Er terra
UNS 4-41. À BL CP TT ds
ee Far" éohotene sr 2e On
PR LR DRE
PONT EE
RS PTS PTE
SE OT nd he À
PAT dpt noie D re ee
rate
+150 .
CN EE
ane 2 de
LFP ENS
Pare cran 2 à
Lo ENV RS
ROIS ARTE
Edo eme ne
CUT
St
145 le de
PA He
ae PE NCS Eve d
F4 Prèebe
pe du
SERRE Re
: ET note
sage je PAT nette l
0 hr
1e tomertuite
VE un othe Bt
LES 4 pers
Che E-Bert:
‘ARIES SMITHSONIAN
: +
1 SN V4
AT ff
TP /
FRSVEENENE
21902 .
DE
= tARIES
29 v VS", :
à EE _——.. “
2 5:
EX LIBRIS ,
William Healey Dall 2,
Division of Mollusks D in
Sectional Library ÉE
NAAA 2
AY:
AY
7
DNS
\,
INSTITUTION NOIINLIISNI
LS
KS
KR
S3134\
INSTIT
S31ë
LALILSNT NVINOSHLINS, S31HVU 817 LIBRARIES, SMITHSONIAN_ 1
<< LERN € NN UE K LUE LAON LS
À 4 - y À AS { ce NS > = 1 =)
A © ZT 5 À à :
N// Cas S7 Æ 4" 4 = ; N 2 Es
/ 2 PE NN: =
_ n n
un »
RARIES 'SMITHSONIAN INSTITUTION NOINLILSNI NYINOSHILINS S
_ [4
= pr: Es _ _ un
06 (RD * D 0 NE Li
=. E L œŒ ” 2 N Ù € N œŒ
D. da ) < ) 1 NS <
Ts 44 3 A 0 Re T-
Fr Z 4 z AN"
LNLILSNIT NYINOSHLINS _S314V4411 LIBRARIES. SMITHSONIAN I
ge ær > # Z
prints cr: 2 TN 750 KG; O 4 œ
— = D \, KKX + 3 : p=) : < + PS *.
CO) .9 NN SR — |\29, ..W0 pe) 29, =) = CAS POS 7
_ LIBRARIES SMITHSONIAN_INSTITUTION NOIINLILSNI NVINO
Z ul Z # 2 &
un _ .: A ur u RQ
2 2 à œ pr. N
— < : =. < À “ S
E MN - =
FA er A #1) A
N _ NOIINLILSNI _NVINOSHLINS _S31HVH811 LIBRARIES. SMITH
É Al à :
= = us Le F |
æ = = ,
E > E > F- L
Le Fe + sl = 7
_ m SN L m on ?
= un k = un =
1_LIBRARIES SMITHSONIAN INSTITUTION NOILNLILSNI NYINO
FA ‘+ (2) PR + (22) (=
< = < £ =
re 1 Z _ Z
2 NN © A NN D k à
NET le b à <- É
NLARE PU LE ë
N NOILNLILSNI_ NVINOSHLINS S31HVU@IT_ LIBRARIES SMITH
_ a 2 3 > n
se a = uw 4
FE = lé 5 E #7
a = (eo) — on *
RU O SRE © =
à PA É — Z —
7 LIBRARIES SMITHSONIAN INSTITUTION NOIINLILSNI NYINO:
ii & D = C F
—= -o =
7 5 2 E 7 S
| > F : > F- sh N
: = à = 2
0 ET u Z u
N NOIINILILSNI NYINOSHLINS S31#V4911 LIBRARIES. SMITH
un Z (2) Z Se [22
= .< ES = =
FE 6 JL . A Z ô T
Le : ; SLA ©?
L= E z Gi E Z
E a = | ü -
LIBRARIES SMITHSONIAN_ INSTITUTION NOIINLILSNI NVINO
_ on = u =
G à ,& ss 8
= œ ge. œ L'OAN
< ST K
Ë < }; pa. < 3 NN
c A. e = =
L— o À S co ma
zZ 4 st Z — Z
\__NOILNLILSNI NYVINOSHLINS S314vV4817 SMITH
E 26 s È Z
= ee) : __ œ —_
5 2 Na = 7 E £
n SCC > F Z
1e 7 NS = 7 Far L/
WILLIAM H, DALC
SECTIONAL LIBRARY
.… DIVISION OF MOLLUSKS
n
HISTOIRE NATURELLE
DES
ANIMAUX SANS VERTEBRES.
ne
TOME PREMIER.
LIBRAIRIE DE J.B. BAILLIÈRE.
PHILOSOPHIE ZOOLO GIQUE, ou Exposition des considérations
relatives à l’histoire naturelle des animaux, à la diversité de leur
organisation et des facultés qu’ils en obtiennent , aux causes physi-
ques qui maintiennent en eux la vie et donne lieu aux mouvements
qu’ils exécutent, enfin à celles qui produisent, les unes le sentiment,
et les autres l'intelligence de ceux qui en sont doués; par J.-B.-P .-A.
Lamarcx, 2° édit, Paris, 1830, 2 vol. in-8. 12 fr.
SYSTÈME ANALYTIQUE DES CONNAISSANCES POSITIVES
DE L'HOMME, restreintes à celles qui proviennent directement ou
indirectement de l’observation ; par F.-B.-P.-A. Lamarcr. Paris,
1830, in-8. 6 fr.
MÉMOIRE SUR LES FOSSILES DES ENVIRONS DE PARIS,
comprenant la détermination des espèces qui appartiennent aux ani-
maux marins sans vertèbres, et dont la plupart sont figurés dans la
collection du Muséum ; par J.-B.-P.-A. Lamarck. In-4, 10 fr.
EXTRAIT DU COURS DE ZOOLOGIE du Muséum d'histoire
naturelle, sur les animaux sans vertèbres; par J.-B. LamarGk. Paris,
1812, in-8. a fr. 5o c.
IMPRIMERIE D'AIPPOLYTE TILLIARD ,RUE DE LA HARPE, N. 88.
/ HISTOIRE NATURELLE
DES
ANIMAUX SANS VERTEÈBRES,
PRÉSENTANT
LES CARACTÈRES GÉNÉRAUX ET PARTICULIERS DE CES ANIMAUX ,
LEUR DISTRIBUTION, LEURS CLASSES, LEURS FAMILLES, LEURS
GENRES , ET LA CITATION DES PRINCIPALES ESPÈCES QUI S’Y
RAPPORTENT ;
PRÉCÉDÉE
D'UNE INTRODUCTION
Offrant la Détermination des caractéres essentiels de l’Animal, sa distinctiou du végétal et des
autres corps naturels; enfin, l'Exposition des Principes fondamentaux de la Zoologie.
PAR J.B. P. A. DE LAMARCRK,
MEMBRE DE L'INSTITUT DE FRANCE, PROFESSEUR AU MUSËUM D'HISTOIRE NATURELLE.
Nihil exträ naturam observatione notum.
DEUXIÈME ÉDITION,
REVUE £T AUGMENTÉE DE NOTES PRÉSENTANT LES FAITS NOUVEAUX DONT
LA SCIENCE S'EST ENRICHIE JUSQU’A CE JOUR;
Par MM.
G, P, DESHAYES ET H, MILNE EDWARDS.
TOME PREMIER. Tivigion of Molluske
INTRODUCTION. — INFUSOIR ES ui + Séhpager Fu
PARIS.
J. B. BAILLIÈRE, LIBRAIRE,
AUE DE L'ÉCOLE DE MÉDECINE, 13 BIS.
A LONDRES, MÊME MAISON, 219, REGENT STREET.
1855.
be mur «4 RTS.
MENT LUE LP
é PES 72 Ps
va L bus * Et v, | *
FER pe Di +. ») MSIE : ‘ AE 1 +
LA "be Le 4 PTE TS Fe 7.
® FRS # PONE van is: LE
Le APPART NEC LES DR RE Léste 2
D de ste MES AS : vx
| Et PET DE AU wi W De À pr (e LUE A LE
500" PORTE TROIE LAC OPUS Ru
MANU {4 M ptet de ten Apr RCE , MS y nn vel n
à LA EVA. L'HOc F7) &, LA
M D ET END fe - 1 t ‘
LA rie Lu Tr “(fer Le 4 is
+ PE EAN" FM
Co,
F4 détes Rte A
LE
Mi +4 AVE
ALP pr AT YU) CARS re dr SRE" «'
PA. 70 PRES pce ns es MoÀ a
PS OR E Lt 70 u ! LA 4 pui
S COSE OP OT LUE © tré at he 5 fes
ll
HE v % 7, de FL N
GA! à pes
HA & Nasri ME L : PUR:
\Ë ?
a bé
AVERTISSEMENT
SUR
CETTE NOUVELLE ÉDITION.
La première édition de l'Histoire des Animaux
sans vertèbres de Lamarck étant épuisée , l'éditeur
propriétaire actuel de l’ouvrage sentit qu’il était
nécessaire d’avoir toujours à la disposition du pu-
blic un livre si utile et si indispensable à l’étude
de la partie la plus considérable du règne animal ;
mais il crut devoir ne pas le faire réimprimer sans
y introduire , sous forme de notes, Les faits prinei-
paux dont la science a été enrichie par l'observa-
tion depuis bientôt vingt ans.
VI AVERTISSEMENT.
L'ouvrage de Lamarck a puissamment contribué
à assurer les progrès de plusieurs branches de ja
zoologie : ilest trop connu et assez justement ap-
précié par tous les savants de l’Europe, pour que
nous ayons besoin de faire son éloge. Cependant,
publié de 1816 à 1822, dans un temps où les ob-
servations se multipliaient de toutes parts, et de-
valent conduire à de nouveaux résultats, plusieurs
parties devinrent bientôt insuffisantes pour satis-
faire aux besoins de la science. Pour que ce traité
conservat toute son utilité , 1l était donc effective-
ment nécessaire que des additions lui fussent faites :
c’est la tâche dont nous nous sommes chargés.
Nous avons voulu conserver néanmoins à l'ouvrage
de Lamarck toute son intégrité, et nos additions,
dont nous acceptons toute la responsabilité, sont en-
tièrement séparées du texte de ce grand naturaliste.
Ces additions sont de deux sortes : les unes, gé-
nérales, ont rapport à chacune des grandes classes
des invertébrés et viennent compléter où mo-
difier les idées que Lamarck en avait. Nous
continuons ces observations générales sur les
divisions moins importantes des ordres, des fa-
milles et des genres, indiquant ainsi, à mesure que
cela devient nécessaire, les faits nouveaux, les ob-
servations récentes qui devront entrer comme élé-
ments nécessaires dans une classification nouvelle.
AVERTISSEMENT, VIE
Depuis la publication du travail de Lamarck,
la science s’est enrichie d'ouvrages importants
dans lesquels sont décrits un grand nombre de
genres et d'espèces. Toutes les fois que nous avons
cru que ces genres pouvaient être adoptés, nous les
avons mentionnés. Relativement aux espèces nous
avons cherché à compléter la synonymie des an-
ciennes , et nous avons ajouté les plus remar-
quables deceiles décrites et bien figurées depuis une
dixaine d’années. Ces dernières additions , en ap-
parence les moins importantes , sont celles qui ont
nécessité de notre part plus de travail; ce que
savent tres bien ceux des zoologistes occupés de
semblables recherches.
L’entomologiene pouvait recevoir des additions
semblables à celles que nous nous proposions de
faire aux autres classes : cette science traitée par
Lamarck en 1816 et 1817, ne s'était pas encore
accrue d’un nombre considérable d’espèces , de
genres et même de familles connus aujourd’hui :
pour mettre cette portion de l'Histoire des Ani-
maux sans vertèbres an niveau des connaissances
actuelles , il aurait fallu consacrer aux additions
plusieurs volumes ; et même après un travail ingrat
et opiniâtre il aurait été impossible, gènés par
le cadre méthodique dé Lamarck , de présenter
rien de bien satisfaisant et qui püt être utile après
les beaux travaux de Latreille, et d’autres sa-
VIIt AVERTISSEMENT,
vants, que tous les entomologistes ont entre
leurs mains, et qu'ils ont depuis long - temps
préférés à ceux de notre auteur. Nous avons done
résolu de laisser, sans y toucher, toute la classe des
insecles, en exceptant toutefois les généralités
dans lesquelles il était possible de faire des addi-
tions fort utiles,
L'introduction , les radiaires échinodermes et
les mollusques , ont été revus par M. Deshayes ;
les animaux apathiques , moins ceux déjà men-
tionnés, les arachnides, les crustacés et les anné-
lides, par M. Milne Edwards. Les additions sont
tantôt sous la forme de notes , tantôt intercallées
dans le texte, mais toujours reconnaissables en
ce qu’elles sont placées entre parenthèses [ ]ou
bien précédées du signe +.
AVERTISSEMENT
BE LAMARCK.
AVANT d'atteindre le terme de mon existence, j’ai
pensé que, dans un nouvel ouvrage, susceptible d’être
considéré comme une seconde édition de mon Système
des animaux sans vertèbres (1), je devais exposer les
principaux faits que j'ai recucillis pour mes lecons,
soit sur les animaux en général, soit sur ceux qui fu-
rent le sujet de mes démonstrations au Muséum d’his-
toire naturelle , ainsi que mes observations et mes
réflexions sur la source de ces faits. Cet ouvrage, d’ail-
leurs, devant offrir les classes, les genres ei les princi-
pales espèces des animaux sans vertèbres, dans un ordre
particulier, avec la citation des faits essentiels observés
à l'égard de leur organisation et des facultés qu’ils en
obtiennent, me paraît présenter, pour ainsi dire, les
pièces justificatives de ce que j'ai publié dans ma Phi-
losophie zoologique , et des nouveaux développements
que j’en donne ici daus l’Introduction.
(1) Paris, 1801, 1 vol. in-S.
Tome 1. I
2 AVERTISSEMENT.
Ceux qui aiment l’étude de Ja nature, qui s'intéres-
sent particulièrement à celle des animaux, et qui ont
beaucoup observé ces derniers , pourront rechercher,
dans la considération Ge tous les faits que je cite à leur
égard , si ce résultat de mes observations et de mes
méditations est aussi fondé, aussi nécessaire qu’il me
le paraît; et dans le cas de l’afirmative , ils le feront
servir à l’avancement de la science, après l’avoir amé-
lioré ou rectifié par leurs propres observations.
On sait assez combien les animaux sont intéressants
à observer et à étudier ; combien , d’ailleurs, ceux qui
sont sans vertèbres, sont singuliers par la diversité de
leur organisation et par celle des facultés qu’ils en
obtiennent. On ne saurait donc se procurer trop de
moyens, ni trop rechercher les considérations qui leur
sont applicables , si l’on veut parvenir à s’en former
une juste idée, en un mot, à ies connaître sous tous les
rapports.
Ainsi, la manière particulière dont j'ai considéré les
animaux , les conséquences que j'ai tirées de tout ce
que j'ai recueilli à leur égard, enfin, la théorie géné-
rale que je présente sur tout ce qui concerne ces êtres
intéressants, me paraissent mériter qu’on y donne une
grande attention, et que lon constate, s'ilest possible,
jusqu’à quel point je fus fondé dans tout ce que j'ai
exposé à ce sujet.
Ici, en effet , l’on trouve sur la source de l'existence,
de la manière d’être , des facultés , des variations et
des phénomènes d'organisation des différents animaux,
*
AVERTISSEMENT. 3
une théorie véritablement générale , partowt liée dans
2
et applicable à tous les cas connus. Elle est, à ce qu'il
me semble, la première qui ait été présentée , la seule
ses parties, toujours conséquente dans ses principes
par conséquent qui existe : car je ne connais aucun
ouvrage qui en ofire une autre avec un pareil enseni-
ble de principes et de considérations qui les fondent.
Cette théorie qui recunnaît à la nature le pouvoir de
faire quelque chose , celui même de faire tout ce que
nous observons , est-elle fondée ? sans doute, elle me
paraît telle, puisque je la publie, et que mes observa-
tions semblent partout la confirmer. Si l’on en juge
autrement , probablement l’on s’eflorcera de la rem-
placer par une autre qui soit aussi générale, et qui ait
pour but de s’accorder davantage encore avec tous les
faits observés ; ce que je ne crois pas possible.
On m'objectera peut-être que ce qui me paraît si
juste, si fondé, n’est cependant que le produit de mon
jugement, d’après la somme des mes connaissances ;
on pourra même ajouter que ce qui est le résultat de
nos jugements est toujours fort exposé, et qu’il n’y a
réellement de certain pour nous que les faits constatés
par l’observation.
À cela, je répondrai que ces considérations philoso-
phiques, très justes en général, ont néanmoins, comme
bien d’autres, leurs limites et même leurs exceptions.
Sans doute , nos jugements sont fort exposés ; car,
quoiqu'ils soient toujours en rapport avec les éléments
*
1
4 AVERTISSEMENT.
que nous y faisons entrer , et que , sous ce point de
vue, ils manquent rarement de justesse, nous n'avons
presque jamais la certitude d'avoir employé dans cha-
cune de ces opérations de notre intelligence, la nature
et la totalité des éléments qu’il était nécessaire d’y
faire entrer.
Cependant, il est des cas où nos jugements ne sont
pas les uniques résultats de notre manière d’envisager
les faits observés; car ils peuvent l’être aussi de la
force des choses qui nous entraîne malgré nous en
considérant ces faits, sur-tout si nous ayons su les
réunir. Or, cette force des choses qui nous maîtrise
lorsque nous parvenons à la sentir , est une puissance
à laquelle on ne donne pas assez d’attention et qui fait
exceplion aux considérations trop générales citées ci-
dessus. Ainsi, il y a des cas où nos conséquences sont
forcées et ne permettent aucun arbitraire.
Maintenant , que l'on veuille se représenter ,
qu'ayant rassemblé sur l’important sujet dont je m'oc-
cupe depuis quarante ans, les faits les plus nom-
breux et sur-tout les plus essentiels, il est résulté pour
moi de leur considération , cette force des choses qui
m'a conduit à découvrir et à coordonner peu à peu
Ja théorie que je présente actuellement, théorie que je
n’eusse assurément pas imaginée sans les causes qui
m'ont amené à la saisir. Or, quoique l’on puisse peut-
être me reprocher d’avoir exprimé ma pensée, dans cet
ouvrage, d’une manière trop décisive, on sentira que
j'ai été entraîné malgré moi à montrer la conviction
AVERTISSEMENT. 5
que j’éprouvais, et que je n’ai pu écrire autrement
que comme je sentais.
Peut-être me fera-t-on un autre reproche; car on
pourra trouver étonnant de me voir traiter certains
sujets qui, au premier abord, paraissent s'éloigner
beaucoup de ceux que je devais avoir uniquement en
vue. Cependant, si l’on approfondit ces mêmes sujets,
l’on en sentira la liaison intime avec ceux qui appar-
tiennent directement à mon travail ; l’on sentira même
la nécessité pour moi de faire valoir Ja lumière qu’ils
retirent les uns des autres, et de montrer qu’ils sont
tous les éléments essentiels des conséquences que j'ai
tirées.
Cet ouvrage est sérieux , n’a que l'instruction pour
but, et ne peut, par sa nature, avoir certaines des
qualités qui obtiennent beaucoup de lecteurs à bien
d’autres. 11 lui doit être même d'autant plus difficile
d'obtenir toute l’attention dont il a besoin , que les
goûts et les circonstances de notre temps la font, en
général, porter vers des objeis qui lui sont fort étran-
gers. Enfin , comme il semble ne devoir intéresser
qu'une seule classe de lecteurs, celle même dont il
tend à modifier les opinions, ce qu’il peut offrir qui
soit vraiment digne d’être considéré restera peut-être
long-temps peu connu.
1
Cependant, je sais que , sous plusieurs rapports, son
sujet a une véritable importance , qu’il sera utile de le
prendre sérieusement en considération; et ce fut ma
conviction à cet égard qui m’a soutenu dans mon tra-
6 AVERTISSEMENT.
vail. Or, si l'on trouve qu’il remplit réellement l’objet
que j'ai en vue, je serai suffisamment dédommagé de
mes eflorts. Mais pour être entendu, j'ai besoin d’une
complaisance qu’on n’accorde pas indifléremment à
tout auteur , et que je me suis toujours efforcé de mé-
riter.
On sait en eflet que tout ouvrage, scientifique sur-
tout, ne peut être lu ou étudié profitablement, que
dans l'esprit qui a guidé son auteur; sauf à juger en-
suite s’il s’est plus ou moins approché du but qu’il
voulait atteindre; car, en l’examinant avec un esprit
contraire ou prévenu, les considérations les mieux
établies, les vérités, même les plus claires, ne parais-
sent que des erreurs.
Ainsi , dans le cas d’une divergence de vues entre
celles du lecteur et celles que présente l’ouvrage, il est
utile que le lecteur veuille bien suspendre les siennes,
ne füût-ce que momentanément , afin de se mettre en
harmonie avec l’auteur dans sa manière de considérer
les sujets dont il traite. S’il trouve que ce dernier ait
rempli son objet , il ne lui restera plus qu’à juger, à
l’aide des faits et de la réflexion , laquelle des deux
manières d'envisager les choses en question mérite la
préférence.
J'attends donc de tout lecteur, la complaisance de
se mettre dans la situation d’esprit dont je viens de
parler , pour saisir complétement mon sentiment par-
tout , et ses motifs. Quant au jugement définitif qu'il
en portera ensuite , il sera sans doute d'autant meil-
AVERTISSEMENT. 7
leur, quel qu’il puisse être, que les faits cités lui se-
ront plus connus, et qu’il aura lui-même plus appro-
fondi le sujet, plus observé la nature.
Je ne parle pas de la difficulté connue d’apercevoir
dans un ouvrage un peu philosophique , tout ce qui y
est digne de fixer notre attention. Cette difficulté, qui
tient tantôt à la fatigue , tantôt à des préoccupations
diverses en lisant , est plus ou moins grande à la vé-
rité , selon l’habitude aussi plus ou moins grande du
lecteur à la méditation ; mais elle est réelle , et cha-
cun sait qu’à la seconde lecture d’un semblable ou-
vrage, on y voit en général bien des choses qu’on n’a-
vait pu remarquer à la première.
Relativement au plan de l'ouvrage, à la marche des
idées qu’il présente , et aux faits d'observation qui y
sont exposés , j'ai cru devoir employer l’ordre suivant.
Dans une /ntroduction, nécessairement un peu lon-
gue, mais essentielle pour l'intelligence du sujet, j'en-
treprends de fixer les bases de la zoologie, les principes
les plus généraux qui doivent en constituer le fonde-
ment, la source même où les objets qu’elle considère
ont puisé leur origine.
o
En effet, d’abord je compare les animaux avec les
autres corps de la nature; j'essaie d’assigner les carac-
tères positifs et distinctifs des uns et des autres ; je cite
les faits zoologiques observés , sur-tout ceux du pre-
mier ordre, et je montre les conséquences qu’il me
paraît convenable d’en tirer. Ensuite, je recherche
8 AVERTISSEMENT.
quelle est la source de l'existence des différents ani-
maux , quelle est celle de la composition croissante de
leur organisation , celle des facultés qu’ils possèdent,
celle des anomalies nombreuses qui se trouvent entre la
composition progressive des différentes organisations
animales , et la marche irrégulière des divers systèmes
d'organes particuliers qui entrent dans la composition
de la plupart de ces organisations. Plus loin , je fais
voir que tout ce que l’on observe dans les animaux,
que leurs penchants mêmes sont de veritables produits
de leur organisation , que tous les phénomènes qu'ils
nous offrent sont essentiellement organiques. Enfin,
après avoir montré quelle est cette puissance singulière
que nous désignons par le mot nature , je mets en
évidence que c’est à elle que les animaux doivent tout
ce qu'ils sont.
Je termine l’Zntroduction dont il s’agit en exposant
la distribution générale la plus convenable des diffé-
rents animaux conpus, les principes sur lesquels cette
distribution doit être fondée, et la véritable disposi-
tion qu’il faut donner à l’ordre entier, pour qu'il soit
conforme à celui qu’a suivi la nature.
On verra que, pour mettre de l’ordre dans ces difié-
rentes exposilions , j'ai divisé l’Introduction en sept
parties clairement circonscrites ; lesquelles présentent
des développements qui , quoique serrés ou succinets ,
suppléent à ce qui manque dans ma Philosophie zoolo-
gique , et complètent une théorie dont les parties sont
partout dépendantes,
AVERTISSEMENT»; 9
Après l’Introduction, je me renferme dans l’exposi-
tion des nombreux animaux sans vertèbres qui ont
été observés, parce qu’ils font le sujet essentiel de cet
ouvrage, et que l’état de leur organisation, les facultés
qu'ils en obtiennent, et les caractères qu'ils offrent,
établissent les preuves de ce que contient cette Intro-
duction.
Ainsi , je présente successivement leurs différentes
classes, leurs familles , les genres qui ont été établis
parmi eux, et même plusieurs des espèces Îles plus con-
nues qui se rapportent à ces genres.
Dans le cours de l’ouvrage, j’ai exposé en tête de
chaque classe, de chaque ordre , et même de chaque
genre, quelques développements nécessaires pour faire
mieux connaître les objets mentionnés sous ces divi-
sions. Ces développements sont d’autant plus bornés,
que les divisions qu’ils concernent sont moins géné-
rales, et par là moins importantes.
Quant à la citation que je fais d’un certain nombre
d'espèces sous chaque genre , soit d’après des détermi-
nations d'auteurs estimés , soit d’après celles qui me
sont propres , elle n’a pour objet que de constater la
convenance des genres que j'ai admis ou formés moi-
même. J’eusse desiré pouvoir donner un species ( ta-
bleau des espèces ) aussi complet que l’état des connais-
sances actuelles le permet, et dont l'exécution est fort
à souhaiter ; mais cela eût exigé un travail long et dif-
ficile, que les circonstances qui me concernent re me
permettent pas d'entreprendre, et dont un seul homme
10 AVERTISSEMENT.
peut-être ne viendrait pas à bout. Ainsi, j’ai cité d’un
premier jet et presque sans recherches , sous chaque
genre , tantôt un petit nombre d’espèces , tantôt un
nombre beaucoup plus grand, selon que j'ai été plus
ou moins à portée de les connaître.
Tel est le fond de l’ouvrage que j'offre au public,
aux amateurs de zoologie, et à ceux qui s’intéressent à
l'étude de la nature. Je souhaite qu’ils y trouvent quel-
que chose d’utile, quelque vue qu’ils puissent faire
servir à l’ayancement des sciences naturelles.
INTRODUCTION.
Les animaux sont des êtres si étonnants, si curieux,
et ceux sur-tout dont je suis chargé de faire la démons-
tralion sont si singuliers par la diversité de leur orga- .
nisalion et de leurs facultés, qu'aucun des moyens pro-
pres à nous en donner une juste idée et à nous éclairer
le plus à leur égard, ne doit être négligé.
Cependant, j'ose le dire, la marche que l’on a suivie
dans l’étude de ces êtres admirables , est loin encore
d’embrasser les considérations capables de nous mon-
trer en eux ce qu’il nous importe le plus d’y voir.
En effet, s’il n’était question , dans l’étude de la
zoologie, que d'observer ies différences de forme qui
distinguent les divers animaux entre eux; s’il ne s’agis-
sait que de déterminer leurs races nombreuses , de les
grouper par petites masses, pour en former des genres,
en un mot, de les classer d’une manière quelconque,
et d'établir ainsi méthodiquement l’énorme liste de
leurs espèces observées, on n’aurait presque rien à ajou-
ter à la marche usitée de l’étude; enfin, il suflirait de
perfectionner ce qui a été fait, et d’achever de recueillir
et de déterminer tout ce qui a, jusqu’à présent, échappé
à nos observations.
Mais il y a dans les animaux bien d’autres choses à
voir que celles que nous y avons cherchées; et, à leur
12 INTRODUCTION.
égard, il y a bien des préventions à détruire , bien des
erreurs à corriger.
Voilà ce dont, à mon grand étonnement, l’étude m’a
fortement convaincu, ce que je puis établir solidement,
ce qui est déjà énoncé dans mes écrits, et, néanmoins,
ce qui sera peut-être long-temps sans fruit; tant les
causes qui entrelieunent.ces préventions sont puissan-
tes, et tant la raison même a peu de forces lorsqu'elle
a à combattre des idées habituelles, en un mot, ce que
l'on a toujours pensé,
Depuis bien des années, que je suis chargé de faire ,
au Muséum, un Cours annuel de zoclogie, particuliè-
rement sur les animaux sans vertèbres, c’est-à-dire ,
ceux qui ne font point partie des rm7ammiftres, des
oiseaux , des reptiles et des poissons; j'ai dù meflorcer
de les connaître, non-seulement sous les rapports de
leur forme générale, de leurs caractères externes et
distinctifs; mais, en outre, sous ceux de leur organi-
sation, de leurs facultés , et des habitudes de ces ani-
maux; enfin , j'ai dû me mettre en état de donner à
ceux qui viennent m’entendre, les idées les plus justes
- de ces mêmes animaux sous tous ces rapports, au moins
relativementaux connaissances que j'avais pu me pro-
curer à leur égard.
En me livrant à ces Moine À je trouvai bientôt que
ma tâche était extrêmement difhcile à remplir; car
j'avais à m'occuper de la portion du règne animal , la
plus étendue, la plus nombreuse en races diverses , la
plus variée en organisation, la plus diversifiée dans les
facultés réelles des races ; et c'était précisément celle
qui n'avait inspiré jusqu'alors qu’un faible intérêt,
celle, enfin, que l’on avait le plus négligée, et sur la-
quelle les principaux faits recueillis et considérés, n'é-
taient guère relatifs qu'aux formes externes des objets
qu'elle embrasse.
INTRODUCTION. 13
Cependant, le besoin de connaître l’organisation de
l’homme , afin de tàcher de remédier aux désordres
que les causes des maladies y introduisent, avait depuis
long-temps fait étudier son être physique, la plus
compliquée de toutes les organisations. On s'était en-
suite assuré, par l’observation , que cette organisation
compliquée avoisinait considérablement, par ses rap-
ports, celle de certains animaux , tels que les mammi-
fères. Mais, au lieu de sentir que tout ce que l’on pou-
vait raisonnablement conclure des observations dont
cette organisation avait été le sujet, ne pouvait guère
s'appliquer qu’à elle-même, on en déduisit des prin-
cipes généraux pour la physiologie, et, en outre, plu-
sieurs conséquences relatives à des facultés du premier
ordre, que l’on étendit à tous les animaux en général.
On négligea de considérer que toute faculté étant es-
sentiellement dépendante de l’organisation qui y donne
lieu , de grandes différences entre des organisations
comparées , devaient non-seulement en produire aussi
de grandes dans les facultés , mais, en outre, qu’elles
pouvaient mettre un terme aux facultés qui, pour se
produire, exigent un ordre de choses que certaines de
ces différences ont pu anéantir.
Ainsi, sans égard pour ces vérités posilives, les con-
séquences dont je parle, et qu’on applique générale-
ment à tous les animaux, furent admises à constituer
les bases d’une théorie, d’après laquelle les études
zoologiques furent dirigées et le sont encore.
Tel était l’état des choses en zoologie, lorsque mon
devoir de professeur m’obligea d'exposer, dans la dé-
monslration des animaux sans vertèbres, tout ce qu’il
importe de faire connaître à l’égard de ces animaux ;
d'indiquer ce que lobservation nous a appris sur la
diversité de leurs races, sur celle de leurs formes et de
leurs caractères, sur celle encore de leur organisation
14 INTRODUCTION.
et de leurs facultés: en un mot , de montrer comment
les principes admis peuvent s’appliquer aux faits d’ob-
servation que nous ontoflerts quantité de ces animaux.
À la vérité, dans tout ce qui tient à l’art des distinc-
tions, je ne rencontrai d’autres diflicultés que celles
que l’étude et l'observation des objets peuvent facile-
ment résoudre.
Mais, lorsque je voulus appliquer à ces animaux les
principes admis en théorie générale, lorsque j'essayai
de reconnaître dans leurs facultés réelles , celles que
les principes en question leur attribuaient ; enfin,
lorsque je cherchai à trouver , dans ces facultés attri-
buées , les rapports parfaits qui doivent exister entre
les organes et les facultés qu’ils produisent, les difii-
cultés pour moi furent partout insurmontables.
Plus, en effet , j'étudie les animaux; plus je consi-
dère les faits d'organisation qu'ils nous offrent, les
changements que subissent leurs organes et leurs fa-
cultés, tant par les suites du cours de la vie, que de la
part des mutationsqu'ils peuvent éprouver dans leurs
habitudes; plus, enfin, j'approfondis tout ce qu'ils
doivent aux circonstances dans lesquelles chaque race
s’est rencontrée, plus, aussi, je sens l'impossibilité d’ac-
corder les faits observés avec la théorie admise ; en un
mot, plus les principes que je suis contraint de re-
connaître , s’éloignent de ceux que l’on enseigne ail-
leurs (1).
Que faire dans cet état de choses ? Pouvais-je me res-
treindre , dans l’enseignement dont je’ suis chargé, à
Ja simple exposition des formes des objets, à la citation
des caractères observés et dont on trouve la plupart
(1) I paraît très probable, en effet, que cerlains principes généraux qui
régissent les animaux vertébrés , par exemple ne trouvent plus d'appli-
cation possible dans les invertébrés,
INTRODUCTIONe 15
dans les livres, à l’énonciation des divisions introduites
artificiellement parmi ces objets; enfin , comprimant
ma conscience pour favoriser l’opinion et maintenir
l'erreur , était-il convenable que je privasse ceux qui
viennent m’entendre de Ja connaissance de mes obser=
vations, de celle des faits qui attestent combien l’étude
des traits variés d'organisation que présentent les ani-
maux sans vertèbres, est importante pour l’avance-
ment de la physique animale, en un mot, de celle du
précepte qui veut que ce ne soit qu’en considérant à la
fois toutes les organisations existantes, que l’on entre-
prenne de fonder les vrais principes de zoologie ?
Je n’ai pas suivi et n’ai pas dû suivre une pareille
marche, c'est-à-dire, je n’ai pas dû taire ce que mes
études m'ont fait apercevoir. Ainsi , je me trouve en-
traîné dans une dissidence, que le temps , plus que
la raison, peut convenablement terminer ; car je n’ai
guère, maintenant, d’autres juges que la partie même
dont je combats les préceptes; partie qui a pour elle
l'avantage de l'opinion.
Je me bornerais à ne parler que des animaux sans
vertèbres, puisqu'ils constituent le sujet de cet ouvrage,
si je n'avais à exposer à leur égard quantité de consi-
dérations importantes, que les principes admis ne sau-
raient reconnaître, et si je ne voulais montrer que les
imperfections que j'attribue à ces principes ne sont
point illusoires. Je dois donc, &’abord, examiner ce que
sont les animaux en général, m'’eflorcer de fixer, s’il est
possible, les idées que nous devons nous former de-ces
êtres singuliers, me hâter d’arriver à l’exposition des
sujets de dissidence dont j’ai parlé tout-à-l’heure , et
essayer de convaincre mes lecteurs, par la citation de
quelques-unes des conséquences que l’on a tirées des
faits observés, que ces faits sont loin d’en confirmer le
fondement.
16 INTRODUCTION.
Il me semble que la première chose que l’on doive
faire dans un ouvrage de zoologie, est de définir l’ani-
mal, et de lui assigner un caractère général et exclusif,
qui ne soufre d’exceptions nulle part. C’est cependant
ce que l’on ne saurait faire à présent, sans revenir sur
ce qui a été établi , et sans contester des principes qui
sont enseignés partout.
Qui est-ce qui pourrait croire que , dans un siècle
comme le nôtre où les sciences physiques ont fait tant
de progrès, une définition de ce qui constitue l’animal
ne soit pas encore solidement fixée ; que l’on ne sache
pas assigner positivement la différence d’un animal à
une plante ; et que l'on soit dans le doute à l'égard de
cette question , savoir : si les animaux sont réellement
distingués des végétaux par quelque caractère essentiel
et exclusif ? C’est, néanmoins, un fait certain qu’au-
cun zoologiste n’en a encore présenté qui soit vérita-
blement applicable à tousles animaux connus et quiles
distingue nettement des végétaux. De là, les vacillations
perpétuelles entre les limites du règne animal et du rè-
gne végétal dans l'opinion des naturalistes; de là même,
l’idée erronée et presque générale que ces limites n’exis-
tent pas, etqu’il y a desanimaux-plantes ou des plantes-
animales. La cause de cet état des choses, à l’égard de
nos connaissances zoologiques, est facile à apercevoir(1).
Comme les études sur la nature animale et sur les
facultés des animaux ne furent, jusqu’à présent ; diri-
gées que d’après les organisations les plus compliquées,
c’est-à-dire, d’après celles des animaux les plus parfaits,
onne putse procurer aucune idée juste des limites réelles
(1) Nous rappellerous qu'un naturaliste fort distingué a cru trancher
la difficulté en établissant un quatrième règne auquel il donne le nom
de Psychodiaire. M. Bory de Saint-Vincent a laissé la question indécise
comme nous le verrons plus tard.
INTRODUCTION. 19
de la plupart des facultés animales, de celles même
des organesqui les donnent; enfin, l’on ne peut parve-
nir à connaître ce qui constitue la vie animale la plus
réduite , ni quelle est la seule faculté qu’elle puisse
donner à l’être qui en jouit.
Ainsi, pour montrer combien tout ce que l’on a écrit
sur les facultés que possèdent les animaux et sur les
caractères qui leur sont communs à tous , est peu pro-
pre à nous les faire réellement connaître, ne peut que
nous abuser, et entrave les vrais progrès de la zoologie,
je ne saurais choisir un texte plus authentique que
celui qu'offre le mot animal dans le Dictionnaire des
Sciences naturelles, l’auteur connu de cet articleétant
un anatomiste et un zoologiste des plus célèbres de
notre temps, et en eflet, des plus distingués.
« Rien, dit ce savant, ne semble si aisé à définir que
l’animal: tout le monde le conçoit comme un être doué
de sentiment et de mouvement volontaire; mais lors-
qu'il s’agit de déterminer si un être que l’on observeest
ou non un animal, cette définition devient très diff-
cile à appliquer ». ( Dict. des Sciences naturelles. ) (1)
Il est clair, d’après cela, que je suis fondé à insister
sur l’examen de ce qui constitue la nature animale,
puisque le savant que je cite ne désapprouve pas lui-
même la définition que tout le monde donne des ani-
maux; qu’il la trouve seulement difficile à appliquer ;
(1)Cet article est de G. Cuvier, et il mérite d’être {u et méditécomme
tout ce qu'a produit ce savant naturaliste. Qn voit qu’en adoptant la
définition vulgaire de l'animal , il sentait la difficulté de l'appliquer à
tous les animaux, et cependant il fallait qu’elle le satisfit en grande
partie, puisqu'il ne fit aucun effort pour la remplacer par une autre plus
rationnelle. Depuis la publication de l'ouvrage de Lamarck , un autre
zoologiste des plus distingués a également cherché à définir l'animal,
Nous verrons plus tard que M. de Blainville a mieux réussi que Cuvier,
mais n’a pas atteint à la justesse désirahle dans un parcil sujet.
Tone 1. 2
15 INTRODUCTION,
et qu’elle est encore recue dans tous les ouvrages
et dans tous les cours de zoologie , les miens seuls ex-
ceplés.
Sans doute, en conservant une pareille définition,
qui fut imaginée dans des temps d’ignorance, et d’après
la seule considération des animaux les plus parfaits, il
est maintenant très diflicile de l’appliquer à quantité
d’ètres que nous observons chaque jour ; mais on peut
ajouter que cette définition n’est pas même applicable
au plus grand nombre des animaux reconnus.
La raison de cette difficulté pourra facilement se con-
cevoir, si je montre qu’il n’est pas vrai que tous les
animaux soient doués de sentiment et de mouvement
volontaire. Alors on scntira que cette définition que
l’on donne partout des animaux, est une erreur que
les lumières actuelles doivent repousser ; et pour s’en
convaincre, ii suflira de rassembler et de considérer les
faits connus que je citerai dans le cours de cet ouvrage.
Si l’on en excepte les parties de l'art dans les scien-
ces naturelles, parties qui consistent dans des distinc-
tions que l’on emploie à former des classes, des ordres,
des genres et des espèces , je me crois autorisé à dire
qu'il n’y aura jamais rien de clair, rien de positif en
zoologie , tant que l’on continuera d'admettre, pour
circonscrire les animaux , la définition citée ci-dessus;
tant que l'on méconnaîtra les rapports constants qui
se trouvent entre les systèmes d’organes particuliers et
les facultés que donnent ces systèmes; en un mot, tant
que l’on ne considérera pas certains principes fonda-
mentaux sans lesquels la théorie sera toujours arbi-
traire.
Aussi, tant que les choses subsisteront dans cet état,
on verra toujours en zoologie ce qui a lieu actuelle-
ment ; savoir : que celui qui en traite ou qui l’ensei-
gne, ne saurait nous dire positivement ce que c’est
S INTRODUCTION. 19
qu'un animal. Enfin, on aura un champ ouvert aux
hypothèses les plus singulières, comme celles de dire
que certains organes soul confondus dans la substance
irritable et sensible des animaux, afin d’expliquer
pourquoi ces organes ne se retrouvent plus dans les
plus imparfaits, lorsqu'on a besoin de supposer qu'ils
y existent encore et qu'ils y exécutent leurs fonctions.
Ici, je devrais éclaircir toutes ces considérations,
montrer l’inconvenance des préceptes admis, et prou-
ver qu’à l’égard de ceux que nous voulons leur subs-
tituer, il ne s’agit point d’hypothèses nouvelles, mais
de vérités claires, évidentes , sur lesquelles les obser-
vations ne peuvent autoriser le moindre doute , lors-
qu’on voudra les examiner.
Cependant , il importe, avant tout, de poser les prin-
cipes fondamentaux suivants, afin d’empêcher tout
arbitraire dans les conséquences que les faits connus
permettent de tirer.
Principes fondamentaux.
1°" Principe : Tout fait ou phénomène que l’observa-
tion peut faire connaître, est essentiellement phy-
sique , et ne doit son existence ou sa production
qu’à des corps, ou qu’à des relations entre des
corps.
2° Principe : Tout mouvement ou changement, toute
force agissante , et tout eflet quelconque , observés
dans un corps, tiennent nécessairement à des cau-
ses mécaniques, régies par des lois.
3° Principe : Tout fait ou phénomène observé dans un
corps vivant , est à la fois un fait ou phénomène
physique, et un produit de l’organisation.
4° Principe : Il n’y a dans la nature ancune matière
quiaiten propre la facalté de vivre. Tout corps
2*
20 INTRODUCTION.
en qui la vie se manifeste, offre dans ie produit de
l’organisation qu’il possède, et dans celui d’une
suite de mouvements excités dans ses parties, le
phénomène physique et organique que la wie cons-
titue (1), phénomène quis’exécute et se maintient
dans ce corps, tant que les conditions essentielles à
sa production subsistent.
5° Principe : I n’y a dans la nature aucune matière
qui ait en propre la faculté d’avoir ou de se former
des idées, d'exécuter des opérations entre des idées,
en un mot , de penser. Là où de pareils phénomè-
nes se montrent ( et l’on en observe de cette sorte
dans les animaux les plus parfaits ), l’on trouve
toujours un système d'organes particuliers, propre
à les produire ; système dont l’étendue et l’inté-
grilé sont constamment en rapport avec le degré
d éminence et l’état des phénomènes dont il s’agit,
6* Principe: Enfin, il n’y a dans la nature aucune ma-
tière qui ait en propre la faculté de sentir. Aussi,
Jà où cette faculté peut être constatée , là seulement
se trouve, dans le corps vivant qui en est doué,
un système d’orgates particulier, capable de donner
lieu au phénomène physique, mécanique et orga-
nique qui, seul , constitue la sensation.
À ces principes, à l'abri de toute contestation solide,
et sans lesquels la zoologie serait sans fondements, j’a-
jouterai :
19 Qu'il ya toujours un rapport parfait entre l’état,
soit d’intégrité ou d’altération , soit détendue ou de
perfectionnement d’une faculté o organique , et celui de
l'organe ou du système d’organes qui la produit,
20 Que, plus une faculté organique est éminente,
(1) Philosophie zoologique ,| vol, 1, p. 400
INTRODUCTION: 21
plus l’organisation à laquelle appartient le système |
d'organes qui y donne lieu, est composée.
Maintenant, étayé sur ces principes que l’observa-
tion met partout en évidence, je vais faire voir que
ni la faculté de penser, de juger, de vouloir, ni celle
d’éprouver des sensations , ne peuvent être le propre
de tous les animaux; car elles ne peuvent l’être de
ceux qui sont les plus simplesen organisation ; ce que
je prouverai.
D'abord, je dois faire remarquer que la faculté qui,
dans un degré quelconque, constitue ce qu’on nomme
l'intelligence , c’est-à-dire, qui donne à l'individu le
pouvoir d'employer des idées , de comparer , de juger,
de vouloir ; que cette faculté, dis-je, est très distincte
de celle qui constitue le sentiment; qu’elle lui est bien
supérieure, et qu’elle en est tout-à-fait indépen-
dante.
On peut, en effet, penser, juger, vouloir, sans éprou-
ver aucune sensation , et l’on sait que si l'organe très
composé qui donne lieu aux actes d’intelligence, vient
à êvre lésé, à subir quelque altération, les idées alors ne
se présentent plus qu’avec désordre, se dérangent, soit
partiellement , soit totalement, selon la partie altérée
de l'organe ou l'étendue de l’altération , et même se
perdent entièrement si l’altération est considérable ;
tandis que la faculté de sentir reste dans son intégrité
et n’en éprouve aucun changement.
Qui ne sait que la folie, la démence, sont les résul-
tats d’une altération invétérée dans l’organe où s’exé-
cute le phénomène de la production des idées, et des
opérations entre les idées, comme le délire est la suite
d’une altération du même organe , mais qui est plus
passagère, étant produit par une fièvre ou une aflection
moins durable. Or, dans tous ces cas, et particulière-
ment dans la folie où le fait est plus facile à constater,
22 INTRODUCTION.
il est connu que l’organe du sentiment n’est nullement
intéressé, qu'il conserve l'intégrité de ses fonctions,
enfin, que les sensations s’exécutent comme dans l’état
de santé (1).
Le système d'organes qui donne lieu aux opérations
entre les idées, aux jugements, aux actes de volonté,
n’est donc pas le même que celui qui produit les sen-
sations; puisque le premier peut éprouver des lésions
qui altèrent ses facultés, sans exercer aucune influence
sur celles du second.
La faculté d'employer des idées étant très distincte,
très indépendante même de celle de sentir , et les ani-
maux les plus parfaits jouissant évidemment de l’une
et de l’autre, nous allons montrer que ni l’une ni l’au-
tre de ces facultés ne peuvent être le propre de tous
les animaux en général.
Relativement au mouvement volontaire attribué à
tous les animaux, dans la définition que l’on donne
de ces êtres, que l’on prenne en considération les obser-
vations qui concernent les actes de volonté; bientôt
alors on sera convaincu qu'il n’est pas vrai, qu'il est
même impossible que tous les animaux puissent for-
mer des actes de cette nature; qu'ils ne sauraient tous
avoir l’organisation assez compliquée, et l’appareil
d'organes particulier capables de donner lieu à une
faculté aussi éminente; et qu'il n’y a réellement que
les plus parfaits d’entre eux qui puissent posséder une
pareilie faculté.
(r) Ces idées sur la folie, que Lamarck nefait qu’indiquer en passant,
ont été plus tard développées avec un talent bien remarquable par un
homme auquel la science médicale est redevable des progrès les plus
importants qu’elle ait fait dans les temps modernes ; et le livre de l’érri-
tation et de la folie n'a pas pu contribué à répandre les plus saines
doctrines sur les fonctions du cerveau,
INTRODUCTION, 23
Il est certain et reconnu que la volonté est une de-
termination par la pensée , qui ne peut avoir lieu que
lorsque l’être qui veut, peut ne pas vouloir; que cette
détermination résulte d’actes d'intelligence , c’est-à-
dire, d'opérations entre les idées; et qu’en général,
elle s’opère à la suite d’une comparaison , d’un choix ,
d’un jugement , et toujours d’une préméditation. Or,
comme toute préméditation est un emploi d’idées, elle
suppose, non-seulement la faculté d’en acquérir, mais,
en outre, celle de les employer et de former des actes
d'intelligence.
De pareilles facultés ne sauraient être le propre de
tous les animaux; et celle sur-tout de pouvoir exécu-
ter des actes d’intelligence étant assurément la plus
éminente de celles que la nature ait pu donner à des
animaux , on sent qu’elle exige, dans le petit nombre
de ceux qui en sont doués , un système d’organes par-
ticulier, très composé, que la nature n’a pu faire exis-
ter que dans la plus compliquée des organisations ani-
males. On peut dire même qu’elle n’y est parvenue
qu'insensiblement et par des degrés en quelque sorte
nuancés ; qu’en l'instituant d’abord d’une manière
très obscure, et terminant ensuite par la rendre très
remarquable dans les plus parfaits des animaux.
Ainsi, tout acte de volonté étant une détermination
par la pensée, à la suite d’un choix, d’un jugement, et
tout mouvement volontaire étant la suite d’un acte de
volonté , c’est-à-dire, d’une détermination par la pré-
méditation, et conséquemment par acte d'intelligence,
dire que tous les animaux soient doués de mouvement
volontaire, c’est leur attribuer à tous généralement des
facultés d'intelligence : ce qui ne saurait être vrai, ce
qui ne peut être le propre de toutes les organisations
animales, ce qui contredit l’observation des faits rela-
tifs aux plus imparfaits des animaux, enfin, ce qui cons-
24 e INTRODUCTION.
titue une erreur manifeste, que les lumières de notre
siècle ne permettent plus de conserver (1).
Mais quoique ce soient les plus parfaits d’entre les
vertébrés qui puissent le plus agir volontairement ,
c’est-à-dire , à la suite d’une préméditation , parce
qu’en eflet, ils possèdeni, dans certains degrés, des fa-
cultés d'intelligence, l’obseryation atteste que chez les
animaux dont il s’agit, ces facultés sont rarement exer-
cées, et que dans la plupart de leurs actions , c’est la
puissance de leur sentiment intérieur, ému par des be-
soins , qui les entraînent et les fait agir immédiate-
ment, sans préméditation, et sans le concours d’aucun
acte de volonté de leur part.
Je n’ai point de terme pour exprimer cette puissance
intérieure dont jouissent non-seulement les animaux
intelligents, mais encore ceux qui ne sont doués que
de la faculté de sentir ; puissance qui, émue par un
besoin ressenti, fait agir immédiatement l'individu,
c’est-à-dire, dans l’instant même de l’émotion qu’il
éprouve; et si cet individu est de l’ordre de ceux qui
sont doués de facultés d’intelligence , il agit néan-
moins , dans cette circonstance, avant qu'aucune pré-
méditation , qu'aucune opération entre ses idées, ait
proyoqué sa volonté,
(1) Ce qui précéde répond de la manière la plus claire à ceux des
zoologistes qui confondent les actes de l'instinct avec ceux de l’intelli-
geucc. Dire que les abeilles, Les fourmis, etc. pensent, jugent, comparent
avec les ganglions abdominaux de leur système nerveux dépourvu du
cerveau ; c’est faire une proposition sans aucun fondement. Il n’y a d’ac-
tion volontaire que lorsqu'il y a choix de faire ou ne pas faire. Les ani-
maux sans vertèbres agissent nécessairement : dès qu’un insecte est par-
venu à l’état parfait, ses actes seront, dès cet instant même, ce qu’ils se-
ront pendant toule sa vie, ces actes lui sont imposés comme une fatalité
à laquelle il ne peut se soustraire ; l'animal intelligent depuis sa nais-
sance jusqu’à sa mort, expérimente sans cesse les circonstances exté-
rieures dans la perfection que lui permet son organisation, les compare
etchoisit,
INTRODUCTION: 25
C’est un fait positif, et qui n’a besoin que d’être re-
marqué pour être connu , savoir : Que dans les ani-
maux dont je viens de parler, et dans l’homme même,
par la seule émotion du sentiment intérieur, une action
se trouve aussitôt exécutée, sans que la pensée, le juge-
ment, en un mot, la volonté de l'individu y ait eu au-
cune part; et l’on sait qu’une impression ou qu’un
besoin subitement ressenti, suffit pour produire cette
émotion.
Ainsi , nous-mêmes, nous sommes assujettis, dans
certaines circonstances , à cette puissance intérieure
qui fait agir sans préméditation. Et, en effet, quoique
très souvent nous agissions par des actes de volonté
positive, très souvent aussi chacun de nous, entraîné
par des impressions intérieures et subites, exécute une
multitude d'actions, sans l’intervention de la pensée
et conséquemment d’aucun acte de volonté.
Cette puissance singulière, qui faitagir sans prémé-
aitation et à la suite des émotions éprouvées, est celle-là
même que l’on nomme instinct dans les animaux.
On vient de voir qu’elle ne leur est point particu-
lière, puisque nous y sommes aussi assujettis ; à cette
considération j’ajouterai qu’elle ne leur est pas même
générale; car les animaux que j’ai nommés apathiques,
comme ne jouissant point du sentiment, ne sauraient
agir par des émotions intérieures, enfin, ne sauraient
avoir d’instinct.
Ce n’est point ici que je dois développer le fonde-
ment de ces observations; mais ce qui est positif > et
ce qu’il est essentiel de dire, c’est que, parmi les causes
immédiates , soit de nos actions, soit de celles des ani-
maux , il faut nécessairement distinguer celles qui
s’exécutent à la suite d’une préméditation qui amène
la volonté, de celles qui se produisent immédiatement
à la suite des émotions du sentiment intérieur; et
26 INTRODUCTION.
qu'il faut même distinguer celles-là de celles qui ne
sont dues qu’à des excitations de l'extérieur; car tou-
tes ces causes immédiates d’actions sont essentiellement
différentes , et tous lesanimaux ne sauraient être assu-
jettis à la puissance de chacune d’elles; l’étendue des
différences d’organisation ne le permettant pas.
Ainsi, il n’est pas vrai que tous les animaux généra-
lement soient doués de mouvement volontaire, c’est-à-
dire, de la faculté d’agir par des actes de volonté; ces
actes étant essentiellement précédés de préméditation.
Voyons maintenant si la faculté de sentir est réelle-
ment le propre de tous les animaux, c’est-à-dire, si le
sentiment, dont on a fait l’un des caractères distinctifs
des animaux dans la définition qu’on en donne, ce qui
se trouve copié dans tous les ouvrages et répété par-
tout , leur est véritablement général ; ou, si ce n’est
pas une faculté particulière à certains d’entre eux,
comme l’est celle de mouvoir volontairement leurs
parties.
Il n’est aucun physiologiste qui ne sache très bien
que, sans l'influence d’un système nerveux , le senti-
ment ne saurait être produit. C’est une condition de
rigueur; et l’on sait même que ceux des nerfs qui
fournissent à certaines parties la faculté de sentir ,
cessent aussitôt, par leur lésion , d’y entretenir cette
faculté. C’est donc un fait positif que le sentiment est
un phénomène organique; qu'aucune matière quel-
conque n’a en elle-même la faculté de sentir(Phil. zool.,
vol. 2, p. 252); et qu’enfia, ce n’est que par le moyen
des nerfs que le phénomène du sentiment peut se pro-
duire. Il résulte de ces vérités, que personne actuelle-
ment ne saurait contester qu’un animal qui n’aurait
point de nerfs ne saurait sentir.
J’ajouterai maintenant, comme seconde condition ,
que le système nerveux doit être déjà assez avancé dans
INTRODUCTION. 27
sa composition pour pouvoir donner lieu au phéno-
mène du sentiment; car, je puis prouver que, pour
sentir , il ne suffit point à un animal d’avoir des nerfs;
mais qu'il faut en outre que son système nerveux soit
assez avancé dans sa composition pour que le phéno-
mène de la sensation puisse se produire en lui.
Ainsi, pour que le sentiment soit une faculté générale
aux animaux, il faut nécessairement que le système
nerveux, qui seul y peut donner lieu, soit commun à
tous sans exception ; qu’il fasse partie de tous les sys-
tèmes d’organisation que l’on observe parmi eux ; que
partout il y puisse exécuter ses fonctions ;et que la plus
simple des organisations animales soit cependant mu-
nie , non-seulement de nerfs, mais en outre de l’appa-
reil nerveux propre à produire le sentiment, tel que
celui qui se compose, au moins, d’un centre de rapport
auquel se rendent les nerfs qui peuvent causer la sen-
sation. Or, ce n’est point là du tout ce que la nature a
exécuté à l’égard de tous les animaux connus; et ce
n'est pas là non plus ce que les faits observés confir-
ment.
Dans les plus simples et les plus imparfaits des wé-
gétaux , la nature n’a établi que la vie végétale; elle
n'a pu modifier le tissu cellulaire de ces corps, et y tra-
cer diflérentes sortes de canaux.
De même , dans les animaux les plus imparfaits et
les plus simples en organisation , elle n’a établi que la
vie animale, c’est-à-dire, que l’ordre des choses essen-
tiel pour la faire exister ; aussi dans les corps gélati-
neux el presque sans consistance qui lui suflirent pour
cet objet, elle n’a pu ajouter aucun organe particulier
quelconque. Cela est évident, et l’observation de ces
animalcules atteste quelle n’a point fait autrement.
Que l’on cherche tant qu’on voudra dans une mo-
nade, dans une volyoce, ou dans une protée, des nerfs
28 INTRODUCTION.
aboutissant à un cerveau ou à une moelle longitudi-
nale, ce qui est nécessaire pour la production du sen-
timent, on sentira bientôt l’inutilité, Le ridicule même
de cette recherche.
Comme la nature a compliqué graduellement l’orga-
nisation animale, et a multiplié progressivement les
facultés à mesure qu’elles devenaient nécessaires , ce
que je prouverai bientôt, on reconnaît en s’élevant
dans l'échelle animale, à quel point de cette échelle
commence la faculté de sentir; car dès que cette fa-
culté existe , l’animal qui en jouit offre constamment
un appareil nerveux , très distinct, propre à la pro-
duire; et presque toujours alors, un ou plusieurs sens
particuliers se montrent à l’extérieur.
Enfin , lorsque l’appareil nerveux en question ne se
trouve plus, qu’il n’y a plus de centre de rapport pour
les nerfs, plus de cerveau, plus de moelle longitu-
dinale ; jamais alors l’animal ne présente aucun sens
distinct. Or, vouloir, dans ce cas, lui attribuer Je
sentiment , tandis qu’il n’en a pas l'organe, c’est évi-
demment se bercer d’une chimère.
On me dira peut-être que c’est un système de ma
part, de vouloir assurer que le sentiment n’a point
lieu dans un animal en qui l’on ne voit point de nerfs,
ou même qui en est réellement dépourvu ; puisque
l’on sait qu’en bien des cas la nature sait parvenir au
même but, par différents moyens.
À cela je répondrai que ce serait plutôt un système
de la part de ceux qui me feraient cette objection; car
ils ne sauraient prouver :
10 Que le sentiment soit nécessaire aux animaux qui
n’ont point de nerfs ;
2° Que là où les nerfs manquent, la faculté de sentir
puisse néanmoins exister.
INTRODUCTION. 29
Ce n’est assurement qne par système qu'on pourrait
supposer de pareilles choses.
Or, je puis montrer que si la nature eût donné la
faculté de sentir à des animaux aussi imparfaits que
les infusoires , les polypes , etc. , elle eût fait en cela
une chose à la fois inutile et dangereuse pour eux. En
eflet, ces animaux n’ayanit jamais besoin de choisir les
objets dont ils se nourrissent, de les aller chercher,
enfin, de se diriger vers eux, mais les trouvant tou-
jours à leur portée, parce que Îles eaux qui en sont rem-
plies , les tiennent sans cesse à leur disposition, l’in-
telligence pour juger et choisir, le sentiment pour
connaître et distinguer, seraient pour eux des facultés
superflues et dont ils ne feraient aucun usage. La der-
nière même (la faculté de sentir) serait probablement
nuisible à des animaux si délicats.
Le vrai en cela est que ce fut d’abord d'après les
organisations animales les plus perfectionnées que l’on
s’est formé une opinion sur la nature des animaux en
général ; et maintenant, cette opinion reçue fait que
l’on se sent porté à regarder comme système toute
considération qui tend à la renverser, quelqu’appuyée
qu'elle soit par les faits et par l’observation des lois de
la nature.
Sans avoir besoin d’entrer ici dans plus de détails,
je crois avoir prouvé qu'il n’est pas vrai que tous les
animaux soient généralement doués du sentiment; j'ai
démontré même que cela est impossible :
1° Parce que tous les animaux ne possèdent point
l'appareil nerveux nécessaire à la production du sen-
üument;
20 Parce que tous les animaux ne sont pas même
munis de nerfs, et qu'il n’y a que des nerfs aboutis-
sant à un centre de rapport, qui puissent donner lieu
à la faculté de sentir;
30 INTRODUCTION.
30 Parce que la faculté d’éprouver des sensations n’est
pas nécessaire à tous les animaux , et qu’elle pourrait
même être très nuisible aux plus frêles et aux plus im-
parfaits de ces êtres ;
4° Parce que le sentiment est un phénomène organi-
que, et non la faculté particulière d'aucune matière
quelconque ; et que ce phénomène, quelque admirable
qu’il soit , ne saurait être produit que par le système
d’organes qui en a le pouvoir;
50 Enfin, parce qu’on observe que le système ner-
veux, très compliqué dans les mammifères et sur-tout
dans les animaux des premiers genres des quadru-
manes, Va en se dégradant et se simplifiant de plus en
plus à mesure que l’on descend l’écheile animale; qu’il
perd progressivement, dans cette marche , plusieurs
des facultés dont il faisait jouir les animaux ; et qu’il
disparaît entièrement lui-même, long-temps avant
d’avoir atteint l’autre extrémité de l’échelle.
Si ce sont là des vérités attestées par l’observation;
si tous les animaux ne possèdent pas la faculté de sen-
tir , et n’ont pas celle d’agir volontairement , combien
est fautive la théorie généralement reçue, qui admet
pour définition de l’animal, la faculté du sentiment et
celle du mouvement volontaire (1).
Je ne m'étendrai pas ici davantage sur ce sujet; mais
ayant beaucoup de redressements à présenter, relati-
vement aux principes qu’il convient d'admettre en
zoologie, et devant compléter les considérations essen-
tielles qui peuvent, par leur connexion évidente, mon-
trer le fondement de ces principes, je vais diviser cette
Introduction en sept parties principales.
(1) La réfutation de Lamarck estcomplîte : elle est fondée sur ce que
le raisonnement a de plus juste ; elle est la conséquence nécessaire de
l'appréciation rigoureuse, les faits relatifs à l’organisation des animaux,
INTRODUCTION: 31
Dans la première, je traiterai des caractères essen-
tiels des animaux , comparés à ceux des autres corps
naturels que nous pouvons connaître , et je donnerai
une définition précise de ces êtres singuliers.
J'établirai, dans la seconde, l’existence d’une pro-
gression dans la composition de l’organisation des dif-
férents animaux , ainsi, que dans le nombre et l’émi-
nence des facultés qu’ils en obtiennent. Ce fait établi
d’après l’observation , deviendra décisif en faveur de
la théorie proposée.
Je traiterai dans la troisième, des moyens employés
par la nature pour instituer la vie animale dans un
corps où elle n’existait pas, composer ensuite progres-
sivement l’organisation des animaux, et établir en eux
différents organes particuliers, graduellement plus
compliqués, qui leur donnent des facultés en rapport
avec ces organes.
Dans la quatrième partie , les facultés observées dans
les animaux seront toutes considérées comme des phé-
nomènes uniquement organiques , et j'en offrirai la
preuve.
Dans le cinquième, je considérerai la source des pen-
chants et des passions, soit des animaux sensibles, soit
de l’homme même, et je montrerai qu’elle est un vé-
ritable produit du sentiment intérieur, et par suite,
de l’organisation.
. Dans la sixième , l’enchaînement des causes essen-
tielles à considérer m’oblige à traiter de la nature, c’est-
à-dire, de la puissance, en quelque sorte mécanique,
qui a donné l’existence aux animaux divers, et qui les
a fait nécessairement ce qu’ils sont. J’essaierai de fixer
les idées que nous devons attacher à ce mot si générale-
ment employé , et néanmoins si vague dans son accep-
ton.
Enfin, dans la septième et dernière partie, j’expo-
32 INTRODUCTION.
serai la distribution générale des animaux, ses divi-
sions, et les principes sur lesquels cette distribution
doit être fondée. Dès lors, le rang des différents ani-
maux sans vertèbres, et les rapports de ces êtres avec
les autres corps connus de notre globe, seront claire-
ment déterminés.
INTRODUCTION. 33
YOU —————
PREMIÈRE PARTIE.
DES CARACTÈRES ESSENTIELS DES ANIMAUX, COMPARÉS A
CEUX DES AUTRES CORPS DE NOTRE GLOBE.
Jusqu'ici, j'ai essayé de faire voir que le plan géné-
ral de nos études des animaux était fort imparfait, et
n'avait guère de valeur qu’à l’égard des nos classifica-
tions, de nos distinctions d'espèces, etc.
J'ai montré effectivement , que ce plan n’embrassait
nullement les moyens de nous procurer des notions
exactes, de ce que sont réellement les animaux, de ce
qu’ils tiennent de la nature, de ce qu’ils doivent
aux circonstances, enfin , de la source et des limites
de leurs facultés ; en sorte qu’il est résulté du plan
borné de nos études zoologiques , qu’actuellement
même , nous ne sommes pas encore en état d’attacher
au mot animal, des idées claires, justes et circons-
crites.
Pour fixer définitivement nos idées sur ce que sont
essentiellement les animaux , ainsi que sur les carac-
tères qui leur sont exclusivement propres , el pour
établir la véritable définition qu’il faut donner de ces
êtres, il m’a paru indispensable de comparer de nou-
veau ces mêmes êtres à tous ceux de notre globe, qui
ne sont point doués de la vie , et ensuite à ceux des
corps vivants qui ne font point partie du règne animal,
afin de déterminer les limites positives she séparent
ces différents êtres.
Tone 1, k à
34 INTRODUCTION.
Bien des personnes pourront regarder comme super-
flues les nouvelles déterminations des coupes primaires,
parmi les productions de la nature, dont j'entends
faire ici l'exposition ; supposant que celles que l’on a
établies sont suffisamment bonnes, assez connues, et
qu'aucune rectification ne leur est nécessaire. J'aurai
cependant occasion de montrer les incertitudes que les
distinctions primaires dont il s’agit n'ont pas dé-
truites , en citant les écarts évidents auxquels ellesont
donné lieu, même dans nos temps modernes.
Ainsi, reprenant dans ses fondements mêmes , l’édi-
fice entier de nos distinctions des corps naturels, je
vais considérer d’abord ce que sont essentiellement les
corps incapables de vivre; j’examinerai ensuite ce qui
constitue positivement les corps doués de la vie, et
quelles sont les conditions que l'existence et la conser-
vation de la faculté de vivre exigent en eux. De là,
passant à l’examen des végétaux en général, je mon-
trerai que ces corps vivants ont un caractère parlicu-
lier qui les distingue tellement des animaux, qu’ils ne
sauraient se confondre avec eux par aucun point de
leur série. Enfin, ne m’occupant que des considéra-
tions essentielles qui peuvent fixer ces distinctions
primaires, et n’entrant dans aucun détail afin d’ar-
river rapidementà mon but, je terminerai par exposer,
pour les animaux , des caractères essentiels et distinc-
tifs, qui ne laisseront nulle part, ni incertitude, ni
exception quelconque. Alors, la définition de chacune
de ces sortes de corps , se trouvera simple, claire, pré-
cise et tranchée.
Pour remplir cet objet, je vais diviser cette pre-
mière partie en quatre chapitres particuliers, et com-
mencer par celui qui a pour but de fixer Ja détermina-
tion des caractères essentiels des corps incapables de
vivre,
INTRODUCTION. 35
CHAPITRE PREMIER.
Des corps inorganiques, soit solides ou concrets, soit fluides, en qui le
phénomène de la vie ne saurait se reproduire , et des caractères es-
sentiels de ces corps.
Avant de rechercher ce que sont positivement, soit
les animaux, soit les végétaux, il importe de connaî-
tre ce que sont, de leur côté, les corps qui ne sau-
raient jouir de la vie, et de fixer nos idées sur l’état et
la nature de ces corps incapables de vivre. Alors, les
comparant avec ceux en qui le phénomène de la vie
peut se produire, les caractères qui indiquent la li-
mite qui sépare ces deux sortes de corps, pourront être
mis en évidence, s’ils existent.
Mon dessein n’est assurément pas de considérer ici
aucun des corps inorganiques en particulier, ni d’en-
trer dans le moindre détail sur l’étude déjà fort «van-
cée de ces corps; mais comme nous devons tàcher de
nous former une idée juste et claire de l'animal , nous
efforcer de le connaître sous tous ses rapports, et que
l'animal est essentiellement un corps vivant, il nous
importe, avant tout, de savoir en quoi les corps inca-
pables de posséder la vie, différent de ceux qui en jouis-
sent où peuvent en Jouir.
Ainsi, jetons un coup d’œil rapide sur ces corps in-
capables de vivre, et qui cependant fournissent les
matérieux de ceux que la vie anime; et fixons, d’une
manière positive, la limite qui la sépare des corps
vivants. Quoiqu’admise, cette hinite n'est pas tellement
déterminée, qu'on ait bien des fois tenté de la fran-
3*
36 INTRODUCTION.
chir de notre temps, en attribuant la vie à des objets
dans lesquels il est impossible qu'elle puisse exister (1).
En examinant attentivement tout ce que nous pou-
vons observer hors de nous, tout ce qui peut aflecter
nos sens el parvenir a notre connaissance, nous remar-
quons que, parmi tant de corps divers qui sont dans
ce cas, certains d’entre eux offrent cela de particulier,
qu’ils manquent de rapports communs , relativement
à leur origine, que-leur durée et leur volume ou leur
grandeur n’ont rien qui soit déterminable ; que la con-
servation de leur existence n’est assujettie à aucun be-
soin de leur part, et serait sans terme, si, par suite du
mouvement répandn dans toutes les parties de la
nature, et si, agissant plus ou moins les uns sur les
autres, selon les circonstances de leur situation, de
leur état et des affinités, ils n'étaient plus ou moins
exposés à des changements de toutes les sortes; et
qu'enfin, quoique beaucoup moins nombreux en es-
pèces que les autres , ces corps constituent, à eux seuls,
la masse principale du globe que nous habitons. Or,
c’est à ces mêmes corps, soit solides, soit liquides, soit
élastiques et gazeux, que nous donnons le nom de
corps inorganiques; et nous allons faire voir qu’en
aucun d’eux le phénomène de la vie ne saurait se pro-
duire.
Afin d’écarter le vague et toute opinon arbitraire
à leur égard, déterminons d’abord leurs caractères
essentiels.
(1) N’a-t-on pas osé dire que le globe terrestre est un corps vivant ;
qu'il en est de même des différents corps célestes; et confondant le
phénomène organique de La vie, qui donne des facultés toujours les
wèmes aux corps en qui on l’observe, avec le mouvement constamment
répandu dans Loates les parties de la nature, n’a-t-0n pas osé assimiler
la nature mème aux êtres doués de la vie ! ( Vote de Lamarck. )
INTRODUCTION. 37
Caractères généraux des corps inorganiques.
Les corps inorganiques, de quelque nature, consis-
tance et grandeur qu’ils soient, différent essentielle-
ment de ceux qui possèdent la vie;
10 En ce qu'ils n’ont l'individualité spécifique que
dans la molécule intégrante, qui constitue leur espèce
particulière, les masses et les volumes que peuvent
former, par leur réunion on par leur aggrégation, ces
molécules, n’ayant point de bornes, et n’opérant au-
cune modification de l’espèce dars leurs variations;
20 En ce qu’ils n’ont point tous un même genre
d’origine; les uns s'étant formés par l’apposition de
molécules déposées successivement à l'extérieur, et les
autres ayant élé produits, soit par des décompositions
partielles ou des altérations de certains corps, soit par
des combinaisons que des matières diverses et en con-
tact ont été exposées à former;
30 En ce qu’ils n’ont point un tissu cellulaire ser-
vant de base à une organisation intérieure ; mais seule-
ment une structure, un état quelconque d'aggrégation
ou de réunion de leurs molécules ;
4° En ce qu'ils n’ont aucun besoin à satisfaire pour
leur conservation ; |
50 En ce qu’ils n’ont point de facuités, mais seule-
ment des propriétés ;
60 En ce qu'ils n’ont point de terme assigné à la
durée d'existence des individus, leur fin, comme leur
origine, étant indéterminée et tenant à des circons-
tances fortuites ou accidentelles ;
7° En ce qu'ils n’ont aucun développement à opérer
en eux, qu'ils ne forment pointeux-mêmes leur propre
substance, et que ceux qui épro ivent des mouvye-
ments dans leurs parties, ne les acquièrent qu'acci-
38 INTRODUCTION.
dentellement, et ne les reçoivent jamais par excita-
tion.
80 Enfin, en ce qu’ils ne sont point assujettis à des
pertes nécessaires : qu'ils ne sauraient réparer eux-
mêmes les altérations que des causes fortuiles peuvent
leur faire éprouver; qu'ils ne sont point essentiellement
forcés à une succession gradueile de changement d’état;
qu'ils n’offrent dans leur aspect , ni les traits de la jeu-
nesse, ni ceux de la vieillesse ; en un mot, que ne con-
naissant point la vie, ils n’ont point de mort à subir {1).
Tels sont les caractères essentiels des corps incrgani-
ques , de ces corps dont la nature et l’individualité de
l'espèce, ne résident absolument que dans la molécule
intégrante qui les constitue, et dont aucun individu
ne saurait en lui-même posséder la vie, parce qu'il
est impossible qu’une molécule intégrante puisse
offrir le phénomène de la vie, sans être détruite dans
l'instant même; enfin , de ces corps qui, par la réunion
de leurs molécules , peuvent former des masses diverses
dans lesquelles la vie peut exister, mais seulement
dans le cas où elles ont pu être organisées, et recevoir
dans leur intérieur l’ordre et l’état des choses qui per-
meltent les mouvements vitaux et ies changements
qu'ils exécutent.
En effet, la vie, dans un corps, consistant, comme
je le prouverai, en une suite de mouvements qui amè-
nent dans ce corps une suite de changements forcés ,
la nature ne saurait l’instituer dans une molécule in--
(1) Cette définition que Lamarck a donnée dans cette forme pour
être facilement comparée à celles du végétal et de l'animal, pourrait
être réduite, car la propriété essentiellement distinctive des corps inor-
ganiques est de s’accroître de dehors en dedans par additions molécu-
laires, tandis que les corps organisés s’accroissent de dedans en dehors
par assimilation ou intus susception.
INTRODUCTION: 39
tégrante quelconque, sans détruire aussitôt l’état, la
forme et les propriétés de cette molécule. Ne sait-on
pas que le propre de toute molécule intégrante est de
ne pouvoir conserver sa nature et ses propriétés, qu’au-
tant qu’elle conserve sa forme, sa densité et son état ?
en sorte que c’est uniquement sur cette constance de
forme pour chaque espèce, que sont fondés les prin-
cipes de la crystallographie que M. Haïüy a si heureu-
sement découverts et si habilement développés.
Ainsi , la wie ne saurait exister dans une molécule
intégrante de qftelque nature qu’elle soit; et cepen-
dant tout corps inorganique n’a l’individualité de son
espèce que dans sa molécule intégrante. Elle ne sau-
rait exister non plus dans une masse de molécules in-
tégrantes réunies , si cette masse n’a reçu l’organisation
qui lui donne alors l’individualité, c’est-à-dire, si elle
n’a reçu dans son intérieur l’ordre et l’état de choses
qui permettent en elle l’exécution des mouvements
vitaux.
Voilà des vérités de fait qu’il était important d’éta-
blir, et qui montrent l'intervalle considérable qui sé-
pare les corps inorganiques de ceux qui sont vivants:
Ce n’est, comme nous le verrons, que dans une
masse de molécules intégrantes diverses, réunies en un
corps particulier , que la nature peut instituer la vie,
et jamais dans une molécule intégrante seule; et elle
n’y parvient que lorsqu'elle a pu établir dans ce corps
particulier, l’état et l’ordre de choses nécessaires pour
que le phénomène de la vie puisse s’y produire. Or,
cet état et cet ordre de choses nécessaires à la produc-
tion de la vie, constituent à la fois et l’organisation de
ce corps, et son individualité spécifique. Il en résulte
qu’à l’instant même où un corps qui jouissait de la vie,
a perdu dans ses parties l’état des choses qui permet-
taient l’exécution de ce phénomène, et qu'ilest, parcette
40 INTRODUCTION.
perte, devenu incapable de offrir désormais ; aussitôt
alors ce corps perd l’individualité spécifique, et fait
partie des corps inorganiques , quoiqu'il présente en-
core les restes grossiers d’une organisation qu'il a pos-
sédée, organisation qui achève graduellement de
s’'anéantir , ainsi que la propre substance de ce même
corps.
La vue des restes de l’organisation d’un corps qui a
vécu , mais en qui le phénomène de la vie ne peut plus
s’exécuter, ne saurait donc laisser a@tcun doute sur le
règne auqu:] ce corps appartient alors.
Ainsi , les corps généralement appelés inorganiques,
et qui forment un règne si distinct des corps vivants,
n’ont pas pour caractère unique, de n’offrir aucune
apparence d’organisalion; mais ils ont celui d’avoir
leurs parties dans un état qui rend impossible en eux
la production du phénomène de la vie.
Ces caractères mis en opposition avec ceux des corps
vivants , nous font connaître l’existence d’un hiatus,
en quelque sorte immense , entre les uns et les autres;
hiatus constitué par l’impossibilité des uns de donner
lieu au phénomène de la vie, tandis que l’exécution
de ce phéuomène est possible et presque toujours ef-
fectif dans les autres. Aussi ces deux sortes de corps
comparés, présentent une si grande différence dans
tout ce qui les concerne, qu’il n’est pas possible de
trouver un seul motif raisonnable pour supposer que
Ja nature ait pu les réunir quelque part, c’est-à-dire,
passer des uns aux autres par une véritable nuance.
Par leur rapprochement et l’amas qu’en a causés la
gravitation universelle, les corps inorganiques cons-
tituent eux seuls la masse principale du globe que
uous habitons; et bien inférieurs aux corps vivants en
diversité d’espèces, ce sont eux cependant qui, par
les grands volümes et les grandes masses qu’ils forment,
INTRODUCTION: 4x
occupent presque entièrement la place que tient dans
l’espace le globe terrestre.
À leur égard , néanmoins, les volumes et les masses
de ces corps ne se conservent pas toujours indéfini-
ment; Car ceux sur-tout qui se trouvent à la surface
du globe, éprouvent sans cesse, de la part des agents
répulsifs et pénétrants qui y dominent, des effets qui
détachent peu à peu les particules de leur superficie.
Alors, les lavages produits par les eaux pluviales, en-
traînent, charrient et déposent ailleurs successivement
ces particules; et toutes celles qui se trouvent réduites
en molécules intégrantes libres, l’aggrégation les réunit
et les consolide en nouvelles masses, ou en accroît les
masses déjà existantes qui les reçoivent.
À l’action des agents répulsifs et pénétrants , qui ne
font que séparer les particules des corps que les cir-
constances où elles se trouvent rendent séparables, si
l’on ajoute celle des agents altérants ou chimiques,
qui peut aussi s'exercer sur ces mêmes corps, ainsi que
celle des affinités qui dirigent alors chaque action de
ces agents, on aura dans ces trois grandes causes,
celles qui donnent lieu à toutes les mutations qu’on
observe dans la nature, les volumes et les masses des
corps inorganiques.
Il n'importe nullement à mon objet d'indiquer ici
la nature particulière d'aucun des corps inorganiques
qui ont été observés; mais la nécessité où je suis d’at-
tirer l'attention sur certains de ces corps, parce qu'ils
jouent un grand rôle dans le phénomène de la vie, et
parce que ce phénomène ne saurait s’exécuter sans eux ;
cette nécessité, dis-je, me met dans le cas de m'occuper
ici somumairement des corps incapables de vivre, et de
les distinguer, dans cette vue, en corps solides ou con-
crets, et en corps fluides.
Les corps inorganiques solides présentent des ma-
42 INTRODUCTION.
tières diverses, le plus souvent composées, formant
des masses plus ou moins dures, plus ou moins denses,
et de différente grandeur. Ges masses résultent d’une
aggrégation de molécules intégrantes, soit homogènes,
soit hétérogènes, qui ont entre elles une adhérence
ou une cohésion plus ou moins considérable : or,
chacun sait :
Que ces masses le plus souvent pierreuses, nous
offrent des terres diverses, qui se rencontrent les unes
pures, les autres mélangées; les unes acidifères , les
autrés sans union avec aucun acide.
Qu’en outre, parmi ces masses solides de toute
grandeur et diversement entassées les unes sur les au-
tres, on trouve des acides et des alcalis presque tou-
jours combinés avec quelque matière concrète, des
métaux différents, soit natifs, soit oxidés ; des matières
combustibles dans l’état concret, soit pures, soit mé-
langées ou combinées; enfin des aggrégats divers, la
plupart sous forme de roche d’ancienne et de nouvelle
formation, ainsi que des matières pierreuses altérées
par le feu des volcans.
Tous ces objets constituent les matériaux d’une
science particulière que l’on a nommée minéralogie ;
et ce sont eux principalement que l’on considère
commecomposant le règne minéral. Ils n’intéressent
celui qui s'occupe du phénomène de la vie, que comme
fournissant une partie des matériaux qui forment les
corps vivants.
Les corps inorganiques fluides sont constitués par des
matières dont les molécules intégrantes, quelles qu’elles
soient, n’ont point d’adhérence entre elles, ou en ont
une si faible qu’elle ne saurait les retenir dans leur
situation, lorsque la gravitation sollicite leur dépla-
cement. Par une cause connue, les molécules de ces
corps sont entretenues dans cet état.
INTRODUCTION. 43
Ces corps fluides doivent aussi faire partie du règne
que je viens de citer; car on sait que la plupart forme-
raient des corps solides ou concrets, si la cause qui
maintient leur fluidité n’agissait plus.
On prendra de ces fluides une idée générale qu'il
importe de ne pas perdre de vue, en considérant :
10 Que les uns sont des //uides liquides , peu ou.
point compressibles, et qui, réunis en masse, se voient
toujours aisément. Or, indépendamment de ceux qui
font partie de différents corps concrets et que l’on en
peut obtenir, l’eau considérée dans’son état ordinaire,
et qui est si abondamment répandue dans notre globe,
nous offre le principal de ces fluides liquides;
20 Que les autres sont des fluides élastiques, gazeux,
et la plupart entièrement invisibles. Cr, c’est parmi
ceux-ci qu'il est néeessaire d'établir une distinction;
car il y en a de deux sortes particulières, qui sont
très importantes à considérer , à cause de leur influence
dans un grand nombre de phénomènes qui seraient
inintelligibles sans la considération de cette influence :
ainsi il faut les diviser;
19 En fuides élastiques coërcibles , contenables et
sensiblement pondérables ;
29 En fluides subtils , incontenables et qui parais-
sent incoërcibles, étant pénétrants ct pour nous im-
pondérables.
Les fluides élastiques, coërcibles , contenables ,
pondérables , sont ceux dont on peut renfermer et con-
server des portions dans des vaisseaux clos: ce qui nous
donve des moyens de les examiner et de les bien con-
naître , en les soumettant à nos expériences.
L’air aimosphérique et les différents gaz dont les
chimistes nous ont donné la connaissance , appartien-
nent à cette division.
Les /luides subtils, incontenables, pénétrants et
44 INTRODUCTION,
impondérables, sont ceux dont on ne peu saisir et con-
server aucune portion dans des vaisseaux clos; que
nous ne pouvons soumettre que difhcilement et très
imparfaitement à nos expériences; que nous ne con-
naissons qu’incompiètement , mais dont cependant
l'existence nous est assurée par l'observation.
Or, ce sont précisément ces fluides subtils qu’il
nous importe le plus ici de considérer; car ce sont
ceux qui, dans notre globe, produisent les phénomènes
les plus étonnants, les plus curieux, les moins connus;
ce sont ceux qui, par leur action sans cesse renou-
velée, constituent la cause excitatrice des mouvements
Vilaux dans tout corps organisé en qui ces mouvye-
ments sont exécutables; en un mot, ce sont ceux que
lebi ologiste ne saurait se dispenser de prendre en con-
sidération, s’il veut entendre quelque chose au phé-
nomène de la vie, et saisir la cause des autres phéno-
mènes que la vie, dans les animaux, peut amener
successivement, en compliquant de plus en plus leur
organisation.
On sait assez que les fluides singuliers et incontena-
bles dont je parle, fluides qui sont si pénétrants et si
subtils, sont le calorique, l'électricité , le fluide ma-
gnélique , etc. , auxquels peut-être il faut joindre la
lumière, à cause de sa grande influence sur l’état et la
conservation des corps vivants (1).
Ces fluides subtils remplissent partout, quoiqu’iné-
galement , la masse entière de notre globe et son at-
(1) Outre qu'il peut exister d’autres fluides incontenables et très
subtils que nous ne sommes pas encore parvenus à apercevoir ou à dis-
tinguer, je n’associe la lumière qu'avec doute , aux autres fluides que
je viens de citer; parce que cette matière n'appartient pas exclusive-
ment à notre globe, et parce qu’elle paraît à peine un fluide, ses parti-
cules ne se mouvant qu’en ligne droite. ( Vote de Zamarck. )
INTRODUCTION. 45
mosphère. La piupart pénètrent, se répandent et se
meuvent sans cesse, soit dans les interstices des autres
corps, soit dans leur porosité ; enfin, ils sont si impor-
tants à considérer , qu’il est certain que, sans eux, ou
au moins sans cerlains d’entre eux , le phénomène de
la vie ne saurait être produit dans aucun corps.
Indépendamment de ses mouvements de déplace-
ment, un d'entre eux au moins ( le calorique ), se
trouve constamment dans un état répulsif plus ou
moins intense , selon le degré de coërcion dans lequel
il se rencontre. Il tend donc sans cesse à écarter ou à
séparer les particules réunies des corps.
L'électricité elle-même est dans un cas semblable,
toutes les fois que des masses de cette matière se trou-
vent coërcées momentanément par une cause quel-
conque.
Je viens de dire que les fluides subtils et pénétrants
cités ci-dessus, sont sans cesse en mouvement dans les
différentes parties de notre globe, dans tous les mi-
lieux qui composent sa masse, dans les interstices et
même dans la porosité des corps. De cette vérité, qu’at-
testent les faits connus qui concernent ces fluides, il
résulte que ces mêmes fluides sont partout dans une
activité continuelle, et qu'ils exercent une influence
réelle sur la plupart des phénomènes que nous obser-
vons. (
Or, pour montrer que les fluides subtils dont il
s’agit, sont sans cesse en mouvement dans notre globe,
il n’est nullement nécessaire d’attribuer à aucun d’eux
le moindre mouvement en propre; il suffit de consi-
dérer que, par leur extrême mobilité et Jeur facile
condensation, iis sont, plus même que les autres corps,
assujéltis à participer aux mouvements répandus et en-
tretenus dans toutes les parties de ia nature.
‘
Ainsi , sans remonter à la cause du mouvement
46 INTRODUCTION.
diurne de rotation de notre globe sur son axe, ni à
celle de son mouvement annuel autour du soleil, nous
ferons remarquer que ces deux mouvements non in-
terrompus de notre globe, entraînent nécessairement
ceux des fluides subtils dont il est question; qu'ils les
exposent à des déplacements continuels, et les mettent
sans cesse, pour ainsi dire, dans un état d’agitation et
de condensation instantanée et diverse.
En effet, que l’on considère les alternatives perpé-
tuelles de lumière et d’obscurité que le jour et la nuit
entretiennent sur diflérents points de notre globe,
celles que les saisons, les vents, etc. , produisent pres-
ue continuellement dans son atmosphère, on sentira
qu’il doit en résulter des variations locales et toujours
renaissantes, dans la température et la densité de l'air
atmosphérique , dans la sécheresse ou l’humidité de
diverses parties de sa masse, et dans les quantités d’é-
lectricité qui pourront se reproduire et s’accumuler
localement dans l’atmosphère, ou en être expulsés plus
ou moins complètement , selon ces diverses circons-.
tances.
Il sera toujours vrai de dire que, dans chaque point
considéré de notre globe où ils peuvent pénétrer , la
lumière, le calorique, l'électricité, etc , ne s’y trouvent
pas deux instants de suile en même quantité, en même
état, et n’y conservent pas la même intensité d’ac-
ton.
L'on sent donc que les luides subtils, incoërcibles
et penétrants # dont il vient d’être question , consti-
tuent nécessairement une source féconde en phénomè-
nes divers : et qu'eux seuls peuvent offrir cette cause
singulière, excitatrice des mouvements vitaux dans les
corps où ces mouvements sont possibles.
Nous étant formé une idée claire des caractères es-
sentiéls des corps inorganiques, soit solides, soit flui-
INTRODUCTION. 47
des, passons maintenant à l’examen de ceux qui sont
le propre des corps vivants (1).
CHAPITRE Il.
Des corps vivants, et de leurs caractères essentiels.
Ve l’idée, plus ou moins juste, que nous nous for-
merons des corps vivants en général, dépendront Îa
solidité plus ou moins grande de nos connaissances
sur le phénomène de la wie, et ceile aussi, plus ou
moins grande , de nos théories physiologiques , soit
végétales, soit animales.
Nous devons donc apporter la plus grande circons-
pection dans les conséquences que nous tirerons des
faits mêmes pour cet objet ; et nous rappeler que c’est
sur-tout ici qu'il faut éviter notre écueil ordinaire,
celui de conclure du particulier au général.
Sans doute, il est très dangereux de rechercher direc-
tement, à l’aide de notre imagination , ce que sont les
corps vivants, ce qu'est la vie elle-même qu'ils possè-
(1) Les découvertes récentes de la physique et de la chimie font sup-
poser ayec quelque raison que la chaleur, l'électricité et le magnétisme
ne sont que des modifications d’un même agent. Les belles découvertes
de M. Duperrey , qui a démontré la coïncidence parfaite des lignes
isothermes avec celles d'égale intensité magnétique, tendent à prouver
que le magnétisme n’est que la manifestation de la chaleur propre du
globe terrestre.
Des physiologistes recommandables pensent que le fluide magnétique
modifié d’une manière particulière, est l’agent essentiel de la vie, et que
les appareils nerveux ne sont destinés qu’à le contenir , le renouveler
et le transmettre ; mais les êtres vivants qui n’ont point de nerfs, com-
ment expliquer la vie chez eux dans cette hypothèse ?
48 INTRODUCTION:
dentet qui les distingue des corps qui ne sauraient en
jouir! mais j'ai depuis long -temps remarqué et fait
connaître une voie plus assurée pour atteindre le même
but sans s’exposer autant à l’erreur ; c’est celle de
fixer, d’après l’observation , les conditions essentielles
à l’existence des corps vivants, et ensuite à celle de
la wie.
La détermination de ces conditions n’exige aucun
raisonnement de notre part, mais seulement un fon-
dement reconnu ou incontestable dans les faits cités.
Enfin, ces mêmes conditions , en nous éclairant sur la
nature des objets considérés, deviendront les caractères
distinctifs de certains de ces objets. :
Avant d'établir positivement ces caractères, et con-
séquemment les conditions essentielles à l’existence
des corps wivants, considérons les observations sui-
vantes.
A mesure que notre attention fut dirigée sur ce
qui est hors de nous , sur ce qui nous environne, et
particulièrement sur les objets qui se sont trouvés à la
portée de nos observations, outre les corps inorgani-
ques et sans vie qui constituent presque la masse en-
tière de notre globe, nous avons distingué et reconnu
l'existence d’une multitude de corps singuliers qui,
quelque différents qu’ils soient les uns des autres, ont
tous une manière d’être qui leur est commune et à la
fois particulière.
Ces corps, en effet, ont tous un même genre d’ori-
gine, des termes à leur durée , et des besoins à satis-
faire pour se conserver, et ne subsistent qu’à l’aide
d’un phévomène intérieur qu’on a nommé la wie , et
d’une organisation qui permet à ce phénomène de
s’exécuter,
Voilà déjà, dans ce peu de faits positifs, des condi-
tions essentielles à l'existence de ces corps. Il y en a
INTRODUCTION, 49
bien d’autres encore que je citerai bientôt; et l'on
sentira que ce ne peut être que de leur ensemble que
naîtra la seule idée juste que nous puissions nous for-
mer des corps dont il s’agit.
Ayant exposé dans ma Philosophie zoologique (vol.
1, p. 400) les conditions essentielles à l’existence de
la vie, je ne vais m'occuper ici que des corps en qui
ce phénomène s’exécute ou peut se produire.
C’est aux corps singuliers et vraiment admirables
dont je viens de parler, qu’on a donné le nom de corps
vivants; et la vie qu’ils possèdent, ainsi que les facul-
tés qu’ils en obtiennent, les distinguent essentielle-
ment des autres corps de la nature. Ils offrent en eux
et dans les phénomènes divers qu’ils présentent, les
matériaux d’une science particulière qui n’est pas en-
core fondée, qui n’a pas même de nom, dont j'ai
proposé quelques bases dans ma Philosophie zoologique,
et à laquelle je donnerai le nom de Biologie.
On conçoit que tout ce qui est généralement com-
mun aux végétaux el aux animaux, comme toutes les
facultés qui sont propres à chacun de ces êtres, sans
exception, doit constituer l’unique et vaste objet de
la Biologie ; car les deux sortes d’êtres que je viens de
citer, sont tous essentiellement des corps vivants, et
ce sont les seuls êtres de cette nature qui existent sur
notre globe.
Les considérations qui appartiennent à la Biologie
sont donc tout-à-fait indépendantes des différences
que les végétaux et les animaux peuvent offrir dans
leur nature, leur état et les facultés qui peuvent être
particulières à certains d’entre eux.
Si les facultés généralement communes aux êtres
vivants, et qui sont exclusives pour tous les autres,
nous paraissent admirables, nous semblent mème des
merveilles, telles que celles :
Tome 1. 4
50 INTRODUCTION.
10 d’oflrir en eux le phénomène de la vie;
20 de se nourrir à l’aide de matières étrangères in-
corporées ;
30 de former eux-mêmes les substances dont leur
corps est composé, ainsi que celles qui s’en séparent
par les sécrétions ;
4° de se développer et de s’aecroître jusqu’à un terme
particulier à chacun d’eux :
bo de se régénérer eux-mêmes, c’est-à-dire , de pro-
duire d’autres corps qui leur soient en tout sem-
blables, etc.,
C'est parce que nous n’avons pas réellement étudié
les moyens de la nature ct la marche constante qu’elle
suit en les employant ; c’est parce que nous n’avons
pas examiné l’influence qu'exercent les circonstances
et les variations qu’eiles exécutent dans les produits
de ces moyens.
Par ce défaut d'étude et d'examen de ce qui a réelle-
ment lieu, les faits observés à l'égard des corps vivants,
nous paraissent des merveilles inconcevables; et nous
croyons pouvoir suppléer aux observations qui nous
manquent sur les moyens et la marche de la nature,
en imaginant des hypothèses qui seraient bientôt re-
poussées par les lois qu'elle suit dans ses opérations,
si nous les connaissions mieux.
Par exemple, ne prétend-on pas que les engrais
fournissent aux végétaux des substances particulières,
autres que l’humidité, pour les nourrir; tandis que
ces matières, plus propres que les autres à conserver
l'humidité (l’eau divisée), ne servent qu'à entretenir
autour des racines des plantes celle qui est favorable
leur végétation. Et si certains engrais sont plus
avantageux que d'autres à certaines races, n’est-ce
pas parce’ qu'ils conservent l'humidité dans le degré
qui leur convient? Enfin, si les particules de certaines
PI: INTRODUCTION. 5T
matières entraînées par l’eau que pompent les racines,
donnent à ces végétaux les qualités particulières , cela
empèche-t-il que ces matières ne soient vraiment
étrangères et nullement nécessaires à la végétation de
ces plantes?
Je me borne à la citation d’un seul exemple de nos
états dans les conséquences que nous tirons des faits
observés à l’égard des corps vivants; d’autres exemples
m'entraîneraient trop hors de mon sujet.
Je dirai seulement que, ne considérant pas certaines
limites que la nature ne saurait franchir, bien des
personnes commetlent une erreur en croyant qu’il
existe une chaîne graduée qui lie entre eux les difié-
rents corps qu’elle a produits. Il suivrait de cette
Opinion que les corps inorganiques se nuanceraient
quelque part avec les corps vivants, savoir, avec les
végétaux les plus simples en organisation; et que les
végétaux eux-mêmes, tenant le milieu entre les deux
autres règnes, se confondraient avec les animaux par
quelque point de leur série réciproque.
L’imagination seule a pu donner lieu à une pareille
idée, qui est ancienne, et qu’on a renouvelée dans
différents ouvrages modernes. Mais je prouverai qu’il
n’y à point de chaîne réelle qui lie généralement entre
elles les productions de la nature, et qu’il ne peut s’en
trouver que dans certaines branches des séries qu’elles
forment ; encore ne s’y montre-t-elle que sous certains
rapports généraux (1).
\
(1) I west donc pas juste de dire, comme l’a fait encore tout récem-
ment le savant Geoffroy Saint-Hilaire, dans son mémoire intitulé Pa-
læontographie (page 12, note 6), que Lamarck a reproduit et déve-
loppé la pensée de Telliamud; il la combat au contraire ici comme
daûs la philosophie zoologique , ain:i ue dans la suite de cette intro-
duction, ( deuxième partie ete,, de l'existence d’une progression dans
les animaux ).
4*
5a INTRODUCTION.
Pour éviter les raisonnements, les discussions par-
ticulières, et faire connaître les conditions essentielles
à l’existence des corps vivants, je vais exposer les vrais
caractères de ces corps. Ilsme fourniront une distinction
positive et très grande entre les corps inorganiques et
ceux qui jouissent de la vie. Ensuite, j'en établirai une
de toute évidence entre les plantes et les animaux; en
sorte que l’on pourra se convaincre que ces trois
branches des produits de la nature sont véritablement
isolées, et ne se lient nulle part entre elles par aucune
nuance.
Déjà nous avons vu les caractères essentiels des corps
inorganiques , auxquels il faut joindre ceux qui, pos-
sédant les restes d’une organisation qui a existé en eux,
sont devenus incapables d’être animés par la vie. Main-
tenant, pour effectuer notre comparaison, examinons
les principaux traits qui caractérisent les corps vivants,
et qui mettent, entre eux et les corps inorganiques ,
une distance considérable.
Caractères généraux des corps vivants.
