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HÉNÉRALE ET PARTICULIÈRE.
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TOME TROÏISTÈ ME
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DurarrT, Imprimeur-Libraire et édite
rue des Noyers, N° 22;
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BERTRAND; Libraire, quai des Augusti
N° 55.
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Chez Vazzée , frères, Libraires , rue Beffroi, N° 2
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Chez Hoyxors, Libraire.
Et chez les principaux Libraires de l’Europe.
ISTOIRE NATURELLE,
GÉNÉRALE ET PARTICULIÈRE,
CS POTSSONS;
A
JRAGE faisant suite à l'Histoire naturelle, générale
particulière , composée par Lrcrerc DE Burron, et
ve
ise dans un nouvel ordre par C. S. SonNiNI, avee
s Notes et des Additions.
PAR CC S& SONNINI,
:MBRE DE PLUSIEURS SOCIÉTÉS SAVANTES
ÊT LITTÉRAIRES.
TOME TROISIÈME.
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AD AURAS Se
JE L'IMPRIMERIE DE F. DUFART.
A N'UNE
Nota. L'on a omis, par inadvertenct
de placer le nom de Lacépède en tête €
Discours sur la nature des poissons , vol.
page 57, quoique la Table de ce mên
volume indiquât que ce Discours füt loi
vrage de ce naturaliste.
M'TSTO TR E
NATURELLE
MES. PO TS SO NS!
DIVISION DE LACÉPÈDE.
PREMIÈRE SOUS-CLASSE.
POISSONS CARTILAGINEU X.
Les parties solides de l’intérieur du corps ;
cartilagineuses.
PREMIÈRE DIVISION.
M'orssons qui m'ont ni opercule, ni
membrane des branchies.
PREMIER ORDR E.
Poissons apodes, ou qui n'ont pas de
nageoires ventrales.
PREMIER GENRE.
LES PETROMYZONS.
Sept ouvertures branchiales de chaque côté
du ‘cou, un évent sur la nuque, pis de
| nageoires pectorales,
À 5
6 Hu ST OIRE
PREMIÈRE ESPÈCE.
LE PÉTROMYZON LAMPRO1E.— Vingt
rangées de dents ou environ.
SECONDE ESPÈCE.
LE PÉTROMYZoN PRICKA. — La seconde
nageoire du dos anguleuse et réunie avec
ceile de la queue.
TROISIÈME ESPÈCE.
LE PÉTROMYZON LAMPROYON.— La se-
conde nageoire du dos très-étroite, et non
anguleuse ; deux appendices de chaque côté
du bord postérieur de la bouche.
QUATRIÈME ESPÈCE.
LE PÉTROMYZON PLANER. — Le corps
annelé ; la circonférence de la bouche garnie
de papilles aiguës.
: CINQUIÈME ESPÈCE.
LE PÉTROMYZON ROUGE. — Les yeux
très-petits ; la partie de l’animal dans la-
quelle les branchies sont situées, plus grosse
que le corps proprement dit ; les nageoires
du dos très-basses ; celle de la queue lan-
céolée ; la couleur générale d'un rouge de
sang, ou d’un rouge de brique.
SIXIÈME ESPÈCE.
LE PÉTROMYZON suCcET. — L'ouverture
DES LAMPROÏIES 9%
de la bouche très-grande, et plus large que
la tête ; un grand nombre de dents petites
et couleur d'orange ; neuf dents doubles
auprès du gosier.
SEPTIÈME ESPÈCE.
LE PÉTROMYZON ARGENTÉ. ( Petromyzor
argenteus.) — Les dents Jaunes et placées
très-avant dans la bouche ; la mâchoire
inférieure garnie de dix dents pointues ,
très-voisines l’une de l'autre, et arrangées
sur une ligne courbe; d’autres dents carti-
lagineuses, et placées des deux côtés d’uné
plaque également cartilagineuse ; la tête
alongée ; la ligne latérale très - visible ; la
dorsale très-échancrée en demi-cercle ; la
caudale lancéolée ; la couleur argentée.
HUITIÈME ESPÈCE.
LE PÉTROMYZON SEPTŒUIL. ( Petromyzon
septœuil.) — Le diamètre longitudinal de
l'ouverture de la bouche, plus long que le
plus grand diamètre transversal du corps ;
l’ensemble du corps et de la queue presque
conique ; la dorsale très -peu découpée et
très-arrondie dans ses deux parties ; la caudale
spatulée ; la partie supérieure de l'animal
d’un gris plombé, et l’inférieure d’un blanc
jaunâtre.
À 4
6 HIS: T'O IR'E
NEUVIÈME ESPÈCE:
LE PÉTROMYZON Noïr.(Pétromyzon
niger. — L'ouverture de la bouche très-
petite ; l’ensemble du corps et de la queue
presque cylindrique jusqu’à une petite dis-
tance de la caudale ; les deux parties de la
dorsale très-arrondies ; chacune de ces par-
tes presque aussi courte que la caudale ;
cette dernière nageoire spatulée ; la partie
supérieure du poisson d’un beau noir; les
côtés et la partie inférieure d’un blanc
d'argent très-éclatant.
DES LAMPROIES. g
LED LANMPROIES (I)
k F IDÈLE aux principes que j'ai adoptés,
de n’admettre dans mes ouvrages que des
expressions françaises, et d’en écarter , au-
tant qu'il est possible , celles que l’on puise
dans les langues anciennes , et dont on fait
depuis quelque tems un usage vraiment
immodéré , je restituerai à ce premier genre
de poissons le nom de Zamproie , sous lequel
il est connu dans notre langue , et j’aban-
donnerai le mot. grec pétromyzon , que quel-
ques auteurs modernes ont employé , et
qüe les anciens grecs ne connoissoient pas.
L'on ne sait point, en effet, d’une manière
précise, comment ce peuple de lantiquité
appeloit les lamproies ; les littérateurs ne
sont pas d'accord à ce sujet ; mais lon
sait que le mot pétromyzon est d'invention
toute nouvelle ; Linnæus, je crois, est le
premier qui s’en soil servi; 1l est composé
(1) Les pétromyzons de Lacépède et de quelques
autres auleurs d'ichthyologie.
16 HAESTOLR EF
de deux mots grecs qui signifient szce-pierre
ou léche- pierre. Le nom latin lampetra ou
lambreda a la même origine et dérive des
mots /ambere, lécher, et petra, pierre; cette
dénomination a rapport à l'habitude com-
mune à toutes les espèces de lamproies , de
s'attacher aux rochers avec beaucoup de
force (1).
Ces poissons ont la forme des serpens ;
leur tête est oblongue , leur corps long et
arrondi, et leur peau nue, lisse et extré-
mement glissante. Ils ont un évent sur le
derrière de la tête; et, ce qui les distingue
des autres poissons, ils ont, au lieu d’ouïes,
sept ouvertures de chaque côté du cou; ce
sont les orifices de l'organe de la respiration.
À ces ouvertures correspondent autant de
petites bourses elliptiques , sur lesquelles
sctend une peau rougeâtre et plissée; elles
sont placées les unes derrière les autres,
s’avancent dans une direction oblique, et
n'ont aucune communication entre elles ;
mais chacune de ces bourses ou petils sacs,
que l’on peut appeler respiratoires, a une
(1) Gesner et Aldrovande pensent que le mot latin
lampetra vient d’alabès, qui, en grec, veut dire un
corps glissant qui échappe à la main, d’où l’on a fait
aéabastrum , pour signifier le marbre le plus poli.
DES LAMPROIES. 11
ouverture en dehors et deux en dedans ;
l'eau entre par la première et sort par les
deux autres, ou par la bouche ; et lorsque
les lamproies sont attachées aux rochers où
aux autres substances submergées,au moyen
de leurs lèvres et de leurs dents, l’eau sort
par l’évent de la nuque de la même ma-
nière que les cétacés la font jaillir par les
évents qu'ils ont sur la tête.
Les lamproiïes ont des dents jaunûtres ,
deux nageoires cartilagineuses sur le dos,
et une nageoire à l'extrémité de la queue ;
il n’y en a point au ventre.
Nous connoissons neuf espèces de lam-
proies, que nous examinerons dans autant
d'articles.
12 HEFSTOIRE
L]
L'A: AMP ROTE
PROPREMENT:DIETE (à):
PREMIÈRE ES PÉCE.
Voyez la figure 1, planche T.
vers auteurs ont cru reconnoître
Ja lamproie dans le poisson que Galien vit
(1) Lamproie et quelquefois Zamproye. L’on n’est
pas certain du nom que ce poisson portoit chez les
anciens grecs. En latin , /ampetra ou lampedra.
Par quelques auteurs, plota fluta, asterias, hirudo,
muræna, vermis marinus. En anglais, lamprey et
lamprey -ell. En allemand, /amprete. Fn hollandais,
zée-lamprey. En italien, lampreda. En espagnol, lam-
prea. À Malte, 27 mustilla. Sur les bords de la Loire,
lamprei. À Bordeaux, la lamproie encore petite
s'appelle pibale.
Mustela sive lampetra. Belon, de Aquat. Hb.7,
pag. 75; et édition française, pag. 66 , avec une
mauvaise figure. — Gesner, de Aquatilibus , Hib. 5,
pag 696, avec une mauvaise figure.
Lampetra. Salvian. Aquat. animal. histor. pag. 63,
fig. tab. 4.
Lamproie. Rondelct , Histoire des poissons, liv. 15,
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DES LAMPROIES. 15
à Rome, et qu'il appelle galexias (1). Mais
ce qu'en dit cet ancien médecin est trop
peu précis, pour que lopinion puisse se
chap. 3, pag. 310 de l’édition française , avec une
mauvaise figure.
Lampctra major. Aldrovand. de Piscibus, lib. 4,
pag. 556, avec une mauvaise figure. — Schwenck-
feld, Theriotr. siles. fol. 451. — Charlet. Onom.
Mol. 163 ,.n°.3.
Lampetra. Jonston , Hist. nat. de piscib. pag. 79.
_ A lamprey or lamprey-eel. Willaghb. Fist. pisc.
lib. 4, cap. 2, 6 2, pag. 105, fig. 2, tab. G. 2. —
British zool. tom. III, pag. 76, fig. 27. tab. 8. —
Ray , Synops. piscium, pag. 55.
Petromyzon ore intüs papilloso, pinn& dorsali
posteriore a caud& distincté... petromyzon marinus,
Lin. edit. Gmel. gen. 129, sp. 1. — Faun. suecic.
edit. Retzii, pag. 302.
Petromizon ordinibus dentium circiter viginti....
petromizon maculosus. Artedi , Gen. piscium , ord. 4,
gen. 42, Sp. 2.
La marbrée. Daubenton, Encyclopédie méthodique.
— Bonaterre , planches du même ouvrage.
La lamproie. Bloch, Histoire nat. des poissons,
5° partie, pag. 51, fig. pl. LxxvII.
Le pétromyzon lamproie. Lacépède , Hist. nat. des
poissons , tom. Ï ,in-4°, pag. 3, fig. pl. 1.
(1) De Alimentis, clas. 2, fol. 350, À. Voyez, à ce
sujet, l’histoire des poissons, par Salvien , fol. 63
et 64, où sont rassemblies toutes les probabilités
14 HTSTOIRE
fixer à cet égard. Il en est de même de la
conjecture de ceux qui pensent que la
lamproie a été indiquée par Dorion dans
Athénée , sous la dénomination de muraina
potamia, murène des fleuves (1); dans Pline,
sous les noms de /umbric marin (2), et de
ver d’eau (5); par Strabon, lorsqu'il parle de
sangsues de sept coudées et à ouïes percées,
qui naissent dans un certain fleuve de la
Lybie (4). 1lest plus probable que la lamproie
est l’écheneis d'Oppien. «Elle se plaît, dit-il,
dans la haute mer ; elle est longue d’une
coudée , de couleur brune, semblable à l’an-
guille, ayant la bouche en dessous , aiguë,
et recourbée comme la pointe d’une hame-
con; les marins en content des choses mer-
veilleuses et incroyables pour ceux qui n’en
auroient pas été les témoins. Ce poisson
met sa bouche contre un navire, comme
s'il vouloit le dévorer , et de quelque force
du rapprochement de la lamproie et du galexias de
Galicn. Belon avoit précédemment établi la même
opinion.
(1) Liv. 7, chap. 512.
(2) Hist. nat. lib. 9, cap. 20.
(5) Zbid, lib. 9, eap. 15.
(4) Idem , ibidem.
DES LAMPROIES. 35
ée vaisseau soit poussé par les vents ou les
rames, l’écheneis l’arrête et le retient (1)».
Ce qu'Oppien rapporte de son écheneis
convient parfaitement à la lamproie , si l’on
en excepte les fables qui en terminent la
courte description. L'amour du merveilleux,
cette sorte d'inquiétude dans l'imagination,
qui se plait à être frappée par des choses
nouvelles et extraordinaires , est de tous
les âges ; on ne cesse de le reprocher aux
anciens ; mais , si des connoissances plus
exactes nous éloignent de beaucoup d’opi-
nions fausses, et même absurdes, que lanti-
quité adoptoit , nous n’en sommes pas moins
avides du merveilleux , ni moins disposés à
laccueillir. Si l’on en croyoit des auteurs plus
_ modernes qu'Oppien, les faits que ce poële
naturaliste raconte de la lamproie ne pour-
roient être révoqués en doute, puisqu'ils
| attestent les avoir vérifiés. Un homme grave,
d’une vaste érudition et d’un grand sens,
Gesner , dit qu’en partant de Rome, à la
suite du cardinal de Fournon , la galère qui
les portoit avec beaucoup de célérité fut tout
à coup arrêtée ; l’on chercha long-tems d’où
pouvoit venir un changement aussi subit,
(1) Halieuticon , liv. 1 , pag. 9
16 *'‘ÆAES TONIR EE
et l’on découvrit enfin une lamproie qui.
s’étoit attachée au gouvernail; on la prit,
on la mangea , et le vaisseau fendit les eaux
avec autant de rapidité qu'auparavant.
Gesner, qui se doutoit bien qu’un fait de
cette nature trouveroit difficilement des gens
disposés à y ajouter foi, prend le soin de
prévenir que de nobles personnages, avec
lesquels il naviguoit, l'ont vérifié comme
lui (1). Rondelet cile aussi, sur ce sujet ,
sa propre expérience ; il assure avoir re-
connu que , si la lamproie applique son
museau contre une galère, elle l’arrêtera(2).
Mais je m'arrête aussi; et si quelquefois je
fais mention des égaremens de la crédulité
et des écarts de l'imagination, c’est que ce
sont des points qui ne sont pas inutiles à
l’histoire de la science de la Nature , ni
{r) De Aquatilibus, lib. 5, p. 698.
(2) Histoire des poissons, liv. 15, pag. 512. —
« Le naturel de ce poisson est de s'attacher aux
pierres et rochers moussuz, tant de mer que d’eau
doulce : et encore à l’entour des navires fraîchement
poissées ; de sorte que les mariniers ont quelquefais
grand’'peine à retirer et redresser leurs tymons et
gouvernaulx, quand ceste beste y attachée , tire au
contraire ». ( Belon, de la Nature et diversité des
poissons , liv. 1, pag..66.)
même
DES LAMPROIES. 17
méme à l'histoire des sociétés humaines ; la
lecture de celle-ci seroit moins pémble, si
les pages qui la Coiposent ne présentoient
que le tabieau des erreurs de l'esprit, au
lieu de la peinture des vices du cœur eb
des effets de la perversité de lame.
Ce n’est pas seulement aux vaisseaux que
les lamproies se collent par la bouche ; elles
'attachent, de même aux bois submergés ,
4x rochers couverts par les eaux de la
ner , même à de grands poissons » qu'elles
abandonnent que lorsqu'ils sont morts Gb):
L'on dit qu’elles choisissent de préférence.
és navires dont la carène a été nouvelle-
nent enduite, de goudron (2). La force avec
aquelle ces poissons adhèrent aux différens
°rps est assez grande pour que l’on soit
blisé d'employer quelques efforts pour les
n détacher. On a vu une lamproie du poids
e trois livres soutenir en l'air avec sa bouche
ne pierre qui en pésoil douze (3): C’est par
? Moyen . d’une espèce de succion que les
unproies se fixent aussi fortement ; leurs
RP ETS PO pe se nn à à né
(x): Belon , à l'endroit ci-dessus. cité. — Gesner ,
CO Suprà citato.
(2) Gunner, Act. nidr. 4
(5) Pennant, British zool, tom. LIT, pag. 78.
Poiss. ToME III. B
18 HIS T'OUIR E
lèvres sont souples et très-mobiles, et l’évent
qu'elles ont à la nuque leur donne la facilité
de rejeter l’eau entrée par les ouvertures
de leurs sacs respiratoires , sans qu'elles
aient besoin d’avoir la bouche libre. Elles
sont d’ailleurs douées d’une force considé-
rable dans les: muscles et d’une grande vita-
lité; les plus fortes blessures ne les font
point mourir. Elles peuvent perdre de très-
grandes portions de leur corps sans être’
à l'instant privées de la vie; et l’on en a vu,
à qui il ne restoit que la tête et le devant:
du corps , coller encore leur bouche avec
force , pendant plusieurs heures, à des subs-
tances dures qu'on leur présentoit (1).
La conformation de la bouche aide beau-|
coup à cette puissance d'adhésion ; placée un!
peu au dessous de lPextrémité du museau,
son orifice est arrondi, et néanmoins un
peu oblong ; elle n’est point ouverte trans-
versalement comme celle ‘des autres pois-
sons , mais elle est creusée presque circu=
laiïrement comme celle d’une sangsue ; les
lèvres épaisses, charnues, et, comime je viens
de le dire, souples et mobiles, fibreuses ,
déchiquetées sur leurs bords, et comme
(1) Lacépède, Histoire du pétromyzon lamproie,
DES LAMPROIES. 9
spongieuses , s'appliquent exactement à la
surface des corps, et semblent les sucer.
Plusieurs rangées de dents, communément
au nombre de vingt, sont disposées en cercle
dans l’intérieur de la bouche. Il y a cinq
ou six dents à chaque rangée ; elles sont
séparées les unes des autres, un peu re-
courbées et très-aigués , creuses et de couleur
jaune orangée. Ce ne sont pas de simples
excroissances cartilagineuses comme la dit
Linnæus (1), et comme d’autres l'ont répété ;
leur substance est osseuse et ne diffère point
de celle des dents des autres animaux. Mais
ce qui les distingue véritablement, c’est la
mauicre dont elles sont enchâssées ; elles ne
tiennent point à des mächoires osseuses ;
elles sont seulement maintenues dans des
capsules charnues. Outre ces rangées, l’on
en voit une autre , formée en ligne droite
de six dents qui se touchent, à la partie pos-
térieure de la bouche. Deux autres dents,
plus grosses que les autres, se remarquent
sur le devant et en haut de la bouche ; enfin
la langue , qui est courte et échancrée en
croissant , est encore armée sur ses bords
de très-petites dents en forme de scie.
(1) Syst. nat.
B 2
20 ÉLAHSTT OO L'RE
{Voyez la figure de la bouche de la lam-
proie, planche TI, fig. 2.)
Avec un appareil en apparence si for-
midable, la lamproie , qui se nourrit de
substances animales, n’attaque que les êtres
les plus foibles; elle fait sa proie ordinaire
de vers marins et de petits poissons ; elle
se contente même de cadavres d'animaux
aquatiques, et de toute autre chair morte (1)
Cette foiblesse dans les moyens de subsis-
tance indique celle de ses ressources. Se:
dents ne tiennent qu’à la chair, et elles ne
sont point soutenues par des alvéoles osseux.
en sorte que, quoique très-nombreuses el
ctrès-aiguës , elles n’ont aucune solidité e
semblent ne servir au poisson que pour sé
-coller et se fixer avec force à des corps
solides.
Ne pouvant attaquer elle-même, la lam:
proie ne sait pas mieux se défendre; ellé
ne présente auçune résistance à ses ennemis
et si elle leur échappe, c’est par la fuite e
la retraite dans quelque trou obscur où elle
se glisse, et où les loutres, ainsi que let
CRE ©
(1) Rondelet s’est trompé en disant que les lam:
_proies ne vivoient que &’eau et de bourbe. (Est. de”
poissons, liv. 15, pag. 511.)
DES LAMPROIES. 2T
poissons voraces, tels que le silure et le
brochet, ne peuvent la suivre.
La tête de la lamproie est arrondie ;
alongée , et de la même grosseur que le
corps, mais elle s’amincit vers la bouche.
Les yeux sont petits, ronds et enfoncés ;
Piris est jaune ; pointillé de noir. Au dessus
et au dessous de chaque œil sont deux lignes
horisontales de petits trous, orifices de ca-
naux qui pénètrent assez avant. Il y a cinq
de ces trous à la rangée supérieure, et quatre
seulement à celle qui est placée au dessous
de l'œil. Plusieurs naturalistes ont regardé
ces petites ouvertures comme les orifices des
organes de Fouïe et de Fodorat (x). Sur le
derrière de la tête, entre les deux yeux,
est un évent, où conduit fistuleux, entouré
d’une membrane un peu saillante, et ouvert
jusques dans la bouche; c’est par ce canal
(1) « Ces petites ouvertures paroissent être Îles
orifices des canaux destinés à porter à la surface du
corps cette humeur visqueuse , si nécessaire à presque
tous les poissons pour entretenir la souplesse de leurs
membres , et particulièrement à ceux qui, comme
les pétromyzons (les lamproiïes) ne se meuvent que
par des ondulations rapidement exécutées. » { Lace-
pède , Hist. nat, des poissons, tom. Ï , pag. 7.)
B 5
+
22 HLSTOIRE
que l’eau , entrée par les trous qui conduisent
aux cellules respiratoires , jaillit lorsque le!
poisson a la bouche fermée, ou plutôt ap-
pliquée contre quelque corps. Ces trous sont
disposés en ligne droite , qui commence
derrière l'œil de chaque côté; le premier et
le dernier sont plus petits que les autres.
Les anciens les nommoient des yeux, et
c'est encore aujourd’hui leur dénomination
vulgaire. L'on a vu précédemment le jeu |
et l’usage de ces organes de la respiration, |
ui ne sont, à proprement parler, ni des
9
poumons, n1 des ouïes, mais qui font les |
fonctions des uns et des autres. Cetie con-
formation ne se retrouve dans aucun autre
genre de poissons. (Voyez la fig. 3, pl. 1).
aaaaaaa sont les orifices des conduits |
pulmonaires.
bbbDbEbE b sont les conduits pulmonaires
qui aboutissent aux orifices.
Ces conduits sont composés de plusieurs
canaux, unis ensemble au nombre de douze
à quatorze par chaque conduit. Si l’on bouche
les orifices avec de la cire liquide , on s’aper-
çoit bientôt que le mouvement des bourses
pulmonaires diminue , et que le poisson ne
tarderoit pas à périr suffoqué; dès que l’on
DES LAMPROIES. 29
retire la cire, ces espèces de poumons re-
prennent leur mouvement naturel (1).
: On ne peut mieux comparer le corps de
la lamproie qu’à celui d’un serpent ; c’est la
même forme cylindrique, très-alongée, ter-
mince par une queue dont l'épaisseur di-
minue sensiblement jusqu’à son extrémité.
Ce n’est pas le seul rapport que les lamproies
aient avec les serpens : il y en a d’autres
non moins frappans, tels que le mécanisme
de la respiration ; la conformation des parties
intérieures ; la privation des nageoires au
ventre et à la poitrine, parties correspon-
dantes aux pieds des autres animaux, qui
manquent également aux serpens; les replis
et les portions d’arc que la lamproie décrit
en nageant, et en imitant dans les eaux la
marche ondoyante et tortueuse des serpens ;
enfin , plusieurs habitudes communes (2).
(1) Observations anatomiques sur la lamproie et
ses poumons, et sur l’anguille, par Olaïis Jacobæus.
{ Collection académique, partie étrangère , tom. IV,
pag. 564.)
(2) L’ingéuieux auteur de l'Histoire naturelle des
reptiles et des poissons a tracé, de main de maître,
les rapprochemens qui existent entre les lamproies
et les serpens. ( Voyez Lacépède , Histoire du pétro-
myzon lamproie.)
B 4
24 2 HESTOIR E
Des deux nageoires qui sont sur le dos
de la lamproie , la première ne prend son
origine qu'aux deux tiers environ de la
Jongueur du corps; elle est courte et s’ar- |
rondit en arc de cercle ; la seconde en est |
fort peu éloignée , s'élève moins, s’alonge
davantage, et prenant à sa naissance touie
sa hauteur , diminue sensiblement jusques
près de la nageoire de la queue, dont elle est
séparée, mais seulement par un petit inter-
valle (1).Ces deux nageoires ont peu de kau-
teur : celle de la queue est courte et arrondie.
Tout le poisson est couvert d’une peau
lisse, visqueuse, mais ferme et dure, et si
glissante qu’il est difiicile à retenir dans la
main. L’enduit muqueux dont cette peau est
comme vernissée , de même qu’une grande
force dans les muscles, sont les nioyens puis-
sans que la Nature a donnés aux lamproies
pour exécuter avec aisance et rapidité les
mouvemens les plus compliqués. La couleur
dominante de cette enveloppe glutineuse est
(1) C’est de cette disposition de la seconde na-
geoire du dos relativement à la nageoire de la queue,
que Linnæus a fixé le principal caractère distinctif
de la lamproie proprement dite. ({ Syst. nat. Zoco
citato. ) Cependant la même disposition est come
mune à d’autres poissons du mème genre.
DES LAMPROIES. 25
le verdâtre mêlé de brun sur la tête, au
sommet de laquelle se trouve ordinairement
une tache ronde et blanche ; le ventre est
blanc ou blanchâtre. Des taches bleuâtres et
blanches, irrégulières, et plus rapprochées
sur le dos que sur les côtés, rendent la
lamproie comme marbrée, d’où ce nom lui
a été donné par quelques naturalistes (1 ).
Quelquefois ce poisson est Jaunâtre, avec
des marbrures verdâtres. Les nageoires du
dos sont d’un jaune mêlé de rouge , ou brunes
et variées d’orangé; celle de la queue est
bleuâtre.
Les parties les plus solides du corps de la
lamproie ne consistent que dans une suite de
vertébres entièrement dénuées de côtes, dans
une sorte de longue corde cartilagineuse eë
flexible, qui renferme la moëlle épinière ,
et qui compose l’une des charpentes animales
les plus simples (2). Auprès du gosier on
(1} Daubenton, Bonaterre, etc.
(2) Lacépède, à l’endroit précédemment cité. —
« lle est sans os ; au lieu d’arestes 6 de neuds de
l’espine du dos , ha une cartilage continue, dans
laquelle i a de la mouelle que nous appelons la corde;
au printems est tendre , en esté dure, é lors com-
mence à n’estre en si grand pris ». (Rondelet, Elis-
toire des paissons , lib. 12, chap. 5, pag. 311.)
26 HTS TOIRE
découvre un corps fourchu qui a du mou-
vement ; sur ce corps 1l y en a un autre
charnu , marqué sur ses côtés de deux taches
oblongues et noirâtres (1). La fig. 3 de la
planche I, a, représente ce corps charnu ;
bb sont les deux taches noirâtres.
Derrière la langue commence le canal
alimeniaire, étroit à ses deux extrémités,
et s’élargissant dans son milieu; il s'étend
jusqu'à l’anus sans aucune circonvolution,
et il n’a ni appendices, ni plis pour retenir
la nourriture. L’enveloppe du cœur, ou le
péricarde, est épaisse, dure et cartilagineuse ;
Foreillette est grosse et communique au
cœur par un canal placé dans le milieu; la
veine-cave sort de la partie la plus large
du cœur. Le foie est oblong ; sa couleur est
un verd de mer, et il n’a qu’un lobe, sui-
vant l'observation de Redi (2); il n’y a
point de vésicule du fiel (3). L'on prétend
que , dans les femelles, le foie est d’un
verd plus foncé que dans les mâles. Une
(1) Olaüs Jacobæus, Collection académique, /oce
suprà citato.
(2) Observations de Redi sur les animaux vivans
qui se trouvent dans les animaux vivaus. ( Collection
académique , partie étrangère , pag. 5oo.)
(3) Rondelet , Hist. des poissons, pag. 317.
DES LAMPROIES. 27.
sorte de conduit parcourt la cavité inté-
rieure de l’intestin dans toute sa longueur;
ce conduit n’est autre chose qu’une veine
qui sort du foie et qui pénètre dans l’intes-
tin à l’endroit de son adhérence au foie;
elle a une glande et une valvule à son in-
sertion ; après avoir parcouru d'un bout à
Vautre la capacité de l'intestin, elle en perce
de nouveau la tunique et sort pour aller se
joindre à une grosse artère, qui serpente
dans toute la longueur du veutre de la
lamproie.
Dans les femelles, les ovaires occupent
presque toute la cavité du ventre; ils con-
sistent en pelits disques ou en plaques très-
minces, qui sont attachées en arrière, le
long de l’épine du dos, à un vaisseau comme
à un lacet (1). [ls se terminent par un pelit
canal cylindrique et saillant hors du corps
de l'animal, à l'endroit de l’anus (2). Les
œufs sont de la grosseur de graines de pavot
et de couleur d'orange ; mais, dès qu’ils sont
secs, ils deviennent si petits qu'il est im-
possible de les compter (3).
(1) Bloch, Hist, nat. de la lamproie.
(2) Lacépède, Hist. du pétromyzon lamproie.
(5) Bloch, à l’endroit cité.
28 HISTOIRE
Lorsque, dans nos latitudes boréales, le
printems vient donner le signal de la repro-
duction de tous les êtres, l’heure de la
Nature se fait entendre jusqu'au fond des
abîmes : alors les lamproies, abandonnant
leurs sombres retraites, s’éloignent des ro-
chers qui leur servent d'asile au milieu des
mers, et, pressées par le plus doux, comme
le plus impérieux des besoins, elles entrent
dans nos fleuves et nos rivières, les femelles
pour y déposer leurs œufs et les mâles pour
les féconder. Les petits, qu’à Bordeaux on
appelle pibales (1), gagnent la mer avec les
vieilles lamproiïes qui ont échappé aux filets
des pêcheurs, pour entreprendre de nou-
veau , à la même époque , ce voyage des
eaux salées aux eaux douces, quelque dan-
gereux el quelque destructeur qu'il soit
pour leur espèce.
C’est en effet le tems du frai que homme,
toujours habile à saisir tous les moyens de
destruction, choisit pour tendre des en-
bûches aux lamproies ; le moment de leur
multiplication devient celui où elles périssent
en plus grand nombre. On leur fait une
guerre très-aciive , tant sur les côtes que
{1) Rondelet, Hist. des poissons, pag. 311.
DES LAMPROIES. 29
dans les eaux des fleuves et des rivières.
Leur char, quoique assez molle et un peu
visqueuse , ne laisse pas d’être très-délicaie,
sur-tout lorsqu'elles sortent de la mer pour
venir habiter les eaux douces; mais le sé-
jour dans cette demeure passagère en di-
minue la bonne qualité, et elles ne sont
plus aussi esimées quand elles retournent
dans leur habitation maritime. Les pêcheurs
appellent lamproie cordee celle qui, étant
prise en mauvaise saison, est devenue dure
et sèche.
Ces poissons sont fort estimés à Romé,
et ils sy vendent quelquefois à un très-
haut prix. Paul Jove, qui a fait, en 1524,
un petit livre latin sur les poissons du Fibre,
rapporte que les grands de Rome payoient
souvent une lamproie dix pièces d’or, prin-
cipalement au printems; et Platine, qui a
beaucoup écrit sur la cuisine de la Rome
moderne, s'élève ayec indignation contre le
luxe des tables qui régnoit de son tems à
la cour des papes et dans les maisons opu-
lentes, où l’on servoit des lamproies ache-
tées cinq, six, sept et jusqu'à vingt pièces
d'or. La manière la plus ordinaire d’apprèter
ces poissons consistoit à les faire mourir dans
du vin de Candie, à leur mettre une mus-
50 HISTOIRE
cade dans la bouche , et un clou de girofle
dans chacune des ouvertures des ouïes ou
des canaux respiratoires, à les rouler sur
elles-mêmes dans une casserolle ; et après
y avoir ajouté des amandes pilées, de la
mie de pain, du vin de Candie et des épices,
à les faire cuire à petit feu. Aujourd’hui
on accommode les lamproies d’une manière
plus simple et en même tems plus délicate.
Le mâle passe pour être meilleur que la
femelle, et celle-ci vaut mieux avant d’être
débarrassée de ses œufs qu'après son frai.
Les médecins n’ont pas manqué de disserter
au sujet des propriétés de la chair de la
lamproie comme aliment. Les uns ont dit
que c'éloit un mets très-sain; d’autres lont
condamné , parce qu'ils y voyoient une
nourriture pernicieuse, et même en quelque
sorte venimeuse; ceux-ci ont recommandé
de plonger les lamproies dans du vin géné-
reux, de les y laisser mourir et de les faire
cuire avec une bonne quantité d'épices,
afin de corriger la malignité qu'ils suppo-
soient à cette espèce de poissons. Il est ar-
rivé en cetle occasion ce qui arrive presque
toujours en pareille circonstance ; pendant
que des docteurs écrivoient sur les bonnes
ou mauvaises qualités des lamproies, les
DES LAMPROIES. 51
amis de la bonne chère et les médecins
eux-mêmes admettoient ces poissons sur
leurs tables et ne s’en lrouvoient pas incom-
modés. Quand la lamproie est grasse, elle
peut faliguer les estomacs un peu délicats,
moins cependant que languille. On a aitri-
bué la mort d'Henri I‘, roi d'Angleterre,
à un repas dans lequel il avoit trop mangé
de lamproie (1); mais de quoi ne peut-on
pas mourir lorsque l'on en fait excès? et
la puissance des rois ne lient pas toujours
contre une indigestion.
L'on tire, dit-on, du foie des lamproies
une couleur verte très-belle et très-durable.
Sa graisse, suivant les auteurs de matière
médicale, est émolliente et adoucissante ;
on en frotte légèrement le visage et les
mains de ceux qui ont la petite-vérole, afin
que la peau ne soit pas marquée.
Plusieurs auteurs, et Rondelet le premier,
ont écrit que la durée de la vie de la lam-
proie ne passoit pas deux ans (2); quelques-
uns ont cherché à expliquer ce prétendu
phénomène par la nourriture peu substan-
telle, l’eau et la vase ramollie, dont ils
æ
(1) Bloch , à l’endroit précédemment cité.
(2) Histoire des poissons, pag. 311.
52 HISTOIRE
croyoient que celte espèce 5€ contentoit ; en
sorte qu'ils donnoieut à un fait faux une
cause également imaginaire. Quoique lon
ne connoisse pas précisément le nombre
d’aunées que la Nature accorde aux lam-
proies, et que les pièges du pêcheur leur
laissent rarement parcourir, 1l est certain
qu’elles fournissent une plus longue carrière
que quelques auteurs ne Font pensé. L'on
en peut juger par les dimensions auxquelles
ces poissons parviennent, et qui ne laissent
pas d’être considérables. L’on en prend assez
souvent de trois pieds de long, d'environ
cinq pouces de diamètre près de la partie an-
térieure du corps, et de trois livres de poids ;
loch assure qu'il s'en rencontre quelque-
fois de grosses comme le bras, et qui pe
jusqu'à six livres (1).
L'espèce de la lamproie RTE | dite
est nombreuse et se trouve dans presque
toutes les mers; cependant ces poissons fré-
quentent de Se aps et sont beaucoup
plus communs dans les mers du nord que
dans celles du midi. Aux mois de mars {
d'avril et de mai ils entrent dans la plupart
ee ee om
ee
(1) Bloch, Hist. nat. de la lamproie,
DES /TAMPEROTES. 33
des fleuves et des rivières de France, d’An-
gleterre , d'Allemagne, de Suède, etc. Ils
sont plus rares dans la Baltique et dans le
détroit d'Aresund (1). Jove en a fait men-
tion en traitant des poissons du lac Claris.
Les fleuves d'Italie, et particulièrement le
Tibre, reçoivent aussi les lamproïes ; mais,
quoiqu'’elles habitent la partie occidentalé
de la Méditerranée , 1l ne paroît pas qu’elles
s’avancent à l’orient, c’est-à-dire, dans la
mer de Grèce. Kæmpfer les a retrouvées
sur les côtes du Japon, où elles portent le
nom de yaatzmo unagi (2). Enfin d’autres
voyageurs les ont vues sur les plages méri-
dionales de F Amérique (3).
(1) Lin. Faun. suec. edit. Retzii, pag. 502.
(2) Voyage au Japon, tom. I.
(3) Le lamper est une espèce de lamproie, comme
celle qu’on prend dans la Tamise; celle de Surinam
est d’une forme ronde et peu grosse, mais glutineuse
et très-grasse ; elle est d’un bleu verdâtre , avec des
taches jaunes, excepté sous le ventre qui est blanc.
Ce poisson, comme le saumon, fréquente la mer et
Îles rivières. » ( Voyage à Surinam et dans liatérieur
de la Guiane , par le capitaine Stedman, traduit par
Henry, tom. ji ) pag. 28.)
Avant Stedman, Philippe Férmin avoit hr de
Poiss. Tome III. \C
EE
54 HISTOIRE
En Angleterre on prend une srande quan-
tité de lamproies avec les saumons et les
aloses, poissons qui remontent également
les rivières à la même époque. Dans la
saison où elles sout rares, on les paye jusqu’à
une guinée Ja pièce; et la ville de Glocester
est dans l’usage de présenter tous les ans,
vers les fêtes de Noël, un pâté de lam-
proies au roi de la Grande-Bretagne (1).
Dans les pays où l’on pêche un trop grand!
nombre de ces poissons, pour que l’on puisse
les consommer frais, on les conserve en les
faisant griller et les mettant dans des barils
avec du vinaigre et des épices; on les envoie
la lamproie comme d’un poisson de la mer et des
rivières de la Guiane hollandaise. ( Description dé la
colonie de Surinam , tom. 11, p. 266.) Mais l’on ne
doit pas confondre avec la lamproie le poisson des
environs du Para, auquel M. de la Condamine
applique cette dénomination , et qui a, dit-il, la
même propriélé que la torpille. ( Relation abrégée
d’un voyage dans l’intérieur de l'Amérique méri-
dionale , pag. 154.) Ce poisson électrique n’est point
une espèce de lamproie; on le nomme à Cayenne
anguille tremblante, et il en sera question dans la
suite de cet ouvrage.
(1) Block, /oco suprà citato.
DES LAMPROILES. 55
ansi dans d'aulrés pays pour être servies
sur la table des riches. À Hambourg on les
sale, et à Danizick on les fume pour les
conserver et les transporter (1).
PÉCHÉS DE LA LAMPROIE,
: L'on se sert, pour pêcher les lamproies,
de rasses et Ex louves.
* La nasse (2) est une sorte dé panier faît
de jonc, d’osier ou d'autre bois flexible :
comme il est à claire-voie, l’eau passe aisé-
ment, mais lé poisson est retenu par les
baguettes. Ce panier a un ou plusieurs gou-
lèts , composés de brins d’osier déliés et
souples, très-fins ef élastiques, dont les bouts
ne sont point retenus par des traverses, ei
sorte qu'ils sont assez flexibles pour ne
point former d’obstacle à l'entrée du pois-
son dans la nasse ; mais aussitôt qu'il est
éntré en les écartant, ils $ë rapprochent les
uns des autres et lui présentent leurs pointes
2
© (1) Aldrovand. de Piscib. p. 542. és
(2) En anglais, «a bow-net, on weel. En allemand,
fischreussen. En ilalien , rassu. On lui donne diffe-
rens noms en France : nässe, nasson , nanse, bire,
bouteille, ruche , panier, boutterolle, etc.
C
36 ÉIS TOIRE
réunies qui l'émpéchent de sortir. La fig. 2!
de la planche 11 représente ces goulets un\
peu en grand au dessus de À , qui est une +
coupe de la nasse B, fig. 2.
Les nasses n'étant point pliantes comme !
les filets le sont, on y ménage une ouver- |
ture pour en relirer le poisson, quelquefois |
au bout opposé au goulet, comme en a,
fig. 5, et d’autres fois vers le milieu, comme.
=
PR, er 2 La
en CO, fig. 2. Ces ouvertures se ferment avec
une petite trappe, retenue .au corps de la
nasse, tout le tems qu’elle est dans l’eau,
et que l’on n’ouvre que quand on en relire.
le poisson.
On fait des nasses de différentes formes,
et de différentes grandeurs. Voyez les fig. 1,
2,5, 4 et 5. Celles dont se servent les pé-
EEE de Nantes, pour prendre les lam-.
proies, ont la forme d’un cône. A l’un des,
bouts est un goulet qui se resserre beau-
coup, et que l'on présente au courant le
plus rapide. | | 4
A lembouchure de aie rivières 3
omme celle de la Loire, l'on construit,
en bois et. en pierres, des chaussées sur
lesquelles on établit les nasses. Des pieux,
enfoncés en travers de la riviére,, dans les:
endroits où le flot se fait sentir à chaque
A
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1
DES LAMPROIES. 37
marée , maintiennent des pierres sèches que
Jon jette entre eux, et qui en surmonte la
tête d’un pied au moins. On profite, pour
se livrer à ce travail, des eaux basses de
l'été; mais dans le tems de la pêche des
lamproiïies, qui commence à Noël, si le
tems est convenable, et sil n’y a point de
glace, il y a sur ces chaussées jusqu’à dix,
douze, quinze et même vingt pieds d’eau.
Ces pêcheries s'appellent duits. On y place
des nasses d'environ six pieds de long, à
ventre fort gros et à large ouverture. Les
baguettes ou tiges, dont elles sont formées,
doivent être assez serrées pour qu'on ne
puisse placer les doigts entre deux sans les
forcer un peu. Le dessous doit être plat,
et le soulet, qui commence dès l'entrée, va
presaue jusqu’au bout, où la nasse forme
une pelite gorge, et où il y a une espèce
. d’anse ou d’organeau aussi d’osier.
Il y a tout à fait au fond une ouverture
bouchée , dans les unes avec un tampon de
paille ou de foin, dans les autres avec une
petite porte d’osier arrêtée avec une che-
ville ; c’est par là que les pêcheurs tirent
hors des nasses les lamproies qui s’y sont
prises.
Pour tendre les nasses el les placer sur
| C5
58 HA ST'OIHR E
les duits, les pécheurs passent dans l'ansé
osier où lorganeau un lien d'osier tors
qu'ils nomment fresseau, el qui est en forme
de cordage et long de cinq à six brasses.
A l'autre bout du tresseau ils attachent une
grosse pierre de cent à cent cinquante livres
pesant, qui sert d’ancre, et que lon pose à
mont du duit. Chaque nasse a son tresseau
et sa pierre ; on l’arrête sur le duit de ma-
nière que l'ouverture en soit exposée à la
mer. Ces instrumens restent trois ou quatre
mois à l’eau.
Lorsque les pêcheurs relèvent les nasses
pour en retirer les lamproies qui y sont en-
trées , 1is accrochent avec une hampe ou
galfe lé tresseau, sans être obligés de remuer
la pierre, et ils replacent de même les nasses
après qu'ils ont pris les lamproies. Ils ne
manquent pas de les visiter une fois par
jour. Un duit porte quarante à soixante
nasses, se touchant l’une l’autre par leurs
côlés.
La louve ou loup, qu’il ne faut pas con-
fondre avec le verveux double, auquel on
donne aussi le nom de /op dans quelques
endroits, est une espèce de filets en nappe,
dont les mailles ont ordinairement seize à
dix-sept lignes en carré, et dont le milieu
DES LAMPROIES. 5%
forme une poche. Voyez la figure 6, pl. IT.
On tend ce filet avec trois grandes perches
À BC, dont l’une A est haute de douze à
quinze pieds, et doit rester à la place où on
Va fichée ; les deux autres se dépiquent
toutes les fois que l’on veut prendre le pois-
son qui est dans le filet.
Voici comment les pêcheurs nantais se
servent de ce filet pour pêcher dans leur
rade à ‘une demi-lieue au plus de terre : il
présente à l’eau son ouverture À B; aux
deux bouts qui répondent aux perches A
et B, il a trois brasses de chüte; mais au
milieu ou au fond, qui répond à la perche C,
il n’en à que huit; en sorte qu'il forme en EL
ure grande bourse. L'ouverture À B est de
douze à treize brasses. Pour tendre ce filet,
on amarre à la perche À une aussière de
trente à quarante brasses de longueur. Une
corde un peu plus grande que louverture
du filet s'étend de la perche À à la perche B;
on mouille en avant un petit grapm F', dont
le cablot G a dix ou douze brasses de long,
et qui sert à retenir la pêcherie contre
l'effort du courant. On amarre aux deux
perches À et B les aussières D et H. Afin
que le filet fasse mieux le sac , on le tend
de manière que la marée l’eñtonne dans
C 4
40 HISTOIRE
son fond et la perche C le soutient. Com-
munément le filet ne porte pas sur le ter-
rain ; il n’a presque jamais ni de flotte, ni
de lest ; on le tend une heure après le com-
mencement de la marée , et on le relève
une heure avant qu'elle ne se retire.
Le filet tendu, les pêcheurs se tiennent
dans un pelit bateau derrière la perche C.
Lorsqu'ils veulent prendre le poisson, on
démonie la perche B, on dépique celle du
milieu C , on dégage les bras de la perche À,
et or tire le filet dans le bateau, en le pliant
en deux, suivant sa longueur, pour mieux
retenir le poisson. Cette pêche se fait égale-
ment le jour comme de nuit; les grandes
marées, aussi bien que les tems calmes, sont
les momens les plus favorables.
Quelquefois on se sert d’un filet appro-
chant du loup, mais moins grand, lesié et
flotié , et qu’on tient à la main; on lui donne
ordinairement trois ou quatre brasses de
longueur , et une brasse et demie ou deux
brasses de chûte ; on l’attache par les ex-
trémités à deux perches de quinze à vingt
pieds de long. Deux hommes nus, tenant
chacun une de ces perches, vont sur les
sables de la côte à marée montante, eb
entrent dans la mer le plus avant qu'ils
DES LAMPROIES. 41
peuvent , ayant souvent de l’eau jusqu'au
cou. Ils présentent au flux leur filet auquel
l'effort de l’eau donne une courbure sem-
blable à celle d’une voile enflée par le
vent. Lorque ces pêcheurs voient arriver
vers eux une grosse lame qui pourroit les
couvrir, ils s'élèvent au dessus en s'appuyant
sur la perche qu’ils tiennent, et dont le pied
s'enfonce dans le sable. Dès qu’ils sentent
qu'il y a des poissons dans le filet, ils rap-
prochent les deux perches l’une de lautre
pour envelopper les poissons ; et après les
avoir retirés du filet , ils recommencent la
méme manœuvre tant que la marée le
leur permet ; ils se rapprochent du rivage
à mesure que la mer s'élève , et ils ne cessent
de pêcher que lorsqu'elle les force à se
retirer.
On se sert encore, pour la pêche des
lamproies dans la Loire, d’un filet que, par
cette raison , l’on appelle lampresse. C'est
une espèce de demi-folle (1), dont les
mailles n’ont qu’un pouce et demi d’ouver-
ture , et qui ont vingt-huit brasses de lon-
gueur sur six pieds de haut.
Les lamproies qui proviennent des lam-
œ
(1) Cette sorte de filets sera décrite dans la suite,
42 HISTOIRE
presses et des louves sont plus estimées que
celles qui se pèchent avec les nasses, parce
que le poisson est retiré sur le champ de
ces filets; au lieu que celui qui se prend
dans les nasses, peu de tems après qu’elles
ont été visitées, s’y fatigue beaucoup par
les efforts qu’il fuit pour sortir, ce qui le
maigrit extrémement.
DES LAMPROIES. 45
—————
te
rar DR: L'OURLUA.
‘SECONDE ESPÈCE DE LAMPROIE.
LE PÉTROMYZON PRICKA (1),
PAR LACÉPÈDE.
N. B. Il est nécessaire de se rappeler que Lacépède a adopté
le mot pétromyzon pour désigner les lamproies.
Cr pétromyzon diffère de la lamproie par
quelques trails remarquables. Il ne parvient
jamais à une grandeur aussi considérable ,
(1) En Allemagne, prick, brike , neunauge. En Au-
triche , neunauvel. En Pologne, minog. En Russie,
minogoi. En Estonie, si/muhd, uchsa, silmad. En
Suède , nattino et neunogen. En Angleterre, lampern
et lamprey-cel.
Lamproie pricka. Daunbenton , Encyclop. méthod.
Petromyzon fluviatilis. Lin. édit. de Gmel.
Nein-oga, natting. Taun. suec. p. 106. (Le nom
vulgaire de nein-oga , neinauge , neuf yeux , que l’on
donne dans presque tout le nord aux pétromyzons,
ainsi que celui de jaatzmo unagis, huit yeux, dont
on se sert dans le Japon pour ces mêmes animaux,
et de même que plusieurs autres noms analognes,
doivent venir de quelque erreur plus on moins an-
44 HISTOIRE |
puisqu'on n’en voit guére qui aient plus de
quatre décimètres ( environ quinze pouces }|
—————————
cienne , qui aura fait considérer comme des yeux les
trous respiratoires que Jon voit de chaque côté du
corps des pétromyzons, et que quelques auteurs ont
indiqués comme étant au nombre de huit, et même
de neuf.)
Petromyzon unico ordine denticulorum minimorum
in limbo oris præœter inferiores majores. Artedi ,
gen. 64, syn. 80, sp. 99. |
La petite lamproie. Bloch, part. III, pag. 54,
PL OLXANVIEr HO 1e
La lamproie branchiale. Bonaterre, planches de
l'Encyclopédie méthodique.
Petromyzon fluviatilis, steen sue , negen oyen,
negen ogen , lamprette, Müller, Prodrom. pag. 37,
n° 307.
Petromyzon, prick, negen oog. Gronov. Mus. 1,
p. 64, n° 114. Zooph. p. 38.
Mustela. Plin.liv.o, chap. 17.
Mustela fluviatulis. Belon , Aquat. p. 75.
Lampetra subcinerea , maculis carens. Salvian,
Aquat, p. 62.
Lampetra, alterum genus. Gesner , Aquat. p. 5g7.
Larpreda. Icon. anim. p. 326.
Lampetra, medium genus. Willughby, Ichth. p. 106,
tab. gen. 2, fig. 1; et gen. 5, fig. 2. |
Lampetra , medium genus. Ray, Syn. piscium,
1-29, 047:
Lampetra fluviatilis. Aldrov. p. 587. — Jonston,
DES LAMPROIES. 45
de longueur , tandis qu'on a pêché des lam-
proies longues de deux mètres ( six pieds ;
ou à peu prés ). D'ailleurs les dents qui gar-
nissent la bouche de la pricka ne sont ni en
même nombre n1 disposées de même que
celles de la lamproie. On voit d’abord un
seul rang de très-petites dents placées sur
la circonférence de l'ouverture de la bouche.
Dans l’intérieur de ce contour, et sur lé
devant, paroît ensuite une rangée de six
dents également très-petites ; de chaque côté
et dans ce même intérieur sont trois dents
échancrées ; plus près de l'entrée de la bouche
on aperçoit sur le devant une defñt où un o$
p. 104, pl. xxvuir, fig. 11. — Schone, p. 41. —
Charlet. p. 159, n° 7.
Lampetra fluviatilis media. Schwenckf. & heriotr,
siles. p. 532.
rai unagi. Kæmpfer, Voyage dans le Japon,
tom. I, p.156 ,.pl. x1r, fig. 2.
His Rzaczyhski, p 154:
Lamproie. Fermin, Histoire naturelle de Suria
nam, p. 85.
The. lever lamprey. Pennant, Brit. zoolog. 3}
Ps. 79, plicwiir, fig. 2. |
Neunaugel. Marsigli, 4, p.2,tab. 1, fig. 4.
Pro Kramer, Du do SORT. 1. |
ch ele Klein, Miss. pisc. 3, p. 29, n° 1,
tab. 1, fig. 3.
46 HISTOIRE
épais et en croissant, et sur le derrière uû
os alongé, placé en travers, et garni de sept
petites pointes; plus loin encore des bords
extérieurs de la bouche , on peut remar-
quer un second os découpé en sept pointes ;
et enfin à une plus grande profondeur se
trouve une dent ou pièce cartilagineuse.
De plus, la seconde nageoire du dos touche
celle de la queue, se confond avec celte der+
nière au lieu d’en être séparée comme dans
la lamproie , présente un angle saillant dans
son contour supérieur; et enfin les couleurs
de la pricka sont différentes de celles du
pétromyzon lamproie. Sa tête est verdûâtre,
ses nageoires sont violettes ; le dessus du corps
est noirâtre , ou d’un gris tirant sur le bleu ;
les côtés présentent quelquefois une nuance
jaune ; le dessous du corps est d’un blanc
souvent argenté el éciatant ; et au lieu de
voir sur le dos des taches plus ou moins vives
comme sur la lamproie, on y remarque dé
pelites raies transversales et ondulantes.
Mais, dans presque tous les autres points
de la confie extérieure et intérieure,
les deux pétromyzons que nous: comparons
l'un avec l’autre ne paroissenit être que deux
cop ies d’un même modèle. |
Les yeux ont également, dans les deux
DES LAMPROIES. 4%)
espèces, un iris de couleur d’or ou d'argent,
et parsemé de pelits points noirs, et sont
également voilés par une membrane trans-
parenie , qui est une prolongalion de la
peau qui recouvre la tête.
Une tache blanchâtre ou rougeûtre paroit
auprès de la nuque de la pricka. comme
auprès de celle de la lamproie.
I n’y a dans la pricka n1 nageoires pec-
torales ni nageoires ventrales ; celles du dos
sont soutenues , comme dans la lamproie ,
par des cartilages très - nombreux, assez
rapprochés, qui se divisent vers leur som-
met , et dont on ne peut bien reconnoître
la contexture qu'après avoir enlevé la peau
qui les recouvre.
La pricka à en outre tous ses viscères
conforinés conime ceux de la lamproie. Son
cœur , son foie , ses ovaires, ses vésicules
séminales sont semblables à ceux de ce der-
nier poisson. Comme dans ce pétromyzon
le tube intestinal est sans appendices et
presque sans sinuosités , l'estomac est fort,
musculeux , et capable de produire, avec
des sucs gastriques très-actifs, les promptes
digestions que paroît exiger un canal alimen-
taire presque droit. Et pour terminer ce
parallèle ; le pétromyzon pricka respire ,
18 HISTOIRE
comme la lamproie , par quatorze petites
bourses semblables à celles de ce dermer
animal. Montraut d’ailleurs, comme ce car-
tilagineux, un nouveau rapport avec les
animaux qui ont de véritables poumons, il
fait correspondre des gonflemens et des con-
tractions alternatifs d’une grande partie de
son corps aux dilatations et aux compressions
alternatives de ses organes respiratoires.
D'après tant de ressemblances, qui ne
croiroit que les habitudes de la pricka ont
la plus grande conformité avec celles de la
lamproie ? Cependant elles diffèrent les unes
des autres dans un point bien remarquable,
dans lhabitalion. La lamproie passe une
grande partie de l’année, et particulièrement
la saison de lhyver, au milieu des eaux
salées de l'Océan ou de la Méditerranée :
la pricka demeure pendant ce même items,
et dans quelque pays qu’elle se trouve, au
milieu des eaux douces des lacs de l’intérieur
des continens et des îles ; et voilà pourquoi
plusieurs naturalistes lui ont donné le nom
de /luviatile , qui rappelle l'identité de na-
ture de l’eau des lacs et de celle des fleuves,
pendant qu'ils ont appelé la lamproie le
pétromyzon marin.
Nous n'avons pas besoin de faire remar-
quer
DES LAMPROIES. 49
quer de nouveau ici que parmi les pétro-
myzons, ainsi que dans presque toutes les
familles de poissons, les espèces marines,
quoique très - ressemblantes aux espèces
fluviatiles , sont toujours beaucoup plus
graudes (1); et nous ne croyons pas non
plus devoir replacer dans cet article les con-
Jectures que nous avons déjà exposées sur
la cause qui détermine au milieu des eaux
de la mer le sejour d'espèces qui ont les plus
grands caractères de conformité dans leur
organisalion extérieure et intérieure avec
celles qui ne vivent qu'au milieu des eaux
des fleuves ou des rivières (2). Maïs, quoi
qu'il en soit de ces coujectures , la même
puissance qui oblige, vers le retour du prin:
tems, les famproies à quitter les plages ma-
rimes, et à passer dans les fleuves qui y
portent leurs eaux, contraint également, ef
vers la même époque , les pétromyzons
pricka à quitter les lacs dans le fond desquels
ils ont vécu pendant la saison du froid, et
à s'engager dans les fleuves et dans les ri-
vières qui sy jettent ou en sortent. Le même
besoin de trouver une température conve-
(1) Voyez le Discours sur la nature des poissons.
(2) Zbid.
Poiss. Tome IIT, ; D
5o HISTOIRE
nable, un aliment nécessaire, et un sol assez
voisin de la surface de l’eau pour être ex-
posées à l'influence des rayons du soleil, dé-
termine les femelles des pricka, comme celles
des lamproies , à préférer le séjour des fleuves
et des rivières à toute autre habitation, lors-
qu’elles sont pressées par le poids faligant
d’un très-grand nombre d'œufs; et l'attrait
irrésistible qui contraint les mâles à suivre
les femelles encore pleines, ou les œufs
qu'elles ont ponduset qu’ils doivent féconder,
agissant également sur les pétromyzons des
lacs et sur ceux de la mer, les pousse avec
la même violence et vers la même saison
dans les eaux courantes des rivières et des
fleuves.
Lorsque lhyver est près de régner de
nouveau, toutes les opérations relatives à
la ponte sont terminées depuis long-tems ;
les œufs sont depuis long-tems non seule-
ment fécondés, mais éclos ; les jeunes pricka
ont atteint un dégré de développement assez
grand pour lutter contre le courant des
fleuves, et entreprendre des voyages assez
longs. Ils partent presque tous alors avec les
pricka adultes, et se rendent dans les diffé-
rens lacs d’où leurs pères et mères étoient
venus dans le printems précédent , et dont
DES LAMPROIES. 5x
le fond est la véritable et constante habi-
tation d’hyver des pétromyzons, parce que
ces carlilagineux y trouvent alors, plus que
dans les rivières, et la température et la
nourriture qui leur conviennent.
Au reste, on rencontre la pricka non
seulement dans un très-grand nombre de
contrées de l’Europe et de l'Asie, mais
encore de l'Amérique, et particulièrement
de l'Amérique méridionale.
On a écrit que sa vie étoit très-courte et
ne s'étendoit pas au delà de deux ou trois
ans (1). Il est impossible de concilier cette
assertion avec les faits les plus constans de
Yhistoire des poissons (2); et d’ailleurs elle
est contredite par Îles observations les plus
précises failes sur des individus de cette
espèce.
Les pricka, ainsi que les lamproies ;
peuvent vivre hors de l’eau pendant un
tems assez long. Cette faculté donne la fa-
cilité de les transporter en vie à des dis-
tances assez grandes des lieux où elles ont
été pêchées; mais on peut augmenter celte
facilité pour cette espèce de poisson, ainsi
(1) Voyez Ph. IL. Statius Müller.
(2) Discours sur la nature des poissons.
D 2
ba HS TO LR €
que pour beaucoup d’autres, en les tenant,
pendant le transport , enveloppées dans de
la neige ou dans de la glace (1). Lorsque ce
secours est trop foible, relativement à l’éloi-
gnement des pays où l’on veut envoyer les
pricka, on renonce à les y faire parvenir
en vie : on a recours au moyen dont nous
avons parlé en traitant de la lamproiïe; on
les fait griller, et on les renferme dans des
tonneaux avec des épices et du vinaigre.
Exposées aux poursuites des mêmes en-
nemis que la lamproie, elles sont d’ailleurs
recherchées non seulement pour la nour-
riture de l’hoinme, comme ce dernier pé-
tromyzon, mais encore par toutes les grandes
associations de marins qui vont à la pêche.
de la morue, du turbot, et d’autres poissons,
pour lesquels ils s’en servent comme d’appât;:
ce qui suppose une assez grande fécondité
dans cette espèce , dont les femelles con-
üennent en eflet un très- grand nombre.
d'œufs.
CU RRRE RS UT OST RRNN EUR I EURE À
(1) Histoire des cyprins , et Histoire naturelle des
poissons, par Bloch.
DES LAMPROÏES. b5
LE LAMPROYON
TROISIÈME ESPÈCE DE LAMPROIE.
“
LE PÉTROMYZON LAMPROYON (1);
PAR LACÉPÉÈDE.
Si la lamproie est le pétromyzon de la
mer , et la pricka celui des lacs, le lamproyon
(1) Lamprillon et chatillon dans plusieurs dépar-
temens méridionaux de France. Sept-œæil, daus plu-
sieurs déparlemens du nord. Bäünd-lamprey , dans
plusieurs cantons de l’Angiletcrre.
Petromyzon branchialis. Lin. édit. de Gmel.
Lamproie branchiale. WDaäubenton , Encyclopédie
méthodique. |
Petromyzon corpore annuloso , appendicibus utrin-
que duobus in margine oris. Artedi , gen. 42, syn. go.
Petromyzon branchkialis. Lin -aehl, Lin. Fauna
Suecica , 292: — Wulff, Ichth. borus. p. 15, n° 20.
Vas-igle. Müller, Prodrom. zvol. dan. pag. 57,
n° 30744
Uh-len. Kramer, Elenclr. p. 483.
Petromyzon corpore aunuiato, ore lobato. Bloch, 3,
pl. LxXxXVI, fig, 2.
D 5
54 HISTOIRE
est véritablement le pétromyzon des fleuves
et des rivières. Il ne les quite presque Jja-
mais, comme la pricka et la lamproie, pour
aller passer la saison du froid dans le fond
des lacs ou dans les profondeurs de la mer.
Ce n’est pas seulement pour pondre ou fé-
Lamproie branchiale. Bonaterre , planches de l’En-
cyclopédie.
Peiromyson. Gronov. Zoophyt. p. 38, n° 160. —
Klein, Miss. pisc. 3 , p.350, n° 4.
Mustela fluviatilis min. Belon, Aquat. p. 75.
ZLampetra parva et fluviatilis. Gesner, Aquat.
p. 289. Icon. anim. p. 286. Thierb. p. 159, à.
Lampetra minima. Aldrov. p. 550.
Lampern , or pride of the Isis. Willughby , Ichth.
P: 104.
Lampetra cæca. Id. tab. g, 5, fig. 1. — Ray,
Syuops. pisc. p. 55, n° 2,4.
Lampreta , neunage. Yonston , tab. 28 , fig. to.
The pride. Pennant, Brit. zool. 3, p.80, pl. virr,
fe.
Lamproÿyon ct lamprillon. Rondelet , Histoire des
poissons, pl. 11, p+ 202.
Querder, schlamquerder. Schwenckf. Theriotr.
siles. p. 423.
Der kieferwurm. Müller, 1. s. 53 p.254.
Pride. Pilot. Oxfordsh. p/209, t 10.
Lamproyon. Valmont de Bomare , Dictionnaire
d'histoire naturelle.
DES LAMPROIES. 55
conder ses œufs qu'il se trouve au milieu
des eaux courantes ; il passe toute l’année
dans les rivières ou dans les fleuves ; il y
exécute toutes les opéralions auxquelles son
organisation l’appelle : il ne craint pas de s’y
exposer aux rigueurs de l’hyver; et s'il sy
livre à des courses plus ou moins longues,
ce n’est point pour en abandonner le séjour,
mais seulement pour en parcourir les diffé-
rentes parties, et choisir les plus analogues
à ses goûts et à ses besoins. Aussi mérile-
roit-il l’épithète de fluviatile bien mieux que
la pricka, à laquelle cependant elle a été
donnée par un grand nombre de naturalistes,
mais à laquelle nous avons cru d'autant plus
devoir l’ôter, qu’en lui conservant le nom
de pricka, nous nous sommes conformés à
usage des habitans d’un grand nombre de
contrées de l’Europe, et à lopinion de plu-
sieurs auteurs très-récens. Pour ne pas in-
troduire cependant une nouvelle confusion
dans la nomenclature des poissons, nous
n'avons pas voulu donner le nom de fluriatile
au pétromyzon qui nous occupe, €t nous
avons préféré de le désigner par celui de
lamproyon, sous lequel il est connu dans
D 4
56 HISTOIRE
plusieurs pays et indiqué dans plusieurs
ouvrages.
