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Full text of "Histoire naturelle des animaux sans vertèbres .."

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HISTOIRE NATURELLE 


DES 


ANIMAUX SANS VERTEBRES. 


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TOME PREMIER. 


LIBRAIRIE DE J.B. BAILLIÈRE. 


PHILOSOPHIE ZOOLO GIQUE, ou Exposition des considérations 
relatives à l’histoire naturelle des animaux, à la diversité de leur 
organisation et des facultés qu’ils en obtiennent , aux causes physi- 
ques qui maintiennent en eux la vie et donne lieu aux mouvements 
qu’ils exécutent, enfin à celles qui produisent, les unes le sentiment, 
et les autres l'intelligence de ceux qui en sont doués; par J.-B.-P .-A. 
Lamarcx, 2° édit, Paris, 1830, 2 vol. in-8. 12 fr. 

SYSTÈME ANALYTIQUE DES CONNAISSANCES POSITIVES 
DE L'HOMME, restreintes à celles qui proviennent directement ou 
indirectement de l’observation ; par F.-B.-P.-A. Lamarcr. Paris, 
1830, in-8. 6 fr. 

MÉMOIRE SUR LES FOSSILES DES ENVIRONS DE PARIS, 
comprenant la détermination des espèces qui appartiennent aux ani- 
maux marins sans vertèbres, et dont la plupart sont figurés dans la 
collection du Muséum ; par J.-B.-P.-A. Lamarck. In-4, 10 fr. 

EXTRAIT DU COURS DE ZOOLOGIE du Muséum d'histoire 
naturelle, sur les animaux sans vertèbres; par J.-B. LamarGk. Paris, 
1812, in-8. a fr. 5o c. 


IMPRIMERIE D'AIPPOLYTE TILLIARD ,RUE DE LA HARPE, N. 88. 


/ HISTOIRE NATURELLE 


DES 


ANIMAUX SANS VERTEÈBRES, 


PRÉSENTANT 


LES CARACTÈRES GÉNÉRAUX ET PARTICULIERS DE CES ANIMAUX , 
LEUR DISTRIBUTION, LEURS CLASSES, LEURS FAMILLES, LEURS 
GENRES , ET LA CITATION DES PRINCIPALES ESPÈCES QUI S’Y 
RAPPORTENT ; 


PRÉCÉDÉE 
D'UNE INTRODUCTION 


Offrant la Détermination des caractéres essentiels de l’Animal, sa distinctiou du végétal et des 
autres corps naturels; enfin, l'Exposition des Principes fondamentaux de la Zoologie. 


PAR J.B. P. A. DE LAMARCRK, 


MEMBRE DE L'INSTITUT DE FRANCE, PROFESSEUR AU MUSËUM D'HISTOIRE NATURELLE. 


Nihil exträ naturam observatione notum. 


DEUXIÈME ÉDITION, 


REVUE £T AUGMENTÉE DE NOTES PRÉSENTANT LES FAITS NOUVEAUX DONT 
LA SCIENCE S'EST ENRICHIE JUSQU’A CE JOUR; 


Par MM. 
G, P, DESHAYES ET H, MILNE EDWARDS. 


TOME PREMIER. Tivigion of Molluske 
INTRODUCTION. — INFUSOIR ES ui + Séhpager Fu 


PARIS. 
J. B. BAILLIÈRE, LIBRAIRE, 


AUE DE L'ÉCOLE DE MÉDECINE, 13 BIS. 


A LONDRES, MÊME MAISON, 219, REGENT STREET. 


1855. 


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AVERTISSEMENT 


SUR 


CETTE NOUVELLE ÉDITION. 


La première édition de l'Histoire des Animaux 
sans vertèbres de Lamarck étant épuisée , l'éditeur 
propriétaire actuel de l’ouvrage sentit qu’il était 
nécessaire d’avoir toujours à la disposition du pu- 
blic un livre si utile et si indispensable à l’étude 
de la partie la plus considérable du règne animal ; 
mais il crut devoir ne pas le faire réimprimer sans 
y introduire , sous forme de notes, Les faits prinei- 
paux dont la science a été enrichie par l'observa- 
tion depuis bientôt vingt ans. 


VI AVERTISSEMENT. 

L'ouvrage de Lamarck a puissamment contribué 
à assurer les progrès de plusieurs branches de ja 
zoologie : ilest trop connu et assez justement ap- 
précié par tous les savants de l’Europe, pour que 
nous ayons besoin de faire son éloge. Cependant, 
publié de 1816 à 1822, dans un temps où les ob- 
servations se multipliaient de toutes parts, et de- 
valent conduire à de nouveaux résultats, plusieurs 
parties devinrent bientôt insuffisantes pour satis- 
faire aux besoins de la science. Pour que ce traité 
conservat toute son utilité , 1l était donc effective- 
ment nécessaire que des additions lui fussent faites : 
c’est la tâche dont nous nous sommes chargés. 


Nous avons voulu conserver néanmoins à l'ouvrage 
de Lamarck toute son intégrité, et nos additions, 
dont nous acceptons toute la responsabilité, sont en- 
tièrement séparées du texte de ce grand naturaliste. 


Ces additions sont de deux sortes : les unes, gé- 
nérales, ont rapport à chacune des grandes classes 
des invertébrés et viennent compléter où mo- 
difier les idées que Lamarck en avait. Nous 
continuons ces observations générales sur les 
divisions moins importantes des ordres, des fa- 
milles et des genres, indiquant ainsi, à mesure que 
cela devient nécessaire, les faits nouveaux, les ob- 
servations récentes qui devront entrer comme élé- 
ments nécessaires dans une classification nouvelle. 


AVERTISSEMENT, VIE 


Depuis la publication du travail de Lamarck, 
la science s’est enrichie d'ouvrages importants 
dans lesquels sont décrits un grand nombre de 
genres et d'espèces. Toutes les fois que nous avons 
cru que ces genres pouvaient être adoptés, nous les 
avons mentionnés. Relativement aux espèces nous 
avons cherché à compléter la synonymie des an- 
ciennes , et nous avons ajouté les plus remar- 
quables deceiles décrites et bien figurées depuis une 
dixaine d’années. Ces dernières additions , en ap- 
parence les moins importantes , sont celles qui ont 
nécessité de notre part plus de travail; ce que 
savent tres bien ceux des zoologistes occupés de 
semblables recherches. 


L’entomologiene pouvait recevoir des additions 
semblables à celles que nous nous proposions de 
faire aux autres classes : cette science traitée par 
Lamarck en 1816 et 1817, ne s'était pas encore 
accrue d’un nombre considérable d’espèces , de 
genres et même de familles connus aujourd’hui : 
pour mettre cette portion de l'Histoire des Ani- 
maux sans vertèbres an niveau des connaissances 
actuelles , il aurait fallu consacrer aux additions 
plusieurs volumes ; et même après un travail ingrat 
et opiniâtre il aurait été impossible, gènés par 
le cadre méthodique dé Lamarck , de présenter 
rien de bien satisfaisant et qui püt être utile après 
les beaux travaux de Latreille, et d’autres sa- 


VIIt AVERTISSEMENT, 


vants, que tous les entomologistes ont entre 
leurs mains, et qu'ils ont depuis long - temps 
préférés à ceux de notre auteur. Nous avons done 
résolu de laisser, sans y toucher, toute la classe des 
insecles, en exceptant toutefois les généralités 
dans lesquelles il était possible de faire des addi- 
tions fort utiles, 


L'introduction , les radiaires échinodermes et 
les mollusques , ont été revus par M. Deshayes ; 
les animaux apathiques , moins ceux déjà men- 
tionnés, les arachnides, les crustacés et les anné- 
lides, par M. Milne Edwards. Les additions sont 
tantôt sous la forme de notes , tantôt intercallées 
dans le texte, mais toujours reconnaissables en 
ce qu’elles sont placées entre parenthèses [ ]ou 
bien précédées du signe +. 


AVERTISSEMENT 


BE LAMARCK. 


AVANT d'atteindre le terme de mon existence, j’ai 
pensé que, dans un nouvel ouvrage, susceptible d’être 
considéré comme une seconde édition de mon Système 
des animaux sans vertèbres (1), je devais exposer les 
principaux faits que j'ai recucillis pour mes lecons, 
soit sur les animaux en général, soit sur ceux qui fu- 
rent le sujet de mes démonstrations au Muséum d’his- 
toire naturelle , ainsi que mes observations et mes 
réflexions sur la source de ces faits. Cet ouvrage, d’ail- 
leurs, devant offrir les classes, les genres ei les princi- 
pales espèces des animaux sans vertèbres, dans un ordre 
particulier, avec la citation des faits essentiels observés 
à l'égard de leur organisation et des facultés qu’ils en 
obtiennent, me paraît présenter, pour ainsi dire, les 
pièces justificatives de ce que j'ai publié dans ma Phi- 
losophie zoologique , et des nouveaux développements 
que j’en donne ici daus l’Introduction. 


(1) Paris, 1801, 1 vol. in-S. 


Tome 1. I 


2 AVERTISSEMENT. 

Ceux qui aiment l’étude de Ja nature, qui s'intéres- 
sent particulièrement à celle des animaux, et qui ont 
beaucoup observé ces derniers , pourront rechercher, 
dans la considération Ge tous les faits que je cite à leur 
égard , si ce résultat de mes observations et de mes 
méditations est aussi fondé, aussi nécessaire qu’il me 
le paraît; et dans le cas de l’afirmative , ils le feront 
servir à l’avancement de la science, après l’avoir amé- 
lioré ou rectifié par leurs propres observations. 


On sait assez combien les animaux sont intéressants 
à observer et à étudier ; combien , d’ailleurs, ceux qui 
sont sans vertèbres, sont singuliers par la diversité de 
leur organisation et par celle des facultés qu’ils en 
obtiennent. On ne saurait donc se procurer trop de 
moyens, ni trop rechercher les considérations qui leur 
sont applicables , si l’on veut parvenir à s’en former 
une juste idée, en un mot, à ies connaître sous tous les 


rapports. 


Ainsi, la manière particulière dont j'ai considéré les 
animaux , les conséquences que j'ai tirées de tout ce 
que j'ai recueilli à leur égard, enfin, la théorie géné- 
rale que je présente sur tout ce qui concerne ces êtres 
intéressants, me paraissent mériter qu’on y donne une 
grande attention, et que lon constate, s'ilest possible, 
jusqu’à quel point je fus fondé dans tout ce que j'ai 


exposé à ce sujet. 
Ici, en effet , l’on trouve sur la source de l'existence, 


de la manière d’être , des facultés , des variations et 
des phénomènes d'organisation des différents animaux, 


* 


AVERTISSEMENT. 3 
une théorie véritablement générale , partowt liée dans 


2 
et applicable à tous les cas connus. Elle est, à ce qu'il 


me semble, la première qui ait été présentée , la seule 


ses parties, toujours conséquente dans ses principes 


par conséquent qui existe : car je ne connais aucun 
ouvrage qui en ofire une autre avec un pareil enseni- 
ble de principes et de considérations qui les fondent. 


Cette théorie qui recunnaît à la nature le pouvoir de 
faire quelque chose , celui même de faire tout ce que 
nous observons , est-elle fondée ? sans doute, elle me 
paraît telle, puisque je la publie, et que mes observa- 
tions semblent partout la confirmer. Si l’on en juge 
autrement , probablement l’on s’eflorcera de la rem- 
placer par une autre qui soit aussi générale, et qui ait 
pour but de s’accorder davantage encore avec tous les 
faits observés ; ce que je ne crois pas possible. 


On m'objectera peut-être que ce qui me paraît si 
juste, si fondé, n’est cependant que le produit de mon 
jugement, d’après la somme des mes connaissances ; 
on pourra même ajouter que ce qui est le résultat de 
nos jugements est toujours fort exposé, et qu’il n’y a 
réellement de certain pour nous que les faits constatés 
par l’observation. 


À cela, je répondrai que ces considérations philoso- 
phiques, très justes en général, ont néanmoins, comme 
bien d’autres, leurs limites et même leurs exceptions. 


Sans doute , nos jugements sont fort exposés ; car, 
quoiqu'ils soient toujours en rapport avec les éléments 
* 
1 


4 AVERTISSEMENT. 


que nous y faisons entrer , et que , sous ce point de 
vue, ils manquent rarement de justesse, nous n'avons 
presque jamais la certitude d'avoir employé dans cha- 
cune de ces opérations de notre intelligence, la nature 
et la totalité des éléments qu’il était nécessaire d’y 
faire entrer. 


Cependant, il est des cas où nos jugements ne sont 
pas les uniques résultats de notre manière d’envisager 
les faits observés; car ils peuvent l’être aussi de la 
force des choses qui nous entraîne malgré nous en 
considérant ces faits, sur-tout si nous ayons su les 
réunir. Or, cette force des choses qui nous maîtrise 
lorsque nous parvenons à la sentir , est une puissance 
à laquelle on ne donne pas assez d’attention et qui fait 
exceplion aux considérations trop générales citées ci- 
dessus. Ainsi, il y a des cas où nos conséquences sont 
forcées et ne permettent aucun arbitraire. 


Maintenant , que l'on veuille se représenter , 
qu'ayant rassemblé sur l’important sujet dont je m'oc- 
cupe depuis quarante ans, les faits les plus nom- 
breux et sur-tout les plus essentiels, il est résulté pour 
moi de leur considération , cette force des choses qui 
m'a conduit à découvrir et à coordonner peu à peu 
Ja théorie que je présente actuellement, théorie que je 
n’eusse assurément pas imaginée sans les causes qui 
m'ont amené à la saisir. Or, quoique l’on puisse peut- 
être me reprocher d’avoir exprimé ma pensée, dans cet 
ouvrage, d’une manière trop décisive, on sentira que 
j'ai été entraîné malgré moi à montrer la conviction 


AVERTISSEMENT. 5 
que j’éprouvais, et que je n’ai pu écrire autrement 
que comme je sentais. 


Peut-être me fera-t-on un autre reproche; car on 
pourra trouver étonnant de me voir traiter certains 
sujets qui, au premier abord, paraissent s'éloigner 
beaucoup de ceux que je devais avoir uniquement en 
vue. Cependant, si l’on approfondit ces mêmes sujets, 
l’on en sentira la liaison intime avec ceux qui appar- 
tiennent directement à mon travail ; l’on sentira même 
la nécessité pour moi de faire valoir Ja lumière qu’ils 
retirent les uns des autres, et de montrer qu’ils sont 
tous les éléments essentiels des conséquences que j'ai 
tirées. 


Cet ouvrage est sérieux , n’a que l'instruction pour 
but, et ne peut, par sa nature, avoir certaines des 
qualités qui obtiennent beaucoup de lecteurs à bien 
d’autres. 11 lui doit être même d'autant plus difficile 
d'obtenir toute l’attention dont il a besoin , que les 
goûts et les circonstances de notre temps la font, en 
général, porter vers des objeis qui lui sont fort étran- 
gers. Enfin , comme il semble ne devoir intéresser 
qu'une seule classe de lecteurs, celle même dont il 
tend à modifier les opinions, ce qu’il peut offrir qui 
soit vraiment digne d’être considéré restera peut-être 
long-temps peu connu. 


1 


Cependant, je sais que , sous plusieurs rapports, son 
sujet a une véritable importance , qu’il sera utile de le 
prendre sérieusement en considération; et ce fut ma 
conviction à cet égard qui m’a soutenu dans mon tra- 


6 AVERTISSEMENT. 

vail. Or, si l'on trouve qu’il remplit réellement l’objet 
que j'ai en vue, je serai suffisamment dédommagé de 
mes eflorts. Mais pour être entendu, j'ai besoin d’une 
complaisance qu’on n’accorde pas indifléremment à 


tout auteur , et que je me suis toujours efforcé de mé- 
riter. 


On sait en eflet que tout ouvrage, scientifique sur- 
tout, ne peut être lu ou étudié profitablement, que 
dans l'esprit qui a guidé son auteur; sauf à juger en- 
suite s’il s’est plus ou moins approché du but qu’il 
voulait atteindre; car, en l’examinant avec un esprit 
contraire ou prévenu, les considérations les mieux 
établies, les vérités, même les plus claires, ne parais- 
sent que des erreurs. 


Ainsi , dans le cas d’une divergence de vues entre 
celles du lecteur et celles que présente l’ouvrage, il est 
utile que le lecteur veuille bien suspendre les siennes, 
ne füût-ce que momentanément , afin de se mettre en 
harmonie avec l’auteur dans sa manière de considérer 
les sujets dont il traite. S’il trouve que ce dernier ait 
rempli son objet , il ne lui restera plus qu’à juger, à 
l’aide des faits et de la réflexion , laquelle des deux 
manières d'envisager les choses en question mérite la 
préférence. 


J'attends donc de tout lecteur, la complaisance de 
se mettre dans la situation d’esprit dont je viens de 
parler , pour saisir complétement mon sentiment par- 
tout , et ses motifs. Quant au jugement définitif qu'il 
en portera ensuite , il sera sans doute d'autant meil- 


AVERTISSEMENT. 7 


leur, quel qu’il puisse être, que les faits cités lui se- 
ront plus connus, et qu’il aura lui-même plus appro- 
fondi le sujet, plus observé la nature. 


Je ne parle pas de la difficulté connue d’apercevoir 
dans un ouvrage un peu philosophique , tout ce qui y 
est digne de fixer notre attention. Cette difficulté, qui 
tient tantôt à la fatigue , tantôt à des préoccupations 
diverses en lisant , est plus ou moins grande à la vé- 
rité , selon l’habitude aussi plus ou moins grande du 
lecteur à la méditation ; mais elle est réelle , et cha- 
cun sait qu’à la seconde lecture d’un semblable ou- 
vrage, on y voit en général bien des choses qu’on n’a- 


vait pu remarquer à la première. 


Relativement au plan de l'ouvrage, à la marche des 
idées qu’il présente , et aux faits d'observation qui y 
sont exposés , j'ai cru devoir employer l’ordre suivant. 


Dans une /ntroduction, nécessairement un peu lon- 
gue, mais essentielle pour l'intelligence du sujet, j'en- 
treprends de fixer les bases de la zoologie, les principes 
les plus généraux qui doivent en constituer le fonde- 
ment, la source même où les objets qu’elle considère 


ont puisé leur origine. 
o 


En effet, d’abord je compare les animaux avec les 
autres corps de la nature; j'essaie d’assigner les carac- 
tères positifs et distinctifs des uns et des autres ; je cite 
les faits zoologiques observés , sur-tout ceux du pre- 
mier ordre, et je montre les conséquences qu’il me 
paraît convenable d’en tirer. Ensuite, je recherche 


8 AVERTISSEMENT. 


quelle est la source de l'existence des différents ani- 
maux , quelle est celle de la composition croissante de 
leur organisation , celle des facultés qu’ils possèdent, 
celle des anomalies nombreuses qui se trouvent entre la 
composition progressive des différentes organisations 
animales , et la marche irrégulière des divers systèmes 
d'organes particuliers qui entrent dans la composition 
de la plupart de ces organisations. Plus loin , je fais 
voir que tout ce que l’on observe dans les animaux, 
que leurs penchants mêmes sont de veritables produits 
de leur organisation , que tous les phénomènes qu'ils 
nous offrent sont essentiellement organiques. Enfin, 
après avoir montré quelle est cette puissance singulière 
que nous désignons par le mot nature , je mets en 
évidence que c’est à elle que les animaux doivent tout 
ce qu'ils sont. 


Je termine l’Zntroduction dont il s’agit en exposant 
la distribution générale la plus convenable des diffé- 
rents animaux conpus, les principes sur lesquels cette 
distribution doit être fondée, et la véritable disposi- 
tion qu’il faut donner à l’ordre entier, pour qu'il soit 
conforme à celui qu’a suivi la nature. 


On verra que, pour mettre de l’ordre dans ces difié- 
rentes exposilions , j'ai divisé l’Introduction en sept 
parties clairement circonscrites ; lesquelles présentent 
des développements qui , quoique serrés ou succinets , 
suppléent à ce qui manque dans ma Philosophie zoolo- 
gique , et complètent une théorie dont les parties sont 
partout dépendantes, 


AVERTISSEMENT»; 9 


Après l’Introduction, je me renferme dans l’exposi- 
tion des nombreux animaux sans vertèbres qui ont 
été observés, parce qu’ils font le sujet essentiel de cet 
ouvrage, et que l’état de leur organisation, les facultés 
qu'ils en obtiennent, et les caractères qu'ils offrent, 
établissent les preuves de ce que contient cette Intro- 
duction. 


Ainsi , je présente successivement leurs différentes 
classes, leurs familles , les genres qui ont été établis 
parmi eux, et même plusieurs des espèces Îles plus con- 
nues qui se rapportent à ces genres. 


Dans le cours de l’ouvrage, j’ai exposé en tête de 
chaque classe, de chaque ordre , et même de chaque 
genre, quelques développements nécessaires pour faire 
mieux connaître les objets mentionnés sous ces divi- 
sions. Ces développements sont d’autant plus bornés, 
que les divisions qu’ils concernent sont moins géné- 
rales, et par là moins importantes. 


Quant à la citation que je fais d’un certain nombre 
d'espèces sous chaque genre , soit d’après des détermi- 
nations d'auteurs estimés , soit d’après celles qui me 
sont propres , elle n’a pour objet que de constater la 
convenance des genres que j'ai admis ou formés moi- 
même. J’eusse desiré pouvoir donner un species ( ta- 
bleau des espèces ) aussi complet que l’état des connais- 
sances actuelles le permet, et dont l'exécution est fort 
à souhaiter ; mais cela eût exigé un travail long et dif- 
ficile, que les circonstances qui me concernent re me 


permettent pas d'entreprendre, et dont un seul homme 


10 AVERTISSEMENT. 

peut-être ne viendrait pas à bout. Ainsi, j’ai cité d’un 
premier jet et presque sans recherches , sous chaque 
genre , tantôt un petit nombre d’espèces , tantôt un 


nombre beaucoup plus grand, selon que j'ai été plus 
ou moins à portée de les connaître. 


Tel est le fond de l’ouvrage que j'offre au public, 
aux amateurs de zoologie, et à ceux qui s’intéressent à 
l'étude de la nature. Je souhaite qu’ils y trouvent quel- 
que chose d’utile, quelque vue qu’ils puissent faire 
servir à l’ayancement des sciences naturelles. 


INTRODUCTION. 


Les animaux sont des êtres si étonnants, si curieux, 
et ceux sur-tout dont je suis chargé de faire la démons- 
tralion sont si singuliers par la diversité de leur orga- . 
nisalion et de leurs facultés, qu'aucun des moyens pro- 
pres à nous en donner une juste idée et à nous éclairer 
le plus à leur égard, ne doit être négligé. 

Cependant, j'ose le dire, la marche que l’on a suivie 
dans l’étude de ces êtres admirables , est loin encore 
d’embrasser les considérations capables de nous mon- 
trer en eux ce qu’il nous importe le plus d’y voir. 

En effet, s’il n’était question , dans l’étude de la 
zoologie, que d'observer ies différences de forme qui 
distinguent les divers animaux entre eux; s’il ne s’agis- 
sait que de déterminer leurs races nombreuses , de les 
grouper par petites masses, pour en former des genres, 
en un mot, de les classer d’une manière quelconque, 
et d'établir ainsi méthodiquement l’énorme liste de 
leurs espèces observées, on n’aurait presque rien à ajou- 
ter à la marche usitée de l’étude; enfin, il suflirait de 
perfectionner ce qui a été fait, et d’achever de recueillir 
et de déterminer tout ce qui a, jusqu’à présent, échappé 
à nos observations. 

Mais il y a dans les animaux bien d’autres choses à 
voir que celles que nous y avons cherchées; et, à leur 


12 INTRODUCTION. 


égard, il y a bien des préventions à détruire , bien des 
erreurs à corriger. 

Voilà ce dont, à mon grand étonnement, l’étude m’a 
fortement convaincu, ce que je puis établir solidement, 
ce qui est déjà énoncé dans mes écrits, et, néanmoins, 
ce qui sera peut-être long-temps sans fruit; tant les 
causes qui entrelieunent.ces préventions sont puissan- 
tes, et tant la raison même a peu de forces lorsqu'elle 
a à combattre des idées habituelles, en un mot, ce que 
l'on a toujours pensé, 

Depuis bien des années, que je suis chargé de faire , 
au Muséum, un Cours annuel de zoclogie, particuliè- 
rement sur les animaux sans vertèbres, c’est-à-dire , 
ceux qui ne font point partie des rm7ammiftres, des 
oiseaux , des reptiles et des poissons; j'ai dù meflorcer 
de les connaître, non-seulement sous les rapports de 
leur forme générale, de leurs caractères externes et 
distinctifs; mais, en outre, sous ceux de leur organi- 
sation, de leurs facultés , et des habitudes de ces ani- 
maux; enfin , j'ai dû me mettre en état de donner à 
ceux qui viennent m’entendre, les idées les plus justes 
- de ces mêmes animaux sous tous ces rapports, au moins 
relativementaux connaissances que j'avais pu me pro- 
curer à leur égard. 

En me livrant à ces Moine À je trouvai bientôt que 
ma tâche était extrêmement difhcile à remplir; car 
j'avais à m'occuper de la portion du règne animal , la 
plus étendue, la plus nombreuse en races diverses , la 
plus variée en organisation, la plus diversifiée dans les 
facultés réelles des races ; et c'était précisément celle 
qui n'avait inspiré jusqu'alors qu’un faible intérêt, 
celle, enfin, que l’on avait le plus négligée, et sur la- 
quelle les principaux faits recueillis et considérés, n'é- 
taient guère relatifs qu'aux formes externes des objets 
qu'elle embrasse. 


INTRODUCTION. 13 


Cependant, le besoin de connaître l’organisation de 
l’homme , afin de tàcher de remédier aux désordres 
que les causes des maladies y introduisent, avait depuis 
long-temps fait étudier son être physique, la plus 
compliquée de toutes les organisations. On s'était en- 
suite assuré, par l’observation , que cette organisation 
compliquée avoisinait considérablement, par ses rap- 
ports, celle de certains animaux , tels que les mammi- 
fères. Mais, au lieu de sentir que tout ce que l’on pou- 
vait raisonnablement conclure des observations dont 
cette organisation avait été le sujet, ne pouvait guère 
s'appliquer qu’à elle-même, on en déduisit des prin- 
cipes généraux pour la physiologie, et, en outre, plu- 
sieurs conséquences relatives à des facultés du premier 
ordre, que l’on étendit à tous les animaux en général. 

On négligea de considérer que toute faculté étant es- 
sentiellement dépendante de l’organisation qui y donne 
lieu , de grandes différences entre des organisations 
comparées , devaient non-seulement en produire aussi 
de grandes dans les facultés , mais, en outre, qu’elles 
pouvaient mettre un terme aux facultés qui, pour se 
produire, exigent un ordre de choses que certaines de 
ces différences ont pu anéantir. 

Ainsi, sans égard pour ces vérités posilives, les con- 
séquences dont je parle, et qu’on applique générale- 
ment à tous les animaux, furent admises à constituer 
les bases d’une théorie, d’après laquelle les études 
zoologiques furent dirigées et le sont encore. 

Tel était l’état des choses en zoologie, lorsque mon 
devoir de professeur m’obligea d'exposer, dans la dé- 
monslration des animaux sans vertèbres, tout ce qu’il 
importe de faire connaître à l’égard de ces animaux ; 
d'indiquer ce que lobservation nous a appris sur la 
diversité de leurs races, sur celle de leurs formes et de 
leurs caractères, sur celle encore de leur organisation 


14 INTRODUCTION. 

et de leurs facultés: en un mot , de montrer comment 
les principes admis peuvent s’appliquer aux faits d’ob- 
servation que nous ontoflerts quantité de ces animaux. 

À la vérité, dans tout ce qui tient à l’art des distinc- 
tions, je ne rencontrai d’autres diflicultés que celles 
que l’étude et l'observation des objets peuvent facile- 
ment résoudre. 

Mais, lorsque je voulus appliquer à ces animaux les 
principes admis en théorie générale, lorsque j'essayai 
de reconnaître dans leurs facultés réelles , celles que 
les principes en question leur attribuaient ; enfin, 
lorsque je cherchai à trouver , dans ces facultés attri- 
buées , les rapports parfaits qui doivent exister entre 
les organes et les facultés qu’ils produisent, les difii- 
cultés pour moi furent partout insurmontables. 

Plus, en effet , j'étudie les animaux; plus je consi- 
dère les faits d'organisation qu'ils nous offrent, les 
changements que subissent leurs organes et leurs fa- 
cultés, tant par les suites du cours de la vie, que de la 
part des mutationsqu'ils peuvent éprouver dans leurs 
habitudes; plus, enfin, j'approfondis tout ce qu'ils 
doivent aux circonstances dans lesquelles chaque race 
s’est rencontrée, plus, aussi, je sens l'impossibilité d’ac- 
corder les faits observés avec la théorie admise ; en un 
mot, plus les principes que je suis contraint de re- 
connaître , s’éloignent de ceux que l’on enseigne ail- 
leurs (1). 

Que faire dans cet état de choses ? Pouvais-je me res- 
treindre , dans l’enseignement dont je’ suis chargé, à 
Ja simple exposition des formes des objets, à la citation 
des caractères observés et dont on trouve la plupart 


(1) I paraît très probable, en effet, que cerlains principes généraux qui 
régissent les animaux vertébrés , par exemple ne trouvent plus d'appli- 
cation possible dans les invertébrés, 


INTRODUCTIONe 15 


dans les livres, à l’énonciation des divisions introduites 
artificiellement parmi ces objets; enfin , comprimant 
ma conscience pour favoriser l’opinion et maintenir 
l'erreur , était-il convenable que je privasse ceux qui 
viennent m’entendre de Ja connaissance de mes obser= 
vations, de celle des faits qui attestent combien l’étude 
des traits variés d'organisation que présentent les ani- 
maux sans vertèbres, est importante pour l’avance- 
ment de la physique animale, en un mot, de celle du 
précepte qui veut que ce ne soit qu’en considérant à la 
fois toutes les organisations existantes, que l’on entre- 
prenne de fonder les vrais principes de zoologie ? 

Je n’ai pas suivi et n’ai pas dû suivre une pareille 
marche, c'est-à-dire, je n’ai pas dû taire ce que mes 
études m'ont fait apercevoir. Ainsi , je me trouve en- 
traîné dans une dissidence, que le temps , plus que 
la raison, peut convenablement terminer ; car je n’ai 
guère, maintenant, d’autres juges que la partie même 
dont je combats les préceptes; partie qui a pour elle 
l'avantage de l'opinion. 

Je me bornerais à ne parler que des animaux sans 
vertèbres, puisqu'ils constituent le sujet de cet ouvrage, 
si je n'avais à exposer à leur égard quantité de consi- 
dérations importantes, que les principes admis ne sau- 
raient reconnaître, et si je ne voulais montrer que les 
imperfections que j'attribue à ces principes ne sont 
point illusoires. Je dois donc, &’abord, examiner ce que 
sont les animaux en général, m'’eflorcer de fixer, s’il est 
possible, les idées que nous devons nous former de-ces 
êtres singuliers, me hâter d’arriver à l’exposition des 
sujets de dissidence dont j’ai parlé tout-à-l’heure , et 
essayer de convaincre mes lecteurs, par la citation de 
quelques-unes des conséquences que l’on a tirées des 
faits observés, que ces faits sont loin d’en confirmer le 
fondement. 


16 INTRODUCTION. 


Il me semble que la première chose que l’on doive 
faire dans un ouvrage de zoologie, est de définir l’ani- 
mal, et de lui assigner un caractère général et exclusif, 
qui ne soufre d’exceptions nulle part. C’est cependant 
ce que l’on ne saurait faire à présent, sans revenir sur 
ce qui a été établi , et sans contester des principes qui 
sont enseignés partout. 

Qui est-ce qui pourrait croire que , dans un siècle 
comme le nôtre où les sciences physiques ont fait tant 
de progrès, une définition de ce qui constitue l’animal 
ne soit pas encore solidement fixée ; que l’on ne sache 
pas assigner positivement la différence d’un animal à 
une plante ; et que l'on soit dans le doute à l'égard de 
cette question , savoir : si les animaux sont réellement 
distingués des végétaux par quelque caractère essentiel 
et exclusif ? C’est, néanmoins, un fait certain qu’au- 
cun zoologiste n’en a encore présenté qui soit vérita- 
blement applicable à tousles animaux connus et quiles 
distingue nettement des végétaux. De là, les vacillations 
perpétuelles entre les limites du règne animal et du rè- 
gne végétal dans l'opinion des naturalistes; de là même, 
l’idée erronée et presque générale que ces limites n’exis- 
tent pas, etqu’il y a desanimaux-plantes ou des plantes- 
animales. La cause de cet état des choses, à l’égard de 
nos connaissances zoologiques, est facile à apercevoir(1). 

Comme les études sur la nature animale et sur les 
facultés des animaux ne furent, jusqu’à présent ; diri- 
gées que d’après les organisations les plus compliquées, 
c’est-à-dire, d’après celles des animaux les plus parfaits, 
onne putse procurer aucune idée juste des limites réelles 


(1) Nous rappellerous qu'un naturaliste fort distingué a cru trancher 
la difficulté en établissant un quatrième règne auquel il donne le nom 
de Psychodiaire. M. Bory de Saint-Vincent a laissé la question indécise 
comme nous le verrons plus tard. 


INTRODUCTION. 19 


de la plupart des facultés animales, de celles même 
des organesqui les donnent; enfin, l’on ne peut parve- 
nir à connaître ce qui constitue la vie animale la plus 
réduite , ni quelle est la seule faculté qu’elle puisse 
donner à l’être qui en jouit. 

Ainsi, pour montrer combien tout ce que l’on a écrit 
sur les facultés que possèdent les animaux et sur les 
caractères qui leur sont communs à tous , est peu pro- 
pre à nous les faire réellement connaître, ne peut que 
nous abuser, et entrave les vrais progrès de la zoologie, 
je ne saurais choisir un texte plus authentique que 
celui qu'offre le mot animal dans le Dictionnaire des 
Sciences naturelles, l’auteur connu de cet articleétant 
un anatomiste et un zoologiste des plus célèbres de 
notre temps, et en eflet, des plus distingués. 

« Rien, dit ce savant, ne semble si aisé à définir que 
l’animal: tout le monde le conçoit comme un être doué 
de sentiment et de mouvement volontaire; mais lors- 
qu'il s’agit de déterminer si un être que l’on observeest 
ou non un animal, cette définition devient très diff- 
cile à appliquer ». ( Dict. des Sciences naturelles. ) (1) 

Il est clair, d’après cela, que je suis fondé à insister 
sur l’examen de ce qui constitue la nature animale, 
puisque le savant que je cite ne désapprouve pas lui- 
même la définition que tout le monde donne des ani- 
maux; qu’il la trouve seulement difficile à appliquer ; 


(1)Cet article est de G. Cuvier, et il mérite d’être {u et méditécomme 
tout ce qu'a produit ce savant naturaliste. Qn voit qu’en adoptant la 
définition vulgaire de l'animal , il sentait la difficulté de l'appliquer à 
tous les animaux, et cependant il fallait qu’elle le satisfit en grande 
partie, puisqu'il ne fit aucun effort pour la remplacer par une autre plus 
rationnelle. Depuis la publication de l'ouvrage de Lamarck , un autre 
zoologiste des plus distingués a également cherché à définir l'animal, 
Nous verrons plus tard que M. de Blainville a mieux réussi que Cuvier, 
mais n’a pas atteint à la justesse désirahle dans un parcil sujet. 


Tone 1. 2 


15 INTRODUCTION, 


et qu’elle est encore recue dans tous les ouvrages 
et dans tous les cours de zoologie , les miens seuls ex- 
ceplés. 

Sans doute, en conservant une pareille définition, 
qui fut imaginée dans des temps d’ignorance, et d’après 
la seule considération des animaux les plus parfaits, il 
est maintenant très diflicile de l’appliquer à quantité 
d’ètres que nous observons chaque jour ; mais on peut 
ajouter que cette définition n’est pas même applicable 
au plus grand nombre des animaux reconnus. 

La raison de cette difficulté pourra facilement se con- 
cevoir, si je montre qu’il n’est pas vrai que tous les 
animaux soient doués de sentiment et de mouvement 
volontaire. Alors on scntira que cette définition que 
l’on donne partout des animaux, est une erreur que 
les lumières actuelles doivent repousser ; et pour s’en 
convaincre, ii suflira de rassembler et de considérer les 
faits connus que je citerai dans le cours de cet ouvrage. 

Si l’on en excepte les parties de l'art dans les scien- 
ces naturelles, parties qui consistent dans des distinc- 
tions que l’on emploie à former des classes, des ordres, 
des genres et des espèces , je me crois autorisé à dire 
qu'il n’y aura jamais rien de clair, rien de positif en 
zoologie , tant que l’on continuera d'admettre, pour 
circonscrire les animaux , la définition citée ci-dessus; 
tant que l'on méconnaîtra les rapports constants qui 
se trouvent entre les systèmes d’organes particuliers et 
les facultés que donnent ces systèmes; en un mot, tant 
que l’on ne considérera pas certains principes fonda- 
mentaux sans lesquels la théorie sera toujours arbi- 
traire. 

Aussi, tant que les choses subsisteront dans cet état, 
on verra toujours en zoologie ce qui a lieu actuelle- 
ment ; savoir : que celui qui en traite ou qui l’ensei- 
gne, ne saurait nous dire positivement ce que c’est 


S INTRODUCTION. 19 


qu'un animal. Enfin, on aura un champ ouvert aux 
hypothèses les plus singulières, comme celles de dire 
que certains organes soul confondus dans la substance 
irritable et sensible des animaux, afin d’expliquer 
pourquoi ces organes ne se retrouvent plus dans les 
plus imparfaits, lorsqu'on a besoin de supposer qu'ils 
y existent encore et qu'ils y exécutent leurs fonctions. 

Ici, je devrais éclaircir toutes ces considérations, 
montrer l’inconvenance des préceptes admis, et prou- 
ver qu’à l’égard de ceux que nous voulons leur subs- 
tituer, il ne s’agit point d’hypothèses nouvelles, mais 
de vérités claires, évidentes , sur lesquelles les obser- 
vations ne peuvent autoriser le moindre doute , lors- 
qu’on voudra les examiner. 

Cependant , il importe, avant tout, de poser les prin- 
cipes fondamentaux suivants, afin d’empêcher tout 
arbitraire dans les conséquences que les faits connus 
permettent de tirer. 


Principes fondamentaux. 


1°" Principe : Tout fait ou phénomène que l’observa- 
tion peut faire connaître, est essentiellement phy- 
sique , et ne doit son existence ou sa production 
qu’à des corps, ou qu’à des relations entre des 
corps. 

2° Principe : Tout mouvement ou changement, toute 
force agissante , et tout eflet quelconque , observés 
dans un corps, tiennent nécessairement à des cau- 
ses mécaniques, régies par des lois. 

3° Principe : Tout fait ou phénomène observé dans un 
corps vivant , est à la fois un fait ou phénomène 
physique, et un produit de l’organisation. 

4° Principe : Il n’y a dans la nature ancune matière 
quiaiten propre la facalté de vivre. Tout corps 


2* 


20 INTRODUCTION. 


en qui la vie se manifeste, offre dans ie produit de 
l’organisation qu’il possède, et dans celui d’une 
suite de mouvements excités dans ses parties, le 
phénomène physique et organique que la wie cons- 
titue (1), phénomène quis’exécute et se maintient 
dans ce corps, tant que les conditions essentielles à 
sa production subsistent. 

5° Principe : I n’y a dans la nature aucune matière 
qui ait en propre la faculté d’avoir ou de se former 
des idées, d'exécuter des opérations entre des idées, 
en un mot , de penser. Là où de pareils phénomè- 
nes se montrent ( et l’on en observe de cette sorte 
dans les animaux les plus parfaits ), l’on trouve 
toujours un système d'organes particuliers, propre 
à les produire ; système dont l’étendue et l’inté- 
grilé sont constamment en rapport avec le degré 
d éminence et l’état des phénomènes dont il s’agit, 

6* Principe: Enfin, il n’y a dans la nature aucune ma- 
tière qui ait en propre la faculté de sentir. Aussi, 
Jà où cette faculté peut être constatée , là seulement 
se trouve, dans le corps vivant qui en est doué, 
un système d’orgates particulier, capable de donner 
lieu au phénomène physique, mécanique et orga- 
nique qui, seul , constitue la sensation. 


À ces principes, à l'abri de toute contestation solide, 
et sans lesquels la zoologie serait sans fondements, j’a- 


jouterai : 


19 Qu'il ya toujours un rapport parfait entre l’état, 
soit d’intégrité ou d’altération , soit détendue ou de 
perfectionnement d’une faculté o organique , et celui de 
l'organe ou du système d’organes qui la produit, 

20 Que, plus une faculté organique est éminente, 


(1) Philosophie zoologique ,| vol, 1, p. 400 


INTRODUCTION: 21 


plus l’organisation à laquelle appartient le système | 
d'organes qui y donne lieu, est composée. 

Maintenant, étayé sur ces principes que l’observa- 
tion met partout en évidence, je vais faire voir que 
ni la faculté de penser, de juger, de vouloir, ni celle 
d’éprouver des sensations , ne peuvent être le propre 
de tous les animaux; car elles ne peuvent l’être de 
ceux qui sont les plus simplesen organisation ; ce que 
je prouverai. 

D'abord, je dois faire remarquer que la faculté qui, 
dans un degré quelconque, constitue ce qu’on nomme 
l'intelligence , c’est-à-dire, qui donne à l'individu le 
pouvoir d'employer des idées , de comparer , de juger, 
de vouloir ; que cette faculté, dis-je, est très distincte 
de celle qui constitue le sentiment; qu’elle lui est bien 
supérieure, et qu’elle en est tout-à-fait indépen- 
dante. 

On peut, en effet, penser, juger, vouloir, sans éprou- 
ver aucune sensation , et l’on sait que si l'organe très 
composé qui donne lieu aux actes d’intelligence, vient 
à êvre lésé, à subir quelque altération, les idées alors ne 
se présentent plus qu’avec désordre, se dérangent, soit 
partiellement , soit totalement, selon la partie altérée 
de l'organe ou l'étendue de l’altération , et même se 
perdent entièrement si l’altération est considérable ; 
tandis que la faculté de sentir reste dans son intégrité 
et n’en éprouve aucun changement. 

Qui ne sait que la folie, la démence, sont les résul- 
tats d’une altération invétérée dans l’organe où s’exé- 
cute le phénomène de la production des idées, et des 
opérations entre les idées, comme le délire est la suite 
d’une altération du même organe , mais qui est plus 
passagère, étant produit par une fièvre ou une aflection 
moins durable. Or, dans tous ces cas, et particulière- 
ment dans la folie où le fait est plus facile à constater, 


22 INTRODUCTION. 


il est connu que l’organe du sentiment n’est nullement 
intéressé, qu'il conserve l'intégrité de ses fonctions, 
enfin, que les sensations s’exécutent comme dans l’état 
de santé (1). 

Le système d'organes qui donne lieu aux opérations 
entre les idées, aux jugements, aux actes de volonté, 
n’est donc pas le même que celui qui produit les sen- 
sations; puisque le premier peut éprouver des lésions 
qui altèrent ses facultés, sans exercer aucune influence 
sur celles du second. 

La faculté d'employer des idées étant très distincte, 
très indépendante même de celle de sentir , et les ani- 
maux les plus parfaits jouissant évidemment de l’une 
et de l’autre, nous allons montrer que ni l’une ni l’au- 
tre de ces facultés ne peuvent être le propre de tous 
les animaux en général. 

Relativement au mouvement volontaire attribué à 
tous les animaux, dans la définition que l’on donne 
de ces êtres, que l’on prenne en considération les obser- 
vations qui concernent les actes de volonté; bientôt 
alors on sera convaincu qu'il n’est pas vrai, qu'il est 
même impossible que tous les animaux puissent for- 
mer des actes de cette nature; qu'ils ne sauraient tous 
avoir l’organisation assez compliquée, et l’appareil 
d'organes particulier capables de donner lieu à une 
faculté aussi éminente; et qu'il n’y a réellement que 
les plus parfaits d’entre eux qui puissent posséder une 
pareilie faculté. 


(r) Ces idées sur la folie, que Lamarck nefait qu’indiquer en passant, 
ont été plus tard développées avec un talent bien remarquable par un 
homme auquel la science médicale est redevable des progrès les plus 
importants qu’elle ait fait dans les temps modernes ; et le livre de l’érri- 
tation et de la folie n'a pas pu contribué à répandre les plus saines 
doctrines sur les fonctions du cerveau, 


INTRODUCTION, 23 


Il est certain et reconnu que la volonté est une de- 
termination par la pensée , qui ne peut avoir lieu que 
lorsque l’être qui veut, peut ne pas vouloir; que cette 
détermination résulte d’actes d'intelligence , c’est-à- 
dire, d'opérations entre les idées; et qu’en général, 
elle s’opère à la suite d’une comparaison , d’un choix , 
d’un jugement , et toujours d’une préméditation. Or, 
comme toute préméditation est un emploi d’idées, elle 
suppose, non-seulement la faculté d’en acquérir, mais, 
en outre, celle de les employer et de former des actes 
d'intelligence. 

De pareilles facultés ne sauraient être le propre de 
tous les animaux; et celle sur-tout de pouvoir exécu- 
ter des actes d’intelligence étant assurément la plus 
éminente de celles que la nature ait pu donner à des 
animaux , on sent qu’elle exige, dans le petit nombre 
de ceux qui en sont doués , un système d’organes par- 
ticulier, très composé, que la nature n’a pu faire exis- 
ter que dans la plus compliquée des organisations ani- 
males. On peut dire même qu’elle n’y est parvenue 
qu'insensiblement et par des degrés en quelque sorte 
nuancés ; qu’en l'instituant d’abord d’une manière 
très obscure, et terminant ensuite par la rendre très 
remarquable dans les plus parfaits des animaux. 

Ainsi, tout acte de volonté étant une détermination 
par la pensée, à la suite d’un choix, d’un jugement, et 
tout mouvement volontaire étant la suite d’un acte de 
volonté , c’est-à-dire, d’une détermination par la pré- 
méditation, et conséquemment par acte d'intelligence, 
dire que tous les animaux soient doués de mouvement 
volontaire, c’est leur attribuer à tous généralement des 
facultés d'intelligence : ce qui ne saurait être vrai, ce 
qui ne peut être le propre de toutes les organisations 
animales, ce qui contredit l’observation des faits rela- 
tifs aux plus imparfaits des animaux, enfin, ce qui cons- 


24 e INTRODUCTION. 


titue une erreur manifeste, que les lumières de notre 
siècle ne permettent plus de conserver (1). 

Mais quoique ce soient les plus parfaits d’entre les 
vertébrés qui puissent le plus agir volontairement , 
c’est-à-dire , à la suite d’une préméditation , parce 
qu’en eflet, ils possèdeni, dans certains degrés, des fa- 
cultés d'intelligence, l’obseryation atteste que chez les 
animaux dont il s’agit, ces facultés sont rarement exer- 
cées, et que dans la plupart de leurs actions , c’est la 
puissance de leur sentiment intérieur, ému par des be- 
soins , qui les entraînent et les fait agir immédiate- 
ment, sans préméditation, et sans le concours d’aucun 
acte de volonté de leur part. 

Je n’ai point de terme pour exprimer cette puissance 
intérieure dont jouissent non-seulement les animaux 
intelligents, mais encore ceux qui ne sont doués que 
de la faculté de sentir ; puissance qui, émue par un 
besoin ressenti, fait agir immédiatement l'individu, 
c’est-à-dire, dans l’instant même de l’émotion qu’il 
éprouve; et si cet individu est de l’ordre de ceux qui 
sont doués de facultés d’intelligence , il agit néan- 
moins , dans cette circonstance, avant qu'aucune pré- 
méditation , qu'aucune opération entre ses idées, ait 
proyoqué sa volonté, 


(1) Ce qui précéde répond de la manière la plus claire à ceux des 
zoologistes qui confondent les actes de l'instinct avec ceux de l’intelli- 
geucc. Dire que les abeilles, Les fourmis, etc. pensent, jugent, comparent 
avec les ganglions abdominaux de leur système nerveux dépourvu du 
cerveau ; c’est faire une proposition sans aucun fondement. Il n’y a d’ac- 
tion volontaire que lorsqu'il y a choix de faire ou ne pas faire. Les ani- 
maux sans vertèbres agissent nécessairement : dès qu’un insecte est par- 
venu à l’état parfait, ses actes seront, dès cet instant même, ce qu’ils se- 
ront pendant toule sa vie, ces actes lui sont imposés comme une fatalité 
à laquelle il ne peut se soustraire ; l'animal intelligent depuis sa nais- 
sance jusqu’à sa mort, expérimente sans cesse les circonstances exté- 
rieures dans la perfection que lui permet son organisation, les compare 
etchoisit, 


INTRODUCTION: 25 


C’est un fait positif, et qui n’a besoin que d’être re- 
marqué pour être connu , savoir : Que dans les ani- 
maux dont je viens de parler, et dans l’homme même, 
par la seule émotion du sentiment intérieur, une action 
se trouve aussitôt exécutée, sans que la pensée, le juge- 
ment, en un mot, la volonté de l'individu y ait eu au- 
cune part; et l’on sait qu’une impression ou qu’un 
besoin subitement ressenti, suffit pour produire cette 
émotion. 

Ainsi , nous-mêmes, nous sommes assujettis, dans 
certaines circonstances , à cette puissance intérieure 
qui fait agir sans préméditation. Et, en effet, quoique 
très souvent nous agissions par des actes de volonté 
positive, très souvent aussi chacun de nous, entraîné 
par des impressions intérieures et subites, exécute une 
multitude d'actions, sans l’intervention de la pensée 
et conséquemment d’aucun acte de volonté. 

Cette puissance singulière, qui faitagir sans prémé- 
aitation et à la suite des émotions éprouvées, est celle-là 
même que l’on nomme instinct dans les animaux. 

On vient de voir qu’elle ne leur est point particu- 
lière, puisque nous y sommes aussi assujettis ; à cette 
considération j’ajouterai qu’elle ne leur est pas même 
générale; car les animaux que j’ai nommés apathiques, 
comme ne jouissant point du sentiment, ne sauraient 
agir par des émotions intérieures, enfin, ne sauraient 
avoir d’instinct. 

Ce n’est point ici que je dois développer le fonde- 
ment de ces observations; mais ce qui est positif > et 
ce qu’il est essentiel de dire, c’est que, parmi les causes 
immédiates , soit de nos actions, soit de celles des ani- 
maux , il faut nécessairement distinguer celles qui 
s’exécutent à la suite d’une préméditation qui amène 
la volonté, de celles qui se produisent immédiatement 
à la suite des émotions du sentiment intérieur; et 


26 INTRODUCTION. 


qu'il faut même distinguer celles-là de celles qui ne 
sont dues qu’à des excitations de l'extérieur; car tou- 
tes ces causes immédiates d’actions sont essentiellement 
différentes , et tous lesanimaux ne sauraient être assu- 
jettis à la puissance de chacune d’elles; l’étendue des 
différences d’organisation ne le permettant pas. 

Ainsi, il n’est pas vrai que tous les animaux généra- 
lement soient doués de mouvement volontaire, c’est-à- 
dire, de la faculté d’agir par des actes de volonté; ces 
actes étant essentiellement précédés de préméditation. 

Voyons maintenant si la faculté de sentir est réelle- 
ment le propre de tous les animaux, c’est-à-dire, si le 
sentiment, dont on a fait l’un des caractères distinctifs 
des animaux dans la définition qu’on en donne, ce qui 
se trouve copié dans tous les ouvrages et répété par- 
tout , leur est véritablement général ; ou, si ce n’est 
pas une faculté particulière à certains d’entre eux, 
comme l’est celle de mouvoir volontairement leurs 
parties. 

Il n’est aucun physiologiste qui ne sache très bien 
que, sans l'influence d’un système nerveux , le senti- 
ment ne saurait être produit. C’est une condition de 
rigueur; et l’on sait même que ceux des nerfs qui 
fournissent à certaines parties la faculté de sentir , 
cessent aussitôt, par leur lésion , d’y entretenir cette 
faculté. C’est donc un fait positif que le sentiment est 
un phénomène organique; qu'aucune matière quel- 
conque n’a en elle-même la faculté de sentir(Phil. zool., 
vol. 2, p. 252); et qu’enfia, ce n’est que par le moyen 
des nerfs que le phénomène du sentiment peut se pro- 
duire. Il résulte de ces vérités, que personne actuelle- 
ment ne saurait contester qu’un animal qui n’aurait 
point de nerfs ne saurait sentir. 

J’ajouterai maintenant, comme seconde condition , 
que le système nerveux doit être déjà assez avancé dans 


INTRODUCTION. 27 


sa composition pour pouvoir donner lieu au phéno- 
mène du sentiment; car, je puis prouver que, pour 
sentir , il ne suffit point à un animal d’avoir des nerfs; 
mais qu'il faut en outre que son système nerveux soit 
assez avancé dans sa composition pour que le phéno- 
mène de la sensation puisse se produire en lui. 

Ainsi, pour que le sentiment soit une faculté générale 
aux animaux, il faut nécessairement que le système 
nerveux, qui seul y peut donner lieu, soit commun à 
tous sans exception ; qu’il fasse partie de tous les sys- 
tèmes d’organisation que l’on observe parmi eux ; que 
partout il y puisse exécuter ses fonctions ;et que la plus 
simple des organisations animales soit cependant mu- 
nie , non-seulement de nerfs, mais en outre de l’appa- 
reil nerveux propre à produire le sentiment, tel que 
celui qui se compose, au moins, d’un centre de rapport 
auquel se rendent les nerfs qui peuvent causer la sen- 
sation. Or, ce n’est point là du tout ce que la nature a 
exécuté à l’égard de tous les animaux connus; et ce 
n'est pas là non plus ce que les faits observés confir- 
ment. 

Dans les plus simples et les plus imparfaits des wé- 
gétaux , la nature n’a établi que la vie végétale; elle 
n'a pu modifier le tissu cellulaire de ces corps, et y tra- 
cer diflérentes sortes de canaux. 

De même , dans les animaux les plus imparfaits et 
les plus simples en organisation , elle n’a établi que la 
vie animale, c’est-à-dire, que l’ordre des choses essen- 
tiel pour la faire exister ; aussi dans les corps gélati- 
neux el presque sans consistance qui lui suflirent pour 
cet objet, elle n’a pu ajouter aucun organe particulier 
quelconque. Cela est évident, et l’observation de ces 
animalcules atteste quelle n’a point fait autrement. 

Que l’on cherche tant qu’on voudra dans une mo- 
nade, dans une volyoce, ou dans une protée, des nerfs 


28 INTRODUCTION. 


aboutissant à un cerveau ou à une moelle longitudi- 
nale, ce qui est nécessaire pour la production du sen- 
timent, on sentira bientôt l’inutilité, Le ridicule même 
de cette recherche. 

Comme la nature a compliqué graduellement l’orga- 
nisation animale, et a multiplié progressivement les 
facultés à mesure qu’elles devenaient nécessaires , ce 
que je prouverai bientôt, on reconnaît en s’élevant 
dans l'échelle animale, à quel point de cette échelle 
commence la faculté de sentir; car dès que cette fa- 
culté existe , l’animal qui en jouit offre constamment 
un appareil nerveux , très distinct, propre à la pro- 
duire; et presque toujours alors, un ou plusieurs sens 
particuliers se montrent à l’extérieur. 

Enfin , lorsque l’appareil nerveux en question ne se 
trouve plus, qu’il n’y a plus de centre de rapport pour 
les nerfs, plus de cerveau, plus de moelle longitu- 
dinale ; jamais alors l’animal ne présente aucun sens 
distinct. Or, vouloir, dans ce cas, lui attribuer Je 
sentiment , tandis qu’il n’en a pas l'organe, c’est évi- 
demment se bercer d’une chimère. 

On me dira peut-être que c’est un système de ma 
part, de vouloir assurer que le sentiment n’a point 
lieu dans un animal en qui l’on ne voit point de nerfs, 
ou même qui en est réellement dépourvu ; puisque 
l’on sait qu’en bien des cas la nature sait parvenir au 
même but, par différents moyens. 

À cela je répondrai que ce serait plutôt un système 
de la part de ceux qui me feraient cette objection; car 
ils ne sauraient prouver : 

10 Que le sentiment soit nécessaire aux animaux qui 
n’ont point de nerfs ; 

2° Que là où les nerfs manquent, la faculté de sentir 
puisse néanmoins exister. 


INTRODUCTION. 29 


Ce n’est assurement qne par système qu'on pourrait 
supposer de pareilles choses. 

Or, je puis montrer que si la nature eût donné la 
faculté de sentir à des animaux aussi imparfaits que 
les infusoires , les polypes , etc. , elle eût fait en cela 
une chose à la fois inutile et dangereuse pour eux. En 
eflet, ces animaux n’ayanit jamais besoin de choisir les 
objets dont ils se nourrissent, de les aller chercher, 
enfin, de se diriger vers eux, mais les trouvant tou- 
jours à leur portée, parce que Îles eaux qui en sont rem- 
plies , les tiennent sans cesse à leur disposition, l’in- 
telligence pour juger et choisir, le sentiment pour 
connaître et distinguer, seraient pour eux des facultés 
superflues et dont ils ne feraient aucun usage. La der- 
nière même (la faculté de sentir) serait probablement 
nuisible à des animaux si délicats. 

Le vrai en cela est que ce fut d’abord d'après les 
organisations animales les plus perfectionnées que l’on 
s’est formé une opinion sur la nature des animaux en 
général ; et maintenant, cette opinion reçue fait que 
l’on se sent porté à regarder comme système toute 
considération qui tend à la renverser, quelqu’appuyée 
qu'elle soit par les faits et par l’observation des lois de 
la nature. 

Sans avoir besoin d’entrer ici dans plus de détails, 
je crois avoir prouvé qu'il n’est pas vrai que tous les 
animaux soient généralement doués du sentiment; j'ai 
démontré même que cela est impossible : 

1° Parce que tous les animaux ne possèdent point 
l'appareil nerveux nécessaire à la production du sen- 
üument; 

20 Parce que tous les animaux ne sont pas même 
munis de nerfs, et qu'il n’y a que des nerfs aboutis- 
sant à un centre de rapport, qui puissent donner lieu 
à la faculté de sentir; 


30 INTRODUCTION. 


30 Parce que la faculté d’éprouver des sensations n’est 
pas nécessaire à tous les animaux , et qu’elle pourrait 
même être très nuisible aux plus frêles et aux plus im- 
parfaits de ces êtres ; 

4° Parce que le sentiment est un phénomène organi- 
que, et non la faculté particulière d'aucune matière 
quelconque ; et que ce phénomène, quelque admirable 
qu’il soit , ne saurait être produit que par le système 
d’organes qui en a le pouvoir; 

50 Enfin, parce qu’on observe que le système ner- 
veux, très compliqué dans les mammifères et sur-tout 
dans les animaux des premiers genres des quadru- 
manes, Va en se dégradant et se simplifiant de plus en 
plus à mesure que l’on descend l’écheile animale; qu’il 
perd progressivement, dans cette marche , plusieurs 
des facultés dont il faisait jouir les animaux ; et qu’il 
disparaît entièrement lui-même, long-temps avant 
d’avoir atteint l’autre extrémité de l’échelle. 

Si ce sont là des vérités attestées par l’observation; 
si tous les animaux ne possèdent pas la faculté de sen- 
tir , et n’ont pas celle d’agir volontairement , combien 
est fautive la théorie généralement reçue, qui admet 
pour définition de l’animal, la faculté du sentiment et 
celle du mouvement volontaire (1). 

Je ne m'étendrai pas ici davantage sur ce sujet; mais 
ayant beaucoup de redressements à présenter, relati- 
vement aux principes qu’il convient d'admettre en 
zoologie, et devant compléter les considérations essen- 
tielles qui peuvent, par leur connexion évidente, mon- 
trer le fondement de ces principes, je vais diviser cette 
Introduction en sept parties principales. 


(1) La réfutation de Lamarck estcomplîte : elle est fondée sur ce que 


le raisonnement a de plus juste ; elle est la conséquence nécessaire de 
l'appréciation rigoureuse, les faits relatifs à l’organisation des animaux, 


INTRODUCTION: 31 


Dans la première, je traiterai des caractères essen- 
tiels des animaux , comparés à ceux des autres corps 
naturels que nous pouvons connaître , et je donnerai 
une définition précise de ces êtres singuliers. 

J'établirai, dans la seconde, l’existence d’une pro- 
gression dans la composition de l’organisation des dif- 
férents animaux , ainsi, que dans le nombre et l’émi- 
nence des facultés qu’ils en obtiennent. Ce fait établi 
d’après l’observation , deviendra décisif en faveur de 
la théorie proposée. 

Je traiterai dans la troisième, des moyens employés 
par la nature pour instituer la vie animale dans un 
corps où elle n’existait pas, composer ensuite progres- 
sivement l’organisation des animaux, et établir en eux 
différents organes particuliers, graduellement plus 
compliqués, qui leur donnent des facultés en rapport 
avec ces organes. 

Dans la quatrième partie , les facultés observées dans 
les animaux seront toutes considérées comme des phé- 
nomènes uniquement organiques , et j'en offrirai la 
preuve. 

Dans le cinquième, je considérerai la source des pen- 
chants et des passions, soit des animaux sensibles, soit 
de l’homme même, et je montrerai qu’elle est un vé- 
ritable produit du sentiment intérieur, et par suite, 
de l’organisation. 

. Dans la sixième , l’enchaînement des causes essen- 
tielles à considérer m’oblige à traiter de la nature, c’est- 
à-dire, de la puissance, en quelque sorte mécanique, 
qui a donné l’existence aux animaux divers, et qui les 
a fait nécessairement ce qu’ils sont. J’essaierai de fixer 
les idées que nous devons attacher à ce mot si générale- 
ment employé , et néanmoins si vague dans son accep- 
ton. 

Enfin, dans la septième et dernière partie, j’expo- 


32 INTRODUCTION. 


serai la distribution générale des animaux, ses divi- 
sions, et les principes sur lesquels cette distribution 
doit être fondée. Dès lors, le rang des différents ani- 
maux sans vertèbres, et les rapports de ces êtres avec 
les autres corps connus de notre globe, seront claire- 
ment déterminés. 


INTRODUCTION. 33 


YOU ————— 


PREMIÈRE PARTIE. 


DES CARACTÈRES ESSENTIELS DES ANIMAUX, COMPARÉS A 
CEUX DES AUTRES CORPS DE NOTRE GLOBE. 


Jusqu'ici, j'ai essayé de faire voir que le plan géné- 
ral de nos études des animaux était fort imparfait, et 
n'avait guère de valeur qu’à l’égard des nos classifica- 
tions, de nos distinctions d'espèces, etc. 

J'ai montré effectivement , que ce plan n’embrassait 
nullement les moyens de nous procurer des notions 
exactes, de ce que sont réellement les animaux, de ce 
qu’ils tiennent de la nature, de ce qu’ils doivent 
aux circonstances, enfin , de la source et des limites 
de leurs facultés ; en sorte qu’il est résulté du plan 
borné de nos études zoologiques , qu’actuellement 
même , nous ne sommes pas encore en état d’attacher 
au mot animal, des idées claires, justes et circons- 
crites. 

Pour fixer définitivement nos idées sur ce que sont 
essentiellement les animaux , ainsi que sur les carac- 
tères qui leur sont exclusivement propres , el pour 
établir la véritable définition qu’il faut donner de ces 
êtres, il m’a paru indispensable de comparer de nou- 
veau ces mêmes êtres à tous ceux de notre globe, qui 
ne sont point doués de la vie , et ensuite à ceux des 
corps vivants qui ne font point partie du règne animal, 
afin de déterminer les limites positives she séparent 
ces différents êtres. 


Tone 1, k à 


34 INTRODUCTION. 


Bien des personnes pourront regarder comme super- 
flues les nouvelles déterminations des coupes primaires, 
parmi les productions de la nature, dont j'entends 
faire ici l'exposition ; supposant que celles que l’on a 
établies sont suffisamment bonnes, assez connues, et 
qu'aucune rectification ne leur est nécessaire. J'aurai 
cependant occasion de montrer les incertitudes que les 
distinctions primaires dont il s’agit n'ont pas dé- 
truites , en citant les écarts évidents auxquels ellesont 
donné lieu, même dans nos temps modernes. 

Ainsi, reprenant dans ses fondements mêmes , l’édi- 
fice entier de nos distinctions des corps naturels, je 
vais considérer d’abord ce que sont essentiellement les 
corps incapables de vivre; j’examinerai ensuite ce qui 
constitue positivement les corps doués de la vie, et 
quelles sont les conditions que l'existence et la conser- 
vation de la faculté de vivre exigent en eux. De là, 
passant à l’examen des végétaux en général, je mon- 
trerai que ces corps vivants ont un caractère parlicu- 
lier qui les distingue tellement des animaux, qu’ils ne 
sauraient se confondre avec eux par aucun point de 
leur série. Enfin, ne m’occupant que des considéra- 
tions essentielles qui peuvent fixer ces distinctions 
primaires, et n’entrant dans aucun détail afin d’ar- 
river rapidementà mon but, je terminerai par exposer, 
pour les animaux , des caractères essentiels et distinc- 
tifs, qui ne laisseront nulle part, ni incertitude, ni 
exception quelconque. Alors, la définition de chacune 
de ces sortes de corps , se trouvera simple, claire, pré- 
cise et tranchée. 

Pour remplir cet objet, je vais diviser cette pre- 
mière partie en quatre chapitres particuliers, et com- 
mencer par celui qui a pour but de fixer Ja détermina- 
tion des caractères essentiels des corps incapables de 
vivre, 


INTRODUCTION. 35 


CHAPITRE PREMIER. 


Des corps inorganiques, soit solides ou concrets, soit fluides, en qui le 
phénomène de la vie ne saurait se reproduire , et des caractères es- 
sentiels de ces corps. 


Avant de rechercher ce que sont positivement, soit 
les animaux, soit les végétaux, il importe de connaî- 
tre ce que sont, de leur côté, les corps qui ne sau- 
raient jouir de la vie, et de fixer nos idées sur l’état et 
la nature de ces corps incapables de vivre. Alors, les 
comparant avec ceux en qui le phénomène de la vie 
peut se produire, les caractères qui indiquent la li- 
mite qui sépare ces deux sortes de corps, pourront être 
mis en évidence, s’ils existent. 

Mon dessein n’est assurément pas de considérer ici 
aucun des corps inorganiques en particulier, ni d’en- 
trer dans le moindre détail sur l’étude déjà fort «van- 
cée de ces corps; mais comme nous devons tàcher de 
nous former une idée juste et claire de l'animal , nous 
efforcer de le connaître sous tous ses rapports, et que 
l'animal est essentiellement un corps vivant, il nous 
importe, avant tout, de savoir en quoi les corps inca- 
pables de posséder la vie, différent de ceux qui en jouis- 
sent où peuvent en Jouir. 

Ainsi, jetons un coup d’œil rapide sur ces corps in- 
capables de vivre, et qui cependant fournissent les 
matérieux de ceux que la vie anime; et fixons, d’une 
manière positive, la limite qui la sépare des corps 
vivants. Quoiqu’admise, cette hinite n'est pas tellement 
déterminée, qu'on ait bien des fois tenté de la fran- 


3* 


36 INTRODUCTION. 


chir de notre temps, en attribuant la vie à des objets 
dans lesquels il est impossible qu'elle puisse exister (1). 

En examinant attentivement tout ce que nous pou- 
vons observer hors de nous, tout ce qui peut aflecter 
nos sens el parvenir a notre connaissance, nous remar- 
quons que, parmi tant de corps divers qui sont dans 
ce cas, certains d’entre eux offrent cela de particulier, 
qu’ils manquent de rapports communs , relativement 
à leur origine, que-leur durée et leur volume ou leur 
grandeur n’ont rien qui soit déterminable ; que la con- 
servation de leur existence n’est assujettie à aucun be- 
soin de leur part, et serait sans terme, si, par suite du 
mouvement répandn dans toutes les parties de la 
nature, et si, agissant plus ou moins les uns sur les 
autres, selon les circonstances de leur situation, de 
leur état et des affinités, ils n'étaient plus ou moins 
exposés à des changements de toutes les sortes; et 
qu'enfin, quoique beaucoup moins nombreux en es- 
pèces que les autres , ces corps constituent, à eux seuls, 
la masse principale du globe que nous habitons. Or, 
c’est à ces mêmes corps, soit solides, soit liquides, soit 
élastiques et gazeux, que nous donnons le nom de 
corps inorganiques; et nous allons faire voir qu’en 
aucun d’eux le phénomène de la vie ne saurait se pro- 
duire. 

Afin d’écarter le vague et toute opinon arbitraire 
à leur égard, déterminons d’abord leurs caractères 


essentiels. 


(1) N’a-t-on pas osé dire que le globe terrestre est un corps vivant ; 
qu'il en est de même des différents corps célestes; et confondant le 
phénomène organique de La vie, qui donne des facultés toujours les 
wèmes aux corps en qui on l’observe, avec le mouvement constamment 
répandu dans Loates les parties de la nature, n’a-t-0n pas osé assimiler 
la nature mème aux êtres doués de la vie ! ( Vote de Lamarck. ) 


INTRODUCTION. 37 


Caractères généraux des corps inorganiques. 


Les corps inorganiques, de quelque nature, consis- 
tance et grandeur qu’ils soient, différent essentielle- 
ment de ceux qui possèdent la vie; 

10 En ce qu'ils n’ont l'individualité spécifique que 
dans la molécule intégrante, qui constitue leur espèce 
particulière, les masses et les volumes que peuvent 
former, par leur réunion on par leur aggrégation, ces 
molécules, n’ayant point de bornes, et n’opérant au- 
cune modification de l’espèce dars leurs variations; 

20 En ce qu’ils n’ont point tous un même genre 
d’origine; les uns s'étant formés par l’apposition de 
molécules déposées successivement à l'extérieur, et les 
autres ayant élé produits, soit par des décompositions 
partielles ou des altérations de certains corps, soit par 
des combinaisons que des matières diverses et en con- 
tact ont été exposées à former; 

30 En ce qu’ils n’ont point un tissu cellulaire ser- 
vant de base à une organisation intérieure ; mais seule- 
ment une structure, un état quelconque d'aggrégation 
ou de réunion de leurs molécules ; 

4° En ce qu'ils n’ont aucun besoin à satisfaire pour 
leur conservation ; | 

50 En ce qu’ils n’ont point de facuités, mais seule- 
ment des propriétés ; 

60 En ce qu'ils n’ont point de terme assigné à la 
durée d'existence des individus, leur fin, comme leur 
origine, étant indéterminée et tenant à des circons- 
tances fortuites ou accidentelles ; 

7° En ce qu'ils n’ont aucun développement à opérer 
en eux, qu'ils ne forment pointeux-mêmes leur propre 
substance, et que ceux qui épro ivent des mouvye- 
ments dans leurs parties, ne les acquièrent qu'acci- 


38 INTRODUCTION. 


dentellement, et ne les reçoivent jamais par excita- 
tion. 

80 Enfin, en ce qu’ils ne sont point assujettis à des 
pertes nécessaires : qu'ils ne sauraient réparer eux- 
mêmes les altérations que des causes fortuiles peuvent 
leur faire éprouver; qu'ils ne sont point essentiellement 
forcés à une succession gradueile de changement d’état; 
qu'ils n’offrent dans leur aspect , ni les traits de la jeu- 
nesse, ni ceux de la vieillesse ; en un mot, que ne con- 
naissant point la vie, ils n’ont point de mort à subir {1). 

Tels sont les caractères essentiels des corps incrgani- 
ques , de ces corps dont la nature et l’individualité de 
l'espèce, ne résident absolument que dans la molécule 
intégrante qui les constitue, et dont aucun individu 
ne saurait en lui-même posséder la vie, parce qu'il 
est impossible qu’une molécule intégrante puisse 
offrir le phénomène de la vie, sans être détruite dans 
l'instant même; enfin , de ces corps qui, par la réunion 
de leurs molécules , peuvent former des masses diverses 
dans lesquelles la vie peut exister, mais seulement 
dans le cas où elles ont pu être organisées, et recevoir 
dans leur intérieur l’ordre et l’état des choses qui per- 
meltent les mouvements vitaux et ies changements 
qu'ils exécutent. 

En effet, la vie, dans un corps, consistant, comme 
je le prouverai, en une suite de mouvements qui amè- 
nent dans ce corps une suite de changements forcés , 
la nature ne saurait l’instituer dans une molécule in-- 


(1) Cette définition que Lamarck a donnée dans cette forme pour 
être facilement comparée à celles du végétal et de l'animal, pourrait 
être réduite, car la propriété essentiellement distinctive des corps inor- 
ganiques est de s’accroître de dehors en dedans par additions molécu- 
laires, tandis que les corps organisés s’accroissent de dedans en dehors 
par assimilation ou intus susception. 


INTRODUCTION: 39 


tégrante quelconque, sans détruire aussitôt l’état, la 
forme et les propriétés de cette molécule. Ne sait-on 
pas que le propre de toute molécule intégrante est de 
ne pouvoir conserver sa nature et ses propriétés, qu’au- 
tant qu’elle conserve sa forme, sa densité et son état ? 
en sorte que c’est uniquement sur cette constance de 
forme pour chaque espèce, que sont fondés les prin- 
cipes de la crystallographie que M. Haïüy a si heureu- 
sement découverts et si habilement développés. 

Ainsi , la wie ne saurait exister dans une molécule 
intégrante de qftelque nature qu’elle soit; et cepen- 
dant tout corps inorganique n’a l’individualité de son 
espèce que dans sa molécule intégrante. Elle ne sau- 
rait exister non plus dans une masse de molécules in- 
tégrantes réunies , si cette masse n’a reçu l’organisation 
qui lui donne alors l’individualité, c’est-à-dire, si elle 
n’a reçu dans son intérieur l’ordre et l’état de choses 
qui permettent en elle l’exécution des mouvements 
vitaux. 

Voilà des vérités de fait qu’il était important d’éta- 
blir, et qui montrent l'intervalle considérable qui sé- 
pare les corps inorganiques de ceux qui sont vivants: 

Ce n’est, comme nous le verrons, que dans une 
masse de molécules intégrantes diverses, réunies en un 
corps particulier , que la nature peut instituer la vie, 
et jamais dans une molécule intégrante seule; et elle 
n’y parvient que lorsqu'elle a pu établir dans ce corps 
particulier, l’état et l’ordre de choses nécessaires pour 
que le phénomène de la vie puisse s’y produire. Or, 
cet état et cet ordre de choses nécessaires à la produc- 
tion de la vie, constituent à la fois et l’organisation de 
ce corps, et son individualité spécifique. Il en résulte 
qu’à l’instant même où un corps qui jouissait de la vie, 
a perdu dans ses parties l’état des choses qui permet- 
taient l’exécution de ce phénomène, et qu'ilest, parcette 


40 INTRODUCTION. 


perte, devenu incapable de offrir désormais ; aussitôt 
alors ce corps perd l’individualité spécifique, et fait 
partie des corps inorganiques , quoiqu'il présente en- 
core les restes grossiers d’une organisation qu'il a pos- 
sédée, organisation qui achève graduellement de 
s’'anéantir , ainsi que la propre substance de ce même 
corps. 

La vue des restes de l’organisation d’un corps qui a 
vécu , mais en qui le phénomène de la vie ne peut plus 
s’exécuter, ne saurait donc laisser a@tcun doute sur le 
règne auqu:] ce corps appartient alors. 

Ainsi , les corps généralement appelés inorganiques, 
et qui forment un règne si distinct des corps vivants, 
n’ont pas pour caractère unique, de n’offrir aucune 
apparence d’organisalion; mais ils ont celui d’avoir 
leurs parties dans un état qui rend impossible en eux 
la production du phénomène de la vie. 

Ces caractères mis en opposition avec ceux des corps 
vivants , nous font connaître l’existence d’un hiatus, 
en quelque sorte immense , entre les uns et les autres; 
hiatus constitué par l’impossibilité des uns de donner 
lieu au phénomène de la vie, tandis que l’exécution 
de ce phéuomène est possible et presque toujours ef- 
fectif dans les autres. Aussi ces deux sortes de corps 
comparés, présentent une si grande différence dans 
tout ce qui les concerne, qu’il n’est pas possible de 
trouver un seul motif raisonnable pour supposer que 
Ja nature ait pu les réunir quelque part, c’est-à-dire, 
passer des uns aux autres par une véritable nuance. 

Par leur rapprochement et l’amas qu’en a causés la 
gravitation universelle, les corps inorganiques cons- 
tituent eux seuls la masse principale du globe que 
uous habitons; et bien inférieurs aux corps vivants en 
diversité d’espèces, ce sont eux cependant qui, par 
les grands volümes et les grandes masses qu’ils forment, 


INTRODUCTION: 4x 


occupent presque entièrement la place que tient dans 
l’espace le globe terrestre. 

À leur égard , néanmoins, les volumes et les masses 
de ces corps ne se conservent pas toujours indéfini- 
ment; Car ceux sur-tout qui se trouvent à la surface 
du globe, éprouvent sans cesse, de la part des agents 
répulsifs et pénétrants qui y dominent, des effets qui 
détachent peu à peu les particules de leur superficie. 
Alors, les lavages produits par les eaux pluviales, en- 
traînent, charrient et déposent ailleurs successivement 
ces particules; et toutes celles qui se trouvent réduites 
en molécules intégrantes libres, l’aggrégation les réunit 
et les consolide en nouvelles masses, ou en accroît les 
masses déjà existantes qui les reçoivent. 

À l’action des agents répulsifs et pénétrants , qui ne 
font que séparer les particules des corps que les cir- 
constances où elles se trouvent rendent séparables, si 
l’on ajoute celle des agents altérants ou chimiques, 
qui peut aussi s'exercer sur ces mêmes corps, ainsi que 
celle des affinités qui dirigent alors chaque action de 
ces agents, on aura dans ces trois grandes causes, 
celles qui donnent lieu à toutes les mutations qu’on 
observe dans la nature, les volumes et les masses des 
corps inorganiques. 

Il n'importe nullement à mon objet d'indiquer ici 
la nature particulière d'aucun des corps inorganiques 
qui ont été observés; mais la nécessité où je suis d’at- 
tirer l'attention sur certains de ces corps, parce qu'ils 
jouent un grand rôle dans le phénomène de la vie, et 
parce que ce phénomène ne saurait s’exécuter sans eux ; 
cette nécessité, dis-je, me met dans le cas de m'occuper 
ici somumairement des corps incapables de vivre, et de 
les distinguer, dans cette vue, en corps solides ou con- 
crets, et en corps fluides. 

Les corps inorganiques solides présentent des ma- 


42 INTRODUCTION. 


tières diverses, le plus souvent composées, formant 
des masses plus ou moins dures, plus ou moins denses, 
et de différente grandeur. Ges masses résultent d’une 
aggrégation de molécules intégrantes, soit homogènes, 
soit hétérogènes, qui ont entre elles une adhérence 
ou une cohésion plus ou moins considérable : or, 
chacun sait : 

Que ces masses le plus souvent pierreuses, nous 
offrent des terres diverses, qui se rencontrent les unes 
pures, les autres mélangées; les unes acidifères , les 
autrés sans union avec aucun acide. 

Qu’en outre, parmi ces masses solides de toute 
grandeur et diversement entassées les unes sur les au- 
tres, on trouve des acides et des alcalis presque tou- 
jours combinés avec quelque matière concrète, des 
métaux différents, soit natifs, soit oxidés ; des matières 
combustibles dans l’état concret, soit pures, soit mé- 
langées ou combinées; enfin des aggrégats divers, la 
plupart sous forme de roche d’ancienne et de nouvelle 
formation, ainsi que des matières pierreuses altérées 
par le feu des volcans. 

Tous ces objets constituent les matériaux d’une 
science particulière que l’on a nommée minéralogie ; 
et ce sont eux principalement que l’on considère 
commecomposant le règne minéral. Ils n’intéressent 
celui qui s'occupe du phénomène de la vie, que comme 
fournissant une partie des matériaux qui forment les 
corps vivants. 

Les corps inorganiques fluides sont constitués par des 
matières dont les molécules intégrantes, quelles qu’elles 
soient, n’ont point d’adhérence entre elles, ou en ont 
une si faible qu’elle ne saurait les retenir dans leur 
situation, lorsque la gravitation sollicite leur dépla- 
cement. Par une cause connue, les molécules de ces 
corps sont entretenues dans cet état. 


INTRODUCTION. 43 


Ces corps fluides doivent aussi faire partie du règne 
que je viens de citer; car on sait que la plupart forme- 
raient des corps solides ou concrets, si la cause qui 
maintient leur fluidité n’agissait plus. 

On prendra de ces fluides une idée générale qu'il 
importe de ne pas perdre de vue, en considérant : 

10 Que les uns sont des //uides liquides , peu ou. 
point compressibles, et qui, réunis en masse, se voient 
toujours aisément. Or, indépendamment de ceux qui 
font partie de différents corps concrets et que l’on en 
peut obtenir, l’eau considérée dans’son état ordinaire, 
et qui est si abondamment répandue dans notre globe, 
nous offre le principal de ces fluides liquides; 

20 Que les autres sont des fluides élastiques, gazeux, 
et la plupart entièrement invisibles. Cr, c’est parmi 
ceux-ci qu'il est néeessaire d'établir une distinction; 
car il y en a de deux sortes particulières, qui sont 
très importantes à considérer , à cause de leur influence 
dans un grand nombre de phénomènes qui seraient 
inintelligibles sans la considération de cette influence : 
ainsi il faut les diviser; 

19 En fuides élastiques coërcibles , contenables et 
sensiblement pondérables ; 

29 En fluides subtils , incontenables et qui parais- 
sent incoërcibles, étant pénétrants ct pour nous im- 
pondérables. 

Les fluides élastiques, coërcibles , contenables , 
pondérables , sont ceux dont on peut renfermer et con- 
server des portions dans des vaisseaux clos: ce qui nous 
donve des moyens de les examiner et de les bien con- 
naître , en les soumettant à nos expériences. 

L’air aimosphérique et les différents gaz dont les 
chimistes nous ont donné la connaissance , appartien- 
nent à cette division. 

Les /luides subtils, incontenables, pénétrants et 


44 INTRODUCTION, 


impondérables, sont ceux dont on ne peu saisir et con- 
server aucune portion dans des vaisseaux clos; que 
nous ne pouvons soumettre que difhcilement et très 
imparfaitement à nos expériences; que nous ne con- 
naissons qu’incompiètement , mais dont cependant 
l'existence nous est assurée par l'observation. 

Or, ce sont précisément ces fluides subtils qu’il 
nous importe le plus ici de considérer; car ce sont 
ceux qui, dans notre globe, produisent les phénomènes 
les plus étonnants, les plus curieux, les moins connus; 
ce sont ceux qui, par leur action sans cesse renou- 
velée, constituent la cause excitatrice des mouvements 
Vilaux dans tout corps organisé en qui ces mouvye- 
ments sont exécutables; en un mot, ce sont ceux que 
lebi ologiste ne saurait se dispenser de prendre en con- 
sidération, s’il veut entendre quelque chose au phé- 
nomène de la vie, et saisir la cause des autres phéno- 
mènes que la vie, dans les animaux, peut amener 
successivement, en compliquant de plus en plus leur 
organisation. 

On sait assez que les fluides singuliers et incontena- 
bles dont je parle, fluides qui sont si pénétrants et si 
subtils, sont le calorique, l'électricité , le fluide ma- 
gnélique , etc. , auxquels peut-être il faut joindre la 
lumière, à cause de sa grande influence sur l’état et la 
conservation des corps vivants (1). 

Ces fluides subtils remplissent partout, quoiqu’iné- 
galement , la masse entière de notre globe et son at- 


(1) Outre qu'il peut exister d’autres fluides incontenables et très 
subtils que nous ne sommes pas encore parvenus à apercevoir ou à dis- 
tinguer, je n’associe la lumière qu'avec doute , aux autres fluides que 
je viens de citer; parce que cette matière n'appartient pas exclusive- 
ment à notre globe, et parce qu’elle paraît à peine un fluide, ses parti- 
cules ne se mouvant qu’en ligne droite. ( Vote de Zamarck. ) 


INTRODUCTION. 45 


mosphère. La piupart pénètrent, se répandent et se 
meuvent sans cesse, soit dans les interstices des autres 
corps, soit dans leur porosité ; enfin, ils sont si impor- 
tants à considérer , qu’il est certain que, sans eux, ou 
au moins sans cerlains d’entre eux , le phénomène de 
la vie ne saurait être produit dans aucun corps. 

Indépendamment de ses mouvements de déplace- 
ment, un d'entre eux au moins ( le calorique ), se 
trouve constamment dans un état répulsif plus ou 
moins intense , selon le degré de coërcion dans lequel 
il se rencontre. Il tend donc sans cesse à écarter ou à 
séparer les particules réunies des corps. 

L'électricité elle-même est dans un cas semblable, 
toutes les fois que des masses de cette matière se trou- 
vent coërcées momentanément par une cause quel- 
conque. 

Je viens de dire que les fluides subtils et pénétrants 
cités ci-dessus, sont sans cesse en mouvement dans les 
différentes parties de notre globe, dans tous les mi- 
lieux qui composent sa masse, dans les interstices et 
même dans la porosité des corps. De cette vérité, qu’at- 
testent les faits connus qui concernent ces fluides, il 
résulte que ces mêmes fluides sont partout dans une 
activité continuelle, et qu'ils exercent une influence 
réelle sur la plupart des phénomènes que nous obser- 
vons. ( 

Or, pour montrer que les fluides subtils dont il 
s’agit, sont sans cesse en mouvement dans notre globe, 
il n’est nullement nécessaire d’attribuer à aucun d’eux 
le moindre mouvement en propre; il suffit de consi- 
dérer que, par leur extrême mobilité et Jeur facile 
condensation, iis sont, plus même que les autres corps, 
assujéltis à participer aux mouvements répandus et en- 
tretenus dans toutes les parties de ia nature. 


‘ 


Ainsi , sans remonter à la cause du mouvement 


46 INTRODUCTION. 


diurne de rotation de notre globe sur son axe, ni à 
celle de son mouvement annuel autour du soleil, nous 
ferons remarquer que ces deux mouvements non in- 
terrompus de notre globe, entraînent nécessairement 
ceux des fluides subtils dont il est question; qu'ils les 
exposent à des déplacements continuels, et les mettent 
sans cesse, pour ainsi dire, dans un état d’agitation et 
de condensation instantanée et diverse. 

En effet, que l’on considère les alternatives perpé- 
tuelles de lumière et d’obscurité que le jour et la nuit 
entretiennent sur diflérents points de notre globe, 
celles que les saisons, les vents, etc. , produisent pres- 

ue continuellement dans son atmosphère, on sentira 
qu’il doit en résulter des variations locales et toujours 
renaissantes, dans la température et la densité de l'air 
atmosphérique , dans la sécheresse ou l’humidité de 
diverses parties de sa masse, et dans les quantités d’é- 
lectricité qui pourront se reproduire et s’accumuler 
localement dans l’atmosphère, ou en être expulsés plus 
ou moins complètement , selon ces diverses circons-. 
tances. 

Il sera toujours vrai de dire que, dans chaque point 
considéré de notre globe où ils peuvent pénétrer , la 
lumière, le calorique, l'électricité, etc , ne s’y trouvent 
pas deux instants de suile en même quantité, en même 
état, et n’y conservent pas la même intensité d’ac- 
ton. 

L'on sent donc que les luides subtils, incoërcibles 
et penétrants # dont il vient d’être question , consti- 
tuent nécessairement une source féconde en phénomè- 
nes divers : et qu'eux seuls peuvent offrir cette cause 
singulière, excitatrice des mouvements vitaux dans les 
corps où ces mouvements sont possibles. 

Nous étant formé une idée claire des caractères es- 
sentiéls des corps inorganiques, soit solides, soit flui- 


INTRODUCTION. 47 


des, passons maintenant à l’examen de ceux qui sont 
le propre des corps vivants (1). 


CHAPITRE Il. 


Des corps vivants, et de leurs caractères essentiels. 


Ve l’idée, plus ou moins juste, que nous nous for- 
merons des corps vivants en général, dépendront Îa 
solidité plus ou moins grande de nos connaissances 
sur le phénomène de la wie, et ceile aussi, plus ou 
moins grande , de nos théories physiologiques , soit 
végétales, soit animales. 

Nous devons donc apporter la plus grande circons- 
pection dans les conséquences que nous tirerons des 
faits mêmes pour cet objet ; et nous rappeler que c’est 
sur-tout ici qu'il faut éviter notre écueil ordinaire, 
celui de conclure du particulier au général. 

Sans doute, il est très dangereux de rechercher direc- 
tement, à l’aide de notre imagination , ce que sont les 
corps vivants, ce qu'est la vie elle-même qu'ils possè- 


(1) Les découvertes récentes de la physique et de la chimie font sup- 
poser ayec quelque raison que la chaleur, l'électricité et le magnétisme 
ne sont que des modifications d’un même agent. Les belles découvertes 
de M. Duperrey , qui a démontré la coïncidence parfaite des lignes 
isothermes avec celles d'égale intensité magnétique, tendent à prouver 
que le magnétisme n’est que la manifestation de la chaleur propre du 
globe terrestre. 

Des physiologistes recommandables pensent que le fluide magnétique 
modifié d’une manière particulière, est l’agent essentiel de la vie, et que 
les appareils nerveux ne sont destinés qu’à le contenir , le renouveler 
et le transmettre ; mais les êtres vivants qui n’ont point de nerfs, com- 
ment expliquer la vie chez eux dans cette hypothèse ? 


48 INTRODUCTION: 


dentet qui les distingue des corps qui ne sauraient en 
jouir! mais j'ai depuis long -temps remarqué et fait 
connaître une voie plus assurée pour atteindre le même 
but sans s’exposer autant à l’erreur ; c’est celle de 
fixer, d’après l’observation , les conditions essentielles 
à l’existence des corps vivants, et ensuite à celle de 
la wie. 

La détermination de ces conditions n’exige aucun 
raisonnement de notre part, mais seulement un fon- 
dement reconnu ou incontestable dans les faits cités. 
Enfin, ces mêmes conditions , en nous éclairant sur la 
nature des objets considérés, deviendront les caractères 
distinctifs de certains de ces objets. : 

Avant d'établir positivement ces caractères, et con- 
séquemment les conditions essentielles à l’existence 
des corps wivants, considérons les observations sui- 
vantes. 

A mesure que notre attention fut dirigée sur ce 
qui est hors de nous , sur ce qui nous environne, et 
particulièrement sur les objets qui se sont trouvés à la 
portée de nos observations, outre les corps inorgani- 
ques et sans vie qui constituent presque la masse en- 
tière de notre globe, nous avons distingué et reconnu 
l'existence d’une multitude de corps singuliers qui, 
quelque différents qu’ils soient les uns des autres, ont 
tous une manière d’être qui leur est commune et à la 
fois particulière. 

Ces corps, en effet, ont tous un même genre d’ori- 
gine, des termes à leur durée , et des besoins à satis- 
faire pour se conserver, et ne subsistent qu’à l’aide 
d’un phévomène intérieur qu’on a nommé la wie , et 
d’une organisation qui permet à ce phénomène de 
s’exécuter, 

Voilà déjà, dans ce peu de faits positifs, des condi- 
tions essentielles à l'existence de ces corps. Il y en a 


INTRODUCTION, 49 


bien d’autres encore que je citerai bientôt; et l'on 
sentira que ce ne peut être que de leur ensemble que 
naîtra la seule idée juste que nous puissions nous for- 
mer des corps dont il s’agit. 

Ayant exposé dans ma Philosophie zoologique (vol. 
1, p. 400) les conditions essentielles à l’existence de 
la vie, je ne vais m'occuper ici que des corps en qui 
ce phénomène s’exécute ou peut se produire. 

C’est aux corps singuliers et vraiment admirables 
dont je viens de parler, qu’on a donné le nom de corps 
vivants; et la vie qu’ils possèdent, ainsi que les facul- 
tés qu’ils en obtiennent, les distinguent essentielle- 
ment des autres corps de la nature. Ils offrent en eux 
et dans les phénomènes divers qu’ils présentent, les 
matériaux d’une science particulière qui n’est pas en- 
core fondée, qui n’a pas même de nom, dont j'ai 
proposé quelques bases dans ma Philosophie zoologique, 
et à laquelle je donnerai le nom de Biologie. 

On conçoit que tout ce qui est généralement com- 
mun aux végétaux el aux animaux, comme toutes les 
facultés qui sont propres à chacun de ces êtres, sans 
exception, doit constituer l’unique et vaste objet de 
la Biologie ; car les deux sortes d’êtres que je viens de 
citer, sont tous essentiellement des corps vivants, et 
ce sont les seuls êtres de cette nature qui existent sur 
notre globe. 

Les considérations qui appartiennent à la Biologie 
sont donc tout-à-fait indépendantes des différences 
que les végétaux et les animaux peuvent offrir dans 
leur nature, leur état et les facultés qui peuvent être 
particulières à certains d’entre eux. 

Si les facultés généralement communes aux êtres 
vivants, et qui sont exclusives pour tous les autres, 
nous paraissent admirables, nous semblent mème des 
merveilles, telles que celles : 


Tome 1. 4 


50 INTRODUCTION. 


10 d’oflrir en eux le phénomène de la vie; 

20 de se nourrir à l’aide de matières étrangères in- 
corporées ; 

30 de former eux-mêmes les substances dont leur 
corps est composé, ainsi que celles qui s’en séparent 
par les sécrétions ; 

4° de se développer et de s’aecroître jusqu’à un terme 
particulier à chacun d’eux : 

bo de se régénérer eux-mêmes, c’est-à-dire , de pro- 
duire d’autres corps qui leur soient en tout sem- 
blables, etc., 

C'est parce que nous n’avons pas réellement étudié 
les moyens de la nature ct la marche constante qu’elle 
suit en les employant ; c’est parce que nous n’avons 
pas examiné l’influence qu'exercent les circonstances 
et les variations qu’eiles exécutent dans les produits 
de ces moyens. 

Par ce défaut d'étude et d'examen de ce qui a réelle- 
ment lieu, les faits observés à l'égard des corps vivants, 
nous paraissent des merveilles inconcevables; et nous 
croyons pouvoir suppléer aux observations qui nous 
manquent sur les moyens et la marche de la nature, 
en imaginant des hypothèses qui seraient bientôt re- 
poussées par les lois qu'elle suit dans ses opérations, 
si nous les connaissions mieux. 

Par exemple, ne prétend-on pas que les engrais 
fournissent aux végétaux des substances particulières, 
autres que l’humidité, pour les nourrir; tandis que 
ces matières, plus propres que les autres à conserver 
l'humidité (l’eau divisée), ne servent qu'à entretenir 
autour des racines des plantes celle qui est favorable 

leur végétation. Et si certains engrais sont plus 
avantageux que d'autres à certaines races, n’est-ce 
pas parce’ qu'ils conservent l'humidité dans le degré 
qui leur convient? Enfin, si les particules de certaines 


PI: INTRODUCTION. 5T 


matières entraînées par l’eau que pompent les racines, 
donnent à ces végétaux les qualités particulières , cela 
empèche-t-il que ces matières ne soient vraiment 
étrangères et nullement nécessaires à la végétation de 
ces plantes? 

Je me borne à la citation d’un seul exemple de nos 
états dans les conséquences que nous tirons des faits 
observés à l’égard des corps vivants; d’autres exemples 
m'entraîneraient trop hors de mon sujet. 

Je dirai seulement que, ne considérant pas certaines 
limites que la nature ne saurait franchir, bien des 
personnes commetlent une erreur en croyant qu’il 
existe une chaîne graduée qui lie entre eux les difié- 
rents corps qu’elle a produits. Il suivrait de cette 
Opinion que les corps inorganiques se nuanceraient 
quelque part avec les corps vivants, savoir, avec les 
végétaux les plus simples en organisation; et que les 
végétaux eux-mêmes, tenant le milieu entre les deux 
autres règnes, se confondraient avec les animaux par 
quelque point de leur série réciproque. 

L’imagination seule a pu donner lieu à une pareille 
idée, qui est ancienne, et qu’on a renouvelée dans 
différents ouvrages modernes. Mais je prouverai qu’il 
n’y à point de chaîne réelle qui lie généralement entre 
elles les productions de la nature, et qu’il ne peut s’en 
trouver que dans certaines branches des séries qu’elles 
forment ; encore ne s’y montre-t-elle que sous certains 
rapports généraux (1). 


\ 


(1) I west donc pas juste de dire, comme l’a fait encore tout récem- 
ment le savant Geoffroy Saint-Hilaire, dans son mémoire intitulé Pa- 
læontographie (page 12, note 6), que Lamarck a reproduit et déve- 
loppé la pensée de Telliamud; il la combat au contraire ici comme 
daûs la philosophie zoologique , ain:i ue dans la suite de cette intro- 
duction, ( deuxième partie ete,, de l'existence d’une progression dans 
les animaux ). 

4* 


5a INTRODUCTION. 


Pour éviter les raisonnements, les discussions par- 
ticulières, et faire connaître les conditions essentielles 
à l’existence des corps vivants, je vais exposer les vrais 
caractères de ces corps. Ilsme fourniront une distinction 
positive et très grande entre les corps inorganiques et 
ceux qui jouissent de la vie. Ensuite, j'en établirai une 
de toute évidence entre les plantes et les animaux; en 
sorte que l’on pourra se convaincre que ces trois 
branches des produits de la nature sont véritablement 
isolées, et ne se lient nulle part entre elles par aucune 
nuance. 

Déjà nous avons vu les caractères essentiels des corps 
inorganiques , auxquels il faut joindre ceux qui, pos- 
sédant les restes d’une organisation qui a existé en eux, 
sont devenus incapables d’être animés par la vie. Main- 
tenant, pour effectuer notre comparaison, examinons 
les principaux traits qui caractérisent les corps vivants, 
et qui mettent, entre eux et les corps inorganiques , 
une distance considérable. 


Caractères généraux des corps vivants. 


Les corps vivants, par des causes physiques déter- 
minables, ont tous généralement : 

19 L’individualité de l'espèce existante dans la réu- 
nion , la disposition et l’état des molécules inté- 
grantes diverses qui composent leurs corps, et jamais 
dans aucune de ces molécules considérée  séparé- 
ment (1); 


… 


(1) L’individualité spécifique des corps vivants réside toujours dans 
une masse résultante de la réunion et de la disposition de molécules 
inlégrantes diverses ; mais elle est tantôt simple et tantôt composée, 

Elle est simple, lorsqu'elle réside dans le corps entier ;elle est com- 
posée, lorsque le corps entier est lui-même composé d'individus 
réunis. 

Dans la plupart des végétaux, comme dans un grand nombre de 


INTRODUCTION: 53 


2° Le corps composé de deux sortes essentielles de 
parties; savoir : de parties concrètes, toutes ou la plu- 
part contenantes , ei de fluides libres contenus; les 
premières étant généralement constituées par un tissu 
cellulaire flexible, susceptible d’être modifié diverse- 
ment par les mouvements des fluides contenus, et de 
former différents organes particuliers; 

30 Des mouvements internes, dits vitaux, qui ne 
sont produits que par des causes excitatrices ou stimu- 
lantes; mouvements qui peuvent être, soit accélérés, 
soit ralentis ou même suspendus, mais qui sont né- 
cessaires aux développements de ces corps: 

40 Un ordre ou un état de choses dans les parties 
qui, tant qu'ils subsistent, rendent possibles les 
mouvements vitaux dont l’exécution constitue le phé- 
nomène de la vie (1); mouvements qui amènent dans 
le corps une suite de changements forcée ; 


polypes, l’individualité est évidemment composée ; en sorte qu’elle 
résulte d'individus réunis, mais distincts, qui donnent lieu, en général, 
à un corps commun non individuel (a). ( Vote de Lamarck. ) 

(1) Dans ma Philosophie zoologique (v. 1, p. 403), j’ai fait voir que 
la vie , dans tout corps qui en est doué, résulte dans ce corps de l’exis- 
tence d’un ordre et d’un état de choses dans ses parties, y permettent les 
mouvements organiques ou vitaux , et que ces mouvements néanmoins 
ne s’exécutent qu’à la provocation d’une cause excitante. 

Ainsi, la vie, dans un corps, consiste en une suite de mouvements 
excités , qui s’y renouvellent et s’y maintiennent tant que l’ordre et 
l’état de choses dans ses parties les permettent, et que la cause qui les 
excite est subsistante. Il faut donc reconnaitre dans un corps vivant 
l'existence simultanée de ces deux conditions essentielles à la produc- 
tion du phénomène de la vie. ( Vote de Lamarck. } 


(a) Dans ces derniers temps un anatomiste fort distingué, M. Dugès, 
dans un mémoire intitulé Conformités organiques, a proposé de donner 
le nom de zonite à l’amimal simple, dont plusieurs individus réunis con- 
stituent un animal plus composé. M. Dugès n’a pas cité cette note de 
Lamarck, quoiqu'il présentàt sous une autre forme et un peu modifiée 
la même idée : nous reviendrons plus tard sur ce sujet intéressant. 