Les corps vivants, par des causes physiques déter-
minables, ont tous généralement :
19 L’individualité de l'espèce existante dans la réu-
nion , la disposition et l’état des molécules inté-
grantes diverses qui composent leurs corps, et jamais
dans aucune de ces molécules considérée séparé-
ment (1);
…
(1) L’individualité spécifique des corps vivants réside toujours dans
une masse résultante de la réunion et de la disposition de molécules
inlégrantes diverses ; mais elle est tantôt simple et tantôt composée,
Elle est simple, lorsqu'elle réside dans le corps entier ;elle est com-
posée, lorsque le corps entier est lui-même composé d'individus
réunis.
Dans la plupart des végétaux, comme dans un grand nombre de
INTRODUCTION: 53
2° Le corps composé de deux sortes essentielles de
parties; savoir : de parties concrètes, toutes ou la plu-
part contenantes , ei de fluides libres contenus; les
premières étant généralement constituées par un tissu
cellulaire flexible, susceptible d’être modifié diverse-
ment par les mouvements des fluides contenus, et de
former différents organes particuliers;
30 Des mouvements internes, dits vitaux, qui ne
sont produits que par des causes excitatrices ou stimu-
lantes; mouvements qui peuvent être, soit accélérés,
soit ralentis ou même suspendus, mais qui sont né-
cessaires aux développements de ces corps:
40 Un ordre ou un état de choses dans les parties
qui, tant qu'ils subsistent, rendent possibles les
mouvements vitaux dont l’exécution constitue le phé-
nomène de la vie (1); mouvements qui amènent dans
le corps une suite de changements forcée ;
polypes, l’individualité est évidemment composée ; en sorte qu’elle
résulte d'individus réunis, mais distincts, qui donnent lieu, en général,
à un corps commun non individuel (a). ( Vote de Lamarck. )
(1) Dans ma Philosophie zoologique (v. 1, p. 403), j’ai fait voir que
la vie , dans tout corps qui en est doué, résulte dans ce corps de l’exis-
tence d’un ordre et d’un état de choses dans ses parties, y permettent les
mouvements organiques ou vitaux , et que ces mouvements néanmoins
ne s’exécutent qu’à la provocation d’une cause excitante.
Ainsi, la vie, dans un corps, consiste en une suite de mouvements
excités , qui s’y renouvellent et s’y maintiennent tant que l’ordre et
l’état de choses dans ses parties les permettent, et que la cause qui les
excite est subsistante. Il faut donc reconnaitre dans un corps vivant
l'existence simultanée de ces deux conditions essentielles à la produc-
tion du phénomène de la vie. ( Vote de Lamarck. }
(a) Dans ces derniers temps un anatomiste fort distingué, M. Dugès,
dans un mémoire intitulé Conformités organiques, a proposé de donner
le nom de zonite à l’amimal simple, dont plusieurs individus réunis con-
stituent un animal plus composé. M. Dugès n’a pas cité cette note de
Lamarck, quoiqu'il présentàt sous une autre forme et un peu modifiée
la même idée : nous reviendrons plus tard sur ce sujet intéressant.
54 INTRODUCTION.
5° Des pertes à subir et des réparations à opérer,
entre lesquelles une parfaite égalité ne saurait exister;
et d’où résulte dans tout corps animé par la vie , une
succession de changements d'état, qui amène pour
chaque individu, la différence de la jeunesse à la vieil-
lesse, et ensuite sa destruction au moment où le phé-
nomène de la vie cesse de pouvoir se produire ;
6° Des besoins à satisfaire pour leur conservation,
ce qui les met dans la nécessité de s'approprier des
malières étrangères qui les nourrissent , et qu’ils chan-
gent et transforment en leur propre substance ;
7° Des développements à opérer pendant un temps
quelconque dans toutes les parties; développements
qui constituent leur accroissement jusqu’à un terme
particulier à chacun d’eux, et qui produisent la diflé-
rence de taille, de volume et d'état, entre le corps
nouvellement formé, et le même corps développé
complétement ;
80 Un même genre d’origine (1); car ils provien-
nent les uns des autres, non par des développements
successifs de germes préexistans, mais par l'isolement
et ensuite la séparation qui s'opère d’une partie de
leur corps, ou d’une portion de leur substance, la-
quelle, préparée selon le système d’organisation de
l'individu, donne lieu au mode particulier de repro-
duction qu’on lui observe;
9° Des facultés qui leur sont généralement com-
munes , et qui sont exclusives pour tous les corps
vivants, indépendamment de celles qui sont particu-
lières à certains d’entre eux;
(x) II faut en excepter les générations, dites spontanées, c’est-à-dire
celles que la nature produit immédiatement , comne à l’origine de
Chaque règne organique, et probablement encore à celle des premières
de leurs branches: ( Vote de Lamarck. )
INTRODUCTION: 55
109 Enfin, des termes assignés à la durée d'existence
des individus; la vie, par sa propre durée, amenant
elle-même une altération des parties qui, parvenues
à un certain point, ne permet plus au phénomène qui
la constitue de continuer de s’opérer; en sorte qu’alors
la plus légère cause de désordre arrête ses mouvements,
et c’est à l'instant de leur cessation , sans possibilité
de retour , qu’on nomme la mort de l'individu.
Ce sont-là les dix caractères essentiels des Corps
vivants , caractères qui leur sont communs à tous. Or,
on ne trouve rien de semblable à l'égard des corps
inorganiques. Leur nature conséquemment est. très
différente.
Par cette opposition des caractères qui distinguent
les corps vivants de ceux qui ne peuvent posséder la
vie, on apercevra facilement lénorme différence qui
se trouve entre ces deux sortes de corps; et l’on con-
cevra, malgré tout ce que l’on peut dire, qu'il n’y a
point d’intermédiaire entre eux, point de nuance qui
les rapproche et qui puisse les réunir. Les uns et les
autres, néanmoins, sont de véritables productions de
la nature : ils résultent tous de ses moyens, des
mouvements répandus dans ses parties, des lois qui
en régissent tous les genres ; enfin des affinités, grandes
ou petites, qui se trouvent entre Îles différentes ma-
tières qu’elle emploie dans ses opérations.
Quoique les corps vivants soient ici ceux qui nous
intéressent le plus, puisque Îes objets dont nous avons
à nous occuper en font partie, je ne développerai
aucun des caracières cités qui leur sont propres. Je
rappellerai seulement quelques considérations impor-
tantes, qui dérivent de ces caractères, et qu'il est. né-
cessaire de ne pas perdre de vue; savoir :
" 1° Que tous exigent, pour pouvoir vivre, c’est-à-
dire, pour que leurs mouvements vitaux puissent
56 INTRODUCTION.
s’exécuter , non-seulement un état et un ordre de
choses dans leurs parties , qui permettent les mouve-
ments de la vie, mais en outre l’action d’une cause
stimulante capable d’exciter ces mouvements ;
2" Que leur corps étant essentiellement constitué
par un tissu cellulaire, ce tissu est en quelque sorte
la gangue dans laquelle des fluides contenus et mis en
mouvement, ont formé diflérents organes, selon que
les mouvements de ces fluides se sont plus accélérés,
plus diversifiés, et se sont exécutés dans des parties
plus différentes ;
30 Que tous, à l’aide des matières étrangères dont
ils se saisissent ou qu'ils absorbent, et dont ensuite
ils élaborent, assimilent et s’approprient les parties
employées, composent eux-mêmes leur propre sub-
stance, en accroissent leurs parties tant que cela est
possible, et en réparent plus ou moins complétement
les pertes : ce sont-là leurs principaux besoins;
4° Que toutes leurs parties, et sur-tout leurs fluides
propres, sont dans un éfat continuel de changement
lent ou rapide; que les molécules qui les constituent,
se composent pour arriver à l’état qui les rend utiles,
s’altèrent ensuite , et sont renouvelés de même par des
remplacements successifs à l’aide des aliments, des
absorptions , de l’influence de l’oxigène et de l’activité
de la vie; en sorte que des changements que ces parties
subissent dans leurs molécules intégrantes, il résulte
dans leurs solides, des renouvellemerts perpétuels
quoique insensibles, et dans leur fluide essentiel ,
l'existence d’éléments propres à la formation de diverses
matières particulières , dont les unes utiles, sont sécré-
tées et employées , tandis que les autres, inutiles, sont
évacuées par les excrétions diverses ;
5° Que tous se développant et s’accroissant jusqu” à
un terme particulier à chacun d’eux, ne le sont que
INTRODUCTION: 57
par inlus-susception, c'est-à-dire par une force inté-
rieure ou par des actes d’organisation , qui forment et
développent leurs parties par l’intérieur, en identifiant
à leur substance et fixant les molécules étrangères in-
troduites et assimilées ;
60 Que tous, ayant la faculté de reproduire, quoi-
que par des voies variés, des individus semblables à
eux , rapportent dans ces nouveaux individus produits,
tous les changements qui se sont opérés dans leur
système d’organisation pendant le cours de la vie;
7° Que la vie que chacun d’eux possède, n’est point
un être, un corps, une matière quelconque, qu’elle n’est
point un ensemble de fonctions (1); mais qu’elle est
un phénomène physique, résuitant d’un ordre de
choses et d’un état de parties qui, tant qu’ils se con-
servent, permettent dans ces corps les mouvements
et les changements qui constituent ce phénomène, et
qu’une cause stimulante y excite;
80 Que dans tous, ce sont les actes mêmes de la vie
qui produisent tous les genres de changement qu’on
observe dans ces corps, qui leur donnent des facultés
communes, et qui amènent progressivement en eux;
l’état de choses qui les fait périr ;
9° Enfin, que par sa durée dans un corps et dans
ceux ensuite qui en proviennent de génération en gé-
nération , le vie favorisant de plus en plus le mouve-
ment et le déplacement des fluides , acquiert sans cesse
les moyens de modifier davantage le tissu cellulaire,
(1) On a dit que la vie était un ensemble de fonctions : c’est à tort ;
car des fonctions n'étant que des actes de l’organisation et des ses par-
ties , ni la vie, l’organisation elle-même , ne sont et ne peuvent être
des fonctions : elles sont seulement, l’une, la cause, et l’autre, les
moyens qui donnent lieu à ce que des fonctions s’exécutent.
( Note de Lamarck. )
58 INTRODUCTION.
d’en changer des portions en canaux vasculaires, en
membranes , en fibres , en organes divers; de fortifier,
durcir ou solidifier certaines de ces parties, par l’in-
terposition, dans leur tissu , de molécules propres à ces
objets, et parvient ainsi à compliquer progressivement
l’organisation.
Les dix caractères essentiels qui distinguent les corps
vivants des autres corps naturels, et les neuf considé-
rations capitales que j'y viens d’ajouter, présentent
un ensemble d’idées qui appartient exclusivement à ces
corps.
Resserrons maintenant cet ensemble dans les deux
considérations suivantes; elles nous aideront, au be-
soin, dans ia détermination desrapportsentre les objets.
Les fonctions les plus générales que l’organisation
ait à remplir dans les corps vivants, sont au nombre
de deux ; savoir :
10 Celle de nourrir , de développer et de conserver
l'individu ;
2° Celle de le reproduire et de le multiplier.
Ces deux fonctions sont principales et du premier
ordre, puisque depuis l’organisation la plus simple
jusqu’à celle qui est la plus compliquée dans sa com-
position , toutes généralement les remplissent Pune et
l’autre, quoique avec une grande diversité de moyens.
Dès que la wie existe dans un corps, c’est-à-dire,
dès que l’état de ses parties et ordre des choses qui
s’y trouve, permettent à ce phénomène de se produire,
l’organisation de ce corps est alors capable de remplir
les deux fonctions dont il s’agit. Mais, comme elle le
fait évidemment par des moyens variés, selon son état
de simplicité ou de composition , il en résulte que,
dans le système d’organisation la plus simple , ces deux
fonctions s’exécutentsans organes spéciaux quelconques;
tandis qu’ils sont absolument nécessaires, et qu’ils se
INTRODUCTION. 59
composent de plus en plus, à mesure que l’organisa-
tion se compose elle-même davantage. Effectivement,
les organisations les plus simples se trouvant formées
de substances elles-mêmes très peu composées, les mo-
lécules nutritives introduites n’ont presque point de
changements à subir pour être assimilées, identifiées.
Dans ce cas, les mouvements et les forces de la vie
suffisent , et il ne faut pas d’organes particuliers pour
la nutrition. Le fait observé à l'égard des corps vivants
les plus simples, prouve que les choses se passent ainsi.
C'est done à tort que l’on a supposé, dans tous les
corps vivants, des organes particuliers pour l’exécution
de chacune de ces deux fonctions; qu’on a prétendu
que ceux nécessaires pour la génération, coexistaient
toujours avec ceux de la nutrition; et que l’existence
des organes destinés à ces fonctions, devait constituer
le caractère des corps vivants.
Ce que l’on peut dire de plus fondé à cet égard,
c’est que la nature étant parvenue, dans certains corps
vivants, à instituer des organes particuliers, d’abord
pour la première et ensuite pour la seconde de ces
fonctions, les caractères que fournissent ces organes
sont véritablement les plus importants à considérer
dans la aétermination Ges rapports; les fonctions qu'ils
ont à remplir étant elles:mêmes de première impor-
tance.
Mais il n’est pas vrai que, dans tout corps vivant
quelconque , il y ait des organes particuliers, soit pour
lune, soit pour l’autre des deux fonctions dont il s’agit;
car les organisations les plus simples, végétales ou
animales, n’en offrent ni pour la reproduction , ni
pour la nutrition, à moins qu’on ne prenne les pores
absorbants de extérieur pour des organes particuliers.
Maintenant, si l’on rassemble méthodiquement les
dix caractères essentiels des corps vivants, en y ajou-
Go INTRODUCTION.
tant les neuf considérations qui viennent ensuite, et
si l’on a égard aux deux fonctions sénérales que l’orga-
nisation , quelle qu’elle soit, doit remplir, on aura
des bases solides et incontestables pour une Philosophie
biologique partout d’accord avec les observations con-
nues; on reconnaîtra facilement que les différents
phénomènes que nous offrent les corps vivants sont
tous véritablement physiques; que leurs causes mêmes
sont déterminables, quoique difficiles à saisir; en un
mot, on sentira que la seule voie à suivre, pour avan-
cer nos connaissances dans cette intéressante partie de
la nature, ne peut être autre que celle de donner la
plus grande attention aux caractères cités des corps
vivants, et aux considérations que j'y ai ajoutées.
Après avoir perdu la vie qu’ils possédaient , les corps
dont il s’agit font partie, dès l’instant même, des corps
qu’on nomme inorganiques, quoiqu'’ils offrent encore
les restes d’une organisation qui a existé complétement
en eux; et bientôt ils se trouvent réQuits à l’état des
autres corps inorganiques.
Alors, en effet, leurs parties se décomposent pro-
gressivement, se dénaturent, se séparent, et leurs
différents résidus ou produits, de plus en plus changés,
perdent peu à peu les traits de leur origine qui devient
graduellement méconnaissable. Enfin, ces résidus
changés concourent, avec les circonstances, à Ja for-
mation d’autres matières plus ou moins composées , et
vont augmenter la masses des diverses sortes de miné-
raux et de matières inorganiques, soit solides, soit
liquides, soit gazeuses.
La différence qui existe entre un corps vivant et un
corps inorganique, ne consiste donc réellement qu’en
ce que, dans le premier, l’état des parties permet en
lui ja production du phénomène de la vie, qui n’a
besoin que d’une cause excitante pour avoir lieu, tandis
INTRODUCTION. Gi
que, dans le second, ce phénomène est impossible,
même malgré l’action de toute cause excitante.
Cette différence se retrouve encore en ce que, dans
le corps vivant, l’individualité réside dans un ensemble
de molécules intégrantes diverses; tandis que, dans
le corps inorganique, cette individualité réside en en-
tier dans chaque molécule intégrante seule.
Cet état des parties, qui rend possible, dans un eorps,
l’exécution des mouvements vitaux , est si peu déter-
minable, que l’homme ne saurait parvenir à limiter.
Aussi l'analyse et la synthèse détruisent et reprodui-
sent à volonté plusieurs corps ou matières inorgani-
ques ; mais il est impossible à l’homme de former un
corps vivant, ni une seule de ses parties.
Ce sont-là des faits positifs, des vérités qui n’ont
rien à redouter d’un examen approfondi. Je n’en ex-
pose ici qu'une esquisse resserrée, mais elle est suff-
sante pour nous diriger dans nos études.
En appendice de ce chapitre, disons un mot des
corps vivanis COMPOSES.
Corps vivants composés.
C’est, sans doute, un fait bien étonnant et à peine
croyable que celui de l’existence de corps vivants com-
posés d'individus réunis, qui adhèrent les uns aux
autres, et participent à une vie commune ; et cepen-
dant, quelque extraordinaire que ce fait nous paraisse,
on ne saurait maintenant le révoquer en doute.
On n'eût peut-être jamais remarqué ce fait, s’il eût
été borné au règne végétal dans lequel il se trouve
presque général, et où il est en quelque sorte masqué
par un-mode particulier qui le rend moins distinct.
Mais, dans les animaux, où ce même fait ne s’offre
guère que dans une seule de leurs classes, il s’y mon-
62 INTRODUCTION.
tre avec tant d’évidence, qu’on a été forcé de le recon-
naître.
C'est, effectivement , dans les animaux, que l’on
s’est aperçu, pour la première fois, que la nature avait
su former des corps vivants composés, c’est-à-dire,
résultant d’une réunion de plusieurs individus dis-
tincts, adhérant les uns aux autres, se nourrissant et
vivant en commun. Ainsi, ce fait singulier est main-
tenant constaté dans le règne animal ; et dans ce règne,
c’est presque uniquement parmi les polypes qu’on en
trouve des exemples.
En examinant attentivement le fait dont il s’agit,
on reconnaît bientôt qu ilest loin d’être uniquement
le propre de certains animaux; car la nature l’a rendu
bien plus général parmi les végétaux. Or, de part et
d'autre , une distinction importante dans son mode
d'exécution mérite d’être faite.
Par exemple, parmi les polypes, dont un si grand
nombre présente des animaux véritablement composés,
il faut distinguer ceux qui, quoique composés d’indi-
vidus qui tiennent les uns aux autres, ne paraissent,
point donner lieu à la formation d’un corps commun,
doué d’une vie indépendante de celle des individus,
de ceux, pareillement composés , dont les individus
concourent chacun à la formation et à l’aggrandisse-
ment d’un cor ps commun Et par Liculier , qui survit
aux individus qu'il produit successivement. Cette dis-
tinction n’est pas toujours sans dificulté; et néan-
moins, sans elle, la source d’une multitude de faits
observés, sur-toul parmi les végétaux, ne saurait être
reconnue.
Les polypes composés , de la première sorte, c’est-à-
dire , ceux qui ne forment point de corps commun
particulier ei bien distinct, nous paraissent Lrouver
des exemples dans fes worticelles rameuses, dans les
INTRODUETION. 63
hydres, dans les polypes des polypiers vaginiformes ,
des polypiers à réseau, etc. Ges polypes, à corps grêle
et plus ou moins alongé , adhèrent les uns aux autres
sans agglomération et sans offrir l’apparence d’un corps
cemmun survivant aux individus.
Ceux, au contraire, qui ont un corps commun sur-
vivant à tous les individus qui se développent, se
régénèrent el périssent successivement sur ce corps;
ceux-là, dis-je, continuent la deuxième sorte de po-
lypescomposés, el paraissent trouver des exemples dans
les poivpes agglomérés, tels que ceux des astrées, des
méandrines , des alcyons, des éponges, etc. C’est sur-
tout dans les polpes flottants que ce corps commun
jouissant d’une vie indépendante, ne laisse plus dé
doute sur son existence. Or, nous verrons qu’un pa-
reil corps est éminemment reconnaissable dans un
grand nombre de végétaux composés.
Il est certain que, si l’on considère les polypes ag-
glomérés cités ci-dessus , et si l’on examine ce qui se
passe à leur égard , on se convaincra qu'ils constituent
dans l’eau, une masse commune vivante produisant
sans cesse à sa surface des milliers d'individus distincts
qui y adhèrent, se développent rapidement , se régé-
nèrent et périssent bientôt après , se trouvant alors
remplacés par de nouveaux individus qui parcourent
aussi les mêmes termes; tandis que la massecommune
résultante de toutes les additions que ces individus
passagers y ont formées , continue de vivre presqu’in-
définiment , si l'eau qui lenvironne ne lui manque
point. Gette masse commune vivante meurt néanmoins
partiellement et progressivement dans sa partie infé-
rieure Ja plus ancienne, tandis qu’elle continue de vi-
vre dans ses parties latérales et supérieures.
Je n’ai concu réellement l’existence de ce singulier
corps commun à l’égard de certains polypes composés,
64 INTRODUCTION.
qu'après avoir pris en considération ce qui se trouve
d’analogue dans les végétaux vivaces, et sur-tout dans
ceux qui sont ligneux.
Certes, aux yeux du naturaliste, ces objets sont d’un
trop grand intérêt pour que je ne m’empresse pas d’en
dire ici un mot; et l’on me pardonnera sans doute
une digression relative aux végétaux composés , parce
qu'elle concerne un fait important qui a été négligé,
et qui mérite l'attention de ceux qui étudient la na-
ture (1).
(x) Le savant professeur dont nous avons mentionné l'ouvrage dans
une note précédente , M. Dugès, a considéré l'animal composé d’une
manière plus étendue : il a pris la question de plus haut et dans son
universalité. Un animal simple peut vivre à telle condition, a-t-il dit, et
toutefois que dans l’ensemble d’un même animal , il trouve une série
symétrique de ces conditions organiques ; il dit qu’il est formé d’un
certain nombre de zonites, que c’est par conséquent un animal composé.
Un exemple rendra ceci facile à comprendre : un ténia est composé
d’un très grand nombre de segments dans chacun desquels on trouve,
dans unélat parfaitement semblable, un système nerveux, un système de
vaisseaux nutritifs, etc.; de telle sorte que l’on peut concevoir facilement
que chaque segment peut jouir de la vie, indé»endamment de ceux qui
précèdent et qui suivent. Ces segments sont pour M. Dugès autant de
zonites; elles sont ici, comme dans les annélides, disposées sur une seule
ligue longitudinale; dans d’autres animaux il les voit alterner, se réunir
en cercle, se joindre deux à deux, ecremontant dans les animaux verté-
brés , il les trôuve composés de deux parties similaires ou de deux zo-
nites principales; il est cependant arrêté ici par le développement de la
vertèbre, dont le corps est toujours d’une seule pièce à tous les àges,
comme le prouve l’embriogénie. Au reste, cette considération n'est
peut-être pas la seule qui doive arrêter aux animaux invertébrés l'appli-
cation de cette théorie ; car déjà les moliusques ne peuvent être soumis
à cette application : elle est donc bornée à des animaux plus simples
sur l'étude desquels elle peut jeter une vive lumière,
INTRODUCTION. 65
Comparaison des animaux composés avec des végétaux
pareillement composés.
Rien, sans doute, n’est plus remarquable que l’ana-
logie qui se trouve entre certains végétaux et certains
animaux, sous plusieurs conditions. Elle montre que,
quoique ces deux sortes d’êtres soient entre elles es-
sentiellement différentes , puisqu'elles appartiennent
à des règnes très distincts, la nature, en les formant,
a néanmoins suivi la même marche, et exécuté un
plan uniforme.
Laissant à l’écart les autres considérations sous les-
quelles une analogie évidente s'observe dans les faits
que présentent certains végétaux et certains animaux,
nous ne nous arrêterons ici qu'à celle qui concerne,
dans ces deux sortes de corps vivants, des êtres vérita-
blement composés d’une réunion d'individus distincts.
Une petite digression sur ce sujet sera instructive et
très utile à la connaissance des objets que nous avons
en vue.
En effet, qu’on ne s’y trompe pas; de même qu’il
y a des animaux simples, constituant des individus
isolés, et des animaux composés, c’est-à-dire, consti-
tués par des individus réunis, qui adhèrent les uns
aux autres , communiquent ensemble par leur inté-
rieur , et participent à une vie commune, ce dont la
plupart des polypes offrent des exemples; de même
aussi il y a des végétaux simples qui vivent individuel-
lement , et il y a, en outre , des végétaux composés,
c’est-à-dire, constitués par Hat individus qui
vivent ensemble, se wouvant comme entés les unssur
les autres ou sur un corps commun, et qui participent
t ù
à une vie commune.
Je vais essayer de montrer que ce fait, à Jeur égard,
Tome 1, 5
66 INTRODUCTION.
est tout aussi positif qu’il l’est relativement aux ani-
mäux cités.
Le propre d’une planté ést de vivre jusqu’à ce
qu’elle ait donné ses fleurs et ses fruits ou ses corpus-
cules reproductifs. La dütée de sa vié s'étend rate-
ment au-delà d’une année; el si, pour se régénérer ,
elle développe des organes sexuels, cés organes n’exé-
cütent qu'une seule fécondation; en sorte qu'ayant
opéré des gages de reproduction , ils périssent ensuite
et se détruisent complétement, ainsi que l'individu
qui les a produits. Ce sont-là des vérités que l’on ne
peut raisonnablement refuser de reconnaître.
Cependant, si beaucoup de plantes, dans leur durée
arnuelle, offrent des exemples de ce que je viens de ci-
ter, beaucoup d’autres paraissent continuer de vivre
après avoir fructifié, et donnent eflectivement des
fleurs et des fruits plusieurs années de suite avant de
périr ; il y a donc, à l’égard de ces dernières, un ordre
de choses particulier qui les distingue , et qu’il im-
porte de reconnaître.
On va voir que la différence singulière entre la vie
très bornée de certains végétaux qui périssent après
avoir fructifié, et celle de beaucoup d’autres qui vivent
et fructifient plusieurs années de suite, tient essen-
tiellement à ce que les uns sont des individus isolés,
soit simples, soit prolifères, qui n'ont pu se former
de corps commun, capable de vivre particulièrement;
tandis que les autres sont des végétaux véritablement
composés d'individus réunis sur un corps commun,
qui jouit d’une vie particulière, indépendante de celle
des individus.
Effectivement , toute plante annuelle est un végétal
individuel, qui n’a point de corps particulier doué
d’une vie indépendante de celles des autres parties, et
plus durable qu'elles,
INTRODUCTION. 67
Or, ce végétal est, tantôt tout-à-fait simple, comme
lorsqu'il ne produit qu’une fleur ou qu’un bouquet
de fleur, et qu’il périt après avoir donné ses graines:
et tantôt il est prolifère, comme lorsqu’il pousse une
tige rameuse ou plusieurs tiges distinctes qui périssent
après avoir fructifié, ainsi que les racines. Mais le pro-
duit de sa végétation étant totalement employé au
développement des parties qui doivent amener sa fruc-
tification , n’a pu concourir à Ja formation d’un corps
commun subsistant. Ce végétal, soit simple, soit pro-
lifère , est donc réellement un individu isolé.
Ce qui prouve que le végétal annuel dont je viens de
parler est réellement simple, c’est qu'il n'offre point
de gemmation véritable; c’est qu’il ne peut reproduire
qu’un végétal ou que des végétaux séparés de Ini.
Ce n’est pas là, à beaucoup près, le cas de tous les
végétaux : la plupart sont véritablement des êtres com-
posés, et nous offrent, comme les polypes, des réunions
d'individus qui vivent ensemble sur un corps commun
persistant qui en développe successivement d’autres ;
mais châcun de ces individus conserve rarement son
existence au-delà d’une année. Ils laissent tous, avant
de périr, des produits subsistants de leur végétation
qui ajoutent au volume du corps commun, et, en outre,
ils fournissent les gages d’une reproduction prochaine
d'individus nouveaux, soit dans les semences, soit
dans les corpuscules reproductifs, soit dans les bour-
geons qu'ils produisent.
Quant au corps commun qui survit aux individus
annuels, il est évidemment le résultat de toutes les vé-
gétations qui l’ont d’abord formé, et qui ensuite y ont
successivementajoutéleur produit particulier. Ge corps
commun, jouissant d’une vie indépendante de celle
des individus, continue de s’accroître, de son côté, par
les additions qu'il en recoit; et, sans le concours d’au-
5*
68 INTRODUCTION.
cun organe sexuel, il produit lui-même une gemmation
périodique qui développe successivement les nouveaux
individus adhérents qu’il doit nourrir, Ainsi, les graines
et les corpuscules reproductifs (lesgemmules séparables,
les cayeux, etc.) servent à multiplier les végétaux sé-
parés d’une même espèce, et les bourgeons produits
par le corps commun, sont employés à renouveler sur
ce corps les individus qui y ont véeu et ont péri.
Ce n’est pas tout : non seulement le corps commun
dont il s’agit, jouit, dans sa masse entière, d’une vie
indépendante de celles des individus qu’il nourrit,
mais chaque portion particulière de sa masse jouit
elle-même d’une vie indépendante de celle des autres
portions, ce qui est cause qu’une de ces portions sépa-
rée peut continuer de vivre de son côté : de là les
boutures.
Si dans les végétaux ligneux, les produits de végé-
tation de chaque individu sont persistants, tandis
qu'ils ne le sont pas dans les végétaux annuels, c'est
que, fortifiés en se formant par le concours de toutes
les autres végétations individuelles, et participant à
Ja vie du corps commun , ces produits acquièrent ra-
pidement assez de consistance pour résister aux causes
qui peuvent les faire périr; c'est, en outre, que les
matériaux de leur nutrition, élaborés dans le corps
-ommun; y apportent les principes qui les solidifient.
Ainsi, lorsque je vois un arbre ou un arbrisseau, ce
n’est réellement pas une plante simple que j'ai sous
les yeux, mais c’est une multitude de végétaux de la
même espèce, vivant ensemble sur un corps commun
solidifié, persistant, doué lui-même d’une vie parti-
culière et indépendante, à laquelle participent tous
les individus qui vivent sur ce corps.
Cela esi si vrai que si je grefle sur une branche de
prunier un bourgeon de cerisier, et sur une autre
INTRODUCTION. 69
branche du même arbre un bourgeon d’abricotier,
ces trois espèces vivront ensemble sur le corps commun
qui les supporte, et participeront à une vie commune,
sans cesser d'être distinctes.
On fait vivre de même sur une tige de rosier, dif-
férentes espèces qui y conservent leurs céractères, et
ainsi dans les autres familles, pourvu qu’on n’entre-
prenne point d’associer des espèces qui soient de fa-
milles étrangères.
Les racines, le tronc et les branches, ne sont," à l’é-
gard de ce végétal composé, que des parties du corps
commun dont j'ai parlé, que des produits persistants
de la végétation de tous les individus qui ont existé
sur ce même végétal ; comme la masse générale vivante
d’une astrée, d’une méandrine, d’un alcyon, ou d’une
pennatule , est le produit en animalisation des polypes
nombreux qui ont vécu ensemble et en commun et se
sont succédé les uns aux autres.
De part et d’autre, la vie continue d’exister dans le
corps commun, c’est-à-dire, dans l’arbre et dans l’in-
térieur de Ja masse charnue qu’enveloppe le polypier;
tandis que chaque plante particulière de Parbre et
chaque polype de la masse charnue citée, ne conservent
leur existence que pendant une courte durée, mais
laissent, l’un, de nouveaux bourgeons, et l’autre, de
nouveaux germes qui les reproduisent.
Ainsi, chaque bourgeon du végétal est une plante
particulière qui doit se développer comme celle qui l’a
produite, participer à Ja vie commune comme toutes
les autres, produire ses fleurs annuelles, développer
ensuite ses fruits, et qui peut aussi donner naissance à
un nouveau rameau contenant déjà d’autres bourgeons.
A la vérité, la masse entière du corps commun qui
subsiste et survit aux individus, semble autoriser l’i-
dée d’attacher l’individualité à cette masse végétale ;
70 INTRODUCTION.
mais, c’est à tort; car cette même masse n’a point l’in-
dividualité en elle-même, puisque des portions qu’on
en détache peuvent continuer de vivre. D’ailleurs,
elle n’est évidemment elle-même qu’une masse végétale
. ou une plante composée qui fait vivre quantité d’indi-
vidus partguliers, qui parcourent sur le corps commun
qui les a produits la durée de leur propre existence,
sont ensuite remplacés par d’autres qui y subissent la
même destinée, etoffrentainsi une suite de générations
qui se succèdent tant que le corps commun continue
de vivre.
Le corps commun dont je parle, est si distinct des
individus particuliers qu'il fait vivre, que l’art en réu-
nit à volonté autant qu'il plaît à l’homme pour en
former un tout réellement commun. En eflet, les
greffes en approche, que la nature fait elle-même
quelquefois, et que l’art imite et exécute si bien, font
communiquer et parliciperà une viecommunediflérents
arbres ou arbrisseaux de la même espèce. On nourrit
même et on fait vivre un tronc que l’on sépare totale-
ment de sa base et de ses racines, après lui avoir
substitué par cette grefle, des troncs voisins et étran-
gers qui le soutiennent, On pourrait, avec une espèce,
former une grand forêt dont les troncs multipliés,
communiquant et vivant ensemble, pourraient à aussi .
juste titre être considérés comme un seul être, que
l’est le corps commun d’un arbre ÿ compris ses racines
et ses branches.
Dans l’intérieur des végétaux, il paraît, comme je
lai dit, qu'il n’y a qu’une organisation propre à y
faire exister la vie, organisation qui y est modifiée selon
le genre ou la famille du végétal, mais qui n’admet
aucun organe spécial quelconque pour des facultés
étrangères à celles qui sont le propre de la vie même.
De là, en séparant des parties d'un végétal composé,
INTRODUCTION. de I
parties qui contiennent un ou plusieurs bourgeons,
ou qui en renferment les éléments non bte on
peut en former à volonté autant de nouveaux végétaux
semblables à celai dont ils proviennent, sans employer
le secours des fruits de ces plantes. C’est effectivement
ce que Îles cultivateurs exécutent en faisant des bou-
tures , des marcottes , etc.
_ J'ai déjà cité dans ma Philosophie zoologique (vol.
1, p. 397), différents faits qui prouvent qu'un grand
nombre de végétaux nous offrent des corps singuliers
sur lesquels vivent, se développent et périssent une
multitude d'individus particuliers qui se succèdent
par générations nombreuses , tant que le corps com-
mun qui les nourrit continue de vivre. Ici, j'en vais
seulement ajouter un seul qui me semble tout-à-fait
décisif à cet égard.
Parmi les différentes considérations qui attestent
qu’un arbre n’est point un végétal simple, mais que
c’est un corps qui produit, nourrit et développe une
multitude de plantes de la même espèce, vivant en-
semble sux le corps commun que des végétations de
plantes semblables ont successivement produit, voici
ce que l’on peut citer de plus frappant.
Le propre de tout individu vivant et isolé, est de
changer graduellement d’état pendant la durée de son
existence, de manière qu’à mesure qu'il approche du
terme de sa vie, toutes ses parties, sans exception, por=
tent de plus en plus le cachet de sa vieillesse, et à la
fin, celui de sa décrépitude. Je n'ai besoin d’entrer
dans aucun détail, pour prouver ce fait suffisamment
connu.
Cependant, quel que vieux que soit un arbre, tous
ceux de ses bourgeons qui se développent au printemps,
présentent des individus qui portent constamment,
d’abord l’empreinte de la plus tendre jeunesse, qui
73 INTRODUCTION.
six semaines après, prennent les traits plus vigoureux
d’un développement complet, et qui, après un état
stationnaire de peu de durée, offrent progressivement
les caractères d’une vieillesse qui les conduit à la mort,
avant que l’année de leur naissance soit écoulée.
Qui n'a pas été frappé du charme que nous offre au
printemps le feuillage naissant des arbres , quel que
soit leur âge , du vert tendre et délicat de ce feuillage,
exprimant alors la jeunesse réelle des individus! Y
a-t-il le moindre trait, dans ces parties nouvelles, qui
annonce qu'elles appartiennent à un être très vieux
et sur le point de cesser de vivre ? Non; tous les bour-
geons qui s’y développent encore sous des individus
particuliers, qui ne participent nullement à la décré-
pitude du vieil arbre en question. Tant qu’il en pourra
faire vivre, chacun de ces individus aura sa jeunesse,
parviendra à sa maturité, et arrivera ensuite à sa
vieillesse particulière, qui se terminera par {sa des-
truction. L’arbre qui les soutient cest donc un végétal
composé, sur lequel vivent , se développent et se re-
nouvellent une multitude d’individus de la même
espèce, qui participent à une vie commune, et se suc-
cèdent les uns aux autres annuellement, tant que le
corps commun , produit de toutes les végétations parti-
culières, conservera l’état propre à les faire vivre.
Or, de même que la nature a fait des végétaux com-
posés , elle a fait aussi des animaux composés, et pour
cela elle n’a pas changé, de part et d’autre, soit la
nature végétale, soit la nature animale. En voyant
des animaux composés , il serait tout aussi absurde de
dire que ce sont des animaux-plantes, qu’il le serait,
en voyant des plantes composées, de dire que ce sont
des plantes-animales.
Qu'on ait donné, il y a un siècle, le nom de z00-
phytes aux animaux?composés de la classe des polypes,
INTRODUCTION. 73
ce tort était excusable : l’état peu avancé des connais-
sances qu’on avait alors sur la nature animale, rendait
cette expression moins mauvaise. À présent, ce n’est
plus la même chose; et il ne saurait être indifférent
d’assigner à une classe d'animaux, un nom qui exprime
une fausse idée des objets qu’elle embrasse (1).
Maintenant, comme il existe deux sortes très dis-
tinctes de corps vivanis, savoir : des végétaux et des
animaux , examinons les caractères essentiels de ces
premiers, et montrant la ligne de séparation qu’a
établie la nature entre ces deux sortes d’êtres, prou-
vons que les végétaux ne sauraient s’unir aux animaux
par aucun point de leur série, pour former une véri-
table chaîne.
CHAPITRE III.
Des caractères essentiels des végétaux.
A fin de connaître les animaux sous tous les rapports,
nous avons entrepris de les comparer avec tous les
autres corps de notre globe; et pour cela, considérant
les animaux comme corps vivants, nous avons vu que
les corps doués de la vie étaient , par leurs caractères
(x) Lamarck blàme avec raison cette dénomination, qui dans son
acception rigoureuse, n’a point d'application possible; aussi elle est pres-
que abandonnée :nous ne la voyons en usage que chez les zoologistes qui
ont le tort de n’attacher aucune importance aux mots scientifiques, ou
par ceux qui ont adopté la nomenclature de Cavier sans examiner et
sans rejeter ce qu’elle a de mauvais,
74 INTRODUCTION. “
généraux et leurs facultés propres, séparés des corps
inorganiques par un intervalle considérable.
Ainsi, nous savons actuellement que, comme corps
vivants, les animaux, même les plus imparfaits, ne
peuvent être confondus ayec les corps inorganiques ; et
qu'aucun animal, quelque imparfait qu’il soit, quelque
simple que soit sen organisation , ne fait nuance ayec
aucun des corps en qui le phénomène de la vie ne
peut se produire.
Mais Jes animaux ne sont pas les seuls corps vivants
qui existent, et l’on peut s’en convaincre qu’il s’en
trouve de deux sortes extrêmement distinctes; car les
corps de chacune de ces sortes offrent entre eux une si
grande différence dans l’état et les phénomènes de leur
organisation , qu'il est facile de faire voir que la nature
a établi, entre les uns et les autres, une ligne de dé-
marcation frappante. Ce n’est, néanmoins, qu’une
ligne de démarcation tranchée, et non un intervalle
considérable , comme celui qui sépare les corps inorga-
niques des corps vivants.
On a senti qu’il existait une différence réelle entre
les deux sortes de corps vivants dont je viens de par-
ler; et quoiqu’on n’ait point su assigner positivement
en quoi consiste cette différence, on a de tout temps
partagé les corps vivants en deux coupes primaires
dont on a fait deux règnes particuliers, savoir : le
règne végétal et le règne animal.
Or, il s’agit de savoir maintenant, si les végétaux
se lient et se nuancent , par quelque point de leur
série , avec les animaux , ou s'ils en sont généralement
distingués par quelque caractère constant et reconnais-
sable.
D'abord, je remarquerai que, dans ses opérations,
dans l’existence qu’elle a donnée à ses productions, la
vature n’a procédé et n’a pu procéder que progressive-
INTRODUCTION. 7
ment, que du plus simple au plus composé : c’est une
vérité que l’observation atteste,
S'il en est ainsi, la nature a dü commencer par pro-
duire les végétaux , et pour cela elle a dû débuter par
la production des végétaux les plus imparfaits, de ceux
qui ont le tissu cellulaire le moins modifié, ayant de
faireexister ceux qui ont, à l’intérieur, des canauxmul-
tipliés et divers, des fibres particulières, une moëlle
et des productions médullaires, en un mot, un tissu
cellulaire tellement modifié que leur organisation inté-
rieure paraît en quelque sorte composée. Dès lors, il
devient évident que si les végétaux formaient avec les
animaux une chaîne nuancée, résultant d’une produc-
tion graduelle, ce seraient les végétaux à tissu cellu-
Jaire le plus modifié qui devraient se lier et, pour ainsi
dire, se confondre avec les premiers animaux, avec les
animaux les plus imparfaits,
C’est cependant ce qui n’est pas; et, en 2 Er je
vais montrer que la nature a commencé à Ja fois la
production des uns et des autres; en sorte qu’ a cet
égard , commençant ses opérations sur des corps essen-
tiellement différents par leurs élémentschimiques, tout
ce qu’elle a pu faire exister dans les uns, s’est trouvé
constamment diflérent de ce qu’elle a pu produire
dans les autres, quoiqu’elle ait, de part et d'autre,
travaillé sur un plan très analogue.
Il est certain que si les végétaux pouvaient se lier et
se nuancer avec les animaux , par quelque point de leur
série, ce serait uniquement par ceux qui sont les plus
imparfaits et les plus simples en organisation que la
nature aurait formé celte nuance, en établissant un
passage insensible des plantes les plus imparfaites aux
animaux qui sont dans le même cas. Tous les natura-
listes l’ont senti, et c'est effectivement, en ce point,
c'est-à-dire, dans celui qui offre de part et d'autre la
76 INTRODUCTION.
plus grande simplicité de l’organisation, que les végé-
taux paraissent le plus se rapprocher des animaux. S'il
y a nuance en ce point, on ne pourra s'empêcher de
convenir qu'au lieu de former une chaîne, les végétaux
et les animaux présentent deux branches distinctes, et
réunies par leur base, comme les deux branches de la let-
tre V. Mais, je vais faire voir qu'il n’y a point de nuance
dans le point cité; que chacune des branches dont je
viens de parler, se trouve réellement séparée de l’autre
à sa base, et qu’un caractère positif, qui tient à la
nature chimique des corps sur lesquels la nature a
opéré, fournit une distinction éminente entre les êtres
qu’embrasse l’une de ces branches , et ceux qui appar-
tiennent à l’autre.
Je vais, en effet, montrer que les végétaux n’ont
point dans leurs solides de parties véritablement irri-
tables , susceptibles de se contracter subitement dans
tous les temps et pendant la durée entière de leur vie,
et qu'ils ne sauraient conséquemment exécuter des
mouvements subits, répétés de suite, autant de fois
qu'une cause excitante les pourrait provoquer.
Je prouverai ensuite que tous les animaux générale-
ment, ont, dans leurs solides, des parties constamment
irritables , subitement contractiles, et qu’ils sont sus-
ceptibles d'exécuter des mouvements instantanés ou
subits, qu’ils peuvent répéter de suite, dans tous les
temps, autant de fois que la cause excitatrice de ces
mouvements agira sur eux.
Voyons donc d’abord ce que sont les végétaux, et
quels sont leurs caractères essentiels. Après l’exposi-
tion de ces caractères, nous présenterons les faits et les
preuves qui en établissent le fondement.
INTRODUCTION. 77
Caractères essentiels des végétaux.
Les végétaux sont des corps vivants non irritables,
dont les caractères essentiels sont :
1° D’être incapables de contracter subitement et ité-
rativement, dans tous les temps, aucune de leurs par-
ües solides, ni d'exécuter par ces parties des mouve-
ments subits ou instantanés, répétés de suite autant
de fois qu’une cause stimulante les provoquerait (1);
20 De ne pouvoir agir, ni se déplacer eux-mêmes f
c’est-à-dire, quitter le lieu dans lequel chacun d’eux
est fixé ou situé ;
30 D'’avoir seulement leurs fluides susceptibles
d'exécuter les mouvements vitaux ; leurs solides, par
défaut d’irritabilité , ne peuvent, par des, réactions
réelles, concourir à l’exécution de ces mouvements
que des causes excitatrices du dehors ont le pouvoir
d'opérer ;
4° De n’avoir point d'organes spéciaux intérieurs;
mais d'obtenir, des mouvements de leurs fluides, une
multitude de canaux vasculiformes , la plupart per-
forés latéralement, et, en général. parallèles entre
eux (2) ; ce qui est cause que, dans tous, l’organisation
(1) Ceux en qui l’on observe des mouvements , ne les exécutent que
par des causes mécaniques, pyrométriques , ou hydrométriques. Dans
les uns, ces mouvements sont d’une lenteur qui les rend insensibles ;
et ne se jugent que par leurs produits ; et dans ceux où ils sont appa-
rents et subits, ils sont dus à des détentes ou à des affaissements de par-
ties , et ne peuvent de suite se répéter, ni se manifester dans tous les
temps. ( Vote de Lamarck. )
(2) Les mouvements des fluides dans les végétaux s’exécutant prin-
cipalement en deux sens opposés, il en est résulté que les canaux vas-
culiformes de ces corps sont, en général, parallèles entre eux, ainsi qu’à
V’axe longitudinal, soit de la tige, soit des branches, des rameaux, des
78 INTRODUCTION.
n’est que plus ou moins modifiée sans composition
réelle , et que les parties de ces corps se transforment
aisément les unes dans les autres;
59 De n’exécuter aucuñe digestion, mais seulement
une élaboration des sucs qui les nourrissent et qui-
donnent lieu à leurs produits, en sorte qu’ils n’ont
qu’une surface absorbante ( l’extérieure ) ; et qu'ils
n’absorbent pour aliments que des matières fluides ou
dont les particules sont désunies;
6o De n’avoir point de circulation réelle dans leurs
fluides , mais d'offrir dans leurs sucs séveux, des mou-
vernents de déplacement dont les principaux parais-
sent alternativement ascendants et descendants; ee qui
a fait supposer l’existence de deux sortes de sève: l’une
provenant de l’absorption par les racines, et l'autre
résultant de celle par les feuilles ;
7° D’opérer en eux deux sortes de végétations; l’une
ascendante, et l’autre descendante, à partir d’un point
intermédiaire ou nœud vital situé dans la base du
collet de la racine, et qui est, en général , plus vivace
que les autres ;
80 D’avoir une tendance à diriger leur végétation
supérieure, perpendiculairement au plan de l’horizon,
et non à celui du sol qui les soutient (1) ;
9° De former la plupart des êtres composés d’indivi-
pétioles et des pédoncules. En effet, ils ne perdent leur parallélisme que
dans les parties qui s’épanouissent en feuilles , fleurs et fruits.
( Vote de Lamarck. )
(1) Les végétaux paraissent devoir cette tendance au calorique et à
l'électricité des milieux environnants ; ces fluides subtils, trouvant plus
de difficulté à traverser l’air que des corps humides plus conducteurs,
s’élancent à travers les tiges végétales dans une direction qui tend à
s’approcher le plus possible de la verticale, et communiquent, sur-tout
pendant le jour, cette direction au mouyement de la sève pompée par
les racines, ( Vote de Lamarck, )
INTRODUCTION: 79
dus réunis sur un corpscommun vivant, qui développe
annuellement les générations successives de ces indi-
vidus.
A ce tableau resserré des faits positifs qui caractéri-
sent lesvégélaix, Si, comme je vais le faire, on oppose
celui des caractères essentiels des animaux , on recon-
naîtra que la hature à établi entre ces deux sortes de
corps vivants, une ligne de démarcation trañichée qui
ne leur permet pas des’unir par aucun point des séries
qu’elles forment. Or ; ce n’est point là ce qu’on nous
dit à l’égard de ces deux sortes d’êtres : tant il est vrai
que preque tout est encore à faire pour donner des uns
et des autres l’idée juste que nous devons en avoir !
Le point le plus essentiel à éclaircir, afin de détruire
l'erreur qui a fait prendre une fausse marche à la
science, consiste donc à prouver que les végétaux sont
généralement dépourvus d’irritabilité dans leurs par-
Lies.
Dès que j'aurai établi les preuves de ce fait, il sera
facile de sentir quelle infériorité, dans les phénomènes
d'organisation, le défaut d’irritabilité des parties doit
donner aux végétaux sur les animaux; et l’on conce-
vra pourquoi ils sont tous réduits à n’obtenir leurs
mouvements vitaux, c’est-à-dire , les mouvements de
leurs fluides, que par des impressions qui leur vien-
nent du dehors.
Une discussion concise et claire doit me sufliré pour
établir les preuves que j’annonce; et d’abord je vais
faire voir que j'étais fondé, lorsque j'ai dit dans ma
Philosophie zoologique ( vol. 1, pag. 93 ) qu’il n’ÿ a
dans les faits connus à l’égaïd des plantes, dites sen-
sitives , rien qui appartienne au caractère de l’irrita-
bilité des parties animales ; qu'aucune partie des plan-
tes n'est instantanément contractile sur elle-même ;
qu'aucune , enfin, ne possède cette facuité qui carac-
80 INTRODUCTION.
térise exclusivement la nature animale. Aussi, par
cette cause essentielle, par cette privation d’irritabi-
lité et de contractilité de leurs parties , les végétaux
sont généralement bornés à une faible et obscure dis-
parité dans les traits de leur organisation intérieure,
et à une grande infériorité dans les phénomènes de
cette organisation, comparés à ceux que la nature a pu
exécuter dans les animaux.
Discussion pour établir les preuves du défaut d'irrita-
bilité dans les parties des végétaux.
Le point essentiel que je dois traiter d’abord, est
celui de prouver que le sentiment et l’irritabilité sont
des phénomènes très différents, et qu'ils sont dus à des
causes qui n’ont aucun rapport entre elles. On sait
que Haller avait déjà distingué ces deux sortes de phé-
nomènes; mais, comme la plupart des zoologistes de
notre temps les confondent encore, il est utile que je
m’efforce de rétablir cette distinction dont le fonde-
ment est de toute évidence.
Je montrerai ensuite qu’indépendamment de l’er-
reur qui fait confondre le sentiment avec l'irritabilité,
on a pris, dans les végétaux, certains mouvements ob-
servés dans des circonstances particulières, pour des
produits de lirritabilité : tandis que ces mouvements,
comme je vais le prouver, n’ont pas le moindre rapport
avec ceux qui dépendent du phénomène organique
dont il est question.
Pour s'assurer que le sentiment est un phénomène
très différent de celui que l’irritabilité constitue, il
suffit de considérer les trois caractères suivants dans
lesquels les conditions des deux phénomènes sont mi-
ses en opposition.
INTRODUCTION. | 8t
Premier caractère : Tout animal doué du séntiment
possède constamment dans son organisation un sys-
tème d'organes particulier, propre à Ja production de
ce phénomène. Or, ce système d’organes qui se com-
pose toujours de a et d’un ou de piusieurs centres
de rapports , se distingue aisément des autres parties
de l’organisation. Il en résulte qu’en altérant ce sys-
tème dans certaines de ses parties , l’on détruit à vo-
lonté la faculté de sentir dans les parties de l’animal
que l’organe altéré faisait jouir du sentiment, et
l'on rend ces parties insensibles , sans détruire leur
vitalité.
Au contraire , pour la production du phénomène
de l’érritabilité, 11 n’y a dans les parties irritables des
animaux , aucun organe particulier quelconque , au-
cun organe distinct qui ait seul en propre le pouvoir
de donner lieu au phénomène en question ; mais la
composition chimique de ces parties est telle, qu’elle
les mei continuellement dans le cas, tant qu’elles sont
vivantes, de se contracter sur re à la provo-
cation de toute cause irritante. Or, l’on ne saurait al-
térer la faculté irritable de ces parties, qu’en y anéan-
tissant la vie, puisqu'elles ne tiennent d’aucun organe
particulier l’irritabilité qu’elles possèdent.
Deuxième caractère : Les organes bien connus par
la voie desquels le phénomène du sentiment s'exécute,
ne sont point dislinctement ou essentiellement con-
tractiles; aussi , aucune observalion constatée ne nous
apprend que, pour opérer la sensation, les nerfs soient
obligés de se contracter sur eux-mêmes.
Au contraire, les parties irritables de tout corps
animal ne sauraient exécuter aucun mouvement dé-
pendant de l’irritabilité , qu’elles ne subissent alors
une véritable contraction sur elles-mêmes. Ces par-
Lies ne sont donc irritables , que parce qu’elles sont
ToME 1, 6
82 INTRODUCTION.
essentiellement contractiles ; ce que ne sont point les
organes du sentiment.
Troisième caractère : Lorsqu'un animal, doué de
Ja faculté de sentir, vient à périr, le sentiment s'éteint
en lui avant l’anéantissement complet des ses mouve-
ments vitaux.
Au contraire, lorsqu’un animal quelconque meurt,
l’irritabilité dont toutes ses parties ou certaines d’entre
elles jouissaient, est, de toutes ses facultés, celle qui
s’anéantit constamment la dernière.
Le phénomène du sentiment et celui de l’irritabilité
sont donc essentiellement différents l’un de l’autre,
puisque les causes et les conditions nécessaires à leur
production ne sont point les mêmes, et qu'on a tou-
jours des moyens décisifs pour les distinguer.
Maintenant, pour montrer combien les principes
de la théorie admise en zoologie sont encore impar-
faits, je vais faire remarquer que les plus savants
zoologistes de notre temps confondent encore le senti-
ment avec l’irritabilité, et que, par la citation de
quelques faits mal jugés , ils croient pouvoir étendre
aux végétaux l’une et l’autre de ces facultés.
« Plusieurs plantes, dit-on dans le Dictionnaire des
Sciences naturelles, à l’article Animal, se meuvent
d’une manière extérieurement toute pareille à celle
des animaux : les feuilles de la sensitive se contractent
lorsqu'on les touche, aussi vite que les tentacules du
polype : comment prouver qu’il y a du sentiment dans
un cas et non dans l’autre? » (1)
(1) J1 nous paraît évident que G. Cuvier, en établissant cette compa-
raison avait oublié ces beaux principes d'armonie dans les organisations,
d’après lesquelslesactes, si simples qu’ils soient, sont toujours le produit
d'organes; on doit être surpris de voir ce grand naturaliste, dont les
trayaux ont fortement contribué à mettre ces principes hors de 1oute
INTRODUCTION. 83
Je puis assurer, d’après mes propres observalions,
qu'il n’y a dans tout ceci rien d’exact, rien qui soit
conforme au fait observé à l’égard de la sensitive ou
des autres plantes qui offrent des mouvements ana-
logues; qu’en un mot, il n’y a aucun rapport entre
les mouvements de ces plantes, et ceux qui proviennent
de l’excitation de l’érritabilité dans les animaux, et
qu’il y en a bien moins encore avec le phénomène du
sentiment.
D'abord, dans la contraction citée que subissent les
tentacules du polype , lorsqu'on les touche, il n’y a
point de preuve que le sentiment en soit la cause,
c’est-à-dire, qu'il y ait eu une sensation produite; car
l'irritabilité seule a pu opérer cette contraction. On
est, au contraire, fondé à dire qu'aucune sensation
n’a pu avoir lieu par l’attouchement cité, puisque le
système d'organes essentiel à la production de ce phé-
nomène n'existe point dans ce polype, et que le propre
de la sensation r’est pas de produire du mouvement.
Ainsi, la question de savoir pourquoi il y a du senti-
ment dans le polype, tandis qu’il n’y en aurait pas
dans la sensitive, ne devait pas se faire, s’il n’est pas
vrai que le polype lui-même puisse éprouver des sen-
salions. Or, je vais maintenant prouver que, dans Îes
faits cités du polype et‘de la sensitive, il n’y a nulle
parité de phénomène; car les tentacules du polype ne
se sont mus% lorsqu'on les a touchés, qu'en subissant
une, véritable contraction, tandis que l’attouchement
n’en a pu opérer aucune sur les parties de la sensitive.
contestation , les abandonner dans une question de l'importance de
celle-ci, qui ne pouvait être jugée que par leur application rationnelle
et profonde. Lamarck a connu toute la difficulté, l’a abordée avec une
grande supériorité, et il est le seul qui en ait donné une solution satis-
faisante.
6*
84 INTRODUËTION.
Le polype se sera donc mu, dans Je fait en question,
par la voie de l'irritabilité de ses parties, et la sensitive
par une voie très différente.
En eflet, il n’est pas vrai qu'aucune partie de Ja
sensitive se contracte lorsqu'on la touche; car, ni les
folioles, ni les pétioles, soitcommuns, soit particuliers,
ni les petits rameaux de cette plante, ne subissent
alors aucune contraction sur eux-mêmes; mais ces
parties se reploient dans leurs articulations sans qu’au-
cune de leurs dimensions soit altérée; et par cette
plication , qui s’exécute comme une détente, la plupart
de ces parties sont subitement et simplement abaissées,
en sorte qu'aucune d’elles n’a subi la moindre con-
traction, le plus léger changement dans ses dimensions
propres. Ce n’est assurément point là le caractère de
l’érritabilité, et ce n'est, effectivement, que dans les
animaux, que des parties peuvent se contracter subite-
ment sur elles-mêmes, changer alors leurs dimensions,
et conserver pendant la vie de l’animal ou pendant la
durée de leur intégrité, la faculté de se contracter de
nouveau à chaque provocation d’une cause excitante ;
jamais d’ailleurs personne n’a puobserver de semblables
contractions dans quelque corps que ce soit.
Dès qu’on a opéré cette plication articulaire des
parties d’une sensitive, par un attouchement ou par
une secousse sufüsante, la répétition de l’attauchement
ou de la secousse n’y saurait plus alors produire aucun
mouvement. Pour renouveler le même phénomène, il
faut attendre pendant un temps assez long, qui est
toujours de plusieurs heures, qu’une nouvelle tension
dans les articulations des parties les ait relevées ou
étendues; ce qui ne s’exécute que très lentement lors-
que la température est basse.
Je le répète : ce n’est point là du tout le propre de
l’irritabilité animale; cette faculté reste la même dans
INTRODUCTION. 85
les parties qui en sont douées tant que l’animal est
vivant, et leur contraction peut se répéter de suite,
autant de fois que la cause excitante viendra la provo-
quer. D'ailleurs, la contraction d’une partie animale
n'offre point simplement des mouvements articulaires,
comme dans la sensitive, mais un resserrement subit,
un raccourcissement réel des parties, en un mot, un
changement dans leurs dimensions; or, rien de sem-
blable ne se manifeste dans les plantes.
Ainsi, dès qu'il n’est pas vrai que les mouvements
subits qu’on observe dans certaines parties des plan-
tes, dites sensitives, lorqu’on les touche, soient de
véritables contractions ou des changements réels dans
les dimensions de ces parties, il est dès lors évident
que ces mouvements n’appartiennent point à l’érrita-
bilité : aussi ne sauraient-ils se répéter de suite, dans
tous les temps sans exception, comme ceux que l’irri-
tabilité produit à la provocation de toute cause exci-
tante.
Nous savons donc maintenant que l’irritabilité n’est
point la cause des mouvements cités des plantes, dites
sensitives, et qu’il y a une disparité manifeste entre
ces mouvements et les phénomènes de l’irritabilité
animale. Mais quelle est la cause des mouvements sin-
guliers des plantes, dont il est question ?
A cela je répondrai : que nous parvenions à connaî-
tre positivement celte cause , ou que nous ne puissions
que l’entrevoir à l’aide de quelque hypothèse plau-
sible et appuyée sur des faits, il n’en sera pas moins
toujours très vrai que cette même cause est étrangère
à l’irritabilité animale.
Or, j'ai cru apercevoir cette cause , pour les plantes
dites sensitives, dans une particularité qui concerne
les émanations des fluides élastiques et invisibles que
ces plantes produisent dans le cours de leur vie , comme
86 INTRODUCTION.
les autres corps vivants, et cela d'autant plus abon-
damment que la température est plus élevée.
D'abord, je dois faire remarquer que les mouve-
ments observés dans les végétaux ne se bornent pas à
ceux des plantes dites sensitives ; car on en connaît de
diverses sortes , et l’on peut s’assurer, par un examen
attentif de ces mouvements , qu'aucun d’eux n’appar-
tient à l’irritabilité.
Ensuite, je ferai voir que ces mouvements prennent
leur source dans différentes causes , la plupart facile-
ment déterminables.
Les uns, en eflet, sont des mouvements subits très
visibles, comme ceux de détente, d’aflaissement de
parties, etc.
Les autres , au contraire, sont des mouvements lents
et insensibles, comme ceux qui sont dus à des causes
hygrométriques, pyrométriques, elc.
Tous ne s’exécutent et ne s’obervent que dans cer-
taines circonstances. Quelques-uns ne se renouvellent
plus après jeur exécution ; comme ceux de détente de
certains fruits dont les graines sont lancées au loin par
Ja détente de leur péricarpe. 1] y en a quinese montrent
que dans certaines parties, comme certaines fleurs,
soit à l’époque de leur épanouissement, soit dans ce
temps d’effervescence particulière où les organes sexuels
sont sur le point d’exécuter leurs fonctions.
Jci, je puis montrer que les mouvements articulaires
de la sensitive sont de la première sorte , et que ce ne
sont que des affaissements de parties ; qui s’opèrent par
dés détentes d’articulations. Je ferai même voir que
les mouvements de l’hedysarum gyrans sont aussiide
même sorte, quoiqu’ils soient moins subils, et que ces
mouvements s’exécutent de la même manière, c'est-à-
dire , par la même sorte de cause,
En effet , dans l’hedysarum gyrans , les mouvements
INTRODUCTION. 87
observés sont encore articulaires , et aucune des parties
de cette plante ne subit la moindre contraction. Ce
sont les mêmes mouvements singuliers de cet hedysa-
rum , qui m'ont fait entrevoir le mystère des faits rela-
tifs aux plantes dites sensitives.
Dans l’hedysarum en question, les mouvements des
folioles étant toujours lents et graduels, et ne se rendant
bien sensibles que dans les temps chauds, temps où
les émanations des plantes sont les plus considérables,
j'ai senti que des vésicules ou des cavités situées dans
les articulations de ces folioles, pouvaient se remplir
graduellement de quelque émanation gazeuse et élas-
tique du végétal, et que ces cavités povainns par là se
distendre proportionnellement jusqu’à un certain
terme de plénitude; qu’alors elles pouvaient se vider
et s’aflaisser aussi graduellement. Or, il devait résulter
de cet état de choses, des alternatives lentes d’éléva-
tion et d’abaissement de ces mêmes folioles, qui dé-
crivent une ligne demi-circulaire, sans qu'aucune
secousse ou cause étrangère ait provoqué ces mouve-
ments.
Cette cause simple et uniquement mécanique, s’ac-
corde avec les émanations connues des plantes; et l’on
sait que ces émanations de matières gazeuses et élasti-
ques sont considérables dans les temps chauds, qu elles
varient selon les plantes qui les produisent, qu'elles
sont odorantes dans beaucoup de végétaux, et que,
dans la fraxinelle (dictamus albus) , elles sont suscep-
tibles de s’enflammer. Ainsi, cette cause me paraît
satisfaire pleinement à l’explication du phénomène
dont il s’agit.
Elle nous montre que dans les plantes sensitives, il
faut un attouchement , une secousse, elc., pour pro-
voquer l'évacuation subite des vésicules articulaires ;
tandis que dans l’hedysarum gyrans, une simple plé-
88 INTRODUCTION.
nitude de ces vésicules suffit pour les mettre dans le
cas de commencer l'évacuation lente et graduelle du
gaz qu'elles contiennent.
Lorsqu'on voudra réellement savoir la vérité à Pé-
gard des objets dont il vient d’être question , il sera
difficile de ne pas reconnaître le fondement des causes
que je viens d'indiquer.
Ce qu'il y a de très positif, c’est que, dans les phé-
nomènes connus, soit de la sensitive, soit de l’hedysa-
rum gyrans , soit de la plication subite des feuilles de
la dionce, soit des détentes des étamines du berberis,
soit du redressement des fruits qui succèdent à des
fleurs pendantes, soit enfin de divers mouvements
observés dans les parties de certaines fleurs, il n’y a
véritablement rien qui soit comparable au phénomène
de l’irritabilité animale, et bien moins encore à celui
du sentiment.
L'irritabilité, dit-on, n’est qu’une modification de
la sensibilité : elle n’est pas une faculté spécialement
attribuée à l’animal; elle est commune à tous les êtres
vivants. Il n’y a pas de doute que toutes les parties bien
vivantes des animaux n’en soient douces; mais les vé-
gétaux nous donnent aussi des preuves qu’ils la possè-
dent. L'action de la lumière, de l'électricité, de la
chaleur, du froid, de la sécheresse , des acides , des
alcalis, du mouvement communiqué, ete. , etc., voilà
autant de causes de l'irritabilité des végétaux ; c’est à
leurs effets qu’on doit rapporter l’épanouissement de
certaines fleurs à des heures marquées dans le jour, le
sommeil des plantes, la direction de leurs tiges, la
dissémination de leurs graines, les eschares plus ou
moins profondes que produisent la gréle , le vent
sec , elc.; et cependant aucun de jeurs organes ne com-
munique le mouvement qu’il éprouve à la totalité de
l'être qui y paraît sensible. Telle est la manière dont
INTRODUCTION. 89
on croit prouver que l’irritabilité est une faculté com-
mune aux plantes , comme aux animaux !
On dit ailleurs : « Si les animaux montrent des dé-
sirs dans la recherche de leur nourriture, et du discer-
nement dans le choix qu’ils en font, on voit les raci-
nes des plantes se diriger du côté où la terre est plus
abondante en sucs, chercher dans les rochers les
moindres fentes où il peut y avoir un peu de nourri-
ture; leurs feuilles et leurs branches se dirigent sot-
gneusement du côté où elles trouvent le plus d’air et
de lumière. Si l’on ploie une branche la tête en bas, ses
feuilles vont jusqu’à tordre leurs pédicules, pour se
retrouver dans la situation la plus favorable à l’exer-
cice de leurs fonctions. Est-on sûr que cela ait lieu
sans conscience? » (Dictionnaire des Sciences naturelles,
au mot déjà cité.)
C’est ainsi que, par la citation de faits précipitam-
ment et inconvenablement jugés; l’on introduit dans
les sciences, des vues et des principes, dont il est ensuite
difficile de revenir, parce qu’ils ont une apparence de
fondement lorsqu'on ne les approfondit pas, et qu'on
a l'habitude de les considérer sous ces rapports.
Quant à moi, je ne vois dans aucun de ces faits,
rien qui indique, dans le végétal qui les offre, une
conscience, un discernement, un choix; rien, enfin,
qui soit comparable au phénomène de l’irritabilité ani-
male, et encore moins à celui du sentiment.
Je sais comme tout ie monde , qu’à raison de leurs
diverses propriétés, les différents corps de la nature,
vivants ou non, exercent les uns sur les autres des ac-
tions Jorsqu'ils sont en contact, et sur-tout lorsqu’au
moins l’un d’eux est dans l’état fluide. Ce n’est pas un
motif pour supposer que ces corps soient irritables.
Le cheveu de mon hygromètre qui s’alonge dans
les temps de sécheresse et se raccourcit dans les temps
90 © INTRODUCTION.
d'humidité, et la barre de fer qui s'alonge dans
l'élévation de sa température , ne me paraissent pains
pour cela des corps irritables.
Lorsque le soleil agit sur le sommet fleuri d’un
helianthus, qu’il hâte l’évaporation sur les points de
la tige et des pédoncules qu’il frappe par sa lumière,
qu'il dessèche plus les fibres de ce côté que celles de
l’autre , et que par suite d’un raccourcissement gra-
duel de ces fibres, chaque fleur se tourne du côté d’où
vient Ja lumière, je ne vois pas qu’il ÿ ait là aucun
phénomène d’irritabilité, non plus que dans la bran-
che ployée en bas qui redresse insensiblement ses feuilles
et sa sommité vers la lumière qui les frappe.
En un mot, lorsque les racines des plantes s’insi-
nuent principalement vers les points du sol qui sont
les plus humides , et qui cèdent le plus au nouvel es-
pace que l’accroissement de ces racines exige ; je ne me
crois pas autorisé par ce fait à leur attribuer de l'irri-
tabilité, des perceptions, du discernement, etc., etc.
Partout, assurément , on voit des actions produites
et suivies de mouvement, entre des corps en contact
ui ne sont ni irritables , ni sensibles, puisqu'on en
observe de telles entre des corps qui ne sont point vi-
vants. Or, ces actions suivies de mouvement ont lieu
lorsqu'il y a du mouvement communiqué; lorsqu'il
se trouve quelque affinité qui s'exerce, quelque décom-
position ou combinaison qui s'opère; lorsqu'un corps
reçoit quelque influence hygrométrique ou pyrométri-
que, ou qu'il se trouve dans le cas de subir un affais-
sement de parties, un eflet de détente, celui d’une
explosion, d’une rupture, d’une compression, etc., etc.
Dans tous ces cas et leurs analogues, il n’y a certaine-
ment aucun rapport entre les mouvements lents ou
prompts que l’on observe, et ceux qui appartiennent à
l’irritabilité animale. Or , ces derniers mouvements,
INTRODUCTION. OL
qui ne se produisent que par excitation et toujours
dans des parties susceptibles de les renouveler cha-
que fois qu’une cause excitante les provoquera , ne se
montrent dans aucun autre corps de la nature que
dans celui des animaux.
C’est donc un fait positif que, hors des animaux,
l’on ne trouve pas un seul exemple d’un mouvement
produit par excitation; de ce mouvement singulier,
toujours prêt à se renouveler , et dans lequel les rap-
ports entre Ja cause’et l'effet sont insaisissables ; de ce
mouvement , enfin, qui semble lui-même offrir une
réaction subite des parties contre la cause agissante,
et qui ne ressemble nullement à aucun de ceux qui ont
été observés dans les plantes.
Mais , me dira-t-on, comment concevoir l’existence
de la vie dans un végétal, et par suite, la possibilité
des mouvements vitaux, sans une cause capable d’opé-
rer et d'entretenir ces mouvements, sans des parties
réagissantes sur les fluides , en un mot, sans l’irrita-
bilité ?
À cela , je répondrai que l’existence de la vie, dans
le végétal comme dans l’animal, se concevra facilement
et clairement, lorsqu'on aura égard aux conditions
que jai assignées pour que le phénomène de la vie
puisse se produire; et ici, sans l’irritabulité, ces condi-
tions se trouvent remplies.
Un orgasme wital est essentiel à la conservation de
tout être vivant; il fait partie de l’état de choses que
j'ai dit devoir exister dans un corps pour qu'il puisse
posséder la vie, et pour que ses mouvements vitaux
puissent s'exécuter. Or, cet orgasme, quoique commun
À tout corps vivant, ne montre, dans les végétaux,
qu'un fait peu remarquable et qui n’a point attiré
notre attention; tandis qu’il offre, dans les animaux,
92 INTRODUCTION.
un phénomène singulier , et qui n’a point jusqu’à pré-
sent été expliqué.
En eflet, ce même orgasme , qui a Jieu dans tous les
points des parties souples de tout végétal vivant, ne
produit, dans les points de ces parties souples, qu’une
tension particulière, qu’une espèce d’éréthisme ; au
lieu que dans les parties souples et non médullaires
de tout animal , il y constitue le phénomène de l’irri-
tabilité. De part et d'autre, la composition chimique
des parties concrètes de ces corps vivants, donne lieu
à la diflérence entre ces deux sortes d’orgasme.
L'espèce de tension ou d’éréthisme de tous les points
des parties souples des végétaux vivants , est facile à
apercevoir lorsqu'on y donne de l'attention , et sur-
tout lorsque l’on compare une plante morte et encore
en place avec un autre individu de la mème espèce
qui jouit de la vie.
Or , cette tension des points des parties souples de
la plante vivante est probablement le produit de flui-
des élastiques qui se dégagent sans cesse du végétal ,
y subsistent quelque temps avant de s’en exhaler, et
mettent ce corps , par leur formation et leur EEE TS
tion successives , dans le cas de pouvoir absorber les
fluides du dehors.
L'orgasme dont il s’agit, n’est, dans les végétaux ,
qu'à son plus grand degré de simplicité. Il y est effec-
tivement si faible, qu'un coup de vent d’un air très
sec, ou certain brouillard, ou une gelée suffit souvent
poux le détruire; ce qui fait périr aussitôt la plante
ou celle de ses parties qui s’en trouve aflectée. Rien
nest plus commun que de voir un arbrisseau vigou-
reux et bien portant dans toutes ses parties, perdre la
vie en moins de vingt-quatre heures, soit dans une
de ses branches , soil dans tout son être, par une des
causes que je viens de citer. Mais, tant que l'orgasme,
INTRODUCTION. 93
ou l’espèce de tension particulière des points des par-
ties souples du végétal, subsiste, il lui donne le pou-
voir d’absorber les fluides de l'extérieur en contact
avec ses parties, c’est-à-dire, lesfluides liquides par ses
racines, et les fluides élastiques ou gazeux par ses feuilles,
etc. ; en un mot, il lui donne la faculté de vivre.
C’est-là que se bornent les facultés de cet orgasme.
Il ne rend point les parties souples de la plante capa-
bles, par des réactions subites, de servir, ni même de
concourir aux mouvements des fluides intérieurs, en
un mot, aux mouvements vitaux. Cela n’est nulle-
ment nécessaire; car , dans les végétaux, Îes mouve-
ments des fluides intérieurs sont toujours les résultats
évidents des excitations, que des fluides subtils, incoër-
cibles et pénétrants du dehors ( le calorique et l'élec-
tricilé ) viennent exercer sur eux.
Ce qui prouve que ce que je viens de dire ne s’appuie
point sur une supposition gratuite, mais a un fonde-
ment réel, c’est que l’observation atteste qu’il y a tou-
jours un rapport parfait entre la température des mi-
lieux environnants et l’activité de la végétation : en
sorte que, selon que la température s’abaisse ou s’é-
lève, la végétation et les mouvements des fluides in-
térieurs sa ralentissent ou s’accélèrent proportion-
nellement.
Dans les grands abaissements de température,
comme dans l’hiver de nos climats, ceux des végétaux
qui ne sont point accoutumés à supporter un grand
froid périssent; mais les autres, quoique conservant
encore leur orgasme , ont leurs mouvements vitaux
tellement ralentis, que leur végétation est alors pres-
que entièrement suspendue. Néanmoins, à un certain
degré de froid, leur orgasme serait détruit, et dès
lors le phénomène de la vie ne saurait plus se produire
en eux.
04 INTRODUCTION.
Maintenant, s’il est vrai que l'orgasme fasse partie
essentielle de l’état de choses nécessaires à la vie dans
un corps, et que, dans les végétaux ; cet orgasme ne
soit propre qu'à leur donner le pouvoir d’absorber les
fluides de l'extérieur, on concevra, d’une part , que
lorsque l’absorption végétale a introduit dans le tissu
ou dans les canaux de la plante les fluides qui lui de-
viennent propres, dès lors l’excitation des fluides sub-
tils ou incoércibles du dehors (du calorique, de l’élec-
tricité , etc. } suffit pour leur donner le mouvement;
de l’autre part, on sentira que lorsque, par l’anéantis-
sement de l’orgasme, le végétal a perdu sa faculté
absorbante, alors ne se pénétrant que d’humidité à la
manière des corps poreux non vivants, selon l’état
hygrométrique de l’air, ce végétal n’a plus à J’inté-
rieur ces masses de fluides propres , celles que les flui-
des subtils ambiants faisaient mouvoir, et que, dès
ce moment, la vie n'existe plus en lui.
Cette différence de l’arbre vivant d’avec l’arbre
mort encore sur pied , et que les fluides subtils am-
biants ne sauraient plus vivifier , quoiqu'ils existent
toujours, s'accorde avec l'observation et avec tous les
faits connus. L’orgasme étant détruit, soit dans telle
branche de cet arbre , soit dans toutes ses parties, la
vie ne saurait plus se manifester dans les parties qui
l’ont perdue.
L’orgasme que possèdent les végétaux vivants, et
qui leur donne à tous leur faculté absorbante , suffit
donc pour les faire vivre. Il les met dans le cas de se
passer de la faculté d’être irritables ; faculté que la
composition chimique de leurs parties ne leur permet
point de posséder.
Ainsi, les végétaux ne sont point trritables, ne
jouissent point du sentiment, et ne sauraient se mou-
voir. On est même fondé à dire que, quelle que soit la
INTRODUCTION. 95
puissance de la nature, et quelque temps qu’elle ac-
corde à l’organisation qui tend toujours à se composer,
le propre des végétaux est tel, que jamais la nature ne.
pourra leur donner, ni la faculté de se mouvoir eux-
mêmes, ni celle de sentir, ni, à plus forte raison, celle
de se former des idées, de les employer pour comparer
les objets, pour juger, pour discerner ce qui leur con-
vient, etc. Ils resteront à jamais dans une infériorité
de phénomène organique qui les distinguera toujours
éminemment des animaux.
Examinons actuellement les caractères essentiels de
ces derniers, et nous les opposerons à ceux des végé-
taux, afin d’en apercevoir les grandes différences.
CHAPITRE IV.
Des animaux en général, et de leurs caractères essentiels.
[e] 2
s
Nous voici enfin parvenu aux objets qui nous in-
téressent directement, et que nous nous proposons de
faire connaître sous les véritables rapports qui les
concernent. Effectivement , il s’agit ici des animaux,
c’est-à-dire , de ces corps vivants singuliers, qui se
meuvent instantanément et qui . Ja plupart, peuvent
se déplacer ; de ces corps vivants qui, bien plus diver-
sifiés et plus nombreux en races que les végétaux, Lien-
nent de si près par l’organisation à celle même de
l’homme.
Qui ne sait que toutes les parties de la surface du
globe et le sein de toutes les eaux liquides , sont rem-
plis de ces êtres vivants infiniment variés dans leur
forme, leur organisation et leurs facultés; et qu’ils
96 INTRODUCTION.
offrent tous cela de particulier, au’ils peuvent se mou-
voir subitement ou mouvoir de même certaines de
leurs parties, sans l’impulsion d’aucun mouvement
communiqué !
Or, puisque ces mêmes êtres, si dignes de notre
admiration et de notre étude par les facultés qui leur
sont propres, se rapprochent de nous par l’organisa-
tion , et que les animaux sans vertèbres que nous vou-
lons connaître , en font généralement partie, essayons
de fixer et de circonscrire nettement les caractères
essentiels qui les distinguent. Les preuves du fonde-
ment de ces caractères seront développées après leur
exposition. .e
Caractères essentiels des animaux.
Les animaux sont des corps vivants irritables, dont
les caractères essentiels sont :
10 D’avoir des parties instantanément contractiles
sur elles-mêmes, et d’être susceptibles de les mouvoir
subitement et itérativement ;
20 D’être les seuls corps vivants qui aient la faculté
d’agir , et la plupart de pouvoir se déplacer ;
30 De n’exécuter aucun des mouvements de leurs
parties, tant internes qu’externes, qu’à la suite d’ex-
citations qui les provoquent, et de pouvoir répéter de
suite ces mouvements autant de fois que la cause exci-
tante les provoquera ;
4 De n’offrir aucun rapport saisissable entre les
mouvements qu'ilsexécutent et la cause qui les produit;
50 D’avoir leurs solides, ainsi que leurs fluides,
parucipant aux mouvements vitaux;
Go De se nourrir de matières étrangères déjà com-
posées; et la plupart d'avoir la faculté de digérer ces
matières ;
INTRODUCTION. 97.
7° D’offrir entre eux une immense disparité dans la
composition de leur organisation et dans leurs facultés
particulières, Pepe ceux qui ont l’organisation la
plus simple, jusqu’à ceux dont l’organisation est la
plus compliquée, et dont les organes spéciaux intérieurs
sont les plus nombreux; dé manière que leurs parties
ne $fauraient se transformer les unes dans les autres;
80 D’être, les uns simplement irritables , ce qui fait
qu'ils ne se meuvent que par des excitations qui leur
viennent du dehors; les autres rrrilables et sensibles,
ce qui leur donne la faculté de se mouvoir par des
excitations internes que le séntiment intérieur qu’ils
possèdent produit en eux; les autres, enfin, irritables,
sensibles et intelligents, ce qui les rend capables de se
mouvoir par des actes de volonté, quoique le plus
souvent ils agissent sans préméditation ;
9° De n’avoir aucune tendance, dans le développe-
ment de leur corps, à s ’élancer perpendiculairement
au plan de l’horizon, et de n’avoir aucun parallélisme
dominant dans les canaux qui contiennent leurs fluides;
Tels sont les neuf caractères essentiels qui sont gé-
néralement propresaux animaux, et qui les distinguent
éminemment de tout végétal quelconque, ces neuf ca-
ractères élant tous en opposition et contradictoires à
ceux qui appartiennent aux végétaux.
Ayant déjà prouvé, d’une part, que l’irritabrilité
n'existe nullement daus les végétaux, comnie elle ne
saurait exister dans aucun corps inorganique ; qu’au-
cun végétal, en effet, ne possède de parties instanta-
nément et itérativement contractiles sur elles-mêmes;
en sorte que les mouvements observés dans différentes
plantes, n’ont rien de comparable au phénomène de
l’irritabilité animale; et de l’autre part, les z0olo-
gistes sachant très bien qu’il n’est pas un seul animal
qui ne soit muni de partiés instantanément contrac-
Tome 1. 7
08 INTRODUCTION.
tiles: c'est donc une vérité incontestable et partout
attestée par les faits; savoir, que les animaux sont
les seuls corps de la nature (au moins dans notreglobe)
qui soient doués de parties irritables et de parties
contractiles, susceptibles de se mouvoir subitement
et itérativement à chaque provocation d’une cause
excitante. Ils sont donc les seuls corps de la nature
qui soient capables de se mouvoir par excitation.
Si l’on recherche, en effet, quelle est la source des
mouvements des animaux, on reconnaîtra qu’elle ré-
side uniquement dans cette faculté singulière de leurs
parties souples, qui leur donne le pouvoir de se con-
tracter subitement à chaque excitation, et de réagir
aussitôt sur le point affecté. Dès lors, la comparaison
de ces singuliers mouvements avec tous ceux que l’on
peut observer ailleurs, montrera, comme je viens de
le dire, que les animaux sont réellement les seuls corps
connus qui soient dans ce cas.
Ceux des animaux dont le corps est entièrement gé-
latineux , comme les infusoires, les vrais polypes, les
radiaires mollasses, ceux-là, dis-je, ont toutes leurs
paries concrètes éminemment irrilables, et la simpli-
cité de leur organisation fait propager l’eflet de toute
excitation, soit sur une grande portion de leur corps,
soit sur leur corps entier. Or, comme ces animaux
trouvent autour d’eux ce qui peut les nourrir, car ils
s'emparent de tout ce qu’ils peuventsaisir, et rejettent
ce qu’ils ne peuvent digérer , ils n’ont point de mou-
vements particuliers à exécuter pour un choix d’ali-
ments, n’ont besoin d’aucuns muscles pour se mouvoir
eux-mêmes, et, en effet, on ne leur en connaît pas
positivement.
Mais ceux qui sont plus avancés dans la composition
de leur organisation , ainsi que ceux qui ont des parties
dures, comme des téguments coriaces, cornés ou crus-
INTRODUCTION. 99
tacés; ceux-là, dis-je, ont l’irritabilité plus bornée
dans ses eflets, et possèdent tous intérieurement des
muscles , c’est-à-dire, des parties charnues, irritables,
contractiles sur elles-mêmes, ei qui peuvent se mou-
voir par des exvitations internes. Ainsi, il n’est aucun
animal, depuis la monade jusqu’à l’ourang-outang,
qui n'ait de ces parties contractiles.
Voilà des faits que l’observation constate à l’égard
de tous les animaux, qui ne souffrent aucune excep-
tion nulle part, et qui ne se retrouvent, ri dans les
végétaux, ni dans les autres corps de la nature : ils
doivent donc servir à caractériser généralement les
animaux.
Eflectivement, ces caractères positifs nous seront
utiles pour prononcer définitivement sur la nature de
certains corps organisés, que les uns rapportent aux
végélaux, tandis que Îles autres Îles regardent comme
appartenant au règne animal (1).
On sent bien que je n’entends pas m'occuper ici des
causes prochaines et mécaniquesdes divers mouvements
des animaux; mouvements qu’ils exécutent principa-
lement dans leur locomotion ,; comme lorsqu'ils
marchent, courent, sautent, rampent, volent ou
nagent; objet qui fut traité par Aristote, Borelli,
Barthez, Daudin, etc.; mais qu’il s’agit de la source
même où les animaux puisent la faculté de se mouvoir.
Or, j'ai déjà dit que si l’on demande quelles sont les
(x) Les plantes de Ja famille des tremelles , et particulièrement les
oscillatoires de Vaucrer, sont dans le cas que je viens de citer, et
néanmoins ce sont évidemment des végétaux. Ces corps vivants ne sont
pointirritables ; leurs mouvements oscillatoires sont toujours très lents
et jamais subits ; ils sont plus ou moins apparents en raison de la iem-
pérature, et aucune excitation particulière ne les fait point varier.
Voyez Vaucuer, Hist, des Conferves, p. 163 et suiv.
( Vote de Lamarck. )
Lei
F
100 INTRODUCTION.
causes physiques, ou quelle est la source des mouve-
ments subits que les animaux peuvent exécuter et
répéter , la solution de cette question se trouvera dans
la considération du fait que j'ai cité, savoir : que les
animaux ne se meuvent que par excitation , et qu'eux
seuls, dans la nature, sont généralement dans ce cas.
On peut, effectivement, se convaincre par l’obser-
vation que les mouvements des animaux ne sont point
communiqués; qu’ils ne sont point le produit d’une
impulsion, d’une pression , d’une attraction ou d’une
détente; en un mot, qu'ils ne résultent point d’un
effet, soit hygrométrique, soit pyrométrique; mais
que ce sont des mouvements excités, dont la cause
excitante agissant sur des parties subitement contrac-
tiles, n’est point proportionnelle aux effets produits.
Dars les corps inorganiques , et même dans les végé-
taux ; les mouvements des parties concrètes, quels
qu'ils soient , ne sont que communiqués, ou que dé-
terminés par quelque aflinité ou quelque élasticité qui
exerce son action; mais ils ne sont jamais excilés ; aussi
sont-ils toujours proportionnels aux causes qui les pro-
duisent. De là vient que les lois de ces mouvements
se sont trouvées déterminables , et qu’elles ont donné
lieu à unescience particulière qu’on nomme mécanique,
à laquelle les mathématiques sont applicables. (1)
(1) On m'objectera peut-être, comme exception au principe que je
viens de poser, que les matières qui entrent en fermentation ont alors
dés mouvements excités. Mais on se tromperait à cet égard; car, outre
que les corps qui fermentent se détruisent , ce qui n’a point lieu dans
les animaux qui se meuvent, je ne vois pas que les mouvements des
corps qui fermentent soient en rien comparables aux mouvements exci-
tés des animaux, aucune des parties de ces corps n’étant contractile,
(Note de Lamarck.)
Les personnes qui voudraient soutenir cette fausse comparaison de-
vront d’abord consulter les traités élémentaires de chimie pour se faireune
INTRODUCTION. 101
Dans les animaux, au contraire, les mouvements
subits qu'on leur observe ne s’opérant que par des exci-
tations sur des parties concrètes, mais molles et con-
tractiles, on ne trouve plus de rapports déterminables
entre la cause excitante, sa force et les mouvements
produits; la nature même des mouvements d’une par-
tie qui se contracte, semble opposée à ceux qu'ailleurs
les causes physiques exécutent.
D'après ce que je viens d'exposer, on voit que les
animaux diffèrent énormément, par leur nature, des
autre corps vivants dépourvus de parties érritables,
tels que les végétaux. Aussi , possèdent-ils, dans l’irri-
labilité qui leur est exclusivement propre, une cause
de supériorité de moyens qui a permis à la nature
d'établir progressivement en eux les différentes facul-
tés qu’on leur connaît.
Cependant , un caractère aussi frappant, aussi tran-
ché que celui que je viens de citer, ne fut réellement
point saisi jusqu’à présent, puisque de notre temps on
a cherché à létendre jusques aux végétaux, c’est-à-
dire, à des êtres qui ne le possèdent point.
De même, n’a-t-on point attribué généralement à
tous les animaux la faculté de se mouvoir volontaire-
ment, et celle de sentir, sans examiner auparavant ce
que peuvent être le sentiment et la volonté !
Et, dans l’ouvrage que j'ai déjà cité (1), ne prétend-
on pas que les organes essentiels à l’animalité sont
ceux des sensations et du mouvement. Or, comme ces
organes sont des nerfs et des muscles, il s'ensuit que
juste idée de la fermentation et de la cause du mouvement qu’elle produit
dans les corps soumis à son action : c’est une décomposition avec dé-
gagement de gaz qui ne peut avoir rien de commun avéc les mouve-
ments des animaux.
(1) Voyez le Dict, des Sciences naturelles, au mot ANIMAL, pag. 161.
102 INTRODUCTION.
tout animal doit en être pourvu ! Néanmoins, étant
forcé de convenir qu’on ne les retrouve plus dans
quantité d'animaux imparfaits , on suppose que ces
organes y existent toujours, et qu'ils sont mêlés et con-
fondus dans la substance irritabie et sensible de ces
animaux.
On nous dit ensuite, dans le même ouvrage, que
c’est la manière dont s’exerce la nutrition qui fournit
le meilleur caractère distinctif entre les animaux et
les végétaux; et pour le prouver, on assure que tous les
animaux connus possèdent une cavité intestinale qui
a nécessairement pour entrée une ou plusieurs bou-
ches.
Ces assertions , qu'on ne s’est pas mis en peine de
prouver, parce que la considération de quantité d’ani-
maux en eût rendu les preuves trop difficiles à établir,
montrent une prévention très forte en faveur des an-
ciennes opinions que l’on s’était formées des animaux,
quoique nos connaissances actuelles ne les permettent
plus. Elles ne sont propres qu'à retarder les progrès
de la zoologie, et l’on peut dire maintenant qu'aucune
d'elles n’offre le vrai caractère qui distingue les ani-
maux des végétaux.
En niant formellement ces assertions, parce qu’elles
sont évidemment contraires à la marche que suit la
nature dans ses productions ; qu’elles le sont à l’ordre
progressif de la formation des organes spéciaux qui
seuls donnent lieu à des facultés particulières; et sur-
tout qu’elles le sont à la nécessité des appareils d’or-
ganes compliqués qui sont indispensables pour des
facultés très éminentes ; voici celles que je leur substi-
tue , et que j'appuierai de preuves telles, qu’il faudra
bien un jour les admettre.
Sans doute, quelques animaux des plus parfaits sont
doués de facultés d'intelligence, et peuvent agir par des
INTRODUCTION: 103
actes de volonté, c’est-à-dire , à la suite d’une prémé-
ditation; mais il n’est pas vrai que tous les animaux
aient la faculté de se mouvoir ainsi par les suites d’une
volonté ;
Sans doute, beaucoup d'animaux peuvent éprouver
des sensations ; mais il n’est pas vrai que les animaux
jouissent tous de la faculté de sentir ;
Sans doute, il n’y a que des nerfs qui soient les or-
ganes dés sensations; mais il n’est pas vrai que tous
les nerfs soient propres à la production de sentiment ;
Sans doute, beaucoup d’animaux sont pourvus de
nerfs; mais il n’est pas vrai que tous les animaux en
soient munis d’une manière quelconque ;
Sans doute, quantité d'animaux se meuvent par
un système musculaire ; mais il n’est pas vrai que tous
les animaux aient des muscles et puissent en avoir ;
Sans doute , enfin, un très grand nombre d’ani-
maux possèdent une cavité intestinale, organe spécial
pour la digestion; mais il n’est pas vrai que tous les
animaux soient munis d’une pareille cavité, qu'ils
aient tous une ou plusieurs bouches, et que tous di-
gèrent.
Certes , si ces assertiors sont fondées, il doit en ré-
sulter que tout ce qui a été dit de l'animal est fort
inconvenable, ne saurait fonder solidement la philoso-
phie des sciences zooïogiques, et probablement ne pro-
vient que de ce qu'on a généralisé inconsidérément
ce qui a été observé daus les animaux les plus parfaits.
J'ai déjà donné les motifs sur lesquels se fondent
quelques-unes de ces assertions; je donnerai bientôt
ceux qui concernent les autres; mais auparavant je
dois poser les axiomes ou principes suivants, qui sont
les conséquences des six principes fondamentaux pré-
sentés dans mon premier discours (pag. 11), et qui
s'accordent avec tous les faits observés.
104 | INTRODUCTION.
Principes ou Axiomes zoolosiques.
10 \ulle sorte ou nulle particule de matière ne sau-
rait «\oir en elle-même la propriété de se mouvoir,
nice e de vivre, ni celle de sentir, ni celle de penser
ou d avoir des idées; et si, hors de l’homme, l’on ob-
serve des corps doués , soit de toutes ces facultés , soit
de quelqu'une d’entre elles, on doit considérer alors
ces facultés comme des phénomènes physiques que la
nature a su produire, non par l’emploi de telle ma-
tière qui possède elle-même telle ou telle de ces fa-
cul és, muis par l’ordre et l“.1 de choses qu’elle a
inst .ués dans chaque organisation et dans chaque sys-
tème d'organes particulier ;
20 Toute faculté animale, quelle qu’elle soit, est un
phénomène organique; et celte faculté résulte d’un
système ou appareil d'organes qui ÿ donne lieu, en
sorte qu’elle en est nécessairement dépendante;
30 Plus une faculté est éminente, plus le système
d’organes qui la produit est composé et appartient à
une organisation compliquée; plus aussi son méca-
nisme est difficile à saisir. Mais cette faculté n’en est
pas moins un phénomènes d'organisation , et est en
cela purement physique;
4° Tout système d’organes qui n'est pas commun à
tous les animaux, donne lieu à une faculté qui est
particulière à ceux qui le possèdent ; et lorsque ce sys-
tème spécial n’existe plus, la faculté qu’il produisait
ne saurait plus exister (1);
(1) Ce principe est d’une vérité incontestable, et il est l'expression
d’un fait important dans les animaux, Ce fait peut être encore exposé
de cette manière-ci : point d'acte sans l'instrument de cet acte; point
de fonction sans l’organe de cette fonction.
INTRODUCTION. 105
5o Comme l’organisation elle-même, tout système
d'organes particulier est assujetti à des conditions né-
cessaires pour qu’il puisse exécuter ses fonctions ; et
parmi ces conditions, celle de faire partie d’une orga-
nisation dans le degré de composition où on l’observe,
est au nombre des essentielles (2) ;
60 L’irritabilité des parties souples, quoique dans
différents degrés, selon leur nature, étant une faculté
commune à tous les animaux, n’est point le produit
d’aucun système d’organes particulier dans ces parties;
mais elle est celui de l'état chimique, des substances
de ces êtres, joint à l’ordre de choses qui existe dans
le corps animal pour qu’il puisse vivre;
79 La nature, dans toutes ses opérations, ne pou-
vant procéder que graduellement, n’a pu produire
tous les animaux à la fois : elle n’a d’abord formé que
les plus simples, et passant de ceux-ci jusques aux plus
composés , elle a établi successivement en eux différents
systèmes d’organes particuliers, les a multipliés, en
a augmenté de plus en plus l'énergie, et, les cumulant
dans les plus parfaits, elle a fait exister tous les ani-
maux connus, avec l’organisation et les facultés que
nous leur observons. Or, elle n’a rien fait absolumen:,
ou elle à fait ainsi.
Sachant parfaitement, par mes études des animaux,
combien ces principes sont fondés, ces mêmes prin-
cipes me dirigeront désormais dans l’exposition que je
. (x) Supposer dans une monade , dans une hydre, ete. , l’éminente
faculté de sentir, quoïqu’il soit impossible d’y trouver le système d'or-
ganes compliqué qui , seul, peut donner lieu à cette faculté, c'est une
pensée contraire aux lois de l’organisation, et à la marche que la nature
est obligée de suivre dans tout ce qu’elle produit. ( Vote de Lamarck).
106 INTRODUCTION.
ferai des facultés que possèdent les animaux que nous
considérerons.
Mais auparavant, il convient de fixer la définition
précise qui caractérise les coupes principales, parmi Îles
corps naturels; coupes dont j'ai fait l'exposition des
caractères avec détail. Or, ces coupes principales sont
les corps inorganiques et les corps vivants, el parmi
ceux-ci les végétaux et les animaux.
Défi inition de chacune des deux coupes primail es qui
partagent les productions de la nature.
— Les corps inorganiques sont ceux en qui l’état
des parties ne permet pas au phénomène de la vie de
s’exécuter en eux, quelque relation qu’ils aient avec
les causes excitatrices de l’extérieur.
— Les corps vivants sont ceux en qui un ordre de
choses et un état des parties, permettent à des causes
excitalrices d'y produire le phénomène de la vie, qui
en amène plusieurs autres.
Définition de chacune des deux coupes principales qui
divisent les corps vivants.
— Les végétaux sont des corps vivants non irrita-
bles, incapables de contracter instantanément et ité-
rativement aucune de leurs parties sur elles-mêmes,
et dépourvus de la faculté d'agir, ainsi que de celle de
se déplacer.
— Les animaux sont des corps vivants doués de
parues irritables, contractiles instantanément et itéra-
tivement sur sé: Fab mêmes; ce qui leur donne à tous la
faculté d’agir, et à la plupart celle de se déplacer.
Ces définitions sont claires, positives , à l'abri de
INTRODUCTION. 107
toute objection, et ne rencontrent aucune exception
nulle part.
Que l’on oppose maintenant ces caractères des ani-
maux à ceux exposés ci-dessus qui appartiennent aux
végétaux, lon sera convaineu de la réalité de cette
ligne de démarcation tranchée que la nature a éta-
blie entre les uns et les autres de ces corps vivants.
Conséqueniment , les auteurs qui indiquent un
passage insensible des animaux aux végétaux par les
polypes et les infusoires qu’ils nomment zoophites ou
animaux-plantes, montrent qu'ils n'ont aucune idée
juste de la nature animale, ni de la nature végétale, et
abusés eux-mêmes, ils exposent à l'erreur tous ceux
qui n’ont de ces objets que es connaissances superfi-
cielles.
Les polypes et les infusoires ont mème si peu de
rapporis avec aucun végétal quelconque, que ce sont,
de tous les animaux, ceux en qui l’irritabilité ou la
contractilité subite des parties a le pius d’éminence.