Ce pétromyzon des rivières est conformé
à l'extérieur ainsi qu’à l'intérieur comme
celui des mers; mais il est beaucoup plus
petit que la lamproie, et même: plus court
et plus mince que la pricka; 1l ne parvient
ordinairement qu'à la longueur de deux
décimètres (un peu plus de sept pouces ).
D'ailleurs les muscles et les tégumens de
son corps sont disposés et conformés de ma-
nière à le faire paroïtre comme annelé; ce
qui lui donne une nouvelle ressemblance
avec les serpens, et particulièrement avec
les amphisbènes et les céciles (1). De plus,
ce n'est que dans l'intérieur et vers le fond
de sa bouche que lon peut voir cinq ou six
dents et un osselet demi-cireulaire; ce qui à
fait écrire par plusieurs naturalistes que Je
lamproyon étoit entièrement dénué de dents.
1 a aussi le bord pestérieur de sa bouche
divisé en deux lobes, et les nageoires du dôs
très - basses ; et terminées par une ligne
courbe, au lei de présenter un'‘angle. Ses
YEUX , voilés par une membrane, sont
Si Houon Mae -iipalteron,: dnvryetitel
\ SRE EU
(2 Voyez l'Histoire naturelle des serpens.
DES LAMPROIES. 57
d'ailleurs très-petits ; et c’est ce qui a fait
que quelques naturalistes fui ont donné
l'épithète d'aveugle (1), en la réunissant
cependant, par une contradiction et un dé-
faut dans la nomenclature assez extraordi-
naires, avec le nom de reuf-yeux (neunauge)
employé pour presque tous les pétromy-
zons (2). Le corps très-court et très-menu
du lamproyon est d’un diamètre plus étroit
dans ses deux bouts que dans son milieu,
comme celui de plusieurs vers ; et les cou-
leurs qu'il présente sont le plus souvent le
verdâtre sur le dos, le jaune sur les côtés,
et le blanc sur le ventre, sans taches ni
raies.
Sa marère de vivre dans les rivières est
semblable à ceile de la pricka et de la lam-
proie dans les fleuves, dans les lacs où dans
la mer : il s'attache à différens corps solides;
et même, faisant quelquefois passer facile-
ment l'extrémité assez déliée de son museau
au dessous de Popercule et de la membrane
des branchies de grands poissons, ilkse cram-
(1) Lampetra væœca, seu oculis carens. Ray, Sy-
nopsis 36. ;
(2) ÆEaneophthalmos cæcus. Willusbby, p. 107.
58 HIS T'OFRE
ponne à ces mêmes branchies, et voilà
pourquoi Linnæus l’a nomimé pétromyzon
branchial.
Il est très-bon à manger; et, perdant la
vie peut-être plus difficilement encore que
les autres pétromyzons qui le surpassent en
grandeur , on le recherche pour le faire ser-
vir d’appât aux poissons qui n'aiment à faire
leur proie que d'animaux encore vivans.
DES LAMPROIES. 5g
mm
A
LE. PL ANER.
QUATRIÈME ESPÈCE DE LAMPROIE.
LE PETROMYZON PLANER (1).
PAR LACÉPÉDE.
Daxs toutes les eaux on trouve quelque
espèce de pétromyzon ; dans la mer, la lam-
proie, dans les lacs la pricka, dans les fleuves
le lamproyon. Nous allons voir le planer
habiter les très-petites rivières. C’est dans
celles de la T'huringe qu’il a été découvert
par le professeur Planer d’'Érford; et c’est
ce qui a engagé Bloch à lui donner le nom
de planer, qu'une reconnoissance bien juste
envers ceux qui ajoulent à nos connoissances
en histoire naturelle nous commande de
conserver. Plus long et plus gros que le
(1) Le planer. Petromyzon corpore annulato , ore
papilloso. Bloch, 3, pag. 47, n° 4, pl. zxxxVIIt,
fig. 3.
LPetromyzon Planeri. Lan. édit. de Gmelin.
Lamproie planer, Bonaterre, planches de l’En-
cyclopédie méthodique,
60 HTS°T O'ER E
lamproyon, ayant les nageoires dorsales plus
hautes, maïs paroissant annelé comme ce
dernier cartilagineux, il est d’une couleur
olivâtre, et distingué de plus des autres
pétromyzons par les petits tubercules ou
verrues aiguës qui garnissent la circonfé-
rence de l’ouverture de sa bouche, par un
‘ang de dents séparées les unes des autres,
qui sont placées au delà de ces verrues, et
par une rangée de dents réunies ensemble,
que l’on aperçoit au delà des dents isolées.
Lorsqu'on plonge le planer dans de l'alcool
un peu affoibli, il y vit plus d'un quart
d'heure en s'agitant violemment, et en té-
moignant, par les mouvemens convulsifs
qu’il éprouve, l’action que l'alcool exerce
particulièrementsur ses organes respiratoires.
TP ET
tt nnnEn nn
DES LAMPROIES. 61
LA LAMPROIE ROUGE.
CINQUIÈME ESPÈCE.
LE PÉTROMYZON ROUGE (1),
PAR LACÉPEDE.
Nous donnons ce nom à un pétromyzon
dont le savant et zélé naturaliste, le citoyen
Noël, de Rouen, a bien voulu nous envoyer
un dessin colorié. Ce poisson se trouve dans
la Seine, et est connu des pêcheurs sous le
nom de sept-œil rouge, à cause de sa cou-
leur, ou d’aveugle, à cause de lextrême
pelitesse de ses yeux. On se représentera
aisément l’ensemble de ce carüilagineux, qui
a beaucoup de rapport avec le lamproyon,
si nous ajoutons à ce que nous avons dit de
cet animal daus le tableau des pétromyzons,
que l'ouverture de la bouche du rouge est
(1) Petromyzon ruber.
62 HSTOTRE
beaucoup plus petite que le diamètre de la
partie du poisson dans laquelle les branchies
sont renfermées; que la surface supérieure
de la tête, du corps et de la queue offre
une nuance plus foncée que les côtés, et
que des teintes sanguinolentes se font par-
ticulièrement remarquer auprès des ouver-
tures des organes de la respiration.
DES LAMPROÏIES. 63
- —————— oo oo
a 2
LA LAMPROIE SUCET.
SIXIÈME ESPÈCE.
LE PÉTROMYZON SUCET (1),
PAR LACÉPÉDE.
Cesr encore au citoyen Noël que nous
devons la description de ce pétromyzon,
que les pêcheurs de plusieurs endroits situés
sur les rivages de la Seine inférieure ont
nommé sucet (2). Il se rapproche beaucoup
du lamproyon, ainsi que le rouge; mais il
diffère de ces deux poissons, et de tous les
autres pétromyzons déjà connus, par des
traits très-distincts.
Sa longueur ordinaire est de deux déci-
mètres (un peu plus de sept pouces).
Son corps est cylindrique ; les deux na-
geoires dorsales sont basses, un peu adi-
peuses, et la seconde s'étend presque jusqu’à
celle de la queue.
2202 I UT 2 À DR
(1) Petromyzon sanguisuga. \
2) Lettre du citoyen Noël au citoyen Lacépède,
y à. P
du mois de prairial , an 7.
P 7
64 His TOIRE
La tête est large; les yeux sont situcs
assez loin de l'extrémité du museau, plus
sxands à proportion que ceux du lam-
proyon, el recouverls par une continuation
de la peau de la tête : l'iris est d’une cou-
eur uniforme, voisine de celle de l'or ou
de celle de l'argent. |
Le citoyen Noël, dans la description qu'il
a bien voulu me faire parvenir, dit qu'il
n'a pas vu d'évent sur la nuque du sucet.
Je suis persuadé que ce pétromyÿzon n'est
pas privé de cet orifice particulier, et que
la petitesse de cette ouverture a empêché
le citoyen Noël de la distinguer, malgré
lhabileté avec laquelle ce naturaliste ob-
serve les poissons. Mais, si le sucet ne pré-
sente réellement pas d'évent, il faudra
retrancher Ja présence de lorgane auquel
on a donné ce nom, des caractères géné-
riques des pétromyzons, diviser la famille
de ces cartlagineux en deux sous-genres,
placer dans le premier de ces groupes Îles
pétromyzons qui ont un évent; composer
le second de ceux qui n’en auroient pas:
inscrire par conséquent, dans le premier
sous-genre, la lamproie, la pricka, le lam-
proÿyon, le planer, le rouge , et réserver le
sucel pour le second sous-genre,
Au
DES LAMPROIES. 65
Au reste, l'ouverture de la bouche du
sucet est plus étendue que la tête n’est
large, et des muscles assez forts rendent les
lèvres extensibles et rétractiles.
-. Dans l’intérieur de la bouche on voit un
grand nombre de dents petites, de- couleur
d'orange , et placées dans des cellules char-
nues. Neuf de ces dents qui entourent cir-
culairement l'entrée de l’œsophage, sont
doubles. La langue est blanchâtre, et garnie
de, petites dents ; et au devant de ce dernier
organe on aperçoit un os demi-cigoulaire;
d'une teinte 'orangée,, et hérisséi. de. Fo
pointes. ,,,
La, forme de cet os et la présence de
Br dents doubles autour du gosier .sufh-
roient seules pour distinguer le sucet. de.la
lamproie ; de la pricka , du lamproyon,.du
fase et.du rouge. |
.. Les pêcheurs de Quev y ; commurie
| auprès de Jaquelle le suoet..a été partieu-
| Hièrement observé, . disent :tous-qu'on ne
voit. ce poisson que dans_les. saisons où l’on
pêche les clupées aloses. Soit que.ce cartila-
gineux habite sur les haut-fonds voisins de
l'embouchure de la Seine, soit qu'il s’aban-
donne, pour ainsi dire, à l’action des marées,
et qu'il remonte dans la rivière, comme les
Poiss. Tome ILI. :
66 2 HÉO S TCOLIR EE
lamproies, ce sont les aloses qu'il rechierche
et qu'il poursuit. Lorsqu'il peut attemdre
une de ces clupées, il s'attache à l'endroit
de son ventre dent les tégumens sont Îé
plus tendres, et par conséquent à la portion
la plus voisme des œufs où de la faite :s8
cramponnanl , pour ainsi dire, avec ses dents
et ses lèvres, il se nourrit de la même ma-
nière qué les vers auxquels on à donné le
nom de sangsues ; il suce le sang du pois
son aveé avidité, et il préfère tellément éet
aliment X'tout autre que son canal intestinal
est presqüe toujours rempli d’üne quantité
de sang considérable, dans laquelle on ‘né
distingue aucüne! âutre sübstance’ futritive.
“Les pêcheürs croient avoir observé que;
lorsque les sucéts, dont l'habitude que nous
venons d'exposer a facilement nidiqué Jé
nom, attaquent des saumons, au lieu ‘dé
s'attacher à des aloses ‘ils ne peuveñt pas
se procurer tout le sang qui leur est néces=
saire, parce qu'ils percent assez difficilement
la peau dés saumons, et ils montrent alors
par leur | la sorte dé. disette ‘qu ais
éprouvent. SE F2
DES LAMPROIES. 6
me ——- —— _ —— A
1 mm
mm,
LA LAMPROIE ARGENTÉE,
LA SEPTQUILLE
£&T LA LAMPROFTE NOIRE.
SEPTIÈME , HUITIÈME Er NEUVIÈME ESPÈCES,
LE PÉTROMYZON ARGENTÉ (1),
© LE PÉTROMYZON SEPTŒUIL (2),
8er LE PÉTROMYZON NOIR (5)
PAR LACÉPÉDE.
Le docteur Bloch avoit recu de T'ran-
quebar deux individus da pétromyzon ar-
genté, dont les yeux sont très-grands . les
(r) Petromyzon arsenteus. Bloch, pl. cocoxv, fig. 2.
(2) Pétromyzon sept-œuil.
Grosse sept-œuille. Noël, notes mannscrites.
(5) Petromizon niger. — Petite sept-œuille. dem,
ibid. Cousue, sur les bords de la rivière de Cailly,
qui se jette dans la Seine , au dessous de Rouen.
Ætreteur, sur les bords de la Rille , qui passe à Pont-
Audemer.
E 2
68 HISTOIRE
tégumens extérieurs très - minces, et les
rayons des nageoires si déliés qu'on ne peut
en savoir le nombre. L’anus est deux fois
plus éloigné de la tète que de la caudale.
Le septœuil et le noir se trouvent parti-
culièrement dans les eaux de la Seine, dans
T'Epte et dans l Audelle. C’est principalement
auprès du Pont-de-lArche qu’on en fait
une pêche abondante. Nous les faisons con-
noître d’après les notes que le citoyen Noël
de Rouen a bien voulu nous adresser. On
les y nomme grosse et petite septœuille...
La chair du pétromyzon septœuil est plus
molle et d’un goût moins agréable que celle
du noir. On prenoit autrefois dans l'Eure,
auprès de Louviers, de ces noirs ou petits
septœuils , qui étoient d’une couleur plus
foncée , plus courts, plus gras , plus re-
cherchés, et vendus plus cher que ceux de
la Seine.
DES RAIES: 69
LA DE Est)
Du quatrième ordre des POISSONS,
PAR LACÉPEDE.
QUATRIÈME ORDRE (1)
Poissons abdominaux , OU qui ont des
nageoires placées sous l'abdomen.
SECOND GENRE.
LES RAIES.
Cinq ouvertures branchiales de chaque côté
du dessous du corps ; la bouche située
dans la partie inférieure de la tête; le
corps très-aplati.
PREMIER SOUS-GENRE.
Les dents aiguës; des aiguillons sur le
corps ou sur la queue.
(1) Nous avons déjà vu, dans l’article intitulé
Nomenclature des poissons, que l’on ne connoissoit
encore aucune espèce de ces animaux dont on pût
former un second et un troisième ordre dans la
première division des cartilagineux. E 3
50 HISTOIÏIRÉ
PREMIÈRE ESPÈCE.
La Ra1e Baris.— Un seul rang dai-
guillons sur la queue.
SECONDE ESPÈCE.
LA RAIE OXYRINQUE.—- Une rangée
d’aiguillons sur le corps et sur la queue.
,. TROISIÈME ESPÈCE.
LA RAIE MIRALET. — Le dos lisse; quel-
ques aiguillons auprès des yeux ; trois rangs
d’aiguillons sur la queue.
QUATRIÈME ESPÈCE.
LA RAIE cHARDON. — Tout le dos garni
d’épines ; un rang d’aiguillons auprès des
yeux; deux rangs d’aiguillons sur la queue.
MACINQUIEME ESPECE
LA RAIE RONCE. — Un rang d’aiguillons
sur le corps et trois sur la queue.
SIXIÈME ÉSPÈCE.
LA RAIE CITAGRINÉE. — Des tubercules
sur le devant du corps; deux rangées d’é-
pines sur le museau et sur la queue.
SEPTDIEME ESPÈCE.
LA BAIE MUSEAU-POINTU. (Raja rostraia.)
— Le museau pointu; le dessus du museau
et du corps trés-lisse; trois rangs de piquans
DES: RCA EF ES. 7
sur la queue ; deux nageoires dorsales, pe-
tites et arrondies, auprès de l'extrémité de
la queue; point de nageoire caudale.
HUITIÈME ESPÈCE.
LA RAIE coucou. ( Raja cuculus.) —
La tête courte et petite ; le dessus du mu-
seau et du corps dénué de piquans; la partie
antérieure du corps élevée ; un ou plusieurs
aiguillons dentelés, longs et forts, à la queue,
qui est très-déliée.
SECOND SOUS-GENRE.
Les dents aiguës ; point d’aiguillons
sur le corps, 11 sûr ld queue. ‘#
NEUVIÈME ESPÈCE.
LA RAIE TORPILLE.— Le corps presque
ovale ; deux nageoires dorsales.
TROISIÈME SOUS-GENRE.
Les dents obtuses ; des aiguillons sur
le corps ou sur la queue.
DIXIÈME ESPÈCE.
LA RAïE AIGLE. — Un aiguillon dentelé
et une nageoire à la queue ; cette dermère
partie plus longue que le corps.
E 4
52 HISTOIRE
ONZIÈME ESPÉÈÉCÉ.
LA RAIE PASTENAQUE. — Un aïguillon
dentelé; point de nageoire à la queue; cette
dernière partie plus longue que le corps.
DOUZIÈME ESPÈCE.
LA RAI LYMME. — Un aiguiilon revêtu
de peau à la queue; cette dernière partie
garnie, vers son extrémité, d'une mem-
brane longitudinale.
TREIZIÈME ESPÈCE.
LA RAIE SEPHEN. — Un grand nombre
de tubercules sur la tête, le dos et la partie
antérieure de la queue.
QUATORZIÈME ESPÈCE.
LA RAIE BOUCLÉE. — Un rang d’aiguillons
recourbés sur le corps et sur la queue.
QUINZIÈME ESPÈCE.
LA RAIE THOUIN. — Le museau très-pro-
longé, et garni, ainsi que le devant de la
tête, de petits aiguillons.
SEIZIÈME ESPÈCE.
LA RATE BOHKAT. — Trois rangs d’ai-
guillons sur la partie antérieure du dos; la
première nageoire dorsale, située au des-
sus des nageoires ventrales.
DES RATES: 70
DIX-SEPTIÈME ESPÈCE.
La RAIE cuvVIER. — Un rang d’aiguillons
sur la partie postérieure du dos; trois ran-
gées d’aiguillons sur la queue ; la première
nageoire dorsale située vers le milieu du dos.
DIX-HUITIÈME ESPÈCE.
LA RAIE RHINOBATE. —- Le corps alongé;
un seul rang d’aiguillons sur le corps.
DIX-NEUVIÈME ESPÈCE.
LA RAIE TUBERCULÉE. (Raja tuberculata.)
— Cinq tubercules blancs, émaillés et très-
durs sur le dos, et cinq autres tubercules
semblables sur la queue.
VINGTIÈME ESPÈCE.
LA RAIE ÉGLANTIER. ( Raja eglanteria.)
— Une rangée longitudinale de petits aiguil-
lons sur le dos, qui d’ailleurs est parsemé
d’épines encore plus courtes; plus de trois
rangs longitudinaux de piquans recourbés
sur la queue.
Espèces dont la forme des dents n’est pas
encore connue , eb qui n'ont point d'ai-
guillons.
VINGT-UNIÈME ESPÈCE.
LA RAIE FABRONIENNE. (Raja fabro-
rniana.)— Deux grandes appendices sur le
74 HISTOIRE:
devant de la tête ; chaque nageoire pectorale
aussi longue que le corps proprement dit,
très étroile et occupant par sa base la por-
tion des côtés de l’animal comprise entre Ia
tête et le milieu du corps.
VINGT-DEUXIÈME ESPÈCE.
LA RAIR BANKSIENNE. ( Raja banksiana.)
— Deux appendices sur le devant de la
tête; point de nageoire sur le dos, ni au
bout de la queue; chaque nageoire pecto-
rale plus longue que le corps proprement
dit, trés-étroite, et à peu près également
éloignée, dans son axe longitudinal et dans
sa pointe, de la tête et de la queue; les
yeux placés sur la partie supérieure de la
ièle.
VINGT-TROISIÈME ESPÈCE.
LA RAIE NÈGRE. (Raja nigra.) — Le
museau pointu; l’ensemble du corps et de
la queue formant une losange; un rang de
piquans, étendu depuis la partie antérieure
du dos jusqu'au bout de la queue; uné
autre rangée de piquans ordinairement plus
séparés les uns des autres, sur chaque côté
de la queue, qui est très-déliée; toute la
partie supérieure du poisson d’un noir plus
ou moins foncé.
mena
DÉS RAÏIES. 75
Espèces dont la forme des dents n’est pas
encore connue, et qui ont des aiguillons.
VINGT-QUATRIÈME ESPÈCE.
LA RAI MosAÏQuE. (Raja picta.) — Le
museau un peu avancé ; un rang d’aiguillons,
étendu depuis la nuque jusqu'à l’extrémité
de la queue ; deux ou trois piquans au de-
vant de chaque œil; un ou deux piquans
derrière chaque évent; une série longitudi-
nale de cinq ou six piquans de chaque côté
de l’origine de la queue ; la couleur jaunâtre ;
des taches blanches, petites et arrondies;
plusieurs séries doubles, tortueuses, et pla-
cées symétriquement ; des points blancs ou
blanchâtres.
NINGT-CINQUIÈME ESPÈCE.
LA RAIE ONDULÉE. ( Raja undulata.) —
Le museau un peu pointu; une rangée de
piquans, étendue depuis la tète jusques vers
extrémité de la queue; deux aiguillons au
devant et derrière chaque œil ; un aiguillon
situé auprès de la tête et de chaque côté
de la rangée de piquans qui règne sur le
dos; un grand nombre de raies sinueuses,
et dont plusieurs se réunissent les unes aux
autres.
76 HISTOIRE
Espèces dont la forme des denis n'est pas
encore connue, et qui n'ont pas d’'ai-
guillons.
VINGT-3IXIÈME ESPÈCE.
LA RAIE APTÉRONOTE, (Raja apteronota.)
…— Le museau pointu et très-avancé ; point
de nageoire dorsale : un sillon longitudinal
au devant des yeux ; un sillon presque sem-
blable entre les deux évents ; la couleur
rousse.
VINGT-SEPTIÈME ESPÉCE.
LA RAIE FRANGÉE. (Raja fimbriata.) —
Deux grandes appendices sur le devant de
la tête; la tête, le corps et les pectorales
formant ensemble une losange presque par-
faite ; les deux côtés de la queue, de la partie
postérieure du corps et de celle des pecto-
rales, garnis de barbillons ou de filamens;
point de nageoire ni de bosse sur le dos.
QUATRIÈME SOUS-GENRE.
Les dents obtuses ; point d’aiguillous sur
le corps, ni sur la queue.
VINGT-HUITIÈME ESPÈCE.
LA RAIE MOBULAR. — Deux grandes
appendices vers le devant de la tête; la
queue sans nageoire.
DES RAIES. 77
Espèces dont la forme des dents n’est pas
encore connue, et qui ont des aiguillons.
VINGT-NEUVIÈME ESPÈCE.
La RAIE SCHOUCKIE. — Des aïiguillons
très -éloignés les uns des autres; un grand
nombre de tubercules.
TRENTIÈME ESPÈCE.
LA RAIE CHINOISE. — Le corps un peu
ovale ; le museau avancé et arrondi : “trois
aiguillons derrière chaque œil; plusieurs
aiguillons sur le dos; deux rangées d’aiguil-
lons sur la queue.
Espèces dont la forme des dents n’est pas
encore connue , et qui n'ont pas d’ai-
guillons.
TRENTE-UNIÈME ESPÈCE.
LA RAIE GRONOVIENNE.— Le corps
presque ovale; une seule nageoire dorsale.
TRENTE7DEUXIÈME ESPÈCE.
LA RAIE MANATIA. — Deux appendices
sur le devant de la tête; point de nageoire
dorsale ; une bosse sur le dos.
78 HISTOIRE
LA RAGE BATIS,(),
PAR LACÉPÈDE.
Voyez la figure de cette raie, vue en dessus ef er
dessous , pre II, igure 1 1 et 2.
Lors raies sont, comme les pétromyzons
{ lamproies }, des poissons: cartilagineux ;
elles ont de même leurs branchies dénuées
(1) Flassade , couverture, vache marine ; dans
plusieurs départemens méridionaux. ré
Raja batis. Lin. édit. de Gmel. "
Raie coliart. Daubenton, Encyclop. méthod.
Raja varia, dorso medio glabro , unico aculeorum
ordine in cauda. Artedi, gen. 73,syn. 102.
Raja caudä tantivn aculeatä. Bloc h, Hist. natu-
relle des poissons, 5° partie , pag. 54, pl. LXXIX.
Raie coliart. Bonaterre , planches d'histoire natu
relle de l'Encyclopédie méthogique. |
Batis. Aristote , liv. 1, chap. Fe lib. 2, chap. 13;
Hv. 5, chap. 5 RE 6,chap.ioetr1; iv. 6’, ee 15,
et liv. 9, et dk 37.
Aliai. lib. 16, cap. 15, pag. gare :
Oppian. lib. r, pag. 5, b, et lib. 2, pag. Bs.
Athen. lib. 7, pag. 286.
Rayte, ie et rubas. Cub. KHv. 35, chap. 74
et 77 , pag. 07, À , et 88, b.
1. RAIF BATIS ve en desru.
A
2. LA MEME vxe en desfel ,
V. Tardien .
DES RATES. 79
de membraue et d’opercule. Elles offrent
encore d’autres grands rapports avec ces
amimaux daus leurs habitudes et dans leur
conformation ; et cependant quelle diffé-
rence sépare ces deux genres de poissons !
quelle distance, sur - tout, entre le plus
petit des pétromyzons ( lamproies ), entre
le lamproyon et les grandes raies, particu-
fièrement Ja raie batis, dont nous allons
nous occuper ! Le lamproyon n’a souvent
> Raja undulata sive cinerea. Aldrovand. lib. 3,
gap. bo , pag. 452. ::
,. Raja devis. Schoney. p. 58. ,
Raja undulata. Jonston, hb. 1,.tit. 1, cap. 3;
2. 5,punct.5.
Raja undulata. Charlet. pag. 130.
11 gutre raie à bec point. Rondelet', première par
tie, liv. 32, pag: 275. 1) ICer
:Gronov. Mus. 1 ; n° 145: Zooph, n°157,
tirer in Pont corporis parte versus alas ALT
Klein » Mis. pisc. 5, pag. 37, n° 14.
. Belon, Aquat. pag. 89.
| “Lœviraja Salv. Aquat. pag. 149.
‘/Gesner, Aquat. pag. 792, Ie. an. p. 50. Fhierb.
pag. 96. — Willugh. Jchth. p.69, tab c, 4.
Oxyrinehus major. Ray, Pisc. pag.:26 , n° 3.
.. Sate. Pennant , Zoologie britannique, vol. IT,
pa, AE LS AA PA
_Raie au bec pointu. Valmont de Bomare , Diction-
haire “4 histoire naturelle.
80 HISTOIRE
que quelques centimètres ( quelques pouces )
de longueur sur un de diamètre : les srandes
raies ont quelquefois plus de cinq mètres
( quinze pieds ou environ ) de longueur sur
deux ou trois (six ou neuf pieds ou à peu
près ) de large. Le lamproyon pèse tout au
plus un hectogramme ( quelques onces Ve
lon voit, dans les mers chaudes des deux
continens, des raies dont le poids surpasse
dix myriagramines (deux cent cinq livres}.
Le corps du lamproyon est cylindrique et
très-alongé ; et si l’on retranchoit la queue
des raies, leur corps, aplati et arrondi dans
presque tout son contour, présenteroit l’image
d’un disque. Souple, délié, et se pliant faci-
lement en divers sens, le lamproyon peut,
en quelque sorte, donner un mouvement
isolé et indépendant à chacun de ses mus+
cles : le corps de la raie, ne se prêtant que
difficilement à des plis, ne permettant en
général que de légères inclinaisons d’une
partie sur une aulre, el presque toujours
étendu de la même manière, ne se meut
que par une action plus universelle et plus
uniformément répartie dans les diverses
portions qüi le composent. ‘Dans quelque
saison de l’année que l’on observe les lam=
proyons ét les autres pélromyzons ( lam-
| | proies),
DES RATES. 81
_proies ), on ne les voit jamais former aucune
sorte de société : 1l est au contraire un tems
de l’année , celui pendant lequel le plus
impérieux des besoins est accru ou provoqué
par la chaleur nouvelle , où les raies s’ap-
pariant , le mâle se tenant auprès de la
femelle pendant an tems plus ou moins
long , et se réunissant, peut-être seules entre
tous les poissons, d’une inanière assez intime,
forment un commencement d'association de
famille , et ne sont pas étrangères, comme
presque tous les autres habitans des eaux,
aux charmes de la volupté partagée, et d’une
sorte de tendresse au moins légère et mo-
mentanée. Les jeunes pétromyzons ( lam-
proies ) sortent d'œufs pondus depuis un
nombre de jours plus ou moins grand par
leur mère : les jeunes raies éclosent dans le
ventre même de la leur , et naissent toutes
formées. Les pétromyzons ( lamproies ) sont
très-féconds ; des milliers d'œufs sont pondus
par les femelles, et fécondés par les mâles :
les raies ne donnent le jour qu'à un petit
à la fois, et n’en produisent chaque année
qu'un nombre irès - peu considérable. Les
pétromyzons ( lamproies } se rapprochent
des couleuvres vipères par leur organe res-
piratoire , les raies par leur manière de venir
Poiss. Tone 11L F
82 HISTOIRE
à la lumière. Une seule espèce de pétro-
myzon (lamproie) ne craint pas les eaux
salées, mais ne se retire dans le sein des
mers que pendant la saison du froid : toutes
les espèces de raies vivent au contraire sous
tous les climats et dans toutes les saisons
au milieu des ondes de l'Océan ou des mers
Méditcrranées. Qu'il y a donc loin de nos
arrangemens artificiels au plan sublime de
la toute - puissance créatrice , de celles de
nos méthodes dont nous nous sommes le
plus efforcés de combiner tous les détails,
avec l'immense et admirable ensemble des
productions qui composent ou embellissent
le globe ; de ces moyens nécessaires , mais
défectueux , par lesquels nous cherchons à
aider la foiblesse de notre vue, l’inconstance
de notre mémoire , et l’imperfeciion des
signes de nos pensées, à la véritable expo-
sition des rapports qui lient tous les êtres,
et de l’ordre que l’état actuel de nos con-
noissances nous force de regarder comme
le plus utile, à ce tout merveilleux où la
Nature, au lieu de disposer les objels sur
‘une seule ligne, les a groupés, réunis et
enchaïnés dans tous les sens par des relations
innombrables ! Retirons cependant nos re-
gards du haut de cette immensité dont la
DES RATES. 85
vue a tant d’attraits pour notre imagination :
et, nous servant de tous Îles moyens que
art d'observer a pu inventer jusqu'à pré-
sent, portons notre atlention sur les êtres
soumis maintenant à notre examen , et dont
Ja considération réfléchie peut nous conduire
à des vérités utiles et élevées.
C’est toujours au milieu des mers que les
raies font leur séjour; mais, suivant les
différentes époques de l’année, elles chan-
sent d'habitation au milieu des flots de
VOcéan. Lorsque le tems de la fécondation
des œufs est encore éloigné, et par consé-
quent pendant que la mauvaise saison règne
encore, c’est dans les profondeurs des mers
qu’elles se cachent pour ainsi dire. C’est là
que , souvent immobiles sur un fond de
sable ou de vase, appliquant leur large corps
-sur le limon du fond des mers, se tenant
en embuscade sous les algues et les autres
plantés marines, dans les endroits assez
voisins de la surface des eaux pour que la
lumière du soleil puisse y parvenir et dé-
velopper les germes de ces végétaux, elles
méritent , loin des rivages , l’'épithète de
pélagiennes qui leur a été donnée par plu-
sieurs naturalistes. Elles la méritent encore,
cette dénomination de pélagiennes , lors-
F 2
84 HISTOIRE
qu'après avoir attendu inutilement dans leur
retraite profonde l'arrivée des animaux dont
elles se nourrissent , elles se traînent sur cette
même vase qui les a quelquefois recouvertes
en partie, sillonnent ce limon des mers et
étendent ainsi autour d’elles leurs embüches
et leurs recherches. Elles méritent sur-tout
ce nom d’habitantes de la haute mer, lors-
que, pressées de plus en plus par la faim,
ou effrayées par des troupes très-nombreuses
d’ennemis dangereux, ou agitées par quelque
autre cause puissante, elles s'élèvent vers la
surface des ondes, s’éloignent souvent de
plus en plus des côtes, et se livrant, au
milieu des régions des tempêtes , à une fuite
précipitée , mais le plus fréquemment à une
poursuite obstinée et,à une chasse terrible
pour leur proie, elles affrontent les vents
et les vagues en courroux, et, recourbant
leur queue , remuant avec force leurs larges
nageoires, relevant leur vaste corps au dessus
des ondes , et le laissant retomber de tout
son poids, elles font jaillir au loin et avec
bruit l’eau salée et écumante. Mais, lorsque
le tems de donner le jour à leurs petits est
ramené par le printems, ou par le com-
mencement de l'été, les mâles ainsi que les
iemelles se pressent autour des rochers qui
DES RAIES. 85
bordent les rivages ; et elles pourroient alors
être comptées passagèrement parmi les pois-
sons hittoraux. Soit qu’elles cherchent ainsi
auprès des côtes l’asile, le fond et la nour-
riture qui leur conviennent le mieux, ou
soit qu'elles voguent loin de ces mêmes
bords , elles attirent toujours l’attention des
observateurs par la grande nappe d’eau
qu’elles compriment et repouissent lou
d'elles, et par l'espèce de tremblement
qu'elles communiquent aux flots qui les
environnent. Presque aucun habitant des
mers, si on excepte les baleines, les autres
célacés , et quelques pleuronectes , ne pré-
sente en effet-un corps aussi long , aussi
large et aussi aplati, une surface aussi plane
et aussi étendue. Tenant toujours déployées
leurs nageoires pectorales, que l’on a com-
parées à de grandes ailes, se dirigeant au
milieu des eaux par le moyen d’une queue
très - longue , très- déliée et très - mobile,
poursuivant avec promptilude les poissons
qu’elles recherchent, et fendant les eaux
pour tomber à l’improviste sur les animaux
qu’elles sont près d'atteindre , comme l'oiseau
de proie se précipite du haut des airs ; il n’est
pas surprenant qu’elles aient été assinilées,
dans le moment où elles cinglent avec vilesse
;
86 HISTOIRE
près de la surface de l'Océan, à un très-
grand oiseau, à un aigle puissant , qui, les
ailes étendues, parcourt rapidement les di-
verses régions de l'atmosphère. Les plus forts
et les plus grands de presque tous les pois-
sons, comme l'aigle est le plus grand et le
plus fort des oiseaux ; ne paroissant, en
chassant les animaux marins plus foibles
qu’elles, que céder à une nécessité impé-
rieuse et au besoin de nourrir un corps vo-
lumineux ; n’imimolant pas de victimes à
une cruauté inutile ; douées d’ailleurs d’un
instinct supérieur à celui des autres poissons
osseux ou carlilasineux , les raies sont en
effet les aigles de la mer ; l'Océan est leur
domaine comme l'air est celui de laigle ;
et de même que l'aigle, s'élançant dans les
profondeurs de l’aimosphère , va chercher,
sur des rochers déserts et sur des cîimes
escarpées, le repos après la victoire, et la
jouissance non troublée des fruits d’une
chasse laborieuse ; elles se plongent, après
leurs courses et leurs combats, dans un des
abimes de la mer, et trouvent dans cette
retraite écartée un asile sûr et la tranquille
possession de leurs conquêtes.
il n'est donc pas surprenant que, dès le
siècle d'Aristote, une espèce de raie ait reçu
DES RAIES. 87
Je nom d’aigle marine, que nous lui avons
conservé. Mais, avant de nous occuper de
celte espèce, examinons de près la batis,
lune des plus grandes, des plus répandues
et des plus connues des raies, et que l’ordre
que nous avons cru devoir adopter nous
offre la première.
L'ensemble du corps de la batis présente
un peu la forme d’une losange. La pointe
du museau est placée à l’angle antérieur ;
les rayons les plus longs de chaque nageoire
pectorale occupent les deux angles latéraux ,
et l’origine de la queue se trouve au sommet
de l’angie de derrière. Quoique cet ensemble
soit très-aplati, on distingue cependant un
léger renflement tant dans le côté supérieur
que dans le côté inférieur , qui trace, pour
ainsi dire, le contour du corps proprement
dit, c’est-à-dire, des trois cavités de la tête,
de la poitrine et du ventre. Ces trois cavités
réunies n’occupent que le milieu de la lo-
sange, depuis l'angle antérieur jusqu’à celui
de derrière , et laissent de chaque côté une
espèce de triangle moins épais, qui compose
une des nageoires pectorales. La surface de
ces deux nageoires pectorales est plus grande
que celle du corps proprement dit, ou des
irois cavités principales; et quoiqu’elles soient
F 4
85 HISTOIRE
recouvertes d’une peau épaisse , on peut
cependant distinguer facilement, et nee
compter avec précision, sur-tout vers angle
Jatéral de ces larges parties, un grand nombre
de ces rayons cartilagineux , composés et
articulés, dont nous avons exposé la con-
texture (1). Ces rayons partent du corps de
Vanimal, s'étendent , en divergeant un peu,
jusqu’au bord des nageoires ; et les diffé-
rentes personnes qui ont mangé de la raie
batis, et qui ont dù voir et mamier ces longs
rayons, ne seront pas peu étonnées d'ap-
prendre qu’ils ont échappé à l'observation
de quelques naturalistes, qui ont pensé, en
conséquence, qu'il n’y avoit pas de rayons
dans les nageoires pectorales de la batis.
Aristote lui-même, qui cependant a bien
connu et très-bien exposé les principales
habitudes des raies (2), ne croyant pas que
les côtés de la batis renfermassent des rayons,
ou ne considérant pas ces rayons comme des
caractères distinctifs des nageoires, a écrit
qu'elle n’avoit point de nageoires pectorales,
(1) Discours sur la nature des poissons.
(2) Aristot. Hist. anim. lib. 2, c. 15. — Lib.5,
C4 et5. — Lib.6, cap. 10 et 11. — De generation
animal, lib, 5 , cap. 7 et 11.
DESIRAÏTES. 8g
et qu'elle voguoit en agitant les parties la-
térales de son corps (1).
La tête de la batis, terminée par un museau
un peu pointu, est d’ailleurs engagée par
derrière dans la cavité de la poitrine. L’ou-
verture de la bouche, placée dans la partie
inférieure de la tête, et même à une dis-
tance assez grande de l'extrémité du mu-
seau , est alongée et transversale, et ses
bords sont cartilagineux et garnis de plu-
sieurs rangs de dents très-aiguës et crochues.
La langue est très - courte, large, et sans
aspérités.
Les narines, placées au devant de la
bouche , sont situées également sur la partie
inférieure de la tête. T’ouverture de cet
organe peut être élargie ou rétrécie à la
volonté de lanimal, qui d’ailleurs, après
avoir dinunué le diamètre de cette ouver-
ture, peut la fermer en totalité par une
membrane particulière attachée au côté de
lorifice le plus voisin du milieu du museau,
et laquelle s'étendant avec facilité jusqu’au
bord opposé, et s’y collant, pour ainsi dire,
peut faire Poffice d’une sorte de soupape ,
et empêcher que l’eau chargée des émana-
(a) Aristot. Hist. nat. lib. 1, c. 5,
go HISTOIRE
tions odorantes ue parvientie jusqu'à un
organe très-délicat dans les momens où la
batis n’a pas besoin d’être avertie de la pré-
sence des objets extérieurs, et dans ceux où
son système nerveux seroit douloureusement
affecté par une action trop vive et trop
constante. Le sens de l’odorat étant, s Fon
peut parler ainsi, le sens de la vue des
poissons, et particulièrement de la batis (1),
cette sorte de paupière leur est nécessaire
pour soustraire un organe très-sensible à Îa
fatigue ainsi qu’à la destruction, et pour se
livrer au sommeil, de même que l’homme
et les quadrupèdes ne pourroient, sans Îa
véritable paupière qu'ils étendent souvent
au devant de leurs yeux, ni éviler des veilles
trop longues et trop multiphées, nm con-
server dans toute sa perfection et sa délica-
iesse celui de leurs organes dans lequel
s'opère la vision,
Au reste, nous avons déja exposé la con-
formation de l'organe de lodorat dans les
poissons , non seulement dans les osseux,
mais encore dans les cartilagineux, et parti-
culièrement dans les raies (2). Nous avons
(1) Discours sur la naiure des poissons,
(2) 1dem.
ES M AM ESS. 9L
vu que, dans ces derniers animaux, l’inté-
rieur de cet organe éloit composé de plis
membraneux et disposés transversalement
des deux côtés d’une sorte de cloison. Ces
plis ou membranes aplatis sont garnis, dans
la batis et dans presque toutes les espèces
de raies, d’autres membranes plus petites
qui les font paroître comme frangés. Ils sont
d’ailleurs plus hauts que dans presque tous
les poissons connus, exceplé les squalles; et
comme la cavité qui renferme ces mem-
branes plus grandes et plus nombreuses ,
ces surfaces plus larges et plus multipliées,
ést aussi plus étendue que les cavités ana-
logues dans la plupart des autres poissons os-
seux et cartilagineux, il n’est pas surprenant
que presque toutes les raies, et particulie-
rement la batis, aient le sens de l’odorat
bien plus parfait que celui du plus grand
nombre des habitans des mers ; et voilà
pourquoi elles accourent de très-loin, ou
remontent de très - grandes profondeurs,
pour dévorer les animaux dont elles sont
avides. +
L'on se souviendra sans peine de ce que
nous avons déjà dit de la forme de Foreille
dans les -poissons, et particulièrement dans
92 EL IT © ERYE
les raies (1). Nous n'avons pas besoin de |
répéter ici que les cartilagineux, et parti-
culièrement la batis, éprouvent la véritable
sensation de l’ouïe dans trois petits sacs qui
contiennent de petites pierres où une ma-
tière crétacée, et qui font partie de leur
oreille intérieure, ainsi que dans les am- |
poules ou renflemens de trois canaux presque: |
circulaires et membraneux , qui y repré-
sentent les trois canaux de l’oreille de l’homme
appelés canaux demi-circulaires. C’est dans
ces diverses portions de l'organe de louie
que s’épanouit le rameau de la cinquième
paire de nerfs, qui, dans les poissons , est
le vrai nerf acoustique; et ces trois canaux
membraneux sont renfermés en partie dans
d’autres canaux presque circulaires, comme
les premiers, mais cartilagineux, et pouvant
mettre à l'abri de plusieurs accidens les ca-
naux bien plus mous autour des ampoules
desquels on voit s'épanouir le nerf acous-
tique. | |
Les yeux sont situés sur la parlie supé-
rieure de la tête, et à peu près à la même
distance du museau que l’ouverture de Ja
(1) Discours sur la nature des poissons.
DES RAIES. 95
bouche. Ils sont à demi-saillans, et garantis
en partie par une continuation de la peau
qui recouvre la tête, et qui, s'étendant au
dessus du globe de l'œil, forme comme une
sorte de petit toit, et Ôteroit aux balis la
facilité de voir les objets placés verticale-
ment au dessus d'elles, si elle n’étoit souple
et un peu rétractile vers le milieu du crâne,
C’est cette peau, que l’animal peut déployer
ou resserrer, et qui a quelques rapports avec
la paupière supérieure de l’homme et des
quadrupèdes , que quelques auteurs ont ap-
pelée paupière, et que d’autres ont comparée
à la membrane clignotante des oiseaux.
Immédiatement derrière les yeux , mais
un peu plus vers les bords de la tête, sont
deux trous ou évents qui communiquent
avec l’intérieur de la bouche. Et comme
ces trous sont assez grands , que les tuyaux
dont ils sont les orifices sont larges et très-
courts, et qu'ils correspondent à peu près
à l’ouverture de la bouche, il n’est pas sur-
prenant que lorsqu'on tient une raie batis
dans une certaine position, et par exemple
contre le jour, on apercoive, même d’un
peu loin, et au travers de l'ouverture de la
bouche et des évents, les objets placés au
delà de l'animal, qui paroît alors avoir recu
94 H'ES:TOIRE
deux grandes blessures, et avoir élé percé
d’un bord à l’autre.
Ces trous, que l'animal a la faculté d'ouvrir
ou de fermer par le moyen d’une membrane
très-extensible, que Fon peut comparer à
une paupière, ou, pour mieux dire, à une
sorte de soupape, servent à la batis au même
usage que lévent de la lamproie. C’est par
ces deux orifices que cette raie admet ou
rejette l’eau nécessaire ou suraboudante à
ses organes respiratoires, lorsqu'elle ne veut
pas employer l'ouverture de sa bouche pour
‘porter l’eau de la mer dans ses branches,
ou pour l'en retirer. Mais, comme la batis,
non plus que les autres raies, n’a pas l’ha-
bitude de s'attacher avec la bouche aux
rochers, aux bois, n1 à d’autres corps durs,
il faut chercher pourquoi ces deux évents
supérieurs, que l’on retrouve danses squalles,
mais que l’on n’aperçoit d’ailleurs dans aucun
genre de poissons, paroissent nécessaires aux
promptes el fréquentes aspirations et expi-
ralions aqueuses sans lesquelles les raies
cesseroient de vivre.
Nous allons voir que les ouvertures des
branchies des raies sont situées dans le côté
inférieur de leur corps. Ne pourroit-on pas,
en conséquence, supposer que le séjour assez
DES RATES. 95
long que font les raies dans le fond des mers,
où elles tiennent la parte inférieure de leur
corps appliquée contre le Himon ou le sable,
doit les exposer à avoir, pendant une grande
partie de leur vie, ouverture de leur bouche
ou celles du siège de la respiration collées en
quelque sorte contre la vase, de manière
que l’eau de la mer ne puisse y parvenir ou
en jaillir qu'avec peme, et que si celles de
ces ouvertures qui peuvent être alors obs-
truées n’étoient pas suppléées par les évents
placés dans le côté supérieur des raies, ces
animaux ne pourroient pas faire arriver
Jusqu'à leurs organes respiratoires l’eau dont
ces organes doivent être périodiquement
abreuvés ?
Ce siège de la respiration, auquel les
évents servent à apporter ou à ôter l’eau
de la mer, consiste, de chaque côté, dans
une cavité assez grande qui communique
avec celle du palais, ou, pour mieux dire,
qui fait partie de cette dernière, et qui
s'ouvre à l'extérieur, dans le côté inférieur
du corps, par cinq trous ou fentes trans-
versales que l'animal peut fermer et ouvrir
en étendant ou retirant les membranes qui
revêtent les bords de ces fentes. Ces cinq
ouvertures sont situées au delà de celle de
<=
06 HISTOIRE
la bouche , et disposées sur une ligne un
peu courbe, dont la convexité est tournée
vers le côté extérieur du corps; de telle
sorte que ces deux rangées, dont chacune
est de cinq fentes, représentent, avec les-
pace qu’elles renferment au dessous de {a
tête, du cou et d’une portion de la poitrine
de l'animal , une sorte de disque ou de
plastron un peu ovale.
Dans chacune de ces cavités lalérales de
la batis sont les branchies proprement dites,
composées de cinq cartilages un peu courbés
et garnis de membranes plates très-minces,
très - nombreuses , appliquées l’une contre
l'autre, et que l’ona comparées à des feuillets;
lon compte deux rangs de ces feuillets ou
membranes très-minces et très-aplaties sur
le bord convexe des quatre premiers carti-
lages ou branchies, et un seul rang sur le
cinquième ou dernier.
Nous avons déjà vu (1) que ces mem-
branes très - minces contiennent une très-
ghande quantité de ramifications des vais-
seaux sanguins quiaboutissentaux branchies,
soit que ces vaisseaux composent les der-
(1) Discours sur la nature des poissons.
nières
DES RAÏIES. 97
nières extrémités de l'artère branchiale, qui
se divise en autant de rameaux qu’il y a de
branchies, el apporte dans ces organes de
la respiration le sang qui a déjà circulé dans
tout le corps, et dont les principes ont be-
soin d’être purifiés et renouvelés; soit que
ces mêmes vaisseaux soient l’origine de ceux
qui se répandent dans toutes les parties du
poisson, et y distribuent un sang dont les
élémens ont recu une nouvelle vie. Ces
Vaisseaux SaHguins, qui ne sont composés,
dans les membranes des branchies, que de
parois Lrès-minces et facilement perméables
à divers fluides, peuvent exercer, ainsi que :
nous l'avons exposé, une action d’autant
plus grande sur le fluide qui les arrose, que
la surface présentée par les feuillets des
branchies, et sur laquelle ils sont dissémines,
est très- grande dans tous les poissons , -à
proportion de l'étendue de leur corps. En
effet, les raies ne sont pas les poissons dans
lesquels les membranes branchiales offrent
la plus grande division , ni par conséquent
le plus grand développement; et cependant
mn très - habile anatomiste , le professeur
Monro d’Edimbourg, a trouvé que la sur-
face de ces feuillets, dans une raie batis de
grandeur médiocre, étoit égale à celle du
Poiss. Tome III. G
98 HISTOIRÉ
corps humain. Au reste, la partie extérieure
de ces branchies, ou, pour mieux dire, des
feuillets qui les composent, au lieu d’être
isolée relativement à la peau, ou au bord
de la cavité qui l’avoisine , comme le sont
les branchies du plus grand nombre de pois-
sons, et particulièrement des osseux, est
assujeltie à cetie même peau ou à ce même
bord par une membrane très-mince. Mais
celte membrane est trop déliée pour nuire
à la respiration , et peut tout au plus en
modifier les opérations d’une manière ana-
logue aux habitudes de la bals.
Cette raie a deux nageoires ventrales pla-
cées à la suite des nageoires pectorales,
auprès et de chaque côté de l’anus, que deux
autres nageoires , auxquelles nous donnerons
le nom de nageoires de l'anus, touchent de
plus près, et entourent pour ainsi dire. Il
en est même environné de manière à pa-
roître situé, en quelque sorle, au milieu
d’une seule nageoire qu'il auroit divisée en
deux par sa position, et que plusieurs na-
turalistes ont nommée en effet, au singulier,
nageoire de l’anus. Mais ces nageoires, tant
de l’anus que ventrales , au lieu d’être situées
perpendiculairement ou très-obliquement ,
comme dans la plupart des poissons, ont
DES RAIES. où
une situation presque entièrement horison-
tale, et semblant être, à certains égards,
une continuation des nageoires pectorales ,
servent à terminer 1 forme de losange très-
aplatie que présente l’ensemble du corps de
la batis.
De plus, la nageoire ventrale et celle de
l'anus, que l’on voit de chaque côté du corps,
ne sont pas véritablement distinctes l’une de
l’autre. On reconnoît, au moins le plus sou-
vent, en les étendant, qu’elles ne sont que
deux parties d’une même nageoire, que la
même membrane les revêt, et que la gran-
deur des rayons, plus longs communément
dans la portion que l’on a nommée ventrale,
peut seule faire connoître où commence une
portion et où finit l’autre. On devroit donc,
à la rigueur , ne pas suivre lusage adopté
par les naturalistes qui ont écrit sur les raies ,
et dire que la batis n’a pas de nageoires de
l'anus , mais deux longues nageoires ventrales
qui environnent l'anus par “ extrémités
postérieures.
Entre la queue et ces nageoires ventrales
et de l'anus, on voit dans les mâles des batis,
et de chaque côté du corps, une fausse na-
geoire , ou plulôt une longue appendice, dont
nous devons particulièrement au professeur
G 2
100 EI S T0 PÉE
Bloch, de Berlin, de connoître organisation
précise et le véritable usage (1). Les nageoires
venirales et de l'anus, quoique beaucoup
plus étroites et moins longues que les pec-
torales, sont cependant formées de même
de véritables rayons cartilagineux , com-
posés , articulés, ramifiés, communément
au nombre de six, et recouverts par la
peau qui revêt le reste du corps. Mais les
appendices dont nous venons de parler ne
contiennent aucun rayon. Filles renferment
plusieurs petits os ou cartilages : chacune de
ces appendices en présente onze dans son
intérieur, disposés sur plusieurs rangs. D’a-
bord quatre de ces parties cartilagineuses
sont attachées à un grand caïrlilage trans-
versal, dont les extrémités soutiennent les
nageoires ventrales, et qui est analogue,
par sa positionet: par ses usages , aux os
nommés os du bassin dans l’homme et dans
les quadrupèdes.: À Ja suite de ces quatre
cartilages, on-en:voit deux autres dans l’in-
térieur de l’appendice; et à ces deux en
succèdent cinq autres de diverses formes.
L'appendice contient d’ailleurs, dans son
côté extérieur ; ‘un canal ouvert à son
ne
* (4) Bloéh, Histoire naturelle des poissons.
DES RAITES. 101
extrémité postérieure, ainsi que vers som
extrémité antérieure , et qui est destiné à
transmettre une liqueur blanche et gluante,
filtrée par deux glandes que peuvent com-
primer les muscles des nageoires de l'anus.
L'appendice peut êtrefléchie par l’action d’un
muscle qui, en le courbant, le rend propre
à faire l’oflice d’un crochet ; et lorsque la
batis veut cesser de s’en servir, 1l se rétablit
par une suite de l’élasticité des onze carti-
lages qu’il renferme. Lorsqu'il est dans son
état naturel, la liqueur blanche et gluti-
neuse s'échappe par l’ouverture antérieure;
mais , lorsqu'il est courbé, cet orifice supé-
rieur se trouve fermé par le muscle fléchis-
seur, et la liqueur gluante parcourt toute
la cavité du canal, sort par le trou de l’ex-
trémilé postérieure, et, arrosant la partie
ou le corps sur lequel s'attache le bout de
cette espèce de crochet, prévient les incon-
véniens d’une pression trop forte.
La position de ces deux appendices que
les mâles seuls présentent , leur forme, leur
organisation intérieure , la liqueur qu,
suinte par le canal que chacune de ces ap-
pendices renferme, pourroient faire par-
tager l'opinion que Linnæus à eue pendant
quelque tems, et l’on pourroit croire qu'ils
C3
102 HArTS TO rRE
composent les parties génitales du mâle!
Mais, pour peu que l'on examine les parties
intérieures des batis, on verra qu'il est même
superflu de réfuter ce sentiment. Ces appen-
dices ne sont cependant pas inutiles à l’acte
de la génération ; elles servent au mâle à
retenir sa femelle, et à se tenir pendant un
tems plus ou moins long assez près d'elle
pour que la fécondation des œufs puisse
avoir lieu de la manière que nous expose-
rons avant de terminer cet article.
Entre les deux appendices que nous ve-
nons de décrire, ou , pour nous expliquer
d'une manière apolicable aux femelles aussi
bien qu'aux mâles, entre les deux nageoires
de l'anus, commence la queue, qui s'étend
ordinairement jusqu’à une longueur égale à
celle du corps et de la tête. Elle est d’ailleurs
presque ronde, très-déliée , très-mobile , et
terminée par une pointe qui paroît d'autant
plus fine, que la batis n’a point de nageoire
caudale (1) comme quelques autres raies,
et n'en présente par conséquent aucune au
bout de cette pointe. Mais vers la fin de la
queue, et sur sa partie supérieure , on voit
deux petites nageoires très -séparées lune
AE 5 ns Da oi 7 yen a lee
(1) Discours sur La nature des poissons.
DES RAIES. 103
de l’autre, et qui doivent être regardées
comme deux véritables nageoires dorsales(1),
quoiqu'elles ne soient pas situées au dessus
du corps proprement dit.
La batis remue avec force et avec vitesse
cette queue longue, souple et menue , qui
peut se fléchir et se contourner en différens
sens. Elle l’agite comme une sorte de fouet,
non seulement lorsqu'elle se défend contre
ses ennemis, mais encore lorsqu'elle attaque
sa proie. Elle s’en sert particulièrement
lorsqu’en embuscade dans le fond de la mer,
cachée presque entièrement dans le limon,
et voyant passer autour d’elle les animaux
dont elle cherche à se nourrir, elle ne veut
ni changer sa position, ni se débarrasser de
la vase ou des algues qui la couvrent, ni
quitter sa retraite et se livrer à des mouve-
mens qui pourroient n'être pas assez prompis,
sur-tout lorsqu'elle veut diriger ses armes
contre les poissons les plus agiles. Elle em-
ploie alors sa queue; et, la fléchissant avec
promptitude , elle atteint sa victime et la
frappe souvent à mort. Elle lui fait du moins
des blessures d'autant plus dangereuses, que
(:) Discours sur la nature des poissons.
G 4
104 HISTOIRE
cette queue , mue par des muscles puissans ;
présente de chaque côté et auprès de sa
racine un piquant droit et fort, et que
d’ailleurs elle est garnie dans sa partie su-
périeure d’une rangée d’'aiguillons erochus.
Chacun de ces aiguillons, qui sont assez
grands, est attaché à une pelite plaque car-
tilagineuse, arrondie, ordinairement con-
cave du côté du crochet , et un peu convexe
de lauire, et qui, placée au dessous de Îa
peau, est maintenue par ce tégument et
retient l’aiguillon. Au reste l’on voit autour
des yeux plusieurs aiguillons de même forme,
mais beaucoup plus petits.
La peau qui revêt et la tête et le corps,
et la queue , est forte, tenace, et enduite
d’une humeur gluante qui en entretient la
souplesse et la rend propre à résister sans
altération aux attaques des ennemis des raies,
et aux effets du fluide au milieu duquel:
vivent les balis. Ce suc visqueux est fourni
par des canaux placés assez près des tégu-
mens, et distribués sur chaque côté du corps
et sur-lout de la tête. Ces canaux s'ouvrent
à la surface par des trous plus ou moins
sensibles, et l'on en peut trouver une des-
cription très-détaillée et très-bien faite dans
MES RATES. 105
le bel ouvrage du professeur Monro sur les
poissons (1).
La couleur générale de la batis est, sur
le côté supérieur, d’un gris cendré, semé
de taches noirâtres, sinueuses, irrégulières,
les unes grandes , les autres petites, et toutes
d’une teinte plus ou moins faible: le côté
inférieur est blanc , et présente plusieurs
rangées de points noirâtres.
Les batis, ainsi que toutes les raies , ont
en général leurs muscles beaucoup plus
puissans que ceux des autres poissons (2);
c’est sur-toul dans la partie antérieure de
leur corps que l’on peut observer cette su-
périorilté de forces musculaires, et voilà
pourquoi elles ont la faculté d'imprimer à
leur museau différens mouvemens exécutés
souvent avec beaucoup de promptitude.
(r}rPasioh; plivi et vie
(2) Voyez, dans le tome septième des Mémoires
des savans étrangers , présentés à l’académie des
sciences de Paris, ceux de Vicq-d’Azyr, qu’une
mort prématurée a enlevé à l’anatomie et à l’histoire
naturelle , pour ia gloire et les progrès desquelles il
avoit commencé un des plus vastes monumens que
l'esprit humain eût encore conçus, et à la mémoire
duquel j'aime à rendre un hommage public destime
et de regrets.
106 HISTOIRE
Mais non seulement le museau de la batis
est plus mobile que celui de plusieurs pois-
sons osseux ou cartilagineux, il est encore
le siège d’un sentiment assez délicat. Nous
- avons vu que, dans les poissons , un rameau
de la cinquième paire de nerfs étoit le vé-
ritable nerf acoustique. Une petite branche
de ce rameau pénètre de chaque côté dans
l'intérieur de la narine , et s'étend ensuite
jusqu’à l'extrémité du museau (1), qui,
dés-lors, doué d’un plus grande sensibilité ,
et-pouvant d’ailleurs, par sa mobilité , s’ap-
pliquer , plus facilement que d’autres mem-
bres de la batis, à la surface des corps dont
elle s'approche , doit être pour cet animal
un des principaux sièges du sens du toucher.
Aussi , lorsque les batis veulent reconnoître
les objets avec plus de certitude, et s'assurer
de leur nature avec plus ce précision, en
approchent-elles leur museau , non seule-
ment parce que sa partie inférieure contient
l'organe de l’odorat , mais encore parce
qu’il est l’un des principaux et peut - être
le plus actif des organes du toucher.
Cependant une considération d’une plus
(1) Consultez l'ouvrage de Scarpa sur les sens des
animaux , et particulièrement sur ceux des poissons.
DES RAIES. 107
haute importance et d’une bien plus grande
étendue dans ses conséquences se présente
ici à notre réflexion. Ce toucher plus par-
fait, dont la sensation est produite dans la
batis par une petite branche de la cinquième
paire de nerfs; cinquième paire dont, à la
verité , un rameau est le nerf acoustique
des poissons, mais qui, dans l'homme et
dans les quadrupèdes, est destinée à s’épa-
nouir dans le siège du goût , ne pourroit-il
pas être regardé par ceux qui savent dis-
tinguer la véritable nature des objets d'avec
leurs accessoires accidentels ; ne pourroit:l
pas, dis-je, être considéré comme une espèce
de supplément au sens du goût de la batis?
Quoi qu’il en soit de cette conjecture, l’on peut
voir évidemment que la partie antérieure
de la tête de la batis, non seulement présente
l'organe de l’ouïe, celui de lodorat, et un
des sièges principaux de celui du toucher,
‘mais encore nous montre ces trois organes
intimement liés par ces rameaux du nerf
acoustique, qui parviennent jusques dans
les narines , et vont ensuite être un siège
de sensations délicates à l’extrémité du mu-
seau. Ne résulte-t-il pas de cette distribution
du nerf acoustique , que non seulement les
trois sens de l’ouie, de lodorat, et du
108 HISTOIRE
toucher, très-rapprochés par une sorte dé
juxtaposition dans la partie antérieure de
la tête, peuvent être facilement ébranlés
à la fois par la présence d’un objet exté-
rieur dout ils doivent dès -lors donner à
Vanimal une sensation générale bien plus
étendue , bien plus vive et bien plus dis-
tincte, mais encore que, réunis par les ra-
meaux de la cinquième paire qui vont de
Fun à l’autre, et les enchainent ainsi par
des cordes sensibles , ils doivent recevoir
souvent un mouvement indirect d’un objet
qui , sans celle communication nerveuse ,
p’auroit agi que sur un ou deux des trois
sens , et teuir de cette commotion intérieure
la faculté de transmettre à la batis un sen-
timent plus fort, et même de céder à des
impressions extérieures dont Fleffet auroit
été nul sans cette espèce d’agitation interne
due au rameau du nerf acoustique ? Main-
tenant , si l’on rappelle les réflexions pro-
fondes et philosophiques faites par Buffon
dans l’histoire de l'éléphant, au sujet de la
réunion d’un odorat exquis et d’un toucher
délicat à extrémité de ia trompe de ce grand
animal , trés-digne d’atiention par la supé-
riorité de son instinct ; si l’on se souvient
des raisons qu’il a exposées pour établir un
DES RATES. 109.
rapport uécessaire entre lintelligence de
Véléphant et la proximité de ses organes du
toucher et de lodorat, ne devra-t-on pas
penser que la balis et les autres raies, qui
présentent assez près l’un de l’autre non
seulement les sièges de l’odorat et du tou-
cher, mais encore celui de l’ouïe, et dont
un rameau de nerfs lie et réunit intime-
ment tous ces organes, doivent avoir un
änslinct très-remarquable dans la classe des
poissons ? De plus, nous venons de voir
que l’odorat de la batis, ainsi que des autres
raies , étoit bien plus actif que celui de la
plupart des habitans de la mer; nous savons,
d’un autre côté (1), que le sens le plus dé-
licat des poissons , et celui qui doit influer
avec le plus de force et de constance sur
leurs affections , ainsi que sur leurs habi-
tudes, est celui de l’odorat; et nous devons
conclure de cette dernière vérité, que le
poisson dans lequel l'organe de lodorat est
le plus sensible , doit, tout égal d’ailleurs,
présenter le plus grand nombre de traits
d’une sorte d'intelligence. En réunissant
toutes ces vues, on croia donc devoir attri-
buer à la batis, et aux autres raies con-
(1) Discours sur la nature des poissons,
110 FAN SAELO EL RNE
formées de même, une assez grande supé-
riorité d’instinct ; et en effet , toutes ces
observations prouvent qu’elles lemportent
par les procédés de leur chasse , l’habileté
dans la fuite, la finesse dans les embuscades,
la vivacité dans plusieurs affections , et une
sorte d'adresse dans d’autres habitudes, sur
presque toutes les espèces connues de pois-
sons et particulièrement de poissons osseux.
Mais continuons l'examen des différentes
portions du corps de la batis.
Les parties solides que l’on trouve dans
l'intérieur du corps, et qui en forment
comme la charpente, ne sont m1 en très-
grand nombre, ni très-diversifiées dans leur
conformation.
Elles consistent premiérement dans une
suite de vertèbres cartilagineuses qui s'étend
depuis le derrière de la tête jusqu'à l’extré-
mité de la queue. Ces vertèbres sont cylin-
driques, concaves à un bout, convexes à
l'autre, emboitées l’une dans l’autre, et
cependant mobiles, et d'ailleurs flexibles
ainsi qu'élastiques par leur nature, de telle
sorte qu'elles se prêtent avec facilité, sur-
tout dans la queue, aux divers mouvemens
que l'animal veut exécuter. Ces vertébres
sont garnies d’éminences ou. apophyses
DES RAIES. “an
supérieures et latérales, assez serrées contre
les apophyses analogues des vertèbres voi-
sines. Comme c’est dans l’intérieur des bases
des apophyses supérieures qu'est située la
moëlle épinière , elle est garantie de beau-
coup de blessures dans des éminences carii-
lagineuses ainsi pressées l’une contre l’autre ;
et voilà une des causes qui rendent la vie
de la batis plus indépendante d’un grand
nombre d’accidens que celle de plusieurs
autres espèces de poissons.