54 INTRODUCTION. 


5° Des pertes à subir et des réparations à opérer, 
entre lesquelles une parfaite égalité ne saurait exister; 
et d’où résulte dans tout corps animé par la vie , une 
succession de changements d'état, qui amène pour 
chaque individu, la différence de la jeunesse à la vieil- 
lesse, et ensuite sa destruction au moment où le phé- 
nomène de la vie cesse de pouvoir se produire ; 

6° Des besoins à satisfaire pour leur conservation, 
ce qui les met dans la nécessité de s'approprier des 
malières étrangères qui les nourrissent , et qu’ils chan- 
gent et transforment en leur propre substance ; 

7° Des développements à opérer pendant un temps 
quelconque dans toutes les parties; développements 
qui constituent leur accroissement jusqu’à un terme 
particulier à chacun d’eux, et qui produisent la diflé- 
rence de taille, de volume et d'état, entre le corps 
nouvellement formé, et le même corps développé 
complétement ; 

80 Un même genre d’origine (1); car ils provien- 
nent les uns des autres, non par des développements 
successifs de germes préexistans, mais par l'isolement 
et ensuite la séparation qui s'opère d’une partie de 
leur corps, ou d’une portion de leur substance, la- 
quelle, préparée selon le système d’organisation de 
l'individu, donne lieu au mode particulier de repro- 
duction qu’on lui observe; 

9° Des facultés qui leur sont généralement com- 
munes , et qui sont exclusives pour tous les corps 
vivants, indépendamment de celles qui sont particu- 
lières à certains d’entre eux; 


(x) II faut en excepter les générations, dites spontanées, c’est-à-dire 
celles que la nature produit immédiatement , comne à l’origine de 
Chaque règne organique, et probablement encore à celle des premières 
de leurs branches: ( Vote de Lamarck. ) 


INTRODUCTION: 55 


109 Enfin, des termes assignés à la durée d'existence 
des individus; la vie, par sa propre durée, amenant 
elle-même une altération des parties qui, parvenues 
à un certain point, ne permet plus au phénomène qui 
la constitue de continuer de s’opérer; en sorte qu’alors 
la plus légère cause de désordre arrête ses mouvements, 
et c’est à l'instant de leur cessation , sans possibilité 
de retour , qu’on nomme la mort de l'individu. 

Ce sont-là les dix caractères essentiels des Corps 
vivants , caractères qui leur sont communs à tous. Or, 
on ne trouve rien de semblable à l'égard des corps 
inorganiques. Leur nature conséquemment est. très 
différente. 

Par cette opposition des caractères qui distinguent 
les corps vivants de ceux qui ne peuvent posséder la 
vie, on apercevra facilement lénorme différence qui 
se trouve entre ces deux sortes de corps; et l’on con- 
cevra, malgré tout ce que l’on peut dire, qu'il n’y a 
point d’intermédiaire entre eux, point de nuance qui 
les rapproche et qui puisse les réunir. Les uns et les 
autres, néanmoins, sont de véritables productions de 
la nature : ils résultent tous de ses moyens, des 
mouvements répandus dans ses parties, des lois qui 
en régissent tous les genres ; enfin des affinités, grandes 
ou petites, qui se trouvent entre Îles différentes ma- 
tières qu’elle emploie dans ses opérations. 

Quoique les corps vivants soient ici ceux qui nous 
intéressent le plus, puisque Îes objets dont nous avons 
à nous occuper en font partie, je ne développerai 
aucun des caracières cités qui leur sont propres. Je 
rappellerai seulement quelques considérations impor- 
tantes, qui dérivent de ces caractères, et qu'il est. né- 
cessaire de ne pas perdre de vue; savoir : 

" 1° Que tous exigent, pour pouvoir vivre, c’est-à- 
dire, pour que leurs mouvements vitaux puissent 


56 INTRODUCTION. 


s’exécuter , non-seulement un état et un ordre de 
choses dans leurs parties , qui permettent les mouve- 
ments de la vie, mais en outre l’action d’une cause 
stimulante capable d’exciter ces mouvements ; 

2" Que leur corps étant essentiellement constitué 
par un tissu cellulaire, ce tissu est en quelque sorte 
la gangue dans laquelle des fluides contenus et mis en 
mouvement, ont formé diflérents organes, selon que 
les mouvements de ces fluides se sont plus accélérés, 
plus diversifiés, et se sont exécutés dans des parties 
plus différentes ; 

30 Que tous, à l’aide des matières étrangères dont 
ils se saisissent ou qu'ils absorbent, et dont ensuite 
ils élaborent, assimilent et s’approprient les parties 
employées, composent eux-mêmes leur propre sub- 
stance, en accroissent leurs parties tant que cela est 
possible, et en réparent plus ou moins complétement 
les pertes : ce sont-là leurs principaux besoins; 

4° Que toutes leurs parties, et sur-tout leurs fluides 
propres, sont dans un éfat continuel de changement 
lent ou rapide; que les molécules qui les constituent, 
se composent pour arriver à l’état qui les rend utiles, 
s’altèrent ensuite , et sont renouvelés de même par des 
remplacements successifs à l’aide des aliments, des 
absorptions , de l’influence de l’oxigène et de l’activité 
de la vie; en sorte que des changements que ces parties 
subissent dans leurs molécules intégrantes, il résulte 
dans leurs solides, des renouvellemerts perpétuels 
quoique insensibles, et dans leur fluide essentiel , 
l'existence d’éléments propres à la formation de diverses 
matières particulières , dont les unes utiles, sont sécré- 
tées et employées , tandis que les autres, inutiles, sont 
évacuées par les excrétions diverses ; 

5° Que tous se développant et s’accroissant jusqu” à 
un terme particulier à chacun d’eux, ne le sont que 


INTRODUCTION: 57 


par inlus-susception, c'est-à-dire par une force inté- 
rieure ou par des actes d’organisation , qui forment et 
développent leurs parties par l’intérieur, en identifiant 
à leur substance et fixant les molécules étrangères in- 
troduites et assimilées ; 

60 Que tous, ayant la faculté de reproduire, quoi- 
que par des voies variés, des individus semblables à 
eux , rapportent dans ces nouveaux individus produits, 
tous les changements qui se sont opérés dans leur 
système d’organisation pendant le cours de la vie; 

7° Que la vie que chacun d’eux possède, n’est point 
un être, un corps, une matière quelconque, qu’elle n’est 
point un ensemble de fonctions (1); mais qu’elle est 
un phénomène physique, résuitant d’un ordre de 
choses et d’un état de parties qui, tant qu’ils se con- 
servent, permettent dans ces corps les mouvements 
et les changements qui constituent ce phénomène, et 
qu’une cause stimulante y excite; 

80 Que dans tous, ce sont les actes mêmes de la vie 
qui produisent tous les genres de changement qu’on 
observe dans ces corps, qui leur donnent des facultés 
communes, et qui amènent progressivement en eux; 
l’état de choses qui les fait périr ; 

9° Enfin, que par sa durée dans un corps et dans 
ceux ensuite qui en proviennent de génération en gé- 
nération , le vie favorisant de plus en plus le mouve- 
ment et le déplacement des fluides , acquiert sans cesse 
les moyens de modifier davantage le tissu cellulaire, 


(1) On a dit que la vie était un ensemble de fonctions : c’est à tort ; 
car des fonctions n'étant que des actes de l’organisation et des ses par- 
ties , ni la vie, l’organisation elle-même , ne sont et ne peuvent être 
des fonctions : elles sont seulement, l’une, la cause, et l’autre, les 
moyens qui donnent lieu à ce que des fonctions s’exécutent. 

( Note de Lamarck. ) 


58 INTRODUCTION. 


d’en changer des portions en canaux vasculaires, en 
membranes , en fibres , en organes divers; de fortifier, 
durcir ou solidifier certaines de ces parties, par l’in- 
terposition, dans leur tissu , de molécules propres à ces 
objets, et parvient ainsi à compliquer progressivement 
l’organisation. 

Les dix caractères essentiels qui distinguent les corps 
vivants des autres corps naturels, et les neuf considé- 
rations capitales que j'y viens d’ajouter, présentent 
un ensemble d’idées qui appartient exclusivement à ces 
corps. 

Resserrons maintenant cet ensemble dans les deux 
considérations suivantes; elles nous aideront, au be- 
soin, dans ia détermination desrapportsentre les objets. 

Les fonctions les plus générales que l’organisation 
ait à remplir dans les corps vivants, sont au nombre 
de deux ; savoir : 

10 Celle de nourrir , de développer et de conserver 
l'individu ; 

2° Celle de le reproduire et de le multiplier. 

Ces deux fonctions sont principales et du premier 
ordre, puisque depuis l’organisation la plus simple 
jusqu’à celle qui est la plus compliquée dans sa com- 
position , toutes généralement les remplissent Pune et 
l’autre, quoique avec une grande diversité de moyens. 

Dès que la wie existe dans un corps, c’est-à-dire, 
dès que l’état de ses parties et ordre des choses qui 
s’y trouve, permettent à ce phénomène de se produire, 
l’organisation de ce corps est alors capable de remplir 
les deux fonctions dont il s’agit. Mais, comme elle le 
fait évidemment par des moyens variés, selon son état 
de simplicité ou de composition , il en résulte que, 
dans le système d’organisation la plus simple , ces deux 
fonctions s’exécutentsans organes spéciaux quelconques; 
tandis qu’ils sont absolument nécessaires, et qu’ils se 


INTRODUCTION. 59 


composent de plus en plus, à mesure que l’organisa- 
tion se compose elle-même davantage. Effectivement, 
les organisations les plus simples se trouvant formées 
de substances elles-mêmes très peu composées, les mo- 
lécules nutritives introduites n’ont presque point de 
changements à subir pour être assimilées, identifiées. 
Dans ce cas, les mouvements et les forces de la vie 
suffisent , et il ne faut pas d’organes particuliers pour 
la nutrition. Le fait observé à l'égard des corps vivants 
les plus simples, prouve que les choses se passent ainsi. 

C'est done à tort que l’on a supposé, dans tous les 
corps vivants, des organes particuliers pour l’exécution 
de chacune de ces deux fonctions; qu’on a prétendu 
que ceux nécessaires pour la génération, coexistaient 
toujours avec ceux de la nutrition; et que l’existence 
des organes destinés à ces fonctions, devait constituer 
le caractère des corps vivants. 

Ce que l’on peut dire de plus fondé à cet égard, 
c’est que la nature étant parvenue, dans certains corps 
vivants, à instituer des organes particuliers, d’abord 
pour la première et ensuite pour la seconde de ces 
fonctions, les caractères que fournissent ces organes 
sont véritablement les plus importants à considérer 
dans la aétermination Ges rapports; les fonctions qu'ils 
ont à remplir étant elles:mêmes de première impor- 
tance. 

Mais il n’est pas vrai que, dans tout corps vivant 
quelconque , il y ait des organes particuliers, soit pour 
lune, soit pour l’autre des deux fonctions dont il s’agit; 
car les organisations les plus simples, végétales ou 
animales, n’en offrent ni pour la reproduction , ni 
pour la nutrition, à moins qu’on ne prenne les pores 
absorbants de extérieur pour des organes particuliers. 

Maintenant, si l’on rassemble méthodiquement les 
dix caractères essentiels des corps vivants, en y ajou- 


Go INTRODUCTION. 


tant les neuf considérations qui viennent ensuite, et 
si l’on a égard aux deux fonctions sénérales que l’orga- 
nisation , quelle qu’elle soit, doit remplir, on aura 
des bases solides et incontestables pour une Philosophie 
biologique partout d’accord avec les observations con- 
nues; on reconnaîtra facilement que les différents 
phénomènes que nous offrent les corps vivants sont 
tous véritablement physiques; que leurs causes mêmes 
sont déterminables, quoique difficiles à saisir; en un 
mot, on sentira que la seule voie à suivre, pour avan- 
cer nos connaissances dans cette intéressante partie de 
la nature, ne peut être autre que celle de donner la 
plus grande attention aux caractères cités des corps 
vivants, et aux considérations que j'y ai ajoutées. 

Après avoir perdu la vie qu’ils possédaient , les corps 
dont il s’agit font partie, dès l’instant même, des corps 
qu’on nomme inorganiques, quoiqu'’ils offrent encore 
les restes d’une organisation qui a existé complétement 
en eux; et bientôt ils se trouvent réQuits à l’état des 
autres corps inorganiques. 

Alors, en effet, leurs parties se décomposent pro- 
gressivement, se dénaturent, se séparent, et leurs 
différents résidus ou produits, de plus en plus changés, 
perdent peu à peu les traits de leur origine qui devient 
graduellement méconnaissable. Enfin, ces résidus 
changés concourent, avec les circonstances, à Ja for- 
mation d’autres matières plus ou moins composées , et 
vont augmenter la masses des diverses sortes de miné- 
raux et de matières inorganiques, soit solides, soit 
liquides, soit gazeuses. 

La différence qui existe entre un corps vivant et un 
corps inorganique, ne consiste donc réellement qu’en 
ce que, dans le premier, l’état des parties permet en 
lui ja production du phénomène de la vie, qui n’a 
besoin que d’une cause excitante pour avoir lieu, tandis 


INTRODUCTION. Gi 


que, dans le second, ce phénomène est impossible, 
même malgré l’action de toute cause excitante. 

Cette différence se retrouve encore en ce que, dans 
le corps vivant, l’individualité réside dans un ensemble 
de molécules intégrantes diverses; tandis que, dans 
le corps inorganique, cette individualité réside en en- 
tier dans chaque molécule intégrante seule. 

Cet état des parties, qui rend possible, dans un eorps, 
l’exécution des mouvements vitaux , est si peu déter- 
minable, que l’homme ne saurait parvenir à limiter. 
Aussi l'analyse et la synthèse détruisent et reprodui- 
sent à volonté plusieurs corps ou matières inorgani- 
ques ; mais il est impossible à l’homme de former un 
corps vivant, ni une seule de ses parties. 

Ce sont-là des faits positifs, des vérités qui n’ont 
rien à redouter d’un examen approfondi. Je n’en ex- 
pose ici qu'une esquisse resserrée, mais elle est suff- 
sante pour nous diriger dans nos études. 

En appendice de ce chapitre, disons un mot des 
corps vivanis COMPOSES. 

Corps vivants composés. 

C’est, sans doute, un fait bien étonnant et à peine 
croyable que celui de l’existence de corps vivants com- 
posés d'individus réunis, qui adhèrent les uns aux 
autres, et participent à une vie commune ; et cepen- 
dant, quelque extraordinaire que ce fait nous paraisse, 
on ne saurait maintenant le révoquer en doute. 

On n'eût peut-être jamais remarqué ce fait, s’il eût 
été borné au règne végétal dans lequel il se trouve 
presque général, et où il est en quelque sorte masqué 
par un-mode particulier qui le rend moins distinct. 

Mais, dans les animaux, où ce même fait ne s’offre 
guère que dans une seule de leurs classes, il s’y mon- 


62 INTRODUCTION. 


tre avec tant d’évidence, qu’on a été forcé de le recon- 
naître. 

C'est, effectivement , dans les animaux, que l’on 
s’est aperçu, pour la première fois, que la nature avait 
su former des corps vivants composés, c’est-à-dire, 
résultant d’une réunion de plusieurs individus dis- 
tincts, adhérant les uns aux autres, se nourrissant et 
vivant en commun. Ainsi, ce fait singulier est main- 
tenant constaté dans le règne animal ; et dans ce règne, 
c’est presque uniquement parmi les polypes qu’on en 
trouve des exemples. 

En examinant attentivement le fait dont il s’agit, 
on reconnaît bientôt qu ilest loin d’être uniquement 
le propre de certains animaux; car la nature l’a rendu 
bien plus général parmi les végétaux. Or, de part et 
d'autre , une distinction importante dans son mode 
d'exécution mérite d’être faite. 

Par exemple, parmi les polypes, dont un si grand 
nombre présente des animaux véritablement composés, 
il faut distinguer ceux qui, quoique composés d’indi- 
vidus qui tiennent les uns aux autres, ne paraissent, 
point donner lieu à la formation d’un corps commun, 
doué d’une vie indépendante de celle des individus, 
de ceux, pareillement composés , dont les individus 
concourent chacun à la formation et à l’aggrandisse- 
ment d’un cor ps commun Et par Liculier , qui survit 
aux individus qu'il produit successivement. Cette dis- 
tinction n’est pas toujours sans dificulté; et néan- 
moins, sans elle, la source d’une multitude de faits 
observés, sur-toul parmi les végétaux, ne saurait être 
reconnue. 

Les polypes composés , de la première sorte, c’est-à- 
dire , ceux qui ne forment point de corps commun 
particulier ei bien distinct, nous paraissent Lrouver 
des exemples dans fes worticelles rameuses, dans les 


INTRODUETION. 63 


hydres, dans les polypes des polypiers vaginiformes , 
des polypiers à réseau, etc. Ges polypes, à corps grêle 
et plus ou moins alongé , adhèrent les uns aux autres 
sans agglomération et sans offrir l’apparence d’un corps 
cemmun survivant aux individus. 

Ceux, au contraire, qui ont un corps commun sur- 
vivant à tous les individus qui se développent, se 
régénèrent el périssent successivement sur ce corps; 
ceux-là, dis-je, continuent la deuxième sorte de po- 
lypescomposés, el paraissent trouver des exemples dans 
les poivpes agglomérés, tels que ceux des astrées, des 
méandrines , des alcyons, des éponges, etc. C’est sur- 
tout dans les polpes flottants que ce corps commun 
jouissant d’une vie indépendante, ne laisse plus dé 
doute sur son existence. Or, nous verrons qu’un pa- 
reil corps est éminemment reconnaissable dans un 
grand nombre de végétaux composés. 

Il est certain que, si l’on considère les polypes ag- 
glomérés cités ci-dessus , et si l’on examine ce qui se 
passe à leur égard , on se convaincra qu'ils constituent 
dans l’eau, une masse commune vivante produisant 
sans cesse à sa surface des milliers d'individus distincts 
qui y adhèrent, se développent rapidement , se régé- 
nèrent et périssent bientôt après , se trouvant alors 
remplacés par de nouveaux individus qui parcourent 
aussi les mêmes termes; tandis que la massecommune 
résultante de toutes les additions que ces individus 
passagers y ont formées , continue de vivre presqu’in- 
définiment , si l'eau qui lenvironne ne lui manque 
point. Gette masse commune vivante meurt néanmoins 
partiellement et progressivement dans sa partie infé- 
rieure Ja plus ancienne, tandis qu’elle continue de vi- 
vre dans ses parties latérales et supérieures. 

Je n’ai concu réellement l’existence de ce singulier 
corps commun à l’égard de certains polypes composés, 


64 INTRODUCTION. 

qu'après avoir pris en considération ce qui se trouve 
d’analogue dans les végétaux vivaces, et sur-tout dans 
ceux qui sont ligneux. 

Certes, aux yeux du naturaliste, ces objets sont d’un 
trop grand intérêt pour que je ne m’empresse pas d’en 
dire ici un mot; et l’on me pardonnera sans doute 
une digression relative aux végétaux composés , parce 
qu'elle concerne un fait important qui a été négligé, 
et qui mérite l'attention de ceux qui étudient la na- 
ture (1). 


(x) Le savant professeur dont nous avons mentionné l'ouvrage dans 
une note précédente , M. Dugès, a considéré l'animal composé d’une 
manière plus étendue : il a pris la question de plus haut et dans son 
universalité. Un animal simple peut vivre à telle condition, a-t-il dit, et 
toutefois que dans l’ensemble d’un même animal , il trouve une série 
symétrique de ces conditions organiques ; il dit qu’il est formé d’un 
certain nombre de zonites, que c’est par conséquent un animal composé. 

Un exemple rendra ceci facile à comprendre : un ténia est composé 
d’un très grand nombre de segments dans chacun desquels on trouve, 
dans unélat parfaitement semblable, un système nerveux, un système de 
vaisseaux nutritifs, etc.; de telle sorte que l’on peut concevoir facilement 
que chaque segment peut jouir de la vie, indé»endamment de ceux qui 
précèdent et qui suivent. Ces segments sont pour M. Dugès autant de 
zonites; elles sont ici, comme dans les annélides, disposées sur une seule 
ligue longitudinale; dans d’autres animaux il les voit alterner, se réunir 
en cercle, se joindre deux à deux, ecremontant dans les animaux verté- 
brés , il les trôuve composés de deux parties similaires ou de deux zo- 
nites principales; il est cependant arrêté ici par le développement de la 
vertèbre, dont le corps est toujours d’une seule pièce à tous les àges, 
comme le prouve l’embriogénie. Au reste, cette considération n'est 
peut-être pas la seule qui doive arrêter aux animaux invertébrés l'appli- 
cation de cette théorie ; car déjà les moliusques ne peuvent être soumis 
à cette application : elle est donc bornée à des animaux plus simples 
sur l'étude desquels elle peut jeter une vive lumière, 


INTRODUCTION. 65 


Comparaison des animaux composés avec des végétaux 
pareillement composés. 


Rien, sans doute, n’est plus remarquable que l’ana- 
logie qui se trouve entre certains végétaux et certains 
animaux, sous plusieurs conditions. Elle montre que, 
quoique ces deux sortes d’êtres soient entre elles es- 
sentiellement différentes , puisqu'elles appartiennent 
à des règnes très distincts, la nature, en les formant, 
a néanmoins suivi la même marche, et exécuté un 
plan uniforme. 

Laissant à l’écart les autres considérations sous les- 
quelles une analogie évidente s'observe dans les faits 
que présentent certains végétaux et certains animaux, 
nous ne nous arrêterons ici qu'à celle qui concerne, 
dans ces deux sortes de corps vivants, des êtres vérita- 
blement composés d’une réunion d'individus distincts. 
Une petite digression sur ce sujet sera instructive et 
très utile à la connaissance des objets que nous avons 
en vue. 

En effet, qu’on ne s’y trompe pas; de même qu’il 
y a des animaux simples, constituant des individus 
isolés, et des animaux composés, c’est-à-dire, consti- 
tués par des individus réunis, qui adhèrent les uns 
aux autres , communiquent ensemble par leur inté- 
rieur , et participent à une vie commune, ce dont la 
plupart des polypes offrent des exemples; de même 
aussi il y a des végétaux simples qui vivent individuel- 
lement , et il y a, en outre , des végétaux composés, 
c’est-à-dire, constitués par Hat individus qui 
vivent ensemble, se wouvant comme entés les unssur 
les autres ou sur un corps commun, et qui participent 
t ù 
à une vie commune. 

Je vais essayer de montrer que ce fait, à Jeur égard, 


Tome 1, 5 


66 INTRODUCTION. 


est tout aussi positif qu’il l’est relativement aux ani- 
mäux cités. 

Le propre d’une planté ést de vivre jusqu’à ce 
qu’elle ait donné ses fleurs et ses fruits ou ses corpus- 
cules reproductifs. La dütée de sa vié s'étend rate- 
ment au-delà d’une année; el si, pour se régénérer , 
elle développe des organes sexuels, cés organes n’exé- 
cütent qu'une seule fécondation; en sorte qu'ayant 
opéré des gages de reproduction , ils périssent ensuite 
et se détruisent complétement, ainsi que l'individu 
qui les a produits. Ce sont-là des vérités que l’on ne 
peut raisonnablement refuser de reconnaître. 

Cependant, si beaucoup de plantes, dans leur durée 
arnuelle, offrent des exemples de ce que je viens de ci- 
ter, beaucoup d’autres paraissent continuer de vivre 
après avoir fructifié, et donnent eflectivement des 
fleurs et des fruits plusieurs années de suite avant de 
périr ; il y a donc, à l’égard de ces dernières, un ordre 
de choses particulier qui les distingue , et qu’il im- 
porte de reconnaître. 

On va voir que la différence singulière entre la vie 
très bornée de certains végétaux qui périssent après 
avoir fructifié, et celle de beaucoup d’autres qui vivent 
et fructifient plusieurs années de suite, tient essen- 
tiellement à ce que les uns sont des individus isolés, 
soit simples, soit prolifères, qui n'ont pu se former 
de corps commun, capable de vivre particulièrement; 
tandis que les autres sont des végétaux véritablement 
composés d'individus réunis sur un corps commun, 
qui jouit d’une vie particulière, indépendante de celle 
des individus. 

Effectivement , toute plante annuelle est un végétal 
individuel, qui n’a point de corps particulier doué 
d’une vie indépendante de celles des autres parties, et 


plus durable qu'elles, 


INTRODUCTION. 67 


Or, ce végétal est, tantôt tout-à-fait simple, comme 
lorsqu'il ne produit qu’une fleur ou qu’un bouquet 
de fleur, et qu’il périt après avoir donné ses graines: 
et tantôt il est prolifère, comme lorsqu’il pousse une 
tige rameuse ou plusieurs tiges distinctes qui périssent 
après avoir fructifié, ainsi que les racines. Mais le pro- 
duit de sa végétation étant totalement employé au 
développement des parties qui doivent amener sa fruc- 
tification , n’a pu concourir à Ja formation d’un corps 
commun subsistant. Ce végétal, soit simple, soit pro- 
lifère , est donc réellement un individu isolé. 

Ce qui prouve que le végétal annuel dont je viens de 
parler est réellement simple, c’est qu'il n'offre point 
de gemmation véritable; c’est qu’il ne peut reproduire 
qu’un végétal ou que des végétaux séparés de Ini. 

Ce n’est pas là, à beaucoup près, le cas de tous les 
végétaux : la plupart sont véritablement des êtres com- 
posés, et nous offrent, comme les polypes, des réunions 
d'individus qui vivent ensemble sur un corps commun 
persistant qui en développe successivement d’autres ; 
mais châcun de ces individus conserve rarement son 
existence au-delà d’une année. Ils laissent tous, avant 
de périr, des produits subsistants de leur végétation 
qui ajoutent au volume du corps commun, et, en outre, 
ils fournissent les gages d’une reproduction prochaine 
d'individus nouveaux, soit dans les semences, soit 
dans les corpuscules reproductifs, soit dans les bour- 
geons qu'ils produisent. 

Quant au corps commun qui survit aux individus 
annuels, il est évidemment le résultat de toutes les vé- 
gétations qui l’ont d’abord formé, et qui ensuite y ont 
successivementajoutéleur produit particulier. Ge corps 
commun, jouissant d’une vie indépendante de celle 
des individus, continue de s’accroître, de son côté, par 
les additions qu'il en recoit; et, sans le concours d’au- 


5* 


68 INTRODUCTION. 


cun organe sexuel, il produit lui-même une gemmation 
périodique qui développe successivement les nouveaux 
individus adhérents qu’il doit nourrir, Ainsi, les graines 
et les corpuscules reproductifs (lesgemmules séparables, 
les cayeux, etc.) servent à multiplier les végétaux sé- 
parés d’une même espèce, et les bourgeons produits 
par le corps commun, sont employés à renouveler sur 
ce corps les individus qui y ont véeu et ont péri. 

Ce n’est pas tout : non seulement le corps commun 
dont il s’agit, jouit, dans sa masse entière, d’une vie 
indépendante de celles des individus qu’il nourrit, 
mais chaque portion particulière de sa masse jouit 
elle-même d’une vie indépendante de celle des autres 
portions, ce qui est cause qu’une de ces portions sépa- 
rée peut continuer de vivre de son côté : de là les 
boutures. 

Si dans les végétaux ligneux, les produits de végé- 
tation de chaque individu sont persistants, tandis 
qu'ils ne le sont pas dans les végétaux annuels, c'est 
que, fortifiés en se formant par le concours de toutes 
les autres végétations individuelles, et participant à 
Ja vie du corps commun , ces produits acquièrent ra- 
pidement assez de consistance pour résister aux causes 
qui peuvent les faire périr; c'est, en outre, que les 
matériaux de leur nutrition, élaborés dans le corps 
-ommun; y apportent les principes qui les solidifient. 

Ainsi, lorsque je vois un arbre ou un arbrisseau, ce 
n’est réellement pas une plante simple que j'ai sous 
les yeux, mais c’est une multitude de végétaux de la 
même espèce, vivant ensemble sur un corps commun 
solidifié, persistant, doué lui-même d’une vie parti- 
culière et indépendante, à laquelle participent tous 
les individus qui vivent sur ce corps. 

Cela esi si vrai que si je grefle sur une branche de 
prunier un bourgeon de cerisier, et sur une autre 


INTRODUCTION. 69 


branche du même arbre un bourgeon d’abricotier, 
ces trois espèces vivront ensemble sur le corps commun 
qui les supporte, et participeront à une vie commune, 
sans cesser d'être distinctes. 

On fait vivre de même sur une tige de rosier, dif- 
férentes espèces qui y conservent leurs céractères, et 
ainsi dans les autres familles, pourvu qu’on n’entre- 
prenne point d’associer des espèces qui soient de fa- 
milles étrangères. 

Les racines, le tronc et les branches, ne sont," à l’é- 
gard de ce végétal composé, que des parties du corps 
commun dont j'ai parlé, que des produits persistants 
de la végétation de tous les individus qui ont existé 
sur ce même végétal ; comme la masse générale vivante 
d’une astrée, d’une méandrine, d’un alcyon, ou d’une 
pennatule , est le produit en animalisation des polypes 
nombreux qui ont vécu ensemble et en commun et se 
sont succédé les uns aux autres. 

De part et d’autre, la vie continue d’exister dans le 
corps commun, c’est-à-dire, dans l’arbre et dans l’in- 
térieur de Ja masse charnue qu’enveloppe le polypier; 
tandis que chaque plante particulière de Parbre et 
chaque polype de la masse charnue citée, ne conservent 
leur existence que pendant une courte durée, mais 
laissent, l’un, de nouveaux bourgeons, et l’autre, de 
nouveaux germes qui les reproduisent. 

Ainsi, chaque bourgeon du végétal est une plante 
particulière qui doit se développer comme celle qui l’a 
produite, participer à Ja vie commune comme toutes 
les autres, produire ses fleurs annuelles, développer 
ensuite ses fruits, et qui peut aussi donner naissance à 
un nouveau rameau contenant déjà d’autres bourgeons. 

A la vérité, la masse entière du corps commun qui 
subsiste et survit aux individus, semble autoriser l’i- 
dée d’attacher l’individualité à cette masse végétale ; 


70 INTRODUCTION. 


mais, c’est à tort; car cette même masse n’a point l’in- 
dividualité en elle-même, puisque des portions qu’on 
en détache peuvent continuer de vivre. D’ailleurs, 
elle n’est évidemment elle-même qu’une masse végétale 

. ou une plante composée qui fait vivre quantité d’indi- 
vidus partguliers, qui parcourent sur le corps commun 
qui les a produits la durée de leur propre existence, 
sont ensuite remplacés par d’autres qui y subissent la 
même destinée, etoffrentainsi une suite de générations 
qui se succèdent tant que le corps commun continue 
de vivre. 

Le corps commun dont je parle, est si distinct des 
individus particuliers qu'il fait vivre, que l’art en réu- 
nit à volonté autant qu'il plaît à l’homme pour en 
former un tout réellement commun. En eflet, les 
greffes en approche, que la nature fait elle-même 
quelquefois, et que l’art imite et exécute si bien, font 
communiquer et parliciperà une viecommunediflérents 
arbres ou arbrisseaux de la même espèce. On nourrit 
même et on fait vivre un tronc que l’on sépare totale- 
ment de sa base et de ses racines, après lui avoir 
substitué par cette grefle, des troncs voisins et étran- 
gers qui le soutiennent, On pourrait, avec une espèce, 
former une grand forêt dont les troncs multipliés, 
communiquant et vivant ensemble, pourraient à aussi . 
juste titre être considérés comme un seul être, que 
l’est le corps commun d’un arbre ÿ compris ses racines 
et ses branches. 

Dans l’intérieur des végétaux, il paraît, comme je 
lai dit, qu'il n’y a qu’une organisation propre à y 
faire exister la vie, organisation qui y est modifiée selon 
le genre ou la famille du végétal, mais qui n’admet 
aucun organe spécial quelconque pour des facultés 
étrangères à celles qui sont le propre de la vie même. 

De là, en séparant des parties d'un végétal composé, 


INTRODUCTION. de I 


parties qui contiennent un ou plusieurs bourgeons, 
ou qui en renferment les éléments non bte on 
peut en former à volonté autant de nouveaux végétaux 
semblables à celai dont ils proviennent, sans employer 
le secours des fruits de ces plantes. C’est effectivement 
ce que Îles cultivateurs exécutent en faisant des bou- 
tures , des marcottes , etc. 

_ J'ai déjà cité dans ma Philosophie zoologique (vol. 
1, p. 397), différents faits qui prouvent qu'un grand 
nombre de végétaux nous offrent des corps singuliers 
sur lesquels vivent, se développent et périssent une 
multitude d'individus particuliers qui se succèdent 
par générations nombreuses , tant que le corps com- 
mun qui les nourrit continue de vivre. Ici, j'en vais 
seulement ajouter un seul qui me semble tout-à-fait 
décisif à cet égard. 

Parmi les différentes considérations qui attestent 
qu’un arbre n’est point un végétal simple, mais que 
c’est un corps qui produit, nourrit et développe une 
multitude de plantes de la même espèce, vivant en- 
semble sux le corps commun que des végétations de 
plantes semblables ont successivement produit, voici 
ce que l’on peut citer de plus frappant. 

Le propre de tout individu vivant et isolé, est de 
changer graduellement d’état pendant la durée de son 
existence, de manière qu’à mesure qu'il approche du 
terme de sa vie, toutes ses parties, sans exception, por= 
tent de plus en plus le cachet de sa vieillesse, et à la 
fin, celui de sa décrépitude. Je n'ai besoin d’entrer 
dans aucun détail, pour prouver ce fait suffisamment 
connu. 

Cependant, quel que vieux que soit un arbre, tous 
ceux de ses bourgeons qui se développent au printemps, 
présentent des individus qui portent constamment, 
d’abord l’empreinte de la plus tendre jeunesse, qui 


73 INTRODUCTION. 


six semaines après, prennent les traits plus vigoureux 
d’un développement complet, et qui, après un état 
stationnaire de peu de durée, offrent progressivement 
les caractères d’une vieillesse qui les conduit à la mort, 
avant que l’année de leur naissance soit écoulée. 

Qui n'a pas été frappé du charme que nous offre au 
printemps le feuillage naissant des arbres , quel que 
soit leur âge , du vert tendre et délicat de ce feuillage, 
exprimant alors la jeunesse réelle des individus! Y 
a-t-il le moindre trait, dans ces parties nouvelles, qui 
annonce qu'elles appartiennent à un être très vieux 
et sur le point de cesser de vivre ? Non; tous les bour- 
geons qui s’y développent encore sous des individus 
particuliers, qui ne participent nullement à la décré- 
pitude du vieil arbre en question. Tant qu’il en pourra 
faire vivre, chacun de ces individus aura sa jeunesse, 
parviendra à sa maturité, et arrivera ensuite à sa 
vieillesse particulière, qui se terminera par {sa des- 
truction. L’arbre qui les soutient cest donc un végétal 
composé, sur lequel vivent , se développent et se re- 
nouvellent une multitude d’individus de la même 
espèce, qui participent à une vie commune, et se suc- 
cèdent les uns aux autres annuellement, tant que le 
corps commun , produit de toutes les végétations parti- 
culières, conservera l’état propre à les faire vivre. 

Or, de même que la nature a fait des végétaux com- 
posés , elle a fait aussi des animaux composés, et pour 
cela elle n’a pas changé, de part et d’autre, soit la 
nature végétale, soit la nature animale. En voyant 
des animaux composés , il serait tout aussi absurde de 
dire que ce sont des animaux-plantes, qu’il le serait, 
en voyant des plantes composées, de dire que ce sont 
des plantes-animales. 

Qu'on ait donné, il y a un siècle, le nom de z00- 
phytes aux animaux?composés de la classe des polypes, 


INTRODUCTION. 73 


ce tort était excusable : l’état peu avancé des connais- 
sances qu’on avait alors sur la nature animale, rendait 
cette expression moins mauvaise. À présent, ce n’est 
plus la même chose; et il ne saurait être indifférent 
d’assigner à une classe d'animaux, un nom qui exprime 
une fausse idée des objets qu’elle embrasse (1). 

Maintenant, comme il existe deux sortes très dis- 
tinctes de corps vivanis, savoir : des végétaux et des 
animaux , examinons les caractères essentiels de ces 
premiers, et montrant la ligne de séparation qu’a 
établie la nature entre ces deux sortes d’êtres, prou- 
vons que les végétaux ne sauraient s’unir aux animaux 
par aucun point de leur série, pour former une véri- 
table chaîne. 


CHAPITRE III. 


Des caractères essentiels des végétaux. 


A fin de connaître les animaux sous tous les rapports, 
nous avons entrepris de les comparer avec tous les 
autres corps de notre globe; et pour cela, considérant 
les animaux comme corps vivants, nous avons vu que 
les corps doués de la vie étaient , par leurs caractères 


(x) Lamarck blàme avec raison cette dénomination, qui dans son 
acception rigoureuse, n’a point d'application possible; aussi elle est pres- 
que abandonnée :nous ne la voyons en usage que chez les zoologistes qui 
ont le tort de n’attacher aucune importance aux mots scientifiques, ou 
par ceux qui ont adopté la nomenclature de Cavier sans examiner et 
sans rejeter ce qu’elle a de mauvais, 


74 INTRODUCTION. “ 


généraux et leurs facultés propres, séparés des corps 
inorganiques par un intervalle considérable. 

Ainsi, nous savons actuellement que, comme corps 
vivants, les animaux, même les plus imparfaits, ne 
peuvent être confondus ayec les corps inorganiques ; et 
qu'aucun animal, quelque imparfait qu’il soit, quelque 
simple que soit sen organisation , ne fait nuance ayec 
aucun des corps en qui le phénomène de la vie ne 
peut se produire. 

Mais Jes animaux ne sont pas les seuls corps vivants 
qui existent, et l’on peut s’en convaincre qu’il s’en 
trouve de deux sortes extrêmement distinctes; car les 
corps de chacune de ces sortes offrent entre eux une si 
grande différence dans l’état et les phénomènes de leur 
organisation , qu'il est facile de faire voir que la nature 
a établi, entre les uns et les autres, une ligne de dé- 
marcation frappante. Ce n’est, néanmoins, qu’une 
ligne de démarcation tranchée, et non un intervalle 
considérable , comme celui qui sépare les corps inorga- 
niques des corps vivants. 

On a senti qu’il existait une différence réelle entre 
les deux sortes de corps vivants dont je viens de par- 
ler; et quoiqu’on n’ait point su assigner positivement 
en quoi consiste cette différence, on a de tout temps 
partagé les corps vivants en deux coupes primaires 
dont on a fait deux règnes particuliers, savoir : le 
règne végétal et le règne animal. 

Or, il s’agit de savoir maintenant, si les végétaux 
se lient et se nuancent , par quelque point de leur 
série , avec les animaux , ou s'ils en sont généralement 
distingués par quelque caractère constant et reconnais- 
sable. 

D'abord, je remarquerai que, dans ses opérations, 
dans l’existence qu’elle a donnée à ses productions, la 
vature n’a procédé et n’a pu procéder que progressive- 


INTRODUCTION. 7 


ment, que du plus simple au plus composé : c’est une 
vérité que l’observation atteste, 

S'il en est ainsi, la nature a dü commencer par pro- 
duire les végétaux , et pour cela elle a dû débuter par 
la production des végétaux les plus imparfaits, de ceux 
qui ont le tissu cellulaire le moins modifié, ayant de 
faireexister ceux qui ont, à l’intérieur, des canauxmul- 
tipliés et divers, des fibres particulières, une moëlle 
et des productions médullaires, en un mot, un tissu 
cellulaire tellement modifié que leur organisation inté- 
rieure paraît en quelque sorte composée. Dès lors, il 
devient évident que si les végétaux formaient avec les 
animaux une chaîne nuancée, résultant d’une produc- 
tion graduelle, ce seraient les végétaux à tissu cellu- 
Jaire le plus modifié qui devraient se lier et, pour ainsi 
dire, se confondre avec les premiers animaux, avec les 
animaux les plus imparfaits, 

C’est cependant ce qui n’est pas; et, en 2 Er je 
vais montrer que la nature a commencé à Ja fois la 
production des uns et des autres; en sorte qu’ a cet 
égard , commençant ses opérations sur des corps essen- 
tiellement différents par leurs élémentschimiques, tout 
ce qu’elle a pu faire exister dans les uns, s’est trouvé 
constamment diflérent de ce qu’elle a pu produire 
dans les autres, quoiqu’elle ait, de part et d'autre, 
travaillé sur un plan très analogue. 

Il est certain que si les végétaux pouvaient se lier et 
se nuancer avec les animaux , par quelque point de leur 
série, ce serait uniquement par ceux qui sont les plus 
imparfaits et les plus simples en organisation que la 
nature aurait formé celte nuance, en établissant un 
passage insensible des plantes les plus imparfaites aux 
animaux qui sont dans le même cas. Tous les natura- 
listes l’ont senti, et c'est effectivement, en ce point, 
c'est-à-dire, dans celui qui offre de part et d'autre la 


76 INTRODUCTION. 


plus grande simplicité de l’organisation, que les végé- 
taux paraissent le plus se rapprocher des animaux. S'il 
y a nuance en ce point, on ne pourra s'empêcher de 
convenir qu'au lieu de former une chaîne, les végétaux 
et les animaux présentent deux branches distinctes, et 
réunies par leur base, comme les deux branches de la let- 
tre V. Mais, je vais faire voir qu'il n’y a point de nuance 
dans le point cité; que chacune des branches dont je 
viens de parler, se trouve réellement séparée de l’autre 
à sa base, et qu’un caractère positif, qui tient à la 
nature chimique des corps sur lesquels la nature a 
opéré, fournit une distinction éminente entre les êtres 
qu’embrasse l’une de ces branches , et ceux qui appar- 
tiennent à l’autre. 

Je vais, en effet, montrer que les végétaux n’ont 
point dans leurs solides de parties véritablement irri- 
tables , susceptibles de se contracter subitement dans 
tous les temps et pendant la durée entière de leur vie, 
et qu'ils ne sauraient conséquemment exécuter des 
mouvements subits, répétés de suite, autant de fois 
qu'une cause excitante les pourrait provoquer. 

Je prouverai ensuite que tous les animaux générale- 
ment, ont, dans leurs solides, des parties constamment 
irritables , subitement contractiles, et qu’ils sont sus- 
ceptibles d'exécuter des mouvements instantanés ou 
subits, qu’ils peuvent répéter de suite, dans tous les 
temps, autant de fois que la cause excitatrice de ces 
mouvements agira sur eux. 

Voyons donc d’abord ce que sont les végétaux, et 
quels sont leurs caractères essentiels. Après l’exposi- 
tion de ces caractères, nous présenterons les faits et les 
preuves qui en établissent le fondement. 


INTRODUCTION. 77 
Caractères essentiels des végétaux. 


Les végétaux sont des corps vivants non irritables, 
dont les caractères essentiels sont : 

1° D’être incapables de contracter subitement et ité- 
rativement, dans tous les temps, aucune de leurs par- 
ües solides, ni d'exécuter par ces parties des mouve- 
ments subits ou instantanés, répétés de suite autant 
de fois qu’une cause stimulante les provoquerait (1); 

20 De ne pouvoir agir, ni se déplacer eux-mêmes f 
c’est-à-dire, quitter le lieu dans lequel chacun d’eux 
est fixé ou situé ; 

30 D'’avoir seulement leurs fluides susceptibles 
d'exécuter les mouvements vitaux ; leurs solides, par 
défaut d’irritabilité , ne peuvent, par des, réactions 
réelles, concourir à l’exécution de ces mouvements 
que des causes excitatrices du dehors ont le pouvoir 
d'opérer ; 

4° De n’avoir point d'organes spéciaux intérieurs; 
mais d'obtenir, des mouvements de leurs fluides, une 
multitude de canaux vasculiformes , la plupart per- 
forés latéralement, et, en général. parallèles entre 
eux (2) ; ce qui est cause que, dans tous, l’organisation 


(1) Ceux en qui l’on observe des mouvements , ne les exécutent que 
par des causes mécaniques, pyrométriques , ou hydrométriques. Dans 
les uns, ces mouvements sont d’une lenteur qui les rend insensibles ; 
et ne se jugent que par leurs produits ; et dans ceux où ils sont appa- 
rents et subits, ils sont dus à des détentes ou à des affaissements de par- 
ties , et ne peuvent de suite se répéter, ni se manifester dans tous les 
temps. ( Vote de Lamarck. ) 

(2) Les mouvements des fluides dans les végétaux s’exécutant prin- 
cipalement en deux sens opposés, il en est résulté que les canaux vas- 
culiformes de ces corps sont, en général, parallèles entre eux, ainsi qu’à 
V’axe longitudinal, soit de la tige, soit des branches, des rameaux, des 


78 INTRODUCTION. 


n’est que plus ou moins modifiée sans composition 
réelle , et que les parties de ces corps se transforment 
aisément les unes dans les autres; 

59 De n’exécuter aucuñe digestion, mais seulement 
une élaboration des sucs qui les nourrissent et qui- 
donnent lieu à leurs produits, en sorte qu’ils n’ont 
qu’une surface absorbante ( l’extérieure ) ; et qu'ils 
n’absorbent pour aliments que des matières fluides ou 
dont les particules sont désunies; 

6o De n’avoir point de circulation réelle dans leurs 
fluides , mais d'offrir dans leurs sucs séveux, des mou- 
vernents de déplacement dont les principaux parais- 
sent alternativement ascendants et descendants; ee qui 
a fait supposer l’existence de deux sortes de sève: l’une 
provenant de l’absorption par les racines, et l'autre 
résultant de celle par les feuilles ; 

7° D’opérer en eux deux sortes de végétations; l’une 
ascendante, et l’autre descendante, à partir d’un point 
intermédiaire ou nœud vital situé dans la base du 
collet de la racine, et qui est, en général , plus vivace 
que les autres ; 

80 D’avoir une tendance à diriger leur végétation 
supérieure, perpendiculairement au plan de l’horizon, 
et non à celui du sol qui les soutient (1) ; 

9° De former la plupart des êtres composés d’indivi- 


pétioles et des pédoncules. En effet, ils ne perdent leur parallélisme que 
dans les parties qui s’épanouissent en feuilles , fleurs et fruits. 
( Vote de Lamarck. ) 

(1) Les végétaux paraissent devoir cette tendance au calorique et à 
l'électricité des milieux environnants ; ces fluides subtils, trouvant plus 
de difficulté à traverser l’air que des corps humides plus conducteurs, 
s’élancent à travers les tiges végétales dans une direction qui tend à 
s’approcher le plus possible de la verticale, et communiquent, sur-tout 
pendant le jour, cette direction au mouyement de la sève pompée par 
les racines, ( Vote de Lamarck, ) 


INTRODUCTION: 79 


dus réunis sur un corpscommun vivant, qui développe 
annuellement les générations successives de ces indi- 
vidus. 

A ce tableau resserré des faits positifs qui caractéri- 
sent lesvégélaix, Si, comme je vais le faire, on oppose 
celui des caractères essentiels des animaux , on recon- 
naîtra que la hature à établi entre ces deux sortes de 
corps vivants, une ligne de démarcation trañichée qui 
ne leur permet pas des’unir par aucun point des séries 
qu’elles forment. Or ; ce n’est point là ce qu’on nous 
dit à l’égard de ces deux sortes d’êtres : tant il est vrai 
que preque tout est encore à faire pour donner des uns 
et des autres l’idée juste que nous devons en avoir ! 

Le point le plus essentiel à éclaircir, afin de détruire 
l'erreur qui a fait prendre une fausse marche à la 
science, consiste donc à prouver que les végétaux sont 
généralement dépourvus d’irritabilité dans leurs par- 
Lies. 

Dès que j'aurai établi les preuves de ce fait, il sera 
facile de sentir quelle infériorité, dans les phénomènes 
d'organisation, le défaut d’irritabilité des parties doit 
donner aux végétaux sur les animaux; et l’on conce- 
vra pourquoi ils sont tous réduits à n’obtenir leurs 
mouvements vitaux, c’est-à-dire , les mouvements de 
leurs fluides, que par des impressions qui leur vien- 
nent du dehors. 

Une discussion concise et claire doit me sufliré pour 
établir les preuves que j’annonce; et d’abord je vais 
faire voir que j'étais fondé, lorsque j'ai dit dans ma 
Philosophie zoologique ( vol. 1, pag. 93 ) qu’il n’ÿ a 
dans les faits connus à l’égaïd des plantes, dites sen- 
sitives , rien qui appartienne au caractère de l’irrita- 
bilité des parties animales ; qu'aucune partie des plan- 
tes n'est instantanément contractile sur elle-même ; 
qu'aucune , enfin, ne possède cette facuité qui carac- 


80 INTRODUCTION. 


térise exclusivement la nature animale. Aussi, par 
cette cause essentielle, par cette privation d’irritabi- 
lité et de contractilité de leurs parties , les végétaux 
sont généralement bornés à une faible et obscure dis- 
parité dans les traits de leur organisation intérieure, 
et à une grande infériorité dans les phénomènes de 
cette organisation, comparés à ceux que la nature a pu 
exécuter dans les animaux. 


Discussion pour établir les preuves du défaut d'irrita- 
bilité dans les parties des végétaux. 


Le point essentiel que je dois traiter d’abord, est 
celui de prouver que le sentiment et l’irritabilité sont 
des phénomènes très différents, et qu'ils sont dus à des 
causes qui n’ont aucun rapport entre elles. On sait 
que Haller avait déjà distingué ces deux sortes de phé- 
nomènes; mais, comme la plupart des zoologistes de 
notre temps les confondent encore, il est utile que je 
m’efforce de rétablir cette distinction dont le fonde- 
ment est de toute évidence. 

Je montrerai ensuite qu’indépendamment de l’er- 
reur qui fait confondre le sentiment avec l'irritabilité, 
on a pris, dans les végétaux, certains mouvements ob- 
servés dans des circonstances particulières, pour des 
produits de lirritabilité : tandis que ces mouvements, 
comme je vais le prouver, n’ont pas le moindre rapport 
avec ceux qui dépendent du phénomène organique 
dont il est question. 

Pour s'assurer que le sentiment est un phénomène 
très différent de celui que l’irritabilité constitue, il 
suffit de considérer les trois caractères suivants dans 
lesquels les conditions des deux phénomènes sont mi- 


ses en opposition. 


INTRODUCTION. | 8t 


Premier caractère : Tout animal doué du séntiment 
possède constamment dans son organisation un sys- 
tème d'organes particulier, propre à Ja production de 
ce phénomène. Or, ce système d’organes qui se com- 
pose toujours de a et d’un ou de piusieurs centres 
de rapports , se distingue aisément des autres parties 
de l’organisation. Il en résulte qu’en altérant ce sys- 
tème dans certaines de ses parties , l’on détruit à vo- 
lonté la faculté de sentir dans les parties de l’animal 
que l’organe altéré faisait jouir du sentiment, et 
l'on rend ces parties insensibles , sans détruire leur 
vitalité. 

Au contraire , pour la production du phénomène 
de l’érritabilité, 11 n’y a dans les parties irritables des 
animaux , aucun organe particulier quelconque , au- 
cun organe distinct qui ait seul en propre le pouvoir 
de donner lieu au phénomène en question ; mais la 
composition chimique de ces parties est telle, qu’elle 
les mei continuellement dans le cas, tant qu’elles sont 
vivantes, de se contracter sur re à la provo- 
cation de toute cause irritante. Or, l’on ne saurait al- 
térer la faculté irritable de ces parties, qu’en y anéan- 
tissant la vie, puisqu'elles ne tiennent d’aucun organe 
particulier l’irritabilité qu’elles possèdent. 

Deuxième caractère : Les organes bien connus par 
la voie desquels le phénomène du sentiment s'exécute, 
ne sont point dislinctement ou essentiellement con- 
tractiles; aussi , aucune observalion constatée ne nous 
apprend que, pour opérer la sensation, les nerfs soient 
obligés de se contracter sur eux-mêmes. 

Au contraire, les parties irritables de tout corps 
animal ne sauraient exécuter aucun mouvement dé- 
pendant de l’irritabilité , qu’elles ne subissent alors 
une véritable contraction sur elles-mêmes. Ces par- 
Lies ne sont donc irritables , que parce qu’elles sont 


ToME 1, 6 


82 INTRODUCTION. 


essentiellement contractiles ; ce que ne sont point les 
organes du sentiment. 

Troisième caractère : Lorsqu'un animal, doué de 
Ja faculté de sentir, vient à périr, le sentiment s'éteint 
en lui avant l’anéantissement complet des ses mouve- 
ments vitaux. 

Au contraire, lorsqu’un animal quelconque meurt, 
l’irritabilité dont toutes ses parties ou certaines d’entre 
elles jouissaient, est, de toutes ses facultés, celle qui 
s’anéantit constamment la dernière. 

Le phénomène du sentiment et celui de l’irritabilité 
sont donc essentiellement différents l’un de l’autre, 
puisque les causes et les conditions nécessaires à leur 
production ne sont point les mêmes, et qu'on a tou- 
jours des moyens décisifs pour les distinguer. 

Maintenant, pour montrer combien les principes 
de la théorie admise en zoologie sont encore impar- 
faits, je vais faire remarquer que les plus savants 
zoologistes de notre temps confondent encore le senti- 
ment avec l’irritabilité, et que, par la citation de 
quelques faits mal jugés , ils croient pouvoir étendre 
aux végétaux l’une et l’autre de ces facultés. 

« Plusieurs plantes, dit-on dans le Dictionnaire des 
Sciences naturelles, à l’article Animal, se meuvent 
d’une manière extérieurement toute pareille à celle 
des animaux : les feuilles de la sensitive se contractent 
lorsqu'on les touche, aussi vite que les tentacules du 
polype : comment prouver qu’il y a du sentiment dans 
un cas et non dans l’autre? » (1) 


(1) J1 nous paraît évident que G. Cuvier, en établissant cette compa- 
raison avait oublié ces beaux principes d'armonie dans les organisations, 
d’après lesquelslesactes, si simples qu’ils soient, sont toujours le produit 
d'organes; on doit être surpris de voir ce grand naturaliste, dont les 
trayaux ont fortement contribué à mettre ces principes hors de 1oute 


INTRODUCTION. 83 


Je puis assurer, d’après mes propres observalions, 
qu'il n’y a dans tout ceci rien d’exact, rien qui soit 
conforme au fait observé à l’égard de la sensitive ou 
des autres plantes qui offrent des mouvements ana- 
logues; qu’en un mot, il n’y a aucun rapport entre 
les mouvements de ces plantes, et ceux qui proviennent 
de l’excitation de l’érritabilité dans les animaux, et 
qu’il y en a bien moins encore avec le phénomène du 
sentiment. 

D'abord, dans la contraction citée que subissent les 
tentacules du polype , lorsqu'on les touche, il n’y a 
point de preuve que le sentiment en soit la cause, 
c’est-à-dire, qu'il y ait eu une sensation produite; car 
l'irritabilité seule a pu opérer cette contraction. On 
est, au contraire, fondé à dire qu'aucune sensation 
n’a pu avoir lieu par l’attouchement cité, puisque le 
système d'organes essentiel à la production de ce phé- 
nomène n'existe point dans ce polype, et que le propre 
de la sensation r’est pas de produire du mouvement. 
Ainsi, la question de savoir pourquoi il y a du senti- 
ment dans le polype, tandis qu’il n’y en aurait pas 
dans la sensitive, ne devait pas se faire, s’il n’est pas 
vrai que le polype lui-même puisse éprouver des sen- 
salions. Or, je vais maintenant prouver que, dans Îes 
faits cités du polype et‘de la sensitive, il n’y a nulle 
parité de phénomène; car les tentacules du polype ne 
se sont mus% lorsqu'on les a touchés, qu'en subissant 
une, véritable contraction, tandis que l’attouchement 
n’en a pu opérer aucune sur les parties de la sensitive. 


contestation , les abandonner dans une question de l'importance de 
celle-ci, qui ne pouvait être jugée que par leur application rationnelle 
et profonde. Lamarck a connu toute la difficulté, l’a abordée avec une 


grande supériorité, et il est le seul qui en ait donné une solution satis- 
faisante. 


6* 


84 INTRODUËTION. 


Le polype se sera donc mu, dans Je fait en question, 
par la voie de l'irritabilité de ses parties, et la sensitive 
par une voie très différente. 

En eflet, il n’est pas vrai qu'aucune partie de Ja 
sensitive se contracte lorsqu'on la touche; car, ni les 
folioles, ni les pétioles, soitcommuns, soit particuliers, 
ni les petits rameaux de cette plante, ne subissent 
alors aucune contraction sur eux-mêmes; mais ces 
parties se reploient dans leurs articulations sans qu’au- 
cune de leurs dimensions soit altérée; et par cette 
plication , qui s’exécute comme une détente, la plupart 
de ces parties sont subitement et simplement abaissées, 
en sorte qu'aucune d’elles n’a subi la moindre con- 
traction, le plus léger changement dans ses dimensions 
propres. Ce n’est assurément point là le caractère de 
l’érritabilité, et ce n'est, effectivement, que dans les 
animaux, que des parties peuvent se contracter subite- 
ment sur elles-mêmes, changer alors leurs dimensions, 
et conserver pendant la vie de l’animal ou pendant la 
durée de leur intégrité, la faculté de se contracter de 
nouveau à chaque provocation d’une cause excitante ; 
jamais d’ailleurs personne n’a puobserver de semblables 
contractions dans quelque corps que ce soit. 

Dès qu’on a opéré cette plication articulaire des 
parties d’une sensitive, par un attouchement ou par 
une secousse sufüsante, la répétition de l’attauchement 
ou de la secousse n’y saurait plus alors produire aucun 
mouvement. Pour renouveler le même phénomène, il 
faut attendre pendant un temps assez long, qui est 
toujours de plusieurs heures, qu’une nouvelle tension 
dans les articulations des parties les ait relevées ou 
étendues; ce qui ne s’exécute que très lentement lors- 
que la température est basse. 

Je le répète : ce n’est point là du tout le propre de 
l’irritabilité animale; cette faculté reste la même dans 


INTRODUCTION. 85 


les parties qui en sont douées tant que l’animal est 
vivant, et leur contraction peut se répéter de suite, 
autant de fois que la cause excitante viendra la provo- 
quer. D'ailleurs, la contraction d’une partie animale 
n'offre point simplement des mouvements articulaires, 
comme dans la sensitive, mais un resserrement subit, 
un raccourcissement réel des parties, en un mot, un 
changement dans leurs dimensions; or, rien de sem- 
blable ne se manifeste dans les plantes. 

Ainsi, dès qu'il n’est pas vrai que les mouvements 
subits qu’on observe dans certaines parties des plan- 
tes, dites sensitives, lorqu’on les touche, soient de 
véritables contractions ou des changements réels dans 
les dimensions de ces parties, il est dès lors évident 
que ces mouvements n’appartiennent point à l’érrita- 
bilité : aussi ne sauraient-ils se répéter de suite, dans 
tous les temps sans exception, comme ceux que l’irri- 
tabilité produit à la provocation de toute cause exci- 
tante. 

Nous savons donc maintenant que l’irritabilité n’est 
point la cause des mouvements cités des plantes, dites 
sensitives, et qu’il y a une disparité manifeste entre 
ces mouvements et les phénomènes de l’irritabilité 
animale. Mais quelle est la cause des mouvements sin- 
guliers des plantes, dont il est question ? 

A cela je répondrai : que nous parvenions à connaî- 
tre positivement celte cause , ou que nous ne puissions 
que l’entrevoir à l’aide de quelque hypothèse plau- 
sible et appuyée sur des faits, il n’en sera pas moins 
toujours très vrai que cette même cause est étrangère 
à l’irritabilité animale. 

Or, j'ai cru apercevoir cette cause , pour les plantes 
dites sensitives, dans une particularité qui concerne 
les émanations des fluides élastiques et invisibles que 
ces plantes produisent dans le cours de leur vie , comme 


86 INTRODUCTION. 


les autres corps vivants, et cela d'autant plus abon- 
damment que la température est plus élevée. 

D'abord, je dois faire remarquer que les mouve- 
ments observés dans les végétaux ne se bornent pas à 
ceux des plantes dites sensitives ; car on en connaît de 
diverses sortes , et l’on peut s’assurer, par un examen 
attentif de ces mouvements , qu'aucun d’eux n’appar- 
tient à l’irritabilité. 

Ensuite, je ferai voir que ces mouvements prennent 
leur source dans différentes causes , la plupart facile- 
ment déterminables. 

Les uns, en eflet, sont des mouvements subits très 
visibles, comme ceux de détente, d’aflaissement de 
parties, etc. 

Les autres , au contraire, sont des mouvements lents 
et insensibles, comme ceux qui sont dus à des causes 
hygrométriques, pyrométriques, elc. 

Tous ne s’exécutent et ne s’obervent que dans cer- 
taines circonstances. Quelques-uns ne se renouvellent 
plus après jeur exécution ; comme ceux de détente de 
certains fruits dont les graines sont lancées au loin par 
Ja détente de leur péricarpe. 1] y en a quinese montrent 
que dans certaines parties, comme certaines fleurs, 
soit à l’époque de leur épanouissement, soit dans ce 
temps d’effervescence particulière où les organes sexuels 
sont sur le point d’exécuter leurs fonctions. 

Jci, je puis montrer que les mouvements articulaires 
de la sensitive sont de la première sorte , et que ce ne 
sont que des affaissements de parties ; qui s’opèrent par 
dés détentes d’articulations. Je ferai même voir que 
les mouvements de l’hedysarum gyrans sont aussiide 
même sorte, quoiqu’ils soient moins subils, et que ces 
mouvements s’exécutent de la même manière, c'est-à- 
dire , par la même sorte de cause, 

En effet , dans l’hedysarum gyrans , les mouvements 


INTRODUCTION. 87 


observés sont encore articulaires , et aucune des parties 
de cette plante ne subit la moindre contraction. Ce 
sont les mêmes mouvements singuliers de cet hedysa- 
rum , qui m'ont fait entrevoir le mystère des faits rela- 
tifs aux plantes dites sensitives. 

Dans l’hedysarum en question, les mouvements des 
folioles étant toujours lents et graduels, et ne se rendant 
bien sensibles que dans les temps chauds, temps où 
les émanations des plantes sont les plus considérables, 
j'ai senti que des vésicules ou des cavités situées dans 
les articulations de ces folioles, pouvaient se remplir 
graduellement de quelque émanation gazeuse et élas- 
tique du végétal, et que ces cavités povainns par là se 
distendre proportionnellement jusqu’à un certain 
terme de plénitude; qu’alors elles pouvaient se vider 
et s’aflaisser aussi graduellement. Or, il devait résulter 
de cet état de choses, des alternatives lentes d’éléva- 
tion et d’abaissement de ces mêmes folioles, qui dé- 
crivent une ligne demi-circulaire, sans qu'aucune 
secousse ou cause étrangère ait provoqué ces mouve- 
ments. 

Cette cause simple et uniquement mécanique, s’ac- 
corde avec les émanations connues des plantes; et l’on 
sait que ces émanations de matières gazeuses et élasti- 
ques sont considérables dans les temps chauds, qu elles 
varient selon les plantes qui les produisent, qu'elles 
sont odorantes dans beaucoup de végétaux, et que, 
dans la fraxinelle (dictamus albus) , elles sont suscep- 
tibles de s’enflammer. Ainsi, cette cause me paraît 
satisfaire pleinement à l’explication du phénomène 
dont il s’agit. 

Elle nous montre que dans les plantes sensitives, il 
faut un attouchement , une secousse, elc., pour pro- 
voquer l'évacuation subite des vésicules articulaires ; 
tandis que dans l’hedysarum gyrans, une simple plé- 


88 INTRODUCTION. 


nitude de ces vésicules suffit pour les mettre dans le 
cas de commencer l'évacuation lente et graduelle du 
gaz qu'elles contiennent. 

Lorsqu'on voudra réellement savoir la vérité à Pé- 
gard des objets dont il vient d’être question , il sera 
difficile de ne pas reconnaître le fondement des causes 
que je viens d'indiquer. 

Ce qu'il y a de très positif, c’est que, dans les phé- 
nomènes connus, soit de la sensitive, soit de l’hedysa- 
rum gyrans , soit de la plication subite des feuilles de 
la dionce, soit des détentes des étamines du berberis, 
soit du redressement des fruits qui succèdent à des 
fleurs pendantes, soit enfin de divers mouvements 
observés dans les parties de certaines fleurs, il n’y a 
véritablement rien qui soit comparable au phénomène 
de l’irritabilité animale, et bien moins encore à celui 
du sentiment. 

L'irritabilité, dit-on, n’est qu’une modification de 
la sensibilité : elle n’est pas une faculté spécialement 
attribuée à l’animal; elle est commune à tous les êtres 
vivants. Il n’y a pas de doute que toutes les parties bien 
vivantes des animaux n’en soient douces; mais les vé- 
gétaux nous donnent aussi des preuves qu’ils la possè- 
dent. L'action de la lumière, de l'électricité, de la 
chaleur, du froid, de la sécheresse , des acides , des 
alcalis, du mouvement communiqué, ete. , etc., voilà 
autant de causes de l'irritabilité des végétaux ; c’est à 
leurs effets qu’on doit rapporter l’épanouissement de 
certaines fleurs à des heures marquées dans le jour, le 
sommeil des plantes, la direction de leurs tiges, la 
dissémination de leurs graines, les eschares plus ou 
moins profondes que produisent la gréle , le vent 
sec , elc.; et cependant aucun de jeurs organes ne com- 
munique le mouvement qu’il éprouve à la totalité de 
l'être qui y paraît sensible. Telle est la manière dont 


INTRODUCTION. 89 


on croit prouver que l’irritabilité est une faculté com- 
mune aux plantes , comme aux animaux ! 

On dit ailleurs : « Si les animaux montrent des dé- 
sirs dans la recherche de leur nourriture, et du discer- 
nement dans le choix qu’ils en font, on voit les raci- 
nes des plantes se diriger du côté où la terre est plus 
abondante en sucs, chercher dans les rochers les 
moindres fentes où il peut y avoir un peu de nourri- 
ture; leurs feuilles et leurs branches se dirigent sot- 
gneusement du côté où elles trouvent le plus d’air et 
de lumière. Si l’on ploie une branche la tête en bas, ses 
feuilles vont jusqu’à tordre leurs pédicules, pour se 
retrouver dans la situation la plus favorable à l’exer- 
cice de leurs fonctions. Est-on sûr que cela ait lieu 
sans conscience? » (Dictionnaire des Sciences naturelles, 
au mot déjà cité.) 

C’est ainsi que, par la citation de faits précipitam- 
ment et inconvenablement jugés; l’on introduit dans 
les sciences, des vues et des principes, dont il est ensuite 
difficile de revenir, parce qu’ils ont une apparence de 
fondement lorsqu'on ne les approfondit pas, et qu'on 
a l'habitude de les considérer sous ces rapports. 

Quant à moi, je ne vois dans aucun de ces faits, 
rien qui indique, dans le végétal qui les offre, une 
conscience, un discernement, un choix; rien, enfin, 
qui soit comparable au phénomène de l’irritabilité ani- 
male, et encore moins à celui du sentiment. 

Je sais comme tout ie monde , qu’à raison de leurs 
diverses propriétés, les différents corps de la nature, 
vivants ou non, exercent les uns sur les autres des ac- 
tions Jorsqu'ils sont en contact, et sur-tout lorsqu’au 
moins l’un d’eux est dans l’état fluide. Ce n’est pas un 
motif pour supposer que ces corps soient irritables. 

Le cheveu de mon hygromètre qui s’alonge dans 
les temps de sécheresse et se raccourcit dans les temps 


90 © INTRODUCTION. 


d'humidité, et la barre de fer qui s'alonge dans 
l'élévation de sa température , ne me paraissent pains 
pour cela des corps irritables. 

Lorsque le soleil agit sur le sommet fleuri d’un 
helianthus, qu’il hâte l’évaporation sur les points de 
la tige et des pédoncules qu’il frappe par sa lumière, 
qu'il dessèche plus les fibres de ce côté que celles de 
l’autre , et que par suite d’un raccourcissement gra- 
duel de ces fibres, chaque fleur se tourne du côté d’où 
vient Ja lumière, je ne vois pas qu’il ÿ ait là aucun 
phénomène d’irritabilité, non plus que dans la bran- 
che ployée en bas qui redresse insensiblement ses feuilles 
et sa sommité vers la lumière qui les frappe. 

En un mot, lorsque les racines des plantes s’insi- 
nuent principalement vers les points du sol qui sont 
les plus humides , et qui cèdent le plus au nouvel es- 
pace que l’accroissement de ces racines exige ; je ne me 
crois pas autorisé par ce fait à leur attribuer de l'irri- 
tabilité, des perceptions, du discernement, etc., etc. 

Partout, assurément , on voit des actions produites 
et suivies de mouvement, entre des corps en contact 

ui ne sont ni irritables , ni sensibles, puisqu'on en 
observe de telles entre des corps qui ne sont point vi- 
vants. Or, ces actions suivies de mouvement ont lieu 
lorsqu'il y a du mouvement communiqué; lorsqu'il 
se trouve quelque affinité qui s'exerce, quelque décom- 
position ou combinaison qui s'opère; lorsqu'un corps 
reçoit quelque influence hygrométrique ou pyrométri- 
que, ou qu'il se trouve dans le cas de subir un affais- 
sement de parties, un eflet de détente, celui d’une 
explosion, d’une rupture, d’une compression, etc., etc. 
Dans tous ces cas et leurs analogues, il n’y a certaine- 
ment aucun rapport entre les mouvements lents ou 
prompts que l’on observe, et ceux qui appartiennent à 
l’irritabilité animale. Or , ces derniers mouvements, 


INTRODUCTION. OL 


qui ne se produisent que par excitation et toujours 
dans des parties susceptibles de les renouveler cha- 
que fois qu’une cause excitante les provoquera , ne se 
montrent dans aucun autre corps de la nature que 
dans celui des animaux. 


C’est donc un fait positif que, hors des animaux, 
l’on ne trouve pas un seul exemple d’un mouvement 
produit par excitation; de ce mouvement singulier, 
toujours prêt à se renouveler , et dans lequel les rap- 
ports entre Ja cause’et l'effet sont insaisissables ; de ce 
mouvement , enfin, qui semble lui-même offrir une 
réaction subite des parties contre la cause agissante, 
et qui ne ressemble nullement à aucun de ceux qui ont 
été observés dans les plantes. 


Mais , me dira-t-on, comment concevoir l’existence 
de la vie dans un végétal, et par suite, la possibilité 
des mouvements vitaux, sans une cause capable d’opé- 
rer et d'entretenir ces mouvements, sans des parties 
réagissantes sur les fluides , en un mot, sans l’irrita- 
bilité ? 

À cela , je répondrai que l’existence de la vie, dans 
le végétal comme dans l’animal, se concevra facilement 
et clairement, lorsqu'on aura égard aux conditions 
que jai assignées pour que le phénomène de la vie 
puisse se produire; et ici, sans l’irritabulité, ces condi- 
tions se trouvent remplies. 

Un orgasme wital est essentiel à la conservation de 
tout être vivant; il fait partie de l’état de choses que 
j'ai dit devoir exister dans un corps pour qu'il puisse 
posséder la vie, et pour que ses mouvements vitaux 
puissent s'exécuter. Or, cet orgasme, quoique commun 
À tout corps vivant, ne montre, dans les végétaux, 
qu'un fait peu remarquable et qui n’a point attiré 
notre attention; tandis qu’il offre, dans les animaux, 


92 INTRODUCTION. 
un phénomène singulier , et qui n’a point jusqu’à pré- 
sent été expliqué. 

En eflet, ce même orgasme , qui a Jieu dans tous les 
points des parties souples de tout végétal vivant, ne 
produit, dans les points de ces parties souples, qu’une 
tension particulière, qu’une espèce d’éréthisme ; au 
lieu que dans les parties souples et non médullaires 
de tout animal , il y constitue le phénomène de l’irri- 
tabilité. De part et d'autre, la composition chimique 
des parties concrètes de ces corps vivants, donne lieu 
à la diflérence entre ces deux sortes d’orgasme. 

L'espèce de tension ou d’éréthisme de tous les points 
des parties souples des végétaux vivants , est facile à 

apercevoir lorsqu'on y donne de l'attention , et sur- 
tout lorsque l’on compare une plante morte et encore 
en place avec un autre individu de la mème espèce 
qui jouit de la vie. 

Or , cette tension des points des parties souples de 
la plante vivante est probablement le produit de flui- 
des élastiques qui se dégagent sans cesse du végétal , 
y subsistent quelque temps avant de s’en exhaler, et 
mettent ce corps , par leur formation et leur EEE TS 
tion successives , dans le cas de pouvoir absorber les 
fluides du dehors. 

L'orgasme dont il s’agit, n’est, dans les végétaux , 
qu'à son plus grand degré de simplicité. Il y est effec- 
tivement si faible, qu'un coup de vent d’un air très 
sec, ou certain brouillard, ou une gelée suffit souvent 
poux le détruire; ce qui fait périr aussitôt la plante 
ou celle de ses parties qui s’en trouve aflectée. Rien 
nest plus commun que de voir un arbrisseau vigou- 
reux et bien portant dans toutes ses parties, perdre la 
vie en moins de vingt-quatre heures, soit dans une 
de ses branches , soil dans tout son être, par une des 
causes que je viens de citer. Mais, tant que l'orgasme, 


INTRODUCTION. 93 


ou l’espèce de tension particulière des points des par- 
ties souples du végétal, subsiste, il lui donne le pou- 
voir d’absorber les fluides de l'extérieur en contact 
avec ses parties, c’est-à-dire, lesfluides liquides par ses 
racines, et les fluides élastiques ou gazeux par ses feuilles, 
etc. ; en un mot, il lui donne la faculté de vivre. 

C’est-là que se bornent les facultés de cet orgasme. 
Il ne rend point les parties souples de la plante capa- 
bles, par des réactions subites, de servir, ni même de 
concourir aux mouvements des fluides intérieurs, en 
un mot, aux mouvements vitaux. Cela n’est nulle- 
ment nécessaire; car , dans les végétaux, Îes mouve- 
ments des fluides intérieurs sont toujours les résultats 
évidents des excitations, que des fluides subtils, incoër- 
cibles et pénétrants du dehors ( le calorique et l'élec- 
tricilé ) viennent exercer sur eux. 

Ce qui prouve que ce que je viens de dire ne s’appuie 
point sur une supposition gratuite, mais a un fonde- 
ment réel, c’est que l’observation atteste qu’il y a tou- 
jours un rapport parfait entre la température des mi- 
lieux environnants et l’activité de la végétation : en 
sorte que, selon que la température s’abaisse ou s’é- 
lève, la végétation et les mouvements des fluides in- 
térieurs sa ralentissent ou s’accélèrent proportion- 
nellement. 

Dans les grands abaissements de température, 
comme dans l’hiver de nos climats, ceux des végétaux 
qui ne sont point accoutumés à supporter un grand 
froid périssent; mais les autres, quoique conservant 
encore leur orgasme , ont leurs mouvements vitaux 
tellement ralentis, que leur végétation est alors pres- 
que entièrement suspendue. Néanmoins, à un certain 
degré de froid, leur orgasme serait détruit, et dès 
lors le phénomène de la vie ne saurait plus se produire 
en eux. 


04 INTRODUCTION. 


Maintenant, s’il est vrai que l'orgasme fasse partie 
essentielle de l’état de choses nécessaires à la vie dans 
un corps, et que, dans les végétaux ; cet orgasme ne 
soit propre qu'à leur donner le pouvoir d’absorber les 
fluides de l'extérieur, on concevra, d’une part , que 
lorsque l’absorption végétale a introduit dans le tissu 
ou dans les canaux de la plante les fluides qui lui de- 
viennent propres, dès lors l’excitation des fluides sub- 
tils ou incoércibles du dehors (du calorique, de l’élec- 
tricité , etc. } suffit pour leur donner le mouvement; 
de l’autre part, on sentira que lorsque, par l’anéantis- 
sement de l’orgasme, le végétal a perdu sa faculté 
absorbante, alors ne se pénétrant que d’humidité à la 
manière des corps poreux non vivants, selon l’état 
hygrométrique de l’air, ce végétal n’a plus à J’inté- 
rieur ces masses de fluides propres , celles que les flui- 
des subtils ambiants faisaient mouvoir, et que, dès 
ce moment, la vie n'existe plus en lui. 

Cette différence de l’arbre vivant d’avec l’arbre 
mort encore sur pied , et que les fluides subtils am- 
biants ne sauraient plus vivifier , quoiqu'ils existent 
toujours, s'accorde avec l'observation et avec tous les 
faits connus. L’orgasme étant détruit, soit dans telle 
branche de cet arbre , soit dans toutes ses parties, la 
vie ne saurait plus se manifester dans les parties qui 
l’ont perdue. 

L’orgasme que possèdent les végétaux vivants, et 
qui leur donne à tous leur faculté absorbante , suffit 
donc pour les faire vivre. Il les met dans le cas de se 
passer de la faculté d’être irritables ; faculté que la 
composition chimique de leurs parties ne leur permet 
point de posséder. 

Ainsi, les végétaux ne sont point trritables, ne 
jouissent point du sentiment, et ne sauraient se mou- 
voir. On est même fondé à dire que, quelle que soit la 


INTRODUCTION. 95 


puissance de la nature, et quelque temps qu’elle ac- 
corde à l’organisation qui tend toujours à se composer, 
le propre des végétaux est tel, que jamais la nature ne. 
pourra leur donner, ni la faculté de se mouvoir eux- 
mêmes, ni celle de sentir, ni, à plus forte raison, celle 
de se former des idées, de les employer pour comparer 
les objets, pour juger, pour discerner ce qui leur con- 
vient, etc. Ils resteront à jamais dans une infériorité 
de phénomène organique qui les distinguera toujours 
éminemment des animaux. 

Examinons actuellement les caractères essentiels de 
ces derniers, et nous les opposerons à ceux des végé- 
taux, afin d’en apercevoir les grandes différences. 


CHAPITRE IV. 


Des animaux en général, et de leurs caractères essentiels. 
[e] 2 


s 


Nous voici enfin parvenu aux objets qui nous in- 
téressent directement, et que nous nous proposons de 
faire connaître sous les véritables rapports qui les 
concernent. Effectivement , il s’agit ici des animaux, 
c’est-à-dire , de ces corps vivants singuliers, qui se 
meuvent instantanément et qui . Ja plupart, peuvent 
se déplacer ; de ces corps vivants qui, bien plus diver- 
sifiés et plus nombreux en races que les végétaux, Lien- 
nent de si près par l’organisation à celle même de 
l’homme. 

Qui ne sait que toutes les parties de la surface du 
globe et le sein de toutes les eaux liquides , sont rem- 
plis de ces êtres vivants infiniment variés dans leur 
forme, leur organisation et leurs facultés; et qu’ils 


96 INTRODUCTION. 


offrent tous cela de particulier, au’ils peuvent se mou- 
voir subitement ou mouvoir de même certaines de 
leurs parties, sans l’impulsion d’aucun mouvement 
communiqué ! 

Or, puisque ces mêmes êtres, si dignes de notre 
admiration et de notre étude par les facultés qui leur 
sont propres, se rapprochent de nous par l’organisa- 
tion , et que les animaux sans vertèbres que nous vou- 
lons connaître , en font généralement partie, essayons 
de fixer et de circonscrire nettement les caractères 
essentiels qui les distinguent. Les preuves du fonde- 
ment de ces caractères seront développées après leur 
exposition. .e 


Caractères essentiels des animaux. 


Les animaux sont des corps vivants irritables, dont 
les caractères essentiels sont : 

10 D’avoir des parties instantanément contractiles 
sur elles-mêmes, et d’être susceptibles de les mouvoir 
subitement et itérativement ; 

20 D’être les seuls corps vivants qui aient la faculté 
d’agir , et la plupart de pouvoir se déplacer ; 

30 De n’exécuter aucun des mouvements de leurs 
parties, tant internes qu’externes, qu’à la suite d’ex- 
citations qui les provoquent, et de pouvoir répéter de 
suite ces mouvements autant de fois que la cause exci- 
tante les provoquera ; 

4 De n’offrir aucun rapport saisissable entre les 
mouvements qu'ilsexécutent et la cause qui les produit; 

50 D’avoir leurs solides, ainsi que leurs fluides, 
parucipant aux mouvements vitaux; 

Go De se nourrir de matières étrangères déjà com- 
posées; et la plupart d'avoir la faculté de digérer ces 
matières ; 


INTRODUCTION. 97. 


7° D’offrir entre eux une immense disparité dans la 
composition de leur organisation et dans leurs facultés 
particulières, Pepe ceux qui ont l’organisation la 
plus simple, jusqu’à ceux dont l’organisation est la 
plus compliquée, et dont les organes spéciaux intérieurs 
sont les plus nombreux; dé manière que leurs parties 
ne $fauraient se transformer les unes dans les autres; 

80 D’être, les uns simplement irritables , ce qui fait 
qu'ils ne se meuvent que par des excitations qui leur 
viennent du dehors; les autres rrrilables et sensibles, 
ce qui leur donne la faculté de se mouvoir par des 
excitations internes que le séntiment intérieur qu’ils 
possèdent produit en eux; les autres, enfin, irritables, 
sensibles et intelligents, ce qui les rend capables de se 
mouvoir par des actes de volonté, quoique le plus 
souvent ils agissent sans préméditation ; 

9° De n’avoir aucune tendance, dans le développe- 
ment de leur corps, à s ’élancer perpendiculairement 
au plan de l’horizon, et de n’avoir aucun parallélisme 
dominant dans les canaux qui contiennent leurs fluides; 

Tels sont les neuf caractères essentiels qui sont gé- 
néralement propresaux animaux, et qui les distinguent 
éminemment de tout végétal quelconque, ces neuf ca- 
ractères élant tous en opposition et contradictoires à 
ceux qui appartiennent aux végétaux. 

Ayant déjà prouvé, d’une part, que l’irritabrilité 
n'existe nullement daus les végétaux, comnie elle ne 
saurait exister dans aucun corps inorganique ; qu’au- 
cun végétal, en effet, ne possède de parties instanta- 
nément et itérativement contractiles sur elles-mêmes; 
en sorte que les mouvements observés dans différentes 
plantes, n’ont rien de comparable au phénomène de 
l’irritabilité animale; et de l’autre part, les z0olo- 
gistes sachant très bien qu’il n’est pas un seul animal 
qui ne soit muni de partiés instantanément contrac- 

Tome 1. 7 


08 INTRODUCTION. 


tiles: c'est donc une vérité incontestable et partout 
attestée par les faits; savoir, que les animaux sont 
les seuls corps de la nature (au moins dans notreglobe) 
qui soient doués de parties irritables et de parties 
contractiles, susceptibles de se mouvoir subitement 
et itérativement à chaque provocation d’une cause 
excitante. Ils sont donc les seuls corps de la nature 
qui soient capables de se mouvoir par excitation. 

Si l’on recherche, en effet, quelle est la source des 
mouvements des animaux, on reconnaîtra qu’elle ré- 
side uniquement dans cette faculté singulière de leurs 
parties souples, qui leur donne le pouvoir de se con- 
tracter subitement à chaque excitation, et de réagir 
aussitôt sur le point affecté. Dès lors, la comparaison 
de ces singuliers mouvements avec tous ceux que l’on 
peut observer ailleurs, montrera, comme je viens de 
le dire, que les animaux sont réellement les seuls corps 
connus qui soient dans ce cas. 

Ceux des animaux dont le corps est entièrement gé- 
latineux , comme les infusoires, les vrais polypes, les 
radiaires mollasses, ceux-là, dis-je, ont toutes leurs 
paries concrètes éminemment irrilables, et la simpli- 
cité de leur organisation fait propager l’eflet de toute 
excitation, soit sur une grande portion de leur corps, 
soit sur leur corps entier. Or, comme ces animaux 
trouvent autour d’eux ce qui peut les nourrir, car ils 
s'emparent de tout ce qu’ils peuventsaisir, et rejettent 
ce qu’ils ne peuvent digérer , ils n’ont point de mou- 
vements particuliers à exécuter pour un choix d’ali- 
ments, n’ont besoin d’aucuns muscles pour se mouvoir 
eux-mêmes, et, en effet, on ne leur en connaît pas 
positivement. 

Mais ceux qui sont plus avancés dans la composition 
de leur organisation , ainsi que ceux qui ont des parties 
dures, comme des téguments coriaces, cornés ou crus- 


INTRODUCTION. 99 
tacés; ceux-là, dis-je, ont l’irritabilité plus bornée 
dans ses eflets, et possèdent tous intérieurement des 
muscles , c’est-à-dire, des parties charnues, irritables, 
contractiles sur elles-mêmes, ei qui peuvent se mou- 
voir par des exvitations internes. Ainsi, il n’est aucun 
animal, depuis la monade jusqu’à l’ourang-outang, 
qui n'ait de ces parties contractiles. 

Voilà des faits que l’observation constate à l’égard 
de tous les animaux, qui ne souffrent aucune excep- 
tion nulle part, et qui ne se retrouvent, ri dans les 
végétaux, ni dans les autres corps de la nature : ils 
doivent donc servir à caractériser généralement les 
animaux. 

Eflectivement, ces caractères positifs nous seront 
utiles pour prononcer définitivement sur la nature de 
certains corps organisés, que les uns rapportent aux 
végélaux, tandis que Îles autres Îles regardent comme 
appartenant au règne animal (1). 

On sent bien que je n’entends pas m'occuper ici des 
causes prochaines et mécaniquesdes divers mouvements 
des animaux; mouvements qu’ils exécutent principa- 
lement dans leur locomotion ,; comme lorsqu'ils 
marchent, courent, sautent, rampent, volent ou 
nagent; objet qui fut traité par Aristote, Borelli, 
Barthez, Daudin, etc.; mais qu’il s’agit de la source 
même où les animaux puisent la faculté de se mouvoir. 

Or, j'ai déjà dit que si l’on demande quelles sont les 


(x) Les plantes de Ja famille des tremelles , et particulièrement les 
oscillatoires de Vaucrer, sont dans le cas que je viens de citer, et 
néanmoins ce sont évidemment des végétaux. Ces corps vivants ne sont 
pointirritables ; leurs mouvements oscillatoires sont toujours très lents 
et jamais subits ; ils sont plus ou moins apparents en raison de la iem- 
pérature, et aucune excitation particulière ne les fait point varier. 
Voyez Vaucuer, Hist, des Conferves, p. 163 et suiv. 

( Vote de Lamarck. ) 


Lei 


F 


100 INTRODUCTION. 


causes physiques, ou quelle est la source des mouve- 
ments subits que les animaux peuvent exécuter et 
répéter , la solution de cette question se trouvera dans 
la considération du fait que j'ai cité, savoir : que les 
animaux ne se meuvent que par excitation , et qu'eux 
seuls, dans la nature, sont généralement dans ce cas. 

On peut, effectivement, se convaincre par l’obser- 
vation que les mouvements des animaux ne sont point 
communiqués; qu’ils ne sont point le produit d’une 
impulsion, d’une pression , d’une attraction ou d’une 
détente; en un mot, qu'ils ne résultent point d’un 
effet, soit hygrométrique, soit pyrométrique; mais 
que ce sont des mouvements excités, dont la cause 
excitante agissant sur des parties subitement contrac- 
tiles, n’est point proportionnelle aux effets produits. 

Dars les corps inorganiques , et même dans les végé- 
taux ; les mouvements des parties concrètes, quels 
qu'ils soient , ne sont que communiqués, ou que dé- 
terminés par quelque aflinité ou quelque élasticité qui 
exerce son action; mais ils ne sont jamais excilés ; aussi 
sont-ils toujours proportionnels aux causes qui les pro- 
duisent. De là vient que les lois de ces mouvements 
se sont trouvées déterminables , et qu’elles ont donné 
lieu à unescience particulière qu’on nomme mécanique, 
à laquelle les mathématiques sont applicables. (1) 


(1) On m'objectera peut-être, comme exception au principe que je 
viens de poser, que les matières qui entrent en fermentation ont alors 
dés mouvements excités. Mais on se tromperait à cet égard; car, outre 
que les corps qui fermentent se détruisent , ce qui n’a point lieu dans 
les animaux qui se meuvent, je ne vois pas que les mouvements des 
corps qui fermentent soient en rien comparables aux mouvements exci- 
tés des animaux, aucune des parties de ces corps n’étant contractile, 

(Note de Lamarck.) 

Les personnes qui voudraient soutenir cette fausse comparaison de- 

vront d’abord consulter les traités élémentaires de chimie pour se faireune 


INTRODUCTION. 101 


Dans les animaux, au contraire, les mouvements 
subits qu'on leur observe ne s’opérant que par des exci- 
tations sur des parties concrètes, mais molles et con- 
tractiles, on ne trouve plus de rapports déterminables 
entre la cause excitante, sa force et les mouvements 
produits; la nature même des mouvements d’une par- 
tie qui se contracte, semble opposée à ceux qu'ailleurs 
les causes physiques exécutent. 

D'après ce que je viens d'exposer, on voit que les 
animaux diffèrent énormément, par leur nature, des 
autre corps vivants dépourvus de parties érritables, 
tels que les végétaux. Aussi , possèdent-ils, dans l’irri- 
labilité qui leur est exclusivement propre, une cause 
de supériorité de moyens qui a permis à la nature 
d'établir progressivement en eux les différentes facul- 
tés qu’on leur connaît. 

Cependant , un caractère aussi frappant, aussi tran- 
ché que celui que je viens de citer, ne fut réellement 
point saisi jusqu’à présent, puisque de notre temps on 
a cherché à létendre jusques aux végétaux, c’est-à- 
dire, à des êtres qui ne le possèdent point. 

De même, n’a-t-on point attribué généralement à 
tous les animaux la faculté de se mouvoir volontaire- 
ment, et celle de sentir, sans examiner auparavant ce 
que peuvent être le sentiment et la volonté ! 

Et, dans l’ouvrage que j'ai déjà cité (1), ne prétend- 
on pas que les organes essentiels à l’animalité sont 
ceux des sensations et du mouvement. Or, comme ces 
organes sont des nerfs et des muscles, il s'ensuit que 


juste idée de la fermentation et de la cause du mouvement qu’elle produit 
dans les corps soumis à son action : c’est une décomposition avec dé- 
gagement de gaz qui ne peut avoir rien de commun avéc les mouve- 
ments des animaux. 

(1) Voyez le Dict, des Sciences naturelles, au mot ANIMAL, pag. 161. 


102 INTRODUCTION. 


tout animal doit en être pourvu ! Néanmoins, étant 
forcé de convenir qu’on ne les retrouve plus dans 
quantité d'animaux imparfaits , on suppose que ces 
organes y existent toujours, et qu'ils sont mêlés et con- 
fondus dans la substance irritabie et sensible de ces 
animaux. 

On nous dit ensuite, dans le même ouvrage, que 
c’est la manière dont s’exerce la nutrition qui fournit 
le meilleur caractère distinctif entre les animaux et 
les végétaux; et pour le prouver, on assure que tous les 
animaux connus possèdent une cavité intestinale qui 
a nécessairement pour entrée une ou plusieurs bou- 
ches. 

Ces assertions , qu'on ne s’est pas mis en peine de 
prouver, parce que la considération de quantité d’ani- 
maux en eût rendu les preuves trop difficiles à établir, 
montrent une prévention très forte en faveur des an- 
ciennes opinions que l’on s’était formées des animaux, 
quoique nos connaissances actuelles ne les permettent 
plus. Elles ne sont propres qu'à retarder les progrès 
de la zoologie, et l’on peut dire maintenant qu'aucune 
d'elles n’offre le vrai caractère qui distingue les ani- 
maux des végétaux. 

En niant formellement ces assertions, parce qu’elles 
sont évidemment contraires à la marche que suit la 
nature dans ses productions ; qu’elles le sont à l’ordre 
progressif de la formation des organes spéciaux qui 
seuls donnent lieu à des facultés particulières; et sur- 
tout qu’elles le sont à la nécessité des appareils d’or- 
ganes compliqués qui sont indispensables pour des 
facultés très éminentes ; voici celles que je leur substi- 
tue , et que j'appuierai de preuves telles, qu’il faudra 
bien un jour les admettre. 

Sans doute, quelques animaux des plus parfaits sont 
doués de facultés d'intelligence, et peuvent agir par des 


INTRODUCTION: 103 


actes de volonté, c’est-à-dire , à la suite d’une prémé- 
ditation; mais il n’est pas vrai que tous les animaux 
aient la faculté de se mouvoir ainsi par les suites d’une 
volonté ; 

Sans doute, beaucoup d'animaux peuvent éprouver 
des sensations ; mais il n’est pas vrai que les animaux 
jouissent tous de la faculté de sentir ; 

Sans doute, il n’y a que des nerfs qui soient les or- 
ganes dés sensations; mais il n’est pas vrai que tous 
les nerfs soient propres à la production de sentiment ; 

Sans doute, beaucoup d’animaux sont pourvus de 
nerfs; mais il n’est pas vrai que tous les animaux en 
soient munis d’une manière quelconque ; 

Sans doute, quantité d'animaux se meuvent par 
un système musculaire ; mais il n’est pas vrai que tous 
les animaux aient des muscles et puissent en avoir ; 

Sans doute , enfin, un très grand nombre d’ani- 
maux possèdent une cavité intestinale, organe spécial 
pour la digestion; mais il n’est pas vrai que tous les 
animaux soient munis d’une pareille cavité, qu'ils 
aient tous une ou plusieurs bouches, et que tous di- 
gèrent. 

Certes , si ces assertiors sont fondées, il doit en ré- 
sulter que tout ce qui a été dit de l'animal est fort 
inconvenable, ne saurait fonder solidement la philoso- 
phie des sciences zooïogiques, et probablement ne pro- 
vient que de ce qu'on a généralisé inconsidérément 
ce qui a été observé daus les animaux les plus parfaits. 

J'ai déjà donné les motifs sur lesquels se fondent 
quelques-unes de ces assertions; je donnerai bientôt 
ceux qui concernent les autres; mais auparavant je 
dois poser les axiomes ou principes suivants, qui sont 
les conséquences des six principes fondamentaux pré- 
sentés dans mon premier discours (pag. 11), et qui 
s'accordent avec tous les faits observés. 


104 | INTRODUCTION. 


Principes ou Axiomes zoolosiques. 


10 \ulle sorte ou nulle particule de matière ne sau- 
rait «\oir en elle-même la propriété de se mouvoir, 
nice e de vivre, ni celle de sentir, ni celle de penser 
ou d avoir des idées; et si, hors de l’homme, l’on ob- 
serve des corps doués , soit de toutes ces facultés , soit 
de quelqu'une d’entre elles, on doit considérer alors 
ces facultés comme des phénomènes physiques que la 
nature a su produire, non par l’emploi de telle ma- 
tière qui possède elle-même telle ou telle de ces fa- 
cul és, muis par l’ordre et l“.1 de choses qu’elle a 
inst .ués dans chaque organisation et dans chaque sys- 
tème d'organes particulier ; 

20 Toute faculté animale, quelle qu’elle soit, est un 
phénomène organique; et celte faculté résulte d’un 
système ou appareil d'organes qui ÿ donne lieu, en 
sorte qu’elle en est nécessairement dépendante; 

30 Plus une faculté est éminente, plus le système 
d’organes qui la produit est composé et appartient à 
une organisation compliquée; plus aussi son méca- 
nisme est difficile à saisir. Mais cette faculté n’en est 
pas moins un phénomènes d'organisation , et est en 
cela purement physique; 

4° Tout système d’organes qui n'est pas commun à 
tous les animaux, donne lieu à une faculté qui est 
particulière à ceux qui le possèdent ; et lorsque ce sys- 
tème spécial n’existe plus, la faculté qu’il produisait 
ne saurait plus exister (1); 


(1) Ce principe est d’une vérité incontestable, et il est l'expression 
d’un fait important dans les animaux, Ce fait peut être encore exposé 
de cette manière-ci : point d'acte sans l'instrument de cet acte; point 
de fonction sans l’organe de cette fonction. 


INTRODUCTION. 105 


5o Comme l’organisation elle-même, tout système 
d'organes particulier est assujetti à des conditions né- 
cessaires pour qu’il puisse exécuter ses fonctions ; et 
parmi ces conditions, celle de faire partie d’une orga- 
nisation dans le degré de composition où on l’observe, 
est au nombre des essentielles (2) ; 

60 L’irritabilité des parties souples, quoique dans 
différents degrés, selon leur nature, étant une faculté 
commune à tous les animaux, n’est point le produit 
d’aucun système d’organes particulier dans ces parties; 
mais elle est celui de l'état chimique, des substances 
de ces êtres, joint à l’ordre de choses qui existe dans 
le corps animal pour qu’il puisse vivre; 

79 La nature, dans toutes ses opérations, ne pou- 
vant procéder que graduellement, n’a pu produire 
tous les animaux à la fois : elle n’a d’abord formé que 
les plus simples, et passant de ceux-ci jusques aux plus 
composés , elle a établi successivement en eux différents 
systèmes d’organes particuliers, les a multipliés, en 
a augmenté de plus en plus l'énergie, et, les cumulant 
dans les plus parfaits, elle a fait exister tous les ani- 
maux connus, avec l’organisation et les facultés que 
nous leur observons. Or, elle n’a rien fait absolumen:, 
ou elle à fait ainsi. 


Sachant parfaitement, par mes études des animaux, 
combien ces principes sont fondés, ces mêmes prin- 
cipes me dirigeront désormais dans l’exposition que je 


. (x) Supposer dans une monade , dans une hydre, ete. , l’éminente 
faculté de sentir, quoïqu’il soit impossible d’y trouver le système d'or- 
ganes compliqué qui , seul, peut donner lieu à cette faculté, c'est une 
pensée contraire aux lois de l’organisation, et à la marche que la nature 
est obligée de suivre dans tout ce qu’elle produit. ( Vote de Lamarck). 


106 INTRODUCTION. 


ferai des facultés que possèdent les animaux que nous 
considérerons. 

Mais auparavant, il convient de fixer la définition 
précise qui caractérise les coupes principales, parmi Îles 
corps naturels; coupes dont j'ai fait l'exposition des 
caractères avec détail. Or, ces coupes principales sont 
les corps inorganiques et les corps vivants, el parmi 
ceux-ci les végétaux et les animaux. 


Défi inition de chacune des deux coupes primail es qui 
partagent les productions de la nature. 


— Les corps inorganiques sont ceux en qui l’état 
des parties ne permet pas au phénomène de la vie de 
s’exécuter en eux, quelque relation qu’ils aient avec 
les causes excitatrices de l’extérieur. 

— Les corps vivants sont ceux en qui un ordre de 
choses et un état des parties, permettent à des causes 
excitalrices d'y produire le phénomène de la vie, qui 
en amène plusieurs autres. 


Définition de chacune des deux coupes principales qui 
divisent les corps vivants. 


— Les végétaux sont des corps vivants non irrita- 
bles, incapables de contracter instantanément et ité- 
rativement aucune de leurs parties sur elles-mêmes, 
et dépourvus de la faculté d'agir, ainsi que de celle de 
se déplacer. 

— Les animaux sont des corps vivants doués de 
parues irritables, contractiles instantanément et itéra- 
tivement sur sé: Fab mêmes; ce qui leur donne à tous la 
faculté d’agir, et à la plupart celle de se déplacer. 

Ces définitions sont claires, positives , à l'abri de 


INTRODUCTION. 107 


toute objection, et ne rencontrent aucune exception 
nulle part. 

Que l’on oppose maintenant ces caractères des ani- 
maux à ceux exposés ci-dessus qui appartiennent aux 
végétaux, lon sera convaineu de la réalité de cette 
ligne de démarcation tranchée que la nature a éta- 
blie entre les uns et les autres de ces corps vivants. 

Conséqueniment , les auteurs qui indiquent un 
passage insensible des animaux aux végétaux par les 
polypes et les infusoires qu’ils nomment zoophites ou 
animaux-plantes, montrent qu'ils n'ont aucune idée 
juste de la nature animale, ni de la nature végétale, et 
abusés eux-mêmes, ils exposent à l'erreur tous ceux 
qui n’ont de ces objets que es connaissances superfi- 
cielles. 

Les polypes et les infusoires ont mème si peu de 
rapporis avec aucun végétal quelconque, que ce sont, 
de tous les animaux, ceux en qui l’irritabilité ou la 
contractilité subite des parties a le pius d’éminence. 

J’ai déjà dit que, si, sous une seule considération, 
l’on peut rapprocher les animaux très imparfaits que 
constituent les infusoires , les polypes , etc., des algues, 
des champignons, des lichens, et autres végétaux 
aussi très imparfaits, ce ne peut être que sous le 
rapport d’une grande simplicité d’organisation de part 
et d'autre. 

Or, Ja nature suivant partout une même marche , 
et étant partout encore assujettie aux mêmes lois, il est 
évident que, si, pour former les végétaux et les ant- 
maux, elle a travaillé, d’un côté sur des matériaux 
d’une nature particulière, et de l’autre sur des maté- 
riaux dônt la composition chimique était différente, 
ses produits sur les premiers n’ont pu être les mêmes 
que ceux qu’elle à pu faire exister dans les seconds. 
C'est ce qui est effectivement arrivé; car , très bornée 


108 INTRODUCTION. 


dans ses moyens, relativement aux végétaux, la nature 
n’a pu établir en eux l’irrilabilité, et, par cette pri- 
vation, ces corps vivants sont restés dans une grande 
infériorité de phénomènes, comparativement aux ani- 
maux. Enfin, comme la nature a commencé en même 
temps les uns et les autres, ils ne forment point une 
chaîne unique, mais deux branches séparées à leur 
origine, où elles n’ont de rapports que par la sim- 
plicité d’organisation des uns et des autres. Voilà çe 
qu'attesteront toujours l'observation de ces deux sor- 
tes de corps vivants, et l'étude de la nature. 

Maintenant que nous connaissons l'animal, que 
nous pouvons même distinguer le plus imparfait des 
animaux, du végétal le plus simple en organisation, 
nous avons, à l'égard des premiers, quantité d’objets 
très importants à considérer, si nous voulons réelle- 
ment les connaître. 

D'abord, quoiqu'il soit prouvé qu’il n’y ait point 
de chaîne réelle entre toutes les productions de la na- 
ture, qu'il n’y en ait même point entre tous les corps 
vivants, puisque Îles végétaux ne sauraient se lier aux 
animaux par une véritable nuance ; pour montrer 
l'unité du plan qu'a suivi la nature, dans la formation 
des animaux, je vais constater dans ja seconde partie, 
l'existence d’une progression dans la composition de 
l’organisation des animaux, ainsi que dans le nombre 
et l’éminence des facultés qu’ils en obtiennent. 


INTRODUCTION, 109 


DEUXIÈME PARTIE. 