J’ai déjà dit que, si, sous une seule considération,
l’on peut rapprocher les animaux très imparfaits que
constituent les infusoires , les polypes , etc., des algues,
des champignons, des lichens, et autres végétaux
aussi très imparfaits, ce ne peut être que sous le
rapport d’une grande simplicité d’organisation de part
et d'autre.
Or, Ja nature suivant partout une même marche ,
et étant partout encore assujettie aux mêmes lois, il est
évident que, si, pour former les végétaux et les ant-
maux, elle a travaillé, d’un côté sur des matériaux
d’une nature particulière, et de l’autre sur des maté-
riaux dônt la composition chimique était différente,
ses produits sur les premiers n’ont pu être les mêmes
que ceux qu’elle à pu faire exister dans les seconds.
C'est ce qui est effectivement arrivé; car , très bornée
108 INTRODUCTION.
dans ses moyens, relativement aux végétaux, la nature
n’a pu établir en eux l’irrilabilité, et, par cette pri-
vation, ces corps vivants sont restés dans une grande
infériorité de phénomènes, comparativement aux ani-
maux. Enfin, comme la nature a commencé en même
temps les uns et les autres, ils ne forment point une
chaîne unique, mais deux branches séparées à leur
origine, où elles n’ont de rapports que par la sim-
plicité d’organisation des uns et des autres. Voilà çe
qu'attesteront toujours l'observation de ces deux sor-
tes de corps vivants, et l'étude de la nature.
Maintenant que nous connaissons l'animal, que
nous pouvons même distinguer le plus imparfait des
animaux, du végétal le plus simple en organisation,
nous avons, à l'égard des premiers, quantité d’objets
très importants à considérer, si nous voulons réelle-
ment les connaître.
D'abord, quoiqu'il soit prouvé qu’il n’y ait point
de chaîne réelle entre toutes les productions de la na-
ture, qu'il n’y en ait même point entre tous les corps
vivants, puisque Îles végétaux ne sauraient se lier aux
animaux par une véritable nuance ; pour montrer
l'unité du plan qu'a suivi la nature, dans la formation
des animaux, je vais constater dans ja seconde partie,
l'existence d’une progression dans la composition de
l’organisation des animaux, ainsi que dans le nombre
et l’éminence des facultés qu’ils en obtiennent.
INTRODUCTION, 109
DEUXIÈME PARTIE.
DE L'EXISTENCE D'UNE PROGRESSION DANS LA COMPOSI-
TION DE L'ORGANISATION DES ANIMAUX, AINSI QUE
DANS LEJNOMBRE ET L’ÉMINENCE DES FACULTÉS QU'ILS
EN OBTIENNENT.
Il s’agit maintenant de constater lexistence d’un fait
qui mérite route l'attention de ceux qui étudient la
nature dans les animaux ; d’un fait entrevu depuis
bien des siècles, jamais parfaitement saisi, tonjours
exagéré et dénaturé dans son exposition ; d’un fait, en
un mot, dont on s’est servi pourétayer des suppositions
entièrement imaginaires.
Ce fait, le plus important de tous ceux qu’on ait re-
marqués dans observation des corps vivants, consiste
dans l’existence d’une composition progressive de l’or-
gauisation des animaux , ainsi que d’un accroissement
proportionné du nombre et de l’éminence des facultés
de ces êtres.
Effectivement , si l’on parcourt , d’une extrémité à
l’autre, la série des animaux connus, distribués d’après
leurs rapports naturels, et en commencant par les
plus imparfaits; et si l’on s’élève ainsi, de classe en
classe , depuis les infusoires qui commencent cette sé-
rie, jusqu'aux mammifères qui la terminent, on trou-
vera, en considérant l'état de l’organisation des diffé-
rents animaux, des preuves incontestables d’une com-
position progressive de leurs organisations diverses, et
110 INTRODUCTION.
d’un accroissement proportionné dans le nombre et
l’éminence des facultés qu’ils en obtiennent ; enfin,
l’on sera convaincu que la réalité de la progression dont
il s’agit, est maintenant un fait observé et non un acte
de raisonnement.
Depuis que j'ai mis ce fait en évidence , on a supposé
que j'entendais parler de l’existence d’une chaîne non
interrompue que formeraient, du plus simple au plus
composé, tous les êtres vivants, en tenant les uns aux
autres par des caractères qui les lieraient et se nuance-
raient progressivement; tandis que j'ai établi une dis-
tinction positive entre les végétaux et les animaux, et
que j'ai montré que, quand même les végétaux semble-
raient se lier aux animaux par quelque point de leur
série, au lieu de former ensemble une chaîne ou une
échelle graduée, ils présenteraient toujours deux
branches séparées, très distinctes, et seulement rap-
prochées à leur base, sous le rapport de Ja simplicité
d'organisation des êtres qui s'y trouvent, On a même
supposé que je voulais parler d’une chaine existante
entre tous les corps de Ja nature, et l’on a dit que cette
chaîne graduée n’était qu’une idée reproduite, émise
par Bonnet, et depuis par beaucoup d’autres. On au-
rait pu ajouter que cette idée est des plus anciennes,
puisqu'on la retrouve dans les écrits des philosophes
grecs. Mais cette même idée, qui prit probablement sa
source dans le sentiment obscur de ce qui a lieu réel-
lement à l'égard des animaux, et qui n’a rien de com-
mun avec le fait que je vais établir, est formellement
démentie par l'observation à l’égard de plusieurs
sortes de corps maintenant bien connus (1).
(x) C’est donc à tort que M. Geoffroy Saint-Hilaire, dans son opus-
cule intitulé palæontographie dans la note de la page 12, à attribué à
Lamarck une opinion qu’il repousse ici avec jaste raison, Cette opinion
INTRODUCTION. 111
Assurément , je n’ai parlé nulle part d’une pareille
chaîne : je reconnais partout, au contraire, qu’il y a
une distance immense entre Îes corps inorganiques et
les corps vivants, et que les végétaux ne se nuancent
avec les animaux par aucun point de leur série. Je dis
plus; les animaux mêmes qui sont le sujet du fait que
je vais exposer , ne se lient point les uns aux autres de
manière à former une série simple et régulièrement
graduée dans son étendue. Aussi, &ans ce que j'ai à
établir, il n’est point du tout question d’une pra
chaîne, car elle n’existe pas.
Mais le sujeL que je me propose ici de traiter, con-
cerne une progression dans la composition de l’organi-
sation des animaux, ne recherchant cette progression
que dans les masses principales ou classiques, et ne
considérant partout la composition de chaque organi-
sation que dans son ensemble, c’est-à-dire dans sa gé-
néralité. Or, il s’agit de savoir si cette progression existe
réellement ; si le nombre et le perfectionnement des
facultés animales, se trouvent partout en rapport avec
elles, et si l’on peut actuellement regarder cette même
progression comme un fait posilif, ou si ce n’est qu’un
système.
Qu'il y ait des lacunes connues en diverses parties
de l'échelle que forme cette progression, et des ano-
malies à l’égard des systèmes d'organes particuliers
qui se trouvent dans diflérentes organisations animales,
lacunes et anomalies dont j'ai indiqué les causes dans
ma Philosophie zoologique, cela importe très peu pour
l’objet considéré, si l’existence de la progression dont
il s'agit est un fait général et démontré, et si ce fait
west pas non plus dans l’hydrogéologie de Lamarck , comme le dit
M. Geoffroy dans la note citée,
112 INTRODUCTION.
résulte d’une cause pareïllement générale , qui y aurait
donné lieu.
A la vérité, on a reconnu qu'il était possible d’éta-
blir, dans la distribution des animaux , une espèce de
suite qui paraîtrait s'éloigner par degrés d’un type pri-
mitif ; et que l’on pouvait, par ce moyen, former une
échelle graduée, disposée, soit du plus composé vers
le plus simple, soit du plussimple vers le plus composé,
Mais on a objecté que, pour pouvoir ainsi établir une
série unique , il fallait considérer chacune des organi-
sations animales dans l’ensemble de ses parties; car, si
l’on prend en considération chaque organe particulier,
on aura autant de séries différentes à former, que l’on
aura pris d'organcs régulateurs, les organes ne suivant
pas tous le même ordre de dégradation. Cela montre,
a-t-on dit, que, pour faire une échelle générale de
perfection, il faudrait calculer l’eflet résultant de
chaque combinaison; ce qui n’est presque pas possible.
(Cuvier, 4nat. comp., vol, 1, p. 59.)
La première partie de ce raisonnement est sans doute
très fondée ; mais la suite et sur-tout la conclusion,
selon moi, ne sauraient l'être; car on y suppose la
nécessité d'une opération que je trouve au contraire
fort inutile, et dont les éléments seraient très arbi-
traires. Cependant, cetie conclusion peut en imposer
à ceux qui n’ont point sufhisamment examiné ce sujet,
et qui ne donnent que peu d’attention à l'étude des
opérations de la nature.
Voilà l’inconvénient de raisonner, à l'égard des
choses observées, d’après la supposition d’une seule
cause agissante pour la progression dont il s’agit, avant
d’avoir recherché s’il ne s’en trouve pas une autre qui
ait le pouvoir de modifier çà et là les résultats de la
première. En eflet, on n’a vu, dans toutes ces choses,
que les produits d’une cause unique, que ceux com-
INTRODUCTION, 113
pris dans l’idée qu'on se fait des opérations de la na-
ture; et cependant il est facile de s’apercevoir que ces
mêmes choses proviennent de l’action de deux causes
fort différentes, dont l’une, quoique incapable d’a-
néantir la prédominance de l’autre , fait néanmoins
très souvent varier ces résultats.
Le plan des opérations de la nature à l’égard de la
production des animaux, est clairement indiqué par
celte cause première et prédominante qui donne à la
vie animale le pouvoir de composer progressivement
l'organisation , et de compliquer et perfectionner gra-
duellement, non-seulement l’organisation dans son
ensemble, mais encore chaque système d’organes par-
ticulier, à mesure qu’elle est parvenue à les établir.
Or, ce plan, c’est-à-dire, cette composition progres-
sive de l’organisation, a été réellement exécuté par
cette cause première, dans les différents animaux qui
existent.
Mais une cause étrangère à celle-ci, cause accidentelle
et par conséquent variable, a traversé cà et là l’exécu-
tion de ce plan, sans néanmoins le détruire, comme je
vais le prouver. Gette cause, effectivement, a donné
lieu, soit aux lacunes réelles de la série, soit aux ra-
meaux finis qui en proviennent dans divers points et
en altèrent la simplicité, soit, enfin, aux anomalies
qu’on observe parmi les systèmes d’organes particuliers
des différentes organisations. |
Voilà pourquoi, dans les détails, l’on trouve sou-
vent, parmi les animaux d’une classe, parmi ceux
mêmes qui appartiennent à une famille très naturelle,
que les organes de l'extérieur, et même que les systèmes
d’organes particuliers intérieurs, ne suivent pas tou-
jours une marche analogue à celle de la composition
croissante de l’organisation. Cesanomalies n’empêchent
pas, néanmoins, que la progression dont il s’agit, ne
TOME 1. 8
114 INTRODUCTION.
soit partout éminemment reconnaissable dans la série
des masses classiques qui distinguent les animaux; la
cause accidentelle citée n’ayant pu altérer la progres-
sion en question, que dans des particularités de détail,
et jamais dans la généralité des organisations.
J'ai montré dans ma ?’hilosophie zoologique (vol. 1,
p- 220), que cette seconde cause résidait dans les cir-
constances très diflérentes où se sont trouvés les divers
animaux, en se répandant sur les différents points du
globe et dans le sein de ses eaux liquides ; circonstances
qui les ont forcés à diversifier leurs actions et leur
manière de vivre, à changer leurs habitudes, et qui
ont influé à faire varier fort irrégulièrement, non-
seulement leurs parties externes, mais même, tantôt
telle partie et tantôt telle autre de leur organisation
intérieure. (1)
C’est en confondant deux objets aussi distincts; sa-
voir : d’une part, le propre du pouvoir de la vie dans
les animaux, pouvoir qui tend sans cesse à compliquer
l’organisation , à former et multiplier les organes par-
ticuliers, enfin, à accroître le nombre et le perfec-
tionnement des facultés; et de l'autre, la cause
accidentelle et modifiante, dont les produits sont des
anomalies diverses dans les résultats du pouvoir de la
vie; c’est, dis-je, en confondant ces deux objets, qu’on
a trouvé des motifs pour ne donner aucune attention
au plan de la nature, à la progression que nous allons
prouver, et lui refuser l'importance que sa considéra-
tion doit avoir dans nos études des animaux.
sm tro Re. 1e votants Ra ele EURE
(1) Il y a donc, d’après Lamarck, deux causes toujours agissantes sur
les animaux, l’une qui tend à les perfectionner d’une manière uniforme
dans leur organisation , l’autre modifiant irrégulièrement ces perfec-
tionnements, parce qu’elle agit selon les circonstances locales, fortuites,
de température, de milieu, de nourriture, ete., dans lesquels les ani-
maux vivent nécessairement,
INTRODUCTION. 115
Pour se convaincre de la réalité du plan dont je
parle, et mettre dans tout son jour ce même plan que
la nature suit sans cesse, et qu'elle maintient dans
tous les rangs, malgré les causes étrangères qui en di-
versifient cà et là lé effets; si, conformément à l’usage,
l’on parcourt la série des animaux, depuis les plus
parfaits d'entre eux jusques aux plus imparfaits, on re-
connaîtra qu'il existe dans les premiers, un grand
nombre d’organes spéciaux très différents les uns des
autres; Landis que, dans les derniers, on ne retrouve
plus un seul de ces organes; ce qui est positif. On
verra, néanmoins, que, partout, les individus de
chaque espèce sont pourvus de tout ce qui leur est né-
cessaire pour vivre et se reproduire dans l’ordre de
facultés qui leur est assigné; l’on verra aussi que, par-
tout où une faculté n’est point essentielle, les organes
qui peuvent la donner ne se trouvent et n'existent
réellement pas.
Ainsi, en suivant attentivement l’organisation des
animaux connus, en se dirigeant du plus composé vers
le plus simple, on voit chacun des organes spéciaux,
qui sont si nombreux dans les animaux les plus par-
faits, se dégrader, s’atténuer constamment, quoi-
que irrégulièrement entre eux, et disparaître entière-
ment l’un après l’autre dans le cours de ia série.
Les organes de la digestion , corame les plus généra-
lement utiles dans les animaux, sont les derniers à
disparaître ; mais, enfin, ils sont anéantis à leur tour,
avant d’avoir atreint l'extrémité de la série: parce que
ce sont desorganes spéciaux, qu'ils ne sont pas essentiels
à l’existence de la vie, et qu’ils ne le sont que dans les
organisations qui les possèdent.
Maintenant, voyons les faitsconnus, d’après lesquels
on peutétablir et constater la progression dont il s’agit.
Fil
116 INTRODUCTION.
Faits sur lesquels s'appuient les preuves de l'existence
d'une progression dans la composition de l’organi-
sation des animaux.
Premier fait : Tous les animaux ne se ressemblent
point par l’organisation, soit extérieure, soit intérieure,
de leur corps; on trouve parmi eux des différences
nombreuses, constantes et très considérables; en sorte
qu'ils offrent, sous ce rapport, une immense disparité,
Deuxième fait : Il est certain et reconnu que, sous
le rapport de l'organisation, l’homme tient aux ani-
maux, et sur-tout à certains d’entre eux.
Troisième fait : On peut présenter comme un fait
positif, comme une vérité susceptible de démonstration,
que, de toutes les organisations, c’est celle de l’homme
qui est la plus composée et la plus perfectionnée dans
son ensemble, comme dans celui des facultés qu’elle
lui procure. (1)
Quatrième fait : L'organisation de l’homme étant la
plus composée et la plus perfectionnée de toutes les
organisations; l’homme ensuite tenant aux animaux
par l’organisation; enfin, par cette dernière encore,
les animaux diflérant plus ou moins considérablement
entreeux; c’est un fait certain qu’il existe des animaux
qui se rapprochent beaucoup de l’homme, sous le
rapport de l’organisation; qu’il s’en trouve d’autres
qui, sous le même rapport, s’en éloignent davantage
que ceux-ci; et que, sous la même considération,
d’autres encore en sont considérablement écartés.
(1) Plusieurs animaux offrent, dans certains de leurs organes, un
perfectionnement et une étendue de facultés dont [es mêmes organes,
dans l’homme, ne jouissent pas. Néanmoins , son organisation l’em-
porte en perfectionnement, dans son ensemble, sur celle de tout animal
quelconque ; ce qui ne peut être contesté. (Vote de Lamarck.)
INTRODUCTION. 1 17
De ces quatre faits, trop reconnus et trop positifs
pour qu’il soit possible d’eu contester raisonnablement
aucun , la conséquence suivante résulte nécessairement,
L'organisation de l’homme étant la plus composée
et la plus perfectionnée de toutes celies que la nature
a pu produire, on peut assurer que, plus une organi-
sation animale approche de ja sienne, plus elle est
composée et avancée vers son perfectionnement; et de
même , que plus elle s’en éloigne, plus alors elle est
simple et imparfaite. (1)
Maintenant, en nous réglant sur cette conséquence
déjà tirée; savoir : que, plus une organisation animale
approche de celle de l’homme, plus elle est composée
et rapprochée de la perfection; tandis que, plus elle
s’en éloigne, plus alors elle est simple, et imparfaite ;
il s’agit de montrer que Îles diverses organisations ani-
males, d’après les faits relatifs à l'ensemble de leur
(1) On est si éloigné de saisir les véritables idées que l’on doit se
former sur la nature et l’état des animaux, que plusieurs zoologistes
prétendant que tous ces corps vivants sont également parfaits chacun
dans leur espèce, les mots animaux parfaits ou animaux imparfaits
leur paraissent ridicules ! comme si, par ces mots, l’on n’ertendait pas
exprimer ceux des animaux qui, par fe nombre, la puissance et l’émi-
pence de leurs facultés , se rapprochent en quelque sorte de l’homme ,
ou désigner ceux qui, par les bornes extrêmes du pea de facultés qu’ils
possèdent, s'éloignent infiniment du terme de perfection organique
dont l’homme offre l'exemple !
Qui ne sait que, dans l’état d'organisation où il se trouve, tout corps
vivant, quel qu’il soit, est un être réellement parfait, c'est-à-dire, un
être à qui il ne manque rien de ce qui lui est nécessaire! mais, la na-
ture ayant composé de plus en plus l’organisation animale ; et par là,
étant parvenue à douer ceux des animaux qui possèdent l’organisation
la plus compliquée, de facultés plus nombreuses et plus éminentes, on
peut voir dans ce terme de ses efforts , une perfection dont s "éloiguent
graduellement les animaux qui ne lont pas obtenue.
( Wote de Lamarck, )
118 INTRODUCTION.
composition ; forment réellement un ordre lrès recon-
naissable, et dans lequel l'arbitraire n’entre pour rien.
Pour nous accommoder à l’usage, procédons du plus
composé vers le plus simple, et recherchons dans les
faits observés, si l’ordre dont nous venons de parler
existe positivement.
Faits qui concernent les animaux vertébrés et qui
prouvent l'existence d'une progression dans la com-
position et le perfectionnement de leur organisation.
L]
Si l’ordre de progression que nous recherchons existe,
nous devons trouver une dégradation progressive de
classe en classe dans l’organisation des animaux ; puis-
que nous allons procéder dans leur série, du plus
composé vers le plus simple, commencer notre examen
par les animaux qui ont l’organisation la plus compo-
sée, et le terminer par ceux qui sont les plus simples
à cet égard, c’est-à-dire, par les plus imparfaits,
Dans cette marche, nous devons nous occuper d’a-
bord des animaux vertébrés ; car, ce sont ceux qui
ont l’organisation la plus composée, la plus féconde en
facultés, la plus rapprochée de celle de l’homme, et à
leur égard, nous remarquerons que le plan de leur
organisation, plus ou moins développé dans chacune
de leurs races, et aussi plus ou moins modifié par les
circonstances dans lesquelles chacune d'elles se trouve,
embrasse pareillement l’organisation de l’homme qui
offre le complément parfait de ce plan particulier.
En conséquence , sans entrer dans tous les détails
que anatomie comparée à fait connaitre , et qui mul-
tiplient les preuves que nous pourrions citer, nous
dirons que , si l’on examine attentivement les animaux
vertébrés, om est bientôt convaincu :
INTRODUCTION. 119
10 Que, de tous les vertébrés connus, ce sont les
mammifères qui tiennent, de plus près à l’homme par
l'organisation; qu’ils sont même les seuls qui aient
de commun avec lui la génération sexuelle vraiment
vivipare; qu'ils sont plus avancés que tous les autres
dans le développement de leur plan d'organisation, et
conséquemment que c'est parmi eux que se trouvent
les plus parfaits des animaux;
20 Que, parmi les mammifères, ceux de l’ordre des
onguiculés (Philos. zool., vol. 1, p. 345), sont de tous
les animaux à mamelles, ceux dont l’organisation ap-
proche le plus de celle de l’homme, et ie donne plus
de facultés qu'aux autres; que même” parmi eux l’on
trouve des familles particulières qui l'emportent sur
les autres familles du même ordre, par un plus grand
rapprochement à cei égard ; qu’en eflet , dans les qua-
drumanes, le cerveau présente, avec tous ses accessoires,
le plus grand volume, proportionnellement à celui
de leur corps, après le cerveau de l’homme, et consé-
quemment l'organe de l'intelligence le plus développé
après le sien ; qu'en outre, ces derniers ont les extré-
mités de leurs membres mieux disposées pour saisir
les objets, pour les sentir, juger de leur forme ou de
leurs autres qualités, en un mot, pour s’en servir,
que les autres onguiculés : en sorte que l’organisation
de ces animaux est effectivement la plus perfectionnée
des organisations animales, et ne présente ensuite, dans
les autres familles du même ordre, que des dégradations
croissantes , qui entraînent des appauyrissements dans
les facultés ;
3° Qu'outre la dégradation qui s’observe déjà parmi
les différentes races des mammifères onguiculés, celle
qui a lieu dans les mammifères ongulés, se manifeste
plus fortement encore; car ces animaux ont le corps
plus gros, plus lourd ; les doigts moins séparés, moins
120 INTRODUCTION.
libres, moins sensibles, puisqu'ils sont enveloppés de
corne: ils sont moins adroils, ne peuvent guère se
servir de leurs pieds que pour se soutenir, ou pour leurs
mouvements de translation, ne sauraient même s'as-
seoir, se reposer sur le derrière; enfin , ils ont déjà
perdu de grandes facultés dont jouissent les premiers ;
parmi eux on observe encore une dégraaation sensible,
car les pachidermes ont les pieds moins altérés que
les bisulces et les solipèdes ;
4e Qu'en quittant les mammifères et arrivant aux
oiseaux , l'on reconnait que des changements plus
graves se soutopérés dans l’organisation de ces derniers,
et les éloignent davantage de celle de l’homme; qu’en
effet, la génération des vrais vivipares, qui est la
sienne , est anéantie et ne se retrouvera plus désormais;
car, il n’est pas vrai que, hors des mammifères, l’on
connaisse aucun animal réellement vivipare , soit dans
les reptiles, soit dans les poissons, etc., quoiquesouvent
les œufs éclosent dans le ventre mème de la mère, ce que
l’on a nommé génération ovo-vivipare; en un mot, en
arrivant aux oiseaux, on voit que la poitrine cesse d’être
constamment séparée de l'abdomen par une cloison
complète (un diaphragme), cloison qui reparaît dans
quelques reptiles et disparaît ensuite partout; qu'il
n’y a plus de vulve extérieure , séparée de l'anus, plus
de saillie au dehors pour les parties sexuelles mâles,
plus de saillie de même pour le cornet de l'oreille ex-
térieure, et que les animaux n’ont et n'auront plus
désormais la faculté de se coucher et de se reposer sur
le côté ;
59 Qu'en laissant les oiseaux , pour considérer les
reptiles, des changements et des diminutions plus
graves encore dans le perfectionnement de l’organisa-
tion se font remarquer, et les éloignent plus encore de
celle de l’homme; que le cœur n’a plus partout deux
INTRODUCTION. 121
ventricules sans communication, que la chaleur du
sang n’excède presque plus celle des milieux environ-
nants, qu’il n’y a plus dans tous qu’une partie du sang
qui recçoive dans chaque tour, l'influence de la respi-
ration pulmonaire, que le poumon lui-même n’est
plus constamment double (comme dans lesophidiens),
et qu’à mesure qu’il approche de l'origine de sa forma-
tion, ses cellules sont plus grandes ou moins nom-
breuses , que le cerveau ne remplit qu’incomplétement
la cavité du crâne, que le squelette offre çà et là de
grandes altérations dans l’état et le complément de ses
parties (point de clavicules dans les crocodiles, point
de sternum ni de bassin dans les ophidiens), qu’une
diminution d'activité dans les mouvements vilaux et
dans les changements qu’ils produisent, permet à beau-
coup d’animaux de cette classe de pouvoir vivre long-
temps de suite sans prendre de nourriture (les tortues,
les serpents); qu’enfin, si dans les premiers ordres
des reptiles , le cœur a encore deux oreillettes, il n’en
présente plus qu’une seule dans Îe dernier;
6° Qu’en arrivant aux poissons , l’on remarque que
l’organisation animale s’éloigne de celle de l’homme
bien plus encore que celle des animaux déjà cités, et
qu’elle est conséquemment plus dégradée, plus impar-
faite que la leur, indépendamment des influences du
milieu dense qu’habitent les animaux dont il s’agit;
qu’eflectivement l’on ne retrouve plus dans les pois-
sons l’organe respiratoire des animaux les plus parfaits,
que le véritable poumon, que nous ne rencontrerons
plus nulle part, y est remplacé par des branchies, or-
gane bien plus faible en influence respiratoire, puisque
pour parer aux inconvénients de cegrand changement,
la nature fait passer tout le sang par cet organe avant
de l’envoyer aux parties, ce qu’elle n’a point fait dans
Jes reptiles ; que la poitrine, ou ce qu’elle doit conte-
122 INTRODUCTION.
nir, à passé ici sous la gorge, dans la base même de la
tête; qu'il n’y a plus et qu'il n’y aura plus désormais
de trachée artère, ni de larynx, ni de voix véritable;
que les paupières, qui ont déjà manqué sur les yeux
des serpents, ne se retrouvent plus ici, et ne reparaî-
tront plus à l’avenir; que l'oreille est tout-à-fait in-
térieure , sans conduit externe ; qu’enfin le squelette
très incomplet, singulièrement modifié, partout sans
bassin et sur le point de s’anéantir, n’est plus qu’é-
bauché dans les derniers animaux de cette classe (les
lumproies ), et finit avec eux.
Ces preuves que fournissent les animaux vertébrés
d’une dégradation progressive de l’organisation, de-
puis le plus perfectionné des quadrumanes , jusqu'au
plus imparfait des poissons , et conséquemment d’une
diminution croissante dans la composition et le per-
fectionnement de l’organisation (à mesure que l’on
parcourt leurs classes en se dirigeant vers ceux dont
l’organisation s'éloigne plus de celle de l’homme),
deviennent de plus en plus frappantes et décisives , si
l’on étend la même recherche aux animaux sans ver-
tèbres.
Faits qui concernent les animaux sans vertèbres , et
qui prouvent aussi l'existence d'une progression
dans la composition et le perfectionnement de l’or-
ganisalion de ces animaux.
En continuant notre examen, et recueillant les faits
observés que nous offrent les animaux sans vertèbres,
on reconnaît :
1° Qu’avec les poissons se termine complétement le
plan particulier de l’organisation des animaux verté-
brés , et par conséquent l’existence du squelette qui
INTRODUCTION. 123
fait une partie essentielle de ce plan; qu’eflectivement,
après les poissons, la moelle épinière, ainsi que la co-
lonne vertébrale, cette base de tout véritable sque-
lette , ont cessé d'exister; que par conséquent , le
squelette lui-même , cette charpente osseuse et arti-
culée, qui fait une partie importante de l’organisation
de l’homme et des animaux les plus parfaits, char-
pente qui fournit aux muscles tant de points d’attache
pour la diversité et la solidité des mouvements, et qui
donne une si grande force aux animaux sans nuire à
leur souplesse, que cette partie, dis-je, est tout-à-fait
anéantie, et ne reparaîtra désormais dans aucun des
animaux des classes qui vont suivre; car, il n’est pas
vrai qu'après les poissons, la peau crustacée ou plus ou
moins solide de certains animaux, et les colonnes d’os-
selets pierreux qui soutiennent les rayons des astéries,
de même que celles qui forment axe dans les encri-
nes, soient des parties en rien analogues au squelette
des animaux vertébrés; qu'enfin, après les poissons,
les auimaux observés offrent des plans d'organisation
très différents de celui auquel appartient l’organisa-
tion même de l’homme, de celui qui admet des orga-
nes particuliers pour l'intelligence, de celui qui donne
lieu à un organe spécial pour la voix, à un véritable
poumon pour respirer, à un système lymphatique, à
des organes sécréteurs de l’urine, etc., etc. ;
2° Que les mollusques , qui ne se lient par aucune
nuance avec les poissons connus , à moins que de nou-
veaux hétéropodes n’en fournissent un jour les moyens,
doivent néanmoins venir les premiers dans notre mar-
che, élant, de tous les animaux sans vertèbres , ceux
en qui la composition de l’organisation paraît la plus
avancée , quoiqu'’elle soit appropriée, par son état de
faiblesse, au changement que la nature devait exécuter
pour amener celle des vertébrés; que cependant ils
124 INTRODUCTION.
sont encore plus imparfaits, plus éloignés de F'organi-
sation de j’homme que les poissons, puisqu'ils man-
quent de colonne vertébraie, et qu'ils n’appartiennent
plus au plan &organisation qui Padmet ; que, n’ayant
pas encore de moelle épinière, ils n’ont pas non plus
de moelle longitudinale noueuse , mais seulement un
cerveau, quelques ganglions et des nerfs, ce qui aflai-
blit leur sensibilité qui est répandue sur toute leur
surface externe; qu'enfin, si ces animaux mollasses et
inarticulés n’exécutent que des mouvements sans viva-
cité et sans énergie, c’est que la nature se préparant à
former le squelette , a abandonné en eux l’usage des
téguments cornés et des articulations qu’elle employait
depuis les insectes , en sorte que leurs muscles n’ont
sous la peau que des points d'appui très faibles ;
30 Queles cirrhipedes, les annelides et les crustacés,
sous le rapport d’une diminution dans la composition
et je perfectionnement de lorganisation, n’offrent
aucune particularité bien éminente, si ce n’est qu'ils
sont inférieurs aux mollusques, et par cela même plus
éloignés encore de l’organisation de l’homme; puis-
que, par leur moelle Jongitudinale noueuse, ils parti-
cipent au système nerveux des insectes , et qu’ils sont
cependant moins imparfaits que ces derniers sous le
rapport de la circulation de leurs fluides et sous celui
de leur respiration; qu’enfin, les crustacés sont les
derniers animaux en qui des vestiges de l’ouïe aient
été observés, et en qui le foie se retrouve encore ;
4° Que, parvenu aux arachnides, qui tiennent de
si près aux insectes, mais qui En sont très distinctes ,
on voit que l’organisation animale s'éloigne encore
plus de celle de l'homme que celle des animaux pré-
cédents; car le système d’organes , propre à la cércu-
lation des fluides , n’est plus que simplement ébauché
dans certains animaux de cette ciasse, et se trouve dé-
INTRODUCTION. 195
fiuitivement anéanti dans les autres : en sorte qu’on
ne le retrouvera plus dorénavant, quoique le mouve-
ment ou le transport des fluides ou de certains fluides
sécrétés , soit encore dans le cas de s’exécuter à l’aide
de véritables vaisseaux, dans les animaux de plusieurs
des classes qui suivent ; qu’ici, le mode de respiration
par branchies se termine pareïllement, n’y offre plus
que quelques ébauches, et y est remplacé par celui des
trachées aérifères, les unes ramifiées, selon les observa-
tions de M. Latreille , ei les autres en doubles cordons
ganglionés, comme dans les insectes; qu’enfin, toute
glande conglomérée paraissant ne plus exister, et ne
devant plus se retrouver désormais, ces animaux sont
encore plus éloignés de l’homme par Porganisation,
que les crustacés mêmes en qui le foie se montre en-
core ;
5° Qu'en parvenant aux snsectes , cette classe d’ani-
maux si nombreux , si singuliers, si élégants même, on
reconnaît que l’organisation s'éloigne encore plus de
celle de l’homme que celle des arachnides et que celle
des animaux qui, dans cette marche, les précèdent ;
puisque le système si imporiant de la circulation des
fluides, par des artères et des veines, n’y montrent
plus aucun vestige; que le système respiratoire, par
des trachées aérifères, non dendroïdes , mais en dou-
bles cordons ganglionés, n’a plus même de concentra-
tion locale; que les organes biliaires ne sont plus que
des vaisseaux désunis; que la sensibilité chez eux est
devenue fort obscure, étant les derniers en qui ce phé-
nomène organique puisse encore s'exécuter ; que leur
cerveau est réduit à sa plus faible ébauche ; que leurs
organes sexuels n’exécutent plus leurs fonctions qu’une
seule fois dans je cours de leur vie ; qu’enfin, le sang,
graduellement appauvri dans sa nature, depuis les
animaux les plus parfaits, n’est plus, dans les énsectes
126 INTRODUCTION.
où il a cessé de circuler, qu’une sanie presque sans
couleur , à laquelle il ne convient plus de donner le
nom de sang (1);
6o Que les vers, qui, en descendant toujours, vien-
nent après les insectes, mais à la suite d’un hiatus,
que les épizoaires rempliront peut-être un jour, pré-
sentent, dans la composition de l’organisation , une
diminution bien plus grande encore que eelle observée
dans les insectes et dans les animaux déjà cités; en
sorte que l’organisation des vers est beaucoup plus
éloignée encore de celle à laquelle on la compare, ainsi
que toutes les autres, que celle des insectes; qu'ici ,
en effet, ni le cerveau, ce point de réunion pour la
(1) I me parait que , faute d’avoir étudié et suivi les moyens de la
pature , on s’est gravement trompé , relativement aux insectes , sur la
cause, soit de la singularité des habitudes, soit de la vivacité des mou-
vements de certains de ces animaux. Au lieu d’attribuer ces faits à une
organisation plus perfectionnée des insectes, et à la nature de leur res-
piration , ce qui devrait s'étendre à tous les animaux de cette classe,
nous ferons remarquer que de simples particularités, que nous indique-
rons, sont très suffisantes pour donner lieu à ces faits; nous montrerons
que, sans avoir des facultés d'intelligence, mais ayant des idées de per-
ception, de la mémoire, un sentiment intérieur, et l’organisation mo-
difiée par les habitudes, ces causes suffisent pour leur faire produire les
actions que nous observons chez eux ; que ces particularités, très diver-
sifiées selon les races, ne sont point communes à tous ces animaux ;
qu’en effet, s’il y a des insectes qui ont des mouvements très vifs , il y
en à aussi qui n’en ont que de fort lents ; que même dans les infusoires,
on trouve des animaux qui ont les mouvements lesplus vifs, tandisque ,
dans les mammifères, Von voit des races qui n’en exécutent que de très
lents ; qu’enfin, à l’égard des manœuvres singulières de certaines races,
manœuvres que l’on a considérées comme des actes d'industrie, il n’y
a réellement que des produits d’habitudes que les circonstances ont
progressivement amenées et fait contracter ; habitudes qui ont modifié
l’organisation dans ces races, de manière que les nouveaux individus de
chaque génération ne peuvent que répéter les mêmes manœuvres,
( Note de Lamarck. Voir la note de la page 17.)
INTRODUCTION. 127
production du phénomène du sentiment, ni la moelle
longitudinale noueuse qui, depuis les insectes jus-
qu'aux mollusques, était si utile au mouvement des
parties, n'existent plus; qu'il n’y a plus de tête, plus
d’yeux, plus de sens particuliers, plus de trachées
aérifères pour la respiration, plus de forme générale
constituée par des parties paires , en un mot, plus de
véritables mâchoires ; que la génération sexuelle,
même, paraît s’anéantir dans le cours de cette classe,
le sexes ne se montrant plus qu’obscurément dans cer-
tains vers, et disparaissant entièrement dans les au-
tres; qu'’enfin , formant une branche particulière et
hors de rang dans la série, ces animaux offrent entre
eux une grande disparité d'organisation , de laquelle
résulte que les plus imparfaits sont très simples, et ne
paraissent dus qu’à des générations spontanées ;
70 Qu'étant arrivé aux radiaires, on reconnaît que
l’imperfection de l’organisation animale où nous som-
mes parvenus , non-seulement se soutient en elles,
mais, même qu'elle continue de s’accroître; qu’il yest
effectivement manifeste, que, dans toutes, la généra-
tion sexuelle ne présente plus la moindre existence,
en sorte que ces animaux sont réduits à n’offrir que
des amas de corpuscules reproductifs qui n'’exigent
aucune fécondation; que, quoiqu'il y ait encoré, dans
les radiaires échinodermes, des vaisseaux pour le trans-
port et l'élaboration des fluides , sans véritable circu-
lation , c'est dans les radiaires mollasses que paraît
commencer le mode simple de l’imbibition des parties
par le fluide nourricier, les vaisseaux qu'on y apercoit
encore, paraissant n’appartenir qu’à leur organe res-
piratoire ; qu'ainsi que dans Îles vers, ni le cerveau, ni
la moelle longitudinale, ni la tête, nt sens quelcon-
que n'existent plus dans ces animaux ; que c’est parmi
eux qu’on voit l'organe digestif montrer une véritable
128 INTRODUCTION «
imperfection, puisque dans beaucoup de radiaires le
canal alimentaire, soit simple, soit augmenté latérale-
ment, n’a plus qu’une seule issue, en sorte que la bou-
che sert aussi d’anus; qu’enfin , les mouvements iso-
chrones de ceux de ces animaux qui sont tout-à-fait
mollasses, ne sont plus que les suites des excitations
de l’extérieur , comme je le prouverai. Ces mêmes ani-
maux sont donc plus éloignés encore, par leur orga-
nisation, de celle à laquelle nous les comparons, que
les vers mêmes, puisque , dans plusieurs de ces der-
niers, les sexes s’aperçcoivent encore ;
80 Que les polypes qui, dans notre marche, viennent
après les radiaires, ne sont pas néanmoins le dernier
chaînon de la chaîne animale, et cependant sont beau-
coup plus imparfaits, plus simpies en organisation,
enfin, plus éloignés encore de notre point de compa-
raison que les radiaires; qu’en effet, ils ne présentent
plus à l’intérieur qu’un seul organe particulier, celui
de la digestion dans lequel se développent quelquefois
des gemmes internes; qu’en vain chercherait-on dans
les vrais polypes aucun autre organe intérieur qu’un
canal alimentaire, varié dans sa forme, selon les fa-
milles, qui devient de plus simple en plus simple, se
change peu à peu en sac, corame dans les kydres, etc.,
et n’a alors qu’une seule issue; que l’imagination seule
y pourrait supposer arbitrairement tout ce qu’elle
voudrait y voir; qu'en un mot, ici, l'on est assuré
que le fluide essentiel à la vie et à-la-fois nourricier,
n’a d’autre mode d’être que celui d’imbiber les parties,
de se mouvoir avec lenteur et sans vaisseaux dans la
substance du corps du polype, dans je tissu cellulaire
qui occupe l'intervalle entre la peau extérieure de ce
corps et son tube ou son canal alimentaire;
9° Qu’enfin, les infusoires, dernier anneau de la
chaîne que nous venons de parcourir, et sur-tout les
INTRODUCTION. 129
infusoires nus, nous offrent les animaux les plus im-
parfaits que l’on ait pu connaître, ceux qui sont les
plus simples en organisation, ceux, enfin, qui sont,
de tous, les plus éloignés du point de comparaison
choisi; qu’effectivement, ces animaux n’ont pas un
seul organe spécial, intérieur, constant et détermi-
nable, pas même pour la digestion : en sorte qu’outre
qu’ils manquent, comme les polypes, de tous les autres
organes spéciaux connus , ils n’ont pas même, comme
eux, un canal ou un sac alimentaire, et par consé-
quent une bouche; que l’organisation, réduite à les
faire jouir seulement de la vie animale, ne leur donne
aucune autre faculté que celles qui sont généralement
communes à tous les corps vivants, plus celle d’avoir
leurs parties irritables; qu'enfin , ces animaux ne sont
plus que des corps infiniment petits, gélatineux,
presque sans consistance, qui se nourrissent par des
absorptions de leurs pores externes, qui se meuvent
et se contractent par des excitations du dehors, en un
mot, que des points animés et vivants.
Dans cette révision rapide de Ja série des animaux,
prise dans un ordre inverse à celui de la nature, j'ai
fait voir que, depuis l’homme , considéré seulement
sous le rapport de l’organisation , jusqu'aux infusoires
et particulièrement jusqu’à la monade, il se trouve,
dans l’organisation des différents animaux et dans les
facultés qu’elle leur donne, une immense disparité; et
que cette disparité, qui est à son maximum aux deux
extrémités de la série, résulte de ce que les animaux
qui composent cette série, s’éloignent progressivement
de l’homme, les uns plus que les autres, par l’état de
la composition de leurorganisation comparée à la sienne,
Ce sont-là des faits que maintenant on ne saurait
contester, parce qu'ils sont évidents, qu’ils appar-
tiennent à la nature , et qu’on les retrouvera toujours
Tone 1. 9
130 INTRODUCTION.
les mêmes lorsqu'on prendra la peine de les examiner,
La réunion de ces faits, prise en considération , for-
cera sûrement un jour les zoologistes à reconnaître le
vrai plan des opérations de la nature, relativement à
l'existence des animaux; car, ce n’est point par hasard
u’il se trouve une progression manifeste dans la sim-
plification de l’organisation des différents animaux,
lorsqu'on parcourt leur série dans le sens que nous
venons de suivre.
Qui ne sent que si l’on prend une marche contraire,
Ja même progression nous offrira une composition
croissante de l’organisation des animaux, depuis la
monade jusqu'à l'orang-outang , et mème une perfec-
tion graduelle de chaque organe particulier, malgré
les causes étrangères qui en ont fait varier cà et là les
résultats! Qui ne sent encore que si l'on prend cette
nouvelle marche, le plan d'opérations qu’a suivi la
nature, en donnant successivement l'existence aux
animaux divers, se montrera si clairement, qu'il sera
difficile alors de le méconnaître!
La considération suivante répand une grande lu-
mière sur les principaux faits d'organisation observés
dans les animaux, et fait sentir encore combien est
fondée la progression dans la composition de l’organi-
sation des différents animaux, dont je viens d'établir
les preuves.
Dans chaque point du corps des animaux les plus
imparfaits, tels que les énfusoires et les polypes, la
vie, par la grande simplicité de l'organisation, y est
indépendante de celle des autres points du mème corps.
De là vient que, quelque portion que l’on sépare de
l'ün de ces corps vivants si simples, le corps peut con-
tinuer de vivre, et répare bientôt alors ce qu'il a perdu.
Ve là vient encore que la portion séparée de ce corps
peut elle-même, de son côté, continuer de vivre ; en
INTRODUCTION. 131
sorte qu'elle reproduit bientôt un corps entier, sem-
blable à celui dont elle provient.
Mais, à mesure que l’organisation se complique,
que les organes spéciaux deviennent plus nombreux,
et que les animaux sont moins imparfaits, la vie, dans
chaque point de leur corps, devient dépendante de
celle des autres points, Et, quoique à la mort de l’indi-
vidu , chaque système d'organes particulier meurt, l’un
après l’autre, ceux qui survivent à d’autres ne con-
servent la vie que peu d'heures de plus, et périssent
immanquablement à leur tour, lenr dépendance des
autres les y contraignant toujours. Il est même remar-
quable que, dans les mammifères et dans l’homme,
une portion de muscle enlevée par une blessure, ne
saurait repousser; la plaie se cicatrise en guérissant ;
mais la portion charnue du muscle enlevée où dé-
truite, ne se rétablit plus.
Certes, cet ordre de choses n’aurait point lieu si la
?
progression en question était sans réalité!
La progression dont ïl s’agit, soit prise du plus
composé vers le plus simple, soit considérée en se di-
rigeant dans le sens contraire, est teilement sentie des
zoologistes, quoique leur pensée ne s’y arrête jamais,
qu’elleles entraîne, en quelque sorte, dans le placement
des classes : l’on peut dire même qu’à cet égard, elle
ne ieur permet point cet arbitraire que nous employons
ordinairement avec lant d’empressement PRES où
Ja nature ne nous contraint point d’une manière trop
décisive.
Il est, en effet, assez curieux de remarquer à ce sujet,
combien , malgré la diversité des lumières et des in-
telligences, et malgré la confiance que l’on a dans son
opinion particulière, préférablement à celle des autres,
Punanimité, néanmoins, est presque constante, parmi
*
9
132 INTRODUCTION.
les zoologistes, dans le placement des classes qu’ils
ont le mieux établies entre les animaux.
Par exemple, on ne voit point de zoologistes inter-
caler, parmi les animaux à vertèbres , une classe quel-
conque des invertébrés; et, à l’égard des premiers, s'ils
placent les mammifères en tête de leur distribution,
on les voit toujours mettre les oiseaux au second rang,
et terminer toute la série des vertébrés par les poissons.
S'il leur arrivait de partager les mammifères en deux
classes, comme, par exemple, pour distinguer classi-
quement les cétacés, ils placeraient de force les oiseaux
au troisième rang, Car aucun, sans doute, ne range-
rait jamais les cétacés près des poissons. Enfin, dans
cette marche, dirigée du plus composé vers le plus
simple, les zoologistes terminent toujours la série gé-
nérale par les infusoires, quoiqu'ils ne les distinguent
point des polypes. En un mot, quoique confondant
les radiaires, les polypes et les infusoires, sous la dé-
nomination très-impropre de zoophytes, on les voit
toujours, néanmoins, placer les radiaires avant les
polypes , et ceux-ci avant les infusoires.
Il y a donc une cause qui les entraîne, une cause
qui force leur détermination, et qui les empèche de se
livrer à l’arbitraire dans la distribution générale des
animaux. Or, cette cause, dont ils ont le sentiment
intime, parce qu'elle est dans la nature, et dont ils
ne s'occupent point, parce qu’elle amènerait des con-
séquences qui traverseraient la marche qu’ils ont fait
prendre à l’étude; cette cause, dis-je, réside unique-
ment dans la progression dont je viens de démontrer
l'existence; en un mot, elle consiste en ce que la na-
ture, en formant les différents animaux , a exécuté une
composition toujours croissante dans les diverses orga-
nisations qu’elle leur a données.
On pea donc dire maintenant que, parmi les faits
INTRODUCTION, | 133
que l'observation nous a fait connaître, celui de la
progression dont il s’agit, est un de ceux qui ont la
plus grande évidence.
Mais de ce qu’il y a réellement une progression dans
la composition de l’organisation des auimaux , depuis
les plus imparfaits jusques aux plus parfaits de ces êtres,
il ne s’ensuit pas que l’or puisse former avec les espè-
ces et les genres une série unique, très simple, non
interrompue, partout liée dans ses parties, et offrant
régulièrement la progression dont il s’agit. Loin
d’avoir eu cette idée, j'ai toujours été convaincu du
contraire, je l’ai établi clairement; enfin j'en ai reconnu
et montré la cause.
On s’est apparemment persuadé qu’une pareille
échelle régulière, formée avec les espèces et les genres,
devait être la preuve de la progression dont il est
question, et comme lPobservation atteste qu’il n’est
pas possible d’en former une semblable, parce que
l’échelle qu’on exécuterait avec les espèceset les genres,
rangés d’après leurs rapports, ne présenterait qu’une
série irrégulière, interrompue, et offrant des anomalies
nombreuses et diverses, on n’a donné aucune atten-
tion à la progression dont il s’agit, et l’on s’est cru
autorisé à méconnaître, dans cette progression, la
marche des opérations de la nature.
Cette considération étant devenue dominante parmi
les zoologistes , la science s’est trouvé privée du seul
guide qui pouvait assurer ses vrais progrès; des prin-
cipes arbitraires ont été mis à la place de ceux qui
doivent diriger la marche de l’étude; et si le senti-
ment de la progression, dont j'ai prouvé l'existence,
ne retenait la plupart des zoologistes, relativement au
rang des masses principales, on verrait dans la distri-
bution des animaux , des renversements systématiques
extraordinaires.
134 INTRODUCTION.
Tout ici porte donc sur deux bases essentielles , ré-
gulatrices des faits observés et des vrais principes
zoologiques , savoir : .
° Sur le pouvoir de la vie, dont les résultats sont
la composition croissante de l’organisation , et par
suite, la progression citée ;
2° Sur la cause modifiante, dont les produits sont
des interruptions, des déviations diverses et irré-
gulières dans les résultats du pouvoir de la vie.
Il suit de ces deux bases essentielles , dont les faits
connus attestent le fondement :
D'abord, qu'il existe une progression réelle dans la
composition de l’organisation des animaux, que la
cause modifiante n’a pu empêcher.
Ensuite, qu’il n’y a point de progression soutenue
el régulière dans la distribution des races d'animaux,
rangées d’après leurs rapports, ni même dans celle des
genres et des familles; parce que la cause modifiante
a fait varier, presque partout , celle que la nature eût
régulièrement formé, si cette cause modifiante n’eüt
pas agi (1).
Cette même cause modifiante n’a pas seulement agi
sur les parties extérieures des animaux, quoique ce
soient celles-ci qui cèdent le plus facilement et les
premières à son action ; mais elle a aussi opéré des mo-
difications diverses sur leurs parties internes, et a fait
varier très irrégulièrement les unes et les autres.
(1) Ceci est l'explication la plus simple et la plus rationnelle qui aït
été donnée jasqu’à présent de certaines anomalies dans l’organisation
des animaux; on conçoit dès lors, comment il se fait que des animaux
d’une classe inférieure aient quelquefois certains organes plus déve-
loppés que ceux dont l’organisation par son ensemble est beaucoup
plus parfaits.
INTRODUCTION. 135
Il en résulte, selon mes observations, qu’il n’est pas
vrai que les véritables rapports entre les races, et
même entre les genres et les familles, puissent se dé-
cider uniquement , soit par la considération d’aucun
système d'organes intérieur, pris isolément, soit par
l’état des parties externes; mais qu’il l’est, au contraire,
que ces rapports doivent se déterminer d’après la con-
sidération de l’ensemble des caractères intérieurs et
extérieurs, en donnant aux premiers une valeur préé-
minente, et parmi ceux-ci, une plus grande encore
aux plus essentiels, sans employer néanmoins la con-
sidération isolée d’aucun organe particulier quelcon-
que (3).
Que les circonstances dans lesquelles se sont trou-
vées les différentes races d’animaux, à mesure qu’elles
se sont répandues de proche en proche, sur différents
points du globe et dans ses eaux, aient donné à cha-
cune d’elles des habitudes particulières, et que ces
habitudes , qu’elles ont été obligées de contracter
selon les milieux qu’elles habitèrent et leur manière
de vivre, aient pu, pour chacune de ces races, mo-
difier l’organisation des individus , la forme et l’état
de leurs parties, et mettre ces objets en rapport avec
les actions habituelles de ces individus, il n’est plus
possible maintenant d’en douter.
En effet, l’on doit concevoir qu’à raison des milieux
habités, des climats, des situations particulières , des
différentes manières de vivre, et de quantité d’autres
circonstances relatives à la condition de chaque race,
tel organe ou même tel système d’organes particulier,
a dû prendre, dans certaines d’entre elles, de grands
développements; tandis que dans d’autres races , quoi-
(x) Les principes que doit fournir cette considération , seront déve-
loppés dans la 6e partie de cette Introduction.
136 INTRODUCTION.
que avoisinantes par leurs rapports généraux, mais très
différemment situées, ce même système d'organes par-
ticulier, très développé dans les premières, aura pu,
dans celles-ci, se trouver très aflaibli, très réduit,
peut-être anéanli, où au moins modifié d’une manière
singulière.
Ce que je dis de tel système d’organes qui fait par-
ie de l’organisation des individus d’une race quel-
conque, s'étend à toutes les autres parties de ces indi-
vidus, et même à leur forme générale : tout en eux est
assujetti aux influences des circonstances dans les-
uelles ils se trouvent forcés de vivre.
A l’égard des animaux , il y a nombre de faits connus
qui attéstent l’existence de cet ordre de choses, et l’on
pourrait ajouter que, quelque petites que soient les
modifications qui se sont opérées sous nos yeux et
dort nous nous sommes convaincus par l’observation,
dans ceux des animaux, dont nous avons changé for-
cément les habitudes, ces mêmes modifications sont
suffisantes pour nous montrer l’étendue de celles,
qu'avec le temps les animaux ont pu éprouver dans
leur forme, leurs parties, leur organisation même,
de la part des circonstances dans lesquelles ils ont
vécu, et qui ont diversifié toutes leurs races presqu’à
l'infini (1).
D'après les considérations que je viens d’exposer,
qui ne reconnaît la cause qui fait que, dans une même
classe d'animaux, chaque système d’organes particu-
lier ne suit pas, dans toutes les races, le même ordre,
soit de perfectionnement , soit de dégradation?
Enfin, qui ne voit que, malgré les anomalies di.
verses provenues de la cause citée, la progression dans
{1) Philosophie zoologique, vol, a, p. 218.
INTRODUCTION. 137
la composition de l’organisation animale, ne s’en est
pas moins exécutée d’une manière très remarquable,
et qu’elle indique clairement la marche des opérations
de la nature à l’égard des animaux ?
Puisque ces animaux, chacun de leur espèce, doivent
à Ja nature et aux circonstances leur existence et tout
ce qu’ils sont, essayons maintenant de montrer quels
sont les moyens qu’elle a employés, d’abord pour
instituer la vie dans les corps qui en jouissent, eusuite
pour former en ceux qui en offraient la possibilité,
des organes particuliers, les développer progressi-
vement, les varier, les multiplier, et finir par les
cumuler dans les plus perfectionnées des organisations
animales.
138 INTRODUCTION.
TROISIÈME PARTIE.
DES MOYENS EMPLOYÉS PAR LA NATURE POUR INSTITUER
LA VIE ANIMALE DANS UN CORPS, COMPOSER ENSUITE
PROGRESSIVEMENT L'ORGANISATION DANS DIFFÉRENTS
ANIMAUX, ET ETABLIR EN EUX DIVERS ORGANES PAR=
TICULIERS , QUI LEUR DONNENT DES FACULTÉS EN RAP=
PORT AVEC CES ORGANES.
Un des penchants naturels de l’homme étant de
porter, en général, les individus de son espèce à bor-
ner l'intelligence humaine d’après la limite de Ja
leur , ceux qui ne font aucune étude de la nature, qui
ne l’observent point , se persuadent aisément que c’est
une folie de chercher à connaître la source des faits
qu’elle présente de toutes parts à nos observations.
Quant à moi, convaincu que les seules connais-
sances positives que nous puissions avoir , ne sont au-
tres que celles que l’on peut acquérir par l'observation;
sachant d’ailleurs que, hors de la nature, hors des
objets qui sont de son domaine, et des phénomènes
que nous offrent ces objets, nous ne pouvons rien ob-
server, je me suis imposé pour règle, à l'égard de
l'étude de Ja nature , de ne m’arrêter dans mes recher-
ches, que lorsque les moyens me manqueraient entiè-
rement,.
Ainsi, quelque difhcile que paraisse le sujet. qui
m ’occupe dans cette troisième parte, reconnaissant
INTRODUCTION. 139
un fondement incontestable dans la proposition d’où
je vais partir, ce fondement m’autorise à étendre mes
recherches jusques dans les détails des procédés qu’a
employés la nature pour faire exister les animaux, et
amener leurs différentes races à l’état où nous les
voyons.
Sans doute la proposition générale qui consiste à
attribuer à la nature la puissance et les moyens d’ins-
tituer la vie animale dans un corps, avec toutes les
facultés que la vie comporte, et ensuite de composer
progressivement l’organisation dans différents ani-
maux; cette proposition dis-je, est très fondée et à
l’abri de toute contestation. Pour la combattre, il fau-
drait nier le pouvoir, les lois, les moyens, et l’exis-
tence même de la nature; ce que probablement per-
sonne ne voudrait entreprendre.
Ainsi, les animaux, comme tous les autres corps
naturels, doivent à la nature tont ce qu'ils sont,
toutes les facultés qu'ils possèdent. C’est de Jà que je
partirai pour étendre mes recherches sur les moyens
qu'elle a pu employer pour exécuter , à l’égard de ces
êtres, ce que l’observation nous montre en eux. Mais
nos déterminations des moyens mêmes qu’emploie la
nature, ne sont pas toujours aussi positives que la
proposition qui lui attribue le pouvoir d’exécuter tant
de choses diverses.
En eflet, nous manquons nous-mêmes de moyens
pour nous assurer du fondement de nos déterminations
à cet égard, et cependant, comme notre principe ou
notre point de départ est assuré, et qu’il nous prescrit
de borner nos idées au seul champ dont il nous trace
les limites , il ne s’agit plus que de montrer que les
choses peuvent être comme je vais les présenter , et que
s’il en était autrement, elles auraient nécessairement
lieu par des voies analogues.
140 INTRODUCTION,
D'après cela , le seul point d’où nous puissions par-
tir pour arriver aux déterminations qui sont ici notre
but, c'est, avant tout, de reconnaître que les animaux,
ainsi que les végétaux, les minéraux, et tous les corps
quelconques , sont des productions de la nature. J'en
établirai les preuves dans la 6° partie de cette Intro-
duction, et dès à présent, je remarquerai que les na-
turalistes en sont intimement persuadés, ainsi que
l’atteste l'expression même qu'ils emploient lorsqu'ils
en parlent.
Puisque les animaux sont des productions de la na-
ture, c’est d’elle conséquemment qu’ils tiennent leur
existence et les facultés qu'ils possèdent ; elle a formé
les plus parfaits comme les plus imparfaits; elle a pro-
duit les différentes organisations qu’on remarque
parmi eux; enfin , à l’aide de chaque organisation et de
chaque système d’organes particuliers, elle a doué les
animaux des facultés diverses qu’on leur connaît : elle
possède donc les moyens de produire toutes ces choses.
On est même fondé à penser qu’elle les produirait
encore de la même manière et par les mêmes voies, si
elles n’existaient point.
Maintenant, je crois pouvoir assurer que si c'est elle
qui a réellement fait exister ces mêmes choses, elle les
a sans doute opérées physiquement; car ses moyens
étant purement physiques, on ne peut lui en attribuer
d’autres. Cette considération doit être de première
importance pour mon sujet.
Les moyens, et à la fois les causes de tout ce que la
nature a exécuté, et de tout ce qu'elle continue d’o-
pérer tous les jours, sont nécessairement de différents
ordres. En eflet, on peut dire que la nature a des
moyens généraux, et qu'elle en possède d’autres qui
sont graduellement plus particuliers. Tous forment
ensemble une hiérarchie de puissances dans laquelle
INTRODUCTION. 141
tout est lié, tout est dépendant, tout est en harmonie,
tout est nécessaire: ces vérités ont été senties, et sont
en effet reconnues.
Ainsi, pour établir quelque ordre dans nos idées sur
ce sujet intéressant , et parvenir à montrer comment
il paraît que la nature a opéré la production des ani-
maux, je vais présenter mon sentiment sur ces moyens
généraux les plus probables, ei j’en indiquerai la liai-
son avec les moyens particuliers et moins douteux,
dont elle a nécessairement fait usage.
Au moins dans notre globe, la nature a deux moyens
puissants et généraux, qu’elle emploie continuellement
à la production des phénomènes que nous y observons;
ces moyens sont :
10 L’attraction universelle, qui tend sans cesse à
opérer le rapprochement des particules de la ma-
tière, à former des corps, et à empêcher la dis-
persion de leurs molécules ;
20 L'action répulsive des fluides subtils, mis en ex-
pansion ; action qui, sans être jamais nulle, varie
sans cesse dans chaque lieu , dans chaque temps,
et qui modifie diversement l’état de rapproche-
ment des molécules des corps.
De l'équilibre éntre ces deux forces opposées, des
différentes quantités de puissance dont l’une l’em-
porte sur l’autre dans chaque circonstance, des affinités
diverses entre les objets assujettis à l’action de ces forces,
enfin, des circonstances infiniment väriées dans les-
quelles ces forces agissent, naissent sans doute les
causes de tous les faits que nous observons, et particu-
lièrement de ceux qui concernent l’existence des corps
vivants.
Les deux forces contraires que je viens de citer sont
reconnues; on en appercoit, eflectivement, l’action
142 INTRODUCTION.
dans presque Lous les faits qui s'observent dans notre
globe. Elles sont cependant plus générales encore; car,
si l’on a des preuves que l’attraction ne se borne point
à ce même globe, on ne saurait méconnaître, hors de
lui, l’action d'une force répulsive sans laquelle la lu-
mière, qui traverse sans cesse l’espace dans toute
direction , ne serait point mise en mouvement.
La réalité des deux causes en question ne peut donc
raisonnablement être mise en doute. Cr, au lieu d’em-
ployer cette connaissance à former des hypothèses sur
l'univers , je vais me restreindre à considérer les faits
qui en résultent dans ie globe que nous habitons, et
particulièrement ceux qui concernent Îes corps vivants,
sur-tout les animaux.
On ne connaît point la cause de l’attraction univer-
selle ; on sait seulement que cette attraction est un fait
positif que l’observation a constaté. Malgré cela, le
mouvement ne pouvant être le propre d'aucune ma-
tière, on doit penser que toute force attractive, ainsi
‘que toute force répulsive, sont chacune le produit de
causes physiques, étrangères aux propriétés essentielles
‘ des matières qui l’offrent.
La cause qui met sans cesse, dans notre globe, plu-
sieurs fluides invisibles, tels que le calorique , l’électri-
cité, et peut être quelques autres, dans un état d’ex-
pansion qui les renû répulsifs, me paraît plus détermi-
nable que celle qui produit la gravitation universelle.
_Je la trouve, en effet, dans la lumière, perpétuellement
en émission, des corps lumineux, et sur-tout dans
celle du soleil qui vient sans interruption frapper notre
globe, mais avec des variations continuelles sur chaque
point de sa surface.
Ce serait une grande erreur de croire que le calo-
rique soit, par sa nalure, toujours en mouvement ,
toujours expansif, toujours répulsif des molécules des
INTRODUCTION. 143
corps dans lesquels il pénètre. J'ai publié (1) ce qu’il
y a de plus probable sur la théorie de ce singulier
fluide; et l’on y aura égard lorsque les étranges hypo-
thèses actuellement en.crédit, cesseront d'occuper la
pensée des physiciens.
Il me suffit de faireremarquer ici qu’un fluide subtil,
répandu dans notre globe et son atmosphère, fluide
qui, dans son état naturel, nous est nécessairement
inconnu , parce qu’il ne sanrait affecter nos sens, se
trouvant sans cesse coërcé par la lumière du soleil, dans
une moilié du globe, devient aussitôt un calorique
expansif. En effet, comme une moitié entière de notre
globe est, en tout temps, frappée par la lumière du
soleil, il se reproduit donc toujours une immense
(1) Comme assurément on ne saurait atiribuer à une matière quel-
conque d’avoir en propre aucune force productive de mouvement , et
d’être par elle-même, soit attirante, soit repoussante ; comme, ensuite,
il n'est pas possible de douter que la propriété que l'on observe dans
certaines matières d'être répulsives des autres Corps ou de tendre à
écarter leurs molécules réunies en pénétrant dans leurs interstices , ne
soit le produit d'un changement de lieu ou d’état de ces matières ; jai
senti qu’à l'égard du calorique, les propriétés qu’on lui connaît ne pou-
vaient lui être essentielles, et lui étaient même nécessairement passa-
gères : en sorte que ce fluide n’est calorique qu’accidentellement.
En examinant alors les faits connus qui le concernent et leurs con
ditions , j'aperçus les causes qui peuvent coërcer le fluide particulier
propre à devenir calorique ; je reconnus bientôt ce qu’il pouvait opérer
dans cet état passager, selon le degré d'expansion où il se rencontrait,
et j'y appliquai sans difficulté tout ce que l'observation nous à montré
à son égard,
Mes premières pensées sur ce sujet sont inscrées dans mes Æecher-
ches sur les causes des principaux faits physiques , no.332 à 338. Dès
développement plus réguliers sûr ma nouvelle théorie du feu se trou-
vant consignés dans mes Mémoires de physique et d'histoire naturelle,
pages 185 à 200. On y reviendra probablement un jour, sur-tout lors-
qu’on exarninera Les bases sur les quelles se fondent les hypothèses qui
dominent maintenant , et qui arrêtent les vrais progrès de la physique,
( Note de Lamarck },
RL 2
144 INTRODUCTION.
quantité de calorique à la fois; ce que j'ai prouvé,
sans avoir besoin de l’illusion des rayons calorifiques.
Ainsi, ce calorique produit par la lumière, parfai-
tement le même que celui qui se dégage dans les com-
bustions, dans les eflervescences , ou qui se forme dans
les frottements entre des corps solides, ce calorique,
dis-je, étant toujours renouvelé et entretenu dans
notre globe par le soleil, toujours changeant dans sa
quantité et dans son intensité d’expansion, fait varier
erpétuellement la densité des couches de l’air et
l'humidité des parties basses de l’atmosphère, ainsi
que celle de la plupart des corps de la surface du globe.
Or, ces variations de calorique, de densité des couches
de l’air, et d'humidité dans l'atmosphère et dans les
corps, donnent continuellement lieu au déplacement
de l’électricité, aux variations de ses quantités dans
différentes parties du globe, et à des cumulations di-
verses de ses masses, qui les rendent elles-mêmes
expansives et répulsives. Certes, il n’y a dans tout
ceci rien qui ne soit conforme aux faits physiques
observés.
Ainsi, dans notre globe, deux causes opposées, qui
agissent sans cesse et se modifient mutuellement; savoir:
l’une, toujours régulière dans son action, tendant
continuellement à rapprocher et à réunir les parties
des corps et les corps eux-mêmes; tandis que l’autre,
très irrégulière, fait des eflorts variés pour tout écar-
ter, tout séparer; deux causes, disons-nous, sont,
dans les mains de la nature, des moyens qui lui
donnent le pouvoir d'opérer une multitude de phéno-
mènes, parmi lesquels celui qu'on nomme la are est
un des plus admirables, et en amène d’autres qui le
sont davantage encore.
La plus grande difficulté pour nous, en apparence,
est de concevoir comment la nature a pu instituer la
INTRODUCTION. 145
vie dans un corps qui ne la possédait pas, qui n’y
était pas même préparé; et comment elle a pu com-
mencer l’organisation la plus simple, soit végétale,
soit animale, lorsqu'elle a formé des générations spon-
tanées ou directes.
Quoique nous ne puissions savoir avec certitude ce
qui a lieu à cet égard, c’est-à-dire, ce qui se passe
positivement; comme c’est un fait certain que la na-
ture parvient, presque chaque jour, à douer de la vie
de très pelils corps en qui elle n'existait pas, et qui
n’y étaient même pas préparés; voici ce que l’obser-
vation et ce qu’une réunion d’industions nous auto-
risent à penser à ce sujel.
C'est toujours par l’étude des conditions essentielles
l'existence de chaque fait, que nous pouvons réussir
nous éclairer sur leur cause.
Or, nous savons, par l’observation , que les organi-
sations les plus simples, soit végétales, soit animales,
ne se rencontrent jamais ailleurs que dans de petits
corps gélatineux, très souples, très délicats, en un
mot, que dans des corps frêles, presque sans consis-
tance, et la plupart transparents.
Nous savons aussi que, parmi ses moyens d’action,
la nature emploie l'attraction universelle qui tend à
réunir , à former des corps particuliers; et qu’en outre,
dans notre globe , elle emploie en même temps l’action
des fluides subtils, pénétrants etexpansifs, tels que le
calorique , l'électricité, etc. , fluides qui sont répulsifs
et qui tendent à désunir les parties des corps qu’ils
pénètrent, en un mot, à écarter leurs molécules
agrégées. ou agglutinées.
Les choses étant ainsi, l’on conçoit facilement : 10
que lorsque les petits corps gélatineux, que la puis-
sance réunissante forme aisément dans les eaux et dans
les lieux humides, recevront dans leur intérieur les
ToME 1, 10
D: 2
146 INTRODUCTION.
fluides expansifs et répulsifs que je viens de citer, et
dont les milieux environnants sont sans cesse remplis;
alors, les interstices de leurs molécules agglutinées
s’aggrandiront, et formeront des cavités utriculaires ;
20 que les parties les plus visqueuses de ces corps géla-
tineux, constituant, dans cétie circonstance, les parois
des cavités utriculaires dont je viens de parler, pour-
ront elles-mêmes recevoir, de la part des fluides subtils
et expansifs en question, cetie tension singulière dans
tous leurs points, en un mot, cette espèce d'éréthisme
que j'ai nommé orgasme, et qui fait partie de l’état
de choses que j'ai dit être essentiel à l’existence de la
vie dans un corps; 30 que l’orgasme une fois établi
dans les parties concrètes du corps gélatineux en ques-
tion , ce corps en recoit aussitôt une faculté absorbante,
qui le met dans le cas de se pourvoir de fluides liquides
qu'il s’approprie du dehors, et dont les masses rem-
plissent ses utricules.
Dans cet état de choses, l’on sent que bientôt la
conLinuité d'action des fluides subtils et expansifs en-
vironnants, forcera le liquide des utricules à se dépla-
cer , à s'ouvrir des passages à travers les faibles parois
de ces utricules, enfin, à subir des mouvements con-
uünuels, susceptibles de varier en vitesse et en direction,
selon les circonstances.
Ainsi donc, voilà le petit corps gélatineux que nous
considérons, véritablement organisé; le voilà composé
de parties concrèles contenantes, formant un tissu
cellulaire très délicat, et de fluide propre contenu,
que des excitations du dehors, toujours renouvelées,
mettent sans cesse en mouvement; en un mot, le voilà
doué de mouvements vitaux.
C’est ainsi, probablement, que l’organisation fut
commencée dans les générations dités spontanées que
Ja nature sait produire, Elle ne put l'être qu’à la faveur
INTRODUCTION 147
des petits corps gélatineux dont je viens de parler; et
en eflet, c’est uniquement dans de semblables corps
qu'on observe les organisations les plus simples. Ces
mêmes petits corps furent donc transformés en corps
vivants, dès que les interstices de leurs molécules
purent être agrandis , et que leurs molécules les plus
agglutinées purent constituer des parties concrètes
cellulaires, capables de contenir des fluides susceptibles
d’être mis en mouvement dans leurs petites cavités. *
Dès lors, ces petits corps transpirèrent et firent des
pertes ; mais dès lors aussi ils devinrent absorbants ,
et se nourrirent et se développèrent par des additions
internes de particules qui purent s’y fixer.
Les mouvements excités dans le fluide propre des |
petits corps gélatineux dont je viens de parler, cons-
tituent dès lors en eux ce qu’on nomme /a wie; car
ils les animent, les mettent dans le cas de transpirer,
d’absorber par leurs pores ce qui peut réparer leurs
pertes, de s'étendre, c’est-à-dire de s’accroître jus- -
qu’à un certain point, enfin de se multiplier ou se re-
produire; ce qui s’exécute par des scissions ou des di-
visions de ces corps.
Toutes ces opérations n’exigent ni travail, ni chan-
gements notables dans les matériaux employés. Les
moyens les plus simples, les seuls que la nature ait
alors à sa disposition, lui suffisent.
L’assimilation se borne à employer celles des parti-
cules absorbées, dont la composition chimique est
analogue à celle de la substance très peu composée de
ees frêles corps.
L'extension ou accroissement de ces petits corps
s'exécute par les suites mêmes des forces de la vie,
forces qui résultent des mouvements excités. Cette
extension est bornée par la nécessité de ne pouvoir
107
148 INTRODUCTION.
franchit sans rupture les limites de Ja ténacité très
faible de ces corps.
Enfin, la multiplication où la reproduction de ecs
mêmes corps, est le produit d’un excès d’accroissement
qui l’emporte sur le terme de la ténacité, et qui en
opère Ja scission. Mais à mesure que cette ténacité
s'accroît un peu plus, les scissions deviennent alors
moins grandes ,se particularisent ou se bornent à cer-
tains points du corps, et en amènent la gemmation.
Les petits corps dont il s’agit, possèdent done,
dès l’instant même que la vie les anime, les facultés
qui sont communes à Lous les corps vivants, et ils en
sont doués par les voies les plus simples. Or, comme
aucun d’eux n'a d’organes particuliers, aucun de
même ne jouit des facultés particulières.
Qu'on ne dise pas que l’idée des générations spon-
tanées n’est qu’une opinion arbitraire , sans fonde-
ment, imaginée par les anciens, et depuis formelle-
ment contredite par des observations décisives. Les
anciens, sans doute , donnèrent une extension trop
grande aux générations spontanées , dont ils n’eurent
que le soupcon ; ils en firent de fausses applications,
et il fut facile d’en montrer l'erreur. Mais, on n’a
nullement prouvé qu’il ne s’en opérait aucune, et que
la nature n’en produisait point à l'égard des organi-
salions les plus simples (1).
(1) Sur cette question très importante des générations spontanées ,
les naturalistes de nos jours sont encore divisés ; cependant là, ce nous
semble, la difficulté est plus apparente que réelle , et le dilemme posé
ici par Lamarck , met les naturalistes dans la nécessité d’adopter l’une
de ces propositions : la nature a eu la puissance de créer les animaux,
ou elle a manqué de cette puissance créatrice. Les animaux existent,
donc la nature a eu la puissance de les créer ; ils n’existeraient pas sans
cela, Maintenant il faut se demander comment la nature a-t-elle agi
dans cette création ? De deux choses l’une ; ou elle a par sa toute-puiss
INTRODUCTION, 149
J'ajouterai que, s’il était vrai que la nature n’eût
pas les movens de produire elle-même directement
les corps vivants les plus imparfaits, soit du règne vé-
gétal, soit du règne animal, il Ie serait aussi, que ni
sance créé tous les êtres dès l’origine, ce qu'ils sont et dans toute la
perfection de leur organisation, dans ee cas la nature n'aurait eu qu'une
seule fois le pouvoir de créer chaque espèce : l’homme lui-même au-
rait étc fait d’un seul jet , aussi bien que tous les autres animaux; dans
cette supposition il faudrait toujours admettre que chaque espèce, à son
apparition, a eu une naissance spontanée, puisque les individus de cette
même espèce n'ont pu être engendrés par des parents qui n’existaient
pas encore; ou bien la nature a créé spontanément quelques êtres sim-
ples en Les soumettant à cette loi de perfectibilité progressive que nous
leur connaissons en général, On concevrait , en effet, plus facilement,
qu'il a fallu un moindre cffort pour ajouter une tres petite modi-
fieation à un être simple déjà existant, que pour former en une seule
fois un être aussi compliqué dans son organisation que l’homme , par
exemple ; car en admettant la possibilité de cette première modifica-
tion et sa conservation par les générations, on se trouve nécessairement
entraîné à admettre toutes celles qui sont nécessaires, pour expliquer
celte progression dans l'organisation des animaux et l’enchainement
des divers groupes par des rapporlis incontestables , enchaînement que
l’on reconnait d'autant mieux qu’on a étudié davantage les espèces
d'animaux. Un autre ordre de faits que nous fournit l'étude des corps
fossiles er rapport avec les couches de la terre, pourrait fortifier l'opinion
de Lamarck sur les générations spontanées. Si, comme les physiciens
et les péologues le croient aujourd’hui, la terrre a été incandescente,
elle w’a pu être habitce par les premiers animaux qu'après un certain
degré de refroidissement; et comme ces animaux n’existaient nulle part
à la surface terrestre , il a bien fallu que la nature les créàt spontané-
ment. Les animaux Les plus simples étant gélatineux , nous ne pouvons
nous faire la moindre idée de ceux de ces corps qui vécurent les pre-
miers. L'étude des fossiles nous apprend seulement que les couches de
sédiment qui ont été déposées Les premières ne recèlent que des débris
solides d'animaux simples (crustacés, moliusques, quelques poissons };
que dans les couches suivantes, on voit successivement apparaître des
animaux de plus en plus compliqués; et les mammifères ne se montrent
que dans les couches les plus nouvelles. Les quadrumanes et lhiomme
paraissent être des créations plus nouvelles encore, puisque nulle part
on ne Louve de leurs ossement à l’état fossile. II faut donc conclure de
150 INTRODUCTION.
les végétaux, ni les animaux, ne seraient ses produc-
tions ; il le serait encore que les minéraux et les autres
corps inorganiques ne lui devraient rien; enfin, il le
serait que son pouvoir et ses lois seraient nuls , et
qu'elle-même n'aurait aucune existence; ce que l’ob-
servalion dément généralement.
Maintenant quil n’est plus possible de douter,
qu’au moins à l'extrémité antérieure du règne végé-
tal et du règne aimal, la nature ne produise des gé-
nérations spontanées, en établissant la vie dans Îles
corps organisés les plus frèles et les plus simples de
chacun de ces règnes ; si l’on suppose que, dans cer-
tains de ces petits corps vivants, d’après la composition
chimique de leur substance , la nature n’a pu établir
l’irritabilité des parties , c'est-à-dire , rendre ces par-
ües subitement contractiles sur elle -mêmes à chaque
provocation des causes stimulantes, on aura, dans ces
corps, les types d’où sont provenus les différents vé-
gélaux; tandis que ceux de ces corpuscules vivants
en qui, à raison de la composition chimique de leur
substance, la nature a pu instituer l’irritabilité, de-
vront être considérés comme les types qui ont donné
lieu aux différents animaux existants (1).
ces faits, que tous les animaux n’ont pas été créés en même temps, et
que les plus simples ont existé les premiers. Ces observations peuvent
appuyer l'opinion de Lamarck ; elle nous paraît préférable dans cette
question difficile de la création des corps vivants.
(1) L'irritabilité étant une faculté générale pour tous les animat ,
n’exige en eux aucun organe particulier pour y donner lieu. La natare
ou la composition chimique de leur substance , me paraît seule pouvoir
produire le phénomène dont il s’agit.
Lorsque je considère les faits galvaniques, et que je vois deux pièces
de métal différents, mises en contact avec ma langue, me faire éprou-
ver une sensation particulière, à l’instant où elles se touchent l’un: et
l’autre, effet qui se répète autant de fois de suite que je réitère le con-
tact ; je crois apercevoir que les suhstances animales et vivantes sent
INTRODUCTION: 151
Sans doute, je ne puis montrer, dans tous leurs
détails, comment ces choses se passent , ni développer
positivement le mécanisme de l’irritabilité; mais je
sens la possibilité que ces mêmes choses soient comme
je viens de ledire, et toutes lesinductions m’apprennent
qu’elles ne peuvent être autrement.
‘Après l’applanissement de cette première difficulté
que nous offrent les générations spontanées au com-
mencement de chaque règne organique, ainsi qu'à
celui de certaines branches de ces règnes, toutes les
autres relatives à la composition de l’organisation dans
les animaux et à la formation des diflérents organes
spéciaux qu’on observe parmi eux, me paraissent s’é-
vanouir facilement.
Eu effet, on verra ces difficultés disparaître si, aux
moyens généraux de la nature, l'on ajoute les quatre
lois suivantes qui concernent l’organisation et qui
régissent tous les actes qui s’opèrent en elle par les
forces de la vie.
Première loi : La vie, par ses propres forces, tend
continuellement à accroître le volume de tout
corps qui la possède, et à étendre les dimen-
sions de ses parties, jusqu’à un terme qu’elle
amène elle-même.
susceptibles d’éprouver dans tors les instants , non précisément un
effet galvanique , mais nn effet probablement analogue. 11 est possible
effectivement que , par leur cemposition chimique, ces substances se
trouvent rénétrées eten quelque sorte distendues par quelque fluide subtil
qui s'en échapperait à chaque contact d’un corps étranger, et les mettrait
alors dans le cas de se contracter subitement. Or, la dissipation du
fluide subtil en question , pourrait dans l'instant même se trouver ré-
parée. Le phénomène d’irritabilité animale n’exige donc point d’or-
gave particulier pour pouvoir se produire. ( Vote de Lamarck. )
152 INTRODUCTION.
Deuxième loi : La production d’un nouvel organe
dans un corps animal, résulte d’un nouveau
besoin survenu qui continue de se faire sentir,
et d’un nouveau mouvement que ce besoin fait
naître et entretient.
Troisième loi : Le développement des organes et leur
force d'action sont constamment en raison de
l'emploi de ces organes.
Quatrième loi : Tout ce qui a été acquis, tracé ou
changé, dans l’organisation des individus, pen-
dant le cours de leur vie , est conservé par la
génération et transmis aux nouveaux individus
qui proviennent de ceux qui ont éprouvé ces
changements.
Il est impossible de rien entendre aux faits d’orga-
nisalion et sur-tout aux opérations de la nature à
l'égard des animaux, sans la connaissance de ces lois,
en un mot, sans les prendre réellement en considéra-
tion. En conséquence, je vais les présenter chacune
successivement , avec les seuls développements néces-
saires pour en faire apercevoir la réalité et la puis-
sance.
Première loi : La vie, par ses propres forces, tend
continuellement à accroitre le volume de tout corps
qui la possède, et à étendre les dimensions de ses
parlies, jusqu'à un terme qu’elle amène elle-méme.
On sait que tout corps vivant ne cesse de s’accroître,
depuis linstant où la vie l’anime, jusqu’à un terme
particulier de sa durée, qui est relatif à celle de cha-
que race. Ce corps s’accroitrait pendant le cours entier
de sa vie, si une cause assez connue ne metltait un
terme à son accroissement , après le premier quart, ou
environ, de sa durée.
INTRODUCTION. 153
La vie active étant constituée par les mouvements
vitaux, on doit sentir que c’est principalement dans
les monvements des fluides propres du corps vivant,
que réside le pouvoir que possède la vie, d’étendre le
volume et les parties de ce corps; car la nutrition
seule ne suffit point; elle n’est point une force, et il
en faut une pour agrandir, du dedans en dehors, le vo-
Jume et les parties du corps dont il s’agit.
Mais si dans chaque individu, le pouvoir de la vie
tend sans cesse à augmenter les dimensions du corps
et de ses parties, ce pouvoir n’empêche pas que la
durée de la vie n’amène graduellement et constam-
ment , dans l’état des parties, des altérations (une in-
durescence et une rigidité progressives qui mettent
un terme à l’accroissement de l'individu, et ensuite
un autre à la vie même qu’il possède). Ainsi, ce sont
ces altérations croissantes et connues qui constituent
la cause qui, malgré la tendance de la vie, borne ja
croissance de l’individu, et même qui amène nécessai-
rement sa mort après un temps en rapport avec la du-
rée de cette croissance.
En effet, les forces de la vie tendant à accroître les
dimensions de tout corps qui la possède, et les altéra-
tions que sa durée amène dans les parties de ce corps
bornant le produit de ces forces, il en résulte qw’il y
a des rapports constants entre la croissance des indi-
vidus et la durée de leur vie. Aussi a-t-on remarqué
que là où la croissance a le plus de durée, la vie a plus
d’étendue, et wice versd.
Maintenant, si l’on considère que dans les premiers
corps vivants formés directement par la nature, les
forces äe la vie sont dans leur faible intensité, parce
que les mouvements des fluides propres de ces corps
sont très lents et sans énergie. on sentira que l'orga-
nisation de ces petits corps gélatineux peut être ré-
154 INTRODUCTION,
duite à un simple tissu cellulaire très frèle et à peine
modifié. Cependant, à mesure que les fluides de ces
petits corps recevront de l’accélération dans leurs
mouvements, les forces de la vie s’accroïtront propor-
tionnellement; son pouvoir augmentera de même; le
mouvement des fluides, devenu plus rapide, tracera
des canaux dans le tissu délicat qui les contient; bien-
tôt une diversité dans la direction de ces fluides en
mouvement s’élablira; des organes particuliers com-
menceront à se former; les fluides eux-mêmes, plus:
élaborés, se composeront davantage, et donneront lieu
à plus de diversité dans les matières des sécrétions et
dans les substances qui constituent les organes; enfin,
selon la branche de corps vivants que l’on considérera,
l’on verra dans sa composition et son perfectionne-
ment, tous les progrès dont elle est susceptible. |
Qui est-ce qui coutesiera la vérité de ce tableau,
qui présente la marche que suit l’organisation depuis
les animaux les plus imparfaits jusqu'aux plus par-
faits? Qui est-ce qui ne verra pas que c’est-là l’histoire
des faits d'organisation qui s’observent à l’égard des
animaux considérés, dans cette progression de leur
série, du plus simple au plus composé ?
Je n’eusse assurément pas imaginé un pareil ordre
de choses, si l’observation des objets et l’attention
donnée aux moyens qu’emploie la nature ne me l’eus-
sent indiqué.
À cette première loi de la nature, qui donne à la
vie le pouvoir d'augmenter les dimensions d’un corps
et d'étendre ses parties, el en oulre, qui met ce pou-
voir dans le cas d'accroître graduellement ses forces
dans la composition de l’organisation arimale, si nous
ajoutons successivement les trois autres lois remar-
quables que j'ai déjà citées, et qui dirigent les opéra-
ons de la vie à cet égard, on aura alors , à très peu
INTRODUCTION. 155
de chose près , le complément des lois qui donnent
l'explication des faits d'organisation que les corps vi-
vants , et sur-tout les animaux, nous présentent.
Deuxième loi : La production d’un nouvel organe
dans un corps animal, résulte d’un nouveau besoin sur-
venu qui continue de se faire sentir, et d'un nouveau
mouvement que ce besoin fait naïtre et entretient.
Le fondement de cette loi tire sa preuve de la troi-
sième sur laquelle les faits connus ne permettent au-
eun doute ; car, si les forces d’action d’un organe, par
leur accroissement, développent davantage cet organe,
c'est-à-dire, augmentent ses dimensions et sa puis-
sance, ce qui est constamment prouvé par le fait, on
peut être assuré que les forces dont il s’agit, venant à
naître par un nouveau besoin ressenti , donneront né-
cetsairement naissance à l'organe propre à satisfaire à
ce nouveau besoin, si cet organe n’existe pas encore.
A la vérité, dans les animaux assez imparfaits pour
ne pouvoir posséder la faculté de sentir, ce n2 peut être
à un besoin ressenti qu’on doit attribuer ia formation
d’un nouvel organe, cette formation étant alors le pro-
duit d’une cause mécanique , come celle d’un nou-
veau mouvement produit dans une partie des fluides
de l’animal.
Il n’en est pas de même des animaux à organisation
plus compliquée, et qui jouissent du sentiment. is
ressentent des besoins, et chaque besoin ressenti, émou-
vant leur sentiment intérieur, fait aussitôt diriger les
fluides et les forces vers le point du corps où une ac-
tien peut satisfaire au besoin éprouvé. Or, s’il existe
en ce point un organe propre à celle action, il est
bientôt excité à agir ; et si l’organe n’existe pas, et que
le besoin ressenti soit pressant et soutenu, peu à peu
l’organe:se produit et se développe à raison de la con-
tinuité et de l’énergie de son emploi.
156 INTRODUCTION.
Si je n’eusse pasété convaincu; 1° que la seule pensée
d'une action qui l'intéresse fortement, suffit pour
émouvoir le sentiment intérieur d’un individu (1);
29 qu'un besoin ressenti peut Jui -même émouvoir
le sentiment en question; 3° que toute émotion du
sentiment intérieur , à la suite d’un besoin qu’on
éprouve, dirige dans l’instant même une masse de
fluides nerveux sur les points qui doivent agir; qu’elle
y fait aussi affluer des liquides da corps et sur- tout
ceux qui sont nourriciers; qu’enfin , elle y met en ac-
tion les organes déjà existants, ou y fait des efforts
pour la formation de ceux qui n’y existeraient pas et
qu’un besoin soutenu rendrait alors nécessaires, j'eusse
conçu des doutes sur la réalité de la loi que je viens
d'indiquer.
Mais, quoiqu'il soit très difficile de constater cette
(1) J'ai déjà dit que la pensée était une phénomène#out-à-fait phy-
sique, résultant de la fonction d’un organe qui a la faculté d’y donner
licu.
Rien, effectivement, n’est plus fréquemment remarquable, sur-tout
dans l'homme, que les effets de la pensée , soit sur le sentiment inté-
rieur, soit sur différents des organes internes , selon la nature partieu-
lière de la pensée produite. Enfin, comme l'imagination se compose de
pensées, ou ne saurait croire jusqu’à quel point elle agit sur nos organes
intérieurs , et combien peuvent être grandes les impressions qu’elle y
occasione.
Quel est l’homme qui ignore les effets que peut produire sur son in-
dividu, la vue d’une femme jeune et belle, ainsi que la pensée qui la
reproduit à son imagination iorsqu'elle n'est plus présente? Qui ne
counaît les suites fâcheuses d’une grande frayeur, d'une nouvelle affli-
geante, et quelquefois même d'une joie considérable subitement éprou-
vée? Qui ne sent encore que c’est ce fonds de vérités positives, les-
quelles ont pourtant leurs limites, qui a donné lieu à ce qu’on 10mme
le magnétisme animal, où ce qu’il y a de réel n’est guère que le produit
des effets de limagination sur nos organes intérieurs, mais auquel
l'ignorance et peut-être le charlatanisme, ont attribué un pouvoir ab-
surde, ext'avagant ct à la fois ridicule ? ( Vote de Lamarok, )
INTRODUCTION. 157
loi par l'observation je ne conserve aucun doute sur
le fondement que je lui attribue , la nécessité de son
existence élant entrainée par celle de la troisième loi
qui est maintenant très prouvée.
Je conçois, par exemple , qu’un mollusque gastéro-
pode qui, en se traînant , éprouve le besoin de palper
les corps qui sont devant lui, fait des efforts pour tou-
cher ces corps avec quelques-uns des points antérieurs
de sa tête, et y envoie à tout moment des masses de
fluides nerveux , ainsi que d’autres liquides ; je con-
cois, dis-je, qu’il doit résulter de ces affluences réité-
rées vers les points en question, qu’elles étendront
peu à peu les nerfs qui aboutissent à ces points. Or,
comme dans les mêmes circonstances, d’autres fluides
de l’animal affluent aussi, dans les mêmes lieux et sur-
tout parmi eux, des fluides nourriciers, il doit s’en-
suivre que deux ou quatre tentacules naîtront et se
formeront insensiblement, dans ces circonstances , sur
des points dont il s’agit, C’est sans doute ce qui est ar-
rivé à toutes les races de gastéropodes , à qui des be-
soins ont fait prendre l'habitude de palper Îles corps
avec des parties de leur tête
Mais, s’il se trouve, parmi les gastéropodes, des ra-
ces qui, par les circonstances qui concernent leur ma-
nière d’être et de vivre, n’éprouvent point de sembla-
bles besoins; alors leur tête reste privée de tentacules;
elle a même peu de saillie, peu d'apparence; et c’est
effectivement ce qui a lieu à l'égard des bullées , des
bules, des oscabrions, etc.
Sans m'’arrêter à des applications particulières, pour
faire apercevoir le fondement de cette deuxième loi,
application que je pourrais multiplier considérable-
ment, je me bornerai à la soumettre à la méditation
de ceux qui suivent attentivement les procédés de la
nature à l’égard des phénomèmes de l’organisation
animale,
158 INTRODUCTION.
Indiquons maintenant la troisième des lois qu’em-
ploie la nature pour composer et varier l'organisation ;
la voici :
Troisième loi : Ze développement des organes et
leur force d'action sont constamment en ruison de l’em-
ploi de ces organes.
Il ne s’agit point ici d’une supposition, d’une pré-
somption quelconque; la loi que je viens de citer est
positive, constatée par l'observation , et s'appuie sur
quantité de faits connus, qui peuvent servir à en dé-
montrer le fondement,
Au lieu de la réduire à sa plus simple expression,
comme ici, je l’ai présentée, dans ma Pilososhie zaolo-
gique ( vol. 1, chap. 7 ), avec une sorte de dévelop-
pement alors nécessaire , et je l’ai exprimée de la ma-
nière suivante :
« Dans tout animal qui n’a point dépassé le terme
de ses développements, l’emploi plus fréquent ei sou-
tenu d’un organe quelconque, fortifie peu à peu cet
organe, le développe , l’agrandit, et lui donne une
puissance proportionnée à la durée de cet emploi ;
taudis que le défaut constant d’usage de tel organe ,
l’affaiblit insensiblement , le détériore, diminue pro-
gressivement ses facultés, et finit par le faire dispa-
raître », Phil. zool. , p. 235.
Je ne me propose nullement d’étendre cet article,
et de faire ici le moindre eflort pour prouver le fon-
dement de la loi qui s’y rapporte. Je sais qu ’on ne
saurail en contester la solidité, que les praticiens dans
l’art de guérir en observent tous les jours les effets,
et que moi-même j'en ai reconnu un grand nombre.
Comme cette loi est importante à considérer dans
l’étude de la nature, je renvoie mes lecteurs à ce que
j'en ai dit dans ma Philosophie zoologique, où, la divi-
mt.
INTRODUCTION: t59
sant en deux parties , J'en exprime les titres de cette
manière :
10 « Le défaut d'emploi d’un organe, devenu cons-
tant par les habitudes qu’on a prises, appauvrit gra-
duellement cet organe, et finit par le faire disparaître,
et même par l’anéantir; »
20 « L’emploi fréquent &’un organe, devenu cons-
tant par les habitudes, augmente les facultés de cet
organe, le développe lui-même, et lui fait acquérir des
dimensions et une force d'action qu’il n'a point dans
les animaux qui l’exercent moins, »
En considérant l’importance de cette loi et les lu-
mières qu’elle répand sur les causes qui ont amené
l'étonnante diversité des'animaux, je Liens plus à l’a-
voir reconnue et déterminée Îe premier, qu'à la satis-
faction d’avoir formé des classes, des ordres, beaucoup
de genres, et quantité d'espèces , en m'occupant de
l’art des distinctions; art qui fait presque l’unique
objet des études des autres zoologistes.
Je regarde cette mème loi comme un des plus puis-
sants moyens employés par la nature pour diversifier
les races ; et en y réfléchissant, je sens qu’elle entraîne
Ja nécessité de celle qui précède, c’est-à-dire, de la se-
conde , et qu’elle lui sert de preuve.
Effectivement , la cause qui fait développer un or-
gane fréquemment et constamment employé, qui ac-
croît alors ses dimensions et sa force d'action , en un
mot, qui y fait itérativement affluer les forces de la vie
et les fluides du corps, a nécessairement aussi le pouvoir
de faire naître, peu à peu et par les mêmes voies, un
organe qui n'existait pas et qui est devenu nécessaire.
Mais la seconde et la troisième des lois dont il s’agit,
eussent été sans effet, et conséquemment inutiles, si les
animaux se fussent loujours trouvés dans les mêmes
circonstances , s'ils ebssent généralement et toujours
160 INTRODUCTION.
conservé les mêmes habitudes , et s'ils n’en eussent
jamais changé ni formé de nouvelles; ce que l’on a, en
effet, pensé, et ce qui n’a aucun fondement.
L'erreur où nous sommes tombés à cet égard, prend
sa source dans la difficulté que nous éprouvons à em-
brasser dans nos observalions un temps considérable.
Il en résulte pour nous l'apparence d’une stabilité dans
les choses que nous observons et qui pourtant n’existe
nulle part.
De là, l’idée que toutes les races des corps vivants
sont aussi anciennes que la nature, qu’elles ont tou-
jours été ce qu’elles sont actuellement, et que les ma-
tières composées-qui appartiennent au règne minéral
sont. dans le même cas; de là, résulterait nécessaire-
ment que la nature n’a aucun pouvoir, qu'elle ne fait
rien, qu’elle nechange rien, etque, n’opérant rien, des
lois lui sont inutiles; de (à, enfin, ils’ensuivrait que, ni
les végétaux, ni les animaux ne sont ses productions.
Pour concevoir une pareille opinion et entretenir
une erreur de cette sorte, il faut bien se garder de ras-
sembler et de considérer les faits qui nous sont pré-
sentés de toutes parts , et il faut repousser toutes les
observations qui les constatent ; car les choses sont
assurément bien différentes.
Laissant à l’écart les faits connus et les observations
qui prouvent que l’ordre de choses existant est fort
différent de celui qu’on a voulu et qu'on veut encore
y substituer, je dirai :
Que, si les animaux sont des productions de la na-
ture, il est évident qu’elle n’a pu les produire et les
faire exister tous à la fois, en couvrir dans le même
temps presque tous les points de la surface du globe, et
en remplir ses eaux liquides pareillement à la fois; car,
elle n’opère rien que graduellement, que peu à peu; et
même, presque Loutes ses opérations s’exécutent, rela-
INTRODUCTION. 161
tivement à notre durée individuelle, avec une lenteur
qui nous les rend insensibles.
Or, si la nature n’a produit, soit les végétaux, soit
les animaux, que successivement, et en commencant
par faire exister, de part et d’autre, les plus imparfaits,
il n’est personne qui ne sente qu’elle a dû répandre,
de proche en proche et peu à peu, dans toutes les eaux
et sur les différents points de la surface du globe, tous
ceux de ces corps vivants qui sont successivement pro-
venus des premiers qu’elle a formés.
Que l’on juge maintenant quelle énorme diversité
de circonstances d'habitation, d’exposition, de climat,
de matières nutritives à leur disposition, de milieux
environnants, etc., les végétaux et les animaux ont eu
à supporter, à mesure que les races existantes se sont
trouvées dans le cas de changer de lieu ! Et quoique
ces changements se soient opérés avec une lenteur
extrême et par conséquent à la suite d’un temps con-
sidérable, leur réalité, nécessitée par différentes causes,
n’en a pas moins mis les races qui s’y sont trouvées
exposées, dans le cas de changer peu à peu leur ma-
nière de vivre et leurs actions habituelles.
Par les effets de la 2° et de la 3° des lois citées ci-
dessus, ces changements d’action forcés ont donc dû
faire naître de nouveaux organes, et ont pu ensuite
les développer, si leur emploi est devenu plus fréquent;
ils ont pu de même détériorer , et à la fin anéantir
ceux des organes existants qui se sont alors trouvés
inutiles.
Une autre cause de changement d’action qui a con-
tribué à diversifier les parties des animaux et à mul-
tiplier les races, est la suivante :
A mesure que les animaux, par des émigrations
partielles, changèrent de lieu d’habitation et se ré-
paudirent sur difiérents points de la surface du globe:
Tone 1. II
162 YNTRODUCTION.
parvenus dans de nouvelles situations, ils furent
exposés à de nouveaux dangers qui exigèrent de nou-
velles actions pour ÿ échapper; car la plupart se dé-
vorent les uns les autres pour conserver leur existence.
Je n’ai pas besoin d'entrer dans aucun détail pour
montrer l'influence de cette cause qu’il faut ajouter à
celle qui embrasse les divérses circonstances des nou-
véäux lieux habités, des nouveaux climats, et des
nouvelles manières de vivre à là suite de chaque émi-
gration.