On voit aussi un diaphragme carlilagi-
neux, fort, et présentant quatre bianches
courbées, deux vers la partie antérieure du
corps, et deux vers la postérieure. De ces
deux arcs ou demi-cercles, lun embrasse
et défend une partie de la poitrine, l’autre
enveloppe et maintient une portion du
ventre de la batis.
On découvre enfin dans l'intérieur du
corps un cartilage transversal assez gros,
placé en decà et très-près de l'anus, et qui,
servant à maintenir la cavité du bas-ventre,
ainsi qu'a retenir les nageoires ventrales ,
doit être, à cause de sa position et de ses
usages, comparé aux os du bassin de l’homme
et des quadrupèdes. Ce qui ajoute à cette
analogie, c’est qu’on trouve de chaque côté,
112 HISTOIRE
et à l'extrémité de ce grand cartilage trans-
versal, un cartilage assez long et assez gros,
articulé par un bout avec le premier, et
par l'autre bout avec un lroisième cartilage
moins long et moins gros que le second.
Ces second et troisième cartilages font partie
de la nageoire ventrale, de cette nageoire
que lon regarde comme faisant lPoflice
d’un des pieds du poisson. Attachés Fun au
bout de l'autre, ils forment, dans cette
disposition , le premier et le plus long des
rayons de la nageoire : mais ils ne présentent
pas la contexture que nous avons reinar-
quée dans les vrais rayons carlilagineux ;
ils ne se divisent pas en rameaux; ils ne
sont pas composés de petits cylindres placés
{es uns au dessus des autres : ils sont de
véritables cartilages ; et ce qui me paroïit
très-digne d'attention dans ceux des poissons
qui se rapprochent le plus des quadrupèdes
ovipares, et particulièrement des tortues,
on pourroit à la rigueur, et sur-tout en
considérant la manière dont ils s’inchinent
l’an sur l’autre, trouver d'assez grands rap-
ports entre ces deux cartilages et le fémur
et le tibia de l’homme et des quadru-
pèdes vivipares.
L’estomac est long, large et plissé: le
canal
DE $ “RAI TS. 113
“canal intestinal court et arqué. Le foie,
gros et divisé en trois lobes, fournit une
huile blanche et fine; il y a une sorte de
pancréas et une rate rougeûtre. Cette réu-
nion d'une rate, d’un pancréas et d’un foie
huileux et volumineux est une nouvelle
preuve de lexistence de cette vertu très-
dissolvante que nous avons reconnue dans
les différens sucs digestifs des poissons; vertu
très-active, utile à plusieurs de ces animaux
pour corriger les effets de la briéveté du
canal alimentaire, et nécessaire à tous pour
compenser les suites de la température or-
dinaire de leur sang, dont la chaleur natu-
relle est très-peu élevée.
Le corps de la batis renferme trois ca-
vités ,que nous retrouverons en tout ou en
parlie dans un assez grand nombre de pois-
sons, et que nous devons observer un mo-
ment avec quelque attention. l’une est
située dans la partie antérieure du crâne,
au devant du cerveau; la seconde est con-
tenue dans le péricarde, et la troisième
occupe les deux côtés de laodomen. Cette
dernière cavité communique à lextérieur
‘par deux trous placés l’un à droite et l’autre
à gauche vers l’extrémité du reclum; et
5 Poiss. Tome IIL.:'": : H
114 HI SAT Oo RE
ces trous sont fermés par une espèce de
valvule que l’animal fait jouer à volonté.
On trouve ordinairement dans ces cavités,
et particulièrement dans la troisième, une
eau salée, mais qui renferme le plus souvent
beaucoup moins de sel marin ou de muriate
de soude que l'eau de la mer n’en tient
communément en dissolution. Cette eau
salée, qui remplit la cavité de Pabdomen,
peut être produite dans plusieurs circons-
tances par l’eau de la mer, qui pénètre par
les trous à valvule dont nous venons de
parler, et qui se mêle dans la cavité avec
une liqueur. moins chargée de sel, filtrée
par les organes et Îles vaisseaux que le
ventre renferme. Nous pouvons aussi con-
sidérer cette eau que lon observe dans la
cavité de l'abdomen, ainsi que celle que
présentent les cavités du crâne et du péri-
carde, comme de l’eau de mer, transmise
au travers des enveloppes des organes et
des vaisseaux voisins, ou de la peau et des
muscles de l'animal, et qui a perdu dans ce
passage au milieu de ces sortes de cribles,
et par une suite des affinités auxauelles elle
peut avoir été sounuse, une parlie du sel
qu'elle tenoit en dissolution. il est aisé de
voir que cette eau, à demi- dessalée au
DES RATES. - 115
moment où elle parvient à lune des trois
cavités, peut ensuite $e répandre dans les
vaisseaux et les organes qui lavoisinent,
en suintant, pour ainsi dire, par les petits
pores dont sont criblées les membranes qui
composent ces organes el ces vaisseaux ; MAIS
voilà tout ce que l’état actuel des observa-
tions faites sur les raies, et particulièrement
sur la batis, nous permet de conjecturer
relativement à l’usage de ces trois cavités
de l'abdomen, du péricarde et du crâne, et
de cette eau un peu salée qui imprègne
presque tout l’intérieur des poissons marins
dont nous nous occupons, de même que
l'air pénètre dans presque toutes les parties
des oiseaux dont latmosphère est le vrai
séjour.
_ Nous ne devons pas répéter ce que nous
avons déjà dit sur la nature et la distribu-
tion des vaisseaux lymphatiques des pois-
sons, et particulièrement des raies ; mais
nous devons ajouter à l'exposition des par-
ties principales de la batis, que les ovaires
sont cylindriques dans les femelles de cettè
espèce : les deux canaux, par lesquels les
œufs s’avancent vers l’anus à mesure qu'ils
grossissent, sont le plus souvent jaunes, et
leur diamètre est d'autant plus grand qu’il
H 2
116 Hi STOTrTRE
est plus voisin de l'ouverture commune par
laquelle les deux canaux communiquent
avec l'extrémité du rectum.
Ces œufs ont une forme singulière , très-
différente de ceile de presque tous les autres
œufs connus, et particulièrement des œufs
de presque tous les poissons osseux ou car-
tilagineux. Ils représentent des espèces de
bourses ou de poches composées d’une
membrane forte et demi-transparente, qua-
drangulaires, presque carrées, assez sem-
blables à un coussin, ainsi que l'ont écrit
Aristote et plusieurs autres auteurs (1}, un
peu aplaties, et terminées dans chacun de
leurs quatre coins par une petite appendice
assez courte que lon pourroit comparer
aux cordons de la bourse. Ces petites appen-
dices un peu cylindriques et très-déliées sont
souvent recourbées l’une vers l’autre ; celles
d’un bout sont plus longues que celles de
l'autre bout, et la poche à laquelle elles sont
attachées a conimunémient six ou neuf cen-
timètres (deux ou trois pouces ou environ)
de largeur, sûr une longueur à peu près
égale.
Il n'est pas surprenant que ceux qui
. (1) Rondelet, première partie, iv. 12, p. 2714
PPS RATES ‘ai
n’ont observé que superficiellement des
œufs d’une forme aussi extraordinaire, qui
ne les ont pas ouverts, et qui n’ont pas vu
dans leur intérieur un fœtus de raie, n’aient
pas regardé ces poches ou bourses comme
des œufs de poissons, qu'ils les aient consi-
dérées comme des productions marines par-
ticulières, qu'ils aient cru même devoir les
décrire comme une espèce d'animal. Et ce
qui prouve que cette opinion assez natu-
relle a été pendant long-tems très-répandue,
c'est que l’on a donné un nom particulier
à ces œufs, et que plusieurs auteurs ont
appelé une poche ou coque de raie, mus
marinus, rat marin (1).
Ces œufs ne sont pas en très-grand
nombre dans le corps des femelles, et ils
ne s’y développent pas tous à la fois. Ceux
qui sont placés le plus près de l’ouverture
de l'ovaire sont les premiers formés au point
de pouvoir être fécondés ; lorsqu'ils sont
(r) Les grecs modernes, les turcs, et quelques
autres orientaux, regardent, dit-on, la fumée qui
s'élève d'œufs de batis et d’autres raies jetés sur
des charbons, et qui parvient , par le moyen de
certaines précautions, dans la bouche et dans le
nez, comme un très-bon remède contre les fièvres
intermittentes,
H 35
138: HESTOIRE
devenus, par cette espèce de maturité,
assez pesans pour gèner la mère et l’'avertir,
pour ainsi.dire, que le tems de donner le
jour à des petits approche, elle s’avance
ordinairement vers les rivages, et y cherche
ou des alimens particuliers, ou des asiles
plus convenables, ou des eaux d’une tem-
péraiure plus analogue à son état. Alors le.
mâle la recherche , la saisit, la retourne
avec soin , se place auprès d'elle de ma-
nière que leurs côtés inférieurs se corres-
pondent, se colle en quelque sorte à son
corps, s’accroche à elle par le moyen des
appeñndices particulières que nous avons
décrites, la serre avec toutes ses nageoires
ventrales et pectorales, la retient avec force
pendant un tems plus ou moins long, réa-
lise ainsi un véritable accouplement ; et se
tenant placé de manière que son anus soit
très-voisin de celui de sa femelle, 1l laisse,
échapper la liqueur séminale, qui, péné-
tirant jusqu'à FPovaire de celle contre laquelle
1F se presse, y'féconde les deux ou trois
premiers œufs que rencontre cette liqueur
aclive, et qui sont assez développés pour
en recevoir l'influence.
Cependant les coques fécondées achèvent
de grossir; et les œufs moins avancés, rece-
rte ——
EE — .
DES RAÏES. 11q
vant aussi de nouveaux dégrés d’accroisse-
ment , deviennent chaque jour plus propres
à remplacer ceux qui vont éclore , et à être
fécondés à leur tour.
Lorsqu’enfin les fœtus, renfermés dans les
coques qui ont recu du mâle le principe de.
vie, sont parvenus au désré de force et dé:
grandeur qui leur est nécessaire pour soïtir
de leur enveloppe , ils la déchirent dans lé
ventre même de leur mère, ét parviennent.
à la lunnére tout formés, comme les petits
de plusieurs serpens et de plusieurs qua-
drupèdes rampans qui n’en sont pas moins
ovipares (1). |
D'autres œufs, devenus maintenant trop
gros pour pouvoir. demeurer dans le forid
des ovaires, sont, pour ainsi dire , chassés
par un organe qu'ils comprimént ; et re-°
poussés vers l'extrémité la plus large de ce
même organe, ils y remplacent les coques
qui viennent d’éclore , et dont l’enveloppe |
déchirée est rejetée par l'anus à la suite
de la jeune raie. Alors une seconde fécon-
dation doit avoir lieu ; la femelle souffre
dè nouveau l'approche du mâle ; et toutes
Dee ee a
(1) Voyez l’histoire naturelle des serpens et celle
des quadrupèdes ovipares.
EH 4
120 ÉTST O IRET
les opérations que nous venons d'exposer se
succèdent jusques au moment où les ovaires
sont entièrement débarrassés de bourses ou
de coques trop grosses pour la capacité de
ces organes.
L'on a écrit que cet accouplement du
mâle et de la femelle se répétoit presque
tous les mois pendant la belle saison ; ce
qui supposeroit peut-être que près de trente
jours s’écoulent entre le moment où l'œuf
est fécondé et celui où il éclot, et que par
conséquent il y a , dans l'espèce de la batis,
une sorte d’incubation intérieure de près de
trente jours.
Au reste , dans tous ces accouplemens
successifs, le hasard seul ramène le même
mâle auprès de la même femelle; et si les
raies ou quelques autres poissons nous mon-
trent au milieu des eaux l’image d’une sen-
sibihité assez active, que nous offrent éga-
lement au sein des flots les divers cétacés,
les phoques, les lamantins, les oiseaux aqua-
tiques , plusieurs quadrupèdes ovipares , et
particulièrement les tortues marines, avec
lesquelles l’on doit s’'apercevoir fréquem-
ment que les raies ont d'assez grands rap-
ports, nous ne verrons au milieu de la classe
des poissons, quelque nomhreuse qu’elle
BD'ËÉ'S: RAIES. 121
soit ; presque aucune apparence de préfé-
rence marquée , d’attachement de choix,
d'affection pour ainsi dire désintéressée , et
de constance même d’une saison.
Il arrive quelquefois que les œufs non
fécondés grossissent trop promptement pour
pouvoir demeurer aussi long-tems qu’à l’or-
dinaire dans la portion antérieure des ovaires.
Poussés alors contre les coques déjà fécon-
dées, ils les pressent et accélérent leur sortie ;
et lorsque leur action est secondée par
d’autres causes, il arrive que la batis mère
est obligée de se débarrasser des œufs qui
ont reçu la liqueur vivifiante du mâle, avant
que les fœtus en soient sortis. D’autres cir-
constances analogues peuvent produire des
accidens semblables ; et alors les jeunes raies
éclosent comme presque tous les autres pois-
sons, c’est-à-dire, hors du ventre de la fe-
melle : les coques , dont elles doivent se
dégager, peuvent même être pondues plu-
sieurs jours avant que le fœtus ait assez de
force pour déchirer l'enveloppe qui le ren-
ferme ; et, pendant ce tems plus ou moins
long , il se nourrit, comme sil étoit encore
dans le ventre de sa mère, de la substance
alimentaire contenue dans son œuf, dont
129 HISTOIRE
l'intérieur présente un jaune et un blanc
irès-distincts lun de l'autre.
T'on n’a pas assez observé les raies batis
pour savoir dans quelle proportion elles
croissent relativement à la durée de leur
développement, ni pendant combien de
tems elles continuent de grandir : maïs 1l
est bien prouvé par les relations d’un très-
grand nombre de voyageurs dignes de foi,
qu’elles parviennent à une grandeur assez
considérable pour peser plus de dix myria-
grammes ( deux cents livres où environ) {1},
et pour que leur chair suffise à rassasier plus
de cent personnes (2). Les plus grandes sont
celles qui s’approchent le moins des rivages
habités, même dans le tems où le besoin
de pondre , ou celui de féconder les œufs,
les entraine vers les côtes de la mer : lon
‘ ré
(1) On peut voir, dans Labat et dans d’autres voya-
geurs, ce qu'ils disent de raies de quatre mètres (envi
ron douze pieds ) de loñgsgueur ; mais des observations
récentes ct assez multipliées attribuent aux batis une
longueur plus étendue. On peut voir aussi, dans.
VHistoire naturelle de la France fonte, par.
Barrtre, la desc ription da mouvement communiqué
anx eaux de la mer par les grandes raies , et dont
mons avons parlé au commencement de cet article,
(2) Consaltez Willugbby.
»
\
men anses
DPÉISSRATDES 123
diroit que la difficulté de cacher leur grande
surface et d'échapper à leurs nombreux
ennemis dans des parages trop fréquentés ,
les tient éloignées de ces plages: mais quoi
qu'il en soit , elles satisfont de desir , qui
les presse dans le priutems , de s'approcher
des rivages , en s’avançant vers les bords
écartés d’iles très-peu peuplées, ou de por-
tions de continent presque désertes. C’est
sur ces côtes où les navigateurs peuvent
_ être contraints par la tempête de chercher
un asile, et où tant de secours leur sont
refusés par la nature, qu'ils doivent trouver
avec plaisir ces grands animaux , dont un
très-pelit nombre suffit pour réparer, par
un aliment aussi sain qu’agréable, le$ forces
de l'équipage d’un des plus gros vaisseaux.
. Mais ce n'est pas seulement dans des mo-
_ mens de détresse que la batis est recherchée :
sa chair blanche et délicate est regardée,
dans toutes les circonstances, comme un
mets excellent. À la vérilé, lorsque cette
raie vient d'être prise, elle a souvent un
goût et une odeur qui déplaisent ; mais,
lorsqu'elle a été conservée pendant quelques
jours, el sur-tout lorsqu'elle a été transportée
à d'assez grandes distances, cette odeur €t
ce goût se dissipent, et sont remplacés par
124 HISTOIRE
un goût très-agréable. Sa chair est sur-tout
trés-bonne à manger après son accouple-
ment ; et si elle devient dure vers l'automne,
elle reprend pendant Thyver les qualités
qu’elle avoit perdues.
On pêche un très-grand nombre de batis
sur plusieurs côtes ; et il est même des rivages
où on en prend une si grande quantité, qu’on
les y prépare pour les envoyer au loin, comme
la morue et d’autres poissons sont préparés
à Terre-Neuve, ou dans d’autres endroits.
Dans plusieurs pays du nord, et parliculière-
ment dans le Holstein et dans le Schleswig,
on les fait sécher à l'air, et on les envoie
ainsi desséchées dans plusieurs contrées de
l'Europe , et particulièrement de lAlle-
magne (1). | |
(1) Les pêcheurs du Schleswig et du Holstein font
sécher aussi à l’air l'estomac dé la raïe batis et le
mangent ensuite en guise de morue. Ils font avec le
foie de ce poisson une huile fine et blanche ; la chair
est également blanche.
On prend une grande quantité de raies batis dans
les environs de Heiligeland , principalement au mois
de jnin.
Elles sont aussi fort abondantes sur les côtes de la
Hollande ; le peuple en fait une grande consommation;
le reste passe en Flandre et dans le Brabant.
DES RAIES. 32
Examinons maintenant les différences qui
séparent la batis des autres espèces de raies.
Cette espèce , aussi bien que celles du même genre,
qui vivent dans les eaux de la Méditerranée, sont
connues en Sardaigne sous la dénomination générique
de zirulia. Ces poissons n’ont presque aucune valeur
chez les sardes, qui ne peuvent en soutenir l’odeur
forte et sauvagine, et il n’y a que les ouvriers et les
pauvres qui en mangent. ( Voyez Cetti, Pesci di
Sardegna , pag. 56.)
L'on a observé qu'à mesure que les dents des
raies, et même que celles des chiens de mer et des
tétrodons , s’usent devant, celles de derrière se déve-
loppent pour leur succéder; mais dans le plus grand
nombre le remplacement se fait verticalement à la
manière ordinaire, avec cette différence que la racine
se soude à la mâchoire , et qu’il n’y a que la couronne
qui tombe en se séparant du reste de l’os qui demeure
dans l’alvéole. La dent nouvelle monte daus le creux
de la racine de l’ancienne. ( Bulletin de la Société
philomatique , n° 52, pag. 26.)
Mais une observation bien importante et bien
singulière , si elle avoit été vérifiée , est celle de
Othon Helbigius, qui prétend avoir reconnu que les
raies, ou au moins quelques espèdes de ce genre, sont
sujetles à l'écoulement périodique ,; comme les
femmes et les femelles des singes. ( Observation
envoyée de Batavia sur différentes curiosités des
Indes, dans les Ephémérides des curieux de la
126 HISTOIRE |
Nature , année 1678; et Collection académique,
partie étrangère, tom. IIE, p. 447)
Le mâle de la raie batis est appelé , dans Aristote,
à batos, et la femelle à batis. L'espèce est nommée
en Allemagne, glattroche ; à Heiligeland , éepel ;
baumrochen quand le poisson est gros, séelen quand
il est très- gros ; skata en Islande; en Danemark,
toe-hale, en Norwège, plet-rokken; en Hollande,
gladderog ; en Angleterre, skate et stair; en Espagne,
luida ; à Malte, raja ; à Rouen, bavosa.
SONNINI.
DES RAIES. 127
À
LA RAIE À BEC POINTU.
LA RAIE OXYRINQUE (1)(2),
PAR LACÉPÉDE.
SECONDE ESPÉCE.
C’est dans FOcéan , ainsi que dans Îa
Méditerranée, que l’on rencontre cette
raie , qui a de très-grands rapports avec la
(1) Alesne , dans quelques départemens méridio-
maux. Sof, gilioro, flossade , perosa rasa, dans plu-
sieurs contrées d'Italie. ZLéntillide |, sur quelques
côtes de France baignées par la Méditerranée. Raja
mucosa , raja bavosa. |
Raie alène. Daubenton , Encyclop. méthod.
Raja oxyrinchus. Lin. édit. de Gimel.
Raja aculeorum ordine unico in dorso caudaque.
‘Bloch, Histoire naturelle des poissons, troisième
partie, pag. 57 ,n° 2, pl. zxxx.
Raie alène. Bonaterre, planches de lPEncyclop.
méthodique.
Raja varia, tuberculis decem in medio dorsi. Artedi,
gen. 72, SYn. 101.
Leiobatus pustulis inermibus , etc. etc. etc. Klein,
Miss. pisc. 3, pag. 54, n° 8:
128 HISTOIRE
batis. Elle en diffère cependant par plu-
sieurs caractères, et particulièrement par
les aiguillons que l’on voit former un rang,
non seulement sur la queue, comme ceux
Raie au long bec, oxyrinchos. Rondelet , première
partie , liv. 12, chap. 6.
MWiraletus. Belon , Aquat. p. 70.
Raja. Salvian. Aquat. pag. 148 , d. 150. — Jonston,
Pise. p. 55, pl. x, fig. 1 et 2. — Aldrovand. Pisc.
p. 450. — Gesner, Aquat. p. 709. Icon. anim. p. 129.
— Willughby , Ichth. p. 71, tab. d. 1.
Raja oxyrinchos major. Ray , Pisc. p. 26, n° 3.
Sharp nosed ray. Pennant , Brit. zool. 3, p. 64,
9,2.
Glattroche. Gesn. Thierb. p. 68, b.
Raie au long bec. Valmont de Bomare, Diction-
naire d'histoire naturelle. |
(2) Raja dorso lævi, caud& suprà tuberculis decem
aculeatâ...... raja oxyrinchos. Brunnich , Ichthyo-
logia massiliensis , pag. 2.
Les indications de cette espèce , données par Lin-
næus et Artedi, sont fort incertaines. Le dernier
particulièrement paroit avoir confondu cette raie
avec d’autres espèces, dont il a fait autant de variétés
de celle-ci. { Synonym. piscium, pag. 101.)
La raie à bec pointu se nomme en grec, oxyrinchos;
en allemand, spiéznase ; en anglais , #hite- cunt et
maids ; en italien , raia , sot, perosa rosa et gilioro ;
en espagnol , manta ou quilt ; en Languedoc, alène ;
et encorc à Marseille , matratze. SonnNint.
que
MES RAITES. 129
que présente la batis, mais encore sur le
dos. Elle a le devant de la iète terminé
par une pointe assez aiguë pour mériter le
nom d’oxyringue où beé pointu , qu'on lui
donne depuis long-tems. Auprès de chaque
œil on aperçoit trois grands aiguilions ; le
dos en montre quelquefois deux très-forts ;
et l’on en distingue aussi un assez grand
nombre de petits et de foibles répandus sur
toute la surface supérieure du corps. Quel-
quefois la queue du mâle est armée non
seulement d’une , mais de trois rangées
d’aiguillons. L'on voit assez souvent d'ail-
leurs les piquans qui garnissent la queue
du mâle ou celle de la femelle , plus longs
et plus gros les uns que les autres, et placés
de manière qu'il s’en présente alternati-
vement un plus grand et un moins grand.
Au reste , nous croyons devoir prévenir ici
que plusieurs auteurs ont jeté de la confu-
sion dans l’histoire des raies, et les ont
supposées divisées en plus d'espèces qu’elles
n’en forment réellement, pour avoir regardé
la disposition, le nombre, la place, la figure
et la grandeur des aiguillons comme des
caractères toujours constans et toujours
distinctifs des espèces. Nous nous sommes
assurés , en examinant une assez grande
Poiss. ToueE III. I
230 HT SE O0 FRE
quantité de raies d'âge, de sexe et de pays.
différens , qu’il n’y a que certaines dislri-
butions et certaines formes de piquans qui
ne varient ni suivant le climat , ni suivant
le sexe, ni suivant l’âge des individus , et
qu'il ne faut s’en servir pour distinguer les
espèces qu'après un long examen et une
comparaison attentive de ce trait de con-
formation avec les autres caractères de
Panimal.
Le dessous du corps de l’oxyrinque est
blanc, et le dessus est le plus souvent d’un
gris cendré, mêlé de rougeûtre , el parsemé
de taches blanches , de points noirs, et de
petites taches foncées qui, semblables à
des lentilles, l’ont fait nommer lentillade
dans quelques-unes de nos provinces méri-
dionales.
On a vu des oxyrinques de deux mètres
et trois décimètres (environ sept pieds) de
long , sur un peu plus d’un mètre et six
décimètres (cinq pieds ou à peu près) de
large.
La chair de lespèce que nous décrivons
est aussi bonne à manger que celle de la
batis (1).
D + D RS NV OP AN un, pas CO ÉUIPR ER
3 ; . . e 4
(1) L'on fait une pêche considérable de raies à bec
L
DES RATES. 194
pointu , dans la mer du Nord, principalement près
de Heiligeland. En Angleterre, ce poisson porte le
nom de maids, jusqu’à ce qu’il ait propagé; alorsil
prend celui de whithe cunt.
Je dois observer que, selon Bloch, l’on ne fait pas
grand cas de la chair de la raie à bec pointu , comme
étant plus mauvaise que celle de la raie batis. ( Hist.
nat. des poiss.) Au reste, cette diversité d’opinions
au sujet de la bonne ou mauvaise qualité de la chair
des raies dépend des lieux où on les mange. Sur les
côtes , ces poissons sont généralement méprisés, et
ce n’est que lorsqu'ils ont été gardés pendant quelque
tems , et sur-tout lorsqu'on les a transportés à quelque
distance, qu’ils deviennent un mets délicat. Un auteur
sarde , qui vient de publier une Histoire de la Sar-
daigne , a été fort étonné, à son arrivée à Paris, de
voir que l’on servoit sur les meilleures tables de la
raie, poisson si dédaigné en Sardaigne ; il la trouva
excellente , principalement en hyver, au lieu qu'il
n’auroit pu en souffrir l’odeur dans son pays.
(Tom. II, pag. 255.) De là vient encore qu’on lit,
dans Athénée , la réponse que fit Dorion à quelqu'un
qui vantoit la bonté de la chair des raies : « Oui;
dital, c’est comme si on mangeoit une robe bouillie »,
SonNNiINz;
ï 2
152 HISTOIRE
——__—————_—_— ——————
LA RAIE MIRALET (1)(2)..
Czrrs raie, que l’on trouve dans Îa
Méditerranée , présente un assez grand
(1) Mirallet, sur quelques côtes françaises de Îa
Méditerranée. Barracol, sur quelques bords de la
mer Adriatique , et particulièrement à Venise. Ar-
zilla , à Rome.
Miraillet. Daubenton , Encyclop. méthod.
Raja miraletus. Lin. édit. de Gmel.
Miraillet. Bonaterre, planches de l’Enc. méth.
Raja dorso ventreque gladbris, aculeis ad oculos,
éernoque eorum ordine in cauda. Mus. Adolp. Fr. 2,
pag. 50. — {dem. Artedi, gen. 72, spec. 101. —
Gronov. Zoophyt. 155.
Dasybatus in utroque dorsi latere maculä magn&
oculi simili , etc. Klein , Miss. pisc. 3 , p. 55, n° 2.
Raja stellarés. Salvian. Aquat. p: 150.
Raja oculata. Jonston, Pisc. tab. 10, fig. 4. —
Willughby , Ichth. 72.
Raja levis oculata. Raj. Pisc. p. 27.
Raie oculée, raie miraillet. Rondelet , première
partie, liv. 12, chap. 8.
Raie lisse & miroir, ou miraillet. Valmont de
Bomare, dictionnaire d'histoire naturelle.
(2) Raja caud& tripliciter aculeaté, alis suprà
D'ES RATES. 133
nombre d’aiguillons ; mais ils sont disposés
d’une manière différente de ceux que lon
observe sur la batis et l’oxyrinque. Premiè-
rement de petits aiguillons sont disséminés
au dessus et souvent au dessous du museau.
Secondement on en voit de plus grand:
autour des yeux, et la queue en montre
trois longues rangées. Quelquefois on en
compte deux grands , et isolés sur la partie
antérieure de la ligne du dos, et assez près
des yeux ; et quelquefois aussi les deux
rangées extérieures que l’on remarque sur
la queue ne s'étendent pas, comme le rang
du milieu, jusqu’à l’extrémité de cette par-
tie. Chacune de ces rangées latérales est
aussi, sur quelques individus , séparée du
rang intérieur par une suite longitudinale
de piquaus plus courts et plus foibles ; ce
qui produit sur la queue cinq raugées d’ai-
guillons grands ou petits, au lieu de trois
rangées. Au reste, non seulement l’on voit
ocellatis...... raja miraletus. Brunnich , Ichthyol.
massil. p. 2.
Raja dorso dypterigio , aculeorum ordine solitario ,
caud& gracili pinnat& , ordine aculeorum terno ,
rostro subaculeato. Gronov. Zooph. 155.
SONNINI.
I 3
134 HISTOIRE
sur cette même partie les deux nageoires
auxquelles nous avons conservé Île nom de
dorsales ; mais encore son extrémité, au
lieu de finir en pointe comme Îla queue
de la batis, est terminée par une troisième
nageoire.
Le dessus du corps du miralet est d’un
brun ou d’un gris rougeñâtre, parsemé de
taches dont les nuances paroiïssent varier
suivant l’âge , le sexe ou les saisons ; et lon
voit d’ailleurs sur chacune des nageoires
pectorales une grande tache arrondie, ordi-
nairement couleur de pourpre , renfermée
dans un cercle d’une couleur plus ou moins
foncée , et qui, comparée par les uns à un
miroir , a fait donner à l'animal, dans plu-
sieurs de nos provinces méridionales, le nom
de petit miroir, miralet où miraïllet, et,
paroissant à d’autres observateurs plus sem-
blable à un œil, à un iris avec sa prunelle,
a fait appliquer à la raie dont nous traitons,
lépithète d’oculée (ocellata ).
Mais , si la Nature a donné aux miralets
celte sorte de parure, elle ne paroît pas
leur avoir départi la grandeur. On n’en
trouve communément que d'assez petits ;
et d’ailleurs leur chair ne fournit pas un
aliment aussi sain ni aussi agréable que celle
DES RAÏIES. 135
de la batis ou celle de loxyrinque. ( Raie
à bec pointu) (1). 3
(1) Cette espèce paroît confinée dans les eaux de la
Méditerranée; elle est, dit Rondelet, de chair dure
et de mauvaise nourriture.
En général , les raies qui se tiennent en haute mer
et approchent rarement des rivages ‘ont bien meilleur
goût , et sont plus délicates que celles qui viveut habi-
tuellement sur les côtes limoneuses, où leur chair
contracte une mauvaise qualité et une saveur désa-
gréable. SONNINI. |
136 HISTOIRE
\
LA RAIE CHARDON (1).
QUATRIÈME ESPÈCE.
Crrre raie est hérissée de piquans, ce
qui l’a fait comparer au chardon et au
(1) Raie chardon, raie à foulon. En anglais, white
horse, c’est-à-dire , cheval blanc. En danois, valker-
rokke. En islandais, éindabikia. En groenlandais,
taralikisak et aglernak.
Raie nommée fullonica. Rondelet , Hist. des pois-
sons , Liv. 12, chap. 16, pag. 283 , avec une mauvaise
figure.
Raja fullonica. Gesner, de Aquatil. lib. 3, p. 958.
— Aldrovand. de Piscib. lib. 3, cap. 62 , avec une
figure. — Jonston , Hist. nat. piscium, p. 22. —
Charlet. Onomazt. pag. 150.
Raja aspera nostras, the white horse dicta. Wil-
Jugbb. Hist. piscium, li. 5, cap. 17 , pag. 76. ar
Synops. piscium, pag. 26.
Raja dorso toto aculeato, aculeorum ordine sim-
plici ad oculos, duplici in caudä.... raja fullonica.
Lin. edit. Gmel. gen. 150 , sp. 5. — Artedi, Piscib.
gen. 45, sp. 6, Additam. f. 6. et Synonym. gen. 45,
sp. 6.
faie chardon. Daubenton , Encyclop. méthod. —
DES RAIES. 137
peigne dont on se sert pour fouler les
draps (1). Ces pointes , semées sur presque
toule la surface supérieure du poisson , ne
sont pas de la même longueur ; les plus
grandes occupent le milieu: du dos et le
dessus de la queue, où elles forment deux
ou trois rangées. De plus, il y a trois autres
aiguillons auprès de chaque œil, un en de-
vant et deux derrière. Tous ces piquans
sont larges à leur base, et leur extrémité se
recourbe vers la queue du poisson.
Il a le bec assez long et pointu, le dessus
du corps d’un blanchâtre mêlé de brun,
avec des taches noirâtres, et le dessous d’un
beau blanc, qui prend une légère teinte de
rougeûtre sur le ventre.
On trouve cette espèce dans presque toutes
Bonaterre, ibid, — Lacépède, Hist. nat. des pois-
sons, tom. I,
Raja dorso toto aculeato, dentibus acutis. Oth.
Fabr. Faun. groenland. p. 125, n° 87.
(1) Fullonica par nous est nommé ceste raie, à
cause que par-tout , aux aéles, au corps, en la tête,
en la queue , elle est toute pleine d’éguillons, comme
l'outil duquel les foulons accoustrent les draps, qui
est tout fait de pointes de fer. », ( Rondelet , à l’en-
droit ci-devant cité.)
136 CLS O ERIE
les mers d'Europe. Ses œufs sont jaunes et
sont formés dans l’ovaire au mois d'avril.
Elle se nourrit de petits poissons et de che-
vrettes. Elle ne quitte pas facilement le fond
de la mer; et lorsqu'elle veut changer de
place, elle avance par un mouvement ver-
tical de ses nageoires, et, en même tems,
par l'agitation horisontale de sa queue. Elle
est commune dans les anses les plus pro-
fondes des côtes du Groenland, particuliè-
rement daus le golfe de Tunnudliorbik. Sa
chair est dure, et dans ces contrées hyper-
boréennes, on ne la mange qu’à demi-cor-
rompue (1).
Artedi distingue deux variétés dans cette
espèce ; cependant il soupçonne que ces va-
riétés peuvent bien ne pas exister réellement.
{1) Oth. Fabr. Faun. Groenland. p. 126.
DES R AXES. 159
VAJRATÉ RONCE () (2),
BAR IL AGÉPÉDE:.
CUT NN MADEUE M ELLES PL CE:
Cr poisson est bien nommé; de toutes
les raies comprises dans le sous-genre qui
nous occupe, la ronce est en effet celle qui
est armée des piquans les plus forts, et qui
en présente le plus grand nombre. Indé-
pendamment d’une rangée de gros aiguillons,
(1) Raja rubus. Lin. édit. de Gmel.
Raja ordine aculeorum in dorso unico , tribusque
in cauda. Bloch, Histoire naturelle des poissons, 3,
PIS PAXXTIT CE DXXXIN.
Dasybatus elevatus, spinis clavis ferreis similibus ;
dasybatus clavatus rostro acuto ; dasybatus rostro
acutissimo ; etc. Klein, Miss. pisc. 3, p.356, n° 6,
7 et 6.
Raie ronce. Bonaterre , planches de l’Enc. meth.'T
Raja propriè dicta. Belon, Aquat. p. 70.
Raiïe cardaire. Wondelet, première partie, iv. 13,
chap. 14. — Gesner, Aquat. p.795 — 707. Icon.
an, p. 155 — 157. Thierb. p. 71, 72. — Aldrovand.
Pisc. p. 459 — 462.— Willughb..Ichth. p. 74 — 58,
140 HISTOIRE
que l’on a comparés à des clous de fer;
et qui s'étendent sur le dos; indépendam-
ment encore de trois rangées semblables qui
règnent le long de la queue, et qui, réumies
avec la rangée dorsale , forment le carac-
tère distinctif de cette espèce , on voit ordi-
nairement deux piquans auprès des narines.
On en compte six autour des yeux, quaire
sur la partie supérieure du corps, plusieurs
rangs de moins forts sur les nageoires pec-
torales, dix très-longs sur le côté inférieur
de l’animal ; tout le reste de la surface de
cetie raie est hérissé d’une quantité innom-
brable de petites pointes; et, comme la
plante dont elle porte le nom, elle n'offre
aucune partie que l’on puisse toucher sans
les plus grandes précautions (3).
tab. d,2 ,fig. 1, 3et 4.— Ray, Pise. p. 26, n°2 — 5.
Jonston , Pisc. tab. 10, fig. 5,0, tab. 2 , fig. 2, b.
Rough ray. Pennant, Brit. zool. 3, p. 66, n° 3.
{aie cardaire, raja spinosa. Valmont de Bomare,
Diction. d'histoire naturelle.
(2) En allemand, dornroche. En anglais, rough ray.
En Languedoc, cardaire. SONNI%I.
(5) L'ouverture de la bouche de la ronce est large;
ses mâchoires sont gernies de plusieurs dents en forme
de coin et pointues. SONNINI: j
DIF5S5 R'A I E:S. 14
Mieux armée que presque toutes lesautres
raies, elle attaque avec plus de succès, et se
défend avec plus d'avantage; d’ailleurs ses
habitudes sont semblables à celles que nous
avons exposées en traitant de la bats; et
on la trouve de même dans presque toutes
les mers de l’Europe (1).
Le dessus de son corps est jaunâtre , ta-
cheté de brun ; le dessous blanc; liris de
ses yeux noir; la prunelle bleuâtre. On
compte de chaque côté trois rayons dans la
nageoire appelée ventrale, six dans celle à
laquelle le nom d’anale a été donné; et
c’est dans cette espèce particulièrement que
lon voit avec de très-grandes dimensions
ces appendices ou crochets que nous avons
décrits en traitant de la batis, et que pré-
sentent les mâles de toutes les espèces de
raies (2).
(1) Cette espèce est plus commune dans les mers
du Nord, et on la pêche souvent à Hambourg.
SON NINI.
(2) Plusieurs ichthyologistes n’ont pas distingue
la ronce de la raie chardon, ni même de la raie
bouclée, tandis que d’autres , tel'que Rondelet, l’ont
présentée sous différens noms, comme formant des
espèces séparées. Il faut néanmoins convenir que
quelques races, dans le genre des raies, n’ont pas
142 Hi 5TOFRIE
encore été assez observées, pour assurer que Rondelet
n’a pas eu raison d’en multiplier les espèces.
C’est avee la raie ronce , la raie chardon et quel-
ques autres raies desséchées, que des charlatans
forment des figures fort singulières, qu’ils donnent
pour des squelettes d'animaux nouveaux et extra-
ordinaires. Des naturalistes en ont été les dupes
et ont publié, dans leurs ouvrages, les représenta-
tions de ces monstres factices , comme appartenant à
des êtres réellement existans. ( Voyez Belon, Gesner,
Aldrovande , Jonston, Ruysch , etc. etc.)
SONNINI.
DES RAIES 145
om
LA RAIE CHAGRINÉE (1)(2),
PAR LACÉPÉÈDE.
SIXIBME ESPÈCE.
L: corps de ce poisson est moins large,
à proportion de sa longueur, que celui de
la plupart des autres raies. Son museau est
long, pointu, et garni de deux rangs d’ai-
guillons. On voit quelques autres piquans
placés en demi-cercle auprès des yeux, dont
l'iris a la couleur du saphir. Les deux côtés
de la queue sont armés d’une rangée d’ai-
gullons ou d’épines, entremélés d’un grand
nombre de petites pointes. Le dessous du
corps est blanc; et le dessus, qui est d’un
brun cendré, présente, sur-tout dans sa
partie antérieure, des tubercules semblables
à ceux qui revêtent la peau de plusieurs
squales, particulièrement celle du requin,
et qui font donner à ce tégument le nom
de peau de chagrin.
(1) Pennant, Zool. britan. tom. IT, p. 84 , n° 34.
— Raie chagrinée. Honaterre, pl. de l'Enc. méth.
(2) Raja corpore anticè tuberculato : duplici acu-
leorum ordine in rostro et in caud&.... raja tuber-
culata. Bonaterre , loco suprà cituto. SonNint.
144 HISTOIRE
PRE RE EE EN EN TES
\
LA RAIE MUSEAU -POINTU (1),
ET
LA RATE -CO UCOU, (6),
PAR LACÉPÈDE.
SEPTIÈME ET HUITIÈME ESPÈCES.
$ j
C’rsr d’après des notes très-bien faites,
des dessins très-exacts, ou des individus
bien conservés, envoyés par le savant et
zélé citoyen Noël de Rouen, que nous fai-
sons connoître les sept raies dont nous venons
de donner le tableau.
La raie museau - pointu a beaucoup de
rapports avec l’oxyrinque ; mais, indépen-
damment des traits vérilablement distinctifs
de ces deux poissons, la première ne par-
vient guère qu'au poids de deux ou trois
kilogrammes (environ cinq ou six livres ),
pendant que l’oxyrinque pèse souvent jusqu'à
douze ou treize myriagrammes (environ
deux cent soixante livres ). La couleur de
(1) Raja rostrata. Petite raie à bec.
(2) Raja cuculus,
cette
7
DήES RAIES. PA
cette même raie à museau pointu est d'um
gris léger. J'ai recu du citoyen Noël deux
individus de cétte espèce, l’un mâle, et
l’autre femelle. La femelle différoit du
mâle par de petits aiguillons qu’elle avoit
au dessous du museau et à la circonférence
du corps.
La partie supérieure de la raie coucou
est bleuâtre, ou d’un brun fauve, et l’infé-
rieure d'un blanc sale. T'ouverture de la
bouche est petite ; mais les orifices des na-
rines sont grands, et l'animal peut les dilater
d’une manière remarquable. On voit dans
l'intérieur de la gueule, au delà des dents
de la mâchoire supérieure, une sorte de
cartilage dentelé, placé transversalement.
Les raies coucous sont moins rares vers les
côtes de Cherbourg qu'auprès de l’embou-
chure de la Seine. On en pêche du poids de
quinze kilogrammes (trente-six livres ). Le
tissu de leur chair est très-serré. La forme
de leurs dents , qui sont aiguës, ne permet
* pas de les confondre avec les raies aigles,
ni avec les pastenaques, malgré les grandes
ressemblances qui les en rapprochent.
Poiss. Tour IIL. K.
146 HISTOIRE
Rd es,
LA RAIE TORPILRE Wa) (2),
PAR LACÉPÈDE.
N-E UV ILÈME ÆES PÉCE.
Voyez la Jigure planche I V.
LL: forme, les habitudes et une propriété
remarquable de ce poisson l’ont rendu de-
puis long-lems lobjet de lattention des
(1) A Marseille , éroupille, dormilliouse. Dans plu-
sieurs départemens méridionaux, poule de mer. À
Bordeaux , tremoise. Sur les côtes voisines de Saint-
Jean-de-Luz, icara. À Gênes, tremorise, batte potta.
A Rome, ochiatella oculatella. En Angletare ,
cramp fish.
_ Aie torpille. Daubenton , Encyclop. méthod.
Raja torpedo. Liu. édit. de Gimelin. — Bloch,
: pi. CXXIII.
. Raïe torpille, Bonat. planches de l’'Enc. méth.
| Raja tota lævis. Artedi, gen. 75, SYN. 102 —
Mus. Adol, Fr, 2, plz *— Gron. Zooph. 155, tab. 9,
Ba. — Aristsdies,c. 154 15 3 1. 5,,c,6, 11: 1:65
c. T0:5-11 >» 1 308:0..97. — Ælian. L'r,.c 56: 15
c.37,1.9,c. 14. — Oppian. lib. 1, p. 5; 1.2, p. 52. —
ÂAthen. lib.’ 7, pag. 314.
. N'arcos. Cub. bb. 3 , cap. 62, fol. 85.
Torpedo. Plin. 1. 9, c. 16, 24, 42, 51 ;-et 1. 52,
C. 114 — P, Joy, c. 28 , p. 100.
7 IV.
De ere del.
à = =
SM
= — VE
= == EEE
Ï = HE <5
= |
S& = — =
ESS == ==
= ES
1. LA TORPILEE .
2.LA RAIE BOUCLEE .
DES RAÏIES. 147
physiciens. Le vulgaire l’a admiré, redouté,
Torpille. Rondelet , p. 1, liv. 12, chap. 18.
Occhiatella. Salvian. f. 142, 145. — Jonston, l.r,
tit 1, cap. 3, &. 5, puuct. 1, tab. 0, fig. 5, 4. —
Charlet. p. 129. — Matthiol. in Diosc. L. 2,c. 15,
p. 288. — Balk. Musc. prince. 38. — Mus. berler.
p. 57 ; tab. 26. — Blas. Anat. anim. p. 505. — Redi,
Exper. p. 55. — Kæmpfer , Amænit. exoc. p. 509,
tab. 510. — Mus. richter. p. 368. — J. Scortia nat. et
auct. Nil ,Âsr,:c 7, p. 46.
Narcocion demptä caud& circularis. Klein, Miss.
Pisc-. 9,08, n 1.
Torpedo maculis pentagonicè positis nigris. Shaw.
T'rav. app. p. 61 , n° 55.
Torpedo. Ray. — Willughby, p. 81.
Torpedo oculata prima, torpedo maculosa , et tor-
pedo maculosa supina. Gesner ( germ.) fol. 74 B,
et 75 a.
. Torpedo Salviani maculosa. Aldrovand. Nb. 5,
Cap. 45, pag. 417:
Torpedo oculata. Belen.
Torpedo | torpigo, stupescor. Lemery, Dictionn.
des drogues simples, p. 887.
Cramp-ray. Pennant , Brit. zool. tom. ITT, p. 67.
Torpille , torpède, tremble. Duhamel, Traité des
pèches, seconde partie, neuvième section, chap. 3,
pag. 286 , pl. xrrr.
Raja torpedo. Tota lœvis. Brunn. Pisc. mass. p. 1.
— Barthol. Acta hafn. 5, obs. 97. — Réaumur;
Mémoires de l’académie des sciences de Paris, 1714
— Pringle, Dis, on the torpedo , Loud. 1774.
K 2
148 HISTOTRE
métamorphosé dans un animal doué d’un
pouvoir presque surnaturel; et la réputation
de ses qualités vraies ou fausses s’est telle-
ment répandue, même parmi les classes les
moins instruites des différentes nations, que
son nom esi devenu populaire, et la nature
dé sa force, le sujet de plusieurs adages. La
tête de la torpille est beaucoup moins dis-
tinguée du corps proprement dit et des
nageoires pectorales, que celle de presqué
ioutes les autres raies; el l’ensemble de son
corps, si on en relranchoit la queue, res-
sembleroit assez bien à un cercle, ou, pour
(2) La torpille. En grec , narke , expression qui , de
même que le nom latin torpedo, rendu en français
par torpille, désigne l’engourdissement , la éorpeur
que cause ce, poisson, En allemand, zitéerfisch et
zilterrochen. En hollandais, brio ach , Stompvisch,
ziddervisch et trillroch. En anglais , crampfisch ;
eleçtrie ray. ct torpedo. En. portugais , viola. En
arabe , riad. En persan, /erzmachi. À Venise, sgram-
pho. En Sardaigne, torpedine, À Gênes, tremorise
et'batte porta. En Dalmatie, éernat. Dans lArchipel
de la Grèce, moudiastra. Au Brésil, para. Au cap
de Bonne-Espérance, crampec. Eucore à Marseille,
estorpijo. Sur une grande partie de. nos côtes dé
l'Océan, érermble et dormispliose,
.… Raja corpore plano , ovato, lœvi, caudato.... É
raja torpeda., Brunaich,, Ichtbyol. massil. p. 1.
SONNINL.
DES CRAN ES. 149
mieux dire, à un ovale dont on auroit
supprimé un segment vers le milieu du
bord antérieur. L'ouverture supérieure de
ses évenis est ordinairement entourée d’une
membrane plissée qui fait paroître cet orifice
comine dentelé. Autour de la parie supé-
rieure de son corps et auprès de l’épine dor-
sale, on voit une assez grande quantité de
petits trous d’où suinte une liqueur mu-
queuse plus ou moins abondante dans tous
les poissons, et qui ne sont que les ouver-
tures des canaux ou vaisseaux particuliers
destinés à lransmeltre ce suc visqueux aux
différentes portions de la surface de l'animal.
Deux nageoires nommées dorsales sont pla-
cées sur la queue, et l'extrémité de cette
partie est garnie d’une nageoire divisée,
pour ainsi dire, par cette mème extrémité,
en deux lobes, dont le supérieur est le plus
grand.
La torpille est blanche par dessous; mais
Ja couleur de son côté supérieur varie sui-
vant l’âge, le sexe et le climat. Quelquefois
cette couleur est d’un brun cendré, ét
quelquefois elle est rougeâtre; quelques in-
dividus présentent une seule nuance, et
d’autres ont un très-grand nombre de taches.
Le plus souveñt on en voit sur le dos cinq
KR 5
150. HISTOTRE
trés-grandes, rondes, disposées comme aux
cinq angles d’un pentagone, ordinairement
d’un bleu foncé, entourées tantôt d’un cercle
noir, tantôt d’un cercle blanc, tantôt de ces
deux cercles placés l’un dans l’autre, ou ne
montrant aucun cercle coloré. Ces grandes
taches ont assez de rapports avec celles que
l'on observe sur le miralet : on les a com-
parées à des yeux; elles ont fait donner à
l'animal l’épithèté d’æillé; et c’est leur ab-
sence, ou des variations dans leurs nuances
et dans la disposition de leurs couleurs, qui
ont fait penser à quelques naturalistes que
lon devoit compter quatre espèces diffé-
rentes de torpille, ou du moins quatre races
constantes dans cette espèce de raies (1) (2).
(1) Voyez l'ouvrage de Rondelet, à l'endroit
déjà cité.
(2) La première espèce que Rondelet a distinguée
est celle qui a sur le dos cinq grandes taches, sem-
blables à des yeux , et entourées d’un cercle blanc et
d’un autre noir. La seconde espèce a des taches
noires , rondes , disposées de la même manière que les
taches de la première, mais sans cercle. Les taches
de la troisième espèce sont de différentes formes et
semées sans ordre; enfin la quatrième n’a point de
taches.
Sur quelques torpilles, les taches sont disposées
DES RAIES. 5
L'odorat de la torpille semble être beau-
coup moins parfait que celui de la plupart
des autres raies et de plusieurs autres pois-
sons carlilagineux ; aussi sa sensibilité paroit-
elle beaucoup moindre. Elle nage avec moins
de vitesse; elle s’agite avec moins d’impé-
tuosité ; elle fuit plus diMicilement; elle
pouisuit plus foiblement ; elle combat avec
moins d’ardeur; et, avertie de bien moins
loin de la présence de sa proie ou de celle
de son ennemi, on diroit qu’elle est bien
plus disposée à être prise par les pêcheurs,
ou à succomber à la faim, ou à périr sous
la dent meurtrière de très-gros poissons.
Elle ne parvient pas non plus à une
grandeur aussi considérable que la batis et
quelques autres raies ; on n’en trouve que
très - rarement et qu’un bien petit nombre
d’un poids supérieur à vingt-cinq kilo-
grammes (soixante livres, ou environ) (1),
dans deux lignes parallèles , trois devant et trois der-
rière. Le dos de quelques autres, outre les cinq
taches noires, est marqué de blanc. L'on ne peut
décider si ces dissemblances proviennent de l’âge où
du sexe , ou si on doit les regarder comme l'effet de
la différence d’espèces. SONNINI.
(1) M. Walsh, membre du parlement d’Angle-
terre, et de la société de Londres, prit, dans Îa
K 4
152 EI SAT0OFERE
et ses muscles paroissent bien moins forts à
proportion que ceux de la batis.
Ses dents sont lrès-courtes ; la surface
de son corps ne présente aucun piquant ni
aiguillon. Petite, foible, indolente, sans
armes, elle seroit donc livrée sans défense
aux voraces habitans des mers dont elle
peuple les profondeurs, ou dont elle habite
les bords; mais, indépendamment du soin
qu’elle a de se tenir presque toujours cachée
sous le sable ou sous la vase, soit lorsque
la belle saison l’attire vers les côtes , soit
lorsque le froid l’éloigne des rivages et la
repousse dans les abimes de la haute mer,
elle a reçu de la Nature une faculté par-
üculière bien supérieure à la force des dents,
des dards, et des autres armes dont elle
auroit pu êlre pourvue ; elle possède la puis-
sance remarquable et redoutable de lancer,
pour ainsi dire, la foudre ; elle accumule
dans son corps et fait jaillir le fluide élec-
trique avec la rapidité de léclair; elle im-
baie de Tor, une torpille qui avoit quatre pieds de
long , deux pieds et demi de large, et quatre pouces
et demi dans sa plus grande épaisseur ; elle pesoit
cinquante-trois livres (O£ torpedos fonnd on the
coast of England, p.4.)
DE S CASLIENS. 155
prime une commotion soudaine et paraly-
sante au bras le plus robuste qui s’avance
pour la saisir, à l’amimal le plus terrible
qui veut la dévorer ; elle engourdit pour
des instans assez longs les poissons les plus
agiles dont elle cherche à se nourrir; elle
frappe quelquefois ses coups invisibles à
une distance assez grande , et par cette ac-
lion prompte, et qu'elle peut souvent re-
nouveler , annuiant les mouvemens de ceux
qui l’attaquent et de ceux qui se défendent
contre ses efforts, on croiroit la voir réaliser
au fond des eaux une partie de ces prodiges
que la poésie et la fable ont attribués aux
fameuses enchanteresses dont elles avoient
placé lempire au milieu des flots, ou près
des rivages.
Mais quel est donc dans la torpille lor-
gane dans lequel réside cette électricité
particulière ? et comment s'exerce ce pou-
. voir que nous n'avons encore vu déparli à
aucun des animaux que l’on trouve sur
l'échelle des êtres, lorsqu'on en descend Îles
dégrés depuis l’homme jusques au genre des
raies ?
De chaque côté du crâne et des branchies
est un organe particulier qui s'étend com-
munément depuis le bout du museau jusqu’à
154 HISTOIRE
ce cartilage demni-circulaire qui fait partie
du diaphragme , et qui sépare la cavité de
. Ja poitrine de celle de l'abdomen. Cet organe
aboutit d’ailleurs, par son côté extérieur ,
presque à l’origine de la nageoire pectorale.
11 occupe donc un espace d'autant plus
grand relativement au volume de l’animal,
qu'il remplit tout l'intérieur compris entre
la peau de la partie supérieure de la torpille,
et celle de la partie inférieure. On doit voir
aisément que la plus grande épaisseur de
chacun des deux organes est dans le bord
qui est tourné vers le centre et vers la ligne
dorsale du poisson , et qui suit dans son
contour toutes les sinuosilés de la tête et
des branchies contre lesquelles il s'applique.
Chaque organe est attaché aux parties qui
l’'environnent par une membrane cellulaire
dont le tissu est serré, et par des fibres
tendineuses , courtes, fortes et droites, qui
vont depuis le bord extérieur jusqu’au car-
üilage demi-circulaire du diaphragme.
Sous Ja peau qui revêt la partie supérieure
de chaque organe électrique, on voit une
espèce de bande éiendue sur tout l’ergane,
composée de fibres prolongées dans le sens
de la longueur du corps, et qui, exceplé
ses bords, se confond, dans presque toute
DES RAIES. 155
sa surface supérieure, avec le tissu cellulaire
de la peau.
Immédiatement au dessous de cette bande
on en découvre une seconde de même na-
ture que la première, et dont le bord inté-
rieur se mêle avec celui de la bande supé-
rieure , mais dont les fibres sont situées dans
le sens de la largeur de la torpille.
Cette bande inférieure se continue dans
l'organe proprement dit par un très-srand
nombre de prolongemens membraneux qui
y forment des prismes verticaux à plusieurs
pans, ou, pour mieux dire , des tubes creux,
perpendiculaires à la surface du poisson, et
dont la hauteur varie et diminue à mesure
qu'ils s’éloignent du centre dé l'animal ou
de la ligne dorsale. Ordinairement la hau-
teur des plus longs tuyaux égale six ving-
tièmes de la longueur totale de l'organe ;
celle des plus petits en égale un vingtième,
el leur diamètre, presque le même dans
tous, est aussi d’un vingtième, ou à peu
prés.
Les formes des différens tuyaux ne sont
pas toutes semblables ; les uns sont hexa-
gones, d’autres pentagones, et d’autres carrés;
quelques-uns sont réguliers, mais le plus
grand nombre est d’une figure irrégulière.
156 HAS TO IRE
Lesprolongations membraneuses quicom-
posent les pans de ces prismes sont très-
déliées , assez transparentes , élroitement
unies l’une à l’autre par un réseau lâche
de fibres tendineuses qui passent oblique-
ment et transversalement entre les tuyaux;
et ces tubes sont d’ailleurs attachés ensemble
par des fibres fortes et non élastiques qui
vont directement d’un prisme à l’autre. On
a compté, dans chacune des deux organes
d’une grande torpille, jusqu’à près de douze
cents de ces prismes. Au reste, entre la
partie inférieure de Forgane et la’peau qui
revèôt le dessous du corps du poisson , on
trouve deux bandes entièrement semblables
à celles qui recouvrent les extrémités supé-
rieures des tubes.
Non seulement la grandeur de ces tuyaux
augmente avec l’âge de la torpille, mais
eacore leur nombre s’accroit à mesure que
Vanimal se développe.
Chacun de ces prismes creux est d’ailleurs
divisé dans son intérieur en plusieurs inter-
valles par des espèces de cloisons horison-
tales , composées d’une membrane déliée
et très-transparente, paroissant se réunir
par leurs bords, attachées dans l’intérieur
des tubes par une membrane cellulaire très-
DES RAÏES. 15}
fine, communiquant ensemble par de petits
vaisseaux sanguins, placées l’une au dessus
de l’autre à de très-petites distances, et
formant un grand nombre de petits inters-
tices qui semblent contenir un fluide.
De plus, chaque organe est traversé par
des artères, des veines, et un grand nombre
de nerfs qui se divisent -dans toutes sortes
de directions entre les tubes, et étendent
de petites ramifications sur chaque cloison ,
où 1ls disparoissent (1).
T'el est le double instrument que la Nature
a accorde à la Lorpille ; tel est le double siège
de sa puissance électrique. Nous venons de
voir que ; lorsque cette raie est parvenue à
un certain dégré de développement, les deux
organes réunis renferment près de deux mille,
quatre cents tubes, Ce grand assemblage de:
tuyaux représente les batteries électriques ,
si bien connues des physiciens modernes ;
et que composent des bouteilles fulminantes,
appelées bouteilles de Leyde, disposées dans
(1) Ceux qui désiréront des détails plus étendus sur
les organes qe nons venons de déérire , pourront
ajouter aux résullats de nos observations ceux qu'ils
trouveront dans excellent ouvrage de J. Hunter,
intitulé : Observations anatomiques sur ld torpille.
158 H:15 TO LR'E
ces batteries de la même manière que les
tubes dans les organes de la torpille, beau-
coup plus grandes à la vérité, mais aussi
bien moins nombreuses.
Voyons maintenant quels sont les effets
de ces instrumens fulminans; exposons de
quelle manière la torpille jouit de son pou-
voir électrique. Depuis très-long-tems on
avoit observé , ainsi que nous l’avons dit,
cette curieuse faculté (1); mais elle étoit
encore inconnue dans sa nature et dans
(1) Parmi les anciens , Hippocrate est le premier
qui parle de la torpille, mais il ne fait pas mention
de la commotion que ce poisson excite dans ceux qui
le touchent. Cependant Platon, presque contempo-
rain d’Hippocrate , a connu la propriété électrique
de la torpille, car, dans un dialogue , il fait dire
à Socrate : «Tu m’as étourdi par tes objections,
comme la torpille, poisson de mer aplati, étourdit
ceux qui la touchent ».
Aristote a dit, au Liv. 9, chap. 57 de l'Histoire des
animaux, que quand la torpille veut prendre quel-.
ques poissons , elle se cache dans le sable et dans Je
limon , et qu'elle engourdit les poissons qui passent
au dessus d’elle. «Tout autant qu’elle en engourdit ,
ajoute Aristote, elle les prend; c’est un fait dont on
a des témoins oculaires». Plus loin, le philosophe grec
dit que l’engourdissement que canse la torpille est
assez conuu, et qu'elle le fait éprouver aux hommes
DES RAÏIES. 159
plusieurs de ses phénomènes, lorsque Redi
chercha à en avoir une idée plus nette que
les savans qui l’avoient précédé. 1l voulut
éprouver la vertu d’une torpille que lon
venoit de pêcher. & A peine lavois-je tou-
chée et serrée avec la main, dit cet habile
observateur (1), que j'éprouvai dans celte
parlie un picotement qui se communiqua
dans le bras et dans toute l’épaule, et qui
fut suivi d’un tremblement désagréable, et
mêmes. ( Voyez les notes sur l’histoire des animaux
d’Aristote , par Camus , tom. II , p. 800.)
Théophraste , Tiphilus , Pline , Plutarque et
d’autres auteurs anciens out parlé de la torpille ; mais
les passages de leurs ouvrages seroient assez inutiles
à rassembler; ils n’apprennent rien. Oppien est celui
de tous les anciens qui semble indiquer avec plus de
précision l’endroit du corps de la torpiile d’où sortent
les émanations électriques.
Natura torpedo datum , proprium quoque membris.
Hæc gravis et mollis, suut nullæ in corpore j'igre
Vires , et nimium piemitur gravitate natantem
Nou credas: liquidis ita clam subrepit in undis.
At duo se tollunt distenta per ilia rami.
Qui fraudem pro robore habent , piscemque tuentur.
Quos si quis tractat, perdit per membra vigorem,
Sanguine concreto rigidos nec commovet artus.
Volvuntur subito contracto in corpore vires.
ALIRTICON. lib. 2, v. 62.
SONNINI,
(1) Experimenta circa res diversas naturales,
160 ÉL'MS'E O TRE
d’une douleur accablante et aiguë dans le
coude, en sorte que je fus obligé de retirer
aussitôt la main ». Cet engourdissement à
été aussi décrit par Réaumur, qui a fait
plusieurs observations sur la raié torpille.
« Il est très-différent des engourdissemens
ordinaires, à écrit ce savant naturaliste; on
ressent dans toute létendue du bras une
espèce d’étonnement qu’il nest pas possible
de bien peindre ,; mais lequel (autant que
les sentimens peuvent se faire connoître par
comparaison) a quelque rapport avec la
sensation douloureuse que Fon éprouve dans
le bras lorsqu'on s’est frappé rudement le
coude contre quelque corps dur (1) ».
Redi, en continuant de rendre compte de
ses expériences sur la raie dont nous écri-
vons l’histoire, ajoute : & La même impres-
sion se renouveloit toutes les fois que je
m'obstinois à toucher de nouveau Ja torpiile.
Il est vrai que la douleur et le tremblement
diminuérent à mesure que la mort de la
torpille approchoit,: Souvent même je n’é-
prouvois plus aucune sensation semblable
aux premières; et lorsque la torpille fut
A 0 de 0
(1) Mémoires de l'académie des sciences, année
17140"
décidément
DESMRMATES. 164
décidément morte, ce qui arriva dans les-
pace de trois heures, je pouvois la manier
en sûreté, et sans ressentir aucune impres-
sion fâcheuse. D’après cette observation , je
ne suis pas surpris qu'il y ait des gens qui
révoquent cet effet en doute, et regardent
l'expérience de la torpille comme fabuleuse ;
apparemment parce qu'ils ne l’ont jamais
faite que sur une torpille morte ou près de
mourir »4
Mais ce n’est pas seulement lorsque la
torpille est trés - affoiblie et près d’expirer
qu'elle ne fait plus ressentir de commotion
électrique; il arrive assez souvent qu’elle ne
donne aucun signe de sa puissance invisible,
quoiqu’elle jouisse de toute la plénitude de
ses forces. Je l'ai éprouvé à la Rochelle ;
en 1777, avec trois ou quatre raies de cette
espèce qui n’avoient été pêchées que depuis
très-peu de tems, qui étoient pleimes de vie
dans de grands baquets remplis d’eau, et
qui ne me firent ressentir aucun coup que
près de deux heures après que j'eus com-
mencé de les toucher et de les manier en
différens sens. Réaumur rapporte même;
dans les Mémoires que je viens de citer ,
qu’il toucha , impunément et à plusieurs re-
prises, des torpilles qui étoient encore dans
Poiss. Tome IJ1. L
3162 MISTOIRE
la mer, et qu’elles ne lui firent éprouver
leur vertu engourdissante que lorsqu'elles
furent fatiguées en quelque sorte de ses attou-
chemens réitérés. Mais revenons à la narra-
tion de Redi, et à l’exposition des premiers
phénomènes relatifs à la torpille, et bien
observés par les physiciens modernes.
