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Full text of "Histoire naturelle, générale et particulière, des poissons : ouvrage faisant suite à l'Histoire naturelle, générale et particulière, composée par Leclerc de Buffon, et mise dans un nouvel ordre par C.S. Sonnini, avec des notes et des additions"

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HÉNÉRALE ET PARTICULIÈRE. 


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TOME TROÏISTÈ ME 


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DurarrT, Imprimeur-Libraire et édite 


rue des Noyers, N° 22; 
Cnrez | CE k | 
BERTRAND; Libraire, quai des Augusti 


N° 55. 

A ROUEN, 
Chez Vazzée , frères, Libraires , rue Beffroi, N° 2 

A STRASBOURG, 

Chez LrevrauLrT, frères, Imprimeurs-Librair 

A LIMOGES, 
Chez Buarcras, Libraire. 

A MONTPELLIER, 
Chez ViD4Az, Libraire. 
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Chez Hoyxors, Libraire. 


Et chez les principaux Libraires de l’Europe. 


ISTOIRE NATURELLE, 


GÉNÉRALE ET PARTICULIÈRE, 


CS POTSSONS; 


A 


JRAGE faisant suite à l'Histoire naturelle, générale 

particulière , composée par Lrcrerc DE Burron, et 
ve 

ise dans un nouvel ordre par C. S. SonNiNI, avee 


s Notes et des Additions. 


PAR CC S& SONNINI, 


:MBRE DE PLUSIEURS SOCIÉTÉS SAVANTES 
ÊT LITTÉRAIRES. 


TOME TROISIÈME. 


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AD AURAS Se 


JE L'IMPRIMERIE DE F. DUFART. 


A N'UNE 


Nota. L'on a omis, par inadvertenct 
de placer le nom de Lacépède en tête € 
Discours sur la nature des poissons , vol. 
page 57, quoique la Table de ce mên 
volume indiquât que ce Discours füt loi 
vrage de ce naturaliste. 


M'TSTO TR E 


NATURELLE 


MES. PO TS SO NS! 


DIVISION DE LACÉPÈDE. 


PREMIÈRE SOUS-CLASSE. 
POISSONS CARTILAGINEU X. 


Les parties solides de l’intérieur du corps ; 
cartilagineuses. 


PREMIÈRE DIVISION. 


M'orssons qui m'ont ni opercule, ni 
membrane des branchies. 
PREMIER ORDR E. 


Poissons apodes, ou qui n'ont pas de 
nageoires ventrales. 


PREMIER GENRE. 


LES PETROMYZONS. 


Sept ouvertures branchiales de chaque côté 
du ‘cou, un évent sur la nuque, pis de 
| nageoires pectorales, 


À 5 


6 Hu ST OIRE 


PREMIÈRE ESPÈCE. 


LE PÉTROMYZON LAMPRO1E.— Vingt 
rangées de dents ou environ. 


SECONDE ESPÈCE. 


LE PÉTROMYZoN PRICKA. — La seconde 
nageoire du dos anguleuse et réunie avec 
ceile de la queue. 


TROISIÈME ESPÈCE. 


LE PÉTROMYZON LAMPROYON.— La se- 
conde nageoire du dos très-étroite, et non 
anguleuse ; deux appendices de chaque côté 
du bord postérieur de la bouche. 


QUATRIÈME ESPÈCE. 

LE PÉTROMYZON PLANER. — Le corps 
annelé ; la circonférence de la bouche garnie 
de papilles aiguës. 

: CINQUIÈME ESPÈCE. 


LE PÉTROMYZON ROUGE. — Les yeux 
très-petits ; la partie de l’animal dans la- 
quelle les branchies sont situées, plus grosse 
que le corps proprement dit ; les nageoires 
du dos très-basses ; celle de la queue lan- 
céolée ; la couleur générale d'un rouge de 
sang, ou d’un rouge de brique. 

SIXIÈME ESPÈCE. 


LE PÉTROMYZON suCcET. — L'ouverture 


DES LAMPROÏIES 9% 


de la bouche très-grande, et plus large que 
la tête ; un grand nombre de dents petites 
et couleur d'orange ; neuf dents doubles 
auprès du gosier. 


SEPTIÈME ESPÈCE. 


LE PÉTROMYZON ARGENTÉ. ( Petromyzor 
argenteus.) — Les dents Jaunes et placées 
très-avant dans la bouche ; la mâchoire 
inférieure garnie de dix dents pointues , 
très-voisines l’une de l'autre, et arrangées 
sur une ligne courbe; d’autres dents carti- 
lagineuses, et placées des deux côtés d’uné 
plaque également cartilagineuse ; la tête 
alongée ; la ligne latérale très - visible ; la 
dorsale très-échancrée en demi-cercle ; la 
caudale lancéolée ; la couleur argentée. 


HUITIÈME ESPÈCE. 


LE PÉTROMYZON SEPTŒUIL. ( Petromyzon 
septœuil.) — Le diamètre longitudinal de 
l'ouverture de la bouche, plus long que le 
plus grand diamètre transversal du corps ; 
l’ensemble du corps et de la queue presque 
conique ; la dorsale très -peu découpée et 
très-arrondie dans ses deux parties ; la caudale 
spatulée ; la partie supérieure de l'animal 
d’un gris plombé, et l’inférieure d’un blanc 
jaunâtre. 


À 4 


6 HIS: T'O IR'E 
NEUVIÈME ESPÈCE: 


LE PÉTROMYZON Noïr.(Pétromyzon 
niger. — L'ouverture de la bouche très- 
petite ; l’ensemble du corps et de la queue 
presque cylindrique jusqu’à une petite dis- 
tance de la caudale ; les deux parties de la 
dorsale très-arrondies ; chacune de ces par- 
tes presque aussi courte que la caudale ; 
cette dernière nageoire spatulée ; la partie 
supérieure du poisson d’un beau noir; les 
côtés et la partie inférieure d’un blanc 
d'argent très-éclatant. 


DES LAMPROIES. g 


LED LANMPROIES (I) 


k F IDÈLE aux principes que j'ai adoptés, 
de n’admettre dans mes ouvrages que des 
expressions françaises, et d’en écarter , au- 
tant qu'il est possible , celles que l’on puise 
dans les langues anciennes , et dont on fait 
depuis quelque tems un usage vraiment 
immodéré , je restituerai à ce premier genre 
de poissons le nom de Zamproie , sous lequel 
il est connu dans notre langue , et j’aban- 
donnerai le mot. grec pétromyzon , que quel- 
ques auteurs modernes ont employé , et 
qüe les anciens grecs ne connoissoient pas. 
L'on ne sait point, en effet, d’une manière 
précise, comment ce peuple de lantiquité 
appeloit les lamproies ; les littérateurs ne 
sont pas d'accord à ce sujet ; mais lon 
sait que le mot pétromyzon est d'invention 
toute nouvelle ; Linnæus, je crois, est le 
premier qui s’en soil servi; 1l est composé 


(1) Les pétromyzons de Lacépède et de quelques 
autres auleurs d'ichthyologie. 


16 HAESTOLR EF 

de deux mots grecs qui signifient szce-pierre 
ou léche- pierre. Le nom latin lampetra ou 
lambreda a la même origine et dérive des 
mots /ambere, lécher, et petra, pierre; cette 
dénomination a rapport à l'habitude com- 
mune à toutes les espèces de lamproies , de 
s'attacher aux rochers avec beaucoup de 
force (1). 

Ces poissons ont la forme des serpens ; 
leur tête est oblongue , leur corps long et 
arrondi, et leur peau nue, lisse et extré- 
mement glissante. Ils ont un évent sur le 
derrière de la tête; et, ce qui les distingue 
des autres poissons, ils ont, au lieu d’ouïes, 
sept ouvertures de chaque côté du cou; ce 
sont les orifices de l'organe de la respiration. 
À ces ouvertures correspondent autant de 
petites bourses elliptiques , sur lesquelles 
sctend une peau rougeâtre et plissée; elles 
sont placées les unes derrière les autres, 
s’avancent dans une direction oblique, et 
n'ont aucune communication entre elles ; 
mais chacune de ces bourses ou petils sacs, 
que l’on peut appeler respiratoires, a une 


(1) Gesner et Aldrovande pensent que le mot latin 
lampetra vient d’alabès, qui, en grec, veut dire un 
corps glissant qui échappe à la main, d’où l’on a fait 
aéabastrum , pour signifier le marbre le plus poli. 


DES LAMPROIES. 11 


ouverture en dehors et deux en dedans ; 
l'eau entre par la première et sort par les 
deux autres, ou par la bouche ; et lorsque 
les lamproies sont attachées aux rochers où 
aux autres substances submergées,au moyen 
de leurs lèvres et de leurs dents, l’eau sort 
par l’évent de la nuque de la même ma- 
nière que les cétacés la font jaillir par les 
évents qu'ils ont sur la tête. 

Les lamproiïes ont des dents jaunûtres , 
deux nageoires cartilagineuses sur le dos, 
et une nageoire à l'extrémité de la queue ; 
il n’y en a point au ventre. 

Nous connoissons neuf espèces de lam- 
proies, que nous examinerons dans autant 
d'articles. 


12 HEFSTOIRE 


L] 


L'A: AMP ROTE 


PROPREMENT:DIETE (à): 


PREMIÈRE ES PÉCE. 


Voyez la figure 1, planche T. 


vers auteurs ont cru reconnoître 


Ja lamproie dans le poisson que Galien vit 


(1) Lamproie et quelquefois Zamproye. L’on n’est 
pas certain du nom que ce poisson portoit chez les 
anciens grecs. En latin , /ampetra ou lampedra. 
Par quelques auteurs, plota fluta, asterias, hirudo, 
muræna, vermis marinus. En anglais, lamprey et 
lamprey -ell. En allemand, /amprete. Fn hollandais, 
zée-lamprey. En italien, lampreda. En espagnol, lam- 
prea. À Malte, 27 mustilla. Sur les bords de la Loire, 
lamprei. À Bordeaux, la lamproie encore petite 
s'appelle pibale. 

Mustela sive lampetra. Belon, de Aquat. Hb.7, 
pag. 75; et édition française, pag. 66 , avec une 
mauvaise figure. — Gesner, de Aquatilibus , Hib. 5, 
pag 696, avec une mauvaise figure. 

Lampetra. Salvian. Aquat. animal. histor. pag. 63, 
fig. tab. 4. 

Lamproie. Rondelct , Histoire des poissons, liv. 15, 

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DES LAMPROIES. 15 
à Rome, et qu'il appelle galexias (1). Mais 
ce qu'en dit cet ancien médecin est trop 
peu précis, pour que lopinion puisse se 


chap. 3, pag. 310 de l’édition française , avec une 
mauvaise figure. 

Lampctra major. Aldrovand. de Piscibus, lib. 4, 
pag. 556, avec une mauvaise figure. — Schwenck- 
feld, Theriotr. siles. fol. 451. — Charlet. Onom. 
Mol. 163 ,.n°.3. 

Lampetra. Jonston , Hist. nat. de piscib. pag. 79. 

_ A lamprey or lamprey-eel. Willaghb. Fist. pisc. 
lib. 4, cap. 2, 6 2, pag. 105, fig. 2, tab. G. 2. — 
British zool. tom. III, pag. 76, fig. 27. tab. 8. — 
Ray , Synops. piscium, pag. 55. 

Petromyzon ore intüs papilloso, pinn& dorsali 
posteriore a caud& distincté... petromyzon marinus, 
Lin. edit. Gmel. gen. 129, sp. 1. — Faun. suecic. 
edit. Retzii, pag. 302. 

Petromizon ordinibus dentium circiter viginti.... 
petromizon maculosus. Artedi , Gen. piscium , ord. 4, 
gen. 42, Sp. 2. 

La marbrée. Daubenton, Encyclopédie méthodique. 
— Bonaterre , planches du même ouvrage. 

La lamproie. Bloch, Histoire nat. des poissons, 
5° partie, pag. 51, fig. pl. LxxvII. 

Le pétromyzon lamproie. Lacépède , Hist. nat. des 
poissons , tom. Ï ,in-4°, pag. 3, fig. pl. 1. 

(1) De Alimentis, clas. 2, fol. 350, À. Voyez, à ce 
sujet, l’histoire des poissons, par Salvien , fol. 63 
et 64, où sont rassemblies toutes les probabilités 


14 HTSTOIRE 


fixer à cet égard. Il en est de même de la 
conjecture de ceux qui pensent que la 
lamproie a été indiquée par Dorion dans 
Athénée , sous la dénomination de muraina 
potamia, murène des fleuves (1); dans Pline, 
sous les noms de /umbric marin (2), et de 
ver d’eau (5); par Strabon, lorsqu'il parle de 
sangsues de sept coudées et à ouïes percées, 
qui naissent dans un certain fleuve de la 
Lybie (4). 1lest plus probable que la lamproie 
est l’écheneis d'Oppien. «Elle se plaît, dit-il, 
dans la haute mer ; elle est longue d’une 
coudée , de couleur brune, semblable à l’an- 
guille, ayant la bouche en dessous , aiguë, 
et recourbée comme la pointe d’une hame- 
con; les marins en content des choses mer- 
veilleuses et incroyables pour ceux qui n’en 
auroient pas été les témoins. Ce poisson 
met sa bouche contre un navire, comme 
s'il vouloit le dévorer , et de quelque force 


du rapprochement de la lamproie et du galexias de 
Galicn. Belon avoit précédemment établi la même 
opinion. 

(1) Liv. 7, chap. 512. 

(2) Hist. nat. lib. 9, cap. 20. 

(5) Zbid, lib. 9, eap. 15. 

(4) Idem , ibidem. 


DES LAMPROIES. 35 


ée vaisseau soit poussé par les vents ou les 
rames, l’écheneis l’arrête et le retient (1)». 
Ce qu'Oppien rapporte de son écheneis 
convient parfaitement à la lamproie , si l’on 
en excepte les fables qui en terminent la 
courte description. L'amour du merveilleux, 
cette sorte d'inquiétude dans l'imagination, 
qui se plait à être frappée par des choses 
nouvelles et extraordinaires , est de tous 
les âges ; on ne cesse de le reprocher aux 
anciens ; mais , si des connoissances plus 
exactes nous éloignent de beaucoup d’opi- 
nions fausses, et même absurdes, que lanti- 
quité adoptoit , nous n’en sommes pas moins 
avides du merveilleux , ni moins disposés à 
laccueillir. Si l’on en croyoit des auteurs plus 
_ modernes qu'Oppien, les faits que ce poële 
naturaliste raconte de la lamproie ne pour- 
roient être révoqués en doute, puisqu'ils 
| attestent les avoir vérifiés. Un homme grave, 
d’une vaste érudition et d’un grand sens, 
Gesner , dit qu’en partant de Rome, à la 
suite du cardinal de Fournon , la galère qui 
les portoit avec beaucoup de célérité fut tout 
à coup arrêtée ; l’on chercha long-tems d’où 
pouvoit venir un changement aussi subit, 


(1) Halieuticon , liv. 1 , pag. 9 


16 *'‘ÆAES TONIR EE 


et l’on découvrit enfin une lamproie qui. 
s’étoit attachée au gouvernail; on la prit, 
on la mangea , et le vaisseau fendit les eaux 
avec autant de rapidité qu'auparavant. 
Gesner, qui se doutoit bien qu’un fait de 
cette nature trouveroit difficilement des gens 
disposés à y ajouter foi, prend le soin de 
prévenir que de nobles personnages, avec 
lesquels il naviguoit, l'ont vérifié comme 
lui (1). Rondelet cile aussi, sur ce sujet , 
sa propre expérience ; il assure avoir re- 
connu que , si la lamproie applique son 
museau contre une galère, elle l’arrêtera(2). 
Mais je m'arrête aussi; et si quelquefois je 
fais mention des égaremens de la crédulité 
et des écarts de l'imagination, c’est que ce 
sont des points qui ne sont pas inutiles à 
l’histoire de la science de la Nature , ni 


{r) De Aquatilibus, lib. 5, p. 698. 

(2) Histoire des poissons, liv. 15, pag. 512. — 
« Le naturel de ce poisson est de s'attacher aux 
pierres et rochers moussuz, tant de mer que d’eau 
doulce : et encore à l’entour des navires fraîchement 
poissées ; de sorte que les mariniers ont quelquefais 
grand’'peine à retirer et redresser leurs tymons et 
gouvernaulx, quand ceste beste y attachée , tire au 
contraire ». ( Belon, de la Nature et diversité des 
poissons , liv. 1, pag..66.) 
même 


DES LAMPROIES. 17 
méme à l'histoire des sociétés humaines ; la 
lecture de celle-ci seroit moins pémble, si 
les pages qui la Coiposent ne présentoient 
que le tabieau des erreurs de l'esprit, au 
lieu de la peinture des vices du cœur eb 
des effets de la perversité de lame. 

Ce n’est pas seulement aux vaisseaux que 
les lamproies se collent par la bouche ; elles 
'attachent, de même aux bois submergés , 
4x rochers couverts par les eaux de la 
ner , même à de grands poissons » qu'elles 
abandonnent que lorsqu'ils sont morts Gb): 
L'on dit qu’elles choisissent de préférence. 
és navires dont la carène a été nouvelle- 
nent enduite, de goudron (2). La force avec 
aquelle ces poissons adhèrent aux différens 
°rps est assez grande pour que l’on soit 
blisé d'employer quelques efforts pour les 
n détacher. On a vu une lamproie du poids 
e trois livres soutenir en l'air avec sa bouche 
ne pierre qui en pésoil douze (3): C’est par 
? Moyen . d’une espèce de succion que les 
unproies se fixent aussi fortement ; leurs 


RP ETS PO pe se nn à à né 


(x): Belon , à l'endroit ci-dessus. cité. — Gesner , 
CO Suprà citato. 

(2) Gunner, Act. nidr. 4 

(5) Pennant, British zool, tom. LIT, pag. 78. 
Poiss. ToME III. B 


18 HIS T'OUIR E 

lèvres sont souples et très-mobiles, et l’évent 
qu'elles ont à la nuque leur donne la facilité 
de rejeter l’eau entrée par les ouvertures 
de leurs sacs respiratoires , sans qu'elles 
aient besoin d’avoir la bouche libre. Elles 
sont d’ailleurs douées d’une force considé- 
rable dans les: muscles et d’une grande vita- 
lité; les plus fortes blessures ne les font 
point mourir. Elles peuvent perdre de très- 
grandes portions de leur corps sans être’ 
à l'instant privées de la vie; et l’on en a vu, 
à qui il ne restoit que la tête et le devant: 
du corps , coller encore leur bouche avec 
force , pendant plusieurs heures, à des subs- 
tances dures qu'on leur présentoit (1). 

La conformation de la bouche aide beau-| 
coup à cette puissance d'adhésion ; placée un! 
peu au dessous de lPextrémité du museau, 
son orifice est arrondi, et néanmoins un 
peu oblong ; elle n’est point ouverte trans- 
versalement comme celle ‘des autres pois- 
sons , mais elle est creusée presque circu= 
laiïrement comme celle d’une sangsue ; les 
lèvres épaisses, charnues, et, comime je viens 
de le dire, souples et mobiles, fibreuses , 
déchiquetées sur leurs bords, et comme 


(1) Lacépède, Histoire du pétromyzon lamproie, 


DES LAMPROIES. 9 


spongieuses , s'appliquent exactement à la 
surface des corps, et semblent les sucer. 
Plusieurs rangées de dents, communément 
au nombre de vingt, sont disposées en cercle 
dans l’intérieur de la bouche. Il y a cinq 
ou six dents à chaque rangée ; elles sont 
séparées les unes des autres, un peu re- 
courbées et très-aigués , creuses et de couleur 
jaune orangée. Ce ne sont pas de simples 
excroissances cartilagineuses comme la dit 
Linnæus (1), et comme d’autres l'ont répété ; 
leur substance est osseuse et ne diffère point 
de celle des dents des autres animaux. Mais 
ce qui les distingue véritablement, c’est la 
mauicre dont elles sont enchâssées ; elles ne 
tiennent point à des mächoires osseuses ; 
elles sont seulement maintenues dans des 
capsules charnues. Outre ces rangées, l’on 
en voit une autre , formée en ligne droite 
de six dents qui se touchent, à la partie pos- 
térieure de la bouche. Deux autres dents, 
plus grosses que les autres, se remarquent 
sur le devant et en haut de la bouche ; enfin 
la langue , qui est courte et échancrée en 
croissant , est encore armée sur ses bords 
de très-petites dents en forme de scie. 


(1) Syst. nat. 
B 2 


20 ÉLAHSTT OO L'RE 
{Voyez la figure de la bouche de la lam- 
proie, planche TI, fig. 2.) 

Avec un appareil en apparence si for- 
midable, la lamproie , qui se nourrit de 
substances animales, n’attaque que les êtres 
les plus foibles; elle fait sa proie ordinaire 
de vers marins et de petits poissons ; elle 
se contente même de cadavres d'animaux 
aquatiques, et de toute autre chair morte (1) 
Cette foiblesse dans les moyens de subsis- 
tance indique celle de ses ressources. Se: 
dents ne tiennent qu’à la chair, et elles ne 
sont point soutenues par des alvéoles osseux. 
en sorte que, quoique très-nombreuses el 
ctrès-aiguës , elles n’ont aucune solidité e 
semblent ne servir au poisson que pour sé 
-coller et se fixer avec force à des corps 
solides. 

Ne pouvant attaquer elle-même, la lam: 
proie ne sait pas mieux se défendre; ellé 
ne présente auçune résistance à ses ennemis 
et si elle leur échappe, c’est par la fuite e 
la retraite dans quelque trou obscur où elle 
se glisse, et où les loutres, ainsi que let 


CRE © 

(1) Rondelet s’est trompé en disant que les lam: 
_proies ne vivoient que &’eau et de bourbe. (Est. de” 
poissons, liv. 15, pag. 511.) 


DES LAMPROIES. 2T 


poissons voraces, tels que le silure et le 
brochet, ne peuvent la suivre. 

La tête de la lamproie est arrondie ; 
alongée , et de la même grosseur que le 
corps, mais elle s’amincit vers la bouche. 
Les yeux sont petits, ronds et enfoncés ; 
Piris est jaune ; pointillé de noir. Au dessus 
et au dessous de chaque œil sont deux lignes 
horisontales de petits trous, orifices de ca- 
naux qui pénètrent assez avant. Il y a cinq 
de ces trous à la rangée supérieure, et quatre 
seulement à celle qui est placée au dessous 
de l'œil. Plusieurs naturalistes ont regardé 
ces petites ouvertures comme les orifices des 
organes de Fouïe et de Fodorat (x). Sur le 
derrière de la tête, entre les deux yeux, 
est un évent, où conduit fistuleux, entouré 
d’une membrane un peu saillante, et ouvert 
jusques dans la bouche; c’est par ce canal 


(1) « Ces petites ouvertures paroissent être Îles 
orifices des canaux destinés à porter à la surface du 
corps cette humeur visqueuse , si nécessaire à presque 
tous les poissons pour entretenir la souplesse de leurs 
membres , et particulièrement à ceux qui, comme 
les pétromyzons (les lamproiïes) ne se meuvent que 
par des ondulations rapidement exécutées. » { Lace- 
pède , Hist. nat, des poissons, tom. Ï , pag. 7.) 


B 5 


+ 


22 HLSTOIRE 


que l’eau , entrée par les trous qui conduisent 


aux cellules respiratoires , jaillit lorsque le! 


poisson a la bouche fermée, ou plutôt ap- 
pliquée contre quelque corps. Ces trous sont 


disposés en ligne droite , qui commence 


derrière l'œil de chaque côté; le premier et 


le dernier sont plus petits que les autres. 
Les anciens les nommoient des yeux, et 


c'est encore aujourd’hui leur dénomination 


vulgaire. L'on a vu précédemment le jeu | 
et l’usage de ces organes de la respiration, | 


ui ne sont, à proprement parler, ni des 
9 


poumons, n1 des ouïes, mais qui font les | 


fonctions des uns et des autres. Cetie con- 
formation ne se retrouve dans aucun autre 
genre de poissons. (Voyez la fig. 3, pl. 1). 


aaaaaaa sont les orifices des conduits | 


pulmonaires. 

bbbDbEbE b sont les conduits pulmonaires 
qui aboutissent aux orifices. 

Ces conduits sont composés de plusieurs 
canaux, unis ensemble au nombre de douze 
à quatorze par chaque conduit. Si l’on bouche 
les orifices avec de la cire liquide , on s’aper- 
çoit bientôt que le mouvement des bourses 
pulmonaires diminue , et que le poisson ne 
tarderoit pas à périr suffoqué; dès que l’on 


DES LAMPROIES. 29 


retire la cire, ces espèces de poumons re- 
prennent leur mouvement naturel (1). 

: On ne peut mieux comparer le corps de 
la lamproie qu’à celui d’un serpent ; c’est la 
même forme cylindrique, très-alongée, ter- 
mince par une queue dont l'épaisseur di- 
minue sensiblement jusqu’à son extrémité. 
Ce n’est pas le seul rapport que les lamproies 
aient avec les serpens : il y en a d’autres 
non moins frappans, tels que le mécanisme 
de la respiration ; la conformation des parties 
intérieures ; la privation des nageoires au 
ventre et à la poitrine, parties correspon- 
dantes aux pieds des autres animaux, qui 
manquent également aux serpens; les replis 
et les portions d’arc que la lamproie décrit 
en nageant, et en imitant dans les eaux la 
marche ondoyante et tortueuse des serpens ; 
enfin , plusieurs habitudes communes (2). 


(1) Observations anatomiques sur la lamproie et 
ses poumons, et sur l’anguille, par Olaïis Jacobæus. 
{ Collection académique, partie étrangère , tom. IV, 
pag. 564.) 

(2) L’ingéuieux auteur de l'Histoire naturelle des 
reptiles et des poissons a tracé, de main de maître, 
les rapprochemens qui existent entre les lamproies 
et les serpens. ( Voyez Lacépède , Histoire du pétro- 
myzon lamproie.) 


B 4 


24 2 HESTOIR E 


Des deux nageoires qui sont sur le dos 


de la lamproie , la première ne prend son 
origine qu'aux deux tiers environ de la 


Jongueur du corps; elle est courte et s’ar- | 


rondit en arc de cercle ; la seconde en est | 


fort peu éloignée , s'élève moins, s’alonge 


davantage, et prenant à sa naissance touie 


sa hauteur , diminue sensiblement jusques 
près de la nageoire de la queue, dont elle est 
séparée, mais seulement par un petit inter- 
valle (1).Ces deux nageoires ont peu de kau- 
teur : celle de la queue est courte et arrondie. 

Tout le poisson est couvert d’une peau 
lisse, visqueuse, mais ferme et dure, et si 
glissante qu’il est difiicile à retenir dans la 
main. L’enduit muqueux dont cette peau est 
comme vernissée , de même qu’une grande 
force dans les muscles, sont les nioyens puis- 
sans que la Nature a donnés aux lamproies 


pour exécuter avec aisance et rapidité les 


mouvemens les plus compliqués. La couleur 
dominante de cette enveloppe glutineuse est 


(1) C’est de cette disposition de la seconde na- 
geoire du dos relativement à la nageoire de la queue, 
que Linnæus a fixé le principal caractère distinctif 
de la lamproie proprement dite. ({ Syst. nat. Zoco 
citato. ) Cependant la même disposition est come 
mune à d’autres poissons du mème genre. 


DES LAMPROIES. 25 


le verdâtre mêlé de brun sur la tête, au 
sommet de laquelle se trouve ordinairement 
une tache ronde et blanche ; le ventre est 
blanc ou blanchâtre. Des taches bleuâtres et 
blanches, irrégulières, et plus rapprochées 
sur le dos que sur les côtés, rendent la 
lamproie comme marbrée, d’où ce nom lui 
a été donné par quelques naturalistes (1 ). 
Quelquefois ce poisson est Jaunâtre, avec 
des marbrures verdâtres. Les nageoires du 
dos sont d’un jaune mêlé de rouge , ou brunes 
et variées d’orangé; celle de la queue est 
bleuâtre. 

Les parties les plus solides du corps de la 
lamproie ne consistent que dans une suite de 
vertébres entièrement dénuées de côtes, dans 
une sorte de longue corde cartilagineuse eë 
flexible, qui renferme la moëlle épinière , 
et qui compose l’une des charpentes animales 
les plus simples (2). Auprès du gosier on 


(1} Daubenton, Bonaterre, etc. 

(2) Lacépède, à l’endroit précédemment cité. — 
« lle est sans os ; au lieu d’arestes 6 de neuds de 
l’espine du dos , ha une cartilage continue, dans 
laquelle i a de la mouelle que nous appelons la corde; 
au printems est tendre , en esté dure, é lors com- 
mence à n’estre en si grand pris ». (Rondelet, Elis- 
toire des paissons , lib. 12, chap. 5, pag. 311.) 


26 HTS TOIRE 


découvre un corps fourchu qui a du mou- 
vement ; sur ce corps 1l y en a un autre 
charnu , marqué sur ses côtés de deux taches 
oblongues et noirâtres (1). La fig. 3 de la 
planche I, a, représente ce corps charnu ; 
bb sont les deux taches noirâtres. 

Derrière la langue commence le canal 
alimeniaire, étroit à ses deux extrémités, 
et s’élargissant dans son milieu; il s'étend 
jusqu'à l’anus sans aucune circonvolution, 
et il n’a ni appendices, ni plis pour retenir 
la nourriture. L’enveloppe du cœur, ou le 
péricarde, est épaisse, dure et cartilagineuse ; 
Foreillette est grosse et communique au 
cœur par un canal placé dans le milieu; la 
veine-cave sort de la partie la plus large 
du cœur. Le foie est oblong ; sa couleur est 
un verd de mer, et il n’a qu’un lobe, sui- 
vant l'observation de Redi (2); il n’y a 
point de vésicule du fiel (3). L'on prétend 
que , dans les femelles, le foie est d’un 
verd plus foncé que dans les mâles. Une 


(1) Olaüs Jacobæus, Collection académique, /oce 
suprà citato. 

(2) Observations de Redi sur les animaux vivans 
qui se trouvent dans les animaux vivaus. ( Collection 
académique , partie étrangère , pag. 5oo.) 


(3) Rondelet , Hist. des poissons, pag. 317. 


DES LAMPROIES. 27. 


sorte de conduit parcourt la cavité inté- 
rieure de l’intestin dans toute sa longueur; 
ce conduit n’est autre chose qu’une veine 
qui sort du foie et qui pénètre dans l’intes- 
tin à l’endroit de son adhérence au foie; 
elle a une glande et une valvule à son in- 
sertion ; après avoir parcouru d'un bout à 
Vautre la capacité de l'intestin, elle en perce 
de nouveau la tunique et sort pour aller se 
joindre à une grosse artère, qui serpente 
dans toute la longueur du veutre de la 
lamproie. 

Dans les femelles, les ovaires occupent 
presque toute la cavité du ventre; ils con- 
sistent en pelits disques ou en plaques très- 
minces, qui sont attachées en arrière, le 
long de l’épine du dos, à un vaisseau comme 
à un lacet (1). [ls se terminent par un pelit 
canal cylindrique et saillant hors du corps 
de l'animal, à l'endroit de l’anus (2). Les 
œufs sont de la grosseur de graines de pavot 
et de couleur d'orange ; mais, dès qu’ils sont 
secs, ils deviennent si petits qu'il est im- 
possible de les compter (3). 


(1) Bloch, Hist, nat. de la lamproie. 
(2) Lacépède, Hist. du pétromyzon lamproie. 
(5) Bloch, à l’endroit cité. 


28 HISTOIRE 


Lorsque, dans nos latitudes boréales, le 
printems vient donner le signal de la repro- 
duction de tous les êtres, l’heure de la 
Nature se fait entendre jusqu'au fond des 
abîmes : alors les lamproies, abandonnant 
leurs sombres retraites, s’éloignent des ro- 
chers qui leur servent d'asile au milieu des 
mers, et, pressées par le plus doux, comme 
le plus impérieux des besoins, elles entrent 
dans nos fleuves et nos rivières, les femelles 
pour y déposer leurs œufs et les mâles pour 
les féconder. Les petits, qu’à Bordeaux on 
appelle pibales (1), gagnent la mer avec les 
vieilles lamproiïes qui ont échappé aux filets 
des pêcheurs, pour entreprendre de nou- 
veau , à la même époque , ce voyage des 
eaux salées aux eaux douces, quelque dan- 
gereux el quelque destructeur qu'il soit 
pour leur espèce. 

C’est en effet le tems du frai que homme, 
toujours habile à saisir tous les moyens de 
destruction, choisit pour tendre des en- 
bûches aux lamproies ; le moment de leur 
multiplication devient celui où elles périssent 
en plus grand nombre. On leur fait une 
guerre très-aciive , tant sur les côtes que 


{1) Rondelet, Hist. des poissons, pag. 311. 


DES LAMPROIES. 29 


dans les eaux des fleuves et des rivières. 
Leur char, quoique assez molle et un peu 
visqueuse , ne laisse pas d’être très-délicaie, 
sur-tout lorsqu'elles sortent de la mer pour 
venir habiter les eaux douces; mais le sé- 
jour dans cette demeure passagère en di- 
minue la bonne qualité, et elles ne sont 
plus aussi esimées quand elles retournent 
dans leur habitation maritime. Les pêcheurs 
appellent lamproie cordee celle qui, étant 
prise en mauvaise saison, est devenue dure 
et sèche. 

Ces poissons sont fort estimés à Romé, 
et ils sy vendent quelquefois à un très- 
haut prix. Paul Jove, qui a fait, en 1524, 
un petit livre latin sur les poissons du Fibre, 
rapporte que les grands de Rome payoient 
souvent une lamproie dix pièces d’or, prin- 
cipalement au printems; et Platine, qui a 
beaucoup écrit sur la cuisine de la Rome 
moderne, s'élève ayec indignation contre le 
luxe des tables qui régnoit de son tems à 
la cour des papes et dans les maisons opu- 
lentes, où l’on servoit des lamproies ache- 
tées cinq, six, sept et jusqu'à vingt pièces 
d'or. La manière la plus ordinaire d’apprèter 
ces poissons consistoit à les faire mourir dans 
du vin de Candie, à leur mettre une mus- 


50 HISTOIRE 


cade dans la bouche , et un clou de girofle 
dans chacune des ouvertures des ouïes ou 
des canaux respiratoires, à les rouler sur 
elles-mêmes dans une casserolle ; et après 
y avoir ajouté des amandes pilées, de la 
mie de pain, du vin de Candie et des épices, 
à les faire cuire à petit feu. Aujourd’hui 
on accommode les lamproies d’une manière 
plus simple et en même tems plus délicate. 
Le mâle passe pour être meilleur que la 
femelle, et celle-ci vaut mieux avant d’être 
débarrassée de ses œufs qu'après son frai. 
Les médecins n’ont pas manqué de disserter 
au sujet des propriétés de la chair de la 
lamproie comme aliment. Les uns ont dit 
que c'éloit un mets très-sain; d’autres lont 
condamné , parce qu'ils y voyoient une 
nourriture pernicieuse, et même en quelque 
sorte venimeuse; ceux-ci ont recommandé 
de plonger les lamproies dans du vin géné- 
reux, de les y laisser mourir et de les faire 
cuire avec une bonne quantité d'épices, 
afin de corriger la malignité qu'ils suppo- 
soient à cette espèce de poissons. Il est ar- 
rivé en cetle occasion ce qui arrive presque 
toujours en pareille circonstance ; pendant 
que des docteurs écrivoient sur les bonnes 
ou mauvaises qualités des lamproies, les 


DES LAMPROIES. 51 


amis de la bonne chère et les médecins 
eux-mêmes admettoient ces poissons sur 
leurs tables et ne s’en lrouvoient pas incom- 
modés. Quand la lamproie est grasse, elle 
peut faliguer les estomacs un peu délicats, 
moins cependant que languille. On a aitri- 
bué la mort d'Henri I‘, roi d'Angleterre, 
à un repas dans lequel il avoit trop mangé 
de lamproie (1); mais de quoi ne peut-on 
pas mourir lorsque l'on en fait excès? et 
la puissance des rois ne lient pas toujours 
contre une indigestion. 

L'on tire, dit-on, du foie des lamproies 
une couleur verte très-belle et très-durable. 
Sa graisse, suivant les auteurs de matière 
médicale, est émolliente et adoucissante ; 
on en frotte légèrement le visage et les 
mains de ceux qui ont la petite-vérole, afin 
que la peau ne soit pas marquée. 

Plusieurs auteurs, et Rondelet le premier, 
ont écrit que la durée de la vie de la lam- 
proie ne passoit pas deux ans (2); quelques- 
uns ont cherché à expliquer ce prétendu 
phénomène par la nourriture peu substan- 
telle, l’eau et la vase ramollie, dont ils 


æ 


(1) Bloch , à l’endroit précédemment cité. 
(2) Histoire des poissons, pag. 311. 


52 HISTOIRE 
croyoient que celte espèce 5€ contentoit ; en 
sorte qu'ils donnoieut à un fait faux une 
cause également imaginaire. Quoique lon 
ne connoisse pas précisément le nombre 
d’aunées que la Nature accorde aux lam- 
proies, et que les pièges du pêcheur leur 
laissent rarement parcourir, 1l est certain 
qu’elles fournissent une plus longue carrière 
que quelques auteurs ne Font pensé. L'on 
en peut juger par les dimensions auxquelles 
ces poissons parviennent, et qui ne laissent 
pas d’être considérables. L’on en prend assez 
souvent de trois pieds de long, d'environ 
cinq pouces de diamètre près de la partie an- 
térieure du corps, et de trois livres de poids ; 

loch assure qu'il s'en rencontre quelque- 
fois de grosses comme le bras, et qui pe 
jusqu'à six livres (1). 

L'espèce de la lamproie RTE | dite 
est nombreuse et se trouve dans presque 
toutes les mers; cependant ces poissons fré- 
quentent de Se aps et sont beaucoup 
plus communs dans les mers du nord que 
dans celles du midi. Aux mois de mars { 
d'avril et de mai ils entrent dans la plupart 


ee ee om 


ee 


(1) Bloch, Hist. nat. de la lamproie, 


DES /TAMPEROTES. 33 


des fleuves et des rivières de France, d’An- 
gleterre , d'Allemagne, de Suède, etc. Ils 
sont plus rares dans la Baltique et dans le 
détroit d'Aresund (1). Jove en a fait men- 
tion en traitant des poissons du lac Claris. 
Les fleuves d'Italie, et particulièrement le 
Tibre, reçoivent aussi les lamproïes ; mais, 
quoiqu'’elles habitent la partie occidentalé 
de la Méditerranée , 1l ne paroît pas qu’elles 
s’avancent à l’orient, c’est-à-dire, dans la 
mer de Grèce. Kæmpfer les a retrouvées 
sur les côtes du Japon, où elles portent le 
nom de yaatzmo unagi (2). Enfin d’autres 
voyageurs les ont vues sur les plages méri- 
dionales de F Amérique (3). 


(1) Lin. Faun. suec. edit. Retzii, pag. 502. 

(2) Voyage au Japon, tom. I. 

(3) Le lamper est une espèce de lamproie, comme 
celle qu’on prend dans la Tamise; celle de Surinam 
est d’une forme ronde et peu grosse, mais glutineuse 
et très-grasse ; elle est d’un bleu verdâtre , avec des 
taches jaunes, excepté sous le ventre qui est blanc. 
Ce poisson, comme le saumon, fréquente la mer et 
Îles rivières. » ( Voyage à Surinam et dans liatérieur 
de la Guiane , par le capitaine Stedman, traduit par 
Henry, tom. ji ) pag. 28.) 

Avant Stedman, Philippe Férmin avoit hr de 


Poiss. Tome III. \C 


EE 


54 HISTOIRE 

En Angleterre on prend une srande quan- 
tité de lamproies avec les saumons et les 
aloses, poissons qui remontent également 
les rivières à la même époque. Dans la 
saison où elles sout rares, on les paye jusqu’à 
une guinée Ja pièce; et la ville de Glocester 
est dans l’usage de présenter tous les ans, 
vers les fêtes de Noël, un pâté de lam- 
proies au roi de la Grande-Bretagne (1). 

Dans les pays où l’on pêche un trop grand! 
nombre de ces poissons, pour que l’on puisse 
les consommer frais, on les conserve en les 
faisant griller et les mettant dans des barils 
avec du vinaigre et des épices; on les envoie 


la lamproie comme d’un poisson de la mer et des 
rivières de la Guiane hollandaise. ( Description dé la 
colonie de Surinam , tom. 11, p. 266.) Mais l’on ne 
doit pas confondre avec la lamproie le poisson des 
environs du Para, auquel M. de la Condamine 
applique cette dénomination , et qui a, dit-il, la 
même propriélé que la torpille. ( Relation abrégée 
d’un voyage dans l’intérieur de l'Amérique méri- 
dionale , pag. 154.) Ce poisson électrique n’est point 
une espèce de lamproie; on le nomme à Cayenne 
anguille tremblante, et il en sera question dans la 
suite de cet ouvrage. 


(1) Block, /oco suprà citato. 


DES LAMPROILES. 55 
ansi dans d'aulrés pays pour être servies 
sur la table des riches. À Hambourg on les 
sale, et à Danizick on les fume pour les 
conserver et les transporter (1). 


PÉCHÉS DE LA LAMPROIE, 


: L'on se sert, pour pêcher les lamproies, 
de rasses et Ex louves. 

* La nasse (2) est une sorte dé panier faît 
de jonc, d’osier ou d'autre bois flexible : 
comme il est à claire-voie, l’eau passe aisé- 
ment, mais lé poisson est retenu par les 
baguettes. Ce panier a un ou plusieurs gou- 
lèts , composés de brins d’osier déliés et 
souples, très-fins ef élastiques, dont les bouts 
ne sont point retenus par des traverses, ei 
sorte qu'ils sont assez flexibles pour ne 
point former d’obstacle à l'entrée du pois- 
son dans la nasse ; mais aussitôt qu'il est 
éntré en les écartant, ils $ë rapprochent les 
uns des autres et lui présentent leurs pointes 


2 


© (1) Aldrovand. de Piscib. p. 542. és 

(2) En anglais, «a bow-net, on weel. En allemand, 
fischreussen. En ilalien , rassu. On lui donne diffe- 
rens noms en France : nässe, nasson , nanse, bire, 
bouteille, ruche , panier, boutterolle, etc. 


C 


36 ÉIS TOIRE 


réunies qui l'émpéchent de sortir. La fig. 2! 
de la planche 11 représente ces goulets un\ 
peu en grand au dessus de À , qui est une + 


coupe de la nasse B, fig. 2. 


Les nasses n'étant point pliantes comme ! 
les filets le sont, on y ménage une ouver- | 
ture pour en relirer le poisson, quelquefois | 


au bout opposé au goulet, comme en a, 


fig. 5, et d’autres fois vers le milieu, comme. 


= 


PR, er 2 La 


en CO, fig. 2. Ces ouvertures se ferment avec 
une petite trappe, retenue .au corps de la 
nasse, tout le tems qu’elle est dans l’eau, 


et que l’on n’ouvre que quand on en relire. 
le poisson. 

On fait des nasses de différentes formes, 
et de différentes grandeurs. Voyez les fig. 1, 
2,5, 4 et 5. Celles dont se servent les pé- 
EEE de Nantes, pour prendre les lam-. 
proies, ont la forme d’un cône. A l’un des, 
bouts est un goulet qui se resserre beau- 


coup, et que l'on présente au courant le 


plus rapide. | | 4 
A lembouchure de aie rivières 3 
omme celle de la Loire, l'on construit, 

en bois et. en pierres, des chaussées sur 


lesquelles on établit les nasses. Des pieux, 


enfoncés en travers de la riviére,, dans les: 


endroits où le flot se fait sentir à chaque 


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4 


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T 


1 


DES LAMPROIES. 37 


marée , maintiennent des pierres sèches que 

Jon jette entre eux, et qui en surmonte la 

tête d’un pied au moins. On profite, pour 
se livrer à ce travail, des eaux basses de 

l'été; mais dans le tems de la pêche des 

lamproiïies, qui commence à Noël, si le 

tems est convenable, et sil n’y a point de 

glace, il y a sur ces chaussées jusqu’à dix, 

douze, quinze et même vingt pieds d’eau. 

Ces pêcheries s'appellent duits. On y place 
des nasses d'environ six pieds de long, à 
ventre fort gros et à large ouverture. Les 
baguettes ou tiges, dont elles sont formées, 
doivent être assez serrées pour qu'on ne 
puisse placer les doigts entre deux sans les 
forcer un peu. Le dessous doit être plat, 
et le soulet, qui commence dès l'entrée, va 
presaue jusqu’au bout, où la nasse forme 
une pelite gorge, et où il y a une espèce 
. d’anse ou d’organeau aussi d’osier. 

Il y a tout à fait au fond une ouverture 
bouchée , dans les unes avec un tampon de 
paille ou de foin, dans les autres avec une 
petite porte d’osier arrêtée avec une che- 
ville ; c’est par là que les pêcheurs tirent 
hors des nasses les lamproies qui s’y sont 
prises. 

Pour tendre les nasses el les placer sur 

| C5 


58 HA ST'OIHR E 

les duits, les pécheurs passent dans l'ansé 
osier où lorganeau un lien d'osier tors 
qu'ils nomment fresseau, el qui est en forme 
de cordage et long de cinq à six brasses. 
A l'autre bout du tresseau ils attachent une 
grosse pierre de cent à cent cinquante livres 
pesant, qui sert d’ancre, et que lon pose à 
mont du duit. Chaque nasse a son tresseau 
et sa pierre ; on l’arrête sur le duit de ma- 
nière que l'ouverture en soit exposée à la 
mer. Ces instrumens restent trois ou quatre 
mois à l’eau. 

Lorsque les pêcheurs relèvent les nasses 
pour en retirer les lamproies qui y sont en- 
trées , 1is accrochent avec une hampe ou 
galfe lé tresseau, sans être obligés de remuer 
la pierre, et ils replacent de même les nasses 
après qu'ils ont pris les lamproies. Ils ne 
manquent pas de les visiter une fois par 
jour. Un duit porte quarante à soixante 
nasses, se touchant l’une l’autre par leurs 
côlés. 

La louve ou loup, qu’il ne faut pas con- 
fondre avec le verveux double, auquel on 
donne aussi le nom de /op dans quelques 
endroits, est une espèce de filets en nappe, 
dont les mailles ont ordinairement seize à 
dix-sept lignes en carré, et dont le milieu 


DES LAMPROIES. 5% 


forme une poche. Voyez la figure 6, pl. IT. 
On tend ce filet avec trois grandes perches 
À BC, dont l’une A est haute de douze à 
quinze pieds, et doit rester à la place où on 
Va fichée ; les deux autres se dépiquent 
toutes les fois que l’on veut prendre le pois- 
son qui est dans le filet. 

Voici comment les pêcheurs nantais se 
servent de ce filet pour pêcher dans leur 
rade à ‘une demi-lieue au plus de terre : il 
présente à l’eau son ouverture À B; aux 
deux bouts qui répondent aux perches A 
et B, il a trois brasses de chüte; mais au 
milieu ou au fond, qui répond à la perche C, 
il n’en à que huit; en sorte qu'il forme en EL 
ure grande bourse. L'ouverture À B est de 
douze à treize brasses. Pour tendre ce filet, 
on amarre à la perche À une aussière de 
trente à quarante brasses de longueur. Une 
corde un peu plus grande que louverture 
du filet s'étend de la perche À à la perche B; 
on mouille en avant un petit grapm F', dont 
le cablot G a dix ou douze brasses de long, 
et qui sert à retenir la pêcherie contre 
l'effort du courant. On amarre aux deux 
perches À et B les aussières D et H. Afin 
que le filet fasse mieux le sac , on le tend 
de manière que la marée l’eñtonne dans 

C 4 


40 HISTOIRE 

son fond et la perche C le soutient. Com- 
munément le filet ne porte pas sur le ter- 
rain ; il n’a presque jamais ni de flotte, ni 
de lest ; on le tend une heure après le com- 
mencement de la marée , et on le relève 
une heure avant qu'elle ne se retire. 

Le filet tendu, les pêcheurs se tiennent 
dans un pelit bateau derrière la perche C. 
Lorsqu'ils veulent prendre le poisson, on 
démonie la perche B, on dépique celle du 
milieu C , on dégage les bras de la perche À, 
et or tire le filet dans le bateau, en le pliant 
en deux, suivant sa longueur, pour mieux 
retenir le poisson. Cette pêche se fait égale- 
ment le jour comme de nuit; les grandes 
marées, aussi bien que les tems calmes, sont 
les momens les plus favorables. 

Quelquefois on se sert d’un filet appro- 
chant du loup, mais moins grand, lesié et 
flotié , et qu’on tient à la main; on lui donne 
ordinairement trois ou quatre brasses de 
longueur , et une brasse et demie ou deux 
brasses de chûte ; on l’attache par les ex- 
trémités à deux perches de quinze à vingt 
pieds de long. Deux hommes nus, tenant 
chacun une de ces perches, vont sur les 
sables de la côte à marée montante, eb 
entrent dans la mer le plus avant qu'ils 


DES LAMPROIES. 41 
peuvent , ayant souvent de l’eau jusqu'au 
cou. Ils présentent au flux leur filet auquel 
l'effort de l’eau donne une courbure sem- 
blable à celle d’une voile enflée par le 
vent. Lorque ces pêcheurs voient arriver 
vers eux une grosse lame qui pourroit les 
couvrir, ils s'élèvent au dessus en s'appuyant 
sur la perche qu’ils tiennent, et dont le pied 
s'enfonce dans le sable. Dès qu’ils sentent 
qu'il y a des poissons dans le filet, ils rap- 
prochent les deux perches l’une de lautre 
pour envelopper les poissons ; et après les 
avoir retirés du filet , ils recommencent la 
méme manœuvre tant que la marée le 
leur permet ; ils se rapprochent du rivage 
à mesure que la mer s'élève , et ils ne cessent 
de pêcher que lorsqu'elle les force à se 
retirer. 

On se sert encore, pour la pêche des 
lamproies dans la Loire, d’un filet que, par 
cette raison , l’on appelle lampresse. C'est 
une espèce de demi-folle (1), dont les 
mailles n’ont qu’un pouce et demi d’ouver- 
ture , et qui ont vingt-huit brasses de lon- 
gueur sur six pieds de haut. 

Les lamproies qui proviennent des lam- 


œ 


(1) Cette sorte de filets sera décrite dans la suite, 


42 HISTOIRE 

presses et des louves sont plus estimées que 
celles qui se pèchent avec les nasses, parce 
que le poisson est retiré sur le champ de 
ces filets; au lieu que celui qui se prend 
dans les nasses, peu de tems après qu’elles 
ont été visitées, s’y fatigue beaucoup par 
les efforts qu’il fuit pour sortir, ce qui le 
maigrit extrémement. 


DES LAMPROIES. 45 


————— 
te 


rar DR: L'OURLUA. 


‘SECONDE ESPÈCE DE LAMPROIE. 


LE PÉTROMYZON PRICKA (1), 
PAR LACÉPÈDE. 
N. B. Il est nécessaire de se rappeler que Lacépède a adopté 


le mot pétromyzon pour désigner les lamproies. 


Cr pétromyzon diffère de la lamproie par 
quelques trails remarquables. Il ne parvient 
jamais à une grandeur aussi considérable , 


(1) En Allemagne, prick, brike , neunauge. En Au- 
triche , neunauvel. En Pologne, minog. En Russie, 
minogoi. En Estonie, si/muhd, uchsa, silmad. En 
Suède , nattino et neunogen. En Angleterre, lampern 
et lamprey-cel. 

Lamproie pricka. Daunbenton , Encyclop. méthod. 

Petromyzon fluviatilis. Lin. édit. de Gmel. 

Nein-oga, natting. Taun. suec. p. 106. (Le nom 
vulgaire de nein-oga , neinauge , neuf yeux , que l’on 
donne dans presque tout le nord aux pétromyzons, 
ainsi que celui de jaatzmo unagis, huit yeux, dont 
on se sert dans le Japon pour ces mêmes animaux, 
et de même que plusieurs autres noms analognes, 
doivent venir de quelque erreur plus on moins an- 


44 HISTOIRE | 
puisqu'on n’en voit guére qui aient plus de 
quatre décimètres ( environ quinze pouces }| 


————————— 


cienne , qui aura fait considérer comme des yeux les 
trous respiratoires que Jon voit de chaque côté du 
corps des pétromyzons, et que quelques auteurs ont 
indiqués comme étant au nombre de huit, et même 
de neuf.) 

Petromyzon unico ordine denticulorum minimorum 
in limbo oris præœter inferiores majores. Artedi , 
gen. 64, syn. 80, sp. 99. | 

La petite lamproie. Bloch, part. III, pag. 54, 
PL OLXANVIEr HO 1e 

La lamproie branchiale. Bonaterre, planches de 
l'Encyclopédie méthodique. 

Petromyzon fluviatilis, steen sue , negen oyen, 
negen ogen , lamprette, Müller, Prodrom. pag. 37, 
n° 307. 

Petromyzon, prick, negen oog. Gronov. Mus. 1, 
p. 64, n° 114. Zooph. p. 38. 

Mustela. Plin.liv.o, chap. 17. 

Mustela fluviatulis. Belon , Aquat. p. 75. 

Lampetra subcinerea , maculis carens. Salvian, 
Aquat, p. 62. 

Lampetra, alterum genus. Gesner , Aquat. p. 5g7. 

Larpreda. Icon. anim. p. 326. 

Lampetra, medium genus. Willughby, Ichth. p. 106, 
tab. gen. 2, fig. 1; et gen. 5, fig. 2. | 

Lampetra , medium genus. Ray, Syn. piscium, 
1-29, 047: 


Lampetra fluviatilis. Aldrov. p. 587. — Jonston, 


DES LAMPROIES. 45 
de longueur , tandis qu'on a pêché des lam- 
proies longues de deux mètres ( six pieds ; 
ou à peu prés ). D'ailleurs les dents qui gar- 
nissent la bouche de la pricka ne sont ni en 
même nombre n1 disposées de même que 
celles de la lamproie. On voit d’abord un 
seul rang de très-petites dents placées sur 
la circonférence de l'ouverture de la bouche. 
Dans l’intérieur de ce contour, et sur lé 
devant, paroît ensuite une rangée de six 
dents également très-petites ; de chaque côté 
et dans ce même intérieur sont trois dents 
échancrées ; plus près de l'entrée de la bouche 
on aperçoit sur le devant une defñt où un o$ 


p. 104, pl. xxvuir, fig. 11. — Schone, p. 41. — 
Charlet. p. 159, n° 7. 
Lampetra fluviatilis media. Schwenckf. & heriotr, 
siles. p. 532. 
rai unagi. Kæmpfer, Voyage dans le Japon, 
tom. I, p.156 ,.pl. x1r, fig. 2. 
His Rzaczyhski, p 154: 
Lamproie. Fermin, Histoire naturelle de Suria 
nam, p. 85. 
The. lever lamprey. Pennant, Brit. zoolog. 3} 
Ps. 79, plicwiir, fig. 2. | 
Neunaugel. Marsigli, 4, p.2,tab. 1, fig. 4. 
Pro Kramer, Du do SORT. 1. | 
ch ele Klein, Miss. pisc. 3, p. 29, n° 1, 
tab. 1, fig. 3. 


46 HISTOIRE 

épais et en croissant, et sur le derrière uû 
os alongé, placé en travers, et garni de sept 
petites pointes; plus loin encore des bords 
extérieurs de la bouche , on peut remar- 
quer un second os découpé en sept pointes ; 
et enfin à une plus grande profondeur se 
trouve une dent ou pièce cartilagineuse. 

De plus, la seconde nageoire du dos touche 
celle de la queue, se confond avec celte der+ 
nière au lieu d’en être séparée comme dans 
la lamproie , présente un angle saillant dans 
son contour supérieur; et enfin les couleurs 
de la pricka sont différentes de celles du 
pétromyzon lamproie. Sa tête est verdûâtre, 
ses nageoires sont violettes ; le dessus du corps 
est noirâtre , ou d’un gris tirant sur le bleu ; 
les côtés présentent quelquefois une nuance 
jaune ; le dessous du corps est d’un blanc 
souvent argenté el éciatant ; et au lieu de 
voir sur le dos des taches plus ou moins vives 
comme sur la lamproie, on y remarque dé 
pelites raies transversales et ondulantes. 

Mais, dans presque tous les autres points 
de la confie extérieure et intérieure, 
les deux pétromyzons que nous: comparons 
l'un avec l’autre ne paroissenit être que deux 
cop ies d’un même modèle. | 

Les yeux ont également, dans les deux 


DES LAMPROIES. 4%) 


espèces, un iris de couleur d’or ou d'argent, 
et parsemé de pelits points noirs, et sont 
également voilés par une membrane trans- 
parenie , qui est une prolongalion de la 
peau qui recouvre la tête. 

Une tache blanchâtre ou rougeûtre paroit 
auprès de la nuque de la pricka. comme 
auprès de celle de la lamproie. 

I n’y a dans la pricka n1 nageoires pec- 
torales ni nageoires ventrales ; celles du dos 
sont soutenues , comme dans la lamproie , 
par des cartilages très - nombreux, assez 
rapprochés, qui se divisent vers leur som- 
met , et dont on ne peut bien reconnoître 
la contexture qu'après avoir enlevé la peau 
qui les recouvre. 

La pricka à en outre tous ses viscères 
conforinés conime ceux de la lamproie. Son 
cœur , son foie , ses ovaires, ses vésicules 
séminales sont semblables à ceux de ce der- 
nier poisson. Comme dans ce pétromyzon 
le tube intestinal est sans appendices et 
presque sans sinuosités , l'estomac est fort, 
musculeux , et capable de produire, avec 
des sucs gastriques très-actifs, les promptes 
digestions que paroît exiger un canal alimen- 
taire presque droit. Et pour terminer ce 
parallèle ; le pétromyzon pricka respire , 


18 HISTOIRE 


comme la lamproie , par quatorze petites 
bourses semblables à celles de ce dermer 
animal. Montraut d’ailleurs, comme ce car- 
tilagineux, un nouveau rapport avec les 
animaux qui ont de véritables poumons, il 
fait correspondre des gonflemens et des con- 
tractions alternatifs d’une grande partie de 
son corps aux dilatations et aux compressions 
alternatives de ses organes respiratoires. 

D'après tant de ressemblances, qui ne 
croiroit que les habitudes de la pricka ont 
la plus grande conformité avec celles de la 
lamproie ? Cependant elles diffèrent les unes 
des autres dans un point bien remarquable, 
dans lhabitalion. La lamproie passe une 
grande partie de l’année, et particulièrement 
la saison de lhyver, au milieu des eaux 
salées de l'Océan ou de la Méditerranée : 
la pricka demeure pendant ce même items, 
et dans quelque pays qu’elle se trouve, au 
milieu des eaux douces des lacs de l’intérieur 
des continens et des îles ; et voilà pourquoi 
plusieurs naturalistes lui ont donné le nom 
de /luviatile , qui rappelle l'identité de na- 
ture de l’eau des lacs et de celle des fleuves, 
pendant qu'ils ont appelé la lamproie le 
pétromyzon marin. 

Nous n'avons pas besoin de faire remar- 


quer 


DES LAMPROIES. 49 
quer de nouveau ici que parmi les pétro- 
myzons, ainsi que dans presque toutes les 
familles de poissons, les espèces marines, 
quoique très - ressemblantes aux espèces 
fluviatiles , sont toujours beaucoup plus 
graudes (1); et nous ne croyons pas non 
plus devoir replacer dans cet article les con- 
Jectures que nous avons déjà exposées sur 
la cause qui détermine au milieu des eaux 
de la mer le sejour d'espèces qui ont les plus 
grands caractères de conformité dans leur 
organisalion extérieure et intérieure avec 
celles qui ne vivent qu'au milieu des eaux 
des fleuves ou des rivières (2). Maïs, quoi 
qu'il en soit de ces coujectures , la même 
puissance qui oblige, vers le retour du prin: 
tems, les famproies à quitter les plages ma- 
rimes, et à passer dans les fleuves qui y 
portent leurs eaux, contraint également, ef 
vers la même époque , les pétromyzons 
pricka à quitter les lacs dans le fond desquels 
ils ont vécu pendant la saison du froid, et 
à s'engager dans les fleuves et dans les ri- 
vières qui sy jettent ou en sortent. Le même 
besoin de trouver une température conve- 


(1) Voyez le Discours sur la nature des poissons. 
(2) Zbid. 


Poiss. Tome IIT, ; D 


5o HISTOIRE 


nable, un aliment nécessaire, et un sol assez 
voisin de la surface de l’eau pour être ex- 
posées à l'influence des rayons du soleil, dé- 
termine les femelles des pricka, comme celles 
des lamproies , à préférer le séjour des fleuves 
et des rivières à toute autre habitation, lors- 
qu’elles sont pressées par le poids faligant 
d’un très-grand nombre d'œufs; et l'attrait 
irrésistible qui contraint les mâles à suivre 
les femelles encore pleines, ou les œufs 
qu'elles ont ponduset qu’ils doivent féconder, 
agissant également sur les pétromyzons des 
lacs et sur ceux de la mer, les pousse avec 
la même violence et vers la même saison 
dans les eaux courantes des rivières et des 
fleuves. 

Lorsque lhyver est près de régner de 
nouveau, toutes les opérations relatives à 
la ponte sont terminées depuis long-tems ; 
les œufs sont depuis long-tems non seule- 
ment fécondés, mais éclos ; les jeunes pricka 
ont atteint un dégré de développement assez 
grand pour lutter contre le courant des 
fleuves, et entreprendre des voyages assez 
longs. Ils partent presque tous alors avec les 
pricka adultes, et se rendent dans les diffé- 
rens lacs d’où leurs pères et mères étoient 
venus dans le printems précédent , et dont 


DES LAMPROIES. 5x 


le fond est la véritable et constante habi- 
tation d’hyver des pétromyzons, parce que 
ces carlilagineux y trouvent alors, plus que 
dans les rivières, et la température et la 
nourriture qui leur conviennent. 

Au reste, on rencontre la pricka non 
seulement dans un très-grand nombre de 
contrées de l’Europe et de l'Asie, mais 
encore de l'Amérique, et particulièrement 
de l'Amérique méridionale. 

On a écrit que sa vie étoit très-courte et 
ne s'étendoit pas au delà de deux ou trois 
ans (1). Il est impossible de concilier cette 
assertion avec les faits les plus constans de 
Yhistoire des poissons (2); et d’ailleurs elle 
est contredite par Îles observations les plus 
précises failes sur des individus de cette 
espèce. 

Les pricka, ainsi que les lamproies ; 
peuvent vivre hors de l’eau pendant un 
tems assez long. Cette faculté donne la fa- 
cilité de les transporter en vie à des dis- 
tances assez grandes des lieux où elles ont 
été pêchées; mais on peut augmenter celte 
facilité pour cette espèce de poisson, ainsi 


(1) Voyez Ph. IL. Statius Müller. 


(2) Discours sur la nature des poissons. 


D 2 


ba HS TO LR € 


que pour beaucoup d’autres, en les tenant, 
pendant le transport , enveloppées dans de 
la neige ou dans de la glace (1). Lorsque ce 
secours est trop foible, relativement à l’éloi- 
gnement des pays où l’on veut envoyer les 
pricka, on renonce à les y faire parvenir 
en vie : on a recours au moyen dont nous 
avons parlé en traitant de la lamproiïe; on 
les fait griller, et on les renferme dans des 
tonneaux avec des épices et du vinaigre. 
Exposées aux poursuites des mêmes en- 
nemis que la lamproie, elles sont d’ailleurs 
recherchées non seulement pour la nour- 
riture de l’hoinme, comme ce dernier pé- 
tromyzon, mais encore par toutes les grandes 
associations de marins qui vont à la pêche. 
de la morue, du turbot, et d’autres poissons, 
pour lesquels ils s’en servent comme d’appât;: 
ce qui suppose une assez grande fécondité 
dans cette espèce , dont les femelles con- 
üennent en eflet un très- grand nombre. 
d'œufs. 
CU RRRE RS UT OST RRNN EUR I EURE À 


(1) Histoire des cyprins , et Histoire naturelle des 
poissons, par Bloch. 


DES LAMPROÏES. b5 


LE LAMPROYON 


TROISIÈME ESPÈCE DE LAMPROIE. 


“ 


LE PÉTROMYZON LAMPROYON (1); 


PAR LACÉPÉÈDE. 


Si la lamproie est le pétromyzon de la 
mer , et la pricka celui des lacs, le lamproyon 


(1) Lamprillon et chatillon dans plusieurs dépar- 
temens méridionaux de France. Sept-œæil, daus plu- 
sieurs déparlemens du nord. Bäünd-lamprey , dans 
plusieurs cantons de l’Angiletcrre. 

Petromyzon branchialis. Lin. édit. de Gmel. 

Lamproie branchiale. WDaäubenton , Encyclopédie 
méthodique. | 

Petromyzon corpore annuloso , appendicibus utrin- 
que duobus in margine oris. Artedi , gen. 42, syn. go. 

Petromyzon branchkialis. Lin -aehl, Lin. Fauna 
Suecica , 292: — Wulff, Ichth. borus. p. 15, n° 20. 

Vas-igle. Müller, Prodrom. zvol. dan. pag. 57, 
n° 30744 

Uh-len. Kramer, Elenclr. p. 483. 

Petromyzon corpore aunuiato, ore lobato. Bloch, 3, 
pl. LxXxXVI, fig, 2. 


D 5 


54 HISTOIRE 

est véritablement le pétromyzon des fleuves 
et des rivières. Il ne les quite presque Jja- 
mais, comme la pricka et la lamproie, pour 
aller passer la saison du froid dans le fond 
des lacs ou dans les profondeurs de la mer. 
Ce n’est pas seulement pour pondre ou fé- 


Lamproie branchiale. Bonaterre , planches de l’En- 
cyclopédie. 

Peiromyson. Gronov. Zoophyt. p. 38, n° 160. — 
Klein, Miss. pisc. 3 , p.350, n° 4. 

Mustela fluviatilis min. Belon, Aquat. p. 75. 

ZLampetra parva et fluviatilis. Gesner, Aquat. 
p. 289. Icon. anim. p. 286. Thierb. p. 159, à. 

Lampetra minima. Aldrov. p. 550. 

Lampern , or pride of the Isis. Willughby , Ichth. 
P: 104. 

Lampetra cæca. Id. tab. g, 5, fig. 1. — Ray, 
Syuops. pisc. p. 55, n° 2,4. 

Lampreta , neunage. Yonston , tab. 28 , fig. to. 

The pride. Pennant, Brit. zool. 3, p.80, pl. virr, 
fe. 

Lamproÿyon ct lamprillon. Rondelet , Histoire des 
poissons, pl. 11, p+ 202. 

Querder, schlamquerder. Schwenckf. Theriotr. 
siles. p. 423. 

Der kieferwurm. Müller, 1. s. 53 p.254. 

Pride. Pilot. Oxfordsh. p/209, t 10. 


Lamproyon. Valmont de Bomare , Dictionnaire 
d'histoire naturelle. 