Mais, dira-t-on, depuis que les animaux se sont, de
proche en proche, répandus par tout où ils peuvent
vivre, que toutes les eaux sont peuplées de races
qu’elles peuvent nourrir, que les parties sèches du
globe servent d'habitation aux espèces qu’on y observe,
les choses sont stables à leur égard ; les circonstances
capables de les forcer à des changements d’action n’ont
plus lieu; et toutes les races, au moins désormais, se
conserveront perpétuellement les mêmes.
À cela je répondrai que cette opinion me paraît en-
core une erreur; et que j'en suis même très persuadé.
C’en est une bien grande, en effet, que de supposer
qu’il ÿ ait une stabilité absolue dans l’état, que nous
connaissons, de la surface de notre globe; dans la si-
tuation de ses eaux liquides, soit douces, soit marines;
dans la profondeur des vallées, l’élévation des mon-
tagnes, la disposition et la composition des lieux par-
ticuliers; dans les différents climats qui correspondent
maintenant aux diverses parties de Ja terre qui y sont
assujetties, etc., ct.
Fous ces objets doivent nous paraître sé conserver
à peu près dans l’état où nous les observons, parce que
nous ne pouvons être témoins nous-mêmes de leur
changement , et que notre histoire et nos observations
écrites ne remontent qu’à des dates trop peu reculées
INTRODUCTION. 163
pour nous convaincre de notre erreur. Cependant nous
ne manquons pas de faits positifs qui lPindiquent; et
comme ce n'est pas ici le lieu de les rappeler, je me
bornerai à l’exposition de mon sentiment; savoir :
Que tout change sans cesse à la surface de notre
globe, quoiqu’avec une lenteur extrême par rapport à
nous; et que les changements qui s’y exécutent, ex-
posent nécessairement les races des végétaux et des
animaux à en éprouver elles-mêmes qui contribuent à
les diversifier sans discontinuité réelle.
Que l’on veuille examiner le chapitre VII de la 1”°
partie de ma Philosophie zoologique (vol. 1, p. 218.)
où je considère l’influence des circonstances sur les
actions et les habitudes des animaux, et ensuite celle
des actions et des habitudes de ces corps vivants, comme
causes qui modifient leur organisation et lears parties;
on sentira probablement que j’ai été très autorisé, non-
seulement à reconnaître les causes influentes que j'y
indique , mais en outre à assurer :
Que , si les formes des parties des animaux, compa-
réés aux usages de ces parties, sont toujours parfaite-
ment en rapport, ce qui est certain, il n’est pas vrai
que ce soient les formes des parties qui en ont amené
l'emploi, comme le disent les zoologistes, mais qu’il
l’est, au contraire, que ce sont les besoins d’action qui
ont fait naître les parties qui y sont propres, et que
ce sont les usages de ces parties qui les ont développées
et qui les ont mises en rapport avec leurs fonctions.
Pour que ce soient les formes des parties qui en aient
amené l'emploi, il eût fallu que la nature füt sans
pouvoir, qu’elle fût incapable de produire aucun acte,
aucun changement dans les corps, et que les parties
des différents animaux, toutes créées primitivement,
ainsi qu’eux-mêmes, offrissent dès lors autant de formes
que la diversité des circonstances, dans lesquelles les
112*
Le
164 INTRODUCTION.
animaux ont à vivre, l'eût exigé; il eût fallu sur-tout
que ces circonstances ne variassent jamais, et que les
parties de chaque animal fussent toutes dans le même
cas, (1)
Rien de tout cela n’est fondé; rien n’y est conforme
à l'observation des faits, aux moyens qu’a employés la
nature pour faire exister ses nombreuses productions.
Aussi. je suis très convaincu que les races auxquelles
on a donné le nom d’espèces, n’ont, dans leurs carac-
tères, qu’une constance bornée ou temporaire, et qu’il
n’y a aucune espèce qui soit d’une constance absolue.
Sans doute , elles subsisteront les mêmes dans les lieux
qu’elles habitent, tant que les circonstances qui les
(1) Tout ce qui précède est d’une très grande importance et mérité
de fixer l'attention des naturalistes philosophes, C’est une matière qui
demande de longues méditations. Lamarck avec sa justesse d’esprit
habituelle rejette le système des causes finales: dans ce système il faut
supposer non- seulement que les animaux ont été créés en même temps,
mais encore que les circonstances d'habitation n’ont éprouvé aucun
changement. L'étude des phénomènes zoologiques prouvent de la ma-
nière la plus incontestable que ces circonstances ont continuellement
varié : la température de la terre a successivement diminué , les conti-
nents ont changé de forme, des chaines de montagnes se sont élevées du
sein des mers, et se sont couvertes à leur sommet de glaces perpé-
tuelles, des régions d’abord très chaudes, comme l’attestent les débris
fossiles d'animaux et de plantes, sont devenues froides ou tempérées.
Des animaux habitant les régions soumises à de tels changements , les
uns ont pu les supporter et ont continué à vivre en éprouvant des mo-
difications plus ou moins profondes; les autres ayant leur existence plus
profondément liée aux circonstances environnantes, ont péri lorsque
ces circonstances n'ont plus été en rapport avec leur organisation : aussi
l’on remarque, en remontant des couches inférieures aux supérieures ,
les espèces se succéder et s’éteindre graduellement, de telle sorte qu’il
n'y en a plus actuellement une senle qui ait vécu dans le temps que
les terrains secondaires se déposaient, et qui vive encore aujourd’hui.
Les faits qui ont rapport aux corps organisés fossiles doivent être pris
très sérieusement en considération, toutes les fois qu’il s’agira de discu-
ter avec tous ses éléments la question qui est ici agitée par Lamarck.
YNTRODUCTION. 165
concernent ne changeront pas, et ne les forceront pas à
changer leurs habitudes.
Si les espèces avaient une constance réellement abso-
lue, il n’y aurait point de variétés; cela est certain et
susceptible de démonstration. Or, les naturalistesn’ont
pu s’empècher d’en reconnaître.
Que l'on parcoure lentement la surface du globe,
sur-tout dans une direction sud et nord, en faisant, de
distance er distance, des stations pour avoir le temps
d’cbserver les objets; on verra constamment les espèces
varier peu à peu et de plus en plus à mesure qu’on
s’éloignera du point de départ, et suivre en quelque
sorte les variations des lieux eux-mêmes, de l’exposi-
üion des sites , etu., etc; quelquefois même on verra
des variétés produites, non par des habitudes exigées
par les circonstances, mais par celles qui ont pu être
contractées, soit accidentellement, soit autrement.
Ainsi, l’homme, étant assujetti aux lois de la nature
pat son organisation , offre lui-même des variétés re-
marquables dans son espèce, et parmi elles il s’en
trouve qui paraissent dues aux dernières causes citées.
Voyez ma Philosophie zoologique, vol. 1, chap. 3, p.
Dos (1)
(1) Aucune question n’est plus difficile et plus importante que celle
de l'espèce : quoiqu’elle touehe à tout ce que la zoologie a de plus élevé
et de plus phitosophique, elle est loin cependant d’être résolue. La dé-
finition de l’espèce n’a pas encore été faite d’une manière satisfaisante.
Ceux des naturalistes qui ont tenté quelques efforts à cet égard étaient
préoccupés par des idées systématiques avec lesquelles la définition de-
vait s’accorder, Lamarck fui-même, tout en l’envisageant plus large-
ment, est allé trop loin, ce nous semble : l'espèce est variable, personne
ne Le conteste ; maïs elle n’est pas variable indéfiniment. On observe en
effet, en suivant une espèce dans toutes les circonstances modifiantes
qu’elle peut subir, des altérations profondes; mais malgré cela elle con-
serve des caractères propres qui ne permettent pas de la confondre.
La manière arbitraire avec laquelle Les espèces sont établies dans les
166 INTRODUCTION,
Enfin, la quatrième des lois qu’emploie la nature
pour composer et compliquer de plus en plus l’orga-
nisation , est la suivante :
4° loi : Tout ce qui a été acquis , tracé ou changé dans
l’organisation des individus pendant le cours de leur
wie, est conservé par la génération, et transmis aux
nouveaux individus qui proviennent de ceux qui ont
éprouvé ces changements.
Cette loi, sans laquelle la nature n’eût jamais pu
diversifier les animaux, comme elle l’a fait, et établir
2 2
parmi eux une progression dans la composition de leur
ouvrages d'histoire naturelle , arbitraire qui a permis de donner aux
caractères une valeur très variable selon le caprice des auteurs, est une
des causes qui s'oppose le plus à une bonne définition de l'espèce, Ha-
bitués à cette routine, tous les auteurs y restent, et ne font point les ob-
servations capables de jeter quelque jour sur la question. Il est très
souvent arrivé que sur des observations insuffisantes, des variétés ont été
décrites comme espèces distinctes ; et lorsque l'erreur a été démontrée,
au lieu de changer la manière de procéder dans la distinction des es-
pèces, au'lieu d’attendre des observations suffisantes, on a prétendu que
l'espèce n’avait rien de constant, qu’elle ne pouvait être rigoureuse-
ment définie, puisque l’on voyait s'établir des passages d’une espèce à
l’autre: il aurait mieux valu accuser la précipitation que l’on met or-
dinairement à établir des espèces dans les collections, l’imperfection de
nos moyens d'observation et le peu d’umité et de philosophie qui ont
jusqu’à présent dirigé les naturalistes dans ces sortes de recherches. IL
faudrait, pour parvenir à la définition désirée, observer les espèces dans
tous les lieux où elles habitent, du nord au midi; rassembler toutes les
variétés d'âge, de forme, de couleur, de taille, faire de toutes ces modi-
fications un tableau présentant une espèce bien connue, et établir autant
de ces tableaux qu'il y a de véritables espèces d’êtres organisés. A l’aide
de ce moyen on paryiendrait à réduire beaucoup le nombre des espèces
inscrites dans les catalogues de boianique et de zoologie, et l’on arri-
verait très probablement, par la suite, à une loi donnant les limites de
l'espèce dans ses modifications, et par un enchaînement nécessaire, ser-
vant de base à une définition juste ct rigoureuse.
INTRODUCTION. 167
organisation et dans leurs facultés, est exprimée ainsi
dans ma Philosophie zoologique (vol. I, p. 235).
« Tout ce que la nature a fait acquérir ou perdre
aux individus par linfluence des circonstances dans
lesquelles leur race se trouve depuis long-temps ex-
posée , et, par conséquent, par l'influence de l'emploi
prédominant de tel organe, ou par celle d’un défaut
constant d’usage de telle partie, elle le conserve, par
la génération, aux nouveaux individus qui en pro-
viennent, pourvu que les changements acquis soient
communs aux deux sexes, ou à ceux qui ont produit
ces nouyeaux individus ».
Cette expression de la même loi offre quelques détails
qu’il vaut mieux réserver pour ses développements et
son application, quoiqu’ils soient à peine nécessaires,
En effet, cette loi de la nature qui fait transmettre
aux nouveaux individus, tout ce qui a élé acquis dans
l’organisation, pendant la vie de ceux qui les ont
produits, est si vraie, si frappante, tellement attestée
par les faits, qu’il n’est aucun observateur qui n’ait
pu se convaincre de sa réalité.
Ainsi, par eile, tout ce qui a été tracé, acquis ou
changé dans l’organisation, par des habitudes nouvelles
et conservées; certains penchants irrésistibles qui ré-
sultent de ces habitudes; des vices de conformation ,
et même des dispositions à certaines maladies; tout
cela se trouve transmis, par la génération ou la repre-
duction , aux nouveaux individus qui proviennent de
ceux qui ont éprouvé ces changements , et se propage
de générations en générations dans tous ceux qui se
succèdent, et qui sontsoumis aux mêmes circonstances,
sans qu'ils aient été obligés de l’acquérir par la voie
qui l’a créé.
À la vérité, dans les fécondations sexuelles, des
mélanges entre des individus qui n’ont pas également
168 INTRODUCTION.
subi les mêmes modifications dans leur organisation ,
semblent offrir quelque exception aux produits de cette
loi; puisque ceux de ces individus qui ont éprouvé
des changements quelconques, ne les transmettent pas
toujours, ou ne les communiquent que partiellement
à ceux qu’ils produisent. Mais il est facile de sentir
qu'il n’y a là aucune exception réelle; la loi elle-même
ne pouvant avoir qu’une application partielle ou im-
parfaite dans ces circonstances.
Par les quatre lois que je viens d'indiquer, tous les
faits d'organisation me paraissent s'expliquer facile-
ment ; la progression dans la composition de l’organi-
sation des animaux et dans leurs facultés, me semble
facile à concevoir; enfin , les moyens qu’a employés
la nature pour diversifier les animaux, et les amener
tous à l'état où nous les voyons, deviennent aisément
déterminables.
Je puis rendre, en quelque sorte, ces moyens plus
sensibles , en en citant au moins un exemple parmi
ceux qu’a employés la nature pour exécuter, dans les
animaux , une composition croissante de leur organi-
sation , et un accroissement progressif dans le nombre
et le perfectionnement de leurs facultés.
Mais avant cette citation , je dirai qu'en comparant
partout les faits généraux , l’on reconnaîtra que, dans
l’un et l’autre règne des corps vivants (les végétaux et
les animaux), la nature partant de l’organisation la
plus simple, de celle qui est seulement nécessaire à
l’existence de la vie la plus réduite, a ensuite exécuté
différents changements progressifs dans l’organisation ,
à raison des moyens que l’état des êtres sur lesquels
elle opérait, lui permettait d'employer.
Ainsi, l’on verra que, dans les végétaux, réduite
à très peu de moyens, par le défaut d’irritabilité des
parties, la nature n’a pu que modifier de plus en plus
INTRODUCTION. 69
le tissu cellulaire de ces corps vivants, et le varier de
toutes manières à l’intérieur, mais sans jamais parve-
nir à en transformer aucune portion en organe inlé-
rieur particulier, capable de donner au végétal une
seule faculté étrangère à celles qui sont communes à
tous les corps vivants, et sans même pouvoir établir,
dans les différents végétaux, une accélération graduelle
du mouvement de leurs fluides, en un mot, un accrois-
sement notable d’énergie vitale.
Dans les animaux, au contraire , l’on remarquera
que la nature, trouvant dans la contractilité des par-
ties souples de ces êtres, de nombreux moyens. a non-
seulement modifié progressivement le tissu cellulaire,
en accélérant de plus en plus le mouvement des fluides,
mais qu'elle a aussi composé progressivement l'orga-
nisation, en créant, l’un après lPautre, diflérents or-
ganes intérieurs particuliers, les modifiant selon le
besoin de tous les cas, les cumulant de plus en plus
dans chaque organisation plus avancée, et amenant
ainsi, dans diflérents animaux, diverses facultés par-
ticulières, graduellement plus nombreuses et plus émi-
nentes.
Pour donner un exemple qui puisse montrer qu'il
ne s’agit point à cet égard, d’une simple opinion,
mais de l'existence d’une ordre de choses que l’obser-
‘Yation atteste, je me bornerai à Ja citation suivante.
Exemple : Accélération progressive du mouvement
des fluides dans les animaux, depuis les plus impar-
faits, jusques aux plus parfaits.
On ne saurait douter que, dans les animaux les
plus imparfaits, tels que les infusoires et les polypes,
la vie ne soit dans sa plus faible énergie, à l’egard des
mouvements intérieurs qui la constituent, et que les
fluides propres qui sont mis en mouvement dans le
frêle tissu cellulaire de ces animaux, ne s’y déplacent
170 INTRODUCTION ù
qu'avec une lenteur extrême, qui les rend incapables
de s’y frayer des canaux. Aussi, leur tissu cellulaire
n’en offre-t-il aucun. Dans ces animaux , de faibles
mouvements Vitaux suffisent seulement à leur trans-
piration ; aux absorptions des matières dont ils se
nourrissent , et à l’imbibition lente de ces matières
fluides.
Dans les radiaires mollasses qui viennent ensuite,
la nature ajoute un nouveau moyen pour accélérer
un peu plus le mouvement des fluides propres de ces
corps. Elle accroît l'étendue des organes de la diges-
tion, en ramifiant singulièrement le canal alimentaire;
elle perfectionne un peu plus le fluide nourricier par
l'influence d’un système respiratoire nouvellement
établi , et à l’aide d’un mouvement constant et réglé,
que les excitations du dehors produisent dans tout le
corps de l’animal, elle hâte davantage le déplacement
des fluides intérieurs.
Parvenue à former les radiaires échinodermes , où
les mouvements isochrones du corps de l’animal ne
peuvent plus s’exécuter, la nature s’est trouvée en état
de faire usage d’un autre moyen plus puissant et plus
indépendant, et c’est là en eflet qu’elle a commencé
l'emploi du mouvement musculaire qui remplit à la
fois deux objets : celui de mouvoir des parties dont l’a-
nimal a besoin de se servir, et celui de contribuer à
l’activité des mouvements vitaux.
L'emploi du mouvement musculaire, pour activer
les mouvements de la vie animale, commencé dans les
radiaires échinodermes, s’est accru dans les insectes,
en qui d’ailleurs, l'énergie vitale fut augmentée par
la respiration de Pair. Ainsi, l’emploi de ce mouve-
ment et l’auxiliaire de la respiration de l'air purent
suffire aux énsectes et à la plupart des arachnides.
Mais jes crustacés ne respirant en général que l'eau ,
INTRODUCTION, 171
eurent besoin d’un nouveau moyen plus puissant pour
l’accélération de leurs fluides. Pour cela la nature
joignit à l’action musculaire , l’établissement d’un
système spécial pour la circulation , système commencé
dans les dernières arachnides, et qui a éminemment
accéléré le mouvement des fluides.
Cette accélération du mouvement des fluides, à
l’aide d’un système spécial pour la circulation, s’ac-
crut même encore par la suite, à mesure que le cœur
parvint à acquérir des augmentations; que l’organe
respiratoire , resserré dans un lieu particulier, fut
transformé en poumon qui ne saurait respirer que l'air;
enfin, elle s’accrut à mesure que l'influence nerveuse
reçut elle-même de l’accroissement , et put donner aux
organes plus de force d’action.
C’est ainsi que la nature, en commencant la pro-
duction des animaux par les plus imparfaits , a su ac-
célérer progressivement le mouvement des fluides et
accroître l'énergie vitale, en employant différents
moyens appropriés aux cas particuliers.
Je pourrais multiplier des exemples qui prouvent
que chaque système d’organes particulier fut, dans
son origine, fort imparfait, peu énergique, et qu’il
recut ensuite des développements et des perfectionne-
ments graduels, à mesure que l’organisation plus com-
posée les rendait nécessaires,
En eflet, si je considérais les moyens variés et pro-
gressivement plus perfectionnés qu’emploie la nature
pour la reproduction et la multiplication des individus,
afin d’assurer la conservation des espèces ou des races
obtenus, je montrerais :
Que ces moyens, réduits dans les animaux les plus
imparfaits, à une simple scission du corps, amènent
en resserrant cette scission dans des points particuliers,
la gemmation des individus; que cette gemmation
172 INTRODUCTION.
d’abord externe, devient ensuite interne, et prépare
la formation des ovaires; qu'alors des organes fécon-
dateurs et des ovules cuntenant un embryon suscep-
tible d’être fécondé, ont pu être établis, que le Sys-
tème spécial pour la reproduction étant formé, il a
donné lieu d’abord à la génération des ovipares et des
ovo-vivipares , et que ce système ensuile, est parvenu
à amener la plus perfectionnée des générations, celle
des vrais vivipares, qui donne la vie active à l’em-
bryon dans l’instant même qu’il est fécondé.
Si je considérais après cela , le système spécial de la
respiration, système imporlant et devenu nécessaire
lorsque l’organisation animale perdit sa première sim-
plicité, je montrerais :
Que ce système n’a commencé que par des trachées
aquifères qu fournissent la plus faible des influences
respiratoires; qu'ensuite, il fut changé en trachées
aérifères , un peu plus puissantes en influence que les
premitres, l’oxigène qui fournit cette influence en dé-
gageant plus aisément de l’air que de l’eau; que, néan-
moins, dans les uns et les autres des animaux qui
respirent par des trachées, le fluide respiré allant lui-
même par-lout au-devant du fluide nourricier, ne
peut, par la lenteur de son introduction et de son
mouvement, fournir encore qu’une influence bien
faible; qu’ensuite, dès que la circulation fut établie,
les trachées respiratoires furent changées en branchies
locales, qui ne sont plus puissantes en influence res-
piratoire , que parce que le sang alors circulant, vient
lui-même rapidement chercher les réparations dont
il a besoin; qu’eufin, peu après l'établissement du
squelette, les branchies elles-mêmes furent définitive-
ment changées en poumon , organe respiratoire le plus
puissant de tous, puisque le sang qui vient rapide-
ment y recevoir ses réparations, les obtient de l'air
INTRODUCTION. 1793
qui les fournit plus aisément. il y a donc encore ici
un accroissement notable de puissance dans les modes
variés du système respiratoire.
Enfin, si je considérais ceux des systèmes d’organes
spéciaux qui donnent les facultés les plus admirables,
telles que celle de sentir, et ensuite celle de se former
des idées conservables , et même à l’aide de ces idées ,
de s’en former d’autres qui caractérisent l'intelligence
dans un degré quelconque, je montrerais encore, dans
les animaux, une progression partout en harmonie
avec les autres progressions déjà citées.
Je montrerais, eflectivement, que les animaux les
plus simples en organisation, et par conséquent les
plus imparfaits, sont réduits à ne posséder que l’érri-
tabilité, qui néanmoins suflit à leurs besoins; qu’en-
suite, lorsque l’organisation fut assez avancée dans
sa composilion pour en fournir les moyens, la nature,
trouvant le système nerveux ébauché pour le mouve-
ment musculaire, le composa davantage, et le divisa
en deux systèmes particuliers, l’un pour effectuer les
mouvements des muscles, et l’autre pour exécuter les
sensations ; qu’alors, des sens furent établis, la fa-
culté de sentir eut lieu , et les indiviäus furent doués
d’un sentiment intérieur qui provoqua leurs actions
dans leurs différents besoins; que l’organisation en-
suite, plus avancée encore en complication, mit la
nature à porlée de partager le système nerveux en
trois systèmes particuliers; l’un pour le mouvement
musculaire, qui fut lui-même sous-divisé en deux,
celui à la disposition de l'individu et celui qui ne
l'est point), l’autre pour le sentiment, et le troisième
pour activer les fonciions des autres organes ; qu’enfin,
l’organisation élant parvenue à une haute complica-
tion d'organes divers, la nature fut en état de diviser
le système nerveux en quatre principaux systèmes
174 INTRODUCTION.
particuliers, savoir : le premier, le système de nerfs
employé à l'excitation musculaire ; le deuxième, celui
qui sert à produire les sensations; le troisième , celui
destiné à donner des forces d’action aux divers organes
intérieurs pour exécuter leurs fonctions; le quatrième
enfin, celui par lequel l’attention se produit et trans-
forme alors les sensations en idées conservables; celui
même par lequel des idées acquises et comparées ser-
vent à en former d’autres que les sensations ne peu-
vent faire naître directement. |
À raison de son exercice et des besoins, ce qua-
trième système de nerfs, se complique et se sous-divise
encore dans l’homme , en divers systèmes particuliers
qui effectuent différentes sortes d’opérations intellec-
tuelles.
Qu’importe que les différents systèmes de nerfs par-
ticuliers que je viens de citer, ne soient pas suscepti-
bles d'être distingués les uns des autres anatomique-
ment, si les résultats de leurs fonctions les distinguent
constamment , et constatent leur indépendance,
Quoiqu’indépendants, en eflet, à l’égard de leurs
fonctions propres, les systèmes de nerfs dont il s’agit
ont ensemble une si grande connexion, que lorsqu’une
forte émotion du sentiment intérieur survient, elle
trouble et suspend même leurs fonctions, comme cela
arrive dans l’évanouissement, la syncope, etc.
Nous pouvons donc regarder comme un fait certain
que le système nerveux, pris dans sa généralité, a été,
comme tous les autres systèmes d’organes spéciaux ,
d'abord très simple et réduit à peu de fonctions ; qu’en-
suite, il été composé, sur-com posé même après ; enfin,
qu'il a été progressivement propre à diverses fonc-
tions, de plus en plus éminenies, et pour nous admi-
rables.
J'ai supprimé les détails qui concernent les appli-
INTRODUOTIONs 195
cations, parce qu’on y suppléera facilement par les
observations connues à cet égard , et qu'il serait su
perflu de donner une urop 8 grande extension à cette
partie.
Ainsi, l’on a vu par ce qui précède :
10 Que la nature a augmenté progressivement le
mouvement des fluides dans le corps animal, à mesure
que l’organisation de ce corps se composait davantage;
et, qu'après avoir employé les moyens les plus simples
pour les premières accélérations de ce mouvement,
elle a créé exprès un système d’organes particulier
pour accroître encore plus cette accélération, lorsqu'elle
fut devenue nécessaire ;
* Qu'elle a suivi une marche semblable à l’éard
de la reproduction des individus , afin de conserver les
espèces obtenues ; puisqu'après s’être servie des moyens
les plus simples, tels que la reproduction par des di-
visions de parties, elle créa ensuite des organes spé-
ciaux fécondateurs, qui donnèrent lieu à la génération
des ovipares, enfin, celle des vrais wivipares ;
30 Qu'il en a été de même à l'égard de la faculté de
sentir; faculté que la nature ne peut donnér aux ani-
iaux les plus imparfaits, parce que le phénomène du
sentiment exige, pour se produire, un système d’or-
ganes déja suffisamment composé ; système que ces ani-
maux ne pouvaient avoir, mais aussi qui ne leur était
pas nécessaire , leurs besoins , très bornés, étant tou-
jours faciles à satisfaire ; tandis que, dans des animaux
à organisation plus composée, et qui, dès lors, eurent
plus de besoins, elle peut créer et perfectionner gra-
duellement le seul système d'organes qui pouvait pro-
duire le phénomène admirable dont il s’agit.
4° Enfin, que des actes d'intelligence étant les seuls
qui permissent de varier les actions, et ne pouvant
devenir nécessaires qu’aux animaux les plus parfaits,
176 INTRODUCTION.
la nature a su leur en donner la faculté dans un degré
quelconque, en instituant en eux un organe spécial
pour cette faculté, c’est-à-dire, en ajoutant à leur cer-
veau deux hémisphères qui furent successivement plus
développés et plus volumineux dans ceux de ces ani-
maux qui furent les plus perfectionnés.
Que d'applications je pourrais faire pour montrer
le fondement de tout ce que je viens d’exposer ! que
de faits bien connus je pourrais rassembler pour ac-
croître les preuves de ce fondement ! Mais, renvoyant
mes lecteurs à ma Philosophie zoologique où j'en ai
présenté un grand nombre qui m'ont paru décisifs, je
me hâte de conclure de ce qui précède :
Que la nature possède dans ses propres moyens, tout
ce qui lui est nécessaire, non-seulement pour former
des corps vivants, tels que les végétaux et les ani-
maux ; mais, en outre, pour produire , dans ces der-
niers, des organes spéciaux, les développer, les varier,
les multiplier progressivement, et à la fin, les cumuler
en quelque sorte dans les organisation animales les
plus perfectionnées; ce qui lui a permis de douer les
différents animaux de facultés graduellement plus
nombreuses et plus éminentes.
Me bornant à l'exposition de ce tableau frappant
de ressemblance avec Lout ce que l’on observe, je vais
passer à un autre sujet qu’il s’agit d’éclaircir et qui n’a
pas moins d'importance. Je vais, effectivement, essayer
de prouver que les facultés des animaux sont des phé-
nomènes uniquement organiques, et purement physi-
ques ; que ces phénomènes prennent leur source dans
les fonctions des organes ou des systèmes d’organes qui
y donnent lieu: enfin, je montrerai que les facultés
qui constituent ces phénomènes, sont dans un rapport
constant avec l’état des organes qui les procurent.
RE ee ce
INTRODUCTION: 177
QUATRIÈME PARTIE.
DES FACULTÉS OBSERVÈES DANS LES ANIMAUX, ET TOUTES
CONSIDÈRÉES COMME DES PHÉNOMÈNES UNIQUEMENT
ORGANIQUES.
Moins nous connaissons Îa nature, plus les phéno-
mènes qu’elle produit nous paraissent des merveilles,
des faits incompréhensibles : mais quelque admirable
qu’elle soit réellement dans sa puissance et dans ses
moyens , on doit s'attendre que le merveilleux s’éva-
nouira successivement à nos yeux, à mesure que, par
l'étude de ses lois et de la marche. constante qu’elle
suit dans ses opérations , nous parviendrons à décou-
vrir les moyens dont elle fait usage.
Sans doute, lorsque l’on considère attentivement les
différents animaux , depuis les plus imparfaits jus-
qu'aux plus parfaits, l’on ne saurait voir sans admira:
tion, non-seulément la grande diversité qui se trouve
parmi eux, ainsi que la disparité qu’ils offrent dans les
systèmes d'organisation qui les distinguent; mais, en
outre , on ne peut qu'être frappé d’étonnement en
considérant la nature de chacune de leurs facultés ,
sur-tout de certaines d’entre elles, et les différences en
nombre, ainsi qu’en degrés d’éminence, de celles qu’on
observe dans leurs diverses races. Aussi , quoique ces
facultés soient parfaitement en rapport avec le mode
et l’état de l’organisation qui y donne lieu, elles nous
Tome 1. 12
178 - INTRODUCTION.
semblent malgré cela des prodiges. Alors, nous soula-
geons notre pensée à leur égard, en un mot, notre
vanité lésée par l'ignorance où nous somines de ce qui
les produit réellement, en imaginant, à leur sujet, des
causes métaphysiques, des attributs hors de la näture,
enfin, des êtres de raison qui satisfont à tout.
On a dit, avec raison , au moins à l'égard des scien-
ces, que l’aämiration était fille de l’ignorance : or,
c’est bien ici le cas d’appliquer cette vérité sentie; car,
si quelque chose était en soi réellement admirable, ce
serait assurément la nature; ce serait tout ce qu’elle
est; ce serail tout ce qu'elle peut faire. Lorsqu’on re-
connaît qu "elle-même n’est qu’un ordre de choses, qui
n’a pu se donner l’existenice, en un mot, qu'un véri-
table instrument; touic notre admiralion et toute notre
vénération doivent se reporter sur sh SUBLIME AU-
TEUR.
Il s’agit donc de savoir quelle est la source des di-
verses faculLés observées dans différents animaux, si
ce sont des organes particuliers qui donnent ces facul«
tés, enfin , si un même organe peut donner lieu à des
facultés différentes; ou s’il n’y a pas plutôt autant
d'organes particuliers qu’on observe de facultés dis-
tinctes.
On se persuadera probablement que pour traiter de
pareilles questions , il faut avoir recours à des idées
métaphysiques, à des considérations vagues, imaginai-
res ; et sur lesquelles on ne saurait apporter aucune
preuve solide. Je crois cependant pouvoir montrer
que, pour arriver à la solution de ces questions, il n°y
à que des faits physiques à considérer ; ‘et qu'il s'en
trouve à la portée de nos observations, qui sont très
suffisants pour fournir les preuves dont on peut avoir
besoin.
Examinons d’abord ce principe général ; savoir : que
INTRODUCTION, 179
toute faculté animale, quelle qu’elle soit, est un phé-
nomène purement organique ; et que cette faculté
résulte des fonctions d’un organe ou d’un système
d’organes qui y donne lieu; en sorte qu’elle en est
nécessairement dépendante.
Peut-on croire que l’animal puisse posséder une
seule faculté qui ne soit pas un phénomène organique,
c’est-à-dire , le produit des actes d’un organe ou d’un
système d'organes capable d'exécuter ce phénomène?
S'il n’est pas possible raisonnablement de le supposer,
si toute faculté est un phénomène organique, et en
cela purement physique, cette considération doit fixer
le point de départ de nos raisonnements sur les ani-
maux, et fonder la base des conséquences que nous
pourrons tirer des faits observés à leur égard.
Certes, ainsi que je l’ai dit, ia puissance qui a fait
les animaux, les a fait elle-même tout ce qu’ils sont,
et les a doués chacun des facultés qu’on leur observe,
en leur donnant une organisation propre à les pro-
duire. Or, l’observation nous autorise à reconnaître
que cetle puissance est la nature; et qu’elle-même est
le produit de la volonté de l'Étre supréme, qui l’a
faite ce qu’elle est.
Il n’y a point de milieu, point de terme moyen en-
tre les deux considérations que je vais citer ; savoir:
Que la nature n’est pour rien dans Pesiétete des
animaux, qu’elle n’a rien fait pour les diversifier, pour
les amener tous à l’état où nous les voyons ; ou que
c’est elle, au contraire , qui les a tous produits , quoi-
que successivement; qui les a variés, à l’aide des cir-
constances et de la composition graduelle qu’elle a
donnée à l’organisation animale ; en un mot, qui les
a faits Lels qu'ils sont, et les a doués des facultés qu’on
observe en eux.
Je montrerai, dans la partie suivante , qu’à l'égard
12°
180 INTRODUCTION,
des deux considérations que je viens d'indiquer, l’affir-
mative appartient évidemment à la seconde. On l’a
senti ; et c’est avec raison qu’on a rangé les animaux
parmi les productions de la nature , et qu’on a re-
connu , au moins par une expression habituelle, que
les corps vivants étaient ses productions. Or , j'oserai
ajouter que tous les corps que nous pouvons observer,
vivants ou non, sont aussi dans le même cas.
Ainsi, une force inaperçue (celle des choses) nous
entraîne sars cesse vers le sentiment de la vérité; mais
sans cesse aussi des prévenLions et des intérêts divers
contrarient en nous cet entraînement. Que l’on juge
donc de ce que conflit doit produire, et combien Pas-
cendant de la seconde cause doit l’emporier sur la pre-
mière !
_Admettons d'avance ce que j’essaierai de prouver
plus loin , savoir : que les animaux sont véritablement
et uniquement des productions de la nature , que tout
ce qu'ils sont, que tout ce qu'ils po.sèdent, ils le
tiennent d'elle ; ainsi qu'elle-mème lient son existence
du puissant auteur de toutes choses.
S'il en est ainsi, toutes les facultés animales, soit
celle qui, comme l’irritabilité, est commune à tous les
animaux et leur permet de se mouvoir par excitation ;
soit celle qui, comme le sentiment , fait apercevoir à
certains d’entre eux, ce qui les affecte; soit enfin,
celle qui, comme l'intelligence dans certains degrés,
donne à plusieurs le pouvoir d’exécuter différentes
actions par la pensée et par la volonté; toutes ces
facultés, dis-je, sont, sans exception, des produits de
la nature, des phénomènes qu’elle sait opérer à l’aide
d'organes appropriés à leur production, en un mot,
des résultats du pouvoir dont elle est douée elle-même.
Dans ce cas, que peuvent être ces différentes fa-
cultés, sinon des faits naturels , des phénomènes uni-
INTRODUCTION. 181
quement organiques el purement physiques; phé-
nomènes dont les causes , quoique le plus souvent
difficiles à saisir, ne sont réellemeut pas hors de Ja
portée de nos observations et de nos études ?
Que l’on parvienne ou non à connaître le méca-
nisme, par lequel un organe ou un système d’organes
produit la faculté qui en dépend; qu'importe à la
question, si l'on peut se convaincre, par l’observa-
tion, que cet organe ou ce système d'organes soit le
seul qui ait le pouvoir de donner cette faculté ? Si
l’on ne connaît pas positivement le mécanisme orga-
nique de la formation des idées et des opérations.qui
s’exécutent entre elles, ni même celui du sentiment,
connaît-on mieux le mécanisme du mouvement mus-
culaire , celui des sécrétions , celui de la digestion, etc.?
S’ensuit-il que ces différents phénomènes observés
parmi les animaux, ne soient point dus chacun à au-
tant d'organes ou de systèmes d’organes particuliers,
dont le mécanisme propre soit capable de les produire?
YŸ a-t-il dans la nature des phénomènes observés ou
observables, qui ne soient point dus à des corps ou à
des relations entre des corps ?
Si l’homme pouvait cesser d’être influencé par les
produits de son intérêt personnel, par son penchant
à la domination en tout genre, par sa vanité, par son
goût pour les idées qui le flattent et qui lui donnent
toujours de la répugnance à en examiner le fondement,
son jugement en toutes choses gagnerait infiniment
en reclitude, et alors la nature lui serait mieux .con-
nue! Mais ses penchants naturels ne le Jui permettent
pas: il trouve plus satisfaisant de se faire une part à
son gré, sans considérer ce qui peui ca résulter pour
Jui. Ainsi, conservant son ignorance et «es préven£tions,
la nature, qu’il ne veut pas étudier, qu'il craint même
d'interroger , lui paraît un être de raison, et il ne
18a INTRODUCTION.
profité pour son instruction, de presque aucun des
faits qu'elle lui présente de toutes parts,
Cependant, s’il est forcé de reconnaître que la
nalure agit sans cesse , el toujours selon des lois qu’elle
né peul jamais transgresser, peut-il penser qu’il puisse
y avoir quelque chose d’abstrait, quelque chose de
métaphysique dans aucun de ses actes, dans une seule
de ses opérations quelconques, et qu’elle ait quelque
pouvoir sur des êtres non matériels ?
Assurément, une pareille idée ne saurait être ad-
missible ; rien à cet égard n’est de son ressort. La
puissance de la nature ne s'étend que sur des corps
qu’elle meut, déplace, change, modifie, varie, dé-
truit et renouvelle sans césse; enfin, elle n’agit que
sur la matière dont elle ne saurait ni créer, ni anéan-
tir une seule particule. On ne saurait trouver un seul
motif raisonnable pour penser le contraire.
Si c’est une vérité positive, que la nature ne puisse
agir et n’ait de pouvoir que sur des corps; c'en est une
autre, tout aussi certaine, qu’elle seule , que les corps
qui constituent son domaine, et que les résultats de
ses actes à leur égard, sont les seuls objets soumis à
nos observations; en sorte que, hors de ces objets,
nous ne pouvons rien observer.
Qui à jamais vu ou apercu autre chose que des corps,
que leurs déplacements, que les changements qu’ils
éprouvent, que Îles phénomènes qu’ils produisent!
Qui a pu connaître le mouvement et l’espace , autre-
ment que par le déplacement du corps! Qui a observé
un seul phénomène qui n’ait pas été produit par des
corps, par des relations entre différents corps, par des
changements de lieu, d'état ou de forme que des corps
ont subis!
Néanmoins, telles sont les difficultés qui retardent
l'aggrandissement et le perfectionnement de nos con-
INTRODUCTION: 183
naissances, que nous ne pouvons nous flatter d’ob-
server tout ce que la nature produit, tous les actes
qu'elle exécute, tous les corps qui existent; car, relé-
gués à la surface d’un petit globe, qui n’est, en quel-
que sorte, qu'un point dans l'univers, nous n’aper-
cevons dans cet univers qu’un très pelit coin, et nous
ne pouvons même examiner qu’un très pelit nombre
des objets qui font partie du domaine de la nature.
Ce sont-la des vérités que tout le monde connaît,
mais qu’il importe ici de ne pas perdre de vue. Il n’est
donc pas étonnant que nous nous laissions si souvent
entraîner à l'erreur, et mème dominer par elle, lors-
que quelque intérêt nous y porte, et que nous ayons
tant de peine à saisir les opérations et la marche de la
nature à l’égard de ses productions diverses.
Cependant, puisque les animaux, quelque nom-
breux qu’ils soient, font partie de ce que nous pouvons
observer, puisqu'ils sont des productions de la nature,
peut-on douter que les facultés qu’on observe en eux
ne le soient aussi? Ges facultés sont donc toutes des
phénomènes purement organiques , et par suite véri-
tablement physiques; et comme nous pouvons les exa-
miner, les comparer, les déterminer, les causes et le
mécanisme qui donnent lieu à ces facultés, ne sont
donc pas réellement hors de la portée de nos observa:
tions, hors de celle de notre intelligence.
J'ai cru entrevoir les principales des causes de pro-
duisent l’érritabilité animale , quoique je n’aie pas
encore fait connaître mes aperçus à ce sujet ; jai cru
saisir le mécanisme du sentiment, ou un mécanisme
qui en approche beaucoup; enfin, j'ai cru distinguer,
reconnaître même, celui qui donne lieu au phénomène
de la pensée, en un mot, de ce qu’on nomme intelli-
gence. (Phil. zool., vol. 2.) Quand même je me serais
trompé partout (ce qu’il est difficile de prouver, les
184 INTRODUCTION.
faits déposant en faveur de mes aperçus), en serait-il
moins vrai que les facultés que je viens de citer, ne
soient des phénomènes tout-à-fait organiques et pure-
ment physiques, et qu'elles ne soient toutes des ré-
sultats de relations entre différentes parties d’un corps
et entre diverses matières en action dans la production
de ces phénomènes!
N'est-ce pas à des préventions irréfléchies, ainsi
qu'aux suites de notre ignorance sur le pouvoir de la
nature, et sur les moyens qu’elle peut employer, que
l’on doit la pensée de supposer dans le sentiment, et
sur-tout dans la formation des idées et des différents
actes qui peuvent s’exécuter entre elles, quelque
chose de métaphysique, en un mot, quelque chose
qui soit étranger à la matière, ainsi qu'aux produits
des relations entre différents corps!
Si beaucoup d’animaux possèdent la faculté de
sentir , et si en outre, il y en a parmi eux qui soient
capables d’attention, qui puissent se former des idées
a la suite de sensations remarquées, qui aient de la
mémoire, des passions, enfin, qui puissent juger et
agir par préméditation, faudra-t-il attribuer ces phé-
nomènes que nous observons en eux, à une cause étran-
gère à la matière, et conséquemment étrangère à Ja
nature qui n’agit que sur des corps, qu'avec des corps,
et que par des corps!
Ne considérons donc les facultés animales, quelles
qu’elles soient, que comme des phénomènes entière-
ment organiques ; et voyons ce que les faits connus
nous apprennent à leur égard.
Partout , dans le règne animal , où l’on reconnaît
qu'une faculté est distincte et indépendante d’une au-
tre, on doit ètre assuré que le système d'organes qui
doune lieu à l’une d’elles, est différent et même indé-
pendant de celui qui produit l’autre.
INTRODUCTION: 185
Ainsi, l’on sait que la faculté de sentir est très diffé-
rente de celle de se mouvoir par des muscles; et que
la faculté de penser est aussi très diflérente, soit de
celle de sentir, soit de celle d’exécuter des mouvements
musculaires. Il est même bien connu que ces trois fa-
cultés sont indépendantes les unes des autres.
Qui ne sait, en effet, qu’on peut se mouvoir sans
qu’il en résulte des sensations; que l’on peut sentir
sans qu’il s’en suive des mouvements; et que l'on peut
penser, réfléchir, juger , sans éprouver des sensations
et sans faire des mouvements? Ces trois facultés sont
donc indépendantes entre elles dans les êtres qui les
possèdent; et certes, jes systèmes d’organes qui les
donnent, doivent être aussi indépendants entre eux.
Gependant , les trois facultés que je viens de citer
ne sauraient exister sans nerfs. Le système nerveux,
qui tend comme tous les autres à se compliquer gra-
duellement, péut donc se trouver composé lui-même
de trois systèmes de nerfs, tout-à-fait particuliers ,
puisque chacun d’eux produit une faculté indépen-
dante de celles des autres,
La partie du système nerveux qui donne lieu aux
différents actes de l’intelligence est elle-même com-
posée de différents systèmes particuliers, puisque l’on
sait que dans certaines démences invétérées, le ma-
lade pense et raisonne assez bien sur beaucoup d’objets
différents , tandis que, sur certains sujets qui l'ont
trop affecté et qui oni altéré son organe, il n’a plus de
mesure et n'offre plus que les symptômes d’une folie
constante. C'est d’après la connaissance de ce fait ob-
servé et bien constaté depuis, que Cérvantes a peint
Dom Quichotte entièrement fou sur le seul sujet de la
chevalerie errante. Il n’a fait qu’ane fiction, mais ila
pris son modèle dans la nature.
Enfin, si, dans certaines folies permanentes de cette
186 INTRODTCTION.
sorte, l'organe se trouve altéré suffisamment pour être
réellement désorganisé, dans d’autres qui ne sont que
passagères, il ne l'est pas assez pour être hors d’état dé
pouvoir se rétablir. De là, cette deuxième sorte de
folie que constituent nos grandes passions ; folies qui
ne sont pas toujours irremédiables, et dont certaines
d’entre elles se guérissent avec le temps.
Il suit de ces considérations : 1° qu’il y a toujours
un rapport parfait entre l'état de l'organe qui donne
une faculté et celui de la faculté elle-même (1); 20 que
toutes celles que l’observation nous a montré parti-
culières et indépendantes, sont nécessairement dues à
autant de systèmes d'organes particuliers, seuls capa-
bles de les produire.
Ainsi, dans les animaux qui ont le système nerveux
le plus simple, comme des filets nerveux, sans cerveau
et sans moelle longitudinale, le phénomène du senti-
ment ne saurait encore se produire; et, en effet, on
ne voit encore à l’extérieur des animaux qui sont dans
ce cas, aucun sens particulier, aucun organe pour la
sensation. Cependant, puisque, dans ces animaux ,
l’on apercoit des muscles et des nerfs pour les mettre
én action, le mouvement musculaire est donc une fa-
culté dont ils jouissent, quoique le sentiment soit en-
core nul pour eux. ,
Dans les animaux d’un ordre plus relevé, c'est-à-dire,
plus avancé dans la composition de leur organisation ,
le système nerveux offre non-seulement des nerfs, mais
encore un cerveau; et presque toujours, en outre, une
(x) On ne doit pas s’étonner si, à mesure que nous avançons en âge,
nos goûts et nos penchants changent ; quoïqu’insensiblement ; car nos
organes subissant eux-mêmes des changements réels dans leur état,
nous sentons alors très différemment : cela est bien connu.
à ( Vote de Lamarck. )
YNTRODUCTION. 187
moelle longitudinale noueuse. Ici, l’on est autorisé à
admettre l’existence de la faculté de sentir , puisque
l’on trouve un centre de rapport pour les nerfs des
sensalions, et que déjà l’on aperçoit effectivement un
ou plusieurs sens particuliers et très distincts,
Cependant, les animaux dont je viens de parler ,
ont encore des muscles ; 1ls jouissent donc à la fois du
mouvement musculaire et de la faculté de sentir. Mais
nous avons vu que le mouvement musculaire et le sen-
timent étaient deux facultés indépendantes; parmi les
nerfs des animaux en question, il y en a donc qui ne
servent qu'aux sensalions , et d’autres qui ne sont em-
ployés qu’à l’excitation musculaire. Sans doute, les
uns et les autres ne nous paraissent que des nerfs ; ce
sont , néanmoins , deux sortes d’organes particuliers ;
puisque, outre qu'ils donnent lieu à deux facultés
très distinctes, ils agissent de deux manières différen-
tes; les nerfs des sensations agissant du dehors vers un
centre intérieur, tandis que ceux qui servent au mou-
vement agissent, d’un ou de plusieurs centres intérieurs,
vers les muscles qui doivent se mouvoir. Ainsi, lors-
qu’on observe, dans un animal, plusieurs facultés
différentes, on peut être assuré qu’il possède plusieurs :
sortes d'organes particuliers pour les produire.
Enfin , dans les animaux de l’ordre le plus relevé,
c’est-à-dire, dans ceux dont le plan d'organisation est
le plus composé et avance le plus vers son perfection-
nement, le système nerveux offre non-seulement des
nerfs, une moelle épinière et un cerveau ; mais ce cer-
veau lui-même est plus composé que dans les animaux
de l’ordre précédent, car il est graduellement plus
volumineux, et sa masse semble formée d’appendices
sur-ajoutés, réunis et toujours doubles. En outre,
dans les animaux dont il s’agit, l’on voit toujours des
muscles , un centre de rapport pour les sensations, un
188 INTRODUCTION.
cerveau très augmenté, et l’on remarque que ces ani-
maux peuvent exécuter des opérations entre leurs idées.
Ils possèdent donc trois facultés particulières et indé-
pendantes; savoir : le mouvement musculaire, le sen-
timent, et l'intelligence dans un degré quelconque.
Il est donc évident, d’après la citation de ces trois
faits, que ceux des animaux en qui l’on observe diffé-
rentes facultés, possèdent , en effet, autant d’organes
particuliers pour la production de chacune de ces fa-
cultés , puisque ces dernières sont des phénomènes
organiques, et que l’on n'a pas un seul exemple qui
prouve qu’un organe puisse , lui seul, produire diflé-
rentes sortes de facultés. (1)
Pour achever de faire voir que chaque faculté dis-
tincte provient d’un système d'organes particulier qui
la donne, je vais montrer, par la citation d’un excm-
plie , que ce que nous prenons souvent pour un seul
système d'organes , se trouve , dans cerlains animaux,
composé lui-même de plusieurs systèmes particuliers
qui font partie du système général, et qui, néanmoins,
sont indépendants les uns des autres.
Dans les 2nsectes, on trouve graduellement un sys-
tème nerveux ; l’on en observe un, pareillement, dans
tous les mammifères. Mais le système nerveux des
premiers est sans dont bien moins composé que celui
(r) Voilà ici posé, d'une manière non équivoque, le principe de la lo-
calisation des facultés dépendantes du système nerveux ; principe dont
les conséquences rigoureuses conduisent de toute nécessité à ces belles
découvertes de Gall et Spurzleim. Ce qui résulte de plus important
des faits rapportés par ces célèbres avatomistes, c’est que chaque fa-
cuhé de lintelligence a d'autant plus d'éucrgie,que la partie du cerveau
qui y donne lieu est elle-mème plus développée. Si l'organe manque,
la faculté manque aussi; le système de Gall repose donc sur le principe
de la localisation des facultés de l’intelligence dans des organes propres
à chacune d'elles.
INTRODUCTION. 189
des seconds; et si l’on a trouvé des nerfs et quelques
ganglions dans certaines radiaires échinodermes , il
n’en est pas moins nullement douteuxque le système
nerveux de ces dernières ne soit inférieur en com posi-
tion et en facultés à celui des insectes.
Elfectivement, j'ai fait voir que les nerfs qui servent
à l’excitation des mouvements musculaires, ainsi que
ceux qui sont employés à favoriser les diverses fonc-
tions des viscères, ne sont et ne peuvent être ceux qui
servent à la production du sentiment, puisqu’on peut
éprouver une sensation sans qu'il en résulte un mou-
vement musculaire, et que l’on peut faire entrer dif-
férents muscles en action, sans qu’il en résulte aucune
sensation pour l'individu. Ces faits bien connus sont
décisifs , et méritent d’être considérés. ls montrent déjà
qu’il y a des facultés indépendantes, et que les sys-
tèmes d'organes qui les donnent, le sout pareillement.
D'ailleurs, comme il n’est plus possible de douter
que l'influence nerveuse ne s'exécute autrement qu’à
l’aide d’un fluide subtil mis subitement en mouve-
ment, et auquel on a donné le nom de Wuide ner-
veux (1), il est évident que, dans toute sensation, le
(tr) « Jamais , ai-je entendu dire, je n’admettrai l'existence d’un
fluide que je n'ai point vu, et que je sais que personne n’est parvenu à
voir. A la vérité, les phénomènes cités à l'égard des animaux se pas-
sent comme si le fluide dont il s’agit existait et y donnait lieu; mais
cela ne suffit pas pour nous faire reconnaître son existence. »
Que de vérités importantes auxquelles nous pouvons parvenir par
une mulütude d'inductions qui les attestent, et qu’il faudrait rejeter,
si l’on en exigeait des preuves directes que trop souvent la nature a
mises hors de notre pouvoir ! Les physiciens ne reconnaissent-ils pas
l'existence du fluide magnétique? et s'ils refusaient de l’admettre, parce
qu'ils ne l’ont jamais vu, que penser des phénomènes de l’aimant , de
ceux de la boussole, etc. ? Connait-on ce fluide autrement que par ses
effets ? Et n'en connaît-on pas bien d’autres que cependant l’on n’a ja-
mais pa voir? ( Note parfaitement juste de Lamarck eu réponse à cet
alinéa de l’article animal de G, Cuvicr. )
190 INTRODUCTION.
fluide nerveux se meut du point affecté vers un centre
de rapport; tandis que, dans toute influence qui met
un muscle en action, ou qui anime les organes dans
l'exécution de leurs fonctions, ce même fluide nerveux,
alors excitateur, se meut dans un sens contraire; par-
ticularité qui en annonce déjà une dans la nature
même de l'organe qui n’a qu’une seule manière d’agir.
Le sentiment et le mouvement musculaire sont donc
deux phénomènes distincts et très particuliers, puis-
que, outre qu’ils sont très différents , leurs causes ne
sont point les mêmes; que les nerfs qui y donnent
lieu ne le sont point non plus; que, dans chacun de
ces phénomènes, ils agissent d’une manière diflérente;
et qu’enfin , ces mêmes phénomènes , dans leur pro-
duction , sont réellement indépendants l’un de l’au-
tre; ce que Haller a démontré.
À Ja vérité, les deux systèmes d’organes qui donnent
lieu aux deux facultés dont il s’agit, semblent tenir
l’un à l'autre par ce point commun; savoir : que, sans
l'influence nerveuse, leur puissance, de part et d’au-
tre, paraîtrait absolument nulle. Mais le point com-
mun dont je viens de parler n’a rien de réel; car le
système nerveux se composant lui-même de différents
systèmes particuliers, à mesure qu’il fait partie d’or-
ganisalions plus compliquées, possède alors diflérentes
sortes de puissances très distinctes , dont l’une ne sau-
rait suppléer à l’autre: chacun de ces systèmes parti-
culiers ne pouvant produire que la faculté qui lui est
propre. Par exemple, la partie d’un système nerveux
composé , qui produit le phénomène du sentiment, n'a
rien de commun avec celle du même système qui ex-
cite le mouvement musculaire, soit dans les muscles
soumis à la volonté , soit dans les muscles qui en sont
indépendunts; des uns et Les autres étant même parti-
culiers pour ces deux sortes de fonctions. En outre, la
INTRODUCTIONS gr
partie d’un système nerveux composé , qui fournit des
forces d’action aux viscères, aux organes sécréteurs,çlc.,
n’est pas non plus la même que celle qui produit le
sentiment , ni la même que celle qui anime ou excite
le mouvement musculaire; comme celle qui donne lieu
à l'attention , à la formation des idées, et à diverses
opérations entre elles, n’est pas encore la même qu’au-
cune des autres, c'est-à-dire, est exclusivement parti-
culière à ces fonctions,
En vain imaginera-t-on une multitude d’hypothèses
pour expliquer ces différents faits d’organisation ; ja-
mais nos idées n’offriront rien de clair, rien de satis-
faisant, rien, en un mot, qui soit conforme à Ja
marche de la nature, tant qu'on ne reconnaîtra pas le
fondement de ce que je viens d’exposer.
J’ajouterai que le sentimerit serait absoïiument nul
sans la portion d’un système nerveux composé qui y
donne lieu; tandis qu’il n’en est pas du tout de même
de l’irritabilité musculaire ; car elle est indépendante
de toute influence nerveuse, quoique celle-ci lui donne
des forces d’action, et même puisse exciter les mouve-
ments de certains muscles , tels que ceux assujettis à la
volonté.
D'après l’attention que j'ai donnée aux faits d’orga-
nisation qui concernent les animaux, j'ai reconnu que
l’irritabilité était, en général, le propre de leurs parties
molles. J’ai ensuite remarqué que, dans les plus im-
parfaits des animaux, tels que les infusoires et les
polypes , toutes les parties concrètes de ces corps vi-
vants étaient à peu près également irritables, et l'étaient
éminemment. Mais lorsque , dans des animaux moins
imparfaits , la nature fut parvenue à former des fibres
musculaires, alors j’ai conçu que l’irritabilité des par-
ties offrait des différences dans son intensité, et que
les fibres musculaires étaient plus fortement irritables
192 INTRODUCTION,
que les autres parties molles. Ainsi, dans les animaux
les plus parfaits, le tissu cellulaire, quoiqu'irritable
encore, l’est moins que les viscères et sur-tout que le
canal intestinal, et ce dernier lui-même l’est moins
encore que les muscles quels qu’ils soient.
Je remarquai ensuite que, dès que les fibres mus-
culaires furent établies dans les animaux, des nerfs
alors devinrent distincts; et que, selon l’état d’avan-
cement de l’organisation , un système nerveux plus ou
moins composé élait déterminable.
Sans doute, le système nerveux existant anime les
fonctions des crganes, et leur fournit des forces d’ac-
tion ; et les mouvements musculaires, participant eux-
mêmes à cet avantage, sont moins susceptibles d’é-
puisement dans leur source.
L’irritabilité musculaire n’en est pas moins indépen-
dante, par sa nature, de l’influence nerveuse, quoique
celle-ci augmente et maïntienne sa puissance. On sait
que le cœur conserve plus ou moins long-temps, selon
les diverses races d'animaux, la faculté de se mouvoir
lorsqu'on lirrite après l’avoir arraché du corps. J'ai
vu le cœur d’une grenouille conserver cette faculté 24
heures après en avoir été séparé. Ainsi, le cœur ne
tient point des nerfs son irritabilité ; mais il eu reçoit
diverses modifications dans ses fonctions, qui sont plus
ou moins favorabies à leur exécution.
En effet, comme dans une organisation composée
tous les organes ou tous les systèmes d’organes parti-
culiers sont liés à l’organisation générale de l'individu,
et en sont tous par conséquent véritablement dépen-
dants, on doit reconnaître que le cœur, quoique doué
d’une irritabilité indépendante, n’en est pas moins
assujetti, dans ses fonctions, à divers produits de la
puissance nerveuse, produits qui accroissent et main-
INTRODUCTION. 103
tiennent ses forces d'action, et qui quelquefois en
troubient les effets.
Qui ne sait combien les passions agissent sur le cœur
par la voie des nerfs , et que, selon celle de ces passions
qui agit, l’influence qu’il en recoit trouble singulière-
ment alors ses fonctions? Les nerfs qui arriventau cœur,
n’y sont donc point sans objet, sans usage (ce qui serait
contraire au plan de la nature), quoique l’irritabilité
de cet organe soit en elle-même indépendante de leur
puissance; ce que Haller ne me paraît pas avoir suffi-
samment saisi.
Depuis, l’on a prétendu, d’après M. Le Gallois,
que le cœur ne recevait des nerfs que de la moelle épi-
nière; et par-là, on expliquait pourquoi il continue
de battre après la décapitation ou après l’excision de Ja
moelle épinière sous l’occiput.
A cela je répondrai que cette continuité d’action du
cœur après Ja décapitation, aurait bientôt un terme,
quand même la respiralion pourrait continuer, parce
que le cœur est lié à l’organisation générale de l’inai-
vidu, et qu’il est nécessairement dépendant de sa
conservation.
Si je ne craigrais de m’écarter de l’objet que j’ai ici
en vue, j'ajouterais ensuite que, si le cœur ne recevait
des nerfs que de la moelle épinière, et si ceux de la
huitième paire ne lui envoyaient aucun filet, il ne
serait point soumis à l'empire des passions. Mais, lais-
sant de côté tout ce que j'aurais à dire à cet égard, je
dois, avant tout, montrer que l'on s'est trompé dans
les conséquences qu’on a tirées des belles expériences
de M. Le Gallois.
Il est reconnu que lirritabilité ne peut être mise en
action que lorsqu'un stimulus quelconque vient exciter
cette action. Mais on serait dans l'erreur si, obser-
vant que les muscles soumis à la volonté agissent ordi-
ToE 1. 13
194 INTRODUCTION.
nairement par le stimulus que leur fournit l'influence
nerveuse, l’on se persuadait que ces muscles ne peuvent
entrer en contraction que par ce stimulus. | est facile
de prouver , par l'expérience, que toute autre cause
irrilanie peut aussi exciter leurs mouvements.
D'ailleurs, quoique ces muscles agissent par la vo-
lonté qui dirige sur eux l'influence nerveuse, ils peuvent
encore agir par la même influence, sans la parlicipation
de cette volonté; ct j'en ai observé mille exemples dans
les émotions subites du seztiment intérieur, lequel
dirige pareillement l'influence des nerfs qui les mettent
en action.
Voilà ce qu'il importe de reconnaître, parce que
les faits attentivement suivis l’allestent d’une ma-
nière évidente, el ce qui montre, en outre, combien
l’ordre de choses qui concerne les mouvements musceu-
laires est distinct de celui qui donne lieu aux sensations.
On a recounu plusieurs de ces vérités; et cependant
on confond encore tous les jours les deux systèmes
d'organes ci-dessus mentionnés, en prenant les effets
de l’un pour des produits de ceux de l’autre.
Ainsi, lorsqu'on a mutilé des animaux vivants, dans
l'intention de savoir à quelle époque la sensibilité s'é-
teignait dans certaines de leurs parties, on a cru pou-
voir conclure que le sentimen L'existait encore, lorsqu’à
une irrilalion quelconque, ces parties faisaient dés
mouvements,
C'est, en effet, ce qu'on a vu dans plusieurs des
conséquences que M. Le Gallois a tirées de ses expériences
sur les animaux.
Sans doute, les nombreuses et belles expériences de
M. Le Gallois sur des mammifères, nous ont appris
plusieurs faits importants que nous iguorions ;-mais il
me paraît s’êlre trompé, lorsqu'il nous dit qu'après la
section de la moelle épinière sous l’occiput, la sensibi-
INTRODUCTION. 105
lité existe encore dans les parties de l’animal, parce
qu'on les voit eñcore se mouvoir.
J’ai montré que la faculté de se mouvoir par des
muscles, et celle de pouvoir éprouver des sensations,
ne sont pas encore Îles seules qu’un animal oblienne
d’un système nerveux compliqué et complet dans
toutes les parties qui peuvent entrer dans sa compo-
sition. Car, lorsque ce système offre un cerveau muni
de tous ses appendices, et sur-tout d’hémisphères vo-
lumineux, il donne alors à lanimal, outre la faculté
de sentir, celle de pouvoir se former des idées, de
comparer les objets qui fixent son attention , de juger,
en un mot, d’avoir une volonté, de la mémoire, et de
pouvoir varier volontairement plusieurs de ses actions.
La faculté d’avoir de l’attention, dese formerdesidées
et d'exécuter des actes d'intelligence, est donc dis-
tincte de celle de sentir, comme le sentiment V'est
lui-même de la faculté de se mouvoir, soit par l’exci-
tation nerveuse sur les muscles, soit par des excitalions
étrangères sur des parties irritables. Ces différentes fa-
cultés sont des phénomènes organiques qui résultent
chacun d’orgarñes particuliers propres à les produire.
Cés faits zoologiques sont aussi positifs que l’est celui
de la faculté de voir lorsqu’on possède organe de la
vue.
Voici maintenant le point essentiel de la question :
il s’agit de savoir si, à mesure qu’un système d'organes
ce débride, c’est-à-dire, se simplifie en perdant, l’un
après l’autre, les systèmes particuliers qui entraient
dans sa plus grande complication, les différentes fa-
cultés qu’il donnait à la fois à l’animal, ne se perdent
pas aussi l’une après l’autre, jusqu’à ce que le système,
devenu lui-même très simple, finisse par disparaître,
ainsi que la faculté qu'il produisait encore dans sa
plus grande simplicité.
2 à
INTRODUCTION.
196
On est autorisé à penser, à reconnaître même , que
l'appareil nerveux qui donne lieu à Ja formation des
idées conservables et à différents actes d'intelligence ,
réside dans des masses médullaires , composées de fais-
ceaux nerveux; masses qui sont des accessoires du
cerveau, et qui augmentent son volume proporlion-
nellement à leur développement; paisque ceux des
animaux les plus parfaits, en qui l'intelligence est le
plus développée, ont effectivement, par ces accessoires,
Ja masse cérébrale la plus volumineuse relativement
à leur propre volume; tandis qu'à mesure que l'intel-
ligence s’obscurcit davantage, dans les animaux qui
viennent ensuile, le volume de la masse cérébrale di-
minue dans les mêmes proportions. Or, peut-on douter,
qu'à mesure que l’organe cérébral se dégrade, ce ne
soient d’abord ses parties accessoires ou surajoutées
qui subissent les atténuations observées, et qu’à la fin,
ce nesoient elles qui se trouventanéanties les premières,
long-temps mêine avant que le cerveau proprement dit
cesse à son tour d'exister ?
Maintenant, s’il est vrai que l'appareil nerveux,
propre aux facultés d'intelligence, soit constitué par
les organes accessoires dont je viens de parler, l’anéan-
tissement complet de ces organes n’entraînerait-il
pas celui des facultés qu’ils donnaient à l’animal? Et
comme il est reconnu que tous les animaux vertébrés
sont formés sur un plan commun, quoique très diver-
sifié dans ses développements et ses modifications,
selon les races, n'est-il pas probable que c’est avec les
vertébrés que se terminent entièrement les facultés
d'intelligence, ainsi que les organes particuliers qui
les donnent?
Après la perte de ses parties accessoires, de ses hé-
misphères, jusqu’à un certain point séparables, et qui
ont un si grand volume dans les plus intelligents des
INTRODUCTION. 197
animaux, le cerveau réduit, se montre néanmoins,
depuis les mollusques jusqu'aux insect-s inclusivement,
comme étant une partie essentielle de l’appareil ner-
veux propre à la production du sentiment, puisqu'il
fournit encore à l'existence des sens particuliers, c’est-
a-dire, qu'il produit des organes très distincts pour les
sensations. [l forme , effectivement, avec les nerfs qui
en partent ou qui y aboutissent, un appareil qui est
assez compliqué pour effectuer la formation du phé-
nomène organique du sentiment. (1}
Mais, lorsque la dégradation du système nerveux se
trouve tellement avancée qu’il n’y a plus de cerveau,
plus de sens particuliers, qui ne sent que l'appareil
propre au sentiment n’existant plus, les facultés qui
en résultaient pour lPanimal ont pareillement cessé
d'exister, quoique l'on puisse retrouver encore quel-
ques traces de nerfs dans les animaux de celte caté-
gorie, en qui des vestiges de muscls existent encore!
Assurément! on peut taxer tout ceci d'opinion : mais,
dans ce cas, que l’on se garde bien d’observer com-
parativement les animaux, car cette opinion prétendue
se changerait alors en fait positif.
(1) En adoptant la définition du cerveau telle que la donnent les
anatomistes, c'est-à-dire, faite d’après cet organe réduit à sa plus
grande simplicité, il est évident qu'aucun animal invertébré n’a de cer-
veau proprement dit, car chez eux le centre nerveux principal n’est pas
composé des deux substances ; il n'a rien qui représente les tubercules
quadrijameaux, et la moelle épinière manque toujours. C’est donc par
suite de l’application peu rationnelle des mots cerveau et moelle épi-
nière, que la plôpart des naturalistes disent à turt que les mollusques
ont un cerveau saus moelle épinière et les insectes une moelle épinière
sans cerveau ; nous ne concevous pas l'existence de l’une de ces parties
sans l’autre , et en effet lorsque l’on étudie avec soin le soi-disant cer-
veau des mollusques et la moelle épinière des insectes, on ne leur
trouve aucune analogie Ge structure et de position avec le cerveau des
vertébrés.
198 INTRODUCTION,
Relativemeut aux cflorts qui ont été faits pour s'au-
toriser à étendre jusques dans les végétaux la-faculté
de sentir, j2 cilerai Ja considération suivante qui se
trouve dans l’article animal du Dictionnaire dessciences
naturelles.
« 11 s’agit de savoir, dit le célèbre auteur de cet
article, s’il n’y a point des êtres sensibles qui ne se
meuvent pas, car il est clair que le mouvement n’est
pas une conséquence nécessaire de la sensibilité. »
Non certainement, il n’y a point d’êtres sensibles
qui ne se meuvent pas, el ce ne devrait pas être une
question pour le savant qui l’agite, mais tout au plus
pour ceux qui ne connaissent rien à l'organisation,
ainsi qu'aux phénomènes qu’elle peut produire,
Sans doute le mouvement est indépendant de la
sensibilité; en sorte qu'il existe des êtres (mais seu-
lement dans le règne animal) qui jouissent de la fa-
culté de se mouvoir, el qui néanmoins, sont privés
de celle de sentir. C’est en effet , le cas des radiaires,
des vrais polypes et des infusoires. Mais il est facile de
démontrer qu’il n’exisie aucun être jouissant de la
sensibilité, qui ne puisse se mouvoir; en sorte que la
sensibilité est réellement une conséquence du mouve-
ment, quoique le mouvement n’en soit pas une de la
sensibilité : voici conime je le prouverai.
Assurément il n’y a que des nerfs qui soient les vrais
organes du sentiment; et tout animal qui n’a point de
nerfs ne saurait sentir, cela est certain.
Mais un fait, que connaît sans doute Île savant
auteur cité, c’est que tout animal qui a des nerfs a
aussi des museles. Ce serait en vain que lon voudrait
trouver des muscles dans un animal qui n’a point de
nerfs, ou des nerfs dans celui qui n’a point de muscles:
aucune observation constatée ne contredit ce fait,
Or, s'il est vrai que tout animal qui a des nerfs ait
INTRODUCTION. 199
aussi des muscles, il est donc vrai pareïllement que
tout animal qui jouit du senliment, jouit aussi de la
facuité de se mouvoir, puisqu'il a des muscles.
Dans l’état de nos connaissances, on ne peut donc
pas mettre en question s’il existe des êtres sensibles
qui ne se meuvent pas.
Ces pensées, émises avant d’avoir été approfondies,
prouvent seulement qu’on n’a fait aucun effort pour
s'assurer si les facultés et les organes qui les donnent,
avaient ou non des limites.
En observant attentivement ce qui a lieu dans les
animaux, je ne crois pas me tromper lorsque je recon-
pais que diflérents êtres, parmi eux, possèdent des
facultés qui ne sont pas communes à tous ceux du
même règne. Ces facultés ont donc des limites, quoi-
que souvent insensibles; et sans doute les organes qui
les donnent en ont pareïilement, puisque l’observa-
tion atteste que partout, dans l’aninial, chaque fa-
culté est parfaitement en rapportavec l’état de l’organe
qui y donne lieu.
C’est en apercevant le fondement de ces cousidéra-
tions, que j'ai reconnu que les facultés d’intelligence
dans différents degrés, étaient un ordre de phénomènes
organiques, tous en rapport avec l’état de l’organe
qui les produit, et que ces facultés avaient une limite
ainsi que l’organe; qu’il en était de même de la faculté
de sentir, dont les actes ne consistent que dans l’exé-
cution de sensations particulières, qui s’opèrent par
l’intermède d’un ensemble de parties dans le système
nerveux, sans aflecter celles du même système, qui
servent à l'intelligence; qu’il en était encure de même
du sentiment intérieur , faculié obscure , quoique puis-
sante, qui n’a rien de commun avec celle d’éprouver
des sensations , ni avec celle de penser ou de com-
biner des idées, et qui tient probablement aux actes
200 INTRODUCTION.
d’un ensemble de parties dans le système nerveux,
c'est-à-dire, aux émotions qui peuvent être produites
dans cet ensemble.
Qu'importe qu'il nous soit difhcile, quelquefois
même impossible, de distinguer, dans un système
d'organes général , tous les systèmes d’organes parti-
culiers dont la nature est parvenue à le composer , s’il
n’en est pas moins cerlain que ces systèmes d'organes
particuliers existent, puisque les facultés particulières
qu'ils donrent sont reconnaissables; distinctes et se
montrent indépendantes ?
J’ai déjà parlé (au commencement de cette Intro-
duction, p. 24 et 25) du sentiment intérieur dont sont
doués tous les animaux qui jouissent de Ja faculté de
sentir; de ce sentiment intime qui, par les émotions
qu'il peut éprouver subitement dans chaque besoin
ressenti, fait agir immédiatement l'individu , sans l’in-
tervention de la pensée, du jugement et de la volonté
de celui même qui possède ces facultés, et j'ai dit que
je manquais d'expression propre à désigner ce senti-
ment (1).
A la vérité, on le désigne quelquefois sous la déno-
(1) Par des causes, dont plusieurs sont déjà connues, les fluides de
pos p'incipaux systèmes d’organes , sur-tout ceux du système sanguin,
sont sujets à se porter , avec plus ou moins d’abondance, tantôt vers
l'extrémité antérieure du corps, tantôt vers l’inférieure, et tantôt vers
tous les points de sa surface externe. Ainsi, quoique renfermés dans des
capaux particuliers ou dans des masses appropriées dont ils ne peu-
vent franchir les limites latérales, les fluides de plusieurs de nos sys-
tèmes d'organes jouissent , par les communications qui existent entre
eux, d'une relation générale qui les met dans le cas de recevoir
des impulsions ou des excitations parcillement générales , d’où résul-
tent, dans Je système sanguin , les affluences particulières et connues
dont je viens de par'er , et dans le système nerveux, les ébranlements
généraux, en un mot, les émotions du sentiment intérieur qui sont si re-
marquables par leur puissance sur nos organes, (Vote de Lamarck.)
INTRODUCTION. 201
mination de conscience. Cette dénomination, néan-
moins, ne le caractérise point suffisamment : elle
n'indique point que ce sentiment obscur, mais général,
ne résulte pas directement d’une impression sur aucun
de nos sens ; qu'il n’a rien de commun, soit avec le
sentiment proprement dit, soit avec l'intelligence, et
qu'il offre une véritable puissance qui fait agir lin-
dividu sans la nécessité d’une préméditation. Enfin,
cette dénomination semble permettre la supposition
du concours de la pensée et du jugement dans les
actions que ce sentiment ému fait subitement pro-
duire; ce qui n’est pas vrai. L’observation des faits at-
teste même que, parmi les animaux qui possèdent ce
sentiment intérieur et qui jouissent de certains degrés
d'intelligence, la plupart, néanmoins, ne le maïitri-
sent jamais.
On le désigne aussi très souvent et très impropre-
ment comme un sentiment qu'on rapporte au cœur,
et alors on distingue, parmi nos actions , toutes celles
qui viennent de l'esprit, de celles qui sont les produits
du cœur ; en sorte que, sous ce point de vue , l'esprit
et le cœur seraient les sources de toutes les actions
humaines. +.
Mais tout cela est erroné. Le cœur n’est qu’un
muscle employé à l’accélération du mouvement de
nos fluides; il n’est propre qu’à concourir à la circu-
lation de notre sang, et au lieu d’être la cause ou la
source de notre sentiment intérieur, il est lui-même
assujetti à en subir les eflets.
Ce qui fut cause de cette distinction de lesprit et
du cœur, c’est que nous sentons très bien que nos
pensées, nos méditations sont des phénamènes qui
s’exécutent dans Ja tête, el que nous sentons encore au
contraire, que les penchants et les passions qui nous
entraînent, que les émotions que nous éprouvons
202 INTRODUCTION.
dans certaines circonstances, et qui vont quelquefois
jusqu’à nous faire perdre l’usage des sens, sont des
impressions que nous ressentons dans tout notre être,
et non un phénomène qui s'exécute uniquement dans
la tête, comme la pensée. Or, comme les constrictions
nerveuses ou les troubles qui se produisent dans le
système nerveux, à la suite des émotions que l’on
éprouve, retardent ou accélèrent alors les battements
du cœur, on a attribué trop précipitamment au cœur
même, ce qui n’est réellement que le produit du sen-
liment intérieur ému.
Il n’y a guère que l’homme et quelques animaux des
plus parfaits, qui, dans les instants de calme intérieur,
se trouvant aflectés par quelque intérêt qui se change
aussitôt en besoin, parviennent alors à maîtriser asséz
leur sentiment intérieur ému, pour laisser à leur pen-
sée le temps de juger et de choisir l’action à exécuter.
Aussi, ce sont les seuls êtres qui puissent agir volon-
tairvement; et néanmoins, ils n’en sont pas toujours
les maîtres. |
Ainsi, des actes de volonté ne peuvent être opérés
que par l’homme et par ceux des animaux qui ont la
faculiéd’exécuter des opérations entre leurs idées, de
comparer des objets, de juger, de choisir, de vouloir
ou ne pas vouloir, et par-là de varier leurs actions.
Or, j'ai déja démontré que ce ne pouvait être que parmi
les vertébrés que se trouvent les animaux qui jouissent
de pareilles facultés, parce que leur cerveau, formé sur
un plan commun, est plus ou moins complétement
muni des organes particuliers qui les donnent. De là
vient, que c'est principalement dans les mammifères,
et ensuite dans les oiseaux , que ces mêmes facultés,
quoique rarement exercées, acquièrent quelque émi-
nence.
Quant aux animaux sans vertèbres, j'ai fait voir
ie, +
INTRODUCTION. 203
que tous devaient être privés d'intelligence; mais j’ai
montré que les uns jouissaient de la faculté de sentir
el possédaient ce sentiment intérieur qui a le pouvoir
de faire agir, tandis que les autres étaient tout-à-fait
dépourvus de ces facultés.
Or, les faits connus qui concernent les premiers
(ceux qui jouissent du sentiment) , constatent qu'ils
n’ont que des habitudes ; qu’ils n’agissent que par des
émotions de leur sentiment intérieur, sans jamais le
maîtriser; que ne pouvant exécuter aucun acte d’in-
telligence , ils ne sauraient choisir, vouloir ou ne pas
vouloir, et varier eux-mêmes leurs actions; que leurs
mouvements sont Lous entraînés et dépendants; enfin
qu'ils n’obtiennent de leurs sensations, que la percep-
tion des objets dont les traces dans leur organe sont
plus ou moins conservables.
Si les Labitudes, dans les animaux qui ne peuvent
varier eux-mêmes leurs actions, ont le pouvoir de les
entraîner à agir constamment de la même manière
dans les mêmes circonstances, on peut assurer d’après
l'observation, qu’eiles ont encore un grand pouvoir
sur les animaux intelligents; car, quoique ceux-ci puis-
sent varier leurs actions, on remarque qu’ils ne les
varient, néanmoins, que lorsqu'ils s’y trouvent en
quelque sorte contraints, et que leurs habitudes, le
plus souvent, les entraînent encore.
A quoi done tient ce grand pouvoir des habitudes ,
pouvoir qui se fait si fortement ressentir à l’égard des
animaux intelligents, et qui exerce sur l’homme même
un si grand empire? Je crois pouvoir jeter quelque jour
sur celte question importante, en exposant les consi-
dérations suivantes.
Pouvoir des habitudes : Toute action. soit de l’homme,
soit des animaux, résulte essentiellement äe mouve-
ments intérieurs, c’est-à-dire, de mouvements et de
204 INTRODUCTION.
déplacements de fluides subtils internes qui J’excitent
et la produisent. Par fluides subtils, j'entends parler
des différentes modifications du fluide nerveux ; car ce
fluide seul a dansses mouvements et ses déplacements
la célérité nécessaire aux effets produits, Maintenant
je dis que, non-seulement les actions constituées par
les mouvements des parties externes du corps sont
produites par des mouvements et des déplacements de
fluides subtils internes, mais même que les actions in-
térieures , telles que l’aitention, les comparaisons, les
jugements, en un mot, les pensées, et telles encore
que celles qui résultent des émotions du sentiment in-
térieur, sont aussi dans le même cas. Certainement,
toutes les opérations de l'intelligence, ainsi que les
mouvements visibles des parties du corps, sont des
actions, car leur exécution très prolongée entraîne
effectivement des fatigues et des besoins de réparation
pour les forces épuisées. Or, je le répète, aucune de
ces actions ne s'exécute qu’à la suite de mouvements
et de déplacements des fluides subtils internes qui y
donnent lieu.
Par la connaissance de cette grande vérité, sans la-
quelle il serait absolument impossible d’apercevoir les
causes et Les sources des actions, soit de l’homme, soit
des animaux sensibles, on éoncoit clairement :
1° Que , dans toute action souvent répétée, et sur-
tout qui devient habituelle, les fluides subtils qui la
produisent, se frayentetaggrandissent progressivement,
par Îles répétitions des déplacements particuliers qu’ils
subissent, les routesqu'ilsont à franchir, et les rendent
de plus en plus faciles; en sorte que l’action elle-même,
de difficile qu’elle pouvait être dans son origine, ac-
quiert graduellement moins de difficulté dans son
exécution; toutes les parties même du corps qui ont à
INTRODUCTION: 205
y concourir , s’y assujettissent peu à peu, et à la fin
l’exécutent avec la plus grande facilité;
2° Qu’une action, devenue tout-à-fait habituelle,
ayant modifié l'organisation intérieure de l'individu
pour la facilité de son exécution, lui plaît alors telle-
ment qu’elle devient un besoin pour lui; et que ce be-
soin finit par se changer en un penchant qu’il ne peut
surmonter, s’il n’est que sensible, ei qu'il surmonte
avec difiiculié, s’il est intelligent.
Si l’on prend la peine de considérer ce que je viens
d’exposer, d’abord :1l sera aisé de concevoir pourquoi
l'exercice développe proportionnellement les facultés ;
pourquoi l'habitude de donner de l’attention aux ob-
jets et d'exercer son jugement, sa pensée, aggrandit si
fortement notre intelligence; pourquoi tel artiste qui
s'est tant appliqué à l'exercice de son art, y a acquis
des talents dont sont entièrement privés tous ceux qui
ne se sont point occupés des mêmes objets.
Enfin , en considérant encore les vérités exposées ci-
dessus, l’on recounaîtra facilement la source du grand
pouvoir qu'ont les Aabitudes sur les animaux, et qu’elles
ont même sur nous: certes, aucun sujet ne saurait
être plus intéressant à étudier, à méditer.
Me bornant à ce simple exposé de principes qu’on ne
saurait contester raisonnablement, je reviens à mon
sujet.
Nous avons vu qu'en nous dirigeant du plus com-
posé vers le plus simple, dans la série des animaux,
chaque système d’organes particulier se dégradait et
s’anéantissait à un terme quelconque de la série; ce que
M. Cuvier reconnaît lui-même, lorsqu'il dit : « On a
aujourd’hui, sur les diverses dégradations du système
nerveux dans le règne animal, et sur leur correspon-
dance avec les divers degrés d'intelligence , des notions
206 INTRODUCTION.
aussi complètes que pour le système sanguin (1) ». Et
ailleurs ii dit: « En effet, si on parcourt successive-
ment les diflérentes familles, il n’est pas un organe
que l'on ne voie se simplifier par degrés, perdre son
énergie , et finir par disparaître tout-à-fait en se con
fondant dans la masse (2) ».
Il s'ensuit donc que les facultés se dégradent et
finissent chacune par être anéanties à un terme quel-
conque de la série des animaux, comme les organes
qui les produisent ; qu'elles sont partout proportion-
nelles au perfectionnement et à l’état des organes; et
qu’il ne reste aux animaux qui terminent cette série,
que les facultés propres à tous les corps vivants, ainsi
que celle qui constitue leur nature animale. Il s'ensuit
encore qu'il n’est pas vrai, et qu’il ne peut l'être,
que tous les animaux soient doués de Îa faculté de
sentir; ce que je crois avoir suflisamment établi. Ainsi,
je ne reviendrai plus sur cet objet, parce qu’il n’a pas
besoin de nouvelles preuves.
Mais, une vérité tout aussi solide, et qui en résulte
Encore clairement , c’est que les animaux très impar-
faits qui ne jouissent point de Ja faculté de sentir,
sont nécessairement dépourvus de cet appareil nerveux
qui donne lieu aux sensations et au sentiment intérieur;
appareil qui doit être assez compliqué et assez étendu
pour que son ensemble, agité par quelque aflection
sur les sens, ou par quelque émotion intérieure, puisse
faire participer l’être entier à ces aflections ou à ces
émotions; appareil, enfin, qui constitue dans l’indi-
vidu qui lepossède, une puissance qui peut le faire agir.
Ainsi, ces amimaux sont réellement privés de cette
L
(1) Rapport sur les progrès des sciences naturelles , depuis 1789 ;
LE 164. e ?
(2) Dictionnaire des Sciences naturelles, vol. 2, p. 167.
INTRODUCTION. 207
conscience, de ce sentiment intimé d'existence, dont
jouissént céux qui, doués de lapparvil dont je viens
de parler, peuvent éprouver des sensations, et être
agités par des émotions intérieures. Or, Îés animaux
très imparfaits dont il s’agit, ne possédant nullement
le sentiment intérieur en question, ne sauraient avoir
ou faire naîlre en eux la cause excitatrice dé leurs mou-
veménts. Elle leur vient donc évidemment du dehors,
et dès Tors elle n’est assurément pas à leur disposition;
aussi aucun de leurs besoins n’exige qu’elle le soit: cé
que j'ai déjà fait voir. Tout ce qu’il leur faut se trouvé
à leur portéé: ce né sont des animaux que parce qu’ils
sont irritables.
Je terminerai cette partie par une remarque impor-
tante et relative aux besoins des différents animaux ;
besoins qui ne sont nulle part, ni au-dessus, ni au-
dessous des facultés qui peuvent y satisfaire.
On observe que, depuis les animaux Îes plus impar-
faits, tels que les premiers des £nfusoires, jusqu'aux
mammifères les plus perfectionnés, les besoins, pour
chacun d’eux, s’accroissent avec la composition pro-
gressive de leur organisation; et que les facultés né-
cessaires pour satisfaire par-tout à ces besoins, s’ac-
croissent aussi par-tout dans la même proportion. TI
en résulte que, dans les plus simples et les plus im-
parfaits des animaux, la réduction @es besoins et des
facultés se trouve réellement à son minimun:, tandis
que, dans les plus perfectionnés des mammifères , les
besoins et les facultés sont à leur maximum de com-
plication et d’éminence; et comme chaque faculté
distincte est le produit d’un système d’organes parti-
culier qui y donne lieu, c’est donc une vérité incon-
testable qu'il y a toujours par-tout un rapport parfait
entre les besoins, les facultés d’y satisfaire, et Tes
organes qui donnent ces facultés.
208 INTRODUCTION:
Ainsi, les facultés qu'on observe dans différents
animaux, sont uniquement organiques ; elles ont des
limites comme les organes qui les produisent; sont
toujours dans un rapport parfait avec l’état des organes
qui les font exister; et leur nombre, ainsi que leur
éminence, sont aussi parfaitement en rapport avec
ceux des besoins.
Il est si vrai que, dans l'étendue de l'échelle animale,
les facultés croissent en nombre et en éminence comme
les organes qui les donnent, que si, à l’une des extré-
mités de l’échelle, l’on voit des animaux dépourvus
de toute faculté particulière, l’autre extrémité, au
contraire, offre, dans les animaux qui s’y trouvent,
une réunion au maximum des facultés dont la nature
ait pu douer ces êtres.
Plus, en effet, l’on examine ceux des animaux qui
possèdent des facultés d'intelligence, plus on les ad-
mire, plus mème on se sent porté à les aimer. Qui ne
connaît l'intelligence du chien, son attachement pour
son maître, sa fidélité, sa reconnaissance pour les bons
traitements, sa jalousie dans certaines circonstances,
son extrême perspicaciié à juger, dans vos yeux, si
vous êtes content ou fàché, de bonne ou de mauvaise
humeur; son inquiétude et sa sensibilité lorsqu’il vous
voit souflrir, etc.!
Les chiens, néanmoins , ne sont pas les plus intelli-
gents des animaux; d’autres, et sur-tout les singes, le
sont encore davantage , les surpassent en vivacité de
jugement, en finesse, en ruses, en adresse, etc. ; aussi,
sont-ils, en général, plus méchants, plus difficiles à
soumettre el à asservir.
Il y a donc des degrés dans l’intelligence, dans le
sentiment, elc., parce qu’il s’en trouve nécessairement
dans tout ce qu'a fait la nature.
Si, dans la série des animaux, les limites précises
INTRODUCTION. : 269
des facultés particulières que l’on observe dans diffé-
rents êtres de cette série, ne sont pas encore définiti-
vement déterminées, on n’en est pas moins fondé à
reconnaître que ces limites existent, car tous les ani-
maux ne possèdent point les mêmes facultés ; ainsi ,
il y a un point dans l’échelle animale où chacune
d’elles commence.
Il en est de même des systèmes d’organes particu-
liers qui donnent lieu à ces facultés ; si l’on ne connaît
pas encore partout le point précis de l'échelle animale
où chacun d’eux commence, on doit, néanmoins, être
assuré que chaque système d'organes particulier a réel-
lement dans l’échelle un point d’origine , c’est à-dire,
de première ébauche; il y a même quelques-uns de
ces systèmes dont le commencement paraît assez bien
déterminé.
Ainsi, le système d’organes particulier qui effectue
la digestion, paraît ne commencer qu’avec les polypes;
celui qui sert à la respiration, ne commence à exister
que dans les radiaires ; celui qui donne lieu au. mou-
vement musculaire, n'offre son origine avec quelques
vestiges de nerfs, que dans les radiaires échinodermes ;
celui de la fécondation sexuelle, paraît offrir sa pre-
mière ébauche vers la fin des vers, et se montre en-
suite parfaitement distinct dans les insectes et les ani-
maux des classes suivantes; celui qui est assez compli-
qué pour produire le phénomène du sentiment, ne
commence à se manifester clairement que dans les in-
sectes ; celui qui effectue une véritable circulation, pa-
rait ne commencer réellement que dans les arachnides;
enfin , celui qui donne lieu à la formation des idées,
et aux opéralions qui s’exécutent entre ces idées , pa-
raissant n’appartenir qu’au plan des animaux ver-
tébrés, ne commence très probablement qu'avec les
poissons.
ToME 1. 14
210 INTRODUCTION.
Qu'il y ait quelques rectificalions à faire dans ces
déterminations , il n’en est pas moins vrai que ces
mêmes rectifications ne peuvent altérer nulle part le
principe dés points particuliers de l’échelle animale
où commence chaque système d'organes, ainsi que les
facultés ou les avantages qu’il donne aux animaux qui
le possèdent.
Partout même où une limite quelconque ne peut
être positivement fixée , l'arbitraire de l’opinion fait
bientôt varier le sentiment à son égard.
Par exemple, M. Le Gallois, d’après différentes ex-
périences qu’il a faites sur des mammifères mutilés
pendant leur vie, prétend que le principe du senti-
ment existe seulement dans la moelle épinière, et non
dans la base du cerveau; il prétend même qu'il y a
autant de centres de sensation bien distincts, qu’on a
fait de segments à cette moelle, ou qu’il y a de por-
tions de cette moelle qui envoient des nerfs au tronc,
Ainsi, au lieu d'une unité de foyer pour le sentiment,
il ÿ en aurait un grand nombre, selon cet auteur.
Mais doit-on toujours regarder comme positives les
conséquences qu’un observateur a tirées des faits qu’il
a découverts; et ne convient-il pas d'examiner aupa-
ravant , soit sa manière de raisonner , soit les bases
mêmes sur lesquelles il se fonde ?
D'une part, je vois que M. Le Gallois juge presque
toujours de la sensibilité par des mouvements excités
qu’il aperçoit ; en sorte qu'il prend des eflets de l'érri-
tabilité pour des témoignages de sensations éprouvées ;
et de l’autre part, je remarque qu'il ne distingue
point, parmi les puissances nerveuses, celle qui vivifie
les organes , et qui leur fournit des forces d’action, de
celle, très différente, qui sert uniquement au phéno-
mène des sensations; comme il aurait dû distinguer
aussi, s’il s’en était occupé, celle encore très différente
RL De nn ne LL: épénes ….…
INTRODUCTION: 21X
des autres, qui donne lieu à la formation des idées , et
aux opéralions qu’elles exécutent.
Il est possible qu ‘il y ait réellement, comme le dit
M. Le Gallois, plusieurs centres particuliers de sensa-
tious dans Îes animaux qui jouissent de la faculté de
sentir; mais alors, au lieu d’un seul appareil d'organes
pour la production de ce phénomène physique, il y en
aurait plusieurs; enfin , la nature aurait employé sans
nécessilé une complication de moyens; car on peut
prouver qu'un seul foyer pour la sensation peut satis-
faire à tous les faits connus relatifs à la sensibilité.
Cependant, jusqu’à ce que des expériences, plus dé-
cisives à cet égard que celles qu’a publiées cet au-
teur, nous autorisent à prononcer définitivement sur
ce sujet, je crois devoir conserver l'opinion plus vrai-
semblable de l'existence d’un seul foyer pour la pro-
duction du sentiment.
Cela ne m’empêche pas de reconnaître que les nerfs
qui partent de la moelle épinière ne soient particuliè-
rement ceux qui fournissent au cœur, indépendam-
ment de son irritabilité , le principe de ses forces, et
qui en fournissent aussi à d’autres parties du tronc;
enfin, de croire, d’après ce savant, que les nerfs du
même ordre qui viennent animer les organes de la res-
piration, naissent de Ja moelle alongée.
Lorsque les observateurs de la nature se multiplie-
ront davantage; que les zoologistes ne se borueront
plus à l’art des distinctions, à l’ Le des particularités
de forme, à la composition arbitraire de genres tou-
jours variables, à l’extension d’une nomenclature ja-
mais fixée ; et qu’au contraire, ils s’occuperont d’étu-
dier la nature , ses lois, ses moyens, et les rapports
qu’elle a établis entre les systèmes d'organes particu-
liers et les facultés qu’ils donnent aux animaux qui
les possèdent; alors , les doutes, les incertitudes que
14*
212 INTRODUCTION,
nous avons encore sur les points de l'échelle animale
où commence chacune des facultés dont il s’agit, et
sur l'unité de foyer et de siége de chaque système d’or-
ganes, se dissiperont successivement; alors, enfin, les
points essenliels de Ja Philosophie zoologique s’éclair-
ciront de plus en plus, et la science obtiendra l’im-
portance qu’elle peut avoir.
En attendant, je erois avoir montré que les facultés
animales, de quelque éminence qu’elles soient, sont
toutes des phénomènes purement physiques ; que ces
phénomènes sont les résultats des fonctions qu’exécu-
tent les organes ou les appareils d'organes qui peuvent
les produire ; qu’il n’y a rien de métaphysique , rien
qui soit étranger à la matière, dans chacun d'eux; et
qu'il ne s’agit, à leur égard, que de relations entre dif-
férentes parties du corps animal et entre différentes
substances qui se meuvent , agissent, réagissent et ac-
quièrent alors le pouvoir de produire le phénomène
observé.
S'il en était autrement, jamais nous n’eussions eu
connaissance de ces phénomènes; car chacun d’eux
est un fait que nous ayons observé , et nous savons
positivement que la nature seule nous présente des
faits, et que ce n’est qu’à l’aide de nos sens que nous
ayons pu connaître un pelit nombre de ceux qu’elle
nous offre.
Je crois avoir ensuite prouvé, qu’outre les facultés
qui sont communes à tous les corps vivants, les ani-
maux offrent, parmi eux, diflérentes sortes de facultés
qui sont particulières à certains d’entre eux : elles ont
donc des limites, ainsi que les organes qui les don-
nent.
Maintenant, i! est indispensable de montrer que les
penchants des animaux sensibles, que ceux même de
l’homme, ainsi que ses passions, sont encore des phé-
INTRODUCTION: 213
nomènes de l’organisation, des produits naturels et
nécessaires du sentiment intérieur de ces êtres. Pour
cela, je vais essayer de remonter à la source de ces pen-
chants, et je tacherai d’analyser les principaux pro-
duits de cetle source.
214 INTRODUCTION.
CINQUIÈME PARTIE.
DES PENCHANTS, SOIT DES ANIMAUX SENSIBLES, SOIT DE
L'HOMME MÈME, CONSIDÉRÉS DANS LEUR SOURCE, ET
COMME PHÉNOMÈNES DE L'ORGANISATION.
Dans ce qui appartient à la nature, tout est lié,
tout est dépendant, tout est le résultat d’un plan
commun, constamment suivi, mais infiniment varié
dans ses parties et dans ses détails. L'homme lui-même
tient, au moins par ur côté de son être, à ce plan gé-
néral, toujours en exécution. Il est donc nécessaire,
pour ne rien omeitre de ce qui est le produit de l’or-
ganisation animée par la vie, de considérer ici séparé-
meut, quelle est la source des penchants et même des
passions dans les êtres sensibles en qui nous observons
ces phénomènes naturels.
Ainsi, comme on pourrait d’abord le penser , le su-
jet de cette cinquième partie n’est nullement étranger
au but que je me suis proposé dans cette Introduction;
savoir : celui d’indiquer les faits et les phénomènes
qui sont le produit de l’organisation et de la vie. Et
dans cette partie, je dois considérer particulièrement
les penchants des êtres sensibles, parce que ce sont des
phénomènes d'organisation , des produits du senti-
ment intérieur de ces êtres.
Ayant été autorisé à dire que nous n’obtenons au-
cune connaissance positive que dans la nature, parce
que nous n’en pouvons acquérir de telles que par
INTRODUCTION. 15
l’observation, et que, hors de la nature, nous ne pou-
vousrien observer, rien étudier, rien connaître de cer-
lain, il s’ensuit que loul ce que nous connaissons
positivement lui appartient et en fait essentiellement
partie.
Cela posé, je dirai, sans craindre de me tromper,
que la nature ne nous offre d’observables que des
corps ; que du mouvement entre des corps ou leurs
parties; que des changements dans les corps ou parmi
eux ; que les propriétés des corps ; que des phénomènes
opérés par les corps et sur-tout par certains d’entre
eux; enfin, que des lois immuables qui régissent par-
tout les mouvements, les changements, et les phéno-
mènes que nous présentent Jes corps,
Voilà, selon moi, le seul champ qui soit ouvert à
nos observauions, à nos recherches, à nos études; voilà,
par suite, la seule source où nous puissions puiser des
connaissances réelles, des vérités utiles.
S'il en est ainsi, les phénomènes que nous obser-
vons, de quelque genre qu’ils soient, sont produits
par la nature, ont leur cause en elle seule , et sont
tous, sans exceplion , assujettis à ses lois. Or, nous
efforcer de remonter, par l’observation et l’étude, jus-
qu’à la connaissance des causes.et des lois qui produi-
sent Îes phénomènes que nous observons, en nous
attachant particulièrement à ceux de ces phénomènes
qui peuvent nous intéresser directement, est donc ce
qu'il y a de plus important pour nous.
Parmi les phénomènes nombreux et divers que nous
pouvons observer, il en est qui doivent nous inté-
resser particulièrement, parce qu’ils tiennent de plus
près à notre manière d’être , à notre constitution orga-
nique , el parce qu’en effet, ils ressemblent beaucoup
à ceux de même sorte qui se produisent en nous et que
nous tenons aussi de la nature par la même voie. Les
216 !NTRODUCTION.
phénomènes dont il s’agit, sont les peñchants des ani-
maux sensibles, les passions mêmes qu’on observe
parmi ceux qui sont intelligents dans certains degrés.