« Quant à l'opinion de ceux qui prétendent
que la vertu de la torpille agit de lom, a
écrit encore Redi, je ne puis prononcer ni
pour ni contre avec la même confiance.
Tous les pêcheurs affirment constamment
que cette vertu se communique du corps
de la torpille à la main et au bras de celui
qui la pêche par l’intermède de la corde du
filet et du bâton auquel il est suspendu.
L'un d'eux m'assura même qu'ayant mis
une torpille dans un grand vase, et étant
sur le point de remplir ce vase avec de
l'eau de mer qu’il avoit mise dans un second
bassin, il s’étoit senti les mains engourdies,
quoique légèrement. Quoi qu'il en soit, je
n'oserois nier le fait; je suis même porté à
le croire. Tout ce que je puis assurer, c’est
qu’en approchant la main de la torpille sans
la toucher, ou en plongeant mes mains dans
Veau où elle étoit, je n’ai ressenti aucune
impression. Il peut se faire que la torpille,
DES RATES. 163
lorsqu'elle est encore pleine de vigueur dans
Ja mer, et que sa vertu n’a éprouvé aucune
dissipation, produise tous les effets rapportés
par les pêcheurs ».
Redi observa de plus que la vertu de la
torpiile n’est jamais plus active que lorsque
cet animal est serré fortement avec la main,
et qu'il fait de grands efforts pour s'échapper.
_ Indépendamment des phénomènes que
nous venons d'exposer, il remarqua les
deux organes parliculiers situés auprès du
crâne et des branchies, et que nous veneus
de décrire; et il conjectura que ces organes
_devoient être le siège de la puissance de la
torpille. Mais, lorsqu'il voulut remonter à
la cause de l’engourdissement produit par
cette raie, il ne trouva pas dans les con-
noissances physiques de son siècle les secours
nécessaires pour la découvrir; et se corfor-
mant, ainsi que Perrault et d’autres savans,
à la manière dont on expliquoit de son
tems presque tous les phènomènes, il eut
recours à une infimité de corpuscules qui
sortent continuellement, selon lui, du corps
de la torpille, sont cependant plus abon-
dans dans certaines circonstances que dans
d’autres, et engourdissent les membres dans
lesquels ils sinsinuent, soit parce qu'ils s’y
9
164 EU S TO KR:E
précipitent en trop grande quantité, soit
parce qu'ils s’y trouvent des routes peu
assorties à leurs figures.
Quelque inadmissible que soit cette hypo-
thèse, on verra aisément, pour peu que
lon soit familier avec les théories élec-
triques, qu’elle n’est pas aussi éloignée de
la vérité que celle de Borelli, qui eut re-
cours à une explication plus mécanique.
Ce dernier auteur distinguoit deux états
dans la torpille : l’un où elle est tranquille,
l’autre où elle s’agite par un violent trem-
blement; et 1l attribue la commotion que
l’on éprouve, en touchant le poisson, aux
percussions réitérées que cette raie exerce,
à l’aide de son agitation, sur les tendons et
les ligamens des articulations.
Réaumur vint ensuite ; mais, ayant ob-
servé la torpille avec beaucoup d'attention,
et ne l'ayant jamais vue agitée du mouve-
ment dont parle Borelli, même dans l’ins-
tant où elle alloit déployer sa puissance, il
adopta une opinion différente , quoique
rapprochée, à beaucoup d'égards, de celle
de ce dernier savant.
€ La torpiile, dit-1l, n’est pas absolument
plate; son dos, ou plutôt tout le dessus de
son corps, est un peu convexe. Je remarquai
DES KR 'ATTES. 165
que, pendant qu'elle ne produisoit ou ne
vouloit produire aucun ergourdissement
dans ceux qui la touchoient, son dos gar-
doit la convexité qui lui est naturelle. Mais
se disposoit-elle à agir, insensiblement elle
diminuoit la convexité des parties de son
corps qui sont du côté du dos, vis-à-vis de
la poitrine ; elle aplatissoit ces parties; quel-
quefois même de convexes qu’elles sont ,
elle les rendoit concaves : alors l'instant éloit
venu où l’engourdissement alloit s'emparer
du bras ; le coup étoit prêt à partir, le bras
se trouvoit engourdi; les doigts qui pres-
soient le poisson étoient obligés de lâcher
prise ; toute la partie du corps de l'animal
qui s’éloit aplatie redevenoit convexe. Mais,
au lieu qu’elle s’étoit aplatie insensiblement,
elle devenoit convexe si subitement qu’on
n’apercevoit pas le passage d’un élat à
lautre..... Par la contraction lente qui est
l'effet de laplalissement, la torpille bande,
pour ainsi dire, tous ses ressorts; elle rend
plus courts tous ses cylindres; elle aug-
mente en même tems leurs bases. La con-
traction s’est-elle faite jusqu'à un certain
point, tous les ressorts se débandent, les
fibres longitudinales s’alongent; les transver-
sales, ou celles qui forment les cloisons, se
L 5
166 HASTOITRE
raccourcissent ; chaque cloison, tirée par les
fibres longitudinales qui s’alongent, pousse
en haut la matière molle qu'elle contient,
à quoi aide encore beaucoup le mouvement
d’ondulation qui se fait dans les fibres trans-
versales lorsqu'elles se contractent. Si un
doigt touche alors la torpille, dans un ins-
tant il recoit un coup, ou plutôt il reçoit
plusieurs coups successifs de chacun des
cylindres sur lesquels 1l est appliqué.....
Ces coups réitérés donnés par une matière
moile ébranlent les nerfs; ils suspendent ou
changent le cours des esprits animaux ou
de quelque fluide équivalent; ou, si on
l'aime mieux encore, ces coups produisent
dans les nerfs un mouvement d’ondulation
qui ne s'accommode pas avec celui que
nous devons leur donner pour mouvoir le
bras. De là naît l'impuissance où l’on se
trouve d'en faire usage , et le sentiment
douloureux ».
Aprés cette explication , qui, malgré les
erreurs qu'elle renferme relativement à la
cause immédiate de l’engourdissement , ou,
pour mieux dire; d’une commotion qui
n'est qu'une secousse électrique, montre les
mouvemens de contraction et d'extension
que la torpille imprime à son double organe
DES RAIES. 167
lorsqu'elle veut paralyser un être vivant qui
la touche. Réaumur rapporte une expé-
rience qui peut donner une idée du dégré
auquel s'élève le plus souvent la force de
lélectricité de la raie dont nous traitons. Il
mit une torpille et un canard dans un vase
qui contenoit de l’eau de mer, et qui étoit
recouvert d’un linge, afin que le canard ne
püt pas s’envoler. L'oiseau pouvoit respirer
trés - librement, et néanmoins au bout de
quelques heures on le trouva mort : il avoit
succombé sous les coups électriques que lui
avoit portés la torpille; il avoit été, pour
ainsi dire, foudroyé par elle.
Cependant la science de l'électricité fit
des progrès rapides, et fut cultivée dans
tout le monde savant. Chaque jour on cher-
cha à en étendre le domaine; on retrouva
la puissance électrique dans plusieurs phéno-
mènes dont on n’avoit encore pu donner
aucune raison satisfaisante. Le docteur
Bancroft soupconna l'identité de la vertu
de la torpille, et de l’action du fluide élec-
trique ; et enfin M. Walsh, de la société
de Londres, démontra cette identité par des
expériences très-nombreuses qu'il fit auprès
des côtes de France, dans l’île de Ré, et
qu'il répéta à la Rochelle, en présence des
L 4
168 HISTOIRE
membres de l'académie de cette ville (1).
Voici les principales de ces expériences (2).
(1) Of the electric property of the torpedo.
London , 1774.
(2) Je ne dois pas passer sous silence l’opinion
d’un anglais , qui a cru trouver la cause de la com-
motion excitée par la torpille dans le magnétisme.
Voici les expériences par lesquelles il a prétendu
appuyer son sentiment à ce sujet : elles ont été
publiées à la suite d’une Dissertation en anglais sur
le pian, par le docteur Godefroi Wils Schilling,
et traduites dans le Journal de physique du mois de
septembre 1772.
« La commotion que la torpille donne à l’homme
qui la touche, est sans contredit surprenante. La
ressemblance de cette commotion avec les effets de
l'électricité, a fait comparer ce poisson par plusieurs
physiciens avec la bouteille de Leyde , et les a portés
à croire que tous ses effets dépendent de sa vertu élec-
trique. Je n’admettrai ni ne rejetterai cette opinion;
peut-être trouvera-t-on, dans les observations sui-
vantes, un motif de plus pour l’admettre, Cette raison
paroîtra sur-tout démonstraiive à ceux qui pensent
que la vertu électrique et la force magnétique recon-
noissent le même principe. J’ai eu, au mois de juillet
de l’année 1764, une torpille de six pouces de lon-
gueur et d’un pouce d'épaisseur, sur laquelle j'ai
répété des expériences avec l'attention la plus scru-
puleuse,
» Ce poisson fut placé dans un baquet assez grand
DES RAIES. 169
On posa une torpiile vivante sur une ser-
viette mouillée. On suspendit au plancher,
———— —— —_—— ——_—_—_—_—_—_— re © À
pour pouvoir y nager commodément. [1 excitoit de si
fortes commotions que tous ceux qui le touchèrent
perdirent pour un moment la faculté de mouvoir
leur bras et le sentiment dans cette partie.
» J’avois alors deux pierres d’aimant , l’une natu-
relle et l’autre artificielle ; à l’une des deux étoit
suspendu un poids de quatre onces. Après avoir
enlevé ce poids, j'approchois laimant du poisson
placé dans l’eau sur une table, et je vis le poisson
se mouvoir aussitôt dans toutes ses parties, quoiqu'il
ne fût touché par aucun corps; ayant approché
Vaimant de plus près, je vis avec étonnement ce
poisson faire des efforts pour s’enfuir; mais, pour
pousser plus loin mon expérience, j'appayai mon
aimant sur l’eau dans laquelle le poisson nageoit. Ea
torpille s'étant agitée pendant près d’une heure de
plusieurs manières différentes, s’approcha enfin de
plus en plus de Paimant , et s’attacha à lui de la
même manière que le fer s’y attache. Ce spectacle
me frappa tellement que j’appelai à lPinstant tous
mes amis , afin de les rendre témoins de ce plhéno-
mène ; M. Stok , docteur en médecine et excellent
physicien, fut du nombre.
« Nous séparâmes le poisson d’avec l’aimant par
le moyen d’un instrument de bois et avec beaucoup
de précautions, parce que personne n’osoit le tou-
cher. Il paroissoit d’abord se séparer de lui-même
pour ainsi dire, mais à contre cœur ; il étoit lan-
guissant , et lorsqu'il fut à une certaine distance , 1l
170 HASTOIRE
et avec des cordons de soie, deux fils de
laiton : tout le monde sait que le laiton,
reprit sa première vigueur. Alors un des assistans le
toucha sans sentir aucune commotion. Peu de jours
après , il s’'approcha de nouveau de l’ainant , comme
s’il en étoit attiré ; il demeura attaché pendant près
de demi-heure, après quoi il quitta l’aimant de
lui-même ; alors on pouvoit le toucher impunément :
Paimant n’empêcha pas le poisson de prendre sa
nourriture, quoique suspendu dans l’eau.
» Après avoir retiré celte pierre de l’eau , nous
Ja trouvâmes couverte de petites particules ferru-
gineuses , comme lorsqu'on approche lPaimant de la
Hmaille de fer. Ce nouveau phénomène angmenta
notre surprise et fit naître de nouvelles conjectures.
Je jetai la torpille dans un autre baquet où j'avois
fail mettre de petits poissons , des vers et des mor-
ceaux de pain. Le poisson en est devenu plus vigou-
reux , et on pouvoit alors le toucher impunément, Je
voulus recommencer mes expériences au bout de
quelques Jours, mais je m’aperçus que la torpille
n’avoit plus aucune vertu. Huit jours après, ayant
observé la même chose, je m’avisai de jeter de la
limaille de fer dans l’eau où étoit la torpille , Ctrelte
ne tarda pas à recouvrer sa vertu. Quelques jours
après, elle produisit sur mes doigts une commotion
assez forte, mais elle ne parvint pas jusqu’au coude.
» L’aimant étant approché de nouveau, le poisson
s’y attacha comme la première fois; il n’y demeura
pas aussi long-tems, ct il ne causa plus dans la suite
de commotions sensibles au bras de ceux qui le tou-
DES CROATIES. 171
ainsi que tous les métaux, est un très-bon
conducteur d'électricité, c’est-à-dire, qu'il
conduit ou transmet facilement le fluide
électrique , et que la soie est au contraire
non conductrice, c’est-à-dire, qu’elle op-
pose un obstacle au passage de ce même
fluide. Les fils de laiton employés par
M. Walsh furent donc, par une suite de
leur suspension avec de la soie, isolés, ou,
ce qui est la même chose , séparés de toute
substance perméable à l'électricité ; car l'air,
au moins quand il est sec, est aussi un très-
mauvais conducteur électrique.
chèrent. Depuis ce tems, je n’ai laissé échapper
aucune occasion d'examiner ce magnétisme. J’ai
observé que la grosseur du poisson contribuoit beau-
coup à l’augmentation de sa vertu, et que celle-ci
étoit proportionnée à l’autre. J’ai approché l’aimant
d’une torpille de six pieds de longueur, mais fort
mince; elle a demeuré très-long-tems avaut de s’y
attacher; enfin elle s’y est unie au bout de vingt-
quatre heures. Les plus petites m'ont toujours paru
moins rebelles contre l’aimant. À la première ap-
proche de cette pierre, elles éprouvent une plus forte
attraction ; jai même vu une torpille de quatre pieds
de long et d’environ un pied d'épaisseur, n’être
point du tout affectée par mes aimans. On parviendroit
peut-être à Les attirer avec des aimans plus forts ».
SONNINI.
172 HISTOTRE
Auprès de la torpille étoient huit per-
sonnes disposées ainsi que nous allons Îe
dire, et isolées par le moyen de tabourets
faits de matières non conductrices, et sur
lesquels elles étoient montées.
Un bout d’un des fils de laiton étoit ap-
puyé sur la serviette mouillée qui soutenoit
la torpille, et l’autre bout aboutissoit dans
un premier bassin plein d’eau (1). La pre-
mière personne avoit un doigt d’une main
dans le bassin où étoit le fil de laiton, et un
doigt de lautre main dans un second bassin
également rempli d’eau; la seconde personne
tenoit un doigt d’une main dans le second
bassin , et un doigt de l’autre main dans un
troisième; la troisième plongeoit un doigt
d’une main dans le troisième bassin, et un
doigt de l’autre main dans un quatrième,
et ainsi de suite, les huit personnes com-
muniquoieut l’une avec l’autre par le moyen
de l’eau contenue dans neuf bassins. Un
bout du second fil de laiton étoit plongé
dans le neuvième bassin; et M. VValsh
ayant pris l’autre bout de ce second fil mé-
tallique, et l'ayant fait toucher au dos de
a DR se
(1) Nous n’avors pas besoin d'ajouter que l’eau
est un excellent conducteur.
MES RAIES. 175
Ja torpille, il est évident qu'il y eut à lins-
tant un cercle conducteur de plusieurs
pieds de contour, et formé sans interruption
par la surface inférieure de lanimal, la ser-
vielte mouillée, le premier fil de laiton, le
premier bassin, les huit personnes, les huit
autres bassins, le second fil de laiton, et le
dos de la torpille. Aussi les huit personnes
ressentirent-elles soudain une commotion
qui ne différoit de celle que fait éprouver
une batterie électrique que par sa moindre
force ; et, de même que dans les expé-
riences que l’on tente avec cette batterie,
M. Walsh, qui ne faisoit pas partie du
cercle déférent ou de la chaîne conductrice,
ne recul aucun coup, quoique beaucoup
plus près de la raie que les huit personnes
du cercle.
Lorsque la torpille étoit isolée, elle fai-
soit éprouver à plusieurs personnes isolées
aussi quarante où cinquante secousses suc-
cessives dans l’espace d'une minute et demie:
ces secousses éloient toutes sensiblement
égales; et chaque effort que faisoit animal
pour donner ces commotions éloit accom-
pagué d’une dépression de ses yeux, qui,
très-saillans dans leur état naturel, ren-
troient alors dans leurs orbites, tandis que
174 HISTOIRE
le reste du corps ne présenltoit presque aucun
mouvement très-sensible (1).
Si l'on ne touchoit que lun des deux
organes de la torpille, il arrivoit quelque-
fois qu’au lieu d’une secousse forte et sou-
daine, on n’éprouvoit qu'une sensation plus
foible , et pour ainsi dire plus lente ; on
ressentoit un engourdissement plutôt qu’un
coup; et quoique les yeux de lanimal fussent
alors aussi déprimés que dans les momens
où il alloit frapper avec plus d'énergie et
de rapidité, M. Walsh présumoit que l’en-
gourdissement causé par cette raie provient
d’une décharge successive des tubes très-
nombreux qui composent les deux sièges
de son pouvoir , tandis que la secousse su-
bite est due à une décharge simultanée de
tous ses tuyaux.
Toutes les substances propres à laisser
passer facilement le fluide électrique, et
qu'on a nommées conductrices, transmet-
(1) Kæmpfer a écrit ( Amænit. exot. 1712, p.514)
que l’on ponvoit , en retenant son haleine , se garantir
de la commotion que donne la torpille; mais M. Walsh,
et plusieurs autres physiciens qui se sont occupés de
l'électricité de cette raie, ont éprouvé que cette
précaution ne diminuoit en aucune manière la force
de la secousse produite par ce poisson électrique.
L
DES RATES. 175
toient rapidement la commotion produite
par la torpille ; et tous les corps appelés
non conducteurs , parce qu'ils ne peuvent
pas livrer un libre passage à ce même fluide,
arrêtoient également la secousse donnée
par la raie, et opposoient à sa puissance
un obstacle insurmontable. En. touchant,
par exemple , l'animal avec un bâton de
verre, ou de cire d'Espagne , on ne res-
sentoit aucun effet; mais on étoit frappé
violemment lorsqu'on mettoit à la place de
la cire ou du verre une barre métallique
ou un corps très-mouillé.
Tels sont les principaux effets de l’élec-
tricité des torpilles, très-bien observés et
très-exactement décrits par M. VValsh, et
obtenus depuis par un grand nombre de
physiciens. Ils sont entièrement semblables
aux phénomènes analogues produits par
l'électricité naturelle des nuages , ou par
Pélectricité artificielle des bouteilles de
Leyde et des autres instrumens fulminans.
De même que la foudre des airs ou la foudre
bien moins puissante de nos laboratoires,
l'électricité de la torpille, d'autant plus forte
que les deux surfaces des batteries fulmi-
nantes sont réunies par un contact plus
grand et plus immédiat, parcourt un grand
i76 HAS T'ORRE
cercle, traverse tous les corps conducteurs;
s'arrête devant les substances non conduc-
trices , engourdit ou agite violemment, et
met à mort les êtres sensibles qui ne peuvent
se soustraire à ses coups que par l'isolement,
qui les garantit des eflets terribles des nuages
orageux.
Une différence très-remarquable paroît
cependant séparer cette puissance des deux
autres : la torpille , par ses contractions, ses
dilalations, et les frottemens qu’elles doivent
produire dans les diverses parties de son
double organe, charge à l'instant les milliers
de tubes qui composent ses batteries ; elle
y condense subitement le fluide auquel elle
doit son pouvoir, tandis que ce n’est que
par des dégrés successifs que ce même fluide
s'accumule dans les plateaux fulminans, ou
dans les batieries de Leyde.
D'un autre côté , on n’a pas pu jusqu’à
présent faire subir à des corps légers sus-
pendus auprès d’une Lorpille les mouve-
mens d'attraction et de répulsion que leur
imprime le voisinage d’une bouteille de
Leyde ; et le fluide électrique, lancé par
celte raie, n’a pas pu, en parcourant son
cercle conducteur, traverser un intervalle
assez grand d’une partie de ce cercle à une
autre ,
DES RAIES. 177
autre, et être assez condensé dans cet espace
pour agir sur le sens de la vue, produire
la sensation de la lumière, et paroître sous
la forme d’une étincelle. Mais on ne doit
pas désespérer de voir de très-grandes tor-
pilles faire naître dans des tems favorables,
et avec le secours d’ingénieuses précautions,
ces derniers phénomènes que l’on a obtenus
d’un poisson plus électrique encore que la
torpille, et dont nous donnerons l’histoire
en traitant de la famille des gymnotes , à
laquelle il appartient (1). On doit s'attendre
d'autant plus à voir ces effets produits par
un individu de l’espèce que nous examinons,
qu'il est aisé de calculer que chacune des
deux principales surfaces de l'organe double
et électrique d’une des plus larges torpilles
pêchées jusqu’à présent devoit présenter une
étendue de cent décimètres ( près de vingt-
neuf pieds ) carrés ; et tous les physiciens
savent quelle vertu redoutable l'électricité
artificielle peut imprimer à un seul plateau
fulminant de quatorze décimètres carrés
(1) Voyez le Discours sur la nature des poissons,
et l’article du gymnote électrique , vulgairement
connu sous le nem d’anguille de Cayenne, ou de
Surinam. ai
Poiss, Tome III. M
178 HISTOIRE
( quatre pieds carrés ou environ ) de sur
face (1).
(1) Des expériences nouvelles ont été faites sur la
propriété singulière et curieuse de la torpille; elles
sont trop importantes pour être omises , CL lee com=
pletteront l’histoire d’un poisson sHBre.
Je rapporterai d'abord les recherches d’un grand
observateur, de l’abbé Spallanzani.
Spallanzani a eu occasion d'observer deux torpilles
dans la Méditerranée. Ses observations s'accordent
avec celles de M. Walsh.Il a reconnu , comme ce savant,
que la sensation occasionnée par la torpille est très-
différente d’un simple engourdissement ; il a vu aussi
que, lorsqu'on place la torpille sur une lame de
verre , elle donne un coup beaucoup plus fort; mais
sl n’a pas été plus heureux que lui pour découvrir
V’étincelle au moment du choc. Cependant il n’hésite
point à regarder tous les phénomènes que présente
ce poisson cemme un effet de l'électricité : il appelle
par-tout commotion le coup qu’il lance. Il se fonde
à cet égard sur la parfaite ressemblance de la sen-
sation que la torpille occasionne , avec celle que fait
éprouver la bouteille de Leyde, et sur la plus grande
force du choc, lorsqu'on place la torpille sur une
lame de verre; mais il n’entreprend point d'expliquer
quelles sont les modifications que le fluide électrique
subit dans le corps de cet animal , et comment il y est
mis cn jen.
Comme il n’a eu en sa possession que deux tor-
pilles , il n’a pas pu répéter toutes les expériences
que M. Walsh a exécutées ; mais il en a fait quelques-
A reste, ce n’est pas seülement dans la
nes qui lui sont propres. & En irritant le dos de la
#orpille, j'obtenois, dit-il, la secousse , soit qu’elle
füt hors de l’eau, soit qu’elle y fût plongée. La
secousse se faisoil sentir, où à une seule main, ou à
toutes les deux, suivant que j’en appliquois ou une
seule , où l’une et l’autre sur le dos du poisson. Si,
au lieu d'irriter le dos, je piquois légèrement la poi-
trine » 7€ récevois également une commotion, mais
pas aussi élément qu’en piquant le dos. Si j’irri-
tois lé dés d’une main, et la poitrine de l’autre , celle-
Jà recevoit la commotion, et non pas duase Mais
lorsque j’irritois Le dos avec deux doigts d’une main,
&t avec Îles huit autres doigts la poitrine, alors c’est du
côté de la poitrine que partoit la secousse. Jai obtenu
tous ces résultats , sans m'être jamais isolé , et il étoit
aussi indifférent que le poisson le fût on ne le fût
pas... J’ai rapporté cette suile de faits, non pour
‘éontredire la belle théorie des deux états différens de
Pélectricité , découverts sur la torpille par M. Walsh,
mais pour là soumettre au jugement des physiciens
qui cultivent cette branche naissante d’expériences
physiologico-électriques ». |
Quelques minutes avant que les torpilles expi-
rassént , elles offrirent à l’ohservateur un fait assez
curieux. Les secousses ne se firent plus sentir alors,
comme auparavant ; par intervalles ; elles se chan-
gèrent en une batterie continuelle de petits coups
ässez légers. « Supposez, ce sont ses termes , que
ÿ'eusse sous Îles doigts un cœux actuellement en pul-,
M 2
180 ETS T O FRE
Méditerranée et dans la partie de l'Océan
sation , et vous aurez quelque idée de ce phénomène
bizarre , à l’exception que ce cœur n’auroit produit
sur moi aucune sensation douloureuse, là où ces
petites secousses occasionnoient sur une main une
véritable douleur , qui ne s’étendoit pas au delà des
doigts. La batterie dura sept minutes ; et pendant ce
court espace de tems, mes doigts ressentirent trois
cent seize secousses; puis elles s interrompirent , et
alors je n’éprouvai Ale que quelques secousses lan-
guissantes.toutes les deux ou trois Are jusqu’à
ce que la torpille fût morte ».
M. Spallanzani nous apprend encore cet autre fait
intéressant , que la torpille est capable de donner la
secousse électrique , non seulement lorsqu'elle est née
et qu’elle nage dans l’eau, mais aussi lorsqu'elle est
encore comme fœlus renfermé dans le sein mater-
nel. 1l en disséqua une à l'instant où elle venoit
d’expirer : c’étoit une femelle. T1 vit dans son ovaire
des œufs presque ronds et de différentes grandeurs;
et en ouvrant deux vaisseaux qui aboutissoient au
rectum , il trouva deux fœtus parfaitement formés
qu’il détacha de Jeurs enveloppes, et qu’il soumit
aux mêmes épreuves qu'ilavoit faites sur leur mère;
ils Ini donnèrent une véritable secousse , petite à la
vérité , mais très-sensible, et qui le devint plus encore
lorsqu’ il les isola sur une ne de verre. |
En 1792, Guisan répéta les expériences de Walsh,
de Willamson, d’Ingenhouz , etc. et son travail servit
à confirmer celui des premiers observateurs. 11 a cons-
taié que la propriélé électrique dans la torpille ne
qui baigne les côtes de l'Europe , que l’on
survivoit pas au battement du cœur, et il a aperçu
la lumière de létincelle électrique dans l’obscurité;
il a vu cette étincelle avec facilité, l’a fait voir à
beaucoup de personnes, ainsi que les aigrettes lumi-
neuses que l’on observe souvent dans les expériences
de l'électricité.
Une lettre de Vassali-Eandi à J. C. Delamétherie,
publiée en 1799 dans le Journal de physique , annonce
que ce physicien se propose de vérifier les faits avan-
cés par les observateurs qui Pont précédé. « Je crois,
dit-il, que je trouverai quelques vérités parmi les
fables qu’Aristote , Pline , Théophraste et leurs com-
mentateurs ont débitées sur la torpille. Je tâcherai de
réduire à leur juste valeur les relations singulières
que Schilling et Kæmpfer nous ont laissées sur cet
objet ». Spallanzani avoit fait voir à Vassali , dès 1702,
ses grandes tables sur l’anatomie des organes électri-
ques de la torpille , et lui avoit dit qu'ayant essayé de
couper les trois grands faisceaux nerveux , qui , en se
divisant , viennent embrasser les prismes remplis de
matière molle qui composent la plus grande partie
du corps de la torpille , il observa que le poisson
perdoit la propriété de donner des secousses; ce qui
fait dire à Vassali que dans la torpille les nerfs expri-
ment l’électricité contenue dans les muscles , et qu’au
contraire, lorsqu'on n’avoit point touché aux nerfs, on
obtenoit encore de petites secousses de cet animal,
même quelque tems après sa mort.
Vassali expose ensuite sa théorie en peu de mots,
dans les termes suivans :
M 3
182 HISTOIRE:
trouve la torpille ; on rencontre aussi cetié
‘
« Je soupçonne que les poissons secouans ont Îa
faculté de condenser le fluide électrique dans une
partie de leur corps , et que dans la posilion ordinaire
de leurs organes intérieurs , ce fluide est retenu par
un voile cohibent , qui devient ensuite déférent par
la raréfaction, où par laddition des humeurs, et
laisse passer l’électricité condensée chaque fois que
le poisson veut donner la secousse. Dans cette théorie,
l'air et la nourriture fourmiroient l'électricité, comme
aux autres animaux (Journal de physique, germinal
an 7, pag. 359), et les organes électriques seroicnt
la partie du corps dans laquelle se condenseroit le
fluide électrique : le milicu , dans lequel vit la tor-
pille, ne sauroit présenter aucun obstacle à cette
théorie , soit à cause de la structure de l'animal , qus
par la nature de l’eau relativement à l'électricité.
» Je ne chercherai pas à prouver la première de ces
propositions, ayarrt en elle-même le plus grand dégre
de probabilité , comme je l’ai dit dans la lettre sus-
mentionnée ; elle démontre aussi que les différentes
parties de l’animal ont dans le même tems des élec-
tricités contraires ; et la dénomination d’organes
électriques , qui,a été donnée par les auteurs aux
muscles décrits par Redi et Fern@n, me paroït con
frmer la seconde; car ils ne donnèrent ce nom aux
muscles des poissons secouans qu'après avoir été
persuadés que la secousse étoit électrique , et qu’elle
venoit de ces organes. Je pourrois encore appuyer
mon assertion par la nature même des organes de la
torpiile , qui sont composés d'un très- grand nombre
DES" RATES. 183
raie dans le golfe Persique , dans la mer
de tuyaux hexagones et pentagones ( Hunter en
compta 1182 dans un seul muscle d’une torpille
longue de près d’un mètre [ trois pieds |), lesquels se
partagent , selon Réaumur , en plusieurs autres
tuyaux ou cellules remplis d’ane matière blanche et
glutineuse , qui paroît propre à retenir l'électricité.
Si on examine ensuite la structure du gymnote, com-
posé en grande partie de mucilage qui se fond entre
les doigts, et la surface de son corps couverte de
petits points jaunâtres, lesquels sont autant d’orifices
de petits tuyaux, dont le plus grand nombre se
trouve sur la tête et sur les autres parties qui
donnent les plus fortes secousses, on conviendra
qu’elle s'accorde parfaitement avec mon opinion sur
la cause de ce phénomène.
» L’effort que fait la torpille avant de donner Ia
secousse , la contraction de son corps, qui, de con-
vexe qu'il étoit, devient concave, et la dépression
de ses yeux, qui a lieu en même tems, peuvent
expliquer la modification du voile cohibent ét la
sortie du fluide électrique. Personne n’ignoré com-
bien nos organes intérieurs sont modifiés par les
passions et par la volonté ; on sait en outre que leg
corps perdent de leur capacité pour conténir léléc-
tricité , à proportion que leur volume diminue ; de 1&
il doit donc s’ensuivre , dans la torpille , la plus
grande condensation de l'électricité par la diminution
de son volume , et la modification du voilé cohibent ,
produite par la volonté ou par. la passion dans un
méme tems ; en conséquence la secousse ne sera
M 4
184 HISTOIRE
Pacifique, dans celle des Indes , auprès du
cap de Bonne - Espérance , et dans plusieurs
autres mers (1).
qu'un effet des lois connues du fluide électrique et
de la physique animale; le décroissement des secousses ‘
successives, leur défaut fréquent et enfin total suivent
aussi les mêmes lois. L'observation d’Abilgaard, qui
a galvanisé , à Naples, la torpille , et n’y a observé
aucune irritation particulière (Humboldt, pag. 284),
peut encore appuyer l’action de la volonté dans les
phénomènes de ce poisson ». SONNINI:.
(1) L'on a remarqué que les torpilles qui vivent
dans les eanx de la Méditerranée ont le dos d’un
rouge de brique , et que celles des mers du Nord
sont d’un gris brun ; toutes sont blanches sur la face
inférieure. Elles se tiennent dans les fonds vaseux
ct sablonneux , et se cachent souvent dans le sable
même des rivages; l’on assure qu’elles sont alors plus
vigoureuses, et donnent des commotions plus fortes
que quand elles sont dans l’eau. De tous les petits
poissons dont elles font leur pâture , les loches de
rivière sont ceux qu’elles préfèrent ; on les prend,
comme les autres raies, à l’hameçon et aux filets ;
elles ont aussi une grande vitalité, car on peut les
conserver vivantes hors de l’eau pendant plus de
vingt-quatre heures.
Les anciens avoient une toute autre opinion que
les modernes au sujet de la chair de la torpille. Ils
se sont accordés à la regarder comme un bon mets,
et même comme ayant des proprielés salutaires.
BÉES RATES. 185
Hippocrate dit que c’est un aliment sain, et il con-
seille de la manger rôtie lorsqu'on est attaqué de
l’hydropisie qui provient de l’obstruction du foie.
Galien en parle en plusieurs endroits de ses ou-
vrages et toujours avec éloge ; il en recommande
l’usage aux épileptiques , et il la faisoit appliquer
sur la tête , pour diminuer les douleurs de cette
partie; Dioscoride la conseilloit aussi contre les
rhumatismes. Suivant Platon, c’est un mets agréable,
et Athénée assure que les torpiiles du Nil sont très-
délicates. Il est vrai que les anciens, qui aimoient en
général les assaisonnemens de haut goût , faisoient
ordinairement cuire les torpilles avec de l’huile, du
vin , des herbes aromatiques et un peu de fromage.
De nos jours, la torpille passe pour un mauvais
poisson ; il est en effet de chair molle et sentant la
vase ; et il ny a que les gens peu aisés qui en
mangent.
Les abissins font un singulier usage de la torpille
pour la guérison de la fièvre. On lie le malade très-
étroitement sur une table , et on lui applique le pois-
son successivement sur tous les membres; cette opé-
ration fait cruellement souffrir celui que l’on y
soumet, mais elle le délivre de la fièvre.
SONNINI:
186 HISTOIRE
ae
=
LA RAIE AIGLE (a,
PAÉOCACÉPEDE
DIXFÈME ESPÈCE.
C'rsr avec une sorte de fierté que ce
grand animal agite sa large masse au milieu
des eaux de la Méditerranée et des autres
mers qu'il habite; et cette habitude, jointe
(1) Dans plusieurs départemens méridionaux de
France, glorieuse , pesce ratto , rate penade ( chauve
souris), tare-franke, faucon de mer, eraso e ferraza.
Sur la côte de Gênes , rospo ( crapaud). Sur d’autres
côtes d'Italie , aquila.
Baie mourine. Daubenton , Encycl. méthod.
Raja aquila. Lin. édit. de Gmel, — Mus. Ad. Fr. 2,
Det.
Raja caudé pinnaté, aculeoque unico. Bloch, Hist.
des poissons , part. 3 , p. 59, n° 3 ,pl. zxxxr.
Raie mourine. Bonat. pl. de l’Encycl. méthod.
Raja corpore glabro , aculeo longo , serrato in caudé&
pinnata. Artedi, gen. 72,syn, 100.
Leiobatus capite exserto , etc. Klein , Miss. pisc. 3,
p.33, n° 4. — Arist. Hist. anim. hb. 5, c. 5. — Plin.
ist. mundi, lib. 9, cap. 24. — Salvian. Aquat.
p. 146 D, 147. — Aldrov. Pise. p. 438 — 440. 1%
Jonston, Pisc. p. 55, tab. 9, fig. 8 et 9. — Willughb:
DES RATES. 187
à la lenteur que cette raie met quelquefois
dans ses mouvemens, et à l'espèce de gra-
vité avec laquelle on diroit alors qu’elle les
mens
Ichth. p. 64, tab. c. 2, app. tab. 10. — Raj. Pisc.
p. 25. — Belon , Aquat. p. 97.
Aquila marina. Gesner, Aquat. p.75. Icon. anim;
por, 1222 Dhierb. p.67, 68 , paral.,p. 38.
Pastinaea ( secunda species ), Rondelet, première
partie , Liv. 12, chap. 2.
Pastenaque (troisième espèce), ou aigle-poisson.
Valmont de Bomare , Dict. d’hist. naturelle.
Raja aculeata , pastinaca marina dicta. Plumier,
Dessins enluminés sur vélin , déposés dans la biblio-
thèque da museum d'histoire naturelle.
(2) Les anciens donnoient le nom d’aigle à une
espèce de raie; mais il n’est pas prouvé qu’ils aient
appliqué cette dénomination au poisson qui fait le
sujet de cet article. Ce que lon trouve dans leurs
ouvrages ne consiste qu’en de simples indications dont
on ne peut tirer des inductions certaines. Aristote ne
parle de l’aietos, l'aigle, que pour dire qu’il est du
nombre des selagues. { Hist. des anim. liv. 5, cap.5,
traduct. de Camus.) Pline se contente d'écrire que
dans le geure des poissons plats il y à une espèce
que les grecs appellent aigle. (Hist. nat. lb. 9,
cap. 24.) L’aieios, suivant Oppien , se mêle avec
les autres poissons cartilagineux (liv. 1, v. 642.).
11 n’est pas possible, d’après des notices aussi su-
perficielles, de se former une idée de la confor-
mation du poisson aigle des anciens , et l'application
188 HIS T'OLRE
exécute, lui a fait donner l’épithète de glo-
rieuse sur plusieurs rivages (1). La forme
et la disposition de ses nageoires pectorales ,
terminées de chaque côté par un angle aigu,
et peu confondues avec le corps proprement
dit, les a d’ailleurs fait comparer à des ailes
que Îles modernes ont voulu en faire à quelques
espèces de raies n’est fondée que sur des conjectures
extrèémement vagues ; il seroit donc inutile de s’y
arrêter.
C’est l’oxypterides , pastinaca marina lævis altera
de Columna , cap. 1, p. 5, tab. 2.
La raie aigle est appelée en Allemagne , mceradler ;
en Hollande, zee-vhermuis , pulsteert, deicle; à
Hambourg, quaadrorhen, c’est.à-dire , mauvaise raie ;
en Angleterre , sea eagle; à Rome et à Naples, agui-
lone ; à Malte, harmiema ; en Sardaigne, pesce aqguila ;
à Marseille, Zancette.
Raja corpore glabro , aculeo lonso serrato in caud&
pinnalä... raja aquila. Brunnich , Ichth. massil. p. 2.
SONNINI.
(1) C’est ce qu’a fort bien exprimé Rondelet dans
son vieux et naïf langage. « Elle nage lentement ,
dit-il, é comme en gravité, d’où en Languedoc a
esté nommée glorieuse. E ainsi qu’un cheval vigou-.
reux, bien pansé , bien harnaché, marche bravement,
é rue contre ceux qui s’approchent; ainsi la glorieuse
nageant de telle sorte, pique de son éguillon les
poissons nageans près elle». (ist. des poissons ;
liv. 12, chap. 2.) SoNNINE
plus particulièrement encore que celles des
autres espèces de raies : elles en ont recu
plus souvent le nom ; et comme leur étendue
est très-grande, elles ont rappelé l'idée des
oiseaux à la plus grande envergure, et la
raie que nous décrivons a été appelée aigle
dès les premiers tems où elle à été obser-
vée (1). Ce qui a paru ajouter à la ressem-
blance entre l’aigle et le poisson dont nous
traitons, c’est que cette raie a aussi la tête
beaucoup plus distincte du corps que presque
toutes les autres espèces du même genre, et
que cette partie plus avancée est terminée
par un museau alongé et très-souvent peu
arrondi. De plus, ses yeux sont assez gros
et très-saillans ; ce qui lui donne un nouveau
trait de conformité, ou du moins une nou-
velle analogie avec le dominateur ds airs,
avec l’oiseau aux yeux les plus perçans. C’est
principalement sur les côtes de la Grèce,
dans ces pays favorisés par la Nature, où
une heureuse imagination ne rapprochoit
les êtres que pour les embellir ou les ennoblir
Yüun par l’autre, que la raie dont nous trai-
tons a été distinguée par le nom d'agle ;
(r) Voyez ma note au commencement de cet
article. SONNINL
290 LIST O FRE
mais , sûr d’autres rivages , des pêcheurs
grossiers, dont les concepiions moins poé-
tiques n’enfantoient pas des images aussi
nobles ni aussi gracieuses, n’ont vu dans
cette tète plus avancée et dans ces yeux
plus saillans que les ÿeux et la tête d’un
animal dégoûtant, que le portrait du cra-
paud , et ils l'ont nommé crapaud de mer.
Cette tête, que l’on à comparée à deux
objeis si difiérens l’un de l’autre, présente
au reste, par dessus et par dessous, au moins
le plus souvent , un sillon plus ou moins
étendu et plus ou moins profond. Les denis,
comme celles de toutes les raies du sous-
genre qui nous occupe, sont plates et dis-
posées sur plusieurs rangs.
On a écrit que la raie aigle n’avoit pas dé
nageoires ventrales, parce que celles de ses
nageoires qui sont les plus voisines de l’anus
ne sont pas doubles de chaque côté, et ne
montrent pas une sorte d’échancrure qui
puisse les faire considérer comme divisées
en deux parties , dont lune seroit appelée
rageoire ventrale , et lauire nageoire : de
Fanus : mais, en recherchant où s'attachent
les cartilages des nageoires de la raie aigle,
qui se rapprochent le plus de l’origme de
la queue, on s'aperçoit aisément qu’elle a de
DES RATIES. 191
véritables nageoires ventrales, mais qu’elle
manque de nageoires de l’anus.
La queue, souvent deux fois plus longue
que la tête et le corps, est très - mince ,
presque arrondie , très-mobile , et terminée,
pour ainsi dire, par un fil très-délié. Quel-
ques observateurs ont vu dans la forme, la
longueur et la flexibilité de cette queue,
les principaux caractères de la queue des
rats ; ils se sont empressés de nommer rat
de mer la raie qui est l’objet de cet article,
tandis que d’autres, réunissant à cet attribut
celui de nageoires semblables à des ailes,
ont vu un ral ailé, une chauve-souris, et
ont nommée la raie aigle chauve - souris
marine. On connoît maintenant l’origine des
diverses dénominations de rat, de chauve-
souris , de crapaud, d’aigle , données à la
raie dont nous parlons ; et comme il est
impossible de confondre un poisson avec un
aigle, un crapaud, un rat ou une chauve-
souris, nous aurions pu sans 1nconvénient
conserver indifféremment l’une ou lautre
de ces quatre désignations: mais nous avons
préféré celle d’aigle comme rappelant la
beauté, la force et le courage, comme em-
ployée par les plus anciens écrivains , et
192 HISTOIRE
comme conservée par le plus grand nombre
des naturalistes modernes.
La queue de la raie aigle ne présente
qu'une petite nageoire dorsale placée au
dessus de cette partie, et beaucoup plus près
de son origine que de l’extrémité opposée.
Entre cette nageoire et le petit bout de la
queue, on voit un gros et long piquant , ou
plutôt un dard très-fort, et dont la pointe
est tournée vers l’extrémité la plus déliée
de la queue. Ce dard est un peu aplati, et
dentelé des deux côtés comme le fer de
quelques espèces de lances: les pointes dont
il est hérissé sont d’autant plus grandes
qu’elles sont plus près de la racine de ce
fort aiguillon; et comme elles sont tournées
vers cette même racine, elles le rendent une
arme d'autant plus dangereuse qu’elle peut
pénétrer facilement dans les chars, et qu’elle
ne peut en sorlir qu'en tirant ces pointes à
contre-sens, et en déchirant profondément
les bords de la blessure. Ce dard parvient
d’ailleurs à une longueur qui le rend encore
plus redoutable. Plusieurs naturalistes, et
notamment Gronovius, ont décrit des ai-
guillons d’aigle qui avoient un décimètre
(quatre pouces ou à peu près) de longueur ;
Pline
DES RATES. 195
Pline a écrit que ces piquans étoient quel-
quefois longs de douze ou treize centimètres
( cinq pouces ou environ } (1), et j'en ai me-
suré de plus longs encore.
Cette arme se détache du corps de la raie
après un certain Lems; c’est ordinairement
au bout d’un an qu’elle s’en sépare, suivant
quelques observateurs; mais, avant qu’elle
tombe , un nouvel aiguillon et souvent deux
commencent à se former, et paroissent comme
deux piquans de remplacement auprès de la
racine de l’ancien. 1l arrive même quelque-
fois que l’un de ces nouveaux dards devient
aussi long que celui qu'ils doivent remplacer,
et alors on voit la raie aigle armée sur sa
queue de deux forts aïguillons dentelés.
Mais cette sorte d’accident, cette augmen-
tation du nombre des piquans ne conshtue
pas même une simple variété, bien loin
de pouvoir fonder une diversité d’espèce ,
ainsi que l’ont pensé plusieurs naturalistes ,
tant anciens que modernes, et particuliè-
rement Aristote (2).
(1) Pline, liv. 9, chap. 48.
(2) Il en est de même de la longueur plus ou moins
grande de la queue , caractère qui a servi à quelques
naturalistes pour distinguer deux espèces de raies
Poiss. TouEe III. N
194 HA ST © IERTE
Lorsque cette arme particulière est Im-
troduite très-avant dans la main, dans le
bras, ou dans quelque autre endroit du
corps de ceux qui cherchent à saisir la raie
aigle ; lorsque sur-tout elle y est agitée en
différens sens, et qu'elle en est à la fin
violemment retirée par des efforts muili-
pliés de l'animal, elle peut blesser le pé-
rioste, les tendons, ou d’autres parties plus
ou moins délicates, de manière à produire
des inflammations, des convulsions, et d’au-
tres syinplômes alarmans. Ces terribles effets
ont été bientôt regardés comme les signes
de la présence d’un venin des plus actifs ;
et comme si ce n'étoit pas assez que d'allri-
buer à ce dangereux aiguillon dont la queue
de la raie aigle est armée, les qualités re-
doutables , mais réelles , des poisons, on à
bientôt adopté sur sa puissance delétère les
faits les plus merveilleux, les cenies les plus
absurdes. On peut voir ce qu'ont écrit de
ce venin mortel Oppien, Elien, Pline;
car, relativement aux eflets fuuestes que
em =
aigles. ( Aldrovaude, Willughby, Ray, etc.) Mais
cette différence est purement accidenteile et ne suffit
pas sans doute pour former des espèces séparées.
SONNINI.
DÉS RAÏNES. 195
nous indiquons, ces trois auteurs ont en-
tendu par leur pastenaque ou leur raie tri-
gone, non seulement la pastenaque propre-
ment dite, mais la raie aigle , qui a les plus
grands rapports de conformation avec cette
dernière. Non seulement ce dard dentelé a
paru aux anciens plus prompt à donner la
mort quelesflèches empoisonnées des peuples
à demi-sauvages; non seulement ils ont cru
qu'il conservoit sa vertu mal-faisante long-
tems après avoir été détaché du corps de
la raie; mais son simple contact tuoit l’ani-
mal le plus vigoureux, desséchoit la plante
la plus vivace, faisoit périr le plus gros arbre
dont il attaquoit la racine. C'étoit larme
terrible que la fameuse Circé remettoit à
ceux qu’elle vouloit rendre supérieurs à tous
leurs enneïhis ;'et quels effets plus redou-
tables, selon Pline, que ceux que produit
cet aiguillon, qui pénètre dans tous les corps
avec la force du fer et activité d’un poison
funeste ?
Cependant ce dard, devenu l’objet d’une
‘si grande crainte , h'agit que mécaniquement
sur l’homme ou sur les animaux qu’il blesse.
Et sans répéter ce que nous avons dit (à)
(1) Discours sur la nature des poissons.
N 2
196 HISTOIRE
des prétendues qualités vénéneuses des pois-
sons, l’on peut assurer que lon ne trouve
auprés de la racine de ce grand aiguillon
aucune glande destinée à filtrer une liqueur
empoisonnée; on ne voit aucun vaisseau
qui puisse conduire un venin plus ou moins
puissant jusqu’à ce piquant dentelé ; le dard
ne renferme aucune cavilé propre à trans-
mettre ce poison jusques dans la blessure ;
et aucune humeur particulière n’imprègne
ou n’humecte cette arme, dont toute la
puissance provient de sa grandeur, de sa
dureté, de ses dentelures, et de la force
avec laquelle l'animal s’en sert pour frap-
per (1).
(1) Plusieurs naturalistes, parmi lesquels il faut
compter Linnæus , assurent que l’aiguillon des raies
cst très-venimeux ; les marins et les pêcheurs en sont
convaincus ; quand ils trouvent de ces poissons dans
leurs filets, ils s'empressent de leur couper la queue
et de la jeter à la mer. Cependant il est constaté,
par les expériences récentes de Spallanzani, que
l’arme:vraiment dangereuse des raies n’a rien de veni-
meux , et que les maux qu’elle cause et qui peuvent
même faire mourir , sont un effet de sa structure,
par laquelle ses piquans pénètrent dans les chairs et
les déchirent quand cet animal la retire. Au surplus,
puisque les blessures faites par les aiguillons des
DES RAIES. 199
Les vibrations de la queue de la raie
aigle peuvent en effet être si rapides, que
l'aiguillon qui y est attaché paroisse en
quelque sorte lancé comme un javelot, ou
décoché comme une flèche, et recoive de
celte vitesse, qui le fait pénétrer très-avant
dans les corps qu'il atteint, une action des
plus délétères. C’est avec ce dard ainsi agité,
el avec sa queue déliée et plusieurs fois
contournée , que la raie aigle atteint, saisit,
cramponne , retient et met à mort les ani-
maux qu'elle poursuit pour en faire sa proie,
ou ceux qui passent auprès de son asile,
lorsqu’à demi-couverte de vase elle se tient
en embuscade au fond des eaux salées. C’est
encore avec ce piquant très-dur et dentelé
qu'elle se défend avec le plus d'avantage
contre les attaques auxquelles elle est expo-
sée; et voilà pourquoi , lorsque les pêcheurs
yaies sont si fortes qu’elles peuvent donner la mort,
peu importe pour leur effet que ces armes si terribles
introduisent ou non quelque venin dans les chairs ;
les pêcheurs ont toute raison de les redouter , et ils
ne se trompent que sur la cause des maux qu'ils
éprouvent lorsqu'ils en sont atteints.
Il est défendu en Sardaigne de vendre la raie
aigle avec le piquaut de sa queue. SONNINI:.
N 5
198 ES TOTRE
ont pris une raie aigle, ils s'empressent de
séparer de sa queue l'aiguillon qui la rend
si dangereuse.
Mais, si sa queue présente un piquant si
redouté, on n’en voit aucun sur son corps.
La couleur de son dos est d’un brun plus
ou moins foncé, qui se change en olivâtre
vers les côtés, et le dessous de l'animal est
d’un blanc plus ou moins éclatant. Sa peau
est épaisse, coriace, et induite dune li-
queur gluante. Sa chair est presque toujours
dure (1); mais son foie, qui est très-volu-
mineux et très-bon à manger, fournit une
grande quantité d'huile (2).
Au reste, on trouve les raïes aigles beau-
coup plus rarement dans les mers septen-
trionales de l’Europe que dans la Méditer-
(1) Elle a quelquefois une mauvaise odeur, et
toujours elle est difficile à digérer ; il n’y a que les
gens de la basse classe qui en mangent, parce que
n'étant pas recherchée par les riches c’est un mets à
bas prix. Les pauvres même ne s’en nourrissent que
quand le poisson est jeune. L’on voit beaucoup de ces
petites raies qui ne pèsent guère plus de deux livres,
dans les marchés de Rome. SONNINI.
(2) La couleur du foie est jaunâtre. Il est divisé
en deux lobes, dont l’un est grand et rond , et l’autre
petit et alongé. SONNINI.
… COMES:R A TES. 109
ranée et d’autres mers situées dans des climats
chauds ou tempérés; et c’est particulièrement
dans ces mers moins éloignées des tropiques
que l’on en a pèché du poids de quinze my-
riagrammes (plus de trois cents livres) (1).
Nous avons trouvé, parmi les papiers du
célébre voyageur Commerson , un dessin
qui représente une raie. Cet animal, figuré
par Commerson, est évidemment de l'espèce
de la raie aigle ; mais il en diffère par des
caractères assez remarquables pour former
une variété très-distincte et plus ou moins
constante.
Premièrement, la raie de Commerson, à
laquelle ce naturaliste avoit donné le nom de
mourine , qui a été aussi applique à la raie
aigle par plusieurs auteurs ,a la tête beaucoup
plus avancée et plus distincte des nageoires
pectorales et du reste du corps que l’aigle
que nous venons de décrire ; secondement,
la nageoire dorsale, située sur la queue, et
(1) J'ai vu beaucoup de raies aigles sur les rivages
de l'Egypte.
Ces raies préfèrent les fonds vaseux, et comme les
autres espèces , elles se nourrissent de petits poissons
et d’autres animaux aquatiques.
SONNINI.
N 4
200 HISTOIRE
l’aiguillon dentelé qui l'accompagne , sont
beaucoup plus près de l’anus que sur la raie
aigle ; et troisièmement, le dessus du corps,
au lieu de présenter des couleurs d’une seule
nuance, est parsemé d’un grand nombre de
petites taches plus ou moins blanchätres.
C’est dans la mer voisine des îles de France
et de Madagascar qu’on avoit pêché cette
variété de la raie aigle dont Commerson
nous a laissé la figure.
HES RATES. 201
a
— —
LA RAIE NARINARI (i).
ONZIÈME ESPÈCE.
P; R M1 les espèces de raies qui se trouvent
au Brésil, il en est une qui porte le nom
de narinari pinima; elle a beaucoup de
rapports avec l’espèce précédente , de la-
quelle la plupart des naturalistes ne l'ont
point séparée. Willughby a rapporté dans
un chapitre particulier la description même
de Marcgrave (2); ce qui fait conjecturer
que l’auteur anglais considéroit ce poisson
comme une espèce distincte. Artedi s’est
contenté de faire de la narinari une simple
variété dans l'espèce de l'aigle (3). Cepen-
dant, si on examine avec attention , dans
l'ouvrage de Marcgrave, la description et
(1) Narinari brasiliensibus. Marcgr. Hist. nat. bras.
hbi44, p'a175.
Raja narinari, Marcgravii. Artedi, Gen. pisc.
gen. 45, sp. 6, var. a.
Raja narinari, corpore lævi, supr& chalibeo ;
maculis albis numerosis. Nov. act. Stockh. tom. II.
(>) Hist. pisc. lib. 3, cap. 3, p. 66.
(5) Loco suprà citato.
202 HISTOIRE
la figure de cette raie du Brésil, l’on hésite
à la réunir avec l'espèce précédente, et l’on
sera peut-être disposé à partager mon sen-
üment au sujet de ce poisson, qui me paroît
être d’une espèce particulière.
En effet. au nuheu des traits de ressem-
blance qui existent vraiment entre la raie
aigle et celle-ci, il est facile de saisir des
disparités saillantes ; et au nombre de ces
disparilés, je ne compterai pas même la
privation de dents que Marcgrave attribue
à la narinari (1), parce que cette asser-
tion peut être une erreur de ce naturaliste.
Je ne remarquerai pas non plus que la nari-
nari porte un double piquant à la queue;
ce caractère, ainsi qu'on l’a vu dans l’his-
toire de la raie aigle, n’ayant rien de cons-
tant ni de décisif, et ne pouvant pas même
constituer une simple variété. Mais la raie
du Brésil, suivant Marcgrave, a de petits
yeux, tandis que ceux de l'aigle sont gros
et saillans. La petite nageoire de la queue
est, dans la première raie , tout à fait à
Vorigine de cette partie, et vers son milieu
dans la seconde ; les piquans de la première,
longs de trois doigts, ont la forme d’hamecons
(1) Os edentulum , Hist. bras. loco suprà citato.
D'ES RATES: 209
de pêche, et ceux de la seconde sont presque
droits; la couleur de la première est en
dessus d’un gris de fer, parsemé de taches
blanches ; celle de la seconde est un brun
plus ou moins foncé, sans aucune tache ;
enfin, la chair de la narinari est de bon goût,
et celle de la raie aigle est très-mauvaise.
JI me paroît que ces disconvenances suffisent
pour que cette dernière espèce ne soit plus
confondue avec la narinari.
Le corps de celle-ci acquiert un grand
volume. Marcgrave assure que quarante
hommes peuvent aisément se rassasier avec
un seul de ces poissons.
La narinari se trouve aussi dans la mer
qui baigne les côtes limoneuses de la Guiane.
Les français qui y sont établis la nomment
raie chauve-souris (1).
(1) Barrère, France équinox. pag. 178. Raja pinnis
triangularibus, alas vespertilicnis referentibus. Nari-
nari pinima Marcsr. Raie chauve-souris.
20% AS TOLREÉE
LA RAIE PASTENAQUE (1) (2},
PAR LACÉPÉDE.
DOUZIÉÈÉME ESPÈCE.
EE forme et les habitudes de cette raie
sont presque en tout semblables à celles de
la raie aigle que nous avons décrite. Mais
(1) Auprès de Bordeaux, pastinaque, tareronde.
Sur les côtes de France voisines de Montpellier,
pastenago et vastango. À Rome , bruccho. Sur la côte
de Gênes, ferrazza. En Sicile , bastonago. En Dal-
matie, uéuglia. Eu Angleterre , fire flaire. Par plu-
sieurs auteurs, éuréur.
Raiïie pastenague. Daubent. Encyci. méthod.
Raja pastinaca. Lin. édit. de Gmel.
Raja caud& apterygi&, aculeo sagittato. Bloch,
Hist. nat. des poiss. troisième partie, pl. LXxxx11. —
Artedi, gen. 71, syn. 100.
Raie pastenague. Bonat. pl. de l’Encycl. méth. —
Mus. Ad. Fr. 2, p. 51 *. — Müller , Prodr. zool. dan.
pag. 57, n° 510. — Gron. Mus. 1 , 141. Zooph. 158.
Leiobatus, in medio crassus, etc. Klein, Miss.
pisc. 5 ,p. 55, n° 5. — Aristot. Hist. anim. lib. 1,
cap. 5.
Pastinaca. Plin. Hist. mand. lib. 9, cap. 24 , 42.
Pastenague. Rondelet , 1° partie, Liv. 12, chap. 1.
Pastinaca, Saly. Aquat. p. 144, 145. — Gesner,
DES RAIES. 205
voici les traits principaux par lesquels la
pastenaque diffère de ce dernier poisson.
Son museau se termine en pointe au lieu
d’être plus ou moins arrondi; la queue est
moins longue que celle de la raie aigle , à
proportion de la grandeur du corps, quoique
cependant elle soit assez étendue en lon-
gueur , très-mince et très-déliée ; et enfin
cetle même partie non seulement ne pré-
Aquat. p. 679. Icon. anim. p. 121 , 122. Thierb.
p. 63 a.
Pastinaca marina. Jonston, Pisc. p. 32, tab. 9,
fig. 7.
Pastinaca marina lœvis. Ray, Pise. p. 24. — Bel.
Aquat. p. 95.
Pastinaca marina nostra. Aldrov. Pise. p. 426.
Pastinaca marina prima. Willughb. Ichth. p. 67,
tab. c. 3.
Gej. Kæmpfer, Voy. au Japon, p. 155.
Sting ray. Pennant , Brit. zool. tom. III, p. 71,
n° 6.
Pastinaca marina oxyrinchos. Schonev. p. 56.
Pastenaque. Valmont de Bomare , Dictionnaire
d'histoire naturelle.
(>) La pastenaque. En grec , tragon et érygon. En
latin moderne , brucchus et pastinaca. En allemand,
stechroche et grone topel. En hollandais , pyéstaart.
En danois, kokkel. À Gênes, ferraza et euccio. Au
Japon , gaz. SONNINI.
206 EAST O LR FE
sente point de nageoire dorsale ‘auprès
de laiguillon dentelé dont elle est armée,
mais même est entièrement dénuée de na-
geoires (1).
(1) L’aiguillon de la pastenaque est redouté par les
pêcheurs comme celui de la raie aigle; ce que l’on a
dit de ce deruier , et ce que j'en ai écrit moi-même
convient également au piquant de la raie de cet
article. ( Voyez ma note à la page 106.)
I1 est cependant des pays où les pêcheurs ne
montrent aucune frayeur à l’aspect de cette raie,
que presque tous les autres ne touchent qu'avec une
excessive précaution. Bloch (Histoire naturelle des
poissons , art. de la pastenaque ) cite à ce sujet les pè-
cheurs de Heiligeland, qui né la craignent point. Les
esclavons remédient à la piquure de la raie aigle
et de la pastenaque par le fie! blanc, comme ils disent,
du calmar , connu d’eux sous le nom presque latin
lighna ou d’oligagn. ( Voyage en Dalmatie par
M. Fortis, tome II, pag. 178.) Ce savant ajoute que
le meilleur remède est de lier fortement la partie
piquée, et de scarifier la blessure pour en faire sortir
le sang empoisonné. Nota, que, quand M. Fortis
écrivit son voyage, il n’avoit pu avoir connoissance
des expériences de Spallanzani , qui prouvent que
‘Veffet du piquant de la raie est purement. mécanique,
et ne porte avec lui dans les plaies aucune espèce de
venin.
L'on ne peut douter que ce ne soit de la pastenaque
ou de la raie aigle que doit s’entendre le passage
MES (RATES. 207
La pastenaque paroît répandue dans un
plus grand nombre de mers que la raie
suivant d’un voyage moderne en Afrique: « Il est dan-
gereux (sur la côte d’Angole) de pêcher à la seine; on
court le risque d’être piqué par la éorpille , espèce de
raie électrique dont la queue est armée d’un dard
La piquure de ce poisson est fort dangereuse ; elle
est ordinairement suivie d’un gonflement considérable
dans la partie piquée, accompagné de douleurs cui-
sautes, cet état dure plusieurs jours ; l’acide neutre
en triomphe ». ({ Voyage à la côte occidentale d’A-
frique , par De Grandpré, tome T, pag. 36.) La tor-
pille n’a point daiguillon ni sur.le. corps, ni à la
queue.
Le piquant si dangereux de la pastenaque sert de
scie à quelques peuplades sauvages de l’Amérique. fl
passe au Japon, suivant Kæmpfer , comme un spéci-
fique contre la morsure des serpens , si on en frotte la
plaie; les japonais en portent toujours sur eux; mais
ils prétendent que cette propriété de l’aisuillon n’exis-
teroit pas s’il n’avoit pas élé retranché à l’animal
vivant.
La pastenaque connoît l'avantage que lui donne
une arme si terrible ; elle en blesse les poissons afin
de les saisir avec plus de facilité; Pline assure même
qu’elle ne craint pas d'attaquer le requin.
Ce qui a été dit, dans l’article précédent , au sujet
de la qualité de la. chair et du foie de la raie aigle
convient également à la pasten:que.
SONNINI,
208 HIISITO ERE
aigle, et ne semble pas craindre le froid des
mers du nord (1).
Son piquant dentelé est souvent double
et même triple, comme celui de la raie aigle:
(1) Les pastenaques sont communes dans la Médi-
terranée ; j’en ai vu pêcher de fort grosses dans l’ar-
chipel de Grèce, où les insulaires les nomment
salakie. T’on en prend aussi quelquefois sur les
rivages de la Crimée , au rapport de M. Pallas.
( Nouveau Voyage dans les gouvernemens méridio-
naux de l’empire de Russie , 1802 , tom. IT, p. 400.)
Cette espèce habite les eaux de presque toutes les mers
de l’Europe et de l'Amérique ; et elle se trouve en si
grand nombre sur quelques points de la nouvelle
Hollande , que le capitaine Cook donna le nom de
baie des pastenaques à un de ses mouillages sur la
côte de ce continent.
Comme la pastenaque ne craint point le froid des
mers du Nord, il est probable que c’est cette espèce
que l’équipage du capitaine Billings prit à la ligne
le long du vaisseau dans le canal du prince Williams,
sur la côte mord - ouest de l'Amérique. Cette raie
étoit fort grosse , et lorsque les russes la hâloient à
bord, les naturels du pays s’avancèrent avec fureur,
et c’étoit à qui pourroit la percer de sa Jance; ils
disoient que ce poisson étoit le diable. (Voyage dans
le nord de la Russie asiaiique , etc. par le commo-
dore Billings, traduit par Castéra , tom. 1, p. 577.)