DES LAMPROIES. 55 


conder ses œufs qu'il se trouve au milieu 
des eaux courantes ; il passe toute l’année 
dans les rivières ou dans les fleuves ; il y 
exécute toutes les opéralions auxquelles son 
organisation l’appelle : il ne craint pas de s’y 
exposer aux rigueurs de l’hyver; et s'il sy 
livre à des courses plus ou moins longues, 
ce n’est point pour en abandonner le séjour, 
mais seulement pour en parcourir les diffé- 
rentes parties, et choisir les plus analogues 
à ses goûts et à ses besoins. Aussi mérile- 
roit-il l’épithète de fluviatile bien mieux que 
la pricka, à laquelle cependant elle a été 
donnée par un grand nombre de naturalistes, 
mais à laquelle nous avons cru d'autant plus 
devoir l’ôter, qu’en lui conservant le nom 
de pricka, nous nous sommes conformés à 
usage des habitans d’un grand nombre de 
contrées de l’Europe, et à lopinion de plu- 
sieurs auteurs très-récens. Pour ne pas in- 
troduire cependant une nouvelle confusion 
dans la nomenclature des poissons, nous 
n'avons pas voulu donner le nom de fluriatile 
au pétromyzon qui nous occupe, €t nous 
avons préféré de le désigner par celui de 
lamproyon, sous lequel il est connu dans 


D 4 


56 HISTOIRE 
plusieurs pays et indiqué dans plusieurs 
ouvrages. 

Ce pétromyzon des rivières est conformé 
à l'extérieur ainsi qu’à l'intérieur comme 
celui des mers; mais il est beaucoup plus 
petit que la lamproie, et même: plus court 
et plus mince que la pricka; 1l ne parvient 
ordinairement qu'à la longueur de deux 
décimètres (un peu plus de sept pouces ). 
D'ailleurs les muscles et les tégumens de 
son corps sont disposés et conformés de ma- 
nière à le faire paroïtre comme annelé; ce 
qui lui donne une nouvelle ressemblance 
avec les serpens, et particulièrement avec 
les amphisbènes et les céciles (1). De plus, 
ce n'est que dans l'intérieur et vers le fond 
de sa bouche que lon peut voir cinq ou six 
dents et un osselet demi-cireulaire; ce qui à 
fait écrire par plusieurs naturalistes que Je 
lamproyon étoit entièrement dénué de dents. 
1 a aussi le bord pestérieur de sa bouche 
divisé en deux lobes, et les nageoires du dôs 
très - basses ; et terminées par une ligne 
courbe, au lei de présenter un'‘angle. Ses 
YEUX , voilés par une membrane, sont 
Si Houon Mae -iipalteron,: dnvryetitel 


\ SRE EU 
(2 Voyez l'Histoire naturelle des serpens. 


DES LAMPROIES. 57 
d'ailleurs très-petits ; et c’est ce qui a fait 
que quelques naturalistes fui ont donné 
l'épithète d'aveugle (1), en la réunissant 
cependant, par une contradiction et un dé- 
faut dans la nomenclature assez extraordi- 
naires, avec le nom de reuf-yeux (neunauge) 
employé pour presque tous les pétromy- 
zons (2). Le corps très-court et très-menu 
du lamproyon est d’un diamètre plus étroit 
dans ses deux bouts que dans son milieu, 
comme celui de plusieurs vers ; et les cou- 
leurs qu'il présente sont le plus souvent le 
verdâtre sur le dos, le jaune sur les côtés, 
et le blanc sur le ventre, sans taches ni 
raies. 

Sa marère de vivre dans les rivières est 
semblable à ceile de la pricka et de la lam- 
proie dans les fleuves, dans les lacs où dans 
la mer : il s'attache à différens corps solides; 
et même, faisant quelquefois passer facile- 
ment l'extrémité assez déliée de son museau 
au dessous de Popercule et de la membrane 
des branchies de grands poissons, ilkse cram- 


(1) Lampetra væœca, seu oculis carens. Ray, Sy- 
nopsis 36. ; 


(2) ÆEaneophthalmos cæcus. Willusbby, p. 107. 


58 HIS T'OFRE 

ponne à ces mêmes branchies, et voilà 
pourquoi Linnæus l’a nomimé pétromyzon 
branchial. 

Il est très-bon à manger; et, perdant la 
vie peut-être plus difficilement encore que 
les autres pétromyzons qui le surpassent en 
grandeur , on le recherche pour le faire ser- 
vir d’appât aux poissons qui n'aiment à faire 
leur proie que d'animaux encore vivans. 


DES LAMPROIES.  5g 


mm 


A 


LE. PL ANER. 


QUATRIÈME ESPÈCE DE LAMPROIE. 


LE PETROMYZON PLANER (1). 


PAR LACÉPÉDE. 


Daxs toutes les eaux on trouve quelque 
espèce de pétromyzon ; dans la mer, la lam- 
proie, dans les lacs la pricka, dans les fleuves 
le lamproyon. Nous allons voir le planer 
habiter les très-petites rivières. C’est dans 
celles de la T'huringe qu’il a été découvert 
par le professeur Planer d’'Érford; et c’est 
ce qui a engagé Bloch à lui donner le nom 
de planer, qu'une reconnoissance bien juste 
envers ceux qui ajoulent à nos connoissances 
en histoire naturelle nous commande de 
conserver. Plus long et plus gros que le 


(1) Le planer. Petromyzon corpore annulato , ore 
papilloso. Bloch, 3, pag. 47, n° 4, pl. zxxxVIIt, 
fig. 3. 

LPetromyzon Planeri. Lan. édit. de Gmelin. 

Lamproie planer, Bonaterre, planches de l’En- 
cyclopédie méthodique, 


60 HTS°T O'ER E 


lamproyon, ayant les nageoires dorsales plus 
hautes, maïs paroissant annelé comme ce 
dernier cartilagineux, il est d’une couleur 
olivâtre, et distingué de plus des autres 
pétromyzons par les petits tubercules ou 
verrues aiguës qui garnissent la circonfé- 
rence de l’ouverture de sa bouche, par un 
‘ang de dents séparées les unes des autres, 
qui sont placées au delà de ces verrues, et 
par une rangée de dents réunies ensemble, 
que l’on aperçoit au delà des dents isolées. 
Lorsqu'on plonge le planer dans de l'alcool 
un peu affoibli, il y vit plus d'un quart 
d'heure en s'agitant violemment, et en té- 
moignant, par les mouvemens convulsifs 
qu’il éprouve, l’action que l'alcool exerce 
particulièrementsur ses organes respiratoires. 


TP ET 


tt nnnEn nn 


DES LAMPROIES. 61 


LA LAMPROIE ROUGE. 


CINQUIÈME ESPÈCE. 


LE PÉTROMYZON ROUGE (1), 
PAR LACÉPEDE. 


Nous donnons ce nom à un pétromyzon 
dont le savant et zélé naturaliste, le citoyen 
Noël, de Rouen, a bien voulu nous envoyer 
un dessin colorié. Ce poisson se trouve dans 
la Seine, et est connu des pêcheurs sous le 
nom de sept-œil rouge, à cause de sa cou- 
leur, ou d’aveugle, à cause de lextrême 
pelitesse de ses yeux. On se représentera 
aisément l’ensemble de ce carüilagineux, qui 
a beaucoup de rapport avec le lamproyon, 
si nous ajoutons à ce que nous avons dit de 
cet animal daus le tableau des pétromyzons, 
que l'ouverture de la bouche du rouge est 


(1) Petromyzon ruber. 


62 HSTOTRE 

beaucoup plus petite que le diamètre de la 
partie du poisson dans laquelle les branchies 
sont renfermées; que la surface supérieure 
de la tête, du corps et de la queue offre 
une nuance plus foncée que les côtés, et 
que des teintes sanguinolentes se font par- 
ticulièrement remarquer auprès des ouver- 
tures des organes de la respiration. 


DES LAMPROÏIES. 63 


- —————— oo oo 
a 2 


LA LAMPROIE SUCET. 


SIXIÈME ESPÈCE. 


LE PÉTROMYZON SUCET (1), 
PAR LACÉPÉDE. 


Cesr encore au citoyen Noël que nous 
devons la description de ce pétromyzon, 
que les pêcheurs de plusieurs endroits situés 
sur les rivages de la Seine inférieure ont 
nommé sucet (2). Il se rapproche beaucoup 
du lamproyon, ainsi que le rouge; mais il 
diffère de ces deux poissons, et de tous les 
autres pétromyzons déjà connus, par des 
traits très-distincts. 

Sa longueur ordinaire est de deux déci- 
mètres (un peu plus de sept pouces). 

Son corps est cylindrique ; les deux na- 
geoires dorsales sont basses, un peu adi- 
peuses, et la seconde s'étend presque jusqu’à 
celle de la queue. 


2202 I UT 2 À DR 


(1) Petromyzon sanguisuga. \ 
2) Lettre du citoyen Noël au citoyen Lacépède, 
y à. P 
du mois de prairial , an 7. 
P 7 


64 His TOIRE 

La tête est large; les yeux sont situcs 
assez loin de l'extrémité du museau, plus 
sxands à proportion que ceux du lam- 
proyon, el recouverls par une continuation 
de la peau de la tête : l'iris est d’une cou- 
eur uniforme, voisine de celle de l'or ou 
de celle de l'argent. | 

Le citoyen Noël, dans la description qu'il 
a bien voulu me faire parvenir, dit qu'il 
n'a pas vu d'évent sur la nuque du sucet. 
Je suis persuadé que ce pétromyÿzon n'est 
pas privé de cet orifice particulier, et que 
la petitesse de cette ouverture a empêché 
le citoyen Noël de la distinguer, malgré 
lhabileté avec laquelle ce naturaliste ob- 
serve les poissons. Mais, si le sucet ne pré- 
sente réellement pas d'évent, il faudra 
retrancher Ja présence de lorgane auquel 
on a donné ce nom, des caractères géné- 
riques des pétromyzons, diviser la famille 
de ces cartlagineux en deux sous-genres, 
placer dans le premier de ces groupes Îles 
pétromyzons qui ont un évent; composer 
le second de ceux qui n’en auroient pas: 
inscrire par conséquent, dans le premier 
sous-genre, la lamproie, la pricka, le lam- 
proÿyon, le planer, le rouge , et réserver le 
sucel pour le second sous-genre, 


Au 


DES LAMPROIES. 65 


Au reste, l'ouverture de la bouche du 

sucet est plus étendue que la tête n’est 
large, et des muscles assez forts rendent les 
lèvres extensibles et rétractiles. 
-. Dans l’intérieur de la bouche on voit un 
grand nombre de dents petites, de- couleur 
d'orange , et placées dans des cellules char- 
nues. Neuf de ces dents qui entourent cir- 
culairement l'entrée de l’œsophage, sont 
doubles. La langue est blanchâtre, et garnie 
de, petites dents ; et au devant de ce dernier 
organe on aperçoit un os demi-cigoulaire; 
d'une teinte 'orangée,, et hérisséi. de. Fo 
pointes. ,,, 

La, forme de cet os et la présence de 
Br dents doubles autour du gosier .sufh- 
 roient seules pour distinguer le sucet. de.la 
 lamproie ; de la pricka , du lamproyon,.du 
fase et.du rouge. | 

.. Les pêcheurs de Quev y ; commurie 

| auprès de Jaquelle le suoet..a été partieu- 
| Hièrement observé, . disent :tous-qu'on ne 
voit. ce poisson que dans_les. saisons où l’on 
pêche les clupées aloses. Soit que.ce cartila- 
gineux habite sur les haut-fonds voisins de 
l'embouchure de la Seine, soit qu'il s’aban- 
donne, pour ainsi dire, à l’action des marées, 
et qu'il remonte dans la rivière, comme les 
Poiss. Tome ILI. : 


66 2 HÉO S TCOLIR EE 
lamproies, ce sont les aloses qu'il rechierche 
et qu'il poursuit. Lorsqu'il peut attemdre 
une de ces clupées, il s'attache à l'endroit 
de son ventre dent les tégumens sont Îé 
plus tendres, et par conséquent à la portion 
la plus voisme des œufs où de la faite :s8 
cramponnanl , pour ainsi dire, avec ses dents 
et ses lèvres, il se nourrit de la même ma- 
nière qué les vers auxquels on à donné le 
nom de sangsues ; il suce le sang du pois 
son aveé avidité, et il préfère tellément éet 
aliment X'tout autre que son canal intestinal 
est presqüe toujours rempli d’üne quantité 
de sang considérable, dans laquelle on ‘né 
distingue aucüne! âutre sübstance’ futritive. 
“Les pêcheürs croient avoir observé que; 
lorsque les sucéts, dont l'habitude que nous 
venons d'exposer a facilement nidiqué Jé 
nom, attaquent des saumons, au lieu ‘dé 
s'attacher à des aloses ‘ils ne peuveñt pas 
se procurer tout le sang qui leur est néces= 
saire, parce qu'ils percent assez difficilement 
la peau dés saumons, et ils montrent alors 
par leur | la sorte dé. disette ‘qu ais 
éprouvent. SE F2 


DES LAMPROIES. 6 


me ——- —— _ —— A 
1 mm 
mm, 


LA LAMPROIE ARGENTÉE, 
LA SEPTQUILLE 
 £&T LA LAMPROFTE NOIRE. 


SEPTIÈME , HUITIÈME Er NEUVIÈME ESPÈCES, 


LE PÉTROMYZON ARGENTÉ (1), 
© LE PÉTROMYZON SEPTŒUIL (2), 
8er LE PÉTROMYZON NOIR (5) 


PAR LACÉPÉDE. 


Le docteur Bloch avoit recu de T'ran- 
quebar deux individus da pétromyzon ar- 
genté, dont les yeux sont très-grands . les 


(r) Petromyzon arsenteus. Bloch, pl. cocoxv, fig. 2. 

(2) Pétromyzon sept-œuil. 

Grosse sept-œuille. Noël, notes mannscrites. 

(5) Petromizon niger. — Petite sept-œuille. dem, 
ibid. Cousue, sur les bords de la rivière de Cailly, 
qui se jette dans la Seine , au dessous de Rouen. 
Ætreteur, sur les bords de la Rille , qui passe à Pont- 
Audemer. 

E 2 


68 HISTOIRE 
tégumens extérieurs très - minces, et les 
rayons des nageoires si déliés qu'on ne peut 
en savoir le nombre. L’anus est deux fois 
plus éloigné de la tète que de la caudale. 
Le septœuil et le noir se trouvent parti- 
culièrement dans les eaux de la Seine, dans 
T'Epte et dans l Audelle. C’est principalement 
auprès du Pont-de-lArche qu’on en fait 
une pêche abondante. Nous les faisons con- 
noître d’après les notes que le citoyen Noël 
de Rouen a bien voulu nous adresser. On 
les y nomme grosse et petite septœuille... 
La chair du pétromyzon septœuil est plus 
molle et d’un goût moins agréable que celle 
du noir. On prenoit autrefois dans l'Eure, 
auprès de Louviers, de ces noirs ou petits 
septœuils , qui étoient d’une couleur plus 
foncée , plus courts, plus gras , plus re- 
cherchés, et vendus plus cher que ceux de 
la Seine. 


DES RAIES: 69 


LA DE Est) 
Du quatrième ordre des POISSONS, 


PAR LACÉPEDE. 


QUATRIÈME ORDRE (1) 


Poissons abdominaux , OU qui ont des 
nageoires placées sous l'abdomen. 
SECOND GENRE. 

LES RAIES. 


Cinq ouvertures branchiales de chaque côté 
du dessous du corps ; la bouche située 
dans la partie inférieure de la tête; le 
corps très-aplati. 


PREMIER SOUS-GENRE. 


Les dents aiguës; des aiguillons sur le 
corps ou sur la queue. 


(1) Nous avons déjà vu, dans l’article intitulé 
Nomenclature des poissons, que l’on ne connoissoit 
encore aucune espèce de ces animaux dont on pût 
former un second et un troisième ordre dans la 
première division des cartilagineux. E 3 


50 HISTOIÏIRÉ 


PREMIÈRE ESPÈCE. 

La Ra1e Baris.— Un seul rang dai- 

guillons sur la queue. 
SECONDE ESPÈCE. 

LA RAIE OXYRINQUE.—- Une rangée 
d’aiguillons sur le corps et sur la queue. 

,. TROISIÈME ESPÈCE. 

LA RAIE MIRALET. — Le dos lisse; quel- 
ques aiguillons auprès des yeux ; trois rangs 
d’aiguillons sur la queue. 

QUATRIÈME ESPÈCE. 

LA RAIE cHARDON. — Tout le dos garni 
d’épines ; un rang d’aiguillons auprès des 
yeux; deux rangs d’aiguillons sur la queue. 

MACINQUIEME  ESPECE 

LA RAIE RONCE. — Un rang d’aiguillons 

sur le corps et trois sur la queue. 
SIXIÈME ÉSPÈCE. 

LA RAIE CITAGRINÉE. — Des tubercules 
sur le devant du corps; deux rangées d’é- 
pines sur le museau et sur la queue. 

SEPTDIEME ESPÈCE. 

LA BAIE MUSEAU-POINTU. (Raja rostraia.) 
— Le museau pointu; le dessus du museau 
et du corps trés-lisse; trois rangs de piquans 


DES: RCA EF ES. 7 
sur la queue ; deux nageoires dorsales, pe- 
tites et arrondies, auprès de l'extrémité de 
la queue; point de nageoire caudale. 

HUITIÈME ESPÈCE. 

LA RAIE coucou. ( Raja cuculus.) — 
La tête courte et petite ; le dessus du mu- 
seau et du corps dénué de piquans; la partie 
antérieure du corps élevée ; un ou plusieurs 
aiguillons dentelés, longs et forts, à la queue, 
qui est très-déliée. 


SECOND SOUS-GENRE. 
Les dents aiguës ; point d’aiguillons 
sur le corps, 11 sûr ld queue. ‘# 
NEUVIÈME ESPÈCE. 


LA RAIE TORPILLE.— Le corps presque 
ovale ; deux nageoires dorsales. 


TROISIÈME SOUS-GENRE. 


Les dents obtuses ; des aiguillons sur 
le corps ou sur la queue. 
DIXIÈME ESPÈCE. 

LA RAïE AIGLE. — Un aiguillon dentelé 
et une nageoire à la queue ; cette dermère 


partie plus longue que le corps. 
E 4 


52 HISTOIRE 


ONZIÈME ESPÉÈÉCÉ. 


LA RAIE PASTENAQUE. — Un aïguillon 
dentelé; point de nageoire à la queue; cette 
dernière partie plus longue que le corps. 

DOUZIÈME ESPÈCE. 

LA RAI LYMME. — Un aiguiilon revêtu 
de peau à la queue; cette dernière partie 
garnie, vers son extrémité, d'une mem- 
brane longitudinale. 

TREIZIÈME ESPÈCE. 


LA RAIE SEPHEN. — Un grand nombre 
de tubercules sur la tête, le dos et la partie 
antérieure de la queue. 


QUATORZIÈME ESPÈCE. 


LA RAIE BOUCLÉE. — Un rang d’aiguillons 
recourbés sur le corps et sur la queue. 


QUINZIÈME ESPÈCE. 


LA RAIE THOUIN. — Le museau très-pro- 
longé, et garni, ainsi que le devant de la 
tête, de petits aiguillons. 

SEIZIÈME ESPÈCE. 

LA RATE BOHKAT. — Trois rangs d’ai- 
guillons sur la partie antérieure du dos; la 
première nageoire dorsale, située au des- 
sus des nageoires ventrales. 


DES RATES: 70 
DIX-SEPTIÈME ESPÈCE. 


La RAIE cuvVIER. — Un rang d’aiguillons 
sur la partie postérieure du dos; trois ran- 
gées d’aiguillons sur la queue ; la première 
nageoire dorsale située vers le milieu du dos. 
DIX-HUITIÈME ESPÈCE. 


LA RAIE RHINOBATE. —- Le corps alongé; 
un seul rang d’aiguillons sur le corps. 


DIX-NEUVIÈME ESPÈCE. 


LA RAIE TUBERCULÉE. (Raja tuberculata.) 
— Cinq tubercules blancs, émaillés et très- 
durs sur le dos, et cinq autres tubercules 
semblables sur la queue. 


VINGTIÈME ESPÈCE. 


LA RAIE ÉGLANTIER. ( Raja eglanteria.) 
— Une rangée longitudinale de petits aiguil- 
lons sur le dos, qui d’ailleurs est parsemé 
d’épines encore plus courtes; plus de trois 
rangs longitudinaux de piquans recourbés 
sur la queue. 


Espèces dont la forme des dents n’est pas 
encore connue , eb qui n'ont point d'ai- 
guillons. 

VINGT-UNIÈME ESPÈCE. 


LA RAIE FABRONIENNE. (Raja fabro- 
rniana.)— Deux grandes appendices sur le 


74 HISTOIRE: 

devant de la tête ; chaque nageoire pectorale 
aussi longue que le corps proprement dit, 
très étroile et occupant par sa base la por- 
tion des côtés de l’animal comprise entre Ia 
tête et le milieu du corps. 


VINGT-DEUXIÈME ESPÈCE. 


LA RAIR BANKSIENNE. ( Raja banksiana.) 
— Deux appendices sur le devant de la 
tête; point de nageoire sur le dos, ni au 
bout de la queue; chaque nageoire pecto- 
rale plus longue que le corps proprement 
dit, trés-étroite, et à peu près également 
éloignée, dans son axe longitudinal et dans 
sa pointe, de la tête et de la queue; les 
yeux placés sur la partie supérieure de la 
ièle. 

VINGT-TROISIÈME ESPÈCE. 


LA RAIE NÈGRE. (Raja nigra.) — Le 
museau pointu; l’ensemble du corps et de 
la queue formant une losange; un rang de 
piquans, étendu depuis la partie antérieure 
du dos jusqu'au bout de la queue; uné 
autre rangée de piquans ordinairement plus 
séparés les uns des autres, sur chaque côté 
de la queue, qui est très-déliée; toute la 
partie supérieure du poisson d’un noir plus 
ou moins foncé. 


mena 


DÉS RAÏIES. 75 


Espèces dont la forme des dents n’est pas 
encore connue, et qui ont des aiguillons. 


VINGT-QUATRIÈME ESPÈCE. 


LA RAI MosAÏQuE. (Raja picta.) — Le 
museau un peu avancé ; un rang d’aiguillons, 
étendu depuis la nuque jusqu'à l’extrémité 
de la queue ; deux ou trois piquans au de- 
vant de chaque œil; un ou deux piquans 
derrière chaque évent; une série longitudi- 
nale de cinq ou six piquans de chaque côté 
de l’origine de la queue ; la couleur jaunâtre ; 
des taches blanches, petites et arrondies; 
plusieurs séries doubles, tortueuses, et pla- 
cées symétriquement ; des points blancs ou 
blanchâtres. 


NINGT-CINQUIÈME ESPÈCE. 


LA RAIE ONDULÉE. ( Raja undulata.) — 
Le museau un peu pointu; une rangée de 
piquans, étendue depuis la tète jusques vers 
extrémité de la queue; deux aiguillons au 
devant et derrière chaque œil ; un aiguillon 
situé auprès de la tête et de chaque côté 
de la rangée de piquans qui règne sur le 
dos; un grand nombre de raies sinueuses, 
et dont plusieurs se réunissent les unes aux 
autres. 


76 HISTOIRE 


Espèces dont la forme des denis n'est pas 
encore connue, et qui n'ont pas d’'ai- 
guillons. 

VINGT-3IXIÈME ESPÈCE. 


LA RAIE APTÉRONOTE, (Raja apteronota.) 
…— Le museau pointu et très-avancé ; point 
de nageoire dorsale : un sillon longitudinal 
au devant des yeux ; un sillon presque sem- 
blable entre les deux évents ; la couleur 
rousse. 


VINGT-SEPTIÈME ESPÉCE. 


LA RAIE FRANGÉE. (Raja fimbriata.) — 
Deux grandes appendices sur le devant de 
la tête; la tête, le corps et les pectorales 
formant ensemble une losange presque par- 
faite ; les deux côtés de la queue, de la partie 
postérieure du corps et de celle des pecto- 
rales, garnis de barbillons ou de filamens; 
point de nageoire ni de bosse sur le dos. 


QUATRIÈME SOUS-GENRE. 
Les dents obtuses ; point d’aiguillous sur 
le corps, ni sur la queue. 
VINGT-HUITIÈME ESPÈCE. 


LA RAIE MOBULAR. — Deux grandes 
appendices vers le devant de la tête; la 
queue sans nageoire. 


DES RAIES. 77 


Espèces dont la forme des dents n’est pas 
encore connue, et qui ont des aiguillons. 


VINGT-NEUVIÈME ESPÈCE. 


La RAIE SCHOUCKIE. — Des aïiguillons 
très -éloignés les uns des autres; un grand 
nombre de tubercules. 


TRENTIÈME ESPÈCE. 


LA RAIE CHINOISE. — Le corps un peu 
ovale ; le museau avancé et arrondi : “trois 
aiguillons derrière chaque œil; plusieurs 
aiguillons sur le dos; deux rangées d’aiguil- 
lons sur la queue. 


Espèces dont la forme des dents n’est pas 
encore connue , et qui n'ont pas d’ai- 
guillons. 

TRENTE-UNIÈME ESPÈCE. 
LA RAIE GRONOVIENNE.— Le corps 
presque ovale; une seule nageoire dorsale. 
TRENTE7DEUXIÈME ESPÈCE. 


LA RAIE MANATIA. — Deux appendices 
sur le devant de la tête; point de nageoire 
dorsale ; une bosse sur le dos. 


78 HISTOIRE 


LA RAGE BATIS,(), 
PAR LACÉPÈDE. 


Voyez la figure de cette raie, vue en dessus ef er 
dessous , pre II, igure 1 1 et 2. 


Lors raies sont, comme les pétromyzons 
{ lamproies }, des poissons: cartilagineux ; 
elles ont de même leurs branchies dénuées 


(1) Flassade , couverture, vache marine ; dans 
plusieurs départemens méridionaux. ré 

Raja batis. Lin. édit. de Gmel. " 

Raie coliart. Daubenton, Encyclop. méthod. 

Raja varia, dorso medio glabro , unico aculeorum 
ordine in cauda. Artedi, gen. 73,syn. 102. 

Raja caudä tantivn aculeatä. Bloc h, Hist. natu- 
relle des poissons, 5° partie , pag. 54, pl. LXXIX. 

Raie coliart. Bonaterre , planches d'histoire natu 
relle de l'Encyclopédie méthogique. | 

Batis. Aristote , liv. 1, chap. Fe lib. 2, chap. 13; 
Hv. 5, chap. 5 RE 6,chap.ioetr1; iv. 6’, ee 15, 
et liv. 9, et dk 37. 

Aliai. lib. 16, cap. 15, pag. gare : 

Oppian. lib. r, pag. 5, b, et lib. 2, pag. Bs. 

Athen. lib. 7, pag. 286. 

Rayte, ie et rubas. Cub. KHv. 35, chap. 74 
et 77 , pag. 07, À , et 88, b. 


1. RAIF BATIS ve en desru. 
A 
2. LA MEME vxe en desfel , 


V. Tardien . 


DES RATES. 79 
de membraue et d’opercule. Elles offrent 
encore d’autres grands rapports avec ces 
amimaux daus leurs habitudes et dans leur 
conformation ; et cependant quelle diffé- 
rence sépare ces deux genres de poissons ! 
quelle distance, sur - tout, entre le plus 
petit des pétromyzons ( lamproies ), entre 
le lamproyon et les grandes raies, particu- 
fièrement Ja raie batis, dont nous allons 
nous occuper ! Le lamproyon n’a souvent 


> Raja undulata sive cinerea. Aldrovand. lib. 3, 
gap. bo , pag. 452. :: 
,. Raja devis. Schoney. p. 58. , 
Raja undulata. Jonston, hb. 1,.tit. 1, cap. 3; 
2. 5,punct.5. 
Raja undulata. Charlet. pag. 130. 
11 gutre raie à bec point. Rondelet', première par 
tie, liv. 32, pag: 275. 1) ICer 
:Gronov. Mus. 1 ; n° 145: Zooph, n°157, 
tirer in Pont corporis parte versus alas ALT 
Klein » Mis. pisc. 5, pag. 37, n° 14. 
. Belon, Aquat. pag. 89. 
| “Lœviraja Salv. Aquat. pag. 149. 
‘/Gesner, Aquat. pag. 792, Ie. an. p. 50. Fhierb. 
pag. 96. — Willugh. Jchth. p.69, tab c, 4. 
Oxyrinehus major. Ray, Pisc. pag.:26 , n° 3. 
.. Sate.  Pennant , Zoologie britannique, vol. IT, 
pa, AE LS AA PA 
_Raie au bec pointu. Valmont de Bomare , Diction- 
haire “4 histoire naturelle. 


80 HISTOIRE 


que quelques centimètres ( quelques pouces ) 
de longueur sur un de diamètre : les srandes 
raies ont quelquefois plus de cinq mètres 
( quinze pieds ou environ ) de longueur sur 
deux ou trois (six ou neuf pieds ou à peu 
près ) de large. Le lamproyon pèse tout au 
plus un hectogramme ( quelques onces Ve 
lon voit, dans les mers chaudes des deux 
continens, des raies dont le poids surpasse 
dix myriagramines (deux cent cinq livres}. 
Le corps du lamproyon est cylindrique et 
très-alongé ; et si l’on retranchoit la queue 
des raies, leur corps, aplati et arrondi dans 
presque tout son contour, présenteroit l’image 
d’un disque. Souple, délié, et se pliant faci- 
lement en divers sens, le lamproyon peut, 
en quelque sorte, donner un mouvement 
isolé et indépendant à chacun de ses mus+ 
cles : le corps de la raie, ne se prêtant que 
difficilement à des plis, ne permettant en 
général que de légères inclinaisons d’une 
partie sur une aulre, el presque toujours 
étendu de la même manière, ne se meut 
que par une action plus universelle et plus 
uniformément répartie dans les diverses 
portions qüi le composent. ‘Dans quelque 
saison de l’année que l’on observe les lam= 
proyons ét les autres pélromyzons ( lam- 

| | proies), 


DES RATES. 81 


_proies ), on ne les voit jamais former aucune 
sorte de société : 1l est au contraire un tems 
de l’année , celui pendant lequel le plus 
impérieux des besoins est accru ou provoqué 
par la chaleur nouvelle , où les raies s’ap- 
pariant , le mâle se tenant auprès de la 
femelle pendant an tems plus ou moins 
long , et se réunissant, peut-être seules entre 
tous les poissons, d’une inanière assez intime, 
forment un commencement d'association de 
famille , et ne sont pas étrangères, comme 
presque tous les autres habitans des eaux, 
aux charmes de la volupté partagée, et d’une 
sorte de tendresse au moins légère et mo- 
mentanée. Les jeunes pétromyzons ( lam- 
proies ) sortent d'œufs pondus depuis un 
nombre de jours plus ou moins grand par 
leur mère : les jeunes raies éclosent dans le 
ventre même de la leur , et naissent toutes 
formées. Les pétromyzons ( lamproies ) sont 
très-féconds ; des milliers d'œufs sont pondus 
par les femelles, et fécondés par les mâles : 
les raies ne donnent le jour qu'à un petit 
à la fois, et n’en produisent chaque année 
qu'un nombre irès - peu considérable. Les 
pétromyzons ( lamproies } se rapprochent 
des couleuvres vipères par leur organe res- 
piratoire , les raies par leur manière de venir 
Poiss. Tone 11L F 


82 HISTOIRE 

à la lumière. Une seule espèce de pétro- 
myzon (lamproie) ne craint pas les eaux 
salées, mais ne se retire dans le sein des 
mers que pendant la saison du froid : toutes 
les espèces de raies vivent au contraire sous 
tous les climats et dans toutes les saisons 
au milieu des ondes de l'Océan ou des mers 
Méditcrranées. Qu'il y a donc loin de nos 
arrangemens artificiels au plan sublime de 
la toute - puissance créatrice , de celles de 
nos méthodes dont nous nous sommes le 
plus efforcés de combiner tous les détails, 
avec l'immense et admirable ensemble des 
productions qui composent ou embellissent 
le globe ; de ces moyens nécessaires , mais 
défectueux , par lesquels nous cherchons à 
aider la foiblesse de notre vue, l’inconstance 
de notre mémoire , et l’imperfeciion des 
signes de nos pensées, à la véritable expo- 
sition des rapports qui lient tous les êtres, 
et de l’ordre que l’état actuel de nos con- 
noissances nous force de regarder comme 
le plus utile, à ce tout merveilleux où la 
Nature, au lieu de disposer les objels sur 
‘une seule ligne, les a groupés, réunis et 
enchaïnés dans tous les sens par des relations 
innombrables ! Retirons cependant nos re- 
gards du haut de cette immensité dont la 


DES RATES. 85 
vue a tant d’attraits pour notre imagination : 
et, nous servant de tous Îles moyens que 
art d'observer a pu inventer jusqu'à pré- 
sent, portons notre atlention sur les êtres 
soumis maintenant à notre examen , et dont 


Ja considération réfléchie peut nous conduire 


à des vérités utiles et élevées. 

C’est toujours au milieu des mers que les 
raies font leur séjour; mais, suivant les 
différentes époques de l’année, elles chan- 
sent d'habitation au milieu des flots de 
VOcéan. Lorsque le tems de la fécondation 
des œufs est encore éloigné, et par consé- 
quent pendant que la mauvaise saison règne 
encore, c’est dans les profondeurs des mers 
qu’elles se cachent pour ainsi dire. C’est là 
que , souvent immobiles sur un fond de 


sable ou de vase, appliquant leur large corps 
-sur le limon du fond des mers, se tenant 


en embuscade sous les algues et les autres 
plantés marines, dans les endroits assez 


voisins de la surface des eaux pour que la 


lumière du soleil puisse y parvenir et dé- 
velopper les germes de ces végétaux, elles 
méritent , loin des rivages , l’'épithète de 
pélagiennes qui leur a été donnée par plu- 
sieurs naturalistes. Elles la méritent encore, 
cette dénomination de pélagiennes , lors- 


F 2 


84 HISTOIRE 

qu'après avoir attendu inutilement dans leur 
retraite profonde l'arrivée des animaux dont 
elles se nourrissent , elles se traînent sur cette 
même vase qui les a quelquefois recouvertes 
en partie, sillonnent ce limon des mers et 
étendent ainsi autour d’elles leurs embüches 
et leurs recherches. Elles méritent sur-tout 
ce nom d’habitantes de la haute mer, lors- 
que, pressées de plus en plus par la faim, 
ou effrayées par des troupes très-nombreuses 
d’ennemis dangereux, ou agitées par quelque 
autre cause puissante, elles s'élèvent vers la 
surface des ondes, s’éloignent souvent de 
plus en plus des côtes, et se livrant, au 
milieu des régions des tempêtes , à une fuite 
précipitée , mais le plus fréquemment à une 
poursuite obstinée et,à une chasse terrible 
pour leur proie, elles affrontent les vents 
et les vagues en courroux, et, recourbant 
leur queue , remuant avec force leurs larges 
nageoires, relevant leur vaste corps au dessus 
des ondes , et le laissant retomber de tout 
son poids, elles font jaillir au loin et avec 
bruit l’eau salée et écumante. Mais, lorsque 
le tems de donner le jour à leurs petits est 
ramené par le printems, ou par le com- 
mencement de l'été, les mâles ainsi que les 
iemelles se pressent autour des rochers qui 


DES RAIES. 85 
bordent les rivages ; et elles pourroient alors 
être comptées passagèrement parmi les pois- 
sons hittoraux. Soit qu’elles cherchent ainsi 
auprès des côtes l’asile, le fond et la nour- 
riture qui leur conviennent le mieux, ou 
soit qu'elles voguent loin de ces mêmes 
bords , elles attirent toujours l’attention des 
observateurs par la grande nappe d’eau 
qu’elles compriment et repouissent lou 
d'elles, et par l'espèce de tremblement 
qu'elles communiquent aux flots qui les 
environnent. Presque aucun habitant des 
mers, si on excepte les baleines, les autres 
célacés , et quelques pleuronectes , ne pré- 
sente en effet-un corps aussi long , aussi 
large et aussi aplati, une surface aussi plane 
et aussi étendue. Tenant toujours déployées 
leurs nageoires pectorales, que l’on a com- 
parées à de grandes ailes, se dirigeant au 
milieu des eaux par le moyen d’une queue 
très - longue , très- déliée et très - mobile, 
poursuivant avec promptilude les poissons 
qu’elles recherchent, et fendant les eaux 
pour tomber à l’improviste sur les animaux 
qu’elles sont près d'atteindre , comme l'oiseau 
de proie se précipite du haut des airs ; il n’est 
pas surprenant qu’elles aient été assinilées, 
dans le moment où elles cinglent avec vilesse 

; 


86 HISTOIRE 


près de la surface de l'Océan, à un très- 
grand oiseau, à un aigle puissant , qui, les 
ailes étendues, parcourt rapidement les di- 
verses régions de l'atmosphère. Les plus forts 
et les plus grands de presque tous les pois- 
sons, comme l'aigle est le plus grand et le 
plus fort des oiseaux ; ne paroissant, en 
chassant les animaux marins plus foibles 
qu’elles, que céder à une nécessité impé- 
rieuse et au besoin de nourrir un corps vo- 
lumineux ; n’imimolant pas de victimes à 
une cruauté inutile ; douées d’ailleurs d’un 
instinct supérieur à celui des autres poissons 
osseux ou carlilasineux , les raies sont en 
effet les aigles de la mer ; l'Océan est leur 
domaine comme l'air est celui de laigle ; 
et de même que l'aigle, s'élançant dans les 
profondeurs de l’aimosphère , va chercher, 
sur des rochers déserts et sur des cîimes 
escarpées, le repos après la victoire, et la 
jouissance non troublée des fruits d’une 
chasse laborieuse ; elles se plongent, après 
leurs courses et leurs combats, dans un des 
abimes de la mer, et trouvent dans cette 
retraite écartée un asile sûr et la tranquille 
possession de leurs conquêtes. 

il n'est donc pas surprenant que, dès le 
siècle d'Aristote, une espèce de raie ait reçu 


DES RAIES. 87 


Je nom d’aigle marine, que nous lui avons 
conservé. Mais, avant de nous occuper de 
celte espèce, examinons de près la batis, 
lune des plus grandes, des plus répandues 
et des plus connues des raies, et que l’ordre 
que nous avons cru devoir adopter nous 
offre la première. 

L'ensemble du corps de la batis présente 
un peu la forme d’une losange. La pointe 
du museau est placée à l’angle antérieur ; 
les rayons les plus longs de chaque nageoire 
pectorale occupent les deux angles latéraux , 
et l’origine de la queue se trouve au sommet 
de l’angie de derrière. Quoique cet ensemble 
soit très-aplati, on distingue cependant un 
léger renflement tant dans le côté supérieur 
que dans le côté inférieur , qui trace, pour 
ainsi dire, le contour du corps proprement 
dit, c’est-à-dire, des trois cavités de la tête, 
de la poitrine et du ventre. Ces trois cavités 
réunies n’occupent que le milieu de la lo- 
sange, depuis l'angle antérieur jusqu’à celui 
de derrière , et laissent de chaque côté une 
espèce de triangle moins épais, qui compose 
une des nageoires pectorales. La surface de 
ces deux nageoires pectorales est plus grande 
que celle du corps proprement dit, ou des 
irois cavités principales; et quoiqu’elles soient 

F 4 


85 HISTOIRE 

recouvertes d’une peau épaisse , on peut 
cependant distinguer facilement, et nee 
compter avec précision, sur-tout vers angle 
Jatéral de ces larges parties, un grand nombre 
de ces rayons cartilagineux , composés et 
articulés, dont nous avons exposé la con- 
texture (1). Ces rayons partent du corps de 
Vanimal, s'étendent , en divergeant un peu, 
jusqu’au bord des nageoires ; et les diffé- 
rentes personnes qui ont mangé de la raie 
batis, et qui ont dù voir et mamier ces longs 
rayons, ne seront pas peu étonnées d'ap- 
prendre qu’ils ont échappé à l'observation 
de quelques naturalistes, qui ont pensé, en 
conséquence, qu'il n’y avoit pas de rayons 
dans les nageoires pectorales de la batis. 
Aristote lui-même, qui cependant a bien 
connu et très-bien exposé les principales 
habitudes des raies (2), ne croyant pas que 
les côtés de la batis renfermassent des rayons, 
ou ne considérant pas ces rayons comme des 
caractères distinctifs des nageoires, a écrit 
qu'elle n’avoit point de nageoires pectorales, 


(1) Discours sur la nature des poissons. 
(2) Aristot. Hist. anim. lib. 2, c. 15. — Lib.5, 


C4 et5. — Lib.6, cap. 10 et 11. — De generation 
animal, lib, 5 , cap. 7 et 11. 


DESIRAÏTES. 8g 
et qu'elle voguoit en agitant les parties la- 
térales de son corps (1). 

La tête de la batis, terminée par un museau 
un peu pointu, est d’ailleurs engagée par 
derrière dans la cavité de la poitrine. L’ou- 
verture de la bouche, placée dans la partie 
inférieure de la tête, et même à une dis- 
tance assez grande de l'extrémité du mu- 
seau , est alongée et transversale, et ses 
bords sont cartilagineux et garnis de plu- 
sieurs rangs de dents très-aiguës et crochues. 
La langue est très - courte, large, et sans 
aspérités. 

Les narines, placées au devant de la 
bouche , sont situées également sur la partie 
inférieure de la tête. T’ouverture de cet 
organe peut être élargie ou rétrécie à la 
volonté de lanimal, qui d’ailleurs, après 
avoir dinunué le diamètre de cette ouver- 
ture, peut la fermer en totalité par une 
membrane particulière attachée au côté de 
lorifice le plus voisin du milieu du museau, 
et laquelle s'étendant avec facilité jusqu’au 
bord opposé, et s’y collant, pour ainsi dire, 
peut faire Poffice d’une sorte de soupape , 
et empêcher que l’eau chargée des émana- 


(a) Aristot. Hist. nat. lib. 1, c. 5, 


go HISTOIRE 


tions odorantes ue parvientie jusqu'à un 
organe très-délicat dans les momens où la 
batis n’a pas besoin d’être avertie de la pré- 
sence des objets extérieurs, et dans ceux où 
son système nerveux seroit douloureusement 
affecté par une action trop vive et trop 
constante. Le sens de l’odorat étant, s Fon 
peut parler ainsi, le sens de la vue des 
poissons, et particulièrement de la batis (1), 
cette sorte de paupière leur est nécessaire 
pour soustraire un organe très-sensible à Îa 
fatigue ainsi qu’à la destruction, et pour se 
livrer au sommeil, de même que l’homme 
et les quadrupèdes ne pourroient, sans Îa 
véritable paupière qu'ils étendent souvent 
au devant de leurs yeux, ni éviler des veilles 
trop longues et trop multiphées, nm con- 
server dans toute sa perfection et sa délica- 
iesse celui de leurs organes dans lequel 
s'opère la vision, 

Au reste, nous avons déja exposé la con- 
formation de l'organe de lodorat dans les 
poissons , non seulement dans les osseux, 
mais encore dans les cartilagineux, et parti- 
culièrement dans les raies (2). Nous avons 


(1) Discours sur la naiure des poissons, 
(2) 1dem. 


ES M AM ESS. 9L 
vu que, dans ces derniers animaux, l’inté- 
rieur de cet organe éloit composé de plis 
membraneux et disposés transversalement 
des deux côtés d’une sorte de cloison. Ces 
plis ou membranes aplatis sont garnis, dans 
la batis et dans presque toutes les espèces 
de raies, d’autres membranes plus petites 
qui les font paroître comme frangés. Ils sont 
d’ailleurs plus hauts que dans presque tous 
les poissons connus, exceplé les squalles; et 
comme la cavité qui renferme ces mem- 
branes plus grandes et plus nombreuses , 
ces surfaces plus larges et plus multipliées, 
ést aussi plus étendue que les cavités ana- 
logues dans la plupart des autres poissons os- 
seux et cartilagineux, il n’est pas surprenant 
que presque toutes les raies, et particulie- 
rement la batis, aient le sens de l’odorat 
bien plus parfait que celui du plus grand 
nombre des habitans des mers ; et voilà 
pourquoi elles accourent de très-loin, ou 
remontent de très - grandes profondeurs, 
pour dévorer les animaux dont elles sont 
avides. + 

L'on se souviendra sans peine de ce que 
nous avons déjà dit de la forme de Foreille 
dans les -poissons, et particulièrement dans 


92 EL IT © ERYE 
les raies (1). Nous n'avons pas besoin de | 
répéter ici que les cartilagineux, et parti- 
culièrement la batis, éprouvent la véritable 
sensation de l’ouïe dans trois petits sacs qui 
contiennent de petites pierres où une ma- 
tière crétacée, et qui font partie de leur 
oreille intérieure, ainsi que dans les am- | 
poules ou renflemens de trois canaux presque: | 
circulaires et membraneux , qui y repré- 
sentent les trois canaux de l’oreille de l’homme 
appelés canaux demi-circulaires. C’est dans 
ces diverses portions de l'organe de louie 
que s’épanouit le rameau de la cinquième 
paire de nerfs, qui, dans les poissons , est 
le vrai nerf acoustique; et ces trois canaux 
membraneux sont renfermés en partie dans 
d’autres canaux presque circulaires, comme 
les premiers, mais cartilagineux, et pouvant 
mettre à l'abri de plusieurs accidens les ca- 
naux bien plus mous autour des ampoules 
desquels on voit s'épanouir le nerf acous- 
tique. | | 

Les yeux sont situés sur la parlie supé- 
rieure de la tête, et à peu près à la même 
distance du museau que l’ouverture de Ja 


(1) Discours sur la nature des poissons. 


DES RAIES. 95 


bouche. Ils sont à demi-saillans, et garantis 
en partie par une continuation de la peau 
qui recouvre la tête, et qui, s'étendant au 
dessus du globe de l'œil, forme comme une 
sorte de petit toit, et Ôteroit aux balis la 
facilité de voir les objets placés verticale- 
ment au dessus d'elles, si elle n’étoit souple 
et un peu rétractile vers le milieu du crâne, 
C’est cette peau, que l’animal peut déployer 
ou resserrer, et qui a quelques rapports avec 
la paupière supérieure de l’homme et des 
quadrupèdes , que quelques auteurs ont ap- 
pelée paupière, et que d’autres ont comparée 
à la membrane clignotante des oiseaux. 
Immédiatement derrière les yeux , mais 
un peu plus vers les bords de la tête, sont 
deux trous ou évents qui communiquent 
avec l’intérieur de la bouche. Et comme 
ces trous sont assez grands , que les tuyaux 
dont ils sont les orifices sont larges et très- 
courts, et qu'ils correspondent à peu près 
à l’ouverture de la bouche, il n’est pas sur- 
prenant que lorsqu'on tient une raie batis 
dans une certaine position, et par exemple 
contre le jour, on apercoive, même d’un 
peu loin, et au travers de l'ouverture de la 
bouche et des évents, les objets placés au 
delà de l'animal, qui paroît alors avoir recu 


94 H'ES:TOIRE 
deux grandes blessures, et avoir élé percé 
d’un bord à l’autre. 

Ces trous, que l'animal a la faculté d'ouvrir 
ou de fermer par le moyen d’une membrane 
très-extensible, que Fon peut comparer à 
une paupière, ou, pour mieux dire, à une 
sorte de soupape, servent à la batis au même 
usage que lévent de la lamproie. C’est par 
ces deux orifices que cette raie admet ou 
rejette l’eau nécessaire ou suraboudante à 


ses organes respiratoires, lorsqu'elle ne veut 


pas employer l'ouverture de sa bouche pour 
‘porter l’eau de la mer dans ses branches, 
ou pour l'en retirer. Mais, comme la batis, 
non plus que les autres raies, n’a pas l’ha- 
bitude de s'attacher avec la bouche aux 
rochers, aux bois, n1 à d’autres corps durs, 
il faut chercher pourquoi ces deux évents 
supérieurs, que l’on retrouve danses squalles, 
mais que l’on n’aperçoit d’ailleurs dans aucun 
genre de poissons, paroissent nécessaires aux 
promptes el fréquentes aspirations et expi- 
ralions aqueuses sans lesquelles les raies 
cesseroient de vivre. 

Nous allons voir que les ouvertures des 
branchies des raies sont situées dans le côté 
inférieur de leur corps. Ne pourroit-on pas, 
en conséquence, supposer que le séjour assez 


DES RATES. 95 
long que font les raies dans le fond des mers, 
où elles tiennent la parte inférieure de leur 
corps appliquée contre le Himon ou le sable, 
doit les exposer à avoir, pendant une grande 
partie de leur vie, ouverture de leur bouche 
ou celles du siège de la respiration collées en 
quelque sorte contre la vase, de manière 
que l’eau de la mer ne puisse y parvenir ou 
en jaillir qu'avec peme, et que si celles de 
ces ouvertures qui peuvent être alors obs- 
truées n’étoient pas suppléées par les évents 
placés dans le côté supérieur des raies, ces 
animaux ne pourroient pas faire arriver 
Jusqu'à leurs organes respiratoires l’eau dont 
ces organes doivent être périodiquement 
abreuvés ? 

Ce siège de la respiration, auquel les 
évents servent à apporter ou à ôter l’eau 
de la mer, consiste, de chaque côté, dans 
une cavité assez grande qui communique 
avec celle du palais, ou, pour mieux dire, 
qui fait partie de cette dernière, et qui 
s'ouvre à l'extérieur, dans le côté inférieur 
du corps, par cinq trous ou fentes trans- 
versales que l'animal peut fermer et ouvrir 
en étendant ou retirant les membranes qui 
revêtent les bords de ces fentes. Ces cinq 
ouvertures sont situées au delà de celle de 


<= 


06 HISTOIRE 

la bouche , et disposées sur une ligne un 
peu courbe, dont la convexité est tournée 
vers le côté extérieur du corps; de telle 
sorte que ces deux rangées, dont chacune 
est de cinq fentes, représentent, avec les- 
pace qu’elles renferment au dessous de {a 
tête, du cou et d’une portion de la poitrine 
de l'animal , une sorte de disque ou de 
plastron un peu ovale. 

Dans chacune de ces cavités lalérales de 
la batis sont les branchies proprement dites, 
composées de cinq cartilages un peu courbés 
et garnis de membranes plates très-minces, 
très - nombreuses , appliquées l’une contre 
l'autre, et que l’ona comparées à des feuillets; 
lon compte deux rangs de ces feuillets ou 
membranes très-minces et très-aplaties sur 
le bord convexe des quatre premiers carti- 
lages ou branchies, et un seul rang sur le 
cinquième ou dernier. 

Nous avons déjà vu (1) que ces mem- 
branes très - minces contiennent une très- 
ghande quantité de ramifications des vais- 
seaux sanguins quiaboutissentaux branchies, 
soit que ces vaisseaux composent les der- 


(1) Discours sur la nature des poissons. 


nières 


DES RAÏIES. 97 
nières extrémités de l'artère branchiale, qui 
se divise en autant de rameaux qu’il y a de 
branchies, el apporte dans ces organes de 
la respiration le sang qui a déjà circulé dans 
tout le corps, et dont les principes ont be- 
soin d’être purifiés et renouvelés; soit que 
ces mêmes vaisseaux soient l’origine de ceux 
qui se répandent dans toutes les parties du 
poisson, et y distribuent un sang dont les 
élémens ont recu une nouvelle vie. Ces 
Vaisseaux SaHguins, qui ne sont composés, 
dans les membranes des branchies, que de 
parois Lrès-minces et facilement perméables 
à divers fluides, peuvent exercer, ainsi que : 
nous l'avons exposé, une action d’autant 
plus grande sur le fluide qui les arrose, que 
la surface présentée par les feuillets des 
branchies, et sur laquelle ils sont dissémines, 
est très- grande dans tous les poissons , -à 
proportion de l'étendue de leur corps. En 
effet, les raies ne sont pas les poissons dans 
lesquels les membranes branchiales offrent 
la plus grande division , ni par conséquent 
le plus grand développement; et cependant 
mn très - habile anatomiste , le professeur 
Monro d’Edimbourg, a trouvé que la sur- 
face de ces feuillets, dans une raie batis de 
grandeur médiocre, étoit égale à celle du 


Poiss. Tome III. G 


98 HISTOIRÉ 


corps humain. Au reste, la partie extérieure 
de ces branchies, ou, pour mieux dire, des 
feuillets qui les composent, au lieu d’être 
isolée relativement à la peau, ou au bord 
de la cavité qui l’avoisine , comme le sont 
les branchies du plus grand nombre de pois- 
sons, et particulièrement des osseux, est 
assujeltie à cetie même peau ou à ce même 
bord par une membrane très-mince. Mais 
celte membrane est trop déliée pour nuire 
à la respiration , et peut tout au plus en 
modifier les opérations d’une manière ana- 
logue aux habitudes de la bals. 

Cette raie a deux nageoires ventrales pla- 
cées à la suite des nageoires pectorales, 
auprès et de chaque côté de l’anus, que deux 
autres nageoires , auxquelles nous donnerons 
le nom de nageoires de l'anus, touchent de 
plus près, et entourent pour ainsi dire. Il 
en est même environné de manière à pa- 
roître situé, en quelque sorle, au milieu 
d’une seule nageoire qu'il auroit divisée en 
deux par sa position, et que plusieurs na- 
turalistes ont nommée en effet, au singulier, 
nageoire de l’anus. Mais ces nageoires, tant 
de l’anus que ventrales , au lieu d’être situées 
perpendiculairement ou très-obliquement , 
comme dans la plupart des poissons, ont 


DES RAIES. où 


une situation presque entièrement horison- 
tale, et semblant être, à certains égards, 
une continuation des nageoires pectorales , 
servent à terminer 1 forme de losange très- 
aplatie que présente l’ensemble du corps de 
la batis. 

De plus, la nageoire ventrale et celle de 
l'anus, que l’on voit de chaque côté du corps, 
ne sont pas véritablement distinctes l’une de 
l’autre. On reconnoît, au moins le plus sou- 
vent, en les étendant, qu’elles ne sont que 
deux parties d’une même nageoire, que la 
même membrane les revêt, et que la gran- 
deur des rayons, plus longs communément 
dans la portion que l’on a nommée ventrale, 
peut seule faire connoître où commence une 
portion et où finit l’autre. On devroit donc, 
à la rigueur , ne pas suivre lusage adopté 
par les naturalistes qui ont écrit sur les raies , 
et dire que la batis n’a pas de nageoires de 
l'anus , mais deux longues nageoires ventrales 
qui environnent l'anus par “ extrémités 
postérieures. 

Entre la queue et ces nageoires ventrales 
et de l'anus, on voit dans les mâles des batis, 
et de chaque côté du corps, une fausse na- 
geoire , ou plulôt une longue appendice, dont 
nous devons particulièrement au professeur 

G 2 


100 EI S T0 PÉE 

Bloch, de Berlin, de connoître organisation 
précise et le véritable usage (1). Les nageoires 
venirales et de l'anus, quoique beaucoup 
plus étroites et moins longues que les pec- 
torales, sont cependant formées de même 
de véritables rayons cartilagineux , com- 
posés , articulés, ramifiés, communément 
au nombre de six, et recouverts par la 
peau qui revêt le reste du corps. Mais les 
appendices dont nous venons de parler ne 
contiennent aucun rayon. Filles renferment 
plusieurs petits os ou cartilages : chacune de 
ces appendices en présente onze dans son 
intérieur, disposés sur plusieurs rangs. D’a- 
bord quatre de ces parties cartilagineuses 
sont attachées à un grand caïrlilage trans- 
versal, dont les extrémités soutiennent les 
nageoires ventrales, et qui est analogue, 
par sa positionet: par ses usages , aux os 
nommés os du bassin dans l’homme et dans 
les quadrupèdes.: À Ja suite de ces quatre 
cartilages, on-en:voit deux autres dans l’in- 
térieur de l’appendice; et à ces deux en 
succèdent cinq autres de diverses formes. 
L'appendice contient d’ailleurs, dans son 
côté extérieur ; ‘un canal ouvert à son 
ne 


* (4) Bloéh, Histoire naturelle des poissons. 


DES RAITES. 101 
extrémité postérieure, ainsi que vers som 
extrémité antérieure , et qui est destiné à 
transmettre une liqueur blanche et gluante, 
filtrée par deux glandes que peuvent com- 
primer les muscles des nageoires de l'anus. 
L'appendice peut êtrefléchie par l’action d’un 
muscle qui, en le courbant, le rend propre 
à faire l’oflice d’un crochet ; et lorsque la 
batis veut cesser de s’en servir, 1l se rétablit 
par une suite de l’élasticité des onze carti- 
lages qu’il renferme. Lorsqu'il est dans son 
état naturel, la liqueur blanche et gluti- 
neuse s'échappe par l’ouverture antérieure; 
mais , lorsqu'il est courbé, cet orifice supé- 
rieur se trouve fermé par le muscle fléchis- 
seur, et la liqueur gluante parcourt toute 
la cavité du canal, sort par le trou de l’ex- 
trémilé postérieure, et, arrosant la partie 
ou le corps sur lequel s'attache le bout de 
cette espèce de crochet, prévient les incon- 
véniens d’une pression trop forte. 

La position de ces deux appendices que 
les mâles seuls présentent , leur forme, leur 
organisation intérieure , la liqueur qu, 
suinte par le canal que chacune de ces ap- 
pendices renferme, pourroient faire par- 
tager l'opinion que Linnæus à eue pendant 
quelque tems, et l’on pourroit croire qu'ils 

C3 


102 HArTS TO rRE 


composent les parties génitales du mâle! 
Mais, pour peu que l'on examine les parties 
intérieures des batis, on verra qu'il est même 
superflu de réfuter ce sentiment. Ces appen- 
dices ne sont cependant pas inutiles à l’acte 
de la génération ; elles servent au mâle à 
retenir sa femelle, et à se tenir pendant un 
tems plus ou moins long assez près d'elle 
pour que la fécondation des œufs puisse 
avoir lieu de la manière que nous expose- 
rons avant de terminer cet article. 

Entre les deux appendices que nous ve- 
nons de décrire, ou , pour nous expliquer 
d'une manière apolicable aux femelles aussi 
bien qu'aux mâles, entre les deux nageoires 
de l'anus, commence la queue, qui s'étend 
ordinairement jusqu’à une longueur égale à 
celle du corps et de la tête. Elle est d’ailleurs 
presque ronde, très-déliée , très-mobile , et 
terminée par une pointe qui paroît d'autant 
plus fine, que la batis n’a point de nageoire 
caudale (1) comme quelques autres raies, 
et n'en présente par conséquent aucune au 
bout de cette pointe. Mais vers la fin de la 
queue, et sur sa partie supérieure , on voit 
deux petites nageoires très -séparées lune 
AE 5 ns Da oi 7 yen a lee 


(1) Discours sur La nature des poissons. 


DES RAIES. 103 
de l’autre, et qui doivent être regardées 
comme deux véritables nageoires dorsales(1), 
quoiqu'elles ne soient pas situées au dessus 
du corps proprement dit. 

La batis remue avec force et avec vitesse 
cette queue longue, souple et menue , qui 
peut se fléchir et se contourner en différens 
sens. Elle l’agite comme une sorte de fouet, 
non seulement lorsqu'elle se défend contre 
ses ennemis, mais encore lorsqu'elle attaque 
sa proie. Elle s’en sert particulièrement 
lorsqu’en embuscade dans le fond de la mer, 
cachée presque entièrement dans le limon, 
et voyant passer autour d’elle les animaux 
dont elle cherche à se nourrir, elle ne veut 
ni changer sa position, ni se débarrasser de 
la vase ou des algues qui la couvrent, ni 
quitter sa retraite et se livrer à des mouve- 
mens qui pourroient n'être pas assez prompis, 
sur-tout lorsqu'elle veut diriger ses armes 
contre les poissons les plus agiles. Elle em- 
ploie alors sa queue; et, la fléchissant avec 
promptitude , elle atteint sa victime et la 
frappe souvent à mort. Elle lui fait du moins 
des blessures d'autant plus dangereuses, que 


(:) Discours sur la nature des poissons. 


G 4 


104 HISTOIRE 


cette queue , mue par des muscles puissans ; 
présente de chaque côté et auprès de sa 
racine un piquant droit et fort, et que 
d’ailleurs elle est garnie dans sa partie su- 
périeure d’une rangée d’'aiguillons erochus. 
Chacun de ces aiguillons, qui sont assez 
grands, est attaché à une pelite plaque car- 
tilagineuse, arrondie, ordinairement con- 
cave du côté du crochet , et un peu convexe 
de lauire, et qui, placée au dessous de Îa 
peau, est maintenue par ce tégument et 
retient l’aiguillon. Au reste l’on voit autour 
des yeux plusieurs aiguillons de même forme, 
mais beaucoup plus petits. 

La peau qui revêt et la tête et le corps, 
et la queue , est forte, tenace, et enduite 
d’une humeur gluante qui en entretient la 
souplesse et la rend propre à résister sans 
altération aux attaques des ennemis des raies, 
et aux effets du fluide au milieu duquel: 
vivent les balis. Ce suc visqueux est fourni 
par des canaux placés assez près des tégu- 
mens, et distribués sur chaque côté du corps 
et sur-lout de la tête. Ces canaux s'ouvrent 
à la surface par des trous plus ou moins 
sensibles, et l'on en peut trouver une des- 
cription très-détaillée et très-bien faite dans 


MES RATES. 105 


le bel ouvrage du professeur Monro sur les 
poissons (1). 

La couleur générale de la batis est, sur 
le côté supérieur, d’un gris cendré, semé 
de taches noirâtres, sinueuses, irrégulières, 
les unes grandes , les autres petites, et toutes 
d’une teinte plus ou moins faible: le côté 
inférieur est blanc , et présente plusieurs 
rangées de points noirâtres. 

Les batis, ainsi que toutes les raies , ont 
en général leurs muscles beaucoup plus 
puissans que ceux des autres poissons (2); 
c’est sur-toul dans la partie antérieure de 
leur corps que l’on peut observer cette su- 
périorilté de forces musculaires, et voilà 
pourquoi elles ont la faculté d'imprimer à 
leur museau différens mouvemens exécutés 
souvent avec beaucoup de promptitude. 


(r}rPasioh; plivi et vie 

(2) Voyez, dans le tome septième des Mémoires 
des savans étrangers , présentés à l’académie des 
sciences de Paris, ceux de Vicq-d’Azyr, qu’une 
mort prématurée a enlevé à l’anatomie et à l’histoire 
naturelle , pour ia gloire et les progrès desquelles il 
avoit commencé un des plus vastes monumens que 
l'esprit humain eût encore conçus, et à la mémoire 
duquel j'aime à rendre un hommage public destime 
et de regrets. 


106 HISTOIRE 

Mais non seulement le museau de la batis 
est plus mobile que celui de plusieurs pois- 
sons osseux ou cartilagineux, il est encore 
le siège d’un sentiment assez délicat. Nous 
- avons vu que, dans les poissons , un rameau 
de la cinquième paire de nerfs étoit le vé- 
ritable nerf acoustique. Une petite branche 
de ce rameau pénètre de chaque côté dans 
l'intérieur de la narine , et s'étend ensuite 
jusqu’à l'extrémité du museau (1), qui, 
dés-lors, doué d’un plus grande sensibilité , 
et-pouvant d’ailleurs, par sa mobilité , s’ap- 
pliquer , plus facilement que d’autres mem- 
bres de la batis, à la surface des corps dont 
elle s'approche , doit être pour cet animal 
un des principaux sièges du sens du toucher. 
Aussi , lorsque les batis veulent reconnoître 
les objets avec plus de certitude, et s'assurer 
de leur nature avec plus ce précision, en 
approchent-elles leur museau , non seule- 
ment parce que sa partie inférieure contient 
l'organe de l’odorat , mais encore parce 
qu’il est l’un des principaux et peut - être 
le plus actif des organes du toucher. 

Cependant une considération d’une plus 


(1) Consultez l'ouvrage de Scarpa sur les sens des 
animaux , et particulièrement sur ceux des poissons. 


DES RAIES. 107 


haute importance et d’une bien plus grande 
étendue dans ses conséquences se présente 
ici à notre réflexion. Ce toucher plus par- 
fait, dont la sensation est produite dans la 
batis par une petite branche de la cinquième 
paire de nerfs; cinquième paire dont, à la 
verité , un rameau est le nerf acoustique 
des poissons, mais qui, dans l'homme et 
dans les quadrupèdes, est destinée à s’épa- 
nouir dans le siège du goût , ne pourroit-il 
pas être regardé par ceux qui savent dis- 
tinguer la véritable nature des objets d'avec 
leurs accessoires accidentels ; ne pourroit:l 
pas, dis-je, être considéré comme une espèce 
de supplément au sens du goût de la batis? 
Quoi qu’il en soit de cette conjecture, l’on peut 
voir évidemment que la partie antérieure 
de la tête de la batis, non seulement présente 
l'organe de l’ouïe, celui de lodorat, et un 
des sièges principaux de celui du toucher, 
‘mais encore nous montre ces trois organes 
intimement liés par ces rameaux du nerf 
acoustique, qui parviennent jusques dans 
les narines , et vont ensuite être un siège 
de sensations délicates à l’extrémité du mu- 
seau. Ne résulte-t-il pas de cette distribution 
du nerf acoustique , que non seulement les 
trois sens de l’ouie, de lodorat, et du 


108 HISTOIRE 


toucher, très-rapprochés par une sorte dé 
juxtaposition dans la partie antérieure de 
la tête, peuvent être facilement ébranlés 
à la fois par la présence d’un objet exté- 
rieur dout ils doivent dès -lors donner à 
Vanimal une sensation générale bien plus 
étendue , bien plus vive et bien plus dis- 
tincte, mais encore que, réunis par les ra- 
meaux de la cinquième paire qui vont de 
Fun à l’autre, et les enchainent ainsi par 
des cordes sensibles , ils doivent recevoir 
souvent un mouvement indirect d’un objet 
qui , sans celle communication nerveuse , 
p’auroit agi que sur un ou deux des trois 
sens , et teuir de cette commotion intérieure 
la faculté de transmettre à la batis un sen- 
timent plus fort, et même de céder à des 
impressions extérieures dont Fleffet auroit 
été nul sans cette espèce d’agitation interne 
due au rameau du nerf acoustique ? Main- 
tenant , si l’on rappelle les réflexions pro- 
fondes et philosophiques faites par Buffon 
dans l’histoire de l'éléphant, au sujet de la 
réunion d’un odorat exquis et d’un toucher 
délicat à extrémité de ia trompe de ce grand 
animal , trés-digne d’atiention par la supé- 
riorité de son instinct ; si l’on se souvient 
des raisons qu’il a exposées pour établir un 


DES RATES. 109. 
rapport uécessaire entre lintelligence de 
Véléphant et la proximité de ses organes du 
toucher et de lodorat, ne devra-t-on pas 
penser que la balis et les autres raies, qui 
présentent assez près l’un de l’autre non 
seulement les sièges de l’odorat et du tou- 
cher, mais encore celui de l’ouïe, et dont 
un rameau de nerfs lie et réunit intime- 
ment tous ces organes, doivent avoir un 
änslinct très-remarquable dans la classe des 
poissons ? De plus, nous venons de voir 
que l’odorat de la batis, ainsi que des autres 
raies , étoit bien plus actif que celui de la 
plupart des habitans de la mer; nous savons, 
d’un autre côté (1), que le sens le plus dé- 
licat des poissons , et celui qui doit influer 
avec le plus de force et de constance sur 
leurs affections , ainsi que sur leurs habi- 
tudes, est celui de l’odorat; et nous devons 
conclure de cette dernière vérité, que le 
poisson dans lequel l'organe de lodorat est 
le plus sensible , doit, tout égal d’ailleurs, 
présenter le plus grand nombre de traits 
d’une sorte d'intelligence. En réunissant 
toutes ces vues, on croia donc devoir attri- 
buer à la batis, et aux autres raies con- 


(1) Discours sur la nature des poissons, 


110 FAN SAELO EL RNE 


formées de même, une assez grande supé- 
riorité d’instinct ; et en effet , toutes ces 
observations prouvent qu’elles lemportent 
par les procédés de leur chasse , l’habileté 
dans la fuite, la finesse dans les embuscades, 
la vivacité dans plusieurs affections , et une 
sorte d'adresse dans d’autres habitudes, sur 
presque toutes les espèces connues de pois- 
sons et particulièrement de poissons osseux. 

Mais continuons l'examen des différentes 
portions du corps de la batis. 

Les parties solides que l’on trouve dans 
l'intérieur du corps, et qui en forment 
comme la charpente, ne sont m1 en très- 
grand nombre, ni très-diversifiées dans leur 
conformation. 