Puisque ces phenomenes sont des faits observés, ils
appartiennent à la nature, et :ls sont effectivement
les procuits de ses lois, en un mot, du pouvoir qu’elle
tient de son supréme auteur. Aussi, nous pouvons fa-
cilement remonter jusqu’à la véritable source où ces
phénomènes puisent leur origine et leur exaltation.
Déjà, je puis dire avec assurance que les penchants
des animaux sensibles, et que ceux plus remarquables
encore des animaux intelligents, sont des produits
immédiats du sentiment intérieur de ces êtres. Or, le
sentiment intérieur dont il s’agit, étant évidemment
une dépendance essentielle du système organique des
sensations , les penchants observés dans les êtres doués
de ce sentiment intérieur, sont donc de véritables pro-
duits de l’organisation de ces êtres.
Ainsi, l'ignorance de ces vérités positives pourrait
seule faire regarder comme étrangers à mon sujet, les
objets dont je vais m'occuper.
Laissant à l'écart ce que l’homme peut tenir d’une
source supéricure , et ne voulant considérer er lui que
ce qu'il doit à la nature , il me paraît que ses penchants
généraux, qui influent si puissamment sur ses actions
diverses, sont aussi de véritables produits de son or-
ganisation , c’est-à-dire du sentiment intérieur dont
il est doué ; sentiment qui l’entraîne à son insu,
dans un grand nombre de ses actions. I] me semble,
en outre, que ces passions, qui ne sont que des exal-
tations de ceux de ses penchants naturels auxquels il
s’est imprudemment abandonné , tiennent d’une part
à la nature, et de l’autre à la faible culture de sa
raison, qui alors lui fait méconnaître ses véritables
intérêts.
INTRODUCTION. 217
S' je suis fondé dans cette opinion. il sera possible
de remonter à la source des penchants et des passions
de l’homme, et de prévoir dans chaque cas considéré,
le fond principal des actions qu’il doit exécuter : il
suffira pour cet objet de faire une analyse exacte de
ses penchants divers.
Mais, pour parvenir à montrer l’existence d’un
ordre de choses, qui ne paraît pas avoir encore attiré
noire altention, je ne dois pas anticiper les considé-
rations propres à le faire connaître. Ainsi, remarquant
que la source des penchants de l’homme est tout-à-fait
la même que celle des penchants des animaux sensi-
bles , je vais d’abord déterminer cette source , ainsi que
ses produits, dans les animaux en question; je montre-
rai ensuite qu’elle se retrouve dans l’homme , et qu'en
lui ses résultats sont plus éminemment prononcés, et
infiniment plus sous-divisés.
$ I. SOURCE DES PENCHANTS ET DES ACTIONS DES
ANIMAUX SENSIBLES.
Par une loi de la nature, tous les êtres sensibles et
qui, conséquemment, jouissent de ce sentiment inté-
rieur et obscur qu’on a nommé sentiment d'existence,
tendent sans cesse à se conserver, et par là sont irré-
sistiblement assujettis à un penchant éminent qui est
la source première de toutes leurs actions: je le
nomme :
Penchant à la conservation.
Ici, je me propose de montrer que c’est uniquement
à ce penchant général, qu’il faut rapporter la source
de toute action quelconque de ceux des animaux qui
jouissent de la faculté de sentir.
218 INTRODUCTION.
Pour atteindre mon but, je dois rappeler la hiérar-
chie des facultés des animaux sensibles, afin de re-
trouver dans chaque cas considéré, ce que le penchant
cité peut produire.
Les observations déià exposées nous obligent à re-
connaître que, parmi les animaux dont je parle :
19 Les uns sont bornés au sentiment, et ne possè-
dent l'intelligence dans aucun degré quelconque;
2° Les autres, plus perfeclionnés , jouissent à la fois
de la faculté de sentir, et &e celle d’exécuter des
actes d'intelligence dans différents degrés.
Les uns et les autres, jouissant du sentiment , peu-
vent donc éprouver la douleur; or, il est facile de
faire voir que, dans ses différents degrés, la douleur
est pour eux un mal-étre qu’ils doivent fuir, et que la
nécessité de fuir ce mal-être, est la cause réelle qui
donne naissance au penchant en question.
En eflet, pour tout individu qui jouit de la faculté
de sentir la souffrance, dans sa faible intensité, soit
vague, soit particulière , produit ce qu'on nomme le
mal-étre , et ce n’est que lorsque laflection éprouvée
est vive ou jusqu’à un certain point exaltée, qu’elle
reçoit le nom de douleur.
Ainsi, puisque depuis le plus faible degré de la
douleur, jusqu’à celui où elle est la plus vive, le mal-
étre lèse ou compromet en quelque chose l'intégrité de
sa conservalion, tandis que le bien-être seul la favo-
rise, l'individu sensible doit donc tendre sans cesse à
se soustraire au mal-être, et à se procurer le bien-être;
enfin, le penchant à la conservation, qui est naturel
dans tout individu doué du sentiment de son exis-
tence, reçoit donc nécessairement de cette tendance
toute l'énergie qu’on lui observe : cela me paraît in-
contestable.
INTRODUCTION. | 219
J'avais d’abord pensé que le penchant à la propaga-
tion auquel tous les êtres sensibles paraissent assujettis,
élait aussi un penchant isolé, comme celui à la con-
servalion, el qu'il constituait la source d’un autre
ordre de penchants particuliers. Mais depuis, ayant
remarqué que ce penchant est temporaire dans les in-
dividus, et qu’il est lui-même un produit de celui à
la couservation , jai cessé de le considérer séparément,
et je ne le mentionnerai que dans l’analyse des détails.
En effet, à ur certain terme du développement d’un
individu, l’organisation , graduellement préparée pour
cet objet, amène en lui par des excitations intérieures,
provoquées en général par d’autres externes, le besoin
d’exécuter les actes qui peuvent pourvoir à sa repro-
duction et par suite à la propagation de son espèce. Ce
besoin produit dans cet individu un mal-être obscur,
mais réel, qui l’agite ; enfin, en y satisfaisant, il
éprouve un bien-être éminent qui l’y entraîne. Le pen-
chant dont il s’agit est donc un véritable produit de
celui à la conservation,
Maintenant, pour éclaircir le sujet intéressant que
je traite, Je rappellerai ce que j'ai déjà établi ; savoir :
qu'il y a différents degrés dans la composition de l’or-
ganisation des animaux, ainsi que dans le nombre et
l’éminence Ge leurs facultés, et qu’il existe à l’égard
de ces facultés, une véritable hiérarchie. Cela étant,
je dis qu’il est facile de concevoir :
1° Que les animaux assez imparfaits pour ne pas
posséder la faculté de sentir, n’ont aucun penchant en
eux-mêmes, soit à la conservation, soit à la propa-
galion, et que la nature les conserve, les multiplie et
les fait agir par des causes qui ne sont point en eux ;
2° Que les animaux qui sout bornés à ne posséder
que le sentiment, sans avoir aucune faculté d'intelli-
gence, sont réduits à fuir la douleur sans la craindre,
220 INTRODUCTION.
et n’agissent alors que pour se soustraire au mal-être
lorsqu'ils l'éprouvent ;
3° Que les auimaux qui jouissent à la fois de la fa-
culté de sentir , et de celle de former des actes d’intel.
ligence , non-senlement fuieut-la douleur et le mal-
être, mais en outre, qu'ils les craignent; -
4° Que l’homme , considéré seulement dans les
phénomènes que l’organisalion produit en lui, non-
seulement fuit et craint la douleur, amsi que le mal-
être, mais en outre, qu'il redoute la mort; parce qu’il
est très probable qu’il est le seul être intelligent qui
l'ait remarquée, et qui conséquemment la connaisse.
Les choses me paraissant être ainsi, voici les dis-
tinctions que je crois pouvoir établir à l’égard de la
source des actions des différents animaux, et de celle
des penchants observés dans un grand nombre de ces
êtres.
Animaux apathiques.
Dans les animaux apathiques , c’est-à-dire , dans les
animaux qui ne jouissent point du sentiment, il n’y
a aucun penchant réel, pas même celui à la.conserva-
tion.
Tout penchant est nécessairement le produit d'un
sentiment intérieur. Or , ne jouissant point de ce sen-
timent, aucun penchant ne saurait se manifester en
eux.
Ces animaux possèdent seulement la vie animale,
ainsi que des habitudes de mouvements et d’actions
qu'ils tiennent d’excitations extérieures. Enfin, les
habitudes , les mouvements et les actions ne sont va-
riés, dans ces différents animaux, que parce que les
fluides étrangers qui excitent en eux la vie et les mou-
vements, se sont frayés des routes diverses dans leur
Me INTRODUCTION. 221
intérieur, conformément à l’état de leur organisation
et à celui de la conformation particulière de leurs corps.
À l’aide de ces causes et des facultés qui sont géné-
ralement le propre de la vie, la conservation des indi-
vidus pendant une durée relative à leur espèce , et leur
reproduction, sont assurées. |
Animaux bee
Dans les animaux sensibles , et que je nomme ainsi,
parce qu’ils sont bornés à ne posséder que le sentiment :
sans aucune faculté d'intelligence, il-existe un pen-
chant à la conservation de leur être, parce qu'ils pos-
sèdeut un sentiment intérieur qui le produit et qui
les fait agir lorsque des besoins le sollicitent. Or,
comme tout besoin est un mal-être jusqu’à ce qu’il
soit satisfait, le penchant à la conservation, dans ces
animaux, ne se fait ressentir que temporairement,
c’est-à-dire, qu'aux époques où des besoins se manifes-
tent et provoquent des actions directes,
Ainsi, dans les animaux sensibles, le penchant à la
conservalion ne produit en eux qu’ un penchant seconi-
daire, celui qui les porte à fuir le mal-étre, lorsqu'ils
l’éprouvent.
Ge peuchant à fuir le mal-être les porte, par le sen-
timent intérieur :
10 À fuir la douleur, lorsqu'ils la ressentent;
29 À chercher et saisir leur nourriture, lorsqu’ ils
en éprouvent le besoin ;
30 À exécuter des actes de fécondation, lorsque leur
organisation les y sollicite ;
4° A rechercher des situations douces, des abris,
etc.; el s’ils se préparent des moyens favorables à
leur conservation, ce n’est uniquement que par
222 INTRODUCTION.
des habitudes d’actions que le besoin d'éviter le
mal-être leur a fait prendre, selon les races.
Dans les animaux sensibles, le penchant à fuir le
mal-être paraît être le seul produit du pe nchaut à la
conservation ; néanmoins , l'amour de soi-même existe
déjà; mais il se confond encore avec le premier, et ce
n’est que dans les animaux suivants qu'il devient dis-
unct.
Animaux intelligents.
Je nomme animaux intelligents, ceux qui, plus
perfectionnés que les animaux sensibles, jouissent à la
fois de la faculté de sentir et de celle d'exécuter des
actes d’intelligence dans certains degrés.
Dans ces animaux, le penchant à la conservation ne
se borne pas seulement à produire un seul penchant
secondaire distinct, celui de fuir le mal-être et la
douleur ; l'intelligence qu'ils possèdent, quoique plus
ou moins limitée , selon les races et leurs classes , leur
donne une idée de la douleur et du mal-être, les porte
à les craindre, à en prévoir la possibilité, et leur
fournit en même temps des moyens variés pour les évi-
ter et pour s’y soustraire. Il en résulle que ces mêmes
animaux peuvent varier leurs actions, et qu’en eflet,
différents individus de la même espèce parviennent
souvent à satisfaire leurs besoins par des actions qui ne
sont pas constamment les mêmes, ainsi qu'on le re-
marque dans les animaux sensibles.
Malgré cela, j'ai observé que les animaux mêmes
dont l’organisation approche le plus de cellede l’homme,
et qui, par là, peuvent atteindre à un plus haut degré
d'intelligence que les autres, n’acquièrent, en général,
qu’un petit nombre d'idées, et ne tendent nullement
à en augmenter le cercle. Ce n’est que par les difficultés
INTRODUCTION. 293
qu’ils rencontrent dans l’exécution de leurs actions
directes, que se trouvant alors forcés d’en produire de
nouvelles et d’indirectes pour parvenir à leurs fins, ces
animaux portent leur attention sur de nouveaux objets,
augmentent le nombre de leurs idées, et varient d’au-
tant plus leurs actions, que les difficultés qui les y
contraignent sont plus grandes et plus nombreuses.
Par cet état de choses à leur égard , les penchants
secondaires de ces animaux sont au nombre de trois, et
se montrent très distincts; en voici l’indication :
Le penchant à la conservation, source de tous les
autres, produit dans les animaux intelligents :
10 Une tendance vers le bien-être:
20 Un amour de soi-même ;
3° Un penchant à dominer.
Pour analyser succinctement et successivement cha-
cun de ces penchants secondaires et montrer leurs
sous-divisions, voici ce que j'aperçois.
Tendance vers le bien-être.
La tendance vers le bien-être est d’un degré plus
élevé que celle qui ne porte à fuir le mal-être que dans
le cas seulement où on l’éprouve; cette dernière n’en
supposant point l’idée ou la connaissance.
Ainsi, par leur sentiment intérieur, les animaux
intelligents sont constamment entraînés vers la re-
cherche du bien-être, c’est-à-dire , à fuir ou éviter le
mal être, et à se procurer les jouissances qu’ils éprouvent
en satisfaisant à leurs besoins. Ils n’ont point d’atta-
chement à la vie, parce qu'ils ne la connaissent point;
ils ne craignent point a mort, parce qu'ils ne l’ont pas
remarquée, et qu à la vue d’un cadavre, ils n’ont pas
remonté, par la pensée, jusqu'aux causes qui l'ont
224 INTRODUCTION.
privé de vie et de mouvement; mais ils ont tous une
tendance vers le bien-être, parce qu'ils ont joui, et
prévoient le danger d’être exposés au mal-être, parce
qu'ils ont supporté des privations ou des souflrances
dans quelques degrés. On sait assez que le lièvre qui
aperçoit un chasseur, que l’oiseau qui s'envole à l’ap-
roche d’un homme portant une arme à feu, fuient
alors le danger d’éprouver le mal-être ou la douleur,
avant de le ressentir.
La tendance vers le bien-être porte donc les animaux
intelligents :
* Par le sentiment intérieur seul :
10 À se soustraire à la douleur et à tout ce qui les
gène ou les incommode ;
0 À rechercher les situations douces, avantageuses,
les abris et le soleil dans les temps froids, l’ombre
et le frais dans les temps chauds, etc., etc.;
30 A satisfaire le besoin de se nourrir, quelquefois
même avec voracilé, soit par l'attrait qu'ils y
trouvent, soit par l’inquiétude de manquer en-
suite d’aliments;
4° À se livrer aux actes de la fécondation, ou à en
rechercher avec ardeur les occasions, lorsque leurs
besoins provoqués les y sollicitent ;
50 À prendre du repos et sommeiller, lorsque leurs
autres besoins sont satisfaits.
** Par l'intelligence , stimulée par leur sentiment
intérieur :
19 À chasser la proie, la guetter avec patience, lui
tendre des piéges ;
20 À employer des moyens nouveaux et variés , selon
INTRODUCTION, 225
les circonstances, pour satisfaire chacun de leurs
besoins ;
30 A la poltronnerie ou à la lâcheté, lorsqu’ ils sont
faibles, par suite d’une crainte excessive de la
douleur;
4° A se préserver des dangers au moyen de diffé-
rentes ruses,
Amour de soi-même.
L'amour de soi-méme se manifeste, dans les animaux
intelligents, par un égoïsme individuel qui se fait
souvent remarquer en eux; il les porte :
* Par le sentiment intérieur seul :
10 À ne donner leur attention qu’aux objets relatifs
à leurs besoins; ce qui borne, en général, leurs
idées à un irès petil nombre ;
20 À s'emparer de la proie des autres, s'ils sont les
plus forts;
3° À chasser ou combattre les autres animaux qui
approchent de leur femelle ou de celle qu’ils con-
voitent ;
4° A se préférer à tout autre, lorsqu'il s’agit de se
procurer la jouissance d’un avantage quelconque.
** Par l'intelligence , et à la fois par le sentiment
intérieur :
19 À l’attachement pour leur bienfaiteur, par un
sentiment d'intérêt individuel; attachement qu’ils
lui témoignent par leur confiance, leur douceur,
leurs caresses, leur fidélité, et en conservant le
souvenir de ses bienfaits;
Tone 1. 15
526 INTRODUCTION.
20 À la jalousie envers les autres animaux et sur-
tout envers ceux qui approchent leur bienfaiteur
ou leur maître, lorsqu'ils en sont bien traités et
qu’ils sont heureux; considérant en quelque sorte
ce maître comme une propriété qu’ils possèdent ;
30 A la haine envers ceux qui leur ont nui ou les
ont maltraités; haine qu'ils témoignent quelque-
fois par des vengeances retardées.
Penchant à dominer.
Enfin, le penchant à dominer , troisième et dernier
de leurs penchants secondaires, se montre clairement
dans les animaux doni il s’agit, et les porte :
* Par le sentiment intérieur seul :
1° À quereller, chasser ou combattre les autres,
lorsqu'ils sont les plus forts ou qu’ils se croient
soutenus ;
20 À poursuivre et allaquer ceux qui fuient; à
battre et même tuer ceux qu’une grande faiblesse,
un accident ou une blessure, ont mis hors d'état
de se défendre; et le tout, sans autre besoin à sa-
tüsfaire que le penchant en question.
** Par le sentiment intérieur et l'intelligence :
1° À Ja fierté, et même à une espèce de vanité qu'ils
témoignent par leur port et leur regard, lorsqu'ils
se trouvent bien traités, bien nourris, et dans
un état de bien-être habituel ;
2 À une espèce de mépris et de haine pour les
autres individus malheureux, pour ceux qui ont
un aspect misérable, pour ceux qui sont sans
puissance, sans autorité, etc., etc.
INTRODUCTION:+ 227
S'il n’était entré dans mon plan de resserrer le plus
possible l’étendue de cette cinquième partie, j'aurais
ajouté à ces expositions les faits connus et celles de mes
observations qui établissent le fondement des penchants
que j’attribue à beaucoup d’animaux; mais il me suffit
de montrer que ces penchants sont évidents et peuvent
être facilement constatés. Ainsi, lorsque l’on voudra
s'occuper de ces objets, il sera difficile de ne pas re-
connaître :
1° Que les animaux apathiques n’ont et ne sauraient
avoir aucune sorte de penchant par eux-mêmes, parce
qu'ils ne possèdent aucun sentiment intérieur ;
2° Que les animaux sensibles n’ont qu’un ou deux
penchants secondaires; parce que ces animaux, dé-
pourvus de facultés d’intelligence, re sauraient varier
leurs actions, et qu’ils n’ont que des habitudes qui
sont constamment les mêmes dans tous les individus
des mêmes espèces ;
30 Que les animaux intelligents ont trois penchants
secondaires assez distincts, qui se sous-divisent en
plusieurs autres: parce qu'ayant des facultés d’intelli-
gence, ils peuvent varier leurs actions, lorsque des
difficultés, pour satisfaire à leurs besoins, les y con-
trargnent.
Néanmoins, l'analyse des penchants, soit des ani-
maux sensibles, soit des animaux intelligents, est
nécessairement très bornée; car les besoins essentiels
des uns et des autres ne sont pas nombreux ; et comme
les plus perfectionnés de ces animaux ne donnent leur
attention qu'aux objets relatifs à leurs besoins essen-
Uels, ils n’acquièrent, en général, qu’un petit nombre
d'idées, et ne sauraient offrir beaucoup de diversité
dans leurs penchants.
Il n’en est pas de même de l’homme, vivant en
12*
228 INTRODUCTION.
société : tendant toujours à étendre ses jouissances et
ses désirs, il s’est créé peu à peu une multitude de
besoins divers , étrangers à ceux qui lui étaient essen-
tiels. Enfin , observant tout ce qui peut lui être utile,
tout ce qui est relatif à ses nombreux intérêts, à ses
jouissances variées et croissantes, il a muliplié, par
là, ses idées presqu’à l’infini. Il en est résulté que ses
penchants, les mêmes dans leur source que ceux des
animaux sensibles et des animaux intelligents, offrent,
non dans tous les individus, mais en raison des cir-
constances où chacun d’eux se rencontre, une diversité
et des sous-divisions presque sans terme.
Essayvons, cependant, d’exposer les principaux des
penchants de l’homme, de montrer leur véritable
source , et d'établir les bases de leur hiérarchie, c’est-
à-dire, les premières divisions sur lesquelles cette
dernière repose,
$ II. SOURCE DES PENCHANTS, DES PASSIONS ET DE LA
PLUPART DES ACTIONS DE L'HOMME.
L’homme ne doit pas se borner à observer tout ce
qui est hors de lui, tout ce qu’il peut apercevoir dans
Ja nature; il doit aussi porter son attention sur lui-
même , sur son organisation, sur ses facultés, ses pen-
chants, ses rapports avec tout ce qui l’environne.
Au moins, par une partie de son être, il tient tout-
à- fait à la mature, et se trouve, par là, entièrement
assujetti à ses lois. Elle lui donne, par celles qui ré-
gissent son sentiment inlérieur, des penchants généraux
et d’autres plus particuliers. Il ne saurait entièremert
surmonter les premiers; mais, à l’aide de sa raison et
de son intérêt bien saisi, il peut, soit modifier, soit
diriger convenablement les autres. Enfin, ceux de ses
penchants auxquels il se laisse aller entièrement, se
INTRODUCTION, 229
changent alors en passions qui le subjuguent , et qui
dirigent malgré lui toutes ses actions.
À mesure que l’homme s’est répandu dans les diffé-
rentes contrées du globe, qu’il s’y est multiplié, qu'il
s’est établi en société avec ses semblables, enfin, qu'il
fit des progrès en civilisation, ses jouissances, ses désirs
et, par suite, ses besoins, s’accrurentet se multiplièrent
singulièrement; ses rapports avec les autres individus
et avec la société dont il faisait partie, varièrent, en
outre, et compliquèrent considérablement ses intérêts
individuels. Alors, les penclants qu’il tient de la na-
ture, se sous-divisant de plus en plus comme ses nou-
veaux besoins, parvinrent à former en lui et à son insu,
une masse énorme de liens qui le maîtrisent presque
partout, sans qu’il s’en aperçoive.
Il est facile de concevoir que ces penchanis particu-
liers et ces intérêts individuels si variés, se trouvant
presque toujours en opposition avec ceux des autres
individus, et que les intérêts des individus devant
toujours céder à ceux de la société, il en résulte néces-
sairement un conflit de puissances contraires, auquel
les lois, les devoirs de tout genre, les convenances
établies par l’opinion régnante, et la morale même,
opposent une digue trop souvent insuffisante.
Sans doute, l’omme naît sans idées, sans lumières,
ne possédant alors qu'un sentiment intérieur et des
penchants généraux qui tendent machinalement à
s'exercer. Ce n’est qu'avec le temps et par l'éducation,
l'expérience , et les circonstances dans lesquelles il se
rencontre, qu'il acquiert des idées et des connais-
sances.
Or, par leur situationetla condition où ils se trouvent
dans la société, les hommes n’acquérant des idées et
des lumières que très inégalement, l’on sent que celui
d’entre eux qui parvient à en avoir davantage, en
230 INTRODUCTION.
obtient es moyens pour dominer les autres; et l’on
sait qu'il ne manque jamais de Île faire.
Mais, parmi les hommes qui ont acquis beaucoup
d'idées et qui ont beaucoup fréquenté la société de
leurs semblables, le conflit d'intérêt, dont j'ai parlé
tout-à-l’heure, a fait faire à un grand nombre d’entre
eux des efforts habituels pour contraindre leur senti-
ment intérieur, pour en cacher les impressions, et a
fini par leur donner le pouvoir et l’habitude de le
maîtriser. L’on concoit , dès lors, combien ces indivi-
dus l’emportent en moyens de domination et de succès,
dans leurs entreprises à cet égard, sur ceux qui ont
conservé plus de candeur. Aussi, pour ceux qui savent
étudier l’homme, il est curieux d’observer la diversité
des masques sous lesquels se déguise l’intérêt personnel
des individus, selon leur état, leur rang, leur pou-
voir, elc.
Tel est le sommaire resserré des causes générales qui
ont amené l’homme civilisé à l’état-où nous le voyons
maintenant en £urope; élat où, malgré les lumières
acquises, el même par elles, le plus faible en moyens
se trouve toujours victime ou dupe de celui qui en
possède davantage; état, enfin, qui asservit toujours
J'immense multitude à la domination d’une minorité
puissante.
Dans cet état de choses, une seule voie peut nous
aider à tirer de notre situation particulière le parti
le plus avantageux pour nous; c’est, selon moi, la
suivante. Nous étant fait, d’après la raison , la justice
et la morale, un certain nombre de principes dont
nous ne devons jamais dévier, nous devons ensuite
nous eflorcer de reconnaître les penchants que l’omme
a reçus de la nature, et étudier leurs différents pro-
duits, dans les individus de son espèce, selon les cir-
constances où chacun d’eux se trouve. Cette connais-
INTRODUCTION. 231
sance nous sera d’une grande utilité dans nos relations
ayec eux.
Ainsi, pour diriger notre conduite avec le moins de
désavantage à l'égard des hommes avec qui nous sommes
forcés de vivre ou d’avoir des rapports, nous nous
trouverons obligés de les étudier, de remonter, autant
qu’il est possible, à la source de leurs actions, et de
cher de reconnaître la nature de celles qu’ils doivent
exécuter selon les différentes circonstances de leur sexe,
de leur âge, de leur situation, de leur état, de leur
fortune ou 14 leur pouvoir; nous deyrons même consi-
dérer, qu'à mesure qu’ils changent d’àge, de situation,
d’état , de fortune ou de pouvoir, ils changent aussi
constamment dans leur manière de sentir, d envisager
les objets, de juger les choses,et qu'il en telle toujours
pour eux des influences A tn tte qui régissent
leurs actions.
Mais, dans cette étude si difficile, comment parvenir
à notre but, si nous ne connaissons point la part con-
sidérable qu'ont, sur toutes les actions de l’homme,
les penchants que la nature lui a donnés!
C’est parce que cette connaissance essentielle m’a
paru beaucoup trop négligée, que je vais essayer d’en
esquisser les bases d’une manière extrêmement suc-
cincte. D'ailleurs, les objets que je vais considérer
ayant élé envisagés jusqu’à présent comme formant
l’unique domaine du moraliste, la part évidente qui,
à l'égard de ces objets, appartient au naturaliste, ne
fut point suffisamment reconnue. Or, c’est cette part
seule que je revendique ; et qui m’autorise à présenter
les bases suivantes de l’analyse à faire des penchants
de l’Aomme dans l’état de civilisation.
233 INTRODUCTION.
PRINCIPAUX PENCHANTS DE L'HOMME, RAPPORTÉS A
LEUR SOURCE, DONNANT NAISSANCE À SES PASSIONS
LORSQU'IL S'Y ABANDONNE, ET DEVANT SERVIR DE
BASE A L’ANALYSE A FAIRE DE TOUS CEUX QU'ON
OBSERVE EN LUI.
L'homme, comme tous les autres êtres sensibles, jouis-
sant d’un sentiment intérieur qui, par les émotions
qu'il peut éprouver, le fait agir immédiatement et
machinalement, c’est-à-dire, sans la participation de
sa pensée, a aussi recu de la nature, par cette voie,
un penchant impérieux qui est la source de tous ceux
auxquels on le voit, en général, assujetti. Ce sentiment
interne qui l’entraîne sans qu’il s'en apercçoive, est :
Le penchant à la conservation.
Le penchant à la conservation de son être est, pour
tout individu doué du sentiment de son existence, le
plus puissant, le plus général et le moins susceptible
de s’altérer. Or, ce penchant en produit quatre autres
qui sont pareillement communs à tous les individus
de l’espèce humaine, qui agissent comme lui sans dis-
continuilé, et qui subissent le moins de changements
dans le cours de la vie. Mais, ceux-ci donnent lieu à
une énorme diversité de penchants particuliers, subor-
donnés les uns aux autres, et dont l’enchaînement
hiérarchique, dans l’homme , est si difhcile à saisir. Le
penchant à la conservation dont il s’agit, ne saurait
nous nuire en rien par lui-même; il ne peut, au con-
traire, que nous être utile. Ce n’est qu’à l'égard de
ceux qu’il fait naître en nous, selon les circonstances,
que nous devons nous efforcer de reconnaître, parmi
ces derniers, ceux qui peuvent nous entraîner à des
INTRODUCTION, 233
écarts nuisibles à nos vrais intérêts, el tâcher de les
maîtriser, et de les diriger vers ce qui peut nous être
avantageux.
Il n’est pas d’un intérêt médiocre pour nous, de
considérer que le penchant à la conservation , auquel
tout homme est assujetti, produit immédiatement et
entretient en lui, en tout temps, quatre sentiments'in-
ternes, très puissants, €’est-à-dire, quatre penchants
secondaires qui le dominent sans qu’il s’en apercçoive,
et l’entraînent, à son insu, dans presque toutes ses ac-
tions, selon que les circonstances y sont favorables.
L'homme n’a sur eux, par sa raison, que le pouvoir
d’en modérer les effets cu de les diriger vers ses vérita-
bles intérêts, lorsqu'il parvient à les bien connaître.
Ces quatre sentiments internes ou penchants secon-
daires , qui sont généraux pour tous les individus de
l’espèce humaine, sont :
10 Une tendance vers le bien-être ;
20 L’amour de soi-même ;
30 Un penchant à dominer;
4° Une répugnance pour sa destruction.
Je suis persuadé que c’est à ces quatre penchants
secondaires qu’il faut rapporter l’énorme diversité
de penchants ou de sentiments particuliers, dont
l'homme, vivant en société, offre des exemples dans
ses actions, et qui prennent leur source, tantôt d’un
seul des quatre cités, tantôt de plusieurs à la fois. Es-
sayons de reconnaître les premiers produits des quatre
penchanis dont il s’agit, et nous nous y bornerons.
Tendance vers le bien-être.
La tendance vers le bien-être existe chez nous géné-
ralement, et concourt à notre conservation ou la favo-
234 INTRODUCTION.
rise. En effet, non-seulement elle entraîne la nécessité
pour nous de fuir je mal-être , c'est-à-dire, d’éviter la
souffrance, de quelque nature et dans quelque degré
qu’ellesoit; mais, en outre, elle nous porte sans cesse
à nous procurer l’état opposé, c’est-à-dire, le bien-être.
Or, le bien-être n’est pas encore l’état où l’on serait
borné à n’éprouver aucune sorte de mal-être; cet état
même ne saurait exister pour l’homme, parce que ce
dernier a toujours quelque désir et par conséquent
quelque besoin non satisfait. Mais le bien-être se fait
constamment ressentir en lui chaque fois qu’il obtient
“une jouissance quelconque ; et certes, toute jouissance
n’a lieu que lorsqu'on satisfait un besoin de quelque
nature qu’il soit. On sait assez que, selon le degré
d’exaltation du sentiment qu’on éprouve alors, on
obtient ce qu’on nomme, soit de la satisfaction , soit
du plaisir.
Il résulte de ces considérations que , sur-lout pour
l’homme, le bien-être ne saurait être un état cons-
tant ; qu’il est essentiellement passager ; que l’homme
l’obtient, en un degré quelconque, dans chaque jouis-
sance, et qu’à cet égard il le perd nécessairement dans
chaque besoin entièrement satisfait; qu’il en est de
même du mal-être , quel que soit son degré; que ce
mal-être ne saurail avoir une durée absolue ét uni-
forme dans un individu, parce qu’il est toujours in-
terrompu ou en quelque sorte suspendu par quelque
genre de jouissance; qu’enfin , c’est de ces alternatives
irrégulières de bien-étre et de mal-être que se compose
la destinée de l’homme , selon les circonstances de sa
situation dans la société, de ses rapports avec ses sem-
blables, ou de son état physique et moral.
Ainsi, notre tendance vers le bien-être, c’est-à-dire,
vers les jouissances que nous éprouvons en satisfaisant
à quelque besvin, non-seulement nous fait rechercher
INTRODUCTION, 235
les sensations et les situations qui nous plaisent et qui
sont l’objet de nos désirs, mais elle nous porte aussi à
nous soustraire aux peines de l'esprit , à tout ce qui
nous inquiète ou afflige notre pensée, en un mot, à
tout ce qui pourrait compromettre notre satisfaction
ou notre tranquillité intérieure, et par conséquent à
nous procurer l’état moral opposé; il faut donc la di-
viser :
10 En tendance vers le bien-être physique ;
20 En tendance vers le bien-être moral.
Tous les penchans particuliers qui sont les résultats
de chacune de ces deux tendances, sont très faciles à
déterminer, sur-tout si l’on distingue, de part et d’au-
tre, ceux qui naissent des besoins, soit donnés par la
nature, soit que nous nous sommes formés, de ceux
qui proviennent de l’attrait que nous avons pour dif-
férentes choses , autre sorte de besoins à satsfaire.
Ainsi , ii est facile de reconnaître que: |
D’une part , notre tendance vers le bien-être physt-
que fait naître en nous , selon les circonstances :
19 Le besoin de satisfaire la faim, la soif, lors-
qu’elles se font ressentir; de fuir la douleur, les sen-
sations nuisibles ou désagréables, et tout ce qui in-
commode ; de nous soustraire aux souffrances , aux
maladies, à tout mal-être physique ; d’exécuter, à la
suite d’excitations intérieures provoquées, les actes
qui peuvent pourvoir à la propagation des indivi-
dus, etc.;
29 L’attrait pour les sensations agréables, les plaisirs
des sens, la volupté; d’où résultent les plaisirs de la
tabie, le goût pour la mollesse, les situations douces et
riantes, etc. ; enfin, l’amour sensuel, etc., etc.
D'une autre part, notre tendance vers le bien-étre
moral fait naître en nous :
236 iINTRODUCIION.
10 Le besoin de satisfaire tous les genres de désir
qui sont à notre portée; d'éviter les idées désagréables
ou affligeantes, de nous y soustraire ; d'acquérir des
connaissances usuelles; de maîtriser nos émotions in-
térieures, nos penchants nuisibles; de jouir d’une
satisfaction intérieure ;
20 L’attrait pour la liberté , l'indépendance ; pour
les idées agréables, la variété, les merveilles; pour les
jouissances de l'esprit, de la pensée; pour des objets
d'agrément de divers genres, ele., etc.
Amour de soi-méme.
L’amour de soi-méme, ou l'intérêt personnel, est le
second produit du penchant à la conservation. C’est
un sentiment généralement inhérent en nous, qui con-
court à notre conservation en nous la faisant aimer,
et qui ne saurait nous nuire par lui-même , mais seu-
lement par ceux de ses produits que la raison n’a pas
su modérer. Pour commencer son analyse, il faut
considérer ses résultats généraux :
19 Par le sentiment intérieur seul ;
20 Par le sentiment intérieur et la pensée libre ;
30 Par le sentiment intérieur et la pensée réglée par
la raison.
Par le sentiment intérieur seul, l'amour de soi-
même, selon les circonstances, doune lieu :
10 À des mouvements involontaires qui s’exécutent
sans préméditation ; tels que ces tressaillements à un
grand bruit inattendu; ces mouvements qui font fuir
un danger subit et imminent; ceux qui nous font dé-
tourner nombre de fois dans une rue ou une prome-
nade remplie de monde, sans y donner attention;
20 À des faiblesses ; telles que de la frayeur à l'ap-
INTRODUCTION, 237
proche ou à l’arrivée d’un danger; de la lâcheté dans
les entreprises périlleuses ; de la timidité devant tout
ce qui en impose ; des manies de divers genres qu’une
habitude irréfléchie fait contracter;
30 À des aversions ou à des affections ; savoir : à
l’aversion pour tout ce qui nous nuit ou nous est con-
traire ; source de la haine : à l’affection, au contraire,
pour tout ce qui nous sert, nous ressemble morale-
ment, et partage nos goûts; source de l'amitié.
Par le sentiment intérieur et la pensée libre, c’est-à-
dire, la pensée que la raison ne contraint à aucune
mesure , l’amour de soi-même, selon les circonstances,
donne lieu, soit à deux sentiments désordonnés, soit
à une force d'action sans limites.
Ainsi, par les voies que je viens de citer, l’amour de
soi-même fait naître en nous, selon les circonstances,
les deux sentiments désordonnés suivants; savoir :
1° L'amour-propre qui nous porte à être salisfait
de nos qualités personnelles, et à nous persuader que
nous inspirous aux autres une opinion aVaniageuse de
nous.
On sait assez que, parmi les produits de ce sentiment,
il faut compter celui qui nous porte à n’être jamais
mécontent de notre esprit, de notre jugement, de notre
intelligence; celui qui fait que nous prétendons poser
la limite des connaissances où les autres peuvent par-
venir ; d’après celle que notre degré d'intelligence et
nos Connaissances propres tracent pour nous; celui
enfin, qui fait que nous ne cherchons dans les ou-
vrages des autres, que no05 opinions, ou ce qui nous
flatte. Parmi ces produits excessifs, on sait encore qu’il
faut compter la vanité, l’ostentation, la suffisance, l’or-
gueil, en un mot, l'envie envers ceux qu’un vrai mé-
rite distingue;
233 INTRODUCTION.
2° L'égoïsme qui se distingne de l’amour-propre en
ce que l'individu égoïste n’a aucun égard à l'opinion
qu’on a de lui, et ne voit en tout que lui-même, et
que son intérêt, presque toujours mal jugé.
On sait que ce sentiment désordonné donne lieu à
l’avarice, à la cupidité, à la passion du jeu, etc.; nous
entraîne à ne connaîlre d’autre justice que notre inté-
rêt personnel; à faire au besoin, un accommodement
avec les principes; et nous porte en outre , à la con-
servation des préventions qui sont dans notre intérêt,
à l’indiflérence envers tout ce qui nous est étranger,
à la dureté, l’insensibilité à l'égard des peines, des
souffrances et des malheurs des autres, etc., etc.
Par les mêmes voies citées, l’amour de soi-même
donne lieu quelquefois , à une force d’action qui sem-
ble sans mesure; telle que l’audace, la témérilé même
de celui qui, animé par un grand intérêt, sans examen
des périls, s’y précipite aveuglément, et souvent sans
nécessité.
Par le sentiment intérieur et la pensée dirigée par la
raison , l'amour de soi-même, alors parfaitement réglé,
donne lieu à ses plus importants produits; savoir :
10 À la ferce qui constitue l’homme laborieux, que
la longueur et les difficultés d’un travail utile ne re-
butent point,
20 Au courage de celui qui, ayant la connaissance
du danger, s’y expose néanmoins lorsqu'il sent que cela
est nécessaire ;
30 À L'amour de la sagesse.
Or, ce dernier, qui seul constitue la vraie philoso-
phie, distingue éminemment l’homme qui, dirigé par
ce que l’observation , l’expérience, et une méditation
habituelle lui ont fait connaître, n’emploie dans ses
INTRODUCTION: 239
actions, que ce que la justice et la raison lui conseillent.
Ce qui le porte :
10 À l’amour de la vérité en toute chose ,; et à l’ac-
quisition de nouvelles connaissances posiliveset detout
genre, afin de rectifier de plus en pius ses jugements;
2° À fuir partout et en tout les extrêmes;
30 À la modération dans ses désirs, et à une sage
retenue dans ses besoins non essentiels;
4° À la mesure dans toutes ses actions, et à l’éloi-
gnement pour toute affectation quelconque ;
50 À la conservation des convenances partout ;
6o À l’indulgence, la tolérance, l’humanité, et Ja
bonté envers les autres;
7° À l’amour du bien public et de tout ce qui est
utile à ses semblables;
80 Au mépris de la mollesse, et à une espèce de
dureté envers lui-même , qui le soustrait à cette mul-
titude de besoins factices qui asservissent ceux qui s’y
livrent ;
9° À la résignation, et s’il est possible à l’impassi-
bilité morale dans les souffrances, les revers, les in-
justices , les oppressions, les pertes, etc.;
100 Au respect pour l’ordre, les institutions pu-
bliques, les autorités, les lois, la morale, en un mot,
Ja religion.
La pratique de ces dix maximes caractérise la vraie
philosophie, soustrait l’homme aux produits désor-
donnés de ses penchants, aux passions qui peuvent
l’agiter , et lui donne la dignité à laquelle il est le seul,
parmi les êtres intelligents, qui puisse atteindre.
Penchant à dominer.
Le penchant à dominer est le troisième de ceux qui
résultent de notre penchant à la conservation. Il est
240 INTRODUCTION,
constant en général dans tous les sommes, se manifeste
même dès leur enfance, et agit sans cesse à leur insu.
Ce penchant provient de ee qu’ils sentent intérieure-
ment que , plus ils l’emportent sur les autres en quel-
que chose, plus aussi ils en obtiennent de moyens
pour favoriser leur bien-être, et pourvoir à leur con-
servalion.
Le penchant dont il s’agit est le plus énergique de
ceux que nous tenons de la nature, et développe plus
ou moins ses produits selon que la destinée de l’indi-
vidu et les diverses circonstances de la situation où il
se trouve dans la société, y sont plus ou moins favo-
rables. En eflet, l’infortune , l’oppression et ia servi-
tude habituelle, l’éteignent en grande partie dans le
commun des hommes; tandis que le bonheur et les
succès constants accroissent alors considérablement son
énergie. De là vient que son activité est extrême dans
l’homme à qui tout prospère, et qu’au contraire, la
bonté, l'humanité, la modération, la sagesse même,
ne se rencontrent guère que dans celui qui a beaucoup
souffert de l’injustice des autres.
C’est ce penchant à dominer, en un mot, à l’em-
porter en quelque chose sur les autres, qui produit
dans l’iomme cette agitation sourde et générale, qui
ne lui permet point d’être entièrement satisfait de son
sort ; agitation qui devient d'autant plus active qu’il
a plus d'idées, et que son intelligence a recu plus de
développement , parce qu’il s’irrite alors continuelle-
ment des obstacles que son penchant rencontre de
toutes parls. à
On sait assez que nul n’est content de sa fortune,
quelle qu’elle soit; que nul ne l’est pareillement de
son pouvoir, et même que l’iomme qui déchoit dans
ces objets, est toujours plus malheureux que celui qui
n'avance point. Enfin, l’on sait que toute uniformité
FN TRODUCTION. 241
de situation physique et morale qu’un travail sou-
tenu ne détruit point, bornant nécessairement notre
tendance intérieure; celle uniformité, dis-je, amène
en nous ce vide, ce mal-être obscur de moral qu’on
nomme ennui, et nous fait du changement un besoin
insatiable, source de notre attrait pour la diversité. .
Ce même penchant nous porte donc continuelle-
ment à augmenter nos moyens de domination, et nous
pe manquons jamais de l’exercer, soit par le pouvoir,
soit par la richesse, soit par la considération, soit
enfin, par des distinctions d’un genre ou d’un ordre
quelconque, toutes les fois que nous en trouvons l’oc-
casion.
Dans les actions de l’homme, le penchant à dominer
se déguise sous une multitude infinie de formes, selon
les circonstances qui concernent Pindividu; mais il
est toujours assez facile de reconnaître son influence.
C’est ce penchant qui donne lieu à l’obstination
dans les disputes, à l'intolérance dans quelque genre
que ce soit, à la tyrannie envers ceux qui sont assu-
jettis à notre pouvoir, quel que soit son degré, enfin,
à la méchanceté et même à la cruauté, lorsque notre
intérêt de domination nous paraît l’exiger.
Lorsque nous ne dominons nullement, soit par le
pouvoir, soit par la richesse, le penchant dont il s’agit
nous porte alors à l’emporter sur les autres, au moins
en quelque chose, et dans ce cas, c’est lui qui nous
fait faire quelquefois des efforts extraordinaires pour
nous distinguer dans telle ou telle partie des sciences,
des lettres ou des beaux arts. De là vient que la plupart
de ceux qui dominent éminemment par la puissance
ou la richesse, mettent si peu d'intérêt à étendre leurs
connaissances, et font de la science et des talents un
cas si médiocre : ils ont, pour maîtriser les autres, une
voie plus assurée.
Tous 1. 16
242 INTRODUCTION.
L'un des produits les plus remarquables de notre
penchant à dominer est l'ambition ; sentiment dont le
germe est dans tous les hommes, se développe avec
l’âge et par l’espérance , mais n’acquiert de véhémence
que lorsque les circonstances ÿ sont favorables. Or,
l'ambition développée et transformée en passion par
des circonstances qui la favorisent, tourmente sans
cesse celui qui l’éprouve, accroît son énergie avec le
succès, et a pour caractère singulier, celui de n’être
jamais salisfaite. Ce sentiment véhément donne à ceux
qui sy abandonnent, ur désir ardent de parvenir,
per tout moyen, à la fortune , aux places ou aux di-
gnités , au crédit ou à la réputation, enfin à la puis-
sance. Sans doute, ces quatre tendances que donne
l'ambition, ont rarement lieu toutes à la fois, mais
seulement une seule ou quelques-unes d’entre elles,
selon les circonstances.
Je n’entreprendrai point d’analyser ici les divers
genres d’efforts, les voies et les moyens que le penchant
à dominer, et que l’ambition qui en est le résultat,
font employer aux diflérents individus, dans cette
multitude de situations où leur position particulière
dans la société les a placés : ils sont assez connus.
Répugnance pour sa destruction.
Le quatrième et dernier produit du penchant à la
conservation, est ce sentiment intérieur et naturel qui
donne à l’homme une répugnance ou une aversion
constante pour la destruction de son être. Ce senti-
ment, que l’homme seul possède, et qui lui est géné-
ral , parce que, très probablement , il est le seu! être
intelligent qui connaisse la mort, me paraît la source
de l'espoir qu’il a conçu d’une autre existence sans
terme, qui doit succéder pour lui à la première; et
INTRODUCTION. 243
‘peut-être une suggestion intime l’avertit-elle que cet
espoir est fondé. Or, l’homme ayant su s'élever jus-
qu’à l’ÈTRE SUPRÈME, par sa pensée, à l’aide de l’ob-
servation de la nature, ou par d’autres voies, cette
grande pensée a étayé son espérance, et lui a inspiré
des sentiments religieux, ainsi que les devoirs qu’ils
lui imposent.
Je ne montrerai point comment ces sentiments re-
ligieux peuvent être modifiés par certains de ces pen-
chants naturels qui, trop souvent, maîtrisent l’Aomme
dans ses actions; ni comment le fanatisme et l’intolé-
rance religieuse, qui diffèrent si considérablement de
la vraie piété, peuvent résulter de son penchant à la
domination. Ce qui précède doit suffire pour l’éclair-
cissement de ces objets.
Ayant indiqué le produit de la répugnance de
l’homme pour sa destruction, là, doit se borner tout
ce qui est du ressort du naturaliste , ainsi que tout ce
qu'il peut rapporter à la nature ; mais, comme je lai
dit, cette source de l'espoir de l’homme n’exciut point
d’autres voies qui ont pu l’éclairer sur un sujet si im-
portant pour lui.
Ici, se termine l’exposé succinct que j'ai entrepris
de faire des penchants de l’homme rapportés à leur
source, et qu'il tientévidemment de son organisation.
Ce n’est, sans doute, qu’une.esquisse très imparfaite
du sujet que je me suis proposé de traiter ; mais elle
suffit à l’objet que j'avais en vue, et se trouve fondée
sur des principes incontestables.
Comme naturaliste, je crois avoir rempli ma tâche;
et je le devais , parce qu’elle complète les considéra-
tions qui font connaître les produits de l’organisation.
Mais, celle de l’homme, profond observateur de ses
semblables, de leurs penchants, variés selon les cir-
conslances où ils se trouvent, enfin, des passions qui
16*
244 INTRODUCTION.
trop souvent les maïtrisent, lorsqu'ils ne se sont point
exercés à les dominer, celle-là, dis-je, reste encore
tout entière à pe
En effet, il s’agit, en cela, de pénétrer dans les dé-
tails des AbediEsrcà divisions ; d'assigner les complica-
tions de causes qui déterminent tant d'actions que
l’on observe; en un mot, de saisir et faire connaître
cette multitude de nuances délicates, dans les causes
agissantes, qui font varier de tant de manières les ac-
üons observées.
La diversité des goùls, des penchants, des désirs , et
même des passions, dou! les individus de lespèce hu-
maine ofirent des exemples, est si grande, que ceux
qui ont voulu étudier le cœur de l’homme , en sonder
la profondeur , pénétrer dans tous ses replis, l'ont re-
gardé comme un dédale immense dans lequel il était
bien dificile de ne point s’égarer.
Je ne prétends pas avoir dénoué complétement ce
nœud gordien; mais j'ai tenté d'introduire quelque
ordre dans l’étude de ce grand sujet, et je croïs avoir
monté les principales causes de nos penchants, et
même de nos passions; enfin , selon mes aperçus , j'ai
essayé d'établir les bases d'après lesquelles le défriche-
ment de ce vaste champ d’étude duit être opéré.
Ainsi, lorsque je considère l’homme, seulement sous
le rapport de son organisation et des lois de la nature,
je vois qu’il est, comme les animaux sensibles , assu-
jetti, dans ses actions, aux influences puissantes d’une
cause première, d'où dérivent ses penchants divers,
ainsi que ses passious; et, en eflet, en remontant à
cette source, je reconnais qu'il n’est presque aucune
des actions de l’Lomme qui ne puisse y être rapportée.
Je vois ensuile que, si, connaissant la cause pre-
mière de ses penchants, et la hiérarchie de celles qui
y ont subordonnées, l’on prend la peine de considérer,
INTRODUCTION. LE D
dans un individu quelconque, son sexe, son âge , sa
constitution physique, son état, sa fortune, les chan-
gements importants que celle dernière a pu lout-à-
coup subir, en un mot, les circonstances particulières
dans lesquelles cet individu se rencontre, il sera pos-
sible de prévoir, en général, la nature des actions qu'il
exécutera dans les cas qui peuvent nous intéresser,
Ce qui mérite sur-tout d’être remarqué, c’est que
l’homme est, de tous les êtres intelligents, celui sur
lequel l'influence des circonstances paraît exercer le
plus de pouvoir; ce qui est cause qu'il offre, dans ses
ualités ou sa manière d’être, les différences les plus
considérables relativement aux individus de son es-
pèce. On ne saurait croire jusqu'à quel point cette in-
fluence le modifie dans son intelligence, sa manière de
voir, de sentir, de juger. et même dans ses penchants.
En eflet , la situation des individus dans la société,
queile qu’elle soit, et par conséquent les circonstances
qui concernent leurs habitudes , leurs travaux , leur
état, leur fortune, leur naissance, leurs dignités, leur
pouvoir, etc., offrant une diversité presque iufinie; il
y en a aussi une si grande dans leurs qualités particu-
lières, qu’en considéraut les extrêmes, on trouve une
différence immense entre un homme et un autre. C’est
à celte cause , amenee par Ja civilisation, qu'est dû ce
défaut d'unité qu’on observe à l’égard des individus
de l’espèce humaine, quoique, dans tous, le type gé-
néral de l’organisation soit le même.
Ainsi, l'on peut dire que, de ious les êtres inielli-
gents, l’homune est celui qui présente, parmi les indi-
vidus de son espèce :
Tantôt, sous le rapport de l'intelligence, soit l’être
le plus ignorant, le plus pauvre en idées, le plus stu-
pide, le plus grossier, le plus vil, et quelquefois,
même , se trouvant presque au-dessous de l’animal à
246 . INTRODUCTION.
cet égard; soit l’être le plus spirituel, le plus solide en
jugement , le plus riche en idées et en connaissances,
enfin, celui dont le génie vaste atteint jusqu’à la su-
blimité ;
Et tantôt , sous le rapport du sentiment, soit l’être
le plus humain, le plus aimant, le plus bienfaisant ,
le plus sensible, le plus juste; soit le plus dur, le plus
injuste, ie plus méchant, le plus cruel, surpassant
même en méchanceté les animaux les plus féroces.
Le propre des circonstances dans lesquelles se trou-
vent les individus, dans une société quelconque, est
done de donner lieu à une diversité d’autant plas
grande dans leurs pensées, leurs sentiments, leurs
moyens et leurs actions , que }intelligence de ces in-
dividus a été plus ou moins exercée, et par suite, plus
ou moins développée.
Le développement de son intelligence , est, sans
doute, pour l’homme, d’un très grand avantage ; mais
l'extrême inégalité que la civilisation produit néces-
sairement dans celui des différents individus, ne sau-
rait être favorable au bonheur général. On en trouve
la cause dans le fait suivant bien observé. Plus l’in-
teiligence est développée dans un individu, plus ilen
obtient de moyens, et plus , en général , il en profite
pour se livrer avec succès à ses penchants. Or, les plus
énergiques de ces penchants, tels que lamour de soi-
même et sur-tout celui de Ja domination , se trouvant
favorisés par un plus grand développement d’intelli-
gence, l’on peut juger de l’étendue de leurs produits,
d’après le degré de puissance que cet individu possède
dans la société.
Cependant, que l’on ne s’y trompe pas, ainsi qu'un
célèbre auteur; si, sous certains rapports, l'intelligence
très développée fournit à ceux qui la possèdent, de
grands moyens pour abuser, dominer, maîtriser, et
INTRODUCTION. ; 247
irop souvent pour opprimer les autres; ce qui sem-
blerait rendre cette faculté plus nuisible qu’utile au
bonheur général de toute société, puisque la civilisation
entraîne une immense inégalité de lumières entre les
individus; sous d’autres rapports, cette même intelli-
gence, dans un haut degré, favorise et fortifie la raison,
fait mettre à profit l'expérience, en un mot, conduit
à la vraie philosophie, et, sous ce point de vue, dé-
dommage amplement ceux qui en jouissent. Ainsi, l’on
peut dire qu’elle est toujours très avantageuse aux in-
dividus qui en sont doués. Mais la multitude qui ne
saurait en posséder une semblable, en souffre néces-
sairement. Ce n’est donc que l'inégalité des lumières
entre les hommes qui leur est nuisible, et non les
lumières elles-mêmes.
Au moral, comme au physique, le plus fort abuse
presque toujours de ses moyens au détriment du plus
faible : tel est le produit des penchants naturels qu’une
forte raison ne modère pas.
D'après ce qui vient d'être exposé, je crois qu’il sera
facile de reconnaître pourquoi, parmi les différents
modes de gouvernement, ceux qui sont les plus favo-
rables au bonheur des nations sont si difficiles à établir;
pourquoi l’on voit presque toujours une lutte plus ou
moins grande entre les gouvernants qui la plupart
tendent au pouvoir arbitraire, et les gouvernés qui
s'efforcent de se soustraire à ce pouvoir; enfin, pour-
quoi cette portion de la liberté individuelle, qui est
compatible avec l’institution et exécution des bonnes
lois, éprouve tant d’obstacles pour être obtenue, et ne
peut long-temps se conserver là où l’on a pu l'obtenir.
Deux Lommes célèbres, mais sous des rapports bien
différents, ont adressé des maximes aux souverains :
l’un, pour la félicité des peuples: l’autre, au profit
du pouvoir arbitraire. Que lon compare le nombre des
248 | INTRODUCTION.
prosélites qu'a faits le premier, avec celui du second,
et l’on jugera de l’influence des causes que j'ai indiqutes!
Ainsi, cet ordre de choses, que l’on voit partout ,
tient à la nature de l’homme , et, quoi que l’on fasse,
sera toujours ce qu'il est. Le naturel de l’homme ne
s’efface jamais entièrement, quoiqu’à l’aide de la rai-
son il puisse être jusqu’à un certain point modifie.
Quel que soit le système de société dans lequel il
vit, l’hommeétant, de tous les êtres intelligents, celui
qui a le plus de penchants naturels et le plus de moyens
pour varier ses actions, on peut assurer qu'il sera tou-
jours agité, regretlant le passé, jamais satisfait du
présent, fondant continuellement son bonheur sur
l’avenir, et difficilement ou incomplétement heureux,
sur-tout si une forteraison, c’est-à-dire, la philosophie,
ne vient à son secours.
Je m'arrête là : le développement des objets qui
viennent d’être cités, m’éloignerait du but que je me
propose d'atteindre.
Passons maintenant à un sujet plus élevé et plus
grave encore que ceux dont nous nous sommes occupé
jusqu'ici, et qui est indispensable pour compléter la
liaison de Lout ce que nous avons exposé, même à l'égard
des animaux ; passons à l’objet qui devrait le plus inté-
resser le naturaliste, au plus important de ceux qu’il
était nécessaire de traiier dans cette Introduction ; en-
fin, à l’essai d’une détermination de ce qu'est réelle-
ment la nature, et des idées que nous devons nous
former de cette puissance à laquelle nous sommes forcés
d’attribuer tant de choses, en un mot, à laquelle les
animaux doivent tout ce qu'ils sont, et tout ce qu'ils
possèdent. (1)
(1) C’est dans cette partie principalement que se développe la pro-
fonder d'esprit de notre grand naturaliste : une logique puissante , un
INTRODUCTION. 249
admirable enchainement d'idées, cette manière si nouvelle d'envisager
les actes des animaux et de l'homme en particulier, de faire voir dans
des êtres «i divers ces artes soumis aux mêmes lois, et l'intelligence hu-
maine elle-même s’y soumettre et en faire reconnaître l'universalité de ces
lois, nous portersit à manifester notre admiration au bas de chacune des
pages qui précèdent. Dans un sujet comme celui-là ettraité d’une ma-
nière si supérieure, nous avons pensé que nous devions nous abstenir
de toute observation ; mais nous ne pouvons nous empêcher de recom-
mander la lecture et la méditation de cette cinquième partie, aussi bien
aux naturalistes qu'à toute personne qui s'intéresse aux progrès de la
physiologie de l'intelligence humaine.
250 INTRODUCTION.
SIXIÈME PARTIE.
DE LA NATURE, OU DE LA PUISSANCE, EN QUELQUE SORTE
MÉCANIQUE:, QUI À DONNÉ L'EXISTENCE AUX ANIMAUX,
ET QUI LES A FAITS NÉCESSAIREMENT CE QU'ILS SONT.
IL importe maintenant de montrer qu'il existe des
puissances particulières qui ne sont point des sntelli-
gences, qui ne sont pas mème des êtres individuels,
qui n’agissent que par nécessité, et qui ne peuvent
faire autre chose que ce qu’elles font. Or, si, selon
l’expression des naturalistes, les animaux font partie
des productions de la nature, voyons d’abord si ce
qu’on nomme la nature ne serait pas une de ces puis-
sances particulières dont je viens de parler. Nous exa-
minerons ensuile ce que peut ètre cette puissance sin
gulière, capable de donner l’existence à des êtres aussi
admirables que ceux dont il s’agit!
Cependant, la première pensée qui se présente lors-
que nous examinons cette question : quelle est l'origine
immédiate de l'existence des animaux ? est d’attribuer
celle existence à une puissance inteiligente et sans
bornes, qui les a faits, tous à la fois, ce qu'ils sont
chacun dans leur espèce.
Cette pensée, très juste au fond, prononce néan-
moins sur la question du mode d’exécution de la vo-
lonté supérieure , avant de savoir ce que l’observation
peut nous apprendre à cet égard. Comme les faits
observés et constalés sont des objets plus positifs que
INTRODUCTION. 251
nos raisonnements, ces faits nous forcent maintenant
de nous décider entre les deux questions suivantes :
La puissance intelligente et sans bornes qui a fait
exister tous les êtres physiques que nous observons, les
a-t-elle créés immédiatement et simultanément, ou
n’a-t-elle pas établi un ordre de choses, constituant
une puissance particulière et dépendante, maïs capable
de donner successivement l'existence à tant d'êtres
divers (1)?
À l’égard de ces deux modes d’exécution de la v0-
lonté supréme , ne supposant pas même la possibilité
du second, notre pensée, avant la connaissance des
faits, se décida en faveur du premier , et l’on va voir
que les apparences semblaient en étayer le fondement.
En effet, tous les corps que nous observons, nous
offrent généralement, chacun dans leur espèce, une exis-
tence, à la vérité, plus ou moins passagère , et même
pendant la durée de cette existence, nous voyons en eux
la possibilité ou la nécessité de subir divers change-
ments. Mais aussi, tous ces corps se montrent ou se
retrouvent constamment les mêmes à nos yeux, ou à
peu près tels, dans tous les temps, et on ies voit tou-
jours, chacun avec les mêmes qualités ou facaltés , et
avec la mème possibilité ou la mème nécessité d’éprou-
ver des changements.
D'après cela, dira-t-on , comment vouloir ieur sup-
poser une formation, pour ainsi dire, extrà-simultanée,
une formation successive et dépendante, en un mot,
une origine particulière à chacun d’eux, et dont le
principe puisse être déterminable ! pourquoi ne les
(1) L'étude des corps organisés des premiers âges de la terre, dont
on retrouve Jes débris à l’état fossile dans les couches solides des con-
ünents, a répondu en grande partie à ces questions, et justement, comme
nous l'avons vu, en rendant plus certaines les prévisions de Lamarck.
5% INTRODUCTION.
regarderait-on pas plutôt comme aussi anciens que la
nature, comme ayant la même origine qu’elle-même
et que tout ce qui a eu un commencemen! ?
C'est en effet ce que l’on a pensé, et ce que pensent
encore beaucoup de personnes même très instruites;
elles ne voient dans toutes les espèces, de quelque
sorte qu’elles soient, inorganiques ou vivantes; elles
ne voient, dis-je, que des corps dont l’existence leur
parait à peu près aussi ancienne que celle de la nature,
que des corps qui, malgré les changements et l’exis-
tence passagère des individus, se retrouvent les mêmes
dans tous les renouvellements.
Or, l’existence de ces espèces, que nous revoyons
toujours à très peu près semblables, quoique les corps
qui en constituent les individus, changent, passent
et reparaissent plus ou moins promptement , est donc,
disent ces mêmes personnes, le résultat d'un grand
pouvoir qui y a donné lieu, d’un pouvoir, en un mot,
au-dessus de toutes nos conceptions !
Il doit être eflectivement bien grand le pouvoir
qui a su donner l'existence à tous les corps, et les
faire généralement ce qu’ils sont! car, si l’on observe
un animal, même le plus imparfait, tel qu’un infu-
soire où un polype, on est frappé d’étonnement à la
vue de ce singulier corps, de son état, de la vie qu'il
possède , et des facultés qu’il en obtient; on l’est sur-
tout, en considérant que le corps si simple et si frêle
que je viens de citer, est non-seulement susceptible
de s’accroître et de se reproduire lui-même, mais qu'il
a, en outre, la faculté de se mouvoir; on l’est bien
davantage ensuite, à mesure que l’on observe les ani-
maux des ordres plus relevés , et principalement lors-
qu’on vient à considérer ceux qui sont les plus parfaits;
car, parmi les facultés nombreuses qui possèdent ces
derniers, il s’en trouve de la plus grande éminence,
INTRODUCTION. 353
puisque la faculté de sentir, qui est déjà si admirable
en elle même, est encore inférieure à celle de se for-
mer des idées conservables, de les employer à en
former d’autres, en un mot, de comparer les objets,
de juger, de penser. Cette dernière faculté sur-tout,
est pour nous une merveille si grande, qu’il nous
semble impossible que la nature soit capable d’en ame-
ner la production.
Si les animaux en qui nous observons de pareilles
facultés sont des machines, assurément, ces machines
sont bien dignes de notre admiration ! elles doivent
singulièrement nous étonner, puisque nous avons tant
de peine à les concevoir, et qu'il nous est absolument
impossible de faire quelque chose qui en approche.
Foutes ces considérations parurent et paraissent
donc encore aux persounes dont j'ai parlé, des motifs
suffisants pour penser que la nature n’est point la cause
productrice des différents corps que nous connaissons,
et que ces corps se remontrant les mêmes (en appa-
rence }, dans tous les lems, et avec les mêmes qualités
ou facultés, doivent être aussi anciens que la nature, et
avoir pris ieur existence dans la même cause qui lui a
donné la sienne.
S'il en est ainsi, ces corps ne doivent rien à la
nature, ils ne sont point ses productions, elle ne peut
rien sur eux, elle n’opère rien à leur égard , et dans
ce cas, elle n’est point une puissance, des lois fui sont
inutiles; enfin, le nom qu'on lui donne est un mot
vide de sens, s’il n’exprime que l'existence des corps,
et non un pouvoir particulier qui opère et agit immé-
diatement sur eux.
Mais si nous examinons tout ce qui se passe journel=
lement autour de nous, si nous recueillons et suivons
attentivement les faits que nous pouvons observer,
les idées si spécieuses que je viens de citer, perdront
ob4 INTRODUCTION,
alors de plus en plus le fondement qu’elles semblaient
avoir.
En effet , nous observons des changements, lents ou
prompis, mais réels dans tous les corps , selon les cir-
constances de leur nature et celles de leur situation:
en sorte que les uns se détériorent de plus en plus,
sans jamais réparer leurs pertes et sont à la fin détruits;
tandis que les autres qui subissent sans cesse des altéra-
tions et les réparent eux-mêmes pendant une durée
limitée, finissent aussi, néanmoins, par une destruc-
tion entière. Cependant, malgré ce dernier résultat
de tout corps quelconque ; nous en retrouvons cons-
tamment les mêmes sortes, les mêmes espèces, et nous
les rencontrons dans tous les états, dans tous les degrés
de changement.
Pouvons-nous donc méconnaître l’existence d’un
pouvoir général, toujours agissant, toujours opérant
des produits manifestes en changement, en formation
et en destruction des corps ! selon des circonstances fa-
vorables observées, ne voyons-nous pas nous-mêmes
plusieurs de ces corps se former presque sous nos veux,
tels que le soufre en certains lieux, l’alun dans d’autres,
le salpéire dans d’autres encore, etc. , etc.
Nos observations ne se bornent point seulement à
nous convaincre de lexistence d’un grand pouvoir
toujours agissant, qui change, forme, détruit et
renouvelle sans cesse les différents corps; elles nous
montrent, en vutre, que ce pouvoir est limité, tout-
à-fait dépendant , et qu'il ne saurait faire autre chose
que ce qu’il fait: car ilest partout assujetti à des lois
de différents ordres qui règlent toutes ses opérations;
lois qu'il ne peut ni changer, ni transgresser, et qui
ne lui permettent jamais de varier ses moyens dans la
même circonstance.
Non-seulement ce grand pouvoir existe; maïs il a
INTRODUCTION: 255
lui-même celui d’en instituer d’autres, pareillement
dépendants, moins généraux, et parmi lesquels on en
connaît un qui est encore admirable dans ses produits.
En eflet, dans l’organisation, animée par la wie,
nous remarquons une véritable puissance qui change,
qui répare, qui détrait, et qui produit des objets qui
n’eussent jamais existé sans elle.
Cette puissance particulière, qu’on nomme la we,
et dont tous les corps vivants sont l’unique domaine,
agit Loujours nécessairement, selon des lois régulatrices
de tous ses actes. Nous lavons effectivement déjà suivie
dans un grand nombre des actes qu’elle opère ; nous
avons même saisi plusieurs de ses lois, et nous nous
sommes assuré qu'elle agit toujours de la même ma-
nière , dans les mêmes circonstances. Mais la puissance
dont il est question, n’exerce son pouvoir que sur une
seule sorte de corps, et comme elle est le produit de
la puissance générale qui l’a établie, elle se détruit
elle-même dans chaque corps de son domaine; tandis
que l’autre subsiste toujours Ja même, parce qu’elle
tient son existence d’une source bien différente et in-
finiment supérieure!
Ainsi, le pouvoir général qui embrasse dans son
domaine tous les objets que nous pouvons apercevoir ,
de même que ceux qui sont hors de la portée de nos
observations, et qui a donné immédiatement l’exis-
tence aux végétaux , aux animaux, ainsi qu'aux autres
corps, est véritablement un pouvoir limité et en quel-
que sorte aveugle, un pouvoir qui n'a ni intention,
ni but, ni volonté; uu pouvoir qui, quelque grand
qu’il soit, re saurait faire autre chose que ce qu’il
fait; en un mot, un pouvoir qui n’existe lui-même
que par la volonté d’une puissance supérieure et sans
bornes, qui l'ayant institué, est réellement l’auteur
de tout ce qui en provient, enfin de tout ce qui existe,
256 INTRODUCFION.
Le pouvoir aveugle et limité dont il s’agit, et que
nous avons tant de peine à reconnaître, quoiqu'il se
manifeste partout, n’est point un être de raison : il
existe certainement, et nous n’en saurions douter,
puisque nous observons ses actes, que nous le suivons
dans ses opérations , que nous voyons qu'il ne fait rien
que graduellement, que nous remarquons qu’il est
partout soumis à des lois, et que déjà nous sommes par-
venus à connaître plusieurs de celles qui le régissent.
Or, ce pouvoir circanscrit, que nous avons si peu
considéré , si mal étudié ; ce pouvoir auquel nous at-
tribuons presque toujours une intention et un but
dans ses actes; ce pouvoir enfin, qui fait toujours né-
cessairement les mêmes choses dans les mêmes circons-
tances, et qui néanmoins, en fait tant et de si admi-
rables , est ce que nous nommons la nature.
Qu'est-ce donc que la nature? Qu'est- elle cette
puissance singulière qui fait tant de choses, et qui ce-
endant est constamment bornée à ne faire que celles-
là? Qu’est-elle, encore, cette puissance qui ne varie
ses actes qu'aulant que les circonstances , dans les-
quelles elle agit, ne sont point les mêmes? Enfin, à
quoi s'applique ce mot la nature, cette dénomination si
souvent employée, que toutes les bouches prononcent
si fréquemment , et que l'on rencontre presqu'à chaque
ligne dans les ouvrages des naturalistes, des physi-
ciens et de tant d'autres ?
Il importe assurément de fixer à la fin nos idées,
s’ilest possible, sur une expression dont la plupart des
hommes se servent communément, les uns par habi-
tude et sans y attacher aucune idee déterminée, les
autres en y appliquant des idées réellement fausses.
A l’idée que l’on s’est formée d’une puissance, l’on
a presque toujours associé celle d’une intelligence qui
dirige ses actes, et par suite, l’on a atlribué à cette
INTRODUCTION. 25
puissance une intention, un but, une volonté. Sans
doute, on ne peut nier qu’il n’en soit ainsi à l'égard
du pouvoir suprême; mais il y à aussi des puissances
assujetties et bornées, qui n’agissent que nécessaire-
ment, qui ne peuvent faire autre chose que ce qu'elles
font, et qui ne sont point des éntellisences : ce sont
seulement des causes agissantes; et même toute cause
capable de produire un eflet, est déjà une puissance
réelle; à plus forte raison celle qui en produit de nom-
breux et de très remarquables.
Par exemple, tout ordre de choses, animé par un
mouvement, soit épuisable , soit inépuisable, est une
véritable puissance dont les actes amènent des faits
ou des phénomènes quelconques.
La vie, dans un corps, en qui l’ordre et l’état de
choses qui s’y trouvent, lui permettent de se mani-
fester, est assurément, comme je l’ai dit, une véritable
puissance qui donne lieu à des phénomènes nombreux;
cette puissance, cependant, n’a ni but, ni intention,
ne peut faire autre chose que ce qu’elle fait, et n’est
elle-même qu'une cause agissante, et non un être
particulier.
Or, il s’agit de montrer que la nature est tout-à-fait
dans le même cas; avec cette différence que sa source
est inépuisable , tandis que celle de la wie se tarit né-
cessairement. s
Sans doute, sur ce qui concerne la nature, je n’ai
à dire que très peu de choses relativement à ce qui
n’est pas encore bien connu; mais ce peu de choses est
positif, puisqu'il est fondé sur les faits. Or, la con-
naissance de ce que je puis montrer à ce sujet doit être
importante; car elle seule peut nous aider à découvrir
Ja source de tout ce que nous observons à l'égard des
animaux et des autres corps que nous pouvons aper-
cevoir. Il est donc nécessaire de l’exposer et de fixer
Tome 1. 17
258 INTRODUCTION.
nos idées sur des objets que l'observation nous a fait
connaître.
Parmi les différentes confusions d’idées auxquelles
le sujet que j'ai ici en vue a donné lieu, j'en citerai
deux comme principales; savoir : celle qui consiste en
ce que bien des personnes regardent comme synonymes,
les mots nature et univers ; et celle qui fait penser à la
plupart des hommes, que la nature et son SUPRÈME
AUTEUR sont pareillement synonymes.
Je vais essayer de montrer que ces deux considé-
rations sont l’une et l’autre sans fondement, et com-
mencer par refuter la première.
Ces deux mots, la nature et l’univers, si souvent
employés et confondus , auxquels on n’attache, en gé-
néral, que des idées vagues, et sur lesquels la déter-
mination précise de l’idée que l’on doit se former de
chacun d’eux, paraît une foile entreprise à certaines
personnes, me semblent devoir être distingués dans
leur signification ; car ils concernent des objets essen-
tiellement différents. Or, cette distinctiôn est tellement
importante que, sans elle, nous nous égarerons tou-
jours dans nos raisonnements sur tout ce que nous
observons.
Pour moi, la définition de l’univers ne peut être
autre que Ja suivante >
L'univers est l’ensemble inactif ,et sans puissance
qui lui soit propre, de tous les êtres physiques et
passifs, c’est-à-dire, de toutes les matières et de tous
les corps qui existent.
C’est donc du monde on de l’univers physique dont
il s’agit uniquement dans cette définition. Ne pouvant
parler que de ce qui est à la portée de nos observations,
c’est seulement de celles des parties de l’univers que
nous apercevons, qu’il nous est possible de nous pro-
INTRODUCTION. 259
curer quelques connaissances , tant sur ce que sont ces
parties elles-mêmes, que sur ce qui les concerne.
Là, se bornent tout ce que nous pouvons raison-
nablement dire de lunivers. Chercher à expliquer sa
formation, à déterminer tous Îles objets qui entrent
dans sa composilicn , serait assurément une folie. Nous
n’en avons pas les moyens; nous n’en connaissons que
très peu de choses; nous savons seulement que son
existence est une réalité.
Cependant, la matière faisant la base de toutes ses
parties, je puis montrer qu'il est en lui-même inactif
et sans puissance propre, et que ce que nous deyons
entendre par le mot ja nature lui est tout-à-faitétranger.
En eflet, en approfondissant ce grand sujet, d’après
tout ce que j'apercois , je crois, d’abord, pouvoir
assurer, à l’égard de l’ensemble des matières et des
corps qui forment l'univers physique, que cet ensemble
est lui-même immutable ou indestructif, et qu’il sub-
sistera tel qu’il est, tant que la volonté de son SUBLIME
AUTEUR le permettra; ensuite, j’oserai dire que ce
même ensemble n’est point et ne peut être une puis-
sance; qu’il ne peut avoir d'activité propre; et que,
conséquemment, il n’en saurait avoir sur ses parties ,
Ja source de toute activité lui étant étrangère; enfin,
je crois être fondé à dire encore que toutes les parties
de l'univers physique n’ont pas plus d'activité que
l’ensemble qu’elles composent, que toutes sont réelle-
ment passives, et que ce sont elles qui constituent
l'unique et vaste domaine de la nature.
Or, la nature ne se trouve nullement dans cette
catégorie; ce n’est, en effet, ni un corps, ni un être
quelconque, ni un ensemble d’êtres, ni un composé
d'objets passifs; c’est, au contraire, comme nous l’al-
lons voir, un ordre de choses particulier, constituant
TE
260 INTRODUCTION.
une véritable puissance, laquelle est, néanmoins,
assujettie dans tous ses actes.
Effectivement, c’est la nature qui fait exister, non
la matière, mais tous les corps dont la matière est
essentiellement la base; et comme elle n’a de pouvoir
que sur cette dernière, et que son pouvoir à cet égard
ne s'étend qu'à la modifier diversement , qu’à changer
et varier sans cesse ses masses particulières , ses associa-
tions, ses aggrégats, ses combinaisons différentes, on
peut être assuré que, relativement aux corps, c’est
elle seule qui les fait ce qu’ils sont, et que c’est elle
encore qui donne, aux uns, les propriétés, et aux
autres, les facultés que nous leur observons.
Qu'est-ce donc, encore une fois, que la nature?
serait-ce une intelligence ?
Non, assurément, la zature n’est point une intelli-
gence : je vais essayer de le prouver. Mais, auparavant,
voici la définition que j'en donnerai :
La nature est un ordre de choses, étranger à la ma-
tière, déterminable par Fobservation des corps, et
dont l’ensemble constitue une puissance inaltérable
dans son essence, assujettie dans tous ses actes, et cons-
tamment agissante sur toutes les parties de l’univers.
Si l’on oppose cette définition à celle de l’univers qui
n’est que l’ensemble des êtres physiques et passifs,
c’est-à-dire, que l'ensemble de tous les corps et de
toutes les matières qui existent, on reconnaîtra que ces
deux ordres de choses sont extrêmement différents,
tout-à-fait séparés, et ne doivent pas être confondus.
En ayant eu, presque de tout temps, le sentiment
intime , quoique nous ne nous en soyons jamais rendu
compte, nous ne les avons pas effectivement confondus;
car, pressentant cet ordre inaliérable de causes sans
cesse actives, et le distinguant des êtres passifs qui y
sont assujettis, nous l'avons personnifié, à l’aide de
INTRODUCTION. 261
notre imagination , sous la dénomination de la nature;
et depuis, nous nous servons habituellement de cette
expression, sans fixer les idées précises que nous devons
y attacher.
Nous verrons dans l'instant que les objets, non
physiques, dout l’ensemble constitue la nature, ne
sont point des êtres, et conséquemment, ne sont ni
des corps, ni des matières; que cependant nous pou-
vons les connaîire; que ce sont même les seuls objets,
étrangers aux corps et aux matières, dont nous puissions
nous procurer une reconnaissance positive.
En effet, cette connaissance nous étant parvenue
par l'observation des corps, comme on le verra tout-
à-l’heure, s’est trouvée à notre portée, et en notre
pouvoir. Ainsi, hors de Ja nature, hors des corps et
des matières qui peuvent se rendre sensibles à nos sens,
nous ne pouvons rien observer, rien connaître d’une
manière positive.
Reprenons notre examen de ce qu’est réellement la
nature, ei sa comparaison avec les objets qui forment
son immense domaine,
Si la définition que j’ai donnée de la nature est fon-
dée, il en résulte que cette dernière n’est qu'un
ensemble d’objets non physiques, c’est-à-dire, étran-
gers aux parties de lunivers et que nous n’ayons
connus qu'en observant les corps ; et que cet ensemble
forme un ordre de causes toujours actives, et de moyens
qui régularisentet permettent les actions de ces causes;
ainsi la zature se compose :
10 Du mouvement, que nous ne connaissons que
comme la modification d'un corps qui change de lieu,
qui n’est essentiel à aucune matière, à aucun corps,
el qui est cependant inépuisable dans sa source, et se
trouve répandu dans toutes les parties des corps;
29 De lois de tous les ordres qui, constantes et
262 INTRODUCTION,
immutables, régissent tous les mouvements, tous les
changements que subissent les corps; et qui mettent
dans l'univers, loujours changeant dans ses parties
et cependant toujours le même dans son ensemble, un
ordre et une harmonie inaltérables,.
La puissance assujettie qui résulte de l’ordre de
causes aclives que je viens d'indiquer , a sans cesse à sa
disposition :
10 L'espace, dont nous ne nous sommes formé l’idée
qu’en considérant le lieu des corps, soit réel, soit
possible ; que nous savons être immobile, par-tout pé-
nétrable et indéfini: qui n’a de parties finies que celles
des lieux que remplissent les corps, enfin, que celles
qui résultent de nos mesures d’après les corps et d’après
les lieux que ces corps peuvent successivement occu-
per en se déplaçant;
0 Le temps ou la durée, qui n’est qu’une conti-
nuité, avec ou sans terme, soit du mouvement, soit de
l’existence des choses ; et que nous ne sommes parvenus
à mesurer, d’une part, qu’en considérant la sueces-
sion des déplacements d’un corps, lorsqu'étant animé
d’une force uniforme, nous avons divisé en parties,
Ja ligne qu'il a parcourue, ce qui nous a donné l’idée
des durées finies et relatives; et, de l’autre part,
lorsque nous avons comparé Îles diflérentes durées
d’existence de divers corps, en les rapportant à des
durées finies et déjà connues.
Ainsi, lon peut maintenant se convaincre que
l’ordre de causes toujours aclives qui constitue la na-
ture , et que les moyens que cette dernière a sans cesse
à sa disposition, sont des objets essentiellement distinets
de l’ensemble des êtres physiques et passifs dont se
compose l'univers; car, à l’égard de la nature, ni le
mouvement , ni les lois de tous les genres qui régissent
ses actes, ni le temps et l’espace dont elle dispose sans
INTRODUCTION. 63
limites, ne sont le propre de la matière; et l’on sait
que la matière est la base de tous les êtres physiques
dont l’ensemble constitue l'univers.
La définition de l’univers physique, réduite à la
simplicité qui peut la rendre convenable, en donne
donc une idée exacte en montrant que la matière et
que les corps dont la matière est la base, le constituent
exclusivement; que, conséquemment, ni cet univers,
ni ses parties, quelles qu’elles soient, ne sauraient
avoir en propre aucune activilé, aucune sorte de puis-
sance. Or, ces considérations ne sont nullement appli-
cables à la nature; car celles qu’elle nous présente
sont tout-à-fait opposées.
1j a fallu avoir observé au moins un sue nombre
des changements qui s’exécutent continuellement et
partout dans les parties de l’univers, pour apercevoir,
enfin, l'existence de cette puissance étendue, mais as-
sujettie dans ses actes, qui constitue la nature; de cette
puissance essentiellement étrangère à la matière et aux
corps qui en sont formés , et qui produit tous les
changements que nous observons dans les différentes
parties de l'univers, ainsi que ceux que nous ne pou-
vons observer.
L'on a vu que la vie que nous remarquons dans
certains corps, ressemblait en quelque sorte à Ja na-
ture, en ce qu’elle n’est point un être, mais un ordre
de choses animé de mouvements , qui a aussi sa puis-
sance , ses facultés , et qui les exerce nécessairement ,
tant qu’il existe; la wie, cependant, présente cette
différence considérable qui ne permet plus de la met-
tre en com paraison avec la nature; c’est que, ne tenant
ses moyens et son existence que de cette dernière
même , elle amèue sa propre destruction ; tandis que
la nature, comme tout ce qui a été créé directement,
est immutable, inaltérable , et ne saurait avoir de
264 INTRODUCTION.
terme que par la volonté suprême qui seule l’a fait
exister (1).
Passons à la seconde erreur que nous avons déjà ci-
tée en parlant des confusions d’idées auxquelles la
considération de la nature a donné lieu, et tàächons
de la détruire,
On a pensé que la nature était DrEu même : c’est,
en effet, l’opinion du plus grand nombre ; et ce n’est
que sous cette considération , que l’on veut bien ad-
mettre que les animaux , les vÉgELAUT , elc., sont ses
productions.
Chose étrange! l’on a confondu la montre avec
l’horloger:, l’ouvrage avec son auteur. Assurément,
cette idée est inconséquente, et ne fut jamais appro-
fondie. La puissance qui a créé la nature, n’a, sans
doute, point de bornes, ne saurait être restreinte ou
assujettie dans sa volonté, et est indépendante de
toute loi. Elle seule peut changer la nature et ses lois;
elle seule peut même les anéantir; et quoique nous
n’ayons pas une connaissance positive de ce grand ob-
jet, l’idée que nous nous sommes formé de cette puis-
sance sans bornes , est au moins Ja plus convenable de
(1) I arrive à la plupart des hommes de confondre dans leur esprit,
l’êwe matériel, et les propriétés ou les facultés dont il jouit : il est en-
pe. très difficile de séparer ces deux choses très distinctes. La nature
est un érdre de phénomènes appliqué à!tout ce qui constitue l'univers;
la vie est un ordre dé phénomènes propres aux corps vivants ; mais la
nature et la vie ne sont pointexistants par eux-mêmes, et nous devons
admirer Lamarck , qui a développé ces vérités avec tant de. logique et
de raison, Cette habitude de matérialiser les choses les plus immaté-
riclles se montre dans presque toutes les sciences. L'art médical sur-
tout à été retardé dans sa marche rationnelle, parce que chaque ma-
ladie était une entité qu’il fallait combattre et détruire , tandis que la
maladie n’est aussi qu'un ordre de choses résultant d’une altération
dans les parties d’un être vivant.
Nous pourrions facilement maltiplier les exemples.
( INTRODUCTION. 265
celles que l’homme ait dû se faire de la Divinité, lors-
qu'il a su s'élever par la pensée jusqu’à elle.
Si la nature était une intelligence , elle pourrait
vouloir , elle pourrait changer ses lois, ou plutôt elle
n'aurait point de lois. Enfin, si la nature était Dreu
même , sa volonté serait indépendante, ses actes ne se-
raient point forcés. Mais il n’en est pas ainsi; elle est
partout , au contraire , assujettie à des lois constantes
sur lesquelles elle n'a aucun pouvoir ; en sorte que,
quoique ses moyens soient infiniment diversifiés et
inépuisables , elle agit toujours de même dans chaque
circonstance semblable , et ne saurait agir autre-
ment (1).
Sans doute, toutes les lois auxquelles la nature est
assujettie, dans ses actes, ne sont que l’expression de
la volonté suprême qui les a établies; mais la nature
n’en est pas moins un ordre de choses particulier ,
qui ne saurait vouloir, qui n’agit que par nécessité,
et qui ne peut exécuter que ce qu’il exécute.
Beaucoup de personnes supposent une ame univer-
selle qui dirige, vers un but qui doit être atteint, tous
les mouvements et tous les changements qui s’exécu-
tent daus les parties de l'univers.
Cette idée, renouvelée des anciens qui ne s’y bor-
(1) Cette nécessité dans les actes de la nature est importante à consi-
dérer, et elle est tout-à-fait incontestable : la physique , la chimie sont
fondées sur ce principe. Un acide et une base produisent toujours un sel;
et nécessairement le même sel sera formé toutes fois que la base et l’a-
cide seront dans les mêmes circonstances favorables à leur combinai-
son, elc., etc. Cette négessité des actes de la nature ne peut être con-
testée, pour ce qui a ralore aux corps inorganiques; on ne la reconnaît
pas dans les lois qui régissent les corps vivants, quoiqu’elle y existe
aussi , car ils ne sont pas, et ils ne peuvent être le résultat du hasard ou
de combinaisons fortuites; ils sont soumis à des Lois : donc ces lois sont
nécessaires , car la nature ne fait rien de superflu.
266 INTRODUCTION.
LS
naïent pas, puisqu'ils attribuaient en même temps
une ame particulière à chaque sorte de corps , n’est-
elle pas au fond semblable à celle qui fait dire à pré-
sent, que la nature n’est autre que Dieu même ? Or,
je viens de montrer qu’il y a ici confusion d'idées in-
compalibles, et que la nature n’étant point un être,
une intelligence, mais un ordre de choses partout
assujetti, on ne saurait absolument la comparer en
rien à l’étre supréme dont le pouvoir ne saurait être
limité. par aucune loi.
C’est donc une véritable erreur que d'attribuer à la
nature un but, une intention quelconque dans ses
opérations; el cette erreur est des plus communes
parmi les naturalistes. Je remarquerai seulement que
si les résultats de ses actes paraissent présenter des
fins prévues , c’est parce que, dirigée partout par des
lois constantes, primilivement combinées pour le but
que s’est proposé son Supréme Auteur, la diversité
des circonstances que les choses existantes Jui offrent
sous tous les rapports, amène des produits toujours en
harmonie avec les lois qui régissent tous les genres de
changement qu’elle opère; c’est aussi, parce que ses
lois des derniers ordres sont dépendantes, et régies
elles-mêmes par celles des premiers ou Ges supérieurs.
C’est sur-tout dans les corps vivants, el principale-
ment dans les animaux, qu’on a cru apercevoir un
but aux opérations de la nature. Ce but cependant
n’y est là, comme ailleurs, qu'une simple apparence
et non une réalité. En effet, dans chaque organisation
particulière de ces corps, un ordre de choses, préparé
par les causes qui l’ont graduellerilént établi, n’a fait
qu’amener par des développements progressifs de par-
lies, régis par les circonstances, ce qui nous paraît être
un but, et ce qui n’est réellement qu’une nécessité.
Les climats, les situations, les milieux habités , les
INTRODUCTION. 267
moyens de vivre et de pourvoir à sa conservation ; en
un mot, les circonstances particulières dans lesquelles
chaque race s’est rencontrée, ont amené les habitudes
de cette race; celles-ci y ont plié et approprié les or-
ganes des individus; et il en est résulté que Fharmo-
nie que nous remarquons partout entre l’organisation
et les habitudes des animaux, nous paraît une fin pré-
vue, tandis qu'elle n’est qu’une fin nécessairement
amenée (1).
La nalure n’étant point une intelligence, n’étant
pas même un êlre, mais un ordre de choses constituant
une puissance partout assujeltie à des lois, la nature,
dis-je, n’est donc pas Dreu même. Eile est le produit
sublime de sa volonté toute puissante ; et pour nous,
elle est celui des objets créés le plus grand et le plus
admirable.
Ainsi, la volonté de Dieu est partout exprimée par
l'exécution des lois de la nature, puisque ces lois vien-
nent de lui. Gette volonté néanmoins ne saurait y être
bornée , la puissance dont elle émane n'ayant point
de limites. Cependant , il n’en est pas moins très vrai
que, parmi les faits physiques et moraux, jamais nous
n’avons occasion d’en observer un seul qui ne soit vé-
ritablement le résultat des lois dont il s’agit.
Pour l’homme qui observe et réfléchit, le spectaele
de l'univers animé par la nature, est sans doute très
imposant, propre à émouvoir, à frapper l’imagination,
et à élever esprit à de grandes pensées. Tout ce qu'il
(1) Qu'est-ce donc que ce nisus formateur dont on s’est servi pour
expliquer, à l’égard des corps vivants, soit les faits généraux de déve-
loppement et de variation de ces corps, soit les faits particuliers que
présente l’histoire physique de l’homme dans les variétés reconnues de
son espèce ; qu'est-ce; dis-je, que le nisus formateur dont il s’agit; si
ce n’est cette puissance mème de la nature que je viens de signaler.
( Note de Lamarck. )
268 INTRODUCTION,
aperçoit lui paraît pénétré de mouvement, soit effec-
tif, soit contenu par des forces en équilibre. De tous
côtés, il remarque , entre les corps, des actions réci-
proques et diverses, des réactions, des déplacements,
des agitations, des mutations de toutes les sortes , des
altérations, des destructions, des formations nouvelles
d’objets qui subissent à leur tour le sort d’autres sem-
blables qui ont cessé d'exister, enfin, des reproductions
constantes, mais assujetties aux influences des circons-
tances qui en font varier les résultats; en un mot, il
voit les générations passer rapidement , se succéder
sans cesse, et en quelque sorte, comme on l’a dit: « se
« précipiter dans labime des temps. »
L’observateur dont je parle , bientôt ne doute plus
que le domaine de la nature ne s’étende généralement
à tous les corps. Il conçoit que ce domaine ne doit
pas seborner aux ôbjets qui composent le globe que
nous habitons, c’est-à-dire, que la nature n’est point
restreinte à former, varier , multiplier, détruire et
renouveler sans cesse les animaux , les végétaux et les
corps inorganiques de notre planète. Ce serait , sans
doute, une erreur de le croire , en s’en rapportant à
cet égard à l’apparence; car le mouvement répandu
partout, et ses forces agissantes, ne sont probablement
nulle part dans un équilibre parfait et constant. Le
domaine dont il s’agit, embrasse donc toutes les par-
ties de l’univers, quelles qu’elles soient; et consé-
quemment , les corps célestes, connus ou inconnus,
subissent nécessairement les effets de Ja puissance de
la nature. Aussi, l’on est autorisé à penser que , quel-
que considérable que soit la lenteur des changements
qu’elle exécute dans les grands corps de l'univers, tous
néanmoins y sont assujellis; en sorte qu'aucun corps
physique n’a nulle part une stabilité absolue,
Ainsi , la nature, toujours agissante , toujours im-
INTRODUCTION. | 260
passible, renouvelant et variant toute espèce de corps,
n’en préservant aucun de la destruction , nous offre
une seène imposante et sans terme, et nous montre
en elle une puissance particulière , qui n’agit que par
nécessité.
Tei est l’ensemble de choses qui constitue la nature,
et dont nous sommes assurés de l’existence par l’ob-
servation; ensemble qui n’a pu se faire exister lui-
même, et qui ne peut rien sur aucune de ses parties ;
ensemble qui se compose de causes ou de forces tou-
jours actives, toujours régularisées par des lois, et de
moyens essentiels à la possibilité de leurs actions ;
ensemble, enfin, qui donne lieu à une puissance assu-
jettie dans tous ses actes, et néanmoins admirable dans
tous ses produits. :
La nature reconnue atteste ellemême son auteur,
et présente une garantie de la plus grande des pensées
de l’homme , de celle qui le distingue si éminemment
de ceux des autres êtres qui ne jouissent de l’intelli-
gence que dans des degrés inférieurs , et qui ne sau-
raient jamais s’élever à une pensée aussi grande,
Si l’oir ajoute à celle vérité la suivante: savoir : que
le terme de nos connaissances positives n’emporte pas
nécessairement celui de ce qui peut exister, on aura
en elles les moyens de renverser les faux raisonnements
dont l'immoralité s’autorise, ;
Reprenons la suite des développements qui caracté-
risent la nature, et qui montrent le vrai point de vue
sous lequel on doit la considérer.
Paisque la nature est une puissance qui produit ,
renouvelle, change, déplace, enfin, compose et décom-
pose les différents corps qui font partie de l'univers ;
on conçoit qu'aucun changement, qu'aucune forma-
tion, qu'aucun déplacement ne s'opère que conformé-
ment à ses lois, Et, quoique les circonstances fassent
’
270 INTRODUCTION.
quelquefois varierses produits et cellesdes lois qui doi-
vent être employées, c’est encore, néanmoins, par des
lois de la nature queces variations sont dirigées. Ainsi,
certaines irrégularités dans ses actes, certaines mons-
truosilés qui semblent contrarier sa marche ordinaire,
les bouleversements dans l’ordre des objets physiques,
en un mot, les suites trop souvent affligeantes des pas-
sions de l’homme, sont cependant le produit de ses
propres lois et des circonstances qui y ont donné lieu.
Ne sait-on pas, d’ailleurs, que le mot de Aasard n’ex-
prime que notre ingnorance des causes.
À tout cela, j'ajouterai que des désordres (1) sont
sans réalité dans la nature, et que ce ne sont, au con-
traire, que des faits dans l’ordre général, les uns peu
connus de nous, et les autres relatifs aux objets parti-
culiers, dont l'intérêt de conservation se trouve néces-
sairement compromis par cet ordre général. (Philos.
zool., vol, 2, p. 465.)
Qui ne sent, en eflet, que si le propre de la nature
est de changer, produire, détruire, renouveler et va-
rier sans cesse les différents corps, ceux de ces corps
qui possèdent la faculté de sentir, de juger et de rai-
sonner, et qui, par les lois mêmes de la nature, s’inté-
ressent essentiellement à leur conservation , et à leur
bien-être; ceux-là, dis-je, considéreront comme dé-
(1) Le désordre est un ordre de choses différent de ce que nous nom-
mons arbitrairement l'ordre. L'ordre est pour nous un arrangement
facile à discerner entre un certain nombre d'objets ; le désordre est un
arrangement confus et difficile à discerner entre les mêmes objets.
L'ordre et le désordre sont donc des idées relatives à nous : il n'ya
point de désordre absolu ; c’est un ordre diflérent. Il n'y a pas non
plus de bien et de mal absolus , ce sont encore des idées relatives à
uous : que l’on y pense bien et l’on reconnaïtra que c’est là une grande
et solide vérité.
. INTRODUCTION: 271
sordre tout ce qui compromet cette conservation et ce
bien-être qui les intéressent si fortement (1).
Le bien ou le mal dans l’univers n’est done aue
relatif à l’intérêt particulier de chaque partie : il n’a
rien de réel, soit à l’égard de l’ensemble qui constitue
l’univers physique , soit relativement à l’ordre de
choses auquel ses parties sont assujetLies ; car ces deux
objets sont inaltérablement ce que la puissance qui les
a fait exister a voulu qu’ils fussent.
Si la nature ne peut autre chose : sur la matière, que
la modifier, qu’en déplacer, réunir, désunir et com-
biner des portions; sur le mouvement , que le diversi-
fier d’une infinité de manières différentes ou l’opposer
à lui-même ; sur ces propres lois , qu'employer néces-
sairement celle qui, dans chaque circonstance, doit
résler son opération; sur l’espace, qu’en remplir et
désemplir localement et temporairement des parties;
en un mot, sur le tems, qu’en employer des portions
diverses dans ses opérations; elle peut tout, néanmoins,
à l’aide de ces moyens, et c’est elle effectivement qui
fait tout, relativement aux diflérents corps et aux faits
physiques que nous observons.
On peut donc regarder maintenant comme une con-
(1) On sent de là combien Voltaire , dans ses questions sur l’Ency=
clopédie, et les philosophes qui eurent la même opinion , se sont abu-
sés, en supposant à Dieu, soit impuissance, soit méchanceté , à l'égard
des maux ou des désordres en question; ces philosophes considérant
comme maux et comme désordres, ce qui tient essentiellement à la na-
ture des choses, c’est-à-dire , ce qui n’est que le résultat d’un ordre
général et constant de changements , d’altérations , de destructions et
de renouvellements à l'égard des corps de tout genre.
J.-J. Rousseau réfuta Voltaire par sentiment ; mais il l’eût fait plus
victorieusement encore, s’il eût reconnu cet ordre général institué dans
les diverses parties de l’univers par le puissant AuTEuR de tout ce qui
existe. ( Note de Lamarck.)
272 INTRODUCTION,
naissance positive que, sauf les objets de création pri-
milive, c’est-à-dire, l'existence de la matière en elle-
même , celle du mouvement considéré dans son essence,
celle des lois qui régissent tous les ordres de mouve-
ment, celle enfin de l’espace et celle du tems qui ne
peuvent être postérieures et appartenir à une autre
source; tous les corps sans exception, doivent à cet
ensemble d'objets primitivement créés, à la nature,
en un mot, leur existence , leur état, leurs proprié-
tés, leurs facultés, et tous les changements qu’ils su-
bissent, et que tous enfin , sont véritablement ses pro-
ductions.
La nature, cependant, n’est que l'instrument , que
la voie particulière qu’il a plu à la puissance suprême
d'employer pour faire exister les différents corps, les
diversifier, leur donner, soit des propriétés, soit
même des facultés, en un mot, pour mettre toutes
les parties passives de l’univers dans l’état mutable où
elles sont constamment. Elle n’est, en quelque sorte,
qu’un intermédiaire entre DIEU et lesjparties de l’uni-
vers physique, pour l’exécution de la volonté divine.
C’est donc dans ce sens que nous pouvons dire que
les animaux, ainsi que les facultés qu’ils possèdent,
sont des produits de la nature, que les végétaux Île
sont pareillement, enfin que les corps non vivants,
quels qu’ils soient, sont dans le même cas, quoique
tout ce qui existe ne soit dù qu’à la volonté suprême
qui y a donné lieu.