SONNIKL.
nous
DÉS RATES, 20ÿ
hous croyons en conséquence devoir rap-
porter à celte espèce toutes les raies qu’on
n’en a séparées jusqu’à présent qu'à cause
d’un aiguillon triple ou double. D'un autre
côté, la nuance des couleurs, ét même la
présence ou l’absence de quelques taches ne
peuvent être regardées comme des carac-
tères constans dans les poissons, et particu-
lièrement dans les cartilagineux , qu'après
un très-grand nombre dobservations répé-
tées en différens tems et en divers lieux.
Nous ne considérerons donc, quant à pré-
sent, que comme des variétés plus ou moins
constantes de la pastenaque, les raies qu’on
n’a indiquées comme d’une espèce différente
qu’à cause de la dissemblance de leurs cou-
leurs avec celles de ce cartilagineux. Au
reste, il nous semble important de répéter
plusieurs fois dans nos ouvrages sur l’histoire
naturelle, ainsi que nous l'avons dit très-
souvent dans les cours que nous avons donnés
sur cette science, que toutes les fois que nous
sommes dauis le doute sur l'identité de l'espèce
d'un animal avec celle d’un ‘autre , nous
aimons mieux regarder le premier comme
une variété que comme une espèce distincte
de celle du second. Nous préférons de voir
le tems venir, par des observalions nou-
Poiss. Tome III. O
210 ILES T O0 LR.E
velles, séparer tout à fait ce quenous n'avions
en quelque sorte distingué qu'à demi, plutôt
que de le voir réunir ce que nous avions
séparé ; nous desirons qu on ajoute aux listes
que nous donnons des productions natu-
relles , et non pas qu’on en relranche; et
nous chercherons toujours à éviter de sur-
charger la mémoire des naturalistes d'espèces
nominales, et le tableau de la Nature de
figures fantastiques (1).
(1) Quelque fondée que soit l’opinion de Tacépède,
j'avoue que je ne la partage point. Le mot variété est
presque toujours d’une acception vague en histoire na-
tarelle , et je crois qu’il ne doit être employé qu'avec
quelque circohspection. Si les dissemblances qui sé-
parent un animal d’un autre animal ne dépendent que
de la différence du sexe ou de l’âge, ils forment une
seule et unique espèce , et l’on ne peut pas dire que
lun soit une variété de l’autre. Si des dissemblances
entre des animaux très-voisins, et même de la même
espèce, se perpétuent constamment , elles constituent
une race plutôt qu'une variété. Enfin, lorsqu'il ne
s’agit que de différences individuelles, dues à quelqne
accident, et qui ne se propagent pas, c’est bien une
variété; mais, comme elle n’est que passagère et for-
tuite, elle mérite rarement que Pen en fasse mention.
Ii est donc trés - dificile de fixer d’une manière pré-
cise si un animal est une variété d’un autre, dans
quelque sens que s’entende ce mot; et cela devient
impossible quand on n’a que des notions incertaines
DES EAMES, où
sur un des objets de comparaison, et quelquefois sur
tous les deux. Prononcer , en ce cas, qu’il ne s’agit
que de variétés de la même espèce, e’est risquer de
confondre deux objets qui peuvent être réellement
distincts ; engourdir, pour ainsi dire, l’observation,
qui ne cherchera pas à s’appesantir sur de simples
Variétés , et retarder peut-être la connoïssance d’est
pèces intéressantes, quoique très = rapprochées, par
leurs attributs extérieurs, d'espèces déjà observées,
Tout en rendant hommage à la solidité des raison-:
nemens du grand, naturaliste dans l’ouvrage duquel:
je trace ces foibles notes, ils ne m’ont pas convaincu,
et j'ai suivi une route toute opposée : j'ai toujours
pensé qu'à moins d’une certitude acquise de liden-.
tité de deux êtres voisins , il valoit mieux les décrire
séparément comme des espèces distinctes. Par ce
moyen on appellé l’attention à leur sujet, et l’on a
plus d’intérèt, plus de curiosité à les examiner , que
si on les croit à peù près les mêmes. Du moment que
l’on est forcé de remettre la décision au tems et à
l’obsérvation , il vaut mieux exciter célle - ci et ne
pas trop prolonger l'autre ; et lon w’évile pas tou-
jours , ce me semble ; ce double inconvénient par la
méthode contraire, c’est-à-dire, en ne parlant d’un
objet peu connu que pour le réunir à celui qui l’est déjà
D’après ces éoisidérations , je platerai à la suite
de la pastenaque, mais comme espèces distinctes,"
quoique -Voisines ; plusieurs raies que ELacépède a
réunies dans lé même aïticlé et dont il n’a dit qu’un
mot, parce qu’il les a jugées, avec beaucoup de vrai=
semblance; dé La même éspèce que la pastenaque.
SONNINI. spi
Q 2
19 HISTOIRE
MAR AIE XLTAVELE (i.
TRÉIZLIÈME ESPÈCE.
ÂÀ Naples on nomme altavela une raie qui
a de nombreuses ressemblances avec la
pastenaque ; ce qui a engage la plupart des
ichthyologistes à la présenter comme une
simple variélé de cette espèce (2), tandis que
d’autres Font jugée d'espèce différente (3 ).
C’est ceite incertitude, que de nouvelles
(i ) Pastinaca marina altera pteryplateia, altavelæ
Neapoli dicta. F. Colum. Obs. de Aquat. cap. 2, p. 4.
— Willughb. IMist. pisc: lib. 3, cap. 2, pag. 65. —
Ray, Pise. ET ETES
Raja corpore glabro , aculeis duobus posticè serratis
in, dorso apterygio..:. raja altavela. Lin. Syst. nat.
edit. Gme!. gen. 150:,.8p:.7 » var. b.
Raie pastenague artavelle, var. b. Daubent. Encyc.
mé thod.
Raiïe pastenague , artavelle. Bonaterre, planches de
PEncycl. méth.
Raja corpore glabro , aculeis sæpe Dibes. posticè
serratis in cauda apterygia. Artedi , Gen. pisc. gen. 45,
sp. 4; et Synonym. p. 100.
(2) Linnæus , Artedi , gen. Daubenton, Lacé-.
pède , etc.
(5) Fo WilngEby, Artedi, Synonym. etc.
DS RATES. 213
observations n’ont pas encore fait dispa-
roître, qui m'engage à traiter de l’altavèle
dans un article particulier , jusqu’à ce que
mieux connue elle demeure définitivement
séparée, ou que l’on soit obligé de la réunir
à la pastenaque (1).
Columna est le premier qui ait donné la
figure et la descriplion de l’altavèle (2). Il
dit que les pêcheurs napolitains lui assurèrent
que cette raie s’élevoit au dessus des eaux
par une espèce de vol; ce qui le fit rire,
et il eut raison. Elien, qui n’omettoit dans
ses écrits aucune des fables ni aucun des
bruits populaires de son tems, avoit fait le
mème conte au sujet de la pastenaque, et
il est probable que personne n’en rioit
a lDnS
La tête de ce poisson est plus petite,
proportion gardée, que celle de la pasie-
naque; son cerps est aussi moins élevé et
moins alongé dans sa parlie antérieure, mais
plus aminci au dessous des nageoires. La
forme de ce poisson est un rhombe dont
les angles sont plus grands et plus obtus que
dans la pastenaque, et il n’acquiert jamais
(1) Voyez ma note à la fin de l’article précédent.
(2) Loco suprà cilato. :
O 3
1% HISTOIRE
ni un volume, ni un poids aussi considé-
rables. La queue est moins longue que la
moitié du corps; elle est armée de deux
piquans dentelés comme une scie, dont
l'antérieur, qui est le plus court, est creusé
dans son milieu , d’un bout à l’autre , par
un sillon profondément tracé. Il y a trois
sillons semblables sur le second aiguillon,
Les pêcheurs vendent facilement lalta-
vèle, parce que sa chair, assez recherchée,
n'est point désagréable au goût (1).
(1) Columna , /0co citato.
DES RATES. 215
LA RAIE OUARNAK (1).
\
QUATORZIÈME ESPÉCE.
Læ voyageur naluraliste Forskoœl a indiqué
cette raie comme une variété de la raie
sephen, dont il sera bientôt question ; mais
elle se rapproche davantage de la paste-
naque. C’est un poisson de la mer Rouge,
que les arabes nomment oarnak; sa queue
n’a point de nageoires ; mais on y voit un
et quelquefois deux piquans. Tout son corps
est parsemé de taches sur un fond argenté.
(1) Raja, arab. uarnatk. Forskæl, Faun. ægypt.
arab.in°: 16: 0.
Raja tota maculata. Lin. Syst. nat. edit. Gmel.
gen. 130, SP. 7 » Var. g.
Raja uarnak. Artedi, Gen. pisc. gen. 45, sp. 15,
var: a.
L'uarnak. Bonaterre , planches de l’'Encycl. méth.
page 4:
9 4
216 HISTOIRE
LA RATE | N'RIN AR NH.
QUINZIÈME ESPÈCE.
Fa y a une grande conformité de noms
entre ceite raie et la précédente; 1l y en
a aussi dans leurs formes : elles ont beau-
coup de traits communs entre elles, aussi
bien qu'avec la pastenaque; ce qui a engagé
plusieurs naturalistes à n’en faire que des
väriétés de la même espèce.
Arnak est le nom que les arabes donnent
à cette raie, qui vit dans les eaux de la
mer Rouge. Forskœl la observée à Loheia ,
sur la côte orientale de ce grand golfe ; et
le peu de mots que le naturaliste danois
en a écrit composent jusqu'à présent toute
(1) Raja dentibus granulatis; corpore orbiculato,
argenteo ; caudé tereti , apterygia , spinis duabus...
raja arnak. Forskœl, Fauna ægypt. arab. pag. 9,
n° 15, c. — Artedi, Gen. pisc. gen. 45, species dubiæ,
n° 23. — Lin. Syst. nat. edit. Gmel. gen. 130,
Sp. 14. |
DES RAIES. 217
son histoire (1). Ce n’en est pas assez, sans
doute, pour assigner avec quelque exacti-
iude la vraie place de ce poisson d’une mer
encore peu fréquentée, et pour décider sil
constitue une espèce distincte et séparée ,
ou sil n’est qu'une variété d'âge, de sexe,
d'accident, ou enfin une race particulière.
Les denis de larnak sont granuleuses; la
forme de son corps est arrondie, et de la
même couleur argentée que l’ouarnak ; sa
queue déliée et sans nageoires est armée de
deux aiguillons.
Artedi a rangé cette raie, ainsi que la pré-
cédente , au nombre des espèces encore peu
connues et douteuses (2).
(1) Ces mots se réduisent à ceux de la phrase
ci-dessus.
(2) Gren, pisc. loco citato.
215 HISTOIRE
ee
D
LA RALEHSCHERTE (D)
SEIZIÈME ESPÈCE.
J'asrÈéce ainsi la dénomination , omm
es scherit, que porte en Arabie, suivant
Forskœl, cette troisième raie de la mer
Rouge. Ce voyageur lui a reconnu beaucoup
de ressemblance avec les raies arnak et
ouarnak ; il ajoute qu’elle a la queue déliée
et couverte de taches. |
Des détails aussi peu étendus ne peuvent
passer que poux une indicalion aux obser-
vateurs.
(1) Raja caudé tereti, maculatä... raja omm es
scherit. Forskœl , Faun. ægypt. arab. p. 9, n° 12, à.
— Lin. Syst. nat. edit. Gmeél. gen. 150, sp. 15. —
Artedi , Gen. pisc. gen. 45, sp. 24, dubia.
Le scherit. Bonaterre, planches de l’Encycl. méth.
pag. C.
DES RAIES. 219
*
D SE Le TRS LATE F RER PT ER SSREX
LATRAIE MUBE (x
DIX-SEPTIÈME ESPÈCE.
Cerre-cr , qui habite la même mer que
les précédentes, est beaucoup plus rare. Elle
s'approche inoins souvent du rivage que les
autres , et lorsqu'elle quitte la haute mer,
ce n’est jamais que dans l’obscurité des nuits.
Cette différence d’habitudes la distingue
assez des raies ouarnak, arnak, et omm es
scherit.
La raie mule a été observée à Dsjidda
par Forskæl ; il lui a trouvé le ventre blanc
et la queue arrondie , déliée, et variée de
différentes couleurs. Son aiguillon passe,
parmi les arabes, pour être très-dangereux.
(1) Raja caudé tereti, variegaté ; venére niveo...
raja mula. Foxskœl, Faun. ægypt. arab, pag. 9,
n° 10,
Raja subtüs nivea , caudé tereti, variegaté.., raja
mula. Lin. édit. Gmel. gen. 150, sp. 18 , dubta.
La mule. Bonat. planches de l’Encycl. méth. p. 6.
Raja mula. Artedi, Gen, pisc. gen. 45, sp. 26,
dubia. (
250 EI ST O LRE
PÉCHES DESVRADES.,
Les raies se pêchent aux haims ou hame-
cons et aux filets.
Le haim est un crochet de métal ( ordi-
nairement de fer ) ou bien d’épine , et qu’on
fait quelquefois en os. Quand il est garni
d’un appät ou amorce convenable à l'espèce
de poisson auquel on le jette , il prend le
nom d’hamecon. |
Comme la raie est un poisson vorace, qui
se nourrit principalement de petits poissons
et de chevreites , 1ls seront la meilleure
amorce dont on puisse se servir pour garnir
le haim qu’on jette aux raies de quelque
espèce qu'elles soient ; et comme par leur
forme plate et l'habitude qu’elles ont de
se tenir au fond de la mer, elles sont diff-
ciles à tirer hors de l’eau , il faut que
lhamecon soit solidement attaché à une
ligne très-forte faite de fanons de baleines
ou de petites lanières de la peau du grand
phoque : c’est du moins ce que pratiquent
les pêcheurs groenlandais, suivant Othon
Fabricius, Fauna groenlandica, page 126.
DES RATES. 221
Pour faire celte pêche en grand, on garnit
un moyen cable d'une multitude de ces
lignes hameçonnées et jusqu'à dix à douze
mille : on le jette en mer à trente brasses
au moins de la côte; et pour indiquer les-
pace qu'il occupe , on y atlache dans sa
Jongueur , et de distance en distance , plus
ow moins éloignées , des signaux de liège
qui liennent à de pelites cordes assez
longues pour ne point empêcher le cable
de gagner le fond.
Cette pêche , qui se pratique dans la Mé-
diterranée et particulièrement sur les côtes
d'Italie, rapporte beaucoup ; mais, si elle
produit du poisson plus frais que celui qu’on
prend aux filets, elle a cependant cela de
très - désavantageux que les haïms devant
êlre garnis de petits poissons et quelquefois
de dix à douze par chaque haim, il en ré-
sulte une grande destruction de frai de
poissons, que les pêcheurs sont d’ailleurs
obligés de se procurer à prix d'argent : en
sorte que ces amorces sont coûteuses et
tendent à diminuer les espèces , ce qui doit
faire préférer la pêche au filet dont nous
llons parler.
On pêche les raies au filet qu’on appelle
299 HISTOIRE
folle (1): ila deux brasses ou environ dix
pieds de hauteur ou chûte; sa longueur,
varie et peut avoir de six à dix-huit brasses.
Ses mailles ont six pouces en carrée,
faites de fil fort. Relativement à la manière
d'étendre ce filet, il y en a de trois sortes :.
folle simple, folle flottée et BB IS , et folle
à la mer.
On nomine ce filet folle, parce qu il n'est
pas fortement fixé au fond , mais seulement.
par le lest de quelques si qui em
BY de surnager en totalité, et le tien-
ent tendu dans l’eau, sans l’erapêcher d'y
élre agité; el parce que ses maiiles étant
larses et flexibles et faisant des poches dont
l'agitation de l’eau varie les formes, il en
prend lui-même de différentes, tant dans
sa longueur que dans sa Den |
La folle simple, c’est-à-dire, _eñ une seule
pièce , s'étend sur des piquets de quatre à
cinq pieds de haut, à la distance d'environ
deux à trois brasses l'an de l’autre. On.
amnarre la folle aux piquets par le haut et
par le bas, au moyen d’un tour mort qui
(1) En quelques endroits, la folle est appelée Tieux ÿ.
précisément parce qu’elle sert à prendre des raies
En allemand, weitmaschigte sackgarn.
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PDirant ef,
LA FOLLE .
DES RATES. 223
n’est qu’un simple lour croisé sans nœud :
ce filet s'étend un bout vers la haute mer
et l'autre bout vers la terre ; quelquefois
on donne à un des bouts la figure d’une
crosse, et cela par le moyen des piquets.
Pour tendre la folle simple, il faut être
deux; mais un seul pêcheur: peut tendre
la folle flotiée, dont on peut voir les dé-
tails à la planche V.
La tête de ce filet, fait d’un bon fil de
chanvre assez délié, est bordée par une ra-
lingue A, qui est un funin ou quarantenier
(c’est-à-diré, cordage de médiocre grosseur),
de douze à quinze fils ; laquelle ralingue
passe à travers des rondelles de liège B ,
qu'on met à environ douze pieds les unes
des autres. Le pied du filet est bordé par
deux pareils funins CC , entre lesquels sont
amarrés avec des lignes fines les cailloux D
qui forment le lest: on les met à environ,
trois pieds les uns des auties. Mais, pour
que les deux cordes CC ne se coulent pas
June sur l’autre quand on les met à l’eau,
il faut avoir l'attention de mettre leurs torts
en sens contraire. +
Pour faire en grand la pêche à la folle , Ë
plusieuts pécheursse réunissent, conviennent
de la part qu'ils auront dans le produit,
22% EPST OTLRE
laquelle est ordinairement proporlionnée au
nombre de pièces de folles qu'ils mettent
dans celte société momentanée; ils frèlent
une barque dont le maître , ainsi que les
hommes de service , ont aussi une part con-
venue ; alors, pour joindre les différentes
pièces de folles apportées par les pêcheurs
associés, et en faire ce qu’ils appellent une
tessure , on attache aux deux extrémités de
la ralingue d'en bas une grosse pierre percée,
ou cablière 1 garnie d’une anse ou estrope
de corde K, qui sert aussi à attacher une
corde ou orin L à l’autre bout de laquelle
est amarrée une bouée formée de douves
de barriques comme M ou de morceaux de
lèges comme N. On voit en O les signaux
que portent les bouées : ce sont de petits
pavillons qui servent à faire apercevoir de
plus loin les bouées qui flottent sur la sur-
face de l’eau. En P est une petite cablière :
on en met quelquefois de distance en dis-
tance, sur la ralingue d'en bas, quand les
tessures sont fort longues. Q est un grapin
avec son cablot S.Ce grapin sert à rechercher
au tend de l’eau une partie de la tessure,
quand par accident elle est restée à la mer.
R est un autre petit grapin qui est quel-
duefois encapelé sur le premier. Test un
gafiot
DES RATES. 2$5
gaffot pour harponner et tirer à bord de
très-gros poissons,
Quand on tend les folles au bord de la
mer, on les place ou entre les rochers où
sur les sables, au pied des bancs, ou dans
les fonds qui se trouvent entre les bancs,
qu’il y ait de l’eau ou qu’il n’y en ait pas;
quand la mer est retirée. Alors ce filet, qui
est sédentaire, se tend un peu en demi-
cercle : si on le place sur un terrain dur ou
dans un endroit d’où l’eau né se retire pas
éntièrement après le reflux , on ajoute
quelques cablières aux cailloux qui lestent
le pied du filet. Si le terrain est de sable,
on y‘enfonve.le pied du filet, et le haut ou
tête du fièt est soutenu ‘par les flottes et
par des’ lignes nommées bandingues , qui
tiennent d'un bout à la tête du filet , et
dont l’autre est fixé dans le sable à une
distance convenable pour maintenir la flotte
debout et l'empêcher de céder au courant,
Le tems des grandes marées d'été est le
plus propre à cette sorte de pêche, et les
folles qu’on y emploie ont moins d’étendué
que celles dont on fait usage à une certaine
distance des bords de la mer. URL.
Quant à la pêche qui se fait avec des
folles plus avant dans la mer et sur Îles
Poiss. Tome III. P
220 LI 5 M O PR'E
grands fonds, comme elle a pour objet de
prendre de gros poissons, les filets qu’on
y emploie. ont la maille plus ouverte ; ce
qui rend le filet moins coûteux, plus léger
et plus propre, par une plus grande sou-
plesse , à envelopper aisément le poisson.
Dans cette grande pêche, chaque pièce de
folle peut avoir jusqu’à dix-huit brasses de
longueur et huit pieds de chüûte : et les ma-
telots, réunis quelquefois au nombre de
seize , en fournissent jusqu’à dix-huit pièces,
ce qui donne à ce filet une lieue et souvent
plus d’étendue. D’après cela, on conçoit
qu'outre le moyen indiqué plus haut pour
réunir les pièces de folles, et comme une
si grande étendue donne plus de prise au
mouvement de la mer sur le filet , il est
nécessaire de multiplier davantage les floites
et les cablières.
Il faut éviter de jeter ce grand filet sur
«les fonds de roches , de crainte d’être trop
souvent obligé de faire usage des grappins
R Q indiqués dans la première figure. Les
meilleurs fonds sont ceux de rocaille, de
galets, et ceux: où il croit des plantes ma-
rines. |
La saison la plus favorable pour cette
pêche est le printems et l'automne. Le tems
ms. -à/
D'PS: RATES. 227
convenable est quand la marée commence
à porter au vent. On jette la tessure sous
le vent , et on la laisse trois nuits en place,
à moins qu'ayant tendu loin de la côte,
l'approche d’une tempête ne fasse craindre
aux pêcheurs de perdre leurs filets, auquel
cas ils les relèvent au bout de trente - six
heures. Si le tems est bon, ils relèvent éga-
lement de nuit comme de jour ; mais pour
éviter toute surprise , il est bon qu’ils res-
tent sur leurs filets, et que dans la crainte
d’un gros tems , outre la grosse cablière ,
qui est amarrée au boul forain avec la bouée,
ils en meltent encore une au milieu de la
tessure , et une troisième à six pieds de
Fautre bout de la tessure, et cette dernière,
ils l’attachent au cable de l’ancre de leur
barque ou bateau.
L'opération de jeter la tessure à la mer
est difficile ; celle de l'en retirer est plus
difficile encore et demande jus de pré-
caution. D’abord quand les pêcheurs mettent
leur tessure à la mer, quatre d’entre eux
descendent à la cale où le filet est serré sur
Parrière du grand mât : deux hommes qui
se placent sur le pont, près de l’écoutille,
recoivent ce filet et le donnent à deux autres
qui sont appuyé sur le bord. Derrière eux
P 2
228 HAS TOILRE
sont deux forts matelots à califourchon sur
le bord, et qui jelitent à la mer les pièces
de filets à mesure qu'on les leur présente.
Entre ces hommes les uns se donnent de main
en main le pied du filet chargé de cailloux ,
les autres la tôle garnie de ses flottes, afin
que la tessure se place à la mer dans une
position verticale, et que le filetine se torde
pas. Une partie de l'équipage se repose pour
être en état de reprendre la place de ceux
des travailleurs qui se trouvent fatigués.
Quand les pècheurs veulent relever leur
filet, ils lèvent l'ancre, la mettent à bord ;
ensuile ils hâlent le cordage qui répond de
lancre à la folle ; par ce moyen ils amènent
la premiére pièce de folle , et de suite toutes
les autres qui se tiennent. Pendant cette
opéralion et à mesure que chaque pièce de
foile arrive à bord, un des plus forts ma-
telois , placé près de lescubier de stribord,
est occupé à gaïler les gros poissons qui se
présentent ; et si par malheur la tessure
vient à se rompre, on se sert des grappins
Q et KR pour retirer ce qui, est reslé à la
mer. Tout l'équipage est employé dans cette
opération.
Aux environs de Marennes et sur les
oôles de Bretagne, on emploie aussi à la
DES RAIES. 229
pêche de la raie et autres poissons plats
des dragues que les saintongeois et poitevins
nomment chalus. C’est un filet de forme
carrée longue , ayant huit brasses .d’ou-
verture, qui se réduit au fond à cinq à six
brasses de largeur; les mailles ont leurs
dimensions inégales , et vont en se rétré-
cissant à mesure qu’elles approchent du
fond.
L'ouverture du chalu est chargée par en
bas d’un cordage de deux pouces de grosseur
et de plus d’une livre de plomb par brasse.
Le haut est garni d’une ligne d’un quart de
pouce de grosseur et portant des flottes en
assez grand nombre pour maintenir l'ou-
verture de cette espèce de sac. La corde
plombée et ia ligne chargée de flottes sont
amarrées à deux échalons ou genouiliets
de bois, et on attache, tant aux échalons
qu'aux cordages, une cablière pour tirer le
filet à fond.On emploie ce filet, qui se traîne,
dans une profondeur d'eau depuis huit à dix
brasses jusqu'a trente et quaranle.
Quand les pêcheurs ont pris beaucoup de
raies dans des momens où la vente n’en est
pas avantageuse , ils les conservent en leur
passant une ligne dans la gueule et dans un
des trous des ouïes. Ils attachent cette ligne
"3
250 H:T$5 T O EFR':E
par chaque bout à des pieux éloignés , et de
manière que la ligne soit lâche , et le tout
placé dans le fond d’un parc qui ne sèche
point.
Sur la côte de Quimper, on étend les pe-
tites raies sur le rivage pour les faire sécher,
en évitant qu'elles ne soient mouillées par
la pluie; car l’eau douce les fait noircir, et
les met hors de vente ; on envoie ce poisson
ainsi préparé à Nantes. Les gens de la cam-
pagne en font une grande consommalion ,
sur-tout pendant les vendanges. On vend
séparément les têtes , que l’on nomme goules
rondes ; on en fait des paquets de vingt têtes ;
elles sont regardées par ceux qui en font
usage comme un mets délicat.
On prend aussi les raïes à la seine , espèce
de filet dont on trouvera la description dans
la suite de cet ouvrage.
DES RAIES. 232
LA RAIE LYMME (i)(),
PAR LACÉPÉDE.
DIX-HUITIÈME ESPÈCE.
C’est dans la mer Rouge que le voyageur
Forskœl a trouvé cette raie, qu’il a le
premier fait connoître (3). Flle ressemble
beaucoup à la raie aigle, ainsi qu’à la pas-
tenaque ; elle a les dents aplaties comme
ces deux raies et tous les cartilagineux qui
composent le même sous-genre : mais ex-
posons les différences qu’elle montre. Le
corps proprement dit, et les nageoires pec-
torales, forment un ensemble presque ovale;
(1) Raja lymma. Lin. édit. de Gmelin.
Raie lymme. Bonaterre , planches de l’'Encyclop,
méthodique.
Raja corpore ovali testaceo, maculis cæruleis , caud&
pinnat& , aculeo unico... raja lymma. Forskæl] , Faun.
arab. p.17, n° 1B.
(2) Raja lymma. Artedi , Gen. pisc. gen. 45, sp. 14,
additans. Nota, que cet ichthyologiste rapproche la
lymme de la raie ronce. SONNINI.
(5) I l’a décrite à Loheïa, ville d'Arabie, sur le
bords de la mer Rouge. SOonNNini.
P 4
25%. AI ST OTREÉ
la partie postérieure des nageoires pecto?
rales est terminée par un angle plus ou
. moins ouvert; les nageoires ventrales sont
arrondies , et toute la partie supérieure du
dos est d’un brun tirañt sur la couleur de
brique, parsemé d’une grande quantité de
taches bleues, ovales, et inégales en grandeur.
La queue est un peu plus longue que le
corps, et garnie vers le milieu de sa longueur
d’un et quelquefois de deux aïguillons, longs,
larges, dentelés comme ceux de la raie aigle
et de la pastenaque, et revêtus à leur base
d’une peau d’un brun bleuâtre. Depuis son
origine jusqu’à ces aiguillons , la queue est
un peu aplatie, blanche par dessous et
rougeâtre dans sa partie supérieure , où l’on
voit régner deux petites bandes bleues et
longitudinales ; et depuis les piquans jusqu’à
son extrémité, qui est blanche et très-déliée,
elle est toute bleue, comprimée par les côtés,
et garnie en haut et en bas d’une petite
membrane frangée qui représente une na-
geoire, et qui est plus large au dessous qu’au
dessus de la queue. |
La lymme n’a point de nageoire dorsale ;
et par là elle se rapproche plus de la pas-
tenaque , qui en est dénuée , que de la raie
aigle qui en présente une.
DES RATES. 233
C'est à cette jolie espèce qu'il faut rap-
porter une raie pêchée par Commerson
aux environs des îles Praslin, et à laquelle
il a donné le nom de raie sans piquant (à),
parce qu’en eflet elle n’en présente aucun
sur le dos, non plus que les individus ob-
servés par Forskœl. Ce naturaliste a fait
de cette raie sans aiguillon sur le corps une
description très - détaillée , qui fait partie
des manuscrits déposés dans le museum
d'histoire naturelle, et qui s'accorde presque
dans tous les points avec celle que nous
venons de donner d’après Forskoœæl. La seule
différence entre ces deux descriptions, c’est
que Commerson parle d'une rangée de petits
tubercules , qui règne sur la partie la plus
élevée du dos et s'étend jusqu'à la queue ,
et de deux autres tubercules semblables à
des verrues , et placés l’un d’un côlé et
Vautre de l’autre, de lorigine de cette
dernière partie.
Au reste, parmi les individus qui ont été
l’objet de l’attention de Commerson , un
(1) Raja lœvis è testaceo fuscescens, gutlis cæru-
leis innumeris prono corpore sparsis, aculeis gemints
in media cauda. Commerson , ouvrage manuscrit sur
la Zoology , quatrième cahier , 1708.
254 ÉCES'T'O4LRE
avoit près de cinq décimètres ( un pied six
pouces huit lignes) de longueur totale (1)...
Au reste nous ne croyons pas avoir besoin
de dire que le mâle est distingué de la fe-
melle par deux appendices placées auprès de
‘Janus, et semblables à ceux que nous avons
fait connoître en traitant de la bats.
La lymme, que quelques naturalistes ont
crue confinée daus la mer Rouge, habite
donc aussi une partie de la mer des Indes.
On doit la trouver dans d’autres mers,
sur-lout aux environs des tropiques; et en
effet il vient d'arriver de Cayenne, au mu-
seum d'histoire naturelle , une petite col-
lection de poissons parmi lesquels j'ai re-
connu un individu de l’espèce de la lymme.
Ces poissons ont été envoyés par le citoyen
Le Blond, voyageur naturaliste, qui nous
a appris, dans des notes relatives aux ani-
maux qu'il a fait parvenir au museum, que
l'individu, que nous avons considéré comme
une lymme, avoit été pris au moment où
il venoit de sortir de l'œuf , mais où il étoit
encore dans le ventre de sa mère. Les raies
_ (1) Forskœl dit que la lÿmme de la mer Rouge
atteint à peine la longueur d’un pied, ( Faun. ægypt.
arab. loco citato.) SONNINE,
DES RAIES. 235
de la même espèce, dit le citoyen Le Blond,
qui les appelle raies rouges, à cause de la
couleur de la partie supérieure de leur corps,
semblable par conséquent ou presque sem-
blable à celle des lymmes d'Arabie ou des
environs des îles Praslin , sont très- bonnes
à manger lorsqu'elles sont jeunes , et par-
viennent quelquefois au poids de dix ou
quinze myriagrammes ( deux ou trois cents
livres ou environ). Au reste, le petit individu
arrivé de l'Amérique méridionale avoit la
queue trois fois plus longue que le corps et
la tête, et par conséquent beaucoup plus
longue que les Iyÿmimes d'Afrique et d'Arabie.
Mais tous les autres traits de la conformation
réunissant ces cartilagineux de la mer Rouge
et des îles Praslin avec les raies rouges de
Cayenne, on peut tout au plus regarder ces
dernières comme une variété dans l'espèce
des raies rougeûtres des îles Praslin et d’Ara-
bie ; mais on n’en doit pas moins les consi-
dérer comme appartenant à lespèce de la
lymme , qui dès - lors se trouve dans les
eaux chaudes de Asie, de l'Afrique et de
l'Amérique.
236 HISTOIRE
CLS CE ER RE TE 7 PR EE 7
F
ÉA RATE SEPHEN (1) (2),
| PAR LACÉPÉDE.
DIX-NEUVIÉME ESPÈCE.
D ANS cette même mer Rouge où Forskcæl
a trouvé plusieurs variétés de la pastenaque
et la raie Iymme, ce voyageur a vu aussi la
sepheu. Elle a de très - grands rapports de
conformation avec la raie aigle, la paste-
naque et la lymime ; mais elle en diffère par
des caractères assez nombreux pour qu'elle
constitue une espèce distincte.
Sa couleur est, sur le corps, d’un cendré
brun, et par dessous d’un blanc rougeätre.
(1) Raja sephen. Lin. edit. de Gmelin!
Raie sif. Bonat. planches de l'Encycl. méth.
Raja corpore suborbiculato , caud4 duplo longiore
subiüs alatä, suprà aculeis duobus longis , utrimque
serratis. Forskoœl, Faun. arab. p. 17, u° 16.
(2) Raja sephen. Artedi, Gen. pisc. gen. 45, sp. 15,
additam.
Les arabes de l’Yemen l’appellent sæfén ; à Loheia
ils prononcent syfen ; et lorsque le poisson est de
grande taille, ils le distinguent par la dénomina-
tion de sif, SONNINIL.
DES RATES. 237
Elle parvient à une grandeur très-considé-
rable, puisqu'on a vu des individus de cette
espèce dont les nageoires peclorales et le
corps réunis avoient trente-six décimêtres
(onze pieds) où à peu près de largeur. L/ex-
irénuté postérieure des nageoires pectorales
est arrondie , et, dans plusieurs des positions
ou des mouvemens de l'animal, cache en
partie les nageoires ventralés, qui sont très-
petites à proportion du volume de la raie.
Malgré la grande étendue du corps, la
queue est deux fois plus longue que le corps
proprement dit, comme celle de la raie
aigle , et.est armée de même d’un ou deux
aiguillons assez longs , forls , dentelés des
deux côtés,.et revêlus enpartie d’une peau
épaisse : mais , au lieu d’être entièrement
dénuée de nageoires et de petits piquans;
comme la queue de la pastenaque ; au leu
de présenter une nageoire dorsale, comme
celle de la raie aigle, ou de montrer, sans
aucune petite pointe , une sorte de nageoire
particulière composée d’une. membrane
longue et étroite, comme la queue de la:
lymme , elle est garuie, depuis la place des
deux grands dards, jusqu’à son bout le plus
délié, d’une rangée longitudinale de très-
230 HAS !T'O CRE
petits aiguillons qui règnent sur sa partie su-
périeure , et d’une membrane longue , étroite
et noire, qui s'étend uniquement le long de
sa partie inférieure.
L'un de ses caractères véritablement dis-
tinctifs est d’avoir le dessus du corps et la
partie supérieure de la queue, jusqu’à la
base des deux pointes dentelées , couverts
de tubercules plats, au milieu desquels on
en distingue trois plus grands que les autres,
d’une forme hémisphérique, d’une couleur
blanchâtre, et formant au milieu du dos
un rang longitudinal.
Presque tout le monde connoît cette peau
dure, forte et tuberculée, employée dans le
commerce sous le nom de galuchat, que
Von peint communément en verd, et dont
on garnit l'extérieur des boîtes et des étuis
les plus recherchés. Cette peau a aussi reçu
le nom de peau de requin ; et c’est par cette
dénomination qu’on a voulu la distinguer
d’une peau couverte de tubercules beau-
. coup plus petits, beaucoup moins estimée,
destinée à revêtir des étuis ou des boîtes
moins précieuses, appelée peaux de chiens de
mer, et qui appartient en effet au squale
ou chien de mer, désigné par le nom de
DES RAIES. 239
roussette (1). Ceux qui ont observé une
dépouille de requin savent que le galuchat
présente des tubercules plus gros et plus
ronds que la peau de ce squale, et ne peut
pas être cette dernière peau plus ou moins
préparée. C’est donc une fausse dénomina-
ton que celle de peau de requin donnée au
galuchat. Mais j'ai desiré de savoir à quel
animal 1l falloit rapporter cette production,
qui forme une branche de commerce plus
étendue qu’on ne le pense, et qui nous par-
vient le plus souvent par la voie de PAn-
gleterre. J'ai examiné les prétendues peaux
de requin déposées dans les magasins où vont
se pourvoir les faiseurs d’étuis et de boîtes ;
et quoïiqu'aucune de ces peaux ne montrât
en entier le dessus du corps et des nageoires
pectorales, et ne présentât qu’une portion
de la partie supérieure de la queue, je me
suis assuré sans peine qu’elles étorent les
dépouilles de raies sephens. Elles ne con-
sistent que dans la partie supérieure de la
tête, du corps et du commencement de Îa
queue; mais autour de ces portions tuber-
culées , et les seules employées par les fai-
seurs d’étuis, il y a assez de peau molle
(1) Voyez l'article du squale roussette.
540 HISTOIRE
pour quon puisse être convaincu qu’elles
ne peuvent provenir que d’un poisson car-
tilagineux, et même d’une raie; et d’ailleurs
elles offrent la même forme, la même gros-
seur, la même disposition de tubercules que
la sephen ; elles présentent également les
trois tubercules hénusphériques et blan-
châtres du dos. A la vérité, toutes les pré-
tendues peaux de requin que j'ai vues, au
leu de montrer une couleur uniforme ,
comme les sephens observées par Forskœæl,
étoient parsemées d’un grand nombre de
taches inégales, blanches, et presque rondes;
mais l’on doit savoir déjà que, dans presque
toutes les espèces de raies, la présence d’un
nombre plus ou moins grand de taches ne
peut consiiiuer tout au plus qu’une variété
plus ou moins constante (1).
Ces tubercules s'étendent non seulement
au dessus du corps, mais encore au dessus
d’une grande partie de la tête. Ils s’avancent
presque jusqu'à l'extrémité du museau, et
entourent l'endroit des évents et des yeux,
dont ils sont cependant séparés par un in-
tervalle.
1
(Qi) Voyez sur ce sujet ma note à la pag. 210. :
SONNEN
On
DÉS RAIES. 241
On reçoit d'Angleterre de ces dépouilles
de sephens, de presque toutes les grandeurs,
jusqu'à la longueur de soixante-cinq cen-
timètres ( deux pieds) ou environ. La peau
des sephens parvenues à un développement
plus étendu ne pourroil pas être employée
comme celle des pelites, à cause de la gros-
seur trop considérable de ses tubercules. Sur
une de ces dépouilles, la partie tuberculée
qui couvre la tête et Le corps avoit cinquaute-
quaire centimètres (un pied sept pouces )
de long, et deux décimètres ( sept pouces)
dans sa plus grande largeur; et celle qui
revêtoit la portion du dessus de la queue,
la plus voisine du dos, étoit longue de deux
décimètres (sept pouces) ou à peu près (1).
J’ai pensé que l’on apprendroit avec plaisir
dans quelle mer se trouve le poisson dont
la peau, recherchée depuis long-tems par
plusieurs artistes, nous a été jusqu'à présent
apportée par des étrangers qui nous ont
laissé ignorer la partie de lanimal qui la
fournit. 11 est à présumer que l’on rencon-
trera la sephen dans presque toutes les mers
placées sous le même climat que la mer
(1) On peut voir, dans les galeries du museum
d'histoire naturelle , une de ces dépouilles de sephen.
Poiss. Tome III. Q
249 EL: TT O0 ER'E
Rouge ; et nous devons espérer que nos
navigateurs , en nous procurant directement
sa peau tuberculée , nous délivreront bientôt
d'un des tributs que nous payons à l’industrie
étrangère (1).
a ——
(1) Un critique très-ingénieux a prétendu que
c’étoit une erreur de voir, dans la dépouille de la raie
sephen, la matière du galuchat le plus recherché
dans le commerce. « Galuchaz, dit ce critique avec
beaucoup d’esprit et de gaîté, est le nom d’un ouvrier
de Paris, qui demeuroit dans la rue du Harlay. Cet
ouvrier walloit à la pêche ni du requin, ni de la
roussette , ni de l’aiguillat, ni du sephen; il w’alloit
à la chasse ni de Ponagre , ni du sagri, mais il ache-
toit des peanx de sagri, d’onagre, de roussette et de
requin ; 1l avoit inventé l’art de polir ces peaux,
de les blanchir, de les teindre et de les employer
avec éclat dans sa profession de gaînier. Il étoit même
parvenu à surpasser le sagrinage ou chacrinase des
arabes ; et il l’appliquoit avec un égal succès à leurs
quadrupèdes et aux nôtres. À moins de déterminer
le grand et le petit chien de mer, à veuir habiter la
Seine , je ne vois pas qu'il soit possible d’ajonter à
la branche d’industrie que créa cet ouvrier si re-
nommé et si digne de l’être ». (Observations d’un
dialecticien sur les quatre-vingt-onze questions adres-
sées par l'institut national de France à l'institut
d'Egypte. Paris, an 7 , p. 14, quest. 18.)
D'un autre côté, il me paroïît difficile que les
anglais, non plus que toute autre nation européenne,
D E $S (RATES. 249
Voilà donc quatre raies, l'aigle , la pas-
tenaque , la Iymme et la sephen, dont la
queue ést armée de piquans dentelés. Ces
dards , également redoutables dans ces dif-
érentes espèces de poissons cartilagineux ,
lés ont fait regarder toutes les quatre comme
venimeuses ; mais les mêmes raisons qui nous
ont moniré que l'aigle et la pastéenaque ne
contenoient aucun poison doivent nous faire
peuser que l'arme de la sephen et de la
lymme ne distille aucun venin, et west à
cräindre que par ses effets mécaniques.
aient pu tirer de la mer Rouge des dépouilles de pois-
sons d'aucune espèce, dans un tems où la navigation
cette mer étoit inconnue aux vaisseaux d'Europe.
Pendant mon voyage en Egypte, voyage uniquement
consacré aux recherches, je n’ai pas ouï dire que les
arabes pèchassent la raie sephen pour en faire un
objet de commerce, et je n’ai point vu de peaux de ces
poissons dans les boutiques de cette ville, où l’on
trouve en abondance toutes les denrées de l’Arabie.
L'on peut remarquer aussi que Forskœl, qui a décrit
la raie sephen sur les côtes mêmes de lArabie, et
qui en parle assez longuement dans sa faune ægyp-
tiaco-arabique , ne dit pas un mot de ses propriétés ni
de ses usages, ce qu’il n’eût pas manqué de faire, s'il
eût va que, dans le pays où on la pêche, on en tirât
d'autre parti que pour la nourriture des hommes.
SONNINI.
Q 2
24% HISTOIRE
ef
DA RAIE BOUCDÉE (1) (};
PAR. L'ACÉPÉDE
VINGTIÉÈME ES PEÉCE.
Voyez la figure, planche 1V, fig. 2.
Cire raie, à laquelle on a donné le
nom de bouclée, ou de clouée, à cause des
gros aiguillons dont elle est armée, et qu'on
a comparés à des clous ou à des crochets,
habite dans toutes les mers de l’Europe. Elle
y parvient jusqu'à la longueur de quatre
(1) Dans plusieurs départemens méridionaux , raie
‘ clouée, clavelade. En Angleterre , thornback et maids.
Raie bouclée. Daubent. Encycl. méth.
Raja clavata. Lan. édit. de Gmel.
Raja ordine aculeorum unguiformium ; unico in
dorso caudaque. Bloch , Hist. des poiss. en allemand,
troisième partie, p.65, n° 5 ,pl. zxxxtt,
Raja clavata. Faun. suec. 293. — It. Wsoth. 175.
Raja aculeata, dentibus tuberculosis , curtilagine
transversa in ventre. ÂArtedi, gen. 71, syn. 99;
sp. 103.
Raïe bouclée. Bonat. planches de l’Encycl. méih. —
Gronov. Mus. 1 , 140. Zooph. 154.
Dasybatus céavatus , corpore toto maculis albidis
DES RATES. 245
mètres (plus de douze pieds). Elle est donc
une des plus grandes; et comme elle est en
même tems une des meilleures à manger,
elle est, ainsi que la batis, très-recherchée
par les pêcheurs : l’on ne voit même le plus
souvent dans les marchés d'Europe que la
rotundis, etc. Klein, Miss. pise. 3 , p. 35, n° 4, tab. 4,
nf 7.
Raja clavata. Act. sien. 4, p. 353.
Raie bouclée, Rondelet, première partie, liv. 12,
chap. 12.
Raja clavata. Gesn. Aquat. 795. — Willughby,
Ichih. 74. — Raj. pisc. 26.
Baie bouclée. Belon, Aquat. p: 70.
T'hornback. Pennant , Zool. brit. 3, p. 69, n° 5.
Raie bouclée. V almont de Bomare , Dict. d'histoire
naturelle. — Duhamel, Traité des pêches, seconde
partie, sect. g, p. 280.
(>) La raie bouclée. En allemand , steinroche ,
nagelroche. En hollandais, roc. En danois, rokke,
rokkel. En suédois, rocka. En norvégien, somrokke,
somskatte. En islandais, tènda- bukia. En italien,
perosa, petrosa. En espagnol, pescado. À Marseille,
clavellado , et dans quelques endroits , roussée,
Raja aculeata dentibus tuberculosis, cartilagine
transversä abdominali... raja clavata. Brunnich ,
Ichth. massil. p. 3.
Raja minima, clavata , caud& longissimd. Jabe-
birete Marcgravii ; raie bouclée. Barrère , France équi-
noxiale, p. 178. SONNINI:
Q 3
246 HISTOIRE
bouclée et la batis. Elie ressemble à la batis
par ses habitudes, excepté le tems de sa
ponte, qui paroît plus retardée et exiger une
saison plus chaude ; elle est aussi à beaucoup
d'égards conformée de même.
La couleur de la partie supérieure de son
corps est ordinairement d’un brunâtre semé
de taches blanches, mais quelquefois blanche
avec des taches noires.
La tête est un peu alongée, et le museau
pointu ; les dents sont petites, plates, en
losange , disposées sur plusieurs rangs, et
très-serrées les unes contre les autres.
La queue, plus longue que le corps, et
un peu aplatie par dessous, présente, auprès
de son extrémité la plus menue, deux pe-
tites nageoires dorsales, et une véritable
nageoire caudale qui la termine.
Chaque nageoire ventlrale , organisée
comme celles de la batis, offre également
deux portions plus larges l’une que lautre,
et qui paroissent représenter, l’une une na-
geoire ventrale proprement dite, et l’autre
une nageolre de l'anus. Maïs ce n’est qu'une
fausse apparence ; et ces deux porlions, dont
la plus large a communément trois rayons
cartilagineux, et l’autre six, ne forment
qu'une seule nageoire.
D'ÉS' RATES. 247
Presque toute la surface de la raie bou-
clée est hérissée d’aiguillons. Le nombre de
ces piquans varie cependant suivant le sexe
et les parages fréquentés par lanimal ; il
paroît aussi augmenter avec l’âge. Mais voici
quelle est en général la disposition de ces
pointes sur une raie bouclée qui a attemt
un dégré assez avancé de développement.
Un rang d’aiguillons grands, forts et re-
courbés, atlachés à des cartilages un peu
lenticulaires, durs, et cachés en grande
partie sous la peau qui les retient et affermit
les piquans, règne sur le dos, et s'étend jus-
qu’au bout de la queue. L'on voit deux
piquans semblables au dessus et au dessous
du bout du museau. Deux autres sont placés
au devant des yeux, et trois derrière ces
organes ; quaire autres très-grands sont si-
tués sur le dos, de manière à y représenter
les quatre coins d’un carré, et une rangée
d’aiguillons moins forts garnit longitudinale-
ment chaque côté de la queue. Ce sont toutes
ces pointes plus où moins longues, dures el
recourbées que l’on a comparées à des clous,
à des crochets. Mais, indépendamment de
ces grands piquans , le dessus du corps, de la
tête et des nageoires pectorales présente
des aiguillons plus petits, de longueurs inc-
Q 4
248 HPSTOIRE
gales, et qui, lorsqu'ils tombent, laissent
à leur place une tache blanche comme les
piquans grands et crochus. Et enfin on voit,
sur la partie inférieure de la raie bouclée,
quelques autres pointes encore plus petites
et plus clair-semées.
Cette tache blanche qui marque l’endroit
que les aiguilions séparés du corps avoient
ombragé, recouvert, et privé de linfluence
de la lumière, cette place décolorée n’est-
elle pas une preuve de ce que nous avons
exposé sur les causes des différentes couleurs
que les poissons présentent , et des dispo-
sitions que ces nuances affectent (1)?
Le foie de la raie bouclée est divisé en
trois lobes, dont celui du milieu est le moins
grand, et les deux latéraux sont très-longs :
il est très-volumineux ; il fournit une grande
quantité d'huile que les pêcheurs de Nor-
vège recueillent particulièrement avec beau-
coup de soin.
La vésicule du fiel, rougeûtre, alongée
et triangulaire , est entre le lobe du milieu
du foie et lestomac.
Ce dernier viscère est assez grand, alongé,
(0) Discours sur la nature des poissons , et plusieurs
autres ariicles de cette histoire.
DES RAIES. 49
et situé du côté gauche de labdomen. Il
se rétrécit & se recourbe un peu vers le
pylore, qui est très-étroit, et n'est garni
d'aucune appendice.
Au delà du pylore lé canal intestinal
s’élargit , el parvient à l’anus sans beaucoup
de sinuosités.
Mais pourquoi nous étendre davantage
sur un poisson que l’on a si souvent entre
les mains, que lon peut si aisément con-
noître, et qui a tant de rapports avec la
batis, dont nous avons examiné très-en
détail et la forme et la manière de vivre (1)?
(x) L'on trouve, dans la dernière édition des
Synonymes des poissons, par Artedi , une description
très - exacte de la raie bouclée. J’en donne ici la
traduction avec d’autant plus de raison que cet
ouvrage d’Artedi est fort rare en france.
La tête et tout le corps de la raie bouclée sont
extrêmement aplatis ou sont plats de part et d’autre.
Le corps , à l’exception de la queue, est presque de
forme carrée; la queue est longue, déliée, mais
cependant aplatie de part et d'autre.
Le ventre, ou la partie inférieure , est entière-
ment plat ; le dos , aussi aplati, offre cependant sur
le milieu une légère convexité.
Les yeux, placés à la partie supérieure du corps
et assez éloignés du museau, sont un peu saillans
et couverts par le haut d’une peau simple et nue
250 HISTOIRE
Qu'il nous suffise donc d’ajouter que l'on
La prunelle et l'iris ne se dirigent point en haut,
mais vers les côtés ou horisontalement. La prunelle
est d’un noir verdâtre, l'iris d’un blanc argenté.
À Ja partie supérieure de la pupille est un oper-
cule élégamment frangé sur ses hords, qui cède à
la pression du doigt en se retirant »t s'étendant jus-
qu’à couvrir le crystallin; il est Jyhérique, trans-
parent et un peu dur avant que lèé oisson ne soit
cuit, ! “ #
De part et d’autre est un trou peu oblons,
placé presque transversalement à la partie posté-
rieure des yeux, et dont le bord antérieur est légè-
rement strié, et, comme une espèce de valvule,
recouvre presque entièrement l’ouverture qui, à sa
partie poslérieure, est intérieurement nue et unie.
Ces trous ont intérieurement un double conduit ; car
1° ils vont s’ouvrir en ligne droite par un grand trou
en devant de la bouche; et 2° par leur partie pos-
térieure ils répondent aux ouïes et communiquent
à leurs ouvertures internes. Leur usage est donc de
respirer et de rejeter l’eau ; et ils concourent aux
mouvemens des ouïes et à la circulation du sang.
Les narines grandes , placées en dessous et situées
un peu en avant de la bouche, n’ont qu’une seule, mais
large ouverture ; elles communiquent par leur partie
inférieure à la bonche même, et elles sont à demi-
recouvertes par la membrane ; mais elles sont libres
antérieurement , et à leur côté extérieur se présente
une petite valvule. Leur conduit intérieur est d’une
“grande capacité , oblong et arrondi; üne mémbrane
DES R'AIES. 25
pêche les raies bouclées comme les autres
rayée où percée de lignes transversales, à trawers
lesquelles passe une humeur muqueuse, en forme
le fond.
La bouche est en dessous et tranversale, assez
grande et à une égale distance des yeuxet du museau,
Chaque mâchoire est garnie de tubercules granuleux,
rhomboïdaux et serrés; le palais est uni; la langue
est courte, mais très-large et très-mince.
Sous la mâchoire supérieure ou antérieure sont
intérieurement deux espèces de valvules, dont les
parties recourbées en dedans ou se rapprochant du
palais sont libres.
Les ouvertures des ouïcs sont, de part et d'autre,
au nombre de cinq ; elles sout petites , placées sur les
côtés de la poitrine , et sur une ligne presque droite,
au dessous, mais loin de la bouche; elles touchent par
leur extrémité au diaphragme ; extérieurement elles
ne sont point rondes , mais transversales relativement
à la longucur du eorps.
Le dos ou la partie supérieure est toute brune
ou d’un brun pâle et varié par des taches nom-
breuses, rondes et blanchâtres; quelquefois cette
partie est blanchâtre , tachetée de noir et enduite
de viscosité ; le ventre est entièrement blanc.
Le dos ou toute la partie supérieure est entière-
ment hérissée d'innombrables piquans , petits et
dirigés en arrière.
La partie inférieure est, pour l'ordinaire , lisse
et unie.
Chacun des côtés se termine par une grande na-
252 HISTOIRE
raies, avec des cordes flottantes, des folles ;
des denu-folles, et des seines.
geoire qui tient lieu des nageoires pectorales rela-
tivement aux autres poissons. L’extrémité de ces
nageoires se termine en angle un peu pointu. Leurs
rayons cartilagineux se distinguent très - facilement
dans le poisson frais, mais sur - tout dans celui qui
est dépouillé ; ils sont formés de nœuds élégamment
disposés.
La nagéoire du ventre est unique de chaque côté ;
elle s’étend horisontalement depuis l'anus ou le com-
mencement de la queue, de la même manière que
des nageoires pectorales. La forme de ces nageoires
est singulière ; car , à leur partie supérieure, ou
voisine des nageoires latérales , elles se terminent
en une grande apophyse intérieurement remplie de
rayons cartilagineux; mais, à leur partie inférieure ,
c'est-à-dire, au commencement de la queue, il y
a deux petites apophyses molles et dépourvues de
carlilages. La partie intérieure de ces nageoires se
joint à la naissance de la queue par une membrane
mince. Il n’y a point de nagcoire anale.
La queue est un peu plus longue que le corps
entier ; elle est déliée, mais non cylindrique ; elle
est très-peu arrondie en dessus et presque plate en
dessous.
A l'extrémité de la queue , en dessus , sont deux
petites nageoires au milieu desquelles sortent sou-
vent deux petits aiguillons,
1 y a deux piquans tant en dessus qu’en dessous,
à l’extrémité du museau ; cependant ces piquans
DES RAÏIES. 253
Lorsque la bouclée a été prise, on la
conserve pendant quelques jours, ainsi que
manquent, pour l'ordinaire, aux femelles et aux
poissons jeunes.
Les piquans crochus sont disposés ainsi qu’il suit :
a° une rangée de trente s’étend'en ligne droite,
depuis le commencement, et quelquefois depuis le
milieu du dos jusques vers l’extrémité de la queue;
2° il y en a deux devant les yeux et le plus souvent
trois derrière; 3° souvent quatre grands piquans sont
sur la partie antérieure du dos, arrangés en carré;
mais quelquefois il n’y en a que deux postérieurs,
sur-tout dans les jeunes poissons ; 4° une ligne unique
de petites pointes, plus apparentes sur les grandes
raies, se remarque sur chaque côté de la queue;
5° le museau en dessous, au milieu et sur les côtés,
est hérissé de très-petites pointes qui peuvent être
comparées aux épines du rosier.
Le ventre est comme divisé en deux parties ou
demi-cercles ; la supérieure est la poitrine, l’inférieure
est l’abdomen.
Dans quelques poissons de cette espèce l'arc de
ces demi-cercles est marqué par de petites pointes;
un cartilage dur , transversal et qui s'aperçoit dis-
tinctement de l'extérieur, les distingue et forme
la séparation de la poitrine et du ventre.
L’anus est placé longitudinalement entre les na-
geoires du ventre, un peu au dessus de l’origine de la
queue; il est à peu près ovale.
Deux petits trous se remarquent à la partie infé-
rieure de l'anus ; ils ont sûrement un conduit commun
254 HISTOIRE
_ presque tous les poissons du même genre ;
afin que sa chair acquière de la délicatesse,
et perde toute odeur de marécage ou de
avec les vésicules séminales dans les mâles et avec
les ovaires dans les femelles.
I y a cinq branchies de chaque côté , dont les
ouvertures extérieures communiquent intérieure-
ment avec de beaucoup plus grandes , oblongues et
transversales. La partie intérieure de ces ouïes est
couverte de chaque côté de très-petites pointes; la
partie convexe dans les quatre branchies inférieures
est composée d’une donble rangée de feuillets; la
supérieure , c’est-à-dire, la plus rapprochée des yeux,
n’a qu'un simple feuillet.
Le cœur est aplati, peu grand , placé au bas de la
poitrine , dans une cavité particulière et séparée de
la gorge. 11 y a un diaphragme épais entre la poitrine
et l’abdomen.
Le foie, placé au haut de l’abdomen, est grand,
divisé en trois lobes, dont celui du milieu est le plus
petit, et les deux latéraux fort longs.
La rate est rougeâtre , oblongue et triangulaire,
placée sous le Kobe du milieu du foie et attachée au
ventricule.
Le ventricule est oblong et a une assez grande
capacité ; il est au côté gauche de l’abdomen ; sa partie
inférieure , au dessus du pylore, est étroite et se
replie vers le haut. Le pylore est étroit et n’a
aucune appendice. L’intestin est plus ample sous
le pylore ; il va presque droit jusqu’à l’anus. I y a
DES R'ACISES. 255
marine. Sur plusieurs côtes, on recherche
beaucoup de jeunes et très- petites raies
bouclées que l’on nomme rayons, raielons ,
ralillons, et dans quelques ports, papillons :
dénominations dont on se sert aussi quel-
quefois pour désigner des morceaux détachés
de grandes raies desséchées , et préparées
pour de longs voyages (1).
© ORAN UN ee
une appendice oblongue, étroite et sans ouverture.
Les reins oblongs, d’un rouge obscur , sont placés au
bas de l'abdomen de chaque côté de l’épine dorsale.
Deux viscères blancs, oblongs , aplatis , placés de
chaque côté de l’épine du dos, sont ou les ovaires,
ou les vésicules séminales.
Le bas de l’épine du dos et le cartilage intérieur
de la quene sont divisés en petites vertèbres.
La moëlle épinière passe par la partie supérieure
de l’épine du dos. Le crâne est oblong et formé d’un
cartilage unique ou continu. SonNNiIni.
(1) Les raies bouclées sont fort communes dans les
mers du Nord; c’est an mois de juin et de juillet
qu’on les prend en plus grande quantité, parce qu’alors
elles s’approchent des rivages pour y déposer leurs
petits au milieu des herbes marines. Les habitans de
la Norvège ne pêchent ces poissons que pour tirer
du foie l’huile dont ils se servent ; ils font sécher
la chair et la vendent aux étrangers pour l’approvi-
sionnement des vaisseaux. En Islande on mauge les
raies bouclées à demi-corrompues.
Barrère a indiqué mal à propos le /abebirète du
256 HISTOIRE
Brésil, comme étant de la même espèce que la raie
bouclée. ( Hist. nat. de la France équinox. p. 178.)
Dans les descriptions que Marcgrave a faite du jabe-
birète , il ne fait aucune mention des piquans dont la
raie bouclée est couverte et qui forme son attribut
le plas saillant. ( Voyez Marcgrave, Hist. nat. bras.
lib. 4, p. 179.)
SONNINI.
LA
DES RATES. 257
mr ,
PA. DO DIN:
PAR LACÉPÈDE.
VINGT-UNIÈME ESPÈCE.
Carre belle espèce de raie, très-remar-
quable par sa forme , ainsi que par la dispo-
sition de ses couleurs, et dont la description
n’a encore élé publiée par aucun naturaliste,
est un des innombrables trophées de la va-
leur des armées françaises. L’individu que
nous avons fait graver fait partie de la cé-
lèbre collection d’objets d'histoire naturelle
conservée pendant long-tems à la Haye,
cédée à la France par la nation hollandaise
son alliée , après que la victoire a eu fait
flotiter le drapeau tricolor jusques sur les
bords du Zuyderzée, el qui décore main-
tenant les galeries du museum d'histoire na-
turelle de Paris. Ces précieux objets ayant
été recueillis en Hollande et transportés en
France par les soins de deux de mes col-
lègues, les professeurs Thouin et Faujas
Saint-Fond, que le gouvernement français
avoit envoyés au milieu de nos légions con-
quérantes pour accroilre le domaine des
Poiss., Tome III. R.
258 HAS TD ERE
sciences naturelles, pendant que nos braves
soldats ajoutoient à notre territoire, j'ai cru
devoir chercher à perpétuer les témoignages
de reconnoissance qu'ils ont reçus des na-
turalistes, en donnant leurs noms à deux
des espèces de poissons dont on va leur
devoir la connoissance et la publication (1).
J'ai distingué en conséquence par le nom
de faujas une des lophies dont nous allons
donner l’histoire, et par celui de tkouin la
raie dont nous nous occupons dans cet
article.
La raie thouin a les dents aplaties, et
disposées sur plusieurs rangs, comme celles
de toutes les raies comprises dans le troi-
sième et dans le quatrième sous-genre.
Son museau , beaucoup plus transparent
que celui de la plupart des autres raies, est
terminé par une prolongation souple assez
étendue, et plus longue que l'intervalle qui
sépare les deux yeux.
Le dessus du corps et des nageoires pec-
torales est d'une couleur noire ou très-foncée ;
mais le museau est d’un blanc de neige très-
éclatant, exceplé à son extrémité, où 1l est
(1) Voyez Particle relatif à la nomenclature des
poissons,
DB S R'AMIES. 259
brun, et dans le milieu de sa longueur ,
où il présente la même couleur obscure.
etle rate longitudinale brune s'étend sur
le devant de la tête, qui, dans tout le reste
de sa partie enr est d’un blanc très-
pur; et elle s’y réunit à la couleur très-
foncée de l’entre-deux des yeux, de la partie
postérieure de la tête, et du dessus du
Corps.
… Tout le dessous de l'animal est d’un beau
blanc.
Les yeux sont recouverts presque à demi
_ par une prolongation de la peau de la tête,
comme ceux de la batis, et derrière ces
organes on voit de très-grands évents.
L'ouverture des narines , située oblique-
ment au dessous du museau et au devant
de la bouche, présente la forme d’un ovale
ii: égulier et très-alongé, et est assez grande
pour que son diamètre le plus long soit égal
à plus de la moitié de celui de la bouche.
Celte ouverture aboutit à un organe com-
posé de membranes plissées et frangées,
dont nous avons fait graver la figure, et
dont le nombre et les surfaces sont assez
considérables pour le rendre très-délicat. Et
comme, d’un autre côté, nous venons de
voir que le museau, ce principal organe du
KR 2
260 HISTOÏTRE
toucher des raies, est très-prolongé, trés-
mobile, et par conséquent très-sensible dans
Ja raie thouin, nous devons présumer que
ce dernier poisson jouil d’un toucher et d’un
odorat plus actifs que ceux de la plupart
des autres raies, el doit avoir par conséquent
un sentiment plus exquis et un instinct plus
étendu.
La queue est à peu près de la longueur
de la tête et du corps pris ensemble ; mais,
au lieu d’être très - déliée comme celle de
presque toutes les raies, elle présente à son
origine une largeur égale à celle de la partie
postérieure du corps à laquelle elle s'attache.
Son diamètre va ensuite en diminuant par
dégrés insensibles jusqu’à l'extrémité, qui
s'insère, pour ainsi dire, dans une nageoire.
Celte derniére partie termine le bout de la
queue, et le garnit par dessus et par dessous,
mais en ne composant qu’un seul lobe et
en formant un triangle dont le sommet est
dans le bas.
Indépendamment de cette nageoire cau-
dale, on en voit deux dorsales, à peu près
de la même grandeur, un peu triangulaires
et échancrées dans celle de leurs faces qui
est opposée à la tête. La première de ces
deux nageoires dorsales est placée beaucoup
DES RATES. 261
plus près du corps que sur presque toutes
les autres raies; on la voit à peu près au
tiers de la longueur de la queue, à compter
de l’anus, et la seconde nageoire est siluée
vers les deux tiers de cette même longueur.