Elles consistent premiérement dans une 
suite de vertèbres cartilagineuses qui s'étend 
depuis le derrière de la tête jusqu'à l’extré- 
mité de la queue. Ces vertèbres sont cylin- 
driques, concaves à un bout, convexes à 
l'autre, emboitées l’une dans l’autre, et 
cependant mobiles, et d'ailleurs flexibles 
ainsi qu'élastiques par leur nature, de telle 
sorte qu'elles se prêtent avec facilité, sur- 
tout dans la queue, aux divers mouvemens 
que l'animal veut exécuter. Ces vertébres 
sont garnies d’éminences ou. apophyses 


DES RAIES. “an 


supérieures et latérales, assez serrées contre 
les apophyses analogues des vertèbres voi- 
sines. Comme c’est dans l’intérieur des bases 
des apophyses supérieures qu'est située la 
moëlle épinière , elle est garantie de beau- 
coup de blessures dans des éminences carii- 
lagineuses ainsi pressées l’une contre l’autre ; 
et voilà une des causes qui rendent la vie 
de la batis plus indépendante d’un grand 
nombre d’accidens que celle de plusieurs 
autres espèces de poissons. 

On voit aussi un diaphragme carlilagi- 
neux, fort, et présentant quatre bianches 
courbées, deux vers la partie antérieure du 
corps, et deux vers la postérieure. De ces 
deux arcs ou demi-cercles, lun embrasse 
et défend une partie de la poitrine, l’autre 
enveloppe et maintient une portion du 
ventre de la batis. 

On découvre enfin dans l'intérieur du 
corps un cartilage transversal assez gros, 
placé en decà et très-près de l'anus, et qui, 
servant à maintenir la cavité du bas-ventre, 
ainsi qu'a retenir les nageoires ventrales , 
doit être, à cause de sa position et de ses 
usages, comparé aux os du bassin de l’homme 
et des quadrupèdes. Ce qui ajoute à cette 
analogie, c’est qu’on trouve de chaque côté, 


112 HISTOIRE 
et à l'extrémité de ce grand cartilage trans- 
versal, un cartilage assez long et assez gros, 
articulé par un bout avec le premier, et 
par l'autre bout avec un lroisième cartilage 
moins long et moins gros que le second. 
Ces second et troisième cartilages font partie 
de la nageoire ventrale, de cette nageoire 
que lon regarde comme faisant lPoflice 
d’un des pieds du poisson. Attachés Fun au 
bout de l'autre, ils forment, dans cette 
disposition , le premier et le plus long des 
rayons de la nageoire : mais ils ne présentent 
pas la contexture que nous avons reinar- 
quée dans les vrais rayons carlilagineux ; 
ils ne se divisent pas en rameaux; ils ne 
sont pas composés de petits cylindres placés 
{es uns au dessus des autres : ils sont de 
véritables cartilages ; et ce qui me paroïit 
très-digne d'attention dans ceux des poissons 
qui se rapprochent le plus des quadrupèdes 
ovipares, et particulièrement des tortues, 
on pourroit à la rigueur, et sur-tout en 
considérant la manière dont ils s’inchinent 
l’an sur l’autre, trouver d'assez grands rap- 
ports entre ces deux cartilages et le fémur 
et le tibia de l’homme et des quadru- 
pèdes vivipares. 
L’estomac est long, large et plissé: le 
canal 


DE $ “RAI TS. 113 


“canal intestinal court et arqué. Le foie, 
gros et divisé en trois lobes, fournit une 
huile blanche et fine; il y a une sorte de 
pancréas et une rate rougeûtre. Cette réu- 
nion d'une rate, d’un pancréas et d’un foie 
huileux et volumineux est une nouvelle 
preuve de lexistence de cette vertu très- 
dissolvante que nous avons reconnue dans 
les différens sucs digestifs des poissons; vertu 
très-active, utile à plusieurs de ces animaux 
pour corriger les effets de la briéveté du 
canal alimentaire, et nécessaire à tous pour 
compenser les suites de la température or- 
dinaire de leur sang, dont la chaleur natu- 
relle est très-peu élevée. 

Le corps de la batis renferme trois ca- 
vités ,que nous retrouverons en tout ou en 
parlie dans un assez grand nombre de pois- 
sons, et que nous devons observer un mo- 
ment avec quelque attention. l’une est 
située dans la partie antérieure du crâne, 
au devant du cerveau; la seconde est con- 
tenue dans le péricarde, et la troisième 
occupe les deux côtés de laodomen. Cette 
dernière cavité communique à lextérieur 
‘par deux trous placés l’un à droite et l’autre 
à gauche vers l’extrémité du reclum; et 


5 Poiss. Tome IIL.:'": : H 


114 HI SAT Oo RE 


ces trous sont fermés par une espèce de 
valvule que l’animal fait jouer à volonté. 
On trouve ordinairement dans ces cavités, 
et particulièrement dans la troisième, une 
eau salée, mais qui renferme le plus souvent 
beaucoup moins de sel marin ou de muriate 
de soude que l'eau de la mer n’en tient 
communément en dissolution. Cette eau 
salée, qui remplit la cavité de Pabdomen, 
peut être produite dans plusieurs circons- 
tances par l’eau de la mer, qui pénètre par 
les trous à valvule dont nous venons de 
parler, et qui se mêle dans la cavité avec 
une liqueur. moins chargée de sel, filtrée 
par les organes et Îles vaisseaux que le 
ventre renferme. Nous pouvons aussi con- 
sidérer cette eau que lon observe dans la 
cavité de l'abdomen, ainsi que celle que 
présentent les cavités du crâne et du péri- 
carde, comme de l’eau de mer, transmise 
au travers des enveloppes des organes et 
des vaisseaux voisins, ou de la peau et des 
muscles de l'animal, et qui a perdu dans ce 
passage au milieu de ces sortes de cribles, 
et par une suite des affinités auxauelles elle 
peut avoir été sounuse, une parlie du sel 
qu'elle tenoit en dissolution. il est aisé de 
voir que cette eau, à demi- dessalée au 


DES RATES. - 115 
moment où elle parvient à lune des trois 
cavités, peut ensuite $e répandre dans les 
vaisseaux et les organes qui lavoisinent, 
en suintant, pour ainsi dire, par les petits 
pores dont sont criblées les membranes qui 
composent ces organes el ces vaisseaux ; MAIS 
voilà tout ce que l’état actuel des observa- 
tions faites sur les raies, et particulièrement 
sur la batis, nous permet de conjecturer 
relativement à l’usage de ces trois cavités 
de l'abdomen, du péricarde et du crâne, et 
de cette eau un peu salée qui imprègne 
presque tout l’intérieur des poissons marins 
dont nous nous occupons, de même que 
l'air pénètre dans presque toutes les parties 
des oiseaux dont latmosphère est le vrai 
séjour. 

_ Nous ne devons pas répéter ce que nous 
avons déjà dit sur la nature et la distribu- 
tion des vaisseaux lymphatiques des pois- 
sons, et particulièrement des raies ; mais 
nous devons ajouter à l'exposition des par- 
ties principales de la batis, que les ovaires 
sont cylindriques dans les femelles de cettè 
espèce : les deux canaux, par lesquels les 
œufs s’avancent vers l’anus à mesure qu'ils 
grossissent, sont le plus souvent jaunes, et 
leur diamètre est d'autant plus grand qu’il 
H 2 


116 Hi STOTrTRE 

est plus voisin de l'ouverture commune par 
laquelle les deux canaux communiquent 
avec l'extrémité du rectum. 

Ces œufs ont une forme singulière , très- 
différente de ceile de presque tous les autres 
œufs connus, et particulièrement des œufs 
de presque tous les poissons osseux ou car- 
tilagineux. Ils représentent des espèces de 
bourses ou de poches composées d’une 
membrane forte et demi-transparente, qua- 
drangulaires, presque carrées, assez sem- 
blables à un coussin, ainsi que l'ont écrit 
Aristote et plusieurs autres auteurs (1}, un 
peu aplaties, et terminées dans chacun de 
leurs quatre coins par une petite appendice 
assez courte que lon pourroit comparer 
aux cordons de la bourse. Ces petites appen- 
dices un peu cylindriques et très-déliées sont 
souvent recourbées l’une vers l’autre ; celles 
d’un bout sont plus longues que celles de 
l'autre bout, et la poche à laquelle elles sont 
attachées a conimunémient six ou neuf cen- 
timètres (deux ou trois pouces ou environ) 
de largeur, sûr une longueur à peu près 
égale. 

Il n'est pas surprenant que ceux qui 


. (1) Rondelet, première partie, iv. 12, p. 2714 


PPS RATES ‘ai 
n’ont observé que superficiellement des 
œufs d’une forme aussi extraordinaire, qui 
ne les ont pas ouverts, et qui n’ont pas vu 
dans leur intérieur un fœtus de raie, n’aient 
pas regardé ces poches ou bourses comme 
des œufs de poissons, qu'ils les aient consi- 
dérées comme des productions marines par- 
ticulières, qu'ils aient cru même devoir les 
décrire comme une espèce d'animal. Et ce 
qui prouve que cette opinion assez natu- 
relle a été pendant long-tems très-répandue, 
c'est que l’on a donné un nom particulier 
à ces œufs, et que plusieurs auteurs ont 
appelé une poche ou coque de raie, mus 
marinus, rat marin (1). 

Ces œufs ne sont pas en très-grand 
nombre dans le corps des femelles, et ils 
ne s’y développent pas tous à la fois. Ceux 
qui sont placés le plus près de l’ouverture 
de l'ovaire sont les premiers formés au point 
de pouvoir être fécondés ; lorsqu'ils sont 


(r) Les grecs modernes, les turcs, et quelques 
autres orientaux, regardent, dit-on, la fumée qui 
s'élève d'œufs de batis et d’autres raies jetés sur 
des charbons, et qui parvient , par le moyen de 
certaines précautions, dans la bouche et dans le 
nez, comme un très-bon remède contre les fièvres 
intermittentes, 


H 35 


138: HESTOIRE 


devenus, par cette espèce de maturité, 


assez pesans pour gèner la mère et l’'avertir, 
pour ainsi.dire, que le tems de donner le 
jour à des petits approche, elle s’avance 
ordinairement vers les rivages, et y cherche 
ou des alimens particuliers, ou des asiles 
plus convenables, ou des eaux d’une tem- 


péraiure plus analogue à son état. Alors le. 


mâle la recherche , la saisit, la retourne 
avec soin , se place auprès d'elle de ma- 
nière que leurs côtés inférieurs se corres- 
pondent, se colle en quelque sorte à son 
corps, s’accroche à elle par le moyen des 
appeñndices particulières que nous avons 
décrites, la serre avec toutes ses nageoires 
ventrales et pectorales, la retient avec force 
pendant un tems plus ou moins long, réa- 


lise ainsi un véritable accouplement ; et se 


tenant placé de manière que son anus soit 


très-voisin de celui de sa femelle, 1l laisse, 


échapper la liqueur séminale, qui, péné- 
tirant jusqu'à FPovaire de celle contre laquelle 
1F se presse, y'féconde les deux ou trois 
premiers œufs que rencontre cette liqueur 
aclive, et qui sont assez développés pour 
en recevoir l'influence. 

Cependant les coques fécondées achèvent 
de grossir; et les œufs moins avancés, rece- 


rte —— 
EE — . 


DES RAÏES. 11q 
vant aussi de nouveaux dégrés d’accroisse- 
ment , deviennent chaque jour plus propres 
à remplacer ceux qui vont éclore , et à être 
fécondés à leur tour. 

Lorsqu’enfin les fœtus, renfermés dans les 
coques qui ont recu du mâle le principe de. 
vie, sont parvenus au désré de force et dé: 
grandeur qui leur est nécessaire pour soïtir 
de leur enveloppe , ils la déchirent dans lé 
ventre même de leur mère, ét parviennent. 
à la lunnére tout formés, comme les petits 
de plusieurs serpens et de plusieurs qua- 
drupèdes rampans qui n’en sont pas moins 
ovipares (1). | 

D'autres œufs, devenus maintenant trop 
gros pour pouvoir. demeurer dans le forid 
des ovaires, sont, pour ainsi dire , chassés 
par un organe qu'ils comprimént ; et re-° 
poussés vers l'extrémité la plus large de ce 
même organe, ils y remplacent les coques 
qui viennent d’éclore , et dont l’enveloppe | 
déchirée est rejetée par l'anus à la suite 
de la jeune raie. Alors une seconde fécon- 
dation doit avoir lieu ; la femelle souffre 
dè nouveau l'approche du mâle ; et toutes 


Dee ee a 
(1) Voyez l’histoire naturelle des serpens et celle 
des quadrupèdes ovipares. 


EH 4 


120 ÉTST O IRET 


les opérations que nous venons d'exposer se 
succèdent jusques au moment où les ovaires 
sont entièrement débarrassés de bourses ou 
de coques trop grosses pour la capacité de 
ces organes. 

L'on a écrit que cet accouplement du 
mâle et de la femelle se répétoit presque 
tous les mois pendant la belle saison ; ce 
qui supposeroit peut-être que près de trente 
jours s’écoulent entre le moment où l'œuf 
est fécondé et celui où il éclot, et que par 
conséquent il y a , dans l'espèce de la batis, 
une sorte d’incubation intérieure de près de 
trente jours. 

Au reste , dans tous ces accouplemens 
successifs, le hasard seul ramène le même 
mâle auprès de la même femelle; et si les 
raies ou quelques autres poissons nous mon- 
trent au milieu des eaux l’image d’une sen- 
sibihité assez active, que nous offrent éga- 
lement au sein des flots les divers cétacés, 
les phoques, les lamantins, les oiseaux aqua- 
tiques , plusieurs quadrupèdes ovipares , et 
particulièrement les tortues marines, avec 
lesquelles l’on doit s’'apercevoir fréquem- 


ment que les raies ont d'assez grands rap- 


ports, nous ne verrons au milieu de la classe 
des poissons, quelque nomhreuse qu’elle 


BD'ËÉ'S: RAIES. 121 


soit ; presque aucune apparence de préfé- 
rence marquée , d’attachement de choix, 
d'affection pour ainsi dire désintéressée , et 
de constance même d’une saison. 

Il arrive quelquefois que les œufs non 
fécondés grossissent trop promptement pour 
pouvoir demeurer aussi long-tems qu’à l’or- 
dinaire dans la portion antérieure des ovaires. 
Poussés alors contre les coques déjà fécon- 
dées, ils les pressent et accélérent leur sortie ; 
et lorsque leur action est secondée par 
d’autres causes, il arrive que la batis mère 
est obligée de se débarrasser des œufs qui 
ont reçu la liqueur vivifiante du mâle, avant 
que les fœtus en soient sortis. D’autres cir- 
constances analogues peuvent produire des 
accidens semblables ; et alors les jeunes raies 
éclosent comme presque tous les autres pois- 
sons, c’est-à-dire, hors du ventre de la fe- 
melle : les coques , dont elles doivent se 
dégager, peuvent même être pondues plu- 
sieurs jours avant que le fœtus ait assez de 
force pour déchirer l'enveloppe qui le ren- 
ferme ; et, pendant ce tems plus ou moins 
long , il se nourrit, comme sil étoit encore 
dans le ventre de sa mère, de la substance 
alimentaire contenue dans son œuf, dont 


129 HISTOIRE 


l'intérieur présente un jaune et un blanc 


irès-distincts lun de l'autre. 


T'on n’a pas assez observé les raies batis 


pour savoir dans quelle proportion elles 
croissent relativement à la durée de leur 
développement, ni pendant combien de 
tems elles continuent de grandir : maïs 1l 
est bien prouvé par les relations d’un très- 
grand nombre de voyageurs dignes de foi, 


qu’elles parviennent à une grandeur assez 


considérable pour peser plus de dix myria- 
grammes ( deux cents livres où environ) {1}, 
et pour que leur chair suffise à rassasier plus 
de cent personnes (2). Les plus grandes sont 
celles qui s’approchent le moins des rivages 
habités, même dans le tems où le besoin 
de pondre , ou celui de féconder les œufs, 


les entraine vers les côtes de la mer : lon 


‘ ré 

(1) On peut voir, dans Labat et dans d’autres voya- 
geurs, ce qu'ils disent de raies de quatre mètres (envi 
ron douze pieds ) de loñgsgueur ; mais des observations 
récentes ct assez multipliées attribuent aux batis une 
longueur plus étendue. On peut voir aussi, dans. 


VHistoire naturelle de la France fonte, par. 
Barrtre, la desc ription da mouvement communiqué 
anx eaux de la mer par les grandes raies , et dont 
mons avons parlé au commencement de cet article, 


(2) Consaltez Willugbby. 


» 


\ 


men anses 


DPÉISSRATDES 123 
diroit que la difficulté de cacher leur grande 
surface et d'échapper à leurs nombreux 
ennemis dans des parages trop fréquentés , 
les tient éloignées de ces plages: mais quoi 
qu'il en soit , elles satisfont de desir , qui 
les presse dans le priutems , de s'approcher 
des rivages , en s’avançant vers les bords 
écartés d’iles très-peu peuplées, ou de por- 
tions de continent presque désertes. C’est 
sur ces côtes où les navigateurs peuvent 
_ être contraints par la tempête de chercher 
un asile, et où tant de secours leur sont 
refusés par la nature, qu'ils doivent trouver 
avec plaisir ces grands animaux , dont un 
très-pelit nombre suffit pour réparer, par 
un aliment aussi sain qu’agréable, le$ forces 
de l'équipage d’un des plus gros vaisseaux. 
. Mais ce n'est pas seulement dans des mo- 
_ mens de détresse que la batis est recherchée : 
sa chair blanche et délicate est regardée, 
dans toutes les circonstances, comme un 
mets excellent. À la vérilé, lorsque cette 
raie vient d'être prise, elle a souvent un 
goût et une odeur qui déplaisent ; mais, 
lorsqu'elle a été conservée pendant quelques 
jours, el sur-tout lorsqu'elle a été transportée 
à d'assez grandes distances, cette odeur €t 
ce goût se dissipent, et sont remplacés par 


124 HISTOIRE 


un goût très-agréable. Sa chair est sur-tout 
trés-bonne à manger après son accouple- 
ment ; et si elle devient dure vers l'automne, 
elle reprend pendant Thyver les qualités 
qu’elle avoit perdues. 

On pêche un très-grand nombre de batis 
sur plusieurs côtes ; et il est même des rivages 
où on en prend une si grande quantité, qu’on 
les y prépare pour les envoyer au loin, comme 
la morue et d’autres poissons sont préparés 
à Terre-Neuve, ou dans d’autres endroits. 
Dans plusieurs pays du nord, et parliculière- 
ment dans le Holstein et dans le Schleswig, 
on les fait sécher à l'air, et on les envoie 
ainsi desséchées dans plusieurs contrées de 
l'Europe , et particulièrement de lAlle- 
magne (1). | | 


(1) Les pêcheurs du Schleswig et du Holstein font 
sécher aussi à l’air l'estomac dé la raïe batis et le 
mangent ensuite en guise de morue. Ils font avec le 
foie de ce poisson une huile fine et blanche ; la chair 
est également blanche. 

On prend une grande quantité de raies batis dans 
les environs de Heiligeland , principalement au mois 
de jnin. 

Elles sont aussi fort abondantes sur les côtes de la 
Hollande ; le peuple en fait une grande consommation; 
le reste passe en Flandre et dans le Brabant. 


DES RAIES. 32 


Examinons maintenant les différences qui 
séparent la batis des autres espèces de raies. 


Cette espèce , aussi bien que celles du même genre, 
qui vivent dans les eaux de la Méditerranée, sont 
connues en Sardaigne sous la dénomination générique 
de zirulia. Ces poissons n’ont presque aucune valeur 
chez les sardes, qui ne peuvent en soutenir l’odeur 
forte et sauvagine, et il n’y a que les ouvriers et les 
pauvres qui en mangent. ( Voyez Cetti, Pesci di 
Sardegna , pag. 56.) 

L'on a observé qu'à mesure que les dents des 
raies, et même que celles des chiens de mer et des 
tétrodons , s’usent devant, celles de derrière se déve- 
loppent pour leur succéder; mais dans le plus grand 
nombre le remplacement se fait verticalement à la 
manière ordinaire, avec cette différence que la racine 
se soude à la mâchoire , et qu’il n’y a que la couronne 
qui tombe en se séparant du reste de l’os qui demeure 
dans l’alvéole. La dent nouvelle monte daus le creux 
de la racine de l’ancienne. ( Bulletin de la Société 
philomatique , n° 52, pag. 26.) 

Mais une observation bien importante et bien 
singulière , si elle avoit été vérifiée , est celle de 
Othon Helbigius, qui prétend avoir reconnu que les 
raies, ou au moins quelques espèdes de ce genre, sont 
sujetles à l'écoulement périodique ,; comme les 
femmes et les femelles des singes. ( Observation 
envoyée de Batavia sur différentes curiosités des 
Indes, dans les Ephémérides des curieux de la 


126 HISTOIRE | 


Nature , année 1678; et Collection académique, 
partie étrangère, tom. IIE, p. 447) 

Le mâle de la raie batis est appelé , dans Aristote, 
à batos, et la femelle à batis. L'espèce est nommée 
en Allemagne, glattroche ; à Heiligeland , éepel ; 
baumrochen quand le poisson est gros, séelen quand 
il est très- gros ; skata en Islande; en Danemark, 
toe-hale, en Norwège, plet-rokken; en Hollande, 
gladderog ; en Angleterre, skate et stair; en Espagne, 
luida ; à Malte, raja ; à Rouen, bavosa. 


SONNINI. 


DES RAIES. 127 


À 


LA RAIE À BEC POINTU. 


LA RAIE OXYRINQUE (1)(2), 
PAR LACÉPÉDE. 
SECONDE ESPÉCE. 
C’est dans FOcéan , ainsi que dans Îa 


Méditerranée, que l’on rencontre cette 
raie , qui a de très-grands rapports avec la 


(1) Alesne , dans quelques départemens méridio- 
maux. Sof, gilioro, flossade , perosa rasa, dans plu- 
sieurs contrées d'Italie. ZLéntillide |, sur quelques 
côtes de France baignées par la Méditerranée. Raja 
mucosa , raja bavosa. | 

Raie alène. Daubenton , Encyclop. méthod. 

Raja oxyrinchus. Lin. édit. de Gimel. 

Raja aculeorum ordine unico in dorso caudaque. 
‘Bloch, Histoire naturelle des poissons, troisième 
partie, pag. 57 ,n° 2, pl. zxxx. 

Raie alène. Bonaterre, planches de lPEncyclop. 
méthodique. 

Raja varia, tuberculis decem in medio dorsi. Artedi, 
gen. 72, SYn. 101. 

Leiobatus pustulis inermibus , etc. etc. etc. Klein, 


Miss. pisc. 3, pag. 54, n° 8: 


128 HISTOIRE 

batis. Elle en diffère cependant par plu- 
sieurs caractères, et particulièrement par 
les aiguillons que l’on voit former un rang, 
non seulement sur la queue, comme ceux 


Raie au long bec, oxyrinchos. Rondelet , première 
partie , liv. 12, chap. 6. 

MWiraletus. Belon , Aquat. p. 70. 

Raja. Salvian. Aquat. pag. 148 , d. 150. — Jonston, 
Pise. p. 55, pl. x, fig. 1 et 2. — Aldrovand. Pisc. 
p. 450. — Gesner, Aquat. p. 709. Icon. anim. p. 129. 
— Willughby , Ichth. p. 71, tab. d. 1. 

Raja oxyrinchos major. Ray , Pisc. p. 26, n° 3. 

Sharp nosed ray. Pennant , Brit. zool. 3, p. 64, 
9,2. 

Glattroche. Gesn. Thierb. p. 68, b. 

Raie au long bec. Valmont de Bomare, Diction- 
naire d'histoire naturelle. | 

(2) Raja dorso lævi, caud& suprà tuberculis decem 
aculeatâ...... raja oxyrinchos. Brunnich , Ichthyo- 
logia massiliensis , pag. 2. 

Les indications de cette espèce , données par Lin- 
næus et Artedi, sont fort incertaines. Le dernier 
particulièrement paroit avoir confondu cette raie 
avec d’autres espèces, dont il a fait autant de variétés 
de celle-ci. { Synonym. piscium, pag. 101.) 

La raie à bec pointu se nomme en grec, oxyrinchos; 
en allemand, spiéznase ; en anglais , #hite- cunt et 
maids ; en italien , raia , sot, perosa rosa et gilioro ; 
en espagnol , manta ou quilt ; en Languedoc, alène ; 
et encorc à Marseille , matratze. SonnNint. 

que 


MES RAITES. 129 


que présente la batis, mais encore sur le 
dos. Elle a le devant de la iète terminé 
par une pointe assez aiguë pour mériter le 
nom d’oxyringue où beé pointu , qu'on lui 
donne depuis long-tems. Auprès de chaque 
œil on aperçoit trois grands aiguilions ; le 
dos en montre quelquefois deux très-forts ; 
et l’on en distingue aussi un assez grand 
nombre de petits et de foibles répandus sur 
toute la surface supérieure du corps. Quel- 
quefois la queue du mâle est armée non 
seulement d’une , mais de trois rangées 
d’aiguillons. L'on voit assez souvent d'ail- 
leurs les piquans qui garnissent la queue 
du mâle ou celle de la femelle , plus longs 
et plus gros les uns que les autres, et placés 
de manière qu'il s’en présente alternati- 
vement un plus grand et un moins grand. 
Au reste , nous croyons devoir prévenir ici 
que plusieurs auteurs ont jeté de la confu- 
sion dans l’histoire des raies, et les ont 
supposées divisées en plus d'espèces qu’elles 
n’en forment réellement, pour avoir regardé 
la disposition, le nombre, la place, la figure 
et la grandeur des aiguillons comme des 
caractères toujours constans et toujours 
distinctifs des espèces. Nous nous sommes 
assurés , en examinant une assez grande 


Poiss. ToueE III. I 


230 HT SE O0 FRE 


quantité de raies d'âge, de sexe et de pays. 


différens , qu’il n’y a que certaines dislri- 
butions et certaines formes de piquans qui 
ne varient ni suivant le climat , ni suivant 
le sexe, ni suivant l’âge des individus , et 
qu'il ne faut s’en servir pour distinguer les 
espèces qu'après un long examen et une 
comparaison attentive de ce trait de con- 
formation avec les autres caractères de 
Panimal. 

Le dessous du corps de l’oxyrinque est 
blanc, et le dessus est le plus souvent d’un 
gris cendré, mêlé de rougeûtre , el parsemé 
de taches blanches , de points noirs, et de 
petites taches foncées qui, semblables à 
des lentilles, l’ont fait nommer lentillade 
dans quelques-unes de nos provinces méri- 
dionales. 

On a vu des oxyrinques de deux mètres 
et trois décimètres (environ sept pieds) de 
long , sur un peu plus d’un mètre et six 
décimètres (cinq pieds ou à peu près) de 
large. 

La chair de lespèce que nous décrivons 
est aussi bonne à manger que celle de la 
batis (1). 

D + D RS NV OP AN un, pas CO ÉUIPR ER 


3 ; . . e 4 
(1) L'on fait une pêche considérable de raies à bec 


L 


DES RATES. 194 
pointu , dans la mer du Nord, principalement près 
de Heiligeland. En Angleterre, ce poisson porte le 
nom de maids, jusqu’à ce qu’il ait propagé; alorsil 
prend celui de whithe cunt. 

Je dois observer que, selon Bloch, l’on ne fait pas 
grand cas de la chair de la raie à bec pointu , comme 
étant plus mauvaise que celle de la raie batis. ( Hist. 
nat. des poiss.) Au reste, cette diversité d’opinions 
au sujet de la bonne ou mauvaise qualité de la chair 
des raies dépend des lieux où on les mange. Sur les 
côtes , ces poissons sont généralement méprisés, et 
ce n’est que lorsqu'ils ont été gardés pendant quelque 
tems , et sur-tout lorsqu'on les a transportés à quelque 
distance, qu’ils deviennent un mets délicat. Un auteur 
sarde , qui vient de publier une Histoire de la Sar- 
daigne , a été fort étonné, à son arrivée à Paris, de 
voir que l’on servoit sur les meilleures tables de la 
raie, poisson si dédaigné en Sardaigne ; il la trouva 
excellente , principalement en hyver, au lieu qu'il 
n’auroit pu en souffrir l’odeur dans son pays. 
(Tom. II, pag. 255.) De là vient encore qu’on lit, 
dans Athénée , la réponse que fit Dorion à quelqu'un 
qui vantoit la bonté de la chair des raies : « Oui; 
dital, c’est comme si on mangeoit une robe bouillie », 

SonNNiINz; 


ï 2 


152 HISTOIRE 


——__—————_—_— —————— 


LA RAIE MIRALET (1)(2).. 


Czrrs raie, que l’on trouve dans Îa 
Méditerranée , présente un assez grand 


(1) Mirallet, sur quelques côtes françaises de Îa 
Méditerranée. Barracol, sur quelques bords de la 
mer Adriatique , et particulièrement à Venise. Ar- 
zilla , à Rome. 

Miraillet. Daubenton , Encyclop. méthod. 

Raja miraletus. Lin. édit. de Gmel. 

Miraillet. Bonaterre, planches de l’Enc. méth. 

Raja dorso ventreque gladbris, aculeis ad oculos, 
éernoque eorum ordine in cauda. Mus. Adolp. Fr. 2, 
pag. 50. — {dem. Artedi, gen. 72, spec. 101. — 
Gronov. Zoophyt. 155. 

Dasybatus in utroque dorsi latere maculä magn& 
oculi simili , etc. Klein , Miss. pisc. 3 , p. 55, n° 2. 

Raja stellarés. Salvian. Aquat. p: 150. 

Raja oculata. Jonston, Pisc. tab. 10, fig. 4. — 
Willughby , Ichth. 72. 

Raja levis oculata. Raj. Pisc. p. 27. 

Raie oculée, raie miraillet. Rondelet , première 
partie, liv. 12, chap. 8. 

Raie lisse & miroir, ou miraillet. Valmont de 
Bomare, dictionnaire d'histoire naturelle. 


(2) Raja caud& tripliciter aculeaté, alis suprà 


D'ES RATES. 133 
nombre d’aiguillons ; mais ils sont disposés 
d’une manière différente de ceux que lon 
observe sur la batis et l’oxyrinque. Premiè- 
rement de petits aiguillons sont disséminés 
au dessus et souvent au dessous du museau. 
Secondement on en voit de plus grand: 
autour des yeux, et la queue en montre 
trois longues rangées. Quelquefois on en 
compte deux grands , et isolés sur la partie 
antérieure de la ligne du dos, et assez près 
des yeux ; et quelquefois aussi les deux 
rangées extérieures que l’on remarque sur 
la queue ne s'étendent pas, comme le rang 
du milieu, jusqu’à l’extrémité de cette par- 
tie. Chacune de ces rangées latérales est 
aussi, sur quelques individus , séparée du 
rang intérieur par une suite longitudinale 
de piquaus plus courts et plus foibles ; ce 
qui produit sur la queue cinq raugées d’ai- 
guillons grands ou petits, au lieu de trois 
rangées. Au reste, non seulement l’on voit 


ocellatis...... raja miraletus. Brunnich , Ichthyol. 
massil. p. 2. 

Raja dorso dypterigio , aculeorum ordine solitario , 
caud& gracili pinnat& , ordine aculeorum terno , 
rostro subaculeato. Gronov. Zooph. 155. 

SONNINI. 


I 3 


134 HISTOIRE 

sur cette même partie les deux nageoires 
auxquelles nous avons conservé Île nom de 
dorsales ; mais encore son extrémité, au 
lieu de finir en pointe comme Îla queue 
de la batis, est terminée par une troisième 
nageoire. 

Le dessus du corps du miralet est d’un 
brun ou d’un gris rougeñâtre, parsemé de 
taches dont les nuances paroiïssent varier 
suivant l’âge , le sexe ou les saisons ; et lon 
voit d’ailleurs sur chacune des nageoires 
pectorales une grande tache arrondie, ordi- 
nairement couleur de pourpre , renfermée 
dans un cercle d’une couleur plus ou moins 
foncée , et qui, comparée par les uns à un 
miroir , a fait donner à l'animal, dans plu- 
sieurs de nos provinces méridionales, le nom 
de petit miroir, miralet où miraïllet, et, 
paroissant à d’autres observateurs plus sem- 
blable à un œil, à un iris avec sa prunelle, 
a fait appliquer à la raie dont nous traitons, 
lépithète d’oculée (ocellata ). 

Mais , si la Nature a donné aux miralets 
celte sorte de parure, elle ne paroît pas 
leur avoir départi la grandeur. On n’en 
trouve communément que d'assez petits ; 
et d’ailleurs leur chair ne fournit pas un 
aliment aussi sain ni aussi agréable que celle 


DES RAÏIES. 135 


de la batis ou celle de loxyrinque. ( Raie 
à bec pointu) (1). 3 


(1) Cette espèce paroît confinée dans les eaux de la 
Méditerranée; elle est, dit Rondelet, de chair dure 
et de mauvaise nourriture. 

En général , les raies qui se tiennent en haute mer 
et approchent rarement des rivages ‘ont bien meilleur 
goût , et sont plus délicates que celles qui viveut habi- 
tuellement sur les côtes limoneuses, où leur chair 
contracte une mauvaise qualité et une saveur désa- 
gréable. SONNINI. | 


136 HISTOIRE 


\ 


LA RAIE CHARDON (1). 


QUATRIÈME ESPÈCE. 


Crrre raie est hérissée de piquans, ce 
qui l’a fait comparer au chardon et au 


(1) Raie chardon, raie à foulon. En anglais, white 
horse, c’est-à-dire , cheval blanc. En danois, valker- 
rokke. En islandais, éindabikia. En groenlandais, 
taralikisak et aglernak. 

Raie nommée fullonica. Rondelet , Hist. des pois- 
sons , Liv. 12, chap. 16, pag. 283 , avec une mauvaise 


figure. 


Raja fullonica. Gesner, de Aquatil. lib. 3, p. 958. 


— Aldrovand. de Piscib. lib. 3, cap. 62 , avec une 
figure. — Jonston , Hist. nat. piscium, p. 22. — 
Charlet. Onomazt. pag. 150. 

Raja aspera nostras, the white horse dicta. Wil- 
Jugbb. Hist. piscium, li. 5, cap. 17 , pag. 76. ar 
Synops. piscium, pag. 26. 

Raja dorso toto aculeato, aculeorum ordine sim- 
plici ad oculos, duplici in caudä.... raja fullonica. 
Lin. edit. Gmel. gen. 150 , sp. 5. — Artedi, Piscib. 
gen. 45, sp. 6, Additam. f. 6. et Synonym. gen. 45, 
sp. 6. 

faie chardon. Daubenton , Encyclop. méthod. — 


DES RAIES. 137 


peigne dont on se sert pour fouler les 
draps (1). Ces pointes , semées sur presque 
toule la surface supérieure du poisson , ne 
sont pas de la même longueur ; les plus 
grandes occupent le milieu: du dos et le 
dessus de la queue, où elles forment deux 
ou trois rangées. De plus, il y a trois autres 
aiguillons auprès de chaque œil, un en de- 
vant et deux derrière. Tous ces piquans 
sont larges à leur base, et leur extrémité se 
recourbe vers la queue du poisson. 

Il a le bec assez long et pointu, le dessus 
du corps d’un blanchâtre mêlé de brun, 
avec des taches noirâtres, et le dessous d’un 
beau blanc, qui prend une légère teinte de 
rougeûtre sur le ventre. 

On trouve cette espèce dans presque toutes 


Bonaterre, ibid, — Lacépède, Hist. nat. des pois- 
sons, tom. I, 

Raja dorso toto aculeato, dentibus acutis. Oth. 
Fabr. Faun. groenland. p. 125, n° 87. 


(1) Fullonica par nous est nommé ceste raie, à 
cause que par-tout , aux aéles, au corps, en la tête, 
en la queue , elle est toute pleine d’éguillons, comme 
l'outil duquel les foulons accoustrent les draps, qui 
est tout fait de pointes de fer. », ( Rondelet , à l’en- 
droit ci-devant cité.) 


136 CLS O ERIE 


les mers d'Europe. Ses œufs sont jaunes et 
sont formés dans l’ovaire au mois d'avril. 
Elle se nourrit de petits poissons et de che- 
vrettes. Elle ne quitte pas facilement le fond 
de la mer; et lorsqu'elle veut changer de 
place, elle avance par un mouvement ver- 
tical de ses nageoires, et, en même tems, 
par l'agitation horisontale de sa queue. Elle 
est commune dans les anses les plus pro- 
fondes des côtes du Groenland, particuliè- 
rement daus le golfe de Tunnudliorbik. Sa 
chair est dure, et dans ces contrées hyper- 
boréennes, on ne la mange qu’à demi-cor- 
rompue (1). 

Artedi distingue deux variétés dans cette 
espèce ; cependant il soupçonne que ces va- 
riétés peuvent bien ne pas exister réellement. 


{1) Oth. Fabr. Faun. Groenland. p. 126. 


DES R AXES. 159 


VAJRATÉ RONCE () (2), 
BAR IL AGÉPÉDE:. 


CUT NN MADEUE M ELLES PL CE: 


Cr poisson est bien nommé; de toutes 
les raies comprises dans le sous-genre qui 
nous occupe, la ronce est en effet celle qui 
est armée des piquans les plus forts, et qui 
en présente le plus grand nombre. Indé- 
pendamment d’une rangée de gros aiguillons, 


(1) Raja rubus. Lin. édit. de Gmel. 

Raja ordine aculeorum in dorso unico , tribusque 
in cauda. Bloch, Histoire naturelle des poissons, 3, 
PIS PAXXTIT CE DXXXIN. 

Dasybatus elevatus, spinis clavis ferreis similibus ; 
dasybatus clavatus rostro acuto ; dasybatus rostro 
acutissimo ; etc. Klein, Miss. pisc. 3, p.356, n° 6, 
7 et 6. 

Raie ronce. Bonaterre , planches de l’Enc. meth.'T 

Raja propriè dicta. Belon, Aquat. p. 70. 

Raiïe cardaire. Wondelet, première partie, iv. 13, 
chap. 14. — Gesner, Aquat. p.795 — 707. Icon. 
an, p. 155 — 157. Thierb. p. 71, 72. — Aldrovand. 
Pisc. p. 459 — 462.— Willughb..Ichth. p. 74 — 58, 


140 HISTOIRE 


que l’on a comparés à des clous de fer; 
et qui s'étendent sur le dos; indépendam- 
ment encore de trois rangées semblables qui 
règnent le long de la queue, et qui, réumies 
avec la rangée dorsale , forment le carac- 
tère distinctif de cette espèce , on voit ordi- 
nairement deux piquans auprès des narines. 
On en compte six autour des yeux, quaire 
sur la partie supérieure du corps, plusieurs 
rangs de moins forts sur les nageoires pec- 
torales, dix très-longs sur le côté inférieur 
de l’animal ; tout le reste de la surface de 
cetie raie est hérissé d’une quantité innom- 
brable de petites pointes; et, comme la 
plante dont elle porte le nom, elle n'offre 
aucune partie que l’on puisse toucher sans 
les plus grandes précautions (3). 


tab. d,2 ,fig. 1, 3et 4.— Ray, Pise. p. 26, n°2 — 5. 
Jonston , Pisc. tab. 10, fig. 5,0, tab. 2 , fig. 2, b. 

Rough ray. Pennant, Brit. zool. 3, p. 66, n° 3. 

{aie cardaire, raja spinosa. Valmont de Bomare, 
Diction. d'histoire naturelle. 

(2) En allemand, dornroche. En anglais, rough ray. 
En Languedoc, cardaire. SONNI%I. 

(5) L'ouverture de la bouche de la ronce est large; 
ses mâchoires sont gernies de plusieurs dents en forme 
de coin et pointues. SONNINI: j 


DIF5S5 R'A I E:S. 14 


Mieux armée que presque toutes lesautres 
raies, elle attaque avec plus de succès, et se 
défend avec plus d'avantage; d’ailleurs ses 
habitudes sont semblables à celles que nous 
avons exposées en traitant de la bats; et 
on la trouve de même dans presque toutes 
les mers de l’Europe (1). 

Le dessus de son corps est jaunâtre , ta- 
cheté de brun ; le dessous blanc; liris de 
ses yeux noir; la prunelle bleuâtre. On 
compte de chaque côté trois rayons dans la 
nageoire appelée ventrale, six dans celle à 
laquelle le nom d’anale a été donné; et 
c’est dans cette espèce particulièrement que 
lon voit avec de très-grandes dimensions 
ces appendices ou crochets que nous avons 
décrits en traitant de la batis, et que pré- 
sentent les mâles de toutes les espèces de 
raies (2). 


(1) Cette espèce est plus commune dans les mers 

du Nord, et on la pêche souvent à Hambourg. 
SON NINI. 

(2) Plusieurs ichthyologistes n’ont pas distingue 
la ronce de la raie chardon, ni même de la raie 
bouclée, tandis que d’autres , tel'que Rondelet, l’ont 
présentée sous différens noms, comme formant des 
espèces séparées. Il faut néanmoins convenir que 
quelques races, dans le genre des raies, n’ont pas 


142 Hi 5TOFRIE 
encore été assez observées, pour assurer que Rondelet 
n’a pas eu raison d’en multiplier les espèces. 

C’est avee la raie ronce , la raie chardon et quel- 
ques autres raies desséchées, que des charlatans 
forment des figures fort singulières, qu’ils donnent 
pour des squelettes d'animaux nouveaux et extra- 
ordinaires. Des naturalistes en ont été les dupes 
et ont publié, dans leurs ouvrages, les représenta- 
tions de ces monstres factices , comme appartenant à 
des êtres réellement existans. ( Voyez Belon, Gesner, 
Aldrovande , Jonston, Ruysch , etc. etc.) 

SONNINI. 


DES RAIES 145 


om 


LA RAIE CHAGRINÉE (1)(2), 


PAR LACÉPÉÈDE. 


SIXIBME ESPÈCE. 


L: corps de ce poisson est moins large, 
à proportion de sa longueur, que celui de 
la plupart des autres raies. Son museau est 
long, pointu, et garni de deux rangs d’ai- 
guillons. On voit quelques autres piquans 
placés en demi-cercle auprès des yeux, dont 
l'iris a la couleur du saphir. Les deux côtés 
de la queue sont armés d’une rangée d’ai- 
gullons ou d’épines, entremélés d’un grand 
nombre de petites pointes. Le dessous du 
corps est blanc; et le dessus, qui est d’un 
brun cendré, présente, sur-tout dans sa 
partie antérieure, des tubercules semblables 
à ceux qui revêtent la peau de plusieurs 
squales, particulièrement celle du requin, 
et qui font donner à ce tégument le nom 
de peau de chagrin. 


(1) Pennant, Zool. britan. tom. IT, p. 84 , n° 34. 
— Raie chagrinée. Honaterre, pl. de l'Enc. méth. 

(2) Raja corpore anticè tuberculato : duplici acu- 
leorum ordine in rostro et in caud&.... raja tuber- 
culata. Bonaterre , loco suprà cituto. SonNint. 


144 HISTOIRE 


PRE RE EE EN EN TES 
\ 


LA RAIE MUSEAU -POINTU (1), 
ET 
LA RATE -CO UCOU, (6), 
PAR LACÉPÈDE. 


SEPTIÈME ET HUITIÈME ESPÈCES. 


$ j 
C’rsr d’après des notes très-bien faites, 
des dessins très-exacts, ou des individus 
bien conservés, envoyés par le savant et 
zélé citoyen Noël de Rouen, que nous fai- 
sons connoître les sept raies dont nous venons 
de donner le tableau. 

La raie museau - pointu a beaucoup de 
rapports avec l’oxyrinque ; mais, indépen- 
damment des traits vérilablement distinctifs 
de ces deux poissons, la première ne par- 
vient guère qu'au poids de deux ou trois 
kilogrammes (environ cinq ou six livres ), 
pendant que l’oxyrinque pèse souvent jusqu'à 
douze ou treize myriagrammes (environ 
deux cent soixante livres ). La couleur de 


(1) Raja rostrata. Petite raie à bec. 
(2) Raja cuculus, 


cette 


7 


DήES RAIES. PA 


cette même raie à museau pointu est d'um 
gris léger. J'ai recu du citoyen Noël deux 
individus de cétte espèce, l’un mâle, et 
l’autre femelle. La femelle différoit du 
mâle par de petits aiguillons qu’elle avoit 
au dessous du museau et à la circonférence 
du corps. 


La partie supérieure de la raie coucou 
est bleuâtre, ou d’un brun fauve, et l’infé- 
rieure d'un blanc sale. T'ouverture de la 
bouche est petite ; mais les orifices des na- 
rines sont grands, et l'animal peut les dilater 


d’une manière remarquable. On voit dans 


l'intérieur de la gueule, au delà des dents 
de la mâchoire supérieure, une sorte de 
cartilage dentelé, placé transversalement. 
Les raies coucous sont moins rares vers les 
côtes de Cherbourg qu'auprès de l’embou- 
chure de la Seine. On en pêche du poids de 
quinze kilogrammes (trente-six livres ). Le 
tissu de leur chair est très-serré. La forme 
de leurs dents , qui sont aiguës, ne permet 


* pas de les confondre avec les raies aigles, 


ni avec les pastenaques, malgré les grandes 
ressemblances qui les en rapprochent. 


Poiss. Tour IIL. K. 


146 HISTOIRE 
Rd es, 


LA RAIE TORPILRE Wa) (2), 


PAR LACÉPÈDE. 


N-E UV ILÈME ÆES PÉCE. 
Voyez la Jigure planche I V. 
LL: forme, les habitudes et une propriété 


remarquable de ce poisson l’ont rendu de- 
puis long-lems lobjet de lattention des 


(1) A Marseille , éroupille, dormilliouse. Dans plu- 
sieurs départemens méridionaux, poule de mer. À 
Bordeaux , tremoise. Sur les côtes voisines de Saint- 
Jean-de-Luz, icara. À Gênes, tremorise, batte potta. 
A Rome, ochiatella oculatella. En Angletare , 
cramp fish. 

_ Aie torpille. Daubenton , Encyclop. méthod. 
Raja torpedo. Liu. édit. de Gimelin. — Bloch, 

: pi. CXXIII. 

. Raïe torpille, Bonat. planches de l’'Enc. méth. 

| Raja tota lævis. Artedi, gen. 75, SYN. 102 — 

Mus. Adol, Fr, 2, plz *— Gron. Zooph. 155, tab. 9, 
Ba. — Aristsdies,c. 154 15 3 1. 5,,c,6, 11: 1:65 
c. T0:5-11 >» 1 308:0..97. — Ælian. L'r,.c 56: 15 

c.37,1.9,c. 14. — Oppian. lib. 1, p. 5; 1.2, p. 52. — 
ÂAthen. lib.’ 7, pag. 314. 

. N'arcos. Cub. bb. 3 , cap. 62, fol. 85. 

Torpedo. Plin. 1. 9, c. 16, 24, 42, 51 ;-et 1. 52, 
C. 114 — P, Joy, c. 28 , p. 100. 


7 IV. 


De ere del. 


à = = 
SM 
= — VE 
= == EEE 
Ï = HE <5 
= | 
S& = — = 
ESS == == 
= ES 


1. LA TORPILEE . 
2.LA RAIE BOUCLEE . 


DES RAÏIES. 147 


physiciens. Le vulgaire l’a admiré, redouté, 


Torpille. Rondelet , p. 1, liv. 12, chap. 18. 

Occhiatella. Salvian. f. 142, 145. — Jonston, l.r, 
tit 1, cap. 3, &. 5, puuct. 1, tab. 0, fig. 5, 4. — 
Charlet. p. 129. — Matthiol. in Diosc. L. 2,c. 15, 
p. 288. — Balk. Musc. prince. 38. — Mus. berler. 
p. 57 ; tab. 26. — Blas. Anat. anim. p. 505. — Redi, 
Exper. p. 55. — Kæmpfer , Amænit. exoc. p. 509, 
tab. 510. — Mus. richter. p. 368. — J. Scortia nat. et 
auct. Nil ,Âsr,:c 7, p. 46. 

Narcocion demptä caud& circularis. Klein, Miss. 
Pisc-. 9,08, n 1. 

Torpedo maculis pentagonicè positis nigris. Shaw. 
T'rav. app. p. 61 , n° 55. 

Torpedo. Ray. — Willughby, p. 81. 

Torpedo oculata prima, torpedo maculosa , et tor- 
pedo maculosa supina. Gesner ( germ.) fol. 74 B, 
et 75 a. 

. Torpedo Salviani maculosa. Aldrovand. Nb. 5, 
Cap. 45, pag. 417: 

Torpedo oculata. Belen. 

Torpedo | torpigo, stupescor. Lemery, Dictionn. 
des drogues simples, p. 887. 

Cramp-ray. Pennant , Brit. zool. tom. ITT, p. 67. 

Torpille , torpède, tremble. Duhamel, Traité des 
pèches, seconde partie, neuvième section, chap. 3, 
pag. 286 , pl. xrrr. 

Raja torpedo. Tota lœvis. Brunn. Pisc. mass. p. 1. 
— Barthol. Acta hafn. 5, obs. 97. — Réaumur; 
Mémoires de l’académie des sciences de Paris, 1714 
— Pringle, Dis, on the torpedo , Loud. 1774. 

K 2 


148 HISTOTRE 


métamorphosé dans un animal doué d’un 
pouvoir presque surnaturel; et la réputation 
de ses qualités vraies ou fausses s’est telle- 
ment répandue, même parmi les classes les 
moins instruites des différentes nations, que 
son nom esi devenu populaire, et la nature 
dé sa force, le sujet de plusieurs adages. La 
tête de la torpille est beaucoup moins dis- 
tinguée du corps proprement dit et des 
nageoires pectorales, que celle de presqué 
ioutes les autres raies; el l’ensemble de son 
corps, si on en relranchoit la queue, res- 
sembleroit assez bien à un cercle, ou, pour 


(2) La torpille. En grec , narke , expression qui , de 
même que le nom latin torpedo, rendu en français 
par torpille, désigne l’engourdissement , la éorpeur 
que cause ce, poisson, En allemand, zitéerfisch et 
zilterrochen. En hollandais, brio ach , Stompvisch, 
ziddervisch et trillroch. En anglais , crampfisch ; 
eleçtrie ray. ct torpedo. En. portugais , viola. En 
arabe , riad. En persan, /erzmachi. À Venise, sgram- 
pho. En Sardaigne, torpedine, À Gênes, tremorise 
et'batte porta. En Dalmatie, éernat. Dans lArchipel 
de la Grèce, moudiastra. Au Brésil, para. Au cap 
de Bonne-Espérance, crampec. Eucore à Marseille, 
estorpijo. Sur une grande partie de. nos côtes dé 
l'Océan, érermble et dormispliose, 

.… Raja corpore plano , ovato, lœvi, caudato.... É 
raja torpeda., Brunaich,, Ichtbyol. massil. p. 1. 
SONNINL. 


DES CRAN ES. 149 
mieux dire, à un ovale dont on auroit 
supprimé un segment vers le milieu du 
bord antérieur. L'ouverture supérieure de 
ses évenis est ordinairement entourée d’une 
membrane plissée qui fait paroître cet orifice 
comine dentelé. Autour de la parie supé- 
rieure de son corps et auprès de l’épine dor- 
sale, on voit une assez grande quantité de 
petits trous d’où suinte une liqueur mu- 
queuse plus ou moins abondante dans tous 
les poissons, et qui ne sont que les ouver- 
tures des canaux ou vaisseaux particuliers 
destinés à lransmeltre ce suc visqueux aux 
différentes portions de la surface de l'animal. 
Deux nageoires nommées dorsales sont pla- 
cées sur la queue, et l'extrémité de cette 
partie est garnie d’une nageoire divisée, 
pour ainsi dire, par cette mème extrémité, 
en deux lobes, dont le supérieur est le plus 
grand. 

La torpille est blanche par dessous; mais 
Ja couleur de son côté supérieur varie sui- 
vant l’âge, le sexe et le climat. Quelquefois 
cette couleur est d’un brun cendré, ét 
quelquefois elle est rougeâtre; quelques in- 
dividus présentent une seule nuance, et 
d’autres ont un très-grand nombre de taches. 
Le plus souveñt on en voit sur le dos cinq 

KR 5 


150. HISTOTRE 


trés-grandes, rondes, disposées comme aux 
cinq angles d’un pentagone, ordinairement 
d’un bleu foncé, entourées tantôt d’un cercle 
noir, tantôt d’un cercle blanc, tantôt de ces 
deux cercles placés l’un dans l’autre, ou ne 
montrant aucun cercle coloré. Ces grandes 
taches ont assez de rapports avec celles que 
l'on observe sur le miralet : on les a com- 
parées à des yeux; elles ont fait donner à 
l'animal l’épithèté d’æillé; et c’est leur ab- 
sence, ou des variations dans leurs nuances 
et dans la disposition de leurs couleurs, qui 
ont fait penser à quelques naturalistes que 
lon devoit compter quatre espèces diffé- 
rentes de torpille, ou du moins quatre races 
constantes dans cette espèce de raies (1) (2). 


(1) Voyez l'ouvrage de Rondelet, à l'endroit 
déjà cité. 

(2) La première espèce que Rondelet a distinguée 
est celle qui a sur le dos cinq grandes taches, sem- 
blables à des yeux , et entourées d’un cercle blanc et 
d’un autre noir. La seconde espèce a des taches 
noires , rondes , disposées de la même manière que les 
taches de la première, mais sans cercle. Les taches 
de la troisième espèce sont de différentes formes et 
semées sans ordre; enfin la quatrième n’a point de 
taches. 


Sur quelques torpilles, les taches sont disposées 


DES RAIES. 5 


L'odorat de la torpille semble être beau- 
coup moins parfait que celui de la plupart 
des autres raies et de plusieurs autres pois- 
sons carlilagineux ; aussi sa sensibilité paroit- 
elle beaucoup moindre. Elle nage avec moins 
de vitesse; elle s’agite avec moins d’impé- 
tuosité ; elle fuit plus diMicilement; elle 
pouisuit plus foiblement ; elle combat avec 
moins d’ardeur; et, avertie de bien moins 
loin de la présence de sa proie ou de celle 
de son ennemi, on diroit qu’elle est bien 
plus disposée à être prise par les pêcheurs, 
ou à succomber à la faim, ou à périr sous 
la dent meurtrière de très-gros poissons. 

Elle ne parvient pas non plus à une 
grandeur aussi considérable que la batis et 
quelques autres raies ; on n’en trouve que 
très - rarement et qu’un bien petit nombre 
d’un poids supérieur à vingt-cinq kilo- 
grammes (soixante livres, ou environ) (1), 


dans deux lignes parallèles , trois devant et trois der- 
rière. Le dos de quelques autres, outre les cinq 
taches noires, est marqué de blanc. L'on ne peut 
décider si ces dissemblances proviennent de l’âge où 
du sexe , ou si on doit les regarder comme l'effet de 
la différence d’espèces. SONNINI. 

(1) M. Walsh, membre du parlement d’Angle- 
terre, et de la société de Londres, prit, dans Îa 


K 4 


152 EI SAT0OFERE 
et ses muscles paroissent bien moins forts à 
proportion que ceux de la batis. 

Ses dents sont lrès-courtes ; la surface 
de son corps ne présente aucun piquant ni 
aiguillon. Petite, foible, indolente, sans 
armes, elle seroit donc livrée sans défense 
aux voraces habitans des mers dont elle 
peuple les profondeurs, ou dont elle habite 
les bords; mais, indépendamment du soin 
qu’elle a de se tenir presque toujours cachée 
sous le sable ou sous la vase, soit lorsque 
la belle saison l’attire vers les côtes , soit 
lorsque le froid l’éloigne des rivages et la 
repousse dans les abimes de la haute mer, 
elle a reçu de la Nature une faculté par- 
üculière bien supérieure à la force des dents, 
des dards, et des autres armes dont elle 
auroit pu êlre pourvue ; elle possède la puis- 
sance remarquable et redoutable de lancer, 
pour ainsi dire, la foudre ; elle accumule 
dans son corps et fait jaillir le fluide élec- 
trique avec la rapidité de léclair; elle im- 


baie de Tor, une torpille qui avoit quatre pieds de 
long , deux pieds et demi de large, et quatre pouces 
et demi dans sa plus grande épaisseur ; elle pesoit 
cinquante-trois livres (O£ torpedos fonnd on the 


coast of England, p.4.) 


DE S CASLIENS. 155 


prime une commotion soudaine et paraly- 
sante au bras le plus robuste qui s’avance 
pour la saisir, à l’amimal le plus terrible 
qui veut la dévorer ; elle engourdit pour 
des instans assez longs les poissons les plus 
agiles dont elle cherche à se nourrir; elle 
frappe quelquefois ses coups invisibles à 
une distance assez grande , et par cette ac- 
lion prompte, et qu'elle peut souvent re- 
nouveler , annuiant les mouvemens de ceux 
qui l’attaquent et de ceux qui se défendent 
contre ses efforts, on croiroit la voir réaliser 
au fond des eaux une partie de ces prodiges 
que la poésie et la fable ont attribués aux 
fameuses enchanteresses dont elles avoient 
placé lempire au milieu des flots, ou près 
des rivages. 

Mais quel est donc dans la torpille lor- 
gane dans lequel réside cette électricité 
particulière ? et comment s'exerce ce pou- 
. voir que nous n'avons encore vu déparli à 
aucun des animaux que l’on trouve sur 
l'échelle des êtres, lorsqu'on en descend Îles 
dégrés depuis l’homme jusques au genre des 
raies ? 

De chaque côté du crâne et des branchies 
est un organe particulier qui s'étend com- 
munément depuis le bout du museau jusqu’à 


154 HISTOIRE 
ce cartilage demni-circulaire qui fait partie 
du diaphragme , et qui sépare la cavité de 
. Ja poitrine de celle de l'abdomen. Cet organe 
aboutit d’ailleurs, par son côté extérieur , 
presque à l’origine de la nageoire pectorale. 
11 occupe donc un espace d'autant plus 
grand relativement au volume de l’animal, 
qu'il remplit tout l'intérieur compris entre 
la peau de la partie supérieure de la torpille, 
et celle de la partie inférieure. On doit voir 
aisément que la plus grande épaisseur de 
chacun des deux organes est dans le bord 
qui est tourné vers le centre et vers la ligne 
dorsale du poisson , et qui suit dans son 
contour toutes les sinuosilés de la tête et 
des branchies contre lesquelles il s'applique. 
Chaque organe est attaché aux parties qui 
l’'environnent par une membrane cellulaire 
dont le tissu est serré, et par des fibres 
tendineuses , courtes, fortes et droites, qui 
vont depuis le bord extérieur jusqu’au car- 
üilage demi-circulaire du diaphragme. 
Sous Ja peau qui revêt la partie supérieure 
de chaque organe électrique, on voit une 
espèce de bande éiendue sur tout l’ergane, 
composée de fibres prolongées dans le sens 
de la longueur du corps, et qui, exceplé 
ses bords, se confond, dans presque toute 


DES RAIES. 155 


sa surface supérieure, avec le tissu cellulaire 
de la peau. 

Immédiatement au dessous de cette bande 
on en découvre une seconde de même na- 
ture que la première, et dont le bord inté- 
rieur se mêle avec celui de la bande supé- 
rieure , mais dont les fibres sont situées dans 
le sens de la largeur de la torpille. 

Cette bande inférieure se continue dans 
l'organe proprement dit par un très-srand 
nombre de prolongemens membraneux qui 
y forment des prismes verticaux à plusieurs 
pans, ou, pour mieux dire , des tubes creux, 
perpendiculaires à la surface du poisson, et 
dont la hauteur varie et diminue à mesure 
qu'ils s’éloignent du centre dé l'animal ou 
de la ligne dorsale. Ordinairement la hau- 
teur des plus longs tuyaux égale six ving- 
tièmes de la longueur totale de l'organe ; 
celle des plus petits en égale un vingtième, 
el leur diamètre, presque le même dans 
tous, est aussi d’un vingtième, ou à peu 
prés. 

Les formes des différens tuyaux ne sont 
pas toutes semblables ; les uns sont hexa- 
gones, d’autres pentagones, et d’autres carrés; 
quelques-uns sont réguliers, mais le plus 
grand nombre est d’une figure irrégulière. 


156 HAS TO IRE 

Lesprolongations membraneuses quicom- 
posent les pans de ces prismes sont très- 
déliées , assez transparentes , élroitement 
unies l’une à l’autre par un réseau lâche 
de fibres tendineuses qui passent oblique- 
ment et transversalement entre les tuyaux; 
et ces tubes sont d’ailleurs attachés ensemble 
par des fibres fortes et non élastiques qui 
vont directement d’un prisme à l’autre. On 
a compté, dans chacune des deux organes 
d’une grande torpille, jusqu’à près de douze 
cents de ces prismes. Au reste, entre la 
partie inférieure de Forgane et la’peau qui 
revèôt le dessous du corps du poisson , on 
trouve deux bandes entièrement semblables 
à celles qui recouvrent les extrémités supé- 
rieures des tubes. 

Non seulement la grandeur de ces tuyaux 
augmente avec l’âge de la torpille, mais 
eacore leur nombre s’accroit à mesure que 
Vanimal se développe. 

Chacun de ces prismes creux est d’ailleurs 
divisé dans son intérieur en plusieurs inter- 
valles par des espèces de cloisons horison- 
tales , composées d’une membrane déliée 
et très-transparente, paroissant se réunir 
par leurs bords, attachées dans l’intérieur 
des tubes par une membrane cellulaire très- 


DES RAÏES. 15} 


fine, communiquant ensemble par de petits 
vaisseaux sanguins, placées l’une au dessus 
de l’autre à de très-petites distances, et 
formant un grand nombre de petits inters- 
tices qui semblent contenir un fluide. 

De plus, chaque organe est traversé par 
des artères, des veines, et un grand nombre 
de nerfs qui se divisent -dans toutes sortes 
de directions entre les tubes, et étendent 
de petites ramifications sur chaque cloison , 
où 1ls disparoissent (1). 

T'el est le double instrument que la Nature 
a accorde à la Lorpille ; tel est le double siège 
de sa puissance électrique. Nous venons de 
voir que ; lorsque cette raie est parvenue à 
un certain dégré de développement, les deux 
organes réunis renferment près de deux mille, 
quatre cents tubes, Ce grand assemblage de: 
tuyaux représente les batteries électriques , 
si bien connues des physiciens modernes ; 
et que composent des bouteilles fulminantes, 
appelées bouteilles de Leyde, disposées dans 


(1) Ceux qui désiréront des détails plus étendus sur 
les organes qe nons venons de déérire , pourront 
ajouter aux résullats de nos observations ceux qu'ils 
trouveront dans excellent ouvrage de J. Hunter, 


intitulé : Observations anatomiques sur ld torpille. 


158 H:15 TO LR'E 


ces batteries de la même manière que les 
tubes dans les organes de la torpille, beau- 
coup plus grandes à la vérité, mais aussi 
bien moins nombreuses. 

Voyons maintenant quels sont les effets 
de ces instrumens fulminans; exposons de 
quelle manière la torpille jouit de son pou- 
voir électrique. Depuis très-long-tems on 
avoit observé , ainsi que nous l’avons dit, 
cette curieuse faculté (1); mais elle étoit 
encore inconnue dans sa nature et dans 


(1) Parmi les anciens , Hippocrate est le premier 
qui parle de la torpille, mais il ne fait pas mention 
de la commotion que ce poisson excite dans ceux qui 
le touchent. Cependant Platon, presque contempo- 
rain d’Hippocrate , a connu la propriété électrique 
de la torpille, car, dans un dialogue , il fait dire 
à Socrate : «Tu m’as étourdi par tes objections, 
comme la torpille, poisson de mer aplati, étourdit 
ceux qui la touchent ». 

Aristote a dit, au Liv. 9, chap. 57 de l'Histoire des 
animaux, que quand la torpille veut prendre quel-. 
ques poissons , elle se cache dans le sable et dans Je 
limon , et qu'elle engourdit les poissons qui passent 
au dessus d’elle. «Tout autant qu’elle en engourdit , 
ajoute Aristote, elle les prend; c’est un fait dont on 
a des témoins oculaires». Plus loin, le philosophe grec 
dit que l’engourdissement que canse la torpille est 
assez conuu, et qu'elle le fait éprouver aux hommes 


DES RAÏIES. 159 


plusieurs de ses phénomènes, lorsque Redi 
chercha à en avoir une idée plus nette que 
les savans qui l’avoient précédé. 1l voulut 
éprouver la vertu d’une torpille que lon 
venoit de pêcher. & A peine lavois-je tou- 
chée et serrée avec la main, dit cet habile 
observateur (1), que j'éprouvai dans celte 
parlie un picotement qui se communiqua 
dans le bras et dans toute l’épaule, et qui 
fut suivi d’un tremblement désagréable, et 


mêmes. ( Voyez les notes sur l’histoire des animaux 
d’Aristote , par Camus , tom. II , p. 800.) 

Théophraste , Tiphilus , Pline , Plutarque et 
d’autres auteurs anciens out parlé de la torpille ; mais 
les passages de leurs ouvrages seroient assez inutiles 
à rassembler; ils n’apprennent rien. Oppien est celui 
de tous les anciens qui semble indiquer avec plus de 
précision l’endroit du corps de la torpiile d’où sortent 
les émanations électriques. 


Natura torpedo datum , proprium quoque membris. 
Hæc gravis et mollis, suut nullæ in corpore j'igre 
Vires , et nimium piemitur gravitate natantem 

Nou credas: liquidis ita clam subrepit in undis. 

At duo se tollunt distenta per ilia rami. 

Qui fraudem pro robore habent , piscemque tuentur. 
Quos si quis tractat, perdit per membra vigorem, 
Sanguine concreto rigidos nec commovet artus. 


Volvuntur subito contracto in corpore vires. 


ALIRTICON. lib. 2, v. 62. 
SONNINI, 


(1) Experimenta circa res diversas naturales, 


160 ÉL'MS'E O TRE 
d’une douleur accablante et aiguë dans le 
coude, en sorte que je fus obligé de retirer 
aussitôt la main ». Cet engourdissement à 
été aussi décrit par Réaumur, qui a fait 
plusieurs observations sur la raié torpille. 
« Il est très-différent des engourdissemens 
ordinaires, à écrit ce savant naturaliste; on 
ressent dans toute létendue du bras une 
espèce d’étonnement qu’il nest pas possible 
de bien peindre ,; mais lequel (autant que 
les sentimens peuvent se faire connoître par 
comparaison) a quelque rapport avec la 
sensation douloureuse que Fon éprouve dans 
le bras lorsqu'on s’est frappé rudement le 
coude contre quelque corps dur (1) ». 
Redi, en continuant de rendre compte de 
ses expériences sur la raie dont nous écri- 
vons l’histoire, ajoute : & La même impres- 
sion se renouveloit toutes les fois que je 
m'obstinois à toucher de nouveau Ja torpiile. 
Il est vrai que la douleur et le tremblement 
diminuérent à mesure que la mort de la 
torpille approchoit,: Souvent même je n’é- 
prouvois plus aucune sensation semblable 
aux premières; et lorsque la torpille fut 


A 0 de 0 


(1) Mémoires de l'académie des sciences, année 
17140" 
décidément 


DESMRMATES. 164 
décidément morte, ce qui arriva dans les- 
pace de trois heures, je pouvois la manier 
en sûreté, et sans ressentir aucune impres- 
sion fâcheuse. D’après cette observation , je 
ne suis pas surpris qu'il y ait des gens qui 
révoquent cet effet en doute, et regardent 
l'expérience de la torpille comme fabuleuse ; 
apparemment parce qu'ils ne l’ont jamais 
faite que sur une torpille morte ou près de 
mourir »4 

Mais ce n’est pas seulement lorsque la 
torpille est trés - affoiblie et près d’expirer 
qu'elle ne fait plus ressentir de commotion 
électrique; il arrive assez souvent qu’elle ne 
donne aucun signe de sa puissance invisible, 
quoiqu’elle jouisse de toute la plénitude de 
ses forces. Je l'ai éprouvé à la Rochelle ; 
en 1777, avec trois ou quatre raies de cette 
espèce qui n’avoient été pêchées que depuis 
très-peu de tems, qui étoient pleimes de vie 
dans de grands baquets remplis d’eau, et 
qui ne me firent ressentir aucun coup que 
près de deux heures après que j'eus com- 
mencé de les toucher et de les manier en 
différens sens. Réaumur rapporte même; 
dans les Mémoires que je viens de citer , 
qu’il toucha , impunément et à plusieurs re- 
prises, des torpilles qui étoient encore dans 

Poiss. Tome IJ1. L 


3162 MISTOIRE 


la mer, et qu’elles ne lui firent éprouver 
leur vertu engourdissante que lorsqu'elles 
furent fatiguées en quelque sorte de ses attou- 
chemens réitérés. Mais revenons à la narra- 
tion de Redi, et à l’exposition des premiers 
phénomènes relatifs à la torpille, et bien 
observés par les physiciens modernes. 