DE L'EXISTENCE D'UNE PROGRESSION DANS LA COMPOSI- 
TION DE L'ORGANISATION DES ANIMAUX, AINSI QUE 


DANS LEJNOMBRE ET L’ÉMINENCE DES FACULTÉS QU'ILS 
EN OBTIENNENT. 


Il s’agit maintenant de constater lexistence d’un fait 
qui mérite route l'attention de ceux qui étudient la 
nature dans les animaux ; d’un fait entrevu depuis 
bien des siècles, jamais parfaitement saisi, tonjours 
exagéré et dénaturé dans son exposition ; d’un fait, en 
un mot, dont on s’est servi pourétayer des suppositions 
entièrement imaginaires. 

Ce fait, le plus important de tous ceux qu’on ait re- 
marqués dans observation des corps vivants, consiste 
dans l’existence d’une composition progressive de l’or- 
gauisation des animaux , ainsi que d’un accroissement 
proportionné du nombre et de l’éminence des facultés 
de ces êtres. 

Effectivement , si l’on parcourt , d’une extrémité à 
l’autre, la série des animaux connus, distribués d’après 
leurs rapports naturels, et en commencant par les 
plus imparfaits; et si l’on s’élève ainsi, de classe en 
classe , depuis les infusoires qui commencent cette sé- 
rie, jusqu'aux mammifères qui la terminent, on trou- 
vera, en considérant l'état de l’organisation des diffé- 
rents animaux, des preuves incontestables d’une com- 
position progressive de leurs organisations diverses, et 


110 INTRODUCTION. 


d’un accroissement proportionné dans le nombre et 
l’éminence des facultés qu’ils en obtiennent ; enfin, 
l’on sera convaincu que la réalité de la progression dont 
il s’agit, est maintenant un fait observé et non un acte 
de raisonnement. 

Depuis que j'ai mis ce fait en évidence , on a supposé 
que j'entendais parler de l’existence d’une chaîne non 
interrompue que formeraient, du plus simple au plus 
composé, tous les êtres vivants, en tenant les uns aux 
autres par des caractères qui les lieraient et se nuance- 
raient progressivement; tandis que j'ai établi une dis- 
tinction positive entre les végétaux et les animaux, et 
que j'ai montré que, quand même les végétaux semble- 
raient se lier aux animaux par quelque point de leur 
série, au lieu de former ensemble une chaîne ou une 
échelle graduée, ils présenteraient toujours deux 
branches séparées, très distinctes, et seulement rap- 
prochées à leur base, sous le rapport de Ja simplicité 
d'organisation des êtres qui s'y trouvent, On a même 
supposé que je voulais parler d’une chaine existante 
entre tous les corps de Ja nature, et l’on a dit que cette 
chaîne graduée n’était qu’une idée reproduite, émise 
par Bonnet, et depuis par beaucoup d’autres. On au- 
rait pu ajouter que cette idée est des plus anciennes, 
puisqu'on la retrouve dans les écrits des philosophes 
grecs. Mais cette même idée, qui prit probablement sa 
source dans le sentiment obscur de ce qui a lieu réel- 
lement à l'égard des animaux, et qui n’a rien de com- 
mun avec le fait que je vais établir, est formellement 
démentie par l'observation à l’égard de plusieurs 
sortes de corps maintenant bien connus (1). 


(x) C’est donc à tort que M. Geoffroy Saint-Hilaire, dans son opus- 
cule intitulé palæontographie dans la note de la page 12, à attribué à 
Lamarck une opinion qu’il repousse ici avec jaste raison, Cette opinion 


INTRODUCTION. 111 


Assurément , je n’ai parlé nulle part d’une pareille 
chaîne : je reconnais partout, au contraire, qu’il y a 
une distance immense entre Îes corps inorganiques et 
les corps vivants, et que les végétaux ne se nuancent 
avec les animaux par aucun point de leur série. Je dis 
plus; les animaux mêmes qui sont le sujet du fait que 
je vais exposer , ne se lient point les uns aux autres de 
manière à former une série simple et régulièrement 
graduée dans son étendue. Aussi, &ans ce que j'ai à 
établir, il n’est point du tout question d’une pra 
chaîne, car elle n’existe pas. 

Mais le sujeL que je me propose ici de traiter, con- 
cerne une progression dans la composition de l’organi- 
sation des animaux, ne recherchant cette progression 
que dans les masses principales ou classiques, et ne 
considérant partout la composition de chaque organi- 
sation que dans son ensemble, c’est-à-dire dans sa gé- 
néralité. Or, il s’agit de savoir si cette progression existe 
réellement ; si le nombre et le perfectionnement des 
facultés animales, se trouvent partout en rapport avec 
elles, et si l’on peut actuellement regarder cette même 
progression comme un fait posilif, ou si ce n’est qu’un 
système. 

Qu'il y ait des lacunes connues en diverses parties 
de l'échelle que forme cette progression, et des ano- 
malies à l’égard des systèmes d'organes particuliers 
qui se trouvent dans diflérentes organisations animales, 
lacunes et anomalies dont j'ai indiqué les causes dans 
ma Philosophie zoologique, cela importe très peu pour 
l’objet considéré, si l’existence de la progression dont 
il s'agit est un fait général et démontré, et si ce fait 


west pas non plus dans l’hydrogéologie de Lamarck , comme le dit 
M. Geoffroy dans la note citée, 


112 INTRODUCTION. 


résulte d’une cause pareïllement générale , qui y aurait 
donné lieu. 

A la vérité, on a reconnu qu'il était possible d’éta- 
blir, dans la distribution des animaux , une espèce de 
suite qui paraîtrait s'éloigner par degrés d’un type pri- 
mitif ; et que l’on pouvait, par ce moyen, former une 
échelle graduée, disposée, soit du plus composé vers 
le plus simple, soit du plussimple vers le plus composé, 
Mais on a objecté que, pour pouvoir ainsi établir une 
série unique , il fallait considérer chacune des organi- 
sations animales dans l’ensemble de ses parties; car, si 
l’on prend en considération chaque organe particulier, 
on aura autant de séries différentes à former, que l’on 
aura pris d'organcs régulateurs, les organes ne suivant 
pas tous le même ordre de dégradation. Cela montre, 
a-t-on dit, que, pour faire une échelle générale de 
perfection, il faudrait calculer l’eflet résultant de 
chaque combinaison; ce qui n’est presque pas possible. 
(Cuvier, 4nat. comp., vol, 1, p. 59.) 

La première partie de ce raisonnement est sans doute 
très fondée ; mais la suite et sur-tout la conclusion, 
selon moi, ne sauraient l'être; car on y suppose la 
nécessité d'une opération que je trouve au contraire 
fort inutile, et dont les éléments seraient très arbi- 
traires. Cependant, cetie conclusion peut en imposer 
à ceux qui n’ont point sufhisamment examiné ce sujet, 
et qui ne donnent que peu d’attention à l'étude des 
opérations de la nature. 

Voilà l’inconvénient de raisonner, à l'égard des 
choses observées, d’après la supposition d’une seule 
cause agissante pour la progression dont il s’agit, avant 
d’avoir recherché s’il ne s’en trouve pas une autre qui 
ait le pouvoir de modifier çà et là les résultats de la 
première. En eflet, on n’a vu, dans toutes ces choses, 
que les produits d’une cause unique, que ceux com- 


INTRODUCTION, 113 


pris dans l’idée qu'on se fait des opérations de la na- 
ture; et cependant il est facile de s’apercevoir que ces 
mêmes choses proviennent de l’action de deux causes 
fort différentes, dont l’une, quoique incapable d’a- 
néantir la prédominance de l’autre , fait néanmoins 
très souvent varier ces résultats. 

Le plan des opérations de la nature à l’égard de la 
production des animaux, est clairement indiqué par 
celte cause première et prédominante qui donne à la 
vie animale le pouvoir de composer progressivement 
l'organisation , et de compliquer et perfectionner gra- 
duellement, non-seulement l’organisation dans son 
ensemble, mais encore chaque système d’organes par- 
ticulier, à mesure qu’elle est parvenue à les établir. 
Or, ce plan, c’est-à-dire, cette composition progres- 
sive de l’organisation, a été réellement exécuté par 
cette cause première, dans les différents animaux qui 
existent. 

Mais une cause étrangère à celle-ci, cause accidentelle 
et par conséquent variable, a traversé cà et là l’exécu- 
tion de ce plan, sans néanmoins le détruire, comme je 
vais le prouver. Gette cause, effectivement, a donné 
lieu, soit aux lacunes réelles de la série, soit aux ra- 
meaux finis qui en proviennent dans divers points et 
en altèrent la simplicité, soit, enfin, aux anomalies 
qu’on observe parmi les systèmes d’organes particuliers 
des différentes organisations. | 

Voilà pourquoi, dans les détails, l’on trouve sou- 
vent, parmi les animaux d’une classe, parmi ceux 
mêmes qui appartiennent à une famille très naturelle, 
que les organes de l'extérieur, et même que les systèmes 
d’organes particuliers intérieurs, ne suivent pas tou- 
jours une marche analogue à celle de la composition 
croissante de l’organisation. Cesanomalies n’empêchent 
pas, néanmoins, que la progression dont il s’agit, ne 


TOME 1. 8 


114 INTRODUCTION. 


soit partout éminemment reconnaissable dans la série 
des masses classiques qui distinguent les animaux; la 
cause accidentelle citée n’ayant pu altérer la progres- 
sion en question, que dans des particularités de détail, 
et jamais dans la généralité des organisations. 

J'ai montré dans ma ?’hilosophie zoologique (vol. 1, 
p- 220), que cette seconde cause résidait dans les cir- 
constances très diflérentes où se sont trouvés les divers 
animaux, en se répandant sur les différents points du 
globe et dans le sein de ses eaux liquides ; circonstances 
qui les ont forcés à diversifier leurs actions et leur 
manière de vivre, à changer leurs habitudes, et qui 
ont influé à faire varier fort irrégulièrement, non- 
seulement leurs parties externes, mais même, tantôt 
telle partie et tantôt telle autre de leur organisation 
intérieure. (1) 

C’est en confondant deux objets aussi distincts; sa- 
voir : d’une part, le propre du pouvoir de la vie dans 
les animaux, pouvoir qui tend sans cesse à compliquer 
l’organisation , à former et multiplier les organes par- 
ticuliers, enfin, à accroître le nombre et le perfec- 
tionnement des facultés; et de l'autre, la cause 
accidentelle et modifiante, dont les produits sont des 
anomalies diverses dans les résultats du pouvoir de la 
vie; c’est, dis-je, en confondant ces deux objets, qu’on 
a trouvé des motifs pour ne donner aucune attention 
au plan de la nature, à la progression que nous allons 
prouver, et lui refuser l'importance que sa considéra- 
tion doit avoir dans nos études des animaux. 
sm tro Re. 1e votants Ra ele EURE 

(1) Il y a donc, d’après Lamarck, deux causes toujours agissantes sur 
les animaux, l’une qui tend à les perfectionner d’une manière uniforme 
dans leur organisation , l’autre modifiant irrégulièrement ces perfec- 
tionnements, parce qu’elle agit selon les circonstances locales, fortuites, 
de température, de milieu, de nourriture, ete., dans lesquels les ani- 
maux vivent nécessairement, 


INTRODUCTION. 115 


Pour se convaincre de la réalité du plan dont je 
parle, et mettre dans tout son jour ce même plan que 
la nature suit sans cesse, et qu'elle maintient dans 
tous les rangs, malgré les causes étrangères qui en di- 
versifient cà et là lé effets; si, conformément à l’usage, 
l’on parcourt la série des animaux, depuis les plus 
parfaits d'entre eux jusques aux plus imparfaits, on re- 
connaîtra qu'il existe dans les premiers, un grand 
nombre d’organes spéciaux très différents les uns des 
autres; Landis que, dans les derniers, on ne retrouve 
plus un seul de ces organes; ce qui est positif. On 
verra, néanmoins, que, partout, les individus de 
chaque espèce sont pourvus de tout ce qui leur est né- 
cessaire pour vivre et se reproduire dans l’ordre de 
facultés qui leur est assigné; l’on verra aussi que, par- 
tout où une faculté n’est point essentielle, les organes 
qui peuvent la donner ne se trouvent et n'existent 
réellement pas. 

Ainsi, en suivant attentivement l’organisation des 
animaux connus, en se dirigeant du plus composé vers 
le plus simple, on voit chacun des organes spéciaux, 
qui sont si nombreux dans les animaux les plus par- 
faits, se dégrader, s’atténuer constamment, quoi- 
que irrégulièrement entre eux, et disparaître entière- 
ment l’un après l’autre dans le cours de ia série. 

Les organes de la digestion , corame les plus généra- 
lement utiles dans les animaux, sont les derniers à 
disparaître ; mais, enfin, ils sont anéantis à leur tour, 
avant d’avoir atreint l'extrémité de la série: parce que 
ce sont desorganes spéciaux, qu'ils ne sont pas essentiels 
à l’existence de la vie, et qu’ils ne le sont que dans les 
organisations qui les possèdent. 

Maintenant, voyons les faitsconnus, d’après lesquels 
on peutétablir et constater la progression dont il s’agit. 


Fil 


116 INTRODUCTION. 


Faits sur lesquels s'appuient les preuves de l'existence 
d'une progression dans la composition de l’organi- 
sation des animaux. 


Premier fait : Tous les animaux ne se ressemblent 
point par l’organisation, soit extérieure, soit intérieure, 
de leur corps; on trouve parmi eux des différences 
nombreuses, constantes et très considérables; en sorte 
qu'ils offrent, sous ce rapport, une immense disparité, 

Deuxième fait : Il est certain et reconnu que, sous 
le rapport de l'organisation, l’homme tient aux ani- 
maux, et sur-tout à certains d’entre eux. 

Troisième fait : On peut présenter comme un fait 
positif, comme une vérité susceptible de démonstration, 
que, de toutes les organisations, c’est celle de l’homme 
qui est la plus composée et la plus perfectionnée dans 
son ensemble, comme dans celui des facultés qu’elle 
lui procure. (1) 

Quatrième fait : L'organisation de l’homme étant la 
plus composée et la plus perfectionnée de toutes les 
organisations; l’homme ensuite tenant aux animaux 
par l’organisation; enfin, par cette dernière encore, 
les animaux diflérant plus ou moins considérablement 
entreeux; c’est un fait certain qu’il existe des animaux 
qui se rapprochent beaucoup de l’homme, sous le 
rapport de l’organisation; qu’il s’en trouve d’autres 
qui, sous le même rapport, s’en éloignent davantage 
que ceux-ci; et que, sous la même considération, 
d’autres encore en sont considérablement écartés. 


(1) Plusieurs animaux offrent, dans certains de leurs organes, un 
perfectionnement et une étendue de facultés dont [es mêmes organes, 
dans l’homme, ne jouissent pas. Néanmoins , son organisation l’em- 
porte en perfectionnement, dans son ensemble, sur celle de tout animal 
quelconque ; ce qui ne peut être contesté. (Vote de Lamarck.) 


INTRODUCTION. 1 17 


De ces quatre faits, trop reconnus et trop positifs 
pour qu’il soit possible d’eu contester raisonnablement 
aucun , la conséquence suivante résulte nécessairement, 

L'organisation de l’homme étant la plus composée 
et la plus perfectionnée de toutes celies que la nature 
a pu produire, on peut assurer que, plus une organi- 
sation animale approche de ja sienne, plus elle est 
composée et avancée vers son perfectionnement; et de 
même , que plus elle s’en éloigne, plus alors elle est 
simple et imparfaite. (1) 

Maintenant, en nous réglant sur cette conséquence 
déjà tirée; savoir : que, plus une organisation animale 
approche de celle de l’homme, plus elle est composée 
et rapprochée de la perfection; tandis que, plus elle 
s’en éloigne, plus alors elle est simple, et imparfaite ; 
il s’agit de montrer que Îles diverses organisations ani- 
males, d’après les faits relatifs à l'ensemble de leur 


(1) On est si éloigné de saisir les véritables idées que l’on doit se 
former sur la nature et l’état des animaux, que plusieurs zoologistes 
prétendant que tous ces corps vivants sont également parfaits chacun 
dans leur espèce, les mots animaux parfaits ou animaux imparfaits 
leur paraissent ridicules ! comme si, par ces mots, l’on n’ertendait pas 
exprimer ceux des animaux qui, par fe nombre, la puissance et l’émi- 
pence de leurs facultés , se rapprochent en quelque sorte de l’homme , 
ou désigner ceux qui, par les bornes extrêmes du pea de facultés qu’ils 
possèdent, s'éloignent infiniment du terme de perfection organique 
dont l’homme offre l'exemple ! 

Qui ne sait que, dans l’état d'organisation où il se trouve, tout corps 
vivant, quel qu’il soit, est un être réellement parfait, c'est-à-dire, un 
être à qui il ne manque rien de ce qui lui est nécessaire! mais, la na- 
ture ayant composé de plus en plus l’organisation animale ; et par là, 
étant parvenue à douer ceux des animaux qui possèdent l’organisation 
la plus compliquée, de facultés plus nombreuses et plus éminentes, on 
peut voir dans ce terme de ses efforts , une perfection dont s "éloiguent 
graduellement les animaux qui ne lont pas obtenue. 


( Wote de Lamarck, ) 


118 INTRODUCTION. 


composition ; forment réellement un ordre lrès recon- 
naissable, et dans lequel l'arbitraire n’entre pour rien. 

Pour nous accommoder à l’usage, procédons du plus 
composé vers le plus simple, et recherchons dans les 
faits observés, si l’ordre dont nous venons de parler 
existe positivement. 


Faits qui concernent les animaux vertébrés et qui 
prouvent l'existence d'une progression dans la com- 
position et le perfectionnement de leur organisation. 


L] 


Si l’ordre de progression que nous recherchons existe, 
nous devons trouver une dégradation progressive de 
classe en classe dans l’organisation des animaux ; puis- 
que nous allons procéder dans leur série, du plus 
composé vers le plus simple, commencer notre examen 
par les animaux qui ont l’organisation la plus compo- 
sée, et le terminer par ceux qui sont les plus simples 
à cet égard, c’est-à-dire, par les plus imparfaits, 

Dans cette marche, nous devons nous occuper d’a- 
bord des animaux vertébrés ; car, ce sont ceux qui 
ont l’organisation la plus composée, la plus féconde en 
facultés, la plus rapprochée de celle de l’homme, et à 
leur égard, nous remarquerons que le plan de leur 
organisation, plus ou moins développé dans chacune 
de leurs races, et aussi plus ou moins modifié par les 
circonstances dans lesquelles chacune d'elles se trouve, 
embrasse pareillement l’organisation de l’homme qui 
offre le complément parfait de ce plan particulier. 

En conséquence , sans entrer dans tous les détails 
que anatomie comparée à fait connaitre , et qui mul- 
tiplient les preuves que nous pourrions citer, nous 
dirons que , si l’on examine attentivement les animaux 
vertébrés, om est bientôt convaincu : 


INTRODUCTION. 119 


10 Que, de tous les vertébrés connus, ce sont les 
mammifères qui tiennent, de plus près à l’homme par 
l'organisation; qu’ils sont même les seuls qui aient 
de commun avec lui la génération sexuelle vraiment 
vivipare; qu'ils sont plus avancés que tous les autres 
dans le développement de leur plan d'organisation, et 
conséquemment que c'est parmi eux que se trouvent 
les plus parfaits des animaux; 

20 Que, parmi les mammifères, ceux de l’ordre des 
onguiculés (Philos. zool., vol. 1, p. 345), sont de tous 
les animaux à mamelles, ceux dont l’organisation ap- 
proche le plus de celle de l’homme, et ie donne plus 
de facultés qu'aux autres; que même” parmi eux l’on 
trouve des familles particulières qui l'emportent sur 
les autres familles du même ordre, par un plus grand 
rapprochement à cei égard ; qu’en eflet , dans les qua- 
drumanes, le cerveau présente, avec tous ses accessoires, 
le plus grand volume, proportionnellement à celui 
de leur corps, après le cerveau de l’homme, et consé- 
quemment l'organe de l'intelligence le plus développé 
après le sien ; qu'en outre, ces derniers ont les extré- 
mités de leurs membres mieux disposées pour saisir 
les objets, pour les sentir, juger de leur forme ou de 
leurs autres qualités, en un mot, pour s’en servir, 
que les autres onguiculés : en sorte que l’organisation 
de ces animaux est effectivement la plus perfectionnée 
des organisations animales, et ne présente ensuite, dans 
les autres familles du même ordre, que des dégradations 
croissantes , qui entraînent des appauyrissements dans 
les facultés ; 

3° Qu'outre la dégradation qui s’observe déjà parmi 
les différentes races des mammifères onguiculés, celle 
qui a lieu dans les mammifères ongulés, se manifeste 
plus fortement encore; car ces animaux ont le corps 
plus gros, plus lourd ; les doigts moins séparés, moins 


120 INTRODUCTION. 


libres, moins sensibles, puisqu'ils sont enveloppés de 
corne: ils sont moins adroils, ne peuvent guère se 
servir de leurs pieds que pour se soutenir, ou pour leurs 
mouvements de translation, ne sauraient même s'as- 
seoir, se reposer sur le derrière; enfin , ils ont déjà 
perdu de grandes facultés dont jouissent les premiers ; 
parmi eux on observe encore une dégraaation sensible, 
car les pachidermes ont les pieds moins altérés que 
les bisulces et les solipèdes ; 

4e Qu'en quittant les mammifères et arrivant aux 
oiseaux , l'on reconnait que des changements plus 
graves se soutopérés dans l’organisation de ces derniers, 
et les éloignent davantage de celle de l’homme; qu’en 
effet, la génération des vrais vivipares, qui est la 
sienne , est anéantie et ne se retrouvera plus désormais; 
car, il n’est pas vrai que, hors des mammifères, l’on 
connaisse aucun animal réellement vivipare , soit dans 
les reptiles, soit dans les poissons, etc., quoiquesouvent 
les œufs éclosent dans le ventre mème de la mère, ce que 
l’on a nommé génération ovo-vivipare; en un mot, en 
arrivant aux oiseaux, on voit que la poitrine cesse d’être 
constamment séparée de l'abdomen par une cloison 
complète (un diaphragme), cloison qui reparaît dans 
quelques reptiles et disparaît ensuite partout; qu'il 
n’y a plus de vulve extérieure , séparée de l'anus, plus 
de saillie au dehors pour les parties sexuelles mâles, 
plus de saillie de même pour le cornet de l'oreille ex- 
térieure, et que les animaux n’ont et n'auront plus 
désormais la faculté de se coucher et de se reposer sur 
le côté ; 

59 Qu'en laissant les oiseaux , pour considérer les 
reptiles, des changements et des diminutions plus 
graves encore dans le perfectionnement de l’organisa- 
tion se font remarquer, et les éloignent plus encore de 
celle de l’homme; que le cœur n’a plus partout deux 


INTRODUCTION. 121 


ventricules sans communication, que la chaleur du 
sang n’excède presque plus celle des milieux environ- 
nants, qu’il n’y a plus dans tous qu’une partie du sang 
qui recçoive dans chaque tour, l'influence de la respi- 
ration pulmonaire, que le poumon lui-même n’est 
plus constamment double (comme dans lesophidiens), 
et qu’à mesure qu’il approche de l'origine de sa forma- 
tion, ses cellules sont plus grandes ou moins nom- 
breuses , que le cerveau ne remplit qu’incomplétement 
la cavité du crâne, que le squelette offre çà et là de 
grandes altérations dans l’état et le complément de ses 
parties (point de clavicules dans les crocodiles, point 
de sternum ni de bassin dans les ophidiens), qu’une 
diminution d'activité dans les mouvements vilaux et 
dans les changements qu’ils produisent, permet à beau- 
coup d’animaux de cette classe de pouvoir vivre long- 
temps de suite sans prendre de nourriture (les tortues, 
les serpents); qu’enfin, si dans les premiers ordres 
des reptiles , le cœur a encore deux oreillettes, il n’en 
présente plus qu’une seule dans Îe dernier; 

6° Qu’en arrivant aux poissons , l’on remarque que 
l’organisation animale s’éloigne de celle de l’homme 
bien plus encore que celle des animaux déjà cités, et 
qu’elle est conséquemment plus dégradée, plus impar- 
faite que la leur, indépendamment des influences du 
milieu dense qu’habitent les animaux dont il s’agit; 
qu’eflectivement l’on ne retrouve plus dans les pois- 
sons l’organe respiratoire des animaux les plus parfaits, 
que le véritable poumon, que nous ne rencontrerons 
plus nulle part, y est remplacé par des branchies, or- 
gane bien plus faible en influence respiratoire, puisque 
pour parer aux inconvénients de cegrand changement, 
la nature fait passer tout le sang par cet organe avant 
de l’envoyer aux parties, ce qu’elle n’a point fait dans 
Jes reptiles ; que la poitrine, ou ce qu’elle doit conte- 


122 INTRODUCTION. 


nir, à passé ici sous la gorge, dans la base même de la 
tête; qu'il n’y a plus et qu'il n’y aura plus désormais 
de trachée artère, ni de larynx, ni de voix véritable; 
que les paupières, qui ont déjà manqué sur les yeux 
des serpents, ne se retrouvent plus ici, et ne reparaî- 
tront plus à l’avenir; que l'oreille est tout-à-fait in- 
térieure , sans conduit externe ; qu’enfin le squelette 
très incomplet, singulièrement modifié, partout sans 
bassin et sur le point de s’anéantir, n’est plus qu’é- 
bauché dans les derniers animaux de cette classe (les 
lumproies ), et finit avec eux. 

Ces preuves que fournissent les animaux vertébrés 
d’une dégradation progressive de l’organisation, de- 
puis le plus perfectionné des quadrumanes , jusqu'au 
plus imparfait des poissons , et conséquemment d’une 
diminution croissante dans la composition et le per- 
fectionnement de l’organisation (à mesure que l’on 
parcourt leurs classes en se dirigeant vers ceux dont 
l’organisation s'éloigne plus de celle de l’homme), 
deviennent de plus en plus frappantes et décisives , si 
l’on étend la même recherche aux animaux sans ver- 
tèbres. 


Faits qui concernent les animaux sans vertèbres , et 
qui prouvent aussi l'existence d'une progression 
dans la composition et le perfectionnement de l’or- 
ganisalion de ces animaux. 


En continuant notre examen, et recueillant les faits 
observés que nous offrent les animaux sans vertèbres, 
on reconnaît : 

1° Qu’avec les poissons se termine complétement le 
plan particulier de l’organisation des animaux verté- 
brés , et par conséquent l’existence du squelette qui 


INTRODUCTION. 123 


fait une partie essentielle de ce plan; qu’eflectivement, 
après les poissons, la moelle épinière, ainsi que la co- 
lonne vertébrale, cette base de tout véritable sque- 
lette , ont cessé d'exister; que par conséquent , le 
squelette lui-même , cette charpente osseuse et arti- 
culée, qui fait une partie importante de l’organisation 
de l’homme et des animaux les plus parfaits, char- 
pente qui fournit aux muscles tant de points d’attache 
pour la diversité et la solidité des mouvements, et qui 
donne une si grande force aux animaux sans nuire à 
leur souplesse, que cette partie, dis-je, est tout-à-fait 
anéantie, et ne reparaîtra désormais dans aucun des 
animaux des classes qui vont suivre; car, il n’est pas 
vrai qu'après les poissons, la peau crustacée ou plus ou 
moins solide de certains animaux, et les colonnes d’os- 
selets pierreux qui soutiennent les rayons des astéries, 
de même que celles qui forment axe dans les encri- 
nes, soient des parties en rien analogues au squelette 
des animaux vertébrés; qu'enfin, après les poissons, 
les auimaux observés offrent des plans d'organisation 
très différents de celui auquel appartient l’organisa- 
tion même de l’homme, de celui qui admet des orga- 
nes particuliers pour l'intelligence, de celui qui donne 
lieu à un organe spécial pour la voix, à un véritable 
poumon pour respirer, à un système lymphatique, à 
des organes sécréteurs de l’urine, etc., etc. ; 

2° Que les mollusques , qui ne se lient par aucune 
nuance avec les poissons connus , à moins que de nou- 
veaux hétéropodes n’en fournissent un jour les moyens, 
doivent néanmoins venir les premiers dans notre mar- 
che, élant, de tous les animaux sans vertèbres , ceux 
en qui la composition de l’organisation paraît la plus 
avancée , quoiqu'’elle soit appropriée, par son état de 
faiblesse, au changement que la nature devait exécuter 
pour amener celle des vertébrés; que cependant ils 


124 INTRODUCTION. 


sont encore plus imparfaits, plus éloignés de F'organi- 
sation de j’homme que les poissons, puisqu'ils man- 
quent de colonne vertébraie, et qu'ils n’appartiennent 
plus au plan &organisation qui Padmet ; que, n’ayant 
pas encore de moelle épinière, ils n’ont pas non plus 
de moelle longitudinale noueuse , mais seulement un 
cerveau, quelques ganglions et des nerfs, ce qui aflai- 
blit leur sensibilité qui est répandue sur toute leur 
surface externe; qu'enfin, si ces animaux mollasses et 
inarticulés n’exécutent que des mouvements sans viva- 
cité et sans énergie, c’est que la nature se préparant à 
former le squelette , a abandonné en eux l’usage des 
téguments cornés et des articulations qu’elle employait 
depuis les insectes , en sorte que leurs muscles n’ont 
sous la peau que des points d'appui très faibles ; 

30 Queles cirrhipedes, les annelides et les crustacés, 
sous le rapport d’une diminution dans la composition 
et je perfectionnement de lorganisation, n’offrent 
aucune particularité bien éminente, si ce n’est qu'ils 
sont inférieurs aux mollusques, et par cela même plus 
éloignés encore de l’organisation de l’homme; puis- 
que, par leur moelle Jongitudinale noueuse, ils parti- 
cipent au système nerveux des insectes , et qu’ils sont 
cependant moins imparfaits que ces derniers sous le 
rapport de la circulation de leurs fluides et sous celui 
de leur respiration; qu’enfin, les crustacés sont les 
derniers animaux en qui des vestiges de l’ouïe aient 
été observés, et en qui le foie se retrouve encore ; 

4° Que, parvenu aux arachnides, qui tiennent de 
si près aux insectes, mais qui En sont très distinctes , 
on voit que l’organisation animale s'éloigne encore 
plus de celle de l'homme que celle des animaux pré- 
cédents; car le système d’organes , propre à la cércu- 
lation des fluides , n’est plus que simplement ébauché 
dans certains animaux de cette ciasse, et se trouve dé- 


INTRODUCTION. 195 


fiuitivement anéanti dans les autres : en sorte qu’on 
ne le retrouvera plus dorénavant, quoique le mouve- 
ment ou le transport des fluides ou de certains fluides 
sécrétés , soit encore dans le cas de s’exécuter à l’aide 
de véritables vaisseaux, dans les animaux de plusieurs 
des classes qui suivent ; qu’ici, le mode de respiration 
par branchies se termine pareïllement, n’y offre plus 
que quelques ébauches, et y est remplacé par celui des 
trachées aérifères, les unes ramifiées, selon les observa- 
tions de M. Latreille , ei les autres en doubles cordons 
ganglionés, comme dans les insectes; qu’enfin, toute 
glande conglomérée paraissant ne plus exister, et ne 
devant plus se retrouver désormais, ces animaux sont 
encore plus éloignés de l’homme par Porganisation, 
que les crustacés mêmes en qui le foie se montre en- 
core ; 

5° Qu'en parvenant aux snsectes , cette classe d’ani- 
maux si nombreux , si singuliers, si élégants même, on 
reconnaît que l’organisation s'éloigne encore plus de 
celle de l’homme que celle des arachnides et que celle 
des animaux qui, dans cette marche, les précèdent ; 
puisque le système si imporiant de la circulation des 
fluides, par des artères et des veines, n’y montrent 
plus aucun vestige; que le système respiratoire, par 
des trachées aérifères, non dendroïdes , mais en dou- 
bles cordons ganglionés, n’a plus même de concentra- 
tion locale; que les organes biliaires ne sont plus que 
des vaisseaux désunis; que la sensibilité chez eux est 
devenue fort obscure, étant les derniers en qui ce phé- 
nomène organique puisse encore s'exécuter ; que leur 
cerveau est réduit à sa plus faible ébauche ; que leurs 
organes sexuels n’exécutent plus leurs fonctions qu’une 
seule fois dans je cours de leur vie ; qu’enfin, le sang, 
graduellement appauvri dans sa nature, depuis les 
animaux les plus parfaits, n’est plus, dans les énsectes 


126 INTRODUCTION. 


où il a cessé de circuler, qu’une sanie presque sans 
couleur , à laquelle il ne convient plus de donner le 
nom de sang (1); 

6o Que les vers, qui, en descendant toujours, vien- 
nent après les insectes, mais à la suite d’un hiatus, 
que les épizoaires rempliront peut-être un jour, pré- 
sentent, dans la composition de l’organisation , une 
diminution bien plus grande encore que eelle observée 
dans les insectes et dans les animaux déjà cités; en 
sorte que l’organisation des vers est beaucoup plus 
éloignée encore de celle à laquelle on la compare, ainsi 
que toutes les autres, que celle des insectes; qu'ici , 
en effet, ni le cerveau, ce point de réunion pour la 


(1) I me parait que , faute d’avoir étudié et suivi les moyens de la 
pature , on s’est gravement trompé , relativement aux insectes , sur la 
cause, soit de la singularité des habitudes, soit de la vivacité des mou- 
vements de certains de ces animaux. Au lieu d’attribuer ces faits à une 
organisation plus perfectionnée des insectes, et à la nature de leur res- 
piration , ce qui devrait s'étendre à tous les animaux de cette classe, 
nous ferons remarquer que de simples particularités, que nous indique- 
rons, sont très suffisantes pour donner lieu à ces faits; nous montrerons 
que, sans avoir des facultés d'intelligence, mais ayant des idées de per- 
ception, de la mémoire, un sentiment intérieur, et l’organisation mo- 
difiée par les habitudes, ces causes suffisent pour leur faire produire les 
actions que nous observons chez eux ; que ces particularités, très diver- 
sifiées selon les races, ne sont point communes à tous ces animaux ; 
qu’en effet, s’il y a des insectes qui ont des mouvements très vifs , il y 
en à aussi qui n’en ont que de fort lents ; que même dans les infusoires, 
on trouve des animaux qui ont les mouvements lesplus vifs, tandisque , 
dans les mammifères, Von voit des races qui n’en exécutent que de très 
lents ; qu’enfin, à l’égard des manœuvres singulières de certaines races, 
manœuvres que l’on a considérées comme des actes d'industrie, il n’y 
a réellement que des produits d’habitudes que les circonstances ont 
progressivement amenées et fait contracter ; habitudes qui ont modifié 
l’organisation dans ces races, de manière que les nouveaux individus de 
chaque génération ne peuvent que répéter les mêmes manœuvres, 

( Note de Lamarck. Voir la note de la page 17.) 


INTRODUCTION. 127 


production du phénomène du sentiment, ni la moelle 
longitudinale noueuse qui, depuis les insectes jus- 
qu'aux mollusques, était si utile au mouvement des 
parties, n'existent plus; qu'il n’y a plus de tête, plus 
d’yeux, plus de sens particuliers, plus de trachées 
aérifères pour la respiration, plus de forme générale 
constituée par des parties paires , en un mot, plus de 
véritables mâchoires ; que la génération sexuelle, 
même, paraît s’anéantir dans le cours de cette classe, 
le sexes ne se montrant plus qu’obscurément dans cer- 
tains vers, et disparaissant entièrement dans les au- 
tres; qu'’enfin , formant une branche particulière et 
hors de rang dans la série, ces animaux offrent entre 
eux une grande disparité d'organisation , de laquelle 
résulte que les plus imparfaits sont très simples, et ne 
paraissent dus qu’à des générations spontanées ; 

70 Qu'étant arrivé aux radiaires, on reconnaît que 
l’imperfection de l’organisation animale où nous som- 
mes parvenus , non-seulement se soutient en elles, 
mais, même qu'elle continue de s’accroître; qu’il yest 
effectivement manifeste, que, dans toutes, la généra- 
tion sexuelle ne présente plus la moindre existence, 
en sorte que ces animaux sont réduits à n’offrir que 
des amas de corpuscules reproductifs qui n'’exigent 
aucune fécondation; que, quoiqu'il y ait encoré, dans 
les radiaires échinodermes, des vaisseaux pour le trans- 
port et l'élaboration des fluides , sans véritable circu- 
lation , c'est dans les radiaires mollasses que paraît 
commencer le mode simple de l’imbibition des parties 
par le fluide nourricier, les vaisseaux qu'on y apercoit 
encore, paraissant n’appartenir qu’à leur organe res- 
piratoire ; qu'ainsi que dans Îles vers, ni le cerveau, ni 
la moelle longitudinale, ni la tête, nt sens quelcon- 
que n'existent plus dans ces animaux ; que c’est parmi 
eux qu’on voit l'organe digestif montrer une véritable 


128 INTRODUCTION « 


imperfection, puisque dans beaucoup de radiaires le 
canal alimentaire, soit simple, soit augmenté latérale- 
ment, n’a plus qu’une seule issue, en sorte que la bou- 
che sert aussi d’anus; qu’enfin , les mouvements iso- 
chrones de ceux de ces animaux qui sont tout-à-fait 
mollasses, ne sont plus que les suites des excitations 
de l’extérieur , comme je le prouverai. Ces mêmes ani- 
maux sont donc plus éloignés encore, par leur orga- 
nisation, de celle à laquelle nous les comparons, que 
les vers mêmes, puisque , dans plusieurs de ces der- 
niers, les sexes s’aperçcoivent encore ; 

80 Que les polypes qui, dans notre marche, viennent 
après les radiaires, ne sont pas néanmoins le dernier 
chaînon de la chaîne animale, et cependant sont beau- 
coup plus imparfaits, plus simpies en organisation, 
enfin, plus éloignés encore de notre point de compa- 
raison que les radiaires; qu’en effet, ils ne présentent 
plus à l’intérieur qu’un seul organe particulier, celui 
de la digestion dans lequel se développent quelquefois 
des gemmes internes; qu’en vain chercherait-on dans 
les vrais polypes aucun autre organe intérieur qu’un 
canal alimentaire, varié dans sa forme, selon les fa- 
milles, qui devient de plus simple en plus simple, se 
change peu à peu en sac, corame dans les kydres, etc., 
et n’a alors qu’une seule issue; que l’imagination seule 
y pourrait supposer arbitrairement tout ce qu’elle 
voudrait y voir; qu'en un mot, ici, l'on est assuré 
que le fluide essentiel à la vie et à-la-fois nourricier, 
n’a d’autre mode d’être que celui d’imbiber les parties, 
de se mouvoir avec lenteur et sans vaisseaux dans la 
substance du corps du polype, dans je tissu cellulaire 
qui occupe l'intervalle entre la peau extérieure de ce 
corps et son tube ou son canal alimentaire; 

9° Qu’enfin, les infusoires, dernier anneau de la 
chaîne que nous venons de parcourir, et sur-tout les 


INTRODUCTION. 129 


infusoires nus, nous offrent les animaux les plus im- 
parfaits que l’on ait pu connaître, ceux qui sont les 
plus simples en organisation, ceux, enfin, qui sont, 
de tous, les plus éloignés du point de comparaison 
choisi; qu’effectivement, ces animaux n’ont pas un 
seul organe spécial, intérieur, constant et détermi- 
nable, pas même pour la digestion : en sorte qu’outre 
qu’ils manquent, comme les polypes, de tous les autres 
organes spéciaux connus , ils n’ont pas même, comme 
eux, un canal ou un sac alimentaire, et par consé- 
quent une bouche; que l’organisation, réduite à les 
faire jouir seulement de la vie animale, ne leur donne 
aucune autre faculté que celles qui sont généralement 
communes à tous les corps vivants, plus celle d’avoir 
leurs parties irritables; qu'enfin , ces animaux ne sont 
plus que des corps infiniment petits, gélatineux, 
presque sans consistance, qui se nourrissent par des 
absorptions de leurs pores externes, qui se meuvent 
et se contractent par des excitations du dehors, en un 
mot, que des points animés et vivants. 

Dans cette révision rapide de Ja série des animaux, 
prise dans un ordre inverse à celui de la nature, j'ai 
fait voir que, depuis l’homme , considéré seulement 
sous le rapport de l’organisation , jusqu'aux infusoires 
et particulièrement jusqu’à la monade, il se trouve, 
dans l’organisation des différents animaux et dans les 
facultés qu’elle leur donne, une immense disparité; et 
que cette disparité, qui est à son maximum aux deux 
extrémités de la série, résulte de ce que les animaux 
qui composent cette série, s’éloignent progressivement 
de l’homme, les uns plus que les autres, par l’état de 
la composition de leurorganisation comparée à la sienne, 

Ce sont-là des faits que maintenant on ne saurait 
contester, parce qu'ils sont évidents, qu’ils appar- 
tiennent à la nature , et qu’on les retrouvera toujours 


Tone 1. 9 


130 INTRODUCTION. 


les mêmes lorsqu'on prendra la peine de les examiner, 

La réunion de ces faits, prise en considération , for- 
cera sûrement un jour les zoologistes à reconnaître le 
vrai plan des opérations de la nature, relativement à 
l'existence des animaux; car, ce n’est point par hasard 

u’il se trouve une progression manifeste dans la sim- 
plification de l’organisation des différents animaux, 
lorsqu'on parcourt leur série dans le sens que nous 
venons de suivre. 

Qui ne sent que si l’on prend une marche contraire, 
Ja même progression nous offrira une composition 
croissante de l’organisation des animaux, depuis la 
monade jusqu'à l'orang-outang , et mème une perfec- 
tion graduelle de chaque organe particulier, malgré 
les causes étrangères qui en ont fait varier cà et là les 
résultats! Qui ne sent encore que si l'on prend cette 
nouvelle marche, le plan d'opérations qu’a suivi la 
nature, en donnant successivement l'existence aux 
animaux divers, se montrera si clairement, qu'il sera 
difficile alors de le méconnaître! 

La considération suivante répand une grande lu- 
mière sur les principaux faits d'organisation observés 
dans les animaux, et fait sentir encore combien est 
fondée la progression dans la composition de l’organi- 
sation des différents animaux, dont je viens d'établir 
les preuves. 

Dans chaque point du corps des animaux les plus 
imparfaits, tels que les énfusoires et les polypes, la 
vie, par la grande simplicité de l'organisation, y est 
indépendante de celle des autres points du mème corps. 
De là vient que, quelque portion que l’on sépare de 
l'ün de ces corps vivants si simples, le corps peut con- 
tinuer de vivre, et répare bientôt alors ce qu'il a perdu. 
Ve là vient encore que la portion séparée de ce corps 
peut elle-même, de son côté, continuer de vivre ; en 


INTRODUCTION. 131 


sorte qu'elle reproduit bientôt un corps entier, sem- 
blable à celui dont elle provient. 


Mais, à mesure que l’organisation se complique, 
que les organes spéciaux deviennent plus nombreux, 
et que les animaux sont moins imparfaits, la vie, dans 
chaque point de leur corps, devient dépendante de 
celle des autres points, Et, quoique à la mort de l’indi- 
vidu , chaque système d'organes particulier meurt, l’un 
après l’autre, ceux qui survivent à d’autres ne con- 
servent la vie que peu d'heures de plus, et périssent 
immanquablement à leur tour, lenr dépendance des 
autres les y contraignant toujours. Il est même remar- 
quable que, dans les mammifères et dans l’homme, 
une portion de muscle enlevée par une blessure, ne 
saurait repousser; la plaie se cicatrise en guérissant ; 
mais la portion charnue du muscle enlevée où dé- 
truite, ne se rétablit plus. 


Certes, cet ordre de choses n’aurait point lieu si la 
? 
progression en question était sans réalité! 


La progression dont ïl s’agit, soit prise du plus 
composé vers le plus simple, soit considérée en se di- 
rigeant dans le sens contraire, est teilement sentie des 
zoologistes, quoique leur pensée ne s’y arrête jamais, 
qu’elleles entraîne, en quelque sorte, dans le placement 
des classes : l’on peut dire même qu’à cet égard, elle 
ne ieur permet point cet arbitraire que nous employons 
ordinairement avec lant d’empressement PRES où 
Ja nature ne nous contraint point d’une manière trop 
décisive. 

Il est, en effet, assez curieux de remarquer à ce sujet, 
combien , malgré la diversité des lumières et des in- 
telligences, et malgré la confiance que l’on a dans son 
opinion particulière, préférablement à celle des autres, 
Punanimité, néanmoins, est presque constante, parmi 

* 


9 


132 INTRODUCTION. 


les zoologistes, dans le placement des classes qu’ils 
ont le mieux établies entre les animaux. 

Par exemple, on ne voit point de zoologistes inter- 
caler, parmi les animaux à vertèbres , une classe quel- 
conque des invertébrés; et, à l’égard des premiers, s'ils 
placent les mammifères en tête de leur distribution, 
on les voit toujours mettre les oiseaux au second rang, 
et terminer toute la série des vertébrés par les poissons. 
S'il leur arrivait de partager les mammifères en deux 
classes, comme, par exemple, pour distinguer classi- 
quement les cétacés, ils placeraient de force les oiseaux 
au troisième rang, Car aucun, sans doute, ne range- 
rait jamais les cétacés près des poissons. Enfin, dans 
cette marche, dirigée du plus composé vers le plus 
simple, les zoologistes terminent toujours la série gé- 
nérale par les infusoires, quoiqu'ils ne les distinguent 
point des polypes. En un mot, quoique confondant 
les radiaires, les polypes et les infusoires, sous la dé- 
nomination très-impropre de zoophytes, on les voit 
toujours, néanmoins, placer les radiaires avant les 
polypes , et ceux-ci avant les infusoires. 

Il y a donc une cause qui les entraîne, une cause 
qui force leur détermination, et qui les empèche de se 
livrer à l’arbitraire dans la distribution générale des 
animaux. Or, cette cause, dont ils ont le sentiment 
intime, parce qu'elle est dans la nature, et dont ils 
ne s'occupent point, parce qu’elle amènerait des con- 
séquences qui traverseraient la marche qu’ils ont fait 
prendre à l’étude; cette cause, dis-je, réside unique- 
ment dans la progression dont je viens de démontrer 
l'existence; en un mot, elle consiste en ce que la na- 
ture, en formant les différents animaux , a exécuté une 
composition toujours croissante dans les diverses orga- 
nisations qu’elle leur a données. 

On pea donc dire maintenant que, parmi les faits 


INTRODUCTION, | 133 


que l'observation nous a fait connaître, celui de la 
progression dont il s’agit, est un de ceux qui ont la 
plus grande évidence. 

Mais de ce qu’il y a réellement une progression dans 
la composition de l’organisation des auimaux , depuis 
les plus imparfaits jusques aux plus parfaits de ces êtres, 
il ne s’ensuit pas que l’or puisse former avec les espè- 
ces et les genres une série unique, très simple, non 
interrompue, partout liée dans ses parties, et offrant 
régulièrement la progression dont il s’agit. Loin 
d’avoir eu cette idée, j'ai toujours été convaincu du 
contraire, je l’ai établi clairement; enfin j'en ai reconnu 
et montré la cause. 

On s’est apparemment persuadé qu’une pareille 
échelle régulière, formée avec les espèces et les genres, 
devait être la preuve de la progression dont il est 
question, et comme lPobservation atteste qu’il n’est 
pas possible d’en former une semblable, parce que 
l’échelle qu’on exécuterait avec les espèceset les genres, 
rangés d’après leurs rapports, ne présenterait qu’une 
série irrégulière, interrompue, et offrant des anomalies 
nombreuses et diverses, on n’a donné aucune atten- 
tion à la progression dont il s’agit, et l’on s’est cru 
autorisé à méconnaître, dans cette progression, la 
marche des opérations de la nature. 

Cette considération étant devenue dominante parmi 
les zoologistes , la science s’est trouvé privée du seul 
guide qui pouvait assurer ses vrais progrès; des prin- 
cipes arbitraires ont été mis à la place de ceux qui 
doivent diriger la marche de l’étude; et si le senti- 
ment de la progression, dont j'ai prouvé l'existence, 
ne retenait la plupart des zoologistes, relativement au 
rang des masses principales, on verrait dans la distri- 
bution des animaux , des renversements systématiques 
extraordinaires. 


134 INTRODUCTION. 


Tout ici porte donc sur deux bases essentielles , ré- 
gulatrices des faits observés et des vrais principes 
zoologiques , savoir : . 


° Sur le pouvoir de la vie, dont les résultats sont 
la composition croissante de l’organisation , et par 
suite, la progression citée ; 

2° Sur la cause modifiante, dont les produits sont 
des interruptions, des déviations diverses et irré- 
gulières dans les résultats du pouvoir de la vie. 


Il suit de ces deux bases essentielles , dont les faits 
connus attestent le fondement : 

D'abord, qu'il existe une progression réelle dans la 
composition de l’organisation des animaux, que la 
cause modifiante n’a pu empêcher. 

Ensuite, qu’il n’y a point de progression soutenue 
el régulière dans la distribution des races d'animaux, 
rangées d’après leurs rapports, ni même dans celle des 
genres et des familles; parce que la cause modifiante 
a fait varier, presque partout , celle que la nature eût 
régulièrement formé, si cette cause modifiante n’eüt 
pas agi (1). 

Cette même cause modifiante n’a pas seulement agi 
sur les parties extérieures des animaux, quoique ce 
soient celles-ci qui cèdent le plus facilement et les 
premières à son action ; mais elle a aussi opéré des mo- 
difications diverses sur leurs parties internes, et a fait 
varier très irrégulièrement les unes et les autres. 


(1) Ceci est l'explication la plus simple et la plus rationnelle qui aït 
été donnée jasqu’à présent de certaines anomalies dans l’organisation 
des animaux; on conçoit dès lors, comment il se fait que des animaux 
d’une classe inférieure aient quelquefois certains organes plus déve- 
loppés que ceux dont l’organisation par son ensemble est beaucoup 
plus parfaits. 


INTRODUCTION. 135 


Il en résulte, selon mes observations, qu’il n’est pas 
vrai que les véritables rapports entre les races, et 
même entre les genres et les familles, puissent se dé- 
cider uniquement , soit par la considération d’aucun 
système d'organes intérieur, pris isolément, soit par 
l’état des parties externes; mais qu’il l’est, au contraire, 
que ces rapports doivent se déterminer d’après la con- 
sidération de l’ensemble des caractères intérieurs et 
extérieurs, en donnant aux premiers une valeur préé- 
minente, et parmi ceux-ci, une plus grande encore 
aux plus essentiels, sans employer néanmoins la con- 
sidération isolée d’aucun organe particulier quelcon- 
que (3). 

Que les circonstances dans lesquelles se sont trou- 
vées les différentes races d’animaux, à mesure qu’elles 
se sont répandues de proche en proche, sur différents 
points du globe et dans ses eaux, aient donné à cha- 
cune d’elles des habitudes particulières, et que ces 
habitudes , qu’elles ont été obligées de contracter 
selon les milieux qu’elles habitèrent et leur manière 
de vivre, aient pu, pour chacune de ces races, mo- 
difier l’organisation des individus , la forme et l’état 
de leurs parties, et mettre ces objets en rapport avec 
les actions habituelles de ces individus, il n’est plus 
possible maintenant d’en douter. 

En effet, l’on doit concevoir qu’à raison des milieux 
habités, des climats, des situations particulières , des 
différentes manières de vivre, et de quantité d’autres 
circonstances relatives à la condition de chaque race, 
tel organe ou même tel système d’organes particulier, 
a dû prendre, dans certaines d’entre elles, de grands 
développements; tandis que dans d’autres races , quoi- 


(x) Les principes que doit fournir cette considération , seront déve- 
loppés dans la 6e partie de cette Introduction. 


136 INTRODUCTION. 


que avoisinantes par leurs rapports généraux, mais très 
différemment situées, ce même système d'organes par- 
ticulier, très développé dans les premières, aura pu, 
dans celles-ci, se trouver très aflaibli, très réduit, 
peut-être anéanli, où au moins modifié d’une manière 
singulière. 

Ce que je dis de tel système d’organes qui fait par- 
ie de l’organisation des individus d’une race quel- 
conque, s'étend à toutes les autres parties de ces indi- 
vidus, et même à leur forme générale : tout en eux est 
assujetti aux influences des circonstances dans les- 

uelles ils se trouvent forcés de vivre. 

A l’égard des animaux , il y a nombre de faits connus 
qui attéstent l’existence de cet ordre de choses, et l’on 
pourrait ajouter que, quelque petites que soient les 
modifications qui se sont opérées sous nos yeux et 
dort nous nous sommes convaincus par l’observation, 
dans ceux des animaux, dont nous avons changé for- 
cément les habitudes, ces mêmes modifications sont 
suffisantes pour nous montrer l’étendue de celles, 
qu'avec le temps les animaux ont pu éprouver dans 
leur forme, leurs parties, leur organisation même, 
de la part des circonstances dans lesquelles ils ont 
vécu, et qui ont diversifié toutes leurs races presqu’à 
l'infini (1). 

D'après les considérations que je viens d’exposer, 
qui ne reconnaît la cause qui fait que, dans une même 
classe d'animaux, chaque système d’organes particu- 
lier ne suit pas, dans toutes les races, le même ordre, 
soit de perfectionnement , soit de dégradation? 

Enfin, qui ne voit que, malgré les anomalies di. 
verses provenues de la cause citée, la progression dans 


{1) Philosophie zoologique, vol, a, p. 218. 


INTRODUCTION. 137 


la composition de l’organisation animale, ne s’en est 
pas moins exécutée d’une manière très remarquable, 
et qu’elle indique clairement la marche des opérations 
de la nature à l’égard des animaux ? 

Puisque ces animaux, chacun de leur espèce, doivent 
à Ja nature et aux circonstances leur existence et tout 
ce qu’ils sont, essayons maintenant de montrer quels 
sont les moyens qu’elle a employés, d’abord pour 
instituer la vie dans les corps qui en jouissent, eusuite 
pour former en ceux qui en offraient la possibilité, 
des organes particuliers, les développer progressi- 
vement, les varier, les multiplier, et finir par les 
cumuler dans les plus perfectionnées des organisations 
animales. 


138 INTRODUCTION. 


TROISIÈME PARTIE. 


DES MOYENS EMPLOYÉS PAR LA NATURE POUR INSTITUER 
LA VIE ANIMALE DANS UN CORPS, COMPOSER ENSUITE 
PROGRESSIVEMENT L'ORGANISATION DANS DIFFÉRENTS 
ANIMAUX, ET ETABLIR EN EUX DIVERS ORGANES PAR= 
TICULIERS , QUI LEUR DONNENT DES FACULTÉS EN RAP= 
PORT AVEC CES ORGANES. 


Un des penchants naturels de l’homme étant de 
porter, en général, les individus de son espèce à bor- 
ner l'intelligence humaine d’après la limite de Ja 
leur , ceux qui ne font aucune étude de la nature, qui 
ne l’observent point , se persuadent aisément que c’est 
une folie de chercher à connaître la source des faits 
qu’elle présente de toutes parts à nos observations. 

Quant à moi, convaincu que les seules connais- 
sances positives que nous puissions avoir , ne sont au- 
tres que celles que l’on peut acquérir par l'observation; 
sachant d’ailleurs que, hors de la nature, hors des 
objets qui sont de son domaine, et des phénomènes 
que nous offrent ces objets, nous ne pouvons rien ob- 
server, je me suis imposé pour règle, à l'égard de 
l'étude de Ja nature , de ne m’arrêter dans mes recher- 
ches, que lorsque les moyens me manqueraient entiè- 
rement,. 

Ainsi, quelque difhcile que paraisse le sujet. qui 
m ’occupe dans cette troisième parte, reconnaissant 


INTRODUCTION. 139 


un fondement incontestable dans la proposition d’où 
je vais partir, ce fondement m’autorise à étendre mes 
recherches jusques dans les détails des procédés qu’a 
employés la nature pour faire exister les animaux, et 
amener leurs différentes races à l’état où nous les 
voyons. 

Sans doute la proposition générale qui consiste à 
attribuer à la nature la puissance et les moyens d’ins- 
tituer la vie animale dans un corps, avec toutes les 
facultés que la vie comporte, et ensuite de composer 
progressivement l’organisation dans différents ani- 
maux; cette proposition dis-je, est très fondée et à 
l’abri de toute contestation. Pour la combattre, il fau- 
drait nier le pouvoir, les lois, les moyens, et l’exis- 
tence même de la nature; ce que probablement per- 
sonne ne voudrait entreprendre. 

Ainsi, les animaux, comme tous les autres corps 
naturels, doivent à la nature tont ce qu'ils sont, 
toutes les facultés qu'ils possèdent. C’est de Jà que je 
partirai pour étendre mes recherches sur les moyens 
qu'elle a pu employer pour exécuter , à l’égard de ces 
êtres, ce que l’observation nous montre en eux. Mais 
nos déterminations des moyens mêmes qu’emploie la 
nature, ne sont pas toujours aussi positives que la 
proposition qui lui attribue le pouvoir d’exécuter tant 
de choses diverses. 

En eflet, nous manquons nous-mêmes de moyens 
pour nous assurer du fondement de nos déterminations 
à cet égard, et cependant, comme notre principe ou 
notre point de départ est assuré, et qu’il nous prescrit 
de borner nos idées au seul champ dont il nous trace 
les limites , il ne s’agit plus que de montrer que les 
choses peuvent être comme je vais les présenter , et que 
s’il en était autrement, elles auraient nécessairement 
lieu par des voies analogues. 


140 INTRODUCTION, 


D'après cela , le seul point d’où nous puissions par- 
tir pour arriver aux déterminations qui sont ici notre 
but, c'est, avant tout, de reconnaître que les animaux, 
ainsi que les végétaux, les minéraux, et tous les corps 
quelconques , sont des productions de la nature. J'en 
établirai les preuves dans la 6° partie de cette Intro- 
duction, et dès à présent, je remarquerai que les na- 
turalistes en sont intimement persuadés, ainsi que 
l’atteste l'expression même qu'ils emploient lorsqu'ils 
en parlent. 

Puisque les animaux sont des productions de la na- 
ture, c’est d’elle conséquemment qu’ils tiennent leur 
existence et les facultés qu'ils possèdent ; elle a formé 
les plus parfaits comme les plus imparfaits; elle a pro- 
duit les différentes organisations qu’on remarque 
parmi eux; enfin , à l’aide de chaque organisation et de 
chaque système d’organes particuliers, elle a doué les 
animaux des facultés diverses qu’on leur connaît : elle 
possède donc les moyens de produire toutes ces choses. 
On est même fondé à penser qu’elle les produirait 
encore de la même manière et par les mêmes voies, si 
elles n’existaient point. 

Maintenant, je crois pouvoir assurer que si c'est elle 
qui a réellement fait exister ces mêmes choses, elle les 
a sans doute opérées physiquement; car ses moyens 
étant purement physiques, on ne peut lui en attribuer 
d’autres. Cette considération doit être de première 
importance pour mon sujet. 

Les moyens, et à la fois les causes de tout ce que la 
nature a exécuté, et de tout ce qu'elle continue d’o- 
pérer tous les jours, sont nécessairement de différents 
ordres. En eflet, on peut dire que la nature a des 
moyens généraux, et qu'elle en possède d’autres qui 
sont graduellement plus particuliers. Tous forment 
ensemble une hiérarchie de puissances dans laquelle 


INTRODUCTION. 141 


tout est lié, tout est dépendant, tout est en harmonie, 
tout est nécessaire: ces vérités ont été senties, et sont 
en effet reconnues. 

Ainsi, pour établir quelque ordre dans nos idées sur 
ce sujet intéressant , et parvenir à montrer comment 
il paraît que la nature a opéré la production des ani- 
maux, je vais présenter mon sentiment sur ces moyens 
généraux les plus probables, ei j’en indiquerai la liai- 
son avec les moyens particuliers et moins douteux, 
dont elle a nécessairement fait usage. 

Au moins dans notre globe, la nature a deux moyens 
puissants et généraux, qu’elle emploie continuellement 
à la production des phénomènes que nous y observons; 
ces moyens sont : 


10 L’attraction universelle, qui tend sans cesse à 
opérer le rapprochement des particules de la ma- 
tière, à former des corps, et à empêcher la dis- 
persion de leurs molécules ; 

20 L'action répulsive des fluides subtils, mis en ex- 
pansion ; action qui, sans être jamais nulle, varie 
sans cesse dans chaque lieu , dans chaque temps, 
et qui modifie diversement l’état de rapproche- 
ment des molécules des corps. 


De l'équilibre éntre ces deux forces opposées, des 
différentes quantités de puissance dont l’une l’em- 
porte sur l’autre dans chaque circonstance, des affinités 
diverses entre les objets assujettis à l’action de ces forces, 
enfin, des circonstances infiniment väriées dans les- 
quelles ces forces agissent, naissent sans doute les 
causes de tous les faits que nous observons, et particu- 
lièrement de ceux qui concernent l’existence des corps 
vivants. 

Les deux forces contraires que je viens de citer sont 
reconnues; on en appercoit, eflectivement, l’action 


142 INTRODUCTION. 


dans presque Lous les faits qui s'observent dans notre 
globe. Elles sont cependant plus générales encore; car, 
si l’on a des preuves que l’attraction ne se borne point 
à ce même globe, on ne saurait méconnaître, hors de 
lui, l’action d'une force répulsive sans laquelle la lu- 
mière, qui traverse sans cesse l’espace dans toute 
direction , ne serait point mise en mouvement. 

La réalité des deux causes en question ne peut donc 
raisonnablement être mise en doute. Cr, au lieu d’em- 
ployer cette connaissance à former des hypothèses sur 
l'univers , je vais me restreindre à considérer les faits 
qui en résultent dans ie globe que nous habitons, et 
particulièrement ceux qui concernent Îes corps vivants, 
sur-tout les animaux. 

On ne connaît point la cause de l’attraction univer- 
selle ; on sait seulement que cette attraction est un fait 
positif que l’observation a constaté. Malgré cela, le 
mouvement ne pouvant être le propre d'aucune ma- 
tière, on doit penser que toute force attractive, ainsi 

‘que toute force répulsive, sont chacune le produit de 
causes physiques, étrangères aux propriétés essentielles 
‘ des matières qui l’offrent. 

La cause qui met sans cesse, dans notre globe, plu- 
sieurs fluides invisibles, tels que le calorique , l’électri- 
cité, et peut être quelques autres, dans un état d’ex- 
pansion qui les renû répulsifs, me paraît plus détermi- 
nable que celle qui produit la gravitation universelle. 
_Je la trouve, en effet, dans la lumière, perpétuellement 
en émission, des corps lumineux, et sur-tout dans 
celle du soleil qui vient sans interruption frapper notre 
globe, mais avec des variations continuelles sur chaque 
point de sa surface. 

Ce serait une grande erreur de croire que le calo- 
rique soit, par sa nalure, toujours en mouvement , 
toujours expansif, toujours répulsif des molécules des 


INTRODUCTION. 143 


corps dans lesquels il pénètre. J'ai publié (1) ce qu’il 
y a de plus probable sur la théorie de ce singulier 
fluide; et l’on y aura égard lorsque les étranges hypo- 
thèses actuellement en.crédit, cesseront d'occuper la 
pensée des physiciens. 

Il me suffit de faireremarquer ici qu’un fluide subtil, 
répandu dans notre globe et son atmosphère, fluide 
qui, dans son état naturel, nous est nécessairement 
inconnu , parce qu’il ne sanrait affecter nos sens, se 
trouvant sans cesse coërcé par la lumière du soleil, dans 
une moilié du globe, devient aussitôt un calorique 
expansif. En effet, comme une moitié entière de notre 
globe est, en tout temps, frappée par la lumière du 
soleil, il se reproduit donc toujours une immense 


(1) Comme assurément on ne saurait atiribuer à une matière quel- 
conque d’avoir en propre aucune force productive de mouvement , et 
d’être par elle-même, soit attirante, soit repoussante ; comme, ensuite, 
il n'est pas possible de douter que la propriété que l'on observe dans 
certaines matières d'être répulsives des autres Corps ou de tendre à 
écarter leurs molécules réunies en pénétrant dans leurs interstices , ne 
soit le produit d'un changement de lieu ou d’état de ces matières ; jai 
senti qu’à l'égard du calorique, les propriétés qu’on lui connaît ne pou- 
vaient lui être essentielles, et lui étaient même nécessairement passa- 
gères : en sorte que ce fluide n’est calorique qu’accidentellement. 

En examinant alors les faits connus qui le concernent et leurs con 
ditions , j'aperçus les causes qui peuvent coërcer le fluide particulier 
propre à devenir calorique ; je reconnus bientôt ce qu’il pouvait opérer 
dans cet état passager, selon le degré d'expansion où il se rencontrait, 
et j'y appliquai sans difficulté tout ce que l'observation nous à montré 
à son égard, 

Mes premières pensées sur ce sujet sont inscrées dans mes Æecher- 
ches sur les causes des principaux faits physiques , no.332 à 338. Dès 
développement plus réguliers sûr ma nouvelle théorie du feu se trou- 
vant consignés dans mes Mémoires de physique et d'histoire naturelle, 
pages 185 à 200. On y reviendra probablement un jour, sur-tout lors- 
qu’on exarninera Les bases sur les quelles se fondent les hypothèses qui 
dominent maintenant , et qui arrêtent les vrais progrès de la physique, 

( Note de Lamarck }, 


RL 2 


144 INTRODUCTION. 


quantité de calorique à la fois; ce que j'ai prouvé, 
sans avoir besoin de l’illusion des rayons calorifiques. 

Ainsi, ce calorique produit par la lumière, parfai- 
tement le même que celui qui se dégage dans les com- 
bustions, dans les eflervescences , ou qui se forme dans 
les frottements entre des corps solides, ce calorique, 
dis-je, étant toujours renouvelé et entretenu dans 
notre globe par le soleil, toujours changeant dans sa 
quantité et dans son intensité d’expansion, fait varier 

erpétuellement la densité des couches de l’air et 
l'humidité des parties basses de l’atmosphère, ainsi 
que celle de la plupart des corps de la surface du globe. 
Or, ces variations de calorique, de densité des couches 
de l’air, et d'humidité dans l'atmosphère et dans les 
corps, donnent continuellement lieu au déplacement 
de l’électricité, aux variations de ses quantités dans 
différentes parties du globe, et à des cumulations di- 
verses de ses masses, qui les rendent elles-mêmes 
expansives et répulsives. Certes, il n’y a dans tout 
ceci rien qui ne soit conforme aux faits physiques 
observés. 

Ainsi, dans notre globe, deux causes opposées, qui 
agissent sans cesse et se modifient mutuellement; savoir: 
l’une, toujours régulière dans son action, tendant 
continuellement à rapprocher et à réunir les parties 
des corps et les corps eux-mêmes; tandis que l’autre, 
très irrégulière, fait des eflorts variés pour tout écar- 
ter, tout séparer; deux causes, disons-nous, sont, 
dans les mains de la nature, des moyens qui lui 
donnent le pouvoir d'opérer une multitude de phéno- 
mènes, parmi lesquels celui qu'on nomme la are est 
un des plus admirables, et en amène d’autres qui le 
sont davantage encore. 

La plus grande difficulté pour nous, en apparence, 
est de concevoir comment la nature a pu instituer la 


INTRODUCTION. 145 


vie dans un corps qui ne la possédait pas, qui n’y 
était pas même préparé; et comment elle a pu com- 
mencer l’organisation la plus simple, soit végétale, 
soit animale, lorsqu'elle a formé des générations spon- 
tanées ou directes. 

Quoique nous ne puissions savoir avec certitude ce 
qui a lieu à cet égard, c’est-à-dire, ce qui se passe 
positivement; comme c’est un fait certain que la na- 
ture parvient, presque chaque jour, à douer de la vie 
de très pelils corps en qui elle n'existait pas, et qui 
n’y étaient même pas préparés; voici ce que l’obser- 
vation et ce qu’une réunion d’industions nous auto- 
risent à penser à ce sujel. 

C'est toujours par l’étude des conditions essentielles 
l'existence de chaque fait, que nous pouvons réussir 
nous éclairer sur leur cause. 

Or, nous savons, par l’observation , que les organi- 
sations les plus simples, soit végétales, soit animales, 
ne se rencontrent jamais ailleurs que dans de petits 
corps gélatineux, très souples, très délicats, en un 
mot, que dans des corps frêles, presque sans consis- 
tance, et la plupart transparents. 

Nous savons aussi que, parmi ses moyens d’action, 
la nature emploie l'attraction universelle qui tend à 
réunir , à former des corps particuliers; et qu’en outre, 
dans notre globe , elle emploie en même temps l’action 
des fluides subtils, pénétrants etexpansifs, tels que le 
calorique , l'électricité, etc. , fluides qui sont répulsifs 
et qui tendent à désunir les parties des corps qu’ils 
pénètrent, en un mot, à écarter leurs molécules 
agrégées. ou agglutinées. 

Les choses étant ainsi, l’on conçoit facilement : 10 
que lorsque les petits corps gélatineux, que la puis- 
sance réunissante forme aisément dans les eaux et dans 
les lieux humides, recevront dans leur intérieur les 


ToME 1, 10 


D: 2 


146 INTRODUCTION. 


fluides expansifs et répulsifs que je viens de citer, et 
dont les milieux environnants sont sans cesse remplis; 
alors, les interstices de leurs molécules agglutinées 
s’aggrandiront, et formeront des cavités utriculaires ; 
20 que les parties les plus visqueuses de ces corps géla- 
tineux, constituant, dans cétie circonstance, les parois 
des cavités utriculaires dont je viens de parler, pour- 
ront elles-mêmes recevoir, de la part des fluides subtils 
et expansifs en question, cetie tension singulière dans 
tous leurs points, en un mot, cette espèce d'éréthisme 
que j'ai nommé orgasme, et qui fait partie de l’état 
de choses que j'ai dit être essentiel à l’existence de la 
vie dans un corps; 30 que l’orgasme une fois établi 
dans les parties concrètes du corps gélatineux en ques- 
tion , ce corps en recoit aussitôt une faculté absorbante, 
qui le met dans le cas de se pourvoir de fluides liquides 
qu'il s’approprie du dehors, et dont les masses rem- 
plissent ses utricules. 

Dans cet état de choses, l’on sent que bientôt la 
conLinuité d'action des fluides subtils et expansifs en- 
vironnants, forcera le liquide des utricules à se dépla- 
cer , à s'ouvrir des passages à travers les faibles parois 
de ces utricules, enfin, à subir des mouvements con- 
uünuels, susceptibles de varier en vitesse et en direction, 
selon les circonstances. 

Ainsi donc, voilà le petit corps gélatineux que nous 
considérons, véritablement organisé; le voilà composé 
de parties concrèles contenantes, formant un tissu 
cellulaire très délicat, et de fluide propre contenu, 
que des excitations du dehors, toujours renouvelées, 
mettent sans cesse en mouvement; en un mot, le voilà 
doué de mouvements vitaux. 

C’est ainsi, probablement, que l’organisation fut 
commencée dans les générations dités spontanées que 
Ja nature sait produire, Elle ne put l'être qu’à la faveur 


INTRODUCTION 147 


des petits corps gélatineux dont je viens de parler; et 
en eflet, c’est uniquement dans de semblables corps 
qu'on observe les organisations les plus simples. Ces 
mêmes petits corps furent donc transformés en corps 
vivants, dès que les interstices de leurs molécules 
purent être agrandis , et que leurs molécules les plus 
agglutinées purent constituer des parties concrètes 
cellulaires, capables de contenir des fluides susceptibles 
d’être mis en mouvement dans leurs petites cavités. * 
Dès lors, ces petits corps transpirèrent et firent des 
pertes ; mais dès lors aussi ils devinrent absorbants , 
et se nourrirent et se développèrent par des additions 
internes de particules qui purent s’y fixer. 


Les mouvements excités dans le fluide propre des | 
petits corps gélatineux dont je viens de parler, cons- 
tituent dès lors en eux ce qu’on nomme /a wie; car 
ils les animent, les mettent dans le cas de transpirer, 
d’absorber par leurs pores ce qui peut réparer leurs 
pertes, de s'étendre, c’est-à-dire de s’accroître jus- - 
qu’à un certain point, enfin de se multiplier ou se re- 
produire; ce qui s’exécute par des scissions ou des di- 
visions de ces corps. 

Toutes ces opérations n’exigent ni travail, ni chan- 
gements notables dans les matériaux employés. Les 


moyens les plus simples, les seuls que la nature ait 
alors à sa disposition, lui suffisent. 


L’assimilation se borne à employer celles des parti- 
cules absorbées, dont la composition chimique est 


analogue à celle de la substance très peu composée de 
ees frêles corps. 


L'extension ou accroissement de ces petits corps 
s'exécute par les suites mêmes des forces de la vie, 
forces qui résultent des mouvements excités. Cette 
extension est bornée par la nécessité de ne pouvoir 


107 


148 INTRODUCTION. 
franchit sans rupture les limites de Ja ténacité très 
faible de ces corps. 

Enfin, la multiplication où la reproduction de ecs 
mêmes corps, est le produit d’un excès d’accroissement 
qui l’emporte sur le terme de la ténacité, et qui en 
opère Ja scission. Mais à mesure que cette ténacité 
s'accroît un peu plus, les scissions deviennent alors 
moins grandes ,se particularisent ou se bornent à cer- 
tains points du corps, et en amènent la gemmation. 

Les petits corps dont il s’agit, possèdent done, 
dès l’instant même que la vie les anime, les facultés 
qui sont communes à Lous les corps vivants, et ils en 
sont doués par les voies les plus simples. Or, comme 
aucun d’eux n'a d’organes particuliers, aucun de 
même ne jouit des facultés particulières. 

Qu'on ne dise pas que l’idée des générations spon- 
tanées n’est qu’une opinion arbitraire , sans fonde- 
ment, imaginée par les anciens, et depuis formelle- 
ment contredite par des observations décisives. Les 
anciens, sans doute , donnèrent une extension trop 
grande aux générations spontanées , dont ils n’eurent 
que le soupcon ; ils en firent de fausses applications, 
et il fut facile d’en montrer l'erreur. Mais, on n’a 
nullement prouvé qu’il ne s’en opérait aucune, et que 
la nature n’en produisait point à l'égard des organi- 


salions les plus simples (1). 


(1) Sur cette question très importante des générations spontanées , 
les naturalistes de nos jours sont encore divisés ; cependant là, ce nous 
semble, la difficulté est plus apparente que réelle , et le dilemme posé 
ici par Lamarck , met les naturalistes dans la nécessité d’adopter l’une 
de ces propositions : la nature a eu la puissance de créer les animaux, 
ou elle a manqué de cette puissance créatrice. Les animaux existent, 
donc la nature a eu la puissance de les créer ; ils n’existeraient pas sans 
cela, Maintenant il faut se demander comment la nature a-t-elle agi 
dans cette création ? De deux choses l’une ; ou elle a par sa toute-puiss 


INTRODUCTION, 149 


J'ajouterai que, s’il était vrai que la nature n’eût 
pas les movens de produire elle-même directement 
les corps vivants les plus imparfaits, soit du règne vé- 
gétal, soit du règne animal, il Ie serait aussi, que ni 


sance créé tous les êtres dès l’origine, ce qu'ils sont et dans toute la 
perfection de leur organisation, dans ee cas la nature n'aurait eu qu'une 
seule fois le pouvoir de créer chaque espèce : l’homme lui-même au- 
rait étc fait d’un seul jet , aussi bien que tous les autres animaux; dans 
cette supposition il faudrait toujours admettre que chaque espèce, à son 
apparition, a eu une naissance spontanée, puisque les individus de cette 
même espèce n'ont pu être engendrés par des parents qui n’existaient 
pas encore; ou bien la nature a créé spontanément quelques êtres sim- 
ples en Les soumettant à cette loi de perfectibilité progressive que nous 
leur connaissons en général, On concevrait , en effet, plus facilement, 
qu'il a fallu un moindre cffort pour ajouter une tres petite modi- 
fieation à un être simple déjà existant, que pour former en une seule 
fois un être aussi compliqué dans son organisation que l’homme , par 
exemple ; car en admettant la possibilité de cette première modifica- 
tion et sa conservation par les générations, on se trouve nécessairement 
entraîné à admettre toutes celles qui sont nécessaires, pour expliquer 
celte progression dans l'organisation des animaux et l’enchainement 
des divers groupes par des rapporlis incontestables , enchaînement que 
l’on reconnait d'autant mieux qu’on a étudié davantage les espèces 
d'animaux. Un autre ordre de faits que nous fournit l'étude des corps 
fossiles er rapport avec les couches de la terre, pourrait fortifier l'opinion 
de Lamarck sur les générations spontanées. Si, comme les physiciens 
et les péologues le croient aujourd’hui, la terrre a été incandescente, 
elle w’a pu être habitce par les premiers animaux qu'après un certain 
degré de refroidissement; et comme ces animaux n’existaient nulle part 
à la surface terrestre , il a bien fallu que la nature les créàt spontané- 
ment. Les animaux Les plus simples étant gélatineux , nous ne pouvons 
nous faire la moindre idée de ceux de ces corps qui vécurent les pre- 
miers. L'étude des fossiles nous apprend seulement que les couches de 
sédiment qui ont été déposées Les premières ne recèlent que des débris 
solides d'animaux simples (crustacés, moliusques, quelques poissons }; 
que dans les couches suivantes, on voit successivement apparaître des 
animaux de plus en plus compliqués; et les mammifères ne se montrent 
que dans les couches les plus nouvelles. Les quadrumanes et lhiomme 
paraissent être des créations plus nouvelles encore, puisque nulle part 
on ne Louve de leurs ossement à l’état fossile. II faut donc conclure de 


150 INTRODUCTION. 


les végétaux, ni les animaux, ne seraient ses produc- 
tions ; il le serait encore que les minéraux et les autres 
corps inorganiques ne lui devraient rien; enfin, il le 
serait que son pouvoir et ses lois seraient nuls , et 
qu'elle-même n'aurait aucune existence; ce que l’ob- 
servalion dément généralement. 

Maintenant quil n’est plus possible de douter, 
qu’au moins à l'extrémité antérieure du règne végé- 
tal et du règne aimal, la nature ne produise des gé- 
nérations spontanées, en établissant la vie dans Îles 
corps organisés les plus frèles et les plus simples de 
chacun de ces règnes ; si l’on suppose que, dans cer- 
tains de ces petits corps vivants, d’après la composition 
chimique de leur substance , la nature n’a pu établir 
l’irritabilité des parties , c'est-à-dire , rendre ces par- 
ües subitement contractiles sur elle -mêmes à chaque 
provocation des causes stimulantes, on aura, dans ces 
corps, les types d’où sont provenus les différents vé- 
gélaux; tandis que ceux de ces corpuscules vivants 
en qui, à raison de la composition chimique de leur 
substance, la nature a pu instituer l’irritabilité, de- 
vront être considérés comme les types qui ont donné 
lieu aux différents animaux existants (1). 


ces faits, que tous les animaux n’ont pas été créés en même temps, et 
que les plus simples ont existé les premiers. Ces observations peuvent 
appuyer l'opinion de Lamarck ; elle nous paraît préférable dans cette 
question difficile de la création des corps vivants. 

(1) L'irritabilité étant une faculté générale pour tous les animat , 
n’exige en eux aucun organe particulier pour y donner lieu. La natare 
ou la composition chimique de leur substance , me paraît seule pouvoir 
produire le phénomène dont il s’agit. 

Lorsque je considère les faits galvaniques, et que je vois deux pièces 
de métal différents, mises en contact avec ma langue, me faire éprou- 
ver une sensation particulière, à l’instant où elles se touchent l’un: et 
l’autre, effet qui se répète autant de fois de suite que je réitère le con- 
tact ; je crois apercevoir que les suhstances animales et vivantes sent 


INTRODUCTION: 151 


Sans doute, je ne puis montrer, dans tous leurs 
détails, comment ces choses se passent , ni développer 
positivement le mécanisme de l’irritabilité; mais je 
sens la possibilité que ces mêmes choses soient comme 
je viens de ledire, et toutes lesinductions m’apprennent 
qu’elles ne peuvent être autrement. 

‘Après l’applanissement de cette première difficulté 
que nous offrent les générations spontanées au com- 
mencement de chaque règne organique, ainsi qu'à 
celui de certaines branches de ces règnes, toutes les 
autres relatives à la composition de l’organisation dans 
les animaux et à la formation des diflérents organes 
spéciaux qu’on observe parmi eux, me paraissent s’é- 
vanouir facilement. 

Eu effet, on verra ces difficultés disparaître si, aux 
moyens généraux de la nature, l'on ajoute les quatre 
lois suivantes qui concernent l’organisation et qui 
régissent tous les actes qui s’opèrent en elle par les 
forces de la vie. 


Première loi : La vie, par ses propres forces, tend 
continuellement à accroître le volume de tout 
corps qui la possède, et à étendre les dimen- 
sions de ses parties, jusqu’à un terme qu’elle 
amène elle-même. 


susceptibles d’éprouver dans tors les instants , non précisément un 
effet galvanique , mais nn effet probablement analogue. 11 est possible 
effectivement que , par leur cemposition chimique, ces substances se 
trouvent rénétrées eten quelque sorte distendues par quelque fluide subtil 
qui s'en échapperait à chaque contact d’un corps étranger, et les mettrait 
alors dans le cas de se contracter subitement. Or, la dissipation du 
fluide subtil en question , pourrait dans l'instant même se trouver ré- 
parée. Le phénomène d’irritabilité animale n’exige donc point d’or- 
gave particulier pour pouvoir se produire. ( Vote de Lamarck. ) 


152 INTRODUCTION. 


Deuxième loi : La production d’un nouvel organe 
dans un corps animal, résulte d’un nouveau 
besoin survenu qui continue de se faire sentir, 
et d’un nouveau mouvement que ce besoin fait 
naître et entretient. 


Troisième loi : Le développement des organes et leur 
force d'action sont constamment en raison de 
l'emploi de ces organes. 


Quatrième loi : Tout ce qui a été acquis, tracé ou 
changé, dans l’organisation des individus, pen- 
dant le cours de leur vie , est conservé par la 
génération et transmis aux nouveaux individus 
qui proviennent de ceux qui ont éprouvé ces 
changements. 


Il est impossible de rien entendre aux faits d’orga- 
nisalion et sur-tout aux opérations de la nature à 
l'égard des animaux, sans la connaissance de ces lois, 
en un mot, sans les prendre réellement en considéra- 
tion. En conséquence, je vais les présenter chacune 
successivement , avec les seuls développements néces- 
saires pour en faire apercevoir la réalité et la puis- 
sance. 

Première loi : La vie, par ses propres forces, tend 
continuellement à accroitre le volume de tout corps 
qui la possède, et à étendre les dimensions de ses 
parlies, jusqu'à un terme qu’elle amène elle-méme. 


On sait que tout corps vivant ne cesse de s’accroître, 
depuis linstant où la vie l’anime, jusqu’à un terme 
particulier de sa durée, qui est relatif à celle de cha- 
que race. Ce corps s’accroitrait pendant le cours entier 
de sa vie, si une cause assez connue ne metltait un 
terme à son accroissement , après le premier quart, ou 
environ, de sa durée. 


INTRODUCTION. 153 


La vie active étant constituée par les mouvements 
vitaux, on doit sentir que c’est principalement dans 
les monvements des fluides propres du corps vivant, 
que réside le pouvoir que possède la vie, d’étendre le 
volume et les parties de ce corps; car la nutrition 
seule ne suffit point; elle n’est point une force, et il 
en faut une pour agrandir, du dedans en dehors, le vo- 
Jume et les parties du corps dont il s’agit. 

Mais si dans chaque individu, le pouvoir de la vie 
tend sans cesse à augmenter les dimensions du corps 
et de ses parties, ce pouvoir n’empêche pas que la 
durée de la vie n’amène graduellement et constam- 
ment , dans l’état des parties, des altérations (une in- 
durescence et une rigidité progressives qui mettent 
un terme à l’accroissement de l'individu, et ensuite 
un autre à la vie même qu’il possède). Ainsi, ce sont 
ces altérations croissantes et connues qui constituent 
la cause qui, malgré la tendance de la vie, borne ja 
croissance de l’individu, et même qui amène nécessai- 
rement sa mort après un temps en rapport avec la du- 
rée de cette croissance. 

En effet, les forces de la vie tendant à accroître les 
dimensions de tout corps qui la possède, et les altéra- 
tions que sa durée amène dans les parties de ce corps 
bornant le produit de ces forces, il en résulte qw’il y 
a des rapports constants entre la croissance des indi- 
vidus et la durée de leur vie. Aussi a-t-on remarqué 
que là où la croissance a le plus de durée, la vie a plus 
d’étendue, et wice versd. 

Maintenant, si l’on considère que dans les premiers 
corps vivants formés directement par la nature, les 
forces äe la vie sont dans leur faible intensité, parce 
que les mouvements des fluides propres de ces corps 
sont très lents et sans énergie. on sentira que l'orga- 
nisation de ces petits corps gélatineux peut être ré- 


154 INTRODUCTION, 


duite à un simple tissu cellulaire très frèle et à peine 
modifié. Cependant, à mesure que les fluides de ces 
petits corps recevront de l’accélération dans leurs 
mouvements, les forces de la vie s’accroïtront propor- 
tionnellement; son pouvoir augmentera de même; le 
mouvement des fluides, devenu plus rapide, tracera 
des canaux dans le tissu délicat qui les contient; bien- 
tôt une diversité dans la direction de ces fluides en 
mouvement s’élablira; des organes particuliers com- 
menceront à se former; les fluides eux-mêmes, plus: 
élaborés, se composeront davantage, et donneront lieu 
à plus de diversité dans les matières des sécrétions et 
dans les substances qui constituent les organes; enfin, 
selon la branche de corps vivants que l’on considérera, 
l’on verra dans sa composition et son perfectionne- 
ment, tous les progrès dont elle est susceptible. | 

Qui est-ce qui coutesiera la vérité de ce tableau, 
qui présente la marche que suit l’organisation depuis 
les animaux les plus imparfaits jusqu'aux plus par- 
faits? Qui est-ce qui ne verra pas que c’est-là l’histoire 
des faits d'organisation qui s’observent à l’égard des 
animaux considérés, dans cette progression de leur 
série, du plus simple au plus composé ? 

Je n’eusse assurément pas imaginé un pareil ordre 
de choses, si l’observation des objets et l’attention 
donnée aux moyens qu’emploie la nature ne me l’eus- 
sent indiqué. 

À cette première loi de la nature, qui donne à la 
vie le pouvoir d'augmenter les dimensions d’un corps 
et d'étendre ses parties, el en oulre, qui met ce pou- 
voir dans le cas d'accroître graduellement ses forces 
dans la composition de l’organisation arimale, si nous 
ajoutons successivement les trois autres lois remar- 
quables que j'ai déjà citées, et qui dirigent les opéra- 
ons de la vie à cet égard, on aura alors , à très peu 


INTRODUCTION. 155 


de chose près , le complément des lois qui donnent 
l'explication des faits d'organisation que les corps vi- 
vants , et sur-tout les animaux, nous présentent. 

Deuxième loi : La production d’un nouvel organe 
dans un corps animal, résulte d’un nouveau besoin sur- 
venu qui continue de se faire sentir, et d'un nouveau 
mouvement que ce besoin fait naïtre et entretient. 

Le fondement de cette loi tire sa preuve de la troi- 
sième sur laquelle les faits connus ne permettent au- 
eun doute ; car, si les forces d’action d’un organe, par 
leur accroissement, développent davantage cet organe, 
c'est-à-dire, augmentent ses dimensions et sa puis- 
sance, ce qui est constamment prouvé par le fait, on 
peut être assuré que les forces dont il s’agit, venant à 
naître par un nouveau besoin ressenti , donneront né- 
cetsairement naissance à l'organe propre à satisfaire à 
ce nouveau besoin, si cet organe n’existe pas encore. 

A la vérité, dans les animaux assez imparfaits pour 
ne pouvoir posséder la faculté de sentir, ce n2 peut être 
à un besoin ressenti qu’on doit attribuer ia formation 
d’un nouvel organe, cette formation étant alors le pro- 
duit d’une cause mécanique , come celle d’un nou- 
veau mouvement produit dans une partie des fluides 
de l’animal. 

Il n’en est pas de même des animaux à organisation 
plus compliquée, et qui jouissent du sentiment. is 
ressentent des besoins, et chaque besoin ressenti, émou- 
vant leur sentiment intérieur, fait aussitôt diriger les 
fluides et les forces vers le point du corps où une ac- 
tien peut satisfaire au besoin éprouvé. Or, s’il existe 
en ce point un organe propre à celle action, il est 
bientôt excité à agir ; et si l’organe n’existe pas, et que 
le besoin ressenti soit pressant et soutenu, peu à peu 
l’organe:se produit et se développe à raison de la con- 
tinuité et de l’énergie de son emploi. 


156 INTRODUCTION. 


Si je n’eusse pasété convaincu; 1° que la seule pensée 
d'une action qui l'intéresse fortement, suffit pour 
émouvoir le sentiment intérieur d’un individu (1); 
29 qu'un besoin ressenti peut Jui -même émouvoir 
le sentiment en question; 3° que toute émotion du 
sentiment intérieur , à la suite d’un besoin qu’on 
éprouve, dirige dans l’instant même une masse de 
fluides nerveux sur les points qui doivent agir; qu’elle 
y fait aussi affluer des liquides da corps et sur- tout 
ceux qui sont nourriciers; qu’enfin , elle y met en ac- 
tion les organes déjà existants, ou y fait des efforts 
pour la formation de ceux qui n’y existeraient pas et 
qu’un besoin soutenu rendrait alors nécessaires, j'eusse 
conçu des doutes sur la réalité de la loi que je viens 
d'indiquer. 

Mais, quoiqu'il soit très difficile de constater cette 


(1) J'ai déjà dit que la pensée était une phénomène#out-à-fait phy- 
sique, résultant de la fonction d’un organe qui a la faculté d’y donner 
licu. 

Rien, effectivement, n’est plus fréquemment remarquable, sur-tout 
dans l'homme, que les effets de la pensée , soit sur le sentiment inté- 
rieur, soit sur différents des organes internes , selon la nature partieu- 
lière de la pensée produite. Enfin, comme l'imagination se compose de 
pensées, ou ne saurait croire jusqu’à quel point elle agit sur nos organes 
intérieurs , et combien peuvent être grandes les impressions qu’elle y 
occasione. 

Quel est l’homme qui ignore les effets que peut produire sur son in- 
dividu, la vue d’une femme jeune et belle, ainsi que la pensée qui la 
reproduit à son imagination iorsqu'elle n'est plus présente? Qui ne 
counaît les suites fâcheuses d’une grande frayeur, d'une nouvelle affli- 
geante, et quelquefois même d'une joie considérable subitement éprou- 
vée? Qui ne sent encore que c’est ce fonds de vérités positives, les- 
quelles ont pourtant leurs limites, qui a donné lieu à ce qu’on 10mme 
le magnétisme animal, où ce qu’il y a de réel n’est guère que le produit 
des effets de limagination sur nos organes intérieurs, mais auquel 
l'ignorance et peut-être le charlatanisme, ont attribué un pouvoir ab- 
surde, ext'avagant ct à la fois ridicule ? ( Vote de Lamarok, ) 


INTRODUCTION. 157 


loi par l'observation je ne conserve aucun doute sur 
le fondement que je lui attribue , la nécessité de son 
existence élant entrainée par celle de la troisième loi 
qui est maintenant très prouvée. 

Je conçois, par exemple , qu’un mollusque gastéro- 
pode qui, en se traînant , éprouve le besoin de palper 
les corps qui sont devant lui, fait des efforts pour tou- 
cher ces corps avec quelques-uns des points antérieurs 
de sa tête, et y envoie à tout moment des masses de 
fluides nerveux , ainsi que d’autres liquides ; je con- 
cois, dis-je, qu’il doit résulter de ces affluences réité- 
rées vers les points en question, qu’elles étendront 
peu à peu les nerfs qui aboutissent à ces points. Or, 
comme dans les mêmes circonstances, d’autres fluides 
de l’animal affluent aussi, dans les mêmes lieux et sur- 
tout parmi eux, des fluides nourriciers, il doit s’en- 
suivre que deux ou quatre tentacules naîtront et se 
formeront insensiblement, dans ces circonstances , sur 
des points dont il s’agit, C’est sans doute ce qui est ar- 
rivé à toutes les races de gastéropodes , à qui des be- 
soins ont fait prendre l'habitude de palper Îles corps 
avec des parties de leur tête 

Mais, s’il se trouve, parmi les gastéropodes, des ra- 
ces qui, par les circonstances qui concernent leur ma- 
nière d’être et de vivre, n’éprouvent point de sembla- 
bles besoins; alors leur tête reste privée de tentacules; 
elle a même peu de saillie, peu d'apparence; et c’est 
effectivement ce qui a lieu à l'égard des bullées , des 
bules, des oscabrions, etc. 

Sans m'’arrêter à des applications particulières, pour 
faire apercevoir le fondement de cette deuxième loi, 
application que je pourrais multiplier considérable- 
ment, je me bornerai à la soumettre à la méditation 
de ceux qui suivent attentivement les procédés de la 
nature à l’égard des phénomèmes de l’organisation 
animale, 


158 INTRODUCTION. 


Indiquons maintenant la troisième des lois qu’em- 
ploie la nature pour composer et varier l'organisation ; 
la voici : 


Troisième loi : Ze développement des organes et 
leur force d'action sont constamment en ruison de l’em- 
ploi de ces organes. 


Il ne s’agit point ici d’une supposition, d’une pré- 
somption quelconque; la loi que je viens de citer est 
positive, constatée par l'observation , et s'appuie sur 
quantité de faits connus, qui peuvent servir à en dé- 
montrer le fondement, 

Au lieu de la réduire à sa plus simple expression, 
comme ici, je l’ai présentée, dans ma Pilososhie zaolo- 
gique ( vol. 1, chap. 7 ), avec une sorte de dévelop- 
pement alors nécessaire , et je l’ai exprimée de la ma- 
nière suivante : 

« Dans tout animal qui n’a point dépassé le terme 
de ses développements, l’emploi plus fréquent ei sou- 
tenu d’un organe quelconque, fortifie peu à peu cet 
organe, le développe , l’agrandit, et lui donne une 
puissance proportionnée à la durée de cet emploi ; 
taudis que le défaut constant d’usage de tel organe , 
l’affaiblit insensiblement , le détériore, diminue pro- 
gressivement ses facultés, et finit par le faire dispa- 
raître », Phil. zool. , p. 235. 

Je ne me propose nullement d’étendre cet article, 
et de faire ici le moindre eflort pour prouver le fon- 
dement de la loi qui s’y rapporte. Je sais qu ’on ne 
saurail en contester la solidité, que les praticiens dans 
l’art de guérir en observent tous les jours les effets, 
et que moi-même j'en ai reconnu un grand nombre. 
Comme cette loi est importante à considérer dans 
l’étude de la nature, je renvoie mes lecteurs à ce que 
j'en ai dit dans ma Philosophie zoologique, où, la divi- 


mt. 


INTRODUCTION: t59 


sant en deux parties , J'en exprime les titres de cette 
manière : 

10 « Le défaut d'emploi d’un organe, devenu cons- 
tant par les habitudes qu’on a prises, appauvrit gra- 
duellement cet organe, et finit par le faire disparaître, 
et même par l’anéantir; » 

20 « L’emploi fréquent &’un organe, devenu cons- 
tant par les habitudes, augmente les facultés de cet 
organe, le développe lui-même, et lui fait acquérir des 
dimensions et une force d'action qu’il n'a point dans 
les animaux qui l’exercent moins, » 

En considérant l’importance de cette loi et les lu- 
mières qu’elle répand sur les causes qui ont amené 
l'étonnante diversité des'animaux, je Liens plus à l’a- 
voir reconnue et déterminée Îe premier, qu'à la satis- 
faction d’avoir formé des classes, des ordres, beaucoup 
de genres, et quantité d'espèces , en m'occupant de 
l’art des distinctions; art qui fait presque l’unique 
objet des études des autres zoologistes. 

Je regarde cette mème loi comme un des plus puis- 
sants moyens employés par la nature pour diversifier 
les races ; et en y réfléchissant, je sens qu’elle entraîne 
Ja nécessité de celle qui précède, c’est-à-dire, de la se- 
conde , et qu’elle lui sert de preuve. 

Effectivement , la cause qui fait développer un or- 
gane fréquemment et constamment employé, qui ac- 
croît alors ses dimensions et sa force d'action , en un 
mot, qui y fait itérativement affluer les forces de la vie 
et les fluides du corps, a nécessairement aussi le pouvoir 
de faire naître, peu à peu et par les mêmes voies, un 
organe qui n'existait pas et qui est devenu nécessaire. 

Mais la seconde et la troisième des lois dont il s’agit, 
eussent été sans effet, et conséquemment inutiles, si les 
animaux se fussent loujours trouvés dans les mêmes 
circonstances , s'ils ebssent généralement et toujours 


160 INTRODUCTION. 


conservé les mêmes habitudes , et s'ils n’en eussent 
jamais changé ni formé de nouvelles; ce que l’on a, en 
effet, pensé, et ce qui n’a aucun fondement. 

L'erreur où nous sommes tombés à cet égard, prend 
sa source dans la difficulté que nous éprouvons à em- 
brasser dans nos observalions un temps considérable. 
Il en résulte pour nous l'apparence d’une stabilité dans 
les choses que nous observons et qui pourtant n’existe 
nulle part. 

De là, l’idée que toutes les races des corps vivants 
sont aussi anciennes que la nature, qu’elles ont tou- 
jours été ce qu’elles sont actuellement, et que les ma- 
tières composées-qui appartiennent au règne minéral 
sont. dans le même cas; de là, résulterait nécessaire- 
ment que la nature n’a aucun pouvoir, qu'elle ne fait 
rien, qu’elle nechange rien, etque, n’opérant rien, des 
lois lui sont inutiles; de (à, enfin, ils’ensuivrait que, ni 
les végétaux, ni les animaux ne sont ses productions. 

Pour concevoir une pareille opinion et entretenir 
une erreur de cette sorte, il faut bien se garder de ras- 
sembler et de considérer les faits qui nous sont pré- 
sentés de toutes parts , et il faut repousser toutes les 
observations qui les constatent ; car les choses sont 
assurément bien différentes. 

Laissant à l’écart les faits connus et les observations 
qui prouvent que l’ordre de choses existant est fort 
différent de celui qu’on a voulu et qu'on veut encore 
y substituer, je dirai : 

Que, si les animaux sont des productions de la na- 
ture, il est évident qu’elle n’a pu les produire et les 
faire exister tous à la fois, en couvrir dans le même 
temps presque tous les points de la surface du globe, et 
en remplir ses eaux liquides pareillement à la fois; car, 
elle n’opère rien que graduellement, que peu à peu; et 
même, presque Loutes ses opérations s’exécutent, rela- 


INTRODUCTION. 161 


tivement à notre durée individuelle, avec une lenteur 
qui nous les rend insensibles. 

Or, si la nature n’a produit, soit les végétaux, soit 
les animaux, que successivement, et en commencant 
par faire exister, de part et d’autre, les plus imparfaits, 
il n’est personne qui ne sente qu’elle a dû répandre, 
de proche en proche et peu à peu, dans toutes les eaux 
et sur les différents points de la surface du globe, tous 
ceux de ces corps vivants qui sont successivement pro- 
venus des premiers qu’elle a formés. 

Que l’on juge maintenant quelle énorme diversité 
de circonstances d'habitation, d’exposition, de climat, 
de matières nutritives à leur disposition, de milieux 
environnants, etc., les végétaux et les animaux ont eu 
à supporter, à mesure que les races existantes se sont 
trouvées dans le cas de changer de lieu ! Et quoique 
ces changements se soient opérés avec une lenteur 
extrême et par conséquent à la suite d’un temps con- 
sidérable, leur réalité, nécessitée par différentes causes, 
n’en a pas moins mis les races qui s’y sont trouvées 
exposées, dans le cas de changer peu à peu leur ma- 
nière de vivre et leurs actions habituelles. 

Par les effets de la 2° et de la 3° des lois citées ci- 
dessus, ces changements d’action forcés ont donc dû 
faire naître de nouveaux organes, et ont pu ensuite 
les développer, si leur emploi est devenu plus fréquent; 
ils ont pu de même détériorer , et à la fin anéantir 
ceux des organes existants qui se sont alors trouvés 
inutiles. 

Une autre cause de changement d’action qui a con- 
tribué à diversifier les parties des animaux et à mul- 
tiplier les races, est la suivante : 

A mesure que les animaux, par des émigrations 
partielles, changèrent de lieu d’habitation et se ré- 
paudirent sur difiérents points de la surface du globe: 

Tone 1. II 


162 YNTRODUCTION. 


parvenus dans de nouvelles situations, ils furent 
exposés à de nouveaux dangers qui exigèrent de nou- 
velles actions pour ÿ échapper; car la plupart se dé- 
vorent les uns les autres pour conserver leur existence. 

Je n’ai pas besoin d'entrer dans aucun détail pour 
montrer l'influence de cette cause qu’il faut ajouter à 
celle qui embrasse les divérses circonstances des nou- 
véäux lieux habités, des nouveaux climats, et des 
nouvelles manières de vivre à là suite de chaque émi- 
gration. 

Mais, dira-t-on, depuis que les animaux se sont, de 
proche en proche, répandus par tout où ils peuvent 
vivre, que toutes les eaux sont peuplées de races 
qu’elles peuvent nourrir, que les parties sèches du 
globe servent d'habitation aux espèces qu’on y observe, 
les choses sont stables à leur égard ; les circonstances 
capables de les forcer à des changements d’action n’ont 
plus lieu; et toutes les races, au moins désormais, se 
conserveront perpétuellement les mêmes. 

À cela je répondrai que cette opinion me paraît en- 
core une erreur; et que j'en suis même très persuadé. 