Relativement à la nature, considérée comme la
puissance qui a opéré et qui opère encore tant de
choses, tant de merveilles mêmes, rien n’est présumé
de notre part, rien à cet: égard n’est le produit de
notre imagination; car, chaque jour nous sommes
témoins de ses opérations , nous en pouvons suivre un
grand nombre, en observer les progrès , et remarquer
INTRODUCTION. 270:
les lois qu’elle suit nécessairement dans chacune
d’elies.
Déjà nous connaissons plusieurs des lois auxquelles
elle est assujettie dans ses actes ; nous distinguons sa
marche, selon le genre d’actes qu’elle opère, et selon
les circonstances qui viennent en modifier les résultats;
enfin, nous savons qu’elle, n’agit que graduellement
dans la production de ceux des corps en qui ellea pu
établir la wie, et dans la composition de l’organisation
de ces diflérents corps. Aussi, voyons-nous que dans
les animaux , qu’elle a doués généralement de l’irrita-
bilité, elle a amené progressivement , depuis les plus
imparfaits jusqu'aux plus parfaits, une complication
d'organes spéciaux de plus en plus grande, qui lui a
douné les moyens de produire dans ces êtres, diffé-
rents phénomènes organiques de plus en plus admi-
rables, et de douer les plus parfaits de ses animaux,
de facultés qui surpassent tout ce que notre imagina-
tion peut concevoir : facultés, cependant, qui cesse-
raient de nous paraître des merveilles, si nous en con-
naissions le mécanisme.
Ce sont-là des vérités que l'observation a fait
connaître, et que maintenant on ne saurait raisonna-
blement contester,
Ainsi, pour nous, qui sommes absolument bornés à
ne connaître positivement que des corps; que les
propriétés, les facultés et les phénomènes que nous
présentent ces corps; que la rature qui les change,
les diversifie , les détruit, et les renouvelle perpétuel-
lement; voici ce que nous pouvons regarder comme
des vérités auxquelles nous ayons su nous élever par
l'observation.
L'univers est l’ensemble immutable , inactif et sans
puissance propre, de toutes les matières et de tous les
corps qui existent. Cet ensemble manquant d’activité
Tome 1. 18
274 INTRODUCTION.
propre, et ne pouvant rien opérer par lui-même , est
l'unique domaine de la nature, et lui doit l’état de
toutes ses parLies.
La nature , au contraire, est une véritable puissance
assujettie dans ses acies , inaltérable dans son essence,
constamment agissante sur toutes les parties de l’uni-
vers, et qui se compose d’une source inépuisable de
mouvements, de lois qui les régissent, de moyens es-
sentiels à la possibilité de leurs actions, en un mot,
d'objets étrangers aux propriétés de la matière; objets,
néanmoins, que nous pouvons déterminer par l’obser-
vation. Elle constitue un ordre de choses particulier
ét constant, qui met toutes les parties de l’univers
dans l’état où elles sont à chaque instant, qui donne
lieu à tous les faits que nous observons, et à bien
d’autres que nous ne sommes point à portée de con-
maître.
Voilà donc deux objets très distincts, qu’il est né-
cessaire de ne point confondre. Leur existence est un
fait certain pour nous, puisque nos observations l’at-
testent constamment.
Digression utile et relative au sujet.
A l'égard des grands objets dont nous venons de
nous occuper, et sur lesquels il importe de fixer celles
de nos idées qui sont susceptibles de l’être, on sent
combien il est nécessaire de distinguer ce qui est le ré-
sultat positif de l'observation , d'avec ce qui n’est que
le produit de l'imagination, d'où naissent toutes les
suppositions arbitraires, les fictions et les illusions de
tout genre.
En effet, deux champs d’une étendue immense et
très différents entre eux, sont sans cesse ouverts à la
en
INTRODUCTION, 275
pensée de l’homme : ces deux champs sont celui des
réalités et celui de l'imagination.
L'homme, par son altention et sa pensée, fait,
tantôt dans l’un et tantôt dans l’autre, des incursions
diverses, selon l'intérêt ou l'agrément qu’il y trouve.
Ces incursions deviennent successivement d’autant
plus grandes qu’il s’y exerce davantage, et sa pensée
s’en aggrandit proportionnellement.
CEE des réalités : ce champ est celui que nous
offrent les matières et les corps que nous pouvons aper-
cevoir, ainsi que la nature dans ses actes, dans sa
marche, et dans les phénomènes qu’elle nous pré-
sente.
Nous pouvons le définir le champ des faits obser-
vés ou observables , et comme il n’embrasse que des
objets réels, et que nous n’y pouvons moissonner que
par lobservation , ce champ est donc le seul qui puisse
nous procurer des connaissances positives.
Les matières et les corps que nous pouvons aperce-
voir, les mouvements, les déplacements , les change-
ments, les propriétés et les phénomènes divers que
ces corps et ces matières peuvent nous offrir, et que
nos sens peuvent nous faire connaître , enfin Îles lois et
l’ordre, selon lesquels ces mouvements, ces change-
ments et ces phénomènes s’exécutent , étant les seuls
objets que nous puissions observer, étudier et connaître
sous leurs diflérents rapports, toute connaissance qui
ne résulte pas directement de l’observation, ou de
conséquences tirées de faits observés et constatés,
manque nécessairement & base , et par conséquent de
solidité.
Tel est le fond des dt positifs qu’embrasse Îe
champ des réaliiés, et c’est dans ce champ seul que,
nous pouvons recueillir des vérités utiles et exemptes
d'illusions.
18*
276 INTRODUCTION,
Champ de l'imagination : ce champ, bien difiérent
du premier et au moins aussi vaste, est celui des fic.
tions, des supposilions arbitraires, et des illusions de
tout genre.
La pensée de l’homme se plait à s’enfoncer dans
celui-ci, quoique rien n’y soit observable, et qu’elle ne
puisse y rien constater; mais elle y crée arbitrairement
tout ce qui peut l’intéresser, la charmer ou la flatter.
Elle y parvient en modifiant les idées que les objets
réels du premier champ lui ont fait acquérir.
Gest un fait singulier et auquel il me paraît que
personne n’a encore pensé; savoir : que l'imagination
de l’homme ne saurait créer une seule idée qui ne
prenne sa source dans celles qu’il s’est procurées par
ses sens.
Avec des idées simples que les sensations lui ont fait
acquérir , l’homme, en les comparant et les jugeant,
en obtient des idées complexes du premier ordre; en
comparant et jugeant deux ou davantage des idées de
cet ordre, il en obtient d’autres d’un ordre plus re-
levé; enfin,avec celles-ci, ou avec d’autres aw’il y joint,
de quelque ordre ‘qu’elles soient, il s’en procure
d’autres encore, et ainsi de suite presque indéfiniment.
Partout ses conséquences, et par suite toutes les idées
qu'il se forme, prennent donc leur source dans les
idées simples et premières que son système organique
des sensations lui a fait acquérir.
Que l’on joigne à cette voie de multiplier ses idées,
celle de s’en former d’autres encore, en modifiant ar-
bitrairement les idées de tous les ordres qui tirent
leur origine de ses sensations et de ses observations,
on aura le complément de tout ce que peut produire
l'imagination humaine.
En effet, tantôt par des contrastes ou des oppositions,
elle change l’idée qu’elle s’est formée du fini, en celle
INTRODUCTION, 277
de l'infini; et de même, elle change l’idée qu’elle s’est
procurée d’une matière ou d’un corps, en celle d’un
être immatériel. Or, jamais la pensée ne fût arrivée à
ces transformations, en un mot, à ces idées changées,
sans les modèles positifs dont elle s’est servie. Tantôt,
encore, variant à son gré des formes connues d’après
les corps, des propriétés observées en eux, et les plus
éminents phénomènes qu’ils produisent, la pensée de
l’homme donne à des êtres fantastiques, des formes,
des qualités et un pouvoir qui répondent à tous les
prodiges qu’elle se plaît à inventer sous différents in-
térêts. Par-tout, néanmoins, elle est assujettie à n’o-
pérer ces transformations, ces actes d’invention, que
sur des modèles que le champ des réalités lui fournit ;
modèles qu’elle modifie de toute manière et sans les-
quels elle ne saurait eréer une seule idée quelconque.
Phil, zool. vol. 2. p. 412.
Ainsi, souveraine absolue dans ce champ de l’ima-
gination , la pensée de l’homme y trouve des charmes
qui l’y entraînent sans cesse; s’y forme des illusions
qui lui plaisent, la flattent, quelquefois mème la dé-
dommagent de tout ce qui l’aflecte péniblement ; et
par elle, ce champ est aussi cultivé qu'il puisse l'être.
Une seule production de ce champ est utile à
l’homme : c’est l'espérance; et il l’v cultive assez géné-
ralement. Ce serait être son ennemi que de lui ravir
ce bien réel, trop souvent presque le seul dont il jouisse
jusqu’à ses derniers moments d’existence.
Quelque vaste et intéressant que soit le champ des
réalités, la pensée de l’homme s’y complaît difficilement.
Là, sujetie et nécessairement soumise ; là, bornée à
lobservation et à l’étude des objets; là, encore, ne
pouvant rien créer, rien changer , mais seulement re-
connaître; elle n'y pénètre que parce que ce champ
peut seul fournir ce qui est utile à la conservation, à
278 INTRODUCTION.
la commodité ou aux agréments de l’homme, en un
mot, à tous ses besoins physiques. Il en résulte que
ce même champ est, en général, bien moins cultivé
que celui de l’imagination, et qu’il ne l’est que par
un petit nombre d'hommes qui, la plupart, y laissent
même en friche les plus belles parties.
En comparant l’un à l’autre les deux champs dont
je viens de parler, on peut aisément se figurer quel
énorme ascendant doit avoir le champ de l'imagination,
qui fournit des pensées, des opinions et des illusions
si agréables, sur la raison, toujours sévère et inflexible,
en un mot, sur ce champ des réalités qui trace par-
tout des limites à la pensée, et qui n’admet d’autre
instrument de culture que l'observation, et d’autre
guide , dans le travail, que la raison même, qui n’est
autre que le fruit de l’expérience.
Pour le naturaliste qui s'interdit lui-même l’entrée
dans le champ de l’ëmagination , parce qu'il ne se confie
qu'aux faits qu'il peut observer, non-seulement il
examine tout ce qui l’environne, distingue, caracté-
rise et classe tous les objets qu'il aperçoit, et signale
tout ce qui lui paraît pouvoir êlre utile à ses semblables;
mais, en outre, il considère la nature elle-même , épie
sa marche, étudie ses lois, ses actes, ses moyens, et
s'efforce de la connaître. Enfin, contemplant la très
petite portion de l’univers qu'il apercoit, il se fait une
simple idée de son existence, sans entreprendre de sa-
voir ou de déterminer ce qui compose son ensemble ;
et comparant ensuile cet univers physique à la nature,
à cette puissance toujours aclive qui produit tant de
choses, tant de phénomènes admirables, il remarque
que l’un et l’autre jouissent seuls d’une stabilité qui
araît être absolue , et conçoit qu’elle doit l'être.
Ayant déterminé ce que peut être la nature, ainsi
que le seul point de vue sous lequel nous puissions la
INTRODUCTION. 279
considérer, et ayant montré, dans une digression utile
à notre objet, la seule voie qui puisse nous faire ac-
quérir des connaissances positives, je terminerai ici
celte partie.
J'ai dû entrer dans ces détails et donner ces éclair-
cissements, parce qu’il me paraît, qu'ailleurs les idées,
à cer égard, sont vagues, arbitraires et sans solidité;
et parce que, sans ces déterminations, tout ce que
j'expose sur l’origine des animaux, sur la formation
des diverses organisations de ceux qui sont sans ver-
tébres, sur la source de chaque faculté animale et
des penchants des êtres qui sont sensibles et intelli-
genis, en un mot, sur la marche de la nature et sa
manière de procéder dans ses actes, pourrait paraître
par-tout le produit de mon imagination , quand même
mes exposés seraient accompagnés de l’évidence.
Avec cette sixième partie, se termine le sujet entier
de cette Introduction , c’est-à-dire, les considérations
relatives à l’existence des animaux, à la source de cette
existence, et à ce qu’ils sont eux-mêmes chacun dans
leur espèce. Or, je crois que, sauf peut-être quelques
détails à rectifier, cette même Introduction renferme,
dans le cours des six parties qui la composent, une
foule de vérités évidentes, toutes bien liées entre elles,
fort utiles à connaître, et qu’il serait difficile de con-
tester avec quelque apparence de raison.
Ce serait donc ici que je devrais terminer l’Intro-
duction essentielle à mon ouvrage, sur-tout l'intérêt
croissant me paraissant à son plus haut terme dans
celte sixième partie. Cependant le besoin des sciences
zoologiques , l’arbitraire qui règne dans les parties de
l’art qui y sont nécessaires, et les vacillations perpé=
tuelles qu’entraîne cet arbitraire dans la distribution
des objets, et, plus encore, dans les diverses sortes de
coupes à établir parmi les animaux observés, me forcent
280 INTRODUCTION.
d'y ajouter , au moins comme appendice , une septième
partie, qui est la suivante.
Ainsi, je vais m'occuper, dans celle septième eL
dernière partie, de la distribution générale des ani-
maux, de ses divisions diverses, et spécialement des
principes sur lesquels ces objets doivent être fondés ,
en proposant à leur égard, ceux qui, me paraissent
mériter l'assentiment des zoologistes.
INTRODUCTION. 281
SEPTIÈME PARTIE.
DE LA DISTRIBUTION GÉNÉRALE DES ANIMAUX, DE SES
DIVISIONS, ET DES PRINCIPES SUR LESQUELS CES OB=
JETS DOIVENT ÊTRE FONDÉS,
Après les grands sujets qui viennent d’être succes-
sivement traités, il semble que l'intérêt soit extrème-
ment affaibli dans la considération des objets qui vont
nous occuper dans certe dernière partie, ou plutôt
dans cet appendice de l’Introduction. Cet intérêt ce-
pendant n’y est point dépourvu d’importance; car il
porte sur des considérations essentielles au perfec-
tionnement de la zoologie, et qui sont nécessaires au
but de cet ouvrage, pour le compléter.
- Jusqu'ici, en effet, j’ai exposé ce que sont les ani
maux en général, ce qui les caractérise, ce qu'ils doivent
à la nature, en un mot, ce qu'il m'a paru essentiel de
faire remarquer à leur égard. Ges objets, à ce qu'il
me semble, n’ont besoin que d’être examinés pour être
reconnus , et pour cela, il ne s’agit que de rassembler
et considérer les faits nombreux qui en établissent le
fondement.
Ici, je n'ai en vue que ce qui concerne l’art en z00-
logie; et à ce sujet, j'ai plusieurs considérations im-
portanies à présenter pour perfectionner cet art, pour
le fixer, s’il est possible, et sur-tout pour le dépouiller
de cet arbitraire qui rend ses produits toujours va-
cillants.
282 :NTRODUCTION.
Tout art doit avoir ses principes ou ses règles qui
dirigent et limitent ses opérations : et l’on sent, en
effet, que celui qui en manque est encore peu avancé,
et qu’il atteint difliciiement son but.
Or, l’objet de celui dont il est ici question , concer-
nant la distribution générale des animaux, le rang de
chaque race, celui de chaque genre et de chaque fa-
mille, enfin, celui de chaque classe dans cette distri-
bution , concernant même la disposition de l’ordre
entier ; il est indispensable de montrer les opérations
à faire pour le perfectionnement de cette même dis-
tribution , et de proposer les principes qui devraient
régler ces opérations.
En conséquence, pour lexécution d’une bonne dis-
tribution générale des animaux, pour celle d’une suite
de divisions à établir dans l’ordre entier, enfin, pour
la meilleure disposition à donner à cet ordre , on ne
peut se dispenser, à ce que je crois , de fixer la solu-
tion des trois questions suivantes :
_ ae question : Quelles sont les opérations à faire
pour l'exécution d’une bonne distribution des ani-
maux, et pour celle d’une suite de divisions nécessai-
res à établir dans cette distribution ?
2 question : Quels sont les principes qui doivent
nous guider dans ces opérations , afin d’exclure tout
arbitraire à leur égard ?
3° question : Quelle disposition faut-il donner à la
distribution générale des animaux , pour qu’elle soit
conforme à l’ordre de la nature, dans la production
des ces êtres ?
Assurément, tant que nous laisserons ces trois ques-
tions sans examen el sans réponse , et que, ne recon-
naissant aucun principe pour régler nos opérations ,
nous procéderons arbitrairement dans la détermina-
tion des objets ; ilexistera dans les travaux des zoo/o-
INTRODUCTION. 285
gistes sur les diverses parties de la distribution des
animaux, des inversions diverses , proposées par cha-
que auteur, sur les différentes portions de la série, des
associations singulières et toujours changeantes entre
les objets à placer, en un mot, un défaut constant
d'accord dans les opérations. Ce désordre, ainsi sub-'
sistant, entraverail et même arrêtcrait les progrès de la
science , l’empècherait de se fixer, et nous priverait
des moyens d'étudier la nature dans tout ce qu’elle a
fait et qu’elle fait encore à l’égard des animaux.
Examinons d’abord la première question et tàchons
de la résoudre; nous essayerons ensuite de fixer les
principes qu'il faut suivre pour atteindre lesdifférents
buts dont elle indique les objets.
Première question : Quelles sont les opérations à
faire pour l'exécution d’une bonne aistribution des
animaux, et pour celle d’une suite de divisions néces-
saires à établir dans cette distribution ?
La réponse à cette question , est que les opérations
essentielles à faire remplir convenablement les deux
objets qu’elle propose, sont Îes suivantes:
1° Rapprocher les animaux les uns des autres, d’a-
près un principe non arbitraire, de manière à en for-
mer une série générale, soit simple, soit rameuse ;
2° Partager cette série générale en diverses sortes de
coupes, dont les unes seraient subordonnées aux au-
tres ; et, pour cet objet, s’assujettir à des principes de
convenance que l’on déterminerait ;
5 Fixer le rang de chaque sorte de coupe, d’après
un principe général, préalablement établi, savoir :
Le rang de chaque coupe primaire dans la série
totale ;
Celui des coupes classiques dans chaque coupe
primaire ;
284 INTRODUCTION.
Celui des ordres ou des familles dans leur classe ;
Celui des genres dans leur famille ;
Celui des espèces dans leur genre.
L’exécution de ces trois sortes d'opérations esi sans
contredit indispensable. C’est une chose qui a été bien
sentie; et chaque auteur s'en est plus ou moins oc-
cupé, mais toujours arbitrairement , c’est-à-dire, sans
l'établissement préalable des principes dignes de l’as-
sentiment général , en un mot , des principes propres.
à exclure l’arbitraire, et à fixer réellement la science.
La première de ces opérations , celle qui a pour ob-
jet de rapprocher les animaux les uns des autres, de
manière à en former une série générale, est une prépa-
ration essentielle qui doit précéder les autres opéra-
tions, et sans laquelle on ne saurait les exécuter. Elle
tend d’ailleurs à nous faire découvrir l’ordre même de
la nature ; ordre qu’il nous importe si fort de recon-
naître.
Quoique Ja nature ait suivi nécessairement un or-
dre dans la production des corps vivants, et sur-tout
dans celle des animaux , comme elle a dispersé ces
animaux et mélangé leurs races diverses à la surface
du globe et dans ses eaux liquides, son ordre de for-
mation à leur égard est en quelque sorte défiguré, et
n’est point apparent. Nous sommes donc obligé, pour
parvenir à le découvrir, de chercher quelque moyen
qui puisse nous conduire à cette découverte, et de
trouver quelques principes solides qui nous mettent
dans le cas de reconnaître , sans erreur cet ordre que
nous cherchons.
A cet égard, le pas le plus important a déjà été fait,
lorsqu'on a reconnu l’intérèt qu’inspirent les rap-
ports , et la nécessité de parvenir à les connaître , afin
d'y assujettir toutes les parties de nos distributions.
INTRODUCTION. 285
Ainsi, nous avons senti que, pour réussir à établir
une bonne distribution des animaux , sans que l’arbi-
traire de l'opinion en affaiblisse nulle part la solidité,
il était nécessaire, avant tout, de rapprocher les ani-
maux les uns des autres, d’après leurs rapports les
mieux déterminés; et qu’ensuite, l’on pourrait, sans
inconvénient, tracer les lignes de séparation qui déta-
chent les masses eicuel , ainsi que les coupes subor-
données, utiles à établir, pourvu que les rapports ne
fussent nulle part compromis par la composition et
l’ordre de nos diverses coupes (tr).
Tel est l’état des lumières acquises relativement à
l'établissement de nos distributions ; mais il reste beau-
coup à faire pour perfectionner nos travaux à cet
égard, et pour détruire l'arbitraire qui s’est introduit
ane les déterminations même de bien des rapports.
Il y en a, en effet, de différentes sortes; et comme
leur valeur particulière est loin d’être égale partout ,
on ne saurait l’assigner avec justesse , si l’on n’admet
préalablement quelques règles pour arrêter l’arbitraire
dans ces délerminations.
(1) Ces préceptes sont certainement d’une justesse inconstestable, et
il serait utile, pour les progrès futurs de la science, que tous les zoolo-
gistes les adoptassent ; mais on est bien loin encore d’avoir atteint à
cette unité dans la mise en œuvre des observations. Il est certain que
les classifications étant abandonnées à l’arbitraire, chaque auteur prend
son point de départ comme il le veut, et arrive aux conséquences né-
cessaires de ses prémisses. Celui qui rejette l’enchainement des rapports
suit une méthode où les groupes placés à la suite les uns des autres,
seront cependant isolés et sans lien avec ceux qui précèdent ou qui
suivent ; celui qui adoptera la méthode de synthèse, n’envisagera pas
l’ensemble des animaux de la même manière que celui qui procède par
l'analyse, etc., etc. Il ne faut donc point s'étonner de la divergence des
opiniovs à l’ég as. des méthodes, de la diversité de leur résultat final,
puisque ces résultats sont nécessairement produits par le point de dé-
part; et nous ayons vu que rien n’était plus arbitraire que ce point de
départ.
2186 INTRODUCTION.
Afin de remédier au mauvais ordre de choses qui
s’est introduit dans les parties de l’art, ordre de choses
qui annule nos efforts en faisant sans cesse varier nos
déterminations des rapports et l’emploi que nous en
faisons ; il faut d’abord examiner ce que sont réelle-
ment les rapports , quelles sont leurs différentes sor-
tes, et quel usage il convient de faire de chacune de
ceiles que nous aurons reconnues. Nous pourrons en-
suite déterminer plus aisément les principes qu’il con-
vient d'établir.
On a nommé rapports les traits de ne ou
d’analogie que la nature a donnés , soit à différentes
de ses productions comparées entre elles, soil à diver-
ses parties comparées de ces mêmes produetions ; et
c’est à l’aide de l’observation que ces traits se déter-
minenl.
Ces mêmes traits sont si nécessairés à connaître,
qu'aucune de nos distributions ne saurait avoir la
moindre solidité, si les objets qu’elle embrasse n’y
sont rangés suivant la loi qu'ils prescrivent.
Mais les rapports sont de différents ordres : il yen
a qui sont généraux, d’autres qui le sont moins, et
d’autres encore qui sont tout-à-fait particuliers.
On les distingue aussi en ceux qui appartiennent à
différents êtres comparés, et en ceux qui ne se rappor-
tent qu’à des parties comparées entre des êtres diffé-
rents : distinction trop négligée, mais qui est bien
importante à faire.
- Ce n’est pas tout : quoiqu’en général , les rapports
appartiennent à Ja nature, lous ne sont pas le résultats
de ses opérations directes à l'égard de ses productions;
car, parmi les rapports entre des parties comparées de
différents être , il s’en trouve très souvent qui ne sont
que les produits d’une cause qui a modifié ses opéra-
tions directes. Ainsi, les rapports de forme extérieure
INTRODUCTION. 289
qui s’observent entre les cétacés et les poissons, ne
peuvent être attribués qu’au milieu dense qu’habitent
ces deux sortes d'animaux, et non au plan direct des
opérations de la nature à leur égard.
Il faut donc distinguer soigneusement les rapports
reconnus qui appartiennent aux opérations directes
de la nature, dans fa composition progressive de l’or-
ganisation animale, de ceux pareillement reconnus,
qui sont le résultat de l'influence des circonstances
d'habitation , ainsi que de celles des habitudes que les
différentes races ont été forcées de contracter.
. Mais ces derniers rapports, qui sont sans doute
d’une valeur fort inférieure à celle des premiers, ne
sont pas bornés à ne se montrer que dans des parties
extérieures; car, on peut prouver que la cause étran-
gère qui a le pouvoir de modifier les opérations directes
de la nature, a souvent exercé son influence , tantôt
sur tel organe intérieur , et tantôt sur tel autre pareil-
lement interne. Il faudra donc établir quelques règles,
non arbitraires, pour la juste appréciation de ces
rapports.
En zoologie, on a établi en principe, que c'est de
l’organisation intérieure que l’on doit emprunter les
rapports les plus essentiels à considérer.
Ce principe est parfaitement fondé, s’il exprime la
prééminence qu’il faut accorder aux considérations gé-
nérales de l’organisation intérieure, sur celles des parties
externes. Mais si, au fieu de le prendre dans ce sens,
on l'applique à des cas particuliers de son choix, et
sans règle préalable, on pourra en abuser, comme on
a déjà fait; et l’on donnera arbitrairement aux rapports
qu'offrira tel organe ou tel système d’organes intérieur,
une préférence sur ceux de telle autre organe intérieur,
quoique les rapports de ce dernier puissent être réel-
lement plus importants. Par cette voie, commode à
88 INTRODUCTION.
l'arbitraire de l'opinion de chaque auteur, l'on admettra
cà et là dans la distribution , des inversions véritable-
Mént contraires à l’ordre naturel.
C’est un fait que l'observation prouve de toutes parts
et que j'ai déjà cité; savoir : que la cause qui modifie
la composition croissante de l’organisation, n’a pas
seulement agi sur les parties extérieures des animaux,
mais qu’elle a aussi opéré des modifications diverses
sur leurs parties internes; en sorte que cetle cause a
fait varier très irrégulièrement les unes et les autres
de ces parties.
11 suit de là, qu’il n’est pas vrai que les rapports
entre les races, et sur-tout entre les genres, les familles,
les ordres, quelquefois même les classes, puissent tou-
jours se décider convenablement d’après la considération
isolée de telle partie intérieure , choisie arbitrairement.
Je suis, au contraire, très persuadé que les rapports
dont il s’agit, ne peuvent être convenablement déter-
minés que d’après la considération de l’ensemble de
l’organisation intérieure, et, auxiliairement, par celle
de certains organes intérieurs particuliers , que des
principes non arbitraires auront montrés comme plus
importants et comme méritant une préférence sur les
autres, dans les rapports qu’ils pourront offrir.
11 faut donc nous efforcer de déterminer les prin-
cipes dont il s’agit, et ensuite nous y assujettir, si nous
voulons anéantir cet arbitraire dans la détermination
des rapports, qui nuit tant à la fixité de la science.
Deuxième question : Quels sont les principes qui
doivent nous guider dans ces opérations , afin d’exclure
tout arbitraire à leur égard ?
Certes, ce serait rendre un grand service à la zoologie,
que de donner une solution convenable de cette ques-
tion, c’est-à-dire, de déterminer de bons principes
INTRODUCTION, °89
pour régler les différentes opérations citées ci-dessus ,
et en exclure tout arbitraire,
Il ne me convient pas de prononcer moi même sur.
la valeur de mes eflorts à cet égard; mais j'en vais
proposer les résultats avec la confiance qu'ils m’ins-
pireat.
Je pense que ce ne peut être que dans la distinction
précise de chaque sorte de rapports, et qu’à l’aide
d’une détermination motivée et solide de la préférence
qu’il faut accorder à telle sorte de rapports sur telle
autre , que l’on trouvera les principes propres à régler
toutes les parties de notre distribution générale des
animaux.
IL s’agit donc de déterminer les principales sortes de
rapports que l’on doit employer pour atteindre le but,
et ensuite de fixer la supériorité de valeur que telle
sorte doit avoir sur telle autre.
Cela posé, je trouve, qu'entre différents animaux
comparés, les principales sortes de rapports que l’on
peut rencontrer et qu’il importe de distinguer, sont
les suivantes.
* Rapports entre des organisations comparées ,
prises dans l’ensemble de leurs parties.
o
Ces rapports, quoique généraux, se montrent dans
différents degrés, selon qu’on les recherche entre des
races comparées entre elles, ou entre des masses d’ani-
maux de différentes races, comparées les unes aux
autres. Il faut donc en distinguer plusieurs sortes.
Première sorte de rapports généraur : Cette sorte est
celle qui sert à rapprocher immédiatement entre elles
les races ou les espèces. Elle est nécessairement la pre-
mière: car c’est elle qui fournit le plus grand des rap-
ports entre des animaux comparés qui ne sont pas les
Tome 1, | 19
290 INTRODUCTION:
mêmes. Or, le zoologiste qui la détermine, considérant
toutes les parties de l’organisation, tant intérieures
qu'extérieures, n’admet cette sorte de rapports, que
lorsqu'elle présente la différence la moins grande, la
moins importante.
On sait que des animaux qui se ressemblent parfai-
tement par l’organisation intérieure et par leurs parties
externes, ne peuvent être que des individus d’ane
même espèce. Or, ici, l’on ne considere point le rap-
port, ces animaux n’offrant aucune distinction.
Mais les animaux qui présentent entre eux une
différence saisissablé, constante, et à la fois la plus
petite possible, sont rapprochés par le plus granü de
tous les rapports, s'ils offrent d’ailleurs une grande
ressemblance dans toutes les parties de leur orgauisa-
tion intérieure, ainsi que dans la plupart des parties
“externes.
. Cette sorte de rapports ne nécessite point la consi-
dération du degré de composition de l’organisation
des animaux; elle se détermine dans tous les rangs.
Elle est si facile à saisir, que chacun la reconnaît au
premier abord ; et c’est en l'employant que les natura-
listes ont formé ces petites portions de la série générale
des animaux que présentent nos germes, malgré l’arbi-
traire de leurs dmites.
Ainsi, dans cette première sorte de rapports, qu’on
peut appeler rapports d'espèces , la différence entre les
objets comparés , est Ja plus petite possible, et ne se
recherche que dans des particularités de la forme ou
des parties externes des individus. (1)
(x) H m'est pas douteux, en effet, que les rapports entre les espèces
ne soient lés premiers et les plus essentiels, mais ne conviendrait-il
pas, avant d'établir ces rapports, de savoir ce que c’est qu’un espèce, ct
d'en donner une rigoureuse définition ? Nous ayons yu dans une note
INTRODUCTION. 201
Deuxième sorte de rapports généraux : C’est celle
qui embrasse les rapports entre des masses d'animaux
différents, comparées entre elles. On peut la nommer
rapport de masses.
Pour juger cette sorte de rapports, on ne s’occupe
plus essentiellement des particularités de la forme
générale , ni de celles des parties externes, mais, seu-
lement ou presque uniquement, de l'organisation
intérieure ; considérée dans toutes ses parties. C’est elle
principalement qui doit fournir les différences qui
peuvent distinguer les masses.
Cette deuxième sorte de rapports est inférieure d’un
ou plusieurs degrés à la première, dans la quantité de
ressemblance entre les objets comparés. C’est elle qui
sert à former des familles en rapprochant des genres
les uns des autres; à instituer des ordres ou des sections
d’erdre en réunissant plusieurs familles; enfin, à dé-
terminer les coupes classiques qui doivent partager la
série générale.
Les rapports dont il est question ne peuvent être
employés à la détermination du rang des masses dans
la série; mais seulement à former des rapprochements
divers pour établir et distinguer ces masses.
De la considération de ces rapports, on doit déduire
les deux principes suivants :
Premier principe : Les rapports généraux de la
deuxième sorte n’exigent point une ressemblance par-
faite dans l’organisation intérieure des animaux com-
parés ; ils exigent seulement.que les masses rapprochées,
se ressemblent plus entre elles , sous ce point de vue,
qu’elles ne le pourraient avec aucune autre.
2 — — —
précédente que cette définition était encore à faire, et que ses éléments
étaient enveloppés de tant de difficultés que l'on ne pouvait espérer de
long-temps parvenir à la solution de cette question importante.
19*
202 INTRODUCTION,
Deuxième principe : Plus les masses comparées sont
grandes ou générales, plus l’organisation intérieure des
animaux, dans ces masses, peut offrir de différence.
Ainsi, les familles présentent moins de différence
dans l’organisation intérieure des animaux qui les
constituent, que n'en offrent les ordres et sur-tout
les classes. |
Troisième sorte de rapports généraux : On peut
l'appeler rapport de rang, parce qu’elle sert à la dé-
termination des rangs dans Ja série, et qu’en partant
d’un point fixe de comparaison, elle montre, effecti-
vement , entre les objets comparés, un rapport, grand
ou petit, dans la composition et le perfectionnement
de l’organisation.
En effet , on l’obtient en comparant une organisation
quelconqne, prise dans l’ensemble de ses parties, à
une autre organisation donnée, qui est présentée comme
point de départ ou point de comparaison. L’on déter-
mine alors, par la ressemblance plus ou moins grande
qui se trouve entre les deux organisations comparées,
combien celle que l’on compare, s'éloigne ou se rap-
proche de celle qui est donnée comme point de com-
paraison.
Nous allons voir que cette sorte de rapports est vé-
ritablement la seule qui doive servir à régler les rangs
de toutes les coupes qui divisent l’échelle animale.
S'il s’agit ici de choisir une organisation pour en
former un point de comparaison , afin d’en rapprocher
oud'enéloigner successivement les autres organisations,
selon qu’elles ressembleront plus ou moins à celle à
laquelle on les rapporte, l’on sent que le choix à faire
ne peut tomber que sur l’une où l’autre extrémité de
la série des animaux. Dans ce cas, il n’y a pas à ba-
lancer; l'extrémité la plus counue de cette série doit
avoir la préférence. Ainsi, er partant de l’organisation
INTRODUCTION. 293
la plus compliquée et la plus parfaite, on se dirigera
du plus composé vers le plus simple ; dans la détermi-
nation de tous les rangs, et l’on terminera la série par
la plus simple et la plus imparfaite de toutes les orga-
nisations animales.
J'ai déjà fait remarquer que, de toutes les organi-
sations, celle de l’homme était véritablement la plus
composée, el à la fois la plus perfectionnée dans son
ensemble. De là, j'ai été autorisé à conclure que, plus
une organisation animale approche de la sienne, plus
elle est composée et avancée vers son perfectionnement.
Cela étant ainsi, l’organisation 4e l’homme sera
notre point de comparaison et de départ pour juger le
rapport prochain ou éloigné de chaque sorte d’organi-
sation animale, avec elle, et pour déterminer, sans
arbitraire, le raug que doit occuper , dans la série gé-
nérale, chacune des coupes qui la divisent.
L'organisation citée nous fournira, dans la consi-
dération de l’ensemble de ses parties, les moyens de
juger du degré de composition et de perfectionnement
de chaque organisation animale, prise aussi dans l’en-
semble de ses parties. Mais, dans les cas douteux, on
fera facilement disparaître l'incertitude et l'embarras,
en ayant recours à Ja quatrième sorte de rapports; aux
principes qui concernent la comparaison de divers
organes, considérés séparément; en un mot, à ceux
qui établissent une valeur prédominante à certains de
ces organes , sur celle des autres.
Ainsi, notre point de comparaison et de départ
étant trouvé , les rangs de toutes les coupes pourront
être facilement assignés, à l’aide des principes que
nous établissons ci-après.
Premier principe : Pour la détermination du rang
de chaque masse dans la série, la plus compliquée et
la plus perfectionnée des organisations animales étant
204 INTRODUCTION.
prise pour point fixe de comparaison, plus une orga-
nisation animale, considérée dans l’ensemble de ses
|; is ressembiera à celle du point de comparaison,
plus aussi elle en sera rapprochée par ses rapports, et
réciproquement pour les cas contraires.
Second principe : Parmi les organisations dont les
plans sont différents de celui qui comprend l’organi-
sation choisie comme point de comparaison, celles qui
offriront un ou plusieurs systèmes d’organes semblables
ou analogues à ceux qui font partie de l’organisation
à laquelle on les compare, auront un rang supérieur à
celles qui auraient moins de ces organes, ou qui en
manqueraient.
À l’aide des trois sortes de rapports ci-dessus indi-
qués, et des principes qui s’en Géduisent, on détermi-
nera facilement les distinctions des espèces et celles des
masses diverses qu’elles doivent former; et ensuite
l’on décidera , sans arbitraire, le rang de chacune de
ces masses dans la série. Dès lors, la science cessera
d’être vacillante dans sa marche.
Mais nos efforts seraient incomplets et laisseraient
encore une grande prise à cet arbitraire, si nous n’en-
treprenions de fixer la valeur des rapports particuliers,
c’est-à-dire, de ceux que l’on obtient par la compa-
raison d’organes intérieurs particuliers, considérés
isolément dans différents animaux.
** Rapports entre des parties semblables ou ana-
logues, prises isolément dans l’organisation de
différents animaux , et comparées entre elles.
La quatrième sorte de rapports n’embrasse que les
rapports particuliers entre des parties non modifiées.
Ainsi, c’est celle qui se tire de la comparaison de par-
INTRODUCTION. 295
ties considérées séparément, et qui, dans le système
d'organisation auquel elles appartiennent, n'offrent
aucune anomalie réelle.
La considération de cette sorte de rapports peut
être d’un grand secours pour décider tous les cas dou-
teux, lorsqu'il s’agit de déterminer , entre certaines
coupes comparées , quelle est celle qui doit avoir une
supériorité de rang. Or, ces cas douteux sont ceux où
l’ensemble des parties &e l’organisation intérieure ne
présente, dans les deux organisations comparées , au-
cun moyen de décider, sans arbitraire, à laquelle de
ces deux organisations appartient la supériorité dont
il s’agit.
C’est particulièrement pour la formation et le pla-
cement des ordres, des sections, des familles, et même
des genres, dans chaque classe, et par conséquent pour
assigner les rangs de toutes ces coupes inférieures, que
l'emploi de cette quatrième sorte de rapports sera
utile; car, à l’égard de ces coupes, les principes de la
troisième sorte de rapports sont souvent difficiles à
appliquer. Or, c’est ici que l’arbitraire s’introduit fa-
cilement , et qu'il anéantit la science, en exposant les
travaux des naturalistes à une variation continuelle
dans la détermination des rapports qui doivent fixer
la composition des coupes, et dans celles des rangs à
donner à ces mêmes coupes.
En effet, comme beaucoup d'animaux, justement
rapprochés par des rapports généraux et par les carac-
tères de leur classe, peuvent offrir entre eux des dif-
férences remarquables dans certains de leurs organes
intérieurs , et néanmoins des ressemblances pareille-
ment remarquables dans.leurs autres organes inté-
rieurs , on sent que, pour apprécier le degré d’impor-
tance que peuvent avoir les rapports qui existent en-
tre des organes particuliers, il faut avoir recours à
296 INTRODUCTION.
quelques principes régulateurs de ces déterminations,
afin de ne rien laisser à l'arbitraire.
Voici deux principes qui peuvent faire apprécier
les rapports qu’on observera entre des organes iaté-
rieurs particuliers, dans différents animaux comparés.
Premier principe : Entre deux organes ou systèmes
d'organes intérieurs, considérés séparément et com-
parés, celui dont la nature aura fait un emploi plus
général , devra avoir sur l’autre une prééminence de
valeur dans les rapports qu’il offrira.
D'après ce principe, voici l’ordre d'importance qu'il
faut attribuer aux organes particuliers que la nature
a employés dans l’organisation intérieure des ani-
maux.
Les organes de la digestion ;
Ceux de la respiration ;
Ceux du mouvement ;
Ceux de la génération:
Ceux du sentiment ;
Ceux de la circulation.
Ainsi, sous la considération de Ja plus grande géné-
ralité d'emploi des organes particuliers dont la na-
ture a fait usage dans l’organisation ‘intérieure des
animaux, on voit que les organes de la digestion sont
au premier rang, et que ceux de la circulation occu-
pent le dernier. Voilà donc un ordre de valeur , à l'é-
gard des organes importants que je cite, qui pourra
régler, dans les cas douteux , la préférence que méri-
tera un rapport sur un autre.
Second principe : Entre deux modes différents d’un
même organe ou système d'organes, celui des deux qui
sera plus analogue au mode employé dans une organi-
sation supérieure en composition et en perfectionne-
ment, méritera la préférence sur l’autre, pour les rap-
ports qu'il offrira.
INTRODUCTION. 397
Si, par exemple, je veux employer un rapport que
m'offrent les organes de la respiration, pour juger de
la préférence que peut mériter ce rapport sur celui
que m'offriraient d’autres organes je suis obligé,
d’après le principe ci-dessus , d’avoir égard à la consi-
dération suivante.
Quoique le système d’organes particulier pour la
respiration ait une grande généralité d’emploi dans
l’organisation animale, puisque, sauf les infusoires etles
polypes, tous les autres animaux possèdent un système
respiratoire particulier ; cependant, le mode de ce sys-
tème n'étant pas le même dans les animaux qui en-sont
pourvus, je sens que le vrai poumon l'emporte en va-
leur sur les branchies, que celles-ci ont une valeur
plus grande que les trachées aérifères , et que ces der-
nières sont supérieures, sous le même point de vue,
aux trachées aquifères qu’il ne faut pas confondre avec
les branchies. Alors , je peux juger si le mode des or-
ganes respiratoires, dont je veux employer le rapport,
est assez élevé en valeur pour me permettre de lui don-
ner la préférence sur un rapport tiré de quelque
autre sorte d’organes.
La cinquième sorte de rapports embrasse les rapports
particuliers entre des parties modifiées. Elle exige
donc, dans les parties comparées, la distinction de ce
qui est dü au plan réel de la nature, d’avec ce qui
appartient aux modifications que ce plan a été forcé
d’éprouver par des causes accidentelles.
Ainsi, cette sorte de rapports se tire des parties qui,
considérées séparément dans différents animaux, ne
sont point dans l’état où elles devraient être suivant
le plan d'organisation auquel elles appartiennent.
En effet, pour juger le degré d'importance qu’il faut
accorder à un rapport, et la préférence qu’il doit avoir
sur un autre, il n’est point du tout indifférent de dis-
298 INTRODUCTION.
tinguer si la forme, l’aggrandissement, l” appauvrisse-
ment ou même la disparition totale des organes consi-
dérés, appartiennent au plan d'organisation des ani-
maux qui en sont le sujet ; ou si l’état de ces organes
n’est pas le produit d’une cause modifiante et déter-
minable, qui a changé, altéré ou anéanti ce que la
nature eût exécuté sans l'influence de cette cause.
Par exemple , il eût été impossible à la nature de
donner une tête aux infusoires , aux polypes, aux ra-
diaires, etc. ; car l’état de ces corps, le degré de leur
organisation, nele lui permirent pas; et ce ne fut, effec-
tivement , que dans les insectes qu’elle est parvenue à
donner au corps animal une véritable téte.
Or, comme la nature ne rétrograde point elle-même
dans ses opérations , on doit sentir qu ’étant arrivée à
la formation Ges insectes, el par conséquent à celle
d’une tête, réceptacle des sens particuliers , toutes les
organisations animales , supérieures en composition à
celle des insectes, devront offrir aussi une véritable
tête. Cela n’est cependant pas toujours vrai. Bien des
annelides, les cirrhipèdes, et beaucoup de mollusques
n’ont point de tête distincte. Une cause étrangère à la
nature, en un mot , une cause modifiante et determi-
nable , s’est donc opposée à ce que les animaux cités
soient pourvus d’une véritable téte. Tantôt, en effet,
cette cause a empêché plus ou moins le développement
de cette partie du corps, et tantôt même elle en a opéré
l'avortement complet.
Nous trouvons la même chose à l'égard des yeux qui
appartiennent à des plans d'organisation qui doivent
en offrir ; la même chose aussi à l’égard des dents ; en-
fin, la même encore qui a lieu relativement à diffé-
rentes parties de l’organisation, tant intérieures qu'ex-
térieuves, parce qu’une cause modifiante , que j'ai
signalée, a eu le pouvoir de changer, d’aggranüir,
INTRODUCTION. 209
d'appauvrir, et même de faire FR les organes
que je viens de citer.
On senc donc que les isosé que l’on obtiendrait
de la considération de ces parties changées ou altérées,
seraient d’une valeur fort inférieure à ceux que four-
niraient les mêmes parties, se trouvant ce qu’elles
doivent être dans le plan d'organisation où la nature est
parvenue. De cette considération résulte le principe
suivant,
Principe : Tout ce qu'a fait directement la nature,
devant avoir une prééminence de valeur sur ce qui
n’est que le produit d’une cause fortuite qui a modifié
son ouvrage, on donnera dans ie choix d’un rapport à
employer, la préférence à tout organe ou système d’or-
ganes qui se trouvera ce qu'il doit être dans le plan
d’organisation dont il fait partie, sur l’organe ou le
système d’organes dont l’état ou l’existence résulterait
d’une cause modifiante, étrangère à la nature.
Dans le cas où les deux organes différents entre les-
quels un choix est à faire, se trouveraient l’un et l’au-
tre changés ou altérés par une cause modifiante , on
donnera la préférence à celui des deux dont les chan-
gements ou les altérations l’éloigneront moins de l’état
où il devait être dans le plan d’organisation auquel il
appartient.
Telles sont les cinq sortes de rapports qu’il importe
de distinguer, si l’on veut obtenir des principes qui in-
terdisent l’arbitraire dans la détermination des vrais
rapports et de leur valeur. Voici le tableau résumé de
ces pri ncipes.
300 INTRODUCTION.
TABLEAU DES PRINCIPES POUR LA DÉTERMINATION
DES RAPPORTS , SELON LEURS DIFFÉRENTES SORTES.
æ-
(Prémière sorte : rapports d'espèces.)
Premier principe : Dans quelque rang que ce soit de
l'échelle animale, le plus grand des rapports entre des
animaux différents, est celui qui sert à rapprocher im-
médiatement les races entre elles. Ce rapport exige,
dans les animaux rapprochés, une grande ressemblance
dans leur organisation intérieure ; les différences prin-
cipales qui distinguent ces animaux devant se trouver
dans des particularités de leur forme, de leur taille ou
de leurs parties externes {1). |
(Deuxième sorte : rapports de masses.)
Second principe : Les rapports qui servent à former
des masses et à les distinguer, ne doivent se tirer que
de l’ensemble des parties qui composent l’organisation
intérieure. Ils n’exigent jamais une ressemblance par-
faite dans l’organisation intérieure des animaux de
ces masses; mais seulement que les masses rapprochées
se ressemblent plus entre elles qu’à aucune autre par
l’organisation intérieure des animaux qu'elles embras-
sent.
Troisième principe : Plus les masses comparées sont
grandes ou générales, plus l’organisation intérieure
des animaux de ces masses doit offrir de différence.
(1) Il aurait peut-être fallu ajouter que dans chaque espèce les orga-
nes de la géfiération, chez ceux des animaux qui les possèdent, présen-
tent toujours des différences notables, et assez faciles à apprécier.
_
INTRODUCTION, ; 3ot
(Troisième sorte : rapports de rangs.)
Quatrième principe : La plus compliquée et la plus
perfectionnée des organisations animales étant prise
pour point fixe de comparaison, plus une organisation
animale, considérée dans l’ensemble de ses parties,
ressemblera à celle du point de comparaison , plus elle
en sera rapprochée par ses rapports, et vice versé.
Cinquième principe : Parmi les organisations dont
les plans sont différents de celui de l’organisation choi-
sie pour point, fixe de comparaison , celles qui offriront
un ou plusieurs systèmes d’organes semblables ou ana-
logues à ceux qui se trouvent dans l'organisation à
laquelle on les compare, auront un rang supérieur à
celles qui auraient moins de ces organes, ou qui en
manqueraient. .
(Quatrième sorte : rapports entre des parties considé-
rées séparément, et qu'aucune cause particulière n’a
modifiées.)
Sixième principe : Entre deux organes ou systèmes
d'organes intérieurs, considérés séparément et compa-
rés, celui dont la nature aura fait un emploi plus
général, devra avoir sur l’autre une prééminence de
valeur dans les rapports qu’il offrira. Sous ce point de
vue, l’ordre d'importance qu’il faut attribuer aux or-
ganes intérieurs est le suivant :
Les organes de Ja digestion:
Ceux de la respiration ;
Ceux du mouvement:
Ceux de la génération;
Ceux du sentiment ;
Ceux de Ja circulation.
302 INTRODUCTION.
Septième principe : Entre deux modes différents d’un
même système d'organes, celui des deux qui sera plus
analogue au mode déjà employé dans une organisation
supérieure en composition et en perfectionnement ,
méritera la préférence sur l’autre, pour les rapports
qu'il offrira. |
(Cinquième sorte : rapports entre des parties considé-
rées séparément , et qu’une cause particulière a mo-
difiées.)
Huitième principe : Tout ce qu'a fait directement
la nature, devant avoir une prééminence de valeur sur
ce qui n’est que le produit d’une cause fortuite qui a
modifié son ouvrage, on donnera, dans le choix d’un
rapport à employer, la préférence à tout organe ou sys-
tème d’organés, qui se trouvera ce qu’il doit être sui-
vant le plan d'organisation dont il fait partie, sur l’or-
gane où le système d’arganes dont l’état ou l’existence
résulterait d’une cause modifiante étrangère à la na-
ture.
Dans le cas où les deux organes différents, entre
lesquels un choix est à faire, se trouveraient l'un et
l’autre changés ou altérés par urie cause modifiante,
on donnéra la préférence à celui des deux dont les
changements ou les altérations l’éloigneront moins de
l'état où il devait être dans le plan d'organisation au-
quel il appartient. |
Les huit principes régulateurs que je viens de pro-
poser, me paraissent à l’abri de toute objection raison-
nable , et jes seuls propres à remplir l’objet pour lequel
je les destine. Ils fourniront les moyens d'établir sans
arbitraire, un ordre de valeur parmi les rapports qui
doivent servir à former la distribution, fixer les rangs
des objets, et faciliter les lignes de séparation à établir
INTRODUCTION. 303
pour l'institution la plus convenable des genres, des
familles, des ordres, des classes, et des coupes primaires
parmi les animaux.
En détruisant l'arbitraire qui anéantit les progrès
des sciences naturelles, puisque cet arbitraire fait va-
rier sans cesse les résultats des eflorts que l’on fait
pour les perfectionner, ces principes donneront, si on
les admet, une uniformité de plan très nécessaire aux
travaux dans lesquels on s’occupera de ces chjets; et
alors, notre distribution des animaux se perfectionnera
de plus en plus; nos connaissances dans l’étude des
lois et de la marche de la nature, à l'égard de ses pro-
ductions, y gagneront infiniment; et les sciences zoo-
logiques, particulièrement, en obtiendront une solidité
qu’elles n’ont pas encore.
Il restera un peu d’arbitraire dans la détermination
du rang respectif des espèces dans leurs genres, et
quelquefois même de celui des genres dans leurs fa-
milles; parce que les principes régulateurs proposés ne
sont facilement applicables qu’à l'égard des différences
remarquables dans les traits de l’organisation intérieure,
Mais l'expérience dans l'étude de da nature et un
sentiment de convénance que je ne saurais définir,
achèveront de détruire, dans le zoologiste, cette der
hière retraite de l’arbitraire.
Troisième question : Quelle disposition faut-il donner
à la distribution générale des animaux, pour qu’elle
soit conforme à l’ordre de la nature dans la production
de ces êtres ?
Pour résoudre cette question, il s’agit encore ici de
trouver quelque principe pris dans la nature même ;
afin de pouvoir s’y conformer; car, si l’on a déterminé
la distribution générale des animaux d’après la pro-
gression qui existe dans la composition de l’organisation
animale, il semble que l’on puisse, dans cette pro-
304 INTRODUCTION.
gression , procéder avec autant de raison du plus com-
posé vers le plus sm ple, que du plus simple vers le
plus composé. Cela n’est cependant pas fondé; et la
nature, consultée dans l’ordre de ses opérations à l'é-
gard des animaux, nous indique le principe suivant,
qui ne nous permet à ce sujet aucun arbitraire. (1)
La nature n’opérant rien que graduellement . et par
cela même, n'ayant pu produire les animaux que
successivement , a évidemment procédé, dans cette
production, du plus simple vers le plus composé.
Si, comme j'en suis convaincu, l’on doit reconnaître
que, dans tout ce qu’elle fait, la nature n’opère que
craduellement, et que, si c’est elle qui a produit les
- : |!
animaux, elle n’a pu donner l'existence à leurs races
diverses que successivement, il est évident que, dans
pti que ;
cette production, elle a passé progressivement du plus
— ———_—_—— mé.
(1) Nous devons faire observer que ce qui précède se rattache à deux
sortes de choses, qu'il faut bien distinguer : à l’anatomie comparée, et à
l’art de la méthode, L’anatomie comparée , comme l'indique son nom, est
une science toute de comparaison ; on prend le type le plus parfait de
l'organisation, et l’on vient comparer les autres organisations pour sa-
voir ce qui leur manque, Si l'anatomie comparée doit donner aussi des
moyens de classification pour lesaniaux, il faut, pour être conséquent
à ses principes, que l’arrangement proposé procède du composé vers le
simple, c’est-à-dire, par synthèse; mais si la méthode est un art indé-
pendant de l'anatomie comparée, puisant dans celte science comme
dans toutes les antrés, ses éléments et ses principes , s'il se réduit ra-
tionnellement à un moyen artificiel de mettre de l’ordre dans les faits
soumis à l’observation , dès lors il deviendra rationnel de faire des
efforts pour que l’ordre méthodique se rapproche le plus possible de
l’ordre naturel et représente la marche de la nature dans la création suc-
cessive des êtres : la méthode d'analyse devra donc ètre préférée comme
la plus propre à faire comprendre comment les animaux semblent dé-
river Les uns des autres, et comment les rapports naturels les enchai-
pent,
INTRODUCTION, 305
simple au plus composé. On doit donc disposer la dis-
tribution générale des animaux d’après cette considé-
ration, afin d’imiter l’ordre que la nature a suivi.
J'ai, en effet, montré, dans ma Philosophie zoolo-
gique (vol. 1, p.269), que, pour rendre la distribution
générale des animaux conforme à l’ordre qa’a suivi
Ja nature en produisant toutes les races qui existent,
il fallait procéder du plus simple vers le plus composé,
c’est-à-dire, qu il était nécessaire de commencer cette
distribution par les plus imparfaits des animaux, et
les plus simples en organisation, afin de la terminer
par les plus parfaits, par ceux qui ont l’organisation
la plus composée.
Cet ordre est le seul qui soit naturel, instructif
pour nous, favorable à nos études de la nature, et qui
puisse, en outre, nous faire connaître la marche de
cette dernière , ses moyens ét les lois qui régissent ses
opérations à leur égard.
Par cette disposition, et ayant préalablement assu-
jetti par-tout la distribution des objets à l’ordre des
rapports, et formé les coupes classiques , nous rendons
la connaissance des progrès dans la composition de
l’organisation plus facile à saisir , et nous nous mettons
dans le cas d’apercevoir plus facilement ; soit les causes
de ces progrès, soit celles qui les modifient ou les in-
terrompent cà et là. (Phil. zool., vol. 1, p. 132 à 135.)
On trouvera probablement moins agréable et moins
conforme à nos goûts, de présenter en tête du règne
animal, des animaux très imparfaits, à peine percep-
tibles, presque sans consistance dans leurs parties, et
dont les facultés sont extrêmement bornées; an lieu
d'y voir les animaux les plus avancés dans la compo-
sition et le perfectionnement de l’organisation, ceux
qui ont le plus de facultés, le plus de moyens pour
varier leurs actions, en un mot, le plus d'intelligence;
Tone 1, 20
306 INTRODUCTION.
et comme ces derniers sont ceux qu'on a le plus ob-
servés et ie mieux étudiés, on pourra même regarder
comme plus raisonnable de procéder, à l'égard des
animaux, du plus connu vers ce qui l’est je moins,
que de suivre une route opposée.
Cependant, comme Gans toute chose il faut consi-
dérer la fin qu’on se propose, et les moyens qui peuvent
conduire au but, je crois qu'il est facile de démontrer
que l’ordre généralement établi par l'usage dans la
distribution des animaux, est précisément celui qui
nous éloigne le plus du but qu'il nous importe d’at-
teindre; que c’est celui qui est le moins favorable à
notre instruction ; en un mot, celui qui oppose le plus
d'obstacles à ce que nous saisissions le plan, l’ordre et
les moyens qu'emploie la nature dans ses opérations à
l'égard des animaux.
Dans l’examen et l’étude même que l’on fait de ces
corps vivants, s’il n’était question que de les distinguer
les uns des autres par les caractères de leur forme ex-
térieure, et si l’on ne devait considérer leurs diverses
facultés que comme de simples objets d’amusement,
c’est-à-dire, des objets propres à piquer notre curiosité
dans nos loisirs, mais qui ne sauraient exciter en nous
le désir d’en rechercher et d’en approfondir les causes,
je conviens que l’ordre de distribution dont je viens
de parler serait celui qui devrait le moins nous plaire,
quoiqu'il soit le plus naturel. Dans ce cas, il serait
aussi fort inutile de s’occuper de rechercher les rapports
parmi les animaux, et d'étudier leur organisation in-
térieure.
Or, tous les naturalistes conviennent maintenant
de limportance des rapports; et de la nécessité d’y
avoir égard dans nos associations et dans nos distri-
butions des productions de la nature. D'où vient donc
cette importance des rapports, el pourquoi reconnais
INTRODUCTION. 307
sons-nous la nécessité d’y avoir égard dans nos distri-
butions, si ce n’est parce qu’ils nous conduisent réelle-
ment à la connaissance de ce qu’a fait la nature; parce
que, n'étant pas notre ouvrage, nous ne pouvons les
changer à notre gré; parce que ce sont eux qui nous
forcent de rapprocher les uns des autres certains des
objets qu’ils concernent et d’en écarter d’autres plus
ou moins; enfin, parce qu'ils nous font sentir indi-
rectement que, dans ses productions, la nature a un
ordre particulier et déterminable qu’il nous importe
de reconnaître et de suivre dans nos études.
Lorsque des rapports reconnus, parmi les animaux,
ont fixé le rang de ces êtres, quel est le zoologiste qui
voudrait arbitrairement les placer ailleurs! Quel est
celui qui voudrait ranger les chauve-souris dans la
classe des oiseaux, parce qu’elles planent dans les airs;
les phoques ou les baleines parmi les poissons, parce
que le milieu dense qu’habitent ces animaux leur
donne quelque analogie de forme entre eux; enïn, les
sèches avec les polypes, parce qu'elles ont aussi des
espèces de bras autour de leur bouche!
Puisque les rapports reconnus nous entraînent, et
donnent à celles de nos distributions qui s’y confor-
ment , une solidité à labri des variations de nos opi-
nions, nous sentons donc qu'il y a pour nous un
véritable intérêt à établir nos distributions le plus
conformément qu’il nous est possible à l’ordre même
de la nature, afin qu’elles le représentent et le fassent
mieux connaître.
Maintenant, si nous trouvons qu'il soit de quelque
utilité pour nous d’étudier la nature, de connaître son
ordre particulier, de le représenter dans nos distribu-
tions, ne deyons-nous pas commencer comme elle en
procédant du plus simple vers le plus composé; car, ou
assurément elle n’a rien opéré, ou, si les animaux font
20*
308 INTRODUCTION.
partie de ses productions, elle n’a point commencé par
les plus composés et les plus parfaits.
Ainsi, l’ordre de distribution que j’ai proposé à l’é-
gard des animaux, que je viens de motiver, dont je
fais usage depuis plusieurs années dans mes lecons au
Muséum, et dont on trouve l’exposition dans ma Phi-
losophie zoologique (vol. 1, p. 269), devient indispen-
sable, et ne peut être suppléé par aucun autre.
IL établit d’ailleurs cette conformité entre la zoologie
et la botanique, que, de part et d’autre, la méthode
employée comme naturelle, présentera une distribution
dans laquelle on doit procéder du plus simple vers le
plus com posé.
Distribution générale des animaux, partagée en coupes
primaires et en coupes classiques.
La disposition à donner à l’ordre des animaux étant
arrêtée, si nous parcourons et si nous examinons Ja
distribution entière de tous ces corps vivants, rangés
conformément à leurs rapports et aux principes cités
ci-dessus, nous remarquons la pessibilité, luvilité
même de diviser leur série générale , en deux coupes
principales, qui comprennent chacune un certain
nombre de classes.
En effet, ces deux coupes sont singulièrement distin-
guées l’une de l’autre, en ce que la première, qui est
la plus nombreuse et qui comprend les animaux les plus
imparfails, erabrasse une série d'animaux qui tous sont
dépourvus de colonne vertébrale, et qui présentent
par masses des plans d'organisation si différents les
uns des autres, qu’on peut dire qu’ils n’ont de commun
éntre eux que la possession de la vie animale. Tandis
que ceux de la seconde coupe, parmi lesquels se trouvent
les animaux les plus parfaits, possèdent toute une
0
INTRODUCTION, 309
colonne vertébrale, base d’un véritable squelelte, et
sont formés à peu près sur un même plan d'organisation;
mais qui est, néanmoins, plus ou moins avancé, per-
fectionné et modifié, selon le rang des classes comprises
dans cette coupe.
Dans mon premier cours de zoologie au Muséum
d'histoire naturelle, je donnai aux animaux de la pre-
mière coupe le nom d'animaux sans vertèbres ; et, par
opposition, je nommai animaux vertébrés ceux de la
seconde.
Je n’ai pas besoin de dire que c'est parmi ces derniers
(les animaux vertébrés), que se trouvent ceux dont
l’organisation approche le plus de celle de l’homme ;
ceux qui ont cflectivement l’organisation la pius com-
posée, la plus compliquée en organes particuliers ,
ceux, enfin, qui offrent parmi eux le plus haut degré
d’animalisation et le plus grand perfectionnement dans
les facultés du premier ordre où la nature ait pu arriver
dans les animaux. Tous ces animaux sont, en eflet,
munis d’un squeleite articulé, plus onu moins complet,
dont la colonne vertébrale, partout existante, fait
essentiellement la base.
Par cette division, d’une part, je détachais, pour
ainsi dire, et je meltais mieux en évidence les animaux
vertébrés, dont le plan général d’organisation est
commun avec celui de l’organisation de l’homme; et,
de l’autre part, j'en séparais l'énorme série des animaux
sans vertèbres qui, loin d’être formés sur un plan
commun d'organisation, offrent entre eux des systèmes
d'organes très différents les uns des autres.
La distinction des animaux vertébrés d’avec les ani-
maux sans vertèbres est sans doute très bonne, impor-
tante même; mais elle ne me paraît pas suflire au besoin
de la science. et ne montre pas ce que la nature elle-
A
310 INTRODUCTION.
même indique à l'égard des nombreux animaux sans
vertèbres.
En effet, comme les deux coupes, qui résultent de
cette distinction, sont très inégales, puisque les vertébrés
embrassent à peine un dixième des animaux connus ;
j'ai pensé depuis, qu’il serait avantageux pour l’étude
et même conforme à l'indication de la nature , de par-
tager en deux coupes principales les animaux sans ver-
tèbres eux-mêmes.
En conséquence, remarquant que, parmi ces der-
niers , les uns, en très grand nombre, avaient tous les
organes du mouvement attachés sous la peau, etoffraient
symétriquement, dans leur forme, des parties paires
sur deux rangs opposés, tandis que rien de semblable
n’avait lieu dans les autres; je proposai dans mon cours
de zoologie, en mai 1812 , de distinguer ces deux sortes
d’animaux comme constituant deux coupes naturelles
parmi les invertébrés.
Par ce moyen, l’échelle animale se trouvera partagée
naturellement en trois coupes primaires, supérieures
aux coupes classiques. Lesanimaux vertébrés fournissent
la première de ces trois coupes, et les animaux sans
vertèbres donnent la. deuxième et la troisième, ou in-
versement. Ces divisions seront instructives, commodes
pour l'étude, et faciliteront le placement, dans la
mémoire, des objets qu’elles embrassent.
Il ne s’agissait donc plus que d’assigner à chacune
de ces trois coupes une dénomination comparative,
renfermant une idée importante relativement aux ani-
maux qui s’y rapportent. C’est ce que j'ai fait, en
considérant , dans ces mêmes animaux, l’exclusion ou
la possession des facultés les plus éminentes dont la
nature animale puisse être douée; savoir : le sentiment
et l’intelligence.
En considérant encore attentivement les objets sur
INTRODUCTION. 3ri
lesquels j'avais à prononcer , je fus bientôt convaincu
que ce n'était pas seulement par des différences de
forme et de situation des parties, que les animaux de
chacune des deux coupes qui divisent les invertébrés ,
sont distingués les uns des autres; car, ils le sont
aussi singulièrement par la nature des facultés qui leur
sont propres.
En eflet , les uns ne sauraient jouir de la faculté de
sentir, puisqu'ils ne possèdent point le système d’or-
ganes particulier, qui seul peut donner lieu à cette
faculté; et les mouvements qu’ils exécutent , attestent,
effectivement, qu’ils ne se meuvent que par leur irri-
tabilité excitée par des causes externes.
Les autres, au contraire, possédant tous un système
nerveux, assez avancé dans sa composition pour pro-
duire en eux le sentiment, l’observation de leurs mou-
vements et de leurs habitudes prouve qu’ils en jouissent
réellement, et qu’ils se meuvent très souvent par des
excitations internes, qui proviennent des émotions de
leur sentiment intérieur.
Les premiers sont donc des animaux apathiques ;
tandis que les seconds sont véritablement des animaux
sensibles.
Voilà, pour les animaux sans vertèbres, un partage
fortement tracé, et qui donne lieu parmi eux à deux
coupes très distinctes; d’autant plus que chacune de
ces coupes est caractérisée par des différences de forme
et de situation des parties dans les animaux qui en
dépendent.
Ce n’est pas tout : si, parmi les animaux sans ver-
tèbres , il y en a quantité qui jouissent de la faculté de
sentir, on peut prouver par l’observation des faits re-
latifs à leurs actions habituelles, qu'aucun d’eux ne
possède des faculiés d'intelligence.
En effet, on n’en a vu aucun varier arbitrairement
313 INTRODUCTION.
ses actions; on n’en à Vu aucun parvenir au but où
il tend dans chaque besoin, par des actions différentes
de celles auxquelles les individus de sa race sont géné-
ralement habitués. Tous, effectivement, dans chaque
race, font constamment, de la même manière, les
actions qui satisfont à leurs besoins et qui servent à
leur conservation, ou à leur reproduction. 1] n'ont
donc pas la faculté de combiner des idées , de penser ,
d’exécuter des actes d'intelligence.
Or, il n’en est pas de même des animaux wertebrés :
ceux-ci, non-seulement sont généralement sensibles ;
mais, en outre, on a des preuves par l’observation,
que, parmi ces animaux, beaucoup d’entre eux peuvent
à propos varier leurs actions; qu'ils ont des idées con-
servables; qu’ils combinent ces idées; qu’ils ont des
songes pendant leur sommeil; qu'ils comparent, jugent,
inventent des moyens; qu’ils sont susceptibles d’é-
prouver de la joie, de la tristesse, de la crainte, de la
colère, de l’envie, de l’attachement, de la haine, etc.;
et qu’en un mot, ils sont doués de facultés d’intelli-
gence. Si ces facultés n’ont pas été observées positive-
ment dans tous les animaux vertébrés, néanmoins,
comme leur plan d'organisation est à peu près le même
dans tous, quoique plus ou moins avancé dans son
développement et son perfectionnement, onest tout-à-
fait autorisé à leur attribuer à tous l'intelligence , mais
dans différents degrés.
J'ai donc été fondé à partager les animaux en trois
grandes coupes, de la manière suivante :
YNTRODUCTION,
313
DISTRIBUTION GENÉRALE
ET DIVISIONS PRIMAIRES DES ANIMAUX:
* ANIMAUX APATHIQUES.
I, LES INFUSOIRES.
2. LES POLYPES.
3. LES RADIAIRES.
4. LES VERS.
( ÉPizoaiRes. )
‘* ANIMAUX SENSIBLES:
+ LES INSECTESe
LES ARACHNIDES,
LES CRUSTACÉS.
+ LES ANNELIDES.
© @u
. LES CIRRHIPÈDES.
10, LES MOLLUSQUES.
“* ANIMAUX INTELLIGENTS:
11. LES POISSONS.
12. LES REPTILES.
13. LES OISEAUX.
14. LES MAMMIFÈRES.
Ils ne sentent point, et ne se meu-
vent que par leur irritabilité
excilée.
Caract. Point de cerveau , ni de
masse médullaire alongée; point
de sens; formes variées; rare-
ment des articulations.
Ils sentent , mais n’obliennent de
leurs sensations que des percep-
tions des objets , espèces d'idées
simples qu'ils ne peuvent com-
biner entre elles pour en obtenir
de complexes.
Caract. Point de colonne verté-
brale ; un cerveau et le plus
souvent une masse médullaire
alongée; quelques sens distincts;
les organes du mouvement atla-
chés sous la peau ; forme symé-
trique par des parties paires.
Ils sentent; acquièrent des idées
conservables; exécutent des opé-
rations entre ces idées , qui leur
en fournissent d’autres ; et sont
iutelligents dans différents de-
gres.
Caract. Une colonne vertébrale ;
un cerveau et une moelle épi-
nière ; des sens distincts ; les
organes du mouvement fixés sur
les parties d'un squelette inté-
rieur ; forme symétrique par des
parties paires.
1
*SAUAALUAA SNYS XAVNINV
*“SAUAHIUAA XAVNINV
314 INTRODUCTION.
L'ordre que l’on voit dans le tableau qui vient d’être
exposé, me paraît représenter le plus possible, celui
de la composition croissante de l’organisation des ari-
maux, celui qui doit régler leur distribution en une
série générale, celui même qui indique, à très peu près
dans son ensemble, la marche qu’a suivie la nature en
donnant l’existence aux différentes races de ces êtres.
Passons maintenant à l’exposition des animaux sans
vertèbres, et particulièrement à celle de leurs classes,
de leurs ordres, de leurs familles, de leurs genres et
des principales de leurs espèces, en citant ce qui peut
intéresser à leur égard.
SUPPLÉMENT
A la distribution générale des Animaux , concernant
l’ordre réel de formation relatif à ces étres.
D’après des observations récentes, faites par MM. Sa-
vigny , Lesueur et Desmarets, sur des animaux que
l’on avait regardés la plupart comme des polypes, je
me vois obligé de former une nouvelle coupe qui me
semble ne pouvoir faire partie d'aucune des classes
déjà établies dans le règne animal.
La considération de cette nouvelle coupe, que je
place provisoirement après les radiaires, mais qui ne
paraît pas en être une continuation ou un dérivé, m'a
fait sentir la nécessité de distinguer la série unique et
simple que nous sommes forcés de former pour faciliter
nos études des animaux, de l’ordre réel ou effectif de
la production de ces êtres, ordre assujeli à des causes
qui ont modifié sa simplicité.
INTRODUCTION . 315
Si la série simple qui doit constituer notre distri-
bution générale des animaux, se compose d’une suite
de masses disposées suivant la progression qui a lieu
dans la composition des différentes organisations ani-
males , alors elle présentera l’ordre même de la nature,
c’est-à-dire, celui que la nature eût exécuté, si des
causes accidentelles n’eussent modifié ses opérations.
Ainsi, lorsque nous aurons perfectionné cette série, et
que nous l’aurons convenablement divisée, elle nous
offrira la seule méthode naturelle qu’il nous convienne
de faire usage.
Cependant cette série simple n’est réellement pas en
tout conforme à l’ordre dans lequel la nature a produit
les différents animaux; car cet ordre est loin d’être
simple; il est rameux et paraît même composé de plu-
sieurs séries distinctes.
J'ai exposé (p. 313) la distribution générale des ani-
maux, offrant une série unique et simple, telle que
celle que nous sommes contraints d'employer. Je n’ai
rien à y changer, sauf peut-être à augmenter le nombre
des classes; mais j'y ajoute, après les radiaires, la
nouvelle coupe en question, qui embrasse ce que je
nome les ascidiens.
Ici, je me borne à présenter l'ordre effectif de la
production des animaux, tel qu’il me paraît être, et
que j'appelle ordre de formation. Mais, avant tout,
je dois montrer que cet ordre de formation n’est pas
illusoire , et qu’il est clairement indiqué par les rap-
ports, conséquemment par la nature elle-même.
Jusqu’à ce jour, il me semble que les naturalistes
mont vu dans les rapports entre les objets, que des
moyens de rapprocher ces objets à raison de la gran-
deur de ces rapports, et de former avec ces mêmes
objets rapprochés, diverses portions de série qu’ensuite
ils disposèrent entre elles, d’après les rapports plus ou
s
316 INTRODUCTION.
moins grands qu'ils apercurent entre ces portions ou
ces masses particulières.
Il est résulté de leur travail à cet égard , qu’une série
générale composée de toutes ces portions ou séries par-
ticulières, plus ou moins convenablement placées, fut
établie. Or, en exécutant cette distribution, les natu-
ralistes furent conduits à ne pouvoir placer aux deux
extrémités de la série, que les objetsles plus disparates,
en un mot, les plus éloignés entre eux sous la consi-
dération de la composition et du perfectionnement de
l’organisation de ces êtres.
Quoique simple et facile à saisir, la conséquence de
cetie nécessité paraît néanmoins n'avoir pas été aper-
cue; car les naturalistes ne virent dans leur distribu-
tion qu’un ordre fondé sur les rapports; et cependant
elle leur présentait en outre, un ordre de formation
de la plus grande évidence.
Un pas de plus restait donc à faire : c'était le plus
important, celui même qui pouvait le plus nous éclai-
rer sur les opérations de la nature. Il s'agissait seule -
ment de reconnaître que les portions de la série géné-
rale que forment les objets convenablement rapprochés
par leurs rapports, ne sont elles-mêmes que des por-
tions de l’ordre de formation à l'égard de ces objets.
Ge pas est franchi; l’ordre de la formation successive
des différents animaux ne saurait être maintenant con-
testé ; il faudra bien qu’on je reconnaisse.
Mais cet ordre n’est point simple et n’a pu l'être;
des causes accidenteiles l’ont nécessairement modifié
cà et là. En effet, la considération des rameaux latéraux
qu’on est forcé d’y reconnaître, et même celle de sa
division au moins en deux séries particulières, attestent
qu'il a été fortement assujetti à l'influence de causes
modifiantes qui l'ont amené à l’état où nous l’obser-
vons.
INTRODUCTION. 31 7
Je puis eflectivement faire voir que l’ordre de la
production des animaux fut d’abord unique, formant
une série munie de quelques rameaux, et qu’ensuite,
dès qu’un certain nombre d’animaux eurent recu
l'existence, des circonstances particulières donnèrent
lieu à la formation d’une autre série, aussi subrameuse
et bien caractérisée. L'ordre de la production dont il
s’agit se trouva donc divisé en deux séries séparées,
ayant chacune quelques rameaux simples. Peut-être en
existe-t-il encore quelques autres; mais je pense que les
deux séries que je vais signaler peuvent suflire à l’ex--
plication de ce qui nous est maintenant connu à l’égard
des animaux.
Pour faire concevoir à quoi peut tenir ce singulier
ordre de choses, je dirai que je regarde comme une
vérité de fait que, lorsque la nature opère dans des cir-
constances diverses ou sur des matériaux de nature dis-
semblable, ses produits sont nécessairement différents.
Déjà j'ai fait remarquer qu’en formant des corps
vivants, elle a eu occasion d'opérer sur des matériaux
de deux natures différentes; ce qui l’a forcée, avec
les uns, de n’instituer que des végétaux, tandis que,
avec les autres, elle a pu former des animaux. (Voyez
l’Introduction, p. 150 et 107.)
Or, en donnant l’existence au règne animal, on voit
qu’elle a nécessairement commencé par la série des
infusoires qui amène de suite tous les polypes; que là,
cette série, après avoir fourni le rameau latéral des
radiaires , se continue en amenant les ascidiens, en-
suite les acéphales, que l’on peut considérer comme
une coupe classique, enfin, les mollusques bornés à
ceux qui ont une têle, si toutefois les céphalopodes
ne méritent pas encore d’être séparés classiquement.
On voit aussi que, assez long-temps après l’institu-
tion des infusoires et des polypes, elle a commencé
318 INTRODUGTION.
l'établissement d’une série nouvelle (celle des vers), à
l’aide de matériaux particuliers qui se sont trouvés dans
l’intérieur d’animaux déjà existants, et qu'avec ces
matériaux elle a formé des générations spontanées qui
sont la source des wers intestins, parmi lesquels cer-
tains peut-être, passés au dehors, ont pu amener les
vers extérieurs.
En effet, la grande disparité d’organisation qu’offrent
entre eux les animaux qui appartiennent à la classe
des wers, atteste, comme je l’ai dit (extrait, etc. p. 39),
que les plus imparfaits de ces animaux, sont dus
à des générations spontanées, et que des vers cons-
tituent réellement une série particulière, postérieure
en origine à celle que les infusoires ont commencée.
J'avais déjà reconnu et annoncé cette branche ou
série particulière que les vers me paraissent former ,
lorsque M. ZLatreille me faisant part de ses réflexions à
cet égard, me dit qu’il était persuadé que c’était de
cette même branche que provenaient les épizoaires,
les insectes, etc.
Ainsi, fortifié de l'opinion de ce savant, que je par-
tage, je regarde l’ordre de la production des animaux
comme formé de deux séries distinctes.
Ces deux séries différent tellement entre elles, que,
parmi les animaux que chacune d'elles embrasse,
lorsque le système nerveux se trouve établi et un peu
avancé, on voit, dans chaque série, que son mode est
tout-à-fait différent.
En effet, dans la série que commencent les infusoires
ec qui se termine par les mollusques, le système ner-
veux n'offre nulle part un cordon médullaire gan-
glioné ou noueux dans sa longueur , tandis que l’autre
série qui commence par les vers, présente, partout où
le système nerveux est capable de donner lieu au sen-
INTRODUCTION. 319
timent, un cordon médullaire noueux ou ganglioné
dans sa longueur. (1)
Ainsi, je soumets à la méditation des zoologistes,
l’ordre présumé de la formation des animaux, tel que
l’exprime le tableau suivant :
(x) Il nous semble qu’il n’existe qu’un moyen de déterminer défini-
tivement la limite des coupes primordiales à faire dans les animaux : ce
moyen, le système nerveux le fournit, et ce qui est remarquable, il
permet les divisions dicothomiques, si simples et si faciles à comprendre.
En prenant les seuls animaux invertébrés, nous en trouvons : 1° sans
système nerveux apparent ; 2° ayec un système nerveux apparent. Ces
derniers se sous-divisent (a) en ceux dont le système nerveux estenan-
neau, au-dessus des organes digestifs ; (&) ceux qui ont le système ner-
veux linéaire au-dessous du système digestif. Si nous voulons opposer
les animaux invertébrés qui ont un système nerveux aux animaux ver-
tébrés, nous trouvons dans les premiers un seul système nerveux gan-
glionaire , et seulement sous cette forme, et dans les seconds deux
systèmes nerveux bien distincts, le ganglionaire et le cérébro-spinal,
En admettant comme fondées les observations qui précèdent, l’ar-
rangement méthodique proposé par Lamarck subirait des changements
assez notables.
320 INTRODUCTION.
ORDRE présumé de la formation des Animaux,
offrant 2 séries séparées , subrameuses.
1° SÉRIE DES ANIMAUX 29 SÉRIE DES ANIMAUX
INARTICULES. ARTICULES.
+,
Infusoires.
Polypes.
PA
S RE
œ
=
ss on
Le A
D mm” Radiaires
E) Ascidiens. ia
Es EE
à |
Épizoaires.
EE
GS" LM ONE e.15. 7" S'o à ‘eo à On. nn Von em rm 7 Li . CI A 26 207.
re nr - LR Insectes.
Acéphales, TRE
2. | Annelides. Arachnides
& Mollusques.
2 ,
S Crustacés.
é |
PP ,
Cirrhipèdes
à Poissons.
d
A À
= Reptiles.
vd .
É Oiseaux.
È Mammifères.
De quelque manière que l'on s'y prenne, je suis
persuadé que jamais on ne parviendra, dans la série
INTRODUCTION. 321
simple qui doit constituer notre distribution générale
des animaux, à offrir partont, entre les masses distin-
guées, des transitions vraiment naturelles, et par suite,
à conserver , dans tous Jes rangs, les rapports qui ré-
sultent de l’ordre de la production de ces êtres. Ainsi,
notre série simple n’offrira toujours que des portions
interrompues et inégales de cet ordre, entre lesquelles
nous intercaierons d’autres portions hors de ‘rang, en
choisissant celles que le degré de composition de l’or-
ganisation des animaux qu'elles embrassent rendra
moins disparates. 11 est évident que ces portions in-
tercalées ne peuvent être que hors de rang, et doivent
former des anomalies dans Ja série simple, si elles
appartiennent, soit à un rameau latéral, soit à une
série particulière.
Il serait effectivement difhcile de lier les crustacés
aux annelides par une transition vraiment nuancée ;
et cependant ies annelides ont dû être placées après
les crustacés dans la série simple de notre distribution
générale. Or sent donc que, dans la série en question,
les annelides, quoique bien placées, sont hors de rang,
et l’on peut présumer qu’elles proviennent originaire-
ment des vers.
Après les épizoaires, les insectes, qui semblent en
provenir, ne se lient point par une transition sans
lacune, soit aux arachnides, même par celles qui sont
antennifères et hexapodes, soit aux crustacés. On voit
là deux branches dont la source se perd dans une espèce
d’hiatus.
D'une part, les podures, les forbicines, et ensuite
les myriapodes paraissent conduire aux cloportides ,
caprellines, ete., et offrir l’origine des crustacés, dans
la série desquels les extomostracés forment un petit
rameau latéral.
De l’autre part, les parasites hexapodes, tels que les
TOME 1. 21
322 INTRODUETION.
pouæ et les ricins, semblent mener aux picnogonides
ét aux acaridies, ensuite aux phalangides, aux scor-
pionides , enfin aux arachnides fileuses. Cette série
alors n’a plus de suite, et nous paraît constituer un
rameau latéral, dont la source avoisine celle des crus-
tacés, sans offrir avec ceux-ci un point de réunion
connu, ni même avec les insectes,
Enfin , les crustacés conduisent aux cirrhipèdes par
d’assez grands rapports, mais sans transition véritable.
C’est là que se termine la série des animaux articulés,
et qui ne commencent à l’être constamment que lors-
que le système nerveux est assez avancé pour offrir un
cordon médullaire ganglionné dans sa longueur,
Relativement à l’autre série, elle paraît très naturelle,
moins rameuse et n'embrasse aucun animal muni de
parties articulées, Je crois qu'elle doit être divisée en
un plus grand nombre de coupes classiques; car non-
seulement il en faut une pour les ascidiens, et une
autre pour les acéphales; mais je pense même qu’il
convient de séparer des mollusques les céphalopodes, à
cause des traits particuliers de leur forme et de leur
organisation. Les céphalopodes termineraient donc la
série des animaux inarticulés, laissant à l'écart les
héléropodes qui sont encore trop peu connus.
Voilà tout ce que j'apercois à l'égard de l’ordre de
production des animaux sans vertèbres.
Maintenant, comment lier ces animaux aux verté-
brés par une véritable transition ? Ceries cette transi-
tion n’est pas encore connue. J'ai soupconné que les
hétéropodes pourraient un jour l’offrir, si nous parve-
nions à en connaître d’autres que je suppose exister.
Ces problèmes sans doute resteront encore long-temps
sans solution; mais déjà nous pouvons penser que, dans
sa production des différents animaux, la nature n’a
pas exécuté une série unique et simple.
INTRODUCTION, 323
Quelque grandes que soient ces difficultés tenant
à quantité d'observations qui nous manquent encore,
et quelles que soient les irrégularités inévitables de
notre série simple, les considérations qui peuvent naître
de ces objets n’intéressent nullement le principe de la
production successive des différents animaux.
En effet, ce principe consiste en ce qu'après les gé-
nérations spontanées qui ont commencé chaque série
particulière, les animaux sont ensuite tous proyenus
les uns des autres. Or, quoique les lois qui ont dirigé
cette production soient partout et invariablement les
mêmes, les circonstances diverses dans lesquelles la na-
ture a opéré pendant le cours de son travail, ont
nécessairement amené des anomalies dans la simplicité
de l’échelle résultante de toutes ses opérations.
Nous devons donc travailler à la composition et au
perfectionnement de deux tableaux différents; savoir :
L’un offrant la série simple dont nous devons faire
usage dans nos ouvrages et dans nos cours, pour carac-
tériser, distinguer et faire connaître les animaux ob-
servés ; série que nous fonderons en général sur la pro-
gression qui a lieu dans la composition des différentes
organisations animales, les considérant chacune dans
l’ensemble de leurs parties, et nous aidant des pré-
ceples que j'ai proposés.
L'autre présentant les séries particulières avec leurs
rameaux simples, que la nature paraît avoir formées
en produisant les différents animaux qui existent
actuellement.
Ce second tableau » dépouillé des erreurs qui peuvent
s'être glissées dans je que je viens d'offrir, sera sans
doute utile pour notre instruction, élites quantité
d’objets que nous ne pouvons saisir que par son moyen,
et, dans le règne animal, avancera probablement nos
connaissances de la nature. |
D Ÿ de
324 INTRODUCTION.
Si l'étude de cette dernière peut obtenir quelque
intérêt de notre part, j'ai lieu de penser que ce qui
vient d’être exposé ne séra pas sans importance.
Nota. La nécessité d'opérer carrément par l’im-
pression, ne permettant nullement l'obliquité qu’il
eût fallu donner aux lignes indicatrices des branches
latérales des séries, afin de montrer leur point de dé-
part, l’idée que j'ai voulu rendre par le Tableau, se
trouve un peu défigurée : mais le discours me paraît
suppléer à ce défaut, et la rétablir. (1)
(r) De toutes les classifications générales qui furent proposées jus-
qu’en 1815 , époque de la publication du premier volume des animaux
sans vertèbres , celle de Lamarck est certainement la plus rationnelle
et la plus philosophique. Quoique quelques esprits très élevés aient
voulu jeter quelque défaveur sur les travaux de Lamarck, en présen-
tant comme une simple spéculation de l’imagination , toute cette belle
introduction qui sert de corollaire et de base solide au système de
classification , bien des zoologistes commencent à comprendre toute la
valeur de ces considérations générales, eL apercevant, comme La-
marck, l'ordre suivi par La nature dans la création des animaux, re-
viennent de plus en plus à ses idées et cherchent à en améliorer les
applications.
Lamarck avait bien senti que l’arrangement linéaire des animaux
ne pouvait être suivi dans une méthode naturelle, et ne devait être em-
ployé que dans la distribution matérielle d'un livre dans lequel il est
impossible d'exposer plusieurs choses à la fois ; mais que pour bien re-
présenter les rapports il failait admettre des embranchements , soit
depuis le point de départ, soit sur une tige commune : il a rejeté
l’idée d’une tige commune ; mais il a adœis celle de deux embranche-
ments principaux pour les animaux invertébrés. Ces deux embranche-
ments sont susceptibles d’être sous-divisés latéralement; et maintenant
ce que l'observation servira à décider , c’est le point de départ de ces
sous-divisions et leurs rapports avec l’embranchement principal.
Quelques zoologistes ont pensé, et M. Dagès est du nombre , qu’il
était plus convenable de former pour les deux grandes parties des ani-
maux, deux cercles fermés et contigus dans un point déterminé; nous
ne pensons pas que celte manière d'envisager. les rapports soit préfé-
rable à celle de Lamarck ; car, pour tourner dans un cercle en prenant
INTRODUCTION, 325
un point de départ rationnel! , tels que les animaux Îcs plus simples
si on procède par analyse, on les plus composés si l’on préfére la syn-
thèse, il faut supposer dans le premier cas un accroissement progressif
jusqu’à on maximum, et un décroissement également progressif depuis
ce maximum jusqu’au point de départ. Malgré tout ce qu’a d’ingénieux
cette nouvelle manière d'envisager les rapports des animaux, nous lui
trouvons le grave défaut de ne pas satisfaire, comme les embranche-
ments de divres degrés, aux exigeances de la classification rationnelle,
Au reste, ce que Lamarck a dit à l'appui de sa méthode dans les pages
qui précèdent, suffit pour convaincre de sa justesse et de sa supériorité
sur toutes les autres, sans que nous ayons besoin de correborer son opi-
nion par la nôtre. Nous croyons néanmoins que plusieurs perfectionne-
ments peuvent être apportés dans les sous-divisions, et déjà dans une
note nous avons fait pressentir sur quelles bases ils pouvaient s’aps
puyer.
FIN DE L'INTRODUCTION.
nr pale dors * vi : den anis sis Cv | sr de
« , ant qe PROS ppoageye GT AREE pa RE 4 2 *. |
ee. |
era PORTE ERP TE AT L'ORNTPEA TE gouh aura nr gi
épis ai, LE rue Pr HA 8 ph vd ENT
" A » ! "
| IT 2 É je) rt a à x er ln LA
PORN PE DUT PAT TE PERL Ar Jar CAL pit à 4
h ré ) FE tx NA a «re à Pr et Biv: LE ER ta ;
.® f PAC ELA 4 er NM AT don -3ns ME |
Ke VA M: NUS De EU ay DetrTs VE: «4 489, ;
LD GMA à 4 ALLER PAPE IC PIRE ut NA ROT 7 4 miblye-sa S Mi TA
x poses 450 7, APT AMIE Lift DCE ie + end
; - vds HP Sr M TPE 4 à x à: te md: 100 Ps HUE :
"3 CDS OT VAE A RTE ? ve: 2h "gps re A Ne
cs La Pa (4 HI
JR F NT rt * ne NES * E$ ds LRO.
, [Fr Mad à è# La 4 25 mx JOUE LL RE é en & db x
. d. È ù EYE s
LRU =
| 1h ; N \ 5 * Nat 7 1Ÿ D i 1h cd, sim
4 CR V4 D'ART COTE à ‘A 3424 400 4 rad
| A à 2 er
pe pen MES rad AR ESPE
| Cp nt 9 Has HEAR dy svt
# 11 déréarhe set, ay à ie ik
ñ ul PRE A 727 e
LA: re re she
| RL 2
l , à Cr n Q
”1ù RP AU Mag in
ht
PL
(A
L é
F4
49
NE Lu
1:
HISTOIRE NATURELLE
DES
ANIMAUX SANS VERTÉBRES.
POINT DE COLONNE VERTÉBRALE; POINT DE VÉRITABLÉ
SQUELETTE,
Les animaux sans vertèbres sont ceux qui sont dé-
pourvus de colonne vertébrale (1), c’est-à-dire, qui
n’ont pas intérieurement cette colonne dorsale, pres-
que toujours osseuse, composée d’une suite de pièces
(x) Plusieurs zoologistes ont cru pouvoir retrouver l’a-
nalogue d’une colonne vertébrale dans la portion centrale
du squelette tégumentaire des crustacés, etc.; mais pour
adopter cette manière de voir, il faudrait modifier la défi-
nition que l’on donne ordinairement de la vertèbre, et
cette innovation ne serait peut-être pas sans inconvénient
pour la zoologie aussi bien que pour l’anatomie. On ira
néanmoins avec intérêt. ce qui a été écrit à ce sujet par
M. Geoffroy-Saint-Hilaire (rois mémoïres sur l’organt-
sation des insectes , insérés dans le ‘ouinal complémentaire
du Dictionnaire des Sciences médicales, 1820 ), par
M. Ampère ( considérations philosophiques sur la déter-
mination du système solide et du système nerveux des
animaux articulés. Annales des sciences naturelles,
tome 2), etc. E.
328 ANIMAUX SANS VERTÈBRES.
articulées; colonne qui se termine à son extrémité
antérieure par la tête de l’animal , à l’autre extrémité
par sa queue, et qui fait la base de tout véritable
squelette.
Par cette définition, les animaux sans vertèbres
sont nettement distingués des animaux vertébrés ;
mais, quoiqu'ils paraissent former une coupe particu-
lière sous ce point de vue, leur ensemble néanmoins
présente un assemblage d’objets dont les masses sont
très disparates entre elles. (1)
Eneffet, quart à la forme et et à l’organisation in-
térieure, qu'y a-t-il de commun entre un infusoire
et un znsecle, entre un ver et un crustacé? en un
mot, quelle étrange dissembiance ne trouve-t-on pas
entre un polype et une arachnide, entre celle-ci et
un mollusque ?
Si l’ensemble des animaux sans vertèbres pré-
sente, dans ses masses déplacées et mises arbitrai-
rement en comparaison, des assemblages disparates,
l’on sera forcé de convenir qu’en rapprochant les
objets d’après leurs véritables rapports, et qu’en dis-
tribuant les masses classiques dans l’ordre progressif
de la composition de l’organisation de ces animaux,
alors ont trouvera moins d’irrégularité dans leur série ,
quoique de distance en distance, les systèmes d’or-
ganisation soient singulièrement changés, et puissent
rarement se lier chacun les uns aux autres par de
véritables nuances.
Telle est, je crois, l’idée la plus juste que l’on
(x) Les animaux sans vertèbres, en effet, ne forment pas
un groupe naturel, mais constituent plusieurs séries bien
distinctes qui diffèrent entre eux autant qu’eux-mêmes
diffèrent des animaux vertébrés. E,
ANIMAUX SANS VERTÈBRES, 329
doive se former des arimaux sans vertèbres. Ils
composent une immense série d’animaux divers (1), au
moins neuf fois plus nombreuse que celle de tous les
vertébrés réunis, et dont probablement nous ne con-
naissons pas même la moitié des êtres qui la forment.
Ces animaux, originaires des eaux, vivent encore
la plupart dans son sein : aussi c’est parmi eux que
se trouvent les plus petits, les plus frêles, les plus
imparfaits et les plus simples en organisation , comme
c’est parmi les vertébrés qu’on observe les plus par-
faits des animaux.
Sans doute, le volume ou la taille n’a point de
rapport essentiel avec la nature de l’organisation des
différents êtres vivants. Cependant, il n’en est pas
moins très vrai que les plus imparfaits des animaux
connus en sont aussi les plus petits : ce qui est éga-
lement vrai à l’égard des végétaux.
Des trois coupes primaires qui partagent l’échelle
animale entière (2), les animaux sans vertèbres em-
brassent les deux premières ; savoir :
Les animaux apathiques;
Les animaux sensibles.
C’est donc à la troisième coupe, à celle des verté-
brés dont le plan unique d'organisation est plus ou
a
(1) I nous paraît impossible de ranger les animaux sans
vertèbres en une seule série naturelle ; ils en forment au
moins deux qui sont à peu près parallèles , l’une compo-
sée des irfusoires rotateurs, des helminthes, des anne-
lides, des cirrhipèdes, des crustacés, des myriapodes,
des insectes et des arachnides; l’autre de la plupart des
infusoires polygastriques, des polypes , des acalèphes, des
tuniciers et des mollusques. E.
(2) Voyez-en le tableau à la fin de la 7° partie de l’Intro-
duction, page 313. (Note de Lanarck.)
330 ANIMAUX SANS VERTÉBRES,
moins avancé en perfectionnement selon les classes,
qu'appartiennent les animaux intelligents. En consé-
quence, je vais partager mon exposition des animaux
sans vertèbres en deux parties : l’une relative aux
animaux apathiques, et l’autre aux animaux sen-
sibles.
Ainsi, d’après l’ordre que nous devons suivre,
exposons d’abord les animaux apathiques , leurs
classes, leurs familles, leurs genres, comme objets
de la première partie; nous terminerons par l’expo-
sition des animaux sensibles, dont nous présenterons
pareillement les classes , les familles et les genres, ce
qui complétera la deuxième partie; et nous indi-
querons de part et d’autre les espèces les mieux déter-
minees a notre connaissance.
{ Les divisions dont il est ici question ne nous
paraissent pas naturelles, et nous semblent reposer
même sur des idées fausses. Ainsi qu’on a pu le voir
dans l’Introduction , Lamarck jose en principe,
que toute facuité dépend de l'existence d’un instru-
ment ou organe dont elle est l’appanage; cela est
incontestable; mais, sans l’énoncer aussi formelle-
ment, notre auteur va plus loin : il'admet que la
même fonction ne peut être exercée que par le même
organe, et que l’absence d’un de ces instruments
entraîne nécessairement Ja cessation des actes exé-
cutés par lui, lorsqu'il existe. C’est ainsi que voyant
le cerveau être le siége des fonctions intellectuelles,
il conclut de son absence chez les animaux inférieurs,
la non existence de toute espèce de travail intellectuel,
et que voyant les nerfs être des organes indispen-
sables à la perception des sensations chez un bien
plus grand nombre d'animaux encore ; il arguë de
l’absence de ces cordons médullaires, pour prou-
ver que la sensibilité n'existe pas chez les êtres dé-
ANIMAUX SANS VERTÈBRES, 331
pourvus d’un-système nerveux. Or, ce raisonnement
me paraît être un cercle vicieux, et les résultats
auxquels ils mènent me semblent être en contra-
diction directe avec les données fournies par l’ob-
servation directe aussi bien que par l’analogie. Que
dirait-on, si un physiologiste, ayant appris que chez
l’homme et tous les autres mammifères, chez les
oiseaux et les reptiles, la respiration ne peut s’ef-
fectuer que dans l’intérieur des poumons, concluait
que les poissons, les crustacés, les insectes, etc., ne
respirent point parce qu’ils sont dépourvus de ces
organes ; ou même s’il prétendait que cette fonction
ne peut s’exercer que là où il existe soit des poumons,
soit des trachées ou des branchies, et que la surface
générale du corps ne pouvant jamais suppléer à ces
organes, les animaux dépourvus d'organes spéciaux
de respiration, sont sansaction sur l’air atmosphérique?
Les défauts d’un raisonnement pareil deviennent éga-
lement palpables lorsqu'on Papplique aux phénomènes
de la locomotion, de la génération, etc. , etc. , et tout
daus la nature semble prouver que des parties diverses
peuvent jusqu’à un certain point, en se modifiant,
se suppléer les unes les autres et servir aux mêmes
usages. En serait-il autrement pour les facultés in-
tellectueiles et pour la sensibilité? rien n’autorise à
le croire, et l’analogie, doit , au coutraire nous faire
penser que la sensibilité, par exemple, existe déjà chez
des êtres qui n’ont pas encore d'instruments spéciaux
pour sentir; de même que la reproducion a lieu chez
des animaux qui n’ont pas encore des organes spé-
ciaux de génération. C’est en assignant à chaque grande
fonction un instrument particulier, que la nature
comimence à perfectionner les êtres, de même que
c’est en localisant de plus en plus les divers actes
dont chaque fonction se compose ou en d’autres mots
332 ANIMAUX SANS VERTEBRES.
par une division de travail toujours croissant, que
les diverses facultés se perfectionnent à leur tour.