« Quant à l'opinion de ceux qui prétendent 
que la vertu de la torpille agit de lom, a 
écrit encore Redi, je ne puis prononcer ni 
pour ni contre avec la même confiance. 
Tous les pêcheurs affirment constamment 
que cette vertu se communique du corps 
de la torpille à la main et au bras de celui 
qui la pêche par l’intermède de la corde du 
filet et du bâton auquel il est suspendu. 
L'un d'eux m'assura même qu'ayant mis 
une torpille dans un grand vase, et étant 
sur le point de remplir ce vase avec de 
l'eau de mer qu’il avoit mise dans un second 
bassin, il s’étoit senti les mains engourdies, 
quoique légèrement. Quoi qu'il en soit, je 
n'oserois nier le fait; je suis même porté à 
le croire. Tout ce que je puis assurer, c’est 
qu’en approchant la main de la torpille sans 
la toucher, ou en plongeant mes mains dans 
Veau où elle étoit, je n’ai ressenti aucune 
impression. Il peut se faire que la torpille, 


DES RATES. 163 


lorsqu'elle est encore pleine de vigueur dans 
Ja mer, et que sa vertu n’a éprouvé aucune 
dissipation, produise tous les effets rapportés 
par les pêcheurs ». 

Redi observa de plus que la vertu de la 
torpiile n’est jamais plus active que lorsque 
cet animal est serré fortement avec la main, 
et qu'il fait de grands efforts pour s'échapper. 
_ Indépendamment des phénomènes que 
nous venons d'exposer, il remarqua les 
deux organes parliculiers situés auprès du 
crâne et des branchies, et que nous veneus 
de décrire; et il conjectura que ces organes 
_devoient être le siège de la puissance de la 
torpille. Mais, lorsqu'il voulut remonter à 
la cause de l’engourdissement produit par 
cette raie, il ne trouva pas dans les con- 
noissances physiques de son siècle les secours 
nécessaires pour la découvrir; et se corfor- 
mant, ainsi que Perrault et d’autres savans, 
à la manière dont on expliquoit de son 
tems presque tous les phènomènes, il eut 
recours à une infimité de corpuscules qui 
sortent continuellement, selon lui, du corps 
de la torpille, sont cependant plus abon- 
dans dans certaines circonstances que dans 
d’autres, et engourdissent les membres dans 
lesquels ils sinsinuent, soit parce qu'ils s’y 


9 


164 EU S TO KR:E 
précipitent en trop grande quantité, soit 
parce qu'ils s’y trouvent des routes peu 
assorties à leurs figures. 

Quelque inadmissible que soit cette hypo- 
thèse, on verra aisément, pour peu que 
lon soit familier avec les théories élec- 
triques, qu’elle n’est pas aussi éloignée de 
la vérité que celle de Borelli, qui eut re- 
cours à une explication plus mécanique. 

Ce dernier auteur distinguoit deux états 
dans la torpille : l’un où elle est tranquille, 
l’autre où elle s’agite par un violent trem- 
blement; et 1l attribue la commotion que 
l’on éprouve, en touchant le poisson, aux 
percussions réitérées que cette raie exerce, 
à l’aide de son agitation, sur les tendons et 
les ligamens des articulations. 

Réaumur vint ensuite ; mais, ayant ob- 
servé la torpille avec beaucoup d'attention, 
et ne l'ayant jamais vue agitée du mouve- 
ment dont parle Borelli, même dans l’ins- 
tant où elle alloit déployer sa puissance, il 
adopta une opinion différente , quoique 
rapprochée, à beaucoup d'égards, de celle 
de ce dernier savant. 

€ La torpiile, dit-1l, n’est pas absolument 
plate; son dos, ou plutôt tout le dessus de 
son corps, est un peu convexe. Je remarquai 


DES KR 'ATTES. 165 
que, pendant qu'elle ne produisoit ou ne 
vouloit produire aucun ergourdissement 
dans ceux qui la touchoient, son dos gar- 
doit la convexité qui lui est naturelle. Mais 
se disposoit-elle à agir, insensiblement elle 
diminuoit la convexité des parties de son 
corps qui sont du côté du dos, vis-à-vis de 
la poitrine ; elle aplatissoit ces parties; quel- 
quefois même de convexes qu’elles sont , 
elle les rendoit concaves : alors l'instant éloit 
venu où l’engourdissement alloit s'emparer 
du bras ; le coup étoit prêt à partir, le bras 
se trouvoit engourdi; les doigts qui pres- 
soient le poisson étoient obligés de lâcher 
prise ; toute la partie du corps de l'animal 
qui s’éloit aplatie redevenoit convexe. Mais, 
au lieu qu’elle s’étoit aplatie insensiblement, 
elle devenoit convexe si subitement qu’on 
n’apercevoit pas le passage d’un élat à 
lautre..... Par la contraction lente qui est 
l'effet de laplalissement, la torpille bande, 
pour ainsi dire, tous ses ressorts; elle rend 
plus courts tous ses cylindres; elle aug- 
mente en même tems leurs bases. La con- 
traction s’est-elle faite jusqu'à un certain 
point, tous les ressorts se débandent, les 
fibres longitudinales s’alongent; les transver- 
sales, ou celles qui forment les cloisons, se 

L 5 


166 HASTOITRE 
raccourcissent ; chaque cloison, tirée par les 
fibres longitudinales qui s’alongent, pousse 
en haut la matière molle qu'elle contient, 
à quoi aide encore beaucoup le mouvement 
d’ondulation qui se fait dans les fibres trans- 
versales lorsqu'elles se contractent. Si un 
doigt touche alors la torpille, dans un ins- 
tant il recoit un coup, ou plutôt il reçoit 
plusieurs coups successifs de chacun des 
cylindres sur lesquels 1l est appliqué..... 
Ces coups réitérés donnés par une matière 
moile ébranlent les nerfs; ils suspendent ou 
changent le cours des esprits animaux ou 
de quelque fluide équivalent; ou, si on 
l'aime mieux encore, ces coups produisent 
dans les nerfs un mouvement d’ondulation 
qui ne s'accommode pas avec celui que 
nous devons leur donner pour mouvoir le 
bras. De là naît l'impuissance où l’on se 
trouve d'en faire usage , et le sentiment 
douloureux ». 

Aprés cette explication , qui, malgré les 
erreurs qu'elle renferme relativement à la 
cause immédiate de l’engourdissement , ou, 
pour mieux dire; d’une commotion qui 
n'est qu'une secousse électrique, montre les 
mouvemens de contraction et d'extension 
que la torpille imprime à son double organe 


DES RAIES. 167 


lorsqu'elle veut paralyser un être vivant qui 
la touche. Réaumur rapporte une expé- 
rience qui peut donner une idée du dégré 
auquel s'élève le plus souvent la force de 
lélectricité de la raie dont nous traitons. Il 
mit une torpille et un canard dans un vase 
qui contenoit de l’eau de mer, et qui étoit 
recouvert d’un linge, afin que le canard ne 
püt pas s’envoler. L'oiseau pouvoit respirer 
trés - librement, et néanmoins au bout de 
quelques heures on le trouva mort : il avoit 
succombé sous les coups électriques que lui 
avoit portés la torpille; il avoit été, pour 
ainsi dire, foudroyé par elle. 

Cependant la science de l'électricité fit 
des progrès rapides, et fut cultivée dans 
tout le monde savant. Chaque jour on cher- 
cha à en étendre le domaine; on retrouva 
la puissance électrique dans plusieurs phéno- 
mènes dont on n’avoit encore pu donner 
aucune raison satisfaisante. Le docteur 
Bancroft soupconna l'identité de la vertu 
de la torpille, et de l’action du fluide élec- 
trique ; et enfin M. Walsh, de la société 
de Londres, démontra cette identité par des 
expériences très-nombreuses qu'il fit auprès 
des côtes de France, dans l’île de Ré, et 
qu'il répéta à la Rochelle, en présence des 

L 4 


168 HISTOIRE 


membres de l'académie de cette ville (1). 
Voici les principales de ces expériences (2). 


(1) Of the electric property of the torpedo. 
London , 1774. 

(2) Je ne dois pas passer sous silence l’opinion 
d’un anglais , qui a cru trouver la cause de la com- 
motion excitée par la torpille dans le magnétisme. 
Voici les expériences par lesquelles il a prétendu 
appuyer son sentiment à ce sujet : elles ont été 
publiées à la suite d’une Dissertation en anglais sur 
le pian, par le docteur Godefroi Wils Schilling, 
et traduites dans le Journal de physique du mois de 
septembre 1772. 

« La commotion que la torpille donne à l’homme 
qui la touche, est sans contredit surprenante. La 
ressemblance de cette commotion avec les effets de 
l'électricité, a fait comparer ce poisson par plusieurs 
physiciens avec la bouteille de Leyde , et les a portés 
à croire que tous ses effets dépendent de sa vertu élec- 
trique. Je n’admettrai ni ne rejetterai cette opinion; 
peut-être trouvera-t-on, dans les observations sui- 
vantes, un motif de plus pour l’admettre, Cette raison 
paroîtra sur-tout démonstraiive à ceux qui pensent 
que la vertu électrique et la force magnétique recon- 
noissent le même principe. J’ai eu, au mois de juillet 
de l’année 1764, une torpille de six pouces de lon- 
gueur et d’un pouce d'épaisseur, sur laquelle j'ai 
répété des expériences avec l'attention la plus scru- 
puleuse, 


» Ce poisson fut placé dans un baquet assez grand 


DES RAIES. 169 


On posa une torpiile vivante sur une ser- 
viette mouillée. On suspendit au plancher, 


———— —— —_—— ——_—_—_—_—_—_— re © À 


pour pouvoir y nager commodément. [1 excitoit de si 
fortes commotions que tous ceux qui le touchèrent 
perdirent pour un moment la faculté de mouvoir 
leur bras et le sentiment dans cette partie. 

» J’avois alors deux pierres d’aimant , l’une natu- 
relle et l’autre artificielle ; à l’une des deux étoit 
suspendu un poids de quatre onces. Après avoir 
enlevé ce poids, j'approchois laimant du poisson 
placé dans l’eau sur une table, et je vis le poisson 
se mouvoir aussitôt dans toutes ses parties, quoiqu'il 
ne fût touché par aucun corps; ayant approché 
Vaimant de plus près, je vis avec étonnement ce 
poisson faire des efforts pour s’enfuir; mais, pour 
pousser plus loin mon expérience, j'appayai mon 
aimant sur l’eau dans laquelle le poisson nageoit. Ea 
torpille s'étant agitée pendant près d’une heure de 
plusieurs manières différentes, s’approcha enfin de 
plus en plus de Paimant , et s’attacha à lui de la 
même manière que le fer s’y attache. Ce spectacle 
me frappa tellement que j’appelai à lPinstant tous 
mes amis , afin de les rendre témoins de ce plhéno- 
mène ; M. Stok , docteur en médecine et excellent 
physicien, fut du nombre. 

« Nous séparâmes le poisson d’avec l’aimant par 
le moyen d’un instrument de bois et avec beaucoup 
de précautions, parce que personne n’osoit le tou- 
cher. Il paroissoit d’abord se séparer de lui-même 
pour ainsi dire, mais à contre cœur ; il étoit lan- 
guissant , et lorsqu'il fut à une certaine distance , 1l 


170 HASTOIRE 
et avec des cordons de soie, deux fils de 
laiton : tout le monde sait que le laiton, 


reprit sa première vigueur. Alors un des assistans le 
toucha sans sentir aucune commotion. Peu de jours 
après , il s’'approcha de nouveau de l’ainant , comme 
s’il en étoit attiré ; il demeura attaché pendant près 
de demi-heure, après quoi il quitta l’aimant de 
lui-même ; alors on pouvoit le toucher impunément : 
Paimant n’empêcha pas le poisson de prendre sa 
nourriture, quoique suspendu dans l’eau. 

» Après avoir retiré celte pierre de l’eau , nous 
Ja trouvâmes couverte de petites particules ferru- 
gineuses , comme lorsqu'on approche lPaimant de la 
Hmaille de fer. Ce nouveau phénomène angmenta 
notre surprise et fit naître de nouvelles conjectures. 
Je jetai la torpille dans un autre baquet où j'avois 
fail mettre de petits poissons , des vers et des mor- 
ceaux de pain. Le poisson en est devenu plus vigou- 
reux , et on pouvoit alors le toucher impunément, Je 
voulus recommencer mes expériences au bout de 
quelques Jours, mais je m’aperçus que la torpille 
n’avoit plus aucune vertu. Huit jours après, ayant 
observé la même chose, je m’avisai de jeter de la 
limaille de fer dans l’eau où étoit la torpille , Ctrelte 
ne tarda pas à recouvrer sa vertu. Quelques jours 
après, elle produisit sur mes doigts une commotion 
assez forte, mais elle ne parvint pas jusqu’au coude. 

» L’aimant étant approché de nouveau, le poisson 
s’y attacha comme la première fois; il n’y demeura 
pas aussi long-tems, ct il ne causa plus dans la suite 
de commotions sensibles au bras de ceux qui le tou- 


DES CROATIES. 171 
ainsi que tous les métaux, est un très-bon 
conducteur d'électricité, c’est-à-dire, qu'il 
conduit ou transmet facilement le fluide 
électrique , et que la soie est au contraire 
non conductrice, c’est-à-dire, qu’elle op- 
pose un obstacle au passage de ce même 
fluide. Les fils de laiton employés par 
M. Walsh furent donc, par une suite de 
leur suspension avec de la soie, isolés, ou, 
ce qui est la même chose , séparés de toute 
substance perméable à l'électricité ; car l'air, 
au moins quand il est sec, est aussi un très- 
mauvais conducteur électrique. 


chèrent. Depuis ce tems, je n’ai laissé échapper 
aucune occasion d'examiner ce magnétisme. J’ai 
observé que la grosseur du poisson contribuoit beau- 
coup à l’augmentation de sa vertu, et que celle-ci 
étoit proportionnée à l’autre. J’ai approché l’aimant 
d’une torpille de six pieds de longueur, mais fort 
mince; elle a demeuré très-long-tems avaut de s’y 
attacher; enfin elle s’y est unie au bout de vingt- 
quatre heures. Les plus petites m'ont toujours paru 
moins rebelles contre l’aimant. À la première ap- 
proche de cette pierre, elles éprouvent une plus forte 
attraction ; jai même vu une torpille de quatre pieds 
de long et d’environ un pied d'épaisseur, n’être 
point du tout affectée par mes aimans. On parviendroit 
peut-être à Les attirer avec des aimans plus forts ». 
SONNINI. 


172 HISTOTRE 


Auprès de la torpille étoient huit per- 
sonnes disposées ainsi que nous allons Îe 
dire, et isolées par le moyen de tabourets 
faits de matières non conductrices, et sur 
lesquels elles étoient montées. 

Un bout d’un des fils de laiton étoit ap- 
puyé sur la serviette mouillée qui soutenoit 
la torpille, et l’autre bout aboutissoit dans 
un premier bassin plein d’eau (1). La pre- 
mière personne avoit un doigt d’une main 
dans le bassin où étoit le fil de laiton, et un 
doigt de lautre main dans un second bassin 
également rempli d’eau; la seconde personne 
tenoit un doigt d’une main dans le second 
bassin , et un doigt de l’autre main dans un 
troisième; la troisième plongeoit un doigt 
d’une main dans le troisième bassin, et un 
doigt de l’autre main dans un quatrième, 
et ainsi de suite, les huit personnes com- 
muniquoieut l’une avec l’autre par le moyen 
de l’eau contenue dans neuf bassins. Un 
bout du second fil de laiton étoit plongé 
dans le neuvième bassin; et M. VValsh 
ayant pris l’autre bout de ce second fil mé- 
tallique, et l'ayant fait toucher au dos de 


a DR se 


(1) Nous n’avors pas besoin d'ajouter que l’eau 
est un excellent conducteur. 


MES RAIES. 175 
Ja torpille, il est évident qu'il y eut à lins- 
tant un cercle conducteur de plusieurs 
pieds de contour, et formé sans interruption 
par la surface inférieure de lanimal, la ser- 
vielte mouillée, le premier fil de laiton, le 
premier bassin, les huit personnes, les huit 
autres bassins, le second fil de laiton, et le 
dos de la torpille. Aussi les huit personnes 
ressentirent-elles soudain une commotion 
qui ne différoit de celle que fait éprouver 
une batterie électrique que par sa moindre 
force ; et, de même que dans les expé- 
riences que l’on tente avec cette batterie, 
M. Walsh, qui ne faisoit pas partie du 
cercle déférent ou de la chaîne conductrice, 
ne recul aucun coup, quoique beaucoup 
plus près de la raie que les huit personnes 
du cercle. 

Lorsque la torpille étoit isolée, elle fai- 
soit éprouver à plusieurs personnes isolées 
aussi quarante où cinquante secousses suc- 
cessives dans l’espace d'une minute et demie: 
ces secousses éloient toutes sensiblement 
égales; et chaque effort que faisoit animal 
pour donner ces commotions éloit accom- 
pagué d’une dépression de ses yeux, qui, 
très-saillans dans leur état naturel, ren- 
troient alors dans leurs orbites, tandis que 


174 HISTOIRE 
le reste du corps ne présenltoit presque aucun 
mouvement très-sensible (1). 

Si l'on ne touchoit que lun des deux 
organes de la torpille, il arrivoit quelque- 
fois qu’au lieu d’une secousse forte et sou- 
daine, on n’éprouvoit qu'une sensation plus 
foible , et pour ainsi dire plus lente ; on 
ressentoit un engourdissement plutôt qu’un 
coup; et quoique les yeux de lanimal fussent 
alors aussi déprimés que dans les momens 
où il alloit frapper avec plus d'énergie et 
de rapidité, M. Walsh présumoit que l’en- 
gourdissement causé par cette raie provient 
d’une décharge successive des tubes très- 
nombreux qui composent les deux sièges 
de son pouvoir , tandis que la secousse su- 
bite est due à une décharge simultanée de 
tous ses tuyaux. 

Toutes les substances propres à laisser 
passer facilement le fluide électrique, et 
qu'on a nommées conductrices, transmet- 


(1) Kæmpfer a écrit ( Amænit. exot. 1712, p.514) 
que l’on ponvoit , en retenant son haleine , se garantir 
de la commotion que donne la torpille; mais M. Walsh, 
et plusieurs autres physiciens qui se sont occupés de 
l'électricité de cette raie, ont éprouvé que cette 
précaution ne diminuoit en aucune manière la force 
de la secousse produite par ce poisson électrique. 


L 


DES RATES. 175 
toient rapidement la commotion produite 
par la torpille ; et tous les corps appelés 
non conducteurs , parce qu'ils ne peuvent 
pas livrer un libre passage à ce même fluide, 
arrêtoient également la secousse donnée 
par la raie, et opposoient à sa puissance 
un obstacle insurmontable. En. touchant, 
par exemple , l'animal avec un bâton de 
verre, ou de cire d'Espagne , on ne res- 
sentoit aucun effet; mais on étoit frappé 
violemment lorsqu'on mettoit à la place de 
la cire ou du verre une barre métallique 
ou un corps très-mouillé. 

Tels sont les principaux effets de l’élec- 
tricité des torpilles, très-bien observés et 
très-exactement décrits par M. VValsh, et 
obtenus depuis par un grand nombre de 
physiciens. Ils sont entièrement semblables 
aux phénomènes analogues produits par 
l'électricité naturelle des nuages , ou par 
Pélectricité artificielle des bouteilles de 
Leyde et des autres instrumens fulminans. 
De même que la foudre des airs ou la foudre 
bien moins puissante de nos laboratoires, 
l'électricité de la torpille, d'autant plus forte 
que les deux surfaces des batteries fulmi- 
nantes sont réunies par un contact plus 
grand et plus immédiat, parcourt un grand 


i76 HAS T'ORRE 


cercle, traverse tous les corps conducteurs; 
s'arrête devant les substances non conduc- 
trices , engourdit ou agite violemment, et 
met à mort les êtres sensibles qui ne peuvent 
se soustraire à ses coups que par l'isolement, 
qui les garantit des eflets terribles des nuages 
orageux. 

Une différence très-remarquable paroît 
cependant séparer cette puissance des deux 
autres : la torpille , par ses contractions, ses 
dilalations, et les frottemens qu’elles doivent 
produire dans les diverses parties de son 
double organe, charge à l'instant les milliers 
de tubes qui composent ses batteries ; elle 
y condense subitement le fluide auquel elle 
doit son pouvoir, tandis que ce n’est que 
par des dégrés successifs que ce même fluide 
s'accumule dans les plateaux fulminans, ou 
dans les batieries de Leyde. 

D'un autre côté , on n’a pas pu jusqu’à 
présent faire subir à des corps légers sus- 
pendus auprès d’une Lorpille les mouve- 
mens d'attraction et de répulsion que leur 
imprime le voisinage d’une bouteille de 
Leyde ; et le fluide électrique, lancé par 
celte raie, n’a pas pu, en parcourant son 
cercle conducteur, traverser un intervalle 
assez grand d’une partie de ce cercle à une 

autre , 


DES RAIES. 177 
autre, et être assez condensé dans cet espace 
pour agir sur le sens de la vue, produire 
la sensation de la lumière, et paroître sous 
la forme d’une étincelle. Mais on ne doit 
pas désespérer de voir de très-grandes tor- 
pilles faire naître dans des tems favorables, 
et avec le secours d’ingénieuses précautions, 
ces derniers phénomènes que l’on a obtenus 
d’un poisson plus électrique encore que la 
torpille, et dont nous donnerons l’histoire 
en traitant de la famille des gymnotes , à 
laquelle il appartient (1). On doit s'attendre 
d'autant plus à voir ces effets produits par 
un individu de l’espèce que nous examinons, 
qu'il est aisé de calculer que chacune des 
deux principales surfaces de l'organe double 
et électrique d’une des plus larges torpilles 
pêchées jusqu’à présent devoit présenter une 
étendue de cent décimètres ( près de vingt- 
neuf pieds ) carrés ; et tous les physiciens 
savent quelle vertu redoutable l'électricité 
artificielle peut imprimer à un seul plateau 
fulminant de quatorze décimètres carrés 


(1) Voyez le Discours sur la nature des poissons, 
et l’article du gymnote électrique , vulgairement 
connu sous le nem d’anguille de Cayenne, ou de 
Surinam. ai 


Poiss, Tome III. M 


178 HISTOIRE 
( quatre pieds carrés ou environ ) de sur 


face (1). 


(1) Des expériences nouvelles ont été faites sur la 
propriété singulière et curieuse de la torpille; elles 
sont trop importantes pour être omises , CL lee com= 
pletteront l’histoire d’un poisson sHBre. 

Je rapporterai d'abord les recherches d’un grand 
observateur, de l’abbé Spallanzani. 

Spallanzani a eu occasion d'observer deux torpilles 
dans la Méditerranée. Ses observations s'accordent 
avec celles de M. Walsh.Il a reconnu , comme ce savant, 
que la sensation occasionnée par la torpille est très- 
différente d’un simple engourdissement ; il a vu aussi 
que, lorsqu'on place la torpille sur une lame de 
verre , elle donne un coup beaucoup plus fort; mais 
sl n’a pas été plus heureux que lui pour découvrir 
V’étincelle au moment du choc. Cependant il n’hésite 
point à regarder tous les phénomènes que présente 
ce poisson cemme un effet de l'électricité : il appelle 
par-tout commotion le coup qu’il lance. Il se fonde 
à cet égard sur la parfaite ressemblance de la sen- 
sation que la torpille occasionne , avec celle que fait 
éprouver la bouteille de Leyde, et sur la plus grande 
force du choc, lorsqu'on place la torpille sur une 
lame de verre; mais il n’entreprend point d'expliquer 
quelles sont les modifications que le fluide électrique 
subit dans le corps de cet animal , et comment il y est 
mis cn jen. 

Comme il n’a eu en sa possession que deux tor- 
pilles , il n’a pas pu répéter toutes les expériences 
que M. Walsh a exécutées ; mais il en a fait quelques- 


A reste, ce n’est pas seülement dans la 


nes qui lui sont propres. & En irritant le dos de la 
#orpille, j'obtenois, dit-il, la secousse , soit qu’elle 
füt hors de l’eau, soit qu’elle y fût plongée. La 
secousse se faisoil sentir, où à une seule main, ou à 
toutes les deux, suivant que j’en appliquois ou une 
seule , où l’une et l’autre sur le dos du poisson. Si, 
au lieu d'irriter le dos, je piquois légèrement la poi- 
trine » 7€ récevois également une commotion, mais 
pas aussi élément qu’en piquant le dos. Si j’irri- 
tois lé dés d’une main, et la poitrine de l’autre , celle- 
Jà recevoit la commotion, et non pas duase Mais 
lorsque j’irritois Le dos avec deux doigts d’une main, 
&t avec Îles huit autres doigts la poitrine, alors c’est du 
côté de la poitrine que partoit la secousse. Jai obtenu 
tous ces résultats , sans m'être jamais isolé , et il étoit 
aussi indifférent que le poisson le fût on ne le fût 
pas... J’ai rapporté cette suile de faits, non pour 
‘éontredire la belle théorie des deux états différens de 
Pélectricité , découverts sur la torpille par M. Walsh, 
mais pour là soumettre au jugement des physiciens 
qui cultivent cette branche naissante d’expériences 
physiologico-électriques ». | 

Quelques minutes avant que les torpilles expi- 
rassént , elles offrirent à l’ohservateur un fait assez 
curieux. Les secousses ne se firent plus sentir alors, 
comme auparavant ; par intervalles ; elles se chan- 
gèrent en une batterie continuelle de petits coups 
ässez légers. « Supposez, ce sont ses termes , que 
ÿ'eusse sous Îles doigts un cœux actuellement en pul-, 


M 2 


180 ETS T O FRE 
Méditerranée et dans la partie de l'Océan 


sation , et vous aurez quelque idée de ce phénomène 
bizarre , à l’exception que ce cœur n’auroit produit 
sur moi aucune sensation douloureuse, là où ces 
petites secousses occasionnoient sur une main une 
véritable douleur , qui ne s’étendoit pas au delà des 
doigts. La batterie dura sept minutes ; et pendant ce 
court espace de tems, mes doigts ressentirent trois 
cent seize secousses; puis elles s interrompirent , et 
alors je n’éprouvai Ale que quelques secousses lan- 
guissantes.toutes les deux ou trois Are jusqu’à 
ce que la torpille fût morte ». 

M. Spallanzani nous apprend encore cet autre fait 
intéressant , que la torpille est capable de donner la 
secousse électrique , non seulement lorsqu'elle est née 
et qu’elle nage dans l’eau, mais aussi lorsqu'elle est 
encore comme fœlus renfermé dans le sein mater- 
nel. 1l en disséqua une à l'instant où elle venoit 
d’expirer : c’étoit une femelle. T1 vit dans son ovaire 
des œufs presque ronds et de différentes grandeurs; 
et en ouvrant deux vaisseaux qui aboutissoient au 
rectum , il trouva deux fœtus parfaitement formés 
qu’il détacha de Jeurs enveloppes, et qu’il soumit 
aux mêmes épreuves qu'ilavoit faites sur leur mère; 
ils Ini donnèrent une véritable secousse , petite à la 
vérité , mais très-sensible, et qui le devint plus encore 
lorsqu’ il les isola sur une ne de verre. | 

En 1792, Guisan répéta les expériences de Walsh, 
de Willamson, d’Ingenhouz , etc. et son travail servit 
à confirmer celui des premiers observateurs. 11 a cons- 
taié que la propriélé électrique dans la torpille ne 


qui baigne les côtes de l'Europe , que l’on 


survivoit pas au battement du cœur, et il a aperçu 
la lumière de létincelle électrique dans l’obscurité; 
il a vu cette étincelle avec facilité, l’a fait voir à 
beaucoup de personnes, ainsi que les aigrettes lumi- 
neuses que l’on observe souvent dans les expériences 
de l'électricité. 

Une lettre de Vassali-Eandi à J. C. Delamétherie, 
publiée en 1799 dans le Journal de physique , annonce 
que ce physicien se propose de vérifier les faits avan- 
cés par les observateurs qui Pont précédé. « Je crois, 
dit-il, que je trouverai quelques vérités parmi les 
fables qu’Aristote , Pline , Théophraste et leurs com- 
mentateurs ont débitées sur la torpille. Je tâcherai de 
réduire à leur juste valeur les relations singulières 
que Schilling et Kæmpfer nous ont laissées sur cet 
objet ». Spallanzani avoit fait voir à Vassali , dès 1702, 
ses grandes tables sur l’anatomie des organes électri- 
ques de la torpille , et lui avoit dit qu'ayant essayé de 
couper les trois grands faisceaux nerveux , qui , en se 
divisant , viennent embrasser les prismes remplis de 
matière molle qui composent la plus grande partie 
du corps de la torpille , il observa que le poisson 
perdoit la propriété de donner des secousses; ce qui 
fait dire à Vassali que dans la torpille les nerfs expri- 
ment l’électricité contenue dans les muscles , et qu’au 
contraire, lorsqu'on n’avoit point touché aux nerfs, on 

obtenoit encore de petites secousses de cet animal, 
même quelque tems après sa mort. 

Vassali expose ensuite sa théorie en peu de mots, 
dans les termes suivans : 


M 3 


182 HISTOIRE: 


trouve la torpille ; on rencontre aussi cetié 


‘ 
« Je soupçonne que les poissons secouans ont Îa 


faculté de condenser le fluide électrique dans une 
partie de leur corps , et que dans la posilion ordinaire 
de leurs organes intérieurs , ce fluide est retenu par 
un voile cohibent , qui devient ensuite déférent par 
la raréfaction, où par laddition des humeurs, et 
laisse passer l’électricité condensée chaque fois que 
le poisson veut donner la secousse. Dans cette théorie, 
l'air et la nourriture fourmiroient l'électricité, comme 
aux autres animaux (Journal de physique, germinal 
an 7, pag. 359), et les organes électriques seroicnt 
la partie du corps dans laquelle se condenseroit le 
fluide électrique : le milicu , dans lequel vit la tor- 
pille, ne sauroit présenter aucun obstacle à cette 
théorie , soit à cause de la structure de l'animal , qus 
par la nature de l’eau relativement à l'électricité. 

» Je ne chercherai pas à prouver la première de ces 
propositions, ayarrt en elle-même le plus grand dégre 
de probabilité , comme je l’ai dit dans la lettre sus- 
mentionnée ; elle démontre aussi que les différentes 
parties de l’animal ont dans le même tems des élec- 
tricités contraires ; et la dénomination d’organes 
électriques , qui,a été donnée par les auteurs aux 
muscles décrits par Redi et Fern@n, me paroït con 
frmer la seconde; car ils ne donnèrent ce nom aux 
muscles des poissons secouans qu'après avoir été 
persuadés que la secousse étoit électrique , et qu’elle 
venoit de ces organes. Je pourrois encore appuyer 
mon assertion par la nature même des organes de la 
torpiile , qui sont composés d'un très- grand nombre 


DES" RATES. 183 


raie dans le golfe Persique , dans la mer 


de tuyaux hexagones et pentagones ( Hunter en 
compta 1182 dans un seul muscle d’une torpille 
longue de près d’un mètre [ trois pieds |), lesquels se 
partagent , selon Réaumur , en plusieurs autres 
tuyaux ou cellules remplis d’ane matière blanche et 
glutineuse , qui paroît propre à retenir l'électricité. 
Si on examine ensuite la structure du gymnote, com- 
posé en grande partie de mucilage qui se fond entre 
les doigts, et la surface de son corps couverte de 
petits points jaunâtres, lesquels sont autant d’orifices 
de petits tuyaux, dont le plus grand nombre se 
trouve sur la tête et sur les autres parties qui 
donnent les plus fortes secousses, on conviendra 
qu’elle s'accorde parfaitement avec mon opinion sur 
la cause de ce phénomène. 

» L’effort que fait la torpille avant de donner Ia 
secousse , la contraction de son corps, qui, de con- 
vexe qu'il étoit, devient concave, et la dépression 
de ses yeux, qui a lieu en même tems, peuvent 
expliquer la modification du voile cohibent ét la 
sortie du fluide électrique. Personne n’ignoré com- 
bien nos organes intérieurs sont modifiés par les 
passions et par la volonté ; on sait en outre que leg 
corps perdent de leur capacité pour conténir léléc- 
tricité , à proportion que leur volume diminue ; de 1& 
il doit donc s’ensuivre , dans la torpille , la plus 
grande condensation de l'électricité par la diminution 
de son volume , et la modification du voilé cohibent , 
produite par la volonté ou par. la passion dans un 
méme tems ; en conséquence la secousse ne sera 


M 4 


184 HISTOIRE 

Pacifique, dans celle des Indes , auprès du 
cap de Bonne - Espérance , et dans plusieurs 
autres mers (1). 


qu'un effet des lois connues du fluide électrique et 
de la physique animale; le décroissement des secousses ‘ 
successives, leur défaut fréquent et enfin total suivent 
aussi les mêmes lois. L'observation d’Abilgaard, qui 
a galvanisé , à Naples, la torpille , et n’y a observé 
aucune irritation particulière (Humboldt, pag. 284), 
peut encore appuyer l’action de la volonté dans les 
phénomènes de ce poisson ». SONNINI:. 


(1) L'on a remarqué que les torpilles qui vivent 
dans les eanx de la Méditerranée ont le dos d’un 
rouge de brique , et que celles des mers du Nord 
sont d’un gris brun ; toutes sont blanches sur la face 
inférieure. Elles se tiennent dans les fonds vaseux 
ct sablonneux , et se cachent souvent dans le sable 
même des rivages; l’on assure qu’elles sont alors plus 
vigoureuses, et donnent des commotions plus fortes 
que quand elles sont dans l’eau. De tous les petits 
poissons dont elles font leur pâture , les loches de 
rivière sont ceux qu’elles préfèrent ; on les prend, 
comme les autres raies, à l’hameçon et aux filets ; 
elles ont aussi une grande vitalité, car on peut les 
conserver vivantes hors de l’eau pendant plus de 
vingt-quatre heures. 

Les anciens avoient une toute autre opinion que 
les modernes au sujet de la chair de la torpille. Ils 
se sont accordés à la regarder comme un bon mets, 
et même comme ayant des proprielés salutaires. 


BÉES RATES. 185 


Hippocrate dit que c’est un aliment sain, et il con- 
seille de la manger rôtie lorsqu'on est attaqué de 
l’hydropisie qui provient de l’obstruction du foie. 
Galien en parle en plusieurs endroits de ses ou- 
vrages et toujours avec éloge ; il en recommande 
l’usage aux épileptiques , et il la faisoit appliquer 
sur la tête , pour diminuer les douleurs de cette 
partie; Dioscoride la conseilloit aussi contre les 
rhumatismes. Suivant Platon, c’est un mets agréable, 
et Athénée assure que les torpiiles du Nil sont très- 
délicates. Il est vrai que les anciens, qui aimoient en 
général les assaisonnemens de haut goût , faisoient 
ordinairement cuire les torpilles avec de l’huile, du 
vin , des herbes aromatiques et un peu de fromage. 

De nos jours, la torpille passe pour un mauvais 
poisson ; il est en effet de chair molle et sentant la 
vase ; et il ny a que les gens peu aisés qui en 
mangent. 

Les abissins font un singulier usage de la torpille 
pour la guérison de la fièvre. On lie le malade très- 
étroitement sur une table , et on lui applique le pois- 
son successivement sur tous les membres; cette opé- 
ration fait cruellement souffrir celui que l’on y 
soumet, mais elle le délivre de la fièvre. 

SONNINI: 


186 HISTOIRE 


ae 
= 


LA RAIE AIGLE (a, 


PAÉOCACÉPEDE 


DIXFÈME ESPÈCE. 


C'rsr avec une sorte de fierté que ce 
grand animal agite sa large masse au milieu 
des eaux de la Méditerranée et des autres 
mers qu'il habite; et cette habitude, jointe 


(1) Dans plusieurs départemens méridionaux de 
France, glorieuse , pesce ratto , rate penade ( chauve 
souris), tare-franke, faucon de mer, eraso e ferraza. 
Sur la côte de Gênes , rospo ( crapaud). Sur d’autres 
côtes d'Italie , aquila. 

Baie mourine. Daubenton , Encycl. méthod. 

Raja aquila. Lin. édit. de Gmel, — Mus. Ad. Fr. 2, 
Det. 

Raja caudé pinnaté, aculeoque unico. Bloch, Hist. 
des poissons , part. 3 , p. 59, n° 3 ,pl. zxxxr. 

Raie mourine. Bonat. pl. de l’Encycl. méthod. 

Raja corpore glabro , aculeo longo , serrato in caudé& 
pinnata. Artedi, gen. 72,syn, 100. 

Leiobatus capite exserto , etc. Klein , Miss. pisc. 3, 
p.33, n° 4. — Arist. Hist. anim. hb. 5, c. 5. — Plin. 
ist. mundi, lib. 9, cap. 24. — Salvian. Aquat. 
p. 146 D, 147. — Aldrov. Pise. p. 438 — 440. 1% 
Jonston, Pisc. p. 55, tab. 9, fig. 8 et 9. — Willughb: 


DES RATES. 187 
à la lenteur que cette raie met quelquefois 
dans ses mouvemens, et à l'espèce de gra- 
vité avec laquelle on diroit alors qu’elle les 


mens 


Ichth. p. 64, tab. c. 2, app. tab. 10. — Raj. Pisc. 
p. 25. — Belon , Aquat. p. 97. 

Aquila marina. Gesner, Aquat. p.75. Icon. anim; 
por, 1222 Dhierb. p.67, 68 , paral.,p. 38. 

Pastinaea ( secunda species ), Rondelet, première 
partie , Liv. 12, chap. 2. 

Pastenaque (troisième espèce), ou aigle-poisson. 
Valmont de Bomare , Dict. d’hist. naturelle. 

Raja aculeata , pastinaca marina dicta. Plumier, 
Dessins enluminés sur vélin , déposés dans la biblio- 
thèque da museum d'histoire naturelle. 


(2) Les anciens donnoient le nom d’aigle à une 
espèce de raie; mais il n’est pas prouvé qu’ils aient 
appliqué cette dénomination au poisson qui fait le 
sujet de cet article. Ce que lon trouve dans leurs 
ouvrages ne consiste qu’en de simples indications dont 
on ne peut tirer des inductions certaines. Aristote ne 
parle de l’aietos, l'aigle, que pour dire qu’il est du 
nombre des selagues. { Hist. des anim. liv. 5, cap.5, 
traduct. de Camus.) Pline se contente d'écrire que 
dans le geure des poissons plats il y à une espèce 
que les grecs appellent aigle. (Hist. nat. lb. 9, 
cap. 24.) L’aieios, suivant Oppien , se mêle avec 
les autres poissons cartilagineux (liv. 1, v. 642.). 
11 n’est pas possible, d’après des notices aussi su- 
perficielles, de se former une idée de la confor- 
mation du poisson aigle des anciens , et l'application 


188 HIS T'OLRE 


exécute, lui a fait donner l’épithète de glo- 
rieuse sur plusieurs rivages (1). La forme 
et la disposition de ses nageoires pectorales , 
terminées de chaque côté par un angle aigu, 
et peu confondues avec le corps proprement 
dit, les a d’ailleurs fait comparer à des ailes 


que Îles modernes ont voulu en faire à quelques 
espèces de raies n’est fondée que sur des conjectures 
extrèémement vagues ; il seroit donc inutile de s’y 
arrêter. 

C’est l’oxypterides , pastinaca marina lævis altera 
de Columna , cap. 1, p. 5, tab. 2. 

La raie aigle est appelée en Allemagne , mceradler ; 
en Hollande, zee-vhermuis , pulsteert, deicle; à 
Hambourg, quaadrorhen, c’est.à-dire , mauvaise raie ; 
en Angleterre , sea eagle; à Rome et à Naples, agui- 
lone ; à Malte, harmiema ; en Sardaigne, pesce aqguila ; 
à Marseille, Zancette. 

Raja corpore glabro , aculeo lonso serrato in caud& 
pinnalä... raja aquila. Brunnich , Ichth. massil. p. 2. 

SONNINI. 

(1) C’est ce qu’a fort bien exprimé Rondelet dans 
son vieux et naïf langage. « Elle nage lentement , 
dit-il, é comme en gravité, d’où en Languedoc a 
esté nommée glorieuse. E ainsi qu’un cheval vigou-. 
reux, bien pansé , bien harnaché, marche bravement, 
é rue contre ceux qui s’approchent; ainsi la glorieuse 
nageant de telle sorte, pique de son éguillon les 
poissons nageans près elle». (ist. des poissons ; 
liv. 12, chap. 2.) SoNNINE 


plus particulièrement encore que celles des 
autres espèces de raies : elles en ont recu 
plus souvent le nom ; et comme leur étendue 
est très-grande, elles ont rappelé l'idée des 
oiseaux à la plus grande envergure, et la 
raie que nous décrivons a été appelée aigle 
dès les premiers tems où elle à été obser- 
vée (1). Ce qui a paru ajouter à la ressem- 
blance entre l’aigle et le poisson dont nous 
traitons, c’est que cette raie a aussi la tête 
beaucoup plus distincte du corps que presque 
toutes les autres espèces du même genre, et 
que cette partie plus avancée est terminée 
par un museau alongé et très-souvent peu 
arrondi. De plus, ses yeux sont assez gros 
et très-saillans ; ce qui lui donne un nouveau 
trait de conformité, ou du moins une nou- 
velle analogie avec le dominateur ds airs, 
avec l’oiseau aux yeux les plus perçans. C’est 
principalement sur les côtes de la Grèce, 
dans ces pays favorisés par la Nature, où 
une heureuse imagination ne rapprochoit 
les êtres que pour les embellir ou les ennoblir 
Yüun par l’autre, que la raie dont nous trai- 
tons a été distinguée par le nom d'agle ; 


(r) Voyez ma note au commencement de cet 
article. SONNINL 


290 LIST O FRE 

mais , sûr d’autres rivages , des pêcheurs 
grossiers, dont les concepiions moins poé- 
tiques n’enfantoient pas des images aussi 
nobles ni aussi gracieuses, n’ont vu dans 
cette tète plus avancée et dans ces yeux 
plus saillans que les ÿeux et la tête d’un 
animal dégoûtant, que le portrait du cra- 
paud , et ils l'ont nommé crapaud de mer. 

Cette tête, que l’on à comparée à deux 
objeis si difiérens l’un de l’autre, présente 
au reste, par dessus et par dessous, au moins 
le plus souvent , un sillon plus ou moins 
étendu et plus ou moins profond. Les denis, 
comme celles de toutes les raies du sous- 
genre qui nous occupe, sont plates et dis- 
posées sur plusieurs rangs. 

On a écrit que la raie aigle n’avoit pas dé 
nageoires ventrales, parce que celles de ses 
nageoires qui sont les plus voisines de l’anus 
ne sont pas doubles de chaque côté, et ne 
montrent pas une sorte d’échancrure qui 
puisse les faire considérer comme divisées 
en deux parties , dont lune seroit appelée 
rageoire ventrale , et lauire nageoire : de 
Fanus : mais, en recherchant où s'attachent 
les cartilages des nageoires de la raie aigle, 
qui se rapprochent le plus de l’origme de 
la queue, on s'aperçoit aisément qu’elle a de 


DES RATIES. 191 
véritables nageoires ventrales, mais qu’elle 
manque de nageoires de l’anus. 

La queue, souvent deux fois plus longue 
que la tête et le corps, est très - mince , 
presque arrondie , très-mobile , et terminée, 
pour ainsi dire, par un fil très-délié. Quel- 
ques observateurs ont vu dans la forme, la 
longueur et la flexibilité de cette queue, 
les principaux caractères de la queue des 
rats ; ils se sont empressés de nommer rat 
de mer la raie qui est l’objet de cet article, 
tandis que d’autres, réunissant à cet attribut 
celui de nageoires semblables à des ailes, 
ont vu un ral ailé, une chauve-souris, et 
ont nommée la raie aigle chauve - souris 
marine. On connoît maintenant l’origine des 
diverses dénominations de rat, de chauve- 
souris , de crapaud, d’aigle , données à la 
raie dont nous parlons ; et comme il est 
impossible de confondre un poisson avec un 
aigle, un crapaud, un rat ou une chauve- 
souris, nous aurions pu sans 1nconvénient 
conserver indifféremment l’une ou lautre 
de ces quatre désignations: mais nous avons 
préféré celle d’aigle comme rappelant la 
beauté, la force et le courage, comme em- 
ployée par les plus anciens écrivains , et 


192 HISTOIRE 


comme conservée par le plus grand nombre 
des naturalistes modernes. 

La queue de la raie aigle ne présente 
qu'une petite nageoire dorsale placée au 
dessus de cette partie, et beaucoup plus près 
de son origine que de l’extrémité opposée. 
Entre cette nageoire et le petit bout de la 
queue, on voit un gros et long piquant , ou 
plutôt un dard très-fort, et dont la pointe 
est tournée vers l’extrémité la plus déliée 
de la queue. Ce dard est un peu aplati, et 
dentelé des deux côtés comme le fer de 
quelques espèces de lances: les pointes dont 
il est hérissé sont d’autant plus grandes 
qu’elles sont plus près de la racine de ce 
fort aiguillon; et comme elles sont tournées 
vers cette même racine, elles le rendent une 
arme d'autant plus dangereuse qu’elle peut 
pénétrer facilement dans les chars, et qu’elle 
ne peut en sorlir qu'en tirant ces pointes à 
contre-sens, et en déchirant profondément 
les bords de la blessure. Ce dard parvient 
d’ailleurs à une longueur qui le rend encore 
plus redoutable. Plusieurs naturalistes, et 
notamment Gronovius, ont décrit des ai- 
guillons d’aigle qui avoient un décimètre 
(quatre pouces ou à peu près) de longueur ; 

Pline 


DES RATES. 195 


Pline a écrit que ces piquans étoient quel- 
quefois longs de douze ou treize centimètres 
( cinq pouces ou environ } (1), et j'en ai me- 
suré de plus longs encore. 

Cette arme se détache du corps de la raie 
après un certain Lems; c’est ordinairement 
au bout d’un an qu’elle s’en sépare, suivant 
quelques observateurs; mais, avant qu’elle 
tombe , un nouvel aiguillon et souvent deux 
commencent à se former, et paroissent comme 
deux piquans de remplacement auprès de la 
racine de l’ancien. 1l arrive même quelque- 
fois que l’un de ces nouveaux dards devient 
aussi long que celui qu'ils doivent remplacer, 
et alors on voit la raie aigle armée sur sa 
queue de deux forts aïguillons dentelés. 
Mais cette sorte d’accident, cette augmen- 
tation du nombre des piquans ne conshtue 
pas même une simple variété, bien loin 
de pouvoir fonder une diversité d’espèce , 
ainsi que l’ont pensé plusieurs naturalistes , 
tant anciens que modernes, et particuliè- 
rement Aristote (2). 


(1) Pline, liv. 9, chap. 48. 

(2) Il en est de même de la longueur plus ou moins 
grande de la queue , caractère qui a servi à quelques 
naturalistes pour distinguer deux espèces de raies 


Poiss. TouEe III. N 


194 HA ST © IERTE 

Lorsque cette arme particulière est Im- 
troduite très-avant dans la main, dans le 
bras, ou dans quelque autre endroit du 
corps de ceux qui cherchent à saisir la raie 
aigle ; lorsque sur-tout elle y est agitée en 
différens sens, et qu'elle en est à la fin 
violemment retirée par des efforts muili- 
pliés de l'animal, elle peut blesser le pé- 
rioste, les tendons, ou d’autres parties plus 
ou moins délicates, de manière à produire 
des inflammations, des convulsions, et d’au- 
tres syinplômes alarmans. Ces terribles effets 
ont été bientôt regardés comme les signes 
de la présence d’un venin des plus actifs ; 
et comme si ce n'étoit pas assez que d'allri- 
buer à ce dangereux aiguillon dont la queue 
de la raie aigle est armée, les qualités re- 
doutables , mais réelles , des poisons, on à 
bientôt adopté sur sa puissance delétère les 
faits les plus merveilleux, les cenies les plus 
absurdes. On peut voir ce qu'ont écrit de 
ce venin mortel Oppien, Elien, Pline; 
car, relativement aux eflets fuuestes que 


em = 


aigles. ( Aldrovaude, Willughby, Ray, etc.) Mais 
cette différence est purement accidenteile et ne suffit 


pas sans doute pour former des espèces séparées. 


SONNINI. 


DÉS RAÏNES. 195 


nous indiquons, ces trois auteurs ont en- 
tendu par leur pastenaque ou leur raie tri- 
gone, non seulement la pastenaque propre- 
ment dite, mais la raie aigle , qui a les plus 
grands rapports de conformation avec cette 
dernière. Non seulement ce dard dentelé a 
paru aux anciens plus prompt à donner la 
mort quelesflèches empoisonnées des peuples 
à demi-sauvages; non seulement ils ont cru 
qu'il conservoit sa vertu mal-faisante long- 
tems après avoir été détaché du corps de 
la raie; mais son simple contact tuoit l’ani- 
mal le plus vigoureux, desséchoit la plante 
la plus vivace, faisoit périr le plus gros arbre 
dont il attaquoit la racine. C'étoit larme 
terrible que la fameuse Circé remettoit à 
ceux qu’elle vouloit rendre supérieurs à tous 
leurs enneïhis ;'et quels effets plus redou- 
tables, selon Pline, que ceux que produit 
cet aiguillon, qui pénètre dans tous les corps 
avec la force du fer et activité d’un poison 
funeste ? 

Cependant ce dard, devenu l’objet d’une 
‘si grande crainte , h'agit que mécaniquement 
sur l’homme ou sur les animaux qu’il blesse. 
Et sans répéter ce que nous avons dit (à) 


(1) Discours sur la nature des poissons. 


N 2 


196 HISTOIRE 


des prétendues qualités vénéneuses des pois- 
sons, l’on peut assurer que lon ne trouve 
auprés de la racine de ce grand aiguillon 
aucune glande destinée à filtrer une liqueur 
empoisonnée; on ne voit aucun vaisseau 
qui puisse conduire un venin plus ou moins 
puissant jusqu’à ce piquant dentelé ; le dard 
ne renferme aucune cavilé propre à trans- 
mettre ce poison jusques dans la blessure ; 
et aucune humeur particulière n’imprègne 
ou n’humecte cette arme, dont toute la 
puissance provient de sa grandeur, de sa 
dureté, de ses dentelures, et de la force 
avec laquelle l'animal s’en sert pour frap- 


per (1). 


(1) Plusieurs naturalistes, parmi lesquels il faut 
compter Linnæus , assurent que l’aiguillon des raies 
cst très-venimeux ; les marins et les pêcheurs en sont 
convaincus ; quand ils trouvent de ces poissons dans 
leurs filets, ils s'empressent de leur couper la queue 
et de la jeter à la mer. Cependant il est constaté, 
par les expériences récentes de Spallanzani, que 
l’arme:vraiment dangereuse des raies n’a rien de veni- 
meux , et que les maux qu’elle cause et qui peuvent 
même faire mourir , sont un effet de sa structure, 
par laquelle ses piquans pénètrent dans les chairs et 
les déchirent quand cet animal la retire. Au surplus, 
puisque les blessures faites par les aiguillons des 


DES RAIES. 199 


Les vibrations de la queue de la raie 
aigle peuvent en effet être si rapides, que 
l'aiguillon qui y est attaché paroisse en 
quelque sorte lancé comme un javelot, ou 
décoché comme une flèche, et recoive de 
celte vitesse, qui le fait pénétrer très-avant 
dans les corps qu'il atteint, une action des 
plus délétères. C’est avec ce dard ainsi agité, 
el avec sa queue déliée et plusieurs fois 
contournée , que la raie aigle atteint, saisit, 
cramponne , retient et met à mort les ani- 
maux qu'elle poursuit pour en faire sa proie, 
ou ceux qui passent auprès de son asile, 
lorsqu’à demi-couverte de vase elle se tient 
en embuscade au fond des eaux salées. C’est 
encore avec ce piquant très-dur et dentelé 
qu'elle se défend avec le plus d'avantage 
contre les attaques auxquelles elle est expo- 
sée; et voilà pourquoi , lorsque les pêcheurs 


yaies sont si fortes qu’elles peuvent donner la mort, 
peu importe pour leur effet que ces armes si terribles 
introduisent ou non quelque venin dans les chairs ; 
les pêcheurs ont toute raison de les redouter , et ils 
ne se trompent que sur la cause des maux qu'ils 
éprouvent lorsqu'ils en sont atteints. 

Il est défendu en Sardaigne de vendre la raie 
aigle avec le piquaut de sa queue. SONNINI:. 


N 5 


198 ES TOTRE 

ont pris une raie aigle, ils s'empressent de 
séparer de sa queue l'aiguillon qui la rend 
si dangereuse. 

Mais, si sa queue présente un piquant si 
redouté, on n’en voit aucun sur son corps. 
La couleur de son dos est d’un brun plus 
ou moins foncé, qui se change en olivâtre 
vers les côtés, et le dessous de l'animal est 
d’un blanc plus ou moins éclatant. Sa peau 
est épaisse, coriace, et induite dune li- 
queur gluante. Sa chair est presque toujours 
dure (1); mais son foie, qui est très-volu- 
mineux et très-bon à manger, fournit une 
grande quantité d'huile (2). 

Au reste, on trouve les raïes aigles beau- 
coup plus rarement dans les mers septen- 
trionales de l’Europe que dans la Méditer- 


(1) Elle a quelquefois une mauvaise odeur, et 
toujours elle est difficile à digérer ; il n’y a que les 
gens de la basse classe qui en mangent, parce que 
n'étant pas recherchée par les riches c’est un mets à 
bas prix. Les pauvres même ne s’en nourrissent que 
quand le poisson est jeune. L’on voit beaucoup de ces 
petites raies qui ne pèsent guère plus de deux livres, 
dans les marchés de Rome. SONNINI. 


(2) La couleur du foie est jaunâtre. Il est divisé 


en deux lobes, dont l’un est grand et rond , et l’autre 
petit et alongé. SONNINI. 


… COMES:R A TES. 109 


ranée et d’autres mers situées dans des climats 
chauds ou tempérés; et c’est particulièrement 
dans ces mers moins éloignées des tropiques 
que l’on en a pèché du poids de quinze my- 
riagrammes (plus de trois cents livres) (1). 

Nous avons trouvé, parmi les papiers du 
célébre voyageur Commerson , un dessin 
qui représente une raie. Cet animal, figuré 
par Commerson, est évidemment de l'espèce 
de la raie aigle ; mais il en diffère par des 
caractères assez remarquables pour former 
une variété très-distincte et plus ou moins 
constante. 

Premièrement, la raie de Commerson, à 
laquelle ce naturaliste avoit donné le nom de 
mourine , qui a été aussi applique à la raie 
aigle par plusieurs auteurs ,a la tête beaucoup 
plus avancée et plus distincte des nageoires 
pectorales et du reste du corps que l’aigle 
que nous venons de décrire ; secondement, 
la nageoire dorsale, située sur la queue, et 


(1) J'ai vu beaucoup de raies aigles sur les rivages 
de l'Egypte. 

Ces raies préfèrent les fonds vaseux, et comme les 
autres espèces , elles se nourrissent de petits poissons 
et d’autres animaux aquatiques. 

SONNINI. 


N 4 


200 HISTOIRE 

l’aiguillon dentelé qui l'accompagne , sont 
beaucoup plus près de l’anus que sur la raie 
aigle ; et troisièmement, le dessus du corps, 
au lieu de présenter des couleurs d’une seule 
nuance, est parsemé d’un grand nombre de 
petites taches plus ou moins blanchätres. 
C’est dans la mer voisine des îles de France 
et de Madagascar qu’on avoit pêché cette 
variété de la raie aigle dont Commerson 
nous a laissé la figure. 


HES RATES. 201 


a 
— — 


LA RAIE NARINARI (i). 


ONZIÈME ESPÈCE. 


P; R M1 les espèces de raies qui se trouvent 
au Brésil, il en est une qui porte le nom 
de narinari pinima; elle a beaucoup de 
rapports avec l’espèce précédente , de la- 
quelle la plupart des naturalistes ne l'ont 
point séparée. Willughby a rapporté dans 
un chapitre particulier la description même 
de Marcgrave (2); ce qui fait conjecturer 
que l’auteur anglais considéroit ce poisson 
comme une espèce distincte. Artedi s’est 
contenté de faire de la narinari une simple 
variété dans l'espèce de l'aigle (3). Cepen- 
dant, si on examine avec attention , dans 
l'ouvrage de Marcgrave, la description et 


(1) Narinari brasiliensibus. Marcgr. Hist. nat. bras. 
hbi44, p'a175. 

Raja narinari, Marcgravii. Artedi, Gen. pisc. 
gen. 45, sp. 6, var. a. 

Raja narinari, corpore lævi, supr& chalibeo ; 
maculis albis numerosis. Nov. act. Stockh. tom. II. 


(>) Hist. pisc. lib. 3, cap. 3, p. 66. 
(5) Loco suprà citato. 


202 HISTOIRE 


la figure de cette raie du Brésil, l’on hésite 
à la réunir avec l'espèce précédente, et l’on 
sera peut-être disposé à partager mon sen- 
üment au sujet de ce poisson, qui me paroît 
être d’une espèce particulière. 

En effet. au nuheu des traits de ressem- 
blance qui existent vraiment entre la raie 
aigle et celle-ci, il est facile de saisir des 
disparités saillantes ; et au nombre de ces 
disparilés, je ne compterai pas même la 
privation de dents que Marcgrave attribue 
à la narinari (1), parce que cette asser- 
tion peut être une erreur de ce naturaliste. 
Je ne remarquerai pas non plus que la nari- 
nari porte un double piquant à la queue; 
ce caractère, ainsi qu'on l’a vu dans l’his- 
toire de la raie aigle, n’ayant rien de cons- 
tant ni de décisif, et ne pouvant pas même 
constituer une simple variété. Mais la raie 
du Brésil, suivant Marcgrave, a de petits 
yeux, tandis que ceux de l'aigle sont gros 
et saillans. La petite nageoire de la queue 
est, dans la première raie , tout à fait à 
Vorigine de cette partie, et vers son milieu 
dans la seconde ; les piquans de la première, 
longs de trois doigts, ont la forme d’hamecons 


(1) Os edentulum , Hist. bras. loco suprà citato. 


D'ES RATES: 209 


de pêche, et ceux de la seconde sont presque 
droits; la couleur de la première est en 
dessus d’un gris de fer, parsemé de taches 
blanches ; celle de la seconde est un brun 
plus ou moins foncé, sans aucune tache ; 
enfin, la chair de la narinari est de bon goût, 
et celle de la raie aigle est très-mauvaise. 
JI me paroît que ces disconvenances suffisent 
pour que cette dernière espèce ne soit plus 
confondue avec la narinari. 

Le corps de celle-ci acquiert un grand 
volume. Marcgrave assure que quarante 
hommes peuvent aisément se rassasier avec 
un seul de ces poissons. 

La narinari se trouve aussi dans la mer 
qui baigne les côtes limoneuses de la Guiane. 
Les français qui y sont établis la nomment 
raie chauve-souris (1). 


(1) Barrère, France équinox. pag. 178. Raja pinnis 
triangularibus, alas vespertilicnis referentibus. Nari- 
nari pinima Marcsr. Raie chauve-souris. 


20% AS TOLREÉE 


LA RAIE PASTENAQUE (1) (2}, 
PAR LACÉPÉDE. 
DOUZIÉÈÉME ESPÈCE. 

EE forme et les habitudes de cette raie 


sont presque en tout semblables à celles de 
la raie aigle que nous avons décrite. Mais 


(1) Auprès de Bordeaux, pastinaque, tareronde. 
Sur les côtes de France voisines de Montpellier, 
pastenago et vastango. À Rome , bruccho. Sur la côte 
de Gênes, ferrazza. En Sicile , bastonago. En Dal- 
matie, uéuglia. Eu Angleterre , fire flaire. Par plu- 
sieurs auteurs, éuréur. 

Raiïie pastenague. Daubent. Encyci. méthod. 

Raja pastinaca. Lin. édit. de Gmel. 

Raja caud& apterygi&, aculeo sagittato. Bloch, 
Hist. nat. des poiss. troisième partie, pl. LXxxx11. — 
Artedi, gen. 71, syn. 100. 

Raie pastenague. Bonat. pl. de l’Encycl. méth. — 
Mus. Ad. Fr. 2, p. 51 *. — Müller , Prodr. zool. dan. 
pag. 57, n° 510. — Gron. Mus. 1 , 141. Zooph. 158. 

Leiobatus, in medio crassus, etc. Klein, Miss. 
pisc. 5 ,p. 55, n° 5. — Aristot. Hist. anim. lib. 1, 
cap. 5. 

Pastinaca. Plin. Hist. mand. lib. 9, cap. 24 , 42. 

Pastenague. Rondelet , 1° partie, Liv. 12, chap. 1. 

Pastinaca, Saly. Aquat. p. 144, 145. — Gesner, 


DES RAIES. 205 
voici les traits principaux par lesquels la 
pastenaque diffère de ce dernier poisson. 
Son museau se termine en pointe au lieu 
d’être plus ou moins arrondi; la queue est 
moins longue que celle de la raie aigle , à 
proportion de la grandeur du corps, quoique 
cependant elle soit assez étendue en lon- 
gueur , très-mince et très-déliée ; et enfin 
cetle même partie non seulement ne pré- 


Aquat. p. 679. Icon. anim. p. 121 , 122. Thierb. 
p. 63 a. 

Pastinaca marina. Jonston, Pisc. p. 32, tab. 9, 
fig. 7. 

Pastinaca marina lœvis. Ray, Pise. p. 24. — Bel. 
Aquat. p. 95. 

Pastinaca marina nostra. Aldrov. Pise. p. 426. 

Pastinaca marina prima. Willughb. Ichth. p. 67, 
tab. c. 3. 

Gej. Kæmpfer, Voy. au Japon, p. 155. 

Sting ray. Pennant , Brit. zool. tom. III, p. 71, 
n° 6. 

Pastinaca marina oxyrinchos. Schonev. p. 56. 

Pastenaque. Valmont de Bomare , Dictionnaire 
d'histoire naturelle. 


(>) La pastenaque. En grec , tragon et érygon. En 
latin moderne , brucchus et pastinaca. En allemand, 
stechroche et grone topel. En hollandais , pyéstaart. 
En danois, kokkel. À Gênes, ferraza et euccio. Au 
Japon , gaz. SONNINI. 


206 EAST O LR FE 


sente point de nageoire dorsale ‘auprès 
de laiguillon dentelé dont elle est armée, 
mais même est entièrement dénuée de na- 


geoires (1). 


(1) L’aiguillon de la pastenaque est redouté par les 
pêcheurs comme celui de la raie aigle; ce que l’on a 
dit de ce deruier , et ce que j'en ai écrit moi-même 
convient également au piquant de la raie de cet 
article. ( Voyez ma note à la page 106.) 

I1 est cependant des pays où les pêcheurs ne 
montrent aucune frayeur à l’aspect de cette raie, 
que presque tous les autres ne touchent qu'avec une 
excessive précaution. Bloch (Histoire naturelle des 
poissons , art. de la pastenaque ) cite à ce sujet les pè- 

cheurs de Heiligeland, qui né la craignent point. Les 

esclavons remédient à la piquure de la raie aigle 
et de la pastenaque par le fie! blanc, comme ils disent, 
du calmar , connu d’eux sous le nom presque latin 
lighna ou d’oligagn. ( Voyage en Dalmatie par 
M. Fortis, tome II, pag. 178.) Ce savant ajoute que 
le meilleur remède est de lier fortement la partie 
piquée, et de scarifier la blessure pour en faire sortir 
le sang empoisonné. Nota, que, quand M. Fortis 
écrivit son voyage, il n’avoit pu avoir connoissance 
des expériences de Spallanzani , qui prouvent que 
‘Veffet du piquant de la raie est purement. mécanique, 
et ne porte avec lui dans les plaies aucune espèce de 
venin. 

L'on ne peut douter que ce ne soit de la pastenaque 
ou de la raie aigle que doit s’entendre le passage 


MES (RATES. 207 


La pastenaque paroît répandue dans un 
plus grand nombre de mers que la raie 


suivant d’un voyage moderne en Afrique: « Il est dan- 
gereux (sur la côte d’Angole) de pêcher à la seine; on 
court le risque d’être piqué par la éorpille , espèce de 
raie électrique dont la queue est armée d’un dard 
La piquure de ce poisson est fort dangereuse ; elle 
est ordinairement suivie d’un gonflement considérable 
dans la partie piquée, accompagné de douleurs cui- 
sautes, cet état dure plusieurs jours ; l’acide neutre 
en triomphe ». ({ Voyage à la côte occidentale d’A- 
frique , par De Grandpré, tome T, pag. 36.) La tor- 
pille n’a point daiguillon ni sur.le. corps, ni à la 
queue. 

Le piquant si dangereux de la pastenaque sert de 
scie à quelques peuplades sauvages de l’Amérique. fl 
passe au Japon, suivant Kæmpfer , comme un spéci- 
fique contre la morsure des serpens , si on en frotte la 
plaie; les japonais en portent toujours sur eux; mais 
ils prétendent que cette propriété de l’aisuillon n’exis- 
teroit pas s’il n’avoit pas élé retranché à l’animal 
vivant. 

La pastenaque connoît l'avantage que lui donne 
une arme si terrible ; elle en blesse les poissons afin 
de les saisir avec plus de facilité; Pline assure même 
qu’elle ne craint pas d'attaquer le requin. 

Ce qui a été dit, dans l’article précédent , au sujet 
de la qualité de la. chair et du foie de la raie aigle 
convient également à la pasten:que. 

SONNINI, 


208 HIISITO ERE 
aigle, et ne semble pas craindre le froid des 


mers du nord (1). 
Son piquant dentelé est souvent double 


et même triple, comme celui de la raie aigle: 


(1) Les pastenaques sont communes dans la Médi- 
terranée ; j’en ai vu pêcher de fort grosses dans l’ar- 
chipel de Grèce, où les insulaires les nomment 
salakie. T’on en prend aussi quelquefois sur les 
rivages de la Crimée , au rapport de M. Pallas. 
( Nouveau Voyage dans les gouvernemens méridio- 
naux de l’empire de Russie , 1802 , tom. IT, p. 400.) 
Cette espèce habite les eaux de presque toutes les mers 
de l’Europe et de l'Amérique ; et elle se trouve en si 
grand nombre sur quelques points de la nouvelle 
Hollande , que le capitaine Cook donna le nom de 
baie des pastenaques à un de ses mouillages sur la 
côte de ce continent. 

