mort : il croyoit
qu'elles en devenoient meilleures.
L'empereur Auguste mangeant un jour
chez ce Pollion , un esclave cassa par
mégardc un plat précieux : Pollion lui
cria : Aux murènes ! Ce qui signifioit
que ce malheureux étoit condamné à
être mangé par les murènes. L'empe-
reur eut en horreur une telle cruauté :
il fit casser toute la vaisselle précieuse
de Pollion , et donna la liberté à l'es •
4o HISTOIRE NATURELLE
cîave. Hirius fut le premier qui , pour
les garder , construisit à grands frais
des réservoirs dans la mer ; et lorsque
César fut honoré du triomphe , il en
livra six mille à ses amis pour régaler
leurs hôtes. Selon Pline , les Romains
aimoient tellement les murènes , qu'on
donnoit la forme de ces poissons aux
pendans d'oreilles et aux autres pa-
rures des femmes. Elles s'apprivoisent
aisément. Elles venoient à la voix de
Crassius , lorsqu'il les appeloit ; et
quand il leur donnoit quelque chose ,
elles sautoientde joie. Il les aimoit tel-
lement , qu'il pleuroit celles qui mou-
roient , et leur faisoit faire des obsè-
ques magnifiques.
.Nous trouvons dans les anciens écri-
vains plusieurs mémoires sur notre
poisson : cependant ils nous ont appris
peu de choses certaines sur la manière
dont il se reproduit. On voit d'abord
que ce qu'ils en disent est fondé sur des
préjugés. Selon Aristote , il s'accouple
DE LA MURÈNE. 4l
comme les serpens , parce que le mâle
et la femelle s'entortillent l'un l'autre ,
et il fait des petits en tout temps. Pline
regarde toutes les murènes comme des
serpens ; et il pense que pour s'accou-
pler , elles se mettent à sec sur le rivage.
Rondelet dit au contraire , qu'elles
s'accouplent avec les vipères. Les
ichthyologistesquisontvenusaprèslm,
ont en partie répété ce conte. Un des
plus modernes naturalistes , M. Cetti ,
ne nous dit autre chose , sinon qu'il a
appris des pêcheurs et des cuisiniers ,
qu'on ne trouve jamais des petits vi-
vais dans leur corps. Mais il y a appa-
rence qu'il a oublié de demander si Ton
n'y trouve point d'oeufs comme dans
les anguilles ordinaires. La murène
ayant la vie dure, la chair de bon goût ,
et vivant dans des réservoirs, valoit
bien la peine d'être naturalisée dans
d'autres pays. Si la dorée de la Chine a
réussi eu Europe , le sterlet du Woîga
en Suède'et en Allemagne, pourquoi
42 HISTOIRE NATURELLE
la murène ne ponrroit-elle pas être
transportée avec les mêmes succès d'I-
talie dans le reste de l'Europe ?
Ce poisson se nomme :
Mourene , en Allemagne.
Murène , en France.
Murane , en Angleterre.
Murena . en Italie.
Les différentes taches et couleurs
qu'offre notre poisson, ont donné occa-
sion à Catesby et Gronov d'en faire
mal-à-propos deux espèces différentes,
et à Klein d'en faire trois. La diversité
de ces couleurs vient de la nourriture
et de la différente qualité des eaux.
LE GYMNOTHORAX A BRACELETS ,
GYMNOTHORAX CATENATVS.
Les taches en forme de chaînons ,
sont une marque très-distinctive pour
notre poisson. Ces taches sont blanches
et se distinguent très-clairement sur le
fond qui est brun»
DU GYMNOTHORAX , &.C. 43
La tête et l'orifice de la bouche sont
petits ; les mâchoires sont années Je
petites dents très-serrées , qui se ter-
minent en pointe. Le palais et la langue
sont unis. Les yeux sont petits , la pru-
nelle est bleue et entourée d'un iris
blanc et fort étroit. Les narines sont
simples et fort proches des yeux. A la
pointe de la tête on trouve deux bar-
billons courts et de la nature des soies,
L'ouverture branchiale est petite et
découverte.
La ligne latérale est à peine percep-
tible; elle est descendante et sa direc-
tion parallèle au dos.
Le dos et le ventre sont ronds ; les
flancs comprimés , et l'anus est plus
proche de la queue que de la tête.
J*ai reçu ce poisson de Surinam.
Ce poisson est nommé :
Par les Français ; Gymnothorax à bra-
celets.
Par les Allemands , Keitenfisch*
Et par les Anglais , Chain-Fish.
44 HISTOIRE NATURELLE
LE GYMNOTHORAX RÉTICULAIRE,
GYMNOTHORAX RETICVLARIS.
Ce poisson se distingue aisément des
autres poissons de ce genre , par ses
taches réticulaires , et par la longue
nageoire dorsale qui commence à la
nuque du cou.
La tête et l'orifice de la bouche sont
petits ; les yeux sont près de la lèvre
supérieure ; la prunelle est bleue et
l'iris est blanc et fort étroit. Les na-
rines sont simples, tout près des yeux ,
et devant. Près de la bouche on trouve
deux barbillons courts. Les ouvertures
branchiales, qui sont libres, ou décou-
vertes , et fort petites , se trouvent
proche de la tête.
Les mâchoires sont armées d'une
rangée de dents , pointues et écartées
Tune de l'autre , et celles de devant
sont plus longues que celles de derrière.
Le palais et la langue sont unis.
Le tronc est blanc et entouré de
DU GYMNOTIIORAX , &c. 45
bandes brunes , qui ne sont visibles
qu'au dos et au ventre ; et non pas aux
flancs ; parce que ceux-ci sont couverts
de taches réticulaires.
L'anus est un peu plus proche de la
pointe de la queue que du bec.
La longue dorsale est brune et ta-
chetée de jaune , et a une infinité de
rayons mous et très-déliés. Les na-
geoires du dos, delà queue et de l'anus
sont jointes \ et le nombre des raj^ons
ne peut pas y être déterminé au juste,
parce que la peau est fort épaisse.
Je n'ai pas non plus pu découvrir la
ligne latérale de ce poisson , et elle
semble être oblitérée.
J'ai reçu ce beau poisson de M. John
de Tranquebar , et je m'attends , qu'à
la première occasion ; il m'enverra son
histoire naturelle.
On nomme ce poisson :
En France , Gymnothorax réticulaire.
En Allemagne, Netzfisch.
En Angleterre , Netling Bare-Breast,
46 HISTOIRE NATURELLE
LE GYMNOTHORAX D'AFRIQUE,
GYMNOTHORAX A FER.
Le large orifice de la bouche , et la
nageoire du dos longitudinale, sont les
marques distinctives de notre poisson.
Les mâchoires sont armées de dents
fortes et recourbées en arrière ; celles
de derrière sont petites , et celles de
devant sont grandes; et le palais est
aussi armé de grandes dents. La langue
est unie.
Les yeux sont plus grands que chez
les autres poissons de ce genre ; ils sont
ovales j la prunelle est noire ; l'iris
bleu.
Les narines sont simples et proche
des yeux.
A la pointe du bec on trouve deux
barbillons.
L'ouverture branchiale est petite ?
et se trouve proche de la nageoire du.
dos.
DU GYMNOTHORAX, &.C. ^7
Le corps est comprimé , se termine
en pointe aux deux extrémités, et est
marbré de brun.
Les nageoires du dos, de la queue
et de l'anus de ce poisson-ci , sont aussi
jointes, et le nombre des rayons, qui
y est très - considérable , ne peut se
compter, à cause de l'épaisseur de la
peau.
L'anus est au milieu du corps.
Nous trouvons ce poisson entre les
écueils des côtes de la Guinée.
Eeu le docteur Isert m'écrivit que ,
quoique ce poisson fut un bon aliment ,
les Nègres ne le mangeoient pas , parce
qu'ils le prenoient pour un serpent.
On nomme ce poisson :
En Allemagne , Africanische Kahlbrust.
En France, Gymnothorax d'Afrique.
Et en Angleterre , AfrkainBare-Breast.
48 HISTOIRE NATURELLE
I I Ie GENRE.
LE SYNBRANCHE,
SYNBRAN C H U S.
Caractère générique. Une ouverture
branchiale sous la gorge.
LE SYNBRANCHE MARBRÉ ,
SYNBR /INCHUS MARMORATUS.
On reconnoît cette espèce de pois-
son au corps marbré.
La tête est plus grosse que le tronc ,
voûtée par en haut , plate par en bas,
et comprimée des deux côtés.
L'orifice de la bouche est large ; les
mâchoires sont armées de plusieurs
rangées de dents , petites et en forme
To/n . J .
Pat/e £8,
D&re&e (/<>/■ Zo Fi/Iarn <fa/tp.
il.F. SWT.RWCHK marW.A.TJH SYNBRANCUIv
iumiacnle. 3.XH COLI.llYKAN CHK •
— V
DU SYNBRANCHE MARBRÉ. 49
de cône. Le palais et la langue sont
unis, et les lèvres charnues. Les na-
rines sont simples , et proches des
yeux , ceux-ci sont bleus.
La peau qui entoure le corps est
épaisse et fort relâchée ; dans ce cas-
ci , ce poisson ressemble au diable de
mer. Laligne latérale est droite; l'anus
est deux fois plus éloigné de la tète que
de la pointe de la queue.
Le dos est de couleur olive -foncé;
le ventre et les flancs sont d'un vert-
jaunâtre , marbré de taches violettes.
L'estomac est long , et la peau en
est mince.
Je n'ai trouvé dans ce poisson ni
laite , ni résure.
J'ai trouvé dans son estomac une
sorte de souris à demi-digérée . ce qui
fait voir qu'il est vorace.
On m'a envoyé de Surinam deux de
ces poissons.
Ce poisson habite les eaux douces
de Surinam. On le trouve principale-
Poisons. I. 5
5o HISTOIRE NATURELLE
ment dans les endroits bourbeux , et sa
chair se ressent de sa demeure : voilà
pourquoi les Européens ne l'estiment
guère ; mais les Nègres trouvent sa
chair délicate , parce que le poisson
est gras.
Ce poisson est nommé :
Par les Allemands , Surinamische
Halslcieme.
Par les Français , Synbranche marbré.
Et par les Anglais, Marble-Symbrank.
LE SYNBRANCHE IMMACULÉ,
SFNBRANCHUS IM3IACULATUS.
Il est très-facile de distinguer co
poisson-ci des précédens, par son corps
sans taches , et par la peau , qui y est
plus attachée.
Il paroît rond , parce qu'il est charnu.
Quant au reste de ses parties , il
est très- semblable au synbranche mar-
bré.
DU SYNBRANCRE IMMACULÉ. 5l
Il m'en est venu de Surinam et du
Tranquebar.
On nomme ce poisson :
En Allemand, Ungefleckte Halskieme.
En Français , Synbranche immaculé.
Et en Anglais, Spotless-Symbrank.
25 HISTOIRE NATURELLE
I Ve G E N R E.
LE SPHABRANCHE,
SPHAGEBRANCHUS.
Caractère générique. Des ouvertures
branchiales à la gorge.
LE COLLIBRANCHE,
SPHAGEBRANCHUS RO STRAT US.
La tête terminant en pointe, fait
le caractère distinctif de ce poisson.
Le tronc a la forme d'un ver ; l'ori-
fice de la bouche est au-dessous de la
tête , et l'anus au milieu du corps. Les
mâchoires sont armées de sept petites
dents.
Quand on élargit l'ouverture bran-
DU COLLIBRANCHE. 53
cliiale, on apperçoit de chaque côté
quatre branchies.
A l'exemplaire que je possède , et
qui m'est venu des Indes orientales, je
n'ai pu reconnoître ni écailles , ni na-
geoires.
On nomme ce poisson :
En Allemand , Doppelte Halskieme.
Eu Français, Collibranche.
Et en Anglais , Douhle-Chin-Gilt.
54 HISTOIRVE NATURELLE
Ve GENRE.
LE GYMNOTE, gymnotus.
Caractère générique. Dos sans nageoires.
LE GYMNOTE ÉLECTRIQUE,
ou L'ANGUILLE TREMBLANTE,
GYMNOTUS JE LE C TRI CUS»
On reconnoît l'anguille tremblante à
sa queue obtuse.
Le corps est long , uni , couvert de
mucilage, et noir en grande partie. On
voit sur le tronc diverses taches claires.
Il y en a aussi qui sont rougeâtres ; et
ceux là ont une vertu électrique plus
forte que les autres. Nous parlerons
bientôt de cette qualité. La tète est
courte, un peu plus large que le corps,
'/'(>//! f.
!'<!</<• -y
7)e<rcve del . Le /îflain tlcv/p-
i LE CARAPO a queue courte . a. .ILE CARAPO
a queue louo«ue. 3 L ANGUILLE TREMBLANTE.
C» t.Ôjw
Ï)U GYMNOTE ÉLECTRIQUE. 55
et applalie de haut en bas. L'ouver-
ture de la bouche est large -, les lèvres
sont épaisses et mobiles. Les deux mâ-
choires , dont la supérieure est un peu
plus longue que l'inférieure, sont gar-
nies d'un grand nombre de petites
dents aiguës. La langue est large et
pleine de verrues, ainsi que le palais.
Non loin du bord de la mâchoire supé-
rieure , on remarque quatre petites
ouvertures. Les yeux qui sont situés
à la surface supérieure de la tête , sont
très-petits, ont une prunelle noire dans
un iris jaune , et sont pourvus d'une
membrane clignotante. De tons côtés,
sur le corps, on remarque de petites
ouvertures capillaires, d'où, il sort , à
la pression , un mucilage épais , qui
tient lieu d'écaillés, et sert probable-
ment à préserver le corps des blessures.
Les ouvertures des ouiessont étroites,
ont une direction oblique, et sont pla-
cées tout près des nageoires pectorales.
La cavité du ventre est courte , et
56 HISTOIRE NATURELLE
l'anus se trouve tout près du menton.
"La ligne latérale est double : l'une passe
près du dos, et l'autre près de la na-
geoire de Panus. Les nageoires de la
poitrine sont petites; la nageoire de
l'anus est longue , et celle de la queue
obtuse. Toutes les trois sont garnies de
rayons mous et simples , mais dont on
ne sauroit donner exactement le nom-
bre , à cause de la membrane épaisse
dans laquelle ils sont enveloppés.
On trouve ce poisson en Guinée , à
Surinam , à Cayenne , au Pérou, sur
les rives africaines du fleuve Sénégal,
et en général dans les contrées brû-
lantes. Il aime beaucoup l'eau claire y
et se tient, par cette raison, vers les
bords pierreux de la mer et à l'embou-
chure des fleuves. Il remonte aussi dans
les fleuves et dans les lacs qui y com-
muniquent. Il vient souvent à la sur-
face de l'eau pour prendre l'air; et là
il rejette une bulle d'air. Il meurt ai-
sément quand il ne peut pas respirer
DU GYMNOTE ÉLECTRIQUE. 5j
souvent un air frais; c'est ce qui ar-
rive, lorsqu'il reste trop long -temps
dans les fonds pris dans les filets ou la
nasse , ou attaché à l'hameçon. Sa chair
est grasse et de bon goût. Celle du dos
est ferme et pleine d'arêtes; mais celle
du ventre est molle et gluante. Les
blancs et les noirs le mangent égale-
ment. La propriété de ce poisson de
faire éprouver une commotion à celui
qui le touche , a excité avec raison
l'attention des physiciens.
Richer, qui, en 1671 , fut envoyé à
Cayenne par l'académie de Paris, pour
faire des observations mathématiques,
parle d'une espèce d'anguille qui cause
une commotio n considérable , soit qu'on
la touche médiatement ou immédia-
tement. Ce poisson est probablement
notre anguille tremblante, comme on
peut le voir par le passage que nous
rapportons ici : « Je fus, dit-il, fort
î) surpris de voir un poisson long de
« trois à quatre pieds , semblable à une
58 HISTOIRE NATURELLE
)> anguille grosse comme la jambe, et
» telle que celle de mer que les pê-
» cheurs appellent congre , lequel étant
)> touché non-seulement avec le doigt,
)) mais même avec l'extrémité d'un
« bâton, engourdit tellement le bras
» et la partie du corps qui lui est la
)) plus proche, que l'on demeure pen-
)> dant un demi - quart -d'heure sans
» pouvoir le remuer , et cause même
)> un éblouissement qui feroit tomber,
w si on ne prévenoit pas la chute en
)) se couchant par terre, et ensuite on
)) revient au même état qu'auparavant.
» J'ai été témoin de cet effet , et je l'ai
)> senti, ayant touché ce poisson avec
)> le doigt , un jour que je rencontrai
» des sauvages qui en a voient un encore
)> vivant , lequel ils avoient blessé d'un
» coup de flèche , et tiré de l'eau avec
» la flèche même. Je n'ai pu savoir
» d'eux le nom de ce poisson : ils disent
» qu'en frappant les autres poissons
)) avec sa queue, il les endort, et les
DU GYMNOTE ÉLECTRIQUE. 59
)> mange ; ce qui est aisé à croire , voyant
j) l'effet qu'il produit sur les hommes
)) lorsqu'ils le touchent j>.
Il se passa près de soixante-quinze
ans avant qu'on apprît quelque chose
de plus sur ce poisson; car ce n'est que
vers le milieu de ce siècle que M. de la
Condamine parle dans ses voyages en
Amérique d'un poisson qu'il nomme
puraque , qu'on trouve dans la rivière
des Amazones , et qui produit le même
effet. C'est sans doute encore notre
poisson. Mais Ingram , dans une lettre
de Towerhill ; du mois de février 1 j5oy
nous a donné des connoissances cer-
taines sur ce poisson. Il le nomme
torpédo ; mais il est évident , par la des-
cription qu'il en donne, qu'il avoit une
anguille tremblante sous les yeux. Il
nous apprend en même temps que ce
poisson avoit probablement une at-
mosphère électrique autour de lui ; car,
lorsqu'il vouloit le toucher avec un
morceau de fer , son bras ressentoit ,
Go HISTOIRE NATURELLE
même avant l'attouchement, une com-
motion si forte , qu'il étoit obligé de
lâcher le fer.
M. Gravesand découvrit le premier
que cette commotion venoit d'une ma-
tière électrique. Il dit dans une lettre
de Rio Issequebo , du 22 novembre
1755, qu'il écrit, à M. le professeur
Allemand : « Ce poisson fait le même
;» effet que l'électricité que j'ai éprou-
» vée chez vous en touchant la bouteille
» de Leyde j mais avec cette différence ,
» qu'on ne remarque aucune étincelle,
» quoique la commotion soit beaucoup
» plus forte ; car , quand le poisson est
)) un peu gros , elle renverse infailli-
)> blement ceux qui le touchent , et on
» ressent le coup par tout le corps ».
Bientôt après Gronov publia des ex-
périences qu'une personne de sa con-
noissance avoit faites en Amérique sur
une anguille de cette espèce ; et elles
nous prouvent d'une manière incon*
testable l'électricité animale- de ce
DU GYMNOTE ÉLECTRIQUE. 6l
poisson. Nous voyons aussi par ces ex-
périences , que le fluide électrique se
communique à plusieurs personnes , si
la première touche la tête du poisson ,
pendant que la dernière , à une cer-
taine distance , tient une main dans
l'eau , et que cette matière est inter-
rompue lorsqu'on touche ce poisson
avec des corps électriques, tels que de
la cire d'Espagne ou de la soie.
Musschembroeck, qui reconnut l'é-
lectricité animale , en donna avis à son
ami Nollet. Cependant l'auteur de
l'Histoire de l'Académie des Sciences
de Paris, doute encore de l'existence
de cette matière , et attribue J'effet à
certains muscles , que Réaumur pré-
tend avoir trouvés dans la torpille.
M. le professeur Allemand étoit aussi
de cet avis.
Peu de temps après, van der Lott
confirma davantage encore par ses ex-
périences l'électricité animale , en re-
montrant qu'en touchant ce poisson
Poissons I. 6
6'2 HISTOIRE NATURELLE
avec différens métaux , on ressentoit
une commotion considérable , et qu'on
n'en ressentoit aucune en le touchant
avec de la cire d'Espagne , etc. Fermin
alla plus loin encore ; il éprouva que
quatorze esclaves qui se tenoient les
uns les autres, ressentoient le coup en
même temps, lorsque le premier tou-
clioit le poisson avec un bâton , et que
le dernier tenoit la main dans l'eau.
Les expériences de Bancroft mettent
aussi cet effet hors de doute.
D'autres expériences ont été faites
par Williamson et Garden. Le pre-
mier en parle dans sa lettre à Walsh,
datée de Philadelphie le 3 septembre
1773; le dernier dans une lettre à
Ellis, datée de Charletown, le i4 août
1774. Il seroit inutile de rapporter par
ordre toutes les épreuves de chacun
d'eux ; je ne rendrai compte que de
celles de Williamson, parce qu'elles
montrent clairement l'existence de
l'électricité animale. L'anguille qu'il
DU GYMNOTE ÉLECTRIQUE. 63
choisit avoit trois pieds sept pouces de
long, et étoit épaisse de deux pouces
vers la tête. On l'avoit apportée de la
Guiana à Philadelphie , où étoit M.
Williamson.
ire expérience. Eu touchant l'anguille
avec le doigt , il ressentit dans les ar-
ticulations des doigts une commotion
aussi vive que s'il eût touché la bou-
teille de Leyde.
11e expérience. Il la toucha très-fort,
et il ressentit une douleur égale qui se
communiqua jusqu'au coude.
ine expérience. Il la toucha avec un
long fil d'archal, et il sentit le même
effet dans les articulations du pouce et
des doigts , avec lesquels il tenoit le fil
d'archal.
ive expérience. Pendant qu'une autre
personne, qu'il touchoit, frottoit lé-
gèrement le poisson, il mit une main
dans l'eau , à une distance de trois
pieds, et il éprouva au bout des doigts
ce qu'il auroit éprouvé s'il l'avoit tou-
6i HISTOIRE NATURELLE
ché lui-même ; mais pourtant avec
moins fie douleur.
v? expérience. Il jeta près de l'an-
guille quelques petits poissons, qu'elle
tua et avala sur-le-champ.
vie expérience. Il lui jeta aussi un
chat marin, silurus catus , qui avoit au
moins un pouce et demi d'épaisseur :
elle le tua aussi , et voulut l'avaler ;
mais elle ne put en venir à bout , parco
qu'il étoit trop gros.
vne expérience. Pour s'assurer si les
poissons qu'on jetoit auprès de l'an-
guille étoient tués par l'influence de la
matière électrique, il mit une main
dans l'eau, à quelque distance de l'an-
guille, et on jeta un autre chat marin
dans la même eau. L'anguille nagea
vers le poisson ; mais elle retourna bien-
tôt. Peu de temps après, elle se re-
tourna, lui lança, pendant quelques
secondes, des regards pleins de feu, et
lui fit éprouver une telle commotion ,
qu'il fut retourné sur le dos, et resta
DU GYMNOTE ÉLECTRIQUE. 65
sans mouvement. L'observateur res-
sentit au même instant , dans les doigts ,
une douleur semblable à celle de la qua-
trième expérience.
viiic expérience. L'anguille donna
une telle commotion à un troisième
chat marin qu'on mit dans l'eau , qu'il
se mit sur le côté; mais il continua à
donner quelques signes de vie. L'an-
guille parut le remarquer ; elle re-
tourna , et acheva de le tuer. Il put
sentir aisément que le second coup
étoit plus fort que le premier. L'an-
guille n'essaya plus d'avaler ces pois-
sons, quoiqu'elle continuât à les tuer.
Il remarqua constamment que, lors-
qu'elle vouloit en tuer un, elle avan-
çoit droit vers lui , comme pour le man-
ger ; que , lorsqu'elle en étoit près, elle
restoit tranquille pendant quelques
momens, avant que de donner le coup ;
que quelquefois aussi le coup partoit
dès qu'elle en approchoit. Quand nous
portions un de ces silures ? qui parois-
66 HISTOIRE NATURELLE
soit mort, dans un autre vase plein
d'eau, il revenoit à la vie comme les
poissons que l'on a étourdis par l'élec-
tricité.
ixe expérience. Quand il touchoit
l'anguille avec la main , de manière à
l'irriter, et qu'il avoit l'autre main
dans l'eau , à une petite distance , il
ressentait dans les deux bras un coup
aussi violent que celui que produit la
bouteille de Leyde.
xe expérience. Il enfonça dans l'eau
un bâton qu'il tenoit à la main , et tou-
cha de l'autre l'anguille, et il ressentit
le coup dans les deux bras , comme dans
l'expérience précédente.
xie expérience. Pendant qu'il tenoit
par la main un de ses compagnons de
voyage, qui touchoit l'anguille , il mit
l'autre main dans l'eau, et tous deux
éprouvèrent une commotion.
xne expérience. Il prit doucement le
poisson dans la main , et pendant qu'une
autre personne lui toucha fortement Ja
DU GYMNOTE ÉLECTRIQUE. 6/
têle , l'un et l'autre sentirent une forte
commotion.
xme expérience. Huit à dix per-
sonnes formèrent un rond en se pre-
nant par la main. La première mit la
main dans, l'eau à une petite dislance
du poisson , et dès que la dernière tou-
cha la tête , toutes ressentirent une
foibïe commotion.
xive expérience. La même expérience
fut répétée, avec cette différence que
la première personne toucha la tête ,
et la dernière la queue , et toutes res-
sentirent une forte commotion.
xve expérience. Il tint avec une autre
personne le bout d'une chaîne de cuivre.