(Voyez l’arücle Organisation, Nerfs, etc. du Diction-
naire classique d’histoire naturelle, et mes Éléments
de Zoologie). E,
PREMIÈRE PARTIE.
ANIMAUX APATHIQUES (1).
Point de forme symétrique par des parties paires
bisériales, ou seulement sur deux côtés opposés ;
aucun sens particulier pour la sensation; ni
moelle longitudinale, ni cerveau; point de wéri-
table squelette. (2)
Le caractère le plus apparent des animaux apa-
thiques, est de ne point offrir encore cette forme
symétrique de parties paires dont les animaux des
autres coupes présentent presque tous des exemples;
parties paires si prononcées dans l’organisation de
l’homme, quoique toutes les intérieures ne soient pas
(1) Cette division correspond à peu près à l’embranche-
ment des zoophyles ou animaux rayonnes, de la méthode
de M. Cuvier (Voy. le Aègne animal distribué d'après son
organisation.) Dans la classification de M. de Blainville,
les animaux apathiques de Lamarck, forment deux sous-
règnes, savoir :les actinozoaires ou À. rayonnes, et les amor-
phozoaires ou À. amorphes. (Voyez de l’organisation des
animaux , ou Principes d'anatomie comparée ,t.1.) E.
(2) Ainsi que nous le verrons par la suite, cette défini-
tion n’est pas rigoureusement applicable à tous les ani-
maux dont ce groupe se compose. E.
334 ANIMAUX APATHIQUES.
dans ce cas, parties paires, enfin, qui sont toujours
bisériales lorsqu'elles se répètent, ou seulement sur
deux côtés opposés.
Ici, il n’y a jamais de parties paires dans cet ordre;
car lorsqu'on rencontre des parties semblables, elles
sont rayonnantes ou disposées en rond, et non sur
deux côtés opposés.
La nature tendant à la production des animaux
les plus parfaits, en qui cette forme symétrique de
parties paires ou bisériales est extrêmement remar-
quable, l’a employée dans le plus grand nombre des
animaux, parce qu’elle est la plus favorable au mou-
vement de progression en avant. Mais elle n'a pu
l’établir dans les animaux apathiques ; d’abord , parce
que ja trop faible consistance de leurs parties ne Île
lui permit pas et laissait aux fluides expansifs de
l'extérieur trop d'influence sur la forme générale de
ces animaux; ensuite, parce que le mouvement pro-
gressif en avant ne leur est point nécessaire.
Les animaux apathiques furent très-impropre-
ment appelés zoophytes : ils ne tiennent rien de la
nalure végétale, et tous généralement sont complé-
tement des animaux; ce que je crois avoir prouvé (1).
La dénomination d'animaux rayonnés ne leur
convient pas plus que la précédente ; car elle ne peut
s'appliquer qu'à une partie d’entre eux, et il s'en
trouve beaucoup parmi eux qui n’ont absolument
rien de la forme rayonnante,
Tous les apathiques manquent de tête, sont dé-
(1) En conservant à ces animaux le nom de zoophytes,
M. Cuvier n’a en aucune façon entendu qu’ils participent
de la nature des végétaux, mais seulement, que souvent
ils en rappellent les formes. DE
Ce (
ANIMAUX APATHIQUES. 355
pourvus de sens extérieurs; et parmi ceux , en petit
nombre , en qui l’on a observé quelques nerfs, on ne
trouve jamais cet appareil nerveux qui est essentiel
à la production du sentiment. Ge sont donc des ani-
maux véritablement privés de la faculté de sentir (1).
Etant dépourvus du sentiment, n'ayant pas même:
celui de leur existence, c’est-à-dire, ce sentiment
intérieur que des besoins sentis peuvent émouvoir ,
ces animaux ne se meuvent que par leur irritabilité
excilée, que par des causes excilantes qui leur vien-
nent du dehors. Aussi ai-je montré que leurs besoin
très bornés, n'’exigent point qu’ils aient d’autres fa-
cultés, qu'ils dirigent Éux-mêmes aucun de leurs
mouvements; ce qui leur est nécessaire se trouvant
toujours à leur portée.
Les animaux apathiques embrassent les quatre
premières classes du règne animal (2), savoir :
» 1° Les infusoires ;
2° Les polypes;
3° Les radiaires;
4° Les vers.
(Les épizoaires. )
Exposons successivement les caractères de chacune
de ces classes, ainsi que ceux des animaux qui
s'y rapportent.
[ * Presque tous les naturalistes s’accordent à rassembler
dans une grande division du règne animal, les animaux
(1) Foyez la note de la page 330. E.
(2) C’est probablement par une erreur d’impression que
le nombre de ces classes n’est porté qu’à quatre; en effet,
l’auteur divise les animaux apathiques en cinq classes, sa-
voir : 1° les infusoires ; 2° les polypes ; 3° les radiaires ; 4°
les tuniciers , et 5° les vers. B;
336 ANIMAUX APATHIQUES.
les plus simples et dont la forme est ordinairement plus ou
moins rayonnée; mais ils sont loin d’être d’accord sur les
limites qu’il convient d’assigner à ce groupe, et cette di-
vergénce d'opinion ne doit pas nous étonner quand nous
réfléchissons aux principes divers qui peuvent également
servir de guide dans la distribution méthodique des
êtres. En effet, on peut suivre dans cette classification,
deux marches très différentes qui chacune ont leurs avan-
tages et leurs inconvénients : on peut, en prenant pour
règle le principe de la subordination des caractères, si
bien développé par un de nos plus grands naturalistes, éta-
blir les divisions successives de la hiérarchie méthodolo-
gique, d’abord sur les modifications que présentent les
grands appareils de l’économie, puis sur les différences
qui se montrent entre des parties dont le rôle est ordinai-
rement d’une importance plus minime; ou bien on peut
chercher à ranger ces êtres en autant de groupes princi-
paux qu’il y a de séries bien reconnaissables formées par
la dégradation ou la simplification de.plus en plus grande
de chaque type d’organisation. Or, les limites à assigner au
groupe des animaux apathiques ou rayonnés ou zoophytes,
(peu importe le nom qu’on leur donne), varient suivant que
l’on adopte l’une ou l’autre de ces méthodes. En suivant la
première que l’on pourrait appeler une méthode naturelle
physiologique , il faudra réunir dans la même grande divi-
sion , tous les animaux qui se ressemblent par un certain
degré de simplicité d'organisation, tandis qu’en suivant
la sêconde méthode qui nous paraît être éminemment z00-
logique, on ne s'arrêtera pas à ces similitudes dans le de-
gré de la division du travail physiologique, et on ratta-
chera aux séries plus élevées dans l'échelle des êtres, les
différents animaux inférieurs qui semblent être les pre-
mières ébauches, ou si l’on aime mieux, les dégradations
de chacun üe ces types d'organisation, et qui rappellent
par leur conformation, les états transitoires par lesquels
les premiers passent avant que d'arriver à l’état adulte.
Dans le premier cas, on laissera dans ce sous-règne, les
vers intestinaux et les planaires qui se lient d’une ma-
nière si intime aux annelides, leslernées, qu'aucune li-
INFUSOIRES. 337
inite bien tranchée ne sépare des crustacés et certains po-
lypes qui ont les rapports les plus intimes avec les ascidies,
à . ]? » 4 ñ 1 »
lesquels, par l’ensembic de leur Organisation, se rappro-
chent des mollusques; dans le second cas au contraire, on
réduira ce groupe aux animaux très simples, et en générai
rayonnés, qui semblent conduire vers les acaléphes et les
échynodermes.
» ? LA
Quoi qu’on fasse, on ne peut, dans l’état actuel de la
science, adopter sans modifications les divisions établies
ici parmi les animaux apathiques de Lamarck. La classe des
polypes renferme , comme nous le verrons bientôt, des
éléments très hétérogènes, et il en est de même de celles des
radiaires et des vers. E.
EEE
CLASSE PREMIÈRE.
LES INFUSOIRES. (Infusoria.) (1)
Animaux microscopiques, gélatinenx, transpa-
rents, polymorphes, contractiles.
Point de bouche distincte; aucun organe inté-
(1) La division des infusoires, telle que Muller l’avait
établie, était évidemment composée d’éléments trop hété-
rogènes pour pouvoir prendre place dans une classification
naturelle; aussi, est-ce avec raison que Lamarck en proposa
la réforme, etque cezoologiste distribua dans des classes dif-
férentes, lesanimalcules dont l’organisation lui paraissait la
plus simple, et ceux dont la structure est la plus compli-
quée; mais l’état peu avancé de cette partie de Ja science ne
Jui permit pas d'établir sa méthode sur des bases solides, et
presque tous les caractères qu’il assigna à ses infusoires ne
TOME 1. | 22
338 ANIMAUX APATHIQUES.
rieur constant, déterminable ; génération fissipare,
subgemmipare.
Animalcula microscopica, gelatinosa, hialina, po-
lymorpha, contractilia.
Os distinctum nullum. Organa specialia interna
determinabiliaque nulla. Generatio fissipara , sub-
gemmipara.
Osservarions.Jenerapporte à cette classe d'animaux que
leur sont plus applicables. En effet, les observations ré-
centes de M. Ehrenberg , nous ont appris que ces animal-
cules ne sont pas dépourvus d’organes intérieurs constants
et déterminables, et qu’ils ont une ouverture distincte qui,
d’après ses fonctions, doit être considérée comme une
bouche ; il est aussi à noter, que la plupart de ces êtres sont
loin d’être polymorphes , et leur petitesse, comme Lamarck
le dit lui-même, n’est pas un caractère qui puisse les faire
distinguer.
En se fondant sur une connaissance plus exacte des
choses, M. Ehrenberg divise les infusoires de Muller,
en deux classes, savoir :
1° Les polygastriques.
Animalcules pourvus d’un çertain nombre de vé-
sicules cœcales tenant lieu d’estomacs, isolés ou
réunis par un tube intestinal : fissipares.
se Les rotateurs.
Animalcules pourvus d’un intestin simple et ana-
logue à celui des animaux articulés, ne se re-
produisant point par scission, mais par des œufs,
et portant des organes rotateurs.
La classe des polygastriques correspond à peu-près à celle
des infusoires de Lamarck , et se distingue parfaitement de
celle de rotateurs ; mais elle nous paraît moins nettement
séparée d’un grand nombre de polypes qui établissent le
passage des vorticelles jusqu’au flustres.
E.
INFUSOIRES. 339
ceux des infusoires de AMuller qui n’ont point de bouche,
et qui conséquemment sont dépourvus de sac alimentaire,
c’est-à-dire , de cet organe digestif qui s’ouvre nécessaire-
ment au dehors par une bouche au moins.
Ainsi, c’est avec cette coupe circonscrite par le défaut de
bouche dans les animaux qui en sont le sujet , que je forme
la première classe du règne animal. Elle comprend les ani-
maux les plus petits, les plus imparfaits, les plus simples
en organisation , en un mot, ceux qui possèdent le moins
de facultés.
Ces animaux n’ayant point de bouche, point de sac ali-
mentaire, n’ont point de digestion à exécuter, et ne se
nourrissent que par les absorptions de leurs pores exté-
rieurs, et par imbibition interne (1). Ainsi, leur organi-
(1) Jusqu’en ces derniers temps, tous les naturalistes
s’accordaient à regarder les animalcules dont il est ici ques-
tion, comme étant formés d’une espèce de gelée vivante
et dépourvue de tout organe intérieur; mais ainsi que
nous l’avons déjà dit, les beaux travaux de M. Ehrenberg
ont entièrement changé les idées à cet égard. En mettant
en suspension dans l’eau où vivaient des infusoires , de l’in-
digo parfaitement pur, du carmin et autres substances co-
lorantes insolubles, cet habile observateur a vu ces petits
êtres se colorer de la même manière, mais non pas unifor-
mément, ainsique cela ce serait fait par une imbibition gé-
nérale dont toutes les parties de leur corps auraient été le
siége ; la matière colorante était toujours circonscrite dans
des points déterminés du corps, et renfermée dans de pe-
tites cavités, qui d’après leurs fonctions doivent nécessai-
rement être regardées comme des estomacs. Par ce procédé
si simple, il a pu constater aussi l’existence d’une bouche
ordinairement garnie de cils, et dans bien des cas, d’un
anus distinct.
La disposition de cet appareil digestif varie chez les dif-
férents infusoires : tantôt il n’existe point d’intestin : toutes
les vesicules stomacales naissent isolément d’une bouche
commune, et il n’v a point d'anus; tantôt les vésicules
292*
340 ANIMAUX APATHIQUES.
sation, qui est la plus simpie de toutes celles qu’offre le
règne animal, présente par son caractère un degré particu-
Li
2 ———————— ———_—_—
stomacales sont groupées autour d’un intestin distinct, qui
lui-même est circulaire, de façon à naître et à se terminer
au même point par une ouverture extérieure, qui est en
même temps la bouche et l'anus; d’autres fois l'intestin
avec lequel communiquent toutes les vésicules stoma-
cales, parcourt en ligne droite toute la longueur du corps
de l’animal, et se termine par une bouche et un anus dis-
tincts situés aux deux extrémités du corps; enfin, d’autres
fois l'intestin, au lieu d’occuper ainsi l’axe du corps, se
porte en serpentant de l'extrémité antérieure à l'extrémité
postérieure du corps, et présente, du reste, la même dispo-
sition que dans le type précédent. M. Ehrenberg, désigne
ces modifications par les noms suivants : dont l’étymologie
indique assez la signification.
1° Anentera.
Cyclocæla.
2 Enterodela Ortocæla.
Campylocæla.
Le nombre des vésicules stomacales logées dans l’inté-
rieur du corps de ces petits êtres est souvent immense;
dans quelques espèces, M. Ehrenberg en a compté deux
cents : lorsqu’elles sont vides elles sont imperceptibles à
cause de leur transparence, et lorsqu'elles sont remplies
d’eau on peut facilement les prendre pour des œufs, erreur
qui paraît avoir été commise par quelques zoologistes; enfin
lorsqu’elles sont remplies d'aliments solides, elles affectent
une forme sphérique et paraissent toujours isolées, car
l'intestin qui les réunit se rétrécit et devient transparent
aussitôt qu’il cesse de contenir des matières opaques. Ces
petites cavités sont très extensibles, et lorsque l’animalcule
est vorace, elles se remplisent souvent d’autres infusoires
assez gros à proportion ; quand l’une d’elles se remplit
beaucoup , elle se d'stend tellement qu’elle empêche les
aliments de pénétrer dans les autres; aussi , le nombre de
INFUSOIRLS, 34:
lier qui les distingue émiremmeut de tous les autres ani-
maux. W
Je me suis assuré qu’il en existe de semblables, car j’en
oo
ces estomacs semble-t-il augmenter à mesure qu’ils se
remplissent plus également et qu’ils paraissent plus petits :
Ja position de l’anus se décèle par les déjections.
1! paraît que les taches qu’on a souvent observées chez di-
vers infusoires, et qu’on a considérées comme caractéris-
tiques d’espèces distinctes, ne sont souvent que des diffé-
rences dépendantes de l’état de réplétion de ces vésicules
et de la nature des aliments contenus dans leur intérieur.
Outre l'appareil nutnitif, il existe dans l’intérieur du
corps chez quelques infusoires polygastriques', une masse
cellulaire que l'animalcule rejette par l'anus, et que
M. Ehrenberg considère comme un ovaire.
Sous le rapport de leur organisation extérieure, les infu-
soires pol ygastriques présentent de grandes différences ; les
uns sont nus, les autres sont pourvus d’une enveloppe
protectrice que l’on a appelée cuirasse (lorica), et qui af-
fecte la forme d’un écusson (enveloppe ronde ou ovale,
lisse sur ses bords et ne recouvrant que le dos de l’animal
comine le ferait un bouclier), d’une coque (enveloppe
membraneuse ou gélatineuse en forme de cloche ou de
cylindre, quelquefois conique, fermée à son extrémité in-
férieure ou postérieure, ouverte du côté opposé, et dans
l’intérieur de laquelle l’animal peut se retirer compléte-
ment); d’un #anteau, (tuuique gélatineuse qui paraît être
la couche externe de la masse du corps, laquelle, à un cer-
tain âge , se transforme en quelque sorte en jeunes, qui res-
tent d’abord renfermés dans cette enveloppe, mais à la
fin s’en échappent par suite de sa rupture); ou d’une cui-
rasse bivalve qui devient distincte lorsqu’on divise trans-
versalement l’animalcule.
Ces petits êtres présentent rarement une tête distincte,
_etla portion céphalique de leur corps ne se détermine ordi-
nairement que par la position d’autres organes; quelque-
fois il existe une espèce de queue formée par un simple
342 ANIMAUX APATHIQUES.
ai observé moi-même plusieurs ; et quand même il n’en
existerait qu’un petit nombre, j’en eusse fait une classe à
part, d’après la considération du caractère éminent qui
les distingue. Cette classe néanmoins embrasse évidem-
ment Ja plus grande partie des infusoires de Muller; elle
doit être nécessairement la première, puisqu'elle nous
présente l’organisation animale dans son premier degré.
L'organisation des infusoires, et tout ce qui concerne
leur manière d’être , de vivre, de se mouvoir, de se régé-
nérer, etc., sont des objets plus importants à considérer
que les distinctions qu’on a pu établir parmi eux.
En effet, sans cette curiosité philosophique, sans le
prolongement du ventre. La bouche est souvent bilobée,
et il existe chez ces animalcules des appendices extérieurs
très variés. M. Ehrenberg les distingue par Îes noms de
prolongements variables, de soies, de cils, de crochets,
de styles, etc.
Les prolongements variables (processus variabiles) sont
des espèces de sacs herniaires formés par le relâchement
d’une partie de l’enveloppe tégumentaire, tandis que le
reste se contracte avec force ; leur apparition détermine ces
changements de formes si variées qui ont fait comparer
quelques infusoires à des êtres protéens. Les soies (setæ)
sont des appendices droits et raides qui n’exécutent aucun
mouvement bien apparent. Les cils (cilia) sont de pe-
tits appendices filiformes qui décrivent des mouvements
rotatoires et qui sont quelquefois placés autour de la bou-
che seulement, d’autres fois distribués par séries sur toute
la surface du corps. Les crochets (uncini) sont des appendices
courts , tantôt raides, tantôt flexibles, qui ressemblent à
des soies de cochon, qui ne servent pas à produire des
mouvements de rotation, mais à la préhension et à l’ac-
tion de grimper ; quelquefois, on en voit à la lèvre infé-
rieure ; d’autres fois à ja face ventrale du corps où ils tien-
»ent lieu de pieds; enfin les styles ( syi) sont des espèces
de soies épaisses , droites et très mobiles, mais incapables
d'exécuter des mouvements de rotation. E.
INFUSOIRES. 343
besoin même que nous avons de conuaître la nature dans
tout ce qu’elle produit, dans tout ce qu’elle exécute, en
un mot, sans l'importance pour nous de savoir jusqu’à
quel por la vie animale peut être réduite et exister en-
core, sans doute l’étude des infusoires nous présenterait
bien peu d'intérêt, et ce serait fort mal débuter dans l’ex-
position du règne "ati , que de placer de pareils objets
en tête de ce règne.
Mais plusieurs considérations importantes se réunissent
pour que nous donnions la plus grande attention au fait
de l’existence de ces étonnants animaux, ainsi qu’à celui
de l’état singulier de leur organisation et de leur manière
d'exister.
Ces êtres, dont l’animalité paraît à peine croyable, et
que l’on peut en quelque sorte regarder comme des ébau-
ches de la nature animale, sont d’une petitesse extraordi-
naire. Leur corps n’a presque point de consistance , et
paraît pour ainsi dire sans parties. Ce sont cependant des
animaux nombreux en individus et en races diverses, qui
péupleut toutes les eaux, et quise retrouvent les mêmes
dans tous les pays du monde, mais seulement dans les
circonstances qui leur permettent d'exister; ce sont des
animaux qui la plupart disparaissent dans les abaissements
de température, qui reparaissent et se multiplient rapi-
dement dans ses élévations; enfin, ce sont des animaux
dont l'existence et l’état renversent toutes les idées que
nous nous étions formées de la nature animale.
Parmi les merveilles sans nombre que la nature offre de
toutes parts à nos observations, celle peut-être qui est la
plus étonnante, c’est de voir la vie animale pouvoir exis-
ter dans des corps aussi frêles et aussi simples que ceux qui
constituent les animaux de cette classe, et sur-tout de son
premier ordre.
En effet, les infusoires, considérés dans ceux dont j’as-
sigre le caractère classique, nous présentent l’organisation
animale dépourvue de tout organe particulier intérieur,
constant et déterminable, réduite à n’offrir qu’une masse
de tissu cellulaire variée , extrêmement petite, frêle, pres-
344 ANIMAUX APATHIQUES.
que sans consistance, et cependant vivante et très irri-
table. |
Ainsi, non-seulemeut ces singuliers animaux n’ont
point de tête, point d’yeux (1), point de muscles, point
de vaisseaux, point de nerfs; mais il n’out même aucun
organe particulier déterminable, soit pour la respiration,
soit pour la génération, soit, enfin, pour la digestion.
Aussi, ce ne sont que des corpuscules extraordinairement
petits, nus , gélatineux ; ce ne sont que des points vivants.
Cependant, retrouver la vie animale dans des corps
aussi frêles et aussi simples que ceux dont il est question,
est une considération tellement étonnante, que d’après
les idées aue l’on s’était formées de la vie, considérée dans
les animaux les plus parfaits, plusieurs personnes n’ont
pas osé croire à la réalité de ce fait, et qu’il y en a
même qui l’ont inconsidérément nié.
On a effectivement beaucoup écrit pour contester l’ani-
malité de ces corpuscules mouvants; mais on est mainte-
nant forcé de céder à la raison qui s'appuie sur des faits
décisifs. Or, ces faits attestent nou-seulement que les cor-
puscules dont il s’agit sont des Pre vivants, puisqu'ils
en ont les qualités cibentiellés, et qu’en effet ils se régé
nèrent et se multiplient eux-mêmes ; mais en outre que ce
sont. de véritables animaux, puisqu'ils sont irritables,
qu'ils se meuvent, et qu’ils exécutent des mouvements
subits qu’ils peuvent répéter de suite plusieurs fois.
D'ailleurs, comment reconnaître, comme on le fait,
l’animalité des polypes, sans admettre celle des vorticelles ?
(4) M. Ehrenberg, considère comme étant des yeux,
les points colorés que l’on remarque chez plusieurs infu-
soires, notamment dans le genre microglena (Elr.) de la
famillé des monadines, dans le genre lagenula (Ehr.) de
la famiile des cryptomonadines, dans les genres euglena
(Ehr.) amblyophis (Ehr.) et distigma (Ehr.), de la famille
des astasiens, dans le genre eudorina (Ehr.), de la famille
des péridiniens, et le geure ophryoglena (Ehr.), de la famille
des kolpodiées. E.
INFUSOIRES. 349
comment convenir de la nature animale des vorticelles , et
refuser la même nature aux wrcéolaires? et si l’on recon-
naît les urcéolaires pour des animaux, comment contester
la nature animale des trichocerques, des cercaires, des
trichodes et ensuite de tous les autres infusoires? Les
rapports les plus grands lient évidemment tous ces aui-
maup les uns aux autres par une gradation nuancée depuis
les plus simples et les plus imparfaits d’entre eux, tels
que les monades, jusqu’aux polypes les mieux connus,
Ne pouvant plus nier la nature animale des infusoires,
on a essayé de contester la simplicité de leur organisation ;
tant on tient à conserver les idées qu’on s’est inconsidéré-
ment formées de la vie, en supposant qu’elle ne peut
exister dans un corps qu’avec la complication de cette
multitude d’organes particuliers dont celle des animaux
les plus parfaits nous offre des exemples.
Mais, au lieu de supposer, contre l’évidence, que tous
les organes que l’on trouve dans les animaux les plus par-
faits, et dont on n’aperçoit plus le moindre vestige dans
les plus imparfaits, existent néanmoins dans tous, c’est-
a-dire , dans les uns et les autres; il est bien plus simple
et plus conforme à la raison de reconnaître que non-seule-
ment la nature n’a pu établir ces organes spéciaux dans des
corps gélatineux aussi frêles que les infusoires, mais
même qu’elle n’a pas eu besoin de le faire.
Effectivement, la moindre réflexion suffit pour nous
faire sentir qué dans des animaux aussi imparfaits, la
nature n’a pu avoir en vue que d’y instituer seulement la
vie, et que toute autre faculté que celles qui en résul-
tent généralement, leur serait fort inutile. Il serait en
effet très inutile à une monade, à une volvoce, à un
protée, etc., d’avoir des organes qui lui servissent à
changer de lieu, et d’autres qui soient propres à lui
faire discerner les objets; n’ayant d'autre action à exé-
cuter pour conserver sa vie, que celle d’absorber par ses
pores les matières que l’eau qui l’environne lui présente
sans cesse partout, et que celle de faire des mouvements
qui facilitent cette absorption. Aussi peut-on assurer que
«+ partout où une fonction organique n’est pas nécessaire ,
346 ANIMAUX APATHIQUES.
l’organe particulier qui peut l’exécuter n’existe point.
(Philos. zool., vol. 1 , p. 203 et suiv.)
Si les znfusotres sont de tous les animaux ceux qui ont
le moins de facultés, ce sont aussi ceux qui ont le moins
de besoins. Ils n’ont pas une seule faculté particulière ;
ils n’ont pas non plus un seul besoin particulier. Vivre
pendant un temps limité, et reproduire d’autres individus
semblables à eux ; là se borne tout ce qui leur est propre,
les mouvements qu’on leur voit exécuter étant le produit
de causes hors d’eux. Ces animaux n’ont donc aucun be-
soin des organes particuliers que l’on observe dans les
autres.
Il est évident que si l’on veut savoir en quoi consiste la
vie animale la plus réduite, c’est uniquement en considé-
rant les infusoires, et sur-tout ceux du premier ordre,
qu’on y pourra parvenir; c’est en étudiant sans préven-
tion tout ce qui concerne des animaux aussi imparfaits
et aussi simples en organisation que ceux dont il sagit,
qu’on pourra se former une idée juste de ce qu’exige la
vie animale dans ces petits corps, et des facultés qu’elle
peut leur donner.
On verra que les facultés des infusoires les plus simples
se réduisent à celles qui sout communes à tous les corps
vivants, et en outre à celle qui résulte de leur nature ani-
male, à l’irritabilité; mais on verra en même temps que,
comme aucune de ces facultés n’exige d’organe particulier
pour sa production , il n’y en a effectivement aucun.
À la vérité, dans un assez grand nombre d’infusoires,
sur-tout dans ceux du deuxième ordre, on aperçoit des
parties intérieures locales qui paraissent dissemblables,
quelquefois même mouvantes, Mais ces parties, dont on
peut dire tout ce qu’on veut, ne peuvent être que des
modifications plus ou moins grandes du tissu intérieur de
ces corps, que des voies qui préparent la multiplication
des individus, que des gemmes reproducteurs dans diffé-
rents états de développement.
Ces animaux ne possédant pas encore je premier organe
particulier que la nature ait créé dans l’organisation ani-
male, celui de la digestion, ne sauraient avoir sans doute
INFUSOIRES. 347
aucun de ceux qu’elle a établis postérieurement à celui-ci.
Ces frêles êtres étant les seuls qui n’aient point de di-
gestion à exécuter pour se nourrir, ressemblent en cela aux
végétaux qui ne vivent que par des absorptions, et dont
les mouvements vitaux ne s’opèrent aussi que par des
excitations de l’extérieur. Mais les 2nfusotres sont irrita-
bles et contractiles ; or ces caractères indiquent leur na-
ture animale, et les distinguent essentiellement des vé-
gétaux.
Quelque simple que soit l’organisation des znfusoires ,
on distingue déjà parmi eux quelques degrés de moins
grande simplicité , selon les ordres et les genres.
En effet, le propre de la durée de la vie dans un corps
animal étant de le fortifier graduellement, d'augmenter
peu à peu la consistance de ses parties, et de tendre à
en composer l’organisation; bientôt ce corps se fortifiera et
s’animalisera davantage; son organisation deviendra moins
simple; et, après s'être multiplié et reproduit bien des
fois, il offrira dans sa consistance, sa taille, sa forme
particulière et ses parties, des différences de plus en
plus grandes et assujetties aux circonstances variées qui
auront agi sur lui. Tel est effectivement ce qu’attestent,
de la manière la plus évidente, l’observation des infu-
sotres et leur connexion nuancée avec les polypes.
Ces petits corps gélatineux, qui nagent ou se meuvent
dans les eaux qui les contiennent, et où ils ne paraissent
que des points mouvants, ne possèdent assurément point
en eux-mêmes la puissance qui les anime et les fait mou-
voir. Cette puissance, qui provient des milieux environ-
nants, leur est étrangère; mais ils offrent en eux l’ordre
de choses qui permet à cette même puissance d’exciter
dans ces animalcules les diverses sortes de mouvements
qu'on leur observe (1).
Si cette source où les mouvements vitaux puisent la
force qui les fait s’exécuter , est incontestable à l’égard des
(1) Introduction , p. 43. (Fluides subtils. }
(Note de Lamarck.)
348 ANIMAUX APATHIQUES.
végétaux, elle l’est assurément aussi relativement aux
animaux imparfaits qui composent les premières classes
du règne animal; et, pour un grand nombre de ces
animaux, elle l’est en outre des mouvements particuliers
de leur corps. Voilà ce dont maintenant il n’est plus rai-
sonnablement possible de douter, etce qui, comme vérité,
est à l’abri de tout ce que le temps pourra produire.
Outre leur extrème contractilité qui les fait changer de
forme d’un instant à l’autre, certains infusoires exécutent
dans l’eau des mouvements assez lents, tandis que d’autres
en offrent de très vifs. Ces mouvements, qui en général
sont variés à raison de la forme de ces corps, sont tantôt
de rotation sur eux-mêmes, comme lorsque ces petits
corps sont sphériques, tantôt ondulatoires ou oscillatoires,
comme lorsque ces corps sontalongés, et tantôt décrivent
des lignes concentriques ou spirales, comme lorsque ces
ces mêmes corps sont aplatis.
Je le répète : la vivacité de ces mouvements ne saurait
provenir d’une force organique capable d’en produire
de semblables : on sent assez que dans d’aussi frêles corps
une pareille force ne saurait exister. Cette vivacité des
mouvements résulte donc nécessairement de l'extrême
petitesse des corps dont il s’agit, ces petits corps cédant
aux conflits d’agitation quelles fluides subtils environnants
leur font éprouver en s’y précipitant et s’en exhalant sans
cesse. Or, d’une part, la forme générale de chacun de ces
corpuscules animés, contribue à l’espèce de mouvement
que les fluides subtils ambiants leur font. subir, et de
l’autre part, les routes particulières que se sont frayés
ces fluides subtils en traversant l’intérieur de ces petits
corps, y concourent aussi de leur côté (1).
ee —————————————————— |
(1) Dans l’état actuel de la science, il nous semble im-
possible d'admettre que les monuments des infusoires ne
sont produits que par des agents extérieurs, et ne sont
pas déterminés, comme ceux de tous les autres animaux,
par une cause ou force intérieure ; sous ce rapport ils ne
diffèrent en rien des polypes , de certains acalèphes, etc.,
INFUSOIRES. 349
En observant les mouvements qu’exécutent les infu-
soires dans les eaux, ces mouvements ont paru s’accélérer
ou se ralentir et quelquefois même s’interrompre au gré
de l’animal: chaque espèce a semblé jouir d’une sorte
d’instinct; enfin, l’on s’est imaginé qu'ils évitaient les
obstacles et fuyaient ce qui peut leur nuire.
Ce sont-là réellement des erreurs de jugement et les
suites des préventions auxquelles nous nous sommes li-
vrés. Qui ne sait que l’on croit facilement ce que l’on s’est
pérsuadé devoir être !
Ces animaux sont le jouet de toutes les impressions
qu’ils éprouvent et qui les agitent. Les causes qui les
meuvent sont elles-mêmes susceptibles de variations dans
leurs influences. Dailleurs, si dans un mouvement de tour-
noiement ou d’oscillation , un infusoire semble éviter un
corps du voisinage, les émanations continuelles de ce
corps (1) suffisent pour repousser l’animalcule dans son
mouvement, et pour opérer mécaniquement l'effet ob-
servé, sans qu'aucune prévoyance ou qu'aucune détermina-
tion de l’animal y ait la moindre part.
D’après ce qui vient d’être exposé, on voit que les zr7-
fusoires sont, parmi les animaux, ce que sont les algues
parmi les végétaux ; que, de part et d’autre, ce sont les
corps vivants les plus imparfaits, ceux qui ont l’organisa-
tion la plus simple, et que c’est parmi eux sur-tout que la
“
dans la structure desquels on ne découvre pas de fibres
musculaires, mais dont les mouvements sont tout aussi
spontanés que ceux d’une huître, etc. Quant à la théorie
physico-physiologique sur laquelle reposent les vues hy-
pothétiques de notre auteur, il nous paraît inutile de nous
y arrêter. E.
(1) Relativement aux fluides subtils qui se meuvent
presque sans cesse dans les milieux environnants, la di-
versité des corps qui en reçoivent et en transmettent les
effleuves, apporte nécessairement des différences dans ces
effleuves, dans leur direction, leur abondance, leur in-
terruption , etc. (Note de Lamarck.)
350 ANIMAUX APATHIQUES.
nature opère, encore de part et d’autre, des générations
directes.
On trouve les infusoires dans les eaux douces et sur-tout
dans celles qui sont croupissantes ; c’est plus particulière-
ment dans les infusions des substances végétales ou ani-
males qu’on les rencontre; enfin, on en trouve aussi dans
les eaux marines. Ces animalcules semblent n’avoir point
de patrie particulière, puisqu’on les retrouve les mêmes
dans toutes les parties du monde (1), mais seulement dans
les circonstances où ils peuvent se former.
Trop près encore de leur origine, ils n’ont pas eu le
temps de recevoir de la différence des climats, des situa-
tions et des habitudes, les modifications qui assujettissent
les autres animaux à vivre dans des régions et des localités
particulières.
Les infusoires n’ont pas, comme les autres animaux,
une forme générale qui soit particulière à ceux de leur
classe, et qui puisse servir à les caractériser; ils ne sau-
raient l’avoir , parce que la trop faible consistance de leur
corps ne le permet pas , et qu’ils sont plus ou moins com-
plétement assujettis à l’influence des pressions environ-
nantes.
Aussi, quoique les différents infusoires nous présentent
toutes sortes de formes, que souvent même les individus
d’une même espèce changent de forme sous nos yeux d’un
instant à l’autre, les plus imparfaits de ces animaux étant
plus frêles et plus fortement assujetis que les autres aux
influences de l’eau qui presse également sur tous les points
de leur corps, sont nécessairement sphériques ou d’une
forme qui en approche.
Ceux qui en proviennent ensuite, et qui acquièrent
(1) Les recherches récentes de M. Ehrenberg, sur la dis-
tribution géographique des infusoires , montrent qu’il en
est autrement. Ainsi, les deux tiers du nombre total des
animalcules observés par ce voyageur, en Arabie et en
Afrique, ne se retrouvent pas en Europe. ( Voyez les
Mémoires de l’Académie de Berlin pour 1830). E.
INFUSOIRES. 351
progressivement plus de consistance dans leurs parties,
sont moins soumis aux pressions du milieu dans lequel
ils vivent, s’éloignent graduellement de cette forme simple
et première à laquelle les plus imparfaits ne peuvent se
soustraire, et en obtiennent de particulières qui sont re-
latives à l’état où leur organisation est parvenue.
Ce n’est réellement que dans les polypes que Ja nature a
réussi à donner aux animaux une forme générale , rela-
tive à leur organisation, sur laquelle les pressions envi-
ronnantes n’ont plus ou presque plus d'influence, et qui
peut servir à les caractériser. Partout ensuite, la diversité
des formes tient à l’état de l’organisation et au produit des
habitudes des animaux en qui on la considère.
Une considération qu’il importe de ne pas perdre de
vue, c’est que le caractère essentiel des énfusoires ne ré-
side nullement dans l’extrême petitesse de ces animaux ,
mais dans la simplicité de leur organisation.
Ce n’est pas dans cette classe seule que l’on observe des
animaux extrêmement petits; dans les quatre classes qui
suivent, et principalement dans les crustacés, l’on con-
naît des animaux d’une petitesse si considérable qu'ils
échappent à la vue simple. Or, comme ces animaux sont
aquatiques, microscopiques et la plupart transparents,
il est probable qu’on en rapporte plusieurs à la classe des
infusoires , quoiqu’ils appartiennent réellement à d’autres
classes. En observant quelques-uns des traits de leur or-
ganisation , on s’en autoriserait alors pour déclarer celle
des infusoires plus composée qu’elle ne l’est véritable-
ment; ce qui a déjà été fait. Il suffira de replacer dans
leur classe convenable, les animaux que leur extrême
petitesse aurait, par erreur, fait ranger parmi les infu-
soires.
Rien n’est plus digne de notre admiration et n’est plus
propre à nous éclairer sur la marche de la nature dans sa
production des animaux , que la manière dont les infu-
sotres se multiplient, c’est-à-dire, que le mode qu’emploie
la nature pour reproduire des animaux en qui aucun sys-
tème d'organes particulier pour la génération ne peut en-
core exister,
3592 ANIMAUX APATHIQUES,
Elle atteint son but en employant des divisions grandes
ou petites de leur corps, selon que sa forme les exige.
Pour ceux dont le corps est sphérique, elle ne peut
guère se servir que de petites portions de ce corps qui
naissent de l’intérieur, et se font jour par des déchirures ;
et pour ceux dont le corps est aplati ou déprimé, elle em-
ploie communément des scissions de leur corps, scissions
qui s’opèrent sur sa longueur ou sur sa largeur selon les
espèces.
On voit d’abord paraître sur le corps de l’animalcule,
une ligne longitudinale ou transversale ; et quelque temps
après, il se forme une échancrure à l’une des extrémités
de cette ligne, quelquefois aux deux bouts. L’échancrure
s'agrandit insensiblement, et à la fin les deux moitiés se
séparent et prennent bientôt la forme même de l’indi-
vidu entier. Ces nouveaux individus vivent quelque temps
sous leur forme naturelle, et à leur tour se multiplient
de même par une scission de leur corps (1).
A cet égard, j'ai fait remarquer, dans ma Philosophie
zoologique (vol. 2, p. 120 et 150.), que la multiplication
des individus par scissions et celle par gemmules externes
ou internes, n'étaient réellement que des modifications
d’un même mode; qu’au fond, ce n’est qu’une suite
d'extensions et de séparations de parties, lorsque l’ac-
croissement a atteint son terme; et qu’enfin, ce mode
n’exigeant point d’embryon préalablement formé, et con-
séquemment aucun acte de fécondation, n’a besoin pour
s’exécuter d'aucun organe spécial.
C’est ce même mode de multiplication par extension et
séparation de parties, qui prouve que, dans son principe,
la faculté de reproduction prend réellement sa source dans
un excédent de la nutrition qui, au terme du dévelope-
ment de l'individu, n’a pu être employé à l'accroissement
général; excédent qui s’isole alors en un ou plnsieurs
{) Ce mode de reproduction est l’un des caractères les
plus importants du groupe naturel formés par les infu-
soires inférieurs ou animalcules polygastriques. E.
INFUSOÏRES. 353
corps particuliers, et finit par se séparer de lindividu (1). On
sent que, selon l’organisation très-simple où compliquée
en qui on le considère, cet excédent peut se passer, ou a
besoin de certaine préparation pour pouvoir être repro-
ductif. La fécondation opère cette préparation dans ceux
en qui elle est nécessaire.
Cette considération , et bien d’autres que j’ai indiquées,
montrent de quelle importance il est pour le physiologiste,
de ne point se borner, dans ses études, à l’examen de
l’organisation de l’homme et des animaux les plus par-
faits; et d'observer, en outre, l’organisation des diffé-
rents animaux sans vertèbres, et particulièrement celle des
plus imparfaits de ces animaux.
Les infusoires, quoique la plupart renouvelés sans cesse
dans les temps et les lieux favorabies à leur production,
sont néanmoins les plus anciens des animaux. Cependant
la connaissance de ces animaux est le résultat d’une décou-
verte assez moderne, puisqu’elle est du siècle dernier ; et
comme l’a dit Bruguière , ce n’est assurément pas la moins
piquante.
Ces petits animaux exigent des observations microscopi-
ques très-délicates, une patience presque sans bornes pour
reconnaître les faits qu’ils uous présentent , enfin , un e5-
prit libre ou dégagé de prévention , afin de ne voir en eux
que ce qui y est véritablement.
Lorsqu'on manque de loisirs ou de moyeus pour les ob-
server soi-même, il faut, pour s’en procurer la notion,
consulter les ouvrages de Leuwenoheck, qui en fit la dé-
(1) Des expériences curieuses de M. Ehrenberg s’accor-
dent jusqu’à un certain point avec les opinions de La-
marck ; elles montrent combien Ja privation ou l’abon-
dance des aliments exerce d’influence sur la reproduction
des infusoires. { Voyez son second mémoire dans les Ae-
moires de l’Académie de Berlin, pour 1831, et imprimé
à part, format in-folic, Berlin, 1832; il en a été donné une
traduction dans les Ænnales des Sciences naturelles , 9° sé-
tie. Zoologie, tome.) E:
Towe 1, - 23
354 ANIMAUX APATHIQUES.
couverte; d’Othon-Frédéric Muller, qui en observa un
très grand nombre, et en décrivit beaucoup de genres et
d'espèces; en un mot, ceux de Ledermuller, de Backer,
de Roësel, de Schranck, de Spallanzani, etc., qui en ob-
servèrent séparément différentes espèces. Mais O.-F. Mul-
ler est celui qui les a le plus étudiées, les a décrits et
figurés avec exactitude, et à qui l’on est véritablement
redevable de cette partie de la zoologie tout-à-fait in-
connue des anciens.
L'existence des infusoires et l’état réel de leur orga-
nisation et de leurs facultés, sont les seuls objets qui puis-
sent nous intéresser à leur égard. Aussi ce n’est que phi-
losophiquement et que eomme des objets de première
importance à considérer dans l’étude de la nature, que
nous devons nous en occuper.
JL importe donc très peu qu’aux connaissances actuelles
sur les animaux de cette classe, l’on ajoute celle de 100
ou de 1000 infusoires nouvellement observés; que l’on
augmente, soit la liste des genres, soit celle des espèces.
C’est d’après cette considération que je me suis un peu
étendu sur ce qui les concerne en général, et sur ce qu’il
nous importe de remarquer à leur égard, Mais dans l’ex-
position qui va suivre, je ne m’ocuperai que des coupes
principales à établir parmi eux, et je me borneraiï à la ci-
tation de quelques espèces pour exemple, d'après Muller.
DIVISION DES INFUSOIRES.
Les observations faites sur ces animaleules, nous
apprennent que les uns sont nus ou à très peu près,
c’est-a-dire dépourvus d'organes où d’appendices exté-
rieurs, tandis que les autres offrent des parties sail-
Jantes au dehors, comme des poils bien apparents, des
espèces de cornes, ou de queue.
En conséquence, imitant à peu près Ja distribution
INFUSOIRES. 355
de Bruguière, je partage les érfusoires en deux ordres,
savoir :
19 En infusoires nus;
20 En infusoires appendiculés.
Gette distribution, qui n’est pas toujours exempte
d’équivoque ou d’embarras, m'a paru néanmoins
d’autant plus utile, qu'il est évident que Îles ënfusoires
nus sont plus imparfaits que les autres ; que c’est sur-
tout parmi eux que se trouvent les plus petits, les
plus frèles, les plus simples de tous les animaux
connus.
TABLEAU DES INFUSOIRES.
ORDRE I‘.
INFUSOIRES NUS.
Ils sont dépourvus d’appendices extérieurs.
I" SECTION. — CORPS ÉPAIS.
Monade.
Volvoce.
Protée.
Enchélide.
Vibrion.
Il° SECTION. — CORPS MEMBRANEUX, aplati
ou concave.
Gone.
Cyclide.
Paramèce.
Kolpode.
Bursaire.
356 ANIMAUX APATHIQUES.
ORDRE II.
INFUSOIRES APPENDICULÉS.
Ils ont, à l'extérieur, des parties toujours saillantes,
comme des poils, des espèces de cornes, ou une queue.
Tricode.
Kérone.
Cercaire.
° Furcocerque.
dPéitée de queue.
Une queue,
[ Depuis la publication de l'Histoire des animaux
sans vertèbres, MM. Bory-Saint-Vincent et Ehrenberg
se sont successivement, occupés de la classification des
infusoires , et y ont apporté de grands changements.
La méthode du premier de ces naturalistes se trouve
exposée dans des ouvrages qui se trouvent entre les
mains de la plupart de nos lecteurs (le Dictionnaire
classique d'histoire naturelle er V Encyclopédie métho-
dique): nous pouvons, par conséquent, nous dispen-
ser d’en parler; mais celle de M. Ehrenberg n’étant
encore que très peu connue, et élant aussi ce qu’on a
fait de plus récent à ce sujet, nous paraîl mériter d’être
exposée ici avec quelques détails.
Cet habile zoologiste, fondant sa méthode, non sur
la forme extérieure de ces êtres, mais sur leur mode
d'organisation , établit parmi les animaux inférieurs
une classe qui correspond à peu près à celle des infu-
soires de Lamarck, et qui porte le nom de
PHYTOZOAIRES POLYGASTRIQUES.
Les caractères de cette classe sont les suivants : ani-
maux sans vertèbres, apodes, ayant quelquefois une
INFUSOIRES, 9! 7
queue, nageurs, ayant très souvent des cils vibratiles
ou rotateurs épars; point de cœur, des vaisseaux extrê-
mement ténus, réliculés, hyalins et dépourvus d’un
mouvement propre; ayant souvent des yeux rudimen-
taires formés par du pigment rouge, et indiquant un
système nerveux non apparent; ayant une bouche nue
ou couronnée de cils vibratiles, et communiquant avec
plusieurs veutricules non réunis par un intestin (chez
les anentherés), ou bien se continuant avec un tube
alimentaire polygastrique (chez les entérodélés) ; le
pharyux apparent et en général sans armature; point
de branchies ; les organes de la génération filiformes,
réticulés et granuleux; point d'organe mâle distinct ;
enfin , se reproduisant par des divisions spontanées.
Les polygastriques se subdivisent en deux légions,
savoir :
I. Les ANENTHÉRES (Anenthera) ayant la bouche en
communicalion avec plusieurs ventricules, et
n'ayant ni anus ni tube intestinal.
LT. Les ExTÉRODÉLES (Entherodela) ayant un tube
intestinal distinct, polysastrique, et terminé par
une bouche et par un anus.
Chacun de ces groupes £e divise en deux séries pa-
rallèles formées, l’une par les polygastriques dont le
corps n’est point cuirassé, l’autre par ceux dont le
corps @sL cuirasse.
Ire LÉGION. — ANENTHÉRÉS (Anenthera).
Les ANENTHÉRÉS nus et cuirassés ce subdivisent en
trois sections, Savoir :
_
1. Les GYMNIQUES ( Gymnica) ayant le corps
358 ANIMAUX APATHIQUES.
dépourvu de cils, la bouche tantôt ciliée, tantôt
nue et point de prolongements pseudo-pédi-
formes.
2. Les ÉPITRIQUES ( Epitrica ), ayant le corps
cilié ou garni de soies , la bouche tantôt ciliée,
tantôt nue, et point de prolongements pseudo-
pédiformes.
3. Les PsEUDOPODIENS (Pseudopodia ), ayant le
corps pourvu de prolongements pédiformes
variables.
La distribution de ces animalcules en familles et em
genres , repose sur les caractères suivants :
ORDRE DES GYMNIQUES (Gymnica).
1. GYMNIQUES NUS (Gymnica nuda).
1" FAMILLE. Monanines (Monadina).
G. Monomorphes (dont le corps a une forme stable
et n’est pas protéen) et dont la reproduction a lieu
spontanément par une division transversale simple.
A. Point de queue.
a. Point d’yeux.
a* Bouche tronquée terminale et dirigée en
ayant lors des mouvements natatoires.
a* + individus solitaires, jamais réunis
en groupes.
G. Monas.
a* 4 + Individus solitaires dans le jeune
‘âge, puis amoncelés en tas désagréa-
bles, enfin redevenant libres.
G. Uvella
* à
INFUSOIRES: 999
a*+++Individus solitaires dans le jeune
âge, se divisant crucialement et se
résolvant en une espèce d’amas d’in-
dividus.
G. Polytoma.
a** Bouche droite, tronquée et dirigée en
divers sens lors des mouvements de nata-
tion et de tournoiement de l’animal.
G. Doxococcus.
a*** Bouche oblique, sans bords et bi-
lobée.
G. Chilomonas.
aa. Un œil unique rouge.
G. Microglenu.
B. Une queue.
b. Corps cylindrique.
G. Bodo.
bb. Corps anguleux.
G. Urocentrum.
2° FAMILLE. VIBRIONIENS (Ÿ’ibrionia).
G. Aïongés, monomorphes (ne se gonflant pas, mais
se fléchissant seulement par la contraction), se divi-
sant transyersalement et spontanément en beaucoup
de parties; bouche terminale ?
À. Corps filiforme , cylindrique, se courbant par
ondes.
G. Vibrio.
B. Corps filiforme, rigide et en spirale; se roulant
en se mouvyant.
b. La spirale roulée en cercle.
G. Spirodiscus.
bb. La spire en hélice.
G. Spirillum.
366 ANIMAUX APATHIQUES,
GC. Corps oblong, fusiforme ou filiforme , n'étant
ni évidemment ondulé, ni rouié en cercle, ni
en spirale.
G. Bacterium.
3° FAMILLE. ASTASIENS (Æstasia).
G. Alongés, devenant phymorphes par la contrac-
tion , souvent cylindriques ou fusiformes , se divisant
spontanément dans le sens longitudinal , ou oblique-
ment.
A. Point de vestiges d’yeux.
G. Astasia.
B. Des yeux rudimentaires bien distincts.
b. Un seul œil.
B* Corps pourvu d’une queue.
G. Euglena.
b** Corps dépourvu de queue.
G. Amblyophis.
bb. Deux yeux.
G. Distigma.
2. GYMNIQUES CUIRASSÉS (Gymnica loricata).
1° FAMILLE, CRYPTOMONADINES (Cryrtomonadina).
Enveloppe membraneuse , subglobuleuse et ovale.
A. Simples.
a. Point d'yeux.
a* Bouche ciliée.
G. Cryptomonas.
a** Bouche nue.
G. Gyges.
aa. Ayant un œil rouge.
G. Lagenula.
INFUSOIRES. 361
B. Composés ou se reproduisant par des divisions
iulernes. |
G. Pandorina.
2° FAMILLE, CLOSTÉRINES (Closterina).
Enveloppe alongée ct arrondie lorsqu'elle est à l’état
rigide, se séparant spontanément en deux ou quatre
parties par des divisions transversales et ouverte aux
deux bouts.
G. Closterium.
$ II. ORDRE DES ÉPITRIQUES (Epitricha).
ÉPITRIQUES NUS (Epüitricha nuda),.
FAMILLE unique. Cyezinines (Cyclidina).
À. Corps garni de cils vibratiles.
a. Les cils distribués par rangées simples, lon-
gitudinales et circulaires.
G. Cyclidium.
aa. Gils épars partout.
G. Pantotrichum.
B. Corps dépourvu de cils, mais garnis de soies
non vibratiles (les cils de la bouche non com-
pris.)
1 ‘
G. Chœtomonas.
ÉPITRIQUES CUIRASSÉS (£pitricha loricata.)
FAMILLE UNIQUE. PÉRIDINIENS (Peridinæa),
A. Simples.
G. Peridinium.
B. Composés, se reproduisant par des divisions
extérieures et la rupture de l'enveloppe.
C3
C
=
ANIMAUX APATHIQUES.
b. Point d’yeux.
b* Enveloppe comprimée (quadrangulaire).
G. Gonium.
b** Enveloppe globuleuse.
D** + Ciliés.
G. Volvox.
D** ++ Tentaculés.
G. Sphærosira.
bb. Oculés.
G. Eudorina.
$ IT. ORDRE DES PSEUDOPODIENS (Pseudopodia).
PSEUDOPODIENS NUS (Pseudopodia nuda).
FAMILLE UNIQUE. A MOEBIENS (Æmæbæa).
G. Amæba.
PSEUDOPODIENS CUIRASSÉS (Pseudopodia loricata).
re
1° FAMILLE. BACILLARIENS (Bacillaria).
Enveloppe se divisant spontanément avec l’animal
(bivalve, bi-ailée ou quadrangulaire).
A. Libres, jamais fixés.
a. Solitaires ou bien agglomérés.
a* Enveloppe plus longue que large.
.G. Navicula.
a** Enveloppe plus large que longue.
G. Enastrum.
aa. Réunis en formes de rubans polymorphes;
les individus conservant quelques mouve-
ments libres, sans se détacher; cuirasse éga-
lement épaisse partout et prismatique.
G, Baciliaria.
INFUSOIRES. 363
aaa, Réunis en faisceaux et non polymorphes,
ensuite désunis.
G. Fragilaria.
aaaa. Réunis en éventail, sans pieds; cuirasse
plus épaisse en avant qu'en arrière.
G. Exilaria.
B. Fixes dans le jeune âge, ensuite libres.
b. Sessiles.
? G. Synedra.
bb. Pédiculés, souvent dichotomes, par ramifi-
cation; corps rétréci inférieurement, cunéi-
forme.
G. Gomphonema.
bbb. Pédiculés, souvent dichotomes, corps ré-
tréci à ses deux extrémités, subfusiforme.
G. Cocconema.
bbbb. Pédiculés , réunis en éventail , et souvent
dich otomes.
G. Echinella.
2° FAMILLE. ARCELLINIENS (Æ{rcillina).
Enveloppe non divisée.
A. Enveloppe urcéole.
G. Diflugia.
B. Enveloppe scutelliforme.
G. Arcella.
ITe LEGION. — ENTERODÉLÉS (Enterodela).
Ce groupe, composé, comme nous l’avons déjà dit,
dés polygastriques, ayant un intestin commun, et
une bouche distincte de l’anus, se divise, de même que
le précédent, en deux ordres, les nus et les cuirassés,
304 ANIMAUX APATHIQUES.
qui, à leur tour, se subdivisent en quatre sections,
savoir :
10 Les ANOPISTUES (Anopisthia), qui ont la bouche
et l’anus contigus;
20 Les ENANTIOTRÈTES ( Enantiotreta), qui ont
la bouche et l'anus terminaux et opposés, et
se divisent transversalement.
30 Les ALLOTRÈTES(Allotreta), qui ont également
la bouche ou j’anus terminaux, mais se re-
produisent par des divisions spontanées lon-
gitudinales et transverses.
4° Les KATOTRÈTES (Katotreta), qui n’ont ni la
bouche ni l'anus terminaux, et se divisent
comme dans Île groupe précédent.
Voici le tableau de leur distribution en familles et
en genres.
ORDRE DES ANOPISTHES NUS (Anopistha nuda).
FAMILLE UNIQUE. VORTICELLINES (/’orticellina).
A. Corps pédicellé, fixé, ensuite détaché, deve-
nant souvent dichotome.
a. Pédicule se contractant en spirale, simple
ou rameux.
a* Pédicule solide, le muscle intérieur peu
distinct,
G. Vorlicella.
a'* Tubulaire , le muscle intérieur souvent
distinct, devenant arborescent par les di-
visions spontanées de l’animal.
a*%* Animalcules d’un mème groupe si-
milaires.
G. Carchesium.
INFUSOIRES. 305
a*** Les animalcules dissemblables sur
le mème arbuscule.
G. Zoocladium.
aa. Pédicule ne se contractant pas en spirale,
rigide, sans tuyau intérieur, simple ou ra-
meux.
G. Episty lis.
B. Corps non pédiculé et libre.
b. Cils disposés en une couronne simple.
G. Trichodina.
bb. Gils disposés en une couronne spirale con-
duisant à la bouche.
G. Stentor.
ORDRE DES ANOPISTHES CUIRASSÉS (Anopisthia
loricata).
FAMILLE UNIQUE. OPuRYDINES (Ophrydina).
“
LD
A. Corps entouré de gélatine et point pédicellé.
G. Ophrydium.
B. Corps renfermé dans une gaîne membraneuse.
b. Pédicellés.
b* Gaîne sessile ; corps pédicellé.
G. Tintinnus.
b** Gaîne pédicellée.
G. Cothurnia.
bb. Non pédiceliée.
G. Vaginicola.
366 ANIMAUX APATHIQUES.
ORDRE DES ENANTIOTRÈTES NUS (Enantiotreta
nuda).
FAMILLE UNIQUE. Encugzines (Ænchelina).
À. Bouche terminale droite, obtuse, généralement
garnie de cils; divisions spontanées transver-
sales.
a. Corps ni cilié ni garni de soies.
a* Simples.
G. Enchelys.
&* Doubles.
G. Disoma.
aa. Corps pourvu de cils vibratiles.
G. Holophrya.
aa. Corps garni de soies non vibratiles.
aaa* Subglobuleux.
G. Actinophrys.
aaa** Disciforme*
G. Trichodiscus.
B. Bouche terminale , mais oblique, souvent
ciliée.
b. Corps non cilié.
b* Point de prolongement en forme de tête
et de coa (l'extrémité antérieure peu ou
point atténuée ).
G. Trichoda.
b** Un prolongement en forme de tête et de
cou.
G. Lacrymaria.
bb, Corps cilié.
G. Leucophrys.
INFUSOIRES. 367
ORDRE DES ENANTIOTRÈTES CUIRASSÉS (Æran-
triotreta loricata).
FAMILLE UNIQUE. COLÉPIENS (Colepina),.
Enveloppe ovalaire ou cylindrique.
G. Coleps.
ORDRE DES ALLOTRÈTES NUS (4{lotreta nuda).
1" FAMILLE. TRACHELINES (7’rachelina).
Pouche inférieure ; anus terminal,
A. Bouche non armée.
a. Point de cercle de cils distinct sur le front.
a* Lèvre supérieure ou frontalongé, cylindri-
que ou déprimé, et se prolongeant en forme
de trompe étroite.
G. Trachelius.
a** Lèvre supérieure courte , déprimée et di-
latée obliquement.
G. Loxodes.
a*** Lèvre supérieure comprimée, subca-
rénée ou renflée , point rétrécie.
G. Bursaria.
aa. Front garni d’un anneau de cils.
G. Phialina.
.B. Bouche garnie-de crochets.
G. Glaucoma.
2° FAMILLE. OPHRYOCERCINES (Ophryocercina).
Anus inférieur, bouche terminale.
G, Ophryocercus.
368 ANIMAUX APATHIQUES.
ORDRE DES ALLOTRÈTES CUIRASSÉS (Allotreta
“ loricata).
FAMILLE UNIQUE. ASPiDISCINES (Aspidiscina).
Boucke inférieure, anus terminal.
G. Aspidisca.
ORDRE DES KATOTRÈTES NUS (Katotreta nuda),.
1° FAMILLE. KOLPODIENS (Xolpodea).
Coxps glabre ou bien cilié, inerme.
A. Sans yeux.
a. Une trompe courte et rétractile.
a Corps cilié en partie seulement.
G, Kolpoda.
a** Corps cilié obliquement partout.
G. Paramicium.
aa. Point de trompe.
aa* Front et queue rétrécis.
G. Amphileptus.
aa** Front oblong, queue rétrécie.
G. Uroleptus.
B. Pourvus d’yeux.
G. Ophryoglena.
2% FAMILLE. OxYTRICHINES (Oxytrichina).
Corps cilié et soyeux, ou armé de styles ou de. cro-
chets.
A. Corps garni de soies; point de styles ou de
crochets.
G. Oxytricha.
B, Des crochets, point de styles,
G. Kerona.
[INFUSOIRES NUS. 369
G. Des styles, point de crochets,
G. Urostyla.
D. Des styles et des crochets. 4
G. Stylonichia.
ORDRE DES KATOTRÈTES CUIRASSÉS (Katotreta
loricata).
FAMILLE Euproriens ( Euplota).
Corps armé de crochets, dos écussonné.
A. Tête point distincte.
FEuplotes.
B Té , , » pce C3
À ele separee du corps par un retrécissementi.
G. Discocephalus.]
ORDRE PREMIER.
INFUSOIRES NUS.
Corps très simple ; microscopique , dépourvu dorga-
nes ou d'appendices extérieurs , et paraissant homogène.
Les infusoires nus sont des animalcules très simples,
infiniment petits, la plupart transparents, dépourvus,
au moinsen apparence, d’appendices extérieurs, comme
de poils, de cils, d’espèces de cornes ou d’une queue,
et qui ne paraissent, sous l’œil armé, que des points
animés ou mouvants (1). Ces animalcules , et sur-tout
QG) Un grand nombre des animalcules rangés par La-
marck dans cette division sont loin d’avoir les caractères
qu’il y assigne. Des cils à l’entour de la bouche sont très
communs; d’autres fois il existe une espèce de trompe, etc.
E.
ToME 1. 24
9
570 ANIMAUX APATHIQUES.
À
parmi eux ceux qui ont le corps globuleux ou sphéri-
que , offrent ce qu'il y a de pius simple dans le règne
animal, c’est-à-dire, les plus faibles ébauches de l’or-
ganisation.
Si on laisse quelque temps de l’eau exposée à la cha-
leur de l’air ou du soleil , et sur-tout de l’eau dans la-
quelle des matières animales ou végétales ont été infu-
sées , on y voit bientôt paraître de ces infusoires; mais
on ne peut en général les a percevoir qu'avec le secours
du microscope. *
Malgré leurs mouvements singuliers, on pourrait
douter que ces petits corps , sur-tout ceux qui sont
sphériques et punctiformes, fussent réellement des
animaux; si, de proche en proche, ces animalcules de
plus en plus développés où animalisés, ne conäuisaient,
presque sans lacune, aux infusoires apperdiculés,
ceux-ci aux polypes ciliés, enfin, ces derniers aux po-
lypes à rayons. Ainsi, ce fait bien reconnu ne peut
laisser aucun doute raisonnable sur la nature animale
de ces singuliers corps.
Comme cesanimaux n’inléressent que sousdes points
de vue philosophiques, je me suis permis de réduire
un peu le nombre des genres établis parmi eux par
Muller, dans l’intention d’en rendre l'étude plus
facile.
Je partage les infusoires nus en deux sections, de la
manière suivante :
L* SECTION. — Corps épaïs.
TIe SECTION. — Gorps membraneux.
INFUSOIRES, — MONADES. x 3m
; PE
PREMIÈRE SECTION.
CORPS ÉPAIS.
1l a une épaisseur perceptible , qui léloigne de l’état
membraneux.
MONADE, ( Monas. )
Corps extrêmement petit, très simple, transparent,
en forme de point.
Corpus minimum, simplicissimum , hyalinum, punc-
tiforme.
Osservarions. Les monades sont les plus petits, les plus
imparfaits et les plus simples de tous les animaux connus;
elles sont plus petites encore que les volvoces , et on n’a
supposé leur animalité que parce que ce sont des corpus-
cules mouvants, et que leur analogie avec les volvoces est
évidente.
Assurément les monades n’ont ni bouche, ni sac alimen-
taire , ni organe spécial quelconque ; aussi est-il probable
qu’elles ne vivent que par absorption et par une imbibition
continuelle. Ce ne sont que des points vivants, n’ayant au-
cure forme propre, car leur forme globuleuse résulte de
la pression du liquide dans lequel elles vivent.
Ces animalcules, véritables ébauches de l’animalité, se
forment et se trouvent, lorsqu'il fait un peu chaud, dans
les eaux tranquilles ou croupissantes, soit douces, soit ma-
rines , dans les infusions végétales et animales , plus rare-
ment dans l’eau pure.
24*
372 ANIMAUX APATHIQUES.
La première espèce est réellement le terme où l'obser-
vation microscopique ait pu atteindre.
[ Les observations de M. Ehrenberg montrent que chez
ces animalcules il existe de quatre à six cavités intérieures
qui recoivent les matières alimentaires dont ces êtres se
nourrissent. Leur bouche parait être entourée d’une cou-
ronne formée par une vingtaine de cils.
Ce naturaliste définit ce genre de la manière suivante :
À. Polygastriques, anenthérés, gymniques, nus, mono-
morphes, se reproduisant par scission transversale, dépour-
vus de queue et d’yeux, ayant la bouche tronquée, termi-
nale et occupant la partie du corps qui est dirigée en avant
peudant la natation, enfin étant toujours solitaires, ]
ESPÈCES.
Monade terme. Monas termo.
M. gelatinosa; corpore minimo subinconspicuo.
Mail. Inf. t. f. r. Encycl. pl. 1.f. r.
La fig. citée représente une goutte d'eau considérablement
grossie et remplie de M. termes en nombre incalculable,
[ Ehrenberg. Acad, de Berlin. 1830. pl. 1. fig. 1.
Bory. Encycl. Zooph. p. 548. ]
H. dans les infusions animales et végétales.
2. Monade atome. Monas atomus.
M. albida , puncto variabili instructa.
Mall. Inf, t. 1. f. 2, 3. Encycl. pl. 1. f. 2. a, b.
H. dans l'eau de mer gardée.
{ Suivant M. Ehrenberg , cette espèce serait la même que le
M. lens , mais observé au moment où les poches gas-
triques sont remplies de matières alimentaires. Ehr,
1°" Mém. Op. cit. pl. 1. fig. 2.|
Monade point. Monas punctum.
M. nigra, subcylindrica.
Mail. Jnf, t. 1. f, 4. Encycl, pl. 1. f. 3.
INFUSOIRES, =— MOÜNADES.
Cy
Rex |
GS
[ Bory. Op. cit. p.550.]
H. dans les infusions de la pulpe de poire.
4. Monàde œil. Monas ocellus (1).
M. hyalina, puncto certrali notata.
Mall. Inf. 1. 1, f. 7, 8. Encycl. pl. r. f. 4. a, b.
H. dans l’eau des fossés où croissent les conferves.
8 #4
5. Monade lente, Monas lens.
AT. ovoidea , hy alina.
Mail. Iof. t. 1. f. 9 à 1 1. Eucycl. pl. 1. f. 5. a, b, c.
[ Bory. Op. cit, p. 550.
Ehrenberg et Hemprich. $ymbolæ physicæ. Phytozoa. pl. 1.
fig. 1.]
H. dans toute sorte d’eau, Ces monades paraissent se multi-
plier par scission,
6. Monade luisante. Monas mica.
M. circulo notata.
Mull. Inf,. t, 1.f. 14, 15. Encycl. pl. 1. 6. a, b.
[Ehrenb. 2e Mém. p. 53.]
H. dans les eaux les plus pures. Ces corpuscules varient sous
l'œil, de la forme sphérique à l’ovale; tantôt ils oscillent ,
et tantôt ils tournent sur eux-mêmes,
7. Monade tranquille. Monas tranquilla.
M. ovata, hyalina, margine rigra.
Mall, Inf. t. 1. f. 18. Encycl. pl. 1. f, 7.
H. dans l’urine gardée.
(1) M. Bory-Saint-Vincent a établi, sous le nom d’Oru-
THALMOPLANIDE, Ophthalmoplanis (Encycl.méth.Zoophytes,
p- 583), un genre nouveau composé des monades, dans
l'intérieur desquelles on distingue un point comme chez le
ÎT, ocellus ; mais il résulte des observations de M. Ehren-
berg, que la présence ou l’absence de cette espèce de tache,
dépend de l’état de plénitude où de vacuité des cavités
gastriques , de façon que le même animal peut présenter
tour à tour les caractères d’une monade proprement dite ou
d’un ophthalmoplanide. E,
374 ANIMAUX APATHIQUES.
8. Monade poussière. Monas pulvisculus.
M. hyalina, margine virente.
Mall. Inf. t. 1. f. 5, 6. Encycl. pl. 1. f. 9. a, c.
| Enchelys monadina. Bory. Op. cit. p. 318. et Monas pul-
viusculus. Bory. Op. cit. p. 549 (double emploi).
Monas pulviusculus. Ehrenb. 2° Mém, p. 57. |
H. dans l’eau des marais.
VOLVOCE. { Volyox.)
Corps très petit, très simple, transparent, sphéri-
que ou ovoïde, tournant sur lui-même comme sur un
axe (1).
-
(1) MM. Bory-Saint-Vincent et Ehrenberg ont successi-
vement restreint les limites du genre Vozvox ; ce dernier
naturaliste y range les polygastriques de la légion des
anenthérés , de l’ordre des cuirassés et de la section des
épitriques, qui se reproduisent par des divisions inté-
rieures et la rupture de l’enveloppe du corps de la mère
dans laquelle les petits sont d’abord renfermés comme
dans une coque, dont l’enveloppe est globuleuse et dont
le corps est garni de cils. Il y rapporte le ”. globator de
Muller et deux espèces nouvelles.
Le genre SpnorrosirA , du même auteur, se distingue du
précédent par la disposition des cils qui sont plus longs et
tentaculiformes. Une espèce Sphærosira voivox. Ehr.
(22 Mém., p. 78.)
. Le genre Eunoriwa (Ehrenb.) se compose des Anenthérés
épitriques cuirassés ayant un mode de reproduction ana-
logue aux précédents, mais pourvus d’un point oculi-
forme. Le corps de ces infusoires consiste en une sphère
transpareute, gélatineuse,et garnie de cils, dans l’intérieur
de laquelle sont renfermés un certain nombre de petits de
même forme, colorés en vert et présentant un point oculi-
INFUSOIRES, — VOLVOCES. 379
Corpus minimum , simplicissimum , pellucidum ,
sphœricum , circà axim rotatorium.
Ossenvarions. La plupart des volvoces sont trop petites
pour qu’on puisse les apercevoir à la vue simple, et une
seule espèce connue fait exception à cet égard. Leur corps
très simple et peu changeant de figure , nous paraît les
rapprocher davantage des monades que les protées , car il
ne s'offre à nous que sous l’aspect d’une très petite masse
gélatineuse, transparente, sphérique, et qui, dans ses mou-
vements, prend souvent une forme ovoïde.
Ces petits corps tournent sur eux-mêmes comme sur un
axe; les uns avec lenteur, les autres avec une vitesse qu’ils
semblent varier à leur gré ; mais ce n’est qu’une illusion ;
etil est probable queles variations dans la vitesse de leur
rotation ne dépendent pas d’eux.
Dans plusieurs, le corps paraît composé de globules
nombreux, quelquefois mouvants et réunis dans une masse
commune. Or ,il ya lieu de croire que ces globules sont
des gemmules qui régénèrent où multiplient l’individu, en
sortant par une déchirure de son corps : la volvoce globu-
leuse est de ce nombre.
Muller à pensé qu’il y avait ici, lieu de former deux
zenres; savoir : les volvoces à parties intérieures uniformes,
et celles dont l’intérieur offre un amas de globules partie
culiers.
forme rond et d’un beau rouge. M. Ehrenberg n’en décrit
qu’une espèce, qu’il nomme Æudorina elegans (2° Mém.,
p- 78, pl. 2, fig. 10). Cet animalcule paraît avoir été sou-
vent confondu avec le F’olvox morum , Muller, et le F’ol-
vox globator, du même auteur.
Enfin ,.M. Ehrenberg donne le nom de PEertnrum aux
Anenthérés épitriques cuirassés qui ne se reproduisent
pas comme lesprécédents et comme les gones, maissont tou-
jours simples. Il place dans ce genre trois espèces nouvelles
et le Frichoda cincta, Muller, (Ehr., 2° Mém., p. 74.)
376 ANIMAUX APATHIQUES.
On trouve les volvoces dans les eaux douces, soit des
marais, soit des fontaines ; dans des infusions végétales ;
dans l’eau de mer.
ESPÈCES.
* Intérieur du corps paraissant simple et homo-
gène.
1. Volvoce point. Volvox punctum.
V. sphæricus, nigricans ; centro puncto lucido.
Mull. Inf.t. 3.f. 1, 2. Encycl. pl. 1. f. 1. a, b. .
[ Monas punctum. Bory. Op. cit. p. 550. ]
H. dans l’eau de mer fétide.
2. Volvoce grain. Volvox granulum.
V. sphœricus, viridis; periphæri& hyalind.
Muil. Inf, t. 3. f. 3. Encycl. pls f. 2.
[ Gyges viridis. Bory-Saint- Vincent. Encycl. Zooph.
p.449(1)]
H. dans l’eau des marais.
G)M. Bory-Saint-Vincent, à qui l’on doit de nombreuses
recherches sur les infusoires , a établi, sous le nom de Gx-
&Ës, une division générique destiuée à recevoir les ani-
malcules sans poils ni cirrhes, dont le corps ovoïde est en-
touré d’un auneau transparent et ressemble assez à celui
d’une volvoce qui serait contenu dans une vésicule trans-
parente, dont il n’atteindrait pas les bords. Ce groupe cot-
respond à peu près à la famille des Criptomonadiens de
M. Ebrenbe:g , laquelle comprend les A. polygastriques ,
anenthérés, cuirassés et gymniques, dont le corps est
renfermé dans une enveloppe membraneuse subglobuleuse
etovale. Ce groupe se subdivise, comme nous l’avons déjà
dit, en quatre geures, savoir :
1° Le G. CryPTomonAs, comprenant les cryptomonadiens
simples et dépourvus d’yeux, dont la bouche est
INFUSOIRES, -— VOLVOCES. 377
3, Volvoce globule, Volvox globulus.
V, globosus , postice subobscurus.
Mull. Inf. t. 3. f. 4. Encycl. pl. 1. f. 3. a, b.
[ Doxococcus globulus. Ehrenb. 2° Mém. p. 63 (2).]
ciliée (toutes les espèces connues sont colorées ordi-
nairement en vert ou en brun);
2° Le G. GyxGËs, comprenant les cryptomonadiens sim-
ples et dépourvus d’yeux, dont la bouche est nue;
3° Le G. LAGENULA, comprenant les cryptomoanadiens
simples et ocellés (ayant un œil unique rouge)
Exemple : Lagenula enchlora, Ehrenberg, 2° Mém.,
p- 65, pl. 2, fis. 6.
4° Le G. Panporina, comprenant les cryptomonadiens
composés, ou se reproduisant ( comme les volvoces,
les eudorines, etc.) par des divisions intérieures.
Ce genre , dont l'établissement est dùü à M. Bory,
est très remarquable, en ce que les espèces de
bourgeons reproducteurs se développent dans l’in-
térieur de l’animal et, qu’à une certaine époque, le
corps de celui-ci ressemble à une simple poche remplie
d’animalcules vivants. |
Exemple : 7’olvox morum , Muller , Inf.; tab. 3,
fig. 14—16, et Encycl. pl. 1, fig. 10; Pandorina
mora, Bory, Op. cit., p.600, et Ehrenb., 2° Mém.,
p. 65. E.
(2) M. Ehrenberg range cette espèce dans son genre
Doxococous , qui se compose des A. polygastriques , anen-
thérés, nus, monomorphes, dont la reproduction s’effec-
tue par simple division transversale (ou monadines), qui
n’ont ni queue, ni yeux; enfin dont la bouche est tantôt
antérieure, tantôt postérieure ou latérale pendant la nata-
tion , car ils se roulent alors en tous sens. Ils sont ronds et
généralemeut opaques. E.
378 ANIMAUX APATHIQUES.
** Intérieur du corps offrant des corpuscules par-
ticuliers.
4. Volvoce pilule. Volvox pilula.
V. sphœricus; interaneis immobilibus virescentibus.
Mull. Inf. t, 3. f. 5. Encycl. pl. 1. f. 4.
[ Bory. Op. cit: p. 818.]
©. dans les eaux les plus pures, où croît le Lemna minor.
5. Volvoce grésil. V’olvox grandinella.
V. sphæricus, opacus; interaneis immobilibus.
Mull. Inf. t. 3. f. 6, 9. Encycl. pl. 1. f. 5.
H. dans les eaux douces.
6. Volvoce sociale. Z’olvox socialis.
V. sphoæricus ; moleculis crystallinis, œqualibus, distantibus.
Mall. Inf. t. 3. f. 8, 9. Encycl. pl. 1. f. 8. a, b.
[ Uvella rosacea. Bory. Op. cit. p. 767 (1).]
H. dans l’eau des rivières.
— ———
(1) Le genre Uvezra a été créé par M. Bory-Saint-Vincent
pour recevoir les animalcules microscopiques qui ont le
corps simple et sphérique comme les monades, mais qui
se réunissent en groupes ayant la forme de petites masses
globuleuses , sans que les divers individus ainsi agrégés,
soient réunis par une membrane commune. M. Ehrenberg
adopte cette division en la définissant de la manière sui-
vante:
À. polygastriques, anenthérés, nus, gymniques, de la fa-
mille des monadines, qui n’ont ni queue, ni yeux, dont
la bouche est tronquée et terminale, et dont les individus,
solitaires dans le jeune âge, se réunissent ensuite en grou-
pes désagréables, et plus tard redeviennent libres.
Cet auteur y rapporte le volvox uva, Muller, Op. «it.,
tab. 3, fig. 179—021 (Encycl., pl. 2, fig. 11—13 ), ou wvella
virescens de M. Bory , Op. cit., p. 767; l’uvella chameæ-
INFUSOIRES. =— VOLVOCES, 379
7. Volvoce sphérule. Z’olvox sphærula.
V'; sphϾricus ; moleculis similaribus rotundis.
Mall: Inf. t. 3. f. 10. Encycl. pl. 1. f. 5.
H. dans l’eau des étangs, en automne.
>
morus, Bory , Op. cit., p. 766 et quelques espèces nou-
velles.
Le genre Porvromus de MM. Quoy et Gaimard , paraît
avoir de l’analogie avec le genre uvelle. Ces naturalistes
ont donné ce nom à de petits animaux hyalins et gélati-
neux de forme rhomboïdale, qu’ils ont souvent trouvés
solitaires, mais qui se rencontrent aussi même en masse
ovalaire , de la grosseur d’un petit œuf. Ils n’en ont fait
connaître qu’une seule espèce, le Polytomus lamanon.
Quoy et Gaim. Annales des sciences naturelles, t. 6, p. 87,
pl. 2, fig. 12 et 13.
Dans son tableau des infusoires , M. Ehrenberg donne
aussi le nom de Poryromus, E. à une division de la famille
des monadines ; mais il ne dit pas si c’est du genre établi
par MM. Quoy et Gaimard qu’il entend parler. Il y place
les monadines qui, solitaires dans le jeune âge, se chan-
gent par des divisions cruciales spontanées en une sorte de
baie formée d’un amas d'individus. Il ne rapporte à ce
genre qu’une espèce, le Polytomus uvella, E. (2° Mém.,
pe 63).
Le genreCniLômonas, du même auteur, se compose aussi
de monadines anoures dépourvues d’yeux; mais, chez ces
animalcules, la bouche au lieu d’être terminale, est oblique,
sans bords et bilabiée; leur corps est un peu alongé(2° Mém.,
p. 64).
Enfin, le genre Microczewa (Ehrenberg, 2° Mém., p. 64)
se compose des monadines qui, de même que les précé-
dents, n’offrent point de prolongement caudal, mais qui
se distinguent par l’existence d’un point oculiforme de
couleur rouge; leur corps est tantôt arrondi, tantôt ova-
laire. On en connaît deux espèces : le Æ/icroglena mona-
dina ( Ehrenberg , 2° Mém., p. 64, pl. 1. fig. 1), et le A1-
croglena voivocina (Ehrenb., loc. cit., pl. 1, fig. 2). E.
380 ANIMAUX APATHIQUES.
8 Volvoce globuleuse, Folvox globator.
V': sphæricus | membranaceus ; globulis sparsis.
[ Pandorina Eeuwenhoeckü. Bory. Op. cit. p. 600.
Volvox globator. Ehrenb. 2e Mém. p. 77.
Hemp. et Ehrenb. Symbolæ physicæ. Phytozoa. tab. 1.
fig. 46.]
Mull. Inf. t: 3.f. 12, 13. Encycl. pl. 1. f, 9. a, b.
H. dans les eaux stagnantes, On l’apercoit à la vue simple:
Etc. |
PROTÉE. ( Proteus.)
Corps très petit , très simple, transparent, de forme
changeante, diversement lobé instantanément.
Corpus minimum, simplicissimum , pellucidum, mu-
tabile, instantaneo motu variè lobatum.
[ Le nom de Proreus étant déja employé en zoologie,
pour désigner d’autres animaux, M. Bory-Saint-Vincent
a donué auxinfusoires , dont il est question , celui d’amise
qui, avec un léger changement, a été adopté par M. Ehren-
berg. Ce dernier naturaliste a constaté l’existence de cavités
stomacales isolées et éparses dans l’intérieur du corps de ces
animalcules. Les poches cœcales sont susceptibles d’unedis-
tension extrême ; M. Ehrenberg a figuré des amæbes dif-
fluents , qui s'étaient nourris de uavicules , et dans l’inté-
rieur du corps desquels on aperçoit de ces infusoires dont
la longueur est très considérable. Ce genre est le seul dont
se compose, dans l’état actuel de la science, sa famille des
auenthérés pseudopodes nus, comprenant les polygastri-
ques anenthérés, dont le corps est nu et pourvu de prolon-
gements pédiformes variables. On trouve, dans les Mémoires
de l’Académie de Turin, un travail descrivtif très considé-
rable sur ces animaux par M. Losana; mais il ne nous paraît
pas avoir été fait avec assez de critique pour être réellement
utile à la science. ]
INFUSOIRES =» PROTÉES. 38t
Orservarions. Les protées sont plus fortement contrac-
tiles que les monades et les volvoces; conséquemment, ils
sont déjà plus animalisés. Leur corps très petit, gélatineux,
et ovale ou oblong, passe d’un instant à l’autre, d’une
forme simple et unie, à une forme sinuée, lobée , presque
rameuse ; et jamais il ne se présente une minute de suite
sous la même forme.
La première espèce de ce genre, que Roësel a le premier
fait connaître , est si singulière, relativement à ses chan-
gements de forme , qu’on l’a comparée à une goutte d’eau
jetée sur de l'huile.
[ M. Ebrenberg a observé la manière dont ce phéno-
mène s'opère; une partie des téguments äu corps se relàä-
che pendant que le reste se contracte avec force, et les vis-
cères ainsi poussés contre la partie non contractée, la
distendent et la transforment en un sac ou appendice creux
de forme variable, dont ils occupent eux-mêmes la cavité.
Souvent toute la substance granulaire , renfermée dans le
corps ainsi que les estomacs et les matières alimentaires y
contenues, sont de la sorte poussés dans un prolongement
qui, par son mode de formation, peut être comparé à une
hernie. Chez les protées (ou amibes) ces prolongements
peuvent se former dans toutes les parties de la surface du
corps. |
Dans les protées, ainsi que dans les monades et les vé-
ritables volvoces , aucune trace d’organe particulier quel-
conque n’est perceptible, et sans doute il n’en existe réel-
lement aucun.
Les protées vivent dans l’eau douce et dans l’eau de mer;
on n’en connaît encore que deux espèces.
ESPÈCES.
1. Protée rameux. Proteus diffluens.
P. in ramulos diffluens.
Roës, {ns.3.t. 101. fig. A. T. Mall. t. 2. {, 1 à 12. Encycl.pl.t.
u*
f. 1, a, bic, d,6; F0 090 E, 1970.
382 ANIMAUX APATHIQUES.
{ Æmiba divergens. Bory. Dict, classique. t, 1. p. 261.
Amæba, diffluens. Ebrenberg, Acad. de Berlin, 1830,
pl. 1. fig. 5.]
Se trouve dans l'eau des marais,
2. Protée tenace. Proteus tenax (1).
P. in spiculum diffluens:
Mull. t. 2. f. 13 à 18. Encycl. pl. 1. f, 2, (a, b,c,d, e,f.)
Se trouve dans l’eau de rivière et dans l’eau de mer,
ENCHÉLIDE. (Enchelis.)
Corps très petit, très simple, oblong, cylindracé,
de forme un peu changeante.
Corpus minimum , simplicissimum , oblongum vel
cylindraceum , subvariabile.
Onpservarions. Il n’y a point de limites positives et tran-
chées entre les enchélides et les vibrions ; et j’aurais pu,
sans inconvénient bien important, continuer de réunir ces
animalcules en un seul genre. Cependant les enchélides
sont en quelque sorte grosses el courtes, comparativement
aux vibrions, qui ont le corps grêle et alongé. Les enché-
lides d’ailleurs varient souvent un peu de forme dans
leurs mouvements, et semblent plus voisines des protées,
sous cette considération, que les infusoires auxquels le
nom de vibrion peut convenir. Enfin, l’on a lieu de penser
(1) M. Ehrenberg pense que cette espèce pourrait bien
appartenir à son genre Drsricma , qui se compose des po-
lygastriques aneuthérés, nus, gymniques, qui ont le corps
alongé , deviennent polymorphes par la contraction , se
divisent spontanément dans le sens longitudinal ou obli-
que, n’ont pas de queue et sont pourvus de deux yeux.
(2° Mém., p. 73.) E.
INFUSOIRES. — ENCHÉLIDES. 333
que, quoique on ait pu commettre quelque erreur à leur
égard , la plupart des animalcules qu’on a rangés parmi
les enchélides, sour de véritables infusoires ; tandis qu’il
est probable qu’il n’en est pas ainsi des vibrions.
[ Les observations récentes de M. Ehrenberg montrent
qu’il existe de grandes différences entre les enchélides et
les vibrions , les cyclides , etc.; car les premiers sont pour-
vus d’un canal intestinal qui s’étend en ligne droite d’une
extrémité du corps à l’autre , et autour duquel sont grou-
pées les appendices stomacales qui, chez les derniers, pa:
raissent être isolées et communiquent directement au de-
hors par une ouverture commune. Chez les enchélides il
existe par conséquent une bouche et un anus distincts; la
première de ces ouvertures, placée à l'extrémité troiquée
du corps, est entourée d’un cercle de petits cils; la seconde,
située à l’extrémité opposée, devieut distincte lors de la
sortie des matières fécales. ( Voyez Mém. de l’Acad. de
Berlin, 1830, pl. 2, fig. 1 ; et Annales des sciences natu-
relles , 2° série, Zool., t. x, pl. 5, fig. 10— 12.)
Dans la méthode de M. Ehrenberg ces animaux prennent
place dans la légion des polygastriques entérodélés, divi-
sion des énantiotiètes nus (caractérisée par la position de la
bouche et de l’anus, et la reproduction au moyen de divi-
sions transversales), laquelle ne se compose que d’une
seule famille, celle des ENCHÉLINES.
Les caractères assignés par ce naturaliste au genre en-
chélide, sont les suivants :
Bouche terminale droite; corps ni cilié, ni garni de soies
et simple. |
ESPÈCES.
r. Enchélide poupée. Enchelis pupa.
E. lageniformis seu ovata , anticè attenuata , posticè crassior
quadruplo ferè longior quam lata.
Mull. Inf. tab. 25. fig. 25, 26.
Eacycl. pl, 2. fig. 31.
Bory. Op, cit. p. 520.
384 ANIMAUX APATHIQUES.
Ebrenb. Mém. de Berlin, 1830. pl, 2. fig. 1. et Ann. des
Sc. nat. 2° série. Zool. t. 1. pl. 5. fig.
Quelquefois cet enchélide ovale a des infusoires d’une di-
mension si considérable, que lui-même devient presque
globuleux. M. Ebrenberg pense qu’il ne diffère pas de
l'Enchelys farcimen, Muller. Inf. tab. 5. fig. 7 et 8. Encycl.
pl. 2. fig. 29, que M. Bory-Saint-Vincent range dans son
genre pupelle. ]
>. Enchélide verte. Enchelis viridis.
£. subcylindrica, anticè obliqué truncata.
Mull. Inf. t. 4. f. 1. Encycl. pl. 2. f. 1. :
H. dans l’eau gardée plusieurs semaines.
5. Enchélide ponctuée. Enchelis puncufera.
Æ. subcylindrica, viridis, anticé obtusa, posticè acuminata.
Mall. Inf. t. 4. f. 2, 3. Encycl. pl. 2. f. 2.
[ Bory-Saint-Vincent. Op. cit. p, 319. ]
H. dans l’eau des marais.
[ M. Ehrenberg pense que cette espèce pourrait bien appar-
tenir à son genre Distigma (2° mém. p. 19).]
4. Enchélde ovule. Enchelis ovulum.
E. cylindrico-ovata, hyalina, longitudinaliter subplicata.
Mall. Inf, t. 4. f. g— 11. Encycel. pl. 2. f. 3.a, b, c.
[ Bory-Saint-Vincent, Op. cit. p. 321. |
H. dans l’eau gardée quelques jours.
5. Enchélide paresseuse. Ænchelis deses.
ÆE. viridis, cylindrica, subacuminata, gelatinosa.
Mull. Inf, t. 4. f. 4, 5. Encycl. pl. 2. f. 4. a, b.
H. dans l’infusion de la lenticule.
| M. Ehrenberg range cette espèce dans le genre monas.
2e Mém. p. 59.|
6. Enchélide anneeu. Ænchelis similis.
Æ. obovata, opaca, margine pellucida ; interaneis mollibus.
Mull. Inf, t. 4. f. 6. Encycl. pl. 2. f. 5.
[ Gyges encheloïdes, Dory-Saint-Vincent, Encyel. p. 449. |
H. dans l’eau conservée plusieurs mois.
%
INFUSOIRES.— ENCHYLIDES.
C3
ee
LL
7. Enchélide tardive. ÆEnchelis serotina.
Æ, ovato-cylindracea ; interaneis immobilibus.
Mall. Inf. t: 4. f. 9. Encycl. pl. 2.f. 6.
[ Bory. Op. cit. p. 318. ]
I. dans l’eau des marais gardée.
8. Hbélide nébuleuse. Enchelis nebulosa.
E. ovato-cylindracea; interaneis manifestis mobilibus.
Mull. Inf. t. 4.f, 8. Encycl. pl. 2. f. 7.
[ Bory. Op. cit. p. 318.
Ehrenb, 2e Mém. p. 101.]|
IT. dans l’eau gardée.
9- Enchélide semence. ÆEnchelis seminulum,
Æ. cylindracea, æquals.
Mull. Inf. t. 4. f. 13, 14. Encycl. pl. 2. f. 8. a, b.
[ Bory. Op. cit. p. 320. ]
H. dans l’eau conservée plusieurs jours.
io, Enchélide poire. Enchelis pirum.
E. inversé conica , posticé hyalina.
Mall. Inf. t. 4. f. 12. Encycl. pl. 2. f. 11.
[ Enchelis lagenula. Bory. Op. cit. p. 320.]
H. dans l'eau long-temps gardée.
Etc.
Observ. L’Enchelis fritillus de Muller (1.4. f. 22, 23. ) semble
appartenir au genre bursaire,
[ M. Ehrenberg place à côté des enchélides, dans la fa-
mille dont ces derniers animalcules constituent le type,
un infusoire très singulier qu’il a découvert dans la mer
Rouge, et dont le corps glabre et terminé antérieurement
par une bouche droite, est profondément bifurqué à sa
partie postérieure. Cet animalcule ne peut être une para-
mécie , une loxode ou une trachélie, dont le corps se se-
rait divisé spontanément, car sa bouche est terminale, et
chez les infusoires qui se reproduisent par des divisions
longitudinales , cette ouverture est la'érale ou inférieure,
Tome 1. 25
386 ANIMAUX APATHIQUES.
tandis que chez ceux où elle est terminale, ces divisions se
font transversalement.
Ce genre, qui porte le nom de Drsom4, Hemp. et Ehrenb.,
est caractérisé de la manière suivante :
A. polygastrique , entérodèlé, énantiotrète nu, dont
la bouche est terminale droite, et dont le corps est double
etne porte ni cils, ni soies.
Esp. Disoma vacillans , M. et Ehr., Symb. phys.
phytoz., tab. 5, fig. 3.
Son corps est hyalin , étroit, à lobes filiformes,
réunis seulement à la tête.]
VIBRION. (Vibrio.)
Corps très petit, irès simple, cylindrique, pro-
longé.
Corpus minimum, simplicissimum, cylindricui,
elongatum.
Osservarions. Les vibrions sont des animalcules micros-
copiques, à corps cylindrique, grêle, prolongé, ne variant
presque point dans sa forme.
Ceux de ces animalcules qui ont le corps très simple,
sans bouche, sans tube alimentaire, en un mot, sans aucun
organe particulier, sont de véritables infusoires et appar-
tiennent réellement à ce genre: j’en ai vu moi-même dans
ce cas.
Mais il est probable que, parmi les espèces nombreuses
que l’on a comprises dans ce même genre, plusieurs ont
une organisation moins simple que les infusoires, ne sont
point réellement des vibrions, et qu’on ne s’est uniquement
fondé que sur la petitesse de ces animalcules pour les classer
et les rapporter au genre dont il s’agit.
Le vibrion-anguille, par exemple, que Bruguière ne re-
garde que comme une variété du Fibrio aceti , offre , à ce
qu'on prétend , une bouche munie de deux lèvres, et un
INFUSOIRES. — VIBRIONS. 387
tube alimentaire distinet. S'il en est ainsi, cet animalcule
doit être rapporté à la classe des vers, quelque petit qu’il
soit, et non à celle des infusoires. On a lieu de présumer
que d’autres prétendus vibrions sont dans le même cas.
Quoi qu’il en soit,j’en ai vu qui assurément n’avaient point
de bouche, et parmi eux j'en ai distingué qui offraient
l’apparence d’une cavité intérieure, tantôt simple et oblon-
gue, tantôt divisée en deux ; mais cette cavité ne s’ouvrait
point au-dehors.
[ Nous verrons par la suite qu’effectivement plusieurs
des animaux désignés d’après la forme générale de leur
corps, sous le nom de vibrion , appartiennent à d’autres
groupes.
M. Ehrenberg réserve le nom de vierto aux A. polygas-
triques anenthérés, nus', gymniques, alongés, monomor-
phes , dont le corps est filiforme , cylindrique et ne décri-
vant que des ondes, lors de sa contraction.
Les vibrioniens dont le corps également filiforme est
rigide et se contourne en spirale, forment, dans la méthode
de ce naturaliste, les genres SPrroDISQUS et SPIRILLUM.
Le genre SPrroniscus (Ehrenb., 2° Mém., p. 68) est ca-
ractérisé par la manière dont le corps s’enroule en cercle,
tandis que chez les Srrrizzum il s’enroule en hélice.
Le genre Bacrerium ( Ehrenb., 2° Mém., p. 69) se com-
pose des vibrioniens dont le corps est oblong, fusiforme
ou filiforme, mais jamais distinctement ondulé, ni
enroulé.
Le genre Czosrérium de Nitzsch ( Ehrenb., 2° Mém.,
p:66), a beaucoup d’analogie avec les vibrioniens, mais se
compose des À. polygastriques anenthérés, gymniques, cui-
rassés, dont l’enveloppe est alongée, cylindrique , ouverte
aux deux bouts et se divisespontanément en deux ou quatre
parties par des sections transversales. M. Ehrenberg y
range plusieurs espèces nouvelles, ainsi que le Y’ibrio lu-
nu la de Muller, que M. Bory-Saint-Vincent avait placé
dans son genre Lunuzine (Encycl.p. 500).]
On voit souvent à l’œil nu le vibrion-anguille, et même
le vibrion du vinaigre, qui porte aussi le nom d’anguille
25*
358 ANIMAUX APATHIQUES.
du vinaigre : leurs mouvemeuts sont vermiculaires. La
gelée, dit-on , ne les fait point périr; mais ils ne résistent
. 1 27 4: de ‘ . 1.
point àl évaporation, à moins que quelques poussières ne
les mettent à l’abri du contact de l'air.
On trouve les vibrions dans plusieurs infusions végéta-
les et animales, dans les eaux douces, et quelquefois dans
l’eau de mer conservée.
ESPÈCES.
1. Vibrion linéole, Z'ibrio lincola.
V. linearis, minutissimus.
Mull. Inf. t. 6. f, 1. Eucycel. pl. 5. f, 2.
[ Ehrenberg, 2° Mém., p. 67. ]
H. dans les infusions végétales. C'est un des infusoires les
plus petits.
2. Vibrion ride. Vibrio rugula.
TV’. lincaris , flexuosus.
Mull. Inf. t. 6. f. 2. Encycl. pl, 5. f. 3. a, b.
[ Ebrenb. ae Mém, p. 67.
H.fdans linfusion des mouches.
5. Vibrion baguette. Vibrio baccillus.
V. linearis, œqualis, utrinque truncatus.
[ Bory. Op. cit. p. 775.
Ehrenb. ne Mém, p. 67.|
Mull. Inf, t. 6. f. 3. Encycl. pl. 3. f, 4, a, b.
H. dans l’eau gardée,
4. Vibrion ondoyant. Vibrio undula.
F. filiformis, flexuosus.
Mull. Inf. t. 6. f. 4, 5, G. Encycl. pl. 3. f, 5—v.
[ Spirillum undula. Ehrenb. 2° Mém. p. 68.] (1)
(1) Le genre SpmiLLum renferme les vibrioniens dont le
corps est rigide et roulé en hélice. E.
£ l
INFUSOIRES, —= VIBRIONS, 389
H. dans l'infusion gardée de la lenticule. Tantot ils nagent ,
et tantôt ils se réunissent en pelotons sur un rameau de
conferve,
9. Vibrion spiral. Vibrio spirillum.
F. filiformis; ambagibus in angulum acutum tornatis.
Mall. Inf. t. 6, f. 9. Encycl. pl. 3. f. 8.
[ Spirillum volutans. Ehrenh. 2e Mém. p. 68.|
H. dans l’infusion du laitron des champs.
6, Vibrion vermet, V’ibrio vermiculus.
PB. cylindraceus, gelatinus, tortuosus.
Mull. Inf. t, 6. f, 10, 11. Encyel. pl. 3. f. 1.
[| Pupella annulans. Bory. Op. cit. p. 664.]
H. dans l’eau des marais.
7. Vibrion intestin. Vibrio intestinum.
pi gelatinosus, teres, anticé angustatus.
Mall. Inf, t. 6. f. 12—15. Encycl. pl. 3.f. 10—13.
[ Pupella clavata. Bory. Op. cit. p. 664. ]
H. dans l’eau des marais.
8. Vibrion biponctué. Vibrio bipunctatus.
F”. linearis , œqualis ; uträque extremitate truncald; globulis
binis mediis
[| Pacillaria bipuncta. Bory. Op. cit. p. 136 (1).
Mull. Inf. t. 7. f. 1. Encycl. pl. 35. f. 14.