C’en est une bien grande, en effet, que de supposer 
qu’il ÿ ait une stabilité absolue dans l’état, que nous 
connaissons, de la surface de notre globe; dans la si- 
tuation de ses eaux liquides, soit douces, soit marines; 
dans la profondeur des vallées, l’élévation des mon- 
tagnes, la disposition et la composition des lieux par- 
ticuliers; dans les différents climats qui correspondent 
maintenant aux diverses parties de Ja terre qui y sont 
assujetties, etc., ct. 

Fous ces objets doivent nous paraître sé conserver 
à peu près dans l’état où nous les observons, parce que 
nous ne pouvons être témoins nous-mêmes de leur 
changement , et que notre histoire et nos observations 
écrites ne remontent qu’à des dates trop peu reculées 


INTRODUCTION. 163 


pour nous convaincre de notre erreur. Cependant nous 
ne manquons pas de faits positifs qui lPindiquent; et 
comme ce n'est pas ici le lieu de les rappeler, je me 
bornerai à l’exposition de mon sentiment; savoir : 

Que tout change sans cesse à la surface de notre 
globe, quoiqu’avec une lenteur extrême par rapport à 
nous; et que les changements qui s’y exécutent, ex- 
posent nécessairement les races des végétaux et des 
animaux à en éprouver elles-mêmes qui contribuent à 
les diversifier sans discontinuité réelle. 

Que l’on veuille examiner le chapitre VII de la 1”° 
partie de ma Philosophie zoologique (vol. 1, p. 218.) 
où je considère l’influence des circonstances sur les 
actions et les habitudes des animaux, et ensuite celle 
des actions et des habitudes de ces corps vivants, comme 
causes qui modifient leur organisation et lears parties; 
on sentira probablement que j’ai été très autorisé, non- 
seulement à reconnaître les causes influentes que j'y 
indique , mais en outre à assurer : 

Que , si les formes des parties des animaux, compa- 
réés aux usages de ces parties, sont toujours parfaite- 
ment en rapport, ce qui est certain, il n’est pas vrai 
que ce soient les formes des parties qui en ont amené 
l'emploi, comme le disent les zoologistes, mais qu’il 
l’est, au contraire, que ce sont les besoins d’action qui 
ont fait naître les parties qui y sont propres, et que 
ce sont les usages de ces parties qui les ont développées 
et qui les ont mises en rapport avec leurs fonctions. 

Pour que ce soient les formes des parties qui en aient 
amené l'emploi, il eût fallu que la nature füt sans 
pouvoir, qu’elle fût incapable de produire aucun acte, 
aucun changement dans les corps, et que les parties 
des différents animaux, toutes créées primitivement, 
ainsi qu’eux-mêmes, offrissent dès lors autant de formes 
que la diversité des circonstances, dans lesquelles les 


112* 


Le 


164 INTRODUCTION. 


animaux ont à vivre, l'eût exigé; il eût fallu sur-tout 
que ces circonstances ne variassent jamais, et que les 
parties de chaque animal fussent toutes dans le même 
cas, (1) 

Rien de tout cela n’est fondé; rien n’y est conforme 
à l'observation des faits, aux moyens qu’a employés la 
nature pour faire exister ses nombreuses productions. 

Aussi. je suis très convaincu que les races auxquelles 
on a donné le nom d’espèces, n’ont, dans leurs carac- 
tères, qu’une constance bornée ou temporaire, et qu’il 
n’y a aucune espèce qui soit d’une constance absolue. 
Sans doute , elles subsisteront les mêmes dans les lieux 
qu’elles habitent, tant que les circonstances qui les 


(1) Tout ce qui précède est d’une très grande importance et mérité 
de fixer l'attention des naturalistes philosophes, C’est une matière qui 
demande de longues méditations. Lamarck avec sa justesse d’esprit 
habituelle rejette le système des causes finales: dans ce système il faut 
supposer non- seulement que les animaux ont été créés en même temps, 
mais encore que les circonstances d'habitation n’ont éprouvé aucun 
changement. L'étude des phénomènes zoologiques prouvent de la ma- 
nière la plus incontestable que ces circonstances ont continuellement 
varié : la température de la terre a successivement diminué , les conti- 
nents ont changé de forme, des chaines de montagnes se sont élevées du 
sein des mers, et se sont couvertes à leur sommet de glaces perpé- 
tuelles, des régions d’abord très chaudes, comme l’attestent les débris 
fossiles d'animaux et de plantes, sont devenues froides ou tempérées. 
Des animaux habitant les régions soumises à de tels changements , les 
uns ont pu les supporter et ont continué à vivre en éprouvant des mo- 
difications plus ou moins profondes; les autres ayant leur existence plus 
profondément liée aux circonstances environnantes, ont péri lorsque 
ces circonstances n'ont plus été en rapport avec leur organisation : aussi 
l’on remarque, en remontant des couches inférieures aux supérieures , 
les espèces se succéder et s’éteindre graduellement, de telle sorte qu’il 
n'y en a plus actuellement une senle qui ait vécu dans le temps que 
les terrains secondaires se déposaient, et qui vive encore aujourd’hui. 
Les faits qui ont rapport aux corps organisés fossiles doivent être pris 
très sérieusement en considération, toutes les fois qu’il s’agira de discu- 
ter avec tous ses éléments la question qui est ici agitée par Lamarck. 


YNTRODUCTION. 165 


concernent ne changeront pas, et ne les forceront pas à 
changer leurs habitudes. 

Si les espèces avaient une constance réellement abso- 
lue, il n’y aurait point de variétés; cela est certain et 
susceptible de démonstration. Or, les naturalistesn’ont 
pu s’empècher d’en reconnaître. 

Que l'on parcoure lentement la surface du globe, 
sur-tout dans une direction sud et nord, en faisant, de 
distance er distance, des stations pour avoir le temps 
d’cbserver les objets; on verra constamment les espèces 
varier peu à peu et de plus en plus à mesure qu’on 
s’éloignera du point de départ, et suivre en quelque 
sorte les variations des lieux eux-mêmes, de l’exposi- 
üion des sites , etu., etc; quelquefois même on verra 
des variétés produites, non par des habitudes exigées 
par les circonstances, mais par celles qui ont pu être 
contractées, soit accidentellement, soit autrement. 
Ainsi, l’homme, étant assujetti aux lois de la nature 
pat son organisation , offre lui-même des variétés re- 
marquables dans son espèce, et parmi elles il s’en 
trouve qui paraissent dues aux dernières causes citées. 
Voyez ma Philosophie zoologique, vol. 1, chap. 3, p. 
Dos (1) 


(1) Aucune question n’est plus difficile et plus importante que celle 
de l'espèce : quoiqu’elle touehe à tout ce que la zoologie a de plus élevé 
et de plus phitosophique, elle est loin cependant d’être résolue. La dé- 
finition de l’espèce n’a pas encore été faite d’une manière satisfaisante. 
Ceux des naturalistes qui ont tenté quelques efforts à cet égard étaient 
préoccupés par des idées systématiques avec lesquelles la définition de- 
vait s’accorder, Lamarck fui-même, tout en l’envisageant plus large- 
ment, est allé trop loin, ce nous semble : l'espèce est variable, personne 
ne Le conteste ; maïs elle n’est pas variable indéfiniment. On observe en 
effet, en suivant une espèce dans toutes les circonstances modifiantes 
qu’elle peut subir, des altérations profondes; mais malgré cela elle con- 

serve des caractères propres qui ne permettent pas de la confondre. 
La manière arbitraire avec laquelle Les espèces sont établies dans les 


166 INTRODUCTION, 


Enfin, la quatrième des lois qu’emploie la nature 
pour composer et compliquer de plus en plus l’orga- 
nisation , est la suivante : 


4° loi : Tout ce qui a été acquis , tracé ou changé dans 
l’organisation des individus pendant le cours de leur 
wie, est conservé par la génération, et transmis aux 
nouveaux individus qui proviennent de ceux qui ont 
éprouvé ces changements. 


Cette loi, sans laquelle la nature n’eût jamais pu 

diversifier les animaux, comme elle l’a fait, et établir 
2 2 

parmi eux une progression dans la composition de leur 


ouvrages d'histoire naturelle , arbitraire qui a permis de donner aux 
caractères une valeur très variable selon le caprice des auteurs, est une 
des causes qui s'oppose le plus à une bonne définition de l'espèce, Ha- 
bitués à cette routine, tous les auteurs y restent, et ne font point les ob- 
servations capables de jeter quelque jour sur la question. Il est très 
souvent arrivé que sur des observations insuffisantes, des variétés ont été 
décrites comme espèces distinctes ; et lorsque l'erreur a été démontrée, 
au lieu de changer la manière de procéder dans la distinction des es- 
pèces, au'lieu d’attendre des observations suffisantes, on a prétendu que 
l'espèce n’avait rien de constant, qu’elle ne pouvait être rigoureuse- 
ment définie, puisque l’on voyait s'établir des passages d’une espèce à 
l’autre: il aurait mieux valu accuser la précipitation que l’on met or- 
dinairement à établir des espèces dans les collections, l’imperfection de 
nos moyens d'observation et le peu d’umité et de philosophie qui ont 
jusqu’à présent dirigé les naturalistes dans ces sortes de recherches. IL 
faudrait, pour parvenir à la définition désirée, observer les espèces dans 
tous les lieux où elles habitent, du nord au midi; rassembler toutes les 
variétés d'âge, de forme, de couleur, de taille, faire de toutes ces modi- 
fications un tableau présentant une espèce bien connue, et établir autant 
de ces tableaux qu'il y a de véritables espèces d’êtres organisés. A l’aide 
de ce moyen on paryiendrait à réduire beaucoup le nombre des espèces 
inscrites dans les catalogues de boianique et de zoologie, et l’on arri- 
verait très probablement, par la suite, à une loi donnant les limites de 
l'espèce dans ses modifications, et par un enchaînement nécessaire, ser- 
vant de base à une définition juste ct rigoureuse. 


INTRODUCTION. 167 


organisation et dans leurs facultés, est exprimée ainsi 
dans ma Philosophie zoologique (vol. I, p. 235). 

« Tout ce que la nature a fait acquérir ou perdre 
aux individus par linfluence des circonstances dans 
lesquelles leur race se trouve depuis long-temps ex- 
posée , et, par conséquent, par l'influence de l'emploi 
prédominant de tel organe, ou par celle d’un défaut 
constant d’usage de telle partie, elle le conserve, par 
la génération, aux nouveaux individus qui en pro- 
viennent, pourvu que les changements acquis soient 
communs aux deux sexes, ou à ceux qui ont produit 
ces nouyeaux individus ». 

Cette expression de la même loi offre quelques détails 
qu’il vaut mieux réserver pour ses développements et 
son application, quoiqu’ils soient à peine nécessaires, 

En effet, cette loi de la nature qui fait transmettre 
aux nouveaux individus, tout ce qui a élé acquis dans 
l’organisation, pendant la vie de ceux qui les ont 
produits, est si vraie, si frappante, tellement attestée 
par les faits, qu’il n’est aucun observateur qui n’ait 
pu se convaincre de sa réalité. 

Ainsi, par eile, tout ce qui a été tracé, acquis ou 
changé dans l’organisation, par des habitudes nouvelles 
et conservées; certains penchants irrésistibles qui ré- 
sultent de ces habitudes; des vices de conformation , 
et même des dispositions à certaines maladies; tout 
cela se trouve transmis, par la génération ou la repre- 
duction , aux nouveaux individus qui proviennent de 
ceux qui ont éprouvé ces changements , et se propage 
de générations en générations dans tous ceux qui se 
succèdent, et qui sontsoumis aux mêmes circonstances, 
sans qu'ils aient été obligés de l’acquérir par la voie 
qui l’a créé. 

À la vérité, dans les fécondations sexuelles, des 
mélanges entre des individus qui n’ont pas également 


168 INTRODUCTION. 


subi les mêmes modifications dans leur organisation , 
semblent offrir quelque exception aux produits de cette 
loi; puisque ceux de ces individus qui ont éprouvé 
des changements quelconques, ne les transmettent pas 
toujours, ou ne les communiquent que partiellement 
à ceux qu’ils produisent. Mais il est facile de sentir 
qu'il n’y a là aucune exception réelle; la loi elle-même 
ne pouvant avoir qu’une application partielle ou im- 
parfaite dans ces circonstances. 

Par les quatre lois que je viens d'indiquer, tous les 
faits d'organisation me paraissent s'expliquer facile- 
ment ; la progression dans la composition de l’organi- 
sation des animaux et dans leurs facultés, me semble 
facile à concevoir; enfin , les moyens qu’a employés 
la nature pour diversifier les animaux, et les amener 
tous à l'état où nous les voyons, deviennent aisément 
déterminables. 

Je puis rendre, en quelque sorte, ces moyens plus 
sensibles , en en citant au moins un exemple parmi 
ceux qu’a employés la nature pour exécuter, dans les 
animaux , une composition croissante de leur organi- 
sation , et un accroissement progressif dans le nombre 
et le perfectionnement de leurs facultés. 

Mais avant cette citation , je dirai qu'en comparant 
partout les faits généraux , l’on reconnaîtra que, dans 
l’un et l’autre règne des corps vivants (les végétaux et 
les animaux), la nature partant de l’organisation la 
plus simple, de celle qui est seulement nécessaire à 
l’existence de la vie la plus réduite, a ensuite exécuté 
différents changements progressifs dans l’organisation , 
à raison des moyens que l’état des êtres sur lesquels 
elle opérait, lui permettait d'employer. 

Ainsi, l’on verra que, dans les végétaux, réduite 
à très peu de moyens, par le défaut d’irritabilité des 
parties, la nature n’a pu que modifier de plus en plus 


INTRODUCTION. 69 


le tissu cellulaire de ces corps vivants, et le varier de 
toutes manières à l’intérieur, mais sans jamais parve- 
nir à en transformer aucune portion en organe inlé- 
rieur particulier, capable de donner au végétal une 
seule faculté étrangère à celles qui sont communes à 
tous les corps vivants, et sans même pouvoir établir, 
dans les différents végétaux, une accélération graduelle 
du mouvement de leurs fluides, en un mot, un accrois- 
sement notable d’énergie vitale. 

Dans les animaux, au contraire , l’on remarquera 
que la nature, trouvant dans la contractilité des par- 
ties souples de ces êtres, de nombreux moyens. a non- 
seulement modifié progressivement le tissu cellulaire, 
en accélérant de plus en plus le mouvement des fluides, 
mais qu'elle a aussi composé progressivement l'orga- 
nisation, en créant, l’un après lPautre, diflérents or- 
ganes intérieurs particuliers, les modifiant selon le 
besoin de tous les cas, les cumulant de plus en plus 
dans chaque organisation plus avancée, et amenant 
ainsi, dans diflérents animaux, diverses facultés par- 
ticulières, graduellement plus nombreuses et plus émi- 
nentes. 

Pour donner un exemple qui puisse montrer qu'il 
ne s’agit point à cet égard, d’une simple opinion, 
mais de l'existence d’une ordre de choses que l’obser- 
‘Yation atteste, je me bornerai à Ja citation suivante. 

Exemple : Accélération progressive du mouvement 
des fluides dans les animaux, depuis les plus impar- 
faits, jusques aux plus parfaits. 

On ne saurait douter que, dans les animaux les 
plus imparfaits, tels que les infusoires et les polypes, 
la vie ne soit dans sa plus faible énergie, à l’egard des 
mouvements intérieurs qui la constituent, et que les 
fluides propres qui sont mis en mouvement dans le 
frêle tissu cellulaire de ces animaux, ne s’y déplacent 


170 INTRODUCTION ù 


qu'avec une lenteur extrême, qui les rend incapables 
de s’y frayer des canaux. Aussi, leur tissu cellulaire 
n’en offre-t-il aucun. Dans ces animaux , de faibles 
mouvements Vitaux suffisent seulement à leur trans- 
piration ; aux absorptions des matières dont ils se 
nourrissent , et à l’imbibition lente de ces matières 
fluides. 

Dans les radiaires mollasses qui viennent ensuite, 
la nature ajoute un nouveau moyen pour accélérer 
un peu plus le mouvement des fluides propres de ces 
corps. Elle accroît l'étendue des organes de la diges- 
tion, en ramifiant singulièrement le canal alimentaire; 
elle perfectionne un peu plus le fluide nourricier par 
l'influence d’un système respiratoire nouvellement 
établi , et à l’aide d’un mouvement constant et réglé, 
que les excitations du dehors produisent dans tout le 
corps de l’animal, elle hâte davantage le déplacement 
des fluides intérieurs. 

Parvenue à former les radiaires échinodermes , où 
les mouvements isochrones du corps de l’animal ne 
peuvent plus s’exécuter, la nature s’est trouvée en état 
de faire usage d’un autre moyen plus puissant et plus 
indépendant, et c’est là en eflet qu’elle a commencé 
l'emploi du mouvement musculaire qui remplit à la 
fois deux objets : celui de mouvoir des parties dont l’a- 
nimal a besoin de se servir, et celui de contribuer à 
l’activité des mouvements vitaux. 

L'emploi du mouvement musculaire, pour activer 
les mouvements de la vie animale, commencé dans les 
radiaires échinodermes, s’est accru dans les insectes, 
en qui d’ailleurs, l'énergie vitale fut augmentée par 
la respiration de Pair. Ainsi, l’emploi de ce mouve- 
ment et l’auxiliaire de la respiration de l'air purent 
suffire aux énsectes et à la plupart des arachnides. 

Mais jes crustacés ne respirant en général que l'eau , 


INTRODUCTION, 171 


eurent besoin d’un nouveau moyen plus puissant pour 
l’accélération de leurs fluides. Pour cela la nature 
joignit à l’action musculaire , l’établissement d’un 
système spécial pour la circulation , système commencé 
dans les dernières arachnides, et qui a éminemment 
accéléré le mouvement des fluides. 

Cette accélération du mouvement des fluides, à 
l’aide d’un système spécial pour la circulation, s’ac- 
crut même encore par la suite, à mesure que le cœur 
parvint à acquérir des augmentations; que l’organe 
respiratoire , resserré dans un lieu particulier, fut 
transformé en poumon qui ne saurait respirer que l'air; 
enfin, elle s’accrut à mesure que l'influence nerveuse 
reçut elle-même de l’accroissement , et put donner aux 
organes plus de force d’action. 

C’est ainsi que la nature, en commencant la pro- 
duction des animaux par les plus imparfaits , a su ac- 
célérer progressivement le mouvement des fluides et 
accroître l'énergie vitale, en employant différents 
moyens appropriés aux cas particuliers. 

Je pourrais multiplier des exemples qui prouvent 
que chaque système d’organes particulier fut, dans 
son origine, fort imparfait, peu énergique, et qu’il 
recut ensuite des développements et des perfectionne- 
ments graduels, à mesure que l’organisation plus com- 
posée les rendait nécessaires, 

En eflet, si je considérais les moyens variés et pro- 
gressivement plus perfectionnés qu’emploie la nature 
pour la reproduction et la multiplication des individus, 
afin d’assurer la conservation des espèces ou des races 
obtenus, je montrerais : 

Que ces moyens, réduits dans les animaux les plus 
imparfaits, à une simple scission du corps, amènent 
en resserrant cette scission dans des points particuliers, 
la gemmation des individus; que cette gemmation 


172 INTRODUCTION. 


d’abord externe, devient ensuite interne, et prépare 
la formation des ovaires; qu'alors des organes fécon- 
dateurs et des ovules cuntenant un embryon suscep- 
tible d’être fécondé, ont pu être établis, que le Sys- 
tème spécial pour la reproduction étant formé, il a 
donné lieu d’abord à la génération des ovipares et des 
ovo-vivipares , et que ce système ensuile, est parvenu 
à amener la plus perfectionnée des générations, celle 
des vrais vivipares, qui donne la vie active à l’em- 
bryon dans l’instant même qu’il est fécondé. 

Si je considérais après cela , le système spécial de la 
respiration, système imporlant et devenu nécessaire 
lorsque l’organisation animale perdit sa première sim- 
plicité, je montrerais : 

Que ce système n’a commencé que par des trachées 
aquifères qu fournissent la plus faible des influences 
respiratoires; qu'ensuite, il fut changé en trachées 
aérifères , un peu plus puissantes en influence que les 
premitres, l’oxigène qui fournit cette influence en dé- 
gageant plus aisément de l’air que de l’eau; que, néan- 
moins, dans les uns et les autres des animaux qui 
respirent par des trachées, le fluide respiré allant lui- 
même par-lout au-devant du fluide nourricier, ne 
peut, par la lenteur de son introduction et de son 
mouvement, fournir encore qu’une influence bien 
faible; qu’ensuite, dès que la circulation fut établie, 
les trachées respiratoires furent changées en branchies 
locales, qui ne sont plus puissantes en influence res- 
piratoire , que parce que le sang alors circulant, vient 
lui-même rapidement chercher les réparations dont 
il a besoin; qu’eufin, peu après l'établissement du 
squelette, les branchies elles-mêmes furent définitive- 
ment changées en poumon , organe respiratoire le plus 
puissant de tous, puisque le sang qui vient rapide- 
ment y recevoir ses réparations, les obtient de l'air 


INTRODUCTION. 1793 


qui les fournit plus aisément. il y a donc encore ici 
un accroissement notable de puissance dans les modes 
variés du système respiratoire. 

Enfin, si je considérais ceux des systèmes d’organes 
spéciaux qui donnent les facultés les plus admirables, 
telles que celle de sentir, et ensuite celle de se former 
des idées conservables , et même à l’aide de ces idées , 
de s’en former d’autres qui caractérisent l'intelligence 
dans un degré quelconque, je montrerais encore, dans 
les animaux, une progression partout en harmonie 
avec les autres progressions déjà citées. 

Je montrerais, eflectivement, que les animaux les 
plus simples en organisation, et par conséquent les 
plus imparfaits, sont réduits à ne posséder que l’érri- 
tabilité, qui néanmoins suflit à leurs besoins; qu’en- 
suite, lorsque l’organisation fut assez avancée dans 
sa composilion pour en fournir les moyens, la nature, 
trouvant le système nerveux ébauché pour le mouve- 
ment musculaire, le composa davantage, et le divisa 
en deux systèmes particuliers, l’un pour effectuer les 
mouvements des muscles, et l’autre pour exécuter les 
sensations ; qu’alors, des sens furent établis, la fa- 
culté de sentir eut lieu , et les indiviäus furent doués 
d’un sentiment intérieur qui provoqua leurs actions 
dans leurs différents besoins; que l’organisation en- 
suite, plus avancée encore en complication, mit la 
nature à porlée de partager le système nerveux en 
trois systèmes particuliers; l’un pour le mouvement 
musculaire, qui fut lui-même sous-divisé en deux, 
celui à la disposition de l'individu et celui qui ne 
l'est point), l’autre pour le sentiment, et le troisième 
pour activer les fonciions des autres organes ; qu’enfin, 
l’organisation élant parvenue à une haute complica- 
tion d'organes divers, la nature fut en état de diviser 
le système nerveux en quatre principaux systèmes 


174 INTRODUCTION. 


particuliers, savoir : le premier, le système de nerfs 
employé à l'excitation musculaire ; le deuxième, celui 
qui sert à produire les sensations; le troisième , celui 
destiné à donner des forces d’action aux divers organes 
intérieurs pour exécuter leurs fonctions; le quatrième 
enfin, celui par lequel l’attention se produit et trans- 
forme alors les sensations en idées conservables; celui 
même par lequel des idées acquises et comparées ser- 
vent à en former d’autres que les sensations ne peu- 
vent faire naître directement. | 

À raison de son exercice et des besoins, ce qua- 
trième système de nerfs, se complique et se sous-divise 
encore dans l’homme , en divers systèmes particuliers 
qui effectuent différentes sortes d’opérations intellec- 
tuelles. 

Qu’importe que les différents systèmes de nerfs par- 
ticuliers que je viens de citer, ne soient pas suscepti- 
bles d'être distingués les uns des autres anatomique- 
ment, si les résultats de leurs fonctions les distinguent 
constamment , et constatent leur indépendance, 

Quoiqu’indépendants, en eflet, à l’égard de leurs 
fonctions propres, les systèmes de nerfs dont il s’agit 
ont ensemble une si grande connexion, que lorsqu’une 
forte émotion du sentiment intérieur survient, elle 
trouble et suspend même leurs fonctions, comme cela 
arrive dans l’évanouissement, la syncope, etc. 

Nous pouvons donc regarder comme un fait certain 
que le système nerveux, pris dans sa généralité, a été, 
comme tous les autres systèmes d’organes spéciaux , 
d'abord très simple et réduit à peu de fonctions ; qu’en- 
suite, il été composé, sur-com posé même après ; enfin, 
qu'il a été progressivement propre à diverses fonc- 
tions, de plus en plus éminenies, et pour nous admi- 
rables. 

J'ai supprimé les détails qui concernent les appli- 


INTRODUOTIONs 195 


cations, parce qu’on y suppléera facilement par les 
observations connues à cet égard , et qu'il serait su 
perflu de donner une urop 8 grande extension à cette 
partie. 

Ainsi, l’on a vu par ce qui précède : 

10 Que la nature a augmenté progressivement le 
mouvement des fluides dans le corps animal, à mesure 
que l’organisation de ce corps se composait davantage; 
et, qu'après avoir employé les moyens les plus simples 
pour les premières accélérations de ce mouvement, 
elle a créé exprès un système d’organes particulier 
pour accroître encore plus cette accélération, lorsqu'elle 
fut devenue nécessaire ; 

* Qu'elle a suivi une marche semblable à l’éard 
de la reproduction des individus , afin de conserver les 
espèces obtenues ; puisqu'après s’être servie des moyens 
les plus simples, tels que la reproduction par des di- 
visions de parties, elle créa ensuite des organes spé- 
ciaux fécondateurs, qui donnèrent lieu à la génération 
des ovipares, enfin, celle des vrais wivipares ; 

30 Qu'il en a été de même à l'égard de la faculté de 
sentir; faculté que la nature ne peut donnér aux ani- 
iaux les plus imparfaits, parce que le phénomène du 
sentiment exige, pour se produire, un système d’or- 
ganes déja suffisamment composé ; système que ces ani- 
maux ne pouvaient avoir, mais aussi qui ne leur était 
pas nécessaire , leurs besoins , très bornés, étant tou- 
jours faciles à satisfaire ; tandis que, dans des animaux 
à organisation plus composée, et qui, dès lors, eurent 
plus de besoins, elle peut créer et perfectionner gra- 
duellement le seul système d'organes qui pouvait pro- 
duire le phénomène admirable dont il s’agit. 

4° Enfin, que des actes d'intelligence étant les seuls 
qui permissent de varier les actions, et ne pouvant 
devenir nécessaires qu’aux animaux les plus parfaits, 


176 INTRODUCTION. 


la nature a su leur en donner la faculté dans un degré 
quelconque, en instituant en eux un organe spécial 
pour cette faculté, c’est-à-dire, en ajoutant à leur cer- 
veau deux hémisphères qui furent successivement plus 
développés et plus volumineux dans ceux de ces ani- 
maux qui furent les plus perfectionnés. 

Que d'applications je pourrais faire pour montrer 
le fondement de tout ce que je viens d’exposer ! que 
de faits bien connus je pourrais rassembler pour ac- 
croître les preuves de ce fondement ! Mais, renvoyant 
mes lecteurs à ma Philosophie zoologique où j'en ai 
présenté un grand nombre qui m'ont paru décisifs, je 
me hâte de conclure de ce qui précède : 

Que la nature possède dans ses propres moyens, tout 
ce qui lui est nécessaire, non-seulement pour former 
des corps vivants, tels que les végétaux et les ani- 
maux ; mais, en outre, pour produire , dans ces der- 
niers, des organes spéciaux, les développer, les varier, 
les multiplier progressivement, et à la fin, les cumuler 
en quelque sorte dans les organisation animales les 
plus perfectionnées; ce qui lui a permis de douer les 
différents animaux de facultés graduellement plus 
nombreuses et plus éminentes. 

Me bornant à l'exposition de ce tableau frappant 
de ressemblance avec Lout ce que l’on observe, je vais 
passer à un autre sujet qu’il s’agit d’éclaircir et qui n’a 
pas moins d'importance. Je vais, effectivement, essayer 
de prouver que les facultés des animaux sont des phé- 
nomènes uniquement organiques, et purement physi- 
ques ; que ces phénomènes prennent leur source dans 
les fonctions des organes ou des systèmes d’organes qui 
y donnent lieu: enfin, je montrerai que les facultés 
qui constituent ces phénomènes, sont dans un rapport 
constant avec l’état des organes qui les procurent. 


RE ee ce 


INTRODUCTION: 177 


QUATRIÈME PARTIE. 


DES FACULTÉS OBSERVÈES DANS LES ANIMAUX, ET TOUTES 
CONSIDÈRÉES COMME DES PHÉNOMÈNES UNIQUEMENT 
ORGANIQUES. 


Moins nous connaissons Îa nature, plus les phéno- 
mènes qu’elle produit nous paraissent des merveilles, 
des faits incompréhensibles : mais quelque admirable 
qu’elle soit réellement dans sa puissance et dans ses 
moyens , on doit s'attendre que le merveilleux s’éva- 
nouira successivement à nos yeux, à mesure que, par 
l'étude de ses lois et de la marche. constante qu’elle 
suit dans ses opérations , nous parviendrons à décou- 
vrir les moyens dont elle fait usage. 

Sans doute, lorsque l’on considère attentivement les 
différents animaux , depuis les plus imparfaits jus- 
qu'aux plus parfaits, l’on ne saurait voir sans admira: 
tion, non-seulément la grande diversité qui se trouve 
parmi eux, ainsi que la disparité qu’ils offrent dans les 
systèmes d'organisation qui les distinguent; mais, en 
outre , on ne peut qu'être frappé d’étonnement en 
considérant la nature de chacune de leurs facultés , 
sur-tout de certaines d’entre elles, et les différences en 
nombre, ainsi qu’en degrés d’éminence, de celles qu’on 
observe dans leurs diverses races. Aussi , quoique ces 
facultés soient parfaitement en rapport avec le mode 
et l’état de l’organisation qui y donne lieu, elles nous 


Tome 1. 12 


178 - INTRODUCTION. 


semblent malgré cela des prodiges. Alors, nous soula- 
geons notre pensée à leur égard, en un mot, notre 
vanité lésée par l'ignorance où nous somines de ce qui 
les produit réellement, en imaginant, à leur sujet, des 
causes métaphysiques, des attributs hors de la näture, 
enfin, des êtres de raison qui satisfont à tout. 

On a dit, avec raison , au moins à l'égard des scien- 
ces, que l’aämiration était fille de l’ignorance : or, 
c’est bien ici le cas d’appliquer cette vérité sentie; car, 
si quelque chose était en soi réellement admirable, ce 
serait assurément la nature; ce serait tout ce qu’elle 
est; ce serail tout ce qu'elle peut faire. Lorsqu’on re- 
connaît qu "elle-même n’est qu’un ordre de choses, qui 
n’a pu se donner l’existenice, en un mot, qu'un véri- 
table instrument; touic notre admiralion et toute notre 
vénération doivent se reporter sur sh SUBLIME AU- 
TEUR. 

Il s’agit donc de savoir quelle est la source des di- 
verses faculLés observées dans différents animaux, si 
ce sont des organes particuliers qui donnent ces facul« 
tés, enfin , si un même organe peut donner lieu à des 
facultés différentes; ou s’il n’y a pas plutôt autant 
d'organes particuliers qu’on observe de facultés dis- 
tinctes. 

On se persuadera probablement que pour traiter de 
pareilles questions , il faut avoir recours à des idées 
métaphysiques, à des considérations vagues, imaginai- 
res ; et sur lesquelles on ne saurait apporter aucune 
preuve solide. Je crois cependant pouvoir montrer 
que, pour arriver à la solution de ces questions, il n°y 
à que des faits physiques à considérer ; ‘et qu'il s'en 
trouve à la portée de nos observations, qui sont très 
suffisants pour fournir les preuves dont on peut avoir 
besoin. 

Examinons d’abord ce principe général ; savoir : que 


INTRODUCTION, 179 


toute faculté animale, quelle qu’elle soit, est un phé- 
nomène purement organique ; et que cette faculté 
résulte des fonctions d’un organe ou d’un système 
d’organes qui y donne lieu; en sorte qu’elle en est 
nécessairement dépendante. 

Peut-on croire que l’animal puisse posséder une 
seule faculté qui ne soit pas un phénomène organique, 
c’est-à-dire , le produit des actes d’un organe ou d’un 
système d'organes capable d'exécuter ce phénomène? 
S'il n’est pas possible raisonnablement de le supposer, 
si toute faculté est un phénomène organique, et en 
cela purement physique, cette considération doit fixer 
le point de départ de nos raisonnements sur les ani- 
maux, et fonder la base des conséquences que nous 
pourrons tirer des faits observés à leur égard. 

Certes, ainsi que je l’ai dit, ia puissance qui a fait 
les animaux, les a fait elle-même tout ce qu’ils sont, 
et les a doués chacun des facultés qu’on leur observe, 
en leur donnant une organisation propre à les pro- 
duire. Or, l’observation nous autorise à reconnaître 
que cetle puissance est la nature; et qu’elle-même est 
le produit de la volonté de l'Étre supréme, qui l’a 
faite ce qu’elle est. 

Il n’y a point de milieu, point de terme moyen en- 
tre les deux considérations que je vais citer ; savoir: 

Que la nature n’est pour rien dans Pesiétete des 
animaux, qu’elle n’a rien fait pour les diversifier, pour 
les amener tous à l’état où nous les voyons ; ou que 
c’est elle, au contraire , qui les a tous produits , quoi- 
que successivement; qui les a variés, à l’aide des cir- 
constances et de la composition graduelle qu’elle a 
donnée à l’organisation animale ; en un mot, qui les 
a faits Lels qu'ils sont, et les a doués des facultés qu’on 
observe en eux. 

Je montrerai, dans la partie suivante , qu’à l'égard 


12° 


180 INTRODUCTION, 


des deux considérations que je viens d'indiquer, l’affir- 
mative appartient évidemment à la seconde. On l’a 
senti ; et c’est avec raison qu’on a rangé les animaux 
parmi les productions de la nature , et qu’on a re- 
connu , au moins par une expression habituelle, que 
les corps vivants étaient ses productions. Or , j'oserai 
ajouter que tous les corps que nous pouvons observer, 
vivants ou non, sont aussi dans le même cas. 

Ainsi, une force inaperçue (celle des choses) nous 
entraîne sars cesse vers le sentiment de la vérité; mais 
sans cesse aussi des prévenLions et des intérêts divers 
contrarient en nous cet entraînement. Que l’on juge 
donc de ce que conflit doit produire, et combien Pas- 
cendant de la seconde cause doit l’emporier sur la pre- 
mière ! 

_Admettons d'avance ce que j’essaierai de prouver 
plus loin , savoir : que les animaux sont véritablement 
et uniquement des productions de la nature , que tout 
ce qu'ils sont, que tout ce qu'ils po.sèdent, ils le 
tiennent d'elle ; ainsi qu'elle-mème lient son existence 
du puissant auteur de toutes choses. 

S'il en est ainsi, toutes les facultés animales, soit 
celle qui, comme l’irritabilité, est commune à tous les 
animaux et leur permet de se mouvoir par excitation ; 
soit celle qui, comme le sentiment , fait apercevoir à 
certains d’entre eux, ce qui les affecte; soit enfin, 
celle qui, comme l'intelligence dans certains degrés, 
donne à plusieurs le pouvoir d’exécuter différentes 
actions par la pensée et par la volonté; toutes ces 
facultés, dis-je, sont, sans exception, des produits de 
la nature, des phénomènes qu’elle sait opérer à l’aide 
d'organes appropriés à leur production, en un mot, 
des résultats du pouvoir dont elle est douée elle-même. 

Dans ce cas, que peuvent être ces différentes fa- 
cultés, sinon des faits naturels , des phénomènes uni- 


INTRODUCTION. 181 


quement organiques el purement physiques; phé- 
nomènes dont les causes , quoique le plus souvent 
difficiles à saisir, ne sont réellemeut pas hors de Ja 
portée de nos observations et de nos études ? 

Que l’on parvienne ou non à connaître le méca- 
nisme, par lequel un organe ou un système d’organes 
produit la faculté qui en dépend; qu'importe à la 
question, si l'on peut se convaincre, par l’observa- 
tion, que cet organe ou ce système d'organes soit le 
seul qui ait le pouvoir de donner cette faculté ? Si 
l’on ne connaît pas positivement le mécanisme orga- 
nique de la formation des idées et des opérations.qui 
s’exécutent entre elles, ni même celui du sentiment, 
connaît-on mieux le mécanisme du mouvement mus- 
culaire , celui des sécrétions , celui de la digestion, etc.? 
S’ensuit-il que ces différents phénomènes observés 
parmi les animaux, ne soient point dus chacun à au- 
tant d'organes ou de systèmes d’organes particuliers, 
dont le mécanisme propre soit capable de les produire? 
YŸ a-t-il dans la nature des phénomènes observés ou 
observables, qui ne soient point dus à des corps ou à 
des relations entre des corps ? 

Si l’homme pouvait cesser d’être influencé par les 
produits de son intérêt personnel, par son penchant 
à la domination en tout genre, par sa vanité, par son 
goût pour les idées qui le flattent et qui lui donnent 
toujours de la répugnance à en examiner le fondement, 
son jugement en toutes choses gagnerait infiniment 
en reclitude, et alors la nature lui serait mieux .con- 
nue! Mais ses penchants naturels ne le Jui permettent 
pas: il trouve plus satisfaisant de se faire une part à 
son gré, sans considérer ce qui peui ca résulter pour 
Jui. Ainsi, conservant son ignorance et «es préven£tions, 
la nature, qu’il ne veut pas étudier, qu'il craint même 
d'interroger , lui paraît un être de raison, et il ne 


18a INTRODUCTION. 


profité pour son instruction, de presque aucun des 
faits qu'elle lui présente de toutes parts, 

Cependant, s’il est forcé de reconnaître que la 
nalure agit sans cesse , el toujours selon des lois qu’elle 
né peul jamais transgresser, peut-il penser qu’il puisse 
y avoir quelque chose d’abstrait, quelque chose de 
métaphysique dans aucun de ses actes, dans une seule 
de ses opérations quelconques, et qu’elle ait quelque 
pouvoir sur des êtres non matériels ? 

Assurément, une pareille idée ne saurait être ad- 
missible ; rien à cet égard n’est de son ressort. La 
puissance de la nature ne s'étend que sur des corps 
qu’elle meut, déplace, change, modifie, varie, dé- 
truit et renouvelle sans césse; enfin, elle n’agit que 
sur la matière dont elle ne saurait ni créer, ni anéan- 
tir une seule particule. On ne saurait trouver un seul 
motif raisonnable pour penser le contraire. 

Si c’est une vérité positive, que la nature ne puisse 
agir et n’ait de pouvoir que sur des corps; c'en est une 
autre, tout aussi certaine, qu’elle seule , que les corps 
qui constituent son domaine, et que les résultats de 
ses actes à leur égard, sont les seuls objets soumis à 
nos observations; en sorte que, hors de ces objets, 
nous ne pouvons rien observer. 

Qui à jamais vu ou apercu autre chose que des corps, 
que leurs déplacements, que les changements qu’ils 
éprouvent, que Îles phénomènes qu’ils produisent! 
Qui a pu connaître le mouvement et l’espace , autre- 
ment que par le déplacement du corps! Qui a observé 
un seul phénomène qui n’ait pas été produit par des 
corps, par des relations entre différents corps, par des 
changements de lieu, d'état ou de forme que des corps 
ont subis! 

Néanmoins, telles sont les difficultés qui retardent 
l'aggrandissement et le perfectionnement de nos con- 


INTRODUCTION: 183 


naissances, que nous ne pouvons nous flatter d’ob- 
server tout ce que la nature produit, tous les actes 
qu'elle exécute, tous les corps qui existent; car, relé- 
gués à la surface d’un petit globe, qui n’est, en quel- 
que sorte, qu'un point dans l'univers, nous n’aper- 
cevons dans cet univers qu’un très pelit coin, et nous 
ne pouvons même examiner qu’un très pelit nombre 
des objets qui font partie du domaine de la nature. 

Ce sont-la des vérités que tout le monde connaît, 
mais qu’il importe ici de ne pas perdre de vue. Il n’est 
donc pas étonnant que nous nous laissions si souvent 
entraîner à l'erreur, et mème dominer par elle, lors- 
que quelque intérêt nous y porte, et que nous ayons 
tant de peine à saisir les opérations et la marche de la 
nature à l’égard de ses productions diverses. 

Cependant, puisque les animaux, quelque nom- 
breux qu’ils soient, font partie de ce que nous pouvons 
observer, puisqu'ils sont des productions de la nature, 
peut-on douter que les facultés qu’on observe en eux 
ne le soient aussi? Ges facultés sont donc toutes des 
phénomènes purement organiques , et par suite véri- 
tablement physiques; et comme nous pouvons les exa- 
miner, les comparer, les déterminer, les causes et le 
mécanisme qui donnent lieu à ces facultés, ne sont 
donc pas réellement hors de la portée de nos observa: 
tions, hors de celle de notre intelligence. 

J'ai cru entrevoir les principales des causes de pro- 
duisent l’érritabilité animale , quoique je n’aie pas 
encore fait connaître mes aperçus à ce sujet ; jai cru 
saisir le mécanisme du sentiment, ou un mécanisme 
qui en approche beaucoup; enfin, j'ai cru distinguer, 
reconnaître même, celui qui donne lieu au phénomène 
de la pensée, en un mot, de ce qu’on nomme intelli- 
gence. (Phil. zool., vol. 2.) Quand même je me serais 
trompé partout (ce qu’il est difficile de prouver, les 


184 INTRODUCTION. 


faits déposant en faveur de mes aperçus), en serait-il 
moins vrai que les facultés que je viens de citer, ne 
soient des phénomènes tout-à-fait organiques et pure- 
ment physiques, et qu'elles ne soient toutes des ré- 
sultats de relations entre différentes parties d’un corps 
et entre diverses matières en action dans la production 
de ces phénomènes! 

N'est-ce pas à des préventions irréfléchies, ainsi 
qu'aux suites de notre ignorance sur le pouvoir de la 
nature, et sur les moyens qu’elle peut employer, que 
l’on doit la pensée de supposer dans le sentiment, et 
sur-tout dans la formation des idées et des différents 
actes qui peuvent s’exécuter entre elles, quelque 
chose de métaphysique, en un mot, quelque chose 
qui soit étranger à la matière, ainsi qu'aux produits 
des relations entre différents corps! 

Si beaucoup d’animaux possèdent la faculté de 
sentir , et si en outre, il y en a parmi eux qui soient 
capables d’attention, qui puissent se former des idées 
a la suite de sensations remarquées, qui aient de la 
mémoire, des passions, enfin, qui puissent juger et 
agir par préméditation, faudra-t-il attribuer ces phé- 
nomènes que nous observons en eux, à une cause étran- 
gère à la matière, et conséquemment étrangère à Ja 
nature qui n’agit que sur des corps, qu'avec des corps, 
et que par des corps! 

Ne considérons donc les facultés animales, quelles 
qu’elles soient, que comme des phénomènes entière- 
ment organiques ; et voyons ce que les faits connus 
nous apprennent à leur égard. 

Partout , dans le règne animal , où l’on reconnaît 
qu'une faculté est distincte et indépendante d’une au- 
tre, on doit ètre assuré que le système d'organes qui 
doune lieu à l’une d’elles, est différent et même indé- 
pendant de celui qui produit l’autre. 


INTRODUCTION: 185 


Ainsi, l’on sait que la faculté de sentir est très diffé- 
rente de celle de se mouvoir par des muscles; et que 
la faculté de penser est aussi très diflérente, soit de 
celle de sentir, soit de celle d’exécuter des mouvements 
musculaires. Il est même bien connu que ces trois fa- 
cultés sont indépendantes les unes des autres. 

Qui ne sait, en effet, qu’on peut se mouvoir sans 
qu’il en résulte des sensations; que l’on peut sentir 
sans qu’il s’en suive des mouvements; et que l'on peut 
penser, réfléchir, juger , sans éprouver des sensations 
et sans faire des mouvements? Ces trois facultés sont 
donc indépendantes entre elles dans les êtres qui les 
possèdent; et certes, jes systèmes d’organes qui les 
donnent, doivent être aussi indépendants entre eux. 

Gependant , les trois facultés que je viens de citer 
ne sauraient exister sans nerfs. Le système nerveux, 
qui tend comme tous les autres à se compliquer gra- 
duellement, péut donc se trouver composé lui-même 
de trois systèmes de nerfs, tout-à-fait particuliers , 
puisque chacun d’eux produit une faculté indépen- 
dante de celles des autres, 

La partie du système nerveux qui donne lieu aux 
différents actes de l’intelligence est elle-même com- 
posée de différents systèmes particuliers, puisque l’on 
sait que dans certaines démences invétérées, le ma- 
lade pense et raisonne assez bien sur beaucoup d’objets 
différents , tandis que, sur certains sujets qui l'ont 
trop affecté et qui oni altéré son organe, il n’a plus de 
mesure et n'offre plus que les symptômes d’une folie 
constante. C'est d’après la connaissance de ce fait ob- 
servé et bien constaté depuis, que Cérvantes a peint 
Dom Quichotte entièrement fou sur le seul sujet de la 
chevalerie errante. Il n’a fait qu’ane fiction, mais ila 
pris son modèle dans la nature. 

Enfin, si, dans certaines folies permanentes de cette 


186 INTRODTCTION. 


sorte, l'organe se trouve altéré suffisamment pour être 
réellement désorganisé, dans d’autres qui ne sont que 
passagères, il ne l'est pas assez pour être hors d’état dé 
pouvoir se rétablir. De là, cette deuxième sorte de 
folie que constituent nos grandes passions ; folies qui 
ne sont pas toujours irremédiables, et dont certaines 
d’entre elles se guérissent avec le temps. 

Il suit de ces considérations : 1° qu’il y a toujours 
un rapport parfait entre l'état de l'organe qui donne 
une faculté et celui de la faculté elle-même (1); 20 que 
toutes celles que l’observation nous a montré parti- 
culières et indépendantes, sont nécessairement dues à 
autant de systèmes d'organes particuliers, seuls capa- 
bles de les produire. 

Ainsi, dans les animaux qui ont le système nerveux 
le plus simple, comme des filets nerveux, sans cerveau 
et sans moelle longitudinale, le phénomène du senti- 
ment ne saurait encore se produire; et, en effet, on 
ne voit encore à l’extérieur des animaux qui sont dans 
ce cas, aucun sens particulier, aucun organe pour la 
sensation. Cependant, puisque, dans ces animaux , 
l’on apercoit des muscles et des nerfs pour les mettre 
én action, le mouvement musculaire est donc une fa- 
culté dont ils jouissent, quoique le sentiment soit en- 
core nul pour eux. , 

Dans les animaux d’un ordre plus relevé, c'est-à-dire, 
plus avancé dans la composition de leur organisation , 
le système nerveux offre non-seulement des nerfs, mais 
encore un cerveau; et presque toujours, en outre, une 


(x) On ne doit pas s’étonner si, à mesure que nous avançons en âge, 
nos goûts et nos penchants changent ; quoïqu’insensiblement ; car nos 
organes subissant eux-mêmes des changements réels dans leur état, 
nous sentons alors très différemment : cela est bien connu. 


à ( Vote de Lamarck. ) 


YNTRODUCTION. 187 


moelle longitudinale noueuse. Ici, l’on est autorisé à 
admettre l’existence de la faculté de sentir , puisque 
l’on trouve un centre de rapport pour les nerfs des 
sensalions, et que déjà l’on aperçoit effectivement un 
ou plusieurs sens particuliers et très distincts, 

Cependant, les animaux dont je viens de parler , 
ont encore des muscles ; 1ls jouissent donc à la fois du 
mouvement musculaire et de la faculté de sentir. Mais 
nous avons vu que le mouvement musculaire et le sen- 
timent étaient deux facultés indépendantes; parmi les 
nerfs des animaux en question, il y en a donc qui ne 
servent qu'aux sensalions , et d’autres qui ne sont em- 
ployés qu’à l’excitation musculaire. Sans doute, les 
uns et les autres ne nous paraissent que des nerfs ; ce 
sont , néanmoins , deux sortes d’organes particuliers ; 
puisque, outre qu'ils donnent lieu à deux facultés 
très distinctes, ils agissent de deux manières différen- 
tes; les nerfs des sensations agissant du dehors vers un 
centre intérieur, tandis que ceux qui servent au mou- 
vement agissent, d’un ou de plusieurs centres intérieurs, 
vers les muscles qui doivent se mouvoir. Ainsi, lors- 
qu’on observe, dans un animal, plusieurs facultés 
différentes, on peut être assuré qu’il possède plusieurs : 
sortes d'organes particuliers pour les produire. 

Enfin , dans les animaux de l’ordre le plus relevé, 
c’est-à-dire, dans ceux dont le plan d'organisation est 
le plus composé et avance le plus vers son perfection- 
nement, le système nerveux offre non-seulement des 
nerfs, une moelle épinière et un cerveau ; mais ce cer- 
veau lui-même est plus composé que dans les animaux 
de l’ordre précédent, car il est graduellement plus 
volumineux, et sa masse semble formée d’appendices 
sur-ajoutés, réunis et toujours doubles. En outre, 
dans les animaux dont il s’agit, l’on voit toujours des 
muscles , un centre de rapport pour les sensations, un 


188 INTRODUCTION. 


cerveau très augmenté, et l’on remarque que ces ani- 
maux peuvent exécuter des opérations entre leurs idées. 
Ils possèdent donc trois facultés particulières et indé- 
pendantes; savoir : le mouvement musculaire, le sen- 
timent, et l'intelligence dans un degré quelconque. 

Il est donc évident, d’après la citation de ces trois 
faits, que ceux des animaux en qui l’on observe diffé- 
rentes facultés, possèdent , en effet, autant d’organes 
particuliers pour la production de chacune de ces fa- 
cultés , puisque ces dernières sont des phénomènes 
organiques, et que l’on n'a pas un seul exemple qui 
prouve qu’un organe puisse , lui seul, produire diflé- 
rentes sortes de facultés. (1) 

Pour achever de faire voir que chaque faculté dis- 
tincte provient d’un système d'organes particulier qui 
la donne, je vais montrer, par la citation d’un excm- 
plie , que ce que nous prenons souvent pour un seul 
système d'organes , se trouve , dans cerlains animaux, 
composé lui-même de plusieurs systèmes particuliers 
qui font partie du système général, et qui, néanmoins, 
sont indépendants les uns des autres. 

Dans les 2nsectes, on trouve graduellement un sys- 
tème nerveux ; l’on en observe un, pareillement, dans 
tous les mammifères. Mais le système nerveux des 
premiers est sans dont bien moins composé que celui 


(r) Voilà ici posé, d'une manière non équivoque, le principe de la lo- 
calisation des facultés dépendantes du système nerveux ; principe dont 
les conséquences rigoureuses conduisent de toute nécessité à ces belles 
découvertes de Gall et Spurzleim. Ce qui résulte de plus important 
des faits rapportés par ces célèbres avatomistes, c’est que chaque fa- 
cuhé de lintelligence a d'autant plus d'éucrgie,que la partie du cerveau 
qui y donne lieu est elle-mème plus développée. Si l'organe manque, 
la faculté manque aussi; le système de Gall repose donc sur le principe 
de la localisation des facultés de l’intelligence dans des organes propres 
à chacune d'elles. 


INTRODUCTION. 189 


des seconds; et si l’on a trouvé des nerfs et quelques 
ganglions dans certaines radiaires échinodermes , il 
n’en est pas moins nullement douteuxque le système 
nerveux de ces dernières ne soit inférieur en com posi- 
tion et en facultés à celui des insectes. 

Elfectivement, j'ai fait voir que les nerfs qui servent 
à l’excitation des mouvements musculaires, ainsi que 
ceux qui sont employés à favoriser les diverses fonc- 
tions des viscères, ne sont et ne peuvent être ceux qui 
servent à la production du sentiment, puisqu’on peut 
éprouver une sensation sans qu'il en résulte un mou- 
vement musculaire, et que l’on peut faire entrer dif- 
férents muscles en action, sans qu’il en résulte aucune 
sensation pour l'individu. Ces faits bien connus sont 
décisifs , et méritent d’être considérés. ls montrent déjà 
qu’il y a des facultés indépendantes, et que les sys- 
tèmes d'organes qui les donnent, le sout pareillement. 

D'ailleurs, comme il n’est plus possible de douter 
que l'influence nerveuse ne s'exécute autrement qu’à 
l’aide d’un fluide subtil mis subitement en mouve- 
ment, et auquel on a donné le nom de Wuide ner- 
veux (1), il est évident que, dans toute sensation, le 


(tr) « Jamais , ai-je entendu dire, je n’admettrai l'existence d’un 
fluide que je n'ai point vu, et que je sais que personne n’est parvenu à 
voir. A la vérité, les phénomènes cités à l'égard des animaux se pas- 
sent comme si le fluide dont il s’agit existait et y donnait lieu; mais 
cela ne suffit pas pour nous faire reconnaître son existence. » 

Que de vérités importantes auxquelles nous pouvons parvenir par 
une mulütude d'inductions qui les attestent, et qu’il faudrait rejeter, 
si l’on en exigeait des preuves directes que trop souvent la nature a 
mises hors de notre pouvoir ! Les physiciens ne reconnaissent-ils pas 
l'existence du fluide magnétique? et s'ils refusaient de l’admettre, parce 
qu'ils ne l’ont jamais vu, que penser des phénomènes de l’aimant , de 
ceux de la boussole, etc. ? Connait-on ce fluide autrement que par ses 
effets ? Et n'en connaît-on pas bien d’autres que cependant l’on n’a ja- 


mais pa voir? ( Note parfaitement juste de Lamarck eu réponse à cet 
alinéa de l’article animal de G, Cuvicr. ) 


190 INTRODUCTION. 


fluide nerveux se meut du point affecté vers un centre 
de rapport; tandis que, dans toute influence qui met 
un muscle en action, ou qui anime les organes dans 
l'exécution de leurs fonctions, ce même fluide nerveux, 
alors excitateur, se meut dans un sens contraire; par- 
ticularité qui en annonce déjà une dans la nature 
même de l'organe qui n’a qu’une seule manière d’agir. 

Le sentiment et le mouvement musculaire sont donc 
deux phénomènes distincts et très particuliers, puis- 
que, outre qu’ils sont très différents , leurs causes ne 
sont point les mêmes; que les nerfs qui y donnent 
lieu ne le sont point non plus; que, dans chacun de 
ces phénomènes, ils agissent d’une manière diflérente; 
et qu’enfin , ces mêmes phénomènes , dans leur pro- 
duction , sont réellement indépendants l’un de l’au- 
tre; ce que Haller a démontré. 

À Ja vérité, les deux systèmes d’organes qui donnent 
lieu aux deux facultés dont il s’agit, semblent tenir 
l’un à l'autre par ce point commun; savoir : que, sans 
l'influence nerveuse, leur puissance, de part et d’au- 
tre, paraîtrait absolument nulle. Mais le point com- 
mun dont je viens de parler n’a rien de réel; car le 
système nerveux se composant lui-même de différents 
systèmes particuliers, à mesure qu’il fait partie d’or- 
ganisalions plus compliquées, possède alors diflérentes 
sortes de puissances très distinctes , dont l’une ne sau- 
rait suppléer à l’autre: chacun de ces systèmes parti- 
culiers ne pouvant produire que la faculté qui lui est 
propre. Par exemple, la partie d’un système nerveux 
composé , qui produit le phénomène du sentiment, n'a 
rien de commun avec celle du même système qui ex- 
cite le mouvement musculaire, soit dans les muscles 
soumis à la volonté , soit dans les muscles qui en sont 
indépendunts; des uns et Les autres étant même parti- 
culiers pour ces deux sortes de fonctions. En outre, la 


INTRODUCTIONS gr 


partie d’un système nerveux composé , qui fournit des 
forces d’action aux viscères, aux organes sécréteurs,çlc., 
n’est pas non plus la même que celle qui produit le 
sentiment , ni la même que celle qui anime ou excite 
le mouvement musculaire; comme celle qui donne lieu 
à l'attention , à la formation des idées, et à diverses 
opérations entre elles, n’est pas encore la même qu’au- 
cune des autres, c'est-à-dire, est exclusivement parti- 
culière à ces fonctions, 

En vain imaginera-t-on une multitude d’hypothèses 
pour expliquer ces différents faits d’organisation ; ja- 
mais nos idées n’offriront rien de clair, rien de satis- 
faisant, rien, en un mot, qui soit conforme à Ja 
marche de la nature, tant qu'on ne reconnaîtra pas le 
fondement de ce que je viens d’exposer. 

J’ajouterai que le sentimerit serait absoïiument nul 
sans la portion d’un système nerveux composé qui y 
donne lieu; tandis qu’il n’en est pas du tout de même 
de l’irritabilité musculaire ; car elle est indépendante 
de toute influence nerveuse, quoique celle-ci lui donne 
des forces d’action, et même puisse exciter les mouve- 
ments de certains muscles , tels que ceux assujettis à la 
volonté. 

D'après l’attention que j'ai donnée aux faits d’orga- 
nisation qui concernent les animaux, j'ai reconnu que 
l’irritabilité était, en général, le propre de leurs parties 
molles. J’ai ensuite remarqué que, dans les plus im- 
parfaits des animaux, tels que les infusoires et les 
polypes , toutes les parties concrètes de ces corps vi- 
vants étaient à peu près également irritables, et l'étaient 
éminemment. Mais lorsque , dans des animaux moins 
imparfaits , la nature fut parvenue à former des fibres 
musculaires, alors j’ai conçu que l’irritabilité des par- 
ties offrait des différences dans son intensité, et que 
les fibres musculaires étaient plus fortement irritables 


192 INTRODUCTION, 


que les autres parties molles. Ainsi, dans les animaux 
les plus parfaits, le tissu cellulaire, quoiqu'irritable 
encore, l’est moins que les viscères et sur-tout que le 
canal intestinal, et ce dernier lui-même l’est moins 
encore que les muscles quels qu’ils soient. 

Je remarquai ensuite que, dès que les fibres mus- 
culaires furent établies dans les animaux, des nerfs 
alors devinrent distincts; et que, selon l’état d’avan- 
cement de l’organisation , un système nerveux plus ou 
moins composé élait déterminable. 

Sans doute, le système nerveux existant anime les 
fonctions des crganes, et leur fournit des forces d’ac- 
tion ; et les mouvements musculaires, participant eux- 
mêmes à cet avantage, sont moins susceptibles d’é- 
puisement dans leur source. 

L’irritabilité musculaire n’en est pas moins indépen- 
dante, par sa nature, de l’influence nerveuse, quoique 
celle-ci augmente et maïntienne sa puissance. On sait 
que le cœur conserve plus ou moins long-temps, selon 
les diverses races d'animaux, la faculté de se mouvoir 
lorsqu'on lirrite après l’avoir arraché du corps. J'ai 
vu le cœur d’une grenouille conserver cette faculté 24 
heures après en avoir été séparé. Ainsi, le cœur ne 
tient point des nerfs son irritabilité ; mais il eu reçoit 
diverses modifications dans ses fonctions, qui sont plus 
ou moins favorabies à leur exécution. 

En effet, comme dans une organisation composée 
tous les organes ou tous les systèmes d’organes parti- 
culiers sont liés à l’organisation générale de l'individu, 
et en sont tous par conséquent véritablement dépen- 
dants, on doit reconnaître que le cœur, quoique doué 
d’une irritabilité indépendante, n’en est pas moins 
assujetti, dans ses fonctions, à divers produits de la 
puissance nerveuse, produits qui accroissent et main- 


INTRODUCTION. 103 


tiennent ses forces d'action, et qui quelquefois en 
troubient les effets. 

Qui ne sait combien les passions agissent sur le cœur 
par la voie des nerfs , et que, selon celle de ces passions 
qui agit, l’influence qu’il en recoit trouble singulière- 
ment alors ses fonctions? Les nerfs qui arriventau cœur, 
n’y sont donc point sans objet, sans usage (ce qui serait 
contraire au plan de la nature), quoique l’irritabilité 
de cet organe soit en elle-même indépendante de leur 
puissance; ce que Haller ne me paraît pas avoir suffi- 
samment saisi. 

Depuis, l’on a prétendu, d’après M. Le Gallois, 
que le cœur ne recevait des nerfs que de la moelle épi- 
nière; et par-là, on expliquait pourquoi il continue 
de battre après la décapitation ou après l’excision de Ja 
moelle épinière sous l’occiput. 

A cela je répondrai que cette continuité d’action du 
cœur après Ja décapitation, aurait bientôt un terme, 
quand même la respiralion pourrait continuer, parce 
que le cœur est lié à l’organisation générale de l’inai- 
vidu, et qu’il est nécessairement dépendant de sa 
conservation. 

Si je ne craigrais de m’écarter de l’objet que j’ai ici 
en vue, j'ajouterais ensuite que, si le cœur ne recevait 
des nerfs que de la moelle épinière, et si ceux de la 
huitième paire ne lui envoyaient aucun filet, il ne 
serait point soumis à l'empire des passions. Mais, lais- 
sant de côté tout ce que j'aurais à dire à cet égard, je 
dois, avant tout, montrer que l'on s'est trompé dans 
les conséquences qu’on a tirées des belles expériences 
de M. Le Gallois. 

Il est reconnu que lirritabilité ne peut être mise en 
action que lorsqu'un stimulus quelconque vient exciter 
cette action. Mais on serait dans l'erreur si, obser- 
vant que les muscles soumis à la volonté agissent ordi- 


ToE 1. 13 


194 INTRODUCTION. 


nairement par le stimulus que leur fournit l'influence 
nerveuse, l’on se persuadait que ces muscles ne peuvent 
entrer en contraction que par ce stimulus. | est facile 
de prouver , par l'expérience, que toute autre cause 
irrilanie peut aussi exciter leurs mouvements. 

D'ailleurs, quoique ces muscles agissent par la vo- 
lonté qui dirige sur eux l'influence nerveuse, ils peuvent 
encore agir par la même influence, sans la parlicipation 
de cette volonté; ct j'en ai observé mille exemples dans 
les émotions subites du seztiment intérieur, lequel 
dirige pareillement l'influence des nerfs qui les mettent 
en action. 

Voilà ce qu'il importe de reconnaître, parce que 
les faits attentivement suivis l’allestent d’une ma- 
nière évidente, el ce qui montre, en outre, combien 
l’ordre de choses qui concerne les mouvements musceu- 
laires est distinct de celui qui donne lieu aux sensations. 

On a recounu plusieurs de ces vérités; et cependant 
on confond encore tous les jours les deux systèmes 
d'organes ci-dessus mentionnés, en prenant les effets 
de l’un pour des produits de ceux de l’autre. 

Ainsi, lorsqu'on a mutilé des animaux vivants, dans 
l'intention de savoir à quelle époque la sensibilité s'é- 
teignait dans certaines de leurs parties, on a cru pou- 
voir conclure que le sentimen L'existait encore, lorsqu’à 
une irrilalion quelconque, ces parties faisaient dés 
mouvements, 

C'est, en effet, ce qu'on a vu dans plusieurs des 
conséquences que M. Le Gallois a tirées de ses expériences 
sur les animaux. 

Sans doute, les nombreuses et belles expériences de 
M. Le Gallois sur des mammifères, nous ont appris 
plusieurs faits importants que nous iguorions ;-mais il 
me paraît s’êlre trompé, lorsqu'il nous dit qu'après la 
section de la moelle épinière sous l’occiput, la sensibi- 


INTRODUCTION. 105 


lité existe encore dans les parties de l’animal, parce 
qu'on les voit eñcore se mouvoir. 

J’ai montré que la faculté de se mouvoir par des 
muscles, et celle de pouvoir éprouver des sensations, 
ne sont pas encore Îles seules qu’un animal oblienne 
d’un système nerveux compliqué et complet dans 
toutes les parties qui peuvent entrer dans sa compo- 
sition. Car, lorsque ce système offre un cerveau muni 
de tous ses appendices, et sur-tout d’hémisphères vo- 
lumineux, il donne alors à lanimal, outre la faculté 
de sentir, celle de pouvoir se former des idées, de 
comparer les objets qui fixent son attention , de juger, 
en un mot, d’avoir une volonté, de la mémoire, et de 
pouvoir varier volontairement plusieurs de ses actions. 

La faculté d’avoir de l’attention, dese formerdesidées 
et d'exécuter des actes d'intelligence, est donc dis- 
tincte de celle de sentir, comme le sentiment V'est 
lui-même de la faculté de se mouvoir, soit par l’exci- 
tation nerveuse sur les muscles, soit par des excitalions 
étrangères sur des parties irritables. Ces différentes fa- 
cultés sont des phénomènes organiques qui résultent 
chacun d’orgarñes particuliers propres à les produire. 
Cés faits zoologiques sont aussi positifs que l’est celui 
de la faculté de voir lorsqu’on possède organe de la 
vue. 

Voici maintenant le point essentiel de la question : 
il s’agit de savoir si, à mesure qu’un système d'organes 
ce débride, c’est-à-dire, se simplifie en perdant, l’un 
après l’autre, les systèmes particuliers qui entraient 
dans sa plus grande complication, les différentes fa- 
cultés qu’il donnait à la fois à l’animal, ne se perdent 
pas aussi l’une après l’autre, jusqu’à ce que le système, 
devenu lui-même très simple, finisse par disparaître, 
ainsi que la faculté qu'il produisait encore dans sa 
plus grande simplicité. 


2 à 


INTRODUCTION. 


196 

On est autorisé à penser, à reconnaître même , que 
l'appareil nerveux qui donne lieu à Ja formation des 
idées conservables et à différents actes d'intelligence , 
réside dans des masses médullaires , composées de fais- 
ceaux nerveux; masses qui sont des accessoires du 
cerveau, et qui augmentent son volume proporlion- 
nellement à leur développement; paisque ceux des 
animaux les plus parfaits, en qui l'intelligence est le 
plus développée, ont effectivement, par ces accessoires, 
Ja masse cérébrale la plus volumineuse relativement 
à leur propre volume; tandis qu'à mesure que l'intel- 
ligence s’obscurcit davantage, dans les animaux qui 
viennent ensuile, le volume de la masse cérébrale di- 
minue dans les mêmes proportions. Or, peut-on douter, 
qu'à mesure que l’organe cérébral se dégrade, ce ne 
soient d’abord ses parties accessoires ou surajoutées 
qui subissent les atténuations observées, et qu’à la fin, 
ce nesoient elles qui se trouventanéanties les premières, 
long-temps mêine avant que le cerveau proprement dit 
cesse à son tour d'exister ? 

Maintenant, s’il est vrai que l'appareil nerveux, 
propre aux facultés d'intelligence, soit constitué par 
les organes accessoires dont je viens de parler, l’anéan- 
tissement complet de ces organes n’entraînerait-il 
pas celui des facultés qu’ils donnaient à l’animal? Et 
comme il est reconnu que tous les animaux vertébrés 
sont formés sur un plan commun, quoique très diver- 
sifié dans ses développements et ses modifications, 
selon les races, n'est-il pas probable que c’est avec les 
vertébrés que se terminent entièrement les facultés 
d'intelligence, ainsi que les organes particuliers qui 
les donnent? 

Après la perte de ses parties accessoires, de ses hé- 
misphères, jusqu’à un certain point séparables, et qui 
ont un si grand volume dans les plus intelligents des 


INTRODUCTION. 197 


animaux, le cerveau réduit, se montre néanmoins, 
depuis les mollusques jusqu'aux insect-s inclusivement, 
comme étant une partie essentielle de l’appareil ner- 
veux propre à la production du sentiment, puisqu'il 
fournit encore à l'existence des sens particuliers, c’est- 
a-dire, qu'il produit des organes très distincts pour les 
sensations. [l forme , effectivement, avec les nerfs qui 
en partent ou qui y aboutissent, un appareil qui est 
assez compliqué pour effectuer la formation du phé- 
nomène organique du sentiment. (1} 

Mais, lorsque la dégradation du système nerveux se 
trouve tellement avancée qu’il n’y a plus de cerveau, 
plus de sens particuliers, qui ne sent que l'appareil 
propre au sentiment n’existant plus, les facultés qui 
en résultaient pour lPanimal ont pareillement cessé 
d'exister, quoique l'on puisse retrouver encore quel- 
ques traces de nerfs dans les animaux de celte caté- 
gorie, en qui des vestiges de muscls existent encore! 

Assurément! on peut taxer tout ceci d'opinion : mais, 
dans ce cas, que l’on se garde bien d’observer com- 
parativement les animaux, car cette opinion prétendue 
se changerait alors en fait positif. 


(1) En adoptant la définition du cerveau telle que la donnent les 
anatomistes, c'est-à-dire, faite d’après cet organe réduit à sa plus 
grande simplicité, il est évident qu'aucun animal invertébré n’a de cer- 
veau proprement dit, car chez eux le centre nerveux principal n’est pas 
composé des deux substances ; il n'a rien qui représente les tubercules 
quadrijameaux, et la moelle épinière manque toujours. C’est donc par 
suite de l’application peu rationnelle des mots cerveau et moelle épi- 
nière, que la plôpart des naturalistes disent à turt que les mollusques 
ont un cerveau saus moelle épinière et les insectes une moelle épinière 
sans cerveau ; nous ne concevous pas l'existence de l’une de ces parties 
sans l’autre , et en effet lorsque l’on étudie avec soin le soi-disant cer- 
veau des mollusques et la moelle épinière des insectes, on ne leur 
trouve aucune analogie Ge structure et de position avec le cerveau des 
vertébrés. 


198 INTRODUCTION, 


Relativemeut aux cflorts qui ont été faits pour s'au- 
toriser à étendre jusques dans les végétaux la-faculté 
de sentir, j2 cilerai Ja considération suivante qui se 
trouve dans l’article animal du Dictionnaire dessciences 
naturelles. 

« 11 s’agit de savoir, dit le célèbre auteur de cet 
article, s’il n’y a point des êtres sensibles qui ne se 
meuvent pas, car il est clair que le mouvement n’est 
pas une conséquence nécessaire de la sensibilité. » 

Non certainement, il n’y a point d’êtres sensibles 
qui ne se meuvent pas, el ce ne devrait pas être une 
question pour le savant qui l’agite, mais tout au plus 
pour ceux qui ne connaissent rien à l'organisation, 
ainsi qu'aux phénomènes qu’elle peut produire, 

Sans doute le mouvement est indépendant de la 
sensibilité; en sorte qu'il existe des êtres (mais seu- 
lement dans le règne animal) qui jouissent de la fa- 
culté de se mouvoir, el qui néanmoins, sont privés 
de celle de sentir. C’est en effet , le cas des radiaires, 
des vrais polypes et des infusoires. Mais il est facile de 
démontrer qu’il n’exisie aucun être jouissant de la 
sensibilité, qui ne puisse se mouvoir; en sorte que la 
sensibilité est réellement une conséquence du mouve- 
ment, quoique le mouvement n’en soit pas une de la 
sensibilité : voici conime je le prouverai. 

Assurément il n’y a que des nerfs qui soient les vrais 
organes du sentiment; et tout animal qui n’a point de 
nerfs ne saurait sentir, cela est certain. 

Mais un fait, que connaît sans doute Île savant 
auteur cité, c’est que tout animal qui a des nerfs a 
aussi des museles. Ce serait en vain que lon voudrait 
trouver des muscles dans un animal qui n’a point de 
nerfs, ou des nerfs dans celui qui n’a point de muscles: 
aucune observation constatée ne contredit ce fait, 

Or, s'il est vrai que tout animal qui a des nerfs ait 


INTRODUCTION. 199 


aussi des muscles, il est donc vrai pareïllement que 
tout animal qui jouit du senliment, jouit aussi de la 
facuité de se mouvoir, puisqu'il a des muscles. 

Dans l’état de nos connaissances, on ne peut donc 
pas mettre en question s’il existe des êtres sensibles 
qui ne se meuvent pas. 

Ces pensées, émises avant d’avoir été approfondies, 
prouvent seulement qu’on n’a fait aucun effort pour 
s'assurer si les facultés et les organes qui les donnent, 
avaient ou non des limites. 

En observant attentivement ce qui a lieu dans les 
animaux, je ne crois pas me tromper lorsque je recon- 
pais que diflérents êtres, parmi eux, possèdent des 
facultés qui ne sont pas communes à tous ceux du 
même règne. Ces facultés ont donc des limites, quoi- 
que souvent insensibles; et sans doute les organes qui 
les donnent en ont pareïilement, puisque l’observa- 
tion atteste que partout, dans l’aninial, chaque fa- 
culté est parfaitement en rapportavec l’état de l’organe 
qui y donne lieu. 

C’est en apercevant le fondement de ces cousidéra- 
tions, que j'ai reconnu que les facultés d’intelligence 
dans différents degrés, étaient un ordre de phénomènes 
organiques, tous en rapport avec l’état de l’organe 
qui les produit, et que ces facultés avaient une limite 
ainsi que l’organe; qu’il en était de même de la faculté 
de sentir, dont les actes ne consistent que dans l’exé- 
cution de sensations particulières, qui s’opèrent par 
l’intermède d’un ensemble de parties dans le système 
nerveux, sans aflecter celles du même système, qui 
servent à l'intelligence; qu’il en était encure de même 
du sentiment intérieur , faculié obscure , quoique puis- 
sante, qui n’a rien de commun avec celle d’éprouver 
des sensations , ni avec celle de penser ou de com- 
biner des idées, et qui tient probablement aux actes 


200 INTRODUCTION. 


d’un ensemble de parties dans le système nerveux, 
c'est-à-dire, aux émotions qui peuvent être produites 
dans cet ensemble. 

Qu'importe qu'il nous soit difhcile, quelquefois 
même impossible, de distinguer, dans un système 
d'organes général , tous les systèmes d’organes parti- 
culiers dont la nature est parvenue à le composer , s’il 
n’en est pas moins cerlain que ces systèmes d'organes 
particuliers existent, puisque les facultés particulières 
qu'ils donrent sont reconnaissables; distinctes et se 
montrent indépendantes ? 

J’ai déjà parlé (au commencement de cette Intro- 
duction, p. 24 et 25) du sentiment intérieur dont sont 
doués tous les animaux qui jouissent de Ja faculté de 
sentir; de ce sentiment intime qui, par les émotions 
qu'il peut éprouver subitement dans chaque besoin 
ressenti, fait agir immédiatement l'individu , sans l’in- 
tervention de la pensée, du jugement et de la volonté 
de celui même qui possède ces facultés, et j'ai dit que 
je manquais d'expression propre à désigner ce senti- 
ment (1). 

A la vérité, on le désigne quelquefois sous la déno- 


(1) Par des causes, dont plusieurs sont déjà connues, les fluides de 
pos p'incipaux systèmes d’organes , sur-tout ceux du système sanguin, 
sont sujets à se porter , avec plus ou moins d’abondance, tantôt vers 
l'extrémité antérieure du corps, tantôt vers l’inférieure, et tantôt vers 
tous les points de sa surface externe. Ainsi, quoique renfermés dans des 
capaux particuliers ou dans des masses appropriées dont ils ne peu- 
vent franchir les limites latérales, les fluides de plusieurs de nos sys- 
tèmes d'organes jouissent , par les communications qui existent entre 
eux, d'une relation générale qui les met dans le cas de recevoir 
des impulsions ou des excitations parcillement générales , d’où résul- 
tent, dans Je système sanguin , les affluences particulières et connues 
dont je viens de par'er , et dans le système nerveux, les ébranlements 
généraux, en un mot, les émotions du sentiment intérieur qui sont si re- 
marquables par leur puissance sur nos organes, (Vote de Lamarck.) 


INTRODUCTION. 201 


mination de conscience. Cette dénomination, néan- 
moins, ne le caractérise point suffisamment : elle 
n'indique point que ce sentiment obscur, mais général, 
ne résulte pas directement d’une impression sur aucun 
de nos sens ; qu'il n’a rien de commun, soit avec le 
sentiment proprement dit, soit avec l'intelligence, et 
qu'il offre une véritable puissance qui fait agir lin- 
dividu sans la nécessité d’une préméditation. Enfin, 
cette dénomination semble permettre la supposition 
du concours de la pensée et du jugement dans les 
actions que ce sentiment ému fait subitement pro- 
duire; ce qui n’est pas vrai. L’observation des faits at- 
teste même que, parmi les animaux qui possèdent ce 
sentiment intérieur et qui jouissent de certains degrés 
d'intelligence, la plupart, néanmoins, ne le maïitri- 
sent jamais. 

On le désigne aussi très souvent et très impropre- 
ment comme un sentiment qu'on rapporte au cœur, 
et alors on distingue, parmi nos actions , toutes celles 
qui viennent de l'esprit, de celles qui sont les produits 
du cœur ; en sorte que, sous ce point de vue , l'esprit 
et le cœur seraient les sources de toutes les actions 
humaines. +. 

Mais tout cela est erroné. Le cœur n’est qu’un 
muscle employé à l’accélération du mouvement de 
nos fluides; il n’est propre qu’à concourir à la circu- 
lation de notre sang, et au lieu d’être la cause ou la 
source de notre sentiment intérieur, il est lui-même 
assujetti à en subir les eflets. 

Ce qui fut cause de cette distinction de lesprit et 
du cœur, c’est que nous sentons très bien que nos 
pensées, nos méditations sont des phénamènes qui 
s’exécutent dans Ja tête, el que nous sentons encore au 
contraire, que les penchants et les passions qui nous 
entraînent, que les émotions que nous éprouvons 


202 INTRODUCTION. 


dans certaines circonstances, et qui vont quelquefois 
jusqu’à nous faire perdre l’usage des sens, sont des 
impressions que nous ressentons dans tout notre être, 
et non un phénomène qui s'exécute uniquement dans 
la tête, comme la pensée. Or, comme les constrictions 
nerveuses ou les troubles qui se produisent dans le 
système nerveux, à la suite des émotions que l’on 
éprouve, retardent ou accélèrent alors les battements 
du cœur, on a attribué trop précipitamment au cœur 
même, ce qui n’est réellement que le produit du sen- 
liment intérieur ému. 

Il n’y a guère que l’homme et quelques animaux des 
plus parfaits, qui, dans les instants de calme intérieur, 
se trouvant aflectés par quelque intérêt qui se change 
aussitôt en besoin, parviennent alors à maîtriser asséz 
leur sentiment intérieur ému, pour laisser à leur pen- 
sée le temps de juger et de choisir l’action à exécuter. 
Aussi, ce sont les seuls êtres qui puissent agir volon- 
tairvement; et néanmoins, ils n’en sont pas toujours 
les maîtres. | 

Ainsi, des actes de volonté ne peuvent être opérés 
que par l’homme et par ceux des animaux qui ont la 
faculiéd’exécuter des opérations entre leurs idées, de 
comparer des objets, de juger, de choisir, de vouloir 
ou ne pas vouloir, et par-là de varier leurs actions. 
Or, j'ai déja démontré que ce ne pouvait être que parmi 
les vertébrés que se trouvent les animaux qui jouissent 
de pareilles facultés, parce que leur cerveau, formé sur 
un plan commun, est plus ou moins complétement 
muni des organes particuliers qui les donnent. De là 
vient, que c'est principalement dans les mammifères, 
et ensuite dans les oiseaux , que ces mêmes facultés, 
quoique rarement exercées, acquièrent quelque émi- 
nence. 

Quant aux animaux sans vertèbres, j'ai fait voir 


ie, + 


INTRODUCTION. 203 


que tous devaient être privés d'intelligence; mais j’ai 
montré que les uns jouissaient de la faculté de sentir 
el possédaient ce sentiment intérieur qui a le pouvoir 
de faire agir, tandis que les autres étaient tout-à-fait 
dépourvus de ces facultés. 

Or, les faits connus qui concernent les premiers 
(ceux qui jouissent du sentiment) , constatent qu'ils 
n’ont que des habitudes ; qu’ils n’agissent que par des 
émotions de leur sentiment intérieur, sans jamais le 
maîtriser; que ne pouvant exécuter aucun acte d’in- 
telligence , ils ne sauraient choisir, vouloir ou ne pas 
vouloir, et varier eux-mêmes leurs actions; que leurs 
mouvements sont Lous entraînés et dépendants; enfin 
qu'ils n’obtiennent de leurs sensations, que la percep- 
tion des objets dont les traces dans leur organe sont 
plus ou moins conservables. 

Si les Labitudes, dans les animaux qui ne peuvent 
varier eux-mêmes leurs actions, ont le pouvoir de les 
entraîner à agir constamment de la même manière 
dans les mêmes circonstances, on peut assurer d’après 
l'observation, qu’eiles ont encore un grand pouvoir 
sur les animaux intelligents; car, quoique ceux-ci puis- 
sent varier leurs actions, on remarque qu’ils ne les 
varient, néanmoins, que lorsqu'ils s’y trouvent en 
quelque sorte contraints, et que leurs habitudes, le 
plus souvent, les entraînent encore. 

A quoi done tient ce grand pouvoir des habitudes , 
pouvoir qui se fait si fortement ressentir à l’égard des 
animaux intelligents, et qui exerce sur l’homme même 
un si grand empire? Je crois pouvoir jeter quelque jour 
sur celte question importante, en exposant les consi- 
dérations suivantes. 

Pouvoir des habitudes : Toute action. soit de l’homme, 
soit des animaux, résulte essentiellement äe mouve- 
ments intérieurs, c’est-à-dire, de mouvements et de 


204 INTRODUCTION. 


déplacements de fluides subtils internes qui J’excitent 
et la produisent. Par fluides subtils, j'entends parler 
des différentes modifications du fluide nerveux ; car ce 
fluide seul a dansses mouvements et ses déplacements 
la célérité nécessaire aux effets produits, Maintenant 
je dis que, non-seulement les actions constituées par 
les mouvements des parties externes du corps sont 
produites par des mouvements et des déplacements de 
fluides subtils internes, mais même que les actions in- 
térieures , telles que l’aitention, les comparaisons, les 
jugements, en un mot, les pensées, et telles encore 
que celles qui résultent des émotions du sentiment in- 
térieur, sont aussi dans le même cas. Certainement, 
toutes les opérations de l'intelligence, ainsi que les 
mouvements visibles des parties du corps, sont des 
actions, car leur exécution très prolongée entraîne 
effectivement des fatigues et des besoins de réparation 
pour les forces épuisées. Or, je le répète, aucune de 
ces actions ne s'exécute qu’à la suite de mouvements 
et de déplacements des fluides subtils internes qui y 
donnent lieu. 


Par la connaissance de cette grande vérité, sans la- 
quelle il serait absolument impossible d’apercevoir les 
causes et Les sources des actions, soit de l’homme, soit 
des animaux sensibles, on éoncoit clairement : 


1° Que , dans toute action souvent répétée, et sur- 
tout qui devient habituelle, les fluides subtils qui la 
produisent, se frayentetaggrandissent progressivement, 
par Îles répétitions des déplacements particuliers qu’ils 
subissent, les routesqu'ilsont à franchir, et les rendent 
de plus en plus faciles; en sorte que l’action elle-même, 
de difficile qu’elle pouvait être dans son origine, ac- 
quiert graduellement moins de difficulté dans son 
exécution; toutes les parties même du corps qui ont à 


INTRODUCTION: 205 


y concourir , s’y assujettissent peu à peu, et à la fin 
l’exécutent avec la plus grande facilité; 


2° Qu’une action, devenue tout-à-fait habituelle, 
ayant modifié l'organisation intérieure de l'individu 
pour la facilité de son exécution, lui plaît alors telle- 
ment qu’elle devient un besoin pour lui; et que ce be- 
soin finit par se changer en un penchant qu’il ne peut 
surmonter, s’il n’est que sensible, ei qu'il surmonte 
avec difiiculié, s’il est intelligent. 

Si l’on prend la peine de considérer ce que je viens 
d’exposer, d’abord :1l sera aisé de concevoir pourquoi 
l'exercice développe proportionnellement les facultés ; 
pourquoi l'habitude de donner de l’attention aux ob- 
jets et d'exercer son jugement, sa pensée, aggrandit si 
fortement notre intelligence; pourquoi tel artiste qui 
s'est tant appliqué à l'exercice de son art, y a acquis 
des talents dont sont entièrement privés tous ceux qui 
ne se sont point occupés des mêmes objets. 

Enfin , en considérant encore les vérités exposées ci- 
dessus, l’on recounaîtra facilement la source du grand 
pouvoir qu'ont les Aabitudes sur les animaux, et qu’elles 
ont même sur nous: certes, aucun sujet ne saurait 
être plus intéressant à étudier, à méditer. 

Me bornant à ce simple exposé de principes qu’on ne 
saurait contester raisonnablement, je reviens à mon 
sujet. 

Nous avons vu qu'en nous dirigeant du plus com- 
posé vers le plus simple, dans la série des animaux, 
chaque système d’organes particulier se dégradait et 
s’anéantissait à un terme quelconque de la série; ce que 
M. Cuvier reconnaît lui-même, lorsqu'il dit : « On a 
aujourd’hui, sur les diverses dégradations du système 
nerveux dans le règne animal, et sur leur correspon- 
dance avec les divers degrés d'intelligence , des notions 


206 INTRODUCTION. 


aussi complètes que pour le système sanguin (1) ». Et 
ailleurs ii dit: « En effet, si on parcourt successive- 
ment les diflérentes familles, il n’est pas un organe 
que l'on ne voie se simplifier par degrés, perdre son 
énergie , et finir par disparaître tout-à-fait en se con 
fondant dans la masse (2) ». 

Il s'ensuit donc que les facultés se dégradent et 
finissent chacune par être anéanties à un terme quel- 
conque de la série des animaux, comme les organes 
qui les produisent ; qu'elles sont partout proportion- 
nelles au perfectionnement et à l’état des organes; et 
qu’il ne reste aux animaux qui terminent cette série, 
que les facultés propres à tous les corps vivants, ainsi 
que celle qui constitue leur nature animale. Il s'ensuit 
encore qu'il n’est pas vrai, et qu’il ne peut l'être, 
que tous les animaux soient doués de Îa faculté de 
sentir; ce que je crois avoir suflisamment établi. Ainsi, 
je ne reviendrai plus sur cet objet, parce qu’il n’a pas 
besoin de nouvelles preuves. 

Mais, une vérité tout aussi solide, et qui en résulte 
Encore clairement , c’est que les animaux très impar- 
faits qui ne jouissent point de Ja faculté de sentir, 
sont nécessairement dépourvus de cet appareil nerveux 
qui donne lieu aux sensations et au sentiment intérieur; 
appareil qui doit être assez compliqué et assez étendu 
pour que son ensemble, agité par quelque aflection 
sur les sens, ou par quelque émotion intérieure, puisse 
faire participer l’être entier à ces aflections ou à ces 
émotions; appareil, enfin, qui constitue dans l’indi- 
vidu qui lepossède, une puissance qui peut le faire agir. 

Ainsi, ces amimaux sont réellement privés de cette 


L 
(1) Rapport sur les progrès des sciences naturelles , depuis 1789 ; 
LE 164. e ? 
(2) Dictionnaire des Sciences naturelles, vol. 2, p. 167. 


INTRODUCTION. 207 
conscience, de ce sentiment intimé d'existence, dont 
jouissént céux qui, doués de lapparvil dont je viens 
de parler, peuvent éprouver des sensations, et être 
agités par des émotions intérieures. Or, Îés animaux 
très imparfaits dont il s’agit, ne possédant nullement 
le sentiment intérieur en question, ne sauraient avoir 
ou faire naîlre en eux la cause excitatrice dé leurs mou- 
veménts. Elle leur vient donc évidemment du dehors, 
et dès Tors elle n’est assurément pas à leur disposition; 
aussi aucun de leurs besoins n’exige qu’elle le soit: cé 
que j'ai déjà fait voir. Tout ce qu’il leur faut se trouvé 
à leur portéé: ce né sont des animaux que parce qu’ils 
sont irritables. 

Je terminerai cette partie par une remarque impor- 
tante et relative aux besoins des différents animaux ; 
besoins qui ne sont nulle part, ni au-dessus, ni au- 
dessous des facultés qui peuvent y satisfaire. 

On observe que, depuis les animaux Îes plus impar- 
faits, tels que les premiers des £nfusoires, jusqu'aux 
mammifères les plus perfectionnés, les besoins, pour 
chacun d’eux, s’accroissent avec la composition pro- 
gressive de leur organisation; et que les facultés né- 
cessaires pour satisfaire par-tout à ces besoins, s’ac- 
croissent aussi par-tout dans la même proportion. TI 
en résulte que, dans les plus simples et les plus im- 
parfaits des animaux, la réduction @es besoins et des 
facultés se trouve réellement à son minimun:, tandis 
que, dans les plus perfectionnés des mammifères , les 
besoins et les facultés sont à leur maximum de com- 
plication et d’éminence; et comme chaque faculté 
distincte est le produit d’un système d’organes parti- 
culier qui y donne lieu, c’est donc une vérité incon- 
testable qu'il y a toujours par-tout un rapport parfait 
entre les besoins, les facultés d’y satisfaire, et Tes 
organes qui donnent ces facultés. 


208 INTRODUCTION: 


Ainsi, les facultés qu'on observe dans différents 
animaux, sont uniquement organiques ; elles ont des 
limites comme les organes qui les produisent; sont 
toujours dans un rapport parfait avec l’état des organes 
qui les font exister; et leur nombre, ainsi que leur 
éminence, sont aussi parfaitement en rapport avec 
ceux des besoins. 

Il est si vrai que, dans l'étendue de l'échelle animale, 
les facultés croissent en nombre et en éminence comme 
les organes qui les donnent, que si, à l’une des extré- 
mités de l’échelle, l’on voit des animaux dépourvus 
de toute faculté particulière, l’autre extrémité, au 
contraire, offre, dans les animaux qui s’y trouvent, 
une réunion au maximum des facultés dont la nature 
ait pu douer ces êtres. 

Plus, en effet, l’on examine ceux des animaux qui 
possèdent des facultés d'intelligence, plus on les ad- 
mire, plus mème on se sent porté à les aimer. Qui ne 
connaît l'intelligence du chien, son attachement pour 
son maître, sa fidélité, sa reconnaissance pour les bons 
traitements, sa jalousie dans certaines circonstances, 
son extrême perspicaciié à juger, dans vos yeux, si 
vous êtes content ou fàché, de bonne ou de mauvaise 
humeur; son inquiétude et sa sensibilité lorsqu’il vous 
voit souflrir, etc.! 

Les chiens, néanmoins , ne sont pas les plus intelli- 
gents des animaux; d’autres, et sur-tout les singes, le 
sont encore davantage , les surpassent en vivacité de 
jugement, en finesse, en ruses, en adresse, etc. ; aussi, 
sont-ils, en général, plus méchants, plus difficiles à 
soumettre el à asservir. 

Il y a donc des degrés dans l’intelligence, dans le 
sentiment, elc., parce qu’il s’en trouve nécessairement 
dans tout ce qu'a fait la nature. 

Si, dans la série des animaux, les limites précises 


INTRODUCTION. : 269 


des facultés particulières que l’on observe dans diffé- 
rents êtres de cette série, ne sont pas encore définiti- 
vement déterminées, on n’en est pas moins fondé à 
reconnaître que ces limites existent, car tous les ani- 
maux ne possèdent point les mêmes facultés ; ainsi , 
il y a un point dans l’échelle animale où chacune 
d’elles commence. 

Il en est de même des systèmes d’organes particu- 
liers qui donnent lieu à ces facultés ; si l’on ne connaît 
pas encore partout le point précis de l'échelle animale 
où chacun d’eux commence, on doit, néanmoins, être 
assuré que chaque système d'organes particulier a réel- 
lement dans l’échelle un point d’origine , c’est à-dire, 
de première ébauche; il y a même quelques-uns de 
ces systèmes dont le commencement paraît assez bien 
déterminé. 

Ainsi, le système d’organes particulier qui effectue 
la digestion, paraît ne commencer qu’avec les polypes; 
celui qui sert à la respiration, ne commence à exister 
que dans les radiaires ; celui qui donne lieu au. mou- 
vement musculaire, n'offre son origine avec quelques 
vestiges de nerfs, que dans les radiaires échinodermes ; 
celui de la fécondation sexuelle, paraît offrir sa pre- 
mière ébauche vers la fin des vers, et se montre en- 
suite parfaitement distinct dans les insectes et les ani- 
maux des classes suivantes; celui qui est assez compli- 
qué pour produire le phénomène du sentiment, ne 
commence à se manifester clairement que dans les in- 
sectes ; celui qui effectue une véritable circulation, pa- 
rait ne commencer réellement que dans les arachnides; 
enfin , celui qui donne lieu à la formation des idées, 
et aux opéralions qui s’exécutent entre ces idées , pa- 
raissant n’appartenir qu’au plan des animaux ver- 
tébrés, ne commence très probablement qu'avec les 
poissons. 


ToME 1. 14 


210 INTRODUCTION. 


Qu'il y ait quelques rectificalions à faire dans ces 
déterminations , il n’en est pas moins vrai que ces 
mêmes rectifications ne peuvent altérer nulle part le 
principe dés points particuliers de l’échelle animale 
où commence chaque système d'organes, ainsi que les 
facultés ou les avantages qu’il donne aux animaux qui 
le possèdent. 

Partout même où une limite quelconque ne peut 
être positivement fixée , l'arbitraire de l’opinion fait 
bientôt varier le sentiment à son égard. 

Par exemple, M. Le Gallois, d’après différentes ex- 
périences qu’il a faites sur des mammifères mutilés 
pendant leur vie, prétend que le principe du senti- 
ment existe seulement dans la moelle épinière, et non 
dans la base du cerveau; il prétend même qu'il y a 
autant de centres de sensation bien distincts, qu’on a 
fait de segments à cette moelle, ou qu’il y a de por- 
tions de cette moelle qui envoient des nerfs au tronc, 
Ainsi, au lieu d'une unité de foyer pour le sentiment, 
il ÿ en aurait un grand nombre, selon cet auteur. 

Mais doit-on toujours regarder comme positives les 
conséquences qu’un observateur a tirées des faits qu’il 
a découverts; et ne convient-il pas d'examiner aupa- 
ravant , soit sa manière de raisonner , soit les bases 
mêmes sur lesquelles il se fonde ? 

D'une part, je vois que M. Le Gallois juge presque 
toujours de la sensibilité par des mouvements excités 
qu’il aperçoit ; en sorte qu'il prend des eflets de l'érri- 
tabilité pour des témoignages de sensations éprouvées ; 
et de l’autre part, je remarque qu'il ne distingue 
point, parmi les puissances nerveuses, celle qui vivifie 
les organes , et qui leur fournit des forces d’action, de 
celle, très différente, qui sert uniquement au phéno- 
mène des sensations; comme il aurait dû distinguer 
aussi, s’il s’en était occupé, celle encore très différente 


RL De nn ne LL: épénes ….… 


INTRODUCTION: 21X 


des autres, qui donne lieu à la formation des idées , et 
aux opéralions qu’elles exécutent. 

Il est possible qu ‘il y ait réellement, comme le dit 
M. Le Gallois, plusieurs centres particuliers de sensa- 
tious dans Îes animaux qui jouissent de la faculté de 
sentir; mais alors, au lieu d’un seul appareil d'organes 
pour la production de ce phénomène physique, il y en 
aurait plusieurs; enfin , la nature aurait employé sans 
nécessilé une complication de moyens; car on peut 
prouver qu'un seul foyer pour la sensation peut satis- 
faire à tous les faits connus relatifs à la sensibilité. 

Cependant, jusqu’à ce que des expériences, plus dé- 
cisives à cet égard que celles qu’a publiées cet au- 
teur, nous autorisent à prononcer définitivement sur 
ce sujet, je crois devoir conserver l'opinion plus vrai- 
semblable de l'existence d’un seul foyer pour la pro- 
duction du sentiment. 

Cela ne m’empêche pas de reconnaître que les nerfs 
qui partent de la moelle épinière ne soient particuliè- 
rement ceux qui fournissent au cœur, indépendam- 
ment de son irritabilité , le principe de ses forces, et 
qui en fournissent aussi à d’autres parties du tronc; 
enfin, de croire, d’après ce savant, que les nerfs du 
même ordre qui viennent animer les organes de la res- 
piration, naissent de Ja moelle alongée. 

Lorsque les observateurs de la nature se multiplie- 
ront davantage; que les zoologistes ne se borueront 
plus à l’art des distinctions, à l’ Le des particularités 
de forme, à la composition arbitraire de genres tou- 
jours variables, à l’extension d’une nomenclature ja- 
mais fixée ; et qu’au contraire, ils s’occuperont d’étu- 
dier la nature , ses lois, ses moyens, et les rapports 
qu’elle a établis entre les systèmes d'organes particu- 
liers et les facultés qu’ils donnent aux animaux qui 
les possèdent; alors , les doutes, les incertitudes que 


14* 


212 INTRODUCTION, 


nous avons encore sur les points de l'échelle animale 
où commence chacune des facultés dont il s’agit, et 
sur l'unité de foyer et de siége de chaque système d’or- 
ganes, se dissiperont successivement; alors, enfin, les 
points essenliels de Ja Philosophie zoologique s’éclair- 
ciront de plus en plus, et la science obtiendra l’im- 
portance qu’elle peut avoir. 

En attendant, je erois avoir montré que les facultés 
animales, de quelque éminence qu’elles soient, sont 
toutes des phénomènes purement physiques ; que ces 
phénomènes sont les résultats des fonctions qu’exécu- 
tent les organes ou les appareils d'organes qui peuvent 
les produire ; qu’il n’y a rien de métaphysique , rien 
qui soit étranger à la matière, dans chacun d'eux; et 
qu'il ne s’agit, à leur égard, que de relations entre dif- 
férentes parties du corps animal et entre différentes 
substances qui se meuvent , agissent, réagissent et ac- 
quièrent alors le pouvoir de produire le phénomène 
observé. 

S'il en était autrement, jamais nous n’eussions eu 
connaissance de ces phénomènes; car chacun d’eux 
est un fait que nous ayons observé , et nous savons 
positivement que la nature seule nous présente des 
faits, et que ce n’est qu’à l’aide de nos sens que nous 
ayons pu connaître un pelit nombre de ceux qu’elle 
nous offre. 

Je crois avoir ensuite prouvé, qu’outre les facultés 
qui sont communes à tous les corps vivants, les ani- 
maux offrent, parmi eux, diflérentes sortes de facultés 
qui sont particulières à certains d’entre eux : elles ont 
donc des limites, ainsi que les organes qui les don- 
nent. 

Maintenant, i! est indispensable de montrer que les 
penchants des animaux sensibles, que ceux même de 
l’homme, ainsi que ses passions, sont encore des phé- 


INTRODUCTION: 213 


nomènes de l’organisation, des produits naturels et 
nécessaires du sentiment intérieur de ces êtres. Pour 
cela, je vais essayer de remonter à la source de ces pen- 
chants, et je tacherai d’analyser les principaux pro- 
duits de cetle source. 


214 INTRODUCTION. 


CINQUIÈME PARTIE. 


DES PENCHANTS, SOIT DES ANIMAUX SENSIBLES, SOIT DE 
L'HOMME MÈME, CONSIDÉRÉS DANS LEUR SOURCE, ET 
COMME PHÉNOMÈNES DE L'ORGANISATION. 


Dans ce qui appartient à la nature, tout est lié, 
tout est dépendant, tout est le résultat d’un plan 
commun, constamment suivi, mais infiniment varié 
dans ses parties et dans ses détails. L'homme lui-même 
tient, au moins par ur côté de son être, à ce plan gé- 
néral, toujours en exécution. Il est donc nécessaire, 
pour ne rien omeitre de ce qui est le produit de l’or- 
ganisation animée par la vie, de considérer ici séparé- 
meut, quelle est la source des penchants et même des 
passions dans les êtres sensibles en qui nous observons 
ces phénomènes naturels. 

Ainsi, comme on pourrait d’abord le penser , le su- 
jet de cette cinquième partie n’est nullement étranger 
au but que je me suis proposé dans cette Introduction; 
savoir : celui d’indiquer les faits et les phénomènes 
qui sont le produit de l’organisation et de la vie. Et 
dans cette partie, je dois considérer particulièrement 
les penchants des êtres sensibles, parce que ce sont des 
phénomènes d'organisation , des produits du senti- 
ment intérieur de ces êtres. 

Ayant été autorisé à dire que nous n’obtenons au- 
cune connaissance positive que dans la nature, parce 
que nous n’en pouvons acquérir de telles que par 


INTRODUCTION. 15 


l’observation, et que, hors de la nature, nous ne pou- 
vousrien observer, rien étudier, rien connaître de cer- 
lain, il s’ensuit que loul ce que nous connaissons 
positivement lui appartient et en fait essentiellement 
partie. 

Cela posé, je dirai, sans craindre de me tromper, 
que la nature ne nous offre d’observables que des 
corps ; que du mouvement entre des corps ou leurs 
parties; que des changements dans les corps ou parmi 
eux ; que les propriétés des corps ; que des phénomènes 
opérés par les corps et sur-tout par certains d’entre 
eux; enfin, que des lois immuables qui régissent par- 
tout les mouvements, les changements, et les phéno- 
mènes que nous présentent Jes corps, 

Voilà, selon moi, le seul champ qui soit ouvert à 
nos observauions, à nos recherches, à nos études; voilà, 
par suite, la seule source où nous puissions puiser des 
connaissances réelles, des vérités utiles. 

S'il en est ainsi, les phénomènes que nous obser- 
vons, de quelque genre qu’ils soient, sont produits 
par la nature, ont leur cause en elle seule , et sont 
tous, sans exceplion , assujettis à ses lois. Or, nous 
efforcer de remonter, par l’observation et l’étude, jus- 
qu’à la connaissance des causes.et des lois qui produi- 
sent Îes phénomènes que nous observons, en nous 
attachant particulièrement à ceux de ces phénomènes 
qui peuvent nous intéresser directement, est donc ce 
qu'il y a de plus important pour nous. 