L'un d'eux mit la main libre dans l'eau,
pendant que l'autre excit oit fortement
l'anguille , et tous deux ressentirent la
commotion.
xvf expérience. Il s'enveloppa la
main dans une étoffe de soie , et toucha
l'anguille ; mais il ne ressentit aucune
commotion, pendant que son compa-
68 HISTOIRE NATURELLE
gnon qui dans le même temps tenoitîa
main dans l'eau , à une petite distance
de l'anguille , reçut la commotion.
xvne expérience. On fit une quantité
d'autres expériences avec deux per-
sonnes , dont l'une tenoit la main dans
l'eau , à une petite distance de la queue ,
ou même la touchoit , et l'autre prenoit
la tête. Avec les deux autres mains ,
elles tenoient un charbon de bois , un
fil de fer ou d'autre métal , un morceau
de bois lourd ou léger , du verre , de la
soie, etc. Le résultat fut que tous les
corps qui conduisent l'électricité ordi-
naire , le firent aussi , et que ceux qui
l'arrêtent , l'arrêtèrent aussi. Mais la
chaîne de métal ne donnoit la commo-
tion que quand elie étoit tendue.
xvmp expérience. Une personne de
la compagnie, qui se plaça sur une bou-
teille de verre , reçut quelques coups
provenus de l'attouchement de l'an-
guille -, mais elle ne donna plus aucun
signe d'électricité. L'électromètre ne
DU GYMNOTE ÉLECTRIQUE. 69
marqua plus l'électricité ni quand il
ctoit au-dessus du dos de l'anguille, ni
quand il étoit arrêté sur la personne
qui recevoit le coup.
xixe expérience. Une personne tint
dans une main une pliiole préparée
pour des expériences électriques , et
posa l'autre sur îa queue du poisson ;
pendan l que son compagnon tenoit dans
une main un court fil d'archal qui com-
muniquoit avec la phiole. De l'autre
main , elle prit le poisson par la tête ,
et reçut une vive commotion dans la
main et dans le bras ; mais l'autre ne
sentit rien.
xxe expérience. Il prit deux fils de
métal de la grosseur d'une plume de
corbeau , et arrondis par les bouts. On
les posa sur du bois, tellement vis- à-vis
l'un de l'autre, qu'ils n'en étoient éloi-
gnés que d'un tiers de pouce. Il tint un
bout du til dans une main , et pendant
que son compagnon prenoit dans la
main le bout de l'autre fil , l'un d'eux
70 HISTOIRE NATURELLE
mit la main dans l'eau près de l'an-
guille , et l'autre toucha l'anguille avec
sa main libre. Ce dernier reçut un
coup , et le premier ne sentit rien. Il
répéta la même expérience jusqu'à
quinze ou vingt fois , et toujours avec
le même effet. Mais lorsque ces mêmes
fils étoient à la distance de l'épaisseur
de deux feuilles de papier à lettre , la
commotion se communiquoit vivement
à l'un et à l'autre. Dans ce dernier
cas , les étincelles électriques avoient
sans doute passé d'un fil dans l'autre ;
mais on ne put parvenir à rendre ces
étincelles visibles. Vers la fin de ces
expériences y il remarqua que l'anguille
ne se laissoit pas irriter , et paroissoit
être malade ; car il lui avoit souvent
passé la main sur le dos et sur les côtés
de la tête à la queue ; il avoit même
sorti de l'eau une partie de son corps >
sans que le poisson opposât la moindre
résistance.
ïl résulte de ces expériences 5
DU GYMNOTE ÉLECTRIQUE. J\
1°. Que cette anguille peut faire
éprouver un sentiment douloureux à
toutes les créatures qui s'approchent
d'elle.
2°. Que cet effet dépend de la vo-
lonté de l'anguille ; de sorte qu'il peut
être plus ou moins fort , selon l'état où
se trouve le poisson.
3°. Que le coup ou la douleur qu'elle
fait éprouver n'est point un effet im-
médiat du mouvement des muscles de
l'anguille , puisqu'elle produit cet effet
à un certain éloigneraient d'elle , et
puisqu'on peut le propager parle moyen
de certaines substances , tandis qu'on
ne ressent rien par d'autres corpsd'une
dureté et d'une tension égales.
4°. Que le coup provient d'une cer-
taine matière fluide , qui sort du pois-
son.
5°. Que cette émanation de l'an-
guille fait sur les corp humains le
même effet que la matière électrique ,
et produit la même sensation j et qu'elle
72 HISTOIRE NATURELLE
tue ou étourdit les animaux de la même
manière que nous le voyons dans l'élec-
tricité ordinaire. Enfin , que tous les
corps qui conduisent la matière élec-
trique , produisent ici le même effet ;
et qu'au contraire tous les corps qui ar-
rêtent la matière électrique , l'inter-
rompent aussi dans les expériences
faites sur ce poisson. D'où l'on peut
conclure avec assurance que cette an-
guille est pourvue d'une matière élec-<
trique.
Cependant, il y a plusieurs expé-
riences qui paroissent se contredire.
Par exemple , Ingram raconte qu'il a
reçu la commotion avant que de tou-
cher l'eau; M. de la Condamine , qu'il
l'a éprouvée en la touchant avec un
bâton. Le premier , au contraire , as-
sure qu'on n'éprouve aucune secousse
en la touchant avec un bâton , et van
der Lott , qu'il n'en a éprouvé aucune
avec du plomb et du fer-blanc; "VVil-
liamson;Heiden et un jeune Nègre ont
DU GYMNOTE ÉLECTRIQUE. ^
pu le tirer de Peau sans rien ressentir.
Mais toutes ces contradictions dispa-
roissentjsinous considérons attentive-
ment ce poisson ; nous verrons alors :
1°. Que quand il est tranquille , il
ne cause aucune commotion.
2°. Que lorsqu'il est en colère , il en
produit une d'autant plus vive , qu'il
est excité davantage par l'attouche-
ment.
3°. Qu'un poisson frais produit cet
effet d'une manière beaucoup plus forte
que celui qui est depuis long-temps
dans un vase.
4°. Qu'il ne produit cet effet que par
les corps qui servent ordinairement de
conducteurs à la matière électrique ;
et qu'il ne le produit point par ceux
qui sont électriques.
5°. Que ce poisson , dans un certain
éloignemeut , sans être touché immé-
diatement, peut produire une commo-
tion.
6°. Que lorsqu'on prend le poisson
Poissons. I. 7
74 HISTOIRE NATURELLE
par le dos avec les deux mains en même
temps , et qu'on le serre , il ne cause
aucune commotion.
7°. Que quand ce poisson est malade,
il ne produit que foiblement ou point
du tout cet effet ; et qu'il cesse toujours
dès qu'il est mort.
8°. Qu'il peut tuer ou étourdir les
poissons sans les toucher.
On peut conclure de-là avec certi-
tude :
I. Que la matière qui cause la com-
motion est d'une nature électrique.
II. QuePémanation de cette matière
dépend de la volonté et de la santé du
poisson i ce qui cause les différens effets
que l'on a remarqués dans diverses
expériences.
III. Que la matière électrique ani-
male est d'une autre nature que la ma-
tière électrique ordinaire , sans quoi
elle devroit suivre en tout temps les
corps propres à la conduire. De plus ,
que le temps humide et les corps mouil-
DU GYMNOTE ÉLECTRIQUE, y 5
lés augmentent l'effet de cette électri-
cité ; au lieu qu'ils nuisent à celui de
l'électricité ordinaire.
IV. Que le poisson produit en lui-
même la matière de l'électricité , puis-
qu'elle n'existe plus dans ceux qui sont
morts ou malades.
V. Que pour l'émanation de cette
matière , il est nécessaire qu'il y ait un
mouvement des muscles, sur-tout de
ceux du dos ; car dès qu'on empêche
leur mouvement en serrant le poisson
au dos , il n'y a nulle commotion.
VI. Comme la torpille produit tons
ces phénomènes, ils viennent aussi sans
contredit d'une électricité animale ; ce
qui détruit toutes les hypothèses que
l'on a imaginées depuis deux mille ans
pour les expliquer.
Cette propriété électrique sert pro-
prement au poisson pour se procurer
de la nourriture et pour se défendre
contre ses ennemis. Dans le premier
cas , il étourdit les petits poissons , et
j6 HISTOIRE NATURELLE
s'en empare dans cet état ; et dans le
second cas , il étourdit aussi les gros
poissons voraces qui veulent l'attaquer,
et se met par-là en sûreté.
Quoique les expériences que nous
"venons de rapporter prouvent l'exis-
tence de la matière électrique , plu-
sieurs naturalistes ont été cependant
contraires à cette opinion , parce qu'on
ne voyoit aucune étincelle. M. "Walsh ,
qui , par ses expériences faites à la Ro-
chelle , prouva l'électricité de la tor-
pille , ne put produire non pins des
étincelles. M. Ravendiscli tâcha de
montrer par des expériences , que par
la bouteille de Leyde on pouvoit aussi
produire une commotion dont les étin-
celles seroient très-foibles. Cela ne suf-
fit pas pour lever les doutes; car on
voit toujours une foible étincelle ; et
l'on n'en apperçut point dans les expé-
riences de M. Walsh , quoique la tor-
pille fut très - grosse. Après cela ,
M. Walsh fit venir de Surinam quel-
DU GYMNOTE ÉLECTRIQUE. VJ
ques anguilles tremblantes , mais elles
moururent en chemin , ainsi que celles
que Musschembroeck avoit demandées.
Pour s'en procurer , il proposa une ré-
compense assez considérable pour cha-
que poisson de cette espèce qu'on lui
remcttroit vivant. On prit plus de soin
pour les apporter; et il eut le plaisir de
recevoir à Londres quatre anguilles
tremblantes toutes vivantes. On voit
par une lettre qu'il écrivit à M. le Roi ,
qu'il a rendu visibles les étincelles élec-
triques delà manière suivante : Il posa
une feuille de métal sur un disque de
verre ; il la fendit par le milieu ; et
lorsqu'il tira le poisson de l'eau , et
qu'il l'excita , il vit passer les étin-
celles électriques d'une feuille de mé-
tal à l'autre. On n'a aucune raison de
douter de l'exactitude de cette expé-
rience ; car le chevalier Pringle et
M. Magellan ont assuré M. le Roi qu'ils
avoient vu le passage des étincelles ,
ainsi que plusieurs autres savans j et
78 HISTOIRE NATURELLE
que l'expérience avoit été répétée dix
ou douze fois avec le même succès.
M. Magellan ajoute encore que vingt-
sept personnes delà compagnie s'étant
prises par les mains , en formant un
cercle , et la première ayant touché
l'anguille , toutes reçurent un coup
semblable à celui que fait éprouver la
bouteille de Leyde.
On prend l'anguille tremblante au
filet; et lorsque les pêcheurs en ont
pris une grosse , ils l'assomment avec
une massue , pour ne pas s'exposer à la
commotion. A Surinam , on conserve
les jeunes dans de larges huches faites
exprès, et on les nourrit avec de petits
poissons , ou au défaut , avec des vers
de terre. Les insectes sont ce qu'elles
aiment le mieux; car elles les avalent
avec beaucoup d'avidité , dès qu'on les
leur jette dans l'eau. Comme la peau
de ce poisson jette une matière vis-
queuse fort considérable , il faut chan-
ger l'eau , au moins d'un jour à l'autre.
DU GYMNOTE ELECTRIQUE. 79
On met à la.huche une canule , par où
on fait écouler l'eau. A cette occasion ,
on laisse souvent le poisson , pendant
quelques heures, à sec et sans mouve-
ment ; et quand on le touche dans cet
état , il cause une commotion aussi forte
qu'auparavant.
La manière dont ce poisson se re-
produit est incertaine. Il passe pour
être de bon goût; et les Indiens le
mangent aussi bien que les Euro-
péens.
M. Hunter a fait graver sur trois
planches les muscles et les neifs de co
poisson. Il a apperçu trente - quatre
muscles qui régnent depuis la tête jus-
qu'à la queue , et qui sont attachés à
l'os vertical. Fermin prétend aussi
avoir trouvé deux différentes espèces
de muscles. Mais on ne peut conclure
de-là avec certitude , que ce poisson
ait une direction de muscles qui lui
soit particulière , jusqu'à ce que l'on
ait disséqué aussi exactement plusieurs
80 HISTOIRE NATURELLE
poissons de ce genre , et qn'on les ait
comparés. Cependant , comme per-
sonne ne nous a encore rien dit des
intestins , je me crois obligé de les dé-
crire tels que je les ai trouvés dans le
poisson que j'ai disséqué. Ce poisson
avoit deux pieds et demi de long; la
cavité du bas- ventre étoit de quatre
pouces ; la peau étoit épaisse , dure et
de la nature du cuir. Non loin du men-
ton , on trouvoit l'anus et l'uretère.
Tous les deux prenoient leur cours
entre la peau et le péritoine , dans la
longueur d'un pouce , avant que d'en-
trer dans l'abdomen. Le gosier étoit
large, musculeux et garni de plusieurs
plis. L'estomac forniGit une bourse du
côté droit : il avoit aussi de gros plis ,
et je pouvois y appcrcevoir également
l'étranglement supérieur et inférieur.
Le canal intestinal qui commençoit au
haut de l'estomac , s'étcndoit en direc-
tion droite ; du côté droit, il formoit
une courbure en angle obtus, toujnoit
DU GYMNOTE ÉLECTRIQUE. 8l
vers le bas , s'cntortilloit autour de
l'estomac, rcmontoit ensuite du même
côté de l'estomac , et redescendoit;
après cela , il formoit une nouvelle
courbure , se retiroit , et alloit se ter-
miner à l'anus. Le foie consistoit en
deux lobes , dont l'un étoit placé au-
dessus des boyaux , et l'autre au-des-
sous. Le premier étoit court et large ;
le dernier long , étroit par en haut et
large par en bas : l'un et l'autre lobe
étoient attachés par plusieurs liens par
en haut au diaphragme , et par en bas
au canal intestinal. La rate qui étoit
bleuâtre , entouroit le duodène , et
étoit attachée par un grand nombre
de petits liens. Les reins étoient pe-
tits , et je n'ai point trouvé de vési-
cule aérienne.
Ce poisson se nomme :
Zitteraal , Befaal , elektrischer Aal et
betaubender Aal , en Allemagne.
Beef-Aûl ; Sidder-Aal , en Hollande,
82 HISTOIRE NATURELLE
Electrik-Eel etTorporfic-Eel , en An-
gleterre.
Anguille tremblante , Anguille de
Cayenne et Anguille de Bœuf , en
France.
Naki-Fischi , à Surinam.
L'anguille tremblante et la torpille
ne sont pas les seuls poissons auxquels
la nature a donné cette qualité ; car le
père du Tertre fait mention d'un petit
poisson que l'on trouve aux îles An-
tilles ; Nieuhoff, d'un paille-en-cul ,
et M. Broussonet, d'un silure, qui pro-
duisent des effets de la même nature.
LE CARAPO A QUEUE LONGUE,
GYMNOTUS CARAPO.
La mâchoire supérieure avancée et
la queue longue , rendent ce poisson
reconnoissable. On compte cinq rayons
à la membrane des ouies; dix à la na-
geoire pectorale , et deux cent trente à
celle de l'anus.
DU CAR A PO, &C. 83
La tête est comprimée des deux cô-
tés ; la langue est comte , épaisse ,
large, et garnie , comme les deux mâ-
choires , d'un grand nombre de petites
dents pointues. Les yeux sont extrê-
mement petits , ont une prunelle
noire , entourée d'un iris argentin,
Au-devant , on apperçoit , ainsi que
sur les autres parties du corps , un
grand nombre de petites ouvertures
rondes. L'opercule des ouies consiste
en une grande et une petite plaque.
Les rayons de la membrane des ouies
sont larges , et ont une direction courbe.
La cavité du ventre est courte, et
l'anus est étroit et placé non loin de la
tète. La ligne latérale commence au-
delà de l'opercule des ouies , et conti-
nue en ligne droite jusqu'à la queue.
Le dos est arrondi et noir. Les côtés
et le ventre ont une couleur brûne-
rouseâlre. Partout on voit des taches
brunes d'une forme irrégulière. La
queue est terminée en une pointe
84 HISTOTRE NATURELLE
étroite. Des trois nageoires que ce
poisson possède , les deux pectorales
sont courtes , et celle de l'anus très-
longue. Elle commence non loin de la
tête, tout-à-fait derrière l'anus dans
les mâles , et seulement derrière le
ventre dans les femelles. Toutes les
nageoires sont brunes , et ont des
rayons simples.
Ce poisson habite les eaux de l'Amé-
rique , et sur-tout celles du Brésil et
de Surinam. Marcgraf dit qu'il ne par-
vient qu'à la longueur d'un pied ; mais
j'en possède un qui en a deux; et il y
en a un dans la collection de M. Gril ,
qui a trois pieds de long , une palme de
large, et qui pèse dix livres. On peut
voir par la bouche qui est armée de
dents , que c'est un poisson vorace ;
mais en même temps la bouche est si
petite , qu'il ne peut guère attaquer
que les tout petits poissons et les jeunes
crabes ; et cependant il ne laisse pas
d'être fort gras.
DU CARAPO, &c. 85
La cavité du ventre est très- courte ;
le péritoine est blanc. Ce n'est que
sous ce dernier qu'on commence à voir
le boyau cuiller. Le foie est mince , et
consiste en un seul lobe : l'estomac est
court , épais , et pourvu de deux ap-
pendices. J'y ai trouvé des écailles et
des arêtes .
Ce poisson se nomme :
Langschwanz , Fin-Aal , Surinamscher~
Aal , Brasilianischer-Aal , en Alle-
magne.
Fet-Kulsa , en Suède.
Carapo à queue longue , en France.
Carapo , au Brésil.
LE CARAPO A QUEUE COURTE,
G Y M N OT US BRA C HIURUS.
L A queue courte et l'avancement de
la mâchoire inférieure, sont les carac-
tères distinctifs de ce poisson. On
compte cinq rayons à la membrane des
Poissons. I. S
86 HISTOIRE NATURELLE
ouies, treize à la nageoire de la poi-
trine , et cent quatre-vingt-treize à
celle de l'anus.
La tête est petite et comprimée du
haut en bas : les deux mâchoires sont
garnies de petites dents. L'opercule
des ouies consiste en deux petites pla-
ques -, l'ouverture des ouies est étroite.
Le tronc est couvert d'écaillés tendres.
Au dos , on voit un sillon , qui com-
mence à la nuque, et s'étend jusqu'au
milieu. Le fond de la couleur est un
jaune-clair , sur lequel on apperçoit
des ondulations en forme de lignes
brunes sur quelques-uns , rougeâtres
sur d'autres , et blanches sur quelques
autres. La queue est terminée en une
pointe courte. Sur les nageoires , qui
sont de la même nature que celles du
précédent , on voit aussi un grand
nombre de petits points. lia ligne laté-
rale commence près de la nuque , con-
tinue non loin du dos, et finit près do
la queue. Nou loin de la nageoire de
DU C.UAPO, &C. 87
l'anus , on remarque aussi une ligne
enfoncée.
Ce poisson habite les mêmes eaux
qua le précédent 5 mais j'ignore s'il
parvient à la même grosseur. Celui que
je possède n'est pas plus grand que le
dessin que j'en donne. D'après ce qu'en
disent Marcgraf et Piso , sa chair est
meilleure que celle du précédent ; mais
les parties internes sont de la mémo
forme.
Ce poisson se nomme :
Kurzschwanz, en Allemagne.
Putaol , en Suède.
Carapo à queue courte , en France.
Carapo , au Brésil.
Artédi et Linné le regardent com me
lamême espèce quele précédent. Voici
les raisons qui m'ont engagé à en faire
deux espèces avec les ichthyologistes
modernes.
1 °. Le dernier a la queue courte , et
le premier l'a longue.
2°. Celui-ci a la mâchoire supérieure
88 HISTOIRE NATURELLE
avancée , et l'autre la mâchoire infé-
rieure.
3°. Le carapoà queue courte n'a que
cent quatre-vingt-treize ravons à la
nageoire de l'anus; au lieu que celui à
queue longue en a deux cent trente.
4°. Enfin, le premier a des taches
brunes , et le second seulement des
lignes de la même couleur.
Paye ai).
To/n J.
Drseve (M. Jiiici/w t'c////:>.
î.IiE PAILLE EN CVI,. a. LA DONZELLE.
S.USXiOUF MARIN.
DU TRIKIURE. 89
V Ie G E N R E.
LE TRIKIURE,
ou PAILLE-EN-CUL, trichiurus.
Caract. génér. Queue sans nageoire.
LE PAILLE - EN - CUL , traciiilrvs
LEPTl'RUS.
•■^-:?/ .••!
.L'avancement de la mâchoire infé-
rieure et la grosseur des dents , sont les
marques distinctives de ce paille- en-
xul. On compte sept rayons à la mem-
brane des ouies ; onze à la nageoire
dorsale , et cent dix-sept à celle du dos.
Ce poisson , qui est terminé en tran-
chant en haut et en bas , est long et
mince , et a le corps brillant comme s'il
étoit couvert d'une feuille mince d'ar-
go HISTOIRE NATURELLE
gent. La tête est étroite, comprimée
des deux côtés , et un peu large par en
haut. L'ouverture de la bouche est
grande. Les deux mâchoires sont ar-
mées de dents pointues, dont les unes
sont longues et les autres courtes. Les
premières sont pourvues d'un ou de
deux crochets. La langue est unie, et
dans le gosier , on trouve deux os rudes
et longs. Les yeux sont placés près du
sommet, et ont une prunelle noire dans
un iris doré, qui est bordé extérieu-
rement de blanc. Au-devant , on voit
une ouverture assez longue. L'ouver-
ture des ouies est 'large; la membrane*
des ouies a sept rayons courbes , et
l'opercule est bordé d'une peau. La
ligne latérale est jaune , commence au-
dessus de l'opercule des ouies, continue
le long du corps, et se perd dans la
pointe de la queue. La cavité du ventre
est longue , l'anus étroit , et plus près
de la tête que de l'extrémité de la
queue. Cette dernière est terminée en
DU TRIKIURE. 91
pointe et sans nageoire. En général, ce
poisson n'a que trois nageoires , dont
deux sont à la poitrine et une au -dos.
Les premières sont petites-, la dernière
est longue. Elle commence derrière la
tête , et ne finit qu'à un éloignement
de quelques pouces de la poiute de la
queue. Ses rayons mous et simples , sont
réunis par une peau tendre et transpa-
rente. Derrière l'anus , au lieu d'une
nageoire , on trouve de petits piquans
éloignés les uns des autres ; les anté-
rieurs sont dirigés en arrière , et les
autres en avant. Du reste, les écailles
manquent à ce poisson.
Le paille-en-cul est naturel à l'Amé-
rique méridionale , où il habite les lacs ,
les rivières et les ruisseaux. Il parvient
à la longueur de trois pieds et un quart ;
mais sa largeur ne passe jamais deux
pouces. Il nage très-rapidement , et est
extrêmement vorace \ car dès qu'il a
une fois saisi quelque chose avec ses
dents ; il ne le lâche plus , à cause des
92 HISTOIRE NATURELLE
crochets dont elles sont garnies. Comme
il est fort étroit , il ne peut guère s'em-
parer que des petits poissons. 11 saute
si haut au-dessus de l'eau, qu'il tombe
quelquefois dans les canots des pê-
cheurs. On le prend avec des filets , et
aussi à l'hameçon. Les habitans de ce
pays le mangent.
Ce poisson se nomme :
ChinesischerAal et Spitzschwanz , en
Allemagne.
Silver-Skiœrel , en Suède.
Schword Fisch, en Angleterre.
Paille-en-cul , Trikiure et Anguille de la
Jamaïque , en France.
Fammo , au Japon.
Mucu , au Brésil.
Klein se trompe en faisant deux es-
pèces de notre poisson et du muai de
Marcgraf. On n'a • qu'à comparer les
dessins, et on verra que le mucu. de cet
auteur n'est autre chose que notre
paille-en-cul.
DU LOUP MARI N. 9,3
VIT GENRE.
LE LOUP MARIN,
AN ARHICHAS,
Caractère générique. Dents de devant
coniques divergentes.
LE LOUP MARIN , anarhichas lupus.
La substance osseuse dont les dents
sont formées, distingue suffisamment
cette espèce de la seconde , anarJiichas
minor , qui les a cartilagineuses. On
trouve six rayons à la membrane des
ouies , vingt à la nageoire de la poi-
trine, quarante-six à celle de l'anus,
seize à celle de la queue, et soixante-
quatorze à celle du dos.
Le corps de ce poisson est alongé 3
g4 HISTOIRE NATURELLE
uni et comprimé des deux côtés : la
peau est épaisse et dure ; la tête est
grosse et tronquée par le devant. L'ou-
verture de la bouche est large , et la
langue de la même conformation que
celle des quadrupèdes ; les lèvres sont
fortes y les mâchoires sont garnies par-
devant de longues dents séparées les
unes des autres , et engrenées les unes
dans les autres. Chaque mâchoire con-
siste en deux os , qui sont unis par un
cartilage : chaque os supérieur a cinq
rangées de dents , et les inférieurs trois.