Comme la pastenaque ne craint point le froid des 
mers du Nord, il est probable que c’est cette espèce 
que l’équipage du capitaine Billings prit à la ligne 
le long du vaisseau dans le canal du prince Williams, 
sur la côte mord - ouest de l'Amérique. Cette raie 
étoit fort grosse , et lorsque les russes la hâloient à 
bord, les naturels du pays s’avancèrent avec fureur, 
et c’étoit à qui pourroit la percer de sa Jance; ils 
disoient que ce poisson étoit le diable. (Voyage dans 
le nord de la Russie asiaiique , etc. par le commo- 
dore Billings, traduit par Castéra , tom. 1, p. 577.) 

SONNIKL. 


nous 


DÉS RATES, 20ÿ 


hous croyons en conséquence devoir rap- 
porter à celte espèce toutes les raies qu’on 
n’en a séparées jusqu’à présent qu'à cause 
d’un aiguillon triple ou double. D'un autre 
côté, la nuance des couleurs, ét même la 
présence ou l’absence de quelques taches ne 
peuvent être regardées comme des carac- 
tères constans dans les poissons, et particu- 
lièrement dans les cartilagineux , qu'après 
un très-grand nombre dobservations répé- 
tées en différens tems et en divers lieux. 
Nous ne considérerons donc, quant à pré- 
sent, que comme des variétés plus ou moins 
constantes de la pastenaque, les raies qu’on 
n’a indiquées comme d’une espèce différente 
qu’à cause de la dissemblance de leurs cou- 
leurs avec celles de ce cartilagineux. Au 
reste, il nous semble important de répéter 
plusieurs fois dans nos ouvrages sur l’histoire 
naturelle, ainsi que nous l'avons dit très- 
souvent dans les cours que nous avons donnés 
sur cette science, que toutes les fois que nous 
sommes dauis le doute sur l'identité de l'espèce 
d'un animal avec celle d’un ‘autre , nous 
aimons mieux regarder le premier comme 
une variété que comme une espèce distincte 
de celle du second. Nous préférons de voir 
le tems venir, par des observalions nou- 


Poiss. Tome III. O 


210 ILES T O0 LR.E 


velles, séparer tout à fait ce quenous n'avions 
en quelque sorte distingué qu'à demi, plutôt 
que de le voir réunir ce que nous avions 
séparé ; nous desirons qu on ajoute aux listes 
que nous donnons des productions natu- 
relles , et non pas qu’on en relranche; et 
nous chercherons toujours à éviter de sur- 
charger la mémoire des naturalistes d'espèces 
nominales, et le tableau de la Nature de 
figures fantastiques (1). 


(1) Quelque fondée que soit l’opinion de Tacépède, 
j'avoue que je ne la partage point. Le mot variété est 
presque toujours d’une acception vague en histoire na- 
tarelle , et je crois qu’il ne doit être employé qu'avec 
quelque circohspection. Si les dissemblances qui sé- 
parent un animal d’un autre animal ne dépendent que 
de la différence du sexe ou de l’âge, ils forment une 
seule et unique espèce , et l’on ne peut pas dire que 
lun soit une variété de l’autre. Si des dissemblances 
entre des animaux très-voisins, et même de la même 
espèce, se perpétuent constamment , elles constituent 
une race plutôt qu'une variété. Enfin, lorsqu'il ne 
s’agit que de différences individuelles, dues à quelqne 
accident, et qui ne se propagent pas, c’est bien une 
variété; mais, comme elle n’est que passagère et for- 
tuite, elle mérite rarement que Pen en fasse mention. 
Ii est donc trés - dificile de fixer d’une manière pré- 
cise si un animal est une variété d’un autre, dans 
quelque sens que s’entende ce mot; et cela devient 


impossible quand on n’a que des notions incertaines 


DES EAMES, où 
sur un des objets de comparaison, et quelquefois sur 
tous les deux. Prononcer , en ce cas, qu’il ne s’agit 
que de variétés de la même espèce, e’est risquer de 
confondre deux objets qui peuvent être réellement 
distincts ; engourdir, pour ainsi dire, l’observation, 
qui ne cherchera pas à s’appesantir sur de simples 
Variétés , et retarder peut-être la connoïssance d’est 
pèces intéressantes, quoique très = rapprochées, par 
leurs attributs extérieurs, d'espèces déjà observées, 
Tout en rendant hommage à la solidité des raison-: 
nemens du grand, naturaliste dans l’ouvrage duquel: 
je trace ces foibles notes, ils ne m’ont pas convaincu, 
et j'ai suivi une route toute opposée : j'ai toujours 
pensé qu'à moins d’une certitude acquise de liden-. 
tité de deux êtres voisins , il valoit mieux les décrire 
séparément comme des espèces distinctes. Par ce 
moyen on appellé l’attention à leur sujet, et l’on a 
plus d’intérèt, plus de curiosité à les examiner , que 
si on les croit à peù près les mêmes. Du moment que 
l’on est forcé de remettre la décision au tems et à 
l’obsérvation , il vaut mieux exciter célle - ci et ne 
pas trop prolonger l'autre ; et lon w’évile pas tou- 
jours , ce me semble ; ce double inconvénient par la 
méthode contraire, c’est-à-dire, en ne parlant d’un 
objet peu connu que pour le réunir à celui qui l’est déjà 

D’après ces éoisidérations , je platerai à la suite 
de la pastenaque, mais comme espèces distinctes," 
quoique -Voisines ; plusieurs raies que ELacépède a 
réunies dans lé même aïticlé et dont il n’a dit qu’un 
mot, parce qu’il les a jugées, avec beaucoup de vrai= 
semblance; dé La même éspèce que la pastenaque. 


SONNINI. spi 


Q 2 


19 HISTOIRE 
MAR AIE XLTAVELE (i. 
TRÉIZLIÈME ESPÈCE. 


ÂÀ Naples on nomme altavela une raie qui 
a de nombreuses ressemblances avec la 
pastenaque ; ce qui a engage la plupart des 
ichthyologistes à la présenter comme une 
simple variélé de cette espèce (2), tandis que 
d’autres Font jugée d'espèce différente (3 ). 
C’est ceite incertitude, que de nouvelles 


(i ) Pastinaca marina altera pteryplateia, altavelæ 
Neapoli dicta. F. Colum. Obs. de Aquat. cap. 2, p. 4. 
— Willughb. IMist. pisc: lib. 3, cap. 2, pag. 65. — 
Ray, Pise. ET ETES 

Raja corpore glabro , aculeis duobus posticè serratis 
in, dorso apterygio..:. raja altavela. Lin. Syst. nat. 
edit. Gme!. gen. 150:,.8p:.7 » var. b. 

Raie pastenague artavelle, var. b. Daubent. Encyc. 
mé thod. 

Raiïe pastenague , artavelle. Bonaterre, planches de 
PEncycl. méth. 

Raja corpore glabro , aculeis sæpe Dibes. posticè 
serratis in cauda apterygia. Artedi , Gen. pisc. gen. 45, 
sp. 4; et Synonym. p. 100. 

(2) Linnæus , Artedi , gen. Daubenton, Lacé-. 
pède , etc. 

(5) Fo WilngEby, Artedi, Synonym. etc. 


DS RATES. 213 


observations n’ont pas encore fait dispa- 
roître, qui m'engage à traiter de l’altavèle 
dans un article particulier , jusqu’à ce que 
mieux connue elle demeure définitivement 
séparée, ou que l’on soit obligé de la réunir 
à la pastenaque (1). 

Columna est le premier qui ait donné la 
figure et la descriplion de l’altavèle (2). Il 
dit que les pêcheurs napolitains lui assurèrent 
que cette raie s’élevoit au dessus des eaux 
par une espèce de vol; ce qui le fit rire, 
et il eut raison. Elien, qui n’omettoit dans 
ses écrits aucune des fables ni aucun des 
bruits populaires de son tems, avoit fait le 
mème conte au sujet de la pastenaque, et 
il est probable que personne n’en rioit 
a lDnS 

La tête de ce poisson est plus petite, 
proportion gardée, que celle de la pasie- 
naque; son cerps est aussi moins élevé et 
moins alongé dans sa parlie antérieure, mais 
plus aminci au dessous des nageoires. La 
forme de ce poisson est un rhombe dont 
les angles sont plus grands et plus obtus que 
dans la pastenaque, et il n’acquiert jamais 


(1) Voyez ma note à la fin de l’article précédent. 
(2) Loco suprà cilato. : 


O 3 


1% HISTOIRE 


ni un volume, ni un poids aussi considé- 
rables. La queue est moins longue que la 
moitié du corps; elle est armée de deux 
piquans dentelés comme une scie, dont 
l'antérieur, qui est le plus court, est creusé 
dans son milieu , d’un bout à l’autre , par 
un sillon profondément tracé. Il y a trois 
sillons semblables sur le second aiguillon, 

Les pêcheurs vendent facilement lalta- 
vèle, parce que sa chair, assez recherchée, 
n'est point désagréable au goût (1). 


(1) Columna , /0co citato. 


DES RATES. 215 


LA RAIE OUARNAK (1). 


\ 


QUATORZIÈME ESPÉCE. 


Læ voyageur naluraliste Forskoœl a indiqué 
cette raie comme une variété de la raie 
sephen, dont il sera bientôt question ; mais 
elle se rapproche davantage de la paste- 
naque. C’est un poisson de la mer Rouge, 
que les arabes nomment oarnak; sa queue 
n’a point de nageoires ; mais on y voit un 
et quelquefois deux piquans. Tout son corps 
est parsemé de taches sur un fond argenté. 


(1) Raja, arab. uarnatk. Forskæl, Faun. ægypt. 
arab.in°: 16: 0. 

Raja tota maculata. Lin. Syst. nat. edit. Gmel. 
gen. 130, SP. 7 » Var. g. 

Raja uarnak. Artedi, Gen. pisc. gen. 45, sp. 15, 
var: a. 

L'uarnak. Bonaterre , planches de l’'Encycl. méth. 


page 4: 


9 4 


216 HISTOIRE 


LA RATE | N'RIN AR NH. 


QUINZIÈME ESPÈCE. 


Fa y a une grande conformité de noms 
entre ceite raie et la précédente; 1l y en 
a aussi dans leurs formes : elles ont beau- 
coup de traits communs entre elles, aussi 
bien qu'avec la pastenaque; ce qui a engagé 
plusieurs naturalistes à n’en faire que des 
väriétés de la même espèce. 

Arnak est le nom que les arabes donnent 
à cette raie, qui vit dans les eaux de la 
mer Rouge. Forskœl la observée à Loheia , 
sur la côte orientale de ce grand golfe ; et 
le peu de mots que le naturaliste danois 
en a écrit composent jusqu'à présent toute 


(1) Raja dentibus granulatis; corpore orbiculato, 
argenteo ; caudé tereti , apterygia , spinis duabus... 
raja arnak. Forskœl, Fauna ægypt. arab. pag. 9, 
n° 15, c. — Artedi, Gen. pisc. gen. 45, species dubiæ, 
n° 23. — Lin. Syst. nat. edit. Gmel. gen. 130, 
Sp. 14. | 


DES RAIES. 217 
son histoire (1). Ce n’en est pas assez, sans 
doute, pour assigner avec quelque exacti- 
iude la vraie place de ce poisson d’une mer 
encore peu fréquentée, et pour décider sil 
constitue une espèce distincte et séparée , 
ou sil n’est qu'une variété d'âge, de sexe, 
d'accident, ou enfin une race particulière. 

Les denis de larnak sont granuleuses; la 
forme de son corps est arrondie, et de la 
même couleur argentée que l’ouarnak ; sa 
queue déliée et sans nageoires est armée de 
deux aiguillons. 

 Artedi a rangé cette raie, ainsi que la pré- 
cédente , au nombre des espèces encore peu 
connues et douteuses (2). 


(1) Ces mots se réduisent à ceux de la phrase 
ci-dessus. 


(2) Gren, pisc. loco citato. 


215 HISTOIRE 


ee 


D 


LA RALEHSCHERTE (D) 


SEIZIÈME ESPÈCE. 


J'asrÈéce ainsi la dénomination , omm 
es scherit, que porte en Arabie, suivant 
Forskœl, cette troisième raie de la mer 
Rouge. Ce voyageur lui a reconnu beaucoup 
de ressemblance avec les raies arnak et 
ouarnak ; il ajoute qu’elle a la queue déliée 
et couverte de taches. | 

Des détails aussi peu étendus ne peuvent 
passer que poux une indicalion aux obser- 
vateurs. 


(1) Raja caudé tereti, maculatä... raja omm es 
scherit. Forskœl , Faun. ægypt. arab. p. 9, n° 12, à. 
— Lin. Syst. nat. edit. Gmeél. gen. 150, sp. 15. — 
Artedi , Gen. pisc. gen. 45, sp. 24, dubia. 

Le scherit. Bonaterre, planches de l’Encycl. méth. 
pag. C. 


DES RAIES. 219 


* 


D SE Le TRS LATE F RER PT ER SSREX 


LATRAIE MUBE (x 


DIX-SEPTIÈME ESPÈCE. 


Cerre-cr , qui habite la même mer que 
les précédentes, est beaucoup plus rare. Elle 
s'approche inoins souvent du rivage que les 
autres , et lorsqu'elle quitte la haute mer, 
ce n’est jamais que dans l’obscurité des nuits. 
Cette différence d’habitudes la distingue 
assez des raies ouarnak, arnak, et omm es 
scherit. 

La raie mule a été observée à Dsjidda 
par Forskæl ; il lui a trouvé le ventre blanc 
et la queue arrondie , déliée, et variée de 
différentes couleurs. Son aiguillon passe, 
parmi les arabes, pour être très-dangereux. 


(1) Raja caudé tereti, variegaté ; venére niveo... 
raja mula. Foxskœl, Faun. ægypt. arab, pag. 9, 
n° 10, 

Raja subtüs nivea , caudé tereti, variegaté.., raja 
mula. Lin. édit. Gmel. gen. 150, sp. 18 , dubta. 

La mule. Bonat. planches de l’Encycl. méth. p. 6. 

Raja mula. Artedi, Gen, pisc. gen. 45, sp. 26, 
dubia. ( 


250 EI ST O LRE 


PÉCHES DESVRADES., 


Les raies se pêchent aux haims ou hame- 
cons et aux filets. 

Le haim est un crochet de métal ( ordi- 
nairement de fer ) ou bien d’épine , et qu’on 
fait quelquefois en os. Quand il est garni 
d’un appät ou amorce convenable à l'espèce 
de poisson auquel on le jette , il prend le 
nom d’hamecon. | 

Comme la raie est un poisson vorace, qui 
se nourrit principalement de petits poissons 
et de chevreites , 1ls seront la meilleure 
amorce dont on puisse se servir pour garnir 
le haim qu’on jette aux raies de quelque 
espèce qu'elles soient ; et comme par leur 
forme plate et l'habitude qu’elles ont de 
se tenir au fond de la mer, elles sont diff- 
ciles à tirer hors de l’eau , il faut que 
lhamecon soit solidement attaché à une 
ligne très-forte faite de fanons de baleines 
ou de petites lanières de la peau du grand 
phoque : c’est du moins ce que pratiquent 
les pêcheurs groenlandais, suivant Othon 
Fabricius, Fauna groenlandica, page 126. 


DES RATES. 221 
Pour faire celte pêche en grand, on garnit 
un moyen cable d'une multitude de ces 
lignes hameçonnées et jusqu'à dix à douze 
mille : on le jette en mer à trente brasses 
au moins de la côte; et pour indiquer les- 
pace qu'il occupe , on y atlache dans sa 
Jongueur , et de distance en distance , plus 
ow moins éloignées , des signaux de liège 
qui liennent à de pelites cordes assez 
longues pour ne point empêcher le cable 
de gagner le fond. 

Cette pêche , qui se pratique dans la Mé- 
diterranée et particulièrement sur les côtes 
d'Italie, rapporte beaucoup ; mais, si elle 
produit du poisson plus frais que celui qu’on 
prend aux filets, elle a cependant cela de 
très - désavantageux que les haïms devant 
êlre garnis de petits poissons et quelquefois 
de dix à douze par chaque haim, il en ré- 
sulte une grande destruction de frai de 
poissons, que les pêcheurs sont d’ailleurs 
obligés de se procurer à prix d'argent : en 
sorte que ces amorces sont coûteuses et 
tendent à diminuer les espèces , ce qui doit 
faire préférer la pêche au filet dont nous 

llons parler. 


On pêche les raies au filet qu’on appelle 


299 HISTOIRE 
folle (1): ila deux brasses ou environ dix 
pieds de hauteur ou chûte; sa longueur, 
varie et peut avoir de six à dix-huit brasses. 
Ses mailles ont six pouces en carrée, 
faites de fil fort. Relativement à la manière 
d'étendre ce filet, il y en a de trois sortes :. 
folle simple, folle flottée et BB IS , et folle 
à la mer. 
On nomine ce filet folle, parce qu il n'est 
pas fortement fixé au fond , mais seulement. 
par le lest de quelques si qui em 
BY de surnager en totalité, et le tien- 
ent tendu dans l’eau, sans l’erapêcher d'y 
élre agité; el parce que ses maiiles étant 
larses et flexibles et faisant des poches dont 
l'agitation de l’eau varie les formes, il en 
prend lui-même de différentes, tant dans 
sa longueur que dans sa Den | 
La folle simple, c’est-à-dire, _eñ une seule 
pièce , s'étend sur des piquets de quatre à 
cinq pieds de haut, à la distance d'environ 
deux à trois brasses l'an de l’autre. On. 
amnarre la folle aux piquets par le haut et 
par le bas, au moyen d’un tour mort qui 


(1) En quelques endroits, la folle est appelée Tieux ÿ. 
précisément parce qu’elle sert à prendre des raies 
En allemand, weitmaschigte sackgarn. 


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DES RATES. 223 
n’est qu’un simple lour croisé sans nœud : 
ce filet s'étend un bout vers la haute mer 
et l'autre bout vers la terre ; quelquefois 
on donne à un des bouts la figure d’une 
crosse, et cela par le moyen des piquets. 
Pour tendre la folle simple, il faut être 
deux; mais un seul pêcheur: peut tendre 
la folle flotiée, dont on peut voir les dé- 
tails à la planche V. 

La tête de ce filet, fait d’un bon fil de 
chanvre assez délié, est bordée par une ra- 
lingue A, qui est un funin ou quarantenier 
(c’est-à-diré, cordage de médiocre grosseur), 
de douze à quinze fils ; laquelle ralingue 
passe à travers des rondelles de liège B , 
qu'on met à environ douze pieds les unes 
des autres. Le pied du filet est bordé par 
deux pareils funins CC , entre lesquels sont 
amarrés avec des lignes fines les cailloux D 
qui forment le lest: on les met à environ, 
trois pieds les uns des auties. Mais, pour 
que les deux cordes CC ne se coulent pas 
June sur l’autre quand on les met à l’eau, 
il faut avoir l'attention de mettre leurs torts 
en sens contraire. + 

Pour faire en grand la pêche à la folle , Ë 
plusieuts pécheursse réunissent, conviennent 
de la part qu'ils auront dans le produit, 


22% EPST OTLRE 


laquelle est ordinairement proporlionnée au 
nombre de pièces de folles qu'ils mettent 
dans celte société momentanée; ils frèlent 
une barque dont le maître , ainsi que les 
hommes de service , ont aussi une part con- 
venue ; alors, pour joindre les différentes 
pièces de folles apportées par les pêcheurs 
associés, et en faire ce qu’ils appellent une 
tessure , on attache aux deux extrémités de 
la ralingue d'en bas une grosse pierre percée, 
ou cablière 1 garnie d’une anse ou estrope 
de corde K, qui sert aussi à attacher une 
corde ou orin L à l’autre bout de laquelle 
est amarrée une bouée formée de douves 
de barriques comme M ou de morceaux de 
lèges comme N. On voit en O les signaux 
que portent les bouées : ce sont de petits 
pavillons qui servent à faire apercevoir de 
plus loin les bouées qui flottent sur la sur- 
face de l’eau. En P est une petite cablière : 
on en met quelquefois de distance en dis- 
tance, sur la ralingue d'en bas, quand les 
tessures sont fort longues. Q est un grapin 
avec son cablot S.Ce grapin sert à rechercher 
au tend de l’eau une partie de la tessure, 
quand par accident elle est restée à la mer. 
R est un autre petit grapin qui est quel- 
duefois encapelé sur le premier. Test un 

gafiot 


DES RATES. 2$5 
gaffot pour harponner et tirer à bord de 
très-gros poissons, 

Quand on tend les folles au bord de la 
mer, on les place ou entre les rochers où 
sur les sables, au pied des bancs, ou dans 
les fonds qui se trouvent entre les bancs, 
qu’il y ait de l’eau ou qu’il n’y en ait pas; 
quand la mer est retirée. Alors ce filet, qui 
est sédentaire, se tend un peu en demi- 
cercle : si on le place sur un terrain dur ou 
dans un endroit d’où l’eau né se retire pas 
éntièrement après le reflux , on ajoute 
quelques cablières aux cailloux qui lestent 
le pied du filet. Si le terrain est de sable, 
on y‘enfonve.le pied du filet, et le haut ou 
tête du fièt est soutenu ‘par les flottes et 
par des’ lignes nommées bandingues , qui 
tiennent d'un bout à la tête du filet , et 
dont l’autre est fixé dans le sable à une 
distance convenable pour maintenir la flotte 
debout et l'empêcher de céder au courant, 

Le tems des grandes marées d'été est le 
plus propre à cette sorte de pêche, et les 
folles qu’on y emploie ont moins d’étendué 
que celles dont on fait usage à une certaine 
distance des bords de la mer. URL. 

Quant à la pêche qui se fait avec des 
folles plus avant dans la mer et sur Îles 

Poiss. Tome III. P 


220 LI 5 M O PR'E 


grands fonds, comme elle a pour objet de 
prendre de gros poissons, les filets qu’on 
y emploie. ont la maille plus ouverte ; ce 
qui rend le filet moins coûteux, plus léger 
et plus propre, par une plus grande sou- 
plesse , à envelopper aisément le poisson. 
Dans cette grande pêche, chaque pièce de 
folle peut avoir jusqu’à dix-huit brasses de 
longueur et huit pieds de chüûte : et les ma- 
telots, réunis quelquefois au nombre de 
seize , en fournissent jusqu’à dix-huit pièces, 
ce qui donne à ce filet une lieue et souvent 
plus d’étendue. D’après cela, on conçoit 
qu'outre le moyen indiqué plus haut pour 
réunir les pièces de folles, et comme une 
si grande étendue donne plus de prise au 
mouvement de la mer sur le filet , il est 
nécessaire de multiplier davantage les floites 
et les cablières. 

Il faut éviter de jeter ce grand filet sur 
«les fonds de roches , de crainte d’être trop 
souvent obligé de faire usage des grappins 
R Q indiqués dans la première figure. Les 
meilleurs fonds sont ceux de rocaille, de 
galets, et ceux: où il croit des plantes ma- 
rines. | 
La saison la plus favorable pour cette 
pêche est le printems et l'automne. Le tems 


ms. -à/ 


D'PS: RATES. 227 


convenable est quand la marée commence 
à porter au vent. On jette la tessure sous 
le vent , et on la laisse trois nuits en place, 
à moins qu'ayant tendu loin de la côte, 
l'approche d’une tempête ne fasse craindre 
aux pêcheurs de perdre leurs filets, auquel 
cas ils les relèvent au bout de trente - six 
heures. Si le tems est bon, ils relèvent éga- 
lement de nuit comme de jour ; mais pour 
éviter toute surprise , il est bon qu’ils res- 
tent sur leurs filets, et que dans la crainte 
d’un gros tems , outre la grosse cablière , 
qui est amarrée au boul forain avec la bouée, 
ils en meltent encore une au milieu de la 
tessure , et une troisième à six pieds de 
Fautre bout de la tessure, et cette dernière, 
ils l’attachent au cable de l’ancre de leur 
barque ou bateau. 

L'opération de jeter la tessure à la mer 
est difficile ; celle de l'en retirer est plus 
difficile encore et demande jus de pré- 
caution. D’abord quand les pêcheurs mettent 
leur tessure à la mer, quatre d’entre eux 
descendent à la cale où le filet est serré sur 
Parrière du grand mât : deux hommes qui 
se placent sur le pont, près de l’écoutille, 
recoivent ce filet et le donnent à deux autres 
qui sont appuyé sur le bord. Derrière eux 

P 2 


228 HAS TOILRE 
sont deux forts matelots à califourchon sur 
le bord, et qui jelitent à la mer les pièces 
de filets à mesure qu'on les leur présente. 
Entre ces hommes les uns se donnent de main 
en main le pied du filet chargé de cailloux , 
les autres la tôle garnie de ses flottes, afin 
que la tessure se place à la mer dans une 
position verticale, et que le filetine se torde 
pas. Une partie de l'équipage se repose pour 
être en état de reprendre la place de ceux 
des travailleurs qui se trouvent fatigués. 

Quand les pècheurs veulent relever leur 
filet, ils lèvent l'ancre, la mettent à bord ; 
ensuile ils hâlent le cordage qui répond de 
lancre à la folle ; par ce moyen ils amènent 
la premiére pièce de folle , et de suite toutes 
les autres qui se tiennent. Pendant cette 
opéralion et à mesure que chaque pièce de 
foile arrive à bord, un des plus forts ma- 
telois , placé près de lescubier de stribord, 
est occupé à gaïler les gros poissons qui se 
présentent ; et si par malheur la tessure 
vient à se rompre, on se sert des grappins 
Q et KR pour retirer ce qui, est reslé à la 
mer. Tout l'équipage est employé dans cette 
opération. 

Aux environs de Marennes et sur les 
oôles de Bretagne, on emploie aussi à la 


DES RAIES. 229 


pêche de la raie et autres poissons plats 
des dragues que les saintongeois et poitevins 
nomment chalus. C’est un filet de forme 
carrée longue , ayant huit brasses .d’ou- 
verture, qui se réduit au fond à cinq à six 
brasses de largeur; les mailles ont leurs 
dimensions inégales , et vont en se rétré- 
cissant à mesure qu’elles approchent du 
fond. 

L'ouverture du chalu est chargée par en 
bas d’un cordage de deux pouces de grosseur 
et de plus d’une livre de plomb par brasse. 
Le haut est garni d’une ligne d’un quart de 
pouce de grosseur et portant des flottes en 
assez grand nombre pour maintenir l'ou- 
verture de cette espèce de sac. La corde 
plombée et ia ligne chargée de flottes sont 
amarrées à deux échalons ou genouiliets 
de bois, et on attache, tant aux échalons 
qu'aux cordages, une cablière pour tirer le 
filet à fond.On emploie ce filet, qui se traîne, 
dans une profondeur d'eau depuis huit à dix 
brasses jusqu'a trente et quaranle. 

Quand les pêcheurs ont pris beaucoup de 
raies dans des momens où la vente n’en est 
pas avantageuse , ils les conservent en leur 
passant une ligne dans la gueule et dans un 
des trous des ouïes. Ils attachent cette ligne 

"3 


250 H:T$5 T O EFR':E 


par chaque bout à des pieux éloignés , et de 
manière que la ligne soit lâche , et le tout 
placé dans le fond d’un parc qui ne sèche 
point. 

Sur la côte de Quimper, on étend les pe- 
tites raies sur le rivage pour les faire sécher, 
en évitant qu'elles ne soient mouillées par 
la pluie; car l’eau douce les fait noircir, et 
les met hors de vente ; on envoie ce poisson 
ainsi préparé à Nantes. Les gens de la cam- 
pagne en font une grande consommalion , 
sur-tout pendant les vendanges. On vend 
séparément les têtes , que l’on nomme goules 
rondes ; on en fait des paquets de vingt têtes ; 
elles sont regardées par ceux qui en font 
usage comme un mets délicat. 

On prend aussi les raïes à la seine , espèce 
de filet dont on trouvera la description dans 
la suite de cet ouvrage. 


DES RAIES. 232 


LA RAIE LYMME (i)(), 


PAR LACÉPÉDE. 


DIX-HUITIÈME ESPÈCE. 


C’est dans la mer Rouge que le voyageur 
Forskœl a trouvé cette raie, qu’il a le 
premier fait connoître (3). Flle ressemble 
beaucoup à la raie aigle, ainsi qu’à la pas- 
tenaque ; elle a les dents aplaties comme 
ces deux raies et tous les cartilagineux qui 
composent le même sous-genre : mais ex- 
posons les différences qu’elle montre. Le 
corps proprement dit, et les nageoires pec- 
torales, forment un ensemble presque ovale; 


(1) Raja lymma. Lin. édit. de Gmelin. 

Raie lymme. Bonaterre , planches de l’'Encyclop, 
méthodique. 

Raja corpore ovali testaceo, maculis cæruleis , caud& 
pinnat& , aculeo unico... raja lymma. Forskæl] , Faun. 
arab. p.17, n° 1B. 

(2) Raja lymma. Artedi , Gen. pisc. gen. 45, sp. 14, 
additans. Nota, que cet ichthyologiste rapproche la 


lymme de la raie ronce. SONNINI. 
(5) I l’a décrite à Loheïa, ville d'Arabie, sur le 
bords de la mer Rouge. SOonNNini. 


P 4 


25%. AI ST OTREÉ 
la partie postérieure des nageoires pecto? 
rales est terminée par un angle plus ou 
. moins ouvert; les nageoires ventrales sont 
arrondies , et toute la partie supérieure du 
dos est d’un brun tirañt sur la couleur de 
brique, parsemé d’une grande quantité de 
taches bleues, ovales, et inégales en grandeur. 

La queue est un peu plus longue que le 
corps, et garnie vers le milieu de sa longueur 
d’un et quelquefois de deux aïguillons, longs, 
larges, dentelés comme ceux de la raie aigle 
et de la pastenaque, et revêtus à leur base 
d’une peau d’un brun bleuâtre. Depuis son 
origine jusqu’à ces aiguillons , la queue est 
un peu aplatie, blanche par dessous et 
rougeâtre dans sa partie supérieure , où l’on 
voit régner deux petites bandes bleues et 
longitudinales ; et depuis les piquans jusqu’à 
son extrémité, qui est blanche et très-déliée, 
elle est toute bleue, comprimée par les côtés, 
et garnie en haut et en bas d’une petite 
membrane frangée qui représente une na- 
geoire, et qui est plus large au dessous qu’au 
dessus de la queue. | 

La lymme n’a point de nageoire dorsale ; 
et par là elle se rapproche plus de la pas- 
tenaque , qui en est dénuée , que de la raie 
aigle qui en présente une. 


DES RATES. 233 
C'est à cette jolie espèce qu'il faut rap- 
porter une raie pêchée par Commerson 
aux environs des îles Praslin, et à laquelle 
il a donné le nom de raie sans piquant (à), 
parce qu’en eflet elle n’en présente aucun 
sur le dos, non plus que les individus ob- 
servés par Forskœl. Ce naturaliste a fait 
de cette raie sans aiguillon sur le corps une 
description très - détaillée , qui fait partie 
des manuscrits déposés dans le museum 
d'histoire naturelle, et qui s'accorde presque 
dans tous les points avec celle que nous 
venons de donner d’après Forskoœæl. La seule 
différence entre ces deux descriptions, c’est 
que Commerson parle d'une rangée de petits 
tubercules , qui règne sur la partie la plus 
élevée du dos et s'étend jusqu'à la queue , 
et de deux autres tubercules semblables à 
des verrues , et placés l’un d’un côlé et 
Vautre de l’autre, de lorigine de cette 
dernière partie. 
Au reste, parmi les individus qui ont été 
l’objet de l’attention de Commerson , un 


(1) Raja lœvis è testaceo fuscescens, gutlis cæru- 
leis innumeris prono corpore sparsis, aculeis gemints 
in media cauda. Commerson , ouvrage manuscrit sur 


la Zoology , quatrième cahier , 1708. 


254 ÉCES'T'O4LRE 

avoit près de cinq décimètres ( un pied six 
pouces huit lignes) de longueur totale (1)... 
Au reste nous ne croyons pas avoir besoin 
de dire que le mâle est distingué de la fe- 
melle par deux appendices placées auprès de 
‘Janus, et semblables à ceux que nous avons 
fait connoître en traitant de la bats. 

La lymme, que quelques naturalistes ont 
crue confinée daus la mer Rouge, habite 
donc aussi une partie de la mer des Indes. 
On doit la trouver dans d’autres mers, 
sur-lout aux environs des tropiques; et en 
effet il vient d'arriver de Cayenne, au mu- 
seum d'histoire naturelle , une petite col- 
lection de poissons parmi lesquels j'ai re- 
connu un individu de l’espèce de la lymme. 
Ces poissons ont été envoyés par le citoyen 
Le Blond, voyageur naturaliste, qui nous 
a appris, dans des notes relatives aux ani- 
maux qu'il a fait parvenir au museum, que 
l'individu, que nous avons considéré comme 
une lymme, avoit été pris au moment où 
il venoit de sortir de l'œuf , mais où il étoit 
encore dans le ventre de sa mère. Les raies 


_ (1) Forskœl dit que la lÿmme de la mer Rouge 
atteint à peine la longueur d’un pied, ( Faun. ægypt. 
arab. loco citato.) SONNINE, 


DES RAIES. 235 


de la même espèce, dit le citoyen Le Blond, 
qui les appelle raies rouges, à cause de la 
couleur de la partie supérieure de leur corps, 
semblable par conséquent ou presque sem- 
blable à celle des lymmes d'Arabie ou des 
environs des îles Praslin , sont très- bonnes 
à manger lorsqu'elles sont jeunes , et par- 
viennent quelquefois au poids de dix ou 
quinze myriagrammes ( deux ou trois cents 
livres ou environ). Au reste, le petit individu 
arrivé de l'Amérique méridionale avoit la 
queue trois fois plus longue que le corps et 
la tête, et par conséquent beaucoup plus 
longue que les Iyÿmimes d'Afrique et d'Arabie. 
Mais tous les autres traits de la conformation 
réunissant ces cartilagineux de la mer Rouge 
et des îles Praslin avec les raies rouges de 
Cayenne, on peut tout au plus regarder ces 
dernières comme une variété dans l'espèce 
des raies rougeûtres des îles Praslin et d’Ara- 
bie ; mais on n’en doit pas moins les consi- 
dérer comme appartenant à lespèce de la 
lymme , qui dès - lors se trouve dans les 
eaux chaudes de Asie, de l'Afrique et de 
l'Amérique. 


236 HISTOIRE 


CLS CE ER RE TE 7 PR EE 7 


F 


ÉA RATE SEPHEN (1) (2), 
| PAR LACÉPÉDE. 


DIX-NEUVIÉME ESPÈCE. 


D ANS cette même mer Rouge où Forskcæl 
a trouvé plusieurs variétés de la pastenaque 
et la raie Iymme, ce voyageur a vu aussi la 
sepheu. Elle a de très - grands rapports de 
conformation avec la raie aigle, la paste- 
naque et la lymime ; mais elle en diffère par 
des caractères assez nombreux pour qu'elle 
constitue une espèce distincte. 

Sa couleur est, sur le corps, d’un cendré 
brun, et par dessous d’un blanc rougeätre. 


(1) Raja sephen. Lin. edit. de Gmelin! 

Raie sif. Bonat. planches de l'Encycl. méth. 

Raja corpore suborbiculato , caud4 duplo longiore 
subiüs alatä, suprà aculeis duobus longis , utrimque 
serratis. Forskoœl, Faun. arab. p. 17, u° 16. 

(2) Raja sephen. Artedi, Gen. pisc. gen. 45, sp. 15, 
additam. 

Les arabes de l’Yemen l’appellent sæfén ; à Loheia 
ils prononcent syfen ; et lorsque le poisson est de 
grande taille, ils le distinguent par la dénomina- 
tion de sif, SONNINIL. 


DES RATES. 237 
Elle parvient à une grandeur très-considé- 
rable, puisqu'on a vu des individus de cette 
espèce dont les nageoires peclorales et le 
corps réunis avoient trente-six décimêtres 
(onze pieds) où à peu près de largeur. L/ex- 
irénuté postérieure des nageoires pectorales 
est arrondie , et, dans plusieurs des positions 
ou des mouvemens de l'animal, cache en 
partie les nageoires ventralés, qui sont très- 
petites à proportion du volume de la raie. 
Malgré la grande étendue du corps, la 
queue est deux fois plus longue que le corps 
proprement dit, comme celle de la raie 
aigle , et.est armée de même d’un ou deux 
aiguillons assez longs , forls , dentelés des 
deux côtés,.et revêlus enpartie d’une peau 
épaisse : mais , au lieu d’être entièrement 
dénuée de nageoires et de petits piquans; 
comme la queue de la pastenaque ; au leu 
de présenter une nageoire dorsale, comme 
celle de la raie aigle, ou de montrer, sans 
aucune petite pointe , une sorte de nageoire 
particulière composée d’une. membrane 
longue et étroite, comme la queue de la: 
lymme , elle est garuie, depuis la place des 
deux grands dards, jusqu’à son bout le plus 
délié, d’une rangée longitudinale de très- 


230 HAS !T'O CRE 


petits aiguillons qui règnent sur sa partie su- 
périeure , et d’une membrane longue , étroite 
et noire, qui s'étend uniquement le long de 
sa partie inférieure. 

L'un de ses caractères véritablement dis- 
tinctifs est d’avoir le dessus du corps et la 
partie supérieure de la queue, jusqu’à la 
base des deux pointes dentelées , couverts 
de tubercules plats, au milieu desquels on 
en distingue trois plus grands que les autres, 
d’une forme hémisphérique, d’une couleur 
blanchâtre, et formant au milieu du dos 
un rang longitudinal. 

Presque tout le monde connoît cette peau 
dure, forte et tuberculée, employée dans le 
commerce sous le nom de galuchat, que 
Von peint communément en verd, et dont 
on garnit l'extérieur des boîtes et des étuis 
les plus recherchés. Cette peau a aussi reçu 
le nom de peau de requin ; et c’est par cette 

dénomination qu’on a voulu la distinguer 
d’une peau couverte de tubercules beau- 
. coup plus petits, beaucoup moins estimée, 
destinée à revêtir des étuis ou des boîtes 
moins précieuses, appelée peaux de chiens de 
mer, et qui appartient en effet au squale 
ou chien de mer, désigné par le nom de 


DES RAIES. 239 


roussette (1). Ceux qui ont observé une 
dépouille de requin savent que le galuchat 
présente des tubercules plus gros et plus 
ronds que la peau de ce squale, et ne peut 
pas être cette dernière peau plus ou moins 
préparée. C’est donc une fausse dénomina- 
ton que celle de peau de requin donnée au 
galuchat. Mais j'ai desiré de savoir à quel 
animal 1l falloit rapporter cette production, 
qui forme une branche de commerce plus 
étendue qu’on ne le pense, et qui nous par- 
vient le plus souvent par la voie de PAn- 
gleterre. J'ai examiné les prétendues peaux 
de requin déposées dans les magasins où vont 
se pourvoir les faiseurs d’étuis et de boîtes ; 
et quoïiqu'aucune de ces peaux ne montrât 
en entier le dessus du corps et des nageoires 
pectorales, et ne présentât qu’une portion 
de la partie supérieure de la queue, je me 
suis assuré sans peine qu’elles étorent les 
dépouilles de raies sephens. Elles ne con- 
sistent que dans la partie supérieure de la 
tête, du corps et du commencement de Îa 
queue; mais autour de ces portions tuber- 
culées , et les seules employées par les fai- 
seurs d’étuis, il y a assez de peau molle 


(1) Voyez l'article du squale roussette. 


540 HISTOIRE 
pour quon puisse être convaincu qu’elles 
ne peuvent provenir que d’un poisson car- 
tilagineux, et même d’une raie; et d’ailleurs 
elles offrent la même forme, la même gros- 
seur, la même disposition de tubercules que 
la sephen ; elles présentent également les 
trois tubercules hénusphériques et blan- 
châtres du dos. A la vérité, toutes les pré- 
tendues peaux de requin que j'ai vues, au 
leu de montrer une couleur uniforme , 
comme les sephens observées par Forskœæl, 
étoient parsemées d’un grand nombre de 
taches inégales, blanches, et presque rondes; 
mais l’on doit savoir déjà que, dans presque 
toutes les espèces de raies, la présence d’un 
nombre plus ou moins grand de taches ne 
peut consiiiuer tout au plus qu’une variété 
plus ou moins constante (1). 
Ces tubercules s'étendent non seulement 
au dessus du corps, mais encore au dessus 
d’une grande partie de la tête. Ils s’avancent 
presque jusqu'à l'extrémité du museau, et 
entourent l'endroit des évents et des yeux, 
dont ils sont cependant séparés par un in- 
tervalle. 


1 


(Qi) Voyez sur ce sujet ma note à la pag. 210. : 


SONNEN 


On 


DÉS RAIES. 241 


On reçoit d'Angleterre de ces dépouilles 
de sephens, de presque toutes les grandeurs, 
jusqu'à la longueur de soixante-cinq cen- 
timètres ( deux pieds) ou environ. La peau 
des sephens parvenues à un développement 
plus étendu ne pourroil pas être employée 
comme celle des pelites, à cause de la gros- 
seur trop considérable de ses tubercules. Sur 
une de ces dépouilles, la partie tuberculée 
qui couvre la tête et Le corps avoit cinquaute- 
quaire centimètres (un pied sept pouces ) 
de long, et deux décimètres ( sept pouces) 
dans sa plus grande largeur; et celle qui 
revêtoit la portion du dessus de la queue, 
la plus voisine du dos, étoit longue de deux 
décimètres (sept pouces) ou à peu près (1). 

J’ai pensé que l’on apprendroit avec plaisir 
dans quelle mer se trouve le poisson dont 
la peau, recherchée depuis long-tems par 
plusieurs artistes, nous a été jusqu'à présent 
apportée par des étrangers qui nous ont 
laissé ignorer la partie de lanimal qui la 
fournit. 11 est à présumer que l’on rencon- 
trera la sephen dans presque toutes les mers 
placées sous le même climat que la mer 


(1) On peut voir, dans les galeries du museum 
d'histoire naturelle , une de ces dépouilles de sephen. 


Poiss. Tome III. Q 


249 EL: TT O0 ER'E 

Rouge ; et nous devons espérer que nos 
navigateurs , en nous procurant directement 
sa peau tuberculée , nous délivreront bientôt 
d'un des tributs que nous payons à l’industrie 
étrangère (1). 


a —— 


(1) Un critique très-ingénieux a prétendu que 
c’étoit une erreur de voir, dans la dépouille de la raie 
sephen, la matière du galuchat le plus recherché 
dans le commerce. « Galuchaz, dit ce critique avec 
beaucoup d’esprit et de gaîté, est le nom d’un ouvrier 
de Paris, qui demeuroit dans la rue du Harlay. Cet 
ouvrier walloit à la pêche ni du requin, ni de la 
roussette , ni de l’aiguillat, ni du sephen; il w’alloit 
à la chasse ni de Ponagre , ni du sagri, mais il ache- 
toit des peanx de sagri, d’onagre, de roussette et de 
requin ; 1l avoit inventé l’art de polir ces peaux, 
de les blanchir, de les teindre et de les employer 
avec éclat dans sa profession de gaînier. Il étoit même 
parvenu à surpasser le sagrinage ou chacrinase des 
arabes ; et il l’appliquoit avec un égal succès à leurs 
quadrupèdes et aux nôtres. À moins de déterminer 
le grand et le petit chien de mer, à veuir habiter la 
Seine , je ne vois pas qu'il soit possible d’ajonter à 
la branche d’industrie que créa cet ouvrier si re- 
nommé et si digne de l’être ». (Observations d’un 
dialecticien sur les quatre-vingt-onze questions adres- 
sées par l'institut national de France à l'institut 
d'Egypte. Paris, an 7 , p. 14, quest. 18.) 

D'un autre côté, il me paroïît difficile que les 
anglais, non plus que toute autre nation européenne, 


D E $S (RATES. 249 
Voilà donc quatre raies, l'aigle , la pas- 
tenaque , la Iymme et la sephen, dont la 
queue ést armée de piquans dentelés. Ces 
dards , également redoutables dans ces dif- 
érentes espèces de poissons cartilagineux , 
lés ont fait regarder toutes les quatre comme 
venimeuses ; mais les mêmes raisons qui nous 
ont moniré que l'aigle et la pastéenaque ne 
contenoient aucun poison doivent nous faire 
peuser que l'arme de la sephen et de la 
lymme ne distille aucun venin, et west à 
cräindre que par ses effets mécaniques. 


aient pu tirer de la mer Rouge des dépouilles de pois- 
sons d'aucune espèce, dans un tems où la navigation 
cette mer étoit inconnue aux vaisseaux d'Europe. 
Pendant mon voyage en Egypte, voyage uniquement 
consacré aux recherches, je n’ai pas ouï dire que les 
arabes pèchassent la raie sephen pour en faire un 
objet de commerce, et je n’ai point vu de peaux de ces 
poissons dans les boutiques de cette ville, où l’on 
trouve en abondance toutes les denrées de l’Arabie. 
L'on peut remarquer aussi que Forskœl, qui a décrit 
la raie sephen sur les côtes mêmes de lArabie, et 
qui en parle assez longuement dans sa faune ægyp- 
tiaco-arabique , ne dit pas un mot de ses propriétés ni 
de ses usages, ce qu’il n’eût pas manqué de faire, s'il 
eût va que, dans le pays où on la pêche, on en tirât 
d'autre parti que pour la nourriture des hommes. 
SONNINI. 


Q 2 


24% HISTOIRE 
ef 
DA RAIE BOUCDÉE (1) (}; 


PAR. L'ACÉPÉDE 
VINGTIÉÈME ES PEÉCE. 


Voyez la figure, planche 1V, fig. 2. 


Cire raie, à laquelle on a donné le 
nom de bouclée, ou de clouée, à cause des 
gros aiguillons dont elle est armée, et qu'on 
a comparés à des clous ou à des crochets, 
habite dans toutes les mers de l’Europe. Elle 
y parvient jusqu'à la longueur de quatre 


(1) Dans plusieurs départemens méridionaux , raie 
‘ clouée, clavelade. En Angleterre , thornback et maids. 

Raie bouclée. Daubent. Encycl. méth. 

Raja clavata. Lan. édit. de Gmel. 

Raja ordine aculeorum unguiformium ; unico in 
dorso caudaque. Bloch , Hist. des poiss. en allemand, 
troisième partie, p.65, n° 5 ,pl. zxxxtt, 

Raja clavata. Faun. suec. 293. — It. Wsoth. 175. 

Raja aculeata, dentibus tuberculosis , curtilagine 
transversa in ventre. ÂArtedi, gen. 71, syn. 99; 
sp. 103. 

Raïe bouclée. Bonat. planches de l’Encycl. méih. — 
Gronov. Mus. 1 , 140. Zooph. 154. 

Dasybatus céavatus , corpore toto maculis albidis 


DES RATES. 245 


mètres (plus de douze pieds). Elle est donc 
une des plus grandes; et comme elle est en 
même tems une des meilleures à manger, 
elle est, ainsi que la batis, très-recherchée 
par les pêcheurs : l’on ne voit même le plus 
souvent dans les marchés d'Europe que la 


rotundis, etc. Klein, Miss. pise. 3 , p. 35, n° 4, tab. 4, 
nf 7. 

Raja clavata. Act. sien. 4, p. 353. 

Raie bouclée, Rondelet, première partie, liv. 12, 
chap. 12. 

Raja clavata. Gesn. Aquat. 795. — Willughby, 
Ichih. 74. — Raj. pisc. 26. 

Baie bouclée. Belon, Aquat. p: 70. 

T'hornback. Pennant , Zool. brit. 3, p. 69, n° 5. 

Raie bouclée. V almont de Bomare , Dict. d'histoire 
naturelle. — Duhamel, Traité des pêches, seconde 
partie, sect. g, p. 280. 

(>) La raie bouclée. En allemand , steinroche , 
nagelroche. En hollandais, roc. En danois, rokke, 
rokkel. En suédois, rocka. En norvégien, somrokke, 
somskatte. En islandais, tènda- bukia. En italien, 
perosa, petrosa. En espagnol, pescado. À Marseille, 
clavellado , et dans quelques endroits , roussée, 

Raja aculeata dentibus tuberculosis, cartilagine 
transversä abdominali... raja clavata. Brunnich , 
Ichth. massil. p. 3. 

Raja minima, clavata , caud& longissimd. Jabe- 
birete Marcgravii ; raie bouclée. Barrère , France équi- 


noxiale, p. 178. SONNINI: 
Q 3 


246 HISTOIRE 


bouclée et la batis. Elie ressemble à la batis 
par ses habitudes, excepté le tems de sa 
ponte, qui paroît plus retardée et exiger une 
saison plus chaude ; elle est aussi à beaucoup 
d'égards conformée de même. 

La couleur de la partie supérieure de son 
corps est ordinairement d’un brunâtre semé 
de taches blanches, mais quelquefois blanche 
avec des taches noires. 

La tête est un peu alongée, et le museau 
pointu ; les dents sont petites, plates, en 
losange , disposées sur plusieurs rangs, et 
très-serrées les unes contre les autres. 

La queue, plus longue que le corps, et 
un peu aplatie par dessous, présente, auprès 
de son extrémité la plus menue, deux pe- 
tites nageoires dorsales, et une véritable 
nageoire caudale qui la termine. 

Chaque nageoire ventlrale , organisée 
comme celles de la batis, offre également 
deux portions plus larges l’une que lautre, 
et qui paroissent représenter, l’une une na- 
geoire ventrale proprement dite, et l’autre 
une nageolre de l'anus. Maïs ce n’est qu'une 
fausse apparence ; et ces deux porlions, dont 
la plus large a communément trois rayons 
cartilagineux, et l’autre six, ne forment 
qu'une seule nageoire. 


D'ÉS' RATES. 247 
Presque toute la surface de la raie bou- 
clée est hérissée d’aiguillons. Le nombre de 
ces piquans varie cependant suivant le sexe 
et les parages fréquentés par lanimal ; il 
paroît aussi augmenter avec l’âge. Mais voici 
quelle est en général la disposition de ces 
pointes sur une raie bouclée qui a attemt 
un dégré assez avancé de développement. 
Un rang d’aiguillons grands, forts et re- 
courbés, atlachés à des cartilages un peu 
lenticulaires, durs, et cachés en grande 
partie sous la peau qui les retient et affermit 
les piquans, règne sur le dos, et s'étend jus- 
qu’au bout de la queue. L'on voit deux 
piquans semblables au dessus et au dessous 
du bout du museau. Deux autres sont placés 
au devant des yeux, et trois derrière ces 
organes ; quaire autres très-grands sont si- 
tués sur le dos, de manière à y représenter 
les quatre coins d’un carré, et une rangée 
d’aiguillons moins forts garnit longitudinale- 
ment chaque côté de la queue. Ce sont toutes 
ces pointes plus où moins longues, dures el 
recourbées que l’on a comparées à des clous, 
à des crochets. Mais, indépendamment de 
ces grands piquans , le dessus du corps, de la 
tête et des nageoires pectorales présente 
des aiguillons plus petits, de longueurs inc- 


Q 4 


248 HPSTOIRE 

gales, et qui, lorsqu'ils tombent, laissent 
à leur place une tache blanche comme les 
piquans grands et crochus. Et enfin on voit, 
sur la partie inférieure de la raie bouclée, 
quelques autres pointes encore plus petites 
et plus clair-semées. 

Cette tache blanche qui marque l’endroit 
que les aiguilions séparés du corps avoient 
ombragé, recouvert, et privé de linfluence 
de la lumière, cette place décolorée n’est- 
elle pas une preuve de ce que nous avons 
exposé sur les causes des différentes couleurs 
que les poissons présentent , et des dispo- 
sitions que ces nuances affectent (1)? 

Le foie de la raie bouclée est divisé en 
trois lobes, dont celui du milieu est le moins 
grand, et les deux latéraux sont très-longs : 
il est très-volumineux ; il fournit une grande 
quantité d'huile que les pêcheurs de Nor- 
vège recueillent particulièrement avec beau- 
coup de soin. 

La vésicule du fiel, rougeûtre, alongée 
et triangulaire , est entre le lobe du milieu 
du foie et lestomac. 

Ce dernier viscère est assez grand, alongé, 


(0) Discours sur la nature des poissons , et plusieurs 
autres ariicles de cette histoire. 


DES RAIES. 49 


et situé du côté gauche de labdomen. Il 
se rétrécit & se recourbe un peu vers le 
pylore, qui est très-étroit, et n'est garni 
d'aucune appendice. 

Au delà du pylore lé canal intestinal 
s’élargit , el parvient à l’anus sans beaucoup 
de sinuosités. 

Mais pourquoi nous étendre davantage 
sur un poisson que l’on a si souvent entre 
les mains, que lon peut si aisément con- 
noître, et qui a tant de rapports avec la 
batis, dont nous avons examiné très-en 
détail et la forme et la manière de vivre (1)? 


(x) L'on trouve, dans la dernière édition des 
Synonymes des poissons, par Artedi , une description 
très - exacte de la raie bouclée. J’en donne ici la 
traduction avec d’autant plus de raison que cet 
ouvrage d’Artedi est fort rare en france. 

La tête et tout le corps de la raie bouclée sont 
extrêmement aplatis ou sont plats de part et d’autre. 
Le corps , à l’exception de la queue, est presque de 
forme carrée; la queue est longue, déliée, mais 
cependant aplatie de part et d'autre. 

Le ventre, ou la partie inférieure , est entière- 
ment plat ; le dos , aussi aplati, offre cependant sur 
le milieu une légère convexité. 

Les yeux, placés à la partie supérieure du corps 
et assez éloignés du museau, sont un peu saillans 
et couverts par le haut d’une peau simple et nue 


250 HISTOIRE 
Qu'il nous suffise donc d’ajouter que l'on 


La prunelle et l'iris ne se dirigent point en haut, 
mais vers les côtés ou horisontalement. La prunelle 
est d’un noir verdâtre, l'iris d’un blanc argenté. 
À Ja partie supérieure de la pupille est un oper- 
cule élégamment frangé sur ses hords, qui cède à 
la pression du doigt en se retirant »t s'étendant jus- 
qu’à couvrir le crystallin; il est Jyhérique, trans- 
parent et un peu dur avant que lèé oisson ne soit 
cuit, ! “ # 

De part et d’autre est un trou peu oblons, 
placé presque transversalement à la partie posté- 
rieure des yeux, et dont le bord antérieur est légè- 
rement strié, et, comme une espèce de valvule, 


recouvre presque entièrement l’ouverture qui, à sa 
partie poslérieure, est intérieurement nue et unie. 
Ces trous ont intérieurement un double conduit ; car 
1° ils vont s’ouvrir en ligne droite par un grand trou 
en devant de la bouche; et 2° par leur partie pos- 
térieure ils répondent aux ouïes et communiquent 
à leurs ouvertures internes. Leur usage est donc de 
respirer et de rejeter l’eau ; et ils concourent aux 
mouvemens des ouïes et à la circulation du sang. 
Les narines grandes , placées en dessous et situées 
un peu en avant de la bouche, n’ont qu’une seule, mais 
large ouverture ; elles communiquent par leur partie 
inférieure à la bonche même, et elles sont à demi- 
recouvertes par la membrane ; mais elles sont libres 
antérieurement , et à leur côté extérieur se présente 
une petite valvule. Leur conduit intérieur est d’une 
“grande capacité , oblong et arrondi; üne mémbrane 


DES R'AIES. 25 
pêche les raies bouclées comme les autres 


rayée où percée de lignes transversales, à trawers 
lesquelles passe une humeur muqueuse, en forme 
le fond. 

La bouche est en dessous et tranversale, assez 
grande et à une égale distance des yeuxet du museau, 
Chaque mâchoire est garnie de tubercules granuleux, 
rhomboïdaux et serrés; le palais est uni; la langue 
est courte, mais très-large et très-mince. 

Sous la mâchoire supérieure ou antérieure sont 
intérieurement deux espèces de valvules, dont les 
parties recourbées en dedans ou se rapprochant du 
palais sont libres. 

Les ouvertures des ouïcs sont, de part et d'autre, 
au nombre de cinq ; elles sout petites , placées sur les 
côtés de la poitrine , et sur une ligne presque droite, 
au dessous, mais loin de la bouche; elles touchent par 
leur extrémité au diaphragme ; extérieurement elles 
ne sont point rondes , mais transversales relativement 
à la longucur du eorps. 

Le dos ou la partie supérieure est toute brune 
ou d’un brun pâle et varié par des taches nom- 
breuses, rondes et blanchâtres; quelquefois cette 
partie est blanchâtre , tachetée de noir et enduite 
de viscosité ; le ventre est entièrement blanc. 

Le dos ou toute la partie supérieure est entière- 
ment hérissée d'innombrables piquans , petits et 
dirigés en arrière. 

La partie inférieure est, pour l'ordinaire , lisse 
et unie. 

Chacun des côtés se termine par une grande na- 


252 HISTOIRE 


raies, avec des cordes flottantes, des folles ; 
des denu-folles, et des seines. 


geoire qui tient lieu des nageoires pectorales rela- 
tivement aux autres poissons. L’extrémité de ces 
nageoires se termine en angle un peu pointu. Leurs 
rayons cartilagineux se distinguent très - facilement 
dans le poisson frais, mais sur - tout dans celui qui 
est dépouillé ; ils sont formés de nœuds élégamment 
disposés. 

La nagéoire du ventre est unique de chaque côté ; 
elle s’étend horisontalement depuis l'anus ou le com- 
mencement de la queue, de la même manière que 
des nageoires pectorales. La forme de ces nageoires 
est singulière ; car , à leur partie supérieure, ou 
voisine des nageoires latérales , elles se terminent 
en une grande apophyse intérieurement remplie de 
rayons cartilagineux; mais, à leur partie inférieure , 
c'est-à-dire, au commencement de la queue, il y 
a deux petites apophyses molles et dépourvues de 
carlilages. La partie intérieure de ces nageoires se 
joint à la naissance de la queue par une membrane 
mince. Il n’y a point de nagcoire anale. 

La queue est un peu plus longue que le corps 
entier ; elle est déliée, mais non cylindrique ; elle 
est très-peu arrondie en dessus et presque plate en 
dessous. 

A l'extrémité de la queue , en dessus , sont deux 
petites nageoires au milieu desquelles sortent sou- 
vent deux petits aiguillons, 

1 y a deux piquans tant en dessus qu’en dessous, 
à l’extrémité du museau ; cependant ces piquans 


DES RAÏIES. 253 


Lorsque la bouclée a été prise, on la 
conserve pendant quelques jours, ainsi que 


manquent, pour l'ordinaire, aux femelles et aux 
poissons jeunes. 

Les piquans crochus sont disposés ainsi qu’il suit : 
a° une rangée de trente s’étend'en ligne droite, 
depuis le commencement, et quelquefois depuis le 
milieu du dos jusques vers l’extrémité de la queue; 
2° il y en a deux devant les yeux et le plus souvent 
trois derrière; 3° souvent quatre grands piquans sont 
sur la partie antérieure du dos, arrangés en carré; 
mais quelquefois il n’y en a que deux postérieurs, 
sur-tout dans les jeunes poissons ; 4° une ligne unique 
de petites pointes, plus apparentes sur les grandes 
raies, se remarque sur chaque côté de la queue; 
5° le museau en dessous, au milieu et sur les côtés, 
est hérissé de très-petites pointes qui peuvent être 
comparées aux épines du rosier. 

Le ventre est comme divisé en deux parties ou 
demi-cercles ; la supérieure est la poitrine, l’inférieure 
est l’abdomen. 

Dans quelques poissons de cette espèce l'arc de 
ces demi-cercles est marqué par de petites pointes; 
un cartilage dur , transversal et qui s'aperçoit dis- 
tinctement de l'extérieur, les distingue et forme 
la séparation de la poitrine et du ventre. 

L’anus est placé longitudinalement entre les na- 
geoires du ventre, un peu au dessus de l’origine de la 
queue; il est à peu près ovale. 

Deux petits trous se remarquent à la partie infé- 
rieure de l'anus ; ils ont sûrement un conduit commun 


254 HISTOIRE 

_ presque tous les poissons du même genre ; 
afin que sa chair acquière de la délicatesse, 
et perde toute odeur de marécage ou de 


avec les vésicules séminales dans les mâles et avec 
les ovaires dans les femelles. 

I y a cinq branchies de chaque côté , dont les 
ouvertures extérieures communiquent intérieure- 
ment avec de beaucoup plus grandes , oblongues et 
transversales. La partie intérieure de ces ouïes est 
couverte de chaque côté de très-petites pointes; la 
partie convexe dans les quatre branchies inférieures 
est composée d’une donble rangée de feuillets; la 
supérieure , c’est-à-dire, la plus rapprochée des yeux, 
n’a qu'un simple feuillet. 

Le cœur est aplati, peu grand , placé au bas de la 
poitrine , dans une cavité particulière et séparée de 
la gorge. 11 y a un diaphragme épais entre la poitrine 
et l’abdomen. 

Le foie, placé au haut de l’abdomen, est grand, 
divisé en trois lobes, dont celui du milieu est le plus 
petit, et les deux latéraux fort longs. 

La rate est rougeâtre , oblongue et triangulaire, 
placée sous le Kobe du milieu du foie et attachée au 
ventricule. 

Le ventricule est oblong et a une assez grande 
capacité ; il est au côté gauche de l’abdomen ; sa partie 
inférieure , au dessus du pylore, est étroite et se 
replie vers le haut. Le pylore est étroit et n’a 
aucune appendice. L’intestin est plus ample sous 
le pylore ; il va presque droit jusqu’à l’anus. I y a 


DES R'ACISES. 255 


marine. Sur plusieurs côtes, on recherche 
beaucoup de jeunes et très- petites raies 
bouclées que l’on nomme rayons, raielons , 
ralillons, et dans quelques ports, papillons : 
dénominations dont on se sert aussi quel- 
quefois pour désigner des morceaux détachés 
de grandes raies desséchées , et préparées 
pour de longs voyages (1). 

© ORAN UN ee 
une appendice oblongue, étroite et sans ouverture. 
Les reins oblongs, d’un rouge obscur , sont placés au 
bas de l'abdomen de chaque côté de l’épine dorsale. 

Deux viscères blancs, oblongs , aplatis , placés de 
chaque côté de l’épine du dos, sont ou les ovaires, 
ou les vésicules séminales. 

Le bas de l’épine du dos et le cartilage intérieur 
de la quene sont divisés en petites vertèbres. 

La moëlle épinière passe par la partie supérieure 
de l’épine du dos. Le crâne est oblong et formé d’un 
cartilage unique ou continu. SonNNiIni. 

(1) Les raies bouclées sont fort communes dans les 
mers du Nord; c’est an mois de juin et de juillet 
qu’on les prend en plus grande quantité, parce qu’alors 
elles s’approchent des rivages pour y déposer leurs 
petits au milieu des herbes marines. Les habitans de 
la Norvège ne pêchent ces poissons que pour tirer 
du foie l’huile dont ils se servent ; ils font sécher 
la chair et la vendent aux étrangers pour l’approvi- 
sionnement des vaisseaux. En Islande on mauge les 
raies bouclées à demi-corrompues. 

Barrère a indiqué mal à propos le /abebirète du 


256 HISTOIRE 


Brésil, comme étant de la même espèce que la raie 
bouclée. ( Hist. nat. de la France équinox. p. 178.) 
Dans les descriptions que Marcgrave a faite du jabe- 
birète , il ne fait aucune mention des piquans dont la 
raie bouclée est couverte et qui forme son attribut 
le plas saillant. ( Voyez Marcgrave, Hist. nat. bras. 


lib. 4, p. 179.) 
SONNINI. 


LA 


DES RATES. 257 


mr , 


PA. DO DIN: 


PAR LACÉPÈDE. 


VINGT-UNIÈME ESPÈCE. 


Carre belle espèce de raie, très-remar- 
quable par sa forme , ainsi que par la dispo- 
sition de ses couleurs, et dont la description 
n’a encore élé publiée par aucun naturaliste, 
est un des innombrables trophées de la va- 
leur des armées françaises. L’individu que 
nous avons fait graver fait partie de la cé- 
lèbre collection d’objets d'histoire naturelle 
conservée pendant long-tems à la Haye, 
cédée à la France par la nation hollandaise 
son alliée , après que la victoire a eu fait 
flotiter le drapeau tricolor jusques sur les 
bords du Zuyderzée, el qui décore main- 
tenant les galeries du museum d'histoire na- 
turelle de Paris. Ces précieux objets ayant 
été recueillis en Hollande et transportés en 
France par les soins de deux de mes col- 
lègues, les professeurs Thouin et Faujas 
Saint-Fond, que le gouvernement français 
avoit envoyés au milieu de nos légions con- 
quérantes pour accroilre le domaine des 


Poiss., Tome III. R. 


258 HAS TD ERE 

sciences naturelles, pendant que nos braves 
soldats ajoutoient à notre territoire, j'ai cru 
devoir chercher à perpétuer les témoignages 
de reconnoissance qu'ils ont reçus des na- 
turalistes, en donnant leurs noms à deux 
des espèces de poissons dont on va leur 
devoir la connoissance et la publication (1). 
J'ai distingué en conséquence par le nom 
de faujas une des lophies dont nous allons 
donner l’histoire, et par celui de tkouin la 
raie dont nous nous occupons dans cet 
article. 

La raie thouin a les dents aplaties, et 
disposées sur plusieurs rangs, comme celles 
de toutes les raies comprises dans le troi- 
sième et dans le quatrième sous-genre. 

Son museau , beaucoup plus transparent 
que celui de la plupart des autres raies, est 
terminé par une prolongation souple assez 
étendue, et plus longue que l'intervalle qui 
sépare les deux yeux. 

Le dessus du corps et des nageoires pec- 
torales est d'une couleur noire ou très-foncée ; 
mais le museau est d’un blanc de neige très- 
éclatant, exceplé à son extrémité, où 1l est 


(1) Voyez Particle relatif à la nomenclature des 
poissons, 


DB S R'AMIES. 259 


brun, et dans le milieu de sa longueur , 
où il présente la même couleur obscure. 

etle rate longitudinale brune s'étend sur 
le devant de la tête, qui, dans tout le reste 
de sa partie enr est d’un blanc très- 
pur; et elle s’y réunit à la couleur très- 
foncée de l’entre-deux des yeux, de la partie 
postérieure de la tête, et du dessus du 
Corps. 
… Tout le dessous de l'animal est d’un beau 
blanc. 

Les yeux sont recouverts presque à demi 
_ par une prolongation de la peau de la tête, 
comme ceux de la batis, et derrière ces 
organes on voit de très-grands évents. 

L'ouverture des narines , située oblique- 
ment au dessous du museau et au devant 
de la bouche, présente la forme d’un ovale 
ii: égulier et très-alongé, et est assez grande 
pour que son diamètre le plus long soit égal 
à plus de la moitié de celui de la bouche. 
Celte ouverture aboutit à un organe com- 
posé de membranes plissées et frangées, 
dont nous avons fait graver la figure, et 
dont le nombre et les surfaces sont assez 
considérables pour le rendre très-délicat. Et 
comme, d’un autre côté, nous venons de 


voir que le museau, ce principal organe du 
KR 2 


260 HISTOÏTRE 

toucher des raies, est très-prolongé, trés- 
mobile, et par conséquent très-sensible dans 
Ja raie thouin, nous devons présumer que 
ce dernier poisson jouil d’un toucher et d’un 
odorat plus actifs que ceux de la plupart 
des autres raies, el doit avoir par conséquent 
un sentiment plus exquis et un instinct plus 
étendu. 

La queue est à peu près de la longueur 
de la tête et du corps pris ensemble ; mais, 
au lieu d’être très - déliée comme celle de 
presque toutes les raies, elle présente à son 
origine une largeur égale à celle de la partie 
postérieure du corps à laquelle elle s'attache. 
Son diamètre va ensuite en diminuant par 
dégrés insensibles jusqu’à l'extrémité, qui 
s'insère, pour ainsi dire, dans une nageoire. 
Celte derniére partie termine le bout de la 
queue, et le garnit par dessus et par dessous, 
mais en ne composant qu’un seul lobe et 
en formant un triangle dont le sommet est 
dans le bas. 