Le dessus de la tête et de la prolongation
du museau est garni d’un très-grand nombre
de petits aiguillons tournés vers la queue,
et beaucoup plus sensibles sur les portions
colorées en brun que sur celles qui le sont
en blanc. D'ailleurs, le dessus et le dessous
du corps et de la queue sont revêtus de
petits tubercules plus rapprochés et moins
saillans sur la partie inférieure de la queue
et du corps. De plus, lon voit une rangée
de tubercules plus gros, et terminés par un
aiguillon tourné vers la queue , s'étendre
depuis les évents jusques à la seconde na-
geoire dorsale , et l’on aperçoit encore autour
des yeux quelques-uns de ces derniers tuber-
cules.
Les nageoires pectorales sont un peu si-
nueuses , et arrondies dans leur contour ;
et les ventrales, à peu près de la même
largeur dans toute leur étendue , ne peuvent
pas être considérées comme séparées en
portion ventrale et en portion anale. Les
nageoires latérales sont beaucoup plus diffi-
R 3
262 HISTOIRE
ciles à confondre que dans presque toutes
les autres raies , avec le corps proprement
dit , qui, d’un autre côté, beaucoup moins
distingué de la queue, donne à la thouin
un caractère que nous n'avons retrouvé
que dans la rhinobate , où on le verra repa-
roître d’une manière encore plus marquée.
Mais, malgré cette conformation, l’ensemble
de l'animal est très-plat, et beaucoup plus
déprimé que celui de la rhinobate.
D'ETS' À AIES. 263
à
mms
“LA RAIE BOHKAT (1)(2),
PAR LACEPEIDE.
VINIGT +: DEUXIÈME: ESPÈCE.
Crrre raie , que Forskœl a vue dans la
mer Rouge, et qu'il a le premier fait con-
noître, a, comine fa raie thouin, la queue
garnie de lrois nageoires : une , divisée en
deux lobes , placée à l'extrémité de-cette
partie , et par conséquent véritablement
caudale ; et les autres deux dorsales. De
même que sur la thouin , ces deux nageoires
dorsales .sont beaucoup plus avancées vers
la tête que sur un très-graud nombre de
raies ; elles en sont même plus rapprochées
(1) Raja pinné caudæ bilcb& , aculeorum ordine
dorsi initio triplici, dein simplici, pinn4 dorsi prim&
supra pinnas veniralis. ForskoϾl, Faun. arab. p. 18,
7,17.
Raja djiddensis. Tin. édit. de Gmel.
Raie bohkat. Bonat. pl. de l'Encycl. méthod.
(2) C’est à Loheia que cette raie porte le nom de
bohkat ; les arabes lui donnent généralement celui de
rget et quelquefois encore celui d’erab.
Raja djiddensis. Artedi, Gen. pise. gen. 45, sp. 16,
additam. SoNNiINt.
R 4
264 HISTOIRE
que dans la raie thouin, puisque la première
de ces deux nageoires est située au dessus
des nageoires ventrales , et par conséquent
de l'anus, et quelquefois prend son origine
encore plus près des yeux ou des évenis.
Un des individus observés par Forskoœæl avoit
plus de deux mètres de longueur. La cou-
leur de sa partie supérieure étoit d’un cendré
pâle , parsemé de taches ovales et blan-
châtres ; et celle de sa partie inférieure d’un
blanchäire plus ou moins clair, avec quel-
ques raies inégales brunes et blanches auprès
de l'anus. Le dos s’élevoit un peu au devant
de la première nageoire dorsale; les na-
geoires pectorales , triangulaires, et termi-
nées dans leur bord extérieur par un angle
obtus , étoit quatre fois plus grandes que
les ventrales. On apercevoit un rang de
piquans autour des yeux, trois rangées d’ai-
guillons sur la partie antérieure du dos, et
une rangée de ces pointes s'étendoit d’une
nageoire dorsale à l’autre.
La raie bohkat est, selon Forskoœl, très-
bonne à manger (1).
(1) Forskœl a vu à Loheia et à Dsjidda des individus
de ceile espèce qui avoit deux aunes de long ; mais ce
voyageur danois entend l’aune de son pays plus petite
DES RAIES. 265
que la nôtre. Les pècheurs de la mer Rouge prétendent
que cette espèce ne se montre jamais sur d’autres
rivages de l’Arabie qu'aux environs de Hedsjas, et
qu'on ne la voit jamais sur les côtes de Suez et de
Mokka ; ce qui, d’après les observations de Forskæl,
est une erreur. La chair de la bohkat est assez bonne
à manger , et les arabes sont dans la persuasion que
son foie, de même que celui du requin, est un
remède pour guérir les maladies vénériennes.
Au reste, la raie bohkat est une de celles qui
vivent le plus souvent dans la haute mer et ne se rap-
prochent guères des côtes que pour se débarrasser de
leurs petits SonNNnini.
266 HISTOIRE
DATE A TUE CPAS EIRE EN
PAR ACEPÉEDE
VINGT-TROISIÈME ‘ESPÈCE.
J E nomme ainsi cette raie, parce que j'en
dois la connoissance à mon savant con-
frère le professeur Cuvier, menibre de
l’Institut national. Il 4 bien voulu, dès le
mois de mars 1792, m'envoyer, du dépar-
tement de la Seine inférieure , le dessin et
la description d’un individu de cette espèce
qu'il avoit vu desséché. La raie cuvier a
beaucoup de rapport avec la thouin , et sur-
tout avec la bohkat, par la position de sa
première nageoire dorsale. Cette nageoire
est en effet très - rapprochée des veux,
comme celles de la thouin et de la bohkat.
Mais, ce qui sépare ce poisson des autres
raies déjà connues , et forme même son
caractère distinctif le plus saillant, c’est que
celte même nageoire dorsale est sitüée non
seulement au dessus des nageoires ventrales ,
ou à une petite distance de ces nageoires »
et vers ja tête, comme sur la bohkat, mais
qu'elle est implantée sur le dos, vers le
DES RATES. 267
milieu des nageoires pectorales , et plus près
des évents que de l’origine de la queue. Cette
place de la première nageoire dorsale #st
un nouveau lien entre la raie cuvier, et
par conséquent tout le genre des raies, et
celui des squales, dont plusieurs espèces ont
la première nageoire dorsale très-proche de
la tête.
Le museau de la raie que nous décrivons
est pointu ; les nageoires pectorales sont très-
grandes et anguleuses ; les nageoires ven-
trales se divisent chacune en deux portions,
dont l’une représente une nageoire ventrale
proprement dite, et l’autre une nageoire
de l'anus. Les appendices qui caractérisent
le mâle sont très-courtes, et d’un très-pelit
diamètre. La queue , très-mobile, déliée,
et à peu près de la longueur de la tête et
du corps pris ensemble , est garnie à son
extrémité d’une petite nageoire caudale , et
présente de plus, sur la partie supérieure
de cette même extrémité, deux petites na-
geoires contiguës l’une à l’autre, ou pour
mieux dire, une seconde nageoire dorsale,
divisée en deux lobes, et qui touche la
caudale.
On ne voit aucun piquant autour des
yeux; mais une rangée d’aiguillons s'étend
268 HES TE O MARIE) à
depuis la première nageoire dorsale jusqu’à
origine de la queue , qui est armée de irois
raugées longitudinales de pointes aiguës.
Au reste la partie supérieure de lPanimal
est parsemée d’une grande quantité de taches
foncées et irrégulières.
La nageoire dorsale, qui se fait remarquer
sur celle raie, est ün peu ovale, plus longue
que large , et un peu plus étroite à sa base
que vers le milieu de sa longueur, à cause
de la divergence des rayons dont elle est
composée.
Sa place, beaucoup plus rapprochée des
évents que celle des premières nageoires
dorsales de la plupart des raies, avoit donné
quelques soupçons au citoyen Cuvier sur la
nature de cette nageoire : il avoit craint
qu'elle ne fût ;e produit de quelque super-
cherie , et n’eût élé mise artificiellement sur
le dos de Findividu qu’il décrivoit. « Cepen-
dant un examen attenüf, m’a écrit dans le
tems cet habile observateur (1}, ne me
montra rien d’artificiel ; et le possesseur de
de cette raie, homme de bonne foi, m’assura
(1) Lettre du citoyen Cuvier au citoyen Lacé-
pède, datée de Fiquainville près de Vallemont , dé-
partement de la Seine inférieure , le 9 mars 1702.
DES RAIES 269
avoir préparé cet animal tel qu’on le lui avoit
apporté du marché ».
Mais, quand même 1l faudroit retrancher
de la raie cuvier cette première nageoire
dorsale, elle seroit encore une espèce dis-
tincte de toutes celles que nous connoissens.
En effet la raie avec laquelle elle paroît avoir
plus de ressemblance est la ronce ; eile en
diffère néanmoins par plusieurs traits et par-
ticulièrement par les trois caractères suivans :
Premièrement elle n’a point , comme la
ronce, de gros piquans auprès des narines,
autour des veux, sur les côtés du dos, sur
la partie inférieure du corps, ni de petits
aiguillons sur ses nageoires pectorales et
sur tout le reste de sa surface.
Secondement , les appendices qui dis-
tinguent les mâles sont très-petites, tandis
que les appendices des raies ronces mâles
sont très-longues et trés-grosses , sur - tout
vers leur extrémité.
Et troisièmement , la raie ronce et la raie
cuvier n’appartiennent pas au même sous-
genre , puisque la ronce a les dents pointues
et aiguës, et que la cuvier les a arrondies
comme la pastenaque et la raie bouclée, sui-
vani les expressions employées par mon con-
frère dans la lettre qu’il nv'a adressée dès 1792.
270 HMS TOKRE
LA RAIE RHINOBATE (i)(2),
PAR MA CEre0T
VINGT-QUATRIÈME ESPÈCE.
Crrre raie se rapproche de la cuvier et
de la bohkat par la position de sa premiere
ue ———
à ;
(1) Raie rhinobate. Daubent. Encycel. méthod.
fiaja rhinobatos. Lin. édit. de Gmel.
Raie rhinobate. Bonat. planches de l’Encyclop.
méthodique.
Raja oblonga, unico aculeorum ordine in dorso.
Mus. Ad. Fr. 2, p. 24. — Artedi, gen. 10 , syn. 99.
Raja dorso dipterygio , aculeorum ordine solitario ,
caudà latä pinnat& inermi , rostro trigono productiore.
Gronov. Zoophyt. 156. — Bel. Pisc..78.
Squats raja , seu rhinobatos. Gesn. Pise. 903.
Rhinobato, seu squatina raja. Salvian. Pise. 153: —
Willugbby, 79. — Ray, Pisc. 28.
(2) En grec, rinobatos ,et en latin, squatroraia.Ces
deux noms dérivent de opinion où étoient les anciens
au sujet de cette raie ; c’étoit, suivant eux, un animal
métis issu du mélange de la raie , en grec, batos ,et du
squale ange, en grec, rinos , et en latin, sqguatina. Ces
deux carlilagineux étoient les seuls entre les poissons |
d'espèces différentes qui produisissent ensemble; et
pour que le nom de rhinobate füt mieux appliqué et Ia
fable mieux fondée, l’on avoit cru remarquer que ce
DES RAIES. 271
uaseoire dorsale ; elle a de grandes ressem-
blances avec la thouin par cette mème
position, et par plusieurs autres particula-
rités de sa conformation extérieure; et
comme elle est le plus alongé de tous les
poissons de son genre, elle se réunit de plus
près que les autres raies, avec les squales,
et sur-tout avec le squale ange, qui, de
son côté, présente plus de rapports que les
autres squales avec la famille des raies.
Les nageoires pectorales de la rhinobate
sont moins étendues, à proportion du vo-
lune total de l'animal, que celies des autres
espèces de son genre. Cette conformation la
lie encore avec l'ange; et, en tout, ce
squale et cette raie offrent assez de parties
semblables pour que l’on ait cru, dès le
tems d’Aristote, que l’ange s’accouploit avec
les raies, que cette union étoit féconde, et
que le produit de ce mélange étoit un ani-
mal moitié raie et moitié squale, auquel on
De
poisson étoit raie par les parties antérieures , et squale
ange par les parties postérieures. ( Voyez Arist. Eist.
ani. lib. 6, c. 113 Pline, Hist. nat. lib.9, c.5r , etc.)
À Gênes et à Venise la rhinobate s'appelle squa-
frolin. Belon s'étonne avec raison que cette raie n’ait
point de nom en français, quoiqu’elle ne soit pas rare
dans nos mers, SONNINI:
272 HISTOIRE
avoit en conséquence donné le nom com-
posé de rhino-batos (1). Pline a partagé
cette opinion (2) : elle a été adoptée par
plusieurs auteurs bien postérieurs à Pline;
et elle a servi à faire donner ou conserver
à la rhinobate la dénomination de squatina-
raja, le squale ange ayant été appelé sgua-
tire par plusieurs naturalistes.
La rhinobate est cependant une espèce
existante par elle-même, et qui peut se
renouveler sans altération, ainsi que toutes
les autres espèces d'animaux que l’on n’a
pas imaginé de regarder comme mélives.
Elle est véritablement une raie; car son
corps est plat par dessous ; et, ce qui forme
le véritable caractère distincüif par lequel
les raies sont séparées des squales, les ouver-
tures de ses branchies ne sont pas placées
sur les côtés, mais sur la partie inférieure
du corps.
Son museau est très-alongé et très-étroit ;
le bord de ses évents présente quelquefois
deux espèces de petites dents; elle a deux
nageoires dorsales un peu conformées comme
le fer d’une faux, et placées à peu près
(1) Batos, en grec, veut dire raie, ‘
(2) Hist. nat. liv. 9, chap. 51.
comme
DES RAÏIES. 273
comme celles de la bohkat. La première
de ces deux nageoires est en effet située au
dessus des nageoires ventrales, et la seconde
un peu plus près de l'extrémité de la queue
que de la première. Une troisième nageoire,
une véritable nageoire caudale, garnit le
bout de la queue; et cette dernière partie,
de la même grosseur à son origine que la
partie postérieure du corps, ne diminue de
diamètre jusqu'à son extrémité que par des
dégrés insensibles. La surface de l'animal
est revêtue d’une grande quantité de tuber-
cules ; et une rangée d'autres tubercules
forts et aigus, ou, pour mieux dire, de
pointes, part de l’entre-deux des yeux, et
s'étend jusqu'à la seconde nageoire dorsale.
La partie supérieure de l'animal est d’une
couleur obscure, et le dessous d'un blanc
rougeûlre.
Telle est la véritable rh'nobate, l'espèce
que nous avons fait dessiner et graver
d’après un individu de plus d'un mètre (un
peu plus de trois pieds) de longueur, con-
servé dans le museum national d'histoire
naturelle. La courte description que nous
venons d'en faire, d’après ce même indi-
vidu , sufhiroit pour que personne ne la
confondit avec la raie thouin : cependant,
Poiss. Tone IIL. :
274 | HT ST OER'E
afin d'éviter toute erreur, mettons en oppo-
silion quelques principaux caractères de ces
deux poissons cartilagineux ; on n’en con-
noîitra que mieux ces deux espèces remar-
quables de la famille des raies.
Premièrement, la couleur du dessus du
museau et du reste de la tête de la rhino-
bate ne présente qu’une seule teinte : le
museau et le devant de la tête de la thouin
offrent une nuance très-foncée et un blanc
très-éclatant , distribués avec beaucoup de
régularité , et contrastant d’une manière
frappante.
Secondement , l'angle que présente l’ex-
irémité du museau est beaucoup plus aigu
dans la rhinobate que dans la thouin, et
Ja base de l’espèce de triangle que forme ce
museau est par conséquent beaucoup moins
étendue.
Troisièmement, la surface supérieure de
cette même partie et du devant de la tête
n’est point hérissée de petits aiguillons sur
la rhinobate, comme sur la thouin.
Quatrièmement , la forme des pointes qui
règnent le long du dos de la raie que nous
décrivons dans cet article, est souvent dif-
férente de celle des piquans dont le dos de
la thouin est armé.
DES RATES. 275
‘ Cinquièmement, le dessus du corps de
la rhinobate est moins aplati que celui de
la thouin.
Sixièmement, le corps de la rhinobate
ne commence à diminuer de diamètre que
vers les nageoires ventrales : celui de la
thouin montre cette diminution vers le mi
lieu des nageoires pectorales.
Septiémement, les nageoires pectorales
de Ja rhinobate ne présentent pas le même
contour, et sont moins rapprochées des
ventrales que celles de la thouin.
Huitièmement, une membrane quelque-
fois frangée , quelquefois sans découpure ,
s'étend longitudinalement de chaque côté
de la rhinobate, et marque, pour ainsi dire,
la séparation de la partie supérieure de
l'animal d’avec l’inférieure : on ne voit rien
de semblable sur la raie à laquelle nous la
comparons.
Neuviémement, la première nageoire
dorsale de la rhinobate est située beaucoup
plus près des évents que celle de la raie
thouin.
Et dixiémement enfin, la nageoire de la
queue de la rhinobate , au lieu d'être peu
échancrée comme celle de la thoum, est
divisée en deux lobes très-marqués, dont
S 2
876 HISTOIRE
le supérieur est beaucoup plus grand que
l'inférieur.
Ces deux raies sont donc éloignées l’une
de l’autre par dix caractères distinctifs : et
comment confondre ensemble deux espèces
que tant de dissemblances séparent? Des
variétés plus ou moins constantes de la
rhinobate ou de la thouin pourront bien se
placer , pour ainsi dire, entre ces deux ani-
maux, et, par quelques ‘altéralions dans la
conformation que nous venons d'exposer ,
servir en apparence de points de communi-
cation, et même les rapprocher un peu :
mais de trop grands intervalles resteront
toujours entre ces deux espèces pour qu’on
puisse les identifier.
La rhinobate, ayant le museau plus délié;
et par conséquent plus mobile que la thouin,
doit avoir le toucher pour le moins aussi
exquis, et la sensibilité aussi vive que cette
dernière (1).
Au reste, c’est à l’espèce de la rhinobate
que nous rapportons, avec le professeur
Gmelin (2), la raie halavi (3), décrite par
CE —
(1) La rhinobate est commune dans la mer de Naples
et dans le golfe Adriatique. Sonxini.
(2) Lin. édit. de Gmelin.
\
DES RAÏES. 277
Forskœl dans sa Faune d'Arabie, et qui
ne présente aucun trait d’après lequel on
doive l’en séparer (4).
mme
(3) Raja halavi. Forskœæl , F'aun. arab. p-19, n° 18,
Raie halavi. Bonat. pl. de l’'Encycl. méthod.
(4) Artedi (Gen. pisc. gen. 45, sp. 17, additam.)
rapproche l’halavi de la bohkat. Forskœl lui-même,
tout en convenant que cette raie a beaucoup de res-
semblance avec la rhinobate de Linnæus, ne reconnoit
pas l'identité de ces deux animaux, et finit par compa-
rer plus particulièrement sa raie halavi avec la raie
bohkat. Quoi qu’il en soit, afin que l’on puisse en
faire avec plus d’exactitude la comparaison exacte,
je place ici la description de l’halavi , que Forskæl a
faite à Dsjidda, sur les bords arabiques de la mer
Rouge : ;
Prœcedenti djiddensi adeo similis , ut sequentibus
signis ab illa dividenda sit : congruit figura COFPOTIS ;
capitis , oculorum , narium, oris, foraminum ocula-
rium et branchialium atque colore sub corpore. Diffe-
rentia est : a) color supernè cinereus, flavescens :
pinnæ pallidè-flavæ : b) margo prominens , evidens ,
integerrimus , inctplens eadem regione cum pinn& dorso
prima : ©) corpus supertus scabrum tuberculis, qui
versus medium dorsum elatiores atque ad interiorem
oculorum marginem , ubi aculeorum fere sistunt for-
mam : d) Aculei dorsali serie ferè unica eunt, inCi-
piente post oculos , desinente antè pinnam dorsalem pri-
mam; post illam aculei non, sed tubercula majora. Ab
initio hujus seriei utrinque extat callus lateralis ,elatus,
S 9
278 HISTOIRE
aculeis aliquot armatus : e) Pinnæ pect. non trian-
gulares , sed extüs rotundæ , semicordatæ , et simui
cum capite figuram cordatam ferentes : {) P. ventr.
incipiunt antè apicem posticum pectoralium , semi
ovatæ ; lateriinteriori ( in nostra et unica quam vidi)
in singula pinna ventr. junctus erat appendix linea-
ris, compressus , subcartilagineus, @ pinnæ apice
liber : supernè sulco longitudinali ad latus exterius :
juxta apicem utroque latere perforatus ,: pinna sesqui-
longior. Relatum mihi est hos appendices in femellis
non adesse, sed geniéalia marium esse ; quod mirum
mihi videtur, ignaro hujus structuræ in aliis rajis :
g) P. dorsalis prima post apicem appendicum sita in
à parte corporis , triangularis , pone vix excisa , nequa-
quam biloba : h) P. d. secunda loco medio inter
priorem et caudam ; pauld major dorso anteriore ;
ejusdem verd figuræ : i) P. caudæ illam ambit,
tamen non nisi ovata, obliquo margine pone, non
bilobo. Faun. ægypt. arab. pag. 19 et 20. Sonnini.
DES RAÏIES. 279
LA RAIE TUBERCULÉE (1),
PAR LACÉPÉDE,
VINGT-CINQUIÈME ESPÈCE.
Czr animal a les dents très-obtuses ; il
présente d’ailleurs des tubercules pointus ,
ou aiguillons très-forts, sur le corps et sur
la queue; il doit donc être compris dans le
troisième sous-senre que nous avons établi
dans le genre des raies, et dont les caractères
distinctifs consistent dans la forme obtuse
des dents, et dans la présence daiguillons
plus ou moins nombreux sur la queue ou
sur le corps.
Le bout du museau de ce cartilagineux
est pointu. L/ensemble, formé par le corps
proprement dit, et par les nageoires pec-
torales , présente un rhombe assez régu-
lier. La queue est longue et déliée : elle est
d’ailleurs armée d’un aiguillon très-long,
dentelé de deux côtés, et dont les petites
dents, semblables à celles d’une scie , sont
de plus tournées vers la base de ce piquant.
(1) Raja tuberculata.
SA
280 HISTOIRE
La tuberculée n’a aucune nageoire sur le
dos ; le dessus de la plus grande partie de
sa queue n’en montre pas non plus; cepen-
dant, comme dans l'individu que j'ai eu
sous les yeux l'extrémité de cette portion
de l’arnimal avoit été détruite par un acci-
dent , il se pourroit que l'espèce que nous
décrivons eût une petite nageoire supérieure
vers le bout de la queue. |
L'animal ne présente que dix aïguillons,
indépendamment de celui qui est dentelé ;
ces protubérances sont des tubercules plus
ou moins pointus, assez gros, très-durs,
trés-blancs, et comme émaillés. Cinq de ces
tubercules sont très-rapprochés, et forment
sur le dos une rangée longitudinale ; les
autres sont placés sur la queue , plus près
du dos que du grand aiguillon dentelé, et à
des distances inégales les uns des autres.
Pour peu qu’on jette les yeux sur le ta-
bleau du genre des raies que nous avons
publié, on verra que celle dont nous dé-
crivons les formes à beaucoup de rapports,
par son aiguillon dentelé et par sa queue
déliée, avec la raie aigle, la pastenaque,
la lymme, et que, d’un auire côté, elle se
rapproche, par ses tubercules, de la raie
sephen, dont j'ai découvert que la dépouille
BES RATES. 281
étoit apportée en France sous le nom de
peau de requin , pour y servir à fabriquer
le plus beau galuchat, celui qui est à grains
très-gros et très-aplatis (1). C’est donc entre
la lynime et la sephen qu'il faut placer la
rale que nous venons de faire conuoître ; et
le caractère spécifique qui la sépare tant de
l'aigle, de la pastenaque et de la lymme,
que de la sephen et de toutes les raies ins-
crites dans le troisième sous-genre, est le
nombre des tubercules émaillés et très-
durs, dont j'ai tiré le nom que je lui ai
donné. )
Je n'ai pu juger de la couleur de cette
espèce, à cause de l’état de dessèchement
dans lequel étoit lindividu que j'ai vu, et
qui avoit à peu près quatre décimètres ( en-
viron quinze pouces ) de longueur. Elle vit
dans les mers voisines de Cayenne; et l’in-
dividu que j'ai examiné m’a été envoyé par
le citoyen Leblond.
(1) Voyez ma note à l’article de la raie sepheu,
page 242 de ce volume. SONNINI.
282 HISTOIRE
Ed
LA RAIË ÉGLANTIER Vi).
PAR LACÉPÉDE.
VINGT-5IXIÈME ESPÈCE.
Lr citoyen Bosc, connu depuis long-tems
par la variété de ses connoissances en his-
toire naturelle, par son zèle infatigable pour
le progrès des sciences, et par sa manière
habile et fidèle d'observer et de décrire, a
eu l'attention de me faire parvenir, de
l'Amérique septentrionale , des dessins et
des descriptions de plusieurs poissons encore
inconnus des naturalistes. Il a bien voulu
me faire témoigner en même tems, par notre
confrère commun, le professeur Alexandre
Brongniard, le desir de voir ce travail publié
dans l'Histoire des poissons. J’ai accepté
avec empressement l'offre agréable et utile
(1) Raja eglanteria.
Raja eglanteria. — Raja dentibus obtusis, corpore
rhombeo , aculeato , aculeis minutis, caud& bipinnaté,
spinis numerosis muricat@. — Habitat in mari Ame-
ricam alluente. Bosc, manuscrits communiqués.
B'E:St R'AT ETS. 283
du citoyen Bosc. Je ferai donc usage des
descriptions qu’il na envoyées, ainsi que
des dessins qu'il a faits lui-même, et qui
ont été gravés avec soin sous mes yeux; et
la raie églantier est un de ces poissons dont
le public devra la connoissance à ce savant
naturaliste.
Le corps de la raie églantier présente à
peu près la forme d’un rhomboïde dont
toutes les parties saïllantes seroient émous-
ses; il est parsemé d’épines très-courtes,
souvent même peu sensibles, excepté sur
le milieu du dos, où l’on voit une rangée
longitudinale de petits aiguillons qui ont
deux ou trois centimètres (environ douze
pouces ) de longueur.
Les yeux sont saillans; l'iris est blanc ;
le museau obtus; la langue courte, large,
lisse ; la forme des dents plus ou moins ar-
rondie ; la queue presque aussi longue que
le corps, et garnie de plusieurs rangs lon-
gitudinaux d'épines recourbées de différentes
grandeurs, et dont les plus longues forment
les trois rangées du milieu et des côtés.
À l'extrémité de cette queue est une petite
nageoire , auprès de laquelle on voit, sur
la face supérieure de cette même partie de
l'animal , une autre nageoire que l’on doit
284 HMS TOTRE:
nommer dorsale, d’après tout ce que nous
avons dit, quoiqu’elle ne soit pas placée sur
le corps proprement dit de la raie églantier.
On compte cinq rayons à chaque nageoire
ventrale. |
La raie que nous décrivons est d’une
couleur brunâtre en dessus, et blanche en
dessous. Elle est assez commune dans la baie
de Charles-T'own: elle y parvient à un demi-
mètre (dix-huit pouces) de largeur.
D’après les traits de conformation que
nous venons d'exposer, on ne sera pas étonné
que , sur notre tableau méthodique, nous
placions la raie églantier entre la raie tuber-
culée et la raie bouclée.
DES RAIES. 28)
LA RAIE FABRONIENNE (Es
PAR LACÉPÉDE.
VINGT-SEPTIÈME ESPÈCE.
LA raie mobular et la raie manatia né
sont pas les seules qui parviennent à une
grandeur, pour ainsi dire, gigantesque : nous
connoissons maintenant deux autres raies
qui présentent aussi de très-grandes dimen-
sions, et qui d’ailleurs se rapprochent de la
mauatia et de la mobular par plusieurs traits
de leur conformation, et particulièrement
par un caracière dont on ne retrouve pas
d’analogue sur les autres cartilagineux du
même genre. Ces deux autres raies sont la
fabronienne et la banksienne. Nous allons
les faire connoître successivement. Un in-
dividu de la première de ces deux espèces
a été pris dans la partie de la mer Médi-
terranée voisine de Livourne, et on le
conserve maintenant dans le museum de
Florence. Nous en devons un dessin et une
ps on nier ss il, ip, te ci UNS
(1) Raja fabroniana.
Raja vacea , aux environs de Livourne.
286 HAE S © O TR'E
courte description à l’habile naturaliste et
ingénieux physicien Fabroni, l’un de ceux
qui dirigent ce beau museum de "Toscane,
ainsi qu'un des savans envoyés à Paris par
les gouvernemens étrangers pour y travailler,
avec l’Institut national, à la fixation défini-
tive des nouveaux poids et mesures de la
république française ; et voilà pourquoi nous
avons cru devoir donner à cette espèce de
carlilagineux le nom de raie fabronienne,
qui exprimera notre reconnoissance. L'in-
dividu qui fait partie de la collection de
Florence a quatre mètres ( douze pieds),
ou environ, d'envergure, c’est-à-dire, depuis
la pointe d’une nageoire pectorale jusqu’à
celle de l’autre nagcoire latérale. L'espace
compris entre le bout du museau et l’ori-
gine de la queue est à peu près de deux
mètres (six pieds). L'envergure est donc
plus que double de la longueur du corps
proprement dit, tandis que ces deux dimen-
sions sont égales dans la mobular, celle de
toutes les raies avec laquelle on pourroit
être le plus tenté de confondre la fabro-
nienne. Chaque nageoire pectorale est d’ail-
leurs très-étroite, et la base du triangle que
présente sa surface , au lieu de s'étendre
depuis la tête jusqu’au commencement de
DES RATES. 287
la queue, ainsi que sur la mobular, ne
s'étend que jusques vers le milieu de la
longueur du corps. Le bord antérieur de
chaque nageoire latérale est d’ailleurs con-
vexe, et le bord postérieur concave; ce qui
est différent de ce qu’on voit dans la mo-
bular , où le bord de devant et le bord de
derrière de la nageoire pectorale présentent
Jun et l’autre une convexité auprès du corps,
et une concavité auprès de la pointe de la
nageoire. Lorsqu'on regarde la fabronienne
par dessous, on aperçoit deux nageoires ven-
trales et deux portions de la nageoire de
lPauus ; lorsque la mobular est également
vue par dessous, les nageoires ventrales
cachent une portion des nageoires pecto-
rales, et on ne distingue pas de nageoire de
Panus.
La queue ayant élé tronquée, par un
accident particulier , dans l’individu de la
collection de Toscane, nous ne pouvons rien
dire sur la forme de cette partie dans la raie
fabronienne.
Mais ce qui mérite particulièrement Fat-
tention des naturalistes, c’est que le devant
de la tête de la fabronienne est garni, comme
le devant de la tête de la mobular et de la
manatia, de deux appendices longues, étroites
\
2838 HISTOIRE
et mobiles, qui prennent naissance auprés
des orbites des yeux, et que l’on a compa-
rées à des cornes. Chacune de ces appen-
dices a quaranle-cinq centimètres (un pied
quatre pouces ), ou environ, de longueur,
à compter de lorbite, et par conséquent à
peu près le quart de la longueur du: corps
et de la tête considérés ensemble ; elle est
donc beaucoup plus courte, à proportion des
autres parties de l’animal, que les appen-
dices de la mobular, lesquelles ont de lon-
sueur prés du tiers de celle de la têle et du
corps réunis.
D'après le dessin qui m'a éié remis, et
une note écrite sur ce même dessin, les
deux appendices de la fabronienne sont deux
espèces d’ailerons ou de nageoires composés
de plusieurs portions cartilagineuses réunies
par des membranes ou d’autres parties molles,
organisés de manière à pouvoir se déployer
comme un éventail, et servant à l’animal
non seulement à tâter devant Îui, mais
encore à approcher sa nourriture de sa
bouche.
Voilà donc dans la mobular, dans la ma-
nalia et dans la fabronienne , une confor-
malion particulière que nous allons retrouver
dans la banksienne, mais que nous ne con-
noissons
DES RAIES. 28d
hoissons dans aucune autre espèce de poisson
un organe particulier du toucher, un ins-
trument remarquable d’appréhension , une
sorte de main propre à saisir les objets avec
plus ou moins de facilité ; et cette faculté
extraordinaire altribuée à ces appendices, si
dignes par-là de l'observation des physiolo-
gistes, est une nouvelle preuve de linstinct
supérieur qui, tout égal d’ailleurs, nous a
paru devoir appartenir aux raies qui offrent
ces protubérances.
Au reste, la grandeur de la raie que nous
décrivons , et la ressemblance vague des
cornes des ruminans avec de grandes por-
tions saillantes placées sur la tête, alongées,
un. peu cylindriques, et souvent contour-
nées , ont fait donner à la fabronienne le
nom de raie vache par plusieurs pêcheurs
des côtes de la Toscane.
Poiss. Tome 11H. T
2q0 AT SIT OUR E
LA RAIE BANKSIENNE (1),
PAR LACÉEPÉDE
VINGT-HUITIÈME ESPÈCE.
Lis célèbre naturaliste Fabroni ayant
adressé au chevalier Banks, président de la
société de Londres, une lettre relative à la
raie que nous venons de décrire, cet illustre
savant Jui fit parvenir, avec sa réponse, une
notice et un dessin d’une autre grande raie
remarquable, comme la mobular, la manatia
el la fabronienne, par de longues appendices
placées sur le devant de la tête. Fabroni a
bien voulu mettre à ma disposition ce dessin
et celte notice ; et en m'en servant pour le
complément de l’histoire des cartilagineux, :
je me suis empressé de distinguer cette raie
par le nom de banksienne, alin de donner
un témoignage public de la gratitude qu’ont
inspirée à tous les amis de l’humanité les
progrès que le respectable président de la
société de Londres a fait faire aux sciences
(1) Raja banksiane.
DES RATES. 291
naturelles, et les marques d’estime qu’il n’a
cessé de donner, dans toutes les circons-
tances , à ceux de mes compatriotes qui se
sont dévoués, comme lui, au perfectionne-
ment des connoïssances humaines.
La banksienne n’a point de nageoire sur
le dos, ni au bout de la queue; cette con-
formation la sépare de la mobular et de la
manatlia. Elle en est aussi séparée par d’autres
caractères. Chaque nageoire pectorale, plus
longue que le corps proprement dit , est plus
étroite encore dans la plus grande partie
de son étendue et relativement aux diffé-
rentes dimensions des autres parties de Pani-
mal, que les nageoires pectorales de la fa-
bronienne ; elle représente un triangle 1s0-
cèle , dont la base repose sur un des côtés
du corps à une distance à peu près égale de
la tête et de la queue, et dont le sommet
est aussi à peu près également éloigné de la
queue et de la tête. k
Les yeux, au lieu d être ‘situés sur les
_ côtés de la tête, comme dans la fabromenne,
la manaiia et la mobular, sont placés sur la
surface supérieure de cetté partie de la raie.
On voit trois taches longues, étroites, lon-
gitudinales, inégales et irréguhères, derrière
EE 3
3q2 HE STE O LRE
les yeux; trois autres semblables auprès de
l'origine de la queue , et deux autres éga-
lement semblables auprès de la base de
chaque nageoire peclorale,
Le chevalier Banks dit, dans sa note ma-
nuscrite, que le dessin de l'animal Jui est
parvenu des Indes crientales ; que les marins
donnent à cette raie le nom de diable de
mer, et qu'elle parvient à un volume st
considérable, qu’un individu de la mème
espèce, pris sur les côtes de la Barbade, n’a
pu être tiré à terre que par le moyen de
sept paires de bœufs. C’est la réunion d’une
grandeur peu commune , d’une force ana-
lague , et d’une tête en apparence cornue,
qui aura fait nommer la banksienne diable
de mer, aussi bien que la mobular. Au reste,
il paroït que la manatia et la banksienne
n’ont encore été observées que dans les mers
chaudes de l’ancien ou du nouveau conti-
nent, pendant qu’on a pêché la mobular et
la fabronienne près des rivages septentrio-
naux de la mer Méditerranée (1).
(4) Je rapporterai à l’article de la manatia ce que
les voyageurs ont dit , et ce que j’ai vu moi-même,
au sujet de ces énormes raies, que les navigateurs
appellent diables de mer. SONNINI, à
Dans le dessin envoyé par le chevalier
Banks, on voit un barbillon, ou irès-long
filament, à l'extrémité de chacune des ap-
pendices de la tête; on a même représenté
un petit poisson embarrassé et retenu par
la raie au milieu de plusieurs contours de
Vun de ces filamens. Mais Banks pense que
ces barbillons déliés n’ont jamais existé que
dans la tête du dessinateur. Nous partageons
d'autant plus l'opinion de ce savant, que le
dessin qu’il a envoyé au physicien Fabroni
n'a pas élé fait sur l'animal tiré à terre et
observé avec facilité, mais sur ce poisson
nageant encore auprès de la surface de la
mer ; et voilà pourquoi nous avons desiré
qu’on retranchât ces filamens dans la copie
de ce dessin que nous avons fait faire; voilà
pourquoi encore nous n'avons choisi, pour
désigner cette espèce, que des caractères
sur lesquels il est impossible à un œil'un
peu altentif de se méprendre même au tra-
vers d’une couche d’eau assez épaisse , et
sur-tout quand il s’agit d’un poisson en
quelque sorte gigantesque. Quoi qu’il en soit,
si des observations exactes infirment ce que
l’on doit être porté à conclure de linspection
du dessin transmis par Banks à Fabroni, il
T 8
29% HA STORE
sera très-aké, d’après ce qui est dit au sujet
de la mobular, de la manatia et de la fa-
bronienne, d'indiquer les véritables traits
distinctifs de la grande raie à appendices,
dont on a fait parvenir, au président de la
société de Londres, un dessin fait dans les
Indes orientales, ou de la rapporter à la
fabronienne , ou à la manatia, ou à la
mobular.
DES RAIÉS. 295
LA RAIE NÉGRE (1),
PAR LACÉPÈDE.
VINGT-NEUVIÈME ESPÈCE.
Ox ne voit que rarement cette raie auprès
de l'embouchure de la Seine. On la prend
avec les raies bouclées, les oxyrinques , et
d’autres raies plus ou moins blanches, dont
les nuances font ressortir la couleur noire
dont elle est peinte. Ses dents sont mame-
lonnées ou aplaties. Le sillon longitudinal
de son museau est d’une couleur plus foncée
que ses autres parties. Le dessous du poisson
est très- blanc et très-doux au toucher ; il
présente d’ailleurs une teinte bleuâtre vers
les nageoires pectorales. Au reste , un pè-
cheur a dit au citoyen Noël, qu'il avoit pris
des individus de cette espèce noirs par
. dessous comme par dessus. La peau , qui
(1) Raja nicra.
Raiïe-rat , par les pêcheurs des environs de l’em-
bouchure de la Seine.
T4
296 HISTOIRE
est légèrement chagrinée , est aussi très-
épaisse , et s’enlève facilement en entier ;
après la cuisson de lanimal. La chair est
ferme et peu agréable au goût. La raie
nègre , dont le citoyen Noël a eu la bonté
de m'envoyer un dessin que j'ai fait graver,
pesoit soixante-cinq hectogrammes (environ
treize livres), et avoit été pêchée par une
barque de Honfleur. |
DES RATES, o
om, mm
ee S
LA RAIE MOSAIQUE (1),
ET LA RAIE ONDULÉE (2),
PAR LACÉPÉDE.
TRENTE ET TRENTE-UNIÈME ESPÈCES.
LA distribution remarquable des couleurs
dont la mosaïque est ornée , a fait donner
à ce poisson le nom que j'ai cru devoir lui
conserver. C’est la plus belle des raies; mais
vraisemblablement elle n’est pas la meil-
leure, puisqu'elle est restée inconnue jus-
qu'à présent, quoique habitant entre les
rivages si fréquentés de la France et de
l'Angleterre. Les mâles ont des appendices
d’une très-grande longueur.
La parure de londulée est moins riche
que celle de la mosaïque ; mais elle est peut-
être plus élégante, tant la couleur grisätre
qu’elle montre se marie agréablement avec
les teintes grises et douces des bandelettes
qui serpentent ou plutôt ondulent sur sa
surface supérieure.
(1) Raja mosaica.
(2) Raja undulata.
208 HISTOIRE
LA RAIE APTÉRONOTE (1),
PAR LACÉPÉÈDE.
TRENTE-DEUXIÈME ESPÈCE.
L>ss nageoires pectorales de cette raïe sont
très-grandes relativement aux autres parties
de l’animal. Si l’on retranchoit ces nageoires,
la tête et le corps de l’aptéronote ressem-
bleroient à deux ovales irréguliers et presque
égaux, placés au devant l’un de lautre.
Cette forme se fait même apercevoir malgré
la présence de ces pectorales, qui sont très-
distinctes , et qui doivent réunir, à leurs
dimensions étendues, des mouvemens assez
rapides pour donner une grande vitesse à
la natation du poisson. On doit aussi remar-
quer la forme cylindrique ou plulôt conique
de la queue, qui s’avance, pour ainsi dire,
au milieu du corps proprement dit, Jusques
vers le diaphragme.
(1) Raja apteronata.
DES RAIES. 209
(LA TRATE FRANGÉE.(r},
PAR LACÉPÉDE.
TRENTE-TROISIÈME ESPÈCE.
La conformation de cette raie mérite
Vattention des naturalistes. Le citoyen Noël
m'en a fait parvenir un dessin que j'ai fait
graver , et que l’on avoit trouvé dans les
papiers de M. de Montéclair , officier supé-
rieur de la marine française. Ce capitaine
de vaisseau commandoit le Diadéme, de
74 canons , dans la guerre d'Amérique ; et
une note, écrite sur le dessin que j'ai entre
les mains, annonce que le poisson représenté
avoit été pris à bord de ce vaisseau de guerre,
à trois heures après midi , le 25 juillet 1782,
à 38 dégrés 58 minutes de latitude septen-
trionale , et à 42 dégrés 10 minutes du mé-
ridien de Paris.
D'après une échelle jointe au dessin, cette
raie frangée , vue par le capitaine de vais-
seau Montéclair, avoit cinq mètres et demi
(environ dix-sept pieds ) de longueur depuis
(1) Raja fimbriata,
300 ETS TO E
le bout du museau jusqu’à l’extrémité de la
queue qui , d’après le dessin , avoit été vrai-
semblablement un peu tronquée. La pointe
extérieure d’une nageoire pectorale étoit
éloignée de la pointe de l’autre nageoire de
la poitrine , de près de six mètres (environ
dix-huit pieds).
Voilà donc une raie dont le volume doit
être comparé à celui de la mobular , de la
manatia, de la fabronienne et de la bank-
sienne. La frangée est d’ailleurs liée à ces
quatre énormes rates par un rapport bien
remarquable : elle a sur le devant de la
tête , et de même que ces quatre grands
cartilagineux, deux appendices, deux ins-
trumens du toucher, deux organes propres
à reconnoïtre et même à saisir les objets.
Nous devons donc compter mainteuant cinq
raies gigantesques , qui réunissent à beau-
coup de force des attributs extraordinaires,
une source particulière d'instinct, de ruse,
d'habileté dans quelques manœuvres, et
forment comme une famille privilésiée au
milieu d'un genre très-nombreux.
La frangée se distingue des autres raies
géans par les traits que nous avons indiqués
dans notre tableau des poissons de ce genre.
Ajoutons à ces traits que la queue est trés-
DES RAIES. 301
déliée ; que la longueur de cette partie
excède le tiers de la longueur totale ; que
l'extrémité latérale de chaque pectorale se
termine en pointe ; que cette pointe est
mobile en différens sens, à la volonté de
animal , et que la couleur de la partie
supérieure du poisson est d’un brun très-
foncé et tirant sur le noir (1).
(1) Bartram a désigné cette raie frangée, qu’il
appelle grande raie noire ; il dit que ce poisson , aussi
bien que le requin , sont d’insatiables cannibales,
très-importuns pour les pêcheurs de la côte de la
Géorgie. ( Voyage dans les parties sud de l'Amérique
septentrionale, par Williams Bartram, tom. 1,
pag. 133 de la traduction française.) SONNInt.
302 HISTOIRE
LA RAIE MOBULAR (),
PAR LACEPRDE:
TRENTE-QUATRIÈME ESPÈCE.
Î
C'ssr Duhamel (2) qui a fait connoître
cetie énorine espèce de poisson cartilagi-
veux, dont un individu, du poids de plus
de vingt- neuf myriagrammes (six cents
livres), fut pris en 1723 dans la man-
drague (3) de Montredon, près de Marseille.
(1) Æaie cornue, raie squatina. Raie ange de mer,
à cause de la forme de ses nageoires appelées ailes,
Par les caraïbes, mobular. Aux Antilles, diable de
mLer.
Raie mobular. Duhamel], Traité des pêches, seconde
partie , sect. 9, chap. 3, p. 293.
Raie mobular. Bonaterre, planches de l’Encyclop.
méthodique.
(2) Voyez l’ouvrage déjà cité.
(3) La mandrague , ou madrague, est une espèce
de grand parc composé de filets, et qui reste tendu
dans la mer pendant un tems plus ou moins long. Ce
parc forme une vaste enceinte distribuée par des
cloisons en plusieurs chambres disposées à la suite
lPune de l’autre, et qui portent différens noms, sui-
Vant le pays où la mandrague est établie. Les filets
DES RAIES. 309
Cette raie, supérieure en volume et en poids
à toules celles que nous venons de décrire,
en est encore distinguée par sa forme exté-
rieure. L'individu pèché à Montredon avoit
plus de trente-quatre décimètres (dix pieds
et demi) de longueur totale ; et sa tête, dont
la partie antérieure étoit terminée par une
ligne presque droite, présentoit, vers les
deux bouts de cette ligne , une appendice
étendueen avant, étroite, terminée en pointe,
et longue de six décimètres (un pied onze
pouces). Chaque appendice avoit l'apparence
d’une longue oreille extérieure , et en a recu
AE RSR ER PQ AL RARE SAN OR A POS LEP TRUE LE LAN SIÇRURR
qui forment l’enceinte et les cloisons, sont soutenus,
dans la situation qu’ils doivent présenter , par des
flottes de liège, maintenus par un lest de pierres, et
arrêtés de plus par une corde dont une extrémité
est allachée à la tête de la mandrague, et l’autre
amarrée à une ancre. On place entre l’enceinte et
la côie une longue cloison de filet, nommée cache,
ou chasse, que les poissons suivent , et qui les con-
duit daus la mandrague, où ils passent d’une chambre
dans une autre jusqu’à ce qu’ils soient parvenus dans
la dernière, que l’on nomme chambre de la mort.
11 y a des mandragues qui ont jusqu’à mille brasses
de longueur (*).
(*).Je donnerai des détails plus étendus sur la mandrague,
à l’article du #4on, SONNINT,
50% HISTOIRE
le nom, quoiqu'elle ne renfermât aucun or-
gane que l’on püt supposer le siège de Pouïe ;
et voilà pourquoi on a nommé la mobular
raie à oreilles. D'un autre côté , comme ses
deux appendices ont été comparées à des
cornes ; on l'a appèlée raie cornue : et
cependant elle n’a ni cornes ni oreilles; elle
n'a reçu que des appendices alongées.
Les yeux dé la raie mobular, prise auprès
de Marseille, occupoient les extrémités de
la face antérieure de la tête : on les voyoit
presque à la base et sur le côté extérieur
des apperdices ; el leur position étoit par-
là très-analogue à celle des yeux du squale
marteau et du squalé pantouflier.
l'ouverture de la gueule, située au des-
sous de la tête , avait plus de quatre déci-
mètres (un pied trois pouces) de large ; et
fon apercevoit un peu au delà les dix
ouvertures branchiales disposées de la même
manière que celles des autrés raies.
e chaque côté du corps et de la tête
pris ensemble, on voyoit une nageoire pec-
torale très-grande , triangulaire , et dont la
face antérieure , formant un angle aigu avec
ja direction de l’appendice la plus voisine,
se terminoit à l'extérieur par un autre angle
aigu dont le sommet se recourboit vers la
pointe
DES RAIES. 305
Pointe de l’appeñndice. Cette face antérieure
avoit près de trois pieds de longueur ; et
l'étendue qu’elle donnoit à Ja nageoire, ainsi
que la conformation qui résultoit de la posi-
lion de cette face, rendoit Ja nageoire pec-
torale beaucoup plus semblable à l'aile d’un
énorme oiseau de proie que celles des autres
raies déjà connues. eu |
Le miliewdu dos étoit un peu élevé , et
représentoit une sorte de pyramide très-
basse, mais à quatre faces, tournées l’une
vers la tête, l'autre vers la queue, el les
deux autres vers les côtés. |
Entre la face postérieure de cette pyra-
mide et l’origine de la queue, on voyoit
une nageoire dorsale alongée et inclinée en
arriére ; et cette position de la nageoire dor-
“sale rapprochoit l'individu figuré dans l'ou-
vrage de Duhamel, de la raie cuyier, de
la bohkat, de la rhinobate, et de la raie
thouin.
Les nageoires ventrales avoient près de
quatre décimètres (un pied deux pouces)
de long ; et la queue, très-déliée , terminée
en pointe , et entièrement dénuée de na-
geoires , éloit longue de plus de quatorze
décimètres (quatre pieds six pouces).
Aucune portion de la surface de cet
Poiss. Tome IIL. V
306 ETS TOR TE
animal ne présentoit de tubercules ni de
piquans.
Au reste, la mobular habite le plus sou-
vent dans l'Océan. On l’y trouve auprès des
Acores , ainsi qu'aux environs des Antilles,
où elle a reçu le nom que nous avons cru
devoir lui conserver.
Duhamel , après l'avoir décrite , parle
d’une autre raie qu’il en rapproche , mais
dont il n’a pas publié un dessin qu’il avoit
reçu , et dont il s’est contenté de dire, pour
montrer les différences qui la distinguoient
de la mobular, qu’elle avoit le corps plus
alongé et les nageoires pectorales plus petites
que ce dernier cartilagineux.
Nous comparerons aussi la mobular avec
la manatia , qui, par son immense volume,
ainsi que par sa conformation, a de irès-
grands rapports avec la mobular. Mais sui-
vons l’ordre tracé dans le tableau que nous
avons donné de la famille des raies.
rs
LA RAIE SCHOUKIE (ae
PAR LACÉPÈDE.
TRENTE-CINQUIÈME ESPÈCE.
Forsrar., en parlant de cette raie qu'il
avoit vue dans la mer Rouge, s’est contenté
d'indiquer, pour le caractère distinctif de ce
poisson, les aiguillons un peu éloignés les
uns des autres dont elle est armée ; mais ce
qui montre que sa peau est hérissée de
tubercules plus ou moins petits et très-serrés
les uns contre les autres, c’est que, selon
le même naturaliste , on se sert de la peau
de cette schoukie , dans la ville arabe de
Suaken , pour revêtir des fourreaux de
(1) Raja schoukie. Lin. édit. de Gmelin.
Baja schoukie. Forskæœl, Faun. arab. p. 9, n° 16.
_ Raie schoukie. Bonaterre , planches de l’Encyclop.
méthodique.
C) Raja , schoutie, aculeis remotiusculis. Forsk.
Artedi, Gen. pisc. gen. 45, n° 26, sp. dubia.
Forskœl a vu cette raie à Dsjidda , port de la mer
Rouge, en Arabie, SoxNnini.
V a
308 HASITO PRE
sabre , comme on revêt en Europe des four-
reaux d'épée ou des étuis avec des dépouilles
_ de squales garnies de tubercules plus ou
moins durs.
Ces callosités où tubercules de la schoukie,
réunis avec ses aiguillons , ne permettent pas
de la confondre avec aucune autre espèce
de raie déjà décrite par les auteurs.
DES RAI ES. 30Q
LARAIE MACHUÈLE (1),
TRENTE-SIXIÈME ESPÈCE.
J E sépare celle raie que Lacépède a indi-
quée dans son histoire de la schoukie,
comine n'étant pas assez bien décrite pour
que l’on puisse la rapporter à une raie déjà
bien connue , ou la considérer comme une
espèce distincte (2) Le même motif m'engage
au contraire à la séparer et à la présenter
comme une espèce particulière , jusqu’à ce
qu’il soit prouvé qu’elle n’est point différente
d’une espèce déjà connue (5).
(1) Raja corpore oblongo, lævi; capite depresso
aculeato , pinnä caudali bilobä...... raja machuelo.
Osbeck, Fragment. ichthyol. hispan. — Nov. act,
n. c. 4, O9.
Raja corpore inermi; capite aculeato, ore termi-
nali....raja Osbeki. Artedi, Gen. pisc. gen. 45,
sp. 12, additam.
La machuèle. Bonat. planch. de l'Encycl. méthod.
pag. 6. | |
(2) Lacépède , Histoire des poissons ,tom. I, in-4;
pag. "153.
(5) Voyez ma note à la pag. 210.
V 5
310 HISTOIRE
Ce que l’on sait de la raie machuële est dû
au naturaliste Osbeck. II l’a vue dans la mer
Méditerranée, près des côtes de l'Espagne,
où elle porte le nom de machuelo. Elle a
le corps oblong, la tête aplatie, d’un ovale
presque rond et armée d’aiguillons. Le reste
du corps, dénué de piquans , est brun en
dessus, avec des taches blanchâtres, et d’un
blanc rougeâtre en dessous; la bouche est
placée non pas en dessous , mais à l’extré-
mité du museau, et la mâchoire supérieure
est plus avancée que l’inférieure; entre cette
mâchoire et la lèvre il y a un intervalle
assez grand pour qu’elles ne tiennent point
l’une à l’autre.
L'on distingue deux rangées de dents
aiguës et épaisses ; les nageoires latérales ont
une forme rhomboïdale , et s’attachent au
corps du poisson , à peu près comme les
ailes d’un oiseau ; enfin la nageoire de la
queue est divisée en deux lobes. La lon-
gueur du corps est ordinairement d’un pied
et plus.
Cette description que j'abrège encore me
semble suffisante , pour que l’on soit fondé à
considérer la machuële comme une espèce
différente des raies connues.
DES RAIES. Sir
a —— —
LA RAIE CHINOISE,
PAR ' LACÉPEDME
TRENTE-SEPTIÈME ESPÉCE.
LA collection d'histoire naturelle que
renfermoit le museum de la Haye, et qui,
cédée à la France par la nation hollandaise,
est maintenant déposée dans les galeries du
museum de Paris, comprend un recueil
de dessins en couleurs exécutés à la Chine,
et qui représentent des poissons dont les
uns sont déjà très-connus des naturalistes ;
mais dont les autres leur sont encore en-
tièrement inconnus (1). Les traits des pre-
miers sont rendus avec trop de fidélité pour
qu’on puisse douter de lexactitude de ceux
sous lesquels les seconds sont dessinés ; et
les caractères de tous ces animaux sont
d’ailleurs présentés à l’œil de manière qu'il
est très - aisé de les décrire. Jai donc cru
(1) Ce recueil compose une suite de dessins plus
larges que hauts, réuuis ensemble; et c’est l’avant-
dernier numéro qui représente la raie chinoise.
V &
312 AISTO FRE
devoir enrichir mon ouvrage et la science
par l’exposition des espèces figurées dans ce
recueil, et qui n’ont encore été inscrites
sur aucun catalogue rendu public : et parmi
ces espèces, nouvelles pour les naturalistes,
se trouve une raie à laquelle j'ai donné le
nom de chinoise, pour indiquer le pays
dans lequel son image a été représentée
pour la première fois , et sur les rivages
duquel elle doit avoir été observée.
La raie chinoise est d’un brun jaunâtre
par dessus, et d’une couleur de rose foible
par dessous. L’ensemble de la tête, du corps
et des nageoires pectorales, est un peu ovale;
mais le museau est avancé , en présentant
cependant un contour arrondi. C’est prin-
cipalement la réunion de cette forme gé-
nérale, un peu rapprochée de celle de la
torpiile , avec le nombre et la disposition
des aiguillons dont nous allons parler , qui
distingue la chinoise des autres raies décrites
par les auteurs. On voit trois piquans der-
rière chaque œil; on en compte plusieurs
autres sur le dos ; et d’ailleurs deux rangées
d'autres pointes s'étendent le long de Ja
queue. Celte dernière partie est terminée
par une nageoire caudale divisée en deux
DES RATES. 313
lobes , dont le supérieur est un peu plus
grand que linférieur , et sa partie supé-
ricure présente deux nageoires dorsales.
Le dessin n'indique point si les dents sont
aplaties ou pointues; et par conséquent nous
ne pouvons encore rapporter à aucun des
quatre sous-genres, que nous avons établis
dans la famille des raies, ce poisson chinois
dont les couleurs sont très-agréables (1).
(1) C’est peut-être à cette espèce qu'il faut rap-
porter les raies extrêmement grandes des mers du
Japon , et dont les peaux sont très-estimées par les
japonais pour faire des fourreaux de cimeterre.
(Gemelli Carreri, Voyage autour du monde, tom. V,,
pag. 166.) Sonninr.
314 HES TOIRE
ÉCRIRE DR ER een mme nn |
LA RAIE GRONOVIENNE (1),
PAR LACEPEDE.
4 4
TRENTE-HUITIEME ESPECE.
O x trouve aux environs du cap de Bonne-
Espérance cette raie que Gronovius a fait
connoitre. Elle montre de très-grands rap-
ports avec la torpille. Elle a, comme ce
dernier poisson, la tête, le corps et les na-
geoires pectorales conformés de manière
que leur ensemble représente presque un
ovale ; et d’ailleurs on ne voit de piquans
sur aucune parlie de sa surface, non plus
que sur celle de la torpille : mais l’on voit
sur la queue de la torpille deux nageoires
dorsales , et la partie supérieure de la queue
de la gronovienne n’en présente qu’une.
Le dos de la gronovienne est un peu
convexe; la partie inférieure de son corps
est au coniraire très - plate. Les nageoires
ventrales sont grandes ; elles ont un peu
(1} Gronov. Zooph. 152.
Raja capensis, Lin. édit. de Gmelin.
DES RATES. 325
la forme d’un parallélogramme , et n’ont
aucune portion qu'on puisse appeler na-
geoire de l'anus.
A l'extrémité de la queue est une nageoire
caudale divisée en deux lobes.
On n’a encore vu que des gronoviennes
d'un diamètre peu considérable; et l’on
ignore si, conformée comme la torpille, la
raie que nous décrivons jouit aussi, comme
cette dernière, de la faculté de faire ressentir
des commotions électriques plus ou moins
fortes.
916 HES TOIRE
LA RATE M A NMATI À;
PAR LACÉPÉDE.
TRENTE-NEUVIÈME ESPÈCE.
Ets reçu, il y a plusieurs années, un
dessin que j'ai fait graver, et une courte
description, écrite en italien, d’une raie qui
a beaucoup de ressemblance avec la mo-
bular, et qui, comme ce dernier cartilagi-
neux , parvient à une très-grande longueur.
L’individu, dont on m'a envoyé dans le
tems la figure, avoit plus de cinq mètres
(quinze pieds huit pouces) de long, depuis
la partie antérieure de la tête jusqu’à l’ex-
itrénuté de la queue.
Le corps proprement dit, et les nageoires
pectorales, considérés ensemble, offroient
une losange assez régulière , dont la diagonale,
qui marquoit la plus grande largeur de lani-
mal, étoit longue de près de trois mètres
ou neuf pieds. Chaque nageoire pectlorale
représentoit ainsi un triangle isocèle, dont
la base s’'appuyoit sur le corps proprement
dit, et dont le sommet très-aigu, placé à
l'extérieur, répondoit au milieu du dos.
DES RAÏIES. 319
À l'angle antérieur de la losange étoit la
tête, d'un volume assez petit relativement
à celui du corps, et terminée par devant
par une ligne presque droite. Cette ligne
avoit près d’un demi-mètre, ou un pied et
demi de longueur, et à chacun de ses bouts
on voyoit une appendice pointue, étroite,
en forme d'oreille extérieure, semblable à
celles que nous avons décrites sur la mobu-
lar, et longue de dix pouces, où près de
trois décimètres, à compter du bout du
museau de la manatia. Chacune de ces
deux ‘appendices s’étendoit au dessous de la
tête jusqu’à l'angle de la bouche le plus
Voisin ; mais on ne remarquoit dans ces
excroissances ni cavité, ni aucun organe
qui püt les faire considérer même, au
premier coup d'œil, comme les sièges de
loute.
L'ouverture de la bouche, située dans la
partie inférieure de la tête, n’étoit séparée
de l'extrémité du museau que par un inter-
valle de quinze centimètres (de cinq à six
pouces), et n’avoit que trois décimètres
(dix pouces ou environ) de largeur ; les
narines étoient placées au devant de cette
ouverture; et les deux yeux létoient de
chaque côté de la tête, un peu plus près du
318 HiSIT OR E
bout du museau que louverture de la
bouche. Derrière chaque œil, à l'endroit où
le côté de la tête proprement dite se réu-
nissoit avec la nageoire peclorale, on dis-
tinguoit un évenl.
On ne voyoit d’aiguillon sur aucune por-
tion de la surface de lanimal ; mais sa
partie supérieure , recouverte d’une peau
épaisse , s’élevoit au milieu du dos en une
bosse semblable à celle du chameau, sui-
vant l’auteur de la description qui m'est
parvenue.
Les nageoires ventrales étoient petites et
recouvertes en partie par les nageoires pec-
torales ; et 1l n’y avoit aucune nageoire dor-
sale ni sur le corps, ni sur la queue, qui
étoit très-étroite dans toute son étendue,
et terminée par une nagoire fourchue.
Cette nageoire caudale paroît horisonlale
dans le dessin que j'ai fait graver; mais je
crois que cetle apparence ne vient que d’une
défectuosité de ce même dessin.
Il est donc bien aisé de distinguer la ma-
natia de la mobular. Ces deux raies, que
leur volume étendu rapproche lune de
Vautre, sont cependant séparées par quatre
caractères très-remarquables.
Les appendices du devant de la tête sont
DES RAIES. 319
beaucoup plus courtes sur la manatia que
sur la mobular, à proportion de la lon-
gueur totale de l'animal, puisqu'elles ne sont
sur la manatia que le dix-neuvième de cette
longueur totale, tandis que sur la mobular
elles en sont le cinquième, ou à peu près.
Les nageoires pectorales sont conformées
si différemment sur la manatia et sur la
mobular que, dans ce dernier cartilagineux,
l'angle extérieur de ces nageoires est au
niveau des yeux, et dans la manatia au
niveau du milieu du dos.
Il y a une nageoire dorsale sur la mobu-
Jar : il n’y en a point sur la manatia.
Enfin la queue de la mobular n'est ter-
minée par aucune nageoire, et l’on en voit
une fourchue au bout de la queue de la
mana!tia.
La couleur de la partie supérieure de
la raie que nous cherchons à faire con-
noître est d’un noir plus ou moins foncé ,
et celle de la partie inférieure d’un blanc
assez éclatant.
La forme, la mobilité et la sensibilité
des appendices de la tête de la manata
doivent faire de ces prolongations, des sortes
de tentacules qui, s'appliquant avec facilité
à la surface des corps, augmentent la déli-
320 HIS AT :O ER E
catesse du sens du toucher , et la. vivacité
de l'instinct de cette raie ; et comme un sens
plus exquis, et par conséquent des ressources
plus multipliées pour l'attaque et pour la
défense , se trouvent joints 1ci à un volume
des plas grands et à une force très-considé-
rable , il n’est pas surprenant que sur les
rivages de l'Amérique voisins de l'équateur
qu’elle fréquente , elle ait reçu le nom de
manatia , presque semblable à celui de ma-
nati,imposé dans les mêmes contrées à un
autre habitant des eaux , très-remarquable
aussi par l'étendue de ses dimensions, ainsi
que par sa puissance , au lamantin (1) décrit
par Buffon. C’est à cause de cette force , de
ce volume et de cet instinct, qu'il faut par-
ticuhèrement rapporter à la manatia ce que
Barrère (2) (3) et d’autres voyageurs ont dit
(1) Trichecus manatus, mamm: brut: Lin. edif.
de Gmelin. |
(2) Histoire naturelle de la France équinoxiale,
par Barrère.