Les quatre dents de derrière, qui sont
intérieures , sont aussi les plus grosses :
le nombre des dents molaires et de
devant n'est pas égal dans tous les
poissons de cette espèce. Des trois que
j'ai examinés, l'un avoit six rangées
de dents molaires en haut et six en
bas; un autre six en haut et quatre
en bas ; le troisième , cinq en haut et
trois en bas. Les os de la mâchoire su-
p érieure ont chacun une longue épi-
DU LOUP MARIN. g5
pLise osseuse dirigée vers le haut. On
voit par la structure de la bouche , que
ce poisson sait s'assurer de sa proie.
Selon le témoignage uuanime des pê-
cheurs , quand il est pris , il mord tout
autour de lui , et il ne lâche point ce
qu'il a une fois saisi ; de sorte qu'ils
prennent bien garde d'en être blessés,
et tâchent de le tuer aussi-tôt qu'il est
possible. Schonevcld dit même que
lorsqu'il mord une ancre , il y laisse les
marques de ses dents. La langue est
courte , émoussée et unie ; l'œil alongé ;
la prunelle noire , et l'iris argentin.
Sous l'œil , aussi bien que sur l'oper-
cule des ouies et à la mâchoire infé-
rieure , on apperçoit de petites ou-
vertures rondes -, la tête , l'opercule
des ouies , le dos et les nageoires de la
poitrine sont d'un gris foncé; les côtés ,
les nageoires de l'anus et de la queue
sont de couleur d'acier-, le ventre , qui
est fort saillant , est blanchâtre ; l'anus
est large, et plus près de la tête que de
96 HISTOIRE NATURELLE
la queue. Sur les côtés et sur les na-
geoires du dos, on apperçoit des taches
qui s'étendent en large , et sont tantôt
obscures, et tantôt claires : les écailles
sont minces et éloignées les unes des
autres. J'en ai fait représenter deux :
l'une de grandeur naturelle , et l'autre
vue au microscope.
Ce poisson , que l'on trouve dans la
mer du'Nord, dans la Baltique et dans
l'Océan septentrional , a sans doute
reçu son nom de ses morsures cruelles,
qui le rendent assez semblable au loup.
Il est certainement aussi redoutable
pour les habitans des eaux, que le loup
pour ceux de la terre. Cependant le
lièvre de mer , qui est beaucoup plus
petit , sait le vaincre. Il le saisit par la
nuque , et le tourmente jusqu'à ce qu'il
meure. Il vit de poissons, sur-tout de
coquillages , d'escargots , d'écrevisses
et de crabes , dont il casse aisément les
coquilles. Mais comme ces coquilles no
peuvent se digérer dans son canal in-
RU LOUP MARIN. 97
testinal , qui est fort court , il est
pourvu d'un large anus , pour leur pro-
curer un libre passage. Il ne se remue
que lentement , et rampe à la manière
des anguilles.
Ce poisson se tient ordinairement
dans les fonds. Il paroît au printemps
non loin des côtes , et vient déposer
sur les plantes marines ses œufs, qui
sont de la grosseur des pois. Son frai
tombe en mai et juin , et c'est dans ce
temps sur-tout qu'on peut le prendre
plus aisément. Par un temps clair , il
se place dans un fond pierreux , entre
des fentes , dans une posture recour-
bée. Il parvient à une grosseur consi-
dérable. J'en possède trois : le premier
m'a été envoyé des environs de Péters-
bourg par M. le baron d'Asch, médecin
de sa majesté impériale; le second, du
voisinage de Lubec par M. le docteur
"Walbaum , et le troisième a été pêclié
près de Heiligeland. Celui d'après le-
quel on a fait le dessin, avoit plus de
Poissons. I. , 9
HISTOIRE NATURELLE
trois pieds et demi de long , six pouces
de large , et pesoit près de six livres :
mais ce poisson devient beaucoup plus
gros. Sur les côtes de Hollande , il a
ordinairement trois ou quatre pieds de
long. Selon Gronov , on en trouve en
Ecosse qui ont sept pieds et plus. Les
pétrifications qu'on nomme pierres de
crapaud, et qui ne sont autre chose que
les dents de ce poisson , nous prouvent
qu'il y en avoit aussi autrefois d'une
grosseur considérable.
On prend le loup marin avec des
filets et à la ligne : cependant il mord
rarement à l'hameçon. Les Norvé-
giens le prennent aussi au trident ,
lorsqu'ils l'apperçoivent sur le sable
occupé à manger leshomars. Quoique
sa chair soit ferme et grasse , sa figure
hideuse fait qu'il n'y a guère que les
pêcheurs ou les gens du peuple qui le
mangent : lesGroenlandaisle mangent
frais et sec , et font de sa peau des bour-
ses ; où ils gardent leur empelron } plant©
DU LOUP MARIN. 99
nommée par Linné empetrum nigrum.
Le cœur est triangulaire et petit ;
le foie est gros , et consiste en deux
lobes , dont l'un est d'un rouge pâle ,
et l'autre d'un ronge foncé et bleuâtre;
la vésicule du fiel , l'estomac et la rate
sont grands ; le canal intestinal est court
et large ; la laite et l'ovaire sont doubles.
Ce poisson est connu sous différens
noms. On le nomme :
Seewolf , en Allemagne.
Zeewolf, en Hollande.
JVoolfish , Seawolf , en Angleterre.
Steenbid , See-Ulv , en Danemarck.
Hav-katj en Norvège.
Steinbitr , en Islande.
Kigutilik , Nepisa , Angusedlok , et
Anardlok, en Groenlande.
Loup marin y en France.
Gesner a tort de croire que ce pois-
son grimpe sur les rochers , et de le
nommer , par cette raison , klippfisch
en allemand , scansor en latin } et en
grec anarhichas , grimpeur.
lOO HISTOIRE NATURELLE
VIIIe GENRE.
LE LANÇON, ammodytes.
Caractère générique. La tête plus mince
que le corps.
LE LANÇON, ammodytes tobianvs.
La mâchoire inférieure terminée en
pointe , est un caractère suffisant pour
faire reconnoître le lançon. On trouve
sept rayons à la membrane des ouies ;
douze à la nageoire de la poitrine ;
vingt- huit à celle de l'anus; seize à
celle de la queue , et soixante à celle
du dos.
La tête est alongée , comprimée des
deux côtés , et plus mince que le tronc.
La bouche n'a point de dents, et l'on
Tom I.
J>(r</e joo
Deseoe deî- A 'trente ifcuip-
i LA EIATOLE dbreo 2 . LE LANÇON
3 • L'EMPEREUR.
D V LANÇON. loi
voit dans le gosier deux os oblongs et
rudes, destinés à retenir la proie. L'ou-
verture des ouies est large. Les joues ,
les côtés et le ventre sont argentins.
Les opercules des ouies consistent en
quatre plaques. Les narines sont dou-
bles et placées entre les yeux et l'ou-
verture de la bouche , dans le milieu.
Les yeux sont petits, et ont une pru-
nelle noire dans un iris argentin. Le
dos est rond et gris. On y remarque
une fente destinée à contenir la longue
nageoire dorsale, et sur le ventre, on
voit des lignes transversales. L'anus
est près du bout de la queue , et la ligne
latérale a une direction droite au mi-
lieu du tronc. Outre cela, on en re-
marque encore une près du dos , et
une autre au ventre vers le bas. Les
rayons de toutes les nageoires sont
mous, et la membrane qui les unit est
tendre. Us sont simples aux nageoires
du dos et de l'anus, et divisés, vers
l'extrémité ; à celles de la poitrine et
102 HISTOIRE NATURELLE
de la queue : cette dernière nageoire
est fourchue-
Ce poisson appartient aux contrées
septentrionales de l'Europe. Nous le
trouvons dans la nier du Nord et dans
la Baltique. Il s'enfonce ordinairement
dans le sable , près des côtes , à la pro-
fondeur d'un ou deux pieds. Il vit de
vers aquatiques , qu'il cherche avec son
bec pointu. Il dévore aussi les petits
de sa propre espèce. J'ai trouvé dans
deux de ces poissons un petit de deux
pouces de long. Il se tient toujours au
fond , et on ne le voit que rarement
venir sur la surface de l'eau. Par le
beau temps , on le trouve couché en
forme circulaire , comme un serpent ,
la pointe de la tête enfoncée dans le
sable. Il a pour ennemis les poissons
voraces, et sur-tout le maquereau. Il
fraie en mai, et dépose alors ses œufs
dans le sable , non loin des bords. On
le prend dans le sable pendant le flux,
en fouillant avec des pointes ou cro-
jy V LANÇON. io3
chets faits exprès. Comme il est fort
maigre , il n'y a que le peuple qui le
mange. Les Groenlandois le mangent
frais et sec : mais le plus grand usage
qu'on en fasse , c'est de le faire servir
d'appât aux lignes , pour prendre
d'autres poissons.
Le péritoine est noirâtre, à cause de
la quantité de points noirs dont il est
couvert : le foie , la rate et l'estomac
sont alongés et sans division. Le pre-
mier est simple , et on trouve au der-
nier une grande appendice. Le canal
intestinal est mince , et a beaucoup de
sinuosités; la laite et l'ovaire sont unis
par en haut et séparés par en bas -, la
vésicule aérienne manque. On trouve
soixante -trois vertèbres à l'épine du
dos.
Ce poisson est connu sous différens
noms. On le nomme :
Tobias , Sandaal , en Allemagne.
Sandgrœling , Tobis , Tobiesen , en Da-
nemarck.
104 HISTOIRE NATURELLE
Sill , SolvFisk , Sand - Sild , en Nor-
vège.
Sïd ) Tranusile , en Islande.
Putsrotok, en Groenlande.
Rissup , an Japon.
Sand-Launce , Sand-Eels et Launces 9
en Angleterre.
Tous les ichthyclogistes , excepté
Artédi , ont refusé sans fondement les
écailles à notre poisson , et Klein en a
fait mal à propos deux différentes es-
pèces.
DE LA D ONZE L LE. ÎOO
I Xe GENRE.
LADONZELLE, ophidium.
Caractère générique. Le corps alongé
en serpent , les ouies larges.
LADONZELLE, ophidium bareatvm.
Xjes quatre barbillons que l'on trouve
au menton de ce poisson , le distin-
guent des autres espèces du même
genre. On compte sept rayons à la
membrane des ouies ; dix- sept à la na-
geoire pectorale , et deux cent cin-
quante à celles de l'anus , de la queue
et du dos.
La tête est petite et dépourvue d'é-
cailles. Des deux mâchoires, la supé-
rieure est avancée. Les lèvres sont
ÎOG HISTOIRE NATURELLE
fortes, tant aux mâchoires qu'au pa-
lais y et dans le gosier , on trouve un
grand nombre de petites dents : les
yeux ont une prunelle noire , entourée
d'un iris argentin , et sont recouverts
d'une membrane clignotante transpa-
rente. Entre les yeux et l'ouverture
de la bouche , on trouve quatre petites
ouvertures. La langue est étroite et
courte-, l'ouverture des ouies est large;
le corps un peu comprimé de chaque
côté ; et l'on y remarque des écailles
séparées , alongées et minces , qui sont
fortement attachées à la peau. Le dos
est rond et de couleur bleuâtre; la
ligne latérale est droite , et près du
dos ; le ventre est blanc, et l'anus plus
près de la tête que de la queue : les
nageoires pectorales sont petites , bru-
nes dans le milieu , et grises vers les
bords ; les nageoires du dos , de la queue
et de l'anus sont réunies, étroites et
blanches, avec une bordure noire.
Nous trouvons ce poisson dans la
DE LA DONZELLE. 107
Mer Rouge et dans la Méditerranée. Il
parvient à la longueur de douze à
quatorze pouces. Sa chair est blanche,
grasse et de bon goût. Selon Belon ,
les Romains en faisoient grand cas :
on le prend avec des filets ; il mord
aussi à l'hameçon , auquel on met unv
ver pour appât.
Le foie est blanchâtre ; l'estomac
long et mince 5 le canal intestinal a
deux courbures ; la vésicule aérienne
a une forme particulière ; elle est
large au milieu , et étroite aux deux
extrémités.
Ce poisson se nomme :
Bartmanchen et Graubart , en Alle-
magne.
Donzelle , en France.
Corudgiao , à Marseille»
Abugudda , en Arabie.
LA TROMPE, ophivium acvleatvm.
O n recoimoît ce poisson à sa trompe
pointue. On compte seize rayons à la
lo8 HISTOIRE NATURELLE
nageoire de la poitrine ; cinquante-
trois à celle de l'anus ; quatorze à celle
de la queue , et cinquante-un à celle
du dos.
Le corps est alongé et comprimé des
deux côtés ; la tête est petite et
étroite j la mâchoire supérieure est
plus longue que l'inférieure : l'une et
l'autre sont dépourvues de dents. La
lèvre supérieure ? qui est fort alon-
gée , forme la trompe , de la même ma-
nière que chez l'éléphant ; les yeux
sont petits, ont une prunelle noire et
un iris blanc • l'opercule des ouies
consiste en une seule petite plaque ;
l'ouverture des ouies est large , et la
membrane des ouies est dégagée •, le
tronc est alongé ; et l'anus près de la
nageoire de la queue. Le dos est ar-
rondi ; les côtés tirent sur le rouge
vers le haut , et sur l'argentin par en
bas. Le ventre est blanc , et terminé
en tranchant ; la cavité du ventre est
longue ; la ligne latérale lègue non
DE LA TROMPE. 109
loin du dos , et va toujours dans une
égale distance; les nageoires pecto-
rales sont courtes , brunes au milieu ,
et violettes aux autres parties ; la na-
geoire du dos , qui est placée vis-à-vis
de celle de l'anus , est marbrée de
rouge et de brun. Sur cette nageoire ,
on voit deux taches noires dans un
iris jaune. Nieuhoff, qui en a apperçu
cinq sur son poisson, lui donna le nom,
de cinq-yeux , à cause de la ressem-
blance de ces taches avec des yeux. La
nageoire de la queue est marbrée de
bleu et de noir ; la nageoire de l'anus
estrougeâtre, avec une bordure noire*
Au-devant , on remarque deux poin-
tes , et avant la nageoire dorsale , 011
en trouve quatorze autres qui sont re-
courbées en arrière et séparées.
Nous trouvons ce poisson dans les
eaux douces des Indes orientales : les
habitans de ces contrées en font un
mets délicat. Sa nourriture consiste en
vers et terre grasse. Il parvient à la
Poissons. I. i<>
HO HISTOIRE NATURELLE
longueur de six à huit pouces : on le
prend au filet et dans des nasses.
Ce poisson se nomme :
Rood Dregdetje , parmi les Hollandais
qui habitent les Indes orientales.
Goya , au Japon.
Kahlbart etElephantenrùssel , en Alle-
magne.
Trompe, en France.
DU PARU DORE. 1 1 1
Xe G E N R K
LE STROMATE, stromatevs.
Caractère générique. Le corps ovale.
LE PARU DORÉ, stromateus paru.
Ij a couleur uniforme du corps de ce
poisson , le distingue de celui qui est
rayé. On compte deuxrayons à la mem-
brane des ouies , vingt-quatre à la na-
geoire pectorale , quarante-deux à celle
de l'anus , dix-huit à celle de la queue,
et cinquante à celle du dos.
Le corps entier est couvert de pe-
tites écailles tendres qui se détachent
aisément. La tête est de moyenne gros-
seur , tronquée , et brunâtre par-de-
vant. Les mâchoires sont d'égale Ion-
112 HISTOIRE NATURELLE
gueux, armées d'un grand nombre de
petites dents pointues , et pourvues de
grosses lèvres mobiles. Le palais et la
langue sont unis. La dernière est large
et libre. Dans le gosier , on remarque
quelques os rudes qui servent à retenir
la proie. Les yeux sont grands , ont une
prunelle noire , avec une double bor-
dure blanche et jaune- Entre les yeux
et la bouche , on trouve deux ouver-
tures. L'opercule des ouies consiste en
une seule plaque qui est entourée d'une
peau mince. L'ouverture des ouies est
irès-large. La ligne latérale , qui est
plus près du dos que du ventre , est
large et argentine. Les côtés brillent
par en haut comme de l'or ? et par en
ibas comme de l'argent ; ce qui a fait
donner à ce poisson l'épithète de doré.
Le ventre et le dos forment un arc , et
l'anus est plus près de la bouche que de
l'extrémité de la queue. Toutes les na-
geoires sont longues , blanches au mi-
lieu; bleues vers les bords ; et elles ont
DU PARU DORÉ. Il3
des ra)rons mous et ramifiés. Comme
ils sont par-tout couverts d'écaillés, ils
sont très-roides. La nageoire de la
queue est très-fourchue.
Sloan a trouvé ce poisson au Brésil.
Celui dont je donne le dessin m'a été
envoyé par M. Koenig, docteur en mé-
decine à Tranquebar. Il est plus gros
que le dessin que j'en donne. Sa chair
est tendre et blanche, et on en fait
grand cas. On le prend avec des filets;
il mord aussi à l'hameçon. Il est du
nombre des poissons voraces, et vitd»
polypes et de jeunes poissons.
Le foie consiste en deux lobes étroits,
dont le droit est le plus long. L'estomac
est rond, et le canal intestinal a cinq
courbures.
Ce poisson se nomme :
Einfarbiger Breitfisch et Golddecke , en
Allemague.
Paru doré , en France.
Pumpus , en Amérique.
Si le dessin que nous donne Sloan de
It4 HISTOIRE NATURELLE
son pamp us est fidèle, je regarderai le
mien comme une variété de ce poisson *,
car dans le premier , je trouve le dos
dans une direction presque droite ; au
lieu que le mien est arqué. Il dit aussi
que la ligne latérale forme en avant un
arc ; au lieu qu'elle est droite à mon
poisson.
LE STROMATE GRIS,
S TRO M AT E U S C I N E R E U S.
Le stromate gris se distingue des
autres poissons de ce genre par la lon-
gue partie inférieure de sa nageoire de
la queue , et par la couleur grise de son
corps.
Dans la membrane branchiale on
compte sept rayons ; dans la nageoire
pectorale et dans celle de la queue , dans
chacune vingt ; dans celle de l'anus
vingt-neuf; et dans celle du dos trente-
cinq.
La tête est petite et se termine en
Tarn .7.
-Page- u^-
Df.cpite de/. Jortrt/an Sm/f .
i.£B STROAlATE e^s • a.EE STROMATE
argenté. 3. IxE STROMATE noir.
DU STROMATE GRIS. Ïl5
«ne pointe obtuse. La bouche est petite
et les os des lèvres sont étroits. Les
mâchoires sont de même longueur ;
elles sont armées d'une rangée de dents
en forme de soies , et tout proche l'une
de l'autre. La langue est courte et
grosse , et le palais uni. Les ouvertures
branchiales sont fort étroites à ce pois-
son-ci et au suivant, parce que les oper-
cules , en haut et en bas , sont attachés
à la peau. Les narines sont doubles.
La ligne latérale forme un arc, et sa
direction est plus proche du dos que du
ventre.
L'anus est tout aussi éloigné de la
tête que de la nageoire de la queue.
Tout le corps du poisson , ainsi que
toutes ses parties , à l'exception des
pectorales , est couvert de petites
écailles , et de couleur grise ; les pecto-
rales sont rougeâtres.
Les rayons sont ramifiés , mous et
cependant si cassans, qu'ils se rompent
au moindre toucher ; voilà la raison
Il6 HISTOIRE NATURELLE
pourquoi il est très - rare que l'on
en voie un exemplaire entier sur la
côte.
Tant plus grand et tant plus vieux
le stromate blanc ailé devient ( ce
sont- là les propres paroles de M. John )
tant plus sa chair est délicate j et plus
d'âge ou plus de grosseur , ne rend pas
sa chair dure et coriace , comme il ar-
rive chez les autres poissons. Les plus
gros ont rarement plus d'un pied de
longueur et de largeur, sur deux pouces
d'épaisseur.
On prend ce poisson pendant toute
l'année ; en février et mars il est le
plus gras , et sa chair est la plus succu-
lente; et depuis janvier jusqu'en mars,
la pêche en est très- abondante.
Il est presque tout-à-fait cartilagi-
neux , et n'a que très-peu d'are les. La
tête sur-tout , doit être un morceau
très-délicat.
On sèche aussi ce poisson , et alors il
se nomme K.arawade et doit être fort
DU STROMATE GRIS. 1 1 7
délicat. Voici comment ce Karawade
se fait :
On conpe le poisson en minces tran-
ches , que l'on incise et que l'on poudre
de sel ; après cela on met ces tranches
ensemble et on les presse entre deux
planches ; le lendemain on les lave et
on les fait sécher à l'air ou à la fumée.
Ces poissons n'entrent jamais dans
les rivières ; on les prend avec de
grands filets , à quelques lieues des
côtes. On dit qu'ils n'ont point de
temps fixe pour la fraye, et en toute
saison on en trouve qui sont prêts à
poser leurs oeufs. On les fait cuire et on
les apprête à toute sauce -, on en mange
beaucoup aux jours maigres , et de telle
façon qu'on les apprête , ils donnent
toujours un fort bon plat. Pour les
conserver on les fait frire, et on les met
dans du vinaigre avec du poivre, (\u
poivron et de l'ail ; mais de cette fa-
çon , ils ne se conservent que quinze
jours , alors ils deviennent mous et
Il8 HISTOIRE NATURELLE
perdent leur goût. Pour les conserver
plusieurs mois , on les coupe en tra-
vers, en tronçons d'un pouce d'épais-
seur , onles sale , et on les presse dans un
ustensile large , pendant vingt-quatre
heures ; puis on les nettoie et on les met
dans une marinade de vinaigre de ca-
cao avec du tamarin , dans un usten-
sile bien fermé , d'où on les retire , pour
les laver et les faire frire.
Le plus gros pample ou stromate se
vend un silber-fam , ou deux gros ;
quand ils sont à foison , on en reçoit
jusqu'à trois , de moyenne taille , pour
un fam.
On nomme ce poisson :
En français , Stromate gris.
En allemand , graue Deche.
En anglais, the gray Scromate.
LE STROMATE ARGENTÉ,
ST RO M ATEU S ARG EN TE US.
Les pointes de la nageoire de la
queue de même longueur, cette mémo
DU STROMATE ARGENTE. H<)
nageoire en forme de fourche , et la
couleur argentine qui couvre tout le
corps de ce poisson , en font le carac-
tère distinctif.
Il a sept rayons dans la membrane
branchiale , vingt- quatre dans la na-
geoire de la poitrine , trente-huit dans
celle de l'anus , dix-neuf dans celle de
la queue , et trente-huit dans celle du
dos.
Outre ces marques-ci , ce poisson se
distingue encore du précédent par les
écailles fines , petites et d'une blan-
cheur éclatante , dont tout son corps
est couvert , et qui , dès qu'on le tou-
che , s'en détachent. De - là vient ,
comme me le marque M. John, que
quand on l'apporte du marché au logis ,
il n'y a plus d'écaillés à voir.
Le corps est large , mince par en
haut , et plus mince encore par en bas.
La ligne du dos, ainsi que celle du
ventre , forme un arc.
La tête est petite, et le bec a la
120 HISTOIRE NATURELLE
forme d'un nez. L'orifice de la bouche
est petit , les os des lèvres sont étroits ,
et les mâchoires sont armées d'une
rangée de petites pointes. La prunelle
est noire , et l'iris est large et argentin.
Les narines sont placées au milieu ,
entre les yeux et la pointe du bec; elles
sont simples, et partagées dans leur
longueur par une membrane.
La ligne latérale forme un arc qui
est proche du dos , et sa direction est
parallèle avec la ligne du dos.
La nageoire de l'anus est en forme
de faucille, de même que celle du dos ;
la nageoire pectorale n'a qu'une pointe,
et celle de la queue , comme il a été dit
plus haut , en a deux. Toutes les na-
geoires sont blanches vers la base , et
bleues vers la pointe , et n'ont toutes
que des rayons mous.
L'anus est plus proche de la tête que
delà queue.
Comme ce poisson a d'ailleurs un as-
sez juste rapport avec le précédent.
DU STROMATE NOIR. 121
tant par ce reste de la structure du
corps , que par la quantité qu'on en
prend, et par la qualité de sa chair ,
je me contenterai de renvoyer le lec-
teur à la description précédente.
Les habitans de la côte de Coro-
mandel nomment ce poisson : Wallei-
Wawal.
Les Français ,Stromate argenté.
Les Allemands, Silberdecke ou Silber-
pampel.
Les Anglais , Silver-Pampel.
LE STROMATE NOIR,
STROMATEUS NIGEB..
Là couleur noire , et la longueur
égale des deux mâchoires , font le ca-
ractère distinctif de ce poisson.
Dans la membrane branchiale on
compte sept rayons ; à la nageoire de
la poitrine , seize ; à celle de l'anus ,
trente-six-, à celle du dos, quarante-
six ; et à la queue ; vingt.
Poissons. I. ïi
12'2 HISTOIRE NATURELLE
L'orifice de la bouche est plus large ,
les dents sont plus fortes , les os des
lèvres plus larges , les écailles plus atta-
chées , et la chair est moins succulente
que chez le précédent : pour cette der-
nière raison , il est aussi moins estimé.
Le corps est large , délié , et tout
couvert d'écaillés.
La tête est petite , les narines sont
doubles , la prunelle est noire , et l'iris
argentin. L'ouverture branchiale est
large , et sa membrane couverte.
La ligne latérale forme un arc plat ,
et. est plus proche du dos que du ventre.
L'anus est plus d'une fois plus
éloigné de la queue que de la tête.