Indépendamment de cette nageoire cau- 
dale, on en voit deux dorsales, à peu près 
de la même grandeur, un peu triangulaires 
et échancrées dans celle de leurs faces qui 
est opposée à la tête. La première de ces 
deux nageoires dorsales est placée beaucoup 


DES RATES. 261 


plus près du corps que sur presque toutes 
les autres raies; on la voit à peu près au 
tiers de la longueur de la queue, à compter 
de l’anus, et la seconde nageoire est siluée 
vers les deux tiers de cette même longueur. 

Le dessus de la tête et de la prolongation 
du museau est garni d’un très-grand nombre 
de petits aiguillons tournés vers la queue, 
et beaucoup plus sensibles sur les portions 
colorées en brun que sur celles qui le sont 
en blanc. D'ailleurs, le dessus et le dessous 
du corps et de la queue sont revêtus de 
petits tubercules plus rapprochés et moins 
saillans sur la partie inférieure de la queue 
et du corps. De plus, lon voit une rangée 
de tubercules plus gros, et terminés par un 
aiguillon tourné vers la queue , s'étendre 
depuis les évents jusques à la seconde na- 
geoire dorsale , et l’on aperçoit encore autour 
des yeux quelques-uns de ces derniers tuber- 
cules. 

Les nageoires pectorales sont un peu si- 
nueuses , et arrondies dans leur contour ; 
et les ventrales, à peu près de la même 
largeur dans toute leur étendue , ne peuvent 
pas être considérées comme séparées en 
portion ventrale et en portion anale. Les 
nageoires latérales sont beaucoup plus diffi- 

R 3 


262 HISTOIRE 


ciles à confondre que dans presque toutes 
les autres raies , avec le corps proprement 
dit , qui, d’un autre côté, beaucoup moins 
distingué de la queue, donne à la thouin 
un caractère que nous n'avons retrouvé 
que dans la rhinobate , où on le verra repa- 
roître d’une manière encore plus marquée. 
Mais, malgré cette conformation, l’ensemble 
de l'animal est très-plat, et beaucoup plus 
déprimé que celui de la rhinobate. 


D'ETS' À AIES. 263 


à 
mms 


“LA RAIE BOHKAT (1)(2), 


PAR LACEPEIDE. 


VINIGT +: DEUXIÈME: ESPÈCE. 


Crrre raie , que Forskœl a vue dans la 
mer Rouge, et qu'il a le premier fait con- 
noître, a, comine fa raie thouin, la queue 
garnie de lrois nageoires : une , divisée en 
deux lobes , placée à l'extrémité de-cette 
partie , et par conséquent véritablement 
caudale ; et les autres deux dorsales. De 
même que sur la thouin , ces deux nageoires 
dorsales .sont beaucoup plus avancées vers 
la tête que sur un très-graud nombre de 
raies ; elles en sont même plus rapprochées 


(1) Raja pinné caudæ bilcb& , aculeorum ordine 
dorsi initio triplici, dein simplici, pinn4 dorsi prim& 
supra pinnas veniralis. ForskoϾl, Faun. arab. p. 18, 
7,17. 

Raja djiddensis. Tin. édit. de Gmel. 

Raie bohkat. Bonat. pl. de l'Encycl. méthod. 

(2) C’est à Loheia que cette raie porte le nom de 
bohkat ; les arabes lui donnent généralement celui de 
rget et quelquefois encore celui d’erab. 

Raja djiddensis. Artedi, Gen. pise. gen. 45, sp. 16, 
additam. SoNNiINt. 


R 4 


264 HISTOIRE 


que dans la raie thouin, puisque la première 
de ces deux nageoires est située au dessus 
des nageoires ventrales , et par conséquent 
de l'anus, et quelquefois prend son origine 
encore plus près des yeux ou des évenis. 
Un des individus observés par Forskoœæl avoit 
plus de deux mètres de longueur. La cou- 
leur de sa partie supérieure étoit d’un cendré 
pâle , parsemé de taches ovales et blan- 
châtres ; et celle de sa partie inférieure d’un 
blanchäire plus ou moins clair, avec quel- 
ques raies inégales brunes et blanches auprès 
de l'anus. Le dos s’élevoit un peu au devant 
de la première nageoire dorsale; les na- 
geoires pectorales , triangulaires, et termi- 
nées dans leur bord extérieur par un angle 
obtus , étoit quatre fois plus grandes que 
les ventrales. On apercevoit un rang de 
piquans autour des yeux, trois rangées d’ai- 
guillons sur la partie antérieure du dos, et 
une rangée de ces pointes s'étendoit d’une 
nageoire dorsale à l’autre. 

La raie bohkat est, selon Forskoœl, très- 
bonne à manger (1). 


(1) Forskœl a vu à Loheia et à Dsjidda des individus 
de ceile espèce qui avoit deux aunes de long ; mais ce 
voyageur danois entend l’aune de son pays plus petite 


DES RAIES. 265 


que la nôtre. Les pècheurs de la mer Rouge prétendent 
que cette espèce ne se montre jamais sur d’autres 
rivages de l’Arabie qu'aux environs de Hedsjas, et 
qu'on ne la voit jamais sur les côtes de Suez et de 
Mokka ; ce qui, d’après les observations de Forskæl, 
est une erreur. La chair de la bohkat est assez bonne 
à manger , et les arabes sont dans la persuasion que 
son foie, de même que celui du requin, est un 
remède pour guérir les maladies vénériennes. 

Au reste, la raie bohkat est une de celles qui 
vivent le plus souvent dans la haute mer et ne se rap- 
prochent guères des côtes que pour se débarrasser de 
leurs petits SonNNnini. 


266 HISTOIRE 


DATE A TUE CPAS EIRE EN 


PAR ACEPÉEDE 


VINGT-TROISIÈME ‘ESPÈCE. 


J E nomme ainsi cette raie, parce que j'en 
dois la connoissance à mon savant con- 
frère le professeur Cuvier, menibre de 
l’Institut national. Il 4 bien voulu, dès le 
mois de mars 1792, m'envoyer, du dépar- 
tement de la Seine inférieure , le dessin et 
la description d’un individu de cette espèce 
qu'il avoit vu desséché. La raie cuvier a 
beaucoup de rapport avec la thouin , et sur- 
tout avec la bohkat, par la position de sa 
première nageoire dorsale. Cette nageoire 
est en effet très - rapprochée des veux, 
comme celles de la thouin et de la bohkat. 
Mais, ce qui sépare ce poisson des autres 
raies déjà connues , et forme même son 
caractère distinctif le plus saillant, c’est que 
celte même nageoire dorsale est sitüée non 
seulement au dessus des nageoires ventrales , 
ou à une petite distance de ces nageoires » 
et vers ja tête, comme sur la bohkat, mais 
qu'elle est implantée sur le dos, vers le 


DES RATES. 267 
milieu des nageoires pectorales , et plus près 
des évents que de l’origine de la queue. Cette 
place de la première nageoire dorsale #st 
un nouveau lien entre la raie cuvier, et 
par conséquent tout le genre des raies, et 
celui des squales, dont plusieurs espèces ont 
la première nageoire dorsale très-proche de 
la tête. 

Le museau de la raie que nous décrivons 
est pointu ; les nageoires pectorales sont très- 
grandes et anguleuses ; les nageoires ven- 
trales se divisent chacune en deux portions, 
dont l’une représente une nageoire ventrale 
proprement dite, et l’autre une nageoire 
de l'anus. Les appendices qui caractérisent 
le mâle sont très-courtes, et d’un très-pelit 
diamètre. La queue , très-mobile, déliée, 
et à peu près de la longueur de la tête et 
du corps pris ensemble , est garnie à son 
extrémité d’une petite nageoire caudale , et 
présente de plus, sur la partie supérieure 
de cette même extrémité, deux petites na- 
geoires contiguës l’une à l’autre, ou pour 
mieux dire, une seconde nageoire dorsale, 
divisée en deux lobes, et qui touche la 
caudale. 

On ne voit aucun piquant autour des 
yeux; mais une rangée d’aiguillons s'étend 


268 HES TE O MARIE) à 
depuis la première nageoire dorsale jusqu’à 
origine de la queue , qui est armée de irois 
raugées longitudinales de pointes aiguës. 

Au reste la partie supérieure de lPanimal 
est parsemée d’une grande quantité de taches 
foncées et irrégulières. 

La nageoire dorsale, qui se fait remarquer 
sur celle raie, est ün peu ovale, plus longue 
que large , et un peu plus étroite à sa base 
que vers le milieu de sa longueur, à cause 
de la divergence des rayons dont elle est 
composée. 

Sa place, beaucoup plus rapprochée des 
évents que celle des premières nageoires 
dorsales de la plupart des raies, avoit donné 
quelques soupçons au citoyen Cuvier sur la 
nature de cette nageoire : il avoit craint 
qu'elle ne fût ;e produit de quelque super- 
cherie , et n’eût élé mise artificiellement sur 
le dos de Findividu qu’il décrivoit. « Cepen- 
dant un examen attenüf, m’a écrit dans le 
tems cet habile observateur (1}, ne me 
montra rien d’artificiel ; et le possesseur de 
de cette raie, homme de bonne foi, m’assura 


(1) Lettre du citoyen Cuvier au citoyen Lacé- 
pède, datée de Fiquainville près de Vallemont , dé- 
partement de la Seine inférieure , le 9 mars 1702. 


DES RAIES 269 


avoir préparé cet animal tel qu’on le lui avoit 
apporté du marché ». 

Mais, quand même 1l faudroit retrancher 
de la raie cuvier cette première nageoire 
dorsale, elle seroit encore une espèce dis- 
tincte de toutes celles que nous connoissens. 
En effet la raie avec laquelle elle paroît avoir 
plus de ressemblance est la ronce ; eile en 
diffère néanmoins par plusieurs traits et par- 
ticulièrement par les trois caractères suivans : 

Premièrement elle n’a point , comme la 
ronce, de gros piquans auprès des narines, 
autour des veux, sur les côtés du dos, sur 
la partie inférieure du corps, ni de petits 
aiguillons sur ses nageoires pectorales et 
sur tout le reste de sa surface. 

Secondement , les appendices qui dis- 
tinguent les mâles sont très-petites, tandis 
que les appendices des raies ronces mâles 
sont très-longues et trés-grosses , sur - tout 
vers leur extrémité. 

Et troisièmement , la raie ronce et la raie 
cuvier n’appartiennent pas au même sous- 
genre , puisque la ronce a les dents pointues 
et aiguës, et que la cuvier les a arrondies 
comme la pastenaque et la raie bouclée, sui- 
vani les expressions employées par mon con- 
frère dans la lettre qu’il nv'a adressée dès 1792. 


270 HMS TOKRE 


LA RAIE RHINOBATE (i)(2), 
PAR MA CEre0T 


VINGT-QUATRIÈME ESPÈCE. 


Crrre raie se rapproche de la cuvier et 
de la bohkat par la position de sa premiere 


ue ——— 


à ; 
(1) Raie rhinobate. Daubent. Encycel. méthod. 
fiaja rhinobatos. Lin. édit. de Gmel. 

Raie rhinobate. Bonat. planches de l’Encyclop. 
méthodique. 

Raja oblonga, unico aculeorum ordine in dorso. 
Mus. Ad. Fr. 2, p. 24. — Artedi, gen. 10 , syn. 99. 

Raja dorso dipterygio , aculeorum ordine solitario , 
caudà latä pinnat& inermi , rostro trigono productiore. 
Gronov. Zoophyt. 156. — Bel. Pisc..78. 

Squats raja , seu rhinobatos. Gesn. Pise. 903. 

Rhinobato, seu squatina raja. Salvian. Pise. 153: — 
Willugbby, 79. — Ray, Pisc. 28. 

(2) En grec, rinobatos ,et en latin, squatroraia.Ces 
deux noms dérivent de opinion où étoient les anciens 
au sujet de cette raie ; c’étoit, suivant eux, un animal 
métis issu du mélange de la raie , en grec, batos ,et du 
squale ange, en grec, rinos , et en latin, sqguatina. Ces 
deux carlilagineux étoient les seuls entre les poissons | 
d'espèces différentes qui produisissent ensemble; et 
pour que le nom de rhinobate füt mieux appliqué et Ia 
fable mieux fondée, l’on avoit cru remarquer que ce 


DES RAIES. 271 
uaseoire dorsale ; elle a de grandes ressem- 
blances avec la thouin par cette mème 
position, et par plusieurs autres particula- 
rités de sa conformation extérieure; et 
comme elle est le plus alongé de tous les 
poissons de son genre, elle se réunit de plus 
près que les autres raies, avec les squales, 
et sur-tout avec le squale ange, qui, de 
son côté, présente plus de rapports que les 
autres squales avec la famille des raies. 

Les nageoires pectorales de la rhinobate 
sont moins étendues, à proportion du vo- 
lune total de l'animal, que celies des autres 
espèces de son genre. Cette conformation la 
lie encore avec l'ange; et, en tout, ce 
squale et cette raie offrent assez de parties 
semblables pour que l’on ait cru, dès le 
tems d’Aristote, que l’ange s’accouploit avec 
les raies, que cette union étoit féconde, et 
que le produit de ce mélange étoit un ani- 


mal moitié raie et moitié squale, auquel on 


De 


poisson étoit raie par les parties antérieures , et squale 
ange par les parties postérieures. ( Voyez Arist. Eist. 
ani. lib. 6, c. 113 Pline, Hist. nat. lib.9, c.5r , etc.) 

À Gênes et à Venise la rhinobate s'appelle squa- 
frolin. Belon s'étonne avec raison que cette raie n’ait 
point de nom en français, quoiqu’elle ne soit pas rare 
dans nos mers, SONNINI: 


272 HISTOIRE 

avoit en conséquence donné le nom com- 
posé de rhino-batos (1). Pline a partagé 
cette opinion (2) : elle a été adoptée par 
plusieurs auteurs bien postérieurs à Pline; 
et elle a servi à faire donner ou conserver 
à la rhinobate la dénomination de squatina- 
raja, le squale ange ayant été appelé sgua- 
tire par plusieurs naturalistes. 

La rhinobate est cependant une espèce 
existante par elle-même, et qui peut se 
renouveler sans altération, ainsi que toutes 
les autres espèces d'animaux que l’on n’a 
pas imaginé de regarder comme mélives. 
Elle est véritablement une raie; car son 
corps est plat par dessous ; et, ce qui forme 
le véritable caractère distincüif par lequel 
les raies sont séparées des squales, les ouver- 
tures de ses branchies ne sont pas placées 
sur les côtés, mais sur la partie inférieure 
du corps. 

Son museau est très-alongé et très-étroit ; 
le bord de ses évents présente quelquefois 
deux espèces de petites dents; elle a deux 
nageoires dorsales un peu conformées comme 
le fer d’une faux, et placées à peu près 


(1) Batos, en grec, veut dire raie, ‘ 
(2) Hist. nat. liv. 9, chap. 51. 
comme 


DES RAÏIES. 273 


comme celles de la bohkat. La première 
de ces deux nageoires est en effet située au 
dessus des nageoires ventrales, et la seconde 
un peu plus près de l'extrémité de la queue 
que de la première. Une troisième nageoire, 
une véritable nageoire caudale, garnit le 
bout de la queue; et cette dernière partie, 
de la même grosseur à son origine que la 
partie postérieure du corps, ne diminue de 
diamètre jusqu'à son extrémité que par des 
dégrés insensibles. La surface de l'animal 
est revêtue d’une grande quantité de tuber- 
cules ; et une rangée d'autres tubercules 
forts et aigus, ou, pour mieux dire, de 
pointes, part de l’entre-deux des yeux, et 
s'étend jusqu'à la seconde nageoire dorsale. 

La partie supérieure de l'animal est d’une 
couleur obscure, et le dessous d'un blanc 
rougeûlre. 

Telle est la véritable rh'nobate, l'espèce 
que nous avons fait dessiner et graver 
d’après un individu de plus d'un mètre (un 
peu plus de trois pieds) de longueur, con- 
servé dans le museum national d'histoire 
naturelle. La courte description que nous 
venons d'en faire, d’après ce même indi- 
vidu , sufhiroit pour que personne ne la 
confondit avec la raie thouin : cependant, 


Poiss. Tone IIL. : 


274 | HT ST OER'E 

afin d'éviter toute erreur, mettons en oppo- 
silion quelques principaux caractères de ces 
deux poissons cartilagineux ; on n’en con- 
noîitra que mieux ces deux espèces remar- 
quables de la famille des raies. 

Premièrement, la couleur du dessus du 
museau et du reste de la tête de la rhino- 
bate ne présente qu’une seule teinte : le 
museau et le devant de la tête de la thouin 
offrent une nuance très-foncée et un blanc 
très-éclatant , distribués avec beaucoup de 
régularité , et contrastant d’une manière 
frappante. 

Secondement , l'angle que présente l’ex- 
irémité du museau est beaucoup plus aigu 
dans la rhinobate que dans la thouin, et 
Ja base de l’espèce de triangle que forme ce 
museau est par conséquent beaucoup moins 
étendue. 

Troisièmement, la surface supérieure de 
cette même partie et du devant de la tête 
n’est point hérissée de petits aiguillons sur 
la rhinobate, comme sur la thouin. 

Quatrièmement , la forme des pointes qui 
règnent le long du dos de la raie que nous 
décrivons dans cet article, est souvent dif- 
férente de celle des piquans dont le dos de 
la thouin est armé. 


DES RATES. 275 


‘ Cinquièmement, le dessus du corps de 
la rhinobate est moins aplati que celui de 
la thouin. 

Sixièmement, le corps de la rhinobate 
ne commence à diminuer de diamètre que 
vers les nageoires ventrales : celui de la 
thouin montre cette diminution vers le mi 
lieu des nageoires pectorales. 

Septiémement, les nageoires pectorales 
de Ja rhinobate ne présentent pas le même 
contour, et sont moins rapprochées des 
ventrales que celles de la thouin. 

Huitièmement, une membrane quelque- 
fois frangée , quelquefois sans découpure , 
s'étend longitudinalement de chaque côté 
de la rhinobate, et marque, pour ainsi dire, 
la séparation de la partie supérieure de 
l'animal d’avec l’inférieure : on ne voit rien 
de semblable sur la raie à laquelle nous la 
comparons. 

Neuviémement, la première nageoire 


dorsale de la rhinobate est située beaucoup 


plus près des évents que celle de la raie 
thouin. 

Et dixiémement enfin, la nageoire de la 
queue de la rhinobate , au lieu d'être peu 
échancrée comme celle de la thoum, est 


divisée en deux lobes très-marqués, dont 
S 2 


876 HISTOIRE 
le supérieur est beaucoup plus grand que 
l'inférieur. 

Ces deux raies sont donc éloignées l’une 
de l’autre par dix caractères distinctifs : et 
comment confondre ensemble deux espèces 
que tant de dissemblances séparent? Des 
variétés plus ou moins constantes de la 
rhinobate ou de la thouin pourront bien se 
placer , pour ainsi dire, entre ces deux ani- 
maux, et, par quelques ‘altéralions dans la 
conformation que nous venons d'exposer , 
servir en apparence de points de communi- 
cation, et même les rapprocher un peu : 
mais de trop grands intervalles resteront 
toujours entre ces deux espèces pour qu’on 
puisse les identifier. 

La rhinobate, ayant le museau plus délié; 
et par conséquent plus mobile que la thouin, 
doit avoir le toucher pour le moins aussi 
exquis, et la sensibilité aussi vive que cette 
dernière (1). 

Au reste, c’est à l’espèce de la rhinobate 
que nous rapportons, avec le professeur 
Gmelin (2), la raie halavi (3), décrite par 


CE — 


(1) La rhinobate est commune dans la mer de Naples 
et dans le golfe Adriatique. Sonxini. 


(2) Lin. édit. de Gmelin. 


\ 


DES RAÏES. 277 


Forskœl dans sa Faune d'Arabie, et qui 
ne présente aucun trait d’après lequel on 
doive l’en séparer (4). 


mme 


(3) Raja halavi. Forskœæl , F'aun. arab. p-19, n° 18, 

Raie halavi. Bonat. pl. de l’'Encycl. méthod. 

(4) Artedi (Gen. pisc. gen. 45, sp. 17, additam.) 
rapproche l’halavi de la bohkat. Forskœl lui-même, 
tout en convenant que cette raie a beaucoup de res- 
semblance avec la rhinobate de Linnæus, ne reconnoit 
pas l'identité de ces deux animaux, et finit par compa- 
rer plus particulièrement sa raie halavi avec la raie 
bohkat. Quoi qu’il en soit, afin que l’on puisse en 
faire avec plus d’exactitude la comparaison exacte, 
je place ici la description de l’halavi , que Forskæl a 
faite à Dsjidda, sur les bords arabiques de la mer 
Rouge : ; 

 Prœcedenti djiddensi adeo similis , ut sequentibus 
signis ab illa dividenda sit : congruit figura COFPOTIS ; 
capitis , oculorum , narium, oris, foraminum ocula- 
rium et branchialium atque colore sub corpore. Diffe- 
rentia est : a) color supernè cinereus, flavescens : 
pinnæ pallidè-flavæ : b) margo prominens , evidens , 
integerrimus , inctplens eadem regione cum pinn& dorso 
prima : ©) corpus supertus scabrum tuberculis, qui 
versus medium dorsum elatiores atque ad interiorem 
oculorum marginem , ubi aculeorum fere sistunt for- 
mam : d) Aculei dorsali serie ferè unica eunt, inCi- 
piente post oculos , desinente antè pinnam dorsalem pri- 
mam; post illam aculei non, sed tubercula majora. Ab 
initio hujus seriei utrinque extat callus lateralis ,elatus, 


S 9 


278 HISTOIRE 


aculeis aliquot armatus : e) Pinnæ pect. non trian- 
gulares , sed extüs rotundæ , semicordatæ , et simui 
cum capite figuram cordatam ferentes : {) P. ventr. 
incipiunt antè apicem posticum pectoralium , semi 
ovatæ ; lateriinteriori ( in nostra et unica quam vidi) 
in singula pinna ventr. junctus erat appendix linea- 
ris, compressus , subcartilagineus, @ pinnæ apice 
liber : supernè sulco longitudinali ad latus exterius : 
juxta apicem utroque latere perforatus ,: pinna sesqui- 
longior. Relatum mihi est hos appendices in femellis 
non adesse, sed geniéalia marium esse ; quod mirum 
mihi videtur, ignaro hujus structuræ in aliis rajis : 
g) P. dorsalis prima post apicem appendicum sita in 
à parte corporis , triangularis , pone vix excisa , nequa- 
quam biloba : h) P. d. secunda loco medio inter 
priorem et caudam ; pauld major dorso anteriore ; 
ejusdem verd figuræ : i) P. caudæ illam ambit, 
tamen non nisi ovata, obliquo margine pone, non 
bilobo. Faun. ægypt. arab. pag. 19 et 20. Sonnini. 


DES RAÏIES. 279 


LA RAIE TUBERCULÉE (1), 
PAR LACÉPÉDE, 


VINGT-CINQUIÈME ESPÈCE. 


Czr animal a les dents très-obtuses ; il 
présente d’ailleurs des tubercules pointus , 
ou aiguillons très-forts, sur le corps et sur 
la queue; il doit donc être compris dans le 
troisième sous-senre que nous avons établi 
dans le genre des raies, et dont les caractères 
distinctifs consistent dans la forme obtuse 
des dents, et dans la présence daiguillons 
plus ou moins nombreux sur la queue ou 
sur le corps. 

Le bout du museau de ce cartilagineux 
est pointu. L/ensemble, formé par le corps 
proprement dit, et par les nageoires pec- 
torales , présente un rhombe assez régu- 
lier. La queue est longue et déliée : elle est 
d’ailleurs armée d’un aiguillon très-long, 
dentelé de deux côtés, et dont les petites 
dents, semblables à celles d’une scie , sont 
de plus tournées vers la base de ce piquant. 


(1) Raja tuberculata. 


SA 


280 HISTOIRE 


La tuberculée n’a aucune nageoire sur le 
dos ; le dessus de la plus grande partie de 
sa queue n’en montre pas non plus; cepen- 
dant, comme dans l'individu que j'ai eu 
sous les yeux l'extrémité de cette portion 
de l’arnimal avoit été détruite par un acci- 
dent , il se pourroit que l'espèce que nous 
décrivons eût une petite nageoire supérieure 
vers le bout de la queue. | 

L'animal ne présente que dix aïguillons, 
indépendamment de celui qui est dentelé ; 
ces protubérances sont des tubercules plus 
ou moins pointus, assez gros, très-durs, 
trés-blancs, et comme émaillés. Cinq de ces 
tubercules sont très-rapprochés, et forment 
sur le dos une rangée longitudinale ; les 
autres sont placés sur la queue , plus près 
du dos que du grand aiguillon dentelé, et à 
des distances inégales les uns des autres. 

Pour peu qu’on jette les yeux sur le ta- 
bleau du genre des raies que nous avons 
publié, on verra que celle dont nous dé- 
crivons les formes à beaucoup de rapports, 
par son aiguillon dentelé et par sa queue 
déliée, avec la raie aigle, la pastenaque, 
la lymme, et que, d’un auire côté, elle se 
rapproche, par ses tubercules, de la raie 
sephen, dont j'ai découvert que la dépouille 


BES RATES. 281 


étoit apportée en France sous le nom de 
peau de requin , pour y servir à fabriquer 
le plus beau galuchat, celui qui est à grains 
très-gros et très-aplatis (1). C’est donc entre 
la lynime et la sephen qu'il faut placer la 
rale que nous venons de faire conuoître ; et 
le caractère spécifique qui la sépare tant de 
l'aigle, de la pastenaque et de la lymme, 
que de la sephen et de toutes les raies ins- 
crites dans le troisième sous-genre, est le 
nombre des tubercules émaillés et très- 
durs, dont j'ai tiré le nom que je lui ai 
donné. ) 

Je n'ai pu juger de la couleur de cette 
espèce, à cause de l’état de dessèchement 
dans lequel étoit lindividu que j'ai vu, et 
qui avoit à peu près quatre décimètres ( en- 
viron quinze pouces ) de longueur. Elle vit 
dans les mers voisines de Cayenne; et l’in- 
dividu que j'ai examiné m’a été envoyé par 


le citoyen Leblond. 


(1) Voyez ma note à l’article de la raie sepheu, 


page 242 de ce volume. SONNINI. 


282 HISTOIRE 


Ed 


LA RAIË ÉGLANTIER Vi). 
PAR LACÉPÉDE. 


VINGT-5IXIÈME ESPÈCE. 


Lr citoyen Bosc, connu depuis long-tems 


par la variété de ses connoissances en his- 
toire naturelle, par son zèle infatigable pour 
le progrès des sciences, et par sa manière 
habile et fidèle d'observer et de décrire, a 
eu l'attention de me faire parvenir, de 
l'Amérique septentrionale , des dessins et 
des descriptions de plusieurs poissons encore 
inconnus des naturalistes. Il a bien voulu 
me faire témoigner en même tems, par notre 
confrère commun, le professeur Alexandre 
Brongniard, le desir de voir ce travail publié 
dans l'Histoire des poissons. J’ai accepté 
avec empressement l'offre agréable et utile 


(1) Raja eglanteria. 

Raja eglanteria. — Raja dentibus obtusis, corpore 
rhombeo , aculeato , aculeis minutis, caud& bipinnaté, 
spinis numerosis muricat@. — Habitat in mari Ame- 


ricam alluente. Bosc, manuscrits communiqués. 


B'E:St R'AT ETS. 283 


du citoyen Bosc. Je ferai donc usage des 
descriptions qu’il na envoyées, ainsi que 
des dessins qu'il a faits lui-même, et qui 
ont été gravés avec soin sous mes yeux; et 
la raie églantier est un de ces poissons dont 
le public devra la connoissance à ce savant 
naturaliste. 

Le corps de la raie églantier présente à 
peu près la forme d’un rhomboïde dont 
toutes les parties saïllantes seroient émous- 
ses; il est parsemé d’épines très-courtes, 
souvent même peu sensibles, excepté sur 
le milieu du dos, où l’on voit une rangée 
longitudinale de petits aiguillons qui ont 
deux ou trois centimètres (environ douze 
pouces ) de longueur. 

Les yeux sont saillans; l'iris est blanc ; 
le museau obtus; la langue courte, large, 
lisse ; la forme des dents plus ou moins ar- 
rondie ; la queue presque aussi longue que 
le corps, et garnie de plusieurs rangs lon- 
gitudinaux d'épines recourbées de différentes 
grandeurs, et dont les plus longues forment 
les trois rangées du milieu et des côtés. 

À l'extrémité de cette queue est une petite 
nageoire , auprès de laquelle on voit, sur 
la face supérieure de cette même partie de 
l'animal , une autre nageoire que l’on doit 


284 HMS TOTRE: 


nommer dorsale, d’après tout ce que nous 
avons dit, quoiqu’elle ne soit pas placée sur 
le corps proprement dit de la raie églantier. 

On compte cinq rayons à chaque nageoire 
ventrale. | 

La raie que nous décrivons est d’une 
couleur brunâtre en dessus, et blanche en 
dessous. Elle est assez commune dans la baie 
de Charles-T'own: elle y parvient à un demi- 
mètre (dix-huit pouces) de largeur. 

D’après les traits de conformation que 
nous venons d'exposer, on ne sera pas étonné 
que , sur notre tableau méthodique, nous 
placions la raie églantier entre la raie tuber- 
culée et la raie bouclée. 


DES RAIES. 28) 


LA RAIE FABRONIENNE (Es 
PAR LACÉPÉDE. 


VINGT-SEPTIÈME ESPÈCE. 


LA raie mobular et la raie manatia né 
sont pas les seules qui parviennent à une 
grandeur, pour ainsi dire, gigantesque : nous 
connoissons maintenant deux autres raies 
qui présentent aussi de très-grandes dimen- 
sions, et qui d’ailleurs se rapprochent de la 
mauatia et de la mobular par plusieurs traits 
de leur conformation, et particulièrement 
par un caracière dont on ne retrouve pas 
d’analogue sur les autres cartilagineux du 
même genre. Ces deux autres raies sont la 
fabronienne et la banksienne. Nous allons 
les faire connoître successivement. Un in- 
dividu de la première de ces deux espèces 
a été pris dans la partie de la mer Médi- 
terranée voisine de Livourne, et on le 
conserve maintenant dans le museum de 
Florence. Nous en devons un dessin et une 
ps on nier ss il, ip, te ci UNS 
(1) Raja fabroniana. 
Raja vacea , aux environs de Livourne. 


286 HAE S © O TR'E 


courte description à l’habile naturaliste et 
ingénieux physicien Fabroni, l’un de ceux 
qui dirigent ce beau museum de "Toscane, 
ainsi qu'un des savans envoyés à Paris par 
les gouvernemens étrangers pour y travailler, 
avec l’Institut national, à la fixation défini- 
tive des nouveaux poids et mesures de la 
république française ; et voilà pourquoi nous 
avons cru devoir donner à cette espèce de 
carlilagineux le nom de raie fabronienne, 
qui exprimera notre reconnoissance. L'in- 
dividu qui fait partie de la collection de 
Florence a quatre mètres ( douze pieds), 
ou environ, d'envergure, c’est-à-dire, depuis 
la pointe d’une nageoire pectorale jusqu’à 
celle de l’autre nagcoire latérale. L'espace 
compris entre le bout du museau et l’ori- 
gine de la queue est à peu près de deux 
mètres (six pieds). L'envergure est donc 
plus que double de la longueur du corps 
proprement dit, tandis que ces deux dimen- 
sions sont égales dans la mobular, celle de 
toutes les raies avec laquelle on pourroit 
être le plus tenté de confondre la fabro- 
nienne. Chaque nageoire pectorale est d’ail- 
leurs très-étroite, et la base du triangle que 
présente sa surface , au lieu de s'étendre 
depuis la tête jusqu’au commencement de 


DES RATES. 287 


la queue, ainsi que sur la mobular, ne 
s'étend que jusques vers le milieu de la 
longueur du corps. Le bord antérieur de 
chaque nageoire latérale est d’ailleurs con- 
vexe, et le bord postérieur concave; ce qui 
est différent de ce qu’on voit dans la mo- 
bular , où le bord de devant et le bord de 
derrière de la nageoire pectorale présentent 
Jun et l’autre une convexité auprès du corps, 
et une concavité auprès de la pointe de la 
nageoire. Lorsqu'on regarde la fabronienne 
par dessous, on aperçoit deux nageoires ven- 
trales et deux portions de la nageoire de 
lPauus ; lorsque la mobular est également 
vue par dessous, les nageoires ventrales 
cachent une portion des nageoires pecto- 
rales, et on ne distingue pas de nageoire de 
Panus. 

La queue ayant élé tronquée, par un 
accident particulier , dans l’individu de la 
collection de Toscane, nous ne pouvons rien 
dire sur la forme de cette partie dans la raie 
fabronienne. 

Mais ce qui mérite particulièrement Fat- 
tention des naturalistes, c’est que le devant 
de la tête de la fabronienne est garni, comme 
le devant de la tête de la mobular et de la 
manatia, de deux appendices longues, étroites 


\ 


2838 HISTOIRE 


et mobiles, qui prennent naissance auprés 
des orbites des yeux, et que l’on a compa- 
rées à des cornes. Chacune de ces appen- 
dices a quaranle-cinq centimètres (un pied 
quatre pouces ), ou environ, de longueur, 
à compter de lorbite, et par conséquent à 
peu près le quart de la longueur du: corps 
et de la tête considérés ensemble ; elle est 
donc beaucoup plus courte, à proportion des 
autres parties de l’animal, que les appen- 
dices de la mobular, lesquelles ont de lon- 
sueur prés du tiers de celle de la têle et du 
corps réunis. 

D'après le dessin qui m'a éié remis, et 
une note écrite sur ce même dessin, les 
deux appendices de la fabronienne sont deux 
espèces d’ailerons ou de nageoires composés 
de plusieurs portions cartilagineuses réunies 
par des membranes ou d’autres parties molles, 
organisés de manière à pouvoir se déployer 
comme un éventail, et servant à l’animal 
non seulement à tâter devant Îui, mais 
encore à approcher sa nourriture de sa 
bouche. 

Voilà donc dans la mobular, dans la ma- 
nalia et dans la fabronienne , une confor- 
malion particulière que nous allons retrouver 
dans la banksienne, mais que nous ne con- 

noissons 


DES RAIES. 28d 
hoissons dans aucune autre espèce de poisson 
un organe particulier du toucher, un ins- 
trument remarquable d’appréhension , une 
sorte de main propre à saisir les objets avec 
plus ou moins de facilité ; et cette faculté 
extraordinaire altribuée à ces appendices, si 
dignes par-là de l'observation des physiolo- 
gistes, est une nouvelle preuve de linstinct 
supérieur qui, tout égal d’ailleurs, nous a 
paru devoir appartenir aux raies qui offrent 
ces protubérances. 

Au reste, la grandeur de la raie que nous 
décrivons , et la ressemblance vague des 
cornes des ruminans avec de grandes por- 
tions saillantes placées sur la tête, alongées, 
un. peu cylindriques, et souvent contour- 
nées , ont fait donner à la fabronienne le 
nom de raie vache par plusieurs pêcheurs 
des côtes de la Toscane. 


Poiss. Tome 11H. T 


2q0 AT SIT OUR E 


LA RAIE BANKSIENNE (1), 


PAR LACÉEPÉDE 


VINGT-HUITIÈME ESPÈCE. 


Lis célèbre naturaliste Fabroni ayant 
adressé au chevalier Banks, président de la 
société de Londres, une lettre relative à la 
raie que nous venons de décrire, cet illustre 
savant Jui fit parvenir, avec sa réponse, une 
notice et un dessin d’une autre grande raie 
remarquable, comme la mobular, la manatia 
el la fabronienne, par de longues appendices 
placées sur le devant de la tête. Fabroni a 
bien voulu mettre à ma disposition ce dessin 
et celte notice ; et en m'en servant pour le 
complément de l’histoire des cartilagineux, : 
je me suis empressé de distinguer cette raie 
par le nom de banksienne, alin de donner 
un témoignage public de la gratitude qu’ont 
inspirée à tous les amis de l’humanité les 
progrès que le respectable président de la 
société de Londres a fait faire aux sciences 


(1) Raja banksiane. 


DES RATES. 291 
naturelles, et les marques d’estime qu’il n’a 
cessé de donner, dans toutes les circons- 
tances , à ceux de mes compatriotes qui se 
sont dévoués, comme lui, au perfectionne- 
ment des connoïssances humaines. 

La banksienne n’a point de nageoire sur 
le dos, ni au bout de la queue; cette con- 
formation la sépare de la mobular et de la 
manatlia. Elle en est aussi séparée par d’autres 
caractères. Chaque nageoire pectorale, plus 
longue que le corps proprement dit , est plus 
étroite encore dans la plus grande partie 
de son étendue et relativement aux diffé- 
rentes dimensions des autres parties de Pani- 
mal, que les nageoires pectorales de la fa- 
bronienne ; elle représente un triangle 1s0- 
cèle , dont la base repose sur un des côtés 
du corps à une distance à peu près égale de 
la tête et de la queue, et dont le sommet 
est aussi à peu près également éloigné de la 
queue et de la tête. k 

Les yeux, au lieu d être ‘situés sur les 
_ côtés de la tête, comme dans la fabromenne, 
la manaiia et la mobular, sont placés sur la 
surface supérieure de cetté partie de la raie. 
On voit trois taches longues, étroites, lon- 


gitudinales, inégales et irréguhères, derrière 
EE 3 


3q2 HE STE O LRE 

les yeux; trois autres semblables auprès de 
l'origine de la queue , et deux autres éga- 
lement semblables auprès de la base de 
chaque nageoire peclorale, 

Le chevalier Banks dit, dans sa note ma- 
nuscrite, que le dessin de l'animal Jui est 
parvenu des Indes crientales ; que les marins 
donnent à cette raie le nom de diable de 
mer, et qu'elle parvient à un volume st 
considérable, qu’un individu de la mème 
espèce, pris sur les côtes de la Barbade, n’a 
pu être tiré à terre que par le moyen de 
sept paires de bœufs. C’est la réunion d’une 
grandeur peu commune , d’une force ana- 
lague , et d’une tête en apparence cornue, 
qui aura fait nommer la banksienne diable 
de mer, aussi bien que la mobular. Au reste, 
il paroït que la manatia et la banksienne 
n’ont encore été observées que dans les mers 
chaudes de l’ancien ou du nouveau conti- 
nent, pendant qu’on a pêché la mobular et 
la fabronienne près des rivages septentrio- 
naux de la mer Méditerranée (1). 


(4) Je rapporterai à l’article de la manatia ce que 
les voyageurs ont dit , et ce que j’ai vu moi-même, 
au sujet de ces énormes raies, que les navigateurs 
appellent diables de mer. SONNINI, à 


Dans le dessin envoyé par le chevalier 
Banks, on voit un barbillon, ou irès-long 
filament, à l'extrémité de chacune des ap- 
pendices de la tête; on a même représenté 
un petit poisson embarrassé et retenu par 
la raie au milieu de plusieurs contours de 
Vun de ces filamens. Mais Banks pense que 
ces barbillons déliés n’ont jamais existé que 
dans la tête du dessinateur. Nous partageons 
d'autant plus l'opinion de ce savant, que le 
dessin qu’il a envoyé au physicien Fabroni 
n'a pas élé fait sur l'animal tiré à terre et 
observé avec facilité, mais sur ce poisson 
nageant encore auprès de la surface de la 
mer ; et voilà pourquoi nous avons desiré 
qu’on retranchât ces filamens dans la copie 
de ce dessin que nous avons fait faire; voilà 
pourquoi encore nous n'avons choisi, pour 
désigner cette espèce, que des caractères 
sur lesquels il est impossible à un œil'un 
peu altentif de se méprendre même au tra- 
vers d’une couche d’eau assez épaisse , et 
sur-tout quand il s’agit d’un poisson en 
quelque sorte gigantesque. Quoi qu’il en soit, 
si des observations exactes infirment ce que 
l’on doit être porté à conclure de linspection 
du dessin transmis par Banks à Fabroni, il 


T 8 


29% HA STORE 

sera très-aké, d’après ce qui est dit au sujet 
de la mobular, de la manatia et de la fa- 
bronienne, d'indiquer les véritables traits 
distinctifs de la grande raie à appendices, 
dont on a fait parvenir, au président de la 
société de Londres, un dessin fait dans les 
Indes orientales, ou de la rapporter à la 
fabronienne , ou à la manatia, ou à la 
mobular. 


DES RAIÉS. 295 


LA RAIE NÉGRE (1), 
PAR LACÉPÈDE. 


VINGT-NEUVIÈME ESPÈCE. 


Ox ne voit que rarement cette raie auprès 
de l'embouchure de la Seine. On la prend 
avec les raies bouclées, les oxyrinques , et 
d’autres raies plus ou moins blanches, dont 
les nuances font ressortir la couleur noire 
dont elle est peinte. Ses dents sont mame- 
lonnées ou aplaties. Le sillon longitudinal 
de son museau est d’une couleur plus foncée 
que ses autres parties. Le dessous du poisson 
est très- blanc et très-doux au toucher ; il 
présente d’ailleurs une teinte bleuâtre vers 
les nageoires pectorales. Au reste , un pè- 
cheur a dit au citoyen Noël, qu'il avoit pris 
des individus de cette espèce noirs par 
. dessous comme par dessus. La peau , qui 


(1) Raja nicra. 
Raiïe-rat , par les pêcheurs des environs de l’em- 
bouchure de la Seine. 


T4 


296 HISTOIRE 


est légèrement chagrinée , est aussi très- 
épaisse , et s’enlève facilement en entier ; 
après la cuisson de lanimal. La chair est 
ferme et peu agréable au goût. La raie 
nègre , dont le citoyen Noël a eu la bonté 
de m'envoyer un dessin que j'ai fait graver, 
pesoit soixante-cinq hectogrammes (environ 
treize livres), et avoit été pêchée par une 
barque de Honfleur. | 


DES RATES, o 


om, mm 
ee S 


LA RAIE MOSAIQUE (1), 
ET LA RAIE ONDULÉE (2), 


PAR LACÉPÉDE. 


TRENTE ET TRENTE-UNIÈME ESPÈCES. 


LA distribution remarquable des couleurs 
dont la mosaïque est ornée , a fait donner 
à ce poisson le nom que j'ai cru devoir lui 
conserver. C’est la plus belle des raies; mais 
vraisemblablement elle n’est pas la meil- 
leure, puisqu'elle est restée inconnue jus- 
qu'à présent, quoique habitant entre les 
rivages si fréquentés de la France et de 
l'Angleterre. Les mâles ont des appendices 
d’une très-grande longueur. 

La parure de londulée est moins riche 
que celle de la mosaïque ; mais elle est peut- 
être plus élégante, tant la couleur grisätre 
qu’elle montre se marie agréablement avec 
les teintes grises et douces des bandelettes 
qui serpentent ou plutôt ondulent sur sa 
surface supérieure. 


(1) Raja mosaica. 
(2) Raja undulata. 


208 HISTOIRE 


LA RAIE APTÉRONOTE (1), 
PAR LACÉPÉÈDE. 


TRENTE-DEUXIÈME ESPÈCE. 


L>ss nageoires pectorales de cette raïe sont 
très-grandes relativement aux autres parties 
de l’animal. Si l’on retranchoit ces nageoires, 
la tête et le corps de l’aptéronote ressem- 
bleroient à deux ovales irréguliers et presque 
égaux, placés au devant l’un de lautre. 
Cette forme se fait même apercevoir malgré 
la présence de ces pectorales, qui sont très- 
distinctes , et qui doivent réunir, à leurs 
dimensions étendues, des mouvemens assez 
rapides pour donner une grande vitesse à 
la natation du poisson. On doit aussi remar- 
quer la forme cylindrique ou plulôt conique 
de la queue, qui s’avance, pour ainsi dire, 
au milieu du corps proprement dit, Jusques 
vers le diaphragme. 


(1) Raja apteronata. 


DES RAIES. 209 


(LA TRATE FRANGÉE.(r}, 


PAR LACÉPÉDE. 


TRENTE-TROISIÈME ESPÈCE. 


La conformation de cette raie mérite 
Vattention des naturalistes. Le citoyen Noël 
m'en a fait parvenir un dessin que j'ai fait 
graver , et que l’on avoit trouvé dans les 
papiers de M. de Montéclair , officier supé- 
rieur de la marine française. Ce capitaine 
de vaisseau commandoit le Diadéme, de 
74 canons , dans la guerre d'Amérique ; et 
une note, écrite sur le dessin que j'ai entre 
les mains, annonce que le poisson représenté 
avoit été pris à bord de ce vaisseau de guerre, 
à trois heures après midi , le 25 juillet 1782, 
à 38 dégrés 58 minutes de latitude septen- 
trionale , et à 42 dégrés 10 minutes du mé- 
ridien de Paris. 

D'après une échelle jointe au dessin, cette 
raie frangée , vue par le capitaine de vais- 
seau Montéclair, avoit cinq mètres et demi 
(environ dix-sept pieds ) de longueur depuis 


(1) Raja fimbriata, 


300 ETS TO E 


le bout du museau jusqu’à l’extrémité de la 
queue qui , d’après le dessin , avoit été vrai- 
semblablement un peu tronquée. La pointe 
extérieure d’une nageoire pectorale étoit 
éloignée de la pointe de l’autre nageoire de 
la poitrine , de près de six mètres (environ 
dix-huit pieds). 

Voilà donc une raie dont le volume doit 
être comparé à celui de la mobular , de la 
manatia, de la fabronienne et de la bank- 
sienne. La frangée est d’ailleurs liée à ces 
quatre énormes rates par un rapport bien 
remarquable : elle a sur le devant de la 
tête , et de même que ces quatre grands 
cartilagineux, deux appendices, deux ins- 
trumens du toucher, deux organes propres 
à reconnoïtre et même à saisir les objets. 
Nous devons donc compter mainteuant cinq 
raies gigantesques , qui réunissent à beau- 
coup de force des attributs extraordinaires, 
une source particulière d'instinct, de ruse, 
d'habileté dans quelques manœuvres, et 
forment comme une famille privilésiée au 
milieu d'un genre très-nombreux. 

La frangée se distingue des autres raies 
géans par les traits que nous avons indiqués 
dans notre tableau des poissons de ce genre. 
Ajoutons à ces traits que la queue est trés- 


DES RAIES. 301 
déliée ; que la longueur de cette partie 
excède le tiers de la longueur totale ; que 
l'extrémité latérale de chaque pectorale se 
termine en pointe ; que cette pointe est 
mobile en différens sens, à la volonté de 
animal , et que la couleur de la partie 
supérieure du poisson est d’un brun très- 
foncé et tirant sur le noir (1). 


(1) Bartram a désigné cette raie frangée, qu’il 
appelle grande raie noire ; il dit que ce poisson , aussi 
bien que le requin , sont d’insatiables cannibales, 
très-importuns pour les pêcheurs de la côte de la 
Géorgie. ( Voyage dans les parties sud de l'Amérique 
septentrionale, par Williams Bartram, tom. 1, 
pag. 133 de la traduction française.)  SONNInt. 


302 HISTOIRE 


LA RAIE MOBULAR (), 


PAR LACEPRDE: 


TRENTE-QUATRIÈME ESPÈCE. 
Î 


C'ssr Duhamel (2) qui a fait connoître 
cetie énorine espèce de poisson cartilagi- 
veux, dont un individu, du poids de plus 
de vingt- neuf myriagrammes (six cents 
livres), fut pris en 1723 dans la man- 
drague (3) de Montredon, près de Marseille. 


(1) Æaie cornue, raie squatina. Raie ange de mer, 
à cause de la forme de ses nageoires appelées ailes, 
Par les caraïbes, mobular. Aux Antilles, diable de 
mLer. 

Raie mobular. Duhamel], Traité des pêches, seconde 
partie , sect. 9, chap. 3, p. 293. 

Raie mobular. Bonaterre, planches de l’Encyclop. 
méthodique. 

(2) Voyez l’ouvrage déjà cité. 

(3) La mandrague , ou madrague, est une espèce 
de grand parc composé de filets, et qui reste tendu 
dans la mer pendant un tems plus ou moins long. Ce 
parc forme une vaste enceinte distribuée par des 
cloisons en plusieurs chambres disposées à la suite 
lPune de l’autre, et qui portent différens noms, sui- 
Vant le pays où la mandrague est établie. Les filets 


DES RAIES. 309 


Cette raie, supérieure en volume et en poids 
à toules celles que nous venons de décrire, 
en est encore distinguée par sa forme exté- 
rieure. L'individu pèché à Montredon avoit 
plus de trente-quatre décimètres (dix pieds 
et demi) de longueur totale ; et sa tête, dont 
la partie antérieure étoit terminée par une 
ligne presque droite, présentoit, vers les 
deux bouts de cette ligne , une appendice 
étendueen avant, étroite, terminée en pointe, 
et longue de six décimètres (un pied onze 
pouces). Chaque appendice avoit l'apparence 
d’une longue oreille extérieure , et en a recu 


AE RSR ER PQ AL RARE SAN OR A POS LEP TRUE LE LAN SIÇRURR 


qui forment l’enceinte et les cloisons, sont soutenus, 
dans la situation qu’ils doivent présenter , par des 
flottes de liège, maintenus par un lest de pierres, et 
arrêtés de plus par une corde dont une extrémité 
est allachée à la tête de la mandrague, et l’autre 
amarrée à une ancre. On place entre l’enceinte et 
la côie une longue cloison de filet, nommée cache, 
ou chasse, que les poissons suivent , et qui les con- 
duit daus la mandrague, où ils passent d’une chambre 
dans une autre jusqu’à ce qu’ils soient parvenus dans 
la dernière, que l’on nomme chambre de la mort. 
11 y a des mandragues qui ont jusqu’à mille brasses 
de longueur (*). 


(*).Je donnerai des détails plus étendus sur la mandrague, 
à l’article du #4on, SONNINT, 


50% HISTOIRE 

le nom, quoiqu'elle ne renfermât aucun or- 
gane que l’on püt supposer le siège de Pouïe ; 
et voilà pourquoi on a nommé la mobular 
raie à oreilles. D'un autre côté , comme ses 
deux appendices ont été comparées à des 
cornes ; on l'a appèlée raie cornue : et 
cependant elle n’a ni cornes ni oreilles; elle 
n'a reçu que des appendices alongées. 

Les yeux dé la raie mobular, prise auprès 
de Marseille, occupoient les extrémités de 
la face antérieure de la tête : on les voyoit 
presque à la base et sur le côté extérieur 
des apperdices ; el leur position étoit par- 
là très-analogue à celle des yeux du squale 
marteau et du squalé pantouflier. 

l'ouverture de la gueule, située au des- 
sous de la tête , avait plus de quatre déci- 
mètres (un pied trois pouces) de large ; et 
fon apercevoit un peu au delà les dix 
ouvertures branchiales disposées de la même 
manière que celles des autrés raies. 

e chaque côté du corps et de la tête 
pris ensemble, on voyoit une nageoire pec- 
torale très-grande , triangulaire , et dont la 
face antérieure , formant un angle aigu avec 
ja direction de l’appendice la plus voisine, 
se terminoit à l'extérieur par un autre angle 
aigu dont le sommet se recourboit vers la 

pointe 


DES RAIES. 305 
Pointe de l’appeñndice. Cette face antérieure 
avoit près de trois pieds de longueur ; et 
l'étendue qu’elle donnoit à Ja nageoire, ainsi 
que la conformation qui résultoit de la posi- 
lion de cette face, rendoit Ja nageoire pec- 
torale beaucoup plus semblable à l'aile d’un 
énorme oiseau de proie que celles des autres 
raies déjà connues. eu | 

Le miliewdu dos étoit un peu élevé , et 
représentoit une sorte de pyramide très- 
basse, mais à quatre faces, tournées l’une 
vers la tête, l'autre vers la queue, el les 
deux autres vers les côtés. | 

Entre la face postérieure de cette pyra- 
mide et l’origine de la queue, on voyoit 
une nageoire dorsale alongée et inclinée en 
arriére ; et cette position de la nageoire dor- 
“sale rapprochoit l'individu figuré dans l'ou- 
vrage de Duhamel, de la raie cuyier, de 
la bohkat, de la rhinobate, et de la raie 
thouin. 

Les nageoires ventrales avoient près de 
quatre décimètres (un pied deux pouces) 
de long ; et la queue, très-déliée , terminée 
en pointe , et entièrement dénuée de na- 
geoires , éloit longue de plus de quatorze 
décimètres (quatre pieds six pouces). 

Aucune portion de la surface de cet 


Poiss. Tome IIL. V 


306 ETS TOR TE 


animal ne présentoit de tubercules ni de 
piquans. 

Au reste, la mobular habite le plus sou- 
vent dans l'Océan. On l’y trouve auprès des 
Acores , ainsi qu'aux environs des Antilles, 
où elle a reçu le nom que nous avons cru 
devoir lui conserver. 

Duhamel , après l'avoir décrite , parle 
d’une autre raie qu’il en rapproche , mais 
dont il n’a pas publié un dessin qu’il avoit 
reçu , et dont il s’est contenté de dire, pour 
montrer les différences qui la distinguoient 
de la mobular, qu’elle avoit le corps plus 
alongé et les nageoires pectorales plus petites 
que ce dernier cartilagineux. 

Nous comparerons aussi la mobular avec 
la manatia , qui, par son immense volume, 
ainsi que par sa conformation, a de irès- 
grands rapports avec la mobular. Mais sui- 
vons l’ordre tracé dans le tableau que nous 
avons donné de la famille des raies. 


rs 


LA RAIE SCHOUKIE (ae 
PAR LACÉPÈDE. 
TRENTE-CINQUIÈME ESPÈCE. 


Forsrar., en parlant de cette raie qu'il 
avoit vue dans la mer Rouge, s’est contenté 
d'indiquer, pour le caractère distinctif de ce 
poisson, les aiguillons un peu éloignés les 
uns des autres dont elle est armée ; mais ce 
qui montre que sa peau est hérissée de 
tubercules plus ou moins petits et très-serrés 
les uns contre les autres, c’est que, selon 
le même naturaliste , on se sert de la peau 
de cette schoukie , dans la ville arabe de 
Suaken , pour revêtir des fourreaux de 


(1) Raja schoukie. Lin. édit. de Gmelin. 

Baja schoukie. Forskæœl, Faun. arab. p. 9, n° 16. 
_ Raie schoukie. Bonaterre , planches de l’Encyclop. 
méthodique. 

C) Raja , schoutie, aculeis remotiusculis. Forsk. 
Artedi, Gen. pisc. gen. 45, n° 26, sp. dubia. 

Forskœl a vu cette raie à Dsjidda , port de la mer 
Rouge, en Arabie,  SoxNnini. 


V a 


308 HASITO PRE 

sabre , comme on revêt en Europe des four- 
reaux d'épée ou des étuis avec des dépouilles 
_ de squales garnies de tubercules plus ou 
moins durs. 

Ces callosités où tubercules de la schoukie, 
réunis avec ses aiguillons , ne permettent pas 
de la confondre avec aucune autre espèce 
de raie déjà décrite par les auteurs. 


DES RAI ES. 30Q 


LARAIE MACHUÈLE (1), 


TRENTE-SIXIÈME ESPÈCE. 


J E sépare celle raie que Lacépède a indi- 
quée dans son histoire de la schoukie, 
comine n'étant pas assez bien décrite pour 
que l’on puisse la rapporter à une raie déjà 
bien connue , ou la considérer comme une 
espèce distincte (2) Le même motif m'engage 
au contraire à la séparer et à la présenter 
comme une espèce particulière , jusqu’à ce 
qu’il soit prouvé qu’elle n’est point différente 
d’une espèce déjà connue (5). 


(1) Raja corpore oblongo, lævi; capite depresso 


aculeato , pinnä caudali bilobä...... raja machuelo. 
Osbeck, Fragment. ichthyol. hispan. — Nov. act, 
n. c. 4, O9. 


Raja corpore inermi; capite aculeato, ore termi- 
nali....raja Osbeki. Artedi, Gen. pisc. gen. 45, 
sp. 12, additam. 

La machuèle. Bonat. planch. de l'Encycl. méthod. 
pag. 6. | | 

(2) Lacépède , Histoire des poissons ,tom. I, in-4; 
pag. "153. 

(5) Voyez ma note à la pag. 210. 


V 5 


310 HISTOIRE 


Ce que l’on sait de la raie machuële est dû 
au naturaliste Osbeck. II l’a vue dans la mer 
Méditerranée, près des côtes de l'Espagne, 
où elle porte le nom de machuelo. Elle a 
le corps oblong, la tête aplatie, d’un ovale 
presque rond et armée d’aiguillons. Le reste 
du corps, dénué de piquans , est brun en 
dessus, avec des taches blanchâtres, et d’un 
blanc rougeâtre en dessous; la bouche est 
placée non pas en dessous , mais à l’extré- 
mité du museau, et la mâchoire supérieure 
est plus avancée que l’inférieure; entre cette 
mâchoire et la lèvre il y a un intervalle 
assez grand pour qu’elles ne tiennent point 
l’une à l’autre. 

L'on distingue deux rangées de dents 
aiguës et épaisses ; les nageoires latérales ont 
une forme rhomboïdale , et s’attachent au 
corps du poisson , à peu près comme les 
ailes d’un oiseau ; enfin la nageoire de la 
queue est divisée en deux lobes. La lon- 
gueur du corps est ordinairement d’un pied 
et plus. 

Cette description que j'abrège encore me 
semble suffisante , pour que l’on soit fondé à 
considérer la machuële comme une espèce 
différente des raies connues. 


DES RAIES. Sir 
a —— — 


LA RAIE CHINOISE, 
PAR ' LACÉPEDME 


TRENTE-SEPTIÈME ESPÉCE. 


LA collection d'histoire naturelle que 
renfermoit le museum de la Haye, et qui, 
cédée à la France par la nation hollandaise, 
est maintenant déposée dans les galeries du 
museum de Paris, comprend un recueil 
de dessins en couleurs exécutés à la Chine, 
et qui représentent des poissons dont les 
uns sont déjà très-connus des naturalistes ; 
mais dont les autres leur sont encore en- 
tièrement inconnus (1). Les traits des pre- 
miers sont rendus avec trop de fidélité pour 
qu’on puisse douter de lexactitude de ceux 
sous lesquels les seconds sont dessinés ; et 
les caractères de tous ces animaux sont 
d’ailleurs présentés à l’œil de manière qu'il 
est très - aisé de les décrire. Jai donc cru 


(1) Ce recueil compose une suite de dessins plus 
larges que hauts, réuuis ensemble; et c’est l’avant- 
dernier numéro qui représente la raie chinoise. 


V & 


312 AISTO FRE 


devoir enrichir mon ouvrage et la science 
par l’exposition des espèces figurées dans ce 
recueil, et qui n’ont encore été inscrites 
sur aucun catalogue rendu public : et parmi 
ces espèces, nouvelles pour les naturalistes, 
se trouve une raie à laquelle j'ai donné le 
nom de chinoise, pour indiquer le pays 
dans lequel son image a été représentée 
pour la première fois , et sur les rivages 
duquel elle doit avoir été observée. 

La raie chinoise est d’un brun jaunâtre 
par dessus, et d’une couleur de rose foible 
par dessous. L’ensemble de la tête, du corps 
et des nageoires pectorales, est un peu ovale; 
mais le museau est avancé , en présentant 
cependant un contour arrondi. C’est prin- 
cipalement la réunion de cette forme gé- 
nérale, un peu rapprochée de celle de la 
torpiile , avec le nombre et la disposition 
des aiguillons dont nous allons parler , qui 
distingue la chinoise des autres raies décrites 
par les auteurs. On voit trois piquans der- 
rière chaque œil; on en compte plusieurs 
autres sur le dos ; et d’ailleurs deux rangées 
d'autres pointes s'étendent le long de Ja 
queue. Celte dernière partie est terminée 
par une nageoire caudale divisée en deux 


DES RATES. 313 


lobes , dont le supérieur est un peu plus 
grand que linférieur , et sa partie supé- 
ricure présente deux nageoires dorsales. 
Le dessin n'indique point si les dents sont 
aplaties ou pointues; et par conséquent nous 
ne pouvons encore rapporter à aucun des 
quatre sous-genres, que nous avons établis 
dans la famille des raies, ce poisson chinois 
dont les couleurs sont très-agréables (1). 


(1) C’est peut-être à cette espèce qu'il faut rap- 
porter les raies extrêmement grandes des mers du 
Japon , et dont les peaux sont très-estimées par les 
japonais pour faire des fourreaux de cimeterre. 
(Gemelli Carreri, Voyage autour du monde, tom. V,, 
pag. 166.)  Sonninr. 


314 HES TOIRE 


ÉCRIRE DR ER een mme nn | 


LA RAIE GRONOVIENNE (1), 


PAR LACEPEDE. 


4 4 


TRENTE-HUITIEME ESPECE. 


O x trouve aux environs du cap de Bonne- 
Espérance cette raie que Gronovius a fait 
connoitre. Elle montre de très-grands rap- 
ports avec la torpille. Elle a, comme ce 
dernier poisson, la tête, le corps et les na- 
geoires pectorales conformés de manière 
que leur ensemble représente presque un 
ovale ; et d’ailleurs on ne voit de piquans 
sur aucune parlie de sa surface, non plus 
que sur celle de la torpille : mais l’on voit 
sur la queue de la torpille deux nageoires 
dorsales , et la partie supérieure de la queue 
de la gronovienne n’en présente qu’une. 

Le dos de la gronovienne est un peu 
convexe; la partie inférieure de son corps 
est au coniraire très - plate. Les nageoires 
ventrales sont grandes ; elles ont un peu 


(1} Gronov. Zooph. 152. 
Raja capensis, Lin. édit. de Gmelin. 


DES RATES. 325 


la forme d’un parallélogramme , et n’ont 
aucune portion qu'on puisse appeler na- 
geoire de l'anus. 

A l'extrémité de la queue est une nageoire 
caudale divisée en deux lobes. 

On n’a encore vu que des gronoviennes 
d'un diamètre peu considérable; et l’on 
ignore si, conformée comme la torpille, la 
raie que nous décrivons jouit aussi, comme 
cette dernière, de la faculté de faire ressentir 
des commotions électriques plus ou moins 
fortes. 


916 HES TOIRE 


LA RATE M A NMATI À; 
PAR LACÉPÉDE. 


TRENTE-NEUVIÈME ESPÈCE. 


Ets reçu, il y a plusieurs années, un 
dessin que j'ai fait graver, et une courte 
description, écrite en italien, d’une raie qui 
a beaucoup de ressemblance avec la mo- 
bular, et qui, comme ce dernier cartilagi- 
neux , parvient à une très-grande longueur. 
L’individu, dont on m'a envoyé dans le 
tems la figure, avoit plus de cinq mètres 
(quinze pieds huit pouces) de long, depuis 
la partie antérieure de la tête jusqu’à l’ex- 
itrénuté de la queue. 

Le corps proprement dit, et les nageoires 
pectorales, considérés ensemble, offroient 
une losange assez régulière , dont la diagonale, 
qui marquoit la plus grande largeur de lani- 
mal, étoit longue de près de trois mètres 
ou neuf pieds. Chaque nageoire pectlorale 
représentoit ainsi un triangle isocèle, dont 
la base s’'appuyoit sur le corps proprement 
dit, et dont le sommet très-aigu, placé à 
l'extérieur, répondoit au milieu du dos. 


DES RAÏIES. 319 


À l'angle antérieur de la losange étoit la 
tête, d'un volume assez petit relativement 
à celui du corps, et terminée par devant 
par une ligne presque droite. Cette ligne 
avoit près d’un demi-mètre, ou un pied et 
demi de longueur, et à chacun de ses bouts 
on voyoit une appendice pointue, étroite, 
en forme d'oreille extérieure, semblable à 
celles que nous avons décrites sur la mobu- 
lar, et longue de dix pouces, où près de 
trois décimètres, à compter du bout du 
museau de la manatia. Chacune de ces 
deux ‘appendices s’étendoit au dessous de la 
tête jusqu’à l'angle de la bouche le plus 
Voisin ; mais on ne remarquoit dans ces 
excroissances ni cavité, ni aucun organe 
qui püt les faire considérer même, au 
premier coup d'œil, comme les sièges de 
loute. 

L'ouverture de la bouche, située dans la 
partie inférieure de la tête, n’étoit séparée 
de l'extrémité du museau que par un inter- 
valle de quinze centimètres (de cinq à six 
pouces), et n’avoit que trois décimètres 
(dix pouces ou environ) de largeur ; les 
narines étoient placées au devant de cette 
ouverture; et les deux yeux létoient de 
chaque côté de la tête, un peu plus près du 


318 HiSIT OR E 


bout du museau que louverture de la 
bouche. Derrière chaque œil, à l'endroit où 
le côté de la tête proprement dite se réu- 
nissoit avec la nageoire peclorale, on dis- 
tinguoit un évenl. 

On ne voyoit d’aiguillon sur aucune por- 
tion de la surface de lanimal ; mais sa 
partie supérieure , recouverte d’une peau 
épaisse , s’élevoit au milieu du dos en une 
bosse semblable à celle du chameau, sui- 
vant l’auteur de la description qui m'est 
parvenue. 

Les nageoires ventrales étoient petites et 
recouvertes en partie par les nageoires pec- 
torales ; et 1l n’y avoit aucune nageoire dor- 
sale ni sur le corps, ni sur la queue, qui 
étoit très-étroite dans toute son étendue, 
et terminée par une nagoire fourchue. 

Cette nageoire caudale paroît horisonlale 
dans le dessin que j'ai fait graver; mais je 
crois que cetle apparence ne vient que d’une 
défectuosité de ce même dessin. 

Il est donc bien aisé de distinguer la ma- 
natia de la mobular. Ces deux raies, que 
leur volume étendu rapproche lune de 
Vautre, sont cependant séparées par quatre 
caractères très-remarquables. 

Les appendices du devant de la tête sont 


DES RAIES. 319 


beaucoup plus courtes sur la manatia que 
sur la mobular, à proportion de la lon- 
gueur totale de l'animal, puisqu'elles ne sont 
sur la manatia que le dix-neuvième de cette 
longueur totale, tandis que sur la mobular 
elles en sont le cinquième, ou à peu près. 

Les nageoires pectorales sont conformées 
si différemment sur la manatia et sur la 
mobular que, dans ce dernier cartilagineux, 
l'angle extérieur de ces nageoires est au 
niveau des yeux, et dans la manatia au 
niveau du milieu du dos. 

Il y a une nageoire dorsale sur la mobu- 
Jar : il n’y en a point sur la manatia. 

Enfin la queue de la mobular n'est ter- 
minée par aucune nageoire, et l’on en voit 
une fourchue au bout de la queue de la 
mana!tia. 

La couleur de la partie supérieure de 
la raie que nous cherchons à faire con- 
noître est d’un noir plus ou moins foncé , 
et celle de la partie inférieure d’un blanc 
assez éclatant. 

La forme, la mobilité et la sensibilité 
des appendices de la tête de la manata 
doivent faire de ces prolongations, des sortes 
de tentacules qui, s'appliquant avec facilité 
à la surface des corps, augmentent la déli- 


320 HIS AT :O ER E 

catesse du sens du toucher , et la. vivacité 
de l'instinct de cette raie ; et comme un sens 
plus exquis, et par conséquent des ressources 
plus multipliées pour l'attaque et pour la 
défense , se trouvent joints 1ci à un volume 
des plas grands et à une force très-considé- 
rable , il n’est pas surprenant que sur les 
rivages de l'Amérique voisins de l'équateur 
qu’elle fréquente , elle ait reçu le nom de 
manatia , presque semblable à celui de ma- 
nati,imposé dans les mêmes contrées à un 
autre habitant des eaux , très-remarquable 
aussi par l'étendue de ses dimensions, ainsi 
que par sa puissance , au lamantin (1) décrit 
par Buffon. C’est à cause de cette force , de 
ce volume et de cet instinct, qu'il faut par- 
ticuhèrement rapporter à la manatia ce que 
Barrère (2) (3) et d’autres voyageurs ont dit 


(1) Trichecus manatus, mamm: brut: Lin. edif. 
de Gmelin. | 

(2) Histoire naturelle de la France équinoxiale, 
par Barrère. 