(3) Barrère désigne deux espèces de ces grandes
raies : Vune qu'il appélle raye monstrueuse; raja
omniutn maximé-ore ampéissino, p: 176; et la seconde
qu’il nomme raye diable ; raia maxima, circinata
el cornuta, pag, 177. « C’est, dit Barrère, un poisson
de mer monstrueux, long de plus de vingt pieds; ül
de
DES RATES. 321
de très-grandes raies des mers américaines
s’élance hors de l’eau à une certaine hauteur , et se
laissant tomber tout à coup , 1l fait un bruit épou-
vantable ; 11 se bat avec l’espadon ».
Les navigateurs rencontrent quelquefois de ces
raies énormes, principalement dans les mers de la
zone Torride.
« Grand bruit parmi les matelots, raconte le
spirituel auteur d’un Voyage à Siam, fait en 1685
et 1686; on a crié tout à coup, voilà Le diable, il faut
lavoir. Aussitôt tout s’est réveillé, tout a pris les
armes : on ne voyoit que piques, harpons et mons-
quets. J’ai couru moi-même pour voir le diable, et
J'ai vu un gros poisson qui ressemble à une raie,
hors qu’il a deux cornes comme un taureau. 4l a fait
quelques caracoles, toujours accompagné d’un poisson
blanc, qui de tems en tems va à la petite guerre, et
vient se remettre sous le diable : et entre ses deux
cornes il porte un petit poisson gris, qu'on appelle
le pilote du diable, parce qu’il le conduit et le pique
quand il voit du poissor ; et alors le diable part comine
un trait. Je vous conte ce petit manège parce que je
viens de le voir. Nous étions à six dégrés de la ligne ».
( Page 28.)
Sparrman, étant précisément sous le Tropique,
vit un animal marin, qui avoit sept à huit pieds de
long, connu des matelots sous le nom de diable de
mer. Dans un voyage que le même naturaliste avoit
fait précédemment en Chine, il avoit rencontré un
de ces monstres, et en lexaminant , il le reconnut
pour être une espèce de raie. (Voyage au cap de
Poiss. Tome III. X
Lé
599 HISTOIRE
et équinoxiales, qui, s’élançant avec effort
Bonne - Espérance, par Sparrman, traduct. francç*
tom. 1, pag. 4.) L'on assure que cette raie est fort
dangereuse pour les pêcheurs qui recherchent les perles
dans les mers de l’Inde.
C’est peut - être une espèce de ces raies diables de
mer que Pagès a voulu désigner lorsqu'il parle d’une
raie monstrueuse du cap de Bonne-Espérance , qui ,
en ayant avalé une autre , large de huit pouces et
prise à la ligne , ne put la dégorger de son estomac.
( Voyage autour du monde , tom. 11, p: 115.)
À trois cent cinquante-cinq dégrés de longitude ,
dix dégrés, quinze minutes de latitude nord , pendant
le calme , Levaillant découvrit autour de son vaisseau
trois diables de mer , nageant isolément et entourés
chacun de ces petits poissons qui précèdent ordinai-
rement les requins, et que, par cette raison, les
gens de mer ont nommés pilotes. Tous trois portoient
en outre , sur chacune de leurs cornes, ou espèces
de bras alongés , formant un croissant au devant de
leur tête, un poisson blanc, de la grosseur du bras,
long d’environ dix-huit pouces, et qui paroissoit
être comme en faction. Levaillant décrit ainsi les
manœuvres de ces deux poissons : « On eût dit que les
deux vedeltes ne se plaçoient ainsi que pour veiller
à la sûreté de lanimal, pour l’avertir des dangers
qu’il couroit , et diriger ses mouvemens par les leurs.
S’approchoit-il trop près du vaisseau, ils quittoient
leur poste, et nageant avec vivacité devant lui,
ils l’obligecient de s’éloisner. S’élevoit-il trop au
dessus de Peau, ils passoicnt et repassoient sur son
DES RAÂIES. 325
à uñe certaine hauteur au dessus de Ia
: A |
dos, jusqu’à ce qu'il se fût enfoncé davantage. Si
au contraire il s’enfonçoit trop, alors ils disparois-
soient ; et on cessoit de les voir » Parce que sans doute
ils le touchoient en dessous comme, dans l’occasion
précédente, ils lavoient touché en dessus; aussi lé
Voyoit-on anssitôt remonter vers la surface de Ja
mer et les deux factionnaires reprenoient leur poste ;
chacun sur leur corne ». (Second Voyage dans l’inté:
rieur de l'Afrique , tom. IX, p. 513. )
Je ne sais si ce n’est pas prêler à ces petits pois-
Sons une prévoyance et une sagacilé que peut-être
ils u’ont pas. Le rôle de sentinelles vigilantes, de
conducteurs sans cesse cn mouvement pour diriger
un animal que rien n'empêche de se conduire Jui-
même, les rend fort intéressans , sans doute; mais
jaime mieux y voir une cause plus simple et plns
naturelle, c’est-à-dire, le besoin de chercher unëé
nourriture dans les déjectious de la raie.
Quoi qu’il en soit, l’une des trois raies diables fut
prise par l’équipage du vaisseau sur lequel Levail-
lant étoit passager; c’étoit la plus petite. Elle avoit
vingt-huit pieds dans sa plus grande largeur, sur
vingt - un de long , depuis l'extrémité des cornes
jusqu’à celle de la queue. Cette queue, grosse en
proportion du corps, avoit vingt-deux pouces de
longueur, La bouche, placée absolument comme
telle de là raie, étoit assez large pour avaler aisé
ment un homme tout ceutier, La peau, blanche
sous le ventre, avoit sur le dos les couleurs brünes
qui sont propres à la raie; Enfin on éstima que Fani-
X à
924 HISTOIRE
surface de l'Océan , et se laissant ensuite
retomber avec vitesse, frappent les ondes
mal pouvoit peser au moins deux mille. { Voyage de
Levaillant , à l'endroit cité. ) «Je me flattois , ajoute
ce voyageur célèbre , que peut-être on pourroit attra-
per quelqu'un des petits poissons qui servoient de
vedettes aux deux autres; car les deux monstres,
malsré tout le prix qu'avoit fait notre capture, ne
s’étoient pas éloignés. On employa , vis à-vis des
conducteurs, différentes sortes d’amorces ; mais ce
fut en vain : aussitôt que l’hameçon tomboit à l’eau,
ils venoient le reconnoître et retournoient tout aussi-
tôt à leur poste ». ( Pag. 517.) Ce dernier fait prouve
ce que je viens de dire tout à l'heure, que ce n’est
point pour avoir le plaisir de conduire les raies que
ces poissons Îes accompagnent, et qu’ils n'ont d'autre
but que de trouver dans les déjections de îa raie une
nourriture qui leur est propre exclusivement, puis-
qu’ils ne touchent à aucune autre.
Enfin , dans le cours de mes navigations , je n’ai eu
qu’une seule fois l’occasion de voir une de ces raies
monstrueuses dont il s’agit ; c’étoit au delà du Tro-
pique et non loin de la côte occidentale de l'Afrique ;
le calme régnoit depuis plusieurs jours. Cet énorme
cartilagineux se montra à fleur d’eau et vint se ranger
tout à fait contre le bord du navire , qui n’étoit que
du port de cent soixante tonneaux. Aussi cet épou-
vantable animal me parut plus long et plus large que
le vaisseau même. On lui lança plusieurs harpons
qui ne produisirent d’autre effet que de Île faire dis«
paroitre , en sorte que je n’eus pas le tems de l’exaz
DES RAIES. 325
avec bruit et par une surface très - plate,
très-longue et très-large, et les font rejaillir
très-au loin et avec vivacité.
Passons maintenant à l’exposition du genre
de cartilagineux qui ressemblent le plus aux
raies que nous venons de décrire.
miner beaucoup, ni le cannonier de disposer une
pièce pour lui lancer un boulet. La vue de ce mons-
trueux animal avoit répandu la frayeur dans Péqui-
page, ct je ne doute pas en effet qu’il ne pût faire
beaucoup de mal à de petits bâtimens.
5 SONNINI..
X 5
926 HISTOIRE
TAB BAU
Du cinquième ordre des POoIssons,
PAR LACÉPÉDÉ.
RRCO IS TEME “ORNRE
LE StS:Q VA PES."
Cire, ou six, ou sept ouvertures bran-
chiales de chaque côté du corps.
PREMIER SOUS-GENRE.
Une nageoire de l’anus, sans évents.
PREMIÈRE ESPÈCE.
LE SsQUALE REQUIN. — Les dents lrian-
gulaires , et dentelées des deux côtés.
SECONDE ESPÈCE.
LE SQUALE TRÈS-GRAND. — Les dents
un peu coniques et sans dentelures.
TROISIÈME ESPÈCE.
LE SQUALE GLAUQUE.— Les dents apla-
tes de devant en arrière, triangulaires et
sans dentelures ; le dessous du corps glauque;
une fossette à l'extrémité du dos, |
DES SQUALES. 327
QUATRIÈME ESPÈCE.
LE SQUALE LOKG-NEz. — Un pli longi :
tudinal de chaque côté de la queue.
CINQUIÈME ESPÈCE.
LE SQUALE PHILIPP. — Quelques dents
arrondies; un fort aiguillon à chaque na-
geoire dorsale.
SIXIÈME ESPÈCE.
LE SQUALE PERLON. — Sept ouvertures
branchiales de chaque côté.
| SEPTIÈME ESPÈCE
LE SQUALE POINTILLÉ. (Soualus punc-
tulatus.) — De petits points blancs sous le
corps et sous la queue; la couleur de la
partie inférieure de lani mal plus nn:
que celle de la partie supérieure.
SECOND SOUS-GENRE.
Une nageoire de l’anus, et deux évents.
HUITIÈME ESPÈCE.
LE SQUALE ROUSSETTE. — Les narines
garnies d’une appendice vermiculaire; les
dents dentelées et garnies, aux deux bouts
de leur base, d’une pointe dentelée.
NEUVIÈME ESPÈCE.
LE SQUALE ROCHIER. — Deux lobes aux
X 4
528 HISTOIRE
narines; les nageoires du dos égales l’une à
l’autre.
DIXIÈME. ESPÈCE.
LE SQUALE MILANDRE.— Les dents
presque triangulaires, échancrées et den-
telées. :
ONZIÈME ESPÈCE.
LE SQUALE ÉMISSOLE.— Les dents petites
el très-obtuses.
DOUZIÈME ESPÈCE.
LE SQUALE BARBILLON. — Une appen-
dice vermiforme aux narines: des écailles
grandes et unies sur le corps.
TREIZIÈME ESPÈCE.
LE SQUALE BARBU. — Le tour de l’ou-
verture de la bouche garni d’appendices
vermiformes.
QUATORZIÈME ESPÈCE.
LE 5QUALE Ticré. — Des bandes noires
et transversales sur le corps, des barbillons
auprès de l’ouverture de la bouche.
QUINZIÈME ESPÈCE.
LE SQUALE GALONNÉ.— Sept bandes
noirâtres et longitudinales sur le corps.
SEIZIÈME ESPÈCE.
LE SQUALE æœiLLé.— Une tache noire
DES SQUALES. 329
entourée d’un cercle blanc de chaque côté
du cou.
DIX-SEPTIÈME ESPÈCE.
LE SQUALE I1SABELLE.—/La première
nageoire du dos placée au dessus des na-
geoires ventrales.
DIX -HUITIÈME ESPÈCE.
LE SQUALE MARTE AU.— La tête et le
corps représentant ensemble un marteau.
DIX-NEUVIÈME ESPÈCE.
LE SQUALE PANTOUFLIER. — La tôle
festonnée par devant, et un peu en forme
de cœur.
VINGTIÈME ESPEÈCÉ.
LE sQUALE RENARD. — Le lobe supé-
rieur de la nageoire de la queue, de la
longueur du corps. 4
VINGT-UNIÈME ESPÈCE.
LE SQUALE GRIsET.— Six ouvertures
branchiales de chaque côté.
TROISIÈME SOUS-GENRE.
Deux évents, sans nageoires de Panus,.
VINGT-DEUXIÈME ESPÈCE.
LE sQUALE AIGUILLAT. — Un aiguilion
330 HISTOIRE
à chaque nageoire du dos; le corps très
alongé.
VINGT-TROISIÈME ESPÈCE.
LE SQUALE SAGRE.— Le dessous du
corps nonâtre ; les narines placées dans Ia
partie antérieure de la tête.
VINGT-QUATRIÈME ESPÈCE.
LE SQUALE HUMANTIN. — Le corps un
peu triangulaire.
VINGT-CINQUIÈME ESPEÈÉCE.
LE sSQUALE LICHE.—Les deux nageoires
du dos sans aiguillon ; la seconde plus grande
que la première; les nageoires ventrales
grandes, et placées très-près de la queue.
VINGT-SIXIÈME ESPÈCE.
LE SQUALE GRONOVIEN.— Les deux
nageoires du dos sans aiguillons; la pre-
mière , plus éloignée de la tête que les na-
geoires ventrales; la seconde, placée très-
loin de la première.
VINGT-SÈPTIÈME ESPÈCE
LE SQUALE DENTELÉ. — Une rangée de
tubercules un peu gros, s'étendant depuis
les yeux jusqu'à la première nageoire dor-
sale; des taches rousses et irrégulières sur la
partie supérieure du corps et de la queue.
DÉS: SQUAILES. 33:
NMINCT-HULTILEMBLESPÉECE.
LE SQUALE BoUucLÉ.— Des tubercules
gros et épineux sur tout le corps.
VINGT-NEUVIÈME ESPÈCE,
LE SQUALE ÉCAILLEU x. —Le corps
revêtu d'écailles ovales et relevées par une
arête.
TRÉNTIÈME ESPÈCE.
LE SQUALE scir. — Le museau très-
alongé, et garni de dents de chaque côté.
TRENTE-UNIÈME ESPÈCE.
LE SQUALE ANGE.— Les nageoires pec-
torales trés-grandes, el échancrées par de-
vant; le corps un peu aplati.
TRENTE- DEUXIÈME ESPÈCE.
LE SQUALE ANISODON. — Le museau
très-alongé, et garni, de chaque côté, de
dents très-inégales ; un long filament placé
au dessous de chaque côté du museau.
932 HIS TÉIRÉ
LE RE OMAN
Foyez la figure, planche VI, fig. 1 ; fig. 2, mâchoire
du requin ; fig. 3, une de ses dents.
LE SQUALE REQUIN (i}(2),
PAR, LACEFPEDE.
PREMIÉRE) ESP E C &.
Les squales (3) et les raies ont les plus
grands rapports entre eux; ils ne sont en
quelque sorte que deux grandes divisions
de la même famille. Que l’on déplace en
(1) Sur quelques côtes de l'Océan européen, re-
quiem , lamia , lamie , frax. Sur quelques rivages du
nord de l'Europe, kaj. En Hollande , Aaye. En Dane-
mark, haafisk, hauwkal. En Islande, Laakal. En
Angleterre, white shark.
Chien de mer requin. Daubenton , Encycl. méthod.
Squalus carcharias. Lin. édit. de Gmelin,
Squalus corpore cinereo , dorso lato. Bloch, Hist.
nat. des poissons, quatrième partie, édition alle-
mande , p.53,n° x19.
Squalus dorso plano, dentibus plurimis ad latera
serratis, Arted. gen. 70 , syn. 98. — Ot. Fabric. Faun.
Groenl. p.127. — Müller, Prodrom. zoolog. danic.
De Jeve Wet
Brant d',
1. LE REQUIN
9. SA MACHOIRE.
3. UNE DE SES DENTS
AMENER [ PALIN, ‘|
x i
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* ré L \ , R ? +) 3 PP RS VS
44 LE LES Das RCE PPS LCLE-2 7 TE Mr De de Ed cu 6 2 us à
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D ÉS"SQU ALES. 13553
effet les ouvertures des branchies des raies;
que ces ozifices soient transportés de la
p. 55, n° 316. — Gunner, Act. nidros. 2, p. 370,
tab. 10 et 11;
Chien de merrequin. Bonat. planches de l’Encycl.
méthod. — Gronov. Mus. 1, 158. Zooph. 145. —
Browne , Jam. p.458, n° 2.
Cynocephalus albus. Klein, Miss. pisc. 5, p. 5,
n° 1. — Aristot. Hist. anim. lib. 5, cap. 5; et lib.9,
cap. 57. — Piin. Hist. maud. lib. 9, cap. 24.
Lamie. Rondelet , première partie , lib. 13, ch. 11.
— Athen. Hb.7, p. 506 — 510. — Helon, Aquat.
p.58. — Gesn. Aquat. p. 175. Icon. anim. p. 151 — 153.
Thierb. p. 81 — 82.
Carcharias canis, seu lamia, Aldrovand. Piscib.
p.381, 382, 587. — Jonst. Pisc. p. 24, tab. 6, fig. 6.
— Fermin, Surin. 2, p. 248. — Datertre, Antil.
p- 202.
Requin. Broussonet , Mém. de Pacad. des sciences
de Paris pour lan 1780, p.670, n° 19.
White shartk. Willugbb. Ichth. p. 47, tab. b 7. —
Ray, Pise. p. 18. — Brit. zool. 3, p. 82, n° 4.
Requin. Valmont de Bomare, Dictionn. d'histoire
naturelle.
T'iburone. Marcgr. lib. 4. — Nieremb. lib. 19, c. 20.
_Piscis Jonæ, seu antropophagus quorumdam.
Canis gadens. Salvi. 182.
J'ubaron ou hays. Sloan. Voyag. p. 24. — Duhamel,
Traité des pêches, seconde partie, sect. 9, chap. 4,
értuir :pliærx:
Squalus dentibus serratis, multiplici ordine stipatis,
354 His TORRES
surface inférieure du corps sur les côtés de
l'animal ; qu'on diminue la grandeur des
nageoires pectorales; qu'on grossisse dans
fove ad basim caudæ lunulatä. Commerson , manus-
crits déposés au museum d'histoire naturelle.
(2) Le requin. En allemand , menschenfresser et
meervielfrass. En suëédois; haa-skierdingen. Eu Nor-
vège, haa-skiaerding, haaekiaering, haakal. Chez les
lettes, akkalagge. Au Groenland , ekalurksoack. Dans
J’évêché de Drontheim, Laa-brand, haa-kiaering. En
Arabic, gersch ou kersch. En Sardaigne, il cane carca-
ria. À Atioui, île de la mer du Sud, mano. En Itaiie,
en Languedoc ; en Provence et en Espagne ;, /amie, À
Marseille , ’ami. À Bayonne, frax.
Dans Aristote, ce poisson est nommé /amia ; dans
Oppien , /amus ; dans Athénée, karcharias et kyon
dalailia.
Squalus dorso plano, dentibus serratis..... eanis
carcharias. Brunnich , Ichthyol. massil. p. 5.
SONNINI:
(5) Nous avons préféré , pour le genre dont nous
allons traiter , le nom de squale, admis par un très-
grand nombre de naturalistes modernes, à celui de
chien de mer, qui est composé, et qui présente une
idée fausse. En effet , les squales sont bien des habi-
taus de la mer, mais sont certainement , dans l’ordre
des êtres, bien éloignés du genre des chiens.
« De Pline , dit Rondelet (première partie, liv. 15;
chap. 1), sont nommés squali , quasi squallidi , laïds
à voir; et rudes ; car ils sont tout couverts de pear
êpre. »
DÉS 'SOQUALES ‘35
quelques-uns de ces cartilagineux l’origine
de la queue, et qu’on donne à cette origine
le même diamètre qu’à la partie postérieure
du corps, et les raies seront entièrement
confondues avec les squales. Les espèces
seront toujours distinguées les unes des au-
tres ; mais aucun caractère véritablement
générique ne pourra les diviser en deux
groupes : on comptera le même nombre de
petits rameaux ; mais on ne verra plus deux
grandes branches principales s'élever sépa-
rément sur leur tige commune.
Quelques squales ont, comme les raies,
des évents placés auprès et derrière les
yeux ; quelques autres ont, indépendam-
ment de ces évents, une véritable nageoire
de l’anus, très-distincte des nageoires ven-
trales, et qu'aucune raie ne présente ; il en
est enfin qui sont pourvus de cette même
nageoire de lanus, et qui sont dénués
d’évents. Les premiers ont évidemment plus
de conformité avec les raies que les secouds,
el sur-tout que les troisièmes. Nous n’avons
pas cru cependant devoir exposer les formes
et les habitudes des squales dans Pordre que
nous venons d'indiquer, et que l’on pourroit
à certains égards regarder comme le plus
naturel, La nécessiié de commencer par
336 HISTOIRE
montrer les objets les mieux connus et de
les faire servir de terme de comparaison,
pour juger de ceux qui ont été moins bien
et moins fréquemment observés, nous a
forcés de préférer un ordre inverse, et de
placer les premiers, dans cette histoire, les
squales qui n’ont pas d'évents, et qui ont
une nageoire de l'anus. |
Au reste, les espèces de squales ne dif-
férent dans leurs formes et dans leurs habi-
tudes que par un petit nombre de points.
ous indiquerons ces points de séparalion
dans des articles particuliers ; mais c’est
en nous occupant du plus redoutable des
squales que nous allons tâcher de présenter
en quelque sorte l’ensemble des habitudes
et des formes du genre. Le requin va être,
pour ainsi dire, le Lype de la famille en-
lHière; nous allons le considérer comme le
squale par excellence, comme la mesure
sénérale à laquelle nous rapporterons les
autres espèces; et l’on verra aisément com-
bien cette sorte de prééminence, due à la
supériorité de son volume, de sa force et
de sa puissance, est d’ailleurs fondée sur le
grand nombre d'observations dont la curio-
sité et la terreur qu'il inspire l’ont rendu
dans tous les tems l’objet.
Ce
D'F;S: SQU ALES. 837
Ce formidable squale parvient Jusqu'à une
longueur de plus de dix mêtres (trente
pieds ou environ); il pèse quelquefois près
de cinquante myriagrammes (mille liv.) (1);
et il s’en faut de beaucoup que l’on ait
prouvé que l'on doit regarder comme exa-
gérée l’assertion de ceux qui ont prétendu
qu'on avoit pêché un requin du poids de
plus de cent quatre-vingt-dix myriagrammes
(quatre mille livres) (2).
Mais la grandeur n’est pas son seul attri-
but : il a reçu aussi la force et des armes
meurtrières, et féroce autant que vorace,
impélueux dans ses mouvemens, avide de
sang, et insatiable de proie, 1l est véritable-
ment le tigre de la mer. Recherchant sans
crainte tout ennemi, poursuivant avec plus
d'obstination, attaquant avec plus de rage,
combattant avec plus d’acharnement que les
autres habitans des eaux; plus dangereux
que plusieurs cétacés, qui presque toujours
sont moins puissans que lui; inspirant même
plus d’effroi que les baleines , qui, moins
bien armées, et douées d’appétits bien dif-
férens, ne provoquent presque jamais ni
(1) Rondelet, à l’endroit déjà cité.
(2) Gillius, dans Ray , et d’autres auteurs.
Poiss. Tome III. M,
335 PIS TO RCE
lhomme, ni les grands animaux; rapide
dans sa course, répandu sous tous les cli-
mats, ayant envahi, pour ainsi dire, toutes
les mers; paroïissant souvent au milieu des
tempêtes ; aperçu facilement par l'éclat
phosphorique dont il brille, au milieu des
ombres des nuits les plus orageuses; mena-
çant de sa gueule énorme et dévorante les
infortunés navigateurs exposés aux horreurs
du naufrage, leur fermant toute voie de
salut, leur montrant en quelque sorte leur
tombe ouverte, et plaçant sous leurs yeux
le signal de la destruction, il n’est pas sur-
prenant qu’il ait reçu le nom sinistre qu'il
porte, et qui, réveillant tant d'idées lugu-
bres, rappelle sur-tout la mort, dont il est
le ministre. Reguin est en effet une cor-
ruplion de requiem, qui désigne depuis
long-tems, en Europe, la mort et le repos
éternel, et qui a dù être souvent, pour des
passagers effrayés, l'expression de leur cons-
ternation, à la vue d’un squale de plus de
trente pieds de longueur, et des victimes
déchirées où engloulies par ce lyran des
ondes (1). Terrible encore lorsqu'on à pu
(1) La vraie étymologie du nom du requin se
trouve dans l’ancien gothique ; il vient de rick, qui,
DES BOUAUIMIE S 65%
parvenir à l’accabler de chaînes, se débat
tant avec violence au milieu de ses liens,
conservant une grande puissance lors même
qu'il est déjà tout baigné dans son sang, et
pouvant d'un seul coup de sa queue ré-
pandre le ravage autour de lui, à linstant
même où 1l est près d’expirer, n'est-il pas
le plus formidable de tous les animaux
auxquels la Nature n’a pas départi des armes
empoisonnées ? Le tigre le plus furieux au
milieu des sables brülans, le crocodile le
plus fort sur les rivages équatoriaux, le
serpent le plus démesuré dans les solhitudes
africaines, doivent-ils inspirer autant d’ef-
froi qu'un énorme requin au milieu des
vagues agilées ?
Mais examinons le principe de cetle puis-
sance si redoutée, et la source de cette
voracité si funeste.
Le corps du requin est très-alongé , et la
peau qui le recouvre est garnie de petits
tubercules très - serrés les uns contre les
dans l’origine, signifie fort, puissant, et dont on
a formé depuis le mot riche, parce qu’à mesure que
la société s’est dépravée , nos ancêtres se sont aperçus
que richesse et force ou puissance devenoient mal-
heureusement des synonymes. SONNINI:
M 13
940 HITS TOTRE
autres. Comme cette peau tuberculée est
très-dure, on lemploie, dans les arts, à
polir diflérens ouvrages de bois et d'ivoire;
on s’en sert aussi pour faire des liens et des
courroies, ainsi que pour couvrir des étuis
et d'autres meubles : mais il ne faut pas la
confondre avec la peau de la raie sephen (1),
dont on fait le galuchat, et qui n’est connue
dans le commerce que sous le faux nom de
peau de requin, tandis que la véritable peau
de requin porte la dénomination très-vague
de peau de chien de mer. La dureté de cette
peau, qui la fait rechercher dans les arts,
est aussi très-ulile au requin, et a dû con-
tribuer à augmenter sa hardiesse et sa vo-
racité, en le garantissant de la morsure de
plusieurs animaux assez forts et doués de
dents meurtrières.
La couleur de son dos et de ses côtés est
d’un cendré brun; et celle du dessous de
son corps d'un blanc sale.
La tête est aplatie, et terminée par un
museau un peu arrondi. Au dessous de cette
extrémité, et à peu prés à une distance égale
du bout du museau et du milieu des yeux,
on voit les narines, organisées dans leur
(1) Article de Za raie sephen.
DES SQUALES. 34
intérieur presque de la même manière que
celles de la raie batis, et qui, étant le
siège d’un odorat très-fin et très-délicat ,
donnent au requin la facilité de reconnoître
de loin sa proie, et de la distinguer au mi-
lieu des eaux les plus agitées par les vents,
ou des ombres de la nuit la plus noire, ou
de l’obscurité des abîmes les plus profonds
de l'Océan. Le sens de l’odorat étant dans
le requin , ainsi que dans les raies et dans
presque tous les poissons, celui qui règle les
courses et dirige les attaques, les objets qui
répandent l’odeur la plus forte doivent être,
tout égal d’ailleurs, ceux, sur lesquels il se
jette avec le plus de rapidité. Ils sont pour
le requin ce qu’une substance très-éclatante,
placée au milieu de corps très-peu éclairés,
seroit pour un animal qui n’obéiroit qu’au
sens de la vue. On ne peut donc guère se
refuser à l’opinion de plusieurs voyageurs
qui assurent que lorsque des blancs et des
noirs se baignent ensemble dans les eaux de
l'Océan, les noirs, dont les émanations sont
plus odorantes que celles des blancs, sont
plus exposés à la féroce avidité du requin, et
qu’immolés les premiers par cet animal vo-
race , ils donnent le tems aux blancs d’échap-
per par la fuite à ses dents acérées. IE
3
342 HIiSTOFR.E
pourquoi, à la honte de l'humanité, est-on
encore plus forcé de les croire lorsqu'ils
racontent que des blancs ont pu oublier les
lois sacrées de la Nature, au point de ne
descendre dans les eaux de la mer qu’en
plaçant autour d’eux de malheureux nègres
dont ils faisoient Îa part du requin ?
L'ouverture de la bouche est en forme
de demi-cercle, et placée transversalement
au dessous de la tête et derrière les narines.
Elle est très-grande; et l’on pourra juger
facilement de ses dimensions , en sachant
que nous avons reconnu , d’après plusieurs
comparaisons , que le contour d’un côté
de la mâchoire supérieure, mesuré depuis
l'angle des deux mâchoires jusqu’au sommet
de la mächoire d’en haut, égale à peu près
le onzième de la longueur totale de lani-
mal. Le contour de la mâchoire supérieure
d'un requin de trente pieds ( près de dix
mètres ) est donc environ de six pieds ou
deux mètres de longueur. Queile immense
ouverture ! Quel gouffre pour engloutir
la proie du requin! Et comme son gosier
est d’un diamètre proportionné , on ne
doit pas être étonné de lire, dans Rondelet
et dans d’autres auteurs , que les grands
requins peuvent avaler un homme tout
DES: S QU A LE S: 343
entier (1), et que, lorsque ces squales sont
morts et gisans sur le rivage , on voit quel-
(1) A Nice et à Marseille , dit Rondelet, on a pris
autrefois des lamies dans l'estomac desquelles on a
trouvé un homme armé tout entier. ( Hist. des pois-
sons , Liv. 13, chap. 11.)
L'auteur de l’Ichthyologie de Marseille, Brunnich,
rapporte que, pendant son séjour dans ce port , on y
prit un requin de la longueur de quinze pieds. Deux
années auparavant , on avoit tué sur les côtes, entre
Cassis et la Ciotat , nn autre requin encore plus grand,
On lui trouva daus l'estomac deux thons peu endom-
magés , et un homme entier avec son vêtement intact,
qui tous paroissoient avoir été dévorés depuis peu
de tems.
« Capiebatur tempore quo Massiliæ fui, piscis ejus
speciei ( squalus carcarias) quindecim pedum longi-
tudine. Major duos abhince annos occidebatur hærens
in littore urbes inter Cassidem et la Ciotat. Ventriculo
tenuit duos scombros thynnos, parum læsos, homi-
nemque inétegrum CU vestitu omnino inéactum ,
omnes ut apparuit breve antè tempus devoratos. T'estes
oculati, inter multos alios, fuere dominus Garnier,
secretarius regis Galliæ , qui preclarä corallii rubri
fabricä urbis Cassidis pauperes sublevebat multos , ué
et Rev. dominus Boyer, parochus urbis la Ciotat dictæ;
uterque conditione simul ac fide satis pollentes». Brun-
nich, fchthyol. Massil. p. 5.
En 1785 on apporta à Spallanzani, lors de son
passage à Nice, les mâchoires d’un requin, dans
l'estomac duquel on avoit trouvé un enfant tout
éd
344 ES T'OLR'E
quefois des chiens entrer dans leur gueule;
dont quelque corps élranger retient les mâ-
choires écartées , et alier chercher Jusques
entier. (Voyage dans les Deux-Siciles , traduct. franc.
tom. IV,p. 250.)
L'année dernière, 1802, l’on apprit à Londres,
par une lettre authentique de Surinam, que le capi-
taine Brown, se trouvant à chasser sur le rivage et à
J’embouchure de la rivière de Surinam, aperçut un
requin auquel il décocha une flèche dont Panimal fût
atteint. Dangereusement blessé , il disparut ; mais le
lendemain on l’aperçut à fleur d’eau, à une distance
très-peu éloignée du rivage; des bateaux approchèrent
alors, et on acheva de le tuer; mais quelle fut la
surprise de ceux que la curiosité avoit attirés pour
le voir , lorsqu’en l’ouvrant on trouva dans son corps
une femme toute entière, à l’exceplion de la tête qui
avoil été séparée du tronc.
Stenon observa dans la tète d’un requin, pris aux
envirous de Jaivourne , que le diamètre transversal de
la bouche , mesuré de l’angle d’une mâchoire à Pautre,
avoit une coudée de long { mesure de Florence }, et
que le second diamètre , perpendiculaire au premier,
avoit les quatre cinquièmes d’ane coudée. II n’est donc
point étonnant de trouver dans les estomacs de ces
animaux des hommes tout entiers. ( Elcm. myolog. )
Et cetie ampleur naturelle de Ja bouche des requins
est encore susceptible de s’élendre, comme celle des
serpens et des couleuvres, par la grande élasticité des
os des mâchoires , qui sont de nature cartilagineuse ;
en sorte que cette énorme bouche à laquelle aboutit
DESTSOQUMELES. 54
dans l'estomac les restes des alimens dévorés
par l’énorme poisson.
Lorsque cette gueule est ouverte, on voit
au delà des lèvres, qui sont étroites et de
la consistance du cuir, des denis plates,
triangulaires , dentelées sur leurs bords, et
blanches comme livoire. Chacun des bords
de cette partie émaillée, qui sort hors des
gencives, a communéiment cinq centimètres
( près de deux pouces } de longueur dans
les requins de trente pieds. Le nombre des
dents augmente avec l’âge de l’auimal.
Lorsque le requin est encore très - jeune,
un gosier et un estomac également vastes, est suscep-
tible de recevoir et d’engloutir les hommes et de
grands animaux.
Quelques auteurs, frappés de la distension extraor-
dinaire de la bouche des requins et de la grande
capacité de leur estomac, ont teuté de prouver que
ce fut par un animal de cette espèce que Jonas fut
avalé ; il est sans doute très-possible qu'un requin
eût fait sa proie d’un prophète ; mais les livres saints
ajoutent que Jonas sortit de ce gouffre vivant au bout
de trois jours , et cela n’est plus dans l’ordre ordinaire.
Les ouvrages d'histoire naturelle peuvent bien con-
tenir des merveilles, puisque la Nature en est rem-
plie ; mais on doit y renoncer à chercher l'explication
des miracles. SONNINI.
546 HES TOR E
il n’en montre qu'un rang, dans lequel on
n’aperçoit même quelquefois que de bien
foibles dentelures : mais, à mesure qu’il se
développe , il en présente un plus grand
nombre de rangées ; et lorsqu'il a atteint
un dégré plus avancé de son accroissement
et qu'il est devenu adulte , sa gueule est
armée , dans le haut comme dans le bas,
de six rangs de ces dents fortes, dentelées ,
et si propres à déchirer ses victimes. Ces
dents ne sont pas enfoncées dans des cavités
solides ; leurs racines sont uniquement logées
dans des cellules membraneuses qui peuvent
se prêler aux différens mouvemens que les
muscles placés autour de la base de la dent
tendent à imprimer. Le requin , par le moyen
de ces différens muscles, couche en arrière
où redresse à volonté les divers rangs de
dents dont sa bouche est garnie ; il peut les
mouvoir ainsi ensemble ou séparément; il
peut même, selon les besoins qu’il éprouve,
relever une portion d’un rang, et en incliner
une autre portion ; et, suivant qu'il fui est
possible de n’employer qu’une partie de sa
puissance, ou qu'il lui est nécessaire d’avoir
recours à toutes ses armes, il ne montre
qu'un ou deux rangs de ses dents meur-
DES SQUALES. 3%
trières , ou, les mettant toutes en action,
1] menace et atteint sa proie de tous ses
dards pointus et relevés.
Les rangs intérieurs des dents du requin,
étant les derniers formés , sont composés
de dents plus petites que celles que lon
voit dans Îles rangées extérieures, lorsque
le requin est encore jeune : mais, à mesure
qu'il s'éloigne du tems où il a été adulte,
les dents des différentes rangées que pré-
sente sa gueule sont à peu près de la même
longueur , ainsi qu’on peut le vérifier en
exaiminant, dans les collections d'histoire
naturelle, de très-grandes mâchoires, c’est-
à-dire, celles qui ont appartenu à des requins
âgés, et sur-tout en observant les requins
d’une taille un peu considérable que lon
parvient à prendre. Je ne crois pas en con-
séquence devoir adopter lopinion de ceux
qui ont regardé les dents intérieures comme
destinées à remplacer celles de devant,
lorsque le requin est privé de ces dernières
par une suite d’eflorts violens , de résistances
opiniâtres , ou d’autres accidens. Les dents
intérieures sont un su pplément de puissance
pour le requin : elles concourent, avec celles
de devant, à saisir, à retenir, à dilacérer
la proie dont il veut se nourrir; mais elles
548 HNMSTOrRE
ne remplacent pas les extérieures : elles
agissent avec ces dents plus éloignées du
fond de la bouche, et non pas uniquement
après la chûte de ces dernières; et lorsque
celles-ci cèdent leur place à d’autres , elles
Ja laissent à des dents produites auprès de
leur base et plus ou moins développées, à
de véritables dents de remplacement , très-
distinctes de celles que l’on voit dans les
six grandes rangées, à des dents qui par-
viennent plus ou moins rapidement aux
dimensions des dents intérieures, et qui
cependant très-souvent sont moins grandes
que ces dernières, lorsqu'elles sont substi-
tuces aux dents extérieures arrachées de la
gueule du requin (1).
(1) Stenon, ayant remarqué que les dents qui
forment les rangs intérieurs de la bouche du requin
sont inclinées vers le gosicr, et tellement envelop-
pées dans la clair molle et spongieuse des gencives,
qu'il faut la couper pour les mettre à découvert,
avoue qu'il ne devine point la destination de ces
dents si singulièrement disposées, puisque étant en-
D ? 1
foncées dans les chairs, elles ne peuvent être d’aucun
2
usage pour broyer les alimens. Celles de la première
rangée paroissoient bien à ce célèbre anatomiste
servir à relenir la proie et à la diviser, lorsqu'elle est
irop volumineuse pour la capacité de l’estomac; mais
il ne voyoit point quel pouvoit être l’usage des nom-
D'ENS US QU AILIE s . 54
Les dents intérieures tombent aussi, et
breuses dents couchées sur les mâchoires du requin,
et recouvertes d’une chair molle et spongieuse. (Elem.
myol.) Hérissant pensoit, au contraire > que ces
dents, plus ou moins ensevelies dans les chairs, sont
des dents de réserve , destinées à remplacer celles de
la rangée antérieure ; en sorte que, lorsqu'une ou plu-
sieurs de ces premières dents viennent à manquer,
celles qui sont au dessous se soulèvent et vont occuper
leur place. ( Mém. de l’académie royale des sciences
de Paris, année 1749.)
Enfin Spallanzani a fait plus récemment des obser-
vations importantes sur les dents du requin. Elles
ont été publiées dans son Voyage dans les Deux-
Siciles, élégamment traduit par Toscan, bibliothé-
caire du museum d'histoire naturelle de Paris : c’est
de cet ouvrage que j'ai tiré le passage suivant.
Il faut remarquer que le requin, qui servit aux
observations de Spallanzani, n’avoit que six pieds de
long sur trois pieds quatre pouces de circonférence ;
c’étoit, dit cet habile observateur, un pygmée en
comparaison des adultes de son espèce.
« La première rangée des dents de la mächoire
supérieure saille à peine hors de la bouche; leurs
pointes sont légèrement courbées vers l’intérieur du
gosier. La seconde rangée est plus inclinée dans le
même sens ; les autres rangées sont aplaties sous
celles-là, et s’y cachent en partie. Les plus grandes
dents ont quatre lignes et demie de long sur trois et
demie de large. On voit les mêmes dispositions dans
la mâchoire inférieure, excepté que les dents plus pe-
tites ne sont pas découpées en manière de scie comme
\
350 ALES T'OMRR E
abandonnent , comme les extérieures, l’en-
les précédentes. Maïs le dessèchement et la dureté de
ces mâchoires auxquelles je ne pouvois toucher sans
gâter l’animal, ne me permirent pas d’enlever la chair
spongieuse, et de mettre les dents à découvert.
» Je revins donc à des machoires isolées que possé-
doit le museum de Pavie , et pouvant en disposer avec
liberté , j’en pris deux que je fis macérer dans l’eau à
l'effet de les ramollir. Voici le résultat de mes obser-
vations : les dents de la mâchoire supérieure étoient
triangulaires , plates en dehors , à peine convexes en
dedans , découpées en manière de scie sur les bords,
ayant huit lignes de long sur six lignes de large à leur
base : j'entends celles qui avoisinoient la pointe de la
mâchoire , ou qui gisoient Jatéralement à quelque
distance ; car , pour les autres situées près du gosier,
elles étoient beaucoup plus petites. Les rangées s’of-
froient au nombre de quatre. Les dents de Ja pre-
mière g'élevoient presque verticalement sur le plan
de la mâchoire avec leurs pointes recourbées. 1l en
manquoit quatre, et on ne voyoit pas qu'elles eussent
encore été remplacées par celles de la seconde ran-
gée. Cependant un nombre égal de ces dernières,
correspondantes aux absentes, s’éloient déja soule-
vées et poussées en avant, et on pouvoit juger qu'avec
le tems elles auroient pris leurs places. Quant aux
autres dents de la seconde rangée, elles étoient cou-
chées presque horisontalement et ensevelies dans Ja
chair spongiense , ainsi que les dents de la troisième et
quatrième rangées. Une sorte de régularité s’offroit
dans leur disposition : les dents de la seconde rangée
DÉS) SOU DIE s 34)
droit qu’elles occupoient , à de véritables
reposoient sur les dents de la troisième, et celles-ci
sur les dents de la quatrième. Ou remarquoit encore,
aprèsavoir enlevé la chair qui couvroit ces dernières,
que leur tissu étoit tendre, ou du moins qu’elles
n’avoient pas acquis la dureté des autres.
» En considérant les dents de la mâchoire infé-
rieure , Je n’ai su découvrir d'autre différence , sinon
qu’elles étoient proportionnellement plus petites :
d’ailleurs elles convenoient dans toutes les circons-
tances précédentes, sans en excepter leurs limbes
découpés en forme de scie. A la réserve de la pre
mière rangée, les trois suivantes étoient plus ou
moins ensevelies dans la chair maxillaire. On obser-
voit , de plus, deux dents appartenant à la première
rangée , rompues à leurs racines; la fossette longue et
mince, où elles avoient été implantées, paroissoit déjà
remplie en partie par les deux correspondantes de la
seconde rangée, qui étoient venues occuper leur place.
» Ainsi je restai convaincu que les dents de la
seconde rangée dans le squale requin ne lui sont point
inutiles , rnateriæ necessitate facti, comme le dit
Stenon , mais qu’elles sont destinées par la Nature
à suppléer celles de la première rangée quand elles se
perdent : observation ingénieuse dont tout le mérite,
appartient à Hérissant, mais qui ne m’en a pas pro-
curé moins de plaisir en la répétant d’après lui. Comme
les dents de la troisième et de la quatrième rangées
sont également adhérentes à la chair spongicuse qui
est mobile dans les parties antérieures de la bouche,
je ne fais aucun doute que, lorsqu'il se rompt des dents
559 HISTOIRE
dents de remplacement formées autour de
leur racine.
de la seconde rangée qui ont déjà pris place dans la pre-
mière, celles de la troisième ne viennent les suppléer,
et après elles celles de la quatrièine ; de manière que
les trois rangées poslérieures peuvent ètre regardées
comme les suppléantes de la première.
» Pendant que j'examinois ces deux mächoires,
et que je considérois l’ample contour de leurs bords,
c’est-à-dire , celui même de la bouche de lanimal,
contour qui embrassoit alors trente pouces et demi
malgré la petitesse des dents dont les plus grandes
avoient, comme je l'ai dit, huit lignes de long sur
six de large , je me mis à réfléchir sur l’énorme
capacité de gosier , et par conséquent de corps,
que la Nature a départie à celte espèce de poisson
dont les dents fossiles, connues sous la dénomination
impropre de glossopètres , atteignent quelquefois la
longueur de plusieurs pouces. J’avois en ce moment
sous les yeux un de ces glossopètres qui comportoit
trente-deux lignes de circonférence à sa base sur
trente-cinq de hauteur, et qui, vu sous tous les sens,
ne pouvoit être plus semblable aux dents en forme
de scie du requin de la collection du museum.
Or, si ce deruier animal, dont les dents n’ont que
trois lignes et demie de large sur quatre lignes et
demie de haut, offre un corps de six pieds de longueur
sur trois de largeur , quel étoit donc le volume du
requin qui a laissé sa dent gigantesque dans la terre ?
quelle bouche énorme! quel gosier !
» Ce n’est pas tout ; j'ai supposé que le glossopètre
Les
DES SQUALES. 553
Les dents de la mâchoire inférieure pré-
sentent ordinairement des dimensions moins
grandes et une dentelure plus fine que celles
de la mâchoire supérieure.
La langue est courte, large, épaisse et
carlilagineuse , retenue en dessous par un
frein , libre dans ses bords , blanche et rude
au toucher comme le palais.
Toute la partie antérieure du museau
est criblée , par dessus et par dessous, d’une
grande quantité de pores répandus sans
ordre , très-visibles, et qui, lorsqu'on com-
prime fortement le devant de la tête , répan-
dent une espèce de gelée épaisse , crystalline
et phosphorique , suivant Commerson (1),
qui, dans ses voyages, a très-bien observé
et décrit le requin.
Les yeux sont petits et presque ronds ;
la cornée est très-dure ; l’iris d’un verd foncé
faisoit partie des grandes dentssituées vers l’extrémité
de la mâchoire , et saillantes hors de la bouche; mais,
s’il étoit de l’ordre des petites situées vers Îles racines
de la mâchoire, la proportion augmenteroit en raison
de cette différence ». ( Voyage dans les Deux-Siciles
et dans quelques parties des Apennins , par Spallan-
gani, traduit de l’italien par Toscan , tom. IV, p. 242
et suiv.) SONNINI.
(1) Manuscrits déjà cités.
Poiss. Tone IIL Z
354 HEUSTOENRTE
et doré; et la prunelle, qui est bleue, consiste
dans une fente transversale,
Les ouvertures des branchies sont placées,
de chaque côté, plus haut que les nageoires
pectorales. Ces branchies, semblables à celles
des raies , sont engagées chacune dans une
membrane très-mince , et toutes présentent
deux rangs de filamens sur leur partie con-
vexe, excepté la branchie la plus éloignée
du museau, laquelle n’en montre qu'une
rangée. Une mucosiié visqueuse , sangui-
nolente , et peut - être phosphorique, dit
Commerson , arrose ces branchies , et les
entretient dans la souplesse nécessaire aux
opérations relatives à la respiration.
Toutes les nageoires sont fermes, roides
et cartilagineuses. Les pectorales , triangu-
laires, et plus grandes que Îles autres, s’éten-
dent au loin de chaque côté, et n’ajoutent
pas peu à la rapidité avec laquelle nage le
requin, et dont il doit la plus grande partie
à la force et à la mobilité de sa queue.
La première nageoire dorsale, plus élevée
et plus étendue que la seconde, placée au
delà du point auquel correspondent les na-
geoires pectorales , et égalant presque ces
dernières en surface, est terminée dans le
haut par un bout un peu arrondi.
DES SQUALES. 555
Plus près de la queue, et au dessous du
corps, on voit les deux nageoires ventrales,
qui s'étendent jusques aux deux côtés de
Fanus , et l’environnent comme celles des
raies.
De chaque côté de cette ouverture on
aperçoit, ainsi que dans les raies , un orifice
qu'une valvule ferme exactement, et qui,
communiquant avec la cavité du ventre,
sert à débarrasser l'animal des eaux qui,
fHlirées par différentes parties du corps, se
ramassent dans cet espace vuide.
La seconde nageoire du dos et celle de
l'anus ont à peu près la même forme et le
mêmes dimensions ; elles sont les plus petites
de toutes , situées presque toujours l’une
au dessus de. Pautre, et très-près de celle
de la queue.
Au reste, les nageoires pectorales, dor-
sales, venirales, et de l'anus sont terminées
en arrière par un côté plus ou moins con-
cave, et ne tiennent point au corps dans
ioute la longueur de leur base, dont la
parlie postérieure est détachée et prolongée
en pointe plus ou moims déliée.
La nagcoire de la queue se divise en deux
lobes très-inégaux ; le supérieur est deux fois
plus long que lautre, triangulaire , courhé
Z 2
556 EST OR E
et augmenté, auprès de sa pointe, d’une
petite appendice également triangulaire.
Auprès de cette nageoire se trouve sou-
vent, sur la queue , une petite fossette faite
en croissant, dont la concavité est tournée
vers la tête. Au reste le requin a des muscles
si puissans dans la partie postérieure de son
corps, ainsi que dans sa queue proprement
dite, qu’un animal de cette espèce, encore
très-jeune , et à peine parvenu à la longueur
de deux mètres ou d'environ six pieds,
peut, d’un seul coup de sa queue, casser
la jambe de l'homme le plus fort.
Nous avons vu, dans notre Discours sur
la nature des poissons, que les squales étoient,
comme les raies, dénués de cette vésicule
aérienne, dont la pression et la dilatation
donnent, à la plupart des animaux dont nous
avons entrepris d'écrire l’histoire, tant de
facilité pour s’enfoncer ou s'élever au milieu
des eaux; mais ce défaut de vésicule aérienne
est bien compensé dans les squales, et par-
ticulièrement dans le requin, par la vigueur
et la vilesse avec lesquelles ils peuvent mou-
voir et agiter la queue proprement dite,
cet instrument principal de la natation des
poissons (1).
Le
(1) Discours sur la nature des poissons,
DES SQUALES. ‘: 55}
Nous avons vu aussi, dans ce même Dis-
cours, que presque tous les poissons avoient
de chaque côté du corps une ligne longitu-
dinale saillante et plus ou moins sensible ,
à laquelle nous avons conservé le nom de
ligne latérale, et que nous avons regardée
comme lindice des principaux vaisseaux
destinés à répandre à la surface du corps
une humeur visqueuse nécessaire aux mou-
vemens et à la conservalion des poissons.
Cette ligne, que l’on ne remarque pas sur
les raies, est très-visible sur le requin, et
elle s’y étend communément depuis les ou-
vertures des branchies jusqu’au bout de la
queue, presque sans se courber, et toujours
plus près du dos que de la pe inférieure
du corps.
Telles sont les formes extérieures du re-
quin (1). Son intérieur présente aussi dés
particularités que nous devons faire con-
noître.
(1) Principales dimensions d’un requin.
pieds. pouces. lignes.
Depuis le bout du museau jusqu’à
l’extrémité de la queue, on longueur
totale. e e ° 0 e ° 0 e . 0 ° . ° ° 5 7 6
Jusqu’aux narines. : + + + + + « : 5
Jusqu'au milieu des yeux. . . .. T4
558 HISTOIRE
Le cerveau est petit, gris à sa surface,
pieds.pouces. ligne,
Jusqu’au bord antérieur de la bouche. 4
Jusqu’aux angles postérieurs de la
DOdPDE et ARE UN ONU AU UE 8
Jusqu'au sommet de la mâchoire pos-
Qn
CÉRAÉDIT RO MED DR e he 07 21 le ie Ant De fee tte
Jusqu'à l’angle antérieur de la base
dés nagedirés pectorales & . LL" 7 2
Jusqu'à l’angle postérieur et rentrant
de la base des mêmes nageoires. . . . 1 6 6
Jusqu'à l’angle supérieur de la pre-
mière ouverture des branchies. . . . 1 I
—— de la seconde. , . … 4 .… » 1 2
——) UC IT LTOMIEME 2120 0 seb LA
re Tquétrième. 2% AR RER NS 12
5
delafcinquième:s , .:, ©, Ju
Jusqu’à l’angle inférieur de la pre-
mière ouverture des branchies. . . . 1
—— de la seconde. . . . . + . .
dela "troisieme. 2 ee
de ta -quatiième:): +
Pi ut be Pa
dela cingmeme; 7.1). MONTE
Jusqu'à l’angle antérieur de la pre-
mière Maggoire dorsale: 5.1/4 5.1 9
Jusqu'à l’angle postérieur et rentrant
dela même nageoires. us ut total, 2 a04
Jusqu'à l’angle supérieur de la même
PACE EMA RER ER D N Nite CAT
Jusqu'à l’angle antérieur des nageoires
Aventne, ORAN Res 9
EC
D'EÉS:S QU LES.
blanchâtre dans son intérieur, et d’une
Led
35q
pieds. pouces. lignes
Jusqu’à langle postérieur et rentrant
des mêmes nageoires. .
Jusqu'à l'angle extérieur des mêmes
maneoires ne te rollers
Jusqu'au milieu de l’ouverture de
amuse Ci, Us
Jusqu’à l’angle antérieur de la base
de la seconde nageoire du dos. . . .
Jusqu'à l’angle postérieur et rentrant
de la base de la seconde nageoire du dos.
Jusqu'à l’angle supérieur de la se-
conde nagevire du dos. . . . = . . .
Jusqu'à la fossette du dessus dé la
QuEUR. eo ge CLEMENT Us
Jusqu'à l'angle antérieur de la base de
ka nageoire de la quene. . . . . . .
Jusqu'à l'extrémité du lobe infé-
rieur de la nageoire de ia queue. . .
Jusqu'à l’angle antérieur de la base
de la nageoire de l'anus. . . . . . .
Jusqu'à l’angle inférieur de la na-
geoire de l'anus. . . . . + + + . :
Diamètre perpendiculaire auprès des
YEUX UC Ne "ae eee lee
—— auprès de la dernière ouverture
des branchies/: :. ,". ?, RS
= —— auprès de la première nageoire
dorsale eat ai NES MR
—— auprès de l'anus. . + + + +
2 4
11 16
560 HISTOIRE
substance plus moile et plus flasque que Île
cervelet.
Le cœur n’a qu’un ventricule et une
oreillette ; mais cette dernière partie, dont
le côté gauche reçoit la veine cave, a une
grande capacité.
À la droite, le cœur se décharge dans
l'aorte, dont les parois sont très-fortes. La
valvule qui la ferme est composée de trois
pièces presque triangulaires, cartilagineuses
à leur sommet, par lequel elles se réunissent
au milieu de la cavité de l’aorte, et mobiles
pieds pouc. lignes.
Diamètre auprès de la nageoire de la
A A TT AT A A A M OR 2
Diamètre horisontal auprès des yeux. 5
auprès de la dernière ouverture
des: braves 2 Pie EU eur 9
auprès de la première nageoire
dorsale, ses TRS CCC STAR 95
—— "auprés de TAnus: Li Li tele 5
—— auprès de la nageoire de la
QUERE CALE re SORA CARE" EEE D LMD
depuis le bout d’une nageoire
pectorale jusqu’au bout de l’autre. . 1 3 6
Gränd'diamètrede l'œil" 4. + .1. 1 4:
Petit diamètre de l'œil. | .:, CNE
Base des plus grandes dents. . . . 6
Côtés des plus grandes dents. . . . 6
D'ÉIS!S OUAILIE S : 36:
dans celui de leurs bords qui est attaché aux
parois de ce vaisseau.
En s’éloignant du cœur, et en s’avançant
vers Ja tête, l’aorte donne naissance , de
chaque côté, à trois artères qui aboutissent
aux trois branchies postérieures ; et par-
venue à la base de la langue, elle se divise
en deux branches, dont chacune se sépare
en deux rameaux ou artères qui vont ar-
roser les deux branchies antérieures. L’ar-
tère, en arrivant à la branchie, parcourt la
surface convexe du cartilage qui en soutient
les membranes , et y forme d'innombrables
ramifications qui, en s'étendant sur la sur-
face de ces mêmes membranes, y produisent
d’autres ramifications plus petites, et dont
le nombre est, pour ainsi dire, infini.
L'oœsophage , situé à la suite d’un gosier
très-large, est très-court , et d’un diamètre
égal à celui de la partie antérieure de l’es-
tomac. i
Ce dernier viscère a la forme d’un sac
très-dilatable dans tous les sens, trois fois
plus long que large, et qui, dans son état
d'extension ordinaire , a une longueur égale
au quart de celle de l'animal enter. Dans
un requin de dix mètres, ou d'environ
362 HAS TOB8RE
trente pieds, l'estomac, lors même qu'il n’est
que très-peu dilaté, a donc deux mètres
et demi, ou un peu plus de sept pieds et
demu dans sa plus grande dimension; et
voilà comment on a pu trouver dans de
très - grands requins des cadavres humains
tout entiers.
La tunique intérieure qui tapisse l'estomac
est rougeûtre, muqueuse, gluante, et inon-
dée de suc gastrique ou digestif.
Le canal intestinal ne montre que deux
portions distinctes, dont lune représente
les intestins grèles, et l’autre les gros intes-
tüns de l'homme et des quadrupèdes. La
prennère porlion de ce canal est très-courte,
et n'a ordinairement qu'un peu plus de trois
décimètres, ou un pied de Jong, dans les
requins qui ne sont encore parvenus qu'à
une longueur de deux mètres, ou d'environ
six pieds; et comme elle est si étroite, que
sa cavité peut à peine, dans les individus
dont nous venons de parler, laisser passer
une plume à écrire, ainsi que le rapporte
Commerson, l’on doit penser, avec ce savant
naturaliste , que le principal travail de la
digestion s'opère dans lestomac , et que les
alimens doivent être déja réduits à une
DES SQUALES. 563
substance fluide pour pouvoir pénétrer par
la première partie du canal jusqu’à la se-
conde.
Cette seconde portion du tube intestinal,
beaucoup plus grosse que l’autre , est très-
courle ; mais elle présente une structure
très-remarquable, et dont les effets com-
pensent ceux de sa brièveté. Au lieu de
former un tuyau continu, et de représen-
ter un simple sac, comme les intestins de
presque tous les animaux, elle ne consiste
que dans une espèce de toile très-grande ,
qui s'étend inégalement lorsqu'on la dé-
veloppe, et qui, repliée sur elle-même en
spirale , composant ainsi un tube assez alongé,
et maintenue dans cette situation unique-
ment par la membrane interne du péritoine,
présente un grand nombre de sinuosilés
propres à retenir ou à absorber les produits
des alimens. Cette conformalion, qui équi-
vaut à de longs intestins, a été très-bien
observée et très- bien décrite par Com-
mersol.
Le foie se divise en deux lobes très-alongés
et inégaux. Le lobe droit a communément
une longueur égale au tiers de la longueur
totale du requin; le gauche est plus court à
peu près d’un quart, et plus large à sa base.
364 HISTOIRE
La vésicule du fiel, pliée et repliée en
forme de $, et placée entre les deux lobes
du foie, est pleine d’une bile verte et fluide.
La rate, très-alongée, tient par un bout
au pylore, et par l'autre bout à la fin de
lPintestin grèle; et sa couleur est très-variée
par le pourpre et le blanc des vaisseaux san-
guins qui en parcourent la surface (1). :
La grandeur du foie et d’autres viscères,
l'abondance des liquides qu'ils fournissent ,
la quantité des sucs gastriques qui inondent
l'estomac, donnent au requin ue force di-
gestive active et rapide : elles sont les causes
puissantes de cette voracilé qui le rend si
terrible , et que les alimens les plus copieux
semblent ne pouvoir appaiser ; mais elles ne
sont pas les seuls aiguillons de cette faim
dévorante. Commerson a fait à ce sujet une
observation curieuse que nous allons rap-
porter. Ce voyageur à toujours trouvé dans
(1) Commerson a observé , dans le mâle ainsi que
dans la femelle du requin, un viscère particulier,
situé dans le bas-ventre , enveloppé et suspendu dans
la membrane intérieure du péritoine , semblable à la
rate par sa couleur et par sa substance, mais très-
petit, en forme de cylindre très - étroit et très-
alongé , et ‘ouvrant, par un orifice très-resserré , près
de lanus et dans le gros intestin.
DES SQUALES. 565
l'estomac et dans les intestins des requins
un très-grand nombre de tænia, qui non
seulement en infestoient les cavités, mais
pénétroient et se logeoient dans les tuniques
intérieures de ces viscères. Il a vu plus d’une
Tois le fond de leur estomac gonflé et en-
flannné par les efforts d’une multitude de
pelits vers, de véritables tænia, renfermés
en partie dans les cellules qu'ils s’étoient
pratiquées entre les membranes internes,
ei qui, s'y retirant tout entiers lorsqu'on
les fatiguoient , conservoient encore la vie
quelque tems après la mort du requin.
Nous n'avons pas besoin de montrer com-
bien cette quantité de piquures ajoute de
vivacité aux appétits du requin. Aussi avale-
t-1l quelquefois si goulument, et se presse-
t-il tant de se débarrasser d’alimens encore
mal digérés, pour les remplacer par une
nouvelle proie, que ses intestins , forcés de
suivre en partie des excrémens imparfaits
et chassés trop tôt, sortent par l'anus, et
paroissent hors du corps de l'animal d’une
longueur assez considérable (1) (2).
(1) Manuscrits de Commerson déjà cités.
(2) L'on peut prendre une idée de la voracité
presque insatiable du requin , en se rappelant que le
566 HIS TOPRE
Dans le mâle, les vaisseaux spermatiques,
ou la laite, sont divisés en deux portions,
poisson de cette espèce, dont Brunnich fait mention,
avoil dans l’estomac un homme et deux thons entiers,
et que vraisemblablement il s’approchoit du rivage
pour y trouver quelque nouvelle proie. ( Voyez ma
note à la page 548.)
Il n’est pas rare, suivant Cetti ( Pesci de Sardegna,
pag. 70), de prendre des requins dans les filets arran-
gés pour la pêche des thons, et ils sont, pour les
pêcheurs , des ennemis très-redoutables. On en trouve
quelquefois dans ces filets, sur les côtes de Sardaigne,
qui pèsent jusqu’à trois ou quatre mille livres, et
dans l’intérieur desquels il y a huit à dix thons.
Muller (Zoolog. Dan. prodrom. pag. 38.) dit que, près
de l’île de Sainte-Marguerite , l’on prit un requin qui
pesoit quinze cents livres, et qu’en l’ouvrant, on
trouva dans son corps un cheval tout entier, qui
avoit apparemment élé jeté d’un vaisseau dans la
mer.
Et cette monstrueuse gloutonnerie des requins
s’exerce même sur leur propre espèce. Ils s’entre-
dévorent lorsqu'ils trouvent l’occasion desesurprendre.
Leem raconte qu’un lapon , ayant pris un requin,
J’attacha à son canot; mais bientôt après il ne trouva
plus sa capture , sans qu’il püt savoir comme elle
avoit disparu. Muis quelque tems après , ce même
lapon s’empara d’un autre requin plus gros, dans
Vestomac duquel il trouva celui qu’il avoit perdu.
Les gens de mer connoissent bien l’excès de voracilé
D ESS S Q ÙU A TEE S. 367
et ont une longueur égale au tiers de celle
de l'animal considéré dans son entier. Le
————
qui porte les requins à se manger les uns les autres;
et dans les parages où ces animaux abondent, ils
deviennent pour les équipages un sujet de spectacle
et d’amusemeut , à la vérité un pen trop sanguinaire
et trop cruel pour plaire à d’autres qu’à des marins,
long -tems privés de tout divertissement, el dont
l'habitude des dangers les plus effrayans endurcit le
caractère.
« Les requins, dit un des derniers navigateurs ,
sont très-nombreux près de l’île des Cocos, plus
bardis et plus voraces que je ne les ai vus en aucun
endroit ; assemblés en banc dans la baie, ils suivent
tous les mouvemens des canots, s’élancent sur leurs
rames el sur tout ce qui tomboit par accidént ou étoit
jeté à la mer. Ils saisissoient souvent le poisson que
nous pêchions à l’hameçon , avant qu’on püt le tirer
hors de l’eau; et ce qu'il y a de plus singulier, lors-
qu'un d’entre eux étoit pris avec le harpon, et que
les antres s’apercevoient qu’il ne pouvoit plus se
défendre lui-même , il étoit attaqué et mis en pièces,
ct dévoré vivant par ses compagnons. Nos gens les
harceloient de conps de harpons, de piques , etc., et
leur faisoient de profondes blessures; mais rien ne
pouvoit les écarter, ni les empêcher de renouveler
leurs attaques contre celui qui étoit pris , et ils finis-
soient par le dévorer jusqu'aux os. Nous avons remar-
qué , eu cette occasion , que c’est une erreur de croire
que le requin est obligé ile se tourner sur le dus pour
568 H1S T OER:E
: : “
requin mâle a d’ailleurs, entre chaque na-
geoire de l’auus et celte dernière ouverture ,
une appendice douze fois plus longue que
saisir sa proie ; ceux-ci n’avoient aucun besoin d’exé-
cuter ce mouvement.