Les nageoires ont presque la même
forme que celles du poisson précédent ,
et les rayons ont aussi les mêmes qua-
lités.
Selon que M. John me le marque ,
on en a de l'aversion , parce que l'on
trouve quelquefois dans sa bouche un
cloporte. Ces poissons , comme on peut
DU STROMATE NOIR. l'-i'S
le conclure par leurs dents foibles , et
le petit orifice de leur bouche , ne doi-
vent se nourrir que de vers et d'alevi-
nage , et alors il est très-naturel que le
cloporte soit un de leurs alimens. Cette
aversion susdite n'est donc fondée que
sur un préjugé , puisque la plupart des
poissons se nourrit, non-seulement de
créatures vivantes, mais encore de la
charogne de ces créatures.
Comme ce poisson-ci a au reste beau-
coup de rapport avec les précédens , je
me contenterai de rapporter ses diffé-
rentes dénominations.
Il se nomme :
En langue malabare , Karu-Wawal.
En allemand , schwarze Decke ou
schwarze PampeL
En français Stromate noir.
En anglais , Black-Pa*npel,
124 HISTOIRE NATURELLE
X Ie GENRE.
L'ESPADON, xiphias.
Caractère générique. La mâchoire supé-
rieure alongée et applatie comme
une lame d'épée.
L'EMPEREUR ou L'ESPADON,
XIPHIAS GLADIUS.
Ea longue nageoire dorsale basse au
milieu, distingue cet empereur de mer
de celui de l'Amérique. On trouve sept
rayons à la membrane des ouies , dix-
sept à celle de la poitrine , dix-huit à
celle de l'anus , vingt-six à celle de la
queue , et quarante-deux à celle du
dos.
Le corps est alongé , rond, uni et
couvert d'une peau mince. La tétc est
DE L'EMPEREUR. 125
applatie , et grosse à cause du prolon-
gement de la mâchoire supérieure.
L'ouverture de la bouche est large ,et
la mâchoire inférieure finit en pointe,
de même que la supérieure , qui se ter-
mine en forme d'épée. Cette épée est
plate en dessus et en dessous , tran-
chante par les côtés , et finit en devant
en pointe obtuse. A sa racine, qui est
au bout de la tête , intérieurement ,
elle est composée de quatre couches
d'une substance osseusse légère , bou-
clée et cylindrique. La direction des
cylindres placés en haut et en bas , va
du fond en avant ; ceux des côtés vont
vers le milieu , et ceux-ci sont beau-
coup plus larges et plus grands que les
premiers. En avançant , la substance
devient plus osseuse , et la peau qui
l'entoure est unie et de la nature du
cuir. Au milieu de la surface supé-
rieure est une ligne enfoncée , et on en
voit trois semblables en dessous. La
langue est dégagée et forte. Dans le
126 HISTOIRE NATURELLE
gosier , on trouve quelques os rudes.
Les narines et les trous del'ouie sont
près des yeux. Ces derniers sont sail-
lans, et ont une prunelle noire , entou-
rée d'un iris blanc tirant sur le verd.
L'opercule des ouies consiste en deux
petites plaques , et l'ouverture des
ouies est large. L'épée et la tête sont
d'un bleu d'acier. Le dos est violet. Le
ventre et les côtés sont blancs au-des-
sous de la ligne; et la ligne latérale ,
qui est assez près du dos , est formée
par des points noirs alongés. Le tronc
est couvert d'une peau mince et ten-
dre , sous laquelle on trouve une mem-
brane graisseuse et épaisse. La nageoire
du dos est brune , celle de la poitrine
jaunâtre , et celles de l'anus et de la
queue jaunes. Les nageoires du dos et
de l'anus ont au commencement et à la
iin de longs rayons. Toutes les na-
geoires ont la figure d'une faucille ,
excepté celle de la queue qui forme un
croissant.
DE L'EJirEREUR, 1^7
Nous trouvons ce poisson dans la mer
du Nord et dans la Baltique, mais en
petite quantité. En revanclie , on le
trouve en grande quantité dans la Mé-
diterranée. Il habite sur-tout l'Océan
méridional , dans les profondeurs du-
quel il se tient en pleine mer pendant
l'hiver et en grande quantité. Au prin-
temps, il va vers les côtes de Sicile , où.
il dépose sur le fond les œufs qu'il pond
en grande quantité. Cependant , à ce
que m'a dit le célèbre chevalier Ha-
miltcn , on n'en voit paroître dans ces
contrées que de trois à quatre pieds de
long. Les gros au contraire, qui pèsent
assez souvent quatre à cinq cents livres,
et qui ont dix-huit à vingt pieds de
long , vont vers les côtes de la Calabre ,
où ils n'arrivent qu'au mois de juin et
juillet. Pline avoit déjà remarqué que
ce poisson surpase quelquefois le dau-
phin en grosseur.
Divers écrivains parlent de l'empe-
reur de mer , que l'on prend dans la .
128 HISTOIRE NATURELLE
Baltique. Celui que décrit SchoncvelcL
étoit si lourd, qu'on eut de la peine à
le tirer à terre avec deux forts che-
vaux. Le corps avoit onze pieds de long
sans l'épée , et l'épée en avoit trois.
!Les yeux étoient aussi gros que des
œufs de poule , et la nageoire de la
queue avoit deux pieds de large. Des
quatre empereurs que M. le professeur
Koelpin a vus pendant son séjour à
Greifswalde , l'un avoit à l'endroit le
plus gros trois pieds et demi de circon-
férence ; l'épée avoit trois pieds et un
quart de long , et l'animal entier dix
pieds et demi. Klein parle d'un empe-
reur de huit pieds , et "YVillughby as-
sure en avoir vu en Angleterre de six
aunes de long.
Ces poissons , à ce que me dit le che-
valier Hamilton , s'avancent toujours
vers Messine par paires , un mâle et
une femelle ensemble. Voici la manière
dont on les prend : Un homme placé
en sentinelle sur un rocher avancé, ou
DE L'EMPEREUR. 129
sur un mât élevé , épie l'arrivée de ces
poissons ; dès qu'il s'en apperçoit , il en
donne avis aux pêcheurs par un signe ,
et leur indique le côté vers lequel ils
doivent ramer. Comme ce poisson s'a-
vance paire à paire , les pêcheurs ont
toujours deux bateaux à côté l'un de
l'autre , dans chacun desquels sont
deux d'entr'eux. Le plus habile ; placé
sur un mât un peu bas , lance sur le
poisson un harpon attaché au bout d'un
bâton. En même temps , les autres
tâchent de s'emparer du second de la
même manière. Cependant , il faut
qu'ils aient attention jusqu'à ce que le
poisson soit mort ; car ils risquent de
voir renverser leur bateau. Comme
l'harpon est attaché avec une corde
mince , qui coule sur une roulette , ils
suivent le poisson de loin , jusqu'à ce
qu'il soit assez affoibli : alors s il est pe-
tit , on le tire dans un bateau ; s'il est
gros , on l'amène à terre.
Ce poisson vit de plantes marines et
l3o HISTOIRE NATURELLE
de poissons. Comme il a une terrible
arme défensive , les autres poissons vo-
races ne peuvent pas l'attaquer aisé-
ment. Selon Aristote et Pline , il est
tourmenté de même que le thon dans
la canicule , par un insecte , et la dou-
leur le fait non-seulement sauter fu-
rieux au-dessus de la mer , mais même
dans les vaisseaux. Selon Statius Mill-
ier, sa peau est phosphorique pendant
la nuit. Quoique ces gros poissons
n'aient pas ordinairement un bon goût,
cependant celui-ci passe pour un bon
mets. On estime sur-tout les morceaux
du ventre et de la queue; et par cette
raison ils sont chers. On sale les na-
geoires , et on les vend , comme un bon
mets , sous le nom de callo.
Le coeur est triangulaire , et l'oreil-
lette large. Le péricarde est mince ,
transparent et uni au diaphragme.
Dans l'œsophage , on remarque de cha-
que côté une ouverture qui conduit à
un canal qui aboutit à l'intestin. L'es-
DE L'EMPEREUR. l3l
tomac est large ; le canal intestinal
long, et a sept sinuosités. Le foie est
gros, et la vésicule du fiel en est sépa-
rée. La vésicule aérienne est simple et
l'ovaire double.
Ce poisson est connu sous différens
noms. On le nomme :
Hornfisck , en Prusse.
Schirerdtfisch , en Poméranie.
Zwaardvfisch , en Hollande.
Grand-Espadas , en Portugal.
Pesce-Spada , Emperador , en Italie.
Imperator , à Gênes.
Spada , à Venise.
Epée de mer , Empereur , Espadon , en
France.
Pisci-Spat , à Malte.
JE\ia.n se trompe, en disant que notre
poisson passe aussi dans l'eau douce ,
et en le mettant au nombre des pois-
sons du Danube.
Oppian et Ovide le mettent, à cause
de l'épée qu'il porte , au nombre des
plus terribles liabitans des eaux. Il
l32 HISTOIRE NATURELLE
n'est point du tout vraisemblable ,
comme le dit Pline et plusieurs autres
iclithyologistes après lui , qu'il perce
les vaisseaux avec son épée , et qu'il
les fasse couler à fond ; car cet instru-
ment n'est pas assez dur pour cela.
DE LA PETITE TÊTE. i33
X I Ie GENRE.
LA PETITE-TÊTE, lepto cephalus.
Caractère générique. Point de nageoires
pectorales.
Jj a petite - tête , leptocephalus mor-
risiif n'a pas plus de quatre pouces de
longueur. Son corps long et étroit est
si comprimé , qu'il en est presque trans-
parent. On l'a découvert depuis peu
sur les côtes d'Angleterre , où la peti-
tesse de sa tête lui a fait donner le nom
qu'il porte. Il est le seul connu dans son.
genre.
Poissons. I. 22
»»%>^^»%»%»<W^<%i'^'%>^«^i^i^#%»^'^%«%»%»^'^nm»^'^«1fc'^ ^^."V
SECONDE CLASSE.
LES JUGULAIRES.
Les poissons dont les nageoires ven-
trales sont placées à la gorge , et par
conséquent plus près de l'ouverture de
la Louche que les nageoires pectorales,
sont connus sous le nom de jugulaires :
la plupart vivent dans les eaux de
l'Europe.
XII F GENRE.
LE CALL YONIME,
CALLYONIMU S.
Caractère générique. L'ouverture des
ouies à la nuque.
LE LACERT , callionvmus lyra.
L Alongueur extraordinaire des rayons
de la première nageoire du dos , est le
HISTOIRE NATURELLE , &C. l35
caractère dislinctif de ce poisson. On
compte six rayons à la membrane des
ouies , dix-huit à la nageoire pectorale ,
six à celle du ventre , dix à celle de
l'anus, neuf à celle delà queue, quatre
à la première du dos, et dix à la se-
conde.
La tête est oblongue , large, voûtée
par en haut et plate par en bas. L'ou-
verture de la bouche est large. Les
deux mâchoires , dont la supérieure est
'la plus longue , sont garnies d'un grand
nombre de petites dents. La langue est
courte ', les lèvres sont grosses , et le
poisson peut les avancer à son gré. Les
ouvertures des narines qui sont à peine
visibles , sont placées entre les yeux
et la bouche , au milieu. Les yeux sont
oblongs , placés l'un près de l'autre , re-
couverts d'une membrane clignotante ,
et ont une prunelle noire dans un iris
doré. L'opercule des ouies est atta-
chée , et la membrane des ouies se
trouve an menton. La tête est brune
l36 HISTOIRE NATURELLE
par en haut, et ornée sur les côtés de
taches bleues , dont les unes sont gran-
des et les autres petites. Le tronc est
alongé et arrondi. Le dos est brun -, les
côtés sont jaunes , blancs en appro-
chant du ventre , et ornés de deux li-
gnes bleues qui sont entrecoupées. On
voit, par la description de M. Brun-
niche et de Duhamel, que les couleurs
diffèrent aussi beaucoup dans ce pois-
son ; car, dans la mer Méditerranée,
on en trouve qui out tantôt des taehes
brunes et bleues , tantôt des taches rou-
geàlresj et s'il en faut croire les pê-
cheurs, les maies sont distingués par
plusieurs couleurs, et les femelles n'en
ont que deux, la brune et la rouge. La
cavité du ventre est courte , et l'anus
est peu éloigné de la tête. La ligne la-
térale est en grande partie droite , et
se trouve au milieu. Parmi les rayons
de la première nageoire du dos , les
trois premiers avancent beaucoup au-
delà de la membrane qui les unit. Cette
DU LACER T. l3j
dernière est. brunâtre vers le bas ,
jaune aux autres parties , et garnie de
lignes bleues qui vont en serpentant.
La seconde nageoire du dos est bleue
et rayée de jaune. Quelquefois, au lieu
de raies bleues, elle a des lignes de la
même couleur. Les nageoires de la
queue , de la poitrine et du ventre ,
sont j aunes , et les rayons des deux der-
nières ramifiés. La nageoire de l'anus
est bleuâtre. Tous les rayons , excepté
ceux de la poitrine, sont plus longs que
la membrane qui les unit. Les rayons
simples des nageoires du dos et du
ventre , sont durs vers le bas , et mous
aux extrémités.
Nous trouvons ce poisson aussi bien
dans les eaux du midi que dans celles
du nord. Le comte de Querhoent vient
de m'écrire qu'on en pêche à Croisic
en Bretagne. Il parvient à la longueur
de douze à quatorze pouces. Sa chair
est blanche et de bon goût. Rondelet la
compare à celle du goujon. On prend le
*38 HISTOIRE NATURELLE
lacert avec des filets, sur-tout dans te
temps de la canicule. Dans l'Amérique
septentrionale , on le prend en même
temps que le hareng. Il vit , comme
l'assure Frédéric Miiller, de petites
sang-sues et d'étoiles de mer.
Ce poisson se nomme :
Grosser Spinnenfisch , Wimpelfîsch et
fliegender Teufel , en Allemagne.
Flœy-Fish , Flyvende-Fisk et Fiœsing ?
en Norwège.
Blastrimiga Blastalen , en Suède,
Schelvîsduyvel , en Hollande.
Lacert, en France.
Moulette, à Marseille.
Vandière , à Fécamp et à Caen.
Souris de mer, sur les côtes de la haute
Normandie.
Yemmeous , Dragonet et Yellow Gur-
jiard, en Angleterre.
Pontoppidan raconte que ce poisson
s'élève en troupes à quelques coudées
de hauteur au-dessus de la surface de
i'at/e j3<; .
Totn /.
Dtvtvedel. JUemt* t/émH
i.XE DOUCET. a.]LE I.ACKRÏ. S.XE BŒtjJ
DU DOUCET. l3o,
la mer, et qu'il peut voler à quelques
portées de fusil. Mais les nageoires de
la poitrine et du ventre sont trop pe-
tites , en comparaison de celles des
autres poissons -volans , pour qu'avec
leur secours, il puisse se soutenir quel-
que temps en l'aii. D'ailleurs, Pontop-
pidau ajoute lui-même qu'il n'en avoit
jamais vu de vivant ; de sorte qu'on ne
sauroit ajouter foi à ce qu'il en dit.
LE DOUCET ou DRAGONNEAU,
CALLIONYMUS DRACUNCULUS.
L-ES quatre rayons courts de la pre-
mière nageoire du dos, distinguent ce
poisson du précédent , et leur petit
nombre le distingue de la lyre des Indes.
On compte six rayons à la membrane
des ouies , dix-neuf à la nageoire de la
poitrine, six à celle du ventre, neuf à
celle de l'anus , dix à celle de la queue ,
quatre à la première du dos, et neuf à
la seconde^
l4o HISTOIRE NATURELLE
Le corps est large par-devant, et se
rétrécit en allant vers la queue. La tête
est plate, plus large que le tronc, et
est terminée en pointe émoussée. Les
deux mâchoires sont garnies de dents
tendres; la supérieure est un peu plus
longue que l'inférieure. Les narines
qui sont peti ! es, sont placées entre l'ou-
verture de la bouche et les yeux, au mi-
lieu. Ces derniers sont grands, ovales,
saill ans, et placés au sommet près l'un
de l'autre : ils ont une prunelle noire
dans un iris rougeâtre ; la tête et le dos
sont d'un jaune brun ; le menton, le
ventre et les côtés sont argentins. Le
long du dos , on apperçoit un sillon ;
entre la tête et la première nageoire
du dos, on voit quatre petites ouver-
tures, dont les deux antérieures se
trouvent à l'angle de l'opercule des
ouies , et les deux postérieures à la nais-
sance de la nageoire dorsale. De toutes
les quatre , le poisson fait jaillir de l'eau
chaque fois qu'il respire. La ligne la-
DU DOUCE T. l4l
térale , qui est à peine visible, a sa di-
rection le long du milieu du corps.
Entre cette ligne et le ventre , on re-
marque une ligne jaune qui va en ser-
pentant. L'anus est plus près de la tête
que de la queue : cependant, les cou-
leurs de ce poisson varient comme chez
plusieurs autres ; c'est ce qu'on peut
voir par les descriptions que nous en
ont données Frédéric Miiller et M. Pen-
nant. Celui-ci lui donne pour couleur
un jaune sale, avec des taches blanches
et brunes , et le premier dit qu'il est
cendré. Il dit aussi que la nageoire de
la queue est jaune , et que quelquefois
on en a trouvé qui sont ornées par-der-
rière de deux bandes noires. Les na-
geoires de la poitrine et de l'anus sont
verdatres; celles du ventre jaunes, avec
des rayons verds. La première nageoire
dorsale est d'un brun noir; la seconde
d'un jaune pâle , avec des raies d'un
jaune foncé : et la nageoire de la queuo
qui est ronde , a des raies brunes et d'un
l42 HISTOIRE NATURELLE
verd tirant sur le jaune. Les rayons de
la nageoire du ventre sont ramifiés,
ceux de la nageoire de la queue et de
■la poitrine fourchus, et ceux des autres
nageoires simples. Les seuls rayons de
la première nageoire du dos sont pi-
quans.
Selon Linné , nous trouvons ce pois-
son dans les environs de Rome , do
Gênes et de Lisbonne. Pennant le met
parmi les poissons anglais; Frédéric
Miiller parmi les danois-, et Duhamel
l'a trouvé sur les côtes de Normandie.
On peut dire de ce poisson ce qu'on a
dit des précédens à l'égard de la pêche
et de la bonté de la chair. Si l'on en croit
les pêcheurs français, ce poisson est la
femelle du précédent.
La peau du ventre est si mince, que
malgré toutes les précautions que j'ai
prises en l'ouvrant, j'ai coupé en même
temps l'estomac qui est aussi très-
mince. Il étoit si long, qu'il s'étendoit
jusqu'à l'anus. Le canal intestinal, au
DU DOUCET, l45
contraire , étoit court. Le foie étoit
placé au dessous du diaphragme : il étoit
court et d'un brun jaune. Je n'ai pu y
remarquer ni vésicule aérienne , ni
laites, ni oeufs.
Ce poisson se nomme :
Seedrache ou kleiner Spinnenfisch , en
Allemagne.
Schelvisduyvel , Pitvisch ou Draakje, en
Hollande.
Sordid Dragoned , en Angleterre.
Doucet et Doucet femelle } en France.
Mouleite , à Marseille.
Pline parle d'un poisson sous le
nom de dracunculus ; mais la courte
description qu'il en donne, empêche
de décider avec certitude s'il faut en-
tendre par-là un des deux dont nous
venons de parler. Il lui donne à la vé-
rité aux ouies des piquans qui sont
tournés vers la queue ; mais comme
les grondins, la vive et plusieurs antres
ont des piquans à ces parties du corps,
l44 HISTOIRE NATURELLE
il peut bien avoir eu en vue un de ces
poissons.
Comme la plupart des naturalistes
ont regardé ces poissons comme un©
seule espèce , il ne sera pas superflu de
remarquer les caractères qui les dis-
tinguent l'un de l'autre.
1°. La tête du lacert est applatie
par en haut ; celle du doucet voûtée.
2°. Au lacert, le premier rayon de
la nageoire du dos est aussi long que
tout le corps ; le doucet l'a seulement
de la longueur de la tête.
3°. Cette nageoire est noirâtre chez
le dernier, et chez le premier tachetée
de jaune et de bleu.
4°. JLe lacert parvient à la longueur
de douze à quatorze pouces , au lieu
que le doucet n'en a jamais plus de
huit.
5°. Chez celui-ci les couleurs ne sont
pas si variées que chez le premier.
DU B A ï K A L. l45
LE BAIKAL,
CALLION Y M US BAÏKALENSIS.
Cette espèce n'a point de nageoires
sur le ventre : la première du dos est
très-petite -, les autres sont terminées
par des filamcns.
C'est à M. Pal las que l'on doit la
connoissance de ce callionyme , parti-
culier jusqu'à présent au lac Baïkal.
Les Russes qui habitent les bords de
ce lac , ont donné au poisson qui nous
occupe le nom de Solomiianka : on le
pêche depuis peu d'années. Il étoit
probablement connu avant cette épo-
que , et la négligence seule a pu priver
ces peuples des avantages que l'on a
retirés de sa découverte. Ce poisson
ressemble à un peloton de graisse : lors-
qu'on le met sur le gril , la graisse
huileuse dont il est rempli se fond , de
manière qu'il ne reste plus que les
Poissons. I. l5
146 HISTOIRE NATURELLE
arêtes. On ne le prend jamais dans les
filets, et jamais on ne l'a vu vivant :
on présume qu'il ne se tient que dans
les gouffres du Baïkal. Ces gouffres
existent dans le centre du lac , et dans
plusieurs places de ses rives escarpées
situées au nord , où l'on a sondé en vain
à trois et quatre cents brasses , sans
trouver de fond. Il seroit difficile de
définir les causes qui jettent ces pois-
sons à la surface des eaux. C'est ordi-
nairement en été , pendant les gros
vents qui viennent des montagnes , ou
dans les ouragans qui partent du nord ;
ces poissons sont alors poussés sur le
rivage. Lorsque le lac a été agité par
des tempêtes, on les voit surnager sur
l'eau en telle quantité qu'ils forment ,
en de certaines années , un parapet sur
la côte. C'est une excellente récolte
pour les liabitans. Ils en tirent une
huile qu'ils vendent aux Chinois. Lors-
que ce poisson est jeté sur la cote, on
ne voit point les mouettes , ni les cor -
DU B A ï K A L. 147
neilles s'y acharner. Cette répugnance
est due probablement à l'aversion de
ces oiseaux pour la graisse huileuse :
ces poissons sont restés à peine deux
heures sur les bords de l'eau , qu'ils se
fondent en huile , pour peu qu'on les
presse dans les mains.
l48 HISTOIRE NATURELLE
X I Ve GENRE.
LE RASPEÇON,
URANOSCOPUS.
Caractère générique. Un barbillon dans
la bouche.
LE RASPEÇON RUDE,
URANOSCOPUS SCJBER.
Tj a rudesse de la tête est un caractère
snffisant pour distinguer ce poisson. On
compte cinq rayons à la membrane des
ouies , dix-sept à la nageoire de la poi-
trine , six à celle duvenlre, treize à
celle de l'anus, douze à celle de la
queue , quatre à la première du dos,
et quatorze à la seconde.
La tête est grosse ? carrée , et ca-
DIT RASPEÇON. l49
cliée dans une cuirasse rude garnie
d'une quantité infinie de petites ver-
rues qui la rendent rude au toucher ;
ce qui a engagé Linné à donner à ce
poisson le nom de scaber. Par le haut ,
cette cuirasse se termine par deux pi-
quans , et par le bas , par cinq autres
plus petits. Le postérieur de ceux qui
sont en haut est le plus fort , et il est
entouré d'une peau : la bouche s'ouvre
par en haut. ; et quand la mâchoire in-
férieure est ôtée , on apperçoit une
large ouverture , dans laquelle paroît
la langue qui est épaisse, forte , courte
et garnie de petites dents qui la ren-
dent rude au toucher. Au côté inté-
rieur de la mâchoire inférieure, il y a
une membrane terminée par un long
filament. Lorsque la bouche du pois-
son est ouverte , il agite cette partie ,
attire par-là les petits poissons , qui sont
avalés au moment où ils croient s'en
saisir -, les deux barbillons dont chaque
lèvre est garnie , lui servent aussi au
l5o HISTOIRE NATURELLE
même usage. Ce poisson se cache ordi-
nairement jusqu'à la tête dans les
plantes marines , afin d'attraper plus
sûrement les petits poissons en se déro-
bant à leurs regards. A la mâchoire
.supérieure, on remarque en haut deux
ouvertures ovales , et à l'inférieure
beaucoup de petits barbillons. Non loin
de chaque œil, on apperçoit une ou-
verture ronde : les yeux sont placés
sur la surface supérieure de la tête tout
près l'un de l'autre ; ils sont saillans ,
et ont une prunelle noire dans un iris-
jaune.
Nousconnoissons plusieurs poissons,
outre les soles et les raies , dont les
yeux sont à la surface et près l'un de
l'autre. Chez ces dernières , ils sont
situés de manière , qu'ils peuvent plus
regarder de côté qu'en haut ; mais chez
notre poisson , ils sont dirigés droit en
haut : voilà pourquoi les Grecs lui ont
donne le nom à'uranoscope. Les Gé-
nois, qui croient apparemment voir
DU R A S P E ç O X. l5l
dans ce poisson le regard de la dévo-
tion , lui ont donné le nom de prêtn.