(3) Barrère désigne deux espèces de ces grandes 
raies : Vune qu'il appélle raye monstrueuse; raja 
omniutn maximé-ore ampéissino, p: 176; et la seconde 
qu’il nomme raye diable ; raia maxima, circinata 
el cornuta, pag, 177. « C’est, dit Barrère, un poisson 
de mer monstrueux, long de plus de vingt pieds; ül 


de 


DES RATES. 321 


de très-grandes raies des mers américaines 


s’élance hors de l’eau à une certaine hauteur , et se 
laissant tomber tout à coup , 1l fait un bruit épou- 
vantable ; 11 se bat avec l’espadon ». 

Les navigateurs rencontrent quelquefois de ces 
raies énormes, principalement dans les mers de la 
zone Torride. 

« Grand bruit parmi les matelots, raconte le 
spirituel auteur d’un Voyage à Siam, fait en 1685 
et 1686; on a crié tout à coup, voilà Le diable, il faut 
lavoir. Aussitôt tout s’est réveillé, tout a pris les 
armes : on ne voyoit que piques, harpons et mons- 
quets. J’ai couru moi-même pour voir le diable, et 
J'ai vu un gros poisson qui ressemble à une raie, 
hors qu’il a deux cornes comme un taureau. 4l a fait 
quelques caracoles, toujours accompagné d’un poisson 
blanc, qui de tems en tems va à la petite guerre, et 
vient se remettre sous le diable : et entre ses deux 
cornes il porte un petit poisson gris, qu'on appelle 
le pilote du diable, parce qu’il le conduit et le pique 
quand il voit du poissor ; et alors le diable part comine 
un trait. Je vous conte ce petit manège parce que je 
viens de le voir. Nous étions à six dégrés de la ligne ». 
( Page 28.) 

Sparrman, étant précisément sous le Tropique, 
vit un animal marin, qui avoit sept à huit pieds de 
long, connu des matelots sous le nom de diable de 
mer. Dans un voyage que le même naturaliste avoit 
fait précédemment en Chine, il avoit rencontré un 
de ces monstres, et en lexaminant , il le reconnut 
pour être une espèce de raie. (Voyage au cap de 


Poiss. Tome III. X 


Lé 


599 HISTOIRE 


et équinoxiales, qui, s’élançant avec effort 


Bonne - Espérance, par Sparrman, traduct. francç* 
tom. 1, pag. 4.) L'on assure que cette raie est fort 
dangereuse pour les pêcheurs qui recherchent les perles 
dans les mers de l’Inde. 

C’est peut - être une espèce de ces raies diables de 
mer que Pagès a voulu désigner lorsqu'il parle d’une 
raie monstrueuse du cap de Bonne-Espérance , qui , 
en ayant avalé une autre , large de huit pouces et 
prise à la ligne , ne put la dégorger de son estomac. 
( Voyage autour du monde , tom. 11, p: 115.) 

À trois cent cinquante-cinq dégrés de longitude , 
dix dégrés, quinze minutes de latitude nord , pendant 
le calme , Levaillant découvrit autour de son vaisseau 
trois diables de mer , nageant isolément et entourés 
chacun de ces petits poissons qui précèdent ordinai- 
rement les requins, et que, par cette raison, les 
gens de mer ont nommés pilotes. Tous trois portoient 
en outre , sur chacune de leurs cornes, ou espèces 
de bras alongés , formant un croissant au devant de 
leur tête, un poisson blanc, de la grosseur du bras, 
long d’environ dix-huit pouces, et qui paroissoit 
être comme en faction. Levaillant décrit ainsi les 
manœuvres de ces deux poissons : « On eût dit que les 
deux vedeltes ne se plaçoient ainsi que pour veiller 
à la sûreté de lanimal, pour l’avertir des dangers 
qu’il couroit , et diriger ses mouvemens par les leurs. 
S’approchoit-il trop près du vaisseau, ils quittoient 
leur poste, et nageant avec vivacité devant lui, 
ils l’obligecient de s’éloisner. S’élevoit-il trop au 
dessus de Peau, ils passoicnt et repassoient sur son 


DES RAÂIES. 325 
à uñe certaine hauteur au dessus de Ia 
: A | 
dos, jusqu’à ce qu'il se fût enfoncé davantage. Si 
au contraire il s’enfonçoit trop, alors ils disparois- 


soient ; et on cessoit de les voir » Parce que sans doute 
ils le touchoient en dessous comme, dans l’occasion 
précédente, ils lavoient touché en dessus; aussi lé 
Voyoit-on anssitôt remonter vers la surface de Ja 
mer et les deux factionnaires reprenoient leur poste ; 
chacun sur leur corne ». (Second Voyage dans l’inté: 
rieur de l'Afrique , tom. IX, p. 513. ) 

Je ne sais si ce n’est pas prêler à ces petits pois- 
Sons une prévoyance et une sagacilé que peut-être 
ils u’ont pas. Le rôle de sentinelles vigilantes, de 
conducteurs sans cesse cn mouvement pour diriger 
un animal que rien n'empêche de se conduire Jui- 
même, les rend fort intéressans , sans doute; mais 
jaime mieux y voir une cause plus simple et plns 
naturelle, c’est-à-dire, le besoin de chercher unëé 
nourriture dans les déjectious de la raie. 

Quoi qu’il en soit, l’une des trois raies diables fut 
prise par l’équipage du vaisseau sur lequel Levail- 
lant étoit passager; c’étoit la plus petite. Elle avoit 
vingt-huit pieds dans sa plus grande largeur, sur 
vingt - un de long , depuis l'extrémité des cornes 
jusqu’à celle de la queue. Cette queue, grosse en 
proportion du corps, avoit vingt-deux pouces de 
longueur, La bouche, placée absolument comme 
telle de là raie, étoit assez large pour avaler aisé 
ment un homme tout ceutier, La peau, blanche 
sous le ventre, avoit sur le dos les couleurs brünes 
qui sont propres à la raie; Enfin on éstima que Fani- 


X à 


924 HISTOIRE 
surface de l'Océan , et se laissant ensuite 
retomber avec vitesse, frappent les ondes 


mal pouvoit peser au moins deux mille. { Voyage de 
Levaillant , à l'endroit cité. ) «Je me flattois , ajoute 
ce voyageur célèbre , que peut-être on pourroit attra- 
per quelqu'un des petits poissons qui servoient de 
vedettes aux deux autres; car les deux monstres, 
malsré tout le prix qu'avoit fait notre capture, ne 
s’étoient pas éloignés. On employa , vis à-vis des 
conducteurs, différentes sortes d’amorces ; mais ce 
fut en vain : aussitôt que l’hameçon tomboit à l’eau, 
ils venoient le reconnoître et retournoient tout aussi- 
tôt à leur poste ». ( Pag. 517.) Ce dernier fait prouve 
ce que je viens de dire tout à l'heure, que ce n’est 
point pour avoir le plaisir de conduire les raies que 
ces poissons Îes accompagnent, et qu’ils n'ont d'autre 
but que de trouver dans les déjections de îa raie une 
nourriture qui leur est propre exclusivement, puis- 
qu’ils ne touchent à aucune autre. 

Enfin , dans le cours de mes navigations , je n’ai eu 
qu’une seule fois l’occasion de voir une de ces raies 
monstrueuses dont il s’agit ; c’étoit au delà du Tro- 
pique et non loin de la côte occidentale de l'Afrique ; 
le calme régnoit depuis plusieurs jours. Cet énorme 
cartilagineux se montra à fleur d’eau et vint se ranger 
tout à fait contre le bord du navire , qui n’étoit que 
du port de cent soixante tonneaux. Aussi cet épou- 
vantable animal me parut plus long et plus large que 
le vaisseau même. On lui lança plusieurs harpons 
qui ne produisirent d’autre effet que de Île faire dis« 
paroitre , en sorte que je n’eus pas le tems de l’exaz 


DES RAIES. 325 
avec bruit et par une surface très - plate, 
très-longue et très-large, et les font rejaillir 
très-au loin et avec vivacité. 

Passons maintenant à l’exposition du genre 
de cartilagineux qui ressemblent le plus aux 
raies que nous venons de décrire. 


miner beaucoup, ni le cannonier de disposer une 
pièce pour lui lancer un boulet. La vue de ce mons- 
trueux animal avoit répandu la frayeur dans Péqui- 
page, ct je ne doute pas en effet qu’il ne pût faire 
beaucoup de mal à de petits bâtimens. 

5 SONNINI.. 


X 5 


926 HISTOIRE 


TAB BAU 
Du cinquième ordre des POoIssons, 


PAR LACÉPÉDÉ. 


RRCO IS TEME “ORNRE 
LE StS:Q VA PES." 


Cire, ou six, ou sept ouvertures bran- 
chiales de chaque côté du corps. 


PREMIER SOUS-GENRE. 
Une nageoire de l’anus, sans évents. 


PREMIÈRE ESPÈCE. 

LE SsQUALE REQUIN. — Les dents lrian- 

gulaires , et dentelées des deux côtés. 
SECONDE ESPÈCE. 

LE SQUALE TRÈS-GRAND. — Les dents 

un peu coniques et sans dentelures. 
TROISIÈME ESPÈCE. 

LE SQUALE GLAUQUE.— Les dents apla- 
tes de devant en arrière, triangulaires et 
sans dentelures ; le dessous du corps glauque; 
une fossette à l'extrémité du dos, | 


DES SQUALES. 327 
QUATRIÈME ESPÈCE. 

LE SQUALE LOKG-NEz. — Un pli longi : 
tudinal de chaque côté de la queue. 
CINQUIÈME ESPÈCE. 


LE SQUALE PHILIPP. — Quelques dents 
arrondies; un fort aiguillon à chaque na- 
geoire dorsale. 

SIXIÈME ESPÈCE. 

LE SQUALE PERLON. — Sept ouvertures 
branchiales de chaque côté. 
| SEPTIÈME ESPÈCE 

LE SQUALE POINTILLÉ. (Soualus punc- 
tulatus.) — De petits points blancs sous le 
corps et sous la queue; la couleur de la 
partie inférieure de lani mal plus nn: 
que celle de la partie supérieure. 


SECOND SOUS-GENRE. 


Une nageoire de l’anus, et deux évents. 
HUITIÈME ESPÈCE. 


LE SQUALE ROUSSETTE. — Les narines 
garnies d’une appendice vermiculaire; les 
dents dentelées et garnies, aux deux bouts 
de leur base, d’une pointe dentelée. 


NEUVIÈME ESPÈCE. 


LE SQUALE ROCHIER. — Deux lobes aux 
X 4 


528 HISTOIRE 
narines; les nageoires du dos égales l’une à 
l’autre. 

DIXIÈME. ESPÈCE. 

LE SQUALE MILANDRE.— Les dents 
presque triangulaires, échancrées et den- 
telées. : 

ONZIÈME ESPÈCE. 

LE SQUALE ÉMISSOLE.— Les dents petites 
el très-obtuses. 

DOUZIÈME ESPÈCE. 

LE SQUALE BARBILLON. — Une appen- 
dice vermiforme aux narines: des écailles 
grandes et unies sur le corps. 

TREIZIÈME ESPÈCE. 

LE SQUALE BARBU. — Le tour de l’ou- 
verture de la bouche garni d’appendices 
vermiformes. 

QUATORZIÈME ESPÈCE. 

LE 5QUALE Ticré. — Des bandes noires 
et transversales sur le corps, des barbillons 
auprès de l’ouverture de la bouche. 

QUINZIÈME ESPÈCE. 

LE SQUALE GALONNÉ.— Sept bandes 

noirâtres et longitudinales sur le corps. 
SEIZIÈME ESPÈCE. 


LE SQUALE æœiLLé.— Une tache noire 


DES SQUALES. 329 
entourée d’un cercle blanc de chaque côté 
du cou. 

DIX-SEPTIÈME ESPÈCE. 

LE SQUALE I1SABELLE.—/La première 
nageoire du dos placée au dessus des na- 
geoires ventrales. 

DIX -HUITIÈME ESPÈCE. 

LE SQUALE MARTE AU.— La tête et le 
corps représentant ensemble un marteau. 

DIX-NEUVIÈME ESPÈCE. 


LE SQUALE PANTOUFLIER. — La tôle 
festonnée par devant, et un peu en forme 
de cœur. 


VINGTIÈME ESPEÈCÉ. 


LE sQUALE RENARD. — Le lobe supé- 
rieur de la nageoire de la queue, de la 
longueur du corps. 4 


VINGT-UNIÈME ESPÈCE. 
LE SQUALE GRIsET.— Six ouvertures 
branchiales de chaque côté. 
TROISIÈME SOUS-GENRE. 
Deux évents, sans nageoires de Panus,. 


VINGT-DEUXIÈME ESPÈCE. 


LE sQUALE AIGUILLAT. — Un aiguilion 


330 HISTOIRE 
à chaque nageoire du dos; le corps très 
alongé. 
VINGT-TROISIÈME ESPÈCE. 
LE SQUALE SAGRE.— Le dessous du 
corps nonâtre ; les narines placées dans Ia 
partie antérieure de la tête. 
VINGT-QUATRIÈME ESPÈCE. 


LE SQUALE HUMANTIN. — Le corps un 
peu triangulaire. 

VINGT-CINQUIÈME ESPEÈÉCE. 

LE sSQUALE LICHE.—Les deux nageoires 
du dos sans aiguillon ; la seconde plus grande 
que la première; les nageoires ventrales 
grandes, et placées très-près de la queue. 

VINGT-SIXIÈME ESPÈCE. 

LE SQUALE GRONOVIEN.— Les deux 
nageoires du dos sans aiguillons; la pre- 
mière , plus éloignée de la tête que les na- 
geoires ventrales; la seconde, placée très- 
loin de la première. 

VINGT-SÈPTIÈME ESPÈCE 

LE SQUALE DENTELÉ. — Une rangée de 
tubercules un peu gros, s'étendant depuis 
les yeux jusqu'à la première nageoire dor- 
sale; des taches rousses et irrégulières sur la 
partie supérieure du corps et de la queue. 


DÉS: SQUAILES. 33: 
NMINCT-HULTILEMBLESPÉECE. 
LE SQUALE BoUucLÉ.— Des tubercules 

gros et épineux sur tout le corps. 
VINGT-NEUVIÈME ESPÈCE, 
LE SQUALE ÉCAILLEU x. —Le corps 
revêtu d'écailles ovales et relevées par une 
arête. 
TRÉNTIÈME ESPÈCE. 
LE SQUALE scir. — Le museau très- 
alongé, et garni de dents de chaque côté. 
TRENTE-UNIÈME ESPÈCE. 
LE SQUALE ANGE.— Les nageoires pec- 
torales trés-grandes, el échancrées par de- 
vant; le corps un peu aplati. 


TRENTE- DEUXIÈME ESPÈCE. 

LE SQUALE ANISODON. — Le museau 
très-alongé, et garni, de chaque côté, de 
dents très-inégales ; un long filament placé 
au dessous de chaque côté du museau. 


932 HIS TÉIRÉ 


LE RE OMAN 


Foyez la figure, planche VI, fig. 1 ; fig. 2, mâchoire 
du requin ; fig. 3, une de ses dents. 


LE SQUALE REQUIN (i}(2), 
PAR, LACEFPEDE. 


PREMIÉRE) ESP E C &. 


Les squales (3) et les raies ont les plus 
grands rapports entre eux; ils ne sont en 
quelque sorte que deux grandes divisions 
de la même famille. Que l’on déplace en 


(1) Sur quelques côtes de l'Océan européen, re- 
quiem , lamia , lamie , frax. Sur quelques rivages du 
nord de l'Europe, kaj. En Hollande , Aaye. En Dane- 
mark, haafisk, hauwkal. En Islande, Laakal. En 
Angleterre, white shark. 

Chien de mer requin. Daubenton , Encycl. méthod. 

Squalus carcharias. Lin. édit. de Gmelin, 

Squalus corpore cinereo , dorso lato. Bloch, Hist. 
nat. des poissons, quatrième partie, édition alle- 
mande , p.53,n° x19. 

Squalus dorso plano, dentibus plurimis ad latera 
serratis, Arted. gen. 70 , syn. 98. — Ot. Fabric. Faun. 
Groenl. p.127. — Müller, Prodrom. zoolog. danic. 


De Jeve Wet 


Brant d', 
1. LE REQUIN 

9. SA MACHOIRE. 

3. UNE DE SES DENTS 


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D ÉS"SQU ALES. 13553 
effet les ouvertures des branchies des raies; 
que ces ozifices soient transportés de la 


p. 55, n° 316. — Gunner, Act. nidros. 2, p. 370, 
tab. 10 et 11; 

Chien de merrequin. Bonat. planches de l’Encycl. 
méthod. — Gronov. Mus. 1, 158. Zooph. 145. — 
Browne , Jam. p.458, n° 2. 

Cynocephalus albus. Klein, Miss. pisc. 5, p. 5, 
n° 1. — Aristot. Hist. anim. lib. 5, cap. 5; et lib.9, 
cap. 57. — Piin. Hist. maud. lib. 9, cap. 24. 

Lamie. Rondelet , première partie , lib. 13, ch. 11. 
— Athen. Hb.7, p. 506 — 510. — Helon, Aquat. 
p.58. — Gesn. Aquat. p. 175. Icon. anim. p. 151 — 153. 
Thierb. p. 81 — 82. 

Carcharias canis, seu lamia, Aldrovand. Piscib. 
p.381, 382, 587. — Jonst. Pisc. p. 24, tab. 6, fig. 6. 
— Fermin, Surin. 2, p. 248. — Datertre, Antil. 
p- 202. 

Requin. Broussonet , Mém. de Pacad. des sciences 
de Paris pour lan 1780, p.670, n° 19. 

White shartk. Willugbb. Ichth. p. 47, tab. b 7. — 
Ray, Pise. p. 18. — Brit. zool. 3, p. 82, n° 4. 

Requin. Valmont de Bomare, Dictionn. d'histoire 
naturelle. 

T'iburone. Marcgr. lib. 4. — Nieremb. lib. 19, c. 20. 

_Piscis Jonæ, seu antropophagus quorumdam. 

Canis gadens. Salvi. 182. 

J'ubaron ou hays. Sloan. Voyag. p. 24. — Duhamel, 
Traité des pêches, seconde partie, sect. 9, chap. 4, 
értuir :pliærx: 

Squalus dentibus serratis, multiplici ordine stipatis, 


354 His TORRES 

surface inférieure du corps sur les côtés de 
l'animal ; qu'on diminue la grandeur des 
nageoires pectorales; qu'on grossisse dans 


fove ad basim caudæ lunulatä. Commerson , manus- 
crits déposés au museum d'histoire naturelle. 

(2) Le requin. En allemand , menschenfresser et 
meervielfrass. En suëédois; haa-skierdingen. Eu Nor- 
vège, haa-skiaerding, haaekiaering, haakal. Chez les 
lettes, akkalagge. Au Groenland , ekalurksoack. Dans 
J’évêché de Drontheim, Laa-brand, haa-kiaering. En 
Arabic, gersch ou kersch. En Sardaigne, il cane carca- 
ria. À Atioui, île de la mer du Sud, mano. En Itaiie, 
en Languedoc ; en Provence et en Espagne ;, /amie, À 
Marseille , ’ami. À Bayonne, frax. 

Dans Aristote, ce poisson est nommé /amia ; dans 
Oppien , /amus ; dans Athénée, karcharias et kyon 
dalailia. 

Squalus dorso plano, dentibus serratis..... eanis 
carcharias. Brunnich , Ichthyol. massil. p. 5. 

SONNINI: 

(5) Nous avons préféré , pour le genre dont nous 
allons traiter , le nom de squale, admis par un très- 
grand nombre de naturalistes modernes, à celui de 
chien de mer, qui est composé, et qui présente une 
idée fausse. En effet , les squales sont bien des habi- 
taus de la mer, mais sont certainement , dans l’ordre 
des êtres, bien éloignés du genre des chiens. 

« De Pline , dit Rondelet (première partie, liv. 15; 
chap. 1), sont nommés squali , quasi squallidi , laïds 
à voir; et rudes ; car ils sont tout couverts de pear 


êpre. » 


DÉS 'SOQUALES ‘35 
quelques-uns de ces cartilagineux l’origine 
de la queue, et qu’on donne à cette origine 
le même diamètre qu’à la partie postérieure 
du corps, et les raies seront entièrement 
confondues avec les squales. Les espèces 
seront toujours distinguées les unes des au- 
tres ; mais aucun caractère véritablement 
générique ne pourra les diviser en deux 
groupes : on comptera le même nombre de 
petits rameaux ; mais on ne verra plus deux 
grandes branches principales s'élever sépa- 
rément sur leur tige commune. 

Quelques squales ont, comme les raies, 
des évents placés auprès et derrière les 
yeux ; quelques autres ont, indépendam- 
ment de ces évents, une véritable nageoire 
de l’anus, très-distincte des nageoires ven- 
trales, et qu'aucune raie ne présente ; il en 
est enfin qui sont pourvus de cette même 
nageoire de lanus, et qui sont dénués 
d’évents. Les premiers ont évidemment plus 
de conformité avec les raies que les secouds, 
el sur-tout que les troisièmes. Nous n’avons 
pas cru cependant devoir exposer les formes 
et les habitudes des squales dans Pordre que 
nous venons d'indiquer, et que l’on pourroit 
à certains égards regarder comme le plus 
naturel, La nécessiié de commencer par 


336 HISTOIRE 
montrer les objets les mieux connus et de 
les faire servir de terme de comparaison, 
pour juger de ceux qui ont été moins bien 
et moins fréquemment observés, nous a 
forcés de préférer un ordre inverse, et de 
placer les premiers, dans cette histoire, les 
squales qui n’ont pas d'évents, et qui ont 
une nageoire de l'anus. | 
Au reste, les espèces de squales ne dif- 
férent dans leurs formes et dans leurs habi- 
tudes que par un petit nombre de points. 
ous indiquerons ces points de séparalion 
dans des articles particuliers ; mais c’est 
en nous occupant du plus redoutable des 
squales que nous allons tâcher de présenter 
en quelque sorte l’ensemble des habitudes 
et des formes du genre. Le requin va être, 
pour ainsi dire, le Lype de la famille en- 
lHière; nous allons le considérer comme le 
squale par excellence, comme la mesure 
sénérale à laquelle nous rapporterons les 
autres espèces; et l’on verra aisément com- 
bien cette sorte de prééminence, due à la 
supériorité de son volume, de sa force et 
de sa puissance, est d’ailleurs fondée sur le 
grand nombre d'observations dont la curio- 
sité et la terreur qu'il inspire l’ont rendu 
dans tous les tems l’objet. 
Ce 


D'F;S: SQU ALES. 837 
Ce formidable squale parvient Jusqu'à une 
longueur de plus de dix mêtres (trente 
pieds ou environ); il pèse quelquefois près 
de cinquante myriagrammes (mille liv.) (1); 
et il s’en faut de beaucoup que l’on ait 
prouvé que l'on doit regarder comme exa- 
gérée l’assertion de ceux qui ont prétendu 
qu'on avoit pêché un requin du poids de 
plus de cent quatre-vingt-dix myriagrammes 
(quatre mille livres) (2). 
Mais la grandeur n’est pas son seul attri- 
but : il a reçu aussi la force et des armes 
meurtrières, et féroce autant que vorace, 
impélueux dans ses mouvemens, avide de 
sang, et insatiable de proie, 1l est véritable- 
ment le tigre de la mer. Recherchant sans 
crainte tout ennemi, poursuivant avec plus 
d'obstination, attaquant avec plus de rage, 
combattant avec plus d’acharnement que les 
autres habitans des eaux; plus dangereux 
que plusieurs cétacés, qui presque toujours 
sont moins puissans que lui; inspirant même 
plus d’effroi que les baleines , qui, moins 
bien armées, et douées d’appétits bien dif- 
férens, ne provoquent presque jamais ni 


(1) Rondelet, à l’endroit déjà cité. 
(2) Gillius, dans Ray , et d’autres auteurs. 


Poiss. Tome III. M, 


335 PIS TO RCE 

lhomme, ni les grands animaux; rapide 
dans sa course, répandu sous tous les cli- 
mats, ayant envahi, pour ainsi dire, toutes 
les mers; paroïissant souvent au milieu des 
tempêtes ; aperçu facilement par l'éclat 
phosphorique dont il brille, au milieu des 
ombres des nuits les plus orageuses; mena- 
çant de sa gueule énorme et dévorante les 
infortunés navigateurs exposés aux horreurs 
du naufrage, leur fermant toute voie de 
salut, leur montrant en quelque sorte leur 
tombe ouverte, et plaçant sous leurs yeux 
le signal de la destruction, il n’est pas sur- 
prenant qu’il ait reçu le nom sinistre qu'il 
porte, et qui, réveillant tant d'idées lugu- 
bres, rappelle sur-tout la mort, dont il est 
le ministre. Reguin est en effet une cor- 
ruplion de requiem, qui désigne depuis 
long-tems, en Europe, la mort et le repos 
éternel, et qui a dù être souvent, pour des 
passagers effrayés, l'expression de leur cons- 
ternation, à la vue d’un squale de plus de 
trente pieds de longueur, et des victimes 
déchirées où engloulies par ce lyran des 
ondes (1). Terrible encore lorsqu'on à pu 


(1) La vraie étymologie du nom du requin se 
trouve dans l’ancien gothique ; il vient de rick, qui, 


DES BOUAUIMIE S 65% 
parvenir à l’accabler de chaînes, se débat 
tant avec violence au milieu de ses liens, 
conservant une grande puissance lors même 
qu'il est déjà tout baigné dans son sang, et 
pouvant d'un seul coup de sa queue ré- 
pandre le ravage autour de lui, à linstant 
même où 1l est près d’expirer, n'est-il pas 
le plus formidable de tous les animaux 
auxquels la Nature n’a pas départi des armes 
empoisonnées ? Le tigre le plus furieux au 
milieu des sables brülans, le crocodile le 
plus fort sur les rivages équatoriaux, le 
serpent le plus démesuré dans les solhitudes 
africaines, doivent-ils inspirer autant d’ef- 
froi qu'un énorme requin au milieu des 
vagues agilées ? 

Mais examinons le principe de cetle puis- 
sance si redoutée, et la source de cette 
voracité si funeste. 

Le corps du requin est très-alongé , et la 
peau qui le recouvre est garnie de petits 
tubercules très - serrés les uns contre les 


dans l’origine, signifie fort, puissant, et dont on 
a formé depuis le mot riche, parce qu’à mesure que 
la société s’est dépravée , nos ancêtres se sont aperçus 
que richesse et force ou puissance devenoient mal- 
heureusement des synonymes. SONNINI: 


M 13 


940 HITS TOTRE 


autres. Comme cette peau tuberculée est 
très-dure, on lemploie, dans les arts, à 
polir diflérens ouvrages de bois et d'ivoire; 
on s’en sert aussi pour faire des liens et des 
courroies, ainsi que pour couvrir des étuis 
et d'autres meubles : mais il ne faut pas la 
confondre avec la peau de la raie sephen (1), 
dont on fait le galuchat, et qui n’est connue 
dans le commerce que sous le faux nom de 
peau de requin, tandis que la véritable peau 
de requin porte la dénomination très-vague 
de peau de chien de mer. La dureté de cette 
peau, qui la fait rechercher dans les arts, 
est aussi très-ulile au requin, et a dû con- 
tribuer à augmenter sa hardiesse et sa vo- 
racité, en le garantissant de la morsure de 
plusieurs animaux assez forts et doués de 
dents meurtrières. 

La couleur de son dos et de ses côtés est 
d’un cendré brun; et celle du dessous de 
son corps d'un blanc sale. 

La tête est aplatie, et terminée par un 
museau un peu arrondi. Au dessous de cette 
extrémité, et à peu prés à une distance égale 
du bout du museau et du milieu des yeux, 
on voit les narines, organisées dans leur 


(1) Article de Za raie sephen. 


DES SQUALES. 34 
intérieur presque de la même manière que 
celles de la raie batis, et qui, étant le 
siège d’un odorat très-fin et très-délicat , 
donnent au requin la facilité de reconnoître 
de loin sa proie, et de la distinguer au mi- 
lieu des eaux les plus agitées par les vents, 
ou des ombres de la nuit la plus noire, ou 
de l’obscurité des abîmes les plus profonds 
de l'Océan. Le sens de l’odorat étant dans 
le requin , ainsi que dans les raies et dans 
presque tous les poissons, celui qui règle les 
courses et dirige les attaques, les objets qui 
répandent l’odeur la plus forte doivent être, 
tout égal d’ailleurs, ceux, sur lesquels il se 
jette avec le plus de rapidité. Ils sont pour 
le requin ce qu’une substance très-éclatante, 
placée au milieu de corps très-peu éclairés, 
seroit pour un animal qui n’obéiroit qu’au 
sens de la vue. On ne peut donc guère se 
refuser à l’opinion de plusieurs voyageurs 
qui assurent que lorsque des blancs et des 
noirs se baignent ensemble dans les eaux de 
l'Océan, les noirs, dont les émanations sont 
plus odorantes que celles des blancs, sont 
plus exposés à la féroce avidité du requin, et 
qu’immolés les premiers par cet animal vo- 
race , ils donnent le tems aux blancs d’échap- 
per par la fuite à ses dents acérées. IE 

3 


342 HIiSTOFR.E 
pourquoi, à la honte de l'humanité, est-on 
encore plus forcé de les croire lorsqu'ils 
racontent que des blancs ont pu oublier les 
lois sacrées de la Nature, au point de ne 
descendre dans les eaux de la mer qu’en 
plaçant autour d’eux de malheureux nègres 
dont ils faisoient Îa part du requin ? 
L'ouverture de la bouche est en forme 
de demi-cercle, et placée transversalement 
au dessous de la tête et derrière les narines. 
Elle est très-grande; et l’on pourra juger 
facilement de ses dimensions , en sachant 
que nous avons reconnu , d’après plusieurs 
comparaisons , que le contour d’un côté 
de la mâchoire supérieure, mesuré depuis 
l'angle des deux mâchoires jusqu’au sommet 
de la mächoire d’en haut, égale à peu près 
le onzième de la longueur totale de lani- 
mal. Le contour de la mâchoire supérieure 
d'un requin de trente pieds ( près de dix 
mètres ) est donc environ de six pieds ou 
deux mètres de longueur. Queile immense 
ouverture ! Quel gouffre pour engloutir 
la proie du requin! Et comme son gosier 
est d’un diamètre proportionné , on ne 
doit pas être étonné de lire, dans Rondelet 
et dans d’autres auteurs , que les grands 
requins peuvent avaler un homme tout 


DES: S QU A LE S: 343 


entier (1), et que, lorsque ces squales sont 
morts et gisans sur le rivage , on voit quel- 


(1) A Nice et à Marseille , dit Rondelet, on a pris 
autrefois des lamies dans l'estomac desquelles on a 
trouvé un homme armé tout entier. ( Hist. des pois- 
sons , Liv. 13, chap. 11.) 

L'auteur de l’Ichthyologie de Marseille, Brunnich, 
rapporte que, pendant son séjour dans ce port , on y 
prit un requin de la longueur de quinze pieds. Deux 
années auparavant , on avoit tué sur les côtes, entre 
Cassis et la Ciotat , nn autre requin encore plus grand, 
On lui trouva daus l'estomac deux thons peu endom- 
magés , et un homme entier avec son vêtement intact, 
qui tous paroissoient avoir été dévorés depuis peu 
de tems. 

« Capiebatur tempore quo Massiliæ fui, piscis ejus 
speciei ( squalus carcarias) quindecim pedum longi- 
tudine. Major duos abhince annos occidebatur hærens 
in littore urbes inter Cassidem et la Ciotat. Ventriculo 
tenuit duos scombros thynnos, parum læsos, homi- 
nemque inétegrum CU vestitu omnino inéactum , 
omnes ut apparuit breve antè tempus devoratos. T'estes 
oculati, inter multos alios, fuere dominus Garnier, 
secretarius regis Galliæ , qui preclarä corallii rubri 
fabricä urbis Cassidis pauperes sublevebat multos , ué 
et Rev. dominus Boyer, parochus urbis la Ciotat dictæ; 
uterque conditione simul ac fide satis pollentes». Brun- 
nich, fchthyol. Massil. p. 5. 

En 1785 on apporta à Spallanzani, lors de son 
passage à Nice, les mâchoires d’un requin, dans 
l'estomac duquel on avoit trouvé un enfant tout 


éd 


344 ES T'OLR'E 

quefois des chiens entrer dans leur gueule; 
dont quelque corps élranger retient les mâ- 
choires écartées , et alier chercher Jusques 


entier. (Voyage dans les Deux-Siciles , traduct. franc. 
tom. IV,p. 250.) 

L'année dernière, 1802, l’on apprit à Londres, 
par une lettre authentique de Surinam, que le capi- 
taine Brown, se trouvant à chasser sur le rivage et à 
J’embouchure de la rivière de Surinam, aperçut un 
requin auquel il décocha une flèche dont Panimal fût 
atteint. Dangereusement blessé , il disparut ; mais le 
lendemain on l’aperçut à fleur d’eau, à une distance 
très-peu éloignée du rivage; des bateaux approchèrent 
alors, et on acheva de le tuer; mais quelle fut la 
surprise de ceux que la curiosité avoit attirés pour 
le voir , lorsqu’en l’ouvrant on trouva dans son corps 
une femme toute entière, à l’exceplion de la tête qui 
avoil été séparée du tronc. 

Stenon observa dans la tète d’un requin, pris aux 
envirous de Jaivourne , que le diamètre transversal de 
la bouche , mesuré de l’angle d’une mâchoire à Pautre, 
avoit une coudée de long { mesure de Florence }, et 
que le second diamètre , perpendiculaire au premier, 
avoit les quatre cinquièmes d’ane coudée. II n’est donc 
point étonnant de trouver dans les estomacs de ces 
animaux des hommes tout entiers. ( Elcm. myolog. ) 

Et cetie ampleur naturelle de Ja bouche des requins 
est encore susceptible de s’élendre, comme celle des 
serpens et des couleuvres, par la grande élasticité des 
os des mâchoires , qui sont de nature cartilagineuse ; 
en sorte que cette énorme bouche à laquelle aboutit 


DESTSOQUMELES. 54 
dans l'estomac les restes des alimens dévorés 
par l’énorme poisson. 

Lorsque cette gueule est ouverte, on voit 
au delà des lèvres, qui sont étroites et de 
la consistance du cuir, des denis plates, 
triangulaires , dentelées sur leurs bords, et 
blanches comme livoire. Chacun des bords 
de cette partie émaillée, qui sort hors des 
gencives, a communéiment cinq centimètres 
( près de deux pouces } de longueur dans 
les requins de trente pieds. Le nombre des 
dents augmente avec l’âge de l’auimal. 
Lorsque le requin est encore très - jeune, 


un gosier et un estomac également vastes, est suscep- 
tible de recevoir et d’engloutir les hommes et de 
grands animaux. 

Quelques auteurs, frappés de la distension extraor- 
dinaire de la bouche des requins et de la grande 
capacité de leur estomac, ont teuté de prouver que 
ce fut par un animal de cette espèce que Jonas fut 
avalé ; il est sans doute très-possible qu'un requin 
eût fait sa proie d’un prophète ; mais les livres saints 
ajoutent que Jonas sortit de ce gouffre vivant au bout 
de trois jours , et cela n’est plus dans l’ordre ordinaire. 
Les ouvrages d'histoire naturelle peuvent bien con- 
tenir des merveilles, puisque la Nature en est rem- 
plie ; mais on doit y renoncer à chercher l'explication 
des miracles. SONNINI. 


546 HES TOR E 


il n’en montre qu'un rang, dans lequel on 
n’aperçoit même quelquefois que de bien 
foibles dentelures : mais, à mesure qu’il se 
développe , il en présente un plus grand 
nombre de rangées ; et lorsqu'il a atteint 
un dégré plus avancé de son accroissement 
et qu'il est devenu adulte , sa gueule est 
armée , dans le haut comme dans le bas, 
de six rangs de ces dents fortes, dentelées , 
et si propres à déchirer ses victimes. Ces 
dents ne sont pas enfoncées dans des cavités 
solides ; leurs racines sont uniquement logées 
dans des cellules membraneuses qui peuvent 
se prêler aux différens mouvemens que les 
muscles placés autour de la base de la dent 
tendent à imprimer. Le requin , par le moyen 
de ces différens muscles, couche en arrière 
où redresse à volonté les divers rangs de 
dents dont sa bouche est garnie ; il peut les 
mouvoir ainsi ensemble ou séparément; il 
peut même, selon les besoins qu’il éprouve, 
relever une portion d’un rang, et en incliner 
une autre portion ; et, suivant qu'il fui est 
possible de n’employer qu’une partie de sa 
puissance, ou qu'il lui est nécessaire d’avoir 
recours à toutes ses armes, il ne montre 
qu'un ou deux rangs de ses dents meur- 


DES SQUALES. 3% 


trières , ou, les mettant toutes en action, 
1] menace et atteint sa proie de tous ses 
dards pointus et relevés. 

Les rangs intérieurs des dents du requin, 
étant les derniers formés , sont composés 
de dents plus petites que celles que lon 
voit dans Îles rangées extérieures, lorsque 
le requin est encore jeune : mais, à mesure 
qu'il s'éloigne du tems où il a été adulte, 
les dents des différentes rangées que pré- 
sente sa gueule sont à peu près de la même 
longueur , ainsi qu’on peut le vérifier en 
exaiminant, dans les collections d'histoire 
naturelle, de très-grandes mâchoires, c’est- 
à-dire, celles qui ont appartenu à des requins 
âgés, et sur-tout en observant les requins 
d’une taille un peu considérable que lon 
parvient à prendre. Je ne crois pas en con- 
séquence devoir adopter lopinion de ceux 
qui ont regardé les dents intérieures comme 
destinées à remplacer celles de devant, 
lorsque le requin est privé de ces dernières 
par une suite d’eflorts violens , de résistances 
opiniâtres , ou d’autres accidens. Les dents 
intérieures sont un su pplément de puissance 
pour le requin : elles concourent, avec celles 
de devant, à saisir, à retenir, à dilacérer 
la proie dont il veut se nourrir; mais elles 


548 HNMSTOrRE 


ne remplacent pas les extérieures : elles 
agissent avec ces dents plus éloignées du 
fond de la bouche, et non pas uniquement 
après la chûte de ces dernières; et lorsque 
celles-ci cèdent leur place à d’autres , elles 
Ja laissent à des dents produites auprès de 
leur base et plus ou moins développées, à 
de véritables dents de remplacement , très- 
distinctes de celles que l’on voit dans les 
six grandes rangées, à des dents qui par- 
viennent plus ou moins rapidement aux 
dimensions des dents intérieures, et qui 
cependant très-souvent sont moins grandes 
que ces dernières, lorsqu'elles sont substi- 
tuces aux dents extérieures arrachées de la 
gueule du requin (1). 


(1) Stenon, ayant remarqué que les dents qui 
forment les rangs intérieurs de la bouche du requin 
sont inclinées vers le gosicr, et tellement envelop- 
pées dans la clair molle et spongieuse des gencives, 
qu'il faut la couper pour les mettre à découvert, 
avoue qu'il ne devine point la destination de ces 
dents si singulièrement disposées, puisque étant en- 

D ? 1 
foncées dans les chairs, elles ne peuvent être d’aucun 
2 
usage pour broyer les alimens. Celles de la première 
rangée paroissoient bien à ce célèbre anatomiste 
servir à relenir la proie et à la diviser, lorsqu'elle est 
irop volumineuse pour la capacité de l’estomac; mais 
il ne voyoit point quel pouvoit être l’usage des nom- 


D'ENS US QU AILIE s . 54 


Les dents intérieures tombent aussi, et 


breuses dents couchées sur les mâchoires du requin, 
et recouvertes d’une chair molle et spongieuse. (Elem. 
myol.) Hérissant pensoit, au contraire > que ces 
dents, plus ou moins ensevelies dans les chairs, sont 
des dents de réserve , destinées à remplacer celles de 
la rangée antérieure ; en sorte que, lorsqu'une ou plu- 
sieurs de ces premières dents viennent à manquer, 
celles qui sont au dessous se soulèvent et vont occuper 
leur place. ( Mém. de l’académie royale des sciences 
de Paris, année 1749.) 

Enfin Spallanzani a fait plus récemment des obser- 
vations importantes sur les dents du requin. Elles 
ont été publiées dans son Voyage dans les Deux- 
Siciles, élégamment traduit par Toscan, bibliothé- 
caire du museum d'histoire naturelle de Paris : c’est 
de cet ouvrage que j'ai tiré le passage suivant. 

Il faut remarquer que le requin, qui servit aux 
observations de Spallanzani, n’avoit que six pieds de 
long sur trois pieds quatre pouces de circonférence ; 
c’étoit, dit cet habile observateur, un pygmée en 
comparaison des adultes de son espèce. 

« La première rangée des dents de la mächoire 
supérieure saille à peine hors de la bouche; leurs 
pointes sont légèrement courbées vers l’intérieur du 
gosier. La seconde rangée est plus inclinée dans le 
même sens ; les autres rangées sont aplaties sous 
celles-là, et s’y cachent en partie. Les plus grandes 
dents ont quatre lignes et demie de long sur trois et 
demie de large. On voit les mêmes dispositions dans 
la mâchoire inférieure, excepté que les dents plus pe- 
tites ne sont pas découpées en manière de scie comme 


\ 


350 ALES T'OMRR E 


abandonnent , comme les extérieures, l’en- 


les précédentes. Maïs le dessèchement et la dureté de 
ces mâchoires auxquelles je ne pouvois toucher sans 
gâter l’animal, ne me permirent pas d’enlever la chair 
spongieuse, et de mettre les dents à découvert. 

» Je revins donc à des machoires isolées que possé- 
doit le museum de Pavie , et pouvant en disposer avec 
liberté , j’en pris deux que je fis macérer dans l’eau à 
l'effet de les ramollir. Voici le résultat de mes obser- 
vations : les dents de la mâchoire supérieure étoient 
triangulaires , plates en dehors , à peine convexes en 
dedans , découpées en manière de scie sur les bords, 
ayant huit lignes de long sur six lignes de large à leur 
base : j'entends celles qui avoisinoient la pointe de la 
mâchoire , ou qui gisoient Jatéralement à quelque 
distance ; car , pour les autres situées près du gosier, 
elles étoient beaucoup plus petites. Les rangées s’of- 
froient au nombre de quatre. Les dents de Ja pre- 
mière g'élevoient presque verticalement sur le plan 
de la mâchoire avec leurs pointes recourbées. 1l en 
manquoit quatre, et on ne voyoit pas qu'elles eussent 
encore été remplacées par celles de la seconde ran- 
gée. Cependant un nombre égal de ces dernières, 
correspondantes aux absentes, s’éloient déja soule- 
vées et poussées en avant, et on pouvoit juger qu'avec 
le tems elles auroient pris leurs places. Quant aux 
autres dents de la seconde rangée, elles étoient cou- 
chées presque horisontalement et ensevelies dans Ja 
chair spongiense , ainsi que les dents de la troisième et 
quatrième rangées. Une sorte de régularité s’offroit 
dans leur disposition : les dents de la seconde rangée 


DÉS) SOU DIE s 34) 


droit qu’elles occupoient , à de véritables 


reposoient sur les dents de la troisième, et celles-ci 
sur les dents de la quatrième. Ou remarquoit encore, 
aprèsavoir enlevé la chair qui couvroit ces dernières, 
que leur tissu étoit tendre, ou du moins qu’elles 
n’avoient pas acquis la dureté des autres. 

» En considérant les dents de la mâchoire infé- 
rieure , Je n’ai su découvrir d'autre différence , sinon 
qu’elles étoient proportionnellement plus petites : 
d’ailleurs elles convenoient dans toutes les circons- 
tances précédentes, sans en excepter leurs limbes 
découpés en forme de scie. A la réserve de la pre 
mière rangée, les trois suivantes étoient plus ou 
moins ensevelies dans la chair maxillaire. On obser- 
voit , de plus, deux dents appartenant à la première 
rangée , rompues à leurs racines; la fossette longue et 
mince, où elles avoient été implantées, paroissoit déjà 
remplie en partie par les deux correspondantes de la 
seconde rangée, qui étoient venues occuper leur place. 

» Ainsi je restai convaincu que les dents de la 
seconde rangée dans le squale requin ne lui sont point 
inutiles , rnateriæ necessitate facti, comme le dit 
Stenon , mais qu’elles sont destinées par la Nature 
à suppléer celles de la première rangée quand elles se 
perdent : observation ingénieuse dont tout le mérite, 
appartient à Hérissant, mais qui ne m’en a pas pro- 
curé moins de plaisir en la répétant d’après lui. Comme 
les dents de la troisième et de la quatrième rangées 
sont également adhérentes à la chair spongicuse qui 
est mobile dans les parties antérieures de la bouche, 
je ne fais aucun doute que, lorsqu'il se rompt des dents 


559 HISTOIRE 


dents de remplacement formées autour de 
leur racine. 


de la seconde rangée qui ont déjà pris place dans la pre- 
mière, celles de la troisième ne viennent les suppléer, 
et après elles celles de la quatrièine ; de manière que 
les trois rangées poslérieures peuvent ètre regardées 
comme les suppléantes de la première. 

» Pendant que j'examinois ces deux mächoires, 
et que je considérois l’ample contour de leurs bords, 
c’est-à-dire , celui même de la bouche de lanimal, 
contour qui embrassoit alors trente pouces et demi 
malgré la petitesse des dents dont les plus grandes 
avoient, comme je l'ai dit, huit lignes de long sur 
six de large , je me mis à réfléchir sur l’énorme 
capacité de gosier , et par conséquent de corps, 
que la Nature a départie à celte espèce de poisson 
dont les dents fossiles, connues sous la dénomination 
impropre de glossopètres , atteignent quelquefois la 
longueur de plusieurs pouces. J’avois en ce moment 
sous les yeux un de ces glossopètres qui comportoit 
trente-deux lignes de circonférence à sa base sur 
trente-cinq de hauteur, et qui, vu sous tous les sens, 
ne pouvoit être plus semblable aux dents en forme 
de scie du requin de la collection du museum. 
Or, si ce deruier animal, dont les dents n’ont que 
trois lignes et demie de large sur quatre lignes et 
demie de haut, offre un corps de six pieds de longueur 
sur trois de largeur , quel étoit donc le volume du 
requin qui a laissé sa dent gigantesque dans la terre ? 
quelle bouche énorme! quel gosier ! 

» Ce n’est pas tout ; j'ai supposé que le glossopètre 


Les 


DES SQUALES. 553 

Les dents de la mâchoire inférieure pré- 
sentent ordinairement des dimensions moins 
grandes et une dentelure plus fine que celles 
de la mâchoire supérieure. 

La langue est courte, large, épaisse et 
carlilagineuse , retenue en dessous par un 
frein , libre dans ses bords , blanche et rude 
au toucher comme le palais. 

Toute la partie antérieure du museau 
est criblée , par dessus et par dessous, d’une 
grande quantité de pores répandus sans 
ordre , très-visibles, et qui, lorsqu'on com- 
prime fortement le devant de la tête , répan- 
dent une espèce de gelée épaisse , crystalline 
et phosphorique , suivant Commerson (1), 
qui, dans ses voyages, a très-bien observé 
et décrit le requin. 

Les yeux sont petits et presque ronds ; 
la cornée est très-dure ; l’iris d’un verd foncé 
faisoit partie des grandes dentssituées vers l’extrémité 
de la mâchoire , et saillantes hors de la bouche; mais, 
s’il étoit de l’ordre des petites situées vers Îles racines 
de la mâchoire, la proportion augmenteroit en raison 
de cette différence ». ( Voyage dans les Deux-Siciles 
et dans quelques parties des Apennins , par Spallan- 
gani, traduit de l’italien par Toscan , tom. IV, p. 242 
et suiv.) SONNINI. 


(1) Manuscrits déjà cités. 


Poiss. Tone IIL Z 


354  HEUSTOENRTE 
et doré; et la prunelle, qui est bleue, consiste 
dans une fente transversale, 

Les ouvertures des branchies sont placées, 
de chaque côté, plus haut que les nageoires 
pectorales. Ces branchies, semblables à celles 
des raies , sont engagées chacune dans une 
membrane très-mince , et toutes présentent 
deux rangs de filamens sur leur partie con- 
vexe, excepté la branchie la plus éloignée 
du museau, laquelle n’en montre qu'une 
rangée. Une mucosiié visqueuse , sangui- 
nolente , et peut - être phosphorique, dit 
Commerson , arrose ces branchies , et les 
entretient dans la souplesse nécessaire aux 
opérations relatives à la respiration. 

Toutes les nageoires sont fermes, roides 
et cartilagineuses. Les pectorales , triangu- 
laires, et plus grandes que Îles autres, s’éten- 
dent au loin de chaque côté, et n’ajoutent 
pas peu à la rapidité avec laquelle nage le 
requin, et dont il doit la plus grande partie 
à la force et à la mobilité de sa queue. 

La première nageoire dorsale, plus élevée 
et plus étendue que la seconde, placée au 
delà du point auquel correspondent les na- 
geoires pectorales , et égalant presque ces 
dernières en surface, est terminée dans le 
haut par un bout un peu arrondi. 


DES SQUALES. 555 


Plus près de la queue, et au dessous du 
corps, on voit les deux nageoires ventrales, 
qui s'étendent jusques aux deux côtés de 
Fanus , et l’environnent comme celles des 
raies. 

De chaque côté de cette ouverture on 
aperçoit, ainsi que dans les raies , un orifice 
qu'une valvule ferme exactement, et qui, 
communiquant avec la cavité du ventre, 
sert à débarrasser l'animal des eaux qui, 
fHlirées par différentes parties du corps, se 
ramassent dans cet espace vuide. 

La seconde nageoire du dos et celle de 
l'anus ont à peu près la même forme et le 
mêmes dimensions ; elles sont les plus petites 
de toutes , situées presque toujours l’une 
au dessus de. Pautre, et très-près de celle 
de la queue. 

Au reste, les nageoires pectorales, dor- 
sales, venirales, et de l'anus sont terminées 
en arrière par un côté plus ou moins con- 
cave, et ne tiennent point au corps dans 
ioute la longueur de leur base, dont la 
parlie postérieure est détachée et prolongée 
en pointe plus ou moims déliée. 

La nagcoire de la queue se divise en deux 
lobes très-inégaux ; le supérieur est deux fois 
plus long que lautre, triangulaire , courhé 

Z 2 


556 EST OR E 
et augmenté, auprès de sa pointe, d’une 
petite appendice également triangulaire. 

Auprès de cette nageoire se trouve sou- 
vent, sur la queue , une petite fossette faite 
en croissant, dont la concavité est tournée 
vers la tête. Au reste le requin a des muscles 
si puissans dans la partie postérieure de son 
corps, ainsi que dans sa queue proprement 
dite, qu’un animal de cette espèce, encore 
très-jeune , et à peine parvenu à la longueur 
de deux mètres ou d'environ six pieds, 
peut, d’un seul coup de sa queue, casser 
la jambe de l'homme le plus fort. 

Nous avons vu, dans notre Discours sur 
la nature des poissons, que les squales étoient, 
comme les raies, dénués de cette vésicule 
aérienne, dont la pression et la dilatation 
donnent, à la plupart des animaux dont nous 
avons entrepris d'écrire l’histoire, tant de 
facilité pour s’enfoncer ou s'élever au milieu 
des eaux; mais ce défaut de vésicule aérienne 
est bien compensé dans les squales, et par- 
ticulièrement dans le requin, par la vigueur 
et la vilesse avec lesquelles ils peuvent mou- 
voir et agiter la queue proprement dite, 
cet instrument principal de la natation des 
poissons (1). 


Le 
(1) Discours sur la nature des poissons, 


DES SQUALES. ‘: 55} 

Nous avons vu aussi, dans ce même Dis- 
cours, que presque tous les poissons avoient 
de chaque côté du corps une ligne longitu- 
dinale saillante et plus ou moins sensible , 
à laquelle nous avons conservé le nom de 
ligne latérale, et que nous avons regardée 
comme lindice des principaux vaisseaux 
destinés à répandre à la surface du corps 
une humeur visqueuse nécessaire aux mou- 
vemens et à la conservalion des poissons. 
Cette ligne, que l’on ne remarque pas sur 
les raies, est très-visible sur le requin, et 
elle s’y étend communément depuis les ou- 
vertures des branchies jusqu’au bout de la 
queue, presque sans se courber, et toujours 
plus près du dos que de la pe inférieure 
du corps. 

Telles sont les formes extérieures du re- 
quin (1). Son intérieur présente aussi dés 
particularités que nous devons faire con- 
noître. 


(1) Principales dimensions d’un requin. 
pieds. pouces. lignes. 
Depuis le bout du museau jusqu’à 
l’extrémité de la queue, on longueur 


totale. e e ° 0 e ° 0 e . 0 ° . ° ° 5 7 6 
Jusqu’aux narines. : + + + + + « : 5 
Jusqu'au milieu des yeux. . . .. T4 


558 HISTOIRE 


Le cerveau est petit, gris à sa surface, 


pieds.pouces. ligne, 


Jusqu’au bord antérieur de la bouche. 4 
Jusqu’aux angles postérieurs de la 

DOdPDE et ARE UN ONU AU UE 8 
Jusqu'au sommet de la mâchoire pos- 


Qn 


CÉRAÉDIT RO MED DR e he 07 21 le ie Ant De fee tte 
Jusqu'à l’angle antérieur de la base 
dés nagedirés pectorales & . LL" 7 2 
Jusqu'à l’angle postérieur et rentrant 
de la base des mêmes nageoires. . . . 1 6 6 
Jusqu'à l’angle supérieur de la pre- 
mière ouverture des branchies. . . . 1 I 
—— de la seconde. , . … 4 .… » 1 2 
——) UC IT LTOMIEME 2120 0 seb LA 
re Tquétrième. 2% AR RER NS 12 
5 


delafcinquième:s , .:, ©, Ju 
Jusqu’à l’angle inférieur de la pre- 

mière ouverture des branchies. . . . 1 
—— de la seconde. . . . . + . . 

dela "troisieme. 2 ee 


de ta -quatiième:): + 


Pi ut be Pa 


dela cingmeme; 7.1). MONTE 
Jusqu'à l’angle antérieur de la pre- 

mière Maggoire dorsale: 5.1/4 5.1 9 
Jusqu'à l’angle postérieur et rentrant 

dela même nageoires. us ut total, 2 a04 
Jusqu'à l’angle supérieur de la même 

PACE EMA RER ER D N Nite CAT 
Jusqu'à l’angle antérieur des nageoires 

Aventne, ORAN Res 9 


EC 


D'EÉS:S QU LES. 


blanchâtre dans son intérieur, et d’une 


Led 


35q 


pieds. pouces. lignes 


Jusqu’à langle postérieur et rentrant 
des mêmes nageoires. . 


Jusqu'à l'angle extérieur des mêmes 
maneoires ne te rollers 


Jusqu'au milieu de l’ouverture de 
amuse Ci, Us 


Jusqu’à l’angle antérieur de la base 
de la seconde nageoire du dos. . . . 
Jusqu'à l’angle postérieur et rentrant 
de la base de la seconde nageoire du dos. 
Jusqu'à l’angle supérieur de la se- 
conde nagevire du dos. . . . = . . . 
Jusqu'à la fossette du dessus dé la 
QuEUR. eo ge CLEMENT Us 
Jusqu'à l'angle antérieur de la base de 
ka nageoire de la quene. . . . . . . 
Jusqu'à l'extrémité du lobe infé- 
rieur de la nageoire de ia queue. . . 
Jusqu'à l’angle antérieur de la base 
de la nageoire de l'anus. . . . . . . 
Jusqu'à l’angle inférieur de la na- 
geoire de l'anus. . . . . + + + . : 
Diamètre perpendiculaire auprès des 
YEUX UC Ne "ae eee lee 
—— auprès de la dernière ouverture 
des branchies/: :. ,". ?, RS 
= —— auprès de la première nageoire 
dorsale eat ai NES MR 
—— auprès de l'anus. . + + + + 


2 4 


11 16 


560 HISTOIRE 


substance plus moile et plus flasque que Île 
cervelet. 

Le cœur n’a qu’un ventricule et une 
oreillette ; mais cette dernière partie, dont 
le côté gauche reçoit la veine cave, a une 
grande capacité. 

À la droite, le cœur se décharge dans 
l'aorte, dont les parois sont très-fortes. La 
valvule qui la ferme est composée de trois 
pièces presque triangulaires, cartilagineuses 
à leur sommet, par lequel elles se réunissent 
au milieu de la cavité de l’aorte, et mobiles 


pieds pouc. lignes. 
Diamètre auprès de la nageoire de la 


A A TT AT A A A M OR 2 
Diamètre horisontal auprès des yeux. 5 
auprès de la dernière ouverture 
des: braves 2 Pie EU eur 9 
auprès de la première nageoire 
dorsale, ses TRS CCC STAR 95 
—— "auprés de TAnus: Li Li tele 5 
—— auprès de la nageoire de la 
QUERE CALE re SORA CARE" EEE D LMD 
depuis le bout d’une nageoire 
pectorale jusqu’au bout de l’autre. . 1 3 6 
Gränd'diamètrede l'œil" 4. + .1. 1 4: 
Petit diamètre de l'œil. | .:, CNE 
Base des plus grandes dents. . . . 6 
Côtés des plus grandes dents. . . . 6 


D'ÉIS!S OUAILIE S : 36: 


dans celui de leurs bords qui est attaché aux 
parois de ce vaisseau. 

En s’éloignant du cœur, et en s’avançant 
vers Ja tête, l’aorte donne naissance , de 
chaque côté, à trois artères qui aboutissent 
aux trois branchies postérieures ; et par- 
venue à la base de la langue, elle se divise 
en deux branches, dont chacune se sépare 
en deux rameaux ou artères qui vont ar- 
roser les deux branchies antérieures. L’ar- 
tère, en arrivant à la branchie, parcourt la 
surface convexe du cartilage qui en soutient 
les membranes , et y forme d'innombrables 
ramifications qui, en s'étendant sur la sur- 
face de ces mêmes membranes, y produisent 
d’autres ramifications plus petites, et dont 
le nombre est, pour ainsi dire, infini. 

L'oœsophage , situé à la suite d’un gosier 
très-large, est très-court , et d’un diamètre 
égal à celui de la partie antérieure de l’es- 
tomac. i 

Ce dernier viscère a la forme d’un sac 
très-dilatable dans tous les sens, trois fois 
plus long que large, et qui, dans son état 
d'extension ordinaire , a une longueur égale 
au quart de celle de l'animal enter. Dans 
un requin de dix mètres, ou d'environ 


362 HAS TOB8RE 

trente pieds, l'estomac, lors même qu'il n’est 
que très-peu dilaté, a donc deux mètres 
et demi, ou un peu plus de sept pieds et 
demu dans sa plus grande dimension; et 
voilà comment on a pu trouver dans de 
très - grands requins des cadavres humains 
tout entiers. 

La tunique intérieure qui tapisse l'estomac 
est rougeûtre, muqueuse, gluante, et inon- 
dée de suc gastrique ou digestif. 

Le canal intestinal ne montre que deux 
portions distinctes, dont lune représente 
les intestins grèles, et l’autre les gros intes- 
tüns de l'homme et des quadrupèdes. La 
prennère porlion de ce canal est très-courte, 
et n'a ordinairement qu'un peu plus de trois 
décimètres, ou un pied de Jong, dans les 
requins qui ne sont encore parvenus qu'à 
une longueur de deux mètres, ou d'environ 
six pieds; et comme elle est si étroite, que 
sa cavité peut à peine, dans les individus 
dont nous venons de parler, laisser passer 
une plume à écrire, ainsi que le rapporte 
Commerson, l’on doit penser, avec ce savant 
naturaliste , que le principal travail de la 
digestion s'opère dans lestomac , et que les 
alimens doivent être déja réduits à une 


DES SQUALES. 563 
substance fluide pour pouvoir pénétrer par 
la première partie du canal jusqu’à la se- 
conde. 

Cette seconde portion du tube intestinal, 
beaucoup plus grosse que l’autre , est très- 
courle ; mais elle présente une structure 
très-remarquable, et dont les effets com- 
pensent ceux de sa brièveté. Au lieu de 
former un tuyau continu, et de représen- 
ter un simple sac, comme les intestins de 
presque tous les animaux, elle ne consiste 
que dans une espèce de toile très-grande , 
qui s'étend inégalement lorsqu'on la dé- 
veloppe, et qui, repliée sur elle-même en 
spirale , composant ainsi un tube assez alongé, 
et maintenue dans cette situation unique- 
ment par la membrane interne du péritoine, 
présente un grand nombre de sinuosilés 
propres à retenir ou à absorber les produits 
des alimens. Cette conformalion, qui équi- 
vaut à de longs intestins, a été très-bien 
observée et très- bien décrite par Com- 
mersol. 

Le foie se divise en deux lobes très-alongés 
et inégaux. Le lobe droit a communément 
une longueur égale au tiers de la longueur 
totale du requin; le gauche est plus court à 
peu près d’un quart, et plus large à sa base. 


364 HISTOIRE 


La vésicule du fiel, pliée et repliée en 
forme de $, et placée entre les deux lobes 
du foie, est pleine d’une bile verte et fluide. 

La rate, très-alongée, tient par un bout 
au pylore, et par l'autre bout à la fin de 
lPintestin grèle; et sa couleur est très-variée 
par le pourpre et le blanc des vaisseaux san- 
guins qui en parcourent la surface (1). : 

La grandeur du foie et d’autres viscères, 
l'abondance des liquides qu'ils fournissent , 
la quantité des sucs gastriques qui inondent 
l'estomac, donnent au requin ue force di- 
gestive active et rapide : elles sont les causes 
puissantes de cette voracilé qui le rend si 
terrible , et que les alimens les plus copieux 
semblent ne pouvoir appaiser ; mais elles ne 
sont pas les seuls aiguillons de cette faim 
dévorante. Commerson a fait à ce sujet une 
observation curieuse que nous allons rap- 
porter. Ce voyageur à toujours trouvé dans 


(1) Commerson a observé , dans le mâle ainsi que 
dans la femelle du requin, un viscère particulier, 
situé dans le bas-ventre , enveloppé et suspendu dans 
la membrane intérieure du péritoine , semblable à la 
rate par sa couleur et par sa substance, mais très- 
petit, en forme de cylindre très - étroit et très- 
alongé , et ‘ouvrant, par un orifice très-resserré , près 
de lanus et dans le gros intestin. 


DES SQUALES. 565 
l'estomac et dans les intestins des requins 
un très-grand nombre de tænia, qui non 
seulement en infestoient les cavités, mais 
pénétroient et se logeoient dans les tuniques 
intérieures de ces viscères. Il a vu plus d’une 
Tois le fond de leur estomac gonflé et en- 
flannné par les efforts d’une multitude de 
pelits vers, de véritables tænia, renfermés 
en partie dans les cellules qu'ils s’étoient 
pratiquées entre les membranes internes, 
ei qui, s'y retirant tout entiers lorsqu'on 
les fatiguoient , conservoient encore la vie 
quelque tems après la mort du requin. 
Nous n'avons pas besoin de montrer com- 
bien cette quantité de piquures ajoute de 
vivacité aux appétits du requin. Aussi avale- 
t-1l quelquefois si goulument, et se presse- 
t-il tant de se débarrasser d’alimens encore 
mal digérés, pour les remplacer par une 
nouvelle proie, que ses intestins , forcés de 
suivre en partie des excrémens imparfaits 
et chassés trop tôt, sortent par l'anus, et 
paroissent hors du corps de l'animal d’une 
longueur assez considérable (1) (2). 


(1) Manuscrits de Commerson déjà cités. 


(2) L'on peut prendre une idée de la voracité 
presque insatiable du requin , en se rappelant que le 


566 HIS TOPRE 


Dans le mâle, les vaisseaux spermatiques, 
ou la laite, sont divisés en deux portions, 


poisson de cette espèce, dont Brunnich fait mention, 
avoil dans l’estomac un homme et deux thons entiers, 
et que vraisemblablement il s’approchoit du rivage 
pour y trouver quelque nouvelle proie. ( Voyez ma 
note à la page 548.) 

Il n’est pas rare, suivant Cetti ( Pesci de Sardegna, 
pag. 70), de prendre des requins dans les filets arran- 
gés pour la pêche des thons, et ils sont, pour les 
pêcheurs , des ennemis très-redoutables. On en trouve 
quelquefois dans ces filets, sur les côtes de Sardaigne, 
qui pèsent jusqu’à trois ou quatre mille livres, et 
dans l’intérieur desquels il y a huit à dix thons. 
Muller (Zoolog. Dan. prodrom. pag. 38.) dit que, près 
de l’île de Sainte-Marguerite , l’on prit un requin qui 
pesoit quinze cents livres, et qu’en l’ouvrant, on 
trouva dans son corps un cheval tout entier, qui 
avoit apparemment élé jeté d’un vaisseau dans la 
mer. 

Et cette monstrueuse gloutonnerie des requins 
s’exerce même sur leur propre espèce. Ils s’entre- 
dévorent lorsqu'ils trouvent l’occasion desesurprendre. 
Leem raconte qu’un lapon , ayant pris un requin, 
J’attacha à son canot; mais bientôt après il ne trouva 
plus sa capture , sans qu’il püt savoir comme elle 
avoit disparu. Muis quelque tems après , ce même 
lapon s’empara d’un autre requin plus gros, dans 
Vestomac duquel il trouva celui qu’il avoit perdu. 
Les gens de mer connoissent bien l’excès de voracilé 


D ESS S Q ÙU A TEE S. 367 
et ont une longueur égale au tiers de celle 
de l'animal considéré dans son entier. Le 


———— 
qui porte les requins à se manger les uns les autres; 
et dans les parages où ces animaux abondent, ils 
deviennent pour les équipages un sujet de spectacle 
et d’amusemeut , à la vérité un pen trop sanguinaire 
et trop cruel pour plaire à d’autres qu’à des marins, 
long -tems privés de tout divertissement, el dont 
l'habitude des dangers les plus effrayans endurcit le 
caractère. 

« Les requins, dit un des derniers navigateurs , 
sont très-nombreux près de l’île des Cocos, plus 
bardis et plus voraces que je ne les ai vus en aucun 
endroit ; assemblés en banc dans la baie, ils suivent 
tous les mouvemens des canots, s’élancent sur leurs 
rames el sur tout ce qui tomboit par accidént ou étoit 
jeté à la mer. Ils saisissoient souvent le poisson que 
nous pêchions à l’hameçon , avant qu’on püt le tirer 
hors de l’eau; et ce qu'il y a de plus singulier, lors- 
qu'un d’entre eux étoit pris avec le harpon, et que 
les antres s’apercevoient qu’il ne pouvoit plus se 
défendre lui-même , il étoit attaqué et mis en pièces, 
ct dévoré vivant par ses compagnons. Nos gens les 
harceloient de conps de harpons, de piques , etc., et 
leur faisoient de profondes blessures; mais rien ne 
pouvoit les écarter, ni les empêcher de renouveler 
leurs attaques contre celui qui étoit pris , et ils finis- 
soient par le dévorer jusqu'aux os. Nous avons remar- 
qué , eu cette occasion , que c’est une erreur de croire 
que le requin est obligé ile se tourner sur le dus pour 


568 H1S T OER:E 

: : “ 
requin mâle a d’ailleurs, entre chaque na- 
geoire de l’auus et celte dernière ouverture , 
une appendice douze fois plus longue que 


saisir sa proie ; ceux-ci n’avoient aucun besoin d’exé- 
cuter ce mouvement. 