» L'état de guerre, qui subsiste entre les marins et
ces animaux voraces, fournit d’abord beaucoup d’amu-
sement à l'équipage. Les matelots prenoient un requin
au harpon, ou de quelque autre manière , pour régaler
les autres avec celui-là; mais ce divertissement avoit
le fâcheux effet de les attirer en grand nombre autour
du vaissean ; et sachant que le maître d'équipage et
un des midshipmen avoient pensé en être les victimes,
et que peu s’en fallût qu’ils n’eussent été arrachés du
canot par un requin d’une taille énorme qu’ils avoient
harponné au milieu d’une cinquantaine de ces mons-
tres, je crus nécessaire de défendre à lavenir cette
espèce de jeu qui , indépendamment des conséquences
funestes qu’il pouvoit avoir, étoit trop cruel pour
qu’on le regardât sans peine. Ces requins paroissoient
être de trois espèces différentes. Les plus nombreux
étoient tigrés et marqués de belles raies sur les côtés ;
les autres bruns ou bleus; et, ce qui est singulier,
quoique ceux des deux premières espèces fussent
dévorés par les autres aussitôt qu’ils étoient pris, si
un requin bleu étoit pris et même tué , et sa chair
coupée en morceaux et jetée au reste de la troupe,
elle n’y touche pas ». ( Voyage de Vancouver,
tom. 111, pag. 596 de la traduction française. )
SONNINI.
large,
DES SQUALES. 56g
large, égalant dans sa plus grande dimension
ie douzième de la longueur totale du squale,
organisé à l’intérieur comme les appeudices
des mâles des raies batis, contenant cepen-
‘ant ordinairement un nombre moins grand
de parties dures et solides, mais se recour-
bant également par le bout, et servant de
même à saisir le corps de la femelle, et 4
la retenir avec force lors de l’accouplement:
Chacun des deux ovaires de la femelle du
requin est à peu près égal en grandeur à
Pune des deux portions des vaisseaux sper-
matiques du mâle.
Le tems où le mâle et la femelle se re-
cherchent et s'unissent varie suivant les cli-
mais; mais c'est presque toujours lorsque
la saison chaude de l’année à commencé de
se faire sentir qu'ils éprouvent le besoin
impérieux de se débarrasser, lune des oœnfs
qu’elle porte , et l’autre de la liqueur des-
tinée à les féconder. Ils s’'avancent alors vers
les rivages ; ils se rapprochent ; et souvent ,
lorsque le mâle a soutenu contre un rival
un combat dangereux et sanglant ; ils s'ap-
pliquent l’un contre l’autre, de manière à
faire toucher leurs anus. Maintenus dans
cette position par les appendices crochues du
mâle, par leurs efforts mutuels, et par une
Poiss, Tome II. A a
370 HISTOIRE
sorte de croisement de plusieurs nageoires
et des extrémités de leur queue, ils voguent
dans celte situation contrainte, mais qui doit
être pour eux pleine de charmes, jusqu’à ce
que la liqueur vivifiante du mâle ait animé
les œufs déjà parvenus au dégré de déve-
loppement susceptible de recevoir la vie.
Et telle est la puissance de cette flamme si
active, qui s'allume même au milieu des
eaux , et dont la chaleur pénètre jusqu’au
plus profond des abimes de la mer, que ce
male et celte femelle, qui dans d’autres
saisons seroient si redoutables l’un pour
l'autre, et ne chercheroiïent qu’à se dévorer
mutuellement s'ils étoient pressés par une
faim violente , radoucis maintenant, et cé-
dant à des affections bien différentes d’un
sentiment destructeur , mêlent sans crainte
leurs armes meurtrières, rapprochent leurs
gueules énormes et leurs queues terribles ,
et, bien loin de se donner la mort, s’ex-
poseroient à la recevoir plutôt que de se
séparer, et ne cesseroient de défendre avec
fureur l’objet de leurs vives jouissances.
Cet accouplement , plus ou moins pro-
longé , est aussi répété plus ou moins fré-
quemment pendant le tems des chaleurs,
soit que le hasard ramène le même mâle
DES SQUALES. 34
auprès de la même femelle, ou qu'il les
unisse avec de nouveaux individus. Dans
celte espèce sanguinaire, le mouvement qui
entraine le mâle vers la femelle n’a en effet
aucune constance ; il passe avec le besoin
qui l’a produit; et le requin, rendu bientôt
à ses affreux appétits, moins susceptible
encore de tendresse que le tigre le plus fé-
roce , ne connoissant ni femelle, ni famille,
ni semblable, redevenu le dépopulateur des
mers, et véritable image de la tyrannie, ne
vit plus que pour combattre, mettre à mort
et anéantir.
Ces divers accouplemens fécondent suc-
cessivement une assez grande quantité d'œufs
qui éclosent à différentes époques dans le
ventre de la mère; et de ces développemens,
commencés après des tems inégaux, il ré-
sulte que, même encore vers la fin de l'été,
la femelle donne le jour à des petits. On
sait que ces pelits sortent du veutre de leur
mère au nombre de deux ou trois à la fois,
plus fréquemment que les jeunes raies; on
a même écrit que ceux de ces squales qui
veuoient ensemble à la lumière étoient sou-
vent en nombre plus grand que trois ou
quatre : mais la longue durée de la saison,
pendant laquelle s'exécutent ces sorties
Aa 2
392 HISTOIRE
successives de jeunes requins, a empêché de
savoir avec précision quei nombre de petits
une femelle pouvoit melitre au jour pen-
dant un printems ou un été. Des observa-
tions assez multipliées et faites avec exac-
titude paroissent néanmoins prouver que ce
nombre est plus considérable qu'on ne la
pensé jusqu’à présent ; et l’on n’en sera pas
étonné si l’on se rappelle ce que nous avons
dit (1) de la fécondité des grandes espèces
de poissons , supérieure en général à celle des
petites, quoiqu’un rapport contraire ait été
reconnu dans les quadrupèdes à mamelles ,
et que plusieurs grands naturalistes ait été
tentés de le généraliser. Je ne serois point
éloigné de croire, d’après la comparaison de
plusieurs relations qui m'ont été envoyées,
que ce nombre va quelquefois au delà de
trente. J’ai même reçu une lettre du citoyen
Odiot de Saint-Léger , qui m'a assuré (2)
avoir aidé à pêcher un requin de plus de
trois mètres, ou d'environ dix pieds, de
longueur, et dans le corps duquel il avoit
trouvé une quarantaine d'œufs ou de petits
£ NS
(1) Discours sur la nature des poissons.
(2) Lettre du citoyen Odiot de Saint - Léger , da
3 juillet 1703.
DES SQUALES. 373
squales ; et cette même lettre fait mention
de l’asserlion d’un autre marin qui dit avoir
vu prendre dans la rade du fort appelé alors
Fort-Dauphin, auprès du Cap français (ile
Saint-Domingue), une femelle de requin,
dans le ventre de laquelle il compta, ainsi
que plusieurs autres personnes , quarantc-
neuf œufs ou squales déjà sortis de leur
enveloppe.
Il arrive quelquefois que les femelles se
débarrassent de leurs œufs avant qu'ils
so'ent assez développés pour éclore ; mais,
comme cette expulsion prématurée a lieu
moins souvent pour les requins et les autres
squales que pour les raies, on a connu la
forme des œufs des premiers plus ditflcile-
ment que celle des œufs des raies. Ces en-
veloppes que l’on a prises pendant long-
tems, ainsi que celles des jeunes raies, non
pas pour de simples coques, mais pour des
animaux particuliers, présentent presque
entièrement la même substance, la même
couleur et la même forme que les œufs des
raies; mais leurs quatre angles, au lieu de
montrer de courtes prolongations, sont ter-
minés par des filamens extrêmement déliés,
et si longs que nous en avons mesuré de
cent sept centimètres (près de quarante
À a 3
374 LAS T 06 TRE
pouces) de longueur, dans les coins d’une
coque qui n’avoit que huit centimètres (trois
pouces ou environ) dans sa plus grande
dimension (1).
(1) Les anciens ont écrit que des poissons , et
sur-tout les requins , aussi bien que quelques autres
espèces de squales, recevoient dans leur estomac leurs
petits , lorsque la crainte de quelque danger les obli-
geoit à se cacher , et qu’ils les rendoient ensuite sans
être endommagés. Rondelet dit avoir trouvé dans
l'estomac d’uu squale-renard plusieurs petits encore
vivaus, et il en déduit une nouvelle preuve en faveur
du sentiment des anciens I] condamne même comme
une erreur la persuasion où étoient les pêcheurs , que
ces poissons devoient servir de nourriture aux gros;
et croyant prévenir tontes les objections, il ajoute
que la longueur de la queue n’est point an obstacle à
l'introduction des petits dans l’estomac des gros, cette
partie étant alors irès-souple , susceptible de se plier
en tout sens, et n'ayant point encore acquis cette
roideur qu’on observe dans les grands poissons. Gesner,
Aldrovande et Ray , en répétant l’opinion de Ron-
delet , qui est celle des anciens, ont paru lui donner
an certain dégré de vraisemblance. Willis s'efforce de
la rendre probable ( Descript. anatomique de l’émis-
sole); mais Broussonet le combat et la rejette comme
une erreur. ( Voyez les Mémoires de l'académie des
sciences , année 1780, et le Journal de physique du
mois de janvier 1785 , pag. 54.) Cependant un savant
très -estimable , feu le docteur Hermann de Stras-
bourg, a entrepris de la défendre ; il se fonda sur des
DES SQUATES %A
Lorsque le requin est sorti de son œuf, et
2
qu’il a étendu librement tous ses membres,
œm—
observations faites aux Indes par M. John, et que
Bloch lui avoit adressées. Les silures , suivant ces
observations, cachent leurs œufs et leurs petits dans
la bouche , chose, dit M. John, généralement connue
aux Indes, et les pêcheurs trouvant très - souvent
tout à la fois des œufs et des petits dans la bouche
de ces silures, s’imaginent que c’est par-là qu’ils les
mettent au monde. Il semble, ajoute l’observateur ,
que c’est pour la sûreté de leur progéniture , et pour
la mettre à l’abri des animaux voraces, que la Nature
a doué ces poissons d’un pareil instinct; instinct par-
ticulier et presque unique ; car nous savons que
presque généralement les poissons n’ont aucun soin
de leurs petits, mais que les espèces carnivores de
cette classe avalent indistinctement les petits indi-
vidus , sans en excepter ceux auxquels ils ont donné
la vie. Le docteur Hermann s'appuie de cette obser-
vation pour confirmer le sentiment des anciens au
sujet des squales, sentiment qu'il avoit déjà adopté
dans ses Tables d’affinité , pag. 300 ; et il en conclut
que le fait rapporté sur ces poissons n’est pas fabuleux,
comme Broussonet voudroit le faire penser. (Voyez
la Lettre de J. Hermann à Millin , dans le Magasin
encyclopédique , tom. 1, 1766 , pag. 290.) Ceci prouve
que lon est encore bien loin de connoître toutes les
opérations de la Nature, qu'il est plus intéressant
d'observer que d'en faire des sujets de dissertation.
SONNINI.
À à 4
376 HISTOTRE
il n’a encore que près de deux décimètres ;
ou quelques pouces, de longueur; et nous
ignorons quel uombre d'années doit s’écou-
ler avant qu’il présente celle de dix mètres,
ou de plus de trente pieds. Mais à peine
a-t-il atteint quelques degrés de cet immense
développement, qu’il se montre avec toute
sa voracité. Il n'arrive que lentement, et
par des différences très - nombreuses, au
plus haut point de sa grandeur et de sa
puissance : mais il parvient, pour ainsi dire,
tout d’un coup à la plus grande intensité
de ses appétits véhémens; il n’a pas encore
une masse très-étendue à entretenir, ni des
armes bien redoutables pour exercer ses
fureurs, et déjà il est avide de proie : la féro-
cité est son essence et devance sa force.
Quelquefois le défaut d’alimens plus subs-
tantiels Poblige de se contenter de sépies,
de mollusques, ou d’autres vers marins :
mais ce sont les plus grands animaux qu'il
recherche avec le plus d’ardeur (1); et, par
une suite de la perfection de son odorat,
ainsi que de la préférence qu’elle lui donne
(1) Les phoques, les thons et les morues sont lez
gnimaux qu’il recherche de préférence.
SONNINI:
DES SQUALES. 373
pour les substances dont l'odeur est la plus
exaltée, il est sur-tout très-empressé de
courir par-tout où lattirent des corps
morts de poissons ou de quadrupèdes, et
des cadavres humains (1). 11 s'attache, par
exemple , aux vaisseaux négriers, qui,
malgré les lumières de la philosophie, la
voix du vérilable intérêt, et le cri plaintif
de humanité outragée, partent encore des
(1) Le requin a , dit-on, l’odorat si fin, qu’on peut
l’attirer de quatre, ciuq et même six lieues avec
quelques lambeaux de chair en putréfaction. Les
islandais ont coutume d’attacher à leurs canots nne
chaîne terminée par un gros crochet, auquel tient
pour appät une tête de veau marin ou un sac plein de
charogne.
Le sens de l’ouie n’est pas moins délicat dans le
requin que celui de lPodorat ; dès qu'il entend la voix
des hommes, il sort des profondeurs de la mer, et
approche des vaisseaux et des canots. C’est par cette
raison que les navigateurs ne voient de ces poissons
que pendant les calmes; le bruit des vents et des
vagues ne les empêche point alors de recevoir les
impressions du son ni les émanalions odcrantes :
aussi, lorsque les naturels du Groenland naviguent
avec leurs frèles canots formés de peau de requin , et
où un seul homme peut se tenir , ils observent le plus
grand silence dans les endroits fréquentés par les
requins , dans la crainte de devenir les victimes de |
ces animaux féroces. SONNINTI.
378 HIS TOPRE
côtes de la malheureuse Afrique. Digne
compagnon de tant de cruels conducteurs
de ces funestes embarcations, 1l les escorte
avec constance, il les suit avec acharnement
jusques dans les ports des colonies améri-
caiues, et, se montrant sans cesse autour
des bâtimens, s’agitant à la surface de l’eau,
et, pour ainsi dire, sa gueule toujours ou-
verte, il y attend, pour les engloutir, les
cadavres des noirs qui succombent sous le
poids de l'esclavage, ou aux fatigues d’une
dure traversée. On a vu un de ces cadavres
de noir pendre au bout d’une vergue élevée
de plus de six mètres ( vingt pieds) au dessus
de l’eau de la mer, et un requin s’élancer
à plusieurs reprises vers cette dépouille, y
atteindre enfin, et la dépecer sans crainte
membre par membre (1). Quelle énergie
dans les muscles de la queue et de la partie
postérieure du corps ne doit-on pas supposer,
pour qu'un animal aussi gros et aussi pesant
puisse s'élever comme une flèche à une aussi
grande hauteur (2)! Quelle preuve de la
force que nous avons cru lui attribuer!
Comment être surpris maintenant des autres
(1) Manuscrits de Commerson.
(2) Discours sur la nature des poissons.
DÉS 'SOCGANTES 3%
traits de l’histoire de la voracité des requins ?
Et tous les navigateurs ne savent-ils pas
quel danger court un passager qui tombe
dans la mer, auprès des endroits les plus
infestés par ces añimaux? S'il s'efforce de
se sauver à la nage, bientôt il se sent saisi
par un de ces squales qui lentraîne au
fond des ondes. Si lon parvient à jeter jus-
qu’à lui une corde secourable, et à l’élever
au dessus des flots, le requin s’élance et se
retourne avec tant de promptitude que,
malgré la position de louverture de sa
bouche au dessous de son museau, il arrête
le malheureux qui se croyoit près de lui
échapper, le déchire en lambeaux, et le
dévore aux yeux de ses compagnons effrayés.
Oh! quels périls environnent donc la vie de
l’homme, et sur la terre et sur les ondes! et
pourquoi faut-il que ses passons aveugles
ajoutent à chaque instant à ceux qui le
menacent |
On a vu quelquefois cependant des ma-
rins surpris par le requin au milieu de l’eau,
profiter, pour s'échapper, des effets de cette
situation de la bouche de ce squale dans la
partie inférieure de sa tête, et de la néces-
sité de se retourner, à laquelle cet animal
est condamné par cette conformation, lors-
580 HISTOIRE
qu'il veut saisir les objets qui ne sont pas
placés au dessous de lui.
C’est par une suite de cette même néces-
sité que, lorsque les requins s’attaquent
mutuellement (car comment des êtres aussi
atroces, comment les tigres de la mer pour-
roient-ils conserver la paix entre eux ?),
ils élèvent au dessus de l’eau, et leur tête
et la partie antérieure de leur corps; et
c'est alors que, faisant briller leurs yeux
sanguinolens et enflammés de colère, ils se
portent des coups si terribles que, suivant
plusieurs voyageurs, la surface des ondes en
retentit au loin (à).
Un seul requin a suffi, près du bane de
Terre-Neuve, pour déranger toutes les
opérations relatives à la pêche de la morue,
soit en se nourrissant d’une grande quantité
des morues que l'on avoit prises, et en
éloignant plusieurs des autres, soit en mor-
dant aux appâts, et en détruisant les lignes
disposées par les pêcheurs.
Mas quel est donc le moyen que l'en
peui eimployer pour délivrer les mers d’un
squale aussi dangereux ?
G) Voyez particulièrement Bosman , dans sa Des-
exiption de la Gninée.
|
DES SOUAAMLIE S 5%
Hy a, sur les côtes d'Afrique, des nègres
assez hardis pour s'avancer en nageant vers
uu requin, le harceler, prendre le mo-
ment où l'animal se retourne, et lui fendre
le ventre avec une arme tranchante (2):
qe
(1) Quoique la plupart des voyageurs en Afrique
aient parlé de l’aitaque du requin à main armée par
les nègres comme d’un fait certain , il vient d’être
démenti par un voyageur modernc dans les mêmes
contrées. De Grandpré assure que c’est un conte. «Il
est faux , dit - il , que les noirs de la côte de Guinée
aient Je talent de combattre et de vaincre le requin à
la uage : ce monstre est d’une force , d’une agilité qui
lui donnent sur les hommes une telle supériorité dans
son élément ; qu’il n’en voit jamais sans en faire sa
proie. Les noirs, quoique assez bons nageurs, sont
d’ailleurs si peu courageux, que, loin de chercher à
l’attaquer , ils redoutent au contraire de s’exposer à
le rencontrer ». Voyage à la côte occidentale d'Afrique,
tome Ï, pag. 57.) D’après les Relations du capitaine
Dixon , les naturels des îies Sandwich ne craignent
point les requins, et les femmes mêmes qui nagent ,
ainsi que les hommes, avec une agilité surprenante,
ne sont nullement intimidés à l’approche d’un de ces
grands animaux. Les anglais virent souvent de ces
insulaires s’élancer de leurs pirogues dans la mer
pour en retirer des entrailles de cochons que nos
matelots y avoient jetées, au moment même où un
requin cherchoit à s’en emparer. ( Voyage autour du
monde, traduct. franç. tom. Il, pag. 105.)
SOSNINI:
382 L'LS T OR FE
Mais, dans presque toutes les mers, on a
recours à un procédé moins périlleux pour
pêcher le requin. On préfère un tems
calme (1); et sur quelques rivages, comme,
par exemple, sur ceux d'Islande (2), on
attend les nuits les plus longues et les plus
obscures. On prépare un hamecon garni
ordinairement d’une pièce de lard, et atta-
ché à une chaîne de fer longue et forte (5).
(1) C’est toujours pendant le calme que les naviga-
teurs voient les requins en pleine mer. (Voyez ma
note à la page 577.) SONNINI.
(2) Anderson, Histoire naturelle du Groenland,
de l'Islande, etc.
(3) Lorsqu'un requin se montre en mer près d’un
vaisseau , l’on a tout le tems'de faire les préparatifs
pour s’en emparer. On prend un croc, un crochet
quelconque , pourvu qu'il soit fort et qu’il tienne à
un bout de chaîne; on y accroche un morceau de
lard , de viande salée ou autre , on le jette à l’arrière
du vaisseau , et on l’y attache par un fort cordage.
Le bruit , la vue des hommes , la chûte de l’hamecçon
grossier qu’on laisse tomber à l’eau sans précaution,
n’intimide point le requin; bientôt il s’avance lente-
ment vers l’appät, se tourne un peu sur le côté et
V’avale : on l’amène ainsi accroché le long d’un des
Îlancs du vaisseau , on l’y laisse quelque tems à la
traine pour que ses forces s’épuisent , et on le hisse à
bord , en prenant garde, lorsqu'il est étendu sur le
DES SQUALES. 383
S1 le requin n’est pas très-affamé, il s’'ap-
proche de l’appât, tourne autour, l’examine,
pour ainsi dire, s’en éloigne , revient, com-
mence à l’engloutir, et en détache sa gueule
déjà ensanglantée. Si alors on feint de reti-
rer l’appât hors de l’eau, ses appétits se
réveillent, son avidité se ranime, il se jette
sur l’appât, l’avale goulument, et veut se
replonger dans les abîmes de l'Océan. Mais,
comme 1l se sent retenu par la chaîne, il
la tire avec violence pour l’arracher et l’en-
trainer : ne pouvant vaincre la résistance
qu'il éprouve, il s’'élance, il bondit, il devient
furieux ; et, suivant plusieurs relations (25
il s'efforce de vomir tout ce qu’il a pris, et
de retourner , en quelque sorte, son esto-
mac. Lorsqu'il s’est débattu pendant long-
tems, et que ses forces commencent à être
épuisées, on tire assez la chaîne de fer vers
pont , de ne point approcher de sa queue, dont les
derniers mouvemens sont encore très-redoutables , et
dont un coup est capable de casser la jambe à un
homme. Telle est la manière toute simple , en usage
parmi les navigateurs, pour s’emparer des requins
que l’on voit souvent autour des vaisseaux, pendant
le calme, sur-tout dans les mers de la zone torride.
SONNINI.
(1) Labat, Voyage en Afrique et en Amérique.
254% His TOÏRE
la côte ou le vaisseau pécheur, pour que Îa
tête du squale paroisse hors de l'eau ; on
«approche des cordes avec des nœuds cou-
lans, dans lesquels on engage son corps,
que l’on serre étroitement, sur-tout vers
l’origine de la queue ; et après lavoir ainsi
entouré de liens, on lenlève et on le trans-
porte sur le bâtiment où sur le rivage, où
l’on n’achève de le mettre à mort qu’en
yrenant les plus grandes précautions contre
sa terrible morsure et les coups que sa
queue peut encore donner. Au reste, ce
west que difficilement qu'on lui Ôôte la vie;
il résisie sans périr à de larges blessures ; et
lorsqu'il a expiré, on voit encore pendant
long-tems les différentes parties de son
corps donner tous les signes d’une grande
irritabilité (2):
(1) L'on a va des requins pris au croc, dont j'ai
parlé dans ma note précédente, se donner de si vives
secousses , qu’ils parvenoient à se dégager en laissant
une portion de leur mâchoire. Maïs, ce qui paroïîtroit
incroyable, si l’on ne connoïssoit l’affreuse voracité
de ces poissons , est ce que raconte Pernetty dans son
Voyage aux îles Malouines , tom. 1, pag. 161. Un
requin avoit , en se décrochant , rompu une pièce de
sa mâchoire , qui resta avec la viande dont on avoit
eouvert l’hamegçon. Sans s'étonner ui se rebuter de
La
D'AS::S QUIA LES: 385
La chair du requin est dure, coriace, de
mauvais goût, et diflicile à digérer. Les
nègres de la Guinée, et particulièrement
ceux de la côte d'Or, s’en nourrissent cepen-
dant, et ôtent à cet aliment presque toute
sa dureté en le gardant très-long-tems. On
mange aussi sur plusieurs côtes de la Méditer-
ranée les très-petits requins que l’on trouve
dans le ventre de leur mère, et près de
venir à la lumière ; et l’on n’y dédaigne pas
quelquefois le dessous du ventre des grands
requins, auquel on fait subir diverses pré-
parations pour lui ôter sa qualité coriace et
son goût désagréable. Cetie même chair du
bas-ventre est plus recherchée dans plusieurs
cet échec , le même requin ayant aperçu l’appât qu’on
lui jeta de nouveau , s’élança sur lui , et dévora et le
lard et le morceau de sa propre mâchoire, sans être
retenu par le crochet, et il revint une troisième fois à la
charge. Pendant ces manœuvres d’une insatiable glou-
tonnerie, on tira plusieurs coups de fusil sur cet ani-
mal si prodigieusement vorace ; maïs , soit que la balle
fût mal dirigée, soit qu’elle ne pénétrât pas les chairs,,
il n’en fut point troublé , et continua à roderautour
de l’appat.
Les hameçons que les naturels des îles Sandwich
destinent à la pêche du requin , sont faits de bois et
très-grauds. SONNINI.
Poiss. Tome 111 Bb
586 IL LS) T'OFMRBTE
contrées septentrionales, telles que la Nor-
vège et l'Islande, où on la fait sécher avec
soin, en la ienant suspendue à lair pendant
plus d’une année. Les islandais font d'ailleurs
un grand usage de la graisse du requin :
comme eile a la propriété de se conserver
long-tems, et de se durcir en se séchant,
ils s’en servent à la place du lard de co-
chon, ou la font bouillir pour en tirer de
l'huile. Mais c’est sur-tout le foie du requin
qui leur fournit cette huile qu'ils nomment
thran, et dont un seul foie peut donner un
grand nombre de litres ou pintes (1) (2).
(1) Suivant Pontoppidan , auteur d’une Histoire
naturelle de la Norvège, le foie d’un squale de vingt
pieds de longueur fournit communément deux tonnes
et demie d'huile.
(2) La chair du requin se compose de deux couches,
dont l’extérieure est rouge et tendre , et la seconde
blanche et moins tendre (Histoire naturelle des pois-
sons par Bloch ; Histoire de la lamie ) ; mais ni l’une
ni l’autre de ces couches n’est mangeable que pour
des hommes affamés, peu délicats , ou privés depuis
long-tems d’alimens frais. Les matelots, réduits à ne
vivre que de salaisons, trouvent quelquefois un régal
dans un plat de requin, et les marins anglais, qui font
avec ce poisson ce qu’ils appellent un chouder , ne le
trouvent pas mauvais. Quant à moi, à quelque sauce
qu'on l’eût apprêté , il m'a toujours paru de fort
DÉS SOUALES 4%
On a écrit que la cervelle des requins,
séchée et mise en poudre, étoit apérilive et
mauvais goût , et d'aussi mauvaise odeur. Un certain
Archestratus, dans Athénée, plaint fort ceux auxquels
le requin inspire du dégoût, parce que ce squale
mange les homimes ; il vante, comme un morceau très-
délicat, le ventre de ce poisson, et il enseigne la
manière de l’accommoder; je doute fort néanmoins
qu'avec tout l’assaisonnement que prescrit Arches-
tratns, l’on fasse jamais un bon mets d’aucune des
parties du requin. Mais, comme les goûts des diffé-
rens peuples de la terre ne se ressemblent pas plus
que leur physionomie, le requin, tout mauvais qu’il
nous paroît, est un aliment agréable pour les naturels
des îles Sandwich.
Dans les régions du nord, comme en fslande, au
Groenland , etc. , on ne mauge la chair du requin que
lorsqu'elle est à demi - putréfiée , ce qui ne doit pas
la rendre ni plus ragoûtante ni d’une saveur plus
agréable. Aussi Othon Fabricius ( Faun. groenland.
pag. 129 ) observe-t-il que les groenlandais , quoiqu’en
géncral fort peu délicats, ne font pas tous usage de
cet aliment.
Il est même des circonstances où la chair du requin
peut contracter une qualité mal-faisante et même
vénéneuse ; l’on en a plusieurs exemples, parmi les-
quels j’en citerai un récent. Les papiers publics de
Londres, du 22 juillet 1802 , rendirent compte d’un
accident arrivé à l'équipage du navire le Reward,
capitaine Leach , revenant de la Jamaïque. Sept
hommes avoient péri pendant la traversée pour avoir
Bb 2
388 ES F'OMRBLE
diurétique. On a vanté les vertus des dents
de ces animaux, également réduites en
poudre, pour arrêter le cours du ventre ;
guérir les hémorragies, provoquer les urines,
détruire la pierre dans la vessie; et ce sont
ces mêmes dents de requin qui, enchâssées
dans des métaux plus ou moins précieux,
EE ESS PES SN UES MED ASSET LAS DCS UE NS ON NES SE SEE PE GORE EE TS
mangé du requin, et prinripalement du foie de ce
poisson. Plusieurs d’entre eux éloient devenus fous
avant de mourir.
Mais cette chair de requin, mauvaise et quelquefois
dangereuse comme aliment , coupée par morceaux,
est un excellent appât pour la pêche des autres pois-
sons , et sur - tout pour celle des crabes ct des écre-
visses ; il suffit, pour prendre ces dernicrs, de plonger
dans l’eau des paniers où l’on met des morceaux de
requin.
En Norvège on prépare avec la peau du requin
un cuir qui sert à faire des harnoiïs de chevaux; en
Hlande on en fait des souliers ; au Groenland on polit
avec cette peau les bâtons des tentes, et l’on en fait
des sacs pour renfermer le lard des phoques.
Le seul avantage de quelque valeur que produise Ja
pêche des requins est l'huile qu’on retire de leur foie,
Cette huile, qui s'emploie dans les manufactures, par-
ticulièrement dans les tanneries et sert à brûler, a été
souvent d’un grand secours aux navigateurs qui, dans
des voyages de long cours, avoient consommé leurs
provisions, pour éclairer l'habitacle.
| SONNINI.
DÉS: SOU AÏLE S: 38
ont été portées en amulettes pour calmer
les douleurs de dents, et préserver du plus
grand des maux, de celui de la peur. Ces
amulettes ont entièrement perdu leur crédit,
et nous ne voyons aucune cause de diffé-
rence entre les propriétés de la poudre des
dents ou de la cervelle des requins, et celles
de la cervelle desséchée ou des dents broyées
des autres poissons.
Malgré les divers usages auxquels les arts
emploient la peau du requin, ce squale seroit
donc peu recherché dans les contrées où un
climat tempéré, une population nombreuse;
el une industrie active produisent en abon-
dance des alimens sains et agréables, s1 sa
puissance n’étoit pas très-dangereuse. Lors-
qu’on lui tend des pièges, lorsqu'on s'avance
pour le combattre, ce n’est pas uniquement
une proie ulile que lon cherche à saisir ,
mais un ennemi acharné que l’on veut
anéantir, 11 a le sort de tout ce qui inspire
un grand effroi : on l’allaque dès qu'on peut
espérer de le vaincre ; on le poursuit parce
qu’on le redoute; il périt parce qu'il peut
donner la mort ; et telle est en tout la des-
tinée des êtres dont la force paroît en quelque
sorte sans égale. De petits vers, de foibles
ascarides tourmentent souvent dans son
Bb 5
3q0 HIS TOLRE
intérieur le plus énorme requin ; ils déchirent
ses entrailles sans avoir rien à craindre de
sa prussance. D'autres animaux, presque
autant sans défense relativement à sa force,
des poissons mal armés, tels que l’échène ré-
mora, peuvent aussi impunément s'attacher
à sa surface extérieure. Presque toujours,
à la vérilé, sa peau dure et tuberculeuse
l'empêche de s’apercevoir de la présence de
ces animaux ; mais, si quelquefois ils s’ac-
crochent à quelque partie plus sensible, le
requin fait de vains efforts pour échapper
a la douleur; et le poisson qui n’a presque
reçu aucun moyen de nuire est pour lui au
nuilieu des eaux ce que l’aiguillon d’un seul
insecte est pour le ügre le plus furieux au
milieu des sables ardens de l'Afrique.
Les requins de dix mètres, ou d’un peu
plus de trente pieds de longueur, étant les
plus grands des poissons qui habitent la mer
Méditerranée , et surpassant par leurs di-
mensions la plupart des cétacés que l’on voit
dans ses eaux, c’est vraisemblablement le
squale dont nous essayons de présenter les
traits, qu'ont eu en vue les inventeurs des
mythologies, ou les auteurs des opinions
religieuses adoptées par les grecs et par les
autres peuples placés sur les rivages de cette
DES SQUALES. 591
mème mer. Il paroît que c’est dans le vaste
estomac d'un immense requin qu'ils ont
annoncé qu'un de leurs héros ou de leurs
demi-dieux avoit vécu pendant trois jours
et trois nuits; et ce qui doit faire croire
d'autant plus aisément qu'ils ont dans leur
récit voulu parler de ce squale, et qu’ils
n'ont désigné aucun des autres animaux
marins qu'ils comprenoient avec ce poisson
sous la dénomination générale de cete, c’est
que lon a écrit qu’un très-long requin
pouvoit avoir l’œsophage et l'estomac assez
étendus pour engloutir de très-grands ani-
maux. sans les blesser, et pour les rendre
encore en vie à la lumiére.
Les requins sont très-répandus dans toutes
les mers. Il n’est donc pas surprenant que
leurs dépouilles pétrifiées, et plus ou moins
entières , se trouvent dans un si grand nombre
de montagnes et d’autres endroits du globe
autrefois recouverts par les eaux de l'Océan.
On a découvert une de ces dépouilles presque
complette dans l’intérieur du Monte-Bolca ,
montagne volcanique des environs de Vé-
ronne, célèbre par les pétrifications de pois-
sons qu’elle renferme , et qui, devenue depuis
le dix-huitième siècle l’objet des recherches
de savans véronais , leur a fourni plusieurs
Bb 4
1020 RES TOUTE
collections précieuses (1),et particulièrement
celle que l’on a due aux soins éclairés de
M. Vincent Bozza et du comte Jean-Bapliste
Gazola. C’est à cette dernière collection
qu'apparlient ce requin pétrifié qui a près
de sept décimètres ( vingt-cinq pouces six
lignes ) de longueur , et dont on peut voir
la figure dans l’Ichthyologie véronaise (2),
bel ouvrage que publie dans ce moment
une société de physiciens de Véronnie. Mais
ilest rare de voir , dans les différentes couches
du globe, des restes un peu entiers de re-
quin ; on n’en trouve ordinairement que des
fragmens; et celles des portions de cet ani-
mal, qui sont répandues presque dans toutes
les contrées, sont ses dents amenées à un état
de pétrification plus ou moins complet. Ces
parties sont les substances les plus dures de
toutes celles qui composent le corps du re-
quin ; il est donc naturel qu’elles soient les
plus communes dans les couches de la terre.
Les premières dont les naturaliles se soient
(1) Deux de ces riches collections, formées l’une
par Pillustre marquis Scipion Maffei, et l’autre par
M. Jean - Jacques Snada , ont appartenu au célèbre
Séguier de Nimes, et ont été dans le tems transportées
dans cette dernière ville.
(2) Seconde partie , pag. 10, pli, fig. r.
DES S'QNUARE.S. 39
beaucoup occupés avoient été apportées de
île de Malte, où l’on en voit une très-
grande quantité ; et comme ces corps pé-
trifiés, ou ces espèces de pierres d’une forme
extraordinaire pour beaucoup de personnes,
se sont liés, dans le tems et dans beaucoup
de têtes, avec l’histoire de l’arrivée de Saint-
Paui à Malte, ainsi qu'avec la tradition de
grands serpens qui infestoient cette île, et
que cet apôtre changea en pierres, on a
voulu retrouver dans ces dents de requins
les langues pétrifiées des serpens métamor-
phosés par Saint-Paul. Cette erreur, très-
répandue, comme toutes celles qui se sont
mêlées avec des idées religieuses, a même
été assez générale pour faire donner à ces
parlies de requin un nom qui rappelât l’opi-
nion que l’on avoit sur leur origine; et on
les a distinguées par la dénomination de
glossopètres, qui signifie langues de pierres
ou pétrifiées. Il auroit été plus convenable
de les appeler , avec quelques auteurs,
odontopètres, c’est-à-dire, dents pétrifiées ,
ou ichthyodontes, qui veut dire dents de
poisson , ou encore mieux, lamiodontes,
dents de lamie ou requin (1).
(1) L’on ne trouve peut-être nulle part une plus
304 HISTOMRRE
Au reste, on remarque dans quelques
cabinets de ces dents de requin, ou lamio-
dontes, pétrifiées, d’une grandeur très-con-
sidérable. Et comme, lorsqu'on a su que ces
dépouilles avoient appartenu à un requin,
on leur a attribué les mêmes vertus chimé-
riques qu'aux dents de cet animal non pétri-
fiées et non fossiles, on voit pourquoi plu-
sieurs museum présentent de ces lamiodontes
enchâssées avec art dans de l’argent ou du
cuivre, et montées de manière à pouvoir
êlre suspendues et portées au cou en guise
d’amulettes.
Il y a, dans le museum national d'his-
toire naturelle , une très-grande dent fossile
et pétrifiée, qui réunit à un émail assez bien
grande quantité de glossopètres qu’à Malte ct en
Sicile; jy en ai vu de très-grandes et dont la base
approchoit de la largeur de la main.
M. Pallas a vu des glossopètres de toutes cran dents
et d’un uoir bleuâtre , sur les rives du grand et du
petit Souvarisch en Sibérie , dans une argile bleue,
sablonneuse et dure. ( Voyage en Russie et dans l'Asie
septentrionale , tom. IT , in-4° de la traduction franc.
. 404.) Bartram a découvert aussi des dents pétri-
fiées de requin en Géorgie, près de Savannah. (Voyage
dans les parties sud de l'Amérique septentrionale,
traduct. franc. tom. II, p. 85.) Sonnixr.
DES SQUALES.. 39
conservé tous les caractères des dents de
requin. Elle a été trouvée aux environs de
Dax , auprès des Pyrénées, et envoyée dan
le tems au museum par M. de Borda. J'ai
mesuré avec exactitude la partie émaillée
qui, dans l'anunal vivant, paroissoit hors des
alvéoles. J'ai trouvé que le plus grand côté
du triangle, formé par cette partie émaillée,
avoit cent quinze millimètres (quatre pouces
trois lignes) de longueur : la note suivante (1)
indiquera les autres dimensions. J'ai desiré
de savoir quelle grandeur on pouvoit sup-
poser dans le requin auquel cette dent a
millim. pouc. ligu.
(1) Plus grande largeur de la partie
émaillée delà dent... ete, go Pa 03
Longueur de la partie émaillée mesu-
rée sur le côté convexe , et depuis le
sommet de langle saillant jusqu’à celui
de l'angle rentrant foriné par la base de
cette même partie émaillée. . . . . 82 3
Longueur de la partie émaillée me-
surée sur le côté concave , et depuis le
sommet de l'angle saillant jusqu’à celui
de l'angle rentrant formé par la base
de cette même partie émaillée. . . . 82 3
Je n’ai point cherché à connoître les dimensions
de la portion non émaillée, parce que je ne pouvois
pas être sûr de son intégrité.
396 ETS FOR E
appartenu. J'ai, en conséquence, pris avec
exactitude la mesure des dents d’un grand
nombre de requins parvenus à différens dé-
grés de développement. J'ai comparé les
dimensions de ces dents avec celles de ces
animaux. J'ai vu qu’elles ne croissoient pas
dans une proportion aussi grande que la
longueur totale des requins, et que lorsque
ces squales avoient obtenu une taille un.
peu considérable , leurs dents étoient plus
petites qu’on ne l’auroit pensé d’après celles.
des jeunes requins. On ne pourra déterminer
fa loi de ces rapports que lorsqu'on aura
observé plusieurs requins beaucoup plus près
du dernier terme de leur croissance que ceux
que j'ai examinés. Mais il me paroît déjà
prouvé, par le résultat de mes recherches,
que nous serons en deçà de la vérité, bien
lom d’être au delà , en attribuant au requin
dont une des dents a été découverte auprès
des Pyrénées, une longueur aussi supérieure
a celle du plus grand côté de la parte
émaullée de cette dent fossile , que la lon-
ueur totale d’un jeune requin que j'ai me-
suré très-exactement l’emportoit sur le côté
analogue de ses plus grandes dents. Ce côlé
analogue avoit dans le jeune requin cinq
millimètres de long, et lanimal en avoit
D ES: $S QU'A LES. 597
mille. Le jeune requin étoit donc deux cents
fois plus long que le plus grand côté de la
partie émaillée de ses denis les plus déve-
loppées. On doit donc penser que le requin
dont une portion de la dépouiile a été trou-
vée auprès de Dax éloit au moins deux cents
fois plus long que le plus grand côlé de la
partie émailiée de sa dent fossile. Nous ve-
nons de voir que ce côlé avoit cent quinze
millimètres de longueur; on peut donc assurer
que le requin étoit long au moins de vingt-
trois millimètres, ou, ce qui est la même
chose, de vingt-trois mètres (soixante-dix
pieds neuf pouces ). Maintenant, si nous
déterminons les dimens'ons que sa gueules
devoit présenter, d’après celles que nous a
montrées la bouche d’un nombre considé-
rable de requins de différentes tailles, nous
verrons que le contour de sa mâchoire su-
périeure devoit être au moins de treize pieds
trois pouces ( quatre cent vingt-huit centi-
mètres )}; et comme les parties molles qui
réunissent les deux mâchoires peuvent se
prêter à une assez grande extension, on doit
dire que la circonférence totale de l’ouver-
ture de la bouche étoit au moins de vingt-
pieds, et que cette même ouverture avoit
près de neuf pieds de diamètre moyen.
398 . ES POBR'E
Quel abime dévorani! Quelle grandeur ;
quelles armes, quelle puissance présentoit
donc ce squale géant qui exerçoit ses ra-
vages au milieu de l'Océan, à cette époque
reculée au delà des tems historiques, où la
nier couvroit encore la France, ou, pour
mieux dire, la Gaule méridionale, et
baignoit de ses eaux les hautes somnmnités
de la chaîne des Pyrénées! Et que l’on ne
dise pas que cet animal remarquable étoit
de la famille ou du genre des squales, mais
qu'il appartenoit à une espèce différente
de celle des requins de nos jours. Tout
œil exercé à reconnoître les caractères dis-
‘tinctufs des animaux , et sur-tout ceux des
poissons, Verra aisément sur la dent fos-
sile des environs de Dax non seulement les
traits de la famille des squales, mais encore
ceux des requins proprement dits. EE si,
rejetant des rapports que l’on regarderoit
comme trop vagues, on vouloit rapporter
cette dent de Dax à un des squales dont
nous allons nous occuper, on l’attribueroit
à une espèce beaucoup plus petite mainte-
nant que celle du requin, et on ne feroit
qu’augmenter létonnement de ceux qui ne
s'accoutument pas à supposer vingt-trois
. mètres (soixante-dix pieds ou environ) de
DÉS SOUMIES 54
longueur dans une espèce dont on ne voit
aujourd'hui que des individus de dix mètres
(trente pieds où environ).
_ Au reste, dans ces parties de l'Océan que
ne traversent pas les routes du commerce,
et dont les navigaieurs sont repoussés par
l’äpreté du climat, ou par la violence des
tempêtes, ne pourroit-on pas trouver d’im-
menses requins qui, ayant jou, dans ces
parages écartés, d’une tranquillité aussi par-
faite, ou, pour mieux dire, d’une impunité
aussi grande que ceux qui infestoient, 1l y
a plusieurs milliers d’années, les bords des
Pyrénées, y auroient vécu assez long-tems
pour y atteindre au véritable dégré d’ac-
croissement que la Nature a marqué pour
leur espèce? Quoi qu'il en soit, il n’est pas
indifférent, pour lhistoire des révolutions
du globe, de savoir que les animaux marins
dont on trouve la dépouille fossile aux en-
virons de Dax, étoient de véritables requins,
et avoient plus de soixante-dix pieds de
longueur.
400 ETS TOR E
oo mm mt
LE SQUALE TRES-GRAND (1) (2),
PAR L'A CHPEUE
S'E CO NO EU EE SE CE.
C: squale mérite bien le nom qu'il porte.
Il parvient en effet à une grandeur presque
(1) Le chien de mer très-grand. Daub. Encyc. méth.
Squalus maximus. Lin. édit. de Gmel.
Squalus dentibus conicis, pinn4 dorsali anteriore
majore. Ot. Fabric. F'aun. groenl. p. 150, n° oo.
Le très-grand chien de mer. Broussonet , Mémoires
de l’académie des sciences de Paris pour l’an 1780.
L e chien de mer très-grand. Bon. pl. de l'Enc. méth.
Brugd. Gunner , Act. nidros. 3, p. 55, tom. II *.
— Pennaut , Zool. brit. vol. ILE, p. ro1.
Principales dimensions du squale très-grand, décrit
dans la Zoologie britannique, à l’endroit que nous
venons de citer.
picds. pouces.
LonpuEUrMOtale eus, LES PARNLRE CODE
Longueur de la première nageoire du dos. I
Longueur des nagcoires pectorales. . .
Longueur des nageoires ventrales. . . .
Longueur du lobe supérieur de Ia na-
seoire. de, queue. ue RUES els en
Longueur du lobe inférieur de la même
paneoire HP Al SUIS NS uelleir el 20 Ne
D À O1
(2) En danois, ryner. Au Groenland, kabsib kannioa.
SONNINI.
aussi
DES SQUATES. %oi
aüssi considérable que celle du requin. Il
vogue , pour ainsi dire, son égal en volume
et en puissance, et il partage en quelque
sorte son empire dans les froides mers qu’il
habite. Plusieurs auteurs ont même écrit
que ses dimensions surpassoient celles du
requin : Mais nous somimes persuadés que
la supériorité resteroit à ce dernier, si on
pouvoit comparer le requin et le très-grand,
parvenus l’un et l'autre à leur entier déve-
loppement. L'opinion contraire n’a été adop-
iée que parce que le très-grand, beaucoup
moins répandu dans les mers que le requin,
ne s'éloigne guère du cercle polaire. Beau-
coup moins troublé, poursuivi, attaqué
dans les mers glaciales et reculées qu’il pré-
fère , il y parvient assez fréquemment à
un dégré d’accroissement très-avancé; et,
à proportion du nombre des individus de
chaque espèce, il est par conséquent moins
ordinaire de rencontrer de vieux requins
que de vieux squales très-grands. D'ailleurs
on a presque toujours regardé la longueur
de dix mètres, ou de trente pieds, comme
la limite de la grandeur pour le requin;
et ce dernier poisson nous paroiît, d’après
tout ce que nous avons dit, pouvoir pré-
senter même aujourd'hui, et dans des pa-
Poiss. Tome III. Ce
402 HAS T'ONR.FE
rages peu fréquentés, une dimension beau-
coup plus étendue.
Mais, si le très-2grand ne doit être placé
qu'après le requin dans l’ordre des gran-
deurs et des forces, il précède tous les
auires squales, et c’est vers trente pieds
qu'il faut supposer l’accroissement ordinaire
de cet animal. Les habitudes et la confor-
mation de ce poisson ressemblent beaucoup
à celles du requin ; mais il en diffère par
les denis, qui ne sont pas dentelées, et
qui, beaucoup moins aplaties que celles de
presque tous les autres squales, ont un peu
la forme d’un cône. On en trouve de pétri-
fiées, mais beaucoup plus rarement que de
celles du requin. La seconde nageoire du
dos, plus petite que la première, est d’ail-
leurs placée plus près de la tête que la
nageoire de lanus; et enfin l'on voit de
chaque côté de la queue, et près de sa.
nageoire, une sorte d'appendice ou de saillie
longitudinale et comme carénée. Au reste,
la peau est, comme celle du requin, épaisse,
{orte, tuberculeuse, et âpre au toucher (1).
(1) La meilleure description que nous ayons du
squale très-grand a été donnée par l’évêque Gunner,
dans les Mémoires de l’académie de Norvège; elle
DES SQUALES. 409
Nous venons de voir que le très-grand
ne quiltoit guère les mers glaciales et arc-
tiques. Cependant des tempêtes violentes, la
poursuite active d’une proie, la fuite devant
un grand nombre d’ennemis, ou d’autres
accidens le chiassent quelquefois vers des
mers plus tempérées. Nous citerons, entre
plusieurs exemples de ces migrations, celui
d’un squale très-grand dont j'ai vu la dé-
pouille à Paris en 1788, et dont on y montra
au public Ja peau préparée sous le nom de
peau de baleine, jusqu’à ce que le propriétaire
de cette dépouiile m’eût demandé le véritable
nom de cet animal. Ce poisson avoit échoué
sur le sable à Saint-Cast, près de Saint-Malo,
en décembre 198%. Il fut remorqué jusqu’à
n’est cependant rien moins que complette , au jng-
ment de Broussonet. ( Notes sur différentes espèces
de chiens de mer.)
Ce poisson, qui fréquente les côtes du Groenland,
y paroît confiné, suivant Othon Fabricius ( Fauna
groenland. p. 130 ), dans les eaux très-profondes du
golfe Kakse, dans la partie septentrionale de la
colonie de Friderichshaab ; il ne s’y montre que très-
rarement et on ne l’y pêche jamais. Ce grand animal
ne se contente pas de méduses, comme Linnæus
Va dit, mais il se ñourrit de marsouins et d’autres
petits cétacés qu’il avale tout entiers. SonNini.
Cc 2
40% HISTOIRE
ce dernier port, où il fut acheté par le
citoyen Delattre, de qui je tiens ces détails.
Au moment où ce poisson fut pris, il avoit
trente-trois pieds de longueur totale, sur
vingl-quatre pieds de circonférence à l’en-
droit de sa plus grande grosseur (1). Mais
la dessication et les autres préparalions que
lon fut obligé de faire subir à la peau
avoient réduit cette dépouille à de plus
petites dimensions; et lorsque je lexaminar,
elle n’avoit plus que vingt-cinq pieds de
longueur. En voyant ces restes, on n'étoit
pas étonné que les squales très - grands
pussent avaler de petits cétacés tout entiers,
ainsi que l’ont écrit plusieurs naturalistes (2).
MANN NT ‘NRNAER
(1) Lettre du citoyen Delattre au citoyen Lacépède,
du 20 août 1788.
(2) A la fin de l’année dernière, 1802, l’on pêcha
a six lieues de Boulogne-sur-Mer un squale très-grand.
J1 fut pris à la suite d’un combat de trente-six heures
avec une baleine de quatre-vingt-cinq pieds de long,
qui, victime aussi de son acharnement , alla échouer
sar les côtes d’Angletcrre. Ce squale pesoit environ
vingt milliers et avoit trente-un pieds de longueur to-
tale , sur vingt-quatre de circonférence ; mais sa peau,
desséchee et préparée pour être conservée, n’a plus :
que vingi-six pieds de long sur seize de circonférence.
Cette énorme dépouille va, me dit-on, être déposée aw.
museum d'histoire naturelle à Paris. Sonninr.
DÉS SOUA'LES , %oh
L'ÉMS Q U ALU RU EU.
LE SQUALE GLAUQUE (1)(2),
PAR LACÉPÉDE.
TROISIÈME ÉSPÉCE.
Ce squale présente de très-belles couleurs
lorsqu'il est en vie. Tout le dessus de sa
tête, de son corps, de sa queue et de ses
(1) Dans plusieurs départemens méridionaux , cag-
not blanc. En Norvège, haae-brand. En Angleterre,
blue shark. d
Chien de mer bleu, Daubent. Encycl. méth.
Squalus glaucus. Lin. édit. de Gmelin. — Artedi,
gen. 69, n° 13, syn. 98. — Müller, Prodrom. zool.
dan. p. 39,n° ,518, b. — Gunner, Act. nidr. 4,p.r,
tab. 1 , fig. 1. — Voyage en Islande, d’Eggert Olafs
fens. — Bloch, Histoire naturelle des poissons, troi-
sième partie, pl. LXxxvVI.
Squalus ascensionis. Obs. It. chin. p. 385.
Chien de mer bleu. Bonat. planches de l’'Encyclop:
méthodique. R
Cynocephalus glaucus, Klein , Misc. pisc. 3, p. 6;
nf 2.
Chien de mer bleu, galeus glaucus. Rondelet,
première partie, Liv. 13, chap. 5. — Gesner, Aquat:
Cc3
G0b URI S T'OMRPE
nageoires est de ce bleu verdâtre auquel
le nom de glaugue a été donné, et qui est
semblable à la nuance la plus ordinaire de
toutes celles que présentent les eaux de la
mer lorsqu'elles ne sont pas agitées par Îles
vents, mi dorées par les rayons du soleil. Ce
p. 609. — Willughby, Ichth. 49, tab. B, 8. — Ray,
Pisc. p. 20.
Squalus glaucus. Ascagne, planches d'histoire
naturelle, p.7, pl. xxxt.
Chien de mer glauque. Broussonet, Mémoires de
l'académie des sciences pour 1780.
Blue shark. Pennant , Zool. britan. 3, p. 84, n° 5.
Glaucus. Charleton, p. 127. — Duhamel, Traité
des pèches, seconde partie , sect. 9, p. 298.
Glaucus, id. canis carcharias , vulgo requiem. Plu- :
mier , dessins sur vélin du museum d’hist. nat.
Cagnot bleu. Valmont de Bomare, Dictionnaire
d'histoire naturelle.
(2) En allemand , blauer hay. En Norvège, il se
nomme encore, ae - moeren. En Islande, Laamer.
À Rome, lamiola et canosa. À O-Taïti, mow-otau. En
français, le bluet, et quelquefois le grand chien bleu,
En Languedoc, cagnot blau, c’est-à-dire, chien bleu,
- et non cagnot blanc, comme il est écrit ci-dessus.
Dans Elien, ce poisson est désigné sous le nom grec
glaukous.
Squalus fossul& triansulari in extremo dorso , fora-
minibus nullis ad oculos. Artedi , Gen. pisc. gen. 44,
6p. 15 ; et Synonym. pag. 98. SONNINI:
DES SQUALES. 407
bleu verdâtre est relevé par le blanc écla-
tant de la partie inférieure de l'animal; et
comme les anciens mythologues et les poëtes
voisins des tems héroïques w’auroient pas
manqué de voir dans cette distribution de
couleurs la représentation du manteau d’une
divinité de l'Océan, ils auroient d’autant
plus adopté la dénomination de glauque,
employée par les naturalistes pour désigner
le squale dont nous nous occupons, qu’en
indiquant la nuance qui est propre à sa peau,
elle leur auroit rappelé le nom de G/aucus,
un de leurs demi-dieux marins. Mais ce
dieu de l’onde étoit pour les anciens une
puissance tutélaire, en lhonneur de laquelle
on sacrifioit sur le rivage lorsqu'on avoit
évité la mort au milieu des tempêtes; et le
squale glauque est un être funeste, aux
armes meurtrières duquel on cherche à se
soustraire. En effet, ce squale a non seule-
ment reçu la beauté, mais encore eu la
grandeur en partage. Ïl parvient ordinaire-
ment à la longueur de quinze pieds (près
de cinq mètres); et suivant Pontoppidan,
qui a écrit l'Histoire naturelle de la Nor-
vège, el qui a pu voir un très-grand
nombre d'individus de cette espèce, le squale
glauque a quelquefois dix brasses de lon-
Gc' 4
408 HISTOIRE
gueur (1). Il est d’ailleurs très-dangereux;
parce que sa couleur empêche qu'on ne le
distingue de loin au milieu des eaux, parce
qu'il s'approche à l’improviste, et qu'il joint
a la force due à sa taille toute celle qu'il
peut tenir d'une grande audace (2).
(r) C’est- à - dire, cinquante pieds de longueur.
Suivant Ascagne , lorsqu'un squale bleu a huit pieds
de long , il en a quatre de circonférence, et il pèse
deux cents livres. SONNINI.
(2) Les squales bleus ou glauques se trouvent dans
presque toutes les mers; on les voit dans la Méditer-
ranée, la Baltique, la Manche, l'Océan septentrional,
la mer d'Amérique, celle des Indes et jusques dans
les mers australes. Sur les côtes de France et d’Angle-
terre ils suivent les thons qu’ils avalent souvent
entiers ; ils donnent aussi la chasse aux aloses , et
s’approchent des rivages en même tems que ces pois-
sons , lorsqu'ils quittent les eaux amères pour venir
fraier dans les eaux douces de nos fleuves et de nos
rivières.
Les squales der cette espèce ne sont pas moins
voraces ni moius hardis que les requins, et sont éga-
lement avides de la chair des hommes qu’ils suivent
et ne craignent pas d'attaquer. |
Quoique ces squales vivent, pour ainsi dire , en
commun, dans certains parages, avec des autres
espèces du même geure, et particalièrement avec
les requins, ils ont , pour se défendre de l’excessive
voracilé de ces derniers, quelque propriété que l’on
DES SQUALES. 4oq
Plusieurs voyageurs, et particulièrement
Plumier (1), lui ont appliqué en consé-
quence les dénominations que la puissance
redoutabie du requin a fait donner à ce
dernier , et ils l’ont nommé 7equiem et
carcharias.
Ses dents triangulaires, alongées et aiguës
ne sont pas dentelées comme celles du re-
quin , ni un peu coniques comme celles du
très-grand : on en trouve de fossiles dans
un très- grand nombre d’endroits ; et cela
ne doit pas surprendre, puisque le glauque
habite à toutes les latitudes, depuis l’ile de
V’Ascension jusques aux mers polaires. Sa
première nageoire dorsale est plus près de
la tête que les nageoires ventrales ; il a une
fossette sur la parlie supérieure de lextré-
mité de la queue; le lobe supérieur de la
ne connoît pas, et qui doit néanmoins être très-
saillante pour qu’elle puisse faire impression sur des
êtres aussi énormément gloutons que les requins.
L'on a vu, dans le fragment de la Relation de Van-
couver , que j'ai rapporté à la page 368 de ce volume,
Von a vu, dis-je, que les requins et d’autres squales
que les marins anglais prenoient plaisir à faire dévorer
entre eux, ne touchoient jamais aux squales bleus,
quoique coupés par morceaux, SONNINI.
(1) Dessins sur vélin déjà cités.
410 HIS T'O'TR'E
nageoire caudale est trois fois plus long que
Finférieur, et sa peau est moins rude que
celle de presque tous les autres squales (1).
(1) Je donne ici la description d’un squale bleu ,
faite sur un individu de cette espèce , long de quatre
piedset demi, et conservé dans le museum britannique,
par Broussonet :
« La tête étoit un peu aplatie, l’ouverture de Îa
gueule étoit également éloignée du bout du museau
et de la base des nageoires pectorales ; les dents étoient
presque triangulaires , alongées, aiguës , sans dente-
lures , et tournées vers le fond de la gueule ; les yeux
étoient petits et presque ronds , les trous des tempes
manquoient ; les nagcoires pectorales étoient grandes
et échancrées à leur extrémité ; celles de l’abdomen
plus petites, situées autour de l’anus et au delà du
milieu du corps ; la première dorsale étoit placée
avant l’à-plomb des nageoires abdominales ; elle étoit
presque triangulaire ; la seconde , plus petite que la
première , étoit au delà de là - plomb de la nageoire
de derrière l’anus; celle-ci étoit de la même grandeur
que la précédente ; la nageoire de la queue étoit par-
tagée en deux lobes , dont linférieur étoit trois fois
plus court; la peau étoit lisse et de couleur grise,
avec une teinte de bleu; les bords des nageoires
étoient noirâtres ». ( Mémoires sur les différentes
espèces de chiens de mer , dans ceux de l’académie des
sciences et dans le Journal de physique, février,
1785, pag. 121.)
Dans les Transactions philosophiques de Londres ,
année 1776 , on lit une description lrès - détaillée du
DES S QU'A LES. 4
squale bleu , par le docteur Guill. Watson; elle est
accompagnée d’une figure exacte.
La couleur , la forme des dents de ce squale , ajoute
Broussonet , et sur-tout une fossette triangulaire , qui
se trouve à l’extrémite du dos, fournissent des carac-
tères suffisans pour le distinguer des autres espèces.
I! faut observer que , dans cette espèce, les dents
sont en bien plus petit nombre que dans la plupart des
autres squales. |
La chair du dedans et du haut de la bouche est
molle et spongieuse ; la langue épaisse , large et rude,
et l’estomac grand et alongé; la rate s’y attache, et
plusieurs petites parties charnues et rondes la com-
posent. Le canal intestinal, d’abord mince vers le
haut, devient ensuite large et droit. Le foie est gros
et consiste en deux lobes, à l’un desquels tient la vési-
cule du fiel , qui a une couleur verdâtre.
Ce n’est guère qu’à cause du foie que l’on pêche le
squale bleu; c’est la seule partie qui soit bonne à
manger ; il passe même pour un mets délicat , quand
il est cuit au vin ou rôti. Rondelet indique une
manière de lapprèter : On le fait bouillir avec de
Physsope , des feuilles de laurier et d’autres plantes
aromatiques ; on ajoute de la canelle ; de la noix mus-
cade et des clous de girofle.
L'huile qu’on retire du foie de ce poisson passe pour
un bon remède contre les duretés du foie des hommes,
et les cendres de l'animal même étoient regardées dans
la vieille médecine comme propres à guérir le mal
des dents des petits enfans. SONNINI.
L'in du troisième Folume.
LA DRE
De ce qui est contenu dans ce
troisième Volume.
Pr EMIERE sous-classe, page 5
Les Lamproies, 9
La Lamproie, proprement dite, premiére es-
pèce, planche Ï, | 12
Péches de la Lamproie, 35
La Pricka, seconde espèce de Lamproie. —
Le Pétromyzon pricka, par Lacépède, 43
Le Lamproyon, troisième espèce de Lam-
proie. — Le Pétromyzon lamproyon, par
le méme, 53
Le Planer, quatrième espèce de Lamproie. —
Le Pétromyzon Planer, par le méme, 5g
La Lamproie rouge , cinquième espèce. — Le
Pétromyzon Rouge, par le même, 61
— sucet,sixième espèce. — Le Pétromyzon
sucet, par le méme, 63
—— argentée, la Septœuille et la Lamprote
noire,seplième, huitième et neuvièmeespèces.
— Le Pétromyzon argenté, le Pétromyzon
septœuil, et le Pétromyzon noir, par le
MÊME , 67
TABLE. 413
‘Tableau du quatrième ordre des Poissons,
par le méme, 69
La Raie batis, première espèce, planche AIX,
par le même, 76
—— à bec pointu. — La Raie oxyringue,
seconde espèce, par le méme, 127
—— /niralet, troisième ‘espèce, 192
—— chardon, quatrième espèce, 196
—— ronce, cinquième espèce, par Lacépéde,
15q
—— chagrinee, sixième espèce, par le méme,
143
—— museau-pointu, et la Raie coucou, sep-
ième et huitième espèces, par le méme , 144
torpille, neuvième espèce, planche XIX,
par le méme, 140
—— aigle, dixième espèce, par le méme,
180
narinari, onziérne espêce, 201
—— pastenaque, douzième espèce, par La-
cépéde , | | 204
—— altavèle, treizième espèce, 213
—— ouarnak, quatorzième espèce , 215
—— arnak, quinzième espèce, 216
—— scherit, seizième espéce, 210
—— mule, dix-seplième espèce, 219
Péche des Raiïes, | 226
Planche V , filet folle, 223
414 TABLE.
La Rae lymme, dix - huitième espèce, par
Lacépède, 251
sephen, dix-neuvième espèce, par le
méme , 256
—— bouclée, vingtième espèce , planche AV,
par le méme, 2 4
thouin, vingt -unième espèce, par le
méme , 257
—— bohkat , vingt-deuxième espèce, par le
méme , 263
cuvier, vingt- troisième espèce, par le
méme , 266
—— rhinobate, vingt-quatrième espèce, par
le méme, 270
tuberculee , vingt-cinquième espèce, par
le méme, 279
églantier, vingt-sixième espèce, par le
méme , 282
fabronienne , vingt-septième espèce, par
le méme, 285
ban£sienne, vingt-huitième espèce , par
le méme, 200
—— nègre, vingt-neuvième espèce, par le
méme , 295
mosaique , et la Raie ondulee , trente et
trente-unième espèces, par le même, 297
aptéronote , trente-deuxiéme espèce, par
le méme , 208
TABLE. 415
La Raie frangée, trente-troisième espéce ,
par le même, 209
—— nobular, trente-quatrième espèce, par
le méme, 902
—— schoukie, trente-cinquième espèce, par
le même, 307
—— machuéle, trente-sixième espèce, 309
—— chinoise, trente - septiéme espèce, par
Lacépède, 911
gronovienne, trente-huitième espèce, par
le méme, 214
—— manalia, trente-neuvième espèce, par
le méme, 316
Tableau du cinquième ordre des Poissons,
par le méme, 3526
Le Requin, planche VI, 332
Le Squale regun , première espèce, par La-
cépéde , ibid
—— très-grand , seconde espèce, par Le
.méImne , 400
—— bleu, — Le Squale glauque, troisième
espèce, par le même, 405
Fin de la Table,
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