Parmi les phénomènes nombreux et divers que nous 
pouvons observer, il en est qui doivent nous inté- 
resser particulièrement, parce qu’ils tiennent de plus 
près à notre manière d’être , à notre constitution orga- 
nique , el parce qu’en effet, ils ressemblent beaucoup 
à ceux de même sorte qui se produisent en nous et que 
nous tenons aussi de la nature par la même voie. Les 


216 !NTRODUCTION. 


phénomènes dont il s’agit, sont les peñchants des ani- 
maux sensibles, les passions mêmes qu’on observe 
parmi ceux qui sont intelligents dans certains degrés. 
Puisque ces phenomenes sont des faits observés, ils 
appartiennent à la nature, et :ls sont effectivement 
les procuits de ses lois, en un mot, du pouvoir qu’elle 
tient de son supréme auteur. Aussi, nous pouvons fa- 
cilement remonter jusqu’à la véritable source où ces 
phénomènes puisent leur origine et leur exaltation. 

Déjà, je puis dire avec assurance que les penchants 
des animaux sensibles, et que ceux plus remarquables 
encore des animaux intelligents, sont des produits 
immédiats du sentiment intérieur de ces êtres. Or, le 
sentiment intérieur dont il s’agit, étant évidemment 
une dépendance essentielle du système organique des 
sensations , les penchants observés dans les êtres doués 
de ce sentiment intérieur, sont donc de véritables pro- 
duits de l’organisation de ces êtres. 

Ainsi, l'ignorance de ces vérités positives pourrait 
seule faire regarder comme étrangers à mon sujet, les 
objets dont je vais m'occuper. 

Laissant à l'écart ce que l’homme peut tenir d’une 
source supéricure , et ne voulant considérer er lui que 
ce qu'il doit à la nature , il me paraît que ses penchants 
généraux, qui influent si puissamment sur ses actions 
diverses, sont aussi de véritables produits de son or- 
ganisation , c’est-à-dire du sentiment intérieur dont 
il est doué ; sentiment qui l’entraîne à son insu, 
dans un grand nombre de ses actions. I] me semble, 
en outre, que ces passions, qui ne sont que des exal- 
tations de ceux de ses penchants naturels auxquels il 
s’est imprudemment abandonné , tiennent d’une part 
à la nature, et de l’autre à la faible culture de sa 


raison, qui alors lui fait méconnaître ses véritables 
intérêts. 


INTRODUCTION. 217 


S' je suis fondé dans cette opinion. il sera possible 
de remonter à la source des penchants et des passions 
de l’homme, et de prévoir dans chaque cas considéré, 
le fond principal des actions qu’il doit exécuter : il 
suffira pour cet objet de faire une analyse exacte de 
ses penchants divers. 

Mais, pour parvenir à montrer l’existence d’un 
ordre de choses, qui ne paraît pas avoir encore attiré 
noire altention, je ne dois pas anticiper les considé- 
rations propres à le faire connaître. Ainsi, remarquant 
que la source des penchants de l’homme est tout-à-fait 
la même que celle des penchants des animaux sensi- 
bles , je vais d’abord déterminer cette source , ainsi que 
ses produits, dans les animaux en question; je montre- 
rai ensuite qu’elle se retrouve dans l’homme , et qu'en 
lui ses résultats sont plus éminemment prononcés, et 
infiniment plus sous-divisés. 


$ I. SOURCE DES PENCHANTS ET DES ACTIONS DES 
ANIMAUX SENSIBLES. 


Par une loi de la nature, tous les êtres sensibles et 
qui, conséquemment, jouissent de ce sentiment inté- 
rieur et obscur qu’on a nommé sentiment d'existence, 
tendent sans cesse à se conserver, et par là sont irré- 
sistiblement assujettis à un penchant éminent qui est 
la source première de toutes leurs actions: je le 
nomme : 


Penchant à la conservation. 


Ici, je me propose de montrer que c’est uniquement 
à ce penchant général, qu’il faut rapporter la source 
de toute action quelconque de ceux des animaux qui 
jouissent de la faculté de sentir. 


218 INTRODUCTION. 


Pour atteindre mon but, je dois rappeler la hiérar- 
chie des facultés des animaux sensibles, afin de re- 
trouver dans chaque cas considéré, ce que le penchant 
cité peut produire. 

Les observations déià exposées nous obligent à re- 
connaître que, parmi les animaux dont je parle : 


19 Les uns sont bornés au sentiment, et ne possè- 
dent l'intelligence dans aucun degré quelconque; 


2° Les autres, plus perfeclionnés , jouissent à la fois 
de la faculté de sentir, et &e celle d’exécuter des 
actes d'intelligence dans différents degrés. 


Les uns et les autres, jouissant du sentiment , peu- 
vent donc éprouver la douleur; or, il est facile de 
faire voir que, dans ses différents degrés, la douleur 
est pour eux un mal-étre qu’ils doivent fuir, et que la 
nécessité de fuir ce mal-être, est la cause réelle qui 
donne naissance au penchant en question. 

En eflet, pour tout individu qui jouit de la faculté 
de sentir la souffrance, dans sa faible intensité, soit 
vague, soit particulière , produit ce qu'on nomme le 
mal-étre , et ce n’est que lorsque laflection éprouvée 
est vive ou jusqu’à un certain point exaltée, qu’elle 
reçoit le nom de douleur. 

Ainsi, puisque depuis le plus faible degré de la 
douleur, jusqu’à celui où elle est la plus vive, le mal- 
étre lèse ou compromet en quelque chose l'intégrité de 
sa conservalion, tandis que le bien-être seul la favo- 
rise, l'individu sensible doit donc tendre sans cesse à 
se soustraire au mal-être, et à se procurer le bien-être; 
enfin, le penchant à la conservation, qui est naturel 
dans tout individu doué du sentiment de son exis- 
tence, reçoit donc nécessairement de cette tendance 
toute l'énergie qu’on lui observe : cela me paraît in- 
contestable. 


INTRODUCTION. | 219 


J'avais d’abord pensé que le penchant à la propaga- 
tion auquel tous les êtres sensibles paraissent assujettis, 
élait aussi un penchant isolé, comme celui à la con- 
servalion, el qu'il constituait la source d’un autre 
ordre de penchants particuliers. Mais depuis, ayant 
remarqué que ce penchant est temporaire dans les in- 
dividus, et qu’il est lui-même un produit de celui à 
la couservation , jai cessé de le considérer séparément, 
et je ne le mentionnerai que dans l’analyse des détails. 

En effet, à ur certain terme du développement d’un 
individu, l’organisation , graduellement préparée pour 
cet objet, amène en lui par des excitations intérieures, 
provoquées en général par d’autres externes, le besoin 
d’exécuter les actes qui peuvent pourvoir à sa repro- 
duction et par suite à la propagation de son espèce. Ce 
besoin produit dans cet individu un mal-être obscur, 
mais réel, qui l’agite ; enfin, en y satisfaisant, il 
éprouve un bien-être éminent qui l’y entraîne. Le pen- 
chant dont il s’agit est donc un véritable produit de 
celui à la conservation, 

Maintenant, pour éclaircir le sujet intéressant que 
je traite, Je rappellerai ce que j'ai déjà établi ; savoir : 
qu'il y a différents degrés dans la composition de l’or- 
ganisation des animaux, ainsi que dans le nombre et 
l’éminence Ge leurs facultés, et qu’il existe à l’égard 
de ces facultés, une véritable hiérarchie. Cela étant, 
je dis qu’il est facile de concevoir : 

1° Que les animaux assez imparfaits pour ne pas 
posséder la faculté de sentir, n’ont aucun penchant en 
eux-mêmes, soit à la conservation, soit à la propa- 
galion, et que la nature les conserve, les multiplie et 
les fait agir par des causes qui ne sont point en eux ; 

2° Que les animaux qui sout bornés à ne posséder 
que le sentiment, sans avoir aucune faculté d'intelli- 
gence, sont réduits à fuir la douleur sans la craindre, 


220 INTRODUCTION. 


et n’agissent alors que pour se soustraire au mal-être 
lorsqu'ils l'éprouvent ; 

3° Que les auimaux qui jouissent à la fois de la fa- 
culté de sentir , et de celle de former des actes d’intel. 
ligence , non-senlement fuieut-la douleur et le mal- 
être, mais en outre, qu'ils les craignent; - 

4° Que l’homme , considéré seulement dans les 
phénomènes que l’organisalion produit en lui, non- 
seulement fuit et craint la douleur, amsi que le mal- 
être, mais en outre, qu'il redoute la mort; parce qu’il 
est très probable qu’il est le seul être intelligent qui 
l'ait remarquée, et qui conséquemment la connaisse. 


Les choses me paraissant être ainsi, voici les dis- 
tinctions que je crois pouvoir établir à l’égard de la 
source des actions des différents animaux, et de celle 
des penchants observés dans un grand nombre de ces 
êtres. 


Animaux apathiques. 


Dans les animaux apathiques , c’est-à-dire , dans les 
animaux qui ne jouissent point du sentiment, il n’y 
a aucun penchant réel, pas même celui à la.conserva- 
tion. 

Tout penchant est nécessairement le produit d'un 
sentiment intérieur. Or , ne jouissant point de ce sen- 
timent, aucun penchant ne saurait se manifester en 
eux. 

Ces animaux possèdent seulement la vie animale, 
ainsi que des habitudes de mouvements et d’actions 
qu'ils tiennent d’excitations extérieures. Enfin, les 
habitudes , les mouvements et les actions ne sont va- 
riés, dans ces différents animaux, que parce que les 
fluides étrangers qui excitent en eux la vie et les mou- 
vements, se sont frayés des routes diverses dans leur 


Me INTRODUCTION. 221 


intérieur, conformément à l’état de leur organisation 
et à celui de la conformation particulière de leurs corps. 

À l’aide de ces causes et des facultés qui sont géné- 
ralement le propre de la vie, la conservation des indi- 
vidus pendant une durée relative à leur espèce , et leur 
reproduction, sont assurées. | 


Animaux bee 


Dans les animaux sensibles , et que je nomme ainsi, 
parce qu’ils sont bornés à ne posséder que le sentiment : 
sans aucune faculté d'intelligence, il-existe un pen- 
chant à la conservation de leur être, parce qu'ils pos- 
sèdeut un sentiment intérieur qui le produit et qui 
les fait agir lorsque des besoins le sollicitent. Or, 
comme tout besoin est un mal-être jusqu’à ce qu’il 
soit satisfait, le penchant à la conservation, dans ces 
animaux, ne se fait ressentir que temporairement, 
c’est-à-dire, qu'aux époques où des besoins se manifes- 
tent et provoquent des actions directes, 

Ainsi, dans les animaux sensibles, le penchant à la 
conservalion ne produit en eux qu’ un penchant seconi- 
daire, celui qui les porte à fuir le mal-étre, lorsqu'ils 
l’éprouvent. 

Ge peuchant à fuir le mal-être les porte, par le sen- 
timent intérieur : 


10 À fuir la douleur, lorsqu'ils la ressentent; 


29 À chercher et saisir leur nourriture, lorsqu’ ils 
en éprouvent le besoin ; 


30 À exécuter des actes de fécondation, lorsque leur 
organisation les y sollicite ; 

4° A rechercher des situations douces, des abris, 
etc.; el s’ils se préparent des moyens favorables à 
leur conservation, ce n’est uniquement que par 


222 INTRODUCTION. 


des habitudes d’actions que le besoin d'éviter le 
mal-être leur a fait prendre, selon les races. 


Dans les animaux sensibles, le penchant à fuir le 
mal-être paraît être le seul produit du pe nchaut à la 
conservation ; néanmoins , l'amour de soi-même existe 
déjà; mais il se confond encore avec le premier, et ce 
n’est que dans les animaux suivants qu'il devient dis- 
unct. 


Animaux intelligents. 


Je nomme animaux intelligents, ceux qui, plus 
perfectionnés que les animaux sensibles, jouissent à la 
fois de la faculté de sentir et de celle d'exécuter des 
actes d’intelligence dans certains degrés. 

Dans ces animaux, le penchant à la conservation ne 
se borne pas seulement à produire un seul penchant 
secondaire distinct, celui de fuir le mal-être et la 
douleur ; l'intelligence qu'ils possèdent, quoique plus 
ou moins limitée , selon les races et leurs classes , leur 
donne une idée de la douleur et du mal-être, les porte 
à les craindre, à en prévoir la possibilité, et leur 
fournit en même temps des moyens variés pour les évi- 
ter et pour s’y soustraire. Il en résulle que ces mêmes 
animaux peuvent varier leurs actions, et qu’en eflet, 
différents individus de la même espèce parviennent 
souvent à satisfaire leurs besoins par des actions qui ne 
sont pas constamment les mêmes, ainsi qu'on le re- 
marque dans les animaux sensibles. 

Malgré cela, j'ai observé que les animaux mêmes 
dont l’organisation approche le plus de cellede l’homme, 
et qui, par là, peuvent atteindre à un plus haut degré 
d'intelligence que les autres, n’acquièrent, en général, 
qu’un petit nombre d'idées, et ne tendent nullement 
à en augmenter le cercle. Ce n’est que par les difficultés 


INTRODUCTION. 293 


qu’ils rencontrent dans l’exécution de leurs actions 
directes, que se trouvant alors forcés d’en produire de 
nouvelles et d’indirectes pour parvenir à leurs fins, ces 
animaux portent leur attention sur de nouveaux objets, 
augmentent le nombre de leurs idées, et varient d’au- 
tant plus leurs actions, que les difficultés qui les y 
contraignent sont plus grandes et plus nombreuses. 

Par cet état de choses à leur égard , les penchants 
secondaires de ces animaux sont au nombre de trois, et 
se montrent très distincts; en voici l’indication : 

Le penchant à la conservation, source de tous les 
autres, produit dans les animaux intelligents : 


10 Une tendance vers le bien-être: 
20 Un amour de soi-même ; 
3° Un penchant à dominer. 


Pour analyser succinctement et successivement cha- 
cun de ces penchants secondaires et montrer leurs 
sous-divisions, voici ce que j'aperçois. 


Tendance vers le bien-être. 


La tendance vers le bien-être est d’un degré plus 
élevé que celle qui ne porte à fuir le mal-être que dans 
le cas seulement où on l’éprouve; cette dernière n’en 
supposant point l’idée ou la connaissance. 

Ainsi, par leur sentiment intérieur, les animaux 
intelligents sont constamment entraînés vers la re- 
cherche du bien-être, c’est-à-dire , à fuir ou éviter le 
mal être, et à se procurer les jouissances qu’ils éprouvent 
en satisfaisant à leurs besoins. Ils n’ont point d’atta- 
chement à la vie, parce qu'ils ne la connaissent point; 
ils ne craignent point a mort, parce qu'ils ne l’ont pas 
remarquée, et qu à la vue d’un cadavre, ils n’ont pas 
remonté, par la pensée, jusqu'aux causes qui l'ont 


224 INTRODUCTION. 


privé de vie et de mouvement; mais ils ont tous une 
tendance vers le bien-être, parce qu'ils ont joui, et 
prévoient le danger d’être exposés au mal-être, parce 
qu'ils ont supporté des privations ou des souflrances 
dans quelques degrés. On sait assez que le lièvre qui 
aperçoit un chasseur, que l’oiseau qui s'envole à l’ap- 
roche d’un homme portant une arme à feu, fuient 
alors le danger d’éprouver le mal-être ou la douleur, 
avant de le ressentir. 
La tendance vers le bien-être porte donc les animaux 
intelligents : 


* Par le sentiment intérieur seul : 


10 À se soustraire à la douleur et à tout ce qui les 
gène ou les incommode ; 

0 À rechercher les situations douces, avantageuses, 
les abris et le soleil dans les temps froids, l’ombre 
et le frais dans les temps chauds, etc., etc.; 

30 A satisfaire le besoin de se nourrir, quelquefois 
même avec voracilé, soit par l'attrait qu'ils y 
trouvent, soit par l’inquiétude de manquer en- 
suite d’aliments; 

4° À se livrer aux actes de la fécondation, ou à en 
rechercher avec ardeur les occasions, lorsque leurs 
besoins provoqués les y sollicitent ; 

50 À prendre du repos et sommeiller, lorsque leurs 
autres besoins sont satisfaits. 


** Par l'intelligence , stimulée par leur sentiment 
intérieur : 


19 À chasser la proie, la guetter avec patience, lui 
tendre des piéges ; 
20 À employer des moyens nouveaux et variés , selon 


INTRODUCTION, 225 


les circonstances, pour satisfaire chacun de leurs 
besoins ; 


30 A la poltronnerie ou à la lâcheté, lorsqu’ ils sont 
faibles, par suite d’une crainte excessive de la 
douleur; 

4° A se préserver des dangers au moyen de diffé- 
rentes ruses, 


Amour de soi-même. 


L'amour de soi-méme se manifeste, dans les animaux 
intelligents, par un égoïsme individuel qui se fait 
souvent remarquer en eux; il les porte : 


* Par le sentiment intérieur seul : 


10 À ne donner leur attention qu’aux objets relatifs 
à leurs besoins; ce qui borne, en général, leurs 
idées à un irès petil nombre ; 

20 À s'emparer de la proie des autres, s'ils sont les 
plus forts; 

3° À chasser ou combattre les autres animaux qui 
approchent de leur femelle ou de celle qu’ils con- 
voitent ; 

4° A se préférer à tout autre, lorsqu'il s’agit de se 
procurer la jouissance d’un avantage quelconque. 


** Par l'intelligence , et à la fois par le sentiment 
intérieur : 


19 À l’attachement pour leur bienfaiteur, par un 
sentiment d'intérêt individuel; attachement qu’ils 
lui témoignent par leur confiance, leur douceur, 
leurs caresses, leur fidélité, et en conservant le 
souvenir de ses bienfaits; 


Tone 1. 15 


526 INTRODUCTION. 


20 À la jalousie envers les autres animaux et sur- 
tout envers ceux qui approchent leur bienfaiteur 
ou leur maître, lorsqu'ils en sont bien traités et 
qu’ils sont heureux; considérant en quelque sorte 
ce maître comme une propriété qu’ils possèdent ; 

30 A la haine envers ceux qui leur ont nui ou les 
ont maltraités; haine qu'ils témoignent quelque- 
fois par des vengeances retardées. 


Penchant à dominer. 


Enfin, le penchant à dominer , troisième et dernier 
de leurs penchants secondaires, se montre clairement 
dans les animaux doni il s’agit, et les porte : 


* Par le sentiment intérieur seul : 


1° À quereller, chasser ou combattre les autres, 
lorsqu'ils sont les plus forts ou qu’ils se croient 
soutenus ; 

20 À poursuivre et allaquer ceux qui fuient; à 
battre et même tuer ceux qu’une grande faiblesse, 
un accident ou une blessure, ont mis hors d'état 
de se défendre; et le tout, sans autre besoin à sa- 
tüsfaire que le penchant en question. 


** Par le sentiment intérieur et l'intelligence : 


1° À Ja fierté, et même à une espèce de vanité qu'ils 
témoignent par leur port et leur regard, lorsqu'ils 
se trouvent bien traités, bien nourris, et dans 
un état de bien-être habituel ; 

2 À une espèce de mépris et de haine pour les 
autres individus malheureux, pour ceux qui ont 
un aspect misérable, pour ceux qui sont sans 
puissance, sans autorité, etc., etc. 


INTRODUCTION:+ 227 


S'il n’était entré dans mon plan de resserrer le plus 
possible l’étendue de cette cinquième partie, j'aurais 
ajouté à ces expositions les faits connus et celles de mes 
observations qui établissent le fondement des penchants 
que j’attribue à beaucoup d’animaux; mais il me suffit 
de montrer que ces penchants sont évidents et peuvent 
être facilement constatés. Ainsi, lorsque l’on voudra 
s'occuper de ces objets, il sera difficile de ne pas re- 
connaître : 


1° Que les animaux apathiques n’ont et ne sauraient 
avoir aucune sorte de penchant par eux-mêmes, parce 
qu'ils ne possèdent aucun sentiment intérieur ; 

2° Que les animaux sensibles n’ont qu’un ou deux 
penchants secondaires; parce que ces animaux, dé- 
pourvus de facultés d’intelligence, re sauraient varier 
leurs actions, et qu’ils n’ont que des habitudes qui 
sont constamment les mêmes dans tous les individus 
des mêmes espèces ; 

30 Que les animaux intelligents ont trois penchants 
secondaires assez distincts, qui se sous-divisent en 
plusieurs autres: parce qu'ayant des facultés d’intelli- 
gence, ils peuvent varier leurs actions, lorsque des 
difficultés, pour satisfaire à leurs besoins, les y con- 
trargnent. 


Néanmoins, l'analyse des penchants, soit des ani- 
maux sensibles, soit des animaux intelligents, est 
nécessairement très bornée; car les besoins essentiels 
des uns et des autres ne sont pas nombreux ; et comme 
les plus perfectionnés de ces animaux ne donnent leur 
attention qu'aux objets relatifs à leurs besoins essen- 
Uels, ils n’acquièrent, en général, qu’un petit nombre 
d'idées, et ne sauraient offrir beaucoup de diversité 
dans leurs penchants. 

Il n’en est pas de même de l’homme, vivant en 


12* 


228 INTRODUCTION. 


société : tendant toujours à étendre ses jouissances et 
ses désirs, il s’est créé peu à peu une multitude de 
besoins divers , étrangers à ceux qui lui étaient essen- 
tiels. Enfin , observant tout ce qui peut lui être utile, 
tout ce qui est relatif à ses nombreux intérêts, à ses 
jouissances variées et croissantes, il a muliplié, par 
là, ses idées presqu’à l’infini. Il en est résulté que ses 
penchants, les mêmes dans leur source que ceux des 
animaux sensibles et des animaux intelligents, offrent, 
non dans tous les individus, mais en raison des cir- 
constances où chacun d’eux se rencontre, une diversité 
et des sous-divisions presque sans terme. 

Essayvons, cependant, d’exposer les principaux des 
penchants de l’homme, de montrer leur véritable 
source , et d'établir les bases de leur hiérarchie, c’est- 
à-dire, les premières divisions sur lesquelles cette 
dernière repose, 


$ II. SOURCE DES PENCHANTS, DES PASSIONS ET DE LA 
PLUPART DES ACTIONS DE L'HOMME. 


L’homme ne doit pas se borner à observer tout ce 
qui est hors de lui, tout ce qu’il peut apercevoir dans 
Ja nature; il doit aussi porter son attention sur lui- 
même , sur son organisation, sur ses facultés, ses pen- 
chants, ses rapports avec tout ce qui l’environne. 

Au moins, par une partie de son être, il tient tout- 
à- fait à la mature, et se trouve, par là, entièrement 
assujetti à ses lois. Elle lui donne, par celles qui ré- 
gissent son sentiment inlérieur, des penchants généraux 
et d’autres plus particuliers. Il ne saurait entièremert 
surmonter les premiers; mais, à l’aide de sa raison et 
de son intérêt bien saisi, il peut, soit modifier, soit 
diriger convenablement les autres. Enfin, ceux de ses 
penchants auxquels il se laisse aller entièrement, se 


INTRODUCTION, 229 


changent alors en passions qui le subjuguent , et qui 
dirigent malgré lui toutes ses actions. 

À mesure que l’homme s’est répandu dans les diffé- 
rentes contrées du globe, qu’il s’y est multiplié, qu'il 
s’est établi en société avec ses semblables, enfin, qu'il 
fit des progrès en civilisation, ses jouissances, ses désirs 
et, par suite, ses besoins, s’accrurentet se multiplièrent 
singulièrement; ses rapports avec les autres individus 
et avec la société dont il faisait partie, varièrent, en 
outre, et compliquèrent considérablement ses intérêts 
individuels. Alors, les penclants qu’il tient de la na- 
ture, se sous-divisant de plus en plus comme ses nou- 
veaux besoins, parvinrent à former en lui et à son insu, 
une masse énorme de liens qui le maîtrisent presque 
partout, sans qu’il s’en aperçoive. 

Il est facile de concevoir que ces penchanis particu- 
liers et ces intérêts individuels si variés, se trouvant 
presque toujours en opposition avec ceux des autres 
individus, et que les intérêts des individus devant 
toujours céder à ceux de la société, il en résulte néces- 
sairement un conflit de puissances contraires, auquel 
les lois, les devoirs de tout genre, les convenances 
établies par l’opinion régnante, et la morale même, 
opposent une digue trop souvent insuffisante. 

Sans doute, l’omme naît sans idées, sans lumières, 
ne possédant alors qu'un sentiment intérieur et des 
penchants généraux qui tendent machinalement à 
s'exercer. Ce n’est qu'avec le temps et par l'éducation, 
l'expérience , et les circonstances dans lesquelles il se 
rencontre, qu'il acquiert des idées et des connais- 
sances. 

Or, par leur situationetla condition où ils se trouvent 
dans la société, les hommes n’acquérant des idées et 
des lumières que très inégalement, l’on sent que celui 
d’entre eux qui parvient à en avoir davantage, en 


230 INTRODUCTION. 


obtient es moyens pour dominer les autres; et l’on 
sait qu'il ne manque jamais de Île faire. 

Mais, parmi les hommes qui ont acquis beaucoup 
d'idées et qui ont beaucoup fréquenté la société de 
leurs semblables, le conflit d'intérêt, dont j'ai parlé 
tout-à-l’heure, a fait faire à un grand nombre d’entre 
eux des efforts habituels pour contraindre leur senti- 
ment intérieur, pour en cacher les impressions, et a 
fini par leur donner le pouvoir et l’habitude de le 
maîtriser. L’on concoit , dès lors, combien ces indivi- 
dus l’emportent en moyens de domination et de succès, 
dans leurs entreprises à cet égard, sur ceux qui ont 
conservé plus de candeur. Aussi, pour ceux qui savent 
étudier l’homme, il est curieux d’observer la diversité 
des masques sous lesquels se déguise l’intérêt personnel 
des individus, selon leur état, leur rang, leur pou- 
voir, elc. 

Tel est le sommaire resserré des causes générales qui 
ont amené l’homme civilisé à l’état-où nous le voyons 
maintenant en £urope; élat où, malgré les lumières 
acquises, el même par elles, le plus faible en moyens 
se trouve toujours victime ou dupe de celui qui en 
possède davantage; état, enfin, qui asservit toujours 
J'immense multitude à la domination d’une minorité 
puissante. 

Dans cet état de choses, une seule voie peut nous 
aider à tirer de notre situation particulière le parti 
le plus avantageux pour nous; c’est, selon moi, la 
suivante. Nous étant fait, d’après la raison , la justice 
et la morale, un certain nombre de principes dont 
nous ne devons jamais dévier, nous devons ensuite 
nous eflorcer de reconnaître les penchants que l’omme 
a reçus de la nature, et étudier leurs différents pro- 
duits, dans les individus de son espèce, selon les cir- 
constances où chacun d’eux se trouve. Cette connais- 


INTRODUCTION. 231 


sance nous sera d’une grande utilité dans nos relations 
ayec eux. 

Ainsi, pour diriger notre conduite avec le moins de 
désavantage à l'égard des hommes avec qui nous sommes 
forcés de vivre ou d’avoir des rapports, nous nous 
trouverons obligés de les étudier, de remonter, autant 
qu’il est possible, à la source de leurs actions, et de 
cher de reconnaître la nature de celles qu’ils doivent 
exécuter selon les différentes circonstances de leur sexe, 
de leur âge, de leur situation, de leur état, de leur 
fortune ou 14 leur pouvoir; nous deyrons même consi- 
dérer, qu'à mesure qu’ils changent d’àge, de situation, 
d’état , de fortune ou de pouvoir, ils changent aussi 
constamment dans leur manière de sentir, d envisager 
les objets, de juger les choses,et qu'il en telle toujours 
pour eux des influences A tn tte qui régissent 
leurs actions. 

Mais, dans cette étude si difficile, comment parvenir 
à notre but, si nous ne connaissons point la part con- 
sidérable qu'ont, sur toutes les actions de l’homme, 
les penchants que la nature lui a donnés! 

C’est parce que cette connaissance essentielle m’a 
paru beaucoup trop négligée, que je vais essayer d’en 
esquisser les bases d’une manière extrêmement suc- 
cincte. D'ailleurs, les objets que je vais considérer 
ayant élé envisagés jusqu’à présent comme formant 
l’unique domaine du moraliste, la part évidente qui, 
à l'égard de ces objets, appartient au naturaliste, ne 
fut point suffisamment reconnue. Or, c’est cette part 
seule que je revendique ; et qui m’autorise à présenter 
les bases suivantes de l’analyse à faire des penchants 
de l’Aomme dans l’état de civilisation. 


233 INTRODUCTION. 


PRINCIPAUX PENCHANTS DE L'HOMME, RAPPORTÉS A 
LEUR SOURCE, DONNANT NAISSANCE À SES PASSIONS 
LORSQU'IL S'Y ABANDONNE, ET DEVANT SERVIR DE 
BASE A L’ANALYSE A FAIRE DE TOUS CEUX QU'ON 
OBSERVE EN LUI. 


L'homme, comme tous les autres êtres sensibles, jouis- 
sant d’un sentiment intérieur qui, par les émotions 
qu'il peut éprouver, le fait agir immédiatement et 
machinalement, c’est-à-dire, sans la participation de 
sa pensée, a aussi recu de la nature, par cette voie, 
un penchant impérieux qui est la source de tous ceux 
auxquels on le voit, en général, assujetti. Ce sentiment 
interne qui l’entraîne sans qu’il s'en apercçoive, est : 


Le penchant à la conservation. 


Le penchant à la conservation de son être est, pour 
tout individu doué du sentiment de son existence, le 
plus puissant, le plus général et le moins susceptible 
de s’altérer. Or, ce penchant en produit quatre autres 
qui sont pareillement communs à tous les individus 
de l’espèce humaine, qui agissent comme lui sans dis- 
continuilé, et qui subissent le moins de changements 
dans le cours de la vie. Mais, ceux-ci donnent lieu à 
une énorme diversité de penchants particuliers, subor- 
donnés les uns aux autres, et dont l’enchaînement 
hiérarchique, dans l’homme , est si difhcile à saisir. Le 
penchant à la conservation dont il s’agit, ne saurait 
nous nuire en rien par lui-même; il ne peut, au con- 
traire, que nous être utile. Ce n’est qu’à l'égard de 
ceux qu’il fait naître en nous, selon les circonstances, 
que nous devons nous efforcer de reconnaître, parmi 
ces derniers, ceux qui peuvent nous entraîner à des 


INTRODUCTION, 233 


écarts nuisibles à nos vrais intérêts, el tâcher de les 
maîtriser, et de les diriger vers ce qui peut nous être 
avantageux. 

Il n’est pas d’un intérêt médiocre pour nous, de 
considérer que le penchant à la conservation , auquel 
tout homme est assujetti, produit immédiatement et 
entretient en lui, en tout temps, quatre sentiments'in- 
ternes, très puissants, €’est-à-dire, quatre penchants 
secondaires qui le dominent sans qu’il s’en apercçoive, 
et l’entraînent, à son insu, dans presque toutes ses ac- 
tions, selon que les circonstances y sont favorables. 
L'homme n’a sur eux, par sa raison, que le pouvoir 
d’en modérer les effets cu de les diriger vers ses vérita- 
bles intérêts, lorsqu'il parvient à les bien connaître. 

Ces quatre sentiments internes ou penchants secon- 
daires , qui sont généraux pour tous les individus de 
l’espèce humaine, sont : 


10 Une tendance vers le bien-être ; 

20 L’amour de soi-même ; 

30 Un penchant à dominer; 

4° Une répugnance pour sa destruction. 


Je suis persuadé que c’est à ces quatre penchants 
secondaires qu’il faut rapporter l’énorme diversité 
de penchants ou de sentiments particuliers, dont 
l'homme, vivant en société, offre des exemples dans 
ses actions, et qui prennent leur source, tantôt d’un 
seul des quatre cités, tantôt de plusieurs à la fois. Es- 
sayons de reconnaître les premiers produits des quatre 
penchanis dont il s’agit, et nous nous y bornerons. 


Tendance vers le bien-être. 


La tendance vers le bien-être existe chez nous géné- 
ralement, et concourt à notre conservation ou la favo- 


234 INTRODUCTION. 


rise. En effet, non-seulement elle entraîne la nécessité 
pour nous de fuir je mal-être , c'est-à-dire, d’éviter la 
souffrance, de quelque nature et dans quelque degré 
qu’ellesoit; mais, en outre, elle nous porte sans cesse 
à nous procurer l’état opposé, c’est-à-dire, le bien-être. 

Or, le bien-être n’est pas encore l’état où l’on serait 
borné à n’éprouver aucune sorte de mal-être; cet état 
même ne saurait exister pour l’homme, parce que ce 
dernier a toujours quelque désir et par conséquent 
quelque besoin non satisfait. Mais le bien-être se fait 
constamment ressentir en lui chaque fois qu’il obtient 

“une jouissance quelconque ; et certes, toute jouissance 
n’a lieu que lorsqu'on satisfait un besoin de quelque 
nature qu’il soit. On sait assez que, selon le degré 
d’exaltation du sentiment qu’on éprouve alors, on 
obtient ce qu’on nomme, soit de la satisfaction , soit 
du plaisir. 

Il résulte de ces considérations que , sur-lout pour 
l’homme, le bien-être ne saurait être un état cons- 
tant ; qu’il est essentiellement passager ; que l’homme 
l’obtient, en un degré quelconque, dans chaque jouis- 
sance, et qu’à cet égard il le perd nécessairement dans 
chaque besoin entièrement satisfait; qu’il en est de 
même du mal-être , quel que soit son degré; que ce 
mal-être ne saurail avoir une durée absolue ét uni- 
forme dans un individu, parce qu’il est toujours in- 
terrompu ou en quelque sorte suspendu par quelque 
genre de jouissance; qu’enfin , c’est de ces alternatives 
irrégulières de bien-étre et de mal-être que se compose 
la destinée de l’homme , selon les circonstances de sa 
situation dans la société, de ses rapports avec ses sem- 
blables, ou de son état physique et moral. 

Ainsi, notre tendance vers le bien-être, c’est-à-dire, 
vers les jouissances que nous éprouvons en satisfaisant 
à quelque besvin, non-seulement nous fait rechercher 


INTRODUCTION, 235 


les sensations et les situations qui nous plaisent et qui 
sont l’objet de nos désirs, mais elle nous porte aussi à 
nous soustraire aux peines de l'esprit , à tout ce qui 
nous inquiète ou afflige notre pensée, en un mot, à 
tout ce qui pourrait compromettre notre satisfaction 
ou notre tranquillité intérieure, et par conséquent à 
nous procurer l’état moral opposé; il faut donc la di- 
viser : 

10 En tendance vers le bien-être physique ; 

20 En tendance vers le bien-être moral. 


Tous les penchans particuliers qui sont les résultats 
de chacune de ces deux tendances, sont très faciles à 
déterminer, sur-tout si l’on distingue, de part et d’au- 
tre, ceux qui naissent des besoins, soit donnés par la 
nature, soit que nous nous sommes formés, de ceux 
qui proviennent de l’attrait que nous avons pour dif- 
férentes choses , autre sorte de besoins à satsfaire. 
Ainsi , ii est facile de reconnaître que: | 

D’une part , notre tendance vers le bien-être physt- 
que fait naître en nous , selon les circonstances : 


19 Le besoin de satisfaire la faim, la soif, lors- 
qu’elles se font ressentir; de fuir la douleur, les sen- 
sations nuisibles ou désagréables, et tout ce qui in- 
commode ; de nous soustraire aux souffrances , aux 
maladies, à tout mal-être physique ; d’exécuter, à la 
suite d’excitations intérieures provoquées, les actes 
qui peuvent pourvoir à la propagation des indivi- 
dus, etc.; 

29 L’attrait pour les sensations agréables, les plaisirs 
des sens, la volupté; d’où résultent les plaisirs de la 
tabie, le goût pour la mollesse, les situations douces et 
riantes, etc. ; enfin, l’amour sensuel, etc., etc. 


D'une autre part, notre tendance vers le bien-étre 
moral fait naître en nous : 


236 iINTRODUCIION. 


10 Le besoin de satisfaire tous les genres de désir 
qui sont à notre portée; d'éviter les idées désagréables 
ou affligeantes, de nous y soustraire ; d'acquérir des 
connaissances usuelles; de maîtriser nos émotions in- 
térieures, nos penchants nuisibles; de jouir d’une 
satisfaction intérieure ; 

20 L’attrait pour la liberté , l'indépendance ; pour 
les idées agréables, la variété, les merveilles; pour les 
jouissances de l'esprit, de la pensée; pour des objets 
d'agrément de divers genres, ele., etc. 


Amour de soi-méme. 


L’amour de soi-méme, ou l'intérêt personnel, est le 
second produit du penchant à la conservation. C’est 
un sentiment généralement inhérent en nous, qui con- 
court à notre conservation en nous la faisant aimer, 
et qui ne saurait nous nuire par lui-même , mais seu- 
lement par ceux de ses produits que la raison n’a pas 
su modérer. Pour commencer son analyse, il faut 
considérer ses résultats généraux : 

19 Par le sentiment intérieur seul ; 

20 Par le sentiment intérieur et la pensée libre ; 

30 Par le sentiment intérieur et la pensée réglée par 
la raison. 

Par le sentiment intérieur seul, l'amour de soi- 
même, selon les circonstances, doune lieu : 

10 À des mouvements involontaires qui s’exécutent 
sans préméditation ; tels que ces tressaillements à un 
grand bruit inattendu; ces mouvements qui font fuir 
un danger subit et imminent; ceux qui nous font dé- 
tourner nombre de fois dans une rue ou une prome- 
nade remplie de monde, sans y donner attention; 

20 À des faiblesses ; telles que de la frayeur à l'ap- 


INTRODUCTION, 237 


proche ou à l’arrivée d’un danger; de la lâcheté dans 
les entreprises périlleuses ; de la timidité devant tout 
ce qui en impose ; des manies de divers genres qu’une 
habitude irréfléchie fait contracter; 


30 À des aversions ou à des affections ; savoir : à 
l’aversion pour tout ce qui nous nuit ou nous est con- 
traire ; source de la haine : à l’affection, au contraire, 
pour tout ce qui nous sert, nous ressemble morale- 
ment, et partage nos goûts; source de l'amitié. 

Par le sentiment intérieur et la pensée libre, c’est-à- 
dire, la pensée que la raison ne contraint à aucune 
mesure , l’amour de soi-même, selon les circonstances, 
donne lieu, soit à deux sentiments désordonnés, soit 
à une force d'action sans limites. 

Ainsi, par les voies que je viens de citer, l’amour de 
soi-même fait naître en nous, selon les circonstances, 
les deux sentiments désordonnés suivants; savoir : 

1° L'amour-propre qui nous porte à être salisfait 
de nos qualités personnelles, et à nous persuader que 
nous inspirous aux autres une opinion aVaniageuse de 
nous. 


On sait assez que, parmi les produits de ce sentiment, 
il faut compter celui qui nous porte à n’être jamais 
mécontent de notre esprit, de notre jugement, de notre 
intelligence; celui qui fait que nous prétendons poser 
la limite des connaissances où les autres peuvent par- 
venir ; d’après celle que notre degré d'intelligence et 
nos Connaissances propres tracent pour nous; celui 
enfin, qui fait que nous ne cherchons dans les ou- 
vrages des autres, que no05 opinions, ou ce qui nous 
flatte. Parmi ces produits excessifs, on sait encore qu’il 
faut compter la vanité, l’ostentation, la suffisance, l’or- 
gueil, en un mot, l'envie envers ceux qu’un vrai mé- 
rite distingue; 


233 INTRODUCTION. 


2° L'égoïsme qui se distingne de l’amour-propre en 
ce que l'individu égoïste n’a aucun égard à l'opinion 
qu’on a de lui, et ne voit en tout que lui-même, et 
que son intérêt, presque toujours mal jugé. 

On sait que ce sentiment désordonné donne lieu à 
l’avarice, à la cupidité, à la passion du jeu, etc.; nous 
entraîne à ne connaîlre d’autre justice que notre inté- 
rêt personnel; à faire au besoin, un accommodement 
avec les principes; et nous porte en outre , à la con- 
servation des préventions qui sont dans notre intérêt, 
à l’indiflérence envers tout ce qui nous est étranger, 
à la dureté, l’insensibilité à l'égard des peines, des 
souffrances et des malheurs des autres, etc., etc. 

Par les mêmes voies citées, l’amour de soi-même 
donne lieu quelquefois , à une force d’action qui sem- 
ble sans mesure; telle que l’audace, la témérilé même 
de celui qui, animé par un grand intérêt, sans examen 
des périls, s’y précipite aveuglément, et souvent sans 
nécessité. 

Par le sentiment intérieur et la pensée dirigée par la 
raison , l'amour de soi-même, alors parfaitement réglé, 
donne lieu à ses plus importants produits; savoir : 


10 À la ferce qui constitue l’homme laborieux, que 
la longueur et les difficultés d’un travail utile ne re- 
butent point, 


20 Au courage de celui qui, ayant la connaissance 
du danger, s’y expose néanmoins lorsqu'il sent que cela 
est nécessaire ; 


30 À L'amour de la sagesse. 


Or, ce dernier, qui seul constitue la vraie philoso- 
phie, distingue éminemment l’homme qui, dirigé par 
ce que l’observation , l’expérience, et une méditation 
habituelle lui ont fait connaître, n’emploie dans ses 


INTRODUCTION: 239 


actions, que ce que la justice et la raison lui conseillent. 
Ce qui le porte : 

10 À l’amour de la vérité en toute chose ,; et à l’ac- 
quisition de nouvelles connaissances posiliveset detout 
genre, afin de rectifier de plus en pius ses jugements; 

2° À fuir partout et en tout les extrêmes; 

30 À la modération dans ses désirs, et à une sage 
retenue dans ses besoins non essentiels; 

4° À la mesure dans toutes ses actions, et à l’éloi- 
gnement pour toute affectation quelconque ; 

50 À la conservation des convenances partout ; 

6o À l’indulgence, la tolérance, l’humanité, et Ja 
bonté envers les autres; 

7° À l’amour du bien public et de tout ce qui est 
utile à ses semblables; 

80 Au mépris de la mollesse, et à une espèce de 
dureté envers lui-même , qui le soustrait à cette mul- 
titude de besoins factices qui asservissent ceux qui s’y 
livrent ; 

9° À la résignation, et s’il est possible à l’impassi- 
bilité morale dans les souffrances, les revers, les in- 
justices , les oppressions, les pertes, etc.; 

100 Au respect pour l’ordre, les institutions pu- 
bliques, les autorités, les lois, la morale, en un mot, 
Ja religion. 


La pratique de ces dix maximes caractérise la vraie 
philosophie, soustrait l’homme aux produits désor- 
donnés de ses penchants, aux passions qui peuvent 
l’agiter , et lui donne la dignité à laquelle il est le seul, 
parmi les êtres intelligents, qui puisse atteindre. 


Penchant à dominer. 


Le penchant à dominer est le troisième de ceux qui 
résultent de notre penchant à la conservation. Il est 


240 INTRODUCTION, 


constant en général dans tous les sommes, se manifeste 
même dès leur enfance, et agit sans cesse à leur insu. 
Ce penchant provient de ee qu’ils sentent intérieure- 
ment que , plus ils l’emportent sur les autres en quel- 
que chose, plus aussi ils en obtiennent de moyens 
pour favoriser leur bien-être, et pourvoir à leur con- 
servalion. 

Le penchant dont il s’agit est le plus énergique de 
ceux que nous tenons de la nature, et développe plus 
ou moins ses produits selon que la destinée de l’indi- 
vidu et les diverses circonstances de la situation où il 
se trouve dans la société, y sont plus ou moins favo- 
rables. En eflet, l’infortune , l’oppression et ia servi- 
tude habituelle, l’éteignent en grande partie dans le 
commun des hommes; tandis que le bonheur et les 
succès constants accroissent alors considérablement son 
énergie. De là vient que son activité est extrême dans 
l’homme à qui tout prospère, et qu’au contraire, la 
bonté, l'humanité, la modération, la sagesse même, 
ne se rencontrent guère que dans celui qui a beaucoup 
souffert de l’injustice des autres. 

C’est ce penchant à dominer, en un mot, à l’em- 
porter en quelque chose sur les autres, qui produit 
dans l’iomme cette agitation sourde et générale, qui 
ne lui permet point d’être entièrement satisfait de son 
sort ; agitation qui devient d'autant plus active qu’il 
a plus d'idées, et que son intelligence a recu plus de 
développement , parce qu’il s’irrite alors continuelle- 
ment des obstacles que son penchant rencontre de 
toutes parls. à 

On sait assez que nul n’est content de sa fortune, 
quelle qu’elle soit; que nul ne l’est pareillement de 
son pouvoir, et même que l’iomme qui déchoit dans 
ces objets, est toujours plus malheureux que celui qui 
n'avance point. Enfin, l’on sait que toute uniformité 


FN TRODUCTION. 241 


de situation physique et morale qu’un travail sou- 
tenu ne détruit point, bornant nécessairement notre 
tendance intérieure; celle uniformité, dis-je, amène 
en nous ce vide, ce mal-être obscur de moral qu’on 
nomme ennui, et nous fait du changement un besoin 
insatiable, source de notre attrait pour la diversité. . 

Ce même penchant nous porte donc continuelle- 
ment à augmenter nos moyens de domination, et nous 
pe manquons jamais de l’exercer, soit par le pouvoir, 
soit par la richesse, soit par la considération, soit 
enfin, par des distinctions d’un genre ou d’un ordre 
quelconque, toutes les fois que nous en trouvons l’oc- 
casion. 

Dans les actions de l’homme, le penchant à dominer 
se déguise sous une multitude infinie de formes, selon 
les circonstances qui concernent Pindividu; mais il 
est toujours assez facile de reconnaître son influence. 

C’est ce penchant qui donne lieu à l’obstination 
dans les disputes, à l'intolérance dans quelque genre 
que ce soit, à la tyrannie envers ceux qui sont assu- 
jettis à notre pouvoir, quel que soit son degré, enfin, 
à la méchanceté et même à la cruauté, lorsque notre 
intérêt de domination nous paraît l’exiger. 

Lorsque nous ne dominons nullement, soit par le 
pouvoir, soit par la richesse, le penchant dont il s’agit 
nous porte alors à l’emporter sur les autres, au moins 
en quelque chose, et dans ce cas, c’est lui qui nous 
fait faire quelquefois des efforts extraordinaires pour 
nous distinguer dans telle ou telle partie des sciences, 
des lettres ou des beaux arts. De là vient que la plupart 
de ceux qui dominent éminemment par la puissance 
ou la richesse, mettent si peu d'intérêt à étendre leurs 
connaissances, et font de la science et des talents un 
cas si médiocre : ils ont, pour maîtriser les autres, une 
voie plus assurée. 


Tous 1. 16 


242 INTRODUCTION. 


L'un des produits les plus remarquables de notre 
penchant à dominer est l'ambition ; sentiment dont le 
germe est dans tous les hommes, se développe avec 
l’âge et par l’espérance , mais n’acquiert de véhémence 
que lorsque les circonstances ÿ sont favorables. Or, 
l'ambition développée et transformée en passion par 
des circonstances qui la favorisent, tourmente sans 
cesse celui qui l’éprouve, accroît son énergie avec le 
succès, et a pour caractère singulier, celui de n’être 
jamais salisfaite. Ce sentiment véhément donne à ceux 
qui sy abandonnent, ur désir ardent de parvenir, 
per tout moyen, à la fortune , aux places ou aux di- 
gnités , au crédit ou à la réputation, enfin à la puis- 
sance. Sans doute, ces quatre tendances que donne 
l'ambition, ont rarement lieu toutes à la fois, mais 
seulement une seule ou quelques-unes d’entre elles, 
selon les circonstances. 

Je n’entreprendrai point d’analyser ici les divers 
genres d’efforts, les voies et les moyens que le penchant 
à dominer, et que l’ambition qui en est le résultat, 
font employer aux diflérents individus, dans cette 
multitude de situations où leur position particulière 
dans la société les a placés : ils sont assez connus. 


Répugnance pour sa destruction. 


Le quatrième et dernier produit du penchant à la 
conservation, est ce sentiment intérieur et naturel qui 
donne à l’homme une répugnance ou une aversion 
constante pour la destruction de son être. Ce senti- 
ment, que l’homme seul possède, et qui lui est géné- 
ral , parce que, très probablement , il est le seu! être 
intelligent qui connaisse la mort, me paraît la source 
de l'espoir qu’il a conçu d’une autre existence sans 
terme, qui doit succéder pour lui à la première; et 


INTRODUCTION. 243 


‘peut-être une suggestion intime l’avertit-elle que cet 
espoir est fondé. Or, l’homme ayant su s'élever jus- 
qu’à l’ÈTRE SUPRÈME, par sa pensée, à l’aide de l’ob- 
servation de la nature, ou par d’autres voies, cette 
grande pensée a étayé son espérance, et lui a inspiré 
des sentiments religieux, ainsi que les devoirs qu’ils 
lui imposent. 

Je ne montrerai point comment ces sentiments re- 
ligieux peuvent être modifiés par certains de ces pen- 
chants naturels qui, trop souvent, maîtrisent l’Aomme 
dans ses actions; ni comment le fanatisme et l’intolé- 
rance religieuse, qui diffèrent si considérablement de 
la vraie piété, peuvent résulter de son penchant à la 
domination. Ce qui précède doit suffire pour l’éclair- 
cissement de ces objets. 

Ayant indiqué le produit de la répugnance de 
l’homme pour sa destruction, là, doit se borner tout 
ce qui est du ressort du naturaliste , ainsi que tout ce 
qu'il peut rapporter à la nature ; mais, comme je lai 
dit, cette source de l'espoir de l’homme n’exciut point 
d’autres voies qui ont pu l’éclairer sur un sujet si im- 
portant pour lui. 

Ici, se termine l’exposé succinct que j'ai entrepris 
de faire des penchants de l’homme rapportés à leur 
source, et qu'il tientévidemment de son organisation. 
Ce n’est, sans doute, qu’une.esquisse très imparfaite 
du sujet que je me suis proposé de traiter ; mais elle 
suffit à l’objet que j'avais en vue, et se trouve fondée 
sur des principes incontestables. 

Comme naturaliste, je crois avoir rempli ma tâche; 
et je le devais , parce qu’elle complète les considéra- 
tions qui font connaître les produits de l’organisation. 
Mais, celle de l’homme, profond observateur de ses 
semblables, de leurs penchants, variés selon les cir- 
conslances où ils se trouvent, enfin, des passions qui 


16* 


244 INTRODUCTION. 


trop souvent les maïtrisent, lorsqu'ils ne se sont point 
exercés à les dominer, celle-là, dis-je, reste encore 
tout entière à pe 

En effet, il s’agit, en cela, de pénétrer dans les dé- 
tails des AbediEsrcà divisions ; d'assigner les complica- 
tions de causes qui déterminent tant d'actions que 
l’on observe; en un mot, de saisir et faire connaître 
cette multitude de nuances délicates, dans les causes 
agissantes, qui font varier de tant de manières les ac- 
üons observées. 

La diversité des goùls, des penchants, des désirs , et 
même des passions, dou! les individus de lespèce hu- 
maine ofirent des exemples, est si grande, que ceux 
qui ont voulu étudier le cœur de l’homme , en sonder 
la profondeur , pénétrer dans tous ses replis, l'ont re- 
gardé comme un dédale immense dans lequel il était 
bien dificile de ne point s’égarer. 

Je ne prétends pas avoir dénoué complétement ce 
nœud gordien; mais j'ai tenté d'introduire quelque 
ordre dans l’étude de ce grand sujet, et je croïs avoir 
monté les principales causes de nos penchants, et 
même de nos passions; enfin , selon mes aperçus , j'ai 
essayé d'établir les bases d'après lesquelles le défriche- 
ment de ce vaste champ d’étude duit être opéré. 

Ainsi, lorsque je considère l’homme, seulement sous 
le rapport de son organisation et des lois de la nature, 
je vois qu’il est, comme les animaux sensibles , assu- 
jetti, dans ses actions, aux influences puissantes d’une 
cause première, d'où dérivent ses penchants divers, 
ainsi que ses passious; et, en eflet, en remontant à 
cette source, je reconnais qu'il n’est presque aucune 
des actions de l’Lomme qui ne puisse y être rapportée. 

Je vois ensuile que, si, connaissant la cause pre- 
mière de ses penchants, et la hiérarchie de celles qui 
y ont subordonnées, l’on prend la peine de considérer, 


INTRODUCTION. LE D 


dans un individu quelconque, son sexe, son âge , sa 
constitution physique, son état, sa fortune, les chan- 
gements importants que celle dernière a pu lout-à- 
coup subir, en un mot, les circonstances particulières 
dans lesquelles cet individu se rencontre, il sera pos- 
sible de prévoir, en général, la nature des actions qu'il 
exécutera dans les cas qui peuvent nous intéresser, 

Ce qui mérite sur-tout d’être remarqué, c’est que 
l’homme est, de tous les êtres intelligents, celui sur 
lequel l'influence des circonstances paraît exercer le 
plus de pouvoir; ce qui est cause qu'il offre, dans ses 

ualités ou sa manière d’être, les différences les plus 
considérables relativement aux individus de son es- 
pèce. On ne saurait croire jusqu'à quel point cette in- 
fluence le modifie dans son intelligence, sa manière de 
voir, de sentir, de juger. et même dans ses penchants. 

En eflet , la situation des individus dans la société, 
queile qu’elle soit, et par conséquent les circonstances 
qui concernent leurs habitudes , leurs travaux , leur 
état, leur fortune, leur naissance, leurs dignités, leur 
pouvoir, etc., offrant une diversité presque iufinie; il 
y en a aussi une si grande dans leurs qualités particu- 
lières, qu’en considéraut les extrêmes, on trouve une 
différence immense entre un homme et un autre. C’est 
à celte cause , amenee par Ja civilisation, qu'est dû ce 
défaut d'unité qu’on observe à l’égard des individus 
de l’espèce humaine, quoique, dans tous, le type gé- 
néral de l’organisation soit le même. 

Ainsi, l'on peut dire que, de ious les êtres inielli- 
gents, l’homune est celui qui présente, parmi les indi- 
vidus de son espèce : 

Tantôt, sous le rapport de l'intelligence, soit l’être 
le plus ignorant, le plus pauvre en idées, le plus stu- 
pide, le plus grossier, le plus vil, et quelquefois, 
même , se trouvant presque au-dessous de l’animal à 


246 . INTRODUCTION. 


cet égard; soit l’être le plus spirituel, le plus solide en 
jugement , le plus riche en idées et en connaissances, 
enfin, celui dont le génie vaste atteint jusqu’à la su- 
blimité ; 

Et tantôt , sous le rapport du sentiment, soit l’être 
le plus humain, le plus aimant, le plus bienfaisant , 
le plus sensible, le plus juste; soit le plus dur, le plus 
injuste, ie plus méchant, le plus cruel, surpassant 
même en méchanceté les animaux les plus féroces. 

Le propre des circonstances dans lesquelles se trou- 
vent les individus, dans une société quelconque, est 
done de donner lieu à une diversité d’autant plas 
grande dans leurs pensées, leurs sentiments, leurs 
moyens et leurs actions , que }intelligence de ces in- 
dividus a été plus ou moins exercée, et par suite, plus 
ou moins développée. 

Le développement de son intelligence , est, sans 
doute, pour l’homme, d’un très grand avantage ; mais 
l'extrême inégalité que la civilisation produit néces- 
sairement dans celui des différents individus, ne sau- 
rait être favorable au bonheur général. On en trouve 
la cause dans le fait suivant bien observé. Plus l’in- 
teiligence est développée dans un individu, plus ilen 
obtient de moyens, et plus , en général , il en profite 
pour se livrer avec succès à ses penchants. Or, les plus 
énergiques de ces penchants, tels que lamour de soi- 
même et sur-tout celui de Ja domination , se trouvant 
favorisés par un plus grand développement d’intelli- 
gence, l’on peut juger de l’étendue de leurs produits, 
d’après le degré de puissance que cet individu possède 
dans la société. 

Cependant, que l’on ne s’y trompe pas, ainsi qu'un 
célèbre auteur; si, sous certains rapports, l'intelligence 
très développée fournit à ceux qui la possèdent, de 
grands moyens pour abuser, dominer, maîtriser, et 


INTRODUCTION. ; 247 


irop souvent pour opprimer les autres; ce qui sem- 
blerait rendre cette faculté plus nuisible qu’utile au 
bonheur général de toute société, puisque la civilisation 
entraîne une immense inégalité de lumières entre les 
individus; sous d’autres rapports, cette même intelli- 
gence, dans un haut degré, favorise et fortifie la raison, 
fait mettre à profit l'expérience, en un mot, conduit 
à la vraie philosophie, et, sous ce point de vue, dé- 
dommage amplement ceux qui en jouissent. Ainsi, l’on 
peut dire qu’elle est toujours très avantageuse aux in- 
dividus qui en sont doués. Mais la multitude qui ne 
saurait en posséder une semblable, en souffre néces- 
sairement. Ce n’est donc que l'inégalité des lumières 
entre les hommes qui leur est nuisible, et non les 
lumières elles-mêmes. 

Au moral, comme au physique, le plus fort abuse 
presque toujours de ses moyens au détriment du plus 
faible : tel est le produit des penchants naturels qu’une 
forte raison ne modère pas. 

D'après ce qui vient d'être exposé, je crois qu’il sera 
facile de reconnaître pourquoi, parmi les différents 
modes de gouvernement, ceux qui sont les plus favo- 
rables au bonheur des nations sont si difficiles à établir; 
pourquoi l’on voit presque toujours une lutte plus ou 
moins grande entre les gouvernants qui la plupart 
tendent au pouvoir arbitraire, et les gouvernés qui 
s'efforcent de se soustraire à ce pouvoir; enfin, pour- 
quoi cette portion de la liberté individuelle, qui est 
compatible avec l’institution et exécution des bonnes 
lois, éprouve tant d’obstacles pour être obtenue, et ne 
peut long-temps se conserver là où l’on a pu l'obtenir. 

Deux Lommes célèbres, mais sous des rapports bien 
différents, ont adressé des maximes aux souverains : 
l’un, pour la félicité des peuples: l’autre, au profit 
du pouvoir arbitraire. Que lon compare le nombre des 


248 | INTRODUCTION. 


prosélites qu'a faits le premier, avec celui du second, 
et l’on jugera de l’influence des causes que j'ai indiqutes! 

Ainsi, cet ordre de choses, que l’on voit partout , 
tient à la nature de l’homme , et, quoi que l’on fasse, 
sera toujours ce qu'il est. Le naturel de l’homme ne 
s’efface jamais entièrement, quoiqu’à l’aide de la rai- 
son il puisse être jusqu’à un certain point modifie. 

Quel que soit le système de société dans lequel il 
vit, l’hommeétant, de tous les êtres intelligents, celui 
qui a le plus de penchants naturels et le plus de moyens 
pour varier ses actions, on peut assurer qu'il sera tou- 
jours agité, regretlant le passé, jamais satisfait du 
présent, fondant continuellement son bonheur sur 
l’avenir, et difficilement ou incomplétement heureux, 
sur-tout si une forteraison, c’est-à-dire, la philosophie, 
ne vient à son secours. 

Je m'arrête là : le développement des objets qui 
viennent d’être cités, m’éloignerait du but que je me 
propose d'atteindre. 

Passons maintenant à un sujet plus élevé et plus 
grave encore que ceux dont nous nous sommes occupé 
jusqu'ici, et qui est indispensable pour compléter la 
liaison de Lout ce que nous avons exposé, même à l'égard 
des animaux ; passons à l’objet qui devrait le plus inté- 
resser le naturaliste, au plus important de ceux qu’il 
était nécessaire de traiier dans cette Introduction ; en- 
fin, à l’essai d’une détermination de ce qu'est réelle- 
ment la nature, et des idées que nous devons nous 
former de cette puissance à laquelle nous sommes forcés 
d’attribuer tant de choses, en un mot, à laquelle les 
animaux doivent tout ce qu'ils sont, et tout ce qu'ils 
possèdent. (1) 


(1) C’est dans cette partie principalement que se développe la pro- 
fonder d'esprit de notre grand naturaliste : une logique puissante , un 


INTRODUCTION. 249 


admirable enchainement d'idées, cette manière si nouvelle d'envisager 
les actes des animaux et de l'homme en particulier, de faire voir dans 
des êtres «i divers ces artes soumis aux mêmes lois, et l'intelligence hu- 
maine elle-même s’y soumettre et en faire reconnaître l'universalité de ces 
lois, nous portersit à manifester notre admiration au bas de chacune des 
pages qui précèdent. Dans un sujet comme celui-là ettraité d’une ma- 
nière si supérieure, nous avons pensé que nous devions nous abstenir 
de toute observation ; mais nous ne pouvons nous empêcher de recom- 
mander la lecture et la méditation de cette cinquième partie, aussi bien 
aux naturalistes qu'à toute personne qui s'intéresse aux progrès de la 
physiologie de l'intelligence humaine. 


250 INTRODUCTION. 


SIXIÈME PARTIE. 


DE LA NATURE, OU DE LA PUISSANCE, EN QUELQUE SORTE 
MÉCANIQUE:, QUI À DONNÉ L'EXISTENCE AUX ANIMAUX, 
ET QUI LES A FAITS NÉCESSAIREMENT CE QU'ILS SONT. 


IL importe maintenant de montrer qu'il existe des 
puissances particulières qui ne sont point des sntelli- 
gences, qui ne sont pas mème des êtres individuels, 
qui n’agissent que par nécessité, et qui ne peuvent 
faire autre chose que ce qu’elles font. Or, si, selon 
l’expression des naturalistes, les animaux font partie 
des productions de la nature, voyons d’abord si ce 
qu’on nomme la nature ne serait pas une de ces puis- 
sances particulières dont je viens de parler. Nous exa- 
minerons ensuile ce que peut ètre cette puissance sin 
gulière, capable de donner l’existence à des êtres aussi 
admirables que ceux dont il s’agit! 

Cependant, la première pensée qui se présente lors- 
que nous examinons cette question : quelle est l'origine 
immédiate de l'existence des animaux ? est d’attribuer 
celle existence à une puissance inteiligente et sans 
bornes, qui les a faits, tous à la fois, ce qu'ils sont 
chacun dans leur espèce. 

Cette pensée, très juste au fond, prononce néan- 
moins sur la question du mode d’exécution de la vo- 
lonté supérieure , avant de savoir ce que l’observation 
peut nous apprendre à cet égard. Comme les faits 
observés et constalés sont des objets plus positifs que 


INTRODUCTION. 251 


nos raisonnements, ces faits nous forcent maintenant 
de nous décider entre les deux questions suivantes : 

La puissance intelligente et sans bornes qui a fait 
exister tous les êtres physiques que nous observons, les 
a-t-elle créés immédiatement et simultanément, ou 
n’a-t-elle pas établi un ordre de choses, constituant 
une puissance particulière et dépendante, maïs capable 
de donner successivement l'existence à tant d'êtres 
divers (1)? 

À l’égard de ces deux modes d’exécution de la v0- 
lonté supréme , ne supposant pas même la possibilité 
du second, notre pensée, avant la connaissance des 
faits, se décida en faveur du premier , et l’on va voir 
que les apparences semblaient en étayer le fondement. 

En effet, tous les corps que nous observons, nous 
offrent généralement, chacun dans leur espèce, une exis- 
tence, à la vérité, plus ou moins passagère , et même 
pendant la durée de cette existence, nous voyons en eux 
la possibilité ou la nécessité de subir divers change- 
ments. Mais aussi, tous ces corps se montrent ou se 
retrouvent constamment les mêmes à nos yeux, ou à 
peu près tels, dans tous les temps, et on ies voit tou- 
jours, chacun avec les mêmes qualités ou facaltés , et 
avec la mème possibilité ou la mème nécessité d’éprou- 
ver des changements. 

D'après cela, dira-t-on , comment vouloir ieur sup- 
poser une formation, pour ainsi dire, extrà-simultanée, 
une formation successive et dépendante, en un mot, 
une origine particulière à chacun d’eux, et dont le 
principe puisse être déterminable ! pourquoi ne les 


(1) L'étude des corps organisés des premiers âges de la terre, dont 
on retrouve Jes débris à l’état fossile dans les couches solides des con- 
ünents, a répondu en grande partie à ces questions, et justement, comme 
nous l'avons vu, en rendant plus certaines les prévisions de Lamarck. 


5% INTRODUCTION. 


regarderait-on pas plutôt comme aussi anciens que la 
nature, comme ayant la même origine qu’elle-même 
et que tout ce qui a eu un commencemen! ? 

C'est en effet ce que l’on a pensé, et ce que pensent 
encore beaucoup de personnes même très instruites; 
elles ne voient dans toutes les espèces, de quelque 
sorte qu’elles soient, inorganiques ou vivantes; elles 
ne voient, dis-je, que des corps dont l’existence leur 
parait à peu près aussi ancienne que celle de la nature, 
que des corps qui, malgré les changements et l’exis- 
tence passagère des individus, se retrouvent les mêmes 
dans tous les renouvellements. 

Or, l’existence de ces espèces, que nous revoyons 
toujours à très peu près semblables, quoique les corps 
qui en constituent les individus, changent, passent 
et reparaissent plus ou moins promptement , est donc, 
disent ces mêmes personnes, le résultat d'un grand 
pouvoir qui y a donné lieu, d’un pouvoir, en un mot, 
au-dessus de toutes nos conceptions ! 

Il doit être eflectivement bien grand le pouvoir 
qui a su donner l'existence à tous les corps, et les 
faire généralement ce qu’ils sont! car, si l’on observe 
un animal, même le plus imparfait, tel qu’un infu- 
soire où un polype, on est frappé d’étonnement à la 
vue de ce singulier corps, de son état, de la vie qu'il 
possède , et des facultés qu’il en obtient; on l’est sur- 
tout, en considérant que le corps si simple et si frêle 
que je viens de citer, est non-seulement susceptible 
de s’accroître et de se reproduire lui-même, mais qu'il 
a, en outre, la faculté de se mouvoir; on l’est bien 
davantage ensuite, à mesure que l’on observe les ani- 
maux des ordres plus relevés , et principalement lors- 
qu’on vient à considérer ceux qui sont les plus parfaits; 
car, parmi les facultés nombreuses qui possèdent ces 
derniers, il s’en trouve de la plus grande éminence, 


INTRODUCTION. 353 


puisque la faculté de sentir, qui est déjà si admirable 
en elle même, est encore inférieure à celle de se for- 
mer des idées conservables, de les employer à en 
former d’autres, en un mot, de comparer les objets, 
de juger, de penser. Cette dernière faculté sur-tout, 
est pour nous une merveille si grande, qu’il nous 
semble impossible que la nature soit capable d’en ame- 
ner la production. 

Si les animaux en qui nous observons de pareilles 
facultés sont des machines, assurément, ces machines 
sont bien dignes de notre admiration ! elles doivent 
singulièrement nous étonner, puisque nous avons tant 
de peine à les concevoir, et qu'il nous est absolument 
impossible de faire quelque chose qui en approche. 

Foutes ces considérations parurent et paraissent 
donc encore aux persounes dont j'ai parlé, des motifs 
suffisants pour penser que la nature n’est point la cause 
productrice des différents corps que nous connaissons, 
et que ces corps se remontrant les mêmes (en appa- 
rence }, dans tous les lems, et avec les mêmes qualités 
ou facultés, doivent être aussi anciens que la nature, et 
avoir pris ieur existence dans la même cause qui lui a 
donné la sienne. 

S'il en est ainsi, ces corps ne doivent rien à la 
nature, ils ne sont point ses productions, elle ne peut 
rien sur eux, elle n’opère rien à leur égard , et dans 
ce cas, elle n’est point une puissance, des lois fui sont 
inutiles; enfin, le nom qu'on lui donne est un mot 
vide de sens, s’il n’exprime que l'existence des corps, 
et non un pouvoir particulier qui opère et agit immé- 
diatement sur eux. 

Mais si nous examinons tout ce qui se passe journel= 
lement autour de nous, si nous recueillons et suivons 
attentivement les faits que nous pouvons observer, 
les idées si spécieuses que je viens de citer, perdront 


ob4 INTRODUCTION, 


alors de plus en plus le fondement qu’elles semblaient 
avoir. 

En effet , nous observons des changements, lents ou 
prompis, mais réels dans tous les corps , selon les cir- 
constances de leur nature et celles de leur situation: 
en sorte que les uns se détériorent de plus en plus, 
sans jamais réparer leurs pertes et sont à la fin détruits; 
tandis que les autres qui subissent sans cesse des altéra- 
tions et les réparent eux-mêmes pendant une durée 
limitée, finissent aussi, néanmoins, par une destruc- 
tion entière. Cependant, malgré ce dernier résultat 
de tout corps quelconque ; nous en retrouvons cons- 
tamment les mêmes sortes, les mêmes espèces, et nous 
les rencontrons dans tous les états, dans tous les degrés 
de changement. 

Pouvons-nous donc méconnaître l’existence d’un 
pouvoir général, toujours agissant, toujours opérant 
des produits manifestes en changement, en formation 
et en destruction des corps ! selon des circonstances fa- 
vorables observées, ne voyons-nous pas nous-mêmes 
plusieurs de ces corps se former presque sous nos veux, 
tels que le soufre en certains lieux, l’alun dans d’autres, 
le salpéire dans d’autres encore, etc. , etc. 

Nos observations ne se bornent point seulement à 
nous convaincre de lexistence d’un grand pouvoir 
toujours agissant, qui change, forme, détruit et 
renouvelle sans cesse les différents corps; elles nous 
montrent, en vutre, que ce pouvoir est limité, tout- 
à-fait dépendant , et qu'il ne saurait faire autre chose 
que ce qu’il fait: car ilest partout assujetti à des lois 
de différents ordres qui règlent toutes ses opérations; 
lois qu'il ne peut ni changer, ni transgresser, et qui 
ne lui permettent jamais de varier ses moyens dans la 
même circonstance. 

Non-seulement ce grand pouvoir existe; maïs il a 


INTRODUCTION: 255 


lui-même celui d’en instituer d’autres, pareillement 
dépendants, moins généraux, et parmi lesquels on en 
connaît un qui est encore admirable dans ses produits. 

En eflet, dans l’organisation, animée par la wie, 
nous remarquons une véritable puissance qui change, 
qui répare, qui détrait, et qui produit des objets qui 
n’eussent jamais existé sans elle. 

Cette puissance particulière, qu’on nomme la we, 
et dont tous les corps vivants sont l’unique domaine, 
agit Loujours nécessairement, selon des lois régulatrices 
de tous ses actes. Nous lavons effectivement déjà suivie 
dans un grand nombre des actes qu’elle opère ; nous 
avons même saisi plusieurs de ses lois, et nous nous 
sommes assuré qu'elle agit toujours de la même ma- 
nière , dans les mêmes circonstances. Mais la puissance 
dont il est question, n’exerce son pouvoir que sur une 
seule sorte de corps, et comme elle est le produit de 
la puissance générale qui l’a établie, elle se détruit 
elle-même dans chaque corps de son domaine; tandis 
que l’autre subsiste toujours Ja même, parce qu’elle 
tient son existence d’une source bien différente et in- 
finiment supérieure! 

Ainsi, le pouvoir général qui embrasse dans son 
domaine tous les objets que nous pouvons apercevoir , 
de même que ceux qui sont hors de la portée de nos 
observations, et qui a donné immédiatement l’exis- 
tence aux végétaux , aux animaux, ainsi qu'aux autres 
corps, est véritablement un pouvoir limité et en quel- 
que sorte aveugle, un pouvoir qui n'a ni intention, 
ni but, ni volonté; uu pouvoir qui, quelque grand 
qu’il soit, re saurait faire autre chose que ce qu’il 
fait; en un mot, un pouvoir qui n’existe lui-même 
que par la volonté d’une puissance supérieure et sans 
bornes, qui l'ayant institué, est réellement l’auteur 
de tout ce qui en provient, enfin de tout ce qui existe, 


256 INTRODUCFION. 


Le pouvoir aveugle et limité dont il s’agit, et que 
nous avons tant de peine à reconnaître, quoiqu'il se 
manifeste partout, n’est point un être de raison : il 
existe certainement, et nous n’en saurions douter, 
puisque nous observons ses actes, que nous le suivons 
dans ses opérations , que nous voyons qu'il ne fait rien 
que graduellement, que nous remarquons qu’il est 
partout soumis à des lois, et que déjà nous sommes par- 
venus à connaître plusieurs de celles qui le régissent. 

Or, ce pouvoir circanscrit, que nous avons si peu 
considéré , si mal étudié ; ce pouvoir auquel nous at- 
tribuons presque toujours une intention et un but 
dans ses actes; ce pouvoir enfin, qui fait toujours né- 
cessairement les mêmes choses dans les mêmes circons- 
tances, et qui néanmoins, en fait tant et de si admi- 
rables , est ce que nous nommons la nature. 

Qu'est-ce donc que la nature? Qu'est- elle cette 
puissance singulière qui fait tant de choses, et qui ce- 

endant est constamment bornée à ne faire que celles- 
là? Qu’est-elle, encore, cette puissance qui ne varie 
ses actes qu'aulant que les circonstances , dans les- 
quelles elle agit, ne sont point les mêmes? Enfin, à 
quoi s'applique ce mot la nature, cette dénomination si 
souvent employée, que toutes les bouches prononcent 
si fréquemment , et que l'on rencontre presqu'à chaque 
ligne dans les ouvrages des naturalistes, des physi- 
ciens et de tant d'autres ? 

Il importe assurément de fixer à la fin nos idées, 
s’ilest possible, sur une expression dont la plupart des 
hommes se servent communément, les uns par habi- 
tude et sans y attacher aucune idee déterminée, les 
autres en y appliquant des idées réellement fausses. 

A l’idée que l’on s’est formée d’une puissance, l’on 
a presque toujours associé celle d’une intelligence qui 
dirige ses actes, et par suite, l’on a atlribué à cette 


INTRODUCTION. 25 


puissance une intention, un but, une volonté. Sans 
doute, on ne peut nier qu’il n’en soit ainsi à l'égard 
du pouvoir suprême; mais il y à aussi des puissances 
assujetties et bornées, qui n’agissent que nécessaire- 
ment, qui ne peuvent faire autre chose que ce qu'elles 


font, et qui ne sont point des éntellisences : ce sont 
seulement des causes agissantes; et même toute cause 
capable de produire un eflet, est déjà une puissance 
réelle; à plus forte raison celle qui en produit de nom- 
breux et de très remarquables. 

Par exemple, tout ordre de choses, animé par un 
mouvement, soit épuisable , soit inépuisable, est une 
véritable puissance dont les actes amènent des faits 
ou des phénomènes quelconques. 

La vie, dans un corps, en qui l’ordre et l’état de 
choses qui s’y trouvent, lui permettent de se mani- 
fester, est assurément, comme je l’ai dit, une véritable 
puissance qui donne lieu à des phénomènes nombreux; 
cette puissance, cependant, n’a ni but, ni intention, 
ne peut faire autre chose que ce qu’elle fait, et n’est 
elle-même qu'une cause agissante, et non un être 
particulier. 

Or, il s’agit de montrer que la nature est tout-à-fait 
dans le même cas; avec cette différence que sa source 
est inépuisable , tandis que celle de la wie se tarit né- 
cessairement. s 

Sans doute, sur ce qui concerne la nature, je n’ai 
à dire que très peu de choses relativement à ce qui 
n’est pas encore bien connu; mais ce peu de choses est 
positif, puisqu'il est fondé sur les faits. Or, la con- 
naissance de ce que je puis montrer à ce sujet doit être 
importante; car elle seule peut nous aider à découvrir 
Ja source de tout ce que nous observons à l'égard des 
animaux et des autres corps que nous pouvons aper- 
cevoir. Il est donc nécessaire de l’exposer et de fixer 


Tome 1. 17 


258 INTRODUCTION. 


nos idées sur des objets que l'observation nous a fait 
connaître. 

Parmi les différentes confusions d’idées auxquelles 
le sujet que j'ai ici en vue a donné lieu, j'en citerai 
deux comme principales; savoir : celle qui consiste en 
ce que bien des personnes regardent comme synonymes, 
les mots nature et univers ; et celle qui fait penser à la 
plupart des hommes, que la nature et son SUPRÈME 
AUTEUR sont pareillement synonymes. 

Je vais essayer de montrer que ces deux considé- 
rations sont l’une et l’autre sans fondement, et com- 
mencer par refuter la première. 

Ces deux mots, la nature et l’univers, si souvent 
employés et confondus , auxquels on n’attache, en gé- 
néral, que des idées vagues, et sur lesquels la déter- 
mination précise de l’idée que l’on doit se former de 
chacun d’eux, paraît une foile entreprise à certaines 
personnes, me semblent devoir être distingués dans 
leur signification ; car ils concernent des objets essen- 
tiellement différents. Or, cette distinctiôn est tellement 
importante que, sans elle, nous nous égarerons tou- 
jours dans nos raisonnements sur tout ce que nous 
observons. 

Pour moi, la définition de l’univers ne peut être 
autre que Ja suivante > 


L'univers est l’ensemble inactif ,et sans puissance 
qui lui soit propre, de tous les êtres physiques et 
passifs, c’est-à-dire, de toutes les matières et de tous 
les corps qui existent. 

C’est donc du monde on de l’univers physique dont 
il s’agit uniquement dans cette définition. Ne pouvant 
parler que de ce qui est à la portée de nos observations, 
c’est seulement de celles des parties de l’univers que 
nous apercevons, qu’il nous est possible de nous pro- 


INTRODUCTION. 259 


curer quelques connaissances , tant sur ce que sont ces 
parties elles-mêmes, que sur ce qui les concerne. 


Là, se bornent tout ce que nous pouvons raison- 
nablement dire de lunivers. Chercher à expliquer sa 
formation, à déterminer tous Îles objets qui entrent 
dans sa composilicn , serait assurément une folie. Nous 
n’en avons pas les moyens; nous n’en connaissons que 
très peu de choses; nous savons seulement que son 
existence est une réalité. 

Cependant, la matière faisant la base de toutes ses 
parties, je puis montrer qu'il est en lui-même inactif 
et sans puissance propre, et que ce que nous deyons 
entendre par le mot ja nature lui est tout-à-faitétranger. 

En eflet, en approfondissant ce grand sujet, d’après 
tout ce que j'apercois , je crois, d’abord, pouvoir 
assurer, à l’égard de l’ensemble des matières et des 
corps qui forment l'univers physique, que cet ensemble 
est lui-même immutable ou indestructif, et qu’il sub- 
sistera tel qu’il est, tant que la volonté de son SUBLIME 
AUTEUR le permettra; ensuite, j’oserai dire que ce 
même ensemble n’est point et ne peut être une puis- 
sance; qu’il ne peut avoir d'activité propre; et que, 
conséquemment, il n’en saurait avoir sur ses parties , 
Ja source de toute activité lui étant étrangère; enfin, 
je crois être fondé à dire encore que toutes les parties 
de l'univers physique n’ont pas plus d'activité que 
l’ensemble qu’elles composent, que toutes sont réelle- 
ment passives, et que ce sont elles qui constituent 
l'unique et vaste domaine de la nature. 


Or, la nature ne se trouve nullement dans cette 
catégorie; ce n’est, en effet, ni un corps, ni un être 
quelconque, ni un ensemble d’êtres, ni un composé 
d'objets passifs; c’est, au contraire, comme nous l’al- 
lons voir, un ordre de choses particulier, constituant 


TE 


260 INTRODUCTION. 


une véritable puissance, laquelle est, néanmoins, 
assujettie dans tous ses actes. 

Effectivement, c’est la nature qui fait exister, non 
la matière, mais tous les corps dont la matière est 
essentiellement la base; et comme elle n’a de pouvoir 
que sur cette dernière, et que son pouvoir à cet égard 
ne s'étend qu'à la modifier diversement , qu’à changer 
et varier sans cesse ses masses particulières , ses associa- 
tions, ses aggrégats, ses combinaisons différentes, on 
peut être assuré que, relativement aux corps, c’est 
elle seule qui les fait ce qu’ils sont, et que c’est elle 
encore qui donne, aux uns, les propriétés, et aux 
autres, les facultés que nous leur observons. 

Qu'est-ce donc, encore une fois, que la nature? 
serait-ce une intelligence ? 

Non, assurément, la zature n’est point une intelli- 
gence : je vais essayer de le prouver. Mais, auparavant, 
voici la définition que j'en donnerai : 

La nature est un ordre de choses, étranger à la ma- 
tière, déterminable par Fobservation des corps, et 
dont l’ensemble constitue une puissance inaltérable 
dans son essence, assujettie dans tous ses actes, et cons- 
tamment agissante sur toutes les parties de l’univers. 

Si l’on oppose cette définition à celle de l’univers qui 
n’est que l’ensemble des êtres physiques et passifs, 
c’est-à-dire, que l'ensemble de tous les corps et de 
toutes les matières qui existent, on reconnaîtra que ces 
deux ordres de choses sont extrêmement différents, 
tout-à-fait séparés, et ne doivent pas être confondus. 

En ayant eu, presque de tout temps, le sentiment 
intime , quoique nous ne nous en soyons jamais rendu 
compte, nous ne les avons pas effectivement confondus; 
car, pressentant cet ordre inaliérable de causes sans 
cesse actives, et le distinguant des êtres passifs qui y 
sont assujettis, nous l'avons personnifié, à l’aide de 


INTRODUCTION. 261 


notre imagination , sous la dénomination de la nature; 
et depuis, nous nous servons habituellement de cette 
expression, sans fixer les idées précises que nous devons 
y attacher. 

Nous verrons dans l'instant que les objets, non 
physiques, dout l’ensemble constitue la nature, ne 
sont point des êtres, et conséquemment, ne sont ni 
des corps, ni des matières; que cependant nous pou- 
vons les connaîire; que ce sont même les seuls objets, 
étrangers aux corps et aux matières, dont nous puissions 
nous procurer une reconnaissance positive. 

En effet, cette connaissance nous étant parvenue 
par l'observation des corps, comme on le verra tout- 
à-l’heure, s’est trouvée à notre portée, et en notre 
pouvoir. Ainsi, hors de Ja nature, hors des corps et 
des matières qui peuvent se rendre sensibles à nos sens, 
nous ne pouvons rien observer, rien connaître d’une 
manière positive. 

Reprenons notre examen de ce qu’est réellement la 
nature, ei sa comparaison avec les objets qui forment 
son immense domaine, 

Si la définition que j’ai donnée de la nature est fon- 
dée, il en résulte que cette dernière n’est qu'un 
ensemble d’objets non physiques, c’est-à-dire, étran- 
gers aux parties de lunivers et que nous n’ayons 
connus qu'en observant les corps ; et que cet ensemble 
forme un ordre de causes toujours actives, et de moyens 
qui régularisentet permettent les actions de ces causes; 
ainsi la zature se compose : 

10 Du mouvement, que nous ne connaissons que 
comme la modification d'un corps qui change de lieu, 
qui n’est essentiel à aucune matière, à aucun corps, 
el qui est cependant inépuisable dans sa source, et se 
trouve répandu dans toutes les parties des corps; 

29 De lois de tous les ordres qui, constantes et 


262 INTRODUCTION, 


immutables, régissent tous les mouvements, tous les 
changements que subissent les corps; et qui mettent 
dans l'univers, loujours changeant dans ses parties 
et cependant toujours le même dans son ensemble, un 
ordre et une harmonie inaltérables,. 

La puissance assujettie qui résulte de l’ordre de 
causes aclives que je viens d'indiquer , a sans cesse à sa 
disposition : 

10 L'espace, dont nous ne nous sommes formé l’idée 
qu’en considérant le lieu des corps, soit réel, soit 
possible ; que nous savons être immobile, par-tout pé- 
nétrable et indéfini: qui n’a de parties finies que celles 
des lieux que remplissent les corps, enfin, que celles 
qui résultent de nos mesures d’après les corps et d’après 
les lieux que ces corps peuvent successivement occu- 
per en se déplaçant; 

0 Le temps ou la durée, qui n’est qu’une conti- 
nuité, avec ou sans terme, soit du mouvement, soit de 
l’existence des choses ; et que nous ne sommes parvenus 
à mesurer, d’une part, qu’en considérant la sueces- 
sion des déplacements d’un corps, lorsqu'étant animé 
d’une force uniforme, nous avons divisé en parties, 
Ja ligne qu'il a parcourue, ce qui nous a donné l’idée 
des durées finies et relatives; et, de l’autre part, 
lorsque nous avons comparé Îles diflérentes durées 
d’existence de divers corps, en les rapportant à des 
durées finies et déjà connues. 

Ainsi, lon peut maintenant se convaincre que 
l’ordre de causes toujours aclives qui constitue la na- 
ture , et que les moyens que cette dernière a sans cesse 
à sa disposition, sont des objets essentiellement distinets 
de l’ensemble des êtres physiques et passifs dont se 
compose l'univers; car, à l’égard de la nature, ni le 
mouvement , ni les lois de tous les genres qui régissent 
ses actes, ni le temps et l’espace dont elle dispose sans 


INTRODUCTION. 63 


limites, ne sont le propre de la matière; et l’on sait 
que la matière est la base de tous les êtres physiques 
dont l’ensemble constitue l'univers. 

La définition de l’univers physique, réduite à la 
simplicité qui peut la rendre convenable, en donne 
donc une idée exacte en montrant que la matière et 
que les corps dont la matière est la base, le constituent 
exclusivement; que, conséquemment, ni cet univers, 
ni ses parties, quelles qu’elles soient, ne sauraient 
avoir en propre aucune activilé, aucune sorte de puis- 
sance. Or, ces considérations ne sont nullement appli- 
cables à la nature; car celles qu’elle nous présente 
sont tout-à-fait opposées. 

1j a fallu avoir observé au moins un sue nombre 
des changements qui s’exécutent continuellement et 
partout dans les parties de l’univers, pour apercevoir, 
enfin, l'existence de cette puissance étendue, mais as- 
sujettie dans ses actes, qui constitue la nature; de cette 
puissance essentiellement étrangère à la matière et aux 
corps qui en sont formés , et qui produit tous les 
changements que nous observons dans les différentes 
parties de l'univers, ainsi que ceux que nous ne pou- 
vons observer. 

L'on a vu que la vie que nous remarquons dans 
certains corps, ressemblait en quelque sorte à Ja na- 
ture, en ce qu’elle n’est point un être, mais un ordre 
de choses animé de mouvements , qui a aussi sa puis- 
sance , ses facultés , et qui les exerce nécessairement , 
tant qu’il existe; la wie, cependant, présente cette 
différence considérable qui ne permet plus de la met- 
tre en com paraison avec la nature; c’est que, ne tenant 
ses moyens et son existence que de cette dernière 
même , elle amèue sa propre destruction ; tandis que 
la nature, comme tout ce qui a été créé directement, 
est immutable, inaltérable , et ne saurait avoir de 


264 INTRODUCTION. 


terme que par la volonté suprême qui seule l’a fait 
exister (1). 

Passons à la seconde erreur que nous avons déjà ci- 
tée en parlant des confusions d’idées auxquelles la 
considération de la nature a donné lieu, et tàächons 
de la détruire, 

On a pensé que la nature était DrEu même : c’est, 
en effet, l’opinion du plus grand nombre ; et ce n’est 
que sous cette considération , que l’on veut bien ad- 
mettre que les animaux , les vÉgELAUT , elc., sont ses 
productions. 

Chose étrange! l’on a confondu la montre avec 
l’horloger:, l’ouvrage avec son auteur. Assurément, 
cette idée est inconséquente, et ne fut jamais appro- 
fondie. La puissance qui a créé la nature, n’a, sans 
doute, point de bornes, ne saurait être restreinte ou 
assujettie dans sa volonté, et est indépendante de 
toute loi. Elle seule peut changer la nature et ses lois; 
elle seule peut même les anéantir; et quoique nous 
n’ayons pas une connaissance positive de ce grand ob- 
jet, l’idée que nous nous sommes formé de cette puis- 
sance sans bornes , est au moins Ja plus convenable de 


(1) I arrive à la plupart des hommes de confondre dans leur esprit, 
l’êwe matériel, et les propriétés ou les facultés dont il jouit : il est en- 
pe. très difficile de séparer ces deux choses très distinctes. La nature 
est un érdre de phénomènes appliqué à!tout ce qui constitue l'univers; 
la vie est un ordre dé phénomènes propres aux corps vivants ; mais la 
nature et la vie ne sont pointexistants par eux-mêmes, et nous devons 
admirer Lamarck , qui a développé ces vérités avec tant de. logique et 
de raison, Cette habitude de matérialiser les choses les plus immaté- 
riclles se montre dans presque toutes les sciences. L'art médical sur- 
tout à été retardé dans sa marche rationnelle, parce que chaque ma- 
ladie était une entité qu’il fallait combattre et détruire , tandis que la 
maladie n’est aussi qu'un ordre de choses résultant d’une altération 
dans les parties d’un être vivant. 
Nous pourrions facilement maltiplier les exemples. 


( INTRODUCTION. 265 


celles que l’homme ait dû se faire de la Divinité, lors- 
qu'il a su s'élever par la pensée jusqu’à elle. 

Si la nature était une intelligence , elle pourrait 
vouloir , elle pourrait changer ses lois, ou plutôt elle 
n'aurait point de lois. Enfin, si la nature était Dreu 
même , sa volonté serait indépendante, ses actes ne se- 
raient point forcés. Mais il n’en est pas ainsi; elle est 
partout , au contraire , assujettie à des lois constantes 
sur lesquelles elle n'a aucun pouvoir ; en sorte que, 
quoique ses moyens soient infiniment diversifiés et 
inépuisables , elle agit toujours de même dans chaque 
circonstance semblable , et ne saurait agir autre- 
ment (1). 

Sans doute, toutes les lois auxquelles la nature est 
assujettie, dans ses actes, ne sont que l’expression de 
la volonté suprême qui les a établies; mais la nature 
n’en est pas moins un ordre de choses particulier , 
qui ne saurait vouloir, qui n’agit que par nécessité, 
et qui ne peut exécuter que ce qu’il exécute. 

Beaucoup de personnes supposent une ame univer- 
selle qui dirige, vers un but qui doit être atteint, tous 
les mouvements et tous les changements qui s’exécu- 
tent daus les parties de l'univers. 

Cette idée, renouvelée des anciens qui ne s’y bor- 


(1) Cette nécessité dans les actes de la nature est importante à consi- 
dérer, et elle est tout-à-fait incontestable : la physique , la chimie sont 
fondées sur ce principe. Un acide et une base produisent toujours un sel; 
et nécessairement le même sel sera formé toutes fois que la base et l’a- 
cide seront dans les mêmes circonstances favorables à leur combinai- 
son, elc., etc. Cette négessité des actes de la nature ne peut être con- 
testée, pour ce qui a ralore aux corps inorganiques; on ne la reconnaît 
pas dans les lois qui régissent les corps vivants, quoiqu’elle y existe 
aussi , car ils ne sont pas, et ils ne peuvent être le résultat du hasard ou 
de combinaisons fortuites; ils sont soumis à des Lois : donc ces lois sont 
nécessaires , car la nature ne fait rien de superflu. 


266 INTRODUCTION. 


LS 


naïent pas, puisqu'ils attribuaient en même temps 
une ame particulière à chaque sorte de corps , n’est- 
elle pas au fond semblable à celle qui fait dire à pré- 
sent, que la nature n’est autre que Dieu même ? Or, 
je viens de montrer qu’il y a ici confusion d'idées in- 
compalibles, et que la nature n’étant point un être, 
une intelligence, mais un ordre de choses partout 
assujetti, on ne saurait absolument la comparer en 
rien à l’étre supréme dont le pouvoir ne saurait être 
limité. par aucune loi. 

C’est donc une véritable erreur que d'attribuer à la 
nature un but, une intention quelconque dans ses 
opérations; el cette erreur est des plus communes 
parmi les naturalistes. Je remarquerai seulement que 
si les résultats de ses actes paraissent présenter des 
fins prévues , c’est parce que, dirigée partout par des 
lois constantes, primilivement combinées pour le but 
que s’est proposé son Supréme Auteur, la diversité 
des circonstances que les choses existantes Jui offrent 
sous tous les rapports, amène des produits toujours en 
harmonie avec les lois qui régissent tous les genres de 
changement qu’elle opère; c’est aussi, parce que ses 
lois des derniers ordres sont dépendantes, et régies 
elles-mêmes par celles des premiers ou Ges supérieurs. 

C’est sur-tout dans les corps vivants, el principale- 
ment dans les animaux, qu’on a cru apercevoir un 
but aux opérations de la nature. Ce but cependant 
n’y est là, comme ailleurs, qu'une simple apparence 
et non une réalité. En effet, dans chaque organisation 
particulière de ces corps, un ordre de choses, préparé 
par les causes qui l’ont graduellerilént établi, n’a fait 
qu’amener par des développements progressifs de par- 
lies, régis par les circonstances, ce qui nous paraît être 
un but, et ce qui n’est réellement qu’une nécessité. 
Les climats, les situations, les milieux habités , les 


INTRODUCTION. 267 


moyens de vivre et de pourvoir à sa conservation ; en 
un mot, les circonstances particulières dans lesquelles 
chaque race s’est rencontrée, ont amené les habitudes 
de cette race; celles-ci y ont plié et approprié les or- 
ganes des individus; et il en est résulté que Fharmo- 
nie que nous remarquons partout entre l’organisation 
et les habitudes des animaux, nous paraît une fin pré- 
vue, tandis qu'elle n’est qu’une fin nécessairement 
amenée (1). 

La nalure n’étant point une intelligence, n’étant 
pas même un êlre, mais un ordre de choses constituant 
une puissance partout assujeltie à des lois, la nature, 
dis-je, n’est donc pas Dreu même. Eile est le produit 
sublime de sa volonté toute puissante ; et pour nous, 
elle est celui des objets créés le plus grand et le plus 
admirable. 

Ainsi, la volonté de Dieu est partout exprimée par 
l'exécution des lois de la nature, puisque ces lois vien- 
nent de lui. Gette volonté néanmoins ne saurait y être 
bornée , la puissance dont elle émane n'ayant point 
de limites. Cependant , il n’en est pas moins très vrai 
que, parmi les faits physiques et moraux, jamais nous 
n’avons occasion d’en observer un seul qui ne soit vé- 
ritablement le résultat des lois dont il s’agit. 

Pour l’homme qui observe et réfléchit, le spectaele 
de l'univers animé par la nature, est sans doute très 
imposant, propre à émouvoir, à frapper l’imagination, 
et à élever esprit à de grandes pensées. Tout ce qu'il 


(1) Qu'est-ce donc que ce nisus formateur dont on s’est servi pour 
expliquer, à l’égard des corps vivants, soit les faits généraux de déve- 
loppement et de variation de ces corps, soit les faits particuliers que 
présente l’histoire physique de l’homme dans les variétés reconnues de 
son espèce ; qu'est-ce; dis-je, que le nisus formateur dont il s’agit; si 
ce n’est cette puissance mème de la nature que je viens de signaler. 

( Note de Lamarck. ) 


268 INTRODUCTION, 


aperçoit lui paraît pénétré de mouvement, soit effec- 
tif, soit contenu par des forces en équilibre. De tous 
côtés, il remarque , entre les corps, des actions réci- 
proques et diverses, des réactions, des déplacements, 
des agitations, des mutations de toutes les sortes , des 
altérations, des destructions, des formations nouvelles 
d’objets qui subissent à leur tour le sort d’autres sem- 
blables qui ont cessé d'exister, enfin, des reproductions 
constantes, mais assujetties aux influences des circons- 
tances qui en font varier les résultats; en un mot, il 
voit les générations passer rapidement , se succéder 
sans cesse, et en quelque sorte, comme on l’a dit: « se 
« précipiter dans labime des temps. » 

L’observateur dont je parle , bientôt ne doute plus 
que le domaine de la nature ne s’étende généralement 
à tous les corps. Il conçoit que ce domaine ne doit 
pas seborner aux ôbjets qui composent le globe que 
nous habitons, c’est-à-dire, que la nature n’est point 
restreinte à former, varier , multiplier, détruire et 
renouveler sans cesse les animaux , les végétaux et les 
corps inorganiques de notre planète. Ce serait , sans 
doute, une erreur de le croire , en s’en rapportant à 
cet égard à l’apparence; car le mouvement répandu 
partout, et ses forces agissantes, ne sont probablement 
nulle part dans un équilibre parfait et constant. Le 
domaine dont il s’agit, embrasse donc toutes les par- 
ties de l’univers, quelles qu’elles soient; et consé- 
quemment , les corps célestes, connus ou inconnus, 
subissent nécessairement les effets de Ja puissance de 
la nature. Aussi, l’on est autorisé à penser que , quel- 
que considérable que soit la lenteur des changements 
qu’elle exécute dans les grands corps de l'univers, tous 
néanmoins y sont assujellis; en sorte qu'aucun corps 
physique n’a nulle part une stabilité absolue, 

Ainsi , la nature, toujours agissante , toujours im- 


INTRODUCTION. | 260 


passible, renouvelant et variant toute espèce de corps, 
n’en préservant aucun de la destruction , nous offre 
une seène imposante et sans terme, et nous montre 
en elle une puissance particulière , qui n’agit que par 
nécessité. 

Tei est l’ensemble de choses qui constitue la nature, 
et dont nous sommes assurés de l’existence par l’ob- 
servation; ensemble qui n’a pu se faire exister lui- 
même, et qui ne peut rien sur aucune de ses parties ; 
ensemble qui se compose de causes ou de forces tou- 
jours actives, toujours régularisées par des lois, et de 
moyens essentiels à la possibilité de leurs actions ; 
ensemble, enfin, qui donne lieu à une puissance assu- 
jettie dans tous ses actes, et néanmoins admirable dans 
tous ses produits. : 

La nature reconnue atteste ellemême son auteur, 
et présente une garantie de la plus grande des pensées 
de l’homme , de celle qui le distingue si éminemment 
de ceux des autres êtres qui ne jouissent de l’intelli- 
gence que dans des degrés inférieurs , et qui ne sau- 
raient jamais s’élever à une pensée aussi grande, 

Si l’oir ajoute à celle vérité la suivante: savoir : que 
le terme de nos connaissances positives n’emporte pas 
nécessairement celui de ce qui peut exister, on aura 
en elles les moyens de renverser les faux raisonnements 
dont l'immoralité s’autorise, ; 

Reprenons la suite des développements qui caracté- 
risent la nature, et qui montrent le vrai point de vue 
sous lequel on doit la considérer. 

Paisque la nature est une puissance qui produit , 
renouvelle, change, déplace, enfin, compose et décom- 
pose les différents corps qui font partie de l'univers ; 
on conçoit qu'aucun changement, qu'aucune forma- 
tion, qu'aucun déplacement ne s'opère que conformé- 
ment à ses lois, Et, quoique les circonstances fassent 


’ 


270 INTRODUCTION. 


quelquefois varierses produits et cellesdes lois qui doi- 
vent être employées, c’est encore, néanmoins, par des 
lois de la nature queces variations sont dirigées. Ainsi, 
certaines irrégularités dans ses actes, certaines mons- 
truosilés qui semblent contrarier sa marche ordinaire, 
les bouleversements dans l’ordre des objets physiques, 
en un mot, les suites trop souvent affligeantes des pas- 
sions de l’homme, sont cependant le produit de ses 
propres lois et des circonstances qui y ont donné lieu. 
Ne sait-on pas, d’ailleurs, que le mot de Aasard n’ex- 
prime que notre ingnorance des causes. 


À tout cela, j'ajouterai que des désordres (1) sont 
sans réalité dans la nature, et que ce ne sont, au con- 
traire, que des faits dans l’ordre général, les uns peu 
connus de nous, et les autres relatifs aux objets parti- 
culiers, dont l'intérêt de conservation se trouve néces- 
sairement compromis par cet ordre général. (Philos. 
zool., vol, 2, p. 465.) 

Qui ne sent, en eflet, que si le propre de la nature 
est de changer, produire, détruire, renouveler et va- 
rier sans cesse les différents corps, ceux de ces corps 
qui possèdent la faculté de sentir, de juger et de rai- 
sonner, et qui, par les lois mêmes de la nature, s’inté- 
ressent essentiellement à leur conservation , et à leur 
bien-être; ceux-là, dis-je, considéreront comme dé- 


(1) Le désordre est un ordre de choses différent de ce que nous nom- 
mons arbitrairement l'ordre. L'ordre est pour nous un arrangement 
facile à discerner entre un certain nombre d'objets ; le désordre est un 
arrangement confus et difficile à discerner entre les mêmes objets. 
L'ordre et le désordre sont donc des idées relatives à nous : il n'ya 
point de désordre absolu ; c’est un ordre diflérent. Il n'y a pas non 
plus de bien et de mal absolus , ce sont encore des idées relatives à 
uous : que l’on y pense bien et l’on reconnaïtra que c’est là une grande 
et solide vérité. 


. INTRODUCTION: 271 


sordre tout ce qui compromet cette conservation et ce 
bien-être qui les intéressent si fortement (1). 

Le bien ou le mal dans l’univers n’est done aue 
relatif à l’intérêt particulier de chaque partie : il n’a 
rien de réel, soit à l’égard de l’ensemble qui constitue 
l’univers physique , soit relativement à l’ordre de 
choses auquel ses parties sont assujetLies ; car ces deux 
objets sont inaltérablement ce que la puissance qui les 
a fait exister a voulu qu’ils fussent. 

Si la nature ne peut autre chose : sur la matière, que 
la modifier, qu’en déplacer, réunir, désunir et com- 
biner des portions; sur le mouvement , que le diversi- 
fier d’une infinité de manières différentes ou l’opposer 
à lui-même ; sur ces propres lois , qu'employer néces- 
sairement celle qui, dans chaque circonstance, doit 
résler son opération; sur l’espace, qu’en remplir et 
désemplir localement et temporairement des parties; 
en un mot, sur le tems, qu’en employer des portions 
diverses dans ses opérations; elle peut tout, néanmoins, 
à l’aide de ces moyens, et c’est elle effectivement qui 
fait tout, relativement aux diflérents corps et aux faits 
physiques que nous observons. 