» L'état de guerre, qui subsiste entre les marins et 
ces animaux voraces, fournit d’abord beaucoup d’amu- 
sement à l'équipage. Les matelots prenoient un requin 
au harpon, ou de quelque autre manière , pour régaler 
les autres avec celui-là; mais ce divertissement avoit 
le fâcheux effet de les attirer en grand nombre autour 
du vaissean ; et sachant que le maître d'équipage et 
un des midshipmen avoient pensé en être les victimes, 
et que peu s’en fallût qu’ils n’eussent été arrachés du 
canot par un requin d’une taille énorme qu’ils avoient 
harponné au milieu d’une cinquantaine de ces mons- 
tres, je crus nécessaire de défendre à lavenir cette 
espèce de jeu qui , indépendamment des conséquences 
funestes qu’il pouvoit avoir, étoit trop cruel pour 
qu’on le regardât sans peine. Ces requins paroissoient 
être de trois espèces différentes. Les plus nombreux 
étoient tigrés et marqués de belles raies sur les côtés ; 
les autres bruns ou bleus; et, ce qui est singulier, 
quoique ceux des deux premières espèces fussent 
dévorés par les autres aussitôt qu’ils étoient pris, si 
un requin bleu étoit pris et même tué , et sa chair 
coupée en morceaux et jetée au reste de la troupe, 
elle n’y touche pas ». ( Voyage de Vancouver, 
tom. 111, pag. 596 de la traduction française. ) 

SONNINI. 


large, 


DES SQUALES.  56g 
large, égalant dans sa plus grande dimension 
ie douzième de la longueur totale du squale, 
organisé à l’intérieur comme les appeudices 
des mâles des raies batis, contenant cepen- 
‘ant ordinairement un nombre moins grand 
de parties dures et solides, mais se recour- 
bant également par le bout, et servant de 
même à saisir le corps de la femelle, et 4 
la retenir avec force lors de l’accouplement: 

Chacun des deux ovaires de la femelle du 
requin est à peu près égal en grandeur à 
Pune des deux portions des vaisseaux sper- 
matiques du mâle. 

Le tems où le mâle et la femelle se re- 
cherchent et s'unissent varie suivant les cli- 
mais; mais c'est presque toujours lorsque 
la saison chaude de l’année à commencé de 
se faire sentir qu'ils éprouvent le besoin 
impérieux de se débarrasser, lune des oœnfs 
qu’elle porte , et l’autre de la liqueur des- 
tinée à les féconder. Ils s’'avancent alors vers 
les rivages ; ils se rapprochent ; et souvent , 
lorsque le mâle a soutenu contre un rival 
un combat dangereux et sanglant ; ils s'ap- 
pliquent l’un contre l’autre, de manière à 
faire toucher leurs anus. Maintenus dans 
cette position par les appendices crochues du 
mâle, par leurs efforts mutuels, et par une 


Poiss, Tome II. A a 


370 HISTOIRE 


sorte de croisement de plusieurs nageoires 
et des extrémités de leur queue, ils voguent 
dans celte situation contrainte, mais qui doit 
être pour eux pleine de charmes, jusqu’à ce 
que la liqueur vivifiante du mâle ait animé 
les œufs déjà parvenus au dégré de déve- 
loppement susceptible de recevoir la vie. 
Et telle est la puissance de cette flamme si 
active, qui s'allume même au milieu des 
eaux , et dont la chaleur pénètre jusqu’au 
plus profond des abimes de la mer, que ce 
male et celte femelle, qui dans d’autres 
saisons seroient si redoutables l’un pour 
l'autre, et ne chercheroiïent qu’à se dévorer 
mutuellement s'ils étoient pressés par une 
faim violente , radoucis maintenant, et cé- 
dant à des affections bien différentes d’un 
sentiment destructeur , mêlent sans crainte 
leurs armes meurtrières, rapprochent leurs 
gueules énormes et leurs queues terribles , 
et, bien loin de se donner la mort, s’ex- 
poseroient à la recevoir plutôt que de se 
séparer, et ne cesseroient de défendre avec 
fureur l’objet de leurs vives jouissances. 
Cet accouplement , plus ou moins pro- 
longé , est aussi répété plus ou moins fré- 
quemment pendant le tems des chaleurs, 
soit que le hasard ramène le même mâle 


DES SQUALES. 34 
auprès de la même femelle, ou qu'il les 
unisse avec de nouveaux individus. Dans 
celte espèce sanguinaire, le mouvement qui 
entraine le mâle vers la femelle n’a en effet 
aucune constance ; il passe avec le besoin 
qui l’a produit; et le requin, rendu bientôt 
à ses affreux appétits, moins susceptible 
encore de tendresse que le tigre le plus fé- 
roce , ne connoissant ni femelle, ni famille, 
ni semblable, redevenu le dépopulateur des 
mers, et véritable image de la tyrannie, ne 
vit plus que pour combattre, mettre à mort 
et anéantir. 

Ces divers accouplemens fécondent suc- 
cessivement une assez grande quantité d'œufs 
qui éclosent à différentes époques dans le 
ventre de la mère; et de ces développemens, 
commencés après des tems inégaux, il ré- 
sulte que, même encore vers la fin de l'été, 
la femelle donne le jour à des petits. On 
sait que ces pelits sortent du veutre de leur 
mère au nombre de deux ou trois à la fois, 
plus fréquemment que les jeunes raies; on 
a même écrit que ceux de ces squales qui 
veuoient ensemble à la lumière étoient sou- 
vent en nombre plus grand que trois ou 
quatre : mais la longue durée de la saison, 


pendant laquelle s'exécutent ces sorties 
Aa 2 


392 HISTOIRE 

successives de jeunes requins, a empêché de 
savoir avec précision quei nombre de petits 
une femelle pouvoit melitre au jour pen- 
dant un printems ou un été. Des observa- 
tions assez multipliées et faites avec exac- 
titude paroissent néanmoins prouver que ce 
nombre est plus considérable qu'on ne la 
pensé jusqu’à présent ; et l’on n’en sera pas 
étonné si l’on se rappelle ce que nous avons 
dit (1) de la fécondité des grandes espèces 
de poissons , supérieure en général à celle des 
petites, quoiqu’un rapport contraire ait été 
reconnu dans les quadrupèdes à mamelles , 
et que plusieurs grands naturalistes ait été 
tentés de le généraliser. Je ne serois point 
éloigné de croire, d’après la comparaison de 
plusieurs relations qui m'ont été envoyées, 
que ce nombre va quelquefois au delà de 
trente. J’ai même reçu une lettre du citoyen 
Odiot de Saint-Léger , qui m'a assuré (2) 
avoir aidé à pêcher un requin de plus de 
trois mètres, ou d'environ dix pieds, de 
longueur, et dans le corps duquel il avoit 
trouvé une quarantaine d'œufs ou de petits 


£ NS 


(1) Discours sur la nature des poissons. 


(2) Lettre du citoyen Odiot de Saint - Léger , da 
3 juillet 1703. 


DES SQUALES. 373 
squales ; et cette même lettre fait mention 
de l’asserlion d’un autre marin qui dit avoir 
vu prendre dans la rade du fort appelé alors 
Fort-Dauphin, auprès du Cap français (ile 
Saint-Domingue), une femelle de requin, 
dans le ventre de laquelle il compta, ainsi 
que plusieurs autres personnes , quarantc- 
neuf œufs ou squales déjà sortis de leur 
enveloppe. 

Il arrive quelquefois que les femelles se 
débarrassent de leurs œufs avant qu'ils 
so'ent assez développés pour éclore ; mais, 
comme cette expulsion prématurée a lieu 
moins souvent pour les requins et les autres 
squales que pour les raies, on a connu la 
forme des œufs des premiers plus ditflcile- 
ment que celle des œufs des raies. Ces en- 
veloppes que l’on a prises pendant long- 
tems, ainsi que celles des jeunes raies, non 
pas pour de simples coques, mais pour des 
animaux particuliers, présentent presque 
entièrement la même substance, la même 
couleur et la même forme que les œufs des 
raies; mais leurs quatre angles, au lieu de 
montrer de courtes prolongations, sont ter- 
minés par des filamens extrêmement déliés, 
et si longs que nous en avons mesuré de 
cent sept centimètres (près de quarante 

À a 3 


374 LAS T 06 TRE 

pouces) de longueur, dans les coins d’une 
coque qui n’avoit que huit centimètres (trois 
pouces ou environ) dans sa plus grande 
dimension (1). 


(1) Les anciens ont écrit que des poissons , et 
sur-tout les requins , aussi bien que quelques autres 
espèces de squales, recevoient dans leur estomac leurs 
petits , lorsque la crainte de quelque danger les obli- 
geoit à se cacher , et qu’ils les rendoient ensuite sans 
être endommagés. Rondelet dit avoir trouvé dans 
l'estomac d’uu squale-renard plusieurs petits encore 
vivaus, et il en déduit une nouvelle preuve en faveur 
du sentiment des anciens I] condamne même comme 
une erreur la persuasion où étoient les pêcheurs , que 
ces poissons devoient servir de nourriture aux gros; 
et croyant prévenir tontes les objections, il ajoute 
que la longueur de la queue n’est point an obstacle à 
l'introduction des petits dans l’estomac des gros, cette 
partie étant alors irès-souple , susceptible de se plier 
en tout sens, et n'ayant point encore acquis cette 
roideur qu’on observe dans les grands poissons. Gesner, 
Aldrovande et Ray , en répétant l’opinion de Ron- 
delet , qui est celle des anciens, ont paru lui donner 
an certain dégré de vraisemblance. Willis s'efforce de 
la rendre probable ( Descript. anatomique de l’émis- 
sole); mais Broussonet le combat et la rejette comme 
une erreur. ( Voyez les Mémoires de l'académie des 
sciences , année 1780, et le Journal de physique du 
mois de janvier 1785 , pag. 54.) Cependant un savant 
très -estimable , feu le docteur Hermann de Stras- 
bourg, a entrepris de la défendre ; il se fonda sur des 


DES SQUATES %A 


Lorsque le requin est sorti de son œuf, et 
2 
qu’il a étendu librement tous ses membres, 


œm— 


observations faites aux Indes par M. John, et que 
Bloch lui avoit adressées. Les silures , suivant ces 
observations, cachent leurs œufs et leurs petits dans 
la bouche , chose, dit M. John, généralement connue 
aux Indes, et les pêcheurs trouvant très - souvent 
tout à la fois des œufs et des petits dans la bouche 
de ces silures, s’imaginent que c’est par-là qu’ils les 
mettent au monde. Il semble, ajoute l’observateur , 
que c’est pour la sûreté de leur progéniture , et pour 
la mettre à l’abri des animaux voraces, que la Nature 
a doué ces poissons d’un pareil instinct; instinct par- 
ticulier et presque unique ; car nous savons que 
presque généralement les poissons n’ont aucun soin 
de leurs petits, mais que les espèces carnivores de 
cette classe avalent indistinctement les petits indi- 
vidus , sans en excepter ceux auxquels ils ont donné 
la vie. Le docteur Hermann s'appuie de cette obser- 
vation pour confirmer le sentiment des anciens au 
sujet des squales, sentiment qu'il avoit déjà adopté 
dans ses Tables d’affinité , pag. 300 ; et il en conclut 
que le fait rapporté sur ces poissons n’est pas fabuleux, 
comme Broussonet voudroit le faire penser. (Voyez 
la Lettre de J. Hermann à Millin , dans le Magasin 
encyclopédique , tom. 1, 1766 , pag. 290.) Ceci prouve 
que lon est encore bien loin de connoître toutes les 
opérations de la Nature, qu'il est plus intéressant 
d'observer que d'en faire des sujets de dissertation. 
SONNINI. 


À à 4 


376 HISTOTRE 
il n’a encore que près de deux décimètres ; 
ou quelques pouces, de longueur; et nous 
ignorons quel uombre d'années doit s’écou- 
ler avant qu’il présente celle de dix mètres, 
ou de plus de trente pieds. Mais à peine 
a-t-il atteint quelques degrés de cet immense 
développement, qu’il se montre avec toute 
sa voracité. Il n'arrive que lentement, et 
par des différences très - nombreuses, au 
plus haut point de sa grandeur et de sa 
puissance : mais il parvient, pour ainsi dire, 
tout d’un coup à la plus grande intensité 
de ses appétits véhémens; il n’a pas encore 
une masse très-étendue à entretenir, ni des 
armes bien redoutables pour exercer ses 
fureurs, et déjà il est avide de proie : la féro- 
cité est son essence et devance sa force. 
Quelquefois le défaut d’alimens plus subs- 
tantiels Poblige de se contenter de sépies, 
de mollusques, ou d’autres vers marins : 
mais ce sont les plus grands animaux qu'il 
recherche avec le plus d’ardeur (1); et, par 
une suite de la perfection de son odorat, 
ainsi que de la préférence qu’elle lui donne 


(1) Les phoques, les thons et les morues sont lez 
gnimaux qu’il recherche de préférence. 
SONNINI: 


DES SQUALES. 373 
pour les substances dont l'odeur est la plus 
exaltée, il est sur-tout très-empressé de 
courir par-tout où lattirent des corps 
morts de poissons ou de quadrupèdes, et 
des cadavres humains (1). 11 s'attache, par 
exemple , aux vaisseaux négriers, qui, 
malgré les lumières de la philosophie, la 
voix du vérilable intérêt, et le cri plaintif 
de humanité outragée, partent encore des 


(1) Le requin a , dit-on, l’odorat si fin, qu’on peut 
l’attirer de quatre, ciuq et même six lieues avec 
quelques lambeaux de chair en putréfaction. Les 
islandais ont coutume d’attacher à leurs canots nne 
chaîne terminée par un gros crochet, auquel tient 
pour appät une tête de veau marin ou un sac plein de 
charogne. 

Le sens de l’ouie n’est pas moins délicat dans le 
requin que celui de lPodorat ; dès qu'il entend la voix 
des hommes, il sort des profondeurs de la mer, et 
approche des vaisseaux et des canots. C’est par cette 
raison que les navigateurs ne voient de ces poissons 
que pendant les calmes; le bruit des vents et des 
vagues ne les empêche point alors de recevoir les 
impressions du son ni les émanalions odcrantes : 
aussi, lorsque les naturels du Groenland naviguent 
avec leurs frèles canots formés de peau de requin , et 
où un seul homme peut se tenir , ils observent le plus 
grand silence dans les endroits fréquentés par les 
requins , dans la crainte de devenir les victimes de | 
ces animaux féroces. SONNINTI. 


378 HIS TOPRE 


côtes de la malheureuse Afrique. Digne 
compagnon de tant de cruels conducteurs 
de ces funestes embarcations, 1l les escorte 
avec constance, il les suit avec acharnement 
jusques dans les ports des colonies améri- 
caiues, et, se montrant sans cesse autour 
des bâtimens, s’agitant à la surface de l’eau, 
et, pour ainsi dire, sa gueule toujours ou- 
verte, il y attend, pour les engloutir, les 
cadavres des noirs qui succombent sous le 
poids de l'esclavage, ou aux fatigues d’une 
dure traversée. On a vu un de ces cadavres 
de noir pendre au bout d’une vergue élevée 
de plus de six mètres ( vingt pieds) au dessus 
de l’eau de la mer, et un requin s’élancer 
à plusieurs reprises vers cette dépouille, y 
atteindre enfin, et la dépecer sans crainte 
membre par membre (1). Quelle énergie 
dans les muscles de la queue et de la partie 
postérieure du corps ne doit-on pas supposer, 
pour qu'un animal aussi gros et aussi pesant 
puisse s'élever comme une flèche à une aussi 
grande hauteur (2)! Quelle preuve de la 
force que nous avons cru lui attribuer! 
Comment être surpris maintenant des autres 


(1) Manuscrits de Commerson. 


(2) Discours sur la nature des poissons. 


DÉS 'SOCGANTES 3% 


traits de l’histoire de la voracité des requins ? 
Et tous les navigateurs ne savent-ils pas 
quel danger court un passager qui tombe 
dans la mer, auprès des endroits les plus 
infestés par ces añimaux? S'il s'efforce de 
se sauver à la nage, bientôt il se sent saisi 
par un de ces squales qui lentraîne au 
fond des ondes. Si lon parvient à jeter jus- 
qu’à lui une corde secourable, et à l’élever 
au dessus des flots, le requin s’élance et se 
retourne avec tant de promptitude que, 
malgré la position de louverture de sa 
bouche au dessous de son museau, il arrête 
le malheureux qui se croyoit près de lui 
échapper, le déchire en lambeaux, et le 
dévore aux yeux de ses compagnons effrayés. 
Oh! quels périls environnent donc la vie de 
l’homme, et sur la terre et sur les ondes! et 
pourquoi faut-il que ses passons aveugles 
ajoutent à chaque instant à ceux qui le 
menacent | 

On a vu quelquefois cependant des ma- 
rins surpris par le requin au milieu de l’eau, 
profiter, pour s'échapper, des effets de cette 
situation de la bouche de ce squale dans la 
partie inférieure de sa tête, et de la néces- 
sité de se retourner, à laquelle cet animal 
est condamné par cette conformation, lors- 


580 HISTOIRE 
qu'il veut saisir les objets qui ne sont pas 
placés au dessous de lui. 

C’est par une suite de cette même néces- 
sité que, lorsque les requins s’attaquent 
mutuellement (car comment des êtres aussi 
atroces, comment les tigres de la mer pour- 
roient-ils conserver la paix entre eux ?), 
ils élèvent au dessus de l’eau, et leur tête 
et la partie antérieure de leur corps; et 
c'est alors que, faisant briller leurs yeux 
sanguinolens et enflammés de colère, ils se 
portent des coups si terribles que, suivant 
plusieurs voyageurs, la surface des ondes en 
retentit au loin (à). 

Un seul requin a suffi, près du bane de 
Terre-Neuve, pour déranger toutes les 
opérations relatives à la pêche de la morue, 
soit en se nourrissant d’une grande quantité 
des morues que l'on avoit prises, et en 
éloignant plusieurs des autres, soit en mor- 
dant aux appâts, et en détruisant les lignes 
disposées par les pêcheurs. 

Mas quel est donc le moyen que l'en 
peui eimployer pour délivrer les mers d’un 
squale aussi dangereux ? 


G) Voyez particulièrement Bosman , dans sa Des- 
exiption de la Gninée. 


| 


DES SOUAAMLIE S 5% 

Hy a, sur les côtes d'Afrique, des nègres 
assez hardis pour s'avancer en nageant vers 
uu requin, le harceler, prendre le mo- 
ment où l'animal se retourne, et lui fendre 
le ventre avec une arme tranchante (2): 


qe 


(1) Quoique la plupart des voyageurs en Afrique 
aient parlé de l’aitaque du requin à main armée par 
les nègres comme d’un fait certain , il vient d’être 
démenti par un voyageur modernc dans les mêmes 
contrées. De Grandpré assure que c’est un conte. «Il 
est faux , dit - il , que les noirs de la côte de Guinée 
aient Je talent de combattre et de vaincre le requin à 
la uage : ce monstre est d’une force , d’une agilité qui 
lui donnent sur les hommes une telle supériorité dans 
son élément ; qu’il n’en voit jamais sans en faire sa 
proie. Les noirs, quoique assez bons nageurs, sont 
d’ailleurs si peu courageux, que, loin de chercher à 
l’attaquer , ils redoutent au contraire de s’exposer à 
le rencontrer ». Voyage à la côte occidentale d'Afrique, 
tome Ï, pag. 57.) D’après les Relations du capitaine 
Dixon , les naturels des îies Sandwich ne craignent 
point les requins, et les femmes mêmes qui nagent , 
ainsi que les hommes, avec une agilité surprenante, 
ne sont nullement intimidés à l’approche d’un de ces 
grands animaux. Les anglais virent souvent de ces 
insulaires s’élancer de leurs pirogues dans la mer 
pour en retirer des entrailles de cochons que nos 
matelots y avoient jetées, au moment même où un 
requin cherchoit à s’en emparer. ( Voyage autour du 
monde, traduct. franç. tom. Il, pag. 105.) 

SOSNINI: 


382 L'LS T OR FE 


Mais, dans presque toutes les mers, on a 
recours à un procédé moins périlleux pour 
pêcher le requin. On préfère un tems 
calme (1); et sur quelques rivages, comme, 
par exemple, sur ceux d'Islande (2), on 
attend les nuits les plus longues et les plus 
obscures. On prépare un hamecon garni 
ordinairement d’une pièce de lard, et atta- 
ché à une chaîne de fer longue et forte (5). 


(1) C’est toujours pendant le calme que les naviga- 
teurs voient les requins en pleine mer. (Voyez ma 
note à la page 577.) SONNINI. 

(2) Anderson, Histoire naturelle du Groenland, 
de l'Islande, etc. 


(3) Lorsqu'un requin se montre en mer près d’un 
vaisseau , l’on a tout le tems'de faire les préparatifs 
pour s’en emparer. On prend un croc, un crochet 
quelconque , pourvu qu'il soit fort et qu’il tienne à 
un bout de chaîne; on y accroche un morceau de 
lard , de viande salée ou autre , on le jette à l’arrière 
du vaisseau , et on l’y attache par un fort cordage. 
Le bruit , la vue des hommes , la chûte de l’hamecçon 
grossier qu’on laisse tomber à l’eau sans précaution, 
n’intimide point le requin; bientôt il s’avance lente- 
ment vers l’appät, se tourne un peu sur le côté et 
V’avale : on l’amène ainsi accroché le long d’un des 
Îlancs du vaisseau , on l’y laisse quelque tems à la 
traine pour que ses forces s’épuisent , et on le hisse à 
bord , en prenant garde, lorsqu'il est étendu sur le 


DES SQUALES. 383 
S1 le requin n’est pas très-affamé, il s’'ap- 
proche de l’appât, tourne autour, l’examine, 
pour ainsi dire, s’en éloigne , revient, com- 
mence à l’engloutir, et en détache sa gueule 
déjà ensanglantée. Si alors on feint de reti- 
rer l’appât hors de l’eau, ses appétits se 
réveillent, son avidité se ranime, il se jette 
sur l’appât, l’avale goulument, et veut se 
replonger dans les abîmes de l'Océan. Mais, 
comme 1l se sent retenu par la chaîne, il 
la tire avec violence pour l’arracher et l’en- 
trainer : ne pouvant vaincre la résistance 
qu'il éprouve, il s’'élance, il bondit, il devient 
furieux ; et, suivant plusieurs relations (25 
il s'efforce de vomir tout ce qu’il a pris, et 
de retourner , en quelque sorte, son esto- 
mac. Lorsqu'il s’est débattu pendant long- 
tems, et que ses forces commencent à être 
épuisées, on tire assez la chaîne de fer vers 


pont , de ne point approcher de sa queue, dont les 
derniers mouvemens sont encore très-redoutables , et 
dont un coup est capable de casser la jambe à un 
homme. Telle est la manière toute simple , en usage 
parmi les navigateurs, pour s’emparer des requins 
que l’on voit souvent autour des vaisseaux, pendant 
le calme, sur-tout dans les mers de la zone torride. 
SONNINI. 
(1) Labat, Voyage en Afrique et en Amérique. 


254% His TOÏRE 

la côte ou le vaisseau pécheur, pour que Îa 
tête du squale paroisse hors de l'eau ; on 
«approche des cordes avec des nœuds cou- 
lans, dans lesquels on engage son corps, 
que l’on serre étroitement, sur-tout vers 
l’origine de la queue ; et après lavoir ainsi 
entouré de liens, on lenlève et on le trans- 
porte sur le bâtiment où sur le rivage, où 
l’on n’achève de le mettre à mort qu’en 
yrenant les plus grandes précautions contre 
sa terrible morsure et les coups que sa 
queue peut encore donner. Au reste, ce 
west que difficilement qu'on lui Ôôte la vie; 
il résisie sans périr à de larges blessures ; et 
lorsqu'il a expiré, on voit encore pendant 
long-tems les différentes parties de son 
corps donner tous les signes d’une grande 
irritabilité (2): 


(1) L'on a va des requins pris au croc, dont j'ai 
parlé dans ma note précédente, se donner de si vives 
secousses , qu’ils parvenoient à se dégager en laissant 
une portion de leur mâchoire. Maïs, ce qui paroïîtroit 
incroyable, si l’on ne connoïssoit l’affreuse voracité 
de ces poissons , est ce que raconte Pernetty dans son 
Voyage aux îles Malouines , tom. 1, pag. 161. Un 
requin avoit , en se décrochant , rompu une pièce de 
sa mâchoire , qui resta avec la viande dont on avoit 
eouvert l’hamegçon. Sans s'étonner ui se rebuter de 


La 


D'AS::S QUIA LES: 385 


La chair du requin est dure, coriace, de 
mauvais goût, et diflicile à digérer. Les 
nègres de la Guinée, et particulièrement 
ceux de la côte d'Or, s’en nourrissent cepen- 
dant, et ôtent à cet aliment presque toute 
sa dureté en le gardant très-long-tems. On 
mange aussi sur plusieurs côtes de la Méditer- 
ranée les très-petits requins que l’on trouve 
dans le ventre de leur mère, et près de 
venir à la lumière ; et l’on n’y dédaigne pas 
quelquefois le dessous du ventre des grands 
requins, auquel on fait subir diverses pré- 
parations pour lui ôter sa qualité coriace et 
son goût désagréable. Cetie même chair du 
bas-ventre est plus recherchée dans plusieurs 


cet échec , le même requin ayant aperçu l’appât qu’on 
lui jeta de nouveau , s’élança sur lui , et dévora et le 
lard et le morceau de sa propre mâchoire, sans être 
retenu par le crochet, et il revint une troisième fois à la 
charge. Pendant ces manœuvres d’une insatiable glou- 
tonnerie, on tira plusieurs coups de fusil sur cet ani- 
mal si prodigieusement vorace ; maïs , soit que la balle 
fût mal dirigée, soit qu’elle ne pénétrât pas les chairs,, 
il n’en fut point troublé , et continua à roderautour 
de l’appat. 

Les hameçons que les naturels des îles Sandwich 
destinent à la pêche du requin , sont faits de bois et 
très-grauds. SONNINI. 


Poiss. Tome 111 Bb 


586 IL LS) T'OFMRBTE 

contrées septentrionales, telles que la Nor- 
vège et l'Islande, où on la fait sécher avec 
soin, en la ienant suspendue à lair pendant 
plus d’une année. Les islandais font d'ailleurs 
un grand usage de la graisse du requin : 
comme eile a la propriété de se conserver 
long-tems, et de se durcir en se séchant, 
ils s’en servent à la place du lard de co- 
chon, ou la font bouillir pour en tirer de 
l'huile. Mais c’est sur-tout le foie du requin 
qui leur fournit cette huile qu'ils nomment 
thran, et dont un seul foie peut donner un 
grand nombre de litres ou pintes (1) (2). 


(1) Suivant Pontoppidan , auteur d’une Histoire 
naturelle de la Norvège, le foie d’un squale de vingt 
pieds de longueur fournit communément deux tonnes 
et demie d'huile. 

(2) La chair du requin se compose de deux couches, 
dont l’extérieure est rouge et tendre , et la seconde 
blanche et moins tendre (Histoire naturelle des pois- 
sons par Bloch ; Histoire de la lamie ) ; mais ni l’une 
ni l’autre de ces couches n’est mangeable que pour 
des hommes affamés, peu délicats , ou privés depuis 
long-tems d’alimens frais. Les matelots, réduits à ne 
vivre que de salaisons, trouvent quelquefois un régal 
dans un plat de requin, et les marins anglais, qui font 
avec ce poisson ce qu’ils appellent un chouder , ne le 
trouvent pas mauvais. Quant à moi, à quelque sauce 
qu'on l’eût apprêté , il m'a toujours paru de fort 


DÉS SOUALES 4% 


On a écrit que la cervelle des requins, 
séchée et mise en poudre, étoit apérilive et 


mauvais goût , et d'aussi mauvaise odeur. Un certain 
Archestratus, dans Athénée, plaint fort ceux auxquels 
le requin inspire du dégoût, parce que ce squale 
mange les homimes ; il vante, comme un morceau très- 
délicat, le ventre de ce poisson, et il enseigne la 
manière de l’accommoder; je doute fort néanmoins 
qu'avec tout l’assaisonnement que prescrit Arches- 
tratns, l’on fasse jamais un bon mets d’aucune des 
parties du requin. Mais, comme les goûts des diffé- 
rens peuples de la terre ne se ressemblent pas plus 
que leur physionomie, le requin, tout mauvais qu’il 
nous paroît, est un aliment agréable pour les naturels 
des îles Sandwich. 

Dans les régions du nord, comme en fslande, au 
Groenland , etc. , on ne mauge la chair du requin que 
lorsqu'elle est à demi - putréfiée , ce qui ne doit pas 
la rendre ni plus ragoûtante ni d’une saveur plus 
agréable. Aussi Othon Fabricius ( Faun. groenland. 
pag. 129 ) observe-t-il que les groenlandais , quoiqu’en 
géncral fort peu délicats, ne font pas tous usage de 
cet aliment. 

Il est même des circonstances où la chair du requin 
peut contracter une qualité mal-faisante et même 
vénéneuse ; l’on en a plusieurs exemples, parmi les- 
quels j’en citerai un récent. Les papiers publics de 
Londres, du 22 juillet 1802 , rendirent compte d’un 
accident arrivé à l'équipage du navire le Reward, 
capitaine Leach , revenant de la Jamaïque. Sept 
hommes avoient péri pendant la traversée pour avoir 


Bb 2 


388 ES F'OMRBLE 

diurétique. On a vanté les vertus des dents 
de ces animaux, également réduites en 
poudre, pour arrêter le cours du ventre ; 
guérir les hémorragies, provoquer les urines, 
détruire la pierre dans la vessie; et ce sont 
ces mêmes dents de requin qui, enchâssées 
dans des métaux plus ou moins précieux, 


EE ESS PES SN UES MED ASSET LAS DCS UE NS ON NES SE SEE PE GORE EE TS 


mangé du requin, et prinripalement du foie de ce 
poisson. Plusieurs d’entre eux éloient devenus fous 
avant de mourir. 

Mais cette chair de requin, mauvaise et quelquefois 
dangereuse comme aliment , coupée par morceaux, 
est un excellent appât pour la pêche des autres pois- 
sons , et sur - tout pour celle des crabes ct des écre- 
visses ; il suffit, pour prendre ces dernicrs, de plonger 
dans l’eau des paniers où l’on met des morceaux de 
requin. 

En Norvège on prépare avec la peau du requin 
un cuir qui sert à faire des harnoiïs de chevaux; en 
Hlande on en fait des souliers ; au Groenland on polit 
avec cette peau les bâtons des tentes, et l’on en fait 
des sacs pour renfermer le lard des phoques. 

Le seul avantage de quelque valeur que produise Ja 
pêche des requins est l'huile qu’on retire de leur foie, 
Cette huile, qui s'emploie dans les manufactures, par- 
ticulièrement dans les tanneries et sert à brûler, a été 
souvent d’un grand secours aux navigateurs qui, dans 
des voyages de long cours, avoient consommé leurs 
provisions, pour éclairer l'habitacle. 
| SONNINI. 


DÉS: SOU AÏLE S: 38 
ont été portées en amulettes pour calmer 
les douleurs de dents, et préserver du plus 
grand des maux, de celui de la peur. Ces 
amulettes ont entièrement perdu leur crédit, 
et nous ne voyons aucune cause de diffé- 
rence entre les propriétés de la poudre des 
dents ou de la cervelle des requins, et celles 
de la cervelle desséchée ou des dents broyées 
des autres poissons. 

Malgré les divers usages auxquels les arts 
emploient la peau du requin, ce squale seroit 
donc peu recherché dans les contrées où un 
climat tempéré, une population nombreuse; 
el une industrie active produisent en abon- 
dance des alimens sains et agréables, s1 sa 
puissance n’étoit pas très-dangereuse. Lors- 
qu’on lui tend des pièges, lorsqu'on s'avance 
pour le combattre, ce n’est pas uniquement 
une proie ulile que lon cherche à saisir , 
mais un ennemi acharné que l’on veut 
anéantir, 11 a le sort de tout ce qui inspire 
un grand effroi : on l’allaque dès qu'on peut 
espérer de le vaincre ; on le poursuit parce 
qu’on le redoute; il périt parce qu'il peut 
donner la mort ; et telle est en tout la des- 
tinée des êtres dont la force paroît en quelque 
sorte sans égale. De petits vers, de foibles 


ascarides tourmentent souvent dans son 
Bb 5 


3q0 HIS TOLRE 

intérieur le plus énorme requin ; ils déchirent 
ses entrailles sans avoir rien à craindre de 
sa prussance. D'autres animaux, presque 
autant sans défense relativement à sa force, 
des poissons mal armés, tels que l’échène ré- 
mora, peuvent aussi impunément s'attacher 
à sa surface extérieure. Presque toujours, 
à la vérilé, sa peau dure et tuberculeuse 
l'empêche de s’apercevoir de la présence de 
ces animaux ; mais, si quelquefois ils s’ac- 
crochent à quelque partie plus sensible, le 
requin fait de vains efforts pour échapper 
a la douleur; et le poisson qui n’a presque 
reçu aucun moyen de nuire est pour lui au 
nuilieu des eaux ce que l’aiguillon d’un seul 
insecte est pour le ügre le plus furieux au 
milieu des sables ardens de l'Afrique. 

Les requins de dix mètres, ou d’un peu 
plus de trente pieds de longueur, étant les 
plus grands des poissons qui habitent la mer 
Méditerranée , et surpassant par leurs di- 
mensions la plupart des cétacés que l’on voit 
dans ses eaux, c’est vraisemblablement le 
squale dont nous essayons de présenter les 
traits, qu'ont eu en vue les inventeurs des 
mythologies, ou les auteurs des opinions 
religieuses adoptées par les grecs et par les 
autres peuples placés sur les rivages de cette 


DES SQUALES. 591 
mème mer. Il paroît que c’est dans le vaste 
estomac d'un immense requin qu'ils ont 
annoncé qu'un de leurs héros ou de leurs 
demi-dieux avoit vécu pendant trois jours 
et trois nuits; et ce qui doit faire croire 
d'autant plus aisément qu'ils ont dans leur 
récit voulu parler de ce squale, et qu’ils 
n'ont désigné aucun des autres animaux 
marins qu'ils comprenoient avec ce poisson 
sous la dénomination générale de cete, c’est 
que lon a écrit qu’un très-long requin 
pouvoit avoir l’œsophage et l'estomac assez 
étendus pour engloutir de très-grands ani- 
maux. sans les blesser, et pour les rendre 
encore en vie à la lumiére. 

Les requins sont très-répandus dans toutes 
les mers. Il n’est donc pas surprenant que 
leurs dépouilles pétrifiées, et plus ou moins 
entières , se trouvent dans un si grand nombre 
de montagnes et d’autres endroits du globe 
autrefois recouverts par les eaux de l'Océan. 
On a découvert une de ces dépouilles presque 
complette dans l’intérieur du Monte-Bolca , 
montagne volcanique des environs de Vé- 
ronne, célèbre par les pétrifications de pois- 
sons qu’elle renferme , et qui, devenue depuis 
le dix-huitième siècle l’objet des recherches 
de savans véronais , leur a fourni plusieurs 

Bb 4 


1020 RES TOUTE 

collections précieuses (1),et particulièrement 
celle que l’on a due aux soins éclairés de 
M. Vincent Bozza et du comte Jean-Bapliste 
Gazola. C’est à cette dernière collection 
qu'apparlient ce requin pétrifié qui a près 
de sept décimètres ( vingt-cinq pouces six 
lignes ) de longueur , et dont on peut voir 
la figure dans l’Ichthyologie véronaise (2), 
bel ouvrage que publie dans ce moment 
une société de physiciens de Véronnie. Mais 
ilest rare de voir , dans les différentes couches 
du globe, des restes un peu entiers de re- 
quin ; on n’en trouve ordinairement que des 
fragmens; et celles des portions de cet ani- 
mal, qui sont répandues presque dans toutes 
les contrées, sont ses dents amenées à un état 
de pétrification plus ou moins complet. Ces 
parties sont les substances les plus dures de 
toutes celles qui composent le corps du re- 
quin ; il est donc naturel qu’elles soient les 
plus communes dans les couches de la terre. 
Les premières dont les naturaliles se soient 


(1) Deux de ces riches collections, formées l’une 
par Pillustre marquis Scipion Maffei, et l’autre par 
M. Jean - Jacques Snada , ont appartenu au célèbre 
Séguier de Nimes, et ont été dans le tems transportées 
dans cette dernière ville. 


(2) Seconde partie , pag. 10, pli, fig. r. 


DES S'QNUARE.S. 39 
beaucoup occupés avoient été apportées de 
île de Malte, où l’on en voit une très- 
grande quantité ; et comme ces corps pé- 
trifiés, ou ces espèces de pierres d’une forme 
extraordinaire pour beaucoup de personnes, 
se sont liés, dans le tems et dans beaucoup 
de têtes, avec l’histoire de l’arrivée de Saint- 
Paui à Malte, ainsi qu'avec la tradition de 
grands serpens qui infestoient cette île, et 
que cet apôtre changea en pierres, on a 
voulu retrouver dans ces dents de requins 
les langues pétrifiées des serpens métamor- 
phosés par Saint-Paul. Cette erreur, très- 
répandue, comme toutes celles qui se sont 
mêlées avec des idées religieuses, a même 
été assez générale pour faire donner à ces 
parlies de requin un nom qui rappelât l’opi- 
nion que l’on avoit sur leur origine; et on 
les a distinguées par la dénomination de 
glossopètres, qui signifie langues de pierres 
ou pétrifiées. Il auroit été plus convenable 
de les appeler , avec quelques auteurs, 
odontopètres, c’est-à-dire, dents pétrifiées , 
ou ichthyodontes, qui veut dire dents de 
poisson , ou encore mieux, lamiodontes, 
dents de lamie ou requin (1). 


(1) L’on ne trouve peut-être nulle part une plus 


304 HISTOMRRE 


Au reste, on remarque dans quelques 
cabinets de ces dents de requin, ou lamio- 
dontes, pétrifiées, d’une grandeur très-con- 
sidérable. Et comme, lorsqu'on a su que ces 
dépouilles avoient appartenu à un requin, 
on leur a attribué les mêmes vertus chimé- 
riques qu'aux dents de cet animal non pétri- 
fiées et non fossiles, on voit pourquoi plu- 
sieurs museum présentent de ces lamiodontes 
enchâssées avec art dans de l’argent ou du 
cuivre, et montées de manière à pouvoir 
êlre suspendues et portées au cou en guise 
d’amulettes. 

Il y a, dans le museum national d'his- 
toire naturelle , une très-grande dent fossile 
et pétrifiée, qui réunit à un émail assez bien 


grande quantité de glossopètres qu’à Malte ct en 
Sicile; jy en ai vu de très-grandes et dont la base 
approchoit de la largeur de la main. 

M. Pallas a vu des glossopètres de toutes cran dents 
et d’un uoir bleuâtre , sur les rives du grand et du 
petit Souvarisch en Sibérie , dans une argile bleue, 
sablonneuse et dure. ( Voyage en Russie et dans l'Asie 
septentrionale , tom. IT , in-4° de la traduction franc. 

. 404.) Bartram a découvert aussi des dents pétri- 
fiées de requin en Géorgie, près de Savannah. (Voyage 
dans les parties sud de l'Amérique septentrionale, 
traduct. franc. tom. II, p. 85.) Sonnixr. 


DES SQUALES.. 39 
conservé tous les caractères des dents de 
requin. Elle a été trouvée aux environs de 
Dax , auprès des Pyrénées, et envoyée dan 
le tems au museum par M. de Borda. J'ai 
mesuré avec exactitude la partie émaillée 
qui, dans l'anunal vivant, paroissoit hors des 
alvéoles. J'ai trouvé que le plus grand côté 
du triangle, formé par cette partie émaillée, 
avoit cent quinze millimètres (quatre pouces 
trois lignes) de longueur : la note suivante (1) 
indiquera les autres dimensions. J'ai desiré 
de savoir quelle grandeur on pouvoit sup- 
poser dans le requin auquel cette dent a 


millim. pouc. ligu. 

(1) Plus grande largeur de la partie 

émaillée delà dent... ete, go Pa 03 
Longueur de la partie émaillée mesu- 

rée sur le côté convexe , et depuis le 

sommet de langle saillant jusqu’à celui 

de l'angle rentrant foriné par la base de 

cette même partie émaillée. . . . . 82 3 
Longueur de la partie émaillée me- 

surée sur le côté concave , et depuis le 

sommet de l'angle saillant jusqu’à celui 

de l'angle rentrant formé par la base 

de cette même partie émaillée. . . . 82 3 
Je n’ai point cherché à connoître les dimensions 

de la portion non émaillée, parce que je ne pouvois 

pas être sûr de son intégrité. 


396 ETS FOR E 
appartenu. J'ai, en conséquence, pris avec 
exactitude la mesure des dents d’un grand 
nombre de requins parvenus à différens dé- 
grés de développement. J'ai comparé les 
dimensions de ces dents avec celles de ces 
animaux. J'ai vu qu’elles ne croissoient pas 
dans une proportion aussi grande que la 
longueur totale des requins, et que lorsque 
ces squales avoient obtenu une taille un. 
peu considérable , leurs dents étoient plus 
petites qu’on ne l’auroit pensé d’après celles. 
des jeunes requins. On ne pourra déterminer 
fa loi de ces rapports que lorsqu'on aura 
observé plusieurs requins beaucoup plus près 
du dernier terme de leur croissance que ceux 
que j'ai examinés. Mais il me paroît déjà 
prouvé, par le résultat de mes recherches, 
que nous serons en deçà de la vérité, bien 
lom d’être au delà , en attribuant au requin 
dont une des dents a été découverte auprès 
des Pyrénées, une longueur aussi supérieure 
a celle du plus grand côté de la parte 
émaullée de cette dent fossile , que la lon- 
ueur totale d’un jeune requin que j'ai me- 
suré très-exactement l’emportoit sur le côté 
analogue de ses plus grandes dents. Ce côlé 
analogue avoit dans le jeune requin cinq 
millimètres de long, et lanimal en avoit 


D ES: $S QU'A LES. 597 
mille. Le jeune requin étoit donc deux cents 
fois plus long que le plus grand côté de la 
partie émaillée de ses denis les plus déve- 
loppées. On doit donc penser que le requin 
dont une portion de la dépouiile a été trou- 
vée auprès de Dax éloit au moins deux cents 
fois plus long que le plus grand côlé de la 
partie émailiée de sa dent fossile. Nous ve- 
nons de voir que ce côlé avoit cent quinze 
millimètres de longueur; on peut donc assurer 
que le requin étoit long au moins de vingt- 
trois millimètres, ou, ce qui est la même 
chose, de vingt-trois mètres (soixante-dix 
pieds neuf pouces ). Maintenant, si nous 
déterminons les dimens'ons que sa gueules 
devoit présenter, d’après celles que nous a 
montrées la bouche d’un nombre considé- 
rable de requins de différentes tailles, nous 
verrons que le contour de sa mâchoire su- 
périeure devoit être au moins de treize pieds 
trois pouces ( quatre cent vingt-huit centi- 
mètres )}; et comme les parties molles qui 
réunissent les deux mâchoires peuvent se 
prêter à une assez grande extension, on doit 
dire que la circonférence totale de l’ouver- 
ture de la bouche étoit au moins de vingt- 
pieds, et que cette même ouverture avoit 
près de neuf pieds de diamètre moyen. 


398 . ES POBR'E 
Quel abime dévorani! Quelle grandeur ; 
quelles armes, quelle puissance présentoit 
donc ce squale géant qui exerçoit ses ra- 
vages au milieu de l'Océan, à cette époque 
reculée au delà des tems historiques, où la 
nier couvroit encore la France, ou, pour 
mieux dire, la Gaule méridionale, et 
baignoit de ses eaux les hautes somnmnités 
de la chaîne des Pyrénées! Et que l’on ne 
dise pas que cet animal remarquable étoit 
de la famille ou du genre des squales, mais 
qu'il appartenoit à une espèce différente 
de celle des requins de nos jours. Tout 
œil exercé à reconnoître les caractères dis- 
‘tinctufs des animaux , et sur-tout ceux des 
poissons, Verra aisément sur la dent fos- 
sile des environs de Dax non seulement les 
traits de la famille des squales, mais encore 
ceux des requins proprement dits. EE si, 
rejetant des rapports que l’on regarderoit 
comme trop vagues, on vouloit rapporter 
cette dent de Dax à un des squales dont 
nous allons nous occuper, on l’attribueroit 
à une espèce beaucoup plus petite mainte- 
nant que celle du requin, et on ne feroit 
qu’augmenter létonnement de ceux qui ne 
s'accoutument pas à supposer vingt-trois 
. mètres (soixante-dix pieds ou environ) de 


DÉS SOUMIES 54 


longueur dans une espèce dont on ne voit 
aujourd'hui que des individus de dix mètres 
(trente pieds où environ). 

_ Au reste, dans ces parties de l'Océan que 
ne traversent pas les routes du commerce, 
et dont les navigaieurs sont repoussés par 
l’äpreté du climat, ou par la violence des 
tempêtes, ne pourroit-on pas trouver d’im- 
menses requins qui, ayant jou, dans ces 
parages écartés, d’une tranquillité aussi par- 
faite, ou, pour mieux dire, d’une impunité 
aussi grande que ceux qui infestoient, 1l y 
a plusieurs milliers d’années, les bords des 
Pyrénées, y auroient vécu assez long-tems 
pour y atteindre au véritable dégré d’ac- 
croissement que la Nature a marqué pour 
leur espèce? Quoi qu'il en soit, il n’est pas 
indifférent, pour lhistoire des révolutions 
du globe, de savoir que les animaux marins 
dont on trouve la dépouille fossile aux en- 
virons de Dax, étoient de véritables requins, 
et avoient plus de soixante-dix pieds de 
longueur. 


400 ETS TOR E 


oo mm mt 


LE SQUALE TRES-GRAND (1) (2), 
PAR L'A CHPEUE 


S'E CO NO EU EE SE CE. 


C: squale mérite bien le nom qu'il porte. 
Il parvient en effet à une grandeur presque 
(1) Le chien de mer très-grand. Daub. Encyc. méth. 
Squalus maximus. Lin. édit. de Gmel. 
Squalus dentibus conicis, pinn4 dorsali anteriore 
majore. Ot. Fabric. F'aun. groenl. p. 150, n° oo. 
Le très-grand chien de mer. Broussonet , Mémoires 
de l’académie des sciences de Paris pour l’an 1780. 
L e chien de mer très-grand. Bon. pl. de l'Enc. méth. 
Brugd. Gunner , Act. nidros. 3, p. 55, tom. II *. 
— Pennaut , Zool. brit. vol. ILE, p. ro1. 


Principales dimensions du squale très-grand, décrit 
dans la Zoologie britannique, à l’endroit que nous 
venons de citer. 

picds. pouces. 
LonpuEUrMOtale eus, LES PARNLRE CODE 
Longueur de la première nageoire du dos. I 
Longueur des nagcoires pectorales. . . 
Longueur des nageoires ventrales. . . . 
Longueur du lobe supérieur de Ia na- 
seoire. de, queue. ue RUES els en 
Longueur du lobe inférieur de la même 
paneoire HP Al SUIS NS uelleir el 20 Ne 


D À O1 


(2) En danois, ryner. Au Groenland, kabsib kannioa. 
SONNINI. 
aussi 


DES SQUATES. %oi 
aüssi considérable que celle du requin. Il 
vogue , pour ainsi dire, son égal en volume 
et en puissance, et il partage en quelque 
sorte son empire dans les froides mers qu’il 
habite. Plusieurs auteurs ont même écrit 
que ses dimensions surpassoient celles du 
requin : Mais nous somimes persuadés que 
la supériorité resteroit à ce dernier, si on 
pouvoit comparer le requin et le très-grand, 
parvenus l’un et l'autre à leur entier déve- 
loppement. L'opinion contraire n’a été adop- 
iée que parce que le très-grand, beaucoup 
moins répandu dans les mers que le requin, 
ne s'éloigne guère du cercle polaire. Beau- 
coup moins troublé, poursuivi, attaqué 
dans les mers glaciales et reculées qu’il pré- 
fère , il y parvient assez fréquemment à 
un dégré d’accroissement très-avancé; et, 
à proportion du nombre des individus de 
chaque espèce, il est par conséquent moins 
ordinaire de rencontrer de vieux requins 
que de vieux squales très-grands. D'ailleurs 
on a presque toujours regardé la longueur 
de dix mètres, ou de trente pieds, comme 
la limite de la grandeur pour le requin; 
et ce dernier poisson nous paroiît, d’après 
tout ce que nous avons dit, pouvoir pré- 
senter même aujourd'hui, et dans des pa- 


Poiss. Tome III. Ce 


402 HAS T'ONR.FE 


rages peu fréquentés, une dimension beau- 
coup plus étendue. 

Mais, si le très-2grand ne doit être placé 
qu'après le requin dans l’ordre des gran- 
deurs et des forces, il précède tous les 
auires squales, et c’est vers trente pieds 
qu'il faut supposer l’accroissement ordinaire 
de cet animal. Les habitudes et la confor- 
mation de ce poisson ressemblent beaucoup 
à celles du requin ; mais il en diffère par 
les denis, qui ne sont pas dentelées, et 
qui, beaucoup moins aplaties que celles de 
presque tous les autres squales, ont un peu 
la forme d’un cône. On en trouve de pétri- 
fiées, mais beaucoup plus rarement que de 
celles du requin. La seconde nageoire du 
dos, plus petite que la première, est d’ail- 
leurs placée plus près de la tête que la 
nageoire de lanus; et enfin l'on voit de 
chaque côté de la queue, et près de sa. 
nageoire, une sorte d'appendice ou de saillie 
longitudinale et comme carénée. Au reste, 
la peau est, comme celle du requin, épaisse, 
{orte, tuberculeuse, et âpre au toucher (1). 


(1) La meilleure description que nous ayons du 
squale très-grand a été donnée par l’évêque Gunner, 
dans les Mémoires de l’académie de Norvège; elle 


DES SQUALES. 409 
Nous venons de voir que le très-grand 
ne quiltoit guère les mers glaciales et arc- 
tiques. Cependant des tempêtes violentes, la 
poursuite active d’une proie, la fuite devant 
un grand nombre d’ennemis, ou d’autres 
accidens le chiassent quelquefois vers des 
mers plus tempérées. Nous citerons, entre 
plusieurs exemples de ces migrations, celui 
d’un squale très-grand dont j'ai vu la dé- 
pouille à Paris en 1788, et dont on y montra 
au public Ja peau préparée sous le nom de 
peau de baleine, jusqu’à ce que le propriétaire 
de cette dépouiile m’eût demandé le véritable 
nom de cet animal. Ce poisson avoit échoué 
sur le sable à Saint-Cast, près de Saint-Malo, 
en décembre 198%. Il fut remorqué jusqu’à 


n’est cependant rien moins que complette , au jng- 
ment de Broussonet. ( Notes sur différentes espèces 
de chiens de mer.) 

Ce poisson, qui fréquente les côtes du Groenland, 
y paroît confiné, suivant Othon Fabricius ( Fauna 
groenland. p. 130 ), dans les eaux très-profondes du 
golfe Kakse, dans la partie septentrionale de la 
colonie de Friderichshaab ; il ne s’y montre que très- 
rarement et on ne l’y pêche jamais. Ce grand animal 
ne se contente pas de méduses, comme Linnæus 
Va dit, mais il se ñourrit de marsouins et d’autres 
petits cétacés qu’il avale tout entiers.  SonNini. 


Cc 2 


40% HISTOIRE 


ce dernier port, où il fut acheté par le 
citoyen Delattre, de qui je tiens ces détails. 
Au moment où ce poisson fut pris, il avoit 
trente-trois pieds de longueur totale, sur 
vingl-quatre pieds de circonférence à l’en- 
droit de sa plus grande grosseur (1). Mais 
la dessication et les autres préparalions que 
lon fut obligé de faire subir à la peau 
avoient réduit cette dépouille à de plus 
petites dimensions; et lorsque je lexaminar, 
elle n’avoit plus que vingt-cinq pieds de 
longueur. En voyant ces restes, on n'étoit 
pas étonné que les squales très - grands 
pussent avaler de petits cétacés tout entiers, 
ainsi que l’ont écrit plusieurs naturalistes (2). 


MANN NT ‘NRNAER 


(1) Lettre du citoyen Delattre au citoyen Lacépède, 


du 20 août 1788. 

(2) A la fin de l’année dernière, 1802, l’on pêcha 
a six lieues de Boulogne-sur-Mer un squale très-grand. 
J1 fut pris à la suite d’un combat de trente-six heures 
avec une baleine de quatre-vingt-cinq pieds de long, 
qui, victime aussi de son acharnement , alla échouer 
sar les côtes d’Angletcrre. Ce squale pesoit environ 
vingt milliers et avoit trente-un pieds de longueur to- 
tale , sur vingt-quatre de circonférence ; mais sa peau, 
desséchee et préparée pour être conservée, n’a plus : 
que vingi-six pieds de long sur seize de circonférence. 
Cette énorme dépouille va, me dit-on, être déposée aw. 
museum d'histoire naturelle à Paris.  Sonninr. 


DÉS SOUA'LES , %oh 


L'ÉMS Q U ALU RU EU. 


LE SQUALE GLAUQUE (1)(2), 
PAR LACÉPÉDE. 


TROISIÈME ÉSPÉCE. 


Ce squale présente de très-belles couleurs 
lorsqu'il est en vie. Tout le dessus de sa 
tête, de son corps, de sa queue et de ses 


(1) Dans plusieurs départemens méridionaux , cag- 
not blanc. En Norvège, haae-brand. En Angleterre, 
blue shark. d 

Chien de mer bleu, Daubent. Encycl. méth. 

Squalus glaucus. Lin. édit. de Gmelin. — Artedi, 
gen. 69, n° 13, syn. 98. — Müller, Prodrom. zool. 
dan. p. 39,n° ,518, b. — Gunner, Act. nidr. 4,p.r, 
tab. 1 , fig. 1. — Voyage en Islande, d’Eggert Olafs 
fens. — Bloch, Histoire naturelle des poissons, troi- 
sième partie, pl. LXxxvVI. 

Squalus ascensionis. Obs. It. chin. p. 385. 

Chien de mer bleu. Bonat. planches de l’'Encyclop: 
méthodique. R 

Cynocephalus glaucus, Klein , Misc. pisc. 3, p. 6; 
nf 2. 

Chien de mer bleu, galeus glaucus. Rondelet, 
première partie, Liv. 13, chap. 5. — Gesner, Aquat: 


Cc3 


G0b URI S T'OMRPE 


nageoires est de ce bleu verdâtre auquel 
le nom de glaugue a été donné, et qui est 
semblable à la nuance la plus ordinaire de 
toutes celles que présentent les eaux de la 
mer lorsqu'elles ne sont pas agitées par Îles 
vents, mi dorées par les rayons du soleil. Ce 


p. 609. — Willughby, Ichth. 49, tab. B, 8. — Ray, 
Pisc. p. 20. 

Squalus glaucus. Ascagne, planches d'histoire 
naturelle, p.7, pl. xxxt. 

Chien de mer glauque. Broussonet, Mémoires de 
l'académie des sciences pour 1780. 

Blue shark. Pennant , Zool. britan. 3, p. 84, n° 5. 

Glaucus. Charleton, p. 127. — Duhamel, Traité 
des pèches, seconde partie , sect. 9, p. 298. 

Glaucus, id. canis carcharias , vulgo requiem. Plu- : 
mier , dessins sur vélin du museum d’hist. nat. 

Cagnot bleu. Valmont de Bomare, Dictionnaire 
d'histoire naturelle. 

(2) En allemand , blauer hay. En Norvège, il se 
nomme encore, ae - moeren. En Islande, Laamer. 
À Rome, lamiola et canosa. À O-Taïti, mow-otau. En 
français, le bluet, et quelquefois le grand chien bleu, 
En Languedoc, cagnot blau, c’est-à-dire, chien bleu, 
- et non cagnot blanc, comme il est écrit ci-dessus. 

Dans Elien, ce poisson est désigné sous le nom grec 
glaukous. 

Squalus fossul& triansulari in extremo dorso , fora- 
minibus nullis ad oculos. Artedi , Gen. pisc. gen. 44, 
6p. 15 ; et Synonym. pag. 98. SONNINI: 


DES SQUALES. 407 
bleu verdâtre est relevé par le blanc écla- 
tant de la partie inférieure de l'animal; et 
comme les anciens mythologues et les poëtes 
voisins des tems héroïques w’auroient pas 
manqué de voir dans cette distribution de 
couleurs la représentation du manteau d’une 
divinité de l'Océan, ils auroient d’autant 
plus adopté la dénomination de glauque, 
employée par les naturalistes pour désigner 
le squale dont nous nous occupons, qu’en 
indiquant la nuance qui est propre à sa peau, 
elle leur auroit rappelé le nom de G/aucus, 
un de leurs demi-dieux marins. Mais ce 
dieu de l’onde étoit pour les anciens une 
puissance tutélaire, en lhonneur de laquelle 
on sacrifioit sur le rivage lorsqu'on avoit 
évité la mort au milieu des tempêtes; et le 
squale glauque est un être funeste, aux 
armes meurtrières duquel on cherche à se 
soustraire. En effet, ce squale a non seule- 
ment reçu la beauté, mais encore eu la 
grandeur en partage. Ïl parvient ordinaire- 
ment à la longueur de quinze pieds (près 
de cinq mètres); et suivant Pontoppidan, 
qui a écrit l'Histoire naturelle de la Nor- 
vège, el qui a pu voir un très-grand 
nombre d'individus de cette espèce, le squale 


glauque a quelquefois dix brasses de lon- 
Gc' 4 


408 HISTOIRE 


gueur (1). Il est d’ailleurs très-dangereux; 
parce que sa couleur empêche qu'on ne le 
distingue de loin au milieu des eaux, parce 
qu'il s'approche à l’improviste, et qu'il joint 


a la force due à sa taille toute celle qu'il 
peut tenir d'une grande audace (2). 


(r) C’est- à - dire, cinquante pieds de longueur. 
Suivant Ascagne , lorsqu'un squale bleu a huit pieds 
de long , il en a quatre de circonférence, et il pèse 
deux cents livres. SONNINI. 

(2) Les squales bleus ou glauques se trouvent dans 
presque toutes les mers; on les voit dans la Méditer- 
ranée, la Baltique, la Manche, l'Océan septentrional, 
la mer d'Amérique, celle des Indes et jusques dans 
les mers australes. Sur les côtes de France et d’Angle- 
terre ils suivent les thons qu’ils avalent souvent 
entiers ; ils donnent aussi la chasse aux aloses , et 
s’approchent des rivages en même tems que ces pois- 
sons , lorsqu'ils quittent les eaux amères pour venir 
fraier dans les eaux douces de nos fleuves et de nos 
rivières. 

Les squales der cette espèce ne sont pas moins 
voraces ni moius hardis que les requins, et sont éga- 
lement avides de la chair des hommes qu’ils suivent 
et ne craignent pas d'attaquer. | 

Quoique ces squales vivent, pour ainsi dire , en 
commun, dans certains parages, avec des autres 
espèces du même geure, et particalièrement avec 
les requins, ils ont , pour se défendre de l’excessive 
voracilé de ces derniers, quelque propriété que l’on 


DES SQUALES.  4oq 
Plusieurs voyageurs, et particulièrement 
Plumier (1), lui ont appliqué en consé- 
quence les dénominations que la puissance 
redoutabie du requin a fait donner à ce 
dernier , et ils l’ont nommé 7equiem et 
carcharias. 

Ses dents triangulaires, alongées et aiguës 
ne sont pas dentelées comme celles du re- 
quin , ni un peu coniques comme celles du 
très-grand : on en trouve de fossiles dans 
un très- grand nombre d’endroits ; et cela 
ne doit pas surprendre, puisque le glauque 
habite à toutes les latitudes, depuis l’ile de 
V’Ascension jusques aux mers polaires. Sa 
première nageoire dorsale est plus près de 
la tête que les nageoires ventrales ; il a une 
fossette sur la parlie supérieure de lextré- 
mité de la queue; le lobe supérieur de la 


ne connoît pas, et qui doit néanmoins être très- 
saillante pour qu’elle puisse faire impression sur des 
êtres aussi énormément gloutons que les requins. 
L'on a vu, dans le fragment de la Relation de Van- 
couver , que j'ai rapporté à la page 368 de ce volume, 
Von a vu, dis-je, que les requins et d’autres squales 
que les marins anglais prenoient plaisir à faire dévorer 
entre eux, ne touchoient jamais aux squales bleus, 
quoique coupés par morceaux, SONNINI. 


(1) Dessins sur vélin déjà cités. 


410 HIS T'O'TR'E 

nageoire caudale est trois fois plus long que 
Finférieur, et sa peau est moins rude que 
celle de presque tous les autres squales (1). 


(1) Je donne ici la description d’un squale bleu , 
faite sur un individu de cette espèce , long de quatre 
piedset demi, et conservé dans le museum britannique, 
par Broussonet : 

« La tête étoit un peu aplatie, l’ouverture de Îa 
gueule étoit également éloignée du bout du museau 
et de la base des nageoires pectorales ; les dents étoient 
presque triangulaires , alongées, aiguës , sans dente- 
lures , et tournées vers le fond de la gueule ; les yeux 
étoient petits et presque ronds , les trous des tempes 
manquoient ; les nagcoires pectorales étoient grandes 
et échancrées à leur extrémité ; celles de l’abdomen 
plus petites, situées autour de l’anus et au delà du 
milieu du corps ; la première dorsale étoit placée 
avant l’à-plomb des nageoires abdominales ; elle étoit 
presque triangulaire ; la seconde , plus petite que la 
première , étoit au delà de là - plomb de la nageoire 
de derrière l’anus; celle-ci étoit de la même grandeur 
que la précédente ; la nageoire de la queue étoit par- 
tagée en deux lobes , dont linférieur étoit trois fois 
plus court; la peau étoit lisse et de couleur grise, 
avec une teinte de bleu; les bords des nageoires 
étoient noirâtres ». ( Mémoires sur les différentes 
espèces de chiens de mer , dans ceux de l’académie des 
sciences et dans le Journal de physique, février, 
1785, pag. 121.) 

Dans les Transactions philosophiques de Londres , 
année 1776 , on lit une description lrès - détaillée du 


DES S QU'A LES. 4 


squale bleu , par le docteur Guill. Watson; elle est 
accompagnée d’une figure exacte. 

La couleur , la forme des dents de ce squale , ajoute 
Broussonet , et sur-tout une fossette triangulaire , qui 
se trouve à l’extrémite du dos, fournissent des carac- 
tères suffisans pour le distinguer des autres espèces. 

I! faut observer que , dans cette espèce, les dents 
sont en bien plus petit nombre que dans la plupart des 
autres squales. | 

La chair du dedans et du haut de la bouche est 
molle et spongieuse ; la langue épaisse , large et rude, 
et l’estomac grand et alongé; la rate s’y attache, et 
plusieurs petites parties charnues et rondes la com- 
posent. Le canal intestinal, d’abord mince vers le 
haut, devient ensuite large et droit. Le foie est gros 
et consiste en deux lobes, à l’un desquels tient la vési- 
cule du fiel , qui a une couleur verdâtre. 

Ce n’est guère qu’à cause du foie que l’on pêche le 
squale bleu; c’est la seule partie qui soit bonne à 
manger ; il passe même pour un mets délicat , quand 
il est cuit au vin ou rôti. Rondelet indique une 
manière de lapprèter : On le fait bouillir avec de 
Physsope , des feuilles de laurier et d’autres plantes 
aromatiques ; on ajoute de la canelle ; de la noix mus- 
cade et des clous de girofle. 

L'huile qu’on retire du foie de ce poisson passe pour 
un bon remède contre les duretés du foie des hommes, 
et les cendres de l'animal même étoient regardées dans 
la vieille médecine comme propres à guérir le mal 
des dents des petits enfans. SONNINI. 


L'in du troisième Folume. 


LA DRE 


De ce qui est contenu dans ce 


troisième Volume. 


Pr EMIERE sous-classe, page 5 
Les Lamproies, 9 
La Lamproie, proprement dite, premiére es- 

pèce, planche Ï, | 12 
Péches de la Lamproie, 35 


La Pricka, seconde espèce de Lamproie. — 
Le Pétromyzon pricka, par Lacépède, 43 
Le Lamproyon, troisième espèce de Lam- 
proie. — Le Pétromyzon lamproyon, par 
le méme, 53 
Le Planer, quatrième espèce de Lamproie. — 
Le Pétromyzon Planer, par le méme, 5g 
La Lamproie rouge , cinquième espèce. — Le 


Pétromyzon Rouge, par le même, 61 
— sucet,sixième espèce. — Le Pétromyzon 
sucet, par le méme, 63 


—— argentée, la Septœuille et la Lamprote 
noire,seplième, huitième et neuvièmeespèces. 
— Le Pétromyzon argenté, le Pétromyzon 
septœuil, et le Pétromyzon noir, par le 
MÊME , 67 


TABLE. 413 


‘Tableau du quatrième ordre des Poissons, 


par le méme, 69 
La Raie batis, première espèce, planche AIX, 
par le même, 76 
—— à bec pointu. — La Raie oxyringue, 
seconde espèce, par le méme, 127 
—— /niralet, troisième ‘espèce, 192 
—— chardon, quatrième espèce, 196 
—— ronce, cinquième espèce, par Lacépéde, 
15q 

—— chagrinee, sixième espèce, par le méme, 
143 


—— museau-pointu, et la Raie coucou, sep- 
ième et huitième espèces, par le méme , 144 
torpille, neuvième espèce, planche XIX, 


par le méme, 140 
—— aigle, dixième espèce, par le méme, 
180 

narinari, onziérne espêce, 201 

—— pastenaque, douzième espèce, par La- 
cépéde , | | 204 
—— altavèle, treizième espèce, 213 
—— ouarnak, quatorzième espèce , 215 
—— arnak, quinzième espèce, 216 
—— scherit, seizième espéce, 210 
—— mule, dix-seplième espèce, 219 
Péche des Raiïes, | 226 


Planche V , filet folle, 223 


414 TABLE. 
La Rae lymme, dix - huitième espèce, par 


Lacépède, 251 
sephen, dix-neuvième espèce, par le 
méme , 256 
—— bouclée, vingtième espèce , planche AV, 
par le méme, 2 4 
thouin, vingt -unième espèce, par le 

méme , 257 
—— bohkat , vingt-deuxième espèce, par le 
méme , 263 
cuvier, vingt- troisième espèce, par le 
méme , 266 
—— rhinobate, vingt-quatrième espèce, par 
le méme, 270 
tuberculee , vingt-cinquième espèce, par 

le méme, 279 
églantier, vingt-sixième espèce, par le 
méme , 282 
fabronienne , vingt-septième espèce, par 

le méme, 285 
ban£sienne, vingt-huitième espèce , par 

le méme, 200 
—— nègre, vingt-neuvième espèce, par le 
méme , 295 


mosaique , et la Raie ondulee , trente et 
trente-unième espèces, par le même, 297 
aptéronote , trente-deuxiéme espèce, par 
le méme , 208 


TABLE. 415 

La Raie frangée, trente-troisième espéce , 
par le même, 209 
—— nobular, trente-quatrième espèce, par 
le méme, 902 
—— schoukie, trente-cinquième espèce, par 
le même, 307 
—— machuéle, trente-sixième espèce, 309 
—— chinoise, trente - septiéme espèce, par 


Lacépède, 911 
gronovienne, trente-huitième espèce, par 

le méme, 214 
—— manalia, trente-neuvième espèce, par 
le méme, 316 
Tableau du cinquième ordre des Poissons, 
par le méme, 3526 
Le Requin, planche VI, 332 
Le Squale regun , première espèce, par La- 
cépéde , ibid 
—— très-grand , seconde espèce, par Le 
.méImne , 400 


—— bleu, — Le Squale glauque, troisième 
espèce, par le même, 405 


Fin de la Table, 


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