Entre les yeux, on remarque une ca-
vité sémi-lunaire, et nonloin de chaque
nageoire pectorale , un piquant long
et un court : l'ouverture des onies est
très - large; l'opercule des ouies con-
siste en un seul os fort, qui est en-
touré d'une peau dentelée ; la mem-
brane des ouies , qui est cachée , est gar-
nie de cinq os recourbés -, le tronc est
pourvu d'écaillés très-petites. Jusqu'à
l'anus et à la seconde nageoire dorsale,
il est presque quarré ; de -là jusqu'à la
fin , il est rond. Les lignes latérales ,
qui ne sont formées que de petites ou=
vertures rondes, prennent naissance à
la nuque, forment un petit arc vers les
côtés, s'approchent ensuite des na-
geoires dorsales, s'étendent le long du
dos jusqu'à la nageoire de la queue, où
elles forment une courbure en dessous,
et s'y perdent dans le milieu. Les na-
geoires ventrales sont placées près de
l52 HISTOIRE NATURELLE
la gorge , et terminées en rayons à plu-
sieurs branches ; les nageoires pecto-
rales ont les rayons partagés à l'extré-
mité 5 ceux des nageoires de l'anus et
du dos sont simples, et ceux de la na-
geoire de la queue, qui est ronde , sont
ramifiés. La première nageoire du dos
a une couleur brillante et des rayons
osseux y les rayons des aui res nageoires
sont mous et jaunes. Nofre poisson est
brun sur le dos , gris aux côtés , blanc
au ventre , et l'anus est presque placé
au milieu du corps.
Le raspeçon habite la Méditerranée,
et se tient près du rivage dans le fond.
Aristote a par conséquent eu raison de
le placer parmi les poissons de rivage.
Quoiqu'on n'en trouve pas de plus
d'un pied de long , cependant sa forme
singulière , dont nous avons parlé ,
a excité l'attention des naturalistes
grecs. Il vit de petits poissons et d'in-
sectes aquatiques : on dit qu'il dort
pendant le jour ? et qu'il rôde pendant
DU II A S P E Ç O N. 1 53
la nuit. Voilà pourquoi Oppian lui a
donné le nom de rôdeur. Sa chair est
blanche , à la vérité , mais dure et
maigre ; et par cette raison , on n'en
fait aucun cas. Selon Rondelet , il doit
rendre une mauvaise odeur ; cepen-
dant AVillughby, qui a examiné notre
poisson en Italie, ne lui en a point
trouvé : on le prend au filet, et il mord
aussi à l'hameçon.
Le foie est d'un jaune pâle ; l'esto-
mac large et fort ; son extrémité infé-
rieure est entourée de huit appendices :
la vésicule du fiel est large, et le fiel
d'un vert foncé; la vésicule aérienne
est petite.
Ce poisson se nomme :
Sternseher et Warzenkopf , en Alle-
magne.
Stargatzer, en Angleterre.
Sterre-kvker, en Hollande.
Raspeçon ou Tapeçon, en France.
Rasquassa blanco , à Marseille.
Mecsoro et Pesce prête , en Italie.
3 54 HISTOIRE NATURELLE
Pesce prête et Cuccu, en Sardaigne.
Preve et Prête, à Gênes.
Bec in cano , à Venise.
Kurba , chez les Tares.
Batrachos , parmi les Grecs qui habi-
tent à Constantinople.
Buphos et Tuchinos, à Smyrne.
Pline dit que le fiel de ce poisson est
un souverain remède dans plusieurs
maladies des yeux.
Tom .1-
J^u/e v.i^ .
Deseve i/t'/. fW^^^^^^mm Joitrifati Jlw/r
i.liAVIVK. a I/AIGRKFIN.3 IiA HOIISK.
DE LA VIVE. l55
X V* GENRE.
LA VIVE, TRACHINUS.
Caractère générique. L'anus près de la
poitrine.
LA VIVE , TRACHINUS DKACO.
L'avancement de la mâchoire infé-
rieure , et les cinq rayons de la pre-
mière nageoire dorsale , sont les carac-
tères distinctifs de ce poisson. On
trouve six rayons à la membrane des
ouics , quatorze à la nageoire de la
poitrine, six à celle du ventre, vingt-
cinq à celle de l'anus , dix-sept à la
queue, cinq à la première nageoire du
dos , et vingt-quatre à la seconde.
La tête est de moyenne grandeur ;
l'ouverture de la bouche large , et la
l56 HISTOIRE NATURELLE
mâchoire inférieure est dirigée de baa
en haut. Les deux mâchoires sont gar-
nies de dents pointues. La langue est
unie, étroite , et finit en pointe. Les
yeux sont au sommet, près l'un de l'au-
tre , peu éloignés de l'ouverture de la
bouche -, entre l'un et l'autre , on re-
marque en dessus un enfoncement. La
prunelle est noire , et l'iris jaune , ta-
cheté de noir. A l'opercule des ouies ,
on remarque un piquant fort. L'ouver-
ture des ouies est large ; le dos droit ,
d'un jaune brun , et aux côtés , qui
sont argentins sous la ligne latérale et
au ventre, on remarque des lignes bru-
nâtres et transversales. La première
nageoire du dos est noire et garnie de
cinq piquans roides, auxquels on peut
aisément se blesser. Mais il est douteux
qu'ils soient venimeux comme le dit
Pline, et comme le soutiennent plu-
sieurs ichtbvologisles. Car on n'use
pour se guérir que des remèdes em-
ployés contre la piqûre des autres corps
DE LA VIVE. 167
pointus ; c'est-à-dire , qu'on cherche à
dilater la partie blessée. Les pêcheurs
anglais ont coutume d'arroser la pi-
qûre avec de l'urine chaude , et l'enve-
loppent dans du sable mouillé. Les
Français, au contraire, se servent pour
cela des feuilles de lenlisque. Les faits
que rapporte Linné à ce sujet n'ont
rien de probable.
Toutes les nageoires sont petites ,
excepté celles de la poitrine et de la
queue , et ont des rayons ramifiés.
Comme ce poisson n'a pas la vie dure ,
et qu'il se débat beaucoup quand il est
pris, il faut prendre garde de ne pas se
laisser piquer par ses pointes, qui peu-
vent encore blesser après la mort du
poisson. C'est ce qui a donné lieu en
France à une ordonnance de police,
qui défend de vendre ce poisson avec
les piquans.
Ce poisson , qui n'a pas plus d'un pied
de long, se trouve en grande quantité
aux environs de la Hollande et de
Poissons. I. i4
158 HISTOIRE NATURELLE
POstfrise, de même que dans la Médi-
terranée et dans plusieurs contrées de
l'Océan. Ordinairement il séjourne
dans le fond , et paroît en juin dans les
endroits unis. C'est dans ce mois et
dans le suivant qu'on le prend en quan-
tité , sur-tout en Hollande , dans des
filets et des nasses. Ainsi Aristote le
met avec raison au nombre des pois-
sons de rivage.
La chair de la vive est de très-bon
goût , aisée à digérer , et les Hollandais
en font un très-grand cas.
Ce poisson vit d'insectes aquatiques,
des petits des autres poissons , d'escar-
gots et d'écrevisses. Quand il est encore
jeune , il a pour ennemis toutes les es-
pèces voraces.
L'estomac est large; la vésicule du
fiel grande ; le canal intestinal court ,
et a huit appendices à son commence-
ment.
Ce poisson est connu sous différons
noms. On le nomme :
DE LA VIVE. l5g
Velermœnnchen , en Allemagne.
Schwerdtfisch , à Heiligeland.
Fiaersing , Suerd-Fisk , Steen-Blkker ,
Muller , enDanemarck.
Petermand , Soe-Drage, en Norwège.
Fiœrsing , Fiassing , en Suède.
Pietermann , en Hollande.
Weever , Seadragon , en Angleterre.
Vive , ou Dragon de mer, en France.
Ârangio , à Marseille.
Trascina , Pesce Ragna , en Italie,
Tragina, à Rome.
Ragana , en Sardaigne.
Mojuro ta rocca , à Malte.
Pesce Arano , en Espagne;.
160 HISTOIRE NATURELLE
X V Ie GENRE.
LE GADE, gadus.
Caractère générique. Les nageoires du
ventre finissant en pointes.
L'AIGREFIN, gadus mglzfinus.
Xj a ligne latérale noire, et un seul bar-
billon au menton , distinguent ce pois-
son des autres poissons du même genre.
On trouve sept rayons à la membrane
des ouïes, dix-neuf aux nageoires pec-
torales, six aux ventrales, vingt-deux
à la première de l'anus, vingt-un à la
seconde , vingt-sept à celle de la queue ,
seize à la première du dos , vingt à la
seconde , dix-neuf à la troisième.
La tête est cunéiforme ; la mâchoire
D E L'A IGREFIN. ïfil
supérieure est plus longue que l'infé-
rieure , à laquelle on voit le barbillon.
Les yeux qui sont grands , ont la pru-
nelle noire , et l'iris argentin. Les
écailles de ce poisson sont petites ,
rondes, et plus attachées à la peau que
dans les autres espèces. Le dos est bru-
nâtre , peu arqué , et épais. Le ventre
et les côtés sont argentins , et on apper-
çoit une tacbe noire près de la nageoire
pectorale.
Ce poisson habite la mer du Nord ,
où on le prend en grande quantité en
automne près de Heiligeland, d'où on
l'amène à Hambourg. Il est remar-
quable que l'aigrefin ne passe point par
le Sund dans la mer Baltique , et que le
dorse, qui est un habitant de la Bal-
tique , ne passe point par la Manche
dans la mer du Nord , quoiqu'on les
trouve en quantité près l'un de l'autre
dans ces deux mers. On le trouve aussi
autour de la Hollande , de l'Ostfrise et
dans la Manche 3 mais sur-tout en An-
162 HISTOIRE NATURELLE
gleterre , où il paroît en grandes trou-
pes, et qui passent ordinairement d'une
côte à l'autre : de manière cependant
qu'ils ne s'assemblent que dans un es-
pace large de trois quarts de mille et
long de six mi Iles. Si les pêcheurs jettent
leurs lignes hors de cet espace , ils ne
prennent rien. Ils paroissent quelque-
fois en troupes si nombreuses , selon
M. Pennant , que dans l'espace d'un
mille d'Angleterre, trois pêcheurs peu-
vent remplir leurs canots deux fois par
jour. Aussi ce poisson est à si bon mar-
ché , qu'on en donne vingt des plus gros
pour vingt-quatre sous de France , et
autant de petits pour quatre , et quel-
quefois même pour moitié moins. On
voit ordinairement les plus gros depuis
novembre jusqu'en janvier, et depuis
ce temps jusqu'en mai , paroissent les
plus petits. Dans le Groenland , ils ha-
bitent les fonds, et viennent vers le
soir sur la surface de l'eau , sur-tout
lorsqu'elle est agitée j etc'est-là que les
DE l'aigrefin. i63
pêcheurs les épient. Quelquefois aussi
ils saulcnt hors de l'eau , pour éviter la
poursuite fies chiens de mer. Ceux-ci
les prennent avec leurs pattes entre les
fentes de la glace , où ils se tiennent
pour prendre l'air.
La grandeur de ce poisson est ordi-
nairement d'un pied, et alors il pèse
une livre et demie. Quelquefois on en
trouve aussi qui ont deux ou trois pieds
et plus , et qui pèsent quatorze livres.
Il fraie en février : alors les femelles
viennent en grandes troupes déposer
leurs œufs entre l'algue , non loin du
rivage. Ensuite les mâles y viennent
séparément , et fécondent les œufs.
L'aigrefin se nourrit d'écrevisses et
d'autres insectes de mer. Il poursuit
sur-tout le hareng , dont il s'engraisse
pendant tout l'été ; au lieu que dans
l'arrière-saison , il est maigre , parce
qu'il ne vit que de vers de mer. Dans
les temps orageux , il se cache dans le
sable ou entre les herbages , où il se
î64 HISTOIRE NATURELLE
tient tranquille jusqu'à ce que le calme
soit revenu. Dans ces temps , les pê-
cheurs n'en prennent point , et ceux
qui paroissent ensuite , sont couverts
de mal-propretés et de plantes qui in-
diquent leur séjour. La chair de ce pois-
son est blanche , ferme et de bon goût ;
elle est feuilletée et facile à digérer.
Outre le chien de mer , il a encore pour
ennemis les autres gros poissons vo-
races.
On le prend sur-tout avec des lignes
de fond. Les pêcheurs de la Frise en
jettent plusieurs vers le soir, qui sont
de la longueur de quelques brasses , et
y mettent de petits poissons pour ap-
pât. Quand ils les tirent le matin , ils
trouvent ordinairement un poisson à
chaque hameçon, sur-tout par un beau
temps. De sorte qu'un pêcheur re-
tourne souvent chez lui avec une pêche
de cent poissons et plus , suivant le
nombre de lignes qu'il a tendues. Nous
rapporterons ici une coutume louable,
D E L'A IGREFIN. 1 6*5
c'est que chaque pêcheur est obligé de
tendre une ligne pour les veuves des
pêcheurs du village , et de leur en en-
voyer la pêche. Les Groenlandais les
prennent à la main, dans des trous
qu'ils font dans la glace , et où les pois-
sons se pressent les uns sur les autres ,
pour prendre l'air.
Le foie de ce poisson est blanchâtre,
et consiste en deux lobes de différente
longueur. La rate est triangulaire et
placée sous l'estomac , qui est long ,
épais et entouré d'un cercle de plu-
sieurs petites appendices. Le canal in-
testinal a trois sinuosités , et est large
par en bas. La vésicule aérienne est
longue , simple et enduite d'une ma-
tière gluiineuse. Les reins , la laite et
l'ovaire sont doubles , et les œufs jaunes.
J'ai trouvé quinze côtes de chaque côté,
et trente-cinq vertèbres à l'épine du
dos.
Ce poisson est connu sous différens
noms. On le nomme :
l66 HISTOIRE NATURELLE
Kuller , en Danemarck.
Kollie , Hyse , en Norwège.
Isa , en Islande.
Diuckso , en Laponie.
Misar Kornuck et Ekalluack , en Groen-
land.
Kaljor , en Suède.
Schelvis y en Hollande.
Aigrefin ou Eglefin , en France.
Aaou , en haute Normandie.
Haduc:, en Angleterre.
D a guet ou Guellekens , en Flandre.
LE DO.USE, GADUS CALLARIAS.
La ligne latérale large et tachetée ,
est le caractère distinclif de cette es-
pèce. On compte sept rayons à la mem-
brane des ouies , dix sept aux nageoires
de la poitrine , six à celles du ventre ,
dix-huit à la première de l'anus, et dix-
sept à la seconde , vingt-six à la queue
quatorze à la première nageoire du
dos, quinze à la seconde, et dix- huit à
la troisième,
DU DORSE, 167
La tête est plus petite que dans l'ai-
grefin ; elle est d'une couleur grise , sur
laquelle on voit des taches brunes en
été , et noires en hiver. L'ouverture
de la bouche est grande. La mâchoire
supérieure est plus longue que l'infé-
rieure, et a plus de rangées de dents :
à l'inférieure, on trouve un barbillon ,
et elle n'a qu'une rangée de dents. Le
palais est aussi armé de dents. Les yeux
sont ronds -, la prunelle est noire , et
l'iris d'un blanc jaune. Le tronc qui est
gris et tacheté de brun jusqu'au ventre,
est couvert d'écaillés minces , petites
et molles. Les taches du tronc sont dans
quelques jeunes d'un ronge clair , ti-
rant sur le jaune. La ligne latérale est
près du dos, et forme une courbure en
dessous vers la première nageoire de
l'anus. Le ventre est épais , mêlé de
blanc et de brun. Chez quelques-uns ,
il est rougeâtre. Toutes les nageoires
sont blanches , et quelquefois rouges.
Ce poisson connu en Prusse sous le
168 HISTOIRE NATURELLE
nom de pamuchel , et dans nos con-
trées sous celui de dorsch, se trouve en
quantité dans la Baltique et dans l'O-
céan septentrional. Il avance dans les
fleuves tant que les eaux de la mer
se mêlent avec leurs eaux. On le prend
en Poméranie près de Rugenwalde
pendant tonte l'année , mais sur-tout
en juin : on en prend aussi une quan-
tité près de Travcmunde , Oehland ,
Gothland , Bornholm , Lubek , en
Prusse , et en Livonie. Eu Groen-
land, le printemps et l'automne sont
les saisons les plus favorables à cette
pêche. Plus loin vers le nord, dans le
golfe de la Fine, et vers Saint-Péters-
bourg , on n'en trouve presque plus :
on prend ce poisson dans des rades ,
sur les côtes , et vers les embouchures
des fleuves , non - seulement avec des
lignes que l'on tend ordinairement
vers le soir , mais encore avec des filets ;
on se sert de toutes sortes de petits
poissons pour appât. Les Groenlandais
DU DORSE. 169
se servent pour cela du scorpion de
mer en automne et au printemps. En
hiver , ils font des trous dans la glace ,
et attirent le poisson par des morceaux
de plomb brillans , ou par de petites
boules de verre : leurs lignes se font
avec des morceaux de baleine , ou avec
de la peau de veau marin ,-phoca bar-
bâta.
Le dorse a la chair tendre et meil-
leure que celle de tous les autres pois-
sons de ce genre : on peut la donner
sans danger aux personnes foibles et
valétudinaires.
Il vit d'autres poissons , d'insectes
aquatiques et de vers. M- Otto Fabri-
cius a trouvé dans le corps de ce pois-
son le scorpion de mer, cottusscorpio, des
ammodites, ammodytes tobianus , des
écrevisses et différens vers marins. Or-
dinairement il ne pèse pas plus d'une à
deux livres : cependant on en trouve
auprès deîtugenwalde, qui pèsent jus-
qu'à sept à huit livres ; et quelquefois
Poissons. I. i5
I70 HISTOIRE NATURELLE
quatorze. Sclioueveld parle d'un dorse
qui avoit quatre pieds de long.
Il fraie en janvier et en février : les
Islandais le salent et le sèchent , et lui
donnent alors le nom de titieling.
Les parties intérieures ressemblent
à celles des préccdens , si ce n'est que
le canal intestinal n'a que deux sinuo-
sités : on trouve dix - huit côtes de
chaque côté, et cinquante - trois ver-
tèbres à l'épine du dos.
Ce poisson est connu sous différens
noms. On le nomme :
Vorsch, en Allemagne.
Pamuchel , en Prusse.
Pamuchel , à Dantzig ;
Jœgerchen, quand il est maigre ;
Graspamuchel , quand il a une couleur
jaune.
Scheibendorsch , à Hambourg.
Torsk , en. Suède.
Graa , Guulagtig , Smaa Torsk , en
Danemarck.
Vorssh , en Courlande.
V». , ..
Pape. ijj.
■ LA MOIVUE. « X'QFITICEÉR. 3.LE TA1T .
DE LA MORUE. I71
Menza et D'ùrska , chez les Lettes.
Tursk, en Estonie.
Tare-Torsk , Titling , en Norwège.
Tare-Torsk etRod-Torsk, en Laponie.
Saraulick , en Groenland.
Tittling , Tyrsklingur , en Islande.
Dorse , en France.
LA MORUE , g ad us m or h u a.
Les écailles proportionnellement
plus grandes, distinguent la morue des
autres poissons de ce genre. On trouve
sept rayons à la membrane des ouies ,
seize aux nageoires pectorales , six aux
ventrales, dix- sept à la première de
l'anus , seize à la seconde , trente à la
queue , quinze à la première nageoire
du dos, dix - neuf à la seconde , et
vingt-un à la troisième.
La tête , le dos et les côtés sont gris
et parsemés de taches jaunâtres. Quand
les )eunes poissons de cette espèce ha-
bitent un fond de rochers , leur ventre
172 HISTOIRE NATURELLE
est d'une couleur rougeâtre , avec des
taches jaunes : mais cette couleur se
J)erd, quand ils deviennent plus vieux
et qu'ils quittent ces fonds; et alors ils
reprennent leur couleur naturelle.
L'ouverture de la bouche est grande ;
la mâchoire supérieure avancée , et on
trouve un petit barbillonà l'inférieure;
la prunelle de l'œil est noire ; l'iris jau-
nâtre, et le ventre blanc. Les nageoires
du dos et de la queue sont parsemées
de jaune ; celles du ventre et de l'anus
sont grises , et celles de la poitrine
jaunes. Tous les rayons sont mous et
ramifiés ; l'anus est plus près de la tête
que de la queue.
Ce poisson est un habitant de l'O-
céan , où il se tient entre le quaran-
tième et le soixante-sixième degré de
latitude septentrionale : on le trouve
bien aussi à un plushaut degré , comme
en Groenland ; mais il n'y est pas de si
bonne qualité , et ne s'y trouve qu'en
petit nombre. On le trouve en très-
DE LA MORUE. 170
grande quantité près de Terre-Neuve,
du Cap Breton , de la Nouvelle-Ecosse,
de la Nouvelle - Angleterre , sur les
côtes de laNorwège et de l'Islande ; de
même que vers le banc de Dogger et
dans les environs des îles Orcades.
La morue est pour plusieurs nations
une branche considérable de nourri-
ture et de commerce : elle est sur-tout
une grande source de richesses pour les
Anglais. Elle nourrit les Islandais , rap-
porte par an aux Norwégiens quelques
tonnes d'or , et occupe une grande
quantité de marins anglais, hollandais
et français , comme nous le verrons
dans la suite.
La morue devient ordinairement
longue de deux à trois pieds, et pèse
quatorze à vingt livres : cependant on
en trouve de beaucoup plus grosses. Il
n'y a pas long - temps qu'on en a pris
une en Angleterre , longue de cinq
pieds huit pouces, qui avoit cinq pieds
de circonférence à la partie la plus
lfb HISTOIRE NATURELLE
grosse du corps, etquipesoit soixante-
dix-huit livres. Elle habite ordinaire-
ment les profondeurs de la pleine mer,
et vient sur les bancs et vers les côtes
dans le temps du frai. Elle se nourrit
" d'écrevisses , de polypes, de harengs et
d'autres espèces de poissons , et elle est
si avide, qu'elle n'épargne pas même
ses propres petits. Elle a , comme les
oiseaux de proie , la faculté de rejeter
par le vomissement les corps qu'elle ne
sauroit digérer. Selon Anderson,son
estomac digère avec tant de célérité ,
que les pêcheurs de Heiligeland ont
trouvé qu'au bout de six heures , les
aigrefins qu'ils leur avoient donnés
pour appât , étoient digérés dans leur
estomac. Le temps du frai est différent
comme dans les autres poissons , sui-
vant leur âge , le plus ou moins de froi-
deur du fond qu'ils habitent , la nature
de l'air et la température des saisons.
Eu Angleterre , elles fraient ordinai-
rement au mois de janvier , et parois-
DE LA MORUE. Ij5
sent alors vers les côtes jusqu'au mois
suivant ; ensuite elles disparoissent, et
il en vient à la place de plus petites ,
qui fraient jusqu'à la fin d'avril ; car on
leur trouve des œufs jusqu'à ce temps.
En Islande , elles ne paroissent qu'au
mois de février , et au banc de Terre-
Neuve, en avril. Elles déposent leurs
œufs dans les fonds inégaux , entre
les pierres. La pêche à l'hameçon dans
la mer , pendant le temps du frai, a un
succès tout différent de celle des eaux
douces avec des filets et des nasses: là,
l'ardeur de l'amour les fait aller sans
crainte dans les pièges qu'on leur a
tendus -, et c'est par conséquent le temps
le plus favorable pour les pêcheurs; au
lieu que ce même amour les empêche
de manger; et comme elles ne peuvent
être attirées par l'appât , on n'en prend
pas un grand nombre de cette manière.
Mais après ce temps, la faim les oblige
à se jeter avec d'autant plus d'ardeur
sur la nourriture , et elles mordent
176 HISTOIRE NATURELLE
alors à tous les corps brillans, comme
crochets , pierres , etc. et dans ce
temps, on trouve ces choses dans leur
estomac. Par cette raison , les Islandais
se servent avec succès , pour appât , des
morceaux de coquillages et de fausses
perles : les lignes ne pendent du bateau
que de sept à huit brasses. Il y a dans
chaque bateau deux pêcheurs , dont
l'un rame, et l'autre épie quand un
poisson a mordu. De cette manière, on
remplit souvent le bateau deux à trois
fois par jour. Comme ce poisson ne
mord pas beaucoup pendant le temps
du frai , les Norwégiens et les autres
nations jettent dans les endroits où il
y en a une grande quantité de rassem-
blés ,des hameçons à trois crochets; et
il arrive souvent qu'ils en tirent un ou
plusieurs qui s'y trouvent pris. Depuis
quelque temps , on se sert , sur quelques
côtes de Norwège , de filets à pointes.