H, dans l’eau de mer gardée.
RG DD + TE DL RE D
(1) Les bacillaires sont des êtres très singuliers, qui pa-
raissent tenir autant du végétal que de l’animal ; ce sont
de petites lames linéaires et rigides, des espèces de ba-
guettes animées qui ne peuvent fléchir leur corps et qui
ne se meuvent que par balancement et par glissement. Ils
ont la plus grande ressemblance avec certains produits du
règne végétal que l’on range parmi les algues et ont, de-
puis quelques années , beaucoup occupé les naturalistes.
Du reste, il règne, à leur égard, les opinions les plus diver-
gentes : suivant les uns, ce seraient des êtres qui, animaux
390 ANIMAUX APATHIQUES.
9. Vibrion triponctué. Vibrio tripunctatus.
V. linearis | utrinque attenuatus ; globulis tribus; extremis
minoribus.
d’abord, deviendraient ensuite des plantes ; suivant d’au-
tres , leur réunion , ainsi que l’agrégation de divers autres
infusoires, donnerait naissance à des productions phytoï-
des, telles que le conferva camoïdes, etc. I est aussi des
auteurs qui regardent les bacillaires comme appartenant
entièrement au règne végétal; enfin, suivant l’observateur
le plus récent qui se soit occupé de ce sujet, M. Ehren-
berg, les bacillaires doués de vie, seraient bien des ani-
maux, et tous ceux qui sont réellement immobiles ne se-
raient que des individus morts. L'espace nous manquerait
pour exposer en détail et discuter toutes ces opinions, ou
même pour énumérer les faits curieux dont la connais-
sance est due aux auteurs de ces hypothèses; et nous nous
bornerons à indiquer les principaux écrits consacrés à ce
sujet, savoir : la description des cercaires et des bacillaires
par Niwsch, publiée en 1817; divers articles de l’Encyclo-
pédie méthodique et du Dictionnaire classique d’histoire
naturelle, par M. Bory-Saint Vincent ; un Mémoire sur les
némazoones, par M. Gaillon, dans les Mém. de la Société
d’émulation de Rouen; l’Article némazoones du Diction.
des sciences naturelles, par M. DeBlainville, et les Obser-
vations de M. Ehrenberg dans les Mém. de l’Académie de
Berlin et dans les Annales des sciences naturelles, 1834.
Ces animaux forment un groupe assez nombreux. Dans
Ja classification de M. Bory-Saint-Vincent ils sont réunis
dans la famille des bacillariées, qui se subdivise en cinq
genres, savoir : les bacillaires, les échinelles, les navicules,
les Junulines et les styllairiés. M. Ehrenberg adopte cette
famille, mais en y assignant de nouvelles limites. Dans sa
méthode, elle se compose des polygastriques anenthérés,
pseudopodes, cuirassés , dont l’enveloppe se divise spon-
tanément avec l’animal.
Le genre BacizLamiA, établi d’abord par Muller , puis
INFUSOIRES. = VIBRIONS, 391
Mall. Inf. t. 7. f. 2. Encycl. pl. 3. f. 15.
[ Vavicula tripunctata. Bory. Op. cit. p. 563.]
H. en automne, dans les fossés inondés.
réuni par ce naturaliste au genre vibrio, dont il fdiffère
considérablement , se compose d’êtres Grès singuliers , qui
sont quelquefois solitaires, mais dont le corps linéaire et
cylindrique ou légèrement comprimé, se colle pour ainsi
dire côte à côte à quelque autre individu de même espèce,
ou s’y joint par ses extrémités , de façon à former des sé-
ries ou des filaments diversement brisés, ou bien des aglo-
mérations rayonnantes.Lorsqu’on les observe ainsi réunis,
on les voit exécuter des mouvements anguleux et rapides
par lesquels ils s’éloignent les uns des autres ou se juxt’ap-
posent, mais dont on ne comprend pas le mécanisme et, à ce
phénomène, succède tout-à-coup l’inertie la plus complète.
M. Ehrenberg définit ce genre de la manière suivante:
G. BacrzzarrA, Bacillariens libres, qui ue se fixent pas
et qui sont réunis entre eux de façon à former des rubans
polymorphes et à conserver quelque mobilité sans se
détacher; enfin dont l’enveloppe est quadrangulaire,
bivalve longitudinalement, et persistant après la mort.
Espèces. B. Cleopatræ, Hemprich et Ehrenb., Sym-
bolæ physicæ phytozoæ, pl. 3, fig. 2.
B. Ptolemæi, Memp. et Ehrenb. Loc. cit., pl. 3:
fig. 1.
B. flasculosa, Ehrenb., 2° Mém., p. 84, Diatoma
vulgaris , Agarth, etc.
Le genre NavicuzA a été établi par M. Bory pour rece-
voir les bacillariées qui ont la forme d’une navette et qui,
pendant une partie de leur existence, sont privés de mou-
vement et vivent fixés par un prolongement filiforme et
extrêmement ténu qui naît d’une de leurs extrémités.
M. Ehrenberg y range les bacillariens libres, jamais
fixés, qui sont solitaires ou bien agglomérés et qui ont une
enveloppe plus longue que large.
392 ANIMAUX APATHIQUES.
10, Vibriox porte-pieu. /’ibrio paxillifer.
V. linearis, flavescens ; paleis gregaris multifarium ordi-
natis.
Mull. Inf, t. 9. f. 3—7. Encycl. pl. 3. f, 16—20.
Espèces. N. sigmoidea , Hem. et Ehr. Symb. phys.
phyt., pl. 2, fig. 8.
N. interrupta, Hem. et Ehr., Loc. cit., pl. 2, fig. 7,
etc., etc,
Le genre Eucasraum de M. Ehrenbers se distingue du
précédent par l'enveloppe , qui est plus large que longue.
Espèce. Æ. rata, Ehrenb. (2° Mém., p. 82), etc.
Le genre FragizLania de Lyngbye, rangé par M. Bory
parmi ses arthrodiées , doit prendre place, suivant M. Eh-
renberg , dans la famille des bacillariées, à côté des bacil-
laires , et se composer des animalcules de cette famille
qui, de même que les précédents, ne sont jamais fixés,
mais qui se réunissent en faisceaux et non en groupes, po-
lymorphes, et se désunissent ensuite.
Espèces. F. bipunctata, Hew. et Ebr., Symb. phys.
phyt., pl. 2. fig. 11.
F. diaphthalma, M. et Ehrem. , Op. cit., pl. 3,
fig. 4.
F. multipunctata, Hem. et Ehr., Op. cit., pl. 3,
fig. 12.
Le genre ExiLaniA (Lyngbye) se compose, dans la
méthode de M. Ehrenberg, des bacillariés qui différent des
précédents en ce qu’ils sont réunis en étoiles : ils sont fla -
belliformes et apodes.
Le genre Synenra, de M. Ehrenberg, comprend les ba-
cillariés qui sont sessiles et qui, dans le jeune âge, sont
fixés,
S. ulna, Ehrenb., 2° Mém.; p. 87. — Bacillaria ulna,
Nitzsch.- etc.
Le genre Gomrnon£ma, Agarth , doit aussi, suivant
INFUSOIRES, — VIBRIONS.
[ Bacillaria Mulleri. Bory. Op. cit. p. 137.
B. paradoxa. Muller, Ehrenb. 2e Mém, p, 83. |
H. dans l’ulve dilatée,
Etc.
M. Ehrenberg , prendre place dans la famille des bacilla-
riées , et avoir pour caractère distinctif d’être fixé dans le
jeune âge, pédiculé, et d’avoir le corps rétréci postérieure-
ment et cunéiforme.
Le genre CocconemA , de M. Ehrenberg, diffère du pré-
cédent, en ce que le corps est rétréci à ses deux extrémités
et subréniforme.
Enfiv, le genre Ecunerza, Lyngbye, appartient aussi à
cette famille d’infusoires pol ygastriques et diffère des pré-
cédents en ce qu’il est pédiculé , flabelliforme et réuni en
rayons.
Espèce. E. splendida, Hemp. et Ehrenb., Symb.
phys., pl. 5. fig. 5.
Il est à noter que la structure de tous ces êtres n’est
encore que très imparfaitement connue. M. Ebrenberg n’a
donné encore aucune observation précise relativement
même à l'existence d’une cavité digestive dans l’intérieur
de leur corps; et dans l’état actuel de la science il serait
difficile de se prononcer sur leur nature. E.
394 ANIMAUX APATHIQUES.
DEUXIÈME SECTION.
CORPS MEMBRANEUX.
ILest presque sans épaisseur , soit aplati, soit con-
cave.
Les animalcules compris dans cette section paraissent
être réellement des infusoires. Leur corps est très sim-
ple, membraneux, le plus souvent aplati, concave,
dans un petit nombre; il n’offre aucun organe parti-
culier perceptible, et il est probable qu’il n’y en existe
réellement point.
Posséder une forme constante, différente de celle
qui est sphérique, ovoïde ou oblongue, c’est , dans les
infusoires qui la présentent, la preuve d’un progrès
acquis dans Îa consistance des parties de ces corpus-
cules. Effectivement, sans un affermissement obtenu
dans ces parties, la pression du liquide environnant se
fût opposée à l’acquisition et à la conservation de cette
forme qui, elle-même , a pris sa source dans la nature
des mouvements que les animalcules qui l’offrent exé-
cutent dans l’eau. L'organisation de ces infusoires n’en
est pas moins encore très simple, quoique ces petits
corps soient un peu moins frèles que ceux de la pre-
mière section.
Voici les genres qui se rapportent à cette seconde
section du premier ordre.
INFUSOIRES. == GONES. 395
GONE. (Gonium. )
Corps très petit, très simple, aplati, court, angu-
leux.
Corpus minimum, simplicissimum , complanatum ,
breve, angulatum.
Osservarions. Les gones et les cyclides sont les plus
simples des infusoires aplatis. Leur corps est court , plat,
membraneux et en quelque sorte sans épaisseur. Il est an-
guleux dans son pourtour dans les sones ; tandis qu’il est
orbiculaire ou ovale, dans les cyclides.
Quelques espèces de gones paraissent composées de plu-
sieurs corps joints ensemble par une membrane commune
qui les réunit ou les enveloppe. Ce n’est probablement
tantôt que l’apparence des mailles aperçues de leur tissu
cellulaire, comme dans la gone pectorale, et tantôt que
celle des lignes préparées pour les scissions qui doivent les
multiplier, comme dans la gone coussinet.
Leur mouvement est oscillatoire.
| M. Ehrenberg assigne à ce genre les caractères sui-
vants:
A. polygastriques, anenthérés, cuirassés, épitriques,
composés, se reproduisant par des divisions intérieures et
la rupture de l'enveloppe , dépourvus d’yeux et renfermés
dans une enveloppe comprimée , quadrangulaire, Il la
range à côté des volvoces, 2° Mém., p. 75.1]
ESPÈCES
1. Gone pectorale. Gonium pectorale.
G. quadrangulare, pellucidum; globulis sedecim.
Mull..Inf. t, 16. f, 9o—11. Encycl. pl. 7.f. 13.
[ Pectoralina hebraïica. Bory. Op. cit. p. 60.
L4
396 ANIMAUX APATHIQUES.
Gonium pectorale. Ehreub. 2e mém. p. 75. ]
H. dans les eaux pures.
2. Gone coussinet. Gonium pulvinatum.
G, quadrangulare, opacum, torosum.
Muil. Inf. t, 16. f. 19—15. Encycl. pl. 7. . 4—7.
4
H. dans l’eau des fumiers.
3. Gone ridée. Gonium corrugatum.
G. subquadrangulare, albidum , ruga longüudinali notatum.
Mall. Inf. t. 16. f. 16, Encycl. pl. 7. f. 8.
[ Paramæcium oriziformis. Bory. Op. cit. p. 601.]
H. dans diverses infusions, particulièrement dans celle de la
poire.
4. Gone rectangle. Gonium rectangulum.
G. rectangulare; dorso arcuato.
Mull. Inf, t. 16. f. 17. Encyel. pl. 7. f. 9.
H. fréquemment dans les eaux pures.
[ M. Bory-Saint-Vincent considère cette espèce comme ne
devant pas être distinguée de la suivante , et comme de-
vanl se rapporter au genre kolpode. Op. cit. p. 476.]
5. Gone obtusangle. Gonium obtusangulum.
G. obtusangulare ; dorso arcuato.
Mull. Inf. . 16. f. 18. Encycl. pl. 7. f. 10,
H. avec le précédent, mais rarement.
CYCLIDE. ( Cyclidium. )
Corps très petit, très simple, transparent , aplati ,
orbiculaire ou ovale.
Corpus minimum, simplcissimum, pellucidum,
complanatum , orbiculare vel ovatum.
Onsenvarions. Les cyclides sont rapprochés des gônes
par leur corps court et aplati; mais ils tiennent davantage
INFUSOIRES. — CYCLIDES. 597
aux paramèces , semblent même n’être que des paramèces
raccourcies , et n’en diffèrent point par leur organisation.
En effet , les cyclides ont le corps court, orbiculaire ou
ovale, tandis que le corps des paramèces est alongé, plu-
sieurs fois plus long que large; mais, dans les uns comme
dans les autres, le corps est très simple, aplati, mem-
braneux.
Le mouvement des cyclrdes est oscillatoire, circulaire
ou demi-circulaire, plus ou moins interrompu, lent ou vif
selon les espèces.
[ Dans la méthode de M. Ehrenberg le genre Cxcriium
se compose des À. polygastriques , anenthérés, nus, épi-
gastriques, dont le corps est garni de soies rétractiles, dis-
tribuées par rangées simples, longitudinales ou circu-
laires.
Le genre Panrornicaum, du même auteur, diffère du
précédent en ce que les cils dont la surface du corps est
garni, sont épars partout; il se compose de plusieurs espèces
nouvelles décrites var M. Ehrenberg. (2. Mém., p. 75.)
Enfin le genre Cnorromowas se compose des cyclidiens,
dont la surface du corps n’est pas garnie de cils, mais dont
tout le dos est pourvu de soies, c’est-à-dire d’appendices
droites et raides, qui n’exécutent aucuns mouvements
analogues à ceux qui caractérisent les cils. M: Ehrenberg
eu décrit deux espèces. (2° Mém., p. 77.)]
ESPÈCES.
1. Cyclide bulle. Cyclidium bulla.
C. orbiculare, hyalinum.
Mull. If. t. 11.f, 1. Encycl. pl. 5.f. 1.
[| Monas bulla. Bory. Op. cit. p. 550. ]
H, dans l’infusion du foin.
2. Cyclide millet. Cyclidium milium.
C. ellipticum , crystallinum.
Mull. Inf. t. 11. f. 2,3. Encycl. pl. 5. f. 2,3.
H. dans l’infusion de diverses plantes,
395 ANIMAUX APATHIQUES.
3. Cyclide flottante. Cyclidium fluitans.
C. ovale, crystallinum.
Mull. Inf.t. 11. f, 4, 5. Encycl. pl. 5, £. 4.5,
[ Gyges translucida. Bory. Op. cit, p. 449.|
H, dans l’eau de mer corrompue.
4. Cyclide glaucome. Cyclidium glaucoma.
C. ovatum ; interraneis œgrè conspicuis.
Mall. Inf, t. 11. f. 6—8. pl. 5. f. 6—8.
[ Erhen. 1er Mém. ( Acad. de Berlin, 1830.) pl. 1. fig. 4. —
2° Mém. p. 74. ]
H. dans l’eau gardée pendant l’hiver.
5. Cyclide noirâtre. Cyclidium nigricans.
C. oblongiusculum ; margine nigricante.
Mull. Inf.t. 11. f,0, 10. Encycl. pl. 5. f. 9—10,
[{ Bory. Op. cit, p. 234. ]
H. dans l’infusion de la lenticule.
6. Cyclide rostré. Cyclidium rostratum.
€. ovale, pellucidum, posticè subacutum.
Mull. Inf, t. 11.f, 11, 12. Encycl. pl. 5. f. 11, 12,
[ Bursaria rostrata. Bory. Op. cit, p. 167. |
H. dans une infusion végétale.
7. Cyclide pépin. Cyclidium nucleus.
C. ovale, poslicè acuminatum.
Mull. Inf.t. 11. f. 13. Encycl. pl. 5. f. 13.
[ Bory. Op. cit. p. 234. ]
H. rarement dans les infusions végétales.
8. Cyclide diaphane. Cyclidium hyalinum.
C. ovatum, posticè acutum.
Mull. Inf, t. 11. f. 24. Encycl, pl. 5. f. 14.
[ Bory. Op. cit. p. 234. ]
H. dans l'infusion de la clavaire coralloïde.
Etc.
INFUSOIRES, — PARAMÈCES, 399
PARAMÈCE. ( Paramecium.)
Corps très peil, simple, transparent, membraneux,
ablong.
\
Corpus minimum , simplex, pellucidum, membra-
naceum, oblonguru.
Osservarions. Les paramèces ne sont, en quelque sorte,
que des cyclides alongés ; plus développés, un peu plus
animalisés. Le corps de ces animalcules est membraneux,
aplati, quelquefois cylindracé, alongé, obtus à ses extré-
mités, en général très peu sinueux et sans angles. Il paraît
varier de forme d’un instant à l’autre, selon jes positions
qu’il prend par rapport à l’œil de l’observateur.
C’est en observant ces infusoires qu’on a reconnu, d’une
manière positive, leur multiplication par scission , c’est-à-
dire , par division de leur corps, soit longitudinale, soit
transverse ; et l’on sait maintenant que ce fait remarquable
ne leur est point du tout particulier. Il est même probable
que ce mode singulier de multiplication est celui de la plu-
part des infusoires, quoique plusieurs paraissent se repro-
duire par des corpuscules (des gemmules) internes, qui se
font jour au dehors par des déchirures.
Les paramèces ne nous offrent que de très petites lames
alongées, vivantes, animalisées. Elles sont à peine distinctes
des kolpodes; néanmoinselles sont moins sinueuses, moins
anguleuses, moins irrégulières.
Leurs mouvements sont en général lents, vagues , ou
oscillatoires.
[ M. Ehrenberg a constaté que, chez les paramèces, il
existe un tube alimentaire conduisant à de nombreuses
cavités stomacales et s’ouvrant au dehors par une bouche
et un anus qui ne sont situés ni l’un ni l’autre aux extré-
mités du corps; sous ce rapport , ils se rapprochent des
400 ANIMAUX APATHIQUES.
kolpodes ; ils sont également pourvus d’une petite trompe
rétractile et inerme; mais ici les deux ouvertures sont
plus éloignées l’une de l’autre, et la surface du corps est
couverte de cils disposés obliquement par rangées, ]
ESPÈCES.
1. Paramèce aurélie. Paramecium aurelia.
P, compressum, a medio ad apicem uniplicatum ; posticé
acutum,
Mull, Inf, t, 12. f. 1 —14. Encycl. pl. 5. f. 1—12,
[ Lory. Op. cit. p. 607.
Ehrenb. 2. Mém. p. 114. |
H. dans l’eau des fossés où croît la lenticule.
2. Paramèce chrysalide. Paramecium chrysalis.
P. cylindraceum, "versus anticè plicatum, posticè obtusum.
Mall. Inf.t. 12. f. 15—20. Encycl. pl. G. f, 1—5.
H. en automne, dans l’eau de mer.
[ Ehrenb. 1e mém. Acad. de Berlin, 1830, pl. 4. fig. 2.
— 2. Mém. p. 114.]
[ Paramèce arabe. Paramæcium siniaticum.
P. valdè complanatum, utrinque rotundatum, carina antica
longitudinali obliqua.
Hemp. et Ehrenb. Symb, phys. phyt. tab, 2. fig, 5.
3, Paramèce rusée. Paramecium versutum.
P. cylindraceum , posticè incrassatum , utrdque extremilate
obtusum.
Mull. Inf. t. 12. f. 21—924. Encycl, pl. 6. f. 6—0.
H. dans les fossés marécageux.
4. Paramèce œuvée. Paramecium oviferum.
P, depressum ; intus bullis ovalibus.
Mall, Inf, t. 12. f, 25—29. Encycl. pl. G. f. 10—12.
| Aolpode ovifera. Bory. Op. cit. p. 477.]
H, dans les marais.
INFUSOIRES. — KOLPODES. 4ox
5. Paramèce bordée. Paramecium marginatum.
P. depressum , ellipticum, griseum ; margine hyalino.
Mull. Inf. t. 12. f. 28—29. Encycl. pl. 6. f. 13—14.
[ Gyges lithunatus. Bory. Op. cit. p. 449. ]
H. dans l’eau des marais.
KOLPODE. ( Kolpoda. )
Corps très petit, trèssimple, aplati, oblong, sinueux,
irrégulier, transparent.
Corpus minimum, simplicissimum, pellucidum ,
oblongum, complanatum , sinuosum, irregulare.
Osservarions. De même que les paramèces ne sont guères
que des cyclides alongés , de même aussi les ko/podes ne
sont en quelque sorte que des paramèces sinueuses, irré-
gulières, plus variées dans leur forme. ,
Ainsi les Aolpodes , quoique étant encore des infusoires
très simples, sont un peu plus avancés en animalisation
que les paramèces, puisqu'ils sont plus sinueux, plus
irréguliers, plus variés, et que leur forme est moins assu-
jettiecaux influences de la pression du milieu dans lequelils
habitent.
Les espèces observées sont nombreuses : quelques-unes
des moins irrégulières , qui vont être citées les premières,
seraient aussi bien nommées paramèces que kolpodes.
Les mouvements de ces infusoires sont en général lents,
vagues, ou oscillatoires.
[ M. Ehrenberg réserve le nom de kolpodes aux A. poly-
gastriques , entérodélés nus, qui n’ont ni la bouche, ni
anus terminaux, qui ont la face ventrale du corps ci-
liée, et sont pourvus d’une trompe courte et rétractile.
; Ë £
Il en sépare plusieurs des espèces indiquées ci-dessous
E E P
our les ranger dans les genres trachélius et loxodes , qui
re £ 2
Tous 1. 26
402 ANIMAUX APATHIQUES.
s’éloignent des kolpodes par un caractère très important,
savoir , la position de leur anus, qui est terminal. D’anrès
de nouvelles observations de ce naturaliste (1834), il parai-
trait que la bouche des kolpodes est en outre armée de
dents.
M. Losana a inséré dans les mémoires de l’Académie de
Turin un travail descriptif très étendu sur ces animalcules;
mais les raisons que nous avons déjà indiquées en parlant
de ses observations sur les protées nous empêchent d’en
parler ici. ] E.
ESPÈCES.
1. Kolpode lame. Kolpoda lamella.
X. elongata, membranacea, anticè curvata.
Mull. Inf, t. 18. f. 1 —5. Encycl. pl. 6.f, 1—3.
{ Trachelius lamellu. Ehrenb. 2° mém. p. 107.] (1)
H. dans l’eau, mais rarement.
(1) Le genre TracuELIUS, établi par Schrank, comprend,
dans la méthode de M. Ehrenberg , les À. polygastriques
entérodélés de la section des allotrètes, qui ont l’auus ter-
minal , la bouche inférieure et inerme , et le front alongé,
cylindrique ou déprimé, et se prolongeant en forme de
trompe étroite. Le corps de ces animalcules est souvent
cilié, et sa forme varie.
M. Ehrenberg y range l’espèce mentionnée ci-dessus,
ainsi que
Le Trachelius anas, Ehrenb., 1° Mém., Acad. de Ber-
lin, 1830, pl.4, fig. >. Trichoda anas, Muller,
pl. 27, fig. 14, 15.—Encycl., pl. x4, fig. 11 et 12.
—Bory, Op. cit., p. 749.
Le 7'rachelius fallax, Schr. Ehrenb., 2° Mém., p. 107.
V'ibrio fallax, Muller, Inf.—Enc. pl. 5, fig. 16—18.
Dans la méthode de M. Ehrenberg ce genre donne son
nom à une famille qui contient aussi les genres loxodes,
les bursaires, les phialines et les glaucomes.
De genre GraucomaA ; Ehrenb., se distingue de tous les
INFUSOIRES. — KOLPODES. 405
». Kolpode poulette. Kolpoda gallinula. .
K. oblonga; dorso antico membranaceo hyalino.
Mull. Inf. t. 13. f. 6. Encycl. pl. 6. f. 4.
[ Enchelis gallinula. Bory. Op. cit. p. 321. ]
H. dans l’eau de mer corrompue.
5. Kolpode bec. Kolpoda rostrum.
K. oblonga; anticé uncinata.
Mull. Inf. t, 13. f. 7.8. Encycl. pl. 6. f, 5, G.
[ Loxodes rostrum. Ehrenb. 2° Mém. p. 108.](1)
H. dans les eaux où croît la lenticule.
autres trachéliens , par l’existence de crochets qui garnis-
sent l’ouverture buccale et paraissent représenter ‘une
lèvre inférieure. La forme générale de leur corps les rap-
proche un peu des kolpodes , mais ils n’ont de cils qu’à
l’extrémité antérieure du corps. M. Ehrenberg n’en décrit
qu’une seule espèce.
Le Glaucoma scintillans, Ehrenb., 1° Mém., Acad. de
Berlin, 1830. pl. 4, fig. 1.—2° Mém., p. 112.
Le genre Orurvocerca , de M. Ehrenberg, se rapproche
des trachéliens par la disposition du canal alimentaire qui,
par un des bouts, s’ouvre à la face ventrale, et par l’autre,
à l'extrémité du corps ; mais ici, c’est la bouche et non
l’anus, qui est terminale, et l’ouverture efférente est infé-
rieure.
Esp. Ophyocerca ovum, Ehrenb., 2° Mém., p. r22.
E.
(1) Le genre Loxopes, de M. Ehrenberg , appartient à la
même famille que le genre trachélius, dont il se distingue
par la forme de la lèvre supérieure , qui est courte, dépri-
mée et remarquablement large et ciliée. De même que les
précédents , les loxodes n’ont pas la bouche armée de cro-
chets et ne portent pas sur le front un cercle de cils. Parmi
les espèces que ce naturaliste y rapporte nous citerons :
Le Loxodes cucullulus, Ehrenb., 1°* Mém., Acad, de
26°
404 ANIMAUX APATHIQUES.
4. Kolpode botte. Kolpoda ocrea.
K. elongata, membranacea, apice attenuata, basi in angulum
rectum producta.
Mall. Inf, t. 13. £. 9. 10. Encycl. pl. 6. f, 7. 8.
[ Amiba ochrea. Bory.Op. cit. p. 46. ]
H. dans les eaux stagnantes.
5. Kolpode mucronée. Kolpoda mucronata.
Æ. dilata, membranacea, anticè angustatu, altero margine in-
cisa.
Mall. Inf. t. 13. f, 11. 12. Encycl. pl. 6.f. 9. 10.
[ Bory. Op. cit. p. 476. ]
H. dans l’infusion de l’udve linze.
6. Ko]pode triquètre. Kolpoda triquetra.
K. obovata, depressa; altero margine retuso.
Mall. Inf. t, 13. f. 13-15. Encycl, pl. G. f. 11—13.
H. dans l’eau de mer.
7. Kolpode striée. Kolpoda striata.
K, oblonga, subarcuata, depressa, candida, anticè acuminata,
posticè rotundata.
Muil. Inf. t. 15. f. 16, 19. Encycl. pl. 6, f. 14. 15.°
H. en abondance, dans l’eau de mer,
8. Kolpode noyau. Xolpoda nucleus.
K. ovata, vertice acuto , dorso convexo.
Mall, Inf, t. 13. f. 18. Encycl. pl. G.f, 1G.
[ ÆEnchelis cycloïdes. Bory. Op. cit. p. 321. |
H. dans l’infusion des semences du chanvre,
Berlin, 1830, pl. 4, fig. 3; et 2° Mém., p. 109. —
Kolpoda cucullulus, Muller, Encycl. pl. 7. fig. 8-
12
Le L. cucullio, Ehrenb., 2° Mém., p. 109.— Ko/poda
cucullio, Mul'er,fnf., pl. 15, fig. 19-19.—Encycl.,
pl. 7, fig. 19-10. — Bursarin cucullo, Bory , Op.
cit, p. 160. FE.
CT
INFUSOIRES, — KOLPODES, 40
9. Kolpode pintade. Xolpoda meleagris.
K. plicatilis depressa , apice uncinatz, margine antico crenu-
lata, posticè obtusa.
Mall. Inf. t. 14. f. 1—6, et t. 15. f. 1-5. Encycl. pl. 6.
f. 17—27.
[ Æmphileptus meleagris. Ehrenb. 2e mém. p. 115.] (1)
H. dans l’eau où croît la lenticule, Animalcules alongés, très
irréguliers et très variables.
10. Kolpode coucou. Kolpoda cucullus.
K. ovata, ventricosa, infré apicem incisa.
Mull, fnf, t. 14. f. 5—14. Encycl. pl. 7. f. 1—3.
H. dans les infusions végétales, et dans celle du foin fétide.
11. Kolpode crénelée. Kolpoda assimilis.
K. depressa, non plicatilis, apice uncinato, margine antico ad
medium usque crenulato, posticè dilatato acutiusculo.
Mail. Inf. t. 15. f. 6. Encycl. pl. 6. ï. 28.
[ Æolpode crenulata. Bory. Op. cit. p.475. ]
H. dans l’eau de mer.
Etc.
BURSAIRE. (Bursaria.)
Corps très simple, membraneux, concave.
Corpus simplicissimum , membranaceum, concavum.
Onservariows. Les bursaires sont des infusoires à corps
mince , comme membraneux , ainsi que ceux des quatre
(1) Le genre Ampuizeprus de M. Ehrenberg, se compose
des infusoires qui, avec le même mode d’organisation que
les kolpodes, s’en distinguent par l'absence d’une trompe,
et ont le front et la queue rétrécis. Ce naturaliste y range
le J’ibrio anser de Muller, le Paramæcium fasciola, Mul-
ler , etc. E.
406 ANIMAUX APATHIQUES.
genres précédents , et qui se font remarquer par leur forme
concaye d’un côté, imitant soit une bourse, soit un ba-
teau, etc. ; elles ont peu de vivacité dans leurs mou-
vements , et on prétend que ces mouvements sont irrégu-
liers, de manière que lorsqu'elles parcourent une ligne
spirale de droite à gauche, et qu’elles s'élèvent dans l’eau,
elles se meuvent avec assez de vitesse ; mais quand elles
reviennent ou redescendent, elles ne vont qu'avec lenteur;
ce que l’on attribue à l’influerce de leur forme.
On trouve des bursaires dans les eaux douces et stagnan-
tes ,et dans i’eau de mer; on n’en connaît encore que
peu d’espèces , parmi lesquelles la première est visible à
l’œil nu.
[Il paraît, d’après les observations récentes de M. Ehren-
berg, que les bursaires ont , de même que les loxodes, les
trachélies , etc., un tube intestinal garni d’appendices
cœcales, qui s'ouvre antérieurement à la face inférieure
du corps, et postérieurement à son extrémité ; la bou-
che elle-même, dépourvue de cils ou de crochets et
point de cercle de cils sur le front; du reste, ils se distin-
guent de ces deux genres par la disposition de la lèvre
supérieure qui est comprimée , subcarénée ou renflée et
point rétrécie; le corps de ces infusoires est en grande
partie poilu. ]
ESPÈCES.
1. Bursaire troncatelle. Pursaria truncatella,
B. follicularis, apice truncato.
Ehrenb. 2° Mém. p. 110.
Mull. Inf. 1. 19. f. 1—4. Encycl. pl. 8. f. 1 —4.
[ Bory. Op. cit. p. 160.]
H. dans l’eau des fossés.
>. Bursairé bullée. PBursaria bullina.
B. cymbeæ formis, anticè labiata.
Mull. Inf, t. 17. €, 5—8. Encycl. pl. 8. f. 5—8.
INFUSOIRES, = BURSAIRES. 407
[ Bory. Op. cit. p. 160. |
H. dans l’eau de mer.
3. Bursaire repliée. Bursaria duplella.
B. elliptica, marginibus inflexis.
Mall. Inf. t. 13. f, 13. 14. Encycl. pl. 8.f. 12. 13.
[ Bory. Op. cit. p. 160. ]
H. dans les eaux où croît la lenticule.
A. Bursaire globuleuse. Bursaria globina.
B. sphærica , utrinque obscurata ; medio pellucentissimo,
Mull. Inf. t. 19.f. 15—17. Eucycl. pl. 8. f. 14—16.
H. dans l’eau de mer gardée,
[ M. Bory pense que {cette espèce devra se rapporter au
genre Vorvoce. Op. cit, p. 219. |
5. Bursaire hirondeau. Zursaria hirundinella.
B. utrinque laciniata; extremitatibus producti.
Mall. Inf. t. 19. f. g—12. Encycl. pl. 8. £. g—11.
[ Æirundinella quadricuspis. Bory. Op. cit. p. 456. ]
H. dans l’eau des marais.
ORDRE DEUXIÈME.
INFUSOIRES APPENDICULES.
Ils ont à l'extérieur, des parties toujours saillantes,
comme des poils, des espèces de cornes, ou une queue.
Ces infusoires sont encore très petits, gélatineux,
transparents, diversiformes : ils sont, malgré cela,
moins imparfaits et moins simplesque ceux du premier
ordre, puisqu'ils ont constamment des parties saillantes
408 ANIMAUX APATHIQUES.
à l'extérieur, comme des poils très apparents, des es-
pèces de cornes, ou une queue.
Au lieu d’être les produits de générations spontanées
comme les premiers des infusoires nus, on ne saurait
douter qu'ils ne proviennent des infusoires du premier
ordre, et que leur état et leur forme ne soient le ré-
sultat de quelques progrès obtenus dans la tendance à
composer l’organisation que la vie possède et exécute,
à mesure qu’elle se transmet dans les individus qui se
succèdent.
Déjà , en eux, l’animalisation est un peu plus avan-
cée, plus caractérisée; le corps moins simple dans ses
parties, moins changeant sous les yeux de l'observateur:
les fluides essentiels contenus, et le tissu vivant qui les
contient sont probablement un peu plus composés que
‘dans les infusoires nus; et, quoiqu'ils ne possèdent
encore intérieurement aucun organe spécial pour des
fonctions particulières, ils sont tout-à-fait sur le point
d’en obtenir, et même à cet égard, on a pu déjà se
tromper sur plusieurs.
Les infusoires appendiculés , de même que ceux du
premier ordre, n’ont aucun organe particulier pour se
régénérer : la plupart se multiplient par une scission
naturelle de leur corps, et plusieurs néanmoins se
reproduisent par des gemmes intérieurs, c’est-à-dire
par des corpuscules oviformes qui probablement se
font jour au dehors par des déchirures.
Il paraît, par les nombreuses espèces déjà connues
et publiées, que les infusoires de cet ordre sont bien
plus nombreux dans la nature que les infusoires nus.
Cela doit être ainsi, d’après les principes que je me
suis cru fondé à établir.
En effet, dans les infusoires nus, l’origine encore
trop récente des races qui proviennent de celles, en
petit nombre, qui furent générées spontanément , n’a
INFUSCOIRES APPENDICULÉS. 409
permis à Ja durée de la vie et aux circonstances qui
oùt influé sur ces races , qu'une diversité peu considé-
rable. Mais, à mesure que la durée de la vie, que sa
transmission dans les individus qui se sont succédé
en se multipliant, et que les circonstances ont eu plus
de temps pour exercer leurs influences, les races se
sont diversifiées de plus en plus et sont devenues plus
nombreuses.
Cet ordre de choses, qu’il est facile de reconnaître
pour celui même de la nature, nous fait sentir pour-
quoi les infusoires sont bien moins diversifiés et moins
nombreux que les polypes. Effectivement, quoique
nous ne connaissions pas probablement tous les infu-
soires, et que nous connaissions bien moins encore
tous les polypes, ce qui est déjà connu de part et
d'autre indique que la diversité des polypes est consi-
dérablement plus grande que celle des infusoires.
Aussi les polypes sont plus éloignés de leur origine
que les infusoires.
Malgré cela, les infusoires appendiculés sont déjà
très variés entre eux; néanmoins ils présentent dans
leurs caractères des moyens si peu favorables pour les
diviser nettement en différentes coupes, que les gen-
res qu’on a établis parmi eux, sont, quoiqu’en petit
nombre , très imparfaitement limités.
Dans le genre tricode ( trichoda) de Muller, il y a
déjà quelques animaux qui commencent à offrir l’é-
bauche d’une bouche, et par conséquent d’un organe
digestifcommencé. Or, d’après notre caractère classique,
ces animaux doivent être rapportés à la classe sui-
vante.
410 ANIMAUX APATHIQUES.
TRICODE. (Trichoda. }
Corps très petit, transparent, diversiforme , sans
queue particulière, garni de poils mous, soit partout,
soit sur quelque partie de sa surface.
Corpus minimum , pellucidum, diversiforme , ecau-
datum ; undiquè vel in superficiei parte pilis mollibus
ciliatum.
Osservarions. J’appelle tricode , les infusoires qui man-
quent de queue, c’est-à-dire, qui n’ont point postérieure-
ment ce prolongement particulier qui mérite le nom de
queue, et qui sont munis, soit partout, soit sur quelque
partie de leur surface, de poils mous, qui les font paraître
velus ou ciliés.
Ces infusoires se composent de tous les leucophres de
Muller et de la plus grande partie de ses trichoda. Je les
distingue de ceux que je nomme kérones , parce qu’ils
n’ont pas, comme ces derniers, des poils longs et cirrheux,
ou des poils raides, rares et corniformes.
Les tricodes et les kérones ainsi déterminées, sont sans
contredit moins avancées en animalisation que les infu-
soires qui sont terminés postérieurement par une queue
particulière ; elles doivent donc se trouver avant eux
dans l’échelle animale.
[ Le genre Tricone établi par Muller et adopté par
M. Bory , qui en distingue les leucophres , se compose,
dans la méthode de M. Ehrenberg, des enchélidiens (ou les
polygastriques entérodélés, énantiotrètes nus), dont
la bouche est terminale et oblique; le corps gläbre, peu
ou point attenué en avant, ne présentant pas de prolon-
gement en forme de tête et de cou, et se reproduisant par
une division spontanée transversale.
Le genre LacrimaronAa de M. Bory-Saint-Vincent, se
place dans la méthode de M. Ehrenberg , à côté des tri-
INFUSOIRES, — TRICODES. fax
codes dont il se distingue par l’existence d’un prolonge-
ment en forme de tête et de cou , que le tube intestinal
traverse sans donner naissance à des appendices cœcales.
Enfin, le genre Leucorans , de Muller , termine la série
des enchélidéens, et diffère de tous les autres ayant
aussi la bouche oblique, par les cils qui sont répandus sur
toute la surface du corps.
C’est dans ce dernier genre que M. Ehrenberg a pu obser.
ver de la manière la plus distincte, la modification par-
ticulière du canal intestinal, qu’il désigne sous le nom de
campylocæla. Ce tube autour duquel naissent tous les
cæœcums stomacaux , se prolonge d’une extrémité du
corps à l’autre ; mais au lieu d’être en ligne droite comme
chez les enchélides , il est disposé en spirale. ( ’oyez le
premier mémoire de M. Ehrenberg, Acad. de Berlin 1830,
pl. 2. fig. 2 et Ann, des Sc. Nat. a° sér. t. 2. Zool. pl. 5.
fig. 14) E,.]
ESPÈCES.
(A.) Corps garni de cils sur toute sa surface.
(Leucophres de Mull.)
1. Tricode conspirateur. Trichoda conftictor.
T. sphœrica, subopaca; interaneis mobilibus.
Mall. Inf. t. 21. f. 1, 2. Encycl. pl. 10. f. 1, 2.
[ Leucophra conflctor. Bory. Op. cit. p. 486. ]
H, dans l’eau des famiers.
2, Tricode mamelle. 7richoda mamilla.
T. sphϾrica, opaca; papilld exsertili.
Mull, Inf, t. 21. f, 3—5. Encycl. pl. 10. f. 3—5.
[ Leucophra mamilla. Bory. Op. cit. p. 486.]
H. dans l’eau des marais.
3. Tricode verdätre. Zrichoda viridescens.
T. cylindracea, opaca, posticè crassior.
Mall. Inf, t. 21. f. 6—8. Encycl. pl. 10. f. 6—8,
412 ANIMAUX APATHIQUES.
[{ Leucophra viridescens. Bory. Op. cit. p. 487.]
H. dans l’eau de mer.
4. Tricode verte. Zrichoda viridis.
T, ovalis, opaca.
Mull. Tof, t. 21. f. g—11, Encyel. pl. 10. £. g—11.
[ Leucophra viridis. Bory. Op. cit. p. 487. ]
H. dans l’eau des rivages.
5. Tricode posthume. Trichoda postuma.
T’. globularis , opaca , nigricans ; reticulo pellucenu.
Mull. Inf. t. 21. f. 13. Encycl. pl. 10. f. 13.
[ Leucophra posthuma. Bory. Op. cit. p. 486. ]
H. dans l’eau de mer corrompue.
6. Tricode dorée. 7richoda aurea.
T. ovals, fulva, uträque extremitate œquali obtusa.
Mall. Inf. t. 21. f. 14. Encycl. pl. 10, f, 14.
[ Leucophra aurea. Bory. Op. cit. p. 486. ]
H. dans l’eau de mer.
7. Tricode percée. Trichoda pertusa.
T. ovalis, gelatinosa, apice truncato obtusa , altero Latere
suffossa.
Mull. Inf.t.21.f. 15, 16. Encycl. pl. 10. f. 15. 16.
[ Leucophra fossulata. Bory. Op, cit. p. 487. |
H. dans l’eau de mer.
8, Tricode disloquée. Trichoda fracta.
T. elongata, sinualo-angulata, subdepressa.
Mull. Inf, t. a1. f, 17, 18. Encycl. pl. 10. f. 17, 18,
[ Leucophra fracta. Bory. Op. cit. p.488. ]
H. dans les fossés inondés.
9. Tricode dilatée. Trichoda dilatata.
T, complanata , mutabilis ; marginibus sinuatis.
Mull. Jof, t. 21. f. 19—21. Encyel. pl. 10. f. 19—21.
[ Leucophra dilatata. Bory. Op. cit. p. 488. ]
H. dans l’eau de mer, Cet animalcule serait un kokpode s’il
n’était cilié.
INFUSOIRES , == TRICODES. 413
10, Tricode étincelante. Trichoda scintillans.
T'. ovalis, teres, opaca, viridis.
Mull. Inf, t. 22. f, 1. Encycl. pl. 10. f. 20,
H. dans les eaux stagnantes. On doute si ce n’est pas une
volvoce. .
11, Tricode vésiculifère. 7richoda wvesiculifera.
T', ovata; interaneis vesicularibus pellucentibus.
Mull. Inf. t. 22. f, 2, 3. Encycl. pl. 10.f. 23, 24.
H. dans les infusions végétales,
12, Tricode globifère. Trichoda globifera.
T.. ovato-oblonga, crystallina; globuls tribus serialibus.
Mall. Inf. t, 22. f. 4. Encycl. pl. 10. f. 25.
[ Leucophra globifera. Bory. Op. cit. p. 486. ]
H. dans les fossés inondés.
13. Tricode pustuleuse. Trichoda pustulata.
T°. ovato-oblonga, posticè oblique truncata.
Mull. Inf, t. 22. f. 5—17. Encycl. pl. 10. f. 26—98.
[ Leucophra pustulata. Bory. Op. cit. p. 486.
H. dans les marais,
14. Tricode turbinée. Trichoda turbinata.
T', inversé conica, subopaca.
Mall. Inf. t. 22. f. 8, 9. Encycl. pl. 11. f, 1, 2.
[ Leucophra turbinata. Bory. Op. cit. p. 485. ]
H. dans l’eau de mer corrompue.
15. Tricode aiguë, Trichoda acuta.
T. ovata, teres, apice acuto, mutabilis, flavicans.
Mall. Inf. t. 22. f, 10—12. Encycl. pl. 11. f, 3—5,
[ Leucophra acuta. Bory. Op. cit. p. 485. |
H. dans l’eau de mer, parmi les ulves.
16. Tricode marquée. Trichoda notata.
T', ovata, teres, anticè puncto atro notata.
Mul!. Inf, t, 22. f. 13—16. Encycl. pl. 11, f, 6—9.
{ Leucophra notata. Bory. Op. cit. p. 487. |
H. dans l’eau de mer.
414 ANIMAUX APATHIQUES.
17. Tricode blanche. Trichoda candida,
T. oblonga, hyalina, alterd extremitate attenuata, curvata,
Mull. Inf. t. 22. f. 19. Encycl. pl. 11.f, 10.
[ Peritricha candida. Bory. Op. cit. p. 615. ]
H. dans les infusions marines.
18. Tricode signalée. Trichoda signata.
T. oblonga, subdepressa ; margine nigricante.
Mull. Iof. 1. 22. f. 18, 19. Encycl. pl. 11. f, 11, 22,
[ Peritricha signata. Bory. Op. cit. p. 616.]
H. dans l’eau de mer, et n’est point rare.
19. Tricode trigone. Trichoda trigona.
T. crassa, obtusa, angulata, flava.
Mull. Inf. t. 22. f, 20, 21. Encycl. pl. 11. f. 22, 23.
[ Leucophra trigona. Bory. Op. cit, p. 487.]
H. dans l’eau des marais.
20. Tricode fluide. Zrichoda fluida.
T. subreniformis, ventricosa, variabilis.
Muil. Zool. dan. 2. t. 73. f. 1 —6. Encycl. pl. 11. f, 24—29,.
[ Leucoy hra fluida. Bory. Op. cit. p.488.
Leucophris fluida? Ehrenb. 2° Mém. p. 106. |
H. dans l’eau de la moule commune.
21. Tricode versante. Trichoda fluxa.
T°. reniformis, sinuosa, flavicans.
Mull. Zool. dan. 2.t.73. f. 79.—10. Encycl. pl, 11.f. 30—33.
[ Leucophra fluxa. Bory. Op. cit. p. 487.]
H. avec le précédent.
22. Tricode cornue. Zrichoda cornuta.
T°. inversè conica, viridis, opaca.
Mall. Inf, t, 22. f. 22—926. Encycl. pl. 11:f. 36—30,.
[ Dicerratella triangularis. Bory. Op. cit. p. 250.
Monosty la cornuta. Ehrenb. 2° Mém. p, 230 (1). ]
H. dans l'eau des marais.
(1) L'organisation des infasoires dont M, Ehrenberg a
INFUSOIRES, — TRICODES. 4x5
(B.) Corps velu sur quelque purtie de sa surface.
(La plupart des trichodes de Muller.)
[ 23, Tricode éthiopienne. Trichoda ethiopica.
T. ovata, oblonga, dorso convexa,'ventre complanuta, posticè
acuta, hyalina.
Hemprick et Ehrenberg. Symb. Phys. phyt. pl. 1. fig, 10.
H. parmi les conferves à Dongala. ]
formé le genre MonosrxzA, s'éloigne beaucoup de celle des
leucophres et des tricodes : ces animalcules ne sont pas
polygastriques , mais sont pourvus d’un canal digestif
simple , ouvert à ses deux extrémités et renflé à sa partie
antérieure en une grande cavité pharyngienne #lobu-
laire. Leur bouche est armée de deux mandibules termi-
nées chacune par une seule dent aiguë; leur corps est
renfermé dans une enveloppe déprimée et oviforme, et
se termine par une queue non divisée, pourvue à son ex-
trémité d’une fossette qui semble remplir la fonction
d’une ventouse; enfin, ils portent antérieurement un
point oculaire et un appareil rotateur composé de plu-
sieurs cercles de cils. Dans la méthode de M. Ehrenberpg,
le genre monostyla prend place dans la classe des rota-
teurs, division des Polytrocha loricata (voyez le volume
suivant).
Le Cercaria hirta( Muller , nf. pl. 19. fig. 17, 18. —
Encyc. pl. 0. fig. 17, 18), que M. Bory Saint-Vincent a
rangé avec le Trichoda cornuta dans son genre Dicerra-
tella diffère beaucoupde ce dernier. Suivant M. Ehrenberpg,
c’est un animalcule polygastrique, enthérodélé, cuirassé.
Dans sa méthode de classification, le genre Cozgps de Nitzsch
renferme tous les infusoires connus qui présentent ces
trois caractères. L’enveloppe des coleps est une espèce de
coque formée par des pièces rangées par files , et dans les
intervalles desquelles on voit des rangées de cils. Æ,
416. ANIMAUX APATIHIQUES.
{[24. Tricode lybienne. Tricoda nasamonum.
T. cylindrica, utrinque rotundata, hyalina , oris rima
elongata. |
Hemp. et Ebrenb, Symb. Phys. phyt, pl. 2. fig. 10.
Etc. ]
25, Tricode grésil. Trichoda grandinella.
T. sphœrica , pellucida, supernè crinita.
Mall. Inf, t. 23.f. 1 —3. Encycl. pl. 12. f, 1—3.
[ Trichodina grandinella. Ehremb. 2e Mém. p. 97.] (1)
H. dans l’eau pure et dans !es infusions végétales.
26. Tricode comète. 7Zrichoda cometa.
T. sphærica, anticè comata; globulo posticè appendente.
Mull. Inf. t. 25. f. 4, 5. Encycl. pl, 12. f. 4, 5.
[ Bory. Op. cit. p. 747. ]
H. dans l’eau très pure.
27. Tricode grenade. Trichoda granata.
T°. sphærica, centro opaco, périphæria crinita.
Mall. Inf. t. 23. f. 6, 9. Encycl. pl. 12. f. G, 7.
| Peritricha granata. Bory. Op. cit. p. 614. |
H, dans les eaux recouvertes par la lenticule.
28. Tricode toupie. Trichoda trochus.
T'. subpiriformis, pellucida, utrinque crinita.
Mull. Inf. t. 23. f. 8, 9. Encycl. pl. 12. f, 8, 9.
| Ophrydia trochus. Bory. Op. cit. p. 583. |
H. dans les marais , avec la lenticule.
29. Tricode tétard. Trichoda gyrinus.
T'. ovalis, teres, crystallina , anticé crinita,
Mull. Inf. t. 23. f. 10—12. Encycl. pl. 12. f, 10—12.
{ Ophrydia gyrinus. Bory. Op. cit. p. 583. |
H. dans l’eau de mer.
(x) Le genre Tricuopina de M. Ehrenberg est une divi-
sion de la famille des vorticelliens comprenant les espèces
dont le corps n’est point pédicellé et qui sont libres. E.
INFUSOIRES. == TRICODES. 417
30. Tricode solaire. Trichoda solarts.
T, sphæroidea , periphærtia crinita.
Mull. Inf, t. 23. f. 16. Encycl. pl, 12. f. 16.
| Peritricha medusa. Bory. Op. cit. p. 6135. ]
H. dans les infusions marines.
31. Tricode bombe. Trichoda bomba.
T'. ventrosa, mutabilis ; anticé pilis sparsis.
Mall. Inf. t. 23. f. 15—20. Encycl. pl. 12. f. 17—20.
[ Bory. Op. ci. p. 747.]
I. dans les eaux des marais.
32. Tricode palette. Trichoda orbis.
T°. suborbicularis, anticè emarginata, crinita,
Mall. Inf. t. 23. f. 21. Encycel. pl. 12. f. 21.
[ Bory. Op. cit. p. 749. ]
H, dans les eaux douces.
33. Tricode urne. 7richoda urnula.
T'. urceolaris, anticé crinita.
Mull, Inf. t. 24. f. 1, 2. Encycl. pl. fa. f. 29, a3,.
[ Bory. Op. cit. p. 749. ]
H. dans l’eau où croît la lenticule.
34. Tricode amphore. Trichoda diota.
T'. urceolaris, anticè angustata, ora apicis utrinque crinita.
Mall. Inf. t, 24.f. 3, 4. Encycl. pl. 12. f. 24,25.
[ Ophry dia lagenulata. Bory. Op. cit. p. 582. |
H. dans l’eau des fossés où croît la lenticule.
35. Tricode hérissée. Trichoda horrida.
T'. subconica, anticè latiuscula, truncata, posticè obtusa, setis
deflexis.
Mull. Inf, t. 24, f. 5. Encycl. pl. 12. f. 26.
H. dans l'eau de la moule.
36. Tricode ürinale. 7richoda urinariunmi.
LE ovato-oblonza , rostro brevissimo crinito.
Mull. Inf. t. 24. f. 6. Encycl. pl. 12. f. 27.
[ Bory. Op. cit. p. 749. ]
H. dans l’infusion du foin.
Tone 1. 27
415 ANIMAUX APATHIQUES.
37. Tricode croissante. Zrichoda semilura.
NI
T', semi-orbicularis, anticè sublus crinita.
Mull, Inf. t, 24. f. 7, 8. Encycl. pl. 12. f. 28. 20.
[ Bory. Op. cit. p. 749]
H. dans l’infusion de la lenticule,
38. Tricode teigne. Trichoda tinea.
T. clavata, anticè crinita, posticè incrassata.
Mull. Inf. t. 24. f. 11, 12. Encvel. pl. 12. f. 32, 33.
[ Bory. Op. cit. p. 748.]
H. dans l’infusion du foin.
39. Tricode noire. Trichoda nigra,
T, ovalis, compressa, anticè latior crinita.
Mull. Inf, t, 24. f. 13—:5. Encycl, pl. 12. f. 34—36.
[ Bory. Op. cit. p. 749.]
H. dans l’eau de mer.
4v. Tricode pubère. Trichoda pübes.
T . ovato-oblonga, gibla, anticé depressa.
Mall. Inf. t. 24. f. 16—18. Lncycl. pl. 12. f, 35. 39.
[ Bory. Op. cit. p. 749.]
H. dans l’eau des marais.
41. Tricode floecon. Trichoda floccus.
T. membranacea, anticè subconica, posticè papillis tribus
crinilis.
Mall. Inf. t. 24. f. 19—21. Encycl. pl. 12. f. 40—/42.
[ Trinellu pacha. Bory. Op. cit. p. 755.]
H. dans l’eau des fossés.
42. Tricode échancrée. 7 richoda sinuata.
T. oblonga, depressa, altero margine sinuato crinita, posticè
obtusa.
Mull. Inf, t. 24. f. 22, Eucycl. pl. 12. f. 43.
43. Tricode hâtive. Trichoda prœceps.
T. membranacea , sublunata , medio protuberante , margine
inferiore crinila,
INFUSOIRES. — TRICODES. 419
Mull. Inf. t. 24. f. 23—25. Encycl. pl, 12. £. 44—4G.
| Oxitricha variabilis. Bory. Op. cit. p. 597. |
H. dans l’eau des marais.
44. Tricode protée. Trichoda proteus.
T. ovalis, posticé obtusa ; collo elongato retractili ; apice
crinuo,
Mall. If. t. 25. f. 1—5. Encycl. pl. 13. f. 1—5,.
[ Phialina proteus. Bory. Op. cit. p. 619. (1)]
H, dans l’eau des rivières.
45. Tricode versatile. Trichoda wersatilis.
T'. oblonga, posticé acuminata ; collo retractili, infrd apicem
crinito.
Mull. Inf. t, 25. f. 6— 10. Encyel. pl. 13. f. G—10.
[| Phialina versatilis. Bory. Op. cit. p. G17.]
H. dans l'eau de mer.
46. Tricode bossue. 7richoda gibba.
T. oblonga, dorso-gibbera , ventre excavata, anticè ciliata ;
extremilatibus obtusis.
Mull. Inf, t. 25. f. 16—20. Encycl. pl, 15. f, 11—15,
[ Oxitricha giblosa. Bory. Op. cit. p. 596. ]
H, dans l'eau des rivages.
(1) Le genre Pnrarina a été établi par M. Bory-Saint-Vin-
cent, pour recevoir les trichodes de Muller et quelques
autres animalcules, qui se reconnaissent facilement par
leur corps glabre et par l'existence d’un faisceau de cils
isolés, et disposé sur un bouton céphalique, qu’un
rétrécissement en forme de cou, rend très sensible. Cette
division a été adoptée par M. Ebhrenberg, qui la place à
côté des bursaires dans la famille des trachélines de la sec-
tion des ailotrètes nus, ordre des entérodélés. Il y rap-
porte les deux espèces suivantes :
1° Le Phialina vermicularis. Ehr. 2° Mém., p. 111 —
Ph. hirudinoïdes. Bory. Op. cit. p.617 — Trichoda
vermicularis. Muller, Inf, pl. 28. fig. 1—4—Encvel,
pi. 14. fig. 27 — 30.
20 Phialira viridis, Ehr, a° Mém, pl, 618. E,
-
420 ANIMAUX APATHIQUES,
47. Tricode enceinte. Trichoda fœta.
T. oblonga, dorso protuberante, anticé ciliata; extremitatibus
obtusis.
Mall, Inf, s. 25. f. 11—15. Encycl. pl. 12. f. 16—20.
[ Bory. Op. cit. p. 748.]
H. dans l’eau de mer.
48. Tricode bâillante. Trichoda patens.
T. teres, elongata, anticè foveala; fove” marginibus eri-
nilis.
Mall. Inf. t. 26. f. 1, 2. Encycl. pl. 13.f. 21, 22.
[ Aondyliostoma limacinia. Bory. Op. cit. p. 478. |
H. dans l’eau de mer. Sa fosselte antérieure serait-elle une
bouche commencée ?
49. Tricode fendue. Trichoda patula.
T. subovata, ventricosa, anticè canaliculata ; apice el cana=
diculo crinito.
Mull. Inf. t. 26. f. 3—5. Encycl. pl. 13. f. 23—25.
[Leucophrys patula.Ehrenb.1*°r Mém. (Acad, de Berlin, 1820)
pl. 2. fig. 2.—2e Mém. p. 105. |
H. dans les infusions marines et dans l’eau de rivière gardée.
Etc.
[ C’est aux dépens des tricodes de Muller, que
M. Ehrenberg a établi plusieurs genres dout les noms ont
déjà été mentionnés daus le tabieau que nous avons donné
de sa méthode.
Le genre Aspinisca de cet auteur comprend les A. poly-
gastriques entérodélés de la section des allotrètes ( ayant
la bouche et l’anus terminaux comme chez les enchéli-
diens, mais se reproduisant par des divisions spontanées,
longitudinales et transversales), qui sont cuirassés. Il y
rapporte le Trichoda lynceus, Muller.
Le genre Oxirnique établi par M. Bory-Saint-Vincent ,
secompose aussi,en majeure partie, de trichodes de Muller,
et se fait distinguer par la forme arrondie du corps, et
l'existence de cils disposés en deux faisceaux distincts ou
sur deux séries. M. Ehrenberg a adopté ce genre et l’a
choisi comme type de la seconde famiile de ses katotrètes
#
INFUSOIRES, — TRICODES. 421
nues ( n’ayaut ui la bouche, ni l’anus terminaux ) caracté-
risée par un corps cilié et soyeux ou armé de styles ou de
crochets. Les oxitriques diffèrent des autres genres com-
posant ce groupe par l’absence de siyles et de crochets ;
leur corps est simplement cilié et soyeux.
1. Oxitrique pellionelle. Oxttricha pellionella.
O: oblongata, angusta, compressa, oblusa, anticè ciliuta, pos=
Licé setosa.
Bory. Op. cit. p. 595.
Ehrenb. 2° Mém. p. 118.
Trichoda pelionella. Muller. Inf. pl. 31. fig. 21. Encycl,
pl. 16. fig. 31.
2, Oxitrique lièvre. Oxitricha lepus.
O. ovata, compressiuscula, antice ciliuta, posticé setosa, pel-
lucida.
Bory. Op. cit. p. 594.
Ebrenberg. 2° Mém: p. 115.
Kerona lepus. Muller. Inf. pl. 34. fig, 5—8. Encycl pl. 18.
fig. 17—20.
Etc.
Le genre Acrivopurys de M. Ehrenberg renferme cer-
taiues Tricodes de Muller, dont le corps est garni d’appen-
dices droites , raides et très longues, qui , n’exécutant pas
de mouvements vibratiles , sont désignées par cet auteur
sous le nom de soies.
Ce petit groupe se place dans la famille des enchélidiens
et a pour caractère: bouche terminale droite, corps
subglobuleux et garni de soies.
Esp. 1° Actinophrys sol. Ehrenb.'2° Mém. p. 102 et
17 Mém., Acad. de Berlin 1830. pl. 2. fig. 4. Tri-
choda sol, Muller, Inf. pl. 23. fig. 13—15.—Encycl.
pl. 12. fig. 13—15. Peritricha sol, Bory Op. cit.
p. 614.
2° Actinophrys difformis. Ehr. 2° Mém. p. 102.
Le genre Tricxoniscus du même auteur diffère du pré-
422 ANIMAUX APATHIQUES.
eédent par la forme du corps qui ressemble à un disque ;
mais, qui, du reste est également pourvu de soies.
Esp. Trichodiscus sol, Ehr. 2° Mém. p. 103.
Le genre Horopmrya de M. Ehrenberg renferme aussi
des leucophres de Muller, et se compose des enchélidéens
dont la bouche est terminale et droite comme dans le
geure enchélide, etc., et dont le corps est garni de cils vi-
bratiles.
Esp. Æolophrya ovurm. Ehr. 2° Mém. p. 102.
Holophrya coleps. Ehr. loc .cit.
Holophrya ambigua. Ehr. Loc. cit. Trichoda armbi-
gua. Muller, pl. 27. fig. 11— 16. Encycl. pl. 15.
fig. 1—5. Oxitricha ambigua. Bory, Op. cit. p.506.
M. Ebrenberg range aussi quelques espèces de trichodes
de Muller dans son genre Urozerrus , division de l’ordre
des katotrètes nus, famille des kolpodées, dans laquelle
il n’existe pas de trompe comme chez les kolpodes ; le front
est obtus et le corps se termine par une queue rétrécie. Ce
naturaliste y place,
1° Le Trichoda musculus, Muller.— Encycl. pl. 15.
fig. 28-30.
2° Le Trichoda piscis, Muller, pl. 31. fig. 1-4. —
Encycl. pl. 16. f. 2-5.—Bory. Op. cit. p. 748,
etc.
Enfin , les OpnrxoGLEena, que M. Ehrenberg range à
côté du genre uroleptus, dans la famillie des kolpodées,
ressemblent un peu aux leucophres par la forme générale et
par les cils dont toute la surface du corps est recouverte;
mais la bouche, au lien d’être terminale, est inférieure
comme l’anus. Le caractère le plus saillant par lequel ces
infusoires se distinguent des autres kolpodées, est l’exis-
tence d’un point oculiforme vers la partie antérieure de
leur corps.
Esp. Ophryoglina flavicans. Ehr. 2° Mém., p. 117.
pl. 2. fig. o.
INFUSOIRES, — KÉRONES. 423
KÉRONE. (Kerona.)
Corps très petit, diversiforme, sans queue particu-
lière, garni de cirrhes rares, ou de poils raides et corni-
formes sur quelque partie de sa surface.
Corpus minimum , diversiforme, ecaudatum, quädam
superficiei parte cirrhatum aut aculeis corniformibus
munilum.
Osservarions. Les kérones dont il s’agit ici se compo-
sent des kérones de Muller , et de ses himantopes : les uns
et les autres de ces infusoires ont entre eux les plus grands
rapports, et ue diffèrent que parce que dans les kérones
de Muller, le corps est muni de poils raides, qui semblent
des espèces de piquants corniformes; tandis que dans ses
himantopes , les cirrhes sont des poils longs, rares et flexi-
bles. Ces infusoires pourraient , sans inconvénient, être
réunis aux tricodes, d'autant plus que parmi les tricodes
mêmes de Muller, plusieurs essèces ont des poils, soit cor-
niformes, soit cirrheux.
Cependant, comme Îles tricodes réduites au caractère
plus précis que nous leur assignons, sont encore malgré
cela très nombreuses, on peut en distinguer sous la déno-
mination de kérones, toutes les espèces qui offrent des
poils en piquants corniformes , ou des filets écartés, longs,
flexibles et cirrheux.
[ D’après les observations de M. Ehrenberp, il parai-
trait que chez les kérones les cœcums stomacaux sont
groupés autour d’un intestin, ayant deux ouvertures
distinctes, mais situées, ni l’une, ni l’autre à l’extrémité
du corps. Leur reproduction s’effectue à l’aide de divi-
sions spontanées , longitudinales et transversales. Enfin ,
leur corps cilié et garni de soies présente encore à sa face
4
424 ANIMAUX APATHIQUES.
ventrale des crochets, qui semblent tenir lieu de pieds.
L'existence de ces appendices et l’abseuce de styles distin-
gue le genre kérone , tel que M. Ehrenberg le circonscrit,
des autres infusoires de la famille des oxytrichéens , dans
laquelle il prend place. E.]
ESPÈCES.
1. Kérone rateau, ÆX'erona rastellum.
K. orbicularis | membranacea ; hinc angulata , altera pagina
serie triplici corniculate.
Mull. Inf. t. 33.f. 1, 2. Encycl. pl. 19. f, 1, 2.
| Tribulina rastellum. Bory. Op. cit. p. 527.]
H. dans l’eau de rivière et dans celle de mer.
3. Kérone carrée. Kerona lyncaster.
K. subquadrata, rostro obtuso, disco corniculis micantibus.
Mull. Zool. dan. 2. t. 9. f. 3. Encycl. pl. 17. f. 3 à 6.
[ Bory. Op. cit. p. 470. |
Se trouve daus l’eau de mer long-temps gardée.
3, Kérone masquée. Kerona histrio.
KE. ovato-oblonga , anticè corniculis nigris punctiformibus ,
posticè pinnulis longitudinalibus instructa.
Mull, Inf. t. 33. f. 3, 4. Encycl. pl. 19.f. 7, 8.
[ Stylonichia histrio. Ehrenb, 2? Mém. p. 120. (1)]
Se trouve dans les rivières parmi les conferves.
(1) Le genre SryzLonyeniA de M. Ehrenb. diffère du genre
kéroue et des autres oxytrichéens par l'existence simul-
tanée de crochets et de styles; ces derniers appendices
sont placés à la partie postérieure du corps et forment des
cônes larges à leur base, déliés à leur sommet et incapables
d’exécuter des mouvements de rotation, mais cependant
bien mobiles ; on voit souvent l’animal s'appuyer sur ses
styles, et il semble s’en servir comme d’une organe de tact.
INFUSOIRES. —— KÉRONES. 425
4. Kérone cypris. Xerona cypris.
K. obversè ovata, anticé crinita, corniculis mucronata, posticé
crinita, altero margine sinuata.
Mull. Inf. t. 33. f. 5, 6. Encycl. pl. 19. f. 7, 8
[ Bory. Op. cit. p. 471. |
H. dans les eaux douces, parmi la lenticule,
5. Kéronesébile. Kerona haustrum.
K. orbicularis , medio corniculata , anticèé membranacea cri-
nila, posticé selosa.
Mull, Inf. t. 33. f. 79—11, Encycl. pl. 19. f. 11—15.
[ Bory. Op. cit. p. 472. |
H. dans l’eau de mer.
6. Kérone soucoupe. Kerona haustellum.
Æ.orbicularis, medio corniculata, anticè membranacea, ciliata,
posticè mutica,
Mall. Inf. 1. 53. f. 12, 13. Encycl. pL. 197. f. 16, 17.
[ Bory. Op. cit. p. 472. ]
H. dans les eaux douces, parmi la lenticule.
7. Kérone patelle. Xerona patella.
K. univalvis, suborbiculata, anticé emarginata corniculata ,
posticè setis flexilibus pendulis.
Muli. Inf.t. 33. f. 14—18. Encycl. pl. 18. f. 1—5.
| Euplotes patella. Ehrenb. 2e Mém. p. 118 (x).|
H, dans l’eau des marais.
M. Ehrenberg rapporte à ce genre l’espèce citée ci-dessus
et le kerona mylitus, Muller.
Le genre Urosryza du même auteur se fait aussi remar-
quer par l’existence de styles à la partie postérieure du
corps ; il prend place à côté du précédent dans la famille
des oxytrichéens, uiais ne présente point de crochets.
M. Ehrenberg n’en décrit qu’une seule espèce qu’ilnomme
U. grandis. (Ehrenb. 2° Mém., p. 119.)
Gi) Le genre Eurrores de M. Ehrenberg comprend les
infusoires, qui avec l’organisation générale des kérones
426 ANIMAUX APATHIQUES.
8. Kérone crible. Kerona vannus.
K. ovalis, subdepressa; margine altero flexo, opposio ciliato;
corniculis anticis setisque posticis.
Mall. Inf. t. 33. f. 19, 20. Encycl. pl. 18. f. 6, 7.
H. dans l’eau de mer.
Etc.
CERCAIRE. ( Cercaria.)
Corps très petit, transparent, diversiforme, muni
d’une queue particulière très simple.
Corpus minimum, pellucidum , diversiforme ; cauda
speciali simplicissimd.
ont le dos écussoné, mais n’ont pas de tête distincte ; on
leur voit des cils, des soies, des styles et des crochets.
M. Ehrenberg rapporte aussi à ce genre le Trichoda Cha-
ron de Muller, Inf. pl. 32. fig. 12—920. Encycl. pl. 117. fig.
6 — 14, que M. Bory-Saint-Vincent range dans son genre
Plæsconia. ( Encycl. p. 629. )
Le genre DiscocernaLus (Ehrenberg) se distigue du pré-
cédent en ce que la tête est separée du dos par un rétrécis-
sement. M. Ehrenberg ne mentionne qu’une seule espèce
qu’il a observée dans la Mer Rouge et qu’il nomme Dis-
cocephalus rotatorius ( Himp. et Ehrenb., Symb. phys.
phytoz., pl. 3. fig. 8.) C’est un petit animal hyalin,
oblong et un peu comprimé, dont la tête est plus étroite
que le corps, et dont la face ventrale est garnie de quatre
paires de cils. Par la forme générale de son corps, on
pourrait le prendre pour quelque jeune animal de la fa-
mille des caliges. Et pour lui assigner une place définitive
dans la série zoologique, peut-être faudra-t-il l’étudier
d’une manière plus aprofondie que les savants voyageurs
à qui on en doit la découverte ne paraissent l’avoir fait.
122
INFUSOIRES, — CERCAIRES. 427
Osservarions. Quoique les cercaires soient en général
dépourvues de poils ou de cils, et qu’elles semblent venir
naturellement après les bursaires, elles sont plus avancées
en animalisation que les tricodes, et leur queue particu-
lière les rapproche évidemment des furcocerques , des
tricocerques, des ratules et des vaginicoles. Mais les vraies
cercaires n’ont point de bouche , non plus que les furco-
cerques : ce sont donc les derniers genres des infusoires.
Les cercaires sont des infusoires très petits, microsco-
piques, gélatineux, transparents, qui vivent la plupart
dans les eaux des marais et dans les eaux courantes. Quel-
ques espèces néanmoins se trouvent dans les infusions
animales et végétales, et d’autres dans l’eau de mer. La
plupart ont un mouvement circulaire très rapide.
ci, comme dans le genre suivant, l’on est exposé, d’a-
près la petitesse extrême des individus, à rapporter à la
classe des infusoires, des animaux qui, par leur organisa-
tion, appartiennent à d’autres points de l’échelle animale.
Une bouche, quoique d’abord inaperçue et conséquem-
ment l’ébauche d’un sac alimentaire, peut exister dans
certains de ces animaux, et dès lors ils appartiennent au
premier ordre des polypes ; mais des yeux, comme on en
a supposé dans certaines cercaires, cela est impossible.
Avant de dire que le fait lui-même vaut mieux que le
raisonnement, il faut : r° constater que les points que l’on
a pris pour des yeux, en sont réellement, et qu’ils ont
chacun un nerf optique qui se rend à une masse médul-
laire , centre de rapport pour des sensations ; 2° il faut
ensuite établir positivement que des animalcules réelle-
ment pourvus d’yeux, sont néanmoins, par leur organisa-
tion, de la même classe que les autres infusoires.
[ Les recherches de MM. Nitzsch, Baer et Ehrenberg,
montrent que les animalcules réunis par Muller sous le
nom de cercaires, présentent entre eux les différences les
plus grandes : les uns sont des polygastriques, d’autres des
rotateurs, d’autres encore des planaires , et plusieurs ont,
avec les fascioles ou ditomes, l’analogie la plus grande. On
voit chez ceux-ci à la face ventrale , deux ventouses dont
48 ANIMAUX APATIHIQUES..
une antérieure ct l’autre placée vers le milieu du corps,
un canal qui, d’abord unique, se divise bientôt en deux
branches , comme le canal intestinal des ditomes, des or-
gaues qui paraissent être des ovaires et même des vais-
seaux. En traitant des vers nous aurons l’occasion de re-
venir surces singuliers animaux qui, dans une classification
naturelle, ne peuvent certainement rester à la place que
Lamarck et la plupart des zoologistes de son époque leur
assigpait. Il nous parait probable qu’on a aussi confondu
sous cette dénomination les jeunes ascidies composées,
lorsqu'elles sont sous leur première forme. ]
ESPÈCES.
1. Cercaire têtard. Cercaria gyrinus.
C. rotundata; caudd acuminat«.
Mull. Inf. t. 18. f. 1. Encycl. pl. 8.f. 1.
[ Bory. Op. cit. p. 190. |
H, dans les infusions animales.
2. Cercaire bossue Cercaria gibba.
C. subovata, convexa, anticè subacuta ; caudé terctr.
Mull. Inf, t. 18. f. 2. Encycl. pl. 8. f. 2.
[ Bory. Op. cit. p. 190.]
H. dans l’infusion des jungermanes.
3. Cercaire agitée. Cercaria inquieta.
C. mutabilis, convexa ; caudé lævi.
Mall. Inf. t. 18. f. 3—17. Encycl. pl. 8. [. 3—5.
[ Listrionelia inquieta. Bory. Op. cit. p. 457 (1) |.
H. dans l’eau de mer. Quoique sans organes intérieurs, elle a,
dit-on, des yeux et une bouche. Si cela est, ce n’est point
un infusoire.
———_—
(1) Le genre HisrmoweLze établi par M. Bory-Saint-Vin-
cent comprend dans la méthode de ce savant, les cercarices
dont le corps est ovale, oblong, contractile , polymorphe,
TE 4% - À
aminct antérieurement , avec des rudiments d'yeux ou
fNFUSOIRES. — CRRCAIRES. 429
4. Cercaire lenticule. Cercaria lemna.
C. mutabilis, subdepressu; caudé annulati.
Mull. Inf, t. 18. f. 8.—12. Encycl. pl. 8. f. 8—12.
[ Histrionella annulicauda. Bory. Op. cit. p. 453.]
H. dans les marais. On lui croit aussi une bouche et des yeux.
5. Cercaire toupie. Cercaria turbo.
C. globulosa, medio coarctata: caudi unisetd.
Mail. Inf. t. 18. f. 1316. Encycl. pl. 8. f, 13—16.
[ Turbinella. Bory. Op. cit. p. 560.
| Urocentrum turbo. Ehrenb. 2° Mém. p. 66 (1).]
H. dans les ruisseaax. On lui soupconne encore des yeux.
6. Cercaire pleuronecte. Cercaria pleuronectes.
C. orbicularis, membranacea; caud& uniset&.
Mull. Inf. t. 19. f. 19—21. Encycel. pl. 10: f. 1—3.
[ V’irgulina pleuronectes. Bory. Op. cit. p. 781. (2)
d’organe buccal, et la queue implantée à la partie la plus
obtuse du corps. La plupart de ces animalcules, si non
tous, paraissent avoir trois yeux, deux veutouses ventrales,
un tube digestif bifurqué; en un mot tous les caractères
organiques les plus importants des ditomes. (Ÿ’oyez Hem-
prich et Ehrenb., Symb. physicæ, phytozoea. )
(1) Le genre Urocenrrum établi par Nitzch, renferme,
dans la méthode de M. Ehrenberg, les monadines munies
d’une queue et ayant le corps anguleux.
Le genre Boo de ce dernier naturaliste ( Ehrenb.,
2° Mém., p. 65) est très voisin du précédert, dont il ne
diffère que par la forme du corps, qui est arrondi ou
alongé.
(2) M. Bory-Saint-Vincent a établi le genre Viraurina
pour recevoir les cercaires de Muller, dont le corps est
obrond, membraneux, aminci par sa partie postérieure en
une très petite queue fléchie eu virgule sur j’un des côtés
de lP’animal, qui Ini-même est très comprimé.
L
430 ANIMAUX APATHIQUES.
[ Euglena pleuronectes. Ehrenb. 1e Mém. Acad, de Berlin,
1830. pl. 6. fig. 5 (1). ] |
H. dans l’eau long-temps gardée.
A
(1) Le genre Euexewa de M. Ehrenberg se compose des
A. polygastriques, qui se rapprochent des monadines par
l'absence d’un tube intestinal, d’une enveloppe de cils ré-
pandus sur la surface du corps, et de prolongements pseu-
dopédiformes variables, qui ont le corps alongé comme les
vibrioniens ; mais qui deviennent polymorphes par la
contraction de certaines parties, et se reproduisent par des
divisions longitudinales ou obliques ; enfin, qui se distin-
guent des autres infusoires que présentent cette série de
caractères , et qui constituent la famille des astasiens par
l'existence d’un seul œil et d’un prolongement caudal.
M. Ehrenberg y range l’espèce indiquée ci - dessus ,
plus :
Le Circaria viridis, Muller, Furcocerca viridis, Lamk.
L’Enchelys sanguinea. Nées et Goldfuss.
Le Fibrio acus, Muller. t. 8. fig. 9, 10. Encycl. loc.
cit. pl. 4. fig. 8. Lacrimatoria acus. Bory. Encycl.
p- 479. Euglena acus. Ehrenb. M.Mém. pl. 1 fig.3.
L’Euglena sanguinea, Ehrenb. Loc. cit. pl. x. fig. 4.
L’'Euglena pyreim, Ehrenb. Loc. cit. pl. 1. fig. 5.
L'Euglena longicauda. Ehrenb. Loc. cit. pl. 1. fig. 6.
Le genre Ameryormis du mème auteur ne diffère du pré-
cédent que par l’absence d’un prolongement caudal ; le
corps des amblyophis est aplati, arrondi postérieurement;
leur bouche est terminale et ciliée, et leur œil unique
rouge et très gros. M. Ehrenberg n’y rapporte qu’une
seule espèce.
L’'Amblyophis viridis. Ehrenb. 2° Mém. p. 72. pl. 2.
fig. 9.
Le genre Disriema, Ehrenberg, dont il a déja été ques-
tion se distingue de, deux précédents par l'existence de
deux points oculiformes, Enfin, le genre AsrasiA de
INFUSOIRES. — CERCAIRES. 431
7. Cercaire trépied. Cercaria tripos.
C. subtriangularis, brachiüs deflexis, caudé reel.
Mall. Inf, t. 19. f. 22: Encyci. pl. 10. f. 4.
[ Tripos Hulleri. Bory. Op. cit. p. 753.]
H. dans l’eau de mer.
8. Cercaire tenace, Cercaria tenax.
C, membranacca , anticè crassiuscula truncata ; caudé triplo
breviore.
Mall. Tof. t. 20. f. 1. Encycl. pl. 10. f. 5.
[ Virgulina pirenula, Bory. Op. cit. p. 781.]
Se trouve dans l’infusion du tartre des dents.
9. Cercaire cyclide. Cercaria cyclidium.
C. ovalis, posticè subemarginata ; caudd' exsertili.
Mull. Inf. t. 20. f, 2. Encycl.pl. 10. f. 6.
| Virgulina brevicauda. Bory. Op. cit. p. 781. |
H. dans les eaux les plus pures.
10, Cercaire disque. Cercaria discus.
C. orbicularis ; caudé curvat«,
Mall. Inf. t. 20. f. 3. Encycl. pl. 10. f. 9.
[ V’irgulina discus. Bory. Op. cit. p. 781.]
H. dans les eaux des marais.
11. Cercaire lunaire. Cercaria lunaris.
C. arcuata, teres, apice crinila; caudé& cirratd inflex&.
Trichoda.Mull. Inf. t. 29. f, 1—3. Encycl. pl. 15. f, 11—13.
[ Rastulus lunaris. Bory. Op. cit. p. 667.
Ebrenb. 2e Mém. p. 139 (1). ]
H. dans les eaux où croît la lenticule.
M. Ehrenberg comprend les astasiens qui ne présentent
pas de vestiges d’yeux. Ce naturaliste décrit plusieurs es-
pèces nouvelles d’astasies, et pense qu’il faudra peut-être
rapporter à cette divison le Paramæcium oceanicum de
Chamisso et Eysenhardt.
(1) Le genre Rasruzus, établi par Lamarck et adopté par
MM. Bory et Ehrenberg, appartient à la classe des rota-
432 ANIMAUX APATHIQUES.
[ C’est à côté des cercaires, que Ja plupart des zoolo-
gistes rangent des êtres extrêmement singuliers qui pa-
raissent jouer, dans la fécondation, le rôle principal, et
qui sont désignés sous les noms d’animalcules spermati-
ques ou de Zoosrermes. Les mouvements vifs et variés
que ces êtres exécutent ne peuvent guère laisser de doute
sur leur nature animale, et les expériences de Spallanzani,
mais sur-tout ceux de MM. Prevost et Dumas tendent à
prouver que c’est à leur présence dan: la liqueur sperma-
tique que cette humeur doit ses propriétés fécondantes.
Ces animalcules manquent dans les humeurs qui se trou-
vent dans les testicules des très jeunes animaux et de ceux
qui sont devenus impotents par l’âge ; mais on a constaté
leur existence chez les mâles adultes d’un nombre extré-
mement considérable d'animaux, non-seulement parmi les
vertébrés, mais aussi parmi les mollusques et les insectes.
Leurs dimensions varient beaucoup suivant les espèces; ou
leur distingue toujours une extrémité antérieure renflée
(tantôt circulaire, tantôt ovalaire), et une espèce de queue
plus ou moins filiforme et souvent extrêmement longue;
mais on nesaitrien surleurorganisatien intérieure.—Voyez
Nouvelle Théorie de la Génération par MM. Prevost et
Dumas; Annales des Sciences Naturelles, 1. 1; l’article
Zoosperme de l'Encyclopédie méthodique, ist. nat. des
Zoophytes et du Dictionnaire classique d’'Hist. nat. par
M. Bory-Saint-Vincent, etc. E.]
FURCOCERQUE. { lurcocerca. )
Corps très pelit, transparent , rarement cilié, mani
d’une queue diphylle ou bicuspidée.
teurs, qui correspond à peu près à l’ordre des polvpes
ciliés de Lamarck. ( #’oyez le volume suivant. )
‘
INFUSOIRES, — FURCOCÉRQUES. 433
Corpus minimum, pellucidum , rarû ciliatum ; caudä
diphy llà vel furcata.
Orservarions. On est ici su la limite de la classe des
infusoires , et conséquemment plus exposé à se tromper
sur la non existence de la bouche, que dans les genres
précédents. Cependant il ne me paraît pas douteux qu’il
y ait des infusoires à queue diphylle ou fourchue, qui
n’aient point encore de véritable bouche, et que le genre
Jurcocerque ne doive être établi pour eux. Des observa-
tions ultérieures décideront à l’égard des espèces qui sont
dans ce cas, et feront reporter les autres parmi les trico-
cerques.
Ainsi les furcocerques, qui ne sont qu’un démembre-
ment du genre cercaria de Muller, me paraissent devoir
en être distinguées sous plusieurs considérations, et ter-
miner la classe des infusoires ou astomes. Les espèces que
j'y rapporte provisoirement sont les suivantes.
[ La plupart des animalcules rangés par Lamarck
dans son genre furcocerque , ont une organisation très
différente de celle de la plupart des infusoires dont il
vient d’être question ; au lieu d’avoir une multitude de
petites poches gastriques , ils ont un estomac simple, et
un canal intestinal analogue à celui des animaux articulés.
Aussi, M. Ehrenberg les place-t-il dans la classe des rota-
teurs dont nous aurons l’occasion d’exposer les caractères
et la classification dans le volume suivant. ]
ESPÈCES.
1. Furcocerque podure. Furcocerca podura.
F, cylindracea , postice acuminata | caudd subfissd.
Mull. Inf, t, 19, f. 1—5. Encycl. pl. 9. f. 1. 5.
[{ Bory. Op. cit. p. 424. |
{ Zchthy dium podura. Ehrenb. 2° Mém. p. 122 (1). |
(1) Le genre Icaruypium de M. Ehrenberg appartient à
Tone 1, 28
434 ANIMAUX APATHIQUES.
H. dans les marais où croit la lenticule. Probablement là |
queue ne paraît simple que lorsque ses branches sont réu-
nies.
>. Furcocerque verte. Furcocerca wiridis.
F. cylindracea, mutabilis, posticé acuminata y fissa.
Mall. Inf. t. 19. f. 6—13. Encycl. pl. 9.f. 6—13.
| Raphanella urbica. Bory. Op. cit. p. 665. ]
[ Euglena viridis. Ehrenb. 1°° Mém. (Acad. de Berlin, 1830.
pl. 6. fig. 3.)]
H. dans les eaux stagnantes des fossés.
3. Furcocerque bourse. Furcocerca crumena.
F. cylindraceo-ventricosé, anticè obliqué truncata ; caudi
lineari-bicuspidatd. j
Mall. Inf. t. 20. f. 4— 6. Encycl. pl. 9. f. 19—1.
[ Leiodina crumena. Bory. Op. cit. p. 484.— Morren. An-
.… males des sciences naturelles. t.21. p.121. pl. 3. fig. 1 (1).]
H. dans l’infusion de l’alve linze.
4. Furcocerque catelle. Furcocerca catellus.
F, tripartita ; caudä bisetd.
Mall. Inf. t. 20. f. 10, 11. Encycl. pl. Q.f. 22, 23.
{ Cephalodella catellus. Bory. Op. cit. p. 527.]
H. dans l’eau des marais.
». Furcocerque catelline. Furcocerca catellina.
F. tripartita ; caudé bicuspidatà.
Mull. Inf. t. t. 20. f. 12, 13. Encycl. pl. 9. f. 24, à5.
la classe des rotateurs. Ces animalcules ont un caual di-
gestif droit et simple; leur pharynx est très alongé; ils
sont dépourvus de mandibules ; leur corps est oblong ,
uni et glabre ; ils ont une queue bifurquée très courte ;
eufiu, ils ont autour de la bouche un cercle complet et
unique de cils.
(x) Cet animalcule appartient probablement à la classe
des rotateurs. ( Voyez le volume suivant, notes du genre
tricocerque. )
INFUSOIRES. — FURCOCERQUES. 435
[ Cephalodella catellina. Bory. Op. cit. p. 527. ]
[ Diglena catellina. Ebrenb. 2° Mém. p. 137.(1)]
H. dans l’eau des fossés où croît la lenticule.
6. Furcocerque loup. Furcocerca lupus.
F. cylindnica , elongata, torosa ; cauda spinis duabus.
Mall. Inf, t. 20. f. 14—17. Encycl. pl, 9. f. 26— 29.
[ Cephalodella lupus. Bory. Op. cit. p. 527.]
[ Crcloglena lupus. Ehrenb. 2e Mém. p. 141 (2).]
H, dans les eaux stagnantes.
7. Furcocerque orbiculaire. Furcocerca orbis.
F. orbicularis; setà caudali, duplici, longissimd.
Mall. Inf. t. 20. f. 7. Encycl. pl. 10. f. 8.
[ Trichocerca orbis. Bory. Op. cit .p. 946. |
H. dans les eaux stagnantes.
(1) Le genre Diezena de M. Ehrenberg appartient à la
classe des rotateurs. Le pharynx de ces jufusoires est vo-
lumineux et armé antérieurement de deux mandibules
simples à une seule deut ; à cette cavité succède un canal
étroit qui bientôt se dilate et paraît avoir dans son inté-
rieur unestructure glandulaire; six prolongements cϾcales
naissent de cette portion élargie de l’intestin, mais ne
reçoivent pas directement les’aliments dans leur intérieur,
comme chez les infusoires polygastriques , et sont pro-
bablement des organes secréteurs; enfin , la portion pos-
térieure du canal digestif se rétrécit de nouveau. ( J’oyez
Ehrenb., 2° Mém. pl. 3. fig. 10, et Annales des Sciences
Naturelles, 2° série Zool. t. 1, pl. 12, fig. 6.) Le corps est
nu , terminé postérieurement par une queue bifurquée et
pourvue antérieurement de plusieurs petits organes rota-
teurs disposés en cercle ; enfin ces animalcules présentent
sur le front deux points oculiformes.
(2) Le genre Cycroccena de M. Ehrenberg appartient à
la même famille que le genre Diglina, mais présente plu
sieurs yeux disposés en un cercle sur le cou ; la queue est
bifurquée. E.
436 ANIMAUX APATHIQUES.
8. Furcocerque lune. Furcocerca luna.
F. orbicularis ; caudé spinis binis, linaribus, brevibus.
Mull. Inf, t. 20. f. 8, 9. Encycl. pl. 10. f. 9, 10.
[ Trichocerca luna. Bory. Op. cit. p. 746.]
[ Euchlanis luna. Ehrenb. 2° Mém. p. 131 (1). |
H. dans les eaux stagnantes.
Voilà, quant à présent, où se réduisent nos princi-
pales connaissances sur les infusoires , lesquelles se bor-
nent au caractère classique que je leur assigne, ce que
Von a pu savoir de plus essentiel à leur égard, et les
genres les plus convenables qu’il a été possible d’éta-
blir parmi eux.
Muller, qui a tant contr'bue à faire connaître ces
singuliers animaux, n’a consiuéré en général que leur
extrême petitesse pour circonscrire la coupe particu-
lière qu’ils paraissent former dans l’échelle animale : il
y réunissait en conséquence ceux qui ont antérieure-
ment un ou deux organes rotatoires, tels que les ur-
céolaires et les vorticelles.
Je pense, au contraire, que partout, dans le règne
animal , les rapports et les coupes classiques ne doivent
être déterminés que d’après l’état de l’organisation , et
non d’après la taille des individus; et si, par le place-
ment de ma ligne de séparation classique , je sépare les
(+) Le genre Euancanis , Ehrenberg , appartient égale-
ment à la classe des rotateurs ; la disposition des organes
rotateurs rapproche ces animalcules des Ratules , des
Diglènes, etc., mais ils ont le corps cuirassé ; leur queue
est bifurquée et très longue, leur cuirasse deprimée et uni-
enfin ils ont un seul point oculiforme, E.
forme ;
INFUSOIRES. 437
rotifères des infusoires, je m'y crois autorisé en ce que
les rotifères ne sont pas essentiellement des infusoires,
qu'aucune ne résulte de génération spontanée, que
dans toutes, la bouche et le tube alimentaire sont
clairement reconnus, etqu’enfin la bouche desrotifères,
comme celle des pol/ypes , est constamment munie d’or-
ganes extérieurs propres à amener dans cette bouche les
corpuscules qui peuvent servir à la nutrition de ces
animaux; ce qui n’en est pas ainsi dans lesinfusoires (1).
Si j'ai pu trouver des motifs raisonnables pour rap-
procher les rotifères des polypes, tandis que Muller en
a cru trouver pour les comprendre parmi les infusoires,
il résulte de cette différence de classification, où néan-
moins les rangs reconnus ne sont nullement changés,
que les rotifères font évidemment le passage des infu-
soires aux polypes, et que les derniers infusoires tien-
nent de très près aux rotifères, comme les derniers
rotifères tiennent de très près aux autres polypes.
Les infusoires, mème les plus imparfaits, sont donc
tous véritablement des animaux , puisque de proche en
proche ils sont liés les uns aux autres par des rapports
évidents ,et qu'ils conduisent , sans lacune, aux polypes
qui sont bien reconnus pour appartenir au règneanimal.
(1) Les observations récentes de M. Ehrenberg confirment
pleinement l’opinion de Lamarck, relativement à la néces-
sité de ne pius confondre dans une même classe tous les
=
infusoires de Muller (7/07. p. 337). E.
FIN DU TOME PREMIER.
433 TABLE
MATIÈRES CONTENUES DAYS CE VOLUME.
CR D —
AventissEMENT sur celte nouvelle édition. v
AvenrTisseMENT de Lamarck. é
INTRODUCTION. Li
PRemiÈèRE pArTtE. Des caractères essentiels des animaux , com-
parés à ceux des autres corps de notre globe. 33 .
Chap. X. Des corps inorganiques , soit solides ou concrets,
soit fluides, en qui le phénomène de la vie ne saurait se re-
produire , et des caractères essentiels de ces corps. 36!
Cnar. II. Des corps vivants et de leurs caractères essentiels. 47
Car. III. Des caractères essentiels des végétaux. 73
Cnar. IV. Des animaux en général, et de leurs caractères es-
sentiels. 95
Deuxième partie. De l'existence d’une progression dans Ja
composition de l’organisation des animaux, ainsi que dans
le nombre et l’éminence des facultés qu’ils en obtiennent. 109
Tuoisième partie. Des moyens employés par la nature pour -
instituer la vie animale dans un corps; composer ensuite pro-
gressivement l'organisation dans différents animaux et éta-
DES MATIÈRES. 439
blir en eux divers organes particuliers qui leur donnent des
facultés en rapport avec ces organes. 138
QuATRIÈME PARTIE. Des facultés observées dans les animaux,
et toutes considérées comme des phénomènes uniquement
organiques. 199
Cinquième PARTIE. Des penchants, soit des animaux sensibles
. 2
soit de l’homme même, considérés dans leur source, et comme
phénomène de l’organisation. 214
4 AI .
Sixième PARTIE, De la nature, ou de la puissance en quelque
sorte mécanique, qui a donné l’existence aux animaux et qui
les a fait nécessairement ce qu’ils sont. 251
SepTIÈME PARTIE. De la distribution générale des animaux,
de ses divisions et des principes sur lesquels ces objets doi-
vent être fondés. 281
SurpLÉMENT à la distribution générale des animaux, concernant
l’ordre réel de formation relatif à ces êtres. 314
HISTOIRE NATURELLE DES ANIMAUX SANS
VERTÈBRES. 397
PREMIÈRE PARTIE.
ANIMAUX APATHIQUES. 333
CLasse PREMIÈRE. Infusoires. 337
Ordre premier. nfasoires nus. 369
Première section.
G. Monade. 374
G. Volvoce. 380
G. Protee. 382
G. Enchélide. 386
G. Vibrion. 394
Seconde section.
G, Gone. 395
G. Cyclide. 396
À sc “brichode.
a+ ñ (ea Kerone,
PU or € Cercaire.
Er n - - G. Furcocerque.
CR * Ag
* Ps
4, vs La à
# y 4 ù _” æ
F j
0 k
"Ar
“ * . :
% à! L *
+ v
“ pe Lé +
‘ 3 a n ” D
« a. : 18
nid te 24
à À C4
’ LEX
ñ ‘y 5 |
&
"A LA
ve :
PA L
M 2,7
Le
"ur »
., .
. LENS Û
L - sa e
L)
D £
d
‘ * #7
4 (NE.
v
LI
2" \
P L
: ET -
L
“rate
SMITHSONI,
SMITHSONI,
NVINOSHLII
NVINOSHLI!
>
LA Z
IAN_INSTITUTION NOIINLILSNI NVINOSHIINS S31#V#817
Ÿ
NOIINLILSNI
LIBRARIES
LIBRARIES
INS_S31Y#VY89171 LIBRARIES SMITHSONIAN_INSTITUTION
|
Ÿ
INSTITUTION
INSTITUTION NOIINIILSNI
INSTITUTION. NOIINLIISNI
S3I4VUgIT
S3IUVYGIT
IAN INSTITUTION NOIINLILSNI NYINOSHLINS S31yvVug17
INS S3IYVH@11 LIBRARIES. SMITHSONIAN INSTITUTION
N «
K
Z un FA un Z
NS < < < £
EN Z = >” Z
TA O NN = 2 #: O E O
4 T AN O6 -- © L
J E K 2: = u E
ne : : 5
INS S314V4#49171 LIBRARIES SMITHSONIAN INSTITUTION
fr Zz ki 2 Si
pa un = un pc
“ d SJ 2 = 4
NS œŒ
Ÿ m = = m | mn
ce O — O —_
=] 7 A 14 | pr 4 —
HAN INSTITUTION NOIINLILSNI NVINOSHLINS S31#vV4817
S . C Per Z 2
. 4 : \e = œ
# 2 Ÿ pe)
> L sn: >
2 — = pe)
ee Lys Fe BE
D Z Z pa
2)
=
ne
TL
n
re]
Z
>
2
NVINOSHLINS S314VY8l
NVINOSHLINS
SMITHSONIAN
SMITHSONIAN
NOIINIILSNI NVINOSHIINS S31#V4817
à
TAN INSTITUTION
Ÿ
NOIINLILSNI
JOILNLILSNI
NOIINLILSNI
IBRARIES
IBRARIES
.< = à Q LN = < N
2 = z AN à 2 QŸ
O 5 PS O : CR 28 O RS
? 8 : 2 NN © 2 Ni
= 2 = x Z Ë
>= > = > =
(7e) Ai < n 4 A U)
SMITHSONIAN _INSTITUTION NOILNIILSNI NVINOSHLINS S31Y
»
> INSTITUTION NOIINLILSNI NYVINOSHLINS S31%4
K
3
NVINOSHLINS S31#V48171 LIBRARIES SMITHSONIAN _ INSTI”
e z “ =
OS . , 4 ce, : KE TR
E 4 Z [a <$ Le NOR œ
LYL _e < a. NK <
D = . s €
E + o : 5 NE >
w À ne Re ” z nie
| NYINOSHLINS S31YvV4911 LIBRARIES SMITHSONIAN_INSTI
be É je ARE
mu € = œ — COR")
2 NS = 7 = 52 7
cd RSS + > F- Z LEZ
2 NY EF 7 = PA 2
m SN ie -- m AN m
[27]
Ca
=
sa
n
1e]
tZ
>
74
SMITHSONIAN
4
NYVINOSHLIWS
SMITHSONIAN
NYINOSHLINS
bZ ou Z u >
ü un FA u F
| = Ne * ea. < sé pe
= e er œ =
VS a 5 me O
_ O = ©
2 = Z 5 z
SMITHSONIAN INSTITUTION NOIINLILSNI S314
Z [un 2 = A
Ô = 6 ô
+ M 2 a 2 + +
æ | ë, ‘r æ =
E % 7 É =
E = ; =
LE Oo Z Z
. NYINOSHLINS S31YV#411 LIBRARIES
7
4
NYINOSHILINS S31YvVugl
Z [224 A =
te — 1 r.:: » A Sù À NRA 4 NI
Ê 1h À 2%
IT © y D Ù SL
= Z = N =
1= > = =
(73) Fr n ; 72)
S SMITHSONIAN INSTITUTION NOIINILIISNI NVINOSHIINS S3IE
on ;
K
ÿ
OILNLILSNI
IBRARIES
OILNLILSNI
IBRARIES
SMITHSONIAN INSTITUTION LIBRARIES
DU
3 S088
00279003 8
nhmoll QL362.1215 1835
1 Histoire naturelle des animaux sa