On peut donc regarder maintenant comme une con- 


(1) On sent de là combien Voltaire , dans ses questions sur l’Ency= 
clopédie, et les philosophes qui eurent la même opinion , se sont abu- 
sés, en supposant à Dieu, soit impuissance, soit méchanceté , à l'égard 
des maux ou des désordres en question; ces philosophes considérant 
comme maux et comme désordres, ce qui tient essentiellement à la na- 
ture des choses, c’est-à-dire , ce qui n’est que le résultat d’un ordre 
général et constant de changements , d’altérations , de destructions et 
de renouvellements à l'égard des corps de tout genre. 

J.-J. Rousseau réfuta Voltaire par sentiment ; mais il l’eût fait plus 
victorieusement encore, s’il eût reconnu cet ordre général institué dans 
les diverses parties de l’univers par le puissant AuTEuR de tout ce qui 


existe. ( Note de Lamarck.) 


272 INTRODUCTION, 


naissance positive que, sauf les objets de création pri- 
milive, c’est-à-dire, l'existence de la matière en elle- 
même , celle du mouvement considéré dans son essence, 
celle des lois qui régissent tous les ordres de mouve- 
ment, celle enfin de l’espace et celle du tems qui ne 
peuvent être postérieures et appartenir à une autre 
source; tous les corps sans exception, doivent à cet 
ensemble d'objets primitivement créés, à la nature, 
en un mot, leur existence , leur état, leurs proprié- 
tés, leurs facultés, et tous les changements qu’ils su- 
bissent, et que tous enfin , sont véritablement ses pro- 
ductions. 

La nature, cependant, n’est que l'instrument , que 
la voie particulière qu’il a plu à la puissance suprême 
d'employer pour faire exister les différents corps, les 
diversifier, leur donner, soit des propriétés, soit 
même des facultés, en un mot, pour mettre toutes 
les parties passives de l’univers dans l’état mutable où 
elles sont constamment. Elle n’est, en quelque sorte, 
qu’un intermédiaire entre DIEU et lesjparties de l’uni- 
vers physique, pour l’exécution de la volonté divine. 

C’est donc dans ce sens que nous pouvons dire que 
les animaux, ainsi que les facultés qu’ils possèdent, 
sont des produits de la nature, que les végétaux Île 
sont pareillement, enfin que les corps non vivants, 
quels qu’ils soient, sont dans le même cas, quoique 
tout ce qui existe ne soit dù qu’à la volonté suprême 
qui y a donné lieu. 

Relativement à la nature, considérée comme la 
puissance qui a opéré et qui opère encore tant de 
choses, tant de merveilles mêmes, rien n’est présumé 
de notre part, rien à cet: égard n’est le produit de 
notre imagination; car, chaque jour nous sommes 
témoins de ses opérations , nous en pouvons suivre un 
grand nombre, en observer les progrès , et remarquer 


INTRODUCTION. 270: 


les lois qu’elle suit nécessairement dans chacune 
d’elies. 

Déjà nous connaissons plusieurs des lois auxquelles 
elle est assujettie dans ses actes ; nous distinguons sa 
marche, selon le genre d’actes qu’elle opère, et selon 
les circonstances qui viennent en modifier les résultats; 
enfin, nous savons qu’elle, n’agit que graduellement 
dans la production de ceux des corps en qui ellea pu 
établir la wie, et dans la composition de l’organisation 
de ces diflérents corps. Aussi, voyons-nous que dans 
les animaux , qu’elle a doués généralement de l’irrita- 
bilité, elle a amené progressivement , depuis les plus 
imparfaits jusqu'aux plus parfaits, une complication 
d'organes spéciaux de plus en plus grande, qui lui a 
douné les moyens de produire dans ces êtres, diffé- 
rents phénomènes organiques de plus en plus admi- 
rables, et de douer les plus parfaits de ses animaux, 
de facultés qui surpassent tout ce que notre imagina- 
tion peut concevoir : facultés, cependant, qui cesse- 
raient de nous paraître des merveilles, si nous en con- 
naissions le mécanisme. 

Ce sont-là des vérités que l'observation a fait 
connaître, et que maintenant on ne saurait raisonna- 
blement contester, 

Ainsi, pour nous, qui sommes absolument bornés à 
ne connaître positivement que des corps; que les 
propriétés, les facultés et les phénomènes que nous 
présentent ces corps; que la rature qui les change, 
les diversifie , les détruit, et les renouvelle perpétuel- 
lement; voici ce que nous pouvons regarder comme 
des vérités auxquelles nous ayons su nous élever par 
l'observation. 

L'univers est l’ensemble immutable , inactif et sans 
puissance propre, de toutes les matières et de tous les 
corps qui existent. Cet ensemble manquant d’activité 


Tome 1. 18 


274 INTRODUCTION. 


propre, et ne pouvant rien opérer par lui-même , est 
l'unique domaine de la nature, et lui doit l’état de 
toutes ses parLies. 


La nature , au contraire, est une véritable puissance 
assujettie dans ses acies , inaltérable dans son essence, 
constamment agissante sur toutes les parties de l’uni- 
vers, et qui se compose d’une source inépuisable de 
mouvements, de lois qui les régissent, de moyens es- 
sentiels à la possibilité de leurs actions, en un mot, 
d'objets étrangers aux propriétés de la matière; objets, 
néanmoins, que nous pouvons déterminer par l’obser- 
vation. Elle constitue un ordre de choses particulier 
ét constant, qui met toutes les parties de l’univers 
dans l’état où elles sont à chaque instant, qui donne 
lieu à tous les faits que nous observons, et à bien 
d’autres que nous ne sommes point à portée de con- 
maître. 

Voilà donc deux objets très distincts, qu’il est né- 
cessaire de ne point confondre. Leur existence est un 
fait certain pour nous, puisque nos observations l’at- 
testent constamment. 


Digression utile et relative au sujet. 


A l'égard des grands objets dont nous venons de 
nous occuper, et sur lesquels il importe de fixer celles 
de nos idées qui sont susceptibles de l’être, on sent 
combien il est nécessaire de distinguer ce qui est le ré- 
sultat positif de l'observation , d'avec ce qui n’est que 
le produit de l'imagination, d'où naissent toutes les 
suppositions arbitraires, les fictions et les illusions de 
tout genre. 

En effet, deux champs d’une étendue immense et 
très différents entre eux, sont sans cesse ouverts à la 


en 


INTRODUCTION, 275 


pensée de l’homme : ces deux champs sont celui des 
réalités et celui de l'imagination. 

L'homme, par son altention et sa pensée, fait, 
tantôt dans l’un et tantôt dans l’autre, des incursions 
diverses, selon l'intérêt ou l'agrément qu’il y trouve. 
Ces incursions deviennent successivement d’autant 
plus grandes qu’il s’y exerce davantage, et sa pensée 
s’en aggrandit proportionnellement. 

CEE des réalités : ce champ est celui que nous 
offrent les matières et les corps que nous pouvons aper- 
cevoir, ainsi que la nature dans ses actes, dans sa 
marche, et dans les phénomènes qu’elle nous pré- 
sente. 

Nous pouvons le définir le champ des faits obser- 
vés ou observables , et comme il n’embrasse que des 
objets réels, et que nous n’y pouvons moissonner que 
par lobservation , ce champ est donc le seul qui puisse 
nous procurer des connaissances positives. 

Les matières et les corps que nous pouvons aperce- 
voir, les mouvements, les déplacements , les change- 
ments, les propriétés et les phénomènes divers que 
ces corps et ces matières peuvent nous offrir, et que 
nos sens peuvent nous faire connaître , enfin Îles lois et 
l’ordre, selon lesquels ces mouvements, ces change- 
ments et ces phénomènes s’exécutent , étant les seuls 
objets que nous puissions observer, étudier et connaître 
sous leurs diflérents rapports, toute connaissance qui 
ne résulte pas directement de l’observation, ou de 
conséquences tirées de faits observés et constatés, 
manque nécessairement & base , et par conséquent de 
solidité. 

Tel est le fond des dt positifs qu’embrasse Îe 
champ des réaliiés, et c’est dans ce champ seul que, 


nous pouvons recueillir des vérités utiles et exemptes 
d'illusions. 


18* 


276 INTRODUCTION, 


Champ de l'imagination : ce champ, bien difiérent 
du premier et au moins aussi vaste, est celui des fic. 
tions, des supposilions arbitraires, et des illusions de 
tout genre. 

La pensée de l’homme se plait à s’enfoncer dans 
celui-ci, quoique rien n’y soit observable, et qu’elle ne 
puisse y rien constater; mais elle y crée arbitrairement 
tout ce qui peut l’intéresser, la charmer ou la flatter. 
Elle y parvient en modifiant les idées que les objets 
réels du premier champ lui ont fait acquérir. 

Gest un fait singulier et auquel il me paraît que 
personne n’a encore pensé; savoir : que l'imagination 
de l’homme ne saurait créer une seule idée qui ne 
prenne sa source dans celles qu’il s’est procurées par 
ses sens. 

Avec des idées simples que les sensations lui ont fait 
acquérir , l’homme, en les comparant et les jugeant, 
en obtient des idées complexes du premier ordre; en 
comparant et jugeant deux ou davantage des idées de 
cet ordre, il en obtient d’autres d’un ordre plus re- 
levé; enfin,avec celles-ci, ou avec d’autres aw’il y joint, 
de quelque ordre ‘qu’elles soient, il s’en procure 
d’autres encore, et ainsi de suite presque indéfiniment. 
Partout ses conséquences, et par suite toutes les idées 
qu'il se forme, prennent donc leur source dans les 
idées simples et premières que son système organique 
des sensations lui a fait acquérir. 

Que l’on joigne à cette voie de multiplier ses idées, 
celle de s’en former d’autres encore, en modifiant ar- 
bitrairement les idées de tous les ordres qui tirent 
leur origine de ses sensations et de ses observations, 
on aura le complément de tout ce que peut produire 
l'imagination humaine. 

En effet, tantôt par des contrastes ou des oppositions, 
elle change l’idée qu’elle s’est formée du fini, en celle 


INTRODUCTION, 277 


de l'infini; et de même, elle change l’idée qu’elle s’est 
procurée d’une matière ou d’un corps, en celle d’un 
être immatériel. Or, jamais la pensée ne fût arrivée à 
ces transformations, en un mot, à ces idées changées, 
sans les modèles positifs dont elle s’est servie. Tantôt, 
encore, variant à son gré des formes connues d’après 
les corps, des propriétés observées en eux, et les plus 
éminents phénomènes qu’ils produisent, la pensée de 
l’homme donne à des êtres fantastiques, des formes, 
des qualités et un pouvoir qui répondent à tous les 
prodiges qu’elle se plaît à inventer sous différents in- 
térêts. Par-tout, néanmoins, elle est assujettie à n’o- 
pérer ces transformations, ces actes d’invention, que 
sur des modèles que le champ des réalités lui fournit ; 
modèles qu’elle modifie de toute manière et sans les- 
quels elle ne saurait eréer une seule idée quelconque. 
Phil, zool. vol. 2. p. 412. 

Ainsi, souveraine absolue dans ce champ de l’ima- 
gination , la pensée de l’homme y trouve des charmes 
qui l’y entraînent sans cesse; s’y forme des illusions 
qui lui plaisent, la flattent, quelquefois mème la dé- 
dommagent de tout ce qui l’aflecte péniblement ; et 
par elle, ce champ est aussi cultivé qu'il puisse l'être. 

Une seule production de ce champ est utile à 
l’homme : c’est l'espérance; et il l’v cultive assez géné- 
ralement. Ce serait être son ennemi que de lui ravir 
ce bien réel, trop souvent presque le seul dont il jouisse 
jusqu’à ses derniers moments d’existence. 

Quelque vaste et intéressant que soit le champ des 
réalités, la pensée de l’homme s’y complaît difficilement. 

Là, sujetie et nécessairement soumise ; là, bornée à 
lobservation et à l’étude des objets; là, encore, ne 
pouvant rien créer, rien changer , mais seulement re- 
connaître; elle n'y pénètre que parce que ce champ 
peut seul fournir ce qui est utile à la conservation, à 


278 INTRODUCTION. 


la commodité ou aux agréments de l’homme, en un 
mot, à tous ses besoins physiques. Il en résulte que 
ce même champ est, en général, bien moins cultivé 
que celui de l’imagination, et qu’il ne l’est que par 
un petit nombre d'hommes qui, la plupart, y laissent 
même en friche les plus belles parties. 

En comparant l’un à l’autre les deux champs dont 
je viens de parler, on peut aisément se figurer quel 
énorme ascendant doit avoir le champ de l'imagination, 
qui fournit des pensées, des opinions et des illusions 
si agréables, sur la raison, toujours sévère et inflexible, 
en un mot, sur ce champ des réalités qui trace par- 
tout des limites à la pensée, et qui n’admet d’autre 
instrument de culture que l'observation, et d’autre 
guide , dans le travail, que la raison même, qui n’est 
autre que le fruit de l’expérience. 

Pour le naturaliste qui s'interdit lui-même l’entrée 
dans le champ de l’ëmagination , parce qu'il ne se confie 
qu'aux faits qu'il peut observer, non-seulement il 
examine tout ce qui l’environne, distingue, caracté- 
rise et classe tous les objets qu'il aperçoit, et signale 
tout ce qui lui paraît pouvoir êlre utile à ses semblables; 
mais, en outre, il considère la nature elle-même , épie 
sa marche, étudie ses lois, ses actes, ses moyens, et 
s'efforce de la connaître. Enfin, contemplant la très 
petite portion de l’univers qu'il apercoit, il se fait une 
simple idée de son existence, sans entreprendre de sa- 
voir ou de déterminer ce qui compose son ensemble ; 
et comparant ensuile cet univers physique à la nature, 
à cette puissance toujours aclive qui produit tant de 
choses, tant de phénomènes admirables, il remarque 
que l’un et l’autre jouissent seuls d’une stabilité qui 

araît être absolue , et conçoit qu’elle doit l'être. 

Ayant déterminé ce que peut être la nature, ainsi 
que le seul point de vue sous lequel nous puissions la 


INTRODUCTION. 279 
considérer, et ayant montré, dans une digression utile 
à notre objet, la seule voie qui puisse nous faire ac- 
quérir des connaissances positives, je terminerai ici 
celte partie. 

J'ai dû entrer dans ces détails et donner ces éclair- 
cissements, parce qu’il me paraît, qu'ailleurs les idées, 
à cer égard, sont vagues, arbitraires et sans solidité; 
et parce que, sans ces déterminations, tout ce que 
j'expose sur l’origine des animaux, sur la formation 
des diverses organisations de ceux qui sont sans ver- 
tébres, sur la source de chaque faculté animale et 
des penchants des êtres qui sont sensibles et intelli- 
genis, en un mot, sur la marche de la nature et sa 
manière de procéder dans ses actes, pourrait paraître 
par-tout le produit de mon imagination , quand même 
mes exposés seraient accompagnés de l’évidence. 

Avec cette sixième partie, se termine le sujet entier 
de cette Introduction , c’est-à-dire, les considérations 
relatives à l’existence des animaux, à la source de cette 
existence, et à ce qu’ils sont eux-mêmes chacun dans 
leur espèce. Or, je crois que, sauf peut-être quelques 
détails à rectifier, cette même Introduction renferme, 
dans le cours des six parties qui la composent, une 
foule de vérités évidentes, toutes bien liées entre elles, 
fort utiles à connaître, et qu’il serait difficile de con- 
tester avec quelque apparence de raison. 

Ce serait donc ici que je devrais terminer l’Intro- 
duction essentielle à mon ouvrage, sur-tout l'intérêt 
croissant me paraissant à son plus haut terme dans 
celte sixième partie. Cependant le besoin des sciences 
zoologiques , l’arbitraire qui règne dans les parties de 
l’art qui y sont nécessaires, et les vacillations perpé= 
tuelles qu’entraîne cet arbitraire dans la distribution 
des objets, et, plus encore, dans les diverses sortes de 
coupes à établir parmi les animaux observés, me forcent 


280 INTRODUCTION. 


d'y ajouter , au moins comme appendice , une septième 
partie, qui est la suivante. 

Ainsi, je vais m'occuper, dans celle septième eL 
dernière partie, de la distribution générale des ani- 
maux, de ses divisions diverses, et spécialement des 
principes sur lesquels ces objets doivent être fondés , 
en proposant à leur égard, ceux qui, me paraissent 
mériter l'assentiment des zoologistes. 


INTRODUCTION. 281 


SEPTIÈME PARTIE. 


DE LA DISTRIBUTION GÉNÉRALE DES ANIMAUX, DE SES 
DIVISIONS, ET DES PRINCIPES SUR LESQUELS CES OB= 
JETS DOIVENT ÊTRE FONDÉS, 


Après les grands sujets qui viennent d’être succes- 
sivement traités, il semble que l'intérêt soit extrème- 
ment affaibli dans la considération des objets qui vont 
nous occuper dans certe dernière partie, ou plutôt 
dans cet appendice de l’Introduction. Cet intérêt ce- 
pendant n’y est point dépourvu d’importance; car il 
porte sur des considérations essentielles au perfec- 
tionnement de la zoologie, et qui sont nécessaires au 
but de cet ouvrage, pour le compléter. 

- Jusqu'ici, en effet, j’ai exposé ce que sont les ani 
maux en général, ce qui les caractérise, ce qu'ils doivent 
à la nature, en un mot, ce qu'il m'a paru essentiel de 
faire remarquer à leur égard. Ges objets, à ce qu'il 
me semble, n’ont besoin que d’être examinés pour être 
reconnus , et pour cela, il ne s’agit que de rassembler 
et considérer les faits nombreux qui en établissent le 
fondement. 

Ici, je n'ai en vue que ce qui concerne l’art en z00- 
logie; et à ce sujet, j'ai plusieurs considérations im- 
portanies à présenter pour perfectionner cet art, pour 
le fixer, s’il est possible, et sur-tout pour le dépouiller 
de cet arbitraire qui rend ses produits toujours va- 
cillants. 


282 :NTRODUCTION. 


Tout art doit avoir ses principes ou ses règles qui 
dirigent et limitent ses opérations : et l’on sent, en 
effet, que celui qui en manque est encore peu avancé, 
et qu’il atteint difliciiement son but. 

Or, l’objet de celui dont il est ici question , concer- 
nant la distribution générale des animaux, le rang de 
chaque race, celui de chaque genre et de chaque fa- 
mille, enfin, celui de chaque classe dans cette distri- 
bution , concernant même la disposition de l’ordre 
entier ; il est indispensable de montrer les opérations 
à faire pour le perfectionnement de cette même dis- 
tribution , et de proposer les principes qui devraient 
régler ces opérations. 

En conséquence, pour lexécution d’une bonne dis- 

tribution générale des animaux, pour celle d’une suite 
de divisions à établir dans l’ordre entier, enfin, pour 
la meilleure disposition à donner à cet ordre , on ne 
peut se dispenser, à ce que je crois , de fixer la solu- 
tion des trois questions suivantes : 
_ ae question : Quelles sont les opérations à faire 
pour l'exécution d’une bonne distribution des ani- 
maux, et pour celle d’une suite de divisions nécessai- 
res à établir dans cette distribution ? 

2 question : Quels sont les principes qui doivent 
nous guider dans ces opérations , afin d’exclure tout 
arbitraire à leur égard ? 

3° question : Quelle disposition faut-il donner à la 
distribution générale des animaux , pour qu’elle soit 
conforme à l’ordre de la nature, dans la production 
des ces êtres ? 

Assurément, tant que nous laisserons ces trois ques- 
tions sans examen el sans réponse , et que, ne recon- 
naissant aucun principe pour régler nos opérations , 
nous procéderons arbitrairement dans la détermina- 
tion des objets ; ilexistera dans les travaux des zoo/o- 


INTRODUCTION. 285 


gistes sur les diverses parties de la distribution des 
animaux, des inversions diverses , proposées par cha- 
que auteur, sur les différentes portions de la série, des 
associations singulières et toujours changeantes entre 
les objets à placer, en un mot, un défaut constant 
d'accord dans les opérations. Ce désordre, ainsi sub-' 
sistant, entraverail et même arrêtcrait les progrès de la 
science , l’empècherait de se fixer, et nous priverait 
des moyens d'étudier la nature dans tout ce qu’elle a 
fait et qu’elle fait encore à l’égard des animaux. 

Examinons d’abord la première question et tàchons 
de la résoudre; nous essayerons ensuite de fixer les 
principes qu'il faut suivre pour atteindre lesdifférents 
buts dont elle indique les objets. 


Première question : Quelles sont les opérations à 
faire pour l'exécution d’une bonne aistribution des 
animaux, et pour celle d’une suite de divisions néces- 
saires à établir dans cette distribution ? 

La réponse à cette question , est que les opérations 
essentielles à faire remplir convenablement les deux 
objets qu’elle propose, sont Îes suivantes: 


1° Rapprocher les animaux les uns des autres, d’a- 
près un principe non arbitraire, de manière à en for- 
mer une série générale, soit simple, soit rameuse ; 

2° Partager cette série générale en diverses sortes de 
coupes, dont les unes seraient subordonnées aux au- 
tres ; et, pour cet objet, s’assujettir à des principes de 
convenance que l’on déterminerait ; 

5 Fixer le rang de chaque sorte de coupe, d’après 
un principe général, préalablement établi, savoir : 

Le rang de chaque coupe primaire dans la série 
totale ; 


Celui des coupes classiques dans chaque coupe 
primaire ; 


284 INTRODUCTION. 


Celui des ordres ou des familles dans leur classe ; 
Celui des genres dans leur famille ; 
Celui des espèces dans leur genre. 


L’exécution de ces trois sortes d'opérations esi sans 
contredit indispensable. C’est une chose qui a été bien 
sentie; et chaque auteur s'en est plus ou moins oc- 
cupé, mais toujours arbitrairement , c’est-à-dire, sans 
l'établissement préalable des principes dignes de l’as- 
sentiment général , en un mot , des principes propres. 
à exclure l’arbitraire, et à fixer réellement la science. 

La première de ces opérations , celle qui a pour ob- 
jet de rapprocher les animaux les uns des autres, de 
manière à en former une série générale, est une prépa- 
ration essentielle qui doit précéder les autres opéra- 
tions, et sans laquelle on ne saurait les exécuter. Elle 
tend d’ailleurs à nous faire découvrir l’ordre même de 
la nature ; ordre qu’il nous importe si fort de recon- 
naître. 

Quoique Ja nature ait suivi nécessairement un or- 
dre dans la production des corps vivants, et sur-tout 
dans celle des animaux , comme elle a dispersé ces 
animaux et mélangé leurs races diverses à la surface 
du globe et dans ses eaux liquides, son ordre de for- 
mation à leur égard est en quelque sorte défiguré, et 
n’est point apparent. Nous sommes donc obligé, pour 
parvenir à le découvrir, de chercher quelque moyen 
qui puisse nous conduire à cette découverte, et de 
trouver quelques principes solides qui nous mettent 
dans le cas de reconnaître , sans erreur cet ordre que 
nous cherchons. 

A cet égard, le pas le plus important a déjà été fait, 
lorsqu'on a reconnu l’intérèt qu’inspirent les rap- 
ports , et la nécessité de parvenir à les connaître , afin 
d'y assujettir toutes les parties de nos distributions. 


INTRODUCTION. 285 


Ainsi, nous avons senti que, pour réussir à établir 
une bonne distribution des animaux , sans que l’arbi- 
traire de l'opinion en affaiblisse nulle part la solidité, 
il était nécessaire, avant tout, de rapprocher les ani- 
maux les uns des autres, d’après leurs rapports les 
mieux déterminés; et qu’ensuite, l’on pourrait, sans 
inconvénient, tracer les lignes de séparation qui déta- 
chent les masses eicuel , ainsi que les coupes subor- 
données, utiles à établir, pourvu que les rapports ne 
fussent nulle part compromis par la composition et 
l’ordre de nos diverses coupes (tr). 

Tel est l’état des lumières acquises relativement à 
l'établissement de nos distributions ; mais il reste beau- 
coup à faire pour perfectionner nos travaux à cet 
égard, et pour détruire l'arbitraire qui s’est introduit 
ane les déterminations même de bien des rapports. 
Il y en a, en effet, de différentes sortes; et comme 
leur valeur particulière est loin d’être égale partout , 
on ne saurait l’assigner avec justesse , si l’on n’admet 
préalablement quelques règles pour arrêter l’arbitraire 
dans ces délerminations. 


(1) Ces préceptes sont certainement d’une justesse inconstestable, et 
il serait utile, pour les progrès futurs de la science, que tous les zoolo- 
gistes les adoptassent ; mais on est bien loin encore d’avoir atteint à 
cette unité dans la mise en œuvre des observations. Il est certain que 
les classifications étant abandonnées à l’arbitraire, chaque auteur prend 
son point de départ comme il le veut, et arrive aux conséquences né- 
cessaires de ses prémisses. Celui qui rejette l’enchainement des rapports 
suit une méthode où les groupes placés à la suite les uns des autres, 
seront cependant isolés et sans lien avec ceux qui précèdent ou qui 
suivent ; celui qui adoptera la méthode de synthèse, n’envisagera pas 
l’ensemble des animaux de la même manière que celui qui procède par 
l'analyse, etc., etc. Il ne faut donc point s'étonner de la divergence des 
opiniovs à l’ég as. des méthodes, de la diversité de leur résultat final, 
puisque ces résultats sont nécessairement produits par le point de dé- 


part; et nous ayons vu que rien n’était plus arbitraire que ce point de 
départ. 


2186 INTRODUCTION. 


Afin de remédier au mauvais ordre de choses qui 
s’est introduit dans les parties de l’art, ordre de choses 
qui annule nos efforts en faisant sans cesse varier nos 
déterminations des rapports et l’emploi que nous en 
faisons ; il faut d’abord examiner ce que sont réelle- 
ment les rapports , quelles sont leurs différentes sor- 
tes, et quel usage il convient de faire de chacune de 
ceiles que nous aurons reconnues. Nous pourrons en- 
suite déterminer plus aisément les principes qu’il con- 
vient d'établir. 

On a nommé rapports les traits de ne ou 
d’analogie que la nature a donnés , soit à différentes 
de ses productions comparées entre elles, soil à diver- 
ses parties comparées de ces mêmes produetions ; et 
c’est à l’aide de l’observation que ces traits se déter- 
minenl. 

Ces mêmes traits sont si nécessairés à connaître, 
qu'aucune de nos distributions ne saurait avoir la 
moindre solidité, si les objets qu’elle embrasse n’y 
sont rangés suivant la loi qu'ils prescrivent. 

Mais les rapports sont de différents ordres : il yen 
a qui sont généraux, d’autres qui le sont moins, et 
d’autres encore qui sont tout-à-fait particuliers. 

On les distingue aussi en ceux qui appartiennent à 
différents êtres comparés, et en ceux qui ne se rappor- 
tent qu’à des parties comparées entre des êtres diffé- 
rents : distinction trop négligée, mais qui est bien 
importante à faire. 

- Ce n’est pas tout : quoiqu’en général , les rapports 
appartiennent à Ja nature, lous ne sont pas le résultats 
de ses opérations directes à l'égard de ses productions; 
car, parmi les rapports entre des parties comparées de 
différents être , il s’en trouve très souvent qui ne sont 
que les produits d’une cause qui a modifié ses opéra- 
tions directes. Ainsi, les rapports de forme extérieure 


INTRODUCTION. 289 


qui s’observent entre les cétacés et les poissons, ne 
peuvent être attribués qu’au milieu dense qu’habitent 
ces deux sortes d'animaux, et non au plan direct des 
opérations de la nature à leur égard. 

Il faut donc distinguer soigneusement les rapports 
reconnus qui appartiennent aux opérations directes 
de la nature, dans fa composition progressive de l’or- 
ganisation animale, de ceux pareillement reconnus, 
qui sont le résultat de l'influence des circonstances 
d'habitation , ainsi que de celles des habitudes que les 
différentes races ont été forcées de contracter. 

. Mais ces derniers rapports, qui sont sans doute 
d’une valeur fort inférieure à celle des premiers, ne 
sont pas bornés à ne se montrer que dans des parties 
extérieures; car, on peut prouver que la cause étran- 
gère qui a le pouvoir de modifier les opérations directes 
de la nature, a souvent exercé son influence , tantôt 
sur tel organe intérieur , et tantôt sur tel autre pareil- 
lement interne. Il faudra donc établir quelques règles, 
non arbitraires, pour la juste appréciation de ces 
rapports. 

En zoologie, on a établi en principe, que c'est de 
l’organisation intérieure que l’on doit emprunter les 
rapports les plus essentiels à considérer. 

Ce principe est parfaitement fondé, s’il exprime la 
prééminence qu’il faut accorder aux considérations gé- 
nérales de l’organisation intérieure, sur celles des parties 
externes. Mais si, au fieu de le prendre dans ce sens, 
on l'applique à des cas particuliers de son choix, et 
sans règle préalable, on pourra en abuser, comme on 
a déjà fait; et l’on donnera arbitrairement aux rapports 
qu'offrira tel organe ou tel système d’organes intérieur, 
une préférence sur ceux de telle autre organe intérieur, 
quoique les rapports de ce dernier puissent être réel- 
lement plus importants. Par cette voie, commode à 


88 INTRODUCTION. 


l'arbitraire de l'opinion de chaque auteur, l'on admettra 
cà et là dans la distribution , des inversions véritable- 
Mént contraires à l’ordre naturel. 

C’est un fait que l'observation prouve de toutes parts 
et que j'ai déjà cité; savoir : que la cause qui modifie 
la composition croissante de l’organisation, n’a pas 
seulement agi sur les parties extérieures des animaux, 
mais qu’elle a aussi opéré des modifications diverses 
sur leurs parties internes; en sorte que cetle cause a 
fait varier très irrégulièrement les unes et les autres 
de ces parties. 


11 suit de là, qu’il n’est pas vrai que les rapports 
entre les races, et sur-tout entre les genres, les familles, 
les ordres, quelquefois même les classes, puissent tou- 
jours se décider convenablement d’après la considération 
isolée de telle partie intérieure , choisie arbitrairement. 
Je suis, au contraire, très persuadé que les rapports 
dont il s’agit, ne peuvent être convenablement déter- 
minés que d’après la considération de l’ensemble de 
l’organisation intérieure, et, auxiliairement, par celle 
de certains organes intérieurs particuliers , que des 
principes non arbitraires auront montrés comme plus 
importants et comme méritant une préférence sur les 
autres, dans les rapports qu’ils pourront offrir. 


11 faut donc nous efforcer de déterminer les prin- 
cipes dont il s’agit, et ensuite nous y assujettir, si nous 
voulons anéantir cet arbitraire dans la détermination 
des rapports, qui nuit tant à la fixité de la science. 


Deuxième question : Quels sont les principes qui 
doivent nous guider dans ces opérations , afin d’exclure 
tout arbitraire à leur égard ? 

Certes, ce serait rendre un grand service à la zoologie, 
que de donner une solution convenable de cette ques- 
tion, c’est-à-dire, de déterminer de bons principes 


INTRODUCTION, °89 


pour régler les différentes opérations citées ci-dessus , 
et en exclure tout arbitraire, 

Il ne me convient pas de prononcer moi même sur. 
la valeur de mes eflorts à cet égard; mais j'en vais 
proposer les résultats avec la confiance qu'ils m’ins- 
pireat. 

Je pense que ce ne peut être que dans la distinction 
précise de chaque sorte de rapports, et qu’à l’aide 
d’une détermination motivée et solide de la préférence 
qu’il faut accorder à telle sorte de rapports sur telle 
autre , que l’on trouvera les principes propres à régler 
toutes les parties de notre distribution générale des 
animaux. 

IL s’agit donc de déterminer les principales sortes de 
rapports que l’on doit employer pour atteindre le but, 
et ensuite de fixer la supériorité de valeur que telle 
sorte doit avoir sur telle autre. 

Cela posé, je trouve, qu'entre différents animaux 
comparés, les principales sortes de rapports que l’on 


peut rencontrer et qu’il importe de distinguer, sont 
les suivantes. 


* Rapports entre des organisations comparées , 
prises dans l’ensemble de leurs parties. 
o 
Ces rapports, quoique généraux, se montrent dans 
différents degrés, selon qu’on les recherche entre des 
races comparées entre elles, ou entre des masses d’ani- 
maux de différentes races, comparées les unes aux 
autres. Il faut donc en distinguer plusieurs sortes. 
Première sorte de rapports généraur : Cette sorte est 
celle qui sert à rapprocher immédiatement entre elles 
les races ou les espèces. Elle est nécessairement la pre- 
mière: car c’est elle qui fournit le plus grand des rap- 
ports entre des animaux comparés qui ne sont pas les 
Tome 1, | 19 


290 INTRODUCTION: 


mêmes. Or, le zoologiste qui la détermine, considérant 
toutes les parties de l’organisation, tant intérieures 
qu'extérieures, n’admet cette sorte de rapports, que 
lorsqu'elle présente la différence la moins grande, la 
moins importante. 

On sait que des animaux qui se ressemblent parfai- 
tement par l’organisation intérieure et par leurs parties 
externes, ne peuvent être que des individus d’ane 
même espèce. Or, ici, l’on ne considere point le rap- 
port, ces animaux n’offrant aucune distinction. 

Mais les animaux qui présentent entre eux une 
différence saisissablé, constante, et à la fois la plus 
petite possible, sont rapprochés par le plus granü de 
tous les rapports, s'ils offrent d’ailleurs une grande 
ressemblance dans toutes les parties de leur orgauisa- 
tion intérieure, ainsi que dans la plupart des parties 
“externes. 

. Cette sorte de rapports ne nécessite point la consi- 
dération du degré de composition de l’organisation 
des animaux; elle se détermine dans tous les rangs. 

Elle est si facile à saisir, que chacun la reconnaît au 
premier abord ; et c’est en l'employant que les natura- 
listes ont formé ces petites portions de la série générale 
des animaux que présentent nos germes, malgré l’arbi- 
traire de leurs dmites. 

Ainsi, dans cette première sorte de rapports, qu’on 
peut appeler rapports d'espèces , la différence entre les 
objets comparés , est Ja plus petite possible, et ne se 
recherche que dans des particularités de la forme ou 
des parties externes des individus. (1) 


(x) H m'est pas douteux, en effet, que les rapports entre les espèces 
ne soient lés premiers et les plus essentiels, mais ne conviendrait-il 
pas, avant d'établir ces rapports, de savoir ce que c’est qu’un espèce, ct 
d'en donner une rigoureuse définition ? Nous ayons yu dans une note 


INTRODUCTION. 201 


Deuxième sorte de rapports généraux : C’est celle 
qui embrasse les rapports entre des masses d'animaux 
différents, comparées entre elles. On peut la nommer 
rapport de masses. 

Pour juger cette sorte de rapports, on ne s’occupe 
plus essentiellement des particularités de la forme 
générale , ni de celles des parties externes, mais, seu- 
lement ou presque uniquement, de l'organisation 
intérieure ; considérée dans toutes ses parties. C’est elle 
principalement qui doit fournir les différences qui 
peuvent distinguer les masses. 

Cette deuxième sorte de rapports est inférieure d’un 
ou plusieurs degrés à la première, dans la quantité de 
ressemblance entre les objets comparés. C’est elle qui 
sert à former des familles en rapprochant des genres 
les uns des autres; à instituer des ordres ou des sections 
d’erdre en réunissant plusieurs familles; enfin, à dé- 
terminer les coupes classiques qui doivent partager la 
série générale. 

Les rapports dont il est question ne peuvent être 
employés à la détermination du rang des masses dans 
la série; mais seulement à former des rapprochements 
divers pour établir et distinguer ces masses. 

De la considération de ces rapports, on doit déduire 
les deux principes suivants : 

Premier principe : Les rapports généraux de la 
deuxième sorte n’exigent point une ressemblance par- 
faite dans l’organisation intérieure des animaux com- 
parés ; ils exigent seulement.que les masses rapprochées, 
se ressemblent plus entre elles , sous ce point de vue, 
qu’elles ne le pourraient avec aucune autre. 


2 — — — 


précédente que cette définition était encore à faire, et que ses éléments 
étaient enveloppés de tant de difficultés que l'on ne pouvait espérer de 
long-temps parvenir à la solution de cette question importante. 


19* 


202 INTRODUCTION, 


Deuxième principe : Plus les masses comparées sont 
grandes ou générales, plus l’organisation intérieure des 
animaux, dans ces masses, peut offrir de différence. 

Ainsi, les familles présentent moins de différence 
dans l’organisation intérieure des animaux qui les 
constituent, que n'en offrent les ordres et sur-tout 
les classes. | 

Troisième sorte de rapports généraux : On peut 
l'appeler rapport de rang, parce qu’elle sert à la dé- 
termination des rangs dans Ja série, et qu’en partant 
d’un point fixe de comparaison, elle montre, effecti- 
vement , entre les objets comparés, un rapport, grand 
ou petit, dans la composition et le perfectionnement 
de l’organisation. 

En effet , on l’obtient en comparant une organisation 
quelconqne, prise dans l’ensemble de ses parties, à 
une autre organisation donnée, qui est présentée comme 
point de départ ou point de comparaison. L’on déter- 
mine alors, par la ressemblance plus ou moins grande 
qui se trouve entre les deux organisations comparées, 
combien celle que l’on compare, s'éloigne ou se rap- 
proche de celle qui est donnée comme point de com- 
paraison. 

Nous allons voir que cette sorte de rapports est vé- 
ritablement la seule qui doive servir à régler les rangs 
de toutes les coupes qui divisent l’échelle animale. 

S'il s’agit ici de choisir une organisation pour en 
former un point de comparaison , afin d’en rapprocher 
oud'enéloigner successivement les autres organisations, 
selon qu’elles ressembleront plus ou moins à celle à 
laquelle on les rapporte, l’on sent que le choix à faire 
ne peut tomber que sur l’une où l’autre extrémité de 
la série des animaux. Dans ce cas, il n’y a pas à ba- 
lancer; l'extrémité la plus counue de cette série doit 
avoir la préférence. Ainsi, er partant de l’organisation 


INTRODUCTION. 293 


la plus compliquée et la plus parfaite, on se dirigera 
du plus composé vers le plus simple ; dans la détermi- 
nation de tous les rangs, et l’on terminera la série par 
la plus simple et la plus imparfaite de toutes les orga- 
nisations animales. 

J'ai déjà fait remarquer que, de toutes les organi- 
sations, celle de l’homme était véritablement la plus 
composée, el à la fois la plus perfectionnée dans son 
ensemble. De là, j'ai été autorisé à conclure que, plus 
une organisation animale approche de la sienne, plus 
elle est composée et avancée vers son perfectionnement. 

Cela étant ainsi, l’organisation 4e l’homme sera 
notre point de comparaison et de départ pour juger le 
rapport prochain ou éloigné de chaque sorte d’organi- 
sation animale, avec elle, et pour déterminer, sans 
arbitraire, le raug que doit occuper , dans la série gé- 
nérale, chacune des coupes qui la divisent. 

L'organisation citée nous fournira, dans la consi- 
dération de l’ensemble de ses parties, les moyens de 
juger du degré de composition et de perfectionnement 
de chaque organisation animale, prise aussi dans l’en- 
semble de ses parties. Mais, dans les cas douteux, on 
fera facilement disparaître l'incertitude et l'embarras, 
en ayant recours à Ja quatrième sorte de rapports; aux 
principes qui concernent la comparaison de divers 
organes, considérés séparément; en un mot, à ceux 
qui établissent une valeur prédominante à certains de 
ces organes , sur celle des autres. 

Ainsi, notre point de comparaison et de départ 
étant trouvé , les rangs de toutes les coupes pourront 
être facilement assignés, à l’aide des principes que 
nous établissons ci-après. 

Premier principe : Pour la détermination du rang 
de chaque masse dans la série, la plus compliquée et 
la plus perfectionnée des organisations animales étant 


204 INTRODUCTION. 


prise pour point fixe de comparaison, plus une orga- 
nisation animale, considérée dans l’ensemble de ses 
|; is ressembiera à celle du point de comparaison, 
plus aussi elle en sera rapprochée par ses rapports, et 
réciproquement pour les cas contraires. 

Second principe : Parmi les organisations dont les 
plans sont différents de celui qui comprend l’organi- 
sation choisie comme point de comparaison, celles qui 
offriront un ou plusieurs systèmes d’organes semblables 
ou analogues à ceux qui font partie de l’organisation 
à laquelle on les compare, auront un rang supérieur à 
celles qui auraient moins de ces organes, ou qui en 
manqueraient. 

À l’aide des trois sortes de rapports ci-dessus indi- 
qués, et des principes qui s’en Géduisent, on détermi- 
nera facilement les distinctions des espèces et celles des 
masses diverses qu’elles doivent former; et ensuite 
l’on décidera , sans arbitraire, le rang de chacune de 
ces masses dans la série. Dès lors, la science cessera 
d’être vacillante dans sa marche. 

Mais nos efforts seraient incomplets et laisseraient 
encore une grande prise à cet arbitraire, si nous n’en- 
treprenions de fixer la valeur des rapports particuliers, 
c’est-à-dire, de ceux que l’on obtient par la compa- 
raison d’organes intérieurs particuliers, considérés 
isolément dans différents animaux. 


** Rapports entre des parties semblables ou ana- 
logues, prises isolément dans l’organisation de 
différents animaux , et comparées entre elles. 


La quatrième sorte de rapports n’embrasse que les 
rapports particuliers entre des parties non modifiées. 
Ainsi, c’est celle qui se tire de la comparaison de par- 


INTRODUCTION. 295 


ties considérées séparément, et qui, dans le système 
d'organisation auquel elles appartiennent, n'offrent 
aucune anomalie réelle. 

La considération de cette sorte de rapports peut 
être d’un grand secours pour décider tous les cas dou- 
teux, lorsqu'il s’agit de déterminer , entre certaines 
coupes comparées , quelle est celle qui doit avoir une 
supériorité de rang. Or, ces cas douteux sont ceux où 
l’ensemble des parties &e l’organisation intérieure ne 
présente, dans les deux organisations comparées , au- 
cun moyen de décider, sans arbitraire, à laquelle de 
ces deux organisations appartient la supériorité dont 
il s’agit. 

C’est particulièrement pour la formation et le pla- 
cement des ordres, des sections, des familles, et même 
des genres, dans chaque classe, et par conséquent pour 
assigner les rangs de toutes ces coupes inférieures, que 
l'emploi de cette quatrième sorte de rapports sera 
utile; car, à l’égard de ces coupes, les principes de la 
troisième sorte de rapports sont souvent difficiles à 
appliquer. Or, c’est ici que l’arbitraire s’introduit fa- 
cilement , et qu'il anéantit la science, en exposant les 
travaux des naturalistes à une variation continuelle 
dans la détermination des rapports qui doivent fixer 
la composition des coupes, et dans celles des rangs à 
donner à ces mêmes coupes. 

En effet, comme beaucoup d'animaux, justement 
rapprochés par des rapports généraux et par les carac- 
tères de leur classe, peuvent offrir entre eux des dif- 
férences remarquables dans certains de leurs organes 
intérieurs , et néanmoins des ressemblances pareille- 
ment remarquables dans.leurs autres organes inté- 
rieurs , on sent que, pour apprécier le degré d’impor- 
tance que peuvent avoir les rapports qui existent en- 
tre des organes particuliers, il faut avoir recours à 


296 INTRODUCTION. 


quelques principes régulateurs de ces déterminations, 
afin de ne rien laisser à l'arbitraire. 

Voici deux principes qui peuvent faire apprécier 
les rapports qu’on observera entre des organes iaté- 
rieurs particuliers, dans différents animaux comparés. 

Premier principe : Entre deux organes ou systèmes 
d'organes intérieurs, considérés séparément et com- 
parés, celui dont la nature aura fait un emploi plus 
général , devra avoir sur l’autre une prééminence de 
valeur dans les rapports qu’il offrira. 

D'après ce principe, voici l’ordre d'importance qu'il 
faut attribuer aux organes particuliers que la nature 
a employés dans l’organisation intérieure des ani- 
maux. 

Les organes de la digestion ; 
Ceux de la respiration ; 
Ceux du mouvement ; 

Ceux de la génération: 
Ceux du sentiment ; 

Ceux de la circulation. 

Ainsi, sous la considération de Ja plus grande géné- 
ralité d'emploi des organes particuliers dont la na- 
ture a fait usage dans l’organisation ‘intérieure des 
animaux, on voit que les organes de la digestion sont 
au premier rang, et que ceux de la circulation occu- 
pent le dernier. Voilà donc un ordre de valeur , à l'é- 
gard des organes importants que je cite, qui pourra 
régler, dans les cas douteux , la préférence que méri- 
tera un rapport sur un autre. 

Second principe : Entre deux modes différents d’un 
même organe ou système d'organes, celui des deux qui 
sera plus analogue au mode employé dans une organi- 
sation supérieure en composition et en perfectionne- 
ment, méritera la préférence sur l’autre, pour les rap- 
ports qu'il offrira. 


INTRODUCTION. 397 


Si, par exemple, je veux employer un rapport que 
m'offrent les organes de la respiration, pour juger de 
la préférence que peut mériter ce rapport sur celui 
que m'offriraient d’autres organes je suis obligé, 
d’après le principe ci-dessus , d’avoir égard à la consi- 
dération suivante. 

Quoique le système d’organes particulier pour la 
respiration ait une grande généralité d’emploi dans 
l’organisation animale, puisque, sauf les infusoires etles 
polypes, tous les autres animaux possèdent un système 
respiratoire particulier ; cependant, le mode de ce sys- 
tème n'étant pas le même dans les animaux qui en-sont 
pourvus, je sens que le vrai poumon l'emporte en va- 
leur sur les branchies, que celles-ci ont une valeur 
plus grande que les trachées aérifères , et que ces der- 
nières sont supérieures, sous le même point de vue, 
aux trachées aquifères qu’il ne faut pas confondre avec 
les branchies. Alors , je peux juger si le mode des or- 
ganes respiratoires, dont je veux employer le rapport, 
est assez élevé en valeur pour me permettre de lui don- 
ner la préférence sur un rapport tiré de quelque 
autre sorte d’organes. 

La cinquième sorte de rapports embrasse les rapports 
particuliers entre des parties modifiées. Elle exige 
donc, dans les parties comparées, la distinction de ce 
qui est dü au plan réel de la nature, d’avec ce qui 
appartient aux modifications que ce plan a été forcé 
d’éprouver par des causes accidentelles. 

Ainsi, cette sorte de rapports se tire des parties qui, 
considérées séparément dans différents animaux, ne 
sont point dans l’état où elles devraient être suivant 
le plan d'organisation auquel elles appartiennent. 

En effet, pour juger le degré d'importance qu’il faut 
accorder à un rapport, et la préférence qu’il doit avoir 
sur un autre, il n’est point du tout indifférent de dis- 


298 INTRODUCTION. 


tinguer si la forme, l’aggrandissement, l” appauvrisse- 
ment ou même la disparition totale des organes consi- 
dérés, appartiennent au plan d'organisation des ani- 
maux qui en sont le sujet ; ou si l’état de ces organes 
n’est pas le produit d’une cause modifiante et déter- 
minable, qui a changé, altéré ou anéanti ce que la 
nature eût exécuté sans l'influence de cette cause. 

Par exemple , il eût été impossible à la nature de 
donner une tête aux infusoires , aux polypes, aux ra- 
diaires, etc. ; car l’état de ces corps, le degré de leur 
organisation, nele lui permirent pas; et ce ne fut, effec- 
tivement , que dans les insectes qu’elle est parvenue à 
donner au corps animal une véritable téte. 

Or, comme la nature ne rétrograde point elle-même 
dans ses opérations , on doit sentir qu ’étant arrivée à 
la formation Ges insectes, el par conséquent à celle 
d’une tête, réceptacle des sens particuliers , toutes les 
organisations animales , supérieures en composition à 
celle des insectes, devront offrir aussi une véritable 
tête. Cela n’est cependant pas toujours vrai. Bien des 
annelides, les cirrhipèdes, et beaucoup de mollusques 
n’ont point de tête distincte. Une cause étrangère à la 
nature, en un mot , une cause modifiante et determi- 
nable , s’est donc opposée à ce que les animaux cités 
soient pourvus d’une véritable téte. Tantôt, en effet, 
cette cause a empêché plus ou moins le développement 
de cette partie du corps, et tantôt même elle en a opéré 
l'avortement complet. 

Nous trouvons la même chose à l'égard des yeux qui 
appartiennent à des plans d'organisation qui doivent 
en offrir ; la même chose aussi à l’égard des dents ; en- 
fin, la même encore qui a lieu relativement à diffé- 
rentes parties de l’organisation, tant intérieures qu'ex- 
térieuves, parce qu’une cause modifiante , que j'ai 
signalée, a eu le pouvoir de changer, d’aggranüir, 


INTRODUCTION. 209 


d'appauvrir, et même de faire FR les organes 
que je viens de citer. 

On senc donc que les isosé que l’on obtiendrait 
de la considération de ces parties changées ou altérées, 
seraient d’une valeur fort inférieure à ceux que four- 
niraient les mêmes parties, se trouvant ce qu’elles 
doivent être dans le plan d'organisation où la nature est 
parvenue. De cette considération résulte le principe 
suivant, 

Principe : Tout ce qu'a fait directement la nature, 
devant avoir une prééminence de valeur sur ce qui 
n’est que le produit d’une cause fortuite qui a modifié 
son ouvrage, on donnera dans ie choix d’un rapport à 
employer, la préférence à tout organe ou système d’or- 
ganes qui se trouvera ce qu'il doit être dans le plan 
d’organisation dont il fait partie, sur l’organe ou le 
système d’organes dont l’état ou l’existence résulterait 
d’une cause modifiante, étrangère à la nature. 

Dans le cas où les deux organes différents entre les- 
quels un choix est à faire, se trouveraient l’un et l’au- 
tre changés ou altérés par une cause modifiante , on 
donnera la préférence à celui des deux dont les chan- 
gements ou les altérations l’éloigneront moins de l’état 
où il devait être dans le plan d’organisation auquel il 
appartient. 

Telles sont les cinq sortes de rapports qu’il importe 
de distinguer, si l’on veut obtenir des principes qui in- 
terdisent l’arbitraire dans la détermination des vrais 
rapports et de leur valeur. Voici le tableau résumé de 


ces pri ncipes. 


300 INTRODUCTION. 


TABLEAU DES PRINCIPES POUR LA DÉTERMINATION 
DES RAPPORTS , SELON LEURS DIFFÉRENTES SORTES. 


æ- 


(Prémière sorte : rapports d'espèces.) 


Premier principe : Dans quelque rang que ce soit de 
l'échelle animale, le plus grand des rapports entre des 
animaux différents, est celui qui sert à rapprocher im- 
médiatement les races entre elles. Ce rapport exige, 
dans les animaux rapprochés, une grande ressemblance 
dans leur organisation intérieure ; les différences prin- 
cipales qui distinguent ces animaux devant se trouver 
dans des particularités de leur forme, de leur taille ou 
de leurs parties externes {1). | 


(Deuxième sorte : rapports de masses.) 


Second principe : Les rapports qui servent à former 
des masses et à les distinguer, ne doivent se tirer que 
de l’ensemble des parties qui composent l’organisation 
intérieure. Ils n’exigent jamais une ressemblance par- 
faite dans l’organisation intérieure des animaux de 
ces masses; mais seulement que les masses rapprochées 
se ressemblent plus entre elles qu’à aucune autre par 
l’organisation intérieure des animaux qu'elles embras- 
sent. 

Troisième principe : Plus les masses comparées sont 
grandes ou générales, plus l’organisation intérieure 
des animaux de ces masses doit offrir de différence. 


(1) Il aurait peut-être fallu ajouter que dans chaque espèce les orga- 
nes de la géfiération, chez ceux des animaux qui les possèdent, présen- 
tent toujours des différences notables, et assez faciles à apprécier. 


_ 


INTRODUCTION, ; 3ot 
(Troisième sorte : rapports de rangs.) 


Quatrième principe : La plus compliquée et la plus 
perfectionnée des organisations animales étant prise 
pour point fixe de comparaison, plus une organisation 
animale, considérée dans l’ensemble de ses parties, 
ressemblera à celle du point de comparaison , plus elle 
en sera rapprochée par ses rapports, et vice versé. 

Cinquième principe : Parmi les organisations dont 
les plans sont différents de celui de l’organisation choi- 
sie pour point, fixe de comparaison , celles qui offriront 
un ou plusieurs systèmes d’organes semblables ou ana- 
logues à ceux qui se trouvent dans l'organisation à 
laquelle on les compare, auront un rang supérieur à 
celles qui auraient moins de ces organes, ou qui en 
manqueraient. . 


(Quatrième sorte : rapports entre des parties considé- 
rées séparément, et qu'aucune cause particulière n’a 


modifiées.) 


Sixième principe : Entre deux organes ou systèmes 
d'organes intérieurs, considérés séparément et compa- 
rés, celui dont la nature aura fait un emploi plus 
général, devra avoir sur l’autre une prééminence de 
valeur dans les rapports qu’il offrira. Sous ce point de 
vue, l’ordre d'importance qu’il faut attribuer aux or- 
ganes intérieurs est le suivant : 


Les organes de Ja digestion: 
Ceux de la respiration ; 
Ceux du mouvement: 

Ceux de la génération; 
Ceux du sentiment ; 

Ceux de Ja circulation. 


302 INTRODUCTION. 


Septième principe : Entre deux modes différents d’un 
même système d'organes, celui des deux qui sera plus 
analogue au mode déjà employé dans une organisation 
supérieure en composition et en perfectionnement , 
méritera la préférence sur l’autre, pour les rapports 
qu'il offrira. | 


(Cinquième sorte : rapports entre des parties considé- 
rées séparément , et qu’une cause particulière a mo- 


difiées.) 


Huitième principe : Tout ce qu'a fait directement 
la nature, devant avoir une prééminence de valeur sur 
ce qui n’est que le produit d’une cause fortuite qui a 
modifié son ouvrage, on donnera, dans le choix d’un 
rapport à employer, la préférence à tout organe ou sys- 
tème d’organés, qui se trouvera ce qu’il doit être sui- 
vant le plan d'organisation dont il fait partie, sur l’or- 
gane où le système d’arganes dont l’état ou l’existence 
résulterait d’une cause modifiante étrangère à la na- 
ture. 

Dans le cas où les deux organes différents, entre 
lesquels un choix est à faire, se trouveraient l'un et 
l’autre changés ou altérés par urie cause modifiante, 
on donnéra la préférence à celui des deux dont les 
changements ou les altérations l’éloigneront moins de 
l'état où il devait être dans le plan d'organisation au- 
quel il appartient. | 

Les huit principes régulateurs que je viens de pro- 
poser, me paraissent à l’abri de toute objection raison- 
nable , et jes seuls propres à remplir l’objet pour lequel 
je les destine. Ils fourniront les moyens d'établir sans 
arbitraire, un ordre de valeur parmi les rapports qui 
doivent servir à former la distribution, fixer les rangs 
des objets, et faciliter les lignes de séparation à établir 


INTRODUCTION. 303 


pour l'institution la plus convenable des genres, des 
familles, des ordres, des classes, et des coupes primaires 
parmi les animaux. 

En détruisant l'arbitraire qui anéantit les progrès 
des sciences naturelles, puisque cet arbitraire fait va- 
rier sans cesse les résultats des eflorts que l’on fait 
pour les perfectionner, ces principes donneront, si on 
les admet, une uniformité de plan très nécessaire aux 
travaux dans lesquels on s’occupera de ces chjets; et 
alors, notre distribution des animaux se perfectionnera 
de plus en plus; nos connaissances dans l’étude des 
lois et de la marche de la nature, à l'égard de ses pro- 
ductions, y gagneront infiniment; et les sciences zoo- 
logiques, particulièrement, en obtiendront une solidité 
qu’elles n’ont pas encore. 

Il restera un peu d’arbitraire dans la détermination 
du rang respectif des espèces dans leurs genres, et 
quelquefois même de celui des genres dans leurs fa- 
milles; parce que les principes régulateurs proposés ne 
sont facilement applicables qu’à l'égard des différences 
remarquables dans les traits de l’organisation intérieure, 
Mais l'expérience dans l'étude de da nature et un 
sentiment de convénance que je ne saurais définir, 
achèveront de détruire, dans le zoologiste, cette der 
hière retraite de l’arbitraire. 

Troisième question : Quelle disposition faut-il donner 
à la distribution générale des animaux, pour qu’elle 
soit conforme à l’ordre de la nature dans la production 
de ces êtres ? 

Pour résoudre cette question, il s’agit encore ici de 
trouver quelque principe pris dans la nature même ; 
afin de pouvoir s’y conformer; car, si l’on a déterminé 
la distribution générale des animaux d’après la pro- 
gression qui existe dans la composition de l’organisation 
animale, il semble que l’on puisse, dans cette pro- 


304 INTRODUCTION. 


gression , procéder avec autant de raison du plus com- 
posé vers le plus sm ple, que du plus simple vers le 
plus composé. Cela n’est cependant pas fondé; et la 
nature, consultée dans l’ordre de ses opérations à l'é- 
gard des animaux, nous indique le principe suivant, 
qui ne nous permet à ce sujet aucun arbitraire. (1) 


La nature n’opérant rien que graduellement . et par 
cela même, n'ayant pu produire les animaux que 
successivement , a évidemment procédé, dans cette 
production, du plus simple vers le plus composé. 


Si, comme j'en suis convaincu, l’on doit reconnaître 
que, dans tout ce qu’elle fait, la nature n’opère que 
craduellement, et que, si c’est elle qui a produit les 
- : |! 
animaux, elle n’a pu donner l'existence à leurs races 
diverses que successivement, il est évident que, dans 

pti que ; 
cette production, elle a passé progressivement du plus 


— ———_—_—— mé. 


(1) Nous devons faire observer que ce qui précède se rattache à deux 
sortes de choses, qu'il faut bien distinguer : à l’anatomie comparée, et à 
l’art de la méthode, L’anatomie comparée , comme l'indique son nom, est 
une science toute de comparaison ; on prend le type le plus parfait de 
l'organisation, et l’on vient comparer les autres organisations pour sa- 
voir ce qui leur manque, Si l'anatomie comparée doit donner aussi des 
moyens de classification pour lesaniaux, il faut, pour être conséquent 
à ses principes, que l’arrangement proposé procède du composé vers le 
simple, c’est-à-dire, par synthèse; mais si la méthode est un art indé- 
pendant de l'anatomie comparée, puisant dans celte science comme 
dans toutes les antrés, ses éléments et ses principes , s'il se réduit ra- 
tionnellement à un moyen artificiel de mettre de l’ordre dans les faits 
soumis à l’observation , dès lors il deviendra rationnel de faire des 
efforts pour que l’ordre méthodique se rapproche le plus possible de 
l’ordre naturel et représente la marche de la nature dans la création suc- 
cessive des êtres : la méthode d'analyse devra donc ètre préférée comme 
la plus propre à faire comprendre comment les animaux semblent dé- 
river Les uns des autres, et comment les rapports naturels les enchai- 
pent, 


INTRODUCTION, 305 


simple au plus composé. On doit donc disposer la dis- 
tribution générale des animaux d’après cette considé- 
ration, afin d’imiter l’ordre que la nature a suivi. 

J'ai, en effet, montré, dans ma Philosophie zoolo- 
gique (vol. 1, p.269), que, pour rendre la distribution 
générale des animaux conforme à l’ordre qa’a suivi 
Ja nature en produisant toutes les races qui existent, 
il fallait procéder du plus simple vers le plus composé, 
c’est-à-dire, qu il était nécessaire de commencer cette 
distribution par les plus imparfaits des animaux, et 
les plus simples en organisation, afin de la terminer 
par les plus parfaits, par ceux qui ont l’organisation 
la plus composée. 

Cet ordre est le seul qui soit naturel, instructif 
pour nous, favorable à nos études de la nature, et qui 
puisse, en outre, nous faire connaître la marche de 
cette dernière , ses moyens ét les lois qui régissent ses 
opérations à leur égard. 

Par cette disposition, et ayant préalablement assu- 
jetti par-tout la distribution des objets à l’ordre des 
rapports, et formé les coupes classiques , nous rendons 
la connaissance des progrès dans la composition de 
l’organisation plus facile à saisir , et nous nous mettons 
dans le cas d’apercevoir plus facilement ; soit les causes 
de ces progrès, soit celles qui les modifient ou les in- 
terrompent cà et là. (Phil. zool., vol. 1, p. 132 à 135.) 

On trouvera probablement moins agréable et moins 
conforme à nos goûts, de présenter en tête du règne 
animal, des animaux très imparfaits, à peine percep- 
tibles, presque sans consistance dans leurs parties, et 
dont les facultés sont extrêmement bornées; an lieu 
d'y voir les animaux les plus avancés dans la compo- 
sition et le perfectionnement de l’organisation, ceux 
qui ont le plus de facultés, le plus de moyens pour 
varier leurs actions, en un mot, le plus d'intelligence; 


Tone 1, 20 


306 INTRODUCTION. 


et comme ces derniers sont ceux qu'on a le plus ob- 
servés et ie mieux étudiés, on pourra même regarder 
comme plus raisonnable de procéder, à l'égard des 
animaux, du plus connu vers ce qui l’est je moins, 
que de suivre une route opposée. 

Cependant, comme Gans toute chose il faut consi- 
dérer la fin qu’on se propose, et les moyens qui peuvent 
conduire au but, je crois qu'il est facile de démontrer 
que l’ordre généralement établi par l'usage dans la 
distribution des animaux, est précisément celui qui 
nous éloigne le plus du but qu'il nous importe d’at- 
teindre; que c’est celui qui est le moins favorable à 
notre instruction ; en un mot, celui qui oppose le plus 
d'obstacles à ce que nous saisissions le plan, l’ordre et 
les moyens qu'emploie la nature dans ses opérations à 
l'égard des animaux. 

Dans l’examen et l’étude même que l’on fait de ces 
corps vivants, s’il n’était question que de les distinguer 
les uns des autres par les caractères de leur forme ex- 
térieure, et si l’on ne devait considérer leurs diverses 
facultés que comme de simples objets d’amusement, 
c’est-à-dire, des objets propres à piquer notre curiosité 
dans nos loisirs, mais qui ne sauraient exciter en nous 
le désir d’en rechercher et d’en approfondir les causes, 
je conviens que l’ordre de distribution dont je viens 
de parler serait celui qui devrait le moins nous plaire, 
quoiqu'il soit le plus naturel. Dans ce cas, il serait 
aussi fort inutile de s’occuper de rechercher les rapports 
parmi les animaux, et d'étudier leur organisation in- 
térieure. 

Or, tous les naturalistes conviennent maintenant 
de limportance des rapports; et de la nécessité d’y 
avoir égard dans nos associations et dans nos distri- 
butions des productions de la nature. D'où vient donc 
cette importance des rapports, el pourquoi reconnais 


INTRODUCTION. 307 


sons-nous la nécessité d’y avoir égard dans nos distri- 
butions, si ce n’est parce qu’ils nous conduisent réelle- 
ment à la connaissance de ce qu’a fait la nature; parce 
que, n'étant pas notre ouvrage, nous ne pouvons les 
changer à notre gré; parce que ce sont eux qui nous 
forcent de rapprocher les uns des autres certains des 
objets qu’ils concernent et d’en écarter d’autres plus 
ou moins; enfin, parce qu'ils nous font sentir indi- 
rectement que, dans ses productions, la nature a un 
ordre particulier et déterminable qu’il nous importe 
de reconnaître et de suivre dans nos études. 

Lorsque des rapports reconnus, parmi les animaux, 
ont fixé le rang de ces êtres, quel est le zoologiste qui 
voudrait arbitrairement les placer ailleurs! Quel est 
celui qui voudrait ranger les chauve-souris dans la 
classe des oiseaux, parce qu’elles planent dans les airs; 
les phoques ou les baleines parmi les poissons, parce 
que le milieu dense qu’habitent ces animaux leur 
donne quelque analogie de forme entre eux; enïn, les 
sèches avec les polypes, parce qu'elles ont aussi des 
espèces de bras autour de leur bouche! 

Puisque les rapports reconnus nous entraînent, et 
donnent à celles de nos distributions qui s’y confor- 
ment , une solidité à labri des variations de nos opi- 
nions, nous sentons donc qu'il y a pour nous un 
véritable intérêt à établir nos distributions le plus 
conformément qu’il nous est possible à l’ordre même 
de la nature, afin qu’elles le représentent et le fassent 
mieux connaître. 

Maintenant, si nous trouvons qu'il soit de quelque 
utilité pour nous d’étudier la nature, de connaître son 
ordre particulier, de le représenter dans nos distribu- 
tions, ne deyons-nous pas commencer comme elle en 
procédant du plus simple vers le plus composé; car, ou 


assurément elle n’a rien opéré, ou, si les animaux font 


20* 


308 INTRODUCTION. 


partie de ses productions, elle n’a point commencé par 
les plus composés et les plus parfaits. 

Ainsi, l’ordre de distribution que j’ai proposé à l’é- 
gard des animaux, que je viens de motiver, dont je 
fais usage depuis plusieurs années dans mes lecons au 
Muséum, et dont on trouve l’exposition dans ma Phi- 
losophie zoologique (vol. 1, p. 269), devient indispen- 
sable, et ne peut être suppléé par aucun autre. 

IL établit d’ailleurs cette conformité entre la zoologie 
et la botanique, que, de part et d’autre, la méthode 
employée comme naturelle, présentera une distribution 
dans laquelle on doit procéder du plus simple vers le 


plus com posé. 


Distribution générale des animaux, partagée en coupes 
primaires et en coupes classiques. 


La disposition à donner à l’ordre des animaux étant 
arrêtée, si nous parcourons et si nous examinons Ja 
distribution entière de tous ces corps vivants, rangés 
conformément à leurs rapports et aux principes cités 
ci-dessus, nous remarquons la pessibilité, luvilité 
même de diviser leur série générale , en deux coupes 
principales, qui comprennent chacune un certain 
nombre de classes. 

En effet, ces deux coupes sont singulièrement distin- 
guées l’une de l’autre, en ce que la première, qui est 
la plus nombreuse et qui comprend les animaux les plus 
imparfails, erabrasse une série d'animaux qui tous sont 
dépourvus de colonne vertébrale, et qui présentent 
par masses des plans d'organisation si différents les 
uns des autres, qu’on peut dire qu’ils n’ont de commun 
éntre eux que la possession de la vie animale. Tandis 
que ceux de la seconde coupe, parmi lesquels se trouvent 
les animaux les plus parfaits, possèdent toute une 


0 
INTRODUCTION, 309 


colonne vertébrale, base d’un véritable squelelte, et 
sont formés à peu près sur un même plan d'organisation; 
mais qui est, néanmoins, plus ou moins avancé, per- 
fectionné et modifié, selon le rang des classes comprises 
dans cette coupe. 


Dans mon premier cours de zoologie au Muséum 
d'histoire naturelle, je donnai aux animaux de la pre- 
mière coupe le nom d'animaux sans vertèbres ; et, par 
opposition, je nommai animaux vertébrés ceux de la 
seconde. 

Je n’ai pas besoin de dire que c'est parmi ces derniers 
(les animaux vertébrés), que se trouvent ceux dont 
l’organisation approche le plus de celle de l’homme ; 
ceux qui ont cflectivement l’organisation la pius com- 
posée, la plus compliquée en organes particuliers , 
ceux, enfin, qui offrent parmi eux le plus haut degré 
d’animalisation et le plus grand perfectionnement dans 
les facultés du premier ordre où la nature ait pu arriver 
dans les animaux. Tous ces animaux sont, en eflet, 
munis d’un squeleite articulé, plus onu moins complet, 
dont la colonne vertébrale, partout existante, fait 
essentiellement la base. 


Par cette division, d’une part, je détachais, pour 
ainsi dire, et je meltais mieux en évidence les animaux 
vertébrés, dont le plan général d’organisation est 
commun avec celui de l’organisation de l’homme; et, 
de l’autre part, j'en séparais l'énorme série des animaux 
sans vertèbres qui, loin d’être formés sur un plan 
commun d'organisation, offrent entre eux des systèmes 
d'organes très différents les uns des autres. 

La distinction des animaux vertébrés d’avec les ani- 
maux sans vertèbres est sans doute très bonne, impor- 
tante même; mais elle ne me paraît pas suflire au besoin 
de la science. et ne montre pas ce que la nature elle- 


A 


310 INTRODUCTION. 


même indique à l'égard des nombreux animaux sans 
vertèbres. 

En effet, comme les deux coupes, qui résultent de 
cette distinction, sont très inégales, puisque les vertébrés 
embrassent à peine un dixième des animaux connus ; 
j'ai pensé depuis, qu’il serait avantageux pour l’étude 
et même conforme à l'indication de la nature , de par- 
tager en deux coupes principales les animaux sans ver- 
tèbres eux-mêmes. 

En conséquence, remarquant que, parmi ces der- 
niers , les uns, en très grand nombre, avaient tous les 
organes du mouvement attachés sous la peau, etoffraient 
symétriquement, dans leur forme, des parties paires 
sur deux rangs opposés, tandis que rien de semblable 
n’avait lieu dans les autres; je proposai dans mon cours 
de zoologie, en mai 1812 , de distinguer ces deux sortes 
d’animaux comme constituant deux coupes naturelles 
parmi les invertébrés. 

Par ce moyen, l’échelle animale se trouvera partagée 
naturellement en trois coupes primaires, supérieures 
aux coupes classiques. Lesanimaux vertébrés fournissent 
la première de ces trois coupes, et les animaux sans 
vertèbres donnent la. deuxième et la troisième, ou in- 
versement. Ces divisions seront instructives, commodes 
pour l'étude, et faciliteront le placement, dans la 
mémoire, des objets qu’elles embrassent. 

Il ne s’agissait donc plus que d’assigner à chacune 
de ces trois coupes une dénomination comparative, 
renfermant une idée importante relativement aux ani- 
maux qui s’y rapportent. C’est ce que j'ai fait, en 
considérant , dans ces mêmes animaux, l’exclusion ou 
la possession des facultés les plus éminentes dont la 
nature animale puisse être douée; savoir : le sentiment 
et l’intelligence. 

En considérant encore attentivement les objets sur 


INTRODUCTION. 3ri 


lesquels j'avais à prononcer , je fus bientôt convaincu 
que ce n'était pas seulement par des différences de 
forme et de situation des parties, que les animaux de 
chacune des deux coupes qui divisent les invertébrés , 
sont distingués les uns des autres; car, ils le sont 
aussi singulièrement par la nature des facultés qui leur 
sont propres. 

En eflet , les uns ne sauraient jouir de la faculté de 
sentir, puisqu'ils ne possèdent point le système d’or- 
ganes particulier, qui seul peut donner lieu à cette 
faculté; et les mouvements qu’ils exécutent , attestent, 
effectivement, qu’ils ne se meuvent que par leur irri- 
tabilité excitée par des causes externes. 

Les autres, au contraire, possédant tous un système 
nerveux, assez avancé dans sa composition pour pro- 
duire en eux le sentiment, l’observation de leurs mou- 
vements et de leurs habitudes prouve qu’ils en jouissent 
réellement, et qu’ils se meuvent très souvent par des 
excitations internes, qui proviennent des émotions de 
leur sentiment intérieur. 

Les premiers sont donc des animaux apathiques ; 
tandis que les seconds sont véritablement des animaux 
sensibles. 

Voilà, pour les animaux sans vertèbres, un partage 
fortement tracé, et qui donne lieu parmi eux à deux 
coupes très distinctes; d’autant plus que chacune de 
ces coupes est caractérisée par des différences de forme 
et de situation des parties dans les animaux qui en 
dépendent. 

Ce n’est pas tout : si, parmi les animaux sans ver- 
tèbres , il y en a quantité qui jouissent de la faculté de 
sentir, on peut prouver par l’observation des faits re- 
latifs à leurs actions habituelles, qu'aucun d’eux ne 
possède des faculiés d'intelligence. 

En effet, on n’en a vu aucun varier arbitrairement 


313 INTRODUCTION. 


ses actions; on n’en à Vu aucun parvenir au but où 
il tend dans chaque besoin, par des actions différentes 
de celles auxquelles les individus de sa race sont géné- 
ralement habitués. Tous, effectivement, dans chaque 
race, font constamment, de la même manière, les 
actions qui satisfont à leurs besoins et qui servent à 
leur conservation, ou à leur reproduction. 1] n'ont 
donc pas la faculté de combiner des idées , de penser , 
d’exécuter des actes d'intelligence. 

Or, il n’en est pas de même des animaux wertebrés : 
ceux-ci, non-seulement sont généralement sensibles ; 
mais, en outre, on a des preuves par l’observation, 
que, parmi ces animaux, beaucoup d’entre eux peuvent 
à propos varier leurs actions; qu'ils ont des idées con- 
servables; qu’ils combinent ces idées; qu’ils ont des 
songes pendant leur sommeil; qu'ils comparent, jugent, 
inventent des moyens; qu’ils sont susceptibles d’é- 
prouver de la joie, de la tristesse, de la crainte, de la 
colère, de l’envie, de l’attachement, de la haine, etc.; 
et qu’en un mot, ils sont doués de facultés d’intelli- 
gence. Si ces facultés n’ont pas été observées positive- 
ment dans tous les animaux vertébrés, néanmoins, 
comme leur plan d'organisation est à peu près le même 
dans tous, quoique plus ou moins avancé dans son 
développement et son perfectionnement, onest tout-à- 
fait autorisé à leur attribuer à tous l'intelligence , mais 
dans différents degrés. 

J'ai donc été fondé à partager les animaux en trois 
grandes coupes, de la manière suivante : 


YNTRODUCTION, 


313 


DISTRIBUTION GENÉRALE 


ET DIVISIONS PRIMAIRES DES ANIMAUX: 


* ANIMAUX APATHIQUES. 


I, LES INFUSOIRES. 
2. LES POLYPES. 
3. LES RADIAIRES. 
4. LES VERS. 

( ÉPizoaiRes. ) 


‘* ANIMAUX SENSIBLES: 


+ LES INSECTESe 
LES ARACHNIDES, 
LES CRUSTACÉS. 


+ LES ANNELIDES. 


© @u 


. LES CIRRHIPÈDES. 


10, LES MOLLUSQUES. 


“* ANIMAUX INTELLIGENTS: 


11. LES POISSONS. 
12. LES REPTILES. 
13. LES OISEAUX. 
14. LES MAMMIFÈRES. 


Ils ne sentent point, et ne se meu- 
vent que par leur irritabilité 
excilée. 

Caract. Point de cerveau , ni de 
masse médullaire alongée; point 
de sens; formes variées; rare- 
ment des articulations. 


Ils sentent , mais n’obliennent de 
leurs sensations que des percep- 
tions des objets , espèces d'idées 
simples qu'ils ne peuvent com- 
biner entre elles pour en obtenir 
de complexes. 

Caract. Point de colonne verté- 
brale ; un cerveau et le plus 
souvent une masse médullaire 
alongée; quelques sens distincts; 
les organes du mouvement atla- 
chés sous la peau ; forme symé- 
trique par des parties paires. 


Ils sentent; acquièrent des idées 
conservables; exécutent des opé- 
rations entre ces idées , qui leur 
en fournissent d’autres ; et sont 
iutelligents dans différents de- 
gres. 

Caract. Une colonne vertébrale ; 
un cerveau et une moelle épi- 
nière ; des sens distincts ; les 
organes du mouvement fixés sur 
les parties d'un squelette inté- 
rieur ; forme symétrique par des 
parties paires. 


1 


*SAUAALUAA SNYS XAVNINV 


*“SAUAHIUAA XAVNINV 


314 INTRODUCTION. 


L'ordre que l’on voit dans le tableau qui vient d’être 
exposé, me paraît représenter le plus possible, celui 
de la composition croissante de l’organisation des ari- 
maux, celui qui doit régler leur distribution en une 
série générale, celui même qui indique, à très peu près 
dans son ensemble, la marche qu’a suivie la nature en 
donnant l’existence aux différentes races de ces êtres. 

Passons maintenant à l’exposition des animaux sans 
vertèbres, et particulièrement à celle de leurs classes, 
de leurs ordres, de leurs familles, de leurs genres et 


des principales de leurs espèces, en citant ce qui peut 
intéresser à leur égard. 


SUPPLÉMENT 


A la distribution générale des Animaux , concernant 
l’ordre réel de formation relatif à ces étres. 


D’après des observations récentes, faites par MM. Sa- 
vigny , Lesueur et Desmarets, sur des animaux que 
l’on avait regardés la plupart comme des polypes, je 
me vois obligé de former une nouvelle coupe qui me 
semble ne pouvoir faire partie d'aucune des classes 
déjà établies dans le règne animal. 

La considération de cette nouvelle coupe, que je 
place provisoirement après les radiaires, mais qui ne 
paraît pas en être une continuation ou un dérivé, m'a 
fait sentir la nécessité de distinguer la série unique et 
simple que nous sommes forcés de former pour faciliter 
nos études des animaux, de l’ordre réel ou effectif de 
la production de ces êtres, ordre assujeli à des causes 
qui ont modifié sa simplicité. 


INTRODUCTION . 315 


Si la série simple qui doit constituer notre distri- 
bution générale des animaux, se compose d’une suite 
de masses disposées suivant la progression qui a lieu 
dans la composition des différentes organisations ani- 
males , alors elle présentera l’ordre même de la nature, 
c’est-à-dire, celui que la nature eût exécuté, si des 
causes accidentelles n’eussent modifié ses opérations. 
Ainsi, lorsque nous aurons perfectionné cette série, et 
que nous l’aurons convenablement divisée, elle nous 
offrira la seule méthode naturelle qu’il nous convienne 
de faire usage. 

Cependant cette série simple n’est réellement pas en 
tout conforme à l’ordre dans lequel la nature a produit 
les différents animaux; car cet ordre est loin d’être 
simple; il est rameux et paraît même composé de plu- 
sieurs séries distinctes. 

J'ai exposé (p. 313) la distribution générale des ani- 
maux, offrant une série unique et simple, telle que 
celle que nous sommes contraints d'employer. Je n’ai 
rien à y changer, sauf peut-être à augmenter le nombre 
des classes; mais j'y ajoute, après les radiaires, la 
nouvelle coupe en question, qui embrasse ce que je 
nome les ascidiens. 

Ici, je me borne à présenter l'ordre effectif de la 
production des animaux, tel qu’il me paraît être, et 
que j'appelle ordre de formation. Mais, avant tout, 
je dois montrer que cet ordre de formation n’est pas 
illusoire , et qu’il est clairement indiqué par les rap- 
ports, conséquemment par la nature elle-même. 

Jusqu’à ce jour, il me semble que les naturalistes 
mont vu dans les rapports entre les objets, que des 
moyens de rapprocher ces objets à raison de la gran- 
deur de ces rapports, et de former avec ces mêmes 
objets rapprochés, diverses portions de série qu’ensuite 
ils disposèrent entre elles, d’après les rapports plus ou 


s 


316 INTRODUCTION. 


moins grands qu'ils apercurent entre ces portions ou 
ces masses particulières. 

Il est résulté de leur travail à cet égard , qu’une série 
générale composée de toutes ces portions ou séries par- 
ticulières, plus ou moins convenablement placées, fut 
établie. Or, en exécutant cette distribution, les natu- 
ralistes furent conduits à ne pouvoir placer aux deux 
extrémités de la série, que les objetsles plus disparates, 
en un mot, les plus éloignés entre eux sous la consi- 
dération de la composition et du perfectionnement de 
l’organisation de ces êtres. 

Quoique simple et facile à saisir, la conséquence de 
cetie nécessité paraît néanmoins n'avoir pas été aper- 
cue; car les naturalistes ne virent dans leur distribu- 
tion qu’un ordre fondé sur les rapports; et cependant 
elle leur présentait en outre, un ordre de formation 
de la plus grande évidence. 

Un pas de plus restait donc à faire : c'était le plus 
important, celui même qui pouvait le plus nous éclai- 
rer sur les opérations de la nature. Il s'agissait seule - 
ment de reconnaître que les portions de la série géné- 
rale que forment les objets convenablement rapprochés 
par leurs rapports, ne sont elles-mêmes que des por- 
tions de l’ordre de formation à l'égard de ces objets. 

Ge pas est franchi; l’ordre de la formation successive 
des différents animaux ne saurait être maintenant con- 
testé ; il faudra bien qu’on je reconnaisse. 

Mais cet ordre n’est point simple et n’a pu l'être; 
des causes accidenteiles l’ont nécessairement modifié 
cà et là. En effet, la considération des rameaux latéraux 
qu’on est forcé d’y reconnaître, et même celle de sa 
division au moins en deux séries particulières, attestent 
qu'il a été fortement assujetti à l'influence de causes 
modifiantes qui l'ont amené à l’état où nous l’obser- 
vons. 


INTRODUCTION. 31 7 


Je puis eflectivement faire voir que l’ordre de la 
production des animaux fut d’abord unique, formant 
une série munie de quelques rameaux, et qu’ensuite, 
dès qu’un certain nombre d’animaux eurent recu 
l'existence, des circonstances particulières donnèrent 
lieu à la formation d’une autre série, aussi subrameuse 
et bien caractérisée. L'ordre de la production dont il 
s’agit se trouva donc divisé en deux séries séparées, 
ayant chacune quelques rameaux simples. Peut-être en 
existe-t-il encore quelques autres; mais je pense que les 
deux séries que je vais signaler peuvent suflire à l’ex-- 
plication de ce qui nous est maintenant connu à l’égard 
des animaux. 

Pour faire concevoir à quoi peut tenir ce singulier 
ordre de choses, je dirai que je regarde comme une 
vérité de fait que, lorsque la nature opère dans des cir- 
constances diverses ou sur des matériaux de nature dis- 
semblable, ses produits sont nécessairement différents. 

Déjà j'ai fait remarquer qu’en formant des corps 
vivants, elle a eu occasion d'opérer sur des matériaux 
de deux natures différentes; ce qui l’a forcée, avec 
les uns, de n’instituer que des végétaux, tandis que, 
avec les autres, elle a pu former des animaux. (Voyez 
l’Introduction, p. 150 et 107.) 

Or, en donnant l’existence au règne animal, on voit 
qu’elle a nécessairement commencé par la série des 
infusoires qui amène de suite tous les polypes; que là, 
cette série, après avoir fourni le rameau latéral des 
radiaires , se continue en amenant les ascidiens, en- 
suite les acéphales, que l’on peut considérer comme 
une coupe classique, enfin, les mollusques bornés à 
ceux qui ont une têle, si toutefois les céphalopodes 
ne méritent pas encore d’être séparés classiquement. 

On voit aussi que, assez long-temps après l’institu- 
tion des infusoires et des polypes, elle a commencé 


318 INTRODUGTION. 


l'établissement d’une série nouvelle (celle des vers), à 
l’aide de matériaux particuliers qui se sont trouvés dans 
l’intérieur d’animaux déjà existants, et qu'avec ces 
matériaux elle a formé des générations spontanées qui 
sont la source des wers intestins, parmi lesquels cer- 
tains peut-être, passés au dehors, ont pu amener les 
vers extérieurs. 

En effet, la grande disparité d’organisation qu’offrent 
entre eux les animaux qui appartiennent à la classe 
des wers, atteste, comme je l’ai dit (extrait, etc. p. 39), 
que les plus imparfaits de ces animaux, sont dus 
à des générations spontanées, et que des vers cons- 
tituent réellement une série particulière, postérieure 
en origine à celle que les infusoires ont commencée. 


J'avais déjà reconnu et annoncé cette branche ou 
série particulière que les vers me paraissent former , 
lorsque M. ZLatreille me faisant part de ses réflexions à 
cet égard, me dit qu’il était persuadé que c’était de 
cette même branche que provenaient les épizoaires, 
les insectes, etc. 

Ainsi, fortifié de l'opinion de ce savant, que je par- 
tage, je regarde l’ordre de la production des animaux 
comme formé de deux séries distinctes. 


Ces deux séries différent tellement entre elles, que, 
parmi les animaux que chacune d'elles embrasse, 
lorsque le système nerveux se trouve établi et un peu 
avancé, on voit, dans chaque série, que son mode est 
tout-à-fait différent. 


En effet, dans la série que commencent les infusoires 
ec qui se termine par les mollusques, le système ner- 
veux n'offre nulle part un cordon médullaire gan- 
glioné ou noueux dans sa longueur , tandis que l’autre 
série qui commence par les vers, présente, partout où 
le système nerveux est capable de donner lieu au sen- 


INTRODUCTION. 319 


timent, un cordon médullaire noueux ou ganglioné 
dans sa longueur. (1) 

Ainsi, je soumets à la méditation des zoologistes, 
l’ordre présumé de la formation des animaux, tel que 
l’exprime le tableau suivant : 


(x) Il nous semble qu’il n’existe qu’un moyen de déterminer défini- 
tivement la limite des coupes primordiales à faire dans les animaux : ce 
moyen, le système nerveux le fournit, et ce qui est remarquable, il 
permet les divisions dicothomiques, si simples et si faciles à comprendre. 
En prenant les seuls animaux invertébrés, nous en trouvons : 1° sans 
système nerveux apparent ; 2° ayec un système nerveux apparent. Ces 
derniers se sous-divisent (a) en ceux dont le système nerveux estenan- 
neau, au-dessus des organes digestifs ; (&) ceux qui ont le système ner- 
veux linéaire au-dessous du système digestif. Si nous voulons opposer 
les animaux invertébrés qui ont un système nerveux aux animaux ver- 
tébrés, nous trouvons dans les premiers un seul système nerveux gan- 
glionaire , et seulement sous cette forme, et dans les seconds deux 
systèmes nerveux bien distincts, le ganglionaire et le cérébro-spinal, 

En admettant comme fondées les observations qui précèdent, l’ar- 


rangement méthodique proposé par Lamarck subirait des changements 
assez notables. 


320 INTRODUCTION. 


ORDRE présumé de la formation des Animaux, 
offrant 2 séries séparées , subrameuses. 


1° SÉRIE DES ANIMAUX 29 SÉRIE DES ANIMAUX 
INARTICULES. ARTICULES. 
+, 
Infusoires. 
Polypes. 
PA 
S RE 
œ 
= 
ss on 
Le A 
D mm” Radiaires 
E) Ascidiens. ia 
Es EE 
à | 
Épizoaires. 
EE 
GS" LM ONE e.15. 7" S'o à ‘eo à On. nn Von em rm 7 Li . CI A 26 207. 
re nr - LR Insectes. 
Acéphales, TRE 
2. | Annelides. Arachnides 
& Mollusques. 
2  , 
S Crustacés. 
é | 
PP , 
Cirrhipèdes 
à Poissons. 
d 
A À 
= Reptiles. 
vd . 
É Oiseaux. 
È Mammifères. 


De quelque manière que l'on s'y prenne, je suis 
persuadé que jamais on ne parviendra, dans la série 


INTRODUCTION. 321 


simple qui doit constituer notre distribution générale 
des animaux, à offrir partont, entre les masses distin- 
guées, des transitions vraiment naturelles, et par suite, 
à conserver , dans tous Jes rangs, les rapports qui ré- 
sultent de l’ordre de la production de ces êtres. Ainsi, 
notre série simple n’offrira toujours que des portions 
interrompues et inégales de cet ordre, entre lesquelles 
nous intercaierons d’autres portions hors de ‘rang, en 
choisissant celles que le degré de composition de l’or- 
ganisation des animaux qu'elles embrassent rendra 
moins disparates. 11 est évident que ces portions in- 
tercalées ne peuvent être que hors de rang, et doivent 
former des anomalies dans Ja série simple, si elles 
appartiennent, soit à un rameau latéral, soit à une 
série particulière. 

Il serait effectivement difhcile de lier les crustacés 
aux annelides par une transition vraiment nuancée ; 
et cependant ies annelides ont dû être placées après 
les crustacés dans la série simple de notre distribution 
générale. Or sent donc que, dans la série en question, 
les annelides, quoique bien placées, sont hors de rang, 
et l’on peut présumer qu’elles proviennent originaire- 
ment des vers. 

Après les épizoaires, les insectes, qui semblent en 
provenir, ne se lient point par une transition sans 
lacune, soit aux arachnides, même par celles qui sont 
antennifères et hexapodes, soit aux crustacés. On voit 
là deux branches dont la source se perd dans une espèce 
d’hiatus. 

D'une part, les podures, les forbicines, et ensuite 
les myriapodes paraissent conduire aux cloportides , 
caprellines, ete., et offrir l’origine des crustacés, dans 
la série desquels les extomostracés forment un petit 
rameau latéral. 

De l’autre part, les parasites hexapodes, tels que les 


TOME 1. 21 


322 INTRODUETION. 


pouæ et les ricins, semblent mener aux picnogonides 
ét aux acaridies, ensuite aux phalangides, aux scor- 
pionides , enfin aux arachnides fileuses. Cette série 
alors n’a plus de suite, et nous paraît constituer un 
rameau latéral, dont la source avoisine celle des crus- 
tacés, sans offrir avec ceux-ci un point de réunion 
connu, ni même avec les insectes, 

Enfin , les crustacés conduisent aux cirrhipèdes par 
d’assez grands rapports, mais sans transition véritable. 
C’est là que se termine la série des animaux articulés, 
et qui ne commencent à l’être constamment que lors- 
que le système nerveux est assez avancé pour offrir un 
cordon médullaire ganglionné dans sa longueur, 

Relativement à l’autre série, elle paraît très naturelle, 
moins rameuse et n'embrasse aucun animal muni de 
parties articulées, Je crois qu'elle doit être divisée en 
un plus grand nombre de coupes classiques; car non- 
seulement il en faut une pour les ascidiens, et une 
autre pour les acéphales; mais je pense même qu’il 
convient de séparer des mollusques les céphalopodes, à 
cause des traits particuliers de leur forme et de leur 
organisation. Les céphalopodes termineraient donc la 
série des animaux inarticulés, laissant à l'écart les 
héléropodes qui sont encore trop peu connus. 

Voilà tout ce que j'apercois à l'égard de l’ordre de 
production des animaux sans vertèbres. 

Maintenant, comment lier ces animaux aux verté- 
brés par une véritable transition ? Ceries cette transi- 
tion n’est pas encore connue. J'ai soupconné que les 
hétéropodes pourraient un jour l’offrir, si nous parve- 
nions à en connaître d’autres que je suppose exister. 

Ces problèmes sans doute resteront encore long-temps 
sans solution; mais déjà nous pouvons penser que, dans 
sa production des différents animaux, la nature n’a 
pas exécuté une série unique et simple. 


INTRODUCTION, 323 


Quelque grandes que soient ces difficultés tenant 
à quantité d'observations qui nous manquent encore, 
et quelles que soient les irrégularités inévitables de 
notre série simple, les considérations qui peuvent naître 
de ces objets n’intéressent nullement le principe de la 
production successive des différents animaux. 

En effet, ce principe consiste en ce qu'après les gé- 
nérations spontanées qui ont commencé chaque série 
particulière, les animaux sont ensuite tous proyenus 
les uns des autres. Or, quoique les lois qui ont dirigé 
cette production soient partout et invariablement les 
mêmes, les circonstances diverses dans lesquelles la na- 
ture a opéré pendant le cours de son travail, ont 
nécessairement amené des anomalies dans la simplicité 
de l’échelle résultante de toutes ses opérations. 

Nous devons donc travailler à la composition et au 
perfectionnement de deux tableaux différents; savoir : 

L’un offrant la série simple dont nous devons faire 
usage dans nos ouvrages et dans nos cours, pour carac- 
tériser, distinguer et faire connaître les animaux ob- 
servés ; série que nous fonderons en général sur la pro- 
gression qui a lieu dans la composition des différentes 
organisations animales, les considérant chacune dans 
l’ensemble de leurs parties, et nous aidant des pré- 
ceples que j'ai proposés. 

L'autre présentant les séries particulières avec leurs 
rameaux simples, que la nature paraît avoir formées 
en produisant les différents animaux qui existent 
actuellement. 

Ce second tableau » dépouillé des erreurs qui peuvent 
s'être glissées dans je que je viens d'offrir, sera sans 
doute utile pour notre instruction, élites quantité 
d’objets que nous ne pouvons saisir que par son moyen, 
et, dans le règne animal, avancera probablement nos 
connaissances de la nature. | 


D Ÿ de 


324 INTRODUCTION. 


Si l'étude de cette dernière peut obtenir quelque 
intérêt de notre part, j'ai lieu de penser que ce qui 
vient d’être exposé ne séra pas sans importance. 

Nota. La nécessité d'opérer carrément par l’im- 
pression, ne permettant nullement l'obliquité qu’il 
eût fallu donner aux lignes indicatrices des branches 
latérales des séries, afin de montrer leur point de dé- 
part, l’idée que j'ai voulu rendre par le Tableau, se 
trouve un peu défigurée : mais le discours me paraît 
suppléer à ce défaut, et la rétablir. (1) 


(r) De toutes les classifications générales qui furent proposées jus- 
qu’en 1815 , époque de la publication du premier volume des animaux 
sans vertèbres , celle de Lamarck est certainement la plus rationnelle 
et la plus philosophique. Quoique quelques esprits très élevés aient 
voulu jeter quelque défaveur sur les travaux de Lamarck, en présen- 
tant comme une simple spéculation de l’imagination , toute cette belle 
introduction qui sert de corollaire et de base solide au système de 
classification , bien des zoologistes commencent à comprendre toute la 
valeur de ces considérations générales, eL apercevant, comme La- 
marck, l'ordre suivi par La nature dans la création des animaux, re- 
viennent de plus en plus à ses idées et cherchent à en améliorer les 
applications. 

Lamarck avait bien senti que l’arrangement linéaire des animaux 
ne pouvait être suivi dans une méthode naturelle, et ne devait être em- 
ployé que dans la distribution matérielle d'un livre dans lequel il est 
impossible d'exposer plusieurs choses à la fois ; mais que pour bien re- 
présenter les rapports il failait admettre des embranchements , soit 
depuis le point de départ, soit sur une tige commune : il a rejeté 
l’idée d’une tige commune ; mais il a adœis celle de deux embranche- 
ments principaux pour les animaux invertébrés. Ces deux embranche- 
ments sont susceptibles d’être sous-divisés latéralement; et maintenant 
ce que l'observation servira à décider , c’est le point de départ de ces 
sous-divisions et leurs rapports avec l’embranchement principal. 

Quelques zoologistes ont pensé, et M. Dagès est du nombre , qu’il 
était plus convenable de former pour les deux grandes parties des ani- 
maux, deux cercles fermés et contigus dans un point déterminé; nous 
ne pensons pas que celte manière d'envisager. les rapports soit préfé- 
rable à celle de Lamarck ; car, pour tourner dans un cercle en prenant 


INTRODUCTION, 325 


un point de départ rationnel! , tels que les animaux Îcs plus simples 
si on procède par analyse, on les plus composés si l’on préfére la syn- 
thèse, il faut supposer dans le premier cas un accroissement progressif 
jusqu’à on maximum, et un décroissement également progressif depuis 
ce maximum jusqu’au point de départ. Malgré tout ce qu’a d’ingénieux 
cette nouvelle manière d'envisager les rapports des animaux, nous lui 
trouvons le grave défaut de ne pas satisfaire, comme les embranche- 
ments de divres degrés, aux exigeances de la classification rationnelle, 
Au reste, ce que Lamarck a dit à l'appui de sa méthode dans les pages 
qui précèdent, suffit pour convaincre de sa justesse et de sa supériorité 
sur toutes les autres, sans que nous ayons besoin de correborer son opi- 
nion par la nôtre. Nous croyons néanmoins que plusieurs perfectionne- 
ments peuvent être apportés dans les sous-divisions, et déjà dans une 
note nous avons fait pressentir sur quelles bases ils pouvaient s’aps 
puyer. 


FIN DE L'INTRODUCTION. 


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1: 


HISTOIRE NATURELLE 


DES 


ANIMAUX SANS VERTÉBRES. 


POINT DE COLONNE VERTÉBRALE; POINT DE VÉRITABLÉ 
SQUELETTE, 


Les animaux sans vertèbres sont ceux qui sont dé- 
pourvus de colonne vertébrale (1), c’est-à-dire, qui 
n’ont pas intérieurement cette colonne dorsale, pres- 
que toujours osseuse, composée d’une suite de pièces 


(x) Plusieurs zoologistes ont cru pouvoir retrouver l’a- 
nalogue d’une colonne vertébrale dans la portion centrale 
du squelette tégumentaire des crustacés, etc.; mais pour 
adopter cette manière de voir, il faudrait modifier la défi- 
nition que l’on donne ordinairement de la vertèbre, et 
cette innovation ne serait peut-être pas sans inconvénient 
pour la zoologie aussi bien que pour l’anatomie. On ira 
néanmoins avec intérêt. ce qui a été écrit à ce sujet par 
M. Geoffroy-Saint-Hilaire (rois mémoïres sur l’organt- 
sation des insectes , insérés dans le ‘ouinal complémentaire 
du Dictionnaire des Sciences médicales, 1820 ), par 
M. Ampère ( considérations philosophiques sur la déter- 
mination du système solide et du système nerveux des 
animaux articulés. Annales des sciences naturelles, 
tome 2), etc. E. 


328 ANIMAUX SANS VERTÈBRES. 


articulées; colonne qui se termine à son extrémité 
antérieure par la tête de l’animal , à l’autre extrémité 
par sa queue, et qui fait la base de tout véritable 
squelette. 

Par cette définition, les animaux sans vertèbres 
sont nettement distingués des animaux vertébrés ; 
mais, quoiqu'ils paraissent former une coupe particu- 
lière sous ce point de vue, leur ensemble néanmoins 
présente un assemblage d’objets dont les masses sont 
très disparates entre elles. (1) 

Eneffet, quart à la forme et et à l’organisation in- 
térieure, qu'y a-t-il de commun entre un infusoire 
et un znsecle, entre un ver et un crustacé? en un 
mot, quelle étrange dissembiance ne trouve-t-on pas 
entre un polype et une arachnide, entre celle-ci et 
un mollusque ? 

Si l’ensemble des animaux sans vertèbres pré- 
sente, dans ses masses déplacées et mises arbitrai- 
rement en comparaison, des assemblages disparates, 
l’on sera forcé de convenir qu’en rapprochant les 
objets d’après leurs véritables rapports, et qu’en dis- 
tribuant les masses classiques dans l’ordre progressif 
de la composition de l’organisation de ces animaux, 
alors ont trouvera moins d’irrégularité dans leur série , 
quoique de distance en distance, les systèmes d’or- 
ganisation soient singulièrement changés, et puissent 
rarement se lier chacun les uns aux autres par de 
véritables nuances. 

Telle est, je crois, l’idée la plus juste que l’on 


(x) Les animaux sans vertèbres, en effet, ne forment pas 
un groupe naturel, mais constituent plusieurs séries bien 
distinctes qui diffèrent entre eux autant qu’eux-mêmes 
diffèrent des animaux vertébrés. E, 


ANIMAUX SANS VERTÈBRES, 329 


doive se former des arimaux sans vertèbres. Ils 
composent une immense série d’animaux divers (1), au 
moins neuf fois plus nombreuse que celle de tous les 
vertébrés réunis, et dont probablement nous ne con- 
naissons pas même la moitié des êtres qui la forment. 

Ces animaux, originaires des eaux, vivent encore 
la plupart dans son sein : aussi c’est parmi eux que 
se trouvent les plus petits, les plus frêles, les plus 
imparfaits et les plus simples en organisation , comme 
c’est parmi les vertébrés qu’on observe les plus par- 
faits des animaux. 

Sans doute, le volume ou la taille n’a point de 
rapport essentiel avec la nature de l’organisation des 
différents êtres vivants. Cependant, il n’en est pas 
moins très vrai que les plus imparfaits des animaux 
connus en sont aussi les plus petits : ce qui est éga- 
lement vrai à l’égard des végétaux. 

Des trois coupes primaires qui partagent l’échelle 
animale entière (2), les animaux sans vertèbres em- 
brassent les deux premières ; savoir : 

Les animaux apathiques; 
Les animaux sensibles. 

C’est donc à la troisième coupe, à celle des verté- 

brés dont le plan unique d'organisation est plus ou 


a 


(1) I nous paraît impossible de ranger les animaux sans 
vertèbres en une seule série naturelle ; ils en forment au 
moins deux qui sont à peu près parallèles , l’une compo- 
sée des irfusoires rotateurs, des helminthes, des anne- 
lides, des cirrhipèdes, des crustacés, des myriapodes, 
des insectes et des arachnides; l’autre de la plupart des 
infusoires polygastriques, des polypes , des acalèphes, des 
tuniciers et des mollusques. E. 

(2) Voyez-en le tableau à la fin de la 7° partie de l’Intro- 
duction, page 313. (Note de Lanarck.) 


330 ANIMAUX SANS VERTÉBRES, 


moins avancé en perfectionnement selon les classes, 
qu'appartiennent les animaux intelligents. En consé- 
quence, je vais partager mon exposition des animaux 
sans vertèbres en deux parties : l’une relative aux 
animaux apathiques, et l’autre aux animaux sen- 
sibles. 

Ainsi, d’après l’ordre que nous devons suivre, 
exposons d’abord les animaux apathiques , leurs 
classes, leurs familles, leurs genres, comme objets 
de la première partie; nous terminerons par l’expo- 
sition des animaux sensibles, dont nous présenterons 
pareillement les classes , les familles et les genres, ce 
qui complétera la deuxième partie; et nous indi- 
querons de part et d’autre les espèces les mieux déter- 
minees a notre connaissance. 