Ils sont ordinairement de vingt brasses
de long et d'une de haut : les mailles
BE LA MORUE. 177
ont trois pouces en carré , et on les
laisse tomber clans une profondeur de
soixante-dix brasses. Un bateau monté
de six hommes, porte , dans un temps
orageux , dix-huit filets de cette es-
pèce, et vingt-quatre parle calme : ce-
pendant il arrive assez souvent qu'il
s'en perd quelques - uns , parce qu'ils
sont entraînés parles tempêtes ou par
les gros animaux marins. On tend ces
filets le soir , et on les lève le matin
ordinairement avec une proie de trois
à cinq cents poissons. Quelqu'avanta-
geuse que parût cette pêche dans les
comraencemens, on s'apperçut bientôt
qu'elle étoit réellement très-désavan-
tageuse-, car les poissons ont entière-
ment quitté les endroits où on les a
péchés ainsi , et les habitans de plu-
sieurs côtes les ont perdus. Telle est ,
par exemple , la paroisse de Roeden
près de Trœnen -, il y avoit autrefois
une pêche si considérable , qu'on y
venoit de plusieurs contrées du Nord f
178 HISTOIRE NATURELLE
et qu'un bateau rrionté de quatre hom-
mes ; rapportoit quatre à six mille
poissons ; au lieu qu'à présent un pa-
reil bateau en rapporte à peine six à
sept cents. La raison de cette diminu-
tion vient sans doute de ce que les
poissons sont interrompus dans leur
frai , et que les filets détruisent les
poissons avec les millions de petits
qu'ils devroient produire. Les Norwé-
giens ont éprouvé, dans la pèclie de la
morue , les mêmes dommages que la
pêche des filets étroits a fait éprouver
dans certains endroits aux Suédois et
aux Prussiens pour la pêche des ha-
rengs. Il n'en est pas de même de la
pêche à l'hameçon ; elle n'empêche pas
le poisson de reproduire tranquille-
ment son espèce.
Les bateaux dont on se sert pour cette
pêche , sont de différentes grandeurs.
Les côtiers se servent ordinairement
de canots , où l'on peut mettre trois à
quatre hommes. Mais ceux qui vieil-
DE LA MORUE. 1 79
nent des contrées éloignées pour faire
cette pêche, ont des bâtimens depuis
quarante jusqu'à cent cinquanle ton-
neaux, sur lesquels sont depuis quinze
jusqu'à trente hommes. Selon l'éloi-
gnement des lieux d'où ils viennent ,
ils sont pourvus de vivres pour deux
jusqu'à huit mois, et ont une provision
suffisante de sel de mer pour saler le
poisson , de tonnes pour le mettre et
pour garder le foie ; de petits barils pour
mettre les oeufs, la vésicule aérienne
et la langue , et du bois pour la prépa-
ration de la morue sèche. Un vaisseau
de quatre-vingt-dix tonneaux ou lasts
porte- dix -neuf personnes, et un de
cent cinquante, vingt -cinq à trente
personnes. Ceux des Hollandais et des
Français sont ordinairement de soi-
xante-dix jusqu'à cent vingt tonnes ;
leurs lignes sont plus courtes et moins
fortes que celles dont se servent les
Norwégiens. Ceux-ci les font de chan-
vre fin , afin de les rendre plus fortes y
180 HISTOIRE NATURELLE
et qu'elles ne soient pas si difficiles à
diriger. Lorsque les crochets des hame-
çons sont d'acier, ils entrent plus aisé-
ment dans le poisson ; mais ils cassent
aussi d'autant plus aisément lorsqu'ils
tombent sur un fond de rocher : voilà
pourquoi on se contente de les acérer.
On prend pour appât toutes sortes
de petits poissons, sur-tout le hareng
et le capelau à Terre-Neuve. Au défaut
d'appât frais , on prend des harengs
salés , des maquereaux et des orphies.
Cependant on fait bien de les faire des-
saler auparavant. On se sert aussi pour
le même usage de la viande gâtée dans
le bateau. La morue mord sur -tout
aux poissons fiais, aux coquillages de
moules, écrevisses, et aux morceaux
de crabes. Par cette raison , les Anglais
entretiennent toujours à Terre-Neuve
quelques bateaux pour prendre des
poissons frais destinés à servir d'appât.
On emploie sur -tout aussi pour cela
les petites morues , à cause de leur peu
DE LA MORUE. l8l
de valeur. Faute d'appât, ou se sert
d'un poisson de plomb fondu , de drap
rouge, et de poissons à moiLié digérés,
que l'on trouve dans l'estomac de ceux
que l'on a pris. Quand la pêche ne
réussit pas , il faut sacrifier quelques
morues j parce que ce poisson est très-
avide de chair fraîche et encore sai-
gnante. Les Islandais prennent aussi
pour cela le cœur des oiseaux aqua-
tiques , et les Norwégiens l'éperlan de
mer et la sèche ; car , quand l'éperlan
et la sèche vont vers les bords pour
frayer, ils sont toujours suivis .d'une
grande foule de morues. Il en est do
même en Amérique lorsque le capelan
paroît dans la même intention; car la
morue poursuit ces poissons par -tout :
voilà pourquoi on les prend aussi pour
appât. Lorsqu'un bateau est suffi-
samment fourni d'appât , et qu'il ren-
contre par un beau temps une contre©
poissonneuse , ce qui arrive ordinaire-
ment vers les bancs , où l'on trouve
Poissons, I. 16
lS'J HISTOIRE NATURELLE
beaucoup de moules et d'écrevisscs ; un
tel bateau, dis -je, monté de quatre
hommes, peut, dans l'espace de vingt-
quatre heures, faire une pêche de qua-
tre à six cents morues ; et quand le
tempsestbeaupendantl'espacededeux
ou trois semaines , on peut compter
sur une prise de cinq à six mille.
On pêche ce poisson presque pendant
toute l'année en Norwège, en Angle-
terre et en Amérique. Mais le temps
où on le prend en plus grande quantité
sur les côtes de Norwège et d'Islande,
c'est depuis février jusqu'à la fin de
mars, etmême jusqu'au milieu du mois
d'avril. En Amérique, la plus grande
pèche se fait en mai et juin. Depuis le
mois de juillet, ildisparoît, etreparoît
en septembre. Mais comme dans ce
temps, les eaux de ce pays sont cou-
vertes de glaces, la pêche est incertaine
pour les Européens.
Dans le Nord, il s'assemble pour la
pêche de la morue , quatre à cinq mille
DE LA MORUE. l83
hommes, composés de Normands, Da-
nois , Suédois , Hambourgcois , Hol-
landais et Français. Les Hollandais
sont ceux qui en tirent le plus de profil ;
car, comme ils préparent et mettent
leurs morues dans les tonnes avec plus
de soin , elles sont toujours meilleures
que celles des autres nations. Mais
comme il est défendu à eux, aussi bien
qu'aux autres nations, de faire sécher
Je poisson dans le pays, ils en salent une
grande partie , et n'en pendent que peu
à des perches , qui sont sur les vais-
seaux , pour les faire sécher.
La manière de préparer ce poisson
pour le conserver, consiste en partie
à le faire sécher à l'air, en partie à le
saler , ou faire l'un et l'autre. La pre-
mière manière fait ce qu'on appelle au
Nord stockfisch (morue sèche) ; la se-
conde ? laberdan (morue salée ) ; et la
troisième, klippfischs (morue blanche).
Les Islandais, dont, le poisson est pres-
que la seule nourriture , tâchent d'en
l84 HISTOIRE NATURELLE
prévenir la disette lorcqu'ils l'ont en
abondance : ils le font sécher , et le don-
nent alors sons le nom commun de
stockfisch. Voici comme ils l'accommo-
dent. Lorsque les hommes ont débar-
qué avec leur prise , ils la jettent sur le
rivage. Les femmes coupent, aussi- tôt
la tête du poisson , lui ouvrent le ven-
tre , et après en avoir tiré les entrailles ,
elles fendent le dos en dedans, et ôtent
l'épine du dos , excepté les trois der-
nières vertèbres. Ensuite elles font
cuire les têtes pour les manger, et les
hommes prennent les ouies pour leur
servir d'appât. On fait sécher les
arêtes , et on s'en sert pour faire dufeu,
ou on les donne à manger aux bestiaux.
Ils amassent les foies à part , pour en
faire de l'huile. Lorsque les hommes se
sont reposés et récréés en buvant de
l'eau-de-vie , ils portent les poissons
ainsi fendus dans des endroits où il y
a des rochers ; là , ils les étendent, et
les laissent jusqu'à ce que le vent les
DE LA MORUE. l85
ait tout-à-fait sécliés ; ce qui arrive or-
dinairement dans l'espace de trois se-
maines ou un mois. Mais quand il souffle
un grand vent du nord , il ne faut que
trois à quatre jours.
Dans les endroits où il n'y a point de
rochers , et où le terrein est un peu
sablonneux , ils font un lit de pierres,
qu'ils assemblent les unes près des au-
tres; ensuite ils y mettent les poissons
tournés sur le côté intérieur , afin que
la chair soit à l'abri de la pluie , qui la
gâte. On assemble en tas les poissons
sécliés de cette manière , et on les laisse
à l'air jusqu'à ce qu'on trouve occasion
de les vendre.
La préparation de ce poisson chez
les Norwégiens diffère de celle des Is-
landais , en ce quJils y ajoutent du sel.
Après leur avoir Ôté la tête et les avoir
vidés , ils les mettent dans un grand
tonneau garni de sel de France •, et huit
jours après ils les mettent par tas sur
un gril, pour faire écouler la saumure
1 86 HISTOIRE NATURELLE
et le sang. Après cela , ils les frottent
de sel d'Espagne ; puis ils les pressent
fortement dans un tonneau pour les
vendre sous le nom de laberdan , ou ils
les font sécher sur les rochers, et ce
sont alors les klippfischs. On fend les
gros j afin que le sel y pénètre mieux;
mais ou ouvre seulement le ventre aux
petits. Ils les font aussi sécher sur des
perches. Toutes ces espèces sont por-
tées à Bergen , d'où on les envoiedans
toutes les contrées de l'Europe. Les
têtes se mangent dans le ménage, et
dans les contrées où le fourrage man-
que, on les donne aux animaux. Les
habitans du Nord font sécher ces tètes
sur le rivage , et les mêlent ensuite avec
des plantes marines , qu'ils donnent à
leurs bestiaux. Les vaches qui man-
gent cette nourriture , donnent infini-
ment plus de lait que celles qu'on nour-
rit de paille et de foin.
Comme la vésicule aérienne de ce
poisson est très-gluante, les Islandais
DE LA MORUE. 187
en font une colle qui approche beau-
coup pour la qualité de la colle de
Russie. Ils la font de la manière sui-
vante. Après avoir laissé en tas les épi-
nes du dos avec les vésicules aériennes
quiy sont attachées, jusqu'à ce qu'elles
soient près de se corrompre , on les met
sur un bloc , et on bat les vertèbres
jusqu'à ce que les vésicules se déta-
chent, aussi bien que les bandes qui les
attachent aux vertèbres , et qu'on ap-
pelle poches. Ensuite on coupe les vé-
sicules , on les met sur une table ou un
bloc , sur lequel on a cloué une brosse
rude , qui sert à nettoyer le couteau
dentelé dont on se sert à gratter la pre-
mière peau des vésicules et des bandes.
Les vésicules étant alors nettoyées, on
les met pour un certain temps dans
de l'eau de chaux, afin d'en détacher
entièrement les parties graisseuses qui
pourroient y être restées encore ; en-
suite on les rince dans de l'eau claire -,
puis on les fait sécher j après quoi on
188 HISTOIRE NATURELLE
peut s'en servir comme de l'autre colle
de poisson. A Terre-Neuve , on a tâché
de faire la même chose ; mais comme
on manquoit de temps et de place pour
toutes ces préparations , on sale les vé-
sicules , et on les garde pour l'occasion ,
ou bien on les mauge. Quand on veut
en faire de la colle, il faut les dessaler
dans de l'eau. Les vésicules les plus
épaisses sont les plus propres à cet
usage , quoique la colle qu'on en tire ne
soit pas si claire que celle des vésicules
minces. Les Norwégiens mangent la
vésicule aérienne fraîche , ou la font
sécher pour la vendre : ils la nomment
sunde-maver , c'est-à-dire stomacale ,
parce qu'ils croient qu'elle est saino
pour l'estomac. Outre cela, à Terie-
Neuve , on tire encore parti de la lan-
gue; on la mange fraîche ou on la sale,
et on l'emporte pour la manger comme
un morceau délicat.
Les Norwégiens, les Islandais et les
autres nations font de l'huile avec le
DE LA MORUE. 189
foie : car quand il est parvenu à un
certain degré de corruption , les par-
ties huileuses s'écoulent d'elles-mêmes
peu à peu. On préfère cette huile à
celle de baleine, parce qu'elle conserve
le cuir plus long-temps souple , et que
lorsqu'elle est clarifiée et qu'on la
brûle , elle donne moins de vapeur.
On rassemble avec soin les œufs; on
les sale , on les met dans de petits ton-
neaux , et on les vend aux Hollandais
et aux Français. Ces derniers , aussi
bien que les Espagnols , ne peuvent
s'en passer pour prendre les sardelles
et les anchois. Ils en garnissent les filets
destinés à prendre ces poissons. On ex-
porte annuellement de Bergen qua-
torze à seize cargaisons , ou vingt à
vingt-deux mille barils de ces œufs.
Chaque baril se vend à-peu-près huit
à neuf francs.
Les vaisseaux qui vont en Norwège
et à Terre-Neuve , partent ordinaire-
ment en mars ; quelquefois aussi plutôt
190 HISTOIRE NATURELLE
ou plus tard , selon le chemin qu'ils ont
à faire ; et ils reviennent chez eux vers
la fin de septembre. Dès qu'ils sont ar-
rivés à l'endroit de la pêche , ils font
sur le vaisseau une galerie qui va du
grand mât jusqu'à la pouppe, et quel-
quefois d'un bout à l'autre du vaisseau.
Cette galerie extérieure est garnie de
tonneaux défoncés par un bout , dans
lesquels les matelots se mettent , pour
être à l'abri des injures du temps, et
leur tête est couverte d'un toitassujetti
aux tonneaux. Dès qu'ils détachent
une morue de l'hameçon, ils lui coupent
la langue j ensuite ils la donnent à un
mousse , qui la porte au videur. Celui-
ci lui coupe la tête, lui arrache le foie
et les entrailles , et la laisse ensuite
tomber par un trou sur le faux tillac ,
où le préparateur lui ôte l'épine du
dos , et la laisse ensuite tomber par un
autre trou dans un endroit où on la
sale et la met en tas. Le saleur prend
bien garde qu'il y ait assez de sel entre
DE LA MORUE. 191
les couches que forment ces tas , afin
que le poisson ne vacille point ; mais il
ne faut pas qu'il y en ait trop. Le trop
ou le trop peu de sel sont également
nuisibles : tous les deux diminuent la
bonté et le prix de la morue.
Dans les temps anciens comme dans
les nôtres , les nations étrangères al-
loient sur les côtes de Norwège et d'Is-
lande , pour prendre des morues. En
ï368 , la ville d'Amsterdam a reçu de
la couronne de Suède , la permission de
formera cet effet, un établissement sur
l'î!e deSclionen. Les Anglais pèchent
aussi la morue depuis long-temps: car
nous voyons qu'en i4i5 , Henri V fit
faire satisfaction par le roi de Dane-
marck , à quelques-uns de ses sujets ,
auxquels on avoit fait quelques vio-
lences dans ce royaume. Dans la suite ,
les Anglais perdirent le droit dépêcher
dans ces contrées : car Elisabe th racheta
de la couronne de Danemarck , pour
ses sujets ? la permission d'y pêcher,
ig'2 HISTOIRE NATURELLE
Mais son successeur ayant épousé un©
princesse de Danemarck , les Anglais
usèrent tant de cette permission , qu'ils
y envoyèrent annuellement environ
quinze cents vaisseaux.
Les Français et les Hollandais en-
voient aussi un grand nombre de vais-
seaux à cette pêche ; et cependant
toutes ces nations laissent encore assez
de poisson pour que les Islandais en
tirent la plus grande partie de leur en-
tretien, et que leslSorwégiens, comme
nous l'avons dit , en tirent tous les ans
quelques tonnes d'or.
Quelque considérable que soit , dans
le Nord , la pêche de la morue , elle
n'est pourtant pas comparable à celle
qu'on fait dans l'Amérique septentrio-
nale , et sur-tout sur le grand banc de
Terre-Neuve (a). Cette pêche doit être
(1) Ce banc a cent soixante milles d'Alle-
magne de long , quatre-vingt-dix de large et
*st situé entre le quarante-troisième et le
DE LA MORUE. 1 q3
bien importante pour les Anglais puis-
qu'ils y emploient quinze à vingt mille
marins , sans compter ceux qui s'oc-
cupent de la construction des vais-
seaux , desinstrumens, etc. Un autre
avantage que cette nation en retire ,
c'est qu'ils gagnent encore des sommes
considérables par les exportations qu'ils
font en Portugal , en Espagne et en
Italie. Outre cela , ces matelots ne lais-
sent pas que de faire de bons soldats en
temps de guerre.
On voit par une requête que les mar-
chands anglais présentèrent en 1763
au gouvernement , quel étoit alors l'état
quarante-cinquième degré de latitude sep-
tentrionale. Mais les bancs où se fait par-
ticulièrement la pêche, ont cent lieues de
long et soixante de large. La profondeur
varie depuis quinze jusqu'à soixante bras-
ses. Le fond est couvert de rochers , et l'eau
y est dans une agitation continuelle , à
cause de la diversité de la direction descou-
rans qui s'y trouvent.
Poissons. I. 17
194 HISTOIRE NATURELLE
brillant de la pêche. Selon eux, on y
employoit cent cinquante vaisseaux
d'autant de tonnes chacun , et quinze
cents plus petits, sans compter les trois
cents bâtimens marchands qui portent
l'huile et le poisson dans le royaume
d'une ville à l'autre. Un schoner de
cinquante à soixante-dix tonnes , con-
tient ordinairement huit cent cin-
quante quintaux ; une chaloupe trois
cents , et les plus petits bâtimens deux
cents. Ainsi l'on peut compter que ces
bâtimens mènent l'un portant l'autre
quatre cent cinquante quintaux. Le
quintal du meilleur poisson , pris sur la
place, coûte environ i4 liv. de France -,
de la moyenne qualité, 10 liv., et le
rebut 6 liv. Or la pèche produit deux
cinquièmes de grands poissons, autant
de moyens , et un cinquième de petits.
Le quintal de ce poisson l'un portant
l'autre , coûte 9 liv.
Ainsi le prix de quinze cents petits
DE LA MORUE. iq5
vaisseaux seroit de. . . 8,080,080 1.
Les foies de cent quin-
taux de poisson donnent
une pipe d'huile , qui vaut
ordinairement 124 liv.
Ainsi quinze cents vais-
seaux à quatre cent cin-
quante quintaux chacun ,
font soixante-sept mille
cinq cents tonneaux
d'huile ; ce qui monte à. 833,ooo I.
La cargaison d'un vais-
seau de cent cinquante
tonnes, vaut 7200 liv.
Ainsi la valeur de cent
cinquante de cette espèce
est de 10,800,000 1.
Lntout 19,713,0801.
Mettons l'un portant l'autre dix
hommes sur les petits bâlimens , et
vingt sur les plus grands , nous avons
un nombre de dix-huit mille marins;
et si l'on y joint ceux qui sont sur les
lt)6 HISTOIRE NATURELLE
trois cents petits vaisseaux marchands,
on peut compter vingt mille hommes
qui servent à cette pêche. Et tout cela
sans compter l'avantage considérable
que les Anglais tirent de cette pêche
sur leurs propres côtes.
Tel étoit à-peu-près en Amérique
l'état de la pèche avant la rupture des
colonies. Mais comme celles-ci font ac-
tuellement un état à part; qu'elles ont
non-seulement la liberté de pêcher sur
les bancs de Terre-Neuve , et qu'on a
aussi cédé à cette fin aux Français une
contrée dans l'Amérique septentrio-
nale , cette branche de commerce ne
doit plus tant rapporter aux Anglais.
Les Américains y gagnent beaucoup *,
car la seule ville de Boston prend an-
nuellement dans le golfe de Massachu-
set cinquante mille quintaux de ces
poissons.
La pêche de Terre-Neuve est aussi
très - avantageuse aux Français. En
1768, ils y envoyèrent cent quatorze
DE LA MORUE. 197
vaisseaux , qui portent en tout quinze
mille cinq cent quatre-vingt-dix
tonnes. Chaque vaisseau contenoit l'un
portant l'autre six mille poissons \ de
sorte que toute la pêche montoit à
vingt-quatre millions et soixante-six
mille poissons , ou cent quatre-vingt-
douze mille cinq cent vingt-huit quin-
taux. Or en comptant que le quintal se
vend en France au prix moyen de
16 liv. 9 sous et 9 deniers , le tout
monte à 3,i74,3o5 liv. 8 sous. Si ces
poissons fournissent outre cela dix-
neuf cent vingt-cinq tonneauxd'huile,
le tonneau compté à 120 liv. , cela
monte à 23 1,000 liv. Et comme outre
cela , les Français pèchent sur les côtes
d'Islande et dans la Manche , on peut
juger le profit que ce poisson procure
à ce royaume. Cependant cette grande
quantité ne suffit pas pour les Français
dans le carême ;car les Hollandais leur
en vendent encore considérablement.
Selon Anderson , c'est en i53o que
ig8 HISTOIRE NATURELLE
les Français envoyèrent le premier
vaisseau à la pêche de Terre-Neuve ;
et en 1578 , ils y en envoyèrent déjà
un très- grand nombre. Il s'en trouva
cent de l'Espagne qui portoient en-
semble cinq à six mille tonnes \ du Por-
tugal cinquante à trois mille tonnes ;
de la France cent cinquante à sept
mille tonnes , et de l'Angleterre trente
à cinquante tonnes. Mais lorsque les
Anglais se furent de plus en plus éten-
dus dans les provinces septentrionales
du Nouveau-Monde , ils détournèrent
insensiblement les autres nations de
cette pêche , et ils firent tant que les
Espagnols même , qui ne sauroient se
passer de ce poisson , à cause de la
grande quantité de monastères qui
sont dans le royaume , se virent obligés
de renoncer eux-mêmes au droit de
la pêche. Ils ne la permirent qu'aux
Français seuls; mais comme ils avoient
peu de place pour faire sécher leurs
poissons sur terre, ils se virent obligés,
DE LA MORUE. 199
pour les garantir de la corruption , d'y
mettre une fois autant de sel que les
Anglais ] ce qui les a rendus moins bons.
Les Anglais , au contraire , font trem-
per pendant quelque temps leurs pois-
sons dans une forte saumure , et les
mettent ensuite à terre pour les faire
sécher à l'air ; de sorte qu'avec moitié
moins de sel , ils se gardent bien
mieux que ceux des Français.
On s'étonne avec raison de la pro-
digieuse quantité de morues , qui , de-
puis plusieurs siècles , ont été prises
par les hommes. Celle qui est dévorée
par les poissons voraces et par les mo-
rues elles-mêmes , est assurément aussi
grande , et peut-être plus grande en-
core. Selon Horebow , les Islandais
trouvèrent dans l'estomac d'une ba-
leine six cents morues vivantes, sans
compter les autres animaux. Mais si
nous considérons la quantité d'oeufs
que le créateur a donnée à cette es-
pèce ? nous ne devons pas craindre de
200 HISTOIRE NATURELLE
la voir détruire, tant qu'on se bornera
à la pêche à l'hameçon. Levenhoek fait
monter à neuf millions trois cent qua-
rante-quatre mille le nombre des œufs
d'une morue moyenne : Brandley n'en
compte que quatre millions; mais cette
quantité est bien suffisante pour répa-
rer ce que la pêche enlève , si l'on con-
sidère la grande quantité de poissons
qui frayent tous les ans.
La morue n'a pas la vie dure ; elle
meurt dès qu'elle sort de l'eau salée,
ou qu'on la fait passer dans une eau
douce. Comme elle est d'un bien meil-
leur goût quand on la mange fraîche ,
les pêcheurs hollandais tâchent , par
le moyen de vaisseaux troués , de la
mener en vie dans les grandes villes
maritimes. Les matelots anglais savent
percer avec une épingle la vésicule
aérienne ; ce qui oblige le poisson à
se tenir dans le fond du vaisseau
troué, et lui conserve la vie plus long-
temps.
DE LA MORUE. 20 L
Ce poisson est connu sous différens
noms. On le nomme :
Kabeljau , en Allemagne et en Dane-
marck -y
Stockfisch , quand il est séché ;
Laberdan , quand il est salé ;
Klippfisch , quand il est salé et séché.
Klabbe-TorsketBolch , Cabliau, Skrey,
Sild-Torsk , Vaar-Torsk , en Nor-
wège.
Torskur et Kahlau , en Islande.
Saraudlirksoak et Ekalluarksoak } en
Groenland.
Vaar-Torsk , Skrey , en Lapouie.
Kabbelja , en Suède.
Cabiljau , en Hollande.
Cabillaud , Bacaillou , en Flandre.
Codfish , Keeling , Melwel , Stokfish ,
Haberdine , Greenfish et Barrel-Cod ,
en Angleterre.
Morue ou Molue , en France.
L'estomac de la morue est grand , et
il y a au commencement du canal in-
testinal six appendices qui se divisent
202 HISTOIRE NATURELLE
en plusieurs branches. Le foie est d'un
rouge pâle , et consiste en trois lobes.
La rate est d'une couleur noirâtre , et
est alongée. Les rognons sont à l'épine
du dos , le long de la cavité du ventre ,
et finissent en une vessie longue. La
laite et l'ovaire sont doubles. Baster a
trouvé parmi ces poissons des herma-
phrodites. Je conserve dans mon cabi-
net une carpe et une petite perche ,
qui ont la laite d'un côté et l'ovaire
de l'autre.
LE MERLAN, gadus merlangus.
La couleur argentine qui brille sur
tout le corps de ce poisson, excepté sur
le dos , l'avancement de la mâchoire
supérieure et le manque de barbillons
à la mâchoire inférieure, sont des ca-
ractères sufïisans pour distinguer ce
poisson des autres du même genre. On
trouve sept rayons à la membrane des
ouies, vingt à la nageoire de la poitrine.
J'o/n . 1 .
JJ<{</e 102 .
1 /LK. MURI AN . 2 . LE COLTN - 3 JLEIJEU
\aj. >...
DU MERLAN. 2o3
six à celle du ventre , trente à la pre-
mière nageoire de l'anus , vingt à la
seconde , trente-uu à celle de la queue,
seize à la première du dos , dix-huit à
la seconde et dix-neuf à la troisième.
Le merlan a le corps alongé , et cou-
vert de petites écailles rondes, minces
et argentines. La tête finit en pointe ,
et les yeux dans le voisinage desquels
se trouvent les narines , sont ronds et
ont une grosse prunelle noire , entou-
rée d'un iris argentin. La mâchoire su-
périeure est garnie de plusieurs ran-
gées de dents , dont les antérieures sont
les plus longues , et l'inférieure n'a
qu'une rangée de dents. Dans le palais ,
en devant, on trouve de chaque côté
un os triangulaire , dans la gorge , deux
os ronds en bas, et en haut , deux os
longs et raboteux. "A la mâchoire infé-
rieure , on apperçoit , de chaque côté ,
neuf à dix points enfoncés. Le dos qui
est olivâtre, a une forme ronde comme
le ventre. Les côtés sont un peu com-
204 HTSTOÏRE NATURELLE
primés , et l'anus est plus près de la tête
que de la queue. La ligne latérale a une
direction droite, et l'on remarque une
tache noire au commencement des na-
geoires pectorales. Toutes les nageoires
sont blanches , excepté celles de la poi-
trine et de la queue qui ont une cou-
leur noirâtre.
Ce poisson habite la mer Baltique et
celle du Nord ; cependant on ne le
trouve qu'en petite quantité dans la
première : mais il paroît en abondance
sur les côtes de Hollande , de France
et d'Angleterre. 11 est ordinairement
long d'un pied : on n'en trouve que fort
peu qui ait un pied et demi, et très-
rarement de deux. Cependant, sur le
banc de Dogger , on en prend qui pè-
sent depuis quatre jusqu'à huit livres.
Ce poisson se tient dans le fond de la
mer, et vit de petites écre visses, de
vers et de jeu nés poissons. On trouve
sur-tout dans son estomac des sprats
et de jeunes harengs. Les pêcheurs se
DU MERLAN. 205
servent aussi de ces poissons en guise
d'appât; et au défaut de petits pois-
sons , ils prennent des morceaux de
hareng frais ou dessalé ; et un seul
suffit pour garnir huit à dix hameçons.
Comme ce poisson se tient sur -tout
dans le fond, la ligne de fond est le
principal instrument dont on se serve
pour le pêcher ; elle a ordinairement
soixante-quatre brasses de long, et est
garnie de cent à deux cents hameçons.
Un vaisseau qui va à la pêche, jette
vingt lignes de cette espèce, garnies
de quatre mille hameçons , et on les
laisse au fond pendant l'espace de deux
à trois heures. La plus grande pêche
se fait sur les côtes de France, depuis
décembre jusqu'en février ; mais sur
celles de Hollande et d'Angleterre ,
elle se fait dans l'été. Ce poisson paroît
en si grande quantité sur les côtes bri-
tanniques , qu'on le voit en troupes
longues de trois milles d'Angleterre ,
et larges d'un et demi. Comme on lo
Poissons. I. 18
20 a HISTOIRE NATURELLE
prend sur ces côtes en trop grande
quantité pour pouvoir le consommer
dans le pays , on le sale ; mais comme
alors il perd beaucoup de la délicatesse
de son goût , on le garde pour le man-
ger dans les vaisseaux , et alors on le
nomme buckthorn. Outre cela, on peut
l'avoir toute l'année ; et comme il
poursuit ordinairement le hareng , il
se trouve souvent dans les filets avec
ce dernier. C'est dans le temps de
cette pêche qu'il est le meilleur , parce
qu'il s'engraisse de jeunes harengs.
En, octobre , les oeufs et les laites
commencent à grossir , et le merlan
fraie depuis la fin de décembre jus-
qu'au commencement de février. Vers
ce temps , sa chair , qui est ordinaire-
ment tendre, blanche et de bon goût,
devient molle , fade et maigre. La chair
de ce poisson , que l'on préfère à celle
de tous les autres de ce genre que l'on
trouve dans la mer du Nord , offre une
nourriture fort saine aux personnes
DU M E R L A N. 207
foibles et maladives. Les ennemis du
merlan sont tous les animaux voraces
qui habitent les eaux et qui peuvent
le prendre : cependant il multiplie
beaucoup.
Le foie est blanchâtre , gros dans les
poissons gras, petit dans les maigres.
Il consiste en trois lobes, dont l'un est
petit , et l'autre aussi long que la ca-
vité du ventre. Le canal intestinal a
quatre sinuosités, et plusieurs appen-
dices au commencement. La rate est
triangulaire , et est placée au-dessous
de l'estomac. La laite et l'ovaire sont
doubles. On trouve cinquante- quatre
vertèbres à l'épine du dos.
Ce poisson est connu sous différens
noms. On le nomme :
JVittling , en Allemagne.
Gadden , à Heiligeland.
Huidling , en Danemarck.
Blege , Vitling) Bleiker, Huitllng, en
Norwège.
Whitinj* , en Hollande ;
208 HISTOIRE NATURELLE
Molenaar , quand il est encore j eune.
Whiting) en Angleterre ;
Buckthorn , quand il est séché.
Merlan, en France.
LE COLIN, G AI) US CARBON ARIUS.
La bouche noire, la ligne latérale
droite , étroite et blanche , sont les ca-
ractères distinctifs de cette espèce. On
trouve sept rayons à la membrane des
ouies , vingt-un à la nageoire de la poi-
trine , six à celle du ventre , vingt-cinq
à la première de l'anus, vingt à la se-
conde, vingt- six à la queue, quatorze
à la première nageoire du dos , dix-
neuf à la seconde , et vingt à la troi-
sième.
La tête est étroite. Aux opercules
des ouies et au ventre, la couleur ar-
gentine ressort de dessous le fond noir,
et le ventre est comme entouré d'un
filet de points noirs. Les autres parties
du corps et de la tête sont d'un noir
DU COLIN. 209
luisant \ couleur d'où il tire son nom
allemand kœliler ( charbonnier ). Ce-
pendant on ne peut le dire que des
vieux; car les jeunes sont olivâtres ou
brunâtres : couleur qui tire sur le noir
avec l'âge, et qui enfin devient de plus
en plus foncée , à mesure que le pois-
son vieillit. Le manque de couleur noire
clans les jeunes, estapparemment cause
des différens noms qu'on leur donne en
Angleterre suivant leur âge. On ap-
pelle les petits paars , et ceux d'un an
billets. L'ouverture de la bouche est
petite , et les deux mâchoires qui sont
garnies de dents , finissent en une
pointe. L'inférieure est la plus longue.
La langue brille d'une couleur argen-
tine ; l'iris est blanc, et on trouve une
tache noire sur chaque côté. Le tronc
est couvert d'écaillés minces , rondes
et en losange. Sous les nageoires de la
poitrine , on trouve une tache noire
comme du charbon, et l'anus est plus
près de la tête que de la queue.
210 HISTOIRE NATURELLE
Ce poisson habite la Baltique et la
mer du Nord ; mais aussi on le trouve-
en très -grande quantité vers la partie
septentrionale de l'Angleterre et les
îles Orcades, où il reste dans les fonds
et sur les côtes de rochers. Ce poisson
parvient à la grandeur de deux pieds
et demi, à la largeur de quatre à cinq
pouces, et pèse jusqu'à trente livres et
plus. Son frai tombe en janvier et en
février-, car j'ai reçu celui que je décris
ici à la fin du mois de janvier. Ses œufs,
de la grosseur des grains de millet , te-
noient si peu, qu'en remuant tant soit
peu le ventre , ils sortoient par le nom-
bril. Les petits colins paroissent en
grandes troupes sur les côtes d'Angle-
terre , au commencement de juillet ;
et alors ils sont longs d'un pouce et
demi. En août , ils ont trois pouces et
plus. Alors on les prend à la ligne , et
aussi avec un filet fin, lorsqu'ils vieii1-
nent sur la surface de Peau. A cet âge ,
ils passent pour un mets délicat; mais
DU COLIN. 211
(jiiaiidils ont un an et plus, leur chair
est dure et coriace , et il n'y a que les
gens du commun qui les mangent. On
les prépare de la même manière que la
morue ; mais comme ils n'ont pas un si
bon goût, on les donne à meilleur mar-
ché. Les Islandais ont des merlans en
si grande quantité , qu'ils méprisent
celui-ci. En Norwège , il n'y a que les
pauvres qui le mangent ; mais on fait
de l'huile avec son foie.
On pêche ce poisson en grande quan-
tité pendant toute Tannée, mais sur-
tout en été dans le temps qu'il poursuit
le sprat ; et ce poisson est le meilleur
appât pour l'attirer. Outre cela , on se
sert aussi de la peau d'anguille , que
l'on coupe en travers de la largeur de
quatre doigts. On en prend aussi en
grande quantité vers le cap Nord, où
étant poursuivi par la baleine , il vient
se rendre tout près des terres.
On sale et on sèche ce poisson comme
la morue. Les parties intérieures sont
212 HISTOIRE NATURELLE
de la même nature que celles des pré-
cédera.
Le colin est connu sous différens
noms. On le nomme :
Kohler et Kohlmund, en Allemagne.
Kollemisse,Kollemoder, en Danemarek.
Kulmund , Guld-Lax , Kule-Mule , en
Norwège.
Sey, Graasey , Stifisk, en Islande.
Coal-FishjRaw-Polack , en Angleterre ,
Paars, quand il est petit ;
Billet , quand il a un an.
Colin et Morue noire , en France.
LE CAPELAN ou L'OFFICIER ,
G A VU S MIN U TU S.
Ce poisson, qu'i ne devient pas plus
long que six à sept pouces , diffère des
autres poissons de ce ^enre, en ce que
son ventre est noir en dedans. On
trouve sept rayons à la ûiembfané des
ouies , quatorze à celles de- la poitrine,
six à celles du ventre y ving.t-cinq à la
DU C A F E L A N. 2 1 5
première de l'anus, dix-sept à la se-
conde , dix-huit à la queue , douze à la
première nageoire du dos, dix-neuf à
la seconde , et vingt à la troisième.
Le corps du capelaii est alongé ; sa
tête est cunéiforme. La mâchoire su-
périeure est plus longue que l'infé-
rieure, et a un plus grand nombre de
rangées de dents pointues On voit à la
mâchoire inférieure , un barbillon et
divers points enfoncés. Les yeux ronds
ont une prunelle noire placée dans un
iris argentin, et sont recouverts d'une
membrane clignotante. Les joues , les
côtés et le ventre sont argentins, et
garnis de points noirs. Le dos est d un
jaune brun; la ligne latérale est étroite
et droite , et l'anus est au milieu du
corps. Les écailles sont minces, très-
petites, et se détachent facilement.
J'en ai fait représenter quelques-unes
dans leur grandeur naturelle, et une
plus grande que nature. Tontes les
nageoires sont d'un gris blanc , et
4i2 HISTOIRE NATURELLE
celle de la queue est un peu fourchue.
Nous trouvons ce poisson dans la mer
Baltique et la mer du Nord ; mais sur-
tout dans la mer Méditerranée. Quand
il paroît dans la première, il excite la
joie des pêcheurs, parce qu'il leur an-
nonce une pêche abondaute de mo-
rues , de dorses et d'aigrefins; de sorte
qu'ils l'appellent poisson- conducteur.
Car , comme il est petit et qu'il va en
troupes , ces animaux voraces le sui-
vent de près, et deviennent eux-
mêmes la proie des hommes qui les
épient. L'officier vit dans les fonds de
petits poissons, de coquillages, d'escar-
gots , d'écrevisses et de vers de mer.
Pour frayer, il vient dans les endroits
unis , et dépose ses œufs entre les cail-
loux et les plantes marines. Comme ce
poisson est petit , il a plusieurs enne-
mis dangereux : voilà pourquoi on ne
remarque pas qu'il multiplie beaucoup
dans nos contrées.
La chair de ce poisson est blanche
DU C A P E L A N. 2 1 5
et de bon goût. Celui que je repré-
sente ici m'a été donné par mon ami
M. le docteur Walbaum , de Lubec :
on le prend comme les autres pois-
sons du même genre, avec la ligne de
fond et les filets.
Le péritoine de l'officier est noir ,
et l'extrémité inférieure de l'estomac
est pourvue de plusieurs appendices :
les autres intestins sont comme ceux
des précédens.
Ce poisson est connu sous différens
noms. On le nomme :
Zwergdorsch , Krumstert , en Alle-
magne.
Leitfisch , à Sclileswig.
Jœgerchen, à Dantzig.
Ulfs-Skreppe , enNonvège.
Poor , en Angleterre.
Officier } en France.
Capelan , à Marseille.
Munkana ;à Malle.
2l6 HISTOIRE NATURELLE
LE T AU , G A D U S TAU.
Les petits barbillons qui sont en
quantité à la mâchoire inférieure ,
font le caractère distinctif de ce pois-
son. On trouve six rayons à la mem-
brane des ouies , vingt à la nageoire do
la poitrine , six à celle du ventre 7
quinze à celle de l'anus , douze à la
queue , trois à la première nageoire du
dos, et vingt à la seconde.
La tête de ce poisson est grosse ,
large , et applatie du haut en bas ; la
mâchoire inférieure avance sous la su-
périeure , et les barbillons dont elle
est garnie , forment un demi-cercle ;
les deux mâchoires sont armées de
dents pointues de différente longueur.
A la mâchoire inférieure , elles for-
ment deux rangées , et un plus grand
nombre à la supérieure. Au palais, on
remarque aussi deux rangées de dents
de chaque côté j la langue est courte ,
DU TA U. 217
finit en pointe , et consiste en un car-
tilage dur -, les yeux sont grands ,
avancent hors du sommet de la tête ,
et sont recouverts jusqu'à moitié d'une
membrane clignotante : la prunelle est
noire, et l'iris doré. Entre les yeux,
on remaque à la nuque un enfonce-
ment et une ligne jaune en travers.
Des deux côtés des yeux , on trouve
deux raies de petites verrues, qui ont
leur direction vers le menton : l'oper-
cule des ouies consiste en deux petites
lames , qui se terminent par trois
pointes. La membrane des ouies est
dégagée ; elle est grande et soutenue
par six rayons ; la tête est brune ; la
tronc et les nageoires sont de la même
couleur, avec des taches blanches, et
le ventre est d'un blanc sale ; l'anus est
un peu plus près de l'ouverture de la
bouche que du bout de la nageoire de
laqueue-, le tronc couvert d'un limon,
est uni , et les écailles sont molles ,
minces et si petites , qu'on ne sauroit
Poissons. I. 19
2i8 HISTOIRE NATURELLE
les distinguer à la simple vue. Elles
sont rondes , brunes et bordées de
blanc. Les nageoires de la poitrine
sont terminées en pointe, de même
que- celles du ventre-, les dernières
sont placées en bas de la gorge , et le
premier rayon est fort , roide , et en
même temps le plus long ; la première
nageoire du dos est courte, et consiste
en trois rayons piquans; la seconde na-
geoire du dos , de même que celle de
l'anus , a des rayons simples, qui avan-
cent beaucoup; mais la nageoire de la
queue, qui est ronde, aussi bien que celle
de la poitrine , a des rayons fourchus.
Ce poisson est naturel dans la Caro-
line ; et selon le docteur Gard en , on
l'y nomme toald-jîsh. Comme ce sa-
vant n'a pas déterminé la grosseur de
Ce poisson . je ne saurois la détermi-
ner non plus. Celui que je possède n'est
pas plus grand que le dessin que j'en
ai donné dans l'édition in-fol. où je l'ai
représenté vude côté et d'en haut. San*
DU LIEU. 2lt)
contredit, ce poisson est du nombre des
issons voraccs ; car il a la bouche
po
grande et bien armée.
C'est à Gai den que nous devons la
connoissance de ce poisson ; mais il
nous manque le dessin.
LE LIEU, GADUS POLLACHIUS>
L'avancement de la mâchoire
inférieure , les trois nageoires dorsales ,
et la courbure de la ligne latérale , dis-
tinguent le lieu des autres poissons du.
même genre. On trouve sept rayons à
la membrane des ouies , dix-neuf à la
nageoire de la poitrine , six à celle du
ventre , dix-huit à la première de l'a-
nus , dix-neuf à la seconde , quarante-
deux à la queue , treize à la première
nageoire du dos, dix-huit à la seconde ,
et dix-neuf à la troisième.
La queue de ce poisson finit en
pointe, et est d'un noir-brun , de même
que le dos ) la mâchoire inférieure est
220 HISTOIRE NATURELLE
la plus longue , et les deux mâchoires
sont armées comme dans le poisson
précédent ; la langue est courte , poin-
tue , et rude vers la partie postérieure.
Les yeux sont grands; ils ont la pru-
nelle noire , entourée d'un iris jaune ,
parsemé de points noirs. Le corps est
couvert de petites écailles minces,
oblongues et bordées de jaune : la cou-
leur obscure du dos se perd peu à peu
dans la couleur blanche des côtés , qui
sont parsemés de points bruns, aussi
bien que le ventre, dont le fond est ar-
gentin. Les nageoires de la poitrine sont
jaunâtres et petites ; celles du ventre
sont orangées , et celles de l'anus sont
olivâtres, parsemées de points noirs.
On trouve également ce poisson
dans la Baltique et dans l'Océan sep-
tentrional. Il s'y tient dans les fonds
formés par des rochers, et dans les en-
droits où la mer est le plus agitée : on
en trouve quelquefois dans la Baltique
près de Lubec, et dans la mer du Nord
BU LIEU. 221
près de Heiligeland , mais seulement
dispersés et un à un. En Norwège , au
contraire, et en Angleterre , ils sont
très-communs , et ils y arrivent en
été par grandes troupes. J'ai aussi reçu
trois de ces poissons de mon ami M. le
docteur Walbaum , de Lubec. Ces
poissons restent vers la surface de
l'eau , et sautent quelquefois au-des-
sus , en prenant diverses formes , et at-
trapant tout ce qui nage sur les va-
gues. Dans ce temps-là , on les épie
avec des hameçons , auxquels on at-
tache des plumes d'oie. Le lieu par-
vient ordinairement à la longueur
d'un pied et demi, et pèse alors deux
à trois livres. Biais on en trouve aussi
qui sont longs de trois à quatre pieds ,
et larges de huit à dix pouces. Sa chair
est blanche , ferme , meilleure que
celle du colin , et inférieure à celle du
dorseetdu merlan. Il vit de petits pois-
sons, et sur-tout de lançons , que l'on
trouve ordinairement dans son esto-
222 HISTOIRE NATURELLE
mac : on prend ce poisson à la ligne,
et en Norwège avec des filets.
Le foie est d'un rouge pâle , et com-
posé de trois lobes, dont l'un est petit ;
la rate est alongée et d'un bleu foncé ;
les autres intestins sont comme dans
les précédens.
Le lieu est connu sous différens
noms. On le nomme :
Follack et Weisser ou Gelber Kohlmaul ,
en Allemagne.
Lyrblecr< , Zaï , Lerbleking , en Suède.
Lyr, Lysse , en Norwège.
Follack , en Angleterre.
Lieu , en France.
LE LINGUE, g ad us molva.
L'avancement de la mâchoire supé-
rieure , et les deux nageoires du dos ,
sont les signes caractéristiques du lin-
gue. On trouve sept rayons à la mem-
brane des ouies, dix- neuf à la nageoire
de la poitrine , six à celle du ventre ,
DU LINGUE. '223
cinquante - neuf à celle de l'anus ,
trente huit à la queue. quinze à la pre-
mière nageoire du dos , et soixante-
trois à la seconde.
Le lingue est le pins étroit et le plus
long de tous les poissons de ce genre :
forme qui lui a fait sans doute donner
le nom qu'il porte. La tête est grosse ,
appïatie de haut en bas ; elle est ter-
minée en pointe emoussée , et est brune
comme le dos. Les yeux sont oblongs ;
la prunelle est noire , et l'iris blanc ,
dans lequel on voit une tache d'un
jaune verd. L'ouverture de la bouche
est large ; la langue blanche, mince et
terminée en pointe. Le tronc est étroit,
long et rond , jaunâtre sur les côtés ,
et d'un blanc sale sur le ventre. La
ligne latérale a une direction droite.
L'anus est un peu plus près de la tête
que de la queue. Les écailJes sont
oblongues et fortement attachées à la
peau. Les nageoires de la poitrine et
celles du dos sont d'an gris foncé. Les
224 HISTOIRE NATURELLE
dernières ont vers l'extrémité une
tache noire , qu'on apperçoit aussi à la
nageoire de l'anus, qui est grise. Toutes
les trois sont bordées de blanc , aussi
bien que la nageoire de la queue , qui
est noire.
Le lingue habite l'Océan septentrio-
nal, et sur-tout la mer du Nord. Celui
dont je donne ici un dessin , m'est venu
de Hambourg , où les pêcheurs l'ap-
portent de Heiligeîand : lieu où on le
pêche assez souvent à l'embouchure de
l'Elbe. Il avoit quatre pieds de long ,
sept pouces et demi de large, cinq et
demi d'épaisseur , et pesoit dix-huit
livres. Mais on en trouve aussi qui ont
six à sept pieds de long. 11 se tient dans
les fonds , vit d'écrevisses , de crabes
et de poissons : car j'ai trouvé dans
son estomac non-seulement des gour-
neaux , mais aussi des plies à moitié
digérées.
Ce poisson fraie en juin, et dépose
ses œufs dans les fonds fangeux au mi-
DU LINGUE. 225
lieu des herbages. Sa chair est de très-
ton goût, sur-tout depuis février jus-
qu'en mai ; et alors on le préfère à la
morue. Dans ce temps , son foie est
blanc et si imbibé d'une huile de bon
goût , qu'on en tire en grande quan-
tité à un feu léger. Mais ensuite cette
couleur blanche se change en rouge j
le foie devient plus petit et rend peu
d'huile. Différence que l'on trouve aussi
dans les autres espèces de poissons ,
mais d'une manière moins sensible que
dans celui-ci.
Après le hareng et la morue , ce pois-
son est , à cause de sa grande multipli-
cation , le plus important pour le corn-
merce de plusieurs nations. En Angle-
terre , on le sale en grande quantité , et
on le consomme dans le pays : on l'ex-
porte aussi dans les pays étrangers.
Celui qui a vingt-six pouces de lon-
gueur est vendable ; celui qui est au-
dessous , est mis au rebut ; et n'est que
d'un bas prix.
225 HISTOIRE NATURELLE
On en exporte tous les ans de la
Norwège environ 900,000 livres par an.
En Angleterre , on le prépare comme
la morue : il est plus propre que cette
dernière à se conserver pour les voyages
de long cours. On fait aussi de l'huile
avec son foie ; et avec sa vésicule
aérienne , une colle qui approche de la
colle de Russie.
En Norwège, le temps de la pêche
est le printemps ; et les endroits les
plus favorables pour cela sont les bancs
de sable près de Storregen. De petites
bulles qui s'élèvent sur la surface de
l'eau , annoncent l'endroit où ils se
tiennent au fond. Outre cela , on en
prend encore près de Spitzberg et
Terre-Neuve; mais ils ne sont pas aussi
bons. Il y en a aussi dans le Groenland
et la Laponie. Ceux d'Islande sont si
mauvais, que les habitans du pays sont
obligé,} de les manger eux-mêmes,
faute de pouvoir les vendre aux étran-
gers. Les meilleurs se pèchent en grande
DU LTNGUE. 227
quantité au mois d'août près de Hitt-
land, et on les y sèche comme la morue.
Pour prendre ce poisson ,011 se sert de
lignes de fond delà longueur de soixante
brasses , qu'on appâte avec des harengs
ou d'au Ires poissons.
On mange le linoue frais , séché et
préparé d'autant de manières diverses
que la morue.
Le gosier de ce poisson est large, et
garni de longs plis qui ont leur direc-
tion en longueur. L'estomac est mince
et en forme de sac. A sa partie supé-
rieure est la naissance du canal intesti-
nal y qui se recourbe quatre fois. Au
commencement de ce canal on trouve
trente-quatre appendices fort longues.
La peaude la vésicule aérienne est aussi
épaisse que du maroquin. Le foie est
rond , le fiel d'un verd foncé , la rate
oblongue et brune. J'ai compté vingt
côtes de chaque côté.
Ce poisson est connu sous diîTérens
noms. On le nomme :
228 HISTOIRE NATURELLE
Lœnge et Leng , en Allemagne , Da-
nemarck, Norwège et Islande*
Lœnga , en Suède.
Juirksoah , en Groenland.
Ling, en Angleterre.
Lingue , en France.
LA LOTE, g ad us LOT. 4.
L'égalité des mâchoires et les deux
nageoires au dos , distinguent suffisam-
ment la lote des autres poissons de ce
genre. On trouve sept rayons à la m cm -
brane des ouies , vingt à la nageoire delà
poitrine , six à celle du ventre, soixante-
sept à celle de l'anus , trente-six à la
queue , quatorze à la première nageoire
du dos , et soixante-huit à la seconde.