{ Les divisions dont il est ici question ne nous 
paraissent pas naturelles, et nous semblent reposer 
même sur des idées fausses. Ainsi qu’on a pu le voir 
dans l’Introduction , Lamarck jose en principe, 
que toute facuité dépend de l'existence d’un instru- 
ment ou organe dont elle est l’appanage; cela est 
incontestable; mais, sans l’énoncer aussi formelle- 
ment, notre auteur va plus loin : il'admet que la 
même fonction ne peut être exercée que par le même 
organe, et que l’absence d’un de ces instruments 
entraîne nécessairement Ja cessation des actes exé- 
cutés par lui, lorsqu'il existe. C’est ainsi que voyant 
le cerveau être le siége des fonctions intellectuelles, 
il conclut de son absence chez les animaux inférieurs, 
la non existence de toute espèce de travail intellectuel, 
et que voyant les nerfs être des organes indispen- 
sables à la perception des sensations chez un bien 
plus grand nombre d'animaux encore ; il arguë de 
l’absence de ces cordons médullaires, pour prou- 
ver que la sensibilité n'existe pas chez les êtres dé- 


ANIMAUX SANS VERTÈBRES, 331 


pourvus d’un-système nerveux. Or, ce raisonnement 
me paraît être un cercle vicieux, et les résultats 
auxquels ils mènent me semblent être en contra- 
diction directe avec les données fournies par l’ob- 
servation directe aussi bien que par l’analogie. Que 
dirait-on, si un physiologiste, ayant appris que chez 
l’homme et tous les autres mammifères, chez les 
oiseaux et les reptiles, la respiration ne peut s’ef- 
fectuer que dans l’intérieur des poumons, concluait 
que les poissons, les crustacés, les insectes, etc., ne 
respirent point parce qu’ils sont dépourvus de ces 
organes ; ou même s’il prétendait que cette fonction 
ne peut s’exercer que là où il existe soit des poumons, 
soit des trachées ou des branchies, et que la surface 
générale du corps ne pouvant jamais suppléer à ces 
organes, les animaux dépourvus d'organes spéciaux 
de respiration, sont sansaction sur l’air atmosphérique? 
Les défauts d’un raisonnement pareil deviennent éga- 
lement palpables lorsqu'on Papplique aux phénomènes 
de la locomotion, de la génération, etc. , etc. , et tout 
daus la nature semble prouver que des parties diverses 
peuvent jusqu’à un certain point, en se modifiant, 
se suppléer les unes les autres et servir aux mêmes 
usages. En serait-il autrement pour les facultés in- 
tellectueiles et pour la sensibilité? rien n’autorise à 
le croire, et l’analogie, doit , au coutraire nous faire 
penser que la sensibilité, par exemple, existe déjà chez 
des êtres qui n’ont pas encore d'instruments spéciaux 
pour sentir; de même que la reproducion a lieu chez 
des animaux qui n’ont pas encore des organes spé- 
ciaux de génération. C’est en assignant à chaque grande 
fonction un instrument particulier, que la nature 
comimence à perfectionner les êtres, de même que 
c’est en localisant de plus en plus les divers actes 
dont chaque fonction se compose ou en d’autres mots 


332 ANIMAUX SANS VERTEBRES. 


par une division de travail toujours croissant, que 
les diverses facultés se perfectionnent à leur tour. 
(Voyez l’arücle Organisation, Nerfs, etc. du Diction- 
naire classique d’histoire naturelle, et mes Éléments 
de Zoologie). E, 


PREMIÈRE PARTIE. 


ANIMAUX APATHIQUES (1). 


Point de forme symétrique par des parties paires 
bisériales, ou seulement sur deux côtés opposés ; 
aucun sens particulier pour la sensation; ni 
moelle longitudinale, ni cerveau; point de wéri- 
table squelette. (2) 


Le caractère le plus apparent des animaux apa- 
thiques, est de ne point offrir encore cette forme 
symétrique de parties paires dont les animaux des 
autres coupes présentent presque tous des exemples; 
parties paires si prononcées dans l’organisation de 
l’homme, quoique toutes les intérieures ne soient pas 


(1) Cette division correspond à peu près à l’embranche- 
ment des zoophyles ou animaux rayonnes, de la méthode 
de M. Cuvier (Voy. le Aègne animal distribué d'après son 
organisation.) Dans la classification de M. de Blainville, 
les animaux apathiques de Lamarck, forment deux sous- 
règnes, savoir :les actinozoaires ou À. rayonnes, et les amor- 
phozoaires ou À. amorphes. (Voyez de l’organisation des 
animaux , ou Principes d'anatomie comparée ,t.1.) E. 

(2) Ainsi que nous le verrons par la suite, cette défini- 
tion n’est pas rigoureusement applicable à tous les ani- 
maux dont ce groupe se compose. E. 


334 ANIMAUX APATHIQUES. 


dans ce cas, parties paires, enfin, qui sont toujours 
bisériales lorsqu'elles se répètent, ou seulement sur 
deux côtés opposés. 

Ici, il n’y a jamais de parties paires dans cet ordre; 
car lorsqu'on rencontre des parties semblables, elles 
sont rayonnantes ou disposées en rond, et non sur 
deux côtés opposés. 

La nature tendant à la production des animaux 
les plus parfaits, en qui cette forme symétrique de 
parties paires ou bisériales est extrêmement remar- 
quable, l’a employée dans le plus grand nombre des 
animaux, parce qu’elle est la plus favorable au mou- 
vement de progression en avant. Mais elle n'a pu 
l’établir dans les animaux apathiques ; d’abord , parce 
que ja trop faible consistance de leurs parties ne Île 
lui permit pas et laissait aux fluides expansifs de 
l'extérieur trop d'influence sur la forme générale de 
ces animaux; ensuite, parce que le mouvement pro- 
gressif en avant ne leur est point nécessaire. 

Les animaux apathiques furent très-impropre- 
ment appelés zoophytes : ils ne tiennent rien de la 
nalure végétale, et tous généralement sont complé- 
tement des animaux; ce que je crois avoir prouvé (1). 

La dénomination d'animaux rayonnés ne leur 
convient pas plus que la précédente ; car elle ne peut 
s'appliquer qu'à une partie d’entre eux, et il s'en 
trouve beaucoup parmi eux qui n’ont absolument 
rien de la forme rayonnante, 

Tous les apathiques manquent de tête, sont dé- 


(1) En conservant à ces animaux le nom de zoophytes, 
M. Cuvier n’a en aucune façon entendu qu’ils participent 


de la nature des végétaux, mais seulement, que souvent 
ils en rappellent les formes. DE 


Ce ( 


ANIMAUX APATHIQUES. 355 


pourvus de sens extérieurs; et parmi ceux , en petit 
nombre , en qui l’on a observé quelques nerfs, on ne 
trouve jamais cet appareil nerveux qui est essentiel 
à la production du sentiment. Ge sont donc des ani- 
maux véritablement privés de la faculté de sentir (1). 

Etant dépourvus du sentiment, n'ayant pas même: 
celui de leur existence, c’est-à-dire, ce sentiment 
intérieur que des besoins sentis peuvent émouvoir , 
ces animaux ne se meuvent que par leur irritabilité 
excilée, que par des causes excilantes qui leur vien- 
nent du dehors. Aussi ai-je montré que leurs besoin 
très bornés, n'’exigent point qu’ils aient d’autres fa- 
cultés, qu'ils dirigent Éux-mêmes aucun de leurs 
mouvements; ce qui leur est nécessaire se trouvant 
toujours à leur portée. 

Les animaux apathiques embrassent les quatre 
premières classes du règne animal (2), savoir : 


» 1° Les infusoires ; 

2° Les polypes; 

3° Les radiaires; 

4° Les vers. 

(Les épizoaires. ) 
Exposons successivement les caractères de chacune 

de ces classes, ainsi que ceux des animaux qui 
s'y rapportent. 


[ * Presque tous les naturalistes s’accordent à rassembler 
dans une grande division du règne animal, les animaux 


(1) Foyez la note de la page 330. E. 

(2) C’est probablement par une erreur d’impression que 
le nombre de ces classes n’est porté qu’à quatre; en effet, 
l’auteur divise les animaux apathiques en cinq classes, sa- 
voir : 1° les infusoires ; 2° les polypes ; 3° les radiaires ; 4° 
les tuniciers , et 5° les vers. B; 


336 ANIMAUX APATHIQUES. 


les plus simples et dont la forme est ordinairement plus ou 
moins rayonnée; mais ils sont loin d’être d’accord sur les 
limites qu’il convient d’assigner à ce groupe, et cette di- 
vergénce d'opinion ne doit pas nous étonner quand nous 
réfléchissons aux principes divers qui peuvent également 
servir de guide dans la distribution méthodique des 
êtres. En effet, on peut suivre dans cette classification, 
deux marches très différentes qui chacune ont leurs avan- 
tages et leurs inconvénients : on peut, en prenant pour 
règle le principe de la subordination des caractères, si 
bien développé par un de nos plus grands naturalistes, éta- 
blir les divisions successives de la hiérarchie méthodolo- 
gique, d’abord sur les modifications que présentent les 
grands appareils de l’économie, puis sur les différences 
qui se montrent entre des parties dont le rôle est ordinai- 
rement d’une importance plus minime; ou bien on peut 
chercher à ranger ces êtres en autant de groupes princi- 
paux qu’il y a de séries bien reconnaissables formées par 
la dégradation ou la simplification de.plus en plus grande 
de chaque type d’organisation. Or, les limites à assigner au 
groupe des animaux apathiques ou rayonnés ou zoophytes, 
(peu importe le nom qu’on leur donne), varient suivant que 
l’on adopte l’une ou l’autre de ces méthodes. En suivant la 
première que l’on pourrait appeler une méthode naturelle 
physiologique , il faudra réunir dans la même grande divi- 
sion , tous les animaux qui se ressemblent par un certain 
degré de simplicité d'organisation, tandis qu’en suivant 
la sêconde méthode qui nous paraît être éminemment z00- 
logique, on ne s'arrêtera pas à ces similitudes dans le de- 
gré de la division du travail physiologique, et on ratta- 
chera aux séries plus élevées dans l'échelle des êtres, les 
différents animaux inférieurs qui semblent être les pre- 
mières ébauches, ou si l’on aime mieux, les dégradations 
de chacun üe ces types d'organisation, et qui rappellent 
par leur conformation, les états transitoires par lesquels 
les premiers passent avant que d'arriver à l’état adulte. 
Dans le premier cas, on laissera dans ce sous-règne, les 
vers intestinaux et les planaires qui se lient d’une ma- 
nière si intime aux annelides, leslernées, qu'aucune li- 


INFUSOIRES. 337 


inite bien tranchée ne sépare des crustacés et certains po- 
lypes qui ont les rapports les plus intimes avec les ascidies, 

à . ]? » 4 ñ 1 » 
lesquels, par l’ensembic de leur Organisation, se rappro- 
chent des mollusques; dans le second cas au contraire, on 
réduira ce groupe aux animaux très simples, et en générai 
rayonnés, qui semblent conduire vers les acaléphes et les 
échynodermes. 

» ? LA 

Quoi qu’on fasse, on ne peut, dans l’état actuel de la 
science, adopter sans modifications les divisions établies 
ici parmi les animaux apathiques de Lamarck. La classe des 
polypes renferme , comme nous le verrons bientôt, des 


éléments très hétérogènes, et il en est de même de celles des 
radiaires et des vers. E. 


EEE 


CLASSE PREMIÈRE. 


LES INFUSOIRES. (Infusoria.) (1) 


Animaux microscopiques, gélatinenx, transpa- 
rents, polymorphes, contractiles. 


Point de bouche distincte; aucun organe inté- 


(1) La division des infusoires, telle que Muller l’avait 
établie, était évidemment composée d’éléments trop hété- 
rogènes pour pouvoir prendre place dans une classification 
naturelle; aussi, est-ce avec raison que Lamarck en proposa 
la réforme, etque cezoologiste distribua dans des classes dif- 
férentes, lesanimalcules dont l’organisation lui paraissait la 
plus simple, et ceux dont la structure est la plus compli- 
quée; mais l’état peu avancé de cette partie de Ja science ne 
Jui permit pas d'établir sa méthode sur des bases solides, et 
presque tous les caractères qu’il assigna à ses infusoires ne 


TOME 1. | 22 


338 ANIMAUX APATHIQUES. 


rieur constant, déterminable ; génération fissipare, 
subgemmipare. 


Animalcula microscopica, gelatinosa, hialina, po- 
lymorpha, contractilia. 


Os distinctum nullum. Organa specialia interna 
determinabiliaque nulla. Generatio fissipara , sub- 
gemmipara. 


Osservarions.Jenerapporte à cette classe d'animaux que 


leur sont plus applicables. En effet, les observations ré- 
centes de M. Ehrenberg , nous ont appris que ces animal- 
cules ne sont pas dépourvus d’organes intérieurs constants 
et déterminables, et qu’ils ont une ouverture distincte qui, 
d’après ses fonctions, doit être considérée comme une 
bouche ; il est aussi à noter, que la plupart de ces êtres sont 
loin d’être polymorphes , et leur petitesse, comme Lamarck 
le dit lui-même, n’est pas un caractère qui puisse les faire 
distinguer. 

En se fondant sur une connaissance plus exacte des 
choses, M. Ehrenberg divise les infusoires de Muller, 
en deux classes, savoir : 

1° Les polygastriques. 
Animalcules pourvus d’un çertain nombre de vé- 
sicules cœcales tenant lieu d’estomacs, isolés ou 
réunis par un tube intestinal : fissipares. 

se Les rotateurs. 
Animalcules pourvus d’un intestin simple et ana- 
logue à celui des animaux articulés, ne se re- 
produisant point par scission, mais par des œufs, 
et portant des organes rotateurs. 

La classe des polygastriques correspond à peu-près à celle 
des infusoires de Lamarck , et se distingue parfaitement de 
celle de rotateurs ; mais elle nous paraît moins nettement 
séparée d’un grand nombre de polypes qui établissent le 
passage des vorticelles jusqu’au flustres. 

E. 


INFUSOIRES. 339 


ceux des infusoires de AMuller qui n’ont point de bouche, 
et qui conséquemment sont dépourvus de sac alimentaire, 
c’est-à-dire , de cet organe digestif qui s’ouvre nécessaire- 
ment au dehors par une bouche au moins. 

Ainsi, c’est avec cette coupe circonscrite par le défaut de 
bouche dans les animaux qui en sont le sujet , que je forme 
la première classe du règne animal. Elle comprend les ani- 
maux les plus petits, les plus imparfaits, les plus simples 
en organisation , en un mot, ceux qui possèdent le moins 
de facultés. 

Ces animaux n’ayant point de bouche, point de sac ali- 
mentaire, n’ont point de digestion à exécuter, et ne se 
nourrissent que par les absorptions de leurs pores exté- 
rieurs, et par imbibition interne (1). Ainsi, leur organi- 


(1) Jusqu’en ces derniers temps, tous les naturalistes 
s’accordaient à regarder les animalcules dont il est ici ques- 
tion, comme étant formés d’une espèce de gelée vivante 
et dépourvue de tout organe intérieur; mais ainsi que 
nous l’avons déjà dit, les beaux travaux de M. Ehrenberg 
ont entièrement changé les idées à cet égard. En mettant 
en suspension dans l’eau où vivaient des infusoires , de l’in- 
digo parfaitement pur, du carmin et autres substances co- 
lorantes insolubles, cet habile observateur a vu ces petits 
êtres se colorer de la même manière, mais non pas unifor- 
mément, ainsique cela ce serait fait par une imbibition gé- 
nérale dont toutes les parties de leur corps auraient été le 
siége ; la matière colorante était toujours circonscrite dans 
des points déterminés du corps, et renfermée dans de pe- 
tites cavités, qui d’après leurs fonctions doivent nécessai- 
rement être regardées comme des estomacs. Par ce procédé 
si simple, il a pu constater aussi l’existence d’une bouche 
ordinairement garnie de cils, et dans bien des cas, d’un 
anus distinct. 

La disposition de cet appareil digestif varie chez les dif- 
férents infusoires : tantôt il n’existe point d’intestin : toutes 
les vesicules stomacales naissent isolément d’une bouche 
commune, et il n’v a point d'anus; tantôt les vésicules 


292* 


340 ANIMAUX APATHIQUES. 


sation, qui est la plus simpie de toutes celles qu’offre le 
règne animal, présente par son caractère un degré particu- 


Li 
2 ————————  ———_—_— 


stomacales sont groupées autour d’un intestin distinct, qui 
lui-même est circulaire, de façon à naître et à se terminer 
au même point par une ouverture extérieure, qui est en 
même temps la bouche et l'anus; d’autres fois l'intestin 
avec lequel communiquent toutes les vésicules stoma- 
cales, parcourt en ligne droite toute la longueur du corps 
de l’animal, et se termine par une bouche et un anus dis- 
tincts situés aux deux extrémités du corps; enfin, d’autres 
fois l'intestin, au lieu d’occuper ainsi l’axe du corps, se 
porte en serpentant de l'extrémité antérieure à l'extrémité 
postérieure du corps, et présente, du reste, la même dispo- 
sition que dans le type précédent. M. Ehrenberg, désigne 
ces modifications par les noms suivants : dont l’étymologie 
indique assez la signification. 


1° Anentera. 
Cyclocæla. 


2 Enterodela Ortocæla. 
Campylocæla. 


Le nombre des vésicules stomacales logées dans l’inté- 
rieur du corps de ces petits êtres est souvent immense; 
dans quelques espèces, M. Ehrenberg en a compté deux 
cents : lorsqu’elles sont vides elles sont imperceptibles à 
cause de leur transparence, et lorsqu'elles sont remplies 
d’eau on peut facilement les prendre pour des œufs, erreur 
qui paraît avoir été commise par quelques zoologistes; enfin 
lorsqu’elles sont remplies d'aliments solides, elles affectent 
une forme sphérique et paraissent toujours isolées, car 
l'intestin qui les réunit se rétrécit et devient transparent 
aussitôt qu’il cesse de contenir des matières opaques. Ces 
petites cavités sont très extensibles, et lorsque l’animalcule 
est vorace, elles se remplisent souvent d’autres infusoires 
assez gros à proportion ; quand l’une d’elles se remplit 
beaucoup , elle se d'stend tellement qu’elle empêche les 
aliments de pénétrer dans les autres; aussi , le nombre de 


INFUSOIRLS, 34: 


lier qui les distingue émiremmeut de tous les autres ani- 
maux. W 
Je me suis assuré qu’il en existe de semblables, car j’en 


oo 


ces estomacs semble-t-il augmenter à mesure qu’ils se 
remplissent plus également et qu’ils paraissent plus petits : 
Ja position de l’anus se décèle par les déjections. 

1! paraît que les taches qu’on a souvent observées chez di- 
vers infusoires, et qu’on a considérées comme caractéris- 
tiques d’espèces distinctes, ne sont souvent que des diffé- 
rences dépendantes de l’état de réplétion de ces vésicules 
et de la nature des aliments contenus dans leur intérieur. 

Outre l'appareil nutnitif, il existe dans l’intérieur du 
corps chez quelques infusoires polygastriques', une masse 
cellulaire que l'animalcule rejette par l'anus, et que 
M. Ehrenberg considère comme un ovaire. 

Sous le rapport de leur organisation extérieure, les infu- 
soires pol ygastriques présentent de grandes différences ; les 
uns sont nus, les autres sont pourvus d’une enveloppe 
protectrice que l’on a appelée cuirasse (lorica), et qui af- 
fecte la forme d’un écusson (enveloppe ronde ou ovale, 
lisse sur ses bords et ne recouvrant que le dos de l’animal 
comine le ferait un bouclier), d’une coque (enveloppe 
membraneuse ou gélatineuse en forme de cloche ou de 
cylindre, quelquefois conique, fermée à son extrémité in- 
férieure ou postérieure, ouverte du côté opposé, et dans 
l’intérieur de laquelle l’animal peut se retirer compléte- 
ment); d’un #anteau, (tuuique gélatineuse qui paraît être 
la couche externe de la masse du corps, laquelle, à un cer- 
tain âge , se transforme en quelque sorte en jeunes, qui res- 
tent d’abord renfermés dans cette enveloppe, mais à la 
fin s’en échappent par suite de sa rupture); ou d’une cui- 
rasse bivalve qui devient distincte lorsqu’on divise trans- 
versalement l’animalcule. 

Ces petits êtres présentent rarement une tête distincte, 
_etla portion céphalique de leur corps ne se détermine ordi- 
nairement que par la position d’autres organes; quelque- 
fois il existe une espèce de queue formée par un simple 


342 ANIMAUX APATHIQUES. 


ai observé moi-même plusieurs ; et quand même il n’en 
existerait qu’un petit nombre, j’en eusse fait une classe à 
part, d’après la considération du caractère éminent qui 
les distingue. Cette classe néanmoins embrasse évidem- 
ment Ja plus grande partie des infusoires de Muller; elle 
doit être nécessairement la première, puisqu'elle nous 
présente l’organisation animale dans son premier degré. 

L'organisation des infusoires, et tout ce qui concerne 
leur manière d’être , de vivre, de se mouvoir, de se régé- 
nérer, etc., sont des objets plus importants à considérer 
que les distinctions qu’on a pu établir parmi eux. 

En effet, sans cette curiosité philosophique, sans le 


prolongement du ventre. La bouche est souvent bilobée, 
et il existe chez ces animalcules des appendices extérieurs 
très variés. M. Ehrenberg les distingue par Îes noms de 
prolongements variables, de soies, de cils, de crochets, 
de styles, etc. 

Les prolongements variables (processus variabiles) sont 
des espèces de sacs herniaires formés par le relâchement 
d’une partie de l’enveloppe tégumentaire, tandis que le 
reste se contracte avec force ; leur apparition détermine ces 
changements de formes si variées qui ont fait comparer 
quelques infusoires à des êtres protéens. Les soies (setæ) 
sont des appendices droits et raides qui n’exécutent aucun 
mouvement bien apparent. Les cils (cilia) sont de pe- 
tits appendices filiformes qui décrivent des mouvements 
rotatoires et qui sont quelquefois placés autour de la bou- 
che seulement, d’autres fois distribués par séries sur toute 
la surface du corps. Les crochets (uncini) sont des appendices 
courts , tantôt raides, tantôt flexibles, qui ressemblent à 
des soies de cochon, qui ne servent pas à produire des 
mouvements de rotation, mais à la préhension et à l’ac- 
tion de grimper ; quelquefois, on en voit à la lèvre infé- 
rieure ; d’autres fois à ja face ventrale du corps où ils tien- 
»ent lieu de pieds; enfin les styles ( syi) sont des espèces 
de soies épaisses , droites et très mobiles, mais incapables 
d'exécuter des mouvements de rotation. E. 


INFUSOIRES. 343 


besoin même que nous avons de conuaître la nature dans 
tout ce qu’elle produit, dans tout ce qu’elle exécute, en 
un mot, sans l'importance pour nous de savoir jusqu’à 
quel por la vie animale peut être réduite et exister en- 
core, sans doute l’étude des infusoires nous présenterait 
bien peu d'intérêt, et ce serait fort mal débuter dans l’ex- 
position du règne "ati , que de placer de pareils objets 
en tête de ce règne. 


Mais plusieurs considérations importantes se réunissent 
pour que nous donnions la plus grande attention au fait 
de l’existence de ces étonnants animaux, ainsi qu’à celui 
de l’état singulier de leur organisation et de leur manière 
d'exister. 

Ces êtres, dont l’animalité paraît à peine croyable, et 
que l’on peut en quelque sorte regarder comme des ébau- 
ches de la nature animale, sont d’une petitesse extraordi- 
naire. Leur corps n’a presque point de consistance , et 
paraît pour ainsi dire sans parties. Ce sont cependant des 
animaux nombreux en individus et en races diverses, qui 
péupleut toutes les eaux, et quise retrouvent les mêmes 
dans tous les pays du monde, mais seulement dans les 
circonstances qui leur permettent d'exister; ce sont des 
animaux qui la plupart disparaissent dans les abaissements 
de température, qui reparaissent et se multiplient rapi- 
dement dans ses élévations; enfin, ce sont des animaux 
dont l'existence et l’état renversent toutes les idées que 
nous nous étions formées de la nature animale. 

Parmi les merveilles sans nombre que la nature offre de 
toutes parts à nos observations, celle peut-être qui est la 
plus étonnante, c’est de voir la vie animale pouvoir exis- 
ter dans des corps aussi frêles et aussi simples que ceux qui 
constituent les animaux de cette classe, et sur-tout de son 
premier ordre. 

En effet, les infusoires, considérés dans ceux dont j’as- 
sigre le caractère classique, nous présentent l’organisation 
animale dépourvue de tout organe particulier intérieur, 
constant et déterminable, réduite à n’offrir qu’une masse 
de tissu cellulaire variée , extrêmement petite, frêle, pres- 


344 ANIMAUX APATHIQUES. 


que sans consistance, et cependant vivante et très irri- 
table. | 

Ainsi, non-seulemeut ces singuliers animaux n’ont 
point de tête, point d’yeux (1), point de muscles, point 
de vaisseaux, point de nerfs; mais il n’out même aucun 
organe particulier déterminable, soit pour la respiration, 
soit pour la génération, soit, enfin, pour la digestion. 
Aussi, ce ne sont que des corpuscules extraordinairement 
petits, nus , gélatineux ; ce ne sont que des points vivants. 

Cependant, retrouver la vie animale dans des corps 
aussi frêles et aussi simples que ceux dont il est question, 
est une considération tellement étonnante, que d’après 
les idées aue l’on s’était formées de la vie, considérée dans 
les animaux les plus parfaits, plusieurs personnes n’ont 
pas osé croire à la réalité de ce fait, et qu’il y en a 
même qui l’ont inconsidérément nié. 

On a effectivement beaucoup écrit pour contester l’ani- 
malité de ces corpuscules mouvants; mais on est mainte- 
nant forcé de céder à la raison qui s'appuie sur des faits 
décisifs. Or, ces faits attestent nou-seulement que les cor- 
puscules dont il s’agit sont des Pre vivants, puisqu'ils 
en ont les qualités cibentiellés, et qu’en effet ils se régé 
nèrent et se multiplient eux-mêmes ; mais en outre que ce 
sont. de véritables animaux, puisqu'ils sont irritables, 
qu'ils se meuvent, et qu’ils exécutent des mouvements 
subits qu’ils peuvent répéter de suite plusieurs fois. 

D'ailleurs, comment reconnaître, comme on le fait, 
l’animalité des polypes, sans admettre celle des vorticelles ? 


(4) M. Ehrenberg, considère comme étant des yeux, 
les points colorés que l’on remarque chez plusieurs infu- 
soires, notamment dans le genre microglena (Elr.) de la 
famillé des monadines, dans le genre lagenula (Ehr.) de 
la famiile des cryptomonadines, dans les genres euglena 
(Ehr.) amblyophis (Ehr.) et distigma (Ehr.), de la famille 
des astasiens, dans le genre eudorina (Ehr.), de la famille 
des péridiniens, et le geure ophryoglena (Ehr.), de la famille 
des kolpodiées. E. 


INFUSOIRES. 349 


comment convenir de la nature animale des vorticelles , et 
refuser la même nature aux wrcéolaires? et si l’on recon- 
naît les urcéolaires pour des animaux, comment contester 
la nature animale des trichocerques, des cercaires, des 
trichodes et ensuite de tous les autres infusoires? Les 
rapports les plus grands lient évidemment tous ces aui- 
maup les uns aux autres par une gradation nuancée depuis 
les plus simples et les plus imparfaits d’entre eux, tels 
que les monades, jusqu’aux polypes les mieux connus, 

Ne pouvant plus nier la nature animale des infusoires, 
on a essayé de contester la simplicité de leur organisation ; 
tant on tient à conserver les idées qu’on s’est inconsidéré- 
ment formées de la vie, en supposant qu’elle ne peut 
exister dans un corps qu’avec la complication de cette 
multitude d’organes particuliers dont celle des animaux 
les plus parfaits nous offre des exemples. 

Mais, au lieu de supposer, contre l’évidence, que tous 
les organes que l’on trouve dans les animaux les plus par- 
faits, et dont on n’aperçoit plus le moindre vestige dans 
les plus imparfaits, existent néanmoins dans tous, c’est- 
a-dire , dans les uns et les autres; il est bien plus simple 
et plus conforme à la raison de reconnaître que non-seule- 
ment la nature n’a pu établir ces organes spéciaux dans des 
corps gélatineux aussi frêles que les infusoires, mais 
même qu’elle n’a pas eu besoin de le faire. 

Effectivement, la moindre réflexion suffit pour nous 
faire sentir qué dans des animaux aussi imparfaits, la 
nature n’a pu avoir en vue que d’y instituer seulement la 
vie, et que toute autre faculté que celles qui en résul- 
tent généralement, leur serait fort inutile. Il serait en 
effet très inutile à une monade, à une volvoce, à un 
protée, etc., d’avoir des organes qui lui servissent à 
changer de lieu, et d’autres qui soient propres à lui 
faire discerner les objets; n’ayant d'autre action à exé- 
cuter pour conserver sa vie, que celle d’absorber par ses 
pores les matières que l’eau qui l’environne lui présente 
sans cesse partout, et que celle de faire des mouvements 
qui facilitent cette absorption. Aussi peut-on assurer que 

«+ partout où une fonction organique n’est pas nécessaire , 


346 ANIMAUX APATHIQUES. 


l’organe particulier qui peut l’exécuter n’existe point. 
(Philos. zool., vol. 1 , p. 203 et suiv.) 

Si les znfusotres sont de tous les animaux ceux qui ont 
le moins de facultés, ce sont aussi ceux qui ont le moins 
de besoins. Ils n’ont pas une seule faculté particulière ; 
ils n’ont pas non plus un seul besoin particulier. Vivre 
pendant un temps limité, et reproduire d’autres individus 
semblables à eux ; là se borne tout ce qui leur est propre, 
les mouvements qu’on leur voit exécuter étant le produit 
de causes hors d’eux. Ces animaux n’ont donc aucun be- 
soin des organes particuliers que l’on observe dans les 
autres. 

Il est évident que si l’on veut savoir en quoi consiste la 
vie animale la plus réduite, c’est uniquement en considé- 
rant les infusoires, et sur-tout ceux du premier ordre, 
qu’on y pourra parvenir; c’est en étudiant sans préven- 
tion tout ce qui concerne des animaux aussi imparfaits 
et aussi simples en organisation que ceux dont il sagit, 
qu’on pourra se former une idée juste de ce qu’exige la 
vie animale dans ces petits corps, et des facultés qu’elle 
peut leur donner. 

On verra que les facultés des infusoires les plus simples 
se réduisent à celles qui sout communes à tous les corps 
vivants, et en outre à celle qui résulte de leur nature ani- 
male, à l’irritabilité; mais on verra en même temps que, 
comme aucune de ces facultés n’exige d’organe particulier 
pour sa production , il n’y en a effectivement aucun. 

À la vérité, dans un assez grand nombre d’infusoires, 
sur-tout dans ceux du deuxième ordre, on aperçoit des 
parties intérieures locales qui paraissent dissemblables, 
quelquefois même mouvantes, Mais ces parties, dont on 
peut dire tout ce qu’on veut, ne peuvent être que des 
modifications plus ou moins grandes du tissu intérieur de 
ces corps, que des voies qui préparent la multiplication 
des individus, que des gemmes reproducteurs dans diffé- 
rents états de développement. 

Ces animaux ne possédant pas encore je premier organe 
particulier que la nature ait créé dans l’organisation ani- 
male, celui de la digestion, ne sauraient avoir sans doute 


INFUSOIRES. 347 


aucun de ceux qu’elle a établis postérieurement à celui-ci. 

Ces frêles êtres étant les seuls qui n’aient point de di- 
gestion à exécuter pour se nourrir, ressemblent en cela aux 
végétaux qui ne vivent que par des absorptions, et dont 
les mouvements vitaux ne s’opèrent aussi que par des 
excitations de l’extérieur. Mais les 2nfusotres sont irrita- 
bles et contractiles ; or ces caractères indiquent leur na- 
ture animale, et les distinguent essentiellement des vé- 
gétaux. 

Quelque simple que soit l’organisation des znfusoires , 
on distingue déjà parmi eux quelques degrés de moins 
grande simplicité , selon les ordres et les genres. 

En effet, le propre de la durée de la vie dans un corps 
animal étant de le fortifier graduellement, d'augmenter 
peu à peu la consistance de ses parties, et de tendre à 
en composer l’organisation; bientôt ce corps se fortifiera et 
s’animalisera davantage; son organisation deviendra moins 
simple; et, après s'être multiplié et reproduit bien des 
fois, il offrira dans sa consistance, sa taille, sa forme 
particulière et ses parties, des différences de plus en 
plus grandes et assujetties aux circonstances variées qui 
auront agi sur lui. Tel est effectivement ce qu’attestent, 
de la manière la plus évidente, l’observation des infu- 
sotres et leur connexion nuancée avec les polypes. 

Ces petits corps gélatineux, qui nagent ou se meuvent 
dans les eaux qui les contiennent, et où ils ne paraissent 
que des points mouvants, ne possèdent assurément point 
en eux-mêmes la puissance qui les anime et les fait mou- 
voir. Cette puissance, qui provient des milieux environ- 
nants, leur est étrangère; mais ils offrent en eux l’ordre 
de choses qui permet à cette même puissance d’exciter 
dans ces animalcules les diverses sortes de mouvements 
qu'on leur observe (1). 

Si cette source où les mouvements vitaux puisent la 
force qui les fait s’exécuter , est incontestable à l’égard des 


(1) Introduction , p. 43. (Fluides subtils. } 
(Note de Lamarck.) 


348 ANIMAUX APATHIQUES. 


végétaux, elle l’est assurément aussi relativement aux 
animaux imparfaits qui composent les premières classes 
du règne animal; et, pour un grand nombre de ces 
animaux, elle l’est en outre des mouvements particuliers 
de leur corps. Voilà ce dont maintenant il n’est plus rai- 
sonnablement possible de douter, etce qui, comme vérité, 
est à l’abri de tout ce que le temps pourra produire. 

Outre leur extrème contractilité qui les fait changer de 
forme d’un instant à l’autre, certains infusoires exécutent 
dans l’eau des mouvements assez lents, tandis que d’autres 
en offrent de très vifs. Ces mouvements, qui en général 
sont variés à raison de la forme de ces corps, sont tantôt 
de rotation sur eux-mêmes, comme lorsque ces petits 
corps sont sphériques, tantôt ondulatoires ou oscillatoires, 
comme lorsque ces corps sontalongés, et tantôt décrivent 
des lignes concentriques ou spirales, comme lorsque ces 
ces mêmes corps sont aplatis. 

Je le répète : la vivacité de ces mouvements ne saurait 
provenir d’une force organique capable d’en produire 
de semblables : on sent assez que dans d’aussi frêles corps 
une pareille force ne saurait exister. Cette vivacité des 
mouvements résulte donc nécessairement de l'extrême 
petitesse des corps dont il s’agit, ces petits corps cédant 
aux conflits d’agitation quelles fluides subtils environnants 
leur font éprouver en s’y précipitant et s’en exhalant sans 
cesse. Or, d’une part, la forme générale de chacun de ces 
corpuscules animés, contribue à l’espèce de mouvement 
que les fluides subtils ambiants leur font. subir, et de 
l’autre part, les routes particulières que se sont frayés 
ces fluides subtils en traversant l’intérieur de ces petits 
corps, y concourent aussi de leur côté (1). 


ee —————————————————— | 


(1) Dans l’état actuel de la science, il nous semble im- 
possible d'admettre que les monuments des infusoires ne 
sont produits que par des agents extérieurs, et ne sont 
pas déterminés, comme ceux de tous les autres animaux, 
par une cause ou force intérieure ; sous ce rapport ils ne 
diffèrent en rien des polypes , de certains acalèphes, etc., 


INFUSOIRES. 349 


En observant les mouvements qu’exécutent les infu- 
soires dans les eaux, ces mouvements ont paru s’accélérer 
ou se ralentir et quelquefois même s’interrompre au gré 
de l’animal: chaque espèce a semblé jouir d’une sorte 
d’instinct; enfin, l’on s’est imaginé qu'ils évitaient les 
obstacles et fuyaient ce qui peut leur nuire. 

Ce sont-là réellement des erreurs de jugement et les 
suites des préventions auxquelles nous nous sommes li- 
vrés. Qui ne sait que l’on croit facilement ce que l’on s’est 
pérsuadé devoir être ! 

Ces animaux sont le jouet de toutes les impressions 
qu’ils éprouvent et qui les agitent. Les causes qui les 
meuvent sont elles-mêmes susceptibles de variations dans 
leurs influences. Dailleurs, si dans un mouvement de tour- 
noiement ou d’oscillation , un infusoire semble éviter un 
corps du voisinage, les émanations continuelles de ce 
corps (1) suffisent pour repousser l’animalcule dans son 
mouvement, et pour opérer mécaniquement l'effet ob- 
servé, sans qu'aucune prévoyance ou qu'aucune détermina- 
tion de l’animal y ait la moindre part. 

D’après ce qui vient d’être exposé, on voit que les zr7- 
fusoires sont, parmi les animaux, ce que sont les algues 
parmi les végétaux ; que, de part et d’autre, ce sont les 
corps vivants les plus imparfaits, ceux qui ont l’organisa- 
tion la plus simple, et que c’est parmi eux sur-tout que la 


“ 


dans la structure desquels on ne découvre pas de fibres 
musculaires, mais dont les mouvements sont tout aussi 
spontanés que ceux d’une huître, etc. Quant à la théorie 
physico-physiologique sur laquelle reposent les vues hy- 
pothétiques de notre auteur, il nous paraît inutile de nous 
y arrêter. E. 

(1) Relativement aux fluides subtils qui se meuvent 
presque sans cesse dans les milieux environnants, la di- 
versité des corps qui en reçoivent et en transmettent les 
effleuves, apporte nécessairement des différences dans ces 
effleuves, dans leur direction, leur abondance, leur in- 
terruption , etc. (Note de Lamarck.) 


350 ANIMAUX APATHIQUES. 


nature opère, encore de part et d’autre, des générations 
directes. 

On trouve les infusoires dans les eaux douces et sur-tout 
dans celles qui sont croupissantes ; c’est plus particulière- 
ment dans les infusions des substances végétales ou ani- 
males qu’on les rencontre; enfin, on en trouve aussi dans 
les eaux marines. Ces animalcules semblent n’avoir point 
de patrie particulière, puisqu’on les retrouve les mêmes 
dans toutes les parties du monde (1), mais seulement dans 
les circonstances où ils peuvent se former. 

Trop près encore de leur origine, ils n’ont pas eu le 
temps de recevoir de la différence des climats, des situa- 
tions et des habitudes, les modifications qui assujettissent 
les autres animaux à vivre dans des régions et des localités 
particulières. 

Les infusoires n’ont pas, comme les autres animaux, 
une forme générale qui soit particulière à ceux de leur 
classe, et qui puisse servir à les caractériser; ils ne sau- 
raient l’avoir , parce que la trop faible consistance de leur 
corps ne le permet pas , et qu’ils sont plus ou moins com- 
plétement assujettis à l’influence des pressions environ- 
nantes. 

Aussi, quoique les différents infusoires nous présentent 
toutes sortes de formes, que souvent même les individus 
d’une même espèce changent de forme sous nos yeux d’un 
instant à l’autre, les plus imparfaits de ces animaux étant 
plus frêles et plus fortement assujetis que les autres aux 
influences de l’eau qui presse également sur tous les points 
de leur corps, sont nécessairement sphériques ou d’une 
forme qui en approche. 

Ceux qui en proviennent ensuite, et qui acquièrent 


(1) Les recherches récentes de M. Ehrenberg, sur la dis- 
tribution géographique des infusoires , montrent qu’il en 
est autrement. Ainsi, les deux tiers du nombre total des 
animalcules observés par ce voyageur, en Arabie et en 
Afrique, ne se retrouvent pas en Europe. ( Voyez les 
Mémoires de l’Académie de Berlin pour 1830). E. 


INFUSOIRES. 351 


progressivement plus de consistance dans leurs parties, 
sont moins soumis aux pressions du milieu dans lequel 
ils vivent, s’éloignent graduellement de cette forme simple 
et première à laquelle les plus imparfaits ne peuvent se 
soustraire, et en obtiennent de particulières qui sont re- 
latives à l’état où leur organisation est parvenue. 

Ce n’est réellement que dans les polypes que Ja nature a 
réussi à donner aux animaux une forme générale , rela- 
tive à leur organisation, sur laquelle les pressions envi- 
ronnantes n’ont plus ou presque plus d'influence, et qui 
peut servir à les caractériser. Partout ensuite, la diversité 
des formes tient à l’état de l’organisation et au produit des 
habitudes des animaux en qui on la considère. 

Une considération qu’il importe de ne pas perdre de 
vue, c’est que le caractère essentiel des énfusoires ne ré- 
side nullement dans l’extrême petitesse de ces animaux , 
mais dans la simplicité de leur organisation. 

Ce n’est pas dans cette classe seule que l’on observe des 
animaux extrêmement petits; dans les quatre classes qui 
suivent, et principalement dans les crustacés, l’on con- 
naît des animaux d’une petitesse si considérable qu'ils 
échappent à la vue simple. Or, comme ces animaux sont 
aquatiques, microscopiques et la plupart transparents, 
il est probable qu’on en rapporte plusieurs à la classe des 
infusoires , quoiqu’ils appartiennent réellement à d’autres 
classes. En observant quelques-uns des traits de leur or- 
ganisation , on s’en autoriserait alors pour déclarer celle 
des infusoires plus composée qu’elle ne l’est véritable- 
ment; ce qui a déjà été fait. Il suffira de replacer dans 
leur classe convenable, les animaux que leur extrême 
petitesse aurait, par erreur, fait ranger parmi les infu- 
soires. 

Rien n’est plus digne de notre admiration et n’est plus 
propre à nous éclairer sur la marche de la nature dans sa 
production des animaux , que la manière dont les infu- 
sotres se multiplient, c’est-à-dire, que le mode qu’emploie 
la nature pour reproduire des animaux en qui aucun sys- 
tème d'organes particulier pour la génération ne peut en- 
core exister, 


3592 ANIMAUX APATHIQUES, 


Elle atteint son but en employant des divisions grandes 
ou petites de leur corps, selon que sa forme les exige. 

Pour ceux dont le corps est sphérique, elle ne peut 
guère se servir que de petites portions de ce corps qui 
naissent de l’intérieur, et se font jour par des déchirures ; 
et pour ceux dont le corps est aplati ou déprimé, elle em- 
ploie communément des scissions de leur corps, scissions 
qui s’opèrent sur sa longueur ou sur sa largeur selon les 
espèces. 

On voit d’abord paraître sur le corps de l’animalcule, 
une ligne longitudinale ou transversale ; et quelque temps 
après, il se forme une échancrure à l’une des extrémités 
de cette ligne, quelquefois aux deux bouts. L’échancrure 
s'agrandit insensiblement, et à la fin les deux moitiés se 
séparent et prennent bientôt la forme même de l’indi- 
vidu entier. Ces nouveaux individus vivent quelque temps 
sous leur forme naturelle, et à leur tour se multiplient 
de même par une scission de leur corps (1). 

A cet égard, j'ai fait remarquer, dans ma Philosophie 
zoologique (vol. 2, p. 120 et 150.), que la multiplication 
des individus par scissions et celle par gemmules externes 
ou internes, n'étaient réellement que des modifications 
d’un même mode; qu’au fond, ce n’est qu’une suite 
d'extensions et de séparations de parties, lorsque l’ac- 
croissement a atteint son terme; et qu’enfin, ce mode 
n’exigeant point d’embryon préalablement formé, et con- 
séquemment aucun acte de fécondation, n’a besoin pour 
s’exécuter d'aucun organe spécial. 

C’est ce même mode de multiplication par extension et 
séparation de parties, qui prouve que, dans son principe, 
la faculté de reproduction prend réellement sa source dans 
un excédent de la nutrition qui, au terme du dévelope- 
ment de l'individu, n’a pu être employé à l'accroissement 
général; excédent qui s’isole alors en un ou plnsieurs 


{) Ce mode de reproduction est l’un des caractères les 
plus importants du groupe naturel formés par les infu- 
soires inférieurs ou animalcules polygastriques. E. 


INFUSOÏRES. 353 


corps particuliers, et finit par se séparer de lindividu (1). On 
sent que, selon l’organisation très-simple où compliquée 
en qui on le considère, cet excédent peut se passer, ou a 
besoin de certaine préparation pour pouvoir être repro- 
ductif. La fécondation opère cette préparation dans ceux 
en qui elle est nécessaire. 

Cette considération , et bien d’autres que j’ai indiquées, 
montrent de quelle importance il est pour le physiologiste, 
de ne point se borner, dans ses études, à l’examen de 
l’organisation de l’homme et des animaux les plus par- 
faits; et d'observer, en outre, l’organisation des diffé- 
rents animaux sans vertèbres, et particulièrement celle des 
plus imparfaits de ces animaux. 

Les infusoires, quoique la plupart renouvelés sans cesse 
dans les temps et les lieux favorabies à leur production, 
sont néanmoins les plus anciens des animaux. Cependant 
la connaissance de ces animaux est le résultat d’une décou- 
verte assez moderne, puisqu’elle est du siècle dernier ; et 
comme l’a dit Bruguière , ce n’est assurément pas la moins 
piquante. 

Ces petits animaux exigent des observations microscopi- 
ques très-délicates, une patience presque sans bornes pour 
reconnaître les faits qu’ils uous présentent , enfin , un e5- 
prit libre ou dégagé de prévention , afin de ne voir en eux 
que ce qui y est véritablement. 

Lorsqu'on manque de loisirs ou de moyeus pour les ob- 
server soi-même, il faut, pour s’en procurer la notion, 
consulter les ouvrages de Leuwenoheck, qui en fit la dé- 


(1) Des expériences curieuses de M. Ehrenberg s’accor- 
dent jusqu’à un certain point avec les opinions de La- 
marck ; elles montrent combien Ja privation ou l’abon- 
dance des aliments exerce d’influence sur la reproduction 
des infusoires. { Voyez son second mémoire dans les Ae- 
moires de l’Académie de Berlin, pour 1831, et imprimé 
à part, format in-folic, Berlin, 1832; il en a été donné une 
traduction dans les Ænnales des Sciences naturelles , 9° sé- 
tie. Zoologie, tome.) E: 


Towe 1, - 23 


354 ANIMAUX APATHIQUES. 


couverte; d’Othon-Frédéric Muller, qui en observa un 
très grand nombre, et en décrivit beaucoup de genres et 
d'espèces; en un mot, ceux de Ledermuller, de Backer, 
de Roësel, de Schranck, de Spallanzani, etc., qui en ob- 
servèrent séparément différentes espèces. Mais O.-F. Mul- 
ler est celui qui les a le plus étudiées, les a décrits et 
figurés avec exactitude, et à qui l’on est véritablement 
redevable de cette partie de la zoologie tout-à-fait in- 
connue des anciens. 

L'existence des infusoires et l’état réel de leur orga- 
nisation et de leurs facultés, sont les seuls objets qui puis- 
sent nous intéresser à leur égard. Aussi ce n’est que phi- 
losophiquement et que eomme des objets de première 
importance à considérer dans l’étude de la nature, que 
nous devons nous en occuper. 

JL importe donc très peu qu’aux connaissances actuelles 
sur les animaux de cette classe, l’on ajoute celle de 100 
ou de 1000 infusoires nouvellement observés; que l’on 
augmente, soit la liste des genres, soit celle des espèces. 
C’est d’après cette considération que je me suis un peu 
étendu sur ce qui les concerne en général, et sur ce qu’il 
nous importe de remarquer à leur égard, Mais dans l’ex- 
position qui va suivre, je ne m’ocuperai que des coupes 
principales à établir parmi eux, et je me borneraiï à la ci- 
tation de quelques espèces pour exemple, d'après Muller. 


DIVISION DES INFUSOIRES. 


Les observations faites sur ces animaleules, nous 
apprennent que les uns sont nus ou à très peu près, 
c’est-a-dire dépourvus d'organes où d’appendices exté- 
rieurs, tandis que les autres offrent des parties sail- 
Jantes au dehors, comme des poils bien apparents, des 
espèces de cornes, ou de queue. 

En conséquence, imitant à peu près Ja distribution 


INFUSOIRES. 355 
de Bruguière, je partage les érfusoires en deux ordres, 
savoir : 

19 En infusoires nus; 
20 En infusoires appendiculés. 

Gette distribution, qui n’est pas toujours exempte 
d’équivoque ou d’embarras, m'a paru néanmoins 
d’autant plus utile, qu'il est évident que Îles ënfusoires 
nus sont plus imparfaits que les autres ; que c’est sur- 
tout parmi eux que se trouvent les plus petits, les 


plus frèles, les plus simples de tous les animaux 
connus. 


TABLEAU DES INFUSOIRES. 


ORDRE I‘. 
INFUSOIRES NUS. 
Ils sont dépourvus d’appendices extérieurs. 
I" SECTION. — CORPS ÉPAIS. 


Monade. 
Volvoce. 
Protée. 
Enchélide. 
Vibrion. 
Il° SECTION. — CORPS MEMBRANEUX, aplati 
ou concave. 
Gone. 
Cyclide. 
Paramèce. 
Kolpode. 


Bursaire. 


356 ANIMAUX APATHIQUES. 


ORDRE II. 
INFUSOIRES APPENDICULÉS. 


Ils ont, à l'extérieur, des parties toujours saillantes, 
comme des poils, des espèces de cornes, ou une queue. 


Tricode. 
Kérone. 
Cercaire. 

°  Furcocerque. 


dPéitée de queue. 


Une queue, 


[ Depuis la publication de l'Histoire des animaux 
sans vertèbres, MM. Bory-Saint-Vincent et Ehrenberg 
se sont successivement, occupés de la classification des 
infusoires , et y ont apporté de grands changements. 
La méthode du premier de ces naturalistes se trouve 
exposée dans des ouvrages qui se trouvent entre les 
mains de la plupart de nos lecteurs (le Dictionnaire 
classique d'histoire naturelle er V Encyclopédie métho- 
dique): nous pouvons, par conséquent, nous dispen- 
ser d’en parler; mais celle de M. Ehrenberg n’étant 
encore que très peu connue, et élant aussi ce qu’on a 
fait de plus récent à ce sujet, nous paraîl mériter d’être 
exposée ici avec quelques détails. 

Cet habile zoologiste, fondant sa méthode, non sur 
la forme extérieure de ces êtres, mais sur leur mode 
d'organisation , établit parmi les animaux inférieurs 
une classe qui correspond à peu près à celle des infu- 
soires de Lamarck, et qui porte le nom de 


PHYTOZOAIRES POLYGASTRIQUES. 


Les caractères de cette classe sont les suivants : ani- 
maux sans vertèbres, apodes, ayant quelquefois une 


INFUSOIRES, 9! 7 


queue, nageurs, ayant très souvent des cils vibratiles 
ou rotateurs épars; point de cœur, des vaisseaux extrê- 
mement ténus, réliculés, hyalins et dépourvus d’un 
mouvement propre; ayant souvent des yeux rudimen- 
taires formés par du pigment rouge, et indiquant un 
système nerveux non apparent; ayant une bouche nue 
ou couronnée de cils vibratiles, et communiquant avec 
plusieurs veutricules non réunis par un intestin (chez 
les anentherés), ou bien se continuant avec un tube 
alimentaire polygastrique (chez les entérodélés) ; le 
pharyux apparent et en général sans armature; point 
de branchies ; les organes de la génération filiformes, 
réticulés et granuleux; point d'organe mâle distinct ; 
enfin , se reproduisant par des divisions spontanées. 


Les polygastriques se subdivisent en deux légions, 
savoir : 


I. Les ANENTHÉRES (Anenthera) ayant la bouche en 
communicalion avec plusieurs ventricules, et 
n'ayant ni anus ni tube intestinal. 


LT. Les ExTÉRODÉLES (Entherodela) ayant un tube 
intestinal distinct, polysastrique, et terminé par 
une bouche et par un anus. 


Chacun de ces groupes £e divise en deux séries pa- 
rallèles formées, l’une par les polygastriques dont le 
corps n’est point cuirassé, l’autre par ceux dont le 
corps @sL cuirasse. 


Ire LÉGION. — ANENTHÉRÉS (Anenthera). 


Les ANENTHÉRÉS nus et cuirassés ce subdivisent en 
trois sections, Savoir : 


_ 


1. Les GYMNIQUES ( Gymnica) ayant le corps 


358 ANIMAUX APATHIQUES. 


dépourvu de cils, la bouche tantôt ciliée, tantôt 
nue et point de prolongements pseudo-pédi- 
formes. 


2. Les ÉPITRIQUES ( Epitrica ), ayant le corps 
cilié ou garni de soies , la bouche tantôt ciliée, 
tantôt nue, et point de prolongements pseudo- 
pédiformes. 


3. Les PsEUDOPODIENS (Pseudopodia ), ayant le 


corps pourvu de prolongements pédiformes 
variables. 


La distribution de ces animalcules en familles et em 
genres , repose sur les caractères suivants : 


ORDRE DES GYMNIQUES (Gymnica). 


1. GYMNIQUES NUS (Gymnica nuda). 


1" FAMILLE. Monanines (Monadina). 


G. Monomorphes (dont le corps a une forme stable 
et n’est pas protéen) et dont la reproduction a lieu 
spontanément par une division transversale simple. 

A. Point de queue. 
a. Point d’yeux. 
a* Bouche tronquée terminale et dirigée en 
ayant lors des mouvements natatoires. 
a* + individus solitaires, jamais réunis 
en groupes. 
G. Monas. 
a* 4 + Individus solitaires dans le jeune 
‘âge, puis amoncelés en tas désagréa- 
bles, enfin redevenant libres. 


G. Uvella 


* à 


INFUSOIRES: 999 
a*+++Individus solitaires dans le jeune 
âge, se divisant crucialement et se 
résolvant en une espèce d’amas d’in- 
dividus. 
G. Polytoma. 

a** Bouche droite, tronquée et dirigée en 
divers sens lors des mouvements de nata- 
tion et de tournoiement de l’animal. 

G. Doxococcus. 

a*** Bouche oblique, sans bords et bi- 
lobée. 

G. Chilomonas. 
aa. Un œil unique rouge. 
G. Microglenu. 
B. Une queue. 
b. Corps cylindrique. 
G. Bodo. 
bb. Corps anguleux. 
G. Urocentrum. 


2° FAMILLE. VIBRIONIENS (Ÿ’ibrionia). 


G. Aïongés, monomorphes (ne se gonflant pas, mais 
se fléchissant seulement par la contraction), se divi- 
sant transyersalement et spontanément en beaucoup 
de parties; bouche terminale ? 


À. Corps filiforme , cylindrique, se courbant par 
ondes. 
G. Vibrio. 
B. Corps filiforme, rigide et en spirale; se roulant 
en se mouvyant. 
b. La spirale roulée en cercle. 
G. Spirodiscus. 
bb. La spire en hélice. 
G. Spirillum. 


366 ANIMAUX APATHIQUES, 


GC. Corps oblong, fusiforme ou filiforme , n'étant 
ni évidemment ondulé, ni rouié en cercle, ni 
en spirale. 

G. Bacterium. 


3° FAMILLE. ASTASIENS (Æstasia). 


G. Alongés, devenant phymorphes par la contrac- 
tion , souvent cylindriques ou fusiformes , se divisant 
spontanément dans le sens longitudinal , ou oblique- 
ment. 

A. Point de vestiges d’yeux. 
G. Astasia. 
B. Des yeux rudimentaires bien distincts. 
b. Un seul œil. 
B* Corps pourvu d’une queue. 
G. Euglena. 
b** Corps dépourvu de queue. 
G. Amblyophis. 
bb. Deux yeux. 
G. Distigma. 


2. GYMNIQUES CUIRASSÉS (Gymnica loricata). 


1° FAMILLE, CRYPTOMONADINES (Cryrtomonadina). 


Enveloppe membraneuse , subglobuleuse et ovale. 


A. Simples. 
a. Point d'yeux. 
a* Bouche ciliée. 
G. Cryptomonas. 
a** Bouche nue. 
G. Gyges. 
aa. Ayant un œil rouge. 
G. Lagenula. 


INFUSOIRES. 361 


B. Composés ou se reproduisant par des divisions 
iulernes. | 


G. Pandorina. 


2° FAMILLE, CLOSTÉRINES (Closterina). 


Enveloppe alongée ct arrondie lorsqu'elle est à l’état 
rigide, se séparant spontanément en deux ou quatre 
parties par des divisions transversales et ouverte aux 
deux bouts. 


G. Closterium. 
$ II. ORDRE DES ÉPITRIQUES (Epitricha). 
ÉPITRIQUES NUS (Epüitricha nuda),. 

FAMILLE unique. Cyezinines (Cyclidina). 


À. Corps garni de cils vibratiles. 
a. Les cils distribués par rangées simples, lon- 
gitudinales et circulaires. 
G. Cyclidium. 
aa. Gils épars partout. 
G. Pantotrichum. 
B. Corps dépourvu de cils, mais garnis de soies 
non vibratiles (les cils de la bouche non com- 
pris.) 
1 ‘ 


G. Chœtomonas. 


ÉPITRIQUES CUIRASSÉS (£pitricha loricata.) 
FAMILLE UNIQUE. PÉRIDINIENS (Peridinæa), 
A. Simples. 
G. Peridinium. 


B. Composés, se reproduisant par des divisions 
extérieures et la rupture de l'enveloppe. 


C3 
C 
= 


ANIMAUX APATHIQUES. 
b. Point d’yeux. 
b* Enveloppe comprimée (quadrangulaire). 
G. Gonium. 
b** Enveloppe globuleuse. 
D** + Ciliés. 
G. Volvox. 
D** ++ Tentaculés. 
G. Sphærosira. 
bb. Oculés. 
G. Eudorina. 


$ IT. ORDRE DES PSEUDOPODIENS (Pseudopodia). 


PSEUDOPODIENS NUS (Pseudopodia nuda). 


FAMILLE UNIQUE. A MOEBIENS (Æmæbæa). 


G. Amæba. 
PSEUDOPODIENS CUIRASSÉS (Pseudopodia loricata). 


re 


1° FAMILLE. BACILLARIENS (Bacillaria). 


Enveloppe se divisant spontanément avec l’animal 
(bivalve, bi-ailée ou quadrangulaire). 
A. Libres, jamais fixés. 
a. Solitaires ou bien agglomérés. 
a* Enveloppe plus longue que large. 
.G. Navicula. 
a** Enveloppe plus large que longue. 
G. Enastrum. 
aa. Réunis en formes de rubans polymorphes; 
les individus conservant quelques mouve- 
ments libres, sans se détacher; cuirasse éga- 
lement épaisse partout et prismatique. 


G, Baciliaria. 


INFUSOIRES. 363 


aaa, Réunis en faisceaux et non polymorphes, 
ensuite désunis. 
G. Fragilaria. 
aaaa. Réunis en éventail, sans pieds; cuirasse 
plus épaisse en avant qu'en arrière. 
G. Exilaria. 
B. Fixes dans le jeune âge, ensuite libres. 


b. Sessiles. 
? G. Synedra. 


bb. Pédiculés, souvent dichotomes, par ramifi- 
cation; corps rétréci inférieurement, cunéi- 
forme. 

G. Gomphonema. 
bbb. Pédiculés, souvent dichotomes, corps ré- 
tréci à ses deux extrémités, subfusiforme. 

G. Cocconema. 
bbbb. Pédiculés , réunis en éventail , et souvent 


dich otomes. 
G. Echinella. 


2° FAMILLE. ARCELLINIENS (Æ{rcillina). 


Enveloppe non divisée. 
A. Enveloppe urcéole. 
G. Diflugia. 
B. Enveloppe scutelliforme. 
G. Arcella. 


ITe LEGION. — ENTERODÉLÉS (Enterodela). 


Ce groupe, composé, comme nous l’avons déjà dit, 
dés polygastriques, ayant un intestin commun, et 
une bouche distincte de l’anus, se divise, de même que 
le précédent, en deux ordres, les nus et les cuirassés, 


304 ANIMAUX APATHIQUES. 
qui, à leur tour, se subdivisent en quatre sections, 
savoir : 


10 Les ANOPISTUES (Anopisthia), qui ont la bouche 
et l’anus contigus; 


20 Les ENANTIOTRÈTES ( Enantiotreta), qui ont 
la bouche et l'anus terminaux et opposés, et 
se divisent transversalement. 


30 Les ALLOTRÈTES(Allotreta), qui ont également 
la bouche ou j’anus terminaux, mais se re- 
produisent par des divisions spontanées lon- 
gitudinales et transverses. 


4° Les KATOTRÈTES (Katotreta), qui n’ont ni la 
bouche ni l'anus terminaux, et se divisent 
comme dans Île groupe précédent. 


Voici le tableau de leur distribution en familles et 
en genres. 


ORDRE DES ANOPISTHES NUS (Anopistha nuda). 
FAMILLE UNIQUE. VORTICELLINES (/’orticellina). 


A. Corps pédicellé, fixé, ensuite détaché, deve- 
nant souvent dichotome. 
a. Pédicule se contractant en spirale, simple 
ou rameux. 

a* Pédicule solide, le muscle intérieur peu 

distinct, 
G. Vorlicella. 

a'* Tubulaire , le muscle intérieur souvent 
distinct, devenant arborescent par les di- 
visions spontanées de l’animal. 

a*%* Animalcules d’un mème groupe si- 
milaires. 
G. Carchesium. 


INFUSOIRES. 305 


a*** Les animalcules dissemblables sur 
le mème arbuscule. 
G. Zoocladium. 


aa. Pédicule ne se contractant pas en spirale, 
rigide, sans tuyau intérieur, simple ou ra- 
meux. 
G. Episty lis. 
B. Corps non pédiculé et libre. 
b. Cils disposés en une couronne simple. 
G. Trichodina. 
bb. Gils disposés en une couronne spirale con- 
duisant à la bouche. 
G. Stentor. 


ORDRE DES ANOPISTHES CUIRASSÉS (Anopisthia 


loricata). 


FAMILLE UNIQUE. OPuRYDINES (Ophrydina). 


“ 
LD 


A. Corps entouré de gélatine et point pédicellé. 
G. Ophrydium. 
B. Corps renfermé dans une gaîne membraneuse. 
b. Pédicellés. 
b* Gaîne sessile ; corps pédicellé. 
G. Tintinnus. 
b** Gaîne pédicellée. 
G. Cothurnia. 
bb. Non pédiceliée. 
G. Vaginicola. 


366 ANIMAUX APATHIQUES. 


ORDRE DES ENANTIOTRÈTES NUS (Enantiotreta 


nuda). 
FAMILLE UNIQUE. Encugzines (Ænchelina). 


À. Bouche terminale droite, obtuse, généralement 
garnie de cils; divisions spontanées transver- 
sales. 

a. Corps ni cilié ni garni de soies. 

a* Simples. 
G. Enchelys. 
&* Doubles. 
G. Disoma. 
aa. Corps pourvu de cils vibratiles. 
G. Holophrya. 
aa. Corps garni de soies non vibratiles. 

aaa* Subglobuleux. 

G. Actinophrys. 
aaa** Disciforme* 
G. Trichodiscus. 

B. Bouche terminale , mais oblique, souvent 

ciliée. 

b. Corps non cilié. 

b* Point de prolongement en forme de tête 
et de coa (l'extrémité antérieure peu ou 
point atténuée ). 

G. Trichoda. 

b** Un prolongement en forme de tête et de 
cou. 

G. Lacrymaria. 
bb, Corps cilié. 
G. Leucophrys. 


INFUSOIRES. 367 
ORDRE DES ENANTIOTRÈTES CUIRASSÉS (Æran- 


triotreta loricata). 
FAMILLE UNIQUE. COLÉPIENS (Colepina),. 


Enveloppe ovalaire ou cylindrique. 


G. Coleps. 
ORDRE DES ALLOTRÈTES NUS (4{lotreta nuda). 
1" FAMILLE. TRACHELINES (7’rachelina). 


Pouche inférieure ; anus terminal, 
A. Bouche non armée. 
a. Point de cercle de cils distinct sur le front. 
a* Lèvre supérieure ou frontalongé, cylindri- 
que ou déprimé, et se prolongeant en forme 
de trompe étroite. 
G. Trachelius. 
a** Lèvre supérieure courte , déprimée et di- 
latée obliquement. 
G. Loxodes. 
a*** Lèvre supérieure comprimée, subca- 
rénée ou renflée , point rétrécie. 
G. Bursaria. 
aa. Front garni d’un anneau de cils. 


G. Phialina. 
.B. Bouche garnie-de crochets. 


G. Glaucoma. 


2° FAMILLE. OPHRYOCERCINES (Ophryocercina). 


Anus inférieur, bouche terminale. 


G, Ophryocercus. 


368 ANIMAUX APATHIQUES. 


ORDRE DES ALLOTRÈTES CUIRASSÉS (Allotreta 


“ loricata). 
FAMILLE UNIQUE. ASPiDISCINES (Aspidiscina). 


Boucke inférieure, anus terminal. 
G. Aspidisca. 


ORDRE DES KATOTRÈTES NUS (Katotreta nuda),. 


1° FAMILLE. KOLPODIENS (Xolpodea). 


Coxps glabre ou bien cilié, inerme. 
A. Sans yeux. 
a. Une trompe courte et rétractile. 
a Corps cilié en partie seulement. 
G, Kolpoda. 
a** Corps cilié obliquement partout. 
G. Paramicium. 
aa. Point de trompe. 
aa* Front et queue rétrécis. 
G. Amphileptus. 
aa** Front oblong, queue rétrécie. 
G. Uroleptus. 
B. Pourvus d’yeux. 
G. Ophryoglena. 


2% FAMILLE. OxYTRICHINES (Oxytrichina). 


Corps cilié et soyeux, ou armé de styles ou de. cro- 
chets. 
A. Corps garni de soies; point de styles ou de 
crochets. 
G. Oxytricha. 
B, Des crochets, point de styles, 
G. Kerona. 


[INFUSOIRES NUS. 369 


G. Des styles, point de crochets, 
G. Urostyla. 

D. Des styles et des crochets. 4 
G. Stylonichia. 


ORDRE DES KATOTRÈTES CUIRASSÉS (Katotreta 
loricata). 


FAMILLE Euproriens ( Euplota). 
Corps armé de crochets, dos écussonné. 


A. Tête point distincte. 
FEuplotes. 
B Té , , » pce C3 
À ele separee du corps par un retrécissementi. 
G. Discocephalus.] 


ORDRE PREMIER. 


INFUSOIRES NUS. 


Corps très simple ; microscopique , dépourvu dorga- 
nes ou d'appendices extérieurs , et paraissant homogène. 

Les infusoires nus sont des animalcules très simples, 
infiniment petits, la plupart transparents, dépourvus, 
au moinsen apparence, d’appendices extérieurs, comme 
de poils, de cils, d’espèces de cornes ou d’une queue, 
et qui ne paraissent, sous l’œil armé, que des points 
animés ou mouvants (1). Ces animalcules , et sur-tout 


QG) Un grand nombre des animalcules rangés par La- 
marck dans cette division sont loin d’avoir les caractères 
qu’il y assigne. Des cils à l’entour de la bouche sont très 
communs; d’autres fois il existe une espèce de trompe, etc. 


E. 
ToME 1. 24 


9 


570 ANIMAUX APATHIQUES. 


À 
parmi eux ceux qui ont le corps globuleux ou sphéri- 
que , offrent ce qu'il y a de pius simple dans le règne 
animal, c’est-à-dire, les plus faibles ébauches de l’or- 
ganisation. 

Si on laisse quelque temps de l’eau exposée à la cha- 
leur de l’air ou du soleil , et sur-tout de l’eau dans la- 
quelle des matières animales ou végétales ont été infu- 
sées , on y voit bientôt paraître de ces infusoires; mais 
on ne peut en général les a percevoir qu'avec le secours 
du microscope. * 

Malgré leurs mouvements singuliers, on pourrait 
douter que ces petits corps , sur-tout ceux qui sont 
sphériques et punctiformes, fussent réellement des 
animaux; si, de proche en proche, ces animalcules de 
plus en plus développés où animalisés, ne conäuisaient, 
presque sans lacune, aux infusoires apperdiculés, 
ceux-ci aux polypes ciliés, enfin, ces derniers aux po- 
lypes à rayons. Ainsi, ce fait bien reconnu ne peut 
laisser aucun doute raisonnable sur la nature animale 
de ces singuliers corps. 

Comme cesanimaux n’inléressent que sousdes points 
de vue philosophiques, je me suis permis de réduire 
un peu le nombre des genres établis parmi eux par 
Muller, dans l’intention d’en rendre l'étude plus 
facile. 

Je partage les infusoires nus en deux sections, de la 
manière suivante : 


L* SECTION. — Corps épaïs. 
TIe SECTION. — Gorps membraneux. 


INFUSOIRES, — MONADES. x 3m 


; PE 


PREMIÈRE SECTION. 


CORPS ÉPAIS. 


1l a une épaisseur perceptible , qui léloigne de l’état 
membraneux. 


MONADE, ( Monas. ) 


Corps extrêmement petit, très simple, transparent, 
en forme de point. 


Corpus minimum, simplicissimum , hyalinum, punc- 
tiforme. 


Osservarions. Les monades sont les plus petits, les plus 
imparfaits et les plus simples de tous les animaux connus; 
elles sont plus petites encore que les volvoces , et on n’a 
supposé leur animalité que parce que ce sont des corpus- 
cules mouvants, et que leur analogie avec les volvoces est 
évidente. 

Assurément les monades n’ont ni bouche, ni sac alimen- 
taire , ni organe spécial quelconque ; aussi est-il probable 
qu’elles ne vivent que par absorption et par une imbibition 
continuelle. Ce ne sont que des points vivants, n’ayant au- 
cure forme propre, car leur forme globuleuse résulte de 
la pression du liquide dans lequel elles vivent. 

Ces animalcules, véritables ébauches de l’animalité, se 
forment et se trouvent, lorsqu'il fait un peu chaud, dans 
les eaux tranquilles ou croupissantes, soit douces, soit ma- 
rines , dans les infusions végétales et animales , plus rare- 
ment dans l’eau pure. 

24* 


372 ANIMAUX APATHIQUES. 


La première espèce est réellement le terme où l'obser- 
vation microscopique ait pu atteindre. 


[ Les observations de M. Ehrenberg montrent que chez 
ces animalcules il existe de quatre à six cavités intérieures 
qui recoivent les matières alimentaires dont ces êtres se 
nourrissent. Leur bouche parait être entourée d’une cou- 
ronne formée par une vingtaine de cils. 


Ce naturaliste définit ce genre de la manière suivante : 


À. Polygastriques, anenthérés, gymniques, nus, mono- 
morphes, se reproduisant par scission transversale, dépour- 
vus de queue et d’yeux, ayant la bouche tronquée, termi- 
nale et occupant la partie du corps qui est dirigée en avant 
peudant la natation, enfin étant toujours solitaires, ] 


ESPÈCES. 
Monade terme. Monas termo. 


M. gelatinosa; corpore minimo subinconspicuo. 
Mail. Inf. t. f. r. Encycl. pl. 1.f. r. 
La fig. citée représente une goutte d'eau considérablement 
grossie et remplie de M. termes en nombre incalculable, 
[ Ehrenberg. Acad, de Berlin. 1830. pl. 1. fig. 1. 
Bory. Encycl. Zooph. p. 548. ] 
H. dans les infusions animales et végétales. 


2. Monade atome. Monas atomus. 


M. albida , puncto variabili instructa. 

Mall. Inf, t. 1. f. 2, 3. Encycl. pl. 1. f. 2. a, b. 

H. dans l'eau de mer gardée. 

{ Suivant M. Ehrenberg , cette espèce serait la même que le 
M. lens , mais observé au moment où les poches gas- 
triques sont remplies de matières alimentaires. Ehr, 
1°" Mém. Op. cit. pl. 1. fig. 2.| 


Monade point. Monas punctum. 


M. nigra, subcylindrica. 
Mail. Jnf, t. 1. f, 4. Encycl, pl. 1. f. 3. 


INFUSOIRES, =— MOÜNADES. 


Cy 
Rex | 
GS 


[ Bory. Op. cit. p.550.] 
H. dans les infusions de la pulpe de poire. 


4. Monàde œil. Monas ocellus (1). 


M. hyalina, puncto certrali notata. 
Mall. Inf. 1. 1, f. 7, 8. Encycl. pl. r. f. 4. a, b. 
H. dans l’eau des fossés où croissent les conferves. 


8 #4 


5. Monade lente, Monas lens. 


AT. ovoidea , hy alina. 

Mail. Iof. t. 1. f. 9 à 1 1. Eucycl. pl. 1. f. 5. a, b, c. 

[ Bory. Op. cit, p. 550. 

Ehrenberg et Hemprich. $ymbolæ physicæ. Phytozoa. pl. 1. 
fig. 1.] 

H. dans toute sorte d’eau, Ces monades paraissent se multi- 
plier par scission, 


6. Monade luisante. Monas mica. 


M. circulo notata. 

Mull. Inf,. t, 1.f. 14, 15. Encycl. pl. 1. 6. a, b. 

[Ehrenb. 2e Mém. p. 53.] 

H. dans les eaux les plus pures. Ces corpuscules varient sous 
l'œil, de la forme sphérique à l’ovale; tantôt ils oscillent , 
et tantôt ils tournent sur eux-mêmes, 


7. Monade tranquille. Monas tranquilla. 


M. ovata, hyalina, margine rigra. 
Mall, Inf. t. 1. f. 18. Encycl. pl. 1. f, 7. 
H. dans l’urine gardée. 


(1) M. Bory-Saint-Vincent a établi, sous le nom d’Oru- 
THALMOPLANIDE, Ophthalmoplanis (Encycl.méth.Zoophytes, 
p- 583), un genre nouveau composé des monades, dans 
l'intérieur desquelles on distingue un point comme chez le 
ÎT, ocellus ; mais il résulte des observations de M. Ehren- 
berg, que la présence ou l’absence de cette espèce de tache, 
dépend de l’état de plénitude où de vacuité des cavités 
gastriques , de façon que le même animal peut présenter 
tour à tour les caractères d’une monade proprement dite ou 
d’un ophthalmoplanide. E, 


374 ANIMAUX APATHIQUES. 


8. Monade poussière. Monas pulvisculus. 


M. hyalina, margine virente. 

Mall. Inf. t. 1. f. 5, 6. Encycl. pl. 1. f. 9. a, c. 

| Enchelys monadina. Bory. Op. cit. p. 318. et Monas pul- 
viusculus. Bory. Op. cit. p. 549 (double emploi). 

Monas pulviusculus. Ehrenb. 2° Mém, p. 57. | 

H. dans l’eau des marais. 


VOLVOCE. { Volyox.) 


Corps très petit, très simple, transparent, sphéri- 
que ou ovoïde, tournant sur lui-même comme sur un 
axe (1). 


- 


(1) MM. Bory-Saint-Vincent et Ehrenberg ont successi- 
vement restreint les limites du genre Vozvox ; ce dernier 
naturaliste y range les polygastriques de la légion des 
anenthérés , de l’ordre des cuirassés et de la section des 
épitriques, qui se reproduisent par des divisions inté- 
rieures et la rupture de l’enveloppe du corps de la mère 
dans laquelle les petits sont d’abord renfermés comme 
dans une coque, dont l’enveloppe est globuleuse et dont 
le corps est garni de cils. Il y rapporte le ”. globator de 
Muller et deux espèces nouvelles. 

Le genre SpnorrosirA , du même auteur, se distingue du 
précédent par la disposition des cils qui sont plus longs et 
tentaculiformes. Une espèce Sphærosira voivox. Ehr. 
(22 Mém., p. 78.) 

. Le genre Eunoriwa (Ehrenb.) se compose des Anenthérés 
épitriques cuirassés ayant un mode de reproduction ana- 
logue aux précédents, mais pourvus d’un point oculi- 
forme. Le corps de ces infusoires consiste en une sphère 
transpareute, gélatineuse,et garnie de cils, dans l’intérieur 
de laquelle sont renfermés un certain nombre de petits de 
même forme, colorés en vert et présentant un point oculi- 


INFUSOIRES, — VOLVOCES. 379 


Corpus minimum , simplicissimum , pellucidum , 
sphœricum , circà axim rotatorium. 


Ossenvarions. La plupart des volvoces sont trop petites 
pour qu’on puisse les apercevoir à la vue simple, et une 
seule espèce connue fait exception à cet égard. Leur corps 
très simple et peu changeant de figure , nous paraît les 
rapprocher davantage des monades que les protées , car il 
ne s'offre à nous que sous l’aspect d’une très petite masse 
gélatineuse, transparente, sphérique, et qui, dans ses mou- 
vements, prend souvent une forme ovoïde. 

Ces petits corps tournent sur eux-mêmes comme sur un 
axe; les uns avec lenteur, les autres avec une vitesse qu’ils 
semblent varier à leur gré ; mais ce n’est qu’une illusion ; 
etil est probable queles variations dans la vitesse de leur 
rotation ne dépendent pas d’eux. 

Dans plusieurs, le corps paraît composé de globules 
nombreux, quelquefois mouvants et réunis dans une masse 
commune. Or ,il ya lieu de croire que ces globules sont 
des gemmules qui régénèrent où multiplient l’individu, en 
sortant par une déchirure de son corps : la volvoce globu- 
leuse est de ce nombre. 

Muller à pensé qu’il y avait ici, lieu de former deux 
zenres; savoir : les volvoces à parties intérieures uniformes, 
et celles dont l’intérieur offre un amas de globules partie 
culiers. 


forme rond et d’un beau rouge. M. Ehrenberg n’en décrit 
qu’une espèce, qu’il nomme Æudorina elegans (2° Mém., 
p- 78, pl. 2, fig. 10). Cet animalcule paraît avoir été sou- 
vent confondu avec le F’olvox morum , Muller, et le F’ol- 
vox globator, du même auteur. 

Enfin ,.M. Ehrenberg donne le nom de PEertnrum aux 
Anenthérés épitriques cuirassés qui ne se reproduisent 
pas comme lesprécédents et comme les gones, maissont tou- 
jours simples. Il place dans ce genre trois espèces nouvelles 
et le Frichoda cincta, Muller, (Ehr., 2° Mém., p. 74.) 


376 ANIMAUX APATHIQUES. 


On trouve les volvoces dans les eaux douces, soit des 
marais, soit des fontaines ; dans des infusions végétales ; 
dans l’eau de mer. 


ESPÈCES. 


* Intérieur du corps paraissant simple et homo- 
gène. 


1. Volvoce point. Volvox punctum. 


V. sphæricus, nigricans ; centro puncto lucido. 
Mull. Inf.t. 3.f. 1, 2. Encycl. pl. 1. f. 1. a, b. . 
[ Monas punctum. Bory. Op. cit. p. 550. ] 

H. dans l’eau de mer fétide. 


2. Volvoce grain. Volvox granulum. 


V. sphœricus, viridis; periphæri& hyalind. 

Muil. Inf, t. 3. f. 3. Encycl. pls f. 2. 

[ Gyges viridis. Bory-Saint- Vincent. Encycl. Zooph. 
p.449(1)] 


H. dans l’eau des marais. 


G)M. Bory-Saint-Vincent, à qui l’on doit de nombreuses 
recherches sur les infusoires , a établi, sous le nom de Gx- 
&Ës, une division générique destiuée à recevoir les ani- 
malcules sans poils ni cirrhes, dont le corps ovoïde est en- 
touré d’un auneau transparent et ressemble assez à celui 
d’une volvoce qui serait contenu dans une vésicule trans- 
parente, dont il n’atteindrait pas les bords. Ce groupe cot- 
respond à peu près à la famille des Criptomonadiens de 
M. Ebrenbe:g , laquelle comprend les A. polygastriques , 
anenthérés, cuirassés et gymniques, dont le corps est 
renfermé dans une enveloppe membraneuse subglobuleuse 
etovale. Ce groupe se subdivise, comme nous l’avons déjà 
dit, en quatre geures, savoir : 

1° Le G. CryPTomonAs, comprenant les cryptomonadiens 

simples et dépourvus d’yeux, dont la bouche est 


INFUSOIRES, -— VOLVOCES. 377 


3, Volvoce globule, Volvox globulus. 


V, globosus , postice subobscurus. 
Mull. Inf. t. 3. f. 4. Encycl. pl. 1. f. 3. a, b. 
[ Doxococcus globulus. Ehrenb. 2° Mém. p. 63 (2).] 


ciliée (toutes les espèces connues sont colorées ordi- 
nairement en vert ou en brun); 


2° Le G. GyxGËs, comprenant les cryptomonadiens sim- 
ples et dépourvus d’yeux, dont la bouche est nue; 
3° Le G. LAGENULA, comprenant les cryptomoanadiens 
simples et ocellés (ayant un œil unique rouge) 
Exemple : Lagenula enchlora, Ehrenberg, 2° Mém., 
p- 65, pl. 2, fis. 6. 
4° Le G. Panporina, comprenant les cryptomonadiens 
composés, ou se reproduisant ( comme les volvoces, 
les eudorines, etc.) par des divisions intérieures. 
Ce genre , dont l'établissement est dùü à M. Bory, 
est très remarquable, en ce que les espèces de 
bourgeons reproducteurs se développent dans l’in- 
térieur de l’animal et, qu’à une certaine époque, le 
corps de celui-ci ressemble à une simple poche remplie 
d’animalcules vivants. | 
Exemple : 7’olvox morum , Muller , Inf.; tab. 3, 
fig. 14—16, et Encycl. pl. 1, fig. 10; Pandorina 
mora, Bory, Op. cit., p.600, et Ehrenb., 2° Mém., 
p. 65. E. 


(2) M. Ehrenberg range cette espèce dans son genre 
Doxococous , qui se compose des A. polygastriques , anen- 
thérés, nus, monomorphes, dont la reproduction s’effec- 
tue par simple division transversale (ou monadines), qui 
n’ont ni queue, ni yeux; enfin dont la bouche est tantôt 
antérieure, tantôt postérieure ou latérale pendant la nata- 
tion , car ils se roulent alors en tous sens. Ils sont ronds et 
généralemeut opaques. E. 


378 ANIMAUX APATHIQUES. 


** Intérieur du corps offrant des corpuscules par- 
ticuliers. 


4. Volvoce pilule. Volvox pilula. 


V. sphœricus; interaneis immobilibus virescentibus. 
Mull. Inf. t, 3. f. 5. Encycl. pl. 1. f. 4. 
[ Bory. Op. cit: p. 818.] 
©. dans les eaux les plus pures, où croît le Lemna minor. 


5. Volvoce grésil. V’olvox grandinella. 


V. sphæricus, opacus; interaneis immobilibus. 
Mull. Inf. t. 3. f. 6, 9. Encycl. pl. 1. f. 5. 
H. dans les eaux douces. 


6. Volvoce sociale. Z’olvox socialis. 


V. sphoæricus ; moleculis crystallinis, œqualibus, distantibus. 
Mall. Inf. t. 3. f. 8, 9. Encycl. pl. 1. f. 8. a, b. 

[ Uvella rosacea. Bory. Op. cit. p. 767 (1).] 

H. dans l’eau des rivières. 


— ——— 


(1) Le genre Uvezra a été créé par M. Bory-Saint-Vincent 
pour recevoir les animalcules microscopiques qui ont le 
corps simple et sphérique comme les monades, mais qui 
se réunissent en groupes ayant la forme de petites masses 
globuleuses , sans que les divers individus ainsi agrégés, 
soient réunis par une membrane commune. M. Ehrenberg 
adopte cette division en la définissant de la manière sui- 
vante: 

À. polygastriques, anenthérés, nus, gymniques, de la fa- 
mille des monadines, qui n’ont ni queue, ni yeux, dont 
la bouche est tronquée et terminale, et dont les individus, 
solitaires dans le jeune âge, se réunissent ensuite en grou- 
pes désagréables, et plus tard redeviennent libres. 

Cet auteur y rapporte le volvox uva, Muller, Op. «it., 
tab. 3, fig. 179—021 (Encycl., pl. 2, fig. 11—13 ), ou wvella 
virescens de M. Bory , Op. cit., p. 767; l’uvella chameæ- 


INFUSOIRES. =— VOLVOCES, 379 


7. Volvoce sphérule. Z’olvox sphærula. 


V'; sphϾricus ; moleculis similaribus rotundis. 
Mall: Inf. t. 3. f. 10. Encycl. pl. 1. f. 5. 
H. dans l’eau des étangs, en automne. 


> 


morus, Bory , Op. cit., p. 766 et quelques espèces nou- 
velles. 

Le genre Porvromus de MM. Quoy et Gaimard , paraît 
avoir de l’analogie avec le genre uvelle. Ces naturalistes 
ont donné ce nom à de petits animaux hyalins et gélati- 
neux de forme rhomboïdale, qu’ils ont souvent trouvés 
solitaires, mais qui se rencontrent aussi même en masse 
ovalaire , de la grosseur d’un petit œuf. Ils n’en ont fait 
connaître qu’une seule espèce, le Polytomus lamanon. 
Quoy et Gaim. Annales des sciences naturelles, t. 6, p. 87, 
pl. 2, fig. 12 et 13. 

Dans son tableau des infusoires , M. Ehrenberg donne 
aussi le nom de Poryromus, E. à une division de la famille 
des monadines ; mais il ne dit pas si c’est du genre établi 
par MM. Quoy et Gaimard qu’il entend parler. Il y place 
les monadines qui, solitaires dans le jeune âge, se chan- 
gent par des divisions cruciales spontanées en une sorte de 
baie formée d’un amas d'individus. Il ne rapporte à ce 
genre qu’une espèce, le Polytomus uvella, E. (2° Mém., 
pe 63). 

Le genreCniLômonas, du même auteur, se compose aussi 
de monadines anoures dépourvues d’yeux; mais, chez ces 
animalcules, la bouche au lieu d’être terminale, est oblique, 
sans bords et bilabiée; leur corps est un peu alongé(2° Mém., 
p. 64). 

Enfin, le genre Microczewa (Ehrenberg, 2° Mém., p. 64) 
se compose des monadines qui, de même que les précé- 
dents, n’offrent point de prolongement caudal, mais qui 
se distinguent par l’existence d’un point oculiforme de 
couleur rouge; leur corps est tantôt arrondi, tantôt ova- 
laire. On en connaît deux espèces : le Æ/icroglena mona- 
dina ( Ehrenberg , 2° Mém., p. 64, pl. 1. fig. 1), et le A1- 
croglena voivocina (Ehrenb., loc. cit., pl. 1, fig. 2). E. 


380 ANIMAUX APATHIQUES. 


8 Volvoce globuleuse, Folvox globator. 


V': sphæricus | membranaceus ; globulis sparsis. 

[ Pandorina Eeuwenhoeckü. Bory. Op. cit. p. 600. 

Volvox globator. Ehrenb. 2e Mém. p. 77. 

Hemp. et Ehrenb. Symbolæ physicæ. Phytozoa. tab. 1. 
fig. 46.] 

Mull. Inf. t: 3.f. 12, 13. Encycl. pl. 1. f, 9. a, b. 


H. dans les eaux stagnantes, On l’apercoit à la vue simple: 
Etc. | 


PROTÉE. ( Proteus.) 


Corps très petit , très simple, transparent, de forme 
changeante, diversement lobé instantanément. 


Corpus minimum, simplicissimum , pellucidum, mu- 
tabile, instantaneo motu variè lobatum. 


[ Le nom de Proreus étant déja employé en zoologie, 
pour désigner d’autres animaux, M. Bory-Saint-Vincent 
a donué auxinfusoires , dont il est question , celui d’amise 
qui, avec un léger changement, a été adopté par M. Ehren- 
berg. Ce dernier naturaliste a constaté l’existence de cavités 
stomacales isolées et éparses dans l’intérieur du corps de ces 
animalcules. Les poches cœcales sont susceptibles d’unedis- 
tension extrême ; M. Ehrenberg a figuré des amæbes dif- 
fluents , qui s'étaient nourris de uavicules , et dans l’inté- 
rieur du corps desquels on aperçoit de ces infusoires dont 
la longueur est très considérable. Ce genre est le seul dont 
se compose, dans l’état actuel de la science, sa famille des 
auenthérés pseudopodes nus, comprenant les polygastri- 
ques anenthérés, dont le corps est nu et pourvu de prolon- 
gements pédiformes variables. On trouve, dans les Mémoires 
de l’Académie de Turin, un travail descrivtif très considé- 
rable sur ces animaux par M. Losana; mais il ne nous paraît 
pas avoir été fait avec assez de critique pour être réellement 
utile à la science. ] 


INFUSOIRES =» PROTÉES. 38t 


Orservarions. Les protées sont plus fortement contrac- 
tiles que les monades et les volvoces; conséquemment, ils 
sont déjà plus animalisés. Leur corps très petit, gélatineux, 
et ovale ou oblong, passe d’un instant à l’autre, d’une 
forme simple et unie, à une forme sinuée, lobée , presque 
rameuse ; et jamais il ne se présente une minute de suite 
sous la même forme. 

La première espèce de ce genre, que Roësel a le premier 
fait connaître , est si singulière, relativement à ses chan- 
gements de forme , qu’on l’a comparée à une goutte d’eau 
jetée sur de l'huile. 


[ M. Ebrenberg a observé la manière dont ce phéno- 
mène s'opère; une partie des téguments äu corps se relàä- 
che pendant que le reste se contracte avec force, et les vis- 
cères ainsi poussés contre la partie non contractée, la 
distendent et la transforment en un sac ou appendice creux 
de forme variable, dont ils occupent eux-mêmes la cavité. 
Souvent toute la substance granulaire , renfermée dans le 
corps ainsi que les estomacs et les matières alimentaires y 
contenues, sont de la sorte poussés dans un prolongement 
qui, par son mode de formation, peut être comparé à une 
hernie. Chez les protées (ou amibes) ces prolongements 
peuvent se former dans toutes les parties de la surface du 
corps. | 


Dans les protées, ainsi que dans les monades et les vé- 
ritables volvoces , aucune trace d’organe particulier quel- 
conque n’est perceptible, et sans doute il n’en existe réel- 
lement aucun. 

Les protées vivent dans l’eau douce et dans l’eau de mer; 
on n’en connaît encore que deux espèces. 


ESPÈCES. 


1. Protée rameux. Proteus diffluens. 


P. in ramulos diffluens. 
Roës, {ns.3.t. 101. fig. A. T. Mall. t. 2. {, 1 à 12. Encycl.pl.t. 


u* 


f. 1, a, bic, d,6; F0 090 E, 1970. 


382 ANIMAUX APATHIQUES. 


{ Æmiba divergens. Bory. Dict, classique. t, 1. p. 261. 
Amæba, diffluens. Ebrenberg, Acad. de Berlin, 1830, 
pl. 1. fig. 5.] 


Se trouve dans l'eau des marais, 
2. Protée tenace. Proteus tenax (1). 


P. in spiculum diffluens: 
Mull. t. 2. f. 13 à 18. Encycl. pl. 1. f, 2, (a, b,c,d, e,f.) 
Se trouve dans l’eau de rivière et dans l’eau de mer, 


ENCHÉLIDE. (Enchelis.) 


Corps très petit, très simple, oblong, cylindracé, 
de forme un peu changeante. 


Corpus minimum , simplicissimum , oblongum vel 
cylindraceum , subvariabile. 


Onpservarions. Il n’y a point de limites positives et tran- 
chées entre les enchélides et les vibrions ; et j’aurais pu, 
sans inconvénient bien important, continuer de réunir ces 
animalcules en un seul genre. Cependant les enchélides 
sont en quelque sorte grosses el courtes, comparativement 
aux vibrions, qui ont le corps grêle et alongé. Les enché- 
lides d’ailleurs varient souvent un peu de forme dans 
leurs mouvements, et semblent plus voisines des protées, 
sous cette considération, que les infusoires auxquels le 
nom de vibrion peut convenir. Enfin, l’on a lieu de penser 


(1) M. Ehrenberg pense que cette espèce pourrait bien 
appartenir à son genre Drsricma , qui se compose des po- 
lygastriques aneuthérés, nus, gymniques, qui ont le corps 
alongé , deviennent polymorphes par la contraction , se 
divisent spontanément dans le sens longitudinal ou obli- 
que, n’ont pas de queue et sont pourvus de deux yeux. 
(2° Mém., p. 73.) E. 


INFUSOIRES. — ENCHÉLIDES. 333 


que, quoique on ait pu commettre quelque erreur à leur 
égard , la plupart des animalcules qu’on a rangés parmi 
les enchélides, sour de véritables infusoires ; tandis qu’il 
est probable qu’il n’en est pas ainsi des vibrions. 


[ Les observations récentes de M. Ehrenberg montrent 
qu’il existe de grandes différences entre les enchélides et 
les vibrions , les cyclides , etc.; car les premiers sont pour- 
vus d’un canal intestinal qui s’étend en ligne droite d’une 
extrémité du corps à l’autre , et autour duquel sont grou- 
pées les appendices stomacales qui, chez les derniers, pa: 
raissent être isolées et communiquent directement au de- 
hors par une ouverture commune. Chez les enchélides il 
existe par conséquent une bouche et un anus distincts; la 
première de ces ouvertures, placée à l'extrémité troiquée 
du corps, est entourée d’un cercle de petits cils; la seconde, 
située à l’extrémité opposée, devieut distincte lors de la 
sortie des matières fécales. ( Voyez Mém. de l’Acad. de 
Berlin, 1830, pl. 2, fig. 1 ; et Annales des sciences natu- 
relles , 2° série, Zool., t. x, pl. 5, fig. 10— 12.) 

Dans la méthode de M. Ehrenberg ces animaux prennent 
place dans la légion des polygastriques entérodélés, divi- 
sion des énantiotiètes nus (caractérisée par la position de la 
bouche et de l’anus, et la reproduction au moyen de divi- 
sions transversales), laquelle ne se compose que d’une 
seule famille, celle des ENCHÉLINES. 

Les caractères assignés par ce naturaliste au genre en- 
chélide, sont les suivants : 

Bouche terminale droite; corps ni cilié, ni garni de soies 
et simple. | 

ESPÈCES. 
r. Enchélide poupée. Enchelis pupa. 
E. lageniformis seu ovata , anticè attenuata , posticè crassior 
quadruplo ferè longior quam lata. 
Mull. Inf. tab. 25. fig. 25, 26. 


Eacycl. pl, 2. fig. 31. 
Bory. Op, cit. p. 520. 


384 ANIMAUX APATHIQUES. 


Ebrenb. Mém. de Berlin, 1830. pl, 2. fig. 1. et Ann. des 
Sc. nat. 2° série. Zool. t. 1. pl. 5. fig. 

Quelquefois cet enchélide ovale a des infusoires d’une di- 
mension si considérable, que lui-même devient presque 
globuleux. M. Ebrenberg pense qu’il ne diffère pas de 
l'Enchelys farcimen, Muller. Inf. tab. 5. fig. 7 et 8. Encycl. 
pl. 2. fig. 29, que M. Bory-Saint-Vincent range dans son 
genre pupelle. ] 


>. Enchélide verte. Enchelis viridis. 


£. subcylindrica, anticè obliqué truncata. 
Mull. Inf. t. 4. f. 1. Encycl. pl. 2. f. 1. : 
H. dans l’eau gardée plusieurs semaines. 


5. Enchélide ponctuée. Enchelis puncufera. 


Æ. subcylindrica, viridis, anticé obtusa, posticè acuminata. 

Mall. Inf. t. 4. f. 2, 3. Encycl. pl. 2. f. 2. 

[ Bory-Saint-Vincent. Op. cit. p, 319. ] 

H. dans l’eau des marais. 

[ M. Ehrenberg pense que cette espèce pourrait bien appar- 
tenir à son genre Distigma (2° mém. p. 19).] 


4. Enchélde ovule. Enchelis ovulum. 


E. cylindrico-ovata, hyalina, longitudinaliter subplicata. 
Mall. Inf, t. 4. f. g— 11. Encycel. pl. 2. f. 3.a, b, c. 

[ Bory-Saint-Vincent, Op. cit. p. 321. | 

H. dans l’eau gardée quelques jours. 


5. Enchélide paresseuse. Ænchelis deses. 


ÆE. viridis, cylindrica, subacuminata, gelatinosa. 

Mull. Inf, t. 4. f. 4, 5. Encycl. pl. 2. f. 4. a, b. 

H. dans l’infusion de la lenticule. 

| M. Ehrenberg range cette espèce dans le genre monas. 
2e Mém. p. 59.| 


6. Enchélide anneeu. Ænchelis similis. 
Æ. obovata, opaca, margine pellucida ; interaneis mollibus. 
Mull. Inf, t. 4. f. 6. Encycl. pl. 2. f. 5. 


[ Gyges encheloïdes, Dory-Saint-Vincent, Encyel. p. 449. | 
H. dans l’eau conservée plusieurs mois. 


% 


INFUSOIRES.— ENCHYLIDES. 


C3 
ee 
LL 


7. Enchélide tardive. ÆEnchelis serotina. 


Æ, ovato-cylindracea ; interaneis immobilibus. 
Mall. Inf. t: 4. f. 9. Encycl. pl. 2.f. 6. 

[ Bory. Op. cit. p. 318. ] 

I. dans l’eau des marais gardée. 


8. Hbélide nébuleuse. Enchelis nebulosa. 


E. ovato-cylindracea; interaneis manifestis mobilibus. 
Mull. Inf. t. 4.f, 8. Encycl. pl. 2. f. 7. 

[ Bory. Op. cit. p. 318. 

Ehrenb, 2e Mém. p. 101.]| 

IT. dans l’eau gardée. 


9- Enchélide semence. ÆEnchelis seminulum, 


Æ. cylindracea, æquals. 

Mull. Inf. t. 4. f. 13, 14. Encycl. pl. 2. f. 8. a, b. 
[ Bory. Op. cit. p. 320. ] 

H. dans l’eau conservée plusieurs jours. 


io, Enchélide poire. Enchelis pirum. 


E. inversé conica , posticé hyalina. 
Mall. Inf. t. 4. f. 12. Encycl. pl. 2. f. 11. 
[ Enchelis lagenula. Bory. Op. cit. p. 320.] 
H. dans l'eau long-temps gardée. 
Etc. 
Observ. L’Enchelis fritillus de Muller (1.4. f. 22, 23. ) semble 
appartenir au genre bursaire, 


[ M. Ehrenberg place à côté des enchélides, dans la fa- 
mille dont ces derniers animalcules constituent le type, 
un infusoire très singulier qu’il a découvert dans la mer 
Rouge, et dont le corps glabre et terminé antérieurement 
par une bouche droite, est profondément bifurqué à sa 
partie postérieure. Cet animalcule ne peut être une para- 
mécie , une loxode ou une trachélie, dont le corps se se- 
rait divisé spontanément, car sa bouche est terminale, et 
chez les infusoires qui se reproduisent par des divisions 
longitudinales , cette ouverture est la'érale ou inférieure, 

Tome 1. 25 


386 ANIMAUX APATHIQUES. 


tandis que chez ceux où elle est terminale, ces divisions se 
font transversalement. 

Ce genre, qui porte le nom de Drsom4, Hemp. et Ehrenb., 
est caractérisé de la manière suivante : 

A. polygastrique , entérodèlé, énantiotrète nu, dont 
la bouche est terminale droite, et dont le corps est double 
etne porte ni cils, ni soies. 

Esp. Disoma vacillans , M. et Ehr., Symb. phys. 

phytoz., tab. 5, fig. 3. 

Son corps est hyalin , étroit, à lobes filiformes, 
réunis seulement à la tête.] 


VIBRION. (Vibrio.) 


Corps très petit, irès simple, cylindrique, pro- 
longé. 


Corpus minimum, simplicissimum, cylindricui, 
elongatum. 


Osservarions. Les vibrions sont des animalcules micros- 
copiques, à corps cylindrique, grêle, prolongé, ne variant 
presque point dans sa forme. 

Ceux de ces animalcules qui ont le corps très simple, 
sans bouche, sans tube alimentaire, en un mot, sans aucun 
organe particulier, sont de véritables infusoires et appar- 
tiennent réellement à ce genre: j’en ai vu moi-même dans 
ce cas. 

Mais il est probable que, parmi les espèces nombreuses 
que l’on a comprises dans ce même genre, plusieurs ont 
une organisation moins simple que les infusoires, ne sont 
point réellement des vibrions, et qu’on ne s’est uniquement 
fondé que sur la petitesse de ces animalcules pour les classer 
et les rapporter au genre dont il s’agit. 

Le vibrion-anguille, par exemple, que Bruguière ne re- 
garde que comme une variété du Fibrio aceti , offre , à ce 
qu'on prétend , une bouche munie de deux lèvres, et un 


INFUSOIRES. — VIBRIONS. 387 


tube alimentaire distinet. S'il en est ainsi, cet animalcule 
doit être rapporté à la classe des vers, quelque petit qu’il 
soit, et non à celle des infusoires. On a lieu de présumer 
que d’autres prétendus vibrions sont dans le même cas. 
Quoi qu’il en soit,j’en ai vu qui assurément n’avaient point 
de bouche, et parmi eux j'en ai distingué qui offraient 
l’apparence d’une cavité intérieure, tantôt simple et oblon- 
gue, tantôt divisée en deux ; mais cette cavité ne s’ouvrait 
point au-dehors. 


[ Nous verrons par la suite qu’effectivement plusieurs 
des animaux désignés d’après la forme générale de leur 
corps, sous le nom de vibrion , appartiennent à d’autres 
groupes. 

M. Ehrenberg réserve le nom de vierto aux A. polygas- 
triques anenthérés, nus', gymniques, alongés, monomor- 
phes , dont le corps est filiforme , cylindrique et ne décri- 
vant que des ondes, lors de sa contraction. 

Les vibrioniens dont le corps également filiforme est 
rigide et se contourne en spirale, forment, dans la méthode 
de ce naturaliste, les genres SPrroDISQUS et SPIRILLUM. 

Le genre SPrroniscus (Ehrenb., 2° Mém., p. 68) est ca- 
ractérisé par la manière dont le corps s’enroule en cercle, 
tandis que chez les Srrrizzum il s’enroule en hélice. 


Le genre Bacrerium ( Ehrenb., 2° Mém., p. 69) se com- 
pose des vibrioniens dont le corps est oblong, fusiforme 
ou filiforme, mais jamais distinctement ondulé, ni 
enroulé. 

Le genre Czosrérium de Nitzsch ( Ehrenb., 2° Mém., 
p:66), a beaucoup d’analogie avec les vibrioniens, mais se 
compose des À. polygastriques anenthérés, gymniques, cui- 
rassés, dont l’enveloppe est alongée, cylindrique , ouverte 
aux deux bouts et se divisespontanément en deux ou quatre 
parties par des sections transversales. M. Ehrenberg y 
range plusieurs espèces nouvelles, ainsi que le Y’ibrio lu- 
nu la de Muller, que M. Bory-Saint-Vincent avait placé 
dans son genre Lunuzine (Encycl.p. 500).] 