La tête est grosse , large et applatio
par le bas. L'ouverture de la bouche
est grande ; les deux mâchoires sont
garnies de sept rangées de petites dents
pointues, et l'inférieure a un barbillon.
Cependant quelquefois auprès du grand
on en remarque un plus petit. La langue
'J'o/n .7.
/'<Ç</1' 21 3-
a.LAMlIRirCHE.i.I.\L0T1v3.LAMl)STEU^:.
DE LA LOTE. 229
est large , et l'on trouve clans le palais
divers os raboteux. Les narines sont
doubles , et les antérieures sont cou-
vertes d'une membrane. Les yeux sont
petits , et ont une prunelle bleuâtre ,
entourée d'un iris jaune. La membrane
des onies est placée en travers et est
large. Le tronc est comprimé des deux
côtés , marbré noir et jaune , quelque-
fois aussi brun , avec des taches d'un
jaune pâle , selon la qualité des eaux
où il a séjourné. Il est couvert d'une
matière gluante , de petites écailles
molles et minces. Comme plusieurs au-
teurs ont négligé d'observer ces écail-
les ( r) , j'en ai fait représenter une ici
de grandeur plus que naturelle. Comme
la tête a beaucoup de rapport avec celle
de la grenouille et le tronc avec celui
de l'anguille , les Hollandais lui ont
donné le nom de putael ; et cela avec
autant de raison que les Anglais celui
(1) Edit. in- fol-,
Poissons. I. 2«
23o HISTOIRE NATURELLE
à'eelpout. La ligne latérale est droite *,
le ventre blanc et la nageoire de la
queue ronde. L'anus est plus près delà
tête que de la queue. Les nageoires de
l'anus et du dos sont étroites et mar-
brées comme le reste du corps.
Parmi ce genre nombreux , la lote
est le seul poisson qui vive en eau
douce , et également dans les rivières
et les lacs. Elle est naturelle non-seule-
ment à l'Allemagne et autres pays de
l'Europe, mais encore aux Indes orien-
tales. Ce poisson aime particulièrement
une eau claire , et se caclie au fond dans
les creux formés par les pierres , d'où
il épie les poissons qui passent avec ra-
pidité : d'ailleurs, il vit aussi de vers
et d'insectes aquatiques. Au défaut
d'autre nourriture, les lotes se dévorent
mutuellement , et s'attaquent même à
l'épinoclie , où elles perdent souvent la
vie : car l'épinoclie en se débattant ,
enfonce son aiguillon dans le gosier de
la lote. J'en ai vu une dont un aiguillon
DE LA LOT E. 2^1
de cette espèce passoit au-dessus de la
tête. Ses ennemis sont le brochet et le
silure , et elle en devient souvent la
proie. Quand elle est bien nourrie, elle
croit promptement , et parvient à la
longueur de deux à trois pieds , et pèse
jusqu'à dix à douze livres. Comme elle
a la vie dure , on peut la conserver pen-
dant quelque temps en vie , en lui don-
nant des coeurs de bœuf, ou de petits
poissons.
Le temps du frai de ce poisson tombe
vers la fin du mois de décembre et de
janvier. Alors il sort des creux de la
mer, -et vient dans les fleuves chercher
les endroits unis , pour y déposer son
frai. Il multiplie beaucoup. Sa chair est
blanche, garnie d'arèles et d'un bon
goût. Comme elle n'est pas grasse , elle
n'estpas contraire aux estomacs foibles.
On regarde sur-tout le foie comme un
morceau fort délicat. Une comtesse de
Beuchlingen,enThuringe,aimoittant
232 HISTOIRE NATURELLE
ce mets , qu'elle y employoit une grande
partie de ses revenus.
Le foie suspendu dans un verre , et
placé auprès d'un poêle chaud ou à l'ar-
deur du soleil , donne une huile qu'Ai-
drovande regarde comme unremède ef-
ficace contre les durillons. C'est ce qui
a été aussi confirmé par Haen et par
plusieurs autres.
On prend ce poisson au filet , à la
ligne flottante et à la ligne de fond.
Autrefois cette pêche étoit si abon-
dante aux environs de l'Oder, que les
pêcheurs ne pouvant se défaire de tout
le poisson qu'ils prenoient , coupoient
les plus gras en morceaux étroits , les
faisoient sécher , et s'en servoient au
lieu d'alumettes.
L'oesophage et le gosier sont larges,
et ont de grands plis comme dans le
brochet. Le canal intestinal a deux si-
nuosités , et on y trouve trente appen-
dices de différente longueur , dans les-
quelles Richter a trouvé des vers soli-
DE LA L O T E. 233
taires. Le foie est grand et d'un rouge
pâle. La laite et l'ovaire sont doubles.
Le dernier contenoit cent vingt-huit
mille petits œufs d'un blanc jaunâtre.
Le foie passe pour un manger très-
délicat , et les œufs pour venimeux. On
trouve cinquante-huit vertèbres à l'é-
pine du dos, et dix-huit côtes de chaque
côté.
Ce poisson est connu sous différens
noms. On le nomme :
Quappe , en Poméranie , en Prusse et
dans la Marche-Electorale.
Àalquappe , Aalraupe , en Livonie , en
Silésie et en Saxe.
Rutte et Aalrutte , en Autriche.
Trusche , dans l'Empire.
Ruffolck , dans les contrées du Haut-
Rhin.
Ruzych j Rutten et Menyhal , en Hon-
grie.
Mininck , en Bohême.
Nient , en Pologne.
Vegorella , en Esclavônie.
234 HISTOIRE NATURELLE
Nalim , en Russie.
Lote , hoche , en France.
Strinzo et Bottatrise , en Italie.
Botta , à Milan.
jfutael , en Hollande.
Burbot , Eelput, en Angleterre.
Dsjoo , au Japon.
LA MERLUCHE,
GADUS MERLU CCIUS.
Les deux nageoires du dos, et la
mâchoire inférieure qui n'a point de
barbillon, sont des signes suffisans pour
distinguer la merluche des autres
poissons du même genre. On compte
sept rayons à la membrane des ouies,
douze à la nageoire pectorale , sept à
celle du ventre , trente-sept à celle de
l'anus, vingt à celle de la queue , dix
à la première du dos , et trente-neuf
à îa seconde.
Ce poisson est aîongé ; sa tête est
longue, large par en haut, et compri-
DF, LA MERLUCHE. 235
mée des deux côtés. L'ouverture de la
bouche est large ; les deux mâchoires
sont armées de deux rangées de dents
pointues. Comme les plus petites sont
placées entre les grandes, et que les
supérieures sont recourbées en arrière,
les poissons qu'il a une fois saisis, ne
peuvent plus lui échapper. Le palais
est aussi garni d'une rangée de dents
de chaque côté; la mâchoire inférieure
est plus longue que la supérieure. Non
loin des yeux, on remarque quatre pe-
tites ouvertures : les yeux ont une
prunelle noire placée dansun iris doré;
mais il faut que la couleur de cette
partie même soit aussi surjette à varier;
car Duhamel dit qu'elle est jaune , et
M. Biiïnniche argentine. L'opercule
des ouies se termine en une pointe
émoussée ; l'ouverture des ouies est
large ; la membrane branchiale n'est
recouverte qu'à moitié et garnie de
gros rayons osseux. Au tronc , on ap-
perçoit de petites écailles : la ligne la-
236 HISTOIRE NATURELLE
térale est garnie, à l'extrémité de la
tête , de six à neuf petites verrues , et
s'étend près du dos , depuis la nuque
jusqu'au milieu de la nageoire de la
queue. Le dos est arrondi; la cavité
du ventre courte , et l'anus plus près
de la bouche que de la nageoire de la
queue : le dos est gris , et les côtés ,
ainsi que le ventre , sont d'un blane
sale. C'est cette couleur qui fit naître
aux Grecs l'idée de l'appeler âne{0'v oç)
Les nageoires de la poitrine et du
ventre sont terminées en pointe ; la se-
conde nageoire du dos et celle de l'anus
sont plus basses au milieu qu'aux deux
extrémités -, la nageoire de la queue
est grise et émoussée aux extrémités.
Tous les rayons sont mous et four-
chus , excepté ceux de la nageoire de
l'anus et de celles du dos.
Ce poisson habite aussi bien la Mé-
diterranée que la mer du Nord. Sa
pêche est considérable. Il a un pied,
un pied et demi , et jusqu'à deux pieds
DE LA MERLUCHE. 2^7
de long. Il est très-vorace , et poursuit
particulièrement le hareng et le ma-
quereau. Sa chair est blanche, feuille-
tée , mais un peu molle et de mauvais
goût , ce qui fait qu'en général on n'en
fait pas grand cas. Cependant les Es-
pagnols le trouvent trcs-bon quand il
est frais. Peut-être que chez eux, il
habite des endroits rocailleux : car en
France même on le trouve bon , lors-
qu'il a été péché dans de tels endroits.
Les Anglais , qui ont beaucoup d'au-
tres poissons meilleurs , n'en font au-
cun cas : ils le font saler et sécher, et
l'envoient dans d'autres pays , et sur-
tout en Espagne au port de Bilbao. En
général , on le pêche en trop grande
quantité pour pouvoir le manger frais:
voilà pourquoi on en sèche la plus
grande partie. Comme on le met sur
des bâtons pour le faire sécher , les Al-
lemands lui ont donné le nom de Stock'
fisch (poisson à bâton). Mais on vend
aussi sous ce nom un grand nombre
238 HISTOIRE NATURELLE
d'antres poissons secs. On le prend en
partie avec des filets, en partie avec
des lignes. A Brest, on préfère les der-
nières , on met pour appât des sardines y
des lançons , ou d'autres petits pois-
sons. On se sert pour cela de bateaux
de deux à cinq tonnes, montés par cinq
à sept hommes : la plus grande pêche
de ces poissons se fait dans les environs
de la Bretagne, où Ton emploie des
bateaux un peu pins grands, qui por-
tent neuf à dix matelots ; la pêche se
fait à une distance du bord de trois à
quatre milles. On la fait pendant la
nuit avec des lignes et avec des filets ,
dont les mailles ont un pouce à un
fonce et demi de large. Deux matelots
entretiennent le bateau dans un mou-
vement continuel , parce que sans
cela ils ne preudroient rien. Ce pois-
son se tient ordinairement dans le
fond ; ce qui fait qu'il faut disposer
les lignes et les filets , de manière
qu'ils aient trente brasses de profon-
DE LA MERLUCHE. 2?g
deur. Cette pêclie dure depuis le mois
de novembre jusqu'au mois de mai :
elle est sur-tout considérable sur les
côtes d'Angleterre et d'Irlande : lo
banc de Nyrnphen sur les côtes de
Watherford , en fournit deux fois par
an une quantité prodigieuse. Selon le
rapport de M. le comte de Querhoent ,
de Croisic en Bretagne , depuis le
combat naval de 1 769 , on en trouve
une quantité considérable dans les en-
virons de Belle-lsle. Peut être qu'ils y
ont été attirés par les corps morts: on
les y trouve pendant toute l'année ,
et ils y parviennent à la longueur de
six à sept pieds. Ce naturaliste m'a ap-
pris en même temps que pendant l'hi-*-
ver, vers les bords, il en meurt uno
quantité sous la glace.
La première troupe paroît en A n-
gleterre au mois de juin, pendant la
pêche des maquereaux , et la seconde
en septembre , pendant celle des ha-
rengs, £,a merluche poursuis ; , s^ns
1.
24o HISTOIRE NATURELLE
doute , ces poissons pour s'en rassasier.
Il n'est pas rare que six hommes en
prennent un millier dans une nuit ,
sans une quantité de poissons d'au-
tres espèces : les pêcheurs anglais se
servent pour cet effet seulement de
la ligne.
En Angleterre, ce poisson change
son cours ; il quitte les côtes dont nous
avons parlé , et se rend vers d'autres,
apparemment pour chercher sa proie :
cependant on l'y retrouve après quel-
ques années , même lorsqu'il a été tiré
de son asyle par une pêche opiniâtre.
On remarque la même chose dans les
autres pays à l'égard du hareng, de la
morue et du saumon. Cependant les
requins et d'autres poissons voraccs
peuvent contribuer pour beaucoup à
ce que les poissons se réfugient sur la
première côte qui se présente. Proba-
blement la merluche cherche le fond
auprès des côtes , pour se rassasier de
poissons, d'écrevisses et de polypes 5 et
DE LA MERLUCHE. 24 1
elle en sort quand elle n'en trouve
plus.
A Pensance, dans le duché de Cor-
nouailles, de même qu'entre Walils et
l'Irlande , on prend aussi ce poisson en
quantité.
Le foie, qui est gros et d'un jaune
pâle, passoit chez les anciens pour un
mets délicat, et on l'estimoit autant
que celui du surmulet. Le fiel est vert ;
l'estomac grand , large , et au lieu d'ap-
pendices , il est pourvu d'un large cae-
cum. Le canal intestinal n'a que deux
courbures : la vésicule aérienne n'est
point divisée; elle est forte , attachée
eux côtés et à l'épine du dos. Les reins
sont longs , gros, et vont se terminer
l'un et l'autre par les uretères dans la
vessie : la laite et l'ovaire sont doubles ;
le dernier contient une grande quan-
tité d'oeufs orangés de la grosseur des
grains de millet.
On nomme ce poisson :
Stockfisch et Meeresel , en Allemagne.
Poissons. I. 21
U&2 HISTOTRE NATURELLE
Lysing , Kulmund et Kol - Fish , en
Norwège.
Akullialitsock , dans le Groenland.
Hake f en Angleterre.
Merlu , Merluche , grand Merlu de Bre-
tagne, Merlan de la Méditerranée , eu
France.
Merlan , à Marseille.
Merluzo , en Italie.
Merlucius , à Gênes.
Nasello, en Sardaigne et à Rome.
Merluza 7 en Espagne.
LA MUSTELLE, gadus mustela»
On distingue ce poisson des autres
du même genre , par les trois barbil-
lons qu'il a à la bouclie. On compte
cinq rayons à la membrane des ouies ,
dix-huit à la nageoire de la poitrine ,
six à celle du ventre , quarante -six à
celle de l'anus , vingt à celle de la queue,
et cinquante - six à la seconde du dos.
I*es rayons de la première du dos sont
DE LA MUSTELLE. 245
beaucoup trop tendres , pour qu'on
puisse déterminer exactement leur
nombre : cependant j'en ai compté plus
de cinquante.
La tête est petite et applatie du
haut en bas ; le palais est rude ; les
deux mâchoires , dont la supérieur©
est la plus longue , sont garnies d'une
rangée de petites dents très-pointues;
la langue est dégagée et étroite. On
trouve un barbillon à l'extrémité de
la mâchoire inférieure, et deux à la su-
périeure. Derrière cette dernière , on
voit deux ouvertures rondes. Les yeux;
ont une prunelle noire dans un iris
doré; les côtés de la tête sont d'une
couleur argentine tirant sur le violet ;
le dos et les côtés sont d'un jaune-
bru n parsemé de taches noires ; le ven-
tre est blanc , court et saillant; l'anus
se trouve au milieu du corps. Les cou-
leurs de ce poisson varient beaucoup ,
comme on peut le voir par les auteurs
suivans. Willughby en a vu qui res-
244 HISTOIRE NATURELLE
sembîoieul à l'anguille, et qui étoient
garnis de lignes composées de points
blancs , d'autres rougeâtres avec des
taches noires , et d'autres encore qui
n'avoient point du tout de taches.
M. Pennant dit qu'il est d'un jaune-
rougeâtre , et garni de larges taches
noires au-dessus de la ligne ; que les
nageoires du dos sont brunes, et celles
du ventre d'un rouge clair. Selon
M. Briinniche , le sommet de la tète
est violet , et les côtés sont bleuâtres
au-dessous de la ligne. La ligne latérale
forme une courbure derrière la na-
geoire pectorale ; puis elle va en direc-
tion droite au milieu de la nageoire
de la queue. Les nageoires de la poi-
trine et du ventre sont rougeâtres j la
première nageoire du dos est basse, et
composée de rayons extrêmement ten-
dres et mous , dont le premier seule-
ment est grand : les autres nageoires
sont d'un brun clair ; celles du dos et
de l'anus sont ornées de longues taches
DE LA MUSTELLE, 245
brunes. Celle de la queue a des taches
rondes de la même couleur. A toutes les
nageoires, les rayons sont mous. Tout
1 e poisson est couvert d'un mucilage , et
le tronc d'écaillé très-tendres.
La mustelle appartient également
aux poissons de la Méditerranée et à
ceux de la mer du Nord. On la voit
sur-tout paroître en grande quantité
dans la mer Adriatique et près de Cor-
nouailles. Celle dont je donne ici le
dessin,m'a été communiquée de l'excel-
lente collection du duc de Brunswick.
Elle n'étoit pas plus grande que ( 1 )
le dessin ne l'indique. Selon M. Biiïn-
niche , elle n'a pas plus d'une palme de
long dans la Méditerranée ; mais selon
M. Pennant , elle a dix - neuf pouces
dans la mer du Nord. Cependant, avec
cette longueur, elle ne pèse pas plus
de deux livres. Elle a la chair molle et
de mauvais goût. Ce poisson fraie en
" ' ' ' ■"-— ■*■ -™ ' ■■ I" — ^— ■■ I ■■ — —— ■ I .■■■■■■! !■■■■■ . ^
(1) Edit. in- fol.
246 HISTOIRE NATURELLE
automne ; mais il ne multiplie pas
beaucoup , parce que les maquereaux
et les morues dévorent la plus grande
partie de ses petits. On le prend au
filet et à la ligne. Il vit de coquillages
et de petites écrevisses.
Le foie est gros , jaune pâle , et con-
siste en deux lobes. L'estomac est
large , et l'extrémité inférieure est
entourée de huit appendices. Le canal
intestinal est court ; la vésicule aé-
rienne est grande , épaisse par en haut ,
mince et tranchante par en bas.
Ce poisson se nomme :
Meertrusche et Meerquappe , en Alle-
magne.
Ouwquappe , Krullquappe , dans le
Holstein.
Kroll-Quabbe , Moer-Quabbe , en Da-
nemarck.
Rodbrùne , Tang - Brosme , en Nor-
wège.
Rockling et Three-Beardet-Cod , en
Angleterre.
-
Pat/e a^y
Tarn. I.
;
De<teve de/. Cetaust Jcu//> ■
i . IJS MOLI Jt . a . I.A PELEE . Tome 2 ./>*,/.*$,
3 . EE l^O TAC AN TE .
DU MOLLE. 247
Whistlefish, dans la comté de Cor-
xiouailles.
SeaLoche , dans celle de Chester.
JMustelle et Mustelle vulgaire, en France .
Mustela , en Italie.
Sorghe marina et Donzellina , chez les
Vénitiens.
Djelindsjik baluk , en Turquie.
Galea , parmi les Grecs.
LE MOL L E, qajjus barbatus*
La largeur du corps sert à distin-
guer ce poisson des autres du même
genre. On compte six rayons à la
membrane des ouïes , dix-huit à la na-
geoire pectorale , six à celle du ventre,
vingt-cinq à la première de l'anus,
dix-sept à la seconde ', trente à celle
de la queue , treize à la première du
dos , dix-neuf à la seconde et dix-huit
à la troisième.
La tête est petite , l'ouverture de
la bouche grande. La mâchoire supé-
248 HISTOIRE NATURELLE
rieure avance sur l'inférieure : l'une
et l'autre sont armées de petites dents.
Dans le gosier , on trouve deux os en
forme de lime. A la mâchoire infé-
rieure , au-devant, on remarque un
barbillon , et de chaque côté six à sept
petites ouvertures. Les lèvres sont
fortes, et consistent en plusieurs pièces
cartilagineuses qui sont réunies par
une membrane commune , que le pois-
son peut avancer et retirer à son gré»
La langue est courte , épaisse et rude
en arrière. Les narines sont doubles
et placées non loin des yeux. Ces der-
niers sont grands , saillans , et pour-
vus d'une membrane clignotante. La
prunelle est noire, et l'iris argentin.
Comme Duhamel dit que l'iris est cou-
leur de citron , il faut que la couleur
de cette partie soit aussi variable. L'o-
percule des ouies est composé de plu-
sieurs plaques. L'ouverture des ouies
est large , et la membrane branchiale
n'en est recouverte qu'en partie. Au
DU M O L L É. s4<j
tronc, on voit de petites écailles qui
sont fortement attachées à la peau. La
ligne latérale qui commence à la nu-
que , est noire , forme une courbure
vers le ventre à l'extrémité de la se-
conde nageoire du dos , et se perd dans
le milieu de la nageoire de la queue.
Le dos est d'un brun verdâtre, rond
et charnu ; le ventre court et blanc y
les côtés sont d'un blanc qui tire sur le
rouge , et l'anus n'est pas beaucoup
éloigné de la tête. Des trois nageoires
dont le dos est pourvu , la première
est courte, haute et en forme de faux.
Au milieu de la nageoire pectorale ,
on voit une tache noire : cependant
M. Otto Fabricius n'a pu la remarquer
aux poissons du Groenland. Toutes les
nageoires sont composées de rayons
mous et d'une peau épaisse. Elles sont
olivâtres, excepté celle de la queue
qui est rouge. Elle aune bordure noire
comme la plupart des autres nageoires,
Nous trouvons ce poisson dans plu-
%5o Histoire naturelle
sieurs contrées de l'Océan septentrio-
nal , le long de la Hollande , en Irlande,
en Angleterre, en Laponie , enGroen-
land , dans le Sund , sur les côtes sep-
tentrionales de la France. M. le comte
de Querhoent qui a eu la bonté de
m'envoyer le dessin que j'en donne ,
me marque qu'àCroisic, en Bretagne ,
on trouve pendant toute l'année ce
poisson en pleine mer, et que ce n'est
que dans le temps du frai, c'est-à-dire
en août , qu'il s'approche des endroits
rocailleux , pour y déposer son frai.
Dans le Groenland au contraire , il
fraie en février et mars , selon M. Otto
Fabricius , et dépose alors ses œufs
dans l'algue marine , dans des endroiti
où le soleil donne. Au mois de juin,
les petits paroissent. LesGroenlandais
les nomment Ogarkat et Ovarak. On
les voit en grande quantité vers le ri-
vage de la grosseur de nos épinoches.
Sans doute que ces petits ont alors un
an y ou il faudroit dire qu'ils croissent
DU MOLLE. a5l
prodigieusement en peu de temps: car
quiconque sait comme le poisson croît
lentement , s'imaginera bien que de-
puis février jusqu'en juin , ils ne peu-
vent parvenir à la longueur de deux
pouces au moins. Ces poissons parvien-
nent à la longueur de quinze à dix-
huit pouces , et ne pèsent alors guère
plus de trois livres. En Angleterre ,
ils ont rarement plus d'un pied. On
les prend en grande quantité. M. le
Roi mande à M. Duîiamel , que dans
les environs de Brest , tous les ans pen-
dant un certain temps ? on en prend
jusqu'à cent à cent cinquante d'un seul
coup.
Le molle est du nombre des pois-
sons voraces, et se nourrit particuliè-
rement de lançons et de poissons du
genre des perce-pierres. Dans le Groen-
land , il vit à'angmarsets , salmo arcti-
cas. Au défaut de poissons , il se con-
tente de jeunes écrevisses. Ce poisson
a la chair blanche , molle et feuilletée 9
252 HISTOIRE NATURELLE
et elle se corrompt aisément. C'est de-
puis le mois d'octobre jusqu'à celui de
janvier qu'il est le meilleur : cepen-
dant comme il est alors maigre et sec ,
on n'en fait pas grand cas en France ;
mais en Angleterre , où il est gras, on
le regarde comme nn bon mets. Les
Groenlandais le mangent partie frais,
partie séché , et même lorsqu'il est un
peu corrompu. Ils rassemblent les œufs
de ceux qui sont séchés , et les font
cuire pour les manger. Ils apprêtent le
foie avec des bayes noires d'empetrum
ninrum.
a
Le foie est d'un rouge pâle, et consiste
en deux lobes longs et minces. La rate
est rouge , très-petite , triangulaire et
attachée à l'estomac par en bas. Ce
dernier est large et fort. La vésicule
aérienne est grosse , et attachée à l'é-
pine du dos comme aux morues.
Ce poisson se nomme :
Breiter Schellfisch, Steinbolk et Blod-
augt j en Allemagne.
DU MOLLE. 253
Steenbolh , Gullak , en Hollande.
Pout , en Angleterre.
JVhithing et Pout , à Londres ;
Whithing Mops , quand il est petit.
Kle? , à Scarborougli.
Bib et Blind , à Cornouailles.
Molle , en France.
Tacaud , à la Rochelle.
Baraud-gode , au Havre et à Dieppe.
Poule de mer , à Fécamp.
Petite Morue fraîche , à Paris.
Malcotj à Brest.
Guiteau , en Bretagne.
Ogak et Om<2& , en Groenland ;
Ogarkœtet Ovarak^ dans le même pays,
quand il n'a qu'un an.
Smaafiskur , Tharafiskur , en Islande.
Gakran et Rudnok > en Laponie.
Smaa-Tork , en Danemarck.
Rodagtig Smaa-Torsk et Kroppung, en
Norwège.
Sma-Torsk , en Suède.
FIN DU TOME PREMIER.
Poissons. I. 22
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