On voit souvent à l’œil nu le vibrion-anguille, et même 
le vibrion du vinaigre, qui porte aussi le nom d’anguille 


25* 


358 ANIMAUX APATHIQUES. 


du vinaigre : leurs mouvemeuts sont vermiculaires. La 
gelée, dit-on , ne les fait point périr; mais ils ne résistent 

. 1 27 4: de ‘ . 1. 
point àl évaporation, à moins que quelques poussières ne 
les mettent à l’abri du contact de l'air. 

On trouve les vibrions dans plusieurs infusions végéta- 
les et animales, dans les eaux douces, et quelquefois dans 
l’eau de mer conservée. 


ESPÈCES. 


1. Vibrion linéole, Z'ibrio lincola. 


V. linearis, minutissimus. 

Mull. Inf. t. 6. f, 1. Eucycel. pl. 5. f, 2. 

[ Ehrenberg, 2° Mém., p. 67. ] 

H. dans les infusions végétales. C'est un des infusoires les 
plus petits. 


2. Vibrion ride. Vibrio rugula. 
TV’. lincaris , flexuosus. 
Mull. Inf. t. 6. f. 2. Encycl. pl, 5. f. 3. a, b. 


[ Ebrenb. ae Mém, p. 67. 
H.fdans linfusion des mouches. 


5. Vibrion baguette. Vibrio baccillus. 


V. linearis, œqualis, utrinque truncatus. 

[ Bory. Op. cit. p. 775. 

Ehrenb. ne Mém, p. 67.| 

Mull. Inf, t. 6. f. 3. Encycl. pl. 3. f, 4, a, b. 
H. dans l’eau gardée, 


4. Vibrion ondoyant. Vibrio undula. 
F. filiformis, flexuosus. 


Mull. Inf. t. 6. f. 4, 5, G. Encycl. pl. 3. f, 5—v. 
[ Spirillum undula. Ehrenb. 2° Mém. p. 68.] (1) 


(1) Le genre SpmiLLum renferme les vibrioniens dont le 
corps est rigide et roulé en hélice. E. 


£ l 
INFUSOIRES, —= VIBRIONS, 389 


H. dans l'infusion gardée de la lenticule. Tantot ils nagent , 
et tantôt ils se réunissent en pelotons sur un rameau de 
conferve, 


9. Vibrion spiral. Vibrio spirillum. 
F. filiformis; ambagibus in angulum acutum tornatis. 
Mall. Inf. t. 6, f. 9. Encycl. pl. 3. f. 8. 


[ Spirillum volutans. Ehrenh. 2e Mém. p. 68.| 
H. dans l’infusion du laitron des champs. 


6, Vibrion vermet, V’ibrio vermiculus. 


PB. cylindraceus, gelatinus, tortuosus. 

Mull. Inf. t, 6. f, 10, 11. Encyel. pl. 3. f. 1. 
[| Pupella annulans. Bory. Op. cit. p. 664.] 
H. dans l’eau des marais. 


7. Vibrion intestin. Vibrio intestinum. 


pi gelatinosus, teres, anticé angustatus. 

Mall. Inf, t. 6. f. 12—15. Encycl. pl. 3.f. 10—13. 
[ Pupella clavata. Bory. Op. cit. p. 664. ] 

H. dans l’eau des marais. 


8. Vibrion biponctué. Vibrio bipunctatus. 


F”. linearis , œqualis ; uträque extremitate truncald; globulis 
binis mediis 

[| Pacillaria bipuncta. Bory. Op. cit. p. 136 (1). 

Mull. Inf. t. 7. f. 1. Encycl. pl. 35. f. 14. 

H, dans l’eau de mer gardée. 


RG DD + TE DL RE D 


(1) Les bacillaires sont des êtres très singuliers, qui pa- 
raissent tenir autant du végétal que de l’animal ; ce sont 
de petites lames linéaires et rigides, des espèces de ba- 
guettes animées qui ne peuvent fléchir leur corps et qui 
ne se meuvent que par balancement et par glissement. Ils 
ont la plus grande ressemblance avec certains produits du 
règne végétal que l’on range parmi les algues et ont, de- 
puis quelques années , beaucoup occupé les naturalistes. 
Du reste, il règne, à leur égard, les opinions les plus diver- 
gentes : suivant les uns, ce seraient des êtres qui, animaux 


390 ANIMAUX APATHIQUES. 


9. Vibrion triponctué. Vibrio tripunctatus. 


V. linearis | utrinque attenuatus ; globulis tribus; extremis 
minoribus. 


d’abord, deviendraient ensuite des plantes ; suivant d’au- 
tres , leur réunion , ainsi que l’agrégation de divers autres 
infusoires, donnerait naissance à des productions phytoï- 
des, telles que le conferva camoïdes, etc. I est aussi des 
auteurs qui regardent les bacillaires comme appartenant 
entièrement au règne végétal; enfin, suivant l’observateur 
le plus récent qui se soit occupé de ce sujet, M. Ehren- 
berg, les bacillaires doués de vie, seraient bien des ani- 
maux, et tous ceux qui sont réellement immobiles ne se- 
raient que des individus morts. L'espace nous manquerait 
pour exposer en détail et discuter toutes ces opinions, ou 
même pour énumérer les faits curieux dont la connais- 
sance est due aux auteurs de ces hypothèses; et nous nous 
bornerons à indiquer les principaux écrits consacrés à ce 
sujet, savoir : la description des cercaires et des bacillaires 
par Niwsch, publiée en 1817; divers articles de l’Encyclo- 
pédie méthodique et du Dictionnaire classique d’histoire 
naturelle, par M. Bory-Saint Vincent ; un Mémoire sur les 
némazoones, par M. Gaillon, dans les Mém. de la Société 
d’émulation de Rouen; l’Article némazoones du Diction. 
des sciences naturelles, par M. DeBlainville, et les Obser- 
vations de M. Ehrenberg dans les Mém. de l’Académie de 
Berlin et dans les Annales des sciences naturelles, 1834. 

Ces animaux forment un groupe assez nombreux. Dans 
Ja classification de M. Bory-Saint-Vincent ils sont réunis 
dans la famille des bacillariées, qui se subdivise en cinq 
genres, savoir : les bacillaires, les échinelles, les navicules, 
les Junulines et les styllairiés. M. Ehrenberg adopte cette 
famille, mais en y assignant de nouvelles limites. Dans sa 
méthode, elle se compose des polygastriques anenthérés, 
pseudopodes, cuirassés , dont l’enveloppe se divise spon- 
tanément avec l’animal. 


Le genre BacizLamiA, établi d’abord par Muller , puis 


INFUSOIRES. = VIBRIONS, 391 


Mall. Inf. t. 7. f. 2. Encycl. pl. 3. f. 15. 
[ Vavicula tripunctata. Bory. Op. cit. p. 563.] 
H. en automne, dans les fossés inondés. 


réuni par ce naturaliste au genre vibrio, dont il fdiffère 
considérablement , se compose d’êtres Grès singuliers , qui 
sont quelquefois solitaires, mais dont le corps linéaire et 
cylindrique ou légèrement comprimé, se colle pour ainsi 
dire côte à côte à quelque autre individu de même espèce, 
ou s’y joint par ses extrémités , de façon à former des sé- 
ries ou des filaments diversement brisés, ou bien des aglo- 
mérations rayonnantes.Lorsqu’on les observe ainsi réunis, 
on les voit exécuter des mouvements anguleux et rapides 
par lesquels ils s’éloignent les uns des autres ou se juxt’ap- 
posent, mais dont on ne comprend pas le mécanisme et, à ce 
phénomène, succède tout-à-coup l’inertie la plus complète. 
M. Ehrenberg définit ce genre de la manière suivante: 


G. BacrzzarrA, Bacillariens libres, qui ue se fixent pas 
et qui sont réunis entre eux de façon à former des rubans 
polymorphes et à conserver quelque mobilité sans se 
détacher; enfin dont l’enveloppe est quadrangulaire, 


bivalve longitudinalement, et persistant après la mort. 


Espèces. B. Cleopatræ, Hemprich et Ehrenb., Sym- 
bolæ physicæ phytozoæ, pl. 3, fig. 2. 

B. Ptolemæi, Memp. et Ehrenb. Loc. cit., pl. 3: 
fig. 1. 

B. flasculosa, Ehrenb., 2° Mém., p. 84, Diatoma 
vulgaris , Agarth, etc. 


Le genre NavicuzA a été établi par M. Bory pour rece- 
voir les bacillariées qui ont la forme d’une navette et qui, 
pendant une partie de leur existence, sont privés de mou- 
vement et vivent fixés par un prolongement filiforme et 
extrêmement ténu qui naît d’une de leurs extrémités. 
M. Ehrenberg y range les bacillariens libres, jamais 
fixés, qui sont solitaires ou bien agglomérés et qui ont une 
enveloppe plus longue que large. 


392 ANIMAUX APATHIQUES. 


10, Vibriox porte-pieu. /’ibrio paxillifer. 


V. linearis, flavescens ; paleis gregaris multifarium ordi- 


natis. 


Mull. Inf, t. 9. f. 3—7. Encycl. pl. 3. f, 16—20. 


Espèces. N. sigmoidea , Hem. et Ehr. Symb. phys. 
phyt., pl. 2, fig. 8. 
N. interrupta, Hem. et Ehr., Loc. cit., pl. 2, fig. 7, 
etc., etc, 
Le genre Eucasraum de M. Ehrenbers se distingue du 
précédent par l'enveloppe , qui est plus large que longue. 


Espèce. Æ. rata, Ehrenb. (2° Mém., p. 82), etc. 


Le genre FragizLania de Lyngbye, rangé par M. Bory 
parmi ses arthrodiées , doit prendre place, suivant M. Eh- 
renberg , dans la famille des bacillariées, à côté des bacil- 
laires , et se composer des animalcules de cette famille 
qui, de même que les précédents, ne sont jamais fixés, 
mais qui se réunissent en faisceaux et non en groupes, po- 
lymorphes, et se désunissent ensuite. 


Espèces. F. bipunctata, Hew. et Ebr., Symb. phys. 


phyt., pl. 2. fig. 11. 
F. diaphthalma, M. et Ehrem. , Op. cit., pl. 3, 


fig. 4. 
F. multipunctata, Hem. et Ehr., Op. cit., pl. 3, 
fig. 12. 


Le genre ExiLaniA (Lyngbye) se compose, dans la 
méthode de M. Ehrenberg, des bacillariés qui différent des 
précédents en ce qu’ils sont réunis en étoiles : ils sont fla - 
belliformes et apodes. 

Le genre Synenra, de M. Ehrenberg, comprend les ba- 
cillariés qui sont sessiles et qui, dans le jeune âge, sont 
fixés, 

S. ulna, Ehrenb., 2° Mém.; p. 87. — Bacillaria ulna, 
Nitzsch.- etc. 


Le genre Gomrnon£ma, Agarth , doit aussi, suivant 


INFUSOIRES, — VIBRIONS. 


[ Bacillaria Mulleri. Bory. Op. cit. p. 137. 

B. paradoxa. Muller, Ehrenb. 2e Mém, p, 83. | 
H. dans l’ulve dilatée, 

Etc. 


M. Ehrenberg , prendre place dans la famille des bacilla- 
riées , et avoir pour caractère distinctif d’être fixé dans le 
jeune âge, pédiculé, et d’avoir le corps rétréci postérieure- 
ment et cunéiforme. 


Le genre CocconemA , de M. Ehrenberg, diffère du pré- 
cédent, en ce que le corps est rétréci à ses deux extrémités 
et subréniforme. 


Enfiv, le genre Ecunerza, Lyngbye, appartient aussi à 
cette famille d’infusoires pol ygastriques et diffère des pré- 
cédents en ce qu’il est pédiculé , flabelliforme et réuni en 
rayons. 


Espèce. E. splendida, Hemp. et Ehrenb., Symb. 
phys., pl. 5. fig. 5. 


Il est à noter que la structure de tous ces êtres n’est 
encore que très imparfaitement connue. M. Ebrenberg n’a 
donné encore aucune observation précise relativement 
même à l'existence d’une cavité digestive dans l’intérieur 
de leur corps; et dans l’état actuel de la science il serait 
difficile de se prononcer sur leur nature. E. 


394 ANIMAUX APATHIQUES. 


DEUXIÈME SECTION. 


CORPS MEMBRANEUX. 


ILest presque sans épaisseur , soit aplati, soit con- 
cave. 


Les animalcules compris dans cette section paraissent 
être réellement des infusoires. Leur corps est très sim- 
ple, membraneux, le plus souvent aplati, concave, 
dans un petit nombre; il n’offre aucun organe parti- 
culier perceptible, et il est probable qu’il n’y en existe 
réellement point. 

Posséder une forme constante, différente de celle 
qui est sphérique, ovoïde ou oblongue, c’est , dans les 
infusoires qui la présentent, la preuve d’un progrès 
acquis dans Îa consistance des parties de ces corpus- 
cules. Effectivement, sans un affermissement obtenu 
dans ces parties, la pression du liquide environnant se 
fût opposée à l’acquisition et à la conservation de cette 
forme qui, elle-même , a pris sa source dans la nature 
des mouvements que les animalcules qui l’offrent exé- 
cutent dans l’eau. L'organisation de ces infusoires n’en 
est pas moins encore très simple, quoique ces petits 
corps soient un peu moins frèles que ceux de la pre- 
mière section. 

Voici les genres qui se rapportent à cette seconde 
section du premier ordre. 


INFUSOIRES. == GONES. 395 


GONE. (Gonium. ) 


Corps très petit, très simple, aplati, court, angu- 
leux. 


Corpus minimum, simplicissimum , complanatum , 
breve, angulatum. 


Osservarions. Les gones et les cyclides sont les plus 
simples des infusoires aplatis. Leur corps est court , plat, 
membraneux et en quelque sorte sans épaisseur. Il est an- 
guleux dans son pourtour dans les sones ; tandis qu’il est 
orbiculaire ou ovale, dans les cyclides. 

Quelques espèces de gones paraissent composées de plu- 
sieurs corps joints ensemble par une membrane commune 
qui les réunit ou les enveloppe. Ce n’est probablement 
tantôt que l’apparence des mailles aperçues de leur tissu 
cellulaire, comme dans la gone pectorale, et tantôt que 
celle des lignes préparées pour les scissions qui doivent les 
multiplier, comme dans la gone coussinet. 

Leur mouvement est oscillatoire. 


| M. Ehrenberg assigne à ce genre les caractères sui- 
vants: 

A. polygastriques, anenthérés, cuirassés, épitriques, 
composés, se reproduisant par des divisions intérieures et 
la rupture de l'enveloppe , dépourvus d’yeux et renfermés 
dans une enveloppe comprimée , quadrangulaire, Il la 
range à côté des volvoces, 2° Mém., p. 75.1] 


ESPÈCES 


1. Gone pectorale. Gonium pectorale. 


G. quadrangulare, pellucidum; globulis sedecim. 
Mull..Inf. t, 16. f, 9o—11. Encycl. pl. 7.f. 13. 
[ Pectoralina hebraïica. Bory. Op. cit. p. 60. 


L4 


396 ANIMAUX APATHIQUES. 


Gonium pectorale. Ehreub. 2e mém. p. 75. ] 
H. dans les eaux pures. 


2. Gone coussinet. Gonium pulvinatum. 


G, quadrangulare, opacum, torosum. 
Muil. Inf. t, 16. f. 19—15. Encycl. pl. 7. . 4—7. 


4 
H. dans l’eau des fumiers. 


3. Gone ridée. Gonium corrugatum. 


G. subquadrangulare, albidum , ruga longüudinali notatum. 

Mall. Inf. t. 16. f. 16, Encycl. pl. 7. f. 8. 

[ Paramæcium oriziformis. Bory. Op. cit. p. 601.] 

H. dans diverses infusions, particulièrement dans celle de la 
poire. 


4. Gone rectangle. Gonium rectangulum. 


G. rectangulare; dorso arcuato. 

Mull. Inf, t. 16. f. 17. Encyel. pl. 7. f. 9. 

H. fréquemment dans les eaux pures. 

[ M. Bory-Saint-Vincent considère cette espèce comme ne 
devant pas être distinguée de la suivante , et comme de- 
vanl se rapporter au genre kolpode. Op. cit. p. 476.] 


5. Gone obtusangle. Gonium obtusangulum. 


G. obtusangulare ; dorso arcuato. 
Mull. Inf. . 16. f. 18. Encycl. pl. 7. f. 10, 
H. avec le précédent, mais rarement. 


CYCLIDE. ( Cyclidium. ) 


Corps très petit, très simple, transparent , aplati , 
orbiculaire ou ovale. 

Corpus minimum, simplcissimum,  pellucidum, 
complanatum , orbiculare vel ovatum. 


Onsenvarions. Les cyclides sont rapprochés des gônes 
par leur corps court et aplati; mais ils tiennent davantage 


INFUSOIRES. — CYCLIDES. 597 


aux paramèces , semblent même n’être que des paramèces 
raccourcies , et n’en diffèrent point par leur organisation. 
En effet , les cyclides ont le corps court, orbiculaire ou 
ovale, tandis que le corps des paramèces est alongé, plu- 
sieurs fois plus long que large; mais, dans les uns comme 
dans les autres, le corps est très simple, aplati, mem- 
braneux. 

Le mouvement des cyclrdes est oscillatoire, circulaire 
ou demi-circulaire, plus ou moins interrompu, lent ou vif 
selon les espèces. 


[ Dans la méthode de M. Ehrenberg le genre Cxcriium 
se compose des À. polygastriques , anenthérés, nus, épi- 
gastriques, dont le corps est garni de soies rétractiles, dis- 
tribuées par rangées simples, longitudinales ou circu- 
laires. 

Le genre Panrornicaum, du même auteur, diffère du 
précédent en ce que les cils dont la surface du corps est 
garni, sont épars partout; il se compose de plusieurs espèces 
nouvelles décrites var M. Ehrenberg. (2. Mém., p. 75.) 

Enfin le genre Cnorromowas se compose des cyclidiens, 
dont la surface du corps n’est pas garnie de cils, mais dont 
tout le dos est pourvu de soies, c’est-à-dire d’appendices 
droites et raides, qui n’exécutent aucuns mouvements 
analogues à ceux qui caractérisent les cils. M: Ehrenberg 
eu décrit deux espèces. (2° Mém., p. 77.)] 


ESPÈCES. 
1. Cyclide bulle. Cyclidium bulla. 


C. orbiculare, hyalinum. 

Mull. If. t. 11.f, 1. Encycl. pl. 5.f. 1. 
[| Monas bulla. Bory. Op. cit. p. 550. ] 
H, dans l’infusion du foin. 


2. Cyclide millet. Cyclidium milium. 


C. ellipticum , crystallinum. 
Mull. Inf. t. 11. f. 2,3. Encycl. pl. 5. f. 2,3. 
H. dans l’infusion de diverses plantes, 


395 ANIMAUX APATHIQUES. 


3. Cyclide flottante. Cyclidium fluitans. 


C. ovale, crystallinum. 

Mull. Inf.t. 11. f, 4, 5. Encycl. pl. 5, £. 4.5, 
[ Gyges translucida. Bory. Op. cit, p. 449.| 
H, dans l’eau de mer corrompue. 


4. Cyclide glaucome. Cyclidium glaucoma. 


C. ovatum ; interraneis œgrè conspicuis. 

Mall. Inf, t. 11. f. 6—8. pl. 5. f. 6—8. 

[ Erhen. 1er Mém. ( Acad. de Berlin, 1830.) pl. 1. fig. 4. — 
2° Mém. p. 74. ] 

H. dans l’eau gardée pendant l’hiver. 


5. Cyclide noirâtre. Cyclidium nigricans. 


C. oblongiusculum ; margine nigricante. 

Mull. Inf.t. 11. f,0, 10. Encycl. pl. 5. f. 9—10, 
[{ Bory. Op. cit, p. 234. ] 

H. dans l’infusion de la lenticule. 


6. Cyclide rostré. Cyclidium rostratum. 


€. ovale, pellucidum, posticè subacutum. 

Mull. Inf, t. 11.f, 11, 12. Encycl. pl. 5. f. 11, 12, 
[ Bursaria rostrata. Bory. Op. cit, p. 167. | 

H. dans une infusion végétale. 


7. Cyclide pépin. Cyclidium nucleus. 


C. ovale, poslicè acuminatum. 

Mull. Inf.t. 11. f. 13. Encycl. pl. 5. f. 13. 
[ Bory. Op. cit. p. 234. ] 

H. rarement dans les infusions végétales. 


8. Cyclide diaphane. Cyclidium hyalinum. 


C. ovatum, posticè acutum. 

Mull. Inf, t. 11. f. 24. Encycl, pl. 5. f. 14. 
[ Bory. Op. cit. p. 234. ] 

H. dans l'infusion de la clavaire coralloïde. 
Etc. 


INFUSOIRES, — PARAMÈCES, 399 


PARAMÈCE. ( Paramecium.) 


Corps très peil, simple, transparent, membraneux, 
ablong. 


\ 


Corpus minimum , simplex, pellucidum, membra- 
naceum, oblonguru. 


Osservarions. Les paramèces ne sont, en quelque sorte, 
que des cyclides alongés ; plus développés, un peu plus 
animalisés. Le corps de ces animalcules est membraneux, 
aplati, quelquefois cylindracé, alongé, obtus à ses extré- 
mités, en général très peu sinueux et sans angles. Il paraît 
varier de forme d’un instant à l’autre, selon jes positions 
qu’il prend par rapport à l’œil de l’observateur. 

C’est en observant ces infusoires qu’on a reconnu, d’une 
manière positive, leur multiplication par scission , c’est-à- 
dire , par division de leur corps, soit longitudinale, soit 
transverse ; et l’on sait maintenant que ce fait remarquable 
ne leur est point du tout particulier. Il est même probable 
que ce mode singulier de multiplication est celui de la plu- 
part des infusoires, quoique plusieurs paraissent se repro- 
duire par des corpuscules (des gemmules) internes, qui se 
font jour au dehors par des déchirures. 

Les paramèces ne nous offrent que de très petites lames 
alongées, vivantes, animalisées. Elles sont à peine distinctes 
des kolpodes; néanmoinselles sont moins sinueuses, moins 
anguleuses, moins irrégulières. 

Leurs mouvements sont en général lents, vagues , ou 
oscillatoires. 


[ M. Ehrenberg a constaté que, chez les paramèces, il 
existe un tube alimentaire conduisant à de nombreuses 
cavités stomacales et s’ouvrant au dehors par une bouche 
et un anus qui ne sont situés ni l’un ni l’autre aux extré- 
mités du corps; sous ce rapport , ils se rapprochent des 


400 ANIMAUX APATHIQUES. 


kolpodes ; ils sont également pourvus d’une petite trompe 
rétractile et inerme; mais ici les deux ouvertures sont 
plus éloignées l’une de l’autre, et la surface du corps est 
couverte de cils disposés obliquement par rangées, ] 


ESPÈCES. 


1. Paramèce aurélie. Paramecium aurelia. 


P, compressum, a medio ad apicem uniplicatum ; posticé 
acutum, 

Mull, Inf, t, 12. f. 1 —14. Encycl. pl. 5. f. 1—12, 

[ Lory. Op. cit. p. 607. 

Ehrenb. 2. Mém. p. 114. | 

H. dans l’eau des fossés où croît la lenticule. 


2. Paramèce chrysalide. Paramecium chrysalis. 


P. cylindraceum, "versus anticè plicatum, posticè obtusum. 
Mall. Inf.t. 12. f. 15—20. Encycl. pl. G. f, 1—5. 

H. en automne, dans l’eau de mer. 

[ Ehrenb. 1e mém. Acad. de Berlin, 1830, pl. 4. fig. 2. 
— 2. Mém. p. 114.] 


[ Paramèce arabe. Paramæcium siniaticum. 


P. valdè complanatum, utrinque rotundatum, carina antica 
longitudinali obliqua. 
Hemp. et Ehrenb. Symb, phys. phyt. tab, 2. fig, 5. 


3, Paramèce rusée. Paramecium versutum. 


P. cylindraceum , posticè incrassatum , utrdque extremilate 


obtusum. 
Mull. Inf. t. 12. f. 21—924. Encycl, pl. 6. f. 6—0. 
H. dans les fossés marécageux. 


4. Paramèce œuvée. Paramecium oviferum. 


P, depressum ; intus bullis ovalibus. 

Mall, Inf, t. 12. f, 25—29. Encycl. pl. G. f. 10—12. 
| Aolpode ovifera. Bory. Op. cit. p. 477.] 

H, dans les marais. 


INFUSOIRES. — KOLPODES. 4ox 


5. Paramèce bordée. Paramecium marginatum. 


P. depressum , ellipticum, griseum ; margine hyalino. 
Mull. Inf. t. 12. f. 28—29. Encycl. pl. 6. f. 13—14. 
[ Gyges lithunatus. Bory. Op. cit. p. 449. ] 

H. dans l’eau des marais. 


KOLPODE. ( Kolpoda. ) 


Corps très petit, trèssimple, aplati, oblong, sinueux, 
irrégulier, transparent. 

Corpus minimum, simplicissimum, pellucidum , 
oblongum, complanatum , sinuosum, irregulare. 


Osservarions. De même que les paramèces ne sont guères 
que des cyclides alongés , de même aussi les ko/podes ne 
sont en quelque sorte que des paramèces sinueuses, irré- 
gulières, plus variées dans leur forme. , 

Ainsi les Aolpodes , quoique étant encore des infusoires 
très simples, sont un peu plus avancés en animalisation 
que les paramèces, puisqu'ils sont plus sinueux, plus 
irréguliers, plus variés, et que leur forme est moins assu- 
jettiecaux influences de la pression du milieu dans lequelils 
habitent. 

Les espèces observées sont nombreuses : quelques-unes 
des moins irrégulières , qui vont être citées les premières, 
seraient aussi bien nommées paramèces que kolpodes. 

Les mouvements de ces infusoires sont en général lents, 
vagues, ou oscillatoires. 


[ M. Ehrenberg réserve le nom de kolpodes aux A. poly- 
gastriques , entérodélés nus, qui n’ont ni la bouche, ni 
anus terminaux, qui ont la face ventrale du corps ci- 
liée, et sont pourvus d’une trompe courte et rétractile. 

; Ë £ 
Il en sépare plusieurs des espèces indiquées ci-dessous 
E E P 
our les ranger dans les genres trachélius et loxodes , qui 
re £ 2 


Tous 1. 26 


402 ANIMAUX APATHIQUES. 


s’éloignent des kolpodes par un caractère très important, 
savoir , la position de leur anus, qui est terminal. D’anrès 
de nouvelles observations de ce naturaliste (1834), il parai- 
trait que la bouche des kolpodes est en outre armée de 
dents. 

M. Losana a inséré dans les mémoires de l’Académie de 
Turin un travail descriptif très étendu sur ces animalcules; 
mais les raisons que nous avons déjà indiquées en parlant 
de ses observations sur les protées nous empêchent d’en 
parler ici. ] E. 


ESPÈCES. 
1. Kolpode lame. Kolpoda lamella. 


X. elongata, membranacea, anticè curvata. 

Mull. Inf, t. 18. f. 1 —5. Encycl. pl. 6.f, 1—3. 

{ Trachelius lamellu. Ehrenb. 2° mém. p. 107.] (1) 
H. dans l’eau, mais rarement. 


(1) Le genre TracuELIUS, établi par Schrank, comprend, 
dans la méthode de M. Ehrenberg , les À. polygastriques 
entérodélés de la section des allotrètes, qui ont l’auus ter- 
minal , la bouche inférieure et inerme , et le front alongé, 
cylindrique ou déprimé, et se prolongeant en forme de 
trompe étroite. Le corps de ces animalcules est souvent 
cilié, et sa forme varie. 

M. Ehrenberg y range l’espèce mentionnée ci-dessus, 
ainsi que 

Le Trachelius anas, Ehrenb., 1° Mém., Acad. de Ber- 

lin, 1830, pl.4, fig. >. Trichoda anas, Muller, 

pl. 27, fig. 14, 15.—Encycl., pl. x4, fig. 11 et 12. 
—Bory, Op. cit., p. 749. 

Le 7'rachelius fallax, Schr. Ehrenb., 2° Mém., p. 107. 

V'ibrio fallax, Muller, Inf.—Enc. pl. 5, fig. 16—18. 

Dans la méthode de M. Ehrenberg ce genre donne son 
nom à une famille qui contient aussi les genres loxodes, 
les bursaires, les phialines et les glaucomes. 


De genre GraucomaA ; Ehrenb., se distingue de tous les 


INFUSOIRES. — KOLPODES. 405 


». Kolpode poulette. Kolpoda gallinula. . 


K. oblonga; dorso antico membranaceo hyalino. 
Mull. Inf. t. 13. f. 6. Encycl. pl. 6. f. 4. 

[ Enchelis gallinula. Bory. Op. cit. p. 321. ] 
H. dans l’eau de mer corrompue. 


5. Kolpode bec. Kolpoda rostrum. 


K. oblonga; anticé uncinata. 

Mull. Inf. t, 13. f. 7.8. Encycl. pl. 6. f, 5, G. 

[ Loxodes rostrum. Ehrenb. 2° Mém. p. 108.](1) 
H. dans les eaux où croît la lenticule. 


autres trachéliens , par l’existence de crochets qui garnis- 
sent l’ouverture buccale et paraissent représenter ‘une 
lèvre inférieure. La forme générale de leur corps les rap- 
proche un peu des kolpodes , mais ils n’ont de cils qu’à 
l’extrémité antérieure du corps. M. Ehrenberg n’en décrit 
qu’une seule espèce. 


Le Glaucoma scintillans, Ehrenb., 1° Mém., Acad. de 
Berlin, 1830. pl. 4, fig. 1.—2° Mém., p. 112. 


Le genre Orurvocerca , de M. Ehrenberg, se rapproche 
des trachéliens par la disposition du canal alimentaire qui, 
par un des bouts, s’ouvre à la face ventrale, et par l’autre, 
à l'extrémité du corps ; mais ici, c’est la bouche et non 
l’anus, qui est terminale, et l’ouverture efférente est infé- 
rieure. 


Esp. Ophyocerca ovum, Ehrenb., 2° Mém., p. r22. 
E. 


(1) Le genre Loxopes, de M. Ehrenberg , appartient à la 
même famille que le genre trachélius, dont il se distingue 
par la forme de la lèvre supérieure , qui est courte, dépri- 
mée et remarquablement large et ciliée. De même que les 
précédents , les loxodes n’ont pas la bouche armée de cro- 
chets et ne portent pas sur le front un cercle de cils. Parmi 
les espèces que ce naturaliste y rapporte nous citerons : 


Le Loxodes cucullulus, Ehrenb., 1°* Mém., Acad, de 


26° 


404 ANIMAUX APATHIQUES. 


4. Kolpode botte. Kolpoda ocrea. 


K. elongata, membranacea, apice attenuata, basi in angulum 
rectum producta. 

Mall. Inf, t. 13. £. 9. 10. Encycl. pl. 6. f, 7. 8. 

[ Amiba ochrea. Bory.Op. cit. p. 46. ] 

H. dans les eaux stagnantes. 


5. Kolpode mucronée. Kolpoda mucronata. 


Æ. dilata, membranacea, anticè angustatu, altero margine in- 
cisa. 

Mall. Inf. t. 13. f, 11. 12. Encycl. pl. 6.f. 9. 10. 

[ Bory. Op. cit. p. 476. ] 

H. dans l’infusion de l’udve linze. 


6. Ko]pode triquètre. Kolpoda triquetra. 


K. obovata, depressa; altero margine retuso. 
Mall. Inf. t, 13. f. 13-15. Encycl, pl. G. f. 11—13. 
H. dans l’eau de mer. 


7. Kolpode striée. Kolpoda striata. 


K, oblonga, subarcuata, depressa, candida, anticè acuminata, 
posticè rotundata. 

Muil. Inf. t. 15. f. 16, 19. Encycl. pl. 6, f. 14. 15.° 

H. en abondance, dans l’eau de mer, 


8. Kolpode noyau. Xolpoda nucleus. 


K. ovata, vertice acuto , dorso convexo. 
Mall, Inf, t. 13. f. 18. Encycl. pl. G.f, 1G. 
[ ÆEnchelis cycloïdes. Bory. Op. cit. p. 321. | 
H. dans l’infusion des semences du chanvre, 


Berlin, 1830, pl. 4, fig. 3; et 2° Mém., p. 109. — 
Kolpoda cucullulus, Muller, Encycl. pl. 7. fig. 8- 
12 

Le L. cucullio, Ehrenb., 2° Mém., p. 109.— Ko/poda 
cucullio, Mul'er,fnf., pl. 15, fig. 19-19.—Encycl., 
pl. 7, fig. 19-10. — Bursarin cucullo, Bory , Op. 
cit, p. 160. FE. 


CT 


INFUSOIRES, — KOLPODES, 40 


9. Kolpode pintade. Xolpoda meleagris. 


K. plicatilis depressa , apice uncinatz, margine antico crenu- 
lata, posticè obtusa. 

Mall. Inf. t. 14. f. 1—6, et t. 15. f. 1-5. Encycl. pl. 6. 
f. 17—27. 

[ Æmphileptus meleagris. Ehrenb. 2e mém. p. 115.] (1) 

H. dans l’eau où croît la lenticule, Animalcules alongés, très 
irréguliers et très variables. 


10. Kolpode coucou. Kolpoda cucullus. 


K. ovata, ventricosa, infré apicem incisa. 
Mull, fnf, t. 14. f. 5—14. Encycl. pl. 7. f. 1—3. 
H. dans les infusions végétales, et dans celle du foin fétide. 


11. Kolpode crénelée. Kolpoda assimilis. 


K. depressa, non plicatilis, apice uncinato, margine antico ad 
medium usque crenulato, posticè dilatato acutiusculo. 

Mail. Inf. t. 15. f. 6. Encycl. pl. 6. ï. 28. 

[ Æolpode crenulata. Bory. Op. cit. p.475. ] 

H. dans l’eau de mer. 

Etc. 


BURSAIRE. (Bursaria.) 


Corps très simple, membraneux, concave. 
Corpus simplicissimum , membranaceum, concavum. 


Onservariows. Les bursaires sont des infusoires à corps 
mince , comme membraneux , ainsi que ceux des quatre 


(1) Le genre Ampuizeprus de M. Ehrenberg, se compose 
des infusoires qui, avec le même mode d’organisation que 
les kolpodes, s’en distinguent par l'absence d’une trompe, 
et ont le front et la queue rétrécis. Ce naturaliste y range 
le J’ibrio anser de Muller, le Paramæcium fasciola, Mul- 
ler , etc. E. 


406 ANIMAUX APATHIQUES. 


genres précédents , et qui se font remarquer par leur forme 
concaye d’un côté, imitant soit une bourse, soit un ba- 
teau, etc. ; elles ont peu de vivacité dans leurs mou- 
vements , et on prétend que ces mouvements sont irrégu- 
liers, de manière que lorsqu'elles parcourent une ligne 
spirale de droite à gauche, et qu’elles s'élèvent dans l’eau, 
elles se meuvent avec assez de vitesse ; mais quand elles 
reviennent ou redescendent, elles ne vont qu'avec lenteur; 
ce que l’on attribue à l’influerce de leur forme. 

On trouve des bursaires dans les eaux douces et stagnan- 
tes ,et dans i’eau de mer; on n’en connaît encore que 
peu d’espèces , parmi lesquelles la première est visible à 
l’œil nu. 


[Il paraît, d’après les observations récentes de M. Ehren- 
berg, que les bursaires ont , de même que les loxodes, les 
trachélies , etc., un tube intestinal garni d’appendices 
cœcales, qui s'ouvre antérieurement à la face inférieure 
du corps, et postérieurement à son extrémité ; la bou- 
che elle-même, dépourvue de cils ou de crochets et 
point de cercle de cils sur le front; du reste, ils se distin- 
guent de ces deux genres par la disposition de la lèvre 
supérieure qui est comprimée , subcarénée ou renflée et 
point rétrécie; le corps de ces infusoires est en grande 
partie poilu. ] 


ESPÈCES. 


1. Bursaire troncatelle. Pursaria truncatella, 


B. follicularis, apice truncato. 

Ehrenb. 2° Mém. p. 110. 

Mull. Inf. 1. 19. f. 1—4. Encycl. pl. 8. f. 1 —4. 
[ Bory. Op. cit. p. 160.] 

H. dans l’eau des fossés. 


>. Bursairé bullée. PBursaria bullina. 


B. cymbeæ formis, anticè labiata. 
Mull. Inf, t. 17. €, 5—8. Encycl. pl. 8. f. 5—8. 


INFUSOIRES, = BURSAIRES. 407 


[ Bory. Op. cit. p. 160. | 
H. dans l’eau de mer. 


3. Bursaire repliée. Bursaria duplella. 


B. elliptica, marginibus inflexis. 

Mall. Inf. t. 13. f, 13. 14. Encycl. pl. 8.f. 12. 13. 
[ Bory. Op. cit. p. 160. ] 

H. dans les eaux où croît la lenticule. 


A. Bursaire globuleuse. Bursaria globina. 


B. sphærica , utrinque obscurata ; medio pellucentissimo, 
Mull. Inf. t. 19.f. 15—17. Eucycl. pl. 8. f. 14—16. 
H. dans l’eau de mer gardée, 


[ M. Bory pense que {cette espèce devra se rapporter au 
genre Vorvoce. Op. cit, p. 219. | 


5. Bursaire hirondeau. Zursaria hirundinella. 


B. utrinque laciniata; extremitatibus producti. 

Mall. Inf. t. 19. f. g—12. Encycl. pl. 8. £. g—11. 
[ Æirundinella quadricuspis. Bory. Op. cit. p. 456. ] 
H. dans l’eau des marais. 


ORDRE DEUXIÈME. 


INFUSOIRES APPENDICULES. 


Ils ont à l'extérieur, des parties toujours saillantes, 
comme des poils, des espèces de cornes, ou une queue. 


Ces infusoires sont encore très petits, gélatineux, 
transparents, diversiformes : ils sont, malgré cela, 
moins imparfaits et moins simplesque ceux du premier 
ordre, puisqu'ils ont constamment des parties saillantes 


408 ANIMAUX APATHIQUES. 


à l'extérieur, comme des poils très apparents, des es- 
pèces de cornes, ou une queue. 

Au lieu d’être les produits de générations spontanées 
comme les premiers des infusoires nus, on ne saurait 
douter qu'ils ne proviennent des infusoires du premier 
ordre, et que leur état et leur forme ne soient le ré- 
sultat de quelques progrès obtenus dans la tendance à 
composer l’organisation que la vie possède et exécute, 
à mesure qu’elle se transmet dans les individus qui se 
succèdent. 

Déjà , en eux, l’animalisation est un peu plus avan- 
cée, plus caractérisée; le corps moins simple dans ses 
parties, moins changeant sous les yeux de l'observateur: 
les fluides essentiels contenus, et le tissu vivant qui les 
contient sont probablement un peu plus composés que 
‘dans les infusoires nus; et, quoiqu'ils ne possèdent 
encore intérieurement aucun organe spécial pour des 
fonctions particulières, ils sont tout-à-fait sur le point 
d’en obtenir, et même à cet égard, on a pu déjà se 
tromper sur plusieurs. 


Les infusoires appendiculés , de même que ceux du 
premier ordre, n’ont aucun organe particulier pour se 
régénérer : la plupart se multiplient par une scission 
naturelle de leur corps, et plusieurs néanmoins se 
reproduisent par des gemmes intérieurs, c’est-à-dire 
par des corpuscules oviformes qui probablement se 
font jour au dehors par des déchirures. 

Il paraît, par les nombreuses espèces déjà connues 
et publiées, que les infusoires de cet ordre sont bien 
plus nombreux dans la nature que les infusoires nus. 
Cela doit être ainsi, d’après les principes que je me 
suis cru fondé à établir. 

En effet, dans les infusoires nus, l’origine encore 
trop récente des races qui proviennent de celles, en 
petit nombre, qui furent générées spontanément , n’a 


INFUSCOIRES APPENDICULÉS. 409 


permis à Ja durée de la vie et aux circonstances qui 
oùt influé sur ces races , qu'une diversité peu considé- 
rable. Mais, à mesure que la durée de la vie, que sa 
transmission dans les individus qui se sont succédé 
en se multipliant, et que les circonstances ont eu plus 
de temps pour exercer leurs influences, les races se 
sont diversifiées de plus en plus et sont devenues plus 
nombreuses. 

Cet ordre de choses, qu’il est facile de reconnaître 
pour celui même de la nature, nous fait sentir pour- 
quoi les infusoires sont bien moins diversifiés et moins 
nombreux que les polypes. Effectivement, quoique 
nous ne connaissions pas probablement tous les infu- 
soires, et que nous connaissions bien moins encore 
tous les polypes, ce qui est déjà connu de part et 
d'autre indique que la diversité des polypes est consi- 
dérablement plus grande que celle des infusoires. 
Aussi les polypes sont plus éloignés de leur origine 
que les infusoires. 

Malgré cela, les infusoires appendiculés sont déjà 
très variés entre eux; néanmoins ils présentent dans 
leurs caractères des moyens si peu favorables pour les 
diviser nettement en différentes coupes, que les gen- 
res qu’on a établis parmi eux, sont, quoiqu’en petit 
nombre , très imparfaitement limités. 

Dans le genre tricode ( trichoda) de Muller, il y a 
déjà quelques animaux qui commencent à offrir l’é- 
bauche d’une bouche, et par conséquent d’un organe 
digestifcommencé. Or, d’après notre caractère classique, 
ces animaux doivent être rapportés à la classe sui- 
vante. 


410 ANIMAUX APATHIQUES. 


TRICODE. (Trichoda. } 


Corps très petit, transparent, diversiforme , sans 
queue particulière, garni de poils mous, soit partout, 
soit sur quelque partie de sa surface. 


Corpus minimum , pellucidum, diversiforme , ecau- 
datum ; undiquè vel in superficiei parte pilis mollibus 
ciliatum. 


Osservarions. J’appelle tricode , les infusoires qui man- 
quent de queue, c’est-à-dire, qui n’ont point postérieure- 
ment ce prolongement particulier qui mérite le nom de 
queue, et qui sont munis, soit partout, soit sur quelque 
partie de leur surface, de poils mous, qui les font paraître 
velus ou ciliés. 

Ces infusoires se composent de tous les leucophres de 
Muller et de la plus grande partie de ses trichoda. Je les 
distingue de ceux que je nomme kérones , parce qu’ils 
n’ont pas, comme ces derniers, des poils longs et cirrheux, 
ou des poils raides, rares et corniformes. 

Les tricodes et les kérones ainsi déterminées, sont sans 
contredit moins avancées en animalisation que les infu- 
soires qui sont terminés postérieurement par une queue 
particulière ; elles doivent donc se trouver avant eux 
dans l’échelle animale. 

[ Le genre Tricone établi par Muller et adopté par 
M. Bory , qui en distingue les leucophres , se compose, 
dans la méthode de M. Ehrenberg, des enchélidiens (ou les 
polygastriques entérodélés, énantiotrètes nus), dont 
la bouche est terminale et oblique; le corps gläbre, peu 
ou point attenué en avant, ne présentant pas de prolon- 
gement en forme de tête et de cou, et se reproduisant par 
une division spontanée transversale. 

Le genre LacrimaronAa de M. Bory-Saint-Vincent, se 
place dans la méthode de M. Ehrenberg , à côté des tri- 


INFUSOIRES, — TRICODES. fax 


codes dont il se distingue par l’existence d’un prolonge- 
ment en forme de tête et de cou , que le tube intestinal 
traverse sans donner naissance à des appendices cœcales. 

Enfin, le genre Leucorans , de Muller , termine la série 
des enchélidéens, et diffère de tous les autres ayant 
aussi la bouche oblique, par les cils qui sont répandus sur 
toute la surface du corps. 

C’est dans ce dernier genre que M. Ehrenberg a pu obser. 
ver de la manière la plus distincte, la modification par- 
ticulière du canal intestinal, qu’il désigne sous le nom de 
campylocæla. Ce tube autour duquel naissent tous les 
cæœcums stomacaux , se prolonge d’une extrémité du 
corps à l’autre ; mais au lieu d’être en ligne droite comme 
chez les enchélides , il est disposé en spirale. ( ’oyez le 
premier mémoire de M. Ehrenberg, Acad. de Berlin 1830, 
pl. 2. fig. 2 et Ann, des Sc. Nat. a° sér. t. 2. Zool. pl. 5. 


fig. 14) E,.] 
ESPÈCES. 


(A.) Corps garni de cils sur toute sa surface. 
(Leucophres de Mull.) 


1. Tricode conspirateur. Trichoda conftictor. 


T. sphœrica, subopaca; interaneis mobilibus. 
Mall. Inf. t. 21. f. 1, 2. Encycl. pl. 10. f. 1, 2. 
[ Leucophra conflctor. Bory. Op. cit. p. 486. ] 
H, dans l’eau des famiers. 


2, Tricode mamelle. 7richoda mamilla. 


T. sphϾrica, opaca; papilld exsertili. 

Mull, Inf, t. 21. f, 3—5. Encycl. pl. 10. f. 3—5. 
[ Leucophra mamilla. Bory. Op. cit. p. 486.] 
H. dans l’eau des marais. 


3. Tricode verdätre. Zrichoda viridescens. 


T. cylindracea, opaca, posticè crassior. 


Mall. Inf, t. 21. f. 6—8. Encycl. pl. 10. f. 6—8, 


412 ANIMAUX APATHIQUES. 


[{ Leucophra viridescens. Bory. Op. cit. p. 487.] 
H. dans l’eau de mer. 


4. Tricode verte. Zrichoda viridis. 


T, ovalis, opaca. 

Mull. Tof, t. 21. f. g—11, Encyel. pl. 10. £. g—11. 
[ Leucophra viridis. Bory. Op. cit. p. 487. ] 

H. dans l’eau des rivages. 


5. Tricode posthume. Trichoda postuma. 


T’. globularis , opaca , nigricans ; reticulo pellucenu. 
Mull. Inf. t. 21. f. 13. Encycl. pl. 10. f. 13. 

[ Leucophra posthuma. Bory. Op. cit. p. 486. ] 

H. dans l’eau de mer corrompue. 


6. Tricode dorée. 7richoda aurea. 


T. ovals, fulva, uträque extremitate œquali obtusa. 
Mall. Inf. t. 21. f. 14. Encycl. pl. 10, f, 14. 

[ Leucophra aurea. Bory. Op. cit. p. 486. ] 

H. dans l’eau de mer. 


7. Tricode percée. Trichoda pertusa. 


T. ovalis, gelatinosa, apice truncato obtusa , altero Latere 
suffossa. 

Mull. Inf.t.21.f. 15, 16. Encycl. pl. 10. f. 15. 16. 

[ Leucophra fossulata. Bory. Op, cit. p. 487. | 

H. dans l’eau de mer. 


8, Tricode disloquée. Trichoda fracta. 


T. elongata, sinualo-angulata, subdepressa. 

Mull. Inf, t. a1. f, 17, 18. Encycl. pl. 10. f. 17, 18, 
[ Leucophra fracta. Bory. Op. cit. p.488. ] 

H. dans les fossés inondés. 


9. Tricode dilatée. Trichoda dilatata. 


T, complanata , mutabilis ; marginibus sinuatis. 

Mull. Jof, t. 21. f. 19—21. Encyel. pl. 10. f. 19—21. 

[ Leucophra dilatata. Bory. Op. cit. p. 488. ] 

H. dans l’eau de mer, Cet animalcule serait un kokpode s’il 
n’était cilié. 


INFUSOIRES , == TRICODES. 413 


10, Tricode étincelante. Trichoda scintillans. 
T'. ovalis, teres, opaca, viridis. 
Mull. Inf, t. 22. f, 1. Encycl. pl. 10. f. 20, 
H. dans les eaux stagnantes. On doute si ce n’est pas une 
volvoce. . 


11, Tricode vésiculifère. 7richoda wvesiculifera. 


T', ovata; interaneis vesicularibus pellucentibus. 
Mull. Inf. t. 22. f, 2, 3. Encycl. pl. 10.f. 23, 24. 
H. dans les infusions végétales, 


12, Tricode globifère. Trichoda globifera. 


T.. ovato-oblonga, crystallina; globuls tribus serialibus. 
Mall. Inf. t, 22. f. 4. Encycl. pl. 10. f. 25. 

[ Leucophra globifera. Bory. Op. cit. p. 486. ] 

H. dans les fossés inondés. 


13. Tricode pustuleuse. Trichoda pustulata. 


T°. ovato-oblonga, posticè oblique truncata. 

Mull. Inf, t. 22. f. 5—17. Encycl. pl. 10. f. 26—98. 

[ Leucophra pustulata. Bory. Op. cit. p. 486. 
H. dans les marais, 


14. Tricode turbinée. Trichoda turbinata. 


T', inversé conica, subopaca. 

Mall. Inf. t. 22. f. 8, 9. Encycl. pl. 11. f, 1, 2. 
[ Leucophra turbinata. Bory. Op. cit. p. 485. ] 
H. dans l’eau de mer corrompue. 


15. Tricode aiguë, Trichoda acuta. 


T. ovata, teres, apice acuto, mutabilis, flavicans. 
Mall. Inf. t. 22. f, 10—12. Encycl. pl. 11. f, 3—5, 
[ Leucophra acuta. Bory. Op. cit. p. 485. | 

H. dans l’eau de mer, parmi les ulves. 


16. Tricode marquée. Trichoda notata. 


T', ovata, teres, anticè puncto atro notata. 

Mul!. Inf, t, 22. f. 13—16. Encycl. pl. 11, f, 6—9. 
{ Leucophra notata. Bory. Op. cit. p. 487. | 

H. dans l’eau de mer. 


414 ANIMAUX APATHIQUES. 


17. Tricode blanche. Trichoda candida, 


T. oblonga, hyalina, alterd extremitate attenuata, curvata, 
Mull. Inf. t. 22. f. 19. Encycl. pl. 11.f, 10. 

[ Peritricha candida. Bory. Op. cit. p. 615. ] 

H. dans les infusions marines. 


18. Tricode signalée. Trichoda signata. 


T. oblonga, subdepressa ; margine nigricante. 

Mull. Iof. 1. 22. f. 18, 19. Encycl. pl. 11. f, 11, 22, 
[ Peritricha signata. Bory. Op. cit. p. 616.] 

H. dans l’eau de mer, et n’est point rare. 


19. Tricode trigone. Trichoda trigona. 


T. crassa, obtusa, angulata, flava. 

Mull. Inf. t. 22. f, 20, 21. Encycl. pl. 11. f. 22, 23. 
[ Leucophra trigona. Bory. Op. cit, p. 487.] 

H. dans l’eau des marais. 


20. Tricode fluide. Zrichoda fluida. 


T. subreniformis, ventricosa, variabilis. 

Muil. Zool. dan. 2. t. 73. f. 1 —6. Encycl. pl. 11. f, 24—29,. 
[ Leucoy hra fluida. Bory. Op. cit. p.488. 

Leucophris fluida? Ehrenb. 2° Mém. p. 106. | 

H. dans l’eau de la moule commune. 


21. Tricode versante. Trichoda fluxa. 


T°. reniformis, sinuosa, flavicans. 

Mull. Zool. dan. 2.t.73. f. 79.—10. Encycl. pl, 11.f. 30—33. 
[ Leucophra fluxa. Bory. Op. cit. p. 487.] 

H. avec le précédent. 


22. Tricode cornue. Zrichoda cornuta. 


T°. inversè conica, viridis, opaca. 

Mall. Inf, t, 22. f. 22—926. Encycl. pl. 11:f. 36—30,. 
[ Dicerratella triangularis. Bory. Op. cit. p. 250. 
Monosty la cornuta. Ehrenb. 2° Mém. p, 230 (1). ] 
H. dans l'eau des marais. 


(1) L'organisation des infasoires dont M, Ehrenberg a 


INFUSOIRES, — TRICODES. 4x5 


(B.) Corps velu sur quelque purtie de sa surface. 


(La plupart des trichodes de Muller.) 


[ 23, Tricode éthiopienne. Trichoda ethiopica. 


T. ovata, oblonga, dorso convexa,'ventre complanuta, posticè 
acuta, hyalina. 

Hemprick et Ehrenberg. Symb. Phys. phyt. pl. 1. fig, 10. 

H. parmi les conferves à Dongala. ] 


formé le genre MonosrxzA, s'éloigne beaucoup de celle des 
leucophres et des tricodes : ces animalcules ne sont pas 
polygastriques , mais sont pourvus d’un canal digestif 
simple , ouvert à ses deux extrémités et renflé à sa partie 
antérieure en une grande cavité pharyngienne #lobu- 
laire. Leur bouche est armée de deux mandibules termi- 
nées chacune par une seule dent aiguë; leur corps est 
renfermé dans une enveloppe déprimée et oviforme, et 
se termine par une queue non divisée, pourvue à son ex- 
trémité d’une fossette qui semble remplir la fonction 
d’une ventouse; enfin, ils portent antérieurement un 
point oculaire et un appareil rotateur composé de plu- 
sieurs cercles de cils. Dans la méthode de M. Ehrenberpg, 
le genre monostyla prend place dans la classe des rota- 
teurs, division des Polytrocha loricata (voyez le volume 
suivant). 

Le Cercaria hirta( Muller , nf. pl. 19. fig. 17, 18. — 
Encyc. pl. 0. fig. 17, 18), que M. Bory Saint-Vincent a 
rangé avec le Trichoda cornuta dans son genre Dicerra- 
tella diffère beaucoupde ce dernier. Suivant M. Ehrenberpg, 
c’est un animalcule polygastrique, enthérodélé, cuirassé. 
Dans sa méthode de classification, le genre Cozgps de Nitzsch 
renferme tous les infusoires connus qui présentent ces 
trois caractères. L’enveloppe des coleps est une espèce de 
coque formée par des pièces rangées par files , et dans les 
intervalles desquelles on voit des rangées de cils. Æ, 


416. ANIMAUX APATIHIQUES. 


{[24. Tricode lybienne. Tricoda nasamonum. 


T. cylindrica, utrinque rotundata, hyalina , oris rima 
elongata. | 

Hemp. et Ebrenb, Symb. Phys. phyt, pl. 2. fig. 10. 

Etc. ] 


25, Tricode grésil. Trichoda grandinella. 


T. sphœrica , pellucida, supernè crinita. 

Mall. Inf, t. 23.f. 1 —3. Encycl. pl. 12. f, 1—3. 

[ Trichodina grandinella. Ehremb. 2e Mém. p. 97.] (1) 
H. dans l’eau pure et dans !es infusions végétales. 


26. Tricode comète. 7Zrichoda cometa. 


T. sphærica, anticè comata; globulo posticè appendente. 
Mull. Inf. t. 25. f. 4, 5. Encycl. pl, 12. f. 4, 5. 

[ Bory. Op. cit. p. 747. ] 

H. dans l’eau très pure. 


27. Tricode grenade. Trichoda granata. 


T°. sphærica, centro opaco, périphæria crinita. 
Mall. Inf. t. 23. f. 6, 9. Encycl. pl. 12. f. G, 7. 
| Peritricha granata. Bory. Op. cit. p. 614. | 
H, dans les eaux recouvertes par la lenticule. 


28. Tricode toupie. Trichoda trochus. 


T'. subpiriformis, pellucida, utrinque crinita. 
Mull. Inf. t. 23. f. 8, 9. Encycl. pl. 12. f, 8, 9. 
| Ophrydia trochus. Bory. Op. cit. p. 583. | 
H. dans les marais , avec la lenticule. 


29. Tricode tétard. Trichoda gyrinus. 


T'. ovalis, teres, crystallina , anticé crinita, 

Mull. Inf. t. 23. f. 10—12. Encycl. pl. 12. f, 10—12. 
{ Ophrydia gyrinus. Bory. Op. cit. p. 583. | 

H. dans l’eau de mer. 


(x) Le genre Tricuopina de M. Ehrenberg est une divi- 
sion de la famille des vorticelliens comprenant les espèces 
dont le corps n’est point pédicellé et qui sont libres. E. 


INFUSOIRES. == TRICODES. 417 


30. Tricode solaire. Trichoda solarts. 


T, sphæroidea , periphærtia crinita. 

Mull. Inf, t. 23. f. 16. Encycl. pl, 12. f. 16. 
| Peritricha medusa. Bory. Op. cit. p. 6135. ] 
H. dans les infusions marines. 


31. Tricode bombe. Trichoda bomba. 


T'. ventrosa, mutabilis ; anticé pilis sparsis. 
Mall. Inf. t. 23. f. 15—20. Encycl. pl. 12. f. 17—20. 
[ Bory. Op. ci. p. 747.] 
I. dans les eaux des marais. 
32. Tricode palette. Trichoda orbis. 


T°. suborbicularis, anticè emarginata, crinita, 
Mall. Inf. t. 23. f. 21. Encycel. pl. 12. f. 21. 
[ Bory. Op. cit. p. 749. ] 
H, dans les eaux douces. 


33. Tricode urne. 7richoda urnula. 


T'. urceolaris, anticé crinita. 

Mull, Inf. t. 24. f. 1, 2. Encycl. pl. fa. f. 29, a3,. 
[ Bory. Op. cit. p. 749. ] 

H. dans l’eau où croît la lenticule. 


34. Tricode amphore. Trichoda diota. 


T'. urceolaris, anticè angustata, ora apicis utrinque crinita. 
Mall. Inf. t, 24.f. 3, 4. Encycl. pl. 12. f. 24,25. 

[ Ophry dia lagenulata. Bory. Op. cit. p. 582. | 

H. dans l’eau des fossés où croît la lenticule. 


35. Tricode hérissée. Trichoda horrida. 


T'. subconica, anticè latiuscula, truncata, posticè obtusa, setis 
deflexis. 

Mull. Inf, t. 24, f. 5. Encycl. pl. 12. f. 26. 

H. dans l'eau de la moule. 


36. Tricode ürinale. 7richoda urinariunmi. 


LE ovato-oblonza , rostro brevissimo crinito. 
Mull. Inf. t. 24. f. 6. Encycl. pl. 12. f. 27. 
[ Bory. Op. cit. p. 749. ] 

H. dans l’infusion du foin. 


Tone 1. 27 


415 ANIMAUX APATHIQUES. 


37. Tricode croissante. Zrichoda semilura. 


NI 


T', semi-orbicularis, anticè sublus crinita. 

Mull, Inf. t, 24. f. 7, 8. Encycl. pl. 12. f. 28. 20. 
[ Bory. Op. cit. p. 749] 
H. dans l’infusion de la lenticule, 


38. Tricode teigne. Trichoda tinea. 
T. clavata, anticè crinita, posticè incrassata. 


Mull. Inf. t. 24. f. 11, 12. Encvel. pl. 12. f. 32, 33. 


[ Bory. Op. cit. p. 748.] 
H. dans l’infusion du foin. 


39. Tricode noire. Trichoda nigra, 


T, ovalis, compressa, anticè latior crinita. 

Mull. Inf, t, 24. f. 13—:5. Encycl, pl. 12. f. 34—36. 
[ Bory. Op. cit. p. 749.] 

H. dans l’eau de mer. 


4v. Tricode pubère. Trichoda pübes. 
T . ovato-oblonga, gibla, anticé depressa. 


Mall. Inf. t. 24. f. 16—18. Lncycl. pl. 12. f, 35. 39. 


[ Bory. Op. cit. p. 749.] 
H. dans l’eau des marais. 


41. Tricode floecon. Trichoda floccus. 


T. membranacea, anticè subconica, posticè papillis tribus 
crinilis. 

Mall. Inf. t. 24. f. 19—21. Encycl. pl. 12. f. 40—/42. 

[ Trinellu pacha. Bory. Op. cit. p. 755.] 

H. dans l’eau des fossés. 


42. Tricode échancrée. 7 richoda sinuata. 


T. oblonga, depressa, altero margine sinuato crinita, posticè 


obtusa. 
Mull. Inf, t. 24. f. 22, Eucycl. pl. 12. f. 43. 


43. Tricode hâtive. Trichoda prœceps. 


T. membranacea , sublunata , medio protuberante , margine 


inferiore crinila, 


INFUSOIRES. — TRICODES. 419 


Mull. Inf. t. 24. f. 23—25. Encycl. pl, 12. £. 44—4G. 
| Oxitricha variabilis. Bory. Op. cit. p. 597. | 
H. dans l’eau des marais. 


44. Tricode protée. Trichoda proteus. 


T. ovalis, posticé obtusa ; collo elongato retractili ; apice 
crinuo, 

Mall. If. t. 25. f. 1—5. Encycl. pl. 13. f. 1—5,. 

[ Phialina proteus. Bory. Op. cit. p. 619. (1)] 

H, dans l’eau des rivières. 


45. Tricode versatile. Trichoda wersatilis. 


T'. oblonga, posticé acuminata ; collo retractili, infrd apicem 
crinito. 

Mull. Inf. t, 25. f. 6— 10. Encyel. pl. 13. f. G—10. 

[| Phialina versatilis. Bory. Op. cit. p. G17.] 

H. dans l'eau de mer. 


46. Tricode bossue. 7richoda gibba. 


T. oblonga, dorso-gibbera , ventre excavata, anticè ciliata ; 
extremilatibus obtusis. 

Mull. Inf, t. 25. f. 16—20. Encycl. pl, 15. f, 11—15, 

[ Oxitricha giblosa. Bory. Op. cit. p. 596. ] 

H, dans l'eau des rivages. 


(1) Le genre Pnrarina a été établi par M. Bory-Saint-Vin- 
cent, pour recevoir les trichodes de Muller et quelques 
autres animalcules, qui se reconnaissent facilement par 
leur corps glabre et par l'existence d’un faisceau de cils 
isolés, et disposé sur un bouton céphalique, qu’un 
rétrécissement en forme de cou, rend très sensible. Cette 
division a été adoptée par M. Ebhrenberg, qui la place à 
côté des bursaires dans la famille des trachélines de la sec- 
tion des ailotrètes nus, ordre des entérodélés. Il y rap- 
porte les deux espèces suivantes : 

1° Le Phialina vermicularis. Ehr. 2° Mém., p. 111 — 
Ph. hirudinoïdes. Bory. Op. cit. p.617 — Trichoda 
vermicularis. Muller, Inf, pl. 28. fig. 1—4—Encvel, 
pi. 14. fig. 27 — 30. 

20 Phialira viridis, Ehr, a° Mém, pl, 618. E, 


- 
420 ANIMAUX APATHIQUES, 


47. Tricode enceinte. Trichoda fœta. 


T. oblonga, dorso protuberante, anticé ciliata; extremitatibus 
obtusis. 

Mall, Inf, s. 25. f. 11—15. Encycl. pl. 12. f. 16—20. 

[ Bory. Op. cit. p. 748.] 

H. dans l’eau de mer. 


48. Tricode bâillante. Trichoda patens. 


T. teres, elongata, anticè foveala; fove” marginibus eri- 
nilis. 

Mall. Inf. t. 26. f. 1, 2. Encycl. pl. 13.f. 21, 22. 

[ Aondyliostoma limacinia. Bory. Op. cit. p. 478. | 

H. dans l’eau de mer. Sa fosselte antérieure serait-elle une 
bouche commencée ? 


49. Tricode fendue. Trichoda patula. 


T. subovata, ventricosa, anticè canaliculata ; apice el cana= 
diculo crinito. 

Mull. Inf. t. 26. f. 3—5. Encycl. pl. 13. f. 23—25. 

[Leucophrys patula.Ehrenb.1*°r Mém. (Acad, de Berlin, 1820) 
pl. 2. fig. 2.—2e Mém. p. 105. | 

H. dans les infusions marines et dans l’eau de rivière gardée. 

Etc. 


[ C’est aux dépens des tricodes de Muller, que 
M. Ehrenberg a établi plusieurs genres dout les noms ont 
déjà été mentionnés daus le tabieau que nous avons donné 
de sa méthode. 

Le genre Aspinisca de cet auteur comprend les A. poly- 
gastriques entérodélés de la section des allotrètes ( ayant 
la bouche et l’anus terminaux comme chez les enchéli- 
diens, mais se reproduisant par des divisions spontanées, 
longitudinales et transversales), qui sont cuirassés. Il y 
rapporte le Trichoda lynceus, Muller. 

Le genre Oxirnique établi par M. Bory-Saint-Vincent , 
secompose aussi,en majeure partie, de trichodes de Muller, 
et se fait distinguer par la forme arrondie du corps, et 
l'existence de cils disposés en deux faisceaux distincts ou 
sur deux séries. M. Ehrenberg a adopté ce genre et l’a 
choisi comme type de la seconde famiile de ses katotrètes 


# 
INFUSOIRES, — TRICODES. 421 


nues ( n’ayaut ui la bouche, ni l’anus terminaux ) caracté- 
risée par un corps cilié et soyeux ou armé de styles ou de 
crochets. Les oxitriques diffèrent des autres genres com- 
posant ce groupe par l’absence de siyles et de crochets ; 
leur corps est simplement cilié et soyeux. 


1. Oxitrique pellionelle. Oxttricha pellionella. 


O: oblongata, angusta, compressa, oblusa, anticè ciliuta, pos= 
Licé setosa. 

Bory. Op. cit. p. 595. 

Ehrenb. 2° Mém. p. 118. 

Trichoda pelionella. Muller. Inf. pl. 31. fig. 21. Encycl, 
pl. 16. fig. 31. 


2, Oxitrique lièvre. Oxitricha lepus. 


O. ovata, compressiuscula, antice ciliuta, posticé setosa, pel- 
lucida. 

Bory. Op. cit. p. 594. 

Ebrenberg. 2° Mém: p. 115. 

Kerona lepus. Muller. Inf. pl. 34. fig, 5—8. Encycl pl. 18. 
fig. 17—20. 

Etc. 


Le genre Acrivopurys de M. Ehrenberg renferme cer- 
taiues Tricodes de Muller, dont le corps est garni d’appen- 
dices droites , raides et très longues, qui , n’exécutant pas 
de mouvements vibratiles , sont désignées par cet auteur 
sous le nom de soies. 

Ce petit groupe se place dans la famille des enchélidiens 
et a pour caractère: bouche terminale droite, corps 
subglobuleux et garni de soies. 

Esp. 1° Actinophrys sol. Ehrenb.'2° Mém. p. 102 et 
17 Mém., Acad. de Berlin 1830. pl. 2. fig. 4. Tri- 
choda sol, Muller, Inf. pl. 23. fig. 13—15.—Encycl. 
pl. 12. fig. 13—15. Peritricha sol, Bory Op. cit. 
p. 614. 


2° Actinophrys difformis. Ehr. 2° Mém. p. 102. 


Le genre Tricxoniscus du même auteur diffère du pré- 


422 ANIMAUX APATHIQUES. 


eédent par la forme du corps qui ressemble à un disque ; 
mais, qui, du reste est également pourvu de soies. 


Esp. Trichodiscus sol, Ehr. 2° Mém. p. 103. 


Le genre Horopmrya de M. Ehrenberg renferme aussi 
des leucophres de Muller, et se compose des enchélidéens 
dont la bouche est terminale et droite comme dans le 
geure enchélide, etc., et dont le corps est garni de cils vi- 
bratiles. 


Esp. Æolophrya ovurm. Ehr. 2° Mém. p. 102. 
Holophrya coleps. Ehr. loc .cit. 
Holophrya ambigua. Ehr. Loc. cit. Trichoda armbi- 
gua. Muller, pl. 27. fig. 11— 16. Encycl. pl. 15. 
fig. 1—5. Oxitricha ambigua. Bory, Op. cit. p.506. 


M. Ebrenberg range aussi quelques espèces de trichodes 
de Muller dans son genre Urozerrus , division de l’ordre 
des katotrètes nus, famille des kolpodées, dans laquelle 
il n’existe pas de trompe comme chez les kolpodes ; le front 
est obtus et le corps se termine par une queue rétrécie. Ce 
naturaliste y place, 


1° Le Trichoda musculus, Muller.— Encycl. pl. 15. 
fig. 28-30. 

2° Le Trichoda piscis, Muller, pl. 31. fig. 1-4. — 
Encycl. pl. 16. f. 2-5.—Bory. Op. cit. p. 748, 
etc. 


Enfin , les OpnrxoGLEena, que M. Ehrenberg range à 
côté du genre uroleptus, dans la famillie des kolpodées, 
ressemblent un peu aux leucophres par la forme générale et 
par les cils dont toute la surface du corps est recouverte; 
mais la bouche, au lien d’être terminale, est inférieure 
comme l’anus. Le caractère le plus saillant par lequel ces 
infusoires se distinguent des autres kolpodées, est l’exis- 
tence d’un point oculiforme vers la partie antérieure de 
leur corps. 


Esp. Ophryoglina flavicans. Ehr. 2° Mém., p. 117. 
pl. 2. fig. o. 


INFUSOIRES, — KÉRONES. 423 


KÉRONE. (Kerona.) 


Corps très petit, diversiforme, sans queue particu- 
lière, garni de cirrhes rares, ou de poils raides et corni- 
formes sur quelque partie de sa surface. 


Corpus minimum , diversiforme, ecaudatum, quädam 
superficiei parte cirrhatum aut aculeis corniformibus 
munilum. 


Osservarions. Les kérones dont il s’agit ici se compo- 
sent des kérones de Muller , et de ses himantopes : les uns 
et les autres de ces infusoires ont entre eux les plus grands 
rapports, et ue diffèrent que parce que dans les kérones 
de Muller, le corps est muni de poils raides, qui semblent 
des espèces de piquants corniformes; tandis que dans ses 
himantopes , les cirrhes sont des poils longs, rares et flexi- 
bles. Ces infusoires pourraient , sans inconvénient, être 
réunis aux tricodes, d'autant plus que parmi les tricodes 
mêmes de Muller, plusieurs essèces ont des poils, soit cor- 
niformes, soit cirrheux. 

Cependant, comme Îles tricodes réduites au caractère 
plus précis que nous leur assignons, sont encore malgré 
cela très nombreuses, on peut en distinguer sous la déno- 
mination de kérones, toutes les espèces qui offrent des 
poils en piquants corniformes , ou des filets écartés, longs, 
flexibles et cirrheux. 


[ D’après les observations de M. Ehrenberp, il parai- 
trait que chez les kérones les cœcums stomacaux sont 
groupés autour d’un intestin, ayant deux ouvertures 
distinctes, mais situées, ni l’une, ni l’autre à l’extrémité 
du corps. Leur reproduction s’effectue à l’aide de divi- 
sions spontanées , longitudinales et transversales. Enfin , 
leur corps cilié et garni de soies présente encore à sa face 


4 
424 ANIMAUX APATHIQUES. 


ventrale des crochets, qui semblent tenir lieu de pieds. 
L'existence de ces appendices et l’abseuce de styles distin- 
gue le genre kérone , tel que M. Ehrenberg le circonscrit, 
des autres infusoires de la famille des oxytrichéens , dans 
laquelle il prend place. E.] 


ESPÈCES. 


1. Kérone rateau, ÆX'erona rastellum. 


K. orbicularis | membranacea ; hinc angulata , altera pagina 
serie triplici corniculate. 

Mull. Inf. t. 33.f. 1, 2. Encycl. pl. 19. f, 1, 2. 

| Tribulina rastellum. Bory. Op. cit. p. 527.] 

H. dans l’eau de rivière et dans celle de mer. 


3. Kérone carrée. Kerona lyncaster. 


K. subquadrata, rostro obtuso, disco corniculis micantibus. 
Mull. Zool. dan. 2. t. 9. f. 3. Encycl. pl. 17. f. 3 à 6. 

[ Bory. Op. cit. p. 470. | 

Se trouve daus l’eau de mer long-temps gardée. 


3, Kérone masquée. Kerona histrio. 


KE. ovato-oblonga , anticè corniculis nigris punctiformibus , 
posticè pinnulis longitudinalibus instructa. 

Mull, Inf. t. 33. f. 3, 4. Encycl. pl. 19.f. 7, 8. 

[ Stylonichia histrio. Ehrenb, 2? Mém. p. 120. (1)] 

Se trouve dans les rivières parmi les conferves. 


(1) Le genre SryzLonyeniA de M. Ehrenb. diffère du genre 
kéroue et des autres oxytrichéens par l'existence simul- 
tanée de crochets et de styles; ces derniers appendices 
sont placés à la partie postérieure du corps et forment des 
cônes larges à leur base, déliés à leur sommet et incapables 
d’exécuter des mouvements de rotation, mais cependant 
bien mobiles ; on voit souvent l’animal s'appuyer sur ses 
styles, et il semble s’en servir comme d’une organe de tact. 


INFUSOIRES. —— KÉRONES. 425 
4. Kérone cypris. Xerona cypris. 


K. obversè ovata, anticé crinita, corniculis mucronata, posticé 
crinita, altero margine sinuata. 

Mull. Inf. t. 33. f. 5, 6. Encycl. pl. 19. f. 7, 8 

[ Bory. Op. cit. p. 471. | 

H. dans les eaux douces, parmi la lenticule, 


5. Kéronesébile. Kerona haustrum. 


K. orbicularis , medio corniculata , anticèé membranacea cri- 
nila, posticé selosa. 

Mull, Inf. t. 33. f. 79—11, Encycl. pl. 19. f. 11—15. 

[ Bory. Op. cit. p. 472. | 


H. dans l’eau de mer. 


6. Kérone soucoupe. Kerona haustellum. 


Æ.orbicularis, medio corniculata, anticè membranacea, ciliata, 
posticè mutica, 

Mall. Inf. 1. 53. f. 12, 13. Encycl. pL. 197. f. 16, 17. 

[ Bory. Op. cit. p. 472. ] 

H. dans les eaux douces, parmi la lenticule. 


7. Kérone patelle. Xerona patella. 


K. univalvis, suborbiculata, anticé emarginata corniculata , 
posticè setis flexilibus pendulis. 

Muli. Inf.t. 33. f. 14—18. Encycl. pl. 18. f. 1—5. 

| Euplotes patella. Ehrenb. 2e Mém. p. 118 (x).| 


H, dans l’eau des marais. 


M. Ehrenberg rapporte à ce genre l’espèce citée ci-dessus 
et le kerona mylitus, Muller. 

Le genre Urosryza du même auteur se fait aussi remar- 
quer par l’existence de styles à la partie postérieure du 
corps ; il prend place à côté du précédent dans la famille 
des oxytrichéens, uiais ne présente point de crochets. 
M. Ehrenberg n’en décrit qu’une seule espèce qu’ilnomme 
U. grandis. (Ehrenb. 2° Mém., p. 119.) 

Gi) Le genre Eurrores de M. Ehrenberg comprend les 
infusoires, qui avec l’organisation générale des kérones 


426 ANIMAUX APATHIQUES. 


8. Kérone crible. Kerona vannus. 


K. ovalis, subdepressa; margine altero flexo, opposio ciliato; 
corniculis anticis setisque posticis. 

Mall. Inf. t. 33. f. 19, 20. Encycl. pl. 18. f. 6, 7. 

H. dans l’eau de mer. 

Etc. 


CERCAIRE. ( Cercaria.) 


Corps très petit, transparent, diversiforme, muni 
d’une queue particulière très simple. 


Corpus minimum, pellucidum , diversiforme ; cauda 
speciali simplicissimd. 


ont le dos écussoné, mais n’ont pas de tête distincte ; on 
leur voit des cils, des soies, des styles et des crochets. 
M. Ehrenberg rapporte aussi à ce genre le Trichoda Cha- 
ron de Muller, Inf. pl. 32. fig. 12—920. Encycl. pl. 117. fig. 
6 — 14, que M. Bory-Saint-Vincent range dans son genre 
Plæsconia. ( Encycl. p. 629. ) 


Le genre DiscocernaLus (Ehrenberg) se distigue du pré- 
cédent en ce que la tête est separée du dos par un rétrécis- 
sement. M. Ehrenberg ne mentionne qu’une seule espèce 
qu’il a observée dans la Mer Rouge et qu’il nomme Dis- 
cocephalus rotatorius ( Himp. et Ehrenb., Symb. phys. 
phytoz., pl. 3. fig. 8.) C’est un petit animal hyalin, 
oblong et un peu comprimé, dont la tête est plus étroite 
que le corps, et dont la face ventrale est garnie de quatre 
paires de cils. Par la forme générale de son corps, on 
pourrait le prendre pour quelque jeune animal de la fa- 
mille des caliges. Et pour lui assigner une place définitive 
dans la série zoologique, peut-être faudra-t-il l’étudier 
d’une manière plus aprofondie que les savants voyageurs 
à qui on en doit la découverte ne paraissent l’avoir fait. 


122 


INFUSOIRES, — CERCAIRES. 427 


Osservarions. Quoique les cercaires soient en général 
dépourvues de poils ou de cils, et qu’elles semblent venir 
naturellement après les bursaires, elles sont plus avancées 
en animalisation que les tricodes, et leur queue particu- 
lière les rapproche évidemment des furcocerques , des 
tricocerques, des ratules et des vaginicoles. Mais les vraies 
cercaires n’ont point de bouche , non plus que les furco- 
cerques : ce sont donc les derniers genres des infusoires. 

Les cercaires sont des infusoires très petits, microsco- 
piques, gélatineux, transparents, qui vivent la plupart 
dans les eaux des marais et dans les eaux courantes. Quel- 
ques espèces néanmoins se trouvent dans les infusions 
animales et végétales, et d’autres dans l’eau de mer. La 
plupart ont un mouvement circulaire très rapide. 

ci, comme dans le genre suivant, l’on est exposé, d’a- 
près la petitesse extrême des individus, à rapporter à la 
classe des infusoires, des animaux qui, par leur organisa- 
tion, appartiennent à d’autres points de l’échelle animale. 

Une bouche, quoique d’abord inaperçue et conséquem- 
ment l’ébauche d’un sac alimentaire, peut exister dans 
certains de ces animaux, et dès lors ils appartiennent au 
premier ordre des polypes ; mais des yeux, comme on en 
a supposé dans certaines cercaires, cela est impossible. 

Avant de dire que le fait lui-même vaut mieux que le 
raisonnement, il faut : r° constater que les points que l’on 
a pris pour des yeux, en sont réellement, et qu’ils ont 
chacun un nerf optique qui se rend à une masse médul- 
laire , centre de rapport pour des sensations ; 2° il faut 
ensuite établir positivement que des animalcules réelle- 
ment pourvus d’yeux, sont néanmoins, par leur organisa- 
tion, de la même classe que les autres infusoires. 


[ Les recherches de MM. Nitzsch, Baer et Ehrenberg, 
montrent que les animalcules réunis par Muller sous le 
nom de cercaires, présentent entre eux les différences les 
plus grandes : les uns sont des polygastriques, d’autres des 
rotateurs, d’autres encore des planaires , et plusieurs ont, 
avec les fascioles ou ditomes, l’analogie la plus grande. On 
voit chez ceux-ci à la face ventrale , deux ventouses dont 


48 ANIMAUX APATIHIQUES.. 


une antérieure ct l’autre placée vers le milieu du corps, 
un canal qui, d’abord unique, se divise bientôt en deux 
branches , comme le canal intestinal des ditomes, des or- 
gaues qui paraissent être des ovaires et même des vais- 
seaux. En traitant des vers nous aurons l’occasion de re- 
venir surces singuliers animaux qui, dans une classification 
naturelle, ne peuvent certainement rester à la place que 
Lamarck et la plupart des zoologistes de son époque leur 
assigpait. Il nous parait probable qu’on a aussi confondu 
sous cette dénomination les jeunes ascidies composées, 
lorsqu'elles sont sous leur première forme. ] 


ESPÈCES. 
1. Cercaire têtard. Cercaria gyrinus. 


C. rotundata; caudd acuminat«. 

Mull. Inf. t. 18. f. 1. Encycl. pl. 8.f. 1. 
[ Bory. Op. cit. p. 190. | 

H, dans les infusions animales. 


2. Cercaire bossue Cercaria gibba. 


C. subovata, convexa, anticè subacuta ; caudé terctr. 
Mull. Inf, t. 18. f. 2. Encycl. pl. 8. f. 2. 

[ Bory. Op. cit. p. 190.] 

H. dans l’infusion des jungermanes. 


3. Cercaire agitée. Cercaria inquieta. 


C. mutabilis, convexa ; caudé lævi. 

Mall. Inf. t. 18. f. 3—17. Encycl. pl. 8. [. 3—5. 

[ Listrionelia inquieta. Bory. Op. cit. p. 457 (1) |. 

H. dans l’eau de mer. Quoique sans organes intérieurs, elle a, 
dit-on, des yeux et une bouche. Si cela est, ce n’est point 
un infusoire. 


———_— 


(1) Le genre HisrmoweLze établi par M. Bory-Saint-Vin- 
cent comprend dans la méthode de ce savant, les cercarices 
dont le corps est ovale, oblong, contractile , polymorphe, 

TE 4% - À 
aminct antérieurement , avec des rudiments d'yeux ou 


fNFUSOIRES. — CRRCAIRES. 429 
4. Cercaire lenticule. Cercaria lemna. 


C. mutabilis, subdepressu; caudé annulati. 

Mull. Inf, t. 18. f. 8.—12. Encycl. pl. 8. f. 8—12. 

[ Histrionella annulicauda. Bory. Op. cit. p. 453.] 
H. dans les marais. On lui croit aussi une bouche et des yeux. 


5. Cercaire toupie. Cercaria turbo. 


C. globulosa, medio coarctata: caudi unisetd. 

Mail. Inf. t. 18. f. 1316. Encycl. pl. 8. f, 13—16. 

[ Turbinella. Bory. Op. cit. p. 560. 

| Urocentrum turbo. Ehrenb. 2° Mém. p. 66 (1).] 

H. dans les ruisseaax. On lui soupconne encore des yeux. 


6. Cercaire pleuronecte. Cercaria pleuronectes. 


C. orbicularis, membranacea; caud& uniset&. 
Mull. Inf. t. 19. f. 19—21. Encycel. pl. 10: f. 1—3. 
[ V’irgulina pleuronectes. Bory. Op. cit. p. 781. (2) 


d’organe buccal, et la queue implantée à la partie la plus 
obtuse du corps. La plupart de ces animalcules, si non 
tous, paraissent avoir trois yeux, deux veutouses ventrales, 
un tube digestif bifurqué; en un mot tous les caractères 
organiques les plus importants des ditomes. (Ÿ’oyez Hem- 
prich et Ehrenb., Symb. physicæ, phytozoea. ) 


(1) Le genre Urocenrrum établi par Nitzch, renferme, 
dans la méthode de M. Ehrenberg, les monadines munies 
d’une queue et ayant le corps anguleux. 


Le genre Boo de ce dernier naturaliste ( Ehrenb., 
2° Mém., p. 65) est très voisin du précédert, dont il ne 
diffère que par la forme du corps, qui est arrondi ou 
alongé. 

(2) M. Bory-Saint-Vincent a établi le genre Viraurina 
pour recevoir les cercaires de Muller, dont le corps est 
obrond, membraneux, aminci par sa partie postérieure en 
une très petite queue fléchie eu virgule sur j’un des côtés 
de lP’animal, qui Ini-même est très comprimé. 


L 


430 ANIMAUX APATHIQUES. 


[ Euglena pleuronectes. Ehrenb. 1e Mém. Acad, de Berlin, 
1830. pl. 6. fig. 5 (1). ] | 
H. dans l’eau long-temps gardée. 


A 


(1) Le genre Euexewa de M. Ehrenberg se compose des 
A. polygastriques, qui se rapprochent des monadines par 
l'absence d’un tube intestinal, d’une enveloppe de cils ré- 
pandus sur la surface du corps, et de prolongements pseu- 
dopédiformes variables, qui ont le corps alongé comme les 
vibrioniens ; mais qui deviennent polymorphes par la 
contraction de certaines parties, et se reproduisent par des 
divisions longitudinales ou obliques ; enfin, qui se distin- 
guent des autres infusoires que présentent cette série de 
caractères , et qui constituent la famille des astasiens par 
l'existence d’un seul œil et d’un prolongement caudal. 


M. Ehrenberg y range l’espèce indiquée ci - dessus , 
plus : 


Le Circaria viridis, Muller, Furcocerca viridis, Lamk. 

L’Enchelys sanguinea. Nées et Goldfuss. 

Le Fibrio acus, Muller. t. 8. fig. 9, 10. Encycl. loc. 
cit. pl. 4. fig. 8. Lacrimatoria acus. Bory. Encycl. 
p- 479. Euglena acus. Ehrenb. M.Mém. pl. 1 fig.3. 

L’Euglena sanguinea, Ehrenb. Loc. cit. pl. x. fig. 4. 

L’'Euglena pyreim, Ehrenb. Loc. cit. pl. 1. fig. 5. 

L'Euglena longicauda. Ehrenb. Loc. cit. pl. 1. fig. 6. 


Le genre Ameryormis du mème auteur ne diffère du pré- 
cédent que par l’absence d’un prolongement caudal ; le 
corps des amblyophis est aplati, arrondi postérieurement; 
leur bouche est terminale et ciliée, et leur œil unique 
rouge et très gros. M. Ehrenberg n’y rapporte qu’une 
seule espèce. 

L’'Amblyophis viridis. Ehrenb. 2° Mém. p. 72. pl. 2. 
fig. 9. 

Le genre Disriema, Ehrenberg, dont il a déja été ques- 
tion se distingue de, deux précédents par l'existence de 
deux points oculiformes, Enfin, le genre AsrasiA de 


INFUSOIRES. — CERCAIRES. 431 


7. Cercaire trépied. Cercaria tripos. 


C. subtriangularis, brachiüs deflexis, caudé reel. 
Mall. Inf, t. 19. f. 22: Encyci. pl. 10. f. 4. 

[ Tripos Hulleri. Bory. Op. cit. p. 753.] 

H. dans l’eau de mer. 


8. Cercaire tenace, Cercaria tenax. 


C, membranacca , anticè crassiuscula truncata ; caudé triplo 
breviore. 

Mall. Tof. t. 20. f. 1. Encycl. pl. 10. f. 5. 

[ Virgulina pirenula, Bory. Op. cit. p. 781.] 

Se trouve dans l’infusion du tartre des dents. 


9. Cercaire cyclide. Cercaria cyclidium. 


C. ovalis, posticè subemarginata ; caudd' exsertili. 
Mull. Inf. t. 20. f, 2. Encycl.pl. 10. f. 6. 

| Virgulina brevicauda. Bory. Op. cit. p. 781. | 
H. dans les eaux les plus pures. 


10, Cercaire disque. Cercaria discus. 


C. orbicularis ; caudé curvat«, 

Mall. Inf. t. 20. f. 3. Encycl. pl. 10. f. 9. 
[ V’irgulina discus. Bory. Op. cit. p. 781.] 
H. dans les eaux des marais. 


11. Cercaire lunaire. Cercaria lunaris. 


C. arcuata, teres, apice crinila; caudé& cirratd inflex&. 
Trichoda.Mull. Inf. t. 29. f, 1—3. Encycl. pl. 15. f, 11—13. 
[ Rastulus lunaris. Bory. Op. cit. p. 667. 

Ebrenb. 2e Mém. p. 139 (1). ] 

H. dans les eaux où croît la lenticule. 


M. Ehrenberg comprend les astasiens qui ne présentent 
pas de vestiges d’yeux. Ce naturaliste décrit plusieurs es- 
pèces nouvelles d’astasies, et pense qu’il faudra peut-être 
rapporter à cette divison le Paramæcium oceanicum de 
Chamisso et Eysenhardt. 

(1) Le genre Rasruzus, établi par Lamarck et adopté par 
MM. Bory et Ehrenberg, appartient à la classe des rota- 


432 ANIMAUX APATHIQUES. 


[ C’est à côté des cercaires, que Ja plupart des zoolo- 
gistes rangent des êtres extrêmement singuliers qui pa- 
raissent jouer, dans la fécondation, le rôle principal, et 
qui sont désignés sous les noms d’animalcules spermati- 
ques ou de Zoosrermes. Les mouvements vifs et variés 
que ces êtres exécutent ne peuvent guère laisser de doute 
sur leur nature animale, et les expériences de Spallanzani, 
mais sur-tout ceux de MM. Prevost et Dumas tendent à 
prouver que c’est à leur présence dan: la liqueur sperma- 
tique que cette humeur doit ses propriétés fécondantes. 
Ces animalcules manquent dans les humeurs qui se trou- 
vent dans les testicules des très jeunes animaux et de ceux 
qui sont devenus impotents par l’âge ; mais on a constaté 
leur existence chez les mâles adultes d’un nombre extré- 
mement considérable d'animaux, non-seulement parmi les 
vertébrés, mais aussi parmi les mollusques et les insectes. 
Leurs dimensions varient beaucoup suivant les espèces; ou 
leur distingue toujours une extrémité antérieure renflée 
(tantôt circulaire, tantôt ovalaire), et une espèce de queue 
plus ou moins filiforme et souvent extrêmement longue; 
mais on nesaitrien surleurorganisatien intérieure.—Voyez 
Nouvelle Théorie de la Génération par MM. Prevost et 
Dumas; Annales des Sciences Naturelles, 1. 1; l’article 
Zoosperme de l'Encyclopédie méthodique, ist. nat. des 
Zoophytes et du Dictionnaire classique d’'Hist. nat. par 
M. Bory-Saint-Vincent, etc. E.] 


FURCOCERQUE. { lurcocerca. ) 


Corps très pelit, transparent , rarement cilié, mani 
d’une queue diphylle ou bicuspidée. 


teurs, qui correspond à peu près à l’ordre des polvpes 
ciliés de Lamarck. ( #’oyez le volume suivant. ) 


‘ 


INFUSOIRES, — FURCOCÉRQUES. 433 


Corpus minimum, pellucidum , rarû ciliatum ; caudä 


diphy llà vel furcata. 


Orservarions. On est ici su la limite de la classe des 
infusoires , et conséquemment plus exposé à se tromper 
sur la non existence de la bouche, que dans les genres 
précédents. Cependant il ne me paraît pas douteux qu’il 
y ait des infusoires à queue diphylle ou fourchue, qui 
n’aient point encore de véritable bouche, et que le genre 
Jurcocerque ne doive être établi pour eux. Des observa- 
tions ultérieures décideront à l’égard des espèces qui sont 
dans ce cas, et feront reporter les autres parmi les trico- 
cerques. 

Ainsi les furcocerques, qui ne sont qu’un démembre- 
ment du genre cercaria de Muller, me paraissent devoir 
en être distinguées sous plusieurs considérations, et ter- 
miner la classe des infusoires ou astomes. Les espèces que 
j'y rapporte provisoirement sont les suivantes. 


[ La plupart des animalcules rangés par Lamarck 
dans son genre furcocerque , ont une organisation très 
différente de celle de la plupart des infusoires dont il 
vient d’être question ; au lieu d’avoir une multitude de 
petites poches gastriques , ils ont un estomac simple, et 
un canal intestinal analogue à celui des animaux articulés. 
Aussi, M. Ehrenberg les place-t-il dans la classe des rota- 
teurs dont nous aurons l’occasion d’exposer les caractères 
et la classification dans le volume suivant. ] 


ESPÈCES. 


1. Furcocerque podure. Furcocerca podura. 


F, cylindracea , postice acuminata | caudd subfissd. 
Mull. Inf, t, 19, f. 1—5. Encycl. pl. 9. f. 1. 5. 

[{ Bory. Op. cit. p. 424. | 

{ Zchthy dium podura. Ehrenb. 2° Mém. p. 122 (1). | 


(1) Le genre Icaruypium de M. Ehrenberg appartient à 


Tone 1, 28 


434 ANIMAUX APATHIQUES. 


H. dans les marais où croit la lenticule. Probablement là | 
queue ne paraît simple que lorsque ses branches sont réu- 
nies. 


>. Furcocerque verte. Furcocerca wiridis. 


F. cylindracea, mutabilis, posticé acuminata y fissa. 

Mall. Inf. t. 19. f. 6—13. Encycl. pl. 9.f. 6—13. 

| Raphanella urbica. Bory. Op. cit. p. 665. ] 

[ Euglena viridis. Ehrenb. 1°° Mém. (Acad. de Berlin, 1830. 
pl. 6. fig. 3.)] 


H. dans les eaux stagnantes des fossés. 


3. Furcocerque bourse. Furcocerca crumena. 


F. cylindraceo-ventricosé, anticè obliqué truncata ; caudi 
lineari-bicuspidatd. j 

Mall. Inf. t. 20. f. 4— 6. Encycl. pl. 9. f. 19—1. 

[ Leiodina crumena. Bory. Op. cit. p. 484.— Morren. An- 

.… males des sciences naturelles. t.21. p.121. pl. 3. fig. 1 (1).] 

H. dans l’infusion de l’alve linze. 


4. Furcocerque catelle. Furcocerca catellus. 


F, tripartita ; caudä bisetd. 

Mall. Inf. t. 20. f. 10, 11. Encycl. pl. Q.f. 22, 23. 
{ Cephalodella catellus. Bory. Op. cit. p. 527.] 

H. dans l’eau des marais. 


». Furcocerque catelline. Furcocerca catellina. 


F. tripartita ; caudé bicuspidatà. 
Mull. Inf. t. t. 20. f. 12, 13. Encycl. pl. 9. f. 24, à5. 


la classe des rotateurs. Ces animalcules ont un caual di- 
gestif droit et simple; leur pharynx est très alongé; ils 
sont dépourvus de mandibules ; leur corps est oblong , 
uni et glabre ; ils ont une queue bifurquée très courte ; 
eufiu, ils ont autour de la bouche un cercle complet et 
unique de cils. 

(x) Cet animalcule appartient probablement à la classe 
des rotateurs. ( Voyez le volume suivant, notes du genre 


tricocerque. ) 


INFUSOIRES. — FURCOCERQUES. 435 


[ Cephalodella catellina. Bory. Op. cit. p. 527. ] 
[ Diglena catellina. Ebrenb. 2° Mém. p. 137.(1)] 
H. dans l’eau des fossés où croît la lenticule. 


6. Furcocerque loup. Furcocerca lupus. 


F. cylindnica , elongata, torosa ; cauda spinis duabus. 
Mall. Inf, t. 20. f. 14—17. Encycl. pl, 9. f. 26— 29. 
[ Cephalodella lupus. Bory. Op. cit. p. 527.] 

[ Crcloglena lupus. Ehrenb. 2e Mém. p. 141 (2).] 
H, dans les eaux stagnantes. 


7. Furcocerque orbiculaire. Furcocerca orbis. 


F. orbicularis; setà caudali, duplici, longissimd. 
Mall. Inf. t. 20. f. 7. Encycl. pl. 10. f. 8. 

[ Trichocerca orbis. Bory. Op. cit .p. 946. | 

H. dans les eaux stagnantes. 


(1) Le genre Diezena de M. Ehrenberg appartient à la 
classe des rotateurs. Le pharynx de ces jufusoires est vo- 
lumineux et armé antérieurement de deux mandibules 
simples à une seule deut ; à cette cavité succède un canal 
étroit qui bientôt se dilate et paraît avoir dans son inté- 
rieur unestructure glandulaire; six prolongements cϾcales 
naissent de cette portion élargie de l’intestin, mais ne 
reçoivent pas directement les’aliments dans leur intérieur, 
comme chez les infusoires polygastriques , et sont pro- 
bablement des organes secréteurs; enfin , la portion pos- 
térieure du canal digestif se rétrécit de nouveau. ( J’oyez 
Ehrenb., 2° Mém. pl. 3. fig. 10, et Annales des Sciences 
Naturelles, 2° série Zool. t. 1, pl. 12, fig. 6.) Le corps est 
nu , terminé postérieurement par une queue bifurquée et 
pourvue antérieurement de plusieurs petits organes rota- 
teurs disposés en cercle ; enfin ces animalcules présentent 
sur le front deux points oculiformes. 

(2) Le genre Cycroccena de M. Ehrenberg appartient à 
la même famille que le genre Diglina, mais présente plu 
sieurs yeux disposés en un cercle sur le cou ; la queue est 


bifurquée. E. 


436 ANIMAUX APATHIQUES. 


8. Furcocerque lune. Furcocerca luna. 


F. orbicularis ; caudé spinis binis, linaribus, brevibus. 
Mull. Inf, t. 20. f. 8, 9. Encycl. pl. 10. f. 9, 10. 

[ Trichocerca luna. Bory. Op. cit. p. 746.] 

[ Euchlanis luna. Ehrenb. 2° Mém. p. 131 (1). | 

H. dans les eaux stagnantes. 


Voilà, quant à présent, où se réduisent nos princi- 
pales connaissances sur les infusoires , lesquelles se bor- 
nent au caractère classique que je leur assigne, ce que 
Von a pu savoir de plus essentiel à leur égard, et les 
genres les plus convenables qu’il a été possible d’éta- 
blir parmi eux. 

Muller, qui a tant contr'bue à faire connaître ces 
singuliers animaux, n’a consiuéré en général que leur 
extrême petitesse pour circonscrire la coupe particu- 
lière qu’ils paraissent former dans l’échelle animale : il 
y réunissait en conséquence ceux qui ont antérieure- 
ment un ou deux organes rotatoires, tels que les ur- 
céolaires et les vorticelles. 

Je pense, au contraire, que partout, dans le règne 
animal , les rapports et les coupes classiques ne doivent 
être déterminés que d’après l’état de l’organisation , et 
non d’après la taille des individus; et si, par le place- 
ment de ma ligne de séparation classique , je sépare les 


(+) Le genre Euancanis , Ehrenberg , appartient égale- 
ment à la classe des rotateurs ; la disposition des organes 
rotateurs rapproche ces animalcules des Ratules , des 
Diglènes, etc., mais ils ont le corps cuirassé ; leur queue 
est bifurquée et très longue, leur cuirasse deprimée et uni- 
enfin ils ont un seul point oculiforme, E. 


forme ; 


INFUSOIRES. 437 


rotifères des infusoires, je m'y crois autorisé en ce que 
les rotifères ne sont pas essentiellement des infusoires, 
qu'aucune ne résulte de génération spontanée, que 
dans toutes, la bouche et le tube alimentaire sont 
clairement reconnus, etqu’enfin la bouche desrotifères, 
comme celle des pol/ypes , est constamment munie d’or- 
ganes extérieurs propres à amener dans cette bouche les 
corpuscules qui peuvent servir à la nutrition de ces 
animaux; ce qui n’en est pas ainsi dans lesinfusoires (1). 

Si j'ai pu trouver des motifs raisonnables pour rap- 
procher les rotifères des polypes, tandis que Muller en 
a cru trouver pour les comprendre parmi les infusoires, 
il résulte de cette différence de classification, où néan- 
moins les rangs reconnus ne sont nullement changés, 
que les rotifères font évidemment le passage des infu- 
soires aux polypes, et que les derniers infusoires tien- 
nent de très près aux rotifères, comme les derniers 
rotifères tiennent de très près aux autres polypes. 

Les infusoires, mème les plus imparfaits, sont donc 
tous véritablement des animaux , puisque de proche en 
proche ils sont liés les uns aux autres par des rapports 
évidents ,et qu'ils conduisent , sans lacune, aux polypes 
qui sont bien reconnus pour appartenir au règneanimal. 


(1) Les observations récentes de M. Ehrenberg confirment 
pleinement l’opinion de Lamarck, relativement à la néces- 
sité de ne pius confondre dans une même classe tous les 


= 


infusoires de Muller (7/07. p. 337). E. 


FIN DU TOME PREMIER. 


433 TABLE 


MATIÈRES CONTENUES DAYS CE VOLUME. 


CR D — 
AventissEMENT sur celte nouvelle édition. v 
AvenrTisseMENT de Lamarck. é 
INTRODUCTION. Li 
PRemiÈèRE pArTtE. Des caractères essentiels des animaux , com- 
parés à ceux des autres corps de notre globe. 33 . 


Chap. X. Des corps inorganiques , soit solides ou concrets, 
soit fluides, en qui le phénomène de la vie ne saurait se re- 
produire , et des caractères essentiels de ces corps. 36! 


Cnar. II. Des corps vivants et de leurs caractères essentiels. 47 

Car. III. Des caractères essentiels des végétaux. 73 
Cnar. IV. Des animaux en général, et de leurs caractères es- 

sentiels. 95 
Deuxième partie. De l'existence d’une progression dans Ja 


composition de l’organisation des animaux, ainsi que dans 
le nombre et l’éminence des facultés qu’ils en obtiennent. 109 


Tuoisième partie. Des moyens employés par la nature pour  - 
instituer la vie animale dans un corps; composer ensuite pro- 
gressivement l'organisation dans différents animaux et éta- 


DES MATIÈRES. 439 


blir en eux divers organes particuliers qui leur donnent des 

facultés en rapport avec ces organes. 138 
QuATRIÈME PARTIE. Des facultés observées dans les animaux, 

et toutes considérées comme des phénomènes uniquement 

organiques. 199 
Cinquième PARTIE. Des penchants, soit des animaux sensibles 

. 2 


soit de l’homme même, considérés dans leur source, et comme 
phénomène de l’organisation. 214 


4 AI . 

Sixième PARTIE, De la nature, ou de la puissance en quelque 
sorte mécanique, qui a donné l’existence aux animaux et qui 
les a fait nécessairement ce qu’ils sont. 251 


SepTIÈME PARTIE. De la distribution générale des animaux, 
de ses divisions et des principes sur lesquels ces objets doi- 
vent être fondés. 281 


SurpLÉMENT à la distribution générale des animaux, concernant 
l’ordre réel de formation relatif à ces êtres. 314 


HISTOIRE NATURELLE DES ANIMAUX SANS 
VERTÈBRES. 397 


PREMIÈRE PARTIE. 


ANIMAUX APATHIQUES. 333 
CLasse PREMIÈRE. Infusoires. 337 
Ordre premier. nfasoires nus. 369 


Première section. 


G. Monade. 374 
G. Volvoce. 380 
G. Protee. 382 
G. Enchélide. 386 
G. Vibrion. 394 


Seconde section. 


G, Gone. 395 
G. Cyclide. 396 


À sc “brichode. 
a+ ñ (ea Kerone, 
PU or € Cercaire. 
Er n - - G. Furcocerque